HISTOIRE D É CICÉRON, T 1 R Ê E DE SES £ C R I T S E T DES MONUMENS DÈ SON SIÈCLE; Avec les Preuves & des EclairciJJemens : Traduite de 1'Anglois, par 1'Abbé Pré vost. TOME PREMIER. A AMSTERDAM* Et fe trouve a PARlSy RUE ET HOTEL SERPENT Ë, M, DCC. LXXXIV,   A VERTISSE MENT* L A communication des arts & des fclences eft fi bien établie entre les anglois & nous, qu'il eft prefque indifférent pour leur avantage & pour le nótre , de laquelle des deux nations vienne un bon ouvrage. II paffe auffitöt chez 1'autre par une prompte tradudion, & depuis longtems toutes nos richeffes littéraires font devenues communes. N'examinons point qui deux ou de nous ont mis le plus jufqua préfent dans cette forte de commerce. C'eft un intérêt d'honneur , que je trouve bien moins important que celui de 1'utilité. Ainfi M. Middleton a dü s'attendre, en publiant la vie de Cicéron, que .par le fort de tous les bons livres d'Angleterre, le fien ne tarderoit point a paroitre en francois. Mais connoiffant le goüt des deux nations, il a prévu fans doute qu'il ny conferveroit pas exadement la mêmë forme. Je ne parle pas feulement; a üj  VJ AVERTISSEMENT. de celle qui confifte dans le tour de 1'expreffion, & qui n'a pu manquer de recevoir des changemens d'autant plus conïïdérables, qu en fuppofant le ftyle de M. Middleton J fort élégant dans fa langue, eet exemple prouveroit feul quele goüt de 1'élégance eft fort différent dans la nótre. Nous aurions peine a nous faire goüter, furtout dans le ftyle hiftorique, pardesphrafes d'unelongueur extraordinaire, & paree grand nombre de particules & de conjonctions grammaticales qui font comme 1'ornement du ftyle anglois. Le But, le Sothat, le Therefore, &c. y reviennent prefqu'a chaque ligne, & fervent peut-être utilement a foutenir 1'attention du le&eur, en le forcant d'aller bien loin pour trouver la fin d'une phrafe ou d'une penfée; mais eet avantage eft' payé trop cher, quand c'eft, comme je le penfe, au prix de la netteté , du feu & de 1'agrément f qui ne peuvent guère fe trouver dans ce perpétuel enchamement de périodes. J'avouerai néanmoins,-pour óter 1'air de cri$que ï cette remarque^ que la langue an*  Av ER TI S SE MENT. VlJ gloife a des propriétés qui peuvent y faire 'fupporter ce qu'on n aimeroit pas dans la nötre (a). Mais n'ayant fuivi pour le ftyle, que O) Le feul ufage qui fait tirer aux pronoms leur genre de la perfonne & non de la chofe, fert a mettre de la clarté dans bien des phtafes , qui ne feroient point intelligibles en francs avec la mcme conftrudton. Après avoir parlé en francois de Cicéron & de Terentia , fi je dis que je fins entré dans fa cbambre j je ne me fais point entendre, paree que le pronom fa tirantfon genre de thambre, il demeure incertain fi c'eft dans la chambre du maxi ou de la femme que je fuis entré. Mais en anglois , lorfque j'ai dit her room , on entend tout dun coup que c'eft la chambre de Terentia ; & dans quelque endroit de la phrafe que ce mot foit placé , il n'eft pas fujet z la moindre équivoque , paree que le genre du pronom her fe prenant de la perfonne , il faut néceiTairement que her room foit la chambre d'une femme; comme his room feroit infailliblement celle dun homme. La langue angloife a quantité de ces ufages , qui font de véritables richeffes, & qui peuvlit faire comprendre que ce n'eft point par les memes voies qu'on fe rend clair dans la notre. a iv  frÏÏj AV"ERTISSEMENT- ïes lolx communes de la traduéHon, tellei que M. Middleton fe les eft lui-même ïmpofées dans fa préface, je ne m'arrête ni a faire valoir ma méthode, ni a la juftifier. Les changemens dont j'ai parlé font d'une autre nature. II n'en eft pas d'une hiftoire comme d'urt ouvrage de poéfie ou d'éloquence, dont le mérite confifte proprement dans les penfées & dans 1'exprefÏÏon. Un tradu&eur qui entreprend de rendre en francois les odes d'Horace ou le Panégyrique de Pline, s'attache autant qu'il eft poffible a les repréfenter tels qu'ils font, & ne doit efpérer de fuccès que par cette voie. Dans la tradu&ion d'une hiftoire, c'eft a la repréfentation des faits qu'il faut s'attacher 5 & 1'intérêt de la clarté, de la précifion & de la jufteffe peut quelquefois obliger le tradutleur d'abandonner la route de fort original, lorfqu'il en découvre une plus süre pour donner ces trois qualités k fa narration. Ainfi quoique 1'ouvrage de M, Middleton puiffe les avoir dans fa patrie , il m'a paru que pour fuivre le goüt de la  AVERTISSEMENT. IX mienne, il y avoit a faire quelques réformations qui n'intéreflent point la fidélité des faits. i°. Ses réflexions m'ont paru quelquefois trop étendues, & j'ai pris la liberté den refferrer plufieurs dans leur fubftance. 20. Elles tombent quelquefois fur Ia religion, fur le gouvernement, ou fur divers points qui font toujours délicats pour un francois , & je n'ai pas fait difficulté den fupprimer quelques-unes quï m'ont paru trop libres. 3°. M. Middleton ayant pris plaifir a s'étendre dans 1'extrait de plufieurs harangues de Cicéron , j'ai cru que. les plus beaux traits d'éloquence qui navoient point un rapport immédiat au fond de cette hiftoire , n'y pouvoient faire une figure agréable. Je me fuis imaginc au contraire qu'ils n'y jetoient que de la langueur en interrompant la narratio^ & je n'y ai laiffé, par cette raifon, que ce qui m'a paru lié néceffairement au fujet. Lorfque les ouvrages de Cicéron font en-  X AvERTÏSSEMENT. tre les mains de tout le monde, il me femble que ce n'eft point dans 1'hiftoire de fa vie qu'il faut les chercher. Mais autant que j'ai pris foin de retrancher tous les ornemens fuperflus} autant je me fuis efforcé de conferver tout ce qui peut donner un jufte éclat au caractère de Cicéron. Ainfi en fupprimant d'inutiles lambeaux de fes harangues, je me fuis bien gardé de toucher' aux fommaires des fujets} & aux circonftances que M. Middleton a recueillies pour éclaircir les tems & les occafions oü elles ont été prononcées. Ces détails font d'autant plus glorieux pour Cicéron, qu'on lui voit prefque toujours prendre la défenfe de l'infortune ou de la vertu, & que dans un fi grand nombre de plaidoyers qu'il nous a laiffés, il n'y a que 1'amour de la patrie qui 1'ait armé quelquefois contre de mauvais citoyens qui la déshonoroient par leurs vices, ou qui cherchoient a 1'opprirner. De toutes ces obfervations, on conclura que je me fuis moins attaché a fuivre fervilement mon original qu'a lui  AVERTIS SEMENT. X) Bonner une forme qu'on puiffe goüter en France; & c'eft précifément 1'idée que je veux faire prendre de ma tradu&ion. On fera furpris, a ia première vue, que l'hiftoire d'un homme qu'on ne fe repréfente ordinairement que fous 1'idée d'un philofophe & d'un orateur, ait pu fournir la matière de quatre volumes; mais ceux qui ne connoifTent Cicéron que fous ces deux tkres, en auront plus de plaifir a voir qu'ils ne font que la moitié de fon caractère. Aufli le principal mérite de M. Middleton dans eet ouvrage eft-il d'avoir raffemblé avec autant de jugement que de foin , tout ce qui peut fervir a donner une idéé complette de fon héros. II ne manque rien au foin qu'il a pris de recueillir mille traits difperfés, qui s'étoient comme dérobés jufqu'aujourd'hui a la vue des commentateurs & des hiftoriens; 6c la manière dont il les emploie eft toujours fi judicieufe, qu'il ne s'écarte nulle part de fon projet. S'il entre nJleffairement dans fa narration quelque partie de l'hiftoire romaine . c'eft avec une fu-  Xlj AvERTISSE MENT» bordination fi conftante & un rapport ff fideile au but de fon travail, qu'on fent a tous momens qu'il n'y mêle rien d'étranger. Cette fage réTerve étoit d'autant plus difficile que le fiècle de Cicéron étant celui des plus grands évènemens de l'hiftoire de Rome, il étoit affez naturel de fe laiffer féduire par les objets brillans qui fe préfentoient fans ceffe a fa plu me, & de facrifier quelquefois la jufteffe aux ornemens. II a porté fi loin le fcrupule , qu'on s"eft plaint de le trouver trop réfervé fur les louanges de quelques grands hommes y que le commundes letleurs connoit moins par leurs vices que par leurs vertus. Tels font Pompée , Jules-Céfar , M. Caton, M. Brutus , dont les nams font devenus ft refpe&ables , qu'on ne les prononce guère fans éloges. M. Middleton attaché fans cefie a. fuivre le fil de la vérité, ne rej^éfente ordinairement fes a£teurs que par le rapport qu'ils ont a 1'évènement qu'il raconte, & ne fe croit point obligé de rappeler des vertus étrangères a fon  AVERTISSEMENT. XUJ fujet, pour compenfer dans leur caractère les vices ou les fautes par lefquels ils appartiennent a Thiftoire qu'il écrit. II me paroit plus naturel de le juftifier par cette raifon, fur-tout après la déclaration qu'il fait dans fa préface , d'écrire fans aucune vue d'intérêt & de ne favorifer aucun parti, que de lui reprocher avec un critique d'avoir tenu , fuivant les idéés de fa na* tion , la balance un peu inégale entre les partifans & les ennemis de certains principes , ou, ce qui feroit peut-être plus vraifemblable, d'avoir voulu faire valoir fon héros aux dépens de ceux qui étoient comme les rivaux de fa gloire. Pour moi, qui n'ai pu m'empêcher de reconnoitre qu'il a donné quelque apparence de fujet a ce reproche , je puis dire du moins , après 1'étude que j'ai fake de fon ouvrage, que s'il na pas rapporti tout ce qu'on trouve dans les hiftoriens romains a 1'avantage de Pompée , de Jules - Céfar, &c. il ne leur attribue rien qui né*foit prouvé par des témoignages inconteftables i deforte que s'il peut être accufé de  XiV AvERTISSEMENT? quelque chofe s c'eft uniquement de n'a* voir pas donné plus d'étendue a leur cara&ère. Mais il refte a favoir s'il le devoit, & jufqu'a quel point un hiftorien particulier dok s'étendre fur ce qui n eft point effentiel a fon fujet. On s'appercevra que cette obfervation regarde principalement Pompée, qui n'eft pas toujours digne ici du nom de Grand ni dans fa conduite ni dans fes intentions. Avec quelque foin que M. Middleton ait cherché parmi les écrivains modernes , ce qui pouvoit fervir a fon entreprife, il parok avoir ignoré que les mémoires de notre académie des infcriptions & belleslettres renferment quantité d'excellentes diflertations , dont il pouvoit tirer beaucoup d'utilité. Combien n aurok-ilpas trouvé d'éclairciffemens pour diverfes parties de fon fujet dans les recherches de M. 1'abbé Couture, fur la vie privée des romains? En pylant fi fouvent de 1'emploi que Cicéron faifok de fon tems, des vifites qu'il recevoit le matin, de fes exercices au barreau, de fes amufemens a la campagne,  AVERTISSEMENT. xtf ne feroit-il pas a fouhaiter qu'il eüt orné fa narration de quelques détails qui puffent faire connoitre les ufages romains, fur-tout lorfque c'eft aux ouvrages mêmes de Cicéron, qu'on eft redevable d'une? partie de ces lumières. Au défaut de ce foin, il ne fera pas inutile ici pour 1'intelligence d'une infinité d'endroits de notre hiftoire, de remarquer que les romains avoient été quatre eens foixante ans fans connoitre dans la journée, que le matin, le midi & le foir. Encore la loi des douze(a) Tables ne fait-elle mention que du lever & du coucher du foleil, & ce ne fut que quelques années après, quel'huiffier du conful publia le midi a haute voix. Laiffons les degrés par lefquels on fortit de cegroffierufage. Mais au tems de Cicéron les romains fe fervoient de cadrans folaires, & de clepfydres ou d'horloges d'eau qui faifoient le partage des heures. II y avoit douze heures au jour, O) Plin. Hift. nat. iiv. 7) c. 60.  Xvj AvERTISSEMENTi tantót plus longues, tantöt plus courtes, fuivant la diverfité des faifons. Les iix premières étoient depuis le lever du foleil jufqu'a midi, les fix dernières, depuis midi jufqu'a la riuit; & pour avertir les pères de familie de 1'heure qu'il étoit, il y avoit communément dans la maifon un efclave qui n'avoit point d'autre emploi que celui d'obferver les heures. L'ufage des gens du monde étoit dTemployer la première heure du jour a faire leur cour a leurs fupérieurs, c'eft-a-dire , le peuple aux magiftrats, & les magiftrats mêmes aux riches. On en trouve la preuve dans tous les anciens écrivains. Juvenal fait une peinture fort vive de ces vifites. II met les courtifans en campagne de grand matin, (a) & ne leur donne O) Habet Trebius propter quod rumpere fomnum Debeat &C ligulas dimittere , follicitus-ne Tota falutatrix jam turba peregerit orbent = Sideribus dubiis , aut iUo tcmpore quo fe Frigida circumagunt pigri fanaca Boots. Sat, \* pas  &VERTÏSSEMENT. xvij pas même le loifir d'attacher leurs jarretïères & les. cordons de leurs fouliers. Martial & Pline le jeune ne donnent pas mem d'agrément (a) a leurs defcrip- Quod porro officium, ne nobis blandiar, aut quod Pauperis hïc meritum eft, fi curetnocTre togatus Currere ! Cum pra?tor liclorem impellat & ire Prarcipitem jubeat, dudum vigilantibus aftris : Ne prior Albanam aut Modiam collega falutet. Sat. 3. ^ (a) Martial fc plaint d'un feigneur romain qui si'avoit pas agréé fa vifite : Depuis votre retout deXybie, lui dit-il, je fuis venu cinq fo& de fuite a votre porte , fans avoir pu parvenir a vous donner le bon jour: vos gens m'ont toujours dit, ou que vous dormiez encore, ou que vous étiez déja en affaire. Je vois bien , feigneur Afer., ce qile c'eft ; vous ne voulez point de mon bon jour. Hé bien, je vous donne le bon foir & vous dis adieu: Dicere de Libycis reduci tibi gentibus, Afer, Continuis volui quinque diebus, ave : Non vacat aut dormit, dióïum eft bis, rerqUe reverfo; Jam fatis eft: bos vis, Afer, avere, vale. Tome 1, ],  XVrij AVERTISSEMENT. tions. Ces trois auteurs vivoient a la vérité fous les empereurs Domitien, Nerva & Trajan ; mais ce qu'ils difent de ces falutations, fe pratiquoit auffi régulièrement du tems de la république. Cicéron en parle dans plufieurs endroits, mais fur-tout lorfqu il excufe Ccelius de ce que contre 1'ufage des romains, il habitoit une autre maifon que celle ou demeuroit fon père. II na, dit-il ^ quitté la maifon paternelle que pour s approcher de nous, & pour être plus a portée de nous faire fa cour. Voila ce qui rempliffoit a Rome la Pline le jeune appelle cette mode de coutir aval* le jour chez les grands feigneurs officia antelucana,&c rapporte a ce fujet l'hiftoire de Caton, . qui, en revenant de fouper en yille, avoit ététrouVé ivre par une troupe de ces difeurs de bon jour. II ajoute qu'ils eurent tant de refped pour fa vertu, quoiqu'elle ne parut guère da*s cette occafion, qu'ils fe retirèrent en fiknee, non moins honteux que fi Caton les eüt trouvés eux-mêmes enfaute: Putares non ab iUis Catónem , fed illos a Catone deprehenfos. Lib. 3 , Ep- 1Z-  AVERTISSEMENT. xix première heure du jour, & très-fouvent la feconde auffi. Mais fi c'étoit une coutume, ce n'étoit pas une loi indifpenfable. Les gens de lettres, les gens d'affaires , les négocians , n'avoient garde de prodiguer des momens fi précieux. Pour la troifième heure, qui répondoit a nos neuf heures du matin , elie étoit toujours employée aux affaires du barreau , excepté dans les jours que la reiigion avoit confacrés au repos , ou qui étoient deflïrïés a des chofes plus importantes que les jugemens, telles que les comices (a). Nous fommes aujourd'hui au y d'aoüt, difoit Cicé/on aux juges (b)s <8c vous avez commencé a vous affembler a neuf heures. Martial (c) rend témoignage que eet ordre étoit le même de (a) Feriis jurgia & lires amovento, eafque in familiis , operibus patratis habento. Cicer. de Leg. 2. (b) Nona: hodie funt fextiles; hora tertia convenire ccepiftis. (c) Exercet raucos tertia caufïdicos. bij  XX AvERTISSEMENT; fon tams. Cteux qui ne fe trouvoient point aux plaidoyeries comme juges, comme parties, comme avocats ou comme folliciteurs, y afliftoient comme fpeftateurs & auditeurs , & même comme juges. « Sachez, dit Cicéron, aux fénateurs qui compoföient 1 affemblée devant laquelle il accufoit Verrès, « que fi vous ne jugez pas Ver. » rès, comme vous le devez, le peuple ro»main qui mentend vous jugera vous» mêmes, que fi vous faites grace au coupa» ble, il n'y en aura point a efpérer pour » vous ». En eflet, dans les procés particuliefsjcommeils fe plaidoient dans les temples , iln'y avoit guère que les amis des accufateurs & des accufés qui s'y trouvaffent: mais quand c'étoit une affaire ou le public étoit intéreffé, par exemple, quand un homme au fortir de la magiftrature étoit accufé d'avoir mal gouverné fa province ou mal adminiftré les deniers publiés , d'avoir pillé les alliés ou donné quelqu'atteinte a la liberté de fes concitoyens, alors la place ou les caufes fe plaidoient étoit trop getite pour conté-  AVERTISSEMENT. xxj nir tous ceux que la curiofite' y attiroir. Si ces grandes caufes manquoient, ce qui arrivoit rarement depuis que les romains furent en pofleïïion de la Sicile , de la Sardaigne, de la Grèce, de la Macédoine, de 1'Afrique, de 1'Afie, de 1'Efpagne & de la Gaule, on n'en paffoit pas moins la troifième, la quatrième & la cinquième heure du jour dans les places; & malheur alors aux magiftrats dont la conduite n'étoit pas irréprochable. La médifance les épargnoit d'autant moins qu'il n'y avoit aucune loi qui les «ut a couvert. Jufqu'au règne de Tibère , qui voulut que les difcours & les entretiens contre le gouvernement fuffent punis comme les aftions , on parloit librement des perfonnes les plus refpeclables (a). Quoique tous les citoyens, généralement parlant, donnaflentces trois heures a la place publique & a ce qui s'y paffoit, O) Lege majeftacis faclra arguebantur, di&a impune erant. Tacit. 4nn. i. b 'rij  XXlj AVERT I SSE MEN T. il y en avoit cependant de plus afiidus que les autres. Horace les appelle Forenfes ; Plaute & Prifcien, Subbafilicam ; & M.'coelius écrivant a Cicéron, Subroftrani ou Subrofiraril lis avoient, dit-il, fait courir (a) le bruit que vous aviez été tué le $ de mai. Les autres, moins oififs, soccupoient fuivant leur condition, leur dignité & leurs. deffeins. Les chevaliers faifoient la banque , tenoient regiftre des traités & des contrats légitimes. Les prétendans aux charges & aux honneurs mendioient les fuffrages. Ceux qui avoient avec eux quelque liaifon d'amitié , de fang , de patrie , ou de tribu , les fénateurs mêmes de la plus haute confidération, par affeaion oupar complaifance pour ces candidats, les accompagnoient dans les rues , dans les places, dans les temples, & les recommandoieiit a tous ceux qu'ils rencontroient; & paree que c'étoit une politelfe (a) Te ad non. jun. fubroftrarii , quod iiicrum capiti fit, dilTiparunc periiiTe.  XXÏV AvERTISSEMENT; fuivant 1'épigramme de Martial (a), lorfc qu'on avoit donné les fix premières heures aux affaires. C'étoient donc deux différens perfonnages que les romains faifoient en un même jour. Celui du matin étoit tout compofé , celui de 1'après-midi étoit tout naturel. Le premier étoit fier & hautain dans les affemblées ; le fecond étoit humain &c gracieux dans la fociété. Cependant les gens laborieux ne faifoient pas ce partage fi égal, & pouffoient le travail bien au-dela des bornes ordinaires. Mais c'étoient des perfonnages rares & faits pour donner de bons exemples. Tels étoient un Cicéron , un (b) Afinius Pollion, &c. Caton, cette image vivante de la vertu , n'avoit pas été fi opiniatre (a) Sexhorx tantum rebus tribuantur agendisj Vivere poft illas littera Zeta monet. (b) Afinium Pollionem oratorem magnum meminimus, quem nulla res ultra decimam retinuit. Ne epiftolas quidem poft eam horam legebat, ne quid nova curae nafceretur; fed totius diei laflkudinem duabus reliquis horis ponebat.  AVERTISSEMENT. XXV au travail pendant fa préture. II rendoit exa£tement la juftice pendant les trois ou quatre heures deftinées pour cette occupation; après quoi il fe retiroit chez lui pour diner fobrement,, &c Plutarque réfute comme un reproche injurieux ce que difoient les ennemis de ce grand homrae, qu'il avoit tenu le fiège après avoir diné. Caton elt un affez bon modèle ; & quand nous croirons que les autres romains vivoient comme Caton, nous ne leur ferons pas grand tort. Plutarque affure que quelques momens après fon diner il alloit régulièrement jouer a la paulme ou au balion , Pila, dans le champ de Mars. II dit que le jour même qu'il effuya le refus le plus mortifiant de la part du peuple, qui lui préféra un compétiteur indigne pour la charge de conful, il n'en donna pas un moment de moins a eet exercice. La paulme & le ballon étoient ainfi d'un ufage prefque général. La danfe n'étoit guère moins commune. Omne croiroit pas que Scipion 1'Afriquain } eet homme  XXVJ AvERTISSEMENT. fi grave, fe fit un amufement de la daiife. Cependant Seneque dit en termes expres que dans fes récréations il danfoit, «non de ces danfes molles 6c ef»fe'minées (a) qui marqüent la corrup»tion des moeurs, mais de ces danfes » rnales & animées qui étoient en ufage » chez les anciens , 6c que leurs ennemis » même auroient pu voir fans rien rabat» tre de 1'eftirne 6c de la vénération qu'ils » avoient concues pour leur vertu ». Cependant le plus grand nombre fe promenoitou apied, ou, comme nous dirions aujourd'hui, en carroffe; deux fortes de promenades dont 1'une s'appeloit Amlulatio , 6c 1'autre Geftatio. Cicéron en parle fouvent dans fes lettres. Les romains de fon fiècle, bien différens de (a) Et Scipio triumphale illud corpus movit ad numeros , non molliter fe infringens, ut nunc mos eft etiam inceiTu ipfo ultra muliebrem mollitiem fluentibus , fed ut illi antiqui viri folebant > virilem in modum tripudiare, non fa&uri detrimentum etlamfi ab hoftibus fois fpeclarentur,  AVERTI SSEMENT. XXVIJ leurs ancêtres , qui fuivoient le fimple goüt de la nature , (a) ne pouvoient fe repofer ni fe promener qua grands frais. Ils ne vouloient point que leurs divertilfemens de'pendiffent de la difpofition du ciel. Avec le fecours de 1'art ils (b) fe faifoient des promenoirs couverts & de longues galleries oü la propreté difputoit avec la magnificence. Ils auroient cru s'avilir s'ils eulfent attendu le beau tems pour aller prendre 1'air, ou s'ils euffent expofé leurs équipages a la pluie & a la boue. Cicéron qui confervoit encore quelque chofe des mceurs anti- (a) Nulla decempedis Metata privatis opacam Porticus excipiebat Arcixin : , Nee fortuitum fpernere coefpitem Leges finebant, oppida publico Sumptu jubentes & deorum Templa novo reparare faxo. (b) Balnea fexcentis & pluris porticus , in qua Geftetur dominus quoties pluit: anne ferenum Exputetj fpargatve luto jumenta recenti 3 Hoe potius, nam que hic munda; nitet ungula muls.  Av E R T ISSEMENT. XXXJ joindre ici quelques réflexions. La fcène qui va s'ouvrir eft a Rome pendant la plus grande partie de la vie de Cicéron; c'eft-a-dire, qu'il eft queftion continueilement d'aflembiées du peuple romain , & de harangues, ou d'autres a£tions publiques , qui peuvent faire naïtre plufieurs difïicultés. Voici de quoi les expliquer. i°. On a propofé les quatre queftions fuivantes a 1'académie des infcriptions. Comment doit-on entendre qu'un orateur parloit a tout le peuple romain pour des affaires de la dernière conféquence , qui devoient être terminées par les fuffrages du peuple ? Peut-on fuppofer que 1'orateur étoit entendu de toute cette multitude qu'il devoit perfuader ? 2°. Lorfqu'un homme étoit accufé, & que 1'accufateur & 1'accufé plaidoient leur caufe devant le peuple , dont les fuffrages le condamnoient ou le renvoyoient abfous, doit-on s'imaginer que tout ce peuple püt entendre affez diftin&ement les deux cau.fes pour condamner ou pour  XXXV) AVERTISSEMENT; ces affiches publiques* Outre les réflexions particulières de chaque citoyen , les orateurs avoient la liberté de s'expliquer au peuple, qui donnoit une grande attention a leurs difcours , comme on peut le prouver par l'hiftoire de la loi Valeria & de la loi Manilia. On dok donc conclure que le peuple déja inftruit par la le&ure des affiches, par les raifonnemens des politiques , & par les réflexions qu'il avoit pu faire a loifir 5 en perdant quelques paroles ou quelques périodes des orateurs, ne perdoit pas tout le fruit de fon afliduké a les écouter. Ce qu'on vient de dire ne regarde que les difcours qui fe faifoient dans la grande place. Comme elle étoit environnée d'édifices, il femble qu'elle devoit être plus favorable a la voix des orateurs , que cette partie du champ de Mars oü fe tenoient les aflemblées du peuple romain , foit pour 1'acceptation des loix, foit pour 1'élection des magiftrats, ou pour le jugement de ceux qui étoient accufés de quelque crime capkal.  A V E R T I S S E M E N T. XXXvif On ne parle point des affemblées tumultueufes oü le peuple échauffé n'écoute plus que fa paiïion, & refufe d'entendre ceux qui parient pour le parti contraire; Non-feulement 1'orateur n'eft point entendu des extrémités de la place; il ne 1'eft pas même de ceux qui s'approchent de plus prés. Lorfqu'un citoyen étoit accufé devant le peuple , 1'accufateur & 1'accufé plaidoient leur caufe devant ce peuple , dont les fuffrages devoient décider du fort de 1'accufé.: mais ce n'é-< toit pas 1'occupation d'un feul-jour; fouvent le jugement des préteurs ou celut des commiffaires avoit précédé celui du peuple, & ce n'étoit guère que par lavoie d'appel qu'on en venoit au dernier. Cette manière de procéder fut établie par le roi Hoftilius. Les termes de fa loi fe trouvent dans Tite-Live : duumviri per duel" lionem judicent: fi a duumvïris provocaverit, provocatione certato. Avant que d'en venir la , 1'accufateur avoit fait citer 1'accufé devant les juges ordinaires y & lui c iij  AvERTISSEMENT. xlj tïon de favoir fi le livre de Cicéron, appelé (a) le fecond ou le quatrième des académiques, eft eftectivement un livre qui doive être mis dans eet ordre , 6c confidéré relativement au premier , ou fi c'eft un ouvrage tout-a-fait détaché des autres livres. Perfonne n'avoit remarqué que eet écrit n'a aucun rapport aux livres académiques : mais M. 1'abbé Sallier, après avoir bien pefé les raifons qui l'ont porté a croire que c'eft effeclivement un ouvrage féparé, n'a pas fait difficulté d'abandonner 1'ancienne opinion. II tire fa preuve des lettres mêmes de Cicéron. Ce fut 1'an de Rome 708 , fous la troifième di&ature de Céfar , 6c dans la 6ze année de Cicéron , que les livres académiques furent compofés. D'abord il les avoit réduits a deux, dont 1'un portoit le nom de Catulus, 6c 1'autre (a) Les éditions de Cicéron le placent ordinairement le fecond, & celle de Gronovius en fait le quatrième fur 1'autorité de Nonnius,  xlij AVERTISSEMENT. celui de Lucullus. II leur avoit joint Homnfius pour troifième interlocuteur. k Je faifois parler, dit-il (a), dans les »livres académiques Catulus , Lucullus » & Hortenfius. Certes ce róle ne leur » convenoit pas. Ils n'avoient jamais penis fé , pas même en fonge, a ces fubti- 2» lités philofophiques » C'eft dans ces paroles qu'on trouve i'éclairciffement de ce qu'il dit aïlleurs, que dans les livres académiques, il faifoit parler des perfonnes illuftres a la vérité, mais qui n'étoient point du tout au fait de ces •matières épineufes; il dit qu'il placera dansunautre lieu Catulus & Lucullus \ b). Enfin dans la feizième lettre il ajoute : «J'avois choifi Catulus , Lucullus & » Hortenfius , mais cela n'étoit- pas con» venable, paree que le public favoit af» fez que s'ils n'étoient point abfolument »ignorans dans ces matières, du moins »ils y étoient peu verfés ». II óta donc (a) Ep. ad Att. ïx, 15. (b) Ep. 16.  XÜV AVERTISSEMEKT. fur qui elle tomboit « Dites-moi, jé »vous prie, ajoute Cicéron, a quoi vous » avez connu que cela feroit plaifir a Var* »ron. Je voudrois favoir qui eft celui » dont il vous a paru jaloux , a moins que » ce ne foit Brutus. II ne falloit que cela » pour me déterminer; mais je voudrois » bien en être afluré ». Dans la dix-huitième lettre il répète la même chofe , & cette lettre nous apprend' de plus pourquoi Cicéron avoit différé fi long-tems a fe fervir du nora de Varron dans fes dialogues : c'eft que Varron ne lui avoit jamais rien adrefle de ce qu'il avoit mis au jour. Cicéron vouloit être prévenu. « II m'avoit déclaré » dit-il a Atticus dans fa douzième lettre, » qu'il fe préparoit a m'adreffer un ouvrage » confidérable. Deux annéesfe fontpaflees » depuis, & cependant eet homrae, qui » va fi vite quand il veut, n'eft pas plus » avancé que le premier jour. Je voulois » lui répondre a mefure égale , & même » plus fi je le pouvois». Telles étoient les raifons qui avoient empêché Cicéron  AvERTISSEMENT. xlv 3e faire les premières démarches. II atten* dok Varron. Mais enfin il le prévint, 6c il fut le premier a lui adreffer un ouvrage dans lequel il lui donnoit le principal perfonnage. Dans ces livres il foutenoit les principes d'Antiochus (a). Ils étoient de fon goüt. « J'ai renfermé , dit-il, en » quatre livres toute la do&rine des aca» démiciens. Je fais dire a Varron tout ce » qu'Antiochus araffemblé de preuves con»tre le fentiment de ceux qui ne recon»noiffent aucune vérité certaine. Je lui » répons, & vous êtes {b) en tiers avec » nous ». A ces preuves M. 1'abbé Sallier joint la lettre même de Cicéron a Varron. Elle eft comme 1'épkre dédicatoire de 1'ouvrage. « Je me contente, lui dit-il, de »vous avertir; je n'ai garde d'exiger. » Mais je vous envoie quatre admoniteurs » alfez effrontés » c'étoient les quatre livres académiques. Cicéron fe défïoit (d) Ep. 11. It. i?. {b) Tu es teitius in fermone noftro,  'AVERTISSEMENT. xlix & 1'on cómpte parmi les vertus de Ci^ ce'ron d'avoir refufé plufieurs fóis eet honiieur. On mettoit für les lits facrés, les ftatues des grands hommes avec celles des dieux. Combien d'anciennes inferiptions rendent témoignage que les pères & les nières, les maris & les femmes , fe plaifcient a flatter leur douleur en mettant aü rang des dieux les objets aimés qu'ils avoient perdus ? Dans i'infcription fépub crale d'un certain Narciflion, fa mère & fon frère difettt qu'il eft maintenant aflls avec les dieux, invoqué comme eux, & qu'ils lui ont élevé un autel. Dans une autre (a) infeription rapportée par Reihefius, & que M. Bouilland avoit copiée a Smyrne fur un marbre quarré qui avoit fervi de bafe a une colonne ou a une ftatue, le mort qu'on fait parler , dit que Mercure 1'a tranfporté dans le ciel oit il eft aflis avec les dieux, & oü il boit & mange avec eux. Spon rapporte 1'inf cription fépulcrale d'un (h) certain Ca- (a) R.einef. claf. i7,infcrip. 140. (b) Spon. p. 358,inferip. 114. Ir. p. 374, Tome ƒ. d  I AVERTISSEMENT. rus Théophilus, oü le mort dit qu'il elf femblable a Caftor & a Pollux; & il finit en aflurant qu'il eft devenu dieu ou démon. On trouve encore une infcription grecque, rapportée par Reinefius & par Spon, oü L. Minicius Anthimus & Scribonia (a) Feliciflima, appellent leur fils A. Minicius Anthémianus, leur dieu particulier & domeftique. Mais fans parler de la Grèce ou ces exemples étoient fort communs, on fait que chez les romains , les enfans rendoient a leurs parens, après leur mort, des honneurs qui approchoient fort de ceux que 1'on rendoit aux dieux ; que leurs tombeaux étoient comme des efpèces de temples, & que les ancêtres étoient honorés par ceux d'une même familie, comme des dieux domeftiques, auxquels il leur étoit permis de rendre un certain culte quoiqu'ils n'euffent pas été confacrés par 1'autorité publique. Cicéron dans ce projet de loix qu'il avoit formé fur les ancien- (.;) Rein. p. ^94- Spon. p. 37°-  AVERTISSEMENT. \) nes loix & fur les coutumes romaines t met celle-ci : Sacra privata perpetua manento. Dcorum manium jura fancla funto. Hos laho datos divos habento; oü 1'on voit que les dieux mêmes ne font que les ancêtres de chaque familie. Plutarque dit que les enfans , après avoir brülé le corps (a) de leurs parens, croyoient que lorfqu'il ne reftoit plus que les os, le mort étoit devenu dieu; & Labéon cité par Servius, fur (b) le troiiième livre de 1'Enéïde, prétendoit qu'il y avoit certaines cérémonies qui transformoient les anies en dieux ,\Qc qu'elles prenoient alors le nom de DU animales. Tout cela étoit fondé fur la do£trine de plufieurs anciens philofophes > qui croyoient que 1'ame participoit de la nature divine, & qu'elle pouvoit s'élever par différens degrés jufqu'a une reifemblance parfaite avec les dieux. II n'eft pas furprenant que Cicéron rempli de toutes ces idéés, y trou- (a) Plutarq.Qua^Rom. {b) Verf. 2J4. dij  Hj AVERTISSEMENT. vat encore plus de vraifemblance dans les tranfports de fa douleur , & qu'il fe perfuadat fincèrement tout ce que la tendreffe paternelle lui faifoit fouhaiter en faveur de fa rille. Finiffons des remarques qui s'allongeroient a 1'infini fi j'étois dans le goüt de la plupart des commentateurs. La réferve continuelle dont j'ai ufé dans mes notes, fera voir qu'a 1'exemple de M. Middleton , je n'ai point penfé a charger eet ouvrage d'ornemens inutiles. Mais je ne puis me difpenfer d'ajouter quelques mots d'éclairciflement fur un point qui m'a caufé fouvent de 1'embarras. Je parle de 1'évaluation des fefterces. M. Middleton n'ayant point expliqué fur quelle règle il a fait la fienne, il m'a paru quelquefois qu'il faifoit monter les fommes romaines fort au-deffus de 1'idée que le fujet en fait prendre, & je n'ai pas fait difficulté d'en réduire quelques-unes a des termes plus modérés. Si 1'on me demande quelle règle j'ai fuivie moi-même , j'avouerai avec M. 1'abbé  AVERTISSEMENT. liij 3e Montgault, que je n'en ai pas trouvé d'affez certaine pour me perfuader abfoïument que mon calcul ait toujours été jufte, 6c je n'ai confulté dans ces occafions que la vraifemblance. Dans une matière oü il y a prefqu'autant d'avis que de favans, il eft affez indifférent quel parti 1'on prenne. M. de Montgault a fuivi dans fa traduótion des Lettres a Atticus } 1'évaluation de M. de Saint-Réal. II fuppofe que, mille fefterces valoient environ quatre-vingt-quatorze livres de notre monnoie; mais il déclare que rien ne lui paroït moins fur. Ce qu'il y a de certain fur cette matière , c'eft que le fefterce étoit une petite monnoie d'argent, qui valoit le quart du denier romain, o.u deux as 6c demi, Cette marqué H S , fignifie donc dipondium cum femiffe, 6c fefiertius eft la même chofe que femijiertius. Les romains comptoient par fefterüi 6c par fejlertia 3 car on ne trouve jamais feftertium au fingulier, paree qu'on difoit mille feftertii 6c non pas mum feftertium.  ÜV AVERTISSEMENT. Les fefiertia valoient autant de miliiers de ces petites pièces d'argent nommées fefiertii qu'il y avoit d'unités dans le nombre. Ainfi fefiertia X. ou fefiertium decem, c'étoit dix mille petits fefterces. Ce n'eft que par le fujet qu'on peut reconnoitre s'il s'agit de grands ou de petits fefterces, & les uns & les autres s'expriment par cette marqué H S; le fftertius, paree qu'il valok deux as & demi, & le fefiertium paree qu'il valoit deux livres & demi d'argent. M. de Saint - Réal avance fur la foi d un favant, dont il ne fait pas connoïtre le nom, que les romains ne fe fervoient de cette marqué H S que pour les petits. fefterces , & que pour les grands ils écrivoient tout au long fefiertia , au lieu que les copiftes avoient éerk en abré-gé les uns & les autres. Mais cela eft avancé fans autorité & fans fondement, L'uniformité qui fe trouve dans les manufcrits prouve que cette manière de. marquer les grands fefterces ne vient pas des copiftes, ïi y a même un endroit  AvERTISSEMENT. lv clans Suetone qui décide abfolument que les romains écrivoient en abrégé les grands fefterces aufli bien que les petits. C'eft dans la vie de Galba} au diapitre fixième. Ces dernières remarques font du tradudeur des Lettres [a Atticus , de qui j'ai cru devoir emprunter aufli fa traduction dans tous les endroits oü M. Middleton a cité divers lambeaux de ces lettres. div  PREFACE DE M MIDDLETON. L'Histoire n'a point de partie plus agréable & plus inftrudive que les vies particulières des grands & vertueux perfonnages qui ont fait une figure diftinguée fur le théatre du monde. On y trouve réuni fous le même point de vue tout ce que les annales d'un fiècle entier préfentent deplus remarquable; &, dans le vafte champ de l'hiftoire, gliflant, fi j'ofe parler ainfi, fur les endroits ftériles, on cueille de toutes parts les fieurs qui tombent fous les yeux, & 1'on rafiemble des richefies qui fe trouvpient difperfées. Mais on obferve dans la plupart des vies particulières un défaut dont il eft rare que les écrivains fe garantiftènt. C'eft celui de fe prévenir exceflivement en faveur de leur fujet, öc de nous donner moins une hiftoire qu'un panégyrique,  P R É F A C E. lvij Ils travaillent les caraclères comme les peintres font les portraits ; ils mettent 1'honneur de leur art, non a copier la nature, mais a 1'embellir, non a tirer une jufte relïemblance, mais a faire une belle peinture, & a transformer 1'homme en héros. A la vérité cette affe£tation eft plus difficile a éviter qu'il ne femble. L'inclination même qui porte a compofer l'hiftoire d'un particulier, eft déja une forte de prévention pour fa perfonne ; & lorfqu'on a commencé 1'ouvrage avec une difpofition fi favorable , il eft fort naturel de jeter de 1'ombre fur fes défauts, de donner une couleur trop forte a fes vertus, & de tirer, fi 1'onpeut, d'un bon cara&ère , le tableau d'un caraftère excellent. Reconnoitre que cette faute eft commune a la plupart des biographes, c'eft confeffer que j'ai dü faire tous mes efforts pour men garantir. Mais quoiqu'effeftivement je n'aie rien négligé dans cette vue, je n'affurerai point que j'y aie tout-afait réuUi. J'en laiffe du moins la déci-.  de M. Middleton. ïix tion, qu'ils n'en peuvent recevoir d'un fimple fragment ou d'une courte note. Mais de quelques préjugés qu'un écnvain puiffe être fufpeft, il eft certain que dans un ouvrage de cette nature , il en a beaucoup plus a combattre dans fes lecteurs. La fcène eft établie dans un fiècle 6c dans un lieu avec lefquels nous fommes familiers dès notre enfance. Nous apprenons au collége les noms des principaux acteurs *, nous nous faifons parmi les romains des favoris fuivant notre humeur & nos inolinations, 6c c'eft dans le tems que nous fommes ie moins capables de juger du mérite', que nous nous en formohs une idéé qui dure queiquefois autant que notre vie. Ainfi Marius, Sylla , Pompée , Céfar, Ca ton , Cicéron, Brutus , Marc Antoine, ont chacun leurs avocats, zélés pour leur réputation , 6c prêts a prendre querelle pour foutenir la fupériorité de leur mérite. Mais entre les noms célèbres de 1'antiquité, ce font toujours ceux des con- quérans 6c des généraux d'armée qui s'at-  ÏX P R É F A CE tirent le plus d'admiration. Ils impriment des notions de grandeur dame, depouvoir } de capacité pour le commandement , qui furpaifent tout ce qu'on a connu dans les autres mortels. On les croit deftinés par le ciel a 1'empire, 6c nés pour fouler aux pieds les créatures de leur efpèce; fans faire réflexion aux maux innombrables que le défir de la gloire entraine } 8c que fon acquifition ne fe fonde que fur la deflruttion des hommes 8c fur la ruine de la fociété. II n'y a point de cara&ères qui paroiflent li brillans dans l'hiftoire. Un lefteur frappé de 1'éclat de leurs conquêtes 6c de la pompe de leurs triomphes, les regarde comme 1'ornement du nom romain; tandis que ces paiiibles citoyens , ces fages amis du genre humain dont fambition fe borne a maintenir les loix 6c la liberté de leur pays, palTent en comparaifon pour des gens d'un caradère d'autant plus méprifable} qu'on les vok fuccomber a la fin fous les oppreffeurs de leur patrie,  de M. Middleton. lxj S'il m'arrive donc dans le cours de cette hiftoire, d'aflurer quelque chofe qui contredife 1'opinion commune öc qui choque les préjugés de mes le&eurs , je dois les prier de confidérer avec foin les autorités fur lefquelles je me fonde; &, s'ils n'en étoient pas fatisfaits, de fufpendre leur jugement jufqu'a la fin de 1'ouvrage. Quantité de faits , qui paroïtront peut-être hafardés & douteux a la première vue , s'éclairciront dans le progrès de la leclure; & pour tout ce qui regarde Cicéron. je recommande particulièrement d'attendre qu'on puiffe fe former 1'image complette de fon carattère avant qu'on entreprenne de juger des parties féparées, qui ne peuvent être parfaitement connues que dans leur affemblage. Quintilien nous donne une régie excellente pour tous les cas de cette nature. «Soyons, dit-il (a), extrêmement (a) Modefte tamen & circonfpecto judicio de tantis viris pronunciandum eft, ne quod plerifque  lxij P R É F A CE » modeftes , extrêmement circonfpecls » dans les jugemens que nous portons de » ces grands hommes, de peur qu'il ne » nous arrivé, comme ala plupart des cen» feurs, de condamner ce que nous n'en»tendons point ». Une autre réflexion qui fe préfente d'elle-même, quoiqu'elle n'ait pas toujours le poids quelle mérite, c'eft qu'un écrivain, qui a fait fon étude particuliere du fujet qu'il traite, doit naturellement favoir mieux approfondi que fes lecleurs ; & s'il avance quelque fait dont le fondement paroiffe incertain, on doit aufli long-tems du moins qu'on n'a pas de forte raifon póur penfer autrement, 1'attribuer a des vues plus étendues de fon fujet, qui le portent a croire que ce qui lui paroit clair a lui - même, ne 1'eft pas moins pour tout le monde , & ne demande point par conféquent d'autre explication. Si des confidérations fi raifonnables font fimpreflion que je dois accidit, damnent qux non intèlligunt. QuintlU Injlit. 10, i»  de M. Middleton. lxiij en attendre, je me flatte qu'on ne me reprochera point la moindre altération dans la peinture des faits & des perfonnes, ni d'autre faveur pour Cicéron que celle que 1'humanité doit faire accorder aux cara£tères dont les qualités domir nantes font la nobleife & la bonté. En préfentant fur la fcène un grand nombre de perfonnes qui vivoient en même - tems dans la même ville , quï étoient alfujetties a la même difcipline , & dont 1'ambition fe propofoit les mêmes termes , on doit leur trouver tant de relfemblance, que la principale difficulté pour un hiftorien eft de leur öter un trop grand air d'uniformité. C'eft a quoi je me fuis particulièrement attaché ; non par des peintures d'imagination, propres a caufer du plaifir ou de la furprife , mais par une étude attentive des faits particuliers que l'hiftoire nous a tranfmis, & par un foin continuel de les rapporter a leur fource, c'eft-adire aux différentes aftections dont ils tirent leur origine. En effet, il n'y a  ïxlv Préface point de traits qui diftinguent plus paffaitement les hommes : & lorfqu'ils font repréfentés naturellement & placés dans le jour qui leur convient, ils ne manquent point de nous faire faifir cette différence précife qui forme en particulier chaquê caratlère. Quoique le titre de mon ouvrage n'annonce que l'hiftoire de la vie de Cicéron , j'aurois pu le nommer avec autant de raifon l'hiftoire de fon tems. Depuis le premier moment de fon élévation aux magiftratures, il ne fe paffe rien d'important dans 1'état ou il ne faffe un róle confidérable; de forte que pour donner de la clarté & de la jufteffe a toutes les parties de ma narration, je me fuis cru obligé de reprendre les affaires de Rome pendant fa minorité, & de repréfenter, du moins dans un fommaire, l'hiftoire d'environ foixante ans , qui par la grandeur des évènemens, autant que par la dignité des afteurs, forment fans contredit la plus intéreffante partie des annales romaines. Dans  de M. Middleton. lxv Dans 1'exécution de mon deffein, faf fuivi, avec toute la fidélité que j'ai pu, Je plan que Cicéron nous a tracé lui-même, pour modèle d'une hiftoire achevée. « Ses » régies fondamentales font, qu'un écri» vain n'ait jamais Ja hardieffe d'affurer ce » qui eft faux , ni de fupprimer ce cui eft » vrai; qu'il ne fe rende jamais füfpea » de faveur ni de haine; que dans ia re»ïation des faits il obferve 1'ordre des »tems, & qu'il y joigne quelquefois la » defcription des lieux; qu'il commence » par 1'explication des deffeins, pour paf» fer enfuite a celle des aftions, & de-la » au récit des évènemens; qu'en expli» quant les deffeins, il ne falfe pas diffi»culté d'en porter fon jugement qu'en » racontant les adions il en développe les » principales circonftances ; & que dans » 1'exoofition des évènemens il diftingue » ce qui eft i'ouvrage de la fortune , ou » de la témirité, ou de la prudence ; qu'il » faffe une peinture reffemblante du carac» tére particulier des grands hommes: en»fin, qu'il revête fon ouvrage d'un ftyle Tomé 1%  lxvj Préface »clair & foutenu, fans avoir recours a , des ornemens étrangers, & fans cher» cher d'autre mérite que celui de fe faire » entendre ». Telles font les régies que Cicéron s'étoit propofées lui-même, lorfqu'il avoit médité le plan d'une hiftoire générale de fon pays. Mais fi c'eft de lui que j'ai emprunté ma méthode , je lui dois aufli la matière de mon travail. Ses écrits font le monument le plus authentique qui nous refte des affaires de fon fiècle j & ce n'eft pas feulement un témoin, c'eft un des principaux aaeurs, qui parle dans les récits qu'il nous en a laiffés. Ils font épars , a la vérité,dans fes divers ouvrages, & Ion n'en trouvera pas un feul qui ne contienne quelque circonftance de fa propre hiftoire & de celle de la république. Mais c'eft a fes lettres familières, & fur-tout a celles qui portent le nom de Lettres a Atticus 3 qu'on peut donner juftement le titre de mémoires de fon tems. Elles renferment non-feulement le détail de tous les faits confidérables, mais jufqu'aux mo-  Db M. Middleton. Ixvlj *ïfs & aux refforts des évènemens, & Cornelius Nepos, auteur poli du même (a) fiecle , qui connoiffoit parfaitement ce qu'elles valoient, ne balance point a dire qu elles ne laiffent prefque rien a défirer pour l'hiftoire de ce tems-la. J'ai donc commencé par lire attentivement les oeuvres de Cicéron, dans lafeulvue den tirer tous les paftages auxquels je trouverois quelque rapport a mon deflem. Lennui de recueillir un nombre mfim de témoignages qui fe trouvent difperlés dans plufieurs volumes, de les rapporter a leur fujet & de les mettre en ordre la crainte d'en laiffer échapper quelques-' uns a la première lecbre, & la peine, par conféquent, derevenir plus d'une fois fur (a) Sexdecim volumina epiftolarum ab confiilatu e,us ufque ad extremum tempus ad Articum «niffarura ; qua: qui legat non muirum defideref hiftonam conrexram eorum temporum. S.c enim omn.a de ftudiis principum ) vitis ducum , & mutanombus reipublic* perfcripta funt, ut nihil in hts non apparear, Cora. Nep. h. vu. Auic. lgt eij  1XX ' P R É F A C E éloquent des anciens orateurs, toujours abondant, délicat, naturel dans 1'expreffion , il feroit ridicule de ne produire de lui que des exemples durs & forcés, qui choqueroient 1'oreille d'un lefteur poli. C'eft affez généralement le défaut de nos traduftions modernes, oü 1'on fait parler Jes plus beaux efprits de 1'antiquité dans un langage qu'un horame de goüt n'employeroit pas en traitant un fujet original. Les verfions trop littérales manquent toujours d'éléganceO), & 1'excès de fidélité ruine nécefiairement la beauté du ftyle. D'un autre cóté, en négligeant trop la lettre, on court rifque de s'écarter du fens, & 1'idée du traduaeur fe mêle quelquefois a celle qu'il traduit. Un écrivain fans efprit ne s'élève jamais au-deffus de la verfion fimple ; c'eft-a-dire, que dans la crainte de s'égarer par la moindre excurfion, il ne s'attache qu'a rendre un (a) Nee tarnen exprimi verbum è verbo necefle erit , ut imerpretes indiferu foient. Cicer, de Fïnib,  de M. Middleton. lxxj mot par un autre mot: tandis que ceux qui ont le génie plus élevé, & qui préfèrent la feconde méthode , fe croient trop fupérieurs a 1'occupation de traduire 9 & portent la vanité jufqu'a prétendre embellir leur auteur. J'ai taché de garder un tempérament entre ces deux extrémités. Mon premier foin a toujours été de con'ferver tpute fa force au fentiment, 6r le fecond de m'attacher aux mots quand j'ai pu les rendre dans un ftyle aifé & naturel. J y ai mis toute la variété que la différence des fujets m'a paru demander} & je me perfuade que les divers fragmens de Cicéron que j'ai tra duits, paroitront, non-feulement les plus brillantes parties de mon ouvrage, mais les plus utiles & les plus inftructives, par 1'avantage qu'on trouve toujours dans le commerce d'un écrivain (a), avec qui 1'on ne peut converfer, fuivant la penfée d'Erafme, fans s'appercevoir qu'on devient meilleur. (a) Quis autem fumfit hujus libros in manum , quin furrexerit animo fedatiore ? Erafm. Epifl. ad Joan. Flatten, e IV  ixxvlij P R É F A C Ê cédés entre lui & Calenus furent tou« jours accompagnés de beaucoupode décence, & que s'il le condamne ou s'il 1'avertit avec fa liberté ordinaire , c'eft fans s'écarter {a) de la politefle, & quelquefois même avec un compliment. Mais quelques paffages de eet hiftorien feront encore mieux connoitre la juftice de notre cenfure : « II prétend que le »père de Cicéron étoit un foulon ; & »il ne laifle pas d'ajouter qu'il gagnoit fa » vie a travailler a la vigne & aux oli- (a) Nam quod me tecum iracunde agere dixifti folere , non eft ita. Vehemenrer me agere fateor: iracunde nego, omnino irafci amicis non remere foleo , ne fi merentur quidem. Itaque fine verbolum contumelia a te dhTentire pofium ; fine animi fummo dorore non poflüm. Pkïl. 8, 5. Satis multa cum Fufio , ac (ine odio cmnia; nihil fine dolore. Ibid. 6. Quaproprer ut invitus fWpe diffenfi a Q. Fufio , ita uim libenrer aflenfus ejus fententix : ex quo ju.iicare debetis me non cum homine folere, fed cum caufa difiidere. Itaque non aflentior folum, fed etiam gratias ago Q. Fufio , &c. Phil. iijif.  