BIBLIOTHEEK UNIVERSITEIT VAN AMSTERDAM 01 2579 9056  PRECIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV. PREMIÈRE PART IE.   PRECIS DU SIÈCLE D E LOUIS XV, fAR M. DE VQ LT AIRE. Servant de Suite au Siècle de Louis XIV, du même Auteur. PREMIÈRE PARTIE. A MAESTRICHTy Chez J. E. Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires affbciés. M. DCC. LX XXL   AVIS DE L'ÉDITEUR. TE cékbre Auteur de la Henriadc *-"oiem d"enrichir notre Hiftoire dun Précis du Siècle de Louis XV (le BienAimé.) II aparu a la fuite dune muvelle édition du Siècle de Louis XIV, qui vient cTêtre annoncée en 4 vol. in-Svo., dans laquelle nous n'avons reconnu de dijférence, d"avec les anciennes, que quelques fupprejjzom dans le Tableau de l'Europe, qui ont paru néceffaires, & un changement dam Fordre numéraire des Chapitres, qui» fans augmentationdematiere,formenéanmoins des Chapitres de plus. A la têtede cette nouvelle édition, on a rangé dam un ordre différent que dans les précédentes , la lifïe raipmnée des Enfants de Louis XIV ar le Chancelier d''Aguejfeau lui même, |ui avait été fi Iong-temps contraire a cette cc'eptation. L'Abbé Dubois obtint même  Philippe || nne rétraclation du Cardinal de Noailles. Le Régent de France, dans cette intrigue, fe trouva lié quelque tempspar les mêmes in' térêts avec le Jéfuite d''Aubanton. Philippe F commencait a être attaqué d'une mélancolie, qui, jointea fa dévotion, le portait a renoncer aux embarras du tröne, & aleréfignera fon fils ainé Don Louis, projet qu'en effetil exécuta depuis en 1724. II confia ce fecret a d''Aubanton. Ce Jéfuite trembla de perdre tout fon crédit quand fon pénitent ne ferait plus le maïtre, & d'être réduit a le fuivre dans une folitude. II révéla au Duc d'Orléans la confefllon de Philippe F, ne doutant pas que ce Prince ne fit tout ion poffible pour empêcher le Roi d'Efpagne d'abdiquer. Le Régent avait des vues contraires: il eüt été content que fon gendre fut Roi, & qu'un Jéfuite qui avait tant gêné fon goüt dans Faffjire de la conftitution, ne fut plus en état de lui prefcrire des conditions. II envoya la lettre de d'Aubanton au Roi d'Efpagne. Ce Monarque montra froidement la lettre a fon confefièur, qui tomba évanoui, & mourutpeu de temps après *. * Ce fait fe trouve attefté dans VHifioire civilt tfEfpagne , icritt par Bellando, imprimée avec la permiffion du Roi d'Efpagne lui-raêrae ; elle doit être dans la bibliotheque des Cordeliers a Parit. On peut A vj Ch, I,  Régence CHAPITRE II. Cs, II. Ia lire a la page 306 de Ia quatrieme Partie. J'en ai la copie entre les mains. Cette perfidie de d'Auianton, plus commune qu'on ne croit, eft connue de plus d'un Grand d'Efpagne, qui 1'attefte, Suite du Tableau de YEurope. Régence du Duc d'Orléans. Syfiême de Law ou Lafs. Ce qui étonna le plus toutes les Cours de TEurope, ce fut de voir quelquetemps après, en 1724 & 1725, Philippe V & Charles VI, autrefois ii acharnés 1'un contre 1'autre, maintenant étroitement unis; & les affaires forties -de leur route naturelle , au point que le Miniftere de Madrid gouverna une année entiere la Cour de Vienne. Cette Cour, qui n'avait jamais eu d'autre intention que de fermer a la maifon Francaife d'Efpagne tout accès dans 1'Italie, fe laifla entrainer loin de fes propres fentiments, au point de recevoir un fils de Philippe V & d'Elifabeth de Parme, fa feconde femme, dans cette même Italië, dont on voulait exclure tout Francais & touc Efpagnol. L'Empereur donna a ce fils puiné de fon concurrent, 1'inveftiture de Parme  du Duc d'Orléans. 13 & de Plaifance & du grand-Duché de Tofcane : quoique Ia fuccefllon de ces Etats ne fut point ouverte, Don Carlos y fut introduit avec fix mille Efpagnols; & il n'en coüta a 1'Efpagne que deux cents mille piftoles données ü Vienne. Cette faute du Confeil de 1'Empereur ne fut pas au rang des fautes heureufes; elle lui coüta plus cher dans la fuite. Toutétaic étrange dans eet accord; c'était deux maifons ennemies aui s'unilTaient fans fe fier 1'une a 1'autre; c'était les Anglais, qui ayant tout fait pour détröner Philippe V, & lui ayant arraché Minorque & Gibraltar, étaient les médiateurs de ce traité; c'était un Hollandais , Ripper da, devenu Duc & toutpuiflanc en Efpagne, qui Ie fignait, & qui fut difgracié après 1'avoir figné, & qui alla mourir enfuite dans le Royaume de Maroc, ou il tenta d'établir une Religion nouvelle. Cependant, en France, la régence da Duc d'Orléans, que fes ennemis fecrets & le bouleverfement général des finances, devaient rendre la plus orageufe des régences, avait été la plus paifible & la plus fortunée. L'habitude que les Francais avaient prife d'obéir fous Louis XIV, fit la füreté du Régent & la tranquillité publique. La confpiration, dirigée de loin par le Cardinal Alhér oni, & mal tramée en France, fut dif- Ch. 11.  Ch. ii. 14 Régence ' fipée aufïi-tdt que formée. Le Parlement, qui, dans la minorité de Louis XIF, avait fait la guerre civile pour douze charges de Makres des requêtes, & qui avait calfé les teftaments de Louis XIIIéi de Louis XIF, avec moins de formalités que celui d'un particulier, eut a peine la liberté de faire des remontrances, lorfqu'on eut augmenté la valeur numéraire des efpeces trois fois audela du prix ordinaire. Sa marche a pied delagrand'Chambre au Louvre, ne lui attira que les railleries du peuple. L'édit le plus injufte qu'on ait jamais rendu, celui de défendre a tous les habitants d'un Royaume d'avoir, chez foi, plus de cinq cents francs d'argent comptant, n'excita pas le moindre mouvement. La difette entiere des efpeces dans Ie public; tout un peuple, en foule, fe prelTant pour aller recevoir a un bureau quelque monnoie néceffaire a la vie, en échange d'un papier décrié dont la France étoit inondée ; plufieurs citoyens écrafés dans cette foule, & leurs cadavres portés par le peuple au Palais-Royal, ne produifirent pas une apparence de féditiom Enfin , ce fameux fyftême de Law, qui femblait devoir ruiner la régence & 1'Etat, foutint, en effet, 1'un & 1'autre par des conféquencesque perfonne n'avait prévues. La cupidité qu'il réveilla dans toutes les conditions, depuis le plus bas peuple juf*  du Duc d'Orléans. 15 qu'aux Magiftrats, aux Evêques & aux Princes, décourna tous les efprits de toute attention au bien public, & de toute vue politique & ambitieufe, en les rempliftanc de la crainte de perdre, & de 1'avidité de gagner. C'était un jeu nouveau & prodigieux, oü tous les citoyens pariaient les uns contre les autres. Des joueurs acharnés ne quitrent point leurs cartes pour troubler le gouvernement. II arriva, par un prettige dont les reflbrts ne purent être vifibles qu'aux yeux les plus exercés & les plus fins, qu'un fyftême tout chimérique enfanta un commerce réel, & fit renaitre la compagnie des Indes, établie autrefois par le célebre Colbert , & ruinée par les guerres. Enfin, s'il y eut beaucoup de fortunes particulieres détruites, la nation devint bientöt plus commercante & plus riche. Ce fyftême éclaira les efprits, comme les guerres civiles aiguifent les courages. Ce fut une maladie épidémique qui fe répandit de France en Hollande & en Angleterre; elle mérite 1'attention de la poftérité; car ce n'était. point 1'intérêt politique de deux ou trois Princes qui bouleverfaic des nations. Les peuples fe précipiterent d'eux-mêmes dans cette folie, qui enrichit quelques families, & qui en réduifit tant d'autres a la mendicité. Voici quelle futl'o- ch. n.  C H. II. Syftêm de Law, ou Lafs. * On le dit fils d'un Orfevre, dans les Mémoires infideles de la Régence. On appelle en Anglois, Orfevre, Gold-fmith , un dépolitaire d'argent, efpece d'Agent de change. 16 Syjïtme rigine de cette démence précédée & fuivfe de tant d'autres folies. : Un Ecolfais, nommé Jean Law, que nous nommons Jean Lafs, * qui n'avait d'autre métier que d'être grand joueur & grand calculateur, obligé de fuir de la Grande-Bretagne pour un meurtre, avait dès longtemps rédigé le plan d'une compagnie, qui payerait en billets les dettes d'un Etat, & qui fe rembourferait par les profits. Ce fyftême était très-compliqué; mais réduit a fes juftes bornes, il pouvait être très-utile. C'était une imitation de la banque d'Angleterre, & de fa compagnie des Indes. II propofa eet établiffement au Duc de Savoie, depuis premier Roi de Sardaigne, ViEtorAmédée, qui répondit qu'il n'était pas affez puifTant pour fe ruiner. II le vint propofer au Contröleur-général Des Marets; mais c'était dans le temps d'une guerre malheureufe oü toute conflance était penJue; & la bafe de ce fyftême était la confiance. Enfin, il trouva tout favorable fous la régence du Duc d'Orléans; deux milliards de dettes a éteindre, une paix qui laiffait du  de Law. 17 loifir au gouvernement, un Prince & un < peuple amoureux des nouveautés. II établit d'abord une banque en fon propre nom, en 1716. Elle devint bientöc un bureau-général des recettes du Royaume. On y joignit une compagnie du Miffiffipi, compagnie dont on faifait efpérer de grands avantages. Le public, féduit par Tappas du gain, s'emprefla d'acheter, avec fureur, les aétions de cette compagnie & de cette banque réunies. Les richeflès, auparavant refferrées par la défiance, circulerent avec profufion; les billets doublaient, quadruplaient ces richeflès. La France fut très-riche en effet par le crédit. Toutes les profeflions connurent le luxe,* & il palTa chez les voifins de la France, qui eurent part a ce commerce. La banque fut déclarée banque du Roi en 1718. Elle fe chargea du commerce^ du Sénégal. Elle acquit le privilege de 1'ancienne compagnie des Indes, fondée par le célebre Colbert, tombée depuis en décadence, & qui avait abandonné fon commerce aux négociants de Saint-Malo. Enfin, elle fe chargea des fermes générales du Royaume. Tout fut donc entre les mains de 1'Ecoflais Lafs, & toutes les finances du Royaume dépendirent d'une compagnie de commerce. Cette compagnie paraiflant établie fur de ;h. Ui  Ch. ; ■ v. 18 Syftéme de Law. ~ 11 valles fondements, fes aétions augmenterent vingt fois au-dela de leur première valeur. Le Duc d'Orléans fit, fans doute, une grande faute d'abandonner le public h lui-même. II était aifé au gouvernement, de mettre un frein a cette frénéfie; mais 1'avidité des courtifans, & 1'efpérance de profiter de ce défordre, empêcherent de 1'arrêter. Les variations fréquentes dans le prix de ces effets, produifirent a des hommes inconnus des biens immenfes: plufieurs, en moinsdefixmois, devinrent plusriches que beaucoup de Princes. Lafs , féduitluimême par fon fyftême , & ivre de PivrefTe publique & de la fienne, avait fabriqué tant de billets, que Ia valeur chimérique des actions valait, en 171 o , quatre-vingts fois tout 1'argent qui pouvait circuler dans le Royaume. Le Gouvernement rembourfa , fen papier, tous les rentiers de I'Etat. Le Régent ne pouvait plus gouverner une machine fi immenfe, fi compliquée, & dont le mouvement rapide 1'entraïnait malgré lui. Les anciens financiers & les gros banquiers réunis épuiferent la banque royale, en tirant, fur elle, des fommes confidérables. Chacun chercha a convertir fes billets en efpeces : mais la difproportion était énorme. Le crédit tomba tout d'un coup; le Régent voulut le ranimer par des  Chüie de Law. 19 arrêts, qui 1'anéantirent. On ne vit plus que du papier; une mifere réelle commeneait a fuccéder a tant de richeffes fi&ices. Ce fut alors qu'on donna la place de Contröleur-général des finances a Lafs, précifément dans le temps ^qu'il était impoffible qu'il la remplit; c'était en 1720, époque de la fubveriion de toutes les fortunes des particuliers, & des finances du Royaume. On le vit, en peu de temps, d'Ecoflais devenir Francais par la naturalifation; de Proteltant,Catholique; d'aventurier, Seigneur des plus belles terres; & de banquier, Miniftre d'Etat. Je 1'ai vu arriver dans lés falies du Palais-Royal, fuivi de Ducs&Pairs, de Maréchaux de France, & d'Evêques. Le défordre était au comble. Le Parlement de Paris s'oppofa autant qu'il le put a ces innovations, & il fut exilé h Pontoile. Enfin , dans la même année, Lafs, chargé de 1'exécration publique, futobligéde fuir du pays qu'il avait voulu enrichir, & qu'il avait bouleverfé. II partit dans une chaife de pofte que lui prêta le Duc de Bouv-bon-Condé, n'emportant avet? lui que deux millè louis d'or, prefque le feul refte de fon opulence pafiagere. Les Libelles de ce temps-la accufent Ie Régent de s'être emparé de tout 1'argent du Royaume, pour les vues de fon am- c i*. XI. Duc d'Orléant encore calomnié.  € ir. II. Pefte en Provence. Vifa., 20 Kuine de Law. bition ; & il eft certain qu'il eft mort endetté de fept millions exigibles. On accufait Lafs d'avoir fait pafTer pour fon profït les efpeces de la France dans lespays étrangers. II a vécu quelques-temps a Londres des libéralitésdu Marquis deLajfay, & eft mort a Venife dans un état a peine au-deffus de i'indigence. J'ai vu fa veuve a Bruxelles, auffi humiliée qu'elle avait été fiere & triomphante a Paris. De telles révolutions ne font pas les objets les moins utiles de 1'hiftoire. Pendant ce temps, la pefte défolait la Provence. On avait fait la guerre avec 1'Efpagne. La Bretagne était prête a fe foulever. II s'était formé des confpirations contre le Régent; &cependant, il vinta bout, prefque fans peine , de tout ce qu'il voulut, au-dehors & au-dedans. Le Royaume était dans une confufion qui faifait tout craindre, & cependant ce fut le regne desplaifirs & du luxe. II fallut, après la ruine du fyftême de Lafs, réformer 1'Etat; on fit un récenfement de toutes les fortunes des citoyens, ce qui était une entreprife non moins extraordinaire que le fyftême : ce fut 1'opération de finance & de juftice, la plus grande & la plus difficile qu'on ait jnmais feitje chez aucun peuple. On la commenga  Les Fr er es Paris. tl vers la fin de 1721. Elle fut imaginée, rédigée & conduite par quatre * freres , qui, jufques-la, n'avaient point eu de part principale aux affaires publiques, & qui, par leur génie & par leurs travaux, mériterent qu'on leur confiÉlt la fortune de TEtat. Ils établirent afTez de bureaux de Maitres des requêtes, & d'autres Juges; ils formerent un ordre affez fur & afTez net, pour que le cahos fut débrouillé : cinq cents onze mille & neuf citoyens , la plupart peres de familie, porterent leur fortune en papier a ce tribunal. Toutes ces dettes innombrables furent liquidées a feize cents trente-un raillions numéraires effeélifs en argent, dont TEtat fut chargé. C'eft ainfi que finit ce jeu prodigieux de la fortune, qu'un étranger inconnu avait fait jouer a toute une nation §. * Les freres Paris. § L'Hiftorien de la Régence & celui du Duc d'Orléans , parient de cette grande affaire avec aufiï peu de connaiffance que de toutes les autres; ils difent que le Contróleur-GénéralM. de la Houffai:, était Chambellan du Duc d'Orléans : ils prennent un Ecrivain obfcur, nommé La Jonchere, pour La Joncherc le Tréforier des guerres. Ce font des livres de Hollande. Vous trouverez dans une continuation de 1'Hiftoire univerfelle de Bénigne. Boffuet, imprimée en 1738, chez l'Honoré, a Amfterdam, que le Duc de Bourbon-Conde', premier Miniftre après Je Duc d'Orléans, fit batir le chatcau de ChagtiUy , C K. II.  Ch. II. dt fond en comblc, du produit des aiïions. Vous y verxez que Lafs avait vingt millions fur la banque d'Angleterre : autant de lignes, autant de menfonges. 2 ft Tableau de VEurope. Après la deftruftion de ce vafte édifice de Lafs, fi hardiment concu, & qui écrafa fon archkedte, il refta pounanc de fes débris une compagnie des Indes, quidevint, quelque-temps après, la rivale de celles de Londres & d'Amfterdam. La fureurdu jeu des aclions, qui avait faifi les Francais, anima auffi les Hollandais & les Anglais. Ceux qui avaient obfervé en France les refforts par lefquels tant de particuliers avaient éievé des fortunes, fi rapides & fi immenfes, fur la créduliié & fur la mifere publique , porterent dans Amfterdam, dans Rotterdam, dans Londres, le même artifice & la même folie. On, parle encore avec étonnemerit de^cès temps de démence, & de ce fléau politique; mais qu'il eft peu confidérable en comparaifon des guerres civiles, & de celles de Religion , qui ont fi long-temps enfanglanté 1'Europe, & des guerres de peuple a peuple, ou plutöt de Prince a Prince, qui dévaftent tant de contrées! II fe trouva dans Londres & dans Rotterdam des charlatans qui firent des dupes. On créa des compagnies & descommerces imaginaires. Amf-  Cardinal Dubois. «3 terJam fut bientöt défabufé. Rotterdam fut ruiné pour quelque - temps. Londres fut bouleverfé pendant 1'année 1720. Ilréfulta de cette manie, en France &en Angleterre, un nombre prodigieux de banqueroutes, de fraudes, de vols publics& particuliers , & toute la dépravation de mceurs que produit une cupidité effrénée. CHAPITRE III. Suite du Tableau de VEurope. Cardinaux Dubois és? Fleury. Abdication de Vi&or-Amédêe, &c. Il ne faut pas pafier fous filence Ie miniftere du Cardinal Dubois. C'était le fils d'un Apothicaire deBrive-la-Gailiarde, dans le fond du Limoufin. II avait commencé par être inftituteur du Duc d'Orléans; & enfuite, en fervant fon éleve dans fes plaifirs, il en acquit la confiance : un peu d'efprit, beaucoup de débauche, de' la fouplefiè , & fur-tout le goüt de fon maïtre pour la fingularité, firent fa prodigieufe fortune : fi ce Cardinal, premier Miniftre, avait été un homme"grave, cette fortune aurait excité 1'indignation; mais elle ne fut qu'un ridicule. Le Duc d'Orléans fe jouait Ch. 11.  C H. III. Le Cardi nal Duboismeurt fans vouloïr recevoir les Sacrements. 171?. Décemb £4 Mort de Dubois 6* du Régent. de fon premier Miniftre, &reiïèmblaitace Pape qui fit fon porte-finge Cardinal. Tout fetournait en gaieté &en plaifanterie dans la régence du Duc d'Orléans; c'était le même efprit que du temps de la fronde , a la guerre civile prés; c'était le véritable efprit de la nation,que le Régent avait fait renaitre après la févere triftefTe des dernieres années de Louis XIF. Le Cardinal Dubois mourut d'une fuite de fes débauches. II trouva un expédient pour n'êtrepas fatigué dans fes derniersmoments par des pratiques de Religion, dont on fait qu'il faifait peu de cas. II prétexta qu'il y avait pour les Cardinaux un cérémonial particulier , & qu'un Cardinal nerecevait pas 1'extrême - Onélion & le Viatique comme un autre homme. Le Curé de Verfailles alla aux informations; & pendant ce temps, Dubois mourut. Nous rïmes de fa mort comme de fon miniftere : tel était le caractere de la nation. Le Duc d'Orléans prit alors Ie titre de premier Miniftre, paree que le Roi, étant majeur, il n'y avait plus de régence; mais il fuivit bientöt fon Cardinal. C'était un Prince a qui on ne pouvait reprocher que fon goüt ardent pour les plaifirs & pour les nouveautés. De toute la race de Henri IF, Philippe d'Orléans fut celui qui lui reflembla le plus;  Duc de Bourbon. 25 il en avait la valeur, la bonté, 1'indulgence , la gayeté, la facilicé, la franchifc, avec un efprit plus cuicivé. Sa phyfionomie, incomparablement plus gracieufe, était cependant ceile de Henri IV. II fe plaifait quelquefois a mettre une fraife , & alors c'était Henri 7F" embelli *. Le Duc de Bourbon-Condé lui fuccéda, h 1'inftant même, dans le miniftere. Sa feule intrigue futd'enfaire dreflër, fansdélai, la patente, & de la faire figner au Roi, en lui apprenant la mort du Duc d'Orléans. Mais ce fut toujours le fort des Condés, de céder a des Prêtres. Henri de Condé avait été accablé par le Cardinal de Richelieu, le Grand Condé emprifonné par le Cardinal Mazarin, & le Duc de Bourbon fut exilé par le Cardinal de Fleury. S'il y a jamais eu quelqu'un d'heureux fur la terre, c'érait, fans doute, leCardinal de Fleury. On le regarda comme un * Le Régent, en 1712, avait fait Ie Cardinal Dubois premier Miniftre. Oü Ie Compilateur des Mémoires de Maintenon a-t-il pris que Louis XIV. ayant donné un petit bénéfice , en 1692, a eet Abbé Dubois , alors obfeur , avait dit de lui : 11 ne s'attache point aux femmes qu'il aime ; s'il boit , il ne s'enivre pas; & s'il joue, il ne perd jamais ? Voila de fingulieres raifons pour donner un bénéfice. Peut-on faire parler ainfi Louis XIV; & ce Monarque jettait-il la vue fur TAbbé Dubois? D'ailleurs, 1'Abbé Dulois n'était ni joueur, ni buveur. /. Parsie. B Ch. UI*  Cm. III. 16 'Cardinal de Fleury. homme des plus aimables, & de Ia fociété la plus délicieufe, jufqu'a lage de foixantetreize ans; & lorfqu'a eet age, ou tant de vieillards fe retirent du monde, il eut pris en rcai'n le Gouvernement, il fut regardé comme un des plus fages. Depuis 1726 jufqu'a 1742, tout lui profpéra. II conferva jufqu'a prés de quatre-vingtdix ans une tête faine, libre & capable d'afiaires. Qunnd on fonge que de mille contemporains, ilyen a très-rarement un qui parvienne a eet age, on eft obligé d'avouerqne le Cardinal de Fleury eut une deftinée unique. Si fa grandeur fut finguliere, en ce qu'ayant commencé fi tard , elle dura fi long-temps fans aucun nuage, fa modération & la douceur de fes mceurs ne le furent pas moins. On fait quelles étaient les richeflès & la magnificence du Cardinal SAmboife, qui afpiraka la tiare; & la fimplicité arrogante de Ximenès, qui levait des armées a fes dépens, & qui, vêtu en moine, difaitqu'avec fon cordon, il conduifait 1 les Grands d'Efpagne : on connait le fafte royal de Richelieu, les richeflès prodigieufes'accumuiées par Mazarin. II reftait au Cardinal de Fleury Ia diftinction de la modeftie : il fut fimple & économe en tout, fans jamais fe démentir. L'éiévation manquait a fon caraétere. Ce défaut tenait a des vercus, qui font la douceur, 1'égalité,  Cardinal de Fleury. 27 i'amour de 1'ordre & de la paix : Hprouva que les efprits doux & conciliants font faits pour gouverner les autres. II s'était démis, leplutöt qu'il avaitpu, de fon Evêché de Fréjus, après 1'avoir libéré de dettes par fon économie, & y avoir fait beaucoup de bien par fon efprit de conciliation. C'étaient-la les deux parties dominantes de fon caraélere. La railbn qu'il allégua a fes diocéfains, était 1'état de fa fanté, qui le mettait déformais dans Vimpuiffance de veiller a fon troupeau. Mais heureufement il n'avait jamais été malade. Cet Evêché de Fréjus, loinde la Cour, dans un pays peu agréable, lui avait toujours déplu. II difait que, dès qu'il avait vu fa femme, il avaic été dégoüté de fon mariage, & il iigna, dans une lettre de plaifanterie au Cardinal Quirini: Fleury, Evéque de Fréjus, par Cindignation divine. II fe démit vers le commencement de 1715. Le Maréchal de Villeroi, après beaucoup de follicitations, obtint de Louis XIV qu'il nommat 1'Evêque de Fréjus Précepteur par fon codicile. Cependant voici com * me le nouveau Précepteur s'en explique dans une lettre au Cardinal Quirini : jf'ai regretté plus dune fois la folitude de Fréjus. En arrivant, j'ai appris que le Roi était a l'extrémité, & qu'il rriavait fait Vhonneur de me nommer PréB ij ■ Ch. III.  Cu. III. c8 Cardinal de Fleury. cepteur de [on petit-fils; s'il avait été en état de m'entendre , je ïaurais fupplié de me décharger d'un fardeau qui me fait trembler; mais après fa mort, on n'a pas voulu m'écouter; j'en ai êtè malade , & je ne me confole point de la perte de ma libertê. II s'en confola en formant infenfiblement fon éleve aux affaires, au fecret, a laprobité, & conferva, dans toutes les agitations de la Cour, pendant la minorité, la bienveillance du Régent, & 1'eftime générale; ne cherchant point a fe faire valoir, ne fe plaignant de perfonne, ne s'attirant jamais de refus, n'entrant dans aucune intrigue ; mais il s'inftruifait en fecret de 1'adminiftration intérieure du Royaume & de la politique étrangere. II fit defirera la France, par la circonfpeétion de fa conduite, par la féduclion aimable de fon efprit, qu'on le vit a la tête des affaires. Ce fut le fecond Précepteur qui gouverna la France : il ne prit point le titre de premier Miniftre, & fe contenta d'être abfolu. Son adminiftrntion fut moins conteftée & moins enviée que celle de Richelieu & de Mazarin dans les temps les plus heureux de leurs minifteres. Sa place ne changea rien dans fes moeurs. On fut étonné que le premier Miniftre fut le plus aimable des courtifans, & le plus défintérefle. Lc bien de 1'Etats'ac-  Cardinal de Fleury. ±y corda long-temps avec fa modération. On avait beföin de cette paix qu'il aimaic, & tous les Minilïres étrangers crurent qu'elle ne ferak jamais rompue pendant fa vie. 11 laifla tranquillement la France réparer fespertes, & s'enrichir par un commerce immenfe, fans faire aucune innovation, & traitant 1'Erat comme un corps puifTant & robulle, qui fe rétablit de lui-même*. Les affaires politiques rentrerent infenfiblement dans leur ordre naturel. Heureufement pour 1'Europe, le premier Miniftre d'Angleterre, Robert Walpole , était d'un caraétere aufli pacifique: & ces deux hommes continuerent a maintenir prefque toute 1'Europe dans ce repos, qu'elle gouta depuis la paix d'Utrecht jufqu'en 1733; repos qui n'avait été troublé qu'une fois par la guerre pafiagere de 1718. Ce fut un temps heureux pour toutes lesnations, qui, cüTtivant a 1'envi le commerce & les arts, oublierem toutes leurs calamités paflèes. En ces tempslh fe formaient deux Puif- * Dans quelques Livres étrangers, on a confondu ce Cardinal de Fleury avec 1'Abbé Fleury, Auteur de 1'Hiftoire de 1'Eglife , & des excellents Difcours qui font fi au-deffus de fon Hiftoire. Cet Abbé Fleury fut Confeffeur de Louis XV; mais il vécut a la Cour inconnu : il avoit une modeftie vraie ; & 1'autre Fleury avait Ia modeftie d'un ambitieux habile. B iij ch. nii  Ch. III. Ruflie & ?ruiTe. 30 Cardinal de Fleury. fances, dont 1'Europe n'avaic point entendu parler avant ce fiecle. La première était la Ruffie, que le Czar Pierre-le-Grand avait tirée de la barbarie. Cette Puilfance ne confiftait, avant lui, que dans des déferts immenfes, & dans un peuple fans loix, fans difcipiine , fans connaifiances, tel que de tout temps ont été les Tartares. II étaie fi étranger h la France, & fi peu connu, que lorfqu'en 1668, Louis XIVavait re* cu une ambafiade Mofcovite, on célébra par une médaille eet événement, comme rambaifade des Siamois. Cet Empire nouveau commenga a influer fur toutes les affaires, & adonner des loix au Nord, après avoir abattu la Suede. La ièconde PuifTance, établie a force d'art, & fur des fondements moins vaftes, était la Pruffè. Ses forces fe préparaient & ne ie déployaient pas encore. La Maifon d'Autriche était refiée a-peuprès dans 1'état oü la paix d'Utrecht Pavak mife. L'Angleterre confervait fa puifiance fur mer , & la Holiande perdait infenfiblement la fienne. Ce petit Etat, puifiant par le peu d'induiïrie des autres Nations, tombait en décadence, paree que fes voifins faifaient eux-mêmes le commerce, dont il avait été le maitre. La Suede languifiair. Le Danemarck était florifiant. L'Efpagne & le Portugal fubfilbient par PAmérique. L'I-  Abdication de Viclor-Amédèe. 31 talie, toujours faible, était divifée en autant d'Etats qu'au comraencement dn fiecle, fi on excepte Mantoue, devenue patrimoine Autrichien. La Savoie donna alors un grand fpectacle au monde, & une grande lecon aux Souverains. Lelloi de Sardaigne, Duc de Savoie, ce ViElor-Amédée, tantöt allié , tantöt ennemi de la France & de 1'Autrrche, & dont 1'incertitude avait pafTé pour politique, lafle' des affaires & de lui-même, abdiqua par un caprice, en 1730, a 1'age de foixante-quatre ans, la Couronne qu'il avait portée le premier de fa familie, «Sc fe repentit pat un autre caprice, un an après. La fociétéde fa maïtrefiè, devenue fa femme , la dévotion & le repos, ne purent fatisfaire .une ame occupée, pendant cinquante ans, des affaires de 1'Europe. II fit voir quelle elt la faibleffe humaine , & combien il eft difficüe de remplir fon cteur fur le tröne & hors du tröne. Quatre Souverains , dans ce fiecle, renoncerent a la Couronne ; Chriftinè, Cafimir, Philippe V & Viclor - Amédée. Philippe V ne reprit Ie Gouvernement que malgré lui. Cafimir n'y penfa jamais. Chriftinè en fut tentée quelque temps, par un dégout qu'elle eut a Rome. Amédée feul voulut remonter par la force fur le tröne que fon inquiétude lui avait fait quicter. La fuke de cette tentatiB iv Ch. III. _ Abdieation de Viftor-Amédée , Duc «ie Savoie,, &c.  Ch. III, Empri- ■fonneraent & mort de Viftor-AJi?édée, 34 Son Emprifonnement. ve eft connue. Son fils, Charles-Emmanuel, auraic acquis une gloire au-defflis des Couronnes, en remettant a fon pere celle qu'il tenaic de lui, fi ce pere feul 1'eüt redemandée , & fi la conjoncture des temps 1'eüt permis : mais c'était, dit-on , une maitreflè ambideufe qui vouloit régner; &toutle Confeil futforcé d'en prévenirles fuites funeftes, & de faire arrêter celui qui avait été fon Souverain. II mourut depuis en prifon. II eft trés - faux que la Cour de France voulüt envoyer vingt mille hommes pour défendre le pere contre le fils, comme on Fa dit dans des mémoires dece temps-la. Ni 1'abdication de ce Roi, ni fa tentative pour reprendre le fceptre, ni fa prifon, ni fa mort, ne cauferent le moindre mouvement chez les nations voifines. Ce fut un terrible événement qui n'eut aucune fuite. Tout était paifible depuis la Ruffie jufqu'a 1'Efpagne, lorfque la mort SAugufte II, Roi dePologne, Elccleurde Saxe, replongea 1'Europe dans les difièntions & dans les malheurs dont elle eft fi raremenc exempte.  Staniflas, Roi de Pologne. 33 CHAPITRE IV. Staniflas Leskfinski, deux fois Roi de Pologne , & deux fois dépoffëdé. Guerre de 1734. La Lorraine réuniea la France. Le Roi Staniflas, beau pere de Louis XV, deja nornmé Roi de Pologne en 1704, fut élu Roi en 1733 de la maniere la plus légitime & la plus iblemnelle. Mais 1'Empereur Charles VI fit procéder a une autre éleclion, appuyée par fes armes & par celles de la Ruffie. Le fils du dernier Roi de Pologne, Eleéteur de Saxe , qui avait époufé une niece de Charles VI', 1'emporta fur fon concurrent. Ainfi Ia Maifon d'Autriche, qui n'avait pas eu le pouvoir de fe conferver 1'Efpagne & les Indes Occidentales, & qui, en dernier lieu, n'avait pu même établir une compagnie de commerce a Oliënde, eut le crédit d'öter la Couronne de Pologne au beau-pere de Louis XV. La France vit renouveller ce qui étaic arrivé au Prince de Conti, qui, folemnellement élu, mais n'ayant ni argent ni troupes, &plus recommandéque foutenu, perdit le Royaume oü il avait été appellé. Le Roi Staniflas alla a Dantzick foutenir fon éleclion. Le grand nombre qui Pali v Ch. IV.  Ch. IV» 34 Staniflas, vait choifi, céda bientöt au petit nombre qui lui était contraire. Ce pays, oüle peuple eft efclave, oü la Nobleflè vend fes fuffrages, oü il n'y a jamais dans le tréfor public de quoi entretenir les armées, oü les loix font fans vigueur, oü la liberté ne produit que des divifions; ce pays, dis je, fe vantait en vain d'une Noblelfe belliqueufe, qui peut monter a cheval au nombre de cent mille hommes. Dix mille Rulles firent d'abord difparaitre tout ce qui était aflèmblé en faveur de Staniflas. La nation Polonaife, qui, ün fiecle auparavant, regardait les RulTes avec mépris, était alors intimidée &. conduite par eux. L'Empire de Ruffie était devenu fonnidable, depuis que Pierre-leGraud 1'avait formé. Dix mille efclaves Ruflès difciplinés difperferent toute la Nobleflè de Pologne; & le Roi Staniflas, renfermé dans la ville de Dantzick, y fut bientöt affiégé par une armée de Ruffes. L'Empereur d'Aüemagne, uni avec la Ruffie, était fur du fuccès. II eüc fallu, pour tenir la balance égale, que la France eür envoyë par mer une nombreufe armée : mais 1'Angleterre n'aurait pas vu ces préparatifs immenfes fans fe déclarer. Le Cardinal de Fleury, qui menacaic 1'Angleterre, ne voulut, ni avoir la honte d'abandonner entiérement le Roi Staniflas, ni hafarder de grandcs forces pour le fecourir. II fit  Rol de Pologne. 35 partir une efcadre avec quinze cents hommes, commandés par un brigadier. Cet Officier ne crut pas que fa commiffion fut férieufe : iljugea, quand il fut pres de Dantzick, qu'il facrifierait fans fruit fes foldats; & il alla relacher en Danemarck. Le Comte de Plélo, Ambaffadeur de France auprès du Roi de Danemarck, vit avec indignation cette retraite, qui lui paraifiait humiliante. C'était un jeune homme, qui joignait a 1'étude des belles-lettres & de la philofophie, des fentiments héroïques, dignes d'une meilleure fortune. II réfolut de fecourir Dant. ziek contre une armée avec cette petite troupe, ou d'y périr. II écrivit, avant de s'embarquer, une lettre a 1'un des Secretaires d'Etat, Jaquelle finiffait par ces mots : „ Je fuis fur que je n en reviendrai pas; je „ vous recommande ma femme & mes en„ fants ". II arriva a la rade de Dantzick, débarqua & attaqua 1'armée Rufie; il y périt percé de coups, comme il 1'avait prévu. Sa lettre arriva avec la nouvelle de fa mort. Dantzick fut pris; 1'AmbalTadeur de France auprès de la Pologne, qui était dans cette place, fut prifonnier de guerre, malgré les privileges de fon caraftere. Le Roi Staniflas vit fa tête mife a prix par le Gé- < néral des Rufles, le Comte de Munik, dans; la ville de Dantzick, dans un pays libre,! dans fa propre patrie, au milieu de la naB vj Ch. IV. Le Cardinal de Fleury envoye quinze cents Franjais contre trente mille Ruffes. La tête u Roi 'taniflas life a >rix.  Ch. IV. Les prifonniersFrancais traités a Péterfavec une générofité inouie. 36 Guerre de 1734. tion qui 1'avait élu fuivanc toutes les loix. li fut obligé de fe déguifer en matelot, & n'échappa qu'a travers les plus grands dangers. Remarquons ici que ce Comte Maréchal de Munik, qui le pourfuivait fi cruellement, fut quelque-temps après relégué en Sibérie, oü il vécut vingt ans dans une extréme mifere, pourreparaitre enfuite avec éclat. Telle eft la viciffitude des grandeurs. A l'égard des quinze cents Francais qu'on avait fi imprudemment envoyés contre une armée entiere de Rufiès, ils firent une capitulation honorable : mais un navire de Ruffie ayant été pris dans ce temps-la même, par un vaifieau du Roi de France, les quinze cents hommes furent tranfportés & retenus auprès de Pétersbourg: ils pouvaient s'attendre a être inhumainement traités dans un pays qu'on avait regardé comme barbare au commencement du fiecle. L'Impératrice Anne régnait alors; elle traita les Officiers comme des Ambadadeurs, & fit donner aux foldats des rafraïchiflements & des habits. Cette générofité inouie jufqu'alors, était en même-temps 1'effet du prodigieux changement que le Czar Vierre avait fait dans la Cour de Ruffie, & une efpece de vengeance noble que cette Cour voulait prendre des idéés défavantageufes fous lefquelles 1'ancien préjugé des nations 1'enfifageait encore.  Guerre de 1734. 37 Le Miniftere de France eüt enti'éremenc perdu cette réputation nécefiaire au maintien de la grandeur, fi elle n'eut tiré vengeance de 1'outrage qu'on lui avait fait en Pologne; mais cette vengeance n'était rien, fi elle n'était pas utile. L'éloignement des lieux ne permettait pas qu'on fe porrêt fur les Mofcovites; & la politique voulait que la vengeance tombat fur 1'Empereur. On 1'exécuta efficacement en Allemagne & en Italië. La France s'unit avec 1'Efpagne & la Sardaigne. Ces trois PuifiTances avaient leurs intéréts divers, qui tous concouraient au même but, d'affaiblir 1'Autriche. Les Ducs de Savoie avaient depuis longtemps accru petit-a-petit leurs Etats, tantöt en donnant des fecours aux Empereurs, tantöt en fe déclarant contr'eux. Le Roi Charles-Emmanuel efpérait le Milanais ; & il lui fut promis par les Miniftres de Verfailles & de Madrid. Le Roi d'Efpagne Philippe V, ou plutöc la Reine Elifabeth de Parme fon époufe, efpérait pour fes enfant» de plus grands établiflèments que Parme & Plaifance. Le Roi de France n'envifageaic aucun avantage pour lui que fa propre gloire, 1'abailTement de fes ennemis, & le fuccès de fes alliés. Perfonne ne prévoyait alors que Ia Lorraine dut être le fruit de cette guerre : on eft prefque toujours mené par les événe- Ch. IV.  Ch. IV. 17 J4. Mort du Maréchal de Villars. 38 Guerre de 1734. tnents, & rarement on les dirige. Jamais négociation ne fut plus promprement ter- rainée, que celle qui uniffait ces trois Mo- narques. L'Angleterre & la Hollande, accoutumées depuis long-temps a fe déclarer pour 1'Autriche contre la France, 1'abandonnerent en cette occafion. Ce fut le fruit de cette réputation d'équité & de modération que la Cour de France avait acquife. L'idée de fes vues paciflques & dépouillées d'ambition, enchaïnait encore fes ennemis naturels, lors même qu'elle faifait la guerre; & rien ne fit plus d'honneur au Miniftere, que d'être parvenu a faire compiendre a ces Puiflances, que la France pouvait faire la guerre a 1'Empereur fans allarmer'la liberté de 1'Europe. Tous les Potentats regarderent donc tranquillement fes fuccès rapides. Une armée de Francais fut maitrefie de la campagne fur le Rhin; & les troupes de France, d'Efpagne & de Savoie jointes enfemble, furent les maitreflès de 1'Italie. Le Maréchal de Villars, déclaré Généraliffime des armées Francaife, Efpagnole & Piémontaife, finit fa glorieufe carrière a quatre-vingt-deux ans, après avoir pris Milan. Le Maréchal de Coigni, fon lücceffeur, gagna deux batailles, tandis que le Duc de Montemar, Général des Elpagnols, rcmporta u^e victoire dans le Royau-  Paix de 1736. 39 rne de Naples-, a Bitonto, donc il eut le furnom. C'eft une récompenfe que la Cour d'Efpagne donne fouvenc, a 1'exemple des anciens Romains. Dom Carlos , qui avait été reconnu Prince héréditaire de Tofcane, fut bientót Roi de Naples & de Sicile. Ainfl 1'Empereur Charles Wperdit prefque toute 1'Italie , pour avoir donné un Roi a la Pologne ; & un fils du Roi d'Efpagne eut en deux campagnes ces deux Siciles, prifes & reprifes tant de fois auparavant, & 1'objec eontinuel de Tattention de la Maifon d'Autriche pendant plus de deux fiecles. Cette guerre d'Italie eft la feule qui fe foit terminée avec un fuccès folide pour les Francais depuis Charlemagne. La raifon en eft, qu'i's avaient pour eux le gardien des Alpes, devenu le plus puiflant Prince de ces contrées; qu'ils étaient fecondés des meilleures troupes d'Efpagne, £k que les armées furent toujours dans 1'abondance. L'Empereur fut alors trop heureux de recevoir des conditions de paix que lui offrait la France victorieufe. Le Cardinal de Fleury, Miniftre de France, qui avait c-u la fageffe d'empêcher 1'Angleterre & la Hollande de prendre part a cette guerre, eut auffi celle de la terminer heureufement fans leur intervention. Par cette paix, Dom Carlos fut reconnu Roi de Naples & de Sicile. L'Europe étaii Ch. IV. Seule guerre ei\ Italië dont la fin ait été heur^ufe pouf la Franctf-,  Ch. IV. 4© Paix de \"7^6. déja accoutumée a voir donner & changsr des Etats. On affigna a Frangois, Duc de Lorraine, gendre de 1'Empereur Charles VI, l'béritage des Médicis qu'on avait auparavant accordé a Dom Carlos; & le dernier grand-DucdeTofcane, prés de fa fin, demandait fi on ne lui donnerait pas un troifteme héritier, cïf quel enfant ïEmpire & la France voulaient lui faire. Ce n'eft pas que le grand-Duché de Tofcane fe regardat comme un fief de 1'Empire; mais 1'Empereur le regardait comme tel, auflibi en que Parme & Plaifance, revendiqués toujours par le St. Siege, & dont le dernier Duc de Parme avait fait hommage au Pape, tant les droits changent felon les temps. Par cette paix, ces Duchés de Parme & Plaifance , que les droits du fang donnaient a Dom Carlos, fils de Philippe V, & d'une PrincefTe de Parme, furent cédés a 1'Empereur Charles VI en propriété. Le Roi de Sardaigne, Duc de Savoie, qui avait compté fur le Milanais, auquel fa naaifon, toujours agrandie par degrés, avait depuis long-temps des prétentions, n'en obtint qu'une petite partie, comme le Novarois, le Tortonois, les fiefs des Langhes. II tirait fes droits fur le Milanais, d'une fiile de Philippe II, Roi d'Efpagne, dont il defcendait. La Fran:e avait auffi fes anciennes prétentions, par Louis XII, héritier  Paix de 1736. 4Ï naturel de ce Duché. Philippe V avait les fiennes, par les inféodations renouvellées a quatre Rois d'Efpagne fes prédécefie-urs. Mais toutes ces prétentions céderent a Ia convenance & au bien public. L'Emperéur garda le Milanais: ce n'elt pas un fief dont il doive toujours donner 1'inveftiture : c'était originairement le Royaume de Lombardie annexéa 1'Empire, devenu enfuiteun fief fous les Vifcomtis & fous les Sforces; & aujourd'hui c'eft un Etat appartenant a 1'Empereur; Etat démembré, a la vérité, mais qui, avec la Tofcane & Mantoue, rend la maifon Impériale très-puiffante en Italië. Par ce traité, le Roi Staniflas renoncait au Royaume qu'il avait eu deux fois, & qu'on n'avoit pu lui conferver; il gardaic le titre de Roi. II lui fallait un autre dédommagement; & cedédommagement fut pour la France encore plus que pour lui. Le Cardinal de Fleury fe contenta d'abord du Barrois, que Ie Duc de Lorraine devait donner au Roi Staniflas, avec la réverfion a la couronne de France; & la Lorraine ne devait être cédée que lorfque fon Duc ferait en pleine poueffion de la Tofcane. C'était faire dépendre cette ceffion de la Lorraine de beaucoup de hafards. C'était peu profuer des plus grands fuccès & des conjonétures les plus favorables. Le Garde-desSceaux Chamelin encouragea le Cardinal Ch. IV.  Ch, IV, 42 Staniflas, Duc de Lorraine. de Fleury ft fe fervir de fes avantnges: il demanda la Lorraine aux mêmes conditions que le Barrois, & il 1'obtint. II n'en coüta que quelque argent coroptant, & une penfion de trois milions cinq cents mille livres, faite au Duc Frangois, jufqu'a ce que la Tofcane lui füt échue. Ainfi la Lorraine fut réunie a la Couronne irrévoeablement : réunion tant de fois inutilement tentée. Par-la un Roi Polonais fut tranfplamé en Lorraine; & cette Province eut, pour ia derniere fois, un Souverainréfidant chezelle, & il Ia rendit heureufe. La maifonrégnante des Princes Lorrains devint fouveraine de la Tofcane. Le fecond fils du Roi d'Efpagne fut transféré ft Naples. On aurait pu renouveller Ia médaille de Trajan, regna aflignata, les trines donnés. Tout refta paifible entre les Princes Chrétiens, fi on en excepte les quereïles naiffantes de l'Efpagne & de 1'Angleterre pour ie commerce de 1'Amérique. La Cour de France continua d'être regardée comme 1'arbitre de 1'Europe. L'Empereur faifait la guerre aux Turcs, fans confulter 1'Empire; cette guerre fut malheureufe : Louis XF\& tira de ce précipice par fa médiation; & M. de Filleneuve, fon Ambafiadeur a la Porte Ottomane, alla en Hcngrie conclure, en 1739,  Staniflas , Duc ch Lorraine. 43 avec le grand-Vifir, la paix dont 1'Empe- ( reur avait befoin. Prefque dans le même temps il pacifiait 1'Er.at de Genes, menacé d'une guerre civile; il foumit & adoucit, pour un temps, les Corfes, qui avaient fecoué le joug de Genes. Le même Miniftere étendait fes foins fur Geneve, & appaifait une guerre civüe élevée dans fes murs. II interpofait fur-tout fes bons offices entre PEfpagne & 1'Angleterre, qui commencaient a fe faire fur mer une guerre plus ruineufe que les droits qu'elles fe difputaient n'étaient avantageux. On avait vu le même Gouvernement, en 1735, employer fa médiation entre 1'Efpagne & le Portugal: aucun voifin n'avait a fe plaindre de la France , & toutes les nations la regardaient comme leur médiatrice & leur mere commune. Cette gloire & cette félicité ne furent pas de longue durée. ;a. IV,  €h. V. 44 Mort de Charles VI. CHAPITRE V. Mort de VEmpereur Charles VI. La fuccejjion de la Maifon dAutriche difputée par quatre Puiffances. La Reine dHongrie reconnue dans tous les Etats de fon pere. La Siléfie prife par le Roi de Pruffe. L'empereur Charles VI mourut au mois d'Octobre 1740, a Page de cinquante-cinq ans. Si la mort du Roi de Pologne , Augufte II, avait caufé de grands mouvements, celle de Charles VI, dernier Prince de la Maifon d'Autriche, devait entrainer bien d'autres révolutions. L'héritage de cette Maifon femblait fur-tout devoir être déchiré; il s'agifTait de la Hongrie & de la Bohème, Royaumes long-temps éleétifs, que les Princes Autrichiens avoient rendu héréditaires; de la Suabe Autrichienne, appellée Autriche antérieure; de la haute & baffè-Autriche , conquifes au treizieme fiecle ; de la Stirie, de la Carinthie, de la Carniole, de la Flandre, du Burgau, des quatre villes foreiïieres, du Brifgau, du Frioul, du Tirol, du Milanez , du Mantouan, du Duché de Parme. A Pégard de Naples & de Sicile, ces deux Royaumes  ' Succeffiott de VAutrkhe. 45 étaienc entre les mains de Dom Carlos, fils du Roi d'Efpagne Philippe V. Marie-Thérefe, fille ainée de Charles VI, fe fondair. fur le droit naturel qui 1'appellait a 1'héritage de fon pere , fur une pragmatique folemnelle qui confirmait ce droit, & fur la garantie de prefque toutes les Puifiances. Charles -Albert, Electeur de Baviere, demandait la fucceffion en vertu d'un teftament de fEmpereur FerdinandI, frere de Charles-Quint. Augufte III, Roi de Pologne, Eleéteur de Saxe, ailéguait des droits plus récents, ceux de fa femme même, fille ainée de 1'Empereur Jofeph, frere ainé de Charles VI. Le Roi d'Efpagne étendait fes prétentions fur tous les Etats de la Maifon d'Autriche, en remoncant a la femme de Philippe II, fille de I'Empereur Maximilien II. Philippe ^defcendait de cette Princeflè par les femmes. Louis XV aurait pu prétendre a cette fucceffion, a d'auffi juftes titres que perfonne, puifqu'il defcendait en droite ligne de la branche ainée mafculine d'Autrïche par la femme de Louis XIII & par celle de Louis XIV; mais il lui convenait plus d'être arbitre & protecleur que concurrent; car il pouvait alors décider de cette fucceffion & de 1'Empire, de concert avec la moitié de 1'Europe : mais s'il y eüe prétendu, il aurait eu 1'Europe a combat- Ch. v.  Ch. V. T>u Royaume de Pruffe. Economie du fecond Roi de tfruffe. 46" Succejjlon de VAutrkhe. tre. Cette caufe de tant de têtes conrornées iüt plaidée dans tout Ie monde Chrécien, par des mémoires publics; tous les Princes, tous les particuliers y prenaient intérêt; on s'attendait a une guerre univerfelle : mais ce qui confondit la politique humaine, c'efr, que 1'orage commerca d'un cöté oü perfonne n'avait tourné les yeux. Un nouveau Royaume s'était éievé au commencement de ce fiecle : 1'Empereur Léopold, ufant du droit que fe font toujours attribué les Empereurs d'Allemagne de créerdesllois, avait érigé, en 1701, Ia Prufiè ducale en Royaume , en faveur de l'Electeur de Brandebourg Fréderic-Quillaume. La Prufiè n'était encore qu'un vafte défert; mais Fréderic-Guillaume II, fon fecond Roi, qui avait une politique différente de celle des Princes de fon temps, dépenfa prés de vingt-dnq millions de notre monnoie a faire défricher fes terres, a batir des villages, & a les peupler : il y fit venirdes families de Suate & de Franconie; il yattiraplus de feize mille émigrants de Saltzbourg , leur fournifïïint a tous de quoi s'écablir & de quoi travailler. En fe formant ainfi un nouvel Etat, il créait, par une économie finguliere, une puiffance d'une nurre efpece: il mettait tous les mois environ quarante mille écus d'Allemagne en réferve, tantöt plus, tantöt moins; ce qui lui  Succefp.on de PAutriche. 47 compofa un tréfor immenfe en vingt-huk années de regne. Ce qu'il ne meitak pas dans fes cofFres, lui fervait a former une armée d'environ foixante & dix mille hommes choifis, qu'il difciplina lui-méme d'une maniere nouvelle, fans néanmoins s'enfervir. Mais fon fils, Fréderic III, fit ufage de tout ce que le pere avait préparé. II prévit la confufion générale, & ne perdit pas un moment pour en profiter. II prétendait en Siléfie quatre Duchcs. Ses aïeux avaient renoncé a toutes leurs prétentions par des tranfaétions réitérées, paree qu'ils étaient faibles; il fe trouva punTant, & il les réclama. Déja la France, 1'Efpagne, la Baviere, la Saxe fe remuaient pour faire un Empereur. La Baviere prefiak la France de lui procurer au moins un partage de la fucceffion Autrichienne. L'Eleéteur réclamait tous ces héritages par fes écrits; mais il n'ofait les demander tout entiers par fes Miniftres. Cependant, Marie -Tbérefe, époufe du Grand-Duc de Tofcane Frangois de Lorraine , fe mit d'abord en poflèflion de tous les domaines qu'avait tailles fon pere; elle recutles hommages des Etats d'Autrichea Vienne, le fept Novembre 1740. Les Provinces d'Italie, la Bohème, lui firent leurs ferments par leurs Députés: elle gagna furtout Pefprit des Hongrois en fe foumettant Ch. V-  Ch. V. Sermem fingulier, & qui ne devait pas 1'être. Cjuaütés de MarieThérefe. 48 Succeffion de PAutriche. a preker 1'ancien ferment du Roi Andrill, fait 1'an 1222. Si moi ou quelques-uns de mes Succeffeurs en quelque temps que ce foit, veut enfreindre vos privileges , quil vous foit permis, en vertu de cette promeffe, d vous & a vos defcendants, de vous dèfendre ,fans pouvoir être traités de rebelles. Plus ies aïeux de 1'Archiducheffe-Reine avaient montré d eloignement pour 1'exécution de tels engagements, plus auffi la démarche prudente dont je viens de parler, rendit cette Princeflè extrêmement chere aux Hongrois. Ce peuple, qui avait toujours voulu fecouer le joug de la Mai.'on d'Autriche, embraüa celui de Marie-Thérefe; & après deux cents ans de féditions, de haines&de guerres civiles, il pafla tout d'un coup a 1'adoration. La Reine ne fut couronnée a Presbourg que quelques mois après, le 24 Juin 1741. Elle n'en fut pas moins Souveraine; elle 1'était déja de tous les coeurs, par une affabilité populaire que fes ancêtres avaient rarement exercée; elle bannit cette étiquette & cette morgue qui peuventrendre le tröne odieux, fans lerendre plus refpectable. L'ArchiduchelTe, fa tante, Gouvernante des Pays-Bas. n'avait jamais mangé avec peiConne.Marie-Tkérefe admcttait a fa table toutes les Dames & tous les Officiers de diftinétion : les Dépu- tés  Succeffion de YAutriche. 40 tés des Etats lui parlaient librement; jamais elle ne refufa d'audience, & jamais on n'en fortit mécontent d'elle. Son premier ibin fut d'aflurer au GrandDuc de Tofcane fon époux, le parcage de toutes fes Couronnes fous le nom de Co-Régent , fans perdre en rien fa fouverainecé, & fans enfreindre la pragmatique-fanction: elle fe flactair. dans ces premiers moments, que les dignités dont elle ornait ce Prince, luipréparaient la couronne Impériale; mais cette Princefle n'avait point dargent, & fes troupes trés - diminuées étaient difperfées dans fes valles Etats. Le Roi de Prufiè lui fit propöfer alors qu'elle lui cédat la bafiè-Siléfie, & lui of- j frit fon crédit, fon fecours,fes armes,avec ' cinq millions de nos livres, pour lui garantir tout le rede, & donner 1'Empire a fon époux. Des Miniftres habües prévirent que fi la Reine d'Hongrie refufait de telles offres, 1'Allemagne ferait bientöt bouleverfée; mais le fang de tant d'Empereurs, quicoulait dans les veines de cette Princefle, ne lui laifla pas feulement 1'idée de démembrer fon patrimoine : elle était impuiflante & intrépide. Le Roi de Pruflè voyant qu'en effet cette puifiance n'était alors qu'un grand nom, & que 1'état oü était 1'Europe, lui donnerait infailliblement des alliés, marclla en Siléfie au milieu dumoisdeDécembre 1740. /. Partie. C Ch. v. Fréderic II, Roi le Pn-ffe.  Ch. V. Démarches fingulieres. Bataille de Molvitz. 50 Rpi de PniJJe. On voulur mettre fur fes drapeaux cette devife : Pro Deo & Patrïd : il raya pro Deo, difant qu'il ne fallait pointainfi mêler le nom de Dieu dans les querellesdes hommes, & qu'il s'agiffait d'une Province, & non de Religion. II fit porter devant fon régiment des Gardes 1'aigle Romaine déployée en reliëf au haut d'un baton doré : cette nouveauté lui impofait Ia néceflité d'être invincible. II harangua fon armée pour relTembler en tout aux anciens Romains. Entrant enfuite en Siléfie, il s'empara de prefque toute cette Province, dont on lui avait refufé une partie; mais rien n'était encore décidé. Le Général Neuperg vint avec environ vingt-quatre mille Auuichiens au fecours de cette Province déja envahie : il mit le Roi de Prufiè dans la néceflité de donner bataille a Molvitz, prés de la riviere de Neifs. On vit alors ce que valait 1'infanterie Pruflienne : la cavalerie du Roi, moins forte de prés de moitié que FAutrichienne, futentiérement rompue:la première ligne de fon infanterie fut prife en flanc; on crut la bataille perdue; tout Ie bagage du Roi fut pillé; & ce Prince, en danger d'être pris, fut entraïné loin du champ de bataille par tous ceux qui Penvironnaient. La feconde ligne de Pinfanterie r'étabïit tout par cette difciplineinébranlable a laquelleles foldr,ts Pruffiens font accoutu-  Roi de Pruffe. 51 més, par cefeuconcinuel qu'ilsfont, en tirant cinq coups au moins par minute, & chargeant leurs fufils avec leurs baguecces de fer en un moment. La bataille fut gagnée : & eet événement devint le iignal d'un embrafemenc univerfel. C H A P I T R E VL Le Roi de France s'unit aux Rois de Pruffe 6? de Pologne, pour faire élire Empereur PElecleur de Baviere, Charles-Albert. Ce Prince eft déclaré Lieutenant - Général du Roi de France. Son éle&ion , fes fuccès , & fes pertes rapides. L'Europe crut que Ie Roi de PrufTe était déja d'accord avec la France, quand il prit la Siléfie; on fe trompait; c'eft ce qui arrivé prefque toujours, lorfqu'on raifonne d'après ce qui n'eft que vraifemblable. Le Roi de PrufTe hafardait beaucoup, comme il Tavoua lui-même; mais il prévit que la France ne manquerait pas une fi belle occafion de le feconder. L'intérêt de la France femblait être alors de favorifer contre TAutriche fon ancien allié 1 Eleéteur de Baviere, dont le pere avaic C ij c H. v.  Ch. VI. Difcours ingulier. 52 Roi de Pruffe. tout perdu autrefois p'our elle après la bataille d'Hochftet. Ce même Eleéïeur de Baviere, Charles-Jïbert, avait été retenu prifonnier dans fon enfance par les Autrichiens, qui lui avaient ravi jufqu'a fon nom de Baviere. La France trouvait fon avantage a le venger; il paraiffalt üifé de lui procurer a la fois 1'Empire & une partie de la fucceffion Autrichienne • par - la cn enlevait a la nouvelle maifon d'AutrichéLorraine, cette fupérioqité .que 1'anciennë avait affeéïée fur tous les autres potentaats de 1'Europe :.on anéantiflait cette vieille rivalité entre les Bourbons & les Autrkhiens; on faifait plus que Henri IV & le Cardinal de Richelieu n'avaient pu efpérer. Fréderic III, en partantpour laSiléfie, entrevit le premier cette révolution, dont aucun fondement n'était encore jetté: il eft fi vrai qu'il n'avait pris aucune mefure avec le Cardinal de Fleury, que le Marquisde cBeauveau, envoyé par le Roi de France \ Berlin, pour complimenter le nouveau Monarque , ne fut, quand il vit les premiers mouvements des troupes de Pruffe, il el les étaient deftinées contre la France ou contre 1'Autriche. Le Roi Fréderic lui dit en partant : Je yais , je crois , jouer votre jeu ; fi les as me viennent, mus partagerons *. * L'Auteur était en ce temps-Ia auprès du Roi  Maréchal de Belle-Ijle. 53 Ce fut-la le feul commencement de la négociation encore éloignée. Le Miniftere de France héfita long-temps. Le Cardinal v de Fleurty j agé de quatre-vingt-cinq ans, ne voulait comméttre , ni fa réputation, ni fa vieilleffe, ni la France, a une guerre nouvelle. La pragmatique-fanéïion, fignalée & authentiquement garantie, le retenait. Le Comte, depuis Maréchal Duc de Belle-Ijle, &fon frere, petit-fils dufameux Fouquet, fans avoir ni 1'un ni 1'autre aucune influence dans les affaires, ni encore aucun accès auprès du Roi, ni aucunpouvoir fur 1'efprit du Cardinal dé Fleury, firent réfoudre cette entreprife. Le Maréchal de Belle Ijle ; fans avoir fait de grandes chofes, avait une grande ré- \ putation. II n'avait été ni Miniftre, ni Général, & paflait pour 1'homme le plus capable de conduire un Etat & une armée : mais une fanté très-faible détruifait fouvent en lui le fruit de tant de talents. Toujours en action, toujours plein de projets, fon corps pliait fous les efforts de fon ame; on aimait en lui la politeffe d'un courtifan aimable , & la franchife apparente d'un foldat. II perfuadait fans s'exprimer avec élo- de Pruffe. II peut affurer que Ie Cardinal de Fleury ignorait abfolument a quel Prince il avoit affaire. C üj Ch. VI. Maréchal ie Bellefle.  ÏK, VI. / 54 Maréchal de Belle Jjle* quence, paree qu'il paraiflaic toujours perfuadé. Son frere le Chevalier de Belle-Ijle avait la même ambition, les mêmes vues, mais encore plus approfondies , paree qu'une fanté plus robufte lui permettait un travail plus infatigable. Son air plus fombre était moins engageant; mais il fubjuguait lorfque fon frere infinuait. Son éloquence reffemblaft a fon courage; on y fentait, fous unair froid & profondément occupé, quelque chofe de violent; il était capable de tout imaginer, de tout arranger, &de tout faire. Ces deux hommes étroitement unis , plus encore par la conformité des idéés que parlefang, entreprirentdonc de changerla face de 1'Europe, aidés dans ce grand deffein par une Dame d'un efprit fupérieur. Le Cardinal combattit, il donna même au Roi fon avis par écrit, & eet avis était contre 1'entreprife. On croyait qu'il fe retirerait alors; fa carrière entiere eut été glorieufe: mais il n'eut pas la force de renoncer au miniftere, & de vivre avec lui-même fur le bord de fon tombeau. Le Maréchal de Belle-Ifls & fon frere arrangerent tout, & le vieux Cardinal préfida a une entreprife qu'il défapprouvait. Tout fembla d'abord favorable. Le Maréchal de Belle ■ Ijle fut envoyé a Franc-  Guerre 'de 1741. 55 fort, au camp du Roi de PrufTe , & a Drefde pour concerter ces vaftes projets que Ie concours de tant de Princes fëmblait rendre infaillibles. II fut d'accord de tout avec le Roi de PruiTe & le Roi de Pologne, Eleéleur de Saxe. II négociait dans toute i'Allemagne: il était 1'ame du parci qui devait procurer TEmpire & des couronnes héréditaires a un Prince qui pouvait peu par lui-même. La France donnait a la fois a 1'Electeur de Baviere de 1'argent, des alliés, des fuffrages & des armées. Le Roi en lui envoyant 1'armée qu'il lui avait promife, créa par lettres-patentes * fon Liëutenant-Général celui qu'il allait faire Empereur d'Allemagne. i» L'Electeur de Baviere, fort de tant de fecours, entra facilement dans 1'Autriche, tandis que h Reine Marie-Thérefe réfilbit a peine au Roi de PrufTe. II fe rend d'abord maitre de Paflau , ville Impériale qui apparcienta fon Evêque, & qui féparela hauteAutriche de la Baviere. 11 arrivé a Lintz, , Capitale de cette haute-Autriche. Des partis poufTent jufqu'a trois lieues de Vienne; Tallarme s'y répand : on s'y prépare a la bite a foutenir un fiege: on détruit un fauxbourg prefque tout entier, & un palais qui * Ces Lettres ne furent fcellées que le 20 Ao&t 174'. C iv c H. VI. 3 i Juille 1741- 5 Aoüt.  Ch. V 56 Guerre de 1741. touchaic aux fortiflcations: on ne voit fur Ie Danube que des bateaux chargés d'effets précieux qu'on cherche a mettre en füreté. L'Electeur de Baviere fit même faire une fommation au Comte de Kevenhuller, Gouverneur de Vienne. L'Angleterre & la Hollande étaient alors loin de tenir cette balance qu'elles avaient long- temps prétendu avoir entre leurs mains; les Ètats-Généraux refiaient dans le filence a la vue d'une armée du Maréchal de Maillebois qui était en Wefiphalie, & cette même armée en impofait au Roi d'Angleterre qui craignait pour fes Etats d'Hanovre oü il était pour lors. II avait levé vingt-cinq mille hommes pour fecourir Mar ie -Thé-' refe; mais il fut obligé de 1'abandonner a ia tête de cette armée levée pour elle, & de figner' ün ^traité de neutralité. II n'y 'avait alors aucune PunTance, ni dans l'Empire, ni hors de l'Empire, qui foutint cettepragmatique-fanétion,que tant d'Etats avaient garantie. Vienne, mal fortifiée par le cöté menacé, pouvait a peine réfiiter: ceux qui connaiffaient le mieux 1'Allemagne & les affaires publiques, croyaient voir avec la prife de Vienne, le chemin fermé aux Hongrois, tout le refte ouvert aux armées viétorieufes, toutes les prétentions réglées, & la paix rendue a l'Empire & a 1'Europe.  