L'INTRIGUE DU CABINET, SOUS HENRI IV ET LOUIS XIII, TERMINÉE P AR LA FRO NDE. TOME PREMIER.   L'INTRIGUE DU CABINET, SOUS HENRI IV ET LOUIS XIII, TERMINÉE PAR LA FRONDE. Par M. A n q_u et i l, Chanoine Régulier de la Congrègation de France, Correfpondant de l'Académie Royale des lnfcriptions & Belles - Lettres, Prieur de Chdteau-Renard, & Auteur de 1'Efprit de la Ligue. TOME PREMIER. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil, Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC. L XX XII.   OBSERVATIONS Sur les Écrits cités dans l'Iïiftoire de PIntrigue du C ab l n et , divijées en trois parties. Premiérement, fur Henri IV. Secondement, fur Louis XIII. Troifiémement, fur la Fronde. Écrits sur Henri IV. ,.M EMorie recondite da Vittorio Siri, dall'anno 1601 allanno 1640, diftinti in piu tomi, in-qto. in Ronco, 1680. 3.. II Mercurio o verö Hiftoria di Correnti tempi ; inParigi, 1674. Ces deux Ouvrages, dont Ie dernier a été fait avant le premier, s'étendent jufqu'a 1'année 1655. Siri dit qu'ils font faits fur les Mémoires des Miniftres , dont il a eu communication ; & en effet il y a inféré des pieces entieres qu'il n'a pas pu avoir d'ailleurs: 6c on lui a obligation de nous avoir confervé la connoiffance de beaucoup de reflbrts fe- Tome I, a  ij E C R I T S crets , dont les autres Auteurs n'ont pu préi'enter que les mouvements. Par la multitude des volumes de Siri , qui moment a plus de quatorze très-gros, in-40. on peut juger de fon application au travail: mais aufli chez lui, comme chez tous les Ecrivains volumineux, on trouve plus d'abondance que d'ordre, des redites, de la confufion, & fouvent des jugements contradiftoires ; il ne ménage pas Richelieu, & épargne un peu trop Gafton, qui lui faifoit, dit-on, une penfion. 3. Le Mercure Francais : Paris, 25 vol. in-dvo. II faut mettre a la tête un volume qui contient les années 1603, I(3°4 & I^°5» fous le titre de l'Hifioire de la paix , & qui lie ainfi le Mercure a la Chronologie feptenaire de Cayet. Les feize premiers volumes forment un recueil impartial , dans lefquels fe trouvent les faits pour & contre avec leurs preuves; mais vers 1630 , au moment que le Cardinal de Richelieu prend le deflus, on remarque beaucoup d'omiflions, & de l'afte&ation a juftifier le Miniftre : de forte qu'on ne doit plus regarder les derpers volumes que comme un recueil comsnandé. '4. Mémoires de Maximilien de Béthune, Duc de Sully, &c... mis en ordre avec des remarques, par  sur H e n r i IV. iij Monfieur L. D. L. D. L. Londres , 1745 , 8 vol. in-i 1, Cet Ouvrage eft très-bien fait, & on en fent mieux le mérite, quand on a lu les anciens Mémoires, oü regne «ne confuficn extréme. Le Réduéteur, ou TraJufleur, comme il fe nomme lui-même, y a mis beaucoup d'ordre : fon ftyle eft aifé & coulant: fes remarques font juftes & a propos: il n'a tien omis de ce qui eft eflentiel dans le texte. Sans être trop engoué du Duc de Sully fon héros, il le montre comme un grand homme , & il a r-aifon. Ces nouveaux Mémoires fontbeaucoup plus agréables que les anciens. Cependant comme le plus beau portrait ne rend jamais 1'air de 1'original, après avoir lu ceux-ci, on defire encore de revoir les autres. 5. Décade contenant lavie & geftes d'Henri-le-Grand , par Baptiste Le Grain : Paris, Jean Laquehay, 1614, 1 vol. in fol. Panégyrique dont on ne foutiendroit pas la leéture, fi les louanges ne regardoient pas Henri IV. Les faits font pardonner la manie J 6. Décade commen^ant 1'Hiftoire du Roi Louis XIII, depuis 1610 jufqu'a 1617 inclufivement, par Baptiste Le Grain, Confeiller, & a ij  iv E C r i t s Maitre de 1'Hötel ordinaire de Ia Reine mere du Roi : Paris, Guillemot, 1618, 1 vol. in-fol. II a partagé 450 pages en 10 livres, pour remplir fon titre de Décades; & pour remplir les feuilles, il a inféré une foule d'exemples étrangers a la matiere. II promet des pieces originales, & n'en a mis que très-peu. Le Grain étoit grand partifan du Parlement: il fait profeffion de haine contre les Favoris. Pour un homme attaché par fes Charges ,a la Reine-mere , il traite bien mal le Maréchal d'Ancre & fa femme. II ne faut pas confondre cet ir.-fol. avec un i/z-49. que je ne connois pas, & que Le Grain défavoue. 7. Hiftoire de Henri IV , Roi de France & de Navarre , & des chofes les plus mémorables arrivées fous fon regne, par feu Meflire Pierre Mathieu, Hiftoriographe du Roi : Paris, veuve Nicolas Buon , 1631 , 1 vol. in-foh On trouve a la fin le crayon des premières années de Louis XIII; très-court précis , & affez bon , par le Als de 1'Hiftoriographe , qui annonce une Hiftoire plus longue , que je ne connois pas. On voit a la page 779, qu'Henri IV lifoit 1'Ouvrage a mefure que Mathieu le compofok, Ce feroit une raifon pour »'y pas ajoR-  sur Henri IV. v ter grande foi, ft on ne voyoit en mêmetemps que ce Prince 1'encourageoit a tout dire. llfaut, difoit-il, page 36 , qu ily ait des ombrages dans les tableaux , pour réhauf~ fer les vives couleurs. Si on ne parloit de l'un , on feroit douter de l'autre. La flatterie rendroit la vérité fufpede. Aufli doit-on regarder 1'Ouvrage de Mathieu , comme une des meüleures Hiftoires d'Henri IV , fauf les négligences de ftyle, les digreflïons , l'affe£tation d'érudition , & les autres défauts , qui appartiennent autant au fiecle qu'a 1'Auteur, 8. Examen de la nouvelle Hiftoire de Henri IV, de M. de Bury , par M. le Marquis de B..., lu dans une féance d'Académie , auquel on a joint une piece analogue : Gerieve, Claude Philibert, 1768 , 99 pages in-ii. Cette brochure s'eft vendue a Paris 36 Iir. on ne fait pourquoi, a moins que ce ne foit paree qu'on s'eft dit z 1'oreille, qu'elle étoit de M. de Voltaire. Sur Fobje&ion que le ftyle n'eft pas digne de ce célebre Auteur , on a répondu qu'il vouloit fe cacher : mais il pouvoit garder de fon ftyle ; en ne parlant ni contre la Religion, ni contre les mceurs, il étoit affez déguifé. L'Auteur n'apprend rien de nouveau : il reproche a M. de Bury, dans la première partie, d'écrire ce que perfonne n'a jamais fu; & dans la feconde , de n'écrire que ce que tout le monde fait. M. a i ij  vj E C R l T S •ie Bury, s'il exifte, eft bon pour fe dé- fendre. Ce qui fe lit page 60, fur les prétendus complices de Ravaillac, eft fort, mais n'eft pas concluant. Du rapprochement de quantité de faits féparés & indépendants 1'un de I'autre, a la conclufion d'une complicité, la conféquence n'eft pas jufte. 9. Hiftoire des Amours d'Henri IV, avec un Recueil de Lettres, d'Anecdotes,bons Mots, &c. Cologne, 1667, 1 vol. in-iz, On a rajeuni le ftyle de cet Ouvrage dans le tome IX des Amufements de la Campagne, & on n'en a pas mieux fait. II a été coinpofé par Marguerite de Lorraine, qui s'étoit flattée, pendant le fecond fiege de Paris , d epoufer Henri IV ; qui a enfuite époufé Ie Prince de Conti, & qu'on dit être morte de chagrin de la prifon de M. de Baffompierre , auquel on croit qu'elle s'étoit manée fecretement. II paroït dans fon Ouvrage un peu d'humeur contre Henri IV ; peutêtre efl-ce reffentiment d'avoir manqué fa niain. 10. Petit Recueil in-16 , oh. fe trouvent, i°. Le traité de mariage d'Henri IV. i°. Le jugement & la mort de Biron.  sur Henri IV. vij 3°. La trahifon de 1'Hofte. 4°. Toute 1'affaire d'Entragues. 50. Le rétabliffement des Jéfuites en France. 6°. La guerre contre le Duc de Bouillon. II paroit que ce petit Recueil eft compofé de pieces qui fe vendoient alors fous le tnanteau. 11. Lettres & Ambaffades de Meffire Philippe Canaye , Seigneur de Frefne : Paris , Efienne Richer, 1635, 2 vol. in-fol. Canaye étoit Ambafladeur a Venife. II a eu fouvent occafion d'avertir Henri IV des confpirations qui fe formoient contre fa vie. On trouve, a la fin du fecond volume , une bonne relation du procés & de la mort du Maréchal de Biron , par M. dela GüEsle, Procureut-Général. 12. Les (Euvres d'ETiENNE Pasquier : Amjlerdam, 2 vol. in-fol. A la fin font les Lettres de Nicolas , fils d'Etienne , defquelles il eft ici queftion. On y remarque un peu de crédulité pour les prédiftions. Nicolas étoit moins favant que fon pere, mais auffi ftudieux & auffi foigneux de ramafler les faits. II les accompaa iv  VÜj E c r i t S gne de réflexions un peu longues, & de difcuflïons bien raifonnées. Son ftyle eft grave, & on diroit que fes Lettres ne font'point faites feulement pour les perfonnes auxquellesdécrivoit ,mais qu'illesdeftinoita la poftenté. r 13. Mémoires du Cardinal BentiVOGLio , &c. traduits de 1'Italien en Francois , par M. 1'Abbé de Vayrac : Paris, André Cailleau, 1713 , z vol. in-iz. Bentivogüo a été long-teraps Nonce a Bruxelles a la Cour de 1'Archiduc , oü fe trouvoient beaucoup de Francois exilés fous Louis XIII. II a pu favoir d'eux , dans la converfation,nombre d'anecdotes , & il étoit homme d'affez bon fens, pour en difcerner Ia vérité : néanmoins on lui trouve du penchant a croire le mai qu'on lui difoit de Richelieu, 8c cela n'eft pas furprenant; il vivoit avec les martyrs du Cardinal, & n'entendoit qu'eux. 14. Hiftoire de Ia vie du Connétable de Lefdiguieres, par Louis Videi „ Secretaire dudit Connétable : Puris , Pierre Rocolet, 1638, 1 voL in-fol. Cette Hiftoire de 478 pages , divifées ets douze hvres , eft dédiée au Cardinal de  sur Henri IV. ix Richelieu. Elle eft écrite dans Ie goüt des Mémoires de du Bellai & de Montluc , que Lefdiguieres égala en aftivité & en capacité. C'eft un très-bon Journal d'opérations militaires ; on y trouve beaucoup de rufes 8c de ftratagêmes : le ftyle eft pur , la narration vraie , & quelques récits ont de la chaleur. Videl raconte ce qu'il a vu , & remarque qu'alors les Secretaires alloient au feu avec leurs maitres. La Noblefle de Dauphiné, de Provence, ,de Languedoc, jaloufe de la gloire de fes ancêtres, doit avoir ca livre, pour y étudier leurs aftions. 15. Hiftoire de Henri de Ia Tour d'Auvergne , Duc de Bouillon , oü 1'on trouve ce qui s'eft paffé de plus remarquable fous les regnes de Francois II, Charles IX, Henri III, Henri IV. La minorité & les premières années du regne de Louis XIII, par M. MarsoLier , Chanoine & ancien Prévöt de 1'Eglife Cathédrale d'Uzès : Paris, Barrois, 1719, 3 vol. in-n. M. Marfolier étoit Chanoine Régulier, & Membre de la Congrégation de France; il a fait beaucoup d'ouvrages qui font tous écrits avec gravité & majefté : on fent mieux le mérite de celui-ci, quand on fait combien il lui a manqué de matériaux , dont le pubüc n'a été enrkhi que depuis fa mort. a v  x E c r i t s 16. Les Jéfuites criminels rle IezeMajefté dans la pratique & dans la théorie, troifieme édition : La Haye, chez les freres Raimont , *759- Nous ne citons cet Ouvrage, que paree qü'on y a ramaffé, tlepuis la page 258, jufqtfa la page 359, tout ce qui peut fervir a prouver que Ravaillac fut un émiffaire des Jéfuites , & qu'il eut encore d'autres complices : cependant rien de moins concluant que toutes ces preuves , prefque toujours fondées fur des redites. Écrits sur Louis XIII. toriarum Galliae ad exceflu Henrici IV, libri XVIII, autore Gabr. Bartholomveo Gramondo, in Sacro Regis Confiftorio Senatore, & in Parlamento Tolozano Prsefide : Tolofz, apud An. Colomerium, 1643 , 1 vol. in-fol. dédié k Louis XIV. Gramond avoit, dit-on , deffein que fon Ouvrage fervit de continuation au Préfident de Thou, & il en approche autant qu'un continuateur peut fuivre .fijn original ; Pro-  sur Louis XIII. xj ximtis, at longoproximus intervallo. Gramond a eu contre lui la différence des faits, bient moins intéreffants après 1'extinction de Ia Ligue; inconvénient que nous éprouvons nousmêmes. Le Préfident de Touloufe n'avoit pas non plus 1'efprit d'ordre, la facilité des tranfitions, le ftyle nombreux & arrondi, propre a la majefté de 1'Hiftoire, qu'on admire dans le Préfident de Paris. On dit qu'il s'étoit propofé Tacite pour modele, & il eft fouvent aufli concis, mais ordinairement plus obfcur & moins nerveux. II finit a la prife de la Rochelle. On dit qu'il alla jufqu'a la mort de Louis XIII. Si nous avions cet Ouvrage, nous aurions un éloge perpétuel de Richelieu; mais 1'exactitude des détails j auxquels Gramond paroit s'être principalement appliqué , feroit fupporter la fadeur du panégyrique. 18. Mémoires Chronologiques pour fervir k 1'Hiftoire profane de ï'Europe, depuis 1600 jufqua 1716, avec des réflexions & remarques critiques: Amjlerdam, 1725 , 2 vol. i/2-12. Ce font les Mémoires du P. d'Avrigny; Jéfuite, très-judicieux , clairs , brefs , écrits d'une maniere piquante, quelquefois malins, toujours agréables. Lesévenements fe fuivent parordre chrono! ogique, & forment chacun un tout ifolé. On y trouve une excellente critique des Auteurs Sc des dates, fans aua vj  xij E c r i t s cun mélange du pédantifme, qui a comu~ me d'accompagner ces fortes de difcuffions. 19. Hiftoire du regne de Louis XIII, par M. Michel le Vassor : Amfttrdam, Zacharie Chatelain, 1750, ï8 vol. in-12. Quelques-uns de ces volumes om 8 a 000 pages; auffi eft- ce 1'Hiftoire de toute 1'Europe pendant le regne de Louis XIII. Le frontifpice de chaque volume eft chargé d'un paffage latin, pris dans les Auteurs quiont montré le plus d'antipathie contre les Grands , & qui om eu en général la plus mauvaifè idee des hommes; ainfi le Vaflbr, fans le vouloir , fait connoitre, dès la première page, le caraétere dominant de fon Ouvrage. On y trouve peu d'éloges, beaucoup de' fatyres, encore plus d'induétions cauftiques & malignes, qui font voir qu'il croyoitpeu a la vertu humaine. C'eft d'ailleurs un excellent répertoire, & qu'on peut lire avec fruit, en fe tenant ea garde contre le jugement de 1'Auteur. 20. Hiftoire abrégée du Siècle courant, depuis 1'an 1600 jufqu'a préfent, par Ie fieur de Ch. .. : Paris , Charles Coignard , 1 vol. in-iz. avec privilege. Cet sbrégé des événements de chaque ar»nee jufqu'en 1622, a du coüter a fon Au-  sur Louis XIII. xüj teur, dans un temps oü il n'y avoit point de gazette. C'eft ce que feroit act.uellement un extrait des papiers publics. On y trouve les naiffances , mariages , enterrements , changements de Miniftres , & autres événements importants, avec leurs dates; toutes chofes trop noyées dans le grand Mercure de France , que cet abrégé difpenfe de feuilleter fur ces objets. ii. Hiftoire de Louis XIII, compofée par Melïire Charles Bernard , Confeiller du Roi, Lefteur ordinaire de Ia Chambre de Sa Majefté, & Hiftoriographe de France: Paris, Auguftin Courbé , 1646 , 1 vol, in-fol. 11 y a en tête un difcours de la vie de VAuteur. On y lit qu'il étoit lié avec Antonio Perès , Secretaire d'Etat de Philippe II, réfugié en France, & avec le Préfident Jeannin , & qu'il apprit beaucoup de particularités fecretes de ces deux perfonnages. Après cela , on eft lurpris de ne trouver, dans ce gros volume de mille pages, que des chofes fort communes & fues de tout Ie monde. Elles font écrites d'un ftyle lache , prolixe & fade : c'eft une gazette continuelle. Bernard étoit, ou un homme fimple, ou un trembleur ; il a écrit avec la difcrétion d'un Courtifan fubalterne, ou 1'ignorance d'un domeftique borné a fes fontSions. Malgré les orages de la Cour, il refta toujours dans fon  xiv ë c r i t s emploi; apparemment il favoit plier a propos. II fit impriraer en 1633,3 fes fraix, la Guerre de la Rébellion , & n'en fit tirer que douze exemplaires : cette précaution porte a croire que ce Livre, s'il en exifte encore quelque exemplaire, feroit plus cutieux que fon Hiftoire de Louis XIII. 22. Vie d'Armancl-Jean , Cardinal, Duc de Richelieu -.Cologne, 1696, 2 vol. in-12. par N... Le Clerc, Miniftre des Remontrants d'Amfterdam. _ Cette Hiftoire d'un Cardinal par un Miniftre Proteftant, eft bien conduite. Le ftyle en eft clair , fimple & chatié. L'Auteur n'aimoit pas Richelieu , mais il 1'eftimoit, & méprifoitfouverainement Louis XIII. II laifle appercevoir fon inclination pour les malheureux de ce fiecle ; inclination qui le rend injufte dans quelques-uns des jugements qu'il porte du Miniftre, & qui le difpofe a lui prêter hardiment les plus mauvais motifs. Le Clerc s'eft beaucoup fervi de Siri & d'Aubery, les deux Auteurs contraires; mais il a beaucoup plus fuivi le détra&eur que 1'approbateur de Richelieu. 23. Hiftoire du Cardinal de Richelieu, par le fieur Aubery, Avocat en Parlement '.Paris, Antoine Beriier, 1660, 1 vol. in-fol.  sur Louis XIII. xv Lenglet dit qu'Aubery a voulu faire de Richelieu un trop honnête homme, & que ce n étoit pas de quoi fe piquoient la plupart des Miniftres de ce temps-la. Quoiqu'il y ait du ftyle , de 1'ordre , des réflexions judicieufes, c'eft un mauvais Ouvrage comme Hiftoire, mais très-bon comme Fatfum, dans lequel 1'Avocat rapporte avec beaucoup de. netteté & de force, tout ce qui eft avantageux a fa partie , & pallie adroitement ce qui lui eft contraire. Le Clerc traite Aubery de flaneur infupportable. L'Avocat auroit pu appeller le Miniftre des Remontrants, un fa~ tyrique outré. La partialité en bien 6c en mar fait le caraftere de ces deux Ouvrages, qu'il faut lire avec une égale précaution. A la fin de fon Ouvrage, Aubery a mis ia chapitres , qui contiennent 130 pages infol. , dans lefquelles les Récipiendaires de 1'Académie Francoife ont fans doute puifé, depuis cent vingt ans qu'ils font 1'éloge toujours agréablement varié du Cardinal. 24. Mémoires pour 1'Hiftoire du Cardinal, Duc de Richelieu, recueillis par le fieur Aubery : Paris, Antoine Bertier, en 1660, 2 vol. in-fol. dédiés aM.de Lamoignon , celui a qui Louis XIV dit que, s'il avoit connu dans fon Royaume un, plus honnête homme, il Cauroit infailliblemeni fait Premier-Préjïdent. Le mérite de ces fortes ds colle&ipn, fa  XV/ ÉCRITS tire ordinairement du cho.'x despieces. Celleci, a ce titre , eft digne d'attention. On v trouve, non-feulement les relations publiques, ma.s les inftruétions fecretes des correfpondances fuivies entre le Miniftre & les charges daffaires; une multitude de Lettres onginales , & de Mémoires importants, t.res, ou des cabinets des curieux, ou des depots du Miniftere. II étoit poffible dV mettre plus d'ordre ; mais ceux qui font accoutumes a feuilleter ces fortes de Recueils, sen paffent, & une table qu'on fait pour foi-meme , y fupplée. h 2.J. Hiftoire du Miniftere d'ArmandJean DuplefTis, Cardinal, Duc de Kicheheu, avec des réflexions poIitiques & diverfes Lettres: Paris, Gervais Alyot, i vol. in-fol. 1649. A Ia tete fe trouve une belle efjampe de Melan , qui repréfente ie Cardinal dans toute fa grandeur, tenant d'une main 1'aigle de i Empire, qui veut fe dégager , & de l'autrele léopard Belgique , qui refte tranquille. Ce Livre compofé par Charles Vialart, Kehg.eux teuillant , puis Evêque d'Avranches , mort en i644 , fut condamné par du it P*\leme™> & brülé par la main duBourreau ie u Mai 1650. Sans doute il rfut cette flétnffurg au crédit de quelques  sur Louis XIII. xvij families qui n'étoient pas ménagées dans cet Ouvrage. Vialart eft peut-être 1'ami le plus zélé & 1'admirateur le plus fincere qu'ait eu le Cardinal. II paroit que c'eft 1'eftime qui lui a mis la plume a la main ; & fans déguifer les faits, il trouve par-tout dans les motifs, de quoi juftifier le Miniftre. Lenglet dit que ce Livre eft peu eftimé, & a peine lu de ceux qui veulent favoir 1'Hiftoire du Cardinal. C'eft pourtant un de ceux qui 1'apprennent le mieux ; malheureufement elle finit a 1'année 1633. On dit qu'il y en avoit encore un volume, que l'Arrêt du Parlement a empêché deparoitre, & c'eft certainement une perte pour le public. On trouve k la fin de chaque livre, des réflexions politiques qui ont leur mérite. Elles font pleines d'érudition , & femées de réflexions judicieufes, exprimées d'un ftyle net & concis; mais comme elles tendent toutes a la juftification de Richelieu , 'elles donnent a 1'Ouvrage un air d'adulation, qui fans doute lui a fait tort. 16. Maximes d'Etat, ou Teftament politique d'Armand Dupleffis, Cardinal, Duc de Richelieu, Pair & Grand-Amiral de France, premier Miniftre d'Etat fous le regne de Louis XIII du nom ,Roi de France & de Navarre : Paris, le Breton, 1764, 1 vol. in-%vo. Cette édition faite avec beaucoup d'in-  XVllJ E C R I T S telligence, a été donnée au public par M. de FoncemaonEj dont la plume, guidée par Ia fcience & le goüt, n'a jamais laiffé échapper que des Ouvrages auffi agréables qu'utiles. II prouve jufqu'a 1 evidence , contre M. de Voltaire, dans une lettre qu'il a mife a la fin , que c'eft la production du Cardinal lui-même, & il réfute invinciblement les objeétions faites contre fon authenticité. Les Teftaments politiques qui ont été publiés a 1'imitation de celui-ci , font une efpece d'hommage que les Auteurs ont rendu k la fupérioritéde leur modele , qui 1'emporte autant fur ces copies , que la belle nature 1'emporte fur les ouvrages del'artles plus foignés. 27. Mémoires du Cardinal de Richelieu , contenant tout ce qui s'eft paffé a la Cour, pendant fon adminiftration : enfemble les procés de MM. le Marécjial de Marillac, de Montmorency, de S. Preuil, de Cinqmars & de Thou, avec plufieurs autres pieces que 1'on a trouvées après fa mort, écrites de fa main : A Goude, 1665, 1 vol. in-16, On pourroit appelier ce livrè le Martyrologe du Cardinal : c'eft celui dont on a fait plufieurs éditions fur le titre de Journal de Monfieur le Cardinal de Richelieu. Cette édition de Goude paroit avoir le mérite du  sur Louis X111. xix complet. II y a trois parties en un même tome. La première, jufqu'a la page 260, contient , fous des titres fort courts, des notes encore plus courtes, comme feroient les memento d'un homme qui n'écrit qu'un mot fur une affaire, pour ne la pas laiffer échapper. Ces memento apprennent des chofes fingulieres, & en font deviner encore davantage, quand on eft inftruit. La feconde partie, jufqu'a la page 333, renferrne les procés indiqués dans le titre. Le procés Sc la mort de Cinq-Mars 8c de Thou, forment une troifieme partie jufqu'a la page 90; Sc il y a encore jufqu'a la page 96 , d'autres memento qui font comme des lignes jettées négligemment Sc fans fuite. M. de Foncemagne regarde le journal de Richelieu comme une piece authentique. Je penfe que c'étoit peut-ètre un petit répertoire a 1'ufage du Cardinal; & plus on approfondit 1'Hiftoire, plus on fe confirme dans ce jugement. 28. Hiftoire de la Mere & du Fils, c'eft-a-dire de Marie de Médicis, femme du grand Henri, & mere de Louis XIII ; contenant 1 etat des affaires politiques & eccléfiaftiques qui font arrivées en France , depuis & compris 1'an 1600 jufqu'a la fin de 1619, par Franc;ois Eudes de Mezeray , Hiftoriographe de France : A Amfurdam , Michel - Charles Lecene, 1711, 2 vol. in-il.  E c r i t s M. deFoncemagne, dans la lettre qui fuit le Teftament politique, pag. 131, prouve que cet Ouvrage, attribué a Mézerai, eft de Richelieu lui-même,& fait partie d'une Hiftoire complete, que ce Miniftre auroit compofée. L'Hiftoire de la mere & du fils ne va que jufqu'a la paix d'Angers; époque qui prélente peu de faits qu'on ne puiffe tourner a 1'avantage du Cardinal. On doit regretter de n'avoir pas la fuite, ne füt-ce que pour voir comment 1'Ecrivain auroit traité beaucoup d'autres faits, très-dignes d'exercer fon habileté. 29. Lettres du Cardinal, Duc de Richelieu , oü 1'on voit la fine politique & le plus grand fecret de fes négociations : Paris , Marbre Cramoify, 169 5. Ces Lettres en 360 pages , font rangées par ordre chronologique. C'eft trop dire qu'on y trouve la politique & le fecret du Cardinal: on y découvre tout au plus fon caraéiere impérieux , févere, abfolu ; fes qualités d'ami ofücieux, d'ennemi implacable. Ce ne font point certainement fes lettres les plus importantes , puifqu'il n'y en a prefque point d'adreffées a ceux qui avoient fa confiance , aucune fur les intrigues de Ia Cour, qui 1'intéreffoient le plus ; enfin , aucune qu'il n'eut pu rendre lui-même publique dans le temps , paree qu'elles ne contiennent point des chofes qu'on doive regarder comme fecretes: du refte , on y reconnoit fon ftyle  sur L o w i s X11 r. XXJ fententieux , male, nerveux , & fur-tout 1'art qui lui eft particulier, de déguifer les menaces fous le ton du confeil, & ib.us 1'air d'amitié. 30. Mémoires d'Etat, contenant les chofes les plus remarquables, arrivées fbus la Régence de la Reine Marie de Médicis, & du regne de Louis XIII : Paris, Denis Thiéry, 1664, 1 vol. in-^to. lis font connus fous le nom de Mémoires de la Régence , par le Maréchal d'ETRÉBS, & vont jufqu'a la mort du Maréchal d'Ancre. lis font écrits tout d'une haleine , & ne laiffent pas repofer le leéteur, qui eftétourdi du tourbillon ou on le jette. Cet ouvrage mérite des éloges, mais non d'être comparé aux Commentaires de Céfar, & mis au-deffus de tout ce que nous avons en ce genre, comme le dit le P. Lemoine, Jéfuite, qui en a été 1'Editeur. On s'attendroit même a des chofes plus rares & plus neuves de Ia part d'un homme qui a été lui-même aüleur dans les événements qu'il décrit. 31. Recueil des Pieces les plu| curieufes qui ont été fakes pendant le regne du Connétable de Luynes: quatrieme édition , augmentée , 1632. Ce Recueil eft très-ample, puifqu'il con^  XXlj E C R I T S lient 599 pages; cependant, tant étoit grande la fureur decrire, ily manque beaucoup de Pieces. 32. La Conjuration de Concini & de fa femme Dragontini : Paris, Pierre Rocolet, 1618, 317 pages in-12, avec privilege. Dans fon Epitre dédicatoire au Roi, 1'Auteur fe plaint que , fous Concini, fa penfion n'étoit pas payée , & qu'il a penfé mourir de faim. Ce début, joint au titre , n'annonce pas ue 1'impartialité. En efTet, il eft difficile de trouver un libelle plus atroce. C'eft pourquoi il faut recueilliravec confiancelesaveux qui échappent au Satyrique en faveur de Concini; favoir, qu'il étoit Gentilhomme , qu'il avoit beaucoup d'efprit , de grace , d'adreffe, &c. &^ que fa femme montra une grande fermeté a la mort. 33. La Chronique des Favoris, fans date ni lieu d'impreffion, 56 pag. Satyre gaie & amere contre les Luynes. Son Auteur eftLANGLOis, ditFANCAN, Chanoine de Saint-Honoré. Elle lui val ut quelques mois de prifon a la Baftille , oü il mourut. 11 étoit au moins auffi ennemi des Jéfuites que des Luynes. Selon lui, on vou» lut faire fervir la Religion d'appui au crédit du Favori, & c'eft pour cela qu'on lui fitentreprendre la guerre de Béarn. Stsfiat-  sur Louis XIII. xxiij teurs, dit-il, furent davis de ramaffer tous les vieux haillons de la fainte Ligue , pour faire un beau manteau de Religion , conflruit bien finement par les mains de la Société , & d'icelui faire pref ent a ïainè de la faveur, lui remontrant la globe qu'il auroit de le porter , & que c 'étoit le fur chemin pour parvenir a la Connétablie. II appelle le Pere Arnoux, Confeffeur du Roi , un efpiegle fpirituel ; nom qui conviendroit a tous les Patelins qui tournent Ia Religion a leur profit. Cette fatyre finit par ces vers : Rien n'eft au monde de parfait: Ce qui eft tel n'eft imitable. Ce difcours n'eft pas des mieux fait, Mais il eft des plus véritable. Fancan auroit pu no'us dire fi la réputation de touiner paffablement une Satyre, mérite d'être achetée au prix de la liberté. 34. Mémoires du Maréchal de Baffompierre : Cologne, Pierre Marteau, 1665, 3 vol. in-ii. 35. Obfervations deBaffompierre fur les vies des Rois Henri IV, Louis XIII, de Dupleix : Paris, Pierre Bienfait, 1665, avec privilege, in-11. de 544 pages. Ces deux Ouvrages ont été faits en grande partie a la Baftille 3 & ils portent 1'empreinte  Xxiv ÉCRITS du chagrin de 1'Auteur. Le ftyle des Mémoirés eft lourd, les dates lont affez füres. On y trouve un mélange bizarre de dévotion & de libertinage , avec des gémiflements éternels fur fa captivité. On dit que fes Obfervations font les remarques qu'il écrivoït fur les marges de fon Dupleix en le lifant. La chofe eft affez vraifemblable, a en juger par le laconifme & la brufquerie des démentis. II eft vraifemblable aulïï qu'il ne les deftinoit pas a l'impreffion; car fans doute il les auroit purgées des épithetes infultantes que 1'indignation contre un Ecrivain infidele & partial ne peut excufer. Baffompierre ne difcute point les faits; & ne pefe point les circonftances : il dit les chofes comme il les 'a vues, & il les a vues comme il étoit affeété. On peut conclure de fes Ouvrages, qu'un Courtifan en proie a fes haines, a fes amitiés & a fes préventions, écriroit bien mal 1'Hiftoire. 36. Mémoires de feu M. le Duc d'Orléans , contenant ce qui s'eft paffé en France de plus confidérable, avec un journal de fa vie : A Amjlerdam , Plette Mortier, 1685 , 1 vol. in-16, Cet Ouvrage, dont 1'Auteur eftinconnu; mais qui étoit bien inftruit, eft un excellent guide pour cette partie de 1'Hiftoire, depuis 1608 jufqu'a 1636 ; ©n regrette, en le lifant,  sur Louis XIII. xxv lifant, qu'il n'ait pas poufle fa narration jufqu'a la mort de Gafton , ou qu'il n'ait pas du moins traité avec la roême fagacité, le refte du regne de Louis XIII, & toutes les affaires de la Régence, jufqu'a la fin des troubles fous Louis XIV. L'Auteur négligé ordinairement les détails , pour s'attacher aux caufes fecretes; & en 172. pages, il en apprend plus que beaucoup de gros volumes. 37. Mémoires de M. de Montréfor. Diverfes Pieces durant le miniftere du Cardinal de Richelieu. Relation de M. de Frontailles. Affaires de M. le Comte deSoiffons, des Ducs de Guife & de Bouillon ; i vol. in-16 : le premier a Cologne, chez Jean Sambix, 1663 : le fecond a Leyde, chez Jean Sambix le jeune, a la Sphere, en 1665. Celui-ci contient d'autres Pieces curieufes , qui fervent d'éclaircilTements a celles du premier volume. Ce Recueil eft précédé & entremêlé de plufieurs récits hiftoriques très-bien faits, de la main de Montréfor. II fe nommoit Bourdeille ; nom qu'un homme de la même Maifon avoit déja rendu fameux dans les Lettres : celui-ci ne dégénéra pas. II faut lire fur-tout fon difcours a la tête du fecond volume ; difcours noblement écrit ; ouvrage Tome I. b  XXVJ E C R i t S d'un homme ferme. II donnoit toujours i Gafton des confeils vigoureux, mais trop forts pour Ia tête du Prince. Ceux qui feroient tentés de s'attacher a des Grands dans les temps de troubles, ou de fe mêler de leurs prétentions ambitieufes, doivent lire ce difcours , qui renferme, en 74 pages, une multitude de faits 8c de raifons capables de dégoüter de 1'intrigue. 38. Hiftoire des Diables de Loudun ou de la poffeffion des Religieufes Urfelines, & de la condamnation & fupplice d'Urbain Grandier , Curé de la même ville : A Amfterdam, Abraham Wolfang , 1694, 1 vol. i/z-12. Cet Ouvrage eft d'un habile Réfugié Francois, retiré en Hollande. II n'a eu befois que d'écrire les faits fans qualification 8c fans exagération, pour rendre cette aventureune des plus horribles qu'on puiffe lire. On dit qu'il y a une Réfutation; je ne la connois pas; mais quand elle adouciroit quelques traits , il en refteroit encore affez pour faire frémir. 39. Mémoires de M. Deageant ; envoyés k M. le Cardinal de Richelieu, contenant plufieurs chofes particulieres & remarquables, arrivées depuis les dernieres années  sur Louis XIII. xxvij du Roi Henri IV , jufqu'au commencement du miniftere de M. le Cardinal de Richelieu : Grenoble , Philippe Charvys, 1668, 1 vol. in-ix. Richelieu fit demander ces Mémoires a Deageant, qu'il avoit fait mettre, & qu'il retenoit a la Baftille , pour 1'affaire d'Ornano. Deageant les compofa en homme qui croyoitque ce travail lui vaudroit la liberté. C'eft un manifefte contre Luynes fon bienfaiteur , & un panégyrique perpétuel de Richelieu fon ennemi : auffi le Vaffor dit-il que Deageant étoit fans honneur & fans confcience; jugement dur, qu'on pourroit adoucir par la confidération de 1'état oü fe trouvoit 1'Auteur. Le Cardinal en agit auffi malhonnêtement a 1'égard de Baffompierre, a qui il demanda la jouiffance d'une belle maifon qu'il avoit a Chaillot, pendant qu'il retenoit le maitre en prifon. Baffompierre s'efforca de gagner les bonnes graces du Miniftre , en accordant fa maifon, comme Deageant en le louant; & ils ne réuffiient pas plus 1'un que 1'autre. Deageant n'avoit pas le talent d'orner les menfonges qu'il faifoit a contre-cceur : car ils font mal écrits. Ils contiennent 396 pages. 40. Mémoires de M. l'Abbé Arnauld,1 contenant quelques anecdotes de ia Cour de France, depuis 1634 b ij  xxviij E C r i t s jufqu'a 1675 : A Amjhrdam, Jean Neaulme & Compagnie, 1736, 3 vol. in-11. II dit, dans fa Préface qu'il a voulu imiter les Mémoires de Pontis. II conté a la vérité fort agréablement; mais fes Mémoires , prefque par-tout bomés aux aventures d'une vie privée, n'ont pas 1'intérêt de ceux du Solitaire de Port-Royal. On y trouve beaucoup d'hiftoriettes agréables , entr'autres celle-ci, dont peu de perfonnes connoiffent la fource. Elle eft arrivée en 1641. Un Bourgeois de Verdun battoit fa femme, qui étoit affez jolie. M. de Feuquieres, Commandant, 1'envoya chercher , lui fit des reproches & des menaces: Ah ! Monfieur, diioit le mari, Jï vous favie^ la méckante femme que c'eft'. Un voifin qu'il avoit amené, lui dit doucement par-deffus 1'épaule : Compere, il y a raifon pour tout : on fait bien qu'il faut battre une femme ; mais il ne faut pas l'affommer. Voy. torn. I, pag. 215. L'Abbé Arnauld voulant rendre fes Mémoires publics , n'auroit pas dü faire connoitre les défauts de M. Arnauld d'Andilly fon pere. Cette indifcrétion choque , fur-tout de la part d'un homme qui fe donne pour dévot. 