de M. Middleton. Ixxk »viers. II fait naitre Cicéron dans Ia » pouflière des vieux draps & dans la puan» teur d'un fumier. II veut qu'il niait ex» cellé dans aucun art 5 & que pendant »toute fa vie il n'ait rien fait *qui fok » digne d'un grand homme & d'un ha» bile orateur. II 1'accufe d'avoir prof»titué fa femme, d'avoir éievé fon fils » dans 1'ivrognerie , d'avoir entretenu un » commerce inceftueux avec fa rille , & » d'avoir vécu dans 1'adultère avec Ce» rellia, quoiqu'il reconnoiife en même»tems que Cerellia étoit agée de foi» xante-dix ans (a) ». Ces impoftures , & quantité d'autres infamies , dont. il charge Cicéron, mérkent le même degré de foi que la déclaration qu'il fait enfuite, d'avoir recu du ciel, par une vifion, & contre fon propre penchant 1'ordre d'écrire 1'hiltoire (b). C'eft de ces extraits de Cicéron & des autres anciens, que j'ai formé le premier (a) Vid. Dio. liv. 46} p. 295 , 6:c. {b) lbid. liv. 43 , p. 81%.  IxXX P R è F A C E plan de mon ouvrage , avant que d'avólf jeté les yeux fur les écrivains modernes qui <5nt traité le même fujet. Je n'ai pas vouju m'engager fi-töt dans les lectures qui auroient été capables de me remplir de préjugés, & qui m'auroient peut-être empêché de diftinguer nettement la vérité dans fes fources naturelles. La compofition de l'hifloire impofe les mêmes devoirs qu'une relation de voyage. Ce feroit peu de tranfcrire les mémoires de ceux qui ont parcouru les mêmes lieux avant nous. II faut donner nos propres obfervations. II faut avoir examiné les faits & les lieux avec 1'étude la plus attentive, & ne pas craindre de publier le fruit de nos réflexions, fans aucun égard pour ce que les autres ont écrit; & quoique dans une entreprife de cette nature, oü la matière du travail eft commune a tout le monde , on foit expofé a répéter bien des chofes qui peuvent avoir été déja publiées, un auteur qui a quelque génie trouve toujours da.is fon fujet des parries affez neuves pour faire  de M. Middleton. Ixxxj faire donner a fon ouvrage la qualité d'original, & pour obtenir le droit de prétendre que fon travail eft a lui. Je mé flatte ici de eet avantage; d'autant plus que fi j'ai trouvé plus d'écrivains que je ne m'y étois attendu , qui ont entrepris l'hiftoire de 'Cicéron, ceux quï me font tombés entre les mams m'ont , bientót guéri de la curiofité de voir les autres. Je n'y ai remarqué que de frivoles éloges du caractère général de leur héros, ou des fragmens de fes attions, mal digérés, & réunis confufémei^ dans 1'efpace de quelques pages. J'eil dois excepter néanmoins deux livres qui m'ont été réellement utiles; celui qui -porte le titre de Sebaftiani Corradi Quczftura, &c (a) l'hiftoire de Cicéfon en latin par Fabrïcius. Le premier eft 1'ouvrage d'un favant critique ïtalien f qui avoit employé une partie de fa vie a éxpliquer les écrits de Cicéron; mais (d) M. T. Ciceronis Hiftoria, a Francifco Fabricio. Tome L f  lxxxij P R Ê* F A C E il s'eft moins attaché a fon hiftoire quai fon apologie. Son principal but étoit de purger la mémoire de Cicéron de toutes les accufations dont fes ennemis 1'ont fouillée , 6c fur-tout des calomnies de Dion. II y a de 1'efprjt 6c du favoir dans cette pièce. Elle eft en langue latine , 6c le ftyle en eft fort beau; mais le dialogue eft une allégorie forcée, ou 1'on introduit un quefteur, qui produit divers témoignages tirés des acles de Cicéron, 6c qu'il appelle de la monnoie iégitime par oppofition a la fauffe monnoie des hiftoriens grecs; méthode peu agréable, 6c qu'on ne foutient pas même avec patience. Ce qui n'empêche point que fes obfervations ne foient bien fondées, a la réferve de quelques endroits oü fon zèle pour 1'honneur de Cicéron aveugle quelquefois fon jugement , 6c lui fait employer pour la défenfe de fon héros , des voies que Cicéron même n'auroit point approuvées. L'ouvrage de Fabricius eft a la tête de plufieurs éditions des oeuvres de Ci-  XClj P R É F A C E Rome (a) comme le plus parfait de tous les gouvernemens. Elle étoit compofée de trois formes qui font ordinairement féparées 1'une de 1'autre, la monarchique, 1'ariftocratique 6c la populaire. C'étoit le peuple, comme chef de la république, qui s'élifoit un roi, pour lui fervir de guide a la guerre , 6c pour veiller au maintien des loix pendant la paix. Le fénat , qui fervoit de confeil au roi, étoit 'élu aufli par le peuple, 6c ne fe conduifoit que par fes avis. Ainfi le pouvoir abfolu réfidoit proprement dans 1'aflemblée des citoyens ou dans le corps de la fociété, dont la prérogative étoit de donner leur force aux loix (b), de créer (a) Statuo elle optime conftitutam rempublicam qux ex tribus generibus illis, regali, optimo , & populari, confufa modico. Fragment: de Rep. i. Cum in illis de republica libris perfuadere videatur Africanus, omnium rerum publicarum noftram veterem illam fuiffe optimam. De Legib. i, io. Polyb. liv. 6, p. 450. Dion. Hal. liv. 2,82. (b) Dionyf. Hal. liv. 1, 87.  de M. Middleton. xcifj les magiftrats, de déclarer la guerre, & de recevoir dans toutes fortes de cas les appels du tribunal royal & de celui du fe'nat Quelques auteurs ont contefté ce droit d'appel au peuple. Mais Cicéron le compte expreflément entre les conftitutions royales \a), aufli anciennes, dit-il, que la fondation de la ville; & dans fon traité de la (b) Républïque, il en a donné des preuves plus étendues, dont Seneque cite un paflage pour confirmer la même vérité, en faifant entendre quelle étoit prouvée aufli par les livres pontificaux. Valere Maxime en apporte un exemple qui fe trouve encore dans Tite-Live : c'eft celui d'Horace, qui étant condamné a la mort par (a) Nam cum a primo urbis ortu , regiis inftitutis, partim etiam legibus, aufpicia , ca^remonis ; comitia , provocationes divinitus eflent infti- tuta. Tuf. Quafl. 4, i. Cb) Cum Ciceronis libros de republica prehendirnotat provocationem ad populum criam a re^ibus fuiffe. Id ita in pontificalibus libris ahqui putant & Feneftella. Senec. Epift. ,G§  de M. Middleton. xcv formée a 1'exercice des armes & au goüc de la liberté, devoit être conduite avec plus de ménagemens. Ils furent chaffés par un foulèvement général du fénat & du peuple. Un événement de cette nature devint comme le fondement de cette valeur invincible & de cette affeftion pour la patrie, qui conduifirent les rcfmains a 1'empire de 1'univers. La fupériorité de leurs droits civils leur infpira natureilement une générofité fupérieure pour les défendre, & les ref dut dans la fuite le plus brave & le plus libre de tous les peuples. _ Cependant cette grande révolution fervit moins a changer 1'ancienne forme du gouvernement qu a la rétabiir. Le riom de roi fut aboli, mais on en conferva le pouvoir; avec cette unique différence, qu'au lieu d'un feul chef, élu pour toutle tems de fa vie , on enchoifit deux , dont fautorité fut annuelle , fous le nom de confuls. Ils furent revêtusde toutes les prérogatives & de toutes les  XCViij P R É F A C E les portoit fans ceffe a fouhaiter d'étendre chacun le fien. Mais le principal avantage de la révolution tourna bientöt du cöté des nobles ou des patriciens, dont le fénat étoit compofé. Ayant les confuls a leur tête, ils étoient non-feulement les premiers moteurs , mais les adminiftrateurs continuels de toutes les affaires de 1'état; ce qui leur fit emporter fi hautement la balance , que dans 1'efpace de feize ans 1'excès de leur infolence 6c de leur orgueil, forca les plébéiens a cette fameufe retraite fur le mont facré , dou rien ne fut capable de les rappeler fans avoir pris des mefures certaines pour 1'établiffementde leur repos. Ils fe firent accorder le droit de créer de leurpropre corps un nouvel ordre de magiftrats , auxquels ils donnèrent le nom de tribuns , qui furent revêtus d'un plein pouvoit pour les protéger contre toutes fortes d'injures, avec des ftipulations qui rendoient leurs prérogatives (a) facrees 6c leur perfonne inviolable. (a) Dion. Hal. 6 , \io.  de M. Middleton. ciij, jufqu'aux coups , & que fi les féditions font capables d'ébranler un état libre , aiïemblée du peuple ; & fes ennemis abufant de quelques faux bruits, rapportèrent aux fénateurs qu'il penfoit a fe mettre le diadême fur la tête^ Scipion Naficaa qui depuis long-tems avoit concu une forte haine contre Gracchus , prit occafion de ce rapport pour s ecrier: « II n'y a plus rien 55 a confulter, puifqu'il en veut a la tyrannie ; con55 ful, c'eft a vous a fecourir la république , & a 55 exterminer de force fans procédure & fans déx lai , le deftru&eur de la liberté 55. Le conful, qui étoit homme fage, lui répondit doucement, qu'un magiftrat ne devoit jamais ufer de voies de fait, & qu'il ne lui arriveroit pas de faire mourir un citoyen fans jugement & fans fentence , moins encore un citoyen de ce rang & de ce mérite, e Mais fi Gracchus & le peuple, ajouta-t-il, font 55 des loix injufres & ufurpent une autorité qui n« 55 leur eft pas due, je faurai m'oppofer a Tune & a 55 1'autre entreprife, & punir en conful les atten35 tats & les révoltes ». Ce petit difcours modéré d un homme de bon fens, alluma encore plus la paffion de Naficaa ; & fe tournant vers la compagnie : cc Puifque, leur dit-il, le fuprême magiftrat » abandor.ne la république , ceux qui voudront er*  C1V P R É F A C E elles n'iront jamais jufqu'a le détruire^ aufli long - tems qu'il fera fans armes x » prendre foin n'ont qu'a me fuivre, & je me fais as fort de la fecouriroj. 11 part en même-tems, &C retrouffanr fa robe , ainfi que ceux qui le fuivirent, en très-grand nombre , ils coururent tous a grands pas vers le lieu ou le peuple étoit aflembjé ; chacun par refpecl pour les plus notables de la ville y qui compofoient la tête de cette troupe 3 leut laiflanr un paifage libre. Leurs valers & leurs efclaves s'armèrenr en chemin de rous les barons qu'ils purent trouver , avec lefqueis ils écartèrent tout ce qui étoir capable de rerarder leur route, &C donnèrenr au public une parfaite image de la guerre , dans le tems d'une pleine paix. Par-tout ou ils renconrroienr des amis ou des connoiflances de Gracchus ails infulcoient 3 ils frappoient, & poufsèrent la chofe jufqu'a en tuer quelques-uns. Arrivés enfin au capitoie , le déforire recommenca avec plus de vigueur; & fous prétexte qu'on cherchoit le tribun , on ne lauroit dire combien de gens furent maltraités par cette troupe confufe de gens mêlés de toutes les conditions , a qui la fureur des nobles avoit permis ces violences. Cepen. dant chacun fuir, tout le peuple s'écarte, les amis du tribun fe fauvent; & Gracchus fe voyant aban».  de M. Middleton. o> c'eft - a-dire, qu'il ne fera point foutenu par la force militaire. Mais quoique cette donné de tout le monde , n'eut point d'autrc reftource que de fuivre ces laches amis , qui le quittoient, & a qui la frayeur n'avoit pas affez laiffe de liberté pour voir qu'ils auroient pu avec un peu de fermeté réfifter a cette troupe défarmée & confufe. II fe fauvoit avec les autres, quand il fe fentit retenu par le bout de fa robe, il prit le parti de 1'abandonner a celui qui le tenoit, & ce fut un fpectacle bien indigne &. bien touchant, de voir au milieu de la paix tout un peuple fuyant, fans favoir pourquoi , & fon premier magiftrat fe fauvant en chemife avec lui. Un fecond accident , plus funefte que le précédent, 1'arrêta de nouveau. La précipitation avec laquelle chacun fuyoit, fit tomber les premiers , ceux qui fuivoient ne leur donnèrent pas le tems de fe relever. Preffés par les autres, ils fe jetèrent fur ceux qui étoient déja par terre 3 de forte que s'embarraflant les uns les autres, ils embarrafièrent aufli le tribun qui les fuivoit, & qui tomba avec eux dans ce tumulteCe fut alors qu'un de fes collègues au tribunat, nommé Publius Saturcius, jaloux de fon autorité, ou gagné par les nobles, le frappa le premier d'un baton a la tête. Ce coup fut bientöc fuivi d'ua  Cv) P R t F A <* E vigoureufe conduite du fénat parut alors néceffaire au repos de la ville, elle lui devint bientót funefte par 1'occafion quelle fit naitre aux ambitieux de reconnoitre fenfiblement qu'il n'y avoit point d'autra voie que celle de la violence pour fou- autre que lui donna Lucius Rufus. Une infinité de coups fuivirent le dernier : & ainfi rnourut, fans prononcer une feule parole (*), fans faire aucune réfiftance, 8c fans donner Ia moindre marqué de douleur, le fameux Tiberius Gracchus , tribun du peuple , fils de Tiberius Gracchus, 8c petit - fils de Scipion , avant la trentième année de fon age , 1'homme de la république le plus aimé du peuple , Ie plus haï des grands, & le plus eftimé de tous. On juge bien que le défordre étoit trop grand pour finir fitot : la fureui? dura encore long-tems, & quelques amis de Gracchus s etant rallies 8c mis en défenfe, il fut tus dans cette efpèce de combat civil plus de trois eens citoyens, de part ou d'autre , fans qu'on fe fervït dans foute cette tuerie d'aucune arme de fer^ S. Real, Conjurat. des Gracques. (*) Ille nulla voce delibans infitam virtuteo, concidit tacitus, Citer. Rhei. liv. 4.  de M. Middleton. cvij 'tenïr 1'ufurpation de 1'autorité ; de forte que ceux qui afpirèrent dans la fuite a quelque pouvoir extraordinare s'arrêtant peu, comme on le remarquera dans eet ouvrage, aux délibérations du fénat, 8c aux fuffrages que le peuple donnoit a Rome , fe mirent dans 1'ufage d'y venir a la tête d'une armee, & de foutenir leurs prétentions par la force. La faveur des Gracchus auprès du peuple étoit fondée fur une réelle affe£tion qu'ils avoient méritée par une infïnité de fervices. Mals lorfque les tribuns fuivans jugèrent a propos d'employer la force pour modérer 1'autorité du fénat, & pour foutenir des intéréts auxquels ils donnoient fauffement le nom de populaires; au lieu de gagner la populace par des loix utiles & par d'autres fervices, ils prirent une voie plus courte encore, qui fut de la corrompre a prix d'argent. Cette méthode , qui étoit inconnue du tems des Gracchus , affura aux perfonnes puiffantes un nombre de partifans mercenaires dévoués a i'exécution de leurs ordres3 & toujours  Cviij P R É F A C E prêts a remplir le forum au premier figne. Les clameurs öc la violence leur faifoient tout emporter dans les alfemblées publiques, 6c leur difpofition en y paroiffant étoit toujours de ratilier ce qui leur ferok propofé. Ainfi, fans détruire 1'apparence des formes légales, un citoyen puiffant étoit sur de foutenir par la terreur des armes, 6c de faire exécuter par la fupériorité de la force (a), les fuffrages que la fadtion 6c la brigue lui avoient fait obtenir. Après la mort du plus jeune des deux Gracchus, 1'objetperpétuel des fénateurs,, fut d'abolir ou de modérer les loix qu'ils avoient portées a leur préjudice, fur-tout ( p Drrïertat. * , c. 4. It. Suetor,. Auguff. & Notas Pitifci Bij  20 HlSTOIRE DE £A VlÊ gulicre réputation d'intégrité. Cicéron (a) s'attacha conftamment a lui. II recueillit foigneufement dans fa mémoire tout ce qui fortoit de la bouche d'un homme fi refpeótable • comme autant de lecons de prudence pour toutes les fituations de fa vie. Après la mort de Q. Mutius, il prit le même attachement & la même confiance pour Sca?vola le grand-prêtre , dont on n'admiroit pas moins la probité & les lumières, & qui fans faire profeffion d'enfeigner (b), donnoit volontiers fes avis aux jeunes étudians que fa réputation attiroit autour de lui. Avec tant de fecours il ne manqua rien aux progrès que Cicéron fit dans la connoilTance du droit public , fondement fi néceffaire l tous ceux qui fe deftinoient au femee de la patrie , « que 1'ufage commun des premiè, res écoles étoit de faire apprendre par cceur aux oo enfans (c) les loix des douze tables, comme , ils apprenoient les poetes & les auteurs clalfi» ques ». Cicéron s'attacha fi ardemment a cette étude, & pénétra fi parfaitement jufqu'aux points les plus obfcurs de la jurifprudence romaine , qu'il fe rendit capable a eet age d'entrer en difpute (d) avec les plus célèbres jurifconfultes de fon tems; (a) De Amicit. i. (h) Brut. p. Edit. Seb. Corradi. (c) De Legib. x, 15. (^)Egift. famÜ. 7>".  t>ë Cicéron, Liv. I. zi de forte que plaidant un jour contre.S. Sulpicius fon ami, il lui dit d'un air de badinage, ce qu'il étoit en état d'exécuter férieufement •, * que s'il =» continuoit (a) de le preifer , il ne lui répon» doit pas qu'avant trois jours on ne le vit pro» felfeur en droit». La fcience des loix étoit, après celle des armes Sc de 1'éloquence , la plus süre recommandation (b) aux premiers honneurs de la république. Cette raifon la faifoit tranfmettre comme un héritage (c) dans plufieurs des plus nobles families de Rome , qui en donnant gratuitement leurs avis lorfqu'on venoit les confulter, fe concilioient la faveur Sc 1'attachement des citoyens., &c fe procuroient par cette voie une auiorité confidérable dans les affaires publiques. C'étoit 1'ufage de ces anciens fénateurs qui s'étoient fait une réputation extraordinaire de fageife 6c d'expérience , d'aller faire tous les matins quelques tours de promenade au forum, comme pour donner une efpèce de fignal volontaire a ceux qui avoient befoin de leurs confeils, aufil-bien fur (a) Pro Murxn. 13. (b) Ibid. 14. (c) Quorum vero patres aut majores aliqua gloria prsftiterunt , ii ftudent plerumque in eodem genere laudis excellere, ut Q. Marcius, P. filius, in jure civili. Offic. 1, 31; i , 19. B iij  de Cicéron, Liv. I. / 3 pas a devenir le défenfeur de la fortune de fes conckoyens. La connoiffance des loix n'étoit qu'un e partie du cara&ère qu'il travailloit a fe former, d'avocat univerfel, non - feulement des biens , mais de la vie & de la liberté des hommes. Telle étoit 1'idée de 1'orateur; & 1'exercice de cette noble profeflion demandoit « une faci» lité parfaite a parler avec autant d'abondance » que de jufteffe & d'agrément, fur tous les fu» jets qui pouvoient fe préfenter ; d'ou il falloit » conclure que 1'art de 1'orateur renfermoit tous =» les autres arts libéraux , & ne pouvoit être » porté a fa perfedion fans une jufte connoiifan» ce de tout ce qu'il y a de grand & de loua» ble dans 1'univers ». C'étoit fous cette face qu'il confidéroit lui-même (a) fon entreprife, & fon occupation conftante étoit de jeter des fondemens affez folides pour foutenir le poids d'un fi grand caradère. Ainfi, pendant qu'il étoit attaché a 1'étude des loix civiles, fous la diredion des Sca;vola, il employoit une grande partie de fon tems a fuivre les avocats au barreau , a prêter toute fon attention aux harangues des magiftrats, a lire chaque jour ou a écrire quelque chofe dans fon cabinet , ne manquant jamais de faire des remarques & des commentaires fur ce qu'il venoit de (a) Da Orat. i, $ , 6, ij, 36. Biv  24 HlSTOIKE DE LA VlE lire ou d'entendre. II étoit paffionné dans fa jeuneife pour un exercice qui avoit été recommandé avant lui par quelque fameux orateur: c'éroït de lire fi attenrivement un nombre de'vers de quelque poere eftimé , ou quelque partie d'une bonne harangue, que la fubftance en put deitieurer dans fa mémoire , & de rendre eiïfüïte les mêmes penfées & les mêmes fentimens dans d'autres termes, les plus êlégans que fa propre imaginarion put lui fournir. Cependant il abandonna certe prarique , anrès avoir fair réflexion que les auteurs qui] sëfrorcdit d'imiter, avant déja employé les rermes les plus propres a leur fujet, il ne riroit aucune utiliré de fon exercice , s'il fe rappeloir exactemenr leurs exprelions; & que s'il en employoir d'autres, il nuifoir a fon propre deffein en S>ccoqrumant au médiocre. Tl fe fit lui-même une méthode dont le fruit lui parut plus cerrain. S'étant .mis a rradure en larin les meilleures oru'fons'des orareurs grecs, il en prit occafïon d'obferver & d'employér les rermes les plus élégans de fa propre Iangïie, & de 1'enrichir même de quan<ïté de mors nouveaux, empruntés (a) ou irntïés de ia langue grecque. Dans eer int-rvalle , fes études' poétiques ne furent pas négligées. II rraduifit Ie poëYne d'Ara~ (c) De Orat. i, 34.  ï>È CiC>iKoN, 7. éis, fu c phfnorrènes du ciel,en vers latins, dont i us refte encore plufieurs fragmens. II corrpoO a 1'honneur de Marïus, fon compatriote, im pcé'me héroïqtte, qui fut admiré, & relu fouvenr par Atticus. Sca-vola faifoir tant de cas de eet ouvrage, que dans une épigramme qu'il fit apparemment fur ce fujet , il déclare « que fa durée (a) égalera celle du nom & du »favoir romain.» II nous en refte qu-lques vers qui contiennenr le récit d'un (t) augute mémorable, que Marius recut par la vifloire d'un aigle fur un ferpenr. Le feu & 1 elégance qui règnéöt dans ce fragment, ne do.vent lailfer aucun doute (a)Eaque, ut ait Scavola de frarris mei Mario , canefcet farclis 'nnumerabilibüs. De £eg. i , i. ) Brut. 42f. (f) Quantum dicendt gratia & copta valeat, in quo  de Cicéron, Liv. I. z^ que ceux qui fe deftinoient a des fonctions plus tranquilles, telles que les exercices du barreau & 1'adminiftration des affaires domeftiques , ne fuffent point fans quelque connoiffance de 1'art militaire , pour fe trouver en état de prendre, dans 1'occafion , le commandement d'une armée , lorf qu'ils fuccédoient, fuivant 1'ufage, au gouvernement des provinces. Cicéron fut préfent dans cette expédition, a la conférence de Cn. Pompée & de Vettius, général des marfes, qui avoient battu les romains 1'année d'auparavanr, dans une rencontre fanglante oü le conful Rutilius avoit perdu (a) la vie. L'aifemblée fe fit a la vue des deux camps; & toutes les formalités en furent ménagées avec beaucoup de décence. Sextus Pompée, frcre du conful, qui étoit lié d'une amitié fort ancienne avec Vettius, vint expres de Rome pour y aflifter; & dès le premier coup d'oeil qu'ils jetèrenc 1'un fur 1'autre , après avoir déploré le malheur qu'ils avoient de fe rencontrer a la tête de deux armées ennemies , il demanda a Vettius quel nom (b) il devoit lui donner ; fi c étoit celui de fon hóte ou de fon ennemi ? Je fuis , répondit ïpfo ineft qusdam dignitas imperatoria. Pro leg. Mand. 14. (a) Appi. Bell. civ. p. 376. ( b ) Quem te appellem, ïnquït ? At ille : Voluntate hofpitem , neceffitate hoflem. Fhil. i i , xi.  JO HlSTOIRE DE LA Vlfi Vettius, votre hóte & votre amipar incllnation j votre ennemi par ne'ceffité. Ainfi ces anciens o-uer- ö riers n'avoient pas moins de politeiTe dans les pccafions d'honnêteté, que de fierté & de courage dans les a&ions militaires. Marius Sc Sylla fervoient dans cette guerre en qualité de lieutenans généraux des confuls, Sc commandoient d'autres armées dans différente? parties de 1'Italie. Mais les fuccès de Marius ne répondirent point a la grandeur de fon nom, ni au premier éclat de fa gloire. Sa vieilleffe le rendoit trop circonfpecT:. Après tant de confulats Sc de triomphes, il n'ofoit commetrre fa réputation a la fortune. II fe tenoit continuellement (a) fur la défenfive, a 1'exemple du vieux Fabius; Sc ne penfant qu'a fatiguer 1'ennemi , lans en venir jamais aux mains, il fe contentoit de prolïrer des avantages que 1'occafion lui préfentoit , Sc d'empêcher qu'on n'en remportat fur lui. Sylla, au contraire, étoit perpétuellemenr en aciion , Sc laiffoit paffer peu de jours fans exécuter quelque nouvelle entreprife. N'ayant point encore obtenu fhonneur du confulat, il fembloit qu'il combatut dans cette efpérance, a la vue de fes conciroyens. II preffoit fans celle 1'ennemi, il ne refpiroit que 1'occafion d'une bataille, il joignoit aux vues de ( b ) Plutar. vie de Marius.  de Cicéron, Li v. 1. 31 i'dmbition celle d'éclipfer la réputation de Marius par la grandeur de fes exploits militaires , & la fortune le fervit fi heureufement, qu'il remporta plufieurs victoires avec tous les avantages de la conduite & de la valeur. Cicéron , qui étoit vraifemblablement dans fon camp, comme au principal théatre de la guerre , & dans la meilleure école pour un jeune volontaire , rapporte une action dont il fut témoin , & qui fut exécutée avec beaucoup de vigueur & de fuccès. « Sylla ( a ) fai» fant un facrifice devant fa tente, dans les champs » de Nole , on vit fortir un ferpent du fond » de 1'autel. Cet augure parut fi favorable au » facrificateur, qui fe nommoit Pofthumius , que 3j fe tournant aufli-töt vers le général, il le prefik » de marcher fur le champ contre 1'ennemi. Sylla » profira habilement des circonftances. II fit fortir » fes tronpes fans perdre un moment, & les mena y> droit aux famnites qu'il forga dans leur camp » fous les murs de Nole ». Cette victoire lui fit tant d'honneur, qu'il en fit peindre enfuite toute l'hiftoire dans un fallon de fa maifon (b) de Tufculum. Ainfi 1'ardeur de Cicéron pour s'inf- (a) In Syllae fcriptum hiflorïa videmus, quod te infi pectante faótum eft, ut cum ille in agro Nolano immoJ laret ante prstorium, ab infima ara lubito atiguis emexr geret, &c. De Divinat. 1, 335 *, 30. (£) Piin. Hifi. nat. 11 , &  de Cicéron, Liv. 1. 37 mandanr avec lui les troupes romaines. Les plus ardentes interceffions de fes amis n'ayant pu tirer de Marius (a) que cette réponfe plufieurs fois répérée : Je veux qu'il meure, il prit le parti de fe tuer lui-méme. Cicéron fut témoin de cette mémorable entrée «le Marius , & nous apprend que loin de paroitre affoibli par fes dernières difgraces , il marqua plus de vigueur & d'a&ivité que jamais. II lui enrendit raconter au peuple , pour excufer la cruauté dont il venoit d'ufer a 1'égard de fes ennemis, « les calamités (£) qu'il avoit elfuyées » nouvellement lorfqu'il s'étoit vu chalfer d'une «ville qu'il avoit fauvée de fa ruine , lorfqu'il y> avoit vu tous fes biens faifis & pillés, lorfque «fans aucune compaffion pour la foiblelTe de * 1'age, on avoir affocié fon jeune fils a rous fes » malheurs, lorfqu'il avoit failli de perdre la vie 33 dans les marais de Minturnum, & qu'il n'en avoit 33 du la confervation qu'a la pirié des habifans, 33 enfin lorfqu'il avoit été forcé de pafler en Afri30 que dans une mauvaife barque, & d'aller men>3 dier un afiie chez ceux a, qui il avoit autrefois (a) Cum neceflariis Catuli deprecantibus , non lemel refpondit, fed lirpe : Moriatur. Tufculan. 5, 15, De Orat. 3,3. 'b) P«£J. redk. ad Qujrit. 8, C Üj  4° HlSÏOIRE DE LA V I E fages, une forte confiance a la vi&oire; de fortfel qu'il étoit redouté de 1'ennemi comme s'il eüt quelque chofe de fupérieur a 1'humanité, &c que du cóté oppofé comme du Oen , on le croyoit toujours poufléparTinfipiration particuliere de quelque dieu. Cependant fon mérite fe renfermoit au fond dans les bornes de Tart militaire. II n'avoit aucune autre forte de lumières , & il arTe&oic ouverrement de les méprifer. Ainfi , pour ramener le détail de fon cara&ère au but qui me Ta fait entreprendre, Arpinum eut Tavanrage extrémement fingulier de produire deux des plus grands hommes de la république, mais a des- ritres bien oppofés: immi Sc glorieux Tun & Tautre j Tun avec le dernier mépris-pour Téloquenee & les beaux arts, Tautre pour les avoir portés plus heureufement que perfonne d leur perfedion. Marius nefir donc aucune figure au barreau, & ne prit point d'autre voie pour foutenir fon autorité dans la ville, qu'en nourrillant lajaloufie mutueile qui étoit entre le fénat IS le peuple. La haine déclarée qu'il portoit k Tun, lui répondort toujours de la faveur de Tautre ; maïs s'il ménageoit le peuple, cetoit moins dans la vue du bien public que pour Tavancement de fon propre interet '£t "de fa propre gloire; car il n'avoit rien qui fe reiTentit du zèle d'un vertucux citoyen pour la patrie. En:un mot, il étoit rufé, cruel, avare & perfide-.  de Cicéron, Liv. I. 41 'd'un caraétère fort utile au dehors ; mais inquiet & turbulent dans le fein de Rome; implacable ennemi des nobles , cherchant fans ceffe 1'occafion de les chagriner, & pret a facrifier aux premiers mouvemens de fon ambition ou de fa vengeance, cette république qu'il avoit fauvée plufieurs fois. Après une vie paffée dans la perpétuelle agitation des guerres étrarigères & domeftiques , il mourut tranquiliement dans un agè fort avancé , & conful pour la feptième fois honneur dont nul romain n'avoit pu fe vantér avant lui. L'académicien Cotta cite eet exemple entre plufieurs autres argumens contre 1'exiitence de la providence (a). (a) Natus equeflri loco. Veil. Patere, i, xr. Se P. Africani difcipulum ac militem. Pro Balb. zo. Valer. Max. 8 , i^. Populus romanus non alium repellendis tantis hoftibus magis idoneum quam Marium eft ratus. Veil. Pat. 1,11. Bis Italiam obfidione & metu liberavit fêrvitutis. In Catd. 4 , x. Ümnes fodi atque holles credere illi aut mentem diyinara effe , aut deorum nutu cunfta portendi. Sallufl. Bell. Jug. 91 • Con'picua; felicitatis Arpinum, live unicu:n litterarum glorionflimuru eontemptorem , live abuntiflïmum fontem intueri velis. Valer. Max. 11. Quaniüm. bello optimus , tantum pace peffimus ; immodicus gloria , infatiabilis > impotens , femperque inquietus. Veil. patere, z , xr. Cur omnium perÉdilFiavus C. Marius, Q. Catulum prsftantiluma dignitate  fi HlSTOIRE PE LA VlE Les affaires dn barreau fouffrirent beaucoup d'inrerruptipn dans un tems tumul-ueux oü quelques-uns des plus fameux orateurs avoienr ére tués & d'aurres bannis. Cicéron ne laiiTa pojnt de fuivre les magiftrats qui monrcrenr fuceeftïvement fur Ia tribune, & netant guère éioigné de fa vingtième année, ce fut apparcmment vers ce tems-U .qu'il donna au public ces ouvrages de rhétorique, dont il parle lui-même comme d'un fruit de fa jeunefTe, 8e qui font vernis jufqu'a nous, fous le ritte de Traité de Vlnventio/i. IJ les rérradta dans un age plus avancé, comme indignes d'une faifon plus müre , & comme 1'artwfement d'un jeune homme qui n'avoit cherclié qu'a; réduire en orr dre les préceptes (a) qujl avoir emportés de 1'école. Dans le méme rems Philon , pbilofophe acadé■niicien de Ja première réputation , vint chercher un afile a Rome avec plufieurs (b) des princi- virum mori potuit jubere ? cur tam feliciter , feptirrmm eonful , demi fux Cenex eft mortuus ? De Nat. Deer. l't, 3*- lh ;u" ' "%' r* ;' (a) Qua; pueris aut adolefcentaiis nobis ex commentariolis neftris inchoata ac rudia exciderunt, vix hac retate & hoe ufu , Sic. De Orat. i' i. Qulntil. I. 3 , ?. (b) Eodem tempore , cum princeps ac'ademia: , Philo , cum athenienfiüm optimatrbus , mithridatico beüo domum profugiffet j Romamque veniffet, totum ei me tra'didi, &c. Brut. 430,  de Cicéron, Liv. L 43 paux citoyens d'Arhènes, contre la furie de Mithridates, qui s'étoit rendu maitre de cerre panie de la Grèce & de tous les lieux voifins. Cicéron devint aufli tót fon difciple , & prit beaucup de goüt pour fa philofophie. II fe livra d'au:ant plus libremenr a cette inclinatipn, qu'il y avoit de jufl.es raifons de craindre que la prarique des afr faires du barreau , fur laquelle il avoit établi toutes fes efpérances de forrune & de réputation, ne fut abfolumenr renverfée par la continuarion des défordres publics. Mais le parti de Cinna ayant diffipé toutes les oppofïtions domeftiques, pendanr que Sylla é'oif engagé au-dehors dans la guerre contre Mirhridates, les troubles publics furent fu.vi^ pendant, trois ans d'une ceffarion darmes, qui fit reptendre aux exercices du barreau leur cours ordirai» re. Molon le rtiodien , 1'un des piincipaux orateurs de ce fiècle , étant venu s'établir a Rome, Cicéron s'empreffa auffi-róc de recevnir fes () en latin , mais beau» coup plus fouvent en grec , parce que la lan30 gue grecque leur fourniffoit une plus grande »variété d'exprefilons, & 1'occafion d'enrichir » leur propre langue par de nouveaux mots irrri- (a) Zeno quidem ille, a quo difciplina floïcorum eft, manu deponftrare folebat quid inter has artes intereflet. Nam cum compreiïèrat digitos pugnumque fecerat, dialedticam aiebat ejufmodi efie : cum autem diduxerat & manum dilataverat , palmx illius eloquentiam fimüera eiTe dicebat. Orat. 159. Edit. Lamk. {b) Brut. pag. j57, 433.  «8 HistöiredêlaVië prudence, futalfafllné devant ( a ) 1'aurel de Vefta. Après avoir fait ce facrifice aux manes de fon père , le jeune Marius fe tua volontairement. Pompée, dans le même tems, pourfuivoit Carbon en Sicile , & 1'ayant pris a Lilyba, il envoya fa tête a Sylla , fans s'être lailfé fïéchir par les baffes fupplications que ce malheureux conful employa pour obtenir la vie. On a fait un reproche de cette acfion a Pompée (b). II avoit recu de Carbon des fervices importans, dans une occafion oü 1'honneur de fon père & fa propre fortune étoient intéreffés. Mais c'eft 1'effet ordinaire des fa&ions civiles, de faire préférer 1'utilité préfente du parri qu'on embraffe a toutes les confïdérations publiques ou particulières. Jeune & ambitieux, comme 1'étoit Pompée, il n'eft pas furprenant que le délïr de plaire a Sylla , 1'emportat dans fon cceur fur un fcrupule d'honneur & de reconnoilfance. Cependant Cicéron femble 1'excufer (c) par le caractère même de (a) De Nat. Deor. 3 , 3?.. ( b) Sed nobis tacentibus , Cn. Carbonis, a quo admodum adolefcens , de paternis boni's in foro dimicans proteftus es , juiTu tuo interempti, mors animi's hominum obfervabitur , non fine aliqua reprehenfione ; quia tam ingrato faéto plus L. SyUx viribus quam propriae jndulfifti verecuridi*. Valer. Max. 3 3. (c) Hoe vero qui Lilybxi a Pompeio nofïro interfeflus efl,improbior nemo, meo judicio,fuit. Epijl.famil. 9, 11. Carbon,  be CicéRöN, Li v. 1. 4? Carbon , qu'il repréfente comme un des plus méchans hommes du monde. Après tant de viéloires , Sylla ne trouva plu? d'obltacle a fa vengeance. II en revint aux profcriptions, dont il avoit été 1'invenreur, méthode déteftable (a) qu'il exerr^a de fang froid avec une cruauté dont on n'avoit jamais vu d'exemple a Rome, ni peut - être dans aucun endroit du, monde. II 1'étendit dans töutes les parties de 1'Italie , ou nong-feulement le crime de s'être déclaré contre lui , ne fut pardonné a perfonne , mais la licence ne connoiffant plus de bornes dans une armée infolente, ce fut affez (b) detre riche en terre ou en argent, ou de polféder quelque belle maifon de campagne, pour paroïtre criminel aux (a) Primus ille , & utinam ultimus , exemplum profcr'ptionis invenit. Velleius Patercul. z, z 8. La proCcription fe faifoit en expofant dans les places publiques les nöms de ceux qui étoient condamnés a mourir, avec promeiïe d'une certaine récompenfè pour ceux qui ap^ porteroient leurs têtes. Ainfi, quoique Marius & Cinn» eufTent maflacré de fang froid leurs ennemis, ce n'avoit point été proprement par la voie de la profcription , ni en propofant une récompenfê aux meurtriers. rb) Namque uti quifque domum aut villam, poflremè aut vas aut veftimentum alicujus concupiverat, dabat operam ut is in profcriptorum numero effet. Neque prius finis jugulandi fuit quam Sylla omnes fuos divitiis expl»? vit. Sall. c. ji. Plutarq. Vie de Sylla. Tome J. D  JÖ HlSTOIRE DE LA V I E yeux d'un vainqueur avide qui croyoit tout permis a fon reflentiment. Dans cette deltruciion générale de la fa&ion de Marius, Jules-Céfar, qui n'étoit agé que d'environ dix-fept ans, eut beaucoup de peine a fauver fa vie. II étoit allié de fort prés au vieux Marius. II avoit époufé la fille de Cinna (a),8c toutes lesmenaces de Sylla n'avoient pule faire confentira la répudier.Cesdeux motifs de haine le faifant regarder au parti victorieux comme un ennemi irréconciliable , il fut dépouillé du bien de fa femme, & de la dignité de grand-prêtre qu'il avoit obtenue. La crainte d'être encore moins ménagé lui fit prendre le parti de fe cacher a la campagne ; mais le hafard ayant fait découvrir fa retraite a quelques fatellites de Sylla, il ne fauva fa tête qua force d'argent. Enfin, l'intercelfion des veftales & 1'autorité de quelques-uns de fes parens, arrachèrent a Sylla la promefle de le laiiïer vivre ; mais en leur accordant cette faveur, il leur fit obferver que celui dont ils follicitoient la confervation avec tant de chaleur, cauferoit(^) un jour (a) Cmnx gener , cujus filiam ut repudiaret , null» modo compelli potuit. Veil. Patere, z, 4*. (-b ) Scirent eum quem incolumem tantoperè cuperent > quandoque optimatum partibus, quas fecum fimul defendiflent, exitio futurum. Nam Caefari muitos Marios ineffe. Sueton. Ccefar. c. i. Plut. Vie de Cefar.  de Cicéron, L i r. L jt la ruine de cette ariftocratie qui coütoit tant de peine a établir ; carje vois, leur dit-il, plufieurs Marius dans un feul Céfar. L'évènement confi» ma cette prédiction. Céiar apprenoit tous les jours par les exemples qu'il avoit continuellemene devant les yeux, a former le deflein de ruiner la liberté de fa patrie, & a 1'exécuter; fyftême qui 1'occupa effeétivement pendant toute fa vie. La fin des profcriptions ayant rétabli a Rome quelque apparence de calme, on vit prendre une nouvelle face au gouvernement. L. Flaccus, choid pour interrex, nomma auffi-töt Sylla diétateur, pour mettre ordre aux affaires de la république fans aucune limiration de tems, & facrifia tou£ ce qu'il avoit fait jufqu'alors, & tout ce qu'il alloit entreprendre, par une loi particuliere qui donnoit a Sylla le pouvoir de condamner Uri citoyen a mort (a) fans aucune forme de procés. L'office de dictateur, qui avoit été autrefois d'une ucilité extréme a la république dans les tems orageux & difficiles, étoit devenu aufli odieux que fufpecf dans 1'état de richeffe & de puilïance ou elle étoit parvenue. On fentoit de quel danger il étoit pour la liberté, & cette crainte en avoit fait interrompre entièrement 1'ufage depuis plus (3) de cent vingt ans. Ainfi la loi de Flac- (a) De Lep. Agrar. con. Ruil. j , z. (b) Cujus honoris ufurpatio per annos cxx, intef». D ij  J4 HlSTOÏRE DE tA VlSf & le caradère étoient fi refpectés, qu'il fut le premier d'entre tous les étrangers, a qui 1'on accorda la permiflïon de fe fervir de la langue grecque au fénat, fans l'afiïftance d'un interprète (a): faveur qui marqué encore combien les difciplines grecques, & fur-tout 1'éloquence, étoient alors en honneur dans la république. Cicéron étoit a la fin de la carrière qu'il s'étoit propofé de parcourir, pour y recueillir par Un travail obftiné toutes les perfedions qu'il faifoit entrer dans 1'idée de 1'orateur; car fous le nom de Cralfus, il nous explique lui-même 1'inf titution qu'il croyoit nécelfaire pour former ce caradère. prés (b) avoir appris tout ce qui mérite d'être sj connu dans 1'art & dans la nature. Le feul s> nom d'orateur emporte cette nécefiïté , puifque s> fa profeflion confifte a parler fur tous les fujets sp qui peuvent être propofés; & fans la connoif» fance du fujet qu'on traite, leloquence ne fe» roit qu'un amas d'impertinences puériles II avoit appris des mejlleurs maïtres les élémens de ( & G&M ejus Mu- D iv  HlSTÓÏRE DE LA V I £ » gance de fon père Ladius, 1'orateur le plus poli » de fon fiècle». II avoit la même liaifon avec Mucia, fille de Ladia, qui époufa le cclèbre orateur L. CralTus, & avec les deux Licinia, 1'une femme de L. Scipion, & 1'autre du jeune Marius, qui excelloient dans cette délicatelfe de langage qui étoit comme propre a leur familie, & qui ont rendu leur nom célèbre en fervant a la tranfmettre a la poftérité. II ne manquoit donc aucune perfecrion de 1'art a Cicéron lorfqu'il fe préfenta au barreau, agé d'environ vingt-fix ans; & loin d'y chercher a fe former (a) par 1'exemple & par 1'expérience, comme la plupart des jeunes gens du même age, il y parut en état tout d'un coup d'entreprendre la défenfe de toutes les caufes qu'on voudroit lui confier. Les anciens ne fe font pas mieux accordés que les modernes fur la première dans laquelle il fut engagé. Quelques-uns ont cru que ce fut celle de P. Quinctiïis; d'autres, celle de S. Rofcius. Mais les uns &c les autres font dans Terreur, car dans Toraifon pour Quin&ius, il déclare expreffément qu'il avoit déja plaidé d'autres caufes; & dans celle qui regarde Rofcius, il dit feulement que c'eft la première cias ambas, quarum fermo mihï fuit notus, &c. Brut, V9i E C I C É R O N , L i r. I. 'i% caufc publique & criminelle qu'il eut foutenue. II eft vraifemblable qu'avant que de fe hafarder en public dans une affaire de cette importance, il avoit fait quelque plaidoyer moins confïdérable , pour elïayer fes forces & pour donner un commencement de fplendeur a fa réputation. C'eft 1'avis que Quintilien (a) donne aux jeunes avocats, & 1'on fait que toutes fes régies font tirées de 1'exemple de Cicéron. Dans la caufe de Quinétius il s'agilToit de le défendre contre une accufation de banqueroute , intentée par un créancier, qui fous divers prétextes avoit obtenu la permiflion de faifir &C de vendre fon bien. Ce créancier étoit un des crieurs publics qui marchoient a la fuite des magiftrats , & fa faveur auprès d'eux le rendoit fi capable d'opprimer Quinclius , qu'il avoit déja obtenu fur lui un avantage confidérable par le crédit d'Hortenfius, dont il avoit fait fon avocat. Cicéron entreprit cette caufe a la follicitation du célèbre comédien Rofcius, dont Quinctius {b) avoit époufé la fceur. Ce ne fut qu'après s'en être défendu long-tems, cc par la crainte de ne fe pas » trouver plus capable d'ouvrir la bouche au bar» reau devant Hortenfius, que les autres comé- (a) Quintil. 11 , 6. >b) Fro Quinft. 24,  *> e C i c é r o vt , L i r. 1. 5* 3e cette nature conduifant néceffairement (a) a. bien des plaintes, foit contre le malheur des conjonéhires, foit contre l'oppreflion des grands, ils redoutoient tous le pouvoir de fagreifeur & le reffentiment de Sylla. Mais Cicéron faifit fans balancer une fi glorieufe occafion de s'engager ouvertement au fervice de fa patrie, & de donner un témoignage public de fes principes & de ce zèle pour la liberté, a laquelle il avoit dévoué tout le travail de fa vie. II eut la fatisfaction de voir déclarer Rofcius innocent; fon courage & fon habileté furent également applaudis de toute la ville; & dès ce moment (b) il pafia pour un avocat du premier ordre, ï qui les caufes les plus importantes pouvoient être commifeï avec siireté. Ce plaidoyer lui faifant naïtre 1'occafion d» rappeler le fupplice établi par les premiers ro- (a) Ita loqui homines , huic patronos propter Chryfogoni gratiam defuturos.... ipfo nomine parricidii & atrocitate criminis fore ut hic nullo negotio tolleretur, cum a nullo defenfus fit.... patronos huic defuturos putaverunt; defunt. Qui libere dicat, qui cum fide defendat, non deefl profecto, judices. Pro Rofc. Amerin. ( b) Prima caufa publica , pro S. Rofcio dicta , tantum commendationis habuit, ut non ulla eflet qua: non noftro digna patrocinio vlderetur. Deinceps inde muit*. Brut. 434-  KlSTGIRl DE LA Vl-g mains pour les parricides ( c'étoit de renfermer le criminel dans un fac, & de le précipiter dans le Tybre ), il fait remarquer, avec beaucoup d'abondance dans 1'expreflïon, que le cc but(a) de » cette invention de la juftice, étoit de le fépa» rer en quelque forte du fyftême de la nature, » en lui ótant la communication de 1'air, celle » de la lumière, de 1'eau & de Ia terre; afin que » celui qui avoit détruit 1'auteur de fon être , fut » privé de la faveur de ces élémens, d'oü toutes » les créatures tirent leur exiftence. On n'auroit » pas voulu 1'abandonner aux bêres féroces, de *peur que la contagion d'une fi horrible mé» chanceté ne les rendït plus furieufes ; ni le »jerer nud dans les flots, de peur qu'il ne fouil» lat 1'eau même, qui fert a purifier toutes les » chofes fouillées. On ne lui laifioit aucune com» munication avec ce qu'il y a de plus commun =»& de plus vil; car eft-il rien de fi commun Aque 1'air pour les vivans, que la terre pour les » morts, que la mer pour ce qui flotte defius, » que le rivage pour tout ce qui y eft rejeté par » les flots J Cependant ces miférables vivent le » plus long-tems qu'il leur eft poffible, fans refy pirer 1'air , meurent fans toucher la terre, font 3» agités par les vagues fans en être lavés, font pouf- (a) Pro Rofc. 16.  66 HlSTOIRE DE LA VlE environ trois ans (a). a S'érant logé chez Antio33 chus , chef de la vieille académie, il renou33 vela fous eet excellent maïtre les études pour 33 lefquelles il avoit été paffionné des fa première 33 jeunefle 33. Titus Pomponius, a qui fon affection pour Athcnes, & le long féjour qu'il fit dans cette ville , ont fait donner (b) le furnom d'Atticus, y étoit alors dans les mêmes occupations. Ils avoient été ccndifciples dans d'autres écoles, & leur amitié reprenant une nouvelle force, ils fe lièrentpour toute leur vie avec cette tendre & conftante affedion qui paffe encore pour un modèle. Atticus, qui fuivoit la fede d'Epicure, enlevoit fouvent Cicéron a fon höte Antiochus, pour le livrer a Phèdre & a Zénon, chefs de 1'école épicurienne, qu'il croyoit capables de le ramener a leurs principes. lis eurent la-deflus de fréquentes difputes; mais le but de Cicéron dans ces vifites, étoit de fe convaincre plus fortement de (e)'la foiblefle de cette dodrine, en voyant combien elle étoit aifée a réfuter dans la bouche même de fes plus habiles partifans. Son goüt pour (a) Eufebe. Chronic. (b) Pomponius ita enim le Atheniï collocavit, ut fit poene unas ex civibus, & id etiam cognomine videatut habiturus. De Fin. j, ï. ( ë Cicéron, Liv, I. la pbilofophie ne lui fit pas négliger 1'exercice de 1 'éloquence, qu'il cultivoit chaque jour fous Demetrius (a) ie fyrien , maïtre d'une expérience confommée. Ce fut apparemmerit dans ce voyage d'Athènes qu'il fe fit initier aux myftères d'Eleufine, car malgré 1'incertitude du tems auquel ce fait doit être rapporté, on ne fauroit le placer mieux que dans un voyage entrepris pour fe perfeclionner 1'efpric & le corps. Le refpedt avec lequel il s'expliqua toujours fur ces myftères, & ce qu'il a laifle entrevoir de leur fin & de leur ufage , femble confïrmer 1'opinion d'un favant (£) 8c ingénieux écrivain, qui les a crus inventés pour conferver la doclrine de 1'unité de dieu 8c de 1'immortalité de 1'ame. A 1'égard du premier de ces deux points, en faifant obferver a Atticus, qui étoit aufli dans 1'initiation, que les dieux des religions populaires n'étoient que des hommes morts , qu'on avoit tranfportés de la terre au ciel , il lui rappelle (cjl (a) Eodem tarnen tempore , apud Demetrium fyrum , veterem & non ignobilem dicendi magiftrum, ftudiosè exerceri folebam. Brut. 437. (b \ Vid. Warburtons , divine legation of Mofés , vol. t. (c) Ipfi üli, majorum gentium dii qui habentur, liine a nobis in ccelum profefti reperientur.... Rernïnilcere, quoniam es initiatus, quae traduntur myfteriisj turn deniqus Eij  de Cicéron, Liv, I. e9 ment de vivre avec plus de plaifir, mais de mourir aufli avec de méilleures efpérances. D'Athènes, Cicéron pafia en Afie, oü il raftembla autotir de lui les plus fameus orateurs du pays, qui laccompagnèrent pendant le refte de fon voyage. II s'exercoit avec eux dans tous les lieux oü il sarrêtoit. Le principal, dit-il, étoit (a) le fervice qu'il venoit de lui rendre en cbaifanc » les mouches par les contorfions, il auroit csu« ru le rifque d'en être dévoré ». Mais pendant que Sicinius Continuoit fes pratiques féditieufes, & qu'il s'efforcoif de porter le peuple k quelque violence contre le fénat, il fut tué par 1'artifice de Curion, dans un tumulte qu'il avoit excité (£) lui-même. On ne trouve aucun témoignage du tems précis oü Cicéron s'engagea dans les liens du ma- (a) Curio copia nonnulla verborum, nullo alio bono tenuit oratorum locum. Brut. 3co. It. 313. Motus erat is quem C. Julius in perpetuum notavit, eiira rx eo in utramque partem toto corporè vacillante quacfivit quis lo- queretur è lintre ? Nunquam , inquit, Ocravi, collega: tuo gratias referes ; qui, nifi fe luo more jaftaviiTet, hodiè te iftic muica» comedillent. Ibid. 324. (b) Vid. Salluft. Fragment. Hifi. 1. 