01 1173 2376 UB AMSTERDAM   PRÉCIS D E l/H IST0I1E PHILOSOPHIQpE & POLITIQJJE DES   A ' MONSIEUR Je C® VANDER. H Ö O ]? 9 CoNSElLLER ET ApOCAT FlSCAL A U COLLEGE DE IL'AMÏÏRAUTÉ q u i r é s i d e A AMSTERDAM.' Monsieur.' J \S £ m'applaudis qu'en P'ous offrant ce oible kommage} la voix publique juflifiera m?n choix Ce Précis de l'ouvrage de M. VAbbèRAYNAL convicnt égalernent a thomme d'état, au pkilofo. a *  1* phc & au nègociant : mais U convient ^ ' vantage au minifire éclairé , que Knfpection immedtate & U maniement des affaires dont on y trouve la difcutfon, ont mis a meme d'en apprécier la valeur. Le public infiruit & équitaik Teconmi Monsieur, le prix des fervices que Vous aver^ rendus è la patrie, & que Vqtre rele pour le bien public lui rend encore dam ' l* charge importante que Fous occvper^fidignement, Ce n'eft pas a moi de Vous en louer. Ces fortes d'éloges , loin d'ajouter quelque èclat nu mente, en ont quelque ois terni la beauté^ Us ont ordmairementdeshonorè des panégyrifles indi/crets. Jefuis avec le plus profond refpect1 MONSIEUR? Votre très-humble Cf trètcbéijjant Serviteur s P. va n WOENSEL.  P R É F A C E D U ÏSDACTEüt *JfJout le monde veut être & paroïtre inftrult Maïs on aime a s'inflruire avec le rnoins de peine poflïble. U y a beaucoup de livres qui fe font juftement acquis une grande célébrité, que bien des favants & ceux qui ne le font pas par étac, voudroient connoitre , mlffis dont ils craignent de commencer la lefture, paree qu'ils font trop volumineux. Tel eft VHiftoire Philofophique fip Polhique des EtabliJJimcnts & du Commerce des Européem dans les deux Indes , un des chefs-d'ceuvre qui «ent illuftré ce fiecle ; ouvrage rempli de connohTances les plus profondes , les plus variées, les plus neuves, les plus intérefTantes pour 1'hom-me detat, pour le philofophe & pour le négociant. Le fujet de eet ouvrage important par luimeme , 1'eft devenu encore davantage par 1'élégance, par la nobleffe & par 1'élévation du ftyle, dans lequel M. 1'Abbé RAYNAL a le rare talent de s'énoncer. Il n'y a cependant qu'un petft nombre de perfonne dont la forterelfe eft gar-  s8 PRÉCIS de L'HTSTOIRÈ dée par une garnifon de cinquante hommes. La compagnie échange fa cire, foncaret, fon bois de fandal & fon cadiang (petite fêve, dont on nourrit, en partie, les équipages) contre de groffes toiles. Ces divers objets occupent une on deux chaloupes , expédiées de Batavia. L'isle de Celebes, dont le ciametre eft, d'environcent trente lieues, quoique ütuée fous la Zone Tornde, eft trés habitabie. Les chaleurs y font tem. pérées par des pluies abondantes, & des vents frais. Ses habitants font les plus braves de toute 1'Afie Méridionale. Leur premier chocq eft furtout furieux. Hs fe fervent d'un crid, qui reffemble a un poignard un pen long. D'autres nations Européennes avoient autrefois 1'habitude de vifiter cette iüe, en concurrence avec les Hollandois. Ceux-ci ayant pris la forterefié & le port dc Macaffer, cette navigation ceffa. Maintenant le gouverneur Hollandois en eft lc chef; il termine toutes les conteftations, qui s'élcvent entre les nombreuxprinces, qui s'y trouvent. On lesatous desarmés, afin qu'ils ne puiüent plus nuire a la compagnie. Les Chinois , les feuls étrangers admis a Celebes, y apporteut du tabac,du fil d'or, des porcelaines & des foies en nature. Les Hollandois y vendent de 1'opiLmi, des liqueurs, de la gommc-lacque, des.toiles fines & groffieres. Ces marchandifes font échangées contre un peu d'or, beaucoup de riz, de la cire, des efclaves & du tripam, efpece de champignon, qui eft plus parfait, a mefure qu'il eft plus rond & plus noir. Tout le benefice réuni de eet établiife-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 29 ment & de celui de Timor n'cn couvrent pas les frais. La compagnie les auroit longtems abandonnés, fi ellene les regardoit pas juftement, comme la clef des ifles a épiceries. L'isle de Borneo, oü la compagnie a aufli un établifiementj mais qui a un but moins important, eft une des plus grandes, fur notre globe, qu'on connoiffe. Ses cötes font peuplées de Macaffarois, de Javanois, de Malais $ d'Arabes, dont les mceurs font d'une grande férocité. Les Portugais & les Anglois, qui ont cherché a s'y établir, en ont été chaffés. Les Hollandois fe préfenterent, en 1748, devant 1'ifle, avec une foible efcadrc. Le prince leur accorda .le commerce exclufif du poivre, a 1'exception de cinq cents mille livres, /me les Chinois en tirent. La compagnie y envoyc du fel, de 1'opium & degroffes toiles. Sur ces objcts elle gagne a peine les dépenfes de fon établifiément, quoique elles ne montent pas au dela de 33,000 livres. Son feul benefice fe reduit a 1'achat de quelques dhmants, qu'on trouve ci & la le long des rivages des rivieres. L'isle de Sumatra a onze dégrés du Nord au Sud; 1'équateur la coupe en deux parties prefque égales. Les chaleurs y font tempérées par des pluies & des vents. Les tremblements y font trés fréquents. La partie méridionale eft occupée par des Malais, dont la religion eft un mahométisme trés corrompu. Leurs loix font peu nombreufes. Ils fe font toujours des préfents, lorfqu'ils fe vifltent. La grande abondance des vivres, & la frugalité de ces peuples les difpenfe  . 30 PRÉCIS de l'HISTOIRE ü de travailler. La nation, connue fous le nom deBatta, habite dans la partie feptentrionale de Sumatra. . Elle eft dansl'ufage de manger les criminels, dans le dcffcin d'infpirer de 1'horreur. Le benjoin ne fe trouve que dans Cette ifle 5 Pon en tire encore un camphre tres parfait, qu'on purifie en Hollande,avant de 1'expofcr cn vcntc. Dans cette derniere partie de - Sumatra, il n'y. a d'autres habitants que des corfaires, qu'on a chcrcfé im.tilement a détmire.. Dans 1'inté. rieut du pays il y a des mines, qu'on.remue fuperflcicllement; les pluics, qui tombent entorrents, depuis novembre jufqu'en mars, cntraincnt 1'or dans des circonvallations d'ofier, dcftinécs a les recevoir, & qu'on multiplie, afin que ce qui auroit pu échapper a la première, foit intercepté, dans quelqu'une de celles qui la fuivent. Lorfque le ciel eft redevenu ■ ferein, chacun va avec fes efclaves recueillir ce que le fort lui a donné. Les Hollandois ont placé fix comptoirs a Sumatra. Le plus confidérable en eft Palimban, oü ils achetent annuellement deux millions de livres depoivre a 23 livres le cent, & un million & demi d'étain a 61 ii\ res ia fols le cent. Ce poivre, quelque bon que foit le marché,au quel il eft acheté par les Hollandois , coüte encore moins au prince. Ses vêtements & une partie des nourritures pour fes états font tirés de Batavia, ce qui n'empêche pas, qu'il faut folder en piaftres. L'on débite qu'il poffede un tréfor immenfe. L'on ne concoit pas , comment il n'a jamais tenté la cupidité de quelque avanturicr.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 3ï Le commerce que la compagnie fait a Siam a été toujours en déclinant. Elle n'a pas été en état de foutenir le privilege d'un commerce exclufif, qu'on lui avoit accordé. Elle n'y cnvoye qu'un feul vaisfeau, chargé de chevaux de Java, de fucre, d'épiceries & de toiles. Elle en tire dc 1'étaiii a 77 livres le cent, de la gomme-lacque, a 57 livres 4 fols, quelque dents d'éléphants a 3 livres 12 fols la livre , & de temps en temps un peu de poudre d'or. Malaca lui eft d'une plus grande importance. Ce n'eft qu'après deux efForts inutiles, que la compagnie a réuffi a s'y établir, après en avoir chaffé les Portugais, en 1641. Elle n'en a pas fait revivrc le commerce, languiffant depuis longtemps , crainte dc nuire a Batavia. Les affaires en feroient plus animées, fi les princcs du pays étoient plus fideles a leur engagement, qui les oblige a exclure tous les étrangers de leur commerce. Les bénérlces de eet établiffement n'en couvrent par les dépenfes; il coüte annucllement a la compagnie 440,000 livres. Mais fa poffeffion, & cclle de Batavia la rendit longtemps maitreffe des deux feuls paflages connus alors, ou elle put intercepter des vailfeaux ennemis. Les détroits de Lombock & de Baly, qu'on a découverts depuis, ont fait ceffer 1'importance de Malaca. Spilbergen fut le premier des Hollandois , qui montra le pavillon de fa nation, fur les cötes de rille délicieufe de Ceylan. II trouva les Portugais occupés a en boulcverfer la religion & le gouvernement. Le peuple* de cette ifle ne vit dans lui  %% ' PRÉCIS de l'HISTOIRE que Pennemi de fes tyrans. Ils s'aiderent donc mutuellement a en chalfer les Portugais. Ils y réuffirefit, en 1658, après une fanglante & longue guerre. La compagnie occupe depuis tous leurs établilfements. A Pexception d'un petit endroit, oü il n'y a point de port, elle forme un cordon régulier autour de 1'ifle, qui s'étend depuis deux jufqu'a douze lieues dans les terres. Columbo eft le chef-licu de la colonie. Les ports de Pointe de Gale & Trinquemale font encore affez bons , quoique d'un acces un peu difficile. La deftinatïon des autres ports eft d'empecher toute liaifon avec les- peuples du continent voifin. T out es les produciions de 1'ifle font dansles mains de la compagnie. Celles qui font un objet de fon commerce font: i°. Diverses pierres précieufes, quelesChouliats de Coromandel taillent & vendent dans Pinde. a°. L e poivre, cultivé uniquement a Maduré ' que la compagnie achete 8 fols 9 deniers la livre; le café qu'eile ne paye que 14 fols 4 deniers & le cardamome, qui n'a point de prix fixe. Mais 1'indolence de ces' infulaires fera toujours- languir ces cultures. ; 30. Une centaine de balles de mouchoirs, de pagnes '& des guingans, d'un tres beau rouge, fabriqués par des Malabares a JafTanapatnam. 40. Quelque peu d'ivoire & environ cinquante éléphanfs. On les employé dans les guerres. 50. L'a r e q u e , que la compagnie achete, a ^ raifon  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 33 raifon de 11 livres, 1'ammonan , forte • de mefure , qui eft cenfée contcuir 20,000 areques. Ce font des noix, dont on fait un grand ufage en Aiie. On en corrige les viccs par le bétel; fes fueilles fervent a envelopper Parcque. Les Jndicns les machent toute la journéc. C'eft une pratique conftante, & qui eft de la bienféance, d'eii préfenter, lorfqu'on fe vifite. En fe féparant pour quelque temps, c'eft une marqué d'amitié de s'en donner mutuellement. 6°. L a pêche des perlcs eft encore un des revenus de Ceylan. Cette fource de richeffes eft tarie depuis longtemps. Tous les cinq ou fix ans elle apportc , k la compagnie , 200,000 livres, * 70. Ma 1 s fon grand objet eft la cannelle , qui eftle produit d'une efpece dc laurier. Les vieux cannelliers ne donnent qu'üne cannelle imparfaitc. Pour les rajeunir, il fuffit de coupcr le tronc. Les nou velles tiges qui viennent de la fouche, ne laiffent rien a delircr. La cannelle, pour être excellente, doit être fine, unie, facile a rompre, mincc, d'un jaune tirant fur le rouge, odorautc, aromatique , d'un goüt agréablcment piquant. L'on en préfere les batons longs. Le métier dc dépouiller les cannelliers eft regardé a Ceylan comme tres vil; 011 1'abandonne aux Chalias, la plus vlje des caftes. Tout autrc, en s'y livrant, feroit chaffé de fa tribu. La cannelle ne croit que dans cértains dilriéïs'. Les montagncs, habitées par les Bedfs, oü ni les Chingulais, ni les Hollandnis n'cfent pénétrer, C  34 PRÉCIS de l'HISTOIRE en font remplics. Negombo, Columbo, Pointe de Gale, les feuls endroits, fous Ia dominatibn de la compagnie, oü l'on en trouve, en fournnTent la plus grande partie, dont elle a befoin. Elle lui revient a 13 fols 2 deniers la livre. Tous les revenus de 1'ifle ne montent pas au déla de 2,200,000 1. L'entretien en coute 2,420,000 1. La compagnie s'eft vu obligéc de faire plufieurs fois la guerre aux naturels du pays, qu'eile a traités avec beaucoup de ménagement. Cependant la paix a été troublée a plufieurs rcprifcs. La guerre terminée le 14 Fevrier 1766, a été une des plus longnes & des plus fanglantes. Elle a fmi par un traité tres avantageux a Ia compagnie, dans lequel on reconnoit fa fouvéraineté fur tous les endroits, dans fa poffeflion avant les troubles. II lui accorde la permilfion de peler la cannelle dans toutes les piaines, de faire le commerce par tout, oü on le jugera a propos; on s'y engage a s'abftenir de toute liaifon avec une puiffance étrangere quelconque, & a livrer tous les Europécns qui pourroient s'être gliffés dans 1'iflc. N'est-il pas probable que la compagnie, en cedant des terrcins aux naturels du pays, en les excitant au travail, & en encourageantles cultures, tireroit des avantages beaucoup plus conlidérablcs dc eet établiflenient? Negapatnam eftle chef-lieu des différentes loges, que la compagnie a fur les cótes de Coromandel. Elle tire de ces divers établiffements quatre ou cinq  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 3£ mille balles de toile. Elle donne en échange du fer, du plomb, de 1'étain, de 1'araque, des bois de cbarpcntc, du poivre, des épiceries , de la toutenague, cfpccc dc minéral, qui participe du fer & de 1'étain. Elle gagne fur ces objcts réunis 1,100,000 liv. Les douanes rapportent 83,ooo Hv. Ses dépenfes annuelles montcnt a 808,000 liv. Le produit liet du commerce n'eft donc principalement que le bénéfice , qu'eile peut faire fur les toiles. La fituation de la compagnie eft encore moins bonnc au Malabar, oü elle a plufieurs comptoirs. Ses vcntes fe réduifent a un peu d'alun, de benjoin, dc camphre, de toutcnague, de fucre, de fer, de calin, dc plomb, de cuivre & de vif-argent. Le vaifieau, qui a porté cette médiocre cargaifon, s'en retourne a Batavia, chargé de kaire, pour les befoins du port. La compagnie gagne au plus fur ces objets 396,000 liv. qui avec 154,000, que lui produifcnt les douanes, forment une maffe de 550,000 liv. Dans la plus profondc paix, 1'entreticn de eet établiffement lui coute 510,000 liv. Mais elle en tire 2;ooo,ooo de poivre, qu'on envoye fur des chaloupes a Ceylan; & ce poivre ne lui coute que 38 liv. 8 fols le cent, tandis que les nations rivales le payent 43 jufqu'a 48- liv. le menie poids. Malgré ces avantages Malabar n'eft qu'un établiffemant désavantageux a la compagnie, qui doit s'épuifer dans des gucrres finglantes , dont il eft 1'occafion. A u milieu dc tant de fuccès les Hollandois s'appefGttrent qu"il leur manquoit un lieu de relache, oü C 1  36 PRÉCIS de l'HISTOIRE leurs vaiffeaux puffent,dans ce long voyage, trouvcr des rafraichiffcments. Van Ricbcek propofa le capde Bonne-Efpérance. Cet x-tabliffement fe forma fous fa direéHon. On y attira nombre de colons par Pappas de plufieurs avantages. Les Hottcntots, domicilies dans des cabanes couvertes de peau, oü ils n'cntrent jamais que dans le temps de pluies, occupés uniquement a conduirc des beftiaux, étoient les habitants de ce pays. Tous les biens font parmi eux en commun; ils n'ont donc gueres fujet de difpute. Si le bétail ne s'égaroit, ils n'auroient jamais des qucrelies avec leurs voifms. Ils font malpropres, mais bicr.Lifants. Leur langue eft une efpece de ramage, compofé de fifflements & de tous bizarres, qui n'ont prefque point de rapport avec les nötres. C'eft une fable ce qu'on raconte du tablier de chuir, qu'on attribuc aux femmes dc ces contrées; mais les Hottentots n'ont qu'un feul tefticule; on leur extirpe Pautre avec beaucoup de cérémonie. Van Riebeck commenca par s'emparcr du territoire qui étoit a fa bienféance, & fongea enfuite a s'y affermir. Pourquoi, dit 1'envoyé des Hottentots a ces étrangers, pourquoi aver^. vous femé nos terras ?pourquoi les employer-vous a nourrir vos troupeauxf de quel ceil verner-vous ainfi ufurper vos champsf vous ne vous fortijie-, que pour réduire par dégrés les Hottentots a 1'efclavage. Les Hollandois, alors encore foibles, cal_ merent les efprits par beaucoup de promeffes & quelques préfents. Tout a été en paix depuis. Cet étabüffement couta a la compagnie, dans  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 37 1'erpace de vingt aas, quarantc-fix rnillions de livres. - Lc cap dc Bonnc-Efpérance tcrminc'da pointe méridionale de 1'Afriquc. A feizc licucs de cette fameufe montagnc, eft une péninfule formée au Nord par la baie de ïable, & au Sud par Falfe-baie. Tous les batiments abordent dans la première; mais les orages les obligent de mouillcr, depuis le 20 mal jufqu'au 20 feptembre , dans 1'autre. Le ciel du cap eft tres agréable: mais les vents le rendent louvent incommode. L'air dc ce féjour eft tres pur, & fert i'eul de remede aux navigateurs, tombés malades dans ce long trajet. Peu d'innrmités affligent les colons. Le fol du cap, a moins de n'ctre fertilifé par l'art, n'eft qu'un fable ftérile. Les eaux & lc bois y manquent dans les campagnes. L a ville du cap eil compofée d'cuviron mille mailbus, baücs en brique, & couvertes de chaume, a caufe des vents. Ses mes font larges, & elles fe coupent a angles droits. Dans la rue principale eft un canal, bordé d'un plant d'arbrcs. Al'extrcmité dc la ville eft lejardin delacompagnie. Chacun de fes quarrés eft entouré de chênes taillés en palliffades, a 1'exception dc ccux de 1'allée du milieu, oü on les lailfe croitre de toute leur hauteur. L'cnfemble en forme un fpeétacle délicieux. Les campagnes voilines de la capitale font couvertes de vignes. Leur produit n'a rien a craindre de la gélée ou de la gréle. A 1'exception d'un vin fee, C 3  38 PRÉCIS de l'HISTOIRE aigrelct & affez agréable, qui tire fon origine de Madere, il eft d'une qualité tres inférieure. Le vin de Conftance n'eft cueilli que dans un territoire de quia'zé arpents, fur des feps autrefois apportés de Perfe. Pour en augmenter la quantité, on le mêle d'un vin mufcat aifcz bon, que produifent les cóteaux voifins. De ces vins une partie eft livrée a la compagnie, qui en fixe elle-mémc le prix. Lc refte eft vendu a raifon de douze cents francs la barrique. L b s grains fe cultivent a une plus grande diftance de la capitale. Ils y font tres abondants a eaufe de la facilité des engrais, & la faculté de laiffer repofer les terres. Ces cultures s'arrêtent a quarantc ou cinquante lieues du port. Ils ne feroit pas convenable de voiturer les denrées, d'un plus grand éloignement. En pénétrant plus avant dans 1'intérieur du pays, on ne le voit couvert que de nombreux troupcaux qui, deux ou trois fois 1'année, font conduits au chef-liett de la colonic. On les échange contre quelques marchandifes apportécs de 1'Europe & des Indes. Les colons fe plaigncnt du bas prix, que le monopolc met a leurs denrées; des entraves dont il gêne la ventc de celles, qu'il ne retient pas, & qu'il impofe a leur navigation; dc 1'intolérance, avec la quelle ils défendent aux Luthériens d'excerccr leur religion. L'humanité, la juftice & la politique reclament le redreffement de ces griefs. La colonie confifte dans une population de quinze mille Européens, Hollandois, Allemands & Francois,  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 39 dont la quatrieme partie eft en état de porter les armcs. Elle a fept cents hommes de troupes régulieres pour fa défenfe. On y compte quarante ou cinquante mille eiclaves, achctés en différents endroits. On ne voit nullepart aillcurs les noirs traités avec tant d'humanité. C'eft le feul endroit dans le monde, oü le blanc ait daigné partager avec les negres les occu» pations heureufes, nobles & vertueufes de la paifible agriculture. Ce n'eft que depuis quelque temps „ qu'on envoye en Europc deux ou trois cargaifons de bied du cap, qui eft excellent. Pour donncr un centre a fes établiffements, Ift compagnie jetta 1'ceil fur Java, nonobftant le caractere corrompu & inhumain de fes habitants. Cette ifle a deux cents lieues de long fur une largeur de trentc ou quarante. Les divifions, dont elle étoit continuellement agitéc , aiderent infignementles Hollandois dans leur projet de la conquerir. Avant qu'il fut executé, on établit a Java un gouvernement, qui eut un palais, des gardes , un extérieur impofant. C'eft qu'on avoit befoin d'éblouir les peuples de 1'Orient, & d'effacer la mauvaife idéé, que les Portugais avoient repandue d'eux. Les Hollandois font depuis longtemps les maitres de cette ifle, dont ils poffedent le commerce exclufif. Le gouvernement de Bantam coute a la compagnie 110,000 livres, qu'eile retrouve fur les marchandifes qu'eile y débite. Elle a en pur bénéfice ce qu'eile peut gagner fur trois millions de poivre, qu'on eft obligé de lui livrer a 28 livres 3 fols le cent. C 4  40 PRÉCIS de l'HISTOIRE Cheribon lui eft encore plus utile. II lui iivrc annuellement 3,300,000 livres de riz a 25 liv. 22 fbls le millier; un miliion de fucre, dont le plus beau eft payé 15 liv. 6 fols & 8 deniers le cent; un miliion deux cents mille livres de café a 4 fols 4 den. la liyre;. trentc taille livres de cuton, dont lc plus beau n'eft payé que 1 liv. n fols 4 den. la livre; fix cents mille livres d'arequc a 13 liv. 4 fous le cent. La dépenfe de cet établiffcmeut, ne monte pas audeffus de 45,000 livres, qu'on gagne fur les toiles, qu'on y porte. 1\Iatarajv a des ports, oü l'on conftruit tous les petits batimcuts , toutes les chaloupes, que la navigation de la compagnie exige. Trois cents cavaliers & quatre cents foldats, dont 1'cntreticn &. celui des employés demandent 835,000 livres, fervent a fa défenfe. Ce royaume s'eftobligé aluilivrer 15,000,000 pefant de riz a 17 liv. 12 fols le millier; tout le fel qu'eile demande a 10 liv. 7 fols 10 den. le millier; 100,000 liv. dc poivre a 21 liv. 2 fuls 4 den. le cent; tout 1'indigo qu'on cueille a 3 liv. 2 fols la livre; le cadjaug dont fes vailfcaux ont bcfoin, a 28 liv. 3 fols 2 den. le millier; le Hl dc coton, depuis 13 fols jusqu'a 1 liv. 13 fols. ' La compagnie, contente de s'êtrc approprié le commerce exclufif de 1'ille, ne chercha jamais a y avoir une propiiété. Tout fon domaine fe reduit au royaume de Jacatra. Son fol eft excellent, mais faute de mains il refta longtemps inculte. On a vendu dans Ja fuite ces terres a des Chinois & des Européens,  PHILOSOPHIQUES des DEUX INDES. 41 qui, découragés par la gêne, fous laquclle le gouvernement fait gémir les cultivatcurs, ne s'en fervent que pour 1'éducatiou de leurs troupeaux- ■ Cepcndant fes prodnits ne laiffent pas de mouter a 10,000 livres pefant d'indigo, a 25,000 livres de coton, a 150,000 de poivre, a 10,030,000 de fucre, ik a quelques autres articles moins importants. Ces produits & ceux dc 1'iflc entiere font portés a Batavia, bati fur les ruines de Pancienne capitale de Jacatra, au lixiemc dégré dc latitude méridionale. Cette ville a uü s'embcllir fucceffivement; cependant a 1'exception d'une églife, aucun monument n'y a de IWganCe ni dc la grandeur. Les maifons y ont de la commodité, & une dillributionconvenable. Les rucs y font plus larges, mieux percées , & plus commodes que partout ailleurs. La plupart en font traverfécs par des canaux bordés des deux cótés de fuperbes arbres, qui lui donnent un ombrage délicieux. Les vents y rafraichiflént agrcablement Pair; mais lc climat y elf trés mal-fain, cc la mortalité y eft trés grande. Les geus a leur aifc vivent a la campagne, & ne viennent en ville que pour affaires. Néantmoins la population de cette cité célebre ne laiffe pas d'être immenfe On compte 150,000 cfclaves dans la ville & dans fes cnvirons. L'on y trouve des Indiens de tout 1'Eft de PAfie. Des loix trés feveres entrctiennent la tranquillité parmi tant dc nations différentes. Malgré lê maffacre horrible qu'on ya fait, 6111740, des Chinois, qui s'étoient rendus fufpeéls de méditer des projets funeftes, l'on en Os  4* PRÉCIS de l'HISTOIRE compte encore dans la colonie environ 200,000; ils y font des fortunes immenfes. Les Chinois feuls y fout les bons cultivateurs; ils y conduifent toutes ïes manufaéturcs. Us payent une forte capitation & d'autres tributs plus humiliants encore. 