41. Mémoires pour fervir a 1'Hiftoire d'Anne d'Autriche , époufe de Louis XIII, Roi de France, par Madame de Moteville, une de  sur Louis XIII. xxix fes favorites : A Amfterdam, Francois Changuyon , 1713 , 5 vol. in-ii. Le titre de Favorite ne doit pas prévenir contre la véracité de Madame de Motteville. Son attachement pour fa maitrelTe ne 1'empêche pas de laiffer appercevoir fes défauts; mais elle met dans lés aveux tout le. refpect 8c les ménagements convenables. Outre la fuite bien circonftanciée des événements , on trouve dans fes Mémoires le portrait des hommes Sc des femmes , leurs mceurs, leurs cara&eres, leurs généalogies, leurs aventures fecretes, la defcription des fêtes, des modes 3 6c dos réflexions trèsfenfées 8c très-chrétiennes. Quelques perfonnes regardent ces Mémoires comme prolixes Sc minucieux ; mais les gens de Cour , pour lefquels ils paroiffent être faits, doivent les lire avec plaifir, paree qu'ils y voyent revivre leurs ancêtres dans le coftume de leur fiecle, Sc qu'ils y trouvent mar tiere a comparaifon. 42. Vie du Maréchal de Gaffion,par 1'Abbé Debure : Paris, 1613, 4 vol. in-12. La Vie du Héros eft trop noyée dans les affaires générales. Les Sermons de cet Abbé n°auroient pas dü être notés par le Satyrique, s'ils valoient certains morceaux de cette Vie. Voyez page 205 du premier volume, b iij  xxx E c r i t s les portraits de Louis XIII &. de Richt? lieu. 43. Hiftoire du Maréchal de Toiras, &c. par Michel Baudier, Gentilhomme de la Maifon du Roi, Hiftoriographe , &c. Paris , Sébaftien & Gabriel Cramoify, 1644, in-fol. de 153 pages. L'Hiftoire de ce Guerrier méritoit une meilieure plume. II y a d'aftez bons détails militaires. 44. Vie de Meflïre Michel de Marillac , Chevalier , Garde-des-Sceaux de France, par Maitre Nicolas Lefevre , fieur de Lezean : manufcrit de Ste. Génevieve. I! fait de fon Héros un Saint. On juge, par les vexations fecretes &. variées que Richelieu employa contre le Magiftrat, qu'il avoit une haine bien acharnée contre les deux freres. A quelques détails prés, Lezean mérite a peine d'être lu. 45. Mémoires d'Henri, dernier DuC de Montmorency : Paris, Francais Mauger, 1666, 1 vol. in-ix. Cette Hiftoire, faite par un nommé Simon Ducros, eft écrite , fur-tout a Ia fin ,  sur Louis XIII. xxxj d'un ftyle de légende. II n'y manque que des miracles. L'infortuné Montmorency méritoit d'être loué autrement. 46. Hiftoire de la vie du R. P. Jofeph Le Clerc du Tremblay, Capncin, Inftituteur des Filles du Calvaire, par M. 1'Abbé Richard : Paris, Jacques Le Fevre , 1701, 2 vol. in-ix. 47. Le véritable Pere Jofeph , Capucin : A S. Jean da Mauriene, Gafpard Butler, 1704, 1 vol. in-11. Le premier Ouvrage eft un fade panégyrique, L'Auteur fait du Capucin un Religieus accompli, doux , hümain , très-zélé , grand Miflionnaire , ck qui ne s'eft jamais immifcé que malgré lui dans les affaires de 1'Etat. Le fecond eft une fatyre, qu'on a voulu rendre adroite, & qui n'eft que méchante. L'Auteur commence par dire du bien, mais foiblement. Pour le mal, il 1'accompagne de toutes les preuves poffibles, & les va chercher jufques dans les romans les plus décriés. On dit que ces deux Ouvrages font de la même main : en ce cas , il faudroit dire que le fecond feroit fait des rognures du premier. L'Abbé Richard n'aura pas voulu tout perdre, & aura fait cette rapfodie. L'Hiftoire de la poffeflïon de Loudun, & b iy"  xxx1j E c r i t s celle de la Sefte des Illuminés j foflt affisz bien traitées. 48. Mémoires de M. d'Artagnan; Capitaine-Lieutenant de la première Compagnie des Moufquetaires du Roi : Cologne , Pierre Marteau , 17°15 3 vol. in-12; 49. Mémoires de M. de Pontis : A Amfterdam, 1749, 2 Vol. in-11. II peut que ces Mémoires foient, pour te fond, de ceux dont ils portent le nom. On dn que Pontis, retiré a Port-Royal, recitoit dans les récréations fes aventures, & que les Solitaire* de ce lieu , fi connus par leurs talents, les recueillirent, & leur donnerent 1'ordre & le ftyle qui les rendent une des plus agréables lectures en ce genre. Artagnan n'a pas eu le même avantage. Ses Memoires, rédigés par lui ou pard'autres, ncnt pas le fini ni 1'amufant de ceux de Pontis. Ils font trop chargés d'hiftonettes & d epifodes qui ne font pas amenés; mais il y a auiü des morceaux très-bien faits. Artagnan & Pontis étoientde braves GentiJshommes, dont les récits ne pourroient être fufpeéïs ii on etoit fur qu'ils fuffent d'eux. 50. Mémoires de M. le Marquis de Montbrun : A Amjlerdam, Nicolas Chevalier, 1701, 1 vol. in-iz.  sur Louis XIII. xxxiij Roman aventurier, libertin &. mal écrit. 51. Mémoires de M. L. C. D. R. Cologne , Pierre ' Marteau, 1671, 1 vol. i/2-12. 5 2. Mémoires de M. de B..., Secretaire de M. L. C. D. R. A Amjlerdam, 1638 , in-iz. On croit ces deux Ouvrages, & beaucoup d'autres du même goüt, de Gatien de Courtils, Sieur de Sandras, de Montargis. II avoit de 1'imagination , un ftyle aifé, &. beaucoup d'adrefle a inférer dans fes Romans des anecdotes de Cour, qui les rendent intéreffants. Tous les jours on cite dans la converfation des faits qu'on ne trouve que dans fes livres : c'eft pour cela qu'on ne doit pas être étonné de ne les pas trouver dans 1'Hiftoire. 53. L'Efpion dans les Cours des Princes Chrétiens, par *** : Cologne, 1710 , 6 vol. i/z-12. Les faits particuliers inférés dans cet Ouvrage , paroiffent un peu mieux appuyés que ceux de De Courtils : cependant on ne doit y ajouter foi qu'avec précaution, & feulement quand d'autres Auteurs mieux inftruits en font auffi mention. 54. Codicüle de Louis XIII, Roi b v  xxxiv E C R I T s de France & de Navarre, 2 vo?. in-\6. achevé d'imprimer le7 Aoüt 1643. Rien de fi bizarre que cét Ouvrage, fait apparerr.ment par un homme ardent, qui n etoit pas dépourvu de connoiftances. II eft bon d'en donner une légere idéé , paree que ces deux petits volumes fe vendent très-cher. Ce Livre eft dédié par Louis XIII a fon fils ainé & fuccefleur en fes Royaumes de France, de Navarre, Canada, Mexique,&c. en fes Monarchies d'Italië & d'Alhmagne, 6» ** f" Duchês de Savoie , Milan, Saxe , &c. Suit une énumération de Principauvés, Marquifats, Comtés , Baronnies , Landgraviats , Archeyêchès, Seigneuries, Villes , Exarchats , Domination des Mers, enfin, des Empires des deux Mondes, dont 1'Auteur fait libéralement préfent au Fils de Louis, comme venant de la fucceffion de fes Ancêtres. L'Ouvrage eft divifé en quatre parties," dont la première , fans titre , eft une efpece de catéchifme, un recueil de prieres a 1'ufage du Roi, pour toutes les aftions de la journée & tous les jours de la femaine. Dans ces Formules , fe trouvent fouvent des chofes très-fingulieres. La feconde partie, intitulée de la Prudence Royale, traite du Gouvernement; la troifieme , de la Prudence Guerriere; & la quatrieme, de la Prudence Me'nagere. Ceux qui auront le courage de s'enfoncec dans ce chaos indigefte, verront, avec éton«ement, qu'il n'y a prefque pas de partie  sur Louis XIII. xxxv d'adminiflration fur laquelle 1'Auteur nedonne des idéés neuves 8c des préceptes fages. Quoique la plupart de fes inventions burfales ayent, depuis lui, été mifes en pratique , les faifeurs de projets en ce genre, trouveront encore a glaner dans le champ de fes fpéculations. Ce même homme, fi habile a imaginer des manieres de tirer de 1'argent des peuples, veut qu'on faffe une loi, par laquelle un Miniftre, ou autre, convaincu d'avoir donné confeil au Roi de créer ou de rétablir un impót, [era condamné a la mort; 8c non-feulement 1'inventeur , mais ceux qui Yenregijlreroient. II propofe auffi , après un bel éloge de 1'état religieux, de mettre les vceux a trente-cinq ans ; de faire eunuques tous ceux qui les prononcetont avant cet age, 8c de condamner a la mort les Supérieurs qui les recevront. Les femmes ne prendront le voile qua cinquante ans, & défenfe de le prendre plutöt , fous des peines auffi bizarres 8c auffi cruelles. Voyez tome premier , page 267. On chercheroit inutilement des faits dans ce Codicille ; mais on y trouve Ia maniere de penfer des gens a fyftêmes de ce fiecle, gens outrés 8c extrêmes , a-peu>près femblables dans tous les temps. 5?. Recueil de diverfes Pieces, pour fervir a 1'Hiftoire : in-fol. 1635, par Paul Hay, Sieur du Chatelet , Confeiller d'Etat , mort en 1636. 56. Diyerfes Pieces pour la défenfe b vj  xxxvj E c r i t s de la Reine-Mere & de Louis XIII, faites & revues par Meffire Mathieu de Morgues , Sieur de Saint-Germain, mort en 1670 : Paris, 1645, 1 vol. in-fol. avec une belle eftampe allégorique. C'eft Je Temps qui tire la Verité du puits , & y plonge Ie Menfonge : au bas, un dragon leve la tête contre le foleil, dont il femble avoir peine a foutenir la lumiere. Au-deflbus font ces deux vers : InSoJcm ingratus qui fililat. inficit auras, CceUJti debet Juce perire Draco, Voila deux champions qui pnt combattu avec acharnement, & de la querelle de ceux qu'ils défendoient s'en font fait une perfonnelle: ils n'épargnent ni les injures, ni les reproches , ni aucunes des imputations qui pouvoient fervir a rendre leur témoignage iufpeft ; & ils ont réuffi : car ce n'eft pas dans leurs Recueils qu'on doit chercher la vérité. II s'y trouve cependant quelques Pieces authentiques, fur lefquelles on peut appuyer la certitude des faits , fauf a ne pas adopter les conféquences que la haine ou la flatterie en tirent. Du Chatelet ne jouiffoit pas d'une réputation de probité bien épurée. II fut mis k ia Baftille : les uns difent, pour le fouftraire a des procédures judiciaires, proyoquées  sur LOUIS XIII. xxxvrj par des prévarications dans fon état: les autres, pour avoir fait contre Richelieu des Satyres, qu'il expia par des Apologies. Saint-Germain n'avoit rien de pareil contre lui : il étoit Aumönier & Prédicateur de la Reine , qu'il n'abandonna pas dans fa difgrace; conftance qui lui fait honneur, mais qui ne rend pas fes Ouvrages moins fufpects de partialité. 57. Autre Recueil de 965 pages , en 2 vol. in-\i , en 1646, fans nom d'Auteur ni d'Imprimeur ; toutes Pieces al'avantage de la Reine-Mere , entre lefquelles beaucoup du Recueil précédent , & quelquesunes différentes, mais qui ne font prefque toutes que des répétitions les unes des autres. 58. Hiftoire curieufe de tout ce qui s'eft paffé a 1'entrée de la Reine, Mere du Roi Très-Chrétien, dans les villes des Pays-Bas; par le fieur de la Serre, Hiftoriographe de France: A Anvers, de 1'Imprimerie Plantiniene de Baltazar Moretus , M. D. C. XXXII. 1 vol. in-foL L'Hiftoriographe fe bat les flancs, pous donner du merveiüeux : on va voir comme il réuffit.  Xxxviij E c r i x s II dit qu'a Mons, après les Magiitrats: les canons firent leurs harangues ; mais d'une organe trop fine pour content er l'oreille; aue les Chanoineffis fe faifoïent admirer, parées de molles afféteries, qui rehaujfoient l'éclat de leurs beautés criminelles : je dis criminelles, fuijqu elles font convaincues d avoir bleffé Us cceurs les plus innocents. Au départ, les Bourgeois recommencerent d célébrer les fêtes par U concert dune nouvelle mufique de moufauetade, ou les canons faifoient la baffe. Les canons ne furent pas plus civils k cruxelles. Les Bourgeois envoyerent aux oreilles de Sa Majefté le bruit de leur allégrefTe , dont un nombre infini de coups de moufquets furent par trois fiisles prompts mefagers. Mais commeles canons & mor tiers parlaient trop haut tous a lafiïs il fillut deviner ce qu'ils vouloient dire Us ayant ouis fans les entendre. JJans une fete champêtre donnée k la Reine, les tilles dhonneur & celles de 1'Infante Ce trouverent dans un agréable dèfordre, par une lavajje depluie artificielle, inopir.ément furvenue. ...Ne trouvant pas d'abri , elles abandormerent enfin leur beauté d la douce fureur de cet orage ; mais au fort de la pluie, leurs appas& leurs graces fe fauverent d la nage fur let petues montagnes de leurfein , & d'autant qu elles etoientde neiges mouvantes, elles leur Jaijoient toujours peur en tremblant. i>ans doute en faifant ces belles chofes, La Serre fe fera écrié comme Sofie: Pcfte! oü va mon efprit prendre ces gentilleffes ? 4 Anvert ,1'ètonnement le faifit de voir tè  sur Louis XIII. xxxlx terre toute en armes, l'air tout en fumée , & tonde toute en feu. Quel prodige encore l La terre tremble de joie , Ie feu brüle dans ïeau , ipris de fon amour ; l'eau brüle dans fes flant' mes amoureufes , & Vair qui remplit tout, fe trouve rempli lui - même de rèjouijfance. En quittant cette ville , tout le monde en paroiffoit fi trifte , que la magnificence en portoit le deuil. Enfin , après 70 pages in-fol. de pareils efforts de génie : Ne vous ennuye^ pas , dit 1'Auteur, 'f avance ; me voici bientót au bout de ma carrière. Mais , ajoute-t-il avec un fentiinent d'admiration , que peu de Leéteurs partageront, ma plume vole trop haut. Je commence déja d la perdre de vue ; tellement que , pour expier le crime de fa témèritè, j'adrejfe mes vceux au Silence. Ceux qui s'amufent du ridicule , regretteroient que La Serre eüt été exaucé avant cette produftion. Écrits sur la Fronde. 59. JL'esprit de la Fronde, ou Hiftoire politique & militaire des troitbles de la France , pendant la minorité de Louis XIV : Paris, Moutard ,1771, 5 vol. in-n. Ils font très-gros : le dernier 3836 pages. C'eft Pouvrage d'un homme d'efprit, qui appatemrnent n'a pas eu le temps d'être plus  xI E e r i t s court. Quand il a pan., quelques perfosnes, fur le titre dEfprit de la Fronde, ont cru que cetoit la fuite de ÏEfprit de la Ligue,8c nous Tont attribué : cependant 1'Auteur a mis entrefa maniere & lanötre, afiez de différence , pour n etre pas foupconné d avoir voulu en impofer au Public. " 60. Mémoires du Comte de Brienne; Miniftre & Premier Secretaire d'Etat, contenant les événements les plus remarquables du regne de Louis XIII, & celui de Louis XIV jufqu'a la mort du Cardinal Mazarin, compofés pour 1'inftruftion de fes enfants : A Amderdam, JeanFréderic Bernard , 17 iQ , , voi„ in- ix. l] fe "°m™>it Henri-Augufte de Lomenïe de la Vdle-aux-Clercs. Ses Emplois , & le but auquel il a dirigé fes Mémoires, doivent leur donner la plus grande autorité aupres des perfonnes qui cherchent la vérité Comme Miniftre, il a dü favoir le fond des affaires. Comme pere , il n'a pu cacher a les enfants ce que la circonfpeétion du Miniftre auroit peut-être dérobé aux yeux du Public malin. Quelquefois , par refpeét pour fes Maitres , Louis XIII, Marie de Médic.s , & Anne d'Autriche , on appercoit qu'il jette un voile fur leurs foibleffes ; mais il •Je fait de maniere a ne pas priver lés en-  sur la Fronde. xlj fants de 1'avantage qu'ils pourroient tirer de fes connoiffances. On voit par-tout briller dans cet Ouvrage un fond de probité inaltérable , un grand zele pour la gloire du Royaume , un tendre amonr pour fes Princes. II peut être très-inftruétif pour ceux qui ont a vivre auprès des Princes. C'eft un des hommes quientendoit & développe le mieux ce qu'on appelle le manege de Cour. 61. Mémoires de M. de. Gourville,' eoncernant les affaires auxquelles il a été employé par la Cour, depuis 1641 jufqu'en 1698: Paris, Etienne Ganeau , 1724 , 2 vol. in-11. Ce qui diftingue Gourville entre ceux quï fe font élevés de 1'état le plus bas a la faveur des Grands , c'eft qu'il n'eft parvenu ni par flatterie , ni par foupleffe, ni par aucun fervice honteux; mais par beaucoup de reffource dansl'efprit, d'aétivité, dehardieffe, de talents a fe rendre utile dans des occafions preffantes & périlleufes : auffi , après les troubles, il fut employé par le Miniftere qu'il avoit bravé, & il conferva plus de confidération & d'amis , que ceux même qu'il avoit fervis. II écrivit fes Mémoires étant fort vieux. Le ftyle fe reffent de fon age & du peu d'éducation qu'il avoit eue dans fa jeuneffe; mais ils font très-véridiques. II s'y plaint de 1'abandon oü il fe trouvoit a la fin de fes  *Kj E C R I T s jours, & décrit ainfi fon état dans une maJadie qui Ie conduifit a Ia décrépitude. Mes amis me ymrent voir une fois ou deux chacun ; mais jugeant que je ne pouvois être plus bon arien, ils fe contenterent d'envoyer, pendantquelqites jours , favoir de mes nouvelles .ÖC lans doute ils 1 abandonnerent enfuite • ort ordinaire a ceux qui n'exiftent que pa? les affaires : fans reffource d'attachement ou de tamille , tout leur manque quand les aflaires les quittenr. 62. Mémoires de Mademoifelle de Montpeniier, nl!e de M. Gafton dOrléans, frere de Louis XIII, Roi de France : Paris, Ie Breton, 6 vol. Ce font vraiment les Mémoires de Mademoi/elle : car par-tout elle n'eft occupée que de fa perfonne; elle ne parle des événements publics ou particuliers , que reiativement a elle-même. On la blame d'avoir remph fes Memoires de détails de fêtes d'ajuftements, de modes, de difputes 'ó etiquette, de préféance , de généalogies : tous objets qui paroiffent futiles : mais on doit obferverque ce font les grandes affaires pour la plupart des femmes de fon rang. 63. Mémoires de feu M. Omer TaIon, Avocat-Général au Parlement de Paris : La Haye, Goffe & Néaulme, 1732, 8 vol. in-iz.  sur la Fronde. xlüj Ces Mémoires paroiffent un Journal mêlé de pieces juftificatives. II a été achevé par le fils de 1'Auteur, qui mourut avant la fini des troubles. Talon , dans toutes les affaires embarraflantes dont il fut chargé, ne s'efl pas permis la moindre obliquité. S'il fe trompoit, c'étoit ouvertement & de bonne foi. II gémifioit en homme de bien fur les malheurs de la France, qu'il tachoit de diminuer ; &, quoique plein d'attachement & de refpedt. pour fa Compagnie , il n'en a pu diffimuler les torts. Souvent il fait, au moment des événements , les réflexions que la poflérité dépouillée de ptéventions fait k préfent. En mourant, Talon répéta par trois fois a fon fils ces paroles : Mon fils , Dieu te fajfe homme de bien ! Cette bénédiction s'eft répandue fur fa familie, dont elle a fait longtemps la feule richeffe. 64. Mémoires de Francois de Paule de Clermont, Marquis de Montglat, Grand-Maïtre de la Garderobe du Roi , &c. Amjlcrdam , 1738 , 4 vol. in-li. Ils font écrits avec netteté, ordre & exactitude. L'Auteur a été témoin oculaire de tout ce qu'il raconte; Sc fa naiflance Sc fes emplois le mettoient k pottée de favoir nonfeulement les faits, mais les motifs. On doit le croire par préférence fur ce qu'il donne comme certain. II étoit homme d'efprit 5t de favoir: on 1'appelloit a la Cour Monglat*  xliv E C R I T s la-Bibliotheque. II faut qu'il ait été bien prudent ck bien adroit, pour fe fout;nir dans fa Charge , fans trébucher , fous Richelieu & Mazarin. Ses Mémoires contiennent tout le regne de Louis XIII & de Louis XIV, jufqu'a Ia paix des Pyrénées en ióóo. C'eft aux Guerriers a apprécier la partie militaire, qui eft très-étendue. Ceux qui veulent favoir le fecret des intrigues , eftimeront toujours la partie politique. 65. Mémoires de M. D. L. R. (De Ia Rochefoucault) fur les brigues k la mort de Louis XIII, les guerres de Paris & Guyenne , & la prifon des Princes ; Lettres ; Apologie de Beaufort; Mémoires de la Chatre : Cologne, Philippe Vandyck, 1664, 1 vol. in-16. Ils font écrits fimplement, purement, clairement, avec ordre. L'Auteur fauve adroitement les chofes qui lui font défavantageufes , & s'attribue les bons confeils. II avoit la manie des portraits , qui étoit celle de fon fiecle , & il les fait fouvent plus frappants que reffemblants. La Chatre a fait une apologie de fa conduite , qui en a grand befoin. Malgré fes efforts, on voit qu'il s'eft perdu pour avoir été mauvais Courtifan; crime irrémiffible k la Cour. 66. Mémoires de M. L. ( Lenet),  sur la Fronde. xlv Confeiller d'Etat, contenant 1'Hiftoire des guerres civiles des années 1649 & fuivantes, principalement celle de Guyenne & autres Provinces : z vol. in-iz. Lenet étoit attaché de bonne foi au Prince de Condé, dont il croyoit la caufe bonne : il paroit que fes Mémoires ne lui ont pas coüté beaucoup a écrire. Le ftyle en eft très-négligé. Le commerce des Grands avec lefqueis il vécut toujours, n'altéra pas fa franchife : comme il fe loue volontiers , il fe donne auffi le tort, quand il croit 1'avoir. Après les troubles, il conferva encore du crédit a la Cour, oii il paflbit pour homme a reffource & a expédient : cette réputation lui valut une confidence, qu'il raconte affez plailamment, page 386 du fecond Volume. Un Seigneur Efpagnol avoit époufé en France une jeune veuve, qui, trois mois après fon mariage, s'appercut qu'elle étoit dans le cas de defirer 1'abfence de fon mari; mais 1'Efpagnol paflïonné pour fa femme, ne la quittoit pas. Elle s'ouvre fur fon état a Lenet; il en parle a 1'Ambaffadeur d'Efpagne, celui-ci a la Reine-Mere, la Reine au Roi, qui adopte 1'expédient fourni par Lenet; ce fut d'enlever le mari, qu'on mit a la Baftille. La femme, en époufe défolée , fe retire chez 1'Ambaffadeur d'Efpagne ; elle écrit de la a fon mari, que le chagrin lui a fait faire une fauffe couche quelques femaines après. Le Roi dit pu-  Xlvj E C R I T s bliquement a 1'AmbafTadeur, que c'eft par erreur qu'il a fait arrêter 1'Efpagnol ; qu'il vient de donner des ordres pour le faire élargir, & qu'il fe charge d'en avertir la Cour. Le mari revient avec empreffement auprès de fon époufe, qui fe conduifit trés-bien dans la fuite. Ainfi, dit Lenet , cette aventure grotefque occupa deux Rois, deux Reines & un Ambaffadeur. 67. Mémoires du Cardinal de Rets, contenant ce qui s'eft paffé de remarquable en France, pendant les premières années du regne de Louis XIV : A Amjlerdam, Fréderic Bernard ,1731,4 vol. in-ix. Tous ceux qui ont quelque goüt pour notre Hiftoire moderne , ont lu ces Mémoires. Le ftyle en eft aifé , fleuri & nombreux. Quelquefois ils fatiguent, paree qu'ils épuifent la matiere : mais après les avoir quittés un moment, on y revient, & on relit ce qu'on avoit pafte. Le Cardinal de Rets a ennchi la langue de plufieurs mots qui font reftés. Perfonne n'a auffi-bien manié la métaphore foutenue , peu connue avant lui : fon ftyle eft doux, coulant, &flatte 1'oreille. II eft quelquefois familier, mais jamais il neft bas ni rampant. 68. Mémoires de M. Joly , Confeiller au Parlement, contenant 1'Hiftoire de la Régence d'Anne d'Autriche,  sur la Fronde. xlvij & les premières années de la majorité de LouisXI V, jufqu'en 1666, avec les intrigues du Cardinal de Rets a la Cour : A Amjlerdam , Jean-Fréderic Bernard , 1718 , 2 vol. in-12. Joly étoit Confeiller au Chatelet, & non au Parlement, Domeftique du Cardinal de Rets, dont il raconte la vie privée, qu'il auroit dü taire. Ses Mémoires font ferrés , concis , très-méthodiques, maisfecs : ils fentent le travail d'un homme d'affaires, plus curieux d'exaétitude que d'agrément. 69. Dans le deuxieme volume des Mémoires de Joly fe trouvent les Mémoires de Madame la Ducheffe de Nemours, contenant ce qui s'eft pafte de plus particulier en France , pendant la guerre de Paris , jufqu'a la prifon du Cardinal de Rets en 1652, avec les différents carafteres des perfonnes de la Cour : A Amfttrdam , Jean -Fréderic Bernard , 1718, 156 pages qui forment trois parties. Ces Mémoires font de Mademoifelle de Longueville , époufe de Henri de Savoie , Duc de Nemours , mort en 1707. Elle n'aimoit pas Condé, Si elle ne le ménage pas;  Xlviij E C R I T S mats elle n'épargne pas plus les ennemis du Prince. En général, elle juge affez bien des faits, & préfente nettement les caufes : a travers 1'élégance de fon ftyle, perce la molle négligence d'une femme d'efprit, qui écrivoit pour fon amulement. 70. Mémoires de M. de Laporte , Premier Valet - de - Chambre de Louis XIV , contenant plulieurs particularités des regnes de Louis XIII & de Louis XIV : Gcntve, 1756 , 1 vol. in-i%. II raconte ce qu'il a vu , & il étoit capable de bien voir. Ses peines, & fa difgrace qui en fut la récompenfe, font une bonne lecon pour les petits , qui veulent fe mêler des affaires des Grands. II y a des chofes bien fingulieres fur la conduite de Mazarin a 1 egard du jeune Roi & de fa mere. 71. Mémoires de M. Roger de Rabutin, Comte de BulTy, Lieutenant-Général des Armées du Roi, ikc. Paris, Anniuon, 1696 , 2 vol. in-^to. 72. Les véritables (Euvres de M. de Saint - Evremont , troifieme édition : Londres , Jacob Tomfon , l7°7» 3 vol. in-11. Deux  sur la Fronde. xlix Deux Beaux-Efprits du regne de Louis XIV, qui ont inféré dans leurs écrits quelques événements de leur jeunefie , relatifs a. 1'Hiftoire de nos troubles. Leurs Ouvrages , très-eftimés dans le temps, & qu'on lit encore avec fruit, ont cependant un air d'apprêt, par conféquent de la fécherefle & de la langueur. Buffy entretenoit un commerce de lettres avec Madame de Sévigné : mais c'eft un lourd pédant auprès de fa coufine , qui, par fon aimable facilité , fa fécondité & fa naïveté, fera toujours le modele du ftyle épiftolaire. Saint-EvremontSc Buffy eurent uneplums indifcrete, Sc en furent punis , 1'un par 1'exil, 1'autre par la prifon ; chatiment mérité. II eft jufte de priver des douceurs de la fociété, les laches qui travaillent en fecret a priver des Citoyens paifibles de 1'eftime de cette même fociété, 73. Mémoires de divers emplois Sc des principales a&ions du Maréchal Du Plelïïs : Paris, Barbin, 1776 , 1 vol. in-il. Ils font "très-détaillés fur le caraétere de Mazarin , fa conduite avec fes amis, fes difpofitions al'égard de la Reine, 6c de la Reine a 1'égard de lui. Dans 1'Avis au Leileur, on dit que fi le Maréchal Du Pieffis a donné quelque louange a. fa valeur, & d quelqu'une de fes autres vertus , il Fa fait naturellement fans y penfer , ou quer, s'ily a fait quelque réftexion , ce na éti af- T'imz I, c  1 E C R I T S furêment que pour dépayfer fes LeSieurs , pour fe déguifer , & pour mieux cacher qu'il fut 1'Auteur de fes Mémoires; maniere finguliere de s'affurer l'incognito , & de fe louer fans home : mais quand le Maréchal Du Pieffis fe feroit donné quelque encens , on devroit le pardonner au feul Francois qui ait battu Turenne. 74. L'Hiftoire du temps , ou le véritable Récit de ce qui s'eft paffe dans le Parlement de Paris, depuis le mois d'Aoüt 1647 jufqu'au mois de Novembre 1648, avec les harangues, les avis différents, &c. 1649, ifi"ii. Je trouve, k la marge de mon exemplaire, ces mots, d'une main que je ne connois pas: Le Sieur Jouhanne du Portail, Avocat au. Parlement, fils dun Notaire de Poitiers , &• que j'ai connu particuliérement, eft Auteur de cet Ouvrage. On dit qu'il y a un fecond volume, mais qui eft rare , paree que le Cardinal Mazarin fit enlever toute 1'édition , & la fit mettre dans fa bibliotheque : j'en ai fait demander un exemplaire a la Bibliotheque Mazarine; on m'a répondu qu'il n'y en avoit pas. Sans doute ce fecond volume contenoit toutes les affaires du Parlement, jufqu'a 1653 :il feroit d'autant plus curieux , que le Journal du Parlement nous manque pour ce temps.  sur la Fronde. Ij 75. Journal du Parlement, depuis le 12 Mai 1648 jufqu'au 12 Avril 1649 , avec les procès-verbaux des conférences de Ruel & de SaintGermain : liouen, par les Impri« meurs du Roi, 1649, 177-4°- 76. La Mufe hiftorique, ou Recueil des Lettres en vers a Mademoifelle de Longueville , par le Sieur Loret : Paris , Charles Chenoufi , 1 656 , in-4°. Excepté la füreté des dates, & quelques hiftoriettes paffablement rimées, il n'y a rien a prendre dans ces Lettres : elles reflemblent è une multitudede pieces en vers qui fe trouvent dans les Ma^arinades. On rimoit tout , jufqu'a des ordonnances de Médecin Sc des Arrêts du Parlement. 77. Mafcurat, ou Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le Cardinal Mazarin, depuis le 6 Janvier jufqu'a la Déclaration du premier Avril 1649 • 1 vol./B-40. de 717 pages. Ce Livre , compofé par Gabriel Naudé Bibliothécaire du Cardinal Mazarin , eft ur» dialogue entre Saint-Ange, efpece d'Aventurier, Sc Mafcurat, Colporteur, qui eft 1'homc ij  lij E C R I T S me d'efprit & le favant. C'eft peut-ètre 1'Ou* vrage Ie plusfingulier qu'il foit poftible de lire ; mélange de 1'érudition la plus variée & de bouffonneriesplates & groffieres : ni ordre , ni fuite apparente ; des digreflïons fans nombre ; une infinité d'hiftoires difparates ; des citations grecques & latines accumulées; des réflexions politiques très-juftes , a cötl de raifonnements abfurdes : tel eft , au premier coup d'oeil, 1'enfemble de 1'Ouvrage. Néanmoins dans ce chaos , on découvre une marche uniforme pour la juftification du Cardinal , une maniere adroite de le peindra en beau, & de réfuter les accufations portées contre lui. Naudé ne fortit point de Paris pendant ces premiers troubles, afin de conferver la bibliotheque confiée a fes foins. II dit, page 105 ; qu'il achetoit tous les Iivres bons & mauvais qui parurent dans ces circonftances: il les juge avec beaucoup d'impartialité ; & le Mafcurat eft précieux a cet égard. Quant a la bizarrerie qui regne dans la forme & le fond de cet Ouvrage, on pourroit penfer que 1'Auteur a cru cette tournure néceffaire pour fe faire lire , & percer a travers la foule de libelles qui inondoient la France : d'ailleurs , onvoit par les autres Ouvrages de Naudé, qu'il étoit très-favant, mais qu'il n'avoitpas de goüt. 78. Mazarinades: Recueils in-4°, de Pieces faites pendant les troubles , tant pour & contre Mazarin, que  sur la Fronde. lil) fur la Reine , les Princes, le Parlement, tktous les objets du temps. j'en ai bien feuilleté au moins quarante volumes, dont plufieurs m'ont arrêté affez pour les connoitre : je me réfere , a leur fujet, au jugement du Cardinal de Rets , tom. a, page 248. 11 y a , ón-il,plus defoixanu volumes de pieces imprimées dans le cours de la guerre civile :je crois pouvoir dire avec yiriii , qu'il n'y a pas cent feuilles qui mériunt qu'on les life. C ü}   P R É F A C E. J e crois devoïr préfenter aux Lecteurs quelques réflexions préliminaires fur. le caraftere de mon Ouvrage ; les caufes générales & particulieres des événements; une efquiffe des principaux faits; & une courte expofition des avantages qu'on peut tirer de leur connoiffance. i°. Le morceau d'Hiftoire que j'offre au Public, fans contenir des événements aufli frappants que l'Efprit de la Ligue, eft peut-être d'une utilité plus générale. Les Empires ne font pas toujours agités par des querelles de Religion, fuivies de guerres opiniatres, qui ébranlent les trönes : mais il eft peu de Royaumes qui ne fouftrent des fautes de ceux qui les gouvernent, & qui ne reiïentent des fecoufles occafionnées par le choc des paffions. Ainfi un Ouvrage qui, c iv  Ivj P r é f a c e. comme celui-ci, réunit fous un même point de vue tout ce que 1'ambition enfante de defirs, la jalouJe de perfidies , la politique de rules, la flatterie de bafleflès, la faveur de prétentions orgueilleufcs, la difgrace d'humiliations; un pa! reil Ouvrage eft d'un ufage plug ordinaire, que des Annales perpétuellement fouillées de fang: peutCtre i]i étonne moins, mais ilinftruit davantage. 2°. Après les crifes d'Etat, telles que de longues guerres civiles, il refte toujours, pendant quelque temps dans les efprits, unlevain d nquietadt5, une habitude d'indoa vi-V f31t regai'der le devoir delobeiflance, comme unefimple deference, dont le Souverain eft obiige de tenir compte a fes fujets Accoutumés k voir un droit égal dans tous les partis , a en chan|er fans nfque felon leurs gouts & leurs intéréts, amefurer leur foumiffion a mettre a prix leur do«lite, les Grands fe croient arbitres neceflaires de toutes les affaiïes, depofitaires de 1'autorité, &  P R É F A C E. lvij maïtres de bomer ou d'étendre les prérogatives de la Couronue. Ces principes rendirentencore, après la Ligue, les Courtifans entreprenants & faétieux. Perfuadés que le Monarque leur devoit beaucoup lorfqu'ils reftoient tranquilles , ils formoient des prétentions exceffives, murmuroient quand on ne les fatisfaifoit pas ; & , pour fe faire accorder leurs dernandes, ils fe permettoient non-feulement des affociations entre eux,mais encore des liaifons avec les ennemis de 1'Etat. Ainfi un Mécontent, pour peu qu'il fut diftingué par fa naiffance ou fes dignités, bravoit les Miniftres, & s'échappoit en difcours contre le Gouvernement. A ce fignal, les Mécontents fubalternes qui fourmillentdans les Cours, fe rangeoient autour de lui; les voifins de la France , jaloux de fa profpérité , attifoient le feu ; & , en peu de temps , il fe trouvoit un parti avec lequel il falloit négocier ou combattre. La natioa entiere accoutumée k 1'anarchie qui accompagne les trouc v  lviij P R É F A C E. bles, féduite par 1'efpece d'héroifme qu'on aime k fuppofer dans ceux qui luttent contre le pouvoir, faifoit pour eux des vceux fecrets, & s'indignoit contre les Miniftres qui travailloient k rétablir Pordre néceffaire dans une Monarchie bien réglée. Henri IV, ce Roi fi bon , fut obligé de faire des exemples de févérité ; Louis XIII, fon fils, 1'imita; & Louis XIV dut s'eftimer heureux de pouvoir pardonner les derniers éclats d'un délire devenu moins dangereux. 3°. Mais indépendamment de ces caufes générales, il y en eut aufïï de perfonnelles, qui rendent les cataftrophes de notre époque infiruéüves pour tous les Etats. C'eft comme un cours de morale en action; morale dont peuvent également profiter la Cour, la Ville, les Particuliers, les Compagnies, ceux qui compofent les ïribunaux, & ceux qui les préfident. Toutes les paflions, tantöt feules, tantöt réunies, paffent tour-a-tour fous 1'osil de 1'obfervateur; & les malheurs qu'elles ont occafionnés, font  P R È F A C E. lix autant d'avertilTements de fe tenir en garde contre leur preftige. Biron & Montraorency , ces noms faits pour la gloire, rendus trop célebres par les fautes de ceux qui les portoient; Chalais, vi&ime d'un attachement funefte; Marillac, iminolé a la haine; Cinqmars & De Thou , facrifiés a la vengeance ; Ornano , Vendöme , Puy-Laurent, expiant dans les fers le crime de s'être rendus redoutables; la mere de trois Rois, trainant d'exil en exil 1'opprobre de la difgrace: ce font-la de ces fpeftacles qui touchent & furprennent. Mais 1'intêrêt qu'on y prend augmente encore par le développement des caufes qui étoient cachées dans le temps, tels que les confeils corrompus qui ont féduit les Grands ; la baffeffe des flatteurs qui careffoient leurs vices; 1'efpece de trahifon des Grands eux-mêmes, qui appelloient a leur fecours des inférieurs aveuglés,& qui laiüoient enfuite brifer fans défenfe les rofeaux fur lefquels ils s'-étoient appuyés. Cependant, fi on ne peut s'empêcher d'approuver c vj  P R £ F A C F '. la punition des faftieux , on eft faché que la Juftice n'ait pas toujours feule tenu le glaive, & qu'a cöté d'elle, 1'autorité ait quelquefois fait affeoir la haine & la politique, qui paroiffent avoir fait pencher la balance. Les troubles aigriffentles efprits, donnent de 1'énergie au langage, font fortir les carafteres, mettent également en valeur 1'adreffe des intngants, & les qualités folides des perfonnes prudentes. Ceux de notre époque ont fait naïtre des écrits judicieux, méthodiques, parfemés de faillies agréables, dans lefquels la langue commence a paroïtre dépouillée de fon ancienne rudeffe. Les vexations donnerent du reffort aux ames. On vit des Courtifans, ordinairement efclaves de la faveur, dédaigner un crédit qu'il auroit fallu acheter par des trahifons ; une la Fayette préférer 1'obfcurité du Cloitre a 1'éclat d'une Cour affervie; un Commandeur de Jars , intrépide fur 1'échafaud, & fidele a 1'amitié jufques dans les bras di la mort.  