3. Orat. Macri, Pigh. ann. 677.  de Cicéron, Liv. I. 95 rïage; mais il y a beaucoup dapparence que ce fut vers la fin de 1'année précédente , au retour de fes voyages, & dans fa trentième année. On ne fauroit placer eet événement plus tard puifque fa fille avoit treize ans lorfqu'elle fut mariée, 1'année qui précéda celle de fon confulat, quoiqu'il faille fuppofer qu'elle naquït le premier jour d'aoüf, qu'il marqué lui-même pour le (a) jour de fa naiflance. On ne connoït pas avec plus de certitude la familie & la naiflance de Terentia, fa femme ; mais il faut conclure de fon nom , de fes grandes richeifes, & de la conditiofi de fa fceur qui étoit au nombre (è) des veftales, qu'elle defcendoit d'une illuftre origine. Cette année apporta donc bien des avantages a Cicéron; une augmentation dans fa familie , un accroiffement Sc fi leur prétexte fut de punir les crétois d'a» voir favorifé Mithridates, leur motif réel fut * le défir de joindre une fi belle ïle a leur em3* pire (c) 33. La guerre s'étoit renouvelée aufli du coté de Mithridates, qui dans fa haine implacable contre (rf) Primus invafit infulam Antonius; cum ingenti quidem viftoria: fpe atque fiducia, adeo ut plures catenas in navibus quam arma portaret. Flor. 2 , 7. (b) Antonium cum multa contra fociorum falutem , multa contra utilitatem provinciarum & faceret & cogitaret, in mediis ejus irijuriis & cupiditatibus, mors oppreffit. In Verr. 3,91. (c) Creticum bellum, fi vera volumus nolcere, nos fecimus fola vincendi nobilem infulam cupiditate. Flor. * , 19-  dé Cicéron, Liv. II. 107 Rome, n'avoit pas manqué de faifir 1'occafion oü les meilleures troupes de la république & fes plus habiles généraux, Metellus & Pompée , étoient occupés en Efpagne contre Sertorius. Le gouvernement de 1'Afie étant tombé a Lucullus après 1'expiration de fon confulat, il fut chargé auffi de réprimer 1'audace du roi de Pont. Mais tandis que les armes romaines étoient ainfi employées aux différentes extrêmités de 1'empire , il s'éleva d'autres troubles dans le fein de i'Italie, qui après avoir paru alfez méprifables dans leur origine, y répandirent bientot la terreur Sc la confternation. Quelques gladiateurs, dont le nombre n etoit pas d'abord au-delfus de trente, ayant forcé leur prifon a Capouë, Sc s'étant faifis de quantité d'armes qu'ils diftribuèrent a une multitude d'efclaves, fe poftèrent avec eux au mont Véfuve , oü ils furent a la vérité prefqu'aufii - tot environnés par le préteur Clodius Glaber avec un corps de troupes régulières; mais s'étant ouvert un paflage 1'épée a la main, ils le forcèrent dans fon camp Sc fe rendirent maïtres de toute la Campanie. Ce fuccès fit croïtre en peu de tems leur parti jufqu'au nombre de quarante mille hommes. Ils réfiftèrent pendant trois mois aux légions romaines avec tant de conduite Sc de vigueur, qu'après avoir défait plufieurs généraux confulaires & prétoriens, 1'orgueil de leurs viétoires leur fit former le def-  Io8 HrSTOIRE DE LA V I E" fein d'attaquer Rome. Enfin le préteur M. Craiïiis, ayant raffernblé toutes les forces qui étoient clans le voi finale de la ville, répiïma leur infolence, & les poulTa jufqu'a Rhegium, oü ne trouvant point de vaiffeaux pour fe fauver par la merils furent taillés en pièces, avec Spartacus, leur général (a), qui combattir jufqu'au dernier moment avec une valeur admirable , a la tête de cette troupe défefpérée. On donna d cette guerre le nom de Servile, & le vainqueur n'obtint que 1'honneur de 1'ovarion , paree qu'ii parut indécent de lui accorder celui du triomphe , pour une victoire remportée contre des efclaves: cependant en faveur d'un fi grand fervice, le fénat lui permit par un décret fpécial, de porter la couronne (b) de lauriers , qui éroit 1'ornemenr propre au triomphe , comme celle de mirrhe étoit pour 1'ovation. La fortune de la république fit finjr prefqu'en même tems la guerre d'Efpagne. Sertorius, qui en étoit 1'auteur, avoit recu fon éducarion militaire fous C Marius, qu'il avoit fuivi dans toutes fes campagnes avec une répuration fingulière, nonfeulement de courage , mais de juftice même & (a) Tbid. ; , io. {b) Plutarq. Vie de Craffus,.... Craffe , quid eft quod confefto formidoloffimo bello co-onam illam lauream tibi decerni tantopere volueris i In Pifon, 14.  de Cicéron, Liv. II. io? de clémence ; car malgré fon atrachemenc au parti de Marius, il condamna (a cruauté, & fes confeils le portèrent toujours a taire un ufage plus modéré de fon pouvoir. Après la mort de Cinna , il tomba entre les mains de Sylla, qui lui accorda la vie, en faveur peut-être de fa modération : cependant ne pouyant le prendre que pour un ennemi déclaré de fa caufe, il 1'enveloppa bientot dans fes profcriptions, & le for$a de chercher fa süreté dans les cours étrangères. Serrorius après avoir erré quelque tems dans 1'Afrique & fur les cotes de la Méditerranée , trouva le moyen de s'établir en Efpagne , oü recevant enfuite un grand nombre de romains qui fe déroboient a la cruauté de Sylla, il en compofa un fénat qui donna des loix a cette province. Son crédit & fon habileté s'y fortifièrent jufqu'a le mettre en état de foutenir la guerre pendant huit ans contre toute la puilfance de la république , & de mettre en doute a qui de Rome ou de 1'Efpagne 1'empire du monde étoit deftiné. Tous les efforrs de Q. Metellus ayant été inutiies pour le réduire, Pompée recut ordre de marcher contre lui avec les meilleures troupes de 1'empire. Les avantages furent balancés dans plufieurs batailles, & Sertorius emporta plus d'une fois la balance : mais il fur lachement alfaffiné dans une fête , par la trahifon de Perpenna, fon lieutenant, qui poitoit  iio HlSTOÏRE DE DA VïE envie (a) a fa gloire , Sc qui voulut ufurper fotl rang Sc fon autorité. Perpenna étoit d'une naiflance illuftre. II avoit été préteur de Rome, oü il avoit pris les armes avec le conful Lepidus , pour détruire les aótes de Sylla, & faire rappeller les profcrits de la faótion de Marius. Après la défaite de fon parti , il en avoit recueilli les reftes, pour aller au fecours de Sertorius •, mais au lieu de titer de la mort de ce brave homme le fruit qu'il en avoit efperé , il ruina la caufe dont il s'étoit rendu le chef, & n'ayant point 1'art d'infpirer la même confiance aux troupes Sc (a) Sylla Sr condilem , ut praediximus , exarmatumque Sertorium, proh ! quanti mox belli facem ! & muitos alios dimifit incolumes. Vall. Patere, z , z f , zg. Jam Africa;, jam Balearibus infulis fortunam expertus , miffulque in Oceanum, tandem Hifpanïam armavit. Satis tanto hofti uno imperatore refiftere refp. romana non potuit; additus Metello Cn. Pompeius. Hi copias vin diu , & ancipiti femper acie attrivcre j nee tarnen prius bello quam fïiorüm fcelere & infïdiis extindus eft. Flor. 5", zz. Illa in tantum Sertorium armis extulit, ut per quinquen-j nium dijudicari non potuerit , hifpanis , romanifve in armis plus effet roboris, & uter alteri populus pariturus foret. Veil. Pat. z, 50. A M. Perpenna & aliis conjuratïs convivio interfectus efl, octavo ducatus lui anno , magnus dux & adverfus du-os imperatores , Pompeium & Metellum , faepè par, frequenttus viftor. Epit. liv. 96. Plut. Vie de Sertorius & de Pompée. Appian, p. 41Ö.  de Cicéron, Liv. II. ni aux provinces, il avanca la fin d'une guerre qui ne s'étoit foutenue fi long-tems, que par 1'habileté du général. Son armée fut défaite, 8c il tomba lui-même entre les mains de fes ennemis. On a beaucoup loué dans cette occafion la générofité & la prudence de Pompée. Perpenna lui ayant offert, dans 1'efpérance de fauver fa vie, de lui révéler des fecrets importans, 8c de lui remettre les papiers de Sertorius, oü étoient les lettres d'un grand nombre des principaux fénateurs de Rome qui le preffoient de conduire fon armée en Italië pour y renverfer la forme du gouvernement, il fit brüler (a) les papiers fans les avoir lus, 5c tuer Perpenna fans le voir. La meilleure méthode a fon gré pour délivrer Rome des mécontentemens &c des faótions qui troubloient continuellement le repos public , étoit de diffiper les craintes que le remords du pafle pouvoit infpirer aux coupables , plutöt que de les mettre dans la nécefficé, par des recherches trop inquiètes, de chercher leur füreté dans le changement des affaires 8c dans le renverfement de 1'état. En rentrant dans 1'Italie a la tête de fon (a) In tanto civium numero, magna multitudo ell eorum qui propter metum pcenx , peccatorum fuorum confcii, novos motus converfionefqua reipublics qustunt. Pro Sext. n6.  de Cicéron , Liv. IIto de faire agir ». Auffi fe fit-il une étude d'apprendre le nom , la demeure & la condition de tous les citoyens diftingués; il s'inftruifit de leur fortune, de leurs liaifons, de leur voifinage ; &C lorfqu'il faifoit quelque voyage en Italië , il étoit en état de faire connoïtre chaque maifon par le nom de fon maïtre. Cette connoilfance , qui a fon utilité dans tous les gouvernemens populaires, étoit particulièrement nécelfaire a Rome, oü Ie peuple ayant beaucoup a donner, fouhaitoit qu'on recherchat fa faveur avec quelque empreffement, & oü 1'élévation des fentimens étoit fi générale, que le moindre citoyen fe croyoit auffi fupérieur i ceux des autres villes , que la république romaine 1'étoit a tous les états du monde. Tous les romains qui avoient quelque prétention aux honneurs, entretenoient dans leurs maifons un ou deux efclaves , dont 1'unique occupation étoit d'apprendre les noms des citoyens & de diftinguer leurs perfonnes a la première vue, pour avertir leur maïtre a 1'oreille en marchant dans les rues, & le mettre en état de les faluer (a) (a) Mercemur fervum , qui diflet nomina, kvum Qui fodiat latus, & cogat trans pondera dextram Porrigere. Hic roultum in Fabia valet, Mi Velina : Cuiübet hic fafces dabit, &c. Horat. Ep. 16. Vid. de Petït. Con. xi. H iv  120 HlSTOIRE DE LA VlE tout d'un coup d'un air de connoifiance , d pourquoi perdez-vous 33 tout-a-fait le foin de les faluer ? Cette conduite 6. Signa quoque in feüa noflerh formata curili Et totum Numidae fculptile gentis ebur. Ovid. de Pont. 4, (c) Liv. 1. 6 , ad fin.  de Cicéron, Liv. II. 123 béiens & les curules, elle ne confifta plus a la fin que dans le nom; & petit-être feulement que les édiles curules étoient élus les premiers, puifr que Cicéron le fut fous ce titre, Cette magiftrature donnoit une préféance au fénat, qui confiftoit a parler ou a donner fa voix immédiatement après les confuls & les préreurs. C'étoit aufli le premier degré, dans les charges publiques , qui donnoit droit de faire tirer fa figure en peinture ou en ftatue, Sc qui (a) annoblifibit par conféquent une famiile; car c'étoit par le nombre de ces ftatues de leurs ancêtres que les romains me^ furoient la nobleffe. Ce fut après fon éieciion a ledilité, Sc fans avoir encore pris pofFeiiion de eet emploi, que Cicéron entreprit la fameufe caufe de C. Verrès, dernier préteur de Sicile , qui s'étoit rendu coupable d'une infinité de rapines, d'injuitices & de cruautés pendant trois ans qu'il avoit gouverné cette Jle. Comme eet événement eft un des plus célèbres de fon hiftoire , en qualité du moins d'orateur, ce n'eft pas faire une excurfion inutile que de nous étendre un peu fur les circonftances. Nous parions d'un tems oü fadminiftration (a) Antiquiorem in lenatu dicendi locum , jus imaginis ad mernoriam poöeriiatemque prodendam. In Verr» 5 , 4-  124 HlSTOIRE DE LA VlE publique étoit extrêmement corrompue dans routes fes parties. Les grands, épuifés par leurs excès de luxe & de débauches, ne recevoienr leurs gouvernemens que pour s'enrichir par la dépouille des provinces étrangères. Leur unique bur étoit d'arracher par toures forres de voies des fommes immenfes au dehors pour acheter a Rome de nouveaux emplois, & de piller leurs alliés pour fe donner plus de facilité a corrompre leurs conciroyens. En vain les peuples opprimés cberchoienr-ils du fecours a Rome, ou perfonne n'ofoit entreprendre d'accufer & de pourfuivre un noble criminel; la décifion des procés dépendoit d'une muit'tude de juges du même rang , qui étoient la plupart engagés dans les mêmes crimes , & qui proftituoient ordinairement leur fentence a la faveur ou a la brigue. Un défordre de cette nature avoit caufé dans toutes les provinces de 1'empire un mécontentement général , qui n'avoit fait qu'auTmen'-er par le changement de Ia judicature , que Sylla avoit tranfportée de l'ordre équeltre au fénat. Rien n'é^aloit 1'impatience du peuple pour voir eet établiffement renverfé. Ainfi peu d'accufa'ions avoient été plus agréables au public que celles qu'on intentoit contre Veriès-, & les deux effets qu'on s'en promettoit également , étoient 1'humiliation de la nobleife 8c ïe foulagerjient de tcus les fujets de 1'empire.  ï>E Cicéron, Liv. II. ify Toutes 'es villes de la Sicile s'étoient réunie* Contre le coupable, a la réferve de Syracufe &C de Mefline, qu'il avoit traitées avec plus de ménagement, paree qu'elles éto.ent les plus confidérables de la province. II avoit fait fon féjour a Syracufe , & Meffine avoir été comme le magafin d'oü il faifoit pafler tous fes vols en Italië. Quoiqu'elles n'eu ent pas toujours été exempres de fes violences, il avoit trouvé le moyen de fe les concilier, en leur donnant quelquefois part au butin (a), ou plutöt en leur faifant partager avec lui la haine de fes brigandages; & moitié par crainte, moitié par faveur, il en avoit obtenu , a la fin de fon gouvernement , d'amples témoignages qui étoient a 1'honneur de fa conduite. Cicéron follicité par toures les autres villes, fe laifia engager a foutenir leur caufe par le fouvenir de 1'affection qu'il leur avoit marquée pendant fa quefture , &c de Ia promelfe qu'il leur avoir faire de fa protection. De l'autre part, Verrès étoit fupporté par les plus puiflantes maifons de Rome, les Scipion, les Metellus, & défendu par Hortenfius, qui étoit 1'orateur a la mode, & qu'on appeloit commu- ( ce röle avec une efpèce de joie 8c d'ardeur; 33 mais que c'étoit celui qui y étoit comme forcé 33 a regret par le fentiment de fon devoir, celui 33 dont les parties défiroient le fecours, 8c dont 33 le coupable redoutoit les attaques, celui qui 33 étoit aufli autorifé a entreprendre par 1'inno33 cence de fa vie que par fon expérience dans 33 les affaires de la juftice , enfin celui que 1'an33 cienne coutume de la république défignoit, 8c 3j déclaroit propre a cette entreprife 3>. Dans le même difcours, après avoir expofé les raifons qui le portent a prendre le röle d'accufateur , contre fon ufage & malgré la loi qu'il s'étoit impofée de n'employer fa voix qu'a la défenfe des malheureux, il ajoute : « Nos provinces 33 font ruinées, nos alliés 8c nos tributaires font 33 miférablement opprimés ; ils ont perdu toute 33 efpérance de voir apporter du remède a leurs 33 maux, & ce qu'ils cherchent uniquement, c'eft 33 de la confolation dans leur infortune : ceux qui 33 fouhairent que le jugement des procés demeure ^3 au pouvoir du fénat, fe plaignent qu'il n'y a ^3 perfonne de réputation pour preffer la pourfuite 33 des accufés, 8c qu'il n'y a point aflez de fer33 meté dans les juges. Le peuple romain, quoi»3 qiie troubdé.par d'autres fiijets drnquié-tude, ne  :Ï2$ HlSTÖIRE DE LA V 1 £ 3, défire ïien avec tant d'ardeur que le rétabliite» ment de 1'ancienne difcipline dans l'ordre des » procédures. Le défaut de juftice fait regrettet 35 le pouvoir des tribuns; 1'abus de la juftice fait 33 demander un nouvel ordre de juges : la con» duite fcandaleufe des juges fait foupirer après 93 1'ancienne autorité des cenfeurs, qui éroit odieufe 33 autrefois par fa rigueur. Dans cette licence &C 33 eet oubli -de tous les principes , au milieu des 33 plaintes du peuple romain, le défordre même 33 qui règne dans la juftice , & 1'alToupilfement 33 du fénat doivent devenir la fource du remède, 33 en excitant ce qui refte d'habiles & d'honnêtes 33 gens a fe charger de la caufe publique & de 33 celle des loix. C'eft le motif qui m'engage , 33 pour 1'intérêt commun de notre füreté, a venir 33 au fecours de cette partie de 1'adminiftration 33 dont le danger m'a paru le plus prelfant*,. Ce premier article ayant été jugé en faveur de Cicéron , on lui accorda fuivant la loi , cent dix jours pour recueillir les témoignages; & la néceffité de vériner en effet les mémoires & les accufations, 1'obligea de faire le voyage de Sicile. Sa crainte étoit que Verrès n'employat 1'artifice pour gagner du tems, dans 1'efpérance de fatiouer fes accufateurs & de refroidir le reifentiment T du public. Mais s'étant fait accompagner par L,. Cicéron, fon coufin, qui le foulagea d'une partie du  ©e Cicéron, Liv. II. ti9 du travail, il ne mir point a faire le tour de 1'ïle, la moitié (a) du tems qu'on lui avoit accordé. Dans les voyages de cette nature les frats tomboient fur Ia province ou fur les villes qui avoient pare a 1'accufation ; mais Cicéron par indifférence pour le gain , & par un défintéreflement digne de fes motifs, ne vouiut engager la Sicile dans aucune dépenfe, & prit toujours fon logement fans éclat , (b) chez fes amis & chez fes hötes. Quoiqu'il fut recu dans toutes les parties de la Sicile avec les honneurs qui étoient düs a fa généiofité & aux fervices qu'il réndoit a la province , il efiuya quelques défagrémerts a Syracufe par Tmfiuence du préteur Metellus, qui employa tout fon pouvoir pour arrêter Ie cours de fes informations, & pour empêcher le peuple de J'aider dans fes recherches. Les magiftrats ne I'invitèrent pas avec moins de refpecf. a les honorer de fa préfence dans leur fénat. II leur fit des plaintes de la ftatue dorée qu'ils avöiertt élevée a Ver- (a) Ego Sïciliam tótam quinquaginta diebus fie obii. In Verr. Act. i , z. (£) In Siciliam inquirèndi caufa profedus, quo in negotlo ad hofpites meos ac neceffarios, caufe communis defenfor , diverti potius quam ad eos qui $ me confilium petiviiïent. Nemini meus adventus labori nee fumptui Heque publicè neque privatim fuit. In. Vtrr. i, 6. Tome I. j  liO HlSTOIRE DE LA V I E rès, & des témoignages qu'ils avoient envoyés a Rome en fa faveur. Leur excufe fut que ces flatteries avoient été arrachées par la force & la terreur , ou obtenues par 1'adreffe d'un petit nombre de particuliers, contre 1'inclination du public. Et pour le convaincre de la fincérité de ce difcours , ils lui remirent un mémoire de quantité d'injuftices & de larcins dont leur ville n'avoit pas été plus a couvert que le refte de la province. Aufli-tót que Cicéron fe fut retiré, ils accordèrent par un décret public, a Lucius fon coufin, le titre d'ami & d'hóte de la ville , pour avoit marqué le même penchant que Cicéron a les fervir ; & par un autre décret, ils révoquèrent toutes les louanges qu'ils avoient données a Verrès. Q. Carcilius, le même qui avoit été aux mains a Rome avec Cicéron , & qui ne fe trouvoit point alors fans deflein a Syracufe , appela de ces deux décrets au préteur; ce qui caufa tant d'indignation a la populace, qu'il eut beaucoup de difficulté a s'échapper. Le préteur prenant droit de eet appel, congédia le fénat, & déclara les deux aótes irréguliers , fans vouloir fouffrir que Cicéron s'en fit donner une copie. II s'emporta même jufqu'a lui reprocher d'avoir trahi la dignité de Rome , en s'abaiffant jufqu'a parler (a) non- (a) Ait indignum facinus efle , quod ego in fenatn grxco verba fecüTem ; quod quidem apud graicos grxcè  DE CICÉRON, Liv. II. j31 feulement a un fénat étranger, mais en lanaUe grecque. Cicéron lui répondit avec tant de vigueur, & fit valoir d'un air fi ferme la fainteté des loix & lc chariment auquel on s'expofoit en les méprifant, que Ie préteur fut enfin forcé de lui laifièr prendre les mémoires & les informations (a) qu'il défiroit. II trouva plus d'obftination , & de 2èJe pout Verrès, dans la ville de Meifine. II n'y recut a fon arrivée ni complimens de la part des magiftrats, ni les offres ordinaires de rafraichiifemens; & fans msrquer la moindre confidération pour fon rang, on lui laifla le foin de chercher fon logement chez fes amis; indignité, dit - il luimême , qui éroit encore fans exemple a 1'égard d'un fénateur romain, a qui il n'y avoit point de ville (b) ni de roi dans le monde, qui ne fe riffen t honneur d'offir un logement. Mais il les locucus eiïëm, id ferri nullo modo pofTe. In Verr. 4 66. Valere Maxime rapporte que les magiftrats romain! étoient fi jaloux de la dignité de la république, qu'ils ne répondoient jamais qu'en latin aux étrangers, & qUe dans les pays même étrangers , ils ne fe fervoient que de la langue latkie. Mais eet ufage étoit alors aboli. Lib. 1 (a) In Verr. I. 4 , 6z , 63 , <;4 ; tfj. (b) Ecqox civitas eft..... Rex denique ecquis eft qui fenatorsm populi romani tecto ac domo non invitet ? Lbid* H  132 HlSTOÏRE DE LA VlÉ mortifia dans plus d'une occafion , pendant Ie cours du proces, jufqu'a leur faire craindre qu'il ne portat fes pïaintes de leur infolence au fénat, comme d'un outrage qui n'attaquoit pas moins que le corps entier. Après avoir rempli toutes fes vues en Sicile, il reprit la route d'Italie par mer, autant pour fe garantir (a) des artifices de Verrès, que pour éviter une multitude de voleurs qui infeftoient l'autre chemin , & fon arrivée a Rome jeta la conftemation parmi fes adverfaires qui ne s'attendoient pas fi-töt a fon retour. II s'étoit néanmoins formé , dans fon abfence , une cabale aufli puiflante qu'il s'en étoit défié, pour faire trainer 1 affaire en longueur par toutes les voies (£) que la chicane, le crédit & les richefles font capables de mettre en ufage. L'efpérance du coupable n'étoit pas moins que d'obtenir une victoire entière 1'année fuivante, paree qu'on avoit défigné pour confuls Hortenfius & Metellus, & le frere de Metellus pour préteur. • (a) Non ego a Vibone Veliam parvulo navigio inter fugitivorum prxdonum ac tua tela veniffem. Omnis illa mea feftinatio ftut cum periculo capitis. In Vtrr. i, 40. Vid. Jfiên. argum. in Divinat. (b) Reperio , judices, hxc ab iflis confilia inita & conftïtuta , ut quacumque opus effet ratione res ita duceretur, ut apud M. Metellum pratorem cauf» diceretur. In V°.rr* Act. i,9:  be Cicéron, Liv. II. 137 Mais avant que de m'éioigner de ce fujet, il fèra utile pour la fuite de mon ouvrage, que je m'arrête un moment a i'expofition des principaux crimes de Verrès. On en connoïtra mieux la méthode qui étoit en ufage parmi les romains dans le gouvernement des provinces, & les lources de ces grandes affaires ou de ces fameux procés dont j'aurai quantité d'exemples a raconter. Quoique tous les gouverneurs ne fulfent point auffi coupables que Verrès, il y en avoit peu qui ne méritaffent une partie des mêmes reproches. C'eft ce que Cicéron ne fe lalfa point de répécer dans fes oraifons, en faifant fentir de quelle importance il étoit de le traiter fans indulgence, pout arrêter le cours d'un défordre fi général , qu'il deviendroit bientot impoflible de le réprimer. L'accufation rouloit fur quatre chefs; i°. la corruption de Verrès dans les (a) jugemens ; i°. fes rapines & fes extorfions en levant les taxes & les revenus publics; 30. les vols particuliers de ftatues & de vaiffelle d'argent, ce qui étoit proprement fon goüt; 40. les punitions tyranniques & contraires aux loix. D'un grand nombre de faits que (ü) Quid igitur dieet? fecifle alios funt quxdam omnino in te fingularia , quxdam tlbï cum multis cnmmunia. Ergo omittam tuos peculatus, ut ob jus dicendum pecunias acceptas.... qus forfitan aüi fecerint. In Verr. 3 , 88.  ïjS HlSTOÏ^E DE Ll VlË Cicéron avoit recueillis, & qui n'étoient Cependant, comme il le dit lui-même , que 1'extrait tVim mémoire beaucoup plus étendu , je n'en ehoifirai pour exemples que deux fur chaque article. II n'y avoit point, dans foute la Sicile , une lèufe terre de quelque valeur , qui fut pafTée d'un poflefleur a l'autre par teftament ou par vente depuis 1'efpace de vingt ans, ou Verrès n'eüt der émïlTaïres , pour découvrir quelque omiflïon ou quelqu'autre défaut dans les titres , dont il put prendre droit d'arracher de 1'argent a I'héritier. Dion de Halèfe, homme de qualité, jouiffoit tranquillement d'un grand héritage , qui lui avoit été laifle par un de fes parens, a la feule condition d efever quelques ftatues dans une place publique , lans quoi 1'héritage étoit dévolu a Vénus 1'Erycienne. Les (tatues furent élevées. Cependant fous quelques vains prétextes Verrès avoit fuborné un fïcilien pour redemander eet héritage au nom de Vénus; & lorfque la caufe fut a fon tribunal, il forca Dion de compofer avec lui pour la fomme de cent mille livres , & de lui abandonner un haras des plus beaux chevaux du monde , avec fous les (a) meubles & toute la vauTelle de la maifon du teftateur. (a) Hic eft Dio , de quo multis primariis viris teftibus fatisfactum eft, H. S. numeratum effe , ut eam caufam h qua ne tsriuiftima qu'dem fufpicio poftbt eiTe , ïfto  de Cicéron, Liv. II. 139 Sopater, citoyen confidérable de la ville d'Halicie , avoit été accufé devant le préteur C. Sacerdos, qui avoit précédé Verrès, d'un crime capital dont il s'étoit purgé avec beaucoup d'honneur. Mais 1'accufation fut renouvelée devant le nouveau préteur. Sopater fe préfenta a fon tribunal avec confiance. Mais la caufe ayant été ajournée dès la première audience , Timarchides, affrancbi de Verrès & fon principal agent, vint trouver 1'accufé & 1'avertit en ami de ne pas fe fier trop a Ja bonté de fa caufe & a la première vi&oire; que fes adverfaires étoient dans la réiblution d'offrir de 1'argent au préteur, qui aimeroit bien mieux en recevoir pour fauver un criminel que pour le perdre , & qui n'étoit pas porté d'ailleurs a caffer la fentence de fon prédécelfeur. Sopater furpris de ce difcours, promit d'y faire attention, & déclara feulement qu'il n'étoit pas en état d'avancer une groife fomme. Ayant confulté 1'affaire avec fes amis, on lui confeilla de céder aux circonftances, puifqu'il y étoit forcé ; de forte que revoyant Timarchides a qui il fit valoir encore la difette oü il étoit d'argent, on compofa pour la fomme de mille piftoles qui cognofcente obtineret : prsterea greges nobüiffimarum equarum abactos, argenti veftifque ftragulse quod domï fuerit eiïb direptum, Uïd. z , 7.  de Cicéron, Liv. IL 145: toient (a) les perfonnes a la torture & ne manquoient point d'arracher un confentement. Verrès amaflToit par cette voie non - feulement tout le blé qui étoit nécellaire a Rome, mais encore une prodigieufe quantité d'argent qu'il mettoit dans fes ( b) coffres. II n'avoit pas honte de fe vanter que ce feul article le rendoit alfez riche pour fe mettre a couvert de toutes fortes d'accufations; & 1'on n'en pouvoit avoir aucun doute , puifqu'il fur prouvé qu'un de fes collecteurs (c) avoit gagné plus de quatre eens mille francs dans fon emploi. Les pauvres laboureurs qui n'avoient point de fecours a efpérer contre cette violence , étoient forcés de renoncer a la culture des terres & d'abandonner leurs maifons; de forte qu'on prouva par le dénombrement des terres labourables, dont (a) Apronius venit, omrie ïntlrumentum diripuit, familiam abduxit, pecus abegit, hominem corripi & fufA pendi juffit in oleaftro. Ib'ui. 13. (£) Jam vero ab Ulo omnem illam ex serario pecuniam quam his opportuit civitate frumento dari , lucrïfactam videtis. lbid. 73. (c) Tu ex pecunia publica H. S. tredecies ïcribam tuum permiffu tuo cum abuulifTe fateare , reliquam tibi uilam defenfionem putas efle ? lbid. 80. Agyrinenfis ager ducentos quinque aratores habuit primo anno praefeduraï tuas. Quid tertio anno ? Oftoginta. Hoe perxque in omnï agro decumano reperietis. lbid. 51, fi. Tome I. K  "de Cicéron, Liv. II. 149 comptes, comme s'il les eut achetés de lui pour cent piftoles, tandis que nouvellement , dit Cicéron , une limple ftatue en cuivre, de grandeur médiocre , s'étoit vendue jufqu'a mille. Verrès avoit obfervé aufli dans la maifon d'Heius une tenture de tapiflerie, de celles qui pafloient pour les plus précieufes en Sicile, & qu'on appeloit attaliques, a caufe de leur richefle. II réfolut (a) de les faire pafler entre fes biens, mars il falloit attendre que la poflefllon des ftatues lui fur aflurée. Aufll-röt qu'il eut quirré Meflïne, il pria Heius par fes lettres de lui envoyer fa tapiflerie a Agrigente, pour quelque occaflon particulière dans laquelle il vouloit s'en fervir ; & lorfqu'il 1'eut une fois entre fes mains, il fut impofllble a Heius de fe la faire reftituer. Mefllne étoit néanmoins la feule ville qui foutint conftamment les intéréts de Verrès, & qui envoyat pendant fon procés des térnoignages publics en fa faveur par une députation de fes plus illuftres citoyens dont Heius étoit le chef. Mais lorfqu'il fut interrogé dans la préfence de Cicéron , il déclara naturellement que malgré 1'obligarion oü il s'étoit cru d'exécuter la commiflion dont fes concitoyens 1'avoient (a)Quid illa attalica, tota Sicilia nominata, ab eodem Heio peripetafmata ernere oblitus es ? at quomodo abfiu-. lit ? lbid, tu K iij  150 HlSTOIRE DE LA VlE chargé, il n'en avoit pas été moins dépouillé par Verrès des biens qui lui étoient venus de fes ancêtres, & qu'il n'auroit jamais laifle fortir de fes mains s'il avoit pu les conferver (a). Verrès avoit dans fa maifon deux ciliciens, qui étoient frères, 1'un peintre, l'autre fculpteur, au jugement defquels il s'en rapportoit abfolument fur les ouvrages de peinture & de fculpture. lis avoient été forcés de quitter leur patrie pour avoir volé le temple d'Apollon , Sc le préteur de Sicile les ayoit pris a fon fervice pour découvrir tout ce qu'il y avoit de précieux dans les lieux publics ou chez les particuliers. Ces deux frères ayant averti le préteur qu'un certain Pamphile de Lilybée polfédoit un vafe d'argent d'une grandeur & d'une beauté extraordinaires, qui étoit 1'ouvraga de Boëthus (/>) , il fe le fit apporter auifi-töt , & le rangea parmi fa vaiffelle. Un jour que Phamphile penfoit a fa perte, en regrertant une pièce qui étoit le principal ornement de fon buffet, Sc dont il fe faifoit honneur dans les fêtes , il re- (a) Quid enim poterat Heius refpondere ? Primo dixit fe illum publicè laudare , quod fïbi ita mandatum effet ; deinde neque fe illa habui(Te venalia , neque ulla conditione , fi utrum vellet, liceret , adduci unquam potuiffe Ut ver.deret iila, &c. In Verr. 47. (3) Carthaginois célèbre par quantité d'ouvrages do fculpture. Plin. Hifi, Nat. Lib. 33 , n. Ub. 34, 8.  de Cicéron, Liv. II. iji cut un autre melTager qui vint lui apporter l'ordre d'envoyer au préteur deux belles coupes d'argent qu'on lui connoiffoit auffi , ornées d'excellenres figures en reliëf. La crainte de quelque accident plus facheux lui fit prendre le parti de porrer lui-même fes coupes a Verrès. En arrivant au palais, il apprir qu'il s'étoit retiré pour dormir, mais il trouva les deux frères (a) qui lui demandèrent auffi-tót fes coupes. Ils en louèrent 1'ouvrage. Pamphile marquant beaucoup de regret de les perdre, ils lui demandèrent ce qu'il donnercit volontiers pour les conferver, & ne lui laifXant point le tems de répondre , ils lui promirent de les lui laiffer pour quarante écus. Pamphile en ofFrit vingt. Son bonheur voulut que Verrès fortit du fommeil & demanda les coupes. On les lui préfenta ; mais les deux frères qui avoient leurs efpérances, lui firent obferver qu'elles ne répondoient point au récit qu'on leur en avoit fait , & qu'elles ne méritoient point de tenir (a) Cybirata: funt fratres quorum alterum fingere opinor è cera folitum effe , alterum effe pictorem. Canes venaticos diceres, ita odorabantur omnia & perveftigabant* In Verr. 4, 13. Meniini Pamphylum Lüybxtanum mihi narrare , cum ifte ab fefe hydriam , Boëthi manu factam, prseclaro opere & grandi pondere , pet» poteftatem abftuiiffet, fe fane triflem & conturbatum domum revertiffè, &c. lbid. 14. K iv  152 HlSTOIRE DE LA VlÊ place entre fa vailfelle. Verrès renvoya brufque- ment Pamphile, qui fauva ainfi fes coupes. On honoroit, dans la ville de Tyndaris, une célèbre image de Mercure, qui avoit été enlevée aux habitans par les cartbaginois, & que Scipion leur avoit rendue •, & eet incident fembioit avoir augmenté leur dévotion. Verrès, réfolu de fe la procurer, donna ordre a Sopater, premier magiftrat de la ville , de fenvoyer a Meffine. Le peuple s'y étant oppofé avec beaucoup de chaleur, Verrès n'infifta point dans cette conjondture mais il renouvela bientot le même ordre a Sopater, avec les plus rigoureufes menaces. Le fénat de Tyndaris, a qui fa demande fut expliquée, s'y étant oppofé tout d'une voix, le préteur fe rendit dans cette ville, fit de nouvelles inftances a Sopater ; & fur 1'objéction prife du refus du fénat, fans l'ordre duquel il n'ofoit le fatisfaire: « Ne me parlez 33 point, lui dit-il, de votre fénat, de votre rc33 ligion & de vos craintes. II y va de votre vie; 33 je vous ferai expirer fous les verges , ii je n'ai 33 a ce moment la ftatue 33. Sopater eut recours encore au fénat, mais il s'efforca inutilement de le toucher par fes larmes. Tous les fénateurs fe levèrent en défordre & le laiflèrent fans réponfe. Verrès, qui attendoit le retour de Sopater, aflis fur fon tribunal, quoiqu'au milieu de 1'hiver , dans un tems fort froid, & pendant une grande  de Cicéron, Liv. II. ijj pluie , le voyant arriver fans la ftatue , donna ordre fur le champ qu'il fut dépouillé de fes habits, & conduit nud dans la place publique; qu'il y fut lié a la ftatue équeftre de C. Marcellus, ex? poféj dans 1'état ou il étoit, au froid & a la pluie , & O) cruellement déchiré par une efpèce de torture fur un cheval de bronze. II y auroit péri néceflairement, fi la compaffion n'avoit ému le peuple jufqu'a forcer le fénat de promettre & Verrès la ftatue de Mercure. Le jeune Antiochus, roi de Syrië , ayant du cöté de fa mère quelques prétentions fur 1'Egypte, palla dans le même tems par la Sicile en retournant.dans fes états, & s'arrêta a Syracufe, oü Verrès qui lui favoit beaucoup d'argent, le recut avec toutes fortes de politefles, lui offrit des rafraïchiflemens, & le traita magnifiquement a fouper. Ce jeune monarque , fenfible aux honnêtetés (a) Tam ifte : Quam mihi religionem narras? quam poenam » quem fcnatum ? Vivum le non relinquam , mo- riere virgis , nifi fignum traditur Erat hiems fumma , lempeftas , ut ipfum Sopattum dicere audiftis , perfrigida , imber maximus, cum ipfe imperat lictoribus ut Sopatrum prxcipitem in forum dejiciant, nudumque conftituant Cum effet vinflus, nudus in aere , in imbri, in frigore, neque tarnen finis huic injurix crudelitatique fiebat, donec populus atque univerfa multitudo atrocitate rei commota, fenatum clamore coegit, ut ei firnuiacrum illud Mercurii pollicerstur. lbid. 19 j 4°-  rj4 HlSTOIRE DE la VlE du préteur, ne manqua point de 1'inviter a fon tour, Sc dans le feftin qu'il lui donna , il prit plaifir a faire brilier fa vailfelle , qui étoit d'or ou d'argent, ornée de pierres précieufes, Sc parmi laquelle on admiroit parti culièrement une large coupe, taillée d'une feule pierre, & foutenue par deux anfes d'or. Verrès prodigua fes regards & fon admirarion fur chaque pièce , randis que le roi s'applaudiffoit de le voir fi content de fa fête. Le lendemain Verrès envoya prier le roi de lui envoyer quelques - uns des plus beaux vafes , Sc particulièrement la grande coupe , fous prétexte de les faire voir a fes artiir.es. Antiochus les lui fit porter fans défiance. Mais outre cette vaiflelle qui étoit pour fon ufage domeftique , il avoit avec lui un grand candelabre a plufieurs branches , tout couvert de pierres les plus précieufes, Sc d'une valeur ineftimable, dont il s'étoit propofé de faire une offrande a Jupiter capitolin. Les réparations qu'on avoit commencées au capitole n'étant point encore finies, il n'avoit pas trouve dans le temple, de place convenable a fon préfent •, ce qui lui avoit fait prendre le parti de le remporter dans la Syrië, afin qu'il parüt avec plus d'éclat lorfqu'il feroit expofé pour la première fois. Le préteur avoit eu quelque connoilfance de ce bel ouvrage. II pria Is roi de lui en accorder 1ü yue, avec promeiïe que cette faveur ne feroit que  de Cicéron, Liv. II. 155 pour lui. Antiochus ne fit pas difficulté de lui envoyer le candelabre par quelques-uns de fes gens, qui après en avoir fait admirer toutes les beautés a Verrès, s'attendoient a le remporter. Mais Verrès affecïant de ne pouvoir rafiafier fon admiration , &i d'avoir befoin de quelque tems de plus pour fe fatisfaire , les obiigea de le laifiër entre fes mains. Quelques jours fe paffèrent. Le roi, a qui 1'on ne parloit plus de fon candelabre , le fit redemander civilement. On le remit a quelqu'autre jour. Enfin, d'autres inftances n'ayant pas mieux réuffi, il fut forcé d'en parler lui-même au préteur, qui le conjura de lui en faire un préfent. Comme la fainteté d'un voeu fait d 'Jupiter aux yeux de plufieurs nations étoit une excufe qui ne fouffroit point de réplique , Verrès s'emporta d'abord en menaces, & les voyant auffi impuiifantes que fes prières , il ordonna fièrement au roi de fortir fur le champ de fa province, en lui déclarant qu'il lui connoifloit des liaifons avec certains pirate,s, dont le deffein étoit d'envabir la Sicile. Ce malheureux prince reconnoiflant trop tard qu'il étoit honteufement trompé, fe rendit a la place publique (a), oü les larmes aux yeux & (a) Rex maximo conventu, Syracufis , in foro, flens ac deos hominefque conteflans, clamare coepit candelabrum factum è gemmjs quod in capitoliuni rniflurus effet,  IJff HlSTOIKE DE LA VlE prenant les dieux a témoins de ttnjuftice du préteur, il confacra a Jupiter par un vceu folerrmel, ce candelabre qu'il avoit deftiné au capitole , Sc que Verrès lui arrachoit avec autant d'impiété que de violence. S'il arrivoit en Sicile un vaifleau ricbement chargé, il étoit aiifli-tót faili par les efpions du préteur, fous prétexte (a) qu'il venoit d'Efpagne & qu'il avoit a bord quelques foldats de Sertorius. Les capitaines montroient-ils leurs pafTeports avec le mémoire de leur cargaifon, pour donner des preuves claires qu'ils étoient d'honnêtes négocians, «les uns faifant voir de la pourpre de Tyr, les id fibi C. Verrem abflulifle. Id etfï antea mente & cogltatione fiia confecratum effet, tarnen fè in illo conventa civium romanorum dare , donare , dkare, conlêcrare jJovi opt. max., &c. lbid. 28 , 7.9. {a) Quxcumque navis ex Afïa veniret, flatim certïs indicibus & cuffodibus tenebatur : veftores omnes in latomias conjiciebantur, onera atque merces in prxtoriam domum deferebantur; eos ïêrtorianos miiites effe atque a Dianio fugere dicebaf. Tn Verr. , %6. Latomias illas fyracufanas omnes audiftis. Opus efl ingens, magnifïcum, regum atque tyrannonim. Totum efl ex faxo mirandan? in altitudinem depreffo. Nihil tam claufum ad exitus, nihil tam tutum ad cuftodias , nee fieri nee cogitari poteft. lbid. 27. Carcer ille , qui eft crudeiiflimo tyranno Dionyfio fafhis , qua: Latomix vocantur , in iftius imperia domicilium civium romanorum fuit. lbid. 55.  I58 HlSTOIRE DE LA VlË qu'il étoir pres de partir pour 1'Italie, il eut la hardielTe de fe plaindre ouvertement des injures qu'il avoit recues du préteur, Sc de fe vanter'même qu'allant droit a Rome, Verrès entendroit bientot parler de lui. Mais il n'y auroit pas eu plus d'imprudence a prendre ce ton dans le palais de Verrès, qu'a Mefline. II fut arrêré jufqu'a 1'arrivée du préteur, qui le condamna d'abord comme un criminel fugitif, a être fouetté dans la place publique, Sc qui le fit clouer enfuite fur une croix, drefiee exprès dans le lieu le plus élevé du rivage, & rourné vers 1'lralie, pour augmenter les tourmens de ce miférable , en lui faifant fouffrir une mort cruelle a la vue (a) de fa patrie. Les cötes de Sicile étant infeftées par un grand hombre de pirates, les préteurs ne manquoient point tous les ans de mettre une flotte en mer pour la süreté du commerce Sc de la navigation. C'étoient les villes maritimes qui faifoient la dépenfe de eet armement, en fournifiant ehacune un vaifleau, avec le nombre d'hommes Sc les provifions nécellaires. Mais Verrès les difpenfoit quel- (a) Gravius hic quem dico , cofarms, cum in illo numero civium ab ilto in vincla conjedus effet, & nefcio qua ratione clam è latomiis profugiffet, loqui Meffana: ccepit, & queri fe civem romanum in vincla coniectum, fibi refla iter effe Romam , Verri fe prsfto advenienti futurum , &C. lbid. 61,  be Cicéron, Liv. 1. 159 . Mais quelques intentions qu'on veuille attribuer a Pompée, & foit qu'il eut manqué de droiture 8c d'habileté, il eut fujet dans la fuite de regretter cette démarche, lorfque Céfar, qui avoit la tete meilleure 8c le cceur plus corrompu, fut en tirer avantage pour fa ruïne; car ce fut aux tribuns qu'il dut 8c le pouvoir 8c le prétexte de renverfer la république (a). A 1'égard de l'autre article, on fe perfuada qu'il n'y avoit point de meilleure voie pour abaifler i'infolence des ncbles , que de les foumettre au jugement d'un ordre inférieur, dont la jaioufie naturelle ne permettoit pas qu'ils abufafient de leur rang pour continuer leur oppreffion. Cependant cette grande affaire fut terminée a la fin pat un compromis, & 1'on porta, du confentement de tous les ordres, une nouvelle loi, qui actribuok conjointement le droit de judicature aux fénateurs 5c aux chevaliers, dont on devoit (£) choifir annuellement un certain nombre , pour juger toutes fbrtes de caufes avec le préteur. ( rendre la mère Flora favorable a la ville de Rome » par la célébration des jeux publics. Je dois faire ai repréfenter avec toute la dignité & la religion 33 pofilble a 1'honneur de Jupiter, de Junon & (a) Afcon. in Orat. in Tog. Cand. (b) Cenforis judicium nihil fere damnato affèrt prater ruborem. Itaque quod omnis ea judicatio verfatur tantummodo in nomine , animadverfio illa ignominia diïla efl. Fragment, è Lib. 4 , de Repub. ex Nonio.  de Cicéron, Liv. II. 171 » de Minerve, ces anciens fpecf acles qui porroient a» dans leur origine le nom de romains. Je dois 33 veiller a la confervarion des faints édifices; en33 fin mes foins doivent s'étendre ( eu celui de le faire rétablir avec une nouvelle 33 fplendeur. II raut qu'on s'appercoive que ce n'eft 33 pas pour détruire le temple de Jupiter que le 33 feu eft defcendu du ciel, mais pour nous en de33 mander un (a) plus magnifique & plus brillant 33 que le premier *>. On place dans le cours de cette année la défenfe de Fonteius & de Ca?cina par Cicéron. Fonteius avoit été pendant trois ans préteur de - (a) In Verr. 4, 31. la  be Cicéron, Liv. II. 177 ïa Gaule Narbonnoife. II fut accufé par les peuples de fa province & par Indicomare , 1'un de leurs princes, d'avoir exercé beaucoup d'injuftices & d'exactions dans fon gouvernement, a lëgard fur-tout de leurs vins , fur lefquels on le chargeoit d'avoir impofé une taxe arbitraire. Cette caufe fut plaidée dans deux audiences; mais il ne nous refte qu'une des deux harangues de Cicéron , & fi imparfaite, qu'il eft difficile d'en connoitre le mérite & le fuccès. Cicéron confefle que 1'accufation qui regarde les vins eft fort °rave fi elle eft jufte ; & la méthode qu'il fuit dam fa défenfe fait foupconner que Fonteius n'étoit pas injuftement chargé , puifqu'il emploie (a) tout fon art a exciter la haine contre les aceufateurs , & Ia compafilon en faveur de 1'accufe. Car pour ruiner le crédit des témoins, il repréfente toute leur nation, <* comme un peuple livré a 1'ivro«gnerie, impie, de mauvaife foi, naturellement 33 ennemi de toute religion , fans refpecl: pour la 33 fainteté des fermens, & fouillant les autels de 33 leurs dieux par des facrifices humains. Quelle 33 droiture, dit-il, quelle piété attendrez-vous de 33 ceux qui croyent devoir appaifer(^) les dieux 33 par la cruauté & par lëffufion du fang des 33 hommes 33 ! Erifin, pour exciter la pidé des (*) Pro Fonteio, (b) lbid. 10. Torne I. M  I78 HlSTOIRE DE LA VlH juges, il fait valoir avec toute la force de 1'éloquence , l'interceflïon & les larmes de la fceur de Fonteius, qui étoit une des veftales , & qui affiftoit a l'audience. II oppofe a 1'impiété & a la barbarie des gaulois, la piété & les prières d'une fi refpecfable fuppliante. II avertit les juges du danger auquel ils s'expoferoient, en rejetant les inftances d'une femme, dont, fi le ciel rejetoit les prières, il ne refteroit pour (a) eux-mêmes aucune efpérance de falut , &c. La caufe de Cicina regardoit un droit de fucceflion, qui dépendoit d'un point fort (b) fubtil de la loi. L'orateur y fait éclater fes lumières , & montre que fes emplois & fon caractère public ne lui faifoient rien perdre de fon zèle pour les exercices du barreau. A la fin de fon édilité la mort lui enleva fon coufin, Lucius Cicéron , qui 1'avoit accompagné dans fon voyage de Sicile. II déplore cette perte avec les marqués d'une tendre affeclion dans une de fes lettres a Atticus: cc Comme vous me connoifiez mieux que per33 fonne , vous jugerez aifément combien j'ai été 33 touché de la mort de L. Cicéron , mon cou- (a) lbid. 17. ( b) Tota mihi caufa pro Cxcina de verbis interdicti luit; resinvolutas definiendo explicavimus. Orat. 1*.  'lio HlSTOIRE DE LA VïÉ ville éroit cette année dans une agitation qui fit craindre de voir toutes les éleclions fufpendues. II s'agiiToit de plufieurs loix, auxquelles le fénat s'oppofoit avec la dernière chaleur. La première propofée en faveur de Pompée par A. Gabinius , un des tribuns, comme une marqué de fa reconnoiiïance & de celle de fes collégues pour 1'auroriré qu'il leur avoit fait reftituer, tendoit a lui procurer un pouvoir fans bornes fur toutes les cötes de la Méditerranée , fous le prétexte d'une commiflïon pour réprimer(a) les pirates qui infeftoient continuellement cette mer , a la honte de 1'empire & a la ruine fenfible du commerce. En effet, leur audace & leurs forces avoient été jufqu'a faire prifonniers plufieurs magiftrats & quelques ambafladeurs romains. Ils avoient eu la témérité de faire diverfes (b) defcentes dans 1'Italie (a) Quis navigavit qui non ie aut mortis aut fervitutis periculo committeret, cum aut hieme aut referto pratdonum mari navigaret ? Pro Leg. Man. 11. (b) Quid, ad nos cum ab exteris nationibus venirent, captos querat, cum legati populi romani redempti fint ? JViercatoribus tutum mare non fuifle dicam, cum duodecim 'fecures in poteftatem pradonum pervenerint ? Quid ego oflienfe incommodum , atque illam labem & ignominiam reip. querar , cum prope infpeftantibus vobis , claffis ea cui conful populi romani propofitus effet, a prxdonibus capta atque oppreffa efl? lbid. iz.  de Cic^rok, I/r. II. i8r même, Sc celle de brüler les navires de Rome jufques dans le port d'Oftie. Cependant une autorité d'une fi grande étendue, un pouvoir fi contraire aux loix, effraya Hortenfius, Catulus 6c tous les autres chefs du fénat. Entre les mains d'un feul particulier, ils le crurent dangereux pour la liberré publique. .