Guerre de 1741- 57 Plus la ruine de Marie-Thérefe paraiffait inévitable, plus elle eut de courage; elle était fortie de Vienne, & s'était jettée entre les bras des Hongrois, fi févérement traités par fon pere & par fes aïeux. Ayant afTemblé les quatre ordres de 1'Etat a Prefbourg, elle y parut tenant entre fes bras fon fils ainé prefque encore au berceau, & leur parlant en Latin , langue dans laquelle elle s'exprimait bien, elle leur dit a peu-près ces propres paroles : Abandonnée de mes amis, perfécutée par mes ennemis , attaquée par mes plus proches parents , je liai de rejjburce que dans votre fidélité , dans votre courage & dans ma confiance; je mets en vos maïns la fille & le fils de vos Rots, qui attendent de vous leur falut. Tous les Palatins, attendris Scanimés, tirerent leurs fabres , en s'écriant: Moriamur pro Rege nofiro, Maria-Therefid; mourons pour notre Roi, Marie-Thérefe. Ils donnent toujours le titre de Roi a leur Reine. Jamais Princefle, en effet, n'avait mieux mérité ce titre. Ils ve-rfaient des larmes en faifant ferment de la défendre, elle feule retint les liennes; mais quand elle fut retirée avec fes filles d'honneur, elle laifla couler en abondance les pleurs que fa fermeté avait retenus. Elle était enceinte alors, & iln'y avait pas long-temps qu'elle avait écric Cv C H. VI. Courage de MarieThérefe. 11 Septembre1741.  Ch. vi. Enthou- fiafme de 1'Angleterre pour MarieThérefe. i ■ i 1 5§ Guerre de 1741. a la DuchelTe de Lorraine fa belle mere: jfignore encore sHl me reftera une ville pour y faire mes couches. Dans eet état, elle excitait Ie zele de fes Hongrois; elle ranimait en fa faveur FAih gleterre & Ia Hollande qui lui donnaienc des fecours d'argent: elle agiffait dans l'Empire : elle négociait avec le Roi de Sardaigne , & fes Provinces lui fournifiaient des foldats. Toute la nation Anglaife s'anima en fa faveur. Ce peuple n'eft pas de ceux qui attendent 1'opinion de leur maitre, pour en avoir une. Des particuliers propoferent de faire un don gratuit a cette Princeffe. La Düchefie de Marlboroug, veuve de celui qui avait combattu pour Charles VI', affembla les principales Dames de Londres; elles s'engagerent a fournir cent mille lipres fterling; & Ia DuchelTe en dépofa quarante mille. La Reine d'Hongrie eut la grandeur d'ame de ne pas recevoir eet argent qu'on avait la générofité de lui offrir; ;lle nevoulut que ce'ui qu'elle attendaitde a nation aflêmblée en Parlement. On croyait que les armées de France & üe Baviere viétorieufes allaient affiéger Vienje. II faut toujours faire ce que Tennemi :raint.C'était un de ces coups décififs, une 3e ces occafions que la fortune préfente ine fois, & qu'on neretrouveplus. L'Eiec-  Guerre de 1741. 59 teur de Baviere avait ofé concevoir 1'efpérance de prendre Vienne; mais il ne s'était point préparé a ce fiege, il n'avait ni gros canons, ni munitions. Le Cardinal de Fleury n'avait point porté fes vues jufqu'a lui donner cette Capitale : les partis mitoyens lui plaifaient:il aurait voulu divifer les dépouilles avant de les avoir; & il ne prétendait pas que 1'Empereur qu'il faifait, eut toute la fucceffidn. L'armée de France, auxordresdel'Electeur de Baviere, marcha donc vers Prague, aidée de vingt mille Saxons, au mois de Novembre 1741. Le Comte Maurice de Saxe, frere naturel du Roi de Pologne, attaqua la ville. Ce Général, qui avait la force du corps finguliere du Roi fon pere, avec la douceur de fon efprit & la même valeur, polTédaitde plusgrands talents pour la guerre. Sa réputation 1'avait fait élire d'une commune voix Duc de Courlande; mais la Ruffie qui donnait des loix au Nord, lui avait enlevé ce que le fuffrage de tout un peuple lui avait accordé : il s'en confolait dans le fervice des Francais, & dans les agréments de la fociété de cette nation qui ne le connaiflait pas encore aflèz. II fallait ou prendre Prague en peu de jours, ou abandonner 1'entreprife. On manquait de vivres; la faifon étajtavancée; cette grande ville, quoique mal fortifiée, pouC vj Ch. VI. te Comte de Saxc. En 1726, [e 28 Juni.  Ch. VI. Prague prife par efcalade. 3 1 ] ] 1 I 3 é r 6o Guerre. de 1741. vait aifément foutenir les premières attaques. Le Général Ogihi, Irlandaisde naifiance, qui commandait dans la place, avait trois mille hommes degarnifon; & le GrandDuc marchait au fecours avec une armée de trente mille hommes; il était déja arrivé a cinq lieues de Prague, ie asNovembre; mais la nuit même les Francais & les Saxons donnerent 1'aiTaut. Ils firent deux attaques avec un grand fracas d'artilierie, qui attira toute lagarnifon de leur cöté .-pendant ce temps, le Comte de Saxe, en filence, fait préparc-r une feule échelle vers les remparts de la Ville neuve, a un endroit trés - éloigné de 1'attaque. Monfieur de Chevert, alors Lieutenant - Colonel du régiment de Beaufie , monte le premier. Le fils ainé du Maréchal de Broglie le fuit: on arrivé au rempart , on ne trouve, a quelques pas, qu'une lentinelle; on monte en foule, & on fe •end maitre de la ville; toute la garnifon net bas les armes. Ogihi fe rend prifonlier de guerre avec fes trois mille hommes, -e Comte de Saxe préferve la ville du pilage; «Sc ce qu'il y eut d'érrange, c'efr. que es conquérants & le peuple conquis fuentpêle-mêle enfemblependant trois jours; ^rarcais, Saxons, Bavarois, Bohémiens, taient confondus, ne pouvant fe reconaitre, fans qu'il y eüt une goutte de fang ;pandu.  Charles VIL 61 L'Eleéteur de Baviere qui venait d'arriver au camp, rendic compte au Roi de ce iuecès, comme un Général qui écrit a celui dont il commande les armées; il fit fon entrée dans la capitale de la Bohème le jour même de la prife, & s'y fit couronner au mois de Décembre. Cependant le GrandDuc, qui n'avait pu iauver cette capitale, & qui ne pouvait fubfifter dans les environs, fe retira au fud-eft de la Province, & laiffa a fon frere le Prince Charles de Lorraine le commandement de fon armée. Dans le même temps, le Roi dePruflè fe rendait maitre de la Moravie, Province fituée entre la Bohème & la Siléfie : ainfi Marie-Thérefe femblait accablée de tous cötés. Déja fon compétiteur avait été couronné Archiduc d'Autriche a Lintz; il venait de prendre la eouronne de Bohème a Prague, «Sc de-la il alla a Francfort recevoir celle d'Empereur fous le nom de Charles VIL Le Maréchal de Belle-Ife, qui Pavait fuivi de Prague a Francfort, femblait être plutöt un des premiers Elecïeurs qu'un Ambaffadeur de France. II avait ménagé toutes les voix, «Sc dirigé toutes les négociations; il recevait les honneurs dus au repréfentant d'un Roi, qui donnait la eouronne Impériale. L'Eleéteur de Mayence, qui préfide a 1'éleétion, lui donnait la main dans fon Ch. VI. MarierhérefeJrès de fa nüne.  Ch. vi. CharlesAlbert,Empereur CHAPITRE VII. Dêfaflres rapides qui fuivent les fuccès de rEmpereur Charles-Albert de Baviere. On commencait a fentir Ia faute qu'on avait faite, de n'avoir pas alTezde cavalerie. Le Maréchal de Belle-Ijle était malade a Francfort, & voulait a la fois conduire des négociations, & commander de Join une armée. La méfintelligence fe gliffait etitre les Puifiances alliées ; les Saxons ié phignaient beaucoup des Prufllens, & 62 Charles VII, Empereur. palais, & rAmbaffideur ne donnait la maïn chez lui qu'aux feu's Elecïeurs, & prenaic le pas fur tous les autres Princes. Ses pleinspouvoirs furent remis en langue Frangaife t laChancellerie Allemande, jufques-la, avait toujours exigé que de telles pieces fulfent préfentées en Latin, comme étant Ia langue d'un gouvernement qui prend le titre d'Empire Romain. Charles-Albert fut élu le 4, Janvier 1741 , de la maniere la plus tranquille & la plus folemnelle: on 1'aurait cru au comble de la gloire & du bonheur • mais la fortune changeait, & il devint un des plus infortunés Princes de la terre par fon élévation même.  Guerre de 1741. 63 ceux-ci des Francais, qui, a leur tour, les ( accufaient. Marie-Thérefe était foutenue de fa ferrneté, de 1'argent de 1'Angleterre , de celui de la Hollande & de Venife, d'emprunts en Flandres, mais fur-tout de 1'ardeur défefpérée de fes troupes raffemblées enfin de toutes parts. L'armée Francaife, fous des chefs peu accrédités, fe détruifait par les fatigues, la maladie & la défertion : les recrues venaient difficilement. II n'en était pas comme desarmées de Guflave-Adolphe, qui, ayant commencé fes campagnes, en Allemagne , avec moins de dix mille hommes, fe trouvait a la tête de trente mille, augmentant fes troupes dans le pays même, a mefure qu'il y faifait des progrès. Chaque jour affaibliffait les Francais vainqueurs, & fortifiait les Autrichiens. Le Prince Charles de Lorraine, frere du Grand-Duc, était dans Ie milieu de la Bohème avec trentecinq mille hommes: tous les habitants étaient pour lui; il commencait a faire, avec fuccès, une guerre défenfive, en tenant continuellement fon ennemi en allarmes, en cotipant fes convois, en le harcelant fans relache de tous les cötés par des nuées de huffards, de croates, de pandours, & de talpaches. Les Pandours font des Sclavons qui habitent le bord de la Drave, & de la Save; ils ont un hnbit long; ils portent plufieurs piftolets a la ceinture, un fabre & un poi- : h. vu. ?andout s.  Ch. Vil Talpache: Croates Faufles démarches du Cardinal de Fleury. li Juillet 64 Guerre de 1741. .gnard. Les Talpaches font une infanterie Hongroife, armée d'un fufil, de deux pif; tolets, & d'un fabre. Les Croates, appellés ' en France Cravates, font des milices de Croatie. Les Huffards font des cavaliers Hongrois, montés fur de petits chevaux légers & infatigables: ils défolent des troupes difperfées en trop de pofi.es, & peu pourvues de cavalerie. Les troupes de France & de Baviere étaient par-tout dans ce cas. L'Empereur Charles Fllavah voulu conferver, avec peu de monde, une vafte étendue de terrein, qu'on ne croyait pas la Reine de Hongrie en état de reprendre : mais tout fut repris, & la guerre fut enfin reportée du Danube au Rhin. Le Cardinal de Fleury voyant tant d'efpérances trompées, tant de défaitres qui fuccédaient a de fi heureux commencements, écrivit au Général de Kcenigfeck une lettre qu'il lui fit rendre par le Maréchal de BelleIjle même; il s'excufait dans cette lettre de la guerre entreprife, & il avouait qu'il avait été entraïné au-dela de fes mefures. Bien des gens favent, dit-il, combien faiétéoppofé aux réfolutions que nous avons prifes, & que fat été, en quelque fagon,forcé d'y confenür. Votre Excellence eft trop inftrulte de tout ce qui fe paffe, pour ne pas deviner celui qui mit tout en oeuvre pour d.éterminer le Roi a entrer dans une li-  Guerre de 1741. 65 gue qui était fi contraire a mon goüt & d mes principes. Ppur toute réponfe, la Reine d'Hongrie fit imprimer la lettre du Cardinal de Fleury. II eft aifé de voir quels mauvais etTets cette lettre devait produire; en premier lieu, elle rejettait évidemment tout le reproche de la guerre fur le Général chargé de négocier avec le Comte de Kosnigfeck, & ce n'était pas rendre la négociation facile que de rendre fa perfonne odieufe : en fecond lieu, elle avouait de la faibleffe dans le Miniftere , & c'eüt été bien mal connaïcre les hommes que de ne pas prévoir qu'on abuferait de cette faiblefle, que les alliés de la France fe refroidiraient, & que fes ennemis s'enhardiraient. Le Cardinal voyant la lettre imprimée, en écrivit une feconde, dans laquelle il fe plaint au Général Autrichien de ce qu'on a publié fa première lettre, & lui dit, qu'il ne lui écrira plus déformais ce qu'il penfe. Cette feconde lettre lui fit encore plus de tort que la première. II les fit défavouer toutes deux dans quelques papiers publics; & ce défaveu, qui ne trompa perfonne , mit le comble a fes fauflês démarches , que les efprits les moins critiques excuferent dans un homme de quatre-vingtfeptans, fatigué de mauvais fucccs. Enfin, 1'Empereür Bavarois fit propofer, a Londres, des projets de paix; & fur-tout des c H. VII.  Ch. VII. 66 Guerre de 1741. ' fécularifations d'Evêchésen faveur d'Hano vre. Le Miniftere Anglais ne croyait pas avoir befoin de 1'Empereur pour les obtenir. On infulta a fes offres en les rendant publiques; & 1'Empereur fut réduit a défavouer fes offres de paix, comme le Cardinal de Fleury avait défavoué la guerre. La querelle alors s'échaufïa plus que jamais. La France d'un cóté, 1'Angleterre de 1'autre, parties principales en effet fous le nom d'auxiliaires, s'efforcerent de tenir la balance a main armée. La maiiön de Bourbon fut obligée, pour la feconde fois, de tenir tête a prefque toute 1'Europe. Le Cardinal de Fleury, trop agé pour foutenir un fi pefant fardeau, prodigua a regret les tréfors de la France dans cette guerre entreprife malgré lui, & ne vit que des malheurs caufés par dés fautes. ïl n'avait jamais cru avoir befoin d'une marine : ce qui reltait a la France de forces maritimes, fut abfolument détruit par les Anglais, & les Provinces de France furent expofécs. L'Empereur, que la France avait fait, fut chafle trois fois de fes propres Etats. Les armes Francaifes furent détruites en Baviere & en Bohème, fans qu'il fe donmk une feule grande bataille ; & le défaftre fut au point qu'une retraite dont on avait befoin , & qui paraiffait impraticable, fut regardée comme un bonheur figtdé. Le Ma-  Mort du Cardinal de Fleury. 6j réchal de Belle-Ijle fauva le refte de 1'armée i Francaife affiégée dans Prague, & ramena environ treize mille hommes de Prague a \ Egra, par une route détournée de trentehuit lieues, au milieu des glacés & a la vue des ennemis. Enfin, la guerre fut reportée du fond de FAutriche au Rhin. Le Cardinal de Fleury mourut au village d'Iffi, au milieu de tous ces défaftres, & {( laifïa les affaires de la guerre, de la marine, de la fïnance & de la politique, dans une crife qui altéra la gloire de fon miniftere, & non la tranquilité de fon ame. Louis XV prit dès-lors la réfolution de gouverner par lui-même, & de fe mettre a la tête d'une armée. II fe trouvait dans la même fituation oü fut fon bifaïeul dans une guerre, nommée, comme celle-ci ,1a guerre de la fucceffion. 11 avait a foutenir la France & PEfpagne, contre les mêmes ennemis, c'eft-a-dire, contre FAutriche, 1'Angleterre, la Hol'ande & la Savoie. Pour fe faire une idéé jufte de Fembarras qu'éprouvait le Roi, des périls oü Fon était expofé, & des refiburces. qu'il eut, il faut voir comment 1'Angleterre donnait le mouvement a toutes ces fecouffes de 1'Europe. :i. vil )éc,i74i. Mort du :ardinal ,e Fleury.  68 Guerre de 1741. Ch. VIII CHAPITRE VIII. Conduite de l'Angiet er re, de VEfpagne, du Roi de Sardaigne, des Puiffances d"Italië. Bataille de Toulon. On fait qu'après 1'heureux temps de'Ia paix d'Utrecht, les Anglais qui jouiffaient de Minorque & de Gibraltar, en Efpagne, avaient encore obtenu de- la Cour de Madrid des privileges que les Francais, fes défenfeurs, n'avaient pas!" Les commercants Anglais allaient vendre aux colonies Efpagnoles les negres qu'ils acheralent en Afrique pour être efclaves dans le nouveau monde. Des hommes vendus par d'autres hommes, moyennant trente-trois piaftres par tête qu'on payait au Gouvernement Efpagnol, étaient un objet de gain confidérable; car la compagnie Anglaife en fourniffant quatre mille huit cents negres, avait obtenu encore de vendre les huit cents, fans payer de droits; mais le plus grand avantage des Anglais, a 1'exclufion des autres nations, était la permiffion, dont cette compagnie jouit dès 1716, d'envoyer un vaifleau a Porto-Bello. Ce vaiffeau qui d'abord ne devait être que de cinq cents tonneaux, fut en 1717  , Guerre de 174.U 6$ de huit cents cinquante, par convention, mais en effet de mille^par abus; ce qui faifait deux millions pefant de marchandifes. Ces mille tonneaux étaient encore le moindre objet de ce commerce de la compagnie Anglaife; une patache qui fuivaic toujours Ie vauTeau fousprétexte de luiporter des vivres, allait & venait continuellement; elle fe chargeait dans les Colonies Anglaifes, des effets qu'elle apportait a ce vaiilèau, lequel ne fe défempüflant jamais par cette manoeuvre, tenait lieu d'une flotte entiere. Souvent même d'autres navires venaient remplir le vaiueau de permiflion, & leurs barques allaient encore fur les cótes de 1'Amérique porter des marchandifes dont les peuples avaient befoin, mais qui faifaient tort au Gouvernement Efpagnol, & même a toutes les nations intéreiTées au commerce qui fe fait des ports d'Efpagne au golfe du Mexique. Les Gouverneurs Efpngnols traiterent avec rigueur les marchands Anglais , & la rigueur fe poulTe toujours trop loin. Un patronde vaiilèau, nommé Jenkins, vint en 1739 fe préfenter a la Chambre des Communes. C'était un homme franc & fimp!e, qui n'avait point fait de commerce iIli— | cite, mais dont le vaiiTeau avait été rencon-! tré par un garde-cötes Efpagnol, dans un parage de 1'Amérique, oü les Efpagnols ne Ch. VIII. Un parem de raifleau narchand 'ait déclaer la ;uerre.  Ch. VII 70 Guerre de 1741. • voulaient pas fouffrir de navires Anglais. Le Capitaine Efpagnol avait faifi le vaiilèau de Jenkins, mis i'équipage aux fers, fendu le nez & coupé les oreilles au patron. En eet état, Jenkins fe préfenta au Parlement; il raconta fon aventure avec la naïveté de fa profeffion & de fon caractere. Mejjieurs, dit-il, quandon tri eut ainji mutilé, on me menaga de la mort; je l'attendis; je recommandai mort amedDiEv, & ma vengeance a ma patrie. Ces paroles prononcées naturellement exciterent un cri de pitié & d'indignation dans 1'affèmblée. Le peuple de Londres criait a la porte du Parlement, la mer libre, ou la guerre. On n'a peut-être jamais parlé avec plus de véritable éloquence qu'on paria fur ce fujet dans le Parlement d'Angleterre : & je ne fais fi les harangues méditées qu'on prononca autrefois dans Athenes & dans Rome, en des occafions a-peu-près femblables, 1'emportenc fur ies difcours non préparés du Chevalier Windham, du Lord Carteret, du Miniftre Robert Walpole, du Comte de Chejlerfield, de M. Pultney, depuis Comte de Bath. Ces difcours qui font 1'efFet naturel du gouvernement & de 1'efprit Anglais, étonnenc quelquefois les étrangers, comme les produclions d'un pays qui font a vil prix fur leur terrein, font recherchées précieufement ailleurs. Mais il fauc lire avec précau-  .Guerre de.ifóXi 71 tion touces ces harangues oü 1'efprit de parri domine. Le véritable état de la nation y elt prefque toujours déguifé. Le parti du Miniftre y peint le gouvernement florilTant; la faétion contraire allure que tout elt en décadence. L'exagération regne par-tour. Oü e/l le temps, s'écriait alors un membre du Parlement, oü e/l le temps oü un Miniftre de la guerre difait qu'il ne fallait pas quon ofdt tirer un coup de canon, en Europe,fans la permijjion de l' Angleterre? Enfin, le cri de la nation détermina le Parlement & le Roi. On déclara la guerre ft 1'Efpagne dans les formes a la fin de 1'année 1739. La mer fut d'abord le théatre de cette guerre, dans laquelle les Corfaires des deux nations, pourvus de lettres-patentes, allaient en Europe & en Amérique, attaquer tous les vaifièaux marchands, & ruiner réciproquement le commerce pour lequel ils combattaient. On en vint bientöt a des holtilités plus grandes. L'Amiral Vernon, 1'an 1740, pénétra dans le golfe du Mexique, & y attaqua & j prit la ville de Porto-Bello, 1'entrepöt des 1 tréforsdu nouveau-monde, larafa, & en fit1 un chemin ouvert par lequel les Anglais purent exercer a main armée le commerce autrefois clandeftin , qui avait été le fujet de la rupture. Cette expédition fut regar- Ch. VIII, Les An- [laisprenlent Poro-BelIo.*lars 1740.  72 Guerre de 1741. Ch. VIII Ce qui fe paffoit en Italië dans dée par les Anglais comme un des plus grands fervices rendus a la nation. L'Amiral fut remercié par les deux Chambres du Parlement: elles lui écrivirent, ainfi qu'elles en avaient ufé avec le Duc de Marlboroug après la journéed'Hochftet.Depuisce temps, les actions de leur compagnie du Sud augmenterent, malgré les dépenfes immenfes de la nation. Les Anglais efpérerent alors de conquérir 1'Amérique Efpagnole. Ils crurent que rien ne réfifterait a 1'Amiral Vernon; & lorfque quelque temps après eet Amiral alla mettre le fiege devant Carthagene, ils fe haterent d'en célébrer la prife: de forte que dans le temps même que Vernon en levait le fiege, ils firent frapper une' médaille oü 1'on voyait le port & les environs de Carthagene avec cette légende : II a pris Carthagene; Ie revers repréfentait 1'Amiral Vernon, & on y lifait ces mots: Au vengeur de fa patrie. II y a beaucoup d'exemples de ces médailles prématurées qui tromperaient la poltérité, fi l'hiftoire plus exaéte ne prévenait pas de celles erreurs. La France qui n'avait qu'une marine faible, ne fe déclarait pas alors ouvertement; mais le Miniftere de France fecourait les Efpagnols autant qu'il était en fon pouvoir. On était en ces termes entre les Efpagnols & les Anglais, quand la mort de 1'Empereur  Guerre de 1741. 73 pereur Charles Flmk le trouble dans 1'Europe. On a vu ce que produifak en Allernagne la querelle de FAutriche & de la Baviere. L'Italië fut auffi bientót défolée pour cette fucceffion Autrichienne. Le Milanais était réclamé par la maifon d'Efpagne. Parme & Plaifimcedevaientrevenirparle droit de naiffance a un des fils de la Reine, née Princefle de Parme. Si Philippe /^avait voulu avoir le Milanais pour lui, il eut trop allarmé Pltalie. Si on eut deftiné Parme & Plaifance a Dom Carlos, déja maïtre de Naples & de Sicile , trop d'Ecats réunis fous un même Sonveraineuflent encore allarmé les efprits. Dom Philippe, puïné de Dom Carlos, fut le Prince auquel on deftina le Milanais & le Parméfan. La Reine de Hongrie, makreflè du Milanais, faifait fes efforts pour s'y maintenir. Le Roi de Sardaigne, Duc de Savoie, revendiquait fes droits fur cette Province; il craignait de la voir dans les mains de la maifon de Lorraine entée fur la maifon d'Autriche, qui, pofledant a la fois le Milanais & la Tofcane, pourrait un jour lui ravir les terres qu'on lui avait cédées par les traités de 1737 & 1738; mais il craignait encore davantage de_fe voir prefle par la France, & par un Prince de la maifon de Bourbon, tandis qu'il voyait un autre Prince de cette maifon le makre de Naples & de Sicile. I. Partie. D Ch viij. eet em- brafement général.  Ch. VIII. Conduite du Roi de Sardaigne. "4 Guerre de 1741. II fe réfolut, dès le commencement de 1742, a s'unir avec la Reine d'Hongrie fans s'accorder dans le fond avec elle. Ils fe réunifTaient feulement contre le péril préfent; ils ne fe faifaient point d'autres avantages: Ie Roi de Sardaigne fe réfervait même de prendre quand il voudrait d'autres mefures. C'était un traité de deux ennemis qui ne fongeaient qu'a fe défendre d'un troifieme. La Cour d'Efpagne envoyait 1'Infant Dom Philippe, attaquer le Duc Roi de Sardaigne, qui n'avait voulu de lui ni pour ami, ni pourvoifïn. Le Cardinal de Fleury avait laiiïé pafier Dom Philippe & une partie de fon armée paria France, mais il n'avait pas voulu lui donner de troupes. On fait beaucoup dans un temps, on craint de faire même peu dans un autre. La raifon de cette conduite était qu'on fe flattait encore de regagner le Roi de Sardaigne qui laiflait toujours des efpérances. On ne voulait pas d'ailieurs alors de guerre direcle avec les Anglais qui 1'auraient infailliblement déclarée. Les révolutions des affaires de terre qui commencaient alors en Allemagne, ne permettaient pas de braver par-tout les puiitances maritimes. Les Anglais s'oppofaient ouvertement a 1'établiiïèment de Dom Philippe en Italië, fous prétexte de maintenir 1'équilibre de 1'Europe. Cette balance, bien ou mal entendue,  Guerre de 174,1. 7; écait devenue Ia paflion du peuple Anglais mais un intérêc plus couvert était le but di Miniftere de Londres. II voulait forcer 1'Ef pagne ft partager le commerce du nouveai monde: il eut a ce prix aidé Dom Phitippt ft paffer en Italië, ainfi qu'il avait aidé Don. Carlos en 1731. Mais la Cour d'Efpagne ne voulait point enrichir fes ennemis ft fe< dépens, & comptait écablir Dom Philippt dans fes Etats. Dès le mois de Novembre & de Décembre 174.1, la Cour d'Efpagne avait envoyé par mer plufieurs corps de troupes en Italië , fous Ia conduite du Duc de Montemar, célebre par la viftoire de Bitonto, & enfuite par fa difgrace. Ces troupes avaient débarqué fucceflivement fur les cötes de la Tofcane & dans les ports qu'on appelle I'Etat degliprefidii, appartenant a la Couronne des deux Siciles. II fallait pafier fur les terres de la Tofcane. Le grand-Duc, mari de la Reine d'Hongrie, fut obligé de leur accorder le pafiage, & de déclarer fon pays neutre. Le Duc de Modene, marié'ft la fille du feu Duc d'Orléans, Régent de France, fe déclara neutre auffi. Le Pape Benoit XIF, fur les terres de qui 1'armée Efpagnole devait pafier dans ces conjonélures, ainfi que celle des Autrichiens, embrafia la même neutralité ft meilleur titre que perfonne, en qualité de pere commun des Princes & des D ij . Ch. VIII. Neurralités fingulieres en Italië.  Ch. VIII. Etrange aventure a Naples. 76 Guerre de 1741. peuplcs, tandis que fes enfants vivaient a difcrétion fur fon territoire. De nonveües troupes Efpagnoles arriverent par la voie de Genes. Cette république fe dit encore neutre, & les laiiTa palfer. Vers ce temps-lh même, le Roi de Naples embrallait la neutralité, quoiqu'il s'agït de la caufe de fon pere & de fon frere. Mais de tous ces potentats neutres en apparence, aucun ne 1'était en effet. A 1'égard de la neutralité du Roi de Naples , voici quelle en fut la fuite. On fut étonné le 18 Aoüt de voir paraïtre a Ia vue du port de Naples, une efcadre Anglaife compofée de fix vaifieaux de foixante canons , de fix frégates & de deux galiottes a bombes. Le Capitaine Martin, depuis Amiral, qui commandait cette efcadre, envoya a terre un Officier avec une lettre au premier Miniftre, qui portait en fubflance qu'il fallait que le Roi rappellat fes troupes de Farmée Efpagnole, ou que 1'on allait dans l'inftant bombarder la ville. On tint quelques conférences; le Capitaine Anglais dit enfin, en mettant fa montre fur le tillac, qu'il ne donnait qu'une heure pour fe déterminer. Le port était mal pourvu d'artillerie, on n'avait point pris les précautions néceiTaires contre une infulte qu'on n'attendait pas. On vit a{ors que 1'ancienne maxime , qui eft maft re de la mer, l'eft de la  Guerre de 1741. 77 terre, eft fouvent vraie. On fut obligé de promettre toutce que 1c Commandant Anglais voulait, & même il fallutle tenir juf qu'a ce qu'on eut le temps de pourvoir \ la défenfe du port & du Royaume. Les Anglais èux-mêmes fen taient bien que le Roi de Naples ne pouvait pas plus garder en Italië cette neutralité forcée, que le Roi d'Angleterre n'avait gardé la fienne en Allemagne. L'armée Efpagnole , commandée par Ie Duc de Montemar, venue en Italië poui foumettre la Lombardie, fe retirait alors vers les frontieres du Royaume de Naples, toujours preflee par les Autrichiens. Alors le Roi de Sardaigne retourna dans le Piémont & dans fon Duché de Savoie, ou les viciflitudes de la guerre demandaient fa préfence. L'Infant Dom Philippe avait en vain tenté de débarquer a Genes avec de nouvelles troupes. Les efcadres d'Angleterre 1'en avaient empêché, mais il avait pénétré par terre. dans le Duché de Savoie, & s'en était rendu maitre. C'eft un pays prefqu'ouverc du cóté du Dauphiné. II eft ftérile & pauvre. Ses Souverains en retiraient alors a peine quinze cents mille livres de revenu. Charles-Emmanuel, Roi de Sardaigne & Duc de Savoie, 1'abandonna pour aller défendre le Piémont, pays plus important. D Hj Ch. Vin, Pendant qu'on fe Hat en Allemagne,1'Infant Dom Philippeprend la Savoie. Décerrtb. 1743.  Ch, VIII, Récapitulation de 1'etat de 1'Europe, 78 Guerre de 1741. On voit, par eet expofé, que tout étak en allarmes, & que toutes les Provinces éprouvaient des revers du fond de la Silene au fond de 1'Italie. L'Autriche n'était alors en guerre ouverte qu'avec la Baviere, & cependant on dcfolait 1'Italie, Les peup!es du Milanais, du Mantouan, de Parme, de Modene, de Guaftalla, regardaient avec une triftefie impuiiTante toutes ces irruptions & toutes ces fecoullès, accoutumés depuis long-tempsft êtrele prix du vainqueur, fans oier feulement donner leur exclufion & leur fulfrage. La Cour d'Efpagne fit demander aux Suiflès le pafiage par leur territoire pour porter de nouvelles troupes en Italië, elle fut refufée; la Suifiê vend des foldats ft tous les Princes, & défend fon pays contr'eux. Le gouvernement y eft pacifique, & les peuples guerriers. Une telle neutralité fut refpeétée. Venife de fon cöté leva vingt mille hommes pour donner du poids ft la fienne. II y avait dans Toulon uneflotte de feize vaifièaux Efpagnols, deftinée d'abord pour tranfporter Dom Philippe en Italië; mais il avait pafle par terre comme on a vu. Elle devait apporter des provifions ft fes troupes, & ne le pouvait, retenue continuellement dans le port par une fiotte Anglaife qui dominait dans la Méditerranée, & infukait toutes les cötes de 1'Italie 8c de la Proven-  Bataille de Toulon. ~* ce. Les CanonniersEfpagnolsn'étaientpas experts dans leur art; on les exerca dans le port de Toulon pendant quatre mois, en les faifant tirer au blanc, & en excitant leur émulation & leur induftrie par des prix propofés. Quand ils fe furent rendus habiles, on fit fortir de la rade de Toulon 1'efcadre Efpagnole , commandée par Dom Jofeph Navarro. Elle n'était que de douze vaifleaux, les Efpagnols n'ayant pas aflèz de matelots & de canonniers pour en manceuvrer feize : elle fut jointe aufli-töt par quatorze vaifleaux Francais, quatre frégates, & trois brülots, fous les ordres de M. de Court, qui, a lage de quatre-vingts ans, avait toute la vigueur de corps & d'efprit qu'un tel commandement exige. II y avait quarante années qu'il s'était trouvé au combat naval de Malaga, oü il avait fervi en qualité de Capitaine fur le vaiflèau Amiral; & depuis ce temps, il ne s'était donné de bataille fur mer en aucune partie du monde que celle de Meflineen 1718. L'Amiral Anglais Mattheus fe préfenta devant les deux efcadres combinées de France & d'Efpagne. La flotte de Mattheus était de quarante-cinq vaifleaux, de cinq frégates, & de quatre brülots : avec eet avantage du nombre, il fut aufli fe donner d'abord celui du vent, manoeuvre dont dépend fouvent Ia viétoire D iv Ch. VIII. Bataille navale de Toulon. ii Février 1744.  Ch. VIII. 80 Bataille de Toulon. dans les combats de mer, comme elle depend fur la terre d'un pofte avantageux. Ce font les Anglais qui, les premiers, ont rangé leurs forces navales en bataille dans Fordre oü Fon combat aujourd'hui, & c'eft d'eux que les autres nations ont pris Fufage de partager leurs flottes en avant-garde, arriere-garde & corps de bataille. On combattit donc a la bataille de Toulon dans eet ordre. Les deux flottes furentégalement endommagées, & égalemenc difperfées. Cette journée navale de Toulon fut donc indccife comme prefque toutes les batailles navales, (a 1'exception de celle de la Hogue,) dans lefquelles le fruit d'un grand appareil & d'une longue aclion eft de tuer du monde de part & d'autre, & de démater des vaifleaux. Chacun fe plaignit; les Efpagnols crurent n'avoir pas été aflèz fecourus• les Francais accuferent les Efpagnols de peu de^ reconnaiflance. Ces deux nations, quoiqu'alliées,n'étaient point toujours unies, L'antipathie ancienne fe réveillait quelquefois entre Iespeuples, quoique Fintelligence fut entre leurs Rois. Au refte, le véiitable avantage de cette bataille fut pour la France & 1'Efpagne; la mer Méditerranée fut libre au moins pendant quelque temps, & les provilions donc avait befoin Dom Philippe purent aifément  Guerre du Piémont. 81 lui arriver des cötes de Provence; mais ni les flottes Francaifes, ni les efcadrcs d'Efpagne ne purent s'oppofer a 1'Amiral Mattheus, quand il revint dans ces parages Ces deux nations, obligées d'emretenir continuellement de nombreufes armées de terre, n'avaient pas ce fonds inépuifable de marine , qui fait la refTourcede la puifïïmce Anglaife. CHAPITRE IX. Le Prime de Conti force les pafages des Alpes. Situatton des affaires d'Italie. ï °cVTS XJ? au milieu de t0"s ces efxl? de„clara ,a Suerre ™ Roi Geor- ■ ge, & bientot a Ja Reine d'Hongrie, qui la lm declarerent aufïï dans les formes. Ce ne fut, de part & d'autre, qu'une cérémonie de plus Nil'Éfpagne.m NapleTne declarerent la guerre, mais ils Ia firent. Dom Pmhppe, a ]a tête de v{ .„ Efpagnols, ciont le Marquis de la Mina éta,tleGénéral,&lePrince de Conti Ci de vingt mille Francais, infpirerent tous deux a leurs troupes eet efprit de cónfiance & de courage opiniarre dont on avait befoin pourpénétrer dans le Piémont, cu uil bataiUon peut a chaque pas arrêcer une arD v Ch. VIII. i') Mai 744- 26 Avnl-,  Ch, IX. ï Avril. £fcalade de VilleFranche& deMon tïlban. 82 Guerre du Piémont. mée entiere, oü il faut a tout moment combattre entre des rochers, des précipices& des torrents, & oü la difficulté des convois n'eit pas un des moindres obftacles. Le Prince de Conti, qui avait fervi en qualité de Lieutenant-Général dans la guerre malheureufe de Baviere, avait de Fexpérience dans fa jeuneflè. Le premier d'Avril 1744, FInfant Dom Philippe & lui, paiTerent le Varo, riviere qui tombe des Alpes, & qui fe jette dans la mer de Genes, au-deffous de Nice. Tout le Comté de Nice fe rendit; mais pour avancer, il fallait attaquer les retranchements élevés prés de Ville-Franche; & aprèsr eux, on trouvait ceux de la fortereffe de JMontalban, au milieu des rochers qui forment une longue fuite de remparts prefque inacceffibles. Ön ne pouvait marcher que par des gorges étroites, & par des abymes fur lefquels plongeaic Fartillerie ennemie, & ilTallait fous ce feu gravir de rochers en rochers. On trouvait encore jufques dans les Alpes des Anglais a combattre; 1'Amiral Mattheus, après avoir radoubé fes vaifFeaux, était venu reprendre Fempire de la mer. II avait débarqué lui-même a VilleFranche. Ses foldats étaient avec les Piémontais; 6k fes Canonniers fervaient Fartillerie. Malgré ces périls, le Prince de Conti fe préfente au pas de Ville-Franche,  Guerre du Piémont. 83 rempart du Piémont, haut de prés de deux cents toifes, que le Roi de Sardaigne croyait hors d'atteinte, & qui fut couvert de Francais & d'Efpagnols. L'Amiral Anglais & fes matelots furent fur le point d'être faits prifonniers. On avanca, on pénétra enfin jufqu'a Ia Vallée de CMteau-Dauphin. Le Comte de Campo-Santo fuivait le Prince de Conti, h la tére des Efpagnols, par une autre gorge. Le Comte de Campo-Santo portaitce nom , &ce titre, depuis la bataille de Campo-1 Santo, oü il avait fait des aétions étonnantes; ce nom était fa récompenfe, comme on avait donné le nom de Bitonto au Duc dsMontemar, après la bataille de Bitonto. II n'y a guere de plus beau titre que celui d une bataille qu'on a gagnée. Le Bailli de Givri efcaladeen plein jour un roe fur lequel deux mille Piémontais iontretranchés. Ce brave Chevert, qui avait monté le premier fur les remparts de Prague, monte a ce roe un des premiers; & cette entreprife était plus meurtriere que celle de Prague. On n'avait point de canon : les Piémontais foudroyaient les alTaillants avec le leur. Le Roi de Sardaigne, placé lui-meme derrière ces retranchemeY.rs ammait fes troupes. Le Bailli de Givri était ble le des le commencement de 1'atfion; Cc le Marqms de Filkmur, initruit qu'un D vj Ch. IX. 19 Juillet 1744. Journée Ie Chaeau-Dau-  Ch. IX, 84 Guerre du Piémont. paflage non moins important venait d'être heureufement forcé par les Francais, envoyait ordonner la retraite. Givri la fait battre; mais les Officiers & les foldats, trop animés, ne 1'écoutent point. Le Lieutenant-Colonel de Poitou faute dans les premiers retranchements, les grenadiers s'élancent les uns fur les autres; & ce qui efl: a peine croyable, ils paffent, par les embrafures même du canon ennemi, dans 1'inftant que les pieces ayant tiré, reculaient par leur mouvement ordinaire : on y perdit prés de deux mille hommes; mais il n'échappa aucun Piémontais. Le Roi de Sardaigne, au défefpoir, voulait fe jetter luimême au milieu des attaquants, & on eut beaucoup de peine a le retenir: il en coüta la vie au Bailli de Givri; le Colonel Salis , Ie Marquis de la Carte y furent tués; le Duc OÜAgénois & beaucoup d'autres , blefles. Mais il en avait coüté encore moinsqu'on ne devait s'attendre dans un tel terrein. Le Comte de Campo-Santo, qui ne put arriver a ce défilé étroit & efcarpé oü ce furieux combat s'était donné, éctïvit au Marquis de la Mina, Général de 1'armée Efpagnole fous Dom Philippe : II fe préfentera quelques occafons oü nous ferons auffi-bien que les Francais; car il rieft pas poffihle de faire mieux. Je rapporte toujours les lettres des Généraux, lorfque  Guerre du Piémont. 85 j'y trouve des particularités intérclTantes. Ainfi je tranfcrirai encore ce que le Prince de Conti écrivic au Roi touchant cette journée : Ceft une des plus brillantes & des plus vives aclions qui fe foient jamais paffées; les troupes y ont montré une valeur au-deffus de Phumanité. La brigade de Poitou, ayant Monfieur (PAgénois a fa tête, seft couverte de gloire. La bravoure & la préfence d'efprit de Monfieur de Chevert, ont principalement décidé Vavantage. Je vous recommande M. de Solémi, & le Chevalier de Modene. La Carte a été tué; votre Majefté, qui connait le prix de Pamitié, fent combien fen fuis touché. Ces expreffions d'un Prince a un Roi, font des lecons de vertu pour le refte des hommes, & 1'hiltoire doit les conferver, Pendantqu'on prenait Cbateau- Dauphin, il fallaic emporter ce qu'on appellait les barricades; c'était un paflage de trois toifes entre deux montagnes qui s'élevent jufqu'aux nues. Le Roi de Sardaigne avaic fait couler dans ce précipice la riviere de Sture qui baigne cette vallée. Trois retranchements, & un chemin couvert par-deia la riviere, défendaient ce pofte , qu'on appellait les barricades; il fallaic enfuite Cé rendre maitre du chateau de Démont, bfoi avec des fraix imtnenfes fur la tête d'un to¬ ch. ix.  Ch. ix 23 Juiüei CHAPITRE X. Nouvelles difgraces de 1'Empereur Charles VIL Bataille de Dettingue. Tant de belles aclions ne fervaient de rien au but principal, & c'eflr ce qui arrivé dans prefque toutes les guerres. La caufe de la Reine d'Hongrie n'en était pas moins triomphante. L'Empereur Charles VII, nommé en effet Empereur par le Roi de France, n'en était pas moins chafle de fes Etats héréditaires, & n'était pas moins errant dans 1'Allemagne. Les Francais n'étaient pas moins repouiTés au Rhin & au Mein. La France enfin n'en était pas moins épuifée pour une caufe qui lui était étran- 86" Charles VIL cher ifolé, au milieu de la vallée de Stare; après quoi les Francais, maitres des Alpes, voyaient les plaines du Piémont. Ces barricades furent tournées habilement par les Francais & par les Efpagnols, la veille . de 1'attaque de Chateau-Dauphin. On les emporta prefque fans coup férir, en mettant ceux qui les défendaient entre deux feux. Cet avantage fut un des chef- d'ceuvres de 1'art de la guerre; car il fut glorieux, il remplit 1'objet propofé, & nefuc pas fanglanr.  Affaire de Dettingue. 87 ge re, & pour une guerre qu'elle aurait pu s'épargner, guerre entreprife par la feule ambition du Maréchal de Belle-Ijle, dans laquelle on n'avait que peu de chofe a gagner, & beaucoup a perdre. L'Einpereur Charles VII fe réfugia d'abord dans Augsbourg , ville Impériale & libre, qui fe gouverne en république, fameufe par le nom d'Augujle, la feule qui aitconfervé les reftes, quoique défigurés? de ce nom d'Augujle, autrefois commun a tant de villes fur les frontieres de la Germanie & des Gaules. II n'y demeura pas long-temps; & en la quittant au mois de Juin 1743, il eut la douleur d'y voir entrer un Colonel deHuflards, aommè Ment' zei, fameux-par fes férocités & fes brïgandages , qui le chargea d'injures dans les rues. II portait fa malheureufe defiinée dans Francfort, ville encore plus privilégiée que Ausbourg, & dans laquelle s'était faite fon éleélion a l'Empire; mais ce fut pour y voir accroitre fes infortunes. II fe donnait une bataille qui décidait de fon fort, a quatre milles de fon nouveau refuge. ' Le Comte Stairs, Ecofiais, 1'un des éleves du Duc de Marlboroug, autrefois Ambaffadeur en France , avait marché vers Francfort, a la tête d'une armée de plus de cinquante mille hommes, compofée ch, x.  Ch. X i \ < < _ 88 Affaire ch Dettingue. , d'Anglais, d'Hanovriens & d'Autrichiens. Le Roi d'Angieterre arriva avec fon fecond hls le Duc de Cumberland, après avoir pafle a Francfort, dans ce même afyle de 1 empereur, qu'il reconnailfait toujours pour fon Souverain, & auquel il faifaic la guerre dans 1'efpérance de le détröner. Le lVJaréchal Duc de Noailles, qui commandait 1'armée oppofée au Roi d'Angieterre , avait porté .les armes dès 1'age de quinze ans. II avait commandé, en Catnlogne, dans la guerre de 1701, & pafla depuis par toutes les fonftions qu'on peut avoir dans le Gouvernement : a la tête des finances au commencement de Ia régence, Général d'armée , & Miniftre d'Etat, il ne' ceffa dans tous ces emplois de cultiver la littérature, c-xemple autrefois commun chez les Grecs & chez les Romains, mais rare aujourd'hui dans 1'Europe. Ce Général, par une manoeuvre fupérieure, fut d'abord le maitre de la campagne. II cöcoya 1'armée du Roi d'Angleterre qui avait le Mein entr'elle & les Francais; il lui coupa les vi/res, en fe rendant maitre des paffages auieffus & au-deffous de leur camp. Le Roi d'Angleterre s'était pofté dans \fchalTembourg, ville fur Ie Mein qui ap>artient a rElcefleur de Mayence. I! avait faic :ette démarche malgré le Comte Stairs fon ïéuéral, & commencait a s'en repentir. II  Affaire de Dettingue. 89 y voyait fon armée bloquée & aiTamée par le Maréchal de Noailles. Le foldat fut réduic a la demi-racion par jour. On manquait defourrages, au point qu'on propofa de couper les jarrets aux chevaux, & on Pauraic fait fi on était refté encore deux jours dans cette pofition. Le Roi d'Angieterre fut obligé enfin de fe retirer pour aller chercher des vivres a Hanau fur le chemin de Francfort; mais enferetirant, il était expofé aux batteries du canon ennemi, placé fur la rive du Mein. II faliait faire marcher en hate une armée que la difette affaibliffait, & dont 1'arriere-garde pouvait être accablée par 1'armée Francaife. Car le Maréchal de Noailles avait eu la précaution de jetter des ponts entre Dettingue & Afchafiembourg, fur le chemin de Hanau, & les Anglais avaient joint a leurs fautes cellede laifièr établir ces ponts. Le 26 Juin, au milieu de la nuit, le Roi d'Angieterre fit décamper fon armée dans le plus grand filence, & hafarda cette marche précipitée & dangereufe a laquelle il était réduit. Le Maréchal de Noailles voit les Anglais qui femblent marcher a leur perte dansun chemin étroit entre une montagne & la riviere. II ne manqua pas d'abord de faire avancer tous les efcadrons compofés de la Maifon du Roi, de Dragons & de Houfards, vers.Ie villagede Dettingue, devant lequel les Anglais devaient pafier. II Ck. X.  Ch. X. 9» Bataille de Dettingue. fait défiler fur deux ponts quatre brigades d'infanterie avec celles des Gardes-Francaifes. Ces troupes avaient ordre de refter poftées dans le village de Dettingue en-deea d'un ravin profond. Elles n'étaient point appercues des Anglais, & le Maréchal voyait tout ce que les Anglais faifaient. M. de Valliere, Lieutenant-Général, homme qui avait poufle le fervice de 1'artillerie aufü loin qu'il peut aller, tenait ainfi dans un défilé les ennemis entre deux batteries qui plongeaient fur eux du rivage. Ils devaien: pafier par un chemin creux qui elt entre Dettingue & un peut ruiflêau. On ne devait fondre fur eux qu'avec un avantage certain dans un terrein qui devenait un piege inévitable. Le Roi d'Angieterre pouvait être pris lui-même : c'était enfin un de ces moments décififs qui femblaient devoir mettre fin a la guerre. Le Maréchal recommande au Duc de Grammont, fon neveu, Lieutenant-Général & Colonel des Gardes, d'attendre dans cette pofition que 1'ennemi vint lui-même fe livrer. Ilalla malheureufement reconnaitre un gué pour faire encore avancer de la cavalerie. La plupart des Officiers difaienc qu'il eut mieux fait de refter a la tête de 1'armée pour fe faire obéir. II envoya faire occuper le pofte d'Afchaffembourg par cinq brigades; de forte que les Anglais étaient  Batailk de Dettingue. 91 pris de tous cörés. Un moment d'impatien- ' ce dérangea toutes ces mefures. Le Duc de Grammont crut que la première colonne ennemie était déja paffee,& qu'il n'y avait qu'a fondre fur une arrieregarde qui ne pouvait réfifter; il fitpaflèr le ravin a fes troupes. Quittant ainfi un terrein avantageux oü il devait refter , il avance avec _ le régiment des Gardes & celui de Noailles infanterie, dans une petite plaine qu'on appelle champ des Coqs. Les Anglais, qui défilaient en ordre de bataille, fe formerent bientót. Par-la les Francais, qui avaient attiré les ennemis dans le piege, y tomberent eux-mêmes. Ils attaquerent les ennemis en défordre & avec desforcesinégales. Le canon que M. de Valliere avait écabli le long du Mein , & qui foudroyait les ennemis parle flanc, & fur-tout ies Hanoyriens, ne fut plusd'aucun ufage, paree qu'il aurait tiré contre les Francais mêmes. Le Maréchal revient dans le mo'ment qu'on venait de faire cette faute. La Maifon du Roi a cheval, les Carabiniers enfoncerent d'abord par leur impétuofité deux lignes entieres d'infanterie; mais ces lignes fe reformerent dans le moment, & envelopperent les Francais. Les Officiers du régiment des Gardes marcherent hardiment a la tête d'un corps aflèz faible d'infanterie; vingt ex un de ces Officiers furens Ch. X. 27 Juin,  C H. X. 92 Bataille de Dettingue. cués fur la place, autant furent dangereufement bleffés. Le régiment des Gardes fuc mis dans une déroute entiere. Le Duc deChartres, depuis Duc d'Orléans , le Prince de Clermont, le Comte d'Eu , le Duc de Penthicvre, malgré fa grande jeuneüe, faifaient des efforts pour arrêter le défordre. Le Comte de Noailles eut deux chevaux de tués fous lui. Son frere , le Duc d'Ayen, fut renverfé. Le Marquis de Puifégur, fils du Maréchal de ce nom, pnrlait aux foldats de fon régiment,couraitapiès eux, ralliait ce qu'il pouvait, & en tua de fa main que!ques-uns qui nevoulaient plus fuivre, & qui criaient fauve qui peut. Les Princes & lesDucsde Biron , de Luxembourg, de Richelieu , de Péquigny-Cheyreufe, fe mettaient a la tête des brigades qu'ils rencontraient, & s'enfoncerent dans les lignes des ennemis. D'un autre cóté, la Maifon du Roi & les Carabiniers ne fe rebutaient point. On voyait ici une troupe de Gendarmes, la une compagnie des Gardes, cent Moufquetaires dans un autre endroit, des compagnies de cavalerie s'avancanc avec des chevaux-légers; d'autres qui fuivaientles Carabiniers ou les Grenadiers a cheval, & qui couraient aux Anglais le fabre ft la main avec plus de bravoure que d'ordre. 11 y en avait fi peu, qu'environ cinquantc Mouf-  Bataille de Dettingue. 93 quctaires emportés par leur courage, pénétrerent dans le régiment de cavalerie de . Mylord Stairs. Vingt-fept Officiers de la Maifon du Roi a cheval périrent dans cette confufion, & foixante & fix furent blefles dangereufement. Le Comte d"£«, le Comte ö'Harcour t, le Comte de Beuvron, Ie Duc de Boufflers, furent blefles; le Comte de la Motte -Houdancourt, Chevalier d'honneur de la Reine, eut fon cheval tué, fut foulé long temps aux pieds des chevaux,& rc-mporté prefque mort. Le Marquis de Gontaud eut le bras caffé; le Duc de Ro: chechoiïart) premier Gentilhomme de Ia Chambre, ayant été bleflè deux fois & combattant encore , fut tué fur la place. Les Marquis de Sabran, de Fleury, le Comte d'Efirade, le Comte de Roftaing y laiflerent la vie. Parmi les fingularités de cette trifte journée, on ne doit pas omettre Ia mort i d'un Comte de Boufflers de la branche de Rémiancourt. C'était un enfant de dix ans ! & demi : un coup de canon lui caffa la i jambe; il recut le coup, fe vit couper Ja I jambe, & mourut avec un égal fang-froid. | Tant de jeuneflè & tant de courage atteni drirent tous ceux qui furent témoinsdefon I malheur. La perte n'était guere moins confidéra| ble parmi les Officiers Anglais. Le Roi 'I d'Angieterre combatcait a pied & a cheval, Ch, X.  Ch. X. 94 Bataille ds Dettingue. tancöc a !a tête de la cavalerie, tantöt a celle de 1'infanterie. Le Duc de Cumberland fut blefleft fes cötés; le DuciïAremberg, qui commandait les Autrichiens, recut une balie de fufil au haut de la poitrine. Les Anglais perdirent plufieurs Officiers-Généraux. Le combat dura trois heures. Mais il était trop inégal; Ie courage feul avait acombattre la valeur, le nombre & la difcipline. Enfin, le Maréchal de Noailles ordonna Ia retraite. Le Roi d'Angieterre dina fur Ie champ de bataille, & ié retira enfuite fans même fe donner le temps d'enlever tous fes blefles, dont il laifia environ fix cents que Ie Lord Stairs recommanda a la générofité du Maréchal de Noailles. Les Francais les recueillirent comme des compatriotes, les Anglais & eux fe traitaient en peuples qui fe refpectaient. Les deux Généraux s'écrivirent des lettres quifont voirjufqu'a quel point on peut pouffer la politeflè & 1'humanité au milieu des horreurs de la guerre. Cette grandeur d'ame n'était pas particuliere au Comte Stairs & au Duc de Noailles. Le Duc de Cnmberland fur-toutfitun acte de générofité qui doit être tranfmis k la poftérité. Un Moufquetairc, nommé Girardau , blelfé dangereufement, avait été porté prés de fa tente. On manquait de  Bataille de Dettingue. 95 Chirurgiens, afTez occupis aüleurs; on allait panfer le Prince a qui une balie avaic percé les chairs de la jambe. Commencez, die le Prince , par foulager eet Officier Frangais,U eft plus Heffe1 que tnoi, il manquerait de fecours & je rien manquerai pas. Au refle, la pene fuc a-peu-près égale dans les deux armées. II y euc du cóté des Alliésdeux mille deux cents trente-un hommes , tant tués que blefles. On fut cecalcul par les Anglais, qui rarement diminuent leur perte, & n'augmentent guere celle de leurs ennemis. Les Francais fonffrirentune grande perte en faifant avorter le fruit des plus belles difpofitions par cette ardeur précipitée & cette indifcipline qui leur avait fait perdre autrefois les batailles de Poitiers, de Crecy, d'Azincourt. Celui qui écrit cette Hiftoire, vit fix femaines après le Comte Stairs a la Haye; il prit la Iiberté de lui demander ce qu'il penfait de cette bataille. Ce Général lui répondic: Jepenfe que les Francais onc foit une^ grande faute, & nous deux : Ia vötre a été de ne favoir pas attendre; les deux nörres ont été de nous mettre d'abord dans un danger évident d'être perdus, & enfuite de n'avoir pas fu pfofiter de la victoire. Après cette aclion, beaucoup d'Officiers Ch. X.  Ch. X. Première campagne 8 Conquêtes de Louis XV. ïes menacaient Naples, tandis que les arnées Francaifes & Efpagnoles n'étaienten:ore que dansles Alpes. Les Anglais, vic:orieux fur terre, dominaient fur les mers; es Hollandais allaient fe déclarer, & pronettaient defejoindre en Flandre auxAurichiens & aux Anglais. Tout était con;raire. Le Roi de Prufie, fatisfaitde s'être ;mparé de la Siléfie, avait fait fa paix par:iculiere avec la Reine d'Hongrie. Louis .XFfoutint tout ce grand fardeau. Non-feulement il affura les frontieres fur les bords du Rhin & de la Mofelle , par les corps d'armées; mais il prépara une def:ente en Angleterre même. II fit venit de Kome le jeune Prince Charles-Edouard, [ils aïné du Prétendant, & petit-fils del'infortuné Roi Jacques fecond. Une flotte de vingt un vaifTèaux, chargée de vingt-quatre mille hommes de débarquement, le porta dans le canal d'Angieterre. Ce Prince vit pour la première fois le rivage de fa patrie. Mais une tempête, & fur-tout les vaiffeaux Anglais, rendirent cette entreprife infructueufe. Ce fut dans ce temps-la que le Roi partit pour la Flandre. II avait une armée floriiTante , que le Comte & Ar gen fon , Secretaire d'Etat de la guerre, avait pourvue de tontce qui pouvait faciliter la guerre de campagne & de fiege.  Conquêtes de Louis XV. ot Louis XV arrivé en Flandres. Afonapproche , les Hollandais, qui avaient promis de fe joindre aux troupes de la Reine d'Hongrie & aux Anglais, commencenr a craindre. Ils n'ofent remplir leur promeflè : ils envoyent des Députés au Roi, au-lieu de troupes contre lui. Le Roi prend Courtray & Menin en préfence des Députés. Le lendemain même de la prife de Menin, il inveffit Ypres. C'était le Prince de Clermont, Abbé de Saint-Gerrnain-desPrés, qui commandait les principales attaques au fiege d'Ypres. On n'avait point vu en France , depuis les Cardinaux de la Valette & de Sourdis, d'homme qui réunit la profeffion des armes & celle de 1'Eglife. Le Prince de Clermont avait eu cette permiflion du Pape Clément XII, qui avait jugé que 1'état eccléfiafiique devait être fubordonné a celui de la guerre dans 1'arriere-petit-fils du Grand Condé. On infulca le chemin couvert du front de la baiTe ville, quoique cette entreprife parut prématurée & hafardée; le Marquis de Beauveau, Maréchal-de-Camp, qui marchaita la tête des grenadiers de Bourbonnais & de RoyalComtois, y recut une bleflure mortelle, qui lui caufa les douleurs les plus vives. II mourut dans des tourments intolérables, regretté des Officiers & des foldats, comme capable de commander un jour les armées, E ij Ch. XI. Courtray le iS.Mai. Menin le 5 Juin. . 6 Juin 1744.  Ch. XI. 25 Juin. 29 Juin. 11 Juil let. 100 Première Campagne , &c. & de tout Paris comme un homme de pro» bité & d'efprit. II dit aux foldats qui le portaient: Mes amis, laijjez-moi mourir , & allez combattre. Ypres capitula bientöc; nul moment n'était perdu. Tandis qu'on entrait dans Ypres, le Duc de Boufflers prenait la Kenoque; & pendant que le Roi allait, après ces expéditions, vifiter les places frontieres, le Prince de Clermont faifait le fiege de Furnes, qui arbora le drapeau blanc au bout de cinq jours de tranchée ouverte. Les Généraux Anglais & Autrichiens, qui commandaient vers Bruxelles, regardaient ces progrès, & ne pouvaienc les arrêter. Un corps que commandait le Maréchal de Saxe , que le Roi leur oppofait, était fi bien pofte, & couvrait les fieges fi a propos, quelesfuccès étaient afliirés. Les Alliés n'avaient point de plan de campagne fixe & arrêté. Les opéraüons de 1'armée Francaife étaient concertées. Le Maréchal de Saxe, pofté a Courtray, arrêtait tous les efforts des ennemis , & facilitait toutes les opérations. Une artillerie nombreufe, qu'on tirait aifément deDouay, un régiment d'artillerie de pres de cinq mille hommes, plein d'Ofiiciers eapables de conduire des fieges, Sccompofé de foldats qui font, pour la plupart, des artiiles habiles; enfin, le corps des Ingénieurs, étaient des avantages que ne peu-  ISAlfacc attaquée. 101 vent avoir des nations réunies a la hate pour faire enfemble la guerre quelques années. De pareils établiiTements ne peuvent être que le fruit du temps & d'une attention fuivie dans une Monarchie puifiante. La guerre de fiege devait donner a la France , nécefiairement, la fupériorité. Au milieu de ces progrès , la nouvelle : vient que les Autrichiens ont paffe le Rhin 1 du cöté de Spire, a la vue des Francais & i des Bavarois, quel'Alfaceeffentamée, que 1 les frontieres de la Lorraine font expofées.; On ne pouvait d'abord le croire,mais rien n'était plus certain. Le Prince Charles, en donnant de Ia jaloufie en plufieurs endroits, & faifant a la fois plus d'une tentative, avait enfin réuffi du cöté oü était pofté le Comte de Seckendorff', qui commandaic les Bavarois, les Palatins & lesHeflbis, alliés payés par la France. L'armée Autrichienne, au nombre d'environ foixante mille hommes, entre en Al ■' face fans réfiftance. Le Prince Charles s'empare en une heure de Laucerboug, pofte peu fortifié, mais de la plus grande importance. II fait avancer le Général Nadafti jufqu'a Weiffènbourg, ville ouverte, donc la garnifon eft forcée de fe rendre prifonniere de guerre. II met un corps de dix mille hommes dans la ville & dans les lignes qui la bordent. Le Maréchal de CoiE iij Ch. XI. Prince "harles le Lorrai1e paffe c Rhin. 29 & 30 uin 1744. Les Au- richiens n Alface.  Cr. XI. 17 Jviillei 744. Ï02 L'At'face attaquée. gtiy, qui commandaic dans ces quartiers, Général hardi, fage & modefte, célebre par deux'vicloires en Italië, dans la guerre de 1738 , vic que fa communication avec la France était coupée: que le pays Meffin, la Lorraine, allait être en proie aux Autrichiens & aux Hongrois : il n'y avait d'autre refiburce que de paffer fur le corps de 1'ennemi, pourentrer en Alface, & couvrir le pays. II rnarche auffi-töt avec la plus grande partie de fon armée a Weiflênbourg, dans le temps que les ennemis venaient de s'en emparer. II les attaque dans la ville & dans les lignes; les Autrichiens fe défendent avec courage. On fe batrait dans les places & dans les rues; elles étaient couvertes de morts. La réfiftance durafix heures entieres. Les Bavarois, qui avaient mal gardé le Rhin, réparerent leur négligence par leur valeur. Ils étaient, fur-tout, encouragés par le Comte de Mortagne, alors Lieutenant-Général de 1'Empereur, qui recut dix coups de fufil dans fes habits. Le Marquis de Montal menait les Francais. On reprit enfin Weiflênbourg & les lignes; mais on fut bientötobligé, par 1'arrivée de toute 1'armée Autrichienne, de fe retirer vers Haguenau, qu'on fut même forcé d'abandonner. Des partis ennemis qui allerent a quelques lieues au-dela de la Sarre, porterent 1'épouvante jufqu'a Lunéville, dont Ie  Louis XV en Alface. 103 Roi Staniflas Lecfinsky fut obligé de pat- < tir avec fa Cour. A la nouvelle de ces revers, que le Roi apprit a Dunkerque, il ne balanca par fur le parti qu'il devait prendre; il fe réfoluc a interrompre le cours de fes conquêtes en 1 Flandres, a killer Ie Maréchal- de Saxe n avec environ quarante mille hommes, con- f ferver ce qu'il avait pris, & a courir lui-1 même au fecours de 1'Alface. II faic d'abord prendre les devancs au Maréchal de Noailles. II envoye le Duc SHarcourt avec quelques troupes garder les gorges de Phaltzbourg. II fe prépare fi marcher a la tête de vingt-fix bataillons & de trente-trois èfcadrons. Ce parti que prenait le Roi, dès fa première campagne, tranfporta les cceurs des Francais, & raiTura les Provinces allarmées par le paiTage du Rhin, & fur-tout par les malheureufes campagnes précédentes en Allemagne. Le Roi prit fa route par Saint-Quentin,, la Fere, Laon, Rheims, faifant marcher fes troupes, dont il affigna le rendez-vous a Metz. II augmenta, pendant cette marche, la paye & la nourriture du foldat, & cette attention redoubla encore l'arTeétion de fes fujets. II arriva dans Metz le 5 Aoüt; & le 7 on apprit un événement qui changenit toute la face des affaires, qui forcait le Prince Charlei a fortir de 1'Alface, qui E iv ÏH. XI. e Roi de rance larche au ;cours dt Alface.  Cu. XI. 104 Louis XV en Alface. rétabliflait 1'Empereur, & metcait Ia Reine d'Hongrie dans le plus grand danger oü elle eut été encore. II femblait que cette Princefie n'eüt alors rien h craindre du Roi de Prufiè après la paix de Breflau, & fur-tout après une alliance défenfive, conclue la même année que la paix de Breflau, entre lui & le Pvoi d'Angieterre; mais il était vifible que la Reine d'Hongrie, 1'Angleterre, la Sardaigne , la Saxe & la Hollande s'étant unies contre FEmpereur, par un traité fait a Worms, les Puiflancesdu nord, & fur-tout 3a Ruflie, étant vivement follicitées, les progrès de la Reine d'Hongrie augmentant en Allemagne, tout était a craindre, tot oü tard, pour le Roi de PruiTe : il avait enfin pris le parti de rentrer dans fes engagement avec la France. Le traité avait été ligné fecretement le 5 Avril, & on avait fait depuis, a Francfort, une alliance éttoite entre le Roi de France, 1'Empereur, le Roi de Pruffe, FElefteur Palatin & le Roi de Suede , en qualité de Landgrave de Heflè. Ainfi 1'union de Francfort était un contrepoids aux projets de 1'union de Worms. Une moirié de 1'Europe était ainfi animée contre 1'autre, & des deux cótés on épuifait toutes les refiburces de la politique & de la guerre. Le Maréchal de Schmettau vint, de la  Maladie de Louis XV. 105 part du Roi de PrufTe, annoncer au Roi que fon nouvel allié marchait a Prague avec quatre-vingts mille hommes, & qu'il enfailait avancer vingt-deux mille en Moravie. Cette puiflante diverfion en Allemagne, les conquêtes du Roi en Flandres, fa marche en Alface, diflipaient toutes les allarmes, lorfqu'on en éprouva une d'une autre efpece, qui fit trembler & gémir toute la France. CHAPITRE XII. Le Roi de Francs eft d Vextrêmitê. Dès qu'il eft guéri, il marche en Allemagne ; il va afjiègcr Fribourg, tandis que 1'armée Autrichienne, qui avait pénétré en Alface, va délivrer la Bohème, & que le Prince de Conti gagne une bataille en Italië. Le jour qu'on chantait dans Metz un Te Deum pour la prife de Chateau-Dauphin, le Roi reflèntit des mouvements de ■ fievre; c'était le 8 d'Aoüt. La maladie augmenta; elle prit le caractere d'une fievre qu'on appelle maligne ou putride, & dès lanuitdu 14.il était a Textrêmité. Son tempérament était robufle, & fortifié par Texercice; mais les meilleures conftitutions font celles qui fuccombenc le plus fouvenc a ces E v Le Roi de France eft i I'extrênicé.1745. C h. XI. La guerre eft plus vive qu'auparavanr.Le Roi de Pruffe fait marcher cent mille hommes.  