P R Ê F A C E. Ixj Hommes, Femmes , Guerriers , Magiftrats, Bourgeois, Artifans, perfonne dans le tourbillon ne put ie difpenfer de prendre parti. A la manie de tous, chacun joignit la fienne propre , celle de fes parents & de fes amis, & ne devint fage que quand, a force de vomir des feux, levolcancommencaas'éteindre. Alors on fe jugea fans partialité ; les peuples furent furpris de s'être paffionnés pour des chofes qui devoient leur être indifférentes ; & des Corps entiers de graves Sénateurs, de s'être laifles conduire par des cabales de jeunes Courtifans. On admira les foibles caufes qui avoient fouvent produit les plus grands événements; les motifs frivoles qui déterminoient les efprits & fixoientles décifions; le mélange fingulier de férieux ckd'enjouement qui caraftérifoit les guerres ; la galanterie jointe au fracas des armes , des alternatives perpétuelles de révolte & de foumiffion; 1'intrépide Molé en oppofition avec le fougueux Gondi; le foible Gafton en contrafte avec 1'opinia-  Ixi; P R È F A C E. tre Anne d'Autriche : Condé feul, le grand Condé portant dans fes fautes la franchife de fon caraftere, & trompé également par tous les partis. 4°- Ces faits font divifés en neuf Livres. On verra dans le premier, les efforts d'Henri IV pour regler fon Royaume & fe vaincre lui-même;l'efprit de faction, refte de la Ligue, le formant d'être févere malgré fon penchant a 1'indulgence & les courtifans; une Maitreffe offenfée; fa familie audacieufe abufant encore de la bonté du Monarque. Dans le fecond, Henri triomphant de fes ennernis, tranquille au-dedans& au-dehors; mais troublant lui-même fon bonheur par une paffion inconfidérée qui jette un nuage fur fes derniers jours, ö£ qui autorife fon époufe a garder des affections pernicieufes a la France. Dans le troifieme, Marie de Médicis , hvrée a des Favoris infolents, adopte leurs préventions contre les Princes qui arment, contre  P R £ F A CE. IxiiJ les Parlements qui murmurent. On fait la paix, on arme encore, on fe réconcilie; & au moment que, par la captivité de leur ennemi, les Favoris fe croient au faite de la fortune, ils tombent & entrainent avec eux leur prote&rice. Dans le quatrieme, la Reine fe ïeleve & fe foutient contre les forces de fon fils, qui montre, en montant fur le Tröne, le befoin d'ötre gouverné. Des mains de Luynes, il tombe dans celles de Richelieu. La fortune du Miniftre chancelle dès le commencement, & fe; raffermit par la difgrace de fes principaux ennemis. Dans le cinquieme, Ja capacitê de Richelieu fubjugue le Monarque. Ses fuccès excitent 1'envie. 11 fe forme des cabaléspuiffantes, dans lefquelles entrent la mere du Roi, fes freres , fes plus proches parents, des Magiftrats , des Guerriers, qui tous expient par l'exils la captivité ou la mort, leurs entreprifes contre le Miniftre, & fa puilTance eft cimentée par le fang. Le Cardinal domine même après  Ixïv P Jt È F A C Ei fa mort Mazarin, facréature, tient le timon des affaires. Les Importants 1'attaquent, & fuccombent. Dans le fixieme, les Frondeurs remplacent les Importants; &malgré 1'appui du Parlement, malgré les Barricades, qui les rendent maitres de la Capitale, ils font forcés è la paix. Enfin, les f. 8°. & 9'. Livres, préfentent une efpece de tableau mouvant, dont les perfonnages, tantót vifibles, tantöt cachés, avancent, fe retirent, s'unifient, fe combattent, &ehangenta chaque inftant de partis, comme d'intérêtSo Le blocus de Paris par Condé, a 1'inftigation de Mazarin 1 le Prince arrété par 1'effort commun des Frondeurs & du Miniftre; délivré par les Frondeurs , malgré Mazarin, qui eftcontraint de quitterle Royaume. Les Frondeurs fe rapprochent de la Cour pour perdre Condé-.retour du Miniftre; réunion de toutes les faétions contre lui; guerre, combats; il fuit, revient, triomphe : & ainfi la Fronde, femblable a uue machine d'artifice*  P R È F A C E. IxV pètille, lance des feux, fe confume elle-même, & s'éteint. 5°. Ces événements joints a l'Efprit de ia Ligne, forment une hiftoire fuivie des intrigues qui ont agité la Cour & le Royaume pendant un fiecle. Si depuis il y en a encore eu quelques-unes, bornées a des viciifitudes de fortunes & de difgrace, ordinaires dans les families qui approchent du Tröne, elles n'ontinflué ni fur le fort des Princes, ni fur le fyftême du gouvernement, ni fur la tranquillité des peu pies : au-lieu que les cabales fous Henri IV, fous Louis XIII, & pendant la minorité de Louis XIV, ont produit, comme les fureurs de la Ligue, les effets les plus grands & les plus variés. II réfulte de leur connoiffance, une foule de vêrités importantes, dont les principales font: que malheureux eft le Monarque qui fe laifle maitrifer par fes Miniftres, & devient entre leurs mains un efclave couronné, forcé de défendre contre fes fujets aigris, des volontés qui ne font pas les fiennes :  IXVJ P R È F A C E. que 1'union des Princes du Sang eft la bafe de leur mutuelle félicité, & de la tranquillité publique : que fouvent un choix inconfidéré , une prétention hafardée devient préjudiciable a tout un Royaume, par la néceffité de foutenir pour 1'honneur de la Couronne, ce qu'on a témérairement avancé: qu'enfin, comme 1'autoritéa fes bornes, laréfiftance a auffi les fiennes; qu'ainfi les Compagnies fouveraines dont les peuples étudient les mouvements, doivent s'impofer a ellesmêmes des loix qui les tiennent egalement éloignées d'une condefcendance fervile, & de 1'inflexible opimatreté.  lxvij SOMM AIRES DU TOME PREMIER. LIVRE PREMIER. NRI IV. Son plan de gouvernement. -—Etat des finances , — du Clergé, — du Barreau, — de la Cour. — Vues ambitieufes des Seigneurs. — Raifons de marier le Roi & fa fceur. — Mariage de Madame. — On travaille au divorce du Roi. — Gabrielle d'Etrées. — Sa' mort. — Inquiétudes du Roi fur li mariage. — Henriette £Entragues. — Commencement des intrigues de Biron. — Caraciere de La Fin. — Caraclere de Biron.—Ses liaifons avec les Efpagnols: — Infinuations de Picoté. — Le Duc de Savoie en France. — Son cara&ere. — Sa conduite artificieufe. — 77 gagne Biron , — s'appuye du Comte de Fuentes. — Biron fait la guerre au Duc de Savoie malgré lui. — Ilejl forel de le vain=  1602, 1603. Ixviij SOMMAIRES. ere—• Dangers auxquels U Roi efi ex- pofe.-Mariage du Roi. — Paix avec sr,T,ie\~T£ard°n de Ly°n—Avis d Elifabeth a Biron. — Cabale a la Cour. — Haine entrela Reine & la Maitreffh. --Tentative des Factieux.—Biron e(l Joupconné,—dicouvm par La Fin.-— II eft appelléd la Cour. — II arrivé'. EJl armé.—S esp arents dem andent fa grace. — Griefs contre lui. lnftruSion du proces. —lief entendu fur la fellette, condamné, — exe'cuté. — Les complices ont leur grace. — Ce qu'on penfc de cette affaire.-La Cour d'Efpagne parou nyprendre aucune part. — Dépit du Comte de Fuentes. — Intrigues du Prince de Joinville. — Etat floriffant du Royaumt. — Navigadon. —Jgrkul- TrrT, Jflaire des s°Mts.~- Man dElifabeth.  SöMMAlRËS. lxix LIVRE SECOND. J-V OU V ELLES intrigues de Cour', — concertées avec CEfpagne. — Trahifon de UHojle. — Commencement de la Galligaye & de Concini. — Leur conduite a i'égard du Roi. — Celle de la Marquife de Verneuil. — Celle de V Ambaffadeur d'Efpagne, •— Celle de la Maifon d'Entragues. ~— Le Roi retire fa promeffe de mariage. — Vengeance que médite la Maifon £Entragues. — Moyens au'elle prend. — Ses confédérés. — lis font découverts. — Les Comtes d'Auvergne & d'Entragues , & la Marquife de Verneuil font arrêtés. — On fait leur procés. —Ils font interrogés, — confrontés, —- condamnés. — Le Roi leur fait grace.— Intrigues contre Sully. — Elle ne réuffitpas. — Le Duc de Bouillon forcéde fe foumettre. — Tranquillité du Roi. — Ef ime dont il jouit. —- Son carailerepar lui-même. —- Sa paffion pour la Princeffe de Condé.— Le mari emmene fa femme hors du Royaume. — Etat de la Cour de B rux elles,—~ Chagr'ms 1605; 1607; 160S. 1603,  1611. IÖI2. l613. 1614. I614-I5. IÖIJ. lxx -SOMMAIRES. du Roi. —Difpofitions di la Princeffe.— Négociation pourfon retour, — On tente. inutilement de fenlever. - Le Roi fe détermine d la gutrre. — Son plan. — O pinion fur cette affaire. — Pronoflics & menaces.— Couronnement de la Reine.— Affaffinat du Roi.—Ce qu étoit Ravaillac, & s'ileut des complices. — AjflU- tion du peuple.— Etat du Royaume. Régence de la Reine Regrets da étran- gtrs. Conduite de la Reine. — Retour du Prince de Condé. — Commencement desbrouilleries. — Faveur de la Galligaye & de fon mari.— Déprédations générales. — Sacre de Louis XIII. Etat de Paris. — Retraite de Sully. — L'alliance avec CEfpagne décidée Les Princes mécontents du Marquis d'Ancre. — Ils fe rapprochent de lui. — Deux fa&ions a la Cour. — Meurtres du Baron de Lu^ & de fon fis. — Réconciliation générale. ■— Cabales de femmes. — Bouillon s'y joint. — Soulevement des Grands. . Danger ou. fe trouve le Royaume. — On arme. — Traité de Sainte - Ménehould. — Affemblée des Etats. — Conduite du Parlement. — Affemblée des Chambres.-m-. Embarras de la Reine,—  Sommair.es. Ixxf Elle s'oppofe d l'Arrêt du Parlement. — II refijle. — Compofe des remomran- ces. Les préjente. — On en fait publi- quement leclure. — Arrét du Confeil contre. — On s,acc°mmode.  L'Intrigue  L' I N T RI G U E DU CABINET, SOUS HENRI IVET LOUIS XIII, TERMINÉE PAR LA FRONDE. Enri IV avoit conquis fon Royaume : mais il lui reftoit une chofe plus difficile a faire (a); c'étoit de le policer, de 1'enrichir, de le rendre (a) Henri IV craignoit les occupations fédentaires de la paix. Je me plairois beaucoup plus , difoit-il, a vétir un harnois , piquer un cheval, tv donner un coup d'épêe, qua faire des Tornt 1. A de gouvernement. Henri IV. 1599.  Henri IV. M99- loix, tenir la mam d Tobfervation d'icelles être toujours ajfis dans un Confeil d figner des arrêts, & d voir examiner des ètats de finance... quoique je connoiffe bien néanmoins que , fans ces ordres , formes & ménagements , il me feroit impofjlble de parvenir d la gloire que je me fuis propoféepour le rétabliffement de ce Royaume en fon ancienne fplendeur , & la décharge &• foulagement des peuples que Dieu ma commis, du rézime defquels je ferai un jour obligé de lui rendre compte. V. Sully , tome II, ch. lxix , pag. a8i. 1 LlNTRIGUE formidable a fes ennemis. Débarraffé des guerres civiles, il fongea a procurer le bonheur de fes peuples; mais il ne fe mit pas plutöt en devoir d'y travailler, qu'il fe vit environné d'obftacles. II en trouva dans la mauvaife adminiflration des finances, dans la confufion de tous les ordres, dans fon propre caraclere & fes paffions, dans le génie de la nation, enfin, dans les Seigneurs compagnons de fes victoires, qu'il fallut fubjuguer pour qu'ils ceffaffent d'être nuifibles a 1'affermiffement du tröne. Maximilien de Béthune , Sieur de Rhony, puis Duc de Sully, fut celui de fes Miniftres qui 1'aida le plus  du Cabine i. 3 heureufement a débrouiller ce chaos. Ses Mémoires, pleins de force & de vérité, fous le titre bizarre a"(Economies Royaks, Politiques & Militaires, & Servitudcs Royaks, peignent 1'ame élevée du Monarque, & laiffent auffi appercevoir les foibleffes de 1'homme. Nous imiterons la franchife de 1'ami d'Henri IV; franchife que ce Prince ne défapprouvoit pas luimême (0) ; & nous ne cacherons pas fes foibleffes , paree qu'elles furent fouvent la caufe des brouilleries qui rendirent fa Courorageufe. Tant il eft vrai que les vices du Prince, quoique concentrés, pour ainfi dire , dans fon domeftique, rejailliffent toujours fur le bonheur des fujets! Pendant les défordres de la guerre, il ne fut pas poffible de mettre une regie fixe dans 1'adminiftration des (d) On voulut 1'indifpofer contre l'Hiftorien Mathieu, qui avoit parlé affez naïvement de fes amours ; il répondit : II faut qu'il y ait des ombrages dans les tableaux pour rehauffer les vives couleurs : fi on ne parloit de l'un , on feroit douier de l'autre; la ftatterie rendroit la vérité JufpeCte. V. Mathieu, pag. 836. Ai; Henri iv. M99« Etat des Rnances. A Sully , et ' > P- 17 , •9°i 3375 351, 399 . 402, 413 S- 415.  Henri IV. 1599. (a) Henri IV écrivoit a Sully pendant le fiege d'Amiens: Je veux bien vous dire L'état ou je me trouve rèduit, qui eft tel, que je fuis fort proche des ennemis , 6* n'ai quafi pas un cheval fur lequel je puiffe combattre, ni un harneis complet que je puiffe endoffer. Mes chemifes font toutes de'chirées , mes pourpoints troués au coude ; ma marmite eft fouvent renverfée , & depuis deux jours , je dlne & foupe che^ les uns & che^ les autres. Mes Pourvoyers difent n avoir plus moyen de rien fournir pour ma table. II accufe de fa mifere les Financiers & Tréforiers. Juge^ , dit-il ,JIje dois étreainfi traité , & plus long-temps feuffrir qu'ils me faffent mourir de faim , & qu'eux trouvent une table friande & bien fervie, que ma maifon foit pleine de néceffités , & les leurs de richeffes & ttopulence. V. Sully, pag. 270. 4 L'Intrigue finances. Le Roi en abandonna la régie a un Sur-Intendant, qui fut enfuite remplacé par un Confeil. Mais 1'expérience fit voir que c'étoit multiplier les déprédations, que d'augmenter le nombre de ceux qui avoient intérêt de les autorifer. II falloit que la diflipation fut bien grande, puifque le Monarque lui-même s'en reffentoit, au point de manquer fouvent du néceffaire (a). Sully commenca par lui ouvrir les yeux fur la con-  du Cabine t. 5 cluite des membres mêmes de ce Confeil. La plupart n'avoient pas honte de recevoir des pots-de-vin pour faire paffer les impöts. Les plus fcrupuleux fe permettoient de prendre un intérêt dans les fermes qu'ils adjugeoient. II n'y avoit ni Prince, ni Seigneur, qui, par menaces ou infinuations, n'obtint de ce Confeil mercenaire des affignations fur le tréfor , qu'on payoit toujours par préférence; de forte que dans les vrais befoins de 1'Etat, il ne fe trouvoit plus de fonds. Souvent les Gouverneurs de Province, fürs de la connivence des Confeillers, entre lefquels ils avoient des parens & des amis , impofoient d'eux - mêmes des péages & d'autres fubfides a la charge des peuples. Enfin, on n'étoit jamais für de la quotité des fommes , ni de leur rentree, paree que les livres du tréfor ne cadroient pas avec ceux des Receveurs particuliers, &c que fouvent les Commis écrivoient fur des feuilles volantes, pour ne charger leurs regiftres que de la perception dont ils vouloient bien killer la connoiffance.Le Roi eut, fur tous ces objets, A iij Henri IV. 1599.  Henri IV. 6 L' I N T R I G V E de longues converfations avec Sully. Elles aboutirent k lui donner 1'adminifïration des finances en chef. Jufqu'alors les impöts avoient été adjugés k des Fermiers-généraux, qui obtenoient la préférence , en faifant des préfents confidérables aux Favoris du Roi, k fes Maitreffes, &c k tous ceux qui avoient du crédit auprès de lui; ils les fous-fermoient enfuite au doublé. Sully porta , tout d'un coup , le prix des baux généraux, au taux même des fous-fermes. II rechercha le titre des impofitions , &z fupprima toutes celles qui n'étoient pas émanées de 1'autorité royale : il retrancha auffi les affignations fur le tréfor royal, extorquées par les grands Seigneurs; affignations qu'ils faifoient toujours payer comptant. Cette derniere opération lui attira un grand nombre d'ennemis fort puiffants. Le Roi eut fouvent a lutter contre les plaintes & les murmures de fa Cour; & quand il étoit trop preffé, il facrifioit quelque argent au bien de la paix, fans défavouer fon Miniftre (a). Sully parcourut le Royaume, (a) Vers 1603 , plufieuis perfonnes pré-  du Cabine t. 7 mit dans les différentes recettes un ordre inconnu jufqu'alors, appliqua fenterent des projets d'Edits; & pour les faire adopter , ils y intérefferent quelques Courtifans, & fur-tout la Marquife de Verneuil. Elle fe chargea d'ébranler Sully , & lui remontra avec chaleur, qu'empêcher le Roi de faire cette gratification indirecte, c'étoit l'expofer a mécontenter fes parents les plus proches 3 & une partie de ia Cour: Tout ce que vous dites, Madame , repondit le Sur-Intendant, feroit bon fi Sa Majeftè prenoit l'argent dans fa bourfe ; mais de lever cela de nouveau fur les Marcbands , Artifans, Laboureurs 6Pafteurs, iln'y a nulle apparence , étantceux qui nourriffent le Roi & nous tous , & fe contentent bien d'un feul makre, fans avoir tant de maitreffes, de parents , de coufins d entretenir. La Marquife , piquée, va trouver le Comte de Soiffons qui avoit fon intérêt dans ces projets d'impots, & lui dit que Sully 1'a nommé entre ceux qui pillent les finances. Le Comte s'en plaint au Roi. Henri, prefque certain que fon Miniftre ne fe fera pas ainft échappé, demanda au Comte de qui il tient ces propos: De Madame de Verneuil, répond-il. Ho ! ho l reprend le Roi , il ne faut plus s'enquerir d'oii vient la brouillerie , puifque Madame de Verneuil eft alléguée ; car c'eft un fi bon bec , que fur un mot que lui aura. dit Rhony, elle en aura ajoutè cent, voire mille. Pourne pas brouiller Sully avec tout ce monde, & ne pas voir des mécontents A iv He KRt iv. 1599.  Henri IV. IJ95. I i 1 i c i autour de lui , le Roi lacha quelque chofe a ces affamés , & la paix fe fit. V. Sully tome II, ch. xxiv, pag, 178. $ L'Intrigue des fonds au payement de la Maifon du Roi, des troupes de terre, de 1'artillerie, & des autres objets de dépenfe; de maniere qu'infenfiblement les arfenaux fe remplirent, les foldats recurent une paye réglée, & furent contenusdans la difcipline; lepillage ceffa; les peuples fe trouverent foulagés, tant par rapport aux concuffions fourdes que le Sur-Intendant arrêta, qu'aux impofitions légitimes qu'il vint a bout de modérer 3 ainfi fe rétablit vdturage & labourage, qui font, difbitil, les deux mamelies qui nourriffent la France, & qui valent mieux que tout for iu Pérou. II entreprit auffi d'öter a ceux qui nanioient 1'argent du Royaume , la grande confidération dont ils jouifbient : üancienne Noblefe , difoit-il 111 Roi, féduite par l'éclat de leurs piereries, fefiins, bdtiments, dorures, caroffes, chevaux , trains , équipages , reherche Calliance de ces gens de robe tenue, Financiers & Secretaires , dejquels  du Cabine t. 9 les peres nefont que de fortir de la chi- ' cane , de la marchandife , du ckange , de l'ouvroir, & de la boutique; de forte qu'enfin la vraie Noblejfe s'abafiardit, & qu'il ne fe trouvera plus de Gentilshommes qui ne foient mefiis , & plus propres d faire les marjolets , brelandiers & batteurs de pavé, qua s'emplcyer d la vertu & aux armes pour fervir leur Roi & dèfendre leur patrie. En conféquence, le Sur-Intendantvouloit qu'on s'adreflat aux plus riches & aux plus faftueux des Maltötiers, & leur fit-on rendre gorge touc-a-fait, voire que ton les punit par corps. Le Roi trouva ce confeil bon, & réfolut de le fuivre, tant pour remplir fes coffres , que pour öter a la finance un éclat qui offufquoit la Nobleffe, & amenoit la confufion des états. Mais les plus opulents fe voyant menacés, eurent Tadreffe de faire part du produit de leurs rapines a ceux qui avoient 1'oreille du Monarque. II fut tellement follicité , qu'il fufpendit les procédures commencées contr'eux , & les taxa a une modique reftitution, pendant qu'on preffura les pauvres grimelins de larronaux, qui A v Henri iv. 1599.  io L'Intrigue Henri IV. 1599. Etat du Clergé. Cayet, 3 , 50. .Le Grain , l. 8, p, 431. (3) Quand on fa plaignoit des différents abus , tant dans les nominations que dans radminiftration des biens d'Eglife, Henri IV répondoit : Cejl d la racine & non aux branches qu'il faut adreffer le coup ; les Jéfuites vayerent pour les grands voleurs & brigands. La difcipline & les biens de 1'Eglife avoient été également altérés pendant les guerres de religion. Le Clergé tenta d'apporter quelque remede k ce dépériffement: il demanda la publication du Concile de Trente , fauf les modificatlons requifes, qui concernent les libertés Gallicanes, les immunites des Eglijes, & les privileges des Parlements. II remontra au Roi, que c'étoit charger fa confeience, que de fe réferver Ia nomination aux Evêchés, Abbayes & autres Bénéfices; qu'il étoit de fon devoir de veiiler a la confervation des biens eccléfiafciques , d'abolir les penfions laïques fur les Bénéfices, d'empêcher enfin la profanation & la deftru&ion des Cloitres & Maifons régulieres. Henri répondit : Je ne ftiis point auteur des nominations les maux  du Cabinet. ii koient introduits avanl que fy fujfe. Duram la guerre, fai couru au feu le plus allumé pour Pctouffer. Je ferai maintenant ce qui fe. doit au temps de la paix ; mais Paris ne s'eft pas fait en un jour. II exhorta tous les Evêques a édifïer les peuples par leurs bons exemples, & promit de réformer les abus (a)y de protéger 1'Eglife, & de faire tous fes efforts pour la rendre floriffante. Henri, avec une naïveté qui partoit du cceur, finit par ces mots : Mes prédécejjeurs vous ont donné des paroles ; mais moi, avec ma jacquette grife, je vous donnerai des ejfets : je fuis tout gris au-dehors , mais je fuis tout d'or au-dedans. (qui apparemment étoient les principaux plaignants) doivent, s'ils L'ofent , prêcher a Rome le rétablijfement de la Pragmatique-Sanction , détejler avec la Sorbonne le Concordat, & fulminer contre les couratiers de bénéfices. V. le Grain, tome 8, pag. 482. (a) Si ce n'eft pas une plaifanterie d'Amelot de la Houftaye , il eft bien lingulier que les Officiers du fils de la Marquife de Verneuil poffédaffent tous des bénéfices, excepté fes deux Aumöniers, que fon Ecuyer de cuifme en eüt un, & fon Snifte deux. V. Anecdotes hijloriques , f. 1 , pag. 486. A vj Hen ai IV. 1599.  Henri IV. 1599. Etat du Barreau. Sully, t *j P- 54- ti L'Intrïgue Le defir qu'eut le Roi de réformer les abus qui s'étoient glifles dans le Barreau , lui donna quelques embar* ras. Plufieurs Avocats du Parlement de Paris, abufant de leurs talents, ranconnoient les parties, & mettoient a trop haut prix leur éloquence (a) : leurs vexations exciterent 1'attention du Roi; &c il commanda au Parlement d'y mettre ordre. En conféquence , il fut prefcrit, par arrêt, aux Avocats , de donner quittance de 1'argent qu'ils recevroient, afin qu'en réglant les dépens, on put taxer leurs honoraires. Les Avocats, mécontents, s'en allerent au Greffe de la Cour y remettre leurs chaperons, 6* protejler de cejfer leur caquet: de quoi les bagnaudiers & pédants firent de grands canquants , tout ainjï que ji le Royaume eüt dü périr, pour être purgê de ces chicaneurs. Tels étoient les difcours que tenoient les Courtifans: ils n'auroient pas été fichés de voir humilier cet ordre de Citoyens qu'ils accufoient de faire trop yaloir leurs fervices. (d) Un Avocat exigea quatre cents écus poui plaitler une feule caufe. V. Sully, tomc [ï, page 54.  DU C A B I N E T. 13 ( Pendant cette brouillerie, il fe dit des chofes plus fortes encore en préfence du Roi, qu'on tachoit d'exciter a prendre un parti ferme contre les réfra&aires. Qu'on leur ordonne, s'écrioit un de ces Courtifans échauffés, de reprendre leurs fon&ions fous huit jours, aux conditions impofées par le Parlement; & , qu'a faute de ce faire, ils ayent d fe remeitre tous au trafic & d tagriculture, d'oii ils font fords, ou d s'en aller, avec un moufquet fur le col, fervir en Hollande contre les ennemis de l'Etat. Car lors ton les verra courir pour reprendre ces magmfiques chaperons , comme vermine vers un tas de froment. Le Roi rit de cette faillie , qui, a 1'aigreur de 1'expreffion prés , n'étoit pas , dit Sully , dépourvue de raifon: mais comme Henri avoit d'autres fantaifies plus importantes en tête, il ordonna qu'on finit cette affaire , voulant remettre d une fa'tfon plus opportune le reglement deS Procureurs, Avocats & Juges, d'autant qu'ils en avoient tous befoin. Le Parlement fe relacha, les Avocats fe rapprocherent, &c la tranquillité fe rétablit. Henri IV. 1599,  Henri IV. 1599* Etat de la Cour. ; (a) V. Mémoire de Baffompierre, tome premier, page 54 & fuiv. De ces maifcns commodes, la plus fréquentée du Roi étoii 14 L'Intrigue Ces fantaijïes que le Roi avoit pour lors en tête, étoient des brouilleries domeftiques, dont les fuites facheufes peuvent fervir de lecons aux Princes, & leur apprendre a être, finon fideles a la vertu, du moins circonfpeös quand ils s'en écartent. Henri IV, élevé au milieu des armées, acquit dans cette école la popularité qui plaït aux foldats , & leur fait affronter gaiement la mort fous des chefs qui favent fe rendre compagnons de leurs exercices & de leurs jeux. La licence des camps lui fit contrafter 1'habitude des plaifirs fans gêne ; & les extrémités auxquelles il fut réduit pendant la guerre, fans demeure fixe, fans train, fans table , fans argent, 1'accoutumerent k une vie errante, & pour ainfi dire, d'emprunt: il dinoit chez 1'un, foupoit & cou:hoit chez un autre, & ne faifoit pas ■nyftere des raifons qui 1'engageoient i choifir les maifons dont les maïtres i'étoient pas fcrupuleux (a), Ainfi la  du Cabine t. 15 nation ne voyant plus de Cour, plus de falie royal, plus de centre de majefté, perdoit 1'idée du Monarque , & y fubftituoit celle d'un Chef de guerre, dont les droits confiftent k réunir les forces d'un Royaume, &c k les commander dans le befoin. Chaque Province s'accoutumoit k ne connoitre que fon Gouverneur, Sc a fe conduire par fes ordres : les peuples , dans beaucoup d'endroits, n'ayant prefque jamais 1'oreille frappée du nom du Roi, fongeoient k peine s'il y en avoit un; & il n'y a point de doute que, fous un autre Prince qu'Henri IV, il n'eüt été aifé de partager le Royaume en grands fiefs, & d'affimiler la France , par le Gouvernement, k 1'Empire d'Allemagne: c'étoit en effet le vceu des grands Seigneurs, & il y celle de Sébaftien Zatnet, Banquier originaire de Luques , qui fe difoit Seigneurfusrerain de dix-fcpt cent mille ècus ; ce qui vaut bien fix bonnes Terres , dit Amelot de la Houflave ; il ajcute : Sic alit Italicos Gallia Difcipulos. On peut dire que, du moins a préfent. la France n'oublie pas fes propres enfants. Voy, Amelot fur d'Offat, tome 3 , page 103. Henri IV. 1599, Vues am» bitieufes des Seigneurs.Sully, 1.1, p. T,01. Vie de Mornay^ p. 137.  16 V Intrigue Henri IV. IJ99- en eut un affez hardi pour en faire, de la part des autres, la propofition au Roi. Le Duc de Montpenfier, Prince du Sang, qui fe chargea de cette commiffion, n'étoit pas un faftieux, mais un homme féduit, auquel on avoit fait envifager ce projet comme convenable au Monarque & k fon Royaume, qui le préfenta naïvement comme il 1'avoit congu. II prit le moment que le Roi étoit très-embarraffé , tant par les menées fourdes des Efpagnols, que par les grands efforts qu'ils faifoient ouvertement, pour tacher de parvenir k une paix avantageufe. Ils entretenoient des intelligences dans les principales villes , & avec beaucoup de Seigneurs. On furprit même des Couriers chargés de leurs dépêches k des Gouverneurs , par lefquelles on découvrit que quelques-uns n'attendoient que les premiers fuccès de 1'ennemi pour travailler a fe rendre indépendants. En même-temps que les Efpagnols tachoient de fe faire un parti dans le Royaume , ils menacoient, avec des forces confidérables, plufieurs frontieres; & enfin ils entrerent par la Pi-  du Cabine t. 17 cardie, & furprirent Amiens. Ce fut alors qu'Henri IV dit ce mot célebre: Allons, c'eji affe^ faire le Roi de France , il e(l temps de faire le Roi de Navarre. Il appella auprès de lui toute fa Nobleffe, qui vint avec empreffement: mais peu des principaux Seigneurs s'y rendirent, Sc le petit nombre de foldats qu'ils amenerent, ou qu'ils envoyerent, fit, a jufte titre , douter de leur zele Sc de leur fidélité. Alors le Duc de Montpenfier fe hafarda de dire au Roi, que plufieurs de fes meilleurs Sc plus qualifiés Serviteurs , voyant les grands préparatifs des ennemis, Sc la difficulté de leur réfilïer avec les reffources ordinaires du Royaume, avoienttrouvéle moyen de lui former une grande armee , qui feroit toujours complete , foudoyée & fournie de toutes les provifions néceffaires. Le Roi écoutoit avec une grande attention; Sc déja frappé de quelque foupcon: Voild , dit-il, un difcours beau & bon & de belle apparence ; mais il faut des cervelles bien timbries , des perfonnes bien expérimentêes pour produire les effêts : voyons donc quels font ces moyens. » Votre Majefléj Henri IV. 1599.  18 L'Intrigue Henri iv. 15.99. » reprit Montpenfier, n'a qu'a feule» ment permettre a ceux qui ont des » Gouvernements par commiffion, » de les pofféder en propriété, avec » la fimple foumiffion d'un homma» ge-lige envers la Couronne. Com» me il peut fe trouver des Seigneurs » de mérite Sc d'expérience, qui n'ont » point de Gouvernements, on leur » en formera de quelques parties que » 1'on démembrera des plus étendus , » Sc tous s'engageront a vous four» nir une armée bien équipée, pour » la conduire par-tout 011 votre grand » courage, plein d'expérience, le dé» firera ". Le Roi 1'écouta patiemment; Sc quand il eut achevé , il lui dit: Mori coujin , mon ami, je crois que quelque malin efprit a charmé le vótre, ou que vous nêtes pas en votre bon fens, de me tenir des difcours fi indignes d'un bon fujet & d'un Prince de mon fang. II lui fit enfuite connoïtre qu'un pareil projet n'alloit pas a moins qu'a la ruine de la Monarchie, & k 1'extinöion de la Maifon royale dont il étoit membre : Si je croyois, ajouta-t-il , que vous euffie^ dans le cceur les dejfcins cri-  du Cabine t. 19 minels que je. viens ttentendre fortir de votre bouche , je vous ferois voir qitun Prince généreux ne laiffe pas une ojfenfe Jï cruelle fans chdtiment. II lui enjoignit de ne pas faire connoïtre a ceux qui 1'avoient employé , qu'il fe fut acquitté de fa commiffion ; mais de leur donner a croire qu'il relïoit détrompé par fes propres réflexions, qu'il avoit horreur du complot dans lequel on avoit taché de 1'engager , & qu'il fe déclareroit ennemi de quiconque voudroit le foutenir. Pour nous, mon coufin , mon ami, ajouta le Roi, oublions tout ce qui s'ejl maintenant paffe tntre nous ; continue^ et être d moi loyal fujet , fidele ferviteur & bon coufin, & je vous ferai bon Roi, bon maitre, & bon parent. Montpenfier fe retira confus : mais cette confufion lui fut falutaire , puifqu'elle lui ouvrit les yeux fur le danger de ces menées fourdes, dont il eut foin de fe tenir éloigné; aulieu que ceux qui 1'avoient mis en aftion, perfifterent dans leurs mauvaifes difpofitions. Le Roi en a eu connoiffance, même avant la in de la Ligue. Ceux qu'il foupconnoil Henri iv. 1599. «OV '■'  Henr] IV. iJ99. Raifons de m.iriei le Roi & fa foeur. Sully, t, ' - P- 3>3. 33*&fuiy. 20 L'Intrigue dès-lors, étoient les Ducs d'Epernon, de Bouillon , de la Trimouille, de Biron, & le Comte d'Auvergne, depuis Duc d'Angoulême. Ces Seigneurs refterent plus ou moins unis & fermes dans leur deflein , felon les circonftances. Leur fort fut auffi différent; & nous verrons 1'un deux fervir d'un terrible exemple aux Grands qui s'écartent de leur devoir. Henri IV reprit Amiens, battit partout les Efpagnols , les éloigna de fes frontieres, & les forca d'accepter la paix, qui fut fignée a Vervins, le 2 Mai 1598. Ses fuccès n'empêcherent pas les fadions de fa Cour; elles 1'inquiétoient toujours : il en caufoit fouvent avec Sully; ils recherchoient enfemble d'oü pouvoit venir cet efprit de cabale qui régnoit entre les Grands, & quels moyens il faudroit prendre pour le réprimer. Après bien des obfervations, il leur parut que deux chofes entretenoient 1'aclivité des gens a projets : 1'une , le defir de plaire a Catherine d'Albret, fceur du Roi, qui cherchoit a fe faire des partifans, afin de forcer fon frere de la marier au Comte de Soiffons , fon coufin : 1'au-  du Cabine t. n tre, Tétat même du Roi, qui, reftant uni avec Marguerite de Valois fon épovife, étoit comme fans femme, & par conféquent fans efpérance de poftérité; deux raifons qui donnoient lieu aux fpéculatifs d'imaginer des projets, & qui échauffoient les efprits. Le Roi fe détermina a commencer par marier fa fceur ; mais ce ne fut pas avec le Comte de SoilTons. Henri craignoit de rendre la Maifon de Condé , dont SoilTons étoit cadet, trop puiffante par 1'héritage de la Maifon d'Albret, s'il venoit a mourir fans enfants. II entra auffi un peu d'humeur dans la réfolution du Roi. Catherine & fon amant ne 1'avoient jamais ménagé. Aveuglés par leur paffion, ils s'étoient toujoursconduits comme des amants qui croient qu'il fuffit de s'aimer pour réuffir. Ils s'étoient fait des promeffes, &c donné des écrits, qu'ils regardoient comme des engagements irrévocables. Mais le Roi, une fois déterminé, eut bientöt rompu toutes leurs mefures. II mit des négociateurs en campagne : on retira 1'écrit de la Princeffe; on écarta le Comte; & Catherine, déja agée, fe voyant me- Henri IV. 1599.. Mariage de Madame.  