« Ces faveurs extraor33 dinaires, difoient-ils , avoient été la caufe de » toutes les. mifères oü- la république avoit été 33 plongée par les profcriptions de Marius & de 33 Sylla. Une fuccsffion perpétuelle dëmplois Sc 33 de commandemens les avoit rendus trop grands 33 pour regarder les loix comme un frei.n. Quoi33 qu'on ne dut point appréhender les mêmes 33 excès de Pompée, la chofe n'en étoit pas moins h> pernicieufe en elle-même , ni moins contrairs 33 a Ia confKtution de Rome. L'égalité d'une-.dé33 mocratie demandoit que les honneurs publics 33 fuflent partagés entre ceux qui méritoient de >3 les obtenir: c'étoit le feul moyen de les exci33 ter a s'en rendre dignes , & d'avoir toulours 33 dans la ville un nombre de commandans fages 33 Sc expérimentés; Sc s'il ne s'y trouvoit alors , 33 comme quelques-uns ofoient le dire , que le 33 feul Pompée qui fut capable de commander , 33 c'étoit précifément paree qu'on ne vouloit point 33 d'autre commandant que lui ». Tous les amis M Lij  i 81 HlSTÖIRE DE LA V I E de Lucullus (a) marquèrent une chaleur particuliere dans cette oppofition. Ils appréhendoient que la nouvelle commiflion de Pompée ne lui donnat trop de pouvoir dans 1'Afie , dont Lucullus étoit gouverneur, bc des droits a la conduite de la guerre contre Mithridates; de forte que Gabinius, pour faire tourner de ce coté-la les clameurs du peuple , fit peindre fur un étendart le plan d'un magnifique palais que Lucullus faifoit batir, & le fit porter par toutes les rues , en répandant foUrdement que ces magnifiques édificés (b) ne fe faifoient qu'aux dépens de la république. Catulus, dans un difcours qu'il fit au peuple contre la nouvelle loi, propofa cette quefiion : « Si » tous les intéréts publics doivent être confiés au 33 feul Pompée, quelle efpérance reftera-t-il, fup33 pofé ( c) qu'on le perde par quelqu'accident ? (a) Dio. liv. 36, p. 13. (b) Tugurium , ut jam videtur effe illa villa, quam ipfe tribunus plebis pifiam olim in concionibus explicabat, quo fortiffimum ac lummum civem in invidiam vocaret. Pro Sext. 43. {c) Qui cum ex vobis qusreret fï in uno Cn. Pompeio omnia poneretis , li quid eo faótum effet, in quo fp'em effens habituri ? cepit magnum fus virtutis fructum, cum omnes, prope una voce in eo iplb vos ipem habituros efle dixiftis. Pro Leg. Man. ie.  i>e Cicéron, Liv. II. 18 j 33 Catulus recut, dit Cicéron , la récompenfe de 3» fes vertus, car toute l'aflëmblée lui répondit 3» d'une feule voix, que les efpérances publiques 35 repoferoient alors fur lui 33. Pompée qui excelloit naturellement dans 1'art de diffimuler, affecta lui-même de 1'indifférence, 5c même du dégout pour fon emploi. II conjura le peuple d'en charger un autre , & de lui accorder, après tant de fatigues qu'il avoit elfuyées pour le fervice public, la liberté de vaquer a les affaires domeftiques , au lieu de 1'expofer au trouble & a la haine () & que Pompée même follicita pour lui. II y a beaucoup d'apparence que Pompée trouva quelqu'autre moyen de le récompenfer , puifque Cicéron remarque «qu'il étoit alors fi pauvre & fi abfolument y> ruiné , que s'il nëut pas fait pafler fa loi, il (c) » n'auroit point eu d'autre reffource que de fe y> faire lui-même corfaire ». On donna a Pompée pour cette expédition une flotte de cinq eens voiles, & vingt-quatre lieutenans choifis d'entre (d) les fénateurs. II fit un ufage fi heureux de fon pouvoir, qu'en moins de cinquante jours (a) Quo die a vobïs maritimo bello prapofïtus efl imperator , tanta repente vilitas annonae ex rumma inopia & caritate rei frumentariae confècuta efl, unius hominis lpe & nomine, quantum vix ex (ïimma abertate agrorum diuturna pax efficera potuiflet. Pro Leg. Man, 15/. (5) Ne legaretur A. Gabinius Cn. Pompeio expetenri ac poflulanti. lbid. 19. (c ) Nifi rogationem de piratico bello tuliflèt, profêcro egeflate ac ïmprobitate coaftus piraticam ipfè feciffet. Poft red. in Senat. 3. {d) Plutarq. Vie de Pompée.  de Cicéron, Lir. 11 185 il cbaffa les pirates de toutes leurs retraites, & dans(a) lëfpace de quatre mois il termina entièrement la guerre. Le tribun L. Othon publia une feconde loi, qui affignoit 3 l'ordre équeftre des places particulières aux théatres. Les cbevaliers romains ayant été mêlés jufqu'alors avec le peuple, 011 marquoit pour eux par cette loi douze bancs , pres de ceux des fénateurs ; & c'étoit, fuivant les termes (b) de Cicéron , pourvoir autant a leur plaifir qua leur dignité. La même diftindtion n'avoit été accordée au fénat que depuis un fiècle, fous le confulat de Scipion 1'afriquain ; cc ce qui avoit déplu au peuple , dit Tite-Live , » & n'avoit pas manqué, comme toutes les in» novations, de produire beaucoup de débats &C x de murmures •, car les plus fages étoient perar> fuadés que dans un étatlibre toutes ces efpèces y, de diftinótions font dangereufes , & Scipion (a) Ipfe autem ut a Brundufio profedus efl , undequinquagefimo die totam ad imperium populi romani Ctliciam adjunxit. Ita tantum bellum Cn. Pompeius extrema hieme apparavit, ineunte vere fufcepit, media atflate confecit. Pro Leg. Man. n. 'b) L. Otho virfortis, meus neceffarius, equefin ordini reftituit non folum dignitatero , fed etiam voluptatem, Pro Mar. ip.  l8tf HlSTOIRE DE LA VlE » même (a) en marqua du repentir dans la fuite ». La loi d'Othon fut fans doute encore plus offenfante pour le peuple, qui fe voyoit reculé plus loin du lieu des fpeeïacles, cëft-a-dire , de 1'efpece d'amufement pour lequel il avoit le plus de pafiion. Elle paffa néanmoins par 1'autorité d'un feul tribun , 8c les auteurs claiiïques en parient fouvent comme d'un a&e des plus éclatans (b) 8c des plus mémorables de ce tems-la. Un autre tribun, nommé C. Cornelius, propofa une loi beaucoup plus grave , pour arrêter par des peines rigoureufes les brigues qui étoient en ufage dans les élecfions. Cette févérité choqua les fénateurs, jufqu'a les porter a des oppofitions violentes, qui répandirent beaucoup de défordre dans la ville. Toutes les affaires en furent inter- (a) P. Africanus ille fuperior, ut dicïtur, non folunt a fapientiflimis hominibus qui tum erant, verum etiam a leipfo fspè accufatus eft, quod cum conful effet, paffus effet tum primum a populari confeffu fenatoria fubfellia leparari. Pro Cornel. i. Fragm. ex Afcon. I. i, 34,5-4. (b) Ea res avertit vulgi animum, & favorem Scipionis vehementer quaffavit. Val. Max. 1,4. Sedilibufque magnus in primis eques Othone contempto fedet. Horat. Ep. 4, 13. Sit libitum vano qui nos contemfit Othoni. Juven. 3 , rjt»  de Cicéron, Liv. IL 187 ïompues, l'éle&ion des magiftrats fufpendue , & les confuls forcés de prendre une garde. Enfin 1'on appaifa le trouble en modérant la rigueur des peines par une autre loi que les confuls propofèrent, & qui ayant été acceptée de Cornelius, recut la forme ordinaire fous le titre de loi Cdpurnia (a) du nom de C. Calpurnius Pifon , 1'un des confuls. Cicéron n'en parle pas moins comme d'une loi (b) fort rigoureufe •, car outre une amende pécuniaire, elle rendoit les ctiminels incapables de pofieder aucun office public, & d'avoir rang au fénat. Ce Cornelius, quoique fier & emporté » avoit les qualités d'urt honnête homme. II entreprit d'établir par une autre loi, * que perfonne „ ne pourroit être difpenfé des loix communes , » excepté par 1'autorité du peuple Quoique ce fut un article de 1'ancienne conftitution , le féTiat s'étoit permis la-delfus des exceptions d'autant plus pernicieufes , qu'elles avoient été quelquefois clandeftines. Auffi n'épargna-t-il rien pour fe conferver la polfeffion de ce privilege , jufqu'a gagnet un autre tribun pour empêcher la publication de la nouvelle loi; mais Cornelius pritlelivre de la main du crieur public, & publia la loi lui-même. (a) Dio. 36, 18. (£) Erat enim feveriffime fcripta Calpurnia. Pro Muran. 13.  198 HlSTOIRE BE LA V I E 33 enrrainer aveuglément par les plus cruelles Sc 33 les plus brurales paffions, qui ne connoit ni 33 honce ni pudeur , qui, par la dépravation de 33 fon caraétère, tourne les meilleures loix aux fins 33 les plus déteftables, qui fe conduit avec tant 33 de folie , qu'on ne la prendroit point pour une 33 créature humaine ; avec rant de violence, qu'on 33 ne fauroit la prendre pour une femme ; avec 33 tant de cruauté , qu'on ne peut lui donner le 33 nom de mère; un monftre qui a confondu non33.feulement les noms & les droits de la nature , 33 mais jufqu'a fes dépendances; 1'époufe de fon 33 gendre', la belle-mère de fon fils, 1'opprobre 33 du lit de fa fille, enfin (a) a qui il ne refte 33 rien d'humain que la figure s. On ne doute point qu'il n'ait défendu d'autres criminels dans le cours de la même année , & particulièrement M. Fundanius, quoique toutes ces harangues n'ayent pas réfifté au pouvoir du tems. Mais ce qui mérite d'être remarqué, après quelques anciens écrivains, cëft que pendant ia préture même il fréquentoit 1'école de Gnipbo, célèbre (3) rhétoricien. Comme on ne peut pas (a) Pro Cluent. 70. (b) Scholam ejus claros viros frequentaffe aiunt; in h'.s Ciceronem, etiam cum prstura fungeretur. Sueton, de Clar. Grammat, T. Macrob, 3 , 11.  be Cicéron, Liv. IL 203 tendent, par les partifans de Pompée, & a 1'inf tigation de Pompée même. Cicéron ne voulut point accepter de gouvernemenr après fa préture, quoique (a) ce fut la récompenfe ordinaire & le principal fruit qu'on fe propofoit dans eet emploi. N'ayant point de paffion pour les richeffes ni de goüt pour les armes , la feule gloire qui piquoit fon ambicion étoit de s'attirer de la confidération dans la ville, comme le proteétcur des loix, & d'infpirer aux magiftrats autant de zèle pour les faire obferver que d'obéiffance aux citoyens pour s'y foumettre. II afpiroit d'ailleurs au confulat, c'étoit le grand objet de toutes fes efpérances, & 1'ardeur de fes foins fe tournoit d'avance a 1'obtenir dans le tems ordinaire, fans elfuyer aucun refus. L'intervalle entre la préture & le confulat devoit être de deux années, dont on employoit la première a drelTer fourdement fes batteries & a faire des follicitations privées; mais dans l'autre on fe mettoic ouvertement au nombre des candidats, avec 1'habit qui convenoit a cette qualité. Après avoir vu la ville fi déclarée pour lui dans la première partie de fa carrière , il fe flattoit juftement que la faveur ( a ) Tu in provinciam ire noluifli; non poffum id in fe reprehendere, quod in me ipfo prajtor probavi. Pro Miereen. 10. /  1©4 HlSTOIRE DE LA VlË publique ne lui manqueroit pas pour arriver au terme de fa courfe. Cependant il nëtoit pas fans crainte du cóté de la noblefle, qui regardoit les hautes dignités de lëtat comme fon partage, &C qui ne fe les verroit pas arracher tranquillement par (a) un homme nouveau. II falloit fe mettre au - delfus de fes atteintes, en fortifiant par dc nouveaux foins les fentimens qu'il avoit infpirés pour lui aux citoyens. II choifit dans cette vue le jour de 1'élecfion des tribuns, oü toute la ville étoit alfemblée au champ de mars. II fe mêla dans la foule , il diftribua fes civilités & fes carelfes, il falua tout le monde par fon nom. Enluite aux premières vacations du barreau, qui arrivoient ordinairement dans le mois d'aoüt, il le propofa (b) de faire un voyage dans la Gaule Cifalpine en qualité de lieutenant de Pifon, qui en étoit gouverneur, pour vifiter les villes & les colonies de cette province , dont les fuffrages étoient confidérables par le nombre , &c de retourner a Rome .au mois de janvier fuivant. Plutarque rapporte de lui un mot fort agréable, (a) Non idem mihi licet quod iis qui nobiligenere nati iunt, quibus omnia populi romani beneficia dormientibus defemntur. In Verr. 5 , 70. (&) Quoniam videtur in fuffragiis multum poflë Gallia , cum Romae 3 judiciis forum refrixerit, excurrimus menfe feptembri legati ad Pifonem. Ad. Au. 1, r.  de Cicéron, Liv. IL 205 qu'il place dans le tems de fes follicitations pour le confulat. Le cenfeur L. Cotta paifoit pour aimer le vin. Un jour que Cicéron fatigué de fes courfes , avoit demandé un verre dëau pour fe rafraichir , fes amis lënvironnoient tandis qu'il étoit a le boire :« Vous faites bien , leur dit-il, ?> de me cacher, de peur que Cotta ne me cen53 fure pour avoir bu de 1'eau II écrivit dans le même tems a Atticus, pour le prier de mettre dans fes intéréts tous les amis de Pompée qui fervoient fous lui dans la guerre contre Mithridates. A 1'égard de Pompée , ajoute-t-il en badinant, je le difpenfe de venir en perfonne a mon (a) élecfion. Atticus ayant choifi depuis long-tems Athènes pour fa demeure , Cicéron en prit occafion de fe procurer par fon entremife un grand nombre de ftatues pour 1'ornement de fes maifons de campagne , principalement pour celle (b) de Tufculum, qu'il préféroit a toutes les autres par les agrémens de fa fïtuation dans le voifinage de Rome, & par la ( a) Mam manum tu mïhicura.ut prasfles, Pompen noÉ tri amici. Nega me ei iratum fore li ad mea comitia non venerit. lbid. (b) Qus tibi mandavi & qua; tu convenire intelliges notro Tufculo , velim, ut fcribis, cures. Nos ex omnibus znolefliis & laboribus uno illo in loco conquiefcimus, lbid. j.  106 HlSTOIRE DE LA VlE facilité qu'il avoit d'aller fouver.t s'y délaïfer du tumulte & des fatigues de la ville. II y avoit fait conftruire des falies Si des galleries a 1'imitation des écoles Si des portiques d'Athènes. II leur avoit donné les noms antiques de Gymnafium Sc d'académie, Sc leur ufage étoit de même pour fes conférences philofophiques avec fes lavans amis. Atticus avoit recu de lui en général la commiffion de lui acheter toutes les pièces grecques de peinture ou de fculpture , qu'il jugeroit propres a meubler fon académie. II lui rendit ce fervice avec beaucoup de foins. On voit par leurs lettres (cz) qu'il lui envoya dans plufieurs occafions un grand nombre de ftatues, qui arrivèrent heureufement au port ds Caiete, d'oü fa maifon de Formies n'étoit pas éloignée, Sc qu'elles lui furent fi agréables par ie choix Sc par le prix, que chaque fois qu'il en recevoit quelques-unes , il en demandoit aufli-töt de nouvelles. cc J'ai payé , lui jsécrit-il, deux eens piftoles a Cincius votre 33 agent, pour les ftatues de Mégare. Les Mer33 cures de marbre Pentelicien, a têtes de bronze y 33 que vous m'annoncez , me caufent déja beau- (a) Quidquid ejufdem generis habebis di'gnum academïa quod tibi videbitur, ne dubitaveris mittere , & arese ronrs confidito. Ad Au. 1,9,5,6, 10. Signa , quae curafti, ea runt ad Caietam expofita. lbid. 3,3.  de Cicéron, Liv. II. ao? » coup de plaifir, & vous ne fauriez mën en35 voyer un trop grand nombre ni avec trop de 53 diligence, avec toute autre forte de ftatues &£ 3* d'ornemens qui vous paroïtront de mon goüt s> & qui fatisferont le votre. Choifilfez ce que 3> vous trouverez de plus convenable a ma maifon, =» & fur-tout au lieu dëxercices & au portique; » car j'ai concu tant de paflïon pour ces raretés, 3» qu'au rifque d'en être blamé par les autres , 3» je vous demande votre fecours pour me fatis3» faire 3i. De toutes les pièces qu'il recut d'Atticus, il femble qu'il nën trouva point de plus agréable qu'une forte de flgure emblématique & compofée , qui repréfentoit Mercure &C Minerve, ou Mercure & Hercules fur une même bafe. On appeloit ces ouvrages de fculpture (a) Hermatkènes (a) Hermathena tua valde me deleftat. lbid. i. Quod ad me de Hermathena fcribis, per mihi gratum eft quod & Hermes commune omnium & Minerva fingulare eft infigne ejus gymnafïi. lbid. 4. Signa noftra & Hermeracles , cum commodiflime poteftis, velim imponas. lbid. 10. Les favans croient fans exception que ces Hermathènes n'étoient qu'un grand piédeftal quarré, de oierre qui étoit 1'emblêmede Mercure , avec la tête d'une autre divinité telle que Minerve ou Hercule. On en voit de plufieurs fortes dans les antiquitésde Montfaucon. Je fuis même porté a cröire que les têtes de ces deux divinités étoient  ZC-8 IilSTOIRE DE IA VlE ou Hermeracles; &i Minerve étant proprement la divinité qui préfidoit a 1'académie, comme Hercule aux gymnafes ou lieux d'exercices, & Mercure a tous les deux, leurs ftatues convenoient exadement aux vues de Cicéron. Mais fon ardeur pour lëmbellilfement de Tufculum alla jufqu'a lui faire envoyer a. fon ami le plan de fes plafonds , qui étoient de ftuc, pour y faire ajouter dans les compattimens , des ornemens de fculpture & de peinture. II lui envoya auffi (a) le deffin des fommets de fes puits , ou de fes quelquefois jointes enfemble fur Ie même piédeftal, regardant 1'une d'un cóté , l'autre d'un autre, comme on le voit dans ces anciennes figures qu'on appelle aujourd'hui Janus. A 1'égard des Mercures de marbre Pentelicien, on leur donnoit ce nom, felon Suidas, paree que ce marbre étoit de cinq couleurs différentes. A têtes de bron^e. Les anciens faifoient fouvent des ftatues, dont la tête fe détachoit du reffe du corps, quoique 1'un & l'autre Ment d'une même matière. Pour faire une nouvelle ftatue, ils fe contentoient quelquefois d'en changer la tête ; & nous voyons dans Suétone qu'aü lieu de brifer les ftatues des empereurs dont la mémoire étoit odieufe, on en ótoit les têtes, a la place defquelles on mettoit fans doute celle du nouvel empereur. De-la vient en partie qu'on a trouvé depuis tant de têtes antiques fans corps. (a) Pmerea typos tibi mando quos in teétorio atrioli poflïm includere, & putealia figillata duo. lbid. fontaines,  de Cicéron, Liv. IL 209 fontaines, qui étoient ornés, fuivant 1'ufcge de w tems-la, de figures en reliëf, & compofés fur les meilleurs modèles. les foins d'Atticus ne lui furent pas moins utiles pour recueillir les livres grecs, & pour former fa bibliothéque. Cet illuftre ami ayant la meme paflïon, profitoit du libre accès qu'il avoit dans toutes les bibliothéques d'Athènes Pour faire copier les ouvrages des meilleurs ecnvains par fes efclaves, car fa maifon étoit compofee de domeftiques favans, & le moindre de fes gens (*) étoit capable de lire ou d'écrire pour fon fervice. II étoit parvenu a fe faire une collecten fort nombreufe des livres les plus curieux dans le delfein a la vérité de les vendre, & 1'on voit pat une de fes lettres qu'il s'ouvrit la-defius a dceron; mais il lui faifoit entendre qu'il en cfperoit une plus groffe fomme que celle qu'il pouvoit attendre de lui • ce qui donna occafion a Cicéron dele prier dans plufieurs lettres de les referver tous pour lui, jufqu'a ce qu'il füt en état d en payer Ja valeur. cc Je vous demande en o-raCe « lui dcrir-il, de (è) me conferver vos livres, & (a) In ea eranc pueri lïtteratiffimi, anagnofi* optimi & plunnu hbrarii, ut ne pediffequus quidem quifquam effet qui non utrumque horum pulchre facere poiTet. Camel Nep. m vit. Att. ij. ' (b ) Libros tuo. conferva & noli defperare eos me meos lome I. q  2IO HlSTOIKE DE LA VïE „ de ne pas défefpérer que je fois quelque jour en » état de les prendre : fi j'y réuffis, je me croirai » plus riche que Craffus, & je mépriferai les plus * belles maifons de campagne & les plus déli» cieux jardins ». Dans un autre endroit: a Gar«dez-vous bien, lui dit-il, de vous défeire(a) » de votre bibliothéque, avec quelque empreffe» ment qu'on veuille 1'acheter, car je mets i part „ tout ce que je puis épargner de mon revenu , » pour me procurer cette confolation dans ma » vietllefle ». Dans une troifième lettre, il affure lb) que toutes fes efpérances de plaifir & de confolation lorfqu'il aura renoncé aux affaires, font dans les livres qu'Atticus conferve pour lui. Mais pour revenir aux affaires de la ville, Cicéron fe trouvoit engagé dans eet intervalle a défendre C Cornelius, accufé devant le préteur Q. Gallius, d'avoir attenté au repos de la république pendant fon dernier tribunat. Cette caufe fut une des plus importantes dont il eüt encore facere poffe : quod fi affequor, fupero Crafïum divitiis , atque omnium vicos & prata contemno. Ad Att. i, 4- (a) Bibliothecam tuam cave cuiquam defpondeas , quamvis acrem amatorem inveneris. lbid. 10. ( b ) Velim cogites id quod mihi pollicitus es , quemad■ medum bibliothecam nobis conficere poffis. Omnem fpem deleftationis noflrsj , quam, cum in otium venerimus , habere volumus, in tua humar.iute pofitam hab«mus. Ib. 7.  be CicéroNj Liv. li £ii &é chargé. Elle fur plaidée lëfpace de quatre jours. Les deux confuls y préfidèrent, & Jes té ™o,ns contre le criminel furent (a) Q. Catulus Len^s> Hortenfius, &c. & d'autres perfonl nes de la meme confidération. Cicéron le défcn dit, fiuvant Ie langage de Quintilien, non-feuWnt avec de fones armes, mais avec des artantes, ^dire,, avec une £ yence quiluiattira les acclamations du peuple Ipubha fur cette caufe deux plaidoyers don a perte eft un malheur pour l re^Ii^ ettres, pu.fqu'ils eroienc Iegardé/cJmQ f chf-do3uvre,Ilenavoitlui-mêmeCc)cetteidée & les anaens critiques en ont cité plufieurs traits ' comme des modèles de cette véritable éloquenc ' q-arrache les applaudilfemens, & ou] ^ ladmiration. 1 C Papius.un des tribuns, renouvela cctré annee la loi que Pennus avok ^ la vdle La radon qui les y avoit engagé tous deux, etotf Ia multitude & rinfolence d« étran gers, qui ufurpoient les droits des citoyens, en O) Afcon. Argum. (i) Nee fortibus modo, fed etiam fcW|6s armi* P«h«us eft Cicero i„ caufa Cornelii. Quinl ^ ( que tu n'as été rien moins qu'abfous, Sc que 19 tu dois t'attendre a un jugement plus févère Sc » a un plus rude fupplice *>. Ce fut dans le cours de cette année, fous le confulat de Cotta Sc de Torquatus, qu'on vit arriver cette multitude de prodiges qui furent regardés comme les préfages d'une infinité de complots Sc de dangers dont la république étoit menacée. Le tonnerre renverfa les tours du capitole , les ftatues des dieux , la figure de bronze doré qui repréfentoit Romulus (c) enfant, allaité par une louve, &c. ( a ) A Catiiina pecuniam accepit ut turpiftime pra:vancaretur. De Harufp* Refp- zo. ( b ) O mifer qui non fentias iilo judicio te non abfolutum, verum ad aliquod fêverius judicium ac majus fupplicium refervatum. Orat. in Tog. Cand. ( c) Tactus eiï ille etiam qui hanc urbem condidit, Ro~ mulus, quem inauratum in capitolio, parvum atque lac-  de Cicéron, L i y. II. zi y Cicéron étoit alors agé de quaiante- trois ans, age avant lequel (a) les loix ne permettoient point de briguer le confulat. En fe mettant au nombre des candidats , il s'étoit trouve lïx compétiteurs P. Sulpicius Galba, L. Sergius Catilina, C. Antonius , L. Caffius Longinus, Q. Cornificius, & tantem, uberibus lupinis inhiantem fuifle meminiflis. Ia Catil, 3 , 8. On croit que c'eft la même figure qu'on montre encore au capitole, avec la marqué du tonnerre fur une des pattes de la louve. Cicéron nous a laifle en vers la relation du prodige. Hic fylveitris erat romani nominis altrix Martia, quae parvos Mavortis femine natos Uberibus gravidis vitali rore rigabat, Qua; tum , cum pueris, flammato fulmïnis ictu Concidit, atque avulfa pedum veftigia liquit. De Divinai. i, i»; II y a beaucoup d'apparence que c'étoit de la même figure que Virgile avoit tiré cette élégante defcription: Geminos huic ubera circum Ludere pendentes pueros, & lambere matrem Impavidos; illam tereti cervice reflexam Mulcere alternos, & corpora lambere lingua. Aineid. 8 , 63 r; (a) Nonne tertio & trigefimo anno mortem obiit; qua» eft ^tas, noflris legibus, decem annis minor quam eon-, fularis. Philip. 3,17, O iy  2 10" HlSTOIEE DE LA VlE C. Licinius Sacerdos. Les deux premiers étoient patriciens; les deux fuivans, plébéiens, mais d'une maifon noble, & les deux autres , fils de pères qui avoient commencé a faire entrer les honneurs publics dans leurs families. Ainfi la naiflance de Cicéron n'étant qu'équeftre, il étoit le feul homme nouveau entre (a) les candidats. « Galba &C 3» Cornificius avoient une haute réputation de mé» rite & de vertu. On ne reprochoit aucune tache » a Sacerdos. Caffius étoit foible & parefleux , mais a> on ne lui connoiffoit point encore la méchan33 ceté qu'il fit éclater dans la fuite. Antonius & 3> Catilina, quoique déshonorés par leur caradère » & leur conduite, avoient une faction puifiante 33 dans la ville , &C joignirent toutes leurs forces ( tion n'eft qu'une impofture ? Comment feriez35 vous fi froid dans votre propre caufe , vous dont 531'éloquence efl: fi forte dans les dangers d'autrui> 33 Oü efl; cette douleur, ce feu, qui devroient arra35 cher des cris &c des larmes aux plus infenfibles? 33 Nous ne voyons ni émotion dans votre ame, 35 ni chaleur dans votre aétion. Votre tête eft im33 mobile, vos bras font languilïans, on nëntend 35 point le mouvement de vos pieds ; & loin de 33 nous fentir (a) enflammés, a peine pouvons-nous 33 nous empêcher de dormir 33. La harangue de Cicéron eft perdue •, mais Gallius fut abfous, car on trouve dans la fuite qu'il prit la même voie pour fe venger de Callidius, en 1'accufant de brigue rb) dans la pourfuite du confulat. Jules-Céfar étoit cette année un des juges afllftans du préteur, & fa commiflion regardoit les Jtcaires, cëft-a-dire, ceux qui étoient accufés d'avoir öté la vie a quelqu'un , ou de porter un poignard dans cette intention. II profita de cette occa- («) Brut. p. 401, 3. (b) Epift. fam. 8, 4.  2 20 HlSTOIRE DE LA VlE fion pour citer a fon tribunal & pour condamner a titre d'alfaffins ceux qui avoient été employés dans la profcription de Sylla, & qui avoient recu de 1'argent pour tuer un citoyen profcrit. Caton les avoit forcés auffi, pendant fa quefture , c'eft-a-dire, 1'année d'auparavant, de reftituer (a) eet argent au tréfor public. Mais la vue de Céfar étoit de mortifier le fénat, & de fe faire un mérite auprès du peuple, de fon attachement pour le parti de Marius, qui avoit toujours eu la faveur populaire, 8c dont il étoit naturellementle chef par fon alliance avec le vieux Marius. II porta la hardieffe jufqu'a faire replacer au capitole les ftatues & les trophées de Marius, que Sylla avoit fait abattre (b) 8c mettre en pièces. Dans le tems néanmoins qu'il pourfuivoit Ct rigoureufement les miniftres des cruautés de Sylla, il favorifoit Catilina, qui avoit été plus ardent que fout autre a répandre le fang des profcrits, & qut ayant malfacré barbarement de fa propre main C. Marius Gratidianus , favori du peuple & proche parent de Marius 8c de Cicéron , avoit porté fa tête comme en triomphe dans les rues de (c) Rome ( gard des perfonnes les plus innocentes ». Lëlecfion des confuls étant fort proche, 1'intérêt de Cicéron parut fort fupérieur a celui de fes concurrens ; & les nobles mêmes , qui n'avoient jufqu'alors cherché qua 1'abaifiër, ne pouvant plus fe déguifer les dangers prelfans dont la ville étoit menacée de toutes parts, commencèrent a le regarder comme le feul citoyen dont la fermeté & la prudence fulfent capables de difliper toutes les faótions & de fauver la république. « Cëft ainfi, pour me fervir des termes 33 de Sallufte , que dans les conjonclures difK33ciles(3) lënvie & 1'orgueil s'abaiflënt natua. rellement, &c cèdent le rang a 1'honneur & 33 a la vertu ». La méthode en ufage dans lëleótion des confuls nëtoit point celle des fuffrages ouverts. On écrivoit a part fur de petits morceaux de bois , les noms des candidats, &c ces marqués étoient diftribuées a tous les citoyens. Mais dans lëlection de Cicéron , les romains ne sën tinrent point a cette manière fecrète de fatisfaire leur inclination. Avant qu'on en fut (a) Cum ita vixifti ut non effet locus tam fanótus, quo non adventus tuus, etiam cum culpa nulla fubeffet, crimen afferret. In Tog. Cand. Vid. Afcon. in loc. (£) Sed ubi periculum advenit, invidia atque fuperbia poft-fuere. Sallujl. ij.  de Cicéron, Liv. II. 22? Venu au fcrurin , ils le proclamèrent hautement &c d'une feule voix , premier conful. De forte que dans la première occaflon qu'il eut de remercier le public, il s'applaudit ■* de n'avoir point » été choili par les fuffrages particuliers des ci» toyens , mais par 1'acclamation commune de » toute la ville , & de n'avoir point été déclaré » conful par la voix du crieur (a) public, mais » par celle de tout le peuple romain ». II étoit le feul exemple d'un homme nouveau qui eüt obtenu cette glorieufe dignité- ou , comme il sëxprime lui-même, a qui eüt forcé la noblelfe s> dans les retranchemens dont elle n'étoit pas *> fortie depuis le premier confulat de Marius, » c'eft-a-dire , pendant quarante ans, & le feul » aufli (b) qui eüt jamais obtenu le même hon- (a) Sed tarnen magnificentius eiïe illo nihil poteff, quod meis comitiis non tabellam vindicem tacits libertatis, fed vocem vivam prx vobis indicem veftrarum erga me voluntatum tuliflis.... Itaque me non extrema tribus fuffragiorum, fed primi illi veftri concurfus; neque fingute voces prjeconum, fed una voce univerfus populus roman, confulem declaravit. De Leg. Agrar. contr. Ruil. z, i. In Pifon. i. (£) Eumlocum quem nobilitas pnefidiis firmatum atque omni ratione obvallatum tenebat, me duce , refcidifti Me efle unum , ex omnibus novis hominibus de quibus meminilTe poflumus, qui confulatum petierim, cum primum  224 HlSTOIRE DE LAVlE « neur a lage marqué par la loi, ou fans avoir » effuyé de refus». C. Antonius fut choifi pour fon collegue , a la pluralité de quelques centuries qui lui flrent emporter 1'avantage fur Catilina : & 1'on ne douta point que ce ne fut par les intrigues de Cicéron, qui le croyoit, des deux , le plus traitable &c le moins dangereux. La mort lui enleva fon père le 24 novembre (a) de cette année, dans un age fort avancé, qui lui avoit procuré la confolation de voir un fils fi cher, élevé, par tous les degrés de 1'honneur , jufqu'a la première dignité de la république , & fans qu'il lui manquat rien pour le parfait bonheur de fa vie que 1'addition d'une année, qui 1'auroit rendu témoin de la gloire de fon confulat. Suivant des conjecf ures affez juftes, quoiqu'oppofées a 1'opinion de quelques critiques , ce fut aufii dans le cours de cette année que Cicéron maria fa fiile (b) Tullia a C. Pifon licitum fit; confial fa&us firn , cum primum petierim. De Leg. Agrar. ibid. (a) Pater nobis deceffit ad diem VIII. kalend, decemb. Ad Atdc. 1, 6. (b) Tulliolam C. Pifoni L. F. Frugi defpondimus. Ibid. 3. Cafaubon , plutót que d'abandonner une hypothèle qu'il avoit formée fur la date de cette lettre, a mieux aimé foutenir que Tullia n'étoit point alors en age d'être mariée, quoique Cicérondile lui-même le contraire. Vid.not. Var, in locum. Frugi,  ©E ClCÊRÓN, %i frugi, jeune romain d'une grande efpérance &c dune illuftre maifon. II eft conftant du moins que Ia naiflance de fon fils arriva cette année fous le confulat, dit-il (a) lui-même, de L J Céfar & de C. Marcius Figulus. Ainfi pendant que la fortune le combloit de fes plus hautes faveurs , il recevoit de Ia nature , celle qui fait la principale douceur de la vie privée par ia naiflance d'un héritier de fon nom de fes richelfes. Ja) L, Julio Cïfare, & C. Marcio Figulö colT. filiolo me audum fciro, falva Teremia. AdJn.r * Tome 1. p  tig HlSTOIRE E>E LAViE LIVRE TROISIÈME. Cicéron fe voyoit enfin parvenu au plus haut degré d'honneur qu'il put efpérer de la faveur du peuple , & ou 1'ambition d'un honnête citoyen put prétendre. Les offices qu'il avoit exercés jufqu'alors n'avoient que des jurifdióHons limitées, qui étoient comme autant de branches du gouvernement. Mais les confuls tenoient les rênes, & dirigeoient tout le mouvement de la machine ., avec une autorité qui n'avoit pas d'autres bornes (a) que 1'immenfe étendue de 1'empire. Les magiftratures fubordonnées n'étant donc que les degrés qui conduifoient a cette dignité fuprême , n'avoient tant de prix en ellesmêmes , que paree qu'elles approchoient les candidats du principal objet de leurs efpérances. En marchant dans la carrière de 1'ambition , ils étoient bien moins attentifs au fervice du public (£), qua fe rendre agréables aux citoyens, ( un état que les honnêtes gens ne duflent (c) » appréhender, Sc que les méchans nëuflent rai» fon de fe promettre Rien ne relevoit tant 1'audace des ennemis domefiiques de l'état, que 1'élévation de C. Antonius au confulat. Ils lui connoiflbient les mêmes principes , ils n'ignoroient pas qu'il avoit formé les mêmes defleins, Sc fon autorité leur donnoit lëfpérance de les exécuter-fans obftacles. Cicéron ne fut pas long-tems a fe,ntir la néceflité oü il étoit de fe tenir continuellement en garde. II prévoyoit Ca) Pro Syll.»t,»3. (*) Dio. liv. 37, p. 4u (c) DeLeg. Agrar. i,8,p;ï,3.  de Cicéron, Liv. III. n$ ce qu'il avoit a craindre d'un rival qui lëgaloit en pouvoir, Sc dont les vues étoient fi oppofées aux fiennes, qu'elles entraïnoient néceffairement la ruine de tout ce qu'il méditoit pour le fervice public. Dans cette inquiétude il prit le parti d'effayer d'abord par fes civilités Sc fes confidences de fe rendre le maïtre de 1'efprit d'Antonius;& de lui faire rompre tous les anciens engasemens qu il avoit formés contre fon devoir. L'areument qml employa n'eft guère fans effet fur les gens de ce caractère : il lui offrit du pouvoir, pour fatisfaire fon ambition, Sc de 1'argent pour fournir a fes plaifirs. II le prit en effet, avec deux amorces fi féduifantes; Sc le premier article de leur traité, fut qua la fin de 1'année C. Antonius auroit le choix de la meilleure des provinces qui leur feroient (a) affignées. La coutume du fénat étoit de défigner chaque année les provinces particulières qui devoient être diftribuées entre les magiftrats. Ceux-ci les tiroient enfuite au fort, c'eft-a-dire, que les préteurs tiroient les préroriennes, Sc les confuls celles qui portoient le titre de confulaires. Ainfi Ia Macédoine, qui paifoit pour une des plus confidérables de 1'empire pour la grandeur du revenu autant que pour letendue du (a) Collegamfuum Antomum pactione provincis pepulerat ne contra rempub. diffentiret. Suil. Bell. Catil. 18. P iij  t$o HlSTOIRE DE LA VlE gouvernement, étant tombée en partage a Cicéron , il la céda aufli-töt a fon collégue pour la Gaule Cifalpine, qu'il rélïgna bientöt aufli en faveur de Q. Metellus. II avoit expliqué fes intentions des qu'il avoit été nommé conful : c'étoit d'adminiftrer fon emploi avec tant d'honneur Sc d'intégrité, « qu'il ne fut au pouvoir de perfonne » de le détourner de fon devoir par des offres ou =0 des menaces , paree qu'il ne défiroit rien qui 30 ne put s'accorder avec eet objet invariable de » tous fes travauxj feul moyen, ajoute-t-il, de » remplir une dignité de cette nature avec autant 33 de liberté que de décence, Sc de fe mettre en 3(3 droit non-feulement de chatier les tribuns qui 33 cherchoient a nuire a la république , mais encore 33 de méprifer ceux (a) qui étoient mal difpofés 3» pour lui- même 33 : feminiens d'une noblefle admirable, Sc dignes de fervir d'exemple dans la poftérité a tous les magiftrats des états libres. Il réuflit par cette voie a faire entrer C. Antonius dans toutes fes mefures, il (b) le trouva toujours (a) Cum mihi deliberatum & conuututum fit ita gerere conlulatum, quo uno modo geri graviter & libere poteft, ut neque provinciam , neque honoremneque ornamentum aliquod aut commodum appetiturus firn.... fic me geram ut poffïm tribunum plebis, reip. iratum coercere, mihi iratura contemnere. De Leg. Agrar. 1 , 8. ( b) Plutarq. Vie de Cicéron.  de.Cicéron, Liv. IIL 2.31 docile a fes impreflions, ou, comme il sëxprime lui-même, il fut 1'adoucir & le calmer par fa patience Sc fa complaifance, malgré 1'avidité qu'il confervoit pour une bonne province, & malgré les deffeins qu'il méditoit fecrètement (a) contre 1'état. L'établilfement de cette bonne intelligence entre les deux confuls étoit une chofe fi importante pour le repos public, que Cicéron en informa le peuple dans le premier difcours qu'il prononca de la tribune aux harangues, en félicirant Rome d'un événement qui étoit capable d'étouffer les factions dans leur nailfance , de relever le courage des honnêtes gens, Sc d'arrêter tous (3) les maux dont Ja république étoit menacée. Ce n'étoit pas le feul projet qu'il eut pariiculièrement a cceur , Sc dont il fit un point capital de fon adminiftration. II fe propofoit de réunir l'ordre équeftre avec le fénat, cëft-a-dire, de les faire entrer dans des principes & des intéréts communs. Après les fénateurs, les chevaliers compofoient les plus riches & les plus puiflantes maifons de Rome. L'abondance qui règnoit dans leur corps (a) In Pifon. i. (/>) Quod ego & concordia, quam milii conti'tuï cum collega , invitiffimis iis hominibus quos in confuiatu inimicos elfe & animis & corporis aécibus providi, omr.ious profpexi fane, &c. De Leg. Agr. i, 37. Piv  ij 2 HlSÏOiKE DE LA VlË les difpofoit a fouhairer que la république fut tranquille, & fe trouvant conftamment les fermieTS généraux des revenus de lëmpire, ils avoient dans leur dépendance use grande partie des citoyens inférieurs. Cicéron fe perfuada que le poids réuni de ces deux ordres emporteroit nécefiairement la balance fur tout autre pouvoir de 1'état, 8c deviendroit une barrière ferme contre (a) tous les attenrats de 1'ambition & de la faveur populaire. Perfonne n'étoit plus propre que lui a faire réiilTïr ce projet. II fe trouvoit a la tête du fénat; & il n'en étoic pas moins 1'idole des chevaliers, qui le confidéroient comme 1'ornement & 1'honneur de leur ordre, tandis que pour fe confirmer dans leur affection, il ne laiflbit point échapper une occafion publique de fe vanrer de fon extraétion, & de fe donner la qualité d'équejlrien, fe faifant d'ailleurs une étude de les protéger dans leurs affaires , 8c daugmenrer de jour en jour leur autorité & leur crédit, jufqu'a les faire enfin regarder comme un troifïème corps (b) établi & diftingué dans 1'état. Cette po- (a) Ut multitudlnein cum principibus , equeftrem ordinem cum fenatu conjunxerim. In Pifon. 3. Neque ulla vis tanta reperietur , qu* conjunctionem venram, equitumque romanorum , tantamque confpirationem bonorum omnium, perfringere poffit. In Catii. 4, 10. {b) Cum demurn öabilivit equeftre nomen in confu'.atu fiio, ei fènatum ccncilians, ex eo ordjne fe profecfum ce-  r>E Cicéron, Liv. TIL 233 litique étoit excellente. La république en tira cette année de grands avantages, paree que le conful avoit de toutes parts les chevaliers dévoués a fes ordres, & toujours prêts a le fervir de gardes, avec fon cher Atticus (a) qui étoit a leur tére. II eft fort probable que fi fes fuccefieurs euflent adopté les mêmes maximes, ils auroient confervé la liberté de la république , ou prolongé du moins plus longtems fa durée. Après avoir jeté les fondemens de fon adminiftrarion par tous ces foins préliminaires, il prit poiïeflïon de fa dignité, fuivant Tufage, au premier jour de janvier. Peu de jours auparavant P. Servillius-Rullus, un des nouveaux tribuns, qui entroient le dix décembre dans lëxercice de leur emploi, avoit alarmé le fénat par la publication de la loi Agraria. Ces loix manquoient rarement d'être goütées de la populace, & c'étoit ordinairement ce qui les faifoit propofer par les magiftrats lebrans & ejus vices peculiari popularitate quasrens. Ab iflo tempore plane hoe tertium corpus in republica fafrum eft, coepitque adjici lenatui populoque romano equefter ordo. PLin. Hifi. Nat. 33,1. (a) Vos, equites romani, videte : fcitis me ortum è vobis, omnia femper feniifTe pro vobïs, &c. Pro Rabir. 6. Nunc vero cum equitatus ille , quem ego in divo capïtolino , te fignifero ac principe , coliocarem, fênatum de(èruerit. Ad Au. 1.  2J4 HlSTOIKE DE LA ViE factieux, lorfqu'ils avoient befoin de 1'approbation de la middtude pour faire pafier quelqu'autre point qui bleifoit le bien public. Mais rien n etoit fi mal cóncu que la loi Agraria, quoiquën flattant le peuple par lëfpérance de plufieurs avantages qu'il n'avoit pas, elle faillït d'être acceptée. L'intention du tribun étoit de faire créer un decemvirat, ou dix commifiïonnaires , avec un pouvoir abfolu pendant cinq ans fur tous les revenus de la république, pour les diftribuer aux citoyens fuivant leur volonté ou leur caprice, pour vendre ou acheter, comme ils le jugeroient a propos, pour régler les droits de ceux qui les pofledoient, pour faire rendre compte a tous les généraux, dont on n'exceptoit que Pompée, de tout le butin qu'ils avoient fait dans les guerres étrangères, pour établir des colonies dans tous les lieux qu'ils croiroient propres a ces établifiemens, & particulièrement a Capoue , enfin pour régler abfolument tout ce qui appartenoit aux revenus & aux forces de 1'empire. Une loi qui conféroit un pouvoir fi exceffif caufa de juftes aiarmes aux fincères partifans du repos public, & leur crainte devint fi vive, qu'il parut nécelfaire a Cicéron de la calmer avant que de s'attacher efficacement a ruiner les intrigues des tribuns. Auffi-töt qu'il fut invefti de fa nouvelle dignité, il raifermit Ie courage des fénateurs, en  be Cicékon, IH. 235 ïes aflurant qu'il étoit réfolu de s'oppofer de toutes fes forces a la loi, d'en répiimer les auteurs, 8c de ne pas fouffrir, pendant fon adminiftration , que le bien & les libertés de 1'état reculfent la moindre atteinte. Du fénat il pourfuivit les tribuns jufques dans leur propre domaine , c'eft-a-dire, au forum , 011 dans un difcours aufli adroit qu'élégant, il fe rendit li heureufement maïtre de 1'efprit & de 1'inclination du peuple, qu'il lui fit rejeter fans exception (a) la loi Agraria. Ii commenca par des témoignages éclatans de la reconnoiflance qu'il leur devoit pour 1'avoir favorifé de leurs fulfrages dans fa concurrence avec les nobles. II fe déclara leur créature 8c celle de rous ceux qui étoient affedionnés a leurs intéréts. II les pria de le regarder comme un magiftrat populaire , fuivant la profeflion qu'il avoit faite luimême au fénat (b) d'être le conful du peuple. De eet exorde il tomba fur les louanges des Gracchus , dont le nom étoit extrêmement cher aux communes. II protefta que fon deflein n'étoit pas de combattre la loi Agraria, fur-tout lorfqu'il fe rappelloit que ces deux excellens hommes, ces zélés amateurs du peuple romain, avoient divifé (a) Quis unquam tam fecunda concione legem Agrar riam fuafit, quim ego difluafi ? Contra Ruil. z, 37. (J>) Ibid. 3.  2? Cependant, ajoute-t-il, du caracïère don: nous 33 connoiffons Pompée, ii fe feroit un devoir de 33 fouffrir le joug que vous lui auriez impofé; mais 33 fi 1'on vous en impofe un que vous ne deviez 33 pas fupporter vous-même, il prendra foin qu'on 33 ne vous force pas long-rems a le porter malgré 33 vous. II s'étend enfuite fur les dangers, dont la 33 liberté publique eft menacée par cette loi. Au 33 lieu d'être de quelque utilité pour les citoyens, 33 elle ne tend qu'a 1'établiflement d'un pouvoir 33 capable de les opprimer, & fous prétexte de 33 planter des colonies en Italië & dans les pro33 vinces, elle ne peut fervir qu a faire des créatu33 res & des efclaves aux décemvirs, comme au33 tant de garnifons dans les meilleurs pofies de 331'empire, qui feront toujours prêtes a foutenir 33 leur tyrannie. S'ils choififibient Capoue pour y 33 former leur principal établiflement, cëft que 33 cette ville , comme on ne 1'ignoroit pas, étoit 33 la plus fiere, la plus mal-intentionnée & la plus 33 dangereufe de toutes les provinces romaines. 33 Tandis que leurs ancêtres n'y avoient pas vou33 lu laifler une ombre de pouvoir ni les moindres 33 reftes de magiftrature, on vouloit la traiter avec 33 prédileclion, & la rendre bientot (a) 1'émule (a) Ibid. 28, 32.    d'e Cicéron, Liv. III. 239 » de Rome, dans la vue fans doute de vendre ou 53 d'aliéner les terres de la Campanie , cëft-a-dire , » les plus fertiles de 1'Italie , le plus folide reve3> nu de la république & fa plus conftante ref33 fource lorfque toutes les autres venoient a man33 quer ; ce que ni les Gracchus, dont le zèle étoit » fi eonnu pour fintérêt du peuple, ni Sylla même 33 qui donnoit tout avec fi peu de fcrupule, n'a33 voient jamais eu la hardiefle (a) d'entreprendre. 33 En finilfant, il s'applaudit de 1'approbation &C 33 de la faveur avec laquelle ils ont paru 1'écou33 ter, il en tire un heureux augure pour le rétaj3 bliflement de la paix & pour la confirmation de 33 leur profpérité, & n'oubliant pas de leur appren33 dre, comme une nouvelle extrêmement agréa33 ble , que la concorde efl: bien établie entre lbn 33 collégue & lui, il fe rend le garant de la süreté 33 & du repos de la république, pourvu qu'ils per33 févèrent dans les favorables difpofitions qu'ils vien33 nent de lui marquer 33, &c. Dans la chaleur de cette harangue il invita plus d'une fois les tribuns a monter fur la tribune, pour y .difcuter 1'affaire avec lui (b) dans la préfence (a) Ibid. 19. ( b ' Si veftrum commodum fpectat, veniat, & corarn mecum de agri Campani divifione difputet. De Leg. Agrari. 2, 28. Commodius feciffent tribuni plebis, quirites, fi  '240 HlSTOIKE DË LA' VlU du peuple. Mais ils jugèrent qu'il étoit plus prdJ dent de ne pas xépondre a ce dén, & d'attacjuet le conful par des ficlions & des calomnies qu'ils sëlforcèrent de répandre dans la foule. Ils inunuèrent particulièrement que 1'oppofition qu'il apportoit a la loi, venoit moins de fon zèle pour le public que de fon attachement au parti de Sylla, & du défir de conferver la poffeffion des terres a ceux qui les avoient recues du di&ateurj qu'il chercboit a faire fa cour aux fept tyrans, ( on donnoit ce nom a fept des principaux fénateurs, Lucullus , Craffus, Catulus, Hortenfius, Metellus, & Philippus), tous connus pour zélés partifans de Sylla, & pour avoir beaucoup gagné dans cette faction. Cicéron ne s'appercevanr que trop de lëffet de ces infinuations, fe crur obligé de faire au peuple une feconde apologie de fa conduite : cc II déclara (a) 3i nettement qu'il regardoit la loi par laquelle on a> avoit ratifié les adres de Sylla comme la plus y> pernicieufe de toutes les loix, & qu'il la trou33 voit d'autant moins digne du nom de loi , 33 qu'elle établiffoit dans Rome une véritable ty33 rannie. Mais que les conjonctures prélentes fai33 foient peut-être une néceilïté de la fupporter, qua: apud vos de me deferunt, ea coram potius me prasfente dixiffent. Ibid. 3 , r. (a) Ibid. f(ir-tout  ï»g Cicéron, Liv. III. 24* » fur-tout pour lui qui étoit réfolu pendant Tan» née de fon confulat (a), de ne rien entreprendre n qui füt propre a troubleï la paix. Mais que Rul33 lus n'avoit pu fans une impudence extréme 1'ac33 cufer de facrifier 1'intérêt public aux amis de 33 Sylla, lorfque la loi même qu'il vouloit établir, 33 ne tendoit qua les confirmer dans les poflelïïons 33 contre lefquelles il fe récrioit, & lorfqu'il pa33 roifioit clairement qu'elle lui avoit été didée » par Valgius, fon gendre, qui, poifédant un plus 33 grand nombre de ces terres qu'aucun autre ci33 toyen , chercboit avec le fecours de la nouvelle 33 loi a fe les afiiirer, foit par la (b) confirmatioii *> des décemvirs , foit en les achetant d'eux a vil 33 prix 33, II apporte pour preuve les termes mêmes de la loi, dont U n'avoit pas voülu , dit-il, faire fentir toute la malignité dans fon premier difcours, par la feule crainte de (c) donner naiflance a de nouveauxtroubles. cc Ainfi Rullus qui 1'accufoit de 33 foutenir les aétes de Sylla, en étoit le plus im>, pudent défenfeur : car perfonne n'avoit jamais „ prétendu qu'ils fuflent bons &C utiles, Sc 1'on 33 n'alléguoit en leur faveur que la poffeiTion, & »3 leur litifon préfente avec le repos public ; au lieu 03 que par la loi de Rullus, la poffeflion des terres M qui venoient de Sylla, alloit être fondée fur de (a) Ibid. 3,1. (.b) Ibid. 3 , t > 4> Cc)Ibid' 311"  242 HlSTOIRE DE LA V I E ■» meilleurs titres que tous les autres biens». H finit en renouvelaht le dén qu'il avoit fait aux tribuns 5 mais après quantité d'autres efforts, fentant qu'ils n'étoient pas capables de fe meVurer avec lui, ils furent obligés d'abandonner leur entreprife. On étoit a peine délivré de ces troubles, qu'il sën éleva un autre , dont ie repos public auroit encore eu beaucoup a fouffrir, s'il n'avoit été diffipé prefque en naiflant par 1'autorité de Cicéron. La loi d'Othon, qui affignoit a l'ordre équeftre un banc diftingué aux fpe&acles, avoit paru offenfante au peuple. Othon entrant un jour au théatre fut recu avec de longs lïfflemens de Ia populace , & fort applaudi au contraire par les chevaliers. Les clameurs redoublèrent des deux cötés comme a l'énvi, & du bruit, 1'on fe difpofoit a paifer aux coups, lorfq'ue Cicéron informé du tumulte, fe frata de fe rendre au théatre, & commanda au peuple de le fuivre au temple de Bellone. La, il mortifia fi vivement 1'affemblée par la force de 'fon éloqöence , il lui infpira tant de honte de fa folie & de fon emportement, qu'écant retournée au lieu 'du fpecfacle, elle changea fes fifflemens en témoignagnes de refpecf (a) pour Othon. La harangue dti conful fut publiée, & quoiqu'elle eüt 28.  