11 y a environ dix mille blancs dans la ville; quatre mille d'entre eux, nés dans 1'Inde , ont dégénéré a un point inconcevable. Ils y menent une vic délicieufe. Les plaifirs s'y fucccdcnt avec rapidité. Indcpandemment de ce que peut fournir un fol tres fertile , les tables y font furchargées, a grands frais, de tout cc que 1'Europe & PAfie fournit de plus délicicux. Les mceurs cependant n'y font pas plus corrompucs qu'ailleurs, quoique les femmes pouffent a 1'excès leur goüt pour le luxe. Ellcs ne fe montrent en public qu'a • vee beaucoup de fafte. L'alentour dc Batavia n'offre que des campagnes riantes, des chemins larges, Bnis, faciles. L a rade de Batavia eft tres füre, quoique un peu moins praticable, depuis qu'un banc de boue, qui groffit tous les jours, s'eft formé a fon embouchure. Cette rade eft la plus conlidérablc de 1'Inde. Tous les vaiffeaux expédiés par la compagnie en Afie s'y rendent, a 1'exception de ceux , qui vont a Ceylan, dans le Bengale & a la Chine. On y voit arriver beaucoup de batiments particuliers. Ils naviguent avec des paflé-ports de la compagnie. La traite des efclavcs, qui s'éleve annuellement a fix mille des deux fexes, forme une des principales bran» ches du commerce libre. Emny, Limpo, & Cau-  PH1L0SQPHIQUE des DEUX INDES. 43 ton cnvoycnt ordinaircment douzc jonques, avec environ deux mille Chinois, qui vont a Batavia, dans Pefpérancc de faire de groffes fortunes. Ils y portent pour 3,000,000 1. de marchandifcsdelcur pays, pour les quelles ils recoivent en échange de 1'étain, du poivre & ces nids d'oifeaux dc 1'Orient fi renommés, qu'on croit favorables a la pafiion pour les femmes. Avec ces produélions ils foldent encore en argent, dont la malle eft groffie par celui des Chinois, qui rctournent avec de grandes fortunes dans leur patrie. Les Efpagnols des Philippines- viennent aufli a, Batavia achetor dc la canclle pour le Mcxiquc, qtVils payent avec dc 1'or, de la cochenille & des piaftres. R.ar.ement l'on voit a Batavia les Francois ; ils n'y font attirés, que par le befoin de s'approviüonncr. Les Anglois fréquentent plus fouvent fa' rade; ils y échangent leurs quincaillerics contre dc 1'araquc. Des chaloupcs armécs, qui croifent pcrpétucllement dans ces parages, cmpèehcnt lc commerce frauduleux. Tout cc qui entre & cc qui fort dc Batavia paye cinq pour cent. Cette douane eft affèrmée 1,900,800 livres. Les Chinois y payerit 384,000 pour la pcrmiffion d'ouvrir des jcux de hazard. Cette capitale des Indes Hollandoifes a cependant encore d'autres revcnus, fans qu'ils couvrent les dépenfes, qu'eile abforbe, & qui s'élevent affez régulierement a 6,600,000 liv.  44 PRÉCIS de e'HISTOIRE Le confeil de Batavia domine fur tous ces établisfements. Le gouverneur-général, le direAur-général & cinq confeillers, lc compofent. Cxft la diroftiön de 1'Europc qui nomme a ces places. La voix, la fignaturc du gouverneur-général font indifpenfibles dans toutes les opérations dc commerce. Ordinairement fa voix décide dans le confeil, puifque tout lc monde a befoin de fa proteéiion. Ses appoiutements font médiocres; mais la mefire de fa fortune ell la permifiion qu'il a de prendre dans les magafins de la compagnie les marchandifes, qui font a ft bienféance. Lc confeil de Batavia^ s'affemble deux fois la femaine. II elf fubordonné a la direotion qui fublifte dans les Provinccs-Unies. Le foin dc vendre les marchandifes eft diftribué entre les üx chambres intercffées dans ce commerce. La dircétion eft compofée dc dix-fept membres; Amftcrdam en nomme huit, la Zélande quatre, les autres chambres chacunc un. Tuut fe décide dans ce confeil a la pluralité des voix. Quatre d'entre les directeurs fout chargés dc la feercte commiffion des-affaires de la plus grande importance. L a compagnie s'éleva a un dégré éclatant de profpérité, nonobftant les vices de ccttc inftitution fingulierc. Les Hollandois durent leurs premiers fuccès au bonheur, qu'ils eurent de s'emparcr, dans moins d'un demi-iïecle, de plus de trois cents riches vais- feaux Portugais. En fe fiiffiffant de leurs établiffements, ils y trouverent des fortereffes folidement balies, munies d'une artillerie nombreufe, richement  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 45 approvifionnées. Cet avantagc les exempta de kdépenfes immenfes, les quclles ils n'augmentoient pas jnal-a-propos pat 1'ambition des conquètes. Le feui but au qucl ils vifoicnt étoit un commerce exclufif. Hormis quelques forts peu confidérables , qu'ils avoient fur le continent, leurs principales forces étoient concentrées a Java & a Ceylan. La ruine de la puiffance Portugaife donna une doublc vie a leur commerce, & le fit d'abord infinimcut fleurir. Avec le temps ils parvinrent a fe rendre maitres du cabotagc dc 1'Afic, comme ils 1'avoient fait cn Europe. Ces avantages empêchcrent longtemps les nations Européennes d'entrer avec eux en concurrcncc. La compagnie fut protégée par la Iïollande, oü elle trouva un' débouché pour les manufactures de 1'Orient. Mais enfin elle eft defcendue dc cette hauteur. Ses premiers fonds ne furent que de 14,211,648 liv. II en fut fourni 1,084,813 par Amfierdam; 2,934,540 liv. 8 fols par la Zélande; 1,180,905 par Enchuifcn; 1,034,000 par Delft; 587,109 liv. 12 fols par Hom, & 390,280 par llotterdam. Ce capital a rendu depuis rorigiue jufqu'au premier Janvier 1778, annéc commune, vingt-un & un dix-feptieme pour cent. On 1'a divifé en aótiöns dc 6,600 liv. dont il y avoit 2,153. Eilcs s'élevcrcnt, dans les temps lieureux, a un prix incroyable. On les a vues déclieoir facceffivement jufqu'a 234. C'eft que lc dividende qui étoit monté a trente ou quarante pour cent, n'eft plus que de douze pour cent Cet état de décadence augmentera fuccefiive-  46 PRÉCIS de l'HISTOIRE ment. En 1751 le capital de la compagnie, les dettes payées, ne pafloit pas 62,480,000 livres. A la même époque, les bénéfices annuels s'élevoient a 27,940,000 liv. Les dépenfes abforboient 20,460,000 liv. II ne lui rcfioit donc que 7,480,000 liv. pour payer lc dividende, & pour faire face aux guerrcs & a tous les malheurs que la prudence ne peut ni prévoir ni empêcher. Auffi le général Moffel regardoit-il la compagnie comme un corps épuifé. II nous a été impoffible d'avoir un bilan pollérieur a celui que nous venons d'expofer. Mais que doivent donc penfer les intéreffés, qui peuvent demander d'autorité le compte de cette conduite ténébreufe ? que les affaires font dans un grand défordre, ou dans de tres mauvaifes mains? que les chefs d'état n'ofent, ou ne peuvent, ou ne veulent interpofer leur autorité, dans une circonftance aufh importante. Quolqu'il en foit, on ne lahTe pas dc voir, que la fituation de la compagnie devient de jour en jour plus fachcufc. Les guerres fréquentcs, que la compagnie fut obligée de faire dans prefque tous fes établiffements, cauferent en partie cette décadence. Elle s'eft vu obligée de fe foümettrc fouvent a des vexations onéreufes. La concurrence des autres nations Européenncs a beaucoup diminué fes bénéfices. Ses employés y contribuerent encore confidérablement par leurs infidélités & leurs malverfations, & elle fe vit partout trompée. La fimplicité des mceurs, qui avoit longtemps fubfifté a Batavia, commenea a s'al-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 47 terer & elles gagnerent les mêmes vices. Ces désordres auroient pu être arrctés dans leur origine, s'ils n'avoient dti faire les mèmes progres en Eurepe. Les places de directeurs, confiées d'abord a des négociants habiles, tombcrcnt, a la longue, dans des maifons puiffantcs, & s'y perpétuerent avec les magiftratures. Les directeurs ne virent dans leurs places que la facilité de placer leurs parents, fouvent des gens dc mauvaife conduite. La multiplicité des chambres & des chantiers augmenta encore les frais. On vendit avec perte les marchandifes envoyées aux Indes, quelquefois mal afforties. La vanité qui n'ofa pas montrcr des bcfoins, empêcha de faire des emprunts en Hollandc, a un interct trés bas.. Ou en ordonna en Afie a fix ou a neuf pour cent. Les états-généraux, intéreffés a veiller a la profpérité de la république , n'auroients-ils pas pu & dü arrêter ces défordres? auroient-ils dü fe contenter d'un état annuel d'afFaires tcllement confus, que les négociants les plus intelligents ne feauroient Ie débrouillcr? Pour remedier h. taat de maux, il falloit commencer par fimplifier la direclion en Europc meme; Tant dc chambres ne peuvent entrainer que des frais, du délai & de 1'embarras dans les affaires; elles doivent être réunies dans un feul port. Puis la direftion obligera les Hollandois a traiter en Afie les princes Indiens avec plus d'équité. Elle diminuera fes étatabliffements trop multipliés. Elle détruira dans les eomptoirs fubalternes des fortifications inutiles. Elle retranchera les confeils & les employés. Cette réforme  48 • PRÉCIS de l'HISTOIRE s'étendra jufque dansles colonies importantes, pour faire ceffer les malverfations, qui regnent dans les atteliers, les magafins, les chantiers & les arfenaux de Batavia & dans les autres grands établiflements. Ses facteurs feront choifis avec plus de foin. Le commerce d'Inde en Inde fera readu Hbre; la compagnie gagncra alors plus par la perception des droits, qu'eile ne gagne fur les échanges. Elle retranchera le nombre de fes navircs , & elle les fera conftruire par entreprife. L a compagnie doit d'autant plus fonger a cette réforme, qu'eile perdra, tot ou tard lc commerce exclufif d'épiceries, qui fait la plus riche branche de fes affaires. L'on prétend qu'elles réuffiffent auffi hors des ifles Molucques. Elle eft encore plus ménacée par fa foibleffe. Les officiers qui conimandent fes vaiffeaux font bons marins , muis ils n'ont pas la première idéé des évolutions navales, fans parler des viccs de leur éducacation. Ses troupes de terre font encore dans un plus mauvais état. Ses foldats, déferteurs dc totites les nations Européennes, fpnt mal nourris, mal habillés, épuifés. L'état militaire, qui fert la compagnie, eft dans Paviüffemeut. Sa facón d'enrölcr les foldats,'par 1'entremife de cette race vile, qu'on appelle vendeurs d'ames eft malhonnête & vicieufe. L'impossibilitc oü la compagnie fc trouveroit, de fe défendre contre une efcadre de fix vaiffeaux dc ligne, Anglois ou Francois, doit la re veiller & lui faire fentir le danger, qui la ménace de perdre  PHILOSOPHIQCJE des DEUX INDES. 40 perdre toutes ces poffeffions, cn moins dc temps qu'eile n'a employé a les conquerir fur les Portugais. Ses'meilleurcs places font fans défenfe; & elle n'a point d'cfcadre pour les ptv.tegcr. La plus grande force de 'Batavia confifte dans la facilité qu'on 'a d'mondcr tous fes cnvirons. L'impoR-Tance dc cc corps pour la république, doit 1'cngagcr, a ne lc laiffcr pas périr. Elle en a tké des avantages infinis. La compagnie a payé chaque fois fon privilege avec des fommes coniidérables. Elle a prêté de 1'argent a 1'état, au quel elle cede lc falpctre a un prix tres modique. Elle pré-, vient encore que les manufactures dc Lcydc & de Harlcm nc périffent totalcmeijt. Elle paye annuellement a 1'état 850,000, pour s'ail'rancliir des droits d'cntrée & dc -fortie. Elle vend 45,000,0:0 cc qu'eile a acheté avec quatre ou ciuq millions de numéraire. Les trois quarts de ces , marchandifes, vernies de 1'Afie, paffent chez 1'étrangcr. Namblf dc capitaliftcs, devenus tels dans fon fervice, eu'i-, cliilfent. actuellement 1'état. La frugalité, 1'aétivité cc 1'induftrie des anciens Hollandois ont fait flêurir & la répubiique & la compagnie; elles ent enrichi toutes les deux; les richesfes ont arcéné des viccs, & ces vices ont cn Europe & cn Alie corrompu & 1'une & 1'autrc! La deftiüée de toute nalion commcrcantc eft d'êtrc richc, lachc^ corrompue & fibjuguée! }>  ïre PRÉCIS de l'HISTOIRE CHAPITS.E III. *! Des établïffements des Anglois dans les grandes Indes. ^ICs/es Anglois, après avok achete longtemps leurs vaiiléaux a Lubeck & a Hambourg y apprirent enfin, a en conftruirc chez eux. Bientöt ils firent feuls le, commerce de la Mofcovie par la voye d'Archangcl, Ils commencerent le commerce de la Turquie. Muis kurs cftbrts,pour s'ouvrir un paffage par lesmers du ]\Tord aux Indes, furent inutiles. Enfin Drake, Stephens , Cavendifch. y arriverent les uns par la mer du Sud, les autres. en doublant le cap de Bonne-Efpé- .,iance. Les plus habiles négociants formerent, en 1600, une fociété. Elle obtint un privilege exclu-, fif, mais feulement pour quinze ans. La fageflé de, la reine Elizabeth av.oit publiquement déclaré, qu'on 1'aboliroit, encas qu'on la trouvat préjudiciable aux intéréts1 de la nation; mais on avertiroit la fociété deux ans d'avance. Les fonds de la compagnie furent d'abord.. ibibles. L'armement de quatre vaiffeaux, partis en 1601, & leur cargaifons les abforberent. Lan-i. cafter, a qui cette expédition étoit confiée, arriva , 1'anuéc fuivante au port d'Achem, entrepot alors  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. Si fort eétébre. La rëputation, dont la nation Angleifè jouilToit dans ce temps aux Indes, lui procura un accueH tres gracieus & a Achem &a Bantam, outre la facilité de chargcr fes navires d'une ricke cargaifön des marchandifes les plus precieufes. L e feutiment des avantages que les Portugais & les Hollandois y avoient alors fur eux, contre les qncls il leur fembloit être impoffible de luttcr, les jettapour le moment dans le découragement. Le projet de faire des établïffements & dc tenëcr des conquetes leur paroiffoit au-dcffus des forces d'une fociété naiifante. L'intelligcnce & 1'aétivité de la compagnie fuppléa a I'appui, qu'eile étoit en droit d'attendre de Jacques I, mieux fait pour être a la tète d'une univerfité que d'un royaume. Elle eüt des forts & des comptoirs, & elle partagea avec les Hollandois le commerce des épiccries, alors 1'objctpriiicipal du commerce dc l'Afie. Geu x-c i, jaloux de cette rivalité, attaquerent les Anglois. L'Océan Indien devint alors le Öiéatre des combats fanglants, ou ccux-ci inférieurs en force fuccomboient. Le feu de cette dlfcorde fut éteint par un traité, qui por tevt ridiculemen'e que les Molucques appartiendroient- aux deux nations cn commup ; que les Hollandois. auroient deux tiers, & les Anglois un tiers dc leurs produétions; que chacuu contribucroit a raifoit du bénéflce aux frais de la défeafëCet accord devoit durër vingt aits.. S u K. ces entrefaites les Portugais & les Efpagaols avoient repris les Molucques. Les Anglois avouerent qiivcrtement riiupofiibiüté, qü ils fe trouvoient de les cn D 2  £2 PRÉCIS be l'HISTOIRE- faire déloger. Les Hollandois plus forts que leurs rivaux y réulfirent feuls, & fe réferverent a eux exclufivement le fruit de 1'expédition. Peu de temps après les Anglois convaincus d'avoir irainé un complot perfide , furent tous maffacrés par les Hollandois a Amboine. Mais cc n'eft que la concupifcenee, a ce que prétendent les Anglois , qui a fait couler le lang innocent de leur nation. Cependant ccux-ci avoient formé des établiffements a Mafulipatan, a Calicut & a Dclhy. Suratc tenta en 1611 leur ambition. La fupériorité des Portugais fit échouer pour le moment ce projet. Lc capitaine T. Beft s'y • montra 1'année fuivaute avec des forces plus èonfidérables, mais toujours inférieures a celles des Portugais, contre les quels ils fe battit avec tant de gloire, que fi nation devint célébre en Afie & furtout en Perfe. Dans le temps de la profpérité des Portugaï? aux Indes, la Perfe fut gouvernée par le fage SchahAbbas, plein du dcfir de tirer cet état de 1'anéantisfement, oü la ftupidité de fes prédéecffeurs 1'avoit plongé. Une colonie d'Arméniens, transféréc a Ifpr.han, y portoit 1'efprit de" commerce. Leur intciiigence en changca lc fyfterne dans les Indes,qui alloit prendre en partie la route par "la Perfe. Les Portugais mettoient toutes fortes d'entraves a ces nouvclles opérations. Leur tyrannie révolta le grand Abba, qui, infiruit du reffentiment des Anglois, leur propofa de réunir leurs forces de mer a fes forces dc terre, pour alficger Onnuz. Les vainqueurs' y trou-  T»HILOSOPIIIQÜË des DEUX INDES. 53 verent un butin immenfe, qu'ils partagerent, & ruincrenc la place dc fond cn comblc. A trois ou quatre lieues de la eft lc port dc Gombroon, connu depuis fous le nom dc. Bender-Abaffi. L'air cmbrafé qu'on y refpire, les vapeurs mortelles qui s'élevent continucllcmcnt dc la terre , fembloient ne 1'avoir pas deftiné , a être habité par des hommes. Mais fa pofition cclipfoit ces inconvénients. BcudcrAbafli eft placé a 1'entrée du golfc. On affocia les Anglois au projet qu'on avoit formé d'en faire 1'entrepöt d'un grand commerce dans les Indes. On leur accorda de grands avantages, a condition qu'ils entrctiendruient toujours deux vaiffeaux de guerre dans le golfe, pour fe défendre contre lc relfentiïnent des Portugais. Ces circonftances & des négociants Arménicns ctablis a Bendcr-Abafli en faifoient fleurir lc commerce. Cette nation avoit depuis longtemps entrepris le trafie des toiles. En échange des marchandifes qu'on portoit cn Perfe, elle donna dc la foic , de la lainc de Carmanie, peu inférieure a celle de Vi ■ gogne, des turquoifes, dont nos femmes fe paroient autrcfois, de riches brocards d'or, des tapis, du maroquin, du chagrin, du poil de chevre, de 1'caurofe, & quelques articles moins importants. Cetendant la profpérité des Anglois ne dura gueres; ils furent partout fupplautés par les Hollandois, & la compagnie n'étoit plus rien a la mort de Charles L Ayant obtenu, cn 1647, ^c renouvellement dc fon privilege, elle recommenea fes £if* D 3  54 PRÉCIS de è'HISTOIRË faircs avec une nouvelle ardcur. Sou commercé étoh trés important dans tous les marchés dc 1'Afie $ ■ qu'eile avoit anciennement fréquentés. L a corruptioii &la vénalité dc Charles II non content des fommes imnienfes tirées de la compagnie, le porterent encore a vendrc a des particulicrs la liberté de trafiqueren Alie , cc qui ne pouvoit manquer de mettre la nation en diffenfion avec ellc-mème, & dc miuer la fortune renaiffante de la compagnie. Les Hollandois voulurcnt mettre a profit cette occafion , pour cxclure leurs rivaux du commerce de 1'Afic, tantöt par la voye de force, tantót par des intrigucs. Pour s'en venger, la compagnie rit équiper vingt-trois vaiffeaux. Mais la pervcrlité de Charles II & 2,250,000 livres, payés par les Hollandois, firent échouer ce projet, le roi ayant défendu la fortie de cette efcadre. Epuifée par eet cffort, la compagnie emprunta 6,750,000 livres , cn Afie. J. Child le plus accrédité des directeurs, imagina, fous des prétextes abfardes, dc fruftrerlcs prètcurs de leur créance. Cette conduite fut,de la part des Anglois , iuivie d'hoftilités contre les pcuplesOrientaux^ dont Aurcngzcb-, 1'empereur dc PIndoftan, les fit repentir. La compagnie ne laiiïa pas d'ypcrdrca tous égards. Des arrangements économiques , qu'on avoit pris pour faire réuilir la labrique de toiles cn Ecollé & en Irlande, comblerent fon malheur par la défenfe de Pimportation des toiles de PAfie. A 1'expiration de fon privilege, elle cn obtint avec peine le rcnouvelment. Dy eneut même, dans la fiüte, deux compagnies a la fois, dont la rivalité toumoit au dés-  PHILTOSOFI-IIQUE ms DEUX INDES, 55 aVantage 'commun. Elles fe réuniffoient en 1702-, pour fe conduire dèförmais avec plus dc fageffe & de dignité. La protection que lui accorda lc parlement, lui donna plus de confiftence. Cc que la concurrencc lui ötoit dc bénéficc, elle cherchoit a le réparcr par des vcntcs plus confidérables. Si fa profpérité fut obfcurcie par quelques nuagcs 3 ce ne fut que paiïagérement. Les gucrrcs furvenucs cn Etiropc-, entre la France & 1'Angleterre chafferent les Francois du continent & des mers dc 1'Afie. A la paix dc 1763 , les poffefilons de la compagnie étoient tres confidérables en Arabie , dans le golfe Pcrfiqnc, fur les cötes dc Malabar & de Coromandel, & dans le Dengalè. Leur importancc nous engage a cn donncr ttn tableau rapide. II appartient fpécialement a 1'hiftoire, qui nous occupe, & a la nation, qui s'cft procuré une influence fi marquée cn Afie. L'Ar.abie eft une des plus grandes péninfulcs Connues du monde. Ses limites font au midi 1'océan Indien, au levant le fein Perfique, au couchant la mer Rouge qui la fépare de 1'Afriquc. Au nord, une ligne tiréc a 1'extrémité des deux golfes lui fervoit anciennement dc borne. Elle eft féparée du fud au nord par une chaine dc montagncs, moins ftériles & plus tempérécs que le refte du pays. L'Arabie pétrée eft généralement inculte & couverte de rochers. Dans 1'Arabie déferte l'on ne voit que des monceaux d'un fable mouvant, St peu de fources, les quelles on fe difputc les armes ala main. L'Arabie heuD 4  $6 PRÉCIS de l'HISTOIRE tptife ne doit ce nom qti'a la ftérilité de fon voilinagc. Ce pays a été trés ancicnnement peuple. Mabomet reraplit les Arabes d'enthouiiafrae. Ils devinrent conquérants & ils étendircnt leur domination dans les mers de la Chine, des Canaries jusqu'aux ifles Molucques. Leur commerce étoit tres vaftc, & non-interrompu par leurs conquêtes. Avec le déclin dc la puiffance des Califes, ils cn fécouerent le joug, & divifés en tribus , fous des chefs différents, ils retomberent dans leur ancien caraclcre, celui d'être graves, féricux, taci,turnes, flegmatiques, mais redoutables dans leur colere, jaloux au fuprême dégré, fe piquants d'être d'une probité exacte. Deux millions d'Arabes habitent le défert, partagés en un grand nc m'orc de hordes, indépendantes les unes des autres. Gouvcrnés par na chef héréditaire, qu'ils ont le droit de dépofer, ils campent dans toutes les faifons. Leur vic eft errante; lc lait & la chair des troupeaux leur fert de nourriture. Les brebis, le poll des chevres & des chaaieaux leur procurent des manufactures travaillées par k? mains dc leurs femmes. Le tabuc, lc café, le riz les dattes qu'ils confomment, font payés avec le beurre & plus de vingt mille chamcaux, qu'ils vendent annuellcment. Les contributions mifes fur les caravanes, qui vont alaMe:que, leur fourniflênt encore des revenus. Les Arabes du Nord, quoique humains & juftes entre eux, fe permettent, pour fubfifler, des brigandages envers les étr;.nj,ers. Ceux.  PHILOSÜPIIIQÜE des DEUX INDES. .57 qui s'y youent, affocient a leurs pillages lc chaT meau, formé dès la naiffance aux exccrciccs & a la rigueur , qu'il doit fupporter. On le dreffe a la courfe. II fait jufqu'a trois cents licucs dans buit jours, chargé du burin , que fon piaïtre a fait fur les frontieres, qui ne lui donne qu'une heure de repos par jour, & qui ne les décharge pas, ayant pour toutc nourriture un morecau de pate. Souvent il palfe tout ce tcmps-la fans boirc, a moins qu'il 11c fentc par hazard une fource, a quelque diftancc de Ia route; alors il y court avec une ardcur qui lui fait boirc pour la foif paffée & pour la foif a vcnir. Les Arabes qui ont un fol un peu moins ingratj nourrilfent des chevaux, qui font les mcilleuvs qu'on connoiffe. Ils vivent avec eux comme avec des domcfüques, fidclement attachés a leurs maitres. Ceüx qui habitent 1'Arabie heureufe, ne font que mener une vie, tiffue de plaifirs & de voluptés. Leurs compofitions en poêfie ont une grace, une moleffe, un ralincmcnt foit d'exprefTion , foit de fentiment, dont n'approche aucun peuple, ancien ni moderne. A v a n t • 1'arrivée deS Portugais dans la mer Rouge, les Arabes étoient plus induftrieux, & les feuls agents des affaires dc cc cóté-la. Adenfitué a 1'extremité la plus méridionale de 1'Arabie cn étoit 1'entrcpöt. Le roi de Yemen poffeffcur d'une partie dc 1'Arabie en chaffa les Turcs, aux quels sis s'éto^ent foumis , & il attira tout lc commerce a 'Mokka. Cc commerce ne mérita aucune D 5  5? PRÉCIS de L'HI STOI RÉ cönfidération, tant truc lc café n'en fit pas Pobjet principal. L'usage dc ccttc fcvc célébre doit fon origine a Paffoupifl'einent d'un prêtre, qui cn fit unc médecine, pour mieux vaqner a fes aü'aircs. Les derviches & les gefis de la lui Pimiterent. L'ufagc dc cette boiffon a été introduit par les pélérins , dans tous les pays atahofflétans. En Perfe on ouvrit des maifons publiques, oü Pon en diftribua , oü les gens oififs trouverent un alilc, & les gens occupés un délaffement. On changea depuis ces maifons en lieux dc proftitution;, & la cour les prohiba. La fureur avec laquelle on les fréquentoit a Conftantinoplc détourna lc peuple de la dévotion, & les mofquées devinrent défeitcs. Lc grand muphti les fit fermer. Ccpendant cette boiffon ne laiffe pas d'êtrc en trés grand ufage parmi les Turcs, qui cn boiveut au moins deux fois par jour. Les Anglois furent les premiers a fuivre cet cxemplc, qui a été imité depuis dans toute PEurope. Douze railiions d'Arabes font leurs délices du café. Le bas-peuple eft réduit a fe contentcr dc la cocque & de la pellicule de cette fêve*. On en exporte douzc a trcize millions pefmt. Son prix moyen eft de quatorze fols la livre. Les Européens" cn achetent un miliion & demi; les Perfins trois millions & demi; la Hotte de Sucz fix millions & demi; PIndoftan, les Maldives & les colonies Arabes dc la cótc d'Afriquc cinquante milliers; les caTavanes de terre un miliion. Aiufi 1'Arabie s'cnricl.f oit annuelkj  PHlLOSOPHIQÜË des DEUX INDES. 