Hiftoire et Anecdotes de la RévolutionFrangoife depuis 1'avénement de Louis XVI. au tröne jusqu'a lepoque de fa mort. Tótne II. Setlion Seconde.   Sommaire de la feconde Section. Suites du Décret concernant la SuppreJJion *^ de la NobleJJe. Emigration. Réclamation du Markbal de Broglie. Animofiü des deux partis compofant l'afjemblée. Lettre du Duc d'Orléans, fon retour a Paris. Décret concernant la fédération. Mr. de Bonnay Préfident. Décret concernant les non catboliques. Préparatifs de la fédération, arrivée des Députés, leur préfentation au roi: Détails relatifs a la fédération, ferment, fétes et illuminations, but de la fédération , Revüe des Gardes Nationales. Dênonciation de Mr. de St. Prieji. Evafion de Bonne Savardin. Abbé de Barmond. Somnanbuliftes. Suites de la nouvelle divifion du Royaume. Dégradation des grandes Routes. Réfléxions. Canaux abandonnés. Stagnation du commerce et des manufaüures. R v Projet  2 66 HISTOIRE ET ANECDÖTES Projet de Canal de Marne et Oife. Vagahonds et mendians. Projet de nouveües impofitions. Détail fur les anciennes impofitions. Taille , fon origine, exemptions. Capitation. Dixieme. Vingtiemes. Gabelles, Aides. Gardes et Commis de la ferme. Le prince Wolff. Compte de Dêpenfe de 1789 A *79°> P#r Mr. Necker. Demande de nouveaux Secours. Inconféquence de Mr. Necker. Licence de la Prejfe. Troubles a Lyon, a St. Etienne en forês* a Toulon, en Bretagne, a Scheleftat. Affafjhat de M. iAlbertas. Dêsordres a St. Domingue. a la Martinique. Infurretïion h Metz. CaraÜere de M- de Bouillé. Duel de M. M. de Cazalés et Barnave. Démiffan du Cardinal de Rohan. Prétendu manifefle de Mr. le prince de Condé. Secours accordés par le Roi aux libraires affociés. Deflruction des jurandes et Maitrifes. Régiments Suijfes. Suppreffion des apanages des Princes. Lijie des Chateaux et Maifons réfervées a. S. M. Affaire de Nancy. Détails préliminair es. Gamifon de Nancy. Régiment du Roi, infanterie. M. de Noue. Régi-  DE LA REVOLUTION FRANqOlSE. 267 ' Régiment du Meftre de CampCavalerie. Régiment Suiffe de Chateau Vieux. M. de. Mérian. Le Chevalier de ■ Malfeigne. Evénemens préliminares a Vaffaire de Nancy. M. de Baliviêre. Infurrection du Régiment du Roi. Députation du Corps des Officiers. Caiffe du Régiment. Le quartierMaitre Meffimieux. Prétentions des Soldats. Mouvement portin les Suiffes. Punition de deux Grenadiers. InfurreMon des Cavaliers du Meftre de Camp. Le Major Salis. Lecture d'un décret de Vaffemblêe Nationale. Infurrection complette des fuiffes. Prétentions des Cavaliers du Meftre de Camp. Députation des Soldats du Régiment du Roi. Nouveau Décret de taffemblée Nationale. Retour de deux Soldats députés a Paris. Arrivée de M. de Malfeigne, fa conduite, arrivée des Gardes Nationales a Nancy. Départ de Mr. de Malfeigne pour Lunéville. Arreftation de M. deNoue. Combat entre les carabiniers et les Cavaliers du Meftre de camp. Départ de la Garnifon de Nancy pour Lunéville. Arrivée de la Garnifon de Nancy a Lunéville. Con- férm-  268 HISTOIRE ET ANECDÜTES férences a Vbétel de ville. Ajfaffinat iun adjudant. Convention des députés. Maffacrt Sun detachement de Carabiniers. Retraite des Carabiniers. Arreftation de M. de Malfeigne, fon départ pour Nancy. Repentir des Carabiniers. Députation des Officiers du Corps des Carabiniers. Armée de M. de Bouillé. II marche contre Nancy, ü fait délivrer M. de Noue et M. de Malfeigne. Attaque de la porte Stainville. Bravoure de M. M. Des-Isles et Schuphawer. Attaque de la Porte Stanislas. Départ de la Garnifon de Nancy. Perte des troupes de ligne et Gardes Nationales. Confeil de guerre des R"giments fuijfes. Difcours de M. de Tschoudy Jugement et éxécution des Suiffes de Chateau Vieux. Revue de M. de Bouillé a Lunéville. Commijfaires envo- ■ yés a Nancy. Courroux des fflcobins. Décret de l'ajfemblée rélatif a taffaire de Nancy. Lettre de M. de Bouillé. Cérémonie funébre au champ de mars. Rapport des Commijfaires. Punition de la Garnifon de Nancy. Conftitution et force de l'armée. Details rélatif a la paye de Varmée. Affaire  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 269 faire de Moreton - Chabrillant, Confeil de guerre. Difcuffon rêlative aux affgnats. Manoeuvres des agioteurs divulguées, moyens quHls empMent. Difcours de Dupont de Nemours. Emijfon de 800 Millions d'affgnats. Complot contre M. Necker, fa lettre a Yaffemblée. Arreftation de M. Ne-; cker. Décret a ce Sujet. Son depart pour la Suijfe. Difcujfwn rêlative au Comtat d'Avignon. Arreftation de Mie- de Perfan. Emuete a Angers, Brigandages k Verfailles. Société de fuiffes patriotes. Proclamation de la République de Berne. Autre proclamation contre la Société des fuiffes patriotes. Troubles dans le Vallais, gouvernemens de ce pays. Bas Vallais. Mefures prifes par le Canton de Berne. Proclamation au fujet des Vallaifins. Infurreüion a Brejl, Arrivée du Vaiffeau le Léopard. Décret rélatif aux Troubles de Breft. Troubles a St. Domingue. Affemblée de St. Mare. M. de Peynier. M. de Mauduit. Proclamation de M. de Peynier. Diffolution du Club du Port - au-Prince. Bravoure de M. de Mauduit. Arrété de Vaffem-  270 HISTOIRE ET ANECDOTES ïaffemblêe de St. Mare. Commencement de guerre Civile. Excês commis d Léogane et aux Cayes. Décret de ïaffemblêe Nationale au Sujet des Troubles de St Domingue. Supprejfwn définitive des cours fouveraines. Serment éxigé des eccléfiaftiques. Rapport rélatif aux événements des 5. et 6 8irc- 1789. Procédure du Chatèlet. Analife du rapport de Chabroud. Opinion de M. ÏAbbé Mauri. Décret. Projet de Départ du Roi. Dénonciation des Miniflres. Décret en leur faveur. Lettres des Miniflres au Roi. Réponfe du Roi. Lettre de M de la Luzerne. Démijfion de M. de la Luzerne- Nomination de M. de Fleurieu. Changement de Pavillon. Du port-du- Tertre Garde de Sceaux. Du Portail Miniftre de la guerre. Leffard Miniftre des finances. Affaire des Primes poffejfionês en Alface. Décret. Dê~ penfes de l'anné 1791. Duel de M. de Caftries et Charles Lameth. Pillage de L'hótel de Caftries. Événement a Belfort. Décret & ce Sujet. Maffacre du maire de Varéze. Incendie du Chateau de Buzet. Désordres en francbe Comté. Héroisme de  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 271 de MUe- de Puzy. Troubles dans le Comtat. Siege de Carpentras. Arreftation de M. der Buffy. Projet des Contre - Révolutionaires. Prétendue Confpiration ü Lyon. Diffolution des Clubs des amis de la paix. Troubles au fpeUacle francais. Événement a Perpignan. Club Monarcbique. Maffacre a Aix. Dévaftation du Pare de Chantilly. Nouveaux Troubles a St. Domingue et a la Martinique. Décret a ce Sujet. Troubles en Corfe. Pacification du Brabant, et du Pays de Liége. Réfléxions. Conclufton. Section Seconde. La déftrudtion de la Noblefle , ^ rfa et de tous les Signes Hé- D(„tt conraldiques, fut le prétexte de «»•»«»« la dfupprejjion ans presque de la Nobtout le royaume; cette époque ufe. étant trés raprochée du jour fixé pour la fédération, des Députés a cette fète, réunis fréquemment a la Garde Nationale et a la populace des dilféren- tes  HISTOIRE ET ANECDOTES tes Villes , fe permirent de Brifer les monuments publics et particuliers, les armoiries éxiftant fur les portes des Hotels, et qnelque fois mème les voitures des cy devantNobles; quoique raffemblée eüt fixé un laps de temps plus éloigné pour faire difparóitre ces fignes extérieurs qui caraclérifoient la ditférence des clafles, les payfans s'emparerent des bancs des feigneurs et les brulerent a la porte des églifes; ils arracherent les poteaux et les Carcans attributs de la haute juftice, éffacerent eux mèmes les litres et tout ce qui pouvoit retraqer la féodalité. Les Nobles cherchèrent a fe veiiger par quelques plaifanteries ; plufieurs d'entr'eux firent couvrir d'un nuage les armoiries quife trouvoient fur les panneaux de leurs Voitures , en y ajoutant la devife, ce nuage n'ejt qu'un pajfage. D'autres y firent peindre une jaloufie, pour marquer que cette paffion avoit didé le Décret de raffemblée i dans d'autres parties du royaume, ils fe contentérent de faire couvrir d'un enduit les armes qui éxi- ftoient  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 27 J ftoient fur la porte de leur domicile, pour les faire reparoitre dans des temps plus favorables, (et qu'alors ils fuppofoient rapprochés). Le peuple mécontent de cette fupercherie, brifa ces armes en prétendant que c'étoit éluder la loi, que de 11e pas les enlever entièrement. C'eft a peu prés a cette époque, qu'on peut fixer le Emigram j 1, / • tion. commencement de I emigration, mal dangéreux et qui a accéléré la perte de 1'état. Les Nobles et les femmes furtout, qui attachent plus d'importance aux qualifications extérieures et aux attributs de la Vanité, ne pürent foufFrir de n'être plus diftinguées de la foule des autres mortels; accoutumées a. ne recevoir que des hommages et a n'entendre que des formules de refpeél et d'adulation, elles fe trouverent fenfiblement bleiTées, lorsque la groffiereté plébéienne articuloit fimplement leur notn de familie, fans le faire précéder de leur titre, 011 imprima un petit almana'ch des XJLSe£t:i. S véri.  2 74 HISTOIRE ET ANECDOTES véritables noms des Nobles, il s'en trouva plufieurs qui prétoient au Sarcasme et a la plaifanterie (*), fenfiblement bieffés de ce qui ne devoit en aucune maniere les offenfer, s'ils avoient en cette énergie et cette véritable élévation d'ame qui (*) Cette lifle apprit au public que le nom de M. M. de Gand (qui, aflurement font des gens de qualité) étoit Ftkin ctïui, de M. de Cresnay Poilvilain, celui, de, M. de la Grange le Lievre &c. presqu'aucun Noble ne portoit fon nom de Familie, il choiflbit a fon gré celui de quelque terre ou fief, dont il n'étoit fouvent pas poflefleur. Beaucoup de rotu. riers, furtout dans la clafle des auteurs, des poëtes, ou des gens de lettres imitoient eet exemple. Plufieurs gentilshommes avoient été obligés de changer leur nom, parcequ'il préfentoit quelque idéé, obfcêne, et qu'on n'auroit ofé, le proférer en bonne compagnie. C'éft ainfi, que M. M. de Beauv.. avoient transformé leur nom en celui de Belle affaire, M. de Bonnecou. .. étant devenli page de la Reine, fut obligé, de s'ap. peller Bonnechofe.  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 275 qui caractérife la Noblefle les grands Seigneurs, les évêques déftitués , et beaucoup de gentilshommes de province prirent le parti de fortir du royaume, pour y exhaler leurs glaintes et continuer a y porter ces marqués diftinélives qui leur étoient II cheres (*). Les femS ij mes (]*) Parmi la foule de réclamations que firent les Nobles pour s'opofer au Décret qui tendoit a les priver d'une qualité inhérente a leur naiffance, la proteftation du Maré- Kéclamation chal de Broglie, Prince du du MaréSaint empire romain, mérite chal ie Br°~ d'être diftinguée, comme étant fondée fur les vrais principes de droit public qui maintenoient la Monarchie Francoife. J'ai prcté entre les mains du Roi, lorsque j'ai été élevé au premiér grade militaire, le ferment de lui révéler tout ce qui tendroit a mettre fa couronne et la Monarchie en danger. Jamais atteinte plus violente ne pourroit leur étre portée que par 1'abolition de la Nobleffe héréditaire, puisque fes fuites fune- ftes  27Ó HISTOIRE ET ANECDOTES mes trainérent a leur Suite leurs adora- teurs, ftes ne fe borneroient pas a ébranler le Tróne et la Monarchie, mais entraine» roient nécefiairement bientöt Ia ruine et 1'anéantiflement de 1'un et de 1'autre, ne pouvant éxifter rii Royauté, ni Monarchie , fans cette Nobleiïe héréditaire qui depuis tant de fiecles en a été la gloire et le foutien. Je ferois coupable de ne pas élever ma voix contre un Décret dont les conféquences feroient fi fatales. Membre par ma naifiance de la Noblefie franeaife, j'ai fervi avec elle dès ma plus tendre jeunefle ; et devenu un de fes Chefs, je 1'ai conduite a la guerre, oü j'ai été témoin plus fouvent que tous autres de fon dévouement pour le fervice , 1'avantage et 1'honneur du Roi et de 1'état, ainfi que de cette valeur a toute épreuve, qui 1'a toujours carafterifée et lui a mérité Péftime et fouvent Padmiration des ennemis même qu'elle a combattus. Je faifis cette circon~' ftance pour lui rendre un témoignage fi bien mérité et reconnoitre avec autant de plaifir que de vérité que c'eft aw zêle  DE LA REVOLUTION FRANfÖISE. 277 teurs, et bientót elles vouërent a la proS iij fcription zèle, au courage, a la loyale amitié avec la quelle ces braves gentilshommes et ces vaillantes légions alors fi difciplinées, dont ils étoient l'ame, m'ont toujours fecondé, que je dois les fuccês que j'ai pu avoir a la guerre et les honneurs aux quels je fuis parvenu. Pourrois-je ne pas joindre mes rêclamations aux leurs contre un Décret par lequel on prétend enlever a la Nobleffe francaife la plus précieufe et la plus facrée de toutes fes proprietés? Je me reprocherois donc comme un crime de ne pas manifefter les fentimens dont je fuis pénétré, lorsque je vois les intéréts du Tróne , de la Monarchie et de la Noblefie fi dangéreufement compromis. En Conféquence, pour fatisfaire a mon Serment et a mes devoirs , comme Maréchal de fran9e, comme Noble, comme père d'une nombreufe familie, a la quelle je dois m'occuper de transmettre 1'antique Noblefie que j'ai recue de mes ancêtres; je protefte contre le Décret du 19 Juin dernier, qui prononce 1'abolition de la Nobleffe héréditaire et je fe- rai  378 HISTOIRE ET ANECDOTES fcription et a 1'infamie tout ceux qui I n'imitoient pas leur exemple beaucoup I de particuliers, les uns par vanité, les I autres par foiblefle, fe laiiïerent entrai- I ner. L'émigration pour la Clafie des I Nobles devint une néceffité; car ils fe 1 trouvoient expofés, en reftant dans le 9 royaume, a la vexation de la fadtion | dominante j et d'un autre cóté, ils fe I trouvoient en butte a la Médifance et I au mépris, de leurs femblables. Les-1 villes frontieres de la France et la SuirTe j furent remplies de franqois, qui, pour 9 leur argent y jouiiibient fans obftacle de J leurs anciennes diftindtions, et pouvoient \ a leur aife fe faire qualifier par leurs va- '\ Iets et par leurs hótes. Si ] rai configner cette proteftation dans des el dépots publics, affin qu'elle attefte a la France, a 1'Europe et a la poftérité, , mon inviolable fidelité pour mon Roi et l pour 1'état, ma parfaite éftime pour t une Noblefie qui en eft fi digne et mon r alFeftion pour mes enfants. a Tréves le ier. Aóuft 1790. Signé I le Maréchal Duc de Broglie.  DE LA REVOLUTION FRAN9OISE. 279 Si la NobleiTe eut calculé fes vrais intéréts, elle auroit attendu patiemment des circonftances plus favorables pour reproduire fes droits; en fe dépouillanfc de tous les attributs du luxe, en reftreignant fa dépenfe, elle pouvoit par un ufage convenable de fes richeifes, fe créer une foule de partifans dans la Capitale et dans 1'intérieur du royaume, et mériter de la coniidération; tous les citoyens fages et modérés désaprouvoient la deftruclion de la NobleiTe , comme ne préfentant.aucun but d'utilité, ils auroient pu fe joindre a leurs adhérens et lors de la Révifion de la Conftitution, lui faire recouvrer fes diftindtions Tionorifiques. La NobleiTe en fe retirant du royaume lahToit un champ libre a fes adverfaires , qui ne trouvoient plus d'obftacles pour remplir leurs coupables projets ; la Monarchie et le Tróne fe trouvoient fans appui, fes partifans dans 1'intérieur n'ofoient plus manifefter leurs opinions, et fe trouvoient fubjugués par la force de la fadtion dominante : telle a S iv été  2.ZO HISTOIRE ET ANECDOTES été la fuite de fa conduite irréflechie. Je fuivrai les progrès éffraïans de 1'émigration, lorsque je rendrai Compte des événements de Pannée 1791. Animfitida Pour donner une idee de deux partis l'animoflté des deux partis qui i°Tflu divifoient Paflemblée, du tumuite et du desordre qui regnoit dans la plupart de fes Séances, je crois devoir rapporter ce qui arriva a celle du 2. Juillet 1790. Mr. de Landenberg Wangenburg députe d'Alface, ayant annoncé qu'il donnoit fa démiffion, et demandant un pafreport pour retourner dans fa province, Mr. Bouche obferva , que de bons citoyens devoient plutót mourir a leur pofte, que de quitter FafTemblée: un autre membre ayant propofé d'imprimer une- lifte des députés préfens et abfents, pour qu'on connüt ceux qui étoient reftés fidelles a leurs devoirs et a leurs commettans, Mr. Foucault Lardimalie (*) ré- pon- (*) Mr. de Foucauld Lardimalie étoit un gen- tilhomme  DE LA REVOLUTION FRAN£OISE. 281 pondit qu'un pareil recueil feroit une lifte de profcription, et que beaucoup de députés légitimement abfens par congé fe verroient expofés a la fureur du peuple qui ne faifit jamais 1'efprit des décrets, et qu'ils pourroient être maflacrés: Tant mteux, s'écria une voix du Coté gauchej a ce mot tout le coté droit fe leva et demanda juftice de cette infulte ; mais on ne put découvrir 1'auteur de cette impertinence, et elle refta impunie. Quelque tems après Mr. de Frondeville (*) ayant fait imprimer un difcours S v qui tilhonime perigourdin doué d'une fo^e rare, malheureufement fon éloquence ne répondoit pas a la Vigueur de fes poumons; il réftoit impenurbablement a la tribune et vouloit lutter contre les meilleurs orateurs du cotc gauche. Ses opinions perdoient beaucoup de leur mérite parcequ'elles étoient débitoes fans grace et d'une maniére beaucoup trop difFufe. (+) Mr. De Frondeville étoit Préfident au parlement de Rouen, il réuniffoit a de 1'éfprit et de 1'éloquence, beaucoup de douceur et d'aménité.  282 HISTOIRE ET ANECDOTES qui avoit fait beaucoup de fenfation, et lui avoit attiré une réprimande de la part du préfident, le fit précéder d'une courte préface, oü il difoit que le feul mérite de eet écrit confiftoit a avoir été honoré de la cenfure de 1'afTemblée (*). Mr. Barnave dit a ce Sujet, que la punition la plus douce que méritoit eet ouvrage étoit d'envoyer 1'auteur en prifon; tout le coté droit fe leva tumultueufement; Mr. de Faucigny Lucinge (* *). mettant la main fur la garde de fon épée, s'élanqa au milieu de la falie en s'écriant, nous n'avons plus qdun moyen, c'eft de fabrer ces gaillards la! un cri général du Coté gauche fe fit entendre, en prifon, a Vabbaye! Mr. de Frondeville profita du premier (*) L'épigraphe de ce difcours dtoit: Dat veniam corvis, vexaf cenjura columbas. Mr. de Faucigny Lucinge defcendoit des anciens Comtes de Faucigny et ctoit par confiquent allié de la maifon de Savoye, il (e trouvoit a Pafiemblde en qualité de fuppléant de Mr. de la Béviere député de Bourg-en Brefle qui s'ctoit retiré peuaprès la réunion des ordres.  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 283 mier moment de calme et s'accufa d'avoir provoqué cette fqêne, il manifefta fon défir de fubir la peine que méritoit cette infulte provenant d'une tëte exaltée. Ce trait de prudence et d'honnëteté fatisfit l'alfemblée ; elle décreta que M. de Frondeville garderoit les arrèts pendant huit jours. Lorsqu'un député répandoit le trouble dans 1'afTemblée, ce qui arrivoit fréquemment dans les féances du foir; fi les réclamations du Préfident et les cris des huiffiers ne le ramenoient pas a 1'ordre, il éprouvoit la cenfure, et fon nom étoit inféré au procés Verbal; telle étoit la Vengeance qu'on exerqoit contre les perturbateurs. On les voyoit fouvent arriver la tête échaulfée par les fumées des vins frelatés, dont ils s'étoient abreuvés chèz les refbaurateurs du palais royal, fe promener avec indécence dans 1'enceinte de 1'afTemblée, fe difputer a coups de poings 1'accès de la tribune, y tenir les difcours les plus éxtravagants et confommer ainfi en débats fcandaleux , un temps prétieux et Par- gent  2 84 HI5T0IRE ET'ANECDOTES gent du public. Mr. de Guillermy député du tiers-état qui s'étoit rallié au coté droit, fut le feul qui ait éprouvé aprés M. de Frondeville une punition xnarquée ; ayant crié au Comte de Mirabeau qui étoit a la tribune, vous étes un fcélerat (*) PaiTemblée le condamna a garder les arrêts pendant trois jours. Tels étoient les propos ufités et la Conduite de beaucoup de membres de 1'Augufte aifemblée, qui auroit dü chercher a infpirer de la Confiance et du refpecl pour fes décrets, par le Calme et la Majefté de fes délibérations: mais la pétulance franqoife ne pouvoit pas fe contenir dans les bornes de la décence qu'on eut peut-être obtenu chèz d'autres Nations d'un caractère plus phlegmatique. Le (*) De pareilles épithetes feroient regardées comrae des Complimens , dépuis le regne de la Convention, qui a adoptiS le ton et le langage de la plus vile populace.  DE LA REVOLUTION FRANqOÏSE. 285 Le fix Juillet, 1'aflemblée lettre du recüt une lettre du Duc d'Or- d'°>" , ... , . , Kans. leans qui lui mandoit, qu après avoir prévenu S. M. que la miiïion dont elle 1'avoit chargé n'éxigeant plus fa préfence a Londres, fon projet étoit de fe rendre a fon pofte: il avoit été trés furpris de voir arriver chèz lui M. de Boinville, fe difant aide de camp de Mr. de la Fayette , qui 1'avoit engagé de la part de ce général a difterer fon retour a Paris, parceque des malveillans pourroient fe fervir de ce prétexte et de fon nom pour exciter de nouveaux Troubles'j le Duc d'Orléans, vivement piqué de ce foupqon, entroit dans de grands détails fur la pureté de fes intentions et fur fa conduite; il finiiToit par dire que 1'époque de la Fédération lui faifoit défirer encore plus ardemment de venir fe réunir a tous les bons citoyens, et qu'il viendroit reprendre fes fonclions a moins que Paffemblée n'ordonnat le contraire. Mr. "de la Fayette avoua que les mèmes. motifs, qui 1'avoient engagé a défirer  286 HIST01RE ET ANECDOTES firer que le Duc d'Orléans s'éloignat de Paris, au mois d'Oclobre, fubfiftoient encore} et qu'erFedivement il avoit chargé Mr. de Boinville de lui propofer de continuer encore quelque tems fon féjour a Londres, que chargé de veiller a la fureté de la Capitale , il avoit cependant une telle confiance dans le patriotisme des députés envoyés a la Fédération et dans le zèle de la Garde Nationale, qu'il ofoit répondre d'avance que cette fète folemnelle feroit auiïï paifible que belle. Le Duc d'Orléans revint Son retour rr n.- < n • -i « Paris. errectivement a Paris, il avoit fait précéder fon retour d'une apologie de fa conduite, qui ne fit aucune impreflion, il fe préfenta au Roi et a la Reine qui Paccueillirent trés froidement, la Reine mème ne lui paria pasj il fe rendit enfuite a Paifemblée, y prononqa un difcours oü il éxprimoit fon amour pour la liberté et fon défir de voir tous les efprits réunis a 1'époque de 1'Augufte fète qui fe préparoit, il finit par prêter le ferment civique, Peu  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 3 87 Peu après fon arrivée, 011 répandit avec profufion des brochures incendiaires dans la Capitale et dans les provinces ; elles tendoient a maintenir le trouble et le désordre et a avilir Pautorité dn pouvoir exécutif; des menfonges atroces, les plus laches calomnies faifoient laBaze de ces écrits, et maintenoient le peuple dans des inquiétudes et des agitations perpétuelles: tel étoit PefFèt des manoeuvres du Duc d'Orléans et de fes adhérens. Le q Juillet, Mr. Target lut un proiet de Décret rélatif Decret con; 1 J cernant la au Cérémonial a obferver a la Fédération. Fédération et a la formule du Serment que devoit prêter fa majefté. Ce projet occafiona de grandes difcuflions, Pabbé Maury cenfura un Article de ce projet qui portoit: "le Roi fera fupplié de prendre le commandement de ïarmee Francoife et de la Garde Nationale^ comme li par la Conftitution il n'étoit pas déclaré Chef fuprème de 1'armée. II obferva qu'engager le Roi a prendre ce commandement, c'étoit en quelque faqon  2 88 HISTOIRE ET ANECDOTES faqon ne pas reconnoitre fon droit, et qu'ildemandoit pofitivement que les troupes reünies au champ de mars ne puffent avoir d'autre Chef que celui de la Nation. Mr. de Frondeville prétendit que, pour compter fur la validité d'un ferment, il falloit qu'il fut proféré librement et volontairement, que puisque l'aiTemblée défiroit que le Roi prètat un Serment, il falloit lui manifefter fon voeu a eet égard; mais qu'en lui en prefcrivant la formule, c'étoit le priver de ce Caractère de liberté qui feul pouvoit y attacher du prix et de 1'importance. L'évèque de Clermont déclara que tout bon citoyen, tout franqois, devoit prèter avec enthoufiasme le ferment d'ctre fidéle a la Nation, a la loi et au Roi. Mais qu'après avoir rendu a Céfar ce qui étoit a Céfar , il devoit rendre a Dieu ce qui étoit a Dieu; qu'il déclaroit donc folemnellement, qu'en prêtant ce Serment il excluoit tout ce qui avoit rapport au Spintuel, que cette déclaration devoit  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 289 devoit être .un fur garant de la pureté" de fes intentions, et de la fcrupuleufe exa&itude avec laquelle il obferveroit le ferment pour tout ce qui avoit rapport au temporel, plus de deux cents eccléfiaftiques fe levèrent en mëme temps pour manifelter les mèmes intentions. Enfin apres de vifs débats, 1'afTemblée décreta les articles fuivans. Article Ier. Le Roi fera prié de prendre le commandement des Gardes Nationales et des Troupes envoyées a la Fédération générale du 14 Juillet et de nommer les Officiers qui exerceront ce commandement en fon nom et fous fes ordres. Art. IL A la Fédération du 14 Juillet, le Préfldent de l'afTemblée Nationale fera placé a la droite du Roi, et fans .intermédiaire entre le Roi et Lui. Les députés feront placés immédiatement, jpit a la gauche du Roi qu'a la droite du Préfident. Le Roi fera prié de T.II. Sed.II. T don-  290 HISTOIRE ET ANECDOTES donner fes ordres pour que fa familie foit. convenablement placée. Art. III. Après le ferment qui fera prètc par les députés des Gardes Natiorudes et autres Troupes du royaume, le Prélident de 1'alT. Nat. répétera le ferment prèté le 4. Fevrier dernier , après quoi les membres de 1'afTemblée de bout et la main levée, prononceront ces mots, je le jure. Art. IV. Le Serment que le Roi prononcera enfuite, fera conqu en ces termes „moi, Roi des franqois, je jure a la Nation d'employer tout le pouvoir qui m'eft délégué par la loi conftitutionelle de 1'état, a maintenir la conftitution décrètée par 1'afT nat. et acceptée par moi, et a faire éxécuter les loix." Mr.dtBo». ,Mr' de Bonnay, qui étoit nay Préfi- entre a 1'ailemblee en qualite de fuppléant duMarquis deOamas d'Anlezy, fut nommé Prélident  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 291 fident pen lant la quinzaine de la Fédération; il a /oit été Sous - Lieutenant des Gardes du Corps avant le Reglement qui exigeoit les preuves des carorTes pour Padmiffion a cetemploi; c'étoit un homme bouffi d'orgueil, d'importance et de vanité, il avoit eu des fuccès dans quelques fociétés, par des pieces de vers et de ces producTions éphémères qui créoient la réputation d'homme aimable: fa fuffifance n'avoit fait qu'augmenter dépuis qu'il fiégeoit parmi les législateurs; fon ambition étoit démefurée , il eut 1'audace de fe placer a la Fédération a cóté du Souverain devant lequel il fe profternoit quelques mois auparavant: il a prétendu pour excufer fa conduite, que le Roi lui avoit dit, qu'il lui feroit beaucoup plus agréable que tout autre Préfident, comme il étoit doué d'infiniment de fechereife et de hauteur, il avoit le talent de contenir Paifemblée dans les bornes de la décence, et fon efprit n'étant occupé que de Pobjet préfent , il réfumoic avec afsès de clarté T 2 les  292 HISTOIREET ANECDOTES les différentes opinions, et on doit ayouër qu'il étoit un des membres qui prélidoient le mieux 1'aflémblée; mais il paroitra toujours extraordinaire qu'un commenfal de la maifon du Roi ait ofé jouer un Róle fupérieur a fon maitre dans une Cérémonie publique. . L'alfemblée avoit décreté Décret concernant les le 10. Juin que les biens des non Catboli- non Catholiques qui fe trouvoient encore entre les mains des fermiers de la Régie des biens des Religionaires feraient rendus aux héritiérs, fucceifeurs, ou ayant droit des dits fugitifs; a la charge par eux, d'en juftifier aux termes, et felon les formes que 1'affemblée Nationale, aurait décrétées, après avoir entendu a ce fujet 1'avis de fon comité des domaines. Depuis longtems le gouvernement avoit modéré la Rigueur des lois contre les proteftans et faifoit reibtuer tacitement les biens des religionaires fugitifs a leurs héritiérs, ou fucceifeurs légitimes. L'affemblée en rendant ce décret, con-  DE LA REVOLUTION FRANcOISE. 293 confïrma d'une maniere folemnelle ce que la juftice exigeoit en faveur de ce,s malheureufés vi&imes de 1'intolérance des prètres et de la foibleiTe des Louis XIV. On avoit défigné le champ de Mars~comme remplacement Frépamtifs , . , lil In Fédéra¬ le plus propre a contenir la ^ multitude qui devoit prendre part a la fédération, ou en ètre fpedtatrice (*). Ce vafte terrein eft fitué entte les batiments de 1'école militaire et la riviere de Seine, et eft bordée a droite et a gauche, par plufieurs rangées d'arbres, il étoit autrefois deftiné aux T iij éxer- (*) Jen'ai pas crü devoir abufer de la patience du leéleur : en faifant une rélation circonftanciie des apprêts et de3 détails de cette Fédération: ce qui pouvöit être alors trés intéreffant, perd abfolument tout fon mérite a une époque plus rcculce, et depuis qu'une foule dévénements inattendus, fe fuccedant rapidement, pvefentent a fon efprit des objets qui doivertt le frapper d'une Maniére plus énergique.  294 HISTOIRE ET ANECDOTES éxercices militaires des Gardes franqaifes. On avoit élevé a 1'extremité du terrein, du cöté de 1'école militaire, Ï8 Tróne du: Roi et un Amphithéatre de quarante bancs a droite et a gauche; la familie royale, les Miniftres, les membres du Corps municipal et ceux du Corps diplomatique, etoient placés derrière le- fau-, teuil du Roi, et celui du Préfident; les députés de 1'afTemblée occupoient les. bancs a droite et a gauche. Au milieu du champ de mars s'élevoit 1'autel de la Patrie en forme circulaire orné de vafes, d'infcriptions et d'emblèmes. Un are de triomphe fuperbe et parfaitement décoré, terminoit le coup d'oeil du cóté de la riviere, oü on avoit jetté un pont de Bateau, et on entroit dans le champ de Mars par trois valles iffiies pratiquées dans Pare de triomphe, on avoit creufé le milieu du terrein pour former une térrafTe en forme d'éllipfe qui regnoit d'une extrémité a Pautre et préfentoit un amphithéatre garni de trente rangs de bancs oü cinq cent mille fpeétateurs pouvoient être  DE LA REVOLUTION FRAN9OISE. 2 95 ètre placés commodément. Ce travail immenfe devoit ètre éxécuté par quinze mille ouvriers qui étient employés depuis plufieurs mois. Peu de femaines avant la Fédération, on répandit le bruit que Pouvrage ne pouvoit ètre achevé et que les ariftocrates y mettoient des obftacles pour faire manquer la fète. Auflitót un entoufiasme général fe répandit dans toutes les claffes: depuis la Ducheffe jusr qu'a la Poiffarde, depuis le Général d'Armée jusqu'au fort de la Halle, tout le monde s'empreffa de donner des preuves de patriotisroe en allant travailler k Ja Conftru&ion du monument qui devoit confacrer Punion de tous les francais: les Religieux de differents ordres, méme les pères chartreux obligés par état de vivre dans la folitude et le recueillement, s'emprefsèrent de.fe dépouiller de Pauftérité de leur regie pour fe meier parmi les citoyens et y donner des preuves de zèle et d'adivité. La gaieté préfidoit a ces travaux, des chariots de vin et de vivres parcouroient le terrein,, * T iv et  396 HISTOIRE ET ANECDOTES et le pauvre ou le malheuren* artifan* y trouvoient une fubfiftance aflurée. L'ouvrage étoit fréquemment interrompu par des chanfons et des danfes patriotiques, ou tous les citoyens indittindement, témoignoient d'avance leur joye et leur attachement a la Conftitution. Ce Coup d'oeil étoit vraiement impofant, et prouve de quoi eft capable le francais quand le patriotisme 1'anime. Perfonne n'ofoit s'éxempter de paroitre a ces atteliers ou de contribuer par des dons pécuniaires a la Conftrudion du monument, il exiftoit beaucoup de particuliers , qui le chagrin dans le coeur, trainoient la brouè'tte, ou piochoient le terrein, qu'ils auroient défiré creufer pour engloutir ceux qui avoient provoqué cette Révc*. lution qui les privoit de leurs fortunes, de ^leurs .titres, et de ces jouiifances agréables, fuites des abus de Panden régime , une joye apparente regnoit fur leurs figures et le défefpoir dans leurs ames, le peuple ne fut pas trompé par eet emprefTement; plufieurs Corpora- tions  DE LA REVOLUTION FRANqOlSE. 297 tions firent peindre des allufions piquantes, des devifes et des farcasmes fur les bannieres et les drapeaux qui les précédoient au travail. C'éft a cette époque que la célébre chanfon , ca-ira, commenqa a ètre en vogue et devint une chanfon Nationale, les paroles étoient groffieres, mais Fair avoit quelque chofe d'attovyant, et dans quelque claife qu'on fut né , 011 ne pouvoit s'empècher de Fentendre avec plaifir, on le faifoit exécuter a tous les fpeétacles, fur tout a 1'opera oü il produifit le plus grand effèt. Le concours immenfe de citoyens, qui, s'empreffoient de prendre part aux travaux du champ de Mars, porta bientöt 1'ouvrage a fon point de perfeétion, et tout ce qui étoit rélatif a la fète fe trouva dans le meilleur état le-14. Juillet. Un bruit auffi abfurde qu'invrai femblable allarma pendant quelque temps le peuple de Paris, qui né avec un certain genre d'efprit, eft cependant, en général , d'une ignorance et d'une crédulité qui approche de la Bètife, on débita dans T v les  298 HISTOIRE ET ANECDOTES les lieux publics et dans les cafles, que le terrein du champ de Mars étoit miné et rempli de poudre, et qu'a un fignai déterminé on feroit fiiuter tous les fpeclateurs; on attribuoit encore cette manoeuvre aux ariftocrates pour les rendre toujours plus odieux. Cette fable occafiona beaucoup de Rumeur , le peuple fe porta en foule a 1'Hotel de Vilie; M. Bailly fut obligé de faire creufer plufieurs parties du* terrein pour démontrer qu'il étoit impolfible de le miner, puis qu'il fe trouve presque au Niveau de 1'eau; on fut mème obligé de faire publier le réfultat des expériences dans des affiches qu'on répandit en abondance dans tous les quartiers de Paris : Ce n'eft qu'avec beaucoup de peine qu'on par» vint a calmerles inquietudes et les foupc,ons du peuple. Arrivée: des L* VeÜle de la Fédération, députés. Mr. de la Fayette, préfenta a faMajefté, les deputés des différentes Gardes Nationales du royaume, et ceux des troupes de ligne, et pronon-  DE LA REVOLUTION FRANCOISE. 299 ca un difcours qui exprimoit leur attachement et leur refpect pour le Chef de la Nation. S. M. y répondit avec fenfibilité et bonté et affura les députés que, des que les circonftances le perraettroient, il rempliroit un devoir cher a fon coeur, celui de parcourir les provinces , d'y chercher les malheureux, de les foulager et de donner a tous les citoyerfs des preuves non équivoques de fon affeétion particuliére et de fon attacheraent a la conftitution; le plus ancien des députe.s de Bretagne, offrit fon épée au monarque, qui 1'accepta avec grace, en lui difant, qu'il en connoiifoit le prix et celui de la fidélité et de la valeur des habitans de cette province. II pleuvoit , lorsque les députés furent préfentés au f^f^T Roi; au lieu d'en paffer la re- R„i. vue comme ils 1'efpéroient, S. M, fe contenta de les voir défiler, et fe mit a Couvert fous 1'avantoit du Perron des Thuileries, les démocrates ne manquèrent pas de profiter de cette' cir- conftance  300 HISTOIRE ET ANECDOTES conftance pöur calomnier les intentions du Souverain : on obferva qu'étant ac~ coutummé depuis longtemps a elfuyer a la chafle toutes les intempéries de 1'air, il auroit pü s'y expofer un inftant, pour marquer plus d'égards aux députés de la Nation, dont plufieurs arrivoient des extrémités du royaume; cette remarque n'étoit pas dépourvue de fondement, et il paroit qu'il y avoit un malheurehx Sort attaché a toutes les aclions eifentielles de ce Prince. Un Mot agréable, une démarche placée fuffifent pour aifurer a des Souverains la plus grande popularité; Louis XVL manqua toujours de ce ta& nécelfaire pour faifir ce moment favorable qui ne fe retrouve jamais, fa timidité ou fa gaucherie déprimoient le mérite de la fenfibilité de fon ame et de fa bonté naturelle. Mr. de la Fayette et Mr.Bailly, prirent les plus grandes précautions pour aifurer la tranquilité de la Capitale pendant la Fédération, et leurs foéns, a eet égard, furent couronnés du plus heureux fuccès;  DE LA REVOLUTION FRANCHISE. 3OI fuccès; 1'ordre le plus parfait regna dans tous les quartiers de Paris, aucun accident, aucun meurtre, aucun brigandage ne troubla 1'allégreffe de cette fète Nationale. Un Réglement de police trés fage défFendoit a tout particulier de parcourir les rües, a cheval et en voiture, la veille et le jour de la Cérémonie: les fédérés des provin ces étoient logés par billets chèz des citoyens qui s'emprefTèrent de leur prodiguer des foins et des attentions hofpitalieres, avec cette honnêteté et eet empreffement, qui caraderifoient autrefois les adions des franqais. Le 14 Juillet, a quatre heures du matin , le peuple Détails re. s'empreffa d'aller fe placer autour du Cirque; a huit heures les bancs étoient remplis en grande partje par des femmes, qui, d'après un réglement de police avoient toutes des Vétements blancs ornés de rubans aux couleurs Nationales; les hommes étoient presque tous fous les armes, et des la pointe du jour 30,000. d'entre eux s'é- toient  302 HIST01RE ET ANECDOTES toient rendus dans 1'enceinte du cirque pour y maintenir Pordre; environ Cinquante mille citoyens armés efcortoient le corps éledtoral de Paris, le corps municipal et les fédérés des différents départements, Le cortège fe mit en marche a huit heures du matin, a onze heures il parTa prés de 1'alfemblée Nationale qui s'y réunit, et il arriva a midi fur le pont de Bateaux; le bruit du Canon annonqa fon arrivée, et les cris de Vive la Nation retentirent de toute part: le Roi fe rendit de fon Coté a la Cérémonie par Pécole militaire et vinc occuper le fauteuil qui lui étoit deftiné a la droite du Préfident de Paffemblé; la Reine, la familie royale étoient placés derrière fa Majefté. On remarqua que le Souverain s'etoit rendu a la Cérémonie dans la voiture du facre, pour indiquer lans doute qu'il regardoit fa réunion avec fon peuple comme un fecond couronnement, il avoit eu foin d'ordonner qu'on remplaqat la couronne bro-  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 303 brodée fur fon fauteuil par un bonnet de la liberté (*). A trois heures et demie, 1'Évêque d'Autun qui avoit été choifi pour Officier pontificalement, accompagné de Soixante prétres, commenqa la meife folemnelle, et fit enfuite la bénédicTion de quatre vingt trois banniéres deftinées aux quatre vingt trois départements. Mr. de la Fayette Strmnts* défigné par le Roi pour remplir les fonöions de Général Major des Troupes Nationales préfenta celle de Paris fur les gradins de Pautel; il fe leva enfuite, et prèta le ferment au nom de tous les Corps militaires et des Gardes Nationales du Royaume: les cris répétés de, je le jure, fe firent entendre de toute part. Quelque temps après le Préfident fe leva et prèta le ferment; les députés, (*) Ce malheureux Souverain ne prévoyoit pas alors qu'un jour on placeroit fur fa tété, eet emblème de la demecratie.  304 HISTOIRE ET ANECDOTES tés, la main levée y adhéïèrent, et enfin le Roi d'une voix calme et majeftueufe lut la formule de fon ferment, et levant la main en hauiïant la voix dit, je lejure, des décharges réitérées de canon annoncèrent la preftation de ces dirlérents fermens, et enfin tous les fpetfateurs y meierent leurs acclamations; de toute part on entendoit Vive la Nation, Vive le Roi, Je le jure. Un enthoufiasme univerfel s'étoit répandu parmi toute la foule. Le coup d'oeil et 1'enfemble de cette Cérémonie étoit véritablement augufte et impofant, et il étoit impoffible de ne pas éprouver une émotion proportionée a la grandeur et a la Majefté de ce Spedtacle. A cinq heures, le cortège s'en retourna dans le même ordre et par les mêmes avenues, le peuple fe fépara fans que la fète fut troublée par le moindre accident ou le plus léger désordre. _„ .„ Les députés des Provin- Fttis et ülu- . , , nmutmu. ces trouverent des tables abondantement fervies dans le chateau  DE LA REVOLUTION FRANC.OISE. 305 teau et dans les jardins de la Müette, oü on avoit drefie plus de vingt mille couverts aux dépens de fa Majetté. Le foir, toute la ville fut illuminée; 011 tira un feu d'artifice fur la place de grève, et le Roi qui ne faifoit jamais illuminer fes palais, parcequ'il étoit ordinairement 1'objet ou le but de toutes les fètes, fit illuminer de la maniére la plus brillante le chateau des thuileries. Ce qui paroitra furprenant, c'eft que malgré Faffluerice du peuple réuni au champ de mars , les promenades, les lieux publics, les Rües de Paris et toutes les croifées étoient remplies de fpectateurs, on préfume qu'a cette époque, il y avoit plus de 1, f 00,000, perfonnes raifemblées a Paris. Le temps auroit pü ètre plus favorable pour qu'on eut joui complettement du coup d'oeil de la fète; il tomba une pluie abondante a difterentes Reprifesj le peuple de Paris, qui conferve toujours fa gaieté, mème dans le malheur, pu quand fes projets font dérangés; ap. T.1L Sett.II. U pella  g©6 HISTOIRE ET ANECDüTES pella ces ondées, les dernieres larmes des ariftocrates. Les Nobles et les prêtres a qui cette fète Nationale "déplaifoit infiniment, triomphoient de ce contretemps et 1'attribuoient a la juftice du ciel, mais malgré les entraves qu'ils vouloient y oppofer elle n'en eut pas moins un fuccès complet et ne fit qu'augm enter 1'attachement des franqais a la Confti, tution. Le même jour, il y eut des fédérations particuliéres dans toutes les villes et garnifons du royaume; les Troupes de ligne et les Gardes Nationales prêtèrent le ferment civique, et dans toute 1'étendue de la france ces aifemblées et réjouiffances ne furent troublées par au- . cun événement facheux. Indépendamment du but iération. pohtique de la Fédération, celui de la réunion des citoyens de toutes les parties du Royaume, qui a leur retour devoient propager avec encore plus d'enthoufiasme Teiprit et les principes de la Révolution , un intérê. '' • • • | pai-  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 307 particulier pour la ville de Paris avoit engagé l'afTemblée a rendre cette fète aufli brillante et a y attirer une foule de fpectateurs. Depuis quelque tems les artifans et le peuple, s'appercevoient fenfiblemènt des variations produites dans les fortunes de ceux qui étoient attachés a la cour, ou qui ne devoient leur opulence qu'a des penfions, des traitements, ou des emplois abufifs, le luxe décroiffoit fenfiblemènt, le commerce étoit dans un état ftagnant; il falloit une Scène extraordinaire, une fecouife violente pour difliper pour quelque temps le germe dé mécontentement qui pouvoit exifter parmis les citoyens qui vivoient aux dépens des riches, des capitaliftes, ou des penfionaires de 1'état. La Fédération produifit eet effèt, elle mit tout le peuple en mouvement, donna de 1'aöivité aux atteliers presque abandonnés, et répandit dans la capitale une quantité de numéraire apporté par les habitans des pro. vinces et les étrangers qui y affluoient U ij a cette  308 HISTOIRE ET ANECDOTES a cette époque. Le peuple ébloui par 1'appareil de la Fédération, oublia fes malheurs panes et fa misère, et ne confldérant que le moment préfent, il fe livra fans ménagement aux plaifirs trompeurs, qui lui étoient préfentés et a une perfpedive de Bonheur qu'il efpéroit atteindre par une fuite des travaux de 1'affemblée. Le 18. Juillet, une foule de Spedateurs fe raffemblèrent au champ Revüe des de mars pour y voir paffer la Gardes iv«- t> •• i , , Homles. Revue de toutes les députations des Gardes Nationales du Royaume par Mr. de la Fayette: la troupe arriva fur le terrein a neuf heures et après avoir éxécuté quelques évolutions, défila devant le général a onze heures: des cris de Vive la Garde Nationale, vive Ia Fayette, furent répétes de toutte part. Après la revue, le peuple et les Soldats réunis témoignerent' leur joye par des chanfons et des danfes ; on s'empreifa d'entourer le général et de lui manifefter reconnonfance et attachement. II eft certain  DE LA REVOLUTION FRANfOISE. 