244 HlSTOIBE DE LA VlE malheureux qui étoient tenus dans 1'humiliation par cette-ordonnance, n'épargnoient rien pour la faire révoquer, & lëqui té naturelle fembioit parler en leur faveur; mais dans des conjoncfures auffi facheufes que celles de la république, il étoit a craindre que le rétabliiTement d'un parti opprimé ne causat de nouvelles factions, paree que Ie premier ufage qu'il penferoit peut-être a faire de fon pouvoir, feroit pour fatisfaire fa vengeance. Cicéron entreprit de perfuader a ces infortunés, que leur intérêt les obligeoit de fupporter patiemanent leur difgrace ; & que les néceffités préfentes demandoient fi abfolument, qu'on ne fe hatat point de rien changer aux acles de Sylla, que la république même ne pouvoit entreprendre ce changement fans danger. II réglojt fa conduite fur les principes qu'il nous a laiffés dans fon Traité des Offices, a II y a des chofes bonnes & jufres en » elles-mêmes , auxquelles les circonftances peu» vent faire changer (a) de nature »; & pour confirmer fa doctrine par fes propres exemples, il nous apprend dans une oraifon prononcée lono-tems après, qu'il avoit exclu des honneurs, pendant fon confulat, plufieurs jeunes gens dont le courage & 1'honneur étoient fans tache, mais qui (a) Sic multa qua; honefta natura videntur elle , temporibus funt non honefla. Dt Of. 3,13,  ï> ê Cicéron, Liv. III. 245 fe trouvoient dans une fi malheureufe fituation, qu'ils auroient (a) employé probablement leur pouvoir a la ruine de la république. Cëft après avoir rapporté les trois traits fur lefquels on vient de s'étendre, que Pline fe livre avec une efpèce de tranlport a 1'admiration d'un orateur cc qui »> faifoit facrifier par le peuple romain, fon pain, 33 fon plaifir (2>) &c fa haine, aux charmes de fon 33 éloquence 33. La première caufe d'importance dans laquelle Cicéron sëngagea bientot, fut la défenfe de C. Rabbirius, fénateur agé , qui étoit accufé par T. Labienus , un des tribuns, de trahifon & de léyolte, pour avoir tué, quatre ans auparavant, un autre tribun nommé L. Saturninus, qui avoit excité dans la ville une fédition dangereufe. Le fait, quand il auroit été certain, n'auroit pu attirer que des éloges a Rabbirius, car il étoit conforme a un décret du fénat, qui avoit alors ordonné aux citoyens de prendre les armes pour la défenfe des confuls C. Marius 6c L. Flaccus. Mais ce n'étoit point a Rabbirius qu'on vou- () Quo te, M. Tulli, piaculo taceam, &c. Pliiu Hifl.7,^-  *4* HlSTOIRE DE LA V I E loit nuire , & h vie dun homme de fon a>e< importoit peu au repos de la ville. Le déffein des accufateurs étoit d'attaquer une des principales prérogatives du fénat, qui confiftoit dans le pouvo,r de faire armer en un moment la ville lorfqu'il lui plaifoit de recommander feulemen; aux confuls cc de prendre garde que h tépnh]i_ » que ne recüt aucun mal ». Cette réfolution du fénat avoit la force de juftifier tout ce qui fe faifoit en conféquence, & fouvent il avoit employé cette voie dans les fédirions, pour fe défaire de quelques magiftrats faclieux, fans avoir recours aux formalités de la juftice. Les tribuns en avoient a.tplus d'une fois des plaintes , & , quoique lulage en fut très-ancien, ils 1'avoient repréfenté comme une infradion des loix établies, qui donnoit aux fénateurs un pouvoir arbitraire fur la vie des. citoyens. Majs la véritable caufe de leur chagnn étoit d'y trouver un frein continuél qui arrêtoit les entreprifes de leur ambition, & qui les expofoic quelquefois a des punitions promptes & leveres. Ils pouvoient tromper la multitude par de yams prétextes & de faux raifonnemens ; mais d netoit pas fi aifé d'en impofer au fénat : & dans peud'inftans, un mot d'avis donné aux confuls, pouvoitruiner 1'effètdes plus longuesintrignes & rendre la faveur du peuple fnutüe. Ainfi les fadieux de toutes fortes de rangs fe  ï)B Cicéron, Liv. 11% 247 trouvèrent intéreifés au procés de Rabbirius & a fa ruine. J. Céfar engagea Labienus a prendre la qualité d'accufateur , & fe fit nommer luimême Duumvir, c'eft-a-dire, 1'un des deux juges qui afliftoient le préteur (a) dans les jugemens de trahifon. Ce fut Hortenfius qui plaida la caufe. II prouva par les dépofitions de plufieurs témoins , que 1'accufation n'étoit qu'une calomnie , &t que Saturnins avoit été tué par la main d'un efclave, qui avoit obtenu la liberté pour prix de cette (b) acfion. Le malheureux vieillard n'en fut pas moins condamné par Jules - Céfar •, mais il appela de cette fentence au peuple, & Suétone remarque que rien ne lui fut plus avantageux a ce nouveau tribunal que la (c) févérité de fon premier juge. Les tribuns néanmoins n'épargnèrent rien pour fa perte , & Labienus demanda rigoureufement qu'il ne fut pas permis a Cicéron d'employer plus d'une demi-heure a fa (d) défenfe. II sëfforca même d'enflammer 1'indignation du peuple, en expofant fur la tribune un portrait de Saturninus, qu'il repréfenta comme un martyrde la liberté publique. (a) Sueton. Vit. J. CaJ. xz. Dio. p. (b) Pro Rabbir. 6, n. (c) Ut ad populum provocanti nihil atque ac judicis acerbitas profuerit. Sueton. ibid. xz. (i) Pro Rabbir. z. Q iv,  24* His t oi re dè la Vib Cicéron ouvrit une autre fcène, en declarant dabord, avec beaucoup de gravité , « qu'il n'y - avoit point dëxempie d'une caufe fi importante , »ou entreprife par un tribun, ou défendue par - un conful s qu'il n'étoit queftion de rien moins »que deftatuer pour 1'avenir, fi la république » ieroit fans fénat ou fans confeil public, fans » aucun accord des honnêtes gens, pour fe' met- - tre a couvert de Ia rage & de la témér-ité des « mechans, fans refiource & fansefpérance dans les »eXtrêmitésdudanger.IlimploreCa)laprotection - de tous les dieux, dont il reconnoit que ia provi- - dence a plus de part au gouvernement de Rome »quetoutesleslumièresdeiaprudencehumaine,& »|1 es conjure d'être favorables en ce jour k 1'érar, » a la vie , & k la fortune d'un homme innocent». Après un exorde fi majeftueux , qui parut frap, per toute 1'afiemblée d'une religieufe vénération, il paffe hardiment k fbuhaiter qu'il lui eut été permis de reconnoïtre que Saturninus avoit été tue par la main de Rabbirius, & qu'Hortenfius n eut pas prouvé le contraire avec tant d'évidence Lom d'appréhender quelque chatiment pourl'accufe , il IWoit loué de ce meurtre comme d'une adion qui méritoit des récompenfes. Dans eet endroit il fut interrompu par les clameurs de Ia (a) Ibid.  de Cicéron, Liv. IIL h5> faétion oppofée : mais loin de fe déconcerter, U fit obferver que c'étoit le foible effort d'une petite partie de 1'affemblée, & que le corps du peuple, a qui il voyoit garder lefilence, ne 1'auroit pas choifi pour conful, s'il 1'eut cru capable d'être troublé par une infulte fi méprifable : qu'il confeilloit par conféquent aux auteurs du tumulte, de faire (a) cefler un bruit qui ne fervoit qua faire éclatet leur folie Sc 1'infériorité de leur nombre. Ayant continué de parler avec la même fermeté , il fe fit écouter fi favorablement, que toutes les apparences du jugement étoient a 1'avantage de Rabbirius; mais fur diverfes raifons qu'on eut d'appréhender de la violence & quelque noire pratique de la part des tribuns, Metellus, augure, Sc préteur de, 1'année , trouva le moyen de rompre 1'aflemblée avant ( b ) qu'on en vint aux fuffrages •, Sc les grandes affaires qui occupèrent bientot la ville, empêchèrent que celle-ci ne füt rappelée. Mais Céfar réuflït plus heureufement dans la techerche de la dignité de grand-prêtre , un des premiers poftes de la république, qui fe trouvoit vacante par la mort de Metellus Pius. II employa encore le miniftère de Labienus, a qui il fit publier une nouvelle loi qui transféroit le droit (rt) Ibid. 6. (£) Ibid.p.  *ƒ Histöirê de lx v r g d'élection, du collége des prêtres au peuple. Se* efperances portoientfur la faveur de la populace y ü avoit gagnée par desprodigalités fans hornes! Auffi lemporta-t-il, fansavoir encore été préteur , fcr le crédit de Q. Catulus & de P. Servillius lliaurique, deux concurrens confulaires, & de Ia plus haute confidération dans la république Outre 1'honneur du confulat, fun avoit été een feur, & portoit alors le titre de prince du fénatj lautre avoit été honoré dun triomphe, après une vidonequilui avoit acquis un futnom fort glorieux. Celar ne lailfa point de fe procurer plus de fuffrages dans leur propre tribu , qu'ils n'en f» obtmrent enfemble dans le nombre de tous les citoyens. Catilina commencoit a renouveler fes prétentions au confulat. Perfonne n'auroit eu droit de les condamner, s'il n'eut bientot employé fi fcandaleufement la corruption & les plus infames methodes, que la févérité incorruptible de Cicé»n ne put les fupporter tranquillement. II en prit occafion de publier contre cette odieufe efpèce °e bngues, une nouvelle loi parlaquelle il ajoutoit aux anciennes punitions dix ans d'exil. II dé- (*j Ita potentiffimos duos competitores multumque & !TK ;grate amecedsntes > ,■«^ m ^ tobubusfufftagw, quamuterque in omnibus tulent. Suu. m Cxf,jh Vid. Pigh. Annal.  rjs CiCÉböN j Liv. III- 251 fendit auffi a ceux qui auroient afpiré a quelque magiftrature de donnet des jeux de gladiateurs avant le terme de deux ans, a moins que ce ne tut pour exécuter les dernières volontés de quelque mort dont ils Ment les Kenners, & que le jour nën eüt été fixé dans le teftament. Catilina ne pouvant douter que cette loi ne fut fake pour lui, forma le deffein, avec quelques autres chefs du fénat , de tuer Cicéron <» le jour de 1'élection. Elle étoit fixée au 20 d'odobre. La fortune veilla fi heureufement a la füreté du conful , qu'ayant été informé de cette confpiration le 19 , ü eut le tems d'en donner avis au fénat •, & dans un trouble fi prelfant , la première réfolution fut de différer 1'éleótion , pour fe donner le tems de délibérer fur une affaire de cette importance. Le jour fuivant, il fit citer Catilina dans une affeïnblée de tous les fénateurs , & lui reprochant ouvertement fon crime , il lui demanda ce qu'il avoit médité pour fa juftification. Ce fier romain, loin de répondre par un défaveu ou par des excufes, déclara audacieufement « qu'il y avoit deux (b) corps dans la ré- (a) Dio. 37,4'- . 'b) Tum enim dixit duo corpora effe reip. unum aebile , infirmo caphe, alterum firmum fine capite : huic cum ita defe meritum effet, caput fe vivo non defuturum. Pro Murcen. 15.  Hl ST 01 RE DE £A Vlfi «publique lun foible, avec u„e tête qui n'étoit » p plus forte ;lWre ferme &robul, mais ^ans tete;& qu>üavoitrant ^ » tems quü vmoit». Peu de jours auparavant il rd^f !VmêmeIieU —^enLe plus defefperee a Caron, qui le men k d orer en juftice : paroifioit étre pour les honnêtes gens. Sa maifon » étoit remplie de tous les objets qui fervent a snourrir la débauche, mais ils y étoient accom=° pagnés de tout ce qui peut fervir d'aiguillon au ? travail Sc k 1'indultrie : c'étoit un théatre de plai- (a) Erat ei confilium ad facinus aptum; confilio autem, neque lingua, neque rnanus deerat, In Cat. 3, 7. (i) Pro Ceel. y, 6.  de Cicéron, Liv. ïïl 255 » firs vicieux, Sc une école dëxercices militaires, » Jamais monftre ne réunit tant de parties oppo3» fées, Sc tant de ces qualités &. de ces paflions 33 qui femblent mutuellement s'exclure. Qui eut »jamais l'art de fe rendre plus agréable aux » meilleurs citoyens, Sc d'entretenir en même» tems une liaifon plus étroite avec les mauvais ï y> Qui marqua jamais plus de goüt pour les bons 33 principes, 8c qui en fuivit jamais de plus détef33 tables ? Qui fut plus outré dans la débauche , 33 & plus capable de patience dans le travail ? 33 Qui eut plus d'avidité pour le pillage, 8c plus 33 de profufion dans fa dépenfe « On ne vit jamais 30 tant de facilité a faire des amis, Sc a fe les 33 attacher folidement. II partageoit avec eux tout 33 ce qu'il polfédoit, fon argent , fon crédit, fes 33 maïtrelfes, & les plus noires aétions ne lui coü33 toient rien pour obliger ceux qui vouloient 33 être gagnés par de tels fervices. Son caractère 33 prenoit toujours la teinture de fes projets , & lè 3j formoit dans toutes les occafions fur fes préten33 dons & fes défirs. Avec les gens d'une humeur 33 trifte, fair chagrin lui devenoit comme natu33 rel. Avec les gens gais, il paroiifoit fait pour 33 la gaï'eté & lënjoument. II étoit grave avec les 3» vieillards, vif Sc léger avec les jeunes gens 5 33 audacieux avec les caradères hardis, voluptueux 33 avec les débauchés. Cette mobilité Sc cette va-  1(6 HlSTÖIRE DE LA Vlfi » riété continuelle avoit non - feulement attiré 3i autour de lui tout ce qu'il y avoit de gens fans 39 principes Sc fans moeurs en Italië Sc dans les » provinces de 1'empire , mais elle lui avoit proso curé un grand nombre d'amis parmi les plus a> honnêtes gens de la république, qui s'en étoit 33 lailfé impofer par 1'apparence de fes vertus ». Avec des talens de cette diftinctlon, s'il eut obtenu le confulat & le commandement des provinces ou des armées de 1'empire, on ne fauroit douter qu'a 1'exemple de Cinna il n'eut afpiré a 1'autorité fouveraine par la ruine de la liberté publique. Mais le défeipoir Sc 1'impatience le précipitèrent dans les plus furieufes réfolutions, Sc ce qu'il n'avoit pu fe procurer par fes artifices, il prit le parti de 1'emporter par la force. Cependant il ne s'abbandonna point tout-a-fait au hafard, Sc diverfes raifons pouvoient lui faire croire que les circonftances étoient aifez favorables. II voyoit 1'Italie fans troupes régulières, & Pompée dans des pays éloignés , avec la meilleure armée de 1'empire. Le conful C. Antonius, fon ancien ( a ) ami, fur le fecours duquel il faifoit toujours le même fond , étoit nommé pour commander les forces qui reftoient. Mais fa principale confiance étoit (a)Inflatum tum fpe militum, tum collega: mei, ut ipfe dicebat, grc-giiins. Pro Murcen. »j> dms  b£ Ci c h on, L x v, ui 'dans les vétérans de Sylla, dont il avoit toujours époufé Ia caufe , & parmi lefquels il avoit été élevé. Leur nombre ne montoit pas a moins de cent mille, qui fe trouvoient difperfés dans tous les cantonsde i'Italie, jouilfantdes terres que Sylla leur avoit aflignées, mais déja fi dérangés dans leur fortune par 1'excès de leurs vices & de leurs débauches, qu'ils foupiroient après une nouvelle guerre civile pour réparer le défotdre de leurs affaires. Catilina n'avoit pas manqué de leur faire des propofitions flatteufes pour les engager dans fon parti. II en avoit déja formé un corps confidérable dans 1'Etrurie, fous les ordresde Manlius, centurion d'une expérience égale a fon courage , qui n'attendoit que le fignal de fon chef, pour fe mettre en campagne (a) avec cette petite armée. Ajoutons le mécontentement dë tous les ordres de la ville , & fur-tout lés murmures continuels du peuple, qüi prefie de, dettes, & réduit a mener une vie fort dure , ne défiroit peut-être qu'un changement dans 1'état. Les hif» toriens les plus judicieux ont paru perfuadés que fi Catilina eut remporté le moindre avantaóe dans la première bataille, ou fi le fuccès eut été feu- (a) Caflra funt in Italia contra remp. in Etruda fauci^ bus collocata. In Catil. t, %, It. %, 6. Tomé L R  2 f 8 HlSTOIRE BE LA V I £ lement partagé, il falloic (a) s'attendre a voir toute I'Italie déclarée en fa faveur. II aflembla fes principaux complices , pour mettre la dernière main a leur entreprife eu diftribuant entrëux les emplois, Sc pour fixer abfolument le jour de lëxécution. Ils étoient au nombre de trente-lïx, dont les noms nous ont été tranfmis dans i'hiltoi re, partie du fénat ou de l'ordre équeftre, partie des plus nobles Sc des plus puilTantes maifons de toutes les villes d'Italie. Les fénateurs étoient P. Cornelius Lentulus, C. Cethegus, P. Autronius, L. Caflius Longinus, P. Sylla, Serv. Sylla , L. Vargunteius , P. Curius, Q. Annius., M. Percius Lecca, L. Beftia. Lentulus étoit defcendu d'une branche patricienne de la maifon des Corneliens, une des plus nombreufes Sc des plus confidérables de Rome. Son grand-père avoit été honoré du titre de prince du fénat, Sc s'étoit diftingué par fon zèle contre les attentats de C. Cracchus, jufqu'a s'être attiré une dangereufe bleflure dans ce tems de troubles Sc de convulfions (b) publiques. Le petit- (a) Sed omnino cunfla plebs novarum rerum fludio Catilina incoepta probabat... Quod fi primo pnelio Catilina luperior aut aqua naanu difceffiflet, profecto magna clades, &c. Sallut. 17, 19. (b) Sallnft. 17.  de Cicéron, Liv. III. 259 fils, foutenu par 1'avantage d'une fi noble origine , avoit obtenu le confulat huit ans auparavant ; mais 1'infamie de fa conduite 1'avoit fait chafier enfin du fénat par les cenfeurs; & c'étoit par de nouvelles intrigues , que s'étant élevé pour la feconde fois a la dignité de préteur (a), il fe trouvoit rétabli dans fon rang au fénat. Ses qualités naturelles étoient médiocres, mais les graces de fa figure , celles de fon adion , 1'étendue Sc la douceur de fa voix (3) lui avoient acquis quelque réputation d'éloquence. II étoit d'ailleurs livré a la parefle, voluptueux, méchant par le fond du caradère , Sc fi préfomptueux néanmoins qu'après la ruine du gouvernement, il fe flattoit de devenir le premier homme de la république. Les flatteries de quelques devins avoient achevé de 1'enivrer d'orgueil, en 1'affurant d'après les livres fybillins, que trois Cornelius étoient deftinés a règner dans Rome, Sc que Cinna & Sylla ayant déja vérifié une partie de cette prédidion, le refte devoit être accom- (a) Lentulus quoque tum maxime praetor, &c. Flor. 4, 1. Dio. 43. Plutarq. Vie de Cicéron. (3) P. Lentulus , cujus & excogitandi & loquendi tarditatem tegebat forms dignitas, corporis motus plenus & arüs & venuflatis, vocis & fuavitas & magnitudo. Brut. 3fo. Rij  iSo HlSTOIRE DE LA V I È pli (ü) dans fa perfonne. Avec ces efpérances il sëngagea joyeulèment dans la conjuration, fe franc du fuccès a la vigueur de Catilina, & fe flattant en fecret d'en recueillir le principal fruit. Lëxtradtion de Cethegus n'étoit pas moins noble •, mais fon caradère étoit la fierté & la témérité, foutenues d'une impétuofité qui alloit fouvent jufqu'a la fureur. 11 s'étoit engagé avec beaucoup de chaleur dans la facfion de Marius, avec qui il avoit été chaffé de Rome. Mais les profpéxités de Sylla le firent changer de parti, & s'étant jeté aux pieds du vainqueur avec de grandes promeues d'attachement & de zèle, il en obtint la liberté de (b) rentrer dans fa patrie. Après. la mort de Sylla , fes intrigues & fes factions lui donnèrent tant de crédit, que pendant 1'abfence de Pompée le gouvernement fembioit être entre fes mains. II fit obtenir a M. Antonius le commandement général des cótes de la Méditerranée, il procura la conduite de la guerre con- (a) Lentulum autem fibi confirmafTe ex fatis fybillinis iiarufpicumque refponfis Ce efte tertium illum Cornelium , ad quem regnum hujus urbis atque imperium pervenire efïèt necelle , &c. In Catil. 3 , 4. It. 4, fi. ( b ) Quid Catalina tuis natalibus atque Invenict quifijuam fublimius Cethegi. Juven. Sat. 8.  de Cicéron, Liv. III. iëi tre Mithridates (a) a Lucullus, & dans eet excès de pouvoir, ayant fait le voyage d'Efpagne pour y lever des contributions, il fe reffentit avec tant de hauteur de quelques oppofitions qu'il y trouva de la part du proconful Q. Metellus Pius (b), qu'il porta la hardieffe jufqu'a lui faire infulte& même 1 le blefïér. Mais fes infolentes entreprifes, jointes au dérèglement de fes mceurs, ayant diminué infenfiblement fon crédit, le chagrin qu'il eut d'avoir effuyé quelques réprimandes des magiftrats , & de fe voir comme a découvert fous un conful aufli vigilant que Cicéron , le fit entrer avec ardeur dans le complot de Catilina. II fe chargea même du röle le plus odieus & le plus fanglant, qui étoit de malfacrer tous les ennemis de leur faclion dans la ville. Les autres conjurés étoient aufli diftingués par leur naiflance. Les deux Sylla étoient neveux du ditftateur de leur nom (c). Antonius avoit été con- > , meis prsfidiis elTe munitam ? Bid i, ,3. Prxnefle natura munitum. Veil. Pat. z, z6.  de Cicéron, Liv. III. 16$] que nous avons de lui fur cette grande affaire; L'aflemblée des ennemis de 1'état s'étoit tenue le fix de novembre , & dès le huit il fit avertir le fénat de fe rendre au capitole , dans le temple même de Jupiter, oü 1'on ne s'alfembloit que dans les tems d'alarmes. On n'avoit point attendu ce jour pour délibérer fur les trahifons de Catilina, &~ fur le deflein qu'il avoit d'öter la vie au conful. Le fénat avoit déja promis par un décret public a celui qui découvriroit le complot, mille piftoles, & la liberté, fi c'étoit un efclave; ou , fi c'étoit un citoyen (a), fon pardon & le doublé de cette fomme. Mais la diffimulation de Catilina fut fi artificieufe & fi conftante , qu'il fut encore en impofer par fes proteftations d'innocence a quantité de perfonnes de tous les rangs. II fit pafler tous les crimes dont il étoit accufé pour autant de ficfions du conful. II offrit une caution pour fa conduite, ou de fe livrer a la garde de celui que le fénat voudroit nommer, a celle de M. Lepidus , a celle du préteur Metellus , a celle de Cicéron même. Perfonne n'ayant confenti a fe charger de cette commiflion, Cicéron lui répondit nettement que, pour ce qui le regardoit lui-même, il (a) Si quis indicatief de conjuratione , qua» contra rempub. facta erat, prxmium fervo ilibertatem & feftercia centum , liberto impunitatem 8c leflertia cc. Sallujl. 30.  l£6 HlSTOIRÊ DE L A VlE « étoit bien éloigné de s'expofer a vivre avec lui dans 3» une même maifon, puifqu'il ne croyoit point (tz) 33 qu'il y eüt de füreté 3 vivre avec lui dans la s» même ville 33. Des reproches fi fanglans ne furent point capables de lui faire jeter le mafque. II eut 1'impudence de fe rendre a 1'affemblée du capitole; ce qui parut fi choquant a tous les fénateurs, que fes amis les plus familiers n'osèrent le faluer, & que les fénateurs confulaires (£) quittèrent le banc fur lequel il prit place, pour s'éloigner de lui. Cicéron ne put contenir fon indignation. II oublia le deflein dans lequel il étoit venu, de propofer 1'affaire au fénat, & s'adreffant direcfement au coupable, il s'emporta contre lui avec toute la chaleur & toute la force de fon éloquence. II lui rappela que fa vie dépendoit déja de lui, puifqu'elle lui (c) avoit été abandonnée par un décret public, &c que fon devoir, depuis longtems , auroit peut-être été de la lui öter. Combien (a) Cum a me refponfum tulifles me nullo modo pofle iifdem parïetibus tuto effe tecutn , qui magno in periculo effem quod iifdem mcenibus continemur. Ibid. 1 , 8. (£) Quis te ex hac tanta frequentia, tot ex tuis amicïs ac neceffariis falutavit ? Quid quod adventu tuo ifta fubfellia vacua facta runt / Ibid. 1, 7. (c ) Habemus lenatus con<um in te, Catilina, veht>? mens. & grave. In Catil. i, ï.  de Cicéron, L i v. III. de citoyens, moins criminels & plus dignes que lui d'être épargnés, avoient été mis a mort par Ja même autorité, dc fur le fimple foupcon de penferaia ruine de leur patrie? II pouvoit donc le faire tuer fur-le-champ , & craindre bien moins qu'on ne lui reproduit de.la cruauté que de la lenteur. Mais il étoit retenu par une feule raifon. Tu mourras, lui dit - il, lorfqu'il n'y aura pas un citoyen , quelque méchant qu'il foit, quelque défefpéré , quelque femblable a toi qu'il puiffe être , qui ne foit forcé de confefler que tu mérites le fupplice. Auifi long-tems qu'il fe trouvera quelqu'un qui ofe entreprendre ta défenfe , tu vivras; mais tu vivras dans 1'état oü tu es, environné des furveiilans que j'ai placés autour de toi, qui t'obferveront dans les momens oü la défiance t'abandonne ,! & qui ne te verront pas faire un pas dont je ne fois informé. II lui fit enfuite le détail de toutes les réfolutions qui avoient été formées en-, tre lui & fes complices , dans leurs différentes affemblées, pour lui faire connoïtre qu'il n'ignoroit pas la. moindre circonftance de fes deifeinsi & jetant de cöté & d'autre la vue fur tous les fénateurs, il déclara qu'il en voyoit plufieurs qui avoient affiité d ces déteftables confeils. Enfuite revenant a Catilina, il le prelfa de quitter la ville, puifque tous les complots étoient éventés, de renoncer ï fes projets de. dammes Sc de carnage ,  Z6B HlSTOIRE DE LA VlE de profker de Ia liberté qu'on lui laiffbit de fortir; für q"]ie les portes lui feroient ouvertes, & que perfonne n'auroit ordre de 1'arrêter. Après sëtre étendu ici fur fes honteux déréglemens 8c fur fes noires pratiques, il le preifa encore, & lui commanda de partir; 8c, s'il vouloit fuivre fon confeil, de fe condamner lui-même a un exil volontaire , qui mettroit les citoyens a couvert de toutes leurs craintes. Quoiqu'il ne propofat point aux fénateurs de 1'exiler, il vouloit lui faire connokre, par un exemple, iopinion que toute 1'affemblée avoit de fa perfonne : qu'il eut parlé d'exil pour quelque fénateur eftimé, tel que P. Sextius ou M. Marcellus , tout le monde fe feroit foulevé unanimement contre le conful; mais lorfqu'il étoit queftion de lui , le iilence général étoit une approbation, un confentement, un décret auquel il ne manquoit que 1'exécution. II répondoit des mêmes fentimens dans les chevaliers, qui étoient a garder les avenues du fénat, & qui fe faifoient violence pour retenir leur indignation. II étoit donc libre de partir. Tous les amis du public 1'accompagneroient jufqu'aux portes. Cependant il prévoyoit, continua-t-il, quelle tempête lënvie alloit former contre lui, 11 Catilina , fuivant fes ordres, prenoit le parti de s'exiler volontairement. Mais cette confidération étoit trop foible pour arrêter le zèle & la juftice d'un  de Cicéron, Lik. HL 2^ conful. II s'eftimeroit trop heureux de pouvoit détourner a fes propres rifques les dangers qui menacoient la république. Quelle efpérance néanmoins qu'un homme du caradère de Catilina , voulüt céder aux néceflités de 1'état, & qu'il put être rappelé a la vertu & a la raifon , foit par la honte ou par la crainte , foit par le remords de fes crimes, & par un refte de tendrelfe pour fa patrie? II lëxhortoit donc , s'il refufoit le parti de 1'exil, a fe rendre promptement au camp de Manlius, oü il étoit attendu, & a commencer ouvertemënt la guerre. II le conjuroit feulement de s'y faire fuivre de tous fes fatellites , afin qu'il put s'y livrei librement a fes débauches ordinaires , avec la fatisfacfion de ne pas voir un honnête homme au» tour de lui, &c. La chaleur & la force de 1'orateur n'ayant fait qu'augmenter par degrés jufqu'a la fin de cette harangue , Catilina fut fi frappé & fi confondu, que fon efprit lui fournit peu de chofe pour fa défenfe. Cependant ayant baiffé les yeux & prenant le ton d'un fuppliant, il conjura'les pères de ne pas s'en rapporter trop vite aux accufations d'un ennemi-, fa naiflance, leur dit-il, & toute fa vie paffee ne lui offroit que des fujets d'efpérance, car perfonne ne fe perfuaderoit jamais qu'un patricien , qui, a 1'exemple de fes ancêtres, avoit donné des témoignages éclatans de fon affeclion  Z-JO HlSTOIRE DE LA VlE pour le peuple romain, eut formé le deflein de renverfer la république , tandis que Cicéron, c'efta-dire, un étranger, un nouvel habitant de Rome, marquoit tant de zèle pour la conferver. Mais, comme il fe difpofoit a pourfuivre, & dans des termes moins mefurés, il fut interrompu par un cri général du fénat, qui le traita de traïtre &C de parricide. Cette déclaration de mépris & de haine 1'ayant rendu furieux , il eut la témérité de répéter a haute voix ce qu'il avoit déja dit a Caton, que, puifquil étoit poufie a bout par fes ennemis, il éteindroit par la ruïne commune, les flammes qu'on allumoit contre lui; & fe tournant du même air, il fortit brufquement de(cï) i'alfemblée. Sa hardieflè qui ne connoiflbir point de hornes , le fit retourner droit a fa maifon. Mais ayant fait réflexion fur ce qui venoit de fe pafler au fénat, & ne voyant plus que du péril dans le parti de la diflimulation, il prit enfin celui d'agir a force ouverte , avant que les troupes de la,république fuflent raflemblées. II ne fe donna que le tems de confirmer, dans une courte conférence avec Lentulus , Cethegus, & le refte de fes compli¬ ce «z) Tum ille furibundus : quoniam quidem circumventus, inquit, ab inimicis preceps agor, incendïum meum ruina reftinguam. Sallujl. 3 r.  de Cicéron, Liv. III. 271 ces, les réfolutiohs de leur dernier confeil. IIleur ienouvela fesordres, & l'alfurance de le revoir bientot aux portes de Rome, a la tête d'une puilTante armée; & fortantla nuitfuivante avec une fuite pe'u nombreufe (a), il prit le chemin de 1'Etrnrie. Ses amis publièrent après fon départ qu'il étoit allé volontairement en exil a Marfeille, & ce bruit qui fe répandit dès le lendemain dans toute la ville, fut accompagné de réflexions odieufes contre le conful. II étoit fans exemple, difoient les partifans de Catilina , qu'on eut forcé un (b) citoyen au bannilfement, avant que d'avoir prouvé fon crime. Mais Cicéron étoit trop bien informé de tous fes mouvemens pour douter qu'il füt au camp de Manlius, & déja dans 1'acfe ouvert de la révolte. II favoit que 1'ennemi public avoit fait tranfporter dans 1'Etrurie une grande quantité darmes, avec des enfeignes militaires , & cette aigle d'argent qu'il confervoit avec beaucoup de fuperftition (V), paree qu'elle avoit fervi a C. Marius dans fon expédition contre les cimbres. Cependant pour arrê- (a) Ibid. 31. (b) At enim tunt, quirites , qui dicunt a me in exilium ejeftum effe Catilinam.... Ego vehemens ille conful, qui verbo cives in exilium ejicio, &c. In Catilin. i , 6. O) Cum fafces, cum tubas , cum figna militaria, cum aquilam illam argenteam , cui ille etiam facrarium fcelerum domi fuae fecerat, fcirem effe prxmiffam. Salluft. 3?.  272 Histoire de u Vie ter les dangereux eflèts de 1'impofture , il convo qua le peuple au forum, fous prétexte de 1'informer de ce qui s'étoit paffe la veille au fénat, 8c de lui apprendre le départ de Catilina. II commenca par féliciter les citoyens de fa fuite , qu'il leur repréfenta comme une victoire certaine, puifque c'étoit le vaincre en effet, que de 1'avoir arraché a fes pratiques fecrètes & de lui avoir fait prendre le parti d'une révolte ouverte. II fit obferver que Catilina même avoit cette opinion de fon départ, & que fon regret en s'éioignant n'étoit point de quitter Rome, mais d'en fortir avant fa ruine. Si quelqu'un, continua-t-il, me trouve blamable de n'avoir pas plutöt fait faifir un ennemi fi dangereux que de 1'avoir mis dans la néceflité de fe retirer, je répons , citoyens, que cëft la faute des conjonctures. Catilina mérite depuis long-tems le dernier fupplice. L'ufage de nos ancêtres, la difcipline de 1'empire, 8c fintérêt de la république demandoient fa punition. Mais combien de gens auroient eu peine a fe perfuader de la vérité de mes accufations ? Combien de gens auroient douté de fes crimes par foiblefle, ou fe feroient efforcés de le défendre par méchanceté t II ajouta qu'en faifant öter la vie a Catilina , il fe feroit rendu fi odieux , qu'il lui feroit devenu impoffible de pourfuivre fes complices 8c dëxtirper lesreftes de la confpiration; mais que, loin de ie craindrè 2-  se Cicéron, Liv. III. 273 craindre déformals, il regrettoit feulement qu'il nëüt point emmené plus de perfonnes 3 fa fuite; que fes forces, comparées a celles de la république , étoient méprifables, compofées de miférables , & d'indigens , qui avoient diffipé leurs biens, violé tous les engagemens de la fociété, & qui prendroient la fuite, non - feulement a Ia vue des troupes de Ia république, mais a Ia publication de 1'édit d'un préteur : que ceux qui étoient demeurés a Rome étoient bien plus redoutables que fon armée , paree que la révélation de tous leurs delTeins ne paroiffoit pas capable de les effrayer , 8c que ce qui avoit découragé leur chef jufqu'a lui faire prendre la fuite , n'avoit point eu la force de les émouvoir : qu'il ne pénétroit point quelles étoient leurs efpérances, mais qu'ils fe trompoient beaucoup s'ils s'attendoient a lui trouver toujours la même douceur: qu'après avoir fait connoitre au public que la confpiration n'étoit point une chimère, il étoit tems d'employer la févériré : qu'il ne lui reftoit qu'une faveur a leur accorder; c'étoit la liberté de fortir de la ville & de marcher inceffamment fur les traces de Catilina; qu'il vouloit même leur apprendre que le chemin qu'ils avoient a fuivre étoit la voie aurelienne , 8c qu'avec un peu de diligence , ils pouvoient rejoindre leur chef avant la nuit. Après d'autres obfervations, il affeda de tourlome I. S  274 HlSTOIRE DE LA VlE ner en raillerie les bruits qu'on s'étoit efforcé de répandre; & fe croyant trop bien fondé a croire Catilina perfide & rebelle , il alfura qu'avant trois jours on apprendroit qu'il étoit a la tête d'une armée. Ceux , dit-il encore, qui publient fon départ pour Marfeille , feroient trop fichés que cette nouvelle fut vraie, & fouhaitent bien plus de le voir au camp de Manlius. Enfin il exhorre les citoyens a veiller feulement a la süreté de leurs propres maifons, paree qu'ils peuvent fe repofer avec confiance fur les mefures qu'il a prifes pour la süreté du public. II leur apprend qu'il a donné avis de la retraite de Catilina aux colonies & a toutes les groffes villes , pour les prévenir fur la néceflïté de pourvoir a leur défenfe; qu'a 1'égard des gladiateurs, que les conjurés regardoient comme leur plus ferme appui, il avoit donné (a) des ordres qui lui répondoient de leur foumifïion; quoiqua parler naturellement, il s'en riouvat beaucoup parmi eux qui étoient plus affectionnés a la république qu'un grand nombre de patriciens ; qu'il avoit envoyé dans la Gaule & dans le canton de Picenum Q. Metellus pour s'oppofer de ce cöté-la aux mouvemens de 1'ennemi, & que pour («) Decreverc ut familix gladiatori-t Capuam & in ca:tera municipia difiribaerentur, pro cujufque opibus. Solluji. 30.  de Cicêkon, Liv. III. 275 achever de rétablir la tranquillité dans la ville, il venoit de convoquer le fénat, qui s'alTembioit acfuellement. Tout le refte de cette harangue contient les plus vives proteftations de zèle & de conftance a foutenir 1'état contre les entreprifes ouvertes 8c cachées d'une troupe de citoyens défefpérés. On ignore quelles furent ce jour-la les difcuP fions dans 1'aifemblée des fénateurs. Mais Catilina, fuivant la prédiction du conful, après avoir em> ployé peu de jours a foulever le pays fur fa route , & dans tous les lieux oü fes agens avoient difpofé les efprits en fa faveur , fe rendit au camp de Manlius, en faifant porter devant lui les faifceaux, les enfeignes & toutes les marqués du commandement militaire. Le fénat informé auffitót d'une révolte li éclatante, le déclara, lui & Manlius , ennemis de la république, avec une offre de pardon pour tous ceux d'entre fes pardfans qui n'avoient point recu de fentence capitale 8c qui feroient renrrés dans le devoir un certain jour. L'ordre fut donné enfuite aux confuls de hater les nouvelles levées , 8c le commandement de 1'armée fut confié a Antoine, tandis (a) que Cicéron demeureroit au gouvernaii pour veiller conftamment & la süreté de la ville. On s'eft étonné qu'après avoir vérifié la conf- (a) Sallufl. 36,  'IJS HlSTÖIRE DE LA VlE piration de Cadlina, Cicéron, a qui il auroit été li facile de le faire arrêter, eüt non - feulement fouffert qu'il échappat de fes mains, mais 1'eüt comme forcé de commencer la guerre. Mais quand il n'auroit pas pris foin de juftifier fa conduite , on concevroit qu'ayant dans la noblelfe un grand nombre d'ennemis, dont la plupart étoient amis fecrets de Catilina, Sc ne pouvant encore donner publiquement aux preuves de la confpiration , toute la force qu'elles avoient a fes propres yeux , furtout, lorfque 1'adroit Catilina fe retranchoit toujours dans fes proteftations d'innocence, il ne pouvoit le faire arrêter brufquement fans exciter des plaintes Sc des cris qui auroient repréfenté fon adminiftration comme une tyrannie, Sc le complot, comme une ficfion pour établir plus folidement fon autorité. Au lieu qu'en forcant les conjurés de faire éclater eux-mêmes leurs pernicieux deneins , il prouvoit manifeftement la réalité du danger ; Sc la connoilfance qu'il avoit de leur foiblelTe , dans un tems oü tous leurs projets n'avoient point encore leur maturité , ne lui laiffoit aucun doute que les forces de la république ne futfenr capables de les écrafer. II étoit perfuadé d'ailleurs que Catilina étant une fois forti de Rome Sc féparé de fes complices, qui n'étoient qu'une troupe de pareffeux Sc d'ivrognes, ils ferviroient a leur propre tuine par 1'imprudence de leurs réfolutions, Sc  de Cicéron, I/r, III. 277 par la facilité qu'on auroit a les faire tomber dans toutes fortes de pièges. Le fuccès juftifia fi parfaitement cette conduite, que foit qu'on confidère les démarches des conjurés ou les lïennes, on efl: obligé de reconnoïtre que la prudence humaine ne pouvoit raifonner plus jufte, ni aflurer par des voies plus fages fa confervation & celle de la république. Au milieu de ce trouble, & prefqu'irnmédiatement après la fuite de Catilina, Cicéron fut trouver aflez de loifir dans la multitude d'affaires qui 1'accabloient , pour défendre L. Murama , 1'un des confuls élus , contre une accufation de brigue & de corruption. Caton avoit déclaré au fénat qu'il vouloit éprouver fur un candidat confulaire , la force de la dernière loi de Cicéron (a); & Catilina, contre lequel il avoit penfé d tourner fon attaque, étant, fi 1'on ofe parler ainfi , hors de fa portée , il prit la réfolution de tomber fur Murama. Ses coups portèrenc indirectement ( b ) fur Silanus J fecond conful , qui avoit époufé fa fixur , quoiqu'il ne fut pas moins coupable que fon collégue. II fut fecondé (a) Dixi in lenatu me nomen confularis cannidatï delaturum. Pro Mur. 30. Quod atrociter in fenatu dixifii, aut non dixiiïet aut fepofuiflet. lbid, 31. (b) Plutarq, Vie de Caton. S iij  1J% HlSTOIRE BE LA VlE par S. Sulpicius , fénateur d'un mérite Sc d'une réputation diftingués dans la connoiflance des loix , en faveur (a) Sc fur les inftances duquel Cicéron avoit publié particulièrement la fienne. Murama avoit été, élevé dans le métier des armes, Sc s'étoit fignalé(£) fous Lucullus dans la guerre contre Mithridates. Cralfus, Hortenfius Sc Cicéron , les trois plus fameux orateurs de Rome , avoient entrepris fa défenfe. II y avoit p«u d'exemples d'une caufe auffi confidérable , par la dignité Sc la réputation des parties. Quoique le caracfère des accufateurs femble porter a croire qu'il y avoit des preuves formelles de quelques pratiques condamnées par la loi, il parot» néanmoins par les fragmens qui nous reftent du plaidoyer de Cicéron , que fi a la rigueur elles étoient irrégulieres , 1'ufage les juftifioit dans quelque mefure , Sc que ce qui paflbit pour criminel aux yeux de Caton, étoit toléré par les magiftrats & défiré même par le peuple. L'accufadon fe réduifoit a trois chefs : le fcandale des mceurs de Murama , le défaut de dignité dans fon caraélère & dans fa naiflance , Sc fes (a) Legem ambitus flagitafli geflus eil mos & vo- iuntati & dignitati tu». Pro Murxn. 2f. (3) Legatus L. Lucullo fuit qua in legatione duxit exercitum magnas copias hoftium fudit, urbes partim vi, partim obfidione cepit. Pro Mur joindre fes amis fi fon affiftance leur devenoit 33 nécelfaire 33. Enfuite 1'on examina les ambafiadeurs. « Ils 33 déclarèrent qu'ils avoient regu de Lentulus , de 33 Cethegus & de Statilius, des lettres pour leur 33 nation; que L. Caffius s'étoit joint a ces trois 33 fénateurs, pour les exhorter a faire pafier promp33 tement en Italië un corps de cavalerie , en leur 33 déclarant qu'ils n'avoient pas befoin de troupes 33 de pied; que Lentulus leur avoit alfuré, d'après (a) In Catilin. 3, 4. & fequent.  de Cicéron, Liv. III. 2.87 » le livre des Sybilles 8c les réponfes des devins, 33 qu'il étoit le troifième Cornelius, deftiné a 30 1'empire de Rome; que 1'année fatale étoit ar33 rivée pour la république; qu'il y avoit néan-33 moins quelques difficultés entre Cethegus 8l 33 leurs autres anodes , fur le tems qu'on devoic 33 choifir pour 1'incendie de Rome, ceux-ci vou33 lant que 1'exécution de ce grand deflein fut 30 différée jufqu'aux fêres faturnales, qui tomboient 33 au milieu de décembre , & Cethegus trouvant 33 ce délai beaucoup trop long 30. On produifit alors les lettres. Elles furent ouvertes a la vue de toute 1'aflemblée. La première étoit de Cethegus, qui ne la défavoua point lorfqu'on lui eut fait reconnoitre fon fceau. Elle étoit de fa main ; & 1'adrelTe au fénat & au peuple des allobroges. « II leur promettoit de tenir 33 la parole qu'il avoit donnée a leurs ambafla33 deurs, en les priant auffi d'exécuter ce que leurs 33 ambafladeurs avoient promis en leur nom 30. On venoit de 1'interroger fur le magafin d'armes qui s'étoit trouvé dans fa maifon , & fa réponfe avoit éré , qu'ayant une paffion fingulière pour les armes , il n'en avoit un li grand nombre chez lui que pour fatisfaire fon gout. Mais après la lecture de fa lettre, il fut fi confondu , que la hardieffe lui manqua pour répondre. Srarilius parut enfuite &c reconnut aufli fon écriture 8c fon fceau. Les  Z88 HlSTOIRE DE LA VlK termes de fa lettre fe rapportoienc a ceux de Cethegus, & il confeffa de même qu'elle étoit de lui. Enfin 1'on fit avancer Lentulus, qui ne défavoua pas non plus fon fceau; mais Cicéron remarquant que c'étoit la tête de fon ayeul, ne put sëmpêcher de lui faire un reproche amer, en fe plaignant de ce que 1'image d'un héros de fon fang, qui avoit eu tant d'amour pour fa patrie , ne lui avoit pas infpiré quelque remords de fes affreux deffeins. Sa lettre n'étoit pas différente de celles de fes complices ; mais ayant obtenu la liberté de parler pour fa défenfe, cc il nia d'a» bord la vérité de toute 1'accufation, Sc fe tour»j nant vers Vulturcius & les ambalfadeurs , il 35 leur demanda fièrement s'il avoit jamais eu quel33 que chofe a démêler avec eux, Sc dans quelle 33 occafion ils prétendoient avoir été chez lui. 33 Leurs réponfes furent claires & précifes. Ils lui 33 rappelèrent Sc le tems auquel ils 1'avoient vu 33 dans fa maifon , Sc combien de fois ils y avoient 33 été , & par qui ils y avoient été introduits. En3> fuite 1'interrogeant a leur tour, ils lui deman33 dèrent s'il ne fe fouvenoit pas non plus de leur 33 avoir parlé des oracles fybillins ? Cette queftion 33 le confondit; ou plutöt, troublé par le remords 3» de fon crime, il fit voir, dit Cicéron , un exem33 ple remarquable de la force de Ia confcience; ?> car non - feulement fon éloquence ordinaire , » mais  de Cicéron, Liv. III. 2,85» » mais fon impudence même, qui étoit excef■o live, l'abandonnèrent tout-a-fait, Sc toute i'af*> femblée fut furprife de lui entendre confefter 33 fon crime 33. Alors Vulturcius demanda que la lettre de Lentulus a Catilina, dont il avoit éta chargé , fut ouverte 8c hie publiquement. Elle étoit fans nom, mais Lentulus malgré fon trouble y reconnut encore fa main Sc fon fceau. On nous en a confervé les termes : cc Vous faurez qui f je fuis, de la perfonne que je vous envoie. Son33 gez qu'il faut montrer de la vigueur, &c ne pas 33 perdre de vue la fituation oü vous êtes. Confi33 dérez bien tout ce qui vous eft néceflaire dans 30 les circonftances: employez tous les fecours 30 poflibles, 8c ne dédaignez pas même les plus 33 vils 33. II reftoit a introduire Gabinius, qui répondit d'abord avec beaucoup d impudence ; mais il reconnut enfin la vérité dans 1'accufation des ambafladeurs. Les coupables Sc les témoins ayartt été renvoyés a. 1'écart, on s'agita beaucoup dans 1'aflemblée pour trouver du remède a des maux Ci preflans , & 1'on s'arrêta enfin aux réfbludons fuivantes: cc Qu'on décerneroit des marqués éclatantes 30 de la reconnoiflance publique a Cicéron, donc 33 la vertu, 1'habileté & la prudence avoient fauvé 33 1'état du dernier danger; que les prétcurs Flac33 cus & Pontinius feroient remerciés aufli de Tomé I. T  290 HlSTOIRE DE LA VlE x lëxaditude 8c de la vigueur avec laquelle ils 30 avoient exécuté les ordres du conful; qu'Anto» nius, fecond conful, recevroit des éloges pu» blies, pour avoir éloigné de fon confeil ceux 53 qui étoient mêlés dans la confpiration; que Len33 tulus abdiqueroit la préture , fe dépouilleroic >j lui-même des marqués de fa dignité, 8c feroit 33 gardé dans une prifon süre avec Cethegus, 33 Statilius, 8c Gabinius; que Cafïïus, Cxparius, 33 Furius, Chilon 8c Umbrenus leurs amis & leurs 33 complices, feroient arrêtés inceifamment , pour 33 être gardés avec le même foin : qu'on rendroit 3» aux dieux protecfeurs de Rome des adions de 33 graces folemnelles au nom de Cicéron , pour 33 avoir préfervé la ville de 1'incendie, les citoyens 33 du mafTacre , 8c I'Italie d'une pernicieufe 3» guerre (a) 33. Après avoir congédié 1'alfemblée , Cicéron fe rendit immédiatement a la tribune aux harangues, d'ou il rendit compte au peuple de tout ce qui s'étoit paifé au fénat. II ne manqua point de faire obferver, a que les adions de graces qui ai» venoient d'être décernées en fon nom étoient 3» les premières qui 1'euifent jamais été au nom 33 d'un homme de robe, 8c que toutes les autres * 1'avoient été pour quelque fervice particulier (a) In Catil. j , 6.  