L'INTRIGUE DU CABINET, sous HENRI IV ET LOUIS XIII, TERMINÉE P AR LA FRO NDE. TOME TROISIEME.   L'I N TR I GU E DU CABINET, SOUS HENRI IV ET LOUIS XIII , TER MINÉE PAR LA FRONDE. Par M. A n qv e t ï l , Chanoine Régulier de la Congrégation de France , Corrcfpondant de l'Académie Royale des lnfcriptions & Belles- Lettres , Prieur de Chdteau-Renard, & Auteur de 1'Efprit de la Ligue. TOME TROISIEME. A MAESTRICHTy Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC. L XXXII.   SOMMAIRES DU TOME TROISIEM E, LIVRE SIXIEME. I^icheueu rèduit Gajlon. — SoifJpns ne plu pas. — Favoris & Maurejfts de Louis XIII. — Mortification qu'effuie la Reine rêgnantt. — La Fayette. — Affaires de Savoie. — Le P. Monod, & le P. Cauffin. — Le P. Jofepk. — Son ca. raïlere Procés de La ValUtte. — Dernieres tentatives de la Reine-Mere. — Proces du Duc de Vendvme Ma- larin. — affaire du Comte de Soiffons. — Opirations politiques de Richelieu. Soiffons forcé a la guerre. — Livre hataille & la gagne. — Eft tui. — La guerre finit. Proces de Saint-Preuil. De Tkou. — Cinq-Mars. — Ses prétentwns. — Le Cardinal le traverfe. — Vues du Minifire. — Confpiration de CinqMars. — U gag„e le Roi. — Richelieu en difgrace. — Traité de Cinq-Mars avec l Efpagne, — II efi arrêté. — Procis de a tij 1659. 1640. 1642»  1646-48. 1648. vj SOMMAIRES. Cinq-Mars & de Tkou. — lis font condamnés. — Exécutés. — Retour triomphant du Cardinal. — Mort de la ReincMere. <— Mort du Cardinal. — Son éloge. — Déclaration contre Gaflon. — Révoquée , & rappel des difgraciés. — Mort de Louis XIII. — Oppofitions de vues entrt les Courtifans. — Cabale des Importants. —» Les difpofitions de Louis XIII changéts. —- Faveur de Ma^arin. — Ses qualités. — Retour de Madame de Chevreufe & de Chdteau-neuf. — Leurs prétmtions. — Divers intéréts de la Maifon de Condé. — Les Importants gagnent le Duc d'Enguien. — // les quitte. — Affaire des lettres. — La Régente fadguée des Importants. — S'en débarraffc. — Fait arrêter le Duc dc Beaufort. LIVRE SEPTIEM E. Be au x jours de la Règence. — Idéé de la Fronde. — Caractere de Ma^arin. — Murmures contre lui. — Contre la Régente. — Difgrace de Chavigny. — Affaire des Capitaines des Gardes. — Le Toifé, —- Le Tarif. — La Pauk/te,  SOMMAIRES. vij Arrêt d'union. — Afemblées de la Chambre de Saint-Louis. — Ce qu'ony traite. — Motifs des Frondeurs. — Caraclere du Premier-Préfident Molé. — Demandes du Parlement On les ilude. — Lit de Jujlice. \— Les afemblées recommencent. — Intrigues & caraclere du Coadjuteur. _ Broujfel & autres arrêtès. Tumulte dans la Ville. _ Incertitude de la Cour. — Violences du peuple. — Le Coadjuteur fappaife. — En ejl mal récompenfé. — Barricades. — Députation du Parlement. _ Suites des barricades. Embarras du Coadjuteur. — Mefures qu'dprend. — Le Roi quitte Paris. — Chavigny & autres arrctés Convoca- tion des Pairs. _ Rumeur dans Paris. — Bonne Conduite du Prince de Condé. -— Conférence de Saint-Germain Ar- ticle delafüreté.— Déclaration du x± Oclobre. — Nouveaux débats a la rentree du Parlement— Brouillerie de Cour. — La Rmere. — Condé fe détermine pour la Cour. — Le Coadjuteur lui oppofe fa familie. — Le Roi quitte Paris. —.Embarras du Parlement. — Arrêt contre le Cardinal Ma^arin.— Haine contre lui. —~ Inquiétudes du Coadjuteur. — Arrivéedu Prince de Conti d Paris. — Etat  £&s<5. L'Intrigue vii; SOMMAIRES. de Paris. — Etat de la Cour. — Prife de la Baflille. — Explo'us des Parijiens Leursforces. — Lturs motifs. — ASivité de Condé. — Prife de Charenton. Mouvement dans lts Provinces. Dij- pofition d la paix. — Héraut de la Cour renvoyé. — Envoyè de l'Arckiduc admis au Parlement. — Conférences de Ruel. — Accommodimentde Ruel.~ Accom- modement de Saint-Germain. Récon- ciliation , Mécontentement de Condé. — Ilfe fait beaucoup d'ennemis. -— Les Frondeurs le recherchent inudUment. — Affaire des Rentiers. — Feint affaffinat de Joly. Piege tendu d Condé. Procés criminel inttnté au Coadjuteur. — Fautes de Condé. — Aventures de Jarfay. — Réconciliadon du Coadjuteur avec la Cour. — Les Princes de Condé, dt Conti , & le Duc de Longueville arrétés. — Confternadon de leurs partifans. lis nprennent courage. — Conduite de la jeune Princeffe de Condé. — Ellefe rcnd d Bordeaux. —Vieltnccs qui s'y commetttnt.  L'INTRIGUE DU CABINET, SOUS HENRIIV ET LOUIS XIII, TERMINÉE PAR LA FRONDE. LI V RE SIXIEME. Ichelieu auroit pu laiYIj^te fer le Duc d'Orléans ronggPjjgl ger fon frein dans fon exil "—' honorable , fi le Roi, fatigué de ces rracafferies, n'eiit décla-l ré nettement qu'il vouloit qu'elles finiflent; il fallut donc fonger a trai-< ter. Dès la première converfation, les' Tome III. A Louis xnr. «637. Richelieu édirit Sarton. Mém. Rcc. ■ 8, p. 71. Lm, dt  XIII. 1637. Rich. p. 89. ■ Aulcry Hifi. P. 300. Moniréfor I- vol. p 77- Auher. Mém. t. X p. 12. 1 2 L'Intrigue envoyés du Minifire s'appercurent qu'en faifant la condition de Monfieur avantageufe, il feroit aifé de l'amener a féparer fes intéréts de ceux du Comte de Soiffons, pourvu qu'on lui ' laiffat l'honneur de quelque réfiffance; & ce fut fur cette connoiffance | qu'ils conduifirent la négociation. On faifoit des propofitions; Gafton demandoit du temps pour les communiquer au Comte ; on l'accordoit, & tont en attendant on faifoit avancer des troupes vers Blois. Monfieur crioit k la violence; les troupes s'arrêtoient. Nouvelles propofitions, nouveaux délais demandés & accordés; les troupes avancoient encore, s'arrêtoient de nouveau. Enfin, le Roi fe met luimême en marche. Gafion fe laiffe inveftir, & écrit au Comte qu'il ne peut aller le joindre a Sedan, felon leur convention, & qu'il efl: forcé de s'en teriir aux conditions que fon frere lui accorde. Ces conditions étoient une promeffe ambigue de ne pas pourfuivre la rupture du mariage de Monfieur, & qnelques avantages pécuniaires pour lui & fes gens. C'étoit bien peu, en comparaifon de ce que Ie Duc  du Cabine t. i d'Orléans prétendoit d'abord. II de mandoit une place de füreté, des troupes entretenues, le retour de fa mere, la liberté de leurs communs ferviteurs & de tous les Seigneurs retenus a la Baftille & dans d'autres prifons. Un'y eut de délivré quel'Abbé de La Riviere (e plie ias, tontrlfori 2) P. 86. Lttt. ie ■'VA. p, >9- Tourn. de ich. p, 9»  L o u i XIII. l637« 4 L'Intrigue . écrivit au Roi une apologie de fa con* duite , fondée fur les vexations fourdes du Cardinal, qui 1'avoit forcé de s'éloigner; il fe borna a demander qu'il lui fut permis de demeurer a Sedan, fans pouvoir être forcé de revenir a la Cour, ni en tout autre endroit 011 le Miniftre auroit autorité. En vain Richelieu lui fit des promeftes & des proteftations qui équivaloient a des excufes, le Comte refta inébranlable dans fa réfolution de ne jamais fe fier a lui; & quand il s'appercut qu'on trainoit la négociation, & qu'on prenoit des mefures pour le tirer de fon afyle, indigné de quelques mauvais traitements faits a fa mere & a plufieurs de fes amis, le Prince s'appliqua férieufement a renouer avec la Reine-Mere & les Efpagnols, un traité que la foiblefle de Gafton avoit interrompu. Alors le Cardinal craignit de fuccomber, fi, pendant qu'il étoit embarraffé d'une guerre étrangere , il s'attiroit encore fur les bras un ennemi trèseftimé, auffi redoutable par fa fermeté dans fes réfolutions, que par fa valeur, II fe détermina donc k accorder  du Cabine t. 5 au Comte ce qu'il demandoit : & or vit un Prince du Sang, refugié dan: une fortereffe appartenantea unPrina ctranger, avec une garnifon payée pai la France , aux ordres & pour la fït retéde eet exilé volontaire. Ainfi Soif fons, placé fur la frontiere du Royau me, 1'ami, 1'appui, la reiTource d< tous ceux que les orages de la Coiu en éloignoient, reffembloit k une d« ces nuées noires & épaiffes, qu'or voit s'élever fur les bords de 1'hori' fon, vers laquelle font chafles les petits nuages, qui la groffiiTent & reviennent avec elle plus formidablej par la foudre dont ils ont porté les matieres qui s'allument dans fon fein, Mais avant que ces tempêtes éclataffent, il fe pafïa a la Cour des fcenej qui méritent d'être retracées aux Lecteurs. Quoiqu'elles foient minucieufes en apparence, les mceurs privées des Rois & des Princes ont fouvent une telle influence fur le fort des peuples, qu'il elt bon que les Grands apprennent par 1'Hiftoire, que rien de ce qui les concerne n'eft indifférent. Les favoris, les maitreffes & les confeiTeurs des Rois, lorfqu'ils perA iij 1 r Louis ! XIII. . 1637. Favoris & Maitreffes de  Louis XIII. 16373 Louis XIII. Mém. de IdotteyilU,dcB*ffampierre , de Monflat. Et Mém. ree. Paf, jun. t 1 1 i 1 1 6 L' Intrigue dent leur crédit, en font ordinairement privés , paree qu'ils ceffent de plaire au Monarque: fous Louis XIII, quoiqu'ils pluflent au Roi, ils étoient difgraciés, paree qu'ils ne convenoient pas au Miniftre. On fe rappelle la cataftrophe de Chalais, qui auroit peutêtre évité fon malheur s'il avoit eu Ia politique de céder a Richelieu le cceur de la DucheiTe de Chevreufe. Baradas, fait pour le mouvement & la guerre, s'ennuyoit auprès de Louis. II fut aflez mal-adroit pour Ie laifler paroitre, & le Roi Ie congédia: mais il auroit p.u fe retirer avec de beaux débris de fa fortune, s'il n'avoit pas encouru Ia haine du Cardinal encore plus que celle du Roi. Enfin, SaintSimon qui lui fuccéda, fe trouva dans 'heureufe circonfiance de pouvoirêtre .itile k Richelieu, d la journèe des Dw its. Tant que Ie Miniftre fut injuftenent perfécuté par la Reine -Mere & es adhérents, le Favori prit fon partï ixiprès du Prince; mais quand il de» 'int perlécuteur a fon tour, Saint* iimon ne put s'empêcher de fe monrer fenfible au fort des malheureux. lichelieu craignit les infinuations d'un  du Cabinet. 7 homme qui avoit Poreille du Maïtie : il fit entendre au Roi que SaintSmon étoit bien plus attaché a fa nere &c a fon frere qu'a lui; crime irrémiflible auprès de Louis. Un évenen.ent fackeux vint a 1'appui de la maivaife volonté du Prélat. Saint-Lc~ ger, oncle du Favori & Gouverneur de h Capelle, lors de 1'invafion des Efpagnols,renditcette ville troppromp» teraent au gré du Miniftre ; Saint-Légei difoit qu'il n'avoit ni munitions , ni troupes fuffifantes. Richelieu voulul lui faire faire fon procés; mais le Gouverneur fe fauva. Le Cardinal préterdit qu'il avoit été averti par fon neTeu, & demanda fon éloignement au R.oi, qui ne put le refufer, & qui néanmoins lui conferva fa fortune 6c fon eftime (a). (a) Baflbmpierre, tom. III , p. 62, en parle aflez mal. Mais il avoit vifé a la place que Saint-Simon occupoit. II fe retira a 31aye, dont il étoit Gouverneur. Le Roi lui écrivoit fouvent avec le ityle de la confance & de 1'amitié. II fut un des premiers rappellé après la mort du Mtniftre. Lous XIII , quelques jours avant fa A iv Louis 1637.  Louis XIII. mort, lui donna la charge de Grand-Ecuy:r. Mais le Garde-des-Sceaux eut la malicede faire figner le brevet en blanc ; & quaid 3e Roi fut mort, on le remplit du nomdu Duc d'Harcourt. Saint-Simon fe retira ;ncore a Blaye, peu content de la Reint & ce Mazarin fon Miniftre. Les Anglois rienacant cette place, & faifant au Gouverneur, dont ils favoient les fujets de pain» te , les propofitions les plus avantagetfes; Mazarin lui envoya offrir de la part Je la Reine, des honneurs & des dignité; qui lui feroient oublier leurs torts, s'il v^uloit fe défendre. Saiut-Simon répondit : Je me eroirois trop humilié , fi, après avoir re:u tanc de bienfaits du Roi Louis XIII, j'éto s affi^ liche pour vendre ma fidéliti au fils de mon bienfaiteur. II repouffa les ennemis, & la Cour le lauTa dafis fa retraite* $ L'Intrigue II fe paffa du temps fans qu'il ftit remplacé. La favéur de Louis n'étoï pas recherchée ; il menoit une vie I. trifte, que peu de perfonnes defiroien: d'être admifes k fa familiarité. Celles quil honoroit de cette diftincHon s'en degoütoient bientöt, paree qu'il falloit paffer fon temps ou a des anufements puériles, ou k écouter les murmures perpétuels contre fon Miniftre , dont il portoit impatiemmtnt  bu Cabine t. $ le joug. Séparé de fa mere, qu'il te- ^ noit en exil, prévenu contre fa femme , jaloux de fon frere, en défïance continuelle de fes parents & des Seigneurs qui Penvironnoient, il ne voyoit que par les yeux de Richelieu , qu'il déteftoit, mais fans lequel il croyoit ne pouvoir régner. Dans cette pofition , le röle d'ua favori étoit fort embarraffant: il étoit obligé de trahir fon Maïtre, en rapportant au Miniftre tout ce qui lui échappoit dans ces moments d'humeur; ou s'il applaudiflbit aux plaintes du Roi, s'il ne les faifoit pas favoir au Cardinal, fon filence feul 1'expofoit a la hain'e du Prélat, paree que tot ou tard le foible Prince lui avouoit ce qui s'étoit dit dans ces converfations. Nonfeulement des favoris en titre, mais des Seigneurs fans prétentions, & des Officiers domeftiques furent punis, pour avoir fimplement laifle leurs oreilles ouvertes a ce qu'ils ne pouvoient s'empêcher d'entendre; de forte que les gens fenfés fuyoient le Monarque, que les foupcons & la mélancolie environnoient, fans qu'il préfentat aucun dédommagement, puifA y . O V 1 s xm. 1637.  l O U I! XIII. O) Cétoit k Richelieu que Louis XKÏ 10 L'Intrigue qu'on ne pouvoit en efpérer de graces, que par le canal du Miniftre. Se voyant ainfi délaifie, il promenoit fon ennui dans fes appartements & au cercle de Ia Reine fa femme; 11 y prit du goüt pour la compagnie de quelques Dames, qu'on peut ranger plutöt dans Ia claffe des Favoris, que dans celle des Maïtreffes, puifqu'il ne les aima que pour Ie plai/ir de la confïdence. Nous avons vu que Mademoifelle de Hautefort fut fa première inclination : elle étoit belle & fpirituelle, & fa faveur fe feroit foutQnue long-temps, malgré le Miniftre , dont elle afFeéToit de dédaigner Pappui, fi, après s'être d'abord brouillée avec la jeune Reine, elle ne lui eut enfuite marqué un attachement qui déplut au Roi. II devint jaloux de n'être pas ainié exclufivement; felon la coutume des perfonnes attaquées de cette maladie, il s'imagina être méprifé & joué par 1'époufe & la maitrefte. Richelieu ne manqua pas de 'entretenir dans ces foupcons (a), &c  du Cabine t. n après plufieurs brouilleries & plufieurs raccommodements, Mademoifelle de Hautefort fut reléguée dans une de fes terres du Maine , oü elle refta jufqu'a la mort du Roi. Pendant un des intervalles de froideur entre Louis & fa favorite, il s'attacha a Mademoifelle de la Fayette, jolie brune, moins belle que Mademoifelle de Hautefort, mais qui eut auprès de lui le mérite de payer fa tendreffe d'un retour fincere. Les raifons qui la déterminerent a enfevelir fes éfpérances dansun cloitre, tiennent aux intrigues qui allarmerent alors le Cardinal; il yit en même- portoit des plaintes contre fa maïtreffe» Quand il étoit mécontent , il la mena$oit de fon Miniftre. II lut un jour a Mademoifelle de Hautefort une longue lettre qu'il venoit d'écrire contre elle , 8t dit qu'il alloit 1'envoyer au Cardinal. La Demoifelle 1'arrache au Roi; il veut la reprendre , elle ï'enfuit; Louis 1'arrête, & tache de la ravoir de force. Ne fachant comment fauver la lettre, Mademoifelle de Hautefort la met feus fon mouchoir de col, étend les bras, & lui dit : Prene^-la fi vous ofe^ : il retira fes mains comme du feu. Voy. Monglat, tom. I, pag. a8S. A v] Louis Xllt. 1637.  Louis XIII. 1637. Mortification«ïu'efluye la Reine i'égnante. Mém. ie ■La Porte ie Motteville. Auher, Mém. t. 2, V- 75Bricnne, t. 2 , 121. Mém. Ree. t. S, p. éói. 1 1 I ] I 12 L'Intrigue temps foulevés contre lui, Ia Reine régnante, Ia favorite, les Seigneurs Francois & les étrangers compatiffant au fort de la Reine-Mere , le P. Caufïin , ConfelTeur du Roi; enfin, dit-on, jufqu'au P. Jofeph, fon confident intime qu'on appelloit f Éminence grife : Sc par-tout l'Emintnce rouge triompha. L'objet de fon inquiétude étoit alors Ia Reine régnante. Cette PrincefTe n'eut que des défagréments dans fon mariage. Comme Ia Reine-Mere connoiffoit fon fils capable de fe laiffer conduire par une perfonne qui obfiendroit fa confiance, elle eut foin de lui rendre fufpeéte la capacité de fon époufe. En lui enlevant ainfi 1'e.ftime de fon époux, elle lui enleva aufïï fon amour. Le Connétable de Luyoes prit des mefures plus honnêtes pour s'afTurer du Roi; il lia intimement fa femme avec Anne d'Autri:he; de forte qu'il domina par 1'ininuation, & en foutenant la bonne ntelligence entre les époux. Richelieu ï'ayant pas les mêmes reffources, re)rit la marche de Marie de Médi:is. II donna un corps aux ombrages  ï)u Cabine t. ty ie Louis. Les légéretés d'une jeune perfonne , qui parle fans précaution de chofes poffibles, furent repréfentées comme des réfolutions & des projets, & quelques imprudences prirent fous la main du malin Cardinal, 1'air & 1'apparence de crime d'Etat; il crut la forcer par-la a dépendre de lui. Quelques Ecrivains 1'accufent d'avoir defiré plus que des égards & des déférences (a). La Reine fut en efFet quelquefois contrainte de recourir au crédit du Cardinal, pour fe fauver des pieges qu'il lui avoit tendus. Gênée de tous cötés, cette PrinceiTe cherchoit de la confolation dans le commerce de fes proches. Elle écrivoit au Roi d'Efpagne fon frere, a 1'Archiduc„ & a plufieurs perfonnes des Cours de Madrid & de Bruxelles On ima|ina que dans ces lettres il pouvoir être queflion de la paix générale , qui étoit le vceu de toute 1'Europe, & (a) La Reine a conté h M«. de MotteVille quun jour le Cardinal lui paria d'ua air trop galant pour un ennrmi, & qu'il lui fit un dijcours très-pajfionné. Voy. Mém. dc Motteville, torn. I, pag. 36. Lova XIII, -*37.  Louis XIII. 1637. 14 L'Intrigue du retour de la Reine-Mere; deux chofes que le Cardinal redoutoit également. Le Roi fe perfuada facilement un myfïere dangereux dans ce qu'Anne d'Autriche faifoit a fon infu , & réfolut, a 1'inftigation du Miniftre, de furprendre fon époufe. La Reine alloit fouvent au couvent de Val-de-Grace; elle s'y étoit conftruit un joli appartement, & elle paffoit avec des Religieufes choifies des journées que la triftefle de la Cour lui faifoit trouver très-agréables. Le Chancelier s'y tranfporta par ordre du Roi; il fit ouvrir les armoires, fouilla les tiroirs, examina les papiers qui s'y trouvoient. II interrogea les Religieufes & la Reine même, & la forca de lui remettre une lettre qu'elle vouloit cacher dans fon fein. Pendant ce temps, on arrêtoit & on tranfportoit dans différentes prifons fes plus fideles ferviteurs.. Anne fut contrainte de fuivre fon mari k Chantilly, oü elle demeura refferrée dans fa chambre, & réduite aux gens abfolument nécelTaires pour fon fervice. Comme la difgrace eft contagieufe, les courtifans évitoient ceux qui paflbient pour  bu Cabine r. 15 lui être attachés. On remarqua qu'er traverfant la Cour, ils n'ofoient mê' me tourner les yeux vers fon appartement. On difoitpubliquementqu'elh alloit être renvoyée en Efpagne. Cette menace, qui paroit finguliere, aprèi yingt ans de mariage, n'étoit peutêtre pas fans fondement de la part dt Cardinal, auquel Jes partis extrêmei ne coütoientrien, & qui n'auroit paj été fiché d'entretenir la haine des deus Maifons de France & d'Autriche. Sa mauvaife volonté, s'il la pouffa k cel excès, fut fans effet. On croit que le Chancelier fit avertir la Reine trèsfecretement de la recherche qu'il devoif faire. II ne fe trouva au Val-deGrace que des papiers inutiles, & dans les armoires, des haires & des disciplines, qu'on regarda comme mifes en dérifion du Cardinal. Les agents de la Reine nierent conftamment d'avoir fervi dans le commerce clandeftin qu'on lui imputoit;. & malgré les promeffes, malgré les menaces, quoique Richelieu les interrogeSt lui-même en homme qui veut trouverdes coupables, quoiqu'il cherchat k les épouyanter, & qu'on mit ,5"5555 Louis • XIII. . 1617. Mém. ét la Porte, 1. 118 & ruiy%  lOHl XIII. -637. (a) Sachant que Bullion, Sur-Intendant ie> L'Intrigue . a quelques-uns les inftruments de la torture fous les yeux, ils furent inébranlables. Enfin, chofe étonnante ! relTerrés dans des prifons impénétrables , fous des Geoliers choifïs par le Miniftre, & gardés a vue dans des cachots par des foldats renfermés avec eux, on trouva moyen de leur faire favoir ce qu'ils devoient taire ou avouer, afin que leurs réponfes cadraffent avec celles de la Reine : & ces avis leur parvenoient par le canal même des parents du Cardinal; tant étoit générale 1'indignation contre le defpotifme hautain d'un Miniftre tyrannique , qui vouloit dominer même les inclinations. La Reine, qui avoit été réprimandée en plein Confeil du temps de Chalais, fut obligée, dans cette circonftance, de figner un écrit, par lequel elle fe reconnoiffoit coupable d'imprudence. Quand Richelieu ne pouvoit pas trouver les perfonnes affez criminelles, c'étoit fa politique de fe procurer ainfi des titres contre elles en cas de recidive (a) : &c, fe-  du Cabine t. 17 Ion fa coutume , il fit encore valoir a la Reine le retour du Roi vers elle , comme une grace & le fruit de fes follicitations. Mais il y a apparence qu'elle dut plutót fa réconciliation aux remontrances de Ia tendre La Fayette, dont la conduite eft un modele de vertu, peut-être unique dans 1'Hiftoire. Seniible aux épanchements du cceur de Louis, elle aimoit fa perfonne, elle s'intéreffoit a fa gloire, elle auroit voulu qu'il fut heureux dans fa familie & au-dehors; mais la pufillanimité du Roi s'oppofoit a 1'exécution de ces defirs. Quand il fe confidéroit envi- des finances, étoit regardé parle Roi com= me un homme qui pouvoit le remplacer en cas de befoin , Richelieu voulut un jour lui faire figner 1'aveu qu'il avoit malverfé dans les finances. Bullion refufa ; le Cardinal fe" mit en colere, & prit les tenailles de fon feu, pour lui en donner fur la tête. Le Sur-Intendant intimidé, figna, & Richelieu , en ferrant ce papier, dit: Voila le procés de Builion tont fait, quand il me plaira. Bullion mourut de chagrin peu de temps après cette aventure. Foy. Mém. de Monglat, torn. 1 „ p. 372. Louis XIII. 1637. 1637-38. La Fayette. Mém. de Motttville, t.1, So. Mém. Ric. t. 8 , p. 663. Monglut, t. i,p. m. Brienne .j t. 1, f. [36.  l o u i < XIII. 1637-38. 18 L'Intrigue ronné de tant de guerres & d'intrigues, il croyoit ne pouvoir jamais s'en tirer qu'a 1'aide de fon Miniftre : & tout le monde, au contraire, étoit perfuadé que c'étoit fon Miniftre qui 1'enveloppoit de ces embarras, comme d'autant de filets pour le retenir, & que, par 1'éloignement de Richelieu, tous les obftacles s'applaniroient. II étoit difficile de mettre ces idéés dans la tête du Roi, fans que le Cardinal s'en appercüt, plus difficile encore del'empêcher de les détruire : de forte que La Fayette reconnut avec douleur que Louis fentoit fa chaine, mais qu'il la croyoit néceffaire, & que, pour conferver la faveur du Monarque, il falloit fe réfoudre a porter cette chaine avec lui. Trop fiere pour dépendre d'autre que du Roi, La Fayette fe détermina a rompre un engagement qui commencoit a allarmer fa fagefle. Elle a raconté elle-même, que Louis, ordinairement fi retenu, lui fit un jour la sropofition délicate de lui donner a V^erfailles, chateau de plaiflr alors, un tppartement , oü il iroit la voir liïrement, & quil mit dans fes offres  du Cabine t. 15 une vivacité qui la iurprit. La Fayette ne dit pas fi elle partagea Pémotion du Prince : mais elle nous apprend qu'elle Paimoit, qu'il fut honteux de fon tranfport, & elle honteufe del'avoir occafionné , & qu'ils ne trouverent pas de meilleur moyen de fe mettre en fïïreté contre leur mutuelle foiblefle que de fe féparer. De 1'aveu du Roi, a qui ce confentement coüta beaucoup, La Fayette alla fe renfermer chez les Religieufes de la Vifitation, oü elle prit Ie voile. Richelieu qui avoit haté cette retraite , en fnrtifiant lac /V.ynr.».1oo J-» maïtre, n'y gagna rien. Louis, raffuré contre lui-même, par 1'état de fon amie qu'il refpeöoit, la vit plusfouvent, & elle, n'ayant rien a perdre, paria plus hardiment. Les vifites au parloir durerent long-temps, & cauferent beaucoup d'inquiétude au Cardinal. A la fin il intimida & gagna un nommé Boifenval, confident de ce commerce. Par fon moyen, le Miniftre fut le fecret des entretiens; il eut les lettres; il fupprima les unes „ falfifia les autres, y gliffa des expreffions qu'il favoit devoir bleffer leur E o v 1 s XIII. 1673-3S, Mém. rt£, t. 8,D. 663.  - O U I s XIII. 1637-33. 10 L'Intrigue délicateffe. II réufiit ainfi a les refroidir, & enfin a les féparer. II piqua même fi bien leur fierté, que la féparation fe fit, fans qu'ils daignaflent s'expliquer. La Reine en fut fachée. Quoique Mademoifelle de La Fayette ne lui montrat pas tant d'attachement que Mademoifelle de Hautefort, elle lui avoit rendu des fervices plus effentiels auprès du Roi, en le forcant de retourner k fon époufe. Le fruit de cette réconciliation, après ix ans de ftérilité, fut un fils, qui porta depuis le nom de Louis XIV. Anne d'Autriche, reconnoifiante des bons offices de La Fayette, fit tous fes effbrts pour Pengager a revenir k la Cour; mais ils furent inutiles. Elle refta dans le cloitre , ou elle vécut généralement' eftimée, montrant a 1'univers 1'exemple d'ime fille, qui, dans lage despaffions, s'immola généreufement ellemême , pour ne pas entrainer dans fa chüte un Prince qu'elle aimoit. Le Roi fut la manoeuvre du Cardinal. II difgracia Boifenval, fon fidele agent: mais il ne dit rien a fon corrupteur. Richelieu laifla le traitre fans récompenfe, & jouittranquilleraent du fuC'.  o u Cabine t. 21 cès de fon artifice, contre 1'attente bien fondée de fes ennemis. Ce que n'avoit pu exécuter une FaVorite belle, fpirituelle & infinuante, deux Jéfuites le tenterent: le P. Cauffin, Confeffeur du Roi, bon homme, difoit le Cardinal; & le P. Monod, Directeur de ChrifHne de France , fceur de Louis XIII, & veuve d'Emmanuel, Duc de Savoie, efprit rempli de malice, difoit le même Prélat. C'eft-a-dire, fuivant la maniere d'entendre de Richelieu , que le premier étoit ordinairement docile a fes volontés, & que le fecond croifoit les mefures qu'il prenoit, poitr gouverner la Cour de Savoie aufli defpotiquement que celle de France. Si on n'avoit pas les inftru&ions fecretes envoyées aux agents Francois de Turin, on ne pourroit croire ce que fit Richelieu, pour forcer une veuve de Souverain, fceur de fon Roi, d'abandonner les Etats de fon fils è la difcrétion d'un Miniftre étranger. Chriftine avoit le plus grand intérêt de refter neutre entre les Maifons de France & d'Autriche: c'étoit Ie confeil que lui avoit donné fon époux Louis XIII. 1638. Affaires Ie Savoie. Le Clerc. t. %, p. 529. t. 2 , r, 140. Aulerj i Hifi. P. 472. Mém. reei t. 8, p. [26 Sffuiy, Lettre ie Rich. p. [85 & 336. Tefitrn, Polit. I. vol. p. 68. Mém. ie DupUffu , 77. Tefiam, Potit. I. rolp.Zf,  ioun XIII. 2638. 11 L'Intrigue mourant. Richelieu, a qui ce fyMme pacifïque ne plaifoit pas, n'ofa cependant s'y oppofer ouvertement: mais il prit un biais pour le rendre inutile; ce fut de brouiller Chriftine avec le Prince Thomas & le Cardinal de Savoie, fes deux beaux-freres. Comme, en vertu de la neutralité, les deux PuifTances belligérantes avoient droit de faire palTer leurs troupes par les Etats de Savoie, en payant leurs vivres & fans hoftilités, le Cardinal perfuada a la Ducheffe, que fes beauxfreres laiffoient prendre aux Efpagnols des lieux de défenfe, afin de fe fervir d'eux pour lui óter la Régence. D'un autre cöté, il apofta auprès des Princesdesperfonnes, qui leur mirent entête que leur belle-fceurlaiffoitrenforcer les Francois en Savoie & en Piémont, dans le deffein de fe rendre par eux maitrefTe du fort de fes deux beaux-freres, & de les faire arrêter quand elle voudroit. Ces défiances s'établirent fi bien, que la Régente fe laiffa environner de troupes Francoifes dans Turin , & que fes beaux-freres s'enfuirent, le Prince Thomas dans les Pays-Bas, & le Cardinal k Rome,  du Cabine t. 23 Les Grands fe diviferent, les peuples murmurerent. Chriftine s'en embarraffa peu, comptant fur les fecours de France. Mais quand Richelieu vit qu'elle ne pouvoit plus s'en pafler, il les mit au plus haut prix: tantöt il demandoit une ville, tantöt une citadelIe , comme des appuis néceffaires aux détachements Francois; & lorfqu'elle marquoitde la répugnance de fe laiffer ainfi garrotter, on menacoit de 1'abandonner aux Efpagnols, qu'elle avoit offenfés par fa partialité. Ce manege révolta quelques Seigneurs Sayoyards, même attachés a la France : ils firent ouvrir les yeux k la PrincelTe, &c 1'engagerent a fe réconcilier avec fes beaux-freres. Le Cardinal, averti de ces difcours, demande 1'éloignement des plus zélés, achete le lilence des uns, 6c force les autres de quitter d'eux-mêmes la Cour de leur Souveraine. II en vouloit fur-tout au Comte Philippe d'Aglié, qu'il appelle dans fon Teftament politique, un rniférable, principal auteUr de tous les confeils. Le Cardinal ne put alors s'en venger d'une maniere auffi éclatante qu'il le defiroit, paree qu'il n'étoit pas Louis XIII. 163»,  Louis XIII. litf. Le P. Monod & le V. Cauf#n. 14 L'Intrigüe encore aflez fort dans Turin. Mais iï épia deux ans fa proie; & quand il fe fut rendu tout-puiflant dans cette Cour , il fit enlever le Comte fous les yeux de la PrincefTe, & le fit amener a la Baftille. Aux plaintes, aux reproches de Chriftine, Richelieu n'oppofa qu'une froideur infultante. II y a de certaines occajions, dit-il, ou. on ne peut ne mêprifer pas les larmes des femmes, fans fe rendre auteur de leur perte. II dit, il infinua, il écrivit k la Duchefle elle-même, que trop d'inftances pour Ia liberté de ce Seigneur, capable de plaire, pourroit rendre fon attachement fufpe£l & ternir fa réputation. Enfin, il fit envifager k Louis XIII cette violence, comme un efFet du vif intérêt qu'il prenoit k 1'honneur de la PrincefTe fa foeur. Mais le reflentiment du Cardinal contre ce Seigneur n'étoit rien , en comparaifon de la haine qu'il porto it au P. Monod. Ce Jéfuite étoit depuis long-temps employé dans les affaires de Savoie. II fut un des entremetteurs du mariage de Madame avec Emmanuel, & vint k cette occafion en France , oü il connut Richelieu. II faut avouer  du Cabine t. 25 avouer que celui-ci fit tout ce qu'il put pour le gagner. II lui envoya une magnifique chapelle d'argent, avec tous les ornements afiortis. Ce préfent, a la vérité, fe fit au nom du Roi: mais le Minifire y joignit une lettre, qui montroit que 1'amitié du Pere ne lui étoit pas indifférente. Cependant, foit antipathie pour le Cardinal , foit perfuafion que fes vues politiques étoient contraires aux intéréts de la Savoie, le Jéfuite ne cefia de s'oppofer aux defieins du Prélat; & non content de lui réfifter, il travailla a le renverfer. II fit naïtre dans 1'ame du P. Cauffin , auquel il écrivit, des fcrupules fur Paveuglement ou il laiffoit le Roi a 1'égard de fon Minifire ; aveuglement, bafle déférence , qui mettoit le trouble dans la Maifon Royale , & dont la Religion fouffiroit autant que 1'Etat. Le Confefleur, bien convaincu, attaqua fon Pénitent avec routes les armes que fon zele lui fournit. II tacha de 1'attendrir fur la fituation de fa mere, qui pouvoit avoir eu des torts; mais qu'il ne devoit pas repoufler, dès qu'elle ne demandoit Tomc III. B Louis XIII. 1Ó3S.  l o vi XIII. 1638. 16 L'Intrigue . qu'a fe jetter dans fes bras. II lui re> préfenta le danger du mauvais exemple que donnoient a fon Royaume fes méfintelligences perpétuelles avec fa femme, avec fon frere, avec fes autres parents ; qu'en voyant tant de grands Seigneurs errants dans les Royaumes étrangers, tant d'autres renfermés en différentes prifons, il n'y avoit pas de jour que chacun de fes courtifans ne craignit pour foi-même ou pour fes proches : d'oü il arrivoit que fa Cour n'étoit plus qu'un féjour de jalonfie & de défiance. Mais ce qui devoit le faire trembler , c'étoit, ajoutoit le Pere, le compte terrible qu'il rendroit a Dieu de 1'oppreffion oii fe trouvoit la Religion Catholique en Allemagne , par fes alliances avec les Proteftants: & vous répondre{, Sire, lui dit-il, fur votre falut iternel, du fang que vous faitcs verfer dans toute CEurope. Louis, étonné, répondit que le Cardinal lui avoit montré les confultations de plufieurs Docteurs qui ne penfoient pas comme lui, & même des Jéfuites fes confrères. Ah! Sire, repliqua naïvement le Confefleur, ne  DU C A B I N E T. 17 les croye{ pas; ils ont une. Eglife d bdtir (#). En vain le Roi voulut défendre fon Miniftre , il fut obligé de fe rendre aux raifons du Jéfuite. Mais enfin, dit Louis, qui mettre a fa place Caufïïn, aflez peu habile pour n'avoir pas prévu cette queftion, refta embarrafle. II demanda quelques jours, &c ayant promené fes yeux fur tous les Seigneurs de la Cour, il crut avoir trouvé un fujet convenable dans Charles de Valois, Duc d'Angoulême. Ce £ls de Charles IX, après s'être mêlé d'intrigues, & en avoir été puni par de longues prifons, pouvoit, avec un efprit naturel & fon expérience, être regardé comme un homme capable de gouverner. Cauflin Ie jugea tel; & ne voulant pas Pindiquer fans être fur de fon confentement, il lui paria des termes dans lefquels il en étoit avec le Roi. Angouleme fut très-étonné. Cependant il confentit avec de grands remerciments: mais faifant enfuite ré- (a) Ils batiffoient alors 1'Eglife de la Maifon profeffe, rue Saint-Antoïne. B ij Louis XIII, 1636.  Louis XIII. 1638. 28 L'Intrigue flexion a 1'afcendant du Cardinal fut Louis, que ce Prince pouvoit foiblir au moment de 1'exécution, que c'étoit même pettt-être une rufe de Richelieu pour 1'éprouver, il alla tout lui révéler. Le Prélat ne manqua pas de lui prodiguer les remerciments &c les promeffes: mais, craignant de contraster de trop grandes obligations , il ajouta, en fouriant, que le Roi n'auroit pas tardé a lui découvrir le complot. Pendant ce temps, Cauffin , ignorant la démarche d'Angoulême , preffbit toujours fon Pénitent, qui lui fit, une efpece de dén" de foutenir fon opinion devant quelques Docteurs & devant le Cardinal lui-même. Cauffin accepta; le jour fut pris : mais au moment que le ConfelTeur alloit entrer dans le cabinet du Roi, oü devoit fe faire eet éclairciffement, & oü Richelieu étoit déja , Cauffin eut ordre de fe retirer; & en rentrant chez lui, on lui remit un autre ordre qui lui enjoignoitde partir fur le champ pour Quimpercorentin, ville de la BaffeBretagne. On trouva dans fes papiers des preuves de la complicité, ou,  DU C A B I N E T. 29 comme difoient les flatteurs de Cour, de la féduttion employee par le P. Monod. Le Cardinal ne tarda pas k faire fentir a celui-ci fon indignation. II n'y a pas de moyen qu'il ne tentat pour 1'avoir a fa difcrétion. 11 faiit, écrivoit-il a d'Hemeri, fon agent a Turin, que Madame foit privée de fins, fi elle ne Üenvoit pas en France. Mais le Jéfuite juroit qu'il ne verroit jamais Richelieu qu'en peinture. La DucheiTe défendoit fon Direfteur, du moins quant a Pintention: mais le Prélat ne croyoit pas qu'une intention, qui alloit contre fes intéréts, put fe juftifier. En vain Chriftine accordoit au Cardinal tout ce qu'il demandoit d'ailleurs, le facrifice de fes Miniftres, de fes places, de fes beaux-freres : Elle étoit, dit Siri, auprès de Richelieu, comme ces perfonnes dont les aclions privées de la grace riont aucun mérite auprès de Dieu. Cé■ totem des ozuvres mortes, tant qu'elle «e livroit pas le P. Monod. II la tourmenta elle-même, lui fufcita des embarras, retira les fecours, Pabandonna k la merci des Efpagnols & de fes beaux-freres; de forte que le Jéfuite, B iij L o u 1 s XiH, 1638. Lcttr: dc Rich. p. 185. Mém. Rcc. t.9,p,  Louis XIII. 3638. Le P. Jo- feph. Vit du P. Jofiph , & le vêritable P. Jofcph. Pajim. 30 L'Intrigue craignant les pieges fecrets , confeilla lui-même a la DuchelTe de le renfermer dans une citadelle, comme fi elle vouloit le punir : mais Ie Cardinal, qui fe connoiffoit en vengeance, n'y fut pas trompé. II regarda la captivité du P. Monod, moins comme une fatisfaction qu'on lui faifoit, que comme un moyen imaginé pour lui enlever fa proie. II affeöa de faire fentir a la DuchefTe, que le Roi ne fe fioit plus a elle. Etre infidele a Richelieu , c'étoit, dans fon fiyle , être infidele è la France. II ne la ménagea plus ; il s'empara d'une partie de fes Etats, fous prétexte de la défendre; & il fut peut-être le premier politique qui donna a 1'univers 1'exemple fcandaleux, trop imité depuis, de faire marcher 1'ufurpation fous la fauve-garde apparente de la proteöion. Quelques Auteurs prétendent que le P. Cauffin ne s'arrêta au Duc d'Angoulême, que fur le refus du P. Jofeph, & que ce choix s'étoit fait par le confeil de La Fayette, proche parente du Capucin. On dit que celuïci, fidele au Cardinal, refufa le Miniftere; mais que, reconnoifiant de  du Cabine x. 31 la bonne volonté du Jéfuite, il lui garda le fecret. Richelieu , ajoutet-on, ne lui pardonna pas cette réticence , & concut une jaloufie qui devint funefte au Capucin. Mais il ell bien difficile de favoir ce qui fe paffoit entre deux hommes fi intéreffts a ne fe pas laiffer pénétrer. Ceux qui les examinoient de prés, dans ces derniers temps, ont cru appercevoir un mécontentement mutuel. Richelieu étoit railleur, & avoit un flegme orgueilleux. Le P. Jofeph étoit brufque & peu endurant. On remarqua que ces défauts, malgré lefquels ils avoient toujours vécu en bonne intelligence, commencoienta leur pefer réciproquement, tic occafionnoient des mots & des reparties aigres. La Reine-Mere, pour être recue en France , fe foumettoit alors a toutis les conditions: elle prioit feulement qu'on ne 1'obligeat pas a livrer fes domeftiques, & s'engageoit a les laiffeK dans les pays étrangers. Les peuples épuifés demandoient la paix a grands cris. Les Efpagnols 1'offroient honorable & avantageufe. Toutes les families réclamoient leurs amis ou leurs B iv Louis XIU. 163S.  