59 ment de huit a neuf millions livres; mais cet argcut ne lui reftc pas- H fert a payer fa confommation de diverfes marchandifes arrivécs de PAbyffinie, dc la cóte oriëntale de 1'Afriqne, du golfe Perfiquc , de Bombay,de Pondichcry, du Malabar, des Maldivcs, du Coromandcl. Les diverfes denrées importées de ces pays peuvent être vendues fix millions. Ces affaires de commerce ne font pas dans les mains des naturels du pays; des Banians dc Surate ou dc Gazurate s'en mclcnt feuls; des qu'ils fe fout rafl'afliés dc richeffes, ils quittent le pays, pour fe fouftraire aux avanies, que le gouvernement fait éprouver aux négociants, & qui en avoient éloigné les Européens, dégoutés de les fouffrir, dés que le commerce ne donnat plus le meme bénéfice. Celui de 1'Arabic a confidérablement diminué, depuis que les Européens ont des plantations dc café dans leurs colonies. Maintcnant il fe fait par les Anglois & les Francois, qui ont la liberté de navigucr, pour leur compte, d'Inde en Inde. A 1'exception de Mokka, le port principal de 1'Arabie eft Gedda; il eft affez fur, mais Fapprochc en eft difficile. Les Européens y payent huit pour cent, & les autres nations cn payent treize; ce payementfe fait en marchandifes, qu'on eft obligé d'yacheter chcr. On expédie annuellement pour Gedda de Surate de*ix navires, & deux autres du Bengale, dont les cargaifons réunies.peuvent valoir cnviron dix-fept millions. La 'fiottc de Suez , compofée dc vingt navires, apportc a Gedda des proviiions. A  6o PRÉCIS de lIIISTOIRÉ leur retour ces vaiffeaux fe chargent de café. Cc n'eft que depuis le commcnccmcnt de déccmbrc jusqu'a la fin de mai que la nier Rouge eft navigable. L'incapacité des commandants, a qui ces navires font confiés, en fait toujours périr plufieurs, quoiqu'ils raouillent la nuit. Le commerce languiffant de la mer Rouge gagnera peut-étre une nouvelle vie par le traité , conclti le 7 Mars 1775, entre le premier des Beys & lc gouverneur Anglois, qui doit affurer a la nation An gloife la permiffion de faire le commerce le plus illimité dans 1'Egypte, cn payant fix a huit pour cent. Mais la cour Ottomane & les Arabes ne fout que traVerfer ces échanges. Les marchandifes qu'on importe a Gedda font «chetées, cn grande partie par les caravancs, qui fe rendent annucllcment a la Mecque. De cette ville, qui fut toujours chere aux Arabes, Mahomet cut 1'intention dc faire la capitale de fon empire. Tous ceux qui Havent fa loi, font obiigés d'y aller, au moins une fois dans leur vie. II ordonna que tous les pélérins qui vont ala Mecque , y doivent acheter& faire bénir cinq pieces de toile de coton, pour fervir dc fuaire, pour eux & ceux de leur familie, que des raifons valables ont empêché de faire cc faint voyage. Tant que le nombre des pélérins s'élevoit a plufieurs millions, cette infiitution a dü *>ccafionncr un grand [commerce; la dévotion rallentie des raahométans Pafait tumberauneexportationde 227,500,000 pieces de coton , de dix aunes de long chacune.  tilILOSÜPHIQUE des DEUX INDES. 61 Les Perfans étoient a peine admis a Pempirc des Sophis, qu'on .y vit accourir les Hollandois, dont lc commerce fe fit fur un pied tres défavantageux a ceux-ci, tant que les Anglois y trafiquerent avec eux en concurrence. Les révolutions aïïidues, que la Perfe a effuyées par la tyrannie & la ftupidité 'de fes princes defpoles: les dévaftations, que les Aghuans , peuple férocc mais aguerri, qui habitent les montagnes dti Nord de Pinde , ont commifes dans cet état, 1'invafion des Ruffcs, des Tartarcs & des Turcs, qui Pont ravage d'un autrc cóté, ont fait périr fon commerce, & ont changé un des plus bcaux empires du monde dans un vafte cimeticre. Dans cette confufion Bcndcr-Abaffi étant négligé, lc peu. dc commerce qui s'y faifoit, fe porta a Baffora. C'esï une grande ville, batic par les Arabes, qnirrzé lieucs au-deifous de lajonétion du Tigre & de PEuphratc. Cinquante mille ames forment fa population. Son port devint un entrepot célébre. Les Portugais firent ccffcr cette profpérité, & des divifions civilcs fe font oppofées a fa renaiffmee. Les Turcs, devcnus a la fin poffeffcurs paifiblcs de Baffora, y ont appellé les affaires. Les marchandifes arrivées annucllcment dans cc port s'élcvent probablcment a douze millions. Les Anglois entrent dans cette fomme pour quatre millions; les Hollandois pour deux ; les Maurcs , les Indiens, les Arméniens & les Arabes pour le refte, Les cargaifons de ces ms font compofées du riz, du fucre, des moufi'j-  Ü2 PRÉCIS de l'HISTOIRE Iines unies, rayées & brodécs du Bengale, des épiceries, dc toiles dc Coromandel, du. cardamqme, du poivre, du bois dc fandal de Malabar, d'étofics d'or & d'argent, de turbans, de chaales , d'indigQ de Surate, des perles de Bahafen, & du café de. Mokka, du fer, du plomb , des draps d'Europe. Toutes ces denrées. réunies a Baffora fe débouchent par trois canaux. Des caravanes en portent la moitié en Perfe, dont. les provinces méridionale? font les moins ravagées. Les pierredes, les uftenliles de cuivre, 1'or & 1'argcnt enfevclis longtemps dans la terre, ont payé fucccflivemeat ces denrées, Ccpcndant li cet état continue de négliger fes gommes , fes laines. dc chevres, fes foycs , ce commerce ceflera bieutöt faute demétaux. Ünautee débouché va par Bagdad & Alep ;le troifieme canal va par le défert, Ce commerce s'accroitroit d'avantagc, fi les cultivatcurs. n'étoicnt pas affujettis a de nombreufes vexations, & fi la rivalité des nations Européennes ne, s'y oppofoit pas. L a concurrqnee dc Mafcate met encore des obftacles a la profpérité dc Baffora. La cüte occidentale du golfe Perfique a pour bornes la partie oriëntale de 1'Arabie. Les habitants dc cette contrée menent une vie errante fans propriété. II n'y a dans tout cc pays que la ville de Mafcate, qui mérite quelque attention. Albuquerque s'cn empara. Lc déclin dc la puiffance Portugaife les inyita a des piratcrics, dont les Anglois les firent repentir. Mascatc, maintcnant que le gouvernement eft de-  FHILOSOPHIQUE' des DEUX INDES. 63 vcnu plas régulier, doit fit fortunc, a fa pofition. Tous les négociants lc preferent a Baffora ; placé a 1'entrée du golfe Pcriique, il abrege lc voyage de trois moisa fans parlcr de la protecüon qu'il leur. donne y ik de la. modipité des dr.oits, qui n'y mouten! qu';\un & demi pour cent. L e Malabar 1 eft tout le pays qui s'étend de Pindus jufqu'au cap Comorin; nous y comprenons les jfles Maldives, qui torment une longue chaine al'oueft du cap Comorin. On les partagc cn trcize.provinces, nommécsAtollons;desbancs de fkbleles féparent.Douze mille hommes , vcnus probablemcnt du Malabar., les occupent. Ces ifles font founüfes a un feul chef, qui reüde a Male, & qui cn fait feul le commerce. Leurs foibles exportations fe réduifent a des cauris, cfpece dc coquilles, qui fervent dc monnoie, du poiiTou falé , nqmmé compkmajje , & du kaire ou de Pécorcc du cocotier , dont on fait en Afie des cables* TitAVANCOR. s'étend du cap Comorin jus-, qu'aux frontieres de Cochin. Deux étabüffements. Européens. y on été formés. Celui des Danois a. Colefchey eft fans aclivité. Le comptoir.des Anglois a Ajinga, le lieu de naiinmee d'Eliza Draper, que. L. Stern a tant célébrée dans fes écrits, fait., fans., qclat, des affaires lucratives. La ville de Cochin eft entourréc de campagnes trés fcrtilcs; elle eft batie fur. une rivierc qui recoii des navires de cinq cents tonneaux, & qui forme dans 1'intérieur plufieurs branches nayigablgs. Elle PicYoij don: ücurif.  Ö4 PRÉCIS de l'HISTOIRE Calicut, oü toutes les nations font admifes , fans qu'aucune en dominc fur les autres, eft gouverné par un branie. L'adminiftration du pays & dc la capitale eft mauvaifè, fon commerce eft embarraffc par une infinité de droits. II n'y a prefque que des Maures, qui le font. II fe réduit priucipalemcnt au bois de teek. La maifon de Colaftry a des poffèffions voifmes de Calicut. Elles ne font connucs que par la colonie Fraucoife de Mahé & 1'Angloife dc TallicheryCes états forment, a 1'exception de quelques petites principautés, tout lc Malabar. Le bois de fandal, lc fafrati d'Inde (Curcuma ou Terra merita) le gingembre, la fauffe cannelle (CaJJia lignea) & le •poivre cn font les productions les plus notables. L'exportation de ces divers objets monte annuellement a fept millions & demi livres, qui le mettent en état de payer le riz, qu'il tire du Gange & du Canara, les groffes toiles, qui lui fourniffent le Mayffar & lc Bcngale ,• & diverfes marchandifes que 1'Europe lui cnvoic. La folde cn argent n'eft rien. Goa étoit jadis une ville magniiique. Une multipli.cité de caufes, alfignées aillcurs, ont précipité cette cité fuperbc dans un abime , d'oü elle ne fcauroit jamais fortir, tant que la mêmc perverfité dans le maniement des affaires fubfiftera. Dépouillé de tant dc fertiles provinces, il ne refte a Goa, que la petite iüe, oü il eft fitüé, & les deux péninfules , qui forment fon port. Au nord dc cette ville les pirates, conduits par 1'haUle.  PHILÖSOPHIQUE des DEUX INDES. 6g 1'habile Conagy-Angria infeftoicnt les mers par leurs brigandages, qui ont dure cinquante ans. Après bien de tentatives infru&ueufes, les Anglois réulfirent,en 1755, a les faire dénicher. Mais les débris de ces pirates faifoient accroitre la puiffance des Marattes. Ceux-ci réduits depuis longtemps h leurs montagnes, fe font plus rapprochés de la mer; ils occupent la vafte étendue, qui eft entre Surate & Goa , & ils ménacent également ces deux villes. Quoique errants , ils fe fixent' principalcmeut dans le Malabar. Brigands dans les pays étrangers, qu'ils inondent, ils obfervent une adminillration jultc dans les pays conquis. C'eft fur la mer , que les Marattes font furtout redoutableSi Surate fut longtemps le feul port dc 1'empire Mogol. Sa navigation fut fouvent infeftée par ces pirates. Enhardis par la difcorde, qui divifa la ville, les Marattes 1'inveftirent. Elle n'étoit redevable de fa liberté qu'au fecours des Anglois; mais cette protecbion leur coüta leur indépendance. Ces circonftances allumoient 1'ambition des Anglois. Leurs regards avides fe portcrent, en 1771, fur Berokia, grande ville, fituée a trente-cinq milles de 1'embouchure de' la riviere de Nerbedals , qui fe jette dans le golfe de Cambaie. Cette place fut emportée après un eflbrt inutile. Les Marattes étoient dans la jouiffance de fix dixiemes des revenus. Les Anglois refuferent un tribut fi humiliant. Ce refus fut une femence de difcorde, appaifée, en 1776, par un traité plus avantageux aux Marattes, divifés alors E  66 PRÉCIS de i/HISTOIRE pour la première fois entre eux, que les circonftanees ne leur permettoient cTefpérer. Ces divifions enhardirent le Souba de Décan & Ayder-Alikan a fe faiflr de la partie de leurs poffefTions, qu'ils croyoient a leur bienféance. Les Anglois jugerent a propos de prendre pour leur lot 1'ifle dc Salfette. La conquête leur en coüta cher. Son tcrroir, qui n'a que vingt nulles de long fur quinze mille de large, eft un des mieux peupiés , des mieux cuitivés & des plus fertiles de 1'Afie. Salsette n'eft féparée de Bombay que par un canal trés étroit. L'air de celui-ci eft tres nialfain, mais fon port eft excellent, le feul, hormis celui de Goa, qui puiffe reccvoir des vaiffeaux de lignc, dans tout 1'Indofian. L'art a depuis peu remédié aux défavautages de fon climat. On y compte actuellement prés de cent mille habitants, dont fept a huit mille font matelots. Sa marine s'eft beaucoup accrue, depuis que la compagnie Angloife s'eft vue revêtue du titre d'amiral du grand Mogol. Bombay s'eft bientót emparé du commerce, que Surate & les autres marchés voifins avoient fait jufqu'alors dans les mers d'Afie. Ses revenus montoieut, en 1773, a 13,607,212 liv. & 10 fols; 1'entreticn en coutoit 12,711,150 liv. 11 falloit donner de la füreté •1 tant d'avantages; 011 s'eft donc fortifié. Ces otivrages n'ont, a ce qu'on dit, d'autre défaut que celui d'êtrc trop étendus. Douze cents Européens, & un nom_ bre beaucoup plus grand de troupes Aliatiques fervent a la défenfe.  PfflLOSOPHIQUE des DEUX INDES. Les poflcffions des Marattes & des Anglois font tellement mélées, leurs intéréts font tellement oppofés, qu'il eft impoffible qu'ils puiflént vivre longtemps en paix. C'eft au temps a nous apprendrc, quel fera 1'événcment de ces guerres. (II nous a déja affez inftruits au moment oü nous écrivons, pour voir, que la perfpeétiven'cn eft pas tres avantageufe pour les Anglois.) L e peu d'importancc des denrées fournies par le Coromandcl, les troubles civils qui en avoient longtemps banni la tranquillité, enfin fa pofition phyfi ■ que, étant féparé du Malabar par des montagnes inacceffibles, éloignerent d'abord les Européens de fa cöte. Lorfqu'ils s'y préfenterent pour la première fois, fon commerce fe réduifoit a peu de chofe, aux diamants de Golconde. Mazulipatan, la ville laplus riche du pays, avoit le feul marché pour les toiles. Le goüt qu'on en avoit pris en Europe, donna naisfance aux comptoirs qu'on établiffoit dans le Coromandcl. On les placa au bord de la mer; ce qui fe palfa du confentement des fouverains du pays. On leur accorda un terrein trés refferré. Envain les princes du pays- étoient-ils blcffés de 1'éclat & de 1'indépendance de ces établiffemcnts,lorfque les Européens s'y étoient fortifiés; alors il n'étuit plus temps de les faire délogêr. Toutes ces colonies étoient uniquement occupées du commerce des toiles Tout attefte que le Coromandel a trés ancienncment poffédé l'art de les peindre. Les Européens les Vont acheter jufqu'a trente & quarante lieues dans les tr-rres.- Des Indicns-'- E«2  68 PRÉCIS de l'HISTOIRE font chargés de ces commifïions. On en regie le prix fur des échantillons, on palfe le contrat, on leur paye un tiers ou un quart du prix d'avance, on retire des atteliers les pieces, a mefure qu'elles font finies. Ceci oblige les compagnies , qui ont de la fortune & de la conduite, d'avoir toujours une année de fonds d'avance. Sans cette précaution, on feroit obligé de prendre des marchandifes mauvaifes, travaillées & examinécs avec précipitation, qu'on auroit rebutées dans un autre temps. Les comptoirs qui manquent d'argent,ont inutilcment cherchéles moyens d'y fuppléer par la voye des cmprunts. L'iutérêt qui eft pêché felon 1'opinion des Indiens, eft dc quatre pour cent par mois; celui qui n'eft ni pêché ni vertu eft de deux pour cent par mois; 1'intérct d'un pour cent par mois eft vertu; on le regardc comme quelque chofe dc héroïque. Ainfi les Européens ne peuvent fe fervir de 1'argent des Indiens, fans courir a leur ruine. Les affaires extérieures du Coromandcl font toutes dans les mains des Européens. Ils en tirent, pour les différentes échellcs de 1'Inde, trois mille cinq cents balles, dont huit cents font portées par les Francois au Malabar , a Mokka & a 1'ifle de France; douze cents par les Anglois a Bombay, a Sumatra, au Malabar & aux Philippines; quinze cents par les Hollandois dans leurs divers établiffements. Toutes ces balles ne valent pas au dela de 3,360,000 liv. Neüf mille cinq cents balles font apportées du  HILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 69 même pays en Europe, dont les Danois chargent huit cents; les Francois deux mille cinq cents ; les Anglois trois mille; les Hollandois trois mille deux cents. On les peut évaluer enfemble a 8,i6o,oóoliv. L'Europe paye en partie ces toiles du Coromandei avec des draps, du fer, du plomb, du cuivre & quelques' autres articlcs moins importants L'Afie les échangc en partie contre des épiceriesj du riz, du fucre, du bied, des dattes. Mais le Coromandel recoit cn foldc encore 6,720,000 liv. L a compagnie Angloife poffede plufieurs établisfements fur la cöte de Coromandel. En 1749 elle s'empara de Divicoté. L'on efperoit de rendre fon port praticable pour de grands navires. On y a éclioué. Maintenant on le négligé. En 1686, elle acheta Goudelour, avec un territoir de huit milles, le long de la cöte, & quatre mille dans 1'intérieur des terres. Sa population qtij monta a 60,000 ames, eft la plupart occupée de la teinture des toiles. Les ravages que les Francois y firent, cn 1758, n'ont pas beaucoup interrompa fon aéfivité. Mazulipatan eft a 1'cmbouchureduKrisna. Son marché étoit jadis lc plus fréquenté de tout llndoftan. Les grandes colonies des Européens en ont détourné 1'amuence. Les plantes qui fervent a la teinture des toiles y réuffiflent mieux qu'ailleurs; c'eft ce qui reffuficita un peu fon commerce. Les Anglois poffedent encore les provinces de Condavir, dc Montafanagaz, d'Elour, de RagimeaE3  70 PRÉCIS de l'HISTOIRE dri & de Chicakol, qui s'étendent fix müles fur la cöte, & qui s'enfoncent depuis trente jufqu'a quatre-vingt milles dans les terres. On refpecta toutefois les colonics que les nations rivales avoient formécs dans ce vafte efpace. Les marchandifes achetées dans le Coromandel fout toutes portécs a Madras, bati dans le pays d'Arcate, dans un terrein fablonncux & atide. On le divife en ville blanche & en vide noire. L'on a depuis peu augmenté conlidérablement fes fortifications. L'induftrie Angloife, & la ruine de Pondichery y ont réuni trois cents°mille hommes. Dixhuit mille Cipayes bien difciplinés, & trois mille cinq cents hommes de troupes blanches défendent toutes ces poffeffions précieufes. L a compagnie comptoit d'cn jouir en paix, lorsque Ayder-Alikan, foldat de fortunc, inftruit dans l'art militaire, placé a la tête d'une armée bien difciplinée, la vint inquiéter, & ravager le pays jtifque fous les portes de Madras. II paroit par les nouvelles de la derniere date, que la paix conclue, il y a quelques années, n'aétéguerededurée- Lapolitique de la compagnie a été d'empécher laréunion d'AyderAlikan, des Marattes, & du fouba dc Décan. Le revenu de toutes fes poffeffions s'élcvent a 24,199,600 liv. & 1'entretien en coute 26,367,585 liv. Bencodli eftle feul comptoir qui appartienne aux Anglois a Sumatra. lis en tirent annuellcment quinze cents tonneaux de poivre, qu'ils vendent raoitie' en Chine, moitié en Angleterre. Quatre cents  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 71 Européens & quelques Cipayes fervent a fa déferife. Son revenu annuel eft de 4,912,895 liv. fon entretien coute 3,165,480 liv. L e Bengalc eft une vafte contrée de 1'Afie; le royaume d'Asham, quelques provinces du GrandMogol, des rochers affrcux & la mer en font les bornes. Le Gange, après avoir parcouru ce pays, & avoir formé plufieurs ifles, fe pcrd dans la mer par plufieurs embouchures, dont il n'y a que deux Qonnues & fréquentées. Lc Grand - Mogol eft le fouverain du Bengale, depuis 1595. Son vicc-roi, nommé Souba, réfide a Moxudabad, plufieurs nababs & plufieurs rajas lui font fubordonnés. L'abus que firent autrefois les hls des GrandsMogols, revêtus de cette charge, les fit rcmplacer par des perfoiines moins puiffantcs. Mais 1'adminiilration ne laiiïii pas d'ctre toujours trés mauvaife; au point qu'on accorda, en 1740, aux Marattes la permifhon d'ailcr piller ce beau pays, dont ils s'occupcrent pendant dix ans confécutifs. Cependant au mi • lieu des guerres civiles, le gouvernement despotique fubfifta toujours dans tout le Bengale: car ce qu'on débitc, au fujet du petit état de Bifnapore, que quelques uns prétendent fe gouverner avec la plus haute fageffe, a befoin d'êtrc conftaté d'avantage. D e tous les états Mogols lc Bengale eft le plus ■riclie. Les exportations qui s'en font font immenfes. II envoie fes toiles, du fer & des draps apportés de 1'Europe dans le Thibet. Ces marchandifes font payées: E4  72 PRÉCIS de l'HISTOIRE avec du mufc & de la rhubarbc. Le mufc eft la produftian d'une efpece de chevrcuil, qui fe forme dans un petit fac, fous le vcntre de 1'animal. Le Bengale portc a Agra & a Delhy du fel, du fucre, de 1'opiuni, de la foie, des foieries, une infinité de toiles, des mouffelines en particulier Son commerce maritime fe divife en deux branches. Catek en a la meilleure partie. C'eft de fon port Balaffor, que fe fait la navigation des Maldives. Ses habitants font en poffefTion du commerce avec 1'Asham. L'on cn recoit en échange un peu d'or, & un peu d'argent, de 1'ivoire, du mufc , du bois d'aigle, de la gommelacque, & furtout de la foie. Celle-ci vient d'ellemême; les rcvolutions du ver-a-foie s'y repetent douze fois Pannce. Les étofics qu'on en fabrique, ont beaucoup de luftre & peu de durée. Hormis les deux branches mentiomiées de navigation, elle eft entierement dans les mains des Européens, L e commerce principal que ceux-ci font dans le Bengale avec le refte de 1'Indc, eit celui de 1'opium , produit du pavot blanc des jardins, qui rend un fuc laiteux. La province de Bahar eft celle de 1'univers, oii le payot eft le plus ctiïtivé- Tous les peuples qui font a 1'eft de 1'Inde, ont un goüt trés vif pour 1'opium. Les Ipdiens s'en énivrent, lorfqu'ils veulent entreprendre quelque aélion défefpérée. Les atrocités; dont 1'opium eft la fource, n'ont pas dégouté les nations Européennes d'un commerce auffi fcandaleux. Celui que les Anglois de Bengale font avec les différentes echelles dc 1'Inde, apporte annuel-  PHILOSOPHIQÜES des DEUX INDES. 73 iement dans ce pays vingt-cinq a trente millions; une partie dc cet argent paffe chez les Arméniens , habitants des bords du Gange. Ceux-ci aimcnt a coniicr leurs capitaux a des marchands honnêtes & intelligents, des quels il? exigent une rente de neuf pour cent. La familie de Cheti parmi eux, poiïede des richeffes immenfes; elle a prëté a la Ibis jufqu'a cent millions au gouvernement. Les tréfors dc ces Cheti leur ont donné lc moven de mettre fous leur joug les comptoirs Européens, qui fc ruinerent a force d'cmprtmter de fortes fommes a douzc pour cent. Les Portugais qui aborderent les premiers dans le Bengale, s'établirent au Chatigan, non loin de la branche la plus oriëntale du Gange. En 1630, les Hollandois s'établirent a 'Baiaffor. Les nations rivales ont fuivi cet excmplc. Pour fe rapprocher des marchés, oü les Européens formerent leurs riches cargaifons, ils remonterent le bras du Gange, qui après s'être féparé du corps du fieuve a Morchia, fe perd dans 1'Océan, fous lc nom dc rivicre d'Ougly. On leur permit de placer partoüt des loges; on cut 1'imprudence de les laiffer fe fortifier fur les bords de cette rivierc. En la rtmontant on trouve d'abord 1'établiffemcnt Anglois de Calcutta, oü l'air eft malfiün & oü 1'ancragc eft peu fur. Sa population s'eft vu s'élever afix cents mille hommes. Le fort Williams défend la ville du cöté de la mer, le feul endroit, d'oü elle ait quelque chofe a craindre. La conftruction de ce fort a couté plus de vingt millions. Six heues au-deftus eft Fréderic-Nagor ^tabli ca 1756"» E 5  74 PRÉCIS de l'HISTOIRE par les Danois; il fuffit de le nommer, tant il eft de peu d'importance. Chandernagor, fituc deux lieues & demie plus haut, appartient aux Francois; il a une lieue de circonférence & quelques manufaclures, que la pcrfécution y a pouffées. A un mille de Chandernagor eft Ougly, étabüflemeat Hollandois; fon fort eft la feule propriété de cette nation; les habitations, dont il eft environné, dépendent du gouvernement du pays. Un banc de fable empêche les vaiffeaux d'y arriver, & multiplie les frais de 1'adminiftration. A 1'exception des mois d'Oclobre, de Novembre & de Décembre, la navigation du Gange eft praticable le refte de 1'année. Ceux qui veulent y cntrcr reconnoiffent auparavanf.la Pointe des Palmiers, oü ils déchargent dans des bots de foixante tonneaux leur argent. Ces bateaux vont toujours devant les navires, & ils leur montrent la route. Chaque comptoir a d'ailleurs un certain nombre de bateaux, qui portent les marchandifes de 1'intéricur au chcf-lieu. Toutes les branches du Gange communiquent enfemble. I l, fort du Bengale pour PEurope du mufc, de la lacque, du bois rouge, du poivre, des cauris, quelques autres articles moins importants. Ceux qui font propres au Bengale font lc borax, le falpêtre, la foie & les foieries, les mouffelines, & cent efpeces de toiles différentes. Le borax, le produit de la province de Patna, eft une fubftance faline, qu'on a tenté de contrefaire en Europe; on 1'employe utilcment dans la fu-  PHILOSOPHIQUE ras DEUX INDES. 