IOÓ Maladie de Louis XV. Ch. XII. > i ( 1 I 1 1 < ] 3 i Témoignages , ïingiiliers ' del'amour 1 des Fran- , cais pour leur Roi, 1 1 1 1 ,( ] i ( 3 < 1 1 ] \ 1 naladies, par cela même qu'elles ont Iabrce d'en foutenir les premières atteintes, k d'accumuler, pendantplufieurs jours, les >rincipes d'un mal auquel elles réfiflent dans es commencements. Cet événement porta a crainte & la défolation de ville en ville; es peuples accouraient de tous les environs ie Metz; les chemins étaient remplisd'homnes de tous états & de tout age, qui, par eurs différents rapports, augmentaient leur :ommune inquiétude. Le danger du Roi fe répand dans Paris iu milieu de la nuit; on fe releve, tout le nonde court en tumulte fans favoir oü 1'on ra. Les Eglifes s'ouvrent en pleine nuit; )n ne connaït plus le temps ni du fommeii, li de la veille, ni du repas. Paris était hors le lui-même; toutes les maifons des homnes en place étaient affiégées d'une foule :ontinuelle; on s'affemblait dans les carreburs; le peuple s'écriait : „ S'il meurt, , c'elt pour avoir marché a notre fecours". fout le monde s'abordait, s'interrogeaic lans les Eglifes fans fe connaitre. II y eut )lufieurs Eglifes oü le Prêtre qui prononrait la priere pour la fanté du Roi, interompit Ie chant par fes pleurs, & le peuple ui répondit par des fanglots & par des cris. _e courier qui apporta le i o a Paris la nouelle de fa convalefcence, fut embraflê & >refque étouffé par le peuple; on baifaic  Maladie de Louis XV. 107 fon cheval; on le menait en triomphe. Toutes les rues retentiiTaient d'un cri de joie: „ Le Roi eft guéri ". Quand on rendic compte a ce Monarque des tranfports inouis de joie qui avaient fuccédé a ceux de la défolation, il en fut attendri jufqu'aux larmes, & en fe foulevant par un mouvement de fenfibilité qui lui rendait des forces : Ah I s'écria-t-il, qu'il eft doux d'être aimé ainfii & qu ai-je fait pour le mériter ? Tel eft le peuple de France ; fenfible jufqu'a 1'enthoufiafme, & capable de tous les excès dans fes affections comme dans fes murmures. L'Archiducheflè, époufe du Prince de Lorraine, mourut a Bruxelles environ ce temps-la, d'une maniere douloureufe. Elle était chérie des Brabancons, & méritait de 1'être; mais ces peuples n'ont pas 1'ame paffionnée des Francais. Les courtifans ne font pas comme le peuple. Le péril de Louis XV fit naitre parmi eux plus d'intrigues & de cabales qu'on n'en vit autrefois, quand Louis XIV fut fur le point de mourir a Calais. Son petit-fils en refièntit les efièts dans Metz. Les moments de crife ou il parut expirant, furent ceux qu'on choifit pour 1'accabler par les démarches les plus indifcretes, qu'on difait infpirées par des motifs religieux, mais que la raifon réprouvait, & que 1'humanité E vj Ch. XII.  Ch. XII. Paroles de Louis XV étant a l'extrê«lité. Belle marche du Vrince Charles de Lorraine, 108 L'Alface délhrée. condaranait. II échappa ft Ia mort & ft ces pieges. Dès qu'il eut repris fes fens, il s'occupa, au milieu de fon danger, de celui oü le Prince Charles avait jetté la France par fon palfage du Rhin. II n'avait marché que dans le deiïèin de combattre le Prince Charles; mais ayant envoyé le Maréchal de Noailles ft fa place, il dit au Comte d'Argenfon: Ecrivez de ma part au Maréchal de Noailles, que pendant qu'on portalt Louis XIII au tombeau, le Prince de Condé gagna une bataille. Cependant on put ft peine entamer 1'arriere-garde du Prince Charles, qui fe retirait en bon ordre. Ce Prince, qui avait palTé Ie Rhin malgré 1'armée de France, le repafla prefque fans perte, visa-vis une armée fupérieure. Le Roi de Pruffe fe plaignit qu'on eüt ainfi laifiè échapper un ennemi qui allait venir ft lui. C'étaic encore une occafion heureufe manquée. La maladie du Roi de France, quelque retardement dans la marche de fes troupes, un terrein marécageux & difficile par oü il fallait aller au Prince Charles, les précautions qu'il avait prifes, fes ponts afiurés, tout lui racilita cette retraite; il ne perdit pas même un magafin. Ayant donc repafie le Rhin avec cinquante mille hommes complets, il marcha vers le Dannbe & 1'Elbe avec une diligence in-  L'Alface dólivrée. 109 croyable; & après avoir pénétré en France aux porces de Scrasbourg, il allaic délivrer la Bohème une feconde fois. Mais le Roi de Prufiè s'avancait vers Prague; il 1'inveftit le 4 Septembre; Sc ce qui parut étrange, c'eft que le Général Ogilvy, qui la défendait avec quinze mille hommes, fe rendic, dix jours après, prifonnier de guerre , lui & fa garnifon. C'était le même Gouverneur qui, en 1741, avait rendu la ville en moins de temps, quand les Francais 1'efcaladerent. Une armée de quinze mille hommes prifonniere de guerre, la capitale de la Bohème prife, le refte du Royaume foumis peu de jours après, la Moravie envahie en même temps, 1'armée de France rentrant enfin en Allemagne, les fuccès en Italië firenc efpérer qu'enfin la grande querelle de 1'Europe allaic être décidée en faveur de 1'Empereur Charles VIL Louis XV, dans une convalefcence encore faible, réfout le fiege de Fribourg au mois de Septembre, & y marche. II va pafier le Rhin a fon tour; & ce qui fortifia encore fes efpérances, c'eft qu'en arrivant a Strasbourg, il y recut Ianouvelle d'une vicMre remportée par le Prince de Conti. Ch. xh. ij Sept.  ïio Bataille de Coni. Ca xiii. CHAPITRE XIII. Bataille de Coni. Conduite du Roi de France. Le Roi de Naples furpris prés de Rome. Pour defcendre dans le Milanez, il fallaic prendre la ville de Coni. L'Infanc Bom Philippe & le Prince de Conti 1'affiégeaient. Le Roi de Sardaigne les attaqua dans leurs lignes avec une armée fupérieure. Rien n'était mieux concerté que 1'entreprife de ce Monarque. C'était une de ces occafions ou il était de la politique de donner bataille. S'il était vainqueur, les Francais avaient peu de relTources, & la retraite était très-difficile ^ s'il était vaincu, la ville n'était pas moins en état de réfifter dans cette faifön avancée, & il avait des retraites füres. Sa difpofition pafia pour une des plus favantes qu'on eut jamais vues : cependant il fut vaincu. Les Francais & les Efpagnols combattirent comme des alliés qui fe fecourent, & comme des rivaux qui veulent chacun donner 1'exemple. Le Roi de Sardaigne perdit prés de cinq mille hommes & le champ de bataille. Les Efpagnols ne perdirent que neuf cents hommes, & les Francais eurent mille deux cents hom-  Bataille de Coni. nr mes tués ou blefles. Le Prince de Conti, qui était Général & foldat, eut fa cuiraflè percée de deux coups, & deux chevaux tués fous lui : il n'en paria point dans fa lettre au Roi; mais il s'étendait fur les bleffures de Meflieurs de la Force, de Senneterre, deChauvelin , fur les fervices fignalés de Monfieur de Courten, fur ceux de Meflieurs de Choifeul, du Chaila, de Beauprau, fur tous ceux qui 1'avaient fecondé, & demandait pour eux des récompenfes. Cette hiftoire ne ferait qu'une lifle continuelle, fi on pouvait citer toutes les belles actions qui, devenues fimples & ordinaires, fe perdent continuellement dans la foule. Mais cette nouvelle viéïoire fut encore au nombre de celles qui caufent des pertes fans produire d'avantages réels aux vainqueurs. On a donné plus de cent vingt batailles en Europe depuis 1600; & de tous ces cornbats, il n'y en a pas eu dix de décififs. C'eft du fang inutilement répandu pour des intéréts qui changent tous les jours. Cette viétoire donna d'abord la plus grande confiance, qui fe changea bientöt en trifteflè : la rigueur de la faifon, la fonte des neiges, le débordement de la Sture & des torrents, furent plus utiles au Roi de Sardaigne, que la viftoire de Coni ne le fut a 1'Iiifanc & au Prince de Conti. Ils fu- :h. xih.  I 12 Louis XV. Ch. XIII. i i J < rent obligés de lever le fiege, & de repaflêr les monts avec une armée afTaiblie. C'eft prefque toujours le fort de ceux qui combattent vers les Alpes, & qui n'ont pas pour eux leMaitre du Piémont, deperdre leurs armées, même par des viftoires. Le Roi de France, dans cette faifon pluvieufe, était devant Fribourg. On fut obligé de détourner la riviere de TreiCan, & de lui ouvrir un canal de deux mille fix cents toifes; mais a peine ce travail fut-il ichevé, qu'une digue fe rompit, & on re;ommenca. On travaillait fous le feu des :hateaux de Fribourg; il Fallaic faigner a la fois deux bras de la riviere: les ponts conf:ruits fur le canal nouveau furent dérangés par les eaux; on lesrétablit dans une nuit, Sc le lendemain on marcha au chemin cou/ert, fur un terrein miné & vis-a-vis d'une irtillerie & d'une moufqueterie continuelle. Cinq cents grenadiers furent couchés par :erre, tués ou blelTés, deux compagnies mtieres périrent par 1'eiTet des mines du :hemin couvert, & le lendemain on ache/a d'en chafler les ennemis, malgré les bomjes, les pierriers & lesgrenades, dont ils aifaient un ufage continuel & terrible. II I avait feize ingénieurs a ces deux attaques, Sc tous les feize y furent bleiTés. Une piere atteignit le Prince de Soubife, & lui :afla le bras; dès que le Roi Ie fut, il alla  Louis XV en Ailemagne. 11; le voir:il y retourna pluiieursfois; il voyai mettre 1'appareil a fes bleflures. Cette fen fibilité encourageait toutes fes troupes. Le foldats redoublaient d'ardeur en fuivant l Duc de Chartres, aujourd'hui Duc d'O léans, premier Prince du Sang, a la tran chée & aux attaques. Le Général Damnitz, Gouverneur di Fribourg, n'arbora ledrapeau blanc que li fix Novembre, après deux mois de tranché< ouverte. Le fiege des chateaux ne dura qu< lept jours. Le Roi était maicre du Brifgau II dominait dans la Suabe. Le Prince" d< Clermont, de fon cöté, s'était avancé juf qu'a Conftance. L'Empereur était retourn< enfin dans Munich. Les affaires prenaient en Italië un toui favorable, quoiqu'avec lenteur. Le Roi de Naples pourfuivait les Autrichiens, con duits par Ie Prince de Lobkomtz fur le ter ritoire de Rome. On devait tout attendrc en Bohème de la diverfion du Roi de Pruffe; mais par un de ces revers fi fréquents dans cette guerre, le Prince Charles de Lorraine chafTait alors les Prufliens de la Bohème, comme il en avait fait retirer les Francais en 1742 & en 1743; & les Pruf fiens faifaient les mêmes fautes & les meines retraites qu'ils avaient reprochées aux armées Francaifes; i!s abandonnaient fucceffivement tous les poftes qui afiurent Pra- l c ch. xtrr. 3 ! Prife ós 1 Fribourg ' par le Rot ! de France,  Ch. XIII. 19 Nov. 1744. HLe1; Anglais foudoyentprefque tous les Princes. 114 Guerre d'Allemagne. gue; enfin ils furent obligés d'abandonner Prague même. Le Prince Charles, qui avait paffé Ie Rhin a la vue de 1'armée de France, pafla 1'Elbe la même année a la vue du Roi de Prufiè; il le fuivit jufqu'en Siléfie. Ses partis allerent aux portes de Breflau; on doutait enfin fi Ia Reine Marie-Thérefe, qui paraiiTait perdue au mois de Juin, ne reprendrait pas jufqu'a la Siléfie au mois de Décembre de la même année; & on craignait que 1'Empereur, qui venait de rentrer dans fa capitale défolée, ne fut obligé d'en fortir encore. Tout était révolution en Allemagne, tout y était infrigue. Les Rois de France & d'Angieterre achetaient tour-a-tour des partifans dans l'Empire. Le Roi de Pologne Augufte, Electeur de Sixe, fe donna aux] Anglais pour cent cinquanre mille pieces par an. Si ons'étonnait que dans ces circonftances, un Roi de Pologne, Eieéteur, fut obligé de recevoir eet argent, on était encore plus furpris que 1'Angleterre fut en état de le donner, lorfqu'il lui en coütait cinq cents mille guinées cette année pour la Reine d'Hongrie, deux cents mille pour le Roi de Sardaigne, & qu'elle donnaic encore des fubfides a l'Eleéteurde Mayence; elle foudoyait jufqu'a 1'Elefteur de Cologne, frere de 1'Empereur, qui recevait vingt-deux mille  Guerre d'Allemagne. 115 pieces de la Cour de Londres, pour permettre que les ennemis de fon frere levafr fcnt conrre lui des troupes dans fes Evêchés de Cologne, de Munfter & d'Ofnabruck, d'Ildesheim, de Paderborn & de fes Abbayes; il avait accumulé fur fa tête tous ces biens eccléfiaftiques, felon 1'ufage d'Allemagne, & non fuivant les regies^de 1'Eglife. Se ven'dre aux Anglais, n'était pas g!o* rieux; mais il crue toujours qu'un Empereur créé par la France en Allemagne, ne fe foutiendrait pas, & il facrifia les intéréts de fon frere aux fiens propres. Marie-Thérefe avait en Flandres une armée formidable compofée d'AIlemands, d'Anglais, & enfin de Hollandais, qui fe déclarerent après tant d'indécifion. La Flandre Francaife était défendue p?r le Maréchal de Saxe, plus faible de vingt mille hommes que les Alliés. Ce Général mit en ceuvre ces refiburces de la guerre auxquelles ni la fortune-, ni même Ja valeur du foldat, ne peuvent avoir part. Camper & décamper a propos, couvrir fon pays, faire fubfifier fon armée aux dépens des ennemis , aller fur leur terrein lorfqu'ils s'avancent vers le pays qu'on défend, & les forcer a revenir fur leurs pas, rendre, par 1'habilité, la force inutile, c'eft ce qui eft regardé comme un des chef-d'oeuvres de Farc militaire, & c'eft ce que fit le Maré- C^. XIIT. Conduite du Maréchal de Saxe.  Ch, XIII. Siruation 4e 1'Itaiie. 116 Entreprifes en Itaüe. chal de Saxe depuis !e commencement d'Aoüt jufqu'au mois de Novembre. La querelle de la fucceffion Autrichienne était tous les jours plus vive, la deftinée de 1'Empereur plus incertaine, les intéréts plus compliqués, les fuccès toujours balancés. Ce qui eft très-vrai, c'eft que cette guerre enrichiflait en fecret 1'Allemagne en la dévaftanr. L'argent de la France & de 1'Angleterre répandu avec profufion, demeurait entre les mains des Allemands; & au fond, le réfultat était de rendre ce vafte pays plus opulent, & par conféquent un jour plus puiiTant, fi jamais il pouvait être réuni fous un feul chef. II n'en eft pas ainfi de 1'Italie, qui d'ailleurs ne peut faire de long-temps un corps formidable comme 1'Allemagne. La France n'avait envoyé dans les Alpes que quarante-deuxbataillons, & trente-troisefcadrons, qui, attendu 1'incomplet ordinaire des troupes , ne compofaient pas un corps de plus de vingt-fix mille hommes. L'armée de 1'Infant était a-peu-près de cette force au commencement de la campagne ; & toutes deux, loin d'enrichir un pays étranger, tiraient prefque toutes leurs fubfiftances des Provinces de France. A 1'égard des terres du Pape, fur lefquelles le Prince de Lóbkowitz, Général d'une armée de Marie-  Entreprifes en Italië. 117 Thérefe, étaic pour lors avec le fonds de trence mille hommes, ces terres étaient plutóc dévaftées qu'enrichies. Cetce partie de ricalie devenaic une fcene fanglante dans ce vafte théacre de la guerre qui fe faifait du Danube au Tibre. Les armées de Marie-Thérefe avaient été fur le point de conquérir le Royaume de Naples vers le mois de Mars, d'Avril & de Mai 1744. Rome voyait, depuis le mois de Juillet, les armées Napolitaine & Autrichienne, combattre fur fon territoire. Le Roi de Naples , le Duc de Modene étaient dans Veile tri , autrefois capitale des Volfques, & aujourd'hui la demeure des Doyens du facré College. Le Roi des Deux-Siciles y occupait le palais Ginetti, qui paffe pour un ouvrage de magnificence & de goüt. Le Prince de Lobkovitz fit fur Veile tri la même entreprife que le Prince Eugene avait fait fur Crémone en 170a: car 1'hiftoire n'eft qu'une fuite des mêmes événements renouvellés & variés. Six mille Autrichiens étaient entrés dans Velletri au milieu de la nuit. La grande-garde était égorgée; on tuait ce qui fe défendait, on faifait prifonnier ce qui ne fe défendait pas. L'allarme & la confternation étaient par tout. Le Roi de Naples, le Duc de Modene allaient être pris. Le Marquis de ÏHópital, AmbafTa- Ch. xiii. Journée de Velletri. La nuit du 10 au 11 Aoütt  Ch. XIII 2 Nov. 1744. 118 Guerre en Itaüe. deur de France a Naples, qui avait accompagné le Roi, s'éveille au bruit, court au Roi, & le fauve. A peine le Marquis de ÏHopital était-il forti de fa maifon pour aller au Roi, qu'elle eft remplie d'ennemis, pillée & faccagée. Le Roi, fuivi du Duc de Modene & de 1'Ambafladeur, va fe mettre a la tête de fes troupes hors de la ville. Les Autrichiens fe répandent dans les maifons. Le Général Novati entre dans ceile du Duc de Modene. Tandis que ceux qui pillaient les maifons jouiflaient avec füreté de la viétoire, il arrivait la même chofe qu'a Crémone. Les Gardes-Walonnes, un régiment Irlandais, des Suifles repouiTaient les Autrichiens, jonchaienc les rues de morts, & reprenaientla ville. Peu ue jours après, le Prince de Lobkowitz eft obligé de (è retirer vers Rome. Le Roi de Naples le pourfuivït: le premier était vers une porte de la ville , le fecond vers 1'autre; ils paiTent tous deux leTibre; & le peuple Romain, du haut des remparts, avait le fpeétacle des deux armées. Le Roi, fous le nom du Comte de Pouzzoles, fut recu dans Rome Scs gardes avaient 1'épée a la main dans les rues , tandis que leur maitre baifait les pieds du Pape; & les deux armées continuerent la guerre fur le territoire de Rome, qui remerciait le Ciel de ne voir le ravage que dans fes campagnes.  ifT, de Belle-Ijle pris. 110 On voit, au rede, que d'abord 1'Italie était le grand point de vue de la Cour d'Efpagne, que 1'Allemagne était 1'objet leplus délicat de la conduite de la Cour de France, & que des deux cötésle fuccès était encore très-incertain. CHAPITRE XIV. Prife du Maréchal de Belle-Ijle. ÜEmpereur Charles VII meurt; mais la guerre rien eft que plus vive. Le Roi de France, immédiatement après la prife de Fribourg, retourna a Paris, oü il fut recu comme le vengeur de fa patrie, & comme un pere qu'on avait craint de perdre. II refla trois jours dans Paris pour fe faire voir aux habitants, qui ne voulaient que ce prix de leur zele. Le Roi comptant toujours de maintenir 1'Empereur, avait envoyé a Munich, a Caffel & en Siléfie, le Maréchal de Belle-Ijle chargé de fes pleins-pouvoirs & de ceux de 1'Empereur. Ce Général venait de Munich, réfidence impériale, avec le Comte fon frere; ils avaient été a Caffel, & fuivaient leur route fans défiance, dans des pays oüle Roi de Pruffe a par-tout desbureaux de pofte, qui, par les conventions Ch. xin.  Ch. XIV. Le Maréchal de Belle-Me & fon frere prifonniers. 13 Nov. 1744. HO M. de Belle-Ifle pris. établies entre les Princes d'Allemagne, font toujours regardés comme neutres & inviolables. Le Maréchal & fon frere, en prenant des chevaux a un de ces bureaux, dans un bourg appellé Elbingrode, appartenant a 1'Electeur d'Hanovre, furent arrétés par le Bailli Hanovrien, maltraités, & bientöt après transférés en Angleterre. Le Duc de Belle-Ifle était Prince de l'Empire; & par cette qualité, eet arrêt pouvait être regardé comme une violation des privileges du College des Princes. En d'autres temps, un Empereur aurait vengé ces attentats; mais Charles VII régnait dans un temps oü on pouvait tout ofer contre lui, & oü il ne pouvait que fe plaindre. Le Miniftere de France réclama a la fois tous les privileges des Ambafladeurs, & les droits de la guerre. Si le Maréchal de Belle-Ifle était regardé comme Prince de l'Empire, & Miniftre du Roi de France, allant a la Cour Impériale (Si a celle de Prulïè, ces deux Cours n'étant point en guerre avec Hanovre, il paraït certain que fa perfonne était inviolable. S'il était regardé comme Maréchal de France & Général, le Roi de France offrait de payer fa rancon & celle de fon frere , felon Ie cartel établi a Francfort, le 18 juin 1743, entre Ia France & 1'Angleterre. La rancon du Maréchal de France eft de cinquante mille livres, celle d'un Lieutenant-Général  Mort de Charles VIL I24 nant-Général de quinze mille. Le Miniftre de Georges fecond éluda ces inflances preffantes par une défaite inouie. II déclara qu'il regardaic Meflieurs de Belle-Ifle comme prifonniers d'Etat; on les traica avec les attentions les plus diftinguées, fuivanc les maximes de la plupart des Cours Européennes,quiadouciffentce que la politique a d'injuite, & ce que la guerre a de cruel, par tout ce que l'humanité a de dehors féduifants. L'Empereur Charles VII, fi peu refpecté dans l'Empire, & n'y ayant d'autre appui que le Roi de PrufTe, qui alors était pourfuivi par le Prince Charles, craignant que la Reine d'Hongrie ne le forcat encore de fortir de Munich, fa capitale, fe voyant toujours le jouet de la fortune, accablé de maladies, que les chagrins redoublaient, fuccomba enfin, & mourut ft Munich ft I'3ge de quarante-fept ans & demi, en laif- 1 fant cette lecon au monde, que le plus hauc degré de la grandeur humaine peut être le comble de la calamité. II n'avait été malheureux que depuis qu'il avait été Empereur. La nature dès-lors lui a fait plus de mal encore que Ia fortune. Une complication de maladies douloureufes rendit plus violents les chagrins de Tame par les fouffrances du corps, & le conduifit au tombeau. II avait la goutte & la pierre; on /. Partie. p Ch. XIV. Mort de 'Empe■eur Chares VII. 20 Janv, 745.  Ch. XIV.' 1 ! : .22, Mort de Charles VIL rouva fes poumons, fon foie & fon eftonac gangrenés, des pierres dans fes reins, jn polype dans fon cceur; on jugea qu'il ï'avait pu dès long-temps être un moment ans fouffrir. Peu de Princes ont eu de meileures qualités. Elles ne fervirent qu'a fon malheur, & ce malheur vint d'avoir pris un iardeau qu'il ne pouvait foutenir. Le corps de eet infortuné Prince fut expofé, vêtu a 1'ancienne mode Efpagnole, étiquette établie par Charles-Quint, quoique depuis lui aucun Empereur n'ait été Efpagnol, & que Charles W/n'eüt rien de commun avec cette nation. 11 fut enféveli avec les cérémonies de l'Empire; & dans eet appareil de la vanité & de la mifere humaine, on porta le globe du monde devant celui qui, pendant la courte durée de fon Empire, n'avait pas même polTédé une petite & malheureufe Province ; on lui donna même, dans quelques refcrits, le titre d'invincible, titre attaché par 1'ufagea la dignitéd'Empereur, & qui ne faifait que mieux fentir les malheurs de celui qui Ï'avait polfédée. On crut que la caufe de la guerre ne fubfiftant plus, le calme pouvait être rendu a 1'Europe. On ne pouvait offrir l'Empire au fils de Charles VII, agé de dix-lept ans. On fe flattait cn Allemagne que la Reine d'Hongrie rechercherait la paix comme un  Intrigues pour la Cour ome, &c. 12 moyen fur de placer enfin fon man", leGrau, Duc, fur le tröne Impérial; mais elle vouli & ce tröne & la guerre. Le Miniftere Ai glais, qui donnait la loi a fes alliés, pui qu'il donnait 1'argent, & qui payaitalafo la Reine d'Hongrie, le Roi de Pologne i ie Roi de Sardaigne, crut qu'il y avait perdre avec la France par un traité, & gagner par les armes. Cette guerre générale fe continua pare qu'elle était commencée. L'objec n'en étai pas le même que dans fon principe. C'étai une de ces maladies qui a la longue chan gent de caraétere. La Flandre, qui avait ét< refpectée avant 1744, était devenue leprin cipal théatre; & 1'Allemagne fut plutöt poui la France un objet de politique que d'opérations militaires. Le Miniftere de France, qui voulait toujours faire un Empereur, jetta les yeux fur ce même Augufte II, Roi de Pologne, Electeur de Saxe, qui était a la folde des Anglais. Mais la France n'était guere en état de faire de telles offres. Le tröne de l'Empire n'était que dangereux, pour quiconque n'a pas FAutriche & la Hongne. La Cour de France fut refufée : 1'Elefteur de Saxe n'ofa ni accepter eet honneur, ni fe décacher des Anglais, nidéplaire a la Reine. Ce fut le fecond Elecleur de Saxe qui refufa d'être Empereur. II ne reftaita la France d'autre parti que F ij n O Ch. xn It I- r- s k a a * c t I.'EIecteur de Saxe , Roi de Pologne, refufe la eouronne Impériale,  Ch. XIV. aï AV 1744- 124 Intrigues pour la Couronne, &c. d'attendre du fort des armes la décifion de tant d'intérêcs divers qui avaienc changé tant de fois, & qui dans tous leurschangements avaient tenu 1'Europe en allarmes. Le nouvel Eleéteur de Baviere , MaximUien-Jofeph, était le troifieme de pere en fils, que la France foutenait. Elle avait fait rétablir 1'aïeul dcns fes Etats; elle avait fait donner l'Empire au pere; & le Roi fit un nouvel effort pourfecourir encore le jeune Prince. Six mille Hcflbis a fa folde, trois mille Palatins, & treize bataillons d'AUemands qui font depuis long-tem ps dans te corps des troupes de France, s'écaient déja joints aux troupes Bavaroifes, toujours foudoyées par le Roi. Pour que tant de fecours fuflènt efficaces, il fallait que les Bavarois fe fecouruffent eux - mêmes; mais leur deftinée était de fuccomber fous les Autrichiens: ils défendirent fi malheureufement 1'entrée de leur pays, que dès le commencement d'Avril le nouvel Eleéleur de Baviere fut obligé de fortir de cette même capitale, que fon pere avait été forcé de quitter tant de fois. Les malheurs de fa maifon le forcerent enfin d'avoir recours a Marie-Thérefe elle-même, ril de renoncer a 1'alliance de la France, & de recevoir Fargent des Anglais, comme les autres. Le Roi, abandonné de ceux pour qui  Guerre. la^ feuls il avait commencéla guerre, fut obligé de lacontinuer, fans avoir d'autreobiei que de la faire ceiTer; fituation trifte, qui expofe lespeuples, & qui ne leur promet nul dedommagement. Le parti qu'on prït fut de fe défendre en Italië & en Allemagne, & d'agir toujours oftenfivement en Flandres; c'était l'ancien theacre de la guerre, & il n'y a pas un feul champdans cette Province qui n'ait été arrolé de fang. Une armée vers le Mein empechait les Autrichiens de fe porter contre le Roi de PruiTe alors allié de la France, avec des forces trop fupérieures. Le Maréchal de Maillebois était parti de 1'Allemagne pour 1'Italie, & le Prince de Conti charge de la guerre vers le Mein, qui devenait d une efpece toute contraire a celle quil avait faite dans les Alpes. Le Roi voulut aller lui-même achever en Handres les conquêtes qu'il avait interrompues 1 année précédente. II venait de marier Ie Dauphin avec la feconde Infante d'Efpagne au mois de Février; & ce jeune Prince, qui n'avait pas feize ans nccompüs, fe prépara a partir au commencement de Mai avec fon pere. Fiij Ch. XIV EnFév. ■74h  xo.6 Guerre en Flandres. Ch. XV. CHAPITRE XV. Stege de Tournay. Bataille de Fontenoy. Le Maréchal de Saxe était déja en Flandres a la tête de 1'armée, compofée de cent fix bataillons complers, & de cent foixante& douze efcadrons. Déja Tournay, cette ancienne Capirale de la domination Francaife, était invefti. C'était la plus forte place' de la barrière. La ville & la citadelle étaient encore un des chef-d'oeuvres du Maréchal de Fauban;czT\\ n'y avait guerede places en Flandres, dont Louis XIF n'eüt fait conftruire les fonifications. Dès que les Etats-Généraux des fept Provinces apprirent que Tournay était en danger, ils manderent qu'il fallaic hafarder une bataille pour fecourir la ville. Ces républicains, malgré leur circonfpection, furent alors les premiers a prendre des réfolutions bardies. Au cinq Mai, les Alliés avancerent . aCambron, a fept lieues de Tournay. Le Roi partit le fix de Paris avec le Dauphin. Les Aides-de-camp du Roi, les Menins du Dauphin les accompagnaient. La principale forcc de 1'armée ennemie confiftait en vingt bataillons , & vingt - fix efcadrons Anglais, fous le jeune Duc de  Louis XP' en Flandres. 127 Cumberland, qui avait gagné , avec le Roi fon pere, la bataille de Dettingue : cinq bataillons & feize efcadrons Hanovriens étaient joints aux Anglais. Le Prince de Waldeck , a-peu-près de 1 age du Duc de Cumberland, impatientdefefignaler, était a Ia tête de quarante efcadrons Hollandais, & de vingt-fix bataillons. Les Autrichiens n'avaienc dans cette armée que huit efcadrons. On faifait Ia guerre pour eux dans la Flandre, qui a été fi long-temps défendue par les armes & par 1'argent de 1'Angleterre & de la Hollande : mais ft la tête de ce petit nombre d'Autrichiens était le Général Kcenigfec , qui avait commandé contre les Turcs en Hongrie, & contre les Francais en Italië & en Allemagne. Ses confeils devaient aider 1'ardeur du Duc de Cumberland & du Prince de Waldeck. On comptait dans leur armée au-delft de cinquantecinq mille combattants. Le Roi laifia devant Tournay environ dix-huit mille hommes , qui étaient poftés en échelle jufqu'au champ de bataille; fix mille pour gardetics ponts fur 1'Efcaut, & les Communications. L'armée était fous les ordres d'un Général en qui on avait la plus jufre confiance. Le Comte de Saxe avait déja mérité fa grande réputation, par de favantes retraites en Allemagne, & par fa campagne de 1744; F iv Ch. XV.  i s3 Louis XV en Flandres. Ch. xv. il joignait une théorie profonde a la pratique. La vigilance, le fecret, 1'art de favoir différer a propos un projet, & celui de 1'exécuter rapidement, le coup d'oeil, les reffources, la prévoyance étaient fes talents, de Faveu de tous les Officiers : mais alors ce Général, confumé d'une maladie de langueur, était prefque mourant. II était parti de Paris très-malade pour 1'armée. L'Auteur de cette Hiftoire 1'ayant même rencontré avant fon départ, & n'ayant pu s'empêcher de lui demander comment il pourrait faire dans eet état de faibleflè, le Maréchal lui répondit: II ne s'agit pas de viyre, mais de partir. Le Roi étant arrivé le 6 a Douay, fe rendit le lendemain a Pontachin auprès de 1'Efcaut, a portée des tranchées de Tournay. De-la il alla reconnaïtre le terrein qui devait fervir de champ de bataille. Toute 1'armée, en voyant le Roi & le Dauphin, fit entendre des acclamations de joie. Les Alliés paflerent le 10 & la nuit du n, a faire leurs dernieres difpofitions. Jamais le Roi ne marqua plus de gaieté que la veille du combat. La converfation roula fur les batailles oü les Rois s'étaient trouvés en perfonne. Le Roi dit que depuis la bataille de Poitiers, aucun Roi de France n'avait combattu avec fon fils, & qu'aucun n'avait gagné de victoire fignalée contre les An*  Bataille de Fontenoy. iSg gïaïsi ; qu'il efpérait être le premier. II fut évei e Ie premier, le jour de 1'aftion; il éyeilla lui-meme a quatre heures le Comte ÓArgenfon, Miniftre de la guerre, qui dans 1 inftant envoya demander au Maréchal de Saxe fes derniers ordres. On trouva Ie Maréchal dans une voiture d'ofier, qui lui fervait de ht, & dans laquelle il ie faifait trainer quand fes forces épuifées ne lui permetta.ent plus d'être a cheval. Le Roi & fon fils avaient déja paffe un pont fur 1'Efcaut a Calonne; ils allerent prendre leur pofte par-dela Ia juftice de Notre-Dameaux-Bojs a mille toifès de ce pont, & précifement a 1 entree du champ de bataille. La fmte du Roi & du Dauphin, qui compofaic une troupe nombreufe, était fuivie d une foule de perfonnes de toute efpece qU attirait cette journée, & dont quelques-uns meme étaient montés fur des arbres pour voir le fpeétacle d'une bataille. Ln jettant les yeux fur les carrés qui fönc fort communes, on voit d'un coup d'ceil la difpofition des deux armées. On remarque; Antoin, affèz prés de 1'Efcaut, a la droite de 1'armée Francaife, a neuf cents Roi & le Dauphin s'étaient avancés : le village de Fontenoy par-dela Antoin prefque fur la meme ligne, un efpace étroit de quatre cents cinquante toifes de large, en- F v Ch. XV.  Ch. XV. 130 Bataille de Fontenoy. re Fontenoy & un petit bois qu'on appelle Ie bois de Barri. Ce bois, ces villages étaient garnis de canons comme un camp retranché. Le Maréchal de Saxe avait établi des redoutes entre Antoin & Fontenoy: d'autres redoutes aux extrêmités du bois de Barri, fortifiaient cette enceinte. Le champ de bataille n'avait pas plus de cinq cents toifes de longueur depuis Pendroir. oü étaic le Roi auprès du village de Fontenoy, & jufqu'a ce bois de Barri, & n'avait guere plus de neuf cents toifes de large; de forte que Pon allaic combattre en champ clos comme ft Dettingue, mais dans une jouinée plus mémorable. Le Général de 1'armée Francaife avait pourvu ft la vicloire, & ft la défaite. Le pont de Calonne, muni de canon, fortifié de retranchements, & défendu par quelqües bataillons, devait fervir de retraite au Roi & au Dauphin en cas de malheur. Le refte de 1'armée aurait défilé alors par d'autres ponts fur le bas-Efcaut par-delft Tournay. On prit toutes les mefures qui fe prêtaient un fecours mutuel fans qu'elles puffent fe traverfer. L'armée de France femblait inabordable; car le feu croifé qui partait des redoutes du bois de Barri, & du village de Fontenoy, défendait toute approche. Outre ces précautions, on avait encore placé fix canons de feize livres de balie au-deca  Bataille de Fontenoy. 131 de I'Efcaut, pour foudroyer les troupes qui attaqueraient le village d'Antoin. On commencait a fe canonner de part cx d autre a fix heures du matin. Le Maréchal de Noailles était alors auprès de Fontenoy & rendait compte au Maréchal de baxe d un ouvrage qu'il avait fait a 1'entrée de Ia nuit pour joindre le village de Fontenoy a Ia première des trois redoutes, entre fontenoy & Antoin : il lui fervit de premier aide-de-camp, facrifiant la jaloufie du commandement au bien de 1'Etat, & s'oubliant foi-même pour un Général étranger & moms ancien. Le Maréchal de Saxe fentait tout le prix de cette magnanimité, cc jamais on ne vit une union fi grande entre deux hommes que Ia faiblefie ordinaire du coeur humain pouvait éloigner 1'un de 1 autre. Le Maréchal de Noailles embraflait Ie JJuc de Grammont fon neveu; & ils fe feparaient, 1'un pour retourner auprès du K01, 1 autre pour aller a fon pofte, lorfqu un boulet de canon vint frapper le Duc te Grammont h mort: il fuc la première vicïime de cette journée. Les Anglais attaquerent trois fois Fontenoy, & les Hollandais is préfenterent a deux repnfes devant Antoin. A leur feconde attaque, on vit un efcadron Hollandais emporte prefque tout entier par le canon d'AnF vj Ch. XV.  Ch. XV. 132 Bataille de Fontenoy. toin; il n'en refta que quinze hommes, 6c les Hollandais ne lè préfenterent plus dès ce moment. Alors le Duc de Cumberland prit une réfolution qui pouvait lui aflhrer le fuccès de cette journée. II ordonna k un MajorGénéral, nommé Ingohbi, d'entrer dans le bois de Barri, de pénétrer jufqu'a la redoute de ces bois vis-a-vis Fontenoy, & de Temporter. Ingohbi marche avec les meilleures troupes pour exécuter eet ordre: il trouve dans le bois de Barri un bataillon du régiment d'un partifan : c'était ce qu'on appellaic les Graffins, du nom de celui qui les avait formés. Ces foldats étaient en-avant dans le bois par-dela la redoute, couchés par terre. Ingohbi crut que c'était un corps confidérable: il retourne auprès du Duc de Cumberland, & demande du canon. Le temps fe perdait. Le Prince était au défefpoir d'une défobéiffance qui dérangeait toutes fes mefures, & qu'il fit enfuite punir k Londres par un confeil de guerre, qu'on appelle Cour martiale. II fe détermina fur Ie champ k pafTer entre cette redoute & Fontenoy. Le terrein était efcarpé, il fallaic franchirun ravin profond , il fallaic effuyer tout le feu de Fontenoy & de la redoute. L'entreprife était audacieufe: mais il était rédde alors ou k ne point combatcre, ou ft center ce pafTage.  Bataille de Fontenoy. 133 Les Anglais & les Hanovriens s'avancenc avec lui fans prefque dc-ranger leurs rangs, traïnant leurs canons a bras par les fentiers: il les forme fur trois lignes aflèz preffées, & de quatre de hauteur chacune, avancant entre les battertes de canon qui les foudroyaierit dans un terrein d'environ quatre cents toifes de large. Des rangs entiers tombaient morts a droite & a gauche; ils étaient remplacés auffi - töc; & les canons qu'ils amenaient a bras vis-a-vis Fontenoy, & devan: les redoutes, répondaient a 1'artillerie Francaife. En eet état, ils marchaienc fiérement, précédés de fix pieces d'artillerie, & en ayant encore fix autres au milieu de leurs lignes. Vis-a-vis d'eux fe trouverent quatre bataillons des gardes Francaifes, ayant deux bataillons de gardes Suiffes a leur gauche, le régiment de Courten a leur droite, enfuite celui d'Aubeterre, & plus loin le régiment du Roi qui bordait Fontenoy le long d'un chemin creux. Le terrein s'élevait a Pendroit oü étaient les gardes Francaifes jufqu'a celui oü les Anglais fe formaient. Les Officiers des gardes Francaifes fe dirent alors les uns aux autres: il faut aller prendre le canon des Anglais. Ils y monterent rapidement avec leurs grenadiers; mais ils furent bien étonnées de rrouver une ar¬ en xv.  Ch. XV. 134 Bataille de Fontenoy. mee elevatie eux. L'artillerie & la moufqaetterie en coucha par terre prés de foixame, & le refte fut obligé de revenir dans fes rangs. Cependant les Anglais avancaient; & cette ligne d'infanterie compofée des gardes Francaifes & Suiflès, & de Courten, ayant encore fur leur droite Aubeterre, & un bataillon du régiment du Roi, s'approchait de 1'ennemi. On était a cinquante pas de diftance. Un régiment des gardes Anglaifes, celui de Cambel & le Royal Ecoffois , étaient les premiers : Monfieur de Cambel était leur Lieutenant-Général; le Comte (YAlbermale, leur Général-Major, & Monfieur de Cburchil, petit-fils naturel du grand-Duc de Marlboroug, leur Brigadier : les Officiers Anglais faluerent les Francais en öiant leurs chapeaux. Le Comte de Chabanne, le Duc de Biron qui s'étaient avancés, & tous les Officiers des gardes Francaifes leur rendirent le falut. Milord Charles Hai, Capitaine aux gardes Anglaifes, cria: Mejjieurs des gardes Frangaifes, tirez. Le Comte &Anteroche, alors Lieutenant de grenadiers, & depuis Capitaine, leur dit a voix haute : Mejjieurs, nous ne tirons jamais les premiers, tirez vous-mêmes. Les Anglais firent un feu roulant , c'eft-a-dire, qu'ils ciraient par divifions; de  Bataille de Fontenoy. 135 forte que le front d'un bataillon fur quatre hommes de hauteur ayant tiré, un autre bataillon faifait fa décharge, & enfuite un troifieme, tandis que les premiers rechargeaient. La ligne d'infanterie Francaife ne tira point ainii : elle était feule fur quatre de hauteur, les rangs affez éloignés, & n'étant foutenue par aucune autre troupe d'infanterie. Dix-neuf Officiers des gardes tomberent bleffés ft cette feule charge. Mejjieurs de CliJJbn, de Langey, de la Peyre y perdirent la vie; quatre-vingt-quinze foldats demeurerent fur la place, deux cents quatre-vingt-cinq y recurent des bleflures; onze Officiers Suiffes tomberent bleffés, ainfi que deux cents neuf de leurs foldats, parmi lefquels foixante-quatre furent tués. Le Colonel de Courten, fon Lieutenant-Colonel, quatre Officiers, foixante & quinze foldats tomberent morts : quatorze Officiers , & deux cents foldats bleffés dangereufemenr. Le premier rang ainfi emporté, les trois autres regarderent derrière eux; & ne voyant qu'une cavalerie ft plus de trois cents toifes , ils fe difperferent. Le Duc de Grammont , leur Colonel & premier LieutenantGénéral, qui aurait pu les faire foutenir, était tué. Monfieur de Luttaux, fecond Lieutenanr-Général, n'arriva que dans leur déroute. Les Anglais avancnient ft pas lents, comme faifant 1'exercice. On voyait les Ch. XV,  Ch. XV. 136 Bataille de Fontenoy. Majors appuyer leurs cannes fur les fufils des foldats pour les faire tirer bas & droit. Ils déborderent Fontenoy & la redoute. Ce corps qui auparavant était en trois divilions, fe prefl\nt par la nature du terrein , devint une colonne longue & épaiffe prefque inébranlable par fa maffe, & plus encore par fon courage; elle s'avanca vers le régiment ffAubeterre. Monfieur de Luttaux, premier Lieutenant-Général de {'armée, a la nouvelle de ce danger, accourut de Fontenoy , oü il venait d'être blefie dangereufement. Son aide-de-camp le fuppliait de commencer par faire mettre le premier appareil a fableflure. Le fervice du Roi, lui répondit Monfieur de Luttaux, tri eft plus cher que ma vie. II s'avancait avec le Duc de Biron a la tête du régiment $Aubeterre, que conduifait fon Colonel de ce nom. Luttaux reebok, en arrivant, deux coups mortels. Le Duc de Biron a un cheval tué fous lui. Le régiment 8Aubeterre perd beaucoup de foldats & d'Officiers. Le Duc de Biron arrête alors avec le régiment du Roi qu'il commandait, la marche de la colonne par fon flanc gauche. Un bataillon des gardes Anglaifes fe détache, avance quelques pas a lui, fait une décharge trèsmeurtriere, & revient au petit pas fe replacer a la tête de la colonne, qui avance toujours lentement, fans jamais fe déran-  Bataille de Fontenoy. 137 ger, repoufianc tous les régiments qui viennent 1'un aprèsl'autrefeprérenterdevantelle. Ce corps gagnait du terrein, toujours ferré , toujours ferme. Le Maréchal de Saxe, qui voyait de fang-froid combien l'affaire était périlleufe, fit dire au Roi par le Marquis de Meuze, qu'il le conjurait de repaflèr le pont avec le Dauphin, qu'il ferait ce qu'il pourrait pour remedier au défordre. Oh je fuis bien fur qu'il fera ce qu'il faudra, répondit le Roi; mais je refterai oü je fuis. II y avait de 1'étonnement & de la confufion dans 1'armée depuis Ie moment de la déroute des gardes Francaifes & Suiflês. Le Maréchal de Saxe veut que Ja cavalerie fonde fur la colonne Anglaife. Le Comte ü'Etrée y court. Mais les efforts de cette cavalerie étaient peu de chofe contre une maiTe d'infanterie fi reünie, fi difciplinée & fi intrépide, donc le feu, toujours roulant & foutenu, écartait néceffairement des petits corps féparés. On fait d'ailleurs que la cavalerie ne peut guere entamer feule une infanterie ferrée. Le Maréchal de Saxe était au milieu de ce feu: fa maladie ne lui laifiait pas la force de porter une cuiraffe; ii portait une efpece de bouclier de plufieurs doublés de taffetas piqué , qui repofait fur 1'arcon de fa felle. II jetta fon bouclier, & couruc faire avancer la fecon- Ch. xv.  Ch. XV. 13S Bataille de Fontenoy, de ligne de cavalerie contre Ja colonne. Tout 1'état major était en mouvement. Monfieur de Faudreuil, Major-Général de 1'armée , allaic de la droite a la gauche. Monfieur de Puifégur, Meflieurs de SaintSauvear, de Suint-Georges, de ll-leziere, aides-Maréchaux-des-logis, font tous bleffés. Le Comte de Longaunai, aide-MajorGénéral, eft tué. Ce fut dans ces attaques que le Chevalier SAché, Lieutenant-Général, eut le pied fraciflé. II vint enfuite rendre compte au Roi, & lui paria longtemps fans donner le moindre figne des douleurs qu'il reffentait, jufqu'a ce qu'enfin il tomba évanoui. Plus Ia colonne Anglaife avancait, plus elle devenait profonde & en état de réparer les pertes concinuelles que lui caufaient tant d'attaques réitérées. Elle marchait toujours ferrée au travers des morts & des blefles des deux partis, & paraiffait former un feul corps d'environ quatorze mille hommes. Un très-grand nombre de cavaliers furent pouffés en défordre jufqu'a 1'endroit oü était le Roi avec fon fils. Ces deux Princes furent féparés par Ia foule des fuyards qui fe préeipitaient entr'eux. Pendant ce défordre les brigades des Gardes-du-corps qui étaient ?n réferve, s'avancerent d'elles-mêmes aux ennemis. Les Chevaliers de Suzy & de Sau-  Bataille de Fontenoy, 139 mery y furent blefles ft mort. Quatre efcadrons de la Gendarmerie arrivaient prefque en ce moment de Douay; & malgré la fatigue d'une marche de fept lieues, ils coururent aux ennemis. Tous ces corps furent rccus comme les autres avec cette même intrépidité & ce même feu roulant. Le jeune Comte de Chevrier, Guidon, fut tué. C'était le jour même qu'il avait été recu ft fa troupe. Le Chevalier de Monaco, fils du Duc de Falentinois, y eutla jambe percée. Monfieur du Guefclin recut une bleflure dangereufe. Les Carabiniers donnerent; ils eurent fix Officiers renverfés morts, & vingt un de bleffés. Le Maréchal de Saxe, dans le dernier épuifement, était toujours ft cheval, fe promenant au pas au milieu du feu. II pafla fous le front de la colonne Anglaife, pour voir tout de fes yeux auprès du bois de Barri, vers Ia gauche. On y faifait les mêmes manoeuvres qu'a la droite. On tachait en vain d'ébranler cette colonne. Les régimenrs ïe préfentaient les uns après les autres, & la maffe Anglaife faifant face de tout cöté, placant ft propos fon canon, & tirant toujours par divifion, nourriffait ce feu continu, quand elle était attaquée; & après 1'attaque elle reftait immobile, & ne tirait plus. Quelques régiments d'infanterie vinrent encore affronter cette colonne par les ordres feuls de leurs Commandants. Le Maréchal Ch. XV.  Ch. XV. 140 Bataille de Fontenoy. de Saxe en vic un dont les rangs entiers tombaient, & qui ne fe dérangeait pas. On lui dit que c'était le régiment des Vaifleaux, que commandait Monfieur de Guerchi. Comment fe peut-il faire, s'écria-t-il, que de telles troupes ne foient pas viclorieufes? Hainault ne fouffrait pas moins; il avait pour Colonel le fils du Prince de Craon, Gouverneur^ de Tofcane. Le pere fervait le grand-Duc, les enfants fervaient le Roi de France. Ce jeune homme, d'une trèsgrande efpérance , fut tué a la tête de fa troupe; fon Lieutenant- Colonel blefle a mort auprès de lui. Normandie avanca; il eut autant d'OfSciers & de foldats hors de combat, que celui de Hainault; il était mené par fon Lieutenant-Colonel Monfieur de Solency, dont le Roi loua la bravoure fur le champ de bataille, & qu'il récompenfa enfuite en le faifant Brigadier. Des bataillons Irlandais coururent au flanc de cette colonne: le Colonel Dillon tombe mort: ainfi aucun corps, aucune attaque n'avait pu entamer la colonne, paree que rien ne s'était fait de concert & a la fois. Le Maréchal de Saxe repafle par le front de la colonne qui s'était déja avancée plus de trois cents pasau-dela de la redoute d'Eu & de Fontenoy. II va voir fi Fontenoy tenait encore : on n'y avait plus de boulets, on ne répondait a ceux des ennemis qu'avec de la poudre.  Bataille de Fontenoy. 141 Monfieur Du Brocard, Lieutenant-Général d'artillerie, & plufieurs Officiers d'artillerie étaient tués. Le Maréchal pria alors le Duc SHarcourt qu'il rencontra, d'aller conjurerle Roi de s'éloigner, & il envoya ordre au Comte de la Mank, qui gardaic Antoin, d'en fortir avec le régiment de Piémont; la bataille parut perdue fans reffource. On ramenait de tous cötés les canons de campagne; on était prêt de faire partir celui du village de Fontenoy, quoique des boulets fufient arrivés. L'intention du Maréchal de Saxe était de faire, fi on pouvait, un dernier effort, mieux dirigé & plus plein contre Ia colonne Anglaife. Cette maffe d'infanterie avait été endommagée, quoique fa profondeur parut toujours égale; ellemême était étonnée de fe trouverau milieudes Francais fans avoir de cavalerie; la colonne était immobile,& femblait ne recevoir plus d'ordre; mais elle gardait une contenance fiere, & paraiflait être maitreiTe du champ de bataille. Si les Hollandais avaient paffé entre les redoutes qui étaient vers Fontenoy & Antoin, s'ils étaient venus donner la main aux Anglais, il n'y avait plus de reflburces, plus de retraite même, ni pour 1'armée Francaife, ni probablement pour le Roi & fon fils. Le fuccès d'une derniere attaque était incertain. Le Maréchal de Saxe, qui voyait la vicToire ou 1'entiere dé- Ch. XV.  Ch. XV. * Les citoyens des villes, qui, dans leur heureufe oifiveté, lifent les anciennes hiftoires , les hatailles d'Arbelles , de Zama , de Canne , de Pharfale, peuvent a peine comprendre les combats de nos jours. On s'approchait alors. Les fleches n'étaient que le prélude ; c'était a qui pénétrerait dans les rangs oppofés : la force du corps , 1'adreffe, la promptitude, faifaient tout. On fe mêlait. Une bataille était une multitude de combats particuliers ; il y avait moins de bruit & plus de carnage. La maniere de combattre d'aujourd'hui eft auffi differente que celle de fortifier & d'attaquer les villes. 14a Bataille de Fontenoy. faite dépendre de cette derniere attaque, fongeait ft préparer une retraite füre; il envoya un fecond ordre au Comte de Ia Marck, d'évacuer Antoin, & de venir vers le pont deCalonne, pour favorifer cette retraite, en cas d'un dernier malheur. II fait fignifier un troifieme ordre au Comte, depuis Duc de Lorges, en le rendant refponfable de 1'exécution; le Comte de Lorges obéit ft regret. On defefpérait alors du luccès de la journée *. Un confeil afièz tumultueux fe tenait auprès du Roi; on le preflait de la part du Général, & au nom de la France, de ne pas s'expofer davantage. Le Duc de Richelieu, Lieutenant-Général, & qui fervait en qualité d'Aide-de-camp du Roi, arriva en ce moment. I! venait de reconnaitre la colonne prés de Fontenoy.  Bataille de Fontenoy. 14c Ayant ainfi couru de tous cötés fans être bleflè, il fe préfente hors d'haieine 1'épée a la main & couvert de pouffiere. Quelle nouvelle apportez-vous, lui dit le Maréchal? quel elt votre avis ? Ma nouvelle, dit le Duc de Richelieu, eft que la bataille elt gagnée fion le veut, & mon avis eft qu'on faiTe avancer, dans 1'inihnt, quatre canons contre le front de la colonne; pendant que cette artillerie 1'ébranlera, la Maifon du Roi & les autres troupes 1'entoureront; ilfaut tomber fur elle comme des fourrageurs. Le Roi fe rendit le premier a cette idée. Vingt perfonnes fe détachent. Le Duc de Péquigni, appellé depuis le Duc de Chaulnes, va faire pointer ces quatre pieces; on les place vis-a-vis la colonne Anglaife. Le Duc de Richelieu court a brideabattue au nom du Roi faire marcher fa Maifon; il annonce cette nouvelle a Monfieur de Monteffon, qui la commandait. Le Prince de Soubife raffemble fes Gendarmes, le Duc de Ckaulnes fes Chevaux-légers, tout fe form? & marche; quatre efcadrons de la Gendarmerie avancent a la droite de la maifon du Roi, les Grenadiers ft cheval font a la tête fous Monfieur de Grille, leur Capitaine; les Moufquetaires commandés par Monfieur de ^«wiZ/^jfeprécipitent. Dans ce même moment important, le Comte d'ü« & le Duc de Biron a la droi- Ch. xv.  Ch. XV. 144 Bataille de Fontenoy. te, voyaienc, avec douleur, les troupes FAncoin quitter leur pofte, felon 1'ordre pofitifdu Maréchal de Saxe. Je prends fur moi la défobéitTance, leur dit le Duc de Biron ; je fuis fur que le Roi 1'approuvera, 3ans un inibnc oü touc va changer de face; e réponds que Monfieur le Maréchal de Saxe le trouvera bon. Le Maréchal, qui irrivaic dans cec endroic, informé de la réfolution du Roi & de la bonne volonté des troupes, n'eut pas de peine a fe rendre; il :hangea de fentiment lorfqu'il en fallaic changer, & fic rentrer le régiment de Piémont dans Antoin; il fe portarapidement, malgré fa faiblefie, de la droite a Ia gauche vers Ia brigade des Irlandais, recommanrjant a toutes les troupes qu'il rencontrait ;n chemin, de ne plus faire de faulfes charges & d'agir de concert. Le Duc de Biron, le Comte êCEtrée, e Marquis de Croijfy, le Comte de Lovendhal, Lieutenants-Généraux, dirigent :ette attaque nouvelle. Cinq efcadrons de Penthievre fuivent Monfieur de Croijfy & les enfants. Les régiments de Chabrillant, 3e Brancas , de Brionne , Aubeterre , Courten, accoururent guidés par leurs Colonels; le régiment de Normandie, les Carabiniers entrent dans les premiers rangs de la colonne, & vengent leurs camarades tués dans leur première charge. Les Irlandais les  Vi&oire de Fontenoy. 14; les fecondenr. La colonne était attaquée ï la fois de front, & par les deux flancs. En fept ou huit minutes, tout ce corps formidabie eft ouvert de tous cötés; le Général Pofomby, le frere du Comte SAlberinarte, cinq Colonels, cinq Capitaines aux Gardes, un nombre prodigieux d'Officiers étaient renverfés morts. Les Anglais fe rallierent, mais ils céderent; ils quitterent le champ de bataille fans tumulte , fans confufion, & furent vaincus avec honneur. Le Roi de France alla de régiment en régiment; les cris de viftoire & de vive le Roi, les chapeaux en 1'air, les étendards & les drapeaux percés de balles, les félieications réciproques des Officiers qui s'embraffaient, formaient un fpeéhcie dont tout Ie monde jouiflait avec une joie tumultueufe. Le Roi était tranquille, témoignant fa fatiffaétion & fa reconnaiflanee a tous les Officiers Généraux & a tous les Commandants des corps; il ordonna qu'on eut foin des blefles, & qu'on traitaties ennemis comme fes propres fujets. Le Maréchal de Saxe, au milieu de ce tnomphe, fe fit porrer vers le Roi; il retrouva un refle de force pour embraflèr fes genoux, & pour lui dire ces propres parofcs: Sire, fat affez vécu; je ne fouhaitais ne vivre aujourdhui que pour voir votre Majefiê viclorieufe. Fous voyez, ajouta/. Pariie. q Ch. xv.  Ch. XV. 146 FiStoire de Fontenoy. t-ilenfuite, d quoitiennent les batailles. Le Roi le releva, & rembraffa tendrement. II dit au Duc de Richelieu :Je n'oublirai jamais le fervice important que vous m'avez rendu ; il paria de même au Duc de Biron. Le Maréchal de Saxe dit au Roi: Sire, il faut que j'avoue que je me reproche une faute. j'aurais dü mettre une redoute de plus entre les bois de Barri & de Fontenoy; mais je n'ai pas cru qu'il y eut des Généraux affez hardis pour hafarder de paffer en eet endroit. Les Alliés avaient perdu neuf mille hommes , parmi lefquels il y avait environ deux mille cinq cents prifonniers. Ils n'en fkent prefque aucun fur les Francais. Par le compte exaéfement rendu au Major-Général de 1'infanterie Francaife, il ne fe trouva que feize cents quatre-vingt-un foldats ou fergents d'infanterie tués fur la place, & trois mille deux cents quatre-vingtdeux blefles. Parmi les Officiers, cinquantetrois feulement étaient morts fur le champ de bataille; trois cents vingt-trois étaient en danger de mort par leurs bleflures. La cavalerie perdit environ dix - huit cents hommes. Jamais, depuis qu'on fait la guerre, on n'avait pourvu avec plus de foin a foulager les maux attachés a ce fléau. II y avait des höpitaux préparés dans toutes les villes voi-  Ficloire de Fontenoy. 14; fines, & fur-tout ft Lille; les Eglifes même: étaient employées ft eet ufage digne d'elles non-feulement aucun fecours, mais encore aucune commodicé ne manqua, ni aux Fran cais, ni ft leurs prifonniers blefles. Le zele même des citoyens alla trop Ioin; on ne ceffait d'apporter de tous cötés aux malades des aliments délicats; & les médecins ces höpitaux furent obligés de mettre un frein ft eet excès dangereux de bonne volonté. Enfin, les höpitaux étaient fi bien feryis, que prefque tous les Officiers aimaient mieux y être traités que chez des particuliers; & c'eft ce qu'on n'avait poinc vu encore. On eft entré dans les détails fur cette feule bataille de Fontenoy. Son inportance, le danger du Roi & du Dauphin I'exigeaient. Cette aftion décida du fort de Ia guerre, prépara la conquête des Pays-Bas, & fervic de contrepoids ft tous les événements malheureux. Ce qui rend encore cette bataille ft jamais mémorable, c'eft qu'elle fut gagnée lorfque Ie Général affaibli & prefque expirant, ne pouvait plus agir. Le Maréchal de Saxe avait fait la difpoficion, & les Officiers Francais remporterent la victoire *. 3n^"f "Wigé d'avertir que dans une HiltoJw auffi ample qu'infidelle dc cette guerre, imprimée G ij ! Ch. XV.  148 Suite de la Journée Ch. XVI. I Le Roi de ] France vainqueur demande la paix. 3 CHAPITRE XVI. Suites de la journée de Fontenoy. Ce qui eft aulTi remarquable que cette vicioire, c'eft que le premier foin du Kol de France fut de faire écrire le jour néme a 1'Abbé de la Fille, fon Miniftre i Londres , en quatre volumes , on avance que les francais ne prirent aucun foin des prifonniers bief'és •, on ajoute que le Duc de Cumberlani envoya, iu Roi de France , un coffre rempli de balles mi:hées & de morceaux de verre rrouvés dans les plaies des Anglais. Les auteurs de ces contes puériles penfent apparemment que les balles machées font un poifon. C'eft un ancien préjugé auffi pau fondé que celui de la poudre blanche. 11 eft dit dans cette Hiftoire que les Francais perdirent dix-neuf mille hommes dans la bataille, que leur Roi ne s'ytrouva point, qu'il ne paffa pas le pont de Calonne, qu'il refta toujours derrière 1'Efcaut; il eft dit enfin que le Parlement de Paris rendit un Arrêt qui condamnoit a la prifon , au banniffement & au fouet, ceux «jui publieraient des relations de cette journée. On fent bien que des impoftures fi extravagantes ne méritent pas d'être réfutées. Mais puifqu'il s'eft irouvé en Angleterre un homme affez depourvu de connaiffances & de bon fens pour écrire de fi fingulieres abfurdités donc fon Hiftoire eft toute remplie , il peut fe trouver un jour des Lefteurs capables de les croire. H eft jufte qu'on prévienne leur crédulité.  de Fontenoy. o[< a la Haye, qu'il ne demandait pourprix di fes conquêtes que la pacification de 1'Euro pe, & qu'il était prêt d'envoyer des PJénipotentiaires a un congrès. Les Etats-Généraux furpris ne crurent pas 1'offre fince re; ce qui dut furprendre davantaee, c'eil que cette offre fut éludée par la Reine de Hongrie & par les Anglais. Cette Reine qui faifait a la fois la guerre en Siléfie contre le Roi de PrufTe, en Italië contre les Francais, les Efpagnols & les Napolitains, vers Je Mem contre 1'armée Francaife, femblait devoir demander elle-même une paix dont elle avait befoin; mais la Cour d'Angieterre qui dirigait tout, ne voulait point cette paix ; la vengeance & les préjugés menent les Cours comme les particuliers. Cependanr le Roi envoya un aide-Maïor de 1 armée, nonlmé M. de la Tour, Officier très-éclairé, porter au Roi de Prufiè la nouvelle de la victoire; eet Officier rencontra le Roi de Prufiè au fond de la BafièSilefie , du cöté de Ratisbor, dans une gorge de montagne, prés d'un village nomme Fnedberg. C'eft-la qu'il vit ce Monarque remporter une viétoire fignalée con- i tre les Autrichiens. II manda a fon allié le Roi de France : „ J'ai acquitté a Friedberg „ la lettre de change que vousaveztirée fur „ moi a Fontenoy. Le Ro: de France, de fon cöté, avait tous G iii ) ■ Ch. XVI, 4 Juin 745.  Ch. XVI. 150 Suites de la Journée les avantages que la viétoire de Fontenoy devait donner. Déja la ville & la citadelle de Tournay s'étaient rendues peu de jours après la bataille; le Maréchal de Saxe avait fecretement concerté avec le Roi la prife de Gand, capitale de la Flandre Autrichienne, ville plus grande que peuplée, mais riche & floriiïante par les débris de fon ancienne fplendeur. Une des opérations de campagne qui fit le plus d'honneur au Marquis de Louvois dans la guerre de 1689, avait été le fiege de Gand : il s'était déterminé a ce fiege, paree que c'était le magafin des ennemis. LouisXV avait précifément la même raifon pour s'en rendre maitre. On fit felon 1'ufage tous les mouvements qui devaient tromper 1'armée ennemie retirée vers Bruxelles; on prit tellement fes mefures, que le Marquis du Chaila d'un cöté, & le Comte de Lovendal de 1'autre, devaient fe trouver devant Gand a la même heure. La garnifon n'était alors que de fix cents hommes : les habitants étaient ennemis de la France, quoique de tout temps peu contents de la domination Autrichienne ; mais trés - différents de ce qu'ils étaient autrefois, quand eux-mêmes ils compofaient une armée. Ces deux marches fecretes fe faifaient felon les ordres du Général, lorfque cette entreprife fut prête d'échouer par un de ces événements fi communs a la guerre.  de Fontenoy. 