Louis XIII. ' 1638. 32 L'Intrigue 3r0ch.es exilés , profcrits 011 renfertnés. Des paroles, des geftes échappés au P. Jofeph , donnerent a connoitre qu'il n'approuvoit pas 1'inflexibilité de Richelieu fur tous ces objets. Le Roi, encore attaché a La Fayette, parloit au Capucin plus qu'a ['ordinaire. Richelieu lui offrit PEvëché du, Mans , qui auroit pu 1'éloigner de la Cour, & le P. Jofeph refufa. II redoubla en cette occafion fes initances, pour obtenir le chapeau rouge , qui lui étoit promis. De toutes ces circonftances , les politiques conclurent que le Capucin cherchoit ii s'égaler au Cardinal par cette dignité, pour le fupplanter ; que du moins le Prélat eut lieu de le croire , & que la maladie du P. Jofeph fut l'effet de fa jaloufie. Ceft encore la une de ces noires imputations, qu'on ne doit pas croire fans les plus fortes preuves. II eft aifé, au contraire, de prouver que ces deux hommes relterent unis jufqu'a la fin, puifque Richelieu montra toutes les inquiétudes que doit donner Pétat d'un malade chéri. II voulut Pavoir fous fes yeux, le fit tranfporter a Ruel, èc  du Cabine t. 33 foigner avec la follicitude d'un ami. Le P. Jofeph, de fon cóté , donna au Cardinal la preuve la moins équivoque d'attachement, en faifant paffer au Roi un écrit, dans lequel il jultifioit fur tous les points le Miniftere de Richelieu, le repréfentoit comme le feul homme capable de gouverner fon Royaume; auffi le Cardinal s'écria-t-il, au moment de fa mort : J'ai perdu mon bras droit (a). C'étoit en effet un homme infatigable , portant dans les entreprifes O) Entré autres épitaphes , on lui fit celle-ci, qui ne dut pas trop plaire au Cardinal. :. Cy git au chceur de cette Eglife Sa petite Éminence grife : Et quand au Seigneur il plaira, L'Eminence rouge y gira. Voy. Vit du P. Jofeph, p. 571. II eftenterré aux Capucins de la rue Saint-Honoré , auprès du P. Ange de Joyeufe ; ce qui a produit encore cette mauvaife épitaphe, qui peint cependant la maniere de penfer du temps. Paffant, n'eft-ce pas chofe étrange, Qu'un Démon foit auprès d'un Ange.? B v Louis XIII. 1638. Soncaractere. Vic du P. Jofeph. Pajpm.  Louis XIII. (a) Un Officier qu'il venoit de congédier pour 1'Allemagne, revint fur fes pas, fit le trouva difant fa Meffe. II s'approcha, 6c lui dit tout bas : Mais , mort Pere , fi ces gcns-la fe dcfendent ? Qu'on tue tout, répondit le Pere, & il continua fa Meffe. Voy. Mém. de l'Abbé Arnauld, torn, 1, p. 230. 34 L'Intrigue 1'aclivité, la fouplefTe, 1'opiniatreté propres a les faire réuffir. II s'étoit familiarifé avec les obftacles & les fatigues, dans les miffions & les réformes de maifons religieufes : travaux auxquels il fe livra dès fa jeuneffe. II prit auffi dans ces occupations l'habitude de ne compter pour rien les volontés, les goüts, les inclinations des hommes, & de les forcer quand il ne pouvoit les perfuader (! le trouver coupable, & fe fauve en ; Angleterre. Louis établit contre fon frere une CommifTion pareille a celle qu'il avoit créée contre fon beau-frere. Les Juges s'afTemblent: on inftruit 1'affaire; & lorfqu'on étoit prêt d'ali Ier aux opinions, le Cardinal, qui avoit eu la délicateffe, comme offenfé , de ne pas fe mettre au nombre des Juges, envoye au Charjcelier une let- Louis xm. 1640-41,  Louis XIII. 1640-41. Mazarin. Monglat 1 f • I, p. 369. Mem. £Arnauld. t. 2 . P' 79' Mafcurat, f. 13. 48 L' 1 N T R I G V E tre par laquelle il le prioit de demander au Roi la grace du coupable. Louis refufe quelque temps; & faifant enfin femblant de céder aux inftances du Tribunal: Je m'avife , ditil, dun expediënt ; c&fl de retenir le procis criminel de M. de Venióme d ma. pe fonne, & d'en fufpendre le jugement difinitif; felon qu'il fe conduira, j'aurai des bontis envers lui, & je lui pardonnerai. Toutes les prieres n'en purent tirer davantage. Si cela ne füffifoit pas pour 1'accufé, c'étoit aflez pour le Cardinal; car en même-temps qu'il faifoit parade de bonté, il laiffoit au Roi des préjugés, non-feulement contre ceux qui étoient nonw mément attaqués , mais encore contre leurs parents & amis, qu'il pouvoit faire foupconner de compli-. cité. Pendant qu'il éloignoit ainfi de Ia Cour & du Royaume ceux qui auroient pu lui nuire , il y recevoit un homme , qui lui avoit déja donné plufieurs marqués d'attachement. Cet homme, devenu depuis fi fameux, efi: Jules Mazarin. Le Marquis de Monglat, qui rapportoit apparemment Popinion  ©u Cabine t. 49 1'opinion du temps, dit qu'il étoit fils d'un banquier de Mazare en Sicile. II eut des affaires malheureufes dans fa patrie , fe retira a Rome, & envoya fon fils étudier en Efpagne, dans 1'Uniyerfité d'Alcala. Après fes études, Ie jeune Mazarin prit le parti des armes, fervit quelque temps dans les troupes Efpagnoles, & revint trouver fon pere a Rome. Jules s'introduifit auprès du Cardinal Sachetti; celui-ci le fit connoïtre au Cardinal Colone ; & la foeur de ce dernier ayant époufé Thadée Barberin, neveu du Pape Urbain VIII, frere du Cardinal Antoine, cette familie fe 1'attacha , & le fit entrer dans les affaires. II en commenca 1'apprentifTage fous le Nonce Pancirole, chargé de régler la fucceffion de Mantoue, dont les débats troubloient 1'Italie. Pe retour a Rome, Mazarin quitta 1'épée, & prit la foutane. II fut Vice-Légat d'Avignon, & envoyé en France au moment de la guerre déclarée avec 1'Efpagne, pour tacher de procurer la paix générale. Quelques démarches de la part du Vice-Légat, plus favorables k la France qu'a 1'Efpagne, le Tome HL C Louis • XIII. 1640-41.  Louis XIII. 1640-41. 1641. Affaire du Comte de Soiffons. Montrcjor, t. l, p. 365. 50 L' Intrigue firent foupconner de s'être laiffé gagner par Richelieu. Le Pape le rappella, & lui montra beaucoup de mécontentement. Soit crainte de la punition , foit perfuafion qu'il n'avoit plus rien a efpérer de Rome pour fa fortune, Mazarin quitta cette ville, vint en France, & defcendit chez Chavigny, avec lequel il étoit familier. Celui-ci le recommanda fortement a Richelieu, qui 1'envoya Ambaffadeur extraordinaire a Turin, puis Plénipotentiaire en Allemagne, lui procura enfuite la nomination de France au Cardinalat, lui fit donner le Chapeau malgré le Pape , qui y répugnoit; & enfin le P. Jofeph étant mort, le Miniftre fe déchargea fur le nouveau Cardinal du foin des affaires étrangeres : fecours qui arriva d'autant plus a propos, que Richelieu avoit belbin de toute fon sttention pour veiller a ce qui fe pcfibit du cöté de Sedan, Le Comte de Soiffons y étoit toujours dans un état cquivoqne; ni rebelle , ni foumis, rongé de chagrin d'étre relégué hors du Royaume, ék privé des avantages dus a fa naiffan-  B U C A B I N E T. ce , tourmenté par le defir de les recouvrer, & par la crainte que fes efforts ne le rendiffent plus malheureux encore. De fon cöté , Richelieu ne voyoit qu'avec un dépit extreme un Prince , armé de fa feule fermeté, montrer a Punivers qu'on pouvoit ne pas fléchir fous 1'autorité du Miniftre. De temps en temps, il jettoit vers Sedan un regard de courroux , &c il lui échappoit de dire • Cela ne doit pas fe foujfrir en bonne politique ; le Roi veut -abfolument voir la fin de ces menêts. II entendoit par-la les liaifons affez pu■bliquesdu Comte avec la Reine-Mere, les Vendömes, la DuchefTe de Chevreufe , le Duc de La Valette, & les autres exilés épars en Angleterre, en Italië, en Efpag'ne, & en Flaridres. II entendoit aufli les liaifons plusfecretes que Richelieu foupconnoit avecla Reine régnante, le Duc d'Orléans, & tous les mécontents du Royaume, & même avec Cinq-Mars, jeune homme de belle taille, de belle figure, d'un efprit plus agréable que folide, que le Minifire avoit fubflitué a Saint-Simon dans la faveur du Roi, & qui commencoit a fecouer le joug de fon bienfaiteur, C ij Louis XIII. 1641. Mcrc, t. 24. Mém. i'Aubery , t. 2, p, 693«  Louis XIII. 1641. Opérations polit. de Richelieu.Mercurio , t. 1, p. »7J. 5?. L'Intrigue Tant que le corps de PEtat fut menacé d'une crife dangereufe, il fallut fouffrir ces mauvaifes humeurs , &Z prendre garde même de les aigrir. Mais infenfiblement les fymptömes facheux difparurent. L'Efpagnpl, rappellé pour défendre fes foyers contre les Catalans &: les Portugais révoltés, IaiiTa les frontieres de France tranquilles. Veimar, Banier , Tortenfon , Généraux du grand Guftave , foutinrent en Allemagne, après fa mort, 1'honneur de fes armes. Leurs troupes gagnées , leurs conquêtes achetées & incorporées au Royaume, lui fervirent de boulevard de ce cöté. La diverfion des Hollandois, quoique fouventplusfoible qu'elle n'auroit du être, garantiffoit les pays limitrophes de la Flandre. On pouvoit craindre quelque chofe du Duc de Lorraine, qui, chaffé de fes Etats, 6c réduit a faire le perfonnage d'aventurier, tenoitune armée prête a marcher par-tout oü fon Jntérêt 1'appelleroit. Mais \e Miniftre fufpendit fes efforts, en lu i promettant de favorifer fon divorce avec la PrincefTe Nicole, 6c fon maria ge ayec la Comteffe de Cantecroix, qu il  du Cabinet. 53 2ppelloit fa femme de campagne : & quand Ie Cardinal Feut rallenti par des efpérances, il le mit dans 1'impuiffance d'agir, en le forcant de livrer fes meilleures places. Enfin, la politique de Richelieu avpit parfaitement réufli a Fégard de la Ducheffe de Savoie. Brouillée avec fes beauxfreres & avec les Efpagnols, elle fe trouvoit dans une dépendance abfoIue des Francois. Ils occupoient fes fortereffes, & tenoient la campagne par de petits corps de troupes, qui fe donnoient la main depuis Geneve jufqu'a la Valteline. Ces partis fe raffembloient au befoin en corps d'armée , &c fervoient de remparts au Royaume, contre les fecours que la Maifon d'Autriche pouvoit tirer de FItalie, oü plufieurs Princes, en haine de Richelieu, ou jaloux des profpérités de la France, auroient volontiers aidé fes ennemis. Avec ces précautions , Richelieu pouvoit enfin trapper en füreté Ie coup qu'il préparoit depuis long-temps au Comte de Soiffons. Quoique ce Prince : entretïnt des correfpondances avec tous les mécontents, par la peine qu'euti C iij Louis XIII. 1641. Ses proets. Mcrcurio , • I, p. 79- ^ifioire de louillon ,  Louis XIII. J641. 54 L' I N T R I G U E Ie Duc de Bouillon a le déterminer i'agir, on conjeclure qu'il feroit refté tranquille , s'il n'avoit été provoqué par les vexations fecretes du Cardinal. Le Roi fouhaitoit qu'on le laiffat tranquille dans fa retraite : mais les rirconftances mettoient une grande difFérence entre les intéréts du Monarque & ceux du Miniftre. La fanté de Louis XIII dépériftbit fenfiblement, Sc faifoit craindre une mort prochaine. Richelieu, non moins menacé, s'étourdiffoit fur le danger, & fe flattoit de furvivre a fon Maitre. Pour un ambitieux, ce n'auroit pas été furvivre que de refter fans puiffance; iuffi a-t-on cru remarquer dans fes lernieres démarches, des mefures tenJantes a fe procurer la Régence. II falloit bien préfumer de fa capacité Sc de fa fortune, pour concevoir un sareil projet contre les droits de deux Reines, d'un frere du Roi, de plufieurs Princes du Sang , prefque tous res ennemis mortels : mais c'étoit pré:ifément du conflit des prétentions que le Miniftre efpéroit le fuccès des fiennes. Voici comme il arrangeoit es événements»  du Cabine t. .55" » A la mort du Roi, il fe formera w des brigues; la Reine-Mere proba» blement viendra révendiquer une » autorité quelle n'a laiffé échapper » qu'a regret. La jeune Douairière » ne voudra pas lui céder. Le Duc » d'Orléans réclamera les droits de » fa naiffance. Tous trois feront fort » embarrafi'és, fe trouvant fans ar» gent, fans troupes & fans confidé» ration. S'ils n'y fongent pas d'eux» mêmes, je ferai fuggérer a 1'un d'eux » de recourir a moi, comme maitre » d'entrainer du cöté oü je penche» rai, les Gouverneurs des Villes Sc » des Provinces, & les Commandants » des armées prefque tous placés de « ma main. S'ils dédaignent de m'a» voir obligation, je leur oppofeni » la Maifon de Condé , qui peut met» tre un grand poids dans la balance ". En effet, le Prince de Gondé étoit un homme de tête, & avoit du génie-pour le gouvernement. Le Duc d'Enguien, fon fils , montroit déja pour le commandement des armées, les talents qui 1'ont depuis rendu fi célebre. Richelieu s'en étoit aflliré,. en lui faifant époufer fa niece, ClaireC iv Louis XIII. 1641.  Louis XIII. 1641, _ (a) On affeétoit de Tépandre que fon mamge avec le Marquis de Combalet s'étoit borné a la cérémonie ; & un faifeur d'anagrammes lui fit celle-ci: Marie de Vignerod , vierge de fon marl Voy. Mercurio,t. I. P- 279« 56 L'Intrigue Clémence de Maillé, Alle du Maréchal de Brezé; & en même temps il avancoit dans le fervice de la Marine le Marquis de Brezé, frere de la jeune PrincefTe, qu'il deftinoit a la charge d'Amiral, dont il fe feroit rendu digne, fi une mort glorieufe ne 1'eüt enleyé a la fleur de fon age. II eft certain que ces deux jeunes guerriers, fecondés des confeils de leur oncle, pouvoient donner un grand avantage a la concurrence de laMaifon de Condé , contre deux femmes fans puiflance, & contre Gafton, Prince décrédité : il n'y avoit que le Comte de Soiffons, Prince au contraire généralement eftimé, qui put déconcerter les deffeins du Cardinal. Le Prélat s'étoit efforcé de legagner, en lui offrantla Ducheffe d'Aiguillon, fa niece chérie, en mariage (a). Puifque cette offre, ïccompagnée des promeffes les plus mllantes, n'avoit pu le gagner, il ne  du Cabine t. 57 reftoit plus qu'a le faire périr, ou a le forcer de fuir, ou a lui imprimer la note de criminel de lefe-Majefté, afin de le rendre, aux yeux de la nation, inhabile k faire valoir fes droits. C'eft k quoi tendoit une Déclaration du Roi, qui parut le 8 Juin. Sur des imputations de complots formés pour foulever les Provinces, d'argent recu des ennemis de FEtat, de traités faits avec eux, il étoit ordonné au Comte de Soiffons, aux Ducs de Bouillon & de Guife (0), de venir a réfipifcence fous unmois; & en même temps on faifoit fïler des. troupes vers Sedan , fous les ordres du Maréchal de Chatillon. • ( Combien de prétextes ne trouvera > pas le Cardinal pour s'emparer de  DU C A B I N E T. 59 » ma Principauté, qui n'aura plus la » préfence du Prince pour fauve-gar» de ? Si on lui accorde d'y refter, » au premier moment le Miniftre fera » naitre de nouvelles raifons d'atta•» quer le Comte & fon défenfeur. II » nous prendra peut-être au dépour» vu. Puifque nous fommes préparés, » il faut vuider la qnerelle, a qui » du Comte de Soiffons 011 de Riche» lieu demeureront les rênes du Gou» vernement ". Les mécontents, dans leur manifefte dti 2 Juillet, ne fe cachent pas de ce deffein; car, outre les motifs du bien public , canevas ordinaires de ces fortes de pieces, on y voit en termes expres le deffein de chaffer le Cardinal d'auprès du Roi : or, comme on favoit que ce Prince ne poii" voit fe pafferd'être gouverné, c'étoit dire clairement qu'on tendoit au Miniftere. II femble que Louis étoit affez indifférent fur l'événement,& qu'il fe feroit fervi de Soiffons, dont il prifoit la probité; de Bouillon, dont il eftimoit la capacité, comme il fe fervoit de Richelieu. II vint nonchalamment jufqu'a Péronne, fans montrer C vj. Louis XIII. 1Ó41.  Louis XIII. 1641. Soiffons iivre bataille, & la gagne, Monglat, t-l,p. 39Ï- Montréfor,*• * , p. smEriennc ,1 141. i Mém. 1 d Arnauldy. '•'.f. ' 217. < ] ] I f 60 L'Intrigue fon aöivité ordinaire. Les troupes paroiffoient participer a 1'indolence du Monarque : elles ne marchoient qu'a regret contre un Prince du Sang, qu'on croyoit pouffé au défefpoir par le Miniftre. Richelieu voulut faire des traitres dans la maifon & 1'armée de Soiffons, &c, avec tous fes tréfors, il ne put y réuftir; au-lieu que, fans féduction, la Cour & 1'armée du Roi étoient pleines de gens qui faifoient des voeux oour Ia profpérité du Comte, & qui étoient difpofés a Pappuyer. Pour comble d'avantages du cóté des confédérés, le Maréchal de Chadllon, Commandant des troupes Royaies, étoit brave foldat, mais le plus ïégligent des Généraux. II avancoit /ers Sedan, comme n'ayant a comDattre que des gens renfermés, & il gnoroit qu'il avoit en tête une armée iiiffi forte que la fienne. Soiffons 1'a^oit formée de Francois volontaires ccourus fous fes drapeaux, & d'un :orps d'Allemands envoyés par 1'Em>ereur, fous les ordres du Général ..amboy, vaillant & expérimenté Ca•itaine. Ce ne fut qu'a la derniere exrémité que le Comte accepta ce fe-  du Cabine t. 61 cours. Lamboy avoit déja paffé Ia Meufe, & s'étoit joint aux Francois, que SoifTons vouloit encore qu'on écoutat des propofitions d'accommodement. Bouillon, au contraire, les regardoit ou comme une rufe pour rendre le Prince fufpecl a fes alliés, ou comme une marqué que le Miniftre fe défioit de fes forces. Dans 1'un ou 1'autre cas, il ne convenoit pas , difoit-il, de fe laiffer arrêter par des offres infidieufes ou intéreffées. Le fort en fut jetté, & I'action s'engagea le 6 Juillet dans la plaine de Bazeille, prés du bois de la Marfée , a la vue de Sedan. Les meilleurs Hiftoriens rendent un témoignage avantageux a Chatillon fur fes manoeuvres & fon courage ; ils difent qu'il choifit bien fon champ de bataille, qu'il rangea bien fon armée, qu'il donna de bons ordres & bon exemple : mais tous fes efforts ne purent prévaloir contre Ia mauvaife volonté de fes troupes. L'Officier étoit mécontent qu'on 1'employat contre im Prince du Sang qu'il eftimoit, oc le foldat de ce qu'on lui avoit fait quelque retenue fur d'anciennes montres. De forte qu'après la Louis XIII. 1641,  Loui xai. 1641. ïl eft tué Mong'.at t. 1 , p. 393' 62 L'Intrigue 'plus foible réfiftance, toute 1'armée, comme de concert, fe débanda. Des corps entiers de cavalerie fe retirerent cornettè haute & trompettes fonnantes. On entendit des foldats qui, joignant la raillerie a la défertion, difoient en fuyant, en voild pour leurs cinq ècus. Le malheureux Chatillon, après les plus grandes preuves de valeur, fe trouvant prefque feul fur le ehamp de bataille, fut obligé de rejoindre les fuyards, qui 1'entrainerent a huit lieues de-la. . Le Comte de Soiffons, entouré de , quelques Officiers, avan9oit tranquillement dans la plaine , regardant fuir 1'armée Royale. On entend un coupde piftolet; le Prince tombe; on le releve. II étoit mort. II avoit le coup au milieu du front, la bourre dans la tête, & le vifage brülé de poudre. Les uns difent qu'il fe tua lui-même , en relevant avec fon piflolet la vifiere de ion cafque: mauvaife habitude dont on lui avoit remontré plufieurs fois le danger. D'autres rapportent qu'on vit paffer devant lui un Cavalier, qui,. plus prompt que 1'éclair , le tira k briüe-pourpoint, ik difparut, Cetts  D U C A B I N E T. 63 derniere opinion a prévalu, & comme plus finguliere , & comme plus adaptée aux circonftances ou fe trouvoit le Cardinal. II ne régnoit que par la crainte. II n'ignoroit pas que tous fes Ordres de 1'Etat étoient révoltés contre lui. II avoit traité le Clergé avec hauteur, Ia Nobleffe avec fierté, les Parlements avec mépris; les foldats étoient mal payés , les peuples écrafés d'impöts. Dans eet inftant critique, il ne falloit qu'une viftoire pour ouyrir au Comte de Soiffons le chemin jufqu'a Paris, paree que les armées qui auroient pu fuppléer a celle de Chatillon ,. étoient occupées fur les frontieres, & trop éloignées. Le Roi lui-même paroiffoit s'embarraffer peu des fuites. A la première nouvelle de la défaite de fes troupesil fe difpofa tranquillement a regagner Paris, fans montrer ni chagrin, ni inquiétude , commè un homme qui avoit pris fon parti, & qui étoit fur de tout pacifier en facriflant fon Minifire. La mort du Comte de Soiffons étoit donc néceffaire au Cardinal, & cette néceffité a fait croire qu'il 1'avoit procurée (a), (a) Monglat donne comtne certain le tót Louis; XIII. 1642,  Louis XIII. 1641. La guern linie. 64 L' Intrigue Deux heures après la nouvelle de la déroute, arriva celle de la mort du Cavalier. Aubery dit qu'on promit une penfion au Gendarme qui avoit tué le Comte. L'Abbé Arnauld applique a eet événement le fait fuivant, qu'il tenoit d'un commis de M. Des-Noyers. » Trois ou quatre 3> mois après la bataille de Sedan, M. Desj> Noyers, dit-il, me donna une grofTe fom» me enor, & beaucoup plus en lettres de » change, & me dit : allez-vons-en fur la 3) montagne de Donchery , aa pied d'une » croix, d'oü on découvre toute la ville; •>■> vous en verrez fortir un homme en deuil ■n fur un cheval noir ; il vous abordera , & » vous lui donnerez tout 1'argent qu'il vous » demandera. Le commis, felon fesordres, 5? voulut marchander; mais 1'inco.nnu exigea » Ia fomme entiere, & il 1'eut ". L'Abbé Arnauld ajoute : Cette aventure, a. mon avis , feut faire penfer & deviner bien des chofes , 6- une fi grande récompenfe ne pouvoit étre que pour un fervice important. Mais il eft vraifemblable que cette grande récompenfe étoit plutot pour un fervice a rendre, que pour un fervice rendu. Sans la circonftance de Donchery, ville voifine de Sedan, on n'auroit pas imaginé que cette fomme^füt leprix de 1'affaffinat du Comte de Soiffons. Nous ne rapportons pas ce fait comme en étant un« preuve, mais comme un exemple des manieies myftérieufïs du Cardinal & dc fes  du Cabine t. 65 du Comte. Un inftant changea les difpofitions de Louis. Comme s'il eüt été ébloui par la fortune de Ion Miniftre , il n'eftima plus que fes confeils, ne goüta plus que fes pro jets ; il fe montra même plus ardent que Richelieu a punir les révoltés. L'armée battue retourna par fes ordres vers Sedan; il ne parloit que de forcer le Duc de Bouillon, & de le priver de fon petit Etat: mais trop content d'être a fi bon marché délivré d'un fi grand danger, le Cardinal accorda des conditions avantageufes au Duc. II fit même, pour fe 1'attacher, des avances auxquelles Bouillon parut répondre; mais ce ne fut pas de bonne foi, & il porta, quelque temps eprès, la peine due a fa diffimulation. Les autres complices ne furent pas également ménagés. Les publics, tels que Guife, La Valette , Vendöme 9 agents, dont on peut voir beaucoup d'autres adiions femblables dans les Mémoires de Rochefort. Voy. Mém. de Monglat, torn. J, p. 393 ; Mém. d'Jubery, torn. tl, depuis 693 jufqu'a 745 , & Mém. de ïAbbi Ar~ nauld, torn, I, pag. 217. Louis xiii. 1641.  lorjn XIII. 1641. Procés de SaintPreuil.Journ. de Rich. U, part. p. *9J. Mcrcarlo , fe 2 , liv. I. 66 L'Intrigue ! refter ent fous 1'anathême des procédures faites ou commencées contre eux : procédures qui leur ötoient tout efpoir de retour dans le.Royaume. Les complices fecrets, n'euffent-ils fait que des vceux pour le Comte, effuyerent des mortifications proportionnées a leur état. Le Duc d'Epernon fervit d'exemple; il fut tiréde fa belle maifon de Plaffac oü il fe plaifoit, & confiné dans le chateau de Loches , dont il étoit k la vérité Gouverneur, mais qu'on devoit, dans la circonftance, regarder comme une prifon. II y mourut quelques mois après, %é de quatre-vingt-fept ans, plus accablé de chagrins que d'années. Enfin, ee qui réfiüta de cette malheureufe entreprife, c'eft qu'il ne fut plus permis a perfonne en place, de n'être pas fervilement & exclufivement dévoué k Richelieu & aux fiens. Francois ie JiuTac d'Ambleville, Sieur de Saint-Preuil, fournit une preuve que ce n'étoit pas aflez de ne point manquer au Miniftre , mais qu'il falloit encore avoir des égards pour ceux qu'il confidéroit. SaintPreuil ne s'étant pas cru obligé k cette  du Cabine t. 67 déférence pour La Meilleraye, parent du Cardinal, en fut cruellement puni. Ils avoient commencé par être tous deux Enfeignes aux Gardes; & dans ce temps ils offrirent leurs hommages a la même Dame, qui étoit de trésgrande condition. Saint-Preuil 1'emporta par un ftratagême , bien digne d'un jeune homme paffionné & hardi (. 146. Me'm. de p>> 106.  Louis XIII. 1Ó41, 1 6$ L'Intrigue Meilleraye, qui s'avanca jufqu'au grade de Maréchal de France. Saint-Preuil critiquoit les ordres du Général, blamoit fes manoeuvres, Sc ne fe préfentoit jamais devant lui qu'avec une fierté infultante. Du refte, il fervoit en brave homme & en bon Officier. Les Efpagnols, qu'il harceloit fansceffe, 1'appelloient Tête de fer. Cette qualification lui convenoit autant a 1'égard des gens foumis a fon commandement, qu'a 1'égard des ennemis. II eut un jour Pimprudence de frapper de la canne d'Aubray, Commiffaire des guerres, parent de Des-Noyers, confident du Cardinal. Enfin, il lui arriva une affaire facheufe, qui n'étöit qu'une erreur involontaire, mais qu'on rendit la caufe apparente de fa perte. II étoit Gouverneur d'Arras, ville frontiere alors. En battant la campagne pour en éloigner les ennemis, il rencontre un corps de troupes qui fe retiroittranquillement. Tomber deffus, les culbuter, les difperfer, fut ['affaire d'un moment. Dans Pinftant que Saint-Preuil goütoit le plaifir de a vicloire, il apprend de fes prifon-  DU C A B I N E T. 69 niets, que c'étoit la garnifon de Bapeaume. Le Maréchal de La Meilleraye , qui venoit de prendre cette ville , la renvoyoit fous la feule garde d'un de fes trompettes, qui ne fe montra qu'après l'aftion. Saint-Preuil fit des excufes aux Efpagnols, qui fe plaignirent néanmoins; Sc La Meilleraye fut donner une tournure fi défavantageufe k cette action, que le Minifire ordonna qu'on arrêtat le Gouverneur, Sc qu'on lui fit fon procés. II fut inftruit devant une Commiflïon , compofée des Préfidiaux d'Abbeville & d'Amiens, préfidés par Bellejambe, Intendant de Picardie. Outre le griefde la défaite de la garnifon de Bapeaume, facile k détruire, on 1'accufa d'être entré par force dans un Couvent de Religieufes, fous prétexte de perquifitionsnéceffaires, qui n'étoientpas fon véritable but; d'avoir fait mourir un homme pour fréquenter plus librement fa femme, Sc d'avoir levé dans les Gouvernements de Dourlens Sc d'Arras des contributions, pour fuppléer k fes appointements, qu'il trouvoit trop modiques. II répondit au premier chef, que dans ce Couvent Louis XIII. 1641.  Louis XIII. 1641. 70 L'Intrigue il s'étoit, en effet, trouvé un dépot d'armes; au fecond, que le mari de fa prétendue maitreffe avoit été condamné a être pendu , comme efpion, non par lui, mais par 1'Intendant de 1'armée. En réponfe a la troifieme accufation , il rapportoit une lettre du Roi lui-même, qui lui écrivoit: Brave & génireux Saint-Preuil, vive^ d'induf rit, plume^ la poule fans la faire crier ; faites comme les autres dans leurs Gouvernements : vous ave{ tout pouvoir dans notre Empire ; tout vous e/lpermis. Le Lieutenant-Général d'Amiens, fon Rapporteur, le défendit avec chaleur; il dit publiquement qu'il n'y avoit pas un des moindres fervices de eet Officier , employé depuis 1'age de douze ans, qui ne düt effacer le plus grand des crimes dont on Paccufoit. Néanmoins, il fut condamné a avoir la tête tranchée dans la place d'Amiens. Lorfqu'on le mena au fupplice , 1'échafaud n'étoit pas encore achevé. En regardant froidement les ouvriers qui travailloient, il dit : Voici le refle de ma fortune qui s'ackeve de bdtir. Exprefïion énergique, qui fait voir combien dans ces moments on fent vive-  du Cabine t. 71 ment le néant des chofes humainesSaint-Preuil appelloit le Cardinal, fon Maitre, & comptoit fur fa proteftion; mais il fut traité en ferviteur inutile, quand on eut befoin de le facrifier, pour s'en attacher de plus néceflaires. II comptoit aufli fur les follicitations du Duc d'Orléans, dont il étoit affidu courtifan; & le Prince n'en tenta aucune, paree que le Roi fit entendre qu'elles lui déplairoient. Ainfi 1'infor•tuné Saint-Preuil éprouva a quoi fert la fréquentation des Grands, qui font charmés qu'on leur faffe cortege , croient ordinairement vous avoir aflez payés de votre fervitude par 1'honneur de leur faniiliarité, s'attachent peu , & vous laiflent périr. II parut alors fur la fcene un autre perfonnage, qui efl un exemple frappant du danger des liaifons de Cour: c'eft le malheureux De Thou , petit fils du célebre Hiflorien. Fait pour s'illuftrer par les fciences & par les nobles fonöions de la haute Magifirature, il aima mieux s'élever par 1'intrigue, & il échoua. De Thou étoit d'un caraclere changeant. Son premier étatfut la robe; le refus d'une Inten- Louis XIII. De Thou; Mercurio , . 2, l. 2. Brnnne % •■ 2 i P- . 13j.  Louis XIII. 1641. CinqMars.Monglat, 1.1 ,>. 286 ; t. 2 , p. 30. Brienne, r.2, p. IJ3- Auiery , jVIVm. t. 2, Montrcfor, t. I, p. 158. 6283. 71 L'Intrigue dance d'armée 1'aigrit contre Ie Cardinal. II voulut prendre 1'épée; & s'attachant a la Cour fans emploi, il choifit le pire de tous les états pour un génie ardent, paree que la maaie de vouloir être quelque chofe , le porta a fe mêler de tout. Sa familie inquiete d'une conduite dont elle préroyoit les dangers, le pria plufieurs fois de renoncer a fes chimères, & de s'attacher a quelque objet folide : mais, foit éloignement pour les affujettiffements d'une charge , foit goüt pour la conlidération que donne la familiarité des Grands, il continua de vivre a la Cour, & devint même 1'ami & le confeilde Cinq-Mars, GrandEcuyer & Favori du Roi. Ce jeune homme, fils du Maréchal d'Effiat, ami intime de Richelieu, dut fa faveur au choix du Miniftre, qui crut, en 1'avancant a ce pofte, s'en faire un rempart contre les dégoüts du Roi & les fuggeftions des mal-intentionnés. II n'omit aucune des inftruftions & des confeils qui, mis en pratique, auroient procuré au jeune favori la confiance entiere de fon Maitre. Ces foins ne réuffirent pas d'abord. Cinq-Mars  du- Cabine t. 73 Cinq-Mars, a la fleur de fon age, fait pour les plaifirs vifs Sc bruyanrs, ne pouvoit s'accoutumer a la vie fédentaire qu'exigeoient le goüt Sc Ia fanté vacillante de Louis. Le favori ne cachoit pas 1'extrême répugnance qu'il fentoit a vivre comme garrotté auprès d'un homme de mauvaife humeur, toujours plaintif, mécontent, & qui, fans être vieux, avoit prefque toutes les infirmités répugnantcs de la vieilleffe. Le Cardinal exhortoit k favori a la complaifance, le tancoit de fes vivacités & de fes écarts; d'un autre cöté, il prioit le Monarque, qui lui faiioit auffi fes plaintes, de paffer quelque chofe a 1'extrême jeuneffe , & d'avoir patience. r Tout alla bien pour Ia fatisfacïion reciproque des parties, du moins pour celle du Miniftre, tant qu'il fut leur confident. Par-la il favoit les difpofitions fecretes du Roi, Sc il prenoit les mefures en conféquence. Mais eet arrangement politique penfa tourner au detriment du Cardinal, fon auteur. Comme il avoit été obligé, pour faire* devorer a Cinq-Mars 1'ennui de fon ctat, de lui préfenter la perfpeftive Tornt 111, d Louis XIII. 1641. Mem. d'Artagnan, t. IJ P- 179. Mercurio , £. 2, liv. 2. Ses pré^ tentions.  Louis XIII. 1641, Le Cardinal le traverfe. 74 L'Intrigue des honneurs & des autres avantages de la Cour , le jeune homme trouva bientöt le dédommagement au-deflbus de fes facrifïces, s'il n'y joignoit quelque part dans le Gouvernement. C'étoit attaquer Richelieu par Pendroit fenfible. II tacha de ramener fon protégé a des deffeins plus modérés: mais fi-töt qu'on lui connut des prétentions, tous les ennemis du Cardinal 1'affiégerent. L'un lui donnoit un confeil; 1'autre lui fourniffoit un projet. Les Grands & les Princes le rechercherent. Gafton & la jeune Reine le firent affurer de leur bienveillance. On 1'encouragea a ne pas refter fous la tutelle du Miniftre, & on 1'enhardit a demander au Roi lui-même ce que fon Éminence lui refufoit. II fongea donc a fe rendre plus agréable afon Maitre, & a employer, pour le gagner, les complaifances que le Prélat lui avoit autrefois enfeignées. II y réuffit au point que le Roi, allant tenir Confeil, & voyant CinqMars a fon cöté, dit au Cardinal: Si nous faijions entrer notre ami, afin qu'il apprcnne. A la vérité, cela fut dit d'un lïx honteux & embarraffé, qui donna  du Cabine t. y> ié 1'affurance au Miniftre. II prit un air févere qui en impofa au Monarque & au favori, & ils n'oferent paffer ourre. Dans une autre occafion, Ie Cardinal défendit k Cinq-Mars de fe rrouver au Confeil; & fur ce qu'il s'aurorifoit de 1'aveu du Roi : Alle^ lui dit fiérement le Minifire, allerlui demander fi ce rfeft pas Jon fentimenc. Quand le Grand-Ecuyer auroit réuflï dans ce pro jet, il n'auroit pas dü efpérer grand avantage pour la fuite, puifque Louis lui difoit lui-même: Souvene^-vous bien que fi M. le Cardinal fie diclare ouvertement votre ennemi , je ne puis plus vous garder auprès de moi; comptei la-dejfus. Après eet avis, puifque le favori ne vouloit plus plier fous le Minifire, il devoit prendre Ie parti d'accepter le Gouvernement de Touraine, oii efl fituée la terre de Cinq-Mars, que le Cardinal lui offroit, avec tout ce qui pouvoit lui en rendre le féjour agréable : mais il ne voulut pas fubir le déshonneur d'une difgrace, & il feplia auxcirconflances, attendant des événements plus favorables. Louis XIII s'afFoibliffoit, & eet D ij IV Louis XIII. 1641. , 1642: 7ues du iniftre.  Louis XIII. 1642. Mereurlo , t. 2 , l. 2. Lettres de Kick. p. 2.65. Mém. d'Artagil". 76 L'Intrigue affoibliffement lui faifoit defirer la repos, pendant que la guerre, allumée fur toutes fes frontieres , demandoit du travail Sc du mouvement. II lui auroit été doux d'être prévenu dans fes befoins, par les foins attentifs d'une mere tendre Sc d'une époufe chérie * mais 1'une , inutile a fon üls, peut-être même a charge par les réflexions que fon abfence excitoit, fe confumoit dans fon exil; 1'autre, privée de 1'amour Sc de 1'eftime de fon mari , ne 1'abordoit jamais qu'avec cette crainte qui glacé le ccenr Sc engourdit la main. II n'avoit pas feulement la confolation de pouvoir compter fur 1'affecfion des fubalternes qui le fervoient, paree que, pour peu que le Miniftre s'appercüt qu'ils s'attachoient au Roi, Sc que le Roi s'attachoit a eux, il forcoit le foible Prince a les renvoyer. De forte qu'on vit avec étonnement des Officiers de la Chambre , des Capitaines aux Gardes, gens d'honneur & de probité, facrifiés aux foupcons du Cardinal, Sc forcés de s'éloigner. Ils emportoient Jes regrets de leur Maitre , qui eut fouventle courage de leur conlerver.  ti v Cabine t. 77 malgré fon Miniftre , leurs charges & leurs appointements. Ces facrifices, 1'impérieüx Richelieu les exigeóit, fous peine d'abandonner le Monarque au milieu des ennemis qu'il lui avoit faits au-dedans & au-dehors. Cette fiere menace arracha quelqu'efois des plaintes au Roi. II fe doutoit qu'on 1'inveftifiok d'embarras, comme de chaïnes pour le retenir. Les cris des peuples chargés d'impöts, les reproches des exilés, les gémiffements des pri* fonniers, les murmures de toute 1'Europe laffe de voir perpétuer la guerre qui la dévoroit , percoient quelquefois jufqu'a ce Prince. II lui arrivoit alors de murmurer lui-même, de faire connoitre qu'il fentoit fon efclavage, &c de defirer d'en être délivré. Malheur cependant k ceux qui, prenant a la lettre ces defirs vagues, avoient l'imprudence de lui faire desoffres & de lui fournir des projets 1 Richelieu arrivoit armé de tout fon afcendant. Non-feulement il raffuroit Ia confcienee du Monarque allarmée r mais il en tiroit le nom de ceux qui avoient jetté le trouble dans fon ef-D iij Louis XIII. 164.'1  Louis XUI. 1642. i 78 L'Intrigue prit : & ces aveux, il les arrachoit en exécution d'un ferment , par lequel ce Prince pufillanime s'étoit engagé a révéler a fon Minifire ce qu'on diroit contre lui. Cependant, comme tout a une fin dans le monde, Cinq-Mars crut que la puilfance de Richelieu touchoit a fon terme. Le Prélat le crut auffi, mais dans un fens différent. CinqMars , confident des mécontentements de Louis ck de fes murmures, s'imaginoit que le Prince , dans un momentd'impatience, pouvoit congédier fon Miniftre, ou trouver bon qu'on ï'en débarraffat de quelque maniere que ce fut. Richelieu, au contraire, qui connoiffoit la foibleffe du Roi, Sc combien il étoit effrayé des moindres affaires, ne pouvoit fe perfuader que le Monarque eüt jamais le courage de fe priver de fon fecours. Ce n'étoit donc point par la difgra:e qu'il craignoit de voir finir fon :rédit, mais par Ia mort de Louis. Le dépériffement du Prince lui fairoit croire que ce moment n'étoit pas ïloigné, & il ne doutoit pas qu'a eet nflant mille bras n'avanfaflent pour  DU C A B 1 N JE T. 79 1'arracher des degrés du Tröne, & le précipiter. Ainfi, la mort du Roi arrivant, tout le monde regardoit la chüte du Cardinal comme certaine, & on n'imaginoit pas comment il pourroit fe foutenir. Mais quelques obfervateurs crurent appercevoir que Richelieu ne s'abandonnoit pas luimême, & ne défefpéroit pas de la fortune. On a déja vu quels pouvoient ötre fes projets quand Louis XIIT viendroit a manquer, Sc que le befoin qu'auroient de lui les prétendants a la Régence, ne laiffoit pas fes efpérances fans fondement. Mais pour leur donner plus de folidité, il falloit que le Cardinal fe trouvat alors dans un centre de force, capable de faire mouvoir les refforts les plus éloignés; c'eft a quoi il travailla très-habilement. Quoique le Roi fut langui ffant Sc prefque mourant, il fut lui perfuader de quitter fon palais, Sc d'aller aux extrémités du Royaume s'affurer la Catalogne qui s'étoit donnée a la France, Sc conquérir le Rouffillon. II vouloit que la Reine laiffat fes enfants dans le chateau de Vincennes 7 fous D iv Louis XIII. 1642.  I-o U I s XIII. •1642. 