75 fion & dans la purification des mctaux. Les Hollandois poffedent fculs lc fécret de le rafincr. Le faTpètrc \ient du mêmc cndroit; on le tire d'une terrö tantót noire, tantót blanchatre & qticlqucfois rouffc, qu'on purine en la détrcrapant dans beaucoup d'cau, qu'on laiffc cvaporer dans la fuite. Caffnnbazar eft le marché général de la foie. Son climat eft le plus favorable a la culture des vers-a-foic. ün peut juger de la perfeétion de fon coton par les mouffelines unies, rayées ou brodées, qui fortent du Bengale. La fabrkatjon en réufilt lc mieux dans les temps pluvieux, aux quels les tifferands fuppléent par des vafes d'cau, qu'ils placent fous les métiers. Toutes les marchandifes, qu'on en exporte annucllcmcnt, étoient évaluces, il y a quelques années, a vingt millions. Quelques articlcs dc 1'Europc & les épiccries des Hollandois cn payent le tiers; lc refte eft foldé en argent. Sainte-Hél-ene, une ifle fituéc au milieu de 1'Océan Atlantique, fert de licu de rclachc aux vaiffeaux Anglois, qui vont aux Indes. Son fol ftérile ne produit aucun arbre, a 1'cxccption du pêcher; on n'a pu réuffir a y faire croitre 1'hcrbe, qu'cn plantant des arbuftes, qui ne craignent ni 1'ardeur du foleil, ni la féchereffe. Cellc qui pouffe a leur ombre ftjaurok a peine nourrir trois mille boeufs , dont le nombre ne fuffit pas pour les befoins de fa population, qui monte a vingt mille hommes, & ceux des navigateurs. On y fupplée par le poiffon. Ces inconvénients font que les vaifleaux qui vont  7<* PRÉCIS de e'HISTOIRE aux Indes, relachent Jouvent au cap de Bonne-Efpérance, & que ceux qui vont aux cótes de Malabar, fe rendent a PAnjouan, Pime des quatre ifles de' Comore, fituées dans le canal de Mozambiq^ C'eft a Anjouan que la nature étale, dansune étendue de trente lieues, toute fa richefle avec toute fa firoplicité. Trente mille habitants font diftribués en foixante-treize villages. Leur langue eft Parabe. Leur indolence les a fait tomber fous le joug defpotique d'un Arabe, qui ayant toé un genülhomme Portugais a Mozambique, y chercha un afile. Cette révolution, arrivée il y a un fiécle, y a attiré des négociants Arabes;mais elle a fait rencherir lesprovifions, que les Anglois ne payerent auparavant que de quelques bagatelles. Avec tant de moyens la compagnie Angloife a dü faire un commerce étendu. Celui qui fe feit au dela du cap de Bonne-Efpérance, & qui fe fait d'Inde en Iade, fut abandonné aux particuhers, qu'on aide même de beaucoup de moyens dans leurs entreprifes. Les affaires de ceux-ci furent donc trés animées; ce qui a augmenté fucceffivcmeut avec la profpérité de la compagnie. EUes le feroient même d'avantage, ft le droit de cinq pour cent exigé dans tous les comptoirs de la compagnie, ne les eut gênés. Mais la compagnie étoit gênée a fon tour par des loix fifcales. Ses navires ont dü faire leur retour dans une rade Angloife. La fomme d'argent permife d'envoycr en Afie futlimitéea 6,750,000 livres. Un dixieme de cette fomnii dut fortir poux 1'Afie en marchandifes dupajs«  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 77 Cependant la profpérité de Ia compagnie a augmenté avec fes fonds. Ceux-ci ne furent d'abord que de 1,620,000 livres. On les porta dans la fuite • a 67,500,000 liv. Le thé devint bientót un grand objet de fon commerce; le goüt s'en repandit vers Pan 1666, mais ce n'eft que depuis 1715 que la pafhon pour cette feuille devint générale. Les diverfes nations Européennes qui naviguent a la Chine, en exportoient, en 1766, 17,400,000 liv. Les calculs les plus exaéts qu'il foit poffible de faire dans une matiere auffi compliquée, nous portent a croire, que la confommation réunie de toute PEurope, a 1'exception de 1'Angleterre, ne s'élcve pas au deffus dc cinq millions quatre cent mille livres. II refte donc douze millions pour la Grande-Brétagne. L'on en vend la livre, 1'une dans Pautre, fix livres dixfols, en y comprenaut les droits; ce qui fcroit une fomme de 72,000,000 ,fi la moitié n'en entroit pas en fraude, qui coute beaucoup moins a Ia nation. Après tout, la principale reffource de la compagnie a été la conquête affez récente du Bengale, 1'effet du hazard feul. Les gouverneurs Européens étoient, depuis quelque temps dans 1'ufage de vendre leur proteclion & un afile aux naturels du pays, qui craignoient des chatiments. Un des officiers principaux du Bengale fe réfugia chez les Anglois a Calicutta, pour fe fouftraire aux peines que fes infidélités avoient méritées. Le fouba offenfé de ce procédé fe mit a la tête de fon armée, s'empara de la Place, & fit périr la majeure partie de la garnifon  78 PRÉCIS de l'HISTOIRE dans un cachot. Alors Pamiral Watfon & le colonel Clive , qui s'étoit déja diftingué dans la guerre du Carnatc, ramaffent les Anglois difperfés, s'emparent, en 1755, de Calcutta & de plufieurs autres places, remportent une viétoire complete fur le fouba & vengent leur nation. Ces fuccès n'étoient dus qu'a la fupériorité de leurs troupes, a 1'ambition dd|s chefs corrompus, a lacupidité des miniftres, & a la haine que les fujets portoient au fouba. Au milieu de ces victoires, Pempereut Mogol, chaffé de Delhy par les Patanes, qui avoient pro clamé fon fils empereurafa place , errant de province en province, fe réfugié ehez les Anglois viélorieux, qui lui accordent leur protcction, a condition, qu'il reconnoiffe la fouveraineté dc leur nation fur tout le pays du Bengale. Pour obferver un air de modération, ils fe font confervé ce pays, fous radminiftration apparente d'un fouba, qui eft a leur nomination & a leurs gages: de maniere que ces peuples, après avoir changé de maitres, pouvoicnt croirc, pendant longtemps, qu'ils étoient encore courbés fous le même joug. Depuis cette époque, la compagnie quin'étoit qu'une fociété commercante, eft devenue une puisfauce teiTitoriale. Pour rendre ces avantages durables, elle a, dans 1'Inde, neuf mille huit cents hommes de troupes Européennes, cinquante quatre mille Cipayes bien payés, bien armés, bien difciplinés. Malgré ces forces, la puiffance Mogole, l'umon polfible & même probablc des princcs divifés  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 79 aéïuellement, & les Marattes ménacent cette profpérité, & ces caufes réunies nous autorifent a préfager, qu'eile ne fera gueres de durée. D'ailleurs on exporte annuellemcnt tant d'efpcces du Bengale, que fon numéraire fera bientót épuifé totalemment; ce qui tarira néceffaircmcnt cette fource de richeffes de la compagnie. Enfin les vexations innombrables générales & particulieres, les tyrannies énormes dont les Anglois font gémir les naturels du pays, la mort de trois millions d'hommes péris, dans le Bengale, de la faun, dont 1'avarice ou au moins la mauvaifc adminiftration de la nation Angloife eft la caufe, doit hater une révolution, qui Ia chafiera de ces riches poffelfions. Voici commcnt le gouvernement a taché de reculer cette époque. Pour prévenir une banqueroute totale, on accorda a la compagnie la permifiTon d'emprunter a quatre pour cent 31,4000,000, dontle dernier rembourfement a été fait, en 1776. On fixa le dividende, dont les variations étoient trop fréquentes. On affujettit la direétion a des ordonnances plus fages. La compagnie elle-mêmc corrigea les abus de fon adminiftration. Cependant le gouvernement, occupé du foin de faire ccffer les atrocités, qui fouilloient de plus en plus cette riche partie de 1'Afie, en nomina lui-méme le tribunal; le parlement créa quatre magiftrats pour le Bengale, aux quels on accorda des honoraires, trop confidérables au jugement des aclionnaires; mais il leur eft défendu de faire le commerce. Les fortifications, eonftruites-  So PRÉCIS de l'HISTOIRÈ fans néceffité depuis peu d'années, avoient coüté plus de cent millions. On arrêta fagement la fomnïe, qu'on pouvoit employer a ce genre de défenfe. O n jugera, combien les arrangements mentionnés & plufieurs autres ont amélioré la fituation de la compagnie. En 1774, la balance n'en étoit en fa faveur que de 4,392,9000 liv. Elle avoit, en 1778, la difpofition libre de 102,708,112 liv. 10 fols, fans compter fes magafins & fes navires. Cette profpérité augmentera, a mefure que fes polfeuions territoriales feront mieux régies. L'acck-oissement fucceffif de fon commerce doit en augmenter la fortune; potirvu que les arrangements fages, pris par le gouvernement pour prévenir les défordres , ne ceffent pas bientöt, par un pouvoir trop illimité qu'on pourroit accorder a la compagnie, au renouvellement de fon chartre. CHAPITM.E IV. Des établïffements des Francois dans les grandes Indes. bien de tentatives, pour s'ouvrir la navigation de 1'Inde, les tines plus infruétueufes que les autres, Colbert s'avifi de donner, en 1664, a Ia France, une compagnie. Le goüt dc la nation • puor  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 8i pour les fuperfluités de 1'Orient étoit trop décidé, pour pouvoir s'en paffer. II créa une affociation, modelée fur celle des Hollandois & des Anglois. Dans le delTein de lui gagner la confiance publique, il lui accorda des prérogatives encore plus amplcs. On lui fit un fonds de quinze millions. Madagascar, oü les Francois avoient deja eu un foible établiffement, fut deftiné a étre le ber. ceau de la nouvelle fociété. Cette ifle eft fituée dans le canal de Mozambique; elle a trois centi trentc-fix lieues de long, cent vingt dans- fa plus grande largeur & environ huit cents de circonférence. Scscötes font mammies; c'eft 1'effet des inondations; mais c'eft undéfaut qu'on pourroit corriger, enprocurant un débouché aux caux croupiffantes. La lifiere ' de cette ifle n'offre de tous cötés qu'un fable aride; Cette ftérilité finit a une ou deux lieues. Dans le refte de 1'ifle, la nature, toujours en végétation, produit fcule dans les foréts, ou dans les tcrreins découverts, lc coton, 1'indigo, le miel, lechanvre, le poivre blanc , le fagou, les bananes/le choucaraïbé, le ravcnfera, épicerie trop peu connue, mille plantes nutritivcs, étrangeres a nos climats. Tout eft rempli de palmiers, de cocoticrs, d'ofangerS, d'arbres gommiers, dc bois proprcs a0la conftrudion & a tous les arts. On n'y cultive que dü riz; on arrache le jonc qui croit dans les marais, on jette la femence a la volée : le piétinement des troupeaux 1'enfonce dans la tcrre. L'on y voit des boeufs* des moutons, des porcs , des chevres; mais on n'y F  82 PRÉCIS de l'HISTOIRE trouve ni chevaux, ni bufilcs, ni chameaux ni aucune béte de charge. Les Madecaffes forment plufieurs peuplades, qai paroiffent defcendues d'origines différentes. A^l'Oueft de 1'ifle demeurent les Quinoffes, peuple qui n'a jamais plus que quatre pieds & quatre pouces, & communément quatre pieds. Cette nation s'eft réfugiée dans une vallcc tres fertilc; lorfque fes voifins 1'attaquent, elle achete la paix , en lui envoyant des troupcaux. Ces peuplades font indépendantes les unes des aütres. Un chef tantöt électif, tantöt héréditaire les gouverne. La récolte, le vol des troupeauX, 1'enlcvement des femmes & des eafants font les fources ordinaires de leurs divifions. Ces peuples n'ont ni loix ni culte. Le plus funefte de leurs préjugés eft celui, qui leur fait tuerlcsenfants, nés fous des aufpices peu favorables. Au refte ils font uniquement livrés aux plaifirs des fcns; leur paffion dominante eft celle du fexe; ils ont une femme & plufieurs concubines. Le divorce eft aufli commun parmi eux, que la jaloufie 1'eft peu. Les premiers élements des arts & des fciences ne leur font pas entierement inconnus. Les Madecaffes fon1" fociables, vifs, gajs & hofpitaliers c'eft a tort qu'on les accufe de férocité. Rien n'étoit plus aifé que de civilifer ces hommes, de tirer des avantages tres efientiels d'une pofition fi heureufe, & d'y former un établiffement important. Pour y réuffir on n'avoit qu'a employer la voye de la douceur & la fupériorité de notre gé-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 83 nie. Ces moyens devinrent infruétuettx par la.mauvaife conduite des Francois. Les vols des fonds, qu'on avoit confiés a des agents lans probité , la folie de leurs dépenfes, leurs mauvais procédés envers les naturels du pays, entrainerent la décadence de la compagnie ;ceux-ci furent caufe, que vers 1'an 1672, tous les Francois qui fe trouvoient dans cette ifle furent maffacrés. On s'eft envain occupé du defir de s'y établir derechèf. Madagafcar eft de trop d'importance, pour que les deux tentatives infruétueufes, fakes, en 1770 & 1773, pour y réuffir, doivent de'gouter la cour de Verfailles de ce projet. Pour y parvenir, il faut s'y prendre dorénavant plus fagement. II faut que rimmanité, Pintérêt & k gloire y engagetit également la France. ApRès la perte de Madagafcar, on envoya des vaiffeaux, en droiture, aux Indes oü l'on avoit obtenu la permifïion d'établir plufieurs comptoirs. Surate , la ville principale du Gazurate, fut deftiné a être le centre des affaires de la compagnie. Gazurate eft une prefqu'ifle entre lTndus & le Malabar. II a foixante milles de long, fur une largeur prefque e'gale. Son fol eft trés fertile. Au feptieme fiécle une colonie de Perfins vint s'y réfugier & en augmenter la profpérité. Son éclat excita 1'ambition des Portugais & du Mogol. Incapable de réfifter, a la fois, a deux ennemis auffi redoutables, le Gazurate fe jetta dans les bras des Portugais, qui en furent chaffés, en 1565, pour le céder a la domination Mogole. La tranquillité, dont elle le laiffoit jouir , donna une nouvelle vie F 2  $4 PRÉCIS de i/HISTOIRË aux affaires de Gazurate,1 dont Surate étoit Pentrepöt. La navigation en avoit toutes les perfeétions' qu"avoit alors la navigation Européenne." Le commerce s'y fit felon les loix les plus fages; Pinduftrie y avoit immenfement enrichi nombre de particuliersCes négociants, uniquement occupés du foin de Péducation de leurs enfants, & du bonheur de leur familie, vivoient dans une grande frugalité. Cette fimplicité des mceurs a beaucoup changé, depuis que les Mogols, qui s'y font établis, y ont introduit nombre dc plailirs les plus exquis. La profpérité de Surate dura jufqu'au pillagc de Savegi, en 1664, le quel coütoit a la ville vingtcinq a trente millions. II lui auroit coüté pluscher, fi l'on n'avoit pas eu la précaution de fauver les effets les plus précicux, dans les comptoirs fortifiés des Anglois & des Hollandois. On a entouré depuis la ville de murs. Les Anglois & d'autres pirates, en arrêtant tous les batiments expédiés pour fon port^ cn pillant fes caravanes , reduifirent Surate prefque a fes richeffes naturelles. Cette ville ne laiffe pas toutefois d'étre trés commercante. Elle eft toujours 1'entrepót des manufactures du Gazurate. Elles -vont en partie dans 1'intérieur; une autre en eft confommée, dans toutes les parties du globe. Surate envoye annuellement huit mille balles de coton. dans le Bengale, & lorfque la récolte eft bonne, beaucoup plus encore dans la Chine} dans la Perfe & dans PArabie. Quoique Surate regoive, en échange de fes  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. S$ «xportations, des porcelaines de la Chine, des foies de Bengale & de la Perfe; des matures & du poivre de Malabar; des gommes, des dattes, des früits fecs , du cuivre > des perles de Perfe; des parfums & des efclaves d'Arabie; beaucoup d'épiceries des Hollandois; du fer, du plomb, des draps , de la cochenille, quelques quincailleries des Anglois: la balance lui eft fi favorable, qu'il lui revient annuelle111 ent vingt-cinq ou vingt-fix millions. Cetendant Surate ne rempliffoit pasl'idée, que Caron, a qui la compagnie avoit confié fes interets , s'étoit formé d'un établiffement principal. La concurrence des rivaux plus riches lui étoit nuifible. II jetta donc fes regards fur la baie de Trinquemale, dans 1'ifle de Ceylan. Pour réüflir dans le projet de s'y fixer, on lui envoya une efcadre dc PEurope, aux ordres de la Haye. Les mauvaifes mefures & la lenteur dans les opérations le firent échouer. Les maladies & la difette firent périr la majetire partie des équipages. On laifla quelques hommes dans un petit fort, & on alla chercher des vivres avec le refte. Le défefpoir les fit tomber fur Saint-Thomé, que les Portugais avoient autreifis bati, & d'oü les naturels du pays les chafferent depuis. Les Fran> cois en furent délogés, en 1672, par les Indiens * aidés des Hollandois, alors en guerre avec la France Martin, qui avoit été fur Pefcadre de la Haye, rccueillit les débris des colonies de Ceylan & de Saint-Thomé, & il en peupla la petite bourgade de Pondichery 3 qui devint depuis une grande ville. F3  26 PRÉCIS de l'HISTÖIRE Sur. ces entrefaites , des miffionaircs Francois envoyés a 'Siam, avoient réuffi a s'y faire aimer généralement La compagnie penfa devoir profiter d'une fituation auffi heureufe. Phaulcon domina alors fur 1'efprit foible du prince valétudinaire de cet état. II concut 1'idée ambitieufe de le détróner , a 1'aide des Francois. • Louis XV flatté par 1'ambaffade que le roi de Siam, ou, pour mieux dire, fon miniftre ambitieux lui avoit envoyée, fit partir une efcadre póur ce royaume, fur la quelle il y avoit plus de jéfuites que de négociants. Auffi s'occupa-t-on plus de la religion que des affaires de la compagnie. Siam, quoique coupé par une chaine de mon" tagnes, qui vont fe perdre aux rochers de la Tartarie, eft d'une fertilité fi prodigieufe , que les terrescultivées y rendent généralement deux cents pour un. Les fruits y font d'une égale abondance, d'un goüt plus exquis & d'une plus grande falubrité qu'ailleurs. Le defpotifme le plus affreux rend tous ces avantages inutiles. Les Siamois font efclaves de trois facons; ils le font de la perfonne du defpote; ils travaillent a la défenfe de 1'état; ils font les domefhques des magiftrats & des officiers. Les gages n'y font pas payés en argent, mais en hommes. Les terres & leurs fruits font encore la propriété du defpote. Le malheureux Siamois eft efclave même des bêtes. II doit fervir les élephants & fouffrir qu'ils ruinent fes jardins. Un gouvernement tellement oppreffeur a chaffé nombre de Siamois dans les forêts, oü ils menent une vie fauvags.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 87 On marche huit jours dans le Siam, fans trouver la moiudré population. Ce beau pays, jadis couvert d'hommes & d'habitations, eft actucllement abandonné aux tigres. On fe donna tant de mouvement, on fit tant de marches prématurécs, qu'on révolta a la fin le peuple & les Talapoins, efpcce de moines. Leur chef eft Sommonaeodon , regardé des Siamois comme un dieu. II n'y a point de merveille, qu'ils n'en racontent. II vivoit avec un grain de riz par jour. II arracha un de fes yeux, pour le donner a un pauvre, au quel il n'avoit rien a donner. Une autrefois il donna fa femme. II avoit un frere, qui le contrarioit beaucoup dans les projets, qu'il avoit de faire du bien aux hommes. Dieu le vengea & crucifia lui-même ce malheureux frere. Or les Siamois ne pouvoient révérer un Jefus-Chrift, paree qu'il étoit mort du même genre de fupplice, que le frere de Sammonacodon. Les Francois, uniqtiement occupés du foin de faire des profélytes, n'aiderent pas affez Phaulcon , dans le moment, oü il vouloit exécutcr fes deffcins; ils furent entrainés dans ft chute, & les fortereffes de Mcrgui & de Bonkok, oü les Francois s'étoient établis, furent reprifes par lc plus lache de tous les peuples. Dans le même temps on s'occupa de s'introduire au Tonquin. La religion y eft la méme qu'a la Chine, mais fon gouvernement n'eft pas fi parfait; les mceurs y font plus vicieufes. Le Tonqui» F4  88 PRÉCIS de l'HISTOIRE nois vit dans une défiance continuelle de fes fouverains & des étrangers. Envain les Portugais & les Hollandois avoient-ils cherché d'y former un établisfement. Les Francois ne furent pas plus heureux. Ils n'y a que quelques habitants de Madras qui fuivent cette branche de commerce languiffante. Le voifinage du Siam avec la Cochinchine avoit attiré les regards des Francois, qui afuirément s'y feroient fixés , s'ils eutfent pu pénétrer dans 1'avenir. La Cochinchine n'eft féparée du Tonquin que par un fleuve. Un prince Tonquin, Jas de gémir fous le joug de la tyrannie, accompagné de quelques Tonquinois d'un même caraétere que lui, fe réfugia, il y a un fiécle & demi, dans la Cochinchine. Ces gens s'y appliquent a la culture du riz pour leur nourriture, au cotonnier pour leur vêtement. Sortis d'un gouvernement cruel, & le prince & le Tonquinois s'en forment un fondé fur 1'égalité & la juftice. Un climat, oü la nature n'a prefque rien lailfé a defirer aux hommes, a augmenté leur bonheur. Mais depuis que les mines d'or ont fait négliger 1'agriculture, depuis que les tréfors ont amené le luxe, la corrupüon, les impóts& 1'efclavage, la Cochinchine a beaucoup déchu de fon ancienne fplendeur; fi fes affaires continuent d'aller le même train, elle tombera dans le néant. Les Chinois y font le principal commerce. Ils en exportent, en échange de leurs marchandifes, des bois de ménuiferie, des bois pour la charpente des maifons, & pour la conftruétion des vaiffeaux j unip  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES, 80 quantité immenfe de fucre, de la foie, des fatins agréables, du the' noir pour lc bas-pcuple, une cannelle beaucoup plus parfaite que celle de Ceylan, du poivre excellent, du fer li pur qu'on le forge, fans le fondrc , de 1'or au titre dc vingt-trois karats, du bois d'aigle, dont on vend en Chine lc meilleur au poids d'or, & dont on fe fert pour des parfums. Id n'eft plus temps de réparerles fautes, que les Francois on* ^..rmnifes, lorfque la Cochinchine fleuriffoit, & qui les cmpcchoicnt alors d'y faire un commerce lucratif. Bientót le gouvernement despotique Pen fera difparoitre entierement. L a compagnie nc fongea depuis qu'a fe fortifier a Pondichery, lorfque la guerre furvenue cn Europe le lui fit perdrc. II lui fut reftitué, h la paix de Ris wiek, en meilleur état, qu'il n'étoit, lorfque les Hollandois 1'avoient pris. On le confia de nouveau a Martin, dont la fageffe fit fleurir la colonie. II fe propofa de fonder un grand empire a Madagafcar. Seize cents quatrevingt-huit perfonnes , allêchées par 1'efpérance d'une fortune rapide, n'y trouverent que ld nifere & la mort. La compagnie fe vit obligée dans la fuite de concentrer fes affaires a Surate & a Pondichery; mais faute de fonds elles étoient tres languiffantes. Ses ventes en totalité ne s'éleverent pas, depuis 1664 jufqu'en 1684, au deffus de 9,100,000 liv. Une mauvaife adminiftration, & les fuites de la guerre pour ia fucceffion d'Efpagne combierent fon malheur. On la vit, vers Pan 