309 certain qu'a cette époque Mr. de la Fayette étoit 1'idole des citoyens de Paris; il avoit été un des premiers apötres de la liberté et s'étoit mis a la tète du peuple lorsqu'il croyoit avoir fecoüé le joug de Pefclavage ; fon courage , fes foins, fon aétivité, maintenoient Pordre et la tranquillité dans la capitale; il facrifioit non feulement les émoluments de Commandant Général de la Garde Nationale (objet de 100,000 Livres par an) a des oëuvres de bien faifance, mais mème une gran'de partie de fa fortune; fa table étoit ouverte a tous les Officiers de la Garde Nationale, aux étrangers, et aux citoyens de Paris connus par leur patriotisme, et il n'étoit pas rare d'y compter plus de 150 perfonnes; il fut obligé de faire des emprunts confidérables pour fubvenir a cette énorme dépen. fe, et au bout de quelques mois il ne recueillit pour prix de fon zèle que méfiance et ingratitude. Tel eft le fort de tous ceux qui fondent leur efpoir fur la faveur du peuple, qui- toujours dirig'é U iij par  3IO HISTOIRE ET ANECDOTES par des caprices ou des impulfions étrangères, paffe alternativement de 1'adoration, a la haine, de la confiance, aux plus odieux foupcons. Après la Reviie, on devoit lancer un Ballon orné de Rubans et de bandes tricolores, le tems étoit trés chaud, pendant qu'on étoit occupé a le remplir de gaz inflammable, le feu prit au ballon, il creva et cette explofion bleffa plufieurs ouvriers et fpeétateurs. Le foir, toute la ville fut illuminée, les allées des champs élifées étoient remplies de lampions de différentes couleurs, arrangés en forme de Guirlande, ce qui formoit un coup d'oeil raviffant. Le mème foir, la Municipalité fit tirer un feu d'artifice fur la Rivière. Le lendemain la plupart des Gardes Nationales et des fédérés fe féparerent pour retourner dans leurs départements, ils partirent enchantés du fpeclacle dont ils avoient joui, pénétrés d'affeclion pour une Conftitution qu'ils ne connoiffoientpas, et comblés de marqués d'affecTion  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 311 d'afFedtion, et de politefles des habitans de Paris. Ces fètes Nationales reflere» jrent les liens de tous les citoyens du royaume, le franqois naturellement difpofé a Pattachement voyoit par tout des frères , des amis, qu'un mëme but, qu'un même intérèt réuniffoient, et qui étoient difpofés a verfer leur fang pour la défenfe de la patrie. La Procédure contre le Chevalier de Bonne Sayardin, fe continuoit avéc aöivité; Mr. deSt.Prieft. de St. Prieft, parroiflbit avoir été inftruit de fes pro jets de Contrerévolution , et quoiqu'il n'y eut pas de preuves évidentes contre Lui; le parti republicain, qui le redoutoit, cherchoit a le rendre odieux au peuple en répandant, des foupcons contre Lui. Briflbt de Varville Préfident du Comité des recherches, ofa mème le dénoncer a Paf» femblée comme Coupable du crime de léze Nation ; le Comte de Mirabeau, qui craignoit fon caraclère, et fon afcendant fur Pefprit du Roi, étoit un de leg U iv enne-  312 HISTOIRE ET ANECDOTES ennemis les plus acharnés. On avoit affiche des placards contre lui et les au* tres Miniflres, la veille de la Fédération, et on 1'avoit défigné particuliérement comme un ennemi de la liberté et un objet digne de. Péxécration et de la vengeance du peuple: Les calomnies n'ayant pas eu le fuccès qu'en attendoient fes antagonifles, ils employèrent de nouveaux moyens, a la fin de Juillet une aifemblée tunujltueufe fe répandit dans les thuilenes, environna ralfemblée; on entendoit des cris aifreux, Chaffez les mini* JlreSy oü nous apportons leurs têtes? L'a&ivite de Mr. de la Fayette et le zèle de la Garde Nationale firent avorter ces affreux complots, les groupes furent difperfés et le calme parut fe rétablir. Mr. de St. Priefl fit paroitre une apologie de fa conduite , il repréfenta Pinconféquence et la noirceur de fes ennemis , qui cherchoient par toutte fortes de moyens a le rendre odieux au peuple, tandis que 1'afTemblée avoit déclaré au mois de Juillet 1789, qu'il avoit mérité fon  DE LA REVOLUTION FRANC.OISE. 313 t fon eftime et celle de la Nation. Le commencement de fa perlecution dattoit de Pépoque du mois de Septembre 1789» on fuppofoit, qu'il avoit confeillé au Roi de faire venir des Troupes, pour em« ployer des moyens violens contre quelques membres de 1'afTemblée, ou pour j protéger fa fuitè; acluellement on Pac1 cufoit d'avoir favorifé et dirigé 1'évafion I du Chevalier de Bonne Savardin. Le 18 Juillet pendant que . tous les citoyens dc Paris pre- sl. i noient part aux fètes et aux Vttrdin. illuminations; quatre particu: liers en uniforme de Garde Nationale fe < nréfen térent a la oorte de la prifon de I Tabbave, le conciërge étoit abfent; fa femme avoit des ballons intimes avec un jeune homme qui avoit été gagné par les amis de Bonne Savardin , ils j avoient en conféquence les moyens de lui faire parvenir des lettres et d'en recevoir des réponfes. On apprit que par une négligence inconcevable , un des commis greffier du chatelet avoit laifle U v la  314 HISTOIRE ET ANECDOTES la procédure et toutes les pieces du procés entre les maias du Géolier pour n'avoir pas la peine de les transporter * lorsqu'il fubinoit des interrogatoires dans fa prifon. Les Gardes Nationales déguifés fupposèrent un ordre de Mr. de la Fayette pour transférer Bonne Savardin dans les prifons du chatelet; la géoliere, qui étoit probablement d'intelligence, le livra avec toute la procédure dont on eut foin d'anéantir jusques a la moindre tracé; a 1'égard de bonne Savardin< AMdeBar- f & ^ ^UeS ^S dallS mond. Je quartier du marais: 1'abbé de Barmond, député al'arTem- blée Nationale, ayant obtenu un Congé * pour aller prendre les eaux, le mit dans fa voiture avec un Garde National d'Obernheim en Alface nommé Eggs; ils étoient deja a la porte de Chalons- fur-Marne et fe croyoient en fureté, lorsqu'un aide de camp , de Mr. de la Fayette, qui les avoit reconnus, les fit arrêter dans cette ville et les ramena Pri- fonniers a Paris; a leur arrivée, le peuple  | DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 315 ; peuple fe jetta fur eux , et 1'Abbé de i Barmond courut risque de perdre lavie; [ il avoit deja la corde au col et il voyoit a fes pieds la fatale lanterne qu'il devoit I remplacer; fa préfence d'efprit ne 1'aban^. I donna pas, il paria avec fermeté et I courage, réclama fon inviolabilité en { qualité de député, et demanda a êtrè transféré a' 1'alfemblée; plufieurs rangs I de Soldats 1'y menèrent comme un cri< minel, il expofa fa conduite avec franI chife et éloquence, et comme il n'étoit' encore convaincu d'aucun délit, puis■:. qu'il affuroit ne point connoitre Mr. de I bonne Savardin, 1'affemblée ordonna qu'il 1 refteroit aux arrëts chèz lui fous la furI veillance de la Garde Nationale; a 1'é] gard de Bonne Savardin, contre lequel ü n'exiftoit heureufement plus de preuves, et de Mr. Eggs, ils reftèrent plufieurs mois en prifon et furent enfin mis en liberté. Cette fuite inopinée et la nouvelle arreftation de ces prétendus contre révolutionaires fit alors beaucoup de fenfation dans la capitale et dans toud le royaume. Un  316 HISTOIRE ET ANECDOTES Un autre Evenement peu important en lui-même fervit a alimenter les foupcons du peuple de Paris, et a occuper le comité des recherches, qui pour main* tenir fon empire, découvroit conftament des projets de Contre - Révolution et de trahifon dans les chofes les plus indifférentes. Le 29. Juillet, deux jeu- Samnanbu- -,r „ . T HM nes Sens M. PetitJean fils d'un Confeiller au Parlement de Rouen et M. d'Hozier fils du Généalogifte , fe promenoient, dans les Jardins de St. Cloud , ils s'afsirent a 1'entrée du chateau fans parler et y reftèrent jusques a la Nuit, c'eft en vain qu'on les avertit qu'on alloit fermer les Jardins, ils demeurerent dans la même attitude, leur air penfif et myftérieux excita la curiofité d'une patrouille de la Garde Nationale; on leur fit quelques queftions, Pun répondit qu'il s'appelloit St. Pierre, 1'autre St. Paul et dirent qu'ils étoient venus pour parler au Roi; d'autres réponfes, auffi extravagantes déterminèrent Mr. de Vüle-  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. 317 Villequier premier gentilhomme, de la ehambre a les faire arrëter provifoirementj 1'utï de ces jeunes gens avoit un billet rempli de fignes myftiques et hiérogliphiques oü il étoit queftion d'un entretien'avec la Ste- Vierge; il avoüa qu'il tenoit ce billet de Madame Thomaffin de Nancy. Au lieu de rire de ce nouveau genre de folie, BrifTot, qu'on avoit furnommé le grand inquifkeur, inftruit de cette arreftation fit donner des ordres de transférer Mr. Petit Jean et d'Hozier dans les prifons du Chatelet, il prétendit que 1'écrit qu'on avoit découvert contenoit les projets les plus dangéreux pour la fureté de 1'état et en confequence on envoya promptement ordre d'arrêter Madame Thomaflin a Nancy»  318 HIST01RE ET ANECDOTES Nancy, fes deux foeurs, Mesd. de Hault et VafTard furent également arrètées, 1'une a Vitri-le-Francois, et J'autre a Bar-le Duc, et on s'empara de tous leurs papiers : après plufieurs jnterrogatoires, on découvrit que ces dames étoient d'une fociété d'illuminés, ou de Somnabuliftes , a la quelle Mr. Petitjean et d'Hozier étoient aggrégés, et que cette arreftation étoit in jutte et vexatoire , mais pour en colorer le prétexte et faire fermenter les tètes des crédules parifiens, Briifot fit imprimer une Brochure intitulée : Projet de Contre - Révohition par les Somnanbuliftes, qui excita le mépris des gens fenfés, et attira la curiofité des fots. Des  DE LA REVOLUTION FRANfOISÉ. $1$ l Dès 1'inftant oü 1'affem- Suites de la iblée eut décreté la divifion de JJgJj^ fta france en départements et yaume. ten dittridts, et qu'elle eut fixé jle mode des convocations et des éledHions pour les places d'adminiftrateurs, tou:tes les paffions s'agitèrent; ceux qui par leur impéritie, ou par un défaut de talents et de capacité, fouvent même de probité, n'avoient pü obtenir d'emplois fous Panden régime, cherchérent a captiver les fuffrages du peuple; les moyens étoient connus et faciles, en afFedant un patriotisme exalté , en déclamant avec impudeur contre le gouvernement, en fe faifant affilier aux Clubs des amis j| de la Conltitution et en répandant adroiftement quelque argent, on étoit fur de parvenir a fon but. C'eft ainfi que dans tout le royaume, les places d'adminiftrateurs de départements et diftrids fe trouvèrent occupées par des gens fans moeurs et fins talent, dont le but étoit de s'enrichir et de fe venger de Poubü j:oü on les avoit laifTés jusqu'alors, ou ; du  32 O HISTOIRE ET ANECDOTES du mépris dont ils avoient été couverts;! emprefles de jouir de leur nouvelle au-| torité, au lieu d'acquerir quelques con-j noiiïances et de profïter des confeils etl des lumiéres de leurs prédécelfeurs, üsj eurent foin d'éloigner de tous les em-l plois, tous ceux qui en avoient occupél fous Panden régime, et les remplacèrent 1 par leurs adhérans qui n'avoient ni ca-l pacité ni talens. Un désordre le plus I complet fut la fuite de ces mefures: f fans bafe et fans principe, ces nouveaux adminiltrateurs , la plupart d'une pro- | fonde et craife ignorance, dilapidèrent | promptement le peu de fonds qu'ils eu- 1 rent a leurs difpofitions, négligérent les | établiffemens publics, laifsèrent languir | le commerce, et ne trouvérent aucuns | moyens pour faire payer les impöts; I leur infouciance a eet égard étoit trés Is agréable au peuple qui cherchoit a fe I perfuader qu'il ne payeroit plus rien, , et que les nouvelles lois 1'éxempteroient : de toutte contribution publique. Un  DE LA REVOLUTION FRANqOISE. ?2I Un des objets qui auroit ,du éxciter 1'attention de 1'af- Wg«-«'J» 1 ( . , 1 des graniet jfemblee parcequ'il «ent a la 'roMeu Jprofpérité d'un grand état; qu'il jfavorife la circulacion des denrés et les 1 fpéculations du commerce, étoit la con| feflion et 1'entretien des grandes routes, l Un des vices de la france a eet égard ; étoit le défaut d'un plan vafte et généi ral et de principes certains pour cette adminiftration :, dans chaque province , . chaque généralité, et en Languedoc, mèj me, dans chaque dioeëfe on adoptoit \ des bafes différentes, 1'étranger et le vo1 -yageur cherchoient en vain les caufes de I .la difference qui éxiftoit dans un objet i d'utilité commune; elles provenoient des I fiftèmes oppofés, des foins, de 1'intelli1 ^gence des adminiftrateurs et fouvent des caprices des Ingénieurs des ponts et chauC I fées. Depuis que la France ne formoit | Pplus qu'un tout et que ces différentes | .fubdivifions pouvoient ètre dirigées par I des mêmes principes, rien n'eut été plus 1 -iacile que d'établir une adminiftration I TIL Seü.II. X éclai-  32 2 HISTOIRE ET ANECDOTES éclairée; qui furveillant ce vafte enfem-. ble eut porté les grandes routes dans i toute 1'étendue du Royaume a leur plus haut point de perfecTion. L'aflemblée entendit la leclure de plufieurs projets entr'autres celui d'un établifiement d'école centrale du Corps de Génie des ponts et Chauflees a Paris, qui auroit dirigé tous les travaux de ce genre dans toute la France ; il auroit peut ètre été plus avantageux et économique de réunir les Corps du Génie militaire et celui des ponts et chauflees, puisque leurs fonctions et leur genre d'inftrudlion ont infiniment de rapport; mais au lieu de ftatuer définitivement fur un objet auffi éflentiel, elle fe contenta d'ajourner la difcuflion des differents projets, et abandonna la confeclion des routes aux adminiftrateurs des départements et des diftrids. Depuis la Suppreffion de la Corvee, les chemins avoient été trés négligés, Pimpot qui devoit la remplacer n'étant pas a beaucoup prés fuffifant pour leur entre-  DE LA REVOLUTION FRANfOISE. 3 SI 3 entretien. Les nouveaux adminiftrateurs n'ayant aucun fonds, aucune conoiifance, laucuns moyens et s'étant empreifés de ifupprimer tous les emplois de ceux qui Iavoient été attachés a 1'ancien régime; 1 la dégradation totale des routes , des {ponts et des aquéducs fut la fuite dé | ï'indifférence de raifemblée pour tout ce | qui préfentoit un intérèt général. ,C'eft i«en vain qu'on chercheroit a réparer ce que quelques années de désordre on fait perdre a 1'état, des millions ne rétabliro.nt jamais le mal que quelques annnées de négligence ont occafionnéj la dégrada■j jtion des Routes perpétuera longtemps le 1 fouvenir de 1'anarchie qui a régné, et la poftérité cherchera en vain les traces 1 de ces routes magnifiques et de ces ouvrai \ ges de 1'art qui faifoient 1'admiration des voyageurs et leur procuroient autant d'a* grément que de commodités. ■ ■• Les Routes Royales avoient plus de 60 pieds de large, Repxians^ 1 non compris les foffés, et éto- : 1 i ient bordées d'arbres fuperbes; le milieu X ij étoit  324 HISTOIRE ET ANECDOTES étoit pavé et les bas cötés préfentoient un talud régulier pour 1'écoulement des eaux; ces Routes s'étendoient de toute part a plus de trente ou quarante lieües de la Capitale et fe prolongeoient enfuite dans les provinces avec moins de fafte et de Magnificence , mais fur la même largeur, il y avoit d'autres Routes de trente fix a vingt quatre pieds; cette efpèce de chemin étoit peut ètre trop multipliée, les differents adminiftrateurs en faifoient ouvrir a leur gré, fous prétexte d'utilité publique , mais fouvent, fans autre motif que d'arriver commodément a leurs maifons de campagne, ou a celles de leurs parens ou protégés. Ces abus pouvoient être réformés par l'afTemblée; elle devoit aufli s'occuper de fixer des loix pour la charge des Rouliers : le poids excellif de leurs voitures qui ne porte que fur deux rouës dont les jantes font peu larges étant une des caufes principales de la dégradation des routes. Ces Vuës, d'un intérêt général et il elfentiel, échappè- rent  DE LA REVOLUTION FRANqOlSE. 325 Lent aux législateurs, ils fuivirent leur jSyftème ordinaire de tout détruire fans rien recréer. Les ponts et les aquéducs reftèrent j également négligés. Les connoiifeurs adjmiroient les ponts de Neuilly, de SauImur, deFrouare et plufieurs autres qui I fa foient honneur a la France et aux arjtiftes qui en avoient. donné le plan. Pv :mi les ingénieurs des ponts et chauffées diftmgués Mr. Peyronnet (*) eft un : de ceux dont le nom mérite de paifer a la poftéiité tant pour Pétendue de fes connoiifances que par Péxadte probité avec laquelle il rempliflbit fes fondions. Non feulement les grandes routes reftèrent négligées par un effèt des changements produits par la Révolution, les ; canaux, les manufactures , les autres établiffements publics qui étoient précédemment foutenus et encouragés par la protedlion du gouvernement, fe trouvant X iij alors (*) C'eft Mr. Peyronnet qui a donné le plan du pont de Louis XVI, que les régicides ontfurnommépont de la Révolution.  324 HISTOIRE ET ANECDOTES étoit pavé et les bas cótés préfentoient un talud régulier pour 1'écoulement des eauxj ces Routes s'étendoient de toute part a plus de trente ou quarante lieües de la Capitale et fe prolongeoient enfuite dans les provinces avec moins de fafte et de Magnificence , mais fur la même largeur, il y avoit d'autres Routes de trente fix a vingt quatre pieds; cette efpèce de chemin étoit peut ètre trop multipliée, les differents adminiftrateurs en faifoient ouvrir a leur gré, fous prétexte d'utilité publique , mais fouvent, fans autre motif que d'arriver commodément a leurs maifons de campagne, ou a celles de leurs parens ou protégés. Ces abus pouvoient ètre réformés par 1'afTemblée; elle devoit aufli s'occuper de fixer des loix pour la charge des Rouliers : le poids excellif de leurs voitures qui ne porte que fur deux rouës dont les jantes font peu larges étant une des caufes principales de la dégradation des routes. Ces Vues, d'un intérêt général et li eifentiel, échappè■> rent  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 325 rent aux législateurs , ils fuivirent leur Syftème ordinaire de tout détruire fans rien recréer. Les ponts et les aquéducs reftèrent également négligés. Les connoifTeurs admiroient les ponts de Neuilly, de Saumur, de Frouare et plufieurs autres qui fa foient honneur a la France et aux artiftes qui en avoient. donné le plan. J?armi les ingénieurs des ponts et chauffées diftingués Mr. Peyronnet (*) eft un de ceux dont le nom mérite de pafTer a la poftérité tant pour Pétendue de fes connoiifances que par Péxadle probité avec laquelle il rempliiToit fes foncTions. Non feulement les grandes routes reftèrent négligées par un effêt des changements produits par la Révolution, les canaux, les manufa&ures, les autres établiifements publics qui étoient précédemment foutenus et encouragés par la proteduon du gouvernement, fe trouvant X iij alors (*) C'eft Mr. Peyronnet qui a donné le plan du pont de Louis XVI, que les régicides ontfurnommé pont de la Révolution.  32 0 HISTOIRE ET ANECDOTES alors fans appui, tendoient vifiblement k leur anéantüTement. Canaux L'ancienne' adminiftration tbZonné,. de la Province de Bourgogne, avoit fait ouvrir trois Canaux j 1'un appellé le Canal du Charolois devoit joindre la Saóne et la Loire et communiquer avec les deux mers par 1'entremife de ces rivieres navigables. L'autre appellé le Canal de Bourgogne devoit éommuniquer avèc PYonne et la Seine depuis Dijon fa Capitale. Le troifieme appellé le Canal de St. Jean deLosne communiquoit de Dijon a la Saóne; ce Canal devoit ètre continué jusqu'au Dous dont on cherchoit a rendre la navigation facile et devoit enfuite fe prolonger jusqu'au Rhin, tous ces canaux avoient été ouverts avec appareil en 1784. Mr. le Prince de Condé avoit pofé la première pierre de 1'une des principales éclufes et pour perpétuer la mémoire de cette fuperbe entreprife, les états de la province avoient fait diftribuer avec profufion une médaille portant d'un cöté 1'infcription, Comitia  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 327 Comitia Burgundice , et de 1'autre utriusque mar is junclio triplex. L'ouverture de ces Canaux préfentant un objet d'utilité générale pour tout le royaume , et radminiftration de la province jouiifant d'une grande confiance, elle avoit emprunté environ trente millions pour commencer ces ouvrages: racquifition des terreins et la Conftruction de 84 éclufes avoit abforbé cette fomme, il falloit environ fix millions pour porter les ouvrages a leur point de perfection et mettre les canaux en plein état de Navigation: au lieu de facrifier cette fomme . faifemblée fe contenta d'accorder 600,000 Livres pour continuer les ouvrages, ce qui pouvoit a peine fuffire pour réparer les dégradations,et les éboulements des terres. La province de Bourgogne I ayant été divifée en plufieurs départeI ments, les nouveaux adminiftrateurs ne I pürent jamais fe concerter et cette entreI prife mémorable eft reftée imparfaite et | abandonné. U ■ Xiv U  32 8 HISTOlRE ET ANECD0TE3 La manufadure de Montqenis, qui devoit fournir des canons a la Stagnatiën marine e(- 4 ]aque]Ie Qn ayoi au commerct 1 . , * itdesma„u- reum la manufadure des crifa3ures. ftaux de la Reine, commencoit a profpérer fous la protedion et avec les fecours des états de Bourgogne; eet étabhifement fuperbe qui avoit couté des fommes immenfes aux adionnaires, déclina journellement depuis 1'époque de la Révolution et fiuit par ètre abandonné. A Lyon, a Nismes, a Abbeville, a Sedan et dans plufieurs autres villes du Royaume les ouvriers défertèrent les manufadures pour fe transformer en Gardes Nationales, ou ils forcèrent les entrepreneurs a augmenter confidérablement le prix des journées; d'un autre cöté les objets de luxe ne trouvant plus de débit en france et le commerce avec 1'étranger diminuant tous les jours, la ruine des Chefs de manufadure devint inévitable: dans d'autres temps Ie gouvernement leur auroit tendu une main protedrice; quelques  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE.' 329" ques avances, des facilités données pour des payements, maintenoient fouvent le crédit des négocians les plus opulents, qui, privés de fecours, auroient été obligé de faire failitte. L'aifemblée Nationale , infenfible aux malheurs des particuliers et peu occupée de ce qui pouvoit faire le bien de 1'état, ne prit aucune précaution pour remédier a ces maux. Les plus beaux établiifements, ceux mème qui avoient pour but d'éncourager les arts, les fciences et les talents, furent abandonnés; et on put prévoir des lors, que des fiecles de Barbarie fuccéderoient a ces années de gloire et de profpérité qui avoient dittingué la France des autres Contrées de PEurope et 1'avoient rendue Pobjet de lèur admiration et de leur envie. Pendant que 1'afTemblée négligeoit les mefures les plus Frojet dt éflentielles qui peuvent aflurer ^llne < le bonheur et la profpérité d'un Oife. éjtat, que des établifTements X v florif-  33° HISTOIRE ET ANECDOTES fioriflants s'annéantiffoient, elle cherchoit a fafciner les yeux du peuple de Paris, en lui perfuadant qu'elle encourageoit de ces vaftes entreprifes qui avoient diftingué les regnes de Louis XIV et de Louis XV. Un avanturier, u om mé Brul é, fe mit a la tète d'une Compagnie qui follicitoit la permiilion et le privilege d'ouvrir un Canal de Communication de la Marne a POife, depuis Meaux a Pontoife; le Canal devoit pafler par Paris, et on devoit établir un port confiderable dans 1'ancien emplacement de la BafHlle; Palfemblée fans faire examiner fi 1'éxécution de ce plan étoit poilible, ou li le produit des droits a percévoir pourroit compenfer les intéréts des fommes que pouvoit couter la confection de eet ouvrage, d'après un devis eftimatif et le rapport de quelques ingénieurs habiles, accorda fur le champ un privilége de vingt ans a la Compagnie du Sr. Brulé; il eft mème probable qu'elle lui fit donner quelques avances pour commencer les travaux et féduire par ce. moyen les Ca- pitaliftes  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 33 - pitaliftes de Paris qui achetèrent avec empreflement des aclions et fpéculoient déja fur le proffit confidérable que devoit rapporter ce canal qui a été abandonné au bout de trés peu de tems., L'alfemblée prévoyant que le grand nombre de mendians, ^^Ztlde Vagabonds et gens fans aveu, ants. qu'elle avoit attiré dans la Capitale au commencement de la Révolution , pour feconder fes projets , pourroient un jour fe réunir, tourner leurs armes contre elle et lui faire fentir toute leur force et leur puiffance, réfolut de les éloigner; elle ordonna en conféquence la continuation du Canal de tonnere a Joigni pour procurer des moyens de fubfillance a ceux que la licence et le désoeuvrement avoit attiré a Paris et qui n'y avoient pas été domiciliés avant la Révolution; on leur promit un prix confidérable pour leur travail; mais ces bandits accoutumés a 1'oifiveté ne pürent fe plier a la difcipline et a Poccupation; ils fe révoltèrent contre  332 HIST01RE ET ANECDOTES contre les Conducteurs d'atteliers, pillèrent des villages et commirent tous les exces qu'on devoit attendre de cette horde de miférables; on fut obligé d'envoyer des troupes de ligne pour les contenir et menie pour les eicorter a leurs atteliers. Quoiqu'ils fulfent en grand nombre , le prix de leur travail étant fixé a un prix déterminé par toife cube, 1'ouvrage n'avanqa que lentement et cette partie de Canal creufée a grands fraix n'eft point encore en état de navigation. L'affemblée s'occupoit depuis longte mps de fixer un nouveau Frojet de mode d'impofitions : mais le tiouvelles int- .. r ., , , ,, . fofitions. travail confidérable qu exigeoit • le développement de ces idéés n'étant pas encore achevé par le comité qui en étoit chargé, elle décreta, que les impofitions pour 1'année 1790 feroient les mêmes que celles de 1'année 1789- J'ai obfervé précédemment qu'a datter du iei"- Juillet 1789 on avoit foriné dans tout le royaume des Röles de Sup-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 333 li Supplément particuliers pour les privi; légiés qui ne payoient pas la taille et 1 les autres impoiltions, dont le tiers-état ] feul étoit chargé précédemment. La confection de ces Róles fut confiée aux I Officiers municipaux dont un grand nomj: bre étoient des payfans ignorans et grot | fiers, qui ne favoient ni lire ni écrire I: et n'avoient pas d'idées de la maniére 1 dont on devoit répartir un impot; ils ; eftimèrent arbitrairement le produit des I terres et les facultés réelles et indultriel; les des privilégiés , et les impoférent fi fouvent a des fommes qui excédoient leur revenu ; c'eft en vain que les op1 primés réclamèrent contre ces véxations, i| les adminiftrateurs de diftrict qui devoi ient donner leur avis fur les différentes requètes , approuvoient les opérations i des Officiers municipaux; et le direcloi1 re du département qui jugeoit fouve1 rainement confirmoit 1'arrèté du diftridt. I II ne reftoit aucuns moyens aux priviI legiés injuftement impofés, ils exhaloient 1 en vain leurs plaintes, on leur répon- doit  334 HISTOIRE ET ANECDOTES doit qu'ils avoient joui-affés longtemps de faveurs abufives, et qu'il étoit temps qu'ils reftituaflent a 1'état la portion contributive qu'ils lui devoient. Mais comme les privilégiés donnoient a Compte de leur quotte d'impofition au Róle de fupplément les vingtiemes et la Capitation qu'ils payoient, et que la Nation s'étoit emparée des biens éccléfiaftiques et domaniaux et fupportoit, par conféquent elle même, une grande partie de ce nouvel impót; les fommes qu'il devoit produire au tréfor public fe trouVerent peu confidérables. La Révifion des Quottes de la Contribution patriotique (impót qui devoit ètre libre et volontaire) fut aufli confiée aux Officiers municipaux, ils étoient autorifés par un décret du 10 Aöut 1790 a redifier les quottes qui leur paroitroient nocoirement infidèlesj dans une grande partie du royaume les Officiers municipaux fans avoir égard aux charges ou aux dettes des particuliers profitèrent du texte du décret pour ve- xer  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 335 xer impunément les cy devant privilégiés et les impofer arbitrairement ; il étoit rare que les directoires de diftrids et de départements ne confirmaflent pas leurs opérations. La majorité du peuple approuvoit hautement ces iniquités, et :des adminiftrateurs intègres fe feroient éxpofés a fon couroux, s'ils avoient prétendu les réformer. Tel eft le tableau fidéle de 1'oppreffion fous la quelle gémiifoient les anciens privilégiés qui payoient cherement le malheur d'ëtre nés dans une cafte diftinguée. 11 ne paroitra peut ètre pas déplacé de faire connoitre quels , . . . 1 • n „ Détail fur étoient les impots directs et Us atscie„_ indireds en France, et la ma- nes impoji- niere dont ils étoint répartis. tl0ns' Pendant les premiers Siécles de la Monarchie, fous les rois de la première et feconde Race et au commencement de la troifiéme, les peuples qui habitoient la partie des Gaules qui forme aduélle- ment le royaume de france foutenoient dans toute Pétendue du terme leur cara- dère de Francs. Us  33° HISTOIRE ET ANECDOTES Ils ne payoient aucuns impóts quelconques, et tout ce que leurs difFérens Souverains pouvoient éxiger, étoit leurs fervices en temps de guerre : ils obtenoient auili quelque fois, mais a titre de don gratuit quelques foiblesfubfides(*). Les Nobles et les poffefieurs de fiefs qui devoient un fervice perfonnel, parvinrent cependant a lever quelques impots fur leurs fujets, pour 1'entretien des gens de guerre qu'ils menoient a leur fuite, et que leurs Vafiaux Taillt. avoient été obligés de lever et d'entretenir jusqu'alors. Telle eft 1'origine de la taille. _ Cetimpii- qui étoit dejaconnu SonOngwt. , , „ _ / . du temps de St. Louis, mais qui n'avoit pas toujours fubliité, devint.perpétuel en 144^ fous le regne de Charles VII, qui fut obligé d'entretenir des armées con- (*) L'ordre du clergé feul avoit confervé le Privilege des Francs , et ne contribuoit aux befoins de 1'état qu'a titre de don gratuit, ainfi que je Pal obfervé .... préc.demment.  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 337 confidérables pour chafler fucceffivement les Anglois des provinces qu'ils avoient conquifes: la taille remplaqa aulii le bénéfice que faifoient les Rois en altérant les monnoies, bénéfice qui étoit 13 con- ;lidérable qu'en 1309, fous le regne de : Philippe le Bel, les différentes monnoies ne valoient que lés deux tiers de i celles qui avoient cours fous le regne de St. Louis , et que Charles de Valois qui avoit une autorité illimitée fous le Regne de Louis Hutin, pour calmer le mécontentement du peuple, fut obligé de faire éxécuter le furintendant desfinan- ices Enguerrand de Marigny, en rjif, en le faifant pendre au gibet qu'il avoit | fait élever lui mème a Montfaucon. Les gentilshommes, les Nobles, les i hommes d'armes et les Francs - archers, j étoient exempts de tous impots a raifon de leur fervice perfonnel. C'eft a Pépoque du Regne de Char- ^J/"" les VII que le militaire Fran- S qais commenqa a avoir une certaine confiltence et un état fixe. Ce Monarque T. IL Se3. II. Y rédui-  338 HISTOIRE ET ANECDOTES réduifit la Gendarmerie a quinze Compagnies d'ordonnance , dont chacune étoit compofée de cent hommes d'armes, chaque homme d'armes devoit fervir avec fix chevaux, ce qui formoit neuf mille Cavaliers. II créa auiii des Compagnies de Francs - archers, dont une partie fervoit a pied et 1'autre formoit la Cavalerie Jégère. La taille fervoit a payer et entretenir ces troupes, et les fujets préféroient eet impot aux exaclions arbitraires des gens de guerre. II eft évident d'après eet appércu qu'il y avoit une efpèce de juftice a difpenfer les gentilshommes , les hommes d'armes, et les Francs-archers du payement de la taille, ' dans un temps oü ils étoient presque toujours fous les armes. . Les fouverains et les proprietaires de fief employoient non feulement les fubfides levés fur leurs fujets, mais fouvent même leur propre patrimoine pour 1'entretien des armées. Lorsque Francois Ier- fe détermina a vendre les charges de finance et de judicature, exemple qui fut fuivi et confidérable-  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 339 rablement étendu par fes fucceifeurs, ils éxemptèrent auffi les acquéreurs du payemenc de la taille. Une infinité de charges ou d'emplois même des plus fubalternes difpenfoient du payement des impots; les fervices que les titulaires rendoient a 1'état et 1'argent qu'ils avoient fourni en étoient la Compenfation; et comme la plupart de ces charges n'étoient point héréditaires, les roturiers qui avoient quelques talents ou de la fortune, pouvoient efpérer a leur tour de jouir des exemptions. La Taille (*) fut confiderablement augmentée en 1483, en 1f47, 1581 et par un édit de 1600; et poftérieurement fous les derniers regnes, eet impot avoit Y ij été (*) Dans presque tout le Royaume on comprenoit fous la dénomination de taille, les cinq groiïes impofitions réunies connues fous le nom, de taille, taillon Logement de gens de guerre, étapes et convois militaires, entretien des milices. Dans le fait, chacune de ces inquifitions auroit dü être recueillie par un role féparé.  34° HISTOIRE ET ANECDOTES été fanctionné a plufieus tenues d'états géiiéraux. On diftinguoit la taille , en taille réelle et taille induftrielle; la première étoit celle que payoit le roturier a raifon de cette qualité, la feconde a raifon de fes facultés réelles et induftriél- ] les, les privilégiés propriétaires de fonds j payoient indiredement la taille, par la main.de leurs fermiers, qui calculóient"I d'avance la Somme a la quelle ils pourroient ètre impofès pour Pexploitatiou des férmes, ou des ufines qu'ils avoient le projet d'amodier; et la diminuoient fur le prix de leurs baux. A 1'égard des getilshommes ou des Nobles non propriétaires qui n'avoient que la Cape et l'épée, leur fort ne devoit certainement pas ètre ënvie j condamnés par les lois, ou par un préjugé ridicule a ne pas fe rnéfallier , ils étoient obligés de croupir time leur vie dans des grades fubalternes, et quand méme ils auroient eu un mérite tranfcendant, ils parvenoient rarement a obteïiir de 1'avancement, ou a faire fortune dans 1'état militaire, qui étoit  ] DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 341 étoit la feule carierre qui leur fut ouverte, Les Bourgeois de la ville de Paris iet de plufieurs autres villes du royau• me, jouiflbient de .Péxemption de la tail:1e, fok par un effêt de la faveur des , Rois, ou pour quelques fervices rendus a 1'état, mais ils payoient une quotte de ,■Capitation plus confidérable; d'ailleurs, lés droits éxceilifs qu'on percevoit a Pen, trée de Paris, et qui produifoient plus ; de 80 milions par an, annulloient bien i Peffèt de cette efpèce de privilege. Indépendament de 1'impot que fup- portoient les non privilégiés, ils étoient encore affujetis a loger gratukement les ;i gens de guerre , lorsque lés Troupes I changeoient de Garnifon et a faire transi|porter leurs équipages moyennant une j trés modique retribution. Avant 1'abolition de la Corvée, les roturiers étoient encore chargés de la 1 confeclion et de 1'entretien des grand» S chemins, tandis que les privilégiés en ti- roient presque tout 1'agrément et 1'avan... Y iij tage.  34* H1ST0IRE ET ANECDOTES tage. La quotité de l'impot de la taille, pour tout le Royaume, étoit arrètée au Confeil des finances et on en fixoit la proportion pour chaque province. Dans les pays de généralité , les intendants envoyoient a chaque eommunauté un mandement pour la Som me qu'elle devoit payer: dans les pays d'élection, les Officiers de ces tribunaux faifoient le mème travail, et enfin dans les pays d'état, les commiffions intermédiaires régloient la répartition des impóts pour lesquels il éxiftoit ordinairement un abonnement. Lorsque le mandement parvenoit a une Communauté, elle nommoit des afTéeurs qui répartiflbient la fomme a payer, entre tous les habitans. L'impot étoit primitivement raflemblé par un particulier, appellé collecteur, qui en verfoit le produit dans la caifTe du receveur des tailles, les receveurs des tailles verfoient leurs fonds dans la caiffe du receveur général des finances, ou dans celle du tréforier général de la province, qui comptoit enfuite le produit total  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 343 . total au tréfor royal. D'après eet expofé il eft évident qu'il exiftoit beaucoup trop i d'intermédiaires entre le Contribuable | et le tréfor royal. Les emplois de receifveurs de tailles et de receveurs généjraux des finances étoient exceflivement J multipliés, et leurs émoluments trés i confidérables étoient payés par le peuple. I Une réforme dans la perception des im*pots étoit nécefTaire et pouvoit s'opé\ rer facilement. Un des abus du pouvoir arbitraire 1 que s'étoient arrogés les Intendans, ou % les commiffions intermédiaires, étoit 1'é; tablifTement des quottes d'office. Lors1 qu'on fuppofoit une Fortune confidérable l a un particulier qui par fon afcendant.ou I fon crédit dans fa communauté avoit été \ ménagé dans la répartition de 1'impot, t on décernoit un mandement particulier I contre lui, pour une fomme fouvent I trés confidérable, et il étoit rare qu'il I parvint a la faire modérer. Lorsque 1'imI pot n'étoit pas payé éxadement par la I communauté, il arrivoit fréquemment, Y iv que  344 HISTOIRE.ET ANECDOTES que des receveurs des tailles inhumains, faifoient faifir et vendre les meubles des malheureux particuliers, fouvent menie ou mettoit en prifon le collecteur et les principaux habitants d'une communau- I té Jusqu'au payement total de la fomme. j qu'elle devoit fournir. L'impot de la Capitation Citatie». fut crée en 1695. il ne devoit fubfifter que jusques a la paix; il fut effectivement abrogé en 1698. mais il reparut en 1701. et 1704. et a toujours fubfillé depuis cette époque. Tous les citoyens quelconques du royaume étoient aiTiijetis a eet impot, a commencer par Mr. le Dauphin, dont la quotte fut fixée a ?ooo Livres, celle des autres particuliers étoit reglée a raifon de leurs qualités ou de leurs emplois. Les Parlements après une certaine réfiftance finirent par enrégifter eet impot. Les Roturiers le payoient cumulativement avec la taille. ïjïximt. , L'imPot du dixieme. prit également naiflance a la fin du regne  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 345 regne de Louis XIV. dans le .temps de la guerre défaftreufe de la fucceifion,. et devoit ceffer a 1'époque de la paix; fa perception s'étendoit fur tous les revenus quelconques des Franqais, fur le produit de leurs terres* de leurs rentes; mais eet impot ne fe levoit pas avec rigueur, et on ne payoit jamais le dixiéme de fa fortune. A 1'Epoque de la mort de Louis XIV, la perception de eet impot fut fufpendue un inftant, il changea enfuite de dénomination. Un édit du Roi, du mois de mars 1749 portoit fuppreflion du dixieme et etablif; fement d'un vingtieme et des VingtUmt. , deux fols pour Livre du dixie1 me, pour fubvenir au payement des det! tes de la guerre ; en conféquence, le j produit de cette impofition devoit ètre verfé dans une caifs d'amortiffement. j L'execution de eet édit fouffrit de grandes 1 difficultés, et finit cependant par ètre enrégiftré par toutes les cours fouveraines du royayme, a 1'époque de la guerre de fept ans, on établit un fecond vingtieme y v «t  346 HISTOIRE ET ANECDOTES et enfin un troifieme vingtieme qui ceifa d'etre percu a 1'époque de la paix de 1763. par un édit de 1771 , les deux vingtiemes furent prorogés d'une ma. niere indéfinis jusqu'a Pentier payement des dettes de Péta't. Le troifieme vingtieme , reparut encore depuis 1781 k 1784* Les pays d'état moyennant 1'avance de quelques fommes, et des Princes et Seigneurs qui avoiènt du crédit, obtenoient des abonements favorables du gouvernement pour le payement de eet impot, et fruftroient ainfi le tréfor public des fommes qu'ils devoient fournir a 1'état, a raifon de leur fortune. Parmi la foule d'impots indire&s qui éxiftoient en France, le proGabeBe. duit de la Gabelle étoit, fans doute , le plus confidérable. Avant le Regne de Philippe de Valois le fel fe vendoit librement dans tout le royaume ; c'eft ce Prince qui fit établir des greniers oü fes fujets furent obligés de fe pourvoir de eet objet de première néceflité j ce qui le fit furnommer, plai-  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 347 plaifament par Edouard III. Roi d'An. gleterre, V Auteur de la loi Salique, la ferme du fel devint par la fuite un objet tres important et rapportoit a 1'état plus de 100 Millions par an; un des grands inconvénients de la perception de eet impot étoit Pinégalité de fon prix dans les différentes provinces; a Paris et dans quelques autres villes et pays du Royaume, le Sel fe payoit 13 Sols 4 Deniers la Livre, ailleurs on fe le procuxoit pour 6 pour 4 et mème pour deux fols fix deniers la livre. Cette inégalité, engageoit a faire la Contrebande; une foule de commis et d'employés étoient occupés a la prévenir, et il exilloit dans 1'intérieur du royaume, une guerre perpétuelle entre les percepteurs des droits et ceux qui cherchoient a les frauder. II eut été a fouhaiter, que la vente du Sel eut été fixée a un prix moyen pouï tout le royaume. J'ai déja obfervé combien il avoit été impolitique et dangereux d'anéantir abfolument Pimpot de la Gabelle et d'a- bandon-  348 HISTOIRE ET ANECDOTES bandonner la vente du Sel au caprice ou a la cupidité des particuliers. Le produit de la vente éxclufive du tabac , étoit auffi une branche des plus confidérables des revenus de 1'état; mais il y avoit le tnême inconvénient pour ce débit que pour la Gabelle; une foule de Co m mis et de gardes arm és qui auroient du fe borner a arrêter les contrebandiers, faifoient des vifites domiciliaires, fouilloient avec une -rigueur incroyable, les voitures chargées pour le commerce et celles des particuliers, et maintenoient dans toutes les clafTes un mécontentement général contre les fermiers généraux et leurs employés. On pouvoit tirer un parti avantageux de la Vente éxclufive du tabac,. en la dépouillant de la rigueur extréme avec la quelle on pourfuivoit ceux a qui on fuppofoit le projet de chercher a frauder les droits de la ferme. C'eft fur tout dans la parm,s- tie des Aides que fe déployoit toute la févérité du régime fifcal,  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 349 fiTcal, le Mot d'Jide, indique laTource de eet impot ; c'étoit un fecours volontaire que les fujets accordoient a leur j Souverain, pour fubvenir aux dépenfes ;: néceifaires pour la fureté et protedion I de leurs propriétés; Les Aides fournies : en 1364. au Roi Jean, furent accordées I pour ptév'enir 1'altération des monnoies j qu'il avoit projetées. En ijff. le prin; ce fit aux états généraux une nouvelle demande d'aides pour les fraix de la j; guerre, elles furent également accordées £ et continuées fous fes fucceifeurs. L'impot des Aides tel qu'il fe percevoit fous les derniers régnes, étoit un , droit levé fur les vins et les boiifons; , des commis'de la ferme, connus fous le ; nom de Courtiers jaugeurs, inlpedeurs i aux boiifons ou toutte autre dénominaI tion , fe faifoient ouvrir arbitrairement ; les maifons des particuliers , ils fixoient ! la quantité de boiifon qu'ils devoient con! fommer, le refte étoit aifujeti a des , droits confidérables, foit qu'il fe vendit dans le pays, oü' qu'on le fit paifer;, dans  35° HISTOIRE ET ANECDOTES dans les provinces limitrophes ou i I'étranger. Dans les pays d'aides, un Gardes tt * i • tommuiiia Partlculler ne pouvoit difpofer ferme. du produit de fes vignes, fans une foule de formalités, d'écritures, de vifites et de certificats qui gènoient également la liberté individuelle et celle du commerce. II éxiftoit en France plus de éo mille gardes, commis ou employés de la ferme générale, conftament occupés de la perception de fes droits et revenus, et qui étoient, pour ainfi dire, en guerre ouverte avec la plupart des citoyens, la réforme de cette armée publicaine , ainfi que 1'abolition de tous les impots vexatoires étoit généralement demandée, mais elle devoit être graduelle fucceflive et fur tout remplacée' avantageufement. L'aifemblée ne s'occupa pas de eet objet, elle anéantit fans réflexions la plus grande partie des impots indirects, et fit disparoitre en un inftant une des fources les plus abondantes des revenus de 1'état et de la fortune publique, Te  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 35- Je n'entrerai pas dans le détail de tous les impots indireds qui éxiftoient i en France avant la Révolution; on en i trouvera la dénomination dans 1'ouvrage I de Mr. Neqker fur les finances, et dans . plufieurs autres écrits: il fiirnra de dire qu'aucun objet de luxe ou d'agréament, et mëme aucune production de première néceflité n'échapoit a la rapacité du 1 fifc (éxcepté le grain) (*). Les vins, les cuirs, les draps, les huiles et favons, les bettiaux, les bois, I les fers payoient des droits confidérables qui fe percevoient foit au profit du tréfor public, ou a celui des villes ou des | particuliers qui en avoient fait Facquifi: tion ou en avoient obtenu le privilège du gouvernement. La lotterie Royalle, « jeu inique et indécent de la part du Souj verain avec fes fujets, mais devenu nécef! faire dans un état corrompu, produifoit plus de douze millions par an de bénéfice, i malgré les fraix énormes de fon adminil ftration. L'affem(*) Souvent même on payoit pour le ^ftain des droits de hallage, meiurage &c.  352 HISTOIRE ET ANECDOTES L'afTemblée remplaqa les impots directs par la contribution fonciére et mobiliaire , et la partie des impots indirects fupprimés, par le droit de timbre dont 1'établilfement n'avoit jamais pu avoir lieu fous le Miniftère de 1'Archévêque de Touloule quoiqu'il fut bien plus mitigé que celui préfenté par 1'af, femblée, a 1'égard des droits de traite foraine et des denrées ou marchandifes du Royaume paifant a 1'étranger, ou qui entroient en France; elle en établit la perception a la frontiére, fans que la circulation put ètre arrêtée dans 1'intérieur, ou dans le tranfit d'une province a une autre. Je parlerai dans le temps de la maniére dont ces différens impots devoient ètre répartis et perqüs, et je préfenterai au lecteur quelques réfiexions i ce fujet. Un moyen fur de plaire a 1'aiTemblée, étoit d'éxalter fes opérations et fes plans et fur tout de lui faire efpérer que fes projéts feroient adoptés dans d'autres états. Une anecdote particuliere  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISË. 353 re prouve, a quel point Padulation pouvoit fafciner les yeux des auguftes législateurs. Le fifs d'un maitre de pofte de Louvain avoit un genre de folie ^ afsèz fingulier; il s'étoit imaginé étre Prince, portoit des ordres et décorations , fe faifoit fuivre par plufieurs domeftiques, et éxigeoit i qu'on ne Papprochat qu'avec des marqués éxtérieures de confidération et de refpect. II étoit connu fous le nom de Prince i Wolff et en cette qualité il écrivoit ftéquemment aux differents Souverains de j 1'Europe; il avoit d'ailleurs"* de Pefprit et des connoiifances, et comme il étoiü encore jeune, on toléroit 1'égarement de fon efprit dans Péfperance que le temps et des remèdes parviendroient k le guêrir: dés que eet éxtravagant eut apris les événements qui fe paffoient en France et la nouvelle puiiïance qui commenqoit a s'y établir , il s'emprefTa d'écrire a 1'aifemblée pour la féliciter et lui témoigner fon admiration pour fes fubT.1L Sè.il 2 Ümes  354 HISTOIRE ET ANECDOTES limes travaux, il manifefta le défir d'introduire les mêmes principes dans fes états, et de faire gouter a fes^fujets le xbonheur dont jouiifoient les Francais. Qyoiqu'il y eut dans 1'aifemblée beaucoup de gens inlfruits qui auroient dü vérifier 1'éxiftence de Prince Wolff et trouver la pofition de fes prétendus états, parmis la foule des petites fouverainetés répandues en Allemagne, aucun de fes membres ne conqut le moindre foupc,on fur Pauthenticité de cette lettre. Dans le premier moment de fatisfaclion et d'enthoufiasme qu'occafionna fa lecture 1'aifemblée en décreta Pinfertion au procés Verbal et chargea fon Préfident de répondre au Prince Wolff. Ce ne fut qu'au bout d'un certain temps qu'on parvint a découvrir la vérité, et qu'on s'empreffa d'enfevelir dans Poubli cette plaifanterie, dont on n'auroit jamais découvert la tracé, fi un décret n'en avoitconftaté la réalité et 1'éxiflence. Le 20 Juillet, M. de Lambert qui remplüfoit depuis quelque temps la place de  • DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 355 de controleur général des finances , lut a 1'aifemblée un mémoire fur la fituation : déplorable de prèsque toutes les parties ; de fon adminiftration; il repréfenta que i le recouvrement des impots devenoit im] poffible , parcequ'on avoit perfuadé au j peuple qu'en manifeftant de la réfiftance, |: il fe trouveroit irrévocablement affranchi 1 de toutte contribution; qu'a 1'égard des :i impots indireds, la perception en étoit . abfolumentnulle, la contrebande fe fair fant a main armée et les emploiés de la : ferme, étant partout expofés a la fureur ; du peuple, il fupplia raifemblée de s'oc- ii cuper de remédier a ces maux. Le lendemain M. Necker Cgmfte d(S i| fit paroitre le Compte des dé- dépen/es de j penfes de 1'état depuis le pk «W9*ij9* ! Mai 1789 ^ jusqu'au i"- Avril Nccke^ Pour donner une idéé de la vamte i et de 1'impudence de eet adminiftrateur, j je crois devoir citer la fin du difcours qui précédoit la partie du calcul "jene , „puis répondre de 1'éxaditude arithmetiZ ij  350 HISTOIRE ET ANECDOTES „que de toutes Jes fubdivifions d'un „Compte que je n'ai pas formé moi „même, mais je fuis garant de la partie „morale, c'éft - a - dire, du jufte et du „fage emploi des fonds dont j'ai eu 1'ad„miniftration , je ne fuis cependant „comptable en aucune chofe, puisque „je n'ai jamais rien fait payer qu'en „vertu des ordres généraux ou