00 L'Intrigue ' la garde de Chavigni fon confïdenf,' & qu'elle-même fuivit fon mari dans ces payés éloignés, oü elle fe feroit trouvée entre deux armées des meilkures troupes de France, commandées par les plus proches parents du Prélat. II efi vrai que eet arrangement neut pas lieu , paree que la Reine pleura , jetta des cris, & protefla qu'on lui arracheroit plutót la vie que de la féparer de fes enfants. II fallut la Iaiffer dans la capitale. Mais elle y refla fans autorité, & Ia puiiTance toute entiere fut connee au Prince de Condé, dont Richelieu étoit fur. Pour Gaflon % il eut ordre de fuivre fon frere, & il obéit. Le Roi &c (on Minifire marcherent a leur conquête avec une pompe égale. La grandeur de leur cortege ne leur permetrant pas (Palier enfemble, de Paris a Lyon ils ne fe rencontrerent que quatre fois dans les grandes villes , oü leur fuite pouvoit fe déveIopper fans fe gêner. Ainfi le Cardinal, pendant une fi longue route, qu'il ne fit qu'a petites journées, abandonna Louis aux infinuations de CinqMars, qui accompagnoit leRoi: im-  D U C A B I N E T. Si prudence qui auroit coüté cher au ' Miniftre , ft le Favori n'en eüt com- 1 mis de fon cöté de très-grandes; ou plutöt route fa conduite ne tut qu'uu tiflu d'impnidences qui le conduifi-rent a la derniere cataftrophe. On ne devoit pas attendre autre < chofe d'un jeune homme de vingt-< deux ans, dont les projets fuggérés' par la haine contre le Cardinal, enfantés par des intéréts différents, di-j rigés par des gens paffionnés , nepouvoient être que contradiftoires entre eux. n déteftoit Richelieu; il vouÏCfit le détruire; &dès le premier pas, il fut embarraffé fur le choix de celui qu'il préfenteroit a fa place : car. il fentoit bien que Louis ne pouvoit fe paflër de Miniftre, qu'il n'étoit pas homme a fe contenter du premier qu'on lui indiqueröit. CinqMars jetta les yeux fur le Duc de Bouillon , dont le Roi eftimoit la ca- • pacité. Bouillon, qui s'étoit bien promis , après le danger qu'il avoit coum dans fes. liaifons avec Soiffons , de n'en plushafarder de pareilles, changea d'avis par 1'appat d'un fi beau pofte. II prit conhance au Favori. Le complot fe D v . o u i a XIU. 1641» :onfp:ra<^ on de :inq. lars. Monglat 3 »1 3«  $Z L'Intrigue Lom: xiii. 1641. II gagn< le Roi. Montréfor t. 1, p. 334. 6- t *, p. aiS (V) Le Roi en étoit tacitement le chef, le Grani-Ecuyer en étoit l'ame , le notn dont <*n fe fervoit étoit celui du Duc d'Orléans, & leur Confeil étoit le Duc de Bouillon. Voy, Mém. de Mottevijle. tom. I , p. 90. forma; Gafton s'y joignit; Ia Reine régnante y entra indireótement: les confidencess etendirent, & une foule d'importants, de curieux, de mécontents fe préfenta pour y avoir part (a). Chacun donna fon avis. Les uns vouloient qu'on forcat le Roi par 1 une guerre civile a renvoyer fon Miniftre ; d'autres , qu'on tranchat le nceud par le meurtre du Cardinal : projet odieux, qui épouvantoit quelquefois le bouillant Cinq-Mars, mais auquel il revenoit, quand fon imagination s'échauffoit, k la vue des difficultés & des périls qui 1'environnoient de toutes parts. De Thou, le plus fincere & le plus fage de fes amis, rejettoit ces moyens. II vouloit que le Favori n'employat auprès du Roi que Pinlïnuation & les raifons; armes dont il croyoit les effets inévitables, fi elles étoient bien maniées. II exhortoit donc le Grand-  DU C A B I N E T. Ecuyer a mieux cultiver ramitié du Roi, a mériter fa confïance & fon eftime par un extérieur moins diffipé, par de Taffiduité & plus de complaifance. Alors , difoit-il, vous pourrez trouver des moments favorables pour remontrer au Roi les torts de ion Minifire , fes défauts, & la facilité de fe paffer de lui, tant pour la paix que pour la guerre. Placé entre ces différents avis, CinqMars les écoutoit tous, ne s'arrêtoit a aucun en entier , prenoit partie des uns , partie des autres, & par une fuite de fa fauffe politique, il cachoit a De Thou ce qu'il tramoit avec Bouillon, & ne difoit qu'a demi a celui-ci ce qu'il traitoit avec Gaf. ton. Cependant il fuivoit toujours le plan que lui avoit tracé fon ami; & il paroit qu'il réuffiffoit, puifque le Roi s'accoutuma a entendre dire du mal de fon Minifire , qu'il ne trouva même pas mauvais qu'on lui parlat de 1'en débarraffer par violence, & qu'il s'avanga jufqu'a fouffrir que De Thou écrivit a Rome & en Efpagne, pour faire la paix , fans la participation de Richelieu. Le Prélat D vj Louis XIII. 1642. Richelieu en difgra-  L O U I ! XIU. 84 L'Intrigue . ne s'appercut que trop de cette dimïnution de crédit, dans les entrevues qu'il eut avec Louis pendant la route» II voulut parler contre le Favori; mais il ne fut écouré qu'avec froideur & indifférence. Ses converfations fur la guerre, fur les détails d'adminiftration , autrefois reeherchées par le Monarque, n'étoient plus foiiffertes qu'avec humeur. Dès-lors le Miniftre fe mit fur fes gardes, Sc fe tint toujours a qirelque diftance du Roi. Richelieu étoit malade : mais, foit feinte, foit véfité , on publia avec affeclation que fon état empiroit. Pendant ce temps, il gouvernoit toujours de loin par Des-Noyers, Chavïgny & les autres Miniftres, qui lui donnoient avis de tout, & attendoient fes commandements. II envoyoit luimême de tous cötés des ordres , qui foutenoient 1'apparence de fon crédit, encourageoient fes amis, Sc tenoient fes ennemis en échec. Enfin; les chofes en étoient au point, qu'on fe traitoit ouvertement de Royalijies, Sc de Cardinalijhs. Et la PrincefTe Marie de Gonzague , qu'on foupconne d'avoir eu un tendre penchant pour le Grand»  DU C A B r N E T. Sf Ecuyer, lui écrivoit : Votre affaire ejl connue d Paris, comme on y fait que la Seine paffe fous le Pont-Neuf. Mais cette publicité n'inquiétoitpascejeune homme, qui, fe riant aux démonftrations extérieures des courtifans, croyoit avoir tout le monde pour lui & agiffoit fansprécaution. Richelieu , au contraire, s'obfervoit comme en pays ennemi. Pendant que le Roi étoit dans fon camp, devant Perpignan ,, il fe tenoit a Narbonne. Quand Louis vint dans cette derniere ville, le Cardinal rebrouffa vers Tarafcon, fous prétexte d'aller y prendre les eaux ; mais il y travailloit fourdement a la ruine du Favori, cherchant, examinant, attendant beaucoup de bénéfice du temps, Sc encore plus des impnidences du Grand-Ecuyer. Cinq-Mars, oubliant fouvent les bons avis de De Thou,. s'abandonnoit a fes paffions, a fa frivolité, Sc s'attiroit du Roi des réprimandes , qui occafionnoient de petites difgraces : mais elks ne duroient pas; Sc le Grand-Ecuyer, pour peu qu'il voulüt montrer d'application Sc d'attachement, reprenoit aifément fon cré- Louis XIII.  Louis XIII. 1642. (a) Ce Comte de Guiche, depuis Duc Sc Maréchal de Grammond, envoyé a Gafton avec Chavigny. par le Cardinal, pourlengager a quelque chofe qu'il defiroit, s 'échauffant fur Ia fin du repas , fe laiffe aller aux eonfidences , & dit au Prince qu'il n'eft entouré que de frippons; que lui, Comte de Guiche , na pas vouluêtre fon domeftique , paree qu'il auroit fallu le trahir comme tels & tels;que pour lui , ileft Gentilhomme, & qu'il ne veut agir que par les bonnes voies , & qu'il eft ferviteur au Cardinal, contre lui # toute la familie Royale. Voy. Mém. de Montréfor, tom. I, p. 104. (b) L'Eftrade, Colonel au fervice de Hoflande, allant trouver le Roi, pafla par Ta- 86 V Intrigue dit. Celui de Richelieu diminuoit au point, qu'un expédientqu'il employa, on en croit Siri, & qui lui avoit réuffi dans toute autre circonfiance, fut inutile dans celle-ci. Pour embarrafler le Roi, il engagea le Comte de Guiche k fe laifler battre fur la frontiere de Picardie, qui, par-la , refta ouverte k 1'ennemi (a) : mais cette rufe, fi elle eft vraie, n'aboutit qua attirer au Cardinal un ordre très-fec que le Roi lui envoya, de remédier a eet accident, fans lui rendre fa confiance ordinaire (£). De forte que d'un  du Cabine t, 87 moment a Pautre, le Miniftre attendoitle coup de la difgrace; heureux, fi elle fe bornoit a la perte de fe: emplois, lorfqu'une découverte inattendue changea entiérement la face des affaires. Pendant que Cinq-Mars, vers la fir de Pannée derniere, balancoit fui les moyens de renverfer le Cardinal. il lui vint dans Pefprit, ou on lui fuggéra de fe préparer un afyle en ca; de revers. II demanda Sedan au Duc de Bouillon. Gafton en fit autant, rafcon ; le Cardinal lui fit le bec , avant que de le laiffer aller au camp devant Perpignan. Lorfqu'il fut arrivé, Louis XIII lui demanda fi les bruits qui couroient d'un prochain accommodement des Etats avec 1'Efpagne, étoient vrais, & pourquoi les Hollandois vouloient fe féparer de lui. Je ne fais, lui répondit 1'Eftrade d'un air myftérieux qui donna de la curiofité au Roi. Louis le preffa de parler. C'eft, dit enfin 1'Eftrade, paree qu'on débite en Hollande que vous allez renvoyer le Cardinal, & mettre le Grand-Ecuyer a fa place. Louis rougit, & fe défendit de cette imputation, comme d'une «alomnie déshonorante. Voy. Man. de Mon* glat, t. 2,p. 47. Louis XIII. 1642, Traité de CinqMars avec 1'Efpagne.Monglat,' t-2,p. 39. Brienne, t. 2, p. 142. Aubery , Mém. t. 2 , P- 757Montréfor, t. 2 , p. 240.  Louis XIII. 1642.. 88 L' I N T R I G V & La Reine régnante , faifie de terreur lorfqu'on voulut la contraindre de ïuivre te Roi, follicita aufïï 1'afïïirance d'être recue avec- fes enfants dans eet afyle, ïï fon mari venoit a mourir_ entre les mains de Richelieu. Bouillon , qui avoit déja expofé fa Principauté avec le Comte de SoiffonSj fe fit long-temps prier,,pour la rifquer une feconde fois. Enfin , il ne Paccorda qu'a condition qu'on lui affureroit le fecours de l'Efpagne. Gafton & Cinq-Mars y confêntirent. Ils dépêcherent tous trois, de concert, a Madrid , un Gentilhomme, nommé Fontrailles, qui conclut un traité en leur nom, & le figna Ie 13 Mars; il eontenoit.vingt articles, tous dirigés contre Richelieu ,avec grande attention d'infmuer que fi on fe lioit avec les étrangers,.c'étoit la tyrannie du Cardinal qui y contraignoit les confédérés. De Thou n'eut point connoiffance de ce traité quand il fe fit: mais il Papprit quelque temps après; Si la chofe lui fut confirmée de la bouche même du Grand-Ecuyer, qu'il iéfapprouva. II 1'exhorta a rompre ces intelligenees criminelles, ck a pren-  du Cabïnet. 89 dre des mefures promptes, pour n!en pas éprouver de mauvaifes fuites. Mais la mulriplicité des affaires & des plaifirs étourdit ce jeune homme. Le Cardinal, éloigné & malade, paroiffoit fur le penchant de fa ruine; il fembloit qu'il ne falloit plus qu'un fouffle pour le précipiter. Le Roi, détaché de lui en apparence , redoubloit de bontés pour le Favori. II y eut pourtant des moments ou celui-ci crut nppercevoir du changement dans les manieres du Monarque. Mais il le regardoit comme un des accès d'humeur auxquels Louis étoit fujet, &C qui n'auroit pas de fuite. Cependant il ne parut que trop que ce changement venoit du dégout que le Roi prit de fon Favori; dégout occafionné par la vie déréglée de Cinq-Mars, & enfuite par la connoiffance que Louis eut de fon infidélité. Elle lui parvint par le Minifire, qui Feut lui-même on ne fait com-; ment. La copie du traité qui lui tomba entre les mains n'étoit pas authentique : il craignoit que s'il en donnoit direélement avis au Roi, ce Prince ne regardat cette nouvelle comme Louis XIII. 1643. II eft at> cté* : i, p. 50. Montrcfor^  Louis XIII. 1642. (a) Monfieur, dit Brienne, ne fut point trani comme on le publïa ; mais ce myfiere fut découvert par une voie que l'on ne devoit pas craindre naturellement : ce qu'il faut entendre de ceux qui ignoroient comment les chofes fe paffoient. On voit un homme qui pouvoit nous donner le mot de 1'énigme , & qui ne Pa pas fait. Mais toute fa narration nous ap. prend que la Reine régnante flottoit entre I'efpérance & la crainte que lui donnoient toutes ces inttigues. On croit que ce fut Schomberg, trés attaché a Anne d'Autriche, qui porta au Roi la première nouvelle de la part du Cardinal. Monglat dit qu'on remarqua que la Reine envoya un courrier en fecret k Richelieu. Enfin, on trouve dans les Mémoires de 1'Abbé Arnauld ce trait remarquable. La Reine, au commencement de fa Régence, regardant a Ruel un portrait de Richelieu , dit : Si eet homme avoit vécu jujqu'a cette heure , il auroit été plus puijfant que jamais. Voy. Mém. de Brienne, t. II, p. 147; Mém. de Monglat, t. II, p. 50^ Mém. d'Arnauld , torn. 1, p. 446. 90 L'Intrigue une invention du Prélat, qu'il n'en avertit lui-même les coupables, & qu'ils ne lui ötafTent les moyens de les convaincre. C'eft pourquoi il en fit pafier la première notion au Roi, par un homme qui ne parut pas parier de fa part (a). Enfuite il dépêcha  du Cabine t. 91 Chavigny chargé de la copie du traité. Cinq-Mars,fachant qu'il arrivoit, voum lut le faire affaffiner avant qu'il parlat a Louis; mais il étoit déja avec le Monarque. Ce fut alors au GrandEcuyer a chercher fa füreté dans la fuite.Malheureufement il s'y prit trop tard. Sa conduite avoit éte fi imprudente, qu'elle avoit pour ainfi dire averti tous fes complices, qui fe fauverent. Pour lui, il fut arrêté a Narbonne avec De Thou, le 13 Juin. De ce moment, le Monarque & le Minifire agirent avec le plus grand concert. Le Duc de Bouillon étoit k la tête des forces de France en Italië. II fut le fecond exemple, fous ce regne, d'un Général pris dans 1'armée qu'il commandoit. On le renferma dans la citadelle de Cazal (a) , & le Duc Le Vicomte de Turenne rencontra un courrier dépêche au Duc de Bouillon par quelqu'un de fes amis, qui alloit lui porter la nouvelle du malheur de Cinq-Mars. Turenne alla en faire fa cour au Cardinal, qui fit partir fur le champ le plus prompt de fes courriers. Celui-ci prévint 1'autre; & ainft Turenne fut la caufe innocente de la prifor» de fon frere. Voy. Mém. d'Aubery, tornt 11, depuis la page 757, jufqua 770. Louis XIII. 1642.  Louis XIII. 1641. Procés de CinqMars & de De Thou. Jourrz. de . Richelieu , ' ///. Part.i P1, j Montrdfar, *■ 1, p. 1 228. ] i 1 I f 1 a <5 c p r ii n è f< ai 92 L'Intrigüe d'Orléans, qui fuivoitdeloin la Cour," pourfeconduirefelon les événements, fe trouva tout-a-coup invefti de troupes en Auvergne. Sa première aöion fut de jetter au feu 1'original du traité : mais la fuite ie réponditpas au commencement. Ce fut contre lui que Richelieu dirigea es batteries, pour en tirer des aveux jui ferviffent a charger les autres. Le tfiniftre ne fe trompa pas dans fes nefures. Gafton fit d'abord une dénarche qui afiuroit le Cardinal du uccès ; il dépêcha au Prélat 1'Abbé de a Riviere, avec des affurances vaues de repentir, & des prieres de ui obtenir grace. C'étoit un augnre ivorable aux intentions de Richeeu, que 1'intervention de eet Abbé, me vénale, fiatteur bas & rampant, u'il étoit aifé de rendre, par crainte u par efpérance, l'inftrument des furrifes qu'on feroit a la crédulité du nnce. Dés Ia première entrevue, on ïfinua a 1'agent de Monfieur, qu'on e croyoit pas qu'il eut pu fe rendre mipable a 1'infu de fes confidents. Ce mpcon infpira une mortelle frayeur mégociateur. Ilporta fes allarmes au*  du Cabine t. 93 prés de fon maitre, qu'il intimida, & qui le renvoya chargé de confeffions, finon concluantes, du moins propres a en faire exiger de plus étendues &€ de plus exaöes. A une lettre très-fournife, dont Gafton accompagna fes premiers aveux , le Cardinal répondit celle ci : Monfieur, puifque Dieu vtut que les hommes ayent recours duneentiere & ingénue confijfionde leurs fautes, pour être abfous en ce monde , ■ je vous enfeigne le chemin que vous deve{ tenir, afin de vous tirer de la peinc cu vous étes. Votre Altejfe a bien cornmencc; c'efi d elle d'achever, & d fes ferviteurs de fupplier le Roi d'ufer de fit bonté d fon endroit. Le premier témoignage de bonté que Is Minifire promit de tirer du Roi, jfut qu'il permettroit a fon frere de voyager, & de fe fixer a Venife, avec une modique penfion, mais fans Ie voir avant fon départ. Pour avoir une augmentation de penfion, & la faveur d'être admis en préfence de fon frere , Monfieur fit de nouveau aveux. Nouvellesqueflions de la part du Cardinal , & infinuation qu'on pourra le faire refler en France, feulement éloi- Louis XIII. 1642.  Lovi XIII. 1642. 94 L'Intrigue . gné pour quelque temps de la Cour. Enfin , par toutes ces prétendues graces, habilement graduées, on obtint du foible Gafton, qu'il fe laifferoit interroger par le Chancelier, & que fes réponfes ferviroient de preuves contre fes complices. II exigea feuIement qu'il ne leur feroit point confronté; fans doute, pour ne pas être expofé h des reproches qui Fauroient couvert de honte. Sa facilité porta le coup mortel aux prifonniers ; ils favoient que leur falut dépendoit de leur filence , &c que s'ils perfifloient a nier d'avoir eu recours a 1'Efpagne , jamais on ne trouveroit de preuve propre a faire décerner contre eux des peines juridiques. L'original du traité , la feule preuve qui put les convaincre, étoit entre les mains du Duc d'Orléans. Ils ne le croyoient pas aflez noir pour les trahir : mais d'après ce qui s'étoit paffédansl'affaire de Chalais, de Montmorency, de Soiffons & tant d'autres, ils auroient dü le foupconner affez foible pour fe laiffer arracher les fecrets les plus importants a la füreté & a la vie de fes amis. C'eltpour-  DU C A B I N E T. 95 quoi le Cardinal, très-inftruit du caraclere de Gafton, & de la maniere dont il falloit le prendre, dirigea contre lui, comme nous venons de le voir, les opérations préliminaires a l'inftrucrion du procés. Le Roi approuva a Tarafcon ce plan de conduite, dans une viflte qu'il fit le 3 Juillet a fon Miniftre. Ce fut un fpeftacle aflez fingulier que celui de deux moribonds, couchés cha- i cun fur un lit, occupés, pour ainfi dire, a creufer le tombeau de deux infortunés, pendant qu'ils étoient prêts a y defcendre eux - mêmes. II y eut dans cette entrevue des plaintes trèsvives de la part de Richelieu, &des excufes très-foumifes de la part de Louis , qui tacha d'appaifer fon Miniftre , en lui donnant une autorité abfolue dans fon Royaume , avec injonction a fes fujets, de quelque condition &qualité qu'ils fuffent, d'obéir au Cardinal comme a lui-même. Après ce!a, le Roi regagna Paris, &c ■ le Cardinal partit pour Lyon, traïnant derrière lui les deux prifonniers, dans un bateau attaché au fien; & le Duc d'Orléans fe rendit a deux Louis XIII. 1642.  l O VI! XUI. Z642. lis foni condamnes. 95 L'Intrigue lieues de cette ville, afin d'être plus a. portee des Juges qui devoient 1'interroger. La commiflion établie pour ce procés fut compofée de Confeillers d'Etat & de Magiftrats tirés du Parlement de Grenoble, préfidés par Ie Chancelier. L'affaire étoit trop bien commencée, pour n'être pas terminée au gré du Cardinal. II n'y avoit que le filence qui put fauver les coupables, & Monfieur avoit parlé. II eft vrai que fa confefiion, pour ainfidire extra-judiciaire & fans confrontation, ne devoit pas valoir felon les regies ordinaires. Mais on prononca que ces formalités n'étoient pas néceflaires pour valider 1'aveu d'un enfant de France. De plus, Cinq-Mars ne tint ferme a nier le traité , que jufqu'a ce qu'il eut entendu la dépofition de Gafton; & dans ce moment même , périflant par la lacheté du Prince , il montra une modération qui dut couvrir le Duc de confufion , s'il en fut inftruit. Monfieur, non content de rapporter les faits, n'avoit pas eu honte de les aggraver, en difant^ae c étoit Cinq-Mars qui tavoit fait tomber dans U crime, par fes prejfantes follicitations  D V C A B I N E T. 97 ïaiions. Un homme de quarante ans, frere du Roi, fur de fa grace , pour s'épargner peut-être quelques reproches, eut la bafTefTe d'accufer un jeune homme de 22 ans , de 1'avoir féduit & débauché de fon devoir ! Tout Prince qu'il étoit, Cinq-Mars auroit pu le dévouer au mépris par des détails flétrMants : il fe contenta de raconter fans aigreur , fans air de récrimination, ce qu'il ne pouvoit s'empêcher de dire , que toutes les fois qu'il étoit mal avec le Roi ou avec le Cardinal , le Duc d'Orléans le faifoit follici' ter de s'attacher d lui, & lui promettoit fa proteclion; que c étoit dans un de ces moments que , par la fuggef ion de Monfieur & le Duc de Bouillon, il avoit imagini de traittr avec tEfpagnc, pour fe procurerun afyle eontre le rejfentiment du Minifire, & le f oreer de condefiendre d la paix générale; que tel avoit été fon tut; qu'il ne s'en avouoit pas moins coupable , & qu'il réclamoit la -bonté du Roi, fa feule reffource. L'infortunée vicfime de la foibleffe des deux freres, ignoroit que , pendant que 1'un fourniffoit a fes Juges des moyens de condamnation, 1'auTomé Hh E Louis XIII. j64io  Louis XIII. 1642. 98 L'Intrigue tre le dénoncoit publiquement comme criminel, par une lettre écrite k tous les Parlements de fon Royaume. II y difoit: Depuis un an, nous nous appercevions d'un notable changement dans la conduite du Jieur de Cinq Mars ; qu'il avoit des liaifons avec des Calvinifies , des libertins ; qu'il prenoit plaifir d ravaler nos bons fuccbs, d exagérer les mauvais, (v d publier les nouvelles défavantageufes. Nous avons auffi remarqué en lui une maligne affeclation d bldmer les aclions de notre coufin le Cardinal Duc de Richelieu, & d louer celles du Comte Duc d'Olivarès. Cette maniere de faire nous a donnè des foupcons; & pour en pénétrer le but & la caufe, nous avons laijfe' le fieur de Cinq.Mars parler & agir avec nous plus librement qu'auparavant. Etrange conduite d'un Monarque a 1'égard d'un jeune homme k peine forti de 1'adolefcence, qu'il auroit fallu inftruire , reprendre , éloigner même, plutöt que de le laiffer accoutumer a des fautes qu'on feroit enfuite forcé de punir! Mais, fous les apparences de cette politique, condamnable puifqu'elle étoit infidieufe, Louis vouloit déguifer la  du Cabine t. 99 faute qu'il avoit faite lui-même, d'enhardir fon jeune Favori a travaiiler contre fon Miniftre, en lui confiant fes mécontentements , &c en écoutant fans répugnance les offres affez claires qu'on lui faifoit de le débarraffer de fon tyran. Ces conlidérations, qui rendent Cinq-Mars , finon innocent, du moins digne de grace, ne purent influer fur la décifion des Juges. Le crime d'avoir traité avec les ennemis de 1'Etat étoit prouvé. Ils furent obligés de le condamner, & tout d'une voix ils opinerent a la mort. De Thou les embarraffa davantage. On ne pouvoit 1'accufer que de n'avoir pas révélé le traité fait avec 1'Efpagne. A la queftion pourquoi il ne 1'avoit pas découvert, il répondit: Je n'en ai eu connoiffance que long-temps après la conclufion , & par une Jimple confidence du Grand-Ecuyer. Depuis ce temps , je n'ai cefle' de fexhorter d le rompre , & d obtenir fa grace du Roi , en le découvrant. D'ailleurs, étant certain, par une claufe exprcjfe du traité, qu'il ne pouvoit avoir lieu que ji nos troupes étoient battuts en Alhmagne, & voyant qu'elles y étoient toujours vicE ij Louis XIII. 1641.  Louis xur. 1642. lis font cxecutés. Montrc'for, '■ 1, p. 228*234, Journ. de Richel. UI. Part. p. 68. ïco L' Intrigue torkufis, je nai pas cru devoir expo* fer, trahir , livrer mon ami, pour faw ver CEtat d'un danger qui ne devoitplus être appr'hendé. Enfin , ne fackant li traité que par une converfiation, & n ayant aucur.e preuve a adminiflrer de la vêritc de ma dépofition, je me fierois expofé d fubir la peine dm aux calomniaieurs, fi Us coupablcs perfifioient dans la négative. Ces raifons étoient bonnes; plufieurs Juges vouloient qu'on y eut égard : cependant >, comme la loi qui condamne au dernier fupplice tous ceux qui, ayant fu une confpiration contre 1'Etat, ne Fauroient pas révélée, n'admet aucune difHnction ni exception, la pluralité opina a la mort. C'étoit le voeu de Richelieu , qui en vouloit, dit-on , a De Thou , paree que fon grand-pere , dans fa belle Hiftoire de nos guerres civiles, avoit inféré une anecdote peu honorable a Ia mémoire d'un Richelieu. Mais il y a apparence que la haine du Prélat, & fon defir de vengeance, venoient plutót de ce qu'il regardoit De Thou comme ayant été le confeiller de Cinq* Mars, dans tout ce que le Grand»  du Cabine t. toi Ecuyer avoit tenté contre lui, & qu'il vouloit le punir du fuccès que fon habileté avoit penfé procurer a fon ami : peut-être auffi le Miniftre eutil deffein d'intimider les cabaleurs, en rendant la dénonciation néceffaire. Ainfi , vidtime, tant de la fidélité a 1'égard de fon ami, que de la hainc & de la politique, De Thou écouta fa fentence fans fe plaindre de la fatale confidence qui le perdoit; & quand Cinq-Mars voulut hu demander pardon de fon indifcrétion, il Finterrompit, le ferra dans fes bras, &c lui dit: II ne faut plus fonger qu'd bien mourir. II s'y étoit, difoit-il, tellement difpofé pendant fa prifon, qu'il ne defiroit plus de vivre, dans la crainte de ne fe pas trouver une autre fois ft bien préparé a Ia mort. Cette réfignation fut en lui I'ouvrage de combats violents contre les répugnances de la nature; combats dans lefquels la Religion feule le rendit vainqueur. Pour le jeune CinqMars , dont la vie fi courte n'avoit été qu'une efpece de tableau mouvant, dont les objets, dans leur rapide paf fage > n'avoient pas eu le temps de E iij Louis xm. 1642.  ioz L'Intrigue Louis XIII. 1642. faire une impreffion profonde fur les fens, il parut s'étourdir davantage fur fon fort. Du faite des grandeurs, iï defcendit fur Péchafaud comme un acteur change de röle; & il ne montra d'émotion que quand on le conduifit dans la chambre de la queilion, a laquelle il avoit été condamné : alors il demanda grace , & il 1'obtint, ou paree qu'on n'avoit deffein que de lui en donner la peur , ou paree qu'il avoua de lui-même ce qu'on vouloit favoir. Des Hifcoriens difent que 1'objet de la curiofité de Richelieu fut moins de connoitre les complices, que de s'affurer s'il étoit certain que Ie Roi eut confenti qu'on le débarraffat de fon Minifire. Après la confeflion du Grand-Ecuyer, le Cardinal, ajoutent-ils, ne douta plus que s'il s'étoit trouvé un homme de réfolution, comme le Maréchal deVitri, Louis nelui eut fait éprouver le même fort qu'au Maréchal d'Ancre; & cette connoiffance détermina Richelieu a écarter du Roi, plus que jamais, tous les gens capables d'un coup de main. Ces deux infortunés furent conduits cnfemble au fupplice, fur la grande  DU C A B I N E T. 103 place de Lyon, le 12 Septembre, &, jufqu'a la fin, ils montrerent chacun leur caraclere difiin&if. De Thou, que la maturité de Page rendoit plus capable de remords fur fa vie paffee, & de crainte pour la vie future, n'envifageoit qu'avec horreur la féparation de fon ame d'avec fon corps. Les exhortations de fon Confeffeur , fa confiance en Dieu, les confolations puifées dans le fein de la Religion, qu'il avoit toujours refpedée, fuffifoient a peine pour calmer fes fray eurs. II mourut en regrettant publiquement d'avoir facrifïé a la vanité, & au fervice des Grands, des jours que 1'application a quelque état utile auroit rendus plus méritoires devant Dieu & devant les hommes. Cinq-Mars remplit auffi avec ferveur les devoirs de la Religion : mais du refle , il parut plus étonné qu'effrayé. On lui reprocha même un air de légéreté, & des manieres hautaines jufque fur 1'échafaud : mais c'étoit moins affectation d'indifférence & bravade, qu'habitude & défaut de Page. Enfin, tous les deux toucherent les Juges; Cinq-Mars par fa candeur & fon ingénuité; De E iv Louis XIII. 1642.  Louis XIII. 1642. (a) Louis XIII fe promenant le jour de ïexécution dans les jardins de Saint-Germain , tira froidement fa montre, & dit en la regardant : Dans tant de minutes , Monfieur le Grand paffera mal fin temps. Voy. Mém. de Monglat, t. II, pag. 56. Le Roi avoit eu deffein de le fauver, rv s'en étoit d'aherd déclare, di/ant que le Duc de Bouillon l'avoitgdté, & méritoit feulla mort. Cependant il n'en fut pas le maitre. Toute la France le regretta. La PrincefTe Marie 1'aimoit , & fut obligée d'employer la DuchefTe d'Aiguilloa pour retirer fes lettres. Voy. Mém. de Mot~ teville , torn. I, p. qj^ 104 L' Intrigue Thou par la force de fon efprir & fon humilité, & ils arracherent des larmes aux fpecïateurs de leur fupplice (a). Le Duc de Bouillon, certainement plus coupable que De Thou, racheta fa vie & fa liberté par la ceffion de fa Principauté de Sedan; encore lui donna-t-on en échange de frès-belles terres en France: & le Duc d'Orléans, le plus criminel de tous, ent permilïïon de fe retirer a Blois comme un particulier. Ce fut la feconde fois qu'il traverfa une partie de Ia France fans diflinftions, fans honneurs, chargé de la honte d'avoir fa-  du Cabine t. 105 crifié des amis, dont les images fanglantes auroient du être fans ceffe préfentes k fon efprit, & ajouter les re» mords k fon humiliation. Pendant qu'il parcouroit les Provinces en fugitif, Richelieu partitde' Lyon le jour même de 1'exécution , fe rendit a Paris comme un triomphateur, porté par fes gardes dans une chambre oü étoient fon lit, une table & une chaife pour une perfonne qui 1'entretenoit pendant la route. Les porteurs ne marchoient que nue tête, a la pluie comme au foleil. Lorfque les portes des villes &c des maifons fe trouvoient trop étroites , on les abattoit avec des pans entiers de muraille , afin que fon Éminence n'éprouvat ni fecouffe, ni dérangement. Arrivé a Paris , il alla defcendre au palais Cardinal , oü fe trouvoit une foule de gens empreffés , les uns de voir, les autres d'être remarqués. II paria k plufieurs, & congédia la foule d'un coup d'oeil obligeant. Sur fon vifage jauni par la maladie , on appercut un rayon de joie , lorfqu'il fe vit dans fa maifon , au milieu de fes parents& de fes amis, qu'il avoit appréhendé de ne plus re* E y Louis XUL iGj 2. Retour riomjhant du Cardinal»  L O U I ! X1IÏ. Mort de 1 Reine tfere. Mere, s. 4i tc6 L? I N T R I G U E voir, & encore maïtre de cette Cour, oü tant d'envieux fe flattoient qu'il ne reparoitroit plus. La mauvaife volonté de fes enne' mis n'étoit pas diminuée : mais après cette derniere épreuve de fa puiffance , il n'avoit plus rien a en craindre. Ilsperdoient infenfiblement leurs meilleurs appuis: lés plus grands Seigneurs étoient ou bannis ou en prifon. Gafton , fi humilié, ne pouvoit de longtemps être tenté de fe mettre a la tête d'un parti. D'ailleurs, qui auroit voulu s'étayer d'un homme fi foible Sc ■fi décrié ? La Reine-Mere, toujours redoutable, tant par fes intrigues fecretes, que par fes plaintes publiques, venoit de mourir le 3 Juillet, a Cologne , réduite, faute d'argent, a retrancher tout appareiï royal , a renvoyer fes domefliques, Sc a fe borner au pur nécelfaire. On la plaignit, paree qu'on plaint toujours ceux qui ïbuffrent : mais on ne peut difconvenir qu'elle ne fe foit attiré fes malheurs par fon caraclere impérieux Sc opiniatre. De plus, il y a dans fa vie une tache ineffacable ; c'efl que , felon la remarque du Préüdent Hénault?  r>U C A B I N E T. IO7 elle ne fut pas affe^furprife, ni affe{ affiigée de la mort funefle d'un de nos plus grands Rois. Le Cardinal lui fit faire un fervice magnifique, & il en paria comme s'il avoit efpéré que, fous peu de temps, elle lui auroit rendu fes bonnes graces. II eft vrai qu'elle lui pardonna en mourant; mais le Nonce du Pape qui 1'exhortoit, voulant 1'engager a envoyer a Richelieu, en figne de réconciliation , fon portrait dans un bracelet qu'elle portoit au bras, elle fe retourna de 1'autre cöté, en difant: C'efl trop {a). Le Miniftre auroit fans doute été bien glorieux d'une pareille marqué d'eftime, qu'il auroit fait valoir au Roi comme une juftification fans replique de fa conduite. Cependant on peut croire qu'il étoit alors moins curieux de 1'approbation &c de PaffeéHon du Monarque, qu'attentif a fe tenir en garde contre fon averfion. II eft pref que prouvé que Louis XIII n'avoit pas rejetté les at- (d) Ce Nonce étoit Fabio Chigi , devenu Pape eniuite fous le nom d'Alexandre VII; il avouoit qu'il avoit trop exigé de la Reine. Voy. Menagiana , torn. 11, p. 335. E vj Louis Xtlï. 164Ï.  Louis XIII. 1642, Mort dü Cardinal. Mere. t 14. Mercurio ■ t.1, liv. 3, Monglat. f- 65. Mottev. t. 1 , 115. Montréfor, «.»,-/. 170. Brienne , t.2,p. *J2. 108 L'Intrigue tentats propofés contre la vie ou la Eberté du Cardinal. C'en étoit aflez pour que le Prélat fe défiattoujour&de quelque trahifon fubite. En conféquence y il redoubla fes foins pour attacher a fa perfonne les Militaires les plus renommés par leur bravoure, & pour engager le Roi a éloigner ceux qu'il ne put gagner , & dont 1'intrépidité lui faifoit appréhender quelque brufque exécution. Louis, harcelé par fon Minifire, fe détermina a avoir une feconde fois cette complaifance; mais il avertit ceux qu'il facrifioit , que leur feinte difgrace ne feroit pas de longue durée () Le Duc de Rets, le Marquis de la 2 Chatre , les Comtes de Fiefque & d'Au- 1 bijoux , Béthune , Fontrailles , Beaupui , ^ la Marquife de Senecé , Madame de Hautefort, Mademoifelle de Saint - Louis , le Préfident de Blanc-Menil, Chateau-neuf, &c. Voy. Mém. de Monglat, torn. ll,pag. 84. F ij Louis XIV. 1643. Les diflofitionse Louis au :hangées. Talon, r. ,p. 12. derc, t, 4.  Louis XIV. 1643. (a) II déclara a l'AmbafTadeur des Hollandois , qu'ils ne devoient plus compter fur le fecours de la France, a moins qu'ils ne fe fiffentCatholiques.il difoit que le Royaume n'étoit pas plus difficile a gouverner que fes Curés. Voy. Mém. de Mot. t. 1, p. 140;; la Rochef. pag. 15. 124 L' Intrigue Beauvais, dont la Reine voulut faire un Minifire : mais il n'avoit ni principe de gouvernement, ni aptitude pour les acquérir. C'étoit un homme avantageux & borné, qui croyoit tout facile , qui décidoit, tranchoit, & ne fe doutoit feulement pas qu'il y eut une marche pour réuffir, & des expédients a employer pour affurer les fuccès (a). Auffi-töt que le Roi fut mort, Potier &c toute fa troupe s'écrierent que la Régence appartenoit de droit a la Reine; que les reftrictions niifes k fon autorité, par la création d'un Confeil, étoient injurieufes k Sa Majeflé, & qu'il n'y avoit pas d'autre moyen d'en effacer la honte, que de les détruire. Anne applaudit a ce tranfport de zele , & réfolut de faire caffer la Déclaration qu'elle avoit juré a fon mari d'obferver; mais quand  du Cabine t. 125 elle voulut mettre la main k 1'ceuvre, il fe préfenta des difficultés très-embarraffantes. D'abord il n'étoit pas certain que le Parlement fe prêtat a abrcger un Réglement prudent en lui-même , & qu'il venoit d'enrégifrrer. II y avoit a craindre que fon refus ne fut d'autant plus ferme , qu'il feroit appuyé par le Prince de Condé, Chef du Confeil qu'on vouloit fupprimer, par le Chancelier Seguier, le Cardinal Mazarin , Chavigny, & les autres Membres de ce Confeil, qui avoient tous des partifans très-échauffés. De plus , on avoit lieu d'appréhender, qu'en donnant atteinte a la Déclaration , qui étoit le titre de la puiffance de la Reine, le Ducd'Orléans, quand cette Déclaration feroit caffée , ne révendiquat la Régence pour lui-même. II n'étoit donc pas queftion de brufquer 1'affaire, comme le prétendoient PEvêque de Beauvais & fes échos; il fallut négocier, flatter le Prince de Condé, gagner le Chancelier , s'affurer par des promeffes du confentement de Mazarin, de Chavigny, & des autres Membres du Confeil. Le Prince de Condé céda aux infF iij Louis XIV. 1643,  Louis XIV. 1643. 126 L'Intrigue tances de fa femme, intime amie de la Reine, qui s'engagea de lui affurer en biens & en dignités, des dédommagements fupérieurs aux avantages qu'il pouvoit efpérer dé fa place. Pour engager Seguier & les autres a abandonner le rang & 1'autorité que leur donnoit la Déclaration, on leur promit la même puiffance fous un autre titre. II fallut auffi calmer les allarmes des amis du feu Cardinal, pour lefquels la Déclaration étoit un rempart contre la vengeance de la Reine. Ils avoient encore un parti très-puiffant, qu'ils pouvoient faire agir dans le Parlement. Anne vit les Chefs en particulier, entre autres la Ducheffe d'Aiguillon; elle les affura de fa bienveillance, &c leur docilité commenca a la difpofer plus favorablement pour eux. Quant au Duc d'Orléans, il ne fut pas difficile a la PrincefTe , avec 1'afcendant qu'elle avoit fur lui, de 1'amener a fes defirs, On gagna 1'Abbé de la Riviere qui le gouvernoit, & le Prince fe foumit a tout : de forte que les chofes fe pafferent au gré de la Reine , dans le Lit de Juflice que le jeune Roi tint le 18 Mai. Anne  DU C A B I N E T. I27 d'Autriche fut déclarée Régente, tutrice fans reftriction , & maitreffe de former fon Confeil a fa volonté. Ainfi fut refpeöée la tres-exprejjc & dernurt volonté de Louis XIII. Omer Talon, Avocat-Général, donna pour motif de cette difpofition, le danger de partager la puiffance : Paree que de cette diviJion, dit-il, naijfent les faclions & les partis; premier exemple, fouvent renouvellé pendant cette minorité, de décifions parlementaires, dont le Corps qui les prononcoit fe croyoit 1'auteur, pendant qu'il n'en étoit que 1'organe. La Reine avoit été contente de la conduite du Cardinal Mazarin dans cette conjondTure. II ne s'étoit pas fait beaucoup prier pour fe relacher des droits que lui donnoit la Déclaration. II avoit même contribué k déterrriiner Chavigny, & il s'étoit montré difpofé a tenir auffi volontiers quelque autorité de la bonté d'Anne d'Autriche, que du choix de Louis XIII. Ce procédé obligeant diminua le reffentiment qu'elle nourriffoit contre lui, paree qu'elle favoit qu'il avoit, avec Chavigny, rédigé la fatale DéclaraF iv Louis XIV. 1643. Faveur de Mazarin. Brienne, U% , p. 169, 179 & au. Mottevib le, M,p.  loun XIV. 1643. Il8 L' I N T R I G V E tion, & qu'elle le foupconnoit même de 1'avoir infpirée a Louis XIII. Les amis de Mazarin firent entendre a Ia Régente, que ce qu'elle regardoit comme un mauvais office de fa part, étoit au fond un véritable fervice , paree que dans la difpofition oü étoit fon époux , de ne laiffer a fa femme que ce qu'il ne pouvoit lui êter, il auroit certainement pris contre elle des mefures plus difficiles a rompre. Les dévots de la Cour , le Pere Vincent de Paiü, inflituteur des Miffionnaires , le Lord Montaigu, très-zélé Catholique , le Duc & la Ducheffe de Liancourt, des Dames pieufes endoctrinées par des Carmélites & d'autres Religieufes, prêcherent a la Reine le pardon des injures , & 1'amour des ennemis. Les politiques , qui craignoient que la cabale des Importants ne prit trop d'empire fur elle, lui repréfenterent que le Cardinal Mazarin avoit feul la clef des affaires étrangeres; qu'il étoit laborieux, expéditif, de tout temps dévoué a la France , malgré quelque inclination pour 1'Efpagne , oü il avoit été employé dans fa jeuneffe; inclination qui n'é-  du Cabtnet. 