de Cicéron, Liv. III. 19I » rendu d la république , au lieu que celles - ci » lëtoient en fa faveur pour avoir fauvé la ré= publique (a) de fa ruine : qu'en s'aflurant des » conjurés qui étoient a Rome, il avoit renverfé » d'un feul coup toutes les efpérances de Catilina; » car en mettant ce furieux dans la néceffité de =» quitter la ville, il avoit prévu qu'après fa fuite, » il ne refteroit rien a craindre de 1'indolence =» de Lentulus, de 1'énorme grofleur de Caflius , » & de la témérité imprudente de Cethegus: que y> Catilina étoit la vie Sc 1'ame de la confpira» tion ; ennemi terrible , qui ne croyoit jamais » une chofe exécutée lorfqu'il n'avoit fait que 1'or» donner; mais qui la fuivoit, qui la prelfoit, » & qui n'étoit tranquille qu'après en avoir vu » lëxécution de fes propres yeux; que Catilina « n'auroit jamais fixé de fi loin le jour de 1'int» cendie Sc de la deftruction de Rome; qu'il » n'auroit point abandonné fon écriture & fon » fceau pour fervir de témoignage contre lui; & » que dans fon abfence tout avoit été découverc » avec tant de clarté Sc de certitude, qu'un vo» leur ne pouvoit pas être mieux obfervé ni faifi (a) Quod mihi primum poft hanc urbem conditam togato contigit.... qua; fupplicatio , fi cum cceteris conferatur , quirites, hoe intereft, quod carterae bene gefia, hxc una confervati republica conflituta efl. Ibid. 6. Tij  Zf)l H IS TOI RE DÈ LA Vlï s> plus fürement dans une maifon particuliere ». Palfant enfuite a ce qu'il croyoit capable de faire les plus puilfantes impreflions fur lëfprit du peuple , il lui fit tourner fa reconnoilfance vers le ciel, a qui il n'avoit fervi que d'inftrument, &t de qui le falut de la république étoit vifiblement 1'ouvrace. « Car fans parler des traits de 03 flammes qui avoient paru du cóté de 1'occident, » des tremblemens de terre , &c. il ne pouvoit » oublier ce qui étoit arrivé deux ans auparavant, » lorfque la foudre avoit abattu les tours du ca33 pitole. Les devins, appelés d'Etrurie, avoient os déclaré que c'étoit un préfage de feux, de maf3» facres , du renverfement des loix, de guerres 33 civiles, & de ruine pour la ville , fi 1'on ne 33 trouvoit quelque moyen d'appaifer les dieux; 33 & leur fentiment avoit été qu'il falloit élever 33 une nouvelle ftatue a Jupiter, mais beaucoup 33 plus grande que la précédente, & la placer 33 d'une manière oppofée a l'autre , c'eft-a-dire , 33 le vifage tourné vers 1'orient •, avec une reli33 gieufe certitude que lorfqu'elle regarderoit ainfi 33 le forum & la falie du fénat vers le foleil 3o levant,tous les complots qui attaqueroient 1'état, 33 feroient découverts avec la dernière évidence. 33 Malgré 1'intention des confuls , qui avoient or=o donné que cette ftatue füt faite aufli - tot, la 33 lenteur de 1'ouvrage en avoit retardé iëxécution  de Cicéron, Lik. III. 2.93 » depuis deux ans jufqu'a ce jour même, oü, » par une fpéciale influence de Jupiter , tandis =3 que les conjurés & les témoins qui avoient dé:» pofé contr'eux étoient conduits par le forum » au temple de la Concorde , la ftatue avoit été :» fïxée au même moment dans fa place, & n'avoit 3> pas manqué en jetant fes regards fur le fénat 33 & fur le peuple, de leur donner toutes les lu33 mières qu'ils pouvoient défirer fur la confpira39 tion. Oü eft 1'homme, s'écria 1'éloquent conful, => affez ennemi de la vérité, alfez téméraire, alfez 3» infenfé , pour ne pas reconnoitre que toutes les 33 chofes du monde , & particulièrement les af33 faires de cette ville, font gouvernées par la faas gelfe & le pouvoir des dieux 33 ? Enfin ne les exhortant pas moins a renouveler leur zèle &c leur intention pour la füreté publique , il leut promit qu'il n'épargneroit rien pour les délivrer bientöt de ce foin. Pendant que les prifonniers étoient dans fa falie du fénat, Cicéron avoit prié quelques fénateurs , qui favoient écrire en abréviations, de recueillir tout ce qui fe diroit dans 1'alïemblée i & fon premier foin , après les fatigues d'une journée fi laborieufe , fut d'en faire tirer un grand nombre de copies (8 HlSTOIRE DE LA VlE fe promettoient de ne pas lëpargner, fil'on prenoit les voies de la rigueur. II fentoit lui-même que 11 le bien public demandoit le plus févère chatiment, fon intérêt particulier devoit le porter a lindulgence. Cependant il étoit venu au fénat dans la réfolution de faire le facriflce de fon repos a 1'urilité réelle de 1'état. Lorfqu'il eut propofé en queftion quel parti fon devoit prendre a 1'égard des confpirateurs , Silanus , élu nouvellement conful, étant invité a porter le premier fon avis, demanda la mort de ceux qui étoient acfuellement (a) arrêtés, & de tous ceux dont on pourroit fe faifir dans la fuite. Tous les fénateurs qui parlèrent après lui furent du même fentiment, jufqu'a ce que J. Célar, qui venoit d'être élu préreur, fe leva d'un air fort brufque , &c traita cette opinion, « non 33 de cruelle, dit-il, puifque la mort ne laiifant « aucun fentiment ni du bien ni du mal, étoit 5* moins une punition qu'un foulagement pour les * miférables; mais de nouvelle , d'illégitime, & 33 de contraire a la confHtution de la république. 39 Et quoique la rigueur parüt juftifiée par 1'énormité 3j du crime, 1'exemple n'en étoit pas moins dan33 gereux dans un état libre. Si 1'ufage du pouvoir 33 arbitraire avoit produit d'excellens effets dans de (a) SalluJl. yo.  de Cicéron, Liv. III. 299 * bonnes mains , il avoit caufé les plus affreux j> malheurs quand il avoit été mal employé ». II ne lui fut pas difficile d'en apporter beaucoup d'exemples, pris de Rome autant que des autres états. a Ce n'étoit pas, ajouta-t-il, dans les circonf53 tances préfentes, ni fous un conful tel que Cicé» ron , qu'il falloit trembler ; mais il étoit im33 poffible que les tems fulfent toujours les mêmes, 33 il falloit s'attendre a. voir d'autres confuls, 8c 33 lorfqu'une fois le glaive feroit tiré par un déx cret du fénat, on ne pouvoit répondre des 33 maux qu'il feroit capable de caufer avant qu'il 3» fut remis au fourreau. Son avis étoit donc que 33 tous les biens des conjurés fuffent confifqués, 33 qu'ils fuffent étroitement renfermés dans une 33 ville forte d'Italie , 8c qu'il füt défendu fous 33 des peines févères , de folliciter le fénat ou 33 le peuple pour leur faire accorder plus de faas veur (a) 33. Ces deux opinions commencant a partager 1'affemblée , il en réfultoit cette queftion 5 laquelle devoit être préférée? Celle de Céfar avoit fait tant d'impreffion , que Silanus même (£), paroiffantin- (a) Ibid. $r. ( b ) Ut Silanum , confulem defignatum , non piguerit fententiam fuam , quia mutare turpe erat, ïnterpretatione lenire. Suet. Gal. C propres foyers. Les fuites néanmoins d'une vicTome L V  $o£ HlSTOIRE DE LA VlB 33 toire étrangère font bien moins pénibles que 33 celles d'une victoire domeffique ; paree que 1'en33 nemi étranger devient 1'efclave ou 1'ami de fon 3> vainqueur; au lieu que des citoyens rebelles, 33 dont les perfides deffeins font renverfés, ne peu3» vent guère être forcés au repos par la violence, 33 & s'y laiffent encore moins engager par les fa33 veurs.il avoit entrepris par conféquent une guerre x> éternelle contre de perfides citoyens; mais aulli an long-tems que la mémoire de fes fervices vivroic 33 dans le coeur des romains, fa confiance étoit 33 qu'il n'avoit a craindre aucun danger. Au lieu 33 du commandement des armées & des provinces, 33 qu'il avoit refufé d'accepter, au lieu du triom33 phe & des autres honneurs qu'il n'avoit pas vou33 lu recevoir, il ne leur demandoit que de con33 ferver un éternel fouvenir de fon confulat, & 33 tant que cette heureufe année leur feroit pré33 fente a 1'efprit, il fe croyoit invincible. Mais 33 s'il arrivoit cependant que la violence des fac33 tions ruinat fes efpérances, il leur recomman33 doit fon fils, qui n'étoit qu'un enfant; dans 331'opinion du moins , que ce feroit une garde 33 fuffifante pour fa sürcé & fa dignité, que la qua33 liré de fils d'un conful, q'ui leur avoit fauvé a 33 tous la vie au rifque de la fienne », &c. Ce difcours produifit tout lëffet que Cicéron s'étoit propofé. En découvrant fon inclination, il  de Cicéron, L i y. III. 307, avoit fait tournet a fon avantage celle du fénat; lorfque Caton, nouvellement élu au tribunat, fe eva pour parler. Après avoir élevé le conful juf. qu'au ciel, 8c fait fentir a toute l'alTemblée 1'autorité de fon jugement 8c de fon exemple, il déclara fuivant fon propre caraclère & fes (a ) propres principes, « qu'il étoit furpris de voir quel33 qu'oppofition de fentiment fur la punition de 33 ceux qui avoient commencé une guerre actuelle 33 contre leur patrie : que 1'objet préfent du fénat 33 devoit être plutöt de fe défendre d'eux , que 33 de délibérer fur la manière de les punir; que 33 les autres crimes pouvoient être punis après 33 leur comminion, mais que fi celui-ci eut été 33 commis, il auroit été trop tard pour parler du 33 chatiment: que le débat de l'alTemblée ne rou33 loit point fur les revenus publics ou fur 1'oppref33 fion des alliés, mais fur la vie & la libercé de 33 tous les citoyens ; qu'il ne s'agiflbit pas d'un 33 point de difcipline 8c de mceurs, fur lefquelles 33 il leur avoit quelquefois expliqué fes fentimens, 33 ni de la grandeur & de la profperité de 1'em33 pire , mais qui d'eux ou de leurs ennemis de33 voient poiféder l'einpire; 8c que dans un cas fi (a) Qua; omnia quia Cato laudibus extulerat in codum , ita confiilis virtutem amplificavit, ut univerfus fenatus in ejus fententiam tranfiret. VeU.Paterc, 2,35. Epifl. ad At'. Ii , 11.  308 HlSTOIRE DE LA VlE «preflant, il n'y avoit lieu ni a la pitié ni a 1'in35 dulgence : que depuis long-tems on confondoit 33 les véritables noms des chofes; donner 1'argent 33 d'autrui paflbit pour générofité, & former des 33 attentats criminels étoit appellé courage. Si 1'on 33 vouloit être généreux, c'étoit aux dépens de 1'en33 nemi qu'il falloit 1'être; fi 1'on vouloit exercer 33 de 1'indulgence, c'étoit a 1'égard de ceux qui 33 sënrichiflbient du butin militaire ; mais pour33 quoi devenir prodigue du fang des ciroyens, &C 33 détruire tous les gens de bien pour épargner un 33 petit nombre de méchans > qu'en vérité Céfar 33 avoit parlé fort gravement de la vie & de la 33 mort, prenant les chatimens de lënfer pour une 33 fiction, d'oü il avoit conclu que les coupables 3» devoient être renfermés dans les villes d'Italie; 33 comme s'ils n'étoient pas plus redoutables dans 35 ces villes qu'au milieu même de Rome ; comme 33 fi les attentats d'une troupe de défefpérés n'é» toient pas plus dangereux dans les lieux oü 1'on 33 avoit moins de réfiftance a leur oppofer... que 33 la délibérarion ne rouloit pas feulement fur le w fort des prifonniers, mais fur toute 1'armée de 33 Catilina, dont le courage ou 1'abattement ré33 pondroit a la vigueur ou a la moilefle des décrets 33 du fénat: que c'étoit moins aux armes de leurs 33 ancêtres qu'il falloit attribuer la grandeur de a»Rome, qua leur difcipline & a leurs moeurs,  tfE Cicéron, Li v. III. 309 33 que la longueur du tems avoit malheureufement » dépravées : qu'il étoit honteux dans lëxtremité 33 du danger, de voir au fénat tant d'indolence &C 33 d'irréfolution , chacun paroiffant craindre de 33 s'expliquer le premier, & fe riant, comme au33 tant de femmes, a ra(Ti(lance des dieux , fans 33 ofer rien entreprendre pour leur propre falut; 33 que le fecours du ciel ne s'obtenoit point par 33 des vceux frivoles & par des fupplications oifi33ves; que le fuccès des grandes entreprifes étoit 33 réfervé a la vigilance, k l'a&ivité, k la prudence, 33 & que la parelfe & la lenteur offenfoient les 33 dieux; que 1'affreux défordre de la vie des cou33 pables répondoit a toutes les objeélions de la 33 miféricorde : que Catilina errant aux environs 33 de Rome avec fon armée, & la moitié de fes 33 complices étant encore dans les murs de la ville, 33 il ne falloit point efpérer que les délibérations 33 du fénat pulfent être fecrètes; qu'il étoit nécef33 faire par conféquent de ne les point prolonger. 33 Ainfi fon opinion étoit que les coupables, ayant 33 été convaincus par des témoignages certains &C 33 par leur propre confelïion, d'une trahifon dé33 teftable contre la république, devoient être pu33 nis de mort, fuivant (a) la coutume de leurs 33 ancêtres 35. (a) Sallufl. 51.  |io Histoire de la Vie" 1'autorité de Caton, joint a l'impreflion qu? lefïoit du difcours de Cicéron, termina les inccrtitudes de 1'affemblée, & le parti de la rigueur fut embralfé fi univerfellement, qu'on ne penfa (a) plus qua dreiïèr le décret. Quoique Silanus eüt ouvert le premier eet avis, Sc qu'il eüt été fuivi par tous les fénateurs confuiaires, le (3) décret fut concu dansles termes de Caton, paree qu'il s'étoit expliqué avec plus de force Sc de netteté. Auflltöt que cette réfolurion fut confirmée , Cicéron craignant que la hult n'y apportat de nouveaux obftacies, prit le parti de nën pas différer un moment J'exécurion. II fortit du fénat fuivi d'un nombreux cortège d'amis & de citoyens, & s'étant rendu directement chez Lentulus Spinther, qui avoit Lentulus fous fa garde , il le lui demanda au nom de la république, Sc le conduifit luimême au travers du forum, jufqu'a la prifon commune, oü il le livra aux executeurs de Ja juftice, qui 1'étranglèrent fur le champ. Les autres conjurés, Cethegus, Statilius & Gabinius, furent conduits de même au fupplice par Jes préteurs, avec Ceparius (», ie feul de leurs-complices qui (a) Ibid. f3. (b) Idcirco in ejus fementiam efl fafla difceflïo. JJ At tic. 12, II. CO SaJJufl. f y.  5de Cicéron, L i y. 11 T. ju fut pris après 1'interrogation. Lëxécution étant finie, cc Cicéron fut conduit a fa maifon comme »en triomphe O), par tout le corps du fénat " & par celui des chevaliers. Les rues de Rome „ étoient illuminées , les femmes & les enfans w aux fenctres ou fur le toit des maifons, pour le » voir pafler au milieu des acclamations du peurt ple, qui lui donnoit le nom de fon fauveur & 53 de fon libérateur 33. On étoit au cinq de décembre, nones fameufes, que Cicéron rappelle fi fouvent comme le plus grand jour de fa vie. II eft certain qu'il avoit délivré Rome du plus horrible danger dont elle eut été menacée depuis fa fondation , & qu'il n'y avoit peut-être que la vigilance & la fagacité d'un conful tel que lui, dont elle put attendre un fi important fervice. Depuis les premiers foupcons qu'il avoit eus du complot, il navoit pris (l>) aucun repos la nuit & le jour jufqu'au moment ou le fond de la confpiration fut découvert; & fe faifant enfuite un jeu de tous les projets des conjurés, il les conduifit avec autant d'adrefle que de süreté pour le public , au point de fe trahir (a) Plutarq. Vie de Cicéron. (£) In eo omnes dies noctefque confumfi , ut quid agerent, quid molirentur , fentirem ac viderem. In CadL 3. V iv  Jli HlSTOIEI DE LA VlE eux-mêmes , & de précipiter leur propre ruine. Mais fa principale gloire efl; d'avoir chaffé Catilina de Rome, en lexcirant a Ia révolte avant que fes deffeins fuffent parvenus a leur maturiré; dans lëfpérance que trainant après lui fes complices, il en déiivreroit tout d'un coup la ville, ou que les laiflanr derrière lui fans le fecours de fes confeils, il les expoferoit a fe perdre par leur propre imprudence. La confiance de Catilina étoit bien moins dans les forces ouvertes qu'il avoit en campagne, que dans le fuccès des intrigues qu'il entretenoit a Rome. S'il s'étoit rendu maïtre de la ville , le premier effet de ce terrible événement auroit fans doute été d'engager la meilleure partie de I'Italie a fe déclarer pour lui. Auffi ie fénat ne fut-il pas plutöt revenu de cette crainte par le chatiment de fes principaux complices, qu'il fe crut a la fin du danger; il ne penfa plus qua des actions de graces, regardant i'armée de Catilina comme une troupe de fugirifs & de brigands, que les forces de ia république détruiroient a la première rencontre. Cependant eet audacieux citoyen leur préparoit une réfiftance plus vigoureufe qu'on ne fe 1'imaginoit. II avoit groffi fes troupes jufqu'au nombre de douze mille hommes, dont les trois quam, a Ia vérité, n'avoient pour armes que ce que le hafard avoit offert a leur fureur, des dards, des lances,  deCicéroNj Liv. III. 313 des bitons brülés par le bout $ mais le refte étoit parfaitement armé. II refufa d'abord de prendre des efclaves a fon fervice, quoiqu'il sën préfentat chaque jour un grand nombre. II fe üoit a la force de fes inrrigues, & ce n'étoit point de foldats qu'il craignoit (a) de manquer, fi fes amisle fecondoient heureufement a Rome. Ainfi lorfque le conful Antonius s'approcha de lui avec fon armée, il changea de quartiers, il fit différente* marches dans les monragnes, tournant aujourd'hui vers la Gaule, & le lendemain vers Rome, pour éviter un engagement jufqu'a 1'arrivée des nouvelles qu'il attendoit des complices. Mais auffi-töt que fes troupes eurent appris ia mort de Lentulus & des autres conjurés, il s'y fit une révolution furprenante. Le courage parut manquer aux plus hardis, & ce fatal dénouement lui fit perdre par la défertion, tous ceux que lëfpérance de la vidoire & du pillage avoit attirés fous fes enfeignes. Sa refiource fut donc de traverfer les Apennins, pour gagner les Gaules par des routes détournées. Mais Q. Metellus , que Cicéron avoit envoyé du même cöté, s'étoit déja faifi de tous les pafiages, & s'étoit pofté fi avantageufement avec trois légions, qu'il paroif- (a) Sperabat propediem magnas copias fe habiturum, fi Roma: focii incoepta patraviuent..... interea fervitia repudiabat. Sallujl. 56.  3H HlSTOIRE DE LA ViE foit impoffible de le forcer. D'un autre cóté le conful Antonius venoit a la queue des rebelles avec des forces beaucoup plus confidérables, & les tenoit comme (a) bloqués dans les montagnes. Ce n'eft pas qu'il eüt beaucoup d'ardeur pour attaquer Catilina, & peut-être lui auroit-il ménagé 1'occafion de s'échapper, fi Sexrius, fon quefteur, qui étoit dévoué a Cicéron, & Petreius, fon lieurenant général, ne 1'euiïent preffë malgré lui de forcer les rebelles (b) z une bataille; iftats dans le défefpoir de fes affaires, Catilina même, qui ne voyoit plus devant lui que la victoire ou la mort, aima mieux rifquer fa fortune contre Antonius, malgré la fupériorité de fes forces, que contre Metellus. II fe fioit encore a leur ancienne liaifon, & peut-être (c) fe flattoit-il que 1'amitié feroit quelque chofe en fa faveur. Cependant, le jour . (a) Ibid.. 57. Jt) Hoc breve ^Ojn'-: 6 M.Petreii non excellens animo & amore reip. vlrfus, non fumma auctoritas apud milires, non mirificus ufus i„ re miliiari extitiffet, neque adjutor e, P. Sextnis ad excitandum Antonium , cohortandum ac impellendum fuiffët datus, in Mo bello effet hiemi locus , &c. Sextius cum fuo exercitu , fumma celentate, eff Antonium confecutus. HÏc ego quid pradicem qmbus rebus confulem ad rem gerendam excitarit, quot ffimulos admoverit, -&c. Pro Sext. 3. O) Dio. liv. 37, p, 47.  r>e Cicéron, Liv. III. 3*5 même de l'aéüon , Antonius fut faifi d'un acces de goutte, ou feignit du moins cette maladie pour fe difpenfer de combattre contre fon ami. Le commandement tomboit a Petreius , qui , après un combat fi opiniatre qu'il y perdit la moitié de fon armée, tailla en pièces (a) Catilina & tous fes gens, jufqu'au dernier. Sallufte fait une defcription admirable de leur valeur & de leur conftance. Ils périrent tous dans le rang oü leur chef les avoit placés, comme s'ils euffent été poffédés du même efprit, & que penfant moins a vaincre qu'a faire acheter leur vie bien cher, ils fe fuffent efforcés, fuivant la menace de Catilina, de mêler le malheur public a leur ruine. Telle fut la fin de cette célèbre confpiration. Les plus grands hommes de la république ne fe fauvèrent pas du foupcon d'y avoir eu quelque part fecrète, fur-tout Craffus & Céfar, dont les motifs n'étoient pas fort différens de ceux des conjurés , & qui avoient peut-être de plus qu'eux lëfpérance de profiter de la confufion, pour s'élever par la faveur du peuple.au pouvoir abfolu. Crafir fus, qui avoit toujours été 1'ennemi de Cicéron, fembla fe trahir lui-même par lëxcès de zèle aveq lequel il affeda (b) de lui porter des lettres 6c (a) Sailufl. 19. ( b ) Plutarq. Vie de Cicéron.  116 HlSTOIRE DE LA VlE des avis pendant 1'alarme; comme s'il eut cherché a dérourner les regards dun conful fi éclairé, de plufieurs démarches cue fia confcience lui reprochoir. Pour Céfar, roure l'hiftoire de fa vie porre a cro,re qu'il n'y eut point de confpirarion dans iaquelle il ne fut mêié; & ie foupcon fin fi général dans cdle-ci, fur-rout depuis le difcours&qu'il avoit tenu en faveur des conjurés, qu'il n'échappa qua peine a la fureur des chevaliers qui gardoient les avenues du fénat, & qu'il n'v ofa repaxoitre qu'en commencant, avec Ia nouvelle année, lëxercice de fa préture. Craffus étoit adueliement accufé par un chevalier romain qui fe nommoit Tarquinius, & qui ayant été arrêré lorfqu'il fe rendoir au camp de Catilina , s'éroit laiffé engager par 1'efpoir du pardon a déceler tout ce qu'il favoit du complot. Après avoir confirmé ce qui étoit déja connu par la dépofirion des autres rémoins, il avoit ajouté que Craffus l'avoit dépêché vers Catilina pour 1'exhorter a ne pas s'alarmer trop du malheur de fes f» Ut nonnulli equites romani, qui pr^dii caufa cum tehs erant cïrcufn *dem concordis , egredienti ex fenam Cxfan gladio minitarentur. Sall. 49. Va pauci compiexu togaque objefta protexerint. Tune piane deterritus non modo ceffit, fed etiam in reliquum anni tempus curia abmnuit. Suet. I. Caf. 14.  t>e Cicéron, Liv. III. 3rf complices, 8c a précipiter au contraire fa marche vers Rome, avec lëfpérance de rendre la liberté aux prifonniers , 8c la certitude de réveiller par fa préfence le courage de tous fes autres amis. Au nom de Craffus, le fénat fut fi choqué, qu'il interrompit 1'accufateur. Cicéron fut appelé pour recueillir les avis de l'alTemblée. lis s'accordèrent a rejeter le témoignage de Tarquinius comme une impofture, & a le faire charger de chaines, jufqu'a ce qu'il eüt confeffé par qui il s'étoit laiffé (a) fuborner. Sallufte raconte qu'il avoit entendu dans la fuite affurer par Craifus, que (3) c'étoit Cicéron qui lui avoit fait cette infulte. Mais une imputation de cette nature eft d'autant moins probable , que la maxime conftante de Cicéron étoit « dëmployer les voies de la douceur pour rap33 peler au devoir des gens de confidération, plutót 33 que de les porter au défefpoir par un exces de 33 févérité 33. II en donna même une preuve éclatante , lorfque Céfar fe trouvant aufli chargé dans quelques informations, il prit Ie parti de les étouffer entièrement, fans fe laifler vaincre par les follicitations (c) de Pifon 8c de Catulus, qui étoient fes ennemis. (a) Salluft. 48. (3) Ipfum Crafïïim ego poftea prardicantem audivi , Xantam illam contumeliam fibi a Cicerone irapolïtarn. Lbid. (c) Appian. Bell. civ. liv. i,p.43°« Salluft. 4?.  318 HlSTOIRE DE LA VlE Dans la première chalet* de ia reconnoiiïknce des romains, Cicéron en recut des témoignages qut comblèrent fes défïrs, & de la nature qu'il les aimok, par les applaudiffemens extraordinaires de tous les ordres de la ville. Outre les honneurs qu'on a rapporrés, L. Gellius, qui aVoic eté conful & cenfeur, déclara dans un difcours public, que 1'état lui devoit la couronne (a) civique pour 1'avoir fauvé de fa ruine. Catulus lui donna (b) le titre de père de la patrie dans une alfemblée du fénat; & Caton 1'ayant honoré du meme nom, a la tribune aux harangues, le peu, ple (c) répondit par des acclamations redoublées. Biine , joignant fa voix a celle du peuple romain , secnoit dans un tems éloigné : «Je vous fake' » vous qui avez obtenu le premier (d) le nom de »père de la patrie». Ce titre, le plus glorieux auquel un mortel puiffe afpirer, fut enfuite ufurpé pr les empereurs, c'eft-a-dire, par ceux de tous les mortels a qui il convenoit le moins, mais qui fe croyoient fort honorés de recevoir de leurs flat- A' l ' h'"S aud,'en«bus, civicam coronam deben a repubhca dixit. In Pifon. 3. Aul. Geil. 5 6 (é) Me Q. Catulus, princeps hujus ordinis, frequen"7° fenatu' P^ntem patri* nominavit. In Pifon. 3. (c) Plmarq. Vie de Cicéron. Appian. p. 431. . (d) Salve , primus omnium parens patri* appellate. JJlin. Hi/l. Nat. 7, 30.  de Cicéron, Lir. III. 319 teurs Sc de leurs efclaves un nom que Cicéron devoit aux fuffrages libres du fénat (a) Sc du peuple de Rome. Toutes les villes d'Italie fuivirent 1'exemple de la capitale, en lui décernant des honneurs extraordinaires; & Capoue 1'ayant (b) choifi particulièrement pour fon patron, lui fit élever une ftatue dorée. Sallufte, qui n'a pu lui refufer le caractère d'un excellent conful, ne rapporte rien de ces honneurs, & ne lui donne point d'autres louanges que celles qu'un hiftorien ne peut diflimuler. On apporte deux raifons fort naturelles de cette froideur: la première , une inimitié perfonnelle qui fubfifta toujours entr'eux; l'autre, que l'hiftoire de Sallufte fut publiée fous le règne d'Augufte, c'eft-a-dire, dans un tems ou le nom de Cicéron n'étoit point encore a couvert de 1'envie. Antonius , fon collegue au confulat, eut peu de part aux remercïmens Sc aux honneurs que le public lui décerna dans cette occafion. Perfonne n'ignoroit qu'il avoit été engagé dans la caufe de Catilina. On le regardoit encore comme un citoyen foible Sc fufpecT, a qui fon col- ( a ) Me iraurata flatua donarunt, me patronum unum adfciverant. In Pifon. li. [!>) Roma parentem, Roma patrem patria: Ciceronem libera dixft. Juven. 8.  32© Hisïoire de la Vie legue fervoit de tuteur, & qui expioit en quelque forte par cette foumiflion fes oifenfes pallées. Aufli la reconnoiflance du fénat fe borna-t-elle a lui faire un léger compliment, fur la fagefle qu'il avoic eue d'öter fa familiarité & fa confiance aux anciens (a) compagnons de fes débauches. Cicéron porta deux loix nouvelles pendant 1'année de fon confulat; 1'une, qu'on a déja fait remarquer, contre la brigue dans les élections : l'autre, pour réprimer 1'abus d'un privilège qui fe nommoit legatio libero., c'eft-a-dire, Ugation ou ambaflade honoraire.. C'étoit une faveur que le fénat s'attribuoit le droit d'accorder aux fénateurs qui enrreprenoient quelque voyage pour leurs propres affaires, dans la feule vue de leur procurer plus d'honneurs & de diftincfions, avec un caractère public, qui les faifoit trairer comme des ambalfadeurs ou des magiftrats. Des höres de cette confidération fe rendant quelquefois aufli a charge par leur infolence que par leur grandeur, aux villes qui fe trouvoient fur leur paflage, f inrention de Cicéron étoit d'abolir eet ufage. Mais les oppofitions qu'il (3) (a) Atque etiam collegae meo laus impertitur , quod eos qui hujus conjurationis participes fuilfent, a fuis & reipub. confiliis removiiïèt. In Cat. 3 , 6. (b) Jam illud apertum eft nihil effe turpius quam quemquam legari nifi reip. caufa ; quod quidem genus legatio- trouva  t> e Cicéron; Liv. lïl. 3 i \ troirva de la part d'un tribun du peuple, 1'obligèrent de fe contenter d'une modification; & la tja* veur du fénat, qui avoit été jufqu'alors illimitée, fut reftreinte au terme d'un an. Lorfqu'il avoit pris pofleflion du confulat, L. Lu« cullus follicitoit vivement 1'honneur du triomphe, pour les vicloires qu'il avoit remportées contre Mithridates; & plufieurs magiftrats qui faifoient; leur cour a Pompée, s'étant oppofés fucceflivement (a) a fa demande, il avoit le chagrin depuis -trois ans de voir fes follicitations inutiles. Comme 1'ufage de la république ne permettoit point aux généraux qui étoient chargés d'un commandement actuel, d'entrer dans Ia ville, & que Ia violation de cette loi entrainoit non-feulement la perte de leur commiffion, mais celle de leurs prétentions au triomphe; Lucullus avoit été obligé de fixer la demeure dans un faubourg de Rome jufqu'a la décifion de cette affaire. Tous les fénateurs lui étoient favorables, jufqu'a s'être rendus eux-mêmes fesfolliciteurs. Cependant les oppofitions des tribuns continuèrent avec tant de violence, que Cicéron, nis ego conful, quanquam ad commodum fenatus pertinere videatur, tarnen adprobante fenatu frequentiffimo , nifi mihi levis tribunus plebis tum interceffifTet, fuftuli& fem. Minui tamen tempus, & quod erat infinitum, anliuum feci. De Legib. 3, 8. (a) Plutarq. Vie de Lucullus» Tome L X  3 22 HlSTOIRE DE LA VlË qui cherchoit a lui faire quelque réparation pour le' tort qu'il avoit recu de la loi Manilia, par laquelle il avoit été privé de fon gouvernement, eut befoin de faire valoir en fa faveur toute 1'autorité que lui donnoit fon emploi. II rend témoignage cc qu'il s> fervit prefque lui-même (a) a introduire dans la ft ville le char rriomphal de ce grand homme ». Lucullus, après fon triomphe, donna une fête fomptueufe au peuple romain, & recut des carelfes extraordinaires de la nobleffe, qui regardoit fon autorité comme une barrière pour fambition & le pouvoir de Pompée. Mais il avoit obtenu dans le cours de fa vie tous les honneurs qu'il pouvoit raifonnablement efpérer. Sa propre ambition étoit fatisfaite. Les troubles de Rome ne lui préfentant qu'une perfpecrive rebutante , il prit bientöt le parri d'abandonner les affaires publiques, pour paffer le refte de fa vie dans (b) une retraite oü fes richefles & 1'excellence de fon goüt lui faifoient envifager plus de douceur. II étoit un des plus généreux protedteurs des fciences dans un fïècle oü tous les feigneurs romains afpiroient a cette gloire; favant lui-même, & fï attaché a cette (a) Cum victora Mithridatico bello reverthTet, inimïcorum calumnia triennio tardius quam debuerat triumpha-. vit. Nos enim confules introduximus poene in urberq cur.rum clarilïïmi viri. Academ. I. z , i, (^)Plutarq. Vk de Lucullus.  BI CtCïfioS, L x v. III. jij rioble occupation, que fa maifon étoit comme le centre de tout ce qu'il y avoit de gens d'efprit a Rome & dans la Grèce. II y avoit une bibliothèque excellente , avec des portiques 8c des galleries, pour la commodité des promenades, & des conférences littéraires, auxquelles il afliftoit fouvent. Enfin 1'exemple de fa vie feroit un modèle de noblefle 8c d'élégance, fi elle n'avoit point été fouib ïée par une teinture trop forte de la mollefle afiatique 8c de la volupté épicurienne. Après avoir rendu juftice a Lucullus, Cicéron eut avant la fin de fon confulat, 1'occafion de fatisfaire fon amitié pour Pompée, en contribuant beaucoup a fa gloire. Ce fameux romain avoit terminé glorieufement , depuis fon abfence , deux guerres qui avoient caufé de longues inquiétudes a la république ; celle des pirates , dont on a déja vu le fuccès, & celle d'Afie , qu'il venoit de finir par la ruine 8c la mort de Mithridates. A 1'anivée de cette nouvelle, le fénat, fur la demande de Cicéron (a) , décerna dix jours d'acfions de graces publiques au nom de Pompée-, ce qui étoit le doublé de 1'ufage, dont on ne s'étoit pas même écarté pour Marius après fa vidoire contre les cimbres. (a) Quo confule referente, primum decem dierufij fupplicatio decreta Cn. Pompeio , Mithridate interfefto ; cujus fententia primum duplicata eft fupplicatio conlularis. De Provinc. Conful, II.  324 H I S t O ï R E D E l A VI E On met au rang des plus mémorables évên&i mens de cette année , la naiflance d'Octave, furnommé Augufle, qui arriva le 23 de fieptembre. (a) Velleius 1'appelle un furcroït de gloire au confulat de Cicéron. Mais elle excite peutêtre a d'autres réflexions fur la profondeur impénérrable des defleins de la providence , & fur les bornes de la fagefle humaine. N'efl-il pas étrange qu'au moment que Rome fe voyoit fauvée de fa ruine, & croyoit les fondemens de fa liberté fi bien raffermis, il naquït un enfant qui devoit exécuter dans 1'efpace de vingt ans ce que Catilina venoit de tenter fans fuccès, & détruirc tout a ïa fois Cicéron & la république ? Si Rome avoitpu fe foutenir par les confeils de la prudence humaine , 1'habileté de Cicéron étoit capable de la conferver. Mais fon deftin approchoit ; car les grands états, femblables au corps humain , ont, avec les principes de vie & de force, des femences de corruption & de ruine mêlées dans leur conftitution , qui, a la fin d'un certain période , commencent a fe développer, & produifent par degrés la diflblution totale de la machine. Ces fatales femences avoient fermenté long-tems dans ( dans aucun tems , n'avoit point efluyé d'infulte fans punir fur le champ 1'aggrelfeur. II paroït au contraire par ce qui nous refte des difcours de Cicéron fur les mêmes débats, que malgré la chaleur de la difpute & des oppofitions , les expreflions & les pro-  d e M. Middleton. lxxxiij céVon. C'eft un détail affez fee de fes actions ck de fes écrits, réduit, a lavé-< rité, dans un ordre fort exact, fuivant les annales de Rome & celles de la vie 'du héros; mais fans autre explication que celle des tems , qüi paroit avoir été 1'unique objet de eet écrivain. Cependant comme fon entreprife eft exécutée avec beaucoup de foin , elle m'a épargné une partie de la peine quej'aufois eue a ranger mes matériawx dans 1'ordre qui leur convient. Les annales de Pighius que je n'ai pas ceffé de confuiter, m'ont été fort utiles aufli dans la même vue. Les francois ont quelques auteurs dont les otfvrages m'ont paru mériter de l'at> tention. VHijloire des deux' Triumvirats 3 les Révolutions du gouvernement de Romes & ÏExil de Cicéron , font des livres utiles & ingénieux oü 1'on trouve une expofition fidelle de 1'état général des affaires romaines. Mais comme j'avois déja puifé dans les fources d'oü leurs matériaux font recueillis, le principal fruit, fij  lxxxiv P R 35 F A C E que j'ai tiré de cette le£ture, eft 1'engar gement oü elle m'a mis de revoir avec un nouveau foin divers paffages fur lefquels je ne me trouvois pas d'accord avec les auteurs de ces trois ouvrages , & 1'occafion qu'elle m'a donnée de fuppléer a quelques circonftances que j'avois omifes ou que j'avois touchées trop légèrement. L'auteur de 1'Exil de Cicéron eft celui qui a traité le plus foigneufement fon fujet. II confirme a tout moment fa narration par le témoignage des anciens écrivains ; & cette méthode , qui laiffe voir a découvert les fondemens de 1'édifice} eft affurément la feule qui puiffe rendre un letteur content de 1'hiftorien, & qui porte avec elk une véritable conviction : car fans cela l'hiftoire prend 1'air du roman, ou ne fait du moins qu'une impreffion proportionnée a 1'opinion qu'on a du jugement & de 1'intégrité du compilateur. Nous avons dans notre langue un pedt ouvrage fous le titre d'Obfervatïons fur la vie de Cicéron} que je n'ai pas lu  de M. Middleton. Ixxxv 'fans plaifir, quoique je m'accorde peu avec 1'auteur dans 1'idée qu'il fe forme de fon héros. Mais j'y ai trouvé du feu, de 1'élégance, 6c j'ai reconnu dans les fentimens de 1'auteur un ardent amour pour la vertu. Se former 1'idée d'un grand homme fur quelques traits fuperficiels de fes écrits, ou fur quelques circonftances de fa conduite, fans examiner le rapport qu'elles' ont a la totalité du caractère, ou fans confidérer le caractère dans fa totalité , pour juger fi elles y ont effectivement quelque rapport ; c'eft voir les chofes avec un microfcope, qui n'eft fait que pour les repréfenter en gros. La moindre tumeur paroit une montagne. Une petite tache devient une affreufe difformité. Mais ce qui change ainfi la nature de 1'objet s'évanouit auflitót qu'on le regarde dans fon jour naturel. Je fuis donc perfuadé qu'avec autant de raifon 6c d'aufli bons principes que j'en ai reconnu dans eet écrivain , il ne lira point l'hiftoire de Cicéron telle que je la donne au public h  ÏXXXVJ P R É F A C E fans prendre une opinion plus avantageute; d'un homme , qui après avoir 'employé toute fa vie a combattre le vice, la faétion & la tyrannie, ëft mort le mar-, tyr de la liberté de fa patrie. Comme j'ai eu fouvent 1'occafton de louer les lettres a Atticus , & d'en recommander 1'ufage pour 1'éclaircilfement de l'hiftoire du même tems, je ne dois pas refufer un éloge a 1'excellente traduction & au judicieux commentaire qui nous en ont facilité 1'intelligence. Je parle de 1'ouvrage de M. 1'abbé Mongauit, qui ne fe bornant point a recueillir les meilleures remarques des autres commentateurs, eft entré dans fa carrière avec 1'efprit d'un véritable cridque? & neus a fort heureufement explinué par fes propres lumières quantité di palTages qui palfoient pour inexplicables. Depuis que ce favant hemme a rendu un fi important fervice a la répu-blique des lettres , & particulièremeht \ fes compatriotes dont il a employé la langue, on eft furpris avec raifon quej  de M. Middleton. lxxxvij ü'autres écrivains du même pays n'ayent pas mieux profité de fes peines, & n'ayent pas tiré plus de fruit des lettres a Atticus , pour éviter diverfes fautes ou ils font tombés dans l'hiftoire du fiècle de Cicéron. Mais au lieu de parler fi nbrement des erreurs d'autrui , il y auroit peutêtre plus de bienféance a demander quelque faveur pour les miennes. Suivant Diodore de Sicile, « on pardonnèaifément » dans un hiftorien les fautes d'ignorance, »paree qu'elles font comme le partage » de 1'efpèce humaine , & que rien n'eft » fi difficile que de découvrir dage en 5> age le fil de la vérité. Mais ceux qui négli» gent de s'inftruire , & qui par haine »ou par fiatterie s'écartent volontaire»ment du droit chemin , méritent la » cenfure du public » Je fuis bien éloi- gné de me croire exempt d'erreur. Ce que j'affure uniquement, c'eft que je n'en ai pas commis de volontaire, & que j'ai employé tous les moyens qui fe font préfentés pour m'en garantir. Mais puif- fiv  Jxxxviif Préface que dans Ja multitude d'hiftolres ar* ciennes & modernes, que j'ai confultées a loccafion de mon entreprife , il n'y en a pas une oü je ne puffe faire remarquer plufieurs fautes, je mériterois le reproche d'arrogance, fi je m'imaginois qu'on ne trouvera dans mon ouvrage aucune tracé d'inattention ou de négligence, ni le moindre défaut de juge. ment. Au contraire, je croirai devoir de la reconnoilfan.ee a ceux qui me feront appercevoir mes erreurs, & je regarderai comme 1'ami de mon livre, celui qui maidant a le perfeÖionner, fer, vira par conféquent a le rendre plu* utile. Cette difpofition fuk naturellement des vues qui me font fait entreprendre, car je n'ai penfé a fervir aucun parti : mon principalmotifeft le bien général, auquel j'ai cru me rendre utile , en of-' frant au public 1'exemple d'un caradère, qui de tous ceux que je connois dans ï antiquité , m'a paru le plus accompli dans le genre civil, & le plus fécond. €n lecons de morale & de prudence.  de M. Middleton. IxxxixSi je réuflïs donc, comme je me le fuis propofé dans mon travail, a faire naïtre une plus haute idéé du mérite & des ouvrages de Cicéron, a faire mieux entendre fes écrits & a les rendre plus familiers a la jeunelfe, je ne pourrai guère manquer d'atteindre a mon but; car on imite volontiers ce qu'on admire, & je me figure qu'il n'eft guère poftible d'exciter du goüt pour Cicéron, fans en infpirer en même-tems pour tout ce qui eft digne de louange. S'il s'eft trouvé quelque différence dans les jugemens qu'on a portés de ia conduite, il n'y en a jamais eu dans 1'opinion qu'on s'eft formée de fes ouvrages. Le monde jpayeri ne nous a rien laifle qui développe fi parfaitement , & qui recommande avee tant de force ces généreux principes , donc la nature humaine tire fa gloire & fa perfection , 1'amour de la vertu , de la liberté, de la patrie, & de tout le genre humain. Cette réflexion ne peut être mieux foutenue que par 1'autorité d'Erafme. II  XC p R É* F A C E avoit contraöté dans fa jeuneiTe quelques préjugés contre Cicéron ; mais 1'age & 1'expérience 1'ayant fait revenir de cette erreur , il la retracla dans ce paffage d'une de fes lettres a Vlatten: « Quand j'étois jeune, lui dit-il (a) , » Seneque me plaifoit beaucoup plus que «Cicéron; & jufqu'a lage de vingt ans , »quoique je me feutiiTe du goüt pour »tous les écrivains de 1'antiquité, Cicé»ron m'en infpiroit fi peu que j'aurois » cru perdre mon tems a le lire. Je ne »fais fi mon jugement s'eft formé avec »lage ; mais il eft certain que depuis » que je touche a la vieilleffe , je prens » plus de plaifir a cette lefture, que je » n'ai jamais fait dans les premiers tems ï> de ma vie. Ce n'eft pas feulerrient le »tour divin de fon ftyle , c'eft fa mo»rale & la fainteté de fon cceur qui » m'enchantent. En un mot, il a infpiré »mon ame, & il m'a fait fentir qu'il O) Erafm. Epift. ad Joan. Vlattenum,in Cicer. Tufcul. Qua^ft.  de M. Middleton. xcj fem'a rendu meiileur. Je ne balance » donc point a prefler notre jeuneffe d'em* » ployer le tems a lire fes ouvrages & » a les apprendre par cceur , plutöt qua » ces frivoles difputes qui ne font aujour» d'hui que trop en ufage. Pour moi, » quoique ma vie foit fur fon déclin, lorf» que j'aurai fmi ce qui m'occupe acluel»lement3 je ne ferai pas difficulté de » me réconcilier avec mon Cicéron, & » de renouer avec lui un commerce qui » a été malheureufement interrompu penj> dant plufieurs années ». Avant que de conclure cette préface, il ne fera pas inutile de donner ici une idéé générale du gouvernement de Rome, depuis fa première inftitution par Romulus jufqu'a la naiffance de Cicéron. Un ïeéteur qui n'eft point verfé dans les affaires romaines, a befoin de eet éclairciffement pour commencer la lecture de mon ouvrage. Cicéron &: tous les anciens écrivains mt 'fouvent célébré la conftitution de  xciv Préface le roi Tullus (a) pour avoir tué fa fceurj appela au peuple & fut abfous, Telle étoit la eonftitution de Rome dans fort origine & fous le gouvernement même des rois. Comme un état, dans fa fondation n'a point encore de force établie pour contraindre , il falloit trouver néceffairement quelque moven de lier un peuple qui n'étoit point accoutumé a la foumiflion , & les premiers légiflateurs n'en virent point de plus puiflant que la certitude de la liberté (b), jointe au pouvoir de faire fes propres loix. Mais les rois ayant ufurpé par degrés toute 1'adminiftration, & s'étant rendus infup.portables par la violence de leur gouvernement, éprouvèrent enfin qu'une ville ( naire dans les grandes maifons de Rome , éroit celui du vin , qui tentoit continuellement les efclaves A 1 egard du père de Cicéron, les rérnoiW ges qui nous reftent de fon origine (3),luifont ou contraires ou favorabJes a 1'excès j ce qui ne fauroit paroïtre étrange dans fhiftcire d'un homme tel que fon fils, qui fut fans ceiïe en bure aux traits de 1'envie & de la haine, & qui en dev]nc enfin la vicftime. Quelques-uns lui donnent (c) des (a) Sicut olim matrem meam facere memini qux lagenas etiam inanes obfignabat ■ ne dicerentur Lanes aliquïfinflê.qusefurtLneuentexficcate. Ep.fam. ,6 ié Poflet qui ignofcere fervis. Et figno )xCo non infanire lagen*. Horat (*) Vid. Plutarq. Vie de Cicéron. (O Regia progenies & Tullo fanguis ab alto. Sil. Ita! A ij  4 HlSTOIRE DE LA VlE rois pour ayeux •, d'autres lui font puifer fon fang dans les fources les plus viles. Mais c'eft entre ces deux extrêmes qu'il faut placer la vérité. Si fa familie n'avoit jamais poiTédé les grands emplois de la république, elle étoit néanmoins ancienne, honorable, d'une nobleffe & d'une diltin&ion particuliere (a) dans le canton d'Italie oü elle avoit fon établiffement , & de rang équeftre (£) des qu'elle fut admife aux droits des citoyens romains. Quelques fpéculatifs ont infinué que Cicéron affecta pendant toute la vie de faire peu valoir la fplendeur de fa familie , • ( a ) Hinc enim orti ftirpe antiquiffima : hic facra, hic genus , hic majorum multa veftigia. De Leg. z , i, i. L'ordre équeflre, ou eet ordre du peuple romain que nous appèlons communément les chevaliers , n'avoit rien qui reffemblat a aucun ordre de chevalerie moderne. II dépendoit uniquement da cenfus , c'efi-a-dire , de Févaluation des biens qui fe faifoit ordinairement de cinq en cinq ans par les cenfeurs. Les citojiens dont le fonds de biens montoit a quatre eens feflerces, étoient recus dans l'ordre des chevaliers, qui tenoient comme le milieu entre les fénateurs & Ie peuple , mais fans autre difiinction qu'un anneau d'or qu'ils portoient au doigt.Le revenu d'un fénateur devoit être doublé de celui du chevalier, & s'il fouffrolt quelque diminution dans 1'un ou 1'autre ordre , on étoit rayé du róle par les confeurs. Si quadringkitis fex leptem milia defünt, Plebs eris. Horat. Epi2. i, 57. Pltn. Hifi. nat , 'liv. 23 , 12.  2de Cicéron, Liv. I. j dans Ie delfein de s'en faire regarder comme le fondateur, & qu'il fupprime yolontairement tout ce qui pouvoit rappeler 1'idée de fon extraction royale, pour flatter les romains dans 1'averfion qu'ils avoient pour le nom de roi; de quoi fes ennemis mêmes (a) ne manquèrent point de lui faire un reproche. Mais ces imaginations ont fi peu de fondement , que dans toutes les occafions qu'il a eues de parler du caraétère & de la condition de fes ancêtres, on s'apperjoit au contraire qu'il prend plaifir a déclarer avec une mervcilleufe franchife, «qu'ils avoient été contens » de fhéritage de leurs pères, & des honneurs » particuliers a leur patrie, fans s'être Iaifles piquer *> par 1'ambition de fe produire fur le grand théa»j tre de Rome ». Et dans un difcours au peuple fur fon élévation au confulat : « Je ne penfe i> point, difoit-il ( b) , a m'étendre fur leloge » de mes ancêtres •, non qu'ils ne fuflent efFedlia> vement tels que moi , qui ai recu d'eux le » fang qui coule dans mes veines, & qui dois » tout ce que je vaux a leurs inftruótions , mais « paree qu'ils ont vécu fans connoïtre le prix des m applaudiiTemens du peuple romain, & 1'éclat » de ces honneurs que vous avez le droit de confé=> rer par vos fufFrages ». C'eft apparemment cette (a) Vide. Sebaft. Corrad. Quxftur. pag. 43 , 44, {b) De Lege Agrar. r, A ü]  de Cicéron, Liv. I. ? de la jonction des deux rivières ; le troifième nom fe tiroit ordinairement de quelque aöion mémorable , de quelque qualité naturelle ou acquife, ou de quelqu'autre accident qui faifoit la diftin&ion de celui qui 1'avoit porté le premier. Plutarque aiTure que le furnom de Cicéron lui étoit venu (a) d'un de fes ancêtres, qui avoit fur le nez une excroilTence de chair, ou une verrue, de la forme d'un pois, que les romains nommoient cicer. Mais je trouve plus de vraifemblance dans 1'opinion de Pline, qui a cru que tous les noms romains (b) oü 1'on trouve quelque rapport avec différentes efpèces de grains, tels que ceux des Fabius , des Lentulus, &c. n'avoient point d'autre origine que la réputation qu'ils s'étoieut faite d'exceller dans la culture de ces grains ou de ces légumes. On peut s'imaginer que comme le nom de Tullius étoit venu de la fituation d'Arpinum, celui de Cicéron vint de quelque talent particulier de la même familie, pour la culture des pois. En général, 1'agriculture étoit une des plus honorables occupations des anciens (a) De la vient 1'erreur d'un grand nombre de fculpteurs & de peintres , qui reptéfentent Cicéron avec une verrue (ur le nez, fans faire attemion que ce n'étoit point la verrue , mais le nom feulement qui lui étoit venu de les ancêtres. (é) Hiil. nat. 18,3,1.  IO HlStOIKE DE LA VlE romains, & le grain même dont les Tullius tiroient leur nom , avoit ére fi cher au peuple dans tous les ages de la république, que c'étoic une (a) des libéralités ordinaires qui étoient exercées par les rrches, & qu'on vendoit continuellement aux théatres & dans les rues de Rome , des pois tout cuits pour 1'ufage des fpe&ateurs ou des pafïans. Cicéron avoit encore fon grand-pcre au tems de fa naifiance, & 1'on peut recueillir de quelques endroits du Traité des loix (3), que ce nëtoit point un homme oifif ni fans confidération dans fa patrie. II s'étoit fait le chef d'un parti confidérable a Arpinum , pour arrêter les entreprifes d'un citoyen turbulent, nommé M. Gratidius, dont il avoit époufé la foeur, & qui follicitoit 1'établiffèment d'une loi, par Jaquelle la ville füt obligée de prendre toutes fes réfolutions dans les affaires publiques , par la voie du fcrurin. Cette caufe fut évoquée au tribunal du conful Scaurus, & le vieux Cicéron la plaida fi habilement (c) que le conful lui fit la faveur de (a) In cicere atquefaba bona tu perdafque lupinis, Lstus ut in circo fpatieris & «neus ut fles. Horat. I. z , 3, i8ï. (£) De Legib. i , r. (c) Ac nofiro quidem huic cüm res eiïet delata , conful Scaurus , utinam, inquit, M. Cicero , iöo animo atque  de Cicéron, Liv. i. i1 dire en public, a qu'il étoit a fouhaiter qu'un y> homme de cette vertu & de ce zèle pour 1'in» térêt de fa patrie, voulüt s'établir a Rome pour 3> y exercer fes talens fur le grand théatre de la » république, au lieu de les tenir comme enfé» velis dans 1'étroite fphère d'une petite ville». II nous eft refté aufli une fentence ingénieute de ce vénérable & digne romain : « Les hommes » de fon tems, difoir-il, relfembloient (a) aux » efclaves fyriens ; plus ils favoient de grec, moins 30 ils étoient honnêtes gens =o. On reconnoït ici le caradtère d'un vieil amateur de la patrie , qui voit avec chagrin rintroduótion des arts étrangers, & qui regrette la difcipline & les moeurs virtute in fumraa Rep. nobifcum verfari quam in municipali voluiffet. Ibid. ; , 16. (a) Noftros homines fimiles effe fyrorum venalium j ut quifque gracè fciret , ita effe nequiffimum. De Orat. z , 66. Une grande partie des efclaves de Rome étoient fyriens , car les pirates de Cilicie qui infelïoient continuellement les cötes de Syrië , tranfportoient leurs captifs a Dclos , & les vendoient aux grecs, par les mains defquels ils paffoient a Rome. Ceux d'entre ces efclaves qui avoient vécu le plus long-tems avec des maïtres grecs, & qui parloientle mieux , par conféquent, la langue grecque , étoient aufli ceux qui étoient le mieux infiruits de tous les arts, ou plutöt de tous les artifices de la Grèce , ce que le vieux Cicéron imputoit comme Caton le cenfeur, a la Grèce même. lb. Adrlan. Turneb. in Jocos Cicéron.  