particuliers du Roi.,, C'eft avec cette audace que s'xprimoit ce miniitre, qui plus que tout autre devoit ètre affujeti a la plus llricle refponfabilité. Sa mauvaife foi parut encore plus évidente quelques jours après. Le zf Juillet il écrivit a 1'aiTemblée" pour lui demander 95- millions dont il avoit un befoin indifpenfable pour les dépenfes courantes. Cette fomme formoit précifément le complément des 400 Millions d'alfignats dont 1'aifemblée avoit décrété 1'émiffion, elle avoit déja ordonné le rembourcement de 170 Millions d'avances faites par la caüfe d'efcompte; Mr. Necker avoit obtenu précédemment  Ï)E LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 357 135 Millions et en lui accordant les 95 i Millions qu'il demandoit, le tréfor public j; fe trouvoit abfolument épuifé et il falloit • avoir recours a de nouveaux moyens 11 pour y faire rentrer des fonds. La demande de Mr. Ne- cker étoit d'autant plus extra- Dema"de ie ' _ , nouveaux I ordinaire qu'il avoit annonce fecours. dans fon compte -du mois pré: cédent, que le tréfor public fe trouvoit dans une pofition fatisfaifante, puisqu'il y avoit un excédent de Onze Millions de Recette fur la dépenfe. Mr. ! Camus ayant fait cette obfervation. Le :j Préfident de 1'aiTemblée annonca, qu'il 1 venoit de recevoir une lettre du direi deur général des finances, oü il avouoit I que s'il avoit préfenté un apparence d'excédent, de recette fur la depenfe, c'étoit pour ne point éifrayer les efprits ■■ et maintenir le crédit national; mais que dans le fait, c'étoit une pure fupi pofition. C'eft ainfi que M. Necker a abufé conftament le public, pendant tout le'cours de fon adminiftration. Les Z üj pré-  358 HISTOIRE ET ANECDOTES préambules des édits portant création d'emprunts, préfentoient 1'état des finances fous 1'afpect le plus fbriifant , il faifoit envifager des réduclions de depenfes et des reflburc.es immenfes dans 1'avenir, et n'opéroit jamais aucun changement utile pour le moment; les prèteurs féduits par fes promefles voyoient une hypotheque certaine a leurs fonds, tandis que leur propriété fe trouvoit abandonnée a des fuppofitions chimériques et imaginaires d'accroiflements de revenus, qui devoient aifurer l'exa&itude des payements et étabir 1'ordre dans les finances. II fuivit dans le moment aftuel la mème conduite que fous fa première adminiftration ; voyant qu'il manquoit de reflburqes pour remplir une Caifle épuifée et qu'il n'avoit plus ni confideration ni confianqe, il écrivit k 1'aflemblée pour fe plaindre des désagréments fans nombre qu'on lui faifoit effuyer et de ce que par un effet de fes décrets fa place devenoit inutile , il fe plaignit de répuifement de fes forces et de  j. DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 359 V de fa fanté dü a un travail exceflif et annonqoit qu'il défiroit avec ardeur qu'on . lui accordat du repos pour qu'il put s'éloigner a jamais du tumulte du monde i et des affaires. Une derniere inconféquence de Mr. Necker acheva de le perdre dans 1'efprit de 1'afTemblée; il avoit été un des Miniflres qui avoit travailI lé avec le plus d'ardeur a faire ^]J'chr[ obtenir au Roi le Veto fufpenjlf. L'affemblée ayant rédigé un nouveau plan fur la réduction des graces et ! des penfions. M. Necker écrivit a raffemblée le 17 Ao*ft, que le Roi avoit fanctionné ce projet, mais que S. M. ; 1'avoit chargé de propofer quelques changements a ce décret. Prenant enfuite 1 le ton et 1'attitude d'un Cenfeur févere, il paria a 1'afTemblée comme fi elle eut dü recevoir fes ordres, il fe permit de lui donner des leqons et de lui faire des reproches trés déplacés. Si le projet méritoit des changements, le Roi ufant de fon droit de Z iv Vets,  360 HISTOIRE ET ANECDOTES Veto, devoit les propofer avant la Sanction , mais il étoit de la derniere iriconféquence de les faire fuivre de cette formalité , et c'eft Mr. Necker qui fit commettre cette faute a ce Monarque confiant et facile. L'aiTemblée indignée de la conduite du Miniftre et pour lui donner une marqué authentique de fon mépris, fe contenta de regarder eet écrit comme non avenu, en paffant a 1'ordre du jour. ,. ... L'impudence des follicu- Ztcence de la , . . .. Prefe. laires, et la licence de la PrefTe furent pouffées, a cette époque, a.un point extfème. Marat, dans fa feuille de Pami du peuple éxcitoit a Pinfurredion et prèchoit ouvertement le meurtre et Paffaffmat "armez vous, citoyens, difoit-il, dans un écrit du 26 „Juillet, fi vous voulez prévenir votre „perte, montrez vous digues des journées „du 14 Juillet et du f Odobre. Volez a „St. Cloud ramenez le Roi a Paris, en„fermez Pautrichienne et fon beau fiere „pour prevenir leurs infames Complots, „que  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 361 „que les Miniftres et leurs commis foient „chargés de chaines; arrétez le Maire, „le Commandant général et fon état ma„jor, ne vous laüTez point égarer par une „fauffe pitié , le defpotisme s'apefentira „plus que jamais fur vous, fi par une „fage pré voyance vous ne faites tomber cinq ^ou fix cent tëtes ; fans cette mefure „vos ennemis feront couler des flots de „fang, les barbares aracheront 1'enfant ",du ventre de la mere, et pour étouf„fer a jamais 1'amour de la liberté, leurs ",mains parricides fe plongeront dans leur „fang et déchireront leurs entrailles. „ A la mème Epoque Camille Desmoulins déclamoit contre le pouvoir éxécutif et tournoit en ridicule la cérémonie de la Fédération qu'il comparoit au triomphe de Paul Emile. Les Romains avoient droit de fe réjouir (difoit-il) puisqu'ils entendoient crier , plus d'impots , plus de gabelle , plus de capitation ; quand vous laiferez vous, Franqais! d'ètre les efclaves des tyrans. Z v Ces  362 HISTOIRE ET ANECDOTES Ces infames écrits furent dénoncés a 1'affemblée par Mr. Malouet, et on aura peine a croire qu'une grande quantité de membres du cöté gauche prirent la défenfe des auteurs et de la liberté illimitée de la prelïè. Péthion de Ville neuve ofa articuler les mots, CiU e[i lou„able dans VinfurreÜion d'un grand peuple, „de favorifer cette infurrettion. „ Roberspierre défendit avec chaleur fon ami Desmoulins. Ce ne fut qu'avec peine qu'on obtint un décret contre Marat. Mais jamais il ne fut mis a exécution ce vil et atroce folliculaire fe cacha quelque temps et la protedion déclarée que lui accordoit le peuple ne fit que redoubler fon audace. Le vingt deux Aóuft, il fit paroitre une adreffe pour inviter le peuple a élever huit cent gibets et a y pendre les Miniflres et les députés qui trahiifoient fes intéréts. On publioit hautement a la porte de Pat femblée la lifte de ces députés defignés fous le nom de noirs. Cette nouvelle infulte refla impume. Mira-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 363 Mirabeau par une plaifanterie auflï fcandaleufe que déplacée parvint a écarter les dénonciations; puisqüe Marat, dit-il, n'a attaqué que les (noirs);e demande qu'on renvoye la plainte aux juges du Sénégal. Telle fut 1'iifue d'une des affaires les plus férieufes et des plus importantes qui aft occupé 1'aflemblée. Ces écrits incendiaires produifirent 1'effet qu'on devoit en attendre. A Lyon des ouvriers de a Lygn, difFérentes manufactures fe réunirent et commirent toutes fortes d'excès, ils maltraitèrent et chafférent les commis de la ferme et introduifirent dans la ville beaucoup de marchandiies fujettes aux droits d'entrée , la municipalité ne prit aucune mefure pour reprimer ce désordre; un Soldat du Régiment de Sonnenberg tomba entre les mains de cette horde de bandits , qui après avoir éflayé de le prendre, le malfacrèrent et trainèrent fon cadavre dans les rues. Le z7 Juillet l'infurredion devint plus dangéreufe et éveilla enfin 1'atten-  '364 HISTOIRE ET ANECDOTES 1'attention des Magiftrats; les portes de PHötel de ville et de 1'arfenal alloient être forcées par la populace, Iorsque le Régiment Suifle en Garnifon dans cette ville, et un detachement confidérable de la Garde Nationale arrivèrent pour prévenir cette éffraction et diffiper Fattroupement. II y eut quelques perfonnes tuées et bleffées de part et d'autre, et Ie calme parut renaitre pour quell que temps. ASt. men», . A1St Etientle en forès' ™ tu forh. Particuher nommé Berthaud ayant acheté quelques mefüres 'de bied au marché le 4 Aöuft, une femme 1'accufa d'être un acapareur de grains; il n'en fallut pas davantage pour éveiller la fureur de la multitude , les Officiers municipaux cherchèrent en vain a Py fouftraire en le faifant conduite en prifon et promettant de le juger promptement. On Parracha bientot du cachot et après avoir été cruellement affommé a Coups de pierres et de batons , une Femme échevelée, femblable a une furie, voyant qu'il refpiroit encore lui enfonca ua  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 365 un clou dans le Crane, et fe mit a la tète des Cannibales qui trainèrent fon icadavre dans la Rüe. Le Lendemain ï un Boulanger fut pendu a un arbre; la Garde Nationale arriva a propos pour lui ifauver la vie en Farrachant de la main j;de fes bourreaux. A Toulon M. de Caftelet A Touhn> 1 Officier de Marine fut arreté, ! en fortant de 1'Hötel de ville oü il venoit ; de prèter le Serment civique; le peuple : et les ouvriers de 1'arfenal réunis, dé-, i chirèrent fes vétements , le trainèrent % dans les rues , en le frappant cruellement ils alloient 1'éxécuter, lorsque quelques Soldats vinrent a fon fecours; i cet Officier ne lurvécut que quelques : temps a eet affaffinat, il mourut fix fe1 maines après eet événement des fuites \ de fes bleffures. Peu de jours après, Mr. leComman- ii deur de Glandevès Commandant de la 1 Marine, fut obligé de faire ouvrir I'arfeI nal et d'abandonner au peuple les armes ! deflinées a Péquipement des vaüfeaux, La  366 HISTOIRE Ef" ANECDOTES en Bretagne. La Province de Bretagne fut en proie a beaucoup de Troubles, les matelots efpêce d'hommes féroc,es et indifciplinés, tuèrent plufieurs gardes de la ferme et introduiiïrent des marchandifes de contrebande a Breft, a 1'orient, et a ingrande, ou firent fortir de ces villes des objets qui devoient des droits. La ville de Schleflat en Alface fut en proie a la plus grande ferASchltftat. mentation rélativement a 1'élection des Officiers municipaux, les anciens Magiftrats n'ayant point obtenu de fuffrages, ameutèrent le peuple, qui crioit hautement, point de municipalité! point d'aifemblée Nationale! les Soldats qui devoient réprimer le dêsordre fe joignirent aux féditieux, nombre de citoyens prirent la fuite , ou fe cachèrent pour prévenir une mort certaine. L'age , les vertus, le patriotisme AJfajtnat ie ne mettoient pas a 1'abri de la M. d'Alber- fureur des fcélérats, qui pouvoient impunément choifir la viclime  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 367 vidlime qu'il leur plaifoit d'immoler. Mr. d'Albertas, ancien premier Préfident de la chambre des comptes de Provence, viellard de 76 ans, refpedable a tous égards, avoit réuni tous fes vaifaux pour leur donner une féte civique dans fa terre; la gaieté préfidoit a ce repas dont il faifoit les honneurs, avec la bonté et Faffabilité qui le diftinguoit; lorsqu'a la fin du diner un fcélerat fils d'un maitre d'école du voifinage lui porta plufieurs coups de couteau. Le viellard moribond eut encore afsès de forqe pour demander la grace de fon affaffin qui alloit étre maifacré par les convives; on le trans* féra dans les prifons d'Aix, d'oü on trouva le moyen de le tirer en faifant paffer ce meurtre pour un ade de démence. Le désordre qui regnoit ^ en France et qui s'etoit promp- ^ Dominm tement propagé dans les Colo- Sue. nies, prenoit tous les jours de nouveaux accroiiïements, aucune autorité , n'étoit refpectée, les Troupes des Colonies, en général afsès mal compofées, étoient  368 HISTOIRE ET ANECDOTES étoient en pleine infuretfion et ne reconnoifToient plus les ordres de leurs Chefs. Les matelots forcèrent les Officiers de plufieurs vaiifeaux et frégates de mettre a la voile pour retourner en France: ils deftituèrent plufieurs Commandants, les mirent aux fers et les remplacèrent par quelqu'uns d'entre eux, mais leur témérité et leur inéxpérience faillit a ètre punie d'une maniere cruelle. Sans principes ni connoirfances nautiques, les vaiifeaux errèrent pendant longtemps au gré des vents et des flots, voyant que leurs provifions s'épuifoient, ils furent obligés d'avoir recours aux Officiers de Marine pour diriger leur courfe. La plupart des équipages arrivèrent dans le plus grand délabrement, par le désordre et le dèfaut de fubfifteuce qui avoit regné pendant la traverfée. Les matelots révoltés obligérent des Commandants de vaiifeaux de mettre a la voile, de St. Domingue pour retourner en France, n'ayant que pour vingt jours de vivres, rnalgré les plus vives repré-, fentations  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 369 fentations des dangers aux quels ils s'expofoienti plufieurs équipages furent obligés de fubfifter pendant plufieurs jours avec quatre onces de Bifcuit par perfonne. Le Miniftre de la Marine ayant donné ordre d'équiper une flotte a 1'Orient, ,1a Municipalité et la Garde Nationale s'oppoférent a 1'embarquement des poudres néceifaires et le départ du convoi ne put avoir lieu. La guerre civile entre les créoles iet les mulatres éclata d'une ^ maniere funefte , a la Martinique. Le 5. Juin treize mulatres' furent pendus , et le plus grand nombre des autres fut obligé pour trouver un azile de fe réfugier dans les montagnes. Le Miniftre de la marine rendit compte a 1'afTemblée de ces facheux évé1 nements, mais elle ne prit aucune mei fure pour les réprimer et les prévemr par la fuite. Les legislateurs entert, I doient avec le plus grand fang froid les récits multipliés de toutes ces fcenes i d'horreur. On auroit pü croire d'apres TIL SeStJI. Aa leUE  37° HISTOIRE ET ANECDOTES leur infoufciance et leur apathie, qu'ils jugeoient que le fang de leurs concitoyens étoit nécefTaire pour- fceller leurs décrèts et leur donner forqe de loi. Dans presque tous les Régiments les Soldats avoient formé a cette époque des clubs et des comités, ils s'oppofoient aux ordres du Roi , méprifoient ceux des Officiers; fe choifiifoient des Chefs et fe partageoient les fonds de la caiffe militaire. Mr. de Bévi Lieutenant Colonel du Régiment de Poitou, fut mis en prifon par les Soldats, et plufieurs autres Chefs de différents corps furent chaffés ou obligés de s'évader. L'infurrecfion fe manifeo Metz. "a 3 ™etz A une maniere violente et fans la fermeté et le courage de M. de Bouillé, elle auroit eu les fuites les plus facheufes: les Dragons du Régiment de Condé commenqerent par éxiger de leurs Officiers une fomme de 22,000 Livres qu'ils fe partagérent provifoirement par forme de Compte. Bientöt toute la Garnifon fe révolta et fe  I DE LA RÉVOLUTION FRANCHISE. 37! fe porta chéz M. de Pont Intendant de la Province, il étoit au bain pour fe préparer a Poperation de la pierre, lorsque les feditieux Penlevèrent, presque mourant, de fon appartement, le trainèrent dans les Rues, et en éxigèrent un billet de mille louis. La Garde < Nationale parvint avec peine a leur arracher ce viellard et le fils de M. de Bouillé, qui avoit cherché a le fecourir: la loi martiale fut proclamée, on arbora : le Drapeau rouge et la tranquilité parut :: fe rétablir. Mais peu de jours après le Régiment de Salm-Salm prit les armes, , fe mit en bataille fur la place d'armes : et demanda a grands cris la CaifTe et les > drapeaux que Mr. de Bouillé avoit fait !i transférer chez lui. Ce général parut j et annonqa aux Séditieux qu'ils n'obtien3 droient leur demande qu'en paffant fur l! fon corps; dans 1'inftant les Grenadiers 1 le mirent en joue, Tirez, s'éria le Général en.découvrant fa poitrine. Ce mot prononcé , avec la contenance la plus j noble et la plus ferme , désarma les Aa ij révol-  372 HISTOIRE ET ANECDOTES révoltés, ils regagnèrent leurs quartiers et la garnifon rentra dans 1'ordre. Mr. de Bouillé, avoit été Capitaine de Dragons , enfuite Colonel CaraBére de j r> ' • t TT . . „ M. de Eou. du ^e?lment de Vexin ïnfanillé. terie: ayant été fait maréchal de Camp, le Roi 1'avoit nom. mé Gouvèrneur et Commandant Général des Isles du Vent. M. de Bouillé eft un Officier trés acTif et entreprenant, fon courage eft accompagné de beaucoup de témérité plütot que de Réflexion; ardent et impetueux, il ne connoit aucuns obftacles et ne les calcule jamais. En 1778 il s'empara de la Dominique fans avoir attendu les ordres du Gouvernement ; les Anglois s'étant établis a St. Euftache, il conqut le projet de leur en lever cette Colonie, quoiqu'il ne put: difpofer que de trés peu de troupes; fon convoi ayant été difperfé par la tempête, il arriva avec 400 hommes; fans héfiter il ordonne le débarquement qui s'opera fans obftacles. Le bonheur qui 1'accompagnoit le fit pénétrer fans ètre décou-  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 373 découvert jusqu'auprès du fort ou le Gouverneur Anglois faifoit manoeuvrer fa Garnifon, trompé par la reflemblance de couleur, il fe laiifa enveloper par un detachement du Régiment de Walch Irlandois qui formoit 1'Avant-Garde du Corps commandé par M. de Bouillé, et fe rendit prifonier de guerre avec toute fa Garnifon compofée d'environ izoo hommes. La capitulation fignée, il découvrit qu'il s'etoit rendu a des forqes auifi inférieures. Quelque temps après, M. de Bouillé attaqua et prit les isles de St. Chriftophe, Névis et mont Serrat. Les fuccès éclattans qu'il avoit obtenu furent recompenfés. Le Roi, a fon reI tour, le créa Lieutenant Général, et le nomma Chevalier de fes ordres: peuaprès il obtint le commandement en fecond des trois évêchés ; il fe conduifit au commencement de la Révolution avec prudence et fermeté; les Officiers, les Soldats , les citoyens lui étoient egale: ment attachés. II fut faire refpe&er les i lois en réprimant la fédition de la Gar, Aa iij nifon  374 HISTOIRE ET ANECDOTES nifon de Nancy; mais la fortune 1'abandonna lors du voyage du Roi a Varennes; c'eft lui qui avoit confeillé et ordonné les préparatifs néceffaires pour la fuite du Souverain qui dut fe repentir d'avoir fuivi 1'impulfion d'une tête ardente qu'un zële peut ètre mal entendu avoit porté a tout entreprendre pour le tirer de la captivité ou il languirfoit, j'ai cru devoir faire connoitre le caraétère de M. de Bouillé avant de rapporter les événements qui fe palfèrent a Nancy qui fourniffent des anecdotés interreffantes pour 1'hiftoire de la Révolution. Autre fois un duel auroit paru un fait peu intereifant: le peuple M'decfzl' de la CaPitale Prit une Part tres us el Zl. aftive a celui de M. de Cazalés navt. et de Mr. Barnave^ occaiioné par quelques propos rélatifs a la difFérence d'opinion: le premier fut bleffé légérement a la tête et ce fut un bonheur pour lui ; fi eet accident fut arrivé a fon adverfaire, il auroit été infaiüiblementmaffacré, tant 1'acharnement du  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 375 du peuple réuni aux tuileries et au palais royal, étoit extréme. Les differents groupes en cas de Succes avoient jure fa perte, et a cette époque, 1'éxecution fuivoit de prés la menace. Mr. de Cazalès étoit Capitaine de Dragons dans le Régiment de Jarnac qui devint enfuite un Régiment de Chafleurs, il avoit mené une vie vifive et diffipee, et on ne lui fuppofoit pas de grands talents- fans avoir de profondes connoiifances, un fens droit, une éloquence naturelle et facile, lui avoient attiré beaucoup de fuffrages, et il étoit véntablement un des meilleurs orateurs du cöte droit, fes difcours étoient clairs et perfuafifs, on y reconnoiifoit 1'empreinte de la nature plutót que de Fart, et ils fi* foient d'autant plus d'impreffion. M. Barnave étoit fils d'un procureur au Parlement de Grenoble il parloit avec facilité et avoit une tête vive et exalteer une Jolie figure, des maniéres agréables le rendoient encore plus intéreifant, ü avoit a peine vingt cinq ans, lorsqu'il Aaiv iut  376 HISTOIRE ET ANECDOTES fut nommé député; les femmes de Paris qui s'étoient mifes a la tête de la Révolution, telles que Mesdames de Broglie, de la Chatre, de Staël, Padmirent dans leur fociété, et au bout de peu de temps, il avoit contradié les graces et Paifance d'un homme de qualité. L'iffue heureufe de fon combat fingulier augmenta fa fatuité; il étoit dans le principe un des plus ardent révolutionaires, fes opinions étoient tellement outrées qu'on 1'avoit nommé, le Sanguinaire Barnave, mais a la fin de 1'afTemblée fon caradlire fe dérnentit, ayant été nommé pour accompagner le Roi de Varennes a Paris , il manifeffa a fon retour des opinions modérées et presque Monarchiques, il perdit dés lors toute la confiance de fes coL legues, et fut obligé de fe retirer en Dauphiné, ou il a été caché pendant longtemps, pour échapper a la vengeance des Jacobins, qu'ü avoit abandonnés. Les fatellites de la Convention, font parvenus a découvrir fon azile, et il vient d'ètre arreté comme fufpedl et transféré dans  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 377 dans les prifons de 1'Abbaye , d'ou il ne fortira probablement que pour paroitre fur 1'échaffaud (*). L'aifemblée apprit a eette époque, que le Cardinal de du Cariintl Rohan, qui comme je 1'ai ob- de Rob™. fervé précédemment s'étoit retiré a Etenheim , y tenoit des confeils fecrets, avec des gentilshommes d'Alface et faifoit mème des préparatifs Contrerévolutionaires dans fa petite principauté en Allemagne, elle lui ordonna de fe rendre a fon pofte pour fe juftifier. Le Cardinal envoya fa démiflion a 1'alfemblée en la priant de nouveau de pourvoir au payement de fes dettes puisqu'elle 1'avoit privé de fes revenus. On doit conjecturer que cette demande ne lui fut point accordée ; le délai qu oti avoit fixé pour fon retour étant expire, il fut remplacé par L'Abbé d'Aymar fon fuppléant. Aa v u («) Barnave a été efFeftivement éxécuté le 30 9bre 1793 comme complice de projets tendants a détruire 1'unité et Vindivifibilité de la république.  378 HISTOIRE ET ANECDOTES II parut, a cette époque, Fréten/a un mariifefte apocriphe de Mr. M.upnn. 18 Prlnce de Conde qui fe dier de Condé. ftribuoit avec profufion au palais royal même a la porte de l'affemblée. Quoique tout le public fut convaincu que cette produdion n'éma» noit ni de lui, ni de fes adherents; Mirabeau 1'ainé qui ne rougifToit pas d'employer les moyens les plus vils pour maintenir fa popularité, dénonqa eet écrit a l'aifemblée et fit la motion de fommer Louis Joleph de Bourbon (dit Condé) de declarer fous un délai de trois femaines, s'il reconnoiffoit ce manifefte, et qu'a défaut de réponfe, il feroit déclaré traitre a la patrie, fes biens confisqués et acquis a la Nation. Malgré les applaudiifements réitérés des galleries, et le fuffrage de plufieurs membres du cöté gauche, 1'aifemblée méprifa cette dénonqiation comme elle le devoit, et décreta qu'on palferoit a 1'ordre du jour. D'après  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 379 D'après les principes de liberté et d'indépendance qui avoient été adoptés par l'aifemblée, la deftruction des iurandes et des raaitrifes Secours m» étoit devenue néceifaire. Les £ Corps et communautés des dit- jjbraires férents arts, métiers ou pro- «jfociés. feflions, n'avoient plus d'autorité directe fur les membres qui les compofoient; tout particulier en payant un droit de patente dont le tarif étoit fixé, pouvoit éxercer a fon gré, tel negoce ou profeffion qu'il vouloit choifir; la ruine de beaucoup de paritculiers fut la Suite de cette opération. Les libraires aifociés qui avoient un commerce étendu dans toute 1'Europe et qui faifoient fubfifter quantité d'ouvriers furent les premiers qui reifentirent eet éffèt de la Révolution. Ils étoient au moment de faire faillite , lorsque le Roi vint a leur fecours en leur prètant fur le champ ljo,ooo Livres fur les fonds de la lifte civile, et en cautionant pour eux un emprunt de 1,2 00,000 Livres rembourfable en  38o H1ST0IRE ET ANECDOTES en dix ans. Ce fecours éfficace, de la part du Monarque, prévint le désaftre de nombre de citoyens, et doit ètre cité avec de juftes éloges. La Deftruction des juran- £S* d6S Ct maitrifes da»s ™ état et maitrifes. aufiï vafte que la France, eft une mefure peu politique et dont on fent journellement les funeftes effèts; c'eft un moyen fur de faire dé-, cliner fenfiblemènt les arts, les fciences, les métiers et de les faire retomber dans leur primitive barbarie. En effèt, quelle refponfabilité peut- on éxiger d'un particulier qui adopte a fon gré la proffeflion que lui dicte fon caprice? Souvent fans talents et fans moyens. Les productions les plus linies et les plus recherchées deviennent médiocres par la grande concurrence; aucun lieu, aucun rapport n'unit plus les humains a une profeifion a la quelle ils attachoient précédemment beaucoup d'amour propre. Des ouvriers cupides ou ignorants emploient des matieres de médiocre ou mau-  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 38 I mauvaife qualité et trompent impunérnent le public, qui, précédemment obtenoit jultice du corps ou de la communauté qui apportoit du fcrupule, quelque fois mème de la délicatefle dans le choix des fujets qui défiroient d'y ètre admis. II dok, fans doute, être permis a tout particulier de faire ufage des talents dont la nature 1'a doué, mais eet ufage doit ètre fubordonné a 1'avantage de la fociété , fi on en détruit les liens, on aura bientot un peuple d'égoiftes, d'athées, fans pudeur, fans morale, fans principes, tel qu'il exifte a&uellement en France. La liberté abfolue d'éxercer toutes les profeffions doit être tolérée, dans un pays peu peuplé et dont le gouvernement n'eft pas encore affermi, tel que dans les états unis de 1'Amérique, mais plus elle eft néceifaire dans cette pofition, plus elle étoit dangéreufe dans la crife ou fe trouvoit la France. L'aifemblée décrèta le j 1 Régimintt juillet que les Onze Régiments Suifcs' Suifles  382 HISTOIRE ET ANECDÜTES Suifles au fervice de France ne fubiroient aucun changement, et qu'ils conferveroient leur ancienne folde et leurs prérogatives. A Pégard du Régiment des Gardes Suifles arfecté a la perfonne du Roi, il fut confervé provifoirement jusqu'a ce qu'on eut ffatué fur fon fort. Le 11 Aoüft 1'aflemblée décreta que les Princes de la Familie RoiaSuprejïo» le ne polféderoient dorénavant des /lpana- ■ .. gesiesPrw. Plus d apanages} elle ftatua ces. qu'ils toucheroient en rempla¬ cement la fomme d'un million: les fonds néceflaires a Pentretien de leurs maifons avoient précédemment été fixé a un million. Sous Pancien régime la dépenfe de la maifon des Princes coutoit plus de huit millions. Si 1'aifemblée n'eut pas violé les droits les plus facrés ceux de la propriété, on auroit pü trouver extraordinaire qu'elle dépouillat les Princes de leur appanage territorial qui leur étoit dévolu légitimement conformément aux lois du Royaume, en donnant un effêt rétroaclif au décret qu'elle venoit  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 383 i venoit de rendre, mais cette nouvelle ] ufurpation ne furprit perlbnne, les Prin: ces partagèrent le fort du Clergé et de 1 la Nobleffe qui avoient été dépouillés fans pitié ni réfiftance. L'article IX. du Décret porte que, I "les fils puinés de France et leurs en„fans et defcendans ne pourront , en „aucun cas, rien prétendre ni réclamer „a titre héréditaire dans les biens meub: „les ou immeubles réclamés par leRoi, : „la Reine et Phéritier préfomtif de la „couronne. „ Conformément aux prin:: cipes décretés par 1'aiTemblée le Roi eft le premier citoyen du Royaume, pourquoi donc le priver, ainfi que la Reine et le Dauphin du droit de pofleder aucun bien et de le transmettre a fes hé; ritiers, faculté qui devoit leur être com1 mune avec tous les citoyens de Pétat, ' ou auroit droit d'ètre furpris de cette 1 bizarre diftinclion, fi 1'aflemblée n'avoit pas erré perpetuellement d'inconféquences en abfurdités. u  384 HIST01RE ET ANECDOTES Le 18 Aoüft, Mr. de St. Prieft écrivit a 1'afTemblée, de la part ' Cbatéaul'et dU/ Roi' P0Ur lui faire Vém». Maifóni re- mération des chateaux, mai- fervécsaS. fons royaUes et autres [,iens Jrlm qu'il défiroit conferver. Sa- I voir le Louvre , le Chateau de Vincen- i nes, choifi-le-Roi, Verfailles, Marly, St. Cloud, Meudon, St. Germain, Compiégne, Rambouillet, même les bois de Pabbaye de Barbeaux quoique fitués de Pautre cöté de la Riviere, enfin le chateau de Chambord, le fief du pin en Normandie et la terre de Pompadour en limoufin (ces trois derniers objets étoieni, deftinés aux établinements des haras). Le revenu annuel de ces terres et chateaux réfervés montoit a prés de deux millions. Cette demande, de la part du Roi, excita beaucoup de mécontentement dans PaiTemblée ; on obferva que beaucoup de particuliers n'avoient pas d'azile, et qu'il étoit fcandaleux que le Chef d'un peuple libre voulut fe réferver plus de douze  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 385 douze maifons royales ; ce qui frappat furtout fut 1'adjonction des bois appartenants a 1'abbaye de Barbeaux, que le Roi prétendoit s'approprier, fans doute, pour avoir des chaffes plus étendues. En paroiifant défirer cette propriété, c'étoit fanctioner d'une maniere bien libre et bien authentique, 1'ufurpation des biens du Clergé. Cette obfervation frappa mème les plus zélés royaliftes, et le Roi accoutumé depuis le commencement de fon Regne a fe rétrader, n'héfita pas d'écrire a 1'afTemblée la lettre fuivante. Paris, le 27 -4oüfl 1790. „ Te vous envoie, M. le Préfident, une note que je Roi vous prie de mettre, le plus tót que vous pourrez, fous les yeux de l'aifemblée Nationale. „ Signé Louis. Meffieurs! „Vous favez que ce n'eft que fur vos jnftances réitérées que je me fuis expli- t. 11. Sta. 11. Bb iu®  ■386 HISTOIRE ET ANECDOTES qué fur la fixation de ma lifte civile, et en dernier lieu, fur les chateaux et domaines qu'il me convenoit de conferver. Je fuis inftruit qu'on interprète mal les défignations de ces objets portés dans 1'état que je vous ai fait remettre par M. de Saint-Prieft.,, „Je crois n'avoir pas befoin de vous rappeller le peu d'importance que je mets a ce qui touche mes intéréts ou mes jouiffances perfonnelles, et combien jeles fubordonne a 1'intérët public. „ „Je renonce volontiers a une grande partie des objets indiqués , quoiqu'il y en eut plufieurs aux quels je ne m'étois déterminé que par des motifs d'utilité générale, ou pour conferver a Paris des dehors agréables. Je me reftreins donc aux articles fuivans : Le Louvre et les tuilleries avec les maifons qui en dépendent, et que ma demeure plus habituelle a rendu néceifaires a mon fervice, Verfailles , Fontainebleau, Compiegne, faint Cloud , faint Germain , et Rambouillet, avec les domaines et bois qui en dépendent. „ „Vous  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 387 „Vous trouverez bien naturel auffi que j'aie a coeur de retenir dans mes mains le Chateau de Pau qui ne produit aucun revenu; il m'eft impoflible de ne pas partager les voëux des habitans du Béarn, pour que le lieu oü Henri IV eft né, refte toujours dans les mains de fes enfans. Je renonce encore a toutes difpofitions des biens éccléfiaftiques enclavés dans mes domaines , et dont 1'emploi m'avoit paru convenable pour la fondation pieufe que je projette.,, "Quant a mes chaiTes, fur les quelles vous avez défiré que je vous fade connoitre mes déterminations, je tiens furtout a ne jouir d'aucun plaifir qui puiife ètre onéreux a quelqu'un de mes fujets; je m'en repofe avec confiance fur les difpofitions que vous croirez devoir adopter, et je vous prie de ne jamais perdre, de Vue , que mes plus grands intéréts font. ceux de la Nation et le foulagement des peuples; ce font ceux-la qui me touchent plus effentielBb ij lement»  '388 HISTOIRE ET ANECDOTES Jement, et qui me font vraiement perfonnelles Signê Louis. Avant de rapporter les évenements qui fe pafferent a Nancy penffaZy. d' dant la révolte de la garnifon, je crois devoir faire connoitre quelques faits préalables , et quel étoit 1'éfprit des différents corps adminillratifs et militaires qui étoient dans cette ville. Je peindrai auffi, pour ne point intérompre le lil de la narration, le caradère des principaux perfonnages qui ont eu part a cette affaire auffi finguliére qu'intéreffante. La ville de Nancy capitale de Ia Province de Lorraine, devoit au feu Roi de Pologne Stanislas la plus grande partie de fon éxiftence et de fa fplendeur: ce fage et refpedable Souverain y avoit dépenfé plufieurs millions en embéllinements et en conftructions, indépendamment d'un Parlement, d'une chambre des comptes, d'une intendance, d'un évêché  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 389 évèché créé récemment, et d'une Garnifon nombreufe, la Situation de cette ville, et les agréments de tout genre qui s'y trouvoient réunis y attiroient un nombre confidérable d'étrangers et la majorité des citoyens fans ètre riches y jouiifoient d'une certaine aifance et y ■menoient une vie paifible et heureufe. La Révolution lui fit perdre tous ces avantages, mais comme on fe promettoit toujours les plus heureux effèts des opérations de 1'aiTemblée , le nombre des mécontents n'étoit pas auffi confidérable que eet appercu pourroit le faire foupconner. L'adminiftration du département fe trouva confiée a d'anciens Ma- r Details pré- giftrats, ou a des perlonnages limimirts. qui jouiifoient d'une réputation d'intelligence et de probité, la municipalité étoit moins bien compofée, et fuivant 1'ufage, ces deux corps n'étoient pas d'accord et empiétoient reciproquement fur leurs fonctions. Plufieurs tètes éxaltées qui n'avoient point eu par£ Bb iij aux  300 HISTOIRE ET ANECDOTES aux élecTions commencèrent a femer le trouble dans la ville dés le mois de Mars 1790, une circonitance contribua a 1'augmenter, lors de la création de la Garde Nationale , la plupart des citoyens qui avoient de la fortune, prévoyant que la fureté de leurs perfonnes et de leurs propriétés dépendoit de la difcipline de cette troupe , s'emprefsérent d'y prendre des emplois. Le Commandant Général étoit un nommé la Valette, neveu de Mr. Rigoley d'Ogny, qui avoit été élevé a cette place en profeffant le patriotisme le plus ardent et captivant les fuffrages du peuple par les moyens les plus vils. Pour éliminer les citoyens honnètes qui occupoient des emplois: il leur attira mille désagréments, et augmenta chaque compagnie de 25 individus, la plupart gens tarrés, ou de la lie du peuple; ce moyen lui réuffit, il obtint plufieurs démiffions. La Garde Nationale de Nancy voulut imiter Pexemple de celle de plufieurs Capitales du royaume et réunir fes fré- res  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 391 res d'armes des départements circonvoifins. Pour célébrer une fédération particuliere ; quelques citoyens en firent la propofition a la municipalite en lui demandant fon confentement et 1'ulage de quelques piéces de Canon pour célébrer cette fête, les Officiers municipaux répondirent que eet objet etoit trop important pour qu'ils püifent le decider, mais qu'ils convoqueroient latfemblée éledtorale pour connoitre fon opinion et obtenir fon fufFrage: peu fatisfaits de cette réponfe, les mêmes citoyens qui avoient préfenté cette petition a la municipalité écrivirent fans fon confentement aux départements voifins pour les inviter a la fête, dont lis avoient fixé le jour au 18. Avril. La municipalité ofFenfée ne crut cependant pas devoir s'oppofer directement 4 ce qui paroiifoit être la volonte du peuple, mais comme il y avoit difette de Bied dans la ville et quelle craignoit que le concours de citoyens ne fit encore haufler le prix de cette den-  392 HISTOIRE ET ANECDOTES rée ; elle demanda quelque temps pour 1'approvifionner, les Officiers municipaux écrivirent en conréquence aux differents départements qui avoient été invités que la célébration de la fête feroit differée jusqu'au 2f Avril. Dés que cette délibération fut contra e , plus de 1200 perfonnes de tout état et condition et dont la plupart même n'etoient pas citoyens atfifs (*) ac- com- CO Les citoyens adifs, (comme je 1'ai obfervé) font ceux qui payent une contribution égale a trois journées de travail , et qui avoient feuls le droit de paroitre aux aflemblées publiques pour choifir les membres des Corps éleftoraux. Les citoyens non adifs, font ceux qui payent une contribution inférieure ou qui n'en payent point du tout, il en exifte beaucoup de cette derniere clafie. A Lunéville, par éxemple, fur une population de 20 mille ames, il n'y avoit pas quinze cent citoyens adtifs. Depuis le regne de la Convention et des fans culottes, tous les citoyens ont droit de fuffrage , ce font les citoyens non aftifs  DE LA RÉVOLUTION FRANf OISE. 393 compagnés de plufieurs Soldats des différents Régiments s'auemblérent tumultueufement dans une des falies de FHötel de ville , voifine de celle oü la municipalité tenoit fes féances; cette aifemblée, fi on peut lui donner ce nom, choifit un Préfident et envoya une députation a la municipalité, pour Pengager a convoquer fur le champ les diftriéts: la municipalité fe refufa d'abord a cette demande fous prétexte que la pétition pour ètre réguliére devoit ètre fignée, (conformément a la Conftitution) par 150 citoyens actifs. La populace aifemblée ne voulut écouter aucune repréfentation , elle menaqa hautement de pendre les Officiers municipaux qui cédérent enfin et convoquérent les dilfrids pour le lendemain. L'avis de la majorité des diftrids fut que la fète devoit ètre célébrée le 19 Avril: Bb v on actifs qui dominent les aflemblées et en ont éloigné tous les proprictaires généralemeut quelcouques , qui font defignds actuellement fous le nom d'Jriflocrates.  394 HISTOIRE ET ANECDOTES on envoya fur le champ des couriers aux villes voifines pour les inftruire de cette décifion. Les Soldats qui avoient aififté a des aflemblées illégales apprirent dès lors a méprifer les autorités conftituées et a ne refpecter aucune loi, ils apprirent que leurs Officiers vouloient les empècher d'affiifer a la fédération: ils annoncérent hautement qu'ils y aflifteroient; la municipalité pour éviter de plus grands désordres fit prier les Chefs de Corps de permettre que les differents Régiments paruifent a la Fédération, cette demande fut accordée et de nombreux détachements de la Garnifon fe rendirent fur le terrein avec armes .et bagages, drapeaux et étendarts. La Garnifon de Nancy Garnifon de i. • r, , _ , . Nancy. et01t comP°iee de trois Régiments, favoir, celui du Roi infanterie, du meftre,de camp Cavalerie, et du Régiment Suhfe de Chateau-vieux, Ie Régiment du Roi étoit le feul Régiment d'infanterie qui eut confervé quatre Batajllons, tous les autres ayant été dé-  I DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 395 dédoublés; c'étoit un Corps a Privilege qui avoit un Colonel iu Roi In_ infpecteur particulier, un grand fanterU. .nombre d'Officiers fupérieurs ,aVec brevet de Colonel, foixante quatre 1 SousLieutenants a la Suite-, les Vetej ments des Officiers étoient diftingues par de la broderie, ceux des Soldats par des , galons de laine, le Roi accordoit beau,1 coup de graces aux Officiers et une gratification annuelle de 40,000 Livres dont \ Pinfpecteur difpofoit. Un titre dexcluj fion pour fervir dans ce Corps etoitla médiocrité defortune, le Duc de Chatelet Chef de ce Corps exigeoit queles ieunes Officiers qui y débutoient eufferit au moins 3000 Livres de penfion ; la j trés grande partie d'entr'eux avoient des fortunes confidérables , ou faifoient des dépenfes comme s'ils en euffent JOUU cette circonftance , joint* a un ancien efprit de Corps avoit répandu en général dans ce Régiment un efprit de nauteur et de prétendue fupériorite et de b part des Officiers, vis-a-vis de ceux  396 HISTOIRE ET ANECDOTES des autres troupes; ils avoient un Caffé féparé de celui de la Garnifon, des places diftinguées aux fpectacles et cherchoient dans toute occafion a marquer leur préfence imaginaire , ils avoient fréquemment recu des lecons févères qui n'avoient pü les corriger. Malgré ce vice radical, la paffion du jeu et le dérangement de beaucoup d'Officiers, Mr. de Noue, Commandanten fecond de ce corps étoit parvenu a force de féverité et de foins a le rendre en apparence un des mieux difciplinés de 1'armée; les Officiers étoient obligés d'ètre inftruits, les Sous-Officiers 1'étoient encore plus: ce Chef actif et auftère maintenoit 1'ordre, la difcipline et la décence dans ce corps nombreux, mais les refforts compliqués de cette machine tenoient a fa préfence; dés qu'il eut quitté ce Régiment pour prendre le commandement en fecond de la province de Lorraine , on s'apperqut fur le champ d'un changement notable; bientöt la foibleife des Chefs y laiifa germer des - principes d'infubordinatiou; fans  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 397 :fans forqe et fans confidération ils ne pürent jamais en arrèter les progrès et bientöt un des meilleurs Régiments des I troupes franqoifes fe trouva transformé en une horde de Brigands. Mr. de Noue avoit, a ^ de cette époque , cinquante ans, Noue, il avoit commandé le Régi: ment du Roi pendant huit ans et n'avoit ï jamais quitté un inftant ce corps; auffi | vigilantqu'infatigable, il pénétroit dans I les plus petits détails , étoit inftruit de I la conduite de tous les Officiers, les punifloit pour la moindre faute avec une \ rigueur extréme; il avoit eu dans fa ï jeuneife le malheur de tuer un cocher i étant ivre, et, depuis cette époque, il ; avoit renonce abfolument a i'ulage du vin : avec une apparence de dureté il ; étoit doux et humain, et les Soldats le , cheriifoient ; ü a manifefté moins de jj talents dans fon commandement en Lorraine, mais quel eft rhomme qui auroit pü réunir une fupériorité d'éfprit, de talents et de caraftère fi néceflaire pour fe diriger  398 HISTOIRE ET ANECDOTES diriger dans des circonftances auffi épineufes que celles oü il s'eft trouvé; d'ailleurs il devoit être fecondé et malheureufement il ne trouva aucuns Cóopérateurs. Le Régiment du Meftre f£Tf; de Camp Cavalerie étoit auffi Camp Ca. un des plus beaux et meilleurs wierie. Régiments de Parmée, autrefois renommé par la difcipline, il fut envoyé au Camp prés Paris en 1789, et les Cavaliers revinrent a Nancy avec un germe d'infubordination et des principes trés démocratiques. Le duc de Caftries Chef de ce Corps étoit deputé a 1'aflemblée Nationale, le Colonel M. de Menou étoit abfent, le Commandement pafla a un nommeBurgat, Lieutenant Colonel, fils d'un receveur des tailles de chalon-fur-Saóne, homme fans talents, fans énergie et fans caradère. Tous les liens de la difcipline fe relachèrent fous ce Chef indolent, il toléra les fcénes les plus fcandaleufes. A leur retour de Paris  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 399 ris des Cavaliers de fon Régiment chargés d'ordres de Chevalerie , ou revétus d'habits éccléfiaftiques parcourürent les rües de Nancy, derrière ou devant des fiacres, tandis que de leurs camarades en uniforme occupoient le fond des Voitures avec des proftituées ; cette fcene honteufe ne fut pas punie! M. de Burgat prétendit qu'il n'avoit pü en découvrir les auteurs, il n'en fallut pas davantage' pour engager les Cavaliers a fe porter a tous les excés dont je parlerai dans la fuite. Le Régiment de Chateauvieux qui étoit également en W«g Garnifon a Nancy avoit jus- £JigJ qu'alors obfervé 1'ordre et la vuux. difcipline qui regnoit dans les Troupes de cette Nation; les SuifTès s'etoient toujours diftingués par un attachement particulier a la perfonne du Roi, par leur foumiffion a leurs Officiers et par 1'exaditude du fervice. Depuis la Révolution fur tout, on les avoit vu redoubler de Zêle et d'adivité pour main- tenir  40O HISTOIRE ET ANECDOTES tenir 1'ordre et la tranquileté publique. Quoique ce Régiment ne fut avoué particuliérement par aucun Canton, et qu'il y eut une plus grande proportion d'étrangers que de nationaux , les Soldats avoient réfiffé longtemps aux infinuations perfides de ceux qui cherchoient a corrompre la Garnifon ; mais 1'exemple et les fuggeftions des autres Soldats parvinrent a la fin a les corrompre. Une fois fortis des bornes de leurs devoir, leur infubordination devint la plus dangéreufe , ils n'écoutérent ni la voix de la Raifon , ni celle de 1'honneur: Pappat de Targent les entraina a des excès encore plus révoltants que ceux que commirent les autres Corps, et il fallut a la fin facrifier une moitié des individus de ce Régiment pour conferver le refte d'une troupe prétieufe. a tous égards. 211. de Mé- Mn de Mérian ' LieUte- rian. nmt Colonel, qui comman- doit ce Régiment, étoit un ancien militaire qui avoit toujours rempli fes  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 401 fes fonctions avec éxaditude et intelligence , il fe conduifit dans des circonItances auffi épineufes et auffi délicates avec infiniment de modération et de prudence, et on ne' peut 1'accufer en aucune maniére de n'avoir pas cherché a contenir fa troupe et a la faire rentrer dans 1'ordre ; mais il falloit une force plus qu'humaine pour arrèter 1'excès d'indifcipline qui règnoit dans la Garnifon de Nancy : fa conduite mérite certainement des éloges , et c'eft avec empréifement que je lui rends eet hommage que tous les militaires qui Pont connu, lui ont accordé. Le Chevalier Guyot de r ■ r cl Cbeva* Malfeigne, nomme inipecteur lUrieMaU extraordinaire, a 1'époque des fei%ne. troubles de Nancy, étoit un Gentilhomme de la province de FrancheComté, né fins aucune fortune. 