119 toit pas un motif de réprobation auprès d'Anne d'Autriche. Tout cela ébranla la Reine. Le ton poli de Mazarin , fes manieres infinuantes, fes déférences aux volontés & au penchant de la Régente , firent Ie refle. Madame de Motteville rapporte, d'après la Maréchale d'Etrées, qui avoit connu Mazarin a Rome, avant qu'il eut intérêt a fe déguifer, que c étoit F homme du monde le plus agréable ; quil avoit l art d'enchanter les hommes, & de fe faire aimer par ceux d qui la fortune le foumettoit. Sa converfation étoit; enjouée & abondante ; il paroiffoit fans prétentions, & il faifoit femblant fort habikment de nêtre pas habile. La première action qui le fit connoitre en France, dut lui donner du reliëf dans 1'efprit des Francois. Le Pape Favoit envoyé négocier la paix en Italië , entre eux & les Efpagnols. Les efforts du Gentilhomme Rornain, ainfi 1'appelle 1'Hiflorien le Vaffor, furent long-temps inutiles. Les armées avancoient toujours 1'une contre 1'autre, Enfin, elles fe rencontrerent fous les murs de Cazal, que les Efpagnols affiégeoient. Déja le canon tiroit, les F v Louis XIV. 1643. Sis quaités. Motttvil'e , t. I. p. 150 6-182, S- t. 2 , p. >2. QourvilU , Nemours ? r. 85. Duplefis 3 u iy.  Louii XIV. 1643. 130 L'Intrigue deux armées étoient prêtes a fe meier. Mazarin fort des retranchements Efpagnols, & court a bride abattue vers les Francois, faifant voltiger un papier blanc. En vain les foldats Francois s'écrient: Point de paix , point dc Mazarin. II effuie une décharge, parvient aux Généraux, les abouche avec les Efpagnols, entre les deux armées, & arrache a ceux-ci les conditions les plus avantageufes a la France. Quelques jours après, un Général Efpagnol reproche au médiateur ce traité, comme une furprife faite a la bonne foi. Mazarin met 1'épée a la main contre lui, & en obtient une réparation authentique. II conferva toujours de fon ancien état 1'air aifé & galant; & le Lord Montaigu femble 1'avoir bien dépeint, lorfqu'aux différentes queftions de la Reine, fur le caraclere de 1'Ita3ien, il lui répondit: Cefl tout l'oppofé du Cardinal de Richelieu. On a foupconné Anne d'Autriche de' n'avoir pas été infenfible aux qualités aimables de Mazarin. Cette PrincefTe étoit coquette, a prendre ce terme dans 1'acception la plus favorable; c'efl-a dire qu'elle airaoita être louée,  du Cabine t. 131 & a s'appercevoir qu'on ne la regardoit pas fans intérêt. Ce penchant fit croire qu'Anne pouvoit être de ces femmes, qui, vers le milieu de 1'age, prennent, pour des perfonnes d'un certain état, un gout qu'elles prétendent déguifer fous le nom d'eflime. Si elle crut en impofer aux Courtifans, elle fe trompa, & la majefté du tröne ne la garantitpas des propos malins. Pouf Mazarin , il fe conduifit avec la plus grande circonfpeclion. Loin de s'enorgueillir des bonnes graces de fa Souveraine, il flattoit & careffoit tout le monde. Pour détourner les coups de Penvie, qui a coutume d'attaquer les nouveaux favoris , il difoit qu'il ne refteroit dans le Miniffere que jufqu a ce qu'il eut fait la paix, Sc qu'après cela il fe retireroit a Rome. Cette efpece d'engagement trompa les jaloux. Ils ne prirent pas garde aux progrès que le Cardinal faifoit auprès de Ia Reine; Sc 1'Evêque de Beauvais, amufé par la confidence que lui faifoit la Régente, qu'elle ne gardoit le Prélat Italien que pour s'inflruire des affaires, Sc qu'elle le renverroit enfiiite, vécut avec lui comme avec un F vj Louis XIV. 1643.  Louis XIV. 1643. Retour de Madame de Chevreufe, & de Cliateauneuf. Britnnt , f. 2, p. 229. Mém. dt la Ch.iftre, P- 34°. Mém. di li Rachefwc.p. 14. ) ] ] \ i 1 c 132 L' In tricue homme dont le crédit paflager ne méritoit pas de 1'inquiéter. Ce qui devoit décider aux yeux du public de la prépondérance des partis, c'étoit Paccueil que feroit la Reine a Ia Duchefle de Chevreufe & au Marquis de Chateauneuf; perfonnages tout autrement confidérables que ceux qui avoient jufqu'alors figuré a la tête des Importants. L'un renfermé dans le ehateaud'Angoulême, 1'autre errantedans les Pays-Bas & en Efpagne, avoient fait une aflez longue pénitence de s'être attaqués è Richelieu, & de s'être propofé de le rendre le jouet de leurs artifïces & de leurs intrigues. Soit que Louis XIII fut entré dans la paflion Je fon Minifire , foit qu'il eut recon111 par lui-méme, dans ces deux perJonnes, des qualités dangereufes dont 1 craignoit les influences fur fon époue, il recommanda expreflement, dans a Déclaration fur la Régence , de ne es jamais rappeller a la Cour. Cette lerniere volonté du défunt fut ref>eöée comme les autres. A peine avoitI les yeux fermés, que les deux exi2sdemanderent leur rappel. La Reine, ui croyoit qu'ils avoient été perfé-  du Cabine t. 133 cutés pour elle, Paccorda; mais, pendant leur voyage, il s'opéra une révolution imprévue dans 1'efprit & dans le cceur d'Anne d'Autriche. S'il efï naturel d'attribuer un confeil a celui qui en tire le profit, on peut croire que c'efi de Mazarin que vinrent les premiers avis donnés a la Reine, de fe retenir dans le partage des graces qu'elle deflinoit a fes anciens amis. Mais fi le Cardinal ne fut pas 1'auteur du confeil, paree qu'il n'avoit peut-être pas encore aflez d'afcendant fur la Régente, du moins vitil avec plaifir les mouvements que fe donnerent ceux auxquels cette faveur future portoit ombrage. Les hommes qui craignoient la capacité du Marquis , les femmes qui redoutoient les charmes de la DuchefTe, fe réunirent pour les décrier. Chateauneuf trouva dans la Princeffe de Condé, que la Reine aimoit & eflimoit, une ennemie puiffante, qui agit direöement contre lui. Elle ne pouvoit lui pardonner d'avoir préfidé è la condamnation du Duc de Montmorency fon frere , lui qui auroit pus'en excufer, puifqu'il étoit dans les Ordres facrés, Lom XIV. 1643»  L o v i XIV. 1&43. 134 L'Intrigue s & qui le devoit, paree qu'il avoit été Page dans fa Maifon. On remontra k la Régente , que ces perfonnes fe flattoient de conduire Ie Royaume; qu'elles promettoientdes graces, afluroient de leur proreftion, fe vantoient de diftribuer feuls les emplois & les dignités, & de la gouverner elle-même ; que d'ailleurs Anne fe trompoit fur la caufe de leur ancienne difgrace ; que Chateauneuf & Ia Duchefle de Chevreufe n'avoient pas été punis de leur attachement pour elle, mais d'une intrigue galante entre eux deux, Ces öbfervations parurent plaufibles a la Régente, & fon amour-propre piqué fit taire 1'inclination. Sous prétexte de ne vouloir pas contredire fi ouvertement les dernieres volontés de fon mari, elle écrivit k Chateauneuf, qui s'en revenoit d'un air triomphant a la Cour, de refter jufqu'a nouvel ordre dans fa maifon de Mont-Rouge, prés de Paris. Quant a la Duchefle de Chevreufe, Anne d'Autriche la recut publiquement comme une égale & une amie; mais en particulier, elle Iui_ dit que , pour les mêmes raifons qui I'empêchoient de voir pendant  du Cabine t. 135 quelque temps Chateauneuf, elle lui confeilloit de fe retirer aufïï a la campagne. La Ducheffe très-étonnée, combattit ces raifons, pria, fe rabattit a des conditions, & obtint enfin la permifïïon, finon de refter toujours a la Cour, du moins d'y paroitre quelquefois. La Régente en même-temps, pour ne pas mécontenter tout-a-fait Ie parti, donna k 1'Evêque de Beauvais la nomination de France au Cardinalat. On ne fait fi ce fut afin de gagner Ia Duchefle de Chevreufe, ou afin de Ia mettre dans fon tort, que Mazarin fit auprès d'elle une démarche, fans doute concertée avec la Reine. II alla Ia yoir le lendemain de fon arrivée; &c après les compliments qui peuvent flatter une femme pleine de prétentions k la gloire de 1'efprit & a celfe de la beauté , il lui offrit fon crédit & fa bourfe : fa bourfe , fous prétexte honnête qu'arrivant d'un long voyage, elle devoit être dénuée d'argent, & que le payement des aflignations fur le tréfor royal étant quelquefois lent, elle fe trouveroit peutêtre embarrafiee. LaDuchefle le remer- Louis XIV. 1643. Leurs prètejntions.La Rockc* foue, p, 10.  Louis XIV. 1643. Ï36 L' I N T R I G U E cia abfolument pour Vareent. Quant aux offres de fervice, elle les recut d'un^air badin , comme une perfonne extrêmement piquée de ce qu'on lui faifoit entrevoir qu'elle pouvoit avoir befoin d'être protégée auprès de la Reine. Cependant elle promit de mettre la bonne volonté & le pouvoir du Cardinal a. 1'épreuve, Sc cette épreuve elle ne 1'imagina pas médiocre. Pleine de dépit contre la Maifon de Richelieu , fes aliiés Sc fes amis, elle auroit voulu les ruiner, les anéantir. Elledemanda fucceffivement, mais coup fur coup, qu'on reprit au Maréchal de la Meilleraye le Gouvernement de Bretagne, dont il avoit été pourvu quand Louis XIII, après 1'affaire de Chalais, 1'öta au Duc de Vendöme. Elle vouloit qu'on le reftituat a celui-ci; qu'on retirat 1'Amirauté a la Maifon de Brezé qui Ia poffédoit, Sc qu'on en gratinat le Duc de Beaufort; enfin, qu'on dépouillatle jeune Duc de Richelieu du Gouvernement du Havre, pour le donner au Prince de Marfillac, depuis Duc de la Rochefoucault, nouvelle conquête qu'elle commencoit d'attacher a fon  DU C A B I N E T. I37 char. Ces prétentions, & beaucour d'autres moins éclatantes, fouleveren une partie de la Cour contre les Importants , dont la Duchefle n'étoit qu< 1'organe. Cependant la Reine ne jugea pas a propos de rompre en viflere a la cabale, par un refus dirett; elle chercha des tempéraments: comme, de ces demandes, celle fur laquelle on infifloit davantage, étoit la reflitution du Gouvernement de Bretagne a la Maifon de Vendöme, qu'on repréfentoit comme une juflice, Ia Régente en prit letitrepour elle-même, & en laifla 1'eflentiel au Maréchal de la Meilleraye, qu'elle nomma Lieutenant-Général de la Province. Les autres demandes de moindre conféquence furent en partie accordées, en partie éludées. II n'y eut que 1'Amirauté &c le Gouvernement du Havre, pour lefquels Mazarin fatisfit en promefles, dont les événements qui fuivirent le difpenferent. Richelieu , prévoyant qu'après fa mort fa familie & fes amis feroient peut-être inquiétés, leur prépara un appui dans la proteftion de la Maifon de Condé ; c'efl pour cela qu'il Louis : XIV, 164J. Divers ia» térêts de la Maifoa Je Condé,  Louis XIV. 1643. 1 1 I 138 L' I N T n I G V E maria fa niece Maillé de Brezé au Duc d'Enguien, & qu'il verfa fur cette Maifon, les biens, les honneurs, 1'autorité, enfin tout ce qui pouvoit Ia mettre en état de défendre fes alliés. La PrincefTe de Condé, joignant a ces avantages la faveur de la Reine , détourna de deffus latête de la Duchefle d'Aiguillon , qui étoit la plus menacée, les premiers éclats de la difgrace. Elle vint aufli effieacement au fecours des jeunes Richelieu & Brezé, qu'on vouloit priver, 1'un du Havre, 1'autre de 1'Amirauté; & eïle employa d'autant plus volontiers fes foins dans cette affaire, que 1'Amirauté, felon les vues de la cabale, devoit paflêr entre les mains du Duc de Beaufort , qu'elle haïflbit, paree qu'aprés avoir recherché en mariage Mademoifelle Je Bourbon fa Alle, il négligea cette PrincefTe, qui époufa depuis Ie Duc Je Longueville. Le Prince de Condé ie montroit pas le même zele a fer'ir fes alliés. II paroiflbit regarder out avec indifférence , toujours inérieurement piqué de ce que la Reine ui avoit comme extorqué la place !e Chef du Confeil de régence, que  du Cabine t. 139 la Déclaration de Louis XIII lui donnoit. Mais le Duc d'Enguien ne s'er tint pas k la neutralité de fon pere, & il y eut un moment ou on le crut abfolument livré a la cabale des Importants. Ce guerrier, plus fait pour la franchife des camps que pour le manege des Cours ; ce guerrier, a qui fes fautes & fes malheurs n'ont pu óter le nom de Grand, venoit, k 22 ans, de gagner la bataille de Rocroy, victoire qui auroit illuflré un vieux Général. Quand il parut tout refplendiffantdegloire, environné d'une foule de jeunes Seigneurs, compagnons de fes exploits, les partis qui divifoient la Cour fe le difputerent pour ainfi dire, & firent tous leurs efforts pour s'attacher cette troupe brillante &c fon Chef. Le choix d'Enguien fut bientöt fait; vain & frivole, comme on eft k fon age, il tourna du cöté ou 1'appelloient la flatterie & les plaifirs. La Cour d'Anne d'Autriche n'étoit ni fombre , ni trifte. Les Dames admifes a fa familiarité, privées des graces de la première -jeunefTe, pof- LoOis XIV. 1643. Les Importantsgagnent Ie Duc d'Enguien. 'Mem. iê Mottevil-  Louis XIV. . 1643. 140 L' Intrigue fédoient celles de 1'age mür, la variété des connoiffances, la julïeflê du raifonnement, le fel de la converfatiom On n'étoit pas, dans ce cercle, ennemi des amufements. La Reine elle-même laiffoit fouvent percer la gaieté k traver les crêpes lugubres du veuvage. Cette fociété, bonne pour des hommes réfléchis, étoit trop grave , trop impofante pour le vainqueur de Rocroy & fon cortege pétulant. Ils fe trouvoient moins gênés dans le cercle des Ducheffes de Chevreufe & de Montbazon : celle-ci avoit époufé le pere de la première, & avoit kpeu-près le même age que la fille de fon man. C'étoient deuxfemmes d'expénence, de ces femmes qui remplacent les graces naïves de la jeune/Ie, par des complaifances & des agaceries, & qui par-lè ufurpent fouvent fur des cceurs neufs un empire , que la vertu & la décence s'efforcent en vain d'obtenir. Elles attiroient auprès d'elles les agréables des deux fexes; & la liberté qui régnoit dans ces affemblées, gagnoit aifément les jeunes Militaires. Le Duc d'Enguien s'attacha a Madame de Mont-  t) Ü C A B I N E T. I4I bazon, qui ne le rebura pas; ainfi il fe trouva lié au parti des lmportams; mais une malice imprudente de la Ducheffe le refroidit, & le jetta dans le parti oppofé. Entre les perfonnes qu'on diflinguoit dans cette fociété , & qui par conféquent excitoient la jaloufie, brilloit la jeune Ducheffe de Longueville, fceur du Duc d'Enguien. II ar! riva un jour qu'on trouva fur fes ' pas, comme elle fe retiroit, des let'< tres galantes, qui furent rapportées a la compagnie, lues & commentées d'une maniere très-défagréable pour 1'abfente. On foupconnoit qu'elle entretenoitun commerce fecret avec Coligny, depuis Duc de Chatillon; & Madame de Montbazon pronon^a fans héfiter, que ces lettres étoient d'elle &de lui. En moins d'un jour, cette aventure malicieufement répandue, devint le fujet des converfations de la Cour & de la ville. La Princeffe de 1 Condé, indignée de Fimputation & ! encore plus de la publicité qu'on lui avoit donnée, en demanda juflice a la Reine, comme d'un affront fait a la Familie Royale. Cette tracaffe- Louis XIV. 1643. II les quitte. Affaire des lettres. Mém. ii Mottevil!e,t.l,p,184. La CM* ere,p. 370, Mém. dc Montpcnfier, t. I, P. 57.  Lom XIV. 1643. ^ 141 L' I N T R I G U E jrie, qu'on auroit du méprifer, devint une affaire férieufe. Le Duc de Beaufort fe déclara le champion de Madame de Montbazon, pour laquelle il étoit paffionné. Le Duc d'Enguien eut bientöt oublié fes amours, & fe mit a défier dédaigneufement les détradteurs de fa fceur. Les Courtifans, felon leurs inclinations ou leurs intéréts, vinrent offrir leurs épées aux rivaux, & on fe vit a la veille d'un combat fanglant. La Régente , après avoir employé inutilement la perfuaïion,prit le ton d'autorité, ckcondamna la Ducheffe de Montbazon a faire une réparation. Mazarin en régla la forme, le lieu, le cérémonial : il y rencontra autant de difficultés que s'il avoit été queflion d'un traité qui auroit décidé du fort de deux Empires. Pour Pexécution, la PrincefTe de Condé convoqua chez elle une grande affemblée. La Ducheffe de Montbazon y comparut. Elle lui, d'un air moqueur, quelques lignes d'excufes & de compliments, qui avoient été concertées : la PrincefTe y répondit par quelques mots doux prononcés d'un ton aigre, & elles fe féparerent aufïï  15 U C A H I N E T. 143 broüillées qu'auparavant. Telle fut ce que M. de la Chatre appelle Camtndt honorable de Madame de Montbazon. La Reine , dans la crainte que les rencontres n'occafionnaffent de nouvelles fcenes, défendit a la Ducheffe, jufqu'a nouvel ordre, de refter dans les endroits ou feroit la PrincefTe de Condé. Cette injonclion , qui mettoit la viftoire toute entiere du cöté des Condés, qu'on favoit être foutenus par le Cardinal Mazarin, avertit les Importants de 1'afcendant qu'il prenoit. Mais, au-lieu de travailler a regagner auprès de la Reine le terrein qu'ils avoient perdu, & a femettre leur crédit au niveau de celui du Miniftre, ils firent tout ce qui pouvoit accélérer fon élévation & leur chüte. Anne d'Autriche étoit bonne , familiere dans fon domeftique, difpo. fée k obliger ; mais elle ne vouloit pas que fes amis prétendiflent la dominer , & elle fe roidiübit contre la contradiction. Madame de Chevreufe , Madame de Hautefort, & les autres perfonnes attachées k la Reine pendant la vie de fon mari, n'avoient Louis XIV. 1643. La Régente faciguée des Importants. MottevilU, p. 166 & 208. Brienne, '.2, p. 229. La Borte; p. 2*9,  Louis XIV. -$43- (• 378. MotuvilU ,t.1,p. .04. Brienne , r. 2 , p. 119.  l ou i XIV. 1643. 148 L' Intrigue . fin , elle appréhenda que la trop grande indulgence ne le portat a des violences , d'autant plus qu'on parloit d'affemblées fecretes, de complets, de gens armés qui guettoient le Cardinal , pour 1'enlever ou 1'aflafiiner. Ce projet n'a jamais été vérifié ; mais Mazarin eut peur, ou en fit femblant. La Régente entra dans fes craintes; elle en fit part au Duc d'Orléans & au Prince de Condé , s'autorK: de leur confentement ; & au mo inent qu'il fe croyoit au-deffus de toute attaque, le Brave de la Cour, le Gardien du Tröne , le Protecteur de la Régente, a qui elle avoit confié le foin de fes enfants, cinq mois après cette diftindtion glorieufe, fut arrêté, le 2 Septembre, & renfermé dans le Chateau de Vincennes. Sa difgrace s'étendit fur la Ducheffe de Chevreufe, Chateau -neuf,, Saint-Ibal, Montréfor, &c beaucoup d'autres, qui eurent ordre de s'éloigner de la Cour. L'Evêque de Beauvais fut aufli renvoyé dans fon Diocefe , privé même de 1'efpérance du Cardinalat. Ainfi expira, fans prefque aucime convulfion, la cabale des Importants,  du Cabine t. 149 L I V R E VII. APRES la bourafque caufée pai les Importants, commencerent les beaux jours de la Régence; jours célébrés par les Poëtes , comme lage d'or de la France (a). II fembloitque, délivrée d'un miniftere foupconneux. fous un Roi taciturne & mélancolique . elle commencoit a jouir d'une (a) Saint-Evremont nous a aflez bien décrit ces temps ,-dans des ftances dédiées a Ninon de 1'EncIos , & qui font peut-être les meilleures qu'il ait faites. En voici la première & la derniere. J'ai vu le temps de la bonne Régence Temps oü régnoit une heureufe abondance i Temps oü la Vflle . auffi-bien que la Cour, Ne refpiroient que les jeux & 1'amour. Que ne mourüt alors fon Éminence , Pour fon bonheur & pour notre repos! Elle eüt fini fes beaux jours a propos, Laiflant un nern toujours cher a la France. Voye{ les véritables (Euvres de M. de SalntEvremant, torn. 11 , p. 131. idit. de Londres, ï/Cj. G iij Louis XIV. 1644-46. Beaux jours de la Régence,  Louis XIV. 1644-46, H L'ldée de la Fronde. ^ 1 150 L'Intkigue exiftence nouvelle. Le coeur des Courtifans, auparavant ferré par la crainte, s'épanouiffoit & s'ouvroit a la gaieté, compagne ordinaire de la confiance. Le peuple fe réjouifToit; il couroit en foule aux fêtes qu'on lui donnoit fréquemment a 1'occafion des vicloires qu'on remportoit fur les ennemis. II n'y alloit pas admirer en filencedes magnificences, dont les yeux feuls étoient fatisfaits; mais il y faifoit éclater une joie naïve , marquée par fes acclamations. Le Magiflrat fe livroit avec zele a fes fon&ions, für de ne plus éprouver ces coups d'autorité qui jettoient le trouble dans les Tribunaux. Le Guerrier s'expofoit volontiers aux dangers, ne craignant pas qu'une politique ombrageufe le rendit refponfable de 1'événement; enfin, tous les ordres de FEtat, guéris de leur angueur , revivoient. Les impóts é:oient cependant confidérables; mais 3n les payoit fans murmure, paree m'on gagnoit des batailles, & qua :haque fuccès on efpéroit la paix. Aufli vit-on la nation reprendre :out-a-coup ce caraclere vif, léger , jadin, qui la diflingue; les troubles  du Cabine t. 151 mêmes de la Fronde , qui furvinrent enfuite, ne 1'altérerent pas. On la verra s'amufer des affaires publiques, fans trop s'en occuper; fe paffionner pour les partis , fans s'acharner a fe détruire; lire avidement les libelles, & n'en retenir que les plaifanteries; fe faire la guerre, fans fe haïr; fe battre avec bravoure, & ne meier aux hofHlités, ni atrocités, ni noirceurs; pafTer, fans prefque aucun intervalle, de la tranquillité au tumulte, de la révolte a la foumiffion. On peut dire que 1'état de la nation, pendant tout ce temps, fut un état de délire ; & c'efl fous ce point de vue qu'il faut envifager les événements qui vont fuivre. Le Cardinal de Rets, le Duc de la Rochefoucault, & plufieurs autres perfonnes d'un rang difKngué, ont laiffé d'amples Mémoires fur ce fujet. Comme ils voyoient les événements de plus prés , & qu'ils y jouoient les principaux röles, ils les jugeoient trés-importants , & fe les grandiffoient pour ainfi dire a eux-mêmes. Mais 1'ceil de l'Hifloire les voit dans leur jufle proportion; & c'eft ainfi que nous les repréfenterons, fans nous appefantir G iv Louis xiv. 1644-46,  Lo ui XIV. I Ó44-4< Caracte de Maz rin. Brienne, 3 > P' 2C Moteev k,t. I, 4S2. Jo/i, f. ] B-ffy, 1, />. ui Roch, fouc. p. 41 Nemours p. 3. Mafcurat £-91,44 * 448. i«nef , /. 2 '. p- 416. Talon. * 7, p. 79. Artagnan t. 2. 250. Monglat, 1, p. 338. ^ ijl L'Intrig tj e ~ fur les détails, & fans rien retrancher de ce qui peut les rendre inftrucïifs. '• Ces öeai« jours de la Régence du« rerent a-peu-près trois années, pendant lefquelles le Cardinal s'affermit dans t. fe Minifiere contre les fecouffes qui 7. aIIoient ébranler fa fortune.' Mazarin fut haï, paree qu'il ne fut s'attirer ni 1'eftime, ni la confiance, qui font ' les pivots du Gouvernement. II n'ah voit pas de grands vices; mais pref1. que toures fes vertus étoient plus ou * moins infeöées des défauts contraires. 'S'il donnoit, c'étoit avec parcimonie ' & contrainte (a); s'il promettoit, c'é- • toit dans 1'intention de ne tenir qu'au' tant quil y feroit forcé. II parloit beaucoup & avec agrément; mais il abufoit de cette facilité, pour s'en' velopper dans de grands raifonnements, qui hu fournifibient enfuite une foule (a) On voit cependant clans le Mafcurat de Naudé, une longue lifte des gens de Lettres qu'il gratifioit. II na jamais fait punir aucun Auteur de libelles, pourvu qu'ils n'attaquafTent que lui. II a même fait des prefents k qnelques-uns qui méritoient pu_mtion. Voye^ Mafcurat, p. 277.  DU C A B I N Ê T. 153 tfcchappatolres. Un autre expediënt, qu'il employoit volontiers, étoit la lenteur. Le temps & moi, difoit-il quelquefois, Cette marche tardive & tortueufe défoloit les Francois , amis de Iapromptitude ,dans le confeil comme dans 1'exécution. Leur précipitation les rendoit ridicules au Minifire, qui les regardoit comme une nation purement frivole. II réfulta de la un mépris réciproque , trés-mal fondé de part & d'autre , mais qui influa beaucoup fur les événements fuivants. I! femble que le Cardinal Mazarin auroit préféré la vie d'un homme riche fans affaires, a celle d'un Miniftre : car i! aimoit les plaifirs, les fpeclacles (a) , Ia table, le jeu, dont il favoit, diton, maïtrifer leslnafards. II haïffoit le travail, Sc laiffoit en-arriere une multitude de réponfes &de dépêches. Cependant, quand il vouloit s'appliquer , il avan9oit beaucoup en peu de temps, Les audiences-, la repréfentation lui (iz) La Comédie ertmufique, qui , pour Ia première fois , fut repréfentée au PalaisRoyal, couta p!us de 500 mille écus. Foyv Mém, de Joly, torn, I, p. 5. G v Louis XIV. 1644-46,  L o u i : XIV. -644-46 1647.48. Murmures contre sVfeürin, 154 L'Intrigue . déplaifoient; il feroit volontiers refié renfermé dans 1'intérieur de fon do' meftique, occupé de bagatelles, d'oifeaux, de finges , d'ameublements , de bijoux; jamais on ne 1'en tiroit qu'il ne montrat de 1'humeur. Cependant, dit Lenet, peu cThommes font autant maitres de leur efprit, qu'il l'étoit du fien : mais la Ducheffe d'Etrées difoit, qu'il n étoit capable de bien juger des chofes, que dans la médiocre fortune. Enfin, un défaut très-effentiel dans un Miniftre, c'eft qu'on favoit qu'il ne falloit que lui faire peur, pour obtenir de lui ce qu'on vouloit. Faites du bruit, difoit le Cardinal de Sainte-Cécile fon propre frere , il accordtra tout. Dans une Cour, ou les plaifirs faifoient qu'on fe communiquoit beaucoup, ces défauts du Minifire ne tarderent pas a être remarqués, & bien des perfonnes fe propoferent de les tourner a leur profir. Le Cardinal fentit les inconvénients de cette familiarité; & les efforts qu'il fit pour la diminuer, occafionnerentle premier foulevement contre lui. Anne d'Autriche, pendant la vie de fon mari, n'avoit pas eu de plus  du Gabinet. 155 grande confolation dans fes peines, que la liberté de s'en plaindre avec fes domeftiques, fes femmes, & les autres perfonnes qui 1'environnoient. Lorfqu'elle eut pris en main les rénes du gouvernement, elle continua de parler de ce qui 1'affectoit; de forte qu'a fon exemple, tout le monde s'entretenoit des affaires d'Etat. Mazarin fit fentir a la Régente les inconvenients de cette habitude, & elle s'en corrigea. Mais les familiers de la Reine, privés de ces confidences qui fatisfaifoient leur curiofité, & qui leur donnoient un air d'importance, concurent un extreme reffentiment contre le Miniftre. 11 s'embarraffa peu de la haine des fubalternes, perfuadé que, pourvu qu'il eut pour lui les Prisces du Sang , les grands Officiers de la Couronne, les Chefs les plus éminents des Corps, tous les autres feroient trop heureux, de fe ranger fous fa protection. 11 s'attacha donc a contenter les premiers, k prévenir leurs defirs, & fur-tout k les flatter & k les endormir par de belles paroles. Mazarin ne fit pas réflexion que prefque toujours les Grands font conduits par les petlts. G vj Louis XIV. 1647-4S. Talon y f* S, p. 321.  I OUI XfV. 1647-4; lj6 L' I N T R I G V F. sCeux-ci, gens d'affaires, courtifans; domeftiques, voyant leurs maitres k I. tout moment, n'eurent pas de peine a leur infpirer des préventions contre le Miniftre, qui les négligeoit. S'il accordoit des graces, il ne falloit pas, difoient-ils, lui en avoir obligation, paree que c'étoit, de fa part, crainte plutöt qu'inclination; il falloit au contraire profiter de fa foiblefte, Sc exiger encore davantage. Si, excédé des demandes, il hafardoit un refus, 1'eftaim des mécontents fe répandoit dans les cercles, dans les ruelles, dans les fociétés bourgeoifes, dans les Cours fouveraines,oü ils avoient leurs amis, leurs parents & leurs alliés. La on faifoit fans miféricorde le procés au Miniftre. C'étoit, difoit-on, un avare y un ambitieux, un homme qui ne penfoit qua lui, fe revêtoit de routes les dignités, fe chargeoit de Bénéfices, pilloit le tréfor royal, dont il s'étoit rendu maitre en y prépofant fes affidés; qui prolongeoit la guerre exprès, afin d avoir un prétexte de prelTurer les peuples; enfin, une fangfue publique, un fourbe, qui déshonoroit le Gouvernement chez les étrangers, &  du Cabine t. 15:7 dont il falloit néceffairement fe défaire. Les murmures contre la Régente n'étoient pas moi ~dres. Le mépris gènéral &univerfel s'efrépandu, difoit Talon, Avocat-Général, effitfa ejl contemptio fuper principes. La perfonne du Roi a eté honorée a caufe de l'innocence de fon dge; mais celle de la Reine a regu toute forte d'opprobres & cCindignités ; le peuple s'efl donné la liberté £en parler avec infohnct & fans retenue. On noirciffoit Ia Régente par des foupcons injurieux a fon honneur. On ne 1'épargnoit pas non plus fur fa conduite politique : on la blamoit ouvertement de donner toute fa confiance a un étranger, qui favoit a peine la langue, qui ne connoiffoit ni le génie, ni les loix, ni les ufages de la nation; & d'avoir compofé le Confeil, moins felon les befoins de 1'Etat, que felon les defirs de fon Minifire. A la vérité, elle avoit confervé a la tête le Chancelier Seguier, homme habile, ami desSavants &c des Lettres , exercé dans le travail, employé avec fuccès fous Richelieu, & capable de donner de bons avis; mais fi fouple, dit Talon, ƒ déférent, Louis XIV. 1447-48. Contre la Régente. Talon, t. i,p- 376; f. J, p. 196. Pf. 106, v. 40.  Louis XIV. -647-4?. (a) II difoit que fi on vouloit Ie féduire, il a'y avoit qu'a lui offrir des livres. Etant jeune , il entra chez les Chartreux , il y prit 1'habit. Comme il étoit tourmenté de tentations , que la folitude n'amortiffoit pas , le Supérieur lui permit , lorfqu'il fe fentiroit preffé , de tinter la cloche du chceur, afin , d'avertir fes confrères de fe mettre en prieres pour lui obtenir la viétoire fur 1'efprit immonde. Mais le jeune Moine recourut fi fouvent k eet expédient, que le voifinage fatigué s'en plaignit: & on fut obligé de lui interdïre eet exercice. Menagiana, t. 4,p. 96, & Mém. d'Artagnan , torn. 1, p. 234. 158 I/Intrigue fi abaijfé dans fia conduite d [égard de la Reine & des Minifires, qu'il en étoit ridicule & fians efiime dans le Cabintt. II n'étoit pas en meilleure odeur auprès d'un certain public, paree qu'il palToit pour 1'homme de la Cour contre le Parlement. D'ailleurs, il lui étoit échappé de dire en pleins Etats, qu'il y avoit deux fiortes de conficiences ; tune d Etat, qu'il falloit accommoder d la néceffué des affaires ; l'autre, d nos aclions particulieres. Cette propofition fcandalifa a jufle titre, & öta au Chancelier la confiance du public, qui eft Ie plus bel apanage d'un homme en place (ionglax 308. 174 L'Intrigue " étoit trés-contraire au Miniftre. Phr fieurs caufes contribuoient a échauf- fer les efprits, tant de cette jeuneffe '"turaultueufe, que des perfonnages plus grayes & plus mürs, qui ne fe mon5-troient pas moins animés. D'abord >ces jeunes. gens , Ia plupart dégoütés de 1'étude fombre des loix, & fatigués par les follicitations importunes des plaideurs, trouvoient fort agréable d'avoir un prétexte plaufible de quitter cesoccupations obfcures, pour fe livrer a la recherche amufante des. affemblées des Chambres, & y faire' briller leur éloquence. II eft poffible auffi , que plufieurs d'entre eux fe foient regardés comme les protecteurs nés dupeuple , titre que leur donnoient leurs flatteurs, & qu'ils fe foient crus très-néceflaires a la patrie : perfuafion capable toute feule d'infpirer 1'enthoufiafme républicain, toujours dangereux dans une Monarchie. Enfin, il devint a la mode de cenfurer le Gouvernement, & de décrier les Miniftres , fur-tout le Cardinal. On fe donna des noms de faélion : les partifans de la Cour s'appellerent Ma\arins; les, autres furent nommé Frondeurs..  Btt Cabine t. 175 Cette dénomination dut fon origine a des jeux d'enfants, qui, partagés en plufieurs bandesdans les fofles de Paris, fe lancoient des pierres avec la fronde. Comme il réfultoit quelquefois des accidents de ces amufements, la Police les défendit, & envoya des Archers pour féparer les Frondeurs. A leur vue , les enfants fe difperfoient; mais , après le départde cette patrouille, ils revenoient fur le champ debataille. Quelquefois, lorfqu'ils fe fentoient plus forts , il faifoient face a la garde , & la pourfuivoient a coups de fronde. Le flux & reflux de ces troupes d'enfants, qui, tantót cédoient a 1'autorité, & tantöt y réfifioient, parut a un plaifant du Parlement , dépeindre aflez naturellement les alternatives de fa Compagnie. II compara les adyerfaires de la Cour a ces Frondeurs. Le mot prit, &, de ce moment, habits , repas, équipages, ajuflements, bijoux, tout fut a la fronde. Sitót qu'elle devint une affaire de mode, les femmes s'en mêlerent de droit; & pour être bien recu dans les cercles, il fallut tenir a Ia fronde, au moins par quelques H ïv Loc is XIV. I64S. La Fronde.  L o u i < ' XIV. J64S. Ï.A FRON DE. Rtts, t.I, t.2.,p. 3 i ï < < i 176 L'Intrigue marqués extérieures. Cette néceftité fit déclarer contre la Cour les jeunes Confeillers , que d'autres raifons n'avoient pas encore déterminés. Quant aux Magifirats plus agés & plus férieux, qu'on nomma par dérifion les Barbons, on fait a-peu-près les motifs des principaux, qui, dans Paffemblée des Chambres , tonnoient ordinairement contre les abus vrais ou faux du Gouvernement. On adéja fait obferver que le Pre'fident René Potier de Blanc -Menil, & toute la Maifon de Gêvres, en vouloit au Cardinal , a caufe de la difgrace de 1'Evêque de Beauvais, que le Cardinal, avoit fupplanté. René Longueil de Maifons étoit piqué de ce qu'il ne aouvoit obtenir une place de Préfilent pour fon frere, & pour luineme la charge de Chancelier de la ïleine. Le Préfident Viole époufoit a querelle de fon ami Chavigny, exViiniflre, qui accufoit Mazarin, nonéulement de ne 1'avoir pas foutenu, nais encore d'avoir contribué a fa hftte. Le Préfident Charton étoit un fprit turbulent & féditieux , qui déefioitles Minifires, par la feule rai-  DU C A B I N E T. 177 fon qu'ils jouifibient de l'autorité. Enfin, Broufiel, fimple Confeiller, devenu depuis fi fameux, tenoit du caractere de ces mécontents de profeffion, dont la bile eft exaltée par la pauvreté Sc 1'obfcurité oü on les laifi ie, pendant que d'autres, qu'ils pretendent bien inférieurs a eux en mérite, font élevés aux honneurs. La Cour auroit pu les gagner , en donnant a fon fils une compagnie aux Gardes, .qu'il defiroit; & elle le negligea. Soit que cette indifférenee ait aigri le vieux Confeiller , ou qu'il ait été excité par le zele du bien public, il eft certain qu'il ne s'ouvrit jamais un avis mortifiant pour la Cour, que Broufiel n'en fut Fauteur ou Pappui; Sc quelque biais que Pon propofat , il étoit impofiible" de lui faire agréer aucun tempérament, furtout en matiere dimpöts. Auffi ie peuple , témoin de cette fermeté, Ie bénifibit tout haut, Sc Pappelloit fon pere. Ses opinions toujours extrêmes, & fuivies par le plus grand nombre, auroient entraïné rapidement le Parlement dans des réfolutions violentesfans les barrières que la fage cirri v Louis XIV. 1648. La Fronde.  Louii XIV.. 1648. La Fron de. Caraclere du premier PréüdenrMolé. Mottevil- t*., pajfim. I78 L' TNTRrGüE confpeétion de Mathieu Molé , Préfident , oppofa a Ia manie du moment. Ce Magiftrat, fait pour les circonftances oii il fe trouva, fut alors jugé défavorablement par les deux partis. Les Minifires , voyant la vigueur qu'il mettoit dans les démarches que fa Compagnie lui prefcrivoit contre eux, le taxoient de partialité pour les Frondeurs. Ceux-ci, fachés d'être toujours ï-epoufies par le premier Préfident dans les hornes qu'ils vouloient franchir, 1'accufoient d'être fecretement vendu k la Cour : mais, incapable de craindre ni de flatter, Molé n'avoit que la paix en vue ; & s'il ne réuflit pas a la procurer, on lui doit d'avoir empêdié que les troubles n'ébranlaflent les fondements de la Monarchie. II avoit une fagacité finguliere pour démêler, dansles entretiens particuliers, les intéréts fecrets, & pour prévoir les entreprifes qu'ils pouvoient occafionner; & il étoit doué fur-tout de Fefprit d'a propos, qui fait qu'on dit toujours a chacun ce qu'exigent le caraclere, le lieu & les circonftances. Dans fes difcours, a travers  nu Cabinet. 179 quelque rudefle d'expreffion, on rema rque des penfées fortes , un fiyle male & nerveux , beaucoup de netteté & de jufteffe, fans aucune de ces raétaphores & de ces digreffions fcientifiques , familieres a 1'éloquence de ce temps. Mathieu Molé paffe pour avoir été un des hommes les plus intrépides de fon fiecle. Tel qui affronte hardiment la mort dans les batailles , trembleroit peut-être en entendant les cris & les hurlements d'une populace mutinée, & en voyant mille infiruments meurtriers levés fur fa tête. Auflï tranquille dans ces occafions, que s'il eut été fur fon Tribunal, Molé, d'un regard , glacoit d'effroi les féditieux; & par une feule menace prononcée d'un ton ferme, il les mettoit en fuite. Le courage chez lui n'étoit pas borné a quelques occafions, il le portoit dans toutes fes actions. Sa conduite fut toujours également ferme & foutenue, quoique expofée aux malignes interprétations de fes ennemis, aux railleries des plaifants, a la critique d'un public prévenu, & fouyent au blame de fes parents, de fes H vj Louis XIV. 1Ó48. La Fronde. / I  Lom XIV. 164S. La Fro* de. Deman des du Parlement.Rcti, /. i /. 2. Hifi. di temps > p i9$. 