15 Les Anglais, quoique vaincus a Fontenoy n'avaient été ni difperfés, ni découragés Ils virent des environs de Bruxelles, oü il étaient poftés, le péril évident dont Gan< était menacé; ils firent marcher enfin ui corps de fix mille hommes pour défendn cette ville. Ce corps avancait a Gand fur L chaufiee d'Al oft, précifément dans le temp que M. du Chaila était environ a unelieuf de lui, fur la même chaufiee, marchan «vee trois brigades de cavalerie, deux d'in fanterie , compofées de Normandie, Cril Ion, & Laval, vingt pieces de canon, & des pontons: i'artillerie était déja en-avant. gardée par cinquante hommes; & au-dela de cette artillerie était M. de Grajfin. avec une partie de fa troupe légere qu'il avait levée; il était nuit, & tout était tranquille, quand les fix mille Anglais arrivent & attaquent les Grajfins, qui n'ont que Ie temps de fe jetter dans une ferme prés de 1'Abbaye de la Mêle, dont cette journée a pris le nom. Les Anglais apprennentqueles Francais font fur la chaufiee loin de leur artillerie1 qui eft en-avant, gardée feulement par cinquante hommes; ils y courent & s'en emparent. Tout était perdu. Le Marquis de Crillon qui était déja arrivé a trois cents pas, voit les Anglais maitres du canon qu'ils tournaient contre lui, & qui allaient y mettre le feu; il prend fa réfolution dans Tinltant G iv 1 ' Ch. XVI 1 l \ Journée de Mêle. 9 Juillet »745.  Ch. XVI. 152 Journée de Mêle. fans fe troub'er; il ne perd pas un moment, il court avec fon régiment aux ennemis par un cöté; le jeune Marquis de Laval s'avance avec un autre bataillon; on reprend le canon : on fait ferme. Tandis que les Marquis de Crillon & de Laval arrêtaient ainfi les Anglais, une feule compagnie de Normandie qui s'était trouvée prés de 1'Abbaye, fe défendait contre eux. Deux bataillons de Normandie arrivent en hate. Le jeune Comte de Périgord les commandait; il était fils du Marquis de Talleyrand, d'une maifon qui a été 1'ouveraine, mort malheureufement devant Tournay, & venait d'obtenir a dix-fept ans ce régiment de Normandie, qu'avait eu fon pere; ils'avanca le premier a -la tête d'une compagnie de grenadiers. Le bataillon Anglais attaqué par lui, jette bas les armes. Mrs. du Ckaila & de Souvré paraiflènt bientöt avec la cavalerie fur cette chauffée. Les Anglais font arrêtés de tous cötés; ils fe défendirent encore. Le Marquis de Graville y fut bleffé; mais enfin ils furent mis dans une entiere déroute. M. iïAzincour, Capitaine de Normandie, avec quarante hommes feulement,faic prifonnier le Lieutenanr-Colonel du régiment de Rich, huitCapitaines, deux cents quatre-vingts foldats qui jettcrent leurs armes & qui fe rendirent a lui: rien ne fut  Prife de Gand, &c. 15» égal a leur furprife, quand ils virent qu'il; s'écaient rendus a quarante Fran9ais; M SAzincour conduific fes prifonniers a M. de Graville, tenant la pointe de fon épée fur la poitrine du Lieutenant-Colonel Anglais, & le menacant de Ie tuer fi fes gens fai'aiënt la moindre réfiftance. Un autre Capitaine de Normandie, nommé M. de Montalambert, prend cent cinquante Anglais, avec cinquante foldats de fon régiment; M. de Saint-Sauveur, Capitaine au régiment du Roi cavalerie,avec un pareil nombre, mit en fuite fur la fin de 1'adion trois efcadrons ennemis : enfin, le fuccès étrange de ce combat eft peut-être ce qui fit le plus d'honneur aux Francais dans cette campagne, & qui mit le plus de confternation chez leurs ennemis. Ce qui caraftérife encore cette journée, c'eft que tout y fut fait par la préfence d'efprit & par la valeur des Officiers Francais, ainfi que la bataille de Fontenoy fut gagnée. On arriva devant Gand au moment défigné par le Maréchal de Saxe; on entre dans la ville les armes ft la main fans la piller, on prend la garnifon de la citadelle pnfonniere. Un des grands avantages de la prife de cette ville, fut un magafin immenfe de provifions de guerre & de bouche, de fourraG v 1 1 Ch. XVI. Prife de Gand,  Ch. XV 29 ïuille Autrei prifes. 154 Prife d'Oftende. t, ges, d'armes, d'habits que les Alliésavaient en dépot dans Gand : c'était un faible dédömmagement des fraix de guerre, prefqu'auffi malheureufe ailleurs, qu'elle était glorieufe fous les yeux du Roi. Tandis qu'on prenait la citadelle de Gand, on inveftiffait Oudenarde; & Ie même jour que M. de Lovendal ouvrait la tranchée de- t. vant Oudenarde, le Marquis de Souvré prenait Bruges. Oudenarde fe rendit après trois jours de tranchée. A peine le Roi de France était-il mairre d'une ville , qu'il en faifait affiéger deux a la fois. Le Duc $ Harcour prenait Dendermonde en deux jours de tranchée ouverte , malgré le jeu des éclufes 6c au milieu des inondations; & le Comte de Lovendal faifait le fiege d'Oftende. Ce fiege d'Oftende était réputé le plus difficile. On fe fouvenait qu'elle avait tenu trois ans & trois mois au commencement du fiecle pafie. Par la comparaifon du plan des fortifications de cette place, avec celles qu'elle avait quand elle fut prife par Spinola, il parare que c'était Spinola qui devait la prendre en quinze jours, & que c'était M. de Lovendal qui devait s'y arrêter trois années. Elle était bien mieux fortïfiée; M. de Ckancfos, Lieutenant-Général des armées d'Autriche, la défendait avec une garnifon de quatre mille hommes,  Belle-Ifle reldché. 15; dont Ia moitié était compofée d'Anglais mais Ia terreur & le découragemenc étai au point que le Gouverneur capitula dè: que le Marquis iïHérouville, homme di gne d'être a Ia tête des Ingénieurs, & cv toyen auffi udle que bon Officier, eut pri; le chemin couvert du cöté des dunes. Une flotte d'Angieterre qui avait apporti du fecours a la ville , & qui canonnait les affiégeants, ne vint la que pour être témoin de la prife. Cette perte confierna le Gouvernement d'Angieterre & celui des Provinces-Unies; il ne relta plus que Nieuport a prendre pour être maitre de tout le Comté de Flandres proprement dit, & le Roi en ordonna le fiege. Dans ces conjonctures, le Miniftere de Londres fit réflexion qu'on avait en France plus de prifonniers Anglais qu'il n'y avoit de prifonniers Francais en Angleterre. La détention du Maréchal de Belle-Ifle & de fon frere, avait fufpendu tout cartel. On avait pris les deux Généraux contre le droit des gens; on les renvoya fans rancon. II n'y avait pas moyen en effec d'exigêr une rancon d'eux, après les avoir déclaré prifonniers d'Etat, & il était de 1'intérêt de 1'Angleterre de rétablir le cartel. Cependant le Roi partit pour Paris, ou il arriva Ie fept Septembre 1745. On ne pouvait ajouter a la réception qu'on lui avait G vj 1 ' Ch. XVI. Les Anglais rendent enfin le Maréchal de Belle-Me & fon frere.  eH. xvi- C H A P I T R E XVII. Affaires d'Allemagne. Frangois de Lorraine, Grand - Duc de Tofcane, élu Empereur. Armées Autrichiennes & Saxonnes battues par Fréderic III, ' Roi de Pruffe. Prife de Drefde. Le s profpérités de Louis XVs'accrurent toujours dans les Pays-Bus; la fupériorité de fes armées, la facilité du fervice en tout genre, la difperfion & le découragement des Alliés, leur peu de concert, & fur-tout la capacité du Maréchal de Saxe, qui ayant recouvré fa fanté ■, agiüait avec plus d'aétivité que jamais, tout celaformait une fuite non interrompue de fuccès qui n'a point d'exemple, que les conquêtes de Louis XIV. Tout était favorable en Italië pour Dom Philippe. Une révolution étonnante en Angleterre menacait déja le tróne du Roi George fecond, comme on le verradansla fuite; mais la Reine de Hongrie jouiffait d'une autre gloire & d'un autre avantage^ qui ne coutait point de fang, & qui remplit 156 Affaires d'Allemagne. f.Jte Pannée précédente. Ce furent les mêmes fêtes; mais on avait de plus ft célébrer la viétoire de Fontenoy, celle de Mêle,& la conquête du Comté de Flandres.  Frangois I élu Empereur. 157 la première & Ia plus chcre de fes vues. Elle n'avaitjamais perdu 1'efpérance du tröne impérial pour fon mari , du vivant même de Charles VII; & après la mort de eet Empereur, elles'en crutaffurée, malgréle Roi de Pruffe qui lui faifait la guerre, malgré TEleéteur Palatin qui lui refufait fa voix, & malgré une armée Francaife qui n'était pas loin de Francfort, & qui pouvait empêcher Félection. C'était cette même armée commandée d'abord par le Maréchal de Maillebois, &qui pafla au commencement de Mai 1745 fous les ordres du Prince de Conti. Mais on en avait tiré vingt mille hommes pour 1'armée de Fontenoy. Le Prince ne put empêcher la jonéTion de toutes les troupes que la Reine de Hongrie avait dans cette partie de 1'Allemagne, & qui vinrent couvrir Francfort, oü 1'élection fe fit comme en pleine paix. Ainfi la France manqua Ie grand objet de la guerre , qui était d'öter le tröne impérial a la maifon d'Autriche. L'éleétion fe fit le treize Septembre 1745. Le Roi de PrufTe fit protefier de nuflité par fes AmbafTadeurs ; TElefteur Palatin, dont 1'armée Autrichienne avait ravagé les terres, protefta de même : les AmbafTadeurs Elecloraux de ces deux Princes, fe retirerent de Francfort; mais Télection ne fut pas moins faice dans les formes. Car il eft dit dans h Ch.XVII- Eledtion ;!e Franfois premier.i3 Sept. 1745.  Ch. XVI »74J. i oaob, 1745. 158 Frangois I élu Empereur. 'L bulle d'or, que fi des Elecleurs ou leurs Ambaffadeurs fe retirent du lieu de l'éleclion avant que le Roi des Romains futur Empereur foit élu , ils feront privés cette fois de leurs droits de fuffrage, comme étant cenfés l''avoir abandonné. LaReinedeHongrie, déformais Impératrice, vim a Francfort jouir de fon triomphe &du couronnement de fon époux. Elle vit du haut d'un balcon la cérémonie de 1'entrée; elle fut la première a crier vivat, öc tout le peuple lui répondit par des acclamations de joie & de tendrefTe. Ce fut le plus beau jour de fa vie. Elle alla voir enfuite fon armée rangée en bataille auprès • de Heidelberg, au nombre de foixante mille hommes. L'Empereur fon époux Ia recut 1'épée a la main a la tête de 1'armée. Elle paffa entre les lignes, faluant tout le monde, dina fous une tente, & fit diftribuer un florin a chaque foldat. C'était la deftinée de cette Princeffe, & des affaires qui troublaient fon regne, que les événements heureux fufTent balancés de tous les cötés par des difgraces. L'Empereur Charles Vil avait perdu la Baviere pendani qu'on le couronnait Empereur, & la Reine de Hongrie perdait une bataille pendant qu'elle préparait le couronnement de fon époux Frangois I. Le Roi de Pruffe était encore vainqueur prés de la fource de 1'Elbe a Sore.  Médiation du Turc. 151 II y a des temps ou une nation conferv conftamment fa iupériorité. C'eft ce qu'01 avait vu dans les Suédois fous Charles XII dans les Anglais fous le Duc de Marlbo roug; c'eft ce qu'on voyait dans les Fran cais en Flandres fous Louis XV & fous 1< Maréchal de Saxe, & dans les Pruffiens fou: Fréderic III. L'Impératrice perdait donc la Flandre, & avait beaucoup a craindre du Roi de Pruffe en Allemagne, pendant qu'elk faifait monter fon mari fur le tröne de for pere. Dans ce temps-la même, lorfqueleRoi de France , vainqueur dans les Pays-Bas & dans 1'Italie, propofait toujours la paix, le Roi de Pruffe, viftorieux de fon cöté, demandait auffi a 1'Impératrice de Ruffie Elifabeth, fa médiation. On n'avait point encore vu de vainqueurs faire tant d'avances, & on pourrait s'en étonner : mais aujourd'hui il eft dangereux d'être trop conquérant. Toutes les Puiflances de 1'Europe prennent les armes tot ou tard, quand il y en a une qui remue : on ne voit que ligues & contre-ligues foutenues de nombreufes armées. C'eft beaucoup de pouvoir garder par la conjoncture des temps, une Province acquife. Au milieu de ces grands embarras, on recut 1'offre inouie d'une médiation a laquelle on ne s'attendait pas: c'était celle ) ; Ch.XVI 1 »  Ch. XVII. ! 15 Déc. 1746. 160 Prife de Drefde. du Grand-Turc. Son premier Vifir écrivir. a toutes les Cours Chrétiennes qui étaient en guerre, les exhortant a faire ceffer 1'efPufion du fang humain, & leur ofïrant la médiation de fon maitre. Une telle offre n'euc aucune fuite; mais elle devait fervir au moins ft faire rentrer en elles-mêmes tant de Puiflances Chrétiennes, qui ayant commencé la guerre par intérêt, la continuaient par obftination , & ne la finirent que par léceffité. Aurefïe, cette médiation duSul:an des Turcs était le prix de la paix que e Roi de France avait ménagée entre 1'Empereur d'Allemagne Charles FlSa la Porte Ottomane, en 1739. Le Roi de Pruffe s'y pritautrement pour ivoir la paix, & pour garder Ia Siléfie. Ses iroupes battent complétement les Autri:hiens & les Saxons aux portes de Drefde; :e fut le vieux Prince SAnhalt qui rempor:a cette victoire décifive. II avait fait Ia guerre cinquante ans. II était entré le premier dans les lignes des Francais au fiege de Turin en 1707 ; on le regardait comme e premier Officier de PEurope, pour conluire 1'infanterie. Cette grande journée fut a derniere qui mit lecombleafagloiremiitaire, la feule qu'il eut jamais connue. II ie favait que combattre. Le Roi de Pruffe, habile en plus d'un genre , enferma de tous cocés la ville de Dref-  Paix du Kot de Pruffe, &c. \6i de. II y entre fuivi de dix bataillons & de dix efcadrons, défarme trois régiments de milice qui compofaientlagarnifon, fe rend au palais, ou il va voir les deux Princes & les trois Princeffes enfants du Roi de Pologne, qui y étaient demeurés; il les embrafla, il eut pour eux les attentions qu'on devait attendre de 1'homme le plus poli de fon fiecle. II fit ouvrir toutes les boutiques qu'on avait fermées, donna a diner a tous les Miniilres étrangers, fit jouer un opéra Italien. On ne s'appercut pas que la ville écait au pouvoir du vainqueur, & la prife de Drefde ne fut fignalée que par les feces qu'il y donna. Ce qu'il y eut de plus étrange, c'eft qu'étant encré dans Drefde le 18 , il y fit la paix le 25 avec 1'Autriche & la Saxe, & laifTa tout le fardeau au Roi de France. Marie-Thérefe renonca encore malgré elle h la Siléfie, par cette feconde paix, & Fréderic ne lui fit d'autre avantage que de reconnaitre Francais premier Empereur. L'Eleéteur Palatin, commepartiecontractante dansle traité, Ie reconnutde même; &il n'en coüta au Roi de Pologne, Eiecteur de Saxe, qu'un million d'écus d'Allemagne, qu'il fallut donner au vainqueur avec les intéréts jufqu'au jour du paycment. Ch. XVII. Le Roi de t'ruffs fait :ncore jne paix nile.  Ch.XVII. a8 Déc. 1746. 162 Paix du Roi de Pruffe Le Roi de Prnflè retourna dans Berlin jouir paifiblement du fruic de fa vicloire ; il fut reeu fous des arcsde triomphe : le peuple jettait fur fes pas des branches de fapin, faute de mieux, en criant, vive Fréderic le Grand. Ce Prince, heureux dans fes guerres & dans fes traités, ne s'appliqua plus qu'a faire fleurir les loix & les artsdans fes Etats, & il palTa tout d'un coup dn tumulte de la guerre a une vie retirée & philofophique ; il s'adonna a lapoéfie, a 1'éloquence, a 1'hiftoire; tout cela était égalenient dans fon caraétere. C'eft en quoi il était beaucoup plus fingulier que Charles XII. II ne le regardait pas comme un grand homme, paree que Charles n'était que héros. On n'eft entré ici dans aucun détail des viétoires. du Roi de Pruffe. II les a écrites lui-même. C?était a Céfar a faire fes Commentaires. Le Roi de France, privé une feconde fois de eet important fecours, n'en continuapas moins fes conquêtes. L'objet de la guerre était alors du cöté de la maifon de France, de forcer la Reine de Hongrie par fes pertes ?n Flandres, a céder ce qu'elle difputaiten [talie, & de contraindreles Etats-Généraux ii rentrer au moins dans 1'indifférence dont ils étaient fords. L'objet de Ia Reine de Hongrie était de fe dédommager fur la France, de ce que  ê? de la Reine de Hongrie. 162 le Roi de Prufiè lui avait ravi; ce projet re- ( connu depuis impraticable par laCour d'Angieterre , était alors approuvé & embrafTö par elle. Car il y a des temps oü tout le monde s'aveugle. L'Empire Aonnéh Francais premier fit efpérer que les Cercles fe détermineraient a prendre les armes contre la France; & il n'eft rien que la Cour de Vienne ne fit pour les y engager. L'Empire refia neutre conftammenc, comme toute 1'Italie avait été neutre dans le commencement de ce cahos de guerre ; mais les cceurs des Allemands étaient tous a Marie-Thérefe. C H A P I T R E XVIII. Suite de la conquête des Pays - Bas Autrichiens. Bataille de Liege. Le Roi de France étant parti pour Paris après la prife d'Oftende, apprit en chemin que Nieuport s'était rendu, & que la garnifon était prifonniere de guerte. Bientöt après le Comte de Clermont-G aller ande avait pris la ville d'Ath. Le Maréchal de Saxe inveftit Bruxelles au commencement de 1'hyver. Cette ville eft, comme on fait, la Capitale du Brabant ,& le féjourdes Gouverneurs des Pays-Bas Autrichiens. Le :h.xvu. 5 Sepg, 1745. s oa©b,  Chap. XVIII. -9 Janv. 164 Suite de la Conquête Comte deKaunitz, alors premier Miniftre commandant a Ja place du Prince Charles, Gouverneur-Général du Pays, écait dans la ville. Le Comte de Lanoy , LieutenantGénéral des armées, en était Je Gouverneur particulier : le Général Vanderduin de la part des Hollandais, ycommandait dix-huic bataillons & fept efcadrons ; il n'y avait de troupes Autrichiennes que cent cinquante dragons, & autant de hulTards. L'Impératrice-Reine s'était repofée fur les Hollandais & fur les Anglais du foin de défendre fon pays, & ils portaient toujours en Flandre tout le poids de cette guerre. Le Feld-Maréchal Los-rios, deux Princes de Ligne, 1'un Général d'infanterie, 1'autrede cavalerie; le Général Chanclos qui avait rendu Oftende,cinq Lieutenants-Généraux Autrichiens, avec une foule de nobleffe, fe trouvaient dans cette ville affiégée, oü Ia Reine de Hongrie avait en effet beaucoup plus d'Officiers que de foldats. Les débris de 1'armée ennemie étaient vers Malines fousle Prince de Waldeck, & ie pouvaient s'oppofer au fiege. Le Maréchal de Saxe avait fait fubitement marcher [bn armée fur quatre colonnes par quatre :hemins différents. On ne perdit a ce fiege i'homme dTtingué que le Chevalier XAuheterre, Colonel du régiment des Vaifleaux. La garnifon avec tous les Officiers Généraux  des Pays-Bas. 165 fut faite prifonniere. On pouvait prendre le ' premier Miniftre, & on en avait plus de droit que les Hanovriens n'en avaient eu de faifir le Maréchal de Belle-Ijle: on pouvait prendre aufli le Réfident des Etats-Généraux : mais non-feulement on Iaifla en pleine liberté le Comte de Kaunitz & le Miniftre Hollandais, on eut encore ün foin particulier de leurs effets & de leur fuite; on leur fournit desefcortes; on renvoya au Prince Charles les domeftiques & les équipages qu'il avait dans la ville: on fit dépofer dans les magafins toutes les armes des foldats, pour être rendues lorfqu'ils pourraient être échangés. Le Roi, qui avait tant d'avantages fur les Hollandais, & quitenait alors plus detrente mille hommes de leurs troupes prifon-' niers de guerre, ménageait toujours cette République. Les Etats-Généraux fe trouvaient dans une grande perplexité; 1'orage approchaitd'eux; ils fentaient leur faibleftè. La Magiftrature defirait la paix; mais le parti Anglais qui prenait déja toutes fes mefures pour donner un Stadhouder a la nation, & qui était fecondé du peuple, crinit toujours qu'il faliait la guerre. Les Etats ainfi divifés fe conduifaient fans principes, & leur conduite annoncait leur trouble. Cet efprit de trouble & de divifion redoubla dans les Provinces-Unies, quand on y Cha p. x1» in. Prife de Bruxelles. li Février 746.  \66 Prosrès de Louis XV Ch ap. XVIII. ij Mars 1746. Prife de Mons, 10 Juillet. Prife de Sr. Guillain , 24 luillet. apprit qu'a 1'ouverture de la campagne, Ie Roi marchait en perfbnne a Anvers, ayanc a fes ordres cent vingt bataillons, & cent quatre-vingt-dix efcadrons. Autrefois quand la République de Hollande s'établit par les armes, elle détruifictoute la grandeur d'Anvers, la vilie la plus commercante de FEurope ; elle lui interdit la navigation de FEfcaut, & depuis elle continua d'aggrsver fa chüte , fur-tout depuis que les Etats-Généraux étaient devenus les alliés de la Maifon d'Autriche. Ni 1'Empereur Léopold,ni Charles VI, ni Ia fi'le 1'Impératrice Reine n'eurent jamais fur 1'Efcaut d'autres vaifleaux qu'une patache, pour les droits d'entrée & de fortie. Mais quoique les Etats-Généraux euffènt humilié Anvers a ce point, & que les comffiercants de cette ville en gémiflènt, la Hollande la regardait comme un des remparts de fon pays. Ce rempart fut bientöt emporté. Le Prince de Conti eut fous fes ordres un corps d'armée féparé avec lequel il inveftic Mons, la capitale du Hainaut Autrichien; douze bataillons qui la défendaient augmenterent le norabre des prifonniers de guerre. La moitié de cette garnifon était Hollandaife. Jamais PAutriche ne perdit tant de place, & la Hollande tant de foldats. St. Guillain eut le même fort. Charleroi fuivit de prés. On prend d'alTaut la ville bafiè  aux Pays-Bas. 167 après deux jours feulement de tranchée ouverte. Le Marquis, depuis Maréchal de la Fare, entra dans Charleroi aux mêmes conditions qu'on avait pris toutes les villes qui avaient voulu réfifter, c'eft-a-dire que la garnifon fut prifonniere. Le grand projet était d'aller a Maeftricht, d'oü Pon domine aifément dans les Piovinces-Unies; mais pour ne laiffer rien derrière foi, il faüait affiéger la ville importante de Namur. Le Prince Charles qui commandaitalors 1'armée, fit en vain ce qu'il put pour prévenir ce fiege. Au confluent de la Sambre & de la Meufe eft fitué Namur, dont la citadelle s'éleve fur un roe efcarpé; & douze autres forts Mus fur la cime des rochers voifins, femblent rendre Namur inacceffible aux attaques : c'eft une des places de la barrière. Le Prince de Gavres en était Gouverneur pour 1'Impératrice- Reine : mais les Hollandais qui gardaient la ville , ne lui rendaient ni obéilTance, ni honneurs. Les environs de cette ville font célebres par les campements & par les marehes du Maréchal de Luxembourg, du Maréchal de Bouffters, & du Roi Guillaume, & ne le font pas moins par les manoeuvres du Maréchal de Saxe. II forca le Prince C&arlesk seloigner , &a le laifler afliéger Namur en liberté. Le Prince de Clermont fut chargé du Chap. XVIII. Prife de Charleroi, 2 Aoür, ou Augufte. J Sept.  Cha p, XVIII. ï 68 Progrès de Louis XV fiege de Namur. C'était en effet douze places qu'il fallait prendre. On attaqua plufieurs fortsa la fois; ils furent tous emportés. Monfieur deürularf, aide-Major-Général, placant les travailleurs après les grenadiers dans un ouvrage qu'on avait pris, leur promit doublé paye s'ils avancaient le travail ; ils en firent plus qu'on ne leur demandait, & refuferent la doublé paye. Je ne puisentrerdansle détail des aétions fingulieres qui fe pafierent a ce fiege & a tous les autres. II y a peu d'événements a la guerre oü des Officiers & de fimples foldats ne faffent de ces prodiges de valeur qui éconnent ceux qui en font témoins, & qui enfuite reftent pour jamais dans 1'oubli. Si un Général, un Prince, un Monarque eüt fait une de ces aétions, elles feraient confacrées a la pofiérité; mais la multitude de ces faits militaires fe nuit a elle-même; & en tout genre, il n'y a que les chofes principales qui reftent dans la mémoire des hommes. Cependant cofnment pafier fous filence le fort Ballard, pris en plein jour par trois Officiers feulement, M.de Launai, aideMajor, M.d'Amere, Capitaine dans Champagne , & M. de Clamouze, jeune Portugais du même régiment, qui fautant feul dans les retranchements, fit mettre bas les armes a toute la garnifon? La  aux Pays-Bas. i<5p La tranchée avait été ouvertele ic Septembre devant Namur, & la ville capitula le 19. La garnifon fut obligée de fe retirer dans la citadelle & dans quelques autres chateaux par la capitulation; & au bout de onze jours, elle en fit une nouvelle, par laquelle elle fut toute prifonniere de guerre, Elle confiftait en douze bataillons, dont dix étaient Hollandais. . Après la prife de Namur, il reflait de difliper ou de battre Parmée des Alliés. Elle campait alors en-deca de la Meufe, ayant Maeftricht a fa droite, & Liege a fa gauche. On s'obferva, on efcarmoucha quelques jours; le Jar féparait les deux armées. Le Maréchal de Saxe avait deflèin de livrer bataille; il marcha aux ennemis Je 11 Octo-' bre a Ja pointe du jour fur dix colonnes. On \ voyait du fauxbourg de Liege comme d'un 1 smphithésitre, les deux armées, celle des Francais de cent vingt mille combartants, lalliée de quatre-vingt mille. Les ennemis s'étendaient le long de la Meufe de Liege a Vifet, derrière cinq villages retranchés. On attaque aujourd'hui une armée comme une place avec du canon. Les alliés avaient 2t craindre qu'après avoir été forcés dans ces yillages, ils ne pufïènt palTer la riviere. Ils rifquaient d'être entiérement détruits, &Ie Maréchal de Saxe 1'efpérait. Le feul Officier-Général que Ia France /. Panie. H Chap. XVIII. Prife de Namur, 19 Sept. 1746. Bataille e Liege, u de Roou. 1 Oftob.  C h a r. XVXII. . i 170 Vrogrès de Louis XV jerdit en cette journée, fut le Marquis de Fénelon, neveu de Fimmortel Archevêque le Cambray. II avait été élevé par lui, & en ivait toute la vertu, avec un caraclere tout lifférent. Vingt années employées dans 1'ampaflade de Hollande n'avaient point éteint an feu & un emportement de valeur, qui lui coüta la vie. Bleffé au pied depuis quarante ans, & pouvant marcher ft peine, il illa fur les retranchements ennemis ft cheval. Ucherchaitlamort, &il latrouva.Son extréme dévotion augmentait encore fon intrépidité; il penfait que 1'aétion la plus agréable ft Dieu était de mourir pour fon Roi: il faut avouer qu'une armée compofée d'hommes qui penferaient ainfi, ferait invincible. Les Francais eurent peu de perfonnes de marqué blefiees dans cette journée. Le fils du Comte de Ségur eut la poitrine traverfée d'une balie, qu'on lui arracha par 1'épine du dos, & il échappa ft une opération plus cruelle que la bleflure même. Le Marquis de Lujac recut un coup de feu qui lui fracafia la machoire, entama la langue, lui perca les deux joues. Le Marquis de Laval',ap\s'étaitdiftingué ft Mêle, le Prince de Monaco, le Marquis de Vaubecourt, le Comte de Barleroy, furent bleiTés dangereufement. Cette bataille ne fut que du fang inutilement répandu, & une calamité de plus  aux Pays-Bas. 171 pour tous les partis. Aucun ne gjgna, ni ' ne perdit de terrein. Chacun prit fes quartiers. L'armée battue avanca même jufqu'a Tongres; l'armée viétorieufe s'étendit de Louvain dans fes conquêtes, & alla jouir du repos auquel la faifon d'ordinaire force les hommes dans ces pays, en attendant que le printemps ramene les cruautés& les malheurs que 1'hyver a fufpendus. CHAPITRE XIX. Succes de VInfant Bom Philippe & du Maréchal de Maillebois, fuivis des plus grands défaflres. T l n'en était pas ainfi dans 1'Italie & vers -I- les Alpes. II s'y paflaic alors une fcene extraordinaire. Les plus triftes revers avaient fuccédé aux profpérités les plus rapides. La Maifon de France perdaiten Italië plus qu'ele ne gagnait en Flandre, & les pertes femblaient même plus irréparables, que les fuccès de Flandres neparafTaientutiles. Car alors le véritable objet de la guerre était 1'établifTement de Bom Philippe. Si on était vaincu en Italië, il n'y avait plus de reflburces pour eet établiflèment; &on avait beau être vainqueur en Flandres, on fentaitbien que tót ou tard il faudrait rendre les conti ij c H A P. xviii.  Ch. XIX. 171 Guerre en Italië a^tes, & qu'elles n'étaienc que comme un gage, une füreté pafiagere qui indemnifait des pertes qu'on faifait d'ailleurs. Les cercles d'Allemagne ne prenaient part a rien , les bords du Rhin étaient tranquilles; c'était en effet 1'Efpagne qui était devenue enfin la partie principale dans la guerre. On ne combattait prefque plus fur terre & fur mer que pour elle. La Cour d'Efpagne n'avait jamais perdu de vue Parme, Plaifance & le Milanais. De tant d'Etats difputés h Phéritiere de la Maifon d'Autriche, il ne reftait plus que ces Provinces d'Italie, fur lefquelles on put faire valoir des droits. Depuis la fondation de la monarchie , cette guerre eft la feule dans laquelle la France ait été fimplement auxiliaire;ellele fut dans la caufe de 1'Empereur Charles VII jufqu'a la mort de ce Prince, & dans celle de 1'Infant Dom Philippe jufqu'a la paix. Au commencement de la campagne de 1745 en Italië, les apparences furent aufll favorables a la Maifon de France qu'elles Pavaient été en Autriche en 1741. Leschemins étaient ouvensaux armées Efpagnoles & Francaifes, par la voie de Genes. Cette république, forcée par la Reine de Hongrie & par le Roi de Sardaigne a fe déclarer contre eux, avait enfin fait fon traité définitif; elle devait fournir environ dix-huit mille hommes. L'Efpagne lui donnait tren-  pour Dom Philippe. 173 Je mille piaftres par mois, & cent mille une fois payées pour le train d'artillerie que Genes fourniflait a l'armée Efpagnole; cai dans cette guerre fi longue & fi variée, les Etats puifiants & riches foudoyerent toujours les autres. L'armée de Dom Philippe qui defcendait des Alpes avec la Francaife jointe au corps des Génois, était réputé'e de quatre-vingts mille hommes. Celle du Comte de Gages, qui avait pourfuivi les Allemands aux environs de Rome, s'avancait forte d'environ trente mille combattants, en comptant l'armée Napolitaine. C'était au temps même que leRoi de Prufiè versla Saxe, & le Prince de Conti vers Ie Rhin empêchaient que les forces Autrichiennes ne puflènt lècourir 1'Italie. Les Génois même eurent tant de confiance, qu'ils déclarerent la guerre dans les formes au Roi de Sardaigne. Le projet était que l'armée Efpagnole & la Napolitaine viendraient joindre l'armée Francaife & Efpagnole dans le Milanais. Au mois de Mars 1745, le Duc de Modene , & le Comte de Gages a la tête de l'armée d'Efpagne & de Naples, avait pourfuivi les Autrichiens des environs de Rome a Rimini, de Rimini a Céfene, a Imola, k Forli, a Bologne, & enfin jufques dans Modene. Le Maréchal de Maillebois, éleve du célebre Villars , déclaré Capitaine-Général H iij Ch. XH ïS Juiin 1745.  €h. xix. 174 Guerre en Italië de l'armée de .Dö;» Philippe, arriva bientöe par Vintimille & Oneille, & defcendit vers le Montferrat fur la fin du mois de Juin k la tête des Efpagnols & des Francais. De la petite Principauté d'Oneille, on defcend dans le Marquifat de Final, qui eft a Fextrêmité du territoire de Genes, & deIk on entre dans Ie Montferrat Mantouan, pays encore hérifie de rochers qui font une fuite des Alpes; après avoir marché dans des vallées entre ces rochers, on trouve le terrein fertile d'Alexandrie; & pour aller droit k Milan, on va d'Alexandrie k Tortone; a quelques milles de-lk, vous pafièz Ie Pö; enfuite fe préfente Pavie fur le Téfin; & de Pavie il n'y a qu'une journée k la grande ville de Milan, qui n'eft point fortifiée, & qui envoye toujours fes clefs k quiconque a pafte le Téfin, mais qui a un chateau très-fort & capable de réfifter longtemps. Pour s'emparer de ce pays, il ne faut que marcher en force. Pour le garder, il faut veiller k droite & k gauche fur une vafte étendue de terrein, être maitre du cours du Pö, depuis Cafal jufqu'k Crémone , & garder 1'Oglio, riviere qui tombe des Alpes du Tirol, ou bien avoir au moins Lodi, Crème & Pizzighitone, pour fermer le chemin aux Allemands qui peuvent arriver du Trentin par ce cöté. II faut enfin fur-  pour Dom Philippe. 175 tout avoir la communication libre par les derrières avec la riviere de Genes, c'efl-adire avec ce chemin étroit qui conduic le long de la mer, depuis Antibes par Monaco , Vintimille , afin d'avoir une retraite en cas de malheur. Tous les poftes de ce pays lont connus & marqués par autant de combats, que le territoire de Flandre. Les Francais & les Efpagnols fe trouvaient fur la fin de 1'année 1745 , maitrcs du Montferrat, de l'Alexandrin, du Tortonnois , du pays derrière Genes, qu'on nomme les fiefs Impériaux de la Loméline, du Pavéfan, du Lodéfan, de Milan, de prefque tout le Milanais, de Parme & de Plaifance. Tous ces fuccès s'étaient fuivis rapidement, comme ceux du Roi de France dans les Pays-Bas , & du Prince Edouard dans 1'Ecofle, tandis que le Roi de Prune de fon cöté battait au fond de 1'Allemagne les troupes Autrichiennes. Mais il arriva en Italië précifément la même chofe qu'on avait vue en Bohème au commencement de cette guerre. Les apparences les plus heureufes couvraient les plusgrandes calamités. Le fort du Roi de Prufiè était, en faifant la guerre, de nuire beaucoup a la Maifon d'Autriche, & en faifant la paix, de nuire tout autant a Ia Maifon de France. Sa pnix de Breflau avait fait perdre la BoheH iv Ch. XIX. *  176" Guerre en Italië Ch. XIX Bataille de Plaifance gagnée par le Prince de Lichtenftein.16 Juin 1746. ,me; fa paix de Drefde fit perdre 1'Italie. A peine 1'Impératrice-Reine fut-elle délivrée pour la feconde fois de eet ennemi, qu'elle fit paffer de nouvelles troupes en Italië par le Tirol & le Trentin, pendant 1'hyver de 1746. L'Infant Dom Philippe poflëdait Milan, mais il n'avait pas le char.eau. Sa mere, la Reine d'Efpagne, lui ordonnait abfolument de 1'attaquer. Le Maréchal de Maillebois écrivit au mois de Décembre 1745 :Je prédis une deftruclion totale , ft on s'objline a refter dans le Milanais. Le Conleil d'Efpagne s'y obflina, & tout fut perdu. Les troupes de 1'Impératrice-Reine d'un cóté, les Piémontaifes del'autre, gagnerenc du terrein par-tout. Des places perdues, des échecs redoublés diminuerent l'armée Francaife & Efpagnole, & enfin la fatale journée de Plaifance la réduifit a fortir avec peine de 1'Italie dans un état déplorable. Le Prince de Lichtenftein commandait l'armée de 1'Impératrice-Reine. II était encore a la fleur de fon age; on 1'avait vu Ambaffadeur du pere de 1'Impératrice a la Cour de France, dans une plus grande jeuneflè, & il y avait acquis 1'eflime générale. II la mérita encore davantage le jour de la bataille de Plaifance, par fa conduite & par fon courage; carfe trouvant dans le même état de maladie & de langueur ou 1'on avait  pour Dom Philippe. iV> vu le Maréchal de Saxe a la bataille de Jrontenoy, il furmonta comme lui 1'excès de jbn mal, pour accourir a cette bataille! & il la gagna d'une maniere auffi complete. Ce tut la plus longue & une des plus fang antes de toute la guerre. Le Maréchal de Matllebois attaqua trois heures avant le jour, & flJC long-temps vainqueur a fon aile droite qu'il commandait : mais 1'aile gauche de cette armée ayant été enveloppée par un nombrefuperieurd'Autrichiens, Ot Je General ÜArembourre blefle & pris cette aile gauche fut entiérement défaite; ot on fut obligé, après neuf heures de combat, de fe retirer fous Plaifance. Si on combattaitde prés, comme autrefois, une mêlée de neuf heures, de bataillon contre bataillon, d'efcadron contre efcadron, & d'homme contre homme, détruiraitles armées entieres, & 1'Europe ferait dépeuplée par Ie nombre prodigieux de combats qu'on a livrés de nos jours; mais dans ces batailles, comme je 1'ai déia remarqué on ne fe mêle prefque jamais. Le fufil & le canon font moins meurtriers que ne 1 étaient autrefois la piqué & 1'épée. One t tres-long-temps même fans tirer; & dansje terrein coupé ^Italië, on tire entre deshaies. On confume du temps a s'emparer dune caffine, a pointer fon canon; a fe former & a fe reformer; ainfi neuf heuH v Ch. XIX.  Ch. XIX.1 i i i i 1 Mort de Philippe V, Roi d'Eipagne, oncle de LouisXV. 9 Juillet 78 Mort de Philippe V. es de combat ne font pas neuf heures de leftruction. La perte des Efpagnols, des Francais & le quelques régiments Napolitains, fut cependant de plus de huit mille hommes tués ju blelfés, & on leur fit quatre mille pribnniers. Enfin, l'armée du Roi de Sardaigne arriva, & alors le danger redoubla ; :oute l'armée des trois couronnes de France, d'Efpagne & de Naples, courait rifque 3'être prifonniere. Dans ces triftes conjonctures, 1'Infant Hom Philippe recut une nouvelle, qui devait, felon toutes les apparences, mettrele comble a tant d'infortunes. C'était la mort de Philippe V, Roi d'Efpagne, fon pere. Ce Monarque, après avoir autrefois efluyé beaucoup de revers, & s'ê:re vu deux fois obligé d'abandonner fa capitale, avait régné paifiblement en Efpagne; & s'il n'avait pu rendre a cette Monarchie la fplendeur oü elle fut fous Philippe fecond, il 1'avait mife du moins dans un Etat plus floriiïant qu'elle n'avait été fous Philippe IV & fous Charles II. II n'y avait que la dure néceflité de voir toujours Gibraltar & Minorque, & le commerce de 1'Amérique Efpagnole, entre les mains des Anglais, qui eut continuellement traverfé le bonheur de fon adminiftration. La conquête d'Oran fur les Maures en 1732, la eouronne de Naples  Mort de Philippe V. i?c & de Sicile enlevée aux Autrichiens, & alFermie fur la tête de fon fils Dom Car los, avaient fignalé fon regne, & il fe flat tait, avec apparence, quelque temps avani fa mort, de voirle Milanais, Parme & Plaifance foumis a 1'Infant Dom Philippe, fon autre fils de fon fecond mariage avec la Princefle de Parme. Précipicé comme les autres Princes dans ces grands mouvements qui agitent prefque toute 1'Europe, il avait fenti plus que perfonne le néant de la grandeur & la douloureufe néceflité de facrifier tant de milliers d'hommes a des intéréts qui changent tous les jours. Dégoüté du tröne, il 1'avait abdiqué pour fon premier fils Dom Louis, & 1 avait repris après la mort de ce Prince; toujours prêt a le quitter, & n'ayant éprou' vé par fa complexion mélancolique, que 1'amertume attachée a Ia condition humaine, même dans la puiflance abfolue. La nouvelle de fa mort arrivée a l'armée, après fa défaite, augmenta 1'embarras ou 1 on était. On ne favait pas encore fi Ferdinand VI, fucceflèur de Philippe V, ferait pour un frere d'un fecond mariage, ce que Philippe V avait fait pour un fils. Ce qui reftait de cette florifïante armée des trois couronnes, courait rifque plus que jamais d être enfermé fans reflburce Elle était entre le Pd, le Lambro, le Tidone& la TréH vj Ch. XIX.  Ch. XIX. Retraite favante. Bataille en faifant retraite. 180 Guerre en Italië bie. Se battre en rafe campagne ou dans un pofte contre urie armée fupérieure, eft très-ordinaire. Sauver des troupes vaincues & enfermées, eft très-rare; c'eft 1'effort de 1'art militaire. Le Comte de Maillebois, fils du Maréchal , ofa propofer de fe retirer en combattant. 11 fe chargea de 1'entreprife, la dirigea fous les yeux de fon pere, & en vint h bout. L'armée des trois couronnes pafla toute entiere en un jour & une nuit fur trois ponts, avec quatre mille muiets chargés, & mille chariots de vivres-, & fe forma le long du Tidone. Les mefures étaient fi bien prifes, que le Roi de Sardaigne & les Autrichiens ne purent 1'attaquer que quand elle put fe défendre. Les Francais & les Efpagnols foutinrent une bataille longue & opinrêcre, pendant laquelle ils ne furent point entamés. Cette journée, plus eftimée des juges de 1'art qu'éclatante aux yeux du vulgaire, fut comptée pour une journée heureufe, paree que 1'on remplit l'objet propofé: eet objet étair trifte, c'était de fe retirer par Tortone, & de laifler au pouvoir de 1'ennemi Plaifance & tout le pays. En eflët, le lendemain de cette étrange bataille, Plaifance fe rendit, & plus de trois mille malades y furent faits prifonniers de guerre. De toute cette grande 'armée qui devait  pour Dom Philippe. if?ï fubjuguer 1'Italie, il ne reftaenfin que feize mille hommes effeétifs a Tortone. La même chofe était arrivée du temps de Louis XIV, après la journée de Turin. Francois premier, Louis XII, Charles VIIIavaient effuyé les mêmes difgraces. Grandes lecons toujours inutiles. On fe retira bientöt ft Gavi vers les confins des Génois. L'InfantJk le Duc de Modene allerent dans Genes; mais au-lieu de la rafiiirer, ils en augmenterent les allarmes. Genes était bloquée par les efcadres Anglaifes. II n'y avait pas de quoi nourrir le peu de cavalerie qui reftait encore. Quarante mille Autrichiens & vingt mille Piémontais approchaient; fi on reftait dans Genes , on pouvait la défendre; mais on abandonnait le Comté de Nice, la Savoie, la Provence. Un nouveau Général Efpagnol, le Marquis de la Mina, était envoyé pour fauver les débris de l'armée. Les Génois Ie fuppliaient, mais ils ne purentrien obtenir. Genes n'eft pas une ville qui doive, comme Milan, porter fes clefs ft quiconque approche d'elle avec une armée; outre fon enceinte, elle en a une feconde de plus de deux lieues d'étendue, formée fur une chaine de rochers. Par de-la cette doublé en. ceinte, 1'Apennin lui fert par-tout de fortificatiën. Le pofte de la Bocchetta, par •ü les ennemis s'avancaienc, avait toujours Ch. xix, 17 Ac4t. Genes rend, & prefque a difcrétion.  Ch. XIX | 1 I C 182 Guerre en Italië , étéréputé imprenable. Cependant les troupes qui gardaient ce pofte, ne firent aucune réfiltance, & allerent fe rejoindre aux débris de l'armée Francaife & Efpagnole, qui fe retiraient par Vintimille. La confternation des Génois ne leur permit pas de tenter feulement de fe défendre. Ils avaient une groffe artillerie, 1'ennemi n'avait point de canon de liege; mais ils n'attendirent pas que ce canon arrivat, & Ia terreur les précipita dans toutes les extrêmités qu'ils craignaient. Le Sénat envoya précipitamment quatre Sénateurs dans les défilés des montagnes, oü campaient les Autrichiens, pour recevoir du Général Brown & du Marquis de Botta SAdorno, Milanais , Lieutenant-Général de 1'Impératrice-Reine , les loix qu'ils voudraient bien donner. Ils fe foumirent a remettre leur ville dans vingt-quatre heures, a rendre prifonniers leurs foldats, les Francais & les Efpagnols, 1 livrer tous les effets qui pourraient appartenir a des fuj'ets de France, d'Efpagne & de Naples. On ftipula que quatre Sélateurs fe rendraient en ötage a Milan ; rju'on payerait fur le champ cinquante mille ;enovines, qui font environ quatre cents nille livres de France, en attendant les axes qu'il plairait au vainqueur d'impofer. On fe fouvenait que Louis XIV avait xigé autrefois que le Doge de Genes vint  pour Dom Philippe. 183 lui faire des excufes a Verfailles avec quatre Sénateurs. On en ajouta deux pour 1'Impératrice-Reine ; mais elle mit fa gloire a refufer ce que Louis XIFavait exigé. Elle crut qu'il y avait peu d'honneur a humilier les faibles, & ne fongea qu'a tirer de Genes de fortes contributions, dont elle avait plus de befoin que du vain honneur de voir Ie Doge de la petite république de Genes , avec fix Génois, au pieds.du tröne Impérial. Genes fut taxée a vingt-quatre millions de livres. C'était la ruinerentiérement. Cette république ne s'était pas attendue, quand la guerre commenca pour la fucceflion de la Maifon d'Autriche, qu'elle en ferait la viclime; mais dès qu'on arme dans 1'Europe, il n'y a point de petit Etat qui ne doive trembler. La puifiance Autrichienne, accablée en Flandre, mais victorieufe dans les Alpes, n'était plus embarraflee que du choix des conquêtes qu'elle pouvait faire vers 1'Italie. II paraifiait également aifé d'entrer dans Naples ou dans la Provence. II lui eut été plus facile de garder Naples. Le Confeil Autrichten crut qu'après avoir pris Toulon & Marfeille, il réduirait les deux Siciles facilement, & que les Francais ne pourraient plus repaflèr les Alpes. Le 28 Oclobre 1746, le Maréchal de :h. xix. 1746,  Gh. XI> Les Autrichiens& les Piémontaisentrent en Provence. 184 Guerre en Italië pour D. Philippe. ;. Maillebois était fur le Var, qui fépare Ia France du Piémont. II n'avait pas onze mille hommes. Le Marquis de la Mina n en ramenait pas neuf mille. Le Général Efpagnol fe fépara alors des Francais, tourna vers la Savoie par le Dauphiné; car les Efpagnols étaient toujours maitres de ce Duché, & ils voulaienc le conferver en abandonnant le reile. Les vainqueurs paflèrent Ie Var, au nombre de prés de quarante mille hommes. Les débris de l'armée Francaife fe retiraient dans la Proyence, manquant de tout, la moitié des Officiers ft pied; point d'approvifionnement, point d'outils pour rompre les ponts, peudevivres. LeClergé, les notables, les peuples couraient au-devant des détachements Autrichiens, pour leur offrir des contributions, & être préfervés du pillage. Tel était 1'effet des révolutions d'Italie, pendant que les armées Francaifes conquéraient les Pays-Bas, & que le Prince Charles Edouard, dont nous parierons, avait pris & perdu 1'EcoiTe.  Cv*ses de Fr. attaq. & défendues. 185 CHAPITRE XX. Les Autrichiens & les Piémontais entrent en Provence, les Anglais en Bretagne. Révolution dans Genes, &c. L'Incendie qui avait commencé vers Ie Danube , & prefque aux portes de Vienne, & qui d'abord avait femblé ne devoir durer que peu de mois, était parvenu après ilx ans fur les cótes de France. Prefque toute la Provence était en proie aux Autrichiens. D'un cöté. leurs partis défolaient le Dauphiné; de 1'autre, ils palïaient au-dela de la Durance. Vence & Grace furent abandonnées au pillage; les Anglais faifaient des defcentes dans la Bretagne, & leurs efcadres allaient devant Toulon & Marfeille aider leurs alliés a prendre ces deux villes, tandis que d'autres efcadres attaquaient les polTeflions Francaifes en Afie & en Amérique. II fallaic fauver la Provence; Ie Maréchal de Belle-Ifle y fut envoyé, mais d'abord fans argent & fans armée. C'était a lui a réparer les maux d'une guerre univerfelle, que lui feul avait allumée. II ne vit que de la délölation, des miliciens effrayés, des débris de régiments fans difcipline , qui Ch. XX.  Ch. X2i Le Maré chal de Belle-Ifle en Provence , fait tête aux Autrichiens& aux Pié montais. 186 Cótes de Fr. attaq. & défendues. t s'arrachaient le foin & la paille; les muiets des vivres mouraient faute de nourriture; les ennemis avaient tout ranconné & tout dévoré du Var a la riviere d'Argents & de la Durance. L'Infant Dom Philippe & le Duc de Modene étaient dans la ville d'Aix en Provence, oü ils attendaient les efforts que feraient la France & 1'Efpagne pour fortir de cette fituation cruelle. Les relTources étaient encore éloignées, les dangers & les befoins preflaient: le Maréchal eut beaucoup de peine a emprunter en fon nom cinquante mille écus pour fubvenirauxplus preflants befoins. II fut obligé de faire les fonctions d'intendant Sc de munitionnaire. Enfuite a mefure que le Gouvernement lui envoyait quelques bataillons & quelques efcadrons, il prenait despoftes par lefquels il arrêtait les Autrichiens & les Piémontais. D'un cöté, il couvrit Caftellane, Draguignan & Brignoles, dont 1'ennemi allaic fe rendre maitre. Enfin , au commencement de Janvier 1747, fe trouvantfort de foixantebataillons, & de vingt-deux efcadrons, 65c fecondé du Marquis de la Mina, qui lui fournit quatre a cinq mille Efpagnols, il fe vit en état de poufler de pofte en pofte les ennemis hors de la Provence. Ils étaient encore plus embarrafies que lui; car ils manquaient de fubfiftances.» Ce point elTemiel eft ce qui rend  Rêvolution de Genes. 187 Ia plupart des invafions infructueufes. Ils avaient d'abord tiré toutes leurs provifions de Genes; mais la rêvolution inouie qui fe faifait pour lors dans Genes, & dont il n'y a point d'exemple dans 1'hiftoire, les priva d'un fecours néceflaire, & les forca de retourner en Italië. CHAPITRE XXI. Rêvolution de Genes. IL fe faifait alors dans Genes un changement aufli important qu'imprévu. Les Autrichiens ufaient avec rigueur du droit de la vicloire; les Génois ayant épuifé leurs reflburces, & donné tout 1'argent de leur banque de Saint-Georges, pour payer feize millions, demanderent grace pour les huit autres; mais on leur flgnifia le trente Novembre 1746, de la part de 1'Impératrice-Reine, que non-feulement il les fallaic donner, mais qu'il fallaic payer encore environ autant pour 1'entretien de neuf régiments répandus dans le fauxbourg de St. Pierre-des-Arenes, de Bifagno , & dans les villages circonvoifins. A la publication de ces ordres, le défefpoir faifit tous les habitants; leur commerce était ruiné, leur crédit perdu, leur banque épuifée, les Rêvolution dans Genes, Ch. XX,  Ch. XX 188 Rêvolution de Genes. < magnifiques maifons de campagne qui en> bellilTaient les dehors de Genes, pillées, les habitants traités en efclaves par ie foldat; ils n'avaient plus a perdre que la vie; & il n'y avait point de Génois qui ne parüc enfin réfolu a la facrifier plutöt que de fouffrir plus long-temps un traitement fi honteux & fi rude. Genes captive comptait encore parmi fes difgraces la perte du Royaume de Corfe, fi long-temps foulevé contr'elle, & dont les mécontents feraient, fans doute, appuyés pour jamais par fes vainqueurs. La Corfe qui s'était plainte d'être opprimée par Genes, comme Genes 1'était par les Autrichiens, jouifTait dans ce cahos derévolutions de 1'infortune de fes maitres. Ce furcroit d'afïlictions n'était que pour le Sénat; en perdant la Corfe , il ne perdait qu'un fantóme d'autorité, mais le refïe des Génois était en proie aux afflictions réelles qu'entraïne la mifere. Quelques Sénateurs fomentaient fourdement & avec habileté les réfolutions défefpérées que les habitants femblaient difpofés a prendre. Ils avaient befoin de la plus grande circonfpeétion; car il était vraifemblable qu'un foulevement téméraire & mal foutenu ne produirait que la deftruction du Sénat & de la ville. Les EmifTaires des Sénateurs fe contentaient de dire aux plus accrédités du peuple: „ Juf-  Rêvolution de Genes. 189 „ qu'a quand attendrez-vous que les Au„ trichiens viennen: vous égorger entre les „ bras de vos femmes & de vos enfants, „ pour vous arracher le peu de nourriture „ qui vous refte ? Leurs troupes font difper„ fées hors de 1'enceinte de vos murs; il n'y „ a dans la ville que ceux qui veillent a Ia „ garde de vos portes; vous êtes ici plus de „ trente mille hommes capables d'un coup „ de main; ne vaut-il pas mieux mourir „ que d'être les fpeftateurs des ruines de „ votre patrie"? Mille difcours pareils animaient le peuple; mais il n'ofait encore remuer, & perfonne n'ofait arborer 1'étendard de la liberté. Les Autrichiens tiraient de Parfenal de Genes, des canons & des mortiers pourl'expédition de Provence, & ils faifaient fervir les habitants a ce travail. Le peuple murmurait, mais il obéilTair. Un Capitaine Autriehien ayant rudement frappé un habitanc qui ne s'empreflait pas afTez, ce moment fut un fignal auquel le peuple s'aflèmbla, s'émut, & s'arma en un moment de tout ce qu'il put trouver; pierres, batons, épées, fufils, inflruments de tout* efpece. Ce peuple, qui n'avait pas eu feulement la penfée de défendre fa ville quand les ennemis en étaient encore éloignés, Ia défendit quand ils en étaient les maïtres. Le Marquis de Botta, qui était a Saint-Pierre-des-Arenes, Ch. XXI ? Déc. 1746.  Ch. XX) 190 Rêvolution ds Genes. crut que cette émeute du peuple fe rallentiraic d'elle-même, & que la crainte reprendraic bientöt la place de cette fureur paflagere. Le lendemain il fe contenta de renforcer les gardes des portes, & d'envoyer quelques détachements dans les rues. Le peuple , attroupé en plus grand nombre que la veille, courait au palais du Doge demander les armes qui font dans ce palais; le Doge ne répondit rien; les domeftiques indiquerent un autre magafin ; on y court, on 1'enfonce, on s'arme; une centaine d'Officiers fe diltribuentdansla place ; on fe barricade dansles rues; & 1'ordre qu'on tache de mettre autant qu'on le peut dansce bouleverfement fubit & furieux, n'en rallentic point 1'ardeur. II femble que dans cette journée & dans les fuivantes, la conffernation qui avait (I long-temps atterré 1'efprit des Génois, eut paffe dans les Allemands. Ils ne tenterent pas decombattre le peuple avec des troupes régulieres; ils laiflèrent les foulevés fe rendre maitres de la porte Saint-Thomas & de la porte Saint-Michel. Le Sénat, quinefavait encore fi le peuple foutiendrait ce qu'il avait fi bien commencé, envoya une députation au Général Autrichien dans Saint-Pierre-desArenes. Le Marquis de Botta négocia lorfqu'il fallaic combattre. II dit aux Sénateurs qu'ils armaflènt les troupes Génoifes laiflees  Rêvolution de Gems. 191 défarmées dans la ville, & qu'ils les joignifFent aux Autrichiens, pour tomber fur les rebelles au fignal qu'il ferait. Mais on ne devait pas s'attendre que le Sénat de Genes fe joignit aux oppreffeurs de la patrie, pour accabler fes détenfeurs , & pour actiever fa perte. Les Allemands, comptant fur lesintelligences qu'ils avaient dans la ville, s'avancerent a la porte de Bifagno par lé fauxbourg qui porte ce nom; mais ils y furent recus par des falves de canon & de moufqueterie. Le peuple de Genes compofaic alors une armée. On battait la caifle dans la ville au nom du peuple, & on ordonnait, fous peine de la vie, a tous les citoyens de fortir en armes hors de leurs maifons, & de fe ranger fous des drapeaux de leurs quartiers. Les Allemands furent attaqués a la fois dans le fauxbourg de Bifagno & dans celui de Saint-Pierre-des-Arenes; le tocfin fonnait en même-temps dans tous les villages des vallées; les payfans s'aflèmble* rent au nombre de vingt mille. Un Prince Dor ia, a la tête du peuple, attaque le Marquis de Botta dans Saint-Pierre-des-Arenes; le Général & fes neufrégiments fe retirerent en défordre. Ils laifTerent quatre mille prifonniers & prés de mille morts, tous leurs magafins, tous leurs équipages, & allerent au polte de la Bocchetta pourfuivis fans Ch. xxi. 9 Déc. 1746.  Ch. XXI. i i 192 Rêvolution de Genes. c.fTe par de fimples payfans , & forcés enfin d'abandonner cepolte, & de fuir jufqu'a Gavi. C'eft ainfi que les Autrichiens perdirenc Genes pour avoir trop méprifé & accablé le peuple, & pour avoir eu Ia fimplicité de croire queleSénatfejoindraita eux contre les habitants quifecouraient le Sénatmême. L'Europe vit avec furprife qu'un peuple Faible, nourri loin des armes, & que ni fon eneeinte de rochers, ni les Rois de France, d'Efpagne, de Naples, n'avaient pu fauver du joug des Autrichiens , 1'eüt brifé fans lucun fecours, & eut chafie fes vain]ueurs. II y eut dans ces tumultes beaucoup de brigandages; le peuple pilla plufieurs maifons appartenantes aux Sénateurs foupconnés de favorifer les Autrichiens. Mais ce qui fut le plus étonnant dans cette rêvolution, c'eft que ce même peuple, qui avait quatre mille de fes vainqueurs dans fes pribns, ne tourna point fes forces contre fes naitres. II avait des chefs; mais ils étaient ndiqués par le Sénat : & parmi eux, il ne i'en trouva point d'aflez confidérable pour jfurper long - temps Pautorité. Le peuple :hoifit trente-fix citoyens pour le gouverïer; mais il y ajouta quatre Sénateurs, Qrimaldi, Scaglia, Lomelini, tomari; k ces quatre nobles rendaient fecretemenc compte  Rêvolution de Genes. 1^3 compte au Sénat qui paraiflait ne fe mêler plus du gouvernement : mais il gouvernait en effet; il faifait défavouer ft Vienne la rêvolution qu'il fomentait ft Genes, & dont il redoutait la plus terrible vengeance. Son Miniftre, dans cette Cour, déclara que la nobleiïè Génoife n'avait aucune part ft ce changement, qu'on appellait révolte. Le Confeil de Vienne agifïant encore en maitre, & croyant être bientöt en état de reprendre Genes, lui fignifia que le Sénat eut a faire payer inceffamment les huit rnillions reftants de la fomme ft laquelle on 1'avait condamné, ft en donner trente pour les dommages caufés ft fes troupes, ft rendre tous les prifonniers, ft faire juftice des féditieux. Ces loix, qu'unmaitreirrité auraitpudonner ft des fujets rebelles & impuiflants, ne iirent qu'affermir les Génois dans la réfolution de fe défendre, & dans 1'efpérance de repoufler de leur territoire ceuxqu'ils avaient chafïes de la capitale. Quatre mille Autrichiens dans les prifons de Genes, étaient encore des ötages qui les raffuraient. Cependant les Autrichiens, aidés des Piémontais en fortant de Provence, mena5aient Genes de rentrer dans fes murs. Un des Généraux Autrichiens avait déja renforcé fes troupes de foldats Albanois, accoutumés a combattre au milieu des rochers. Ce font les anciens Epirotes, qui pafient encore pour /. Partie. 1 Cu. XXI.  Cu. XXI- 194 Rêvolution de Genes. être auffi bons guerriers que leurs ancêtres. II euc ces Epirotes par le moyen de fon oncle,ce fameux Shullembourg, qui, après avoir réfifté au Roi de Suede Charles XII, avait défendu Corfou contre l'Empire Octoman. Les Autrichiens repafferent donc la Bocchetta ; ils relferraient Genes d'affez prés; la campagne a droite & a gauche était livrée a la fureur des troupes irrégulieres, au faccagement & a la dévaftation. Genes était confternée, & cette confternation même y produifait des intelligences avec fes opprefleurs; & pour comble de malheur, il y avait alors une grande divifion entre le Sénat & le peuple. La ville avait des vivres, mais plus d'argent; & il fallaic dépenfer dix-huit mille florins par jour pour entretenir les milices qui combattaient dans la campagne, ou qui gardaient la ville. La république n'avait ni aucunes troupes régulieres aguerries, ni aucun Officier expérimenté. Nul fecours n'y pouvait arriver que par mer, & encore au hafard d'être pris par une flotte Anglaife, conduite par 1'Amiral Medley, qui dominait fur les cötes. Le Roi de France fit d'abord tenir au Sénat un million, par un petit vaifieau qui échappa aux Anglais. Les galeres de Toulon & de Marfeille partirent chargées d'environ fix mille hommes. On relacha ea  Rêvolution de Genes. ió Corfe & a Monaco, a caufe d'une tempé te, & fur-tout de la flotte Anglaife. Cett flotte prit fix b&iments qui portaient envi ron mille foldats. Mais enfin, le rede en tra dans Genes au nombre d'environ quatr mille cinq cents Francais qui firent renaitn 1'efpérance. Bientöt après le Duc de Boufflers arrivé & vient commander les troupes qui défen dent Genes, & dont le nombre augmente dt jour en jour. II fallut que ce Général pafla dans une barque, & trompat la flotte dt 1'Amiral Medley. t Le Duc de Boufflers fe trouvait a Ia tête d'environ huit mille hommes de troupe: ï'égulieres, dans une ville bloquée, qui s'at« tendait a être bientöt afliégée; il y avait peu d'ordre, peu de provifions, point de poudre; les chefs du peuple étaient peu foumis au Sénat. Les Autrichiens confervaienc toujours quelques intelligences. Le Duc de Boufflers eut d'abord autant d'embarras avec ceux qu'il venait défendre qu'avec ceux qu'il venait combattre. II mit 1'ordre par-tout; des provifions de toute efpece aborderenr. en fureté, moyennantune rétribution qu'on donnait en fecret a des Capitaines des vaiffeaux Anglais, tant 1'intérêt particulier fert toujours a faire ou a réparer les malheurs publics. Les Autrichiens avaient quelques IMoinesdans leur parti; on leur onpofa les 1 9 ' Ch. XXI. » Le Duc ■ de Bouf, flers vient fecourir ; Genes, le dernier Avril ï747«  Cs. XX Moinc & confe iïon em ployée pour fai ver Genes, Mort d Duc de Boufflers 27 Juin 1/47. 196 Rêvolution de Genes. 1. mêmes armes avec plus de force ; onengagea les Confefieurs a refufer 1'abfolucion a *. quiconque balancait entre la patrie & les ■ ennemis. Un hermite fe mit a la tête des t_ milices, qu'il encourageait par fonenthoufiafme en leur parlant, & par fon exemple en combattant. II fut tué dans un de ces petits combats qui fe donnaient tous les jours, & mourut en exhortant les Génois a fe défendre. Les Dames Génoifes mirent en gages leurs pierreries chez des Juifs, pour fubvenir aux fraix des ouvrages nécelTaires. Mais Ie plus puiffant de ces encouragements, fut la valeur des troupes Francaifes, que le Duc de Boufflers employait fouvent a attaquer les ennemis dans leurs poftes audelh de la doublé enceinte de Genes. On réuffit dans prefque tous ces petits combats, dont le détail attiratt alors 1'attention, & qui fe perdent enfuite parmi des événements innombrables. x La Cour de Vienne ordonna enfin qu'on levatleblocus. LeDucde^ö«^r^ne jouit ' point de ce bonheur & de cette gloire; il mourut de Ia petite-vérole le jour même que les ennemis fe retiraienr. II était fils du Maréchal de Boufflers, ce Général fi eftimé fous Louis XIV, homme vertucux, bon citoyen : & le Duc avait les qualités de fon pere.  Rêvolution de Genes. 