11 fervit d'abord dans le Régiment de Bauffremont ou il devint Capitaine. A 1'époque de la paix de 1763 il fut réformé, le fervice ne lui préfentant plus aucune refTM. SeB.II. Cc fourqe  '402 HISTOIRE ET ANECDOTES fource en France, et ayant eu le mal- ' lieur de tuer un Officier, ce qui pouvoit ] lui attirer des désagréments, il prit le parti de paffer a St. Domingue, avec Mr. de Belzunce qui 1'y employa en qualité d'aide de camp. Après la mort de ce Général, le Chevalier de Malfeigne revint en France et il fe trouvoit dans la plus affreufe détreife , lorsque , par wn heureux hazard, Mr. de Poyanne Colonel infpecleur des Carabiniers le rencontraj la taille et la tournure du Chevalier de Malfeigne lui plürent, il lui propofa de fervir dans les Carabiniers, et quoiqu'il füt contraire a la Conftitution de ce corps d'y admettre des Officiers de Dragons, il le fit nommer Capitaine, bientöt après Aide Major Général et enfin il devint Major Général et Commandant de ce Corps par fon ancienneté de fervice. II fut fait Maréchal de Camp en 1788. II vivoit dans la retraite en Franche-Comté , lorsqu'une lettre du Miniftre lui apprit qu'il devoit être 1'arbitre de la Garnifon de Nancy. Le  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 403 Le Chevalier de Malfeigne étoit peut-ètre le militaire du Royaume le moins propre a remplir cette efpèce de fondion, il avoit un afped trés martial, infiniment de bravoure et de courage, et un certain jargon Soldatesque qui plailoit a la multitude; mais il avoit peu de jugemeut et de connoiifances, point de tact, ni d'ufage du monde, ayant fervi des fa plus tendre jeunelle, il n'avoit acquis aucune inftrudion et a plus forte raifon n'étoit pas capable d'entrer dans des détails de comptabilité les plus minutieux et d'écouter avec patience et fang froid les réclamations des Soldats. Telles étoient cependant les fondions qu'il avoit a remplir; la prudence et la modération d'un Neftor euffent a peine reuifi a calmer des têtes auHi exaltées; la pétulance et la vivacité du Chevalier de Malfeigne les irrita a un point exceffif; fa commilïion portoit auffi qu'il entendroit les réclamations du Corps des Carabiniers, et comme il en avoit été le Chef, il fe trouvoit en Cc ij mème  '404 HISTOIRE ET ANECDOTES même temps juge et partie ; fa délicatefle devoit 1'engager a refufer cette fondion, il compta fur fon afcendant fur les efprits et fur Faffe&iori des Carabiniers, mais il éprouva d'une maniére funefte que 1'attachement des Soldats eft auffi verfatile que celui du peuple , on jugera la conduite du Chevalier de Malfeigne dans le cours de la narration. L'aifemblée Nationale qui Evénemms avoit le projet de s'attacher frelitninaires / , « rafain de 1 armee et d en eloigner tous Nancy. les Officiers qu'on ne fupppofoit pas partifans de la Révolution, avoit des émiffaires et des agens dans toutes les Garnifons; ils redoubléxent d'adivité a Nancy pour féduire le Régiment du Roi qu'on avoit intérêt a diilbudre comme étant un Corps a privilége, ou par ce qu'on lui fuppofoit, a raifon de fon nom, un attachement plus particulier a la perfonne duMonarque. Les manoeuvres des intrigans eürent un plein fuccès. Peu après la fête de Ja Fédération, il fe forma deux partis dans le Régi-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 405 Régiment du Roi; les Soldats du plus nombreux de ces partis, affiftoient au club des amis de la Conftitution et formërent un comité particulier ; 1'autre parti refta fidele a la difcipline et voüa pbéiflance aux Officiers: il y eut des querelles aflez vives; le parti le moins nombreux comptoit parmi fes adhérents plufieurs maitres en fait d'armes , ï'iifuè' de quelques cotnbats fut en leur faveur; le parti des féditieux éxigea que douze d'entr'eux fuffent mis en prifon, les Officiers cédèrent a leur demande. Mr. le Commandeur de Lanjamet, Lieutenant Colonel, avoit commandé le Régiment du Roi pendant 1'hiver; les Officiers 1'accuferent, et avec quelque appparence de fondement, d'avoir cherché a captiver 1'afFeclion des Soldats, par des moyens au deffous de la loyauté et de la franchife d'un gentilhomme Francais, pour les engager indire&ement a fe révolter contre quelques Chefs, plus anciens que lui, a les éloigner par ce moyen, et obtenir le comC c iij man-  406 HISTOIRE ET ANECDOTES mandement du Régiment. M. de la Lanrencie ancien major du Régiment du Roi et plus ancien Officier que Mr. de Lanjamet,étant arrivé dans le courant de mai, les Soldats refufèrent défcorter la Caide et les drapeaux qu'on devoit transporter chèz lui et délirerent qu'elle reftat chèz \ Mr. de Lanjamet; aprés quelques négo- j ciations de fa part et de quelques autres Officiers, ils obéirent. Mais M. de la Laurencie dégoute du germe d'indifcipline qui regnoit dans le Régiment fe retira peu après. Mr. de IJaliviere Colonel Jllr. de Ba- * t> > ■ liviere. du Regiment arnva a cette époque; fon ancienneté 1'avoit placé a la tête de ce Corps fans avoir aucune des ,'qualités nécelfaires pour être Chef; foible et vacillant, il manquoit abfolument d'énergie, et de la fermeté neceifaire pour réprimer une infurreclion nailfante ; il céda conftament aux défirs des Soldats , et efpérant les fatisfaire il ne fit qu'augmenter leur infolence ; la préfence d'un autre Chef auroit  • DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 407 auroit peut être prévenu de grands malheurs. , M. de Compiegne, Capitaine au Regimeht du Roi, avoit donné fix livres a un Soldat qui avoit été quelque temps a i'Hopital ; eet acte de bienfaifance, dont on n'auroit jamais parlé dans d'autres circonftances , fut envenimé par le parti des féditieux. On répanditlebruit que les Officiers payoient les Soldats pour ie ment du battre contre les amis de la Roi. Conftitution; on arrèta eemalheureux le 30 Mai, et on le mit en prifon avec les maitres en fait d'armes. Bientöt après les féditieux répandirent , que les Officiers et les Soldats qui leur 4 étoient reftés fidèles devoient s'emparer de la Caiffe et des drapeaux et s'éloigner de Nancy : ils donnerent en conféquence une garde particulière au Commandant , fe diftinguèrent du refte du Corps en portant des guètres noires, et annoncerent qu'ils partiroient pour Paris, après avoir chafle Ia partie des Soldats Cc iv qw  408 HISTOIRE ET ANECDOTES qui n'adoptoient pas leur opinion: Bientót après ils formerent le projet de forcer les prifons pour juger eux-mèmes ceux qu'ils avoient arrètés. Mr. de Noue ordonna qu'il y eüt une Garde particuliere pour la prifon, tous les Officiers s'y rendirent, déterminés ■ a pèrir , plutót que de foufFrir cette éfFradion: mais malgré cette précaution et leur dévouement héroïque, les féditieux menacèrent de les forqer; le général parut, fit prendre les armes au Régiment , paria aux Soldats avec fermeté, leur ordonna de transférer les Prifonniers a la Conciergerie oü ils feroient fous la fauve garde publique, et leur défendit de fe porter a aucuns excês, en attendant que le Miniftre de la guerre eut prononcé fur leur Sort. Le calme parut renaitre pendant quelque temps; les Soldats éxigerent qu'on fupprimat quelques appels, M. de Baliviere y confentit; ils levêrent eux mêmes la configne des portes et jouiifoient d'une liberté illimitée; les Officiers acoutumés a com-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 409 : commander a des Soldats dirigés par | 1'honneur n'attachoient plus d'amour ' propre a remplir leurs fonctions, de>■ puis que des féditieux leur di&oient ; la Loi. A la fin de Juillet, Mr. de Monti, luc , Capitaine de Garde , appercut un grenadier qui s'écartoit de fon pofte, il ! lui ordonna de fe rapprocher; le Grej: nadier lui répondit arrogament: F-...je i fuis bien oü je fuis; le capitaine ordonna a un caporal de faire relever ce Grenadier et de le conduire en prifon, mais I toute la Compagnie s'y oppofa. M. de : Noue inftruit de eet événement orij donna que cette compagnie ne feroit ■ plus de fervice militaire , jusqu'a nou: vel ordre, et envoya uti courier au Mti niftre pour lui rendre compte des pro1 grès de rindifcipline , toutes les autres - Compagnies firent caufe commune avec les Grenadiers et refufèrent également de faire le fervice. Le Général ordonj na que les Suiifes et les Cavaliers monteroient la Garde a leur place malgré eet Cc v ordre,  4IO HISTOIRE ET ANECDOTES ordre , . les Grenadiers fe raifemblèrent dans leur quartier, ordonnèrent aux tambours de rappeller et contraignirent 1'OfHcier qui devoit être de Garde de marcher a leur tête, ils fe rendirent ainfi k la parade. La Municipalité et le confeil de la commune aifemblé , qui craignoient les fuites de cette infurredion , fupplièrent M. de Noue de lever la configne qu'il avoit donné, le Général eut la bonté d'y confentir, et il dut fe reprocher vivement cette condefcendancej a peine les Grenadiers eürent - ils appris le fuccês de leur rébellion qu'ils formêrent de nouvelles prétentions ; ils voulurent avoir fur le Champ des cartouches, en menaqant de forcerles portes du magafin et de pendre le Général et les Officiers en cas de refus. Ils éxécuterent en partie leurs menaces , fe portêrent aux Cafernes, en fonqerent la porte du Magafin, remplirent leurs gibernes de cartouches , enlevérent toutes les autres munitions et en confiérent la garde k leurs  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 411 leurs adherents, ils montèrent enfuite la Garde au milieu des applaudiifements du peuple et de la Garde nationale. Les Officiers du Régiment du Roi temoins de ces dllCorfsiel exces et voyant qu'aucune au- officiers. torité ne pouvoit y mettre un frein, réfolurent de s'adrefler a 1'aflef* blée Nationale; ils députerent deux Officiers M. M. de Compiegne et de Moelien pour lui expofer 1'indifcipline de leurs Corps et 1'engager a 1'arrëter , et au cas qu'ils ne puffent obtenir fatisfadion, ils étoient chargés de remettre les • démiffions unanimes des Officiers (*). Le (*) La conduite des Officiers du Régiment du Roi, dans cette circonftance, ne paroit pas avoir etc conféquente et réflechie. Pour quoi s'adreiïer a 1'affemblée Nationale pour réprimer 1'infuneaion d'un Régiment ? Le Roi n'etoit- il pas nommé par la Conftitution Chef fuprème de 1'armée et pouvoir éxécutif? C'étoit donc au Monarque a qui- il falloit porter des plaintes. Cet hommage étoit du a fon  412 HISTOIRE ET ANECDÜTES Le But des féditieux n'étoit pas encore rempli, en vivant dans la licence et le désordre et pillant un magafin de Munitionsj une proie plus attrayante éxcitoit leur cupidité, ils bruloient d'envie de s'emparer des fonds de la Caiffe du Régiment et aucune circonftance ne pouvoit ètre plus favorable pour éxécuter leur projet. CaifeiuRé. . Le Duc . du Chatelet qui giment. avoit un elprit rétrèci et parcimonieux, avoit attaché beaucoup d'importance a augmenter la made de cette caiifè, il avoit a eet égard toutes les facilités poflibles , en qualité de Commandant et d'infpecleur, il ne rendoit Compte qu'a lui même; une admi- niftra- fon autorité. En s'adrelTant a 1'aflfemblée, on paroilToit regarder celle du Souverain comrce mille. On verra par la Suite que la Conduite des Officiers des Carabiniers, dans de pareilles circonftances, fut mieux dirigée: les députés qu'ils envoyerent a Paris en revinrent avec un plein fuccés, pour avoir fuivi la Hiérarchie des pouvoirs.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 41 3 niftration auffi étendue que celle d'un [ Régiment complet de quatre bataillons, ' fourniffoit des reffourqes confidérables :> pour augmenter ces fonds et indépendamI ment de ces moyens, il faifoit verfer a la Caiffe une partie des gratifications qu'il obtenoit annuellement pour le Régiment; il éxigeoit même une fomme de 600 Livres de tous les Officiers qui débutoient dans ce Corps, et 011 faifoit des retenues confidérables fur les appointements des autres Officiers, On doit cependant lui rendre juftice a plufieurs égards, le Régiment du Roi étoit trés bien équipé , habillé et entretenu; il y avoit formé une éxcellente école de Chirurgie pour les Soldats, et ils avoient des maitres de toute efpéce payés par le corps, les Officiers recevoient gratuitement des leqons de mathématiques et de deffein; il y avoit même un efpéce de manége oü ils pouvoient prendre les premières leqons d'équitation. Ces  414 HISTOIRE- ET ANECDOTES Ces établiflements étoiènt dus au Duc du Chatelet qui étoit a certains égards un bon Adminiftrateur. La M^Zm}. P^ce de Quartier-Maitre étoit Jimitux. confiée a M. Meflimieux (*) homme d'une probité inta&e, qui bien loin de faire valoir les fonds de (*) Je citerai un trait qui prouve avec combien de probité Mr. de Meflimieux adminiftroit les fonds de la Caifle qui lui étoit confiée. Lors de la Refonte des Louis en 1786» il y avoit i2o,ocfo Livres en or dans la caifle du Régiment du Roi; bien loin de s'approprier le Bénéfice qu'il pouvoit faire, en convertiflant les Louis en écus; il écrivit a Mr Duchatelet, pour favoir quel ufage il vouloit qu'on fit de eet or; Mr Duchatelet ordonna qu'on le portat a la monnoie et que le bénéfice feroit d'accroiflement a la malle. Mr. de Meflimieux pouvoit^avec d'autant plus de facilité s'approprier eet agio et faire valoir les fonds de la Caifle, qu'elle reftoit toujours chèz lui, avant 1'époque de la Révolution , fans être transportée chèz les Commandants.  DE LA RÉVOLUTION FRAN£OISE. 415 de la Caifle et de chercher a faire fortune, comme plufieurs de fes femblables, s'étoit contenté de vivre dans une honnëte médiocrité, fans augmenter fes revenus, quoiqu'il eut f6 ans de fervice et que depuis plus de 30 Ans, il fut chargé du détail du Corps. Les fonds qui exiftoit dans fa Caifle au mois d'Aoüft 1790. montoient a plus de 480,000 Livres, mais dans 1'opinion des Soldats, il devoit y avoir des millions, et ils brüloient d'envie de fe partager les fommes qu'ils prétendoient qu'on leur avoit illégalement retenues. Le 8 Aoüft, les Grenadiers du Régiment du Roi qui jouiflbient de la confiance éxclufive des Soldats, demanderent au Colonel de les faire manoeuvrer. Lorsque la trou- fe;é$"ld""ss pe fut aflemblée, les Soldats contraignirent les Officiers de fe rendre dans une falie de leur quartier, ou un Comité qu'ils avoient choifi tenoit fes féances. Un nommé Pomier, Préfident de ce Comité, remit au Colonel un mé- moire  416 HISTOIRE ET ANECDOTES moiré contenant les plaintes et les griefs des Soldats ; ils envoyèrent, fur le Champ, un detachement pour s'emparer de M. de Meflimieux, en lui enjoignant d'apporter fes régiftres pour rendre publiquement fes comptes. Ces Régiftres ne remontoient qu'a 1'année 1776. Les Soldats vouloient qu'on leur rendit Compte de radminiitration de la Caifle depuis trente ans. Le quartier maitre leur en ayant fait fentir rimpoffibilité, ils fe déterminerent a le mettre en prifon; après y avoir pafle quelques heures, il fut cependaln mis en liberté. Les Officiers furent retenus par les Soldats jusqu'a trois heures du matin: ce temps fe pafla en vain es difcuffions , fans qu'on put les engager a fe départir de leurs prétentions , avant de délivrer les Officiers, ils éxigerent qu'ils promiflent de fe raflembler le mème jour a dix heures pour répondre d'une maniére pofitive a toutes leurs demandes. Les Officiers fe raifemblérent k I'heure indiquée: M. de Noue qui con- noiflbit  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 417 noiffoit la foiblefle de M. de Baliviére et qui craignoit qu'il n'accordat tout ce que les Soldats voudroient éxiger, lui écrivit pour 1'engager a montrer plus de caractère et de fermeté, ce qui mettroit un terme a une infurredion qui dégénéreroit bientót en brigandage. M. de Baliviére lut ce billet et le déchira avec humeur: quelques Soldats effayèrent d'en raiïembler les morceaux; mais n'ayant pü réuffir, ils obligérent M. de Baliviére d'écrire a M. de Noue , qu'il n'avoit point recü le billet qui lui étoit deftiné; le Conolel céda fans héfiter , et M. de Noue écrivit un nouveau Billet que les Soldats gardèrent en aifurant qu'ils contraindroient Mr. de Noue. a leur faire des excufes publiques de les avoir appellé, brigands. La fermentation augmentant confidérablement et pouvant avoir les fuites les plus facheufes, les Officiers pour calmer les Soldats, fe déterminérent a leur faire délivrer 15-0,000 Livres, qu'ils recürent par forme d'a Compte, ils fe partagérent fur le champ T.ILSect.II. Dd cette  41 8 HISTOIRK ET ANECDOTES cette fomme a raifon de trois louis par Soldat, et les Officiers moyennant ce Sacrifice obtinrent leur liberté provifoire. Le Régiment SuifTe qui Mouvement jl]squ>alors avdt obferve j ^ farmis les ' 1 ■ Suifes. icipline la plus exaéte fans prendre aucune part a l'infurreclion de la Garnifon commenqa, a cette époque, a éprouver quelques mouvements intérieurs. L'argent qui a un attrait plus puiflant pour les Suiifes que pour les autres Nations, a raifon de la rareté du numeraire qui fe fait fentir dans plufieurs cantons, leur fit bientót fecouer le joug de la fubordination. Le 11 Aoüfl, deux GrePumtionde nadier dont 1'un étoit de Ge- deux urena- , diers. )ieve et 1'autré de Laufanne, parcouruient les chambrées pour engager les Soldats a figner un mémoire contenant des réclamations contre les Officiers ; ils furent dénoncés; les Officiers aifemblerent un confeil de guerre, qui condamna ces deux féditieux a palier par les verges, enfuite a être ra. fés  DE LA RÉVOLUTION FR^NqOISE. 419 fes et chaffés du Régiment; cette éxécution eut lieu fans occafionner la moindre rumeur, et les coupables furent mis en prifon jusqu'au lendemain ou on devoit les conduire hors des portes de la ville, Le même foir, une quantité de Soldats du Régiment du Roi, de Cavaliers du Meftre de Camp, accompagnés d'une partie de la populace de la ville, fe rendit au quartier des Suüfes; on leur reprocha la baifeffe et la lacheté avec laquelle ils toléroient fins murmurer toutes les injuttices de leurs Officiers. Quelques Gardes Nationales qui occupoient un pofte avec les SuifTes 1'abandonnérent, en les accablant d'injures les plus huiniliantes; plufieurs citoyens au deffus de la claffe du peuple encourageoient ces exces : il falloit une vertu plus qu'humaine pour réfifter a ces attaques multipliées, la crainte d'une part, les mauvais exemples de 1'autre , engagérent le Régiment de chateau vieux a fe mettre en infurrection. Dd ij Les  420 H1SÏ0IRE ET ANECDOTES Les Officiers du RégijtifumSHon ment du Meftre de Camp qui tluftnZ craignoient les fuites de la Cump. fermentation qui regnoit ce jour dans toute la ville, ordonnérent aux Cavaliers de ne point quitter leur quartier; mais il étoit trop tard. Plufieurs d'entr'eux s'étoient rendus le fabre a la main aux Cafernes du Régiment du Roi ; ils engagérent un grand nombre de Soldats a les accompagner , allérent au quartier des Suiffes, enfoncèrent les portes du cachot, en tirérent les deux pnfonniers et les menérent dans une de leurs chambrées ou ils reftèrent quelques heures. Le peuple qui fuivit cette éxpédition témoignoit fa joie par fes cris et fes applaudiifements. La Poptdace ne fe horna pas a cette démonftration du plaifir qu'elle éprouvoit en voyant les progrès de la fédition. Les Officiers Suifles f urent infultés, pourfuivis a Coups de pierres et obligés de fe réfugier a la Citadelle oü un de leurs ba- taillons  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 42 I taillons étoit en Garnifon , on fut obligé d'en fermer momentanément les portes pour les préferver du danger; des que les Officiers des autres Régiments furent inftruits de leur facheufe pofition, ils s'empreiférent de la partager, en fe rendant également a la Citadelle. Les Soldats révoltés tinrent Confeil et ils réfolürent de faire réhabiliter les deux prifonniers ; on leur donna d'autres uniformes, on leur attacha des faux cheveux , et on les promena en triomphe dans la ville. Le peuple crioit hautement qu'il falloit faire fubir la mème peine aux Officiers. Les Soldats prirent les armes; les SuüTes s'y refuférent fous prétexte qu'ils n'avoient pas recü 1'ordre de leurs Chefs. La troupe armée fe rendit alors chez M. de Mérian, Lieutenant Colonel et 1'obligea de donner eet ordre, en menaqant d'égorger tous les Officiers s'il s'y refufoit; cette confidération le décida, il fe rendit aux Cafernes ; les Suiffes prirent les armes et il réhabilita les deux Grenadiers en Dd iij pro-  422 HISTOIRE ET ANECDOTES prononqant la formule en allemand et en Francais fuivant le délir de la Garnifon. Le désordre augmenta pendant la nuit, les Soldats fe livrérent a tous les exces qu'on peut attendre d'une troupe indifciplinéej ils arrèterent des Voitures appartenant a des particuliers, y firent placer les Suiifes, les promenérent dans la ville a la lueur des torches. Les cris et les hurlements de ces bandits, répandoient par tout la crainte ét 1'épouvante. M. de Salis, Major duRé- Le major • ' r, . rr ■ > . Salis. gitnent Sutife, avoit été me- nacé dans la journée; il s'étoit réfugié chez lui, et comme il fe trouvoit des régiftres et autres objets effentiels dans fon appartement, on lui avoit donné une garde particulière. II repofoit tranquillement, lorsqu'a trois heures du matin , il fut réveille par un bruit extraordinaire ; il entendit diffinclement que des fcélerats formoient le projet de 1'égorger, et que fa garde étoit d'accord avec  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 421 | avec eux: un domeftique vint 1'avertir ; qu'il n'y avoit pas un inftant a perdre pour fe fauver par le toit d'une maifon ' voifine ; il s'y cacha avec fa femme, dans une armoire pratiquée au fond d'un alcöve et paifa vingt quatre heures dans cette cr'uelle pofition. Les Soldats furieux de ne pas le trouver chèz lui le cherchèrent dans les maifons voifines, ils bouleverfêrent tous les lits et les meubles, frappêrent plufieurs fois a la porte de cette armoire , proférant les imprécations les plus fanguinaires. Si on eut découvert le lieu de fa retraite, il eut été infailliblement égorgé , tant la rage des Soldats étoit éxtrème; et ce premier meurtre auroit été probablement fuivi de celui de tous les Officiers Suiffes. On ne fauroit donner trop d'éloges a la fidelité des domeftiques de M. de Salis , et aux Voifins qui refuferent de découvrir le lieu de fa retraite, malgré les tourments dont on les menaqoit fi on eut prouvé qu'ils en étoient inftruits. Dd iv Le  424 HISTOIRE ET ANECDOTES Le 12 Aoüft, tous les iw'ïr RéSiments de la Garnifon et , rlfcmblél des détachements de la Garde Nationale. Nationale eürent ordre, de fe rendre a cinq heures du Matin fur la place d'armes, pour entendre la leclure d'un Décret de l'aifemblée Nationale arrivé pendant la nuit, qui les rappelloit a 1'ordre et a la Subordination. Ce Décret fut lü et affiché, et le Commandant de la ville leur enjoignit de s'y conformer. Mais les Soldats parürent douter de 1'authenticité de ce Décret, des émiifaires du Club des Jacobins avoient eu foin de répandre que c'étoit une piece fuppofée, pour effayer de les foumettre de nouveau aux caprices de leurs Officiers. Pendant eet intervalle, quelques Cavalliers du Régiment du Meftre de Camp étoient reftés dans leur quartier fous prétexte qu'ils faifoient partie d'un Comité qui étoit affemblé ; quelques autres Cavaliers fortirent des rangs fur la place d'armes, ils fe rendirent a leur quartier  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 425 quartier et ramenêrent un des Grenadiers Suifles qui s'y étoit retiré; on le fit paffer devant le front des Régiments , oü un Cavalier lui donna fon cheval, le plaqa a cóté de 1'étendart du premier Efcadron, et toute la Garnifon défila devant lui, pendant que la populace applaudifioit a cette fcène. M. de Noue fe conduifit avec beaucoup de fang froid et lut enfuite le décret de 1'affémblée:, les Régiments fe rendirent dans leurs quartiers refpedtifs et -le prifonnier Suiffe fut reconduit en triomphe. A peine les Régiments furent-ils rentrés dans leurs quartiers que les Soldats du Régiment du Roi fe rappellèrent que Mr. de Noue ne leur avoit pas fait des éxcufes pour les avoir appellé Brigands ; ils invitérent les autres Régiments de fe rendre a la place d'armes et envoyérent un détachement pour chercher M. de Noue, ce général refufa pendant longtemps de paroitre devant les rebelles; une députation de la municipalité 1'en conjura, et il céda a fes inftanDd v ces;  426 HISTOIRK ET ANECDOTES ces ; il fe préfenta aux Soldats et leur demanda avec fermeté ce qu'ils défiroient. Le Soldat Pomier, Préfident du Comité, fortit des Rangs, lui montra le billet qu'il avoit écrit a M. de Baliviére, et demanda qu'il fit des excufes publiques aux Soldats. M. de Noue parcourut le front des Compagnies de Grenadiers, leur rapella le plaifir qu'il avoit eu a les commander autre fois , lorsqu'ils écoutoient encore la voix de 1'honneur et du devoir, les exhorta a rentrer dans 1'ordre et a obeir a la loi: Si vous croyez, ( ajouta -1 - il) que je vous doive des excufes, recevez celles que je fais. Les Soldats parürent fatisfaits. Immédiatement après 1'apparition de M. de Noue , un détachement de cinquante Cavaliers, et d'autres détachements de la Garnifon fe rendirent chez le Commandant du Régiment Suiife; on le contraignit de faire alfembler les Officiers pour donner fur le champ 224 Louis aux deux Prifonniers comme un dédomagement de la rigueur de leur jugement. A peine  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 427 A peine cette fomme eut-elle été comptée que les troupes le livrérent a de nouveaux exces. Les deux Suifles ; furent promenés dans toutes les rues, I précédés de muficiens, le désordre et le I tumulte durérent toute la nuit. On ar\ racha le Décret de 1'aflemblée Nationale qui avoit été affiché, les Soldats ivres ;i échangérent leurs uniformes avec des ) Gardes Nationales, et le lendemain les :i cafernes étoient remplies de gens de la lie du peuple et de proftituées qui depuis plufieurs jours prenoient part a toutes les orgies. Lei3 Aöuft, le Régiment de chateau vieux étoit dans J**g* 1'état d'infurredion la plus vio- des Suijfes. lente; les Soldats proféroient les imprécations les plus atroces contre les Officiers qu'ils avoient arrètés; ils aflurérent qu'ils n'obtiendroient leur liberté et leur vie que lorsqu'ils auroient requ 227,000 Livres qu'ils prétendoient leur ètre dus, mais comme cette fomme n'éxiftoit pas dans la Caiffe, on leur pro-  428 HISTOIRE ET ANECDOTES propofa un a Compte de iooo Louis. Mr. de Vaubecourt Lieutenant Général ayant été inftruit de la malheureufe pofition des Officiers eut la générofité de venir a leur fecours, il leur apporta mille louis, et exhorta les Soldats a rentrer dans le devoir; mais loin de fe contenter de cette fomme, ils exigérent encore 3000 Livres que Mr. de Vaubecourt emprunta et les Officiers furent obligés de figner une obligation de payer 200,000 Livres le premier Septembre. Ils obtinrent leur liberté a ces conditions. Les Suiifes s'empreffèrent de partager 1'argent, ils fe joignirent au refte de la Garnifon et fe livrérent publiquement a des indécences les plus fcandaleufes. Le désordre qui regnoit dans la ville engagea beaucoup de citoyens a s'en éloigner. Le 14 Aóuft, une dépurnuntion tation du Régiment des Meftre duMe/lre de de LamP le reildlt chez le ComCamp. mandant et lui fignifia que fans égard au Décret de 1'af, femblée  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 429 femblée Nationale, ils.éxigeoient que les Officiers formant le Confeil d'adminiftration fe rendiffent au manége pour entendre leurs réclamations. Ils y arrivérent effedivement: les membres du Comité étoient établis dans le manége et les autres Cavaliers en gardoient la porte, les Officiers furent traités fans aucuns égards ni ménagements, et après plufieurs discuffions rélativement a la reddition des comptes qu'ils éxigeoient ; le comité permit aux Officiers de fe retirer avec promefle de fe réunir le lendemain a fept heures du matin. Un grand nombre de citoyens féduits par 1'argent des Soldats prenoient part au désordre, Fanarchie la plus caraclérifée regnoit dans la ville; les Officiers municipaux qui craignoient que le pillage de toutes les propriétés n'en fut la fuite , refolürent de faire partir un Courier pour réclamer la proteclion de raifemblée Nationale. Le if Aóuff, les membres du Confeil d'admimftration du. Régiment du Meftre  43° HISTOIRK ET ANECDOTES lire de Camp, fe réunirent au manége a fept heures du matin, fuivant Ie défir des Cavaliers, les membres du Comité demandérent qu'on leur rendit Compte de la geftion des finances, depuis fix ans , conformément au Décret de raffemblée Nationale du 6 Aöuft: mais ayant vérifié qu'il éxiftoit alors et depuis cette époque peu d'argent dans la Caiffe, ils exigérent le Reliquat du Compte de 1764. qui portoit 1'adif appartenant au Régiment a 47,962 Livres. C'eft en vain que les Officiers repréfentérent Pin. juftice de cette prétention et 1'impoffibilité ou ils étoient d'y fatisfaire par leurs propres moyens: on les obligea de faire des billets de cette fomme", mais les Cavaliers prévoyant la difficulté qu'ils auroient d'en tirer parti les refufèrent; ils menacérent d'égorger les Officiers , fi on ne leur délivroit pas fur le Champ de 1'argent. Un des membres du Confeil fortit accompagné de quelques Cavaliers pour en chercher chèz des particuliers, il fe procura mille louis et offrit des af* Jfignats  1)K LA RÉVOLUTION FRANfüISE. 431 iignats pour le refte de la fomme ; les Cavaliers refulérent cette propofition et perfiftérent dans leur Réfolution: la vie des Officiers fut plufieurs fois compromife. A neuf heures du foir une députation de la municipalité fe rendit au manége pour eifayer de calmer les Cavaliers, et les engager a accepter les offres de leurs Officiers ; mais leur demande ayant été infructueufe, la municipalité craignant a jufte titre 1'éfFèt de la fureur de cette foldatesque révoltée, fe décida a faire prèter la fomme demandée , il étoit alors une heure du Matin. Cette féance orageufe oü les Officiers avoient été enfermés fans prendre aucune nourriture et avoient couru les plus grands dangers pendant plus de feize heures, fut enfin levée ; les Cavaliers fe jettérent fur 1'argent et fe le partagérent. Chaque individu obtiut cent vingt-une livres dix fols. Le désordre continua le feize Aóuft. Le 17, les SoldatS du Ré- Députation giment du Roi, fe décidérent a ^'/^'/„f . . envo- iuRoi,  432 HISTOIRE ET ANECDOTES envoyer une députation de huit de leurs membres a Paris, a la tête de'laquelle étoit Pomier. Ils forqerent Mr. de Baliviére de leur délivrer des congés et une fomme de 3000 Livres pour les frais de voyage, ils fe rendiient enfuite a la Municipalité qui leur expédia des paffeports, et ils partirent a midi, au milieu des applaudiifements des Soldats de la Garnifon , et du peuple. Le 18 Aöuft, un Courier envoyé k la municipalité de Nancy apKouvmuDé- porta un Décret de l'aifemblée fwbié't m. Nationale rélatif a 1'infurreélion tiouaie. de la Garnifon. Tous les Soldats étoient rappellés a 1'ordre et a leur devoir; les auteurs et fauteurs des troubles devoient être arrêtés, conftitués en prifon et jugés comme coupables du crime de léze Nation ; ceux qui avoient participé a la Sédition devoient, fous vingt quatre heures, reconnoitre leur erreur mème par écrit, fi les Chefs 1'éxigeoient, a peine d'ètre également arrêtés et pourfuivis comme coupables du mème Crime. Ce  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 433 Ce Décret fut imprimé et diftribué avec profufion parmi les Soldats, mais au lieu de produire Péffèt qu'on en attendoit, il ne fit qu'augmenter leur infolence et leur indifcipline. Les émiifaires du Club des Jacobins leur perfuadérent que ce Décret étoit un écrit fuppofé, ou, que ii par hazard il étoit authentique, il étoit dii aux Rélations infideles et aux rapports éxagérés que la municipalité de Nancy et Mr. de Noue avoient fait parvenir a 1'aifemblée Nationale. Le Minütre de la guerre inftruit de Farrivée des Soldats députés du Régiment du Roi, les fit arrèter a leur arrivée a Paris et conduire a 1'Hotel de la force. Leurs Camarades inftruits de eet événement réfolürent d'arrèter les Officiers municipaux et ceux de la Garnifon pour fervir d'otages; d'autres propofoient de fe foumettre aux Décrets de 1'afTemblée Nationale et de rentrer dans 1'ordre; et fi ces difpofitions n'avoient pas été contrariées par de mauvais efprits; peut ètre les excés de la Garnifon auroient - ils enfin T.IL&a.II. Ee ceffé:  434 HISTOIRE ET ANECDOTES ceffé : mais les auteurs des troubles, qui craignoient d'ètre découverts, avoient intérët de les perpétuer pour tacher de fe dérober, au milieu de la confufion et du désordre Général, a la jufte punition qu'ils méritoient. Un incident arrivé dans ces entrefaites contribua a augmenter 1'audace et fimpudence des révoltés. M. Jobard, Lieutenant Colonel de la Garde Nationale admit dans cette troupe les deux Grenadiers Suiifes qui avoient paffe par les verges et il ofa les placer en fa. c"uon a la porte de 1'Hótel de ville: fommé de rendre Compte de fa conduite a la municipalité, il répondit avec infolence que ces Soldats n'étoient pas coupables et qu'ils avoient été réhabilités. Le 21 Aoüft, deux SolRetour de dats du Régiment du Roi en- deuxSoklats / r n • «„ _ „. dét«tés uPa. v°yes a Pans et M. Pefcheloris. che Capitaine de la Garde Na¬ tionale arrivérent a Nancy, on efpéroit que leur préfence calmeroit la Garnifon et 1'engageroit a rentrer dans le  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 435 le devoir; ils fe rendirent a la municipalité et promirent d'employer tous leurs érforts a eet égard ; le lendemain beaucoup de Soldats honteux des exces qu'ils avoient commis, témoignoient leurs regrets ; mais il y avoit trop de fcélérats intérelfés a perpétuer le désordre qui augmenta quelques jours après, d'une maniére encore plus erfrayante. M. de Malfeigne infpe- _, , , Arrivés de deur General, mum de pleins M lleMal„ pouvoirs rélativement a 1'infur- feiSne. reclion de la Garnifon de Nancy et chargé d'en juger les réclamations, arriva le 2,4 foir; il fe rendit a la municipalité, lui fit part de fa Million; ce Général doit peut ètre fe reprocher de ne 1'avoir pas fait connoitre d'une maniére plus authentique, en la faifant afficher et proclamer dans les Cazernes et a la tête des différents Régiments. Ce défaut de publicité fournit un prétexte aux: émiffaires des Jacobins pour révoquer en doute le but de fa million et la validité de fes pouvoirs. Leurs manoeuvres E:e ij a eet  436 HISTOIRE ET ANECDOTES a eet égard produifirent un grand effet fur l'éfprit des Soldats ignorants et crédules et donnérent lieu a tous les excés qui arriverent par la fuite. Le 25. matin M. de Malfeigne fe rendit au quartier des Suiffes, il écouta leurs réclamations, accorda quelques uns de leurs demandes; il promit de rendre Compte au Miniftre et a 1'affemblée Nationale de celles fur lesquelles il ne pou•voit ftatuer, entr'autres fur une augmentation de paye que les Soldats éxigeoient, et qui étoit contraire aux termes de la Capitulation des Suiffes avec la Nation Francaife. Les Soldats parürent trés mécontens, a deux heures le Général leur réitera les mêmes offres et leva la féance. Lorsqu'il voulut fortir du quartier, ïl trouva la porte gardée par un triple rang de Soldats qui, en pré- M.Tm1 fentant leurs bay°»netes, refeigne. fuférent de lui livrer paffage. M. de Malfeigne mit 1'épée k la main et fe fit jour a travers les féditieux.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 437 ditieux. Les Officiers Suiffes qui 1'accompagnoient, eurent beaucoup de peine a contenir la fureur des Soldats qui vouloient le pourfuivre. Trois Grenadiers s'échappent; 1'un deux alloit atteindre M. de Malfeigne et lui porter un coup de Sabre, le Général fe retourne, paré ce coup, bleffe le Grenadier, et la lame de fon épée s'étant caffée , il prit celle du prévöt de maréchauffée qui étoit a cóté de lui et fe rendit chèz M. de Noue qui fattendoit. A peine fut-il entré qu'on apprit que les Suiffes le pourfuivoient; quelques Officiers du Régiment du Roi fans armes fe placèrent a la porte et arrëtcrent le premier effort des léditieux, bientöt tous les Officiers de la Garnifon fe réunirent pour défendre le Général. M. Degouvernet fils du Miniftre de la guerre , qui étoit arrivé la veille, effaya envain de calmer les Suiffes, en leur promettant d'appuyer leurs réclamations auprès de fon père et de les faire valoir a 1'affemblée Nationale, il ne fut point écouté. On Ee iij envoya  438 HISTOIRE ET ANECDOTES envoya chercher des détachements des Régiments du Roi et du Meftre de Camp, et la Garde Nationale qui avoit pris les armes par ordre de la Municipalité fe rendit devant la maifon de M. de Noue. Ces détachements réunis difperférent les Suifles et délivrèrent le Général et les Officiers qui étoient accourus pour Je défendre. Les Officiers Municipaux engagèrent M. de Malfeigne a fe rendre a 1'Hótel de ville , pour la furété de fa perfonne et la tranquülité de la ville; il fe décida a les accompagner. Un inftant après une députation des Suifles vint demander le Général et lui dire de fe rendre a leur quartier; il leur répondit qu'il les attendoit le lendemain matin a la maifon commune, et qu'il efpéroit les trouver plus calmes. II fe retira enfuite chèz lui, fous 1'efcorte de differents 'détachements qui reftèrent a fa porte pendant la nuit. Le lendemain 26 Aoüft, le Général fe rendit a dix heures a 1'Hötel de ville, les  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 439 les Officiers Suifles y arrivérent auffi. A dix heures une Députation des Soldats de Chateau vieux fe préfenta et interpella le Général de ftatuer fur le Champ fur les différents objets de leurs réclamations et de leur faire diftribuer de 1'argent. Le Général leur répondit que fes pouvoirs ne lui permettoient pas d'accorder fur le Champ plufieurs objets de leurs prétentions , qu'il en avoit inftruit le Miniftre et 1'aifemblée Nationale , et que fous huit jours ils obtiendroient une réponfe décifive. II leur déclara enfuite qu'il ordonnoit au Régiment Suifle de partir le lendemain matin pour Sarrelouis. Les députés affurèrent que les Soldats n'obéiroient point a eet ordre avant d'avoir requ la fomme qu'ils demandoient et obtenu fatisfadion fur tous les points de leurs réclamations. M. de Bouillé, Commandant en Chef, avoit écrit a Mr. de Malfeigne de donner 1'ordre du départ aux Suifles et au cas qu'ils refufaflent d'obéir , il enioignoit a ce Général de venir le joindre J Eeiv aToul  44° HISTOIRE ET ANECDOTES a Toül oü étoit alors fon quartier Général. On ne fait pourquoi Mr. de Malfeigne ne fe conforma pas a 1'ordre de M. de Bouillé, s'il eut été le joindre, il auroit probablement prévenu de grands malheurs qui fürent la fuite du parti qu'il crut devoir prendre. Quoique Mr. de la Fayet- Gallesm. te f** reconnu publiquement tilnaL\a' ne prétendoit s'arroger 2/a,icj. aucune autorité fur les Gardes Nationales du Royaume , et que l'aifemblée d'après fa motion eut décrété ce principe, il avoit envoyé depuis quelques jours deux de fes aides de Camp M. M. Delmotte et Chaumont avec une lettre circulaire pour les Gardes Nationales des environs de Nancy. Cette lettre les exhortoit a obéir a la Loi, et a fe réunir pour reprimer la fédition de la Garnifon de Nancy. Bientót après M. Delmotte de fa propre autorité convoqua les Gardes Nationales de plufieurs villes circonvoifines; de nombreux détachements arrivèrent a Nancy,  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 441 Nancy, les 26, 27 et 28 Aóuft. Au lieu de réprimer le désordre, ils fe joignirent aux féditieux, commirent toute forte d'exces; 1'arfenal fut forcé et les armes diftribuées au peuple. Telle fut la fuite de cette convocation qui augmenta de plus de 2000 hommes la maffe des Rébelles. M. de Malfeigne fe rendit le28 Aöult a l'Hótel de ville ; il fit imprimer un ordre par le quel il invitoit de nouveau la Garnifon a rentrer dans le devoir: eet écrit ne produifit aucun éffèt; une foule de peuple et de Soldats fe raffembla fous les fenètres de l'Hótel de ville et menaqoit hautement d'égorger le Général et les Officiers municipaux. A midi, M. de Malfeigne fe retira chez lui, fous 1'efcorte de quelques Soldats et Cavaliers qui lui étoient reftés fideles; il entendit proférer contre lui les injures les plus grofhéres; fa contenance noble et ferme en impofa a la multitude qui n'ófa attenter a fa per- foime. \ Ee v A peine  442 HISTOIRE ET ANECDOTES A peine fut - il rentré IfTi', qu'un CavaIier qui étoit d'or- M. As Mal. j 1 feigns pour donnance chez lui , 1'avertit Lunéville. que la Garnifon avoit formé le projet de Tarrèter et qu'il n'avoit pas un inftant a perdre pour éviter ce danger; il ofFrit d'accompagner le Général qui lui donna ordre dé faire feller fes chevaux: dés qu'ils furent prèts, il prit la route de Lunéville avec ce Cavalier et un Officier de Carabiniers qui lui fervoit d'aide de Camp. Le projet du Général en fe rendant k Lunéville étoit fans doute , de fe mettre a la tête d'un Corps qu'il croyoit lui être affidé et de joindre enfuite M. de Bouillé. Mais a peine fut-il parti que le plus grand mouvement fe manifefta dans la Garnifon; tous les Soldats furieux de favoir que le Général leur étoit échappé coururent aux armes, les Cavaliers montérent promptement a cheval et fe mirent a fa pourfuite. Les Soldats du Régiment du Roi, pour fe venger du départ de Mr. de Malfei-  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 443 Malfeigne, cherchérent une au- ö , r v Arrejlation tre vidime; ils fe transporte- ie m de rent chez Mr. de Noue qui Noue. étoit a table, ils larrachérent de chèz lui, le dépouillérent de fes vêtements, le revétirent d'une cafaque de toile et l'enfermèrent dans un cachot. Quelques Officiers qui étoient accourus pour le défendre furent également arrêtés , cruellement maltraités et enfermés dans des chambres du quartier. Quelques jeunes gens s'étoient réunis a la promenade de la Pepiniere, les Grenadiers armés les attaquèrent , blèffèrent dangéreufement M. de St. Sauveur, Officier au Régiment du Roi, et le trainèrent en prifon avec plufieurs de fes Camarades. Dans ce moment de trouble et de désordre plufieurs Officiers prirent le parti de fe cacher pour fe fouftraire a la fureur des Soldats: toute repréfentation ou toute réfiftance étant devenue inutile. Mr. Ifelin Capitaine au Regiment de chateauvieux qui avoit cru pou-  444 HISTOIRE ET ANECDOTES pouvoir s'échapper en prenant un uniforme de Garde National fut reconnu a la porte de Pont-a-Mouffon par quelques Suiffes qui 1'arrètérent; le peuple fe joignit a eux , on fit fubir tous les outrages poflibles a ce malheureux Viellard (*), il fut mème plufieurs fois en danger de perdre la vie; les repréfentations et les foins de M. de Pointcarrés , Commandant de la Garde Nationale et de Mr. Hoener Capitaine le fauvërent du fupplice qu'on lui préparoit, ils parvinrent avec beaucoup de peines a le tirer des mains du peuple et a le faire transférer dans les prifons de la Ville. A peu prés dans le mème temps Mr. le Chevalier de Couronnel OfEqier au Régiment du Roi qui avoit pris des vétements de femme fut arrêté, et eut le désagrément d'ètre conduit a la Municipalité fous ce déguifement, a travers les (*) Mr. Ifelin avoit alors prés de ?o ans, il étoit oncle de i'fiöte des trois rois -i Basle.