1 4 i 1S0 L'Intrigue -a confrères & de fes amis. Sa confiance fut perpétuellement foumife a ces epreuves , è la Cour, h la Ville, dans -le Parlement, Sc jamais elles ne fe démentit. ■ _ II connoiffoit les boute-feux qui excitoient la fermentation dans fa Compagnie , Sc il n'ignoroit pas leurs mo.tife fecrets. Les principaux étoient Chateauneuf, Laigues, Fontrailles , Montréfor, Saint-Ibal, refie de la cabale des Importants ; Chavigny , qui s'étoit joint a eux; &, le plus dangereux de tous , Jean-Francois-Paul de Gondi , Coadjuteur de 1'Archevêque de Paris, fon oncle, décoré iuimême du titre d'Archevêque de Connthe, Sc connu depuis fous le nom du Cardinal de Retz. Le but de ces intrigants étoit de fufciter a la Régente des embarras de toute efpece afin de la forcer de changer fes Miniflres, dont ils fe flattoient d'occuper la place : mais ils fe gardoient Jien de laiffer pénétrer leur intention lux Magiftrate qu'ils féduifoient; au rontraire, ils n'étaloient devant eux me des principes de défmtéreffement Ie modération, de bienfaifance pour  DU C A B i N E t. f9. Ie peuple, Ia réforme du Gouvernement, Ia gloire de Ia nation, qui feroit 1'ouvrage du Parlement, s'il vouloit 1'entreprendre. Pour foutenir la bonne opinion qu'ils tachoientde donner d'eux, ils avoient foin que les projets contre la Cour, portés de la Chambre de Saint Louis aux Chambres aflëmblees, ne par.uffent enfantes que par le pur zele du bien public. Telle étoit ia fuppreffion des Intendants de Province, qui fut prononcée d'une voix unanime; 1'érection d'une Chambre de juftice, deftinée a preffurer les traitants, chofe toujours agréable au peuple; enfin, beaucoup de réglements de finance, bons en eux-mêmes, mais mauvais pour le moment préfent, paree qu'ils jettoient 1'allarme parmi lesprêteurs, qu'ils ötoient la confiance , & qu'ils faifoient fermer les bourfes. II s'enfuivitque, dans quelques Provinces, le peuple voyant le difcrédit dans lequel les opérations du Parlement faifoient tomber les Collecteurs des impöts , refufa de payer. Des payfans attroupés pillerent les recettes; &c le moins qui en arriva , c'efl que 'cha- Louis ' XIV. 164S. La Fronde,  Louis XIV. 1648. La Fronde. On les «lucle. 182 . L'Intrigue cun fe retint, & tout refia en fouffrance, en attendant la fin des débats de la Magifirature avec le Minifiere. Le Duc d'Orléans, prié par la Reine , vint anxaffemblees des Chambres, & il s'yrendit affidti, pour tacher de mettre des bornes a 1'étendue & a la multiplicité des prétentions. II repréfenta que les Intendants étoient néceffaires pour la marche, la difiribution, la fubfifiance des troupes dans les Provinces; qu'ils feroient difficilementfuppléés a eet égard; qu'au-lieu de les révoquer, il n'y avoit qua reftreindre leurs fonétions & leurs pouvoirs, & que la Cour fe prêteroit volontiers a des arrangements. Quant a la Chambre de Juftice , on éleva une difficulté ; favoir, fi les Membres feroient rirés de toutes les Compagnies fouveraines, ou bien uniquement du ParT lement. II y eut a ce fujet des débats qui empêcherent la formation de la Chambre; & c'efï ce que le Miniftere demandoit. Sur d'autres matieres, comme la confeétion d'un nouveau tarif des entrées de Paris, le payemént des rentes de FHötel-de-Ville, & d'autres objets de finance, on fufcitoit des  D U C A B I N E T. 183 incidents pour faire perdre de vue 1'objet principal, & refroidir le zele des Frondeurs : mais ces flratagêmes n'aboutifloient qua retarder la décifion, non a changer les opinions. Cependant, comme le Premier-Préfident efpéroit beaucoup du benefice du temps, il fecondoit Pexpédient des délais , en profitant des moindres ouvertures pour rompre les afiemblées, ou pour les rendre inutiles. A eet effet furent employees les longues délibérations , les harangues étudiées, les digreffions, les conférences chez le Duc d'Orléans, & d'autres moyens par lefquels on amufe les Corps plus aifément que les particuliers : mais, a la fin, la diligence vint d'oü venoient auparavant les retards. Les coffres du Roi fe vuidoient fans fe remplir ; tout languiffoit. Les armées n'etoient pas payées, & il y avoit a craindre feditio ventris, la pire de toutes , difoit Gafton (a) , qui ajoutoit que les ennemis triomphoient de ces f» Peut-être feditio Religionis eft-elle pire encore. Louis XIII. 1648.. La Fronde. Lit de Juftice. Hij}, dutemps, p* 225,  Louis XIV. . 1648. La Fronde. 184 L'Intrigue défordres, & devenoient moins traitables fur Partiele de la paix, qu'ils comptoient faire ou différer , felon leur volonté, a Paide de nos méfintelligences. La Régente prit donc le parti de finir toutes les tracafferies, en accordant de bonne grace au Parlement une partie de ce qu il paroiffoit difpofé a fe faire donner de force. Le Roi tint pour cela un Lit de Juitice, le 3 1 Juillet. La Déclaration qui y fut lue , portoit remife du quart des tailles pour Pannée fuivante , révocation de PEdit du toifé, & de plufieurs droits pécuniaires établis fucceffivement fur les denrées & marchandifes; fuppreffion de douze charges des Maïtres des Requêtes, dont la création avoit occafionné les premiers murmures de la Magiflrature: il fut fait de plus, fur [e maniement des finances, des réglements qui fembloient devoir mettre tin frein a la cupidité des partifans. Le Chancelier ajouta, que le Roi étaaliroit inceffamment une Chambre de lufèice pour rechercher les anciennes léprédations; & il finit par une défenfe de continuer les afiemblées de  DU C A B I N E T. lf?5 Ia Chambre de Saint-Louis, & une injon&ion de rendre la juflice aux fujets du Roi. II falloit bien peu connoitre les hommes, pour imaginer qu'avec ces concefïïons, la plupart équivoques, on fatisferoit la jeuneffe frondeufe du Parlement , & qu'après avoir pris part aux affaires d'Etat, elle reviendroit fans peine aux affaires ennuyeufes du Barreau. Dès le lendemain du Lit de Juflice , les afiemblées des Chambres recommencerent. En vain le Premier Préfident repréfenta que tout étoit fïni par la Déclaration de la vei 11e , &c qu'il ne falloit plus fohger qu'a rendre juflice aux parties qui la demandoient a grands cris. Inutilement aufïï le Duc d'Orléans vint prendre féance, & déclarer que 1'intention du Roi étoit qu'on ceffat les affemblées. On répondit que fa Déclaration ne remédioit pas aux maux dont on s'étoit plaint; qu'il y avoit bien d'autres griefs a redreffer; qu'a la vérité le Chancelier avoit défendu les affemblées de la Chambre de Saint-Louis , mais non celles de toutes les Chambres, & qu'il étoit du devoir des Ma- Lovis XIV. I64S. LaFron- DE. Les affemblées recommencent. RltS , t. Ij, p. Il'j.  Louis XIV. 164S. La Fron de. Intrigues & caracïere du Coadjuteur.Rets ,t.i, p. 117; t. P- 17; 3,P-9h & paffim. Nemours, p. aj. Joly ,t,2, V' 7- { j ] 186 L'Intrigu'e giftrats de rendre plutót juflice a la nation entiere, qui 1'attendoit d'eux, qu'a quelques particuliers. On fbumit donc la Déclaration a 1'examen, & il fut décidé qu'on feroit des remontrances. Pendant que des Commiflaires nommés y travailloient, on remit fur le bureau, dans 1'aflemblée des Charnbres, d'autres articles oubliés ou différés. La Régente fe doutoit bien que ce feu, qui couvoit toujours, étoit en-. tretenu par des perfonnes intéreffées k ne pas le IaifTer éteindre. Sur quelques foupcons , elle fit arrêter, le 2 Aoüt, 1'Intendant du Duc de Vendöme, pere du Duc de Beaufort, & fit faifir fes papiers : elle répandit auffi des efpions autour des gens fufpe&s, pour éclairer leurs démarches , entre autres, celles du Coadjuteur. Ce Prélat , qui, dans fes Mémoires , s'eft , sour ainfi dire , confeffé au public ' lit que depuis le 28 Mars jufqu'au 15 Aoüt, il dépenfa trente-fix mille :cus, qui, felon le cours aétuel de ïos efpeces, paflent deux cents mille ivres, pour fe faire des partifans. II ijoute que , dans 1'intention de s'at-  r> u Cabine t. 187 tirer l'eflime & la confiance du public , il voyoit fouvent les Curés de Paris ; qu'il les appelloit a fa table , & les confultoit fur le gouvernement de fon Diocefe. II fe montroit trèszelé pour la décence du culte, pour la pompe des cérémonies, les Meffes d'éclats, les Saluts , les Proceffions : il affiftoit a tout, officioit fouvent lui-même, & prêchoit dans la Cathédrale , les Couvents & les Paroiffes; ce qui lui donnoit un merveilleux crédit parmi le peuple. Gondi raconte, avec un air de complaifance, que ces occupations graves ne 1'empêchoient pas de fréquenter les cercles, oü il faifoit fa cour aux Dames avec fuccès, & que les voiles de la nuk couvroient quelquefois des rendezvous, dont les affaires n'étoient pas le principal objet. 11 peint au naturel fa conduite dans les conventicules oü il fe trouvoit avec les jeunes Confeillers ; conduite artificieufe & féduifante. Le Coadjuteur les attaquoit par les fentiments d'honneur & de patriotifme. Ils fe devoient, difoit-il , au falut des peuples, dont ils étoient Punique reffource. Le Prélat plaignoit loc 15 XIV. I64S. La Fronde.  Loui: XIV. 1648. La Fron »E. j 1 i J < 1 1 ( ( t§8 L'Intrigue ; ce peuple gémiflant fous le polds des impöts, les armées mal payées &c fouffrantes, le Clergé opprimé, la Nobleffe vexée, le commerce languiffant, la gloire de la nation expofée, parl'aveugleprévention de la Régente en faveur de fon Minifire. Gondi reconnoit qu'il avoit de grandes obligatïons a Ia Reine. Elle 1'avoit nommé Coadjuteur; mais elle lui refufa le Baton de Gouverneur de Paris, qu'il vouloit joindre a la Crofle. Souvent elle lui avoit fait fentir qu'elle défapprouvoit fes prétentions, fa vanité, & que fa régularité extérieure ne lui en impofoit pas, comme au peuple. Enfin, elle donnoit ouvertement la préférence, dans fa faveur, ui Cardinal Mazarin. Ces griefs alté•erent confidérablement la reconnoifance du jeune Prélat, s'ils ne la déruifirent pas entiérement. Cependant 1 infinue qu'il auroit pu refter fujet oumis, fans les confeils de Laigues , iaint-lbal, Montréfor , fes parents , mi 1'irriterent & foufflerent le feu;' nais il convient qu'ils trouverent les natieres bien préparées: de forte que, le fon aveu, & pour appeller les  DU C A B I N E T. 189 chofes par leur nom , Jean-FrancoisPaul de Gondi, Archevêque de Corinthe & Coadjuteur de Paris, étoit un ingrat, un faftieux , un brouillon , un homme déréglé , un ambitieux , ^ un hypocrite , a qui il n'a manqué que de pouvoir jetter dans les affaires une étincelle de fanatifme, pour embrafer tout le Royaume. Tel qu'on vient de le dépeindre, d'aprèslui-même, le Coadjuteur fouffroit impatiemment les délais qui fufpendoient les opérations du Parlement , & qui empêchoient de porter les chofes a 1'extrême. II crut fe voir bien éloigné de fon but, lorfqu'il apprit Ia nouvelle de la vicloire remportée a Lens, furies Efpagnols, par le Prince de Condé. II étoit naturel de penfer que eet avantage enfleroit Ie courage du Cardinal, & lui infpireroit quelque projet hardi contre les Frondeurs. Le Coadjuteur en fut perfuadé, & il courut fur le champ au Louvre, pour juger, par la contenance de la Régente & de fon Miniftre, de ce que les Frondeurs avoient a appréhender. II vit un air de fatisfaclion, mais rien dans les propos, Louis XIV. 1648. La Fron-. r>e. Brouffel & autres arrêtés. Joly, p. 9. Talon, f. Rcts, t. 1, n. 119. Mottcvll'e , t.l,p% '39-  Louis XIV. 164S. La Fron de, 190 L'Intriguë ni dans les manieres, qui dut faire craindre la moindre violence. Gondi s'en retourna , bien perfuadé que Mazarin laifferoit échapper cette occafion d'imprimer, par un coup d'éclat, de la terreur k fes ennemis. De 1'Archevêque, la fécurité paffa aux autres, en qui les remords de la confcience pouvoient exciter quelques frayeurs; & jamais on ne remarqua plus de joie dans le peuple, que le 2.6 Aoüt, lorfque le jeune Roi, accompagné de fa mere & d'un brillant cortege, alla a la Cathédrale, oü les Cours fouveraines avoient été mandées pour rendre graces k Dieu de la viftoire remportée k Lens. La cérémonie fe termina par une cataflrophe, a laquelle on ne s'attendoit pas. A peine le Roi étoit forti del'Eglife , qu'il s'y répanditun bruit, que les Gardes qui refloient, avoient ordre d'arrêter plufieurs Confeillers. Ceux-ci, troublés, fe précipitent de leurs places , fortent en foule de 1'Eglife, fe difperfent dans les rues voiiines, Sc fe cachent par-tout oü ils peuvent. Déja les menaces du peuple fe faifoient entendre; on crioit aux  DU C A B ï N E T. 19 r armis de tous cötés; & Paris, fi calme avant le Te Deum , ofFroit, une heure après, le fpectacle d'une ville prête a être bouleverfée. Ce changement avoit une caufe, mais qui n'auroit pas du produire des efiets fi effrayants. La Régente , choquée des obfiacles que le Parlement mettoit perpétuellement a fa volonté , s'étoit déterminée k faire , fur les plus opiniatres, un exemple capable de contenir les autres. Elle crut donner a la puiffanceroyale plus d'éclat, & 1'exercer fans rifque, en profitant d'un jour de réjouiffance publique; paree qu'alors les Gardes Francoife & Suiffe, & le relle de la Maifon militaire du Roi, étant fur pied , pouvoient réprimer le peuple en cas de foulevement. D'après ces confidérations, elle donna ordre d'arrêter Charton &c Blanc-Menil, Préfidents, & Broufiel, Confeiller. Le premier fit prendre adroitement le change aux Gardes, & fe fauva. Le fecond fut faifi fans peine, &z conduit k Vincennes. Le troifieme demeuroit dans la Cité, prés du port Saint-Landry, quartier ha- Louis XIV. 1648. La Fronde.  Louis XIV. 164S. La Fronde. Tumulte lans la rille. 191 L'Intrigue bité par des mariniers, & d'autres gens mêchaniques, dont il étoit I'idole. La vue d'un carroffe a fa porte, Sc d'un Capitaine des Gardes qui entra chez lui, excita leur attention. Pendant qu'ils regardoient, la fenêtre s'ouvre , la fille de Brouffel Sc une vieilïe fervante, fon unique domeftique, s'y montrent, crient, pleurent, demandent du fecours. En même-temps paroït le vieillard lui-même, malade pour lors, pale Sc défait. Les Gardes lui aidoient k marcher; ils le foulevent, le placent dans le carrofle, Sc partent. Une foule de peuple fuit Ia voiture. Ses clameurs avertiffent Ie peuple des rues voifines. On fort des maifons, on court; la foule s'épaiffit, on embarraffe le paffage avec des meubles : les chevaux franchiffent eet obflacle; mais le carroffe fe rompt : un fecond qui lui eft fubftitué, fe brife encore ; enfin, Comminges, Capitaine des Gardes,.fe jette, avec fon prifonnier, dans un troifieme, Sc le mene au chateau de Madrid. Pendant ce temps, le peuple déirouche, de toutes les rues, fur les Gardes  DU C A B I N E T. 193 des Francoife & Suiffe, qui, n'ayant p: s d'ordres, fe replient vers le PalaisRoyal. Le Maréchal de la Meilleraye fait fortir les Gardes a cheval, travaille a dégager les Fantaffins , & y réuffit, non fans peine. Dans ce moment, il eft joint par le Coadjuteur, qui trainoit après lui une foule de femmes & d'enfants, & toutes les Harangeres du Marché-neuf, criant, BrouffeL & liberte', Cette troupe s'étoit attachée fur fes pas malgré lui, lorfqu'au premier bruit de 1'émeute, il alloit fe ranger auprès de la Reine. Le Grand-Maitre & le Prélat réunis, s'acheminent au Palais-Royal, & entrent enfemble chez la Régente, qu'ils trouvent environnée de toute la Cour. Les femmes trembloient: les hommes, voyant Anne d'Autriche peu intimidée , faifoient les allures & les plaifants. llfaut que Votre Majeftéfoit bien malade, lui difoit Bautru a demi-' voix, puifque le Coadjuteur vous apporte CExtrême-Onclion. D'autrestournoient en ridicule les tranfes de Brouffel, lespleurs de fa fille, les plaintes de fa fervante, qu'ils métamorphofoient en nourrice de ce vieilTome III, l Louis XIV. 1648. La Fronde.  L o u i XIV. 1648. La Froï; de. Jncertitude de la Cour. fk$A L'Intrïgue _ lard de quatre-vingts ans, 6c qu'ils ' repréiéntoient comme demandant a grands cris , qu'on lui rendit fon "nourriffon. Ces plaifanteries étoient accompagnées de mots k Poreille, d'éclats de rire, de gefles moqueurs. La Meilleraye fe mit en devoir de perfuader que la révolte étoit férieufe. II y a de la révolte, répondit féchement la Reine, en regardant Gondi, ily a de la révolte d croire qu'on. puijfe fe révolter. Cependant le bruit continuoit, Ie peuple menacoit de forcer les Gardes. II entra fucceifivement plufieurs perfonnes, qui dirent que la fédition alloit en augmentant. On commenca pour lors a quitter le ton plaifant, 6c k délibérer fur ce qu'il conviendroit de faire. Chacun fe donnoit la liberté de parler. Pour moi , dit Guitaut, mon avis ejl de rendre le vieux coquin de Broujfel mort ou vif. Je pris la parole , dit le Coadjuteur , & répondis : le premier parti ne feroit ni de la piété, ni de la juftice de la Reine ; le fecondpourwit faire ceffer le trouble. La Régente fougit, & s'écria : Je vous entends, M, le Coadjuteur , vous voudrie\ que.  ï> U C A B I N E T. jr>§« Je donnajje la liberté a Brouffel; je l'étranglerai plulót de mes deux mains , & ceux qui... ajoute-t-elle, en me les portam pref que au vifage. Mazarin s'approcha, lui paria a Poreille, & la fit revenir k elle-même. Pour lui, fans trop donner dans les plaifanteries, fans pencher non plus vers 1'afiuran' ce, il avoit une phyfionomie équivoque, que 1'arrivée du LieutenantCriminel & du Chancelier décida hientöt. Ces deux Magifirats venoient de parcourir la ville : quoiqu'ils n'adrefiaffent au peuple que des parolesde paix, ils avoient été recus a coups de pier' res. La frayeur qu'ils rapporterent, étoit fi naïve, qu'elle pénétra tous les cceurs, & celui du Cardinal fur-tout. II balbutiad'un air déconcerté quelques phrafes fans fuite, & conclut qu'il hllok promettre la liberté de Broufiel, a condition que chacun rentreroit dans fa maifon. Tout le monde trouve 1'expédient admirable. On fe regarde comme rour fe demander qui portera la parole : Mazarin nomme le Coadïuteiir. II fe cléfend; on le prefle; il demande du moins un billet de la Rei- Louis XIV. 1648. La Fronde,  L o u i ' xiv. 1648. La Fro: DE, Violence du peuple. 196 L'Intrigue s ne, qui s'engage de rendre la liberté' aux prifonniers : elle dit que fa parole fuffit. Les Courtifans environnent Gondi; ils le conjurent de rendre ce fervice a la France. Gafton le follicite avec amitié; les Gardes du Roi 1'entrainent, le portent pour ainfi dire fur leurs bras. En un clin d'ceil, il fe trouve a la porte du palais; les Chevaux-Légers 1'efcortent, & le pétulant la Meilleraye fe met a fon cöté. s Cet homme, tout pétri de bilt & de contre- temps, dit le Coadjuteur , aulieu de prendre une contenance pacifique, met 1'épée a la main, & crie: Vive le Roi, liberté d Brouffel! Comme fon a£Hon étoit beaucoup mieux vue que fes paroles n'étoient entendues , la populace, loin de fe calmer, s'échauffe : on attaque le Maréchal a coups de pierres & de batons; il eft obligé de fe mettre en défenfe. Après avoir quelque temps patienté, il tire, & blefte mortellement, vers la croix du Trahoir, un Crocheteur chargé, qui paffoit, & qui tombe a fes pieds. Le Coadjuteur, qui répandoit a grands flots fes bénédiöions, arrivé & confefle ce malheureux fur Ia place oü  DU C A B I N E T. 197 il étoit étendu. Cet aéte de charite fufpend, pour un moment, la fougue de k populace : mais pendant qu'elle paroit héfiter entre 1'attaque & la retraite , trente ou quarante hommes armésde moufquetons, de hallebardes, débouchent, de la rue des Prouvaires, dans la rue St. Honoré, & font une brufque décharge fur la troupe de Ia Meilleraie ; plufieurs font Heffes autour de lui. L'Archevêque efi jetté a terre d'un coup de pierre : comme il fe relevoit, un forcené lui porte lejDout du moufqueton fur la tête, pret a tirer. Ah, malheureux ! s'écrie Gondi, fi ton pere te voyoit. Ces parol es prononcées au hafard , fauvent le Prélat; on reconnoit fon habit, Sc tout le peuple crie : Vive le Coadjuteur ! II profite de ce retour de tendreflè, tourne vers les halles, Sc entraine avec lui une grande multitude: ainfi Ia Meilleraye fe trouve dégagé fans efforts, 6c regagne librement le palais. L'Archevêque trouve dans ce quar- } tier beaucoup de gens fous les armes; j il les engage k les quitter, & dit que ce n'efi qu'è cette condition qu'il ira I iij Louis XIV. I64S. La Fi u Cabine t. 201 que conjedures : mais moins Gondi les fut au jufle, plus il fe crut autorifé a les amplifïer. Forcé de s'avouer a lui-même, que les vertus d'un chef de parti font des vices dans un Archevêque, il adopta cependant ces vices, tkles purifia k fes yeux, par 1'idée qu'ils étoient néceffaires a fa confervation & a celle de fon troupeau. Ces réflexions firent prendre au Coadjuteur la réfolution de fe faire craindre a la Cour, puifqu'il ne pouvoit s'y faire aimer, & il ne trouva pas de meilleur expediënt pour réuffir, que de renouveller les barricades de la Ligue. 11 faut faire, k 1'égard des habitants de Paris, la même diftindion que nous avons faite a 1'égard des Membres du Parlement. II y avoit entre eux des hommes k préventioiij de ces perfonnes qui fe pénetrent des fentiments d'autrui, & qui aiment, comme par inlïind, le changement & le bruit. On ne comptoit dans cette claffe que quelques bons bourgeois , mais beaucoup d'artifans, une grande partie de la populace , & prefque toutes les femmes. C'étoient-la les gens du CoadI v Louis XIV. 1648. 'LaFronde. Barricades. Rets, (. 1, j. 136. Joly , t. i, 17. Mottevil'e , f, 2 . p. Talon, t.  Louis XIV. 1648. La Fronde, 2.02 L'ÏNTRÏGUE juteur. Les autres voyoient les défauts du Gouvernement. Ils auroient bien defiré une réforme ; en cela ils penfoient comme les plus raifonnables du Parlement, & même de la Cour : mais quoiqu'ils ne goütaflent pas les fentiments du Miniftere , ils s'attachoient cependant a 1'autorité, dans la crainte que 1'anarchie ne caufat de plus grands maux. Ce furent ces hommes modérés, qui fauverent la ville de la fureur des boute-feux, que Gondi ameutoir, II fit courir, pendant la nuit, des émiffaires , porteurs de nouvelles appropriées a 1'efprit des perfonnes qu'il vouloit féduire. Aux unes, ils difoient que Ia Cour devoit emprifonner tout le Parlement, décimer les Confeillers & les Bourgeois, pour les faire pendre avec BroufTel & les autres prifonniers. Ils afTuroient aux autres, que la Régente étoit déterminée a tirer le Roi de Paris, & a faire enfuite mettre le feu aux quatre coins de la ville , qui feroit pillée & faccagée fans miféricorde ; & le refrein de ces difcours étoit toujours, qu'a la première allarme, il falloit fe mettre fur la défenüve, & faire des barricades,  nu Cabine t. Z03 Comme fi elle eut voulu feconder les mauvais deffeins du Coadjuteur, la Régente, au-lieu de laiffer appaifer la fureur du peuple, 1'irrita par de1 nouvelles entreprifes. On n'a jamais fu précifément ce qu'elle avoit réfolu : les uns difent qu'elle vouloit caffer tout ce qu'avoit fait le Parlement, depuis l'établiffement de la Chambre de St. Louis; les autres, qu'elle prétendoit caffer le Parlement lui-même, ou 1'interdire & 1'exiler. Mais, quels que fuffent fes deffeins, il efl certain qu'ils étoient violents; & de toutes les mefures a prendre pour en afiürer I'exécution , Anne choifit les pires : car, fachant que les mutins ne défarmoient pas, elle fit dire aux bons bourgeois, dont elle connoiflbit la fidélité, de s'armer auffi. La vue de cette milice autorifée, engagea ceux que le Coadjuteur faifoit agir, a établir des corps-de-garde, & a fe fortifier pendant la nuit. Ils remarquerent qu'il y avoit de fréquents meffages entre les Miniftres & Seguier, Chancelier: nouveaux fujets d'allarmes pour les factieux, & motifs prefiants de fe tenir fur leurs gardes. Par-tout oii la Cour I vj Louis XIV. 164S. .a Fronde,  Louis XIV. 1648. .La Fronde. 204 L'Intrigue paroiflbit vouloir fe mettre en foree, les Frondeurs oppoferent une troupe prête a lui difputer le terrein. Mais on fe contenta de s'obferver, & tout refla tranquille jufqu'au moment oü le Chancelier fe mit en marche pour aller au Palais. II n'étoit que fix heures du matin, le 27 Aoüt, & le Parlement étoit déja aflemblé. Prefqu'en fortant de chez lui , le Chancelier trouva une barricade qui le forca de quitter fon carrofle, & de fe mettre dans fa chaife , qu'il avoit fait fiiivre. Quelques pas plus loin, une autre barricade arrêta fa chaife : comme il étoit réfolu de continuer fon chemin a pied, trois CU quatre gens apoftés 1'approchent, le reconnoiflènt, & le chargent d'injures. Un plaideur qui lui en vouloit, pour la perte récente d'un procés , fe joint a eux. En un moment, ce Magiftrat fe.voit environné de furieux, criant, hurlant, prêts a le frapper. II fend Ia foule comme il peut, accompagné de 1'Evêque de Meaux, fon frere, & de la jeune Duchefle de Sully, fa fille, qui, fentant le danger de fa miflion , n'avoient pas voulu 1'aban-  DU C A B I N E T. 20 J donner. Arrivés fur Je quai des Augufiins, ils fe jettent tous dans 1'hötel d'O, occupé par le Duc de Luynés , qu'ils trouvent ouvert, & ferment la porte fur eux. Avant que les mutins Payent enfoncée, une vieille femme les cache tous trois dans un petit cabinet, au bout d'une grande lalle. De eet afyle, défendu par une fimple cloifon, Seguier entend cette populace irritée qui menace de le mettre en pieces. Les plus modérés fe pro* mettent de le garder en ötage, pour 1'échanger avec leur cher Broufiel. Ils frappent contre les ais de ce cabinet, ils écoutent s'ils n'entendent perfonne; enfin, ils jugent que c'efl un galetas abandonné, &c portent leur rage dans les autres appartements, dont ils pilIent la plus grande partie. Le bruit du péril oü fe trouve le Chancelier, eft porté jufqu'au PalaisRoyal. Le Duc de la Meilleraye en part, a la tête d'une compagnie des Gardes , tk. vient a fon fecours. II le tire de 1'hötel d'O. Le Lieutenant-Civil lui amene un carroffe pour hater fa retraite: il y monte avec fa familie. Les féditieux, irrités de fe voirenle- Louis XIV. 1648. La Fronde.  L o u i < XIV. 1648. La Fronde. 206 L'Intrigu-e ver leur proie , les pourfuivent avec des huées. La Meilleraye, toujours auffi imprudent que zélé, fait volteface avec fes Gardes , tire, & rue une vieille^femme qui paffoit. Auffi-töt une grêle de pierres & de moufquetades fond fur les Gardes & le carroffe; plufieurs font lues; la Ducheffe de Sully eft bleffée Iégérement, & ce n'eft qu'a grande peine que cette troupe effrayée parvient au Palais-Royal, ®ü elle fe réfugié. II étoit temps; car pendant que ceux-ci retardoient La Meilleraye , il leur venoit des renforts, qui auroient rendu fa fuite impoffible. Les premiers arriverent de la porte de Nêle. La Cour y avoit placé des Suiftes , pour tenir cette fortie libre en cas de befoin, Un Officier déguifé en Macon , émiftaire de Gondi, leur chercha querelle, avec des foldats déguifés comme lui, les chargea, en tua trente ou quarante, leur prit un drapeau , & les difperfa. Le bruit des moufquetades tira de leur travail les Jardiniers du fauxbourg St. Cermain. Ils fe ramafferent par pelotons , & remonterent en foule le'long le la riyiere, vers le Pont-neuf, pen-  du Cabinet. 207 dant que les vainqueurs de Ia porte de Nêle prenoient le même chemin. A Ia même heure, du haut du Fauxbourg St. Jacques, fe précipitoit une troupe formée par la femme de Martineau , Confeiller des Requêtes & Colonel de ce quartier, fort attachée au Coadjuteur. Ce fut elle qui fit donner Ie premier coup de tambour. A ce bruit, Pallarme fe répandit avec la rapidité d'un incendie , dans le pays Latin , les fauxbourgs St. Marceau, St. Victor, Sc la place Mauberr. Ces quartiers yomirent en un infiant des flots d'ouvriers d'Imprimerie , de fuppöts de Colleges, des Tanneurs, des Bouchers , des Bateliers , qui paflerent Ie Petit-Pont Sc Ie Pont St. Michel, & fe répandirent dans la Cité Sc autour du Palais , ou tout étoit déja en armes, par les foins de Gondi. Ils fe firent un drapeau d'un mouchoir blanc au bout d'une perche, Sc fe mirent a courir les rues, en criant: Liberté, Broufiel, Vive le Roi, Vive le Parkment ! Quelques-uns ajoutoient: Vive le Coadjuteur ! Ils voulurent pénétrer par les Ponts au Change Sc NotreDame, dans les rues St. Denis 6c Sr. Louis XIV. 164S. La Fronde,  Louis XIV. 1548. La FroN' de. Béputation du ?'arlement.Mottev. t. p. 260. Rets,t.I, p. 141. Hifi. du | temps, p, 309. ( Journal du ] Parlement, , P. 66. ( I i t < X 2.08 L' Intrigue Martin. Mais les Marchands, joints a la bonne Bourgeoifie, arrêterent cette populace efFrénée. Ils tendirent les chaines, qu'ils foutenoient avec des barriques pleines de terres, derrière lefquelles ils fe tenoient en fentinelles, armésde piqués, de moufquetons, & de toutes les armes qui leur tomboient fous la main. Ainfi fe formoient les Barricades. A dix heures du matin, on en comptoit, dit Talon, douze cents foixante dans la Ville, dont quelque-unes furent plantées prefqu'a Ia porte du Palais-Royal, Le Parlement, pendant ce tumulte, qui ne déplaifoit pas a tous fes Membres, prononcoit affez tranquillement 'les Arrêts contre Comminges & les nitres Officiers, qui avoient arrêté Blanc-Menil & Brouffel. Le vacarme jue le peuple faifoit dans les falies, )ü il s'étoit porté en foule, n'étoit >as défagréable aux oreilles de ceux [ui fongeoient que tout ce bruit étoit ■our leur querelle. Cependant, com11e on ignoroit oü cela pourroit abouir, on fe mit a délibérer fur ce qu'il onviendroit de faire dans ces circonfUicss. Toiues les voix fe réunirent a  r>u Cabinet. 209 aller fupplier la Reine de rendre fur le champ la liberté aux prifonniers. C'étoit peut-être légitimer, en quelque maniere, les violences du peuple , que de demander juridiquement ce qu'il exigeoit par la force. Mais il y a des moments ou on n'a que le choix des fautes. Le Corps entier du Parlement fe mit en marche, au nombre de cent foixante perfonnes: 11 fut regu, & accompagné dans toutes les rues, avec des acclamations & des applaudïffements incroyables, dit le Coadjuteur; toutes les barrières tomberenl devant lui. II n'en fut pas de même a la Cour. La Régente les recut d'un air févere; elle leur imputa la fédition , leur dit qu'ils en étoient originairement les auteurs, par 1'efprit d'indépendance , que leurs défobéilfances multipliées depuis quelque temps avoient répandu. La pofiérité, ajouta-t-elle , regardera avec horreur la caufe de tant de défordres, & le Roi mon fils vous en punira un jour, Elle marqua fon étonnement, de ce que n'ayant témoigné aucunreffentiment, lorfque la Reine, fabelle-mere,avoit fait mettre le Prince de Condé a la Bafliile, ils faifoient Louis XIV. 1648. La Fron. de.  t O UI XIV. 1648. l \ Fa<« r>E. 110 L'Intrigue s tant de bruit pour un de leurs Membres. Après ce reproche, Anne d'Au_ tnche les quitta brufquement. Etourdis de cette réception, les Confeillers fe regardoient en filence, & quelquesuns gagnoient déja la porte : le Prenner-Préfident les arrêta , &propofa de faire un nouvel eifort. II demanda une feconde audience, & employa pour 1'obtenir, la priere des Princes & des Grands, qui avoient les entrees libres. A force de perfévérance , il pénétra jufqu'è la Reine : mais toujours obftinée a ne pas relacher les pnfonniers, elle ne répondoit pas, & fuyoit du cabinet dans fa chambre, de fa chambre dans Ia galerie. Molé la pourfuivoit; le Cardinal Mazarin vint a fon fecours. On s'aboucha enfin, & elle confentit de rendre les pnfonniers, a condition que le Parlement ne fe mêleroit plus des affaires d'Etat. Le Premier-Préfident ne pouvoit prendre feul un pareil engagement : il en paria a fa Compagnfe , qui répondit qu'il falloit mettre la matiere en déïibération. Le Cardinal defiroit qu'elle fe fit fur Ie champ; mais les Gens du Roi repréfenterent que  du Cabinet. 211 cette précipitation auroit un air de violence. La Compagnie promit de s'affembler 1'après-midi , & d'apporter le lendemain la réponfe. C'étoit Beaucoup pour la Cour, que de gagner ce temps; beaucoup auflï, pour Ie Parlement, de n'être pas refufé touta-fait: par conféquent, cetexpédient accommodoit tout Ie monde , & on fe retira affez fatisfaits les uns des autres. Le peuple s'imaginoit que Brouffel & Blanc-Menil étoient détenusdans le Palais-Royal; il les chercha des yeux, quand il vit fortir le Parlement. Ne les voyant pas, il les demanda : on répondit que la liberté n'étoit pas encore accordée, mais qu'il y avoit de bonnes efpérances. Les Bourgeois de la première barricade fe contenterent de cette raifon, & laifferent paffer; ceux de la deuxieme murmurerent; mais a la troifieme, qui étoit vis-a-vis la Croix du Trahoir , il s'éleva un cri de fédition iiniverfeile. Un Marchand de fer, nommé Raguenet, Capitaine de ce quartier , faifit le Premier-Préfident par le bras, & appuyant le piflolet fur Louis XIV. 1648. La Fros» se. Rets, t. 1, p. 145.  1 OUI XIV. 1648. La Froj de. i « ^212 L'Intrigüe ■ fon vifage, lui dit: Tourne, traure, f tu ne veux être maf acre , toi & les tiens ; ramene-nous Brouffel, ou U ' Mazarin & h Chancelier en otages. EfFrayés de cette violence inattendue, cinq Préfidents a Mortier & une vingtaine de Confeillers quirtent leur rang, & fe confondent dans la foule: les autres héfitent s'ils échapperont ou s'ils refleront auprès de leur chef, que les mutins harcelent & menacent (a). Pour lui , confervant toujours la dignitê de la Magiftrature dans fes paroles^ & dans fes démarches , 'd rallie ce quil peut de fa Compagnie , & revient au Palais-Royal au petit pas, dans le feu des^ injures, des exécrations & des blafphêmes. En voyant rentrer le Parlement, la patience penfa échapper k la Reine, qui s'étoit crue quitte de cette aventure. Dans fon dépit, elle fembloit ne mediter que des deffeins violents, ïantót d'envoyer couper la tête a Brouf' («) // fut tiralllé & prls par fa barbc , w d porton fort lov.eue. Voy. Joly, t. 1 1. ai; J '  nu Cabinet. h$ fel, & de la jetter au peuple, tantöt de faire pendre, pour 1'exemple, quelques Confeillers aux fenêtres du Palais, ou du moins de retenir les plus modérés, & de livrer les autres a la rage de la populace i projets auffi dangereux qu'odieux, qu'appuyoient neanmoins quelques Courtifans encore imbus des principes fanguinaires de Richelieu. On eut beaucoup de peine a calmer la Régente, a lui faire fentir les redourables conféquences de la moindre violence. Le premier Préfident, qui ne parloit jamais fi bien que dans lepéril,y employa toute fon eloquence. Le Duc d'Orléans la fupplia de céder aux circonflances; les Princeffes fe j etterent a fes pieds, & enfin, on lui arracha ces paroles: Ek bien ! Mefjicurs du Parlement, voye^ donc ce qu'il efi d propos de faire. C<9 fut de délibérer fur le champ <5c fans déplacer. On dreffa a la hate des bancs dans la grande galerie. Le Parlement y prit féance, & arrêta que la Reine feroit remerciée de la liberté qu'elle accordoit aux prifonniers , & que jufqu'aux vacances , la Compagnie ne Louis XIV. 164S. La Fiion- de,  Louis XIV. 1648. LaFroN' £>e. 3.14 L' I N T R I G U Ë s'occuperoit plus des affaires publi' ques , excepté du payement des rentes de 1'Hötel-de-Ville, & du tarif. La Reine figna les ordres pour le retour de Brouffel & de Blanc - Menil. On fit fortir publiquement du, palais deux carroffes du Roi, dans lefquels étoient des parents & amis des prifonniers, porteurs de ces ordres. Le Parlement fuivit d'un air fatiffait. La populace applaudit, par des acclamations, a fon fuccès, & les Préfidents & Confeillers allerent chacun chez eux, laiffant a la vérité les barricades fubfiitantes, mais la bourgeoifie qui les gardoit fort adoucie, & la populace difpofée a fe retirer. Le lendemain matin, 28 Aoüt, le Parlement fe raffembla. Le PremierPréfident auroit voulu que les Confeillers fuffent reflés chacun dans leurs Chambres pour vaquer aux affaires ordinaires : mais les Enquêtes & les Requêtesfe prétendirent en droit d'examiner 1'arrêté de la veille, comme fait fans liberté & dans un lieu incompétent. Pendant que la Compagnie s'en occupoit, elle entendit des moufque-  caufa de 1 allarme : mais ellefut bientör raffuree, paree qu'on fut que c'étoit la bourgeoifïe qui célébroit par des: ialves le retour de Brouffel. Du moment qu'il entra dans la ville les pnncipaux citoyens 1'accompagnerent ■jufqu au Palais fuivi d'une populace nombreufe, qui crioit } Vivi £ Jd. Vive notre libérateur ! Vive notre pere! Quand il fut entré dans la grand•Chambre, le Premier-Préfident, qui ne s etoit preté que malgré lui aux démarches faites pour fa liberté, le harangua. Brouffel remercia. Le retour de Blanc-Menil fit recommencer le m me cerémonial : enfin, la féance fimt par un arrét qui enjoignoit a tous les Bourgeois de mettre bas les armes, & d'öter les barricades - & a midi toutes les rues de Paris étoient nettoyees & libres. Néanmoins il fe conferva encore pendant quelques jours une fermentation affez forte qm donna beaucoup d'inquiétude i la Reine & au Cardinal. Celui - ci refla déguifé, botté, prêt a partir paree qu'on difoit que le peuple voutoit Ie prendre pour ötage, & le faire Louis XIV. 1648. \.A F.IONBE.  Louis XIV. 1648. LaFron. de. Suite des barricades. Rets, t. i, P' IJ9- 216 L'Intrigue fervir de repréfailles , fi la Cour ufoit de violence. En effet, fur les bruits qui fe répandoient qu'il y avoit des troupes autour de Paris, il s'élevoit tout-a-coup , tantöt dans un quartier, tantöt dans 1'autre, des cris, des hurlements ; on entendoit un cliquetis d'armes , des falves de moufqueteries, qui faifoient trembler. La Régente ne vint a bout d'appaifer entiérement le peuple, qu'en lui marquant la plus grande confiance , en renvoyant les troupes qui lui portoient ombrage, & en fe réduifant a une très-petite garde : condefcendance qui coüta beaucoup a la fierté d'Anne d'Autriche. Telles font les barricades que la proximité des temps & 1'élégance des Ecrivains, prefque tous acteurs dans cette affaire, ont rendu fameufes. II faut cependant avouer que le Coadjuteur en fait, dans fes Mémoires, plutöt un objet de rifée que d'épouvante. II vit, dit-il, un enfant de huit ans trainant une lance pefante du temps de la guerre des Anglois; il vit des meres armer elles-mêmes leurs enfants de poignards, & leur attacher au cöté de grandes épées rouillées. Si les barricades  » u Cabinet. xty ricades étoient bordées des étendards confervés dans les families depuis la Ligue; en récompenfe, les Bourgeois qui les gardoient, étoient plus occupés, derrière leurs retranchements, du jeu Sc de la bonne chere, que des faccions militaires. On fit remarquer a Gondi un hauffe-col de vermeil, fur lequel étoit gravée la figure de 1'affaffin d'Henri III, avec cette infcription 5 Saint Jacques Clément. II n'oublie pas de fe vanter d'avoir réprimandé virement POfficier qui portoit eet ornement, Sc de 1'avoir fait rompre publiquement fur 1'enclume d'un Maréchal. On doit remarquer que ce peuple , dans le feu de la révolte, voyant une action qui marquoit du refpedt pour fon Souverain, y applaudit en criant : Vive le Roi ! Mais , dit le Coadjuteur, técho répondoit: Point de Mazarin. Ce voeu étoit celui du Prélat, qiu avoit fu 1'infpirer au peuple. Gondi; n'étoit ennemi de 1'autorité royale,' que paree qu'elle paffoit par les mains de Mazarin. II vouloit punir la Reine de la préférence qu'elle continuoit de donner a fon Miniftre. Pendant le Tome IJl. K Louis XIV. 1648. La Frok. be, Embarfas lu Coaduteur.  