19; Genes n'était pas alors preffée, maiselli était toujours très-menacée par les Piémon tais,maitresde tous les environs, paria flotw Anglaife qui bouchait fes ports, par les Au trichiens qui revenaient des Alpes fondre fui elle. II fallaic que le Maréchal de Belle-Ifu defcendit en Italië; & c'eft ce qui était d'unt extreme difficulté. Genes devait k la fin être accablée, Ie Royaume de Naples expofé; toute efpérance ótée a Dom Philippe de s'établir en Italië. Le Duc de Modene, en ce cas, paraiüait fans reflburce. Louis XF na fe rebuta pas. II envoya, a Genes, le Duc de Richelieu, de nouvelles troupes, de 1'argent. Le Duc de Richelieu arrivé dans un petit bdtiment malgré la flotte Anglaife; fes troupes paflent a la faveur de la même manoeuvre. La Cour de Madrid feconde ces efforts; elle fait paffer, a Genes, environ trois mille hommes; elle promet deux cents cinquante mille livres par mois aux Génois, mais le Roi de France les donne; le Duc de Richelieu repoufle les ennemis dans plufieurs combats, fait fortifier tous les poftes, met les cótes en füreté. Alors la Cour d'Angieterre s'épuifait pour faire tomber Genes, comme celle de France pour la défendre. Le Miniftere Anglais donne cent cinquante mille livres fterling a 1'Impératrice-Reine, & au- ! Ch. Xi'I 17 Sept. 1747.  Ch. xxi CHAPITRE XXI l. Combat d'Exiles funefle aux Frangaïs» Pour pénétrer en Italië, malgré les armées d'Autriche & de Piémont, quel chemin fallait-il prendre? Le Général Efpagnol La Mina voulait qu'on tink a Final, par ce chemin de la cöte du Ponem ouTon ne peut aller qu'un a un; mais il n'avait ni canons, ni provifions: tranfporter 1'arcillerie Francaife, garder une communication de prés de quarante marches par une route auffi ferrée qu'efcarpée, oü tout doit êcre porté \ dos de mulet, être expofé fans ceffè au canon des vaiffeaux Anglais; de telles difficultés parailfaient infurmontables. On propofait la route deDémont & de Coni: mais alTiéger Coni, était une entreprife dont tout le danger était connu. On fe détermina pour la route du Col de 1'Exiles, a prés de vingc- 198 . Combat rTExiles. tant au Roi de Sardaigne, pour entreprendre le fiege de Genes. Les Anglais perdirent leurs avances. Le Maréchal de Belle-Ifle, après avoir pris le Comté de Nice, tenait les Autrichiens & les Piémontais en allarmes, S'ils faifaient le fiege de Genes, iltombait fur eux. Ainfi, étant encore arrêtépareux, il les arrêtait.  Combat d'Exiles. 199 cinq Iieues de Nice, & on réfoiut d'emporter cette place. Cette entreprife n'était pas moins hafardeufe, mais on ne pouvait choifir qu'entrc des périls. Le Comte de Belle-Ifle faifit avidement cette occafion de fe fignaler; il avait autant d'audace pour exécuterun projet , que de dextérité pour le conduire; homme infatigable dans le travail du cabinet, & dans celui de la campagne. II part donc, & prend fon chemin en retournant vers le Dauphiné, & s'enfoncant enfuite vers Ie col del'Aflïete, furie chemin d'Exiles; c'eft-la que vingt-un bataillons Piémontais 1'attendaienc derrière des retranchements de pierre & de bois, hauts de dixhuit pieds fur treize pieds de profondeur, & garnis d'artillerie. Pour emporter ces retranchements, Ie Comte de Belle-Ifle avait vingt-huit bataillons , & fept canons de campagne, qu'on ne put guere placer d'une maniere avantageufe. On s'enhardiffait a cette entreprife par le fouvenir des journées de Montalban & de Chatea u-Dauphin , qui femblaient juitifier tant d'audace. II n'y a jamais d'actaques entiérement femblables, & il eft plus difficile encore, & plus meurtrier, d'attaquer des paliffades, qu'il faut arracher avec les mains, fous un feu plongeant & continu, que de gravir & de combattre fur des rochers; & I iv Ch. XXII.  Ch. XXII 10 Juille «747. soo Journée d'Exiles. enfin, ce qu'on dok compcer pour beaucoup, les Piémontais étaient très-aguerris, & on ne pouvait méprifer des troupes que le Roi de Sardaigne avait commandées. L'aéh'on dura deux heures; c'eft-a dire ,que les Piémontais tuerent , deux heures de fuite, fans peine & fans danger, tous les Francais qu'ils choifirent. M. d'Arnauld, IVIaréchal-de-camp, qui menait une divifion, fut bleffé a mort des premiers avec M. de Grille, Major-Général de l'armée. Parmi tant d'actions fanglantes quifignalerent cette guerre de tous cöcés, ce combat fut un de ceux oü 1'on eut le plus a déplore'r la perte prématurée d'une jeunefle florifiante, inutilement facrifiée. Le Comte de Gotfs, Colonel de Bourbonnais, y pérk.Lê Marquis deDonge, Colonel de SoifFonnais, y recut une bleflure, dont il mourut fix jours après. Le Marquis de Brienne, Colonel d'Artois, ayant eu un bras emporté, retourna aux paliffades en difant: // trien refte un autre pour le fervice du Roi, & il fut frappé a mort. On compta 3695 morts,& 1606 bleffés. Fatalité contraire a 1'événement de toutes les autres batailles, oü les bleffés font toujours le plus grand nombre. Celui des Officiers qui périt fut trés grand ; tous ceux de Bourbonnais furent bleffés, ou moururent, & les Piémontais ne perdirent pas cent hommes.  Journée cPExiles. 201 Belle Ifte défefpéré, arrachait les paliffades; & blefleaux deux mains, il ciraic des bois encore avec les dents, quand, enfin, il recut le coup mortel. II avait dit fouvent, qu'il ne fallait pas qu'un Général furvécüt a fa défaite, & il ne prouva que trop que ce fentiment était dans fon cceur. Les bleffés furent menés a Briancon, oü 1'on ne s'était pas attenduau défaftre de cette journée. M. SAudifret, Lieutenant du Roi, vendit. fa vaiflèlle d'argent pour fecourir les malades. Sa femme, prête d'accoucher, prit elle - même le foin des höpitaux, panfa de fes mains les blefles, & mourut ens'acquittant de ce pieux office : exemple auffi trifte que noble, &qui mérite d'être confacré dans l'hiftoire. CHAPITRE XXIII. Le Roi de France ,maitre de la Flandre, & vi&orieux, propofe en vain la paix. Prife du Brabant Hollandais. Les conjon&ures font un Stadhouder. Dans ce fracas d'événements, tantöt malheureux, tantöt favorables, Ie Roi viétorièux en Flandres était le feul Souverain qui voulut la paix. Toujours en droit d'attaquer le territoire des Hollandais, & I v Ch. XXII.  C HAP. XXIII. Congrè: feè* Congrès de Breda. toujours le menacant, il crut les amener h fon grand delTein d'une pacification générale, en leur pr-opofantun congrès dans une de leurs villes. On choifit Breda. Le Marquis de Puifieux y alla des premiers, en qualité de plénipotentiaire. Les Hollandais envoyerent a Breda M. de Vajjenaar, fans avoir aucune vue déterminécLa Cour d'Angieterre, qui ne penchaitpasa la paix, ne put paraïtre publiquement la refuler. Le Comte de Sandwich, petits-fils par fa mere du fameux Vilmot, Comte de Roehefter, fut le plénipotentiaire Anglais. Mais tandis que les Puiffancesauxiliaires del'Impcratrice-Reine avaient des Miniftres" k ce congrès inutile, cette Princefle n'y en eut aucun. Les Hollandais devaient plusque toute autre Puiffance, preflèr 1'heureux effet de ces apparences pacifiques. Un peuple tout commercant, qui n'était plus guerrier, quf n'avait ni bons Généraux, ni bons foldats, & dont les meilleures troupes étaient prifonnieresen France au nombre de plus de trente-cinq mille hommes, femblaitn'avoird'autre intérêt que de ne pas attirerfur fon terrein 1'orage qu'il avait vu fondre fur la Flandre. La Hollande n'était plus même une Puiflance maritime; fes amirautés ne pouvaient pas alors mettre en mer vingt vaiffeaux de guerre. Les Régents fentaient tous  Congrès de Breda. «03 que fi la guerre entamaic leurs Provinces, ils feraient forcés de fe donner un Stadhouder , & par conféquent un maitre. Les Magiftrats d'Utrecht, de Dordrecht, de la Brille, avaient toujours infillé pour la neutralité ; quelques membres de la république étaient ouvertementde eet avis. En un mot, il eft certain que fi lesEtats-Généraux avaienc pris la ferme réfolution de pacifier 1'Europe, ils en feraient venus a bout; ils auraient joint cette gloirea celle d'avoir fait autre* fois, d'un fi petit pays, un Etat puifianc & libre; & cette gloire a été long-temps dans leurs mains : mais le parti Anglais & le préjugé général prévalurent. Je ne crois pas qu'il y air un peuple qui revienne plus difficilement de fes anciennes impreffions , que Ia nation Hollandaife. L'irruption de Louis AT/', & 1'année 1672, étaient encore dans leurs cceurs. Et j'ofe dire que je me fuis appercu plus d'une fois que leur efprit, frappé de la hauteur ambitieufe de Louis XIV, ne pouvait concevoir la modération de Louis XV. Ils ne la crurent jamais fincere. On regardait toutes fes démarches pacifiques, 6c tous fes ménagements, tantöt comme des preuves de faibleflè, tantöt comme des pieges. Le Roi qui ne pouvait les perfuader, fut orcé de conquérir une partie de leur pays pendant la tenue d'un congrès inutile; il I vj Chap, XXIII. Prife du Brabant Hollandois.  C H A P, XXIII. £0f Création fit entrer fe* troupes dans la Flandre I foïlandaife : c'eft un déiuembrement des domaines de cette mOme Autriche, dont ils prenaient la défenfe; il commence une lieue au-deflbus de Gand, & s'étend a droite & i gauche, d'un cöté ü Midclbourg, fur la mer, de 1'autre, jüfquWdeflbusd'Anvers, fur 1'Efcaut. II eft garni de petites places d'un difficile accès, & qui auraient pu fe défendre. Le Roi, avant de prendre cette Province, poufia encore les ménagements jufqu'a déclarer aux Etats-Gériéraux, qu'il ne regarderait ces places que comme un dépöt, qu'il s'engageait ft reftituer ficöt que les Hollandais cefleraient de fomemer Ia guerre, en accordant des paflages & des iëcours d'homrnes & d'argent ft fes ennemis. On ne fentit point cette indulgence, on ne vit que 1'irruption; & la marchedes trou* pes Francaifes fit un Stadhouder. II arriva précifément ce que 1'Abbé de la Ville\ dans Ie temps qu'il faifait les fonctions d'envoyé en Hollande, avait dit ft plufieurs Seigneurs des Etats qui refufaient toute conciiiation, & qui voulaient changer la forme du gouvernement : Ce ne [era pas vous, ee [era nous qui vous donner ons un maitre: Tout Ie peuple, au bruit de 1'invafion, demanda pour Stadhouder le Prince d'Orangetla ville de Terver, dontil était Se>  d'un Stadhouder. 205 gneur, commenea, & Ie nomma; toutes les villes de la Zélande fuivirent; Rotterdam$ Delft, le proclamerent; il neut pas été fur pour les Régents de s'oppofer a la fnultitude, ce n 'était par-tout qu'un avis unanirae, Tout le peuple de la Haye entoura Ie palais oü s'aiïèmblent les Députés de la Province de Hollande & de Weltfrife, la plus puilfante des fept> qui feule paye Ia moitié des charges de tout 1'Etat, & dont le Penfionnaire eft regardé comme le plus confidérable perfonnage de la république. II fallut dans Pinftant, pour appaifer le peuple , arborer le drapeau d'Orange au palais & a 1'hötel-de-ville; & deux jours après, le Prince fut élu. Le diplome porta,#«V» Conjidérat'ion des tri/les circonflances oü Yon était, on nommait Stadhouder, Capitaine & Amiral-Général, GuillaumeCharles-Henri Frifon , Prince dOrange, de la branche de NaJJau-Diefl, qu'on prononce D'ift. II fut bientöt reconnu par toutes les villes, & recu en cette qualité aPaffemblée des Etats-Généraux. Les termes dans lefquels la Province de Hollande avait concu fon élection, montraient trop que les Magiftrats 1'avaient nömmé malgré eux. On fait alTez que tout Prince veut être abfolu, & que toute république eft: ingrate. Les Provinces-Unies, qui devaient a la Maifon «Ie Nafau Ia plus grande puifTanee oü ja- C«Ar. XXIII. 25 Avrü, 1 Mai» Création i'un Stadliouderlans les Provin;es-unies;  206 Stadhouder. Cü AP. XXIU. mais un petic Etat foit parvenu, purentrarement établir ce jufte milieu entre ce qu'ils devaient au lang de leurs libérateurs, & ce qu'ils devaient a leur liberté. Louis XIV, en 1672 , & Louis XV, en 1747, ont créé deux Stadhouders par la terreur; & le peuple Hollandais a rétabli deux fois ce Stadhoudérat, que la Magiftrature voulait détruire. Les Régents avaient laiffé, autant qu'ils 1'avaient pu, le Prince Henri Frizon dOrange dans Péloignement des affaires; & même quand la Province de Gueldre le choifit pour fon Stadhouder en 172 2, quoique cette place ne fut qu'un titre honorable, quoiqu'il ne difpofat d'aucun emploi, quoiqu'il ne put ni changer feulement une garnifon, ni donner 1'ordre, les Etats de Hollande écrivirent fortement a ceux de Gueldre, pour les détourner d'une réfolution qu'ils appellaient funefte. Un moment leur öta ce pouvoir dont ils avaient joui pendant pres de cinquante années. Le nouveau Stadhouder commenea par lailfer d'abord la populace piller & démolir les maifons des Receveurs, tousparents & créatures des. Bourg-Meftres; & quand on eut attaqué ainfi les Magiftrats par le peuple, on contint le peuple par les foldats. Le Prince, tranquille dans ces mpuve-  Stadhouder. 207 fnents, fe fit donner Ia même autorité qu'avait eu le Roi Guillaume, & afiura mieux encore fa puiftancea fa familie. Non-feulement le Stadhoudérat devint 1'héritage de fes enfants males, mais de fes filles & de leur poftéricé \ car quelque temps après on palfa en loi, qu'audéfaut de la race mafcutine, une fille ferait Stadhouder & Capi-taine-Général, pourvu qu'elle f ic exercer ces charges par fon man"; & encas deminorité, la veuved'un Stadhouder doit avoir le titre de Gouvernante, & nommer un Prince pour faire les fonclions du Stadhoudérat. Par cette rêvolution, les Provinces-Unies devinrent une elpece de monarchie mixte, moins rcfireinte a beaucoup d'égards que celle d'Angieterre, de Suede & de Pologne» Ainfi il n'arriva rien dans toute cette guerre de ce qu'on avait d'abord imaginé; & tour le contraire de ce que les nations avaient attendu, arriva. L'entreprife, les fuccès & les malheurs du Prince Charles-Edouard en Angleterre, furent, peut-être, le plus fingulier de ces événements qui écónnerent 1'Europe» Chat. XXIII.  £o8 Charles-Edouard. Chat, xxiv. CHAPITRE XXIV. Entreprifes, vi&oires, défaite , malheurs déplorables du Prince Charles-Edouard Stuard. Le Prince Charles-Edouard était fils de celui qu'on appellait le Prétendant, ou le Chevalier de St. Georges. On fait aiïëz que fon grand-pere avait été détröné par les Anglais, fon bifaïeul condamné ft mourir fur un échafaud par fes propres fujets, fa quadrifaïeule livrée au même fupplice par le Parlement d'Angieterre. Ce dernier rejetton de tant de Rois & de tant d'infortunés, confumait fa jeuneflê auprès de fon pere, retiré ft Rome. IIavait marqué,plus d'une fois, le defir d'expofer fa vie pour remonter au tróne de fes peres. On 1'avait appellé en France dès Tan 1742, & on avait tenté en vai'n de le faire débarquer en Angleterre. II attendait, dans Paris, quelque occafion favorable , pendant que la France s'épuifait d'hommes & d'argent en Allemagne, en France & en Italië. Les viciffitudes de cette guerre univerfelle ne permettaient plus qu'on penfat ft lui; il était lacrifié aux malheurs publics. Ce Prince s'entretenant un jour avec le  Entreprife du Prince 'Edouard. sqq Cardinal de Tencin, a qui fon pere avaic donné fa nomination au Cardinalac par un accord fait entr'eux,celui-ci lui dit:„Que „ ne tentez - vous de pafier futf un vaifTeau „ vers Ie Nord de 1'Ecoffe ? votre feule „ préfence pourra vous fórmer un parti & „ une armée; alors il faudra bien que la „ France vous donne des fecours ". Ce confeil hardi, conforme au courage de Charles-Edouard, le détermina. II ne fit confidence de fon deflèin qu'a fept Officiers, les uns Irlandais, les autres Eeoffais, qui voulurent courir fa fortune. L'un d'eux s'adrefTe a un négociant de Nantes, nommé Wahh, fils d'un Irlandais attaché a la Maifon de Stuard. Ce négociant avait une frégate de dix-huit canons, fur laquelle Ie Prince s'embarqua Ie 12 Juin 1745, n'ayant, pour une expédition dans laquelle il s'agiilait de la eouronne de la grande-Bretagne, que fept Officiers, environ dix-huit cents fabres, douze cents fufils, & quarante-huit mille francs. La frégate était efcortée d'un vaiilèau du Roi de foixante-quatre canons, nommé 1'Elifabeth, qu'un armateur de Dunkerque avait armé en courfe. C'était alors 1'ufage que le Miniftere de la marine prêtat des vaifleaux de guerre aux armateurs & aux négociants, qui payaient une fomme au Roi, & qui entretenaient 1'équipage a leurs dépens pendant le temps Chat. XXIV.  Chat, XXIV. Dcbar- quement du Prince Edouard Stuard dans une Me d'Ecofle.Juin 1745. * Du moins c'eft ce qui m"a été affuré par 1'un des chefs de 1'entreprife. iic Entreprife du Prince Êdouard. de Ja courfe. Le Minifire de la marine, & le Roi de France lui-même, ignoraient a quoi ce vaifTèau devait fervir. Le 20 Juin, 1'Elifabeth & la frégate, voguantde conferve, rencontrerent trois vaifleaux de guerre Anglais, qui efcortaient une flotte marchande. Le plus fort de ces vaiffeaux, qui était de foixante-dix canons, fe fépara du convoi pour aller combattre 1'Elifabeth; & par un bonheur qui femblait préfager des fuccès au Prince Edouard, fa frégate ne fut point attaquée. L'Elifabech & le vailfeau Anglais engagerent un combat violent *, long & inutile. La frégate qui portait le petit-fils de Jacques II, échappait & faifaic force de voiles vers PEcofie. Le Prince aborda d'abord dans une petite ifle prefque déferte au-dela de 1'Irlande, vers le cinquante-huitieme degré. II cingle au continent de 1'Ecoflë. II débarque dans un petic canton, appellé le Moidart: quelques habitants, auxquels il fe déclara fe jetterent a fes genoux. Mais que pouvons-nous faire? lui dirent-ils; nousn'avons point d'armes, nous fommes dans la pauvreté, nous ne vivons que de pain d'avoine, & nous culcivons une terre ingrate. Je cultiverai cette  Edouard en Ecoffe. 211 terre avec vous, répondit !e Prince; je mangerai de ce pain, je partagerai votre pauvreté, & je vous apporte des ar mes. On peut juger fi de tels fenriments & de tels difcours attendrirent ces habitants. II fut joint par quelques chefs des tribus de PEcoiTe. Ceux du nom de Macdonall, de Lokil, les Camerons, lesFrafers, vinrenc le trouver. Ces tribus d'Ecoffè, qui font nommées Clans dans la langue Ecoffaife, habitent un pays hériffé de montagnes & de forêts, dans ï'étendue de plus de deux cents milles. Les trente-trois ifles des Orcades, & les trente du Zeeland, font habitées par les mêmes peuples, qui vivent fous les mêmes loix. L'ancien habit romain militaire s'efi confervé chez eux feuls, comme on 1'a dit au fujet du régiment des montagnards Ecoffais, qui combattic a la bataille de Fontenoy. On peut croire que la rigueur du climae &Ja pauvreté extréme les endurciflènt aux plus grandes faiigues; ils dorment fur la terre; ils fouffrent la difette; ils font de longues • marches au milieu des neiges & des glacés. Chaque clan était foumis a fon Laird, c'efia-dire fon Seigneur, qui avait fur elles- le droit de jurifdiftion; droit qu'aucun Seigneur ne poiïède en Angleterre; ck ils font d'ordinaire du parti que ce Laird a embraffé, Cette ancienne anarchie, qu'on nomms C ii A r. XXIV. Moavtrs ?t loix des mo'tagnardsi' Ecoffe.  G HAP. XXIV. 212 Edouard le droit féodal, fubfiftait dans cette partie de la Grande - Bretagne, ftérile , pauvre, abandonnée a elle-même. Les habitants, fans induftrie, fans aucune occupation qui leuraffurat une viedouce, étaient toujours prêts a fe précipiter dans les entreprifes qui les flattaient de I efpérance de quelque butin. II n'en était pas ainfi de 1'Irlande, pays plus fertile , mieux gouverné par la Cour de Londres, & dans lequel on avait encouragé la culture des terres & des manufaétures. Les Irlandais commencaient aêtre plus attachés a leur repos & a leurs poffeflions, qu'a la Maifon des Stuards. Voifa pourquoi 1'Irlande refta tranquillc , & que l'Ecoflè fut en mouvement. Depuis la réunion du Royaume d'Ecoue a celui de 1'Angleterre, fous la Reine Anne, plufieurs Ecolïais qui n'étaient pas nommés membres du Parlement de Londres, & qui n'étaient pas attachés a la Cour par des penfions, étaient fecretement dévoués a la Maifon des Stuards; & en général, les habitants des parties feptentrionales, plutót fubjugués qu'unis, fupportaient impatiemment cette réunion, qu'ils regardaienc comme un efclavage. Les clans des Seigneurs attachés a la Cour, comme des Ducs d,Argile,A''Atbol, ie Quéensburi & d'autres, demeurerent Sdeles au Gouvernement: il en faut pour-  en Ecoffe. «13 tant excepter un grand nombre qui furent faifis de 1'enthoufiafme de leurs compatriotes, & entrainés bientöt dans le parti d'un Prince qui tirait fon origine de leur pays, & qui excitait leur admiration & leur zele. Les fept hommes que le Prince avait menés avec lui, étaient le Marquis de Tttllibardine, frere du Duc A'Athol, un Makdonal, Thomas Sheridan, Sullivan, défigné Maréchal-des-Logis de l'armée qu'on n'avait pas; Kelt, Irlandais, & Strikland, Anglais. On n'avait pas encore rafTemblé trois cents hommes autour de fa perfonne, qu'on fic un étendard royal d'un morceau de taffetas apportépar Sullivan. A chaque moment, la troupe groffiiTait; & le Prince n'avait pas encore paffe le bourg de Fcnning, qu'il fe vit ft la tête de quinze cents combattants, qu'il arma de fufils & de fabres dont il était pourvu. II renvoya en France la frégate fur laquelle il était venu, & informa les Rois de France & d'Efpagne de fon débarquement. Ces deux Monarques lui écrivirent, & le traiterent de frere; non qu'ils le reconnuffent folemnellement pour héritier des couronnes de la Grande-Bretagne; mais ils ne pouvaient, en lui écrivant, refufer ce titre ft fa naiflance & ft fon courage. Ils lui envoyerenc ft di verfes reprifes quelques fecours Ch a p. XXIV.  c»ap. xxiv. Ses premiers fuctcs. 15 Sepr. S745- a1 % Edouard dargent,de munitions & d'armes. II fallaic que ces fecours fe dérobaffènt aux vaiffèaux Anglais qui croifaient a 1'orient & a 1'occident de 1'EcolTè. Quelques-uns étaiencp.ris, d'autres arrivaient, & fervaient a encourager le parti qui fe fortifiait de jour en jour. Jamais le temps d'une rêvolution ne parut plus favorable. Le Roi Georges alors était hors du Royaume; il n'y avait pas fix mille hommes de troupes réglées dans 1'Angleterre. Quelques compagnies du régiment de Sinclair marcherent d'abord des environs d'Edimbourg contre la petite troupe du Prince : elles furent entiérement défaites. Trente montagnards prirent quatrevingts Anglais prifonniers, avec leurs Officiers & leurs bagages. Ce premier fuccès augmentait le courage & 1'efpérance, & attirait de tous cötés de nouveaux foldats. On marchait fans relache. Le Prince Edouard, toujours a pied, a la tête de fes montagnards, vêtu comme eux, fe nourriffant comme eux, traverfe le pays de Badenoch, le pays d'Athol, le Perthshire, s'empare de Perth, ville confidérable dans 1'Ecoflê. Ce fut-la qu'il fut proclamé folemnellement Régent d'Angieterre , de France, d'Ecoffe & d'Irlande, pour fon pere Jacques III. Ce titre de Régent de France, que s'arrogeait un Prince a peine maitre d'une petite ville d'Ecoffe, &  èn Ecoffe. «15 qui ne pouvait fe foutenir que par les fecours du Roi de France, était une fuite de 1'ufage étonnant qui a prévalu , que les Rois d'Angieterre prennent le titre de Rois de France; ufage qui devrait être aboli, & qui ne Feil pas, paree que les hommes ne fongent jamais a réformer les abus que quand ils deviennent importants & dangereux. Le Duc de Penh, le Lord Georges Murrai arriverent alors a Perth, & firent ferment au Prince. Ils amenerent de nouvelles troupes; une compagnie entiere d'un régiment EcofTais au fervice de la Cour, déferta pour fe ranger fous fes drapeaux. II prend Dundée, Drumond, Neubourg. On tint un Confeil de guerre : les avis fe partageaient fur la marche. Le Prince dit qu'il fallaic aller droit a Edimbourg, la capitale de 1'Ecoffe. Mais comment efpérer de prendre Edimbourg avec fi peu de monde & point de canon ? II avait des partifans dans Ja ville; mais tous les citoyens n'étaient pas pour lui. II faut me montrer, dit-il, pour les faire déclarer tous; Sc fans perdre de temps, il marche a la capitale; il arrivé, il s'empare de la porte. L'allarme eft dans la ville; les uns veulent reconnakre 1'héritier de leurs anciens Rois, les autres tiennent pour le Gouvernement. On craint le pillage : les citoyens les plus ricb.es cranf- Cmr. XXIV. II prend Edimbourg , 10 Sept.1745.  Chap. XXIV. si 6" Edouard portent leurs effets dans le chateau : le Gouverneur Gueft s'y retire avec quatre cents foldats de garuifon. Les Magiftrats fe renden t a la porte dont Charles-Edouard était maitre. Le Prévöt d'Edimbourg, nommé Stuard, qu'on foupconna d'être d'intelligence avec lui, parait en fa préfence, & demande d'un air éperdu ce qu'il faut faire. Tomber a fes genoux, lui répondit un habitant, & le reconnaitre. II fut aufli-töt proclamé dans la capitale. Cependant on mettait dans Londres ia tête a prix. Les Seigneurs de la régence, pendant 1'abfence du Roi Georges, firenc proclamer qu'on donnerait trente mille livres flerling a celui qui le livrerait. Cette profcription éiait une fuite de 1'aéte du Parlement fait la dix-feptieme année du regne du Roi, & d'autres acres du même Parlement. La Reine Anne elle-même avait été forcée de profcrire fon proprefrere, a qui, dans les derniers temps, elle aurait voulu laiffèr fa eouronne, fi elle n'avait confulté que fes lèntiments. Elle avait mis fa tête a quatre mille livres, & le Parlement la mit a quatre-vingts mille. Si une telle profcription eft une maxime d'Etat , c'en eft une bien difficile a concilier avec ces principes de modération que routes les Cours font gloire d'étaler. Le Prince Charles-Edouard pouvait faire une proclamation  ai Ecoffe. 217 proclamation pareille; mais il crue fortifier la caufe & la rendre plus refpeétable, en oppofant, quelques mois après, a ces proclamacions fanguinaires, des manifeftes dans lefquels il défendaic a fes adhérents d'attenter a Ia perfonne du Roi régnant, & d'aucun Prince de la Maifon d'Hanovre. D'ailleurs, il ne fongea qu'a profiter de cette première ardeur de fa faclion, qu'il ne fallaic pas lailler rallentir. A peine étaitil maitre de la ville d'Edirabourg, qu'il apprit qu'il pouvait donner une bataille, & il fe hata de la donner. II fut que le Général Cope s'avancait contre lui avec des troupes réglées, qu'on aflèmblait les milices, qu'on formait des régiments en Angleterre, qu'on en faifait revenir de Flandres, qu'enfin il n'y avait pas un moment a perdre. II fort d'Edimbourg fans y laiflèr un feul foldat, marcha avec environ trois mille montagnards vers les Anglais , qui étaient au nombre de plus de quatre mille: ils avaient deux régiments de dragons. La cavalerie du Prince n'était compofée que de quelques chevaux de bagage. II ne fe donna, ni le temps, ni la peine de faire venir fes canons de campagne. II favait qu'il y en avait fix dans l'armée ennemie, mais rien ne 1'arfêta. II atteignit les ennemis a fept milles d'Edimbourg a Prefton-pans. A peine eft-il arrivé, qu'il range fa petite ar/. Partie. K C H A 1'. XXIV.  Chat. XXIV. 11 gagne une victoire complete a Preftonpatis. 113 Edouard mée en bataille. Le Duc de Perth & Ie Lord Georges Murrai commandaient, 1'un Ia gauche, & 1'autre la droite de l'armée; c'eft-a-dire, chacun environ fept ou huit cents hommes. Charles-Edouard était fi rempli de 1'idée qu'il devait vaincre, qu'avant de charger les ennemis, il remarqua un défilé par oü ils pouvaient fe retirer, & il le fit occuper par cinq cents montagnards. II engagea donc le combat, fuivi d'environ deux mille cinq cents hommes feulement , ne pouvant avoir , ni feconde ligne, ni corps de réferve. II tire fon épée, & jettant le fourreau loin de lui : Mes amis, dit-il, je ne la remettrai dans le fourreau, que quand vous ferez libres & heureux. II était arrivé fur ie champ de bataille prefque aufii-töt que 1'ennemi : il ne lui donna pas le temps de faire des décharges d'artillerie. Toute fa troupe marche rapidement aux Anglais fans garder de rang, ayant des cornemufes pour trompettes; ils tirent a vingt pas; ils jettent auifi-töt leurs fufils, mettent d'une main leurs boucliers fur leur tête, & fe précipitant entre les hommes & les chevaux, ils tuent les chevaux a coups de poignard, & attaquent les hommes le fabre a la main. Tout ce qui eft nouveau & inattendu, (aifit toujours. Cette nouvelle maniere de combattre effraya les Anglais : la force du corps, qui n'eft aujour-  en Ecoffe. 219 d'hui cTaucun avantage dans les autres batailles, était beaucoup dans celle-ci. Les Anglais plierent de tous cötés fans réfiftance; on en tua huit cents; le refte fuyait par 1'endroit que le Prince avait remarqué; & ce fut-la même qu'on fit quatorze cents prifonniers. Tout tomba au pouvoir du vainqueur ; il fe fit une cavalerie avec les chevaux de dragons ennemis. Le Général Cope fut obligé de fuir lui quinzieme. La nation murmura contre lui :on 1'accufa devant une Cour martiale, de n'avoir pas pris affez de mefures; mais il fut juftifié; & il demeura conftant que les véritables raifons qui avaient décidé de Ia bataille, étaient la préfence d'un Prince qui infpirait a fon parti une confiance audacieufe, & fur-tout cette maniere nouvelle d'attaquer qui étonna les Anglais. C'eft un avantage qui réuffit prefque toujours les premières fois, & que peut-être ceux qui commandent les armées ne fongent pas aflèz a fe procurer. Le Prince Edouard, dans cette journée, ne perdit pas foixante hommes. II ne fut embarrafle dans fa vicloire que de fes prifonniers : leur nombre était prefque égal a celui des vainqueurs. II n'avait point de places fortes; ainfi ne pouvant garder fes prifonniers, il les renvoya fur leur parole, après les avoir fait jurer de ne point porter les armes contre lui d'une année. II garda K ij Chap. XXIV. 174$.  220 Edouard C H A F. XXIV. * C'était un frere du Marquis Dargens , très-connu dans Ia Littérature, II fut depuis Préfident au Parlement d'Aix, feulement les blefles pour en avoir foin. Cette magnanimité devait lui faire de nouveaux partifans. Peu de jours après cette victoire, un vaiffeau Francais & un Efpagnol aborderent heureufement fur les cötes, & y apporterent de 1'argent & de nouvellesefpérances: il y avait fur ces vaiflèaux des Officiers Irlandais, qui ayant fervi en France & en Efpagne, étaient capables de difcipliner fes troupes. Le vaiflèau Francais lui amena le 11 Oétobre, au port de Mont-Rofe, un envoyé * fecret du Roi de France, qui débarqua de 1'argent & des armes. Le Prince, retourné dans Edimbourg, vit bientöt après augmenter fon armée jufqu'a prés de fix mille hommes. L'ordre s'introduifait dans fes troupes & dans fes affaires. II avait une Cour, des Officiers, des Secretaires d'Etat. On lui fourniffait de 1'argent de plus de trente milles a la ronde. Nul ennemi ne paraiffait; mais il lui fallaic le chateau d'Edimbourg, feule place véricablement forte, & qui puiffè fervir dans le befoin de magafin & de retraite, & tenir en refpecl la capitala. Le chateau d'Edimbourg eft bati fur un roe efcarpé : il a un large foflè taillé dans  en Ecoffe. tzi Ja roe, & des murailles de douze pieds d'épaiffeur. La place, quoiqu'irréguliere, exige un fiege régulier, & fur-tout du gros canon. Le Prince n'en avait point. II fe vit obligé de permettre ft la ville de faire avec le Commandant Guefl un accord, par lequel la ville fournirait des vivres au chateau , & le chateau ne tirerait point fur elle. Ce contre-temps ne parut pas déranger fes affaires. La Cour de Londres le craignait beaucoup, puifqu'elle cherchait ft le rendre odieux dans 1'efprit des peuples : elle lui reprochait d'être né Catholique Romain , & de venir bouleverfer la religion & les loix du pays. II ne celFait de protefter qu'il refpeéterait la religion & les loix, & que les Anglicans & les Presbytériens n'auraientpas plus ft craindre de lui, quoique né Catholique , que du Roi Georges, né Luthérien. On ne voyait dans fa Cour aucun Prêtre; il n'exigeait pas même que dans les Paroiffès on le nomina" t dans les prieres, & il fe contentait qu'on priat en général pour le Roi & la familie Royale, fans déflgner perfonne. Le Roi d'Angieterre était revenu en hare le i1 Septembre pour s'oppofer aux pragrès de la rêvolution; la perte de la bataille de Prefton-pans 1'allarma au point, qu'il ne fe crut pas affèz fort pour réfifter avec les milices Anglaifes. Plufieurs Seigneurs levaienc des régiments de milices ft leurs dé- • K iij Chat. XXIV.  222 Edouard Chap, XXiV. 14 Sept, 745- pens en fa faveur, & Ie parti Wigh furtout, qui eft le dominant en Angleterre, prenait a cceur la confervation du gouvernement qu'il avait établi, & de la familie qu'il avait mife fur le tröne : mais le Prince Edouard recevait de nouveaux fecours, & avait de nouveaux fuccès; ces milices mêmes pouvaient fe tourner contre le Roi Georges. II exigea d'abord un nouveau ferment des milices de la ville de Londres; ce ferment de fidélité portait ces propres mots: jfabborre, je dêtefie, je rejette comme ■un fentiment impie cette damnable doclri■ne, que des Princes excommuniés par le Pape, peuvent être dépofés & affajftnés par leurs fujets, ou quelque autre que ce foit, &c. Mais il nes'agiftait, ni d'excommunication, ni du Pape dans cette affaire; & quant a 1'affaffinat, on ne pouvait guere en craindre d'autres que celui qui avait été folemnellement propofé au prix de trente mille livres fterlings : on ordonna, felon 1'ufage pratiqué dans les temps de troubles depuis Guillaume III, a tous les Prêtres Catholiques de fortir de Londres 6c de fon territoire. Mais ce n'était pas les Prêtres Catholiques qui étaient dangereux. Ceux de cette religion ne compofaicnt pas la centieme partie du peuple d'Angieterre. C'était la valeur du Prince Edouard qui était réellement a redouter; c'était 1'intrépidité d'une  en Ecoffe. 223 armée victorieufe animée par des fuccès inefpérés. Le Roi Georges fe crue obligé de faire revenir fix mille hommes des troupes de Flandre, & d'en demander encore fix mille aux Hollandais, fuivant les traités faits avec la république. Les Etats-Généraux lui envoyerent précifément les mêmes troupes, qui, par la capitulation de Tournay & de Dendermonde , he devaient fervir de dix-huit mois. Elles avaient promis de ne faire aucun fervice, pas même dans les places les plus éloignées des frontier es; ók les Etats juftifiaient c'te infraction, en difant que 1'Angleterre n'était point place fronttere. Elles devaient mettre bas les armes devant les troupes de France; mais ori alléguait que ce n'était pas contre des Francais qu'elles allaient combattre : elles ne devaient pafier a aucun fervice étranger; & on répondaït qu'en effet elles n'étaient point dans un fervice étranger, puifqu'elles étaient aux ordres & a la folde des Etats-Généraux. C'eft par de telles diftinctions qu'on éludait la capitulation qui femblait la plus précife, mais dans laquelle on n'avait pas fpécifié un cas que perfonne n'avait prévu. Quoiqu'il fe paiTüc alors d'autres grands événements, je fuivrai celui de Ia rêvolution d'Angieterre; & 1'ordre des matieres fera préféré a 1'ordre des temps qui n'en fou£K iv C W A V. XXIV. Les HoJlandaisenvoyentfervir en flngleterre des rroupes ]ui ai'aient"ait fernent de ie point fervir.  Chap. XXiV. 224 Edouard frira pas. Rien ne prouve mieux les allarmes, que 1'excès des précautions. Je ne puis m'empêcher de parler ici d'un artifice donc on fe fervic pour rendre la perfonne de Charles-Edouard odieufe dans Londres. On flc imprimer un journal imaginaire, dans lequel on comparaiclesévénemenrs rapporcés dans les gazettes, fous le gouvernemenc du Roi- Georges, a ceux qu'on fuppolaic fous la domination d'un Prince Catholique. „ A préfenc, difaic-on, nos gazettes nous „ apprennenc, cantót qu'on a porté a la ban„ que les tréfors enlevés aux vaifleaux „ Francais & Efpagnols, tantöt que nous „ avons rafé Porto-bello, tantöt que nous „ avons pris Louisbourg, & que nous fom„ mes maitres du commerce. Voici ce que „ nos gazettes diront fous la domination „ du Prétendant: aujourd'hui il a été pro„ clamé dans les marchés de Londres par „ des montagnards & par des moines : Plu„ fieurs maifons ont été brülées,& plu„ fieurs citoyens mafiacrés. „ Le 4, la maifon du Sud & la maifon „ des Indes ont été changées en Couvents. „ Le 20, on a mis en prifon fix mem,, bres du Parlement. „ Le 26, on a cédé trois ports d'Anglei, terre aux Francais. „ Le 28. la loi habeas corpus a été zbo  tn EcoJJs. 225 ,, lie, & on a paffé un nouvel acte pour „ brüler les hérétiques. „ Le 29, le Pere Poignardini, Jéfuite Ira„ lien, aété nommé Garde du fceau privé". Cependant, on fufpendait, en effet, le 28 Qctobre, la loi habeas corpus. C'efi une loi regardée comme fondamentale en Angleterre, comme le boulevard de la ltberté de la nation. Par cette loi, le Roi ne peut faire emprifonner aucun citoyen , fans qu'il foit interrogé dans les vingt-quatre heures, & relaché fous caution jufqu'a ce que fon procés lui foit fait; & s'il a été arrêté injuftement, le Secretaire d'Etat doic être condamné a lui payer chérement chaque heure. Le Roi n'a pas le droit de faire arrêter un membre du Parlement , fous quelque prétexte que ce puiflê être, fans le confentement de la Chambre. Le Parlement, dans les temps de rébellion, fufpend toujours ces loix par un acte particulier, pour un certain temps, & donne pouvoir au Roi de s'affurer, pendant ce temps feulement, des perfonnes fufpectes. II n'y eut aucun membre des deux Chambres qui donndt fur lui lamoindreprife. Quelques-uns, cependant, étaient foupconnés, par la voix publique, d'être Jacobites; il y avait des citoyens dans Londres qui étaient fourdement de ce parti. Mais aucun ne voulait hafarder fa fortune Cbap. XXIV. Loi haie.ts corpus.  C HAP. XXIV. I --ó Progrès & fa vie fur des efpérances incertaines. La défiance & 1'inquiétude tenaienc en fufpens tous les efprits. On craignait de fe parler. C'eft un crime en ce pays, de boire h la lanté d'un Prince profcrit qui difpute la eouronne , comme autrefois a Rome, c'en étaic un, fous un Empereur régnant , d'avoir chez (bi la ftatue de fon compétiteur. On buvait a Londres a la fanté du Roi & du Prince; ce qui pouvait auffi bien fignifier le Roi Jacques, & fon fils le Prince CharlesEdouard, que Ie Roi George & lön fils ainé le Prince de Galles. Les partifans fecrets de la rêvolution fe contentaient de faire imprimer desécrits, tellement mefurés,que le parti pouvait aifément les entendre fans que le Gouvernement püt les condamner. On en diftribua beaucoup de cette efpece; un entr'autres par lequel on avertiffait, qu'il y avait un jeune homme de grande efpérance qui était prêt de faire une fortune confidérable, qu'en peu de temps il s'était fait plus de vingt mille livres de rente, mais qu'il avait befoin d'amis pour s'établir d Londres. La liberté d'imprimer eft □n des privileges dont les Anglais font le plus jaloux. La loi ne permet pas d'attrouper le peuple & de le haranguer; mais elle permet de parler, parécrit, a la nation en:iere. Le Gouvernement fit vifiter toutes les mprimeries; mais n'ayant le droit d'en faire  du Prince Edouard. 127 fermer aucune, fans un délit conftaté, il les laiiïa fubfifter toutes. La fermentation commenea a fe manifefter dans Londres, quand on apprit que le Prince Edouard s'étaic avancé jufqu'a Carlifle, & qu'il s'étaic rendu maitre de la ville; que fes forces augmentaient, & qu'enfin il était a Derbi dans 1'Angleterre même, a trente lieues de Londres: alors il eut pour la première fois des Anglais nationaux dans fes troupes. Trois cents hommes du Comté de Lancaftre prirent parti dans fon régiment de Manchefter. La renommée qui groffit tout, faifait fon armée forte de trente mille hommes. On difait que couc le Comcé de Lancaftre s'était déclaié. Les boutiques & la banque furent fermées un jour a Londres. Fin de la premiers Partie. Chat. XXIV. :6 Odob,   T A B L E DES CHAPITRES Coruenus en cette première Partie. Chapitre I. Tableau de 1'Europe après la mort de Louis XIF, page i Ch. II. Suite du Tableau de 1'Europe. Régence du Duc d'Orléans. Syftême de Lafs, 12 Ch. III. Suite du Tableau de 1'Europe. Cardinaux Dubois & Fleury. Abdication de Ficlor-Amédée, &c. 23 Ch. IV. Staniflas Lefkfimki, deux fois Roi de Pologne, & deux fois dépoff édé. Guerre de 1734. La Lorraine réunie a la France, 33 C h. V. Mort de 1'Empereur Charles VL La fucceffion de la Maifon a'Autriche difputée par quatre Puiffances. La Reine d'Hongrie reconnue dans tous les Etats de fon pere. La Siléfie prife par le Roi de Pruffe. 44 Ch. VI. Le Rei de France s'unit aux Rois de Pruffe & de Pologne, pour faire élire Empereur l'Eleiteur de Ba-  23° T A li L E viere, Charles-Albert. Ce Prince eft déclaré Lieutenant - Général du Roi de France. Son éleclion , fes fuccès , & fes pertes rapides. 51 Ch. VII. Défaftres rapides qui fuivent les fuccès de FEmpereur Charles-Albert de Baviere. 61 Ch. VIII. Conduite de F An gieter re, de FEfpagne, du Roi de Sardaigne, des Puiffances d'Italië. Bataille de Toulon. 68 Ch. IX. Le Prince de Contiforce les paffages des Alpes. Situation des affaires d Italië. 81 Ch. X. Nouvelles difgraces de F Empereur Charles Vfl. Bataille de Dettingue. 86 Ch. XI. Première campagne de Louis XV en Flandres, fes fuccès. II quitte la Flandre, pour aller au fecours de F Alface menacée, pendant que le Prince de Conti continue a s'ouvrir le paffage des Alpes. Nouvelles ligues. Le Roi de Pruffe prend encore les ar mes. 96 C h. XII. Le Roi de France efl d Fextrêmité. Dès quil efl guéri , il marche en Allemagne; il va afféger Fribourg, tandis que F armée Autrichienne, qui avait pénétré en Alface, va délivrer la Bohème, & que le Prince de Conti gagne une bataille en Italië. 105  des Chapitres. 231 Ch. XIII. Bataille de Coni. Conduite du Roi de France. Le Roi de Naples furpris prés de Rome. 11 o C h. XIV. Prife du Maréchal de Belle-Ifle. L'Empereur Charles VII meurt, maïs la guerre rien efl que plus vive. 119 C h. XV. Siege de Tournay. Bataille de Fontenoy. 126 C h. XVI. Suites de la journée de Fontenoy. 148 C h. XVII. Affaires dAllemagne. Frangois de Lorraine, Grand-Duc de Tofcane , élu Empereur. Armées Autrichiennes & Saxonnes hattues par Fréderic III, Roi de Pruffe. Prife de Drefde. 156 Ch. XVIII. Suite de la conquête des PaysBas Autrichiens. Bataille de Liege. 163 C h. XIX. Succès de ïInfant Dom Philippe & du Maréchal de Maillehois, fuivis des plus grands défaflres. 171 C h. XX. Les Autrichiens & les Piémontais entrent en Provence, les Anglais en Bretagne. Rêvolution dans Genes, &c 185 Ch. XXI. Rêvolution de Genes. 187 C h.^ XXII. Combat dExiles funefle aux Francais, 198 Ch. XXIII. Le Roi de France, maitre da la Flandre & yiclorieux, propofe en  £3- Table des Chapitres. vain la paix. Prife du Brabant Hollandais. Les conjonèHures font un Stadhouder , o o i Ch. XXIV. Entreprifes, vi&oires, défaites, malheurs déplorables du Prince Charles-Edouard Stuard, 208 Fin de Ia Table de Ia première Partie.  PRÉCIS DU SIÈCLE D E tovt-s XV. SECONDE PART IE.   PRÉCIS DU SIÈCLE D E LOUIS XV, PAR M. DE VO LTAIRE. Servant de Suite au Siècle de Louis XIV, du même Auteur. SECONDE PARTIE. A MAESTRICHT, Chez J. E. Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires aflöciés. M. D Cd LX XXL   PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV CHAPITRE XXV. Suite des aventures du Prince CharlesEdouard. Sa défaite, fes malheurs, & ceux de fon parti. Depuis le jour que le Prince Edouard aborda en Ecoflè, fes partifans follicicaient des fecours de France; les follicitations redoublaient avec les progrès. Quelques Irlandais qui fervaienc dans les troupes Francaifes, s'imaginerentqu'une defcente en Angleterre, versPlimouth, ferait praticable. Le trajet efl: court de Calais ou de Boulogne vers les cötes. Ils ne voulaient point une flocII. Partie. A Ch.xxv.  Cu. XXV. Le Colonel Lally. x Progrès re de vaifleaux de guerre, dont Péquipement EÜcconfumé trop de cemps, & donc 1'appa•eil feul eüt averti les efcadres Anglaifes de s'oppofer au débarquement. Ils prétendaient qu'on pourrait débarquer huit ou dix mille hommes & du canon, pendant la nuit; qu'il ne fallaic que des vaifleaux marchands & quelques corfaires pour une centative; & ils afluraient que dès qu'on ferait débarqué, une partie de 1'Angleterre fe joindrait a l'armée de France, qui bientöt pourrait fe réunir auprès de Londres, avec les troupes du Prince. Ils faifaienc envifager, enfin, une révolucion prompte & entiere. Ils demanderent pour chef de cette entreprife Ie Duc de Richelieu, qui, par le fervice rendu dans la journée de Fontenoy, & par la réputation qu'il avait en Europe, était plus capable qu'un autre de conduire avec vivacité cette affaire hardie & délicate. Ils prefièrenc tant qu'on leur accorda enfin ce qu'ils demandaient. Lally, qui depuis fut Lieutenant - Général, & qui a péri d'une mort fi tragique, était Pame de Pentreprife. L'Ecrivain de cette Hiftoire, qui travailla long-temps avec lui, peut aflurer qu'il n'a jamais vu d'homme plus zélé, & qu'il ne manqua a Pentreprife que la poffibilité. On ne pouvait fe mettre en mer vis-a-vis des efcadres Anglaifes, & cette tentative fut regardée a Londres comme abfurde.  du Prince Edouard. \ On ne puc faire paflèr au Prince qu< quelques petits fecours d'hommes & dar gent, par la mer Germanique, &parl'Ef de l'Ecoflè. Le Lord Dromond, frere di Duc de Perth, Officier au fervice de Fran ce, arriva heureufement avec quelques piquets & trois compagnies du régimeni Royal Ecoffais. Dès qu'il fut débarqué ï Montrofs, il fit publier qu'il venait par ordre du Roi de France fecourir le Prince de Galles, Régent d'EcofTe , fon allié, & faire la guerre au Roi d'Angieterre, Electeurd'Hanovre. Alors, les troupes Hollandaifes, qui, par leur capitulation, ne pouvaient fervir contre le Roi de France, furent obligées de fe conformer ft cette loi de la guerre, fi long-temps éludée. Onles fitrepafferen Hollande, tandis que la Cour de Londres faifait revenir fix mille Heflbis ft leur place. Ce befoin de troupes étrangeres était un aveu du danger que 1'on courait. Le Précendant faifait répandre dans le Nord & dans 1'Occident de 1'Angleterre, des nouveaux manifefles , par lelquels il invicait la nation ft fe joindre ft lui. II déclarait qu'il traiterait les prifonniers de guerre comme on traiterait les fiens, & il renouvellait expreflement ft fes partifans la défenfe d'attenter ft la perfonne du Roi régnant, & ft celle des Princes de fa Maifon. Ces proclamations, qui paraifTaient fi Aij ! Ch.XXV. I Les troupes Hollandoifescedent enfin a la loi de la guerre qui les obligeaita ne pas fervir.  Ch.XXV. Nouvelle viftoire du Prince Edouard a Falkirk. iS Janv. Ï746. 4 ' Vrogrès généreufes dans un Prince dont on avait mis la tête a prix, eurent une deftinée que les maximes d'Etat peuvent feules juftifier. Elles furent brülées par la main du bourreau, II était plus important & plus néceffaire de s'oppofer a fes progrès, que de faire brüler fes manifeftes. Les milices Anglaifes reprirent Edimbourg. Ces milices répandues dans le Comté de Lancaftre, lui coupent les vivres; il faut qu'il retourne fur fes pas. Son armée était tantöt fone, tantöt faible, paree qu'il n'avait pas de quoi la retenir continuellement fous le drapeau par un payement exaét. Cependant, il lui reftait encore environ huit mille hommes. A peine le Prince fut-il informé que les ennemis étaient a fix milles de lui, prés des marais de Falkirk, qu'il courut les attaquer, quoiqu'ils fulTent prés d'une fois plus forts que lui. On fe battit de la même maniere & avec la même impétuofité qu'au combat de Prefton-pans. SesEcolTais, fecondés encore d'un violent orage qui donnait au vifage des Anglais, les mirent d'abord en défordre ; mais bientöt après ils furent rompus eux-mêmes par leur propre impétuofité. Six piquets de troupes Francaifes les couvrirent, foutinrent le combat, & leur donnerent le temps de fe rallier. Le Prince Edouard difaic toujours, que s'il avait eu  du Prince Edouard. - 5 feulement trois mille hommes de troupes réglées, il fe ferait rendu maitre de toute 1'Angleterre. Les dragons Anglais commencerent la fuite, & toute l'armée Anglaife fuivit fans que les Généraux & les Officiers puifent arrêter les foldats. Us regagnerent leur camp a 1'entrée de la nuit. Ce camp était retranché & prefque entouré de marais. Le Prince, demeuré maitre du champ de bataille, prit a 1'inftant le parti d'aller les attaquer dans leur camp, malgré 1'orage qui redoublait avec violence. Les montagnards perdirent quelque temps a chercher dans 1'obfcurité leurs fufils, qu'ils avaient jettés dans 1'action, fuivant leur coutume. Le Prince fe met donc en marche avec eux pour livrer un fecond combat; il pénetre jufqu'au camp ennemi 1'épée a la main : la terreur s'y répandit, & les troupes Anglaifes, deux fois battuesen un jour, quoiqu'avec peu de perte, s'enfuirent a Edimbourg. Ils n'eurent pas fix cents hommes de tués dans cette journée, mais ils laifierent leurs tentes & leurs équipages au pouvoir du vainqueur. Ces viéloires faifaient beaucoup pour la gloire du Prince, mais peu encore pour fes intéréts. Le Duc de Cumberland marchait en Ecoffe; il arriva a Edimbourg le 10 Février. Le Prince EdouardTut obligé de lever le fiege du chateau de Sterling. A iij Ch.XXV. tl livre un recond :ombat le néme iour. 28 Janv. [746.  Ch. XX\ 13 Avri! J746. 6 Progrès du Trines Edouard. L'hyver était rude, les fubfiftances manquaienc. Sa plus grande reflburce était dan» quelques partis qui erraient tantöc vers Invernefs, & tantót vers Aberden, pour recueillir le peu de troupes & dargent qu'on hafardait de lui faire pafier de France. La plupart de ces vaifleaux étaient obfervés, & pris par les Anglais. Trois compagnies du régiment de Fitz-Jamesaborderent heureufement. Lorfque quelque petit vaiflèau abordait, il était recu avec des acciamations de joie; les femmes couraient au-devant; elles menaient par la bride les chevaux des Officiers. On faifait valoir les moindres fecours, comme des renforts confidérables; mais l'armée du Prince Edouard n'en était pas moins preffee par le Duc de Cumberland. Elle était retirée dans Invernefs, & toutle pays n'était pas pour lui. Le Duc de Cumberland paffe enfin la riviere de Spée, & marche vers Invernefs; il falluc en venir ft une bataille décifive. Le Prince avait, ft-peu-près, le même nombre de troupes qu'a la journée de Falkirk. Le Duc de Cumberland avait quinze bataillons, & neuf efcadrons avec un corps de montagnards. L'avantage du nombre était toujours néceflairement du cóté des Anglais: ils avaient de la cavalerie, & une artillerie bien fervie; ce qui leur donnait eucore une très-grande fupériorité. Enfin,  Echec du Prince Edouard. 7 ils étaient accoutumés a la maniere de com- 'c battre des montagnards qui ne les étonnait plus. Ils avaient a réparer aux yeux du Duc de Cumberland la honte de leurs défaites palTées. Les deux armées furent en préfence le 27 Avril 1746, a deux heures après- \ midi, dans un lieu nommé Culloden. Les c montagnards ne firent point leur attaque ] ordinaire qui était fi redoutable. La batail- 1 le fut entiérement perdue; & le Prince lé- \ gérement bleffé, fut entrainé dans la fuite la , plus précipitée. Les lieux, les temps font 1'importance de 1'action. On a vu dans cette guerre, en Allemagne, en Italië, & en Flandres, des hatailles de prés de cent mille hommes qui n'ont pas eu de grandes fuites. Mais a Culloden, une aétion entre onze mille hommes d'un cöté, & fept a huit mille de 1'autre, décida du fort de trois Royaumes. II n'y eut pas, dansce combat, neuf cents hommes de tués parmi les rebelles ; car c'elt ainfi que leur malheur les a - fait nommer en Ecofie même. On ne leur fit que trois cents vingt prifonniers. Tout s'enfuit du cöté d'Invernefs, & y fut pourfuivi par les vainqueurs. Le Prince, accompagné d'une centaine d'Officiers, fut obligé de fe jetter dans une riviere a trois mille d'Invernefs, & de la pafier a la nage. Quand il eut gagné 1'autre bord, il vit de loin les flammes au milieu defquelles pétifiaient cinq A iv h.XXV. Bataille écifive e Culloen, & iftoire omplete luDuc rle ^umberand , 27 Vvr. 1746.  Ch.XX\ Des fem mes com battoienc pour Ie Prince E> itouard. 8 Echec du Prince Edouard. , ou fix cents montagnards dans une grange a laquelle le vainqueur avait mis le tèu, & il entendit leurs cris. II y avait plufieurs femmes dans fon ar'mée : une entr'autres, nommée Madame de Séford, qui avait combattu a la tête des troupes de montagnards, qu'elle avait amenées; elle échappa a la pourfuite; quatre autres furent prifes. Tous les Officiers Francais furent faits prifonniers de guerre; & celui qui faifait la fonction de Miniftre de France auprès du Prince Edouard, fe rendit prifonnier dans Invernefs. Les Anglais n'eurent que cinquante hommes de tués, & deux cents cinquante-neuf de blefles dans cette affaire décifive. Le Duc de Cumberland fit diftribuer cinq mille livres fterling ( environ cent vingt mille livres de France) aux foldats: c'était un argent qu'il avait recu du Maire de Londres; il avait été fourni par quelques citoyens qui ne 1'avaient donné qu'a cette condition. Cette fingularité prouvait encore que le parti le plus riche devait être victorieux. On ne donna pas un moment de refêche aux vaincus, on les pourfuivit partour. Les fimples foldats fe retiraient aifément dans leurs montagnes & dans leurs dérerts. Les Officiers fe fauvaient avec plus ie peine; les uns étaient trahis & livrés; les autres fe rendaient eux-mêmes dans 1'ef-  Etat ajfreux du Prince Edouard. o pérance du pardon. Le Prince Edouard, c Sullivan, Sheridan, & quelques-uns de fes adherents, fe retirerent d'abord dans les ruines du fort Augufte, dont il fallut bientöt fortir. A mefure qu'il s'éloignait, il voyait diminuer le nombre de fes amis. La divifion fe mettait parmi eux, & ils fe reprochaient 1'un ft 1'autre leurs malheurs; ils s'aigriflaient dans leurs conteftations fur les partis qu'il fallaic prendre : plufieurs fe retirerent : il ne lui relta que Sheridan & Sullivan, qui 1'avaient fuivi quand il partit de France. II marcha avec eux cinq jours & cinq nuits, fans prefque prendre un moment de » repos, & manquant fouvent de nourriture. r Ses ennemis le fuivaient ft Ia pifte. Tous < les environs étaient remplis de foldats qui \ lecherchaient; & le prix mis ft fa tête, redoublaic leur diligence. Les horreurs du fort qu'il éprouvait, étaient en tout femblables ft celles ou fut réduit fon grand-oncle Charles fecond, après la bataille de Worcefter, auffi funefle que celle de Culloden. II n'y a pas d'exemple fur Ia terre d'une fuite de calamités aufli fingulieres & auffi horribles que celles qui avaient affligé toute fa maifon. II était né dans 1'exil, & il n'en était forti que pour trainer après des viétoires, fes parcifans fur 1'échafaud, & pour errer dans des montagnes. Son pere, A 7 h.XXV. Extrêmi:s affreu:s oü le rince IharlesdouardIt réduir.  Cm. XX1 10 Etat ajfreux du Prince Edouard. 7, chalTé au berceau du palais des Rois & de fa patrie, dont il avait été reconnu 1'héritier légitime, avait fait comme lui des tentatives qui n'avaient abouti qu'au fupplice de fes partifans. Tout ce long amas d'inforcunes uniques fe préfentait fans ceffè au cceur du Prince, & il ne perdaic pas 1'efpérance. 11 marchaic a pied, fans appareil a fa bleffure, fans aucun fecours, i travers fes ennemis; il arriva enfin dans un petit port nommé Arizaig, a 1'occidenc feptentrional de 1'Ecoflè. La fortune fembla vouloir alors le confoler. Deux armateurs de Nantes faifaient voile vers eet endroit, & lui apportaient de 1'argent, des hommes & des vivres: mais avant qu'ils abordaffènc, les recherches continuelles qu'on faifait de fa perfonne, l'obligerent de partir du feul endroit oü il pouvait alors trouver fa füreté; & a peine iut-il h quelques milles de ce port, qu'il apprit que ces deux vaifleaux avaient abordé, & qu'ils s'en étaient retournés. Cecontre-temps agravait encore fon infortune. II fallaic toujours fuir & fe cacher. Onel, un de les partifans Irlandais au fervice d'Efpagne , qui le joignit dans ces cruelles conjonétures, lui dit, qu'il pouvait trouver une retraite aflurée dans une petite ifle voifine, nommée Stornai, la derniere qui efl: au Nord-Oueftde 1'Ecoflè. Ils s'embarqueren?  Dure extrêmitê du Pr. Edouard. i1 dans un bateau de pêcheur; ils arrivent dans eet afyle; mais ft peine font-ils fur le rivage, qu'ils apprennent qu'un détachemenc de l'armée du Duc de Cumberland ei\ dans 1'ifle. Le Prince & fes amis furent obligés de paffer la nuit dans un marais, pour fe dérober ft une pourfuite 11 opiniacre. Ils hafarderent au point du jour de rentrer dans leur petite barque, & de fe remettre en mer fans provifions, & fans favoir quelle route tenir. A peine eurent-ils vogué deux milles, qu'ils furent entourés de vaifleaux ennemis. II n'y avait plus de falut qu'en échouanc entre des rochers fur le rivage d'une petite ifle déferte & prefque inabordable. Ce qui, en d'autres temps, eüt été regardé comme une des plus cruelles infortunes, fut pour eux leur unique reflburce. Ils cacherent leur barque derrière rrfrocher, & attendirent dans ce défert qué 'les vaifleaux Anglais fuffent éloignés, qu que la mortvintfinir tanc de défaftres. II ne reftait au Prince, ft fes amis, & aux matelots, qu'un peu d'eau-devie pour foutenir leur vie malheureufe. On trouva, par hafard, quelques poiflbns fecs que des pêcheurs, poufles par la tempête, avaient hiiflés fur le rivage. On rama d'ifle en ifle, quand les vaifleaux ennemis ne parurent plus. Le Prince aborde dans cette .même ifle de Wilt, ou il était venu prenA vj Ch.XXV,  Ch. XXV 12 Extrêmltè dre terre lorfqu'il arriva de France. II y trouve un peu de fecours & de repos; mais cette légere confolation ne dura guere. Des milices du Duc de Cumberland arriverent au bout de trois jours dans ce nouvel afyle. La mort ou la captivité paraiflait inévitable. Le Prince, avec fes deux compagnons, fe cacha trois jours & trois nuits dans une caverne. II fut encore trop heureux de fe rembarquer & de fuir dans une autre ifle déferte, oü il refta huit jours avec quelques provifions d'eau-de-vie, de pain d'orge, & de poifibn falé. On ne pouvait forcir de ce défert, & regagner 1'Ecoilè, qu'en rifquant de tomber entre les mains des Anglais qui bordaient le rivage; mais il fallaic ou périr par la faim, ou prendre ce parti. Ils fe remettenc dongen mer, & ils abordent pendant la nuit. fjs erraient fur le rivage, n'ayant pour habits que des lambeaux déchirés de vêtements a 'Pufage des montagnards. Ils rencontrerent au point du jour une Demoifelle a cheval, fuivie d'un jeune domeftique. Ils hafarderent de lui parler: cette Demoifelle était de la maifon de Macdonal, attachée aux Stuards. Le Prince qui 1'avait vue dans le temps de fes fuccès, la reconnut, & s'en fit reconnaitre. Elle fe jetta a fes pieds. Le Prince, les amis, & elle fondaiènt en larmes; & les pleurs que Ma-  du Prince Edouard. ' 13 demoifelle de Macdonal verlak dans cette entrevue fi finguliere & fi touchante, redoublaient par le danger oü elle voyait Ie Prince. On ne pouvait faire un pas fans rifquer d'être pris. Elle confeilla au Prince de fe cacher dans une caverne qu'elle lui indiqua au pied d'une montagne, prés de la cabane d'un montagnard, connu d'elle & affidé, & elle promit de venir le prendre dans cette retraite, ou de lui envoyer quelque perfonne füre, qui fe chargerait de le conduire. Le Prince s'enfonca donc encore dans une caverne avec fes fideles compagnons. Le payfan montagnard leur fournit un peu de farine d'orge détrempée dans de 1'eau ; mais leur inquiétude & leur défolation furent au comble, lorfqu'ayant paffe deux jours dansce lieuaffreux, perfonne ne vint a leur fecours. Tous les environs étaient garnis de milices. II ne reftait plus de vivres a ces fugitifs. Une maladie cruelle affaibliffak le Prince : fon corps était couvert de boutons ulcérés. Cet état, & ce qu'il avait fouffert, & tout ce qu'il avait a craindre, mettai: Ie comble a cet excès des plus horribles miferes que la nature humaine puiffè éprouver; mais il n'était pas au bout. Mademoifelle de Macdonal envoye enfin un exprès dans la caverne; & cet expres leur apprend que la retraite dans le conci- Ch, xx\"<  Ch.XXV 14 Extrêmitè nent eft impoflible; qu'il faut fuir encore ' dans une petite ifle nommée Benbécula, & s'y réfugier dans Ia maifon d'un pauvre Gentilhomme qu'on leur indique; queMademoifelle de Macdonal s'y trouvera, & que la on verra les arrangements qu'on pourra prendre pour leur füreté. La même barque qui les avait portés au continent, les tranfporte donc dans cette ifle. Ils marchent vers la maifon de ce Gentilhomme. Mademoifelle de Macdonal s'embarque a quelques milles de-la pour les aller trouver. Mais ils font a peine arrivés dans 1'ifle, qu'ils apprennent que le Gentilhomme chez lequel ils comptaient trouver un afyle, avait été enlevéla nuit avec toute fa familie. Le Prince & fes amis fe cachent encore dans des marais. Onel enfin va a la découverte. II rencontra Mademoifelle Macdonal, dans une chaumiere. Elle lui dit qu'elle pouvait fauver le Prince en lui donnant des habits defervante qu'elle avait apportésavec elle, mais qu'elle ne pouvait fauver que lui, qu'une feule perfonne de plus ferait fufpecte. Ces deux hommes n'héfiterent pas k préférer fon falut au leur. Ils fe féparerent en pleurant. Charles-Edouard prit des habits de fervante, & fuivit. fous Ie nom de Betii, Mademoifelle Macdonal. Les dangers ne ceffèrent pas malgré cedéguifement. Cette Demoifelle & le Prince déguifé, fe  du Prince Edouard. i? réfugierent d'abord dans 1'ifle de Skie, a 1'Occidenc de 1'Ecoflè. Ils étaient dans la maifon d'un Gentilhomme, lorfque cette maifon eft tout-acoup inveftie par les milices ennemies. Le Prince ouvre lui-même la porte aux foldats. II eut le bonheur de n'être pas reconnu ; mais bientót après on fut dans 1'ifle qu'il était dans ce chilteau. Alors il fallut fe féparer de Mademoifelle Macdonal, & s'abandonner feul a fa deftinée. II marcha dix lieues entieres, fuivi d'un limple batelier. Enfin, preffé de la faim, & prêt \ fuccomber, il fe hafarda d'entrer dans une maifon, dont il favait bien que le maitre n'était pas de fon parti. Le fils de votre Roi, lui ditil, vient vous demander du pain & un habit.