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 445 les huées , les menaqes et les outrages de la populaces les Officiers municipaux pour le préferver de nouveaux dangers le firent transférer en prifon. Pendant eet intervaüe Mr. ^ ^ de Malfeigne étoit arrivé a Lu- tre Us Cara, néville; fè voyant pourfuivi de trés prés par les Cavaliers d"Ja^ftrt du Meftre de Camp, il ordonna Ae Cm{, aux Carabiniers de monter a Cheval et de repouffer la forqe par la force. Les premiers Cavaliers qui arnvèrent ffirent désarmés et conduits en prifon, quelques uns voulurent fe defendre etfe retrancherent dans des vignes, d'on ilstirerent quelques Coups de Mousqueton ; les Carabiniers les enveloperent, plufieurs d'entr'eux furent tués, d'autres loleiTés grièvement. Comme cette troupe arrivoit fans ordre, on arrèta fucceffivement vingt fept Cavaliers et on pourfuivit les autres qui s'en retournerent avec précipitation a Nancy oii ils répandirent 1'allarme et 1'épouvante: ils racontèrent le fort .de leur camarades et affu-  44° HISTOIRE ET ANECDÜTES aflurèrent que les Carabiniers étoient en marche pour venir mallacrer la Garnifon. Auffitót tous les Régi- Departdela m0,,^r, ° Garnifon Ae ments courent ™* armes; nombre de Gardes Nationales Zunéviiie. s'emprèlferent de fe joindre &. eux, et yoo Gardes Nationales de Lunéville qui fe trouvoient a Nancy, d'après 1'invitation de Mr. Delmotte, formérent 1'arriére Garde de eette armée. Elle étoit pourvue de Munttions de guerre et mème de quatre pieces de Canon. Les Officiérs qui n'étoient pas en état d'arreftation crürent devoir fuivre leur troupe, quoique leurs ordres ne fufTent point écoutés; ils efpéroient que leur préfence préviendroit de grands malheurs, on doit leur favoir gré de cette démarche, car ils courürent plufieurs fois le danger de perdre la vie. Cette petite armée fortit de Nancy le 28, a huit heures du foir; les Grenadiers du Régiment du Roi et les iergens en avoient le Commandement: Cepen-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 447 Cependant ils nommérent Mr. Journiac de St. Méard, Capitaine des chaifeurs au Régiment du Roi, Adjudant - Général, pour porter les ordres aux différentes Colonnes; eet Officier fe chargea de cette pénlleufe commiffion par le défir de calmer, dans quelques circonftances, la fureur des féditieux. La nuit étoit obfcure, la marche de 1'armée fut lente et retardée par de fauffes alertes; tantót des Soldats crioient, nous fommes coupés; tantót on nous trahit; les Suiffes proposèrent d'égorger les Officiers: on fe contenta de les faire marcher a la queue des Colonnes , après avoir paffé le village de Dombasle qui eft a peu prés a moitié chemin de Nancy a Lunéville, 1'avant Garde appercut des hayes , qu'elle prit pour des Efcadrons de Carabiniers ; la frayeur s'empara des efprits, les Soldats quitterent leurs rangs, fe répandirent dans la plaine, et tirèrent plufieurs coups de Batik : revenus de leur terreur panique, ils continuèrent leur marche et le 29 Aóuft a la pointe  448 HISTOIRE ET ANECDOTES te du jour, 1'armée arriva dans les Fauxbourgs de Lunéville. • . , M. de Malfeigne, qui avoit Arrivée dc la ' > ■ _ Garnifon è etó aVeftl P3r Un G^ NatlO- Lunéville. nal de Lunéville de Parrivée de la Garnifon de Nancy, avoit ordonné au Corps des Carabiniers de monter a Cheval, a onze heures du foir: après avoir héfité quelque tems fur le parti qu'il devoit prendre , au lieu de fe porter en avant de Lunéville pour en défendre les approches, il placa le Corps des Carabiniers en Bataille dans un terrein, appellé le Champ de mars , derrière le pare du chateau. Cette pofition étoit favorable pour les évolutions de la Cavalerie; le Général ayant fenti qu'il étoit impoifible de défendre une ville ouverte , n'ayant ni foffés, ni murailles, contre une attaque d'infanterie; d'ailleurs par une circonftance malheureufe , le Corps des Carabiniers n'avoit ni poudre ni balles dans fes magafins; quoiqu'on en eut demandé plufieurs fois. M. de Noue n'avoit  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 449 n'avoit point ofé en envoyer a un Corps qui avoit la réputation d'ètre royalifte. Les Officiers municipaux de Lunéville craignant les fuites de l'arrivée de la garnifon de Nancy, allérent en Corps et revétus de leurs écharpes au devant de 1'armée ; ils conjurérent les Soldats d'épargner la ville et de refpecler les propriétés des citoyens , ils promirent réparation de la part des Carabiniers et aflurèrent qu'ils feroient délivrer les Cavaliers du Meftre de Camp qui avoient été arrêtés la veille. Leur demarche fut infrudtueufe, les Soldats crioient hautement qu'ils vouloient avoir M. de Malfeigne mort ou vif et venger le fang de leurs freres d'armes, qui avoit été répandu par les Carabiniers. Après de nouvelles inftances , les Officiers municipaux obtinrent cependant que la Garnifon de Nancy nommeroit des députés pour conférer avec ... r , 1 Conférences ceux qu'ils efperoient que les , L,bm Carabiniers voudroient bien en- & yme. voyer a l'Hótel de Ville pour T.JI. Sul.U. Ff ttot  450 HIST01RE ET ANECDOTES tacher de les fatisfaire, ils fe préfentérent enfuite les larmes aux yeux au Champ de mars et conjurèrent les Carabiniers, au nom de la patiïe et du Salut d'une ville dont ils avoient toujours été les protecf eurs, de fe prêter a cette démarche concüiatoire. Cette derniere confidération entraina les Carabiniers: ils choifirent des députés dans le nombre des Officiers qui méritoient depuis longtems leur eftime et leur confiance. Leur choix tomba fur M. M. de Roffel et de Courtivron ; ils y joignirent un SousOfficier et deux Carabiniers; ces députés fe rendirent a l'Hótel de ville, ils calmèrent par leur prudence et leur'modération 1'éffervefcence des Sol- d'«« Adju. dats 1m leur temoignèrent dunt. beaucoup d'égards et de re- fpecf, mais un incident facheux faillit a rompre les négociations: un Adjudant des Carabiniers nommé la Motte étant venu s'informer de ce qui fe paifoit a 1'Hotel de ville fut. tué d'un coup de piftolet par un Cavalier du Me-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 451 ftre de camp qui 1'accufoit d'avoir affaffiné fon frère a 1'afFaire du 38- Un inflant après les prifous furent forqées, on délivra les Cavaliérs qui avoient été arrêtés la veille. Ils arrivèrent en fureur a l'Hótel de ville et cherchèrent a engager les Soldats aifemblés a arrèter les députés pour leur procurer fatisfadtiónr Le calme et le fang froid des deux Officiers de Carabiniers en impoférent a la multitude; les conférences continuèrent et il fut enfin convenu : que la Garnifon de Nancy retourneroit n n j H/T 1 Convention dans cette ville, queMr. de Mal- des ié{utéu feigne s'y rendroit des qu'il en feroit requis par la munipalitê (a la quelle on expédia fur le Champ un Courier) que ce Général feroit efcorté par 50 Carabiniers et 50 Soldats de la Garnifon de Nancy. Ces propofitions furent fignées par les differents députés et plufieurs Cavaliérs fe détachèrent pour en inftruire 1'armée; mais 1'impatience, la laffitude ou 1'ennui 1'avoit engagé a quitter la pofition qu'elle avoit prife fur les hauF f ij teurs  452 HISTOIRE ET ANECDOTES teurs en avant de Lunéville , pour retourner a Nancy. II reftoit environ quatre ou cinq cent Soldats qui occupoient les maifons des Fauxbourgs et devoient former 1'arriére Garde. Mr. de Malfeigne inftruit de la Convention agréée parles députés Mafacre s'étoit rendu a 1'Hotel de ville tLtt P^lafigner; il étoit efcorrabinim. té par fo Carabiniers: en fortant de la Salie des féances, il fut environné par plufieurs Soldats de la Garnifon de Nancy qui le fupplierent de partir fur le Champ , en 1'aflurant qu'ils répondoient de la fureté de fa perfonne , ces Soldats lui témoignèrent beaucoup de déférence et de refpecr. Le Général parut céder a leurs inftances et fe mit en marche a la tête du détachement qui devoit 1'efcorter, arrivé fur la place des carmes, un Carabinier lui dit, "Général on vous trahit, vous allez être arrëté, cette affertion pouvoit avoir quelque apparence de probabilité. Mr. de Malfeigne en fut, fans doute, con-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 453 convaineu, car il partit au galop, prenant une route oppofée a celle de Nancy; Ion detachement le fuivoit, lorsque les Soldats répandus dans les Fauxbourgs, irrités de voir le Général qui leur échapoit, firent feu fur lui et fur fon détachement; huit Carabiniers furent tués, quinze bleifés, Mr. de Vogué SousLieutenant eut le bras droit caifé et recüt trois bleifures dans les reins; ce valeureux jeune homme eut pu fe retirer dans la ville avec le fecond peloton qu'il commandoit, il préféra de fe jetter au milieu du feu pour fuivre le Général. Mr. de Malfeigne fut lui mème bleifé par une balie amortie fur fon baudrier: il traverfa la riviére qui féparoit le champ de mars d'une valfe prairie, et reparüt a la tête des Carabiniers qui le recürent avec le plus grand enthouifiasme et des cris répetés de Vive notre Général. Comme on ignoroit encore la retraite de la garnifon de Nancy: M. de Ffiij Mal-  454 HISTOIRK ET ANECDOTES Malfeigne ordonna au premier SS*! RéSiment des Carabiniers de fe rendre a Croismare et au fecond de fe porter a Bénaménü. Ces deux Villages font fitués en arriére de Lunéville fur la route de Strasbourg. Le Général fe rendit a Lunéville, pour faire panfer la bleifure qu'il avoit reque; mais a peine y fut-il arrivé , que les Officiers municipaux lui firent fignifier que fa préfence compromettoit la Sureté de la ville et qu'il eüt a partir pour Nancy conformément a la Convention qu'il avoit fignée. II fe détermina alors a fe rendre a Croismare: il y trouva une partie des Carabiniers qui Bivouaquoient dans les allées du Chateau. Pendant la foirée une grande quantité d'émiffaires de la garnifon de Nancy déguifés s'étoient répandus a Lunéville et parmi les Carabiniers. Ils femèrent le Bruit que M. de Malfeigne étoit un traire qui de concert avec M. de Bouillé travailloit a opérer une contre Révolution, qu'il n'avoit aucuns pouvoirs éma. nés  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 455 nés du Roi ou de 1'aflemblée Nationale; qu'il avoit vendu le Corps des Carabiniers aux autrichiens pour un million et que la preuve qu'il devoit les livrer a 1'ennemi c'eft qu'il les faifoit marcher du cöté de Strasbourg. Ces Contes abfurdes qui n'auroient fait aucune impreffion fur 1'efprit des gens éclairés, produifirent 1'éffet qu'on défiroit fur 1'efprit des Carabiniers ignorants et credules, et qui comme tous les Soldats étoient naturellement méfians et foupconneux. A une heure du matin les Carabiniers du premier Régiment firent fonner a Cheval; le général ayant paru a leur tête, ils Parrètèrent et le conduifirent a la municipalité A"eM*il™ de Lunéville. Les inftances et Malfeigne. les repréfentations des Officiers furent vaines , les Carabiniers autrefois dociles a leurs voix, dans 1'égarement ou les avoient plongé des fcélérats, öférent méconnoitre un inftant leur autorité. Ff iv Les  456 HISTOIRE ET ANECDOTES Les Officiers Municipaux qui avoient eux mêmes de violens foupcons fur la conduite de M. de Malfeigne, donnèrent Son dépan PromPtet"ent des ordres pour pourNancy. Ion depart, il paitit en voiture fous 1'efcorte des deux Régiments des Carabiniers et d'un detachement confidérable de la garde Nationale. Les Carabiniers arrêtèrent en mème temps le quartier maitre tréforier et le forcérent d'emporter fes régiftres en difant qu'ils fe feroient rendre Compte a Nancy. M. de Courtivron qui prévit de quelle conféquence il étoit que le Corps des Carabiniers ne pénétrat pas dans cette ville oü il fe feroit probablement joint aux féditieux, partit fur le Champ. U obtint fucceffivement deux réquifitions du département de Nancy, qui enjoignoient au Commandant des Carabiniers de ramener le Corps a Lunéville. Cette mefure eut nn plein fuccês. Un detachement de cent Carabiniers efcorta Mr. de Malfeigne jusqu'a une lieue de Nancy oü la garnifon s'étoit rendue pour le re- cevoir.  DE LA RÉVOLUTION FRAN?OISE. 457 cevoir. A fon arrivée, dans cette ville il courut le plus grand danger: on le conduifit dans un Cachot du quartier du Régiment du Roi, oü il ne devoit refter qu'un inftant. La populace avoit décidé qu'il falloit 1'égorger et il alloit éprouver ce Sort, lorsque M. M. de Courtivron et d'Argens Chef de Bataillon du Régiment du Roi parürent au milieu des féditieux ; le premier étoit porteur de la Convention fignée a Lunéville. II repréfenta aux Soldats qu'ils fe couvriroient de honte en fouffrant qu'on maffacrat le général en leur préfence; que s'il étoit coupable, c'étoit au Roi et a l'aifemblée Nationale a le faire juger. II engagea en conféquence les Soldats a le traduire a la conciergerie , oü fa vie ne feroit plus abandonnée au caprice de la Multitude ; cette propofition fut acceptée et le général entra dans cette prifon le 30 Aóuft a cinq heures du foir. Le Lendemain 31 un Of- . ... . , . Repenttr des ficier de Carabiniers qui etoit CmMniau réfté a Nancy après le départ Ff v de  458 HISTOIRE ET ANECDOTES de M. de Malfeigne apporta k Lunéville la commiflion de ce général qui étoit reftée dans fa Chambre et divers autres papiers qui prouvoient 1'authenticité de fa miffion ; il remit ces titres a la municipalité et l'inftruifit en mème temps que M. de Bouillé marchoit a la tëte d'une armée pour réprimer la garnifon de Nancy. Ces nouvelles déffillérent les yeux des Officiers municipaux et des citoyens trompés par de faux rapports. Les Carabiniers eux tnêmes revinrent promptement de leur erreur: ils conduifirent en prifon de nouveaux émiffaires de Nancy qui venoient les exhorter a fe joindre aux rébelles et quarante de leurs Camarades qui les avoient porté a arrêter leur général. Leur indignation contre ces fcélérats étoit extréme et c'eft avec peine qu'on contint leur fureur : un fentiment de délicateife engagea deux Carabiniers a fe priver de la vie; Les Officiers profitèrent de leur repentir pour rétablir 1'ordre et la Difcipline; mais juftement indignés d'être obligé de com- man-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 459 mander a des militaire s qui avoient oublié le cri de leur devoir et de 1'honneur, ils fe réuni- Députation rent tous pour figner leurs dé- d" 11 t> • du Corps milfions et demander au Koi des CarM. la Caffation d'un Corps qui niers. jusqu'a cette époque s'étoit toujours couvert de gloire : ils chargérent M. M. de Courtivron et de Caraman de cette douloureufe miifion. Ces députés arrivés a Paris fe rendirent chéz Monfieur ,propriétaire du Corps, qui prit les ordres du Roi. Sa Majefté, refufa la démiffion des Officiers en leur témoignant fa fatisfadion de leur conduite dans des circonftances auffi délicates: elle leur ordonna de continuer leurs fondtions, en affurant, que tous les fauteurs et inftigateurs des troubles arrivés a Nancy et a Lunéville feroient punis fuivant la rigueur des lois. L'affemblée Nationale, in- _ . Armée deM. ftruite que fes Decrets avoient Ae BouilUm été méprifés a Nancy, que la Rébellion étoit parvenue a fon comble, que  460 HISTOIRE ET ANECDOTES que toutes mefiires conciliatoires étoient inutiles, et qu'il n'y avoit que la forqe qui put lbumettre les féditieux, fupplia fa Majefté de faire réunir les troupes néceifaires pour marcher contre Nancy et de noramer un général pour comraander 1'armée. Le choix du Roi tomba fur M. de Bouillé dont 1'aclivité, le courage , et 1'expérience faifoient préfager le fuccés qu'on devoit attendre, en lui confiant cette importante million. Ce général tira des détachements des différentes garnifons ou quartiers qui étoient dans fon Commandement, il y joignit quelques gardes Nationales de Metz, Toul, et Pont-a-Mouifon, et marcha lui mème a la tète d'une partie de la garnifon de Metz , il avoit fous fes ordres M. de Frimont maréchal de Camp. La totalité de cette armée étoit de 45-00 hommes , dont 2220 hommes de troupes de Ligne, en grande partie Suiffes ou étrangers, 800 gardes Nationales, 1480 Cavaliers Dragons ou Huifards et huit piéqes de canon fervies par cinquante Canoniers. C'eft  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 461 C'eft avec de pareilles forces que eet intrépide général alloit attaquer une ville ou il y avoit une garnifon compofée de Six Bataillons, un Régiment de Cavalerie et plus de quatre mille citoyens révoltés fous les armes. Mais M. de Bouillé ne calculoit jamais les obftacles; accoutumé a vaincre partout ou il fe préfentoit, il prévoyoit fans doute que fon nom feul et la terreur qu'il infpiroit valoit une armée. Ce qui doit encore augmenter le mérite de fon expédition, c'eft qu'une partie des troupes qu'il commandoit avoit été en infurredion et que 1'indifcipline pouvoit fe renouveller dans un moment décifif; mais il fut rappeller dans leurs ames eet amour de la gloire et eet enthoufiasme qui diftinguoit autre fois le Soldat Franqais ; et tous les individus de fon armée fecondérent fes defTeins avec ardeur et avec zèle. Le ?o, M.de Bouillé par- r 11 marebt tit de Toul pour iouare iur contre la route de Nancv a Metz, oü Nancy. il  462 HISTOIRE ET ANECDOTES il avoit transféré fon quartier général: avant fon départ il écrivit a M. de Noue la lettre fuivante. ''Monfieur, je fuis arrivé en vertu d'un Décret de raifemblée Nationale pour rétablir 1'ordre dans la ville de Nancy et la difcipline parmi les troupes de cette ville. Si les Soldats honteux de tant d'excés veulent donner un acte de repentir, le premier témoignage que j'en demande , c'eft la déKvrance de Mr. de Malfeigne a qui j'ordonne de venir me joindre fur la Route de pont a Mouifon, ou je ferai a la tête'de mes troupes demain 31 a dix heures du matin; je ferai enfuite connoitre mes ordres ultérieurs: fi non je ralherai aux troupes fideles tous les bons citoyens des gardes Nationales, et ces Soldats traitres a la patrie vérront la Nation entiére marcher contr'eux pour punir leur rebellion et les forcer d'obeir a la loi et au Roi. „ Cette lettre ayant été remife a la municipalité, le confeil général afiem- blé  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 463 blé délibéra qu'on la proclameroit dans les différents quartiers et qu'on en donneroit connoiifance aux troupes pour les engager a rentrer dans le devoir et a prévenir les malheurs qui menaqoient la ville , après beaucoup de conférences réciproques, les Régiments de la Garnifon fe décidèrent a joindre des députés a ceux que la municipalité devoit envoyer au devant de Mr. de Bouillé pour connoitre fes intentions. Ces Députés trouvérent M. de Bouillé a fouare a la tête de fon armée; ils furent intimidés de 1'ardeur que les troupes manifeftoient d'aller les combattre: ils effayérent de faire quelques propolitions : le Général répondit qu'il ne traiteroit jamais avec des rebelles , que li la garnifon vouloit donner une marqué de fon repentir et de fa foumifïion, elle eut a délivrer fur le champ M. M. de Malfeigne et de Noue et a livrer quatre Soldats des plus coupables de chaque Régiment, il ordonna en mème temps que les trois Régiments fortiffent de  464 HISTOIRE ET ANECDOTES de Nancy et fe rendiffent dans la prairie en avant de cette ville. II donna une heure pour exécuter ces conditions et il annonqa qu'aprés ce délai il entreroit dans la ville et paiferoit au fil de 1'épée tous ceux qui fe trouveroient les armes a la main. Les Députés éffrayés, et de la contenance du général et des difpofitions des troupes, engagérent leurs camarades a délivrer M. M. de Malfeigne Iifaitdeli- et de Noue. Pendant eetin- T^Zfèt tervalle Parmée de M- de BouüMaifeigrte. Ié s'avancoit fur Nancy: le Général avoit divifé fes troupes en trois Colonnes; au cas qu'il éprouvat de la réfiftance, deux de ces Colonnes devoient faire de faufles attaques aux portes de Stainville et Stanislas; le général a la tète de la troifiéme devoit pénétrer dans Nancy en faifant abattre a coups de canon un murtrés peu élévé qui fermoit la ville du cöté de la promenade appellée la pepiniére. Une partie des Régiments s'étoit af- femblée  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 465 femblée et après avoir fait efcorter M. M. de Malfeigne et de Noue jusqu'au prés de M, de Bouillé, s'étoient rendus dans la prairie, mais les Soldats les plus coupables joints a tous les citoyens fans propriété avoient fait des difpofkions pour fe défendre ; trois pieces de Canon chargces a mitraille étoient placées a 1'entrée de la porte Stainville, il y en avoit autant aux portes Stanislas, St. Nicolas et devant 1'Hotel de ville, tous ces poftes étoient défendus par de nombreux détachements de troupes de Ligne et de Gardes Nationales: 1'intrépide Des Isles fe trouvoit avec quelques Soldats du Régiment du Roi a la porte Stainville ; il fe plaqa plu- d' ^ la porte fieurs fois devant les pieces de stainville. Canon qu'on alloit tirer fur le detachement de 1'armée de M. de Bouillé qui s'avanqoit fous la conduite de M. Schuphawer Officier au Régiment de Vigier; il arracha les mèches des mains des Soldats ; les re- M. M. des belles en fureur tirèrent fur lui Lsles et T.ILSe£t.II. Gg et  466 H1ST0IRE ET ANECDOTES et fur M. Schuphawer, ils tombérent 1'un et 1'autre baignés dans leur fang, un coup de Canon partit du cöté des rebelles et tua un grand nombre de Volontaires, et 1'inftant après le Commandant de 1'artillerie ordonna de tirer trois coups de canon a mitraille qui difperfèrent entiérement les brigands et frayerent le chemin au detachement qui pénétra dans la ville. La Cavalerie qui le fuivoit fe répandit dans les rues et effuya un feu des plus vifs; les huffards de Lauzun fur tout fouffrirent beaucoup entrainés par 1'ardeur de M. de MacMahon (*) qui étoit a la tête d'un detachement; ils s'emparèrent des pieces qui étoient devant l'Hótel de ville et eifuyèrent un feu foutenu a la porte St. Nicolas ; ils perdirent a différentes attaques plufieurs Officiers et un grand nombre (*) M. de Mac-Mahon étoit colonel en fecond reformé du Régiment de Lanzun; il fe trouvoit a cette affaire comme Volontaire, et par une Suite du défir de partager les dangers et la gloire de fes camarades, il fut bleffé griüvement.  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 467 nombre de Huifards qui furent obligés de fe replier; les Suiffes de Caftella et Vigier qui les fui- (*'<■■ r 1 n la f°rte Sta' voient torcerent enfin fe potte nidas. de la pofte St. Nicolas. Les rebelles oppoférent également de la réfiftance a la porte Stanislas ; ils tuérent plufieurs Officiers de 1'armée de M. de Bouillé. On doit citer comme un trait de 1'adreffe des Canoniers Franqais que le premier coup de canon tiré a Boulet, fit fauter la ferrure de cette porte. Les troupes pénétrèrent également par cette ifTue fous les ordres de M. de Frimont, après avoir effuyé quelques coups de Canon a mitraille et éprouvé de la réfiftance pour en lever une eftacade que les Rébelles avoient formé. Les maifons d'oü on avoit tiré fur les troupes, furent fouillées, les citoyens arrêtés et desarmés. Une grande partie des Suiffes de chateauvieux fe défendit avec le plus grand acharnement , on fut obligé de les forqer dans leurs quartiers et dans Gg ij les  468 HISTOIRE ET ANECDOTES les différents poftes qu'ils occupoient et 137 d'entr'eux furent faits prifoniers, les armes a la main. Mr. de Bouillé fuivit de DiïMt de eg ja Colonne qui étoit en- la barmjon , de Nancy. tree Par la porte Stainville, il paffa dans les quartiers les plus expofés et effuya un feu croifé qui partoit des maifons et des caves , jusqu'a l'Hótel de ville, peu après fon arrivée dans la ville le calme parut renaitre. Le Général aprés avoir vifité les différents poftes fe rendit a fept heures du foir au quartier du Régiment du Roi ou cette troupe étoit rentree, il lui ordonna de partir fur le champ pour Verdun; il enjoignit auffi aux deux Régiments du Meftre de camp et de chateauvieux de fortir de ISancy, pour fe rendre le premier a Void le fecond a Vie et a Marfal. Ces Régiments partirent fans oppofer la moindre réfiftance. Après le départ de ces Corps, Mr. de Bouillé prit, de concert avec les Officiers municipaux, toutes les précau- tions  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 469 tions poffibles pour afiurer la tranquillité de la ville, par des proclamations, et par la vigilance de la garnifon qu'il y laiffa. Cette garnifon étoit compofée, en grande partie, de Suiffes et des huffards de Lauzun. C'eft ainfi que fe termina cette éxpédition fi glorieufe pour M. de Bouillé, qui avec une armée peu confidérable, forqa dans fes retranchements une Garnifon nombreufe, foutenue par un grand nombre de citoyens révoltés. Ce qui prouve que 1'ordre et la difcipline triompheront toujours contre le nombre, lorsque les Soldats fe trouveront abandonnés a leur caprice, fans Chef et fans accord. On ne fauroit donner trop d'éloges a toutes les troupes qui combattirent fous les ordres de M. de Bouillé particuliérement aux Suiffes et aux Gardes Nationales qui marchèrent avec intrépidité a la tète des colonnes d'attaque et fe trouvèrent expofées au premier feu des rébelles. Gg iij M.M.  47° HISTOIRE ET ANECDÜTES M. M. de Gouvion et de Perta des Vigneu'es Commandants des H&JL GardeS Nationale« de Toul et des Natio- de Metz, M. M. Schuphawer nalts. et Marcet Officiers au Régi¬ ment de Vigier, M. de Varnold Capitaine au Régiment de Caitella. M. M. Udosky et de Bey Officiers au Régiment de Lauzun et M. de Brifis Capitaine au Régiment Royal liegeois perdirent la vie a cette affiure, un grand nombre d'Officiers furent bleifés griévement. Le Brave Desisles dut fon exiftence momentanée au zèle de Mr. Haëner Garde National de Nancy qui avoit marché avec 1'armée de M. de Bouillé, 1'enleva, au péril de fa vie, du milieu de fes aifaffins et le transporta dans une maifon oü il requt des fecours. Ce valeureux Officier ne furvécut que quelques femaines, après avoir fouifert les plus horribles tourments; la gangrène fe mit dans fes bleffures et il mourut couvert de gloire, emportant les Regrëts et 1'éftime de tous les bons francais. La  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 471 La perte totale de Farmée de Mr. de Bouillé fut d'environ 150 hommes tués et 110 blelfés, parmi lesquels on comptoit plus de vingt Officiers ; les rébelles perdirent quelques hommes, mais on n'a pü calculer avec précifion le nombre des citoyens armés qui perdirent la vie. La plupart d'entre eux ayant été égörgés dans les maifons, d'ou i5s avoient tiré fur les troupes, on eut foin de les y enfouir, ou de les enlever. Le premier Septembre fut un jour de deuil pour la ville de Nancy, indépendamment de la perte d'un nombre confidérable de Braves Officiers, beaucoup de particuliers regrettoient leurs parents 'et leurs amis qui avoient été victimes de leur zèle ou de leur égarement. Les Officiers municipaux voyant, a jufte titre, que les foi-difants amis de la Conltitution avoient contribué a éxciter le trouble de Nancy firent fermer le club et enlever les papiers qui s'y trouvoient. Le foir les Carabiniers emmenèrent a Nancy 27 de leurs Gg iv cama-  '472 HISTOIRE ET ANECDOTES camarades lies et garottés, comme ayant -été les infhgateurs de l'arreftation de M. de Malfeigne. On fut furpris de voir dans ce nombre plufieurs vétérans qui avoient affifté a la fédération. Ces malheureux croyoient, difoient-ils, avoir fait une aefion méritoire en arrètant un traitre. Le 3 Septembre, on célébra un fervice folemnel, pour le repos des ames de ceux qui avoient péri glorieufement pour le maintien de 1'ordre et de la loi; cette cérémonie fupébre renouvella les regrèts de tous les bons citoyens, Le 4, a fix heures du maConfcil de tin m. M. les Officiers Suiffes Guerre des j t> ' • , tt. . Régiments des Régiments de Vigier et de S'uijes. Caftella s'affemblèrent pour tenir Confeil de guerre et juger les coupables qui fe trouvoient parmi les 137 prifonniers de Chateauvieux, des potences étoient dreffées ; mais eet appareil de mort ne les intimida pas , perfiftant dans leur égarement, ils parürent devant leurs juges avec Ia plus grande arrogance. L'opi-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 473 L'opinion du Confeil inferieur fut rendue par Mr. de Tfchoudy, Officier au Régiment de Caftella né dans le Canton de Glarus ; fon difcours mérite d'ètre rapporti, parcequ'il caraélérife la fidelité et la valeur des anciens Suilfes , et ' 1'énergie guerriere qui diftingua toujours- I cette Nation. "Tous ces hommes, ditil, font coupables par la I Loi et je les condamnerai avec Tfchoudy. I juttice. „ "Je les condamnerai par le fang I qu'ils nous ont fait répandre et qui crie \ vengeance. „ "Je les condamnerai pour venger I la France des follicitudes qu'elle a dü I concevoir , lorsqu'elle a appris le danger qu'a couru le héros qui 110 us commandoit. „ "C'eft une Satisfaélion que je dois a deux généraux, qui, pour ètre reftés inébranlables dans leur devoir, ont reqü d'éux des traitements indignes. „ Gg v »Je  474 HlSTOIRE ET ANECDOTES "Je dois la mème fatisfadion au Chef et aux Officiers de leur Corps. „ "Je la dois aux Chefs de nos deux Régiments, que nous aimons et pour la vie desquels nous avons eu a trembler. „ "Je la dois a l'armée francaife, avec laquelle nous avous toujours fervi avec gloire, de laquelle nous avons toujours été les émules, qui dans ce moment a les yeux ouverts fur nous, et qui attend notre jugement pour apprécier la mefure d'indignation que leur révolte nous a infpirée,, "Je les immole donc a toutes ces confidérations, je les immole aux manes de nos vertueux ancêtres, qui, s'ils pouvoient renaitre frémiroient en voyant des traitres parmi leurs défcendans. "Je condamne tous les prifonniers du Régiment Suiife de chateauvieux, pour la part plus ou moins grande qu'ils ont prife a la révolte de ce Régiment, et aux horreurs que fe fon»- commifes, A être pendus. „ "A 1'ex-  DE LA RÉVOLUTION FRWqOISE. 475 "A 1'exception du nommé Soret qui a été 1'un des cinq membres du Comité des rébelles , de ce Comité d'ou font parties toutes les Réfolutions incendiaires qui ont amené tous nos malheurs, lequel je condamne a être roué vif. „ Le Confeil fupérieur atténua ce jugement de la maniére fuivante. " Les vingt deux prifonniers du Régiment de Chateauvieux dont voici les noms feront ƒ«*«»««ƒ ,,.„,, r et éxe'cution executes lur le champ contor- des Sui^es mément a la fentence rendue de Chateaw contre eux. Les quarante un prifonniers dont voici les noms fubiront la peine de trente ans de galère. Les autres refteront en prifon jusqu'a ce qu'ils foient remis a la juftice des Officiers de leur Regiment. Le nommé Soret fera Roué vif, et cependant le coup de grace lui iera donné. - Cette fentence fut éxécutée fur le champ a la grande fatisfaction de 1'armée de M. de Bouillé. Les coupables moururent avec courage, fans donner le moindro figne de repentir. La.  47° HISTOIRE ET ANECDOTES La rébellion du Régiment de Chateauvieux paroitra moins extraordinaire lorsqu'on faura que ce corps n'étant avoué par aucun Canton, étoit compofé en grande partie d'étrangers, ou de genevois et d'habitans des bailiages libres. Suivant les capitulations avec la France, les Régiments Suifles devoient ètre cömpofës de deux tiers de nationaux, et on y toléroit un tiers d'étrangers. Les Régiments avoués particuliérement par un Canton avoient loin de s'aftreindre a cette Regie; ils avoient par conféquent une majorité de Soldats fideles , attachés a leur devoir et a leurs Chefs, toujours prèts a réprimer les féditieux. II n'eft pas étonnant que le Régiment de Chateauvieux qui n'étoit pas compofé avec le mème foin et dont les Soldats ne fournilToient aucun gage de probité, fe foit écarté d'une maniére li grave de la. difcipline qui a regné dans les autres Corps de la Nation Suiffè. Le 4 Septembre, Mr. de Malfeigne fe rendit a Lunéville pour vérifier les comptes  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 477 comptes du corps des Carabiniers, et enteiidre leurs réclamations , qu'ils avouerent eux mèmes leur avoir été didtées par les Cavaliers du Meftre de Camp. Le Général leur en fit fentir 1'injuftice et ils fignèrent leur rétra&ation. Les Carabiniers écrivirent une lettre circulaire a toute 1'armée pour la prier de leur pardonner une erreur dans laquelle ils n'avoient perfifté que vingt quatre heures, et dont ils éfperoient obtenir le pardon par le plus fincère Repentir. Quelques jours après M. de Bouillé vint paiTer la Re- fw**« de Bouillé a vuë de ce corps et 1 ayant trou- Lmévin^ vé dans le plus grand ordre et les meilleures difpofitions, il ajouta a la fin de la lettre des Carabiniers. „Je certifie que le corps des Carabiniers qui a toujours donné 1'éxemple „du courage a 1'armée Franqaife et a 1'Eu,,rope entiere, a reconnu et abjuré fon ,,erreur , dont aucun corps de 1'armée „n'auroit été al'abri d'après tous les moyens „de féduction qui ont été employés. Ce  473 HISTOIRE ET ANECDOTES Ce témoignage honorable du Général doit éffacer le fouvenir de 1'érreur ou des fcélérats avoient entrainé de braves militaires, que lcUr crédulité et leur inexpérience n'avoient pas mis a Pabri de la fédu&ion. La plupart des Carabiniers intimément convaincus que M. de Malfeigne trahinoit la patrie croyoient faire une adion louable en Parrètant. Le 5 Septembre, M. M. £fSS ?Uve^er « Cahier Commifa Nancy. laires defignés par le Roi (d'après un décrit de l'aifemblée Nationale) pour prendre des informations fur les auteurs et inftigateurs des troubles de Nancy, arriverent dans cette villej ils entendirent une quantité de témoins, mais comme ils étoient affiliés au Club des Jacobins , 1'influence de cette Sedte eut la plus grande prépondérance, et dans leur rapport ils tirèrent de fauifes conféquences des faits qu'ils jugèrent a propos de narrer; ils parurent mème attribuer la première caufe de 1'infurreclion de Ja garnifon de Nancy a 1'Arrifto- cratie  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 479 cratie des Officiers , au lieu de la trouver dans les Confeils et les Manoeuvres des émifllüres des Clubs. Cependant ils n'inculpèrent perfonne d'une maniére grave et ils cherchèrent des raifons infidieufes pour pallier la conduite des Soldats. Le Baillage de Nancy commenca auffi une procédure contre les fauteurs des troubles, quelques perfonnes furent décrètées de foit-oui , mais aucun des vrais coupables ne fut puni d'avoir cberché a allumer la guerre civile, et livrer au pillage une des plus belles villes du royaume. Les Soldats du Régiment du Roi, et les Carabiniers qui avoient été arrêtés furent bientöt mis en liberté; 011 les plaqa même par la fuite avantageufemene dans d'autres Corps. Les Jacobins de Paris furent trés irrités d'apprendre £°uroux .. des Jaqo. que la bravoure de M. de Bouil- i;Bf< lé et celle de fon armée avoit feit avorter leurs coupables projets, ils emplo-  48O HISTOIRE ET ANECDOTES employèrent tous les moyens poffibles pour déprimer le mérite de cette expédition: et pour faire croire au peuple que Mr. de Bouillé avoit facrifié a fon ambition un grand nombre de braves foldats et beaucoup de paifibles citoyens, on le peignit comme un Contrerevolu-, tionaire qui d' accord avec les miniflres devoit s' aifurer 1' armée pour détruire les opérations de 1'assemblee. On 1'accufa de n' avoir point attendu pour marcher contre Nancy les comnliffaires qu'il avoit demandé lui mème a 1'afTemblée par une lettre du 30 Aóufl. le projet du Général pour ne donner aucun Keu a la Sufpicion étoit éffectivement d' attendre 1' arrivée de ces CommifTaires. L' arreftation imprévue de Mr. de Malfeigne et le pillage dont la Ville de Nancy etoit menacée par les féditieux, le décidérent a tenter 1' expédition du 31 aoüst. Les Calomnies répandues par les Jacobins, firent la plus grande impreC fion fur 1'efprit du peuple, qui fe raf- fembla  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 48 I fembla en foule aux tuileries et pénétra : mème jusques dans les avenues de 1'af- femblée, après avoir repoufle les fentinelj les de la garde Nationale. Ces force- i nés demandoient a grands cris la tète ï des Miniltres, des aiTaifins de Nancy, I de Bouillé et de la Fayette, les hurleI mens tfariftocrates a la lanteme, au Dl. . \' l'ajfemblée Nationale ... égorgeons cesfcéléI rats qui ont fait répandre le fang de nos i' fréres, parvinrent plufieurs fois aux ii oreilles des législateurs , qui dans un ij morne filence et la frayeur dans 1'ame li attendoient le dënouement de cette fcèI ne. Déja quelques uns des féditieux s'éI toient gliifés jusques dans 1'enceinte de 1 la Salie, et les députés étoient fur le j point d'étre égorgés , lorsque Mr. de la 1 Fayette arriva avec un détachement de | 600 gardes Nationales et quatre pieces ! de Canon, en quelques minutes 1'attrou| pement fut diffipé et le calme rétabli ! dans la capitale. On remarqua que Mi- rabeau Painé n'étoit pas dans ce moment i a l'aifemblée , mais il y reparut dès T.ILSecl.IL Hh que  482 HISTOIRE ET ANECDOTES que le trouble eut cefle, il n'eft pas douteux qu'il ne fut un des moteurs de cette infurredion. La rélation officielle de ce qui s'étoit paffé a Nancy le 31 Aóuft Décret de étant parvenue a 1'aflemblée. VfeMée M_ prugnon dé té de rélatif a r j r ■ Vaffaire de vlJle propola de faire eenre Nancy. par le Préfident aux gardes Nationales de Metz et de Toul, au Corps municipal de Nancy et a Mr. de Bouillé, pour leur témoigner fa reconnoiflance ; cette Motion fut appuïée par plufieurs membres et trouva aufli des contradicfeurs: enfin Mirabeau réunit les opinions par une diitinctioil captieufe. L'aflemblée, dit-il, doit témoigner fa reconnoiflance aux gardes Nationales de Metz et de Toul parcequ'elles fe font facrifiées volontairement pour la patrie, et ont par conféquent fait un acte méritore. Mr. de Bouillé et tous les individus des troupes de Ligne n'ont fait que remplir leur devoir, leur conduite mérite 1'approbation de l'aifemblée et non pas  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 483 pas fa reconnoilfance, 1'affemblée décréta en conféquence, le 3 Septembre Que le direcloire du département de la Meurthe et les municipalités de Nancy et de Lunéville feront remerciées de leur zêle. Que les Gardes Nationales qui ont marché fous les ordres de Mr. de Bouillé font remerciés du patriotisme et de la Bravoure civique qu'ils ont montré pour le rétablüfement de 1'ordre a Nancy. Que M. Desisles eft remercié pour fon dévouement héroique. Que la Nation fe charge de pourvoir au Sort des femmes et des enfans des Gardes Nationales qui ont péri. Que le Général et les Troupes de Ligne font approuvées pour avoir glorieufement rempli leur devoir. Que les Commiflaires dont 1'envoi a été décrété, fe rendront fans délai a Nancy, pour y prendre les mefures néceffaires a la confervation de la tranquilité, et 1'information exacte des faits, qui doit amener la punition des coupabHhij le«  484 HISTOIRE ET ANECDOTES les, de quelque grade, rang et état qu'ils puiffènt être. M. de Bouillé ayant recü de Bouillé.' ce décret, s'emprefla d'adrefler au Préfident de 1'aflemblée Nationale la Lettre fuivante. Nancy g Septembre 1790. Mr. le Préfident. Je viens de recevoir officiellement la proclamation du Roi, rendue fur le décrét de 1'aflemblée Nationale du 3 de ce mois, qui, applaudit au zêle patriotique et a la valeur des citoyens et des Soldats qui ont fervi fous mes ordres pour foumettre les rébelles de la garnifon de Nancy aux décrèts qu'ils avoient méco nnus. Le Compte précédent que j'avois rendu au Miniftre des exces auxquels les Soldats des trois Régiments de cette Garnifon s'étoient livrés, et les témoignages autentiques de leur rébellion, ont  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 485 ont dü faire fentir aux vrais amis de la liberté, la néceflité de réprimer ces désordres. L'aifemblée Nationale avoit £1gement prévu par fon décret du 16 Aóuft le danger de laiifer impunie la violation ouverte a ceux qu'elle avoit rendus, pour le rétabliffement de la difcipline dans les Régiments qui s'en étoient écartés, et 1'éxécution de fon dernier décrét devenoit d'autant plus important, qu'elle étoit la feule digue a oppofer aux entreprifes des eilnemis du bonheur public. Quelque flateufe que fut pour moi, M. le Préfident, la miffion de confiance dont j'étois chargé, je ne vous diffimulerai pas que j'ai eu befoin, pour une entreprife auffi delicate, d'ètre auffi vivement pénétré de 1'amour de mes devoirs, de refpeét et de foumiffion aux décrets de 1'aiTemblée Nationale et d'un entier dévouement au fervice du Roi et a 1'éxécution de fes ordres. Le récit qui a été mis fous les yeux de l'aifemblée des événements de la journée du 31 déplorable fans douHh iij te  486 HISTOIRE ET ANECDOTES te pour les malheureufes vidimes de 1'éxécution des lois , a donné lieu au décret du 3, oü j'ai vu avec autant de fenfibilité que de reconnoiflance; que ma conduite avoit été approuvée par l'aflemblée Nationale. J'ai fait ferment a la Nation, a la Loi, et au Roi de défendre de tout mon pouvoir la Conftitution décrètée par 1'affemblée Nationale, et j'y ferai fidéle. Je ne crains pas que 1'on évoque avèc fuccès des doutes fur la pureté de mes démarcheset il me fuffitd'ètre intimement pénétré qu'elles ont eu et qu'elles auront toujours pour bafe mon attachement et mon obéilfance aux lois. Cette lettre occafiona la plus grande Satisfadion a raflemblée et fa ledure fut fuivie des plus vifs applaudiffements. Le 21 Septembre il y eut Cérémonie une Cérémonie funébre des clltp le Plus auguftes dans 1'emplaceJUars. ment du Champ de Mars en 1'honneur des manes des bons cito-  DE LA RÉVOLUTION FRANC.01SE. 487 citoyens et des Soldats qui avoient péri glorieufement a PafFaire de Nancy; les deux amphithéatres qui avoient fervi a la fédération furent tendus en noir; Paui tel de la patrie fut orné de trophées et i d'infcriptions analogues aux circonftances. I Les Corps adminiftratits et municipaux, I une grande partie de la Garde Nationale j des Députés de l'aifemblée Nationale et '< plus de 200 mille fpecfateurs affiftèrent a ce lugubre fpedacle, on ne négligea rien pour le rendre également impofant, I majeliueux et propre a exalter 1'ame de I ceux qu'une véritable civisme et Pamour I de la patrie animoit encore. Cet exemple fut fuivi dans presque I tous les départements; le peuple s'era. I preffa de témoigner fes regrets de la | perte de ces vidtimes infortunées de leur I obeiifance a la Loi. Les veuves et les i enfans de ceux qui avoient été tués, I recürent des fommes confidérables proI duites par des foufcriptions volontaires; I indépendamment des fecours qui leur 1 avoient été promis par l'aifemblée. Hh iv M. M.  488 HISTOIRE ET ANECDOTES M. M. Duveyrier et Ca- eZfat hier a^ant fait le raPPort de ns. leur million a fa Majefté, 1'af- femblée s'occupa de la punition a inniger aux deux Régiments Francais qui malgré fes décréts avoient perfifté dans Pétat de rébellion jusqu'a Parrivée de Mr. de Bouillé. Mr. de Sillery lut un rapport trés volumineux ou il chercha comme M. Duveyrier et Cahier a dilTimuler les véritables caufes des troubles de Nancy; il trouva le moyen de ne faire paroitre aucuns coupables, et on anéantit toute efpéce de procédure commencée contre eux, les prifonniers furent mis en liberté et on chercha a diffiper jusqu'au fouvenir de ces exces. A Pégard des Régiments ut::Z de la Garnifon de de Nancy. Nancy, l'aifemblée décréta au mois de Novembre, que, pour punir le Régiment du Roi de 1'indifcipline ou il avoit perfévéré, ce Corps fe» roit entieremeut licencié j et qu'on en for-  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 489 formeroit un Régiment de deux Batail- lons, qui feroit le dernier de l'infanterie, fous la dénomination de ioze- Régiment. : Le choix des Officiers et Soldats, qui : devoient compofer ce nouveau Corps; fut abandonné au Miniftre de la guerre. Que , le Regiment du Meftre de , Camp feroit également licencié ; qu'on ; en recréeroit un nouveau qui feroit le ; dernier du Corps de la Cavalerie, fous la dénomination de 2)e- Régiment. Les Officiers de ces deux Corps dont ; plufieurs cependant méritoient des élo;iges par la Conftance et le courage avec ilequel ils avoient lutté contre les fédiijtieux, n'obtinrent pas le moindre teil moignage de fatisfa&ion: falfemblée les ; confiderant, fans doute comme peu par[ tifans de la Révolution. Telle eft la Rélation éxaéte de 1'afi| faire de Nancy et de tous les événé!|ments qui y ont rapport. Beaucoup de 1 ledeurs la trouveront fans doute trop 1 diffufe. Je conviens, que 1'intérêt qu'elI le pouvoit préfenter dans le premier moHh v ment  49° HISTOIRE ET ANECDOTES ment, dïminue fenfiblemènt depuis que toutes les parties de PEurope fourniflent journellement des faits intèreifans, qui fe fuccedent li rapidement que la mémoire la mieux exercée , eft pour ainfi dire, obügée d'oublier ceux qui avoient paru les plus frappans. J'ai cru cependant que la révolte d'une garnifon entiére et de la plus grande partie des citoyens d'une ville importante, dont la réunion menaqoit la France des horreurs d'une guerre civile, méritoit un examen plus détaillé que beaucoup d'autres infurreclions partielles. M. Girtanner en a fait une hiftoire beaucoup plus longue et certainement moins fidele, on a paru la lire avec intérèt. Je pêche peut ètre par un excés d'amour propre, dans le I moment acluel ; mais j'ofe réclamer la mème indulgence que eet auteur eftimé. Dans le courant du mois ;i Tforcfd" d'Aóuft' 1'aflemblée avoit déiArmée. crété la Baze de la Conftitution de 1'Armée et le mode d'avancement  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 491 cement aux différens grades. Je n'enjtrerai pas dans le détail de tous les iChangements qui en furent la fuite, ce iqui ne préfenteroit qu'un foible intérêtj lil fuffira de dire que la forqe de 1'armée fut ftxée a — ifi , 899 hommes en y comprenant tous les employés généralement quelconques (dont 31,000 hommes de Cavalerie,) que la dépenfe annuelle y compris tous les acceifoires fut calculée alaSomme de 84,353>oi3 Livres, 6 S. 2 d. Ce qui portoit le prix de la dépenfe annuelle d'un Soldat, Cavalier ou SousOfficier a 341 Livres 8 S. 3 d. Et celle de chaque individu quelconque depuis le Général jusqu'au dernier fantaflin, a la fomme de 444 Livres, 18 S. 10 d. Avant la Révolution , la dépenfe du Département de la guerre montoit a plus de 104 a iof millions, et quelques années mème, lors de la guerre d'Amérique, elle avoit été portee a 119 millions. Cepe*-  492 HISTOIRE ET ANECDOTES Cependant, raflemblée avoit conuV dérablement amélioré le fort du Soldati en augmentant la paye, de deux fols lil deniers, par jour, mais elle avoit pourj remplir ce but, fagement élagué toutesl les branches parafites qui abforboientj précédemment les fonds deftinés a 1'en-j tretien et au foulagetnent des militaires, les principaux Changements furent (*). Jo. I (*) Plufieurs perfonnes feront peut êtrej bien aifes de connoitre le prix moyen | que coutoient les Régiments et les 1 Détails re la- individus de chaque arme avant * tifs&lapaye la Révolution. J'obferve que tou- | de fArmée. tes ies dépenfes acceflbires et néceflTaires pour 1'entretien du Soldat fe trouvent ajoutées a ce calcul. La force de 1'Armée Francaife étoit | divifée et fa dépenfe calculée, 'ainfi qu'il fuit. 79 Régiments d'infanterie Francaife, f forts de 91,518 hommes, non compris i 55 16 Officiérs ou Cadets gentilshommes, coutent ^,134,384 I Livres. Cequi porte la dépenfe de chaque  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 493 Io. La Vénalité des emplois militaires Livres. chaque] Regiment de deux ba- taillons a 0,75,692, Le Régiment du Roi de quatre batallons, coutoit 579>208 12 Régiments d'infanterie étrangere, formant 13,752 hommes, non compris 8I0 Officiers ou Cadets gentilshommes. 4,038,072 Chaque Regiment coute. 326,046 12 Bataillons d'infanterie légére formant 5,132 hommes, non compris, 336 Offi ciers ou Cadets gentilshommes. i, 34ij5o8 Chaque Bataillon coute 107,139 DeuxBataillonsCorfes coutent de plus. 22,000 11 Régiments d'infanterie Snifte formant 10,103 hommes, non compris 726 Officiers. Content 4,856,004 Chaque Régiment coute 439,964 Chaque Régiment d'artillerie (il y en avoit 7) 377»4Ö7 Une  494 HISTOIRE ET ANECDOTES taires fut abfolument fuprimée et lei rerrwjj LivrésJj Une Compagnie de1 mineurs (il y en avoit io) 2 2,2 76§ Une Compagnie d'ouvriers (il y n avoit 9) 2 6,70a| Le corps du génie compofé de 376 Officiers de tout grade 879,620 6a Régiments de troupes aChevalformant 31,148 hommes, non compris 2,166 Officiers, coutent I25i98)388 Les détails de cette fomme font connoitre qu'un Régiment de Cavalerie de trois Efcadrons coute 180,25a Un de Carabiniers, de quatre Efcadrons 277,126 Un de Huflards, de quatre Efcadrons 228,67» Un de Dragons, de trois Efcadrons 172,365 Un de Chafleurs, de quatre Efcadrons 326,793: Prii  DE LA RÉVOLUTION FRANCÖISE. 495 •embourfement des charges fut orlonné. 30. Prix moyen des individus. Un Soldat d'infanterie coute par an aoaLivr.7S. 8 d. Un Soldat du Régiment du Roi. 3a2Livr. 8S. d.' Un d'infanterie étrange- re. 345Livr. 7 7 Un d'infanterie légere. 2Q3Livr. 3 3 Un d'infantere SuhTe. 505LW. 2 II Un d'artillerie. 49 sLivr. 3 Un Cavalier monté. 7c.5Liv.13 7 Un Carabinier. 78 3Liv.i<5 6 Un Huifard. 688Livr. 3 5 Un Dragon. 692Livr. 8 Un Chafieur. Ö76Livr. On a même compris dans l'eftimation donnée a chaque homme des armes différentes, les appointements des Officiers attachés aux Régiments, en divifant cette fomme par le nombre d'hommes de chaque arme. Le détail de la dépenfe de la Malfort militaire du Roi, de la maréchaufée, du grand état major n'eft pas comprife dans Cf  496 HISTOIRE ET ANECDOTES 2°- Les places de Colonels propriétaires furent anéanties. 3°- Les appointements de presque tous les grades furent augmentés, ceux des Colonels furent fixés a 6000 Livres pour toutes les armes: Ceux des Lieutenants-Colonels de première claffe a 3800 Livres. - Ceux de feconde claife a 3 200 Livres. Indépendament des rations de fourages qui leur étoient fournies gratuitement, la dénomination de Major fut changée en celle de fecond Lieutenant Colonel ainli que je 1'ai déja obfervé. On ce tableau, la maifon du Roi, ayant été cntiérement rcformée depuis la Révolution, et les autres Corps ayant fubi de grands changements. La Maifon du Roi en Janvier 1789. confiftoit en fix Bataillons de GardesFrancaifes, quatre de Gardes • Suifes et quatre Compagnies de Gardes du Corps dont la dépenfe totale étoit de 5,463,811 Livr. ' La Maréchauffée Coutoit. 3,673,339 Livr.  