L o ui; XIV. 1648. La Fron de. il8 L' I N T R 1 G U E tumulte, elle 1'envoya prier plufieurs ' fois d'arrêter la fédition : il répondit avec une feinte modeftie , qu'il ne fe ■ croyoit pas aflez d'empire fur 1'efprit du peuple. Mais il n'étoit pas fi diflimulé avec fes amis; &c il favouroit volontiers, dans la fociété des Frondeurs , les louanges qu'on lui donnoit pour avoir fi bien concerté fa vengeance. Cependant, après avoir raflafié fon amour-propre du plaifir de s'être fait craindre , Gondi, réfléchiflant fur ce qui venoit de fe pafler , commenca a redouter pour lui-même les fuites de fon audace. La Régente 1'envoya chercher le lendemain des barricades : elle lui fit la réception la plus diftinguée, le remercia des bons avis qu'il lui avoit donnés dans cette occafion, & lui dit que fi elle 1'avoit cru, elle ne fe feroit pas trouvée dans ces embarras. Le Cardinal renchérit encore: il dit a Gondi en face, qu'il ny avoit que lui dhomme de bien en France ; que tous les autres étoient des flaneurs infames, & qu'il vouloit déformais ne fe -.onduire que par fes conjeils (a). C'é(d'inondations, d'incendies, de fléaux de toute efpece , dont on ne pouvoit manquer d'être affligé fous un gouvernement fi dépravé..Outre cela, des colporteurs clandeflins diflribuoient des libelles, des vers, des chanfons, qui frappoient malignement fur la prévention d'Anne d'Autriche en faveur de fon Minifire ; de forte qu'il y avoit comme une craintemquiete répandue dans tous les efprits, 6c les têtes s'échaufferent même beaucoup plutöt que Gondi n'auroit voulu. La Reine comptoit beaucoup fur es vacances qui approchoient: mais le Parlement demanda une prolongation de fervice, fous prétexte d'affairesurgentes, 6c qui ne permettoient pas de délais. La Régente refufa; le Parlement infiiia; 6c er fin, comme il  du Cabinet. 223 laiffa appercevoir qu'il fe continueroit de lui-même, la Reine accorda quinze jours. L'aflürance de conferver fes protecteurs enhardit le peuple, toujours prêt a s'échapper. II ofa manquer de refpeét a la Régente, dans les promenades. En paffant par les rues, elle eut la mortification d'entendre des chanfons faites contre elle, & de fe voir pourfuivie avec des huées. Perfévérance du Parlement dans fes entreprifes , infolence de la populace : ces deux motifs déterminerent Anne d'Autriche k quitter Paris. Elle en fortit le 13 Septembre , & emmena le Roi k Ruel. II fut fuivi du Duc d'Orléans, des autres Princes du Sang , des Miniftres, du Chancelier, tk de toute la Cour. En partant, la Reine fit favoir au Prévöt des Marchands, qu'elle ne quittoit le PalaisRoyal que pour le faire nettoyer, &C qu'elle rameneroit le Roi dans huit jours. Peut-être en effet, n'avoit-elle deffein que d'éprouver ce que produiroit j ce coup d'éclat, & fi la crainte des fuites ne rameneroit pas les Frondeurs ala modération. En effet, les chofes K iv Louis XIV. I64S. LaFronde., Sc autres irrètés.  I o v 1 XIV. 1648. La Froj de, Convocation des Pairs. Journal du Parlement, p. 84. Hifi. du temps p. "s auroient pu tourner de cette maniere , fi le Coadjuteur avoit réuffi a faire prevaloir fon fentiment, qui étoit de ne pas forcer la Cour a des réfolutions extrêmes, pendant qu'il n'avoit pas encore pris fes dernieres mefures. Mazarin & lui fe faifoient une eipece de guerre d'obfervation : mais le Miniftre y avoit un grand avantage , paree que, quand la rufe ne fufWoit pas , il étoit maitre d'employer la force. II s'en fervit a 1'égard de trois perfonnes qu'il ne fe flattoit pas de vaincre par finefte; Chavigny & Chateau-neuf, trop liés avec les Frondeurs du Parlement; & Goulas, Secretaire de Gafton, foupconné de travailler , avec le Coadjuteur, a aignr fon maitre contre le Miniftre. Le premier fut conftitué prifonnier dans Vincennes, dont il étoit Gouverneur; les deux autres furent exilés. Cet afte d'autorité porta tout d'un coup les affaires a une rupture. L'interêt particulier des principaux Frondeurs, qui fe virent menacés d'un traitement pareil, les détermina a brufquerle Miniftre, & a travailler fur le champ a fa perte. De peur qu'il-  du Cabinet. iif ne les prévïnt, ils furent exciter, dans 1'anemblée des Chambres du zz Septembre, la chaleur dont ils étoient animés , en repréfentant ce qui venoit de fe paffer a 1'égard de Chavigny & des autres, comme une aclion de tyran de la part du Miniftre, &c un attentat a la füreté publique. Pour la première fois, Mazarin fut nommédans les opinions , & traité d'homme ignorant , incapable , mal-intentionné, &C on propofa de renouveller a fon occafion 1'Arrêt porté en 1617 contre le Maréchal d'Ancre r Arrêt par lequel le Miniflere étoit interdit aux étrangers, fous peine de la vie. La pluralité n'adopta pas cette opinion; mais il fut ftatué que les Princes & Pairs feroient convoqués , & il y eut Arrêt en conféquence. La Reine le caffa par un Arrêt du Confeil & fe fit amener furtivement le Duc d'Anjou, fon fils , qu'elle avoit été obligée de laiffer a Paris, paree qu'il étoit malade. Cette efpece d'enlevement fut comme un tocfin qui fonna 1'allarme dans' la Capitale ; on y prit les mefures or~' dinaires dans une ville qui va être af-: K y Lo v 1 s XIV. La Fronde. Rutnev.r lans Pais^ ttjl. ifir 3fl£  Loui XIV. 1648. La Froi DE. (a) Le Médecm Guenault plus redoute que la pcfle, dit Boüeau , interroeé quelque temps après , par le Prince de Condé, iur les difpofitions du peuple de Paris , lui. dit : Perfonne na appréhendé le fiege ; vous etes grand Prince , mais je n'eflime pas que vous en euffie^ pu venir d bout. Tout le monde ttott munt de toutes les chofes nèceffaires < chacun avoit fait mettre fes armes en ètat • la depenfe n'efrayoit perfonne. Pour rnoi j'employerois volontiers tout mon bien & tout mon credit pour conferver ma liberté; ty il y m a encore trente mille dans Paris, qui font plus en puiffance, & qui ont plus de Kele que mot. Le Prmce , loin de fe facher de cette tranchife de fon médecin , 1'embraffa, & lui dit cesparoles remarquables : C'eft ainfi qu'il fautparler aux Princes , f> non pas comme ces flaneurs , qui leur déguifent toutes chofes , *• qui les engagent dans des deffeins pèrilleux pour leur honneur & pour leur gloire. Voy, Hut. du temps, p. 376, 1 22fS V I N T R r G ü E s fiégée. Le Parlement ordonna au Prévot des Marchands & aux Echevins, de pourvoira 1'approvifionnement Sc <* Ia ftireté de la ville. Les bourgeois preparent leurs armes, II paroit même qu'ils n'étoient effrayés ni de la fatigue ni de la depenfe r ni des dangers (*),. Sc qu'ils fe feroient volontiers expofés aux hafards d'une guerre-  du Cabinet. 227 civile : mais le Coadjuteur avoit encore intérêt de la fufpendre ; & , par ce principe , moins que par amour de la paix, il adopta des moyens de conciliation , qui fe préfenterent au moment qu'il croyoit la rupture inévitable. II étoit prêt a faire partir pour Bruxelles un négociateur, chargé d'engager le Comte de Fuenfaldagne d'amener une armée Efpagnole au fecours de Paris, lorfque Ie Duc de Chatillon, confident de Condé, vint lui annoncer Farrivée du Prince , a laquelle Ie Prélat ne s'attendoit pas fitöt. II renonca fur Ie champ a fon projet du cöté de 1'Efpagne, & drefTa fon plan pour féduire Ie Prince , & procurer fa protection au parti. II arriva1 pour lors k Condé ce qui lui étoit arrivé du temps des Importants: la Cour & la Fronde fe le difputerent. Le Coadjuteur eut avec lui plufieurs conférences , dans lefquelles il s'efforca de lui prouver que Ia Reine avoit eu tort clans tout ce qui c'étoit palfé ; que c'étoit fon mauvais gouvernement qui avoit provoqué la réfiftance du. Parlement, oc les éclats qui s'en étoient K vj Louis XIV. 164S. La Frok- de. Bonne conduite du Prince de Condé. Rets , f. 1 j p. 154. Joly,?, 33-  l o ui XIV. 1648. Ia Vros 228 LMntrigue j fuivis ; que tout le mal prenoit fa.' fource dans 1'entêtement de la Régente pour fon Minifire, & qu'il falloit la " forcer de fabandonner. Le Prince convenoit aflez avec Gondi fur le dernier point, paree qu'il avoit k fe plaindre lui -même du Cardinal, qui s'étoit mal eomporté a fon égard en quelques occafions : mais il ne'pouvoit accorder au Coadjuteur, que les prétentions du Parlement n'eufTent été quelquefois outrées, & qu'il n'eüt pas fouvent excédé dans la maniere de les lignifier. Appuyer fes prhentions , difoit-il, c'efl donner au Parlement une puiffance dont il fera bientót tenté £abufier au détriment de celle du Roi : or, je m'appelk Louis de Bourbon , & je ne ■veux pas êbranler la Couronne. La Reine me prejfe de feconder fa vengeance ; je fins que fi je lui pré te mon bras, je vais expo fier ma rêputation & ma vie, pour fioutenir un étranger que je méprife. Encore fi le Parlement pouvoit fe modérerpour quelque temps. Mais, ajoutai-ildansuntranfport d'imparience, mais ces... de bonnels quarrés , font-ils enrages, dem'engager d faire demain la guerre dvile., & d les étranglcr eux-mêmei*.  du Cabinet. 229 Enfin, après avoir bien confidéré Faffaire fous toutes fes faces, Condé décida qu'il falloit prendre un parti mitoyen : favoir, affoupir la querelle acttielle, & travailler enfuite a deffiller les yeux de la Reine, de maniere qu'elle fe dégoütat infenfiblement de Mazarin ; & fi elle ne vouloit pas le précipiter dn rang ou elle 1'avoit élevé, qu'elle le laiffat du moins gliffer , afin qu'on put, après cela , 1'éloigner tout-a-fait. Le Coadjuteur goüta ce plan , non , comme le Prince , par zele pour le bien public, mais pour le doublé avantage de n'être pas forcé a une guerre défenfive, .lorfqu'il n'étoit pas encore prêt, ck, cependant , de n'en conferver pas moins 1'efpérance de fupplanter le Minifire, ou de renouveller les troubles. Pendant que le Parlement, en conféquence de fon Arrêt, ordonnoit une députation aux Princes & Pairs, pour les engager a venir prendre féance, il recut dés lettres de Gallon & de, Condé , qui 1'exhortoient de confen-tir a xine conférence oü on put régler les différehds a famiable^ EUe fut acceptéè, & commenca a Saint-Gcr-, Louis" XIV. 1648. La Fronde. Confércfif :es de SaintGermain.Journal du Parlement, u S7 & ruiv. Hijloire da. •emps, Talon , f.  L o u i ! XIV. 1648. La Fronde. Article de la füreté. Hifi. du temps , p, 373. I ï i 230 L'Intr/guk 'main le Septembre , & dura, £ plufieurs reprifes, jufqu'au zz Ocrobre. Le Cardinal Mazarin eut Ia morfaficatioa de n'y être pas adrais-, & de n'en pouvoir exclure fes plus mortels ennemis , comme il le defiroit; mais il prit la chofe en homme de Cour , Sc il fe trouva fur le paffage des Députés, qu'il fel„a profondément. Cette affecffation apprêta a rire aux Membres du Parlement, peu accoutumés aux manieres des Courtifans.. L'artïcle qui' éprouva les plus granies difficultés, fut celui qu'on appeltoit de Ia füreté, paree qu'il y étoit quefhon de borner 1'exercice du pouroir abfolu fur la liberté des citoyens» Cette queöion fut agitée a 1'occafion Ie 1'emprifonnement de Chavigny & 1'autres, détenus depuis long-temps >ar des ordres particuliers , fans forne de procés. Le Parlement demanloit qu'il ne fut pas permis de garler perfonne en prifon plus de vingt[uatre heures, fans 1'interroger. Les 'rinces s'oppofoient a ce reglement, irétendant qu'en matiere d'affaires d'Eit, un interrogatoire trop prompi  du Cabinet. 231 pourroit faire évanouir ou énerver des preuves qui fe feroient fortinees dans le filenee. La Régente offrit de s'engager a ne retenir que fix mois, fans interrogatoire , ceux dont on feroit forcé de s'affurer : elle fe réduifit enfuite a trois. Le Parlement étoit tenté d'accepter cette efpece de compofition; mais le Préfident de Blanc-Menil s'y oppofa , pour des raifons qu'un homme, récemment échappé des fers, devoit trouver & faire valoir mieux qu'un autre. II pofa pour principe , que les Rois, par privilege de leur Couronne , ni par aucune loi de 1'Etat, n'ont point de titres pour retenir leurs fujets prifonniers, fans leur faire faire leur procés. Accordir trois mois de délais, ajouta-t-il, ce feroit leur accorder ce titre, au préjudice de tordonnance P- 53- 242 L' 1 N T R I G V E ter auxpieds de la Régente, fi le Coadjuteur n'eüt pourvu a leur défenfe, fans qu'ils le fuffent. Quand il vit qu'il ne devoit plus compter fur Condé, il chercha quelqu'un propre k le rem'placer, 6c il le trouva, du moins quant au titre, 1 dans la familie même du Prince. Celui-ci avoit un frere 6c une fceur, dont le Prélat fut faire fervir les paffions k fes fins. Conti, agé de dixhuit ans , d'une complexion délicate , doux, poli, aimant les fciences 6c les arts, montroit prefque toutes les qualités qui font le bon Prince, peu de celles qui font le grand homme. Né pour la vie tranquille, il n'avoit ni la vivacité d'elprit, ni la force de fanté néceflaire k un chef de parti; 6c jamais il ne feroit entré dans la faction, fi la Ducheffe de Longueville fa fceur ne 1'y eut entraïné. On prétend que cette PrincefTe n'étoit pas non plus d'elle-même portée au mouvement & k 1'intrigue ; qu'elle ne s'y livroit que par complaifance pour ceux qui avoient acquis quelque empire fur fon cceur. Naturellement nonchalante, elle adoptoit, dit-on, leurs  du Cabinet. 243 gouts, plutöt qu'elle ne leur infpiroit les fiens. Mais la langueur, qui faifoit un de fes principaux charmes, n'eft pas toujours incompatible avec la vivacité; ck il eft difficile de fe perfuader que des hommes, qui ne cherchoient qu'a lui plaire , èuffent hafardé de demander k leur PrincefTe des aftions répugnantes k fon caractere. Elle étoit alors fort irritée contre le Prince de Condé, qui avoit eu autrefois pour elle une tendreffe, qu'on difoit paffer les bornes de 1'amitié fraternelle (uede le Chancelier ; en Hollande , le Pnnc d'Ó range ; a Francfort, NL Serven ; ei France; Mazarin : & , chofe étonnatus ! aucun ne fe vengea de fes bons mots. Voy Menagiana , t, II, p. L ïv . O V I s XIV. 1649- 1)E. I  1 o v XIV. 1649. La Fr o Embarras du Parlement.Journal du J° arlcmmt, p. UI. i I ( ; i 1 a 5 H$ V I N T R 1 g ij e ~>ltT»e {ecret>£urent pk Germa etr' df fl rendre a rentTl"- r ? P^ S^happerent è Ia fwte des Princes> Quoique W eiÜK°re T ^ m°nde dans Ies ««ilons, le bruit des geus a cheval, envoyés dans tous les quartiers , pour ave£ir ceux qu'on vouloit emmener, apprit Dortes JS 3TmeSI S'emPar^nt des portes y nurent des corps-de-garde- poflible de fortirfans paffe-ports: Le Parlement s'affembla, mal°ré la tous les jours fuivants, foir & matin. L^pT* tr°l'ble & confllfi™ dans les premières délibérations. On envoya chercher une lettre, que la Régente avoit fait porter a 1'Hötel- le-Ville, pour le Prévöt desMarchands k les Ecbevins. Elle y difoit au nom tu Roi qu il etoit forti de Paris, pour rejas demeurer eXpofé aux pernicieux fans daucuns Officiers de fa Cour de "rlepent, Ufauds ayant intdli.ence vee les ennemis déclarés de l'Etat, après voir attenté contre fon autorité er,1 di-  » u Cabinet. 149 verfes rencontres, & abufé longuement " de fa bonté, fe font portés jufqüa confpirer de fe faifir de fa perfonne. Elle ^ leur ordonnoit enfuite de veiller a la füreté Sc a la tranquillité de la ville. Cette lettre, & deux autres du Duc d'Orléans & du Prince de Condé, qui affuroient qu'ils avoient confeillé euxmeines a la Reine d'emmener le Roi hors de Paris, occafionnerent un^Arrêt affez bizarre , par lequel il étoit enjoint au Lieutenant-Civil, de tenlr la maïn d ce quil fut apportê des vivres en füreté d Paris; & au Prévót des Marchands & autres Officiers de Ville , d"aller d la conduite cticeux, & de faire retirer les gens de guerre , qui étoient dans les villes & villages d vingt lieues de Paris : comme fi de pareilles chofes pouvoient s'exécuter fur le vu d'un fimple Arrêt du Parlement, Le lendemain , nouvel embarras.. La Régente ordonna aux Gens du Roi de fe retirer a Montargis. Elle vouloit auffi y transférer le Parlement. Les lettres qui contenoient eet ordre, furent préfentées cachetées a 1'affemblée des Chambres : après bien des difcuflions, on conclut de ne pas les ouvrir, mais L y iOUIS xiv. 1649. i. Fronde.. Lrrêtconre le Carlinal Ma:arin.Journal du Parlement, f. 113. Talon , (. S, p. 12»  l o u i XIV. 1649. La Froi os. (a) L'Arrêt pajfa tout d'une voix, hormis Monfieur de Bernay , qui alloit a renvoyer i la Reine. Voy. Journ. du Parlement , p. 113. Gm Patin dit que ce Confeiller jouiffoit de trente mille livres de rentes en bénéfices qu'il devoit au Cardinal Mazarin. Mais du moins étoit-il reconnoiflant. m 2.5:0 L'Intriguf. ; de faire a Ia Régente des remonrrances & prieres de nommer les perfon. nes qui avoient calomnié le ParTe" ment, afin de procéder contre elles felon la rigueur des loix. Quelquesuns , dés ce jour 7 Janvier, opinerent a demander 1'expulfion du Minifire. Cette opinion fut peu accueillie, paree qu'on vouloit attendre 1'effet des remontrances : mais quand on vit que la Reine avoit même refufé de voir les Gens du Roi, toutes les Chambres affemblées, le matin du 8 Janvier , porterent unanimement contre le Cardinal Mazarin (a), le fameux Arrêt qui prononce: Qu'attendu que le Cardinal Mazarin eft noioirement auteur des de'/ordres de l'Etat, la Cour le déclare perturbateur du repos public, ennemi du Roi & de fon Etat, lui enjoint de fe retirer de la Cour  r> u Cabinet. 151 _ dans le jour, & du Royaume dans hm- ~ taine; & ledit terme expirê, enjoml a tous ksfujcts du Roi de lui courrefus, Cf défend d toutes perfonnes de le rectvoir. ' Cet Arrêt perca , pour ainfi dire , la digue qui arrêtoit le débordementcc de la haine générale contre Mazann. R On paria, on dit des bons mots, on écrivit en vers & en profe, on fit des chanfons; les efprits s'échaufferent, Se pafferent de 1'abattement k 1'audace. Le Parlement tint la grande police , & y fit des réglements pour la fubfiftance Sc la défenfe de la vil e. II ordonna au Prévöt des Marchands, aux Echevins Sc au Duc de Mont-Bazon, Gouverneur, de lever des troupes. Au contraire , la Régente , par de nouvelles lettres , leur commancia de fignifier au Parlement de fe rendre k Montargis , & de le contraindre d'obéir. Loin de pouvoir donner cette fatisfadion a la Reine, le Préfident Le Feron, Prévöt des Marchands, penia être maffacré par le peuple, fur le fon ple foupcon de n'être pas fincéremen ttaché au Parlement (a), A cette Com (d) Plufieurs perfonnes de la Cour, q\u L vj 0 u i s xiv. 1649- 1 Froi.' de. Haine inrrelui, eu »«■» 1 171.  I O UlS XIV. 1649. Ï.A FRONDE. étoient reftees a Paris , furent maltraitées par la populace. Madame de Motteville Hémt tres-naivement les frayeurs que lui firem des troupes d'hommes & de femmes , qui la pourfu.v.rent ,ufques dansl'Eglife dé St. Roch, ou des filoux, profitant du vacarme lu. demanderent la bourfe en plein jour. Voy. Mcm.de Mottev. torn? II, p. £ E, Cr) A AT °l * Pfemier P^f.dent d; ^ Cour des A.des , ayant dit a la Reine que le Parlement étoit difpofé a donner « marqués les^plus foumifes de fon obéiiTance tant qu on ne 1'exigeroit que dans /„ formes preferites par les Ordonnances, le Clnnceher reieva ces mots d'un air mécoment. Le Préfident Amelot reprit devant toute £ Cour : Out Monfieur, fuivant les formes pril Crtm- par les Ordonnances. VousaZ ^É vieilh dansje Parlement, pour ne pa} 7J%r ComPa^ies gaines n'ontpoi,,, Jobeifance aveugle. Ceux qui les comJofenc f font obltgés par ferment, efexéaJr celles qui font venfiées par liberté de fufrage 5- non d autonté ubfblue. Mais paJqïeJou's ceffe de les pratiquer depuis que yous ÏUs *p l.' Intrigue pagnie fe joignirent la Chambre des Comptes & la Cour des Aides, qui eurent auffi ordre de quitter Paris Elles bornerent leur obéiffance k des remontrances très-fortes en faveur du Parlement (». Le feul Grand-Confeil  du Cabinet. 253 voulut fe rendre a Mantes, oü il étoit transféré; mais il ne put obtenir de paffe-port. Ses efforts pour obéir furent plus finceres que ceux du Coadjuteur. II avoit été mandé a SaintGermain, &C il fortit de 1'Archevêché, comme pour s'y rendre; mais il avoit apofté des gens, qui arrêterent fes chevaux &c briferent fon carroffe. La populace 1'entoura, le ferra, Ie reporta dans fon palais; il crioit 6c conjuroit, les larmes aux yeux, qu'on lui laiffat exécuter les ordres du Roi. Enfin, il parut céder a la force, 6c écrivit une lettre d'excufe : mais Ia Cour n'y fut pas trompée. Pendant qu'il triomphoit de voir 1'incendie fe répandre, il n'étoit pas fans inquiétude fur les fuites. A la vérité , le Clergé , la Robe , la Bourgeoifie, jufqu'aux Artifans & au plus bas peuple , tous paroiffoient brüler du même zele pour la caufe commune. Mais il étoit a craindre qu'au pre- forti du Parlement., vous les ave^ ouhliées , & il vous en faut rejpsuvenir, Voy. Journ. da Parlement ^ p. 117» Louis XIV. 1649. La Fronde. Inquiénf» des du Coadjuteur. Ras , t, I j p. 197.  L o u i XIV. 1649. Ï.a Fkoï be. ] ( < ^ 2,5-4 L' I N T R I G V E ^mier embarras, au moindre revers^ ce feu ne fe rallentït, faute d'un chef ^accredite, qui Palimentót & 1'entretmt : événement d'autant plus pofïiWe, que le concert, entre tant de perfonnes , n'étoit pas fi parfait qu'il paroiffoit. On favoit que le Prévöt des Marchands , plufieurs Officiers dn Corps de Ville, les plus riches Bourgeois penchoient pour la Cour. Les Cures de Paris, qui ont ordinairement un ti grand afcendant fur 1'efprit de leur peuple n'étoient pas bien perfuadés de Ia reaitude des intentions du Coadjuteur, ni livrés exclufivement a fes volontes. Enfin, bien desgens croyoient que Je Premier-Préfident ne reftoit k la tete de fon Corps, & ne réfiftoit en apparence k la Cour, que pour la mieux fervir. A la vérité , il difoit iune mamere trés-ferme les chofes Jont il etoit chargé par fa Compagnie: mais on s'appercevoit qu'il ne manquoit aucune occafion de gagner dn temps ,t & de faire valoir les opinions noderees. Gondi fe dénoit donc du oefent, & craignoit pour 1'avenir , autant plus que trois jours s'étoient leja ecoulés, depuis la fortie de la  du Cabinet. 155' . 1 Cour , fans que , de tous ceux qiu' avoient promis de feconder le Parlement , aucun eut encore paru. Enfin , le 9 Janvier, arriva le Duc d'Elbceuf, de la Maifon de Lorraine, avec fes enfants. II n'a pas trouve d diner d Saint-Germain, difoit le Duc de Briflac , & il vient voir s'il trouvera d fouper d Paris : c'étoit afiez défigner le motif qui 1'amenoit; c'eil-a-dire, Fenvie de faire fortune. Sa préfence, loin de tranquillifer le Coadjuteur, ne fit que le troubler. D'abord , il craignoit tout de la part d'un homme avec lequel il avoit eu des querelles mal affoupies, & qui, aifé a gagner a caufe de fa pauvreté, pouvoit être un émiffaire de la Cour. En fecond Heit, il attendoit d'heure a autre le Prince de Conti, dont le nom & la qualité de Prince du Sang étoient bien plus propres a figurer a la tête d'un parti. Or ignoroit cette reflburce du Coadjuteur ; auffi quand le Duc d'Elbceuf fi préfenta, les Parifiens, dans la difette oü ils fe trouvoient de gens de diftinöion, le recurent comme leur fau veur , & le défignerent leur Général La müt même du 9 au 10 , arriva U Louis XIV. 1649. La Fronde. Arrivée lu Prince de Conti a Paris. Rets, 1.1, p. 198. Journal du Parlement, p. 1-2.  lovi XIV. 1649. Ia Froj DE. J * 4 < C t „2-56 L'Intrigue ; Prince de Conti, qui, foupconné par Ja Cour, etoit gardé a Vue a SaintC,ermain» & n'avoit échappé qu'avec peine k la vigilance du Prince de Condé fon frere. II vint accompagné du Duc de Longueville, du Duc de Bouillon, du Maréchal de ia Mothe, & de beaucoup d autres gens de qualité. Cette troupe donna 1'allarme k la Bourgecufie , qui gardoit la porte; elle refufa de 1'ouvrir. II fallut aller chercher le Coadjuteur. Gondi courut k la porte avec une nombreufe efcorte & des flambeaux, qui donnerent k J1 entree du Prince un air de triomphe. Mais des ie matin de ce même jour Ia gloire du triomphateur recut un' echec. Elbceuf fut nommé par le Parment Général des troupes qu'on alloit lever, & il obtint eet avantage en mfinuant que Conti étoit d'intelligpnce ïvec la Cour. Le même foupcon de ïrahifon fut rétorqué Ie lendemai-T avec uccès contre le Duc d'Elbceuf par le -oadjureur. Ces deux rivaux fe chojuerent Ie n , dans 1'affemblée des .hambres. Le Premier-Préfident & [uelques Magïnrats, efpérant que cet- querelle pourroit éloigner la guerre  du Cabinet. 157 civile, fomentoient la défunion. Mais lorfque les prétendants étoient les plus animés, des amis communs les accommoderent. II fut convenu que le Prince ! de Conti feroit Généraliffime, a condition qu'il ne fortiroit pas de Paris , & qu'il viendroit prendre fa place en toute occafion au Parlement; que le Duc de Longueville Faideroit de fes confeils; que les Ducs d'Elbceuf, de Bouillon, & le Maréchal delaMothe feroient tous trois fes Lieutenants-Généraux, chacun leur jour; que M. d'Elbceuf commenceroit; qu'il auroit la première place au Confeil de guerre, & que fes enfants auroient les premiers emplois. Après le Prince, il arriva a Ia file beaucoup de' Seigneurs, qu'on chargea des levées, des fortifications, de 1'exercice des foldats, & auxquels on donna différents départements dans les Confeils qu'on créa. Cette troupe de mécontents fut renforcée par le Duc de Beaufort, qui s'étoit, depuis quelque temps, fauvé de Vincennes. II devint bientöt 1'idole de la populace, &c on 1'appella le Roi des Halles. Enfin, il y eut peu de families confidérables qui ne fourniflent des ,OÜ 1 s xiv. 1649. Dfc.  L o v 1 • XIV. 1649. LaFron de, Etat de Paris. Rets, Montglat, La R'ochefoucault , Nemours , pafiïm. I < ] 1 f / C c 258 L'Intrigue ' défenfeurs k Paris, pendant que leurs plus proches parents 1'attaquoient. Comme les intéréts qui divifoient ia Cour & k ville n'étoient pas de Ia première importance , qu'il y avoit dans les chefs plus de piqué que de ventable haine, dans le peuple plus de prevention que d'animofité; il arriva que les troubles n'enfanterent que rarement les atrocités qui accompagne ordinairement les guerres civiles. Au contraire, excepté quelques moments lugubres, après de petits combats, dans lefquels périrent des gens dignes de regrets, on ne vit régner e refïe du temps que de la gaieté; es revues devenoient des fpectacles, les expéditions militaires des efpeces de fêtes publiques. Les femmes animoient, par leur préfence, les Bourgeois devenus foldats ; 1'artifan regarloit comme un jour de plaifir celui >u il devoit paroitre fous les armes. -n avenant d'un combatmalheureux, es fuyards fe confoloient de leur déaite par des bons mots, ou des chanons fur leurs Généraux. On n'entenoit m plaintes, ni murmures, paree u'il y avoit abondance de toute ef-  du Cabinet! 259 pece de denrées; & cette abondance venoit de celle de 1'argent, qui attire tout a. lui, malgré les plus forts obftacles. A Saint-Germain-en-Laye, les chofes étoient bien différentes. La Cour avoit pris la fuite fi précipitamment, qu'elle fe trouvoit au milieu de 1'hyver, fans meubles, fans habits, fans provifions, expofée dans les appartements délabrés, k toutes les injures de Pair, privée des chofes les plus néceffaires, & réduitea éprcuver lesbefoins les plus preffants; de forte que ceux qui n'étoient pas foutenus, comme la Reine & fon Miniftre, par le dépit & 1'efpoir de la vengeance, défiroient la paix, avant même que la guerre fut commencée. Condé 1'entreprit avec fix ou fept mille hommes, dont il placa les principaux corps dans Lagny, Corbeil, Saint-Cloud, SaintDenis, d'oii on faifoit des détachements pour battre I'eflrade fur les routes voifines, & pour intercepter la communication de la Capitale avec les Provinces. Les foldats &: les Officiers royaux, obligés k des faétions pénibles fur les grandes routes &c fur Louis XIV. 1649. LaFrch> de. Etat de la Cour. MottcvilU, t. i,p« 4S1. La Rochef. p. 66j  Louis XIV. 1649. La Fronde. Prife de la Eaflïlle. Journ. du Pari, p, j14. i I I t l c 1 F 260 L'Intrigue les bords des rivieres, la nuit, fans feu , fans maifons, fans abris, envioient le fort des Parlementaires, qm, étant plus nombreux, étoient moins chargés de gardes & les faifoient a leur aife, bien couverts,bien payés & bien nourris. Cette différence découragea les foldats de Condé; & le peu d'intérêt qu'ils prenoienta cette guerre, qu'ils ne faifoient qu'a contre-coeur, les rendoit faciles k laiffer paffer les vivres, dont ils tiroient leur part & de 1'argent. La Régente avoit fi mal pris fes mefures, qu'en quittant Paris elle ne fongea pas feulement a s'affurer de la Baflille, qui auroit pu tenir Ia ville en bride : elle la laiffa fans pain, fans munitions, avec vingt-deux follats, fous le commandement du Sieur lil Tremblay , frere du fameux Pere 'ofeph; garnifon plus propre a garler des prifonniers, qu'a défendre une )lace. Elle fut fommée le 11 , & on ira deux coups de canon, qui firmt recfie, dit le Journal du Parlement; 'efl-a-dire, apparemment, que les bou?ts emporterent quelques éclats de ierres. Le Gouverneur promit de fe  du Cabinet. i6ï rendre, s'il n'étoit pas fecouru dan: vingt-quatre heures, & il fortit er effet le 13 a midi : ainfi il abrége; les plaifirs des Dames de Paris, qui pendant le fiege, eurent le courage de fe promener dans le jardin de 1'arfenal. Plufieurs d'entre elles poufferentl'intrépidité jufqu'a vifiter la bat terie; mais il fallut borner la leur curiofité, & fe paffer du fpeftacle agréable d'un affaut, dont quelques jeunes Officiers Parifiens les avoient peut-être flattées.Le Parlement fit entendre qu'i] fouhaitoit qu'un de fes Membre fül pourvu du gouvernement; & les Généraux , par complaifance , y nommerent le bon-homme Brouffel, qui eut liberté de fe faire fuppléer par La Louviere , fon fils. Pendant que les Frondeurs mett'oient fin a cette périlleufe entreprife, un de leur parti, fort de 500 chevaux, pouffoit fiérement quelques efcarmoucheurs, qui venoient faire le coup de piflolet jufque dans les fauxbourgs. Les troupes Parifiennes étoient compofées d'artifans & gens de boutique, qui, au premier coup de tambour, fortoient mal armés des mai- Louis XIV. 1649. La Fron' ds. Exploits Hes Parifiens.Rcts ,t.ii La Roche* fouc.p. 71. Journal du Parlement, p. 12S. Talon , t, 6 j p. i8«  L ou i XIV. 1649. LaFro DE. ^ ï6l L'ÏNTÏtlGUË ~ fons, les uns k pied , les autres k dieva! , & fuivoient le drapeau , ou le quittoient a volonté. A leur tête ce' pendant marchoient des foldats mieux difciplinés, mais en petit nombre, que les Généraux avoient fait venir des garnifons dépendantes d'eux. C'étoit k 1'Hótel-de-Ville que les jeunes Officiers alloient prendre les marqués de leurs dignités , des mains des Ducheffes de Longueville & de Bouillon, & c étoit aux pieds de ces Héroïnes qu'ils venoient dépofer les trophées de leurs viéfoires. Le mélange d'ècharpestieues, de Dames, de cirirajffes, de violons dans les falies , le bruit des tambours, 6* le fon des trompettes dans la place, donnoient, dit Gondi, un fpectacle qui fe voit plus dans les Romans qu ailleurs. Le Coadjuteur connoiffoit mieux qu'un autre le pouvoir de ces aftionsd'éclat; il s'en étoit déja fervi utilement, pour concilier la faveur du peuple au Prince de Conti, contre le Duc d'Elbceuf, dans le temps que celui-ci jettoit fur le Prince des foupcons de connivence avec la Cour. Alors Gondi alla prendre la Ducheffe de Longueville, qu'il fit accompagner  du Cabinet. i6. par la Ducheffe de Bouillon; il mem ces deux Dames en grande pompe z 1'Hötel-de-Ville, les y dépofa comme des gages de la fidélité, 1'une de fön frere , 1'autre de fon mari. Elles parurent, dit-il, fur le péron de l'Hótelde-VilU , plus belles, en ce mielies paroijfoient nêgligées, quoiqtielles ne le fujfent pas. Elles tenoient chacune un de leurs enfants entre Leurs bras, qui étoient beaux comme les meres. La Greve étoit pleine de peuple jufqiC au-dejjus des totts ; tous les hommes jettoient des cris de joie; toutes les femmes pleuroient de tendrejfe. Le Coadjuteur, fi fertile en comparaifons, auroit pu ajouter dans fon flyle familier, qu'il faifoit dans cette occafion le röle de ces charlatans qui amufent le peuple pour attraper fon argent. C'étoit en effet le but de ces fcenes populaires. Elles jetterent un grand enthoufiafme dans les efprits, & il en réfulta une offre volontaire de prés de deux millions, dont le Parlement feul paya au moins cinq cents mille livres. Les autres Cours fouveraines fe taxerent felon leurs moyens (aj. Onfaifit les recettes royales; on (. 266. j 2.Ó4 L'Intrigue arrêta chez les Banquiers les deniers qu'on crut appartenir au Cardinal Mazarin. On nomma des CommilTaires, qui alloient chez les particuliers foupconnés de Ma{arinifine, difcuter leur fortune, & les impofer a proportion. Avec ces fecours, on leva des troupes plus régulieres (a); les cavaliers fe monterent, partie avec les chevaux qu'on trouva dans les auberges, partie avec ceux que chacun détacha de fes équipages. Le Coadjuteur, qui étoit Archevêque titulaire de Corinthe, forma a fes dépens un régiment de cavalerie , dont le début ne fut pas heureux; il effuya un échec conïidérable, la première fois qu'il fortit; & cette déroute fut appellée, la première aux Corimhiens. C'eft avec ces forces & ces reffources, que la Capitale féduite fe difpo- foit auxquelles la Faculté de Médecine contribua Je trois mille, a condition qu'on ne lui en lemanderoit pas davantage tant que la guerre lureroit. (a) Les Fantaffins avoient dix fols par our, ik les Cavaliers quarante.  du Cabinet. 265 foit a foutenir tout le poids de la puiffance royale. Peu de fes habitants auroient pu dire clairement pourquoi on fe battoit. Les Harangueurs euxmêmes étoient fouvent embarraffés k donner un air fpécieux aux motifs de la querelle (a). La Régente fe réduifoit a un point: Chajfti, difoit-elle au Prévöt des Marchands & aux Echevins, ckaffei le Parlement; & en mêmetemps quil fortira par une porie, je rentrerai par Üautre. En effet, fi le Parlement avoit été forcé de fuir ou de fe raccommoder avec la Cour, le Coadjuteur, les Généraux & leurs adhérents fe feroient trouvés contraints de s'abandonner a la Régente, qui leur auroit fait d'autant moins de grace, que la plupart s'étoient brouillés 011 fans motifs , ou pour des raifons trèsfoibles. On connoit celles du Duc de la Rochefoucault, par les vers écrits ( u Cabinet. 271 beaucoup ctapparence, y dit-pn, que le Prince de Condé n avoit fait cette attaque , que pour attirer les Parifiens a une bataille, & promettant de les défaire ,fans la prévoyance des Généraux. II n'y a pas, en effet, de meilleur moyen de prévenir une défaite, que de ie retirer. Le lendemain de ce trait de prudence, Le Prince de Conti en apprit aux Chambres affemblées les motifs obligeants , en ces termes : Ayant tmu Confeil de guerre pour fa■voir f nous donnerions bataille ou non, il a été réfolu , tout d'une voix , de ne le pas faire, & de ne pas haf ar der la vie du grand nombre d'infanterie des bourgeois de Paris, qui étoient fords fous les armes , dont nous ne pouvons aft\ louer le cceur & le courage; de crainte, s'il arrivoit pene de quelques-uns d'entre eux, ce qui auroit été inévitable, de faire critr leurs femmes & leurs tnfants (ouvoit être fenfé puiffantdansRouen; [ue cependant il n'y étoit pas le maire; qu'il ne s'y foutenoit que par adref?, & qtie perfonne ne remuoit dans  r> u Cabinet. 175 le relïe de la Normandie. II en étoit de même en Provence : le Parlement d'Aix s'étoit uni a celui de Paris, en haine de Louis d'Angoulêrne, Comte 1 d'Alais , Commandant de la Province. La populace voulant le chaffer de la ville, ainfi que le Duc de Richelieu qui étoit venu k fon fecours, leur fit courir k tous les deux rifque de la vie : mais la bourgeoifie les fauva des mains de ces furieux. Pareille chofe arriva k Rheims oii le Marquis de La Vieuville , Lieutenant de Roi, courut le plus grand dang'er de la part du peuple, & fut de même gnranti par les premiers de la ville. II y eut auffi des émeutes k Caen, a Rennes, k Bordeaux, &c des courfes dans le Plat-Pays , fous les ordres des Gentilshommes , amis ou alliés des Généraux de Paris. Les relations de ces différents exploits, qu'on répandoit dans Paris, étoient tellement circonffanciées & amplihees, qu'elles faifoient croire aux Parifiens , que la Normandie, la Champagne, la Provence, la Guienne , en un mot, les trois quarts duRoyaume combattoient pour eux. Enfin, ceux qui étoient capa» M vj jOUIS XIV. 1649. A Fron de.  Louis XIV. 1Ó49. La Fronde. Difpofiions a la >aix, | I ' f» M. de Mbtteville, allant voir la Reine «FArtgleterrela trouva auprès du lit de 276 L'Intrigue bles de fecret, on les flatta de Fefpérance que le Vicomte de Turenne, frere du Duc de Bouillon, qui commandoit une armee contre les Efpagnols, alloit 1'amener au fecours de Paris; agréable illufion, qui ne fe réalifa pas. Cependant, quoique les feux allumés de tous cötés par les Frondeurs , fe diffipaflent en fumée , il étoit k craindre qu'ils ne trouvaffent a la fin des aliments plus folides , & que 1'incendie ne devint plus difficile i éteindre. C'étoit de même par des mécontentements, des murmures, des plaintes, qu'avoit commencé 1'embrafement affreux qui confumoit 1'Angleterre. Charles I venoit de périr fur 1'échafaud, vicfime d'un parti fanatique , qui fubjugua Ia nation , & qui commit le plus étonnant des crimes. 5a veuve , refugiée en France , vivoir i Paris dans le palais de fes peres^ k, par un fatal concours de circonfances , y étoit expofée aux plus ;rands befoins (a). La vue de cette  du Cabinet. 