1707, réduite a ceder Pexercic? ï"5  90 PRÉCIS deI/HISTOIRE entier de fon privilege a. quelques armateurs de SaintMalo. En 1714, tout fon capital fut mangé, & elle eut dix millions de dettes. Dans le dèifein de la relever, on lui abandonna le monopole du tabac, en payement des quatre-vingt dix millions, qu'eile avoit prêtés au gouvernement. II lui accorda le privilege exclufif des loterics du royaume'; on lui permit de convertir en rentes viageres unc partie de fes actions. Malheurcufement la compagnie fans profpe'rer elle-même gêna d'autres aflbeiations & la traite des negres ; elle arrêta les progres des colonies a fucre. Au lieti de faire lé commerce , elle ne fongea qu'a tirer profit de fes privileges. Son commerce fut foible & précaire, jufqu'au moment, oü Orrin fut chargé des finances du royaume. Ce miniftre plein d'intégrité engagca le cardinal de Fleury a la protcgcr efficacement. Dumas, envoyé a Pondichery, obtint de la 'cour dc Delhy la permiffion de battre monnoie, ce qui valoit, a la compagnie 400,000, par an. La familie du nabab d'Arcate, f>our fe dérober a la pourfuite des Marattes, fe réfugié a Pondichery. Ceux-ci dcman.4ent qu'on la lui livre. Dumas le refufc; fa dignité & fon courage confervent a Pondichery la paix. Sur. cesentrefaites laBourdonnaiseftenvoyé a 1'ifle de France. Trois ifles, fituées entre le dix-ueuvieme & le vingtieme dégré de latitude meridionale furent dé couvertes par les Portugais, qui les nommoient Mascarenhas, Cerné & Rodrigue. Ils n'y trouverent sü  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 91 hommes, ni quadrupedes. Sept a huit Francois furent, en ióöo, les premiers habitants de Mafcarenhas, Cinq ans après vingt de leurs compatriotes les joignirent. Des beftiaux & Pagriculture occuperent leurs premiers foins. ' Le hazard y découvrit des cafiers Jauvages, & on en tira des pieds d'Atabie, qui multiplioient heureufement: Tous ces travaux pénibles occuperent des efclaves, tirés des cötes de 1'Afrique & de Madagafcar. Devenue alors un objet important pour la compagnie,'elle prend le nom d'ifle de Bourbon. Mais elle n'a point de port; pour y fuppléer , on s'établit a Maurice, dont on change le nom en celui d'ifle de France. Cellc-ci, ayant été d'abord néglU gée, occupe, depuis 1733 , plus férieufement la compagnie ; elle en eonria la direftion a la Bourdonnais, doué du talent de conftruire des vaiffeaux, de les défendrc & de faire le commerce. Sa préfence donne une nouvelle vie a la colonie de 1'ifle de France. Dans le même temps Dupleix fut a la'tête des affaires de la compagnie cn Afie. Chandernagor, établi fur lc bord du Gange, devint bientöt un objet d'étonnement pour fes voifins & de jaloufie pour fes rivaux. Dupleix s'ouvrit des fources de commerce dans tout le Mogol & jufque dans le Thibet, & il créa une navigation. En 174 a , appellé a Pondichery , il devint le chef des affaires de la compagnie. On en peut juger par les retours 3 qui montoient a vingt-qtiatre millions. L a compagnie, pour n'avoir pas fuivi les confeils de la Bourdonnais qui ayant prévu une guerre  92 PRÉCIS de l'HISTOIRE avec 1'Angleterre, Pavoit exhortée a avoir une forte efcadre dans les mers de Pinde, perdit prefque tous fes batiments, qui naviguoient dans ces parages. La Bourdonnais parvint , par des efforts incroyables, a avoir un vaiffeau de foixante canons & cinq navires marchands armés en guerre, avec les quels il chaffa les Anglois de la cóte de Coromandel; enfuite il affiegea & prit la ville de Madras. II n'eft guere poffible de dire, oü fes progres fe feroicnt arrêtés, fi en Europe deux des directeurs, chargés principalement de Padininiftration, n'avoient contrarié cet homme extraordinaire. Dupleix éc la Bourdonnais, brouiüés enfemble, devinrent les vils inftruments d'une haine qui leur étoit étrangere, & qui gatoit toutes les affaires. Un cachot affreux fut la récompenfe des travaux glorieux de la Bourdonnais rctourné en Europe. Après fon départ Dupleix feut réparer les torts qu'il avoit eus. Lorfque les Anglois aiïiegerent la place de Pondichery, il la défendit avec tant d'intelligence & de vigueur, que les Anglois furent, après quarante jours de tranchée ouverte, obligés de fe retirer. Les Francois s'étoient fait une belle réputation en Afie; ils furent pour ces régions le premier peuple de 1'Europe. Dans le même temps des divifïons civiles troublerent les états Mogols, la plus belle contrée de 1'Indoftan. Les troupes étrangeres appellées par les différents partis, mirent le comble aux défaftres de ce malheureux pays. Elles en emportoient les richeffes, ou elles forcoient les peuples a  PHILOSOPHIGUE des DEUX INDES. 93 les enföuir. Les tréfors amaffés duranttant de fiécles difparurent ainfi peu-a-pcu. Le découragement, la mifere & la familie fe firent fentir partout. Dupleix voulut faire ufage de cette difpofition des efprits. II s'occupa du foin de procurer a fit nation des avantages folides &* confidérables. II vit le premier la poffibilité de réalifer ces fouhaits. La guerre avoit amené a Pondichery des troupes nombreufes, avec les quelles il cfpéroit de faire des conquêtes rapides. Le caractcre des Mogols , leurs intrigues, leurs intéréts politiques lui étoiéöt connus a-fond, & ces connoiflances venoient a 1'appui de fes efpérances. La trempe dc fon amc le porta a vouloir, au de la de fon pouvoir. II n'étoit frappé que de 1'avantage glorieux d'affurer a la France une nouvelle domination, au milieu de 1'Afie, & des avantages que fa patrie retireroit de fa conquête. La foubabie de Decan, qui s'étend du cap Comorin jufqu'au Gange , qui a plufieurs princes dépendants d'elle, & qui donue un trés grand pouvoir a fon vice-roi, devcnue vacante, en 1748, Dupleix ofa cn difpofer, en fiveur de Salabetzingue, fils du dernier vice-roi. Ce fuccès affuroit dc grands avantages aux établiffements Francois, répandus fur la cöte de Coromandel: mais 1'importance dc Pondichery parut exiger des foins plus particuliers. Cette ville, fituée dans le Carnate, a des rapports trés immédiats avec le nabab de cette contrée. On crut donc néceflaire de confier cette nababie a un homme fur la dépendance du quel on pouvoit compter. Le choix'tomba fur Chandafaeb.  94 PRÉCIS de l'HISTOIRE Pour prix de leurs fervices les Francois fe firent céder un territoire immenfe. A la téte de leurs acquifitions, étoit 1'ifle de Sheringham, dont la pofition leur devoit donner une grande influence dans les pays voifins, & un empire abfolufurleTanjaour, qu'ils étoient les maitres de priver des eaux néceifaires, pour la culture du riz. On leur avoit cédé, au Nord, le Condavir, Mazulipatan, 1'ifle de Di'vy, & les quatre provinces de Montafanagor, d'Elour, de Ragimendry & de Chicakol. Ces conceffions rendoient les Francois les maitres de la cóte, dans une étendue de fix cents milles, oü il y avoit des toiles fupérieures a celles, qui fortent de 1'Indoftan. Es fe propofoient de s'emparer du triangle qui eft entre Mazulipatan, Goa & le cap Comorin. Dans le même temps on prodiguoit, de tous cótés, des honneurs a Dupleix, qui aimoit le fafte, & qui fe trouvoit trés flatté du titre de nabab d'un terrein, égal en étendue a la France. Les revenus de ces richcs contrées devoient être dépofés dans fes mains, fans qu'il fut obligé d'en rendre compte a perfonne. Dans tout ceci on ne craignit pas la cour de Delhy, qui fe voyoit affaillie de tous cótés. Les Rajeputes, defcendants de ces Indiens, que combattit Alexandre, font fouvent de leurs montagnes inacceffibles des incurfions dans les pays Mogols, qui fatiguent un empire épuifé. Les Patanes, chasfés par les Mogols de la plupart des trónes de 1'Indoftan, peuple d'une férocité indomptable, pouffent leurs ravages jufqu'a • Delhy. Les Seiks peuvent  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 95 mettre fur pied une armee de foixante mille chevaux, avec les quels ils méuacent cet empire. Toutefois fes ennemis les plus redoutables font les Marattes, devenus trés célébres, dans ces dcrniers temps. Chafiés par les Mogols dc 1'Indoftan, ils fe réfugierent dans les montagnes, qui s'ctendent depuis Surate jufqu'a Goa. Ponah eft maintenant la capitale de leur état. Le Coromandel, preffé par Aurengzeb, contre le quel cet état implora leur fecours, les avertit de leurs forces. On les vit alors fortir de leurs rochers fur des chevaux mal-füts, mais robuftes & infatigables. Un turban, une ceinture,ua manteau étoit tout 1'équipagc du cavalier Maratte. Un petit fac de riz, & une boutcille de cuir, remplie d'eau font fes provifions; un fabre d'une trempe excellente fait fes armes, Aurengzeb ne laiffa pas d'être victoricux. Celui-ci, pour fe défaire de leurs pillages, leur céda la quatrieme partie des revenus du Décan, foubabie formée de toutes les ufurpations , qu'il avoit faites dans la péninfule. Les Marattes aux quels l'on ne payoit plus régulierement ce tribut, après la mort d'Aurengzeb, fortirent de leurs montagncs; leurs ravages, accrus par 1'anarchie de 1'Indoftan, fireht trembler 1'cmpire, dont ils ont dépofé les chefs. Leur influence a été depuis fans bornes. Saeabetzingue ne laiffa pas de jouïr paifiblement de la place , oü les Francois 1'avoient mis, malgré les bouleverfements de tous ces états & Ion imbecillité. Mais la fituation de Chandafieb n'étoit pas fi heureufe. Les Anglois lui avoient fufcité un  96 PRÉCIS de l'HISTOIRE rival, nommé Mamct-Alikau. Le nom de ces deux princes fervit de voile aux'deux nations, pour fe faire une guerre vive. La viftoire paiTa fouvent de 1'une a 1'autrc. Les miniftres de France & d'Angleterre ordonnerent aux deux compagnies de fe rapprocher. Elles firent un traité conditionel; il n'eut pas encore obtenu la fanétlon des deux cours , que de plus grands intéréts rallumerent le flambeau de la guerre, qui de 1'Amérique Septentrionale fe communiqua a tout 1'univers. L a perte de Chandernagor & des places, qui lui font fubordonnées, en fut d'abord la fuite. Cette conquête mit les Anglois en état d'envoyer des renforts a la cöte de Coromandel, oü les Francois vcnoient d'arriver avec des forces confidérables de mer & de terre, dont ils ne fcavoient faire un ufage raifomiable. Les poffeffions Francoifes étoient trop difperfées. LJon auroit dü abandonner les conquêtes cloignées & s'en tentir au grand établiflément de Carnate, qui feul donneroit a la France une puiffancc, capable de fe foutenir. Dupleix fut rappellé. Son fucceffeur n'eut aucun des talents, requis pour faire un commandant. Ses opérations militaires , fes combinaifons politiques , tout fe reffentit du désordre'de. fes idées. L'ifle de Scheringham, Mazulipatan, les provinces du Nord furent perdues, pour avoir renoncé a Palliance de Salabetzingue. L'efcadre Francoife, fans être battue, laiffa celle de fon ennemi maitreffe de la mer. La prife de Pondichery, détruit & ruiné de fond en comble, en fut la fuite. Tous  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 97 . Tous les bons efprits avoient prévu cc bouleverfement. La perverfité des mceurs cortompues par les' richeffes, amaffees dans les guerres que les Francois avoient fakes dans 1'intérieur des terrcs , &par lc luxe, étoit vifible. Les officiers n'avoicnt que la moitié du nombre des Cipayes a leur foldc, qu'ils auroient dü avoir, & dont ils étoient payés- On détournoi une partie des bénéfices, que la- compagnie auroit dü faire fur les marchandifes, qu'eile envoyoit en Afie. On lui revendoit tres cher, ce qu'eile auroit pu acheter. de la première main, & a trés bon compte. Nombre d'autres abus, fur les quels la conduite perfounellc des directeurs les mettoit dans la nécéfiité de fermer les yeux, acheminoient les affaires de la compagnie vers leur ruine , hatéc encore par fa pofition en Europe. Cent fyftêmes, les uns plus abfurdes que les autres, n'étoicnt gueres capables d'y apporter du remede. . , Enfin après bien des difcufilons, 011 fe décida a laiffer fubfifter la compagnie, en la réformant. La dépendance du gouvernement, oü la compagnie s'étoit trouvée, avoit doimé naiffmee a des abus nombreux. On lui affura donc fa liberté par tin édit folemncl. L'aétivité de la nouvelle adminiftration fit monter les ventes annuelles a 18,000,000. Mais la compagnie étoit toujours plus endettéc, qu'on ne 1'avoit cru. Elle s'étoit trompée fur fes propres richeffes. Mais s'il faut imputer les malheurs de la com,pagnie au vice de fon adminiftration, il faut auffi convenir, que la prépondérancc de la nation Angloife Q  98 PRÉCIS de l'HISTOIRE dans Tladc, en étoit une caufe principale. Des que \e gouvernement fut inftruit fur le véritable état de la compagnie, il jugca a propos de füfpeüdre fon privilege exclufif, & d'accorder a tous fes fujêts la permiffion de naviguer au dela du cap de Eonnccfpérancc. Cette compagnie aujourd'hui fans poffeffions, fans mouvement, fans objèt, ne peut pas être regardée comme abfolument détruite; puifque les actionfiaires fc font réfervé en commun le capital hypcthéqué de leurs actions, cc qu'ils ont une cailfe particuliere & des députés pour veiller a leurs intéréts. D'ailleurs fon privilege n'a été que fufpendu; on ne 1'a pas cédé au roi. La compagnie doit donner la permiffion aux vaiffeaux expédiés pour les Indes. 11 ne faut aux actionnaires que les fonds 'fufrifints , pour reprendrc leur commerce. Mais faute de ceux-ci tous ces droits fonc comme nonexiftauts. • Pa ssons maitenant un oeil rapide fur les posfeffions Franeaifes dans les Indes. Sur la cöte ds Malabar, entre le Canara & le Calicut, eft Mahé. Ce comptcir étoit jadis entouré de cinq forts. C'étöit trop d'ouvrages ; mais 1'inquiétude des Naïrs & des Marattes demanda des précautions. Mahé, 'lorsque ie commerce en eft conduit avec intclligencc , peut fournir deux millions cinq cents mille livres de poivre, qui ne reviendroit qu'a douze fols la livre, & qu'on pourroit vendre a vingt cinq fols. Les fpéculateurs les plus inftruits calculent,  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 99 qu'on pourroit gagner, fur les divers arricles, vernis de 1'Europe, & que ce comptoir confommeroit, 153,000. C hand erna gór, duns le Bengale, ne compte, depuis 1763, que vingt mille anics. Le pouvoir exceffif des Anglois, qui en font des abus ' criants dans cette contrée, rend fa fituation tres précaire. B lëroit de 1'intérêt de la France, de faire ceffer ces vexations, de changer Chandernagor contre Chatigan, occupé aóhiellement par les Anglois. A u nord de la cóte immenfe de Coromandel, h France poffede Yauaon, dans la province de itagimendry. C'eft un comptoir fans territoire. De fauffes vues 1'ont feit négliger, depuis 1748. Cependant on pourroit y acheter pour 4 a 500,000 livres de marcfeandifes, paree qu'on febrique de belles toiles dans fon voifmage. La concurrence des Anglois, lefquels ont un petit comptoir a dcüx lieues de Yanaon, a beaucoup diminué les bénéfices de fon commerce. C'est bien pis encore a Mazulipatan, oü la France eft obligée de payer aux Anglois des droits d'entrée & de fortie. L'achat entier des Francois ne s'éleve pas au dela de 150,000 liv. Karicae eft une ville ouverte, fituée dans' lé royaume de Tanjaour, fur une des branches du Colram. Elle compte quinze mille habitants, occupés des manufaélures. Son territoire fe réduit k deux ieues de long, fur une dans fe plus grande largeur; G 2  ioo PRÉCIS de L'HTSTOIRE La France the annuellcment deux cents balles- cte toiles ou de mouclioirs prbpres pour PEurope j & beaucoup de riz pour Papprovifionnement de fes autres colonics. Toutes ces productions font portées a Pondichery, ville jadis maguifique & bien peuplée, avant que les Anglois Peulfent ruinée. L'excellence de fa rade a déterminé la France a la rebatir. Les comptoirs Francois dans Pinde rendent 200,000; leur entretiea coute a 1'état 2,000,000. L'is le de Bourbon a un terrein de foixante mflIcs de long, fur quarante cinq de large. Trois pies inaccclfibles, qui ont une élévation de feize cents toifes, un volean affreux, & dcs_ montagnes rendent ce terrein inutile. Au refte le ciel y eft beau & les eaux y font falubres. Cette ifle a une population dc fix mille trois cents quarante blancs, fains , robuftes-, & d'un caractere plein dc probité. On y compte vingt-fix mille cent foixante-quinze efclaves. Le Purplus de la récolte de Bourbon fert a alimenter 1'ifle de France. Le gouvernement djfireroitd'abandonncr cet établiflement, pour concentrer fes forces dans 1'ifle de France, s'il ne craignoit de le voir oceupé par une nation rivale. Cell e-c 1 n'eft éloignée que trente lieues de la première. Elle a une fuperlicie de quatre cents trentc-deux mille fix cents quatre-vingts arpents. Les montagnes n'y font pas fi élévécs qu'a 1'ifle de Bourbon. Soixante ruiffeaux arrofent les campagnes. Son tenoir eft moins fertile que 1'autre, mais fufccptible  PHILOSOPHIQUE bis DEUX INDES. ior d'.une culture plus générale. Cet établiffement a donné naiflance a nombre de projets, la pbW cluménques. Eu i764, le gouvernement pris fous fa dirc-aion immédiate. En i,7?6, fa population s eft accrue jufqu'au nombre de fix mille trois cents quatre vmgts blancs, en y comprenant la garnifon de deux mille neuf cents cinquante cinq foldats; de onze cents quatre-vingt dix-neuf noirs Iibrcs- de vingt-cmq mille cent cinquante quatre cfclaves, & de vnigt-cinq mille trois cents foixante fept têt.es de bétail. Des. puragans ont beaucoup nui. aux plantations du cafier. Trois fucreries pourvoyent aux befows de a colonie. On a effayé. d'y planter le mufcadier & Ie giroflier;,mais. cetté tentative aété.affez malhcureufe, pour que les Hólfendois „layent rien a craindre de ce cóté-la. Cette ifle paroit deftinée a la c»|ure du bied & du riz, & a ia multipücation des beft.aux, dont on pourroit perfeétionner 1'efpece Quoiqu'il cn foit, 1'ifle de France doit être d'ujpe trop grande importance pour 1'état, pour qu'eile ne fonge pas a fa prtrteftion , principalement depuis qu'on a taché de corriger fa rade, Le meilleur moyen, poUr V teindre ce but, doit dorénavant être de mettre feS deux ports en füreté, & d'établir une communication entre eux, qui facilite une libre répartition des forces fiuvant le deffein de 1'ennemi. A n'envifiger que le commerce languiffant des Francois dans les Indes, on feroit tenté de croire y* Me, dont Penttetien coute &,oo,,ooo, n'eft une. charge pour 1'état, Cependant, otitre hV  loa PRÉCIS de l'HISTOIRE protection qu'eile doit procurcr aux autres établiffcments Frangois en Afie , elle peut fervir a contenir les Anglois, & a empêcher, qu'ils n'envahiffent toutes les poffeffions Européennes dans 1'Orient, & qu'ils ne gagnent, par les richeffes dc 1'Afie, une trop grande brauence dans. les affaires politiques de 1'Europe. C'eft de cet établiffement qu'on pourra , cn temps de guerre, faire partir une efcadre & des troupes contre les poffeffions Bdtanniques. L e moyen lc plus fur qu'ayent les Francois pour redevenir puiflants en Afie, c'eft d'aider les prince*, orientaux a fécouer le joug Anglois, fous le quel ils gémiffent, & dont ils font révoltés a 1'outrance. Finalement pour former un établiffement folide, iln'yad'autre route que celle d'une conduite humainc & fage. CHAPITKE Va Le commerce du Danemark, d'Ofiende, de la Suede, de la Pruffe^ de VEfpagne, de la Jii/JJïe aux Indes Orientales. Queftions importantes fur les liaifons de VEuroiz avec les Indes. I. ]0 oshouwer, facteur Hollandois chargé par fa nation de faire un traité de commerce avec le roi  PIHLOSÜPHIQUE des DEUX INDES. 103 de Ceylan, fe rendit fi agréable a ce monarque, qu'il devint le chef de fon confeil, fon arniral, & qu'il fut nommé prince de Mongole. Enivré dc fes honneurs il fe hata dc les étalcr dans fa. patrie. Le dépit dc s'y voir négligé, 1'attira chez Chriftiern IV, roi dc Danemark, pour lui offrir fes ferviccs & le crédit qu'il avoit a Ceylan. 11 partit, eu 161S, avec fix vaiffeaux, dont trokappartenoient au gouvernement & trois a la compagnie, qui s'étoit forméc pour faire lc commerce des Indes. La mort, qui furprit Boshouwer dans la traverfée, ruina les efpérances qu'on avoit concues. Ové Giedde de Tommerub, le chef des Danois, fut mal-recu a Ceylan., B ne voyoit, d'autrc rclfourcc que de -conduire fes, vaiffeaux dans le Taajaour, le continent lc plus voifin de cette ifle. La richeffe_de cette petite province, 1'abondance des manufaétures, & des raciues propres a la teinture, fit monter les revenus dc ce petit état a 5,000,000 liv. Cette fituation heurcufe fit deürer aux Danois de formcr un établifTcmcnt. dans le Tavnjaour. Ou leur accorda un territoire fertile & peuple, fur lc quel ils batirent d'abord Trinqucbar, & dans la fuite la fortcrcfle de Dansbourg. Ce privilege eft payé d'une redevance annuclle dc. iü,8oo liv. La modicité des premiers fonds des Danois ne les empêcha pas de faire-d'abord un commerce affez lucratif. Mais les Hollandois ayant, dans tous les marchés, pris une fupériorité décidée, les Danois de Traiiqucbar tombcrent infenfiblement dans lemépri3 Q 4»  \ 204 PRÉCIS de i/HISTOIRE, des naturels du pays, qui n'efiimcnt les hommes qu'en propoftion dc leurs richeffes, & des nations; rivales , dont ils ne purent foutenir la concurrence. La compagnie céda fon privilege. En 1670, une nouvelle fociété fe forma des débris de 1'ancicnne, mais elle fut encore plus riialheureüfé que la pre-' miere, malgré les conceffions du roi Chiiftern V. Trinquebar fut abandonué a lui-même, après un* petit nombre d'expéditions. 11 fe vit réduit, pour' ne pas mourir de faim, a engager trois des quatre baftions, qui forment fa forterefiè. A pciue cxpc% dioit-il tous les trois ou quatre ans un ytfiffeau pour 1'Europe. Cet établhTemcnt ne fut pab , malgré fa pauvrété extréme, a 1'abfi de la jaloufie & des machinations hoftiles. La compagnie Danoife, après avoir langui longtemps , exprra infolvablc. De fes cendres uaquit deux ans après une nouveile'fociété. Tous les articlcs, néceffaires alacon-' liruétiou & a L'équipement dc fes vaiffeaux, étoient exempts de toute impofition; le pouvoir dc la dircétion fur les employés étoit fans bornes. Pour prix de toutes ces faveurs, 1'état n'cxigea qu'un' pour cent fur toutes les marchandifes des Indes .& de la Chine, qui fcroient exportécs, & deux & demi pour cent fur celles, qui fe confommcroient dans le royaume. L'ópération de trouver les fonds étoit délicate. Pour y mieux réuffiry'on diüingua deux efpeces de fonds. Lc premier, appellé confanL^' fut deftiné a Pacquifitiön de tous les effets , que Pancienne compagnie avoit en Europe & cn Afie. Ott  pmLüSOPHIQUE des DEUX INDES. 