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 497 On créa deux places d'AdjutantMajor dans chaque Regiment d'infanterie; des Officiers fous cette dénomination euflent été beaucoup plus utiles dans: la Cavalerie, ou ils pouvoient ètre chargés de quantité de détails, qui n'éxiftenc pas dans 1'Infanterie. Le Grade de Chef d'Efcadron fute fupprimé dans la Cavalerie, et ceux qui en étoient pourvus redevinrent Capitaines »' après avoir eu un grade fupérieur. Les Carabiniers furent placés a la tête de la Cavalerie, en qualité de Grenadiers, et l'aifemblée rétablit leur haute paye , d'un Sol par jour, qui avoit été fupprimée au mois de Janvier 1790. L'Aifemblée décréta auffi des changements confidérables dans la partie des bureaux de la guerre, de la comptabilité, de l'adminilfration rélativement a lat régie des vivres et fourages, des hopitaux , des cazernements, des étapes et des convois militaires, toutes ces parties acceffoires de 1'état militaire fubirent diverfes réformes, la plupart avantageufeT.II. Setl.II. li raent  498 HISTOIRJE ET ANECDOTES ment calculées pour le bien de 1'état, mais peu après plufieurs de ces loix fubirent diverfes modifications, qui leur firent perdre leur mérite. Les Corps de 1'artillerie et du génie fubirent auffi diverlès réformes ou réduclions a la vérité peu importantes, on accorda des retraites a tous les Officiers qui avoient au de la de vingt ans de fervice et qui defirerent ne pas attendre le moment de leur remplacement, mais pour les empêcher de porter leurs connoiflances et leurs talerts chèz les. puiffances étrangeres , raflemblée fixa leur traitem ent aux deux tiers de leurs appointements. L'affaire d'un des fujets ifolllfï des plus déPravés et des P1^ Cbabrükn. vicieux qui éxiftat en France (Moreton - Chabrillan ) occupa l'aifemblée quelques inftants> il avoit été dettitué de fon emploi de Colonel du Régiment de la Fère infanterie, par le Comte de Brienne, qui pour ménager fa familie, n'avoit pas voulu 1'éxpófer ala  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 499 a la caffation qu'il méritoit. Ce déteftable fujet s'étoit rendu coupable de toutes fortes d'atrocités , de véxations, de concuffion, pendant qu'il commandoit ce Régiment: il étoit en mème temps Capitaine en furvivance des Gardes du Corps de Monfieur qui par attacbement pour fon pere n'avoit pas voulu lui óter eet emplöi. Moreton avoit' profité de tous les abus de 1'ancien régime , il avoit emploié 1'autorité du fouverain pour prévenir les fuites de plufieurs mauvaifes affaires qu'il s'étoit attiré, et pour ne pas payer fes dettes. Appercevant que la cour ne pouvoit plus fournir d'aliment a fe cupidité, il s'empreffa de fe faire affilier au club des Jacobins et devint un des plus hardis frondeurs de 1'ancien gouvernement, il fe peignit lui mème comme une des Vidimes du defpotisme; comme il avoit cté deftitué arbitrairement de fon emploi raffemblée acceuillit fa réclamation et enjoignit au Miniftre de la guerre de nommer un Confeil de guerre pour ïi ij 3u&er  500 HISTOIRE ET ANECDOTES juger la Conduite du Sr. Moreton Chabrillan. Ce Confeil de guerre s'af- Confeil de ^ ^ moig Guerre. bre 1790. II etoit compole de M. de Guelb Lieutenant-Général, Préfident, de M. M. de Choifi et Malfeigne maréchaux de Camp, de quatre Colonels, dont plufieurs fe récuférent fucceffivement, d'un rapporteur et d'un Secrétaire. Ce Confeil de guerre fit venir des témoins de toutes les parties de la France , pour et contre 1'accufé. On ne croit pas éxagérer, en affirmant, que cette affaire couta a 1'état plus de 300,000 Livres, mais ce dont on fut trés furpris, c'élt que ce confeil, dont le Préfident fur tout avoit une grande réputation de probité, fe fépara après avoir été affemblé fix mois, fans prononcer aucun jugement. On ne fait a quoi attribuer cette marqué de foibleffe ou de condefcendance , pourquoi ménager un coupable ? Si Moreton 1'étoit, comme cela ne paroit, pas douteux d'après les mémoires  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 501 moirés imprimés dans le cours de cette affaire; ou, poürquoi ne pas 1'abfoudre? Si les dépofitions faites contre lui étoient calomnieufes. En ne prononcant aucun jugement, Moreton et fes adverfaires reftoient, pour ainfi dire, entachés dans fopinion publique. Moreton profifa de la Conduite finguliére du confeil de guerre pour obtenir un décrèt préfenté par le comité de Conftitution, qui portoit que tous ceux qui auroient été deftitués ou privés de leurs emplois par le pouvoir minifteriel et fans jugement préalable pourroient réclamer leurs grades ou emplois. Moreton devint, en «onféquence Général, il avoit des qua-; lités négatives poivr eet état, fa Vue étoit éxtraordinairement baffe et fa ftru, öure étoit on ne peut pas plus ingrate; on lui confia cependant le commandement d'une divifion des farmées de la République, lors de la conquëte de la Belgique ou il eft mort en 1793. Une affaire bien plus importante pour 1'état occupa un grand nombre de li iij féan-  502 HISTOIRE ET ANECDOTES féances de 1'aflemblée pendant Difcujton jes mois $Aóu{i et de Septemrelativt aux . . Ajftgnats. bre et occalionna les plus vtves difcuffions. Cette affaire étoit la création de nouveaux affignats. La première émiflion de 400 Millions d'affignats étoit deja épuiiée et n'avoit fervi qu'a payer les dépenfes courantes. Car on ne percevoit plus aucun impot directs ou indirects e. h Nation étoit obligée d'imiter la conduite d'un particulier dérangé qui. vit fur fes capitaux. Aucune dette publique n'avoit été acquitée, les caifles des différents départements étoient épuiféesv les plaintes et les demandes fe renouvelloienf de toute part. L'aifemblée n'avoit plus afles de forc.es pour rétablir 1'ordre et par un Syftème bien combiné faire quadrer la Recette et la dépenfe. La Reflburce d'une nouvelle création d'affignats parut le moyen le plus facile pour faire fubfifter 1'éfcat et payer fes dettes fans cfiarger le peuple. Ce moyen convenoit d'autant plus aux fpé- cula-  DE LA RÉVOLUTION FRANCÖISE. 503 culateurs qui fe trouvoient dans .raflemblée qu'ils voyoient dans cette émiffion une perfpedtive aflurée de fortune et de Richefies. Déja Claviére Banquiér génévois avoit fait paroitre un écrit volumineux pour prouver la nécefTité de créer un papier monnoie en france. Cet écrit captieux avoit féduit quelques membres de Taflembléé ; lorsque M. de Montesquiou parut a la tribune le 27 Aöuft, il lut au nom- du Comité des finances un rapport volumineux fur le payement de la dette publique, après avoir porté 1'eftimation des domaines nationaux, y compris ceux de la couronne et le rachat des rentes et droits féodaux de deux a trois milliards, il propöfa une nouvelle création d'aflignats pour la fomme de deux milliards. Mirabeau 1'ainé lui fuccéda, fon difcours n'étoit qu'un extrait de 1'ouvrage de claviére , accompagné de beaucoup de déclamations et de Réflexions peu utiles. Le Préfident voulut envain l'interrompre pour faire lire un ouvrage li iv de  504 HISTOIRE ET ANECDOTES de Mr. Necker fur le mème objet; il: continua a occuper la tribune pendant; plufieurs heures. Péthion de Ville neuve, Barnave, Reubei , Pabbé Goutes et plufieurs autres membres intérèifés a faire réuffir le plan propofé par Mirabeau parlèrent en faveur de 1'émilfion des affignats. Leurs raifons n'étoient point prépondérantes; le feul argument plaufible qu'ils mirent en avant, étoit Péxemple des billets de banque d'Angleterre qui ont le plus grand crédit dans toute 1'Europe et équivalent a de 1'argent. Mais ces papiers ont une hipothèque repréfentative en numéraire dans la banque mème; et d'ailleurs , leurs Cours n'étant point forcé, la comparaifon de ces billets avec les nouveaux affignats, étoit abfolument vicieufe. Les Raifbns alléguées par ceux qui s'oppofoient a la nouvelle création d'affignats, étoient victorieufes ; ils repréfentoient qu'en doublant la quantïté de monnoie en circulation on augmenteroit de  jjE LA RÉVOLUTION FRAN^OISE. 505 de moitie le prix des denrées; que les affignats de la première émiffion perdoient déja f pour -f- et qu'en calculant 8'après cette proportion , la nouvelle émiffion de deux milliards porteroit la perte de 25", a 30 pour — qu'il étoit phifiquement impoffible de payer 1'armée, les dépenfes de la marine et des affaires étrangères en autre valeur qu'en numéraire, et que par conféquent la eonverfion du papier en éfpèce deviendroit une nouvelle charge pour 1'état. Pour réfuter les raifons alléguées en faveur du nouveau papier, comparé avec les billets de Ia banque d'Angleter're , on cita 1'éxemple du papier monnoie, créé en Amerique fous la garantie du Congrès, et ayant comme en France un immenfe térritoire pour hypothêque. Ce papier avoit infiniment de rapport" avec les affignats, et cependant des Officiers Francois affuroient avoir vu payer une paire de bottes 36,000 Livres, et un repas pour quatre perfonnes avoit li v cou-  50Ó HISTOIRE ET ANECDüTES couté jusqu'a i f0,000 Livres. M. Du-i pont de Nemours (*) fut celui des mem-i bres de 1'oppofition qui attiJI Manoeuvres ja creation des affignatsö des agtoteurs 1 f 71 divulguées. avec le plus de fucces en de-f voilant les manoeuvres desji agioteurs; le nouveau plan, dit Mrj| Dupont, n'eft qu'une invention de ceuxl qui veulent s'emparer des bieus natiqJ naux, fans qu'il leur en coute un.SolJ Pour dévoiler ce myftére il cita un exem-l ple. Les fpéculateurs achetent actuellement, (dit-il) a un terme de fix rnois, des éffets royaux fufpendus ou des action: de 1'ancienne Compagnie des Indes qu'il; promettent payer 7}" pour cent a raifor de leur cours actuel fur la place. Si 1; nouvelle émiffion de deux milliards, d'al fignats a lieu, ils fe feront rembourfe: ces éffèts au pair par le tréfor public; ; Pêche (+) II y avoit 4 raflemblée, un autre Du pont, fur nommé de Bigorre, pour le di ftinguer de Mr. Dupont de Némours; c< dernier n'avoit ni la même probité, n les mêmes talents.  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 507 1'échéance ils ne payeront que la fomme l, convenue; ainfi un particulier qui a achejl té pour un million de créances fur 1'état j reqoic un million en affignats et ne paye que 7f 0,000 Livres. Qu'il renouvelle cette opération quatre fois, il fe trouve poifeifeur d'un million avec lequel il achète des biens nationaux et fe vante d'avoir donné des preuves de patriotisme, tandis qu'il ne lui en a rien couté pour s'emparer du bien d'autrui, les raifons contre les affignats, furent auffi réfumées avec afsès de charté par M. Desmeunier député de Paris. Dans le difcours qu'il prononca , il avoit prouvé clairement i0- que la nouvelle émiffion d'afiignats-monnoiê augmenteroit le prix des denrées , et que ce furhauffement feroit trés nuifible aux Journaliers et aux pauvres citoyens. z°- que les désordres qu'ils feroient naitre dans les grandes villes étoient incalculables, et qu'on ne pouvoit mème concevoir 1'efpoir des les réprüner.  508 HISÏ01RE ET ANECD0TE5 20- que loin de rappeller les cito-i yens qui s'étoient éloignés de la France depuis le commencement de la Révolu-4 tion , il en réfulteroit une émigratioriK confidérable. 4°- que les manufa&ures et le com-l merce au dehors, éprouveroient de,gran-jl' des pertes. fo. qu'ils favoriferoient 1'agiotage eti qu'on verroit des fortunes colloffales éle-t vées fur la ruine de tous les citoyens. 6°. que loin de produire la meil-i leure vente des domaines nationaux, ils nuiroient fous plufieurs rapports a cette reffource prétieufe de 1'état. 70. que fous le vain prétexte d'ètre équitable envèrs les porteurs des créances éxigibles, on feroit envers la Nation d'une injuftice révoltante. 8°- que chacun des députés auroit des reproches a fe faire, pour avoir concouru a 1'adoption d'un fyftême que lal néceffitc ne commandoit pas. 9°' que ce feroit mème faper 1'une des bafes de la Conltitution, puisque d'une:  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 509 d'une éxtréniité de la France a 1'autre, on fentiroit qu'il y avoit trop de danger ■ fouffrir 1'unité du Corps législatif qui is'arrogeoit un pouvoir qui ne lui avoit jamais été dèlegué. Indcpendamment de 1'opinion des membres les plus éclairés de 1'aiTemblée celle de M. Necker (a qui on ne pouvoit refufer de grandes connoiflances en matiére de fpéculations et de finance) étoit que la nouvelle émiffion d'affignats feroit la perte de la France, il en expofoit les raifons dans le mémoire qui fut remis a 1'afTemblée, De toutes les parties du Royaume il arrivoit des pétitions contre la créatioii du papier-monnoie, les négotiants, les manufacturiers, les grands propriétaires fe réunirent pour faire parvenir a eet égard leur voeu a 1'afTemblée. Les agioteurs eürent foin de faire paroitre, a leur tour, quelques adreffes mendiées en faveur des affignats, pour contrebalancer ce qui paroiiToit ètre 1'éxpreffion de la majorité des Franqais. Ils  51© HISTOIRE ET ANECDOTES Ils eürent foin d'ailleurs, d'empêcher qu'on ne fit mention des réclamations qui devoient faire le plus d'impreffion. Mirabeau 1'ainé pour détruire les raifons alleguées par M. Dupont et les autres députés, reparut a la tribune* et avec les grands mots de falut de la patrie, de liberté , de maintien de la Conftitution et d'autres phrafes ampoulées et démagogiques , il parcourut pendant trois heures un cercle vicieux, pour prouver la néceffité de la création des nouveaux affignats. Le but des fpéculateurs, après s'être enrichis, étoit de contraindre tous les créanciers de 1'état d'acheter des biens nationaux , puisqu'il ne leur reftoit aucun autre moyen de placer le papier qui leur étoit donné en payement de leur créance. Mirabeau ne put déguifer. Ce projet, et fon oilèours ne produifit pas 1'éfFèt qu'il en attendoit. La facition qui défiroit 1'éJHoycnsquüs m^lon jes a{fiornats, eut alors cmplotent. ° recours a ces moyens violents et  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. $$$ et honteux qui lui étoient fi familiers: elle fit répandre de 1'argent parmi le peuple de Paris pour le difpofer a Pinfurredion. On diltribua des pamphlets incendiaires et des nouvelles liftes de profcription; les députés de Paris du partis de Poppofition furent infultés, maltraités : la falie ou fe tenoient les féances étoit continuellement envirounée par le peuple, et les délibérations étoient fréquemment interrompues par des huées et par des cris. Le vertueux Dupont fut envelopé dans la foule en fortant de Paifemblée. "As-tu parlé contre les affignats? (lui dit 1'orateur d'un grouppe) fans doute (répondit Dupont) "vous ne : favez pas ce que vous défirez^ li Pémilfion a lieu , le pain fera beaucoup plus cber.„ Auffitót on le faifit et des fcélérats apoltés le portoient dans le baffin des tuileries pour lui faire prendre, (difoient-ils,) un bain froid, lorsqu'il fut heureufement délivré par une patrouille nombreufe de la Garde Nationale. Cette  512 H1ST0IRE ET ANECDOTES Cette aventure désagré-7 Bi/cours de aye ne l'intimicla pas, il vint Dupont de , ^ > n rr- Nemours. denoncer ces exces a lallemblée le 7. Septembre. Son difcours éloquent peignoit la trifte Situation ou fe trouvoit la Capitale et les citoyens paifibles qui 1'habitoient; il fe plaignit de ce qu'une foule de gens fans aveu, fans domicile, fouvent mème échappés des maifon s de forces ou des galères y faifoient la loi ; que ces étres étoient également foudoyés par les partifans de 1'ancien Régime et par ceux qui défiroient, pour leur intérêt, la continuation du désordre et de 1'anarchie, et qui étoient désolés que leur projet d'allumer la guerre civile a Nancy eut échoué. II découvrit les fignaux de ralliement et le mot de 1'ordre que fe donnoient ces bandits; il produifit des dé~ pofitions de témoins irréprochables qui affirmoient qu'on leur avoit offert plufieurs fois douze livres et mème davantage, pour fe mêler a la foule et renforcer le cri des féditieux; il prédit, que le 10.  DE LA RÉVOLUTION FRAN£OISE. ,5 I 3 10. Septembre jour fixé pour la déci- fion de la queftion de Pémifnon des affignats, feroit auffi le moment oü devoit éclatter une révolte générale et que le pillage d'une partie des maifons de Paris devoit en ètre la fuite; que nombre de particuliers fans propriété avoient été mandés pour y prendre part. Ces dénonciations firent la plus grande impreffion fur l'aifemblée. M. de la Fayette a la tète de la Garde Nationale prit les plus grandes précautions, pour prévenir les attroupements, et la decifion de la queftion rêlative a PémiflioiT des affignats fut ajournée. Après de grands débats, qui furent prolongés une partie du mois de Septembre 1'afTemblée fe Emij/to,, dt ., • t \ 1 Soo milli- decida le 29. de ce mois a ons d,ttj^é adopter une partie du plan pro- gnats. pofé, en approuvant une émiffion de 800 Millions de nouveaux affignats. Le mode de divifion et d'émiffion de ces affignats fut décreté de la maniére fuivante. T.ILSeÜ.II. Kk Arti-  5»4 H/STOIRE ET ANECDOTES Article I«. Les nouveaux affignats créés par le décret du 29 Septembre dernier feront: de 2000 Livres, de j00 Livres, 100Livres, 90 Livres, 80 Livres, 70 Livres, 60 Livres, et 50 Livres et non au deffous. Art. IIarriver a la frontiére, il fut Suife. infulte d'une maniere grave a Langres et a Vefoul (ainfi que je Pai rapporté précédemment en peignant fon L'Aifemblée nationale après avoirl  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 527 fon caraöêre) le mème peuple, qui le regardoit comme un ange tutélaire, quinze mois auparavant, revenu de fon enthoufiasme, étoit prèt a le lapider, li quelques citoyens amis de 1'ordre et de la paix, n'avoient pris fa défenfe. C'eft ainfi que finit le Miniftêre de M. Necker , a qui on fuppofoit de grands talents, et qui au mois de Juillet 1789- étoit regardé comme le fauveur de la France. Le peuple de la Capitale qui 1'idolatroit alors, célebra fon départ par des cris et des feux de joiej l'aifemblée, qui avoit befoin de fon nom et de fon crédit dans le commencement de fes travaux, 1'acceuillit avec transport et lui prodigua les éloges les plus flateurs. A peine eut-elle connu fon afcendant fur les efprits, qu'elle s'empreifa de fe débaraifer de ce cenfeur incommode , en lui faifant éifuyer tous les genres de mortification. Son orgueuil et fon amour propre ne pürent tenir k ces infultes réitérées, il quitta malgré lui la geftion des finances et parut décidé  528 HISTÖIRE ET ANECDOTES décidé a vivre dans la retraite; mais de ■ temps a autre quelques brochures annoncoient Ion éxiftence et fes regrets. II doit être confidéré comme un des principaux auteurs de la Révolution et a ce titre il devroit être voué a Péxécration publique , fi on ne fuppofoit pas qu'il a pêché plutót par vanité et par imprudence que par méchanceté. Tel eft le fort des ambitieux qui fondent leur bonheur et leur gloire fur la faveur du peuple, dont les caprices font aufli légers que les zéphirs. Les citoyens, qui avoient proméné fon Bufte dans Paris en 1769 et Pavoient inauguré folemnellement a l'Hótel de ville, y attachèrent le lendemain de fon départ, 1'infcription fuivante. Populus me Sibillat; fed ipfe mïbi plaudo domi, dum video nummos in arcd (*)• Depuis (*) M. Girtanner cite un trait hiftorique, qui a beaucoup de rapport avec la pofition de M. Necker alternativement couronné et baffoué par le peuple. Le pape Alexan-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 529 Depuis longtems, la fac"tion dominante défiroit faire Difcujjïon 3 . . 1 .,1 1,» ■ ^ 1 rêlative au jréumr la ville d'Avignon et le Comtatd,A_ jComtat VenaifTin a la France; vïgnon. elle craignoit que les prètres et les Alexandre VI. faifant la guerre è. la faftion des urfins , s'empara d'une petite ville. Pendant qu'il faifoit fon entrée triomphante d'un cöté,- 1'armée ennemie fortoit par la porte oppofée. Arrivé fur la place publique, il vit, qu'on 1'avoit pendu en effigie et que les habitants s'empreflbient d'óter la tiarre qui étoit placée fur la tête du manequin qui le repréfentoit, d'autres particuliers étoient occupés a abattre Ia Statue du Chef de 1'armée ennemie et a placer la fienne fur le même pied-d'éftal. Le pape fourit et fe tournant du cöré de Cefar Borgia fon fils qui 1'accompagnoit, il fit cette réflexion, auffi fage que philofophique. Vides, mi fili , quant leve difcrimen patibuhim int er et Statmm. "Vous voyez, mon fils, le peu de différence qu'il y a entre un gibet et une ftatue. „ Sublime lecon pour les Souverains, s'ils favoient T.II.Sea.II. LI *n  530 HISTOIRE ET ANECDOTES les nobles qui habitoient ce pays , ne donnaflent un azile a ceux qu'elle avoit le projet de faire expulfer. En conféquence, elle avoit fomenté des troubles dont j'ai deja rendu Compte. M. Bouehe député de provence qui attachoit plus d'importance que les autres a la réunion du Comtat, avoit été chargé de préparer cette opération, en faifant paroitre une adreife des habitans qui demandoient a être réunis a la France. On fent que cet écrit ne contenoit point le voeu librement exprimé des habitans. On avoit la preuve que la Garde Nationale armée avoit extorqué des fignatures; d'ailleurs beaucoup de prétendues adhéfions préfentoient des motifs de fufpicion. II n'étoit fait aucune mention du nombre des votans réunis en afTemblée, par conféquent il étoit impoflible de vérifier, fi réellement les adreifes envoyées a 1'affemblée, préfentoient réxpreflion du Voeu en profiter. [Et dont malheureulement le peuple francais a fait une cruelle application.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 531 ( Voeu général. Cependant, M. Bouche Jen parlant du principe, que la SouveIraineté réfidoit dans le peuple et qu'il 1 avoit le droit de clioifir le gouvernéJment qui lui convenoit propofa a 1'afI femblée de décréter la réunion de la vil* ■ le d'Avignon et du Comtat Venaiifin a I la France. La motion de M. Bouche fut attaquée vicforieufement par M. M. Tronchet, Malouet et Clermont Tonnèrre. Le premier qui étoit un célébre avocat du Parlement de Paris, réfuma avec beaucoup de clarté, les raifons qui devoient rendre les adreifes plus que fufpectes; il repréfenta que deux a trois mik le fignatures , dont on pouvoit mème contelter la validité , n'étoient pas un titre fuffifiuit pour exprimer le Voeu Général de 150,000 habitants qui peuploient le pays dont on propofoit la réunion; il -obferva que cette réunion étoit diamètralement oppofée aux principes décrétés par l'aifemblée, qui avoit alfuré qu'elle ne vouloit faire aucune conquëte. Que , pour que cette réunion fut va? LI ij lable,  532 HISTOIRE ET ANECDOTES lable, il falloit indépendamment du voeu du peuple , le confentement du pape, Souverain légitime. Qu'en partant du principe, que la fouveraineté réfide dans le peuple , et qu'il pouvoit en difpofer a fon gré, les habitants de la Lorraine de 1'Alface ou de toute autre province, feroient autorifés a rentrer fous la domination de leurs anciens Souverains, et que la réunion propofée , tendoit a femer le trouble et la divifion dans tout le royaume. M. de Clermont-Tonnèrre dont la maifon avoit autrefois défendu les droits du St. Siege (*) ajoüta a ces raifons qu'il n'y (*) La Maifon de Clermont, eft originaire du Dauphiné, et avoit pofTédé une partie de cette province en pleine fouveraineté. Cette maifon prétend qu'aynard de Clermont, a la tête de cinq cent de fes vaflaux, avoit rétabli un pape fur le tröne pontifical et en avoit obtenu pour recompenfe, le droit de porter les armes du St. Siége, furmontées de la tiarre avec la devife " et fi omnes te nêgave- rittt,  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 5 33 n'y avoit qu'un motif de convenance qui put provoquer la réunion du Comtat, mais qu'a cet égard la Souveraineté du pape étoit fous la fauve garde de la loyauté Franqaife et devoit être confidérée comme la chaumiére du villageois placée au milieu du pare d'un monarque puiffant; monument de la juftice et du refpect pour les propriétés qu'un fouverain doit au pauvre comme au riche. L'afTemblée ne prit alors aucune décifion rélativement a cette affaire, elle en ajourna indéfiniment la Solution; les fadlieux redoublèrent alors d'éiforts pour atteindre leur but. Des émiffaires provoquèrent le trouble et le désordre dans ce malheureux pays , et excitèrent des fcénes de meurtre et de carnage, dont je rendrai compte par la fuite. LI iij Le rint, ego non te negabo.,, L'ainé de Ia familie avoit même le droit de toucher les vafes facrés. Quoiqu'il en foit de cette hiftoire, peut être trés apocriphe, le pape fegnant , Pie VI, avoit renouvellé ces priviléges, par une bulle, - trés honorable pour cette maifon.  534 HISTOIRE ET ANECDOTES Le 9 Septembre, le Miniftre de la guerre écrivit a raflemblée, pour lui faire part des obftacles qu'oppofoit la municipalité de Marfeille au Départ du Régiment de Vexin a qui il avoit envoyé ordre de fe rendre a Antibes. L'affemblée décréta, que les Officiers municipaux de Marfeille, ne devoient point s'oppofer a 1'éxécution des ordres du Miniftre. Un inftant après, M. Voi- frefiatjon de} au nQm du Comité dgs rg_ de Mad. de terfan. cherches parut a la tribune; il annonqa qu'il avoit veillé avec plufieurs de fes collégues, pour découvrir un Complot contre la Sureté de 1'état. On s'att'endoit a entendre le récit de quelques faits importants lorsqu'on apprit, que la Blanchifleufe de Madame de Perfan avoit trouvé, parmi des hardes qui lui avoient été donnée, une lettre fignée le Comte Henry, qu'elle avoit regardé comme afsès intéreffante pour devoir la remettre au Comité des recherches. Cette lettre, dont on enten-  DE LA RÉVOLUTION FRANfOISE. 535 B entendit la ledture , contenoit quelques phrafes hazardées entr'autres : Nous ap\prochons du dénouement, la mine eft char\ gée, et je peux vous inftruire du moment de l'explofton , qui s'étendra tres loin, mettez I vous ét fabri des éclats. Je remplis une de\ voir 'prèfcrit par ïamitiê, en vous averI tijfant de prendre les précautions nécejjai- 1 res £fc. D'après la ledture de cette lettre, I deux des membres du Comité des recherches s'étoient transporté chèz Madame de Perfan, accompagnés d'un detachement nombreux de Gardes Nationales. On 1'avoit forqée de fe lever a deux heures après minuit et de livrer toutes fes correfpondances, oü on avouoit n'avoir tien trouvé de Sufpect. ■ Elle a déclaré, (ajouta Voidel) que la lettre remife au Comité , lui avoit été écrite par le Comte Henri de Cordon, gentilhomme Savoyard et Comte de Lyon, d'après cette réponfe on a jugé devoir la garder en état d'arreftation et donner également des-ordres pour s'affurer de la LI iv per-  5J6 HISTOIRE ET ANECDOTES perfonne du Comte de Cordon, qui doit ètre encore a Lyon. La faction démocratique applaudit avec transport aux précautions prilès par les nouveaux inquifiteurs et fit décrèter, que le chatelet feroit chargé d'informer contre le Comte Henri de Cordon et les complices qu'on lui fuppofoit. Le cóté droit de raflemblée repréfenta envain, combien la conduite du Comité des recherches étoit tyrannique et barbare. Comment, en éfFèt, dans le pays de la liberté, arrètoit- on arbitrairement une citoyenne qui n'étoit prévenue d'aucun délit, en vertu d'un ordre d'un tribunal, qui n'avoit qu'une autorité ufurpée? Mad ame de Perfan éxpofa ces raifons dans un écrit au Préfident de 1'aflemblée et demanda a ètre délivrée de la Garde qui la tenoit en état d'arreftation; on ne fait par quel motif, elle ajouta a cette lettre un éloge des procédés de M. de St. Amand. Aide de Camp de M. de la Fayette, dont les attentions délicates et fenfibles, (difoit elle) avoient  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 537 avoient allégé la dureté de fa captivité. Cette circonftance , fort inutile a rapporter, detruifit une' partie de 1'impreffion qu'avoit produit fa lettre. On apprit que M. de St. Amand étoit un jeune hommé, de vingt deux ans, d'une charmante figure, et le Franqais accoutumé a fuppofer de la galanterie dans les actions mème les plus innocentes, trouva que la pofition de Madame de Perfan, étoit plutöt digne d'envie que de pitié. Cependant quelques jours après , l'aifemblée lui accorda une pleine et entiére liberté. Le 14 Septembre, Paffemblee fupprima tous les vètements et coftumes monaftiques, et décréta que tous les religieux pourroient s'habiller comme ils le voudroient. Le mème jour , on lui ' . r Entente » rendit Compte d'une mlurre- AngtrSm dion arrivée a Angers. Le peuple s'étoit réuni a des artifans, fous prétexte de demander une réduction du prix du pain, la ville étoit menacée du LI v pillage:  538 HISTOIRE ET ANECDÜTES —„ . 1„ J c..^ 1/1 r yiiiagc ; ic uitipcuu rouge ruc aepioye," on proclama la loi martiale, et le Régiment de royal picardie, pour diffiper 1'atroupement fut obligé de faire feu fur les féditieux, dix ou douze particuliers y perdirent la vie. A peu prés, a la mème Enganiages i . ... aVerfuüUi. epoque, environ trois mille Bandits armés fe répandirent dans le pare de Verfailles ; ils tuèrent le gibier qui y étoit enfermé, et répandirent partout la crainte et Pépouvante. Ces fcélerats furent au moment de piller le chateau; de nombreux détachements de la Garde Nationale, ou plutót le défaut de fubfiftances, engagea cette horde de Brigands a fe diffiper , après avoir commis toute forte d'éxcès. 11 s'étoit formé, dépuis sllffsp" longtemPs> a Paris une fociétriotes. té de prétendus Suijfes patriotes. Une députation de ce Corps avoit été admife a l'aifemblée et avoit été recue avec les honneurs dus a des  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 539 i des helvétiens envoyés par leurs Cantoris, leur harangue et la réponfe du Préfident avoit été préparée et cette fcéne reifembloit en quelque maniére a celle des députés du Club des étrangers. Mais les tentatives des Suijfes patriotes ne fe bomèrent pas a cette repréfentation, ils tacbérent de corrompre les Gardes Suiffes, et fomentèrent des troubles dans le pays de Vaud et dans le Vallais dont les habitans font fujets ou alhés du Canton de Berne. La Société de Paris fit circuler des brochures dans ces pays heureux et paifibles. Les écrits intitulés, lüariftocratie Suiffe devoilée, et aux habitans de Berne, prbduifirent les plus facheux éffëts; Pinfluence peftilentielle des Jacobins, y répandit fon foufle impur et la Rébellion étoit prète a éclater dans le pays de Vaud. Les habitans demandèrent qu'ils püifent parvenir a tous les grades dans le Régiment d'Erneft , au fervice de Franqe, ainfi que les natifs du Canton de Berne. Les villes d'Aubonne, Nyon, Moudon et Morges préfentè- renfc  54° HISTOIRE ET ANECDOTES rent des requetes pour le mème objet. { La derniére y ajouta la demande, d'ètrej affranchie des contributions pour 1'entretien des grandes routes, en vertuli d'un ancien privilege des Ducs de Sa-|; voye. Cette difpofition des efprits frap- |c pa vivement la régence de Berne; elle iJ commenqa par faire mettre 20 Mille hom- « mes fur pied et les envoya dans le pays p de vaud avec des munitions et du Ca- I non ; mais elle jugea convenable de I joindre aux mefures de vigueur celles k de la perfuafion en adrefTant aux habi- I tans de ce pays la proclamation fuivante. I; Nous 1'Avoyer, petit et I Proclamation grand Confeil de la République | tubUqu^dl de Berne a tous les Nobles, 1 Berne. nos chers et feaux VaiTaux, i Corps de ville, communautés, li Bourgeois et autres fujets de notre pays I de Vaud. Salut. j Inftruits des intentions pêrfides de p quelques hommes audacieux, qui par de js fourdes menées et des écrits incendiaires | s'éfforcent de propager par tout la difcor- de I  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 541 de et 1'efprit de Rébellion, et de brifer tous les liens , qui uniifent les peuples aux Souverains qui les gouvernent; 110' tre vigilance , et furtout votre fidélité oppoferont a leurs funeftes projets un obftacle invincible. Tous les moyens, qui feront en notre pouvoir , nous les employerons pour vous conferver les biens ineftimables de la paix et de 1'ordre public; mais le moyen, au quel nous recourons avec le plus d'empreflement, c'eft votre patriotisme. Nous aimons a nous perfuader, que vous repouiferez avec indignation tous les éfforts, qu'on pourroit tenter pour étendre parmi vous les troubles, qui agitent en ce moment différents états de 1'Europe. Pour vous en garentir, il fuffira de vous rappeller le bonheur dont vous jouiffez. Soit que vous jettiez vos regards fur le paffé, foit ! que vous les portiez au tour de votre patrie, vous ne pouvez trouver que des motifs de bénir la providence. Bientót trois fiécles fe feront écoulés, depuis que ■ le pays de vaud fait partie du térritoire de  54a HISTOIRE ET ANECDOTES de la République; et pendant un fi grand I nombre d'années, le fléau de la guerre 3 n'a jamais approché de vos demeures.. I Nulle part il ell moins difficile de réfi- I fter aux abus de 1'autorité , et plus aifé I d'obtenir la protection des loix. Nulle il part 1'homme puifiant qui lutte contre V 1'homme foible, doit moins fe flatter. I de 1'indulgence des xVlagiftrats; et, s'ill étoit des faveurs, qu'ils puffent conciliën u avec le devoir d'ètre juftes envers tous,.| ce feroit le pauvre qui auroit droit de |l les efpérer. Le gouvernement de la Républi- I que eft un gouvernement paternel, qutjo ne léve pas d'impóts; car ce nom ne li fcauroit être donné a des cottifations lo« cales et momentauées appliquées a des h travaux , immédiatement utiles a ceux.li qui les payent; et qui s'occupe avec. une tendre follicitude de tout ce qui ji peut intéreifer le bien général, lié au refpedt de la liberté perfonnelle , a la \ garentie de toutes les propriétés, a 1'égalité de tous les hommes en préfence! de  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 543 de la juftice, et a runiformité des loix pour toutes les dalles de citoyens. Tout changement feroit donc inutile, s'il pouvoit n'ètre pas funefte; et comment efpérer qu'il ne le feroit pas? Qu'en d'autres pays on ait fouillé dans les ténébres de 1'hiftoire , pour y chercher des titres ou des ufages inapplicables a la fituation préfente; qu'on fe foit expofé a toutes les incertitudes de la raifon, pour découvrir les moyens d'améliorer fon fort. — Mais que dans celuici ou 1'on jouït de tant d'avantages, on voulüt s'éxpofer ad danger de les perdre , pour atteindre une perfedion chimérique ; qu'on voulut risquer le repos et la fortune de fes peres et de fes enfants, et appelier dans des lieux fi longtemps paifibles tous les désordres de 1'anarchie; non, Chers et fidèles fujets, nous ne fqaurions en concevoir la poffibilité. Envain les ennemis de votre repos prennent-ils pour prétexte 1'améi lioration de votre fort. C'efl: le defir de la nouveauté, ce font des motifs et des  544 HISTOIREET ANECDOTES des projets plus criminels encore qui les« animent. — Auffi Phiftoire nous ap-j prend, que, dans ces grandes etimpor-j tantes querelles fur les formes de Cou*\ vernement, le Principal mobile atoujoursj été 1'orgueil de quelques hommes avi-j des du pouvoir , et que toujours les peuple, qu'ils aveugloient par de faufl fes promeffes , a été le jouët de leurs I intrigues et la vidime de leur ambition. Le meilleur de tous les gouvernements eft fans doute celui, qui contribue le plus a la félicité générale. — Ce principe, nous ne craignons pas de vous le rappeller, puisque nous Pavons toujours pris pour guide, et qu'il doit nous aifurer votre amour et votre reconnoiflance. Si nous tachons de vous prémunir contre les piéges qu'on pourroit vous tendre, n'imputez pas nos éfforts au feul fentiment de nos droits, mais bien plutöt a Paffedion que nous vous avons toujurs portée, et a la convidion intime de cette grande vérité, démontrée par 1'expérience de tous les tems,  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 545 temps, "que le plus grand malheur, Jdont le ciel puiife affliger un peuple qui n'eft pas opprimé, eft de lui infpirer jle defir de changer fon état politique. „ (Quand un gouvernement préfente en fii I faveur prés de trois fiécles de profpérijté, il n'y a que de la témérité la plus linfenfée et la plus coupable, qui puifjfe lui préférer des fpéculations vagues I et incertaines , et fe jouer ainfi de la génération préfente et de celles qui dou vent la fuivre — et le foin de réprimer cette temerité criminelle eft pour un Souverain, qui chérit fes fujets, le plus fa. cré de tous les devoirs. A ces caufes, — vu un imprimé, intitulé; Aux habitans du Canton de Berne; plus un autre imprimé, intitulé: Lettre aux villes,' Bourgs et villages de la Suijfe, fignée par ordre des patriotes fuhfes réfidans a Paris et aux environs, par Chaperon, Préfident, Connus et Grémion, fecréuires, a Paris, 16 Aoüft 1790, et plufieurs écrits , qui fous diverfes for~ mes et dénominations tendent a fouleT.U. Sea.lL Mm ver  546 HISTOIRK ET ANECDOTES ver les peuples contre le gouvernement:: informés en outre , qu'on fe prépare a 1 en répandre d'autres encore parmi vous; dans le mème but; — et que nombre: d'émiffaires font chargés du foin de prê-i cher par tout des principes de révolte et de fédition : nous défendons d'introduire et de dilfribuer dans nos pays les fusdits libelleset tous autres pareils ouvra-| .ges incendiaires, imprimésou manufcrits: enjoignons a tous ceux qui en auroientj requ ou en reqevroient, de les remettrej fans délai a nos baillifs, et de leur dé-i noncer les émiffaires, foit étrangers, foit|i de notre pays, qu'ils fqauroient avec cer-t titude travailler a féduire nos fidèles fu-i jets; leur promettant le fecrèt et des re-l compenfes proportionces a 1'importance de leur dénonciation. Mandons et or-| donnons a nos baillifs, vaiTaux, chate-t lains, lieutenans, fecrétaires, julticiers,? curiaux, officiers et autres, de quelle qualité et coudition qu'ils foient, qui ontij; charge de nous par le ferment qu'ils|i nous ont prêté, de veiller a 1'éxécution de  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 547 j de cette ordonnance et de s'y conforI mer eux-mèmes: le tout fous les peilt nes a décerner fuivant 1'exigence du fait, { par jugement de notre petit confeil, contre les auteurs de ces crimineües entreprifes, contre leurs fauteurs et leurs complices. Donné le 2 de Septembre 1790 Cbancellerie de Berne. Les obfervations et réflexions, que cette ordonnance contenoit fur les dangers d'innover la forme du gouvernement, furent encore plus fortement dévelopées dans une Brochure, qui paroit avoir été publiée avec Papprobation du gouvernement, et qui avoit pour titre | Adrejfe aux habitans du Canton de Berne par un ami de l'ordre et de la félicitê publique. Le petit et le grand confeil s'exprimerent en mème tems , avec la plus grande énergie contre la fociété des patriotes - Suiifes, établie a Paris, par la proclamation fuivante. Nous 1'Advoyer, petit et Autn t*+ . r ■, 1 1 -ii j. ' damation grand conleils de la ville et re- c0„tre la fi, publique de Berne , affurons cietéiesSuif Mm ij tous /"«f***»-  548 H1ST0IRE ET ANECDOTES tous nos chers et féaux citoyens et fujets de notre gracieufe bienveillance et par les préfentes favoir faifons : que nous fommes inftruits , par des avis certains, que des Suiifes, réfidans a Paris ou dans les environs, ont formé dans cette capitale une fociété, connue fous le nom de Suiifes-Patriotes, laquelle tient de fré*quentes affemblées, ou elle délibère ouvertement, et de la maniére la plus puniiTable, contre le bien de nos pays, tachant d'exciter des féditions et tous les I maux, qui en réfultent; que, pour remplir un objet fi criminel , cette fociété i s'éfforce de répandre dans nos états, une I foule d'écrits , qui tendent a troubler Pordre et le repos public ; que mème I elle ofe prendre publiquement a Paris, et auprés des Régiments Suiifes avoués, la qualité de Réprefentans de la Nation I helvetique , et qu'elle s'annonce auprés des Soldats de ces Régiments, comme chargée de leur donner, dans toutes les circonftances, les fecours dont ils auront f befoin. Des démarches auffi téméraires ne peu-  DE LA RÉVOLUTION FRAN90ISE. 549 peuvent que mériter notre plus vive indignation ; et la follicitude paternelle , dont nous fommes animés en faveur de nos chers et fidéles fujets, exige, que nous les avertiflions de tout ce qui pourroit porter atteinte a leur bonheur, comme a leur tranquilité. Ces confidérations nous ont portés a publier par les préfentes, que nous regardons les efforts de ces prétendus Suiffes-patriotes, pour exciter dans leur patrie, la difcorde, la révolte, et toutes les horreurs, qui en font ordinairement les fuites, ainfi que toutes les démarches et tentatives , qu'ils font a ce deffein, comme un crime de haute trahifon; déclarant, que nous ferons punir, d'une maniere conforme a 1'énormité de leur crime, ceux de nos reffortiiTans, qui pourroient être convaincus d'avoir. eu part aux attentats de cette Société. Ce qui fera rendu public, affin que tous et un chacun puiffent en avoir connoiifance. Donné dans notre affemblée du grand Confeil, le if Septembre 1790. Chancellerie de Berne. Mm iij Les  550 HISTOIRE ET ANECDOTES Les troubles qui agitoient: Troubles dans i j T7- i le Vallais. le ^S de Vaud' Prlrent unef!' confiftence bien plus menacan-. te dans le Vallais. Pour juger de leurj nature, ou dès motifs qui les avoient pro-j( vöqués, il eft a propos de faire connoi- i tre d'une maniére fuccinte, la conftitu-ji tion de cette petite république, alliée |: du corps helvétique, mais indépendantei: et féparée, pour ainfi dire, par les hau-i tes alpes qui environnent ce vallon d'en-i viron 36 Ueues de long fur 8 a 10 dansi fa pius grande largeur. Ce petit Etatï fe divife en haut et bas vallais. Ce der-a nier pays , appartenant auparavant aux I Ducs de Savoye, a été conquis dans lal guerre que les Suifles firent contre Char- I les le téméraire et comme c'eft a titre del conquèce que les valaifins le pofledentj le ha ut valais le traite en pays foumis, et non fur le pied d'égalité, comme membre de la République. Le haut valais eft compofé de fix communau- Couverne- feég QU ,g ^ ment de ce ° J payii chacun leur gouvernement po-t pulaire,  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 551 pulaire, dont le chef lieu eft un bourg ouvert. La ville de Sion, avec fa Banlieuë , dont le gouvernement eft ariftocratique,' conftitue le feptiéme difain. Le bas Valais, forme également fept chatellenies, ou Vai' les hauts valaifins envoyent, de deux ans en deux ans, a tour de Ró,1e des fept difains, des baillifs ou chatelains. Malgré la fimplicité , ou plutót 1'inertie approchant de la ftupidité naturelle a ces peuplades fixées dans les montagnes et affligées par des goitres d'une grofleur énorme; on a vu les diverfes paifions humaines y éxciter fréquemment des tracafferies domeftiques, mais, jusqu'a préfent, le bas valais n'avoit pas cherché a fe foustraire au joug qu'on lui avoit impofé. Les peuples foumis a un gouvernement démocratique ne fuivent pas toujours les principes d'égalité a légard de leurs voifins; les Baillis envoyés du haut valais, cherchoient a profiter du court intervale de leur magiftrature pour faire fortune, et tyranniMm iv foient,  552 HISTOIRE ET ANECDOTES foient, afsès fouvent, les raalheureufes chatellenies du bas valais. Au mois d'Aoïift 1790 , un payfan s'étant battu avec fon voifin fut condamné a cent louis d'amende, cette punition énorme, dans un pays éxceffivement pauvre, irrita les efprits. Le ?. Septembre les Montagnards defcendirent a Montey au bord du Rhóne , ils faifirent le Bailli, et après 1'avoir maltraité , il fut obligé de chercher fon falut dans les bois. Les payfans le pourfuivirent, il fe réfugia a St. Maurice dont la pofition eft fufceptible de défenfe. Les autres baillis et Chatelains fe fauverent. Le fifcal fe refufant a la reftitution des Cent louis, fut cruellement battu et on le laifla pour mort fur la place. Les payfans ayant appris a connoitre leurs forc,es, choifirent un nommé Jacques de Carteri pour leur Commandant. Les habitants du haut valais, au lieu d'obeir a Tordre de marcher contre les rébelles I fe joignirent a eux. Depuis St. GengolfF jusqu'au pied du mont St. Bernard, on j arbora  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 553 arbora une Cocarde patriotique rouge, blanche et verte, les payfans s'emparèrent des chateaux forts , des moulins, du magafin a poudre; ils chafsèrent les chanoines réguliers du monaftère de St. Maurice ; et ayant drefle des repréfentations, qui tendoient a 1'indépendanee, ils éxigérent qu'elles fufTent difcutées dans une aifemblée, qui fe forma a Martigny, chatellenie du bas Valais, dépendante de 1'évêché de Sion. Cette infurredion pouvant avoir des fuites facheufes, et fe communiquer fadlement au pays de Vaud , ou il exiftoit déja un germe de mécontentement, allarma le Canton de MefumpriBerne lié par un traité de Co- f" par le c Canton de bourgeoihe avec leveque de Berne. Sion, et le peuple du valais, le Confeil de Berne envoya fur le Champ un Courier au Bailli de Vevai, pour lui annoncer la levée de vingt mille hommes, qui devoient être commandés par Mr.de Melune tréforier du pays de Vaud, il prit provifoirement le parti de faire Mm v border  554 HISTOIRE ET ANECDOTES border la frontiére , et fit diftribuer et. afficher la proclamation fuivante. Nous 1'Advoyer, petit et grand Confeil de la ville et République de Berne, aifurons , par les préfentes, tous nos chers et féaux citoyens et SuProciamati- jets des villes et campagnes on uu Sujet dg nQS Allemands et Ro- des yallat- jins. mands, de notre gracieufe bien veillance, et leur faifons fqavoir. Qii'ayant pris en müre confidération les troubles dangéreux, qui ont éclaté depuis quelque temps dans diverfes contrées de notre Voifinage, et qui,' fuivant les avis aifurés, qui nous font parvenus, ont fait de tels progrès dans le pays du bas valais, contigu a nos frontieres, que la plus grande partie de les habitans s'eft révoltée contre fon légitime fouverain, et y a commis plufieurs éxcès et violences puniifables, nous avons jugé néceifaire, tant pour la fureté denos frontiéres, que pour le maintien parfait du bon ordre et de la tranquilité dans nos pays, de donner ordre a une partie de  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 555 de nos troupes de fe tenir prêtes a marcher; de maniére que, dans un cas de necelfké, nous puilfions auffitöt les employer , dans tous les lieux oü il fera convenable, pour 1'éxécution des vuës falutaires, dont nous fommes animés pour le bien de nos états. Nous efpérons donc de fobéiffance et de la fidélité, que nous avons conftament éprouvées de tous nos chers et fidèles reifortilfants , que cbacun d'eux contribuera volontairement et de tout fon pouvoir a 1'appui de ces mefures, auxquelles nous ne nous fommes décidés que par un éifet de notre follicitude paternelle pour leur bien être qu'il plaife au tout puiifant de continuer a répandre fur notre chére patrie fes plus prétieufes bénédictions, et de maintenir dans fon fein la paix et la tranquillité , dont elle a jouï depuis un li grand nombre d'années! Donné dans 1'Auemblée de notre grand Confeil, le 14 Septembre 1790. Cette combinaifon de mefures prudentes et vigoureufes anéantit le germe d'infur-  556 HISTOIRE ET ANECDOTES d'infurreétion qui s'étoit repandu dans le pays de Vaud et dans le Vallais. Les habitants de ces pays rentrèrent promptement dans 1'ordre, les villes de Laufanne et de Vevay ne prirent aucune part aux demandes formées par les autres municipalités ; celle de payerne refta également neutre. A 1'égard de la prétention de la ville de Morges, de ne plus fournir de contribution pour 1'entretien des grands chemins, envertu d'un ancien privilege des Ducs de Savoye, il fut décidé que cette affaire feroit plaidée par avocats devant le Confeil de Berne. Cette République, donna une nouvelle preuve de la fageife de fon gouvernement , en reclamant auprés du Miniftre des affaires étrangéres de France, 1'éxécution d'un des Articles du traité de !777' en vertu du quel, les fujets des deux puiffances , juftement fufpecfs de trahifbn , ou coupables de Rébellion, devoient être réciproquement livrés, elle demanda , en conféquence , qu'on lui livrat les Chefs de la Société des foi- difants  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 557 difants Suiifes-patriotes qui par leurs émüfaires et leurs écrits, avoient taché d'éxciter la difcorde et la révolte dans leur patrie. Cette demande refta fans éffèt; mais elle fit échouer les projets et les intrigues des patriotes et provoqua la diifolution de la Société des Suifes-patriotes. C'eft ainfi que fe termi, nèrent ces troubles, qui fans la prévoyance et 1'énergie de la République de Berne, auroient pü avoir les fuites les plus facheufès , en propageant une Révolution dans un pays que la nature et la douceur de fon Gouvernement, devroient rendre le plus heureux du monde, fi les hommes pouvoient jamais être contents de leur fort. L'efprit de désordre et d'infurreclion, qui agitoit les différents 11, / r ' i-.. InfurreÜion Corps de 1 armee, ie répandit , Bre^ bientót parmi les matelots et les troupes de la Marine. Le Roi avoit donné des ordres pour équiper une efcadre deftinée a fe joindre a la flotte efpa gnole. Cet ordre avoit été donné con- for-  558 HISTOIRE ET ANECDOTES formément a un décret de 1'Aflemblée nationale, qui avoit prévu que Pefpagne pourroit réclamer les fecours ftipulés par les traités d'alliance avèc la Franqe, au cas que fes différents avec 1'angleterre ne püifent pas fe terminer a 1'amiable (*). M. Albert (*) La guerre avoit été au moment d'éclatter, entre 1'Efpagne et 1'Angleterre, pour quelques entreprifes hoftiles faites par la première puiffance au mois d'avril 1789» contre de nouveaux établiffements Anglois. Formés dans la Baye de Nootka, fur la cóte Nord Oueft de FAmérique feptentrionale. II eft probable que fi la France eut été dans une autre pofition , et eut pü fournir les fecours ftipulis par les traittés d'alliance avec 1'Efpagne, les differents, qui exiftoient entre ces deux puiffances, ne fe feroient pas tenniués auffi promptement, les avmements les plus formidables, avoient été prépares de part et d'autres pour y avoir recours , au cas que les plénipotentiaires nommés pour regler les prétentions réciproques des deux parties, ne pufient étre d'accord- Leurs conférences,  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 559 M. Albert de Rioms avoit obtenu le commandement de cette efcadre. Ce choix ne convenoit point aux Jacobins : ils écrivirent a leurs affiliés de Breit, d'employer tous les moyens poflibles pour le forcer a donner la démiiTion , et ce projet réuffit a leur gré. L'AiTemblée avoit fait rédiger de nouvelles ordonnances concernant la Marine. M. d'Albert fe rendit, le 6. Septembre , rences, fecondées par la fituation critique de 1'Europe eurent un plein fuccès, Le 28 f!bre 1790. M. Fitz-Herbert Miniftre d'Angleterre et le Comte de Florida Blanca Secretaire d'Etat de S. M. le Roi d'Efpagne fignerent a 1'Efcurial une convention préliminaire , qui regloit, d'une maniere équitable, les differents qui exiftoient entre ces deux cours. Les limites des établiffements Anglois, dans la Baye de Nootka, furent fïxés jusqu'au Cap Mendocin, avec la ftipulation que les navigateurs de cette Nation, ne pourroient former des établiflements, trafiquer, ni pécher a plus de dix lieues des cótes occupées par les Efpagnols.  