277 Reine défolée rappella aux plus raifonnables des Parifiens féduits , 1'enchainement des moyens par lefquels un peuple eft quelquefois excité a des atrocités , qu'il détefieroit enfuite inutilement. II ne fe pouvoit auffi que la Régente fongeat a cette effrayante catafirophe, & aux gradations qui 1'avoient amenée , fans s'allarmer fur les effets a craindre des troubles acfuels. Ces réflexions, jointes aux infinuations des perfonnes bien intentionnées, difpoferent les deux partis a la paix , fans qu'ils s'en appercuffent, Le Miniftere fit les premières démarches, mais de maniere qu'on ne put en inférer qu'il recherchoit 1'accommodement. II envoya un Héraut, qui parut le matin du 12 Février, a Ia porte St. Honoré, revêtu de fa cotte d'armes. II fit battre la chamade, & demanda a être introduit, pour remet- fa fille , par un temps très-froid. Cette Princefle lui dit : Vous voye^ la pauvre Hennette , elle na pas pu fe lever, faute de bei; pour fe chaujfer. Le Parlement lui en■voya vingt mille livres. Voy, Mém, de Mot' teville, /. 11, p, 542. Louis xiv. 1649. La Fron- ds. Héraut de la Cour renvoyé. Rets, t.i, p. 233. Journal du ParUmene, p. 184.  looi xiv. 1649. La Fron de. I { I t 278 L'Intrigue : tre des paguets de la Régente au Prince de Conti, au Parlement, aux Prévöt _ des Marchands & Echevins. Le Coadjuteur n'étoit prévenu, ni fur ces lettres , ni fur leur contenu. S'il avoit cru qu'elles renfermaffent des ordres ou des menaces capables de révolter les efpnts, il n'auroit pas héfité d'oPiner a recevoir le Héraut. Mais 'fi ces lettres contenoient des chofes obligeantes, il craignit que le Parlement ne fe laifllt toucher, ne vorêt pour la paix ,^ & n'abandonnat fes défenfeurs. C'étoit donc unfacheux contre-temps' que 1'arrivée inopinée de ce Héraut', & Gondi fut long-temps k chercher quelque biais pour le renvoyer, fans paroïtre manquer de refpecl au Roi. A force de rêver, fi en trouva un qu'il fit propofer par Brouffel. Ce Confeiller reprefenta que 1'envoi du Héraut etoit un piege que Mazarin tendoit k la Compagnie ; paree que ces fortes de ormahtés ne s'obfervent qua 1'éoard 1'ennemis. Si le Parlement le recoit :elera, difoit-il, fe déclarer ennemi luRoi; il n'y a donc d'autre parti a irendre que de le renvoyer. Mais il autle faire fuivre par une députations  du Cabinet. 179 chargée d'aller prendre les ordres de la Régente, &c de 1'affurer de la fTdéliré de la Compagnie. Cet avis paffa avec acclamation. Gondi crut remporter une viétoire, en empêchant que le Héraut fut recu ; mais tout 1'avantage fut pour la Cour, qui gagna un ade de foumifïion de la part du Parlement, & eut 1'efpérance d'entamer une négociation j le feul but qu'elle fe propofoit. II fallut quelques jours pour convenir de la forme des paffe-ports, & fixer les objets des remontrances. Pendant cet intervalle, le Coadjuteur imagina de partager 1'attention qu'avoit excitée la venue du Héraut, par une apparition auffi inattendue. II favoit que toute la France fouhaitoit la paix avec 1'Efpagne, que le Parlement feroit certainement flatté d'en être 1'inftrument. D'ailleurs, les Frondeurs de la Compagnie , dans laquelle le defir d'un accommodement commencoit a dominer, avoient befoin d'être foutenus par 1'efpérance de quelque puiffant fecours. Certain que, quand la paflion s'efl une fois emparée d'un corps, il n'y a pas de rufe ? fi groffiere Louis XIV. 1649. LaFronde. Envoyé de 1'Archiducadmis. Journal du Parlement, V. 200. Rets, 1.1, ?. 237 & 249. Joly , f. I, 49-  L o u i XIV. 1649. Ia Fron < 3 i 1 t i 180 L'Intrigue i qu'elle foit, qu'on ne puiffe hafardér pourle tromper, Gondi en employa une f qm auroit a peine réuffi auprès d'un homme médiocrement éclairé. Le Prélat avoit a Bruxelles, pour agents, la Ducheffe de Chevreufe, Noumoutiers & Laigues. II entretenoit, par eux, une négociation fourde, affez échauffée du cöté des Efpagnols, qui ne demandoient pas mieux que de fe meier des affaires de la France i mais le Coadjuteur alloit bride en main, & n'ofoit pas s'engager trop ouvertement avec eux, dans la crainu, difoit-il lui-même, cfétre réduit d devenir £Archevêque de Paris, Aumónier de l'Archiduc. Cependant les chofes commencoient a tourner de maniere, qu'il falloit, ou céder la viéfoire a Ia Cour, & recevoir les conditions qu'elle vouJroit impofer, ou appeller des fecours drangers. Pour enhardir la partie fronleufe du Parlement, & Faider a fubju;uer 1'autre , il fut propofé, dans Ie -onfeil fecret de la cabale, de renou'eller la fcene de Buffi Le Clerc, qui raana pendant Ia Ligue, Ie Parlement la Baltille; 6c il faut avouer que cette  du Cabinet. 281 violence auroitpu réuffirpar le moyen de la populace, qui étoit toute dévouée k la Fronde. Mais Gondi Sc Bouillon, qui dirigeoient les mouvements du parti, aimerent mieux fe couvrir du manteau du Parlement, que de le détruire. Ils écrivirent donc a 1'Archiduc, qu'on étoit difpofé k accepter fon fecours. Aufïï-töt Ie Comte de Fuenfaldagne, fon Minifire , dépêche un homme chargé d'examiner le fonds des affaires , Sc propre k tous les röles qu'on voudroit lui faire jouer. C'étoit un Moine Bernardin, nommé Arnolfini. Gondi lui fait quitter robe Sc capuchon , le revêt d'un habit de cavalier, Sc lui donne le nom pompeux de Dom Jofeph de Illefcas. On lui fabrique des inffructions, des harangues, des lettres pleines de projets & de promeffes, appropriées a 1'état des chofes Sc au caradtere des perfonnes. Muni de ces pieces, & d'une lettre de créance courte Sc vague , après trois jours de lecons données en fecret par Gondi Sc Bouillon , le Moine Arnolfini, devenu Dom Jofeph de Illefcas, arrivé avec grand fracas, au milieu de la nuk, chez le Louis XIV. 1649. La Fronde.  Loei XIV. 11649. La Fr o ^ 282 L'Intrig.ue - Duc d'Elbceuf, qu'on vouloit tromper e premier, afin qu'il aidêt a tromper les autres. s"" Elbceuf, flatté de la confiance des Mpagnols fes anciens amis, chez lefquels il avoit demeuré 12 ans, fous le dernier regne, recoit 1'Envoyé avec effi.fion de joie. U quefiionne Dom Jofeph, prend communication de fes ordres, y joint fes avis; & après avoir long-temps rêvé & raifonné fur la maniere d'entamer la négociation propoiee, d invite a diner le Prince de Conti, les Généraux & les Frondeurs du Parlement les plus zélés, fans oublier Ie Duc de Bouillon & le Coadjuteur. Fendantlerepas,Ia converfation roula natiu-ellement fur 1'état des affaires. CKielques-uns firent obferver le danger de la pofition critique ou on alloit le trouver fans défenfe contre la Cour & cette remarque fournitau Duc d'Elbceuf 1'occafion d'infinuer, qu'il avoit lous la main Ie moyen de les mettre t°USr?fÜreté- Cette infinuation, Elbceuf Ia fit avec des circonlocutions , un air de myfiere, qui réjouirent fort Gondi & Bouillon, & qui fofplroient beaucoup de curiofité aux autres; a la  du Cabinet. 283 fin, il nomma PArchiduc, & préfenta Ia lettre de créance de fon Envoyé. Cette vue effaroncha la plupart des Parlementaires, fur-tout le Préfident de Nemond, quoique déterminé Frondeur; le PréfidentLe Coigneux n'en fut pas fi effrayé; les autres, a la fin, s'apprivoiferent, &, le premier moment de furprife paflé, on fe mit a examiner les avantages que le parti pouvoit tirer de 1'intervention des Efpagnols, On fit paroitre le Député. On convint des faits , & le Prince de Conti fut chargé de ie préfenter le lendemain aux Chambres afiemblées. C'étoit le 19 Février, jour auquel les Gens du Roi devoient rendre compte de leur voyage è la Cour, entrepris pour faire goüter les raifons fur lefquelles le Parlement s'étoit déterminé a ne pas recevoir le Héraut. La Régente , les Princes , les Minifires , leur avoient fait Faccueil le plus favorable. A peine en finifibient-ils le récit, qu'afin de croifer les idéés pacifiques qu'il pouvoit produire, le Prince de Conti annonce qu'il y avoit a la porte un Envoyé de PArchiduc , & demande qu'il foit entendu. Le Préfident De Louis XIV. 1649. La Froh» ce.  looi XIV. 1649. LaFkqk de. B L'Intrigue * Mefme fe leve tout ému, & dit au Prince : Eft-Upojjible, Monfieur, qu'un Prin_ ce du Sang de France propofie de donner ' fieance ,fur les Fleurs de Lys, au plus cruel ennemi des Fleurs de Lys! L'apoftrophe etoit violente, & elle auroit peut-être réuffi, fi Ie Préfident, emporté par fon zele, n'eüt ajouté : Quoi! Monfieur, vous refiufii Centree au Héraut de votre Roi ,fous leprétexte le plus frivole ,&.,. C'étoit-Ja oii le Coadjuteur 1'attendoit; il lui coupe la parole, & lui dit graveinent: Vous mepermettre{, Monfieur, de nepas^ trailer de firivoles, des motifs qui ont été confiacrés par un arrêt. A ces mots, la cohue du Parlement, ainfi Gondi appelle-t-il les Chambres des Requêtes , la cohue jette un cri d'approbation. Le Premier-Préfident & les anciens veulent foutenir le Préfident De Mefme. La querelle s'anime, on en vient aux reproches perfonnels : Pun affirme ; 1'autre nie; le temps s'écoule : il faut conclure ; & la crainte de pire force enfin les plus fages de céder. Jamais fuccès ne vérifia mieux cette maxime du Coadjuteur: Que le moyen le "lus fiur & le plus propre pour faire "afer une affaire extraordinaire dans les  du Cabinet. 285 Compagnies, c\Jl a"échauffer la j'tuneff] conire les vieux. Le faux Dom Jofeph entra donc, prit place au bout du bureau , & prononca un difcours, donl la fubffance fe réduifoit a ceci: » Que »» Mazarin avoit offert a 1'Efpagne une » paix très-avantageufe; mais que le » Roi fon maitre, fachant ce qui fe » paffoit en France, n'avoit pas voulu » traiter avec un homme détefté de la » nation; qu'il croyoit plus convena» ble a fa dignité, de s'adreffer au Par» lement, le regardant comme le con» feil & le tuteur de fes Rois, & qu'il » avoit fi grande confiance dans la fa» gefie de cette illuftre Compagnie, » qu'il la laiflbit maitreffe des condi» tions ". Le faux de cet expofé fautoit aux yeux. Car, comment fe perfuader que le Roi d'Efpagne, dans la détrefle oii il fe trouvoit, auroit rejetté des offres avantageufes faites pai un Minifire qui pouvoit les réalifer fur le champ, pour recourir a un corps hors d'état de rien céder ni garantir ? Mais il y a des moments ou tout paffe, L'Envoyé fut remercié, & on décida qu'il feroit faitregifire de fon difcours, pour en être référé a la Régente. C'eft Louis XIV. 1649. La Fron* de.  Louis XIV. 1649. La Fronde. Conférences de Ruel. Rus, t. 1, i p. 271. & 289. t. 4>i #• 93' a§(5 L'Intrigüe tout ce que gagna le Coadjuteur. Oil croiroit qu'il dut être honteux & faché d'avoir pris tant de peine pour obtenir ii peu : mais c'efl tout ce qu'il demandoit, & plus même qu'il n'avoit ofé efpérer. L'efpece d'engagement que venoit de prendre le Parlement, en écoutant les Efpagnols, afluellement en guerre ouverte avec la France, étoit comme une autorifation & une fauvegarde pour Gondi, & tous ceux qui voudroient déformais prendre des liaifons avec 1'ennemi. Le Prélat fentit fi bien 1'impoitance de cette démarche, & les avantages que fon parti pouvoit en tirer, qu'il fut étonné de fon propre fuccès. Mais il n'étoit pas feul a en connoïtre le danger. Molé, De Mefme, 1'Avocat-Général Talon, & les plus éclairés du Parlement, s'effrayerent de 1'afcendant que Iesbrouillons prenoient dans leur Compagnie. Ils en craignirent les fuites, & réfolurent de tout facrifier pour finir ces inTigues & ramener la paix. Malgré les efforts des Frondeurs ; ls foutinrent la négociation qu'ils ivoient entamée k la Cour. Les déjoüts qu'on leur donnoit quelquefois,  nu Cabinet. 287 ne les rebutoient pas. Lorfqu'il arrivoit aux Princes & aux Miniftres de halarder des propofitions, des expreffions, des manieres capables de choquer , ces prudents Magiftrafs les paffoient dans leur rapport. Enfin, ils dévoroient les défagréments,&nes'attachoient qu'a 1'effentiel. Par ces ménagements dignes des éloges de tous les bons Francois, ils amenerent les affaires k un point de conciliation, qui effraya les Frondeurs. Ceux-ci leur fufciterent toutes fortes d'obftacles. Ils firent arriver un nouvel Envoyé de PArchiduc , &c fignerent avec lui un traité, qui devoit introduire les Efpagnols en France , & mettre la Capitale &c le Parlement dans la dépendance des ennemis. Ils ameuterent la populace, & les Députés ne revenoient jamais de Ruel, oü fe tenoit la conférence, fans être affaillis a leur arrivé e par une troupe de gens qui 'crioient : Point de paix ! point de Ma%arin ! Ces violences n'ébranloient pas Molé Sc fes collegues ; ils marchoient d'un pas égal, entre 1'opiniatreté qui refufe le tout, Sc la baffe complaifance qui accorde tout. Et quand la Louis XIV. 1649. La Fronde.La Rochefouc. p. 79, Motteiiit. l,p. i. Joly , f. i, p. 51. Journal du Parlement, p. 203, 3?S , 3S0. Et Proc'esverbal des Conferences, p. 3 , v 92.  Louis XIV. 1649. La Fron- • de. 188 L'Intrigue Cour, inltruite de leur embarras, vouloit en profiter pour mettre a la paix des conditions trop dures, elle les trouvoit armés de fermeté contre fes infinuations & fes menaces. II leur arriva même un jour de vouloir rompre la conférence, paree que le Prince de Condé prétendoit ne fe relacher en rien. Déja ils partoient, toute voie a la conciliation alloit être fermée , fans le Duc d'Orléans, qui dit au Prince : Mon Coufin, fi ces gens-ci gagnent le printemps , ils fe joindront d PArchiduc ; ils feront un parti f dangereux d tEtat, que ce fera d notre tour d nous humilier. Préfentement que nous les tenons , profitons de Voccafion, & faifons la paix ; c'ejl ce que les gens de bien doivent fouhaiter. On rappella les Députés, qui reprirent volontiers la négociatioru Mais il leur étoit difficile de faire goüter cette conduite modérée au plus grand nombre de leurs confrères : les uns difoient qu'ils étoient trop mous & trop timides; les autres décidoient nettement qu'ils étoient vendus a la Cour. Les Frondeurs, qui fuggéroient & appuyoient cette calomnie , n'en croyoient  du Cabinet.' 289 eroyoient rien; mais il leur importoit de rendre ces Magiltrats fufpecls, afin de retarder leur ouvrage. Dans cette intention , on les faifoit charger par le Parlement, de demandes ontrees. Lorfqu'ils étoient prêts a ufer de leurs pouvoirs pour figner la paix, on les fufpendoit, ou on y mettoit des reftriélions qui les arrêtoient tout court. Cependant, par patience, par adreffe, ils furmontoient les difficultés, & ils avancoient toujours. Comme , dans la crainte de laiffer appercevoir au peuple qu'ils avoient des intéréts perfonnels, Conti, Bouillon, Elbceuf, le Coadjuteur, & les autres principauxde la facïion, avoient cléclaré qu'ils feroient contents & poferoientles armes quand le Parlement feroit fatisfait, les Députés ne parloient pas d'eux dans les conférences: & ce filence malin de la part de Molé & de fes tollegues, commenca a inquiéter les Généraux, qui n'étoient pas fi défintérelTés qu'ils vouloient le paroitre. Ils réfolurent de fe faire confidérer par eux-mêmes, fi le Parlement les abandonnoit. A force d'augmenter la folde, &c en recevant tous les gens de Tome UI. N l o v 1 s XIV. 1649. La Fronde.  Louis XIV. 1649. La Fronde. j ±90 L'Intrïgue fervice qui fe préfentoient, ils étoient venus a bout de former une armée d'a-peu-près dix mille hommes, compofée d'affez bons foldats. Ils la tirerent de Paris, & la placerent fur la pointe que forme le confluent des rivieres de Seine & de Marne , dans un camp que Condé lui-même jugeoit inexpugnable. S'étant bien retranchés, ils firent entendre qu'ils alloient y attendre les fecours de 1'Archiduc 6c 1'armée de Turenne. Cette contenance embarraffa Mazarin; il apprit en même-temps , que , pendant qu'il retenoit les Députés pour conférer, les Frondeurs profitant de 1'abfence de ces, Magiftrats, prenoient le deffus dans Faflémblée des Chambres , 6c qu'ils étoient même a la veille de faire révoquer la députation. Le Minifire appréhenda , a fon tour , que les Généraux ne le forcalTent de leur accorder des conditions préjudiciables a 1'autorité royale, & il s'ouvrit de fe» craintes au Préfident De Mefme. De Mefme lui fit alors cette réponfe-, digne d'être confignée toute entiere dans PHiftoire : Puifque les cho'es font en eet itat, il faut que nous  »u Cabinet. 291' payions de nosperfonnes pour fauver l'Etut, il faut que nous fignions la paix. Car, après la refiriclion que le Parlement a mife aujourdhui d nos pouvoirs, il riy a plus de mefures, & peut-être il nous révoquera demain : nous hafardons tout; fi nous fommes dêfiavouês, on nous fermera les portes de Paris, on nous fe■ra notre procés , on nous traitera de prêvaricateurs & de traures. Cejl d vous de nous donner des conditions, qui nous donnent lieu de jufifier notre procédé. II y va de votre intérét, puifque , fi elles font raifionnables, nous les fiaurons bien faire valoir contre les faclieux : mais faites-les telles qu'il vous plaira, je les Jigneral toutes , & je vais, de ce pas, dire au Premier-Préfident, que c'ejl mon femimenl , & tunique expêdient pour fauver le: Rcyaume. S'il nous rêuffit, nous avons la paix ; fi nous fiommes défavoués, nous ajfoiblijfons toujours la faclion, & le mal n'en tombera que fur nous. Ces généreux fentiments trouverent un accès facile dans 1'ame courageufe de Molé. On fe remit a conférer avec plus d'ardeur, & un deur égal de réuffir. Enfin, 1'accommodement fut conN ij 1 Louis XIV. |j . 1649. LaFronde. Acco-nnode-  Lom XIV. 1649. La Froj de. ment de Ruel. Procès-ve, hal,p, 1. 192 L'Intrigue • clu a Ruel le 11 Mars, & fjgné par les Princes, les Minillres & tous les Députés. Le Cardinal Mazarin lui-mê" me y foufcrivit, quoique les Députés s'y oppofaffent, fur cette raifon, qu'ils n'oléroient préfenter au Parle■ ment un acte taché du nom d'un homme flétri par Arrêt. Cet accommodement contient vingt-un articles, dont les principaux font un engagement du Parlement, d'aller a Saint-Germain , oii le Roi tiendra fon Lit de Juflice, & de ne point faire d'affemblée de Chambres pendant toute 1'année 1649; une amniiiie pour tous ceux qui ont pris les armes, tant dans Ia Capitale que dans les Provinces, & une efpérance que donna la Régente de ramener inceffamment le Roi a Paris. C'eit a rces conditions, a quelques réglements de finance, & une promeffe affez vague de diminuer les tailles & de travailler a Ia paix générale, que fe réduifit un traité, qui, vu la chaleur des efprits & les matieres agitées en public & en particulier, fembloit devoir embralfer toute 1'adminiflration , & donner une nouvelle forme a la Monarchie.  du Cabinet. 193 Les Frondeurs en furent outrés. Ceux d'entre eux qui étoient de bonne foi, furent fachés, paree qu'ils croyoient qu'on avoit abandonné les interets du peuple ; les autres, tk furtout les Chefs, paree qu'ils fe voyoient déchus des efpérances qui leur avoient mis les armes a la main. Quand le Premier-Préfident & fes collegues vinrent, le 13 , rendre compte de leur opération, il s'éleva un grand murmure dans PafTemblée des Chambres. La féance fut très-tumultueufe ; elle fe paffa en plaintes & en jufïifications. Celles qui fuivirent cette première ne furent pas plus tranquilles. Aux reproches piquants des Confeillers-Frondeurs, fe joignirent les fureurs du peuple. Répandu en foule dans les falies, il demandoit a grands cris qu'on leur abandonnat la lignature de Mazarin pour la brüler, & qu'on leurlivrat lestraitres qui avoient fait cet infame traité. Molé foutint cet alTaut avec fon intrépidité ordinaire ; il brava également, & le reffentiment de fes confrères, & Femportement brutal de la populace. Les Chefs des faclieux, eux-mêmes, qui, N iij Lo v 1 s XIV. 1649. La Fron- db.  L O Dl! XIV. 1641;. JLa Fron- SE. t \ i ] 1 2.94 L'lNTltïGUE le haïlfant, ne pouvoient s'empêcher de I'eftimer, craignirent pour fa vie lorfqu'il fortiroit de l'affemblée, & voulurent le faire fauver par des détours. II répondit gravement: La Cour ne fe cache jamais. Si fétois ajfuré de penr, je ne commettrois pas cette ldchete , qui de plus ne ferviroit qua. donner de la hardiejfe aux féditieux ; ils me trouveroient bien dans ma maifon, s ils croyoient que je les euffe appréhendés ici. Au milieu des faftieux déchaïnés, fous le poignard, pour ainfi dire, des mutins, il railloit le Coadjuteur, qu'il croyoit auteur de la révolte , & qui paroiffoit fe donner beaucoup de mouvement pour le mettre en füreté» Eh! mon bon Seigneur, lui difoit-il ironiquement, ditts le bon mot. Un forcené lui appuya le piflolet fur le vifage. Sans pencher la tête, Molé fe ;:ontenta de lui dire : Quand vous. m'aurei tut ■> & ne mt fuudra que ftx neds de terre, & il n'en alla pas un >as plus vite. Enfin, dans le plus :brt même du péril, il n'oublia pas :e qu'il devoit a fon Roi; jamais il ie manqua d'en faire fouvenir les eures. Pendant la plus grande puifiance  nu Cabinet. 295 que les Frondeurs ayent eue dans le Parlement, un des Chefs ayant dit, qu'il feroit bien facheux d'être abandonné au moment que plufieurs d'entre eux venoient de faire un traité .avec les Efpagnols, fous la fauvegardede la Compagnie : N~omme%-tes9 dit impétueufement Molé, & nous leur ferons leur procés, comme a des Criminels de Ufe-Majeflé. Ainfi fe vérifioit 1'obfervation qu'avoit faite Ie Coadjuteur dans une autre occafion : Qu'il ne fauepas badiner avec ces Compagnies, qui vous approuveront aujourd'kui , qui vous ftront demain votre procés. C'étoit cette difficulté de pouvoir compter fur Fappui conflant du Parlement , qui embarraffoit le plus les Frondeurs. Entre eux, ils n'hélitoient pas è fe permettre des maximes d'indépendance: mais dans les affemblées, il falloit bien pefer toutes fes expreffions; il falloit que les proteftations de fidélité au Roi, & de foumiffion a fes ordres, précédaffent toujours les propofitions de rélïffance; & encore n'obtenoient-ils rien, qu'ils n'euffent perfuadé qu'ils n'avoient en vue que le bien public. Cette efpece d'impofN iy Louis XIV. 1649La Fron-ï ■d£« Acconi-" modement de SnintGermain.Proces verbal , p. 9j 5- 100, 6Journal dit Parlement, p. 410. Rets, 1.1 P. $67. Talon , t, b, p. 107. Monglat , f, 3, p. jS.  I o vi XIV. 1649. La Fro iie. ^ 296 L' I N T R 1 G U E - ture devint, après la fignature de 1'accommodement de Ruel, plus néceffaire que jamais, & cependant plus -difficile : neceflaire, paree qu'il ne leur refloit que ce moyen d'empêcher 1 enregiflrementde 1'accommodement; & difficile, paree qu'on commencoit a netre plus dupe de leur faux défintereffement. Néanmoins ils réuffirent a foutenir encore quelques jours Pil, lufion, en paroiffant s'oublier, & n'attaquant 1'accommodement que par les articles qui pouvoient toucher le Parlement : comme étoit, la honte d'aller affiftera un Lit de Juflice a SaintGermain; 1'affrontde recevoir un pardon, qui, n'étant pas accompagné de graces, devenoit humiliant, & pouvoit, par la fuite, ne pas mettre k l abn de la punition; le déshonneur de traiter d'égal k égal avec Mazarin, qu'ils avoient flétri par Arrêt. Les Frondeurs furent fi bien faire valoir leurs obfervations fur ces articles & d'autres moins importants, qu'ils firent refoudre, que les Députés feroient renvoyés k la Cour, pour réformer les uns & éclaircir les autres. Cet arrete occafionna de nouvelles confé-  bu Cabinet. 297 rences, qui commencerent a SaintGermain-en-Laye, le 16 Mars, & dans lefquelles les Généraux, levant enfin le mafque , firent connoitre toutes leurs prétentions. Elles étoient exorbitantes (a), & ils les fignifierent avec hauteur, quoiqu'ils vinflènt d'éprouver un cruel revers , par la défection de 1'armée de Turenne. Elle étoit compofée des bandes Veïmariennes, troupes vaillantes, mais mercenaires. Tu- (a) Voici celles du Duc de la Trimouille , par lefquelles on pourra juger des autres : Que , conformément au contrat de manage de fa trifaïeule, pajjé en 1481 , le Roi lui rendit la jouijjance du Comté de Bouillon, ou du moins 25 , tant villes, places, que Chdteaux, Chdtellenies , Bailliages , Terres & Seigneuries comprifes dans ce Comte ; plus, les Seigneuries dAmboife , Montrichard, Bied , le Comté de Guines , & la Baronnie de l'lfle-Bouchard. Voyez proces-Verbal de la conférence tenue a Samt-Oermain-en-Laye , en 1649 , p. iii. Ceux qui veulent connoitre les ruies qm s'employent dans les négociatiotu, & apprendre comment on mene les Compagnies & les particuliers , doivent lire attentivement ces Procès-Verbaux des conferences, le Journal du Parlement, & les Memoires 4u Cardiual de Rets, qui en font la clet, N V Louis XIV. 1649. La Fronde.  Loill! XIV. 1649. La Fron, D£. 1 1 l 1 { C t a ti HÈ 298 L'Intrigue renne, qui les commandoit pour Ia France contre 1'Efpagne, promit une forte récompenfe aux Colonels , s'ils vouloient fe laiffer mener au fecours de Paris. Ils fe mirent en chemin : mais Bouillon ne put obtenir d'argent du Parlement, ni par conféquent en envoyer a fon frere; & faute d'une fomme affez modique, cette armée, la plus claire efpérance de la Fronde, lui échappa. Elle fut regagnée au fervice du Roi, par les infinuations pécuniaires des négociateurs que Mazarin y dépêcha ; & Ie Général, délaiffé, s'eflima heureux de pouvoir fe fauver en Allemagne. Un uitre malheur qu'elfuya encore Ie par:i, fut Ia retraite de PArchiduc, qui, ur 1'invitation des Frondeurs, s'étoit ivancé jufqu'au-dela de Rheims, avec me forte armée. Averti que le Parement avoit fait fa paix, & que les ïénéraux traitoient auili, il les abanonna a eux-mêmes, & retira fes "oupes. Mais ils payerent de hardieiTe visvis du Minifire, qu'ils connoifïbient mide. D'ailleurs, comme il arrivé aijours dans les guerres civiles, ils  du Cabinet. 199 < avoient a la Cour beaucoup d'amis & de parents, qui, les voyant abattus, n'auroientpasvoulufoufFrir qu'on les écrafat; & il auroit peut-être , en effet, été dangereux de les réduire au défelpoir. Le Duc de Bouillon avoit dit qu'il falloit purgtr le Parlement ; dans fon flyle, c'étoit dire qu'il falloit au moins le décimer. Le Coadjuteur s'étoit laiffé emporter, par fi paffion, jufqu'a délibérer en lui-même , s'il fe ferviroit de la fureur du peuple contre les auteurs de la paix. Le Duc de Beaufort, idole de la populace , dont il avoit le langage & les manieres («) , ne parloit que ds O) La Mufe hiftonque nous a confervé cet échantillon de fon ftyle : Certains Clercs, au nombre de trois , M'ont conté , qu'un maitre Bourgeoi» De tout fon coeur flatte & pratique Les gens de halle & de boutique. Ils ont de lui maint doux regard, Maint falut, & maint Dieu vous gard. Puis fe mettant fur la harangue, II leur tient en fa propre langue, Dont le Francois n'eft pas trop bon, A-peu-près un pareil jargon • MeQieurs , mes amis, je vous aime ; Mais Ma\_arin n'eft pas de wieme, _ N v; jo U IS XIV. 1649- DE.  Louis xiv. 1649. La Fronde. Car d a grande averfui rour■ rous 6- pour rotre Citc! tailleurs, il eft tout manifelle, Vuelui qui me hait & m'atefte , froclame toujours contre moi ■Auprès de la Reine & du Roi. iljeron donc bon, ce me femblc, *Je nous affocier enfemble , P?ï t?c,ler d' ruiner , xT"W'il nous veut déterminer. Voila la belle Rhétorique Dont fe fert ce beau Politigue, Pour ranger les coeurs fous fes loi* Dans le pays du Badaudois. Voyez Lauret pag. 247 & 24g. Le Duc de Beaufort fe logea dans Ja rue Qw.nclm* * fit Marguillier de Saint-Slas-des-Champs, pour être a proximité des ^Iles le centre de fon Royaume. Voy. Monglat, torn. 111, p. 69. J Ca](Beaufort, voyant que tout tournoit « la paix , demanda un jour au Préfident 5f£f' -f e" d,°n"ant fouffl«auDuc ïl i,? V ne ch.angeroit P" »» face des attaires. Je ne crois pas , répondit sravement le Préfident, que cela pufte fhTnL autre chofique la face de M. d-RlbeeufYoy, Wem. de Nemours, p. 39. J y' (}) Le Duc de Beaufort ne fe fit pas tant pner, pour la paix, que ]e Cardijial la- 300 L' I w T R 1 G u E la foulever (a) ; & il y auroit reu/li ; 1 Gondi, pouffé k bout, eut voulu le killer agir (b). Des gens capables  üu Cabinet. 301 de ces extrémités, étoient a ménager : auffi ne rejetta-t-on pas durement leurs prétentions, quelque outrées qu'elles fulTent. Mazarin même ne leur montra point d'aigreur, de ce qu'ils offrirent de fe défifter de toutes leurs demandes, fi on vouloit 1'expulfer de France ; offre qui n'étoit ïaite que pour retarder la conclufion, ou pour obtenir des dédommagements confidérables du refus. Le Miniflere négocia, promit, pria; Sc cet Homme, dont ils méprifoient hautemeni la capacité, fit fi bien qu'il garda fa place, Sc qu'il amena fes ennemis a fe contenter d'une fimple lettre de cachet , adreffée au Parlement; lettre qui pouvoit paffer plutöt pour une ironie perpétuelle, que pour un acte férieux. A la vérité, elle commencoit par une amniflie très-ample; Sc c'efl tout voit craint. II ne fit qu'une foible réfiftance aux propofitions de la Cour. On dit alors, que le Coadjuteur , qui le gouvernoit comme on gouverne une pendule , ne l'avoit monte que pmr deux heures, Voy. Mém. de Ne"} mours, p. 44. Louis xiv. 1649. LaFrgks de. Condition de la paix. Procés-verbal de la conférence, P- 174. Motteville,t.i,p%73.  L o vi XIV. 1649. XaFrou ce. jot L'Intuigue . ce qu'il y avoit d'important. Le Roi ' reprenoit enfuite les demandes de chacun des prétendants , & y répondoit ' en termes très-obligeants. Pour le Duc de Beaufort : » Sa Majeflé ayant tou» jours affecfionné la Maifon de Ven» döme, defire la favorifer en tou» tes les occafions qui fe préfenteront, » & employera fon autorité pour faire » que les Etats de Bretagne txêcutent » cc qui a été promis , pour le dé« domagement de la démolition de » fes Chateaux... Sa Majeflé trouve » très-jufte la priere que fait le Duc >> d'Elbceuf, qu'on lui paye la fom» me due a fa femme , 6- elle y fera » pourvoir d fon contentement. Sa Ma» jeflé fera, en faveur des Comtes >> d'Harcourt, de Rieux & de Lifle» bonne , tout ce qui fera poffible, & » leur donnera les emplois que mé** ritent leurs fervices. Le Comte de » Rieux fur-tout, fera payé , aufji» tót que les affaires de fa Majeflé le » pourront permettre... On fera au Duc » de Bouillon un contrat de la va» leur de la Principauté de Sedan, » qu'il cede au Roi. Quand Sa Ma» jeflé mettra quelque armee en cam-  du Cabinet. 303 *> p2gne, elk confidérera le Sieur Maré» chal de Turenne , & le gratifiera dans » les occafions qui ft trouveront, de ce » qui lui conviendra fitlon fa qualite'... » Le Maréchal de la Mothe-Houdan» court, continuant a rendre fes fer» vices a Sa Majeflé , tilt y fera toute » la confidtration $ui fie doit, tant pour » k pajfé que pour l'avtnir, & lui ré» partira toutes les graces qu'il pourra » mériter "... Ainfi eft concue cette lettre pleine d'équivoques , dans laquelle tout elt obfcur , fujet a interprétations & a reftriétions. Elle fut apportée le premier Avril, aux Chambres affemblées; on en fit lecnire devant elles, Sc voilé toute 1'authenticité qu'on donna a cette piece finguliere. La Régente y joi>gnit une déclaration, contenant lesmêmes claufes Sc conditions que celle du 11 Mars , excepté qu'on n'y parloit plus de tenir un Lit de Juftice a SaintGermain, ni d'empêcher les Chambres de s'aiTembler pendant 1'année 1649 : mais le Premier-Préfident Sc les autres Députés s'étoient engagés verbalement a ne le pas fouffrir. Le Parlement ajouta a fon enregifirement, Louis XIV. 1649. La Fron- Dl,  Loui XIV. 1649. La Froj »e. Réconci' liation. iJm , t. 2 12. ^ 304 L'Intrigüe " que le Roi & la Reine Régente feroient fuppliis efhonorer Paris de leurpréfence. Et comme les Frondeurs marquerent '■leur mécontentement, de ce que les Députés du Parlement avoient obtenu pour eux fi peu de chofe, la Compagnie , afin de leur donner quelque confolation, arrêta , qu'il feroit fait injlance pour les intéréts de tous les Généraux , & qu'au furplus il feroit donné ordre au licenciement des troupes. Le Miniftere acheta avec la même monnoie, c'eft-a-dire, par des promeffes, la foumiffion de ceux qui avoient pris les armes dans les Provinces. Enfin, on donna des Déclarations fatisfaifantes aux Parlements de Normandie & de Proyence, qui avoient porté leurs prétentions a la conférence de Saint-Germain; & ainfi finit la guerre. Le caraclere communicatif des Francois ne permit pas qu'on gardat une 'longue rancune. Le Duc d'Orléans & le Prince de Condé vinrent a Paris, avec tous ceux qui leur étoient attachés, & y furent très-bien recus. Les Ducs de Bouillon , d'Elbceuf & tous leurs adhérents, allerent a la Cour; & fi la majeflé du tröne les déconcerta  du Cabinet. 305 a la première vue, ils reprirent bientöt 1'air d'aifance naturel a la nation. Enfin, les gens de differents partis fe virent, s'embrafTerent, parierent du paffe, en raillerent enfemble , fe picoterent, fe raccommoderent, & fe brouillerent de nouveau. Ces alternatives fe remarquerent, fur-tout, dans les parti es de plaifir des jeunes gens de qualité. II y eut des querelles qui ne fe terminerent pas fans combats. Malgré la paix, on continua de répandre des pafquinades, des fatyres groffieres, des chanfons fur l'attachement de la Reine pour fon Minifire. Ces libelles entretenoient la prévention du public contre Mazarin, & leur effet réjouiffoit fort le Coadjuteur. Nous avons encore pour long-temps, difoit-il, de la provijion dans Vimaginatïon des peuples. Entre les perfonnes qui porterent a la Cour, finon la réalité, du moins les apparences du repentir, on ne vit paroitre ni le Duc de Beaufort, ni le Coadjuteur. Le premier refufa d'acheter la permiffion de faluer la Régente , par une vifite a fon Miniftre; le fecond prit un milieu, dont il ne Louis XIV. 1649. La Froh- de. Retour du Roi. Joly, t.1 , p. 59. MotttvllIe, t. 2 , p. 102. Red, f.2, p. 7.  L o v i XIV. 1649. LaFrok ££. » < ( 1 I I m 306 V I N T R I G 'U E ; fonvient pas, mais que Joly avoue : il nt fa harangue a la Reine, fans daigner jetter un coup d'ceil fur le Car' dinal, qui étoit a cöté cl'elle; & enfuite il eut avec le Minifire une entrevue fecrete, dans laquelle il fut quefhon du retour du Roi è Paris dont Gondi vouloit fe donner 1'honneur clans Ie public. Le Minifire croyoit en effet ne pouvoir fe montrer en füreté dans la Capitale, fi le Coadjuteur ne lui en ouvroit le chemin. La Reine lui fit fentir qu'elle lui en auroit obligation; 6c Gondi, qui ne vouloit pas le fermer fans retour la porte de la faveur, adoucit les efprits pour ce retour, ou plutöt ne les aigrit pas; de forte que , quand le Roi fit fon entree, le 18 Aoüt, les Parifiens virent fans emotion le Cardinal è la porfiere du carroffe , auprès de Condé, 5111 lui fervoitde fauve-garde. Ce fut e dernier fervice que ce Prince renit au Minifire; cefut auffi le terme e la reconnoiffance de Mazarin. On lit même qu'il y avoit déja quelque emps que le Cardinal portoit avec >eine le fardeau du bienfait, 6c qile 1 Pnnce s'en étoit appercu,  du Cabinet. 307 II devoit ces lumieres a la PrincefTe de Longueville fa fceur, & a fa mere. Dans les Monarchies, dit Montefquieu, les brouilleries des femmes , leurs indifcrétions, leurs répugnances , leursjaloufies , leurs piqués, cet art qu'ont les petites ames ctintênfftr lts grandts, nt fauroient êtrt fans grande confêqutnce (a). Cet art, habilement employé par (d) Nous citerons , a 1'appui r!e cette réflexion, une converlation de Mazarin avec Dom Louis de Haro , Premier Miniftre d'E(pagne. Vous ctesheureux, difoit 1'Italien a 1'Efpagnol ; vous ave^ , comme par-tout ailleurs , deux fortes de femmes , des coquettes en abondance , & fort peu de femmes de bien. Celles-la ne fongent qua plaire d leurs galants , & celles-ci d leurs maris : les unes & les autres n'ont d'ambition que pour le luxe & la vanitè. Elles ne favent êcrire, les unes qui par des poule ts , les autres que pour leur. confeffeurs. Les unes ni les autres ne faven comme vient le bied, & la téte leur tourn quand elles entendent parler des affaires. Le nótres, au contraire , foit prudes ou galantes vieilles , jeunes, fottes & habilcs , veulent j m'eler de toutes chofes : elles veulent toutyoir tout connoitre, tout favoir, & , qui pis efl tout faire ty tout confeiller. Nous en avon trois entre autres , les Ducheffes de Chevreu fe, de Longueville , & la Prineejfe Palatint Louis XIV. 1649. La Frostde.Mécontentementde Condé. Reis, t. 2 , p. 12. Motttvil/«. t. 122. E/prit des Loix, in12 , t. 1 , p. 281. Lenet, r. I, p. 24. la Rbchef, p. 87 & Il8. Nemours p. 60. f' f » r 3  L o u ] XIV. 1649. LaFro: ds. qui nous mettent tous les jours en plus de confufion , qu'il n'y en eut jamais a Babylone. Dieu grace , répondit ÏEipagnol , les notres font de l'humeur dont vous les connoifJei; pourvu qu'elles recoivent de 1'argent, foit de leurs maris, foit de leurs galants, elles font fattsfaites, & je fais bien heureux de cequ elles ne fe mclent pas daffaires d'Etat; car elles gdteroient affurèment tout en Efpagne, comme elles font en France... . Vov. Mem. de Lenet, torn. I, p. 2q0. j m 308 L'Intrigue ; Ia mere & Ia fceur de Condé, triompha du Prince , & fut ]a caufe de fes ». ™graces. La première, fiere d'un tel hls, qm, joignant la bravoure des Bourbons k la capacité militaire des Montmorency, la rendoit la mere Ia plus dliiiïre de 1'Europe, croyoit que toutes les prétentions étoient au-deffous des fervices de fon Héros. La fceur, nouvellement réconciliée avec un frere, dont le dépit, pendant leur bromllene, marquoit encore 1'excès de fa tendreffe , vouloit trouver dans ce retour d'amitié, le crédit qu'elle n avoit pu fe procurer par la revolte. Toutes deux 1'engagërent k demander au Minifire , tantöt des diilindions pour luij tantöt des charges lucrati-  du Cabinet. 309 ves pour fes créatures. Le Cardinal accordoit quelque chofe, & s'excufoit d'en faire davantage, par des raifons qui auroient pu contenter le Prince ,1 s'il n'avoit pas été entouré de perfonnes qui crioient fans ceffe a YingratU tude. Elles lui fuggérerent d'exiger pour le Duc de Longueville, le gouvernement du Pont-de-l'Arche , & d'autres places, qui 1'auroient rendu tout-puiffant en Normandie. Condé, entrainé par les follicitations de fa familie , fignifia a Mazarin, avec hauteur, qu'il vouloit qu'on foutïnt le Comte d'Alais fon parent, Gouverneur de Provence, contre le Parlement d'Aix, qui s'oppofoit, les armes a Ia main, a fa tyrannie ; &, au contraire , qu'on abandonnat le Duc d'Epernon , Gouverneur de Guienne , qu'il haüToit, k la difcrétion du Parlement de Bordeaux, auffi mécontent du ton altier du fils, qu'il 1'avoit été de la fierté du pere. A ces demandes impérieufes, le Minifire oppofa les délais & les promeffes. II fe fervit aufli du bénéfice du temps, pour amortir Ie deffein ambitieux qu'on infpira a Condé , de fe former une armee d'aven- Louis XIV. 1649. 