105 donna le nom dc roulant a 1'autre , paree qu'il étoit réglé tous les ans fur le nombre & la cargaifon des. navires , qu'on expédieroit. Chaque aétionnaire avoit la liberté de s'intércü'cr on de ne pas s'intércffer a ces armements, qui- étoient liquidés a la fin de chaque. amiée. On arrêta daas la fuite , que le fonds roulant ne feroit que les dépenfes néceffaires pourl'achat, Féquipemeut, la cargaifon des navires. Tout le reite. devoit regarder lc fonds conftant, qui, pour fe dédommagcr préléveroit dix pour cent fur: toutes les marchandifes des Indes, qui fe vendroient cn Europe , & cinq pour cent fur tout cc qui partiroit de. Trinquebar. Le capital dc la nouvelle compagnie fut de 3,240,000 liv. partagé en feize cents, aétions de' 2025 liv. chacune. Avec ces fonds , toujours en aetivité , les affociés expédierent, durant les quarante années de leur,, o&roi, cent huit batiments. La charge de fes navires monta, en argeut, a 87,333,637 liv. 10 f. & en. marchandifes 10,580,094. Leurs retours furent vendus 188,939,673 liv. Le Danemark n'en eonfomma que pour 35,450,262 liv. II en fut donc exporté puur 153,489,41r. Les répartitions furent tres irrégulicres, tout le temps que dura le privilege. Elles auroient été plus conüdérablcs, fi une partie des bénéfices n'eut 'été; mife réguliercnient, en augmentation du commerce. Utte conduite fi fage triplu les capitaux. Ces fonds tviroient encore grofiide 2,000,000 liv , fi le minifter? § 5  io6 PRÉCIS de l'HISTOIRE Danois n'eut, en 1754, engagé-, la dircclion a ériger une ftatue au roi Fréderic V. Au renouvellement du privilege de la compagnie, en 1772, ou mit quelques réftriétions aux faveurs, dont elle avoit joui. Depuis cette époque, ie commerce des Indes, ii*l'cxception de celui de la Chine, qui a été torjours excluüf, a été ouvert a chacun, en .payant a la compagnie une redevance. Les directeurs ne peuvent dèformais avoir que trois voix, foit pour eux-mêmes, foit par commiffion. Les fonds roulants rendoient la compagnie précaire; on les a confondus avec les fonds conftants. Les aétionnaires ne peuvent dorénavant revendiquer leurs capitauxj qu'a 1'expiration de 1'oétroi. En 1772, le fonds de » la compagnie étoit de 11,906,095 liv. partagé en feize cents aétions, d'environ 7425 liv. chacune. On. les a divifées depuis en trois, pour en faciliter 1'acquiütion. Quelque fage que foit'cette adminiftration, la. pofition locale du Danemark, lc génie de fes peuples, fon dégré dé puiffance. relative, tout 1'éloigne d'un grand commerce aux Indes. IL Le prince Eugene cberchoit depuis longtemps les moyens d'accroitre les richeffes d'une puiffance, dont il avoit fi fort reculé les frontieres. Sans entrer dans les propofitions qu'on lui fit d'établir une compagnie a Oliënde, il fit, en 1717, partir pour 1'Inde deux vaiffeaux, munis de fes paffc-ports. Le fuccès de cette expédition en multiplia le nombre. En 1722, la cour de Vienne crut pouvoir fixer le fort-  PIHLOSOPHIQUE des DEUX INDES. 107 des intéreffés, la plupart Flamands, par l'ociroi lé plus amplc, qui eut jamais été accordé. On peut préfumer que la fortune de cette nouvelle fociété fe fcroit encore beaucoup accrue. Mais la politique traverfa ces ppérations. L o ils q u'I sabelle eut fait découvrir 1'Amérique, & fait pénétrer jufqu'aux Philippines, on jugea a propos de devoir interdire la navigation des deux Indes , a tous les fujets de PEfpagne, qui n'étoient pas nés en Caltille. Cette ordonnance a toujours fubfilié. La paix de Munfter Pa confirmée. Cet acte ne devoit pas moins lier Pempereur, qu'il ne lioit la cour de Madrid, puifquïl ne poffede les Pays-bas qu'atix mém-es conditions & avec les mêmes obligations, dont ils étoient chargés fous la domination Efpagnole. Toutefois il eft a préfumer, que Pempereur ne fe fcroit pas défilté dc fon plan, fi les. puiffauces maritimes n'eulfent garanti, cn 1727, la fanélion pragmatique. Ce fervice fut payé par le fecrifice dc la compagnie d'Oftende. III. Ses agents fe préfentent cn Suede, dans un ] moment, oü les étraugers , qui apportoient quelques idéés titiles, furent favorablement accueillis. H. Koning, riche négociant de Stokholm, fit, en 1731, approuver par la diète le projet de ces nouveatix venus. On établit une compagnie des Indes, a laquelle on accorda le privilege exclufif dc négocier au dela du cap de Bonne-efpérance. Son oétroi fut borné a quinze ans. Le defir de réünir, le plus qu'il feroit poffible, les avantages d'un com-  108 PRÉCIS de l'HISTOIRE merce libre, fit régler que les fonds ne feroient pas hmités,, & que tout aótiönnaire pourroit rctircr les flens a la fin de chaque voyage. On s'engagea a payer au gouvernement quinze cents dalers d'argent ou 3390 livres par laft que porteroit chaque batiment. Durant fon octroi, elle a expédié trois navires pour le Bengale, & vingt-trois pour la Chine, qui ont appprté, amiée commune, un benefice de. cinquante-quatre & demi pour cent. En 1746, .la compagnie obtint un nouvel oétroi pour vingt ans. En 1753 , les aflbeiés renoucerentau. droit dont ils avoient joui toujours, de retirer a volonté leurs capitaux, & ils fe déterminerent a former un corps permanent. En 1766, le monopole fut rcnouvellé,pour vingt ans. Bpréta alanation 1,250,000 Uvres fans intérêt, & une fomme doublé pour un intérêt de fix pour cent; dont la première fcroit payée par la retenue des droits qu'eile payoit a 1'état & 1'autre feroit rembourfée, en quatre termes. Dans 1'origine dela compagnie, fes fonds ont. varié. On ne peut former que des conjeclures fur ce point myftérieux. Probablement ils ne s'élevent pas au-dela de fix millions deliy. Le produit defesventes a rarement refté au deffpus de 2,000,000, & il ne. s'eft jamais élevé au defius de 5,000,000 liv. Le bénéfice de fes expéditions a varié de même. Les. actions ont gagné jufqu'a quarante-deux pour cent.; B eft connu que depuis 1770, fon dividende eft de fix pour cent. De ces marchandifes apportécs ds 1'Afie, laSued^  PHILOSGPHIQUES des DÊÜX INDES. 'f&$ n'en confomme que pour 300,000. Tout Ie refte eft exporté. L a foibleffe du numéraire, & la médiocrité des reflburces intrinféqucs de la Suede défendent un plus grand luxe. Son terrein eft, en général, ftérile; e'èft Je bcfbin féul,qui a appris aux peuplcsjdans quelques uns de fes diftnéts, qu'on peut vivre d'un pain compofé de 1'écorce de bouleau, de quelques racines & d'un peu de feigle. La pauvrété de fon terroir influe fur fa population, en rcndaut les émigrations fréquentcs. 'La difette des récoltes oblige la Suede de tirer beaucoup de grains de 1'étrangcr. Ces désavantages doivent être récompenfés par les mine.-;. Celles: d'or, d'argent, d'alun, de foufre, de cobalt & de vitriol méritent peu de confidération. Les mines de cuivre & de fer font plus abondantes. Depuis 1754 jufqu'en 1768, il fut exporté chaque année, neuf cents quatre-vingt-quinze mille fix cents fept quintaux dc ce dernier métal. On s'avife aétuellement de 1'exporter ouvré en clous, ancres, canons &e. La pêche du hareng eft venu enrichir, depuis 1740, ce royaume. La nation en confomme annuellement quarante mille barils, & l'on en exporté cent foixante mille: ce qui forme un revenu de 2,2000,000 de liv. C'eft depuis 1724, que la Suede a commencé d'avoir beaucoup de navigation; mais on fe tromperoit, fi l'on vouloit apprécier par la fon commerce. Ses cxportations annuelles ne paffentpas 15,000,000 de liv. L'a rmée Suedoife confifte en deux corps; 1'un en eft permanent; il confifte en 12,000 hommes eompofés de  ho PRÉCIS bE i/HISTOIRE toutes nations. L'autre fort de 36,000 hommes eft compofé des troupes natiohales. Leur paye con fifte dans des ten-es qu'on leur donne a cultiver, chacun felon fon grade. Cette inftitution, quoique applaudie de toute 1'Europe, ne fert qu'a gater & 1'agriculture & lc militaire; La vie ambulante de la foldatesque eft imcompatible avec 1'affiduité du travail rural, & ï'affiduité 'de celle-ci eft incompatiblè avec les exercices requis pour former de bons foldats. La marine de cet état, compofée de vmgt-quatre vaiffeaux de ligne & vingt-trois frégates 5 fans compter fes galeres, paroit difproportionnée a fes befoins & a fes facultés. Ses revenus ne paffentpas dix-fept millions de livres. L'intérêt de fes dettes en abforbe le quart. II n'y a pas au dela de deux millions de numéraire dans ce royaume. Mais la pauvrété n'étoit pas le plus grand malheur . de la Suede. La difcorde , & les troubles civils, la vénalité des états entrainoient nombre de défordres. 11 y avoit une latte continaclle entre le chef de 1'étatqui tendoit fans ceffe a acquerir de rinfluence dans la confeéiion des loix, & entre la nation jaloufe d'en conferver toute 1'exécution. Cette lutte ceffe par le changement que le roi regnant a introduit dans la forme du gouvernement. Le bien de 1'humanité nous fait former des voeux, pour que la Suede forte maintenant de 1'état d'afléantiffement, dans le quel elle aétéfi longtemps en prove al'ambition de fes voifins.  PHILOSOPHIQUE ees DEUX INDES. ui IV. En 1751, Frcdéric, roi de Pruffe, vouïut établir une compagnie, a Embden, la capitale de 1'Ooft-Frife. Le fonds de la nouvelle fociété, divifé en deux mille aétions,fut de 3,956,000 livres. II fut principalement formé par les Anglois & les Hollandois, malgré la févérité des loix, portées par leurs gouveinements, pour 1'empêcbcr. L'évenement ne répondit pas aux efpérances. Six vaiffeaux partis fucceffivement pour la Chine ne rendirent aux intéreffés que leur capital, & un bénéfice d'un demi pour cent par année. Urne autre,compagnie, qui fe forma peu de temps après, fut encore plus malheureufe. Un procés , dont On ne verra vraifemblable» ment jamais la fin, eft tout ce qui lui refte des deux feulcs expéditions qu'eile ait tentées. Les premières hoftilités de 1756 fufpendirent les opérations dc 1'uö & de 1'autre corps: mais leur diffolution ne fut prorioncée qu'en 1763. Ce s t le feul échec qu'ait effuyé la grandeur du roi de Pruffe, qui dans fa jeuncffe plein du defir de s'inftruire, mürifibit dans le fecret fon genie naturellement acbif par le commerce des premiers hommes du fiécle. On öfh prédire, qu'a fon avénement au tröne, fes miniftres ne fcroicnt que fes fécrétaires; les adminiftrateurs de fes finances, que fes commis; fes généraux, que fes aides-de-camp. L'événement n'a pas démenti cc pronoftic. Frédéric fait taire d'é» tonnement, ou parler d'admiration, toute la terre; il a donné aütant d'éclat a fiination, que d'autres fottVérains en re^oivent de leurs fujets.  ii2 PRÉCIS de l'HISTOIRE , Ce prince prtiénte un front toujours menacanr. L'opinion qu'il a donnée de fes talents; le fouvenir fans ceffe préfent de fes aflions; un revenu annuel de 70,000,000 liv. Un tréfor de plus de deux cents; une armee de cent quatre-vingt mille hommes, tout affure fa tranquillité. Malheureufement cette grandeur n'eft pas utile a fes fujets , comme elle pourroit ï'être. Ses monnoyes adminlftrées par des juifs, les monopolcs dans le commerce & dans les manufactures ont infpiré une défiance univcrfelle de la Pruffe. 11 n'y a point de hardieffe a affurer que les efforts qui fe font pour "rcffufciter la compagnie d'Embden feront inutiles. V. Les Philippines, anciennement connues fous le nom des Manilles, forment un Archipel immenfe a 1'eft de 1'Afie.. Dans leur nombre qui eft prodigieux, on cn diltingue treize ou quatorze plus confiücrables que les autres. Elles offrent un fpcctacle majeftueux & terrible du regne animal & végétal fondu par des fieux fouterrains, & des volcans a moitic cteints. Leur fertilité eft prefqu'incroyable. Tous les produits de 1'Afie s'y trouvent, & gtnéralement en meilleure qualitè. Mais leur climat n'eft pas égalemcnt agréable; pendant fix mois les cieux y font embrafés des ,feux du tonnerre, les campagnes font inondées par des pluies continuelles. Cependant 1'air n'y eft pas malfain. D e ces ifles montueufes le centre eft occupé par des fauvages noirs, qui ont des cheveux crêpus , qui nienent une vie purement animale, vivants dc fruits - " C-  PHILOSOPHTQUE des DEUX INDES. 113 & des racines, qu'ils trouvent dans les forêts. Envain >i-t-( n chcrché a les fixer & a les civilifer. Les pffines, d'oü on les a chaifés, font occupées par des col nies vcnues de Malaca, de Siam, de Macaffer, dc .--'umatra, de Bornéo, des Molucques & d'Arabie. Ma gel lan, ayant paifé par le détroit, qui porte fon nom,yarriva, en 1521. Charlcs-Quint, au fervice du quel ce navigateur avoit fait cette découverte, réduit par dés enfreprifes trop vaftes & trop multipliées a des befoins fréquents, les abandonna irrévocablcment, en 1519, pour 350,000 ducats , ainli que toutes les prétemions, qu'il pourroit avoir fur ces ifles, qui palfoient ainfi fous la domination des Portugais. Pn 1546, Philippe II reprit en dépit des traités , le projet de s'y établir. Les voyes douccs de la perfuafion entrerent pour la première fois dans fon plan d'aggrandiifement. Mais des moines fanatiques & avides le firent échouer. L'Espagne a fotimis a fa domination quelques parties de neuf grancles ifles. La plus confidcrable cn eft Lugon. Celui-ci a une baie circulaire. Prés de 1'cmbouchure d'un fieuve navigvblc s'éleve la. fameufe ville de Manille. L'Egafpe 1'enlcva aux Indiens, en 1571, & la jugea propre a devenir le centre de 1'état qu'on vouloit fon.ier. En 1590 , Pe-> rez de las Marhnas 1'entoura dc murs, & y batit la citadelle de Saint-Jacques. Elle s'eft depuis aggrandie & embellie. Son malheur eft d'être lituée entre deux volcans, dont les foyers fembknt ptépatet fa ruine. . . H  ii4 PRÉCIS de l'HISTOIRE Dans tout 1'Archipel ou ne compte , fuivant le dénombrement de 1752, qu'un miliion trois cents cinquante mille Indiens, qui ayent fubi lejoug Efpar gnol. La plupart font chrétiens, & ils payent tous, depuis feize jufqu'a cinquante ans, une capitation de deux livres quatorze fols. La colonie a pour chef un gouverneur, dont Pautorité, fubordonnée au vice-roi du ÏVIexique, doit durer huit ans. II préfide a'tous les tribunaux. II difpofe de tous les emplois civils & militaires. II peut diftribuer des terres, & les ériger même en fiefs. Sa puiffance n'eft qu'un peu balancée par le clergé. Le meilleur moyen qu'on a imaginé pour la borner, c'eft qu'en fe démettant de fa place, il eft tenu de rendre compte de fun admniiftration. Actuellement le chef de la colonie donne a fon fuccesfeur de quoi payer fa place; mais il avoit recu la même fomme de fon prédéceffeur. Depuis cette époque on a vu les abus fe multiplier de tous cótés, fortout dans la perception des impóts & dans 1'opprefïion du cultivateur. Envain quelques adminiftrateurs honnétes ont fait de temps en temps des efforts, pour réprimcr ces abus. Ils étoient trop invétérés, pour céder a une autorité précaire. L'indiftérence honteufe de la cour de Madrid, laquelle ne s'y eft jamais oppofée avec force, perpétue aux Philippines cet état' de langueur. Elles fervent a faire paffer en Amérique, par la mer du fud, les marchandifes des Indes. Nnl des objets qui forment ces riches cargaifons, n'eft le produit du fol ou de 1'induftiie de  PlilLOSÖPHIQUE des DEUX INDES. u§ ces ifles. Le payement fe fait avec de la cochenille & les piaftres du Nouveaü-Monde. Ce dépcriflement a fenfiblement augmenté, depuis, qu'en 1768 ,les Jéfuites cn ont été bannis. Les terres, un peu cultivées par leur induftrie, font retombées dans le néant, d'oü ils les avoient tirées. L'année fuivante l'on bannit de ces ifles tous les Chinois. Ceux-ci y arriverent chaque année avec vingt-cinq ou trente petits batiments; ils y encouragerent quelques travaux par le prix, qu'eux feuls y pouvoient mettre.Plufieurs d'entre eux, fixés dans ces ifles, y donnerent Pexemple d'une vie appliquée & induftrieufe. Les habitants naturels de ces ifles marquent une inclination décidée a fe foulever, depuis qu'ils ne font plus guidés par les Jéfuites. Des barbares, fortis des ifles Malaifes, dévaftent habituellement les cötes des Philippines; ils en arrachent des milliers de chrétiens qu'ils réduifent en fervitude. La divificn des Efpagnols, partagés en fictions, les rend indiffé • rents te la vengeance de ces cruautés; En 176a, les Anglois leur enleverent ces poffeffions, avec plus de facilité, qu'ils n'avoient ofé éfpérer. La paix les leur a rendues , mais elle n'a pas étouffé 1'ambition des'Anglois de s'en re-emparer, a la première occa~ fion. L'Efpagne perdra donc tot on tard les Philippines. 11 y a des gens, qui prétendent que ce fcroit un bïen pour elle. Pour tirer quelque fruit de ces établiflements, les Efpagnols n'auroient qu'a fe vcti r de manufaclures Indiennes , pour éviter d'enrichir l'induftrie Europcenne^,H 2  n6 PRÉCIS de l'HISTOIRE comme ils ont fait jufqu'ici. Ceci ouvriroit encore de nouvelles opérations de commerce avec diverfes contrées de 1'Afie, entre les quelles ces ifles font fituées. Si le gouvernement ceffoit de gêner l'agriculture,l'induflrie fourniroitbientót deriches cargaifons. Leur terroir produit plufieurs articles trés propres au commerce d'Inde en Inde: le tabac, le riz, le rottin , la cire , des huiles, les cauris 3 1'ébene, le poiffon féché, les réfines, les bois de Japan, & furtout ces nids d'oifeau, ces nerfs de cerf deflechés, ces biclies de mer que tous les peuples de 1'Afie, furtout les Chinois, recherchent fi avidement. Les mines de fer d'une qualité fupérieure, d'excellent cuivre, de 1'or, qu'on trouve dans les fables, tous ces motifs doivent animer les Efpagnols a tirer parti d'une poffefiion, qui leur offre tant de moyens de devenir puiffante, & d'enrichir la métropole. V. Entre les empires de la Ruffie & de la Chine, fe trouve un efpace immenfe, anciennement counu fous le nom deScythie, depuis fous celui de Tartarie. De cette vafte contrée une partie eft fous la domination de la Chine, une autre fous celledela Rusfie, une troifieme connue fous le nom de Kharifine, dela grande &delapetite Bucharie,efiindépendante. Ses habitants vecürent toujours de chaffe, de pêche, du lait de leurs troupeaux, & avec un égal éloignement pour le féjour des villes, pour la vie fédentaire & 1'agriculuire.' Leur origine fe perd dans 1'antiquité. Ils adopterent de bonne heure la religion de Lama,  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 117 qui s'eft toujours confervée fans la moindre altération. Mais leur culte n'a dans aucun temps énervé leur valeur. Leur climat & leur vie errante les endurcit & les rendit belliqueux. L'ambition a continuellement tourné leurs regards vers les riches con trees de 1'Afie. C'eft: pour arrêter les irruptions de ces nations féroces, qui dans leurs guerres ne vifoient qu'au pillage, que fut élevée, environ trois fiécles avant 1'ère chréticnne, cette fameufe muraille, qui s'étend depuis le fieuve Jaunejufqu'a la mer de Kamtfchatka, qui eft terraffée partout, & fianquée par intervalles de groffes tours, fuivant 1'ancienne méthode de fortifier les places. Ce monument attefte qu'il y avoit alors cn Chine une prodigieufe population & peu de fcience militaire. Cette muraille n'a pas empêché la conquête de cet empire faite, au treizieme fiécle, par les Tartares, conduits parGengiskan. La foiblcffe du prince Tartare les fit chasfcr au bout de quatre-vingt-neuf ans. Les diffenfions domeftiques, aux quelles la Chine étoit en proye, fotirnirent en 1644, & ces barbares 1'occafion de s'emparer de nouveau de cet empire. Vers le même temps les Rulfes avoient conquis les plaines incultes de la Sibérie, d'oü ils s'étoient infenfiblement pouffés jufqti'au fieuve d'Amur & la mer Oriëntale, qui les approchoit de la Chine, dont ils avoient entendu vanter les richeffes. Alors commencerent entre les deux états de vives difptites für' les frontieres. Le premier traité, que les Chinois ayent jamais fait des la fondation de leur empire, H3  u8 PRÉCIS de L'HISTÜIRE regla, cn 1689 5 ics lünites a la riviere Kerbechi. L e' même traité accorda aux Rulles la permiflion d'envoyer tous les ans une caravane a Pckin , d'uii les étrangers avoient toujours été éloignés foigneufe.ment. Ceux-ci n'en furent pas- plus modérés. Es batirent une fortercffe, a trente lieues au dela des bornes. Les Chinois les en chafferent,. en 1715. Ceux-ci leur accorderent encore, en 1719, la liberté d'envoyer a Pekin une caravane; or celle de'^i s'étant encore mal-comportée, on régla dorénavant^ que les deux nations ne traiteroient que fer la fronttere. Depuis cette époque, on a établi a Kiatcha deitx grands magafms, 1'un Ruffe, 1'autre Chinois. Des commilfaires des deux nations préfident a ce commerce , üü il entre raremënt des métaux. L'article le plus important eft le thé verd. II eft infiniment meilleur que celui, que 1'Europe rcgoit a travers des mers immenfes. II eft vendu jufqu'a vingtfrancs la livre. Le comme.ee de la Rufiie avec la Chine s'éleve quelquefois a fix millions, & la douanede, Kiatcha produit quelquefois a 1'état, jufqu'a deux miüions de livres. Vers 1'an 1738, les habitants des deux Bucharies fouhaiterent de négocier avec la Rufiie. Oren • bourg devint le théatre de cc nouveau commerce. Les Tortares y portent, outre leurs belles pelkteries, diverfes marchandifes tirées de 1'Indoftan, en particulier une grande quantité de diamants bruts', 45 environ quatre cents quiataux d'exceUente rhubarbe.  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 119 Les liaifons que la Ruffie a avec la Perfe, moyennant la mer Cafpicrme, font moins avantageufes. Les Arméniens, nation économe, active & ( accoutumée aux ufages de 1'Örient, d'ailleurs riche, font en Perfe des concurrents trop puiffants , pour que le commerce des Ruffes y puiiTe jamais jetter quelque éclat. L'empir-E de la Ruffie eft le plus vafte de Punivers. 11 faut divifer la nation Ruffe en deux claffes. Le corps des nobles tient dans lés mains la plupart des terres, & dans fa dépendance tous les maïheureux. qui les arrofent de leurs fueurs. De ces ferfs on ne voyoit que trés peu, au commenccmcnt du feizieme fiécle, a 1'exception de ceux qu'on avoit faits a la guerre. La conquête des royaumes fertiles de Cazan & d'Aftracan caufa de trés fortes émigrations des payfans Ruffes. En 1556 ou p'ublia la funefte loi, qui les attaché a la glebe. C'eft de cette trifte époque que fe date le eommencement de 1'efclavagc, dont le joug s'eft encore appéfanti depuis, & qui a influé fenfiblement fur la population, la quelle ne s'éleve pas audeffus de 20,000,000 d'a'mes. Les revenus de la Ruffie montent k 150,000,000 liv. Le commerce que les Ruffes font avec la Chine,. avec la Perfe, avec la Pologne, & qui roule principalement fur les fourrures, n'eft guère important. Celui qu'il peuvent dèformais s'ouvrir avec la Turquie, par la mer Xoire, peut devenir une riche fource de profpérité, dont il feroit téméraire de fixer le terme. jufqu'a préfent les opérations les plus intéPI 4  120 PRÉCIS de l'HISTOIRE reffantes dans le commerce fe font fur la Baltique. En 1773,les exportaüons s'éleverent a 106,401,735", & les importations ne pafferent pas 66,544,005 liv. En effet ce: état eft trés heureufement iitué pour le commerce, parcequ'il a partout des rivieres navigables. Mais des pratiques & des ulhges vicieux ne lailfent pas de le gener. L a Ruffie a quelquefoisune armée de 375,457, hommes. Cette armi-e eft difproportionnée a fa population & afes befoins. Si elle étoit affez fage, pour étouffer 1'ambiïion de fe méler dans les affaires politiques de 1'Europe, elle pourroit en congédier la majeure partie; ft pofition locale & la foibleffe de fes voifins 1'ayant rendue affez forte. La même chofe eft vraie par rapport a fa marine, compofée de vingt-cinq vaiffeaux de ligne & de quelques frégattes, outre les galeres; elle occafionhe une dépenfe fupertiue, vu que la Ruffie n'a ni flotte marcliande, ni colonie a proté.,er. La Chine trafique encore avec la Corée, oü elle envoye du thé, de la porcelaine, des étoffes de foye, qu'eile échange contre les toiles de clianvre, du coton & du ginfeng. Celui-ci eft dans la plus haute eftimc auprès des Chinois ; ils ne le. croyent jamais trop cher. On feftime propre a fortifïer l*efiomac & les parties géiiitales. Les premiers Européens, qui venoient trafiquer en Chine, jouïrent de la permiffion d'aborder dans toutes les rades' & tous les ports. Le déréglement de leur conduite les fit concentrer depuis a Canton. Les fables, qui en ont comblé Ie port, obligent nas  PHILOSOPI-TQUE des DEUX INDES ia* vaiffeaux d'en demcurer éloignés de trois lieues. Sa ra ie eft formée par deux petites ifles. Les Francois jouiflëm , depuis 1745, du privilege exclufif de faire le commerce clans une dc ces ifles qui eft la meilleure & la plusfalübre, nommée W'ainpou, au lieu que les autres Européens font fixés dans 1'autre, la quelle eft tres mal-faine, après qu'on.y a coupé le riz. Tandis que les équipages languiffent dans celle-ci, nommée Hoang-pou, les agents du commerce font leurs achats & leurs ventes a Canton , oü ils 'font concentrés dans un quartier de la ville trés refferré. Cette gêne n'a pas empêché les Européens d'aller chercher a Canton du thé, des porcelaines, des foyes , des foyeries, du vernis, du papier, de la rhubarbe & quelques autres objets moins iavj portauts. Le thé offre trois efpeces, Je thé bouy, le thé verd & lc thé rouge, dont la première eft la plus commune. La première récolte des thé fe fait vers la fin de Février; il s'appelle ficki-tsjaa, ou thé impérial. Cclle d'Avril donne le thé ordinaire, celle de Juin Ie thé grofficr. Lc thé fe diveriifie encore, felon la maniere dont il eft dcfféché. Des expérienecs faites en Suede, en Angleterre & en France nous ont convaineu, que cef arbriffeau réuffiroit tres bien dans nos climats. La porcelaine eft la poterie la plus parfaite, couverte d'un vernis blanc ou coloré, qui n'eft qu'une couche de verre fondu, a la quelle on donne le nom de couverte. La porcelaine eft divifée par les  122 PRÉCIS de l'HISTOIRE connoiffeurs en fix claffes. La trititée, le blanc ancien, la porcelaine du Japon, celle dc la Chine, le Japon chiné & la porcelaine de 1'lnde. Sur ces porcelaines les couleurs s'appliquent de la même maniere. La plus folide, le bleu, eft tirée du Cobalt. On 1'y met avant que de lui donner la couverte ; les autres couleurs s'appliquent fur la couverte même. La fabrique des porcelaines occupe, a Kingt-ching, bourgade immenfe de la province de Kianfi, cinq cents fours & un miliion d'hommes. Les découvertes faites , en France, dans l'art de fabriquer de Ik porcelaine, femblent nous conduire au moment, oü nous pourrions nous paffcr de celle de la Chine. C'est aux Chinois qu'on doit l'art d'élever les vers-a-foye, & d'en tirer le fiL Cette branche s'eft repandue tres lentement dans les autres partics du globe. Au treizieme fieclc , on paya a Rome une livre de foye d'une livre d'or. De toutes les foyes connues, la Chinoife excelle le plus paria blancheur. Les Européens en achetent annuellemcnt quatre-vingts milliers, dont les trois quarts font employés par la France. Les foyeries Chinoifcs, qü il n'y entre ni or ni argent, font trés belles. Ces étoffes ne nous ont jamais tentés, paree qu'elles font fans deffein & fans agrément. Le vernis eft une réfine particuliere, qui découle d'un arbre nommé au Japon fit7-d/iu & tjï-chu. a la Chine. 