14 HlSTOIRI DE LA VlE » tout ce qu'il y a d'eftimable , & s'attachaiïen-t » de toutes leurs forces a la profeffion (a) dans x laquelle ils pouvoient exceller ». L'opinion de quelques anciens maïtres étoit qu'avant fept ans les enfans n'étoient capables d'aucune difcipline. Mais les maïtres les plus fenfés penfoient qu'il ne falloit perdre aucun tems pour la culture de 1'efprit , Sc que l'inftruction littéraire devoit toujours marcher a pas égal avec celle des mceurs; que trois ans fuffifoient pour les nourrices, & qu'un enfant devoit rammeneer (£) a s'inftruire lorfqu'il commence a parler. On regardoit aufli comme une queftion fort importante , dans quel langage on devoit les accoutumer a recevoir les initruc"Uons, Sc de quelle langue, non - feulement les nourrices, mais les pères Sc les mères devoient fe fervir en leur parlant, puifque leurs premières habitudes devoient fe former nécelfairement de ces femences de pureté ou de corruption. C'eft ainli qu'on crut les deux Gracchus redevables de leur éloquence aux (a) Eligebatur autem alirua major natu propinqua , cujus probatis ïpeftatifque moribus , omnis cuju'piam familiz foboles committeretur, &c. quz difciplina & leveritas eo pertinebat ut fïnrera & integra , & nullis pravitatibus deiorta uniufcujufque natura , toto fiatim peftore arriperet artes honeftas, &c. Tacit. Dial. de Orator. 28. '!> ) Quintil. 1, 1.  de Cicéron, L iv. I, mftructions de leur mère Cornelia, dameromaine, d'une politelTe extraordinaire, & dont les lettres fe firent lire Sc admirer long-tems après (a) ia mort, pour 1'élégance & la pureté du langage. Telle fut probablement une partie de cette difcipline domeftique , dans laquelle Cicéron fut élevé, Sc dont il rappelle la mémoire avec complaifance dans plufieurs endroits de fes écrits. Mais auifi-töt que fon père lëut jugé capable d'une méthode plus haute Sc plus étendue, il le conduifit a Rome , oü il lui fit prendre une maifon particuliere (/■)-, 1'ayant mis dans une école publique, fous un maïtre grec de la première réputation, i] fe perfuada que c'étoit le feul moyen d'achever dignement 1'éducation d'un fils , que fon mérite naturel fembloit conduire aux plus grands róles du théatre du monde , & « qui (c) » devoit s'accoutumer , fuivant la remarque de » Quintilien , a redouter peu les regards des hom» mes, puifque la folitude eft une mauvaife école y pour celui qui doit paroïtre aux yeux du pu» blic ». Ce fut dans cette nouvelle carrière que Cicéron fit éclater ces premiers rayons de mérite ( a ) lbid It. In Brut.p. 3i l.eu oii eet accident étoit arrivé , porta le nom d« /dut de Tome I. Q  !§ HlSTOIRE DE LA VlÉ Après les études de 1'enfance, on faifoit prendre aux jeunes gens 1'habit d'homme, c'eft-a-dire, 1'habit ordinaire des citoyens, qu'on nommoit la robe virile. Ce changement qui les délivroit de 1'empire de leurs gouverneurs ( a), Sc qui les faifoit palTer dans un état beaucoup plus libre , étoit pour eux 1'occafion d'une joie extraordinaire. On les introduifoit en même - tems a la grande place publique , qui fe nommoit le forum , oü fe tenoient les aflemblées de la ville , & oü les magiftrats haranguoient le peuple, de la tribune qu'on appelloit roftra. Ce lieu étoit pat confequent 1'école des affaires & de 1'éloquence. C'étoit la fcène oü tous les intéréts de 1'empire étoient difcutés, & comme égalemenr la fource des fortunes particulières & des efpérances publiques. Les jeunes gens y étoient introduits avec beaucoup de folennité, environnés de tous leurs amis, efcortés de tous les domeftiques de leur familie; & lorfque les cérémonies religieufes étoient linies au capitole , on les mettoit fous la proredion fpéciale de quelque fénateur renommé par fon Glaucus , & fut long-tems célcbre par un oracle de ce dieu qui étoit fort honoré des matelots. Efchyle a pns de cette fable le fujet d'une de fes tragédies. Paufan. Baot. c ( a ) Cum prïmura pavido cuÖos mihi purpura ceflit. F erf. fat. f, 3°-  11 HlSTOIRÈ DE LA VlE leurs affaires domeftiques, que fur quelque point de la loi. Mais vers les derniers tems de la république, ils prirent la méthode de fe tenir (a) chez eux, la porte ouverte , fur une efpèce de tróne, ou de fauteuil élevé, oü 1'accès étoit libre au peuple, & d'oü ils donnoient audience a tous ceux qui s'approchoient pour la demander. Tel étoit particulièrement 1'ufage des deux Sca?voIa, Sc fur - tout celui de 1'Augure, dont la maifon n'avoit point (3) d'autre nom que Voracle de la ville. a Et dans la guerre marfique, épuifé com» me il étoit par lage Sc par fes infirmités, lën» trée de fa maifon étoit ouverte dès la pointe » du jour a tous les citoyens, & perfonne ne le t» vit au lit (c) pendant toute la guerre ». Mais les déiïrs de Cicéron ne fe bornoient (:t le vafte corps de 1'lralie. Aufli faur ii commenca de ce rems a re^arder la faction , ia violence &C 1'influence des grands, comme (a) L'auteur de la décadence des romains. les  de Cicéron, Liv. 1. 33 les feules régies qui décidèrent de toutes les affaires publiques. Celui qui pouvoit attrouper furie forum des villes entières de toutes les parties de I'Italie , ou produire un grand nombre d'étrangers ou dëfclaves, auxquels il faifoit prendre le nom & la forme de citoyens, fe rendoit prefque infailliblement le maitre des réfolutions; car dans 1'impoffibilité qu'il y avoit alors de dillinguer d'oü venoient les fuffrages, on ne pouvoit guère s'affurer fi (a) les acTres fe pafibient régulièremenr. A peine la guerre italique étoit finie, qu'il s'en éleva une autre, beaucoup plus éloignée de Rome , mais des plus difficiles & des plus fanglantes que la république eüt jamais eues a foutenir. Mithrir dates, roi de Pont, prince martial & puifiant , ambitieux, incapable de repos, d'une habiJeté qui répondoit a la grandeur de fes delfeins, dévoré par le chagrin & 1'indignation de voir toutes fes efpérances confondues, 8c fon ambition refferrée dans les bornes de 1'héritage de fes pères par la puifiance démefurée de Rome , fortit brufquement de fes limites , fe répandit comme un torrent dans ia balfe Afie, & dans un feul jour fit mafiacrer de fang froid (b) quatre-vingt mille citoyens romains. Ses forces n'étoient point in- ( a ) De Ia grandeur des romains, &c. c. 9. (3) Pro Leg. Manil. 3. Tome I. Q  J4 HlSTOIRE DE LA VlÈ férieures k fon entreprife. II avoit en mer une Hotte dè plus quatre eens vanTeaux. Son armee étoit eompofée de deux eens cinquante mille hommes d'infanrerie, & de cinquante mille chevaux. Armes, munitions, rien n'avoit éré négligé pour (a) aifurer le fuccès d'une fi terrible expédition. Sylla, qui avoit obteriü lè confulat pour récompenfe de fes derniers fervices, fe trouva chargé naturellement (£) de la conduite de cette guerre en qualité de gouverneur de 1'Afie. Mais le vieux Marius n'avoit pas vu naïtre fa réputation fans jaloufie ; & la vieilleife d'ailleurs n'ayant point diminué fon avidiré pour toutes les commülions qui pouvoient augmenter fes richelfes & fóh pouvoir, il engagea Sülpicius, tribun fort populaire & fort éloquent, a rhettre le peuple dans fes intéréts , pour lui faire ób'tenir le commandement de 1'arrriéé a la place de Sylla. Cette concurrence produifit k Rome des mouvemens ëxrraordinaires entre les deux partis. Le fils du conful Q. Pompée & le gendre de Sylla furent tués dans le tumulre. Sylla étoit occupé k calmer quelques reftes d'agiration du cöté de Nole •, mais i la première nouvelle du défördre, il fe rendit a Rome avec fes légions, & s'en étant fait ouvrir les portes (a) Appian-. Bell. Mithrid. init. p. 171. (^) Appian. Bell. civ. 1. 1, 383.  de Cicüon, Liv. T. après quelque réfiftance , il forca Marius & fei partifans a chevcher leur falur dans la fuite. Cc fut proprement a première guerre civile qu'on eut jamais vue dans Rome , & non - feulemenc 1'exemple, mais 1'occafion même de toutes celles qui la fuivirenr. Le tribun Sulpicius fut pris Se tué. Marius, dans la chaleur avec laquelle il fus pourfuivi , fe vit conrraint pour mettre fa vie a, couvert, de plonger jufqu'au menton dans 1'eau des marais de Minturnum. II demeura caché quelque tems ( bonheur de fe rérablir dans fa dignité & dans » la polTeflïon de tour ce qu'il avoit perdu, il fe v> garderoit bien de jamais perdre ce courage & =» cette vertu qu'il avoit toujours fu conferver ». Ainfi , Marius & Cinna, s'étanr rendus maitres de la république , ne trouvèrent point d'obftacle a fe faire déclarer confuls : mais a peine Marius eur-il pris pofieffion de fa nouvelle dignité, qu'il fut enlevé par une mort imprévue, le janvier, dans la foixanre-dixicme année de fon age , & fuivant 1'opinion la plus probable, d'une attaque fa) de pleuréfie. Sa naifiance fut obfcure, quo:qu'il fe trouve quelques hiftoriens qui le font defcendre d'une femilie équeftre ; & n'ayanr poinr eu d'aurre éduCation que celle des armes , fous Scipjon 1'africain le plus grand mairre de (fen fiècle , fes longs fervices , fa valcur exrraordinaire , & une forte de patience & d'endurcüfement qui lui étoit pro- (a) Plutar. Vie ds Mar. Le célcbre orateur CrafTus etoit mort peu auparavant de la même rruladie, Céroit alors comme aujourd'hui, la maladie particuliere de Rome. Les romains modemes 1'appellent puntura, ce qui femble revenir affez clairement a ce que les anciens exprimoient par percujfus frigore. Un froid liibit dans un corps fui s'eft plus échauffé qu'a 1'ordinaire.  de Cicéron, L i r. J. pre dans les fatigues de la guerre, 1 elevèrenf par degrés a tous les honneurs miiitaires , avec la réputation d'un parfait foldat. Si l'obfcurité de fon exrracïion lavililfoit aux yeux de la haute nobleffe., elle avoit fervi au contraire a lui procurer la faveur du peuple , qui le regardoit comme le feul homme i qui Ja forrune & la süreté publique dufiept être .cpnfiéies dans les occafions dangereufes, ou qui fur propre a Ja conduite d'un* guerre fanglante. &£ cléfefpérée. En effet, il délivra deux fois Rome du plus grand danger quj Teut jamais menacée. Scipion. qui avoit pbfervé fes talens dai]s le tems méme qu'il n'étoit qu'qljificier fubalterne, marqua 1'opinjon qu'il en avoit par une efpèce de prédi&ion. Quelquês officier^ qui éioient a fouper avec lui a Numance , lui ayant demandé quel général il croyoit que la ré-^ publique dut fouhaiter après lui ? cn cas qu'il vim a manquer par quelque accident? Le voila , iépondit-il en montranr Marius, qui étpit a fautre bput de la table. En campagne il u'échappoit jamais rien a fa prudence & a fes précautions. Tandis qu'il cherchoit des occafions &i des facilités pour engager une acliori, il affectojt de prendre routes fes mefures avec les augures & les devins; & s'il paryenbit a livrer la bataille, c'étoit après avoir infpiré a fes foklftf par des ayis du, piel, ou pa.r 4e prétendus pve- Civ  dfi CicbroNj Liv. I. 45 » tés de Tautre •, fans compter cjue les maïtres 30 grecs, dont Thabileté Temportoit beaucoup fur " celle des maïtres latins, n'auroient pas pu les 3» corriger par leurs remarques & leurs avis, s'ils » ne s'étoient pas fervis de leur langue 33. Sylla ne s'étant point relaché (a) dans eet intervalle, avoit chalïé Mithridates de la Grèce 8c de 1'Afie, Sc Tavoit forcé de fe renfermer encore une fois dans fon propre domaine ; mais tandis qu'il fourenoit fi glorieufement la dignité de la république, il étoit maltraité a Rome par la faction de Cinna qui avoit repris Tafcendant , 8c qui obtint la confifcation de fes biens, après Tavoir fait déclarer Tennemi du public. Une infulte qui blefibit également fon honneur & fa fortune lui infpira route Tardeur de la vengeance. Malgré tant de fuccès, il ne penfa qua finir la guerre par un traité honorable, dont le principal article fut que Mirhridares payeroit tous les frais de la campagne, & fe contiendroit a Tavenir dans Thérirage de fes pères. Reprenant enfuite le chemin de Rome , il emporta d'Athènes avec lui la fameufe bibliothèque d'Apellicon le teïen, dans laquelle étoient les oeuvres d'Ariftote Sc de Théophralte , qui étoient a peine connues jufqu'alors en Italië, ou qui n'étoient nulle ( a ) Plutar. Vie de Sylla.  45" HlSTOIKE DE LA VlE part auffi entiètes. Mais ces foins littéraires diminuèrent fi peu fes projets de vengeance, qu'il écrivit au fénat dans fa marche } pour lui reprocher 1'ingratirude dont on avoit recompenfé fes fervices, Sc pour lui donner avis qu'il aiioit i Rome, avec la réfoiution de faire juftice a la république cV k lui-même, fur les auteurs de routes ces violences : jamais la terreur n'avoit été fi viva da is Rome, oü 1'expérience récente des cruautés de Marius ne hu'iTöir aucun doufe qu'on ne VÏË bi ntör renöüveler les m'mes tragédies. Pendant que les ennemis de Sylla rafll-mbloiént tourcs leur, Itorèès pour fe mertre en état de lüi réi-fter, Cinna leur chef fut tué dans une féditlon de fes ptopres foldats. Le vainqueur de Mithridates avant pris retre k Brindes , avec une arrnée de rrente mille hommes, ne perdit pas un moment dans fa marche. II eut Ia fatisfaclion de voir vcnir a fa rencontre une partie de la noblefle , entre laquelle étoit le jeune Pompée, agé denviron vingt-trois ans, qui fans caraétèrö public Sc fans commiffion , n'avoit pas laifle de lever par fon feul crédit troi? légion? de veterans qui avoient fervi fous fon père. Svlla fenfible a fon zèle, Ie recut avec beaucoup de carefles, & récompenfa dans la fuite pat un grand nombre de faveurs les fervices qu'il continua (a) de re- (a) Appian. Bell. civ. 1. I, 397 , 3>y.  bfe Cicéron, Liv. ï. 47 cevoir de lui dans cette guerre. Elle fut pouffée fans béaucoup de réfiftance. Rien në paroilfoit capable d'arrêter Sylla. II défic Nörbanüs, 1'uri des confuls, & la Force dë fon relTéntiment ne i'empêcha point de donner la vie a Scipion, qui fous prétextè d'ufte conference avec Tautre conful (a), avoit trouvé le nloyen dë corromprè fon armee Sc de Ta'ttirer a lui. II lui laiifa la liberté de Fe retirer dans uh exil volontaire { b) a Marfèille. Rome fe donna pour nouveaux cönFuls Cn. Papirius Carbo , & le jeune iMarius, dont le premier fut chaffé d'Italie après diverfes défaites , & Tautre fe Vit ehfin re'iferré dans Pramefte. La , perdant Tefpoir d'ètre fecouru , Sc n'ayant plus de relfource autbur de lui} il prit lè parti d'écritb a Damafippe, préreur dë Rome , d'aiTemblër le Fénat, comme s'il ent été queftion dë propoFer quelque affaire d'impbrrahcé, Sc de Faire pafFer au fil de Tépée tous les Fénateurs. Une partie de la nobleffe pé'rit dans ce maflacre; Sc le grand - prêrre Scxvola, que Cicéron nomme ie modèle de Tancienne Fobriété & de Tanciènne ( a ) Sylla cum Scipione inter Cales & Teanum leges inter Ce & conditiones contulerunt. Non tenuit omnino colloquium illud fidem ; a vi tarnen & periculo abfuiti Philip. ïij xr. O) Pro Sext. 3.  JZ HlSTOIRE DE LA VlE cus fut purement 1'efFet de la force & de la terreur, & le peuple dont on prétendoit qu'elle étoit I'ouvrage , ne la regarda qu'avec déteftation. Sylla n'en étant pas moins en pofTeflion de 1'autorité abfolue, fit plufieurs règlemens fort utiles pour le rétablifiement de l'ordre (a); & par la plénitude de fon pouvoir, il changea prefqu'entièrement la forme démocratique du gouvernement en ariftocratique, en relevant les prérogatives du fénat autant qu'il rabailfa celles du peuple. II öta a l'ordre équeftre Ie jugement des caufes, dont il étoit en polfeffion depuis le tems de Gracchus, pour le reftitüer au fénat. II priva Ie peuple du droit de choifir les prêtres, & le rendit au collége même des prêtres qui 1'avoit pofiedé anciennement. Mais 1'exercice le plus hardi de fon autorité fut de diminuer le pouvoir immodéré des tribuns, qui avoit été la fource de toutes les diffentions civiles. II établit qu'ils ne pourroient pofféder d'autres magiftratures après le tribunat. II reftreignit la liberté des appels qui fe faifoient miiïa, ut appareat populum romanum ufum diétatoris non tam defideraffe , quam timuhTe poteftatem imperü, quo priores ad vindicandam maximïs periculis remp. ufi fuerunt. Veil. Patere, z , i8. (a) De Legib. j , 10. Vid. Annal. Pigh. ad ann. Urb. 671.  be Cicéron, Liv. h $f I leur tribunal. II leur óta leur principal privilege , qui étoit de propofer les loix au peuple., & il leur lailTa uniquement le droit d'oppofition ; c'eft-a-dire, fuivant Cicéron, qu'il leur laiffa le pouvoir de fe rendre utiles, &C qu'il leur öta celui de nuire. Cependant pour n'être pas foupcom né d'afpirer a la tyrannie perpétuelle, & de penfer a la fubverfion entière de la république, il fouffrit que les confuls fullent élus avec les fortnalités ordinaires, & qu'ils priffent fuivant 1'ufage le gouvernement des affaires communes, tandis qu'il s'employoit particulièrement a réformer les défordres de 1'état, en veillant a 1'exécution des loix nouvelles , & a la di/tribution des biens confifqués •, de forte que la république paruf encore une fois rétablie furie fondement desloix^ & que les procédures recommencèrent a prendre leur forme ordinaire au barreau» Ce fut vers le même tems, que Molon le rbodien qui avoit quitté Rome pendant les troubles, y revint avec la commifnon de folliciter le payement des fommes qui étoient dues a la patrie , pour les fervices qu'elle avoit rendus dans la guerre contre Mithridates (a). Cicéron faifit encore cette occafion de perfeótionner fes talens par les inftruéttons d'un maitre, dont le favoit («) Brut. p. 434. D iij  fl rllSTOIRÏ DE IA Vl! » diens ne 1 étoient de paroitre au théatre devant » Rofcius 33. Mais loin de fe rendre a cette réponfe, Rofcius infifta fur la certitude qu'il avoit de fes talens, ne connoilfant perfonne, au contraire, qui fut fi capable de foutenir une caufe défefperée, contre un adverfaire adroit & puiffant. Ce glorieux efiai fut fuivi de plufieurs autres caufes moins éclatantes , jufqu'a celle de S. Rofcius d'Ameria , qu'il entreprit dans fa vingt-feptième ahnée , c'eft - a - dire , fuivant 1'obfervation des favans , au même age oü Démofthènes avoit commencé a fe diftinguer dans Athènes; comme ü c'étoit la faifon de la maturité pour les génies de cette trempe. Le cas de Rofcius n'étoit pas favorable. Son père avoit perdu la vie dans la der-» nière profcriptiön de Sylla; & fon bien, qui valoit environ fix eens mille livres, avoit été vendu pour une fomme fort légère a L. Cornelius Chryfogonus, jeune efclave favorifé, que Sylla avoit rendu Jibre, & qui , pour s'alfurer la pofiefiion de ce qu'il avoit acquis , accufoit le fils du meurtre de fon père, & produifoit même des preuves contre lui. Ainfi Rofcius étoit menacé , non-feulement de fe voir dépouiller de fon patrimoine, mais de perdre par une accufation fi cruelle 8c 1'honneur & la vie. Tous les anciens avocats avoient refufé de le défendre, paree qu'une caufe  x>e Cicéron, Liv. I. St * fes fur le rivage fans y trouver de repos entre » les rochers ». Ce paiïage fut recu avec de grandes acclamations •, mais en ayanc porti lui-même fon jugement dans un age plus avancé, il le traite d'excès d'une jeune imagination, qui demandoit d'être réduit a de plus juftes bornes, Sc qui fut moins applaudi pour ce qu'il (a) valoit en luimême , qu'en faveur des efpérances qu'il faifoit concevoir des talens de 1'orateur , lorfqu'ils leroient parvenus a leur maturité. L'inclination qu'il crut remarquer dans le peuple a favorifer fon cliënt, Sc les applaudiiïemens mêmes de 1'alTemblée, lui donnèrent tant de hardiefle, qu'il repréfenta avec beaucoup d'enjouement 1'infolence Sc la balfelfe de Chryfogonus, fans craindre de porter quelques coups a Sylla même,' quoiqu'il prït foin de les adoucir en faifant obferver, a que dans la multitude d'affaires dont il 33 étoit accablé , avec un empire aufli abfolu fut 33 la terre (£) que celui de Jupiter au ciel, il lui 33 étoit prefqu'également impoflible, Sc de tout 33 connoitre , Sc de ne pas fermer quelquefois les 33 yeux fur bien des chofes auxquelles fes favoris 33 s'échappoient contre fes intentions. II ne vou33 loit pas fe plaindre, dit-il adroitement (c), (a) Orat. 258. Edit. Lambin. (b) Pro Rofc. 43. (<:) Pro Rofc. 43.  ïl HlSTOITAE DE la V I E 3j que dans un tems tel que celui - la , le biefi » d'un homme innocent fut expofé a une vente to publique; car s'il lui étoit permis de s'expli53 quer librement, Rofcius n'étoit pas un perfon*> nage alfez important dans la ville de Rome, 53 pour hafarder cette plainte a fon fujet: mais le 53 point fur lequel il fe croyoit obligé d'infifter, 53 étoit que par la loi même de la profcription, 53 foit qu'elle fut de Flaccus 1'interrex, ou de Sylla 33 le diétateur } ce qu'il n'avoit jamais approfondi » 33 le bien de Refcius n'avoit pas dü être confifqué, 53 ni être expofé par conféquent a cette vente 33. Dans fa péroraifon il fait confidérer aux juges que les aggreffeurs n'avoient pour but dans cette caufe & dans la condamnation de Rofcius, que de s'établir un droit pour détruire les enfans des prof* crits; & les conjurant par tous les dieux de ne pas s'expofer au reproche d'avoir fait revivre une feconde profcription, plus odieufe & plus cruelle que la première , il les fait fouvenir que le fénat avoit refufé de participer a l'autre, par la feule crainte qu'on ne la crüt revêtue de fon autorité; que c'étoit a eux par cette fentence a mettre un frein a 1'efprit de cruauté qui s'étoit répandu a Rome ; eet efprit fi pernicieux a la république & fi oppofé au caradère & aux principes de leurs ancêtres. Comme cette défenfe lui avoit fait un honneur extreme dans fa jeunelTe, il s'en rappe-  de CicéböNj Liv. I. 6% loit le fouvenir avec plaifir, dans Tage le plus avancé de fa vie. II recommandoit a fon fils, comme la plus courte voie pour arriver a la glüire & a 1'autorité dans fa patrie , de défendre 1'innocence malheureufe , fur - tout lorfqu'elle étoic opprimée par le pouvoir des grands; « comme j'ai 33 fait ( a ) dans plufieurs caufes, lui difoit^il, mais '3 particulièrement dans celle de Rofcius contre 33 un homme aufli puiffant que Sylla 33. Belle lecon en effet pour exciter les avocats a faire ulage de leurs talens en faveur de 1'innocence & de la vertu, & a ne fe propofer que la juilice, pour 0b* jet de leur travail. Plutarque affure qu'après cette caufe, Cicéroa prit occafion de quelques raifons de fanté poui faire un voyage, mais que ce ne fut en effet qu'ua prétexte , & que fon véritable motif fut la crainte du reifentiment de Sylla. Cette idéé paroït fans fondement. Sylla revenu de tous fes défirs de vengeance, ne penfoit plus qu'au rétabliifemenc de Ja tranquillité publique. D'ailleurs , il eft certain que Cicéron paffa une année entière a Rome après eet événement, fans aucune apparence de crainte, occupé de plufieurs autres caufes, & d'une (a) Ut nos, & fepe alias & adolefcentes, contra L, Syllas dominantis opes pro S. Rofcio Amerino fectmus5 cjux.ut fcis, extat oratio. De Offie. », 24,  gag«  DE C I C É R O N , . L I V. I. 6< 53 gagé dans des exercices qui fatiguent les pous3 mons. Ceux qui prerioient intérêt a ma vie fu3j rent d'autant plus alarmés, que j'étois dans 1'u33 fage de parler fans relache & fans variation , 33 avec toute 1'étendue de ma voix , & une agitarion 33 continuelle de toutes les parties de mon corps. 33 Mes amis & les médecins m'avoient confeilié 33 d'abandonner le barreau , & loin de céder a 33 leurs inftances, ma réfolution étoit de m'expofer "pjutót a toutes fortes de rifques, que de renon33 eer aux elpérances de gloire que j'avois fondées 3> fur les exercices de 1'éloquence. Mais lorfqu'ils 3» m'eurent fait confidérer qu'en ménageant du. 33 rnoins ma voix, & changeant quelque chofe a ma 3> méthode , je pouvois éviter le danger, & parler 33 même avec plus de facilité, je formai le deflein de 33 faire le voyage d'Afie , dans la feule vue de m'ac33 coutumer a une autre forte de déclamation. Ainfi, 33 après avoir établi pendant deux aris ma réputa33 tion au barreau, je quittai Rome &c. II étoit agé de vingt-huit ans, lorfqu'il prit le chemin de la Grèce & de TAfie. C'étoit la route ordinaire de ceux qui voyagoient par curiofité ou par le défir de fe perfeótionnet. Sa première vifite fut a Athènes, qui étoit' alors comme le centre des arts & des fciences. II n'y pa'fla que fix mois," quoique plufieurs hiftoriens 1'y falfent demeurer Tome 1. E  cT8 HlSTOIRE DE LA VlÈ la doctrine des myftères pour lui confirmer 1'étendue de cette vériré. Sur Tautre point il déclare que fon initiation avoit été pour lui, fuivant la lïgnifïcation du rerme, le commencement d'une vie nouvelle, en lui apprenant le moyen, non-feule- quam hoe Iatè pateat intelliges. Tujc. queejl. i, 13. Initiaque, ut appellantur , ita revera principia vitx cognovimus; neque folüm cum lartitia vivendi rationem accepimus, fed etiam cum fpe meliore moriendi. De Leg. 2, 14. Ces myftères fe célébroient dans des faifons régulières de 1'année, avec un appareil qui attiroit beaucoup de fpectateurs de tous les pays. L. CrafTus 1'orateur , é;ant arrivé a Athènes deux jours après leur célébration , fit fes effbrts pour engager les magiftrats a les renouveler en la faveur , & ne 1'ayant pu obtenir, il pr.rtii mécontent; ce qui fait voir combien ils craignoient de les avilir. Les fpectacles qu'on y donnoit étoient, corame on le luppole, des reprélentations du ciel, de 1'enfer , de i'élyfée , & de tout ce qui appartenoit a 1'état des morts, pour inculquer plus fortement, & pour réduire en exemples Ia doctrine qu'on enfeignoit aux initiés. Et comme ces fujets étoient propres a la poéfie, les anciens poëtes y faifoient föuvent allufion. Cicéron dans une de Ces lettres 3 Atticus , le prie , a la fóllicitation du poëte Chiüus , de lui envoyer une relation des rites éleufiniens , qui étoit defiinée vrailemblablement a orner quelque poéme de Chilius. Ceci peut lervir a confirmer les idéés de M. Warburtons, qui a erti que la defcription que Virgüe fait des enfers au fixième livre de 1'Eneide , n'étoit qu'une copie des fpectacles éleafiniens. De Orat, 3 , 20. Ai Att, 1 ,  r> e Cicéron, Liv. I. 71 jour qu'il avoit fïni fa déclamation, & que route 1'aflemblée le combloit de louanges, Molon, au lieu de lui faire aufli fon compliment, demeura quelque tems en filence, & levant les yeux fur lui avec quelque air de trouble : Je ne fuis pas moins fenfible que les autres, lui dit-il, je vous loue 8c je vous admire, Cicéron ; mais je déplore la fortune de la Grèce , lorfque je vois les arts & 1'éloquence, qui étoient les feuls ornemens qui lui reftaflent, tranlplantés par vous en Iralie. Ayant employé deux ans dans fes voyages, Cicéron revint a Rome, mais « fi changé qu'on ne 331'auroir pas pris pour le même homme. La véhé33 mence de la voix 8c de fon action étoit modé3j rée, les excès de fon ftyle 8c de fon imagina33 tion étoient corrigés. Sa poitrine étoit forti33 fiée, & toute fa conftitution parfaitement con33 formée 33. La méthode qu'il avoit obfervée dans fa courfe, eft prefque la feule dont un voyageur puilfe attendre des fruits réels. II n'avoit quitté Rome qu'après avoir fini la carrière de fon éducation domeftique , car rien n'eft fi préjudiciable a une nation que la néceflité d'aller chercher les premières inftruc"tions au-dehors. Après avoir acquis dans le fein de fa patrie toutes les qualités qui forment le citoyen 8c le magiftrat, il partit dans la maturité de 1'age 8c de la raifon, c'eft-a-dire , fortifié contre les imprefllons du vice, 8c moins exciti E iv  71 HlSTOIRE DE LA VlE par la néceffué de s'inftruire, que par le defleih de polir toutes fes connoilfances en vifitant les lieux oü les arts & les fciences florilfoient dans foute leur perfedion. Dans le plus délicieux voyage du monde, il vit tout ce qui étoit capable doecuper fattention d'un voyageur curieux; mais ne fe rendant point efclave du plaifir, il ne s'arrêta dans chaque lieu qu'autant que le demandoit fon utilité. La connoilfance qu'il avoit déja des loix romaines le rendoit capable de les comparer avec celles des autres villes, & de recueillir en chemin tout ce qui pouvoit "être de quelque avantage pour fa patrie ou pour lui - même. II prenoit fon logement chez les perfonnages les plus diftingués, non par la nailfance ou par les richeffes , mais par la vertu , 1'efprit & le favoir ; gens honorés & refpedés dans leurs villes comme les foutiens de la patrie, &C les plus fameux orateurs ou les plus célèbres philofophes de leurs tems. II en fit fes compagnons de voyage, pour ne pas perdre un feul moment dont il put tirer de l'inftrudion. Enfin qui s'étonnera que d'une entreprife conduite avec tant de fagefié , il eüt recueilli tous les fruits O) qui peuvent perfectionner le caradère d'un homme fenfé ? Pompée retournoit en ce tems-li de 1'Afrique, (a) Plutarq. Vie de Cieéron,  -J% HlSTOIRE DE LAVlE guifer fes pafTïons & fes delfeins, & fuivant les circonftances, il paroilfoit fi différent de lui-même, qu'on auroit cru que c'étoient deux hommes dans un feul. Autant qu'il étoit doux & modéré avant lavi&oire, autant devenoit-il cruel & fanguinaire lorfqu'il avoit remporté des avantages certains. Dans la guerre il employoit le même artifice qu'il avoit vu réuifir heureufement a Marius •, il favoic iépandre dans fon armée une forte d'enthoufïafme & de mépris du danger, par des fuppofirions de préfages & de fecours déclarés du ciel. II avoit toujours avec lui dans cette vue une petite (a) ftatue d'Apollon , qui venoit du temple de Delphes, & lorfqu'il étoit pres de livrer bataille, il 1'embrafibit aux yeux de fes foldats, en la priant de remplir les promeflès qu'il feignoit d'en avoir recues. Sa profpérité n'ayant jamais été interrompue, il avoit pris droit de cette conftance de la fortune, pour fe donner un furnom qui étoit encore fans exemple a Rome : ce fut celui de Felix ou d'heureux ; mais Velleius Paterculus remarque, que pour être véritablement heureux (3), il au- (a) Quoties prslium committere deftinabat, parvum Apollinis fignum , Delphis fublatum , in confpectu militum complexus orabat, uti promhTa maturaret. Val. Max. i , i. De Divin. 1,33. (b) Quod quidem ufurpafier juftiffimè , lï eundem & vincendi 8c vivendi finem habuilTet. Vdl. Pat. 2 , 27-  de Cicékon, I/r. I 79 roit fallu que fa vie eüt fini aveC fes triomphes. Piine appelle ce furnom un titre odieux (a) acheté au prix du fang, & par 1'oppreflion de la patrie. Cependant Sylla a 1'avanrage particulier d'être le feul dans fhiitoire en qui la haine d'une odieulè cruauté ait été comme éteinte par 1'éclat de fes grandes aétions. Cicéron même , qui avoir. bonne opinion de fa caufe , ne déteftoit pas moins 1'inhumanité de fa viétoire. II parle toujours de lui fans refped, & traitant fon gouvernemenr de tyrannie, il le qualifie de (è) maïtre de trois vices pernicieux, la luxure, la cruauté & 1'avarice. On remarque qu'il fut le premier de fa familie dont le corps fut brülé après fa mort. II avoit dbnné lui-même eet ordre en mourant, paree qu'ayant fait exhumer Ie cadavre de Marius, & 1'ayant fait jetter dans 1'Anio, il appréhendoit (c) la même infulre pour le fïen. Peu de tems avant fa mort il avoit compofé fa propre épitaphe , dont le (a) Unus hominum ad hoe a>vi Felicis fibi cognomen aiïèruit, civili nempe fanguine, ac patria: oppugnatione adoptatum , &c. Plin. Hifi. nat. 7,43. (b) Qui trium peftiferorum vitiorum , luxuris, avaritis, crudelitatis , magifter fuit. De Fin. 3 , n. De Offic. z , S. (c) Quod, haud fcio an tiraens fuo corporï, primus è patriciis Corneliis igne voluit cremari. De Leg. 1, 11. Val. Max. 9, i.  «o HlSTOIRE DE LA VlS fens (a) étoit « que perfonne ne 1'avoit jamais 33 égalé, foit dans le bien qu'il avoit fait a fes amis, 33 foit dans le mal qu'il avoit caufé a fes enne- 33 mlS (fr) 33. A peine fut-il mort que les anciennes femences de dilfention , qui n'avoient été qu'étouffées par la terreur de fon pouvoir, reprirent toute leur force, entre deux fa&ions a la tête defquelles on vit les deux confuls Q. Catulus & Marcus Lepidus. Ils n'étoient pas moins oppofés dans leurs principes de politique que dans leurs ihclinations. Lepidus réfolu, a toutes fortes de rifques, de caffer tous les acTxs de Sylla & de rappcler tous les exilés du parti de Marius , commenca ouvertement a folliciter le peuple de le feconder dans ce projet. Mais quelque apparence de juftice qu'il put donner a. fon entreprife , elle étoit hors de faifon , & 1'effet n'en pouvoit être que de renverfer la (a) Plutarq. Vie de Sylla. (b) L'infcription fuivante fut trouvée en Italië en 1713 , pres de PArpinum de Cicéron , entre Atine & Sora ; elle avoit été vraifemblablement dédiée a Sylla après qu'il eut pris le furnom de Felix , c'eft-a-d:re, après fes viftoires. JO VI Quod periculum Feliciter evaferit L. SULLA V. S. L. A. conftitutïon  84 HlSTOIRE DE LA VlE qu'avec tant de fageffe & de lumières, il eüt voulu la devair a un oracle , qui fuivant 1'opinion même qu'il en avoit, (a.) étoit tombé dans le mépris depuis long-tems, Sc palToit pour une impofture aux yeux des gens fenfés. Mais s'il alla réellement a Delphes, ce qui ne paroit par aucun endroit de fes écrits, il faut attribuer ce voyage aux mêmes motifs qui conduifent aujourd'hui tant de voyageurs a la Mecque; c'eft-a-dire, a la curiofité de voir un lieu fi renommé par fes myftères Sc par fes richeffes. A quelque opinion qu'on s'arrêre, il parut fi éloigné des précautions dont Plutarque prétend lui faire honneur, qu'il reprit aufiï-töt la profefiion d'orateur, Sc qu'après avoir employé un an au barreau , il obtint la dignité de quefteur. Entre plufieurs caufes qu'il plaida dans eet intervalle, on compte celle de Rofcius, ce fameux -comédien, a qui fes talens merveilleux dans fon art, avoient fait obtenir 1'amitié Sc la familiarité (b) (a) Pyrrhi temporibus jam Apollo verlus facere defierat..,. Cur ifio modo jam oracula non eduntur, non modo noftra astate , fed jam diu , ut modo nihil po-(T;t effe contemptius ? Quomodo autem ifta vis evanuit ? An poftquam . homines minus creduli efle cceperunt ? De Divin, z , 56 , 57- ^l>) Nee vulgi tantum favorem , veriim etiam princirJum familiaritates amplexiis eft. Val. Max. 8,7.  D E " C I C É R Ó N , L I V. I. S5 des plus grands perfonnages de Rome. Le fujec avoit rapport a fa profeflion ; Fannius lui avoit donné un jeune efclave a fo'rmer pour le théatre, fous la feule condition de partager avec eet éleve les profits de fon art, quand il feröit en état de 1'exercer. L'efclave fut tué dans la fuite , Sc Rofcius ayant attaqué le meurtrier pour les dommages, obtint par accommodement une petite ferme de la valeur de fept ou huk eens piftoles. Fannius fit aufli fes pourfuites, & 1'on fuppofoit qu'il avoic obtenu 1'équivalent; mais prétendant n'avoir rien touché, il demandoit a Rofcius la moitié de ee qu'il avoit recu. On ne peut s'empêcher ici d'obferver dans le plaidoyer de Cicéron , le degré d'eftime Si de réputation oü Rofcius étoit a Rome, Sc la peinture aimable qu'il fait de fon caractère. « Fera-t-on tomber fur R^jdcius, dit 1'orateur, lo 33 foupcon d'avoir trompé fon aflbcié ? Le croira» t-on fouillé de cette tache? lui, je le dis avec 33 conflance , dont la probité furpaffe encore les 33 talens \ lui qui. a plus de droiture Sc d'honneur 33 que d'expérience dans fon art; lui .que le peu33 ple romain (a) reconnoït encore plus pour (a) Quem populus romanus meliorem virum quam hiftrionem eiïè arbitratur ; qui ita digniffimus efl fcena , propter artificium , ut digniffimus fit curia propter abfti. nentiam. Pro Q. Rofc, 6, F iij  ttf HlSTOIKI DE LA V I E 3o honnéte homme mie pour exceilenr aéteur, 8c 33 qui pendant qu il fait 1'honneur du théatre par 3? fon habilcré , mérite une place au fénat pour 33 fa verru fans un autre endr-oir (a) il dit de lui, qu'il excelloit tellement dans fon art, qu'il fembioit mérirer fiul de monter fur le théatre romain •, & qu'il éroit fi fupérieur au commun des hommes par fes autres qualités , qu'il fembioit moins propre que rout autre a fa pro'effïon. II ajoure encore (b) que fon aélion étoit fi admiiable & fi parfaire , que pour ex primer 1'excellence d?un artifte dans rout aurre eenre, c'étoit une forte de proverbe de 1'appeller un Rofcius. Ses appointemens ordinaires pour chaque jour (c) de repréfentation montoienr a trenre piftoles. Pline calcule fes revenus d'une année a quaranre mille livres, & Cicéron les porte jjj^qu'a cinquante (d) mille. II étoit génereux , bienfaifant & fans attachement aux richeffes. Après avoir gagné des biens confidérables au théatre, il continua de repréfenter (a) TbTd. xf. (b) Ut Jn quo quifque artificb excelleret, is in füo genere Ro cius diceretur. De Orat. i , z6. (j. Lorfque Cicéron étoit revenu de la Grèce, Rome avoit deux orateurs (a) diftingués par leur naiffance & leur réputation, Cotta & Hortenfius, dont la gloire l'ennamma d'une noble Sc vive émulation. La méthode de Cotta étoit aifée Sc paifible. C'étoit une expreftïon coulante, avec beaucoup delégance & de choix. Leloquence d'Hortcnfius étoit vive, élevée, pleine de chaleur dans le langage & dans 1'acf.ion. Celle-ci ayant plus de relfemblance avec celle de Cicéron, dont lage d'ailleurs lui donnoic un autre rapport avec Hortenfius, il la prit pour fon modèle. Quoique la profeffion d'avocat fut trés - laborieufe, elle n'avoit alors rien de mercenaire; car il étoit défendu par la loi de prendre de 1'argent ou d'aurres récompenfes pour un plaidoyer. Les romains de Ja plus haute diftindlion par la nailfance ou par les richeffes, confacroient graruitement leuri (a) Duo turn exce'.Icbant oratores , qui me imitandi cupidlne inflammarent, Cotta & Hortenfius, &c. Brut. 440. F iv  98 HlSTOIRE DE LA VlB ne pouvoir fuffire aux befoins de Rome (a) Sc de faire fouffrir beaucoup fes malheureux infulaires. Cependant il ménagea ces deux intéréts avec tant de prudence Sc d'habileté , qu'il fecourut Rome fans incommoder trop fa province ; il traita les courtiers avec tant de politelfe, Sc les marchands avec de lï fages mefures d'équité, les habitans avec une générofitéfi extraordinaire, les alliés avec une modération fi rare dans fon emploi; enfin tous ceux qui eurent quelque relation a fon entreprife, avec tant de preuves du défir qu'il avoit de les obliger, que s'étant attiré 1'eftime Sc 1'admiration de toute la Sicile, on lui décerna a fon départ des honneurs (b) dont il n'y avoit point encore eu d'exemple. Pendant le féjour qu'il fit dans cette ïle , quelques jeunes feigneurs romains qui fervoient dans 1'armée, ayant blefle la difcipline militaire dans un point capital, fe refugièrent a Rome pour fe mettre a couvert du chatiment. lis furent arrêtés par l'ordre des magiftrats, & ren- (a) II fait une defcription de fon embarras , qui donna une égale opinion de fa bonté & de fon zèle. (b) Frumenti in fumma caritate maximum numerum mïferam : negociatoribus comis , mercatoribus juilus , municipibus liberalis, fociis abftinens , omnibus eram vifus in omni officio diligentiffimus. Excogitati quidem erant k ficulis honores in me inauditi. Pro Planc. z6.  de Cicéron, Liv. II. z,9 voyés en Sicile pour y fubir le jugement du préteur. Mais Cicéron entreprit leur défenfe, & plaida leur caufe avec tant de fuccès (a), que les ayant entièrement juftifiés, il s'acquit des droits fur Ia reconnoilfance de plufieurs families des plus confidérables de Rome. Dans les momens qu'il pouvoit dérober aux affaires, il ne s'employoit pas moins ardemment qua Rome a fes études de rhétorique, fuivant Ja loi qu'il s'étoit impofée de ne pas lailfer pafier un jour fans culriver fon efprit par quelque exercice; de forte qu'en quittant Ia Sicile, fes talens (b) étoient dans leur plus parfaite maturité. Ce pays même, qui avoit été célèbre autrefois par fon école d'éloquence, fembioit 1'inviter particulièrement z ne pas mettre d'interruption dans cette étude : car il nous apprend lui-même que les ficiliens étant un peuple ingénieux & porté a la chicane, qui fe trouva fort embarrafie après 1'expulfion de fes tyrans, pour régler la propriété de quantité de terres dont 1'héritage avoit été interrompu par des injuftices & des ufurpations, ils furent les premiers qui formèrent un art de parler, & qui U) Plutarq. Vie de Cicéron. (£) Jam videbatur illud in, me , quidquid eftet, elTe perfectum , & habere maturitatem quandam fuam. Brut* 440. Gij  IOO HlSTOIRE DE LA VlH inventèrent des régies d'éloquence, dont (a) Corax & Tyfias furent les premiers maïtres. Cet art effectivement doit plus que tout autre fa naiflance a la liberré , & ne peut jamais être floriflant que dans un état libie. Avant la fin de fa quefture, Cicéron fit le tour de la Sicils pour vifiter tout ce qui méritoit fa curiofité, 6V particulièrement la ville de Syracufe, qui a toujours fait une figure diftinguée dans l'hiftoire de cette ile. La première deman.le qu'il fit aux magiftrats de cette ville ayant éré de lui faire voir le tombeau d'Archimède, dont le nom faifoit tant d'honneur a leur patrie , fa furprife fut exrrême de leur entendre dire qu'ils ne le connoiffoient point, & qu'il n'y avoit rien dans leur ville qui reflemblat a ce qu'il leur demandoit. Comme il étoit convaincu de leur erreur par le témoignage conftant de tous les écrivains, & qu'il fe fouvenoit même de 1'infcriptión qui devoit être fur la tombe , accompagnée d'une lphère gravée avec un cylindre, il ne fe refroidit point dans la (a) Cum fiiblatis in Siciiia tyranr.is res privata: longo intervaiio judicüs repeterentur, tum primum , quod efiet acuta illa gens & conrroverfa natura, artem & prxcepta ficulos Coracem & Tyüam confcripfiiïe. Brut. 75. H.ec una res in omni libero populo , maximeLjue in pacatis tr^nquilliique civitatibus feniper floruit, femperque domi#a» efl. Dt Orat. 1,8.    ï)E Cicéron, Liv. II. 101 réfolurion de chercher ce monument. Ils Ie conduifirent a 1'une des portes de la ville , ou étoient un grand nombre de vieux tombeaux, entre lefquels il obferva dans un lieu couvert de ronces &C d'orties, une petite colonne , dont le fommet furpaiïbit fort peu les ronces, Sc fur la colonne, la fïgure d'une fphère Sc d'un cylindre. « II fit con« noirre d fes guides que c'étoit ce qu'il cherchoit, 3. Sc donnant ordre fur le champ que le lieu fut «nettoyé, il trouva auffi 1'infcription , quoique » les derniers vers en fulTent effacés. Ainfi, prend*> il foin d'ajouter : Une des plus robles villes 33 de la Grèce , autrefois une des plus favantes, 33 auroit ignoré la fépulture & le monument du 33 plus illufhe de fes citoyens, fi elle n'avoit eu 3» le fecours d'un habitant d'Arpinum (a) pour le 33 découvrir 33. II prit congé des fïciliens a la fin de fon année, par un difcours plein d affedion, dans lequel il leur promettoit fa protecfion a Rome pour toutes leurs affaires; Sc la fidélifé qu'il ent dans la fuite a remplir fa promeffe, fut fort utile a cette province. II partit extrêmement fatisfait du fuccès de fon adminiftrarion, Sc dans la flatteufe idéé que nonfeulement Rome retentiflbit de fes louanges, mais qu'il obriendroit du peuple tout ce qu'il paroitroit (a) Tufc. Quxft. ,, 5.. G iij  lol HlSTOIRE DE LA VlË défirer.. II étoit rempli de cette imagination eri arrivant a Pouzzoles, qui étoit alors un des plus agréables lieux d'Italie ■ & continuellement fréquenté pour fa délicieufe fituation , autant que pour 1'utilité de fes bains. Mais il ne fut pas peu mortifié, comme il le raconte agréablement luimême , par le premier ami qu'il rencontra, &£ qui lui demanda riaturellement s'il y avoit longtems qu'il étoit parti de Rome, & ce qu'on y faifoit a fon départ ? II répondit qu'il venoit des provinces. D'Afrique apparemment, reprit un aurre ? Et Cicéron n'ayant pu s'empêcher de répondre avec quelqu'indignation : Non , j'arrive de Sicile ; il s'en trouva un troiiième, qui voulant paroitre mieux informé, dit aux autres; Comment ? 'ne faviez-vous pas que Cicéron étoit quefteur de Syracufe 5 La patience devoit lui manquer abfolument; mais faifant réflexion que fon relïentiment feroit inutile, il fe prêta au caradère du lieu, & fe mit au nombre de ceux qui venoient prendre les eaux. Cette petite aventure fervit a refroidir un peu fon ambition, ou plutót a la lui faire appliquer plus heureufement. II confelfe qu'il en tira cc plus d'utilité que de tous les complimens aux» quels il s'étoit attendu ; car elle lui fit conli» dérer que les citoyens romains avoient Foreille *> dure & Vozilpercant, & que fon intérêt 1'obli» geoit de fe tenir fans celfe a leur vue, s'embar-  de Cicéron, Liv. IL 103 » raflant moins de faire entendre des chofes a fon * avantage, que d'en faire voir; & de ce moment » il prit la réfolution de fe tenir ferme au forum, aJ de vivre perpétuellement a. la vue de fes con» citoyens, & de ne jamais fouffrir que ni fon 33 portier ni le fommeil leur fermalTent (a) 1'en33 trée de fa maifon 33. En arrivant a Rome il trouva le conful L. Lucullus occupé de toutes fes forées a repóuffer les entreprifes d'un tribun turbulent, nommé L. Quinc. tius , qui avec une forte d'éloquence propre a échauffer (£) la mulatude, 1'employoit continuellement a perfuader au peuple d'annuller les a&es de Sylla. Ils étoient odieux a .tous ceux qui affectoient de fe rendre populaires , fpécialement aux tribuns , qui ne pouvoient s'accoutumer a fouffrir la diminution de leur ancien pouvoir;; mais il n'y avoit point de romain fenfé qui ne défirat de les voit affermis, comme le plus sur fondement d'une paix durable & la règle de gouvernement la plus folide. Sicinius, qui les avoit attaqués le premier , avoit perdu la vie dans cette queielle; mais le feu en avoit recu plus d'ardeur. C. Cotta, conful mo' ——-• (a) Pro Plancio , i6. (jf) Homo cum fumma poteïlatè prxditus , turn ad inflammandos animos multitudinis accommodatus. Pro Cluent. 29. Plutarq, Vie de Lucullus. G iv  Ï04 HlSTOIEE DE EA VlË déré dans fes principes & neutre entre les partis, avoit efpéré d'adoucir la violence de tous ces mouvemens , en prenant le löle de médiateur entre le fénat & les tribuns, & en diminuant le joug que Sylla avoit impofé a ceux-ci, jufqu'a leut rendre- le pouvoir de poiféder des magiftratures fupérieures. Mais ils n'étoient pas capables d'une compofition qui ne lès'rétabliifoit que dans une partie de leurs droits. Leurs cris fe faifoient entendre plus que jamais, & L. Quinctius, qui avoic pris Sicinius pour modèie, ne perdoit pas un moment pour animer la populace a fe foulever contre les nobles, qu'il leur repréfentoit comme les opprelfeurs de leurs droits & de leur liberté. Cependant la vigueur de Lucullus arrêta tous fes defleins, & 1'empêcha pendant le cours de cette année, de troubler (a) la paix publique. C. Verrès, dont le nom reviendra fouvent dans cette hiftoire , étoit alors préteur de Rome, c'efta-dire, adminiftrateur fouverain de la juftice, avec cette étendue de pouvoir dans fes décrets, qu'ils (a) Nilï forte C. Corta , ex fafHone media conful, aliter quam metu jura cruxdam tribunis pleb. reitituit; & quanquam L. Sicinius primus de poteftate tribunicia loqui aufus, muflitantibus verbis circumventus erat. Lucullus fuperiore anno quantis animis ierit in Quinclium, vidiftis. Sall. Hijl. fiagm. I. 3. Orat. Macri Lidnii. Pluiarq. Vit de Lucullus.  