^ jfe fais que vous ét es mon ennemi; mais je vous crois affez de vertu pour ne pas abufer de ma confance & de mon malheur. Prenez les miférables vêtements quimecouvrent, gardez-les; vous pourrez me les apporter un jour dans le palais des Rois de la Grande-Bretagne. Le Gentilhomme auquel il s'adreflait, fut touché, comme il devait 1'être. II s'emprefla de le fecourir autant que la pauvreté de ce pays peut le permettre , & lui garda le fecret. De cette ifle il regagna encore 1'Ecoflè, &fe rendit dans;la tribu de Morar, qui lui Ch.XXV  ió Extrêmité du Prince Edouard. Ch.XX\ Le Ro «Ie Franci fait en vain intercéderen faveur du Prince Edouard & de fes partifans. .était affecn'onnée. II erra enfuite dans le Lockaber, dansle Badenoc. Ce fut-la qu'il apprit qu'on avait arrêré Mademoifelle Macdonal fa bienfaiétrice, & prefque tous ceux qui favaient regu. II vit la lifte de tous fes partifans condamnés par contumace. C'eft ce qu'on appeüe, en Angleterre, un acle tfatteinder. II était toujours en danger luimême; & les feules nouvelles qui lui venaient, étaient celles de la prifon de fes ferviteurs, dont on préparait la mort. Le bruit fe répandit alors en France, que ! ce Prince était au pouvoir de fes ennemis. Ses agents deVerfailles effrayés, fupplierent Ie Roi de permettre qu'au moins on fit écrire en fa faveur. II y avait, en France , plufieurs prifonniers de guerre Anglais; & les partifans du Prétendant s'imaginerent que cette conlidération pourrait retenirla vengeance de la Cour d'Angieterre, & prévenir 1'effufion du fang qu'on s'attendait a voir verfer fur les échafauds. Le Marquis ÜArgenfon,&\ors Miniftre des affaires étrangeres, & frere du Secretaire de Ia guerre, s'adreffa a rAmbafladeur des ProvincesUnies, M. Fanhoy, comme a un médiateur. Ces deux Miniftres fe reffèmblaien'ten un point qui les rendait différents de prefque tous les hommes d'Etat; c'eft qu'ils mettaient toujours de la frnnchife & de 1'humanité, oü les autres n'employent guere que la politique.  Intercefjions. 17 L'Ambafladeur Vanhoy écrivit donc une longue lettre au Duc de Neucafile, Secretaire d'Etat d'Angieterre. PuiJJiez - vous, lui dif'ait-il, bannir cet art pernicieux que la difcorde a enfantè pour exciter les hommes a fe détruire mutuellement. Mlfdrables politiques qui fubfiituent la vengeance , la haine , la méfance , l'avidité, aux préceptes divins de la gloire des Rois, & du falut des peuples. Cette exhortation femblait être, pour Ia fubflance & pour les expreffions, d'un autre temps que le nöcre: on la qualifia tfhomélie: elle choqua le Roi d'Angieterre aulieu de 1'adoucir. II fic porter fes plaintes aux Etats-Généraux, de ce que leur Ambaffadeur avait ofé lui envoyer des remontrances d'un Roi ennemi, fur la conduite qu'il avait a tenir envers des fujets rebelles. Le Duc de Neucafile écrivit que c'était un procédé inoui. Les Etats-Généraux réprinianderent vivement leur Ambaffadeur, & lui ordonnerent de faire excufe au Duc de Neucafile , & de réparer fa faute. L'Ambafladeur, convaincu qu'il n'en avait point fait, obéit, & écrivit que s'il avait manqué, c'était un malheur inféparable de la condition humaine. II pouvait avoir manqué aux loix de Ja politique, mais non a celles de 1'humanité. Le Miniftere Anglais & les Etats-Généraux devaient favoir combien le Ch.XXV. Lettre finguliere de 1'Ambaffadeur Vanhoy.  Ch.XXV. Supplices fanglams. 13 Supplices. Roi de France était en droit d'intercéder pour les Ecoflais : ils devaient favoir que quand Louis XIII eut pris la Rochelle, fecourue en vain par les armées navales du Roi d'Angieterre Jacquespremier,ceRoi renvoya le Chevalier Montaigu au Roi de France, pour le prier de faire grace aux Rochelois rebelles, & LouisXIIIqüi égard a cette priere. Le Miniftere Anglais n'euc pas la même clémence. II commenea par tacher de rendre Ie Prince Charles-Edouard méprifable aux yeux du peuple, paree qu'il avait été terrible. On fit porter publiquement dans Edimbourg les drapeaux pris a la journée de Culloden ; le bourreau portait celui du Prince; les autres étaient entre les mains des ramonneurs de cheminée, & le bourreau les brüla tous dans la place publique. Cette farce était le prélude des tragédies fanglantes qui fqjvirent. On commenea le 10 Augufte 1746,par exécuter dix-fept Officiers. Le plus confidérable était le Colonel du régiment de Manchefter, nommé Tounley; il fut trainé, avec huit Officiers, fur la claie au lieu du fupplice, dans la plaine de Kennengton, prés de Londres; & après qu'on les eut pendus, on leur arracha le cceur, donton leur battit les joues, & on mit leurs membres en quartiers. Ce fupplice eft un refle  Supplices. 19 d'une ancienne barbarie. On arrachait le cceur autrefois aux criminels condamnés, quand ils refpiraient encore. On ne faitaujourd'hui cette exécution fanglante, que quand ils font étranglés. Leur mort eft moins cruelle, & 1'appareil fanguinaire qu'on y ajoute fert a effrayer la multicude. II n'y eut aucun d'eux qui ne proteftat, avant de mourir, qu'il périflaic pour une jufte caufe, & qui n'excit&t le peuple a combattre pour elle. Deux jours après, trois Pairs Ecofïais furent condamnés a perdre la tête. On fait qu'en Angleterre, les loix ne confiderent comme nobles, que les Lords, c'efta-dire, les Pairs. Ils font jugés pour crime de haute trahifon, d'une autre maniereque le refte de la nation. On choifit, pour préfider a leur jugement, un Pair ft qui on donne le titre de Grand-Stuard du Royaume. Ce nom répond, a-peu-près, ft celui de Grand Sênéchal. Les Pairs de la GrandeBretagne recoivent alors fes ordres. II les convoque dans la grande falie de Weftminfter, par des lettres fcellées de fon fceau, & écrites en latin. II faut qu'il ait au moins douze Pairs avec lui pour prononcer 1'arrêt. Les féances fe tiennent avec le plus grand appareil; il s'affied fous un dais; le Clerc de la Couronne délivre fa commiffion kun Roid'armes, qui la lui préfencehge- CK.XXV.  Ch.XXV. 11 Aoiit 1746. i ( I l I 1 29 Aoüt. J 20 Supplices. noux: fix mafliers l'accompagnent toujours, & font aux portieres de fon carrofie, quand il fe rend a Ia falie, & quand ilen fort; & ila cent guinées par jour pendant 1'inftruc- , don du procés. Quand les Pairs accufés font amenés devant lui, & devant les Pairs leurs juges, un Sergent d'armes crie trois fois, oyez, en ancienne langue Francaife. Un Huiflier porte devant 1'accufé une hache, dont le tranchant eft courné vers Ie Grand-Stuard; & quand 1'arrêt de mort eft prononcé, on tourne alors la hache vers le coupable. Ce fut avec ces cérémonies lugubres qu'on amena de la tour de Weltminfter les trois Lords Balmerino, Kilmarnock, Cromaty. Le Chancelier faifait les fonctions de Stuard : ils furent tous trois convaincus d'avoir porté les armes pour le Prétendant, ■ Sc condamnés a être pendus & écartelés felon la loi. Le Grand-Stuard, qui leur jrononca 1'arrêt, leur annonc-a, en même:emps, que le Roi, en vertu de la préroga:ive de fa eouronne, changeait ce fupplice ! ;n celui de perdre la tête. L'époufe du Lord I Zromaty, qui avait huit enfants, & qui éraic mceinte du neuvieme, alla avec fa familie è jetter aux pieds du Roi, & obtintlagrace le fon mari. Les deux autres furent exécutés. Kilmarwek, monté fur 1'échafaud, fembla témoi-  Supplices. 11 gner du repentir. Balmerino y porta une intrépidiié inébranlable. II voulut mourir dans le même habic uniforme fous lequel il avaic combattu. Le Gouverneur de la tour ayant crié, felon 1'ufage, vive le Roi George, Balmerino répondit hautement, vive le Roi Jacques & fon digne fits. II brava la mort, comme il avait bravé fes juges. On voyait prefque tous les jours des exécutions, on rempIiOait les prifons d'accufés. Un Secretaire du Prince Edouard, nommé Murray, racheta fa vieen découvranc au Gouvernement des fecrets, qui firent connaitre au Roi le danger qu'il avait couru. II fit voir qu'il y avait, en effet, dans Londres & dans les Provinces, un parti caché, & que ce parti avait fourni d'affez grandes fommes d'argent. Mais foit que ces aveux ne fuflent pas afièz circonftanciés, foit plutöt que le Gouvernement craignïc d'irriter la nation par des recherches odieufes, on fe contenta de pourfuivre ceux qui avaient une part évidente a la rébellion. Dix furent exécutés a Yorck, dix a Carlifle, quarante-fept a Londres : au mois de Novembre, on fit tirer au fort des foldats & des bas-Officiers, dont Ie vingtieme fubit la mort, & le rede fut tranfporté dans les colonies. On fit mourir encore au même mois foixante-dix perfonnes a Pennen, a Ch. xxv.  Ch.XXV I sa Supplices. . Brumpton & \ Yorck, dix 9 Carlifle, neuf a Londres. Un Prêtre Anglican, qui avaic eu 1'imprudence de demander au Prince Edouard 1'E vêché de Carlifle, tandis que ce Prince était en poflèflion de cette ville, y fut menêa lapotence en habits pontificaux; il harangua fortement le peuple en faveur de la familie du Roi Jacques, & il pria Dieu pour tous ceux qui périflaient comme lui dans cette querelle. Celui dont Ie fort parut le plus a plaindre, fut le Lord Derenwater. Son frere ainé avait eu la tête tranchée a Londres en 1715, pour avoir combattu dans la même caufe; ce fut lui qui voulut que fon fils, encore enfant, montat fur lechafaud, & qui lui dit: Soyez couvert de mon fang, & apprenez a mourir pour vos Rois. Son frere puiné, qui s'échappa alors, & alla fervir en France, avait été enveloppé dans la condamnation de fon frere ainé. II repafla en Angleterre, dès qu'il fut qu'il pouvait être utile au Prince Edouard; maislevaiflèau fur lequel il s'était embarqué avec fon fils, & plufieurs Officiers, desarmes & de 1'argent, fut pris par les Anglais. II fubit la même mort que bn frere, avec la même fermeté, en di» rant que le Roi de France auroit foin de bn fils. Ce jeune Gentilhomme, qui n'é:ait point né fujet du Roi d'Angieterre, fut •elaché, & revint en France, oü le Roi  Supplices. &3 exécuta, en effec, ce que fon pere s'étaic promis, en lui donnant une penfion ft lui & a fa fceur. Le dernier Pair qui mourut par la main du bourreau, fut le Lord Lovat, kgé de quatre-vingts ans; c'était lui qui avaicété le premier moceur de l'encreprife. II en avait jecté les fondements dès 1'année 1740; les principaux mécontents s'étaient affèmblés lecretement chez lui; il devaic faire foulever des clans en 1743, lorfque le Prince Charles-Edouard s'embarqua. II employa, autant qu'il le put, les fubcerfuges des loix ft défendre un refte de vie qu'il perdit enfin fur 1'échafaud; mais il mourut avec autant de grandeur d'arne, qu'il avait mis dans fa conduite de finefie & dart; il prononcacout haut ce vers 8Hor ace avant de recevoir le coup: Duke & decorum efi pro patria mort, Ce qu'il y eut de plus étrange, & ce qu'on ne peut guere voir qu'en Angleterre, c'eft qu'un jeune étudiant d'Oxford , nommé Painter, dévoué au parti Jacobite, étenivré de ce fanatifme qui prpduit tant de chofes excraordinaires dans les imaginations ardentes, demanda ft mourir ft la place du vieillard condamné. II fit les plus preflantes inftances, qu'on n'eut garde d'écoucer. Ce jeune homme ne connaiflait point Lovat; Ch.XXV.  Ch.XXV 1 I 24 Demiere rejjóurce mais il favait qu'il avait été le chef de la confpiration, & le regardait comme un homme refpedtable & néceflaire. Le Gouvernement joignit aux vengeances du paffé, des précautions pourl'avenir; il établit un corps de milices toujours fubMant vers les frontieres d'Ecoffe. On dépouilla tous les Seigneurs Ecoflais de leurs droits de jurifdiction , qui leur attachait leurs tribus: & les chefs qui étaient demeurés fideles, furent indemnifés par des penfions & par d'autres avantages. Dans les inquiétudes oü 1'on était en France fur la deftinée du Prince Edouard, ön avait fait partir, dès le mois de Juin, deux petites frégates, qui aborderent heureufèment fur la cöte occidentale d'Ecoflè, 3Ü ce Prince était defcendu, quand ilcomnenca cette entreprife malheureufc. On le :hercha inutilement dans ce pays & dans )!ufieurs ifles voifines de la cöte du Lockajer. Enfin, le 29 Septembre , Ie Prince ariva par des chemins détournés, & au tra'ers de mille périls nouveaux, au lieu oü 1 était attendu. Ce qui eft étrange, & ce }ui prouve bien que tous les cceurs étaient , lui, c'eft que les Anglais ne furent averis ni du débarquement, ni du féjour, ni lu départ de ces deux vaifleaux. Ils ramelerent le Prince jufqu'a la vue de Breft : nais ils trouverent, vis-a-vis le port, une efcadre  du Prince Edouard. 25 efcadre Anglaife. On retourna alors en haute mer, & on revinc enfuite vers les cötesde Bretagne, du cöté de Morlaix. Une autre flotte Anglaife s'y trouve encore; on hafarda de paflèr a travers les vaifleaux ennemis; & enfin le Prince, après tant de malheurs & de dangers, arriva Ie 10 Oclobre 1746 au port de S. Paul-de-Léon, avec quelques - uns de fes partifans , échappés comme lui a la recherche des vainqueurs. Voila ouaboutit üneaventure, quieütréuflï dans Ie temps de la Chevalerie, mais qui ne pouvait avoir de fuccès dans un temps oü. la difdpline millitaire, 1'artillerie, & furtout 1'argent, décident de tout a la longue. Pendant que le Prince Edouard avait erré dans les montagnes & dans les ifles d'Ecoffè, & que les échafauds étaient dreffés de tous cötés pour fes partifans, fon vainqueur, Ie Duc de Cumberland, avait été recu a Londres en triomphe; le Parlement lui afllgna vingt-cinq mille pieces de rente, c'eft -adire, environ cinq cents cinquante mille livres , monnoie de France, outre ce qu'il avait déja. La nation Anglaife' faitelle-même ce que font ailleurs les Souverains. Le Prince Edouard ne fut pas alors au terme de fes calamités: car étant réfugié en France, & fe voyant obligé, a la fin, d'en forcir pour fatisfaire les Anglais, qui 1'exigerentdans le traité de paix, fon courage, II. Partie. B Ch. XXV.  Ch.XXV. * Toutes ces particularites furent ecrites en 1748, {pup Ja, di£lée d'un homme qui avait .accpmpagné long-temps le Prince Edouard dans fes profpérités & dans fes irifóitunes. L'hiftóire de ce Prince etitrait dansles mémoires de 1^ guerre de 1741. Elle a échapfté entiérement aux recherches de ceux qui ont volé, défiguré &ve?ciu une partie du manuierit."' -i i'iW-' ■• =>■ WO w i t Wr 16 Edouard fort de France. aigri par tant de fecoufTes, ne voulut pss plier fous la néceflité. II réfifla aux remontrances; aux' prieres, aux ordres, préten' dant qu'on devait lui tenir la paróle de tie le pas abandonner. On fe Crut obligé de fe faifir de fa perfonne. Ilfutarrêté, garotté, mis en prifon , conduithors de France; ce fur-ïa le dernier coup dont la deftinée accahh une génération de Rois pendant tróis cents années. Charles-Edouard, depuis ce temps, fe cacha au refte dela terre. Que les hommes privés qui fe plaignent de leurs petites in* fortunesyjettent les yeux fur ce Prince & fur fes ancêtres *? :  Intrigues. C H A P I T R É XXVI. Le Roi de France ridyant 'pu parvenfr j la paix' - qu'il propofe, gagne la bataille de Laufelt. On prend ff afaut Berg-op-Zoom. Les Ru fes marchent enfin au fecours des Alliés. T órsque cette fatale fcene tendait a fa " j-i cata(trophe en Angleterte, Louis XV achevait fes eonquêtes. Malheureux alors par-tout ou il n'était pas, viéïorieux par-tout ou il était avec le Maréchal, il propofaic toujours une paelfication néceflairea tous les parus, quin'avaient plus de prétexte pour fe détruire. L'intérét du nouveau Stadhou* der ne paraifir.it pas de continuer la guerre dans les cominencements d'une autorité quil fallaic affermir, Sr qui n'était encore ioutenue d'aucun fubfide réglé. Mais 1'ammofité contre la Cour de France allaic fi loin, les anciennes défiances étaient fi invetérées, qu'un Députê des Et'ats, en préjentant le Stadhouder aux Etats-Généraux le jour de 1'inlrallationavait dit dans fon difcours, que la République avait beSorn -d un chef contre un voifin ambitreux & perfide , qui fe jouait de la M deS traités. Paroles étranges, pendant qu'on B ij Ch ap. XXVÏ.  S8 Bataille Chat. XXVI. traitait encore, & donc Louis XVne fe vengea qu'en n'abufanc pas de fes victoires; .ce qui doic paraure encore plus furprenanc. Cecte aigreur violente était entretenue dans tous les efprits par la Cour de Vienne, toujours indignée qu'on eut voulu dépouiller Marie-Thérefe de 1'héritage de fes peres, malgré la foi des traités : on s'.en repentait; mais les Alliés n'étaient pas fatiffaits d'un repentir. La Cour de Londres, pendant les conférences de Breda, remuait 1'Europe, pour faire de nouveaux ennemis k Louis XV. Enfin, le miniftere dé Georges fecond fit paraitre, dans le fond du Nord, un fecours formidable. L'Impératrice des Ruflês, Elifabeth Pétrouna, fille du Czar Pierre, fit, marcher cinquante mille hommes en Livonie, &promit d'équiper cinquante galeres. Cet armement devait fe porter par-tout oü voudrait le Roi d'Angieterre, moyennant cent mille livres fterling feulement. II en coütait quatre fois autant pour les dix-huit mille Hanovriens qui fervaient dans l'armée Anglaife.Ce traité, entamé long-temps auparavant, ne put être conclu que le mois de Juin 1747. " II n'ya point d'exemple d'un fi grand fecours, venü de fi loin; & rien ne prouTaic mieux que le Czar Pierre-le-Grand,  de Ldufelt. >± en changeant-tout dans fes valies Etats avait préparé de grands changements dan 1'Europe. Mais pendant qu'on foulevai ainfi les extrêmités de la terre, le Roi d< France avancait fes conquêtes : la Flandn Hollandaife fut prife auffi rapidement qu< les autres places 1'avaient été; le grandob jet du Maréchal de Saxe était toujours dt prendre Maeftricht. Cen'efl pas une dece: places qu'on puilTe prendre aifément aprè: des viétoires , comme prefque toutes le; villes d'Icalie. Après la prife de Maeftricht. on allait a Nimegue; & il était probable qu alors les Hollandais auraientdemandé la paix avant qu'un Ruffe eütpu paraitre pour les fecourir; mais on ne pouvait affiéger Maeftricht qu'en donnantune grande bataille, & en la gagnant complétement. Le Roi était a la tête de fon armée, & les Alliés étaient campés entre lui & la ville. Le Duc de Cumberland les commandait encore. Le Maréchal Bathiani conduifak les Autrichiens, le Prince de Waldeck les Hollandais. Le Roi voulut Ia bataille; le Maréchal de Saxe la prépara : 1'événement fut lë même qu'a la jourróe de Liege. Les Francais furent vainqueurs, & les Alliés ne furènt pas ruis dans une déroute afTez complete pour' que le grand objet du fïege de Maeftricht püt < être rempli. Ils fe retirerent fous cette vilB iij ) » C H A P. 5 XXVI. : Bataiile ieLaufelt, jagnée iar le Kol le France par le Maréchal e Saxe. 2 Juillet 747-  G H A P. XXVi. 30 Stege le, après avoir été vaincus, & laifièrent a Louis XV, avec la gloire d'une feconde victoire, 1'entiere liberté de toutes fes opérations dans le Brabant Hollandais. Les Anglais-furent encore dans cette bataille ceux qui firent la plus brave réfiftance. Le Ma^ réchal de Saxe chargea lui-même ft la tête de quelques brigades. Les Francais perdirent le Comte de Baviere, frerenaturel de 1'Empereur Charles VII; le Marquis de Fröulai,. Maréchal-de-camp , jeune homme qui donnait les plus grandes efpérances; le Colonel Dillon, nom célebre dans les troupes Irlandaifes; le Brigadier d'Erlack, excellent Officier; le Marquis d'Autichamp, le Comte d'Auheterre, frere de celui qui avait été tué au fiege de Bruxelles. Le nombre des morts fut confidérable; le Marquis de Bonac, fils d'un homme qui s'était acquis une grande réputation dans fesambaffades, y perdit une jambe. Le jeune Marquis de Ségur eut un bras.emporté. II avait été long-temps fur le point de mourir des bleffures qu'il avait recues auparavant; &ft peine était-rl guéri, que ce nouveau coup le mit encore en danger de mort. Le Roi dit au Comte de Ségur fon t»ere : Votre pis mèritait d'être invulnérable. La perte fut, ft-peu-près, égale des deux cötés. Cinq ft fix mille hommes, tués ou bleffés de pare & d'autre, fignalerent cette journée. Le  de Berg-op Zoom. 31 Roi de France la rendit célebre par le difcours qu'il cinc au Général Ligonier, qu'on lui amena prifonnier : Ne yaudrait-il pas mieux, lui djt-il, fonger férieufement a la paix , que de faire.périr tant de brayes gens ? : ~. Cec Officier Général des troupes Anglaifes était né fon fujet. II le fit manger a fa table; & des Ecofiais, Officiers au fervice de France, avaient péri 'par le.dernier fupplice en Angleterre , dans 1'infortune du Prince Charles-Edouard. En vain a chaqueviétoire , a chaque conquêce, Louis XF offraic toujours la paix, il ne fut jamais écouté. Les Alliés comptaient fur le fecours des Rufies, fur des fuccès en Italië, fur le changement de gouvernement en Hollande, qui devait. enfanter,.des armées ; fur les cercles de ÜEmpire, fur la fupériorité des flottes Anglaifes, qui menacaient toujours les poflèflions de la France en Amérique & en Afie. II fallaic k Louis XFuxx fruit de la viétoire: on mit le fiege devant Berg-op-Zoom,. place, l réputée imprenable , moins paree que le cér ' lebre Cohorn y avait épuifé fori art, quq paree qu'elle était continuellement rafraichie par 1'Efcaut, qui forme un.bras de mer derrière elle. Outre ces défenfes, oütre une nombreufe garnifon, il y avait des lignes auprès des fortifications; & dans ces lignes,, & iv Chap„ XXVI. Paroles mémorables du Roi de France au Général Ligonier fon prifonnier , 8c né fon fujet. Siege de lerg-op- Loom,  C I'. A V. XXVI. 32 Siege un corps de troupes qui pouvait a tout moment fecourir la ville. De tous les fieges qu'on a jamais faits, celui-ci pêut-être a été le plus difficile. On en chargea le Comte de Lovendal, qui avait déja pris une partie du Brabant Hollandais. Ce Général, né en Danémarck, avait fervi l'Empire de Ruflie. II s'était flgnalé aux affauts d'Oczakow, quand les RufTesforcerent les JanhTnires dans cette ville. II parlait prefque toutes les langues de 1'Europe, connoifiait toutes les Cours, leur génie, celui des peuples, leur maniere de combattre; & il avait enfin donné Ia préférence a Ia France, oü 1'amitié du Maréchal de Saxe le fit recevoir en qualité de Lieutenant-Général. Les Alliés & les Francais, les affiégés & les afliégeants mêmes crurent que 1'entreprife échouerair. Lovendal fut prefque le feul qui compta fur le fuccès. Tout fut mis en ceuvre par les Alliés, garnifon renforcée, fecours de provifions de toute efpece par 1'Efcaut, artillerie bien fervie, fortie des afliégés, attaques faites par un corps confidérable qui protégeait les lignes auprès de la place, mines qu'on fit jouer en plufieurs endroits. Les maladies des afliégeants campés dans un terrein mal-fain, fecondaient encore la réfiftance de la ville. Ces maladies contagieufes mirent plus de vingt mille  de Berg-op-Zoom. ' 33 hommes hors d'état de fervir; mais ils furent aifément remplacés. Enfin, après trois femaines de tranchée ouverte, le Comte de Lovendal fit voir qu'il y avait des occafions oü il faut s'élever au-defius des regies de 1'art. Les breches n'étaient pas encore praticables. II y avait trois ouvrages faiblement endommagés , le ravelin d'Edem & deux baftions, dont 1'un s'appellait la Pucelle, & 1'autre Cohorn. Le Général réfolut de donner 1'aflaüt a la fois a ces trois endroits , & d'emporter la ville. Les Francais en bataille rangée trouvent des égaux, & quelquefois des maitres dans la difcipline militaire ; ils n'en ont point dans ces coups de main & dans ces entreprifes rapides oü Pimpétuofité, 1'agilité, 1'ardeur renverfent en un moment les obftacles. Les troupes commandées en filence, tout étant prêt au milieu de la nuit, les Affiégés fe croyanc en füreté , on defcend dans le fofie, on court aux trois breches; douze Grenadiers feulement fe rendent maïtres du fort d'Edem, tuent ce qui veut fe défendre, font mettre bas les armes au refte épouvanté. Les baftions la Pucelle & Cohorn font aflaillis & emportés avec la même vivacité, les troupes moment en foule, on emporte tout, on pouflê aux remparts, on s'y forme, on entre dans la ville, la baïonnecte au bout du fufil : le Marquis de LuB v ChaPi XXVI. Berg-op- ioom pris 1'affaut. 17 Scpt. 1747-  Chat, 34 Siege de Berg-op^Zoom. géacCe faifit de Ia porte du port; Je Commandant de Ia forterefie de ce port fe rerrd ft lui ft difcrétion; tous les autres.forts fe rendent de même. Le vieux Baron de Cromf trom, qui commandait dans la ville, s'ea* fuit vers les lignes; lePrincede Ileffe-Philipjiadt 'veut faire quelque réfiftance dans les rues avec deux régiments, 1'un Ecoffais, 1'autre SuilTe; ils font taillés en pieces; le reik de la garnifon fuit vers ces lignes qui devaient la protéger; ils y portent J'épout vante, tout fuit; les armes, les provifions, te bagage, tout eft abandonné; la ville eft en pillage au foldat vainqueur.. On s'y faifit au nom du Roi de dix-fept grandes barques chargées dans le port de munitions de toute efpece, & de rafraïchifiements que les villes.de Hollande envoyaient aux affiégés. II y avait fur les coffres, en gros caracleres; a Vinvincible garnifon de Berg-op+Zaom* Le Roi,' en apprenant cette nouvelle, fit le Comte de Lovendal Maréchal de France. La furprife fut grande ft Londres-, laconfternation extréme dans lesProvinces-Unies. L'armée des Alliés fut découragée. n Malgré tant de fuccès, il. était encore très-difficile de faire la conquête de Maefr tricht. On réferva cette entreprife pour 1'année fuivante 1748. La paix eft dans Maeftricht, difait le: Maréchal-de Saxen ■ ra 1 La campagne fut ouverte par les prépare*  Stege de Maeftricht. • jp rifs de ce.liege important. II fallaic faire la même chofë a-peu-près que lorfqu'on ayail aïfiégé Namur, s'ouvrir & s'aflurer tous-lei paffages, forcer une armée entiere a fe retirer, & la mettre dans 1'impuiffance d'agir Ce fat la plus favante manoeuvre de toute eette guerre. On ne pouvait venir a bout de cette entreprife, fans donner le- change aux ennemis. 11 était a la fois néceflaire de les tromper, & de laiffer ignorer fon fecret afes propres troupes.. Les marches devaieni être tellementcombinées; quechaque marche abufat 1'ennemi,. & que toutes réuffiffent a point nommé : c'eft-la ce qui fut imaginé par le Maréchal de Saxe, & arrangé -par M. de Cremiüe. - Onfait d'abord croire aux ennemis qu'on en veut a Breda. Le Maréchal va lui-même ,conduire un grand convoi a Berg-op-Zoom „, a la.tête de vingt-cinq mille hommes, & femble tourner le dos a Maeftricht. Une autre divifion marche en même-tempsaTirlemont fur le chemin de Liege, une autre efl aTongres, une autre menace Luxembourg, & toutes enfin marchent vers Maeftricht a droite &\ gauche de la Meufe. Les Alliés, féparés en plufieurs corps, ne voyent le deflèin du Maréchal que quand i! n'efl plus temps de s'y oppofer. La ville fe trouve inveftie des deux cötés de la riviere ; nul fecours n'y peut plus entrer. 'B vj i Chap. XXVI. Marche admirabje JuMaré:hal de Saxe, :omman:ée vers Ie ( Avril 1748. Maefïricht inveftie Ie 3.  Chat. XXVI. Arrivée d'une atmée de trente«inq mille Runes au fecours arti, ii on avait vu les Anglais fur les cöes, & il ne devaic mettre a la voile que  1)Amiral Anfon, 45 long-temps après leur départ. Le Commodore va donc traverfer 1'Océan pacifique, & tous les climats oppofés a 1'Afrique, entre notre tropique & 1'équateur. L'avarice devenue honorable par la fatigue & le danger, lui fait parcourir le globe, avec deux vaifleaux de guerre. Le fcorbut pourfuic encore 1'équipage fur ces mers, & 1'un des deux vaifleaux faifant eau de tous cötés , on efl obligé de 1'abandonner, & de le brüler au milieu de la mer, de peur que fes débris ne foient portés dans quelques ifles des Efpagnols, & ne leur deviennent utiles. Ce qui reftait de matelots & de foldats fur ce vaiffeau, paffe dans celui $ Anfon, & le Commodore n'a plus de fon efcadre, que fon feul vaiffeau, nommé le Centurion, monté de foixante canons, fuivi de deux efpeces de chaloupes. Le Centurion, échappé feul a tant de dangers, mais délabré lui-même, & ne portant que des malades, refêche pour fon bonheur dans une des ifles Mariant.es, qu'on nomme Tinian, alors prefque entiérement déferte , peuplée naguere de trente mille ames, mais dont la plupart des habitants avaient péri par une maladie épidëmique, & dont le refte avait été tranfporté dans une autre ifle par les Efpagnols. Le féjour de Tinian fauva 1'équipage. Cette ifle plus fertile que celle de Fernaa- Chap. XXVII.  'C T! A P, XXVII, 4-6 & Amiral Anfon. dès, offrait de cous cötés en bois, en eau pure, en animaux domeftiques, en fruits, en légumes, tour. ce qui peut fervir a la nourriture, aux commodités-de Ja vie, & au radoub d'un vaiilèau. Ce qu'on trouva de plus finguüer, eft.un arbre donc le fruit reflèmble,.pour.legout au meiljeur pain, tréforréel, qui tranfplanté, s'il fe pouvait, dans nos climats., ferait bien préférable k ces richeffes de .convention, qu'on va ravk parmi canc de périls au bouc de la terre. De. °ecte ifle qni.rangeaic celle de Formofe : ilcingle vers laGh'inè a Macao, aTentrée de la riviere de Cancon, pour.radouber le feul vaiflèau qui lui refte. " .Macao appattient depuis cent cinquante ans aux Portugais. L'Empereur de la Chine leur permit de batir une ville dans cette petite jfley qui.n'elt qu'un rocher^mais, qijj leur écaicnéceffaire;pour le commerce. Le6 Chinois n'önt jamais violé, depuis ce temps», les privileges accordés aux Portugais. Cette fidélité devait, ce me femble, défarmer PAuteur Anglais, qui a donné au public PHifloire de 1'expédition de, 1'Amiral Anfon. Cet hiflorien, d'aiüeurs judickux,Jnflrudif & hon.citoyen>ne parle des Chinois, que comme d'un-peuple. méprifable, fans foi & fans induflrie. Quant ï. leur induflrie, elle n'efl-en rien de la nature de Ja notre; quant a leurs moeurs, je crois qu'il faut plu-  L'Amiral Anfon. 47 ïót juger d'une puillante nation par ceux qui font a la tête, que par la populace des extrêmités d'une Province. II me paraïtque la.foi des traités gardée par le Gouvernement pendant un fiecle & demi, fait plus d'hontLeur aux Chinois, qu'ils ne recoivenc de honte de 1'avidité & de la fourberie d'un vil peuple d'une cöte de ce vafte Empire. Faut-il infulter la nation la plus ancienne & la plus policée de la terre, paree que quelques malheureux ont voulu dérober a des Anglais, par des larcins & pardes gains illicites, la vingt-millieme partie tout au plus de ce que les Anglais allaient voler par force aux Efpagnols dans la mer de la Chine .? II èCy a pas long-temps que les voyageursiéprouvaient des vexations heaucoup plus grandes dans plus d'un pays de 1'Europe. Qu'auroit dit un Chinois, fi ayant fait naufrage fur les cötefi d'Angieterre, il avait vu les. habitants courir en foule s'eraparer avidement a fes yeux de tous fes effets naufragés? •• Le Commodore ayant mis fon vaiflèau en très-bon état k Macao, par le fecours des Chinois, & ayant reeu fur fon bord quelques matelots Indiens, & quelques.Hollandais, qui lui parurent des hommes de fervice, il remet a la voile , feignant d'aller a Batavia, le difant même a fon équipage, mais n'ayant en effec d'autre objet que de Chap, XXVII.  C H A V. XXVII. 48 Lï Amiral Anfon. retourner vers les Philippines, ft Ia pourfuite de ce galion, qu'il préfumaic être alors dans ces parages. Dès qu'il elt en pleine mer, il fait part de fon projet ft tout fon monde. L'idée d'une fi riche prife les remplit de joie & d'efpérance, & redoubla leur courage. Enfin Ie 9 Juin 1743, on découvre ce vaiilèau tant defiré; il avancait vers Manille, monté de foixante & quatre canons, dont vingt-huit n'étaient que de quatre livres de balie ft cartouche. Cinq cents cinquantehomme de combat compofaient 1'équipage. Le tréfor qu'il portait n'était que d'environ quinze cents mille piaftres en argent, avec de la cochenille, paree que tout Ie tréfor qui eft d'ordinaire le doublé, ayant été partagé, ia moitié avait été portée fur un autre galion. Le Commodore n'avait fur fon vaiffeau le Centurion , que deux cents quarante hommes. Le Capitaine du galion ayant appercu Pennemi, aimamieux hafarderle tréfor, que perdre fa gloire en fuyant devant un Anglais, & fit force de voiles hardimenc pour le venir combattre. La fureur de ravir des richeflès, plus forte que le devoir de les conferver pour fon Roi, 1'expérience des Anglais, & les manoeuvres favantes du Commodore, lui donnerent ia vicloire. II n'eut que deux hommes  V Amiral Anfon. 40 'hommes tués dans le combat; le galion pcrdit foixante & fept hommes tués fur les ponts, & il eut quatre-vingt-quatre bleffés. II lui reftait encore plus de monde qu'au Commodore. Cependant il fe rendit. Le vainqueur retourna a Canton, avec cette riche prife. II y foutint Thonneur de la nation, en refufant de payer a 1'Empereur de la Chine les impöts que doivent tous les navires étrangers. II prétendait qu'un vaiflèau de guerre n'en devait pas : fa conduite en impofa. Le Gouverneur de Canton lui donna une audience, a laquelle il fut conduit a travers deux haies de foldats, au nombre de dix mille; après quoi il retourna dans fa patrie par les ifles de la Sonde, & parleCapdeBonne-Efpérance. Ayant ainfi 1 fait le tour du monde en victorieux , il aborda en Angleterre le 4 Juin 1744, après un voyage de trois ans & demi. II fit porter a Londres en triomphe fur trente-deux chariots, au fon des tambours ! & des trompettes, & des acclamations de la multitude, les richefTes qu'il avait conqui! fes. Ses prifes fe montaient, en argent & ; en or, a dix millions, monnoie de France, qui furent le prix du Commodore, de fes Officiers, des matelots & des foldats, fans que le Roi entrat en partage du fruit de leurs fatigues 6c de leur valeur. Ces richefTes circulant bientöt dans la nation, contribuerenc //. Partie. C Chat. XXVII.  Cha r. XXVII. Prifes immenfes. a lui faire fupporter les fraix immenfes de la guerre. De ilmples corfaires firent des prifes encore plus confidérables. Le Capitaine Talbot prit avec ion feul vaiilèau deux navires Francais, qu'il crut d'abord venir de ia Martinique, & ne porter que des marchandifes communes. Mais ces deux btttiments Malouins avoient été fretés par les Efpagnols, avant que la guerre eüt été déclarée entre la France & 1'Angleterre; ils croyaient revenir en füreté. Un Efpagnol qui avait été Gouverneur du Pérou , était fur 1'un de ces vaifleaux; & tous les deux rapportaient des tréfors en or , en argent, en diamants & en marchandifes précieufes. Cette prife était eftimée vingt-fix millions de livres. L'équipage du corfaire fut fi étonné de ce qu'il voyait, qu'il ne daigna pas prendre les bijoux que chaque paflager Efpagnol portait fur foi. II n'y en avoit prefque aucun qui n'eüt une épée d'or & un diamant au doigt; on leur laiffa tout. Et quand Talbot eut amené fes prifes au port de Kingfale en Irlande, il fit préfent de vingt guinées a chacun des matelots & des domeftiques Efpagnols. Le butin fut partagéentre deux vaifleaux corfaires, dont 1'un qui était compagnon de Talbot, avait pourfuivi en vain un autre vaiilèau nommé S'Efpérance ,1e plus riche des trois. Chaque  Louisbourg ajjiêgi. 5* matelot de ces deux corfaires eut huit cents cinquante guinées pour fa part, les deux Capitaines eurent chacun trois mille cinq cents guinées. Le refte fut partagé entre les aflbciés, après avoir été porté en triomphe de Briltol a Londres fur quarante-trois chariots. La plus grande partie de cet argent fut prêtée au Roi même, qui en fit une rente aux propriétaires. Cette feule prife valait au-dela d'une année du revenu de Ia Flandre enciere. On peut juger fi de telles aventures encourageaient les Anglais a aller en courfe, & relevaient les efpérances d'une partie de la nation, qui envifageait dans les calamités publiques, des avantages fi prodigieux. CHAPITRE XXVIII. Louisbourg. Combats de mer : prifes immenfes que font les Anglais. Une autre entreprife commencée plus tard que celle de 1'Amiral Anfon, montre bien de quoi efl capable une nation commercante h la fois & guerriere. Je veuxparler du fiege de Louisbourg; ce ne fut point une opération du cabinet des Miniftres de Londres, ce fut le fruit de la hardiefiè des marchands delanouvelle-Angleterre. Cette .C 'j Cha p. XXVil.  <~ VA P. XXVIII. 52 Louisbourg affiégé. cölonie, Tune des plus floriflances de Ia nation Anglaife, eft éloignée d'environ quatre-vingts lieues de 1'ifle de Louisbourg ou du Cap-Breton, ifle alors importante pour les Francais, lituée vers 1'embouchure du fleuve Saint-Laurent, la clef de leurs poffeflions dans le nord de 1'Amérique. Ce territoire avait été confirmé a la France par la paix d'Utrechr. La pêche de la morue qui fe fait dans ces parages, était l'objet d'un commerce utile, quiemployait par an plus de cinq cents petits vaifleaux de Bayonne, de Saint-Jean-de-Luz, du Havre-de-Grace, & d'autres villes; on en rapportait au moins trois mille tonneaux d'huile, néceffaires pour les manufaétures de toute efpece. C'était une école de matelots; & ce commerce, joint a celui de la morue, faifait travailler dix mille hommes, & circuler dix millions. Un négociant nommé Vaugan, propofe 2 fes concitoyens de la nouvelle-Angleterre de lever des troupes pour afliéger Louifbourg. On recoit cette idéé avec acclamaüon. On fait une loterie, dont le produit foudoye une petite armée de quatre mille hommes. On les arme, on les approvifionne, on leur fournit des vaifleaux de tranfport; toutcela aux dépens des habitants. Ils nomment un Général; mais il leur fallaic 1'agrément de Ia Cour de Londres; il leur fallaic fur-couc des vaifleaux de guerre. II  Prife de Louisbourg. 53 n'y eut de perdu que le temps de demander. La Cour envoyé 1'Amiral Waren avec quatre vaiflèaux protéger cette entreprife de tout un peuple. Louisbourg eft une place qui pouvait fe défendre, & rendre tous ces efforts inutiles, li on avait eu afTez de munitions: mais c'eft le fort de la plupart des établiffements éloignés, qu'on leur envoye rarement d'aflèz bonne heure ce qui leur efl néceffaire. A la première nouvelle des préparatifs contre la colonie, le Miniftre de la marine de France fait partir un vaiffeau de foixante-quatre canons, chargé de tout ce qui manquait a Louisbourg. Le vaiffeau arrivé pour être pris a Tentrée du port par les Anglais. Le Commandant de la place, après une vigoureufe défenfe de cinquante jours, fut obligé de fe rendre. Les Anglais lui firent les conditions : ce fut d'emmener eux-mêmes en France la garnifon & tous les habitants au nombre de deux mille. On fut étonné a Breit de recevoir quelques mois après une colonie entiere de Francais, que des vaiffeaux Anglais laifTerent fur le rivage. La prife de Louisbourg fut encore fatale a la Compagnie Francaife des Indes; elle avait pris a ferme le commerce des pelleteries du Canada; & fes vaifleaux au retour des grandes Indes, venaienc fouvent mouiller ft Louisbourg. Deux gros vaifleaux de C iij Cha p. xxvm.  C H A F. xxvai. 54 'Farces d'Angieterre. la Compagnie y abordenc immédiatemens: après fa prife, & fe livrent eux-mêmes. Ce ne fut pas tout; une fatalité non moins finguliere , enrichit encore les nouveaux polTelIèurs du Cap-Breton. Un gros batimenc Efpagnol, nommé VEfpérance, qui avait échappé a desarmateurs, croyait trouver fa füreté dansle port de Louisbourg, comme les autres; il y trouva fa perte comme eux. La charge de ces trois navires, qui vinrent ainfi fe rendre eux-mêmes du fond de 1'Afie & de 1'Amérique, allaic a vingt-cinq millions de livres. Si dès long-temps on a appellé la guerre un jeu de hafard, les Anglais en une année gagnerent a ce jeu environ trois millions de livres fterling. Nonfeulement les vainqueurs comptaient garder h jamais Louisbourg; mais ils firent les préparatifs pour s'emparer de toute la nouvelleFrance. II femble que les Anglais duflent faire de plusgrandes entreprifes maritimes. Ilsavaient alors iix vaiflèaux de cent pieces de canon, treize de 9e, quinze de 80, vingt-fix de 70, trente-trois de 60. II y en avait trentefept de 50 a 54 canons; & au-deflbus de cette forme, depuis les frégates de 40 canons jufqu'aux moindres,on en comptait jufqu'a 115. Ils avaient encore quatorze galiotes a bombes & dix brülots. C'était en tout deux cents foixante & trois vaifleaux  Succes de ÏAngleterre. 55 de guerre, indépendammenc des corfaires & des vaifleaux de tranfporc. Cette marine avait le fonds de quarante mille matelots. Jamais aucune nation n'a eu de pareilles forces. Tous ces vaiflèaux ne pouvaient être armés ft la fois, il s'en fallaic beaucoup. Le nombre des foldats était trop difproportionné ; mais enfin en 1746 & 1747, les Anglais avaient ft la fois une flotte dans les mers d'Ecofle & d'Irlande, une ft Spithead, une aux Indes Orientales, une vers la Jamaïque, ft Antigoa, & ils en armaient de nouvelles felon le befoin. II fallut que la France réfiftat pendant toute la guerre, n'ayant en tout qu'environ trente-cinq vaiflèaux de Roi ft oppofer a cette puiflance formidable. II devenait plus difficile de jour en jour de foutenir les colonies. Si on ne leur envoyait pas de gros convois, elles demeuraient fans fecours a la merci des flottes Anglaifes. Si les convois partaient ou de France, ou des ifles, ik couraient rifque étant efcortés, d'être pris avec leurs efcortés. En effèt, les Francais eflüyerent quelquefois des pertes terribles; car une flotte marchande de quarante voiles, venant en France de la Martinique, fous 1'efcorte de quatre vaiflèaux de guerre, fut rencontrée par une flotte Anglaife; il y en eut trente de pris, coulés ft fond, ou échoués; deux vaiflèaux de 1'efcorte, dont 1'un était1 C tv Chat. XXVIH. Oflobre 45-  Chap. XXVIII. Juin 1746 Srptemb, »747- 56 Succès de VAngleterre. de 80 canons, tomberent au pouvoir de 1'enriemi. En vain on tenta d'aller dans 1'Amérique feptentrionale, pour eflayer de reprendre le Cap-Breton, ou pour ruiner la colonie Anglaife d'Annapolis dans la nouvelle-Ecoffe. Le Duc SAnville, de la Maifon de la Rochefoucatilt, y fut envoyé avec quatorze vaiflèaux. C'était un homme d'un grand courage, d'une politeffè & d'une douceur de mteurs que les Francais feuls conferver.r. dans la rudelfe attachée au fervice maririme; mais la force de fon corps ne fecondait pas celle de fon ame. II mourut de maladie fur le rivage barbare de Chiboótou, après avoir vu fa flotte difperfée par une violente tempête. Plufieurs vaiflèaux périrenc; d'autres écartés au loin, tomberent entre les mains des Anglais. Cependant il arrivait fouvent que des Officiers habiles qui efcortaient les flottes marchandes Francaifes, favaient les conduire en füreté , malgré les nombreufes flottes ennemies. On en vit un exemple heureux dans les manoeuvres de M. du Bois de la Motte, alors Capitaine de vaiflèau, qui conduifanc un convoi d'environ quatre-vingts voiles aux ifles Francaifes de 1'Amérique, attaqué par une efcadre entiere, fut en attirant fur lui tout le feu des ennemis, leur dérober le con-  Succes de FAngleterre. 57 voi, le rejoindre & le conduire au fort royal a Sainc-Domingue, combattre encore & ramener plus de foixance voiles en France; mais il falloit bien qu'a la longue la marine Anglaife anéantïc celle de France, & ruinat fon commerce. Un de leurs plus grands avancages fur mer, fut le combat naval de Finifierre; combat ou ils prirent fix gros vaiffèaux de Roi. & fept de la Compagnie des Indes armés en guerre, dont quatre fe rendirent dans le combat , & trois autres enfuite ; le tout portant quatre mille hommes d equipage. Londres elt remplie de négociants & de gens de merquis'intéreflènt beaucoup plus aux fuccès maritimes, qu's: touc ce qui fe paffe en Allemagne ou en Flandres. Ce fut dans la ville un tranfport de joie inoui, quand on vit arriver dans la Tamife le meme vaiffeau le Centurion, fi fameux par fon expédition autour du monde; il apportoic Ia nouvelle de la bataille de Finifterre gagnée par ce même Anfon, devenu ft jufle titre Vice-Amiral-Général, & par 1'Amiral IVtren. On vit arriver vingt-deux chariots chargés de Por, de 1'argent, & des effets 1 pris fur la flotte de France. La perte de ces effets & de ces vaiflèaux fut eflimée plus de vingt millions de France. De 1'argent de cette prife on franpa quelques efpeces, fur C v C II A F. XXVIII. 16 Mat 747.  Cha p. XXVIII, 5 Succès de 1'Angleterre. lefquelles on voyoit pour légende Pinijferre, monument flatteur a la fois & encourageant pour la nation, & imitation glorieufe de 1'ufage qu'avaient les Romains de graver ainli fur la monnoie courante, comme fur les médailles, les grands événements de leur Empire. Cette victoire était plus heureufe & plus utile qu'étonnante. Les Amiraux Anfon & Waren avaient combattu avec dixfept vaiflèaux de guerre contre fix vaiffeaux de Roi, dont Je meilleur ne valait pas pour la conftruétion le moindre navire de Ia flotte Anglaife. Ce qu'il y avait de furprenant, c'eft que ie Marquis de la Joncquiere, chef de cette efcadre, eut foutenu long-temps le combat, & donné encore a un convoi qull amenoit de la Martinique le temps d'échapper. Le Capitaine du vaiflèau le Windfor, s'exprimaic ainfi dans fa lettre fur cette bataille : Je riai jamais vu une meilleure conduite que celle du Commodore Francais; & pour dire la véritè , tous les Officiers Frangois de cette nation ont montré un grand courage; aucun d'eux ne s'eft rendu que quand il leur a été abjblument impoffible de manosuvrer. II ne reftait plus aux Francais fur ces ihers, que fept vsifTeaux de guerre pour efcorter les flottes marchandes aux ifles de PAinérique, fousle commandement de M. de  Succès de 1'Angleterre.1 59 XEjlanduere. Ils furent rencontrés parquatorze vaiffeaux Anglais. On fe batcit comme a Finifterre, avec le même courage, . & la même fortune. Le nombre 1'emporta, & 1'Amiral Hawks amena dans la Tamife fix vaifleaux des fept qu'il avait combattus. La France n'avait plus alors qu'un feul vaiffeau de guerre. On connut dans toute fon étendue la faute du Cardinal de Fleury, d'avoirnégligé la mer; cette faute eftdifficile a réparer. La marine eft un art, & un grand art. On a vu quelquefois de bonnes troupes de terre formées en deux ou trois années par des Généraux babiles & appliqués; mais il faut un long temps pour fe procurer une marine redoutable. mmj "™*gCT»*M»,,*!t»Tnffrfri8rMrijiiiiiiiiiiii.iiaijniiip|1 ■■- ' CHAPITRE XXIX. De VInde, de Madrafs, de Pondichery. Expêdition de la Bourdonnaie. Conduite de du Pleix, &c. Pendant que les Anglais portaient leurs armes victorieufes fur tant de mers, & que tout le globe était le théatre de la guerre, ils en reflèntirent enfin les effets dans leur colonie de Madrafs. Un homme ala fois négociant & guerrier, nommé MaC vj c H A P. xxvih. 14 oetoK 747.  ÓQ De l inde. Chap. XXIX. * M. Ozvel. § J'ai étudié, dit-il , tout ce qui a e'té écrit fur les Indiens depuis Arien ju/qua CAbbé Guion même , & je, rtai trouvé qutrrsur C- meifinge, (Page 5 de faPrsface.) hé de la Bourdonnaie, vengea 1'honneur du pavillon Francais, au fond de 1'Afie. Pour rendre cet événement plus fenfible, il elt néceffaire de donner quelque idéé de l'Inde, du commerce des Européens dans cette vafte & riche contrée, & de la rivalité qui regne entre eux, rivalité fouvent foutenue par les armes. Les nations Européennes ont inondé l'Inde. On a fu y faire de grands établiflêments, on y a porté la guerre, plufieurs y ont faits des fortunes immenfes, peu fe font appliqués a connoïtre les antiquités de ce pays plus renommé autrefois pour fa Religion, fes fciences & fes loix, que pour fes richefies, qui ont fait de nos jours 1'unique objet de nos voyages. Un Anglais *, qui a demeuré trente ans dans le Bcngale, &qui fait les langues moderne & ancienne des Brames, décruit tout ce vain amas d'erreurs, dont font remplies nos Hiftoires des Indes, & confirme ce que le petic nombre d'hommes inftruits en a penfé §. Ce pays eft, fans contredit, le plus anciennement policé qui foit dans le monde; les favants Chinois même lui accor-  De l'Inde. 61 dent cette fupériorité. Les plus anciens monuments que 1'Empereur Camhi avait recueillis dans fon cabinet de curiofités, étaient tous Indiens. Le doéte & infatigable Anglais, qui a copié en 1754 leur plus ancienne loi écrite, nommée le Shafta , antérieure au Veidam, affure que cette loi a quatre mille fix cents foixante-fixansd'antiquité dans le temps qu'il la copie. Longtemps avant ce monument, le plus ancien de ia terre, s'il faut 1'en croire, cette loi était confacrée par la tradition & par des hiérogliphes antiques. On ne fait d'ordinaire aucune difficulté dans toutes les relations de l'Inde, copiées fans examen les unes fur les autres, de divifer toutes les nations des Indiens en Mahométans & en Idolatres; mais il eft avéré que les Brames & les Banians, loin d'être idolatres, ont toujours reconnu un feulDieu Créateur , que leurs livres appellent toujours 1''Eternel; ils le reconnaiflênt encore au milieu de toutes les fuperftitions qui défigurent leur ancien culte. Nous avons cru en voyant les figures monftrueufes expofées dans leurs temples a la vénérationpublique, qu'ils adoraient des Diables, quoique ces peuples n'ayent jamais entendu parler du Diable. Ces repréfentations fymboiiques n'étaient autre chofe que les emblêmes des vertus. La vertu en général elt figurée cora- Chap. XXIX.  ós De Vlnde. C H A P. XXIX. * Le Grand-Prêtre de 1'ifle Chéringam T dans la Province d'Arcate , qui juftifia le Chevalier Lafs contre les accufations du Gouverneur du Pleix% était un vieillard de cent années, refpefté pour fa vertu incorruptible. 11 favait le francois , & rendit de grands fervices a la Compagnie des Indes. C'eft lui qui traduifit VEy>ur-Veidam, dont j'ai resnis Ie raanufcrit a la Bibliotheque du Roi, me une belle femme qui a dix bras pour réfifter aux vices. Elle porte une eouronne, el'e efl: montée fur un dragon, & tient du premier de fes bras droits une piqué, dont la pointe reflèmble a une fleur de lys. Ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans le détail de toutes leurs antiques cérémonies qui fe fontconfervées jufqu'a nos jours, ni de difcuter le Shatarbadlk. le Veidam-, ni de montrer a quel point les Brames d'aujourd'hui ont dégénéré de leurs ancêtres: mais quoique leur alferviflèment aux Tartares, 1'horrible cupidité & les débauches des Européens établis fur leurs cótes, les ayent rendus pour la plupart fourbes & méchants; cependant 1'Auteur qui a vécu fi long-temps avec eux, dit, que les Brames qui n'ont point été corrompus par aucune fréquemation avec les commercants d'Europe, ou par les intrigues des Cours des Nababs ,font le modele le plus pur de la vraie piété qiCon puiffe trouver fur la face de la terre *.  Be Pinde. 63 Le climat de l'Inde efl: fans contredic le plus favorable a la nature humaine. II n'eft pas rare d'y voir des vieillards de fix-vingt ans. Les triftes mémoires de notre Compagnie des Indes nous apprennenc que dans une bataille, livrée par un Vice-Roi, Tyran de ce pays, contre un autre Tyran, 1'un des deux, nommé Anaverdikan , que nous fimes aflafliner dans le combat, par un traitredefesfuivants, était agé de cent fept années, & qu'il avait ramené trois fois fes foldats a la charge. L'Empereur Aurengzeb vécut plus de cent ans. Nifan Elmoluk, Grand-Chancelier de l'Empire fous Mahomet-Scha, détröné & rétabli par Ska-Nadir, eft mort a 1'age de cent ans révolus» Quiconque eft fobre dans ces pays, jouit d'une vie longue & faine. Les Indiens auraient été les peuples du monde les plus heureux, s'ils avaient pu demeurer inconnus aux Tartares & a nous* L'ancienne coutumc immémoriale de leurs Philofophes, de finir leurs jours fur un bücher, dans 1'efpoir de recommencer une nouvelle carrière ; celle des femmes de fe brüler furie corps de leurs maris, pour renaïtre avec eux fous une forme différente, prouve une grande fuperftition, mais auffi un grand courage dont nous n'approchons pas. Ces peuples autrefois avaient horreur de tuer leurs lemblables, & ne craigcaient C WA P. XXIX.  Cua p. XXIX. 64 De Pinde. pas de fe tuer eux-mêmes. Les femmes dans les caftes des Drames fe brülent encore, mais plus rarement qu'autrefois. Nos dévotes affligent leurs corps; celles-ci le détruifenc, & toutes vont contre le but de la nature, dans 1'idée que ce corps fera plus heureux. L'horreur de répandre le fang des bêtes, augmenca, chez cette antique nation, celle de répandre le fang des hommes. La douceur de leurs moeurs en fit toujours de très-mauvais foldats. C'eft unevercu qui a caufé leurs malheurs, & qui les a fait efclaves. Le gouvernement Tartare, qui eft précifément celui de nos anciens grands Fiefs, foumet prefque tous ces peuples a de petits brigands, nommés par des Vice-Rois, lefquels font inftitués par 1'Empereur. Tous ces Tyrans font très-riches, & le peuple très-pauvre. C'eft cette adminiPcradon qui fut établie dans 1'Europe, dans PAfie & dans PAfrique par les Goths, les Vandales, les Francs, les Turcs, tous originaires de la Tartarie, gouvernement entiérement contraire a celui des anciens Romains, & encore plus a celui des Chinois, le meilleur qui foit fur la terre, après celui du petit nombre de peuplades policées qui ont confervé leur liberté. Les Marates, dans ces vaftespays, font prefque les feuls qui foient libres. Us babi-  De Pinde. 65 tent des montagnes derrière Ia cóte de Malabar, entre Goa & Bombai, dans i'efpace de plus de fept cents milles. Ce font les Suiflès de l'Inde, auffi guerriers, moins policés, mais plus nombreux, & par-la plus redoutables. Les Vice-Rois qui fe font fouvent la guerre, achetent leur fecours , les payenc & les craignent. La prodigieufe fupériorité de génie & de force qu'ont les Européens fur les Afiat:ques orientaux, efl: aflêz prouvée par les conquêtes que nos peuples ont faites chez ces nations, & qu'ils fe difputent encore tous les jours. Les Portugais établis les premiers fur les cötes de l'Inde, porterent leurs armes & leur Religion dans 1'étendue de plus de deux mille Iieues, depuis le Capde Bonne-Efpérance jufqu'a Malaca, ayant des comptoirs& des forts qui fe fecouroient les uns les autres. Philippe II, maitre du Portugal , aurait pu former dans l'Inde une domination aufli avantageufe pour le moins que celle du Pérou & du Mexique ; & fans le courage &rinduftriedes Hollandais, & enfuite des Anglais, Ie Pape aurait donné plus d'Evêchés réels dans ces vaftes contrées qu'il n'en confere en Italië , & en aurait retiré plus d'argent qu'il n'en leve fur les peuples devenus fes fujets. OU n'ignore pas que les Hollandais font ceux qui ont les plus grands établiflements Ch a p. XXIX,  66 De Pinde. Chap. XXIX. dans cette partie du monde , depuis les ifles de la Sonde jufqu'a la cöte de Malabar. Les Anglais viennent après eux. Ils font puiffants fur les deux cóces de la prefqu'ifle de l'Inde, & jufques dansleBengale. Les Francais, arrivés les derniers, on été les plus mal partagés. C'eft leur fort dans l'Inde Oriëntale comme dans 1'Occidentale. Leur Compagnie établie par Louis XIF, anéantie en 1712, renaifiante en 1720 dans Pondichéry, parailfait, ainfi qu'on 1'a déja dit, très-floriflante; elle avait beaucoup de vaiflèaux , de commis, de directeurs, & même des canons & des foldats; mais elle n'a jamais pu fournir le moindre dividende a fes aétionnaires, du produit de fon commerce. C'eft la feule Compagnie commercante de 1'Europe qui foit dans ce cas; & au fond, fes actionnaires & fes créanciers n'ont jamais été payés que de la conceffion faite par le Roi d'une partie de la ferme du tabac, abfolument étrangere a fon négoce. Par cela même, elle floriflaita Pondichéry: car 1'argent de fes retours était employé k augmenter fes fonds, a fortifier la ville , a 1'embelür, a fe ménager dans l'Inde des alliés utiles. Du Pleix, homme aufli actif qu'intelligent, & auffi méditatif que laborieux, avait dirigé long-temps le comptoir de Chander-  Pondichéry. 67 nagor fur Ie Gange, dans Ia fertile & riche Province de Bengale, a treize cents milles de Pondichéry , y avait formé un vaile établilTement, bati une ville, équipé quinze vaiffeaux. C'étoit une conquête de génie & d'induftrie, bien préférable a toutes les autres. La Compagnie trouva bon que chaque particulier fit alors le commerce pour fon propre avantage. L'adminiftrateur, en la fervant, acquit une immenfe fortune. Chacun s'enrichir. II créa encore un autre établiflèment a Patna, en remontant le Gange jufqu'a trente lieues de Benarès, cette antique école des Bracmanes. Tant de fervices lui mériterent le gouvernement général des établilfements Francais a Pondichéry en 1742. Ce futalorsque la guerre s'alluma entre 1'Angleterre & la France. On a déja remarqué quelecontrecoup de ces guerres fe fait toujours fentir aux extrêmités du monde, en Afie & en Amérique. Les Anglais ontaquatre-vingt-dix milles de Pondichéry, la ville de Madrafs dans la Province d'Arcate. Cet établiffement eft pour 1'Angleterre ceque Pondichéry eft pour la France. Ces deux villes font rivales; mais le commerce eft fi vafte de ce monde au nötre, 1'indufirie Européenne eft fi acltve, fi fupérieure a celle des Indiens, que ces deux colonies pouvaient s'enrichir fans fe nuire. Chap XXIX  68 La Bourdonnaie. CsAP, XXiX. Du Pleix, Gouverneur de Pondichéry, & chef de la nation Francaife dans les Indes, avait propofé la neutralité ft la Compagnie Anglaife. Rien n'étoitplus convenableades commercants qui ne doivent point vendre des étoffes & du poivre ft main armée. Le commerce elt fait pour être le Hen des nations, pour confoler la terre, & non pour la dévafter. L'humanité & la raifon avaient fait ces offres; la fierté Sc 1'avarice les refuferent. Les Anglais fe flattaient, non fans vraifemblance, d'être aifément vainqueurs fur les mers de l'Inde comme ailleurs, & d'anéantir la Compagnie de France. Mahé de la Bourdonnaie était comme les Du Quêne, les Bart, les du GuéTrouin , capable de faire beaucoup avec peu, & auffi intelligent dans le commerce, qu'habile dans la marine. II était Gouverneur des ifles de Bourbon & de Maurice, nommé ft ces emplois par le Roi, & gérant au nom de la Compagnie. Ces ifles étaient devenues floriffantes fous fon adminiftration : il fort enfin de 1'ifle de Bourbon avec neuf vaiflèaux armés par lui en guerre, chargés d'environ deux mille trois cents blancs, & de huit cents noirs, qu'il a difciplinés lui-même, & dontil a fait de bons canonniers. Une efcadre Anglaife , fous 1'Amiral Barnet, croifait dans ces mers, défendait Madrafs^ inquiétak Pondichéry.  Madrafs. 