Henri iv. 1599. On tra- vaille au divorce üu Roi. (a) II y eut quelque difficulté pour la célébration : le futur étoit Catholique; laPrinceffe, Calvinifte. Aucune des deux parties ne voulut du rit contraire a fa doctrine. Le Roi trancha la difficulté , en faifant célébrer le mariage dans fon cabinet, par Charles de Bourbon, Archevêque de Rouen , fon frere. Voyez dans Sully , la plaifante converfation de ce Prélat avec le Duc de Roquelaure a ce fujet. 11 L'Intrigue nacée de refter fïlle, ft elle perfiftoit a refufer le Duc de Lorraine qu'on lui préfentoit, n'hélita pas dans cette alternative, & donna la main a ce Prince (a). Cette affaire étant ainfi confommée le Roi fongea a rompre légalement les nceuds qui 1'uniiïbient toujours k Marguerite de Valois. Ce mariage contracTé peu de jours avant le maffacre de la Saint-Barthelemi, ne répondit que trop a des aufpices fi funeftes. La politique qui 1'avoit formé, fut bientöt remplacée par Pindifference. Les deux époux fe livrerent fans frein k des défordres, qui, felon nos préjugés , font plus honteux dans la femme, quoiqu'ils foient également eriminels dans le mari; ils fe quitte-  DU C A B I N E T. 23 rent, fe reprirent, fe féparerent encore ; & il y avoit long-temps que le divorce étoit établi entre eux , quand les befoins de la France donnerent 1'idée de le faire prononcer. Henri reconnoiilbit la néceflité d'effecTuer ce projet; mais une foibleffe qui lui fut trop ordinaire, en fufpendit 1'exécution. II ne faut pas croire que fon empreflement pour les femmes ait toujours été 1'effet d'une fougue de tempérament , dont il ne pouvoit réprimer la pétulance ; c'étoit quelquefois le befoin d'un tendre épanchement, fi nécelTaire aux ames fenfibles , dans certaines circonflances critiques de la vie : ainfi s'exprimoit le trop fragile Monarque, fur fon amour pour la belle Gabrielle d'Etrées, Ducheffe de Beaufort : Je Cappelle auprès de moi, difoitil k Sully, comme une perfonne confidente, pour lui pouvoir communiquer mes fecrets , & fur iceux recevoir une familiere & douce confolation (a). [a) Gabrielle d'Etrées étoit fille de JeanAntoine d'Etrées , Marquis de Coeuvres, & de Frai^oife Babou de la Bourdaifiere, qui Henri IV. 1599. Gabrielle d'Etrées.  Henri IV. 1599. avoit fourni d fon mari, difoit-il lui-mème ; unepepiniere de files mal fages. Elle étoit aimée de Roger , Duc de Bellegarde, qui la fit connoitre auRoi:livrée a ce Prince, elle conferva toujours de l'attachement pour fon premier Amant, & s'expofa fouvent a être furprife avec lui. Gabrielle donna encore de la jaloufie au Roi par d'autres amours de paflage. V. Amours d'Henri IV , pag. 91 , 19a &. 233. V. aulfi dans Sully ,; torn. premier , pag. 90 , Faventure du Médecin d'Alibour, qui foutenoit au Roi que fa maïtreffe étoit enceinte. Le Roi foutenoit que cela ne fe pouvoit pas. II en arriva de grandes altercations entre Henri & fa maïtreffe : mais enfin ils fe raccommoderent, t> ilnen arriva d'autre accident vifible , finon qu'elle accoucha d'un fils , & que le pauvre M. d'Alibour ,faute de bon appareil ou autrement , mourut quelques mois après. Quant aux foupcons du Rot, on les leva , en lui faifant accroire que 1 accouchement qui arriva a fept mois, avoit été haté par un coup de tonnerre. 14 L'Intrigue Un attachement fondé fur de pa* reils motifs, n'étoit pas facile a rompre;ily avoit mêmeacraindre, qu'entrainé par la douceur de l'habitude , le Roi ne cherchat arendre légitimes, aux dépens de fon honneur & de fa tranquillité, des nceuds qui lui étoient fi agréables. II s'ouvrit un jour de ce delTein  du Cabine t. 15 deflein a Sully, mais il le fit avec une efpece de honte, qui marquoit un vif combat dans fon cceur entre 1'amour & la raifon. II commenca par lui détailler les qualités qu'il defiroit dans une époufe. II en demandoit tant, de fi éminentes, que Sully lui avoua qu'il ne croyoit pas poffible que Sa Majeflé rencontrat jamais toutes ces perfeclions réunies en une même perfonne. Et que dire^-vous , reprit le Roi, fi je vous en nomme une? Je dirai, répondit le Confident, quil faut que vous aye^ eu de grandes familiaritis avec elle, pour ètre fur de ne point vous tromper. Ce fera ce que vous voudre^ , dit le Roi; mais fi vous ne pouve^ vous avifer d'une, je la nommerai. Nomme^-la donc, Sire , repliqua Sully, car je nai pas affe? d'efprit pour cela. Oh, la fine béte que que vous êtes, dit Henri d'un air inlinuant, oh, que fi vous voulie^, vous la nommerie^ bien, voire celle-ld même que je penfe ! Car vous m'avouere^ que toutes ces conditions fe trouvent dans ma Maüreffe ; non pour cela, ajouta-t-il comme en fe reprenant, que je veuille dire que f ai penfè d Ctpoufer , mais feu- Tome /, B Hen r ï IV. 1599.  Henri IV. 599- Sully, t. I, p. 427. 3.6 L' I N T R I G U E kmenl pour favoir ce que vous en dirie^ (i^faute d'autre, cela me venoit quelque wur en fantaifie. Je dirai, Sire, répondit gravement le Miniftre , que , comme les filles de Loth , n'ejlimant plus ju'ily eüt homme en la terre , finon leur vropre pere , par lequel il leur fut pof fïble de réparer le genre humain qiielus -.royoient péri emiérement,pafferent parieffus toute pudeur & bienféance ; ainfi votre Majeflé, pourne connoüre de femme propre a lui donner des enfants , autre que Madame la Marquife, de crainte de priver l'Etat & nous tous d'un fi grand bien , n'auroit pas apporté toutes (es confidcradons requifes d l'égard de votre perfonne & de votre dignitê. Cette réponfe adroite fit fourite le Roi : Sully y ajouta les autres raifons qui devoient le détourner de ce deffein. La principale étoit que, s'il époufoit Gabrielle, il feroit fort embarraffé pour donner un état aux enfants adultérins qu'il avoit déja d'elle. II arrivera, difoit Sully , que les cadets feront héritiers du tröne, pendant que PiUégitimité des ainés les en écartera pour toujours. De-la peuvent naitre des guerres cruelles entre les freres;  du Cabine t. 27 guerres qui replongeront peut-être Ie Royaume dans un état pire que celui dont vous 1'avez tiré. Cette confidération rit impreffion fur 1'efprit du Roi, & il ne paria plus de ce projet. : Cependant Marguerite de Valois en craignoit toujours 1'exécution, & elle fe montra peu difpofée a donner fort confentement au divorce pendant la vie de Gabrielle. Quoique la conduite de cette Reine ne dut lui laiffer aucune prétention fur le cceur de fon époux , il favoit que 1'époufe étoit jaloufe de la maïtreffe. Sans fonger aux récriminations que fes mceurs licencieufes pouvoient autorifer, Marguerite ne parloit jamais de Gabrielle, qu'elle ne joignit a fon nom ces épithetes flétriffantes, qui font une punition du vice, en quelque élévatio'n qu'il fe trouve (a). (a) Gabrielle entrant au Louvre avec grand fracas , un homme qui ne connoifioit pas Ia Cour , demanda avec empreffement qui cetoit; un Garde répondit : Mon ami , ce n e l nen qui vaille , ce n'eft que la maitrefledu Roi. Voy. 1'Etoile, Journal d'Henri V , fur le 5 Décembre 1594. B i) Henri IV. W9'  Henri tv. 1599. SuUy.t.l, p. 406. Xg L' I N T R 1 P « t La Ducheffe de Beaufort ignora peut, être qu'elle fut fi peu menagee; mais elle éprouva dans une occalion importante, ce que rifque quelquefois la beauté è lutter contre le merite. Elle avoit fouvent des difputes avec Sully, Sur-Intendant des Fmances tanlöt fur des gratifications que celui-ci trouvoit exceffives, tantöt des pretentions qu'il réprimoit comme dommageablel a 1'Etat. Embarraffe entre fa maïtreffe & fon Miniftre, ordmairement le Roi, fans défavouer celuici, donnoit k Gabrielle quelque fatiffaftion, &les raccommodoit : mais un iour les chofes furent pouffees fi loiii, qu'il fembla que ce fut une refolution prife par la Favonte , de fe perdre , ou de faire drfgracier le SurIntendant fans retour. La circonfiance ne pouvoit être mieux. choifie. louiours flattée de 1'efpérance depoufer le Roi la Ducheffe fit declarer nul fon mariage contracfé avec le Seigneur de Liancourt au commencement de fa faveur. Elle comptoit que cette declaration de nullité fuffiroit pour rendre les enfants qu'elle avoit du K01 légitimes & habiles k fucceder a la  du Cabinet. X9 Couronne. D'ailleurs, elle fe conduifoit avec décence & dignité, ce qu'elle n'avoit pas toujours fait (a). Elle affedoit d'entourer fes enfants d'un falïe royal, comme fi elle eüt voulu accoutumer la nation k voir en eux ceux qui devoient être fes maitres. Par une fuite de ces prétentions, elle demanda au Roi permiffion de faire baptifer fon fils ainé , Céfar-Monfieur, depuis Duc de Vendöme, avec la magnificence ordinairemcnt employee pour les baptêmes des enfants de France. J'ai le cceurtrop tendre, difoit Henri, pourrefufer une courtoijie aux larmes CV fupplications de ce que faime. II accorda donc, mais fans donner d'ordres , & tout fe fit avec 1'appareil le plus pompeux. Sully défapprouva ce fracas, & ne voulut point payer les fraix de cette cérémonie, qu'on lui demandoit com- (d) Henri IV entrantun jour chez Gabrielle, vit le Duc de Bellegarde fe cacher fous Ie lit: il demanda la collation ; on apporta des confitures feches ; il en prit une boite, & la jetta fous le lit, en difant : 11 faut que tout le monde vive. V. Ménagiana , tom. II , Pag- .71. B iij Henri IV.  Henri IV. 1599- 30 L' I N T R I G V E me dettes del'Etat. Gabrielle, qHi connoilToit le foible de fon Amant pour fes enfants , crut avoir trouve 1'occafion la plus favorable de faire éloigner le Miniftre; elle éclata en plaintes ameres. Le Miniftre refta ferme. Le Roi, a fon ordinaire, voulut les réconcilier : il mena pour cela le SurIntendant chez la Ducheffe, qu'il avoit fait avertir de le bien recevoir; mais il trouva une femme outrée, qui pleuroit, fe jettoit a terre , s'arrachoit les cheveux, & qui dit nettement? qu'elle aimoit plutót mourir que de viyre avec cette vergogne, de voir foutenir un valet contre elle qui portoit le titre de fa maïtreffe. On affoibliroit peut-être 1'idée de Ia vicfoire qu'Henri remporta pour lors fur fa paftion, en prêtant a fa réponfe des termes plus dignes de la majefté de 1'hiftoire : le fens ferapardonner l'expreftion. Par D..., Madame , lui dit-il, c'efl trop, & vois bien qu'on vous a drefiee d ce badinage, pour ejfayer de me faire ckaffer un ferviteur duquel je ne me puis pafier; mais, par D... ,je n'en ferai rien; & afin que vous en tenic{ votre cceur en repos, <$• ne faf-  du Cabine t. 31 jïe{ plus Faccaridtre contre ma volomé je vous déclare que fi fétois reduit er, cette nécejjite' de perdre Hun ou Pauire, je me pajferois mieux de dix maitrejfes comme vous , que d'un ferviteur comme lui: en même-temps le Roi tourne le dos, &c veut fortir. Gabrielle fe précipite k fes pieds. Henri s'attendrit & lui pardonne. Depuis ce temps, elle mefura fes démarches , & ne s'expofa pas k effuyer de pareil affront. 11 falloit en effet qu'elle eüt été excitée par quelque jaloux de la faveur du Sur-Intendant, comme le Roi le foupconna; car d'elle-même, Gabrielle etoit douce, gracieufe & d'humeur complaifante, fans être tejlue ni accaridtre. C'eft le témoignage que lui rendoit Henri IV : il Paima, pour fes bonnes qualités, plus que fes autres maitreffes, & il la regretta fincérement quand il la perdit. Sa mort fut accompagnée de circonflances qui la rendent finguliere ; d'abordde preffentiments, de cesavertifTements intérieurs , dont tout le monde voudroit pénétrer la caufe, & qu'on n'expliquera jamais. Elle partoit de Fontainebleau, ou elle laiffa B iv Henri IV. Sully. t. 1, p. 43*- ' Baffompierre, t. i» p. 61. Mort d« jabriclls.  Henri IV. 1599. 32 L'Intrig v e le Roi, & n'alloit qu'a Paris palTer les fètes de P3que. Cent fois elle avoit quitté ce Prince pour des abfences plus confidérables & des Iieux plus éloignés, fans éprouver les agitations qui la tourmenterent alors : elle lui faifoit & répétoit fes adieux d'un air Irifte; fes yeux, malgré elle, fe rempliffoient de larmes; elle lui montroit fes enfants, le conjuroit d'en avoir foin , fe jettoit dans fes bras, s'en arrachoit, s'y rejettoit encore; enfiny elle arriva a Paris le Jeudi-Saint, & alla defcendre chez Zamet, fa maifori ordinaire pendant les féjourspeu confidérables qu'elle faifoit dans la capitale. La Varenne , miniftre fecret des amours d'Henri IV, qui ne la quitta point, écrivit a Sully, qu'elle mangea bien a diner, quon.la traita des yiandes les plus friandes & les plus déTicates, que fon hole favoit être le plus felon fon geut; ce que vous remarquere^ felon votre prudence , dit la Varenne , car la mienne nefi pas ajfe^ excellente pour préfumer des chofes dont il ne m'efl pas apparu. Après cette obfervation, qui fait naitre le foupcon en affeéiant del'éloigner, 1'Ecrivain raconte qu'en  du Cabine t. 33 cfüittant la table, elle futfrappée d'un mal qu'on jugea une attaque d'apoplexie. Les douleurs augmenterent avec des convulfions effrayantes. Dans les inflants de relache, elle s'écrioit: Qu'on me retire de cette maifon ! Elle voulut écrire au Roi: les déchirements qu'elle éprouvoit dans les entrailles, lui fïrent tomber la plume de la main; elle accoucha enfin d'un enfant' mort, & mourut elle-même après vingt-quatre heures de tourments horribles, & fi défïgurée qu'on n'ofoit la regarder. Sans doute, on ne laifla connoitre au Roi de cette mort, que ce qui pou-! voit la hij faire regarder comme lei tribut ordinaire de la nature. II pleura Gabrielle en amant, & 1'oublia en: Monarque. On profita de cet événement , pour obtenir de la Reine Marguerite fon confentement au divorce, & Henri commenca a s'occuper plus férieufeinent du defTein de fe remarier. Une chofe 1'inquiétoit, & cette chofe fait voir que dans les aöions ordinaires de la vie, fouvent les maïtres de la terre font réduits aux vceux (;omine les autres hommes. Cltoit. By Henri IV. IS99- InquiétU" les du loi fur Ie nariage. Sully , t. , p. 38-2.  Henri IV. 1599- Sally, t, I, p.. 79 & 392. 3 4 L* I N T R I G U E. difoit-il, de trouver une femme fi bien conditionnée, que je ne me jette pas dans le plus grand des malheurs de cette vie r qui ejï, felon mon opinion, a"avoir une femme laide , mauvaife ; & fi on obtenoit une femme par fouhait, afin de ne me repentir d'un fi haf ar deux marchly j'en aurois une, laquelle auroit, entrautres bonnes qualités ,fept conditionsprincipales ; d favoir , beauté en fa perfonne , pudicité en fa vie , complaifance en l'humeur, habileté en l'efprit, féconditê en gênération , éminence en extraclion , & grands Etats en poffeffion : mais ^ mon ami, difoit-il confidemment a Sully, je crois que cette femme efl morte 9 voire peut-être n'eft pas encore née. Cependant, quelque hafardeux que fut ce marché, Henri fe détermina a le faire, par une raifon qui méritoit la reconnoiffance de fes fujets. II ne prévoyoit pas fans chagrin, qu'après fa mort, les ordres, formes & ménages êtablis par lui, feroient renverfés , s'il n'avoit des enfants Iégitimes, dont les droits préviendroient ou détruiroient les fa£tions, qui perpétueroient les établiffements qifil commencoit pour le bonheur de fes peuples 1 il  du Cabine t. 35 réfolut donc , malgré fes frayeurs, de former de nouveaux nceuds ; mais il ne conferva pas, pour 1'époufe qu'il devoit prendre, un cceur entier, & Péloignement de tout autre attachement, qui fait le bonheur des mariages. Quand Gabrielle fut morte , il s'attacha a Henriette, fille du Sieur de Balzac, Comte d'Entragues, Sc de Marie Touchet, qui, avant ion mariage , avoit eu, de Charles IX, un fils, nommé le Comte d'Auvergne, Sc enfuite Duc d'Angoulême. Cette fille raffinée, prefque dès fon enfance, dans Part de la coquetterie , confeillée par un pere regardé comme peu délicat, malgré fon affeftation de vertu, & fecondée par un frere entreprenant, employa contre Henri les refus fimulés, les complaifances adroites, &c les rufes qui ont coutume de captiver un amant de bonne foi. Tant qu'il fut queftion d'engager le Roi, on lui permit des vifites affidues, qui reflerent quelque temps innocente». Quand Henriette fe crut füre de fa conquête, fous prétexte d'être gêné* par un pere févere , elle rendit les entrevues plus difficiles; de forte que B vj Henri iv. 1599- Henriette d'Entragues.  Henri iv. 3599. (ü) ii fe déguifa unjour en Charbonnier, & fut rebuté de fa maïtreffe , qui eut honte pour lui de Ie voir fe dégrader par un pareii iraveftiffement. V. Amours d'Henri IV , pag. 104. (J>) ün voit eneore au haut d'une totrf ■du chateau de Nanteuil , qu'habitoit le Roi, un fallot en forme de lanterne. Au haut dn •chateau de Verneuil , éloigné de quatre lieuts, qu'habitoit la Marquife, il y en avoit un pareil correfpondant, & on les allumoit peut-être pour fervir de bouffole au Roi quand il étoit en route pendant la nuit. (c) Voyez 1'aventure de la promeffe de mariage , déchirée & refaite , avec des détails affez piquants , dans Sully , tom. I ? pag. 429. 36 L' I n t r i g u e le Monarque fut contraint de recotirir, comme auroit fait le dernier de fes fujets, a des traveftiffements (<ï),. a des voyages clandeftins & dangereux (^); &c enfin il ne triompha des feintes réfiftances de fa maïtreffe, qu'a 1'aide d'une promeffe de mariage qu'il lui fit; moyen honteux dont il rougiffoit lui-même dans le moment qu'il 1'employoit (c). II s'engageoit, par cette promeffe, k époufer Henriette, fi elle avoit un enfant male. Sully, toujours ami lincere de fon maitre,  du Cabine t. 37 & non courtifan flattcur, faifi d'une noble indignation, déchira cette promeffe quand Henri la lui montra. En Miniftre qui s'intéreftbit a Fhonneur de fon maitre & au bonheur du Royaume , il lui repréfenta le danger d'un pareil engagement, dans la crife de ï'affaire de fon defmdriage, les inductions qu'on voudroit peut-être tirer quelque jour d'une pareille piece contre les droits de fes enfants légitimes , & les embarras qu'il rifquoit de fe préparer. Henri écoutoit en homme qui fent fon tort, ne répondoit rien: puis , tout-a-coup , comme entrainé par une force invincible, il rentre dans fon cabinet, écrit une autre promeffe, & part pour aller a la chaffe du cöté de Malesherbes, oii il étoit attendu par des plaifirs qui lui coüterent enfuite des peines bien cuifantes. Henri IV n'étoit pas fans fcrupule fur fes défordres. Je iemande tous les jours a Dieu , difoit-il a Mathieu fon Hiftorien , de me donner vicloire fur mes pafjions , & notamment fur la fenfualitê (gues de Biron. Sully , r. l,p. 31. Mathieu,»  Henri IV. IJ99- ] 1 ] j 1 1 ; i i ! < < i i < t c i t { r f 40 L'Ijntrïgueils du fameux Maréchal de ce nom, iin des Capitaines auxquels Henri IV lut fa couronne. Le fils hérita de fon )ere les vertus d'un grand Général; >rudence dans le confeil, vivacité dans 'exécution, popularité avec les foldats, ntrépidité dans Paction : Nul, difoit e Roi, na fceil plus clair d rcconnoire Cenntmi, & la main plus prompte 'our difpofer une armee. Auffi Henri, igalèment habile a juger des qualités :fi:;mables, &exacl k récompenfer les ervices, le fit-il palTer rapidement )ar tous les grades d'honneur. Après tvoir été , dès 1'age de quatorze ans, kolonel desSuifTesen Flandres, enfiiie Maréchal-de-Camp , Lieutenantïénéral, Amiral, Biron fe vit, k quaante , Maréchal de France, Gouverteur de Bourgogne, admis k tous les üonfeils , comblé de richeffes, maire des troupes par leur eflime, & ami le fon Prince. Pour fixer une fi belle fortune, il .ïffifoit de ne pas vouloir 1'augmenir; mais Biron trouva malheureu;ment des flatteurs, qui lui irfpiresnt une ambition démefurée, & qui : fervirent de tous fes foibles, povir  DU C A B I N E T. 41 3e portcr a des excès qu'il reconnut trop tard. L'hiftoire de la féduclion eft une des lecons les plus importantes que puiflent méditer ceux qui habitent les Cours, & qui approchent des Reis. Les plus beaux jours de Biron furent ceux pendant lefquels, fobre, tempérant, modele de la difcipline pour 1'Officier & le foldat, il ne ibngeoit qu'a fe diftinguer par fon zele pour fon Prince, & par fes exploits contre les ennemis de 1'Etat; encore paroit-il que ces beaux jours furent de bonne heure obfeurcis par quelxjues nuages, puifque fon pere, tué au fiege d'Epernay en 1592, trop tot pour fon fils, lui difoit : Biron, je te confdlle, quand la paix fera faite , que tu ailles planter des choux en ta maifon , autrement il te faudra porter ta téte en Greve. II n'y avoit que 1'oeil percant d'un pere , qui put démêler une cataftrophe aufii funefte , a travers les efpérances brillantes dont Biron étoit environné; auffi ajouta-t-il moins de foi a cette finiftre prédicTion, qu'aux promefles magnifiques par lefquelles Henri IV. 1599-  Henri IV. 1599. Caraftere rfc La Fin. Mathieu , p- -(89. < i 42. L'Intri g we 1'éblouiffoient les ennemis de 1'Etat, & aux confeils perfides de fes faux amis. Celui qui eut toujours le plus d'empire fur fon efprit, fut Beauvais la Nocle, Sieur de La Fin. II avoit été autrefois employé par le Duc d'Alencon, frere d'Henri III, auprès des Efpagnols , dans le temps que ce Prince travailloit a fe rendre Souverain de Flandres. La Fin conferva toujours des liaifons avec ces ennemis du Royaume , & s'en ménagea auffi auprès du Duc de Savoie , k 1'occafion de quelques mécontents de Provence , dont il s'ctablit 1'agent. Ces correfpondances le rendirent Phomme de confiance des Ligueurs bannis de France, & réfugiés tant en Italië que dans les Pays? Bas & en Efpagne. C'étoit un homme entreprenant ~ aftif, infinuant, habile fur-tout a faifir le foible de ceux qu'il vouloit gagner. Hardi avec les téméraires, cir:onfpe£t avec les prudents, il paroiffoit s'abandonner entiérement k fes èomplices , pour fe fauver k leurs iépens. Auffi le Roi qui le connoifbit, inquiet de Tamitié qu'il voyoit  du Cabine f. 43 formée entre lui & Biron, ne put s'empêcher d'avertir ce dernier, qu'il 1'ótdt d'auprès de lui, finon que La Fin fajfineroit. Malheureufement le Maréchal fe trouva expofé aux infinuations empoifonnées de La Fin, fans antidote pour s'en garantir. II fut mal élevé : Calvinilïe d'abord par éducation , enfuite Catholique par convenance, a feize ans il avoit déja changé deux fois de religion, & il n'eut toute fa vie que de l'indifférence pour 1'une & pour 1'autre doftrine. Quant aux principes de morale, ces principes qui rendent la fubordination refpeclable , & qui établiffent la fainteté des devoirs envers le Prince & la patrie , Biron, ou les ignora,ou les méprifa comme au-deffous de lui : on 1'accoutuma de bonne heure a faire plier la regie fous fes goüts & fes intéréts, Toujours viöorieux a la guerre , conflamment heureux dans fes autres entreprifes, redouté dans fa fociété, & jamais contredit , excufé fur fes fautes , applaudi dans fes fuccès, il devint fougueux, opiniatre, préfomptueux; il auroit voulu fe rendre le Henri IV. 15S9- Caraflcre le Biron,  Henri IV. 1599. Sully, t. i . ch. 4 , p. ld. 44 L'Intrigue centre de tout, & que rien, difoit-il a Henri IV, quautre que lui cüt fait. Sa langue , comme celle de tous les gens vains, étoit fort légere. Le Roi 1'excufa long-temps : & quand on venoit lui rapporter les propos inconfidérés du Maréchal, propos qui tomboient quelquefois direclement fur le Monarque , fur fes mceurs , fur fon gouvernement; Henri répondoit: Je crois bien tous ces langages du Maréchal ; mais il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre, fes rodomontades, jaclances & vanitês. 11 faut tn fupporter comme d'un homme qui ne fait pas plus s'empêcher de mal dire a"autrui, & de fe vanter exceffivement luimême^que de bi:nfaire lorfqu il fe trouve d une occafion , le cul fur la felle & tépêe d la main. I! lui auroit fallu une continuation d'occupations attachantes, telles que la guerre en fournit; faute de cela , il donna dans tous les excès du luxe , dans toutes les dépenfes; 1'énormité de fes pertes au jeu 1'effrayoit lui-même : Je ne fais, difoit-il , fi je mourrai fur un échafaud, mais je fais bien que je ne mourrai pas d Chópital; funefte alternative, qui,  DU C A B I N E T. 45 en effet, attend quelquefois les joueurs effrénés. Biron éprouva que , du gros jeu au crime , il n'y a fouvent qu'un pas. Livré a fes réflexions après de grandes pertes , il s'irritoit contre le Roi, qui le laifToit manquer d'argent; il blamoit fon avarice & fon ingratitude : jamais , a 1'en croire, le Monarque n'avoit affez payé fes fer-> vices; il regrettoit ces temps de troubles , oü le pillage rempliffoit les vuides de fa prodigalité; & pour fournir a fes profufions, tout lui paroiffoit permis, düt-il replonger le Royaume dans les horreurs de la guerre civile, dont fa valeur avoit contribué a le tirer. Les Efpagnols furent bien mettre a profit ces difpofitions. Nous avons vu qu'avant la paix de Vervins , ils ne fe foutenoient plus contre Henri IV que par des artifices, & que , ne pouvant vaincre fes Généraux, ils tachoient de les corrompre : ils tenterent dès-lors lafidélité de Biron; mais ils ne remporterent que des politeffes vagues. Pendant le fiege d'Amiens, leurs émiffaires confurent des efpérances; ils favoient fans doute que Henri IV. Mathieu , 5. 4S8. Ses liaifons avec les Efpagnols.  Henri IV. 1599- {a) Les Courtifans murmuroient contre 46 L'Intrigue le Maréchal étoit un de ceux qui au» roient voulu partager la France en grands fiefs : de plus, ils remarquerent que Biron, qui jufqu'alors avoit paru très-indifférent fur les pratiques de la Religion, affecloit beaucoup de zele pour elle; qu'il portoit un chapelet , fréquentoit les Eglifes , parïoit avec éloge des zélés de la Ligue , & fe donnoit pour défenfeur affuré des Catholiques , s'ils avoient un jour befoin de fon fecours. Les Agents d'Efpagne drefferent leur plan de féduöion fur ces connoiffances. Ils répandirent autour de lui des gens, qui lui répétoient fans celTe qu'il étoit Ia feule reffource de la Religion &c de la liberté. Les Efpagnols, lui difoient-ils, vont être forcés de faire la paix : le Roi deviendra tout-puiffant; qui défendra les Catholiques & les Grands, s'il veut les opprimer! Biron répondoit : Quand la paix fera faite, je fais bien que les amours du Roi, les micontentements de plujieurs, la jlérilitê de fes largejfes (» Sa conduite arritficieule. (a) Pour la France, le Connétable, le Chancelier, le Maréchal de Biron, Sully, 54 L'Intrigüe ger les plus ulcêrès, & leur faire protejler d'employer bien & vie pour fon fervice. Emmanuel éprouva la vérité de cette obfervation. II trouva en effet, comme on en trouve dans toutes les Cours, des jaloux, des gens qui s'imaginent étre mal récompenfés, de ces caracteres ombrageux qui croient qu'on en veut toujours a leur fortune, des inIrigants, & iur-tout beaucoup d'amjbitieux, d'hommes a projets, accoulumés, pendant les derniers troubles, a fe mêler de tout: mais de ces membres épars & ifolés, il neput former un corps comme il fe 1'étoit propofé. II mit cependant tout a profit pour réufür, même les circonftances qu'on juge ordinairement peu propres aux difcuffions férieufes. Pour ne point mêler d'amertume aux plaifirs, le Roi lui déclara, a fon arrivée, qu'ils ne parleroient pas d'affaires enfemble, mais qu'elles feroient traitées par des Commiffaires, quifurentnommés (V).  du Cabine t. 55 On ne fongea donc qu'a fe divertir. Henri donna des fêtes magnifiques : les Courtifans 1'imiterent; a Fexemple du Monarque, ils s'efforcerent de rendre au Duc fon féjour en France agréable. En revanche, Emmanuel paroiffoit ne s'occuper que du jeu, de la chaffe, des fpeftacles , & des autres divertilTements qu'on lui offroit; mais, ne perdant jamais de vue fbiiobjet, ïl fe fervoit de la confiance que le plaifir établit fouvent entre les hommes , pour fonder les difpofitions des principaux Seigneurs a 1'égard du Roi. II en trouva plufieurs mal afFeclés par différents motifs. Epernon , par exemple, qui avoit été Favori trèspuifTant fous Henri III, ne pouvoit s'accoutumer a n'être qu'eftimé, & peut-être craint fous Henri IV. Les Ducs de Bouillon & de la Trimouille , auxquels la guerre & la confiance du parti Huguenot donnoient autrefois Viüeroi, & le Seigneur de Méziere. Pour leDuc de Savoie, le Marquis de Lullini, le Seignein de Jacob , le Seigneur de Salines, le Préfident Briglietti, Marozzo , ékRoncas. V. Mém. de Bent'noglio , tome I, page 339. C iv Henk 1 IV. 1599.  Henri • IV. j ] t jj i ientót confident de leurs murmures. 1 eut des conférences fecretes & des mtrevues nocfurnes, dans lefquelles 1 tachoit d'aboucher enfemble pluieurs Seigneurs, afin de donner k leurs ntelhgences un air de conjuration  DU C A B I N E T. 57 & qu'ils ne pulTent plus reculer, fe trouvant réunis & tous également intéreffés a abaiffer la puilTance royale : ils convenoient affez qu'ils devoient s'entr'aider a fecouer le joug ; rnais quand il étoit queflion de fixer les moyens de s'engager, le Duc de Savoie les trouvoit froids & peu empreffés; ils fe renvoyoient 1'un a 1'autre le rifque des premières démarches; il n'y eut que Biron, qui , incapable de diffimulation & de crainte, fe livra fans réferve. Sa défeöion fut 1'ouvrage des rapports envenimés qui allumoient fon ■ courroux contre le Roi. Le Duc de Savoie lui. difoit que ce Prince n'aimoit pas la NoblelTe de fon Royaume, qu'il craignoit qu'elle ne s'élevat. » Je vais vous en donner une preuy.e » fans replique , lui dit un jour 1'arti» ficieux Emmanuel: Vous favez que » j'ai une nombreufe familie; j'au» rois voulu établir une de mes filles » en France, & j'ai propofé au Roi » de vous la donner , s'il vouloit vous » faire un état fortable ". Quü choix faites-vous? m'a répondu Henri: cette fivnille rfcjl pas la centieme de mon C v Henri IV. IJ99» 1600. II gagne Siron.  Henri IV. 3600, J < I! s'appuie du Comte de Fuentes. 58 U I N T R I 6 U E Royaume. Confidence pour confidence". repartit lebouillant Maréchal, & .Roi /7z'ns une collufion trop vifible , qui auroit expofé. Soitdéfautde moyens, )it confiance dans la foibleiTe des at-  DU C A ï I N £ T, $3 taqües, Emmanuel avoit laiffé fesplaces fans vivres & fans munitions, abandonnées a de foibles garnifons &c k de mauvais Commandants; de forte qu'inutilement le Maréchal fe donna tous les mouvements nécelfaires pour les fauver. II faifoit palTer aux Gou< verneurs la connoiffance de fes tranchées; il laiffoit entrer du fecours; il ne les attaquoit que par les endroits les plus forts; il les exhortoit de fe défendre du moins quelques jours : malgré cela, il emporta toutes lesplaces du Duc devant lefquelles il fe préfenta; &, en deux mois, Emmanuel fe vit expofé a perdre fes Etats , ou réduit k faire une paix défavantageufe : fituation qui défoloit Biron, & lui faifoit maudire fes propres fuccès. Le porteur de fes avis aux Capitaines ennemis, étoit Renazé, Secretaire de La Fin. Quelquefois le Maréchal les donnoit par écrit, & pour Iors ils étoient concus de maniere k fouffrir une interprétation favorable, en cas qu'ils fuffent furpris. Pendant que le Secretaire étoit ainfi employé, le Maitre paffoit rapidement du camp de, Henri IV. 1600. Dangers auxquels le Roi eft expofé. La Cuejle, P- 33- Mathit» , p. 516.  Henri IV. lóoo. 4 I 4 £ 64 t' I N T R I G ü E Biron en Piémont, du Piémont k Milan, d'oti il rapportoit a Biron denouvelles calomnies contre le Roi; nouvelles, par la maniere de les rendre, car c'étoient toujours les anciennes imputations : favoir que le Monarque étoit dévoré de la plus baffe jaloufie contre le Maréchal, que jamais il ne lm pardonneroitfesvicToires, & que tot ou tard il en changeroit les trophées en pompes funebres. Cela fe difoit en forme de reproche , de ce que Biron, quoique malgré lui, continuoit a conquérir les Etats du Duc de Savoie. II fembloit qu'il füt coupable a 1'égard de fes complices, paree qu'il ne prenoit pas contre le Roi les expédients qu'ils lui fuggéroient. » II •> fe plaint qu'il elt forcé de combat» tre, difoit le Comte de Fuentes » pendant qu'il a un moyen tout fim- > ple de faire la paix a 1'avantage de > fes alliés Jln'a qiïa arrêter le Roi mand il viendra dans fon armee ; nous 'enyerrons en Efpagne ou il fera bien raité, & ou nous Famuferons d balier * fift°yer avec les Dames. Si ces difcours n'arracherent pas Biron fon confenternent a une noire  du Cabine t. 6f trahilbn, du moins ils le familiariferent avec Pidée du crime; & peu s'en fallut que 1'adrelTe des fcélérats que le Maréchal écoutoir, ne le rendit coupable d'un horrible affaflinat.. Ils ne celToient de 1'envenimer contre le Roi; ils lui infpiroient de demander des gratifications exorbitantes, de nouveaux gouvernements, des augmentations de puiffance, qu'en bonne politique ce Prince ne pouvoit accorder. Biron étoit donc refufé : fa colere alors, fa haine, fa rage, n'avoient plus de bornes. Pendant qu'il étoit dans un de ces accès de frénefie , il prend envie au Roi, dont 1'armée n'étoit pas éloignée, d'aller voir celle du Maréchal qui afliégeoit une place ennemie. Celui-ci fe doute qu'Henri IV ne manquera pas de vifiter la tranchée; il ordonne a Renazé d'aller dire au Gouverneur de pointer du canon üir un endroit qu'il lui indique, & de placer dans un autre une compagnie d'Arquebufiers, qui feront feu, a certain fignal, fur ceux qui paroitront. La Fin, qui étoit préfent, foit véritable horreur du crime, foit pour éprouver le Maré.chal, marqué de ia Henri IV.  