11 ne croit que dans quelques provinces du Japon & dc la Chine; on le trouve dans quelques endroits de 1'Amérique. Sa culture exkre  fli.ILüSÜPHlQUE des DEUX INDES.. 123 peu de foins. On y fait des incifions, alors il -.n découle un fuc laiteux, fous la fornie' d'une poix liquide. Expofé a 1'air il prend 1'a couleur d'un noir briljant. On recueille cette liqueur dans des coquilles; cc qu'on peut répéter tröis fois d.ms »nc faifon. De, ces vernis le meilleur eft celui du Japen. 11 rend le bois ineorrupüble, 6c il fe prêtc a toutes les couleurs. Les ouvrages de vernis exigent des foins trés fuivis. On leur donne au moins ncuf a dix couches. 11 faut laiffer entre elles un in'crvalie fuffifant, pour qu'ellcs puiffent bien féclier, dcforte qu'un. été fufiit a peine pour cet ouvrage, Le papier Chinois eft de deux fortes. II y cn a qui ell fait de chiffons de coton & de chanvre. Sa iïncffe & fa tranfparence ont occafionné 1'crrcur, qu'il étoit fait de foye. ■ L'autre efpece cll feite, d'écorces intérieures du müricr, dc 1'orme, du cotonier, & furtout du bambou. Ce papier fert a tapiffer les chambres. Depuis qu'on a imaginé de peindre du papier en France & en Angleterre", celui de la Chine eft moins recherché. L a rhubarbe eft la racine d'une plante, qui croit fans culture, entre le trentieme & le trente-neuviemc dégré de latitude boreale. Ces racines font enfilées & defféchées foit a 1'air,'foit, comme quelques voyageurs 1'affurent, au cou des beftiaux. Les Tartares Calmouks, & les habitants de la grande Bucharic la portent a Orcnbourg, oü les Ruffes l'affortifiënt, & oü ils brulent ce qui ne mérite pas d'être coni'crvé. 'Comme la rhubarbe Ruffcnc fuüit pas a nos befoins,  i24 PRÉCIS de l'HISTOIRE on eft réduit a fe fervir de celle qui vient de la Chine, quoique beaucoup inférieure en vertus. L'Europe a cherché a s'approprier cette plante, & il y a de 1'apparence qu'ón y réulfira. Les achats que les Européens font annuellement a la Chine, peuvent s'apprécier par ceux de 1776, qui s'élcverent a 26,754,494 liv. Cette fomme, dont le thé feul abforba plus de quatre cinquiemes, fut payée en piaftres & en marchandifes, apportées par vingt-trois vaiifeaux. La Suede fournit 1,935,168 üv. en argent, & cn étain, en plomb & en autres marchandifes 427,500 liv. Le Danemark 2,161,630 liv. & en fer, en plomb & en pierresafofil 231,000 liv. La France 4,000,000 en argent & 400,000 liv. en draperies. La Hollande 2,735,400 liv. en argent, 44,600 liv. en lainages, & 4,000,150 liv. en productions de fes colonies. L'Angleterre 5,443,566 liv. en argen£, 2,000,475 nv- cn étoffes de laine, & 3,375,000 liv. en plufieurs cbjets tirés de diverfes parties de linde. Quelques grands que foyent les avantages que la Chine retire de ce commerce, fon averfion & fon mépris pour les étrangers la rtnd trés difpofée a leur fermer un jour fes ports. Le commerce des Indes eft-il utile a PEurope? — H augmente évidemment la maffe de nos jouisfances. II nous donne des boiffons faines & délicieufes, des commodités plus recherchées, des arneublements plus gais, quelques nouveaux plailirs, une exiftence plus agréable. La perte des hommes & de  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 125 1'argent, re tort qu'il fait a 1'avancement denotre induftrie ne font point des motifs, qui doivcnt nous faire ceffer ce commerce. L'Europe a-t-ellebefoindegrands ctabliffements dans les Indes pour y faire ce commerce ? — Les Portugais , les Hollandois, les Francois & furtout les Anglois, non contents d'y avoir des comptoirs, ont cherché a s'y fortifier. La foibleffe des Indiens, & leur ignorance dans l'art militaire a rendu cette entreprife trés praticable. Tous les peuples de 1'Europe qui font le commerce des Indes, le font par des compagnies exclufives. 11 eft bien difficile de croire , que de grandes nations, chez qui les lumieres en tout genre on fait tant de progrès, fe foyent conftammcn't trompées pendant plus de cent années, fur un objet fi important, fans que 1'expérience & la difcuffion ayent pü les éclairer. La nature des chofes exige des compagnies, & le commerce des Indes eft au-deffus des facultés d'un particulier. Mais ces compagnies , qui font le commerce des Indes, doivent-elles jouïr de privileges t'xcluüfs? C'eft aux hommes d'état, appelles par leurs talents au maniement des affaires publiques, a décider cette queftion. La politique ne fgauroit s'appli ■ quer affez tót, ni trop profondément, a régler un commerce, qui intérefl'e fi effentiellement le fort des nations, & qui vraifemblablement 1'intéreffera toujours. •  ; PRÉCIS de l'HISTOÏRE € H A F I T R E VI, Dccouverte de VAtnériqiu. Conquéte du Mexiquè. Établïffements Efpagnols dans cette partie du Nouveau-Monde. 2LL/'histoir.e ancicnnc ofFre un fpectacle magnifique, renipli de moeurs héroïques & d'événcments extraordinaires. Ce temps eft pafie, & 1'hiftoire eft devenue beaucoup moins intéreifantc, depuis qu'on coiiibat avec ia foudre pour la prife de quelques ville5 , cc .pour le caprice de quelques hommes'puiflants. Une oppreffion journalicre a fuccêdé aux troubles & aux orages; & l'on voit avec peu d'intérct des efclaves plus ou moins civilifés, s'affommer avec leurs chrtines, pour amufer la fantaiiie dc leurs maitres. L a découverte d'un nouveau monde pouvoit feule fournir des aliments a notre curiofité. Une vafte terre en friche , 1'humanité réduite a la condition animale , des campagnes fans récoltes, des tréfors fans p(ilfeffeurs, des fociétés fans police,des hommes fans moeurs : combien un pareil fpeétacle n'eut-il pas été plein d'intérêt & d'inftruction pour un Locke, un Buffon & un Montesquieu! Peu dc temps après la conquête de la Grénade, achevée en 1492, Colomb plus avancé que fon fié-  PIIïLOSOPfflQüE des DEUX INDES. 127 cle dans l'aftronomic. & la navigation, propofa a PEfpagne heureufc au-dcdans de .s'aggrandir au dchors. ■ L'cxificnce des Antipodes dont il s'étoit pénétré 1'cfprit, le conduit a celle du nouveau monde, ïl propofa a fiênes de le mettre fous fes loix. Mc'prifé par fa patrie, par lc Portugal & par 1'Angleterre même, ü porta fes vues & fes projets a.Ifibellc. On le prit d'abord pour un vifionnaire, mais fon ante ferme, élevée, couragcufe, ft prudence & fon ad.lreffe, le firent triomplier enfin de tous les obftacles. On lui accorda donc trois petits navires & quatre-vingt-dix hommes, Ce foible armement ne coüta pas au dela de cent mille francs. 11 mit a la voile, le 3 Aoüt 1492 ., avec Je titrc d'amiral & de vice-roi des ifles &.des terres, qu'il découvriroit. Il arriva aux Canaries , oü il s'étoit propofé de' relacher. Elles font; fituées a cinq cents milles des cótes d'Efpagne, & a cent milles du continent d'Afrique. Ce fut a. la partie la plus occidentale de ce peüt archipel, que le célébre Ptolomée, qui vivoit dans le fecond fiécle de 1'ère chrétienne, établit un premier méridien, d'oü il compta les longitudes de tous les, lieux, dont il déterniina la polition géographique. En 1344, Ia cour de Rome en donna la propriété a Louis de la Cerda, un des Infants de Castille. Béthecourt alla les conquêrir pour ce prince. Elles ont depuis fait toujours partie de la domination Efpagnole. Le ciel y efi communément ferein; les grandes chaleurs y font.agréablemeat jtempérées.fur les lieux  ia8 PRÉCIS de l'HISTOIRE un peu élevés. Les fruits & les animaux de 1'ancien & du nouveau monde y profperent égalemenr. Ses exportations en vin s'élevcnt annucllement a dix ou douze mille pipes de Maivoifie. En 1768, les Canaries comptoient cent-cinquante-cinq mille cent foixantc fix habitants, fans y comprendre les eccléfiaftiques, les moines & les relüjieufes. Vingt-ncuf mille huit cents de ces citoyens étoient enrégimentés. De cet archipel 1'ifle de TénerLf eft la principale, fameufe par la montagne, qui s'éleve mille neuf cents quatre toifcs au deifus de Ia mer. Toutes ces ifles Iahgaiiifeht dans la pauvreté. . C e fut le 6 feptembre , qu'il quitta Gomere, oü fes trop frêles batiments avoient été radoubés & fes vivres renouvellés, qu'il abandorina les routes fuives par les navigateurs qui 1'avoLnt précédé, qu'il fit voile a 1'Oueft, pour fe jetter dans un océan inconnu. iiientöt les équipages épouvantés de 1'immenfe étendue des mers, qui les féparoient de leur patrie, commencerent a s'effrayer. Ils murmuroient & les plus intraitables des mutins propofercnt, a plufieurs reprifes, de jetter 1'auteur de leurs dangers dans la mer. Colomb ne pouvoit plus rien fe permettre ni de la févérité ni de la douceur. Si la terre ne paroit dans trois jours, je me livre a. votre vengeance, dit 1'amiral. Ce difcours étoit hardi fans être téméraire. Depuis quelques temps il trouvoit le fond avec la fonde. Ce fut au mois d'Oétobre que fut découvert le nouveau monde. Colomb aborda a une des ifles Lu cayes,  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. i2Q cayes, qu'il norama San-Salvador , & dont il prit poflcfiion au nom d'Ifabelle. Perfonne en Europe n'étoit capable de pcnfer, qu'il put y avoir dc 1'injuftice de s'emparer d'un pays qui n'étoit pas habité par des chrétiens. Les infulaires, a la vue des vaiffeaux , & de ces. hommes fi différents d'eux , furent d'abord cffrayés & prirent la fuite. Les Efpagnols en arrêterent quelques uns, qu'ils renvoyerent, après les avoir comblés de careffes & de préfents. Ces pcuplcs raffurés vinrent fans armes fur le rivage. Plufieurs entrerent dans les vaiffeaux ; ils ■ examinerent tout avec admiraüon. On remarquoit en eux dc la confiance & de la gaieté. Ils apportoitent des fruits; ils mettoient les Efpagnols fur leurs épaules, pour les défcendre a terre. Les habitants des ifles voifines montroient la même douceur & les niêmcs moeurs. Les matelots que Colomb envoyoit a la découverte, étoient fêtés dans toutes les habitations. Les hommes , les femmes, les enfants leur alloient chercher des vivres. On rempliffoit du coton le plus fin les lits fufpendus, dans lcsquels ils couchoient Cependant les Efpagnols furent plus révoltés dc la nudité, de la couleur de cuivre de ces peuples, qu'ils n'étoient touchés de leur douceur. Ils les regarderent comme des animaux imparfaits , & on les auroit traités dès-lors comme tels ; mais ils cherchoient de 1'or; les fauvages en portoient de riches ornements qu'ils donnoient a leurs . nouveaux hotes. II étok donc de leur intérêt de les ménager pour avoir I  J3o PRÉCIS de i/RISTOIRE des détails fur les contrces voifmes, oü'il y cn avoit les mines. ArR.es avoir reconnu quelques ifles d'une médiocre étendue , Colomb aborda au nord d'une grande ifle , que les infulaires appelloieut Hayti; elle porte aujourdhui le nom de Saint-Domingue. Les fauvage s avoient fait enten Ire aux Efpagnols, que la grande ifle étoit le pays qui leur fournilibit ce métal, dont-ils étoient fi avides. Celle -ci a deux cents lieues de long, fur foixante & quel :uc tois quatre-vingt de large; elle eft coupée dans toute fa largeur de 1'Eft a 1'Oueft par une chaine de montagnes, la plupart efcarpées qui en occupent lc milieu. On la trouva partagée entre cinq nations fort nombreufes, qui vivoient en paix. Elles avoient des rois, nommés caciques , d'autant plus abfolns , qu'ils étoient fort aimé>\ Lc temps'de ces peuples s'employoit a danfer, a jouer, adormir. Ils étoient humains, lans malignité, fans cfprit de vengeance, presque fans paffion. lis ne fcavoient rien, mais ils n'avoicnt aucun "defir d'apprendre. La polygamie y étoit permife. Ils u'avoient pour armes que Pare avec des fleches d'un bois , dont la pointe durcie au feu étoit quelque fois gamie de pierres tranchantcs. Colojib ne négligca aucun des moyens pour lui concilierl'amitiédeces infulaires. Mais il leur fit fentir aufii, qu'il avoit le pouvoir de leur nuire. L'artillerie fit regarder les Efpagnols comme des hommes defcendus du ciel, & leurs préfents comme des cho-  PIELOSPPIIIQÜES dcs DEUX INDES. 131 fes faccées. Les iqüilaires i'ai ierent eux-mêmes a conflxmre ün fort, oü il laiffa trente - neuf Caftillans, Arrivé en Efp gne , Colomb fut comblé de difiinétions de toutes fortes. De retour a Saint - Dominguc , avec une efcadre de dix-fept vaiffeaux, avec quinze cents hommes, avec des vivres, des graines & des animaux domeftiques } il ne trouva que des cadavres & des mines, Ses compatriotes avoient provoqué eux - mêmes leur perte par leurs exces. On conftruifit un fort au bord de 1'ocean. Pendant qu'on étoit occupé de fes travaux, les vivres apportés d'Europe étoient confommés, ou étoient corrompus. II fallut donc recourir aux natu. reis du pays, qui ne cultivant que tres peu n'étoient pas cn état de nourrir des étrangers beaucoup plus gourmands qu'eux. Les exaétions continuclles des Efpagnols étoient un fardeau infuppor-tahle aux Indiens, qui cherchoient a s'en défaire. Pour. diffiper ce dangcr Colomb* fe.vit forcé de livrer bataille aux Indiens; 1'artillerie & la difcipline militaire Européennes donnérent une fi grande fupériorité aux Efpagnols, qu'ils défirent une armée de cent mille Indiens, quoiqu'il nc put mener a 1'ennemi que deux cents fantaffins & vingt cavaliers. Pour punir ceux-la de cette prétendue rébcllion, on les affervit a un tribut en or ou en coton. Mais ce tribut exigeant un travail affidu , & une occupation fuivie, qu'ils regardoient comme le plus grand des maux, le defir de fe débarraffer de ces étrangers devint leur paffion unique. Pour fe venger  i3s PRÉCIS de l'HISTOIRE dc cc procédé , !cs Efpagnols firent pourf.fivrc,' 5: déchirer les Indiens refugiés dans les m ptagnesi Un tiers de la population-, qui s'éleva avant r.irri-' vée des Caftillaus a un miliion , périt dans cette occafioh. Dans lV.bfence de Colomb, qui pour fe juftifier étoit retourné dans la patric , les Efpagnols agités par la foif de 1'or, fe firent une guerre non-interrompue. Cependant cette nation étoit deja revcnue de fa pafficn de paffer cn Amériquc , d'oü fes compatriotes étoient tous retournés, ruinés de fanté. Pour avoir donc des colons, Tamiral fit prendre. les malhcnreux emermés dans les prifins. Une conduite auffi peu cohvenable pour une colonie naiffmte inilue peut - étre encore fur le bonheur dc PAmérïqüë. Ces nouveaux - venus & les anciens colons fonnerent un des peuples les plus dénaturés , que.le glc.be cüt jamais portés. Cette opération manqun donc lc bat, que Pamiral s' y étoit propofé. II aèhétöit bien cher Ia cé'.ébrité que fon génie & fes travaux lui avoient acquife. Sa vie fut un contrafte continuel d'élévation & d'ab.üsfement. Bovadilla, cnvové de 1'Efpagne pour examiner fa conduite, le dépouille de fes biens & lc rc-nvoye chargé dc fers. Uitbelle defapprouve un pardbprocédé, mais elle nC* le renvoyc pas a fon ancien pofte Après une tentative inatile , il meurt, malheureux, en 150Ó, a Vaüadolid. Quoiqu'il eut découvert le nouveau - monde , on lui en difputa nume la glojre: L'honneur de cette invention  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 135 fut fauffcment attribué a Floreniin Améric Vcfpuce, qui ne-fit que marcher fur les tracés de fon prédécefleur, La religion & la politique, furent les deux voiles, dont on couvrit le fyfteme affreux de rédnire les Indiens fous le joug de la fervitude. L'ifle cntiere fut divifée en un grand nombre de diftriéts , que lés Efpagnols obtinrent plus ou moins étendus CeIon leur étajg On attacha les Indiens a ces terreins, Une difpofition auffi hprrible a été fuiyie dans plufieurs autres établiifements. Depuis cette époque les produits des mines ont été plus ftables, quoiqu'ils ayent diminué fcnfibleinent. Lesgrands, les favoris & les gens en place fe firent donner depuis de ces terrcins, pour avoir leur part dans les richeffes, fans courir le rifque de paffer la mer. Une économie auili mal entendue ne lailja pas de diminuer fi fenüblement la population , qu'on étoit obligé de tirer les fauvages des ifles voifines. On les acpouploit au travail, comme des bêtes; on fufoit rclever, a force de coups, ceux qui plioient fous leurs fardeaux. II n'y avoit de. la communication entre les deux fexes, qu' a la dérobée. Les hommes périffoient dans les mines, & les femmes dans les champs , que cultivoient leurs foiblcs mains. Une nourriture mal-faine, infuffifante , achevoit d'épui er des corps excédés de fatigues. Le lait tariffoit dans le fein des meres. Elles expiroient de faim, de lafiitudc, preflants contre leurs  134 PRÉCIS de l'HISTOIRE mammelles defféchées leurs enfants morts ou mou • ratits. Les peres s'empoiLnnoient. Quelques uns fe pcudireut aux arbres , après y avoir pendu leurs enfants Sc leurs épouLs. Cette race n'eft plus .' A v a N t quê ces horreurs euffent dévafté SaintDomingue S: les ifles voifines, les Efpagnols s'étoient occupés a faire des découvertes , & a former des établiifements a la Jamaïque , a Porto-Rico, a Cuba. De ce dernier on cxpédia encore trois pctits batiments, qui arrivoient a S.dut-Jago , a Yucatan, a Campechc. S i cette derniere expédition fut malheureafe , c'eft que les Efpagnols avoient a fure a des peuples civüifés. Pour véiiiier ce que les navigatcurs partis de Cuba avoient débité, le chef dc la colonie arma a fes dépens trois navires, qui poulïercnt leur courfe jusqu' a la rivierc dc Panuco. Quelque fois les Indiens les repoufferent avec vigueur; une autre fois on les recut avec des hommages trés diftingués. Le chef de cc voyage, Grijalva, rétounre a Cuba , éc il y rend un compte probablement cxagéré de 1'empire du Mexique. Des ce moment Velasquez, Gouverneur de Cuba , en décide la conquête; Pexécution de ce projet eft confiée a Fernand Cortes. II part , le 10 Février 1519, accompagné dc onze petits baliments, aveC cent neuf-matelots, cinq cents huit foldats, feize chevaux , treize mousquets , trente - deux arbalettcs, un grand nombre d'épécs éc de piqués, quatre  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 135 fauconneaux & dix pièces de campagne. Des particuliers font les fnüx de cette eXpédltfon. C o r ï è s q".i paroit avoir été animé par la doublé pailion des richeffes & de la renommee, bat les Indiens de Tabafco, & les réduit a dcmander la paix. Une des caufes qui a beaucoup contribué a faciliter ia conquête du nouveau monde eft 1'atiachement des femmes Indiennes aux Efpagnols, éclcur averfon contre leurs maris , livrés a une débauche contre nature. Vingt de ces femmes funireut Cortes. La plus célebre d'entre elles fut Marina, fille d'un cacique, qui lui fervoit d'amaute & de confeil. Montezuma étoit Pempereur du Mexique, lorsque les Efpagnols y aborderent. 11 ne tarda pas a être averti de 1'arrivée de ces étrangers. On devoit s'attendre qu'un prince que fa valeur avoit élevé au tröne, qui avoit des armées nombreufes &. aguerries, feroit attaquer ou attaqueroit lui-même une poignée d'avanturic-rs, qui ofoient piller fes domaines. II n'en fut pas ainfi; c'eft un bonheur que les Efpagnols attribucnt a un miracle, mais dont il faut chercher la véritable caufe dans la molleffe dc 1'ame du prince. CoRTès rencontre fur fa route la république de Tlafeala, de tout temps ennemie des Mexicains. II lui fit propofer une alliance, mais des peuples accoutumés a fe défier des étrangers , ne devoient pas aifémcnt fe prêter a une propofition parciile. Les Tlafcalteques n'étoient pas effrayés des mevveilles 154  136 PRÉCIS de lTIISTOIRE qu'on racontoit des Efpagnols. Ils fe comportereirt dans quatre on cinq combats avec beaucoup de bravoure. La crainte d'abandonner aux cnnemis -leurs morts ou blcfles leur étoit tres nuifible dans le combat. L e pays étoit partagé en plufieurs cantons, fous la direétion des caciques, tous fubordonnés au fénat de Tlafcala, compofé des citoyens choifis dans cha^ que diftricl. Leurs moeurs étoient trés féveres. Les crimes y étoient punis fans. miféricorde. Les vices y étoient en horreur. La polygamie y étoit permife. L'on yhonoroit furtout le mérite militaire. Ce pays , quoique d'une étendue médiocre , étoit trés peuple, & le peuple y étoit heureux. Cependant Porgüeil Efpagnol le traita avec dédain. La nécefiité feule obligea cette nation hautaine de s'allier aVee les Tlafcaltcqucs, qui leur donnoicnt fix mille foldats'. Avec ce fecours, Cortes' s'avance vers Mexi co, a travers un pays bien cullivé, dont les char-; «sis ne touchoient touttefois 1'ame des Efpagnols 'avides de Por. Montézuma , pourvu de tout, mais fans courage, fe refout d'introduire lui-même les Efpagnols dans fa capitale, après avoir fait de vains efforts pour les en détourner. II les comble a Mexico de préfents, & il fait, en memc temps, attaquer la Vera-Crux, que les Efpagnols avoient bati pour fe ménager une retraite. II faut, dit Cortès , en leur apprenant cette nouvelle, il faut étonner ces barbares, par une actïon d'éclat: j'ai réfoln  PHsLOSOPHIQUE bes DEUX INDES. 