6*9. ck faifait beaucoup de prifes. II attaque cette efcadre, il la difperfe, (kfehacedalIer mettre le fiege devant Madrafs. Des Députés vinrent lui repréfenter qu'il n'était pas permis d'attaquer les terres du Grand-Mogol. Ils avaient raifon; c'eft lc comble de la faibleffe afiatique de le fouffrir, & de 1'audace Européenne de le tenter. Les Francais débarquent fans réfiftance ; leur canon elt amené devant les murailles de la ville mal fortifïée, défendue par une garnifon de cinq cents foldats. L'établiffement Anglais confiftait dans le fort Saint Georges, oü étaient tous les magafins; dans la ville qu'on nom me Blanche , qui n'eft habirée que par les Européens , & dans celie qu'on nomme Noire, peuplée de négociants & d'ouvriers de toutes les nations de l'Inde, Juifs, Banians, Arménicns, Mahométans, Idolatres, Negres de difTérentes efpeces, Indiens rouges, Indiens de couleur bronzée : cette multitude allait ft cinquante mille ames. Le Gouverneur fut bientöt obligé de fe rendre. La rancon de la ville fut évaluée ft onze cents mille pagodes , qui valenc environ neuf millions de France. La Bourdonnaie avait un ordre expres du Miniftere , de ne garder aucune des conquêtes qu'il pourrait faire dans l'Inde; ordre peut-être inconfidéré comme tous C H A P. XXIX., 4 Juillet 1746.  Chat. XXIX. 70 La Bourdonnaie. ceux qu'on donne de loin , fur des objets qu'on n'eft pas a portée de connaïtre. il exécuta ponctuellement cet ordre, & recut des ötages & des füretés pour le payement de cette conquête qu'il ne gardait pas. Jamais on ne fut ni mieux obéir, ni rendre un plus grand fervice. II eut encore le mérite de mettre 1'ordre dans la ville, de calmer les frayeurs des femmes, toutes réfugiées dans des temples & dans des pagodes, de les faire reconduire chez elles avec honneur , & de rendre enfin la nation victorieufe, refpectable & chere aux vaincus. Le fort de la France a prefque toujours été que fes entreprifes & même fes fuccès hors de fes frontieres , lui font devenus funeftes. Du Pleix, Gouverneur de la Compagnie des Indes, eut le malheur d'être jaloux de la Bourdonnaie. II cafla la capitulation, s'empara de fes vaifleaux, & voulut mêmele faire arrêter. Les Anglais & les habitants de Madrafs qui comptaient fur le droit des gens, demeurerent interdits quand on leur annonca la violation du traité & de la parole d'honneur donnée par la Bourdonnaie. Mais 1'indignation fut au comble, quand du Pleix, s'étant rendu le maitre, détruifit la ville noire de fond en comble, Cette barbarie fit beaucoup de mal aux colons innocents, fans faire aucun bien aux Francais. La rancon qu'on devait recueillir  Pondichéry. ? i fut perdue, & le nom Francais futen horreur dans l'Inde. Au milieu des aigreurs, des reproches, des voies de fait, qu'une celle conduite produifait, du Pleix fit figner par le Confeil de Pondichéry & par les principaux citoyens qui étaient ft fes ordres, les mémoires les plus outrageants contre fon rival. On 1'accufait d'avoir exigé de Madrafs une rancon trop faible, & d'avoir rccu pour lui des préfents trop confidérablee. Enfin, pour prix du plus fignalé fervice, le vainqueur de Madrafs en arrivant ft Paris fut enfermé ft la Baftille. II y refta trois ans & demi, pendant qu'on envoyait chercher des témoins contre lui dans l'Inde. La permilfion de voir fa femme & fes enfants lui fut refufée. Cruellementpuni furie foupeon feul, il contracta dans fa prifon une maladie mortelle. Mais avant que cette perfécution terminat fa vie, il fut déclaré innocent par lacommiffion du Confeil, nommée pour le juger. On douta fi dans cet état 3 c'était une confolation ou une douleur de 1 plus, d'être juftifié fi tard & fi inutilement. Nulle récompenfe pour fa familie de la part de la Cour. Tout le public lui en donnait une flatteufe, en nommant la Bourdonnaie le vengeur de Ia France, & la victime de 1'envie. Mais bientót le public pardonna ft fon CHAf. XXIX. Févrisr j6l, '  Chap. XXIX. 7 Octob 748. Chapitre 72 Pondichéry. ennemi du Pleix, quand il défendit Pondichéry contre les Anglais qui 1'affiegerent par terre & par mer. L'Amiral Bofcawen vint 1'affiéger avec environ quatre mille foldats Anglais ou Hollandais, & autant d'Indiens renforcés encore de la plupart des matelots de fa flotte compofée de vingt & une voiles. M. du Pleix fuc a la fois Commandant, Ingénieur, Artilleur, Munitionnaire : fes foins infatigables furent fur-tout fecondés par M. de BuJJi, qui repouffa fouvent les afliégeants a la tête d'un corps de volontaires. Tous les Officiers yfignalerent un courage qui méritait la reconnoiflance de la pa. trie. Cette Capitale des colonies Francaifes qu'on n'avait pas cru en état de réfifter, fut fauvée cette fois. Ce fut une des opérations qui valurent enfin a M. du Pleix le grand cordon de Saint-Louis, honneur qu'on n'avait jamais fait a aucun homme hors du fervice militaire. Nous verrons comme il devint le protecleur & le vainqueur des Vice-Rois de l'Inde, & quelle cataftrophe fuivit trop de g'.oire.  Congrès $ Aix-la-Chapellc. 73 CHAPITRE XXX. Paix i'Aix-la-Chapelle. Dans ce flux & ce reflux de fuccès & de pertes, communsa prefque toutes les guerres, Louis XFne ceffait d'être victorieux dans les Pays-Bas. Déja Maeftricht était prêt de fe rendre au Maréchal de Saxe, qui 1'afliégeait, après laplus favantemarche que jamais Général eut faite; & de-la onallait droit a Nimegue. Les Hollandais étaient confternés; il y avait en France prés de trente-cinq mille de leurs foldats prifonniers de guerre. Des. défaftres plus grands que ceux de 1'année 1672, femblaient menacer cette république; mais ce que la France gagnait d'un cöté, elle le perdait de 1'autre ; fes colonies étaient expofées, fon commerce périflait, elle n'avait plus de vaiflèaux de guerre. Toutes les nations fouffraient, & toutes avaient befoin de la paix, commet dans les guerres précédentes. Prés de fept mille vaifleaux marchands, foit de France, foit d'Efpagne, ou d'Angieterre, 011 de Hollande , avaient été pris dans le cours de ces déprédations réciproques: & de-la on peut conclure que plus de cinquante mille families avaient fait de grandes pertes. Joigaez k II. Partie. D Chap XXX,  Chap. XXX. 16 oaob, 1748. 74 Congrès d\4ix-la-Chapelle. ces défaftres la multkude des morts , la difficulté des recrues: c'eft le fort de toute guerre. La moitié de 1'Allemagne & de 1'Italie , les Pays-Bas étaient ravagés; & pour accroitre & prolonger tant de malheurs, 1'argent de 1'Angleterre & de la Hollande faifait venir trente-cinq mille Rulfes qui étaient déja dans la Franconie. On allaic voir, vers les frontieres de la France, les mêmes troupes qui avaient vaincu les Turcs & les Suédois. Ce qui caractérifait plus particuliérement cette guerre, c'eft qu'è chaque vidtoire que Louis XV avait remportée, il avait offert la paix, & qu'on ne 1'avait jamais acceptée. Mais, enfin, quand on vit que Maeftricht allaic tomber après 13erg-op-Zoom, & que la Hollande était en danger, les ennemis demanderent auffi cette paix devenue néceffaire a tout le monde. Le Marquis de Saint-Séverin, 1'un des plénipotentiaires de France au congrès d'Aix-!a-Chapelle, commenea par déclarer qu'il venait accomplir les paroles de fon Maitre, qui voulait faire la paix, non en marchand, mais en Roi. Louis XV ne voulut rien pour lui; mais il fit tout pour fes Alliés : il affurait, par cette paix, Ie Royaume des deux Siciles k Dom Carlos, Prince de fon fang; il établit dans Parme, Plaifance, & Guaftalle, Dom  Paix £Aix-la-Chapelle. 75 Philippe fon gendre; Ie Duc de Modene ion alhé, & gendre du Duc d'Orléans, Régent, fut remis en poflèffion de fon pays, qu il avait perdu pour avoir pris ies intéréts de ia France. Genes rentra dans tous les droits. II parut plus beau, & même plus unie a la Cour de France, de ne penfer qu au bonheur de fes alliés, que de fe faire donner deux ou trois villes de Flandres qui auraient été un éternel objet de jaloufie. L Angleterre, qui n'avait eu d'autre intéret particulier dans cette guerre univerSelle que celui d'un vaiffeau, y perdit beaucoup de tréfors & de fang, & la querelle de ce vaiffeau refta dans le même état ou elle etait auparavant. Le Roi de PrufTe fut celui qui retira les plus grands avantages; il conferva la conquêce de la Siléfie, dans un temps oü toutes les Puiflances avaient pour maxime dene fouffrir PagrandifTemenc daucun Prince. Le Duc de Savoie, Roi de Sardaigne, fut, après le Roi de PrufTe celui qui gagna le plus, la Reine de Hon- EaS" Payé fo" all'anCe d'une Partie du Après cette paix, la France fe rétablit comme apres Ia paix d'Utrecht, & fut encore pk,s florifTante. Alors PEurope chrétienne fe trouva partagée entre deux grands paras, qui fe ménageaient 1'un 1'autre, & qui loutenaient chacun de leur cóté cêcte D ij Chap. XXX.  Chap. XXX. 76 Paix iïAix-la-Chapelle. balance, le prétextc de tant de guerres, laquelle devait alTurer une éternelle paix. Les Etats de rimpératrice Reine de Hongrie, & une partie de 1'Allemagne, la Ruffie, 1'Angleterre, la Hollande, la Sardaigne, compofaient une de ces grandes faétions. L'autre était forinée par la France, 1'Efpagne, les deux Siciles, la Pruffe, la Suede. Toutes les Puiffances refterent armées; & on efpéra un repos durable, par la crainte même que les deux moitiés de 1'Europe femblaient infpirer 1'un a l'autre. Louis XIFwzh le premier entretenu ces nombreufes armées, qui forcerent les autres Princes a faire les mêmes efforts; de forte qu'après la paixd'Aix-la-Chapelle, en 1748, les Puiffances Chrétiennes de 1'Europe eurent environ un million d'hommes fous les armes, au détriment peut-être des arts & des profeffions nécelTaires, fur-tout de 1'agriculture : on fe flatta que de longtemps ü n'y aurait aucun agreflèur, paree que tous les Etats étaient armés pour fe défendre; mais on fe flatta en vain.  Tretnblements de terre. 77 CHAPITRE XXXI. ÉTAT DE L'EUROPE en i756. Lisbonne détruite. Confpirations & fup. phces en Suede. Guerre funeflepour quelquesterritoires vers le Canada. Prife de Port-Mahon par le Maréchal de Kichelieu. T 'E uuope enciere ne vit jamais luire de unl ,,Xj0Urs que dePuis ,a Pai* d'Aixla-Chapelle, en 1748, jufques vers i'an y55->e commerce floriflaic de Péterfbourg jufqu'a Cadix; les beaux-arts étaient par-tout en honneur; on voyait entre toutes les nations une correfpondance mutuelle lEurope retfèmblait a une grande fajmlle reume après fes différends. Les malheurs nouveaux de 1'Europe femblerent être annonces par des tremblements de terre qui ie firentfenur en plufieurs Provinces, mak lunemamereplusterribleaLisbonnequ™ leurs. Un grand tiers de cette ville futren- trente mille hommes: ce fiéau s'étendit en Efpagne; la petite ville de Sétubal fut prefque détruite , d'autres endommagées • la mer s'elevantau-delTus de la chaufTée de Ca" D iij Chat. XXXI.  Chap. XXXI. xo Juk 750. 78 Cataftrophe en Suede. dix, engloutit touc ce qui fe trc-uva fur Ie chemin; les fecouffes de la terre qui ébranlaient 1'Europe, fe firent fentir de même en Afrique; & le même jour que les habitants de Lisbonne périftaient, la terre s'ouvrit auprès de Maroc; une peuplade entiere d'Arabes fut enfevelie dans des abymes; les villes de Fez & de Méquinez furent encore plus maltraitées que Lisbonne. Ce fléau femblait devoir faire rentrer les hommes en eux-mêmes, & leur faire fentir qu'ils ne font en effet que des victimes de la mort qui doivent au moins fe confoler les uns les autres. Les Portugais crurent obtenir la clémence de Dieu en faifant brüler des Juifs & d'autres hommes dans ce qu'ils appellent un auto-da-fé, acte de foi, que les autres nations regardent comme un acte de barbarie; mais dans ce temps-la même, on prenait des mefures dans d'autres parties de 1'Europe pour enfanglanter cette terre qui s'écroulait fous nos pieds. La première cataftrophe funefte fe paffa en Suede. Ce Royaume étaic devenu une république, dont le Roi n'était que le premier Magiftrat. II était obligé de fe conformer a la pluralité des voix du Sénat: les Etats compofés de la nobleiïè, de la bourgeoifie, du clergé , & des^ payfans, pouvaient réformer les loix du Sénat, mais le Roi ne le pouvait pas.  Cataftrophe en Suede. 7, Quelques Seigneurs plus attachés au Ro qu'aux nouvelles loix de la patrie, confpire rent contre le Sénat en faveur du Monar que: tout fut découvert; les conjurés furent punis de mort; ce qui dans un Etat pu rement monarchique aurait paffe' pour uns aétion vertueufe, fut regardé comme une trahifon infame dans un pays devenu libre: ainfi les mêmes actions font crimes ou ver tus, felon les lieux & felon les temps. Cette aventurc indifpofa Ja Suede contre Ion Roi, & contribua enfuite a faire déclarer la guerre (comme nous Ie verrons) a fréderic, Roi de PrufTe, dont Ia fceur avait époufé le Roi de Suede. d ^Sié^°lutions que ce méme Roi de Frulle & fes ennemis préparaient dès-Iors étaient un feu qui couvait fous Ia cendre • ce feu embrafa bientót 1'Europe; mais les premières étinceiles vinrent d'Amérique Une légere querelle entre Ia France & 1 Angleterre, pour queJques terreins fauvages vers 1 Acadie, infpira une nouvelle politique a tous les Souverains d'Europe. II elt utile d'obferver que cette querelle était le rruit de la négligence de tous les Miniftres qui travaillerent en 1712 & 171" au traité d'Utrecht. La France avait cédé a 1 Angleterre, par ce traité, TAcadie voifine du Canada, avec toutes fes anciennes limitcs ; mais on n'avait pas fpécifié quelles n iv ' Chap. - XXXI. Juin 1756.  Chai. xxxr. 80 Guerre entre la France étaient ces limites; on les ignorait: c'eft une faute qu'on n'a jamais commife dans des contrats entre particuliers. Des démêlés ont réfulté néceffairement de cette omiffion. Si la philofophie ik la juftice fe mêlaient des querellesdes hommes, elles leur feraient voir que les Francais & les Anglais fe difputaient un pays fur lequel ils n'avaient aucun droit: mais ces premiers principes n'entrent point dans les affaires du monde, Une pareille difpute élevée entre de fimples commercants, aurait été appai'ée en deux heures par des arbitres; mais entre des Couronnes, il fuffit de 1'ambition ou de 1'humeur d'un fimple Commiffaire pour bouleverfer vingt Etats. On accufait les Anglais de ne chercher qu'a détruire entiérement le commerce de la France dans cette partie de 1'Amérique. Ils étaient très-fupérieurs, par leurs nombreufes & riches colonies, dans 1'Amérique feptentrionale; ils Pétaient encore plus fur mer par leurs flottes; & ayant détruit la marine de France dans la guerre de 1741, ils fe flattaient que rien ne leur réfifterait, ni dans le nouveau monde, ni fur nos mers : leurs efpérances furenc d'abord trompées. Ils commencerent, en 1755, par attaquer les Francais vers le Canada; & fans aucune déclaration de guerre, ils prirent plus de trois cents vaiflèaux marchands,  & rAngleterre en 1756. 8: comme on faifirait des barques de contre bande; ils s'emparerent même de quelque; navires des autres nations, qui portaiem aux Francais des marchandifes. Le Roi d« France dans ces conjonctures eut une conduite toute différente de celle de Louis XIV l\ fe contenta d'abord de demander juflice; il^ne permit pas feulement alors a fes fujets d'armer en courfe. Louis XIV avait parlé ibuvent aux autres Cours avec fupériorité. Louis XV fit fentir dans toutes les Cours la fupériorité que les Anglais affeélaient. On avait reproché a Louis XIV une ambition qui tendait fur la terre a la monarchie univerfelle; Louis XV fit connaïtre la fupériorité réelle que les Anglais prenaieuc lur les mers. Cependant Louis XVsWurm quelque vengeance; fes troupes battaient les Anglais, en 1755, vers le Canada; il préparau dans fes ports une flotte confidérable, & il comptait attaquer par terre le Roi d Angleterre Georges //dans fon Eleétorat d Hanovre. Cette irruption en Allemagne menacait 1'Europe dun embrafement, allume dans le nouveau monde. Ce fut alors que toute la politique de 1'Europe fut changée. Le Roi d'Angieterre appella une feconde fois du fond du Nord trente mille Ruffes qu'il devait foudoyer. L'Empire de Ruffie était 1'allié de 1'Empereur & de D v Chap. i XXXI.  Chap. XXXI. Èa Guerre entre la France 1'Iinpératrice Reine de Hongrie. Le Roi de Pruffe devait craindre que les Rufies, les Impériaux & les Hanovriens ne tombaffent fur lui. II avait environ cent quarante mille hommes en armes; il n'héfita pas ft fe liguer avec le Roi d'Angieterre, pour empêcher d'une main que les RufTes n'entraflent en Allemagne, & pour fermer de l'autre le chemin aux Francais. Voilft donc encore toute 1'Europe en armes, & la France replongée dans de nouvelles calamités qu'on aurait pu éviter, fi on pouvait fe dérober ft fa deftinée. Le Roi de France eut avec facilité, & en un moment, tout 1'argent dont il avait befoin, par une de ces promptes reflburces qu'on ne peut connaïtre que dans un Royaume auffi opulent que la France. Vingt places nouvelles de Fermiers-Généraux, & quelques emprunts, fuffirent pour foutenir les premières années de la guerre. Facilité funefte, qui ruina bientót le Royaume. On feignit de menacer les cötes de 1'Angleterre. Ce n'était plus le temps oü la Reine Elifabeth, avec le fecours de fes feuls Anglais, ayant rEcofiè ft craindre, & pouvant ft peine contenir 1'Irlande, foutinc les prodigieux efforts de Philippe II. Le Roi d'Angieterre Georges II fe crut obligé de faire venir des Hanovriens & des HefIbis pour défendre fes cötes. L'Angleter-  Ö? I''Angleterre en 1756. 83 re, qui n'avak pas prévu cette fuite de fon entreprife, murmura de fe voir inondée d'étrangers; plufieurs citoyens paflèrent de la fierté a la crainte, & tremblerent pour leur liberté. Le Gouvernement Anglais avait pris le change fur les deflêins de la France: il craignait une invafion, & il ne fongeait pas a 1'ifie de Minorque, ce fruit de tant de dépen fes prodiguées dans 1'ancienne guerre de la fucceffion d'Efpagne. Les Anglais avaient pris, comme on a vu, Minorque fur 1'Efpagne. La poflèfïïon > de cette conquête aflurée par tous les traités, leur était plus importante que Gibraltar, qui n'eft point un port, & leur donnait 1'empire de la Méditerranée. Le Roi de France envoya dans cette ifle fur la fin d'Avril 1756, le Maréchal Duc de Ric/ielieu^avec environ vingt bataillons, efcortés d'une douzaine de vaiflèaux du premier rang, & quelques frégates que les Anglais ne croyaient pas être fi-tót prêtes: tout le fut a point nommé, & rien ne 1'était du cöté des Anglais. Ils tenterent au moins, maïs trop tard, d'attaquer au mois de Juin 1756, la flotte Francaife commandée par h Marquis de la Galifonniere. Cette ba. taille ne leur eut pas confervé 1'ifle de Minorque, mais elle pouvait fauver leur gloire. L'entreprife fut infruélueufe; le MarD vj Chap, XXX/. Le Maré:hal d .-Ri:heiicu)rend Mïïorque.  Chap. XXXI. }>4 Prife de Minorque quis de la Galijfonniere mit leur flotte en défordre, & Ia repoufla. Le Miniflere Anglais vit quelque temps avec douleur qu'il avait forcé la France a établir une marine redoutable. U reftait aux Anglais 1'efpérance de défendre Ia citadelle du Port-Mahon, qu'on regardait après Gibraltar comme la place de 1'Europe la plus forte, par la fituation, par la nature de fon terrein, & par trente ans de foins qu'on avait mis a la fortifier : c'était par-tout un roe uni; c'étaient des foflës profonds de vingt pieds, & en quelques endroits de trente, taillés dans ce roe; c'étaient quatre-vingts mines fous des ouvrages devant lefquels il était impoflible d'ouvrir la tranchée : tout était impénétrable au canon , & Ia citadelle était entourée par-tout de ces fortificationsextérieures taillées dans le roe vif. Le Maréchal de Richelieu tenta une entreprife plus hardie que n'avait été celle de Berg-op-Zoom ; ce fut de donner, a la fois, un aflaut a tous ces ouvrages qui défandaient le corps de la place. 11 fut fecondé dans cette entreprife audacieufe, par le Marquis de Maillebois , qui, dans cette guerre, déploya toujours de grands t3lents. On fut fi indigné, a Londres, de n'avoir pu 1'emporter, fur mer, contre des Francais , que 1'Amiral Bing, qui avait eom-  par les Francais. 85 battu Ie Marquis de la Gali/finniere, fut condamné par une Cour marciale a être arquebufé, en vertu d'une ancienne loi portee du temps de Charles II. En vain le Maréchal de Richelieu, qui, du haut dun terre-plain, avait vu toute Ia bataille, & qui en pouvait juger, envoya a 1'Auteur de cette Hiftoire une déclaration qui juftifiait J Amiral Ring, déclaration parvenue bientoc au Roi d'Angieterre; en vain les juges memes recommanderent fortement le condamné a Ia clémence dü Roi, qui a le droic de faire grace; cet Amiral fut exécucé. II était fils d'un autre Amiral, qui avait "agné la bataille de Meffine, en 1718. II mourut avec une grande fermeté; & avant d'être frappé, il envoya fon mémoire juftificatif a 1'Auteur, & fes remerciments au Maréchal de Richelieu. On defcendit dans les folTés, malgré le feu de 1 artillerie Anglaife; on planta des écheles hautes de treize pieds: les Officiers & es ioldats parvenus au dernier échellon, s'éancaient fur le roe en montanc fur les épauIes J« uns des autres: c'eft par cette audace difficile a comprendre qu'ils fe rendirent maitresde tous les ouvrages extérieurs. Les troupes s'y porterent avec d'autant plus de courage, qu'elles avaient a faire a prés de trois mille Anglais fecondés de tout ce que Ja nature & 1'art avaient fait pour les déïendre. Chap. XXXI.  36 Nouvelle Guerre Chap. XXXI. 29 Juin I756- CH APITRE XXXII. GUERRE EN ALLEMAGNE. Un Elekleur cle Brandebourg rèfifle a la Maifon d'Autriche, a £ Empire Allemand, a celui de Ruffie, a la France. EvÉNEMENTS MÉ M O R A BLE S. ON avaic admiré Louis XIV, d'avoir feul réfifté ft 1'Allemagne, ft 1'Angleterre , ft 1'Italie, ft la Hollande, réunis contre lui. Nous avons vu un événement plus extraordinaire, un Eleéteur de Brandebourg tenir feul contre les forces de la Maifon d'Autriche, de la France, de la Ruffie, de la Suede, & de la moitié de l'Empire. C'eft un prodige qu'on ne peut atmbuer qu'a la difcipline de fes troupes, & ft la fupériorité du Capitaine. Le hafard peut faire Le lendemain la place fe rendit. Les Anglais ne pouvaient comprendre commenc les foldats Francais avaient efcaladé ces foffés, dans lefquels il n'était guere poflible ft un homme de fang-froid de defcendre. Cette action donna une grande gloire au Général & ft la nation; mais ce fut le dernier de fes fuccès contre 1'Angleterre.  en Allemagne. 87 gagner une bataille ; mais quand le faible réfifte au fort fept années dans un pays tout ouvert, & répare les plus grands malheurs, ce ne peut être 1'ouvrage de la fortune. C'eft en quoi cette guerre differe de toutes celles qui ont jamais défolé le monde. ; 9" a déJa vu ^ue le fecond Roi de Prufiè etait le feul Prince de 1'Europe qui eüt un trcfor, & le feul qui ayant mis dans fes armées une vraie difcipline, avait établi une puifiance nouvelle en Allemagne. On a vu combien les préparatifs du pere avaient enhardi le fils ft braver feul la puifiance Autrichienne, & ft s'emparer de la Siléfie. L'Impératrice - Reine attendait que les conjonctures lui fourniffent les moyens de rentrer dans cette Province. C'eut été autrefois un objet indifférent pour 1'Europe, qu un petit pays, annexé ft la Bohème, appartmt ft une maifon ou ft une autre : mais la politique s'étant raffinée plus que perfectionnée en Europe, ainfi que tous les autres objecs de 1'efprit humain, cette petite querelle a mis fous les armes plus de cinq cents mille hommes. II n'y eut jamais tant de combattants effeétifs, ni dans les Croifades, ni dans les irruptions des conquérants de 1'Afie. Voici comment cette nouvelle fcene s'ouvrit. Elifakth, Impératrice de Ruffie, était Chap. XXXIL  Cha p. XXXII. 88 La France unie liée avecl'Impératrice Marie-Thérefe, par d'anciens traités, par 1'intérêt commun qui les uniffait contre l'Empire Ottoman, & par une inclination réciproque. Augufle III, Roi de Pologne , & Electeur de Saxe, réconcilié avec 1'Impératrice-Reine, & attaché ala Ruffie, a laquelle il devait le titre de Roi de Pologne , était intimement uni avec ces deux Souveraines. Ces trois Puik fances avaient chacune leurs griefs contre le Roi Fréderic. Marie-Thérefe voyait la Siléfie arrachée a fa Maifon; Augufte & fon Confeil fouhaitaient un dédommagement pour la Saxeruinée par le Roi de Pruffe dans la guerre de 1741, & il y avait entre Eüfabeth & Fréderic des fujets de plainte perfonnels, qui fouvent influent plus qu'on ne penfe fur la deftinée des Etats. Ces trois Puiflances animées contre le Roi de Prufiè, avaiententr'elles uneétroitecorrefpondance, dont ce Prince craignait les effets. L'Autriche augmentaic fes troupes, celles SElifabeth étaient prêtes; mais le Roi de Pologne, Eleéteur de Saxe, était hors d'état de rien entreprendre; les finances de fon Eleétorat étaient épuifées; nulle place confidérable ne pouvait empêcher les Pruffiens de marcher a Drefde. Autantl'ordre & 1'économie rendaient le Brandebourg formidable, autant la diffipation avait affaibli la Saxe. Le Confeil Saxon du Roi de  avee YAutriche. 8y Pologne héfitait beaucoup d'entrer dans des mefures qui pouvaienc lui être funeftes. Le Roi de Prufiè n'héfita pas; & dès 1'année 1755, il pritfeul, &fans confulter perfonne, la réfolution de prévenir les Puiflances donc il avaic de fi grands ombrages. II fe ligua d'abord avec le Roi d'Angieterre, Eleéteur de Hanovre, s'affuradu Land-1 gravede HelTe, & de la Maifon deBrunfwick , & renonca ainfi a 1'alliance de la France. Ce fut alors que 1'ancienne inimitié entre les Maifons de France & d'Autriche, fomeméedepuis Charles-Quint ók Frangois /, fit place a une amitié qui parut fincéreinent établie, & qui étonna toutes les nations. Le Roi de France, qui avait fait une guerre fi cruelle a Marie-Thérefe, devint fon allié; & leRoi de Prufiè, qui avait été allié de la France, devint fon ennemi. La France & 1'Autriche s'unirent après trois cents ans d'une difcorde toujours fanglante. Ce que n'avaient pu tant de traités de paix, tant demariages, un mécontentement recud'un Electeur, le fit en un moment. Le'Parlement d'Angieterre appella cette union monltrtieufe; mais étant néceffaire, elle était très-naturelle. On pouvait même efpérer que ces deux Maifons puiffimtes réunies, fecondées de la Ruffie, de la Suede, & de Chap. XXXÜ. 56 Jaay. 756.  Chat. XXXII. •lal 1756 90 Drefde prife encore. plufieurs Etats de l'Empire, pourraient contenir Je refte de 1'Europe. Le traité futfigné ft Verfailles entre Louis XV&Marie-Thérefe; 1'Abbé deBernis, depuis Cardinal, eut feul 1'honneur de ce fameux traité, qui détruifait tout 1'édifice du Cardinal de Richelieu, & qui femblait en élever un autre plus haut & plus vafte. II fut bientöt après Miniftre d'Etat, &prefqu'aufli - tot difgracié. On ne voit que des révolutions dans les affaires publiques & particulieres. Le Roi de Pruffe, menacé de tous cötés, n'en fut que plus prompt ft fe mettre en campagne. II fait marcher fes troupes dans la Saxe qui était prefque fansdéfenfe, comptant fe faire, de cette Province , un rempart contre la puifiance Autrichienne, èkun chemin pour aller jufqu'ft elle. II s'empare d'abord de Leipfick; une partie de fon année fe préfente devant Drefde; le Roi Augufle fe retire comme fon pere devant Charles XII; il quitte fa Capitale, & va occuper le camp de Pirna, prés de Koenigftein, fur le chemin de la Bohème, & fur la rive de 1'Elbe, oü il fe croic en füreté. Fréderic entre dans Drefde en maitre, fous le nom de proteéteur. La Reine de Pologne, fille de 1'Empereur Jofeph, n'avait point voulu fuir; 011 lui demanda les clefs des archivcs. Sur le refus qu'elle fit de  Drefde prife encore. 91 les donner, on fe mie en devoir d'ouvrir les portes; la Reine fe placa au-devant, feftattant qu'on refpeéterait fa perfonne & fa fermeté; on ne refpefta ni 1'une, ni l'autre; elle vit ouvrir ce dépot del'Etat. II importait au Roi de Prufiè d'y trouver des preuves des deflêins de la Saxe contre lui; il trouva, en effet, des témoignages de la crainte qu'il infpirait ; mais cette même crainte qui aurait dü forcer la Cour de Drefde a fe mettre en défenfe, ne fervit qu'a la rendre la viétime d'un voifin puilfant. Elle fentit trop tard qu'il eut fallu, dans laficuation oü était la Saxe depuis tant d'années, donner tout a la guerre, & rien aux plaïfirs. II eft despofitions oü 1'on n'a d'autres parti a prendre que celui de fe préparer \ combattre, a vaincre ou a périr. Au bruit de cette invafion, le Confeil Aulique de 1'Empereur déclara le Roi de Prulfe perturbateur du repos public, & rebelle. II était difficile de faire valoir cette déclaration contre un Prince qui avait prés de cent cinquante mille combattants a fes ordres. II répondit aux loix par une bataille; elle fe donna entre lui & l'armée Autrichienne, qu'il alla chercher a 1'entrée de la Bohème, prés d'un bourg nommé Lovofitz. Cette première bataille fut indécife par le nombre des mens; mais elle ne le fut Chap. XXXIi. 20 Sept, 1756. n oaob.  Cha p. XXXII. pa Les Ruffes point par les fuites qu'elle eut. On neput empêcher le Roi de bloquer les Saxons dans Je camp de Pirna même; les Autrichiens ne purent jamais leur prêrer la main; & cette petite armée du Roi de Pologne, compofèe d'environ treize a quatorze mille hommes, fe rendit prifonniere de guerre, fept jours après la bataille. Augufle, dans cette capitularion fingullere, feul événement militaire entre lui &le Roi de Prune, demanda feulement qu'on ne fit point fes gardes prifonniers. Fréderic répondk, quil ne pouvait écouter cette priere, que ces gardes ferviraient infailliblement contre lui, & qu'il ne voulait pas avoir la peine de les prendre une feconde fois. Cette réponfe fut une terrible Jecon è tous les Princes, qu'il faut fe rendre puflTant quand on a un voifin puiffant. Le Roi de Pologne ayant perdu ainfi fon Electorat & fon armée, demanda des pafïèports a fon ennemi pour aller en Pologne; ils lui furent aifément accordés; on eut la politeflê infultante de lui fournir des chevaux de pofte. II alla de fes Etats héréditaires dans fon Royaume éleétif, oü il ne trouva perfonne qui propofat même de s'armer pour fecourir fon Roi. Tout 1'Electorat fut mis a contribution , & Ie Roi de Pruffe, en faifant la guerre, trouva, dans les pays enva-  en Allemagne. 05 his, de quoi la foutenir. La Reine de Pologne ne fuivic point fon mari, elle refta dans Drefde, le chagrin y tennina bientöc fa vie. L'Europe plaignit cette familie infortunée; mais dans le cours de ces calamicés publiques, un million de families effuyaient des malheurs non moins grands, quoique plus obfcurs. Les Magiftrats municipaux de Leipfick firent des remontrances fur les contributions que le vainqueur leur impofait, ils fe dirent dans Pimpuiffance de payer; on les mit en prifon, & ils payerent. Jamais on ne donna tant de batailles que dans cette guerre. Les RulTes entrerent dans les Etats Prufïiens par la Pologne. Les Fran • cais, devenus auxiliaires de la Reine d'Hongrie, combattirent pour lui faire rendre cette même Siléfie, dont ils avaient contribué ft la dépouiller quelques années auparavant, lorfqu'ik étaient les alliés du Roi de Prufiè. LeRoi d'Angieterre, qu'on avait vu le parti. fan le plus déclaré de la Maifon d'Autriche, devint un de fes plus dangereux ennemis. La Suede, qui autrefois avait porté de fi grands coupsa cette Maifon Impériale d'Autriche , la fervit alors contre le Roi de Pruffe, moyennant neuf cents mille francs que le Miniftere Francais lui donnait; &ce fut elle qui caufa le moins de ravages. L'Allemagne fe vitdéchirée par beaucoup Chap. XXXII.  Chap. XXXII. i 6 Mai »7J7. ] ] 1 I i < 94 Guerre plus d'armées nationales & étrangeres, qu'il n'y en euc dans la fameufe guerre de trente ans. Tandis que les Rulles venaient au fecours de 1'Autriche par la Pologne, les Francais entraient par le Duché de Cleves & par Wéfel, que lesPruffiensabandonnerent.-ils prirent toute la Heffe; ils marcherent vers le pays de Hanovre, contre une armée d'Anglais, d'Hanovriens, d'Helfois, conduite par ce même Duc de Cumberland, qui avait attaqué Louis XV a Fontenoy. Le Roi de Pruffe allaic chercher l'armée Autrichienne en Bohème; il oppofait un corps confidérable aux Ruffes. Les troupes de l'Empire, qu'on appellait les troupes d'exécution, étaient commandées pourpénétrerdansla Saxe, tombée toute entiere m pouvoir du Pruffien. Ainfi 1'Allemagne -taïc en proie a fix armées formidables qui a dévoraient en même-temps. D'abord le Roi de Prufiè court attaquer e Prince Charles de Lorraine , frere de 'Empereur, & le Général Brown auprès de prague. La bataille fut fanglante; le Prufien la gagna, & une partie de 1'infanterie \utrichienne fut obligée de fe jetter dans 'rague, oü elle fut bloquée plus de deux nois par le vainqueur. Une foule de Prïnes était dans la ville, les provifions comnencaient a manquer; on ne doutait pas  en Allemagne. ^ que Prague ne fubic bientöt le joug, & que 1'Autriche ne fut plus accablée par Fréderic, que par Guftave-Adolphe. Le vainqueur perdic tout Ie fruit de fa conquête en voulant tout emporter a la fois. Le Comte de Kaunitz, premier Miniftre de Marie-Thérefe, homme auffi actif dans le cabinet que le Roi de Pruffe 1'était en campagne , avait déja fait raffembler une armée fous le commandement du Maréchal Daun. Le Roi de PrufTe ne balanca pas a courir attaquer cette armée que la'réputation de fes viétoires devait intimider. Cette armée une fois difïïpée, Prague bombardée depuis quelque temps allaic fe rendre ft difcrétion. II devenaitle maitre abfolu de 1'Allemagne. Le Maréchal Daun retrancba fes troupes fur Ja croupe d'une colline. Les 1 ruffiensymonterent jufqu'a fept fois, comme a un afTaut général; ils furent fept-fois repoufTés & renverfés. Le Roi perdit environ vmgt-cmq mille hommes en morts, en blefles, en fuyards, en déferteurs. Le Prince Charles de Lorraine, renfermé dans Prague, en fortit & pourfuivit les Prufliens. La rêvolution fut auffi grande que Tavaient été auparavant les exploits & les efpérances du Koi de Prufiè. Les Francais, de leur cöté, fecondaienc puifTamment Marie-Thérefe. Le Maréchal tihjtrées qui les commandait, avait déja Chap. XXXII. Bataille ie Kol li n )u de Tra;ue. 18 Juillet 757.  'Chap. XXXII. Bataille d'Haftinbek.29 Juille 1757. 96 Guerre 'paffe leWéfer; il fuivic pas k pasleDucde Cumberland vers Minden; il 1'atteignit vers Haftinbek, lsi livra bataille, & remporta une victoire complete. Les Princes de Condé & de la Marche-Conty fignalerent dans cette journée leurs premières armes, & le fang de France foutenait la gloire de la patrie contre le fang d'Angieterre. Onyperdit un Comte de Laval-Montmorenci & un brave Officier de la Maifon de Bujji. Un coup de fufil qu'on crut long-temps mortel , perca le Comte du Chdtelet de la Maifon de Lorraine, fils de cette célebre Marquife du Chdtelet, dont le nom ne périra jamais parmi ceux qui fuvent qu'une Dame Francoife a commenté le grand Newton. Remarquons ici que des intrigues de Cour avaient déja öté le commandement au Maréchal d'Eftrées. Les ordres étaient partis pour lui faire cet affront, tandis qu'il gagnait une bataille. On affectait a la Cour de fe plaindre qu'il n'eüt pas encore pris tout 1'Electorat d'Hanovre, & qu'il n'eüt pas marché jufqu'a Magdebourg. On penfait que tout devait fe terminer en une campagne. Telle avait été la conflance des Francais, quand ils firent un Empereur, & qu'ils crurent difpofer des Etats de la Maifon d'Autriche en 1741. Telle elle avait été, quand au commencement du fiecle , Louis Philippe F, maitres de 1'Italie & de  en Allemagne. de Ia Flandre, & fecondés de deux Electeurs , penfaient donner des loix a 1'Euro- tM &EJirées difait, que ce n'était pas afTez de s avancer en Allemagne, qu'il'fallaic fe preparerlesmoyens d'en fortir. Sa conduite & fa valeur prouverent que lorfqu'on enyoye une armée, on doit laüTer faL le Genera! Carfion 1'a choifi, on a eu en lui confianee. CHAPITRE XXXIII. suite des événements mémorable l'armée Anglaife obligée de capitule Journée de Rosbac. Révolutions. T e Miniftere de Franceavoit déjafaitpa, lï ^aréchal de Richelieu, po commander l'armée du Maréchal dtf ll^Zr^ tfüt Vid0ke ^Portante d ce Général. Le Maréchal de Richelieu long-temps célebre par les agrémenïs de fi %ure & de fon efprit, & dfvenu p us cé lebre par la défenfe de Genes & par Ia prift de Minorque, alla combattre le Duc d chure de 1 Elbe, & la il Ie forca a capituler Chap. xxxii. s. ÏV r » ii l 8SSp  Chap. XXXIII. as Aoüi *757« 98 Guerre en Allemagne. plus finguliere qu'une bataille gagnée, était non moins glorieufe. L'armée du Duc de Cumberland fut obligée par écrit de fe retirer au-dela de 1'Elbe, & de laiflèr le champ libre aux Francais, contre le Roi de Prufiè. II ravageait la Saxe, mais on ruinait aufli fon pays. Le Général Autrichien Haddik avait furpris la ville de Berlin, & lui avait épargné le pillage, moyennant huit cents mille de nos livres. Alors la perte de ce Monarque paraiflait inévitable. Sa grande déroute auprès de Prague , fes troupes battues prés de Landshut a 1'entrée de la Siléfie, une bataille contre les Rufies indécife, mais fanglante; tout 1'affaibliflait. II pouvoit être enveloppé d'un cóté par l'armée du Maréchal de Richelieu, & de l'autre, par celle de l'Empire, tandis que les Autrichiens & les Rufies entraient en Siléfie. Sa perte paraiflait fi certaine, que le Confeil Aulique n'héfita pas a déclarer qu'il avait encouru la peine du ban de l'Empire, & qu'il était privé de tous fes fiefs, droits, graces, privileges, &c. II fembla lui-même défelpérer pour lors de fa fortune, & n'envifagea plus qu'une mort glorieufe. II fit une efpece de teftamenc philofophique; & telle était la liberté de fon efprit au milieu de fes malheurs, qu'il 1'écrivit en vers francais. Cette anecdote efl unique.  Bataille de Rcsbac. . 90 Le Prince de Soubife, Général d'un courage tranquille & ferme, d'un efprit fage, d'une conduite mefurée, marchait contre lui en Saxe, ft Ia tête d'une forte armée, que le Miniftere avait encore renforcée d'une partie de celle du Maréchal de Richelieu. Cette armée était jointe ft celle des Cercles, commandée par le Prince ó,Hilbourghaufen. Fréderic, entouré de tant d'ennemis, prit le parti d'aller mourir les armes ft Ia main dans les rangs de l'armée du Prince de Soubife, & cependant il prit toutes les mefures pour vaincre. II alla reconnoitre l'armée de France & des Cercles, & fe retira d'abord devant elle pour prendre une pofition avantageufe. Le Prince SHilbourghaufen voulut abfolument attaquer. Son fentiment j devait prévaloir, paree que les Francais " n'étaient qu'auxiliaires. On marcha prés de Rosbac & de Mersbourg ft l'armée Pruffienne, qui femblait être fous les tentes. Voilft tout d'un coup les tentes qui s'abaiffent; l'armée Prulïïenne parait en ordre de bataille, entre deux collines garnies d'artillerie. Ce fpecracle frappa les yeux des troupes Francaifes & Impériales. II y avait quelques années qu'on avait voulu exercer les foldats Francais ft la Prulïïenne, enfuite on avait changé plufieurs évolucions dans cet exerE ij Chap. XXXUI. Bataille !e Rofac, Nov. 757.  Chap. XXXIII. ♦ C'eft contre Ie Colonel Dhshh de la Compagnie des Indes, ffabus ff autorité, vexations <£? exa&ions. II eft néceffaire de remarquerque ces mots trahi les intéréts du Roi, ne fignifientpas ce qu'on appelle en Angleterre haute trahtfon, & parmi nous leié-majefté. Trahit les intéréts, nelTgniiie dans notre langue, que mal conduire , oublier les intéréts de quelqu'un, nuire a fes intéréts, & non pas être perfide & traïtre. Quand on luilut fon arrêt, fa furprife & fon indignation furent fi vio.cntes^u'ayant, par hafard , dans la main un compas dont il s'était fervi dans fa prifon pour faire des cartes de la cóte de Coromandel, il voulut s'en percer le cceur. On 1'arrêta. II s'emporta contre fes Juges'avec F iv t ' C H A 1 xxxn 6 Msi 1766.  Chap. XXXIV. * Prefque tous les Journaux ont debité que le Parlement de Paris avait député au Roi pour le fupplier de ne point accorder grace au condamné. Cela eft très-faux. Un tel acharnement incompa- 128 Lally. plus de fureur encore qu'il n'en avait étalé contre fes ennemis. C'eft peut-être une nouvelle preuve de la forte perfuafion oü it fut toujours, qu'il méritait des récompenfes plutot que des chatiments. Ceux qui connaiflènt le cceur humain , favent que d'ordinaire les coupables fe rendent juftice euxmêmes au fond de leur ame, qu'ils n'éclatent point contre les Juges, qu'ils reftent dans une confufion morne. II n'y a pasun feul exemple d'un condamné, avouant fes fautes, qui aitchargé fes Juges d'injures& d'opprobres. Je ne prétends pas que ce foit une preuve que Lally fütentiérement innocent : mais c'eft une preuve qu'il croyait 1'être. On lui mit dans la bouche un baillon qui débordait fur les levres. C'eft ainfi qu'il fut conduit a la Greve dans un tombereau. Les hommes font fi légers, que ce fpeétacle hideux attira plus de compaflion que fon fupplice. L'arrêt confifqua fes biens, en prélevant nne fomme de cent mille écus pour lespauvres de Pondichéry. On m'a écrit que cette fomme ne put fe trouver. Je n'affure point ce que j'ignore *. Si quelque chofe peut  Pertes dans Tlnde, x 2 important dont la Compagnie Francaife des verf iTp,1? iufti"^ 3VeC rhuma""é. aurait «,uvert te Parlement d'un opprobre étemlcl F v Chap. XXXIV. Mars 1757-  Chap. XXXV. Mars 175,6. 130 Pertes dans Pinde. Indes était en poffèffion vers les embouchures du Gange. C'était de-la qu'elle tirait fes plus belles marchandifes. Depuis la prife de la ville & du fort de Chandernagor, les Anglais ne ceflèrent de ruiner le commerce des Franc/ais dans l'Inde. Le Gouvernement de 1'Empereur était fi faible & fi mauvais, qu'il ne pouvait empêcher des marchands d'Europe de faire des ligues & des guerres dans ies propres Etats. Les Anglais eurent même la. hardieffè de venir attaquer Surate, une des plus belles villes de l'Inde & la plus marchande , appartenante ft 1'Empereur. Ils la prirenr^, ils la pillerent, ils y détruifirent les comptoirs de France, & en remporterent des richefTesimmenfes, fans que la Cour auffi imbécille que pompeufe du Grand IViogol, parüt fe reffentir de cetoutrage qui eut fait exterminer dans l'Inde tous les Anglais fous l'Empire d'un Aurengfeb. Enfin , il n'eft refïé aux Francais , dans eette partie du monde, que le regret d'avoir dépenfé, pendantplus de quarante ans, des. fommes immenfes pour entretenir une Compagnie qui n'a jamais fait le moi'ndre profit, qui n'a jamais rren payé auxaótionnaires & ft fes créanciers du produit de fon commerce; qui, dans fbn adminifiration Indienne, n'a fubfifle que d'un fecret brigandage, & qui n'a été foutenue que par une  Vertes dans ïlnde. 13] partie de la Ferme du tabac que le Roi lu: accordait; exemple mémorable & peut-êcre inutile du peu d'intelligence que Ia nation Francaife a eue jufqu'ici du grand & ruineux commerce de l'Inde. Tandis que les flottes & les armées Anglaifes ont ainfi ruiné les Francais en Afie, ils les ont aufli chaflës de 1'Afrique. Les Francais étaient maitres du fleuve du Sénégal, qui efl une branche du Niger; ils y avaient des forts; ils y faifaient un grand commerce de dents d eléphants, de poudre d'or, de gomme arabique, d'ambre gris, & fur-tout de ces negres, que tantöt leurs Princes vendent comme des animaux, & qui tantöt vendent leurs propres enfants, ou fe vendent eux-mêmes pour aller fervir les Européens en Amérique. Les Anglais ont pris tous les forts batis par les Francais dans ces contrées, & plus de trois millions cournois en marchandifes précieufes. Le dernier établiflèment que les Francais avaient dans ces parages de 1'Afrique, était ' la Gorée; elle s'efl: rendue a difcrétion, & il ne leur efl rien refté alors dans PAfrique. Ils ont fait de bien plus grandes pertes en Amérique. Sans entrer ici dans le détail de cent petits combats, & de Ia perte de tous les forts 1'un après l'autre, il fuffitde dire que les Anglais ont pris Louisbourg F vj Chap. XXXV. Msi 1757, 29 Déc. 758.  Chap XXXV Septem] '758. Septem] «760. 132 Per'tes au Canada. "pour la feconde fois, auffi mal fortifïée» auffi mal approvifionnée que la première. Enfin , tandis que les Anglais entraient dans Surate a 1'embouchure du fleuve Indus, ils prenaient Quebec & tout le Canada au 1. fond de 1'Amérique Septentrionale; les troupes qui ont hafardé un combat pour fauver Quebec, ont été battues & prefque décruites, malgré les efforts du Général Montcalm,tüé dans cette journée, & très-regretté en France. On a perdu ainfi, en un feul jour, quinze cents lieues de pays. 1. Ces quinze cents lieues, dont les trois quarts font des déferts glacés, n'étaient pas peut-être une perte réeïle. Le Canada coutait beaucoup, & rapportait très-peu. Si la dixieme partie de 1'argent englouti dans cette colonie avait été employé a défricher nos rerres incultes en France, on aurait fait un gain confidérable; mais on avait voulu foutenir le Canada, & on a perdu cent années de peines avec tout 1'argent prodigué fans retour. Pour combiede malheur,on accufaitdes plus horriblesbrigandages prefque tous ceux qui étaient employés au nom du Roi dans cette malheureufe colonie. Ils ont été jugés au Chatelet de Paris, tandis que le Parlement informait contre Lally. Celui-ci, après avoir cent fois expofé fa vie, 1'a perdue par la main d'un bourreau, tandis que les concuffionnai-  Pertes au Canada. 133 res du Canada n'ont été condamnés qu'a des reftitutions & des amendes; tant il eft de düTérence entre les affaires qui femblentles niómes. _ Dans le temps que les Anglais attaquaienc ainfi les Francais dans le continent de 1'Amérique , ils fe font tournés du cóté des ifles. La Guadeloupe, petite, mais floriffante , oü fe fabriquait le meilleur fucre, eft tombée entre leurs mains fans coup férir. Enfin, ils ont pris Ia Martinique, qui était la meilleure & la plus riche colonie qu'eut Ia France. _ Ce Royaume n'a pu efïïryer de fi grands défaftres, fans perdre encore tous les vaiffeaux qu'elle envoyait pour les prévenir; a peine une flotte était-elle en mer, qu'elle était ou prife ou détruite r on conftruifart, on armait des vaiflèaux a la Mte; c'était travailler pour 1'Angleterre donc ils devenaient bientöt la proie. Quand on a voulu fe venger de tant de pertes, & faire une defcente en Irlande, ü en a couté des fommes immenfes pour cette entreprife infruétueufe; & dès que la flotte deftinée pour cette defcente eft fortie. de Breft, elleaété difperfée en partie, 011 prife ou perdue dans Ia vafe d'une riviere nommée la Vilaine, fur laquelle elleacherché un vain refuge. Efifin, les Anglais ont Chap. XXXV,  Chat. XXXV. i Sept. ~ss. 134 Duc itAiguillon. ' pris Belle-Ifle a la vue des cötes de France qui ne pouvaic la fecourir. Le feul Duc d'Aiguillon vengea les cötes de la France de tant d'affronts & de tant de pertes. Une flotte Anglaife avait fait encore une defcente a St. Caft prés de St. Malo ; tout le pays était expofé. LeDucd'^/ga/Vlon, qui commandait dans le pays, marche fur le champ a la tête de la nobleflè Bretonne, & quelques bataillons & des milices qu'il rencontre en chemin. II force les Anglais de fe rembarquer; une partie de leur arriere-garde eft tuée, l'autre faite prifonniere de guerre; mais les Francais ont été malheureux par-tout ailleurs. Jamais les Anglais n'ont eu tant de fupériorité fur mer; mais ils en eurent fur les Francais dans tous les temps. Ils avaient détruit la marine de la France dans la guerre de 1741; ils avaient anéanti celle de Louis XIF dans la guerre de la fucceffion d'Efpagne; ils étaient les maitres des mers, du temps de Louis XIII, de Henri IV, & encore plus dans les temps infortunés de la Ligue. Le Roi d'Angieterre Henri VIII euc le même avantage fur Frangois I. Si vous remontezaux temps antérieurs, vous trouverez que les flottes de Charles VI & de Philippe de Valois, ne tiennent pas contre celles des Rois d'Angieterre Henri V & Edouard III.  Anglais. 135 Quelle eft la raifon de cette fupériorité continuelle? N'eft-ce pas que les Anglais ont un befoin elTentiel de la mer, dont les Francais peuvent ft toute force fe paffer, & que les nauons réulTilTent toujours, comme on 1'a déja dit, dans les chofes qui leur font abfolument néceflaires ? N'eft-ce pas auffi paree que la Capitale d'Angieterre eft un port de mer, & que Paris ne connaïc que les bateaux de la Seine ? Serait-ce enfin que le climac & le fol Anglais produifenc des hommes d'un corps plus vigoureux & d'un efprit plus conftant que celui de France, comme il produit de meilleurs chevaux & de meilleurs chiens de chaflè ? Mais depuis Bayonne jufqu'aux cötes de Picardie & de Flandres, la France a des hommes d'un travail infatigable, & la Normandie feule a fubjugué autrefois 1'Angleterre. Les affaires étaient dans cet état déplorable fur terre & fur mer, lorfqu'un homme d'un génie aétif & hardi, mais fage, ayant d'auffi grandes vues que le Maréchal de Belle-Ifle, avec plus d'efprit, fentit que la France feule pouvait ft peine fuffire ft réparer des pertes fi énormes. II a fu engager 1'Efpagneft foutenirla querelle ; ilafait une caulè commune de toutes les branches de la Maifon de Bourbon. Ainfi l'Efpagne & I'Autriche ont été jointes avec la France par le même intérêt. Le Portugal était, en effet, Chap, XXXV.  Chap. XXXV. 13 Aoüt •62. 136 Efpagne» une Province de 1'Angleterre, dont elle tirait cinquante millions par an; il a fallu la frapper par cet endroit : & c'eft ce qui a déterminé Dom Carlos, Roi d'Efpagne, par la mort de fon frere Ferdinand, h entrer dans le Portugal. Cette manoeuvre eft peut - être le plus grand trait de politique dont l'Hilloire moderne faflè mention. Elle a encore été inutile. Les Anglais ont réfilté a I'Efpagne, & ont fauvé le Portugal. Autrefois I'Efpagne feule était redoutée de toute 1'Europe fous Philippe ff; & maintenant réunie avec la France, elle ne peut rien contre les Anglais. Le Comte de ld Lippe Shombourg, 1'un des Seigneurs de Weftphalie, encore jeune, qui n'avait commandé jufqu'alors aucune troupe , qui même avait fervi a peine, envoyé au fe» cours du Portugal, par le Roi d'Angieterre , a la tête de quelques Hanovriens & de trés-peu d'Anglais, repoulfe toujours les Efpagnols au -dela de leurs frontieres; & une flotte d'Angieterre leur a fait payer cher, en Amérique, leur déclaration tardive en faveur de la France. La Havane, bfcie fur la cöte feptentrionale de Cuba, la plus grande ifle de 1'Amérique , k 1'entrée du golfe du Mexique, eft le rendez-vous de ce nouveau monde. Le port, auffi immenfe que fur, peutcontenir mille vaiflèaux. II eft défendu par  Cuba. 137 trois forts, dont part un feu croifé, qui rend 1'abord impoffible aux ennemis. Le Comte SAlbermale & 1'Amiral Pocook viennent attaquer 1'ifle; mais ils fe gardent bien de tenter les approches du port; ils defcendent fur une plage éloignée , qu'on croyait inabordable. Ils afliegent, par terre, le fort le plus confldérable, ilslepren- 1 nent, & forcent la ville, les forts & toute. 1'ifle ft fe rendre, avec douze vaiflèaux de guerre qui étaient dans le port, & vingtiept navires chargés de tréfors. On trouva dans la ville vingt-quatre de nos millions en argent comptant. Tout fut partagé entre les vainqueurs, qui mirent ft part la feizieme partie du burin pour lespauvres. Les vaiflèaux de guerre furent pour leRoi, les vaiflèaux marchands pour 1'Amiral & pour tous les Officiers de la flotte. Tout ce burin montaitft plus de quatre-vingts millions. On a remarqué que dans cette guerre & dans la précédente, I'Efpagne avait perdu plus qu'elle ne retire de 1'Amérique en vingt années. Les Anglais, non-contents de leur avoir pris la Havane dans la mer du Mexique, & 1'ifle de Cuba, coururent leur prendre, dans la mer des Indes, les ifles Philippines,qui font ft-peu-près les antipodes de Cuba. Ces ifles Philippines ne font guere moins grandes que 1'Angleterre, 1'Ecoflè & 1'Irlande, Chat. XXXV. 13 Ao'at 761.  Chap. XXXV, v oaob Ï761. 138 Manille. & feraient plus riches fi elles étaient bien adminiftrées, une de ces ifles ayant des mines d'or, & leurs cötes produifant des perles. Le grand vaiffeau d Acapulco, chargé de la valeur de trois millions de piaftres, arrivait dans Manille Ia Capitale. On prit ManiUe , les ifles & le vaiffeau fur-tout, malgré les affurances données par un Jéfuite, de la part de Sainte~IJotamhnne, patronne de la ville, que Manille ne ferait jamais prife. Ainfi la guerre, qui appauvrit les autres nations, enrichiffait une partie de la nation Anglaife, tandis que l'autre gémifiait fous le poids des impóts les plus rigoureux, auffibien que tous les peuples engagés dans cette guerre. La France alors était plus malheureufe. Toutes les reflburces étaient épuifées; prefque tous les citoyens, ft 1'exemple du Roi, avaient porté leur vaiflèlle ft la monnoie. Les principales villes & quelques communautés fourniflaient des vaiflèaux de guerre ft leurs fraix; mais ces vaiflèaux n'étaient pas conflruits encore; & quand même ils 1'auraient été, on n'avait pas afTez d'hommes de mer exercés. On était maitre de la Flandre; on était prêt de prendre Maeftricht; mais on manquait de pain dans toutes les parties méridionales de la France, & il n'y avait plus de vaiflèaux de guerre en état de protéger les  Anglais. 139 navires qui pouvaient amener des bleds; plus de fecours, plus d'argenc, plus de crédit. Ceux qu'on choifilfait pour régirles finances étaient renvoyés après quelques mois d'adminiftration. Les autres refufaient cet emploi, dans lequel on ne pouvait alors que faire du mal. Dans cette trifte fituation qui décourageaic tous les ordres de 1'Etat, le Duc de Prajlin, Miniftre alors des affaires étrangeres, fut offez; habile & affèz heureux pour conclure la paix, dont le Duc de Choifeul, Miniftre de la guerre, avait entamé les négociations. Le Roi de France échangea Minorque qu'il renditau Roi d'Efpagne, contre BéTleIfle, que 1'Angleterre lui remit; mais 1'on perditck probablement pour jamais toutle Canada, avec ce Louisbourg , qui avaic coüté tant dargent & de foins, pour être fi fouvent la proie des Anglais. Toutes les terres fur la gauche du grand fleuve Miffifiïpi, leur furent cédées. L'Efpagne, pour arrondir leurs conquêtes, leur donna encore la Floride. Ainfi du vingt-cinquieme degré jufques fous le Pöle, prefque tout leur appartient. Ils parragerent l'hémifphere Américain avec les Efpagnols. Ceux-ct ont les terres qui produifent les richeflès de convention; ceux-la ont les richeflès réelles quis'achetent avec lor & 1'argent, cou- Chaf, XXXV. 10 Fév, "763.  Chap. XXXV. 1 ] 140 Pacific at Ion générale. tes les denrées néceffaires, tour. ce qui fett aux manufaftures. Les cötes Anglaifes , dans 1'efpace de fix cents lieues, font traverfées par des fleuves navigables qui leur portent leurs marchandifes jufqu'ft quarante & cinquante lieues dans leurs terres. Les peuples d'Allemagne fe font emprelTés d'aller peupler ces pays, oü ils trouvent une liberté dont ils nejouiffaient point dans leur patrie. Ils font devenus Anglais; & fi toutes ces colonies demeuraient unies a leur métropole, il n'eftpas douteux que cetétabliflèment ne faflè un jour la plus formidable puifiance. La guerre avait commencé pour deux ou trois chétives babitations, & ils y ont gagné deux mille lieues de terrein. Les petites ifles de Sr. Vincent, les Grenndes, Tabago, laDominique, leur furent encore acquifes; & c'eft par le moyen de ces ifles, ainfi que par la Jamaïque, qu'ils font un commerce immenfe avec les Efpagnols, commerce févérement prohibé, & toujours exercé, paree qu'il eft favorable iux deux nations, & que la loi de la néceflité eft toujours la première. La France ne put obtenir qu'avec beaucoup de difficulté le droit de pêche vers Ierre-Neuve, & une petite ifle inculte, lommée Michelon, pour y faire fécher la norue, fans pouvoir y faire le moindre éta,-  Pacification générale. 14] blifièmenc; trifte droit fujet a de fréquente! avanies. La France fut exclue dans l'Inde de les établiflèments fur le Gange ; elle céda fes poffeffions fur le Sénégal, en Afrique; on fut encore obligé de démolir toutes les fortifications de Dunkerque du cöté de la mer. L'Etat perdit dans le cours de cette funefte guerre, la plus floriffante jeuneffe, plus de la moitié de 1'argent comptant qui circulait dans le Royaume, fa marine, (bn commerce , fon crédit. On a cru qu'il eut été très-aifé de prévenir tant de malheurs en s'accommodant avec les Anglais, pour un petit terrein litigieux vers le Canada. Mais quelques ambitieux, pour fe faire valoir& fe rendre nécefiaires, précipiterent la France dans cette guerre fatale. II en avait été de même en 1741. L'amour-propre de deux ou trois perfonnes fuffit pour défoler 1'Europe. La France avait un fi prefiant befoin de cette paix, qu'elle regarda ceux qui la conclurent comme les bienfaiéïeurs de la patrie. Les dettes, dont 1'Etat demeurait furchargé, étaient plus grandes encore que celles de Louis XIF. La dépenfe feule de 1'extraordinaire des guerres avait été en une année de quatre cents millions. Qu'on juge par-la du refte. La France aurait beaucoup perdu, quand même elle eüc été viclorieufe. C I! A P. XXXV.  i4£ Gouvernement Chat. XXXVI, CHAPITRE XXXVI. Gouvernement intérieur de la France. Querelles & aventures , depuis 1750 jufqu'a 1762. Long-temps avant cette guerre funefte, & pendant fon cours, 1'intérieur de la France fut troublé par cette autre guerre fi ancienne & fi interminable entre la jurifdiétion féculiere & la difcipline eccléfiafh'que; leurs bornes n'ayant jamais été bien nurquées comme elles le font aujourd'hui en Angleterre , dans tant d'autres pays, & fur-tout en Ruffie, il en réfultera toujours des diflèntions dangereufes, tant que les droits de la monarchie & ceux des différents corps de 1'Etat feront conteftés. II fe trouva , vers l'an 1750, un Miniftre des finances aflèz hardi pour faire ordonner que le Clergé & les Religieux donneraient un état de leurs biens, afin que le Roi put voir, par ce qu'üs pofiedaient, ce qu'ils devaient h 1'Etat. Jamais propofition ne fut plus jufle, mais les conféquences en parurent facrileges. Un vieil Evêque de Marfeille écrivit au Controleur - général: Ne nous mettez pas dans la néceffité de défebéir a Dieu ou au Roi; vous favez le-  intérieur. 143 queldes deux aurait la prsférence. Cecte lettre d'un Evêque affaibii par 1'age, & incapable d'écrire, était d'un Jéfuite nommé Le Maire, qui le dirigeait lui & fa maifon. Ce Jéfuite était un fanatique de bonne foi, efpece d'hommes toujours dangereufe. Le Miniftere fut obligé d'abandonner une entreprife qu'il n'eüt pas fallu hafarder, fi on ne pouvait la foutenir. Quelques membres du Clergé imaginerent alors d'occuper le Gouvernement par une diverfion embarraffante, & de le mettre en allarme fur le fpirituel, pour faire refpeéter le temporel. lis favaient que la fameufe bulle Unigenitus était en exécration aux peuples. Onréfolut d'exiger, des mourants, des billets de confeflion : il fallaic que ces billets fuffent fignés par des Prêtres adhérents a la bulle; fans quoi point d'extrême-onction , point de viatique; on refufait, fans pitié, ces deux confolations aux Appellants, & h ceux qui fe confeffaient a des Appellants. Un Archevêque de Parisentra fur-tout dans cette manoeuvre, plus par zele de théologien , que par efprit de cabale. Alors toutes les families furent allarmées, le (chifme fut annoncé : plufieurs de ceux qu'on appelle Janféniftes, commencaient a dire hautement, que fi on rendait les Sacrements fi diffidles, on faurait bientöt s'en Chap. XXXVI.  