IV. 1600. j j i I i t t t I , 6 L' I N T R I G V B • furprife, & fait un geüe d>improba. tion. Commem, secrie le fougeux Biron , un homme qui veut me ruiner, Un homme qui veut m'óter la vie, n'ai-je pas droit de m'en venger? Ces paroles niarquent quelles odieufes prévenJions on lm avoit infpirées. La réfolution, qui en étoit une fuite, nepaffa. pas dit-il lui-même en s'excufant, nt pojja pas les termes d'une première p°nfee, enveloppee dans les nuèes de fa colere cv de fon dipit. Revenu è lui-même , il eut honte de fon emporfement Scempecha le Roi de fe rendre a 1'en! droit fimefte oa fon courage ordinaire auroit pu le porter. Pour peu qu unconfpirateurmontre le remords a fes complices, il s'ex*>fe a etre trahi. La Fin, qui étudioit e Marecnal, jugea, d'après cette cononfture qu'il ne feroit pas homme Itout nfquerpourréunir. Dès cemonent, il pr,t des mefures contre le re•entir de Biron, s'il venoit k en refentir ;_ ou contre fes aveux, fi l'in^fcretion ou Ia néceffité lui en arrahoientquelques-uns. II commenca a arder tous les papiers, lettres, réonies, memoires qui pouvoient con-  du Cabine t. 67 tribuer a fa décharge; &c quand le Maréchal lui ordonnoit de les brüler en fa préfence, il les détournok adroitement, & en jettoit d'autres au feu a leur place. La Fin n'abandonnoit pas pour cela les négociations du Duc de Biron, dont il reftoit toujours le principal inftrument. En Novembre, il fit a Milan un nouveau traité, qu'il eut ordre du Maréchal de ne point figner. On y convenoit que le Duc de Savoie pouvoit faire la paix , puifque la rapidité des conquétes des armées Francoifes 1'y contraignoit; mais qu'auffi-töt que les armées feroient retirées , il romproit cette paix; qu'alors les Efpagnols interviendroient dans la guerre; qu'ils donneroient au Duc de Biron le titre & 1'autorité de Lieutenant - Général de leur Couronne, & qu'ils lui alTureroient la propriété de la Bourgogne , avec le mariage d'une Princeffe de Savoie; que fi la guerre tournoit mal, 1'Efpagne, en faifant la paix, donneroit au Maréchal un million d'or comptant, & fix cents mille écus de rente è toucher par - tout 011 il voudroit. Cependant, comme ce n'étoit qu'a re= Henri IV. 1600,  68 L' I N T R r G V E Henri IV. sóoo, Mariage du Roi. Pajfim. gret qu'Emmanuel abandonnoit fes pré» tentions, & plioit fous les conditions que la France lui impofoit, il traina la guerre le plus long-temps qu'il put, fufpendant 1'aöivité des armes du Roi par des projets de traités dont il reculoit la concliulon, quand on étoit pret a finir. Pendant ce temps, Henri IV, dont la préfence ne paroilToit plus fi néceffaire dans fes armées viftorieufes, vint a Lyon au-devant de fa nouvelle époufe. Depuis plufieurs mois, on travailloit k la dilTolution de fon mariage avec Marguerite de Valois. Comme les parties étoient d'accord, Paffaire n'éprouva, du cöté de Rome, que les difHcultés de forme. On fonda la néceffité du divorce , fur la parenté au troifieme degré, & fur le défaut de confentement libre de 1'époux & de 1'époufe, qui avoient été forcés par Charles IX. Dégagé de ces nceuds, Henri en fbrma d'autres avec Marie de Médicis , PrincelTe de Florence. Elle avoit vingt-fix ans; age propre a faire efpérer une prompte fécondité, que les Francois defiroient, afin de «'être point expofés k des guerres-  DU C A B ï N "E T. 6f eiviles pour la fucceffion. Auffi toute la nation célebra-t-elle cet événement avec magnificence & épanchement de joie, comme une félicité publique. A la concluiion de ce mariage, fe joignit la conclufion de la paix avec j la Savoie ; nouveau fujet de fctes & de plaifirs. Emmanuel fit ce qu'il put ,pour obtenir des conditions, autres que celles du traité qu'il avoit figné en France. II eut recours k toutes les perfonnes qu'il favoit jouir de quelque crédit auprès du Roi, Princes, Rois, le Pape lui-même; mais en vain. Henri fut ferme; & tout ce qu'il accorda, fut que le premier traité auroit lieu ; que le Duc de Savoie garderoit le Marquifat de Saluces , mais qu'il donneroit en échange la Breffe êc le Bugey. A ce prix, Emmanuel racheta fes Etats dont il avoit été dépouillé. Biron -eprouva auffi Pindulgence du Monarque. Tant de négociations., d'entrevues, de voyages clandeilins, n'avoient pu fe faire fans que le Roi en eut quelque connoiffance. II prit un jour k part le Maréchal, dans le cloïtre des Cordeliers de Lyon, &c lui Henri IV. 1600. 1601. 'aix avee a Savoie*, Pardon de Lyon. Mem. Ren 4e. partie s p. 191.  Henri IV. jéoi. 7» L' I N T R I G. V Ë demanda, fous promeffe de pardon; en quoi confiftoient les intelligences qu'il avoit eues avec les ennemis de PEtat, quel en étoit Ie but & la caufe. Sur fes intelligences, en homme honteux de fe rappeller des faits qu'il voudroit n'avoir pas k fe reprocher, le coupable écarta les détails, & ne fit que des aveux imparfaits. Quant a leur but &c k leur caufe, il confefla qu'il avoit été flatté de 1'idée d'épouferune PrincelTede Savoie; que cependant il ne fe feroit pas écarté de fon devoir, fi le Roi ne lui eut pas fefufé le gouvernement de la citadelle de Bourg en Breffe. Henri, plein de bonté , 1'embraffa , & lui dit: Bien, Maréchal, ne te fouvienne jamais de Bourg, & je ne me fouviendrai jamais auffi de tout le pajfè ; mais, en lui pardonnant fa faute, il 1'avertit qu'une rechüte feroit mortelle. Le Duc d'Epernon lui donna un avis auffi falutaire, fur ce que Biron lui racontoit la converfation qu'il venoit d'avoir avec le Roi, & combien il en étoit fatisfait. Je nCen réjouis, lui dit le vieux Courtifan, mais vous devrle^ dejirer une abolition ; car les ptchés  DU C A. B r N E T. 71 de cette qualiti ne fe remtttent pas comme cela. Une abolidon, répondit le Maréchal, fera-t-elle plus Jure que la parole du Roi > Et, s'il faut une abolidon au Duc de Biron, que faudra-t-il aux autres ? II oublioit que la puiffance royale commencoit k prendre le delTus, & qu'en fait de crimes d'Etat, elle ne dillingue pas entre les coupables. Ce fut le plus grand des malheurs pour lui, de ce que le Roi ne chercha point a pénétrer le fond de 1'intrigue; il 1'auroit peut-être arraché a Ia féduftion, paree que le Maréchal ne pouvant douter, après les aveux détaillés qu'on auroit exigés , que fes aftions ne fuffent délbrmais éclairées, fe feroit impofé la loi de les rendre plus régulieres. II eft poffible auffi, que, fachant Ie Monarque infrruit k fond, il eut mieux connu le prix du pardon , & que, fenfible è la bonté de fon Souyerain, il eut renonce a des liaifons qui 1'auroient rendu ingrat. Au-lieii qu'après fa grace, loin d'être foulagé, il fe trouva comme entre deux feux : bourrelé du cöté du Roi, q«r, d'un moment k Fafutre, pouvok Henr IV. Ióoii  Henri IV. 1601. Avis d'eïifabeth a Biron. 72, L'In-tri'gue connoitre toutes les circonftances du complot, & lui faire un crime capital de fes réticences : embarralTé du cöté du Duc de Savoie & du Comte de Fuentes, lefquels, piqués de fe voir négligés, pouvoient livrer au Roi les preuves de fa trahifon, & le perdre. Mais il craignoit fur-tout Renazé, & les autres complices fubalternes qu'il avoit employés; ils tenoient fon fort entre leurs mains, & il ne falloit qu'une indifcrétion de leur part , échappée ou provoquée, pour le faire périr : ce fut donc principalement contre eux qu'il réfolut de fe précautionner. II continua fes liaifons avec les ennemis de 1'Etat, qui le flattoient toujours; mais il changea d'entremetteurs auprès d'eux, perfuadé que , quand même on viendroit a découvrir les complots tramés par ces fortes de gens fous fes ordres, le pardon de Lyon couvriroit tout. Henri IV oublia aifément la faute d'un homme qu'il aimoit. Comme il le connoiffoit curieux d'honneurs, il 1'envoya en Angleterre faire part de fon mariage a la Reine Elifabeth fa Iponne amie, Le Maréchaly arriva peu de  du Cabine t. 73 de temps après que cette PrincelTe eut laiiTé monter fur 1'échafaud le Comte d'Effex fon favori. On prétend que la vengeance d'un amour méprifé , eut plus de part a fon fupplice, que la politique d'Etat. Cependant il faut avouer qu'il s'étoit rendu criminel au moins d'un projet de révolte. Elifabeth raconta a Biron, avec attendriffement, les erreurs du Comte, Pabus qu'il avoit fait de fes bontés , les reffources qu'il auroit trouvées dans fon indulgence; qu'elle avoit tout tenté pour le fauver; qu'elle ne demandoit qu'un aveu, qu'une foumiffion; qu'il daignat feulement demander grace. Puis, fixant tout-a-coup le Maréchal, comme honteufe de la fenfibilité qu'elle venoit de faire paroitre, & fe rappellant les devoirs aufleres de la royauté, elle lui dit: Si fétois d la place du Roi mon frere , il y auroit des têtes coupées aujji-bien d Paris qu'a Londres : Dieu veuille toutefois quil fe trouve bien de fa clémence ; pour moi, je naurois jamais pitié de ceux. qui troubknt un Etat (a). On (a) Cayet rapporte qu'Elifabeth montra i Tomé I, D Henri iv. 1601.  ÏT E N R I IV. lÓOI. Cabale a la Cour. Sully, t. 1 , /. 2 , p. 43- Biron , des fenêtres de fon appartement , la tête du Comte d'Effex, qui étoit plantée fur la tour de Londres. Mais le Pere Davrigny, dans fes Mémoires, tome I , page 3 1, prouve invinciblement que ce fait, quoiqu'affez analogue au génie d'une nation qui force les vertus comme les vices, eft ablolument faux. 74 L' X M T il 1 G V E remarqua qu'en rendant compte de fon ambaffade, Biron ne paria pas de cet avertiffement. II eft rare que les exemples corri-> gent. Ce que Biron venoit d'entendre ne 1'empêcha pas de fe joindre a une cabale qu'il trouva fonnée a la Cour, & dont les chefs n'auroient jamais dü caufer de chagrin au Roi. Le premier, Henri de la Tour d'Auvergne, Duc de Bouillon, devoit tout a Henri IV, qui 1'avoit choifi entre tous les Seigneurs de fa Cour, pour lui faire épou» fer Charlotte de la Marck, Souveraine de Sedan, dont la main étoit k fa difpofition. Le fecond, Charles de Valois, Comte d'Auvergne, &Ducd'Angoulême, étoit perpétuellement comblé des faveurs du Roi, tant en mé* moiré de Charles IX, dont il étoit  du Cabine t. 75 fils , que par égard pour Henriette d'Entragues, Marquife de Verneuil. famaitrelTe, dont il étoit frere. Lurï & 1'autre oubliant ce qu'ils avoienl & de qui ils le tenoient, ne fongeoient qu'a en acquérir davantage. Le Duc de Bouillon étoit dévoré du defir d'agrandir fa fouveraineté, & croyoit ne pouvoir y parvenir, qu'en renouvellant les troubles. Le Comte d'Auvergne avoit formé le projet de faire retomber la couronne dans fa familie; & la fécondité de la Reine ne lui paroiffoit pas un obfiacle dont on dut s'embarraffer. Marie de Médicis, dans le courant de la première année de fon mariage, avoit rendu le Roi pere d'un Dauphin. Ce bonheur n'empêchoit pas le Monarque de fe livrer aux caprices d'un amourvolage. Ses infidélités multipliées & peu fecretes chagrinoient fon époufe, qui ne lui cachoit pas fon dépit. Dela naiffoient des froideurs & des picoteries, qui, dans la maifon d'un particulier, feroient reftées fans conféquence, mais qui, dans la Cour d'un Roi, influoient fur le fort du Royaume. Henriette d'Entragues avoit D ij Henri IV. 1641. Haine et. :re laReile & la VtaitrslTc.  -Henri IV. icoi. 76 L' I N T R I G V F. auffi donné au Roi un fils, même avant la Reine ; elle prétendoit n'être devenue mere que ibus la foi d'une promeffe de mariage, antérieure a 1'hymen de Marie. Au moment de la célébration, elle avoit fignifïé a Lyon une oppoiition, dont on ne tint pas compte. Cependant elle n'en croyoit pas moins avoir alTuré a fon fils fes droits qu'elle pouvoit faire valoir. II s'agiffoit d'abord de faire déclarer le mariage du Roi nul, & le Dauphin illégitime ; projet chimérique : mais quelle chofe ne fait pas croire pofïïble le defir de régner & de fupplanter une rivale ? Henriette employa k fe fatisfaire les armes du fexe le plus foible; les charmes & la malice : par les premiers, elle retenoit tyranniquement le Roi fous fon empire; la feconde lui fervoit k eloigner Henri de fon époufe. La Favorite pofFédoit fu» périeurement le talent de contrefaire , & , dans les moments de gaieté , elle imitoit plaifamment le ton de la Reine, fes manieres, fon accent, & fon idiöme mêlé d'ltalien & de Francois: le Roi rioit de ces folies; mais la Reine k qui on les rapportoit, entroit en  du Cabine t. 77 fiireur & demandoit vengeance. Henri tachoit d'éluder : il ne vouloit pas qu'on prit au férieux des bouffonneries qu'il prétendoit n'être faites que pour 1'amufer. Marie, au contraire, infiftoit; & voyant que le Roi la payoit de défaites, elle croyoit fa rivale préférée, éclatoit en reproches, &c donnoit publiquement des fcenes d'humeur & de dépit, qui faifoient de vives' impreflions fur 1'ame fenfible du Monarque. Henriette fe flattoit que ces fcenes multipliées aigriroient a la fin 1'époux, & pourroient lui faire prendre un parti violent, comme de renvoyer la Princeffe a Florence. Elle trouvoit tout fimple que le Roi la reconnüt enfuite pour véritable Reine, en verm de la promeffe de mariage, & qu'il donnat le titre de Dauphin a fon fils. Tel fut le röle que la Marquife de Verneuil joua dans cette affaire ; il n'étoit pas le plus aifé, fi la nature ne 1'eüt faite aiiffi propre a défoler une époufe fufceptible, qu'a captiver un Prince facile. Le Duc de Bouillon, le plus fecond, le plus habile difcoureurde fon temps, joua le fecond: il formoit des plans, difcutoil D iij Hen si IV. iGci.  Henri IV. 78 L'Intrïgüe les difficultés, concertoit les moyens, raffuroit ceux que le danger auroit pu effrayer : il paroifïbit avancer plus que les autres complices; mais il avoit foin de ne laiffer derrière lui, ni écrits , ni traces qui pufTent Ie déceler. Le Comte d'Auvergne, homme entreprenant & téméraire, arboroit hardiment 1'étendard de la révolte; il parcouroiü les Provinces au-dela de la Loire, ou il lembloit avoir fixé fon féjour: ii s'y eoncilioit la Nobleffe par des égards; le Clergé, par une grande affe&ation de catholicité; & le peuple, par une feinte compaiTion de la mifere qu'il fouffroit fous le poids des impöts dont it étoit accablé. Pour Biron, on le deftinoit a commander les troupes, tant celles que fourniroit 1'Efpagne , que celles qui feroient levées en France. On devoit, lui difoient les flat» teurs, 1'oppofer a Henri IV; idéé toute feule capable de piquer fa vanité, &c de lui faire oublier fon devoir. Us ne manquoient pas auffi de lui infinuer qu'un homme qui auroit forcé le Roi a placer fur le tröne 1'époufe légitime, & k reconnoitre le véritable héritier, ne devoit pas s'attendre a moins qu'a  DU C A B I N E T. 79 une fouveraineté, ou a toute autre récompenfe qu'il defireroit. Ainfi le Duc de Bouillon étoit 1'ame de la confpiration; le Comte d'Auvergne en étoit, pour ainfi dire, la trompette; & Biron, le bras. Pris a part, chacun en particulier auroit été peu redoutable; mais réunis enfemble , & avec beaucoup d'autres qui ne fe montroient pas encore , attaquant lé Roi, Fun k la Cour, les autres dans les Provinces, d'autres encore fur les frontieres, ils pouvoient occafionner dans FEtat des mouvements très-dangereux. Henri IV en eut quelques foup9ons au commencement de 1'année. II apprit qu'il y avoit de la fermentation dans le Poitou & dans les Provinces adjacentes : il part avec fa promptitude ordinaire; il fe montre k fes peuples fans troupes & fans appareil effrayant, demande quel eft le fujet de leurs plaintes. Ilsrépondent qu'on leur a dit qu'il veut augmenter les impöts, détruire les privileges du Clergé , de la NoblefFe & de la Magiftrature, & batir , de tous cötés, des citadelles , pour les gouvernër en defpote qui ne connoit ni frein, ni loix. Le Roi s'exD iv IV. iOct. ióoi. Tenrati^ ves des Fadheus.  Henri IV. 1602. Le Roi en 'i des avis. Canaye, >. r. 80 L' Intrigue phque, fur tous ces lujets, avec fes Députés des Corps : il leur fait voir qu'ils font trompés ; que fes intentions pour Ie foulagement des peuples, font pures & droites. Quant aux citadelles, dit-il, celles que je vaudrai faire ne feront bdties que dans le cxur de mes fujets. Henri avoit cette affabilité , ce ton de vérité qui perfuade. Sa préfence & fes difcours calmerent toutes les craintes; les murmures cefferent, & il revint triomphant de la malice de fes ennemis. Mais elle exhloit toujours a la Cour, comme dans un volcan, dont les explofions rndiquorentune inflammation très-étendue, & dont le vrai foyer reftoit^ caché. Le Roi, certain qu'il y avoit des pro jets , fans en connoitre précifément le but, ni les auteurs, vivoit dans les allarmes. Dufrefne Canaye, fon Ambaffadeur k Venife, Miniftre pénétrant & infatigable, qui ctendoit fes correfpondances dans toute Pltalie, lui mandoit qu'on voyoit fouvent des Francois a Milan & a Turin; qu'ils s'enveloppoient fous 1'ombre du myftere, & qu'ils avoient, de nuit, de fréquentes conférences avec les Miniftres de ces deux Cours. Du-  du Cabinet. §i frefne nommoit les uns, défignoit les autres, marquoit heure par heure leurs démarches, décrivoit jufqu'a leurs habits, leur contenance Sc leurs geftes. II mandoit de plus, qu'on déchiroit le Roi en Italië au fujet de fes moeurs; qu'on décrioit fon gouvernement, pour répandre fur lui une efpece de mépris; qu'on rabaiffoit fa puiffance, afin de perfuader a fes Alliés, qu'il étoit hors d'état de les fecourir dans le befoin; qu'enfin les Vénitiens eux-mêmes, malgré leur attachement pour Henri, commenfoient a prêter 1'oreil» le k ces infinuations calomnieufes, Sc k fe défier de la France. On eft étonné de voir avec quelle indilTérence les Miniftres & le Roi lutmême recevoient ces avertiffements. Us pomTerent 1'indolence jufqu'a négliger de faire paffer a Dufrefne 1'argent nécefTaire au payement de fes efpions; il ne demandoit qu'une fomme modique , pour faire enlever un de ces mauvais Francois qui auroit peut-être révélé toute 1'intrigue, & on la refufa: mais Henri IV fut mieux fervi par Fimprudence de Biron , que par fes propres Miniftres. D v Henri. iv. 1601. Canave i Ijo.  Henri IV. 1602. Biron eft foupijonné. ; j 82 L' I N T R I G V E Depuis fon retour d'Angleterre , Ie Maréchal parut peu a la Cour, encore étoit-ce en homme mécontent, dédaigneux, blamant tout ce qui fe faifoit, quelquefois rêveur, impatient, colere, tels qu'on voit des gens, qui, embarraffés dans une mauvaife affaire , affeftent 1'affurance, & s'obflinent contre Ie cri de leur confcience. Ses foucis n'étoient pas fans caufe. Son intimité avec La Fin commencoit k tourner comme font toutes les amitiés fondées fur des intéréts criminels. II s'étoit gliffé entr'eux des foupcons; Ie Comte de Fuentes, plus connoiffeur que le Maréchal, fe douta Ie premier, fur quelques paroles échappées a La Fin, qu'il feroit homme h les trahir. Sans lui rien témoigner, il le renvoya en France, & 1'engagea, fous quelques prétextes, a prendre fon chemin par la Savoie. Les avis étoient donnés a Emmanuel, & La Fin y auroit, au moins, perdu fa liberté : mais, foit tieureux hafard, foit prévoyance, La Fin prit par la SuifTe, & il chargea le la commiflion pour la Savoie, Reïazé fon Secretaire , qui fut arrêté & •efferré dans le chateau de Chiari,  öu Cabine t. 83 Retiré en Auvergne fa patrie, La Fin tourne des yeux inquiets fur fa fituation; il fe voit au milieu de la France qu'il trahit , fans afyle chez les étrangers, auxquels il eft fufpedt. En vain il porte des plaintes au Duc de Biron , fur la captivité de fon Secretaire ; il n'en recoit que des réponfes' inquiétantes. On ne lui parle de Pinfortuné Renazé, que comme d'un homme qu'il a fallu facrifïer a la füreté commune, & dont on a été obligé d'étouffer la voix dans le tombeau. Le Maréchal lui confeille de ne faire ni recherches, ni menaces, a Foccafion d e ce complice;mais, au contraire, tantla crainte eft cruelle, de fe défaire fecretement de ceux dont il a été accompagné dans fes voyages , & qui pourroient donner des lumieres fur fes démarches : affreufes précautions qui font connoïtre a La Fin ce qu'il doit appréhender lui-même , fur-tout n'étant plus nécefFaire. Or , depuis le pardon de Lyon, le Maréchal, fidele a la réfolution qu'il avoit prife de changer fes entremetteurs , ne s'étoit prefque pas fervi de La Fin. II donnoit toute fa confiance D vj Henri IV. 1602. Découvert par La F au  Henri IV. Li Guejle. f. )l. 84 V I N T R I G U JE au Baron de Luz. Ses voyages a Milan & a Turin , il les faifoit faire par Hebert fon Secretaire, qui prenoit des prétextes de pélerinage, ou d'aller acheter des armes &: des étoffes en Italië, ou d'y conduire de jeunes Gentilshommes qu'on vouloit faire voyager. La Fin qui s'étoit fervi des mêmes défaites, ne fe trompoit pas fur leur but. II en tiroit cette conféquence, que le Duc de Biron avoit toujours les mêmes intrigues , mais qu'il employoit d'autres agents. Par le moyen des habitudes qu'il confervoit dans la maifon du Maréchal , il étoit auffi inftruit de fa conduite perfonnelle : on 1'avertiffoit que Biron s'éloignoit du Roi; qu'il affeftoit de méprifer fes bonnes graces & de le braver, & qu'en même-temps il ne prenoit aucune précaution, ni pour fe défendre , ni, du moins, pour fe fauVer, fi on découvroit quelque chofe. De toutes ces circonfiances, La Fin conclut que Biron couroit a fa perte : pour lui, il prend fon parti, &c demande audience au Roi. Chofe étcumante ! dans le temps ou les yeux &c les oreilles, tant du  DU C A B I N E T. 85 Roi que des Minihres, auroient dü être perpétuellement ouvertes, la demande de La Fin fut négligée; & peutêtre 1'auroit-on oublié tout-a-fait s'il n'étoit furvenu un fugitif de Piémont, qui en dit affez au Roi pour lui infpirer de la curiofité fur ce que La Fin avoit a révéler. On lui dépêcha donc un expres pour convenir de la récompenfe qui lui feroit accordée, & de la conduite qu'il tiendroit pour ne pas allarmer le Maréchal. Quant a la récompenfe , La Fin ne demanda que fa grace , & elle lui fut promife. A Fégard des précautions k prendre pour fouffraire fon intelligence avec le Roi, a 1'attention de Biron, il imagina d'écrire au Maréchal , qu'il avoit une affaire de familie qui exigeoit fa préfence k la Cour; que s'il ne s'y rendoit pas dans uné circonflance fi importante , on pourroit mal juger des raifons qui le retiendroient en Province ; qu'il héfitoit cependant de paroitre k la Cour, dans la crainte de lui donner des foupgons , & qu'il s'abandonnoit k fa décifon. Biron , toujours confiant, laiffa toute liberté k La Fin; 6c celui-ci vint a Fontainebleau, de Hesji IV. 1602,  Henri IV. 1602. La Guejle P- 53- Sully, t 1, p. 15 31 & 45. 8'6 L'Intrigue. 1'aveu du Maréchal, & fans aucun foupgon de fa part. Le Roi 1'interrogea lui-même. Con1 noijfant, dit la Guefle , le naturel des Guerriers qui parient beaucoup, mais que le fon de la trompette fait agir autrement, il ne fit pas grand cas des dépofitions du délateur, tant qu'elles febornerent a des difcours: mais quand il montra les papiers qu'il avoit dérobés a la vigilance du Maréchal, Henri, trop convaincu, écrivit a Sully : Mon ami, vene[ me trouver en diligence pour chofe qui importe d mon fervice, votre honneur & le commun conientement de tous deux. Le Miniftre vo le ; il trouve le Roi a cheval, partant pour la chaffe , ou il alloit faire diverfion a fes chagrins. Henri s'incline vers Sully, & lui ferrant la tête contre fon cceur, lui dit, en foupirant : Mon ami, il y a bien des nouvelles; toutes les confpirations contre moi & mon Etat, dont nous nefaifions que nous douter , font maintenant iécouvertes. II raconte enfuite a fon Miliftre, que c'eft La Fin, le principal :onfident de Biron, qui eft venu tout ivouer; mais, dit-il, il enveloppe dans  DU C A B I N E T. §7 fa dipofition beaucoup de gens, même des plus grands : or devine^. Jefus, Sire, répondit Sully, deviner un homme qui foit trattre, ceft ce que je ne ferai jamais. Henri preiTe de nouveau Sully , qui réfifte toujours; enfin, il lui dit en fburiant : M. de Rhoni. en eft ; le connoiftei-vous bien? Puis , fans même prendre la peine de le raffurer fur cette impolhire, qui fe détruifoit d'elle-même , il lui ordonne d'aller entendre les dépofitions de La Fin avec Villeroy & le Chancelier de Bellievre. Le réfultat de leur examen fut qu'il falloit faire venir a la Cour le Maréchal de Biron, & qu'il y avoit affez de preuves pour 1'arrêter. C'étoit une entreprife dont 1'événement a prouvé la facilité, mais qui pouvoit alors paroitre délicate; car La Fin déclaroit, a la vérité , ce qui s'étoit paffé pendant qu'il avoit eu la confiance du Maréchal, c'elt-a-dire, jufqu'au pardon de Lyon : ainfi jufques-la, tout étoit connu , & il n'y avoit rien a craindre. Mais, depuis ce temps, ne pouvoit-il pas s'être formé des complots plus redoutables ? Henri IV. i6oi. II eft ap- sellé a 'la Cour.  88 L'Intrigu-e H £ N .t i IV. 1Ó02. f - ' thitu. P- 494» Ne pouvoit-il pas fe faire qu'il y eut des complices en plus grand nombre &c plus accrédités; que les mefures fulTent mieux prifes; qu'il ne fallüt peut-être plus qu'une etincelle pour faire jouer des mines préparées en plufieurs endroits du Royaume? II étoit donc important de ne point allarmer Biron, qui auroit pu, ou fe fauver & emporter avec lui fon fecret, par conféquent lailTer toujours le Roi dans le même embarras , ou frapper a l'infhnt fon coup, & embrafer toute la France. II avoit envoyé k la Cour le Baron de Luz, pour fonder le terrein. Le Roi s'exprima avëe lui , fur le Comte de Biron, en termes obligeants; &, en effet, malgré le crime du Maréchal , Henri ne pouvoit fe défendre d'un retour de tendreffe pour lui & les autres coupables : S'ils phurent, difoit-il, je pleurerai avec eux ; s'ils fe fouviennent de ce qu'ils me doivent, je iïoublierai ce que je leur dols ; ils me trouveront auffi plein de clêmence , qu'ils font vuides de bonnes affeclions : je ne voudrois pas que le Maréchal de Biron fut le premier exemple de la féyérité de  DU C A B I N E T. 89 ma juftice, & que mon regne qui juf- ] qua prèfent a reffemblé d un air calme & fcrein , fe chargedt tout foudain de nuées , de foudres & d'éclairs. Que ne iut-il , 1'infortuné Maréchal, les difpofitions favorables de fon maitre! Mais trompé par La Fin, trompé par fes amis qui croyoient La Fin fincere , il s'imagina ne pouvoir fe fauver que par le filence. II délibéra cependant s'il s'expoferoit a rendre compte de fa conduite. Plufieurs perr fonnes de la Cour lui confeillerent fecrétement de fe mettre en füreté; mais il étoit déja trop tard pour héfiter d'obéir. Sous prétexte de changer les poudres & les autres munitions de guerre & de bouche des fortereffes de Bourgogne , devenues trop vieilles , Sully les avoit retirées fans en fubftituer d'autres; de forte que la Province fur laquelle Biron comptoit, fe trouvoit hors de défenfe, fans qu'il s'en fut appergu. De plus, le Roi lui fit dire nettement, que s'il ne venoit, il iroit le chercher; & il avoit des troupes prêtes. Le Duc de Biron arriya a Fontainebleau le 13 Juin. Son entrée a la Ien r 1 IV. 1601. II arrivé a la Cour. Mathiai f. 498.  H E N R IV. I6ö2. B>U. p. 499Sully, t. 1, P- 48. ( 90 L' I N T R I G V E ; Cour fut un fpeftacle. On avoit obfervé que La Fin étoit en fréquente conférence avec le Miniftre; que fouvent il fortoit de la maifon du Chanj celier bien avant dans la huif , & que Ie Roi s'y trouvoit quelquefois. II n en falloit pas davantage pour rendre les Courtifans attentifs a la contenance du Maréchal : elle fut fiere & hautaine , d'autant plus qu'en mettant pied è terre, La Fin lui gliffa a "oreille : Bon courage, mon Mattre,ils nefaventrien. Cependant, comme fes affaires étoient déja le fujet des converfations ; comme on foupconnoit qu'il n'étoit pas exempt de reproches, fans qu'on fut précifément jufqu'a quel point il en méritoit, on lui auroit defiré moins de préfomption. // ne irouva, dit Mathieu, perfonne qui parldt pour fon orgueilH & chacun auroit intercédé pour fon humiliti. II aborda le Roi avec affiirance, Henri le recut avec bonté, le promena dans fes jardins, parcourut avec lui les appartements, & lui fit voir les ornements qu'il y avoit ajoutés; de temps en temps, il mettoit en-avant les propos capables d'amener une  du Cabine t. 91 confidence : mais Biron regardoit négligemment, écoutoit comme forcé, répondoit dédaigneufement, & même avec iniblence (a) ; il étoit venu, difoit-il' non pour fe juftifier, mais pour connoïtre fes calomniateurs, & en tirer vengeance. Le Roi lui fit entendre affez clairement qu'il étoit infiruit, le conjura de lui ou- (a) Sur une des cheminées de Fontainebleau, on avoit placé le Roi en reliëf, fous la figure d'un Conquérant entouré da trophées. Eh bien ! mon Coufin , dit Henri au Maréchal. en lui montrant ce portrait, fi le Roi d'Efpagne m'avoit vu comme cela, que diroit-il ? Sire , il ne vous craindroit guere , répondit Biron , d'un ton moqueur. Le Monarque jetta fur le Maréchal une ceillade de colere, qui, fansdoute,1e fit rentrer en lui-même ; car il ajouta fur le champ : J'entends, Sire , en cette ftatue , & non pas en votre perfonne. Le Roi lui répondit avec un fourire amere : Bien, a/. le Maréchal. Voy. Cayet, p. 289. A 1'occafion du danger de ces fortes de libertés , Mathieu , p. 509 , rapporte un proverbe allemand, qu'il traduit ainfi; // ne faut pas manger des cerifes avec les grands Seigneurs , paree qu'ils en jettent les noyaux aux yeux de ceux gui veulent faire les galants avec eux, Henri iv. 1602,  iv. 1602. J J 4 J t 1 i J Hifi. de U vie de Biron , p. 47. I Mathieu, F- «IJ. I € I 92 jL'Intrigue vrir fon cceur, lui dit qu'il vouloit tenir 1'aveu entier de lui-même; a cette condition, il lui offroit un pardon général, & fes bonnes graces. Voyant que, malgré tant d'avances, il ne gagnoit rien fur cet opiniatre, il lui détacha quelques - uns de fes smis, dont les inflances ne lui réuffirent pas davantage. Mon ami, difoit triftement le Monarque a Sully, wild un malhtunux homme que le Ma'echal; j'ai enviede lui p ar donner, d'ou'■>lier tout ce qui 5 eft pafte, & de lui "aire autant de bien que jamais. 11 me fl.il pitiè; mon cceur m fe peut porter 1 faire du mal d un homme qui a du ourage , duquel je me fuis fi long-temps ervi, & qui m'a été fi familier. Mais oute mon appréhenfion eft que, quand je ui aurai pardonné , il ne pardonne ni ! moi, ni d mes enfants, ni d mon ïtat. Si Henri le Grand avoit ces craines, quelles devoient être les terreurs ie Marie de Médicis; une Reine , une riere qui fe voyoit menacée d'être 11e - même chaffée du tröne, & de oir arracher le fceptre a fon fils ! Car .a Fin dépofoit avoir entendu dire  DU C A B I N E T. 9? au Comte de Fuentes, que jamais l'Etat d'Efpagne ne fe feroit aux Franqois , fi ce n 'étoit qu'ils fff'ent faillir la race des Princes du Sang, en commenqant par le Roi & fon Dauphin, & que Fintention du Maréchal étoit de renverFer toute la France. On ne Fait, a la vérité , cet affreux proj et que par un complice qui cherchoit peut-être k Fe faire valoir ; & cette forte de preuve n'eft pas toujours convainquante : mais comme on rappelle tout en certaines circonftances, quelques perfonnes fe fouvinrent que Biron avoit dit, qu'il n'y avoit qu'un coup d'épêequi put l'empêcher cTêtre Souverain ; &C d'un homme affez imprudent pour laifFer échapper ce propos, il étoit pardonnable d'appréhender des extrêmités faeheufes, ou un coup de défefpoir. L'intérêt que la Reine avoit dans cette affaire, ne permit pas au Roi de lui en laifFer ignorerl'importance. Ill'appella aux Confeils qui fe tinreni a ce fujet; & ce fut peut-être fes frayeurs & fes larmes qui arracherent a la juftice du Monarque les derniers ordres contre 1'infortuné Biron. Mais auparavant, dit le Roi, je lui veux encore Henri IV. i6oz.  HiNR] IV. IÓ02. Sully , t I ,p. 49 Mathieu r- 5°3- 94 L'Intrigue dire ques'ilfe laijfe menerpar Jujlice, Une s'attendeplus d grace quelconque de moi. Plein de cette idee, Henri luit de ' 1'ceil le criminel, 1'examine , le voit jouer & caufer, fans qu'il paroiffe ébranlé ni inquiet. Enfin, comme la nuit s'avancoit , il 1'appelle dans fa chambre, & faifant un der nier effort, il lui dit : Maréchal, cefl de votre bouche que je veux favoir ce dont, d mon grand regret, je fuis trop éclairci. Je vous affure de votre grace , quelque chofe que vous aye{ commife contre moi, Le confeffant Librement , je vous couvrirai du manteau de ma proteclion, & Voublierai pour jamais. Oh ! cefl trop, répondit 1'obftiné Biron , cefl trop prejjer un homme de bien qui n'a eu d'autre deffein que celui qu'il vous a dit. Plüt d Dieu ! repliqua le Roi; mais je vois bien que je n'apprendrai rien de vous ,je vaisvoir fi le Comte d'Auvergne m'en dira davantage. II fort fous ce prétexte, examine par lui-même fi ce qu'il avoit ordonné étoit pret. En rentrant dans fa chambre , il congédie tout le monde; & s'adreffant au Maréchal, il lui dit : Adieu , Baron de Biron ; vous faye^ ce que jt vous ai dit.  DU C A 55 I N E T. ê)f II étoit encore temps ; Biron, prolterné aux pieds du Monarque attendri, auroit obtenu grace : mais trop altier pourfléchir, il lort; la porte fe ferme. Auffi-tot Vitri , Capitaine des Gardes, le faifit par le bras, & lui demande fon épée. Mon épée ! s'écrie Ie Maréchal, mon épée qui a tam fait de bons fervices ! II la détache cependant , & demande a parler au Roi; mais il avoit laiffé palfer le moment de la miféricorde , & ce moment échappé ne revint plus. En traverfant la falie des Gardes, il eut 1'imprudence de dire : Fous voye^ comme on traite les bons Cotholiques ; parole qui n'émut perfonne. Dans le même temps, Pralin, autre Capitaine des Gardes , demandoit l'épée au Comte d'Auvergne : Tiens , prends-la, dit-il fans fe déconcerter , elle na jamais tué que des fangliers j fi tu mavois averti de ceci, il y a deux heures que je dormirois. En effet, il fe coucha tranquillement, & dormit. Le Maréchal, au contraire , paffa la nuit dans fon manteau, livré a la plus grande agitation; il fe promenoit a grands pas, frappoit du poing contre les mu¬ il E N R I IV. I601. 11 eft arre-, té.  