560 HISTOIRE ET ANECDOTES tembre, a bord des différents vaiifeaux, pour en faire la ledure aux matelots. Ceux du Vaiifeau ÏAmérique, refusèrent de fe foumettre aux nouvelles loix. Mr. D'Albert voulut fe rendre a bord de ce Vaiifeau, pour éffayer de calmer cette infurredion nailfante. Mais bientot les équipages des différents vaiifeaux fe révoltèrent, proférant des injures atroces contre 1'Aifemblée et mirent des chaloupes a la mer pour regagner la terre. M. D'Albert après avoir inutilement employé la voie de la perfuafion, réclama le fecours des troupes de la Marine, pour réprimer la Sédition; les Soldats refuférent également d'obéir. Un grand nombre de citoyens de fireft, témoins de ces éxcês, les encouragèrent par leurs applaudiifements et fe joiguirent aux rebelles. Quelques jours après, les équipages rentrèrent dans 1'ordre et regagnèrent leurs vaiifeaux. On leur accorda une partie de leurs prétentions, et le Calme paroiflbit rétabli, lorsque 1'arrivée du Vaiileau  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 5 61! Vaifleau le Léopard , venant de St. Dorningue renouvella les troubles. Le vaifleau le ferme, requt ordre de partir, furie charnp, pour cette Colonie. Mais la municipalité s'oppofa a ce qu'il mit a la voile et contraignit M. d'Albert a éxhiber fes ordres et fes pouvoirs. L'équipage du Vaifleau le Léopard avoit deia été en in- ff furrection a St Domingue i et Léofard. avoit forcé M. de la Galiifoniere fon capitaine, de renoncer au com-mandement, que les matelots avoient transféré a M. de Santo • Domingo, fon Lieutenant; plufieurs membres de 1'affemblée coloniale de St. Mare et des Soldats rébelles du Régiment du port-auprince , étoient a bord de ce vaifleau; ils s'y étoient réfugiés pour fe louftraire a la punition dont ils étoient menacés a St. Domingue. A leur arrivée a Breft, ces fugitifs fe repréfentérent comme des vidlimes de leur patriotisme, et de leur zële pour la caufe nationale. Tous les citoyens de Breft prirent parti en leur T.ILSeÜ.U. Nn fa-  5ÓZ HISTOIRE'ET ANECDOTES faveur: les matelots n'obfervoieut aucune difcipline, et en,gagérent bientót les autres équipages a fuivre leur éxemple. M. d'Albert, voulut eu vain interpofer fon autorité; il fut temoin de 1'infurredion la plus complette. Des Mutins prirent une potence et la portèrent a la porte de M. de Marigny Major de la Marine, et commirent d'autres excês aufli répréhenfibles, dans ces entrefaites Mr. de la GalliiToniere étoit arrivé a Nantes fur la corvette le Sérin. II apportoit des nouvelles désaffreufes des Colonies. M. d'Albert ayant rendu Compte de ces faits au Miniltre de la Marine, y joignit fa démiflion. On fut obligé de désarmer 1'efcadre, et les matelots fe répandirent dans la ville, ou ils continuerent a vivre dans la licence la plus effrénée. L'Aifemblée inftruite de ces désordres d'après les rapports de fes différents comités, décreta, Que le Roi feroit prié de Démt reU- ci01iner des ordres. io- pour ILulïie faire pour fuivre et juger, iuiBrefi. ., vant  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 563 vant les fbrmes légales , les principaux auteurs de 1'infurrection et ceux de 1'infulte faite au Sr. de Marigny, Major-Général de la Marine: 2°- pour faire désarmer le vaiifeau le Léopard et congédier 1'équipage , en renvoyant ceux qui le compofent dans leurs quartiers refpedlifs, et enjoignant aux Officiers de refter dans leur Departement: 3°- pour faire fortir 'de Breft dans le plus court délai, et transférer dans le lieu qui lui paroitra convenable, les individus, appartenants au Régiment du port au-prince, arrivés a bord du dit vaifleau: décrete que les cy- devant membres de 1'aflemblée générale de la partie francaife de St. Domingue ; ceux du Comité provincial de 1'Oueft de la dite Colonie, et le Sr. de Santo Domingo, arrivé a Breft, Commandant le vaiffeau le Léopard, fe rendront a la fuite de 1'Aflemblée nationale, immédiatement après la notification du préfent décrèt, laquelle leur fera faite en quelques lie'ux qu'ils puiflent fe trouver, d'après les ordres que le Roi fera prié de donner a Nn ij cet  564 HISTOIRE ET ANECDOTES cet éflfèt: décréte en outre que le Roi fera prié de nommer deux Commilfaires civils, lesquels feront autorifés a fe joindre aux membres de la municinalité de Breft, tant pour 1'éxécution du préfent décret, que pour avifer aux mefures ultérieures , qui pourroient être nécelfaires au rétabliifement de la difcipline et fubordination dans 1'efcadre , et de 1'ordre dans la ville de Breft ; a féffêt de quoi tous les agens de la force publique feront tenus d'agir a leur réquifition. Les Troubles qui eurent lieu a St. Domingue dans le courant de 1'année 1790. ont eu une influence trop marquée fur le fort de cette malheureufe Colom'e, pour qu'on n'en rende pas un Compte fuccint. La partie Francaife de 1'Isle de St. Domingue fe fubdivife en trois Troubles « parties, connues fous le nom St. Domin. r 7 . gaf> de quartier du IS'ord, de Lou- eft et du Sud. Lorsque la Convocation des états généraux fut décidée, les habitans de chaque quartier fe réuni-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 565 réunirent pour choifir des députés qu'ils avoient le projet d'envoyer a Paris, pour foutenir et défendre les intéréts de Colons. Hs ne prévoyoient pas alors que les députés s'arrogeroient le droit de repréfenter la Colonie a PAflemblée nationale. Les affemblées des trois quartiers, choifirent des députés, pour former une aflemblée générale, qui devoit correlpondre avec ceux qu'elle avoit envoyé a Paris. Telle étoit la nature de fes fonclions et 1'étendue de fes pouvoirs. Cette Aifemblée s'établit 1 1' L Ajfemblee ie a St. Mare et adopta le decret & Marc^ du 8 Mars 1790. mais oubliant bientöt d'oü elle tenoit fon autorité, elle voulut méconnoitre le pouvoir des autres aifemblées qui n'étoieut pomt encore féparées, et imiter en tout point les procédés de celle qui fiégeoit dans la rnere patrie. Au lieu de prèter le ferment d'ètre fideles a la Nation, a la Loi, et au Roi. On plaqa audeifus de la porte de la Salie d'Aifemblée Pinfcription fuivante. St. Domingue, la Loi et le Nn iij Roi.  566 HISTOIRE ET ANECDOTES Roi. Et au deflbus , ïunion fait notre force. Bientót après, PAflemblée générale déclara que fes membres étoient inviolables, elle s'arrogea le droit d'ouvrir les lettres miniilérielles , qui arrivoient de France, et celui de deftituer plufieurs Officiers et de les remplacer. En un mot, elle s'appropria dans la Colonie le pouvoir législatif, militaire et éxécutif. Le Gouverneur M. de Peynier fut M. ii Pey. , , ... ■ ' nier. obiige de paroitre devant elle pour rendre Compte de fes intentions; on lut, en fa préfence, des lettres du Miniftre de la Marine que FAffemblée avoit iuterceptées , et elle lui déclara qu'il feroit aifujeti a la mème refponfabilité , que les agens du pouvoir éxécutif Pétoient en France. M. de Peynier voulut envain faire quelques repréfentations fur la violence et Pillégalité de ces procédés , elles ne furent point écoutées. L'Aifemblée fe déclara permanente caffa le Confeil fuperieur établi au Cap, nomma des receveurs des douanes et  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 567 ■et autres revenus publics et déclara qu'elle ne reconnoiflbit en aucune maniére 1'autorité de 1'Aifemblée nationale, mais qu'elle n'entendoit ètre foumife qu'a celle du Roi. Pendant que PAflemblée de St. Mare prenoit ces arrêtés attentatoires a 1'autorité de la mere patrie, les élefteurs des quartiers du Nord et du Sud déclarérent qu'ils le foumettroient conftament aux décrets de 1'Aifemblée nationale, et qu'ils regarderoient comme une ufurpation, le pouvoir que s'étoient arrogés les députés réunis a St. Mare. L'Aifemblée générale pour fe venger déclara les autres affemblées illégales et annulla leurs arjeê tés. Conformément au principe décreté en Franqe, elle conclut que la Colonie de St. Domingue avoit feule le droit de' faire des loix pour fes habitans, et qu'elles ne devoient être foumifes qu'a la Sanction du Roi. Jusqu'alors la force de 1'Aifemblée générale ne confiftoit que dans fes ecrits; mais bientót elle voulut étendre fon empire : imitant les procéNn iv dés  568 HISTOIRE ET ANECDOTES dés des Jacobins, elle chercha a attirer dans fon parti les Soldats du Régiment du port-au-prince; le zèle et fJ'M"U* fadivité de M. de Mauduit (*) Colo- (#) Mr. de Manduit avoit été dans fa jeuneife afpirant cPartillerie, a 1'école de Grenoble ; il avoit une figure ingrate ct 1'élocution pénible et embarraffée; ce qui le rendoit 1'objet des plaifanteries de fes Camarades. N'ayant pü être recü éléve, foit qu'il fut peu inftruit, ou qu'il lie put pas faire valoir fes connoifiances; il partit a pied de grenoble , et fit le Voyage de Grèce. A fon retour, fes parents 1'engagérent a pafier en Amérique avec M. du Coudray Officier d'artillerie; il fut employé dans ce corps fous les ordres de Wafington et s'y diftingua par fon a&ivité et fa bravoure.- Ce général lui aecorda les fuffrages les plus flatteurs. A 1'époque de la paix , il fut nommé major d'un Régiment de chaffeurs, et peu aprés Colonel du Régiment du port-au-prince. Il fe Conduifit, au milieu des orages qui agitoient les colonies, avec Une prudence et un courage rare; il étoit la terreur des SM*  DE LA RÉVOLUTION FRANqOlSE. 569 Colonel de ce Corps fit échouer ces projets. La Majeure partie de cette Troupe refta fidele a fon devoir. Ce contre temps ne découragea pas 1'Aifemblée; elle éifaya de corrompre 1'équipage du vaiifeau de Ligne, le Léopard, qui étoit a 1'ancre au port-au-prince. II éxiltoit des Clubs correfpondants avec 1'Aifemblée générale, dans toutes les villes principales de la Colonie ; celui du jport-au-prince fut chargé de gagner les matelots et le projet réuffit. M. de Peyriier, informé des manoeuvres qu'on employoit, pour les fouftraire a la difcipline, ordonna a M. de la Galiflbniere Capitaine du Léopard de mettre a la voile et de fe rendre au Cap. Mais 1'équipage fe mit en infurredion et déclara qu'il étoit fous les ordres du Club et de 1'Aifemblée générale; les matelots révoltés obligérent enfuite les Nn v Offi- féditieux et devint leur viélime. Je parlerai de fa fin malheureufe arrivée en 1791. en jettant quelques lauriers fur fa tombe.  '570 HISTOIRE ET ANECDOTES Officiers de quitter le Batiment et de fe; rendre a terre. Cette fuite de procédés de la part; de 1'AiTemblée générale éveilla enfin 1'at-. tention des principaux habitans, ils fentirent qu'en laiffant une autorité illimitée entre les mains de pareils reprefentans, la Colonie étoit menacée de fa perte. En conféquence, les planteurs de plufieurs paroifles fe réunirent le 2 5 Juillet, et réfolürent de s'adreifer au Gouverneur de la Colonie, pour qu'il arrêtat les ades arbitraires de 1'autorité de 1'AiTemblée générale , en le fuppliant, mème en cas de befoin , d'employer la force, pour la diffoudre. M. de Peynier, afTuré du fZTM.de V°ëu d'Ulle §rande (lUantIcé de Peynier. Colons, et craignant que la fidelité des Troupes de Ligne ne fut ebranlée d'un inftant a Pautre, prit le parti de déployer 1'autorité qui lui étoit confiée pour arrêter les progrés de la Sédition et des principes propagés par 1'Aifemblée générale. II fit paroitre, le  | DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 571 fle 29. Juillet, une proclamation, oü après | avoir expolé la conduite illégale, tyranInique et vexatoire de 1'Aflemblée généJrale, il éxhortoit tous les Officiers civils et militaires, les Soldats et tous les bons citoyens de s'unir a lui, pour réprimer la fédition, déjouer les intrigues et les complots des hommes pervers qui troubloient la Colonie, diflbudre rAflemblée et prévenir les horreurs de la guerre civile dont on étoit menacé. Le mème jour que parut D!folutio„ cette proclamation, M. dePey- du Club du nier réunit chez lui les Offi- au ciers de la Garnifon; il leur communiqua le projet de faire cerner le Club par des Troupes, den arrèter les membres et de les garder comme otages, qui répondroient de la conduite des députés qui compofoient rAflemblée de St. Mare. Le eommandement de cette expédition, (qui devoit fe faire la nuit,) fut confid a M. de Mauduit: pendant qu'il faifoit fei difpofitions, on apprit que des membres  57& HISTOIRE ET ANECDÜTES bres du Club avoient eu 1'audace de désarmer un Soldat en fadtion devant 1'arfenaï et de chercher a s'emparer des armes qui y étoient. A 1'entrée de la nuit, M. de Mauduit , a la tête d'un détachel fr^r'rfE ment de 108 Grenadiers' fui' Irluuiuit. vi de deux pieces de Canon, s'approcha de la maifon oü lè Club étoit aifemblé. II fut étrangement furpris de voir 400 hommes armés qui s'y étoient réunis. Ce brave Officier ordorw ne a fa troupe de s'arrêter, et s'approche feul des rébelles; il leur fait part de fa miffion et leur ordonne au nom de la Nation, de la Loi, et du Roi de fe fé-; parer fur le Champ. Les féditieux, au lieu de répondre, tirent plufieurs coups de fufil. Sans s'emouvoir il répéta la mème fommation. Le feu continue ; deux grenadiers , qui s'étoient avancés a fes cötés, font tués et plufieurs autres bieffés. II ordonne alors a fes grenadiers de faire feu : plufieurs Rébelles font tuésj les autres fe jettent a genoux, en de< man-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 573 fnandant pardon. M. de Mauduit contient fa troupe, feit désarmer les rebelles et leur fait grace, puis penetrant dans la falie du Club, il fit arrêter trente cinq loarticuliers qui y étoient aifemblés. Le lendemain les auteurs des désordres priJ-ent la fuite et le calme parut rétabli iilans la ville. L'Aifemblée générale, in;ftruite de ce qui s'étoit paffe au /Zetéf,de ;port - au - prince, déclara M. M. ^ St.Mnrc. ifle Mauduit et de Peynier traiijtres a la patrie, elle invita tous les haBitans a fe réunir et a s'oppofer a leurs irifames projets, promettant recompenfe ja ceux qui apporteroient leurs têtes. Pour que cet arrèté produifit encore plus d'éffêt, 1'Aifemblée répandit dans la Colonie une proclamation, le 31 Juillet, par laquelle elle invitoit les habitans des différentes paroiifes de s'armer, le plus promptement poflible, pour venger A'affalfinat de leurs frères maffacrés au :port - au - prince, et pourfuivre les traitres , JMauduit, Peynier, Couftard et la Saille. Les  574 HISTOIRE ET ANECDOTES Les points de ralliement pour les différents quartiers de 1'isle furent indi-. qués a St. Mare pour la partie duNord,} auCul-de fac pour la partie de POueft, et a Léogane pour le quartier du Sud. L'Aifemblée déclara enfuite M. de: Peynier déehu de fon emploi, et nomma un autre gouverneur. Elle invitap les mulatres et negres libres de s'armer,js pour fe réunir a 1'armée de la patriei: et marcher contre les royaliftes. Les électeurs du quartier du Nordf; réunis au Cap, pour prévenir, s'il étoit|( poifible, la guerre civile dont la Colonie! étoit menacée, écrivirent au Gouverneurp pour le prier, au nom de la patrie et dui ferment qu'il avoit prèté au Roi, de fom-k mer PAffemblé génerale de fe diilbudrea et a délaut d'éxécution d'employer toutess les forces qui lui étoient confiées pourl pourfuivre les rébelles et les traiter com-n me coupables du crime de leze nation. Le Gouverneur fit mar-ti Commence- Qn conféquence des Trou»ji 7e"civiSu.er Pes> f°us ^es ordres de M. M.if de  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 575 de Vincent et de Mauduit, pour diflbudre 1'Aflemblée de St. Mare. Pendant cet intervalle, Péquipage du vaifleau le Léopard mit a la voile après en avoir donné le commandement a M. de Satno-Domingo. Au lieu de diriger fa courfe pour France, comme on le foupconnoit, il aborda a la rade de St. Mare 1 avec le projet de s'oppofer aux entreprifes qu'on faiflbit pour diflbudre 1'Aifemblée. ]|Mais M. de Vincent, Commandant des ^Troupes de terre , étant arrivé par des ïchemins détournés et ayant fait fommer p'Aflemblée de fe féparer fur le Champ, ïjles membres qui la compofoient juftement léfffayés du fort qui les ménaqoit, fe renifdirent a bord du vaifleau le Léopard, ^après avoir écrit préalablement une lettre •^circulaire aux habitans de la Colonie, et partii:ent pour France le 18 Aoüft. Ifir; La proclamation que 1'Aifemblée géInérale avoit fait paroitre, pro- ï 1 m 1 Exces com- puifit les effèts les plus iacheux & LéoSadans les Colonies: a Léogane »e et aux lies habitans décidés a fe défen- Cay,t' dre  576 HIST01RE ET ANECDOTES dre s'emparèrent de Parfenal et du ma-l:i gafin a poudre et placèrent des Canonsifur la difFcrentes avenues de la ville.I La rébellion eut des éffêts plus facheux(i aux Cayes, une partie des habitans réfo-ji lurent de raarcher au fecours de leurs frè-ii res tyrannifés au port-au-prince. Lel Club qui étoit en correfpondance avecf 1'Aflemblée de St. Mare intercepta une let-i tre adreflee a M. de Caudes ancien Ofcj ficier, qui étoit retiré dans fon habitation:!. ont crut entrevoir, qu'il étoit en corre-r fpondance avec M. de Peynier; il n'en|; fallut pas davantage pour exciter la fureucji des féditieux. Deux cents hommes ar- i més fe transportèrent chéz lui , après; avoir pillé fa maifon, ce malheureux: vieillard fut trainé aux Cayes, et mafla-j cré par le peuple qui expofa fa tête aü ; bout d'une piqué. Le Club fit part de t cette éxpédition aux autres habitans par i une lettre circulaire, en les invitant k:\ imiter cet exemple et a faire tomber la ( tête de quelques traitres. N'épargnez, j difoierit ces üélérats, aucuns fraix-j t uo ust  DE LA RÉVOLUTION FRANCHISE. 577 nous avons cent mille livres a votre difpofition. Après le départ du Vaifleau le Léopard, les aflemblées provinciales duNord et de 1'Oueft fe déciderent a envoyer des députés en Franqe, pour rendre compte de leur conduite et de celle de 1'Aflemblée de St. Mare. L'Aifemblée nationale, a- •• i t> j Décret At ipres avoir oui le Rapport de VAjSemhUe fon Comité colonial , concer- au Sujet des ! nant les troubles de St. Domin- dc St. Domingue, arrèta, que les principes %ue iconftitutionels, ayant été mé- iconnus par 1'Aflemblée , dite 1'Aflemblée feénérale de la partie Francaife de St. Do- Itrringue; qu'elle a fomenté les troubles ■■ qui ont eu lieu dans Fisle , qu'elle a iprovoqué et juftement encouru fa dilfolu- ition, déclara les prétendus décrets, ren- jdus par la dite Aflemblée générale atten- itatoire a la tranquillité publique, anti* conftitutionels et nuls; déclara que FAf- femblée provinciale de la partie du Nord, iqueles troupes de ligue, les volontaires t. II. Se8.lt. O o du  578 HISTOIRE ET ANECDOTES du port-au-prince, M. M. de Peynier, 1 Vincent et Mauduit ont glorieufement ff rempli leur devoir, et qu'elle les remer-i cie au nom de la Nation: Décreta, en Je conféquence que la dite Aifemblée de St. li Mare eft et demeure fuprimée; que fesl membres font déchus de leur miiTion af 1'AfTemblée nationale de St. Domingue,! qu'en conféquence , il fera procédé , fi I fait n'a été, a une nouvelle élection del députés , pour former 1'Aifemblée coloniale de St. Domingue: que toutes les loix établies jusqu'a ce jour feroient provifoirement éxécutées; que jusqu'a ce qu'il ait été établi de nouveaux tribunaux dans 1'Isle de St. Domingue, le Confeil fupérieur fera maintenu: Décreta encore que le Roi feroit prié d'ehvoyer deux vaiifeaux de ligne et des troupes fuffifantes pour y maintenir Pordre, et que toutes les perfonnes attaehées a la cy-devant Aifemblée de St. Mare, Mandées a la fuite de 1'Aifemblée nationale, refteroient en cet état jusqu'a ce qu'il en eut été autrement ordonne. L'Af-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 579 L'Aifemblée nationale décreta le iix Septembre, que les Suprtjion Parlements , chambres des Jtni*tv' ' cours fou- Comptes et autres cours fou- vcraines. veraines, ou tribunaux de ju'ftice établis fous 1'ancien régime, cefféroient leurs fonctions le 1 f Oélobre , et qu'on appoferoit le fcellé fur leurs régiftres et archives (*). Cet aéte d'autoriOo ij té, (*) Si ['anarchie, qui regne aétuellement en France, devoit fe prolonger encore longtemps, on pourroit regretter la fuppreffion de 1'ancienne magiilrature, qui malgré quelques préjug s, oü abus inhérents a 1'efprit de corps, pouvoit cependant être confidérée comme la dépofitaire fidele des loix, la Sauve-Garde du peuple, et la barrière du defpotisme. On déclamoit beaucoup contre la venalitc des charges, on pourroit pr fenter des objections encore plus fond ies, contre 1'éleétion des Magiftrats, abandonnie aux caprices de la multitude L'auteur du teftament politique du Cardinal de Richelieu, après avoir balancé les avantages et les inconveniens de la vénalité des  580 HISTOIREET ANECDOTES té, qui fous un monarque abfolu, avoit occa- charges, n'a ófé décider Ia queftion. Je crois devoir ufer de la mème Circonfpeétion que lui. Je rappellerai cependant, que Ia France a eu Ia plus grande obligation a la magiftrature dans les dernieres années qui ont précédé Ia Révolution. On 1'a vü dén oneer les abus,. pour fuivre les déprédateurs, et chercher a mettre a 1'abri de la rapacité du fifc et des courtifans les propriétés publiques et privées Lorsque la cupidité infatia-, ble des Polignac leur fit inventer un nouveau moyen de s'enrichir, en fe faifant accorder, par le Souverain, les alluvions, qu'il prétendoit lui appartenir fur les bords de la Garonne et de la Dordogne, conceffion qui ne tendoit pas moins qu'a dépouiller des proprietaires légitimes, ruiner beaucoup de families et entrainer une foule de difcuffions et de procés. Le Parlement de Bordeaux, s'oppofa a 1'enrégiftrement de la conceffion, fit des remonftrances auffi fages que vigoureufes, et décréta de prife de Corps le grand maitre des eaux et forêts, qui, aveugleinftrumentdes volontés de la cour, venoit  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 581 occafioné la plus vive fermentation dans le royaume, s'éxécuta fans aucune oppofition, quelques chambres de vacations firent paroitre de foibles réclamations ou rèmontrances,mais la plupart enrégiftrèrent le décret purement et fïmplement. Le peuple de Paris, indifférent fur le fort des cours Souveraines qu'elle regardoit autrefois comme fes protectrices, vit difparoitre avec plaifir cette foule de Magiltrats, d'HuifTiers, de Gréffiers, d'Avocats et de Procureurs, qui avoient un empire abfolu dans 1'enceinte du palais et dont les arrèts mettoient un frein a la licence et au crime. II n'y eut pas le moindre mouvement dans les provinces en faveur de 1'ancienne magiftrature; 1'éxil des parlements avoit failli a occafioner la guerre civile en 1787 et Oo iij 1788venoit faire éxccuter en Guienne 1'arrêt du Confeil obtenu par la familie Polignac. Je pourrois citer plufieurs autres éxemples de la conduite jufte et énergigue des differents Parlements qui doivent leur concilier 1'eftime et les regrèts des citoyens amis de 1'ordre et de la paix.  582 HISTOIRE ET ANECDOTES 1788- Leur Deftruction totale fut ap- j plaudie trois ans après, par la majorité des francais et apprit a 1' Aifemblée qu'elle pouvoit dorénavant tout entreprendre. Quelque temps après PAfSerment fembice décréta , que les éclé- ixige des 1 écclefiajiiaues. fiaftiques fonctionnaires publics prëteroient le ferment civique fous peine d' être déchus de leurs bénéfices. Comme ce ferment engageoit le clergé a reconnoitre la nouvelle Conftitution civile qu'on vouloit lui donner' qui étoit attentatoire a l' autorité du Pape et a la liberté et franchife de 1'EgHfe gallicane, la plupart de fes membres parürent décidés a refufer d' adopter ce decret, qui attaquoit et leur honneur et leur confcience. *) On envoya un Cou- riér (*) L'aflemblée avoit décrété, comme article conftitutionel, que le choix des Miniftres du culte, appartiendroit au peuple, et elle avoit réduit le nombre des évé-  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 583 jriér a Rome, pour confulter le St. Pére; jet le Roirefufa pendant longtemps, de fanétionner le décrét qui tendoit a inO o 4 trodu- évêchés, a un pur departement. Le clergé réclamoit a jufte titre, contre cette innovation , qui attaquoit également et les droits du Chef de Téglife et ceux du Souverain. II eft certain, que dans les premiers temps de 1'établifiement de la Religion chrétienne, le choix des évêques et des pafteurs fe faifoit par les fideles, et poft rieurement par le peuple et le clergé réunis. Quelques fois les évêques s'arrogeoient le droit de nommer aux bénéfices vacants, dans 1'étendue de leurs diocèzes. La pragmatique Sanftion r.!tablit les éleftions; mais 011 reconnut bientöt, combien les choix faits par le peuple étoient vicieux, et n'avoient fervi qu'a introduire dans 1'églife une foule d'abus et de fcandale. Le concordat, fait entre Léon X. et Francois ler- abolit la pragmatique San&ion et donna la nomination des bénéfices confiftoriaux au Souverain. Ce traité qui a trouvé beaucoup de détraAeurs étoit cependant jufte en lui même. Io.  584 HISTOIRE ET ANECDOTES troduire un fchisme dans 1' Eglife; mais preile par les follicitatious de 1' aiïem- blée, I°- parcequ'il remettoit le roi en poffeffion de la Nomination des grands Bénéfices , la plupart fondés par fes prédécefleurs, qui, fous la première et feconde race, avoient même e'xercé le droit de collation. a°- que le Roi, en qualité de Chef de la Nation, devoit éxercer les droits qui appartenoient au premiers fideles, droits qu'ils lui avoient remis, lorsque 1'églife avoit été recue dans 1'état, et pour prix de la proteftion, que le Roi accordoit a la Religion. 3°- en ce qu'en fuprimant les élefiions, il faifoit disparoitre les brigues et les cabales, et mème la Simonie, qui s'étoit introduite dans Péglife. 4°- parcequ'a raifon des éleftions, les grands fiéges étoient fouvent remplis par des gens de la lie du peuple, au lieu, qu'a mérite gal, la Nobleffe devoit être préférée. Cette afTertion paroitra, fans doute, éxtraordinaire de la part d'un ennemi déclaré des privileges cxcluiifs. Mais on doit obferver que plufieurs des grands  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 585 blée, et par la certitude que fon refus occafionneroit beaucoup de mècontenO o v tements grands bénéfices avoient été fondés ou dotés par la NoblefTe ; et en fecond lieu que ces bénéfices donnant une grande autorité aux évêques dans les villes oü ils réfidoient, et dans leurs diocézes, il étoit important que le Roi y placat des fujets affe&ionnés et fideles, dont la conficiération put maintenir 1'ordre et la tranquillité publique. On objeftera fans doute , que dans les derniers temps, on pouvoit fe plaindre, a jufte titre, du choix des eccléfiaftiques nommés par le Roi: C'étoit, fans doute, un abus du gouvernement, auquel on pouvoit remedier. Mais peutil ètre comparc a celui de confier au peuple la diftribution des bénéfices, de lui avoir appris a méprifer 1'autorité du faint Siege et des Miniftres du culte et a s'attribuer la connoiffance des matieres de Religion. On peut fuivre le progrès de cette innovation en france; dans le principe, 1'ancien Clergé a été remplacé par des apoftats fans confidération et fans moeurs, bien»  586 HISTOIRE ET ANECDOTES tements et de troubler dans le royaume, il cèda enfin avèc repugnance. *) Les écclefiaftiques réfr adaires furent remplacés par 1 bientót après ils ont été forcés d'abjurer leur Religion, et ils finirontjiar terminer leurs jours dans 1'opprobre et la mifer'e. A 1'egard des annates que les papes s'étoient arrogées, on pouvoit facilement limiter ce droit, qu'ils ne tenoient point en Vertu du concordat, mais par une bulle particuliére, qui ne parut que plus d'un an après. Les Annattes remplifloient d' ailleurs quelques droits, tels que les mandats, les expe&atives, dont les papes jouifïbient du temps de 1'établiflement de la Pragmatique fanction. Sous pré+ texte de réfprmer les abus qui éxiftoient dans 1' état éccldfiaftique , les novateurs ont amené la nation francaife d n'avoit* plus ni Moeurs, ni Principes, ni Religion et a former une fecle d'impies et d' Athées , objet du mépris et de la haine de tous les peuples de la terre. O Les motifs qui dcterminérent le Roi è fan&ionner le decret concernant le ferment des écclefiaftiques font détaillés dans fa  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 587 par de vils mercenaires élus par le peuple. La plupart de ces apoftats étoient des rnoines fans moeurs et fans pudeur, des ambi- fa Lettre a 1'Aflemblée en datte du 24 Decetnbre 1790. Meffieurs, je viens d'accepter Ie Décret du 27 Novembre dernier. En déférant au voeu de 1' Aflemblée nationale, je fuis bien aife de m' expliquer fur les motifs, qui m'avoient déterminé, a retarder cette acceptation, fur ceux qui me déterminent a la donner en ce moment. Je vais le faire ouvertement, franchement, comme il convient a mon Caractcre. Le genre de Communication entre 1' Aflemblée nationale et moi doit refierer les Hens di cette confiance mütuelle fi nécéffaire au bonlieur de la France. J' ai fait plufieurs fois connoitre a 1' Affemblée nationale la Difpofition invariable, ou je fuis, d' appuyer par tous les moyens, qui font en moi, la Conftitution que j'ai acccptée et juré de main- Itenir. Si f ai tardi a prononcer 1'Acceptation fur un décret, c'eft qu'il etoit dans mon voeu de defirer, que les moyens de  588 HISTOIRE ET ANECDOTES ambitieux fans Religion, ou de jeunes prètres ignorants et timides. Aprés avoir donné cette nouvelle preuve de fon empire fur les éfprits, et avoir détruis ou divifé, trois des plus anciens Corps qu'on regar- de févèritè puflent être prévenus par ceux de la douceur, c'eft qu'en donnant aux cfprits le temps de le calmer, j'ai du croire, que 1'Exécution de ce Decret — s' effedueroit avec un accord, qui ne feroit pas moins agréable a 1' Aifemblée nationale qu'a moi. J'efperois que les motifs de prudence feroient généralement fentis, mais puisqu'il s'eft élevé fur mes intentions des doutes, que la droiture connuë de mon Caraftére devoit éloigner, ma confiance en rAffemblée, nationale m'engage a accepter. Je le répete encore: il n'eft pas de moyens plusfurs, plus propres a calmer Jes agitations, è vaincre toutes les réfïftances, que la Rcciprocité de ce fentiment entre 1' AiTemblüe nationale et moi: elle eft nécéffaire; je la mérite, j'y compte: Signé Louis (et plus bas) Duport. Madame  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 589 regardoit comme le Soutien de la monarchie , le clergé, la nobleife et la Magiftrature; il ne reftoit plus qu'a diifoudre 1'armée et la régénérer d'après le nouveaux principes. L' Aifemblée parvint bientót a ce but avec la mème facilité. Immediatemcnt après que 1' aiïemblée eut décrètè 1'émiffion des Affignats, elle f' occu- tótkmtati pa du rapport fur 1' Inftrucli- «g*,^ on du chatelet rêlative aux événements arrivés le 5 etó Octobre 1789Le procureur du Roi du chatelet avoit conclu , a ce qu'il fut lancé des décréts contre M. M. d' Orléans et Mirabeau, et des Madame Elifabeth employa en vain tous 1' afcendant qu' elle pouvoit avoir fur 1'efprit de fon frere pour 1' empecher de fanftionner ceDecret. Cette vertueufe princelfe prévoyoit tous les malheurs qui en feroient la fuite, elle verfa des larmes amêres lorsqu' elle apprir la décifion du Roi, qui cèda enfin aux importunitcs, ïeitérces de M. M. Baumetz, Chapellier et Duport.  59° HISTOIRK ET ANECDOTES des Commiifaires en avoient inftruits! 1' Aifemblée, qui s' étoit refervé de juger ! s'il y avoit lieu a accufation contre ces \ deux Membres. M. Chabroud fut chargé j de faire ce rapport , mais préalable- | ment toutes les dépofitions furent imprimèes. Elles comprenoient 388 ar- [ ticles , indépendament de quelques té- [ moignages recueillis hors du 1 Procédure , du Chatelet royaume. Cette procedure for- I moit deux volumes in 8. de I plus de 300 pages, chacuns , en petits I Caracféres. C'eft en vain qu'on cher- \ choit a découvrir la vérité dans cette foule de dépofitions; la plupart d' entr' elles font infignifiantes, d'autres pouvoient ètre accufées de partialité. M. Mounier dont on requt la declaration, a Genève, et qui par confequent n'avoit j aucuns ménagements a garder s'exprime I ainfi. „Quant aux auteurs et fauteurs „des Crimes, que ?je viens de détailier j ^dit-il en terminant fa dépofition) je ne I „puis les faire connoitre, n'ayant rien | 55ap- 1  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 591 i „appris, qui m'indique précifémenb les j „perfonnes qui ont échauffé les tètes le 5 I „et par conféquent préparé les aifaffinats .1 „du 0 Octobre. " „ J' oblèrve, feulement que J „plufieurs folliculaires de Pa- Differente: cc '11 • dépofitions. I „ris le lont vantes de leur ïnI .,sfluence fur cette infurrection, entr' I s,autres le nommé Marat, et a cet égard I J5je ne répete que ce qu' ils ont imprimé 1 .9,je crois (ajouta- t'il) qu'il a exifté deux I „faclions, 1'une pour difpofer du tróne, 1 „P autre pour faire une République. I „Mais je ne puis afürmer, que ces deux I „ficlions, ou 1' une d' elles ait dirigé 1'inI „furrecfion du 5 ou du 6 Ocfobre deJ „vant me borner fur tout ce qui eft réi „latif a la plainte, et ne pouvant pas I 5,établir des Rélations par des ConjeJ „clures. Plufieurs témoins, entr' autres M. i Eergaffe, atteftoient avoir fqu de M. li Mounier que s'entretenant avec M. de Ei Mirabeau fur la prérogative royalle, ce der-  592 HISTOIRE ET ANECDOTES dernier lui avoit dit, „mais bon homme „que vous êtes avec tout votre efprit, „vous n' ëtes qu'un Sot: je veux un Roi „tout comme vous; mais que ce foit „Louis XVI ou Louis XVII, qu' importe ? „et qu' avons nous befoins d' un petit Bambin pour nous gouverner? Propos > dont M. Mounier ne dit rien dans fa dépofition, mais qui étoit rélatif au projet de déclarer le roi Dechu du tróne, s'il avoit prit le parti de fuir, et de nommer M. le Duc d'Orléans régent du Royaume. La Publication des Dépofitions ayant mis le public a portéc, de juger du plus ou du moins de fondement de 1'accufation propofée par le chatelet contre M. M. d'Orléans et Mirabeau 1'ainé. M. Chabroud commenqa fou rapport fur cette Inftruction Criminel le 30 Septbr. Ce Rapport étoit divifé Analife Au . • t • j rapport Ae en tr01S PartieS- Je Cr01S de" M. ch*. yoir en donner un extrait fuch'""'d- cint,  DE LA RÉVOLUTION FRAN£OISE. 593 cint, pour mettre le Lecteur a portee de juger 1' Efprit qui dominoit 1' Aifemblée, etrcomment on trouvoit le moyen de tirer des Conclufions abfolument diiferentes des mèmes Dépofitions. Dans la première Partie M. Chabroud *) recherche quelles font les caufes éloignées ou prochaines de 1' événement du 6 Octobre dans la feconde il examine li M. M. Mirabeau et d'Orléans, qui, fuivant Je jugement du chatelet, ont paru dans le Cas d' ètre décrètés, ont eu véritablement part a fes Caufes, et a fes effèts. Dans la troifieme, il po- (*) J'ai deja dit dans la première partie de mon Ouvrage, pourquoi Mr Chabroud devoit faire pencher les Conclufions de fon Rapport en faveur de M M. d' Oriéans et Mirabeau; on avoit promis de le recompenfer magniflquement, f' il parvenoit a faire difculper ces deux accufes, lorsque le d.crèt futrendu, on ne le paya que d'jngratitude. TM. Sea.11. Pp  594 HISTOIRE ET ANECDOTES pofe les principes, réfume les faits et conclut. il analife dans le plus grand détail tout ce qu'il a pu découvrir dans la procédure, d'indices, et de preuves du complot, et ce rapprochement de toutes les dépofitions de 1' affaire, „ne lui „offre, (dit-ilj que des bruits Vagues, „des oui-dire, des Contradiclions, des „fuppofitions abfurdes , des invraisem„blances grofïières „ tous les éfforts qu'on a fait pour prouver, que 1' Infurrection des 5 et 6 Octobre étoit 1' éffet d' un Complot, ne fervent a fes yeux qu'a établir 1'Opinion contraire. Quelles font donc les Caufes naturelles, qui ont pü conduire le Peuple a Verfailles? M. Chabroud en cite plufieurs: la Cherté du pain , le bruit qui f' étoit rèpandu, d' un projet d'enlever le Roi, pour Pemrnener a Metz, et de diffoudre 1'Aifemblée nationale L'enrólement d' un nouveau Corps de troupes, le Projet d' enclouer les Canons qui étoient a Paris, Parrivée du Régiment de Flandres, qu'on regar-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 595 regardoit comme 1'avant Garde des troupes qui approchoient, le Repas donné par les Gardes du Corps, a la fuite duquel on avoit infulté la Cocarde nationale, refufé de porter Ja fanté de la nation , chanté 1' air de Rtchard Coéuf de-Lion, la Diftribution des cocardes blanches faite par des Dames, dans la Gallerie de Verfailles, les cns de Vive le Roi, Vive la Reine, au Diable 1'ass. nat. répétés plufieurs fois fur la terraife et fous les fenètres de 1'appartement du Roi. Tels font les faits que M. Chabroud affigne pour ètre les caufes des événements des 5 et 6 Octobre, et dont il prétendoit avoir trouvé la preuve, foiC dans 1'Information, foit dans les Lettres de M. Deftaing a la Reine, foit dans deux Déclarations trés détaillées, faites 1'une par M. le Cointre Major de la Garde nationale a Verfailles, 1' autre par M. Matliereau que le Procureur du Roi n' avoit fait affigner ni 1' un ni ï autre, P p ij quoique  5q6 histoire et anecdotes quoique leurs noms lui euffent été remis par le comité de recherches. M Chabroud parlant de F affaire des Gardes du Corps, crut pouvoir induire de plufieurs dépofitions, que le jnafTacre de quelqu'.uns d' entreux, reprothé au peuple, avoit été plutót 1' éffet d' une vengeance caulée par la Provocation, que celui d'un Complot prémédité d'' Ajfajjinat. Quant aux Gens armés de piqués, qu'on affuroit avoir pénétré jusques dans 1'appartement de la Reine, rien ne prouvoit (fuivant le rapporteur) la vèrité de ce fait. La Dépofition de M. de la Chatre, porte que le lit de la Reine, lui parut avoir été bouleverfé par des mal faiteursj mais de tous les témoins qui avoient depofé fur ce Sujet, M. de la Chatre eft; le feul, qui attefte le fait, fi c'eft 1' attefter que de fe fervir du mot paroitre. Sept temoins contraires, et le verrou de cet  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 597 cet appartement*) qui ne fut pas brifé, anéantiffoient d' ailleurs fuivant lui cette Dépolition, Au moment de terminer, dans fa feconde partie ce qui concerne M de Mirabeau, le rapporteur dit „Au milieu de 1'ennuieufe monotonie de ces anecdotes , votre impatience me demande , fi je n' arriverai pas enfin a de plus graves rècits. Vous m'accufez de m'apèfantir fur des riens et de retarder par une vaine prolixité une déliberation importante. Eh bien! j'ai tout dit: Voila rénumération complette et fidele des Charges que j'ai péniblement cherchées contre M. de Mirabeau. Dans la troifieme partie, M. ChaP p iij broud (*) Ce fait annoncé, par M. Chabroud, a êté démenti publiquement, par plufieurs déclarations des Gardes du Corps, et de quelques autres Perfonnes. Mais le Rapporteur pouvoit répondre qu' ils étoient parties interreffées et qu' en conféquence leur témoignage pouvoit être récufé.  598 HISTOIRE ET ANECDOTES broud offre k 1'aflemblée une réunion de tous les détails, qu' il avoit mis fucceflivement fous fes yeux, pour lui faire trouver, dans un réfumé général, les motifs de la conclulion a la quelle elle devoit s arrèter. U crut mème devoir, pour détourner fon attention des veritables motifs des événements des 5 et 6 Odobre devoir la fixer fur la Conduite du Chatelet, qu'il attaqua de la maniére la plus vive: „1'Information, dit - il, que „nous avons examinée, n'eft - elle pas „elle mème un Complot? quelqu'un a „dit, que le Chatelet faifoit le procés a la „Révolution. Cette remarque fut peut „être une grande Verité. On leroit ici „tenté de le répéter: parmi les difcordes „et les fadions, la bonne foi envii on„née de piéges n' eft pas préfervée d' er„reurs. — Le Rapporteur accufa mème plufieurs témoins , et parmi les témoins, les plus remarquahles étoient des membres de 1' aifemblée nationale, dont 1' averfion, pour  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 599 pour le nouvel Ordre de chofes étoit connue depuis longtemps. M. Chabroud enterminaut fon Rapport f' éxprime ainfi „mon irréfolution eft fixée: 1'affaire ou „mon efprit a été tourmenté de tant ,,d' impreffions diverfes eft ramenée a ces „termes fimples, ou un feul point éclair „ci donne 1' Explication du tout: et il •>,me femble, qu'enfin, enlacement, par „enlacement, j'aidéfaitlenoeud gordien. Je ne vois plus qu' une confpiration, „celle qui a été ourdie contre la Conjlitu„tion: une ligue s' eft formée fur les dé„bris de 1' ancien régime pour tenter le 5,renverfement du régime nouveau: elle 5,a dit: la force eft unie a nous par la „juftice : nous avons dévelopé d' inuttles ef„forts: plions pour nous relever: oppofons „Pintrigue a la force, /'artifice a la juflice. „Agiifant enfuite dans 1'ombre, elle a „marqué un but, dont elle ne f'écarté „pas: déconcertée, elle fubftitue a une „mefure, une mefure nouvelle, et fon „art eft de fe reproduire fous toutes les. P p iv formes:  600 H1ST0IRE ET ANECDOTES „formes: elle avoit appellé cette armée „qui devoit envahir tout Paris et la JiJ „berté naiifante. Elle a fufcité, elle a „nourri cette procédure monftrueufe, „cette guerre de greffe, (paifez moi 1' ex„preilion) dont le prétexte n'a pu dé„rober a nos yeux la prétention fecrette. M. Chabroud ne pouvoit s'énoncer plus fortement contre 1'Accufation; et le filence presqu' abfolu, qu'il garda fur le raprochement de divers faits, qui ifolés ne pouvoient rien par eux mèmes, mais qui par leur réunion formoient au moins la forte préfonv;.tion fur la quelle le chatelet s' étoit fondé. Cette Réticence d' un cóté , ce foin a tout raifembler de 1'autre, fit dire a M. de Bonnay dans la Séance du 2 Oclohre 1700 que ce Rapport étoit un modele de plaidoyer pour les grands criminels. Immédiatement après que M. Chabroud eut fini fon Difcours, Mr. de Mirabeau 1'ainé parut a la Tribune; fur d'obtenir les fuffrages d'une partie de Paffem-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. ÓOI i aifemblée et foutenu par les applaudiifement des galeries, il paria pendant trois heures, non d'une maniére éloquente ni victorieufe, mais en divaguant fuivant fa coutume, et mèlant des plaifanteries groffiéres a la difcuffion d'une affaire auffi férieuse. L'Abbé Maury fe fit enten- . . Opmion ie dre enfuite, et fon opimon v mh ne paroitra pas fufpede, après Maury. avoir articulé qu'il paroiffoit démontré, qu'il avoit éxifté un complot contre les jours de la Reine: il ajouta rélativement a M. de Mirabeau, ,,j' avoue que je ne „vois aucune accufation grave dans Y ln,formation, que je n'y vois rien, qui „ait pu faire naitre aux juges du Chate„let 1'Idée de le décreter. Je confens „volontiers qu'il forte de la procédure, „puisque les Leéteurs 1' ont abfous avant ,les juges:" après cet hommage folemnel rendua lavérité, je paife a M. d'Orléans, et fon avis fut qu'il y avoit lieu a accufation contre lui. Ppv II  602 HISTOIRE ET ANECDOTES II réfulte de la Procedure du chatelet, du Rapport de M, Chabroud, et des opinions oppofëes des différents membres de raflemblée; que la fadion dominante avoit préparé les événemenis des 5 et óOdobre Mais on n'apu fixer avec précifion jusqu' oü s' étendoit fon plan. Obligée d' en abandonner 1' éxécution a dé vils agens et a une multitude éffrénée, il étoit difficile que de pareils Cóopérateurs fe continflent dans les hornes qu'on leur avoit préfcrites. Pour éxécuter ces Projets il falloit concilier prudence, adivité, courage: et c'eft te qu'on ne pouvoit attendre d'un aufli vil aflemblage. II ne paroit pas douteux que M. M. d' Orléans et Mirabeau n'ayent été Fauteurs et Complices de beaucoup d'atrocités, qui fe font commifes pendant ces deux journées, et fans doute fils euffent été décretés, interrogés et confrontés avec les témoins, on auroit acquis des lumieres fur cette affaire auffi atroce que ténebreufe. Aux  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 603 Aux yeux du politique qui avoit fuivi les traces de la Révolution et qui connoiifoit la Vie et le Caraétére des :acculës, il n'elt pas douteux qu'ils ne ifuflent coupables : mais aux yeux du j^uge devant lequel les probabilités et ;les préfomptions doivein; difparoitre pour 1 faire place a la Conviction et a des Certitudes* peutètre n'y avoit - il pas des itémoignages fuffifants, non pour les fuifpeder, mais pour les condamner irré(jvocablement. On peut mème dire, en (général, que le Décret de PAiïèmblée, i|a cet égard, fut conforme au voeu que i 1' opinion publique avoit prononcé fur :j cette affaire , dés 1' inftant ou la Proce1 dure du chatelet eut vü le jour. Ce Décret étoit conqu en ces SI ter mes. „ L'aflemblée nationale, L,après avoir ouï le Compte, Décret. E>qui lui a été rendu par fon ',„Comité des Rapports, de Pinformation „faite par le procureur du Roi au chatelet  604 HISTOIRE ET ANECDOTES ,,let de Paris, le n.Decembre 1789 et „Jours fuivants, contre M. M. Mirabeau. „et d'Orléans, déclare qu'il n'y a pas lieu. „a accufation.,, A peine ce decret fut-il rendu, que; M. d'Orléans parut a la tribune; il dé-| clara qu'il ne lui fuffifoit pas d'ètre difcul-| pé par 1'Aifemblée, mais, que la condui-j te d'un de fes membres, ne devoit pass mème être expofée au plus léger foupcon. 