112 HlSTOIRE DE IA V I E armée vi&orieufe , il ent le bonheur de voir tomber entre fes mains le refte de ces fugitifs, qui étoient échappés a Craflus après la mort de Spartacus leur chef, Sc qui s'étant raifemblés en un corps, avoient pris leur marche du cöté des Alpes. Ils étoient au nombre de cinq mille, qu'il tailla en pièces jufqu'au dernier , Sc rendant compte de cette renconrre au fénat, il lui marqua que «fi Craffus avoit (a) défait les gladiateurs, il *> venoit d'en arracher jufqu'a la racine ». Cicéron même, ayant quelque mécontentement particulier dè CraiTus, affeéta dans fes difcours publics d'attribuer a Pompée 1'honneur d'avoir terminé cette guerre , en répétant (b) plufieurs fois que le feul bruit de fon approche en avoit diminué 1'ardeur, & que fa préfence avoit achevé de 1'éteindre. La vidoire qu'il avoit remportée en Efpagne lui fit obtenir pour la feconde fois les honneurs du triomphe , avant que de s'être élevé au-delfus du rang équeftre ; mais le jour fuivant, il pric poffeffion du confulat qui lui avoit été accordé ■ (a) Plutarq. ibid. (b ) Quod bellnm expeftatione Pompei! attenuatum atque imuünutum efl, adyentu fublatum & fepultum. Pro Leg. Mand. XI. Qui etiam fervitia virtute victoriaque dorauifiet. Pro Sext. 31. dans  t)e Cicéron, Liv. II. 113 dans fon abfence , Sc comme fi le ciel 1'eüc fait naitre pour commander , il ne fit fon entree au fénat qu'avec le droit d'y prélïder. A peine étoitil agé de trente-fix ans, mais la difpenfe de 1'age lui fut accordée par un décret particulier, qui le déclaroir capable de pofféder les plus faautes magiftratures [a) avant le tems fixé par la loi pour obtenir les intérieures; & fon autorité lui fit donner M. Crafius pour collégue. Le père Sc le frère aïné de Crafius avoient perdu la vie dans les profcriptions de Marius Sc de Cinna. II avoit fauvé la fienne en fe retirant en Efpagne, ou s'étant caché jufqu'au rerour de Sylla, il 1'étoit venu joindre en Italië, dans 1'efpérance de venger contre la faótion oppofée la ruine de fa fortune Sc de fa familie. L'attachement qu'il prit pour Sylla lui ayant attiré beaucoup de confidération dans fon parti, il employa fon crédit a fatisfaire fa principale paifion, qui étoit 1'avidité des richefles; outre les plus riches dépouilles de 1'ennemi, il eut 1'adrefle de s'ap- (a) Pompeius hoe quoque triumpho , adhuc eques romanus , ante dtem quam confulatum iniret, curru urbem invectuseft. Veil. Patere, i, 30. Quid tam lingulare quam ut ex S. C. legibus folutus conful ante fieret quam ullum alium magiftratum capere licuilTet ? Quid tam incredibile quam ut iterum eques romanus S. C. triumpharet ? Pro Leg. Man. m, Tome I. H  114 HlSTOIRE DE LA V I B proprier une partie des biens confifqués , qus Cicéron (a) appelle fa moiflbn, & de fe compofer par ces deux voies une fortune de plufieurs millions, qui étoit le fruit des calamités pubiiques. II prétendoit qu'on ne devoit pafler pour xiche, que (b) lorfqu'on étoit capable d'entretenir une armée a fes propres frais. Si 1'on en croit les récits de 1'antiquité, le nombre de fes efclaves étoit égal en effec a celui d'une armée, & loin que cette multitude lui füt a charge , il la faifoit fervir a 1'augmentation continuelle de fon bien , en exercant chaque efclave dans quelque art utile , qui non-feulement fourniflbit a leur entretien, mais rapportoit encore quelque profit a leur maïtre. Entre les différentes profeflions auxquelles il les employoit, on rapporte qu'il avoit dans fa familie plus de cinq eens magons ou architectes, qui étoient occupés continuellement (c) a batir & a réparerles maifons de Rome. II n'avoit pas été long-tems fans concevoir une forte jaloufie contre Pompée , qu'il voyoit plus favorifé que lui de la noblefle & du peuple, &c qui, pour comble de chagrin, lui déroboit 1'hon- (a) Illam Syllani temporis rneifem. Parad. 6 , i. (b) Multi ex te audierunt cum diceres neminem efle divitem, nilï qui exercitum alere fuis fructibus pofler. Ibid. i. 'c) Plutarq. VU de Crajfus. ■■»  de Cicéron, Liv. 11 ï i ƒ neur d'avoir fini la guerre des efclaves. Mais ne fe trouvant pas capable de difputer la gloire militaire a un concurrent fi redoutable , il prit le parti de s'engager dans la carrière des arts pacifiques & de leloquence , ou il fe fit en effet la réputation d'un fort bon orateur; & par 1'adreffe qui lui étoit naturelle, autant que par fa facilité a aider tout le monde de fa proteótion & de fes richelfes, il acquit tant d'autofité dans les affaires publiques , que Pompée fe crut intéreffé a. fobliger, en le demandant pour fon collégire. II s'étoit écoulé prés de fix ans depuis que Cicéron avoit obtenu la queflure. C'étoit 1'intervalle prefcrit par les loix avant qu'on püt paffer a 1'office de tribun ou d'édile, & 1'une ou l'autre de ces deux voies étoit néceffaire pour conduire aux dignités fupérieures. II réfolut de ne point penfer au tribunat, qui avoit beaucoup perdu de fon ancienne fplendeur depuis la dernière ordonnance de Sylla, & s'étant déterminé pour ledilité, il commenca fes brigues dans le tems qu'Hortenfius pouffoit les fiennes pour s'élever au confulat. II avoit employé tout eet efpace a fréquenter le barreau & d plaider ( e C i c ê k o n ," 11 Il honorat de fon amitié, il auroit dédaigné de les* prendre pour maïtres. II s'étoit formé fur un plan plus noble. Les régies de fon adtion avoient leur iburce dans la nature & la philofophie •, & fa pratique, dans 1'imitarion des orateurs les plus parfaits qui fuifent alors dans le monde. Son fentiment étoit que lecole du théatre ne convenoit point a un orareur, paree que les geftes font trop détaillés, trop efféminés, & plus proportionnés a rexprellion des mots qu'a la nature des chofes. II railloit quelquefois Hortenfius, de fon adtion trop (a) badine & trop théatrale. On 1'avoit nommé par cette raifon le comédien; de forte que dans la caufe de P. Sylla , un avoeat fort groflier dans fes railleries (b)Tappela Diotiyfia-, du nom d'une actrice qui étoit alors célèbre par fon talent pour la danfe. Cependant Hortenfius étoit fi éloigné d'avoir emprunté fon aétion du théarre , que le théatre au contraire le prenoit pour exemple de la fienne ; & 1'on rapporte que les deux acteurs Rofcius & Efope affifioienc a. routes fes harangues, pour fe former d'après un (a) Putamus patronum tuum cerviculam jactaturum. Jn Verr. 3,19. (3) L. Torquatus fubagretti homo ingenio & infetlivo, non jam hifirionem illum diceret, fed gefticulariam, Dio~ nyfiamque eum , notiiTima; faltatriculs nomine appellaret, Aid. Geil.. 1,3. H ii)  11S HlSTOIRE DE LA VlE 'il grand modèle. II eft'(a) naturel en effet que les comédiens, qui ne repréfentent que des acfions feintes , s'attachent a 1'iraitation de ceux dont 1'objet continuel eft de repréfenter la vérité. Au refte il n'en paroït pas moins vraifemblable , comme Macrobe le rapporte , que Cicéron prenoit quelquefois plaifir a s'exercer avec (b) Rofcius , & qu'ils effayoient enfemble qui étoit le plus capable d'exprimer toutes les variétés d'une paflion, 1'un par le difcours, l'autre par des geftes. La vie de Cicéron étant déformais comme dévouée aux affaires & a 1'ambition , il ne négligea point les voies qui étoient en ufage pour fe rendre agréable au peuple & faciliter fon avancement dans la carrière des honneurs.« Pendant » que le plus vil artifan, dit-il, fait le nom & » 1'ufage de tous fes inftrumens, il feroit étrange 5> qu'un homme d'état ne connüt pas les hom- mes , c'eft-a-dire, les inftrumens qu'il eft obligé (Cl) Genus hoe totum oratores, quï fünt veritatïs ïpfius aftcres reliquerunt, imitatores autem veritatis, hiftriones , occupaverunt.... At fine dubio , in omni re, vindt imitationem veritas. De Orat. 3,56. (b ) Satis conftat contendere eum cum ipfo hiftrione folitum, utrum ille fepius eandem fententiam variis geftibüs efficeret, an ipïe per eloquentie copiam lermone diverfo pronunciaret. Macrob. Saturn. 2, a.  de Cicéron, Lik. II. 133 Tous fes amis 1'ayoient déja fervi fi heureufement , que les procédures ne pouvoient guère être pouflees plus loin pendant le refte de 1'année courante. Cicéron qui pénétra le fond de 1'arrifice, ne trouva point d'autre moyen pour en prévenir 1'effet, que d'abréger la méthode ordi-, naire, en prelTant la conclufion du proces au tribunal (a) de M. Glabrio préteur aétuel, & de fes aflefieurs, qui avoient toute 1'autorité néceffaire pour ce jugement. Ainfi au lieu d'employer le. tems a faire éclater fon éloquence, en fortifiant ou en aggravant les accufations, il ne penfa qu'a produire les informations & les témoins , & a demander (b) inftamment qu'ils fuiTent. examinés. La nouveauté de cette conduite, & la notoriété des crimes qui fe trouvèrent prouvés tout d'un coup par les dépofitions, confondirent Hortenfius, jufqu'a lui öter le courage de prononcer un feul mot pour la défenfe de fon cliënt, & Verrès perdant 1'efpérance, prit le parti de prévenir fon jugement par un exil volontaire (c). (a) Cicero fumrno confilii videtur in Verrem vel contradicere tempora dicendi maluiffè, quam in eum annum quo erat Q. Hortenfius confiil futurus incidere. Quintil. 6,5. (b) Mihi certum eft non committere ut in hac caula pmor nobis confiliumque mutetur. In Verr. i , 18. (c) Faciam hoe... ut utar teftibus ftatim. Ibid. Sed Iiij  134 HrSfOIRE BE LA VlÉ On conclura de ce détail, que des fept oraifons contre Verrès qui font venu es jufqu'a nous , il n'y a que les deux premières qui ayent éte prononcées, 1'une qui porte le nom de divination, l'autre celui de première a&ion, & qui ne font toutes deux que 1'exorde général de toute la caufe. Les cinq autres furent publiées dans la fuite , & n'avoient été préparées que pour le cas oü Verrès eüt fait une défenfe régulière. Cicéron n'ayant point encore exercé fon éloquence en qualité d'accufateur, voulut laiffer a la poftérité un monument de fon habileté (a) dans ce genre, & le madèle d'une jufte & vive accufation, con^ tre un magiftrat redourable & corrompu. Dans fon premier différend avec Ca?cilius, il fait monter le dommage des ficiliens (£) a la valeur d'un million de piftoles; mais c étoit une eftimation vague, & qui n'étoit point encore fon- t'antummodo citaret redes, & eos Hortenfio interrogandos daret: qua arte ita eft fatigatus Hortenfius , ut nihil contra quod diceret, inveniret : ipfe etiam Verres , defperato patrocinio , fua fponte difcederet in exilium. Afcon. Argum. in Acl. I. Ca) Tn cseteris orationibus defenfor futurus, accufatïonis officium his libris qui Verrinarum nomine nuncupantur , compenfare decrevit , & in una caufa vim hujus artis & eloquentie demonftrare. Ibid. {b) Quo nomine , abs te , C. Verres, feftercium millies ex lege repeto. Divinat. in Ccecil. 5.  DE Cic'ÉRöir, Liv. IL 135 dée fur d'exaétes infbrmations ; car après fon voyage de Sicile fes demandes fe réduifirent a la moitié de cette (a) fomme ; & quoique la loi dans ces occafions accordat le doublé du dommage, il femble qu'il s'en tint a la fomme fimple, « ce qui 1'expofa , comme Plutarque le fait 33 entendre , au foupcon de s'être relaché du moins 33 de Ia rigueur du devoir 33. Mais s'il y eut en effet quelque diminution dans Tarnende, elle put fe faire du confentement de toutes les parties , en faveur peut-être de la foumiflion de Verrès, & comme une forte de compenfation pour les em* barras & les peines qu'elle épargnoit a fes aggreffeurs. II eft fur, du moins, que cette fameufe affaire , Ioin de jeter la moindre tache fur le caractère de Cicéron, fervit au contraire a faire éclater plus que jamais fon mérite & fon intégrité , & que les ficiliens confervèrent une vive reconnoiffance pour le fervice qu'il leur avoit rendu. On croit découvrir dans divers palfages des oraifons contre Verrès, que la vigueur de Cicéron a poufler cette caufe , n'avoit point infpiré pour lui des difpofitions favorables a la nobleffe; mais loin d'en concevoir de 1'inquiétude, il déclare ouvertement cc qu'il regarde les nobles («) Dicimus C. Verrem quadringenties feflercium ex Sicilia contra legem abftulifle. In Verr. t, 18. I iv  ÏJtT HlSTÓIRE T> Ë* LA V I Ë 53 comme les ennemis naturels de Ia vertu Sc de 33 1'indultrie des hommes nouveaux , Sc comme 33 une race d'efpèce difFérente , que ni les foins 33 ni les bons offices des autres ne pouvoient en33 gager a les favorifer; que pour lui, fuivant les 33 traces de ceux qui 1'avoient précédé dans la 33 même carrière, il étoit réfolu de pourfuivre fa *> courfe, Sc de s'ouvrir par fa diligence Sc fes »3 fidelles fervices, un chemin a la faveur du peu33 ple & aux honneurs de 1'érat, fans s'embarraf33 fer des querelles auxquelles cette conduite pou»3 voit 1'expofer', que fi dans la caufe qu'il s'étoit 33 chargé de foutenir , il s'appercevoit que les 33 juges ne répondiifent point a 1'opinion qu'il 33 avoit d'eux, il promettoit d'attaquer non feu33 lement ceux qui s'étoient déja lailfé corrompre, 33 mais ceux qui auroient eu quelque connoiftance 33 de la corruption : Sc s'il fe trouvoit quelqu'un 33 qui eüt 1'audace de tenter les juges par 1'auta13 rité ou 1'artifice , & d'entreprendre de mettre 33 le criminel a couvert, il protefloit qu'il le ci33 teroit au tribunal du peuple , & qu'il le pour?3 fuivroit avec plus de chaleur (a) qu'il n'en avoit ?3 marqué contre Verrès 33, (a) Proinde fi' qui fünt qui in hoe reo aut potentes, aut audaces , aut artifices , ad corrumpendum judicium yelint eiïe , ita fint parati ut difceptante pop. r-om. me^ CjUm fibi rem videant futuram. Lt Verr. J , 7*.  14» HlSTOIRE DE LA VlE furent (a) payées fur le champ. II crut toutes fes inquiétudes finies; mais après une autre audience la caufe fut encore ajournée , 8c Timarchides revint pour lui donner avis que fes adverfaires avoient offert une fomme beaucoup plus grofTe que la fienne, 8c lui confeiller, fage comme il étoit, de bien confidérer ce qu'il alloit faire. La patience manquant a Sopater, il ne laifïa point a 1'impudent Timarchides le tems de finir ; il lui déclara nettement, « que de quelque manière que la » chofe put tourner, il ne donneroit rien de plus». Tous fes amis approuvèrent fa réponfe , dans la perfuafion que Verrès même, quelles que fuifent fes intentions , n'auroit pas le pouvoir d'y faire entrer tous les juges de Syracufe , qui étoient les plus honnêtes gens de la ville , & qui avoient déja porté une fentence favorable a Sopater avec Ie dernier préteur. La troifième audience étant arrivée, Verrès donna ordre a Petilius, chevalier romain, qui étoit affis en qualité d'un des juges, d'aller entendre une caufe privée, 8c appointée auiTi pour le même jour. Petilius refufa de quitter 1'audience, paree que fes alfelfeurs étoient retenus (a) Poft ad amicos retulit, qui cum ei fuiiïènt autores redimendx falutis, ad Timarchidem verrit. Expofitis fuis difficultatibus hominem ad H. S. LXXX perducit, camque ei pecuniam numerat. Wul. i, 8.  de Cicéron, Liv. IL 141 par le procés de Sopater qu'on alloit juger. Mais le préteur déclarant .qu'ils pouvoient tous le füivre & qu'il ne prétendoit point les retenir , ils fortirent tous fur le champ, les uns pour juger la caufe privée avec Petilius, d'autres pour fervir leurs amis dans d'autres caufes. Minucius, avocac de Sopater, voyant la falie déferte , ne doura point que 1'affaire de fon cliënt ne füt remife a quelque autre jour, & fe difpofoit aufli a fortir, lorfque Verrés 1'arrêta, en lui ordonnant de plaidjsr la caufe dont il étoit chargé, cc Eh! devant qui, » répondit 1'avocat ? Devant moi, lui dit Verrès j 33 li vous me croyez digne de juger un miférable » licilien. Je ne contefte point votre qualité Sc » votre rang, répliqua Minucius, mais je fouhai» terois de voir ici vos afleifeurs qui connoiflent » parfaitement la juftice de ma caufe. Commen33 cez, reprit Verrès, car ils ne peuvent fe trou» ver ici. Je ne puis m'y tröuver non plus, lui » dit Minucius, car Petilius m'a prié de le fuivre * aufli Sc d'aflifter au jugement de l'autre procés 3». En vain Verrès ernploya la menace pour 1'arrêter •, il fortit avec tous les amis de Sopater. Ce contre-tems déconcerta un peu le préteur ; mais après quelques mots que Timarchides lui dit a 1'oreille , il donna ordre a Sopater d'expliquer lui-même ce qu'il avoit a dire pour fa défenfe. Ce malheureux accufé le conjura par tous les  142 HlSTOÏRE DE LA VlË dieux de ne pas prononcer fa fentence avant que les juges fuffent préfens; mais Verrès appelant les témoins, & feignant d'en écouter un ou deux, termina le procés en un moment, par une fentence (a) qui condamnoit le coupable. Entre une infinité de rapines dont on chargea Verrès, la vente des offices publics fut un des plus odieux arricles. II n'y avoit pas une magiftrature, de celles même qui dépendoient le plus anciennement des fuffrages libres du peuple, qu'il n'eüt vendue arbitrairement a ceux qui lui en avoient offert le plus haut prix. La prêtrife de Jupiter de Syracufe étoit une des plus confidérables. L'éle&ion fe faifoit par les voix de tous les citoyens , qui fe réunilfoient en faveur de trois perlbnnes dont on mettoitles noms dans une urne, & celui que le fort en faifoit fortir le premier emportoit la préférence. Verrès avoit vendu cette dignité a Theomnafte , & n'eut pas de peine a le faire nommer le premier des trois qui devoient être propofés pour l'éleétion ; mais comme le refte dépendoit du hafard, on attendoit avec beaucoup (a) Turn repente iffe tefles citari jubet. Dicit unus & alter breviter. Nihil interrogatur. Pra:co dixiflê pronunciat. 111e properans de fella exliluit: hominem innocentem a C. Sacerdote abfolutum , indifta caufa , de (ententia fcribz, medici, harufpicifque condemnavit. Irt Verr, * , j«.  de Cicékon, Liv. IL i4j de curioiité (a ) quelle voie il prendroit pour s a£ furer de ce qui n'étoit pas en fon pouvoir. D'abord il renta celle de 1'autorité, en commandant qae Theomnafte fut reconnu grand-prêtre fans les formalités du fcrutin. Mais les fyracufains lui ayant repréfenté que c'étoit bleifer leur religion & leurs loix, il fe fit montrer Ia loi, qui ordonnoit ef- fr><9-iv<»tnf>nr rr na.'il „.A,. J_ Lm » >i«u y «ii «luidiiL ue muers que de » perfonnes nommées , & que la prêtrife fut a » celui dont le nom fortiroit le premier. II leut » demanda combien ils avoient nommé de per» fonnes. Trois, répondirent-ils. Que rcfte-t-il » donc , reprit-il, que de jeter les trois noms » dans 1'urne Sc d'en tirer un; On convint que » la loi ne demandoit rien de plus. Sur quoi il fit » faire aufli-töt trois billets, mais qui porteient » tous trois le nom de Theomnafte ,• il les fit jet» ter dans 1'urne, & le premier qui fut tiré ne = put manquer de déterminer leledion en fa fa» veur *>. La dixme du bied, dans les villes conquifes ds Sicile, appartenoit a la république, comme elle O) Num quid igitur opportet nilï tres fortes conjici, unam educi ? Nihil. Conjici jubet tres, in quibus omnibus fcriptum effet nomen Theomnafli. Fit clamor maximus. Ita Jovis illud facerdotium ampliffimum per hanc ra&ionem Theomnaflo datur. Ibid. 3 r.  144 HlSTOIRE DE LA VïÊ avoit autrefois appartenu a leurs rois; t>n la leVöh? én nature , & loffice des quefteurs étoit de la faire tranfporter a Rome. Mais comme elle n'étoit pas fuffifante pour les befoins d'une ville fi peuplée , on avoit affigné au préteur une fomme fut le tréfor public, pour achever les fupplémens néceifaires dans le cours de 1'année. La manière de lever la dixme avoit été réglée par une loi du roi Hieron , le plus modéré des anciens tyrans de la Sicile: mais Verres ne faifant point difficulté de changer les ufages, ordonna cc que les ficiliens » payeroient (a) tout ce qui leur feroit demandé » par le collecteur , avec cette feule réferve que 33 s'il exigeoit plus qu'il ne lui étoit du , il en ren33 droit buit fois la valeur Cet étrange édit livroit file entière a la difcrérion de ceux qui étoient chargés de recueillir la dixme. Ils fe faififlbient de tout ce qu'on avoit ramalfé dans les greniers de chaque ville ■, ils mettoient les villes dans la néceflïté de compofer a prix d'argent pour s'en réferver une partie; & s'ils y trouvoient quelque réfiftance 5 ils s'emparoient des biens, ils met- (a) Tota Hïeronka lege rejecia & repudiata edictum , judices , audite prsclarum : quanturn decumanus edidüTet aratorem fibi decumsc dare opportere, ut tantum arator decumano dare cogeretur. Ibid. j , io. toient  I + HlSTOBE DE LA VlK chaque ville tenoit le regiftre exact, que pendant les trois années du gouvernement de Verrès, les deux tiers des fermes avoient été défertes, 8c les terres fans culture. Apronius, homme (a) d'un caradère & d'une vie infame , qui étoit le principal fermier des dixmes de Sicile, ne fir pas difficulré d'avouer, lorfqu'on lui reprocha la cruauté de fes exactions, que le préteur avoit toujours eu la plus grolTe part au pront.-II efluya ce reproche dans la préfence de Verrès & des magiftrats de Syracufe, de la part d'un particulier nommé Rubrius, qui offrit en même-tems les preuves de fon accufation ; mais Verrès trouva le moyen, fans s'émouvoir, d'interrompre fon difcours & de le faire paffer pour une querelle fans raifon (b). Elle fut renouvelée néanmoins avec le même éclat par Scandilius , qui prefia hautement les juges d'en donner leur décifion. Verrès nëtant point capable de le forcer au filence, feignit de fe rendre , & nomma aufii-töt pour commiiTaire Cornelius fon (a) Eorum omnium qui decumani vocabantur princeps erat Q. iUe Apronius quem videtis, de cujus improbitate fingulari graviffimarum legationum querimoniam audiitis. lbid 9' (*) Cum palam Syracufis, te audiente , maximo conventu P. Rubrius Q. Apronium fpofione rVcèflïwt, ni Apromus-diaitarettefibi in decumis efTe focium. lbid. «r»  r>e Cicéron, Ltr. 11. riïédecin , Vol u fins fon devi», & Valerius fon huiffier. En vain Scandilius s'obftina-t-il a demander qu'on lui donnat des magiftrats pour juges, ou que 1'affaire fut renvoyée a Rome; le préceur répondit que dans une caufe oü fa propre réputation étoit intéreiiée, il ne pouvoit fe fier (a) qu'a. fes amis, & Scandilius ayant refufé de produire fes preuves devant un tel tribunal, Verrès lui impofa une amende de cinq mille écus , au profic même d'Apronius. C. Heius, un des principaux citoyens de Meffïne, qui vivoit fplendidement dans une des plus magnifiques maifons de la ville , oü il fe faifoit honneur d'accorder le droit d'hofpitalité aux principaux magiftrats romains, avoit une chapelle domeftique batie par fes ancêtres , & décorée de plufieurs ouvrages de fculpture d'une valeur ineftimable. On y. voyoit en marbre un Cupidon de Praxitele , & en cuivre un Hercule de Myron avec un petit autel devant chaque divinité, pour (a ) Hic tu medicum & harufpicem & pracenem tutwn recuperatores dabis ? Bid. 60. Ifte viros optimos recuperatores dat, eundem illum medicum Cornelium, & harufpicem Volufianum , & Valerium prxconem. Bid. ir« Scandilius poftulare de conventu recuperatores. Turn ifte negat fe de exiftimatione fua cuiquam , nift fuis, com- miflurum cogit Scandilium quinque illa millia nun*, mum dare atque adnumerare Apronio. Bid. 60. Kij  I48 HlSTOIRE DE LA VlE augmenter la fainteté du lieu. 11 y avoit deus autres figures de cuivre qui repréfentoient deux de ces jeunes femmes , qu'on appelloit Canephores, avec des paniers fur leur tête, oü elles portoient a la manière des athéniens les chofes qui devoient fervir au facrifice, & ces deux itatues étoient de Polyclete. On les regardoit (a) comme romement,n.on-feu^ement£^e^a mai^on d'Heius, mais de Meffine même. Elles étoient connues a Rome , Sc vifitées continuellement par les étrangers , a qui la maifon d'Heius étoit toujours ouverte. Le cupidon avoit été emprunté par C. Claudius , pour orner le forum dans fa réception a 1'édüité , il 1'avoit renvoyé fidèlement a Meffine. Mais Verrès fe trouvant logé chez Heius, ne lui lailfa point de repos qu'il n'eüt enlevé de fa chapelle les dieux Sc les canephores; Sc pour couvrir ce vol, il forca Heius de les inférer dans fes (a) Erat apvrd Heium facrarium, magna curn dignitate, in ïdibus , a majoribus traditura, perantquum , in quo figna pulcherrima quatuor , fummo artificio , fumma nobilitate , &c, In Var. 4., C Claudius , cujus aedüitatem magnificentiffimam fuiiïe fcimus, ufus eft hoe cupidine tamdiu dum forum diis immortalibus populoque romano habuit ornatum..... Hkc omnia, qua: dixi, figna ab Heio de facrario Verres abftulit, &c lbid 6 In auöione fignum ameum , non magnum, H. S. cxx. millibus venira non vidimus ï lbid, 7«  de Cicéron, Liv. II. 157 j> autres des épices d'Arabie, ceux-ci des joyaux » & des pierres précieufes , ceux-la des vins grecs *> &c des efclaves d'Afie » > les témoignages même de leur innocence devenoient la caufe de leur ruine ; car Verrès enflammé par la vue d'une li belle proie , déclaroit que toutes ces richeifes n'avoient été acquifes que par des pirateries, & s'emparant des vailTeaux & de toutes les cargaifons, il faifoit renfermer 1'équipage dans les plus noirs cachots, quoique la plupart fuffent peutctre des ckoyens romains. II y avoit a Syracufe une fameufe prifon, qu'on nommoit les Latomies, creufée dans un roe , Sc d'une hoirible profondeur, qui avoit été dans fon origine une carrière de pierres, & que Denys le Tyran avoit changée (a) en cachot. C'étoit dans ce trifle lieu que Verrès retenoit un grand nombre de citoyens chargés de chaïnes , après leur avoit- fait afïez d'outrages pour s'être mis dans la néceflité de les détruire. Aufli sën rrouvoit-il peu qui eulfent 1'efpérance de revoir la lumière. Ils éroient prefque tous étranglés par fes ordres. II arriva néanmoins qu'un citoyen romain, de la petite ville de Cofa, nommé Gavius, fe fauva heureufement du fond de eet affreux cachot, & gagna Mefline, oü fe croyant fans danger, paree (a) Ubi fupra.  iéz HisTOtEi de ia Vie hommes & fans munitions, il leur avoit été impoffible de faire face a 1'ennemi. C'étoit faire romber toute la honte fur Verrès. II en fut inlorme, & faifant appeler tous les capitaines, il lestorca, après les avoir effrayés par fes menaces, de rendre témoignage par écrit que les vailfeaux étoient parfaitement équipés, & qu'il ne leur avoit nerrmanqué pour fe défendre. Enfuite faifant reflexion que cette violence ne fuffiroit pas pour étouffer le bruit qui s'étoit lépandu , & qui pouvoit être porré jufqu'a Rome, il réfolut de fe delivrer de cette crainte en mettant a mort tous les capitaines a 1'exception de Cleomènes & de fon lieutenant, qui étoient les plus criminels. II les fit arrêter & cbarger de fers quinzc jours apres laction, c'eft-a-dire, lorfqu'ils ne fe croyoient menacés d'aucun danger. C'étoient de jeunes gens des meilleures maifons de la Sicile, Sc quelquesuns même fils uniques de parens fiftt agés; qui vinrent auffi-tot fólüeit* leur grace aupres du préteur. Mais il fut inexorable, les ayant fait t*nfermer dans fon affreufe prifon , oü il ne petmic pas même qu'ils fulfent vifités par leur familie il les condamna enfin a perdre la tête; tout le fervice que leurs parens eurent la liberté de leur rendre, fut de faire marché avec le bourreau, pour obtenir 1 prix d'argent, qu'il leur ötat la vie d un  de Cicéron, Liv. It l6} feul coup , & d'acheter auffi de Timarchides f», la permiffion de leur donner la lepukure. Quelque tems néanmoins avant la ruine de Ia Hotte, les lieutenans de Verrès s étoient emparés d'un corfaire qu'ils avoient amené a Syracufe, & qui avoit pafte pour une prife fort riche. Outre largent monnoyé & d'autres fortes de richelfes, il étoit chargé d'un grand nombre de jeunes efclaves de la plus belle figure, entre lefquels étoit une bande de muficiens, dont Verrès fit préfenc a un de fes amis de Rome. Le refte de ceux qui avoient de la jeuneffe & de la beauté , ou qui étoient inftruits (b) dans quelques arts, fut dif- (a) Cleomenem & Navarchum ad fe vocari jubet, accufat eos, quod hujufmodi de fe fermones habuerint; rogat ut id facere defiftant, & in fua quifque navi dicat fe tantum habuiffe nautarum quantum opportuerit. Ilii fe, oftendunt quod vellet effe facturos. Ifte in tabulas refert, obfignat fignis amicorum Ifte hominibus miferis innol. centibufque catenas injici jubet Veniunt Syracufas parentes propinquique mifcrorum adolefcentium, &c. Verr. 5 , 39 , 40. (b ) Erat ea navis plena juventutis formofiffimx , plena argenti facti atque fignati, multa cum ftragula vefte fi qui fenes aut deformes erant, eos in hoftium numero ducit. Qui aliquld forma:, statis , artificiique habebant, abducit omnes , nonnullos fcribis fuis, filio, cohortique diftribuit, fymphoniacos homines fex cuidam amico fuo Romam muneri miftt, &c. lbid. ij, Lij  IÉ4 HlSTOIRE BE LA VlE tribué entre fes favoris; & ceux qui étoient vieux ou difformes furent précipités dans un cachot &C réfervés pour le cbatiment. Le chef de ces pirates ayant été long-tems la terreur des ficiliens, il ny eut perfonne qui ne s'attendit a le voir punir, & qui ne brüiat d'affifter a fon exécution. Mais comme il étoit fort riche, il trouva le moyen de racheter fa tête, Sc Verrès prit foin de le derober a la vue du public (*), en le faifant cönduire dans une prifon particulière, pour en tirer encore mr parti plus avantageux. Cependant le peup e imLient de voir exécuter les pirates, fuivant l ufage des autres préteurs, qui ne différoient jamais leur fupplice, Sc n'ignorant, pas qu'ils étoient en fort Jand nombre, ne put être fatisfait d'en voir penr quelques-uns des plus vieux Sc des plus decrepits, que Verrès abandonna volontiers au reifent.ment public. Les plaintes & les murmures étant pres d'éclater, le préteur faifit cette occafion pour fe défaire des citoyens romains qu'il retenoit dans les chaïnes, Sc les fit conduite au fupplice fous le nom d'une partie des (b) pirates. Mais pour empêcher (a) Archipiratam ipfum vidit nemo , cum omnes ut mos eft , concurrerent, qusrerent, vide» cuperent, &c. jP%%m maxlmus numerus deeffet, turn ifte b eoruro Lam quos domum fuam de piratis abduxerat, jfjhfi ütuere cpit cives romanos quos in carcerem antea con.  t>E Cicéron, Liv. II. i ïe témoignage que ces malheureux auroient pu rendre de leur condition, & pour éviter qu'ils ne" fuflent reconnus par d'autres citoyens qui fe trouvoient a Syracufe, il leur fit couvrir la tête avec. tant de précaurions, qu'il fut impoffible de les voir ni de les entendre, & par cette voie cruelle il arracha la vie a une multirude d'innocens. Mais pour finir eet étrange détail, Verrès après avoir mené affez long-tems une vie miférable dans fon exil, oublié & abandonné de tous fes amis, recut, fi 1'on en croit (a) le témoignage de Se-; nèque, quelques fecours de la générofité de Cicéron , qui adoucirent un peu fon fort. Enfin, dans la profcription de Marc-Anroine, ayant refufé de lui céder (l>) fes belles ftatues & fa vaiflelle de, Corinthe, il fut mis au nombre des profcrics,;&itué lorfqu'il s'y atrendoit le moins; beureux (c) feulement, dit Laótance, de ce qu'avant fa mort, il eut la confolation de voir la fin déplorable de Cicéron, fon ancien ennemi & fon accufateur. jecerat. Itaque alii cives roman!, ne cognofcerentur , capilibus obvolutis è carcere ad palum atque necem rapiebantur, &c. lbid. 18. Quid de multimdine dicemus eorum qui capitibus involutis in piratarum captivorumque numero p/oducebantur, ut iècuri ferirentur ? lbid. Co. (a) Senec. 1. 6. Suafor. 6. (5) Plin. Hifl. nat. 1. 34, x. (c) Ladant. z, 4. L iij  ïG6 HlSTOIRE de LA Vie La condamnation d'un homme fi odieux , 8C les conceflions auxquelles le fénat s'étoit déja telaché , ne furent pas capables d'appaifer le mécontentement du peuple. II demanda fi hautement la reftauration du pouvoir des tribuns, & celle du droit de judicature dans l'ordre équeftre, qu'après bien des mouvemens &c des conteftations, renouvelés tous les ans par les tribuns, il fe fit rendre enfin juftice fur ces deux points : fur le premier, par (a) Pompée, pendant fon confulat-, & fur l'autre , par Cotta , dans le tems de fa préture. Les tribuns furent puiflamment foutenus dans ces débats par Jules-Céfar (b); mais ils trouvèrent une oppofition conftante de la part de ceux qui fouhaitoient fincèrement le repos public. Lëxpérience avoit appris depuis long - tems qu'ils avoient toujours été non-feulement la principale lource de tous les troubles domeftiques, par 1'abus qu'ils faifoient de leur pouvoir, mais encore 1'inftrument de tous les citoyens ambitieux qui vouloient s'élever au-defius (c) des loix. 11 fuffifoit de mettre un ou plufieurs tribuns dans fes intéréts (a) Hoe confulatu Pompeius tribunitiam poteflatem teftituit, cujus imaginem Sylia fine re reliquerat. Vtll. Pat*, * , 3°- (b) Autores reflituends tribunitix poteflatis enixifilme juvit. Sueton. Cmf. (c) De Legib. 3 , .  de Cicéron, Li v. II. %67 pour être sur d'obtenir cc qu'on déliroit du peuple , ou du moins pour fe mettre a couvert de tout ce qu'on avoit a craindre dans les plus téméraires entreprifes. Ainfi le rétabliifement de leut autorité chagrina beaucoup les honnêtes gens, 84 fit même foupgonner les intentions de Pompée, Ce fut pour difliper cette défiance qu'il jura volonrairement (a) qu'après 1'expiration de fon confulat , il n'accepteroit aucun gouvernement, & qu'il fe réduiroït a la fimple condition de fénateur- Plutarque regarde cette tranfaction comme lëffet de la reconnoilfance de Pompée pour les honneurs extraordinaires dont il avoit été comblé pat le peuple. Mais Cicéron 1'excufe beaucoup mieux, dans un tems oü 1'on ne pouvoit 1? foupgonner de flatterie, c'eft-a-dire, (b) après fa mort. II fait obfervcr « qu'un homme detat doit toujours conx fidérer non - feulement ce qui eft le plus con» venable en foi-même, mais ce qui convient a » la néceflïté des circonftances •, que Pompée con33 noifioit 1'impatience du peuple ; que la perte du 33 pouvoir des tribuns ne pouvoit être fupportée » plus long-tems, & qu'il étoit par conféquent » du devoir d'un bon citoyen de ne pas laifler faire ( a ) Qui cum conful laudabiliter juraffet fe in nullam provinciam ex eo magifiratu iturum. vm. Pat. 1,31. (£) De Legib. $ , 1*. L iv  de Cicéron, Liv. 11. ij? *>Cm (a), qui étoit d'un fi grand fecours 6c 33 pour mes affaires particulières, & pour mes » foncfions publiques. Je trouvois avec lui toute »la douceur que 1'on goüte dans le com» merce d'un homme poli & d'un honnête hom» me. Je fuis doncperfuadé que prenant part a tout " ce qui me regarde , vous ferez fenfible a cette » perte, qui d'ailleurs nous eft commune ; car » vous perdez un allié plein' de mérite , très-offi33 cieux , & qui avoit pris de 1'amitié pour vous, 33 autant de lui-même que fur ce qu'il m'avoic » entendu dire a votre avantage 33. II fut d'autant plus fenfible a la mort de Lucius , qu'il fentoit le befoin d'un fecours auffi puiffant que le llen , dans des circonftances oü il penfoit a la préture. II fe mit au rang des candidats, après 1'intervalle ordinaire de deux (b) ans , qui s'étoient écoulés depuis fon édilité. Mais la ( a ) Ad Attic. 1,5. C'eft la première dans la tradudion de M. 1'abbé de Mongault, que j'ai adoptée avec les deux remarques fuivantes: i°. II y a dans le texte Fratris nofiri; mais ce motiignifie fouvent coufingermain, paree que 1'on fous-entend Patruelis. Cicéron dit ailleurs de ce même coufin , frater nojler, cognatione patruelis amore germanus. Hifi. de fin. 2°. Par fonctions publiques , il faut entendre ici celles du barreau , car Cicéron prend prefque toujours dans ce fens le mot forenfis. (b) Ut li xdilis fuifles, poli biennium tuus annus euet. Ep. fam. «>, ü. M ij  ïSS HlSTOIRE DE LA VlE Cerre aótion étoit irrégulière, & fut condamnétf comme une infradtion du droit des tribuns; de forte que Cornelius fut forcé de compofer encore avec le fénat, & de modérer la rigueur de fa loi en établilfant feulement que les fénateurs ne pour-" roient porter aucun décret de difpenfe (a) , s'ils 'n'étoient du moins au nombre de deux eens. Cicéron tira un avantage lïngulier de tant de troubles, qui avoient fait fufpendre deux fois les éledfions. Dans les trois alfemblées dont les deux premières setoient féparées fans en avoir rien conclu,il (b) fut déclaré chaque fois premier préteur; témoignage extrêmement glorieux de 1'aifedtion que Ie peuple lui portoit. Le préteur étoit le magiftrat dont la dignité fuivoit immédiatement celle des confuls. Dans 1'origine, il avoit été créé pour leur fervir d'aide ou de collégue dans l'adminiftration de la juftice, ou pour fuppléer a cette fondtion pendant leut abfence. Mais les affaires de la république ayant augmenté avec 1'étendue de fa domination , le nombre des préteurs étoit monté d'un jufqu'a huit. Ils étoient élus, non comme les magiftrats infé- (a) Afcon. Argum. pro Cornelio. (i>) Nam cum propter dilationem comitiorum ter pratot primus centurüs cunctis renunciatus fum. Pro Leg. Manil, t.  de Cicéron, Liv. II. 189 tjëurs , par les voix du peuple dans chaque tribu; mais dans leurs centuries, comme les confuls & les cenfeurs.Suivant la première de ces deux méthodes, la majorité des voix déterminoit le fuffrage de chaque tribu,& la majorité des tribus déterminoit lëlection, ce qui donnoit au moindre citoyen comme au plus puifiant, la liberté de donner fa voix. Mais fuivant l'autre méthode, la balance du pouvoir étoit entre les mains des plus puiflans , par une fage dilpofition de Servius Tullius, un de leurs premiers rois, qui avoit divifé tout le corps des citoyens en cent quatre-vingt-dix tribus , fuivant le cenfus ou 1'évaluation de leurs biens, & qui avoit réduit ces centuries en fix clalfes fuivant la même règle, ayant accordé a la première ou a Ia plus riche de ces(a) clalfes, quatre-vingt-fept centuties , qui faifoient la majorité fur tout le nombre; de forte que fi les centuries de la première clafle s'accordoient, 1'affaire étoit conclue , &z le refte des voix devenoit inutile. La fonction particulière des préteurs étoit de préfider au jugement de toutes fortes de caufes, (a) C'eft de cette divifion de clafles qu'eft venu le nom de claflique qu'on donne aux anciens auteurs du premier rang , car il fignifioit autrefois des perfonnes de la première clafle. Tout le refte étoit in/ra clajjim. Aul, Geil, 7. 13,  I^O HlSTOIRE DE LA VlE mais fpécialement des caufes criminelles, & leurs différentes jurifdiétions (a ) dépendoient du fort. II arriva plus d'une fois a Cicéron de juger des caufes d'extorfion & de rapine, intentées (b) contre des magiftrats &c des gouverneurs de province , dans lefquelles (c ) il rapporte lui-même qu'il fit fucceflivement le röle d'accufateur, de juge & de préteur. Sa réputation d'intégrité recut un nouvel éclat dans eet office, par la condamnation de Licinius Macer , homme prétorien, d'une éloquence diftinguée , qui auroit fait une figure confidérable au barreau, fi fes talens nëuffent été fouillés par 1'infamie ( d ) de fa conduite. Plutarque rapporte, cc que dans la confiance que LiciS3 nius avoit a fon propre crédit, & a la pra» tecfjon de Cralfus, il fe croyoit fi fur d'être 55 abfous , que fans attendre la fentence , il fe » rendit chez lui pour s'habiller •, & comme fi le 35 jugement lui eut été favorable, il revint a la j3 cour en robe blanche. Mais ayant rencontré 33 Craflus, de qui il apprit qu'il venoit d'être 33 condamné, il fut fi frappé d'étonnement qu'il (a) In Verr. i , 8. (£) Poflulatur apud me praetorem , primum de pecunüs repetundis. Pro Cornel. i , fragm. (t) Accufavi de pecuniis repetundis, judex fedi, prartor quxfivi, &c. Pro Rabir. 4. (d) Brut. 351.  de Cicéron, Liv. II. 191 » fut obligé de fe faire porter au lit, oü il mou» rut prefqu'auflï-töt ». D'autres écrivains racontent différemment cette hiftoire. «Macer, difent» ils , étoit préfent a 1'audience, pour attendre » le jugement de fon procés. Mais remarquant que » Cicéron alloit prononcer contre lui, il lui fit » dire qu'il étoit mort; Sc fe coupant en effet »1'haleine avec un mouchoir, il expira fur le » champ. Cicéron n'ayant point procédé a la » fentence, le bien de Macer fut confervé fort » heureufement a fon fils (a) Licinius Calvus , » qui devint enfuite un orateur du premier mé»rite ». Cependant nous apprenons de Cicéron même, « qu'ayant examiné (3) Macer avec beau33 coup de candeur Sc d'équité , il porta contre lui fa 33 fentence , qui fut univerfellement approuvée du »peuple , & qui lui rapporta plus d'utilité & 33 d'honneur qu'il n'en pouvoit efpérer , dit-il, de =01'amitié Sc du crédit de Macer, s'il l'eut dé33 chargé de 1'accufation 33. Manilius , un des nouveaux tribuns, n'eut pas () Dio. liv. 36, »*.  de Cicéron, Liv. II. 197 qu'il foutnit un prétexte aux ambitieux mal-intentionnés, pour afpirer dans d'autres tems aux prérogatives qu'on s'eft cru obligé d'accorder a des citoyens vertueux, & que le même pouvoir qui fauve la patrie dans les mains d'un honnête homme , la conduit a fa perte dans celles d'un fcélérat. Quoique les foncfions de la préture & le foin des affaires publiques laiffaffent a. Cicéron peu de momens libres, il en trouvoit toujours pour exercer fa profeffion d'avocat, & ne fe bornant point a juger les caufes qui fe préfentoient a fon propre tribunal, il plaidoit quelquefois a celui des autres préteurs. II entreprit dans eet intervalle la défenfede Cluentius, chevalier romain d'une naiffance illuftre & d'une fortune confldérable , accufé devant le préteur Q. Nafo, d'avoir empoifonné Oppianicus fon beau-père , qui avoit été banni lui-même deux ans auparavant pour avoir tenté d'empoifonner Cluentius. Le plaidoyer de Cicéron, qui fubfïfte encore, préfente une fcène fi monftrueufe , de poifons, de meurtres, d'inceftes, de fubornation de témoins & de corruption de juges, que les ficfions poétiques n'approchent point de toutes ces horreurs. Tout étoit 1'ouvrage de la mère de Cluentius , pour attaquer la vie & la fortune de fon fils.. « Mais quelle mère ! s'écrie 1'orateur, qui fe laifie N iij  d e Cicéron, Liv. II. 399 fuppofer qu'il lui reftac quelque nouvelle inftruction a recevoir, il fiut s'fnaginer que fon deffein étoit de fe confirmer dans la perfedion ou il étoir parvenu , & de prévenir toures fortes d'arfoiblifternens, en s'exercant fous les yeux d'un fi bon maïtre. Peut-être aufli n'avoit-il en vue que de faire honneur a Gnipbo, & a 1'art dont il faifoit profeffion , ou d'infpirer de 1'émulation a la jeune noblefle, par la préfence d'un des pre* miers magiftrats de Rome. A la fin de fa préture , Manilius, dont le tri— bunat avoit fini peu de jours auparavant, fur accufé devant lui de rapine & de concuflion ; Sc, contre la loi qui accordoit dix jours a 1'accufé pour préparer fa défenfe, Cicéron marqua 1'audience au jour fuivant. Cette conduite caufa autant de mécontentement que de furprife aux citoyens, dont 1'inclination étoit généralcment pour Manilius, & qui attribuoient 1'accufation qu'on intentoit contre lui a Tanden reflentiment du fénat. Les tribuns ne manqtièrent point de citer Cicéron devant le peuple. 11 répondit pour fa défenfe, « que fon ufaee n'étoit point de traiterles 53 criminels avec dureté -, qu'au contraire , fi le 33 délai qu'il avoit accordé a Manilius avoit été fi oscourt, c'étoit uniquement paree que lëxercice =» de fon emploi ne devoit pas durer plus long- N iv  100 HlSTOIRE DE IA Vil » reins, & qu'il ne concevoit pas (a) comment » ceux qui prenoient intérêt au bien de Manilius, »> avoient pu lui fouhaiter un autre juge a. Ce difcours, auquel on ne s'attendoit point, produific un changement fi étrange dans toute faflemblée, qu'on le pria, après beaucoup d'applaudiffemens, de fe charger lui-même de la défenfe de Manilius. II y confentit, &c remontant aufli-tot fur la tribune aux harangues, il expliqua toutes les circonftances de fon affaire, auxquelles il joignit plufieurs réflexions fort vives contre les ennemis (3) de Pompée. Cependant le procés s'évanouit , a 1'occafion de quelques nouveaux troubles qui furent caufés par des incidens plus confidérables. L'élection des confuls s'étant faite en été, P. Autronius Pcetus, & P. Cornelius Sylla furent élevés a ce rang ; mais a peine fut- elle publiée qu'ils fe virent accufés de brigue & de corruption en vertu de la loi Calpurnia , & s'étant trouvés coupables , leur dignité fut conférée a L. Manlius Torquatus & a L. Aurelius Cotta, leurs accufateurs & leurs concurrens. D'un autre cóté (a) Plutarq. Vie de Cicéron, (b) Qui tibi, cum L. Volcatius conful in confilio fuiP fet, ne petendi quidem poteflatem effe voluerunt. Orau in Tog. Cand.  de Cicéron, Liv. IL 2oi Catilina , qui étoit paffe de Ja préture au gouvernement d'Afrique , vint cette année a Rome, pour fe mettre au rang des candidats dans 1'élection confulaire; mais ayant été accufé de rapine & (a) de violence dans fon gouvernement, on ne lui permit pas de pourfuivre fes prétentions. Une confufïon de cette nature, caufée fans ménagement a des gens de cette importance , les engagea dans une confpiration contre 1'état, dont le fond confiftoit dans le deffein de tuer les nouveaux confuls, & de partager entr'eux le gouvernement. Mais elle fut arrêtée dans fa fource, fur quelques informations qu'on eut d'un projet trop précipité pour être conduit a fon exécution. On comptoit entre les conjurés (b) Cn. Pifo , jeune romain, pauvre & audacieux , & fi 1'on en croit Suétone , M. Craffus & Jules Céfar. Le premier devoit être créé dictateur, & le fecond , général de la cavalerie. Mais le repentir ou la crainte ayant fait changer de réfolution a Craffus, il ne fe trouva point au rendez-vcus dans le tems dont O) Catilina pecuniarum repetendarum reus , prohibitus erat petere confulatum. Sallujl. 18. (b) Cn. Pifo , adolefcens nobilis , lumma: audacis, egens,faftiofus..,. cum hoe Catilina & Antonius.... Confïlio communicato , parabant in capitolio L. Cottam & L. Torquatum confules interficere. Ea re cognita , rurfus in non, februar. confilium cajdis tranflulerunt. lbid.  102 HïSTOIRE DE LA VlE on étoit convenu, de forte que Céfar ne voulut point donner le fignal (a),qui devoit être de lailTer tomber fa robe. Le fénat appréhendoit particulièrement Pifon, & fouhaitant de lui infpiret des fentimens plus favorables a fa patrie, en rendant fa fortune plus douce, ou de lui öter 1'occafion de s'engager dans de ncuvelles cabales, il lui donna le gouvernement de 1'Efpagne a la follicitation de Cralfus, qui le foutenoit de fon crédit, comme un ennemi déclaré de Pompée. Mais on prétend qu'avant fon départ, il fit un traité particulier avec Céfar , par lequel 1'un sëngageoit a faire naitre des troubles au-dehors, tandis que l'autre (b) enflammeroit la ville & 1'Italie. Mais ce complot s'évanouit auffi par la mort imprévue de Pifon, qui fut aJfaflïné en Efpagne, les uns difent pour fa cruauté, ou, comme d'autres le pré» (a) Ut principio anni fenatum adorirentur, & trucidatis quos placitum effet, dictaturam Craffus invaderet, ipie ab eo magifter equirum diceretur. Craffum pcenitentia vel metu diem csdi deftinatum non obiiffe; idcirco, ne Czfarem quidem fignum quod ab eo dari convenerat, dediffe. Sueton. in J. Ccef. 9. (b) Paftumque eft ut (ïmul foris ille, jpfe Romx ad res novas confurgerer.t. tbid. Sunt qui dicant imperia ejus injufia barbaros nequiviffe pati 5 alii autem equites illos, Cn» Pompeii veteres clientes, voluntate ejus, PiTonem aggreffos» SalluJÏ. 1;.