He nri IV. 1601. Les pS- rents de Baron demandencfa grace. VU ie Biron, p, 49, 96 L' Intrig u e railles, apohVophoit les Gardes, le parloit a lui-même , fe reprochoitde n'avoir pas fuivi le confeil qu'on lui avoit donné de fe fauver; il prioit qu'on avertit fes Secretaires de brüler fes papiers, d'avouer une chofe, d'en taire une autre ; il s'interrompoit enfuite , fe rappellant qu'il étoit prifonnier, & qu'il n'y avoit plus la perfonne pour lui obéir. Infortuné! qui commencoit a fentir 1'abandon général, la plus terrible épreuve d'un prifonnier accoutumé a la foule, compagne de la grandeur. Le lendemain , le Maréchal & le Comte d'Auvergne furent transférés par eau de Fontainebleau a la Baltille. Le Roi donna le 18 des Lettres-patentes qui attribuoient le procés au Parlement. II fut inftruit par Achiles du Harlay, premier Préfident; Nicolas Potier, auffi Préfident, affiftés d'EtienneFleuri & Philibert Turin, Confeillers, nommés Rapporteurs. Avant toute aöion juridique, les parents & les alliés du Maréchal obtinrent («) Mis. de la Force, de Salnt-Blancard , Rouffi ,  D U C A B I N E T. 97 obtinrent permiffion de fe jetter aux pieds du Roi. Le Duc de la Force portoit la parole. II rappella lés fervices du prifonnier , ceux de fa familie , 1'ignominie que fon fupplice feroit rejaillir fur elle, & il employa tout ce que le fujet pouvoit fournir depathétiquepour fléchir la juftice du Monarque, & réveiller dans fon coeur les fentiments de fon ancienne bonté. Henri 1'écouta d'un air pénétré ; puis reprenant les points de fa harangue., il leur dit que ces fortes de punitions ne déshonoroient pas les families, & il le prouva par fon propre exemple: Car, dit-il, je ne me fais pas honte d'être defcendu des Armagnacs & du Comte de Saint-Paul qui ont péri fur l'èchafaud. Quant d la clémence dont vous voule{ que jufe d C égard du Sieur de Biron, ce ne feroit miféricorde, mais cruaute; s'il rüy alloit que de mon intérêt particulier lui pardonnerois com- Rouffi , de Chateauneuf, de Thémines, de Salignac , de Saint-Angel. Voy. note du nouveau Sully, tome 4, page 143, ürie d'un manufcrit de la Bibliotheque du Roi s Ti9. 2919. Tome 1. E Henri IV. 1602.  Henri iv. tÖoji Mathieu > f- 495- Les griefs contre lui. 98 L' Intrigue me je lui pardonnt de bon cceur; mais il y va de mon Etat, auquel je dois beaucoup , de mes enfants que j'ai mis au monde, qui pourroient me reprocher, & tout mon Royaume , fi je venois d défaillir, que j'ai laiffé un mal que je connoiffois. Je laifferai faire le cours de Juflice : vous verre^ le jugement qui en fera pörtè. J'apporterai ce que je pourrai d fon innocence. Je vous permets d'y faire ce qüe vous pourre^, jufqu'a ce qu'on connoiffe quil foit criminel de leJ'e-Majejlé; car alors le pere ne peut folliciter pour le fils , le fils pour le pere, la femme pour le mari , ni le frere pour lefrere. L'Hiftorien Mathieu remarque qu'entre les papiers produits par La Fin , on en choilit vingt-fept, non ceux qui concluoient le plus contre Biron, mais ceux qui ne parloient que de lui. En effet, entre les pieces qu'on trouve dans les différentes relations, aucune n'indique la complicité du Comte d'Auvergne & du Duc de Bouillon; toutes regardent excluiivement le Maré:hal. L'accufation contenoit quatre chefs principaux : 1 °. d'avoir eu intelligente avec 1'Archiduc, par Picoté, dont  du Cabine t. 99 il payoit les voyages : 20. d'être entré en traité avec le Duc de Savoie &c le Comte de Fuentes, foit direftement, foit par 1'entremife de La Fin : 30. de s'être entendu avec l'ennemi pour retarder la prife des places de la Breffe, &c faire recevoir des échecs k 1'armée royale: 40. d'avoir averti le Gouverneur du fort Sainte-Catherine, de pointer le canon fur un endroit ou il devoit mener le Roi,. & de lui dreffer une ambufcade d'Arquebufiers. On lui préfenta d'abord fes lettres & fes mémoires, qu'il reconnut. Comme ils étoient écrits k doublé fens, il leur donna celui qui étoit favorable k fa caufe ; &c ainfi il öta a cette preuve , pour le moment, toute fa force. Les Juges lui demanderent enliiite s'il avoit quelque reproche k produire contre La Fin. Loin d'en faire aucun, il répondit qu'il le regardoit comme un honnête homme. Auffi-töt on lui lut la dépofition de La Fin, qui expliquoit les mêmes pieces dans le fens le plus naturel, & tout contraire a celui que Biron avoit donné: le prifonnier s'emporta pour lors contre La Fin, dit que c'étoitun traïtre, E ij Henri IV. 1602. Inftruction ). On laifia palTer un jour entre la :ondamnation qui futprononcée le 20  du Cabine t. m Juillet, & Fexécution. Pendant cet intervalle , les parents obtinrent que le lieu de 1'exécution feroit changé, & qu'elle fe feroit a la Baftille, & no» a la Grêve. Quelques perfonnes crurent qu'il y eut dans ce changement plus de précaution que d'égards, & qu'on le fit, paree qu'on craignit quelques mouvements de Ia part de fes amis. Le Roi lui accorda aufli la grace de faire fon teftament, & de n'être point lié. Quellcs graces ! Qjielles graas ! s'écrioit le malheureux Biron, d'une voix étouffée par les fanglots: Q_uoi ! ne pouvoit-on me garder dans , les fers aux mains, pour fe fervir de moi dans un jour dümportance ? Monfeur, difoit-il au Chancelier, vous ave^ tam aimé mon pere ; encore pouve^-vous repréfenter au Roi ce que je dis. Jamais , non jamais je nai attente d fa perfonne. Quand on lui lut ces paroles de la fentence, pour avoir attente a la perfonne du Roi: II n'en e/l rien, s'écriat-il tranfporté de fureur, cela ef faux , ótei cela. II répéta encore fur 1'échafaud : A la vérité j'ai failli ; mais pour la perfonne du Roi, jamais, jamais. On appella a ce trifte fpecf acle quelques Henri iv.  h E N R : IV. IÓ02, < 1 < i ri2 L'Intrigue ' perfonnes choifies dans les différents corps, dans le Confeil, le Parlement, la Ville & les Marchands. Elles furent temoins des tranfports du Maréchal, de 1 efpece de délire qui égara fon eipnt; non, difoit-il, a caufe de la mort qu'il avoit mille fois affrontee dans les combats, mais k caufe de la honte du fupplice. Ah ! Que je voudrois bien, dit-il aux foldats quil vit fous les armes, en defcendant dans la Cour de la Baflille , que je voudrois bien que qutlquun de vous me donndt d'une arquebufade d travers du corps ! Ce fouhait n'étonnera pas quiconque fe peindra Biron, & entrera dans cette ame déchirée par une foule de réflexions accablantes. II étoit d'un tempérament tout de feu; un fang pétillant bouillonnoit dans fes veines. Naturellement impatient, jamais il n'avoit éprouvé d'adverfités. Duc , Pair, Maréchal de France, Biron fe' rait tout-a-coup déchu de fa granleur; il repaffe dans fon efprit fes viooires, fes exploits, fes triomphes , :ompare fon ancien éclat k l'état huniliant oii il fe trouve, a la mort igno-  DU C A B I N E T. lij minieufe qui 1'attend. II fe rappelle fes projets chimériques, leur funefèe ifUie, fes perfides amis qui Font précipité dans 1'abyme, & qui 1'abandonnent; qu'il ne lui falloit qu'un aveu, un mot pour fe fauver, & qu'il n'a pas voulu le prononcer. C'eft dans ce moment que fes Gardes confternés viennent baifer fa main,.& lui dire le dernier adieu. Les Miniflres d'une Religion trop négligée, lui préfentent des confolations que fon trouble Fempêche d'admettre dans fon cceur. II s'agite, ilfriffonne; puis, reprenant courage , il marche vers 1'échafaud du même pas dont il alloit au combat; il monte , regard e autour de lui d'un air inquiet; il cherche 1'épée du bourreau, qu'on cache a fes yeux ; un tremblementgénéral le faifit, il fe précipite a genoux, & fe bande lui-même les yeux; mais , au moment qu'on veut le toucher, pour lui couper les cheveux, il s'écrie d'une voix tonnante : Qu'on ne m'approche pas, je ne faurois l'endurer; fi je me mets en fougue, j'étranglerai 'la moitie de ce qui ejl icL Son ceil étincelant, fon gefte, fa menace , glacent d'èffroi les plus har- Hens. IV. I6C2,  H E NB IV. lC02. Les com plices on leur gra ce. Siri, 1.1, p. I0J. (d) II fe vit tel qui portoit une épée , qui regardoit fi la montée étoit prés de lui, pour fe fauver. \oy+ Cayet, pag. 240. 114 L*Intrigue , dis (a) : enfin, il fe remet k genoux; &, plus prompt que le regard, le Bourreau lui abat la tête d'un feul coup. Ainfi périt Biron , vidtime de fon opiniatreté , de fon orgueil & de fa crédulité : il le reconnut trop tard , lorfqu'en parlant de fes complices, il les nommoit, non complices de fait, mais vrais fauteurs & infligateurs ; &C lorfqu'il difoit, quil y en avoit de plus méchants que lui, mais qu'il étoit le plus malheur eux, On ignore le degré de complicité du Comte d'Auvergne & du Duc de Bouillon avec le Maréchal. Si on en croit Siri, ces deux Seigneurs ne furent pas les feuls engagés dans cette affaire. Le Roi feul en fut le fecret, par des converfations qu'il eut avec le Baron de Luz, & par les aveuxd'Hébert après !a mort de fon maitre. Le premier s'étoit retiré en Bourgogne, dans les places voifines de celle d'Ef-  DU Cabinet. iij pagne. Le Préfident Jannin alla 1'y trouver , & le détermina a venir parler au Roi, qui fut content de fa franchife, & le renvoya fatisfait de fes bontés. Hébert avoit été condamné a une prifon perpétuelle ; il mérita fa liberté par un récit exact de toute Pintrigue : on lui accorda de fe retirer en Flandres; mais de la il paffa auprès du Comte de Fuentes. Henri fit grace au Comte d'Auvergne , a condition qu'il n'entretiendroit plus aucun com-merce avec les Efpagnols. Pour le Duc de Bouillon , quelque fauve-garde qu'on lui propofat, il ne voulut pas venir k la Cour; il fe fauva en Allemagne, ou il refta long-temps errant. CetacFe de fermeté étonna les grands Seigneurs .* jufqu'alors ils s'étoient crus k 1'abri de pareilles exécutions. Rendus , par les préjugés de la Ligue , peu délicats fur les regies aufieres de la fidélité, ils s'imaginoient qu'il leur étoit permis de former des confédérations entre Francois, & d'entretenir des correfpondances avec les étrangers , ennemis de 1'Etat, ou autres , pourvu qu'ils ne fe portaffent pas juf- Henrï iv. 1601. Ce qu'or» penfe de cette affaire.Obfervata de Baffomp. fur Dupleïx , p. 110. Siri, t. I „ p. 163.  h E n r ] iv. l602i - La Cour d' Efpagne p:uoit n'y prendre pas de part. Canaye , f. I, p, 34°. 116 L'Intrigue quk des hoftilités. Ces principes anarchiques ne s'effacerent pas fitöt en France , puifque Baffompierre, qui écrivoit plus de trente are après , dit, par forme d'improbation de la conduite d'Henri IV dans cette affaire: On fit beaucoup de bruit de cette conjuration , dans laquelle il ny eut pas un homme furpied , pas une bicoqueprife , pas une dèclaration fiaite. Elifabeth , au contraire , infïruite des droits rigoureux de la royauté, & jaloufe de leur intégrité, ne fut pas plutöt la détention de Biron, qu'elle exhorta Henri a ne pas laiffer fon crime impuni. Les ficeptres , lui mandoit-elle, /'ont des tifons enflammés, qui doiv-ent briiler les mains de ceux qui veulent les toucher. Cette PrincefTe étoit fort piquée de la paix de Vervins, qui s'étoit faite fans fon aveu , & qui 1'avoit jettée dans quelque embarras. Elle faifit donc avec ardeur 1'occafion de 1'affaire de Biron, dont le Confeil d'Efpagne paroiffoit le principal moteur, pour repréfenter au Roi, que vainement il efpéroit quelque tranquillité de la part des Efpagnols; qu'ils lui tendroient  D U C A B I K E T. %jm toujours des pieges; qu'ainfi Je parti le plus prudent étoit de recommencer une guerre ouverte avec eux. Henri, dans fon chagrin , prêtoit 1'oreille a ces propofitions : mais le Pape qui ■defiroit fincérement d'entretenir la paix entre les deux Couronnes, imaginoit toutes fortes de moyens pour J'appaifer. On lui fit efpérer que la Cour d'Efpagne facrifieroit le Comte de Fuentes , & que, pour le moins , il feroit raopellé d'ltalie, comme le Roi le demandoit d'abord : mais Je temps calma fon reifentiment. On fit ce qui fe pratique entre ennemis qm veulent garder les apparences d'amitié. Le Roi d'Efpagne défavoua fes Miniitres; il félicita le Roi de France d'avoir échappé k ce danger. Celui-ci recut le compliment d'auffi bon cceur qu'il étoit fait. Malgré la paix, on faifoit toujours pafler des fecours aux Hollandois révoltés contre 1'Efpagne. Henri continua cette manoeuvre; & les Efpagnols continueren! auffi, felon 1'expreffion de Canaye , d'arrofer nos mauvaifes meines qui nêtoient pas encore mortes. Le Comte de Fuentes , confierné ] < i Henri IV. 1602, >épit du ^omte de 'uenr.es.  Henri iv. 1602. Canaye, t. lp- 351. Sr 556. 11 fe mêle d'une intrigue du Prince de Joinville. Bajfomp, £.l,p. 83. Sully, t. = . p- 55 , AmouTs d'Henri IV, p. 305. Siri, t. 2, 122. 118 L'Intrigue de la cataftrophe, donna d'abord tous les fignes d'un violent défefpoir ( Page 129 j & öans beaucoup d'autres endroits , les chagrins cuifants que cette méfintelligence caufoit a Henri IV. Si la Reine cherchoit a décrier les mceurs de la maïtreffe , celle-ci n epargnoit pas'la Reine fur cet article. Dans le Livre des Amours, a la luite d'autres récriminations de la Marquife contre Marie de Médicis, on lit ces paroles: // riy a que les pillules de fon Pays dont elle ne fe fervit pas ; on dit même qu'elle ufa de repréfailles , & qu'elle fe confola d'une partie de fes chagrins avec le Marquis d'Ancre. Voy, Amours d'Henri IV, pag. 316. HO L' I N T H I G U E fortune a Madame de Villars, tante de fa maïtreffe. Celle-ci s'étoit crue quelque-temps aimée du Monarque; mais piquée de s'être trompée , elle s'attacha a la Reine, & de concert avec cette Princeffe, elle trahit la confiance du jeune homme , &c fit tomber les lettres entre les mains du Roi. (a). L'embarras des amants eft aifé a deviner : mais Henriette eut bientöt pris fon parti; elle nia que ces lettres fuffent d'elles; les ferments, les  du Cabine t. 121 les Iarmes furent employés pour perfuader que c'étoit 1'ouvrage de la jaIoufie de la Reine & de fa tante. On produifit un homme qui, apparem» ment affuré de fa grace, affirma que c'étoit lui qui, fur les inftances de Madame de Villars , avoit contrefait le caraöere de la Marquife. Sans plus grands éclairciffements , en amant qui ne cherche plus qu'un prétexte pour n'être plus en colere, le Roi fe contenta de cette rufe groffiere : mais il fallut que les amoureux cefTaffent de fe voir & de s'écrire. Cette gêne caufa un grand dépit au jeune Prince de Joinville : il 1'exprima par des paroles & des aöions dignes de fon age. Les Miniftres Efpagnols , k 1'affüt de toutes les occafions qui pouvoient favorifer leurs vues, 1'exciterent k la vengeance , & lui en préfenterent les moyens. II recut avidement leurs propofitions, & figna un traité, dont les articles, dief és par la paflion, n'étoient qu'un affemblage de projets fans liaifon & fans ordre. Henri en fut inltruit; il fit fuivre un nommé Tangé , agent du Duc de Savoie & du Comte de Tome 1, F Henri iv. .1602.  122 Lf I N T R I G U E Henri IV. lóoj. 1603. Etat florilTant du Fuentes, qu'on arrêta Fur Fa frontiere. II fe trouva chargé du traité, qui tomba ainfi entre les mains du Roi. Sans donner k cette affaire plus d'éclat qu'elle ne méritoit, Henri appelle le jeune homme dans fon cabinet, Sc lui fait tout avouer en préfence du Duc de Sully , de fa mere , & du Duc de Guife fon frere. Voici, leur dit— il enfuite , le vrai enfant prodigue, qui s'eft imagine' de belles folies; mais comme pleines Senfance & niveletés, je lui pardonne pour ïamour de vous & de M. de Rhony, qui mi en aprii d jointes mains : mais cefl d condition que vous le chapitrere^ bien tous trois , & que vous men rêpondre^ d l'avenir; car je vous le baille en garde, afin de le faire fage, s ily a moyen. Ses parents le firent voyager en Allemagne, oü il fut, dit Canaye, bien traité par Bacchus , enfuite bien careffé par Vernis k Venife, d'oii il alla tenter les faveurs de Mars en Hongrie, toujours néanmoins foupirant après la France, dont il ne fe voyöit éloigné qu'a regret. Le Royaume fi long-temps dévafté, commencoit k fleurir par les foins pr.-  DU C A B I N E T. T13 ïernels d'Henri-le-Grand. Aucun des moyens d'y répandre 1'abondance ne lui échappoit. II entendoit le commerce comme un Monarque doitl'entendre, c'elt-a-dire, pour le protéger. Enfermé dans fon cabinet avec Sully, il examinoit les mémoires dont les hommes a projets ne laiflent jamais manquer les Miniftres; il pefoit les difficultés, calculoit les avantages, & aidoit de fon crédit & de fes tréfors les entreprifes qui promettoient ^quelque utilité : ainfi on commenca a ouvrir des canaux navigables, a batir des ponts, a élever les chauffées; les étangs fe combierent, les forêts s'éclaircirent, les grands chemins s'alignerent; & ceux des péages qui gênoient la circulation , & qu'on ne putpasabolir tout-a-fait, du moins on les reflreignit (a). (a) Dans les années 1603 & 1604, le Rot batit beaucoup a Saint-Germain, Fontainebleau & Monceaux; commenga le canal de Briare , finit le'Pont-neuf, éleva les galerie* du Louvre, dont il deftina le bas aux Artiltes, protégea des manufaétures de foie, de cuir doré , des toiles de fil d'ortie , de crêpes de F ij Henri IV. 1603. Royaume. Mcrcun, f. i, p. 109» C> ƒ«:>.  Kr. k m IV. 1603. Navigatiom. Bologne, favorifa les plantations de muriers , contribua a la fondation des Feuillantines, Carmélites, Capucines , & Freres de la Charité. Entre les projets utiles, fimplement propofés, on trouve le plan d'un cana!, pour la jonftion des deux mers. Voy. le Mercure pour ces deux années. 124 L'Intrigue La navigation trop long-temps négligée reprit faveur. Dès le quinzieme fiecle, les Francois avoient formé fur des cötes éloignées des établilTementsdont leurs guerres civiles entrainerent la chute. Rendus par la paix a leur goüt pour les voyages, ils retournerent dans le Canada qu'ils avoient découvert plus de cent ans auparavant, & en ramenerent cette année plufieurs habitants , qui avoient confenti de fe lailTer tranfporter en France. L'habillement de ces Sauvages, leur figure, leurs mceurs, furent un fpeöacle pour la Cour &c pour la Ville. Le Roi les recut avec bonté; & comme on vouloit fe fervir d'eux auprès de leurs compatriotes, pour établir un commerce dans ces contrées , ils furent renvoyés comblés de préfents.  DU C A B I K E T. Ï15 Henri-le-Grand aimoit les bati-" ments, les jardins, & tous les arts qui font une fuite de ce goüt, tels que le deffin , 1'architeFmre , la pein-, ture & la fculpture. L'eftime qu'il faifoit de 1'agriculture , nous efl connue par un fait dont Siri nous a confervé la mémoire. Quand le Connétable de Callille vint en France cette même année, Henri lui fit goüter du vin de fes vignes. II lui dit: Tai une vigne , des vaches & autre chofe qui me font propres, 6" je fais fi bien le ménage de la campagne , que, comme homme particulier, je pourrois encore vivre commodément. Avec ce fentiment il étoit impofFible qu'il n'eüt pas une attention de préférence pour les cultivateurs, cette partie la plus précieufe de FEtat (a). II protégea aufFi les manufacFures d'étoffes de foie , d'or & d'argent, la plantation des müriers , 1'établiffement des Gobelins , des verreries, (ar défendre les holfilités, & fe tranf)orta fur les lieux pour juger le dif«rend. A la vérité, il défavoua les >oboles; mais il ne donna pas au Gou'erneur toute la fatisfaéHon qu'il denandoit, & le fier Epernon en conerva un vif reffentiment au fond du ceur. Henri perdit cette année Elifabeth, leined'Angleterre, fa fidclle alliée,  DU C A B I N E T. 129 elle avoit 72 ans. On prétend qu'a, cet age elle aima un Irlandois jeune & bien fait, nommé Clarincard, & qu'elle auroit defiré qu'il Foccupat affez pour faire diverfion au chagnn, que lui caufoit le fouvenir toujours préfent du Comte d'Effex. En effet, les fymptömes qui précéderent ïmmédiatement fa mort, marquent autant les derniers élans d'une paffion expirante, que 1'affaiffement d'une perfonne qui finit. Elle étoit trifte 6c taciturne , parloit fouvent du Comte d'Effex, & n'en parloit qu'avec latmes; mais auffi elle s'applaudiffoit de Favoir puni, en regrettant améremenl de ce qu'il s'étoit mis dans le cas de le mériter. On remarqua qu'elle devint aigre & colere dans fon domeltique : elle foupiroit profondément, reftoit les journées & les mut: entieres affife fur des couffins, ne vou loit rien voir, rien entendre, riei décider pour le préfent, rien difpc fer pour 1'avenir; fouvent il fortoit d fond de fa poitrine des fons inarticv lés , qui fembloient s'échapper mal gré elle, entre lefquels on diftinguo avec peine ces mots ; Je fuis lap , r F v Ieshi IV. 1603. L'Etoik , Siri , f. I , ,. 163. Humt. 1 .1 it ft  Hekr: IV. ifcfj. h »T° i/lNTRTGUE " v iet ma tendreffe , & cette tendreffe » m'a toujours porté a chercher les  du Cabinet. 159 » moyens de la retirer du défbrdre. » Survenoit-il quelque indifpofition, » foit au Roi, foit a elle ? arrivoit» il quelque brouillerie entr'eux? je » 1'exhortois k profiter de 1'occafion » pour rompre le commerce qui la » déshonoroit. J'ai voulu la marier; » j'ai voulu 1'envoyer en Hollande » auprès de la Princeffe d'Orange no» tre parente; j'ai voulu 1'établir en » Angléterre; je me fuis réduit k con» feiller quelques voyages de dévo» tion, quelques pélerinages, perfu?» dé que Fabfence détruiroit infenfi» blement 1'habitude : mais le Roi s'y » eft toujours oppofé. Enfin, il eft » tombémalade. Ma fille, a qui la Rei» ne marquoit beaucoup d'averfion, » s'eft crue perdue; elle s'eft imagince » que fi le Roi venoit k mourir, le » moins qui put lui arriver, étoit » d'être renfermée le refte de fes » jours. Ses inquiétudes, fes allarmes, » fes agitations, fes craintes étoient » extrêmes. Je ne trouvai d'autre » moyen pour la calmer , que de lui » ménager une retraite hors de Fran» ce: j'en parlai k 1'AmbafFadeur d'Ef» pagne, qui me promit, de la p?rt Henri IV. ' 1604.  iv. 1604. 1 ; t i c t, d h C( d< di róo L* I n t r r g u e » de fon maitre , qu'en cas d'événe» ment, mafillè feroit recuedans Cam» bray. La convalefcence du Roi a ren» du cet arrangement inutile: il Pa » hi, il ne men a pas fait de repro» ches, & jamais fans doute il n'en » auroit parlé, fans un autre événe» ment qui n'eft pas moins affligeant » pour un pere ". D'Entragues paria enfuite de Ia pafïion du Roi poür fa ftlle cadette, des excès auxquels if s etoit laiffé emporter depuis quelques mois, de fes traveniffements, de fes jourfes de nuit & de jour, & fur-tout le fes lettres quon pouvoit encore róir entre les mains de fa fille : Mai* ■ appercevant, ajouta Ie Comte, qu'il vpeut tromp er ma vigilance ,, & fefiat*nt qu il réuffira mieux auprès cfelle , uand il Vaura privé de mes confeits, il kerche d fe défaire de moi par l'impuitwn de faux crimes, ne pouvant s\n '■barraffer autrement. Quelques queftions que fiffent les [ges au Comte d'Entragnes fur Jes= >rrefpondances dans le Royaume & hors, fur leur but, fur fes deffeins rüculiers contre Ia perfonne même ; Roi, ils n'en purent rien tirer.  du Cabine t. 161 Ils n'en obtinrent pas davantage de la Marquife de Verneuil : a toutes leurs interrogations , elle répondit qu'elle ne fe fouvenoit pas , qu'elle ne favoit rien , que le Roi étoit inftruit; & quand ils vouloient la preffer, elle leur faifoit entendre, par des réticences myftérieufes, qu'il y avoit entre le Monarque & elle des fecrets qu'il ne leur convenoit pas d'approfondir. Au commencement de la procédure , Henri fe inontra difpofé a ne rien relacher de la févérité des loix: mais cette réfolution coütoit a fon coeur; & dans un moment d'atteadrifTement, il ne put s'empêcher de faire connoitre a 1'époufe du Comte d'Auvergne, que ni fon mari, ni le Comte d'Entragues , n'avoient rien a craindre pour leur vie. Cependant il laifTa un libre cours a la Juflice,. & on en vint a la confrontation. Inflruits apparemment par 1'exemple de Biron , qui n'avoit laifle va-' lider les accufations intentées contre lui, qu'en ne récufant pas a temps les témoins & les complices qu'on lui oppofa, le Comte d'Entragues, la Mar- Henri iv. Confron» és.  Henri IV. léoj. » 1 i ] < i c i C 1 r g r n u u 162 L'Intrigue quife de Verneuil & le Comte d'Auvergne donnerent Pup contre 1'autre des récufations auffi adroites que les plus habiles criminaliiïes auroient pu les imaginer. » Vous me déteftez, di» foit d'Auvergne k d'Entragues, par» ce que j'ai blamé les défordres de » ma fceur, & votre connivence in» digne d'un pere. Quant k ma fceur , * °n fait qu'elle a dit publiquement > qu'elle ne fouhaitoit que grace pour > vous , jufiice pour elle , & un èchatfaudpour moi ". Loin denier qu'il ;üt une violente averfion pour Vaois, le Comte d'Entragues s'en différence , redoubla de froideur. Le Miniftre fe facha a fon tour d'être comme difgracié fans fnjet, & prit la réfolution de ne faire aucune dér marche pour finir cette brouillerie, déterminé a tout événement. 11 n'auroit pas été avantageux a Sully, il auroit bien réjoui fes ennemis, ft le Roi, dont le caraclere franc &  du Cabine t. 171 Ie bon cceur fouffroient de cette diffimulation , n'eut pris le parti de rompre enfïn la glacé, 6c de s'expliquer. 11 partoit pour la chafTe, agité par les doutes que toutes ces infinuations éleyoient dans fon efprit. Sully, qui étoit vertil lui faire la cour , le quittoit : Ou alle^-vous, lui dit le Roi, qui ne cherchoit qu'a entamer la converfation? A Paris, Sire, lui répondit-il, pour les affaires dont Votre Majeflé me paria il y a deux jours. Ek bien, allei, lui dit-il; c'eft bien fait, je vous recommande toujours mes affaires , & que vous m'aimie^ bien : enfuite il l'embraffa 6c le laiffa aller. Mais è peine Sully avoit fait quelques pas, qu'Henri le rappelle. N'ave{-vous rien d me dire, lui demande-t-il ? Non,pour le prefent , répond Sully. Auffi ai-je bien moi d vous, ajoute le Roi : en même-temps il le prend paria main, & le mene, h la me de toute fa Cour, dans une allée du jardin. Dés le premier moment de la converfation , il ne fut plus queflion ni de foupcons, ni de réferves. Le Monarque nomma au Miniftre ceux qui avoient travaillé contre lui, 6c lui déHij Htsm iv. 1605,  He n r ] IV. 1605. Nouvtati Sully, t. b, p. 2.40, 172 L'Intrigue couvrit les manoeuvres qu'ils avoient employees. II lui montra les mémoires par lefquels on s'étoit efforcé de le 'furprendre , & en lut les endroits les plus frappants, moins pour entendre la juftifïca'tion de Sully, que pour fe juftifier lui-même d'y avoir donné quelque créance, vu la maniere adroite dont la calomnie étoit 'tournée : enfin, le Roi entremêla cette converfition de tant de regrèts de s'être laiffé préVenir, de tant de promeffes d'une confiance & d'une amitié inaltérables, que le Duc, emporté par fa reconhoiffance , vöulut fe jetter a fes pieds pour le remercier. Plus prompt que Sully , Henri le prend dans fes bras : Ne le fakes pas, dit-il, ceux qui nous regardent croiront que vous me demande^ Pag- 330» 174 L'Intrigwe Ces attaques fourdes de 1'envie, de Ia malice & de la fauffeté, qui fembloient vouloir fe difputer le cceur franc & loyal d'Henri IV, lui faifoient quelquefois regretter les temps oü il n'avoit a combattre que des ennemis découverts : mais, lui difoit Sully ? 'l faut que les grands Rois fe réfolvent 2 être marteaux ou enclumes , partant 'amais ne doivent-ils faire état d'un bien trofvnd repos. Cette remontrance devenoit fur:out néceffaire en certains moments le découragement, dans lefquels le  - DU C A B I N E T. 175 Miniftre voyoit le Monarque difpofé plutöt a fouffrir 1'indépendance de quelques mécontents , qu'a fe donner la peine de les foumettre. Alors Sully faifoit, pour ainfi direhonte a fon maitre de foninactiön, pendant, lui difoit-il, que vous avez tant de raifons de punir les auteurs de vos chagrins , & tant de moyens d'y réuffir : une forte armée prête a marcher, fept millions d'or dans la Baftille pour la payer, les arfenaux, les magafins pleins d'habits, de harnois, de poudre , de boulets , de provifions de toute efpece , deux cents pieces de canon; tous ingrédients & drogues, difoit-il, propres a médeciner les plus facheufes maladres de FEtat, pour donner terreur k antrui, affurance & contentement k vous-même. A la fin, Henri réfolut d'eflayer de ce remede contre les mal - intentionnés , & de commencer par le Duc de Bouillon. On a vu qu'après la mort de Biron , il s'étoit réfugié en Allemagne; il parcouroit les Cours des Souverains qui compofent le Corps Germanique,& y faifoit le perfonnage d'un homme perfécuté, tant k caufe de fa Religion, H iv Hen » 1 IV. 1606,  HjE NR I IV. Ï6e6. 1 < ] -7 u Cabine t, 183 la religion n'ordonne pas de ne point" avoir de défauts, mais de ne pas s'en laiffer dominer ; & cefl d quoije me fuis étudié, ne pouvant faire mieux. Vous favei, ajoute-t-il en continuant d'adreffer la parole a fon confident, que, touchant mes maitre fes , qui font la paf~ (ion que tout le monde a cm la plus puiffante Jur moi , je Ls ai rabaiffe'es dans l'occcafion, & que je vous ai kautement préféré d elles. Je le ferai toujours, conclut-il avec une efpece de tranfport, & je quitterai plutót maürefjes , amour , chaffe , bdtiments , fejtins, plaifirs , que de perdre la moindre occafion d'acquérir honneur & gloire, dont la principale, après mon devoir envers Dieu, ma femme, mts enfants, mes fideles ferviteurs & mes peuples que faime comme mes enfants , efl de me faire tenir pour Prince loyal de foi & de parole, & faire aclion fur la fin de mes jours, qui les couronne de gloire & £honneur. Voila Henri IV peint par Iui-même avec cette noble franchife qui faifoit le fond de fon caraftere , & cette inépuifable tendreffe pour fes peuples, qui doit nous rendre fa mcmoire fi 3 E N II I iv. 1637! 1608,  Henk; iv. 1607. 1608, 1609. Sa paffion pour la Princcffe de Condé, Mém. ree. Bajfomp. t. a, p. 115. Mere. t. i. Bentivogl. t. i. 184 L' Intrigue " chere & fi refpeclable. II parloit felon fes defirs, lorfqu'il fe promettoit déformais un empire abfo'u fur fes pafiions ; mais il étoit defiiné a donner encore a 1'univers le fpeftacle d'une foibleffe qui eut des fuites plus funefies que les autres. L'écueil de fes bons deffeins fut Henriette-Charlotte de Montmorency, fille du Connétable, jeune beauté dont les Ecrivains du temps vantent les charmes avec une efpece d'enthoufiafme. Elle fut préfentée a la Cour par la Princeife de Montpenfier fa tante , qui la prit fous fa conduite. Dés ce premier moment, elle fixa 1'attention des jeunesSeigneursqui pouvoient afpirer a fa main, & on s'appergut auffi que fes appas naiffants n'échappoient pas a 1'céil curieux du Roi. Entre ceux qui briguoient 1'alliance du Connétable,Baffompierre, jeune homme recommandable par 1'efprit & la figure, d'une naiffance & d'un mérite a pofféder les premières charges de la Couronne , ohtint du pere la préférence. II travailla a plaire a la jeune Montmorency; & ce fut a 1'occafion de fes progrès auprès d'elle, que le  DU C A B I N E T. l8j Roi laifia échapper le fecret de fa paffion (a). La crainte de laifTer tomber 1'objet de fa tendreffe fous la puiffance d'un mari clairvoyant, lui fit éloigner Baffompierre, &c propofer Ie Prince de Condé. Ce mariage étoit avantageux a Ia jeune Montmorency;. Condé n'avoit que vingt-deux ans; il étoit premier Prince du Sang, par conféquent héritier préfomptif de ia Couronne, fï les enfants du Roi, tous deux en bas age, venoient a manquer. Son édu- (a) Le Roi' Ie tira un jour a part, & lui dit : Baffompierre , je te veux parler en amiï je fuis devenu. non-fetdernent amoureux, mais fou & outrc de Mademoifelle de Montmorency ; fi tu l'époufes & qu'elle t'aime , je te haïrai ■ fi elle m'aimoit, tu me haïrois ; il vaut mieux que cela ne foit point caufe de notre mé/intelligence. IMompierre, a qui ce mariage étoit uès-avantageuX> ne paroiflbit pas allarme des pouriuites que le Monarque lui faifoit appercevoir : mais le Roi le preffa ft fort, lui promit tant de le dédommager, que Baffompierre fe défifta. Henri foulagé 1 embraffa tendrement, & pleura de fatisfaction ; tant les paffions rendent petits les plus grands hommes ! Voy. Mém, de Baffompierre, t. I, pag. ji7. Henri IV. 16094  Hekri IV. 160.9. Le mar emmene fa femmi hors du Royaurue. 186 L' Intrigue cation fut très-foignée ; il parloit Latin , Italien , Efpagnol, & étoit plus inffruit de la littérature, & plus verfé dans les hautes fciences, que les Princes n'ont coutume de 1'être. Bentivoglio, Nonce a Bruxelles, qui 1'avoit connu & cultivé, rapporte qu'il avoit les traits du vifage faillants, qu'il étoit petit & maigre, trop blond , vif, ditil, comme font les Frangois, plein d'efprit, donnant facilement fa confiance , parlant agréablement & beaucoup, &c par-la facile a pénétrer. Les attentions galantes du Roi étoient fi remarquables , que le Prince héfita a s'engager, & fit dire a Henri , par le Préfident de Thou fon tuteur, qu'il ne fe fentoit pas de goüt pour ce mariage. Le Roi , qui fentit le motif de fa répugnance , le fit venir , & lui dit en préfence du Duc de Bouillon : Vouspouve^ Cépoufer fans aucun foupgon fur mon compte. Sur cette parole, Condé conclut & fe maria. Après les fêtes des noces, qui furent brillantes & pompeufes, les préfents de toutes efpeces abonderent dans la maifon de Condé; de forte que tant de générofité devint fufpecle a. 1'époux.  DU C A B I N E T. 187 II commenca par éloigner fans affectation fa femme de la Cour. Le Roi s'appergut de la précaution; il en marqua quelque peine , mais fans faire plus mauvais vifage au mari: il tacha au contraire de le gagner par de nouveaux bienfaits. Cette rufe tourna contre lui-même. Les confidents du Prince, qu'apparemment le Monarque n'avoit pas eu foin de gagner, empoifonnerent ces dons, & 'firent voir k Condé, dans les libéralités du Roi, un deffein de feduftion , a laquelle fa jeune époufe ne réfifteroit peut-être pas toujours. Henri lui-même donna Keu a ces imputations, par les imprudences qui lui échapperent. Non content de montrer trop de cbagrin de fon abfence de la Cour, il fe traveftitplufieursfois, & entreprit des courfes noclurnes, pour fe procurer le plaifir de refter feulement quelques moments avec elle (a). Ces indifcrétions (a) Pendant qu'elle êtoft a ChantilV, h* ie fit annoncer comme un Seigneur Flamand: 1'HuiiTier le reconnut , & Iuirefufa la porte. II s'en retourna tout de nuit, efcorté feulement de la Varenne&Beringh.en ; leur train,, Henri IV. 1607»  Henri IV. 1609. tant médiocre qu'il étoit, réveilloit chiens & gens dans les villages , & on les pourfuivit comme des malfaiteurs. Voy. Mém. Ree. tome II, page 87. Pendant que la jeune Charlotte étoit au chateau de Verteuil fur la frontiere de Picardie , furveillée par fa belle-mere , le Roi gagna la Dame de Trigny , qui avoit un chateau dans levoifinage , & elle engagea les Princeffes a accepter une fête chez elle. Le Roi s'y rendit, comptant trouver quelque occafion de plaite & de parler : mais fon indifcrétion le trahit; la Douairière le furprit, & , très-courroucée, elle fit repartir fur le champ fa belle-nlle. Elle promit pour lors de n'en rien dire a fon fils : mais dès le foir même, elle lui compta tout; & ce fut cette aventure qui lui fit prendie la réfolution d'emmener fa femme en Flandres. Voy. Lenet, tome I, page 175. 