'djk Fron. se.  Louis XIV. 1649. La Fron £>£, 310 L'Intrïgue turiers, que fa réputation attiroit en" grand nombre fous fes étendards, & de conquérir , avec la proteöion de 'la France, la Franche-Comté, dont il fe feroit une Souveraineté. Au défaut de cette entreprife gigantefque', Ie Prince concut le deffein d'acquérir la Principauté de Montbéliard , qui étoit a vendre. Mazarin parut entrer dans fes vues, & envoya des acheteurs; mais ils avoient ordre de ne pas réuffir. Enfin , Condé fe rabattit fur 1'Amirauté enlevée a la Maifon de Vendöme, pendant fes difgraces. Las de foutenir contre la puiiTanee royale , des combats qui leur avoient toujours été funeftes , le Duc & la Ducheffe de Vendöme tacherent alors de s'en faire un appui. Ils re* chercherent Mazarin, & concerterent le mariage du Duc de Mercceur, leur fils ainé , avec une Mancini, niece du Cardinal, qui devoit apporter en dot 1'Amirauté. Cette charge, depuis Ia mort de Brezé, beau-frere de Condé, étoit toujours comme un dépöt entre les mains de la Régente, qui [e 1'étoit appropriée, fous le titre de nrr-Intendante des mers. Elle avoit  d v Cabinbt. 311 prit cet expediënt dans le temps , pour ne pas rendre cette charge aux Vendómes qui la redemandoient : mais quand elle voulut, dans cette circonftance, les en gratifier, le Prince de Condé s'y oppofa ; il fallut même , pour ne le pas choquer, différer le mariage projetté qu'il regardoit comme un rempart, dont le Miniftre vouloit fe fortifier contre lui. La hauleur de Condé, fes railleries ameres, fes manieres dédaigneufes, des propos outrageants qui lui échappoient journellement aufujet de Mazarin, choquoient a la Cour les perfonnes les plus difpofées a excufer les écarts des Princes : le Cardinal s'abaifla, s'humilia, & ne remporta d'autre récompenfe de fes empreffements , que des marqués éclatantes de mépris. La Reine témoigna du chagrin des procédés du Prince , & il fit femblant de ne pas s'en appercevoir. II paroiffoit auffi indifférent fur 1'amitié du peuple, que les Grands ne dédaignent pas toujours fans rifque. Sa maifon, fon cortege , étoient compofés de jeunes gens badins,railleurs, fuffifants, qui, fiers du L o u 1 S XIV. 1649. La Frons be. II fe ftif Jeaucoup 1'ennemis.  lotJi XIV. 1649. iL*. Fron de. 1 i 1 1 . } 312 L'Intrigue ■ crédit de-leur maitre affecloient des ' airs de fupériorité. On les appella Pe- tits- Mattres, nom qui eft refté a la •langue , comme celui üImportants & dc Frondeurs. Après avoir refroidi Ia Cour & Ia ville, Condé fe mit a dos la Nobleffe. II s'entêta au deffein de procurer les honneurs du Louvre a la PrincelTe de Marfdlac , dont le mari n'étoit pas encore Duc de la Rochefoucault. Plufieurs Gentilshommes prétendirent avoir un droit égal a cette diftinélion, &demanderent qu'on Paccordata leurs femmes, ou qu'on ne la donnat pas k Ia PrincelTe de Marfillac. II fut fait a ce fujet des repréfentations au Prince de Condé. Mais comme il n'en étoit pas ébranlé, la Nobleffe tint d'abord ies affemblées particulieres, pour dif:uter fes privileges, & en indiqua ïnfuite de générales, auxquelles elle Jppella le Clergé, & des Députés les Cours Souveraines, qui fe difjoferent a s'y rendre. Ainfi les Etats fe eroient trouvés affemblés, fans qu'on ?n eut eu le deffein. La Reine avoit aifle volontiers commencer cette afaire, qui commettoit Condé avec la  nu Cabinet. 31 Nobleffe : mais quand elle vit le fuites que ces affemblées pouvoien avoir , elle défendit au Clergé de s'3 trouver, & il obéit. On promit a 1; Nobleffe de ne rien innover, & ell< fe fépara : mais il reffa a beaucouj. de Seigneurs du reffentiment contre le Prince , qu'ils accufoient d'avob fignifié fes prétentions avec trop dt fierté. Cependant, malgré fes fautes, qui aliénerent bien des efprits, fitöl qu'on fut affuré qu'il avoit rompu avec le Cardinal, 1'eflime qu'infpiroient fes belles qualités, fit qu'une foule de gens diftingués , par leurs emplois ou leur naiffance, vint s'offrir a lui. Les Frondeurs ne furent pas les derniers. Depuis le retour du Roi a Paris, ils vivoient dans un état de perplexité fort allarmant; haïs de la Régente, qui leur attribuoit les préventions outrageufes du peuple, contre elle & fon Minifire. Si Anne d'Autriche avoit connu fa force, elle auroit pu fe débarraffer d'eux par 1'exil ou la prifon , pendant que la majefié Royale, reparoiffant avec tout fon éclat, en impofoit également aux Tornt III, O s ' .Louis c XIV. r 1649. . La Fron» Les Frondeurs le recherchent inutilement. Rcts ,1,2, p. 16,  L o u is XIV. 1649. Lafronde. 314 L'lNTRIGUE Corps & aux particuliers. Le Coadjuteur & fes adherents , convaincus de leur foibleffe, étoient dans des ' craintes perpétuelles , malgré la fécurité qu'ils affeéloient, &c cherchoient de tous cötés de la protedion contre la vengeance de la Cour. Quand ils virent Condé en brouülerie ouverte avec le Minifire, ils crurent que jamais le reffentiment du Prince ne liniroit que par 1'éloignement du Prélat; &c fans tergiverfer, Gondi alla lui propofer d'unir leurs forces, pour expullér Mazarin. On devoit, après cela, compofer le Minillere au gré de la faction; óter les Sceaux a Seguier; pour les donner a Chateauneuf ; faire rentrer Chavigny dans le Confeil; y appeller auffi Molé, non pour le récompenfer, mais pour 1'enlever au Parlement, &c mettre a fa place Bellievre , dont la Fronde feroit plus füre. Après avoir bien écouté lé Coadjuteur, Condé lui dit : La Reine ejl jï attachee a fon Miniftre yque tout cela ne peut réujjir fans une guerre civile. Gondi s'attendoit que le Prince alloit s'y déterminer, lorfqu'il ajouta : n'ef ni de ma  du Cabinet. 315 confcience, ni de mon honneur de prendre ce parti. Je fuis d'une naijfance d laqudle la conduite du Balafré ne convient pas. Après ce peu de mots, il renvoya le tentateur confus, & donna les mains k un accommodement, dont le Duc d'Orléans fe rendit médiateur. Ce fut 1'A.bbé de la Riviere qui engagea Gallon k fe meier de cette affaire , dans 1'efpérance que cette réconciliation, li elle avoit lieu, lui rendroit le Chapeau de Cardinal. Condé mit k haut prix la promeffe de laiffer Mazarin dans le Miniftere. II forca la Reine de s'engager, par un accord qui fut figné le 15 Septembre, de ne difpofer d'aucune charge, d'aucun bénéfice, de ne point lever d'armées, ni nommer de. Généraux, fans fon confentement. Ce traité contenoit encore d'autres claufes fi impérieufes, que, pour ne pas refter dans la dépendance d'un Prince qui lui donnoit des entraves li étroites, Mazarin aima mieux fe jetter entre les bras des Frondeurs fes ennemis. Au chagrin de n'avoir pas été écoutésparle Prince, fe joignoit le dépit de s'être inutilement montrés capables O ii Louis XIV. 1649. La Fron-= DE. Affaire les RenIers. foly, t. I, r. 63.  L o vi! XIV. 1649. La Fron ee. Talon , t 87. i 316 L'Intrigue ' d'un crime. Ils craignirent que Condé, en s'accommodant avec la Régente, ne fe fut fait honneur auprès d'elle d'avoir ' réfifié a leurs mauvais confeils; & ils fe figuroient le Cardinal riant, en fon particulier , de leurs projets, & s'occupant des moyens de les punir. Us nevoyoient de reffource, pour échapper afa vengeance, que de fe reprendre, felon l'expreffion de Gondi, de fe recoudrt avec le Parlement, feul expediënt de fanclifier leurs attentats palfés. Us 1'ayoient déja plufieurs fois tenté: mais ils trouvoient toujours en tête 1'inflexible Molé, qui, au rifque de fe décréditer dans fa Compagnie, écartoit toutes les occafions ménagées pour la rengager dans les affaires publiques. II s'en préfenta cependant une, qu'il ne tut pas le maitre d'éluder. Le Sur-Intendant d'Hemeri, privé du maniement des finances, pour complaire au public , venoit de rentrer dans fa charge, k la grande fatisfaclion :1e ce même public, qui, un an auparavant, avoit demandé fa deftitution. 1 fit précéder fon retour par quelques argeffes, qui lui gagnerent la popula:e. Mais, moins jaloux de la faveur de  du Cabinet. 317 Ia bourgeoifie, 011 prefïe par les dette< de 1'Etat, il appliqua, k des dépenfes qu'il crut plus néceffaires, le revenu des gabelles , que plufieurs Arrêts du Parlement avoient deftiné au payement des rentes fur 1'Hötel-de-Ville. Les Rentiers n'étant pas payés , fe plaignirent; &, comme le Prévót des iMarchancls & les Echevins, par égard pour Ia Cour, ne prenoient pas aflez chaudement leurs intéréts, ils élurentdouze Syndics, au nombre defquels fe trouva Ie fameux Joly, Confeiller au Chatelet. Le Premier-Préfident s'oppofa k 1'éleéHon, comme faite fans droit de Ia part des Eledleurs, qui, ne formant pas un Corps reconnu dans I'Etat, ne pouvoient fe donner des chefs. II prétendit auffi que cette affaire n'exigeoit pas 1'affemblée des Chambres. On tint k ce fujet des conférences a fon hotel; & pendant qu'il temporifoit, la Cour prenoit des mefures pour s'affurer des Syndics les plus ardents, & en faire un exemple; &, au contraire, les Frondeurs trouverent, dans cet événement, les moyens de procurer 1'affemblée des Chambres que la Cour redoutoit. Ils y réuffirent, en faifant foulever O iij Louis XIV. 1649. La Fronde. Fcint affaffinat de Joly.  ï. o u i : XIV. 1649. ï.a Fron de. Joly, t I , P- 70. 3-ets ,t.l. (a) C'étoit la rue du Préfident Charton, $1% L' I N T R I G U 2 le Parlement & le peuple, par une im1 poilure très-habilement ménagée. On fit d'abord circuler dans le public les ■ mauvaifes intentions de la Cour, vraies ou fuppofées, contre les Syndics; on ajoutoit, dans les cercles, que, ne pouvant fe venger par la prifon, 1'Italien étoit bien capable d'un affaffinat. Quand les efprits furent ainfi difpofés, Joly , le plus hardi des Syndics, leplus véhément dans fes difcours contre leMinifrere, & par-la le plus cher k la foule des Rentiers, fe propofa pour être la viclime feinte du courroux du Cardinal. On ajufla le pourpointék le manteau de Joly, fur un morceau de bois dans une certaine attitude. Un bon tireur, nommé d'Eflainville, perca Ia manche d'un coup de piftolet, & Joly fe fit, pendant Ia nuit, avec une pierre afufil, une bleffure au bras, correfpondante au trou de la balie. Le lendemain , 11 Décembre, Joly fort dés le matin dans fon carroffe. Eflainville paroit dans le lieu convenu, rue des Bernardins (a) : Joly, qui 1'appercoit,  du Cabinet. 319 ( fe baiffe. Eftainvüle tire, & la balie ' perce le carroffe dans 1'endroit oii auroit dü être appuyée la manche trouée. Joly s ecrie; le peuple s'affemble & le porte chez un Chirurgien voifin, qui prend Pégratignure de la nuit, pour une bleffure véritable, & y met un appareil. Le bruit du coup retentit en un inflant jufqu'au Palais, oü fe trouvoit beaucoup de Rentiers. On crie de toutes parts , qu'un des Rentiers vient d'être afTafliné. L'audience efl interrompue. Les Enquêtes fe jettent dans la Grand'Chambre , pelemêle, avec les Rentiers, & demandent qu'on informe. Le Premier-Préfident foutient 1'affaut: il fait voir que cette affaire n'efl pas de celles qui exigent l'afTemblée des Chambres, & fait chez qui Joly alloit tous les jours. II s'imagina , paree que le coup avoit été tiré devant fa porte , que c'étoit a lui qu'on en vouloit : il vint au Parlement comme un homme troublé , 1'épée au cöté, & demanda des gardes. Comme il s'obftinoit, Viole Duranceau, Confeiller-Clerc, dit qu'il étoit d'avis qu'on donnat des gardes au Préfident , mais qu'il falloit un charpentier qui les fit. Voy. Joly, torn. I, pag. 7** O iv .O V IS XIV. 1649. ,a Fronde.  ï.oui XIV. 1649. LaFrcn de. Piege tendu a Condé. Kets 3 t. 2 f. 24. » < < 1 C G d ü t< P 0») Suhi de quin{e ou vingt coquins , dont ie plus honnéte homme étoit un miférable famicr.\oy. Mém. deRets, tom-Tl.p.k 320 L' I N T R 1 G U E ^écider qu'on fuivra, dans la procédure , la forme ordinaire. La comédie auroit peut-être fini è cet aöe , lans un nouvel incident qui fufpendit le denouement, & penfa le rendre tragique. U faut que, par un hafard des plus linguhers, le même jour que les Frondeurs vouloient faire émeute, la Cour eut le même deffein; ou bien elle mécütoit une fupercherie è-peu-près du ?enre de celle des Frondeurs, & qui mt unfuccès pareil; ou, enfin, Funjolture du matin fit imaginer celle du oir. Le Marquis de Boulaye , connu es Parifiens, qu'il avoit fervis penlant le fiege, n'eut pas plutöt apperw que le coup de piflolet tiré conre Joly avoit caufé quelque émotion ans le peuple, qu'il fe jetta dans la rand Salie comme un Dêmoniaque , it Gondi 0), criant qu>on n»a af_' «fine Joly, qUe paree qu'on redou>it fa fermeté a défendre les intéréts uWics; qu'il faut prendre les armes  du Cabinet. 321 fe mettre en défenfe , paree qu'on eff j menacé d'un maffacre général, dont le meurtre du Duc de Beaufort & du Coadjuteur fera le fignal. L'éloquence 1 de la Boulaye & les cris de fes fatellites ne fïrent pas grande impreflïon, ni au palais, ni dans les rues. Brouffel & Gondi, chez lefquels il alla faire parade de fon attachement au parti, le réprimanderent fortement, &c le renvoyerent. Le zele inconfidéré de cet homme, qui n'étoit pas commandé, a fait écrire aux Frondeurs, qu'il avoit été apoflé par la Cour , & que ce qu'il fit enfuite , il le fit de concert avec elle La Boulaye promena, une grande partie de la journée, fa troupe dans Paris, avec des tambours, fans la voir groflir. Le foir , il pofa a 1'entrée de la place Dauphine, des cavaliers, en (a") Laigues m'a dit, écrit le Coadjuteur^ que le Cardinal, en mourant , recommanda au Roi La Boulaye , comme un homme qui 1'avoit toujours fidèlement fervi ; & vous re~ marquere^ que ce même homme avoit toujows été Frondeur de profejjion. Voy. Mém. de Rets, t. ii, p. ï6. O v . o u i s XIV. 1649. .a Fronde.  Louis XIV. 1649. La Fronde. i i i ï J22 L'lNTRIGUE forme de vedettes, qui paroiffoient embufqués pour faire quelque irruption fur le Pont-neuf : le Guet vint les reconnoitre, & fut recu a coups de piftolets. Les Bourgeois de la place , craignant quelque violence de ces inconnus, prennent les armes, & tirent fur eux. Quelque coup perdu atteint 1'équipage du Prince de Condé, qui paffoit a vuide fur le Pont-neuf. C'étoit apparemment tout ce qu'on demandoit. Condé étoit au Palais-Royal, oü il avoit couru a la première alIarme du matin. II étoit prêt a s'en retourner; mais des gens effrayés viennent, coup fur coup, lui dire qu'on en veut a fa vie. II fe moque de 1'avis. On 1'affure qu'il y a une confpiration formée contre lui; que depuis trois ou quatre jours on ne parle d'autre :hofe. La Reine le prie de ne fe pas ?xpofer; le Cardinal fe met prefque \ genoux devant lui, pour le retenir; :ous les Courtifans le fupplient, le •onjurent de refter. II traite leurs :raintes de terreur panique ; & veut tller lui-même juger de la vérité. Enin , on obtient a grande peine qu'il envoyera fon équipage, avec un la-;  du Cabinet. 323* quais dedans. Le carrofle paffe fur le } Pont-neuf. Deux hommes a cheval approchent; 1'un, qu'on croit être La Boulaye , tire un coup de piflolet,! &C bleffe le laquais. Quelques Ecrivains difent qu'il n'en eut que la peur: mais, quoi qu'il en foit, il réfulta toujours de cet attentat, que le Prince de Condé crut réellement qu'on avoit voulu l'affafliner. Après les inftances qti'Anne d'Autriche & Mazarin venoient de faire pour le retenir, Condé ne pouvoit leur imputer cette noirceur. Ses foupcons tomberent donc naturellement fur les Frondeurs ; il réfolut d'en avoir raifon; & la Reine, époufant le reffentiment du Prince, envoya au Parlement ordre d'informer. Cette affaire abforba celle de Joly. ; ■ II feroit difficile d'exprimer 1'étonnement du Coadjuteur , quand il fe vit enveloppé du même filet qu'il pré* paroit aux autres. II avoit voulu charger la Cour de 1'affaffmat de Joly, & la Cour le chargeoit de celui de Condé : car bientöt on ne put plus douter que 1'imputation ne vïnt du Miniftre. Ce fut lui qui fournit les té* O vj . O V I s XIV. 1649. ,a FrOÏT DE. Procèscriminelintenté au Coadjuteur. Rets , /. 2,  L o u i XIV. 1649. La Froi (a) Le Coadjuteur réfutant ce projet par de bonnes raifons, Madame de Montbazon lui dit: Avoue^ le vrai , ce n'efl pas ce qui vous tient ; vous nefaunc^ quitter vos Nymplies ; amtr.ms l'innocente avec nous, je crois que vous ne vous foucie^ guere de l'autre. Ene traitoit fort cavaliérement le Duc de Beaufort, qu'elle ne nommoit ordinairement que I-innocent. Elle difoit , d qui vouloit l entendre , qu'il étoit imp.... Ce qu'il y a de vrai ou prefijue vrai , dit Gondi, c'eft qu'il ne lui avoit jamais demandé le bout du daigt, ^ 324 L'Intrigue s moins, qui concerta la procédure avec le Premier-Préfident, & fur-tout qui répandit fi bien dans Paris 1'opinion -du crime du Coadjuteur & du Duc de Beaufort, qu'ils fe virent les premiers jours regardés de mauvais ceü par prefque tous ceux qu'ils rencontrerent. Ce changement d'affeftion du public jetta 1'allarme parmi les Frondeurs. Les femmes s'effrayerent. La Ducheffe de Montbazon réfolut de s'enfuir a Péronne; elle vouloit entrainer avec elle le Duc de Beaufort fon amant, & Ie Coadjuteur, a qui elle propofoit d'emmeneravec lui Mademoifelle de Chevreufe, fi la mere ne vouloit pas I'accompagner (a).  du Cabinet. 315 Cette fuite étoit fuggérée par des émiflaires de la Cour, qui auroient voulu que les Frondeurs prifTent Fépouvante, & puflent la débarrafl'er de leur préfence : mais Gondi, fans être effrayé des fuites d'un procés criminel, intenté par une partie fi puiffante devant un Juge prévenu, commenca par aller chez Ie Prince, par le fupplier de ne lui pas faire 1'injure de le croire coupable. Voyant que cette déférence n'avoit rien produit; que Condé , au contraire , non content de demander juflice , mettoit dans fes follicitations une oflentation infultante, & ne paroiffoit au Palais qu'avec un cortege de mille perfonnes, tant Gentilshommes , qu'Officiers du Roi, le Coadjuteur réfolut d'oppofer bravade a bravade. Ils fit venir des Provinces d'autres Gentilshommes & des Mili- £• qu'il n'étoit amoureux que de fon ante. En effet, il paroiffoit au défefpoir quand elle mangeoit de la viande le Vendredi ; ce qui lui arrivoit fouvent. Le Coadjuteur n'étoit ni fi réfervé , ni fi fcrupuleux. Voye^ la fin de cette converfation , Mém, de Rets, torn. II, F- %h Louis XIV. 1649. La Fron» de.  L ov i XIV. 1649. Ï.A Fro] be. ' 32.6" L'Intrigue Jtaires, qui, réunis aux Frondeurs de Paris, lui formerent une efcortebrillante : mais il ne fe donna ces airs d'é"gahté, que quand le public commenca k revenir de fes préjugés; ce qui arriva fi-töt qu'on connuttes témoins & leurs dépofitions. On ne pouvoit avoir plus mal choifi Fun & 1'autre. Les témoins étoient des hommes également ridicules & infames; Canto, Pichon , Sociande, la Comete, Macafar, Gorgibus, noms auffi fogrenus, dit Gondi, que ceux des Efi cobar & des Tambourin des petites lettres de Port-Royal. ^ L'un d'entre eux avoit été condam» né a la potence, 1'autre k la roue, le troifieme étoit décrété pour crime de faux ; les deux autres avoient la réputation defloux fefés. Ces hommes mepnfables étoient porteurs de brevets, fignés par la Régente, & conrre-fignés par un Secretaire d'Etat, qui les autorifoient k affifler aux affemblées des Rentiers, a y parler, agir, délibérer , fans qu'ils puffent jamais etre repris pour tout ce qu'ils y auroient dit ou fait. C'étoit dans ces affemblées, difoient-ils, qu'ils avoient  du Cabinet. 317 entendu dire que le Coadjuteur & le Duc de Beaufort, devoient faire affaffiner M. le Prince & le PremierPréüdent; ils ajoutoient que le Confeiller Broufiel étoit du complot. Lorfqu'on eut lu ces dépofitions devant 1'affemblée des Chambres; lorfqu'on vit que ce prétendu complot, dont on faifoit tant de bruit, jufqu'a le comparer k la Conjuration d'Amboife, fe réduifoit a de fimples ouïdire , avancés par des gens dignes du gibet, contre un petit-hls d'Henri IV, un Archevêque & un Magiftrat refpe£lable , les idéés changerent. On foupconna bien un complot, mais formé contre les accufés &c non par eux, Gondi , dans un difcours précis, expofa fes moyens avec une force qui fit impreffion ; il peignit fur - tout, avec des couleurs fi vives , 1'infamie des accufateurs a brevet, & la baffeffe du Minifire, qui employoit un pareil efpionnage, qu'il s'éleva dans toute la Chambre un murmure d'indignation. Cependant, comme 1'accufation fubfifloit, le Premier-Préfident prononca , que le Duc de Beaufort, le Coadjuteur &c Brouffel, étant parties3 Louis XIV. 1649. LaFrok» BE,  1 o ui! XIV. 1649. Ea Fron de. -1 328 L' I N T R I G U E ; ne pouvoient refter Juges , &c qu'ils eufïent a fe retirer. Et Monfieur le Prince, s'écrie le Coadjuteur. Moi ! moi! répondit Condé, d'un ton vif & piqué. Oui ! oui ! Monfieur , reprit fiérement Gondi; la jufiice égale tout le monde. Le Prince, clans ce moment, ne dut pas favoir bon gré a ceux qui, par leurs confeils, 1'avoient engagé k defcendre dans une arêne, oü il étoit forcé de fe battre contre des champions, qu'il auroit dédaignés par-tout ailleurs. Le Coadjuteur ne remporta que 1'honneur d'avoir, pour ainfi dire, fait affaut avec un Prince du Sang. Comme accufés , lui , Beaufort & Brouffel, furent obligés de fe retirer pour laiffer délibérer : mais les applaudiffements d'un peuple nombreux, qui rempliffoit les falies, donnerent k leur retraite un air de triomphe. Le 29 Décembre, la fcene changea. A leur tdur, ils firent defcendre le Premier-Préfident de fon fiege, en demandant a le récufer. Ils difo'ient dans leur requête , qu'il s'étoit tou|ours montré leur partie; que d'ailleurs ils étoient accufés d'avoir voulu 'affaffiner, & que, quoique la calom-  du Cabinet. 329 nie fut notoire, elle pouvoit laiffer dans fon efprit des préventions qui devoient 1'empêcher de refter Juge. Molé répondit qu'il n'étoit choqué ni épouvanté de rien , & qu'il ne fe fentoit pas le moindre préjugé contre les accufateurs , ni contre les accufes. Néanmoins , foit qu'il fe fut gliffé quelque apparence de partialité dans fa conduite, foit que la j euneffe fe fit un malin plaifir de mortifier fon Chef, qui la gourmandoit quelquefois, on voulut délibérer fur la requête, & Molé fut obligé d'aller attendre au Greffe la décifion. Elle lui fut favorable ; 011 jugea qu'il n'y avoit pas matiere a récufation : mais le PremierPréfident ne tint pas contre cette efpece d'affront; cet homme fi ferme, en quittant fa place , laiffa échapper des larmes. Pendant tout le cours de cette affaire, le Palais fut plein de gens armés. II y avoit peu de Confeillers & de Préfidents, qui n'euffent des poignards fous leurs robes. Gondi en portoit un lui-même; & quelqu'un , en' ayant vu paffer la poignée par la poche , s'écria : Voila U Briviain du Louis XIII. 1649.' La Fronde. 1650. Fautes de L'ondé. Rcts, t. 2, 7. 57. Nemours £ >. 60.  looi: XIV. 1650. La Frön de. 'i i 33° L' I N T R I G U E . Coadjuteur. La plupart des Genrilshommes & des Officiers, que les deux partis appelloient a leurs fecours, fe connoiffoient. Ils caufoient enfemble familiérement dans les falies: mais au moindre bruit qui fe faifoit entendre dans la Grand'Chambre, ils fe démêloient brufquement les uns des autres, ck fe rangeoient chacun de leur cöté , prêts a fe charger; c'efl-a-dire, les Militaires appellés par le Coadjuteur de fon cöté, & tous ceux de la Cour du cöté du Prince: &, ce qui eji rare , aioute Gondi, c\ft que ceux qui nous tuffent égorgés , tuffent été ceux-ld. meines avec qui nous étions d'accord. Cette énigme s'explique d'un mot : alors le Coadjuteur étoit raccommodé avec le Minifire. Ce phénomene, encöre ignoré de tout le monde, fut caufé par les imprudences du Prince. Madame de Nemours dit a cette occafion, dans fes Mémoires : Prefque tous les grands Princes, même ceux qui deviennent les dus modérés & les plus judicieux dans 'a fuite de leur vie , font, dans leur ■eunefe, auffi perfuadés qiion les craint, \ue les belles femmes , ou celles qui  du Cabinet. 331 fc piqumt de i'étre , font perfuade'ss ~ qu'on les aime. 11 n'ejl pas plus aiféde déperfuader ceux-La de la terreur que cau/e leur nom,quede détrompercelles-^ci de l'effet de leurs charmes. Cette confiance dans fes forces, fit hafarder au Prince bien des démarches qu'il auroit dümefurer davantage. II fe brouilla ouvertement avec les Frondeurs, fans être entiérement réconcilié avec Mazarin, dont il ne parloit jamais qu'en termes de mépris. Les lenteurs de fon procés, qui exigeoit de lui 1'afliduité aux audiences, dans lefquelles il entendoit fouvent des chofes peu agréables, lui caufoient un dépit mortel; & il lui arriva fouvent de faire entendre qu'il fe vengeroit un jour du Minifire , qui Favoit jetté dans cet embarras, en lui difant que ce ne feroit que 1'affaire de quelques jours. Les Frondeurs lui propoferent de 1'abréger, en fe réconciliant avec eux, & il dédaigna leurs offres. Dans le particulier, il reconnoiflbit leur innocence ; mais il vouloit qu'ils fulfent punis, pour avoir ofé lutter contre lui, & il exigeoit que le Coadjuteur s'éloignat pour quelque temps : permis O u I s XIV. 1650. a Fronde.  L o v XIV. 1650. La Fr o DE, •*» ^332 L'Intrigue "néanmoins de lui donner l'ambaffade de Rome ou d'AHemagne, pour can cher fa difgrace. Condé taxoit la Reine de ne pas 1'aider comme elle auroit du, dans la pourfuite de fon procés; ilharcelok le Minifire; il fatiguoit le Duc d'Orléans, qu'il traïnoit malgré Itu è 1'audience , & qui faifoit fouvent Ie malade pour s'en difpenfer; comme fi tout le monde devoit plier fous fes loix. II voulut que le jeune Duc de Richelieu époufêt Mademoifelle de Pons, dont il étoit amoureux, & il les fit marier malgré la Ducheffe d Egiullon , tante du Duc. Le Prince efpéroit par-la fe rendre maitre du Havre-de-Grace, dont Richelieu étoit Gouverneur, & en gratifier le Duc de Longueville, fon beau-frere : mais Ia Ducheffe d'Aiguillon prit les devants, s'afïïira du Commandant & de la garnifon , & ferma les portes a fon neven. Condé fit deux fautes en cela; la première, d'indifpofer une femme' dont les confeils hardis pouvoient lui etre funefles; la feconde, de redoubler le mécontentement des Frondeurs, en^leur enlevant un riche héritier' qu'ils comptoient faire époufer a Ma' lemoifelle de Chevreufe.  du Cabinet. 333 Mais ce qui combla la mefure , fut une infulte faite a la Reine. II y avoit a la Cour un Marquis de Jarfay, homme avantageux & frivole , qui s'avifa de vouloir mettre Anne d'Autriche au nombre de fes conquêtes. Cette folie étoit héréditaire dans fa familie. Le Maréchal de La Vardin , fon grand-pere , s'étoit donné pour amant public de Marie de Médicis, & en avoit été puni. Le petit-fils le fut auffi, mais aflez foiblement, puifque la Régente, après s'être quelque temps amuf ée de fes galanteries, qu'elle croyoit fans conféquence, voyant que le Marquis en prenoit avantage , fe contenta de lui défendre de paroitre devant elle. Jarfay, qui étoit de la Cour de Condé, alla fe plaindre k lui de fa difgrace. Le Prince , qui avoit enhardi le Marquis k parler & k écrire, fe fit un point d'honneur de le faire rappeller. 11 vim trouver le Cardinal, dit Madame de Nemours, <$- lui dit quil vouloit que la Reine vit Jerfay des le mime jour. Le Cardinal eut beau lui repréj"enter, qu'après une pareille impudence, il n'y avoit perfonne qui y put obüger la moindre femme du monde; il Louis XIV. 1650. LaFronde. Aventnre de Jarfay. Mcttevil- p. 350. Lenet, t. i, p. 27. Nemours , p. 60,  Louis XIV. 1650. LaFron de. Réconci liatioft di Coadju"teur avec la Cour. Rsts, t. 2 p. ji. Joly, 1.1 p. 82. Nemours , (' 6l. 334 L'Intrigue ne répondit autre chofe, felon la coutitme de ce temps-ld, jlnon : II le faut pourtant bien, paree que je le veux. La Reine fe trouva donc forcée d le voir. ■ Ce dernier acle de tyrannie dé'termina la Régente Sc Ion Miniftre k tout facrifier, pour n'y être plus expofés davantage. Mazarin fit quel'ques avances k la Duchefle de Chevreufe. Anne d'Autriche écrivit un billet flatteur au Coadjuteur : il vola auprès d'elle; & en trois ou quatre conférences nocturnes, tout ce qui pouvoit affurer la vengeance de la Régente & des Frondeurs , fut réglé Sc arrêté. Quelque fecret qu'on apportét k ces entrevues, le Prince en eut vent, Sc en paria au Cardinal, mais comme d'une chofe plus plaifante que férieufe. Mazarin le prit fur le même ton. Sans doute, dit-il a Condé, ce feroit une chofe fort plaifante, de voir le Coadjuteur avec de grands canons, un bouquet de plumes, un manteau rouge , & Cépèe au cóté ; je promets d Votre Alteffe de la réjouir de cette vue, sil prend envie a ce Prélat de me vifiter dans cet équipage. Le Cardinal donna tout cela au Prince d'un air fi libre &  du Cabinet. 335; fi dégagé , que Condé y fut trompé. L'Italien employa*, auprès du Prince , une autre efpece d'ironie que Févénement rendit bien piquante. II lui dit qu'un nommé Des-Coutures, témoin décifif dans fon affaire contre les Frondeurs , venoit d'être arrêté hors Paris; mais qüil y avoit a craindre lorfqu'on Fameneroit, qu'il ne fut enlevé; qu'il falloit donc envoyer des troupes a fa rencontre. Condé y confentit, &: figna lui -même 1'ordre aux Gendarmes & aux Chevaux-Légers, de conduire au Chateau de Vincennes le prifonnier qu'on leur remettroit. II ne manquoit plus que le confentement du Duc d'Orléans. Quoique Gafton répugnat a la violence, la Reine 1'obtint a force de prieres, Sc en réveillant fa jaloufie contre le vainqueur de Rocroy. Elle gagna même fur lui, qu'il feroit myftere a FAbbé de La Riviere, fon Favori, dont les liaifons avec la Maifon de Condé faifoient craindre une indifcrétion. Quand toutes les mefures furent prifes, on attira au Louvre, fous prétexte d'un Confeil, les Princes de Condé & de Conti, Sc le Duc de Louis XIV. 16 jo. LaFnoN- DE. Les Princes de Condé, de Conti , & le Duc de Longueville arrëtés. Lenct, t. I, p. 80. Nemours , ■>. 62. Rets , f. 2 , i. 58. Joly, 1.1, 1. 83. Buffi.t. 1, !>. 239. La Rocht* fouc. p. 122. Talon, t, 7,P. 88. Artagnan ^ t. 2, p. 2. MottevilU> t. 1, ?• 355.  Louis XIV. 1650. La Fron* DE. Confter. ïistion de leurs Partifans.Rets, t. 2, p. 62. 33S L'Intriguf. Longueville, &c ils furent arrêtés le 18 Janvier. Ce coup imprévu terraffa Conti &c Longueville; Condé ne mar» qua que de la furprife; & quand il fe vit livré aux Gendarmes & au Chevaux-Légers , auxquels il avoit donné lui-même 1'ordre pour être conduit k Vincennes , il leur cria : Jmis, cc nejt point ici la bataillt de Lens. II feroit difficile de peindre 1'étonnement de la Cour & de la ville. Comme la réfolution prife contre la liberté des Princes, quoique conflée a une douzaine de perfonnes, n'avoit pas tranfpiré , chacun les croyoit toujours en faveur, & continuoit auprès d'eux fes affiduités; de forte que tous furent furpris dans les démonflrations d'attachement aux difgraciés: furprife très-défagréable pour des Courtifans. Plufieurs craignirent de partager leur malheur; mais ils dürent être raffurés par la conduite & les difcours de la Régente. Elle marqua une vraie douleur d'avoir été forcée d'en venir a cette extrêmité contre un Prince qu'elle eflimoit, & de caufer ce chagrin k la Douairière de Condé, PrincelTe qui avoit toujours été fon amie,  du-Cabine t. 337 & fa confolation clans fes peines: mais les Frondeurs ne continrent pas leur joie; eux qui auparavant ne paroiffoient prefque pas k la Cour, fe répandirent autour de la Reine, qu'ils environnoient d'un air de triomphe. L'accufation criminelle intentée contre Beaufort & le Coadjuteur, tomba d'elle-même : a peine fe permit-on de faire précéder FArrêt en leur faveur, par les formalités d'ufage. On n'apporta pas plus de difficulté a 1'enrégiltrement de la Déclaration , envoyée au Parlement contre les prifonniers. Le peuple de Paris fit des feux de joie. Les deux Princeffes de Condé eurent ordre de fe retirer k Chantilly. La Ducheffe de Longueville , qu'on vouloit arrêter, fe fauva en Normandie; Turenne, la Rochefoucault, Bouteville , beaucoup de Seigneurs & de Gentilshommes, attachés aux Princes, allerent fe cacher dans les Provinces, oü ils efpéroient trouver de la proteéfion. Enfin , 1'Abbé de La Riviere , jugeant bien qu'après les marqués de défiance que lui avoit données Gafton , il ne devoit plus compter fur fes bonnes graces, Tornt III. P Louis XIV. 1650. La Fronde.  Louis XIV. IOJO. La Fronde. (. 297 d 3CO , & tdit. de 1731 , rif. 1 , p. 2:74 a -277. Louis XIV. 1650. La Fronde,  Louis xiv. 1650. La Fronde. Elle fe r-nd a Bordeaux, 344 L' Inthigtjë jaloufies, d'oü naiflbient des Elégies, des Madrigaux, des Chanfons, &, excepté quelques regrets donnés de temps en temps aux prifonniers , les intéréts du parti étoient ceux dont cette troupe folatre s'occupoit le moins. Ces agréables paffe-temps furent interrompus par les exprès du Duc de Bouillon , qui demandoit auprès de lui la PrincefTe & fon fils. On trompa 1'efpion de Ia Cour, en fuppofant qu'elle étoit malade, & en lui fubflituant , dans une chambre obfcure, une de fes filles qui lui reffembloit beaucoup , avec le fils du Jardinier, du même age que le jeune Duc; de forte que, quand la Régente fut inftruite de cette fupercherie, Clémence avoit déja gagné Montrond, fortereffe aflez importante en Bourgogne. La PrincefTe fe vit bientöt menacée d'y être inveflie ; elle en fortit, y laiffant garnifon capable de réfiftance , qu'elle paya de carefles : Carejfes des Grands, dit Lenet, monnoie qui paffe par-iout. Les fots s'en payent, & ies honnêtes gens les fouhaitent. Clémence poffédoit fupérieurement  nu Cabinet. 345; Tart de donner cours a cette monnoie, Agréable fans être belle, d'un carac teredoux, acceffible, prévenante, elle parloit avec grace & facilité, & fe montroit avantageufement dans des occafions qui demandoient de la préfence d'efprit & de la vigueur. De Montrond , elle paffa a Turenne, & de Turenne , les Ducs de Bouillon &c de la Rochefoucault la menerent, avec une forte efcorte , a Bordeaux. Ils croyoient y être recus fans difficulté , paree qu'ils avoient pour eux le peuple : rrtais les bons Bourgeois, & fur-tout le Parlement, répugnoient k admettre dans leur ville un parti armé , capable de les maitrifer & de les mener plus loin qu'ils ne voudroient. Craignant donc que leur jonélion avec les partifans des Princes ne les plongeat dans une longue guerre, ils conTentirent de recevoir dans leur ville la PrincefTe & fon fils; mais ils réfuferent d'ouvrir leurs portes k un gros corps de Nobleffe & de troupes rég'ées , dont elle étoit accompagnée , ainfi qu'aux Ducs de Bouillon & de la Rochefoucault, tant qu'ils feroient Louis xiv. 1650. La Fronde.La Roch:fouc. f. "9. MoiteviïU,t.l,p.515.  Louis XIV. 1650. La Fronde. Violence «jui s'y comraet. Lente, t. Ij p. 192. 346* l' i N T R. I Q V E a la tête de cette efpece d'armée. Les deux Ducs refierent dans les fauxbourgs : mais tous les jours ils entroient dans Ia ville , fous prétexte d'aller faire leur cour a la PrincefTe; ils voyoient les Confeillers & les bons Bourgeois , qu'ils croyoient les plus aifés a féduire; ils careffoient le peuple , dont ils gagnerent le plus grand nombre par quelque argent diftribué a propos , & fe conduifirent fi habilement, qu'ils firent recevoir leurs troupes dans la ville. II fut enfuite quefiion de faire paroitre le Parlement d'accord avec Ie parti. Comme les Ducs furent que la Compagnie ne fe prêteroit pas volontairement k cette apparence, ils réfolurent de Ia forcer, & de lui arracher des Arrêts qui liaffent publiqitement le Parlement k leur caufe. Lenet propofa 1'expédient de faire a Bordeaux ce qu'on avoit fait k Paris , d'ameuter la populace : mais comme les Gafcons font plus vifs que les Parifiens, peu s'en fallut que, dès la première fois, ils ne paffaflent les bornes mxquelles ceux-ci s'étoient arrêtés. Us  i> u Cabinet. 347 entourerent le Parlement, qui délibéroit fur le parti qu'il prendroit, de fe joindre aux Princes, ou de les abandonner ; ils fe mirent a crier , a menacer : quelques Confeillers eurent peur, &c voulurent fe fauver; ces forcenés les repoufferent dans la Chambre, &c en blefferent plufieurs. Le Parlement fit avertir la PrincefTe du danger oii il fe trouvoit, & en mêmetemps appella k fon fecours les Bourgeois , qui prirent les armes &c vinrent au Palais tambour battant. Lenet, qui n'avoit pas cru que les chofes duffent être portées a cet excès, engage la PrincefTe d'aller appaifer le tumulte. Elle prend deux femmes avec elle ; elle paroit fur le perron du Palais , au moment que les deux troupes, celle des mutins & celle de la bourgeoifie, étoient prêtes a fe chaiger. Déja quelques coups avoient été tirés : Clémence fait figne de la ma in , & s'écrie : Qui maime me fuive! En même-temps, elle tourne vers fon logis; toute la populace la iiiit, en criant: y~ive la Princelfe! & le Parlement efè délivré. Condé, apprenant cet événe- L o u 1 5 XIV. 1650. La Frok« de,  Louis xiv. 1650. La Fronde. (a) Mademoifelle de Scudéry trouvant dans la prifon du Prince, le lendemain de fa fortie , les fleurs qu'il s'amufoit a cultiver, écrivit ces quatrevers fur la muraille: En voyant ces oeillets qu'un illuftre Guerrier Arrofa d'une main qui gagne les batailles ; Souviens-toi qu'Apollon a bati des murailles. Et ne t'étonne pas de voir Mars jardinier. Voy, Mém, de Motteville, torn, 3, p. 539. Fin du Tornt troijieme. 348 L'Iktrigue, &c. ment dans fa prifon, ne put s'empêcher de rire du contrarie de fa fituation avec celle de fon époufe. Qui auroit cru , dit-il, qut j'arroferois des jlturs , pendant qut ma ftmrnt fait la gutrrt (a) ?