11 s'engagea a faire paroitre un métnoirej juffificatif et aifura qu'il porteroit plainre! contre M. de Flandre de Brunville pro-j cureur du Roi au Chatelet, qui avoit i donné des conclufions contre lui: il fit li eifeélivement circuler peu après une bro- f chure trés infignifiante et qui ne réfutoit ji victorieufement aucune des dépofitions. ji Cet écrit bien loin d'éffacer les foupqons I qui éxiftoient contre lui, ne fervit qu'a les confirmer dans 1'opinion de fes ennemis et des obfervateurs , qui avoient I fuivi les détails de cette affaire, avec i impartialité. Pour détourner 1'attention du Public 1 pen- 'i  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 605 i pendant cette difcuilion, on réI pandit des bruits abfurdes qui Jg? I étoient toujours accueillis avec R„i. I avidité; on lüppofa que le Roi I avoit dü s'échapper de St. Cioud, pour ! gagner Rouen , et fe mettre a la tête d'un parti de contrerévolutionaires : les détails qu'on donnoit de cette prétendue conjuration , prouvoient, qu'il étoit impoliïble qu'elle eut exifté. Cependant il eft certain qu'a cette époque, un Seigneur de la cour, propofa au Roi de favorifer fon départ pour les pays bas, s'il vouloit lui accorder fa confiance. II devoit diriger fa route a cheval par la forèt de Compiégne, et au moyen de fix relais bien difpofés, le Monarque devoit être en moins de quinze heures hors du royaume. Mais foit que le Roi n'eüt point alors le projet de quitter la France, ou qu'il ne voulut pas fe féparer de fa familie, il refufa d'écouter cette propofition et témoigna mème fon mécontentement a celui qui avoit ófé lui communiquer ce projet. Depuis  6o6 HISTOIRE ET ANECDOTES Depuis longtemps , la conduite des Minillres déplaifoit a 1'Aifemblée; ils s'oppofoient; autant qu'ils le pouvoient, aux progrès de la faction dominante, et défendoient les foibles reftes du pouvoir éxécutif qu'on avoit lailfé au Roi. La Majorité de 1'AiTemblée, qui fi"™'"*' vouloit que tout pliat fous fort Miniftns. joug, avoit intérêt que ces places fuffent occupées par fes créatures, et de pouvoir compter fur leur condefcendance et leur foumiffion. On produiiit diverfes accufations contre les Miniflres, mais comme elles n'étoient point aiféz graves, pour qu'on put les inculper férieufement, Mirabeau, propofa de lever toutes les difficnltés, en déclarant que les Miniftres avoient perdu la confiance de la nation. C'eft ainfi, que la chambre des communes du Parlement d'Angleterre fait connoitre fon opinion, lorsque, ceux que le Roi a honoré de fa confiance , ne paroilfent pas juftifier fon choix; mais jamais on ne porte un a&e d'accufation contre les Miniftres, fans  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 607 fans des motifs fondés, et ce n'eft qu'asprès des difculfions éclairées, qu'on fupIplie le Roi, de renvoyer fes Miniftres. Le 19 Odobre, M. de Menou, un des plus zèlés fuppots des Jacobins , fe cbargea d'accufer les Miniftres: les raifons qu'il alléguoit, pour les obliger de donner leurs démilfions, étoient ou controuvées ou infignifiantes; il accufoit le garde des fceaüx de ne point faire expédier aiféz promptement dans les départements , les décrets fancf ionnés par le Roi: il imputoit au Miniftre de la Marine les desordres, qui regnoient dans les ports et dans les Colonies: 1'infubordination des troupes, étoit un éffèt de la négligence et du deffaut de caradtère du Miniftre de la guerre. Le rapporteur affuroit auffi, qu'il avoit dégarni les fronticres, pour favorifer des projets de contrerévolution , et qu'il avoit affoibli 1'armée, en accordant des congés fans nombre. M. de St. Prieft étoit accufé, depuis longtems, de travailler a détruire la Conftitution, et d'avoir trempé dans des  608 HISTOIRE ET ANECDOTES des projets de Contrerévolution. P]u-! Ceurs membres de 1'Aflemblée, fe firenfc. entendre, pour ou contre les Miniftres:\ les Royaliftes infiftoient fur tout, fur ce qu'on attaquoit une des prérogatives du Monarque, garentie par la Conttitutioni' celle de choifir les Miniftres. On fut obligé, pour dé- JJécret en . . , n. ° r leurfaveur. clder la queftion de proceder a 1'appel nominal, et il fut décrété a une majorité de 40} voix, contre 540, que le Roi ne feroit pas prié de renvoyer fes Miniftres. La juftice qu'on leur rendit, dans cette féance fut de courte durée. Les Jacobins, furieux d'avoir vu echouer leur pro jet, eurent recours a leurs moyens ordinaires . on déchaina contr'eux les folliculaires et le peuple: des attroupements confidérables fe raffembloient devant leurs hotels, ils furent plufieurs fois menacés et infultés. Les fections de Paris, dominéés par lesfaclieux, furent convoquées; fur 48 Seétions, 45- préfenterent des pétitions a 1'Aflemblée nationale, pour demander Ie renvoi  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 609 renvoi des Miniftres, quoiqu'il eut été décrété, que ce droit n'appartenoit qu'au Roi. Les Miniftres fentirent qu'une plus longue réfiftence pourroit occafioner de grands malheurs, éxpofer la fureté de la Capitale, peut ètre mème les jours du Souverain: honorés du furfrage que leur avoit accordé la majorité de rAflemblée, et fiïrs d'emporter les regrets et 1'eftime des citoyens honnètes et vertueux, ils fe déciderent a écrire a fa Majefté la lettre fuivante: Sire! Le Voeu manifefte des repré- fentans de la nation vous dé- l'!trej" Mimjires termina, le 18 Juillet de 1'an- u„ r0,. née derniére, a rappeller deux d'entre nous dans votre Confeil. LVACfemblée avoit déclaré folemnellement, qu'ils avoient emporté, dans leur retraite, 1'eftime et les regrets de la Nation. Vous voulütes encore prendre, dans le fein de 1'Afleniblée, ceux que depuis vous T.ILSeiï.II. Q_q »vea  6lO HlSTOIRE ET ANECDOTES avez affociés aux premiers; et elle eu a remercié votre Majefté par 1'organe de fon Préfident, qui lui dit, en fon nom , qu'elle les auroit préfentés elle mème. Ces honorables fuffrages nous étoient néceifaires pour efpérer quelques fuccès; et, malgré la difficulté des circonftances, nous crümes devoir n'écouter que notre zèle et notre dévouement. Nous avions en nous mème le fentiment de la droiture de nos intentions, il nous fut peut être permis de compter que la confiance publique nous accompagneroit prés de vous; qu'elle ne pourroit nous être enlevée, tant que nous conferverions tous nos droits: et la Loi de la refponfabilité, a la quelle nous nous étions foumis, avant mème qu'elle fut prononcée, fembloit devoir nous mettre a Pabri des inculpations hazardées, mille fois plus dures que cette loi. Ainfi , nous avons dü méprifer les traits de la calomnie, les dénonciations vagues, et tout ce qui auroit pu nous diftrai-  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 6 11 ; diftraire des foins importans de 1'admiI niftration. Ainfi, nous avons du nous ; expofer a la haine des ennemis de fordre, et a la cenfure de ceux qui, ne jugeant les Miniftres que par les événements, n'apprécient ni les obftacles a vaincre, ni le nombre et le degré d'efForts qui :i ont été deployés contre eux. II eft confolant, il eft glorieux pour nous de pouvoir invoquer votre témoignage auprés de votre Majefté elle mème, elle fqait, et elle a eu la bonté 'i de nous le dire quelque fois, combien, dans une carrière hériifée de difficultés : toujours renaidantes, il nous a fallu de : courage pour y perfévérer, et fupporter : le poids de nos places : elle fqait qu'il a fallu nous oublier fans ceife nous-mêmes, pour ne nous fouvenir que de 1'aI mour de votre Majefté pour le bien des ; peuples, de Pimportance de nos obliga-i tions, et de notre dévouement a de fi grands intéréts. C'eft dans les mêmes fentimens eC I les mêmes principes , qui nous ont fait Q_q ij t»a  612 HISTOIRE ET ANECDOTES un devoir facré de tout facrifice utile, que nous devons mainteuant fupplier votre Majefté de prendre en confidération, s'il ne convient pas a fes intéréts ainfi ' qu'a la chofe publique, de choifir d'autres Miniftres. Nous avons lieu de juger, par ce qui vient de fe paifer a 1'Af- 1 iémblée nationale, que nous n'obtenons plus la confiance d'un grand nombre de ceux qui la compofent; et, quoiqu'elle ait, dans fa juftice, rejetté le décret qui lui a été propofé, quoiqu'il n'ait été rien j articulé de précis contre nous, quoique la généralité et 1'amertume des imputations n'annoncent que 1'impatience de fixer fur nous le fort des malheurs publics, et qu'il nous fut facile de rendre fenfible la pureté de notre conduite , foit dans fon enfemble , foit dans fes détails; cependant il peut réfulter de 1'éclat mème de cette difcuflion, et du fantome deméfiance que 1'on cherche a fufciter contre nous, une impreffion facheufe pour le bien de votre fervice. Daignez  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 6 13 Daignez donc, Sire, pefer dans votre fagefle ce que Ia circonftance demande de vous. Daignez impofer filence a votre bonté naturelle, et ne confulter que Pintérèt de votre perfonne et de votre adminiftration. Notre amour pour notre patrie et pour notre Roi vivra toujours dans nos coeurs, et certes, quelque puiffe être notre fort, nous mériterons toujours d'ètre comptés au nombre des bons citoyens de votre empire. Mr. de Mont-Morin Miniftre des affaires étrangeres, qui, par de baffes complaifmces, avoit cherché a gagner la confiance de 1'Aifemblée, n'avoit pas été accufé: il ne fe joignit point a fes collegues dans cette circonftance et conferva fa place. Le Roi répondit aux Miniftres. St. Cloudie 22 Oiïobre 1790. Te fuis trés touché des fenti- J , . Réponft M ments que vous me temoi- Rg^ gnez. Perfonne ne fc,ait mieux que moi combien font peu fondées les Q_q iij in-  614 HISTOIRE ET ANECDOTES inquiétudes que 1'on a concuè's a votre fujet. Je vous ai toujours vüs amis du peuple, de 1'ordre, de la juftice et des Ioix. Je prendrai en grande confidération votre lettre: je ferai connoitre i chacun de vous mes intentions: et j'attends de votre zèle pour le bien public et de votre attachement pour moi, que jusques-la vous n'abandonnerez pas vos foncfions. Malgré ce témoignage de fatisfaöion de la part de fa Majefté, Mr. de la Luzerne Miniftre de la Marine, donna fa démiffion le 23 Odobre. Comme la Lettre qu'il écrivit au Roi, contient des détails intéreifans fur la fkuation de la Marine, a cette époque: on croit devoir la rapporter, avec la réponfe de fa Majefté. Lettre de Mr. de la Luzerne. Paris le 23 Ottobre 1790. Sire! lettre de T »»• -n M. de la us vos Miniftres ont mis luzerne. fous vos yeux leur pofition et 1'état  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 615 1'état des affaires publiques ; mais j'ai fait plus particuliérement fentir a votre 1 Majefté, qu'il m'ett devenu impoflible !; de lui rendre des fervices utiles dans le I; .département qu'elle m'a confié. Des désordres s'étoient d'abord ré:; pandus dans différentes provinces de la I France, et s'y font bientöt accrus. On a ébranlé enfuite la fidelité ou au moins I la difcipline de divers corps de troupes. j Aujourdhui c'eft dans les poffeffions les f plus éloignées, qu'on fufcite des troubles: c'eft parmi les équipages des efcadres et les ouvriers des ports et arfenaux, qu'on a femé le germe de la li1 cence et de Pinfubordination. Ces ports, 1 ces arfenaux, ces efcadres, on doit les regarder comme le véritable égide des I Colonies Franqoifes. Je prierai votre ; -Majefté, d'agréer, que je lui expofebien: tót dans un mémoire plus étendu, en quel état je le laiffe, et que je lui rende un Compte detaillé de mon adminiftraI tion: mais je vais rapidement tracer une esquifle qui en préfentera les réfultats: Q_q iv e^e  6lÓ HISÏOIRE ET ANECDOTES elle fuffira pour conftater les reffources faciles a trouver dans ce qui fubfifte; et il importe de faire connoitre dès ce moment le parti, qui peut ètre tiré, après moi, de ce qui a été fait pendant ma geffion. Une Marine matérielle beaucoup plus confidérable qu'elle ne 1'a jamais été depuis le commencement du Siècle: les approvilionnemens , qu'elle exige, ralfemblés; foixante-dix vaiifeaux de ligne et foixante cinq frégates a flot; (je ne comprends pas dans ce nombre ni quatre vaiifeaux et deux frégates, qui peuvent ètre mis a 1'eau avant la fin de cette année, ni huit autres vaiifeaux et quatre frégates en conftru&ion) une foule d'excellens Officiers, qui fe font fignalés pendant la derniere guerre, et qu'on a coiittament exercés depuis cette époque, devroient rendre la France redoutable a toutes les puiifances maritimes, préferver d'infulte fes Colonies, et ètre le plus fur garant du maintien de la paix. En  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 617 En ce moment, néanmoins les flottes des autres nations couvrent déja les mers , et nos forces navales font enchainées: elles fe trouvent condamnées a Tinaction et a 1'inertie par l'indifcipline : des marins, qui fe perpetue par des mou, , vemens, fans ceife renouvellés, d'infur, recfion, par les foupqons déraifonnables et iniuftes qu'on leur infpire chaque jour. Désormais, Sire, un de vos anciens Miniftres auroit moins que qui ce foit la faculté d'oppofer a ce mal moral les | remèdes qu'il faut y apporter. II eft; I nécelfaire, il eft inftant, comme je 1'ai 1 conftament repréfenté depuis plufieurs il jours, de me nommer un fuccelfeur. Je trahirois ma confcience, et la vérité que je n'ai jamais diffimulée a votre Majefté, en n'infiftant pas de nouveau fur les motifs qui rendent cette mefure indifpenfable, quelque foit celui que vous choifirez pour me remplacer, Ü eft probable qu'il n'éprouvera pas les mêmes difficultés : on n'aura pas encore Q_q v cher-  6l8 HISTOIRE ET ANECDOTES cherché a aliéner de lui 1'opinion publique; il recuillera au moins les prémices de la faveur populaire, faveur, qui peut feconder efficacement fes efForts, et 1'aider a rétablir 1'ordre. Cette confidération eft fi décifive et fi urgente, qu'aucune autre dans les circonftances acluelles ne doit la balancer, mon dévouement pour vous, Sire, eft et fera toujours fans bornes. Je n'offre a votre majefté qu'une nouvelle preuve de mon attachement a fes véritables intéréts, et de ma fidelité a mes devoirs, en lui adreffant ma démilfion, et la fuppliant de 1'accepter. Le Roi fit a Mr. de la Luzerne la Réponfe fuivante. St. Cloudie 23 OUobre 1790. R,, . r' ■ 1 ut • Maf.tere du la Charente inferieur, leMaire . , muire Ae de YTarèze fut affalliné par des Vamze. payfuis armés qu'il avoit dénoncé au diifrict de St. Jean d'Angely, comme ayant commis plufieurs éxcës, refufé de payer les droits feigneuriaux, et menacé de pendre les nobles qui en formeroient la demande. Quelques gentils - hommes de la Province du Languedoc, ,,. , . 0 Clmteuii dt pour éviter les fuites de la f u- Buzet. reur des habitants des Campagnes, qui, a cette époque, recommenqoient a piller et a bruler les chateaux, fe réunirent a Euzet chéz le Comte de Clarac maréchal de Camp; ils avoient eu 1'imprudence d'y aporter publiquement des armes, et de fe vanter, que fi on les attaquoit, ils repoufferoient la force par la force, cette éfpèce de menace éxcita  6$8 H1ST0IRE ET ANECDÜTES éxcita le courroux des payfans, ils fe réunirent a la garde nationale de quelques viilages circonvoilins, et vinrent affiéger le chateau, ils y pénétrerent bientót, maf&crèrent M. d'Efquyerac qui voulut oppofer quelque réfiftance, pillerent les meubles et mirent enfuite le feu au chateau. Le Comte de Clarac f étoit refugié dans une Cave, ou il auroit été etouffé par les Flammes fans le fecours de la garde nationale de St. Sulpice, qui le prit fous fa protection; mais les habitans de Eucet étant accourus, 1'arrachèrent de leurs mains et le transférérent dans les prifons de Touloufe, ou il fut détenu trés longtemps, fous prétexte qu'il avoit tiré un coup de piftolet au commandant de la garde nationale. Les habitans d'Auxon en JJesordre en v , , Franche rranche - Comte, après avoir Comth ravagé les forèts, voulurent piller le chateau, ou il n'y avoit qu'une femme agée. Madame de Raigecourt et Mlle de Montlezun fa niècej  DE LA RÉVOLUTION FRANC.OISE. 639 ; nièce: Mlle Bureau de Puzy, foeur du ïdéputé, qui demeuroit dans levoifinage, j s' arma d' un fufil et fe mit a la tête de j quelques domeftiques pour défendre cette j habitation et les infortunées qui y réfi{doient: unpayfan armé d' unc hache vint fpour la frapper, elle 1' éten dit mort a Jfes pieds: 1' attroupement ne fe disfipant fpas, elle ordonna a, fa petite troupe de ifaire feu. Cinq hommes et un femme furent ttués: dans le mème moment, parlant iavec intrépidité a plus de deux cents i,hommes armés; fi vous ofez, ■ j.^ 1; 1 > . r héroifme de \,dit-etle, toucher a cette tnaijon dg ïdetmin je mets le feu au villags. l'uzy. Xes payfans d'Auxon épouvantés, demandent pardon et fe joignent a ejle pour déféndre le chateau contre des habitans des paroiifes voifines, qui :lfe retirerent promptement. J' ai cru devoir configner dans f'hiftoire, cet acte de Courage et d'Héroisme, de la part d' un femme, agée du vingt deux ans. Les  640 HISTOIRE ET ANECDOTES Les membres de raflemblée. da^u qui Pr°jett°ieut» depuis longComtat. temps, la réunion de la ville d' Avignon et du comtat Vénaiffin, chercherent par toutes fortes de moyens a y éxciter la guerre civile, pour Gontraindre les habitants a demander des feeours a la France, et leur fairedéfirer, mème par 1'éxcès du désordre et des calamités, a pafler fous fa domination. Pour faciliter 1'éxécution de ce projet, on avoit déja fait pafler des détachements de troupe de Ligne a Avignon fous prétexte d' aifurer la tranquilité de la ville, mais plutót pour feconder les projets des Jacobins. Les Soldats furent bientót corrompus, et fe joignirent au peuple pour expulfer les nobles, les eccléfiaftiques et les citoyens aifés, qui n' avoient pas pris la fuite, lors de la première émeute. Trois fcélérats dominoient alors dans la ville d'Avignon: deux d'entr'eux étoient officiers municipaux. Leurs noms malheureufement trop célébres' étoiént Duprat et  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 641 et Mainville *), le troifiéme, qui étoit a la tète des bandits qui compofoit la garde nationale, fe nommoit Patrix. Le 10 Decembre , ils fe mirent en marche accompagnés de beaucoup de : peuple d' Avignon et de quelques Sol- : dats franqais; ils fe rendirent a Ca- ■ vaillon, ville épifcopale du Comtat Ve- i naiffin, et fommerent les habitans de re- 1 noncer a la domination du Pape, et de I fe mettre fous la Proteflion de la france j : cette Propofition fut refufée, les habitans 1 firent une fortie vigoureufe, ils repouf I ferent les brigands, qui envoyerent jl chercher du Canon; les portes furent ij enfoncées, le Drapeau francais planté fur les *) Le Ciel a puni les forfaits de ces deux Scélérats; ils viennent d'être Guillotinés è Paris, avec les 19 autres députés mis hors de la loi, par la faétion dite de la Mmtagne. T.ILSeÜ.II. Ss  642 HISTOIRE ET ANECDOTES les murs, et la ville livrée au pillage, on ne détaillera pas toutes les fcenes d' horreur et de Carnage qui fe commirent: elles rapellent les incurfions barbares du Siècled'Attila. dans tous les Villages, ils arracherent les armes du Pape et les remplacerent par celles de France, et pillerent les mailbus des citoyens riches. Après 1'éxpédition de Cavaillon, le Bri- S- es de ga"dS diri§erent Jeur Marche CarpentL. {m Carpentras; la terreur fe répandit dans cette ville, nombre de citoyens prirent la fuite, le Peuple fe révolta contre les Magiftrats, quelques Officiers pub lies furent tués, et on arbora les armes de France. Mais les fcelérats ne furent point contents de n'éprouver aucune réfiftance. Malgré la foumiffion de Carpentras, ils voulurent la traiter comme une ville rébelle: ils firent approcher le 21 Janvier 1791 dix canons et deux mortiers , pour bruler cette malheureufe Cité. Les habitans réduits au dèsefpoir préparérent des moyens de défenfe  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 643 défenfe, et une pluye abondante étant furvenue, les brigands leverent le Siege, en annonqant qu'ils reviendroient bien. tót. A leur retour, ils faccagerent Pabbaye de Bonpas et plufieurs autres couvents, etramenerent a Avignon plufieurs ehariots chargés de dépouilles et du produit de leurs Brigandage. Le Corps municipal d' Avignon fit paroitre bientót gprls une Proclamation, oü, il appelloit cette guerre atroce, unc juftice éclairée des patriotes, contre les Ariftoerates. La Société des Jacobins de Paris, applaudit a ces atrocités, et envoya une Députation aux habitans du Comtat Venailfin, pour les féliciter de ce que, la municipalité d'Avignon leur avoit procuré le bienfait d'une Révolution. C' eft par ces exécrables manoeuvres, que M. Bouche et fes adhérens, préparoient la Ruine de ce malhereux pays, pour forcer les habitans d'émettre leur voeu en faveur de la réunion a la France, S s ij et  644 HISTOIRE ET ANECDOTES et ils ófoient articuler a 1'aflemblée que c'étoit un voeu libre et volontaire. La Municipalité de Macon» Arreftation de r . , , M.deEufy. ht a""eter, a cette epoque, M. Mignot de Bufly •), Capitaine a la Suite, du Régiment de Lorraine, ■ Dragons, qu'on accufoit de tramer des projets de Contre - Révolution: quelques uniformes trouvés chez lui confirmerent ces ibupqons hazardés. En 1786 dans le tems-, ou les brigands parcouroient le maconnois, M. de Bufly s'étoit réuni è quelques officiers et citoyens bien intentionnés pour préferver du pillage une partie des propriétés de ce pays. Les Bri- *) M. de Bufly après être forti de prifon , vint fe réunir aux Princes expatriés, et il obtint le commandement d'un Corps de Francais defignés fous ie nom de chcvaliers Dragons de la coui onne. La plupart de ces chevaliers n'dtoient pas gentilshommes, mais leur Conduite est d'autant plus eftimable: puisquela plupart d'entr'eux ont abandonné la France, fans y être déterminé par les mêmes motifs que le» robles.  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 645 Brigands avoient été attaqués plufieurs fois avec fuccës, et entr'autres a Pabbaye de Clugny, ou on en tua plus de 80, qui avoient forqé les portes et étoient déja dans la cour du monaftère. Mr. de Bufly et ceux qui avoient été a la tète de cette expédition , devinrent odieux au peuple et aux nouveaux Magiftrats qui lui devoient leurs emplois; des dénonciations hazardées fervirent de prétexte, pour le faire arrêter et transférer a Paris , oü il refta plufieurs mois en prifon. On doit cependant avouer, qu'il paroit que M. de Bufly avoit été inffruit de la confpiration de Lyon qui fut découverte a cette époque, et qu'il étoit mème un des Coopérateurs : mais il n'y avoit a cet égard aucune preuve convaincante contre lui, et il étoit fouverainement injufte de retenir un citoyen en prifon, fur de fimples foupqons. Un des Maux les plus affligeans pour 1'humanité, et qui acom- Frojets des pagne ordinairement les gran- Contrtrévades révolutions et les con- ^»«>«? Ss iij telta-  646 HISTOIRE ET ANECDOTES teftations fiir la liberté nationale, eft 1'inquiétude et la défiance réciproque entre les citoyens : le parti dominant, craint les effbrts de fes adverfaires, et ceux-ci, fe plaifent fouvent a débiter leurs plus vaines efpérances, pour des réalités. L'illufion des Contrerévolutionaires et leur indifcrétion etoit extréme, et 1'expérience mème ne pouvoit les désabufer. Depuis plus d'un an, tous leurs projets n'avoient abouti qu'a des chimères, ils renouvellerent eneore a fa fin de 1790 leurs tentatives infrucfueufes; déja la municipalité d'Antibes avoit donné des inquiétudes a cet égard} a Lyon, a Paris mème, les efprits étoient occupés de ces projets, et on répandoit des bruits de nouvelles trames ourdies contre la Conftitution. On auroit pü croire, qu'on devoit attribuer ces rumeurs aux foupqons méchamment femés par ces vils folliculaires, ces boutefeux politiques , qui empoifonnent le repos public par amour, pour ce qu'ils appelJent, la liberté; et que la crédulité du peuple  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 647 peuple ne manque jamais d'accueillir Mais il paroit démontré que ceux qu'on défignoit fous le nom Bizarre d'AriftocratesT étoient les premiers a accréditer ces bruits: ils répandoient ouvertement que le nouvel ordre de chofes ne pouvoit fubfiifer, qu'il étoit temps de faire ceffer la pofition critique , oü fe trouvoit le Royaume: quelques -uns mème avoient 1'extravagance de fixer le terme oü devoit s'opérer la Contrerevolution. Si ces propos n'avoient pas eu la plus grande publicité, on ne pourroit croire, d'après quelque connoiifance de la Difpofition des efprits dans toute la France, que de pareilles idéés euifent pü être conques par des tètes, qu'on ne devroie pas fuppofer dépourvÜes de raifon. Comment concevoir, en erfët, que quelques mécontents , ifolés au milieu d'une nation, dont les vues et les intéréts étoient diametralement oppofés aux leurs, püffent lui dider la Loi. Comment daiLleurs, ces mécontents fans Armes,^ fans Chefs, fans point de réunion, divifés par S s iv leur  648 HISTOIRE ET ANECDOTES leur orgueil et leurs prétentions, pouvoient ils concevoir 1'efpérance d'employer avec fuccès la force ouverte. Tel étoit cependant le moyen qu'iis annoncoient devoir leur réuffir; quelques abfurdes que füffent ces prétentions, elles n'exiftoient pas moins, et elles fe fondoient fur des mouvements éxtraordinaires, que les principaux émigrés fe donnoient chèz les puiifances étrangéres. Un grand malheur de ces contrerévolutionaires infenfés, étoit d'ètre trés mal inftruits de la fituation du royaume, et fur tout de celle des compagnes. De fades adulateurs leur perfuadoient, que le nombre des mécontents étoit tres confidérable dans tous les départements, et qu'en paroiffant avec une force quelconque, ils renverferoient tous les obftacles, et rétabliroient fur des fondements immuables 1'ancien ordre de chofes. D'après ces illufions avec lesquelles les contrerévolutionaires avoient trouvé le moyen d'abufer de la confiance de quelques Souverainsj il n'eft pas douteux que  DE LA RÉVOLUTION FRANCHISE. 649 que les bruits d'une Contrerévolution, dont les ramifications en traverfant le royaume , s'étendoient depuis Madrid jusqu'a Turin n'euflent quelque apparence de probabilité (*). Antibes, Aix, MarSs v feille, (*) L'Ex-Controleur-Général Calonne et fon frere 1'abbé de Calonne, faiibient, a cette époque, des courfes réitérées de Londres a Turin; ils élTayoient de remuer tous les Cabinets de 1'Europe. Le Baron de Breteuil et quelques autres Seigneurs expatriés négocioient de leur Coté. Le Chevalier de Roll fut envoyé en Ruffie par M. le Comte d'Artois, des intriguans fubalternes élTayoient de réunir un parti de mécontents dans les villes. Toutes ces menées indifcrètes n'aboutirent qu'a donner encore plus de force au parti des Jacobins, a raifon des dangers réels ou imaginaires dont ils étoient menacés. Le peuple toujours inquiet et méfiant, préfenta a celle époque des pétitions contre 1'émigration et demandoit des loix pour la prévenir. L'Aflemblée décréta, que les fonftionaires publics, penfionaires de 1'état, abfens du royaume, qui ne rentreroient pas  650 HISTOIRK ET ANECDOTES feille, Lyon, Perpignan éprouverent fucceffivement des agitations, qui étoient dües aux manoeuvres des mécontents. Des intriguans fubalternes , la plupart perdus de réputation et noyés de dettes dans leur patrie, étoient les agens fecrets et les moteurs de ces projets; ils déployoient d'autant plus d'a&ivité, qu'en cas de fuccês, ils avoient tout a gagner. Lyon devoit être le foyer rréte„d«t de péxplofion. Déja de crédu- Confpiration ., 1 o Lyon. les gentilshommes des provinces d'Auvergne et Du limoufin y avoient été attirés et avoient épuifé leurs modiques facultés, pour s'armer en guerre et fervir fous les ordres du Comte d'Artois, qui devoit fe rendre dans cette ville avec une armée de 12,000 Piémontois. Tout a coup leurs efpérances s'évanouirent; les Jacobins, dont les efpions étoient auffi vigilans, plus multipliés et mieux payés que ceux des contrerévolutionaires, dénoncerent cette con- pas dans 1'efpace de deux mois feroient déchus de leurs penfions et traitements.  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 651 conjuration vraie ou prétendue, et le 10 Decembre, on arrèta M. Mrs- d'Efcars, Guillain de Pougelon, et Teyflbnet comme complices d'un projet de Contrerévolution, quoiqu'ils ne fuifent encore convaincus d'aucun délit. L'Aifemblée décreta que ces particuliers feroient transférés du chateau de pierre - fqife , dans les prifons de Paris , et que les informations faites contr'eux aLyon, feroient envoyées a la haute Cour nationale, chargée de juger les crimes de léze nation. Mr. de la Chapelle , Commandant des troupes de Ligne , étant impliqué dans cette affaire ou Sufped 1'Aifemblée décréta que le Roi feroit prié de nommer a fa place un autre Officier Général, et de retirer les troupes en garnifon a Lyon , pour les remplacer par d'autres Régiments. Ces projets auffi mal ourdis que mal conqus par les Franqais éxpatriés, ces tentatives infruclueufes pour attaquer la Révolution fervirent de prétexte pour vexer impunément les citoyens paifibles qui  052 H1ST0IRE ET ANECDOTES qui n'adoptoient pas ouvertement le parti de la fadion dominante. Dans plufieurs villes du royaume , des particuliers pour oppofer un frein au Difaiution defpotisme des Jacobins, avo4.1 /« ient form^ des fociétés fous le puixi titre d'amis de la paix. On s'oc- cupoit dans ces AiTemblées de la ledure des papiers publics, ou de quelques converfations innocentes qui avoient pour but de fe foumettre au texte des décrèts. Les Jacobins qui les interprécoient a leur gré irrités de voir que quelques citoyens vouloient fe fouftraire a 1'empire qu'ils avoient établi par la crainte ou par la force, réfolurent d'anéantir ces nouveaux Clubs. Cette entre* prife étoit facile, les Officiers municipaux étoient la plupart leurs créatures,ils. difpofoient presque toujurs de la Garde nationale et le peuple leur étoit dévoué dans presque toute la France. Ces fociétés furent attaquées a force ouverte, a la mème époque , les maifons oii fe tenoient les Affemblées furent pillées, les parti-  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 653 particuliers qui voulurent oppofer de la réfiltance furent tués ou maltraités: bientót aucun particulier ne voulut accorder d'azile aux citoyens qui défiroient fe réunir , et les Jacobins triomphans virent avec fatisfaétion fhumiliation de leurs adverfaires, et Paudace et Fimpunité de leurs fectateurs. La tyrannie, qu'exercoient les Jacobins , sètendoit jusqu'aux fpedacles; au lieu d'y trouver ™%a» comme autrefois quelques in- Francais. flans de plaifir ou d'amufement; on étoit obligé d'y entendre les injures les plus atroces, contre les Rois, les Gouvernements, et la Religion: les acteurs mème, n'avoient pas le droit de choifir les piéces qui auroient pü être agréables a la majorité des fpectateurs. Un nommé Chénier, ayant fait une tragédie, intitulée Charles IX écrite en vers barbares , et qui péchoit effentiellement contre les regies de Part dramatique, on vit Mirabeau obliger les comédiens Francais de réitérer la repréfemation de cette  654 H1ST0IRE ET ANECBOTES te piéce fanguinaire, qui tendoit a infpirer de 1'horreur pour les fouverains et les Miniftres du culte. L'acleur Fleury, ayant refufé de jouer avec un de fes collegues nommé Talma, qui par fes déclamations outrées avoit obtenu le fuffrage du peuple, foudoyé par les Jacobins, fut attaqué en fortant du fpe&acle et obligé par la fuite d'obéir aux caprices des nouveaux tyrans. Les citoyens paifibles étoient fréquemment infultés (*) maltraités et obligés de quitter leurs places, lorsqu'ils n'applaudilfoient pas les palfages qui pré- ferv (*) Les particuliers aifes, qui avoient des voitures, étoient fréquemment expofés aux huées et aux invectives de la populace lorsqu'ils [allóient au Speétacle. M"e- Granville célébre Courtifanne ayant dit, en fortant de 1'opéra, a un crieur d'appeller fes gens : un patriote groffier lui répondit, en langage de la Halle; "qu'appelles-tu, tesgens: apprends que „nous fommes tous frcres? en ce cas, „répondit MUe- Granville, qu'on appellé - „mes freres Jèrvants?,,  DE LA RÉVOLUTION FRANcOISE. 655 Sifentoient quelqu'allufion obfcène ou liü berticide. Toutes les piéces qui conteinoient une faine morale et des principes I de vertu furent profcrites et reroplacées | par des comédies patriotiques , qui anI non^oient la dépravation des moeurs de I la nation. et n'infpiroient que mépris et i dégout aux vrais amateurs du théatre. Le 4 Decembre quelques compagnies de la Garde nationale de . i r ■ _ > „ Événement Perpignan, s etoient reunis avec & peffi_ les Canoniers pour célébrer la gnan. I fète de la Ste- Barbe. A 1'iifue li du repas on proféra des imprécations J contre les Ariftocrates: les Jacobins pro- II fiterent de ces heureufes difpofitions; ils propoferent d'aller attaquer la fociété des amis de la paix, et de forcer les membres de fe féparer. Les amis de la 5 paix prévenus de ce projet, avoient pris I la Réfolution de fe défendre, et effectij vement ils firent feu fur les aifaillants: j les Jacobins irrités envoyerent chercher 1 du Canon; la porte de la fociété fut enI foncée , plufieurs particuliers tués, et qua-  656 H1ST0IRE ET ANECDOTES quatre vingt d'entr'eux bleffés griévement furent menés en prifon le lendemain, malgré les inffances des Officiers municipaux; la populace, donna aux Jacobins le fpecfacle barbare, de voir trainer leurs antagoniftes mutilés et tneurtris, dans toutes les Rües : cette Scène fanguinaire dura plufieurs heures et couta la vie a quelque unes de ces malheureufes Victimes. C'eft a la fin de 1790., Club Mo- v r r l ■narcbiqut. onii„£ue. fur le vaiifeau le Léopard; les troubles ne cefferent point a St Domingue. Le 24 Aouft il forma une nouvelle aifemblée a Léogane, qui Pnt le titre de confeil général de guerre et de Politique. On y arrèta de former un pacce fédératif, entre les paroiffes de la  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 665' la province du Sud et d'une partie de celle de 1'Oueft, et de créer un conseil général fédératif, de lui attribuer le droit de lever des troupes foldées, afin de prévenir une Contrerévolution dans les Colonies. L'aifemblée concluoit, a ce que le confeil fédératif fut autorifé a prendre toutes les mefures néceflaires, pour hater le moment de la régénératiort après la quelle foupiroient tous les habitants de St. Dominigue. L' Aifemblée provinciale du nord, prit le 8 Septbr. un arrêté abfolument contraire; elle défendit aux corps civils et militaires et aux habitans du quartier du nord, de figner tout a&e fédératif ou de fe joindre a 1' aifemblée deLéogane, a peine d'ètre déclarés etpourfuivis comme perturbateurs du repos public: elle caifa et annulla tous les arrêtés de la nouvelle aifemblée de Léogane, jusqu' a ce qu'il en eut été référé au Corps législatif. T t v Les  1" 666 HISTOIRE ET ANECDOTES Les troubles éclaterent'a ct ak ]a Ma>-tinique, d'une maniére Mattinique. . plus violente; dans le cours de Juin et de Juillet, iJs s' étoit formé dans cette colonie deux aflemblées. L'une des habitans du Eourg St. Pierre compofé en grande partie de négocians, d'armateurs, et de commilfionaires qui fourniffent des vivres et des deuréei» aux planteurs, qui en grande partie font leurs débiteurs, 1'intérêt des habitans de St. Pierre, étoit donc abfolument différent de celui des autres Colons, qui- formerent une aifemblée au fort royal, réfidence du Commandant militaire. L'jAffemblée de St. Pierre voulut bientót dominer toute la Colonie; quelques Mulatres, ayant formé ,des Compagnies armées, pour paroitre a la Cérémonie de la fète - dieu.; il s'éleva des rixes entre les Créoles et les gens de couleur; les premiers pour rendre leurs adverfaires encore plus odieux^ répan- dirent  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISE. 667/ dirent le bruit qu'ils avoient le projet d' égorger les blancs et de s' emparer de la Colonie: la municipalité fit arrèter plufieurs mulatres et des Officiers du Régiment de la Martinique, qui avoient pris leur parti; les Soldats étoient en Infurrection et deja gagnés par la Municipalité. L'aifemblée coloniale, profita de cette circonftance, pour faire marcher des troupes contre la ville de St. Pierre, et fe venger de fon ancienne inimitié: le parti de St. Pierre qui avoit des troupe» a fes ordres eut bientót acquis une grande fupériorité dans Pisle: l'aifemblée coloniale fut obligée d'évacuer le fort Royal, après un Combat fanglant; et fes adverfaires y entrerent triomphants, fous les Ordres de M. de Chabrol Commandant de la Milice. L'aifemblée coloniale implora alors 1'autorité du Gouverneur, elle arma une quantité de Négres, etfecondée par quelques troupes de Ligne, qui étoient reftées fidelles a M. de Damas, elle reprit le fort royal, livra une Bataille  668 HISTOIRE ET ANECDOTES taille générale aux troupes de St. Pierre qui furent défaites complettement. Après cette expédition, Ie Géneral marcha fur cette ville et en forraa le blocus. Les habitans, dont on ne pouvoit vaincre 1'obftination demanderent des fecours a l'affemblée de la Guadeloupe, qui leur envoya 400 hommes, et ils paroiifoient décidés a fes défendre jusqu' a la derniere extrémiré, lorsque le vaiifeau de guerre, le ferme, venant de France arriva a la rade St. Pierre: le commandant menaqa de faire tirer fur la ville et de la reduire en cendres, fi elle ne fe foumettoit pas aux conditions propofées par M. de Damas, un bout de 24 heures. On confentit réciproquement a la fufpenfion de toutes hoftilités, a échanger les prifonniers; les deux adem blées de St. Pierre et de fort royal, convinrent de ceffer leurs fonclions jusqu' a 1' arrivée des Commiffaires conciliateurs qu' on attendoit de France. L'Aifem-  DE LA RÉVOLUTION FRANCOISÜ. 669 L'Affemblée inftruite de ces désordres décreta le 20. Dlcrét * ce Sujet. Novembre „que le Roi feroit prié de faire paffer dans les isles et colollies Franqaifes des antilles fix mille hommes de troupes de terre et quatre vaiifeaux de ligne, indépendamment de ceux votés par les précédens décrets avec le nombre de batimens néceffaires. pour le transport des troupes, lesquelles forces feroient combinées et diftribuées de la maniere la plus propre a aifurer la tranquilité descolonies, d' après les Inftru&ions que le Roi fera prié de donner, tant au Gouverneur général des Isles fous - le - vent, qu1 a 1' Officier au quel il plaira a S. M. de confier, dans cette Circonftance, le Gouvernement général des isles du vent. Au furplus 1' aifemblée nationale décréte provifoirement, qu'il fera ouvert dans 1'isle de la Martinique un fecond pof t d' entrepot a la Trinité, et que les batiments étran* gers feront admis dans celui du fort royal  67O HISTOIRE ET ANECDOTES royal pendant Phivernage; maintient également provifoirement les deux entrepots actuellements ouvert, dans 1'isle de la Guadeloupe, ala bafle terreet a la pointe* a - pitre; le tout a la charge de ié conformer aux regies établies par 1'arrèt du confeil du 30 Aouft. 1784." 11 s' èleva aufïi quelques Troubles en trouDles eu Corfe ou paoli Corje. gnoit avec une autorité Dictatoriale; toutes les places n'étoient données qu' a fes créatures, et il avoit une Compagnie de garde foldée, qui faccompagnoit par tout. Un parti de citoyens qui vouloient jouir de la liberté que les' décrets de raflemblée leur afluroit, s'éleva contre la faclion de Paoli. Mais ce Général étoit en rélation avec Mirabeau et par conféquent fa caufe devoit triompher 11 envoya des députés qui inculperent publiquement et avec des éxpreflions trés outrageantes M. M. Butafoco et Perretti. Le cöté droit de 1' aifemblée demanda juftice de Pinfulte faite, dans fon en- ceinte *  DE LA RÉVOLUTION FRAN£OISE. 67 r ceinte, a deux de fes membres. Mirabeau prit alors le parti d.;s députés Corfes et ofa articuler, qu'il avoit fait intercepter des lettres de ces deux membres de l'aifemblée, qui prouvoient leurs coupables projets. Ces lettres ne contenoient cependant qu' une improbation de quelques décrets rélatifs a la Conlütu. tion civile et au traitement du clergé. L'lmpudeur avec laquelle Mirabeau avoit osé avouer, qu'il avoit violé le fecret des correfpondances, excita findignation de la minorité de l' aifemblée. Le tumulte fut extréme, on Paccabla d'injures, mais il etoit accoutumé depuis longtemps a tolérer avec patience des expreifions qui auroient bleifé toute ame délicate. M. Barnave qui préfidoit alors 1'aifemblée parvint enfin a rétablir le calme." L'Aifemblée avoit décrété que les Veuves des citoyens qui auroient fervi la patrie avec diftincTion, feroient entretenues aux dépens du tréfor public. Bar- rere  é73 HISTOIRE ET ANECDOTES rere de Vienzac profita du texte de ce décrét pour réclamer des fecours en faveur de la veuve de J. J. Rouffeau. Les écritsde ce célébre auteur, qui avoit plus de genie d'originalité, que de jugement avoient préparé la révolution, fon Contract focial, ouvrageremplide paradoxes, étoit devenu un livre élémentaire entre les mains des novateurs, ils lui témoignerent leur reconoiifance en accordant a Marie le Vafleur, veuve Rouffeau une penfion annuelle de woo Livres. La Rébellion qui avoit Pacificntio» éclatté dans le Brabant et dans du Brabant. , ,., . le pays de liege, s appaisa a la fin de 1790. Le patriotisme exalté des Brabancons ne put tenir contre la valeur et la difcipline des troupes Autrichiennes: aprés avoir été défaits plufieurs fois, leurs chefs van • Eupen et van der Noot, les abandonnerent clandeftinement. L'Empereur Leopold, au lieu d' employer lesvoyes de rigueur, crut pouvoir calmer les efprits et fatisfaire un  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 673 un peuple inquiét, par la douceur et la conciliation: les prétentions des mécontents ne firent qu'augmenter, il falloit 1'expédition deDumourier, et les incurfions barbares des troupes conventionelles, pour faire fentir aux Brabancons , qu'une révolution eft un des plus grands fléaux que le ciel ait réfervé dans fa colère pour le chatiment • des peuples. Corrigés par leur propre éxpérience, et 1'éxemple de la France, on doit éfpérer, que les Flamands et les Brabancons feront a jamais garantis de cette Contagion. ^ Le Secours efficace du Roi de Pruffe reprima a cette époque et d" fttys r 1 \ il Liegt. la fédition des Liegeois et les fit rentrer momentanément fous 1'autorité de leur légitime fouverain. Mais le peuple de Liége qui après celui de Paris, peut être eonlidéré comme le plus revolutionaire qui exifte dans Punivers, n'attend qu une circonftance favorable, ou qu'un Léger point d'appui, pour fe V v livrer  674 HISTOIRE ET ANECDOTES livrer a tous les excès dont la Nation Francaife a donné 1' exemple; et il eft probable que fi le peuple pouvoit fe livrer a fon penchant pour la licence, Monfeigneur 1'Evéque de Liège et Mrs. les Tréfonciers fubiroient le mème fort que M- — 1' Archevèque de Paris et les vénérables chanoines du Chapitre de notre dame. Pendant que le Roi de Pruife protegeoit 1' Evèque de Liege contre les enterprifés de fes Sujets révoltés, il avoit permis au Comte de Schönfeld P un de fes généraux de commander les troupes que les Brabancons avoient raffenjblées pour attaquer les prérogatives de leur Souverain. Ce même Général fut envoyé par la Suite auprés de Princes francais expatrics, pour foutenir une plus noble caufe, et concourir avec eux au rétabliifement du tróne et de la Monarchie. . Les Puiffmces de 1'Europe paroiifoient voir a cette époque d'un oeil tranquille et indifFérent, les  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 675 las événements qui fe paffoient en France, fans prévoir que 1'émanation des dangereux principes de Liberté et £ égalité» pouvoit un jour atteindre leurs états. Un effort bien combiné, eut anéanti a cette époque la révolution et les revolutionaires. Les Jacobins ne trouvant aucuns obftacles étendoient leurs ramifications, et travailloient quoique fourdement a renvërfer les trönes, les autels eta diffoudre tous les Hens de la fociété. Une croisade générales'eft enfin réunie contre cette fecte infame. Le fort de Punivers entier dépend de fes fuccès, le citoyen paifible attend avec inquiétude cette marqué de la faveur et de la jultice divine, qui doit punir avec éclat des attentats et des forfaits dont les annalles des peuples mêmes les plus barbares, ne rappellent aucunes traces. Ie termine mes Réflexions ■ , *' Conclujïon. et la feconde partie de mon uuvrage. Je fens toute l' étendue de la U u ij tache  676 HISTOIRE ET ANECDOTES tache qui me refte a parcourir, et je crois devoir prévenir les remarques qu'on pourra faire fur les deux parties qui ont paru. La prémière compofée de materiaux ifolés ne préfente aucun enfemble aucun plan fixe, 011 y trouve des anecdotes abfolument étrangeres a la Révolution, et les Caracfères auroient pu étre tracés d'une maniére plus délicate, et moins févere. La feconde partie paroitra peut ètre remplie de détails trop minurieux, et narrès fouvent d' une maniére diffufe. On peut me reprocher auffi beaucoup de négligences de ftile, quelques perfonnes en favent la raifon et je pourrois la divulguer fans crainte. Si cependant des Lecteurs trouvent dans cet écrit quelques faits intéreifans, des vües et reflexions fages, et fur tout les moyens de decouvrir le caraclére de la Révolution, et le génie particulier de la Nation franqaife , mon but elf rempli. J'efpere préfenter par la fuite des  DE LA RÉVOLUTION FRANqOISE. 677 des obfervations et des Anecdotes intérefTantes fur les événements arrrivés en 1791- La désorganifation de 1'Armée, le départ du Roi, 1'émigration, 1'acceptation de la conftitution, formeront en partie les fujets de cet ouvrage, pour lequel je reclame la bienveillance du Leéteur, en 1' aifurant que j'y donnerai tous mes foins.   Errata du fecond Volume. Sommaire de la première Se&ion. Page ligne lifez 4 2 ligne linge 10 9 Déret Décret 10 23 leur leurs 11 2 Bravour bravoure 14 24 noveau nouveau 16 9 le populace la populace 19 17 jai j'ai zo 16 et la et a la 27 19 au milieu de plus au milieu des plv» 36 9 préfére préféré 37 8 leurs leur 38 18 al'ujetti afl'ujetti 41 2 pas entier pas en entier 44 6 courroient courroit 45 7 défiries défiriez 47 5 par pas 55 21 1'inchoérence 1'incohérence 57 6 rachatables rachetables 62 20 fon 1'Egide fous 1'Egide 63 9 voués confacrés voués, confacrés. 80 3 et de plus grand et des plus grands id. 7 le plus grands les plus grands 8i 9 les d'enrées les denrées X 85  Errata. Pag e ligne UfeZ 8 3 9 et io s'accroifoit s'accroiflöit 8 7 i dependroient dependoient id. 4 fut toul ibur tout 90 19 le fuffrages les fuffrages id. 20 éclaires eclairés 93 6 exite exifte id. 25 qu'ils qu'elles 95 2 leur voeux leur voeu 101 22' que faifoient que faifoit 102 22 franchife fraicheur 105 18 par des pareits par de pareils ïo6 13 1'avoit 1'avoient 107 15 loursque lorsque 108 14 de villes des villes. In 17 fe plaignerent fe plaignirent 112 5 qu'il lui céda qu'il lui cedat 117 21 ont devoit on devoit id. 23 reclus riélus 124. 20 a rem.ettre de remettre 127 4 toujour toujours 127 7 beaucoup des Beaucoup de 148 19 regnoit regnoient 152 18 viclieme viftime 153 19 le garnifon la garnifon id. 23 afifemblée afïenibli Ï54 9 hereufement heureüfetnent *57 25 appertenant appartenant 154 15 etats Etats i?3  Errata. Page ligne lifiz\ 173 ai puisque on puisqu'on 202 23 croix bordée croix brode'e 209 1 biensdeTempliers biensdesTemplicrs a 16 8 foit aflurés foient afiuri