188 L' I N T R I G U E confirmerent le Prince dans la réfolution de ne plus mener fa femme a la Cour, & même de I'éloigner des endroits que le Roi fréquentoit. Alors, non-feulement les préfents cefferent, mais encore on öta au Prince , des revenus, dont le retranchement ne fit que 1'aigrir davantage : il fe permit des plaintes & des murmures. Le Roi y répondit par des menaces. Le Duc de Sully fut chargé d'aller fignifier k  DU C A B I N E T. 189 Condé Fordre de faire ceffer les propos malins & calomnieux qu'occafionnoient les craintes jaloufes qu'il marquoit , de les faire ceffer en ramenant fa femme a la Cour, ou il trouveroit toute forte de füreté. Sully , le moins propre des hommes a adoucir ce qu'un pareil commandement avoit d'amer, intimida fi fort le Prince, en lui montrant le danger de pouffer a bout la colere du Roa , & en mettant dans fes difcours des menaces indireöes d'exil ou de prifon, qu'au-lieu de plier, Condé a-éfolut de fe fauver & d'emmener fa femme avec lui. II avoit prisd'avance •la précautiön de fe retirer dans fon •chateau de Verteuil fur la frontiere de Picardie : il en partit le 2.9 Novem:bre , deux heures avant le jour; la f rinceffe & une de fes Demoifelles •étoient en croupe chacune derrière un domeftique : deuxGentilshommes faifoient toute I'efcorte (a). Ils forcerent la marche, & le même jour , de bonne heure, ils arriverent a Landre- (a) Mrs. Rochefort ,'Tourai, & Mlle.de Certonne. Henri IV. l6«9.  Henri IV. 1609. Etat de h Cour de Bruxelles. BtntivogU t. i. 190 L'Intrigue cies, première place des Efpagnols dans les Pays-Bas. Ces Provinces étoient alors gouvernées par 1'Archiduc Aibert, qui avoit époufé Plnfante Claire-Eugénie fa coufine. Ces deux époux, auffi unis par leurs vertus que par les liens du mariage &c du fang, retracoient dans leur Cour la gravité des mceurs antiques. Les affemblées qui étoient très-fréquentes, les bals même & les plaifirs, qui ont coutume d'être accompagnés de tumulte, fe reffentoient du goüt des maitres pour la regie & la bienféance. On y connoiffoit la galanterie, mais fans pétulance; la gaieté du fexe s'y déployoit fans contrainte , paree qu'elle n'avoit a craindre ni entreprifes allarmantes, ni interprétations malignes. Tout enfin s'y paffoit dans Pordre : les hommes s'occupoient des affaires ; les femmes, a 1'exmple de l'Archiducheffe, travailloient de 1'aiguille, & régloient leurs maifons. Albert &c fon époufe mettoient leur bonheur k faire celui des peuples confiés k leurs foins, & k entretenir autour d'eux la paix , fource de tous les biens: auffi ne craignoientils rien tant que de la voir troublée  du Cabinet. 191 par les inquiétüdes que la guerre entraïne; & c'eft par-la qu'Henri IV fe flatta de les contraindre a rendre Ia Princeffe de Condé, quand il fut qu'elle étoit dans leurs Etats. Sully raconte affez plaifamment la maniere dont cette nouvelle fut recue a la Cour; il repréfente le Roi quittant affez brufquement le jeu, fe promenant a grands pas, frappant du pied, laiffant échapper des exclamations de dépit, pendant que les Courtifans, affeöant un air de trifteffe, détournoient la tête pour fourire, & que , dans 1'appartement de la Reine, on laiffoit ouvertement éclater la joie que caufoit cet événement j mais le plus curieux de la fcene fe paffa au Confeil que le Roi fit affembler, quoique la nuk fut déja avancée. Villeroy, premier opinant, conclut a députer au Prince de Condé quelque perfonne grave qui lui fit fentir 1'inconvénient de fa démarche , & qui 1'engageat par honneur k revenir avec fa femme. Cet avis annongoit des lenteurs & de 1'incertitude ; il né fut pas adopté. Le vótre, dit le Roi, en fe tournant vers Sully. Cette affaire, répondit-il, ejltrop Henri iv. 1609. Chagria lu Roi. Sully , /. 1,1. 3, ch. ',1.P- 341.  Henri IV. 1609. 191 L' Intrigue importante pour opiner fur le champ; en vient de me tirer du Ut, & mes conceptions ne font pas encore bien êveillées. Dites toujours, reprit le Roi, que faut' il faire ? Sully rêva un moment, 8c dit: Rien. Comment rien! Rien, Sire; & quand les Efpagnols verront que vous ne vous foucie^ ni du Prince, ni de fa femme, ils les abandonneront d'eux-mêmes. Henri refte penfif un inftant, fecoue la tête , 8c fe tourne vers Jeannin. Celui-ci ayant eu le temps de connoitre ce qui convenoit au Roi, confeille d'envoyer après les fugitifs, de les ramener de gré ou de force, de les demander a 1'Archiduc s'ils font déja fur fes terres, 8c, en cas de refus, de lui déclarer la guerre. Cet avis, conforme a la vivacité d'Henri, prévalut, 8c il fut décidé que Praflin, Capitaine des Gardes., partiroit fur le champ, 8c iroit fignifier a 1'Archiduc 1'intention du Roi; 8c le Confeil finit. Sully, enfortant, lui dit d'un air entre férieux & badin : Je favois bien, Sire, que, ne m'ayant pas donné le loifiir <£y penfer,je ne dirois rien qui vaille ; mais dans deux jours je vous aurois donné un bon confeil. Praflin  DU C A B I N E T. 193 Praflin partit muni d'ordres aux Gouverneurs des places & aux Commandants des troupes , de lui prêter m.ain-forte. II auroit pu , dit-on, enlever le Prince, paree que 1'Archiduc, dans 1'intention de garder des ménagements avec le Roi, pria Condé de chercher un afyle ailleurs: il fut obligé de repaffer le long de la frontiere de France , ou il y avoit beaucoup de troupes, pour gagner 1'Allemagne; & on ibupconna Praflin de n'avoir pas voulu ufer de tout fon pouvoir dans une caufe odieufe. Quant a la Princeffe, elle étoit en fureté. Condé, pour ne point expofer fes hötes, avoit réfolu de 1'emmener avec lui mais 1'Archiducheffe jugeant qu'elle pécheroit contre la bienféance, en fouffrant qu'une jeune perfonne s"expofat aux rifques d'une pareille courfe , promit au mari de la garder , & la retira a Bruxelles. Henri n'ayant pas réuffi dans cette première tentative , réfolut d'employer rufe & force, s'il le falloit, pour faire revenir la Princeffe en France; & il ne fe trouva que trop d'ames baffes, de vils adulateius qui fervirent fa paffion, & Tome. I. 1 Henri iv.  Henri IV. 1609. Difpofitions de Ia Princeffe de Condé. Mem. Ree. t- 2 , p. 115. Benüvogl. t. u 194 L'Intrigue qui raugmenterent peut-être par les confeils & les efpérances qu'ils lui donnerent. II parut que, dans le commencement, la jeune Princeffe fut moins flattée de 1'amour du Roi , que des agréments qui en étoient une fuite, tels que des préfents fans nombre, tous plus précieux les uns que les autres , des fêtes dont elle étoit 1'héroïne , des préférences diftinguées , des louanges, des refpecls , des hommages qui approchoient de 1'adoration. Quand les ombrages de fon mari 1'eurent retirée de la Cour, & privéede ces plaifirs, elle regretta celui qui les faifoit naitre fous fes pas , &c aux regrets fuccéda une inclination qui lui donna de 1'éloignement pour fon époux. L'Archiducheffe, en parlant d'elle, difoit : C'eft un caraclere angélique, dans lequel il ny a d reprendre que fa pafjïon pour le Roi , qui eft fon fortilege. Mais ce fortilege n'avoit rien de furnaturel; la magie confiftoit dans les confeils des femmes qui 1'environnoient k Bruxelles, & qui étoient toutes gagnées; elles faifoient parvenir en^  D Ü C A B I N E T. 195: tte fes mains les lettres du Roi, lui dicloient les réponfes, enflammoient ion imagination, & perfuadoient facdement k une femme de feize ans accoutumée au ftyle des romans, d'employer des termes de tendreffe, des allufions amoureufes, qu'elle pouvoit ne regarder que comme des jeux d'ef prit, mais qui redoubloient la paffion du Roi , paree qu'il les regardoit comme les expreflions d'un cceur tout a lui (a). La plus adroite & la plus ardente de ces femmes étoit 1'époufe de Puifieux, Comte de Berny, Ambaffadeur de France a Bruxelles. Le Roi envoya, pour la feconder, Annibal d'Eftrées, Marquis de Cceuvres, qu'il chargea de ne rien ménager, de tout rifquer, & qui en conféquence crut pouvoir tout fe permettre, afin de procurer a fon maitre (a) Dans leur commerce, le Roi étoit appellé le Berger Céladon , & elle , la Nymphe Galatée. Elle nommoit Henri, mon. Cceur, mon Chevalier, & il fe fit faire une cöte d'armes, fur laquelle fon chiffre étoit entrelacé avec celui de la PrincelTe. Voy. Amours d'Hemï IV. J 1 n Henri IV. 1609,  Henri IV. 1Ó09. 1610. Kégociation pour fort retour. 196 L'Intrigue la fatisfaftion qu'il defiroit. On commenca, comme dans toutes les affaires , par la négociation. Le Roitrouva bon que le Prince revint a Bruxelles, ou il arriva le 23 Décembre. Depuis ce moment, les difpofitions qui furent faites n'offrent qu'inconféquences &c contradictions , paree que, dit Siri, on parloit toujours du Prince & trèspeu de la Princeffe, qui étoit pourtant le fujet principal de tous ces mouvements. Les intéréts étoient fort compliqués a la Cour de Bruxelles. Le Confeil d'Efpagne n'avoit pas toujours les mêmes vues que 1'Archiduc. Celui-ci defiroitPaccommodement, tant par haine pour les tracafferies , que par la crainte de voir tomber fur lui tout le poids de la colere du Roi. Les Efpagnols , au contraire, fondoient fur ces brouilleries 1'efpérance de rallumer la guerre civile en France : ils ne vouloient pas que le Prince fe prêtat a aucun accommodement; ils 1'exhortoient au contraire k fe déclarer 011vertement contre le fecond mariage du Roi , & contre la légitimité de les enfants , paree que le divorce,  DU C A B I N E T. 197 difoient-ils , avoit été prononcé fur de faux expofés, & ils promettoient d'appuyer fes droits de toutes leurs forces. DansPappréhenfion que Condé ne fe laiffat aller aux follicitations de la France, & qu'il n'y retournat, Dom Inigo de Cardenas, Ambaffadeur d'Efpagne a Paris, lui faifoit dire qu'il n'y auroit jamais de füreté pour lui, & Pavertifibit de fe défier des efpions &c des émiffaires corrompus, dont il prétendoit favoir certainement que le Prince étoit environné. Spinola, Phomme de 1'Efpagne aBruxelles, entrant dans ces vues, affectoit les plus grandes attentions pour des hótes fi précieux; &, fous prétexte de veiller a ce qu'il ne leur fut fait aucune vioience, il prenoit toutes les précautions néceffaires afin qu'ils ne puffent s'échapper. On foupconna qu'a la politique, Spinola joignoit un intérêt plus puiffant; favoir, un goüt vif pour la Princeffe. Elle s'en apperfut elle-même, & dans la fuite , racontant cette avenfure, elle difoit naïvement; Mon itoile me deftinoit d être aimie par des vieux. Quant aux propofitions des agents I iij Henri IV. 1610.  Henri IV. i6io. j i ] i i j < 198 L' I N■ T R I G U E du Roi auprès du Prince, elles déceloient leur embarras : ils Fexhortoient a revenir en France avec fa femme ; il y confentoit, mais il demandoit de vivre éloigné de la Cour, & qu'on lui donnat une place de füreté. Les négociateurs répondoient que ce feroit une prècaution déshonorante pour le Roi; & que fi le Prince craignoit quelque chofe , il pourroit, après avoir ramené fon époufe, aller faire une promenade de dix-huit mois ou deux ans en Italië. Si vous l'aimez mieux , lui difoit-on , il elf pofiïble de rompre votre mariage, & le Roi fe chargera d'en pourfuivre k Rome ta diffolution. Le Prince ne s'y refiifoit pas; mais il vouloit y en at:endant, refter maitre de fa femme. O'Eftrées répondoit qu'il falloit qu'elle ut hors de la puifTance de fon ma■i , afin de donner un confentement ibre aux procédures. On faifoit fem)lant d'appréhender que la jeune é)oufe n'éprouvat quelques mauvais raitements de la part d'un mari om>rageux; & on la faifoit redemanIer k 1'Archiduc par le Connétable on pere, ou bien Madame d'Angou-  du Cabine t. 199 lême, fa tante , qu'on favoit être une complaifante du Roi, offroit de venir demeurer auprès d'elle a Bruxelles, pour la préferver des attentats de la jaloufie. Les pourparlers n'avancoient pas les affaires, & le mois de Février s'écouloit fans que rien fe terminat. D'Ellrées prit alors la réfolution de trancher le nceud des difficultés, par 1'enléve-' ment. II raconte lui-même qu'il entretenoit des efpions auprès de la femme & du mari; qu'il étoit inftruit de leurs difpofitions, & que ces lumieres lui fervoienta fomenterleur défunion. Le but d'obliger un Roi peut-il ennoblir un pareil manege ? II connoiffoit aufli les lieux oü le Prince paffoit fon temps , & les moments oü la Princeffe étoit libre. D'Eflrées s'aiTura de fon confentement, aifé k obtenir d'une jeune perfonne entourée de gens confommés dans l'art de la fédudtion. II forma le plan de fon entreprife, qui étoit infaillible, & l'envoya au Roi (0). Ce Prince , dé- ia) Du palais d'Orange oii logeoit la I iv Henri iv. l6lO. On tems inutile•ncnt de 'enlever. Hem. Ree, >. tl3.  Henri iv. 1610. ] Princeffe, au fcffé de Ja place, ii n'y avoit qu'une rue. Elle s'étoit engagéeafortir a une heure marquée, couvcrte d'une faïlle , grand voile que portoient les Flamandes. D'Eftrées 1'auroit attendue a la porte du palais avec quinze foldats qu'il tenoit cachés dans les auberges de Bruxelles. Manicamp , k la tête de vingt-cinq hommes , devoit la prendre en croupe fur le bord du foffé, qu'elle auroit defcendu & remonté par des echelles. A fix lieues de-la, ils trpuvoient la gamifori de Rocroy , & on fe flattoit d'être fur les terres te France avant que 1'Archiduc eüt envoyé a la pourfuite ; ou s'il envoyoit, comme dans un premier mouvement de furprife, il ne pouvoit pas détacher beaucoup de monde, la réfolution étoit prife de faire face, pour donner k la Princeffe le temps de gagner 1'avance. Voy. Mém. Ree. tome XI, page iij. 200 L'Intrigue vore par le defir de fe fatisfaire; comptoit tous les moments; & quand il jugea que 1'exécution ne pouvoit plus éprouver d'obftacles, il dit è la Reine : Tel jour, d telle heure , vous verrei ici la Princeffe de Condé. La Reine fait fur le champ avertir l'AmbaffaJenr d'Efpagne. Celui-ci dépêche un :ourier qui fait tant de diligence , ni'il précede 1'heure fixée pour 1'enévement. Condé demande des gar*  du Cabine t. 201 des; 1'Archiduc lui en donne i ils s'emparent avec fracas des avenues du palais d'Orange. Toute Ia ville eft en rumeur. D'Eftrées s'apperc/oit bien qu'il eft découvert, & fe détermine a faire du moins bonne contenanee. II demande audience, quoiqu'il fut déja nuit, fe plaint hautement des bruits injurieux qu'on répand contre fon maitre, & demande que les gardes foientlevés. Albertrépond tranquillement, qu'il y a une entreprife formée, qu'il en eft fur; qu'il croit bien que le Roi n'y a aucune part; que fans doute c'eft 1'ouvrage de quelques Francois trop zélés , qui ont cru par-la obliger leur maitre; mais que pour obvier a ces inconvénients, dès le lendemain il donnera a la Princeffe un afyle dans le palais , auprès de PArchiducheffe fon époufe. Cette réfolution fut un coup de foudre pour d'Eftrées ; elle anéantiffoit fes projets & fes efpérances : il fe replia en cent manieres , pour tacher d'obtenir un délai. La Princeffe, par fon avis , fit la malade; en menie-temps elle demanda un bal a SpïI v Henri IV. ió19.  Hj.nri IV. 1610. Le Roi fe dérermine a la guerre. loa L' Intrigue nola, qui s'excufa fur les circonftances avec un fourire ironique. Enfin , dès le lendemain, comme Pavoit promis 1'Archiduc, elle coucha au palais. Alors d'Eftrées ne ménagea plus rien; il fit fignifier par un Notaire k Condé un ordre du Roi, qui lui enjoignoit de revenir en France, fous peine d'être déclaré criminel de lefe-Majefté. Le Prince ne s'épouvanta pas; il répondit refpeöueufement k la fommation : mais il fit k d'Eflrées des reproches vifs fur le röle qu'il jouoit dans cette affaire. Tout ce que j'ai fait, repliqua le Courtifan, a été pour obèir aux ordres du Roi mon maitre , que je dois exécuter juf es ou injufles. Cette morale le confola fans doute du mauvais fuccès de fon entreprife. Quand elle eut échoué, toute négociation ceffa. Aux démarches pacifiques fuccéderent des préparatifs de guerre. Henri mit fes troupes en état, & montra a 1'Efpagne étonnée 1'armement le plus formidable qui eut jamais menacéfapuiffance. Ce fut alors, dit-on, qu'il congut le defTein de former de toute I'Europe une républi-  du Cabine t. 2.03 que pacifïque, par le moyen d'un Confeil compofé des Députés de tous les Souverains. Ce Confeil auroit eu a fa difpofition une armee, formée des contingents de ces Princes toujours prêts k marcher contre ceux d'entr'eux qui voudroient rompre 1'équilibre ; projet gigantefque , vanté par quelques Ecrivains, mais qu'on ne doit regarder que comme un délire politique, qui n'a jamais pu être enfanté par une tête auffi faine que celle d'Henri IV. Son emharras rouloit moins fur le: plan de Ia guerre qu'il vouloit entreprendre, que fur les motifs qu'il lui' donneroit. Ce Prince étoit outré contre les Efpagnols , qu'il fuppofoit ne retenir la Princeffe que pour le chagriner. Ces gems, difoit-il, me metsent au défefpoir. Mais ce n'étoit pasla une raifon de rupture k publier. Pendant qu'il en cherchoit, il s'en préfentadeux affez plaufibles; une du cöté de 1'Allemagne ; une autre du cèté de 1'Italie. En Allemagne, JeanGuillaume, Duc de Cleves 6c de Juliers, étant mort fans enfants, avoit laiffé fa riche fucceffion k difputer I vj Henri iv. l6l9. ion pïast. BaJJ'omp* • 1 » ?. ■71.  Henri IV. lóio. i i i ] £ c li tl (a) Le Marquis de Brandebourg , le Duc de Neubourg, Ie Duc de Deux-Ponts, 1'Ekcleur de Saxe, & le Marquis de Burgaw. 204 U Intrigue entre cinq prétendants (a).. De cescinq , le Marquis de Brandebourg & le Duc de Neubourg firent caufe commune , & entrerent a main armee dans rhéritage. L'Empereur Léopold , mécontent de cette conduite, ou fe réfervant ces Etats a lui-même, leur refufa Pinvefiiture : ils réclamerent Ia proteöion du Roi de France, qui réfolut de forcer FEmpereur a les mettre dans. leurs droits. Henri mpntra la même bonne volonté aux petits Souverains d'Italie, & aux Grifons,Seigneurs de la Valteline, qui s'inügnoient de la tyrannie exercée fur ?uxpar le Comte de Fuentes. Le Roi ?couta leurs plaintes, leur confeilla le Fecouer le jong , & fe difpofa a es aider. II gagna auffi le Duc de Savoie; lui promit des forces pour onquérir le Duchéde Milan. De tous es cötés, Henri ne fe déclara qu'auxiaire; mais il fe propofoit de fepor?r lui-même avec fa grande armée*"  bu Cabine t. zoj fur la frontiere de Flandres, & d'attaquer cette Province en perfonne, fi on ne lui donnoit pas la fatisfaction qu'il demandoit. t L'Efpagne fentit que fi la guerre sentamoit, elle ne pourroit Ia foutenir fans perte; c'eft pourquoi Philippe auroit voulu la prévenir. II fit propofer le mariage de 1'Infante fa fille avec le Dauphin, tous deux du même age. Le Roirefufa d'entrer en pourparler k cet égard, & fon refus donna keu de pubher que ce n'étoit ni 1'interet de fes alliés, ni celui de fon Royaume , qui 1'engageoit k rompre la paix, mais fa feule paffion, & que Ia Princeffe de Condé étoit une nouvelle Hélene qui alloit embrafer 1'Europe. Cette opinion fe répandit- en. France avec tout 1'odieux dont on put la charger. On y ajouta que Ie Roi vouloit détröner le Pape, & mettre un Huguenot a fa place t imputations puériles , calomnies ridicules, mais qui font imprefïïonfur le peuple. On remarqua qu'il n'avoit plus la même ardeur pour la guerre, & que les enrölements devenoient d'iffciles : on fe permettoit dans les cor.- Henri IV. 1610. Opinioa fur cette guerre.  He nri iv. xóio. . Agitations du Roi. 106 L' Intrigue verfations fur la rupture de la paix, des réflexions qui montroient que les vrais motifs n'étoient ni inconnus, ni approuvés. Les étrangers penfoient a ce fujet comme la plupart des Francois. La fuite du Prince de Condé , qui , ne fe croyant pas en füreté k Bruxelles, fe fauva k Milan, redoubla les préventions* Quels cris d'étonnement dans toute 1'Europe, quand on vit le plus proche parent du Roi, le premier Prince du fang, obligé de fe cacher , de fuif , de chercher un afyle chez les étrangers , paree qu'il ne vouloit pas livrer fa femme! Les amis de Henri en étoient confternés ; fes Miniflres ne le juftifïoient qu'avec une efpece de honte. Lui-même ne parloit de la Princeffe, du Prince, de fon dépit contre les Efpagnols, qu'en tenues ambigus , qui marquoient fon embarras : il devenoit rêveur, furieux, impatient ; il n'afpiroit qu'au moment d'être a Ia tête de fon armée, fe flattant fans doute que le fracas des armes feroit diverfion aux idéés noires dont il étoit fatigué ; car ce fut alors qu'il eut toutes ces inquiétu-  du Cabine t. 107 des, toutes ces allarmes intérieures, dont on a fait depuis des preffentiments & des prédicfions. Comme il comptoit que fon expédition feroit longue & pourroit le diftraire des foins de fon Royaume, ü vouloit laiffer fa femme Régente ; & afin de lui donner plus d'autorité, il réfolut de la faire couronner : mais ce couronnement étoit un vrai tourment pour lui. Quelquefois il en hatoit les apprêts avec la plus grande diligence; quelquefois il étoit piqué de 1'emprelfement de la Reine, & fufpendoit les préparatifs (a). EnrTn, dans fes paroles, comme dans fes actions, on voyoit les fymptömes d'une agitation inquiete, qui furprenoit autant que la tranquillité des Efpagnols (£). (, 41.  in L' Intrigue Henri iv. (. Il6. Nicolas Ptjquicr , vol. 11 p. 1055. Gramond , p. 8. Mem. Ree. t. 4- 114 L'Intriguë me cette guerre ne coüteroit rien a fes peuples, & de ce qu'il y facrifieroit tout au plus fes épargnes. En quittant la table, il fe promena a grands pas, d'un air irréfolu, demanda fon :arrofTe, y monta, fit monter avec [ui les Ducs d'Epernon, de Roque[aure , Montbazon , Lavardin, & la Force. Quand on lui demanda oii il vouloit aller : Tire^moi d'ici, dit-il d'un ton chagrin; puis il commanda qu'on le menat a 1'arfenal, oü il vouloit converfer avec Sully. Les rues étoient embarraffées par les apprêts qu'onfaifoitpour Pentrée folemnelle de [a Reine. Au coin de la rue de la Ferronnerie, qui étoit alors fort étroite, un furcroit d'embarras , occafionné par des voitures de vin, obligea les Gardes de fe difperfer, & le carrofTe d'arrêter. Dans ce moment, un homme appellé Ravaillac, nom trop fameux , qui fuivoit le Roi depuis le Louvre , monta fur la petite roue du carrofTe, & porta a Henri IV deux Coups de couteau, dont 1'un lui perga ïe cceur. Si Ravaillac eut jetté fon couteau, & fe fut confondu dans la foule, ja-  DU C A B I N E T. 215 mais on n'auroit pu découvrir d'oü partoit le coup. II refla prés du carrofTe fon couteau a la main, comme un homme troublé : deux valets de pied le faifirent; les Gardes accourant au bruit, 1'épée haute , voulurent fe jetter fur lui; le Duc d'Epernon les contint, 6c le fit mettre en füreté. Les chevaux tournerent bride , & on reporta triftement au Louvre le corps fanglant du malheureux Henri. Dans ces occafions, chacun prétend deviner, ou être bien inflruit. L'opinion la plus générale fut qu'il y avoit une confpiration. On y mettoit des perfonnes de partis & de caracleres abfolument contraires. La Reine & la Marquife de Verneuil, les Jéfuites & les Huguenots, le Prince de Condé, le Confeil d'Efpagne, le Comte de Fuentes, tous ceux enfin, tant au-dedans qu'au-dehors du Royaume, qui avoient des relations directes ou indire&es è la Cour. Sans pouvoir précifément afligner les coupables, on croit encore affez communément qu'il y eut des complices. Si on les cherche d3ns le proces de Ravaillac , la piece la plus authentique qu'on puiffe Henri IV. 1610» Ce qu'é* toit Ravaillac, & s'il eut des complices.  IV. zóio. (a) En foufflant fon feu Ia nuit, il fe voyoit environné d'éfincelles, comme en enfer, & des hofties enflammées fortoient de fon foufflet, &c. Mém. de Condé, tome VI. 116 L'Intrigue confulter, on n'en trouvera ancun. Ce mönftre paroït toujours feul, en pro ie a des vifions , tantöt puériles, tantöt impies (a), dévoré de fcrupiües, caufés par 1'ignorance & une fauffe idee de la Religion, curieuxde nouvelles d'Etat, écoutant avidement, fans choix ni difcernement, ce qui fe difoit fur ce fujet entre les gens de la lie du peuple, fa compagnie ordinaire , Sc réalifant dans fa noire imagination les deffeins injuftes que ces perfonnes mal inftruites prêtoient au Roi. Ravaillac, au moment qu'il fut arrêté, dans fes interrogatoires, a la torture, fur 1'échafaud , pendant la durée d'un cruel fupplice, a foutenu, fans jamais varier , qu'il n'avoit aucun complice : il a dit Sc proteffé qu'il s'étoit déterminé a cet attentat, paree qu'il croyoit que le Roi favorifoit les Huguenots, qu'il étoit lui-même Huguenot dans 1'ame, &  du Cabine t. 117 & qu'il vouloit faire la gwerre au Pape; que cette idee lui étoit venue des fermons auxquels il avoit afïïfré; qu'en conféquence des plaintes qu'il entendoit faire du gouvernement, il s'étoit perfuadé que le Roi n'étoit pas aimé, & qu'il rendroit un grand fervice a la France, en la délivrant de ce Monarque. En effet,ilmontra beaucoup d'étonnement, quand il vit, au moment de fon fupplice, le peuple défolé de la mort du Roi, le charger de malédictions, lui refufer les prieres qu'on fait ordinairement pour ces malheureux, & ne point dédaigner d'aider le bourreau a exécuter 1'arrêt porté contre lui (a). Ravaillac étoit parti d'Angoulême fa patrie, fix mois avant fon crime , dans Pintention, difoit-il, de parler au Roi, & de ne le tuer que s'il ne pouvoit réuflir a le convertir. II fe préfenta au Louvre & fur le pafTage du Roi a plufieurs reprifes, fut tou- (a) Les chevaux s'étant rebutés après plufieurs tirades , un homme qui fe trouva fur la place , offrit les fiens volontairement, Voy. Mém. de Condé, tome VI. Tome I, K Henri iv.  He n ri IV. ióio. 218 L' Intrigue jours repoiuTé, & enfin s'en retourna. II vécut quelque temps moins tourmenté par fes vifions: mais, vers Paques, il fe fentit tenté avec plus de violence; il revint k Paris, vola dans une auberge un couteau qu'il trouva propre k fon exécrable deffein, & s'en retourna encore. Etant prés d'Etampes, pour ne pas fuccomber, il caffa entre deux pierres la pointe de fon couteau , la refit prefqu'aufli-töt, regagna Paris, fuivit le Roi pendant deux jours; &c s'il n'avoit pas trouvé cette occafión, il étoit réfolu de s'en retourner le lendemain faute d'argent: d'ailleurs, il affirma que jamais il n'avoit parié de fon deffein , ni pris confeil de perfonne. Ces faits minucieux, qui font les plus .importants dans ces fortes d'affaires, faits tous également prouvés, ne laiffent conjefturer aucun complot dont Ravaillac ait été 1'inflrument. II ne faut pas toujours des exhortations, de 1'argent & des promeffes, pour armer de pareils monflres. Des murmures fourds, des plaintes trop hardies , de la licence dans les réflexions & les conjedures, peuvent enflammer  du Cabine t. 2.19 ces tempéraments bilieux , ces hommes dévorés d'un feu fombre , qui fe nourriffent de mélancolie, &c favourent, pour ainfi dire, les mécontentements. On a vu par les aveux de Ravaillac, qu'il étoit un de ces Fanatiques d'Etat, fi dangereux, & qui font peut - être plus communs qu'on ne penfe. Au premier bruit de la mort d'Henri IV, caufée par un attentat fi horrible, la France entiere parut plongée dans le deuil. Le commerce fut fufpendu; les travaux de toute efpece cefferent; les gens de la campagne fe tranfportoient par troupes fur les grands chemins , pour avoir des nouvelles; & quand ils ne purent plus douter de leur malheur, ils s'écrierent en fanglotant: Nous avons perdu notre pere. Ils lui rendoient ainfi en regrets la tendreffe qu'il avoit toujours montrée pour cette partie précieufe de fes fujets. Ce bon Prince s'entretenoit volontiers avec eux, s'informoit du prix des denrées, de leurs gains, de leurs pertes, de leurs reffources. Les Courtifans , qui voudroient que toutes les faveurs du SouverainfufTent pour eux; K ij Henri IV. 1610» Afflidrioa dupeuple.  Henri iv. 1610. Loui! t XIII. ióio. Etat dt Royaume.Régence de la Rei se. 220 L'Intrigue les Miniftres, qui ont quelquefois trop de raifons pour craindre la curiofité du Prince , blamoient cette popularité, comme incompatible avec la Majeflé. Les Rois mes prédéceffeurs, leur répondoit-il, tenoient d déshonneur de favoir combien valoit un tefion ; mais, quant d moi, je voudrois favoir ce que vaut une pile, & combien de peine ont les pauvres gens pour Cacquérir, afin qiiils ne fuffent chargés que felon leur portêe; fentiments paternels, qui lui affurent a jamais la vénération & 1'amour des Francois. Encore maintenant le nom d'Henri IV préfente a 1'efprit 1'idée d'un Roi clément, doux , affable , bienfaifant, plus recommandable même par la bonté de fon cceur, que par fes qualités hêrofques; & fi la févérité de 1'Hiftoire permettoit de ne le peindre qu'avec des couleurs agréables k la nation, tout Ecrivain , en parlant de lui, feroit panégyrifte. Henri, furnommé le Grand aiiffitót après fa mort, laifTa un Royaume floriffant, des finances en bon ordre, quinze millions, fruits de fes épargnes, dépofés a la Baftille, plufieurs  DU C A E I N E T. 111 armées & fes places abondamment pourvues, un corps d'Officiers braves & expérimentés, des alliances folides, &c un Confeil bien compofé. Le Monarque avoit deffein de nommer fa femme Régente, en partant pour 1'armée. Cette difpofition étoit un bon préjugé en faveur de Marie de Médicis: mais ce préjugé fe trouvoit balancé par les partifans du Prince de Condé & du Comte de Soiffons , tous deux abfents de la Cour. Ils prétendoient que ces Princes avoient des droits a la Régence, & ils vouloient qu'on les attendit pour ftatuer quelque chofe a cet égard. Le Duc d'Epernon , trés-attaché a la Reine , en vit plufieurs qu'il gagna, & il prit des mefures afin que la mauvaife volonté des autres ne put nuire aux deffeins de la Reine. On n'eut garde de différer le Lit de JufHce, comme le défiroient les amis des Princes, & il fe tint le lendemain de 1'afTafIinat. Beaucoup de troupes, poftées par Epernon, entouroient le lieu de Paffemblée; & après les harangues funebres des Magiftrats , entrecoupées par les fanglots des affifiants, & fuivies d'un morne K iij Louis X1U. 1610.  Louis XIII. 1610. Regrets «les étranfcers. (a) II y eut altercatioti fur cette claufe3 que la régence étoit donnée conformément d l'Arrét du Parlement. Le Chancelier 1'omit dans le prononcé ; mais on 1'infcrivit fur le regiftee. Voy. Gramend, pag. e. in L' Intrigue filence, Marie de Médicis fut déclarée Régente (a). Du refte, il n'y eut pas le moindre mouvement en France. La Reine paria aux Gouverneurs de Places & de Provinces , qui étoient alors a la Cour, elle les combla de careffes, & les fit partir chacun pour leurs départements, oü ils allerent répandre les promeffes d'un gouvernement doux&humain; promeffes qui entretinrent tout en paix, comme fi le Roi vivoit encore. Les effets de fa mort furent plus marqués hors du Royaume. Le Duc de Savoie, qui n'avoit pris des engagements contre 1'Efpagne, que dans 1'efpérance d'être puiflamment fecondé par Henri, tomba dans le découragement. Les Alliés d'Allemagne furent déconcertés ; on leur promit, a la vé rité, qu'ils ne feroient pas abandonnés; mais ils fentoient trop la différence qu'il y auroit entre les fecours  du Cabine t. 223 donnés par une Régente timide & indifférente , & ceux qu'ils attendoient d'un Monarque belliqueux , & perfonnellement piqué contre leurs communs ennemis. Le Roi d'Efpagne, en apprenant ce tragique événement, marqua beaucoup de furprife, mais ni joie, ni trifleffe. Les Hollandois& les Vénitiens en furent profondément attriftés. Le Roi d'Angleterre fe montra touché, comme on Feit par la perte d'un ami. Le Pape Paul V verfa des larmes, & dit au Cardinal d'Offat : Vous ave^ perdu un bon maürt, & moi, mon bras droit. L'Archiduc Albert, qui avoit a craindre plus qu'un autre, les premiers éclats de la colere d'Henri, regut cette nouvelle en homme qui, après avoir été , malgré lui, témoin des foibleffes d'un grand Roi, ne gardoit plus que Te fouvenir de fes vertus. Le feul qui laiffa éclater une joie auffi cruelle qu'indécente , fut 1'implacable Comte de Fuentes (a). II Ayant recu cette nouvelle la nüit, il fit réveiller tout fon monde , pour s'en réjouir avec lui, comme de 1'événement le plus heureux. Voy. d'Olfat. K iv Louis XIII. 161e.  lüUl! XIII. 1610, Conduite ie la Reine. 224 L'Intrigue crut qu'il alloit enfin faire porter è Ia France tout le poids de Ia haine qu'il lui avoit jurée; mais la mort le furprit lui-même quelques mois après. Ainfi 1'événement le plus capable d'ébranler 1'Europe , ne caufa d'abord aucun mouvement remarquable. _ Mais ceux qui connoiffoient I'intérieur de la Cour de France, dürent préyoirdu changement. Iln'étoit pas vraifemblable que les Miniflres du Roi, ceux qui avoient joui par préférence de fa confiance , de fon éflime, euffent les mêmes prérogatives auprès de Ia Reine ; au contraire , les perfonnes que ce Prince ne fouffroit qu'avec regret auprès de fa femme, comme capables de lui donner des confeils dangereux, fe flatterent, a jufte titre, d'éloigner bientöt les autres. Ainfi les motifs de difcorde étoient tous établis au moment que Marie prit en main les rênes du gouvernement; & loin i'être furpris de ce qu'il furvint des brouilleries, on doit trouver fingulier de ce qu'elles tarderent a éclater. Ce délai vint de I'incertitude 011 étoient tous les intéreffés, fur la conduite que la Reine tiendroit défor-  DU C A B I N E T. 225 mais. Ceux qui 1'avoient gouvernée jufqu'alors, ignoroient li, devenue la Maïtreffe , elle continueroit k fuivre leurs avis; & dans la crainte qu'elle ne les foutint pas, ils ne lui donnoient que des confeils mitigés, qu'ils pourroient rétracter dans le befoin. Les autres efpéroient que cette Princeffe, fentant la nécefïïté d'une impartialité abfolue , renonceroit aux préjugés qu'elle avoit autrefois concus contre eux. Pour la gagner, ils fe prêtoient eomplaifamment a fes defirs, & ménageoient leurs adverfaires , afin d'en être ménagés. Enfin, dans ces commencements, la Reine fe conduifit avec une circonfpet'ionqui 1'auroit rendue maitreffe des événements, fi elle eut duré. Parl'avisde Villeroy, elle conferva les anciens Minillres. Une foule de prétendaots briguoient 1'entrée au Confeil: de ce nombre étoient le Comte de Soiffons, le Connétable, le Cardinal üe Joyv-ufe (.?), les Ducs de Gui- (a) I' poffécioit nn très-grand nombre de bénéfices , entre autres , trois Evêchés ; un Religieux prêchant dtvant lui, s'éleva vivs- K v Louis XIII. 1619.  