CHAf. XXXVI. ï 44 Parlements. paffèr, a 1'exeniple de tant de nations. Ces minucies bourgeoifes occuperen t plus les Parifiens que tous les grands intéréts de 1'Europe. C'étaient des infeétes fortis du cadavre du Molinifme & du Janfénifme, qui en bourdonnant dans la ville, piquaient tous les citoyens. On ne fe fouvenait plus ni de Metz, ni de Fontenoy, ni des viéloires, ni des difgraces, ni de tout ce qui avait ébranlé 1'Europe. II y avait, dans Paris, cinquante mille énergumenes, qui ne favent pas en quels pays coulent le Danube & 1'Elbe, & qui croyaient Funivers bouleverfé pour des billets de confeflion. Tel elt 1c peuple. Un Curé de St. Etierme-du-Mont, petite ParoilTe de Paris, ayant refufé les Sacrements a un Confeiller du Chdcelet, le Parlement mit en prifon le Curé. Le Roi voyant cette petite guerre civile excitée entre les Parlements &les Evêques, défendit a fes Cours de judicature de fe mêler des affaires concernant les Sacrements, & en réferva la connaiffance a fon Confeilprivé. Les Parlements fe plaignirent qu'on leur ötit ainfi 1'exercice de la police générale du Royaume, & le Clergé fouffrit impatiemment que Fautorité Royale voulut pacifier des querellesde Religion. Lesanimofités s'aigrirent de tous cötés. Une place de Supérieure dans l'liöpital des  Parlements. %^ des filles , acheva d'allumer la difcorde. L'Archevêque voulut feul nommer ft cette place; le Parlement de Paris s'y oppofa, & le Roi ayant jugé en faveur du Prélat, le Parlement celTa de faire fes fonélions, & de rendre la juftice; il fallut que le Roi envoyÉt par fes Moufquetaires ft chaque membre de ce tribunal, des lettres de cachet, portant ordre de reprendre leurs fonélions fous peine de défobéiflance. Les Chambres fiégerent donc comme de coutume; mais quand il fallut plaider, il ne fe trouva point d'Avocats. Ce temps reffemblait, en quelque maniere, au temps de la Fronde; mais dépouillé des horreurs de la guerre civile, il ne fe montrait que fous une forme fufceptible de ridicule. Ce ridicule était pourtant embarralïanr. Le Roi réfolut d'éteindre, par fa modération, ce feu qui faifait craindre un incendie; il exhorta Ie Clergé ft ne point ufer de rigueurs dangereufes; le Parlement reprit fes fonctions. Mais bientöt après les billets de confeffion reparurent; de nouveaux refus de Sacrements irriterent tout Paris. Le même F, Cure de St. Etienne, trouvé coupable d'une feconde prévarication, fut mandé par e Parlement, qui lui défendit ft lui & ft tous le s Curés, de donner un pareil fcandale, fous peine de la faifie du temporel. Le mê- //. Partie. q Chat. XXXVI. v.I7J2.  Chap. XXXVI. Ï46 Quer elles en France me arrêt invita 1'Archevêque de faire cefïèr lui-même le fcandale. Ce terme iüinritation paraiflait entrer dans les vues de la modération du Roi. L'Archevêque ne voulant pas même que la juftice féculiere eut le droit de lui faire une invitation, alla fe plaindre a Verfailles. II était foutenu par un ancien Evêque de Mirepoix, nommé Boyer, chargé du miniftere de préfenter au Roi les fujets pour des bénéfices. Cet hom me, autrefois Théatin, puis Evêque, & devenu Miniftre au département des bénéfices, était d'un efprit fort borné, mais zélé pour les immunités de 1'Eglife; il regardait la bulle comme un article de foi; & ayant tout le crédit attaché a fa place, il perfuada que le Parlement touchait a 1'encenfoir. L'arrêt du Parlement fut caffé; ce corps fit des remontrances fortes & pathétiques» Le Roi lui ordonna de s'en tenir a lui rendre compte de toutes les dénónciations qu'on ferait fur ces matieres , fe réfervant a lui-même le droit de punir les Prêtres dont le zele fcandaleux pourrait faire naitre des femences de fchifme. II défendit par un arrêt de fon Confeil d'Etat, que fes fujets fe donnaflènt les uns aux autres les noms de Novateurs, de Janféniftes, & de Sémi-Pélagiens : c'était ordonner a des foux d'être fages. . Les Curés de Paris, excités par 1'Arche-  entre le Clergè & le Parlement. 147 vêque , préfenterent une requête au Roi, en faveur des billets de confeffion. Sur le champ, leParlementdécrétale CurédeSaintJean-en-Greve, qui avait formé la requête. Le Roi cafla encore cette procédure de juftice; le Parlement ceffa encore fes fonétions; il continuaa faire des remontrances, & le Roi perfifta a exhorter les deux partis a la paix. Ses foins furent inutiles. Une lettre de J'Evêque de Marfeille, dénoncée au Parlement, fut brülée par Ia main du bourreau; un écrit de I'Evêque d'Amiens condamné. Le Clergé étant aflèmblé pour Iors a Paris, comme il s'afiemble tous les cinq ans, pour payer au Roi fes fubfides, réfolut de lui aller porter fes plaintes en habits pontificaux; mais le Roi ne voulut point de cette cérémonie extraordinaire. D'un autre cóté, Ie Parlement condamna A< un porte-Dieu a Tarnende, a demanderpardon a genoux, & a être admonefté, & un Vicaire de Paroifle au bannifTement. Le Roi cafla encore cet arrêt. Les affaires de cette efpece fe multiplie( rent. Le Roi recommanda toujours la paix \ fans que les Eccléfiafliques cefTafient de re1 fufer les Sacrements, & fans que le Parle1 ment cefTat de procéder contre eux. ! _ Enfin, le Roi permit aux Parlements de juger des Sacrements, en cas qu'il y eut Gij Chap. XXXVI.  Chap. XXXVJ. Novemb, 1751. Decemb, 1751. 148 Quer elles en France un procés a leur fujet; mais il leurdéfendit de chercher a juger, lorfqu'il n'y aurait pas de parties plaignantes. Le Parlement reprit une feconde fois fes fonctions; & les plaideurs qu'on avait négligés pour ces affaires, eurent la liberté de fe ruiner a 1'ordinaire. .Le feu couvait toujours fous la cendre. L'Archevêque avait ordonné de refufer le Sacrement a deux pauvres vieilles Religieufes de Ste Agathe, qui ayant entendu dire autrefois a leur Directeur que la bulle Unigsnitus eft un ouvrage diabolique, craignaient d'être damnées, G elles recevaient cette bulle en mourant; elles craignaient d'être damnées auffi en manquant d'Extrême-onétion. Le Parlement envoya fon Greffier a FArchevêque, pour le prier de ne pas refufer h ces deux filles les fecours ordinaires; & le Prélat ayant répondu felon fa coutume, qu'il ne devait compte qu'a Dieu feul, fon temporel futfaifi; les Princes du Sang & les Pairs furent invités a venir prendre féance au Parlement. La querelle alors pouvait devenir férieufe : on commenea a craindre les temps de la Fronde & de la Ligue. Le Roi défendit aux Princes & aux Pairs d'aller opiner dans le Parlement de Paris, fur des affaires dont il attribuait la connohTance a fon Confeilprivé. L'Archevêque de Paris eut même le crédit d'obtenir un arrêt du Confeil pour  entre le Oer gé & le Parlement. 149 diffbudre la petite Communautéde Ste.Agathe, oü les filles avaient fi mauvaife opinion de la bulle Unigenitus. t Tout Paris murmura. Ces petits troubles s'étendirent dans plus d'une ville du Royaume. Les mêmes fcandales, les mêmes refus de Sacrements partagaient la ville d'Orléans ; le Parlement rendait les mêmes arrêts pour Orléans, que pour Paris; le fchifme allaic fe former. Un Curé de Rofainvilliers, diocefe d'Amiens, s'avifa de dire un jour a fon pröne, que ceux qui étaient Janfénifles euffent a fortir de FEglife, & qu'il ferait le premier a tremper fes mains dans leur fang. II eut 1'audace de défigner quelques-uns de fes paroiffiens, k qui les plus ferventes conftitutionnaires jetterent des pierres pendant la proceffion, fans que les Iapidés & les lapidants euflènt la moindre connaifiance de ce que c'eft que la bulle & le Janfénifme. Une telle violence pouvait être punie de mort. Le Parlement de Paris, dans le reflbrt duquel eft Amiens, fe contenta de bannir a perpétuité ce Prêtre faétieux & fanguinaire; & le Roi approuva cet arrêt, qui ne portait pas fur un délit purement fpirituel, mais fur le crime d'un féditieux, perturbateur du repos public. Dans ces troubles, Louis XV étoit comme un pere occupé de féparer fes enG iij Chap. XXXVI.  Chap. XXXVI, Mars J753- 150 Querelle s du CIer gé fancs qui fe bacterie. II défendait les coups & les injures; il réprimandait les uns, il exhonait les autres; il ordonnait le filence, défendant aux Parlements de juger du fpirituel, recommandant aux Evêques la circonfpeftion, regardant la bulle comme une loi de 1'Eglife, mais ne voulant point qu'on parlat de cette loi dangereufe. Ses foins paternels pouvaient peu de chofe fur des efprits aigris & allarmés. Les Parlements prétendaient qu'on ne pouvait féparer le fpirituel du civil, puifque les querelles fplrituelles entrainaient néceffairement après elles des querelles d'Etat. II afligna 1'Evêque d'Orléans h comparaitre pour des Sacrements. II fit brülerpar le bourreau, tous les écrits dans lefquels on lui conteftait fa jurifdiétion, excepté les déclarations du Roi. II envoya des Confeillers faire enregiftrer fes arrêts en Sorbonne, malgré les ordres du Roi. On voyait tous les jours le bourreau occupé a brftler des mandements d'Evêques, & les records de la juftice faifant communier des malades Ia baïonnette au bout du fufil. Le Parlement dans toutes ces démarches ne confultait que fes loix & le maintïen de fon autorité. Le Roi voyait au-dela, il coniidérait les convenances qui demandent fouvent que les loix plient. Enfin, pour la troifieme fois, le Parle-  & des Parlements, &c. 151 ment cefia de rendre lajuftice aux citoyens, pour ne s'occuper que des refus de Sacrements qui troublaient la France entiere. Le Roi lui envoya auffi pour la troifieme fois des lettres de juffion, qui lui ordonnaient de remplir fes devoirs, & de ne plus faire fouffrir fes fujets plaideurs de ces querelles étrangeres, les procés des particuliers n'ayant aucun rapport a la bulle Unigenitus. Le Parlement répondit qu'il violeraitfon ferment s'il reconnoifiait les lettres-patentes du Roi, & qu'il ne pouvait obtempérer. (Vieux mot tiré du latin , qui lignifie obéir.^) Alors le Roi fe crut obligé d'exiler tous les membres des Enquêtes, les unsh Bourges, les autres a Poitiers, quelques-uns en Auvergne, & d'en faire enfermer quatre qui avaient parlé avec le plus de force. On épargna la grand'Chambre; mais elle 1 crut qu'il y allait de fon honneur de n'être 5 point épargnée. Elle perfifta a ne point rendre la juftice au peuple, & k procéder contre les réfraéteires. Le Roi 1'envoya a Pontoife, ^bourg k fix lieues de Paris, ou le Duc d'Orléans 1'avaitdéja envoyée pendant fa régence. L'Europe s'étonnait qu'on fit tant de bruit en France pour fi peu dechofe; & les Franc/ais pafiaient pour une nation frivole, G iv Chap. XXXVI. 6 Mai '753. arlement xilé.  Chap. XXXVI. Juillet «753» Chambn Royale. Novemb 152 Querelles du Ckrgé qui, faute de bonnes loix reconnues, meitak tout en feu pour une difpute méprifée partout ailleurs. Quand on a vu cinq cents mille hommes en armes pour 1'éleétion d'un Empereur, 1'Europe, l'Inde & 1'Amérique défolées, & qu'on retombe enfuite dans cette petite guerre de plume, on croit entendre le bruit d'une pluie après les éclats du tonnerre. Mais on devait fe fouvenir que 1'Allemagne , la Suede, la Hollande, la Suiffe avaient autrefois éprouvé des fecoulTesbien plus violentes pour des inepties; que 1'Inquifition d'Efpagne était pire que des troubles civils, & que chaque nation a fes folies & fes malheurs. Le Parlement de Normandie imita celui de Paris fur les Sacrements. II ajourna 1'Evêque d'Evreux; il ceiTa aufli de rendre la juftice. Le Roi envoya un Officier de fes Gardes biffer lesregiftres de ce Parlement, qui fut a la fin plus docile que celui de Paris. ; La juftice diftributive interrompue dans la Capitale, eut été un grand bonheur fi les hommes étaient fages & juftes; mais comme ils ne font ni 1'un ni l'autre, & qu'il . faut plaider, leRoi commit des membres de fon Confeil d'Etat, pour vuider les procés en dernier refibrt. On voulut faire enregiftrer 1'érection de cette Chambre au Chatelet, comme s'il était néceffaire qu'une juftice  avec le Parlement. 153 inférieure donnar. 1'authenticité a Pautorité royale. L'ufage de ces enregifirements avait eu prefque toujours fes inconvénients; mais ce défaut de formalité en aurait eu peut-être de plus grands encore. Le Chatelet refufa Penregifirement, on Py forca par des lettres de juffion. La Chambre Royale s'affembla; mais les Avocats ne voulurent point plaider ; on fe moqua dans Paris de la Chambre Royale;elle,en rit elle-même ; tout fe tourna en plaifanterie, felon le génie de la nation, qui rit toujours le lendemain de ce qui Pa confternée ouanimée la veille. Les Eccléfiaftiques riaient auffi, mais de la joie de leur triomphe. Boy er, ancien Evêque de Mirepoix, qui avoit été le premier auteur de tous ces troubles fans le favoir, étant tombé en enfance par fon grand age, & par laconftitution de fes organes, tout parut tendrea la conciliation. LesMiniftres négocierentavec • le Parlement de Paris. Ce corps fut rappellé, & revint a la fatisfaction de toute la ville, & au bruit de la populace quicriait, vive le Parlement. Sori retour fut un triomphe. Le Roi qui était auffi fatigué de Pinflexibilité des Eccléfiaftiques que de celle des Parlements, ordonna le filence & la paix, & permit aux Juges féculiersde pro- ! céder contre ceux qui troubleraient 1'un ou l'autre. G v Chap. XXXVI. 'uilI.I7f4, Aoüt. iepterr.b.  Chap. XXXVI. 154 Querelles du CIer gé Le fchifme éclataic de temps en temps a Paris & dans les Provinces; & malgré les mefures que le Roi avait prifes, pourempêcher lesrefus des Sacrements, plufieurs Evêques cherchaient a fe faire un mérite de ces refus auprès de la Cour de Rome. Un Evêque de Nantes ayant donné, dans fa ville, cet exemple de rigueur ou de fcandale , fuc condamné par le fimple Préfidial de Nantes, a payer fix mille francs d'amende, & les paya, fans que le Roi le trouvdt mauvais , tant il écaic las de ces difpuces. De pareilles fcenes arrivaienc dans cout Ie Royaume, & en attriftantquelques intéreffés, amufaienc la mulcicude oifive. II y avait a Orléans un vieux Chanoine Janféniftequi fe mourait, & a qui fes confrères refufaient la communion. Le Parlement de Paris les condamna h douze mille livres d'amende, &ordonna que le malade ferait communié. LeLieutenant-Criminel en conféquence arrangea tout pour cette cérémonie, comme pour une exécution; les Chanoines firent tant, que leur confrère mourut fans Sacrements, & ils 1'enterrerenc le plus mefquinement qu'ils purenr. Rien n'étaic devenu plus commun dans Ie Royaume que de communier par arrêc du Parlement. Le Roi qui avaic exilé fes Juges féculiers, pour n'avoir pas obtempéré a fes ordres, vouluc tenir la balance égale, &  avec le Parlement. 155 exiler auffi ceux du Clergé qui s'obftineraienc au fchifme. II commenea par 1'Archevêque de Paris. II fut relégué a fa maifon de Conflans, a trois lieues de la ville; exil doux,qui reflemblaicplus a un averciflèmenc paternel qu'ft une punicion. Les Evêques d'Orléans & deTroyes furent pareillement exilés a leurs maifons de plaifance, avec la même douceur. L'Archevêque de Paris étant auffi inflexible dans fa maifon de Conflans, que dans fa demeure épifcopale, fut relégué plus loin. - Le Parlement pouvant alors agirenliberté, réprimait la Sorbonne, qui ayant autrefois regardé la bulle avec horreur, Ia regardait maintenant comme une regie de foi. Elle menacaic de ceflèr fes lecons; & le Parlement qui avoit lui-même cefTé fes fonctions plus importantes, ordonnait a Ia Faculté de continuer les Hennes; il fou tenait les libertés de 1'Eglife Gallicane, &le Roi I'approüvait; mais quand il allaic trop lom , le Roi 1'arrêtait; & en confirmanc la parcie des arrêcs qui tendait au bien public, il caflaic celle qui lui paraiflait trop peu mefurée. Ce Monarque fe voyaic toujours entre deux grandes faftions animées, comme es Empereurs Romains entre les bleus «Sc les verds ; il était occupé de Ia guerre marmme que 1'Angleterre commencait a lui faire; celle de terre paraiflait inévitable; ce G vj Chat. XXXVI. Décemb. 1754.  Chap. XXXVI. 1756. Janvier, Février & Mars. I5°' Querelles du Clergé n'était guere le temps de parler d'une bulle. II lui fallaic encore appaifer les conteffations du Grand-Confeil & de fes Parlements; car prefque rien n'étant déterminé en France par des loix précifes, les bornes, les privileges de chaque corps étant incertains, le Clergé ayant toujours voulu étendre fa jurifdiétion, les Chambres des Comptes ayant difpucé aux Parlements beaucoup de prérogatives, les Pairs ayant fouvent plaidé pour les leurs contre le Parlement de Paris, il n'était pas étonnant que Ie Grand-Confeil eut avec lui quelques querelles. Ce Grand-Confeil était originairement Ie Confeil des Rois, & les accompagnait dans tous leurs voyages. Tout changea peu-apeu dans l'adminiftration publique, & le Grand-Confeil ehangea auffi. II ne fut plus qu'une Cour de judicature fous Charles VIII. II décide des évocations, de la compétence des Juges, de tous les procés concernant tous les bénéfices du Royaume, excepté de la régale; il a droit de juger fes propres Officiers. Un Confeiller de cette Cour fut appellé au Chatelet pour fes dettes. Le Grand-Confeil revendiqua la caufe , & caffa la fentence du CMtelet. Auffi-röc le Parlement s'émeut, & caflè 1'arrêt du GrandConfeil , & le Roi calfe 1'arrêt du Parle-  'avec le Parlement. 15; ment. Nouvelles remontrances, nouvelle; querelles; tous les Parlements s'élevenc con tre le Grand-Confeil, & le public fe parta ge. Le Parlement de Paris convoque encore les Pairs pour cette difpute de corps, & Ie Roi défend encore aux Pairs cette affociation: 1'affaire enfin refte indécife comme tant d'autres. Cependant le Roi avait des occupations plus importances. II fallaic foutenir contre les Anglais fur terre & fur mer une guerre onéreulè; il faifait en même-temps cette mémorable fondation del'EcoIe militaire, le plus beau monument defonregne, que 1'Impératrice Marie-Thérefe a imité depuis. II fallaic des fecours de finance, & fe Parlement fe rendait difficile fur 1'enregiftrement des édits qui ordonnaient la perception de deux vingciemes. (On a été depuis obligé d'en payer trois, paree que lorfqu'on ala guerre, il faut que les citoyens combattenc, ou qu'ils payent ceux qui combattent; il n'y a pas de milieu.) ^ Le Roi tint un lit de juftice a Verfailles, oü il convoqua les Princes & les Pairs, avec le Parlement de Paris; il y fit enregiftrer fes édics; mais le Parlemenc de recour a Paris procefta concre cec enregiftremenc. II prétendait que non-feulement il n'avait pas eu laliberté néceffaire de Pexamen, mais que cet édic demandait des modifkations, qui ne Chap. XXXVI 2 Aout 175'».  Chap. XXXVL Scptemb. 158 Querelles du Clergé, &c. bleffaffènt ni les intéréts du Roi, ni ceux de 1'Etat qui étaient les mêmes, & qu'il avait fait ferment de'maintenir; & il difait que fon devoir n'était pas de plaire, mais de fervir : ainfi le zele combattait 1'obéiffance. Les épines du fchifme fe mêlaiental'importante affaire des impöts. Un Confeiller du Parlement, malade a fa campagne, dans le diocefe de Meaux, demanda les Sacrements; un Curé les lui refufa comme a un ennemi de 1'Eglife, & le laifla mourir fans cette cérémonie; on procéda contre le Curé, qui prit la fuite. L'Archevêque d'Aix avait fait un nouveau formulaire fur la bulle, & le Parlement d'Aix 1'avait condamné a donner dix mille livres aux pauvres; il fut obligé de faire cette aumöne, & il en fut pour fon formulaire & pour fon argent. L'Evêquede Troyesavaic troublé fon diocefe; le Roi 1'envoya prifonnier chez des Moines en Alface. L'Archevêque de Paris, a qui 1'on avait permis de revenir k Conflans, déclara excommuniés ceux qui liraient les arrêts & les remontrances des Parlements fur la bulle, & fur lebillets de confeflion. Louis XV, que tant d'animofités embarraflaient, poufla la circonfpeótion jufqu'a demander 1'avis du Pape Lambertini, Bemit XIV, homme auöi modéré que lui,  Bref du Pape. 15 aimé de laChrétienté pour Ia douceur &1 gayeté de fon caractere, & qui eft aujoui d'hui regretté de plus en plus. II ne fe mé la jamais d'aucune affaire que pour recom mander Ja paix. C'était fon Secretaire de brefs, Ie Cardinal PaJJionei, qui faifait toui Ce Cardinal, le feul alors dans le facré Col lege qui fut homme de Lettres, était un gé nie aflez élevé pour méprifer les difpute dont il s'agiffait. II haïffait les Jéfuites qu avaient fabriqué la bulle; il ne pouvait ü taire fur la faufle démarche qu'on avait fai te a Rome, de condamner dans cette bull< des maximes vertueufes, d'une vérité éter nelle , qui appartiennent a tous les temp: & a toutes les nations; celle-ci, parexemple, la crainte d'une excommunication injufte ne doit point empêcher de faire fon devoir. Cette maxime eft dans toute la terre la fauve-garde de la vertu. Tous les anciens, tous les modernes ont dit que le devoir doit 1'emporter fur la crainte du fupplice même. Mais quelqu'étrange'que parut Ia bulle en plus d'un point, ni ie Cardinal Paf/zonei, ni le Pape ne pouvaient rétracler une conftitution regardée comme une loi de 1'Eglife. Benoït XIF envoya au Roi une lettre circulaire pour tous les Evêques de France, dans laquelle il regardait a la vérité cette ) a Chap. . XXXVI. s  Cha r. XXXVI. t) Déc, i/56. 160 Bref du Pape bulle comme une loi univerfelle a laquelle on ne peut rélilter, fans fe mettre en danger de perdre fon falut éternel; mais enfin, il décidait que, pour éviter le fcandale, il faut que le Pr être avertiffe les mourants foupgonnés de Janfénifme, qu'ils feront damnés, & les communier a leurs rifques & périls. Le même Pape, dans fa lettre particuliere au Roi, lui recommandait les droits de 1'épifcopat. Quand on confulte un Pape, quel qu'il foit, on doit bien s'attendre qu'il écrira comme un Pape doit écrire. Mais Benott XIF, en rendanc ce qu'il dévait a fa place , donnait auffi tout ce qu'il pouvait a la paix, a la bienféance, a 1'autorité du Monarque. On imprima le bref du Pape adrelfé aux Evêques. Le Parlement eut le courage ou la témérité de le condamner & de le fupprimer par un arrêt. Cette démarche choqua d'autant plus le Roi, que c'était lui-même qui avait envoyé aux Evêques ce bref condamné par fon Parlement. II n'était point queftion dans ce bref des libertés de 1'Eglife Gallicane, & des droits de la monarchie, que le Parlement a foutenus & vengés dans tous les temps. La Cour vit dans la cenfure du Parlement plus demauvaife humeur que de modération. Le Confeil croyaic avoir un autre fujet  fur la Bulle. n?i de réproüver la conduite du Parlement de Paris; plufieurs autres Cours fupérieures qui portent le nom de Parlement, s'intitulaient: Claffes du Parlement du Royaume; c'efi: un titre que le Chancelier de VHópital leur avait donné; il ne fignifiait que 1'union des Parlements dans 1'intelligence & le maintien des loix: les Parlements neprétendaient pas repréfenter 1'Etat entier, divifé en differentes Compagnies, qui toutes faifaient un feul corps , "conftituaient les Etats généraux perpétuels du Royaume. Cette idéé eut été grande; mais elle eut été trop grande, & 1'autorité royale en était irritée. Ces confidérations, jointes aux difficultés qu'on faifait furl'enregiftrementdes impöts, déterminerent le Roi a venir réformer le Parlement de Paris dans un lic de jultice. Quelque fecret que le Miniftere eut gardé , il perea dans le public. Le Roi fut recu dans Paris avec un morne filence. Le peuple ne voit dans un Parlement que 1'ennemi des impöts; il n'examine jamais fi ces impöts fontnéceffaires;il nefait pas mêmeréflexion qu'il vend fa peine «Sc fes denrées plus cher a proportion des taxes, «Sc que le fardeau tombe fur les riches. Ceux-ci fe plaignent eux-mêmes, & encouragent le? murmures de la populace. Les Anglais dans cette guerre ont été plus Chap. XXXVI.  Chap, XXXVI 13 Déc. 756. _ Ï& Bref du Pape chargés que les Francais; mais en Angleterre la nation fe taxe elle-même; elle fait fur quoi les emprunts feront rembourfés. La France eft taxée, & ne fait jamais fur quoi feront affignés les fonds deftinés au payement des emprunts. II n'y a point en Angleterre de particuliers qui traitent avec 1'Etat des impöts publics, &qui s'enrichitTent aux dépens de la nation; c'elt le contraire en France. Les Parlements de France ont toujours fait des remontrances aux Rois contre ces abus; mais il y a des temps oü ces remontrances, & fur-tout les difficultés d'enregiftrer, font plus dangereufes que ces impöts mêmes, paree que la guerre exige des fecours préfents, & que Pabus de ces fecours ne peut être corrigé qu'avec le temps. Le Roi vint au Parlement faire lire un édit par lequel il fupprimait deux Chambres de ce corps, & plufieurs Officiers. II ordonna qu'on refpeétöt la bulle Uriigenitus, défendit que les Juges féculiers prefcriviflènt 1'adminiftration des Sacrements, en leur permettant feulement de juger des abus & des déüts commis dans cette adminiftration, enjoignant aux Evêques de prefcrire h tous les Curés la modération & la difcrétion , & voulant que toutes les querelles paffées fuffent enfévelies dans Voubli. II ordonna que nulConfeillern'auraitvoix délibérative avant  fur la Bulk. 16^ 1'dge de vingt-cinq ans, & que perfonne ne pourrait opiner dans 1'afièmblée des Chambres qu'après avoir fervi dix années. II fii enfin fes plus exprefTes inhibitions dinter rompre, fous quelque prétexte que ce pin être , le fervice ordinaire. Le Chancelier alla aux avis pour la forme; le Parlement garda un profond filence; le Roi dit qu'il voulait être obéi, & qu'il punirait quiconque oferait s'écarter de fon devoir. Le lendemain quinze Confèillers de Ia grand'Chambre remirent leur démifïïon fur ls bureau. Cent quatre-vingts membres du Parlement fe démirent bientót de leurs charges. Les murmures furent grands dans toute la ville. Parmi tant d'agitations qui troublaient tous les efprits, au milieu d'une guerre funefle, dans le dérangement des finances, qui rendaic cette guerre plus dangereufe , & qui irritaic 1'animofité des mécontents; enfin, parmi les épines des divifions, femées de- tous cötés entre les Magiffrats & le Clergé, dans le bruitde toutes cesclameurs, il était très-difficile de faire le bien, & il ne s'agiffait prefque plus que d'empêcher qu'on ne fit beaucoup de mal. Chap. XXXVI.  i64 Affaffmat Chap. XXXVII. 1757- CHAPITRE XXXVII. Attentat contre la perfonne du Roi. Ces émotions du peuple furent bientót enfevelies dans une conflernation générale, par 1'accident le plus imprévu & le plus effroyable. Le Roi fut alTafliné le 5 Janvier dans la Cour de Vf^ailles, en pré1'ence de fon fils, au milieu de fes gardes & des grands Officiers de fa Couronne. Voici comment cet étrange événement arriva. Un miférable de la lie du peuple, nommé Robert- Frangois Damiens, né dans un village auprès d'Arras, avait été longtemps domeftique a Paris dans plufieurs maifons; c'était un homme dont 1'humeur fombre & ardente avait toujours reflèmblé h la démence. Les murmures généraux qu'il avait entendus dans les places publiques, dans la grande falie du Palais & ailleurs, allumerent Ion imagination. II alla a Verfailles comme un homme égaré; & dans les agkations que lui donnait fon deflèin inconcevable, il demanda a fe faire faigner dans fon auberge. Le phyfique a une fi grande influence fur 1'ame des hommes, qu'il protefta depuis dans fes interrogatoires, que s'il avait été  du Roi. 165 faigné comme ilïe demandait, Ut?aurait pas commis fon crime. Son deflèin étaic le plus inoui qui fuc jamais tombé dans la tête d'un monftre de eette efpece; il ne prétendait pas tuer le Roi, comme en effet il le foutint depuis, & comme malheureufement il 1'auraie pu; mais il voulait le bleflèr; & c'eft ce qu'il déclara en effet dans fon procés criminel devant le Parlement. „ Je n'ai point eu intention de tuer Ie „ Roi; je 1'aurais tué fi j'avais voulu; je ne „ Fai fait que pour que Dieu put toucher „ le Roi, & le porter a remettre toutes „ chofes en fa place, & Ia tranquillité dans „ fes Etats; & il n'y a que 1'Archevêque „ de Paris feul, qui eft la caufe de tous ces „ troubles ". Cette idéé avait tellement échauffé fa tête, que' dans un autre interrogatoire il dit: „ J'ai nommé des Confeillers au Parle„ ment, paree que j'en ai fervi un, & par„ ce que prefque tous font furieux de la „ conduite de M. 1'Archevêque ". En un mot, le fanatifme avait troublé 1'efpric de cemalheureux au point que, dans les interrogatoires qu'il fubit a Verfailles, on trouve ces propres paroles : „ Interrogé quels motifs 1'avoient porté „ a attenter h la perfonne du Roi; a dit, „ que c'eft ci caufe de la Religion ". Chap. XXXVII. Interro- »atoire du (SJanvier, art. 144, ?»g- 131 lu procés le Damiens.ic4to. Interrogatoire du i Mars , ?. 1S9.  Chap XXXVI 166 Ajfajjinat Tous les afTaffmats des Princes Chrétiens E. ont eu cette caufe. Le Roi de Portugal n'avait été aflaffiné qu'en vertu de la décifion de trois Jéfuites. On fait aflèz que les Rois de France, Henri III & Henri IV, ne périrent que par des mains fanatiques; mais il y avait cette dilférence, que Henri III & Henri IV furent tués paree qu'ils paraiffaient ennemis du Pape, & que Louis XV fut affalfiné, paree qu'il femblait vouloir complaire au Pape. L'affaffin s'était muni d'un couteau h reffort, qui, d'un cöté, portait une longue lame pointue, & de l'autre un canif a tailler les plumes, d'environ quatre pouces de longueur. II attendait le moment oü le Roi devait monter en carroflè pour aller a Trianon. II était prés de fix heures; le jour ne luifait plus; le froid était exceffif; prefque tous les courtifans portaient des manteaux, qu'on nomme par corruption, Redingotes. L'aflaflin ainfi vêtu pénetre vers la garde , heurte en paffant le Dauphin, fe fait place a travers la garniture des gardes du corps & des cent Suiflès, aborde le Roi, le frappe de fon canif a la cinquieme cóte, remet fon couteau dans fa poche, & refte le chapeau fur la tête. Le Roi fe fent blelfé, fe retourne, & a l'a(pccT: de cet inconnu qui était couvert, & dont les yeux étaient éga-  du Roi. 167 rés, il die: Ceft cet homme qui m'a frappé, qu'on l'arréte, & qu'on ne lui faffe point de mal. Tandis que touc Ie monde était faiii d'effroi & d'horreur, qu'on portait le Roi dans fon lit , qu'on cherchoit les chirurgiens, qu'on ignorait fi la blefiure était mortelle, fi le couteau était empoifonné, le parricide répéta plufieurs fois: Qu'on prenne garde a Mgr. le Dauphin, qu'il ne forte pas de la journée. A ces paroles, 1'allarme univerfelle redouble; on ne doute pas qu'il n'y ait une confpiration contre la familie Royale : chacun fe figure les plus grands périls, les plus grands crimes & les plus médités. Heureufement Ia blefiure du Roi était légere, mais le trouble public était confidérable ; & les craintes, les défiances, les intrigues fe multiplioient k la Cour. Le grand-Prévöt de 1'hötel, a qui appartenait la connaiffance du crime commis dans le palais du Roi, s'empara d'abord du parricide, & commenea les procédures, comme il s'était pratiqué a St. Cloud dans 1'affaflinat de Henri III. Un Exempt des gardes de la Prévöté ayant obtenu un peu de confiance, ou apparente, ou vraie, dans 1'efprit aliéné de ce miférable, Pengagea a ofer diéler de fa prifon une lettre au Roi Chap. XXXY1I,  Chap. XXXVII ió8 Ajjaflinat même * Damiem écrire au Roi! Un af•faflia écrire a celui qu'il avoic aflaffiné! Sa * S ï R E, Je fuis bien faché § d'avoir eu Ie malheur de vous approcher; mais fi vous ne prenez pas le parri de votre peuple, avant qu'il foit quelques années d'ici vous & Monfieur le Dauphin , & quelques autres \ penront; il feroit facheux qu'un auffi bon Prince, par la trop grande bonté qu'il a pour les Eccléfiaftiques , dont il accorde toute fa confïance , ne foit pas für de fa vie; & fi vous n'avez pas la bonté d'y remédier fous peu de temps, il arrivera de très-grands malheurs, votre Royaume n'etant pas en füreté , par malheur pour vous que vos fujets vous ont donné leur démifïion , 1'affaire ne provenant que de leur parr. Et fi vous n'avez pas la bonté pour votre peuple , d'ordonner qu'on leur donne les Sacrements a 1'article de la mort , les ayant refufés depuis votre lit de juftice , dont le Chateler a fait vendre les meubles du Prêtre qui s'eft fauyé, je vous réitere que votre vie n'eft pas en füreté , fur 1'avis qui eft très-vrai , que je prends la hberté de vous informer par 1'Officier porteur de la préfente, auquel j'ai mis toute ma confiance. L'Archevêque de Paris eft la caufe de tout le trouble, par les Sacrements qu'il a fait refufer. Après le crime cruel que je viens de commettre contre votre perfonne facrée , 1'aveu fincere que je prends la liberté de vous faire , me fait efpérer la clémence des bontés de Votre Majefté. Signé Damiens, § Cette lettre fe trouve page 69 du procés de Daglens , donné au public par Ie Greffier criminel du Parlement, avec la permiffion de fes Supérieurs.  du Roi. ï(5p Sa lettre eft infenfée, & conforme h 1'abjeétion de fon état; mais elle découvre Au dos de ladite lettre eft écrit, paraphé , ne vanetur, fuivant & au defir de 1'interrogatoire du nomme FranSois Damiens, en date du neuf Janvier nul fept cent cinquante-fept, a Verfailles, le Ros y etant. 1 Signé Damiens. Le Cïerc Ju Brillet, & Duvoigne, avec paraphes. Et plus bas eft écrit : Au ROL Suit la teneur d'un écrit , figné Damiens. Copie du Billet. Messieurs, Chagrange, Seconde. Baiffe de Liffe * De la Guiomye. Clément. Lamberr, Le Préfident de Rieux Bonnainvilliers. Préfident du Maffy , & prefque tous> fJ!;/!Ut qU'i] remette {on Piment, & qu'il Je ;xTcrm;\gp„Te?effe de ne rien faire L * Signé Damiens. Pe^n^tarle6!1 r°Pie MUS leS noms <• //. Partie. f.j C h a p. XXXVII.  XXXVII. Flus lias eft écrit : Paraphé ne varictnr , fuivant & au defir rle I'in«errogatoire de ce jour neuf Janvier mil fept cent cinquante-fept. Signé Damiens. Lt Clere du Brillet, & Duvoigne, arte paraphes. Ladite lettre, ainfi que ledit écrit annexé 4 la rrünute dudit interrogatoire. 170 Afajjinat Forigine de fa fureur: on y voit que les plainr.es du public contre 1'Archevêque, avaient dérangé le cerveau du criminel, & Favaient excité k fon attentat. II paraiflait par les noms des membres du Parlement cités dans fa lettre, qu'il les connoiflait, ayant fervi un de leurs confrères; mais il eut été abfurde de fuppofer qu'ils lui euffent expliqué leurs fentiments, encore moins qu'ils lui euflènt jamais dit, ou fait dire un mot qui put 1'encourager au crime. Aufli le Roi ne fit aucune difficulté de remettre le jugement du coupable a ceux de la grand'Chambre qui n'avaient pas donné leur démiflion. II voulut même que les Princes & les Pairs rendiflent par leur préfence le procés plus folemnel, & plus authentique dans tous fes points aux yeux d'un public aufli défiant que curieux exagérateur, qui voit toujours dans ces aventures effrayantes au-delk de la vérité. Jamais en  du Roi. iji efFet la vérité n'a paru dans un jour plus clair. II efl: évident que cet infenfé n'avait aucun complice: il déclara toujours qu'il n'avait point voulu tuer le Roi, mais qu'il avait formé le deflèin de le bleflèr depuis 1'exil du Parlement. D'abord dans fon premier interrogatoire, il dit que la Religion feule Fa déterminé a cet attentat. II avoue qu'il n'a dit du mal que des i Moliniftes, & de ceux qui refufent les Sacrements; que ces gens-la croyent appa-1 remment deux Dieux. II s'écria ft la queflion, qu'il avait cru faire une oeuvre méritoire pour le Ciel; c'eft ce que jentendais dire a tous ces Prêtres dans le Palais. II perfifla conftamment ft dire que c'étaient 1'Archevêque de Paris, le refus de Sacrements, les difgraces du Parlement, qui Favaient porté ft ce parricide; il le déclara encore ft fes Confeffeurs. Ce malheureux n'était donc qu'un infenfé fanatique, moins abominable ft la vérité que Ravaillac & Jean Chdtel; mais plus fou, & n'ayant pas plus de complices que ces deux énergumenes. Les feuls complices pour Fordinaire de ces monftres, font des fanatiques, dont lescervelles échauffées allument, fans le favoir, un feu qui va embrafer des efprits faibles, infenfés &atroces. Quelques mots dits au hafard fuffifent Hij Chap. XXXVil. Interrojatoire au Jarlenent, p. I3Ï&I3J. 'ag-13*. '»g- 145. [bid.  173. Jugement ClIAF. QQCVil, 28 Mars a cet embrafement. Damiens sgit dans la même illufion que Ravaillac, & mourut ' dans les mêmes fupplices. Quel eft donc 1'eftet du fanatifme & le deftin des Rois! Henri III & Henri IV font aiTaflinés, paree qu'ils ont foutenu leur droits contre des Prêtres. Louis XVett. affaffiné, paree qu'on lui reproche de n'avoir pas aiïèz févi contre un Prêtre. Voila trois Rois fur lefquels fe font portées des mains parricides dans un pays renommé pour aimer fes Souverains. Le pere, la femme, la fille de Damiens, quoiqu'innocents, furent bannis du Royaume, avec défenfe d'y revenir, fous peine d'être pendus. Tous fes parents furent obli- i gés, par le même arrêt, de quitter leur nom 1 de Damiens, devenu exécrable. Cet événement fit rentrer en eux-mêmes p pour quelque temps ceux qui, par leurs mal- I heureufes querelles eccléfiaftiques, avaient | été la caufe d'un fi grand crime. On voyait 1 trop 'évidemment ce que produifent 1'efprit I dogmatique & les fureurs de Religion. Per- I fonne n'avait imaginé qu'une bulle & des I billets de confeifion, pufient avoir des fuites fi horribles; mais c'eft ainfi que les démences & les fureurs des hommes font liées enfemble. L'efprit des Poltrot & des Jacques Clément, qu'on avait cru anéanti , fubfifte donc encore dans les ames féroces  de Damiens. \y§ & ignorantes ! La raifon pénecre en vain chez les principaux citoyens: le peuple eft toujours porté au fanatifme; & peut-être n y a-t-il d'autre remede a cette contagion que d'éclairer enfin le peuple même; mais on 1 entretient quelquefois dans des fuperftitions, & on voit enfuiteavec étonnement ce que ces fuperftitions produifent. Cependant feize Confeilfers qui avaient donné leurs démifïïons, étaient envoyés en exil; & 1'un d'eux*qui était C!erc,& qui fut depuis Confeiller d'honneur, célebre pour fon patriotifme & pour fon éloquence, fonda une meflè ft perpétuité pour remercier Dieu d'avoir confervé la vie du Roi qui 1'exilait. On confina aufli plufieurs Officiers du Parlement de Befancon dans différentes villes, pour avoir refufé 1'enregiflrement d'un fecond vingtieme, & pour avoir donné un decret contre 1'Intendant de la Province. Le Roi, malgré 1'attentat commis fur fa perfonne, malgré une guerre ruineufe, s'occupait toujours du foin d'étouffer les querelles des Parlements & du Clergé, effiayant de contenir chaque état dans fes bornes exilant encore 1'Archevêque de Paris, pour" avoir contrevenu a fes loix, dans la fimple éledion de la Supérieure d'un couvent; rap. * L'Abbc dt Chauvilia. H lij Chap. XXXVII.  Chap. XXXVII C 11 A P I T R E XXXVIII. Afiafjinat du Roi de Portugal. Jéfuites chaffés du Portugal, & enfuite de la France. Un Ordre religieux ne devrak pas faire partie de 1'Hiftoire. Aucun Hiftorien de 1'antiquité n'eft entré dans le détail des établilfements des Prêtres de Cybele ou de Junon. C'efi un des malheurs de notre police Européenne, que des Moines, deftinés par leur inftkut ft être ignorés, ayent fait autant de bruit que les Princes, foit par leurs immenfes richeflès, foit par les troubles qu'ils ontexcités depuis leur fondation. Les Jéfuites étaient, comme on fait, les Souverains véritables du Paraguay, en reconnaiflanc le Roi d'Efpagne. La Cour 174 Aj]aj]inat pellant enfuite ce Prélat, & rendant toujours, par la modération, la fermeté plus refpeélable. Enfin, les affaires mêmes du Parlement de Paris s'accommoderent; les membres de ce corps qui avaient donné leur démiflion, reprirent leurs charges & leurs fonftions : tout a paru tranquille audedans, jufqu'ft ce que le faux zele & 1'efprit de parti faffent naitre de nouveaux troubles.  du Roi de Portugal. 175 d'Efpagne avaic cédé , par un traité d'échange, quelques diftricts de ces contrées au Roi de Portugal Jofepb, de la Maifor de Bragance. On accufa les Jéfuites de s'y être oppolés, & d'avoir fait révolter lei peuplades qui devaient pafier fous la domination Portugaife. Ce grief, joint a beaucoup d'autres, fit chalfer les Jéfuites de la Cour de Lisbonne. Quelque temps après, la familie Tavora, & fur-tout le Duc d'Aveiro, onck de la jeune Comteflè Ataïde d'Atouguia, le vieux Marquis & la Marquife de Tavora, pere & mere de la jeune Comteflè. enfin, le Comte Ataïde fon époux, & un des freres de cette Comteflè infortunée, croyant avoir rec/u du Roi un outrage irréparable, réfolurentde s'en venger. La vengeance s'accorde très-bien avec la fuperftition. Ceux qui méditent un grand attentat, cherchent parmi nous des Cafuifles & des Confefièurs qui les encouragent. La familie qui penfait être outragée, s'adrefla a trois Jéfuites, Malagrida, Alexandre & Mathos. Ces Cafuifles déciderent que ce n'était pas feulement un pêché qu'ils appellent véniel, de tuer le Roi *. * C'eft ce qui eft rapporté dans Vacordao ou déclaration authentique du Confeil Royal de LLfhoune. H iv Chap. XXXVIII  Chap XXXVI % Sept. J7$3. 176 Jéfuites chaffés II eft bon de favoir, pour Fintelligence 3 de cette décifion, que les Cafuiftes diftinguent entre les péchés qui menenc en enfer, & les péchés qui conduifent en purgatoire pour quelque temps; entre les péchés que 1'abfolution d'un Prêtre remet, moyennant quelques prieres ou quelques aumönes, & les péchés qui font remis fans aucune fatisfaclion. Les premiers font mortelt, les feconds font véniels. La confeflion auriculaire caufa un parricide en Portugal, ainfi qu'elle en avait produit dans d'autres pays. Ce qui a été introduit pour expier les crimes, en a fait commettre. Telle eft, comme on 1'a déja vu fi fouvent dans cette Hiftoire, la déplorable condition humaine. Les conjurés, munis de leurs pardons pour l'autre monde, attendirent le Roi, qui revenait a Lisbonne, d'une petite maifon de campagne , feul, fans domeftiques, & la nuit: ils tirerent fur fon carroflè, & bleflèrent dangereufement le Monarque. Tous les complices, excepcé un domeflique, furent arrêtés. Les uns périrc-nt par la roue, les autres furent décapités. La jeune Comteflè Ataïde, dont le mari fut exécuté, alla, par ordre du Roi, pleurer dans un couvent tant d'horribles malheurs , dont elle paflait pour être la caufe. Les feuls Jéfuites qui avaient confeillé & autorifé 1'af-  du Portugal. \jy faflinat du Roi, par le rnoyen de Ia confeflion , moyen aufli dangereux que facré, échapperent alors au fupplice. Le Portugal n'ayanc pas recu dans ce temps-la les lumieres qui éclairent tant d'Etats en Europe, était plus fournis au Pape quun autre. II n'était pas permis au Roi de faire condamner a la mort par fes juges un Moine parricide; il Fallaic avoir le confentement de Rome. Les autres peuples étaient dans le dix-huitieme fiecle; mais les Portugais femblaient être dans Ie douzieme. La poftérité aura peine a croire que Ie Roi de Portugal fit follicicer, \ Rome, pendant plus d un an, la permifllon de faire juger chez lui des Jéfuites fes fujets, & ne EL ïbTT- Cour de L^°™ & af. Jt me fürent Iong tei"PS dans une querelle ouverte; on alla même jufqu'a fe flauw que Ie Portugal fecoueraic ut! joug que 1 Angleterre, fon alliée & fa proteél ice, avait foulé aux pieds depuis fi long-temps' mais le Miniftere Portugais avait tropTen. nemis, pour ofer entreprendre ce que Londres avait exécuté; il montra a la fois une lancf UnC CXtrême condefcen- Les Jéfuites les plus coupables étaient en pnfon a Lfebonne; Ie R& ,es y SP & prit le parti d'envoyer & Rome ?ous les H v Chap. XXXYIU  Chap. . XXXVIII ] j Maïagrids, Jéfuite, brülé le ai Septi 7* jéfuites iéfuites de fes Etats. On les déclara banms jour jamais du Royaume; mais on n'ofait ivrer a la mort les trois Jéfuites accufés & :onvaincus de parricide. Le Roi fut réduic t 1'expédient de livrer du moins Malagriia a 1'Inquifition, comme fufpect d'avoir tutrefois avancé quelques propoficions ténéraires qui fentaient 1'héréfie. Les Dominicains, qui étaient juges du Saint Office, & affiftants du grand Inquifi:eur, n'ont jamais aimé les Jéfuites: ils ferment le Roi mieux que n'avait fait Rome. Ces Moines déterrerent un petit livre de la vie héroïque de Sainte Anne, mere de Mar ie, diclé au révérend Pere Malagtida par Sainte Anne elle-même. Elle lui avait déclaré que 1'immaculée Conception lui apparcenaic comme a fa fille, qu'elle avait parlé & pleuré dans le ventre de fa mere, & qu'elle avait fait pleurer les Chérubins. Tous les écrits de Malagrida étaient auffi fages; de plus,, il avait fait des prédiélions & des miracles; & celui d'éprouver a 1'age de foixante & quinze ans des pollutions dans fa prifon , n'était pas un des moindres. Tout cela lui fut reproche dans fon procés; & voila pourquoi il tut condamné au feu, fans qu'on 1'interrogeac feulement fur TalMinat du Roi, paree que ce n'eft qu'une faute contre un fécuher, & que le refte eft un crime contre Dieu*  chaps. $3 Ainfi 1'excès du ridicule & de Tabfurdité fut joint a 1'excès d'horreur. Le coupable ne fut mis en jugement que comme un Prophete, & ne fut brulé que pour avoir été rou, & non pas pour avoir été parricide. Tandis qu'on chaffait les Jéfuites de Portugal , cette aventure réveillaic la haine qu'on leur portait en France, oü ils ont été toujours puiffams & déteftés. II arriva qu'un profés de leur Ordre, nommé laVallette, qui était le chef des miffions a la Guadeloupe, & le plus fort commercant des ifles, nt une banqueroute de plus de trois millions. Les intérefles fe pourvurent au Parlement de Paris. On crut découvrir alors que le Général Jéfuite, réfidant k Rome, gouvernait defpotiquement les biens de la Société. Le Parlement de Paris condamna ce Général & tous les Freres Jéfuites folidairement, a payer la banqueroute de la \ Vallet te. Ce procés, qui indigna la France contre les Jéfuites, conduifit a examiner cet inftitut finguher qui rendait ainfi un Général Itahen maitre abfolu des perfonnes & des fortunes d une fociété de francais. On fut f urpns de voir que jamais 1'Ordre des Jéfuites n avait été formellement recu en France par la plupartdes Parlements du Royaume; on deterra leurs conftitutions, & tous les i arlements les crouverent incompatibles H vj i Chap. XXXVIK Banqusroute des Jéfuites enFrance. Les Parementsiboliffenc Ordre.  Chap. XXXVIII ib'o Jéfuites avec les loix. Ils rappellerent alors toutes les anciennes plaintes faites contre cet Ordre , & plus de cinquante volumes de leurs déciiions théologiques contre Ia füreté de la vie des Rois. Les Jéfuites ne fe défendirent qu'en difant que les Jacobins & Saint Thomas en avaient écrit autant. Ils ne prouvaient par cette réponfe autre chofe, finon que les Jacobins étaient répréhenübles comme eux. A 1'égard de Thomas iAquin, il efl: canonifé \ mais il y a dans fa Somme Ultramontaine, des déciiions que les Parlements de France feraient brüler le jour de fa fête, fi on voulait s'en fervir pour troubler 1'Etat. Comme il dit en divers endroits, que 1'Eglife a le droit de dépofer un Prince infidele a 1'Eglife, il permet en ce cas le parricide. On peut avec de telles maximes gagner Ie Paradis & la corde. Le Roi daigna fe mêler de 1'affaire des Jéfuites, & pacifier encore cette querelle comme les autres. II voulut par un édit réformer paternellement les Jéfuites en France ; mais on prétend que le Pape Clément XIII, ayant dit qu'il fallaic ou qu'ils reftaffenc comme ils étaient, ou qu'ils n'exiftaffent pas, cette réponfe du Pape eft ce qui les a perdus. On leur reprochait encore des aflèmblées fecretes. Le Roi les abandonna alors aux Parlements de fon Royaume, qui tous 1'un après l'autre, leur ont öté leurs Colleges & leurs biens.  chajfés. i $ i Les Parlements ne les ont condamnés que Air quelques regies de leur inftitut que leRoi pouvait réformer; fur des maximes horribles, il eft vrai, mais méprifées, publiées pour la plupart par des Jéfuites étrangers, & défavouées formellement depuis peu par les Jéfuites Francais. II y a toujours dans les grandes affaires un prétexte qu'on met en-avant, & une caufe véritable qu'on diffimule. Le prétexte de la punition des Jéfuites, était ledanger prétendu de leurs mauvais livres que perfonne ne lit: Ia caufe était le crédit dont ils avaient long-temps abufé. II leur eft arrivé dans un fiecle de lumiere & de modération, ce qui arriva aux Templiers dans un fiecle d'ignorance & de barbarie; Porgueil perdit les uns & les autres; mais les Jéfuites ont été traités dans leur difgrace avec douceur, & les Templiers le furent aveccruauté. Enfin, leRoi, par un édit folemnel en 1764, abolit dans fes Etats cet Ordre, qui avaic toujours eu des perfonnages eftimables , mais plus de brouillons, & qui fut pendant deux cents ans un fujet de difcorde. Ce n'eft ni Sanchez, ni Lefliw, ni Efcobar, nidesabfurdités de Cafuiftes, qui ont perdu les Jéfuites; c'eft le Tellier, c'eft Ia bulle qui les a exterminés dans prefque toute la France. La charrue que le Jéfuite le 'Tellier avait fait pafTer fur les ruines de Chap. xxxviu  C H A P. xxxyn 18 a Jéfuites chaffes. Port-Royal, a produit au bout de foixante lans les fruits qu'ils recueillentaujourd'hui: la perfécution que cet homme violent & fourbe avaic excitée contre des hommes entêtés, a rendu les Jéfuites exécrables a la France: exemple mémorable, mais qui ne corrigera aucun Confeflêur des Rois, quand il fera ce que font prefque tous les hommes a la Cour, ambitieux & intriguants, & qu'il dirigera un Prince peu inflruit, affaibli par la vieillefiè. L'Ordre des Jéfuites fut enfuite chaffé de tous les Etats du Roi d'Efpagne en Europe, en Afie, en Amérique, chafiè des deux Siciles, chalfé de Parme & de Malte, preuve évidente qu'ils n'étaient pas auffi grands politiques qu'on le croyait. Jamais les Moines n'ont été puiflancs, que par 1'aveuglement des autres hommes : & les yeux ont commencéhs'ouvrir dans ce fiecle. Ce qu'il y eut d'alïèz étrange dans leur défaftre prefqu'univerfel, c'eft qu'ils furent profcrits dans le Portugal, pour avoir dégénéré de leur inftitut; & en France, pour s'y être trop conformés. C'eft qu'en Portugal on n'ofait pas encore examiner un inftitut confacré par les Papes, & on 1'ofait en France. II en réfulte qu'un Ordre religieux, parvenu a fe faire haïr de tant de nations, eft coupable de cette haine.  Progrès & décadence. 183 CHAPITRE XXXIX. Des progrès de F efprit humain dans le fieele de Louis XV. Un Ordre encier aboli par Ia puifiance fe-, culiere, ladifciplinede quelques autres Ordres réformée par cette puifiance; lesdivifions mêmes entre toute la Magiftrature & 1'autorité épifcopale, ont fait voir combien de préjugés fe font difllpés, combien la fcience du gouvernement s'eft étendue, & a quel point les efprits fe font éclairés. Les femences de cette fcience utile furent jettées dans le dernier fiecle; elles ont germé de tous eötés dans celui-ci, jufqu'au fond des Provinces, avec la véritable éloquence, qu'on ne connaifiait guere qu'a Paris, & qui tout d'un coup a fleuri dans plufieurs villes; témoin les difcours fortis ou du Parquet, ou de 1'aflèmblée des Chambres de quelques Parlements, difcours qui font des chefsd'ceuvres * de 1'art de penfer & de s'exprimer, du moins a beaucoup d'égards. Du temps des ÜAgueffeau , les feuls modeles * Voyez les Difcours rle MM. de Montclar, d« U Chalotais, de Caflillon, de Scryant, & d'autres. Chap. XXXiX.  Chap XXXIJi * M. Vaucanfon. § M. Duhamel, . 184 Progrès . étaient dans la Capitale, & encore très-rare?. • Une raifon fupérieure s'eft fait entendre dans nos derniers jours du pied des Pyrénées au Nord de la France. La philofophie, en rendant 1'efprit plus jufte, & en bannilTanc le ridicule d'une parure recherchée , a rendu plus d'une Province 1'émule de la Capitale. En général, le barreau a mieux connu cette jurifprudenceuniverfelle, puifée dans la nature, qui s'éleve au-delfusde toutes les loix de convention, ou de fimple autorité, loix fouvent dicties par les caprices ou par des bsfoins dargent ; refiources dangereufes plus que loix utiles, qui fe combattenc fans ceffe, &qui forment plutöt un cahosqa'un corps de légiflation. Les Académies ont rendu fervice en accoutumant les jeunes gens a la leéture, & en excitant par des prix leur génie avec leur émulation. La faine phyfique a éclairé les arts nécetTaires, & ces arts ontcommencé déja a fermer les plaies de 1'Etat, caufées par deux guerres. Les étoffes fe font manufaclurées a moins de fraix par les foins d'un des plus célebres Mécaniciens. * Un Académicien encore plus^utile §parlesob-  & dècadence. 185 jets qu'il embrafle, a perfeétionné beaucoup 1'agriculture, & un Miniftre éclairé a rendu enfin lesbleds exportables-, commerce nécefiaire défendu trop long-temps, & qui doit être connu peut-être autant qu'encouragé. Un autre Académicien * a donné le moven le plus avantageux de fournir ft toutes les maifons de Paris l'eau qui leur manqué, projet qui ne peut être rejetté que par la pauvreté, ou par la négligence, ou par 1'avarice. Un Médecin J a trouvé enfin Ie fecret long-temps cherché, de rendre l'eau de la mer potable. II ne s'agit plus que de rendre cette expérience aftèz facile pour qu'on en puifiê profiteren tout temps fans trop de fraix. Si quelque invention peut fuppléer ft Ia connaiffance qui nous eft refufée des longitudes fur Ia mer, c'eft celle du plus habile horloger de France § qui difpute cette invention ft 1'Angleterre. Mais il fautattendre que le temps mette fon fceau ft toutes ces découvertes. II n'en eft pas d'une invention qui peut avoir fon ucilité & fes inconvé- * M. Deparcieux, T M. Poiffonkr. § M. U Roi. Chap. XXXIX,  Chap. XXXIX. 186 Progrès nients, d'une découverte qui peut être conteftée, d'une opinion qui peut être combattue, comme de ces grands monumencs des Beaux-Arts en poéfie, en éloquence, en mulique, en architeéture, en fculpture, en peinture, qui fbrcent tout d'un coup le fuffrage de toutes les nations, & qui s'affurent ceux de la poftérité par un éclat que rien ne peut obfcurcir. Nous avons déja parlé du célebre dépöc des connoiflances humaines, qui a paru fous Ie titre de Diclionnaire Encyclopédique. C'eft une gloireéternelle pour la nation, que des Officiers de guerre, fur terre & fur mer, d'anciens Magiftrats, des Médecins qui connaiffent la nature, de vrais Doctes, quoiqueDodteurs, desHommes de Lettres dont le goüt a raffiné les connaiffances, des Géometres, des Phyficiens, ayent tous concouru a ce travail auffi ntile que pénible, fansau* cune vue d'intérêt, fans même rechercher Ia gloire , puifque plufieurs cachaient leurs noms; enfin, fans être enfemble d'intelligence, & par conféquent exempts de 1'efprit de parti. Mais ce qui eft encore plus honorable pour la patrie, c'eft que dans ce recueil immenfe , le bon 1'emporte fur le mauvais ; ce qui n'était pas encore arrivé. Les perfécutions qu'il a effiiyées ne font pas fi honorables pour la France. Ce même mal-  & décadence. 187 heureux efpric de formes, mêlé d'orgueil, d'envie & d'ignorance , qui fic profcrire rimprimerie du temps de Louis XI, les fpeéhcles fous le Grand Henri IV, les commencements de la faine philofophie fous Louis XIII; enfin, 1'émétique & 1'inoculation : ce même efprit, dis-je, ennemi de tout ce qui inftruit, & de tout ce qui s'éleve, porca des coups prefque mortels a cette mémorable entreprife; il eft parvenu même a la rendre moins bonne qu'elle n'aurait été, en lui mettant des entraves, donc il ne faut jamais enchainer Ia raifon; car on ne doit réprimer que la témérité, & non la fage hardieflè , fans laquelle 1'efprichumain ne peuc faire aucun progrès. II eft cercain que la connaifiance de la nacure, 1'efpric de douce fur les fables anciennes honorées du nom d'Hiftoires, la faine métaphyfique dégagée des impertinencesde 1'école, font les fruics de ce fiecle, & que la raifon s'eft perfectionnée. II eft vrai que toutes les tentatives n'ont pas été heureufes. Des voyages au bout du monde pour confiater une véricé que Newton avaic démoncrée dans fon cabinec, onc laiffé des doutes fur l'exaéticude des mefures. L'entreprife du fer brut forgé ou converti en acier, celle de faire éclore des animaux a la maniere de 1'Egypce dans des climacs trop différents de 1'Egypte, beau- C II A P. XXX LX.  Chap. XXXIX, 188 Progrès coup d'autres efforts pareüs, ont fait perdre un temps précieux, & ruiné même quelques families. Des fyltêmes trop hafardés ont défiguré des travaux qui auraient été très-utiles. On s'eft fondé fur des expériences trompeufes, pour faire revivre cette ancienne erreur , que des animaux pouvoienc naitre fans germe. De-la font forties des imaginations plus chimériques que ces animaux. Les uns ont poufle 1'abus de la découverte de Newton fur 1'attraétion, jufqu'a dire, que les enfants fe forment par attraction dans le ventre de leurs meres. Les autres ont inventé des molécules organiques. On s'eft emporté dans fes vaines idéés, jufqu'a prétendreque les montagnes ont été formées par la mer; ce qui elt auffi i/rai que de dire, que la mer a été formée par les montagnes. Qui croirait que des Géometres ont été atTèz extravagants pour imaginer qu'en exaltant fon ame, on pouvoit voir 1'avenir comme le préfent. Plus d'un Philofophe, comme on 1'a déja ditailleurs, a voulu, a 1'exemple de Defcartes, fe mettre a la place de Dieu, St créer comme lui un monde avec la parole: mais bientöt toutes ces folies de la philofophie font réprouvées desSages; & même ces édifices fantaftiques, détruits par la raifon , laiflènt dans leurs ruines des matériaux donc la raifon même fait ufage.  cjP décadence. iSy Une extravagance pareille a infecté la morale. II s'eft trouvé des efprits afïèz aveugles pour fapper tous les fondements de la fociété , en croyant la réformer. On a été afTez fou pour foutenir que le tien & le mien font des crimes, & qu'on ne doit point jouir de fon travail; que nonfeulemenc tous les hommes font égaux, mais qu'ils ont perverti 1'ordre de la nature en fe raflèmblant: que 1'homme eft né pour être ifolé comme une béte farouche; que les caftors, les abeilles & les fourmis dérangent les loix éternelles en vivanc en république. Ces impertinences dignesde Fhöpital des foux, ont été quelque temps k la mode, comme des finges qu'on fait danfer dans des foires. La théologie n'a pas été a couvert de ces excès : des ouvrages dont la nature eft d'être édifiants, font devenus des libelles diffamatoires, qui ont même éprouvé la févérité des Parlements, & qui devaient auffi être condamnés par toutes les Accadémies, tant ils font mal écrits. Plus d'un abus femblable a infefté Ia littérature; une foule d'Ecrivains s'eft égarée dans un ftyle recherché, violent, inintelligible, ou dans Ia négligence totale de la Grammaire. On eft parvenu jufqu'k rendre Tacite ridicule. On a beaucoup écrit dans Chap. XXXIX.  Chap. XXXIX. i oo Progrès ce fiecle; on avait du génie dans l'autre. La langue fut portée fous Louis XIV au plus haut point de perfection, dans tous les genres , non pas en employant des termes nouveaux, inutiles; mais en fe fervant avec art de tous les mots nécefiaires qui étaient en ufage. II eft a craindre aujourd'hui que cette belle langue ne dégénéré par cette malheureufe facilité d'écrire, que le fiecle pafie a donnée aux fiecles fuivants; car les modeles produifenc une foule d'imitateurs; & ces imitateurs cherchent toujours a mettre en paroles ce qui leur manque en génie. Ils défigurent le langage, ne pouvant pas 1'embellir. La France fur-tout s'était difünguée dans le beau fiecle de Louis XIV, par la perfection finguliere k laquelle Racine éleva le Théatre, &parle charme de la parole qu'il portaa un degré d'élégance & de pureté inconnu jufqu'a lui. Cependant on applaudit après lui a des Pieces écrites auffi barbarement que ridiculemenr conftruites. C'eft contre cette décadence que 1'Académie Francaife lutte continuellement; elle préferve le bon goüt d'une ruine totale,en n'accordant du moins des prix qu'a ce qui eft écrit avec quelque pureté, &enréprouvant tout ce qui pêche par le ftyle. Mais enfin, la littérature, quoique fouvent corrompue, occupe prefque toute la jeuneflè bien élevée; elle fe répand dans les conditions  & décadence. 191 qui i'ignoraient. C'eft ij elle qu'on doit 1'éloignemenc des débauehes groffieres, & la confervation de la politeffe introduite dans la nation par Louis XIF&z par fa mere. Cette littérature utile dans toutes les conditions de la vie, confole même des calamités publiques, en arrêtant fur des objets agréables 1'efprit qui ferait trop accablé de la contemplation des miferes humaines. FIN. Chap. XXXIX.  Table  ( 193 ) TABLE DES CHAPITRES Contenus en cette feconde Partie. Chapitre XXV. Suite des aventures du Prince Charles-Edouard. Sa défaite, fes malheurs , & ceux de jon parti, Page t Ch. XXVI. Le Roi de France n''ayant pu parvenir a la paix qu'il propofe, gagne la bataille de Laufelt. On prend d'affaut Berg-op-Zoom. Les Ruffes marchent enfin au fecours des Alliés, Ch. XXVII. Voyage de TAmiral Anfon autour du globe, Ch. XXVIII. Louisbourg. Combats de mer : prifes immenfes que font les Anglais. 5I Ch. XXIX. De Pinde, de Madrafs, de Pondichéry. Expédition de la Bourdonnaie. Conduite de du Pleix, &c. Ch. XXX. Paix tPAix-la-Chapelle, 73 Ch. XXXI. Etat de 1'Europe en 1756, U. Partie. 1  i?4 t-ai5le des chapitres. Lisbonne détruite. Confpirations