Louis XIII. i6io. ment contre cet abus. Le Cardinal, après le fermon ,. lui remontra que fon opinion étoit trop rigoureufe , & lui propofa une conférence fur ce fujet avec les Théologiens d'un fentiment contraire. Le Reiigieux accepta. Quand on fut affemblé, Joyeufe, après un court préambule , dit qu'outre les raifons qu'il venoit d'expofer briévement, il avoit une difpenfe du Pape. Pour bien faire, répartit brufquement le Reiigieux, il ne faut p.is de difpenfe , & la conférence finit. Voy. Math. fils , pag, 47. 116 L'Intrigue fe, de Mayenne, de Nevers, de Bouillon, d'Epernon, guidés par des intéréts oppofés. La Reine les y admit prefque tous; & ce fut encore par le confeil de Villeroy , qui fit entendre a la Régente , que plus ils feroient de Confeillers, plus elle auroit de facilité a les divifer Sc k faire prévaloir fes volontés. On croit que le Miniftre, dans la compofition d'un Confeil fi nombreux, eut un motif de politique plus raffiné; ce futd'efpérer qu'une fi grande affemblée n'auroit ni union , ni fecret, & que la Reine f fatiguée des difputes perpétuelles, en viendroit a n'occuper le Confeil qiie des moindres affaires, & k confulter,  du Cabine t. 227 pour les effentielles , les feuls Minif- 1 tres ; qu'ainfi ils retiendroient le gouvernail de 1'Etat qu'on leur difputoit: rufe adroite , dont le fuccès ne fut cependant pas complet, par 1'irréfolution de la Régente , qui n'eut jamais un plan fixe d'adminiftration. Le premier objet de délibération qui fe préfenta au Confeil, fut la guerre que le feu Roi étoit pret de commencer. Le Chancelier ouvrit un avis qui auroit empêché de rompre la paix, c'étoit une doublé alliance de Louis XIII avec 1'Infante d'Efpagne, de Plnfant avec une Fille de France. Sully repréfenta que ce feroit abandonner lesbies d'AHemagne & d'Italie au gjïJ.O.fite ment impbc.'ible de la Maifon d Autriche, & il vouloit qu'on com- -JmcricSt vigourcufcruent la guerre, ne ^3Ut«ée que pour leur donner moyen de faire une paix moins défavanta- ,W!geufe. Ni i'un ni Pautre avis ne fut l'tt;ïyïi,.,j,!:n y :1fe;:iï;%5Bolution mitovenwf 4 lontrer quelques trcrtipnit, 5#S $}:iï^AAne,, prêtes a aller au fecours du Duc de Savoie, qui étoit déja entré en campagne. Mais ces apparences n'en impofeK vi Louis XIII. 1610.  Louis XIII. 1610. Retour du Prince de Condé. 11$ V Intrigue rent pas affez aux Efpagnols pour fanver le Duc , &c la France fouffrit que fon allié fut réduit a envoyer un de fes fils a Madrid , demander pardon d'avoir abandonné 1'alliance de cette Cour. On fit des effoits plus réels du cöté de PAllemagne ; ils eurent auffi phis de fuccès, & les Francois affermirent le Marquis de Brandebourg & le Duc de Neubourg dans 1'héritage de Cleves & de Juliers , dont I'Archiduc Léopold leur difputoit la poffeffion. Après la guerre , le retour du Prince de Condé occupa le Confeil. II n'y avoit pas d'avantages auxquels fes partifans ne cruffent pouvoir prétendre pour lui & pour eux, en dédommagement des défagréments qu'il avoit éprouvés. Ilfaudra voir, difoit d'un air de fuififance la Princeffe d'Orange fa fceur, il faudra voir commmt mon. frere fera regu en France. De Milan oü il fe trouvoit a la mort du Roi, le Prince fe rendit précipitamment en Flandres, & parut inopinément k Bruxelles le matindu 19 Juin. Son époufe, déja défolée du tragique accident qui lui avoit enlevé fon foutien, fut  du Cabine t. 229 confternée de 1'arrivée de fon mari.' Elle n'eut pas k fe louer de fes égards. II déclara publiquement qu'il vouloit rompre fon mariage, &, en particulier , il s'expliqua d'une maniere trèsdéfobligeante fur 1'humeur volage de fa jeune époufe («). Le ton ironique du mari, fon air mécontent & contraint, fe foutinrent quelques jours» Plufieurs perfonnes intéreffées a brouilIer les Maifwns de Condé & de Montmorency, fomentoient la divifiom Mais deux époux, 1'un de vingt-deux ans, 1'autre de dix-fept, ne pouvoient refter brouiliés en fe voyant tous les jours. Eientöt le Prince ne fe comporta plus qu'en homme qui cherche feulement a fauver les apparences. II fe plaignoit de calomnies avancées contre fa conduite envers fa femme, furtout d'une requéte préfentée au feu (a) Siri, après avoir rapporté les raillelies piquantes du Prince, fait cette réflexion : Cefl ainfi que les Francois parient de leurs époufes , 6- fouvent des femmes en génèral. Ces propos femblent fort étranges aux oreilles qui rify font pas accoutumées ; mais en France „ c'eft la coutume. Voy. Mém. Ree. t, II a pag. 321. Louis XIII. lóio.  lOUI! xiïi. 1610. 250 L' Intrigue Roi fous le nom du Connétable, dans laquelle il étoit accufé de maltraiter fon époufe, jufqu'a faire craindre pour fa vie. Le Connétable déclara que cette requête n'étoit pas de lui, & qu'apparemment fon Secretaire gagné la lui avoit fait approuver, en lui préfentant un papier pour un autre ; ce qui étoit d'autant plus aifé , difoit-il, que je ne fais ni lire, ni écrire. Le Préfident Jeannin vint a 1'appui de cette féparation, en difant que c'étoit luimême qui avoit compofé cette requête par 1'ordre exprès du Roi, 6c en demanda pardon au Prince , qui fe montra fatisfait. Tout fut oublié; les deux époux fe réunirent. La Princeffe s'attacha fincérement a fon mari , & devint même par la fuite la compagne volontaire de fes infortunes. Pendant que ce raccommodement fe traitoit, Condé faifoit auffi négocier fon rappel en France. II auroit voulu mettre fon retour a prix, 6c plufieurs perfonnes du Confeil 'appuyoient fes prétentions: mais la Reine ne voulut entendre a aucune condition , rétraclation , ni excufe de ce qui s'étoit paffe j elle fe contenta de  du Cabine t. ïsi lui ouvrir les portes du Royaume, & de le recevoir, malgré les craintes qu'on lui infpiroit fur les projets du Prince contre la tranquillité de fa Régence. II y avoit déja beaucoup de mécontents. Dans la circonftance oü fe trouvoit Marie de Médicis a la mort d'Henri IV, elle fit, pour obtenir la Régence, des promeffes a tout le monde : au Comte de Soiffons, promeffe de la Lieutenance du Royaume; au Duc de Bouillon , du commandement de 1'armée d'Allemagne; au Duc d'Epernon , d'être nommé aux places du Duc de Sully; & au Duc de Sully, d'être maintenu dans ces mêmes places qu'il poffédoit. II y eut auffi beaucoup d'engagements contradiétoires & des plaintes , quand on fe vit trompé, Peut-être néanmoins s'en feroit-on tenu aux murmures, fi la Reine n'eüt foulevé tous les efprits par fa prédiïedtion pour Concini & fa femme. II femble a bien des gens, que les Grands ne doivent pas être affujettis aux mêmes foibleffes que le relte des hommes. Comment, demandoit-on un jour a Léonora, avt^vous acquis tant Louis XIII. 1610. Commen- cement des brouille» ries. Fav.'ur de Galligaye & de fon mari. Mém. ree. t. 2 . p. 310.  Louis XIII. 1610. (d) En Aoüt 1610, le Marquis d'Ancre 232 L' Intrigue ' d'empire fur votre Mattreffe ? IsTave^vous pas employé des philtres , de la ma~ gie, des moyens fur naturels ? Point d'autres, répondit-eïle, que Üafcendant quont les ames fortes fur les ames foibles. L'opiniatreté qui étoit naturelle a Marie, peut auffi avoir eu beaucoup de part a un attachement fi obftiné. On a remarqué que les confeüs qu'on lui donnoit k ce fujet, ne faifoient que Tenteter Sc Taigrir. Je fais bien , dit-elle un jour publiquement, que toute la Cour ejl cnntre Concini; mais l'ayant foutenu contre le Roi mon mari, je le foutiendrai bien contre les autres. Malheureufement 1'excèsde fa faveur tomba fur des perfonnes très-portées k en abufer : elles ne furent point modérer les bontés de la Reine, les cacher, partager fes graces avec des families capables de les protéger, écarter la haine en obligeant gratuitement, diminuer Tenvie que les préférences occafionnent toujours; enfin, pour vouloir trop s'élever , ces enfants de la fortune fe perdirent, & enlrainerent avec eux leur Maitreflè dans le précipice (a).  du Cabine t. 133 Concini avoit dn mérite, mais plus encore de vanité & de fuffifance que de capacité. Sitöt qu'il fe vit le maitre de gouverner, il crut en avoir Ie talent; il fe jetta tête baiffée dans les affaires ; & quoique fans caraétere public , il prétendit tout voir &c tout régler (a). Les Minifires eurent la complaifance de lui donner connoiffance de ce qui regardoit chacun leur département. II n'y eut que Sully qui refufa de lui laiffer prendre aucune autorité dans les finances, & qui voulut exiger, non-feulement que le Favori ne s'en mêlat pas, mais encore qu'il nefollicitat jamais, fans le prévenir, des gratifications, ni pour lui, ïii pour d'autres. A cette propofition, perdit au jeu fix cents mille piltoles; & , le premier Aoüc, il y avoit déja cinq millions tirés de la Baftille. Voy. Journal de VEtoile. (a) Concini ayant été un jour envoyé par la Reine a Henri IV, pour parler de quelques affaires ; quand il fut retiré , le Roi dit a fes Courtifans : Vous voyez cet homme , c'eft lui qui gouvernera quand je n'y ferai plus, & les affaires n'en iront pas mieux. Voy. Math, Louis XIII. 1610. Sully, tm 2, ch. 42.  Louis XIII. 1610. 234 L' Intrigue Concini répondit: M. de Sully prétendil encore gouverner ? C'eft la Reine qui eft la makreffe : jaccepterai les dons qu elle nous fera pour les fervices que nous lui avons rendus. M. de Sully ne doit pas compter nous faire la loi; il a plus befoin de notre affiflance que nous de la jlenne ; il en convitndroit s'il favoit ce quon nous propofe contre lui, & il nous rechercheroit, en voyant qu'il n'y a ni Seigneur , ni Prince qui ne le faffe. Nous rapportons cette réponfe dans les termes propres des Mémoires de Sully, afin qu'on en voye mieux quelle étoit la fuffifance du Favori, fes vues intéreffées, la perfuafion de fon crédit, fon adrefTe a femer des foupgons, & la flexibilité rampante des Courtifans. Pendant que le mari difpofoit de ['Etat, la femme fe mêloit de toutes [es entreprifes lucratives : elle vendoit les graces & les privileges; elle ippuyoit les follicitations juftes ou innites, pourvu qu'elles fuffent payées; ;lle obtenoit des affignations fur le xéfor royal, & remplifToit fa maifon le richeffes. Pour un homme qui ouoit un fi grand röle, le nom de  Ti v Cabine t. 235 Concini étoit trop fimple a porter il acheta le Marquifat d'Ancre, & la Reine permit qu'il en prit le titre Elle trouva bon auffi , afin de lui donner un rang a la Cour, qu'il traitat avec le Duc de Bouillon de Ia Charge de premier Gentilhomme; enfin , cet étranger, qui n'avoit jamais porté les armes, obtint, au grand étonnement de tout le monde, le baton de Maréchal de France, les Gouvernements de Bourg en BrefTe, de Dieppe , & du Pont-de-l'Arche ; & fon beau-frere Etienne Galigaye, qui n'avoit pas rendu plus de fervices k 1'Eglife, que Concini a 1'Etat, homme d'ailleurs ignorant, de mauvaifes mceurs, le jouet de la Cour, fut nommé Archevêque de Tours , & Abbé de Marmoutiers. A chaque grace qui tomboit fur cette familie, il s'élevoit un cri d'indignation k la Cour. Le Marquis d'Ancre ne trouva pas d'autres moyens d'appaifer les mécontents , que de les combler eux-mêmes. Mais quand on vit que, pour obtenir, il ne falloit que murmurer & fe plaindre; quand 1'exemple de quelques favorifés eut Louis XIII. lóio. Dé pré da» :ion géne•ale. Sully , f. l, p. 50.  Louis XIII. 1610. (a) A Ia mort d'Henri IV, les penfions étoient de fix cents vingt-trois millecent quarante livres ; & a la fin de 1'année 1610, elles montoient a quatre millions cent dixfept mille quatre cents cinquante-fix livres Voy. Conjur. Je Concini, pag. 166. 136 L'Intrigue éveillé la cupidité des autres, il n'y sut plus de bornes aux demandes 6c aux prétentions (. général; &, en peu de temps, prefque tout 1'argent amaffé par Henri IV, & mis en dépot a la Baftille, s'écoula comme 1'eau qui trouve une ouverture. Sully raconte toutes ces manoeuvres, comme nouvelles étonnantes & indignes de la nobleffe Frangoife, que 1'avidité du gain dégradoit & avililToit. Encore fi ces profulions avoient procuré a la Reine la tranquillité qu'elle defiroit ! Mais la jaloufie fe mettoit entre les Grands fur le plus ou le moins qu'ils avoient recu; & pour empêcher la difcorde particuliere, qui des families auroit pu paffer dans 1'Etat, la Régente étoit obligée de redonner encore, fans en être plus füre de gagner les cceurs. : Tel eft le tableau de la Cour pendant les premières années de la Régence de Marie de Médicis. II feroit ' inutile & il deviendroit ennuyeux de raconter les petites intrigues qui caufoient journellement une multitude de brouilleries & de raccommodements , & de détailier les prétextes, minucieux qui les occafionnoient. C'étoit une preféance, un droit d'appartement au Louvre , d'y entrer en car-  ö u C a ï i n e t, 23 roffe, d'être recu ou annoncé, d priver de quelque honneur fon com pétiteur , ou de le garder concur remment avec lui. II arrivoit de-1 que les families fe brouilloient, f raccommodoient, ferebrouilloient er core. II fe formoit auffi des ligues d'autant plus dangereufes, que, dan ces fortes de querelles, les amis d'un» grande maifon fe croyoient obligé de défendre fes prétentions a la point, de 1'épée , &c venoient en foule lu offrir leurs fervices. Peut-être ces bagatelles de Cour auroient-elles cauft moins d'événements, fi la Reine eüi été plus ferme a contenir chacun dans fa place , & a ne pas accorder air* nouveaux protégés , des diftinctions choquantes pour ceux qui étoient anciennement en poffeffion. II arriva dela que plufieurs grands Seigneurs, des Officiers même de la Couronne, craignant d'être confondus avec ces hommes nouveaux, ne ie trouverent pas au facre de Louis XIII, qui fe fit a Rheims le 14 Ocïobre. Après cette cérémonie , les difputes de préféance continuerent & augmenterent encore. II y avoit h la 9 Louis ~ XIII. 1610. ■ i 1 i 1611. Etats dc Paris. Mere. 1.1, p. I.  Louis XIII. 1611. Mém. Baf fomp. t, I, ƒ>. 191. L40 L'Intrigue Cour plufieurs Princes jeunes, parents iffez proches, 6c amis comme on 1'eft entre perfonnes de ce rang. Tantöt le goüt des mêmes plaifirs les réunifToit, tantöt les intéréts de leurs ferviteurs les divifoient, 6c pour lors ils devenoient rivaux , ennemis 6c querelleurs. Vivant dans la capitale , ils fe faifoient un point d'honneur de n'y paroitre que fuperbement équipés, 6c ils n'alloient pas d'un lieu a un autre , fans un cortege de Gentilshommes, montés fur des chevaux richement caparagonnés , dont le bruit & 1'éclat attiroient le peuple. Comme les rues furent long-temps mal pavées, c'étoit une déférencede céder le cöté des maifons, qu'on appelloit k haut dit pavè; 6c 1'exiger, c'étoit afFefter une prééminence fujette k conteflations , pour peu que les perfonnes euffent entre elles d'égalité. Dans les querelles qui furvenoient fréquemment entre des braves pointilleux, 6c fouvent aigris par d'autres mqtifs, la populace prenoit parti, 6c il en arrivoit des émeutes qui faifoient craindre pour la Ville. On tendoit alors les chaines; on battoit le tambour ;  DU C A B I N E T. 241 bour ; les principaux Bourgeois fe mettoient fous les armes a la tête de ïeurs quartiers , pour contenir les ouvriers & artifans, que la curiofité arrachoit a leurs travaux. Dans cette difpofition des efprits , les occafions de concours étoient des circonftances dangereufes; & la Reine fut obligée, cette année, d'empêcher d'ouvrir la foire Saint-Germain, paree qu'il vaut mieux, difoit-elle, que 5 00 Marchands foient ruines, que Ji l'Etat étoit troublé : réflexion jufte, mais qui doit apprendre aux petits ce qu'ils gagnent a fe mêler des difputes des Grands (a). ( plus rien au fyftême politique de » la France. Les Efpagnols dominent » dans le Confeil. La Reine leur laiffe » ufurper la Navarre, & elle facrifïe » tout au defir d'accomplir un maria» ge qui elf généralement défapprou» yé ". Enfin , les mécontents accufoient Marie de ne donner a fon fils aucune connoiffance des affaires, de le faire mal élever expres, afin de prolonger fa Régence; & ils finiffoient par demander 1'affemblée des Etats Généraux. Ce manifefle ne refia pas fans replique ; on y fit une réponfe intitulée : Défenfe de la faveur contre Üen~ vie; titre qui caratiérifoit affez bien le motif de tous ces mouvements. On y faifoit voir que fi , depuis quelque temps, il y avoit eu des profufions ruineufes pour 1'Etat, ceux qui déclamoient contre étoit précifément ceux qui les avoient arrachées par force ou par importunité , &c qui en profitoient encore aöuellement. Quant aux plaintes de tous les ordres, on difoit qu'elles étoient fuggérées , faufles, ou mal fondées; que les impcts étoient auffi modérés que les cir- Louis XIII. 1614. Réponfe,  Louis XIII. 1614. On arme. 164 V Intrigue conftances le pouvoient permettre;que jamais la paix n'avoit été mieux établie dans 1'intérieur de la France , ni fon honneur mieux foutenu au-dehors; & que le mariage , s'il fe faifoit, étoit le plus grand avantage qui put arriver au Royaume. La Régente fortifia ces raifons de troupes, qu'elle leva facilement, paree que 1'argent ne lui manquoit pas. Les Princes , qui n'en avoient point, ne furent pas li bien fervis. Villeroy , homme expérimenté , blanchi fous quatre Rois dans le miniftere, &C témoin des fautes de Henri III, qui s'étoit perdu pour n'avoir pas attaqué la Ligue, avant qu'elle fut devenue puiflante, Villeroy confeilloit k Marie de tomber brufquement fur les Confédérés, pendant que leurs troupes n'étoient pas encore réunies , ni leurs mefures bien concertées: mais la Reine voyoit que tout le monde 1'abandonnoit, & couroit fe joindre aux Princes. Le goüt de la défertion ctoit comme une épidémie qui avoit gagné les Courtifans. & elle craignoit, au moment d'une action , une défection générale: d'ailieurs, elle ne fa- voit  DU C A B I N E T. l6 . P- Lil. Mere. t. 3, '. 420.  i66 L'Intrigue E o u i s xiii. 1614. tervenir l'AmbafTadeur d'Efpagne, qui déclara que , fi Ia Régente affoibliffoit ainfi le tröne, & accordoit tout a la faction de Condé, fon Maitre ne feroit pas difpofé a livrer fa fille entre les mains de fes ennemis. Ce fut donc une nécefïité a la Reine de fe montrer dans la négociation plus ferme qu'elle n'auroit voulu. Le Duc de Bouillon joua pour lors fon röle. La Reine eut recours a lui. II devint l'homme néceffaire, comme il le défiroit, & tira parti de Ia circonftance, pour fe donner de 1'importance, & faire connoïtre a la Reine & a fes Miniftres , qu'il étoit dangereux de le négliger. Les pourparlers enfanterent le traité de Sainte-Menehould, ainfi nommé d'une petite Ville fur la frontiere de Champagne : il fut figné le 1 5 Mai; traité mal digéré , qui laifTa fubfifter toutes les prétentions des mécontents, & aj outa même a leur état des dignités & des gratifications, fans qu'il fut queftion du foulagement des peuples, que leurs manifeftes avoient fi folemnellement promis de procurer : on donna feulement des efpérances, que les Etats-Généraux  su Cabine t. 2Ó7 y pourvoiroient, Sc la Reine s'engagea de les convoquer. Cette paix fut auffi appellée Malotrue; nom dont il feroit difficile de donner la vraie fignification, mais qui fait voir qu'on 1'eftimoit peu. Entre les Confédérés , le Duc de Vendöme ne voulut point 1'accepter, perfuadé qu'on n'oferoit aller Pattaquer dans fon Gouvernement de Bretagne, oü il s'étoit retiré : mais la Reine y mena fon fils a la tête d'une armee, &c Vendöme fe foumit. Elle fit enfuite reconnoitre Louis majeur au Parlement de Paris le 2 Octobre, Sc les Etats s'affemblerent dans la capitale le 26 (a). Ces Etats, les derniers qui ayent été convoqués, tinrent le public en < fufpens pendant cinq mois. II paroit1 par les queftions qu'on y agita, Sc) par la chaleur qu'on y mit, que les P Grands fongerent bien plus a fatif-' faire leurs paffions particulieres, qii'a procurer le bien du Royaume. II y (u Cabine t. 269 tations, dans lefquelles on fit entrer les grands principes de Pindépendance & les exhorte a continuer : mais, » en même - temps , il vous défend » de mettre a exécution 1'arrêt rendu » pour la convocation des Pairs, & » de délibérer déformais fur cette s» affaire ". La Reine paria auffi dans les mêmes principes , & infifla pareiï» lementfur la prépondéranee de la jeuneffe , qu'elle regardoit comme la caufe du défordre. En répondant a 1'un & a 1'autre, le premier Préfident, a fimitation de Servin , ne chercha pas k pronver les droits que la Cour rcfiifoit au Par» Louis XIII. 161J,  Louis XIII. lói;. Les précrue. 2S0 L' Intrigue lement : mais comme, dans l'afFecTation qu'on marquoit d'attribuer 1'arrêt aux jeunes Confeillers, il crut voir le deffein de jetter un ridicule fur les opérations du corps entier; il releva vivement cette imputation, & fupplia le Roi de croire que toute la Compagnie avoit concouru a former 1'arrêt; que ceux qui lui avoient dit le contraire , ne lui avoient pas fait un rapport fidele , & qu'il le fupplioit de les honorer tous également de fa bienveillance : il fe retira enfuite , & les Miniftres crurent 1'affaire finie. Mais il s'étoit répandu un bruit que le Roi fe laffoit d'être en tutelle, & qu'il ne feroit pas faché qu'on 1'éclairat fur les défauts du gouvernement. C'en fut affez pour faire prendre au Parlement le parti de ne point ceffer le travail des remontrances. En vain la Reine irritée vouloit 1'interrompre par de nouvelles défenfes; les CommifTaires nommés k cet effet, le continuerent avec ardeur. Elles furent examinées dans les Chambres affemblées, approuvées & préfentées au Roi par la grande députation, le iz Mai: les rues par lefquelles elle paffa , les  du Cabine t. 281 cours du Louvre, les efcaliers, les fenêtres, étoient remplies d'une foule innombrable ; preuve certaine de la haine générale contre les Miniftres , toujours en bute a 1'envie publique, & lur-tout contre le Maréchal d'Ancre , qu'on favoit être particuliérement noté dans les remontrances. Le Roi & la Reine attendoient la députation dans la chambre du Confeil , accompagnés des Ducs de Guife, de Montmorency, de Nevers, d'Epernon, de Vendöme, du Maréchal d'Ancre , du Chancelier, de Souvré, des Secretaires & principaux Confeilliers d'Etat. Elle fut introduite par un Capitaine des Gardes. Le premier Préfidentprononca une harangue trèsrefpectueufe, & préfenta le cahier au Roi, qui le prit de fes mains, promit de 1'examiner, & leur dit de fe retirer. Les Miniftres s'applaudiflbient déja d'avoir réduit une démarche fi folemnelle a une fimple cérémonie , lorfque le premier Préfident reprit la parole, & fupplia le Roi de faire lire les remontrances en préfence des Députés, afin que fi quelque article fe trouvoit avoir befoin d'explication, Louis XIII. 1615.  1.0WI! XIII. 1615. On en fait pubhquement la le£hire. Mere. t. 4, P • 49. 282 L' Intrigue ils la donnaflent fur le champ. Plus promptement que la Reine ne put parer ce coup, le jeune Prince ordonna la leéhire , Sc elles furent écoutées avec le plus profond fdence Sc la plus grande attention. Ces remontrances , les premières qu'on ait rendues publiques, font remarquables par leur force Sc la liberté qui y regne. Le Parlement déclare dans le préambule, qu'il s'eft toujours entremis utilement des affaires publiques, & que les Rois l'y ont appellè. C'eft, dit-il, un mauvais confeil qu'on donne d Votre Majejté, de commencer l'annie de fa majoriti par tant de commandements de puiffance abfolue, & l'accoutumer d des aElions, dont les bons Rois , comme vous, Sire , nufent jamais que fort rarement. II ajouta que plufieurs Rois ont eu regret d'avoir violente' Sc non écouté le Parlement; que des Princes étrangers , des Rois , des Empereurs, des Papes, fe font foumis a fon arbitrage; que témoin de beaucoup de défordres dans 1'Etat, il s'eft affemblé, Sc a defiré le concours des Princes Sc des Pairs , non pour ordonner & réfoudre des moyens d'y remédier, mais  d u C a b i n e t. 283 pour les propofer d Votre Majejtè avec plus de poids & £ autorité , lorfquElle verra que les chofes ont été confidérées dans une lelie & fi célebre Compagnie. Suivent les griefs en 29 articles. Toutes les parties de l'adminiitration y lont parcourues. On s'y plaint de ce que 1'autorité du Roi 8c fa füreté ont eté mifes en problême dans les derniers Etats , par les partifans des opinions idtramontaines ; de ce que les anciennes alliances ne font pas entretenues; de ce que le Confeil ejt compofé, non des Princes , des Grands du Royaume & anciens Miniflres, mais de perjonnes introduites depuis peu d'années , «0/2 pour leurs mérites & fervices rendus, mais par la faveur de ceux quiy veulent avoir des créatures; de ce qu'ennn ces Miniftres, Confeillers du Roi , & autres , font penfionnés par les Cours étrangeres. Le Parlement demande que les Officiers de la Couronne ne foient pas troublés dans leurs fonctions; qu'on ne donne plus de furvivances; que les charges ceffent d'être vénales; qu'il ne foit plus permis aux fiijets du Roi, Eccléfiafïiques 8c autres, d'avoir com» Louis xiii. i6ij.  Looi XIII. 1615* 1Ë4 L'Intrigue ] munication fréquente & fecretes intelligences avec les Ambaffadeurs tk Miniftres étrangers; que les libertés de 1'Eglife Gallicane foient foutenues , les confidences punies, les coadjutoreries fupprimées; qu'on mette des hornes a la multipücation des Ordres reiigieux ; qu'on ne nomme aux Archevêchés , Evêchés, Abbayes , que des regnicoles favants & de bonnes m ceurs; que le Roi faffe fleurir 1'Univerfité de Paris, & pourfiiive par les Juges or«linaires les Anabaptifles , Juifs, Empoifonneurs & Magiciens, trop communs chez les Grands qui les protegent. Le Roi eft fupplié auffi de punir les vioïences faites aux Juges, pour arrêter le cours de juftice; de régler la qualité des affaires qu'on pourra porter au Confeil, tk la forme qui y fera obfervée; de n'y point caffer ou faire furfeoir, fur de fimples requêtes , Pexécution des Arrêts du Parlement; de faire faire juftice des grands crimes fans grace ni délai, quels que foient les coupables; de ne point foufFrir qu'on altere ou change hors du Confeil les Arrêts qui y ont été prononcés, tk. d'öter les droits nouveaux de Chancellerie.  bu Cabinet. 285 Quant aux fïnances, le Parlement •defire cu'elles foient mieux adminiftrées; qu'on diminue le nombre de ceux qui les manient, ainfi que les penfions; qu'il foit fait défenfe aux Confeillers du Confeil de recevoir aucuns dons, préfents ou penfions des Adjudicataires des Fermes ; qu'il foit Fait une recherche févere des maltötiers , dont Us rejtitutions feront appliquèes d la décharge des peuples. Enfin, après quelques obfervations fur le eommerce , les jeux de hafard, les manufactures, les arfenaux, les fortifications , la paye des troupes, les remontrances rïnifFent par deux articles remarquables , fuivis d'une conclufion qui ne 1'eftpas moins: i°. qu'on n'exécute aucun Edit ni commiflion , fans vérification des Cours fouveraines, & enregiflrement préalable : i°. qu'il foit permis, conformément k 1'Arrêt du 28 Mars, de convoquer les Princes & les Pairs, toutes les fois que le Parlement le jugera convenable ; & en cas que ces préjcntes remontrances, par les mauvais confeils & ardfic s de ceux qui y font imêreffés , ne puijfent avoir lieu, Votre Majejli trouvera bon, s'il lui plak, Louis XIII. 1615.  li 6 V Intrigue LOUIS XUI. 1615. que les Officiers de votre Parlementfaffent cetteprotefiation folcnnelle ,fous votre autorité : que,pour la décharge de leur confcience envers Dieu & les hommes , & pour le bien de votre jervice & confervation de votre Etat, ils feront obligés de nommer ci-après en toute liberté les auteurs de ces défordres, & faire voir au public leurs mauvais déportements , afin d'y être pourvu par Votre Majeflé en temps plus opportun. On concoit Feffet que fit une pareille ledture. II y eut un moment d'un profond fdence: chacun fe regardoit. Enfin, la Reine prit la parole, & dit que cela n'étoit fait que pour blamer fon gouvernement; que c'étoit lui manquer de refpedt, & que les remontrances mettoient le comble aux injures contenues dans les libelles qu'on répandoit contre elle. Le Chancelier fe contenta de faire obferver au Roi , que les remontrances n'auroient dü être faites qu'après que Sa Majefté auroit envoyé POrdonnance qu'il avoit promife fur les cahiers des Etats. Le Préfident Jeannin , qui gouvernoit les finances, juflifia fa geftion avec chaleur , &c fit voir que , fi les millions  B TJ C A B I N E T. l8j cpargnés par Henri avoient été diffipés, fi on n'en avoit pu mettre d'autres en réferve , c'étoit la faute des Princes auxquels on avoit été forcé de prodiguer des gratifications & des penfions, pour empêcher une guerre ruineufe. Chacun paria enfuite fans rang & fans ordre. On interrogeoit, on répondoit; on s'apoftrophoit. Les Seigneurs notés dans les remontrances , fur-tout le Maréchal d'Ancre , langoient fur le Parlement des regards foudroyants. Les efprits s'échauffoient, & il étoit a craindre qu'une affemblée fi augufle ne finit pas fans violence. Le Roi prit le parti de la congédier , & promit de faire favoir incefTamment fa volonté. La réponfe ne fe fit pas attendre : dés le lendemain, 13 Mai, il parut un < Arrêt du Confeil, qui fupprimoit les remontrances comme prématurées & compofées fans permiffion du Roi. Sa Majeflé promettoit un Edit fur les cahiers des Etats, & s'engageoit a écouter pour lors les remontrances qui pourroient être faites fur cet Edit. Le lundi premier Juin , 1'Arrêt du Confeil fut porté au Parlement pour être Louis XIII. 1615. Arrêr du "o»lei! ontre,  i$8 L' Intrigue i. o u i XIII. i6ij. On s'ac commode. j enregiftré. Le Parlement ordonna des remontrances; le Roi donna des lettres de juiïion : ainfi le combats'engageoit, & la rupture paroiffoit inévitable , lorfque la certitude oü étoit le Parlement de faire plier la Cour s'il s'opiniatroit, 1'engagea a plier lui-même. Le Duc de Bouillon intriguoit toujours dans la Compagnie : il pafToit fi bien pour être Pauteur de tous ces mouvements, que la Reine difoit naïvement de lui: Vous verre^ que nous ferons contraints de recourir d cet homme-ld, pour nous tirer d'embarras. Quand il vit que les lettres de juflion ébranloient quelques Membres , il fit favoir au Parlement, par des émiffaires, qu'il n'avoit qu'a tenir ferme , que le Prince de Condé fe déclareroit pour lui, & que toute la nation, mécontente comme elle 1'étoit, ne manqueroit pas de s'attacher au Prince. II n'ofa pas trop faire valoir dans ce moment les liaifons qu'il avoit avec les Calviniftes, qui s'affembloient a Grenoble, & qui promettoient une puiffante diverfion; mais il en dit affez pour faire connoïtre que, fi le Parlement perfiftoit dans fa réfütance , les Miniftres feroient forcés  DU C A B I N E T. 189 forcésou de céder, ou d'elTuyer une guerre que Pintervention du Parlement leur rendroit certainement défavantageufe. Ainfi le Parlement fe vit avec étonnementamené a lever Pétendard contre fon Souverain, ou du moins h fervir, contre fon intention, de fauvegarde Sc de prétexte aux révoltés. Alors les membres de ce corps les plus modérés ouvrirent les yeux aux autres fur le danger de leur pofition: ils leur firent entendre que ce feroit une honte éternelle pour eux d'être! lesboute-feux de la guerre; que, malgré leur bonne intention, ils pafferoient dans la nation Sc chez 1'étranger, pour avoir aidé a ébranler le tröne, autrefois affermi par leurs mains. D'ailleurs, ajoutoient-ils, quelle imprudence de nous livrer au Prince, qui n'a peut-être d'autre delTein que d'épouvanter par nous le miniftere, &C qui, pour obtenir une paix avantageufe, nous facrinera enfuite a Ia colere du Roi! _ Si le Parlement balangoit, les Miniftres n'étoient pas plus fermes; ils Tome I, N Louis XIII. 1615.  Louis XIII. 161 j. 290 L'Intrigue craignoient que cette compagnie , pouflee a bout, ne fe joignit publiquement auX mécontents, & ne les appuyat de quelque déclaration éclatante , qui auroit donné auprès du peuple une grande faveur au parti. Ces différentes confidérations calmerent la première fougue. Les efprits fe rapprocherent , & des conférences qui s'établirent fortit un accommodement, par lequel chacun fe relacha. Le 13 Juin, le Parlement donna un arrêt concerté; il y faifoit des excufes a la Reine , & difoit que dans fes remontrances , il n'avoit prétendu blamer ni elle, ni fon gouvernement. II repréfentoit modefïement, que le dernier arrêt du Confeil , fi le Roi en exigeoit 1'entiere exécution , feroit infiniment dommageabk a 1'honneur de la compagnie; & il fupplioit Sa Majeflé de ne point exiger que 1'arrêt de fon Parlement fut cafTe. Le Miniflere fe contenta de cette réparation. L'affemblée des Pairs n'eut pas lieu; mais aufli 1'arrêt du Parlement ne fut ni biffé, ni annullé. En cela, celui du Confeil n'eut  DU C A B I NET. 191 point d'exécution; & au contraire, celui du Parlement conferva toute fa force, & fervit de pierre d'attente pour les occsfions futures. Fin du Tornt premier. Louis XIII. 161 j.