137 d'arrcter l'empereur, & de me rendre maitre de fa perfonne. Cc prince par unc baffeffe égale a la témérité de fes ennemis , fe met' entre leurs mams. On 1'oblige a üvrer au fupplicc les généraux, qui avoient exécuté fes ordres. II met le comble a fon aviliifcment, cn rendant hommage de fa eouronue au roi d'Efpgane. Velasquez , mécontent que des avanturiers, partis fous fes auspices, euffent renoncé a toute liaifon ayec lui, fait partir dc Cuba Narvaès avec huit cents lantafiins , avec quatre -vingts chevaux, avec douze pièccs de canon. Narvaès doit prendrc le commandement dc 1'armée. Cepcndant Cortes, quoiqu'il n'ait que deux eents cinquante hommes, marche a fon rival, lc fait pnfonnier , fait mettre bas les armes aux foldats, & les leur offre enfuite, pour les eraployer dans fon fervice. Sans perdrc un moment , il reprend avec eux la route de Mexico, oü la nobleffe, indignée de voir le pripee pnfonnier, avoit fait prendrc les armes au peuple, Les Efpagnols quoique juttement ofïenfés dc la barbarie & de 1'atrocité du eulte Mexicain , n'auroient néantmoins pas dü fe jetter fur le peuple, affemblé dans le premier temple de la ville, ni affasfiner les nobles pour les dépouiller. C o r t è s de retour a Mexico, y trouve les fiens, affiégés dans le quartier, oü il les avoit laifles, & oü on les perfécutoit avec beaucoup d'acharnement. Les Mexicains fe battoient en dèfefpérés. On delira de fe raccommoder avec eux. Pour cahier le peuple , I 5  i38 PRÉCIS de L'HISTOIRE Montézuma fc montre fur la muraille , avec toufs 1'appareil du tröne ; mais celui-la, indigné de fon aviliffenunt, le perce d'un coup mortel. Ccnvaincus de rimpofiibilité de vaincre les Efpagnols, les Mexicains fc dtt^rminent, a les exterminer par la faim, cu kur coupant les vivres. Mais Cortes fe rctire chez les TLfcalteqe.es. La marche de fes troupes fe fait dans la nuit, & dans le plus profond fiïencc ; ce n'eft qu'après des dangers incroyables qu'il péuetrc jusqu'au bord du lac. Si les Mexicains euffent fgu pofiter du délabrement des Efpagnols, c'en étoit fait. Mais ceux - la employent a des cérémonies funebres un temps précieux, dans le quel ils auroient pti exterminer un ennemi bleffé, harcelé, fatigué & battu. II n'y a encore que la préfence d'es.prit du couragetix Cortes , qui fauve fes compagnons épuifés. II s'élance , il fc jettc au milieu des Mexicains, & leur arrache le drapeau royal. Cette pertc met lc comble a leur découragement, qui ne le permet pas de leur gêner dans fa marche vers les Tlafcalteques. Coü-Tes , qui n'avoit pas perdu 1'efpérance de fbü. mettre cet empire, vouloit dorénavant fe fervir d'une partie du peuple pour fubjuguer 1'autre. On le voyoit pattout courbé fous le doublé joug du defpotisme & du fanatisme. L'atrocité du culte que la .capitale fuivit , étoit vivement fentie dans les provinces, mécontentcs de 1'opprefüon, ou elles vivoient. Le chef Efpagnol cfpéroit que, dans la multitude des vaffanx du Mexique, il y en auroit , qui cn fécoue-  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 139 roient le jong & quf s'affocieroient aux Efpagnols. II jnüriffait depuis fik mois fes grands projets, lórsqti'bh le vit ibrtir de fa retraite , fuivi de cinq cents qr.atrc-vingts Efpagnols, dc dix mille TlafCalteqnéS', dc quelques autres Indiens, amenant quarante chevaux, & trainant huit ou neiif pièces de campagne. Dans cette marrite les Efpagnols fe muiintnt contre' leur chef ; mais cette cenfpiratien eft étouffee dans fon oïigm'é'. Peur r.e pas' don:er a fes tröupes Poca.fion de trop réikehir, il pfèffé fbn projet de fc rendre maitrc de Mexico, le termede leurs cfpéranccs. Son génie aéfif fcait furmonter des difficultés , qu'oii're le loci.1. L o ns que le fiegc commenca , Guatimofin , fücceüèur de Quetlavaca , frere de Montézuma, tenoit les rênes dc Pempirc. Tout étoit dispofé, de longue main, a une défenfe .vigoureufe. Guatimofin , prince plein de courage & de grandeur d'ame , difputa le terrein pied a pied, & ne lc céda jamais , qu'il ne.fut teint du fang de fes foldats, ou des foldats enncmis. Les aÖaiUants , après cent combats mcurtriers, étoient parvenus au centre de la place; & ce fprince ne fongcoit pas encore a céclcr. A. la fin il y coufentit; dans la vue de facilitcr la retraite , quelques ouvertures de paix furent faitcs a Cortès. Malheurenfemenc le canot, oü fe trouve Guaiimolin , eft pris. On ne lira pas , fans s'attendrir, que peu de temps après Guatimofin fut tiré demi - mort d'un g-.il ardënt (oü Pon Pavbit mis pour lui arrather Ia eónieffiori des pittcndus tréfurs cachés) &  140 PRÉCIS de l'HISTOIRE que trois ans après il fut pendu publiqucment , fous prétcxte d'avoir confpiré contre fes tyrans & fes bourreaux. Aidés par un grand nombre d'Indi ens , les Efpagnols s'emparent de Mexico après deux mois de fiege. Les écrivains de cette nation, naturellement portée au merveilleux, ont généralemcir. cnflé la déscription de cette ville. A les croire , elle étoit remplic dc batiments magninques qui la rendoient égale, peut-être fupérieure même, aux plus brillantes capitales de 1'Europe. Mais il y a beaucoup d'exagération dans tout cela. Mexico n'étoit qu'une bourgade formée d'une multitudc de cabanes ruftiques , répanducs irrégulierement fur un grand cfpace. Saus la fcience de la mécanique & des machines, il ne pouvoit y avoir de grands monuments. Lc Mexique étoit trés fupérieur aux contrées liiuvages, que les Efpagnols avoient parcourues , mais il n'étoit rien en comparaifon des états civilifés de PEuropc.' L e gouvernement du Mcxiquc étoit cruel & despotique. Plufieurs provinces qu'on peut regarder comme faifant partie de cette vafte domination, fe gouvernoient par leurs premières loix & felon leurs anciennes maximes. Les contrées plus immèdiatement fubordonnées au tróne , étoient adminiftrécs par des grands, qui avoient fous eux des nobles. Ces charges étoient payées d'une portion de terrc. Le peuple n'en avoit qu'en commun, fuivant lc nombre des families. Les travaux champêtres fe  PHILOSOPHiQUE des DEUX INDES. 141 iaifoient, parmi quelques uucs d'cntre elles , en conimun. Dans quelques diftriéts le peuple étoit ferf & attaché k la glebe. Les tributs fe payoient en riiétaüx öori - nionnóyes. Les employés étoient payés en denrées. Tous les ordres de 1'état contribuoient a fon mainticn. Les nièn'dians même étoient obligés de lui céder une portion de leurs aumónes. L'agriculture n'étoit pas bien avancée parmi eux. Les Mexicains étoient généralement nuds. Leur corps étoit peint. Des plumes ombragoient leurs têtes. Les femmes n'avoicnt pour tout vétcment qu'une chemife, qui defcendoit jusqu'aux genoux, & qui étoit ouverte fur la poitrine. Le palais du prince étoit un amas depierres, entaffécs les unes fur les autres, fans élégance, fans commodités , fans fenêtres. L'ameublement étoit digne de la fimplicité des ces habitations. Les arts d'agrémenty avoient fait encore moins de progrès. On y étoit beaucoup moins avancé dans les fciences. Leurs hvres s'écrivoïent en hiéroglyphes. ' Les récits donnés par les Efpagnols, au fujet de rhiftohe Mexicaine, paroiffent un tiffu de fables. Tout ce qu'ils ont débité , rélativement a la population de ce pays doit être regardé comme une fauffeté. Bien qu'ils ayent traité les Indiens avec une cruauté fans pareille, qu'ils ayent verfé de-s torrents d'un fang inno • cent, il s'en faut que le mailacre qu'ils ont fait, ne foit fi grand, qu' ils l'ont Fait accroire par l'hifföï re follement enflée de cette popitlation, & qu'il  142 PRÉCIS de LlIISTOIilE il lc fcroit eifcéjtivcmcnt, fi celle-ci avoit diminjié fi confidérablemcnt. La priil: dc Ia capitalc entraiaa Ia fqümilfion de tout lVmpirc. il n'étoit pas fi étendu qu'on ne le croit Ci.nimunéiaent. Les provinc.es de fjafcala, de Tcpéaca^ de Méchoacan avoient confervé leur indépendanc.e. Elle leur fut ravie, en moins d'une anriée , par un conquérant partout viclorieux. Dés qu'il fe vit le maitre du Mexique, il fit partager les niêilleures terrcs, il les fit labourcr par les Indiens rcduits cn fervitude , les condamnant a des travaux que leur coruTdtuticn phyfique ni leurs habitudes ne comportüicnt pas. Cette oppreffion excita des foulevcments , & ceux-ci des vengeanccs meurtrieres. II y eut une émulation barbare parmi les Efpagnols , a qui immolcroit le plus dc .viétimes. Dans ce temps la cour de Madrid ne jugea pas a propos, de lailfer Cortes s'afïermir dans fa domination. Elle diminua chaque jour les pouvoirs illirnités, dont il avoit jouï. On > les réduita la fin a fi peu de qliofc, qu'il crut devoit préférer une condition privée a ce phantöme d'autorité. Cc conquérant fut injufte,cruel, fangninaire,despote. C'étoient les vices de fon temps, & encore plus des anciens temps, dont on ne laiffe cependant pas d'admirer les héros. Mais fes vertus étoient a lui feul: placé dans des circonftances quelconques, favorables a fa pafiion pour la gloire , il eut été un grand nomme. •  PHÏLOSOPHIQUE des DEUX INDES. 143 Depuis 1'époque dc la foumitfion des Mexicains, aucun ennemi voifin ou éloigné ne ravagea ces contrées. Quelques pirates en ont quelquefois dévafté les cótes. Quelques petites nations, jaloufes de leur indépendance, ont de temps a autre tronblé le répos des Efpagnols, que leur force i pü aifément rétablir. Deux fois les cccléiiaftiques ont été. les auteurs des* foulevements , deux fois ils ont feu faire plier le pouvoir civil. La défenfe de 1'eau de vie, faite avec une plante conifue au Mexiqtie fous le nom de maguey, dont 1'ufage étoit pour les Indiens une fource de désordres, a encore occafionné des féditions, & ccllesci des aétes de violence. Voyons maintenant a quel dégré de profpérité Je Mcxique a monté, fous la domination de 1'Efpagne. La grande Cordiiiere, après avoir traverfé toute 1'Amérique Méridionale, s'abaiffe & s'étrécit dans pifthme de Panama 5 fuit dans la même forme les provinces de Cofta - Ricca, de Nicaragua, de Guatimala; s'élargit, s'éleve de nouveau dans le refte du Mexique, mais fans approcher jamais de la hau teur prodigieufe qu'eile a dans le Pérou. Quoique Ie Mexique foit entierement ütué fous la Zone* Torride , le climat y eft alternativement chaud & humide. La qualité du fol y eft trés différente. II . eft ingrat ou fertile, felon qu'il eft montueux ou fubmergé. Le pays n'avoit aucun des animaux nécesfaires pour le jabouragc & les autres befoins d'une fociété un peu compliquée. Ces animaux, tranfpor-  144 PRÉCIS de l'HISTOIRE tés dans le Nouveau-Monde, y fubirent un changement remarquable. Celui des brebis fut lc plus fenfible. Ces animaux s'y font prodigieufement multipliés. La culture de nosgrains, de nos légumes & dc nos fruits n'y réuffit qu'après un certain temps. Quoique plufieurs produits , comme le coton , lc cacao , le fucre y croilfent, il n'y a que le jalap , la vanille, 1'indigo & la cochenille, qui entrent dans lc commerce de la Nouvelle - Efpagne avec les autres "nations. L e jalap, dont le nom eft dérivé de la ville de Xalapa, dans les cnvirons de la quelle il croit abondamment, a une racinc, la feule partie qui foit d'ufage; elle fournit un purgatif trés conuu. Le poids des racines eft depuis douze jufqu'a vingt livres. On les coupe par tranches pour les faire féchcr. Le meilleur jalap eft compaét., réfmeux, brun, difficile a rompre & inflanimable. L'Europe en confomme annuellcment fept mille cinq cents quintaux, qu'eile paye 972,000 liv. L a vanille eft une plante parafite, qui non contente de s'accrocher aux arbres, tire encore de leur tronc oü elle s'infinue des fucs nourriciers, lors que fa propre racine eft endommage'e. Son fruit eft une gouffe, qui a fept on huit pouc'es de longueur. La récolte en commence vers la fin de Septcmbre ; elle dure euviron trois mois. On les féche lentement, après les avoir trempecs a deux reprifes dans de l'eau chaudc. On les couvre d'huile , pour les préferver d'infeétes. L'Europe en confomme  PIIILOSOPRIQUE des DEUX INDES. 145 me cinquante quintaux s qui ne font pas vendus audeffus de 431, 560 livres. L' HisToiRE naturelle de Pindigotier eft mieux éclafcic. Mais ft defcription détaillée feroit déplacés dans cet abregé. On le feme au printems, dans un terrein niarécageux. On a une atr tention fuivie a arracher les mauvaifes herbes. L'huraidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours. Elle eit mure au bout de deux mois. On la coupe avec des coutcaux , courbés en ferpettes lorsqu'elle commence a fleurir; cc qu'on repete plus ou moins, felon le temps qu'il'fait. Sa durée eft de deux ans. On 1'arrache & on la renouvelle. Et le éptiife bientót le fol; les champs vierges lui conviennent le mieux. De plufieurs efpeces d'indigo, 011 n'en. cultive que deux. Le franc indigo, dont nous vcnons dc parlcr, & le batard, qui en differe beaucoup. 11 n'y a que trés peu ■de terres qui conviennent h cette feconde efpece. Cette culture eft tellement affujettie a des accidents, qu'on dit ordinairement, que les cultivateurs de 1'indigo fecouchent riches , & qu'ils fe levent pauvres. Cette produétion doit être ramaffée avec précaution, de peur qu'tn la fecouant on falie tomber la farine attachée aux fcuilles, qui eft trés précieufe. On la jette dans la trtmpoire. C'eft une grande cuve, remplie d'eau. II s'y fait une fermentation , qui dans vingt - quatre heures au plus tard, arrivé au dégré qu'on delire. On ouvre alors un robinet, pour faire couler Peau dans une fecouK  i46 PRÉCIS de l'HISTOIRE de cuve , appellée la battcfu. L'eau qui a paffé dans la batterie fe trouve hnpréghée d'une ferre tres fubtile, qui conftituc fèule la fécule ou la fubftance bleue qu'on chcrchc , & qu'il faut féparer- da fel inutile dc la plantc , paree qu'il fait furnager la fécule. Pour y parvenir , on agke violcmment Peau avec des feaux de bois percés & attachés a un long manche. Cet exercice exigc la plus grande précaution. Si on ceffoit trop tot de battre, on perdroit la partie eolorante, qui n'auroit pas encore été féparée du fel. Si, au contraire, on continuoit de battre la teinture après 1'entiere féparation, les parties fe rapprocheroient; elles formeroient une nouvelle combinaifon; lc fel , par fa réaclion fur la fécule, exciteroit unc feconde fermentation , qui altéreroit la teinture , en noiiciroit la couleur , & feroit ce qu'on appelle indigo brulé. Lorsque 1'ouvrier appercoit que les molécules colorées fe raffemblent, il fait ceflèr le mouvement des feaux', pour donner a la fécule bleue le temps de fe précipiter au fond de la cuve , oü on la laiffe fe raffeoir, jusqu' a ce que 1'ean foit totalement éclaircie. On débouche alors fuccefiivement des trous percés a différeutes hauteurs-^ par lesquels cette eau inutile fe répand audehors. Puis on égoutte dans des facs la boue liquide , qui refte au fond de la cuve. Devenue plus épaiffe on la met dans des caiffons, oü elle acheve de perdre fon humidité. Au bout de trois mois*, 1'indigo eft cn état d'être vendu. On 1'employe dans le felanchiffage, dans la peinture & dans la teinture. On  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 147 a éflayé de le cultivcr cn divers endroits, mais il n'a réuffi qu'au Mexique, a Saint - Domingue, dans la Louïfiane, clans laFloride, dans la Géorgie & dans la Caroline. De toutes ces efpeecs , la première eft la mciileure. L'Europe en recoit annuellement fix mille quintaux, qu'eile paye 7,626,960 liv. Cette profpérité augmenteroit infailliblemcnt, fi la cour de Madrid permettoit aux naturels du pays, de cultiver 1'indigo pour leur propre compte. La cochenille, a laqucfic nous devons nos belles couleurs de pourpre & d'écarlate, n'a exifté jusqu'ici qu'au Mexique. C'eft un infeéte, de la groffeur & dé la forme d'une punaife. Les deux fexes y font diftinéts , comme dans la plupart des autres animaux. La femelle, 'fixéc fur 1111 point de la plante , dés lc moment de fa n.üilance, y refte toujours attachéc par une efpecc de trompe, & ne préfente qu'une crofite presque hémifplténquc, qui recouvre toutes les autres parties. Cette enveloppe change deux fois en vingt-cinq jours; elle eft enduite d'une poufiiere blanche , grafie & impénétrable a l'eau. A cc terme , qui eft 1'époque de l;t puberté , le male, beaucoup plus petit & dont la forme eft plus dégagée , fort d'un tuyau farineux, a 1'aide d'ailes dont il eft pourvu. II voltige au - deffus des femelles immobiles & s'arrête fur ehacune d'elles. La même femelle eft ainfi vifitée par plufieurs males, qui périfiènt bientót après la fécondation. Son volume augmente fenfiblement, jusqu'a ce qu'une goutte de liqueur, échappée de defibus d'elle, annonce K 2  148 PRÉCIS de i/IIISTOIRE la furtie prochaine des oenfs qui font en grand nom-1 bre. Les petits rompent leur enveloppe en naiffant , fe répandent bientót fur la plante, & choififfent une place favorable pour s'y fixer. Ils chcrcbent furtout a fe mettre a 1'abri du vent d'eft. L'arbriffeau, fur lequel ils viveat, connu fous le nom de nopal, de raquette & de figue d'Inde, a euviron cinq pieds de haut. On le replante tous les fix ans, en raettant plufieurs portions de tiges dans des foffes affez profondes, dispofées en quinconce on en quarré, a fix ou huit pieds de difiance. Un terrein ainfi planté, connu fous lc nom de nopalerie, n'a ordinairement qu'un ou deux arpents d'étendue , rarement trois. Chaque arpent produit jusqu'a deux quintaux de cochenille ; un homme fuffit pour lc cultiver. Efixhuit mois après la plantation, on couvre le nopal de cochenilles: mais pour les difiribuer plus régulierement fur toute la plante , & pour empêcher qu'elles ne nuifent par leur rapprochement , on attaché aux épines de diftance en difiance, de petits nids falts avec la bourre de coton, ouverts du eóté de 1'Oueft, remplis de douzc a quinze meres prêtes a pondre. Les petits qui en fortent, s'attachent au nopal, & parviennent a leur plus grande confiftance en deux niois; qui font la durée de leur vie. On en fait alors la récolte , qui fe renouvelle tous les deux mois, depuis Ocfobre jusqu'en Mai. Elle peut étre moins avantageufc, s'il y a un mélange d'une autre cochenille de moindre prix, ou s'il y a une abondance de males, dont on fait peu de cas , paree  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 149 qu'ils font plus petits , & qu'ils tombent avant le temps. Cette récolte doit précéder de quelques jours le moment de la ponte, foit pour prévenir la perte des ceufs , qui font riches en couleur , foit pour empêchcr les petits dc fe répandrc fur une plante déja épuifée , qui a befoin de quelques mois de repos. En coromengant par le bas, on détaclie fucceilivement les cochenilles avec un couteau, & on les fait tomber dans un baffin placé au dcffous. Avant la faifon des pluies , on coupe des branches de nopal, couvertes d'infecles encore jeurtes, & on les garde dans les habitatiOHS. La cochenille lylvestre elt moins délicate, mais elle eft plus petite & moins chargée de couleur. On peut la cultiver avec füccès , mais il faut la féparer de 1'autrc efpecc , qu'eile affamoit. Les cochenilles n'ont pas été plutöt rccucillics, qu'on les plonge dans de l'eau chaude, pour les faire mourir. II y a diflérsntes manieres de les fécher. La meillcurc en eft de les expofcr pendant plufieurs jours au foleil , oü elles prennent une teinte de brun-roux , cc que les Efpagnols appellent renegrida. La feconde eft de les mettre au foujr, oü elles prennent une couleur grisatrc, veinéc de pourpre; ce qui leur fait donuer le nom de jaspcada. Enfin la plus imparfaite, pratiquéc communément par les Indiens, confifte a les mettre fur des plaques, avec leurs gateaux dc maïs; elles s'y brulent fotivent. On les appelle ?iégra. En», enfermant la cochenille dans une boete , elle garde fa vertu pendant des fiéclcs. Elle réuffiroit probableK 3  i0-o PRÉCIS de L'HISTOIRE ment dans plufieurs provinces du Mexique , maa jusqu'a nos jours il n'y a eu gucres que la province d'Oaxaca , qui s'en foit férieufement occup-ée. Les Mexicains ccnuoiffoient la cochenille avant la deftrucncn de leur empire. Ils s'tn fervoient pour peindre leurs maifons , & pour feindrc leur coton. Les Indiens feuls s'y livrent encore, mais trop fotivcnt avec des fonds avancés par les Efpagnols , a des conditions plus ou 'moins umpires. Le fruit de leur induftrie eft porté a Oaxaca. On y arrivé par de béaux chemins. La ville elle - même eft réguliere & batie avec goüt. Elle ne doit fon opulence qu'a la cochenille feulc. Tndépcndamment de ce qu'en confommcnt 1'Amérique & les Philippines, 1'Europe en re (jok tous les quatre ans mille quintaux dc cochenille fine, deux cents quin'aux de graniile, cent quintaux de pouffiere de cochenille, & trois cents quintaux de cochenille fylveftre , qui, rendus daus fes ports, font vendus 8,610,14c liv. Cette riche production n'a cru jufqu'ici qu'au profit de 1'Efpagne. JVL Thiery, botanifte Francois, bravant plus de dangers qu'on ne fcauroit imaginer, 1'a enlevée a Oaxaca même, & il-1'a tranfplantée a Saint-Domingue, oü il la cultive avec une perfévérance digne de fon premier courage. Tout portc a efpérer, que la fuite répondra a defi heureux commencements. Aux grandes exportations, dont on a parlé, il faut ajouter 1'envoi que fait le Mexique de dix mille trois cents cinquante quintaux de bois de Campêfihe, qui pToda'üent 11 2,428 liv.; de trois cents dix  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. i5r quintaux dc bréfiHetj qui produtfeal 4,266 liv.; de quarante-fépt quintaux dc carmin, qui produifent 3i,coo liv.; de fix quintaux d'écaille, qui produifent 24,300 liv.; de quarante - lept quintaux de rocou, qui produifiut 21,600 liv.; de trente quintaux de- falfepareille, qui produifent 4,147 liv.; de quarante quintaux de baume, qui produifent 45,920 liv.; dc cinq quintaux de fang-de-dragon , qui produifent 1,620 liv. Non contente d'avoir prodigué a PEfpagne tant de richeffes, la nature lui en a réfervé encore d'autres & de plus précieufes, celles qui font le figne de toute autrc richeffe. L'origine des métaux n'a pas été toujours bien connue. On penfe aujourd'hui qu'ils fe forment fuccefiivcment. Chaque métal, fuivant les chymiftcs, a pour principe une terre qui le ccnftitue & qui lui eft particuliere. 11 fe riióntre anous, tantöt fous la forme qui le caraelérifc, dz tantöt fous des tormes variées, dans lefquelles il n'y a que des yeux exercés qui puiffent lc reconnoitrc. Dans le premier cas on PappeUe vierge, & dans le fecond minéralifé. Tous les deux font quelquefois épars par fragments, dans les couclics horizontales ou inclinées de la terre. lis y -ont été entrainés par les embrafements, les inondations , les tremblcments qui boukvcifentnotre planctc. On les trouve,ou enmaffes détachées, ou en veincs fuivies , dans le fein des rochers & des montagnes, oü ils ont été formés. La nature, qui fimbluit vouloir les cachcr, n'a pu les dérober a 1'avidité de i'homme. En multipfiant les K 4  i52 PRÉCIS de l HISTOIRE obfervations, on eft parvenu a connoitre les lieux , oü fe trouvent les mines. Ce f nt pour I'ordinaire des montagnes, oü les plantes croiffent foiblemcnt, & oü elles jauuiffent vite; oü les avbres font petits & tortueux; oü 1'h'midité des rofées, des pluies, des neiges même ne fe conferve pas; oü s'élevent des exhalaifons fulftreufes & minérales, oü les eaux font chargées de fels vitrioligues ; oü les fables contiennent des partjes métafiiques. Quoique chacun de ces fignes, pris iéparément, foit équivoque, il eft rare qu'ils fe réuniffent tous, fans que le terrein renferme quelque mine. Mais pour y parvcnir, il faut p ere er des rochers a une profondeur immenfe; creufei des canaux fouterreins qui garantiffent des eaux, qui aiduent & qui menacent de toutes parts; entrainer dans d'immenfes galeries des foréts coupées en étais ; foutenir. les voütes de ces galeries, contre l'énorme refanteur des terres, qui. tendent fans celfe a les combler, & a enfouir fous leur chüte les hommes avar.es & auda-x cieux qui les ont conftruites; creufer des canaux & des aqueducs ; inventer ces machines hydrauliques fi ctonnantes ec fi variées , & toutes les formes diverfes des fourneaux; courir le dangcr d'être étouffe ou confumé par une exbalaifon qui s'cnflamme a la lueur des lampes qui éclairent ic travail; & périr enfin d'une phtihe qui réduit la vie de Phomme ii la moitié de ft durée. Lor squ e le travail de la minéralogie eft fni, celui de la métallurgie commence. Son objet eft de  PU1L0S0PHIQUE des DEUX INDES. 153 -fioarer les métaux les uns des autres, & de les dégoger des matieres étrangcrcs qui les enyeloppcnt. Pour féparer Por des pierres qui le contiennent, il lüfjit de les écrafer, & de les réduire en poudre. On triture enfuite cette poudre avec du vif-argent, qui ne s'unit qu'avec le métal feul. 'Moyennant le. feu on diftille enfuite le nicrcure, qui en partant laiffe Por au fond du vafe. L'argent vierge n'exige pas d'autres préparations. Mais lorfque l'argent eft combine avec d'autres métaux, U faut une grande capacité & une expérience confommée pour le purificr. Tout autorife a penfer qu'on n'a pas ce talent dans le Nouveau-Mondc. Auffi eft-ii gcncralcment recu , que des mineurs Allemands ou Suédois trouveroient dans le minéral déja. exploité, plus de richeffes que PEfpagnol n'en a déja tirées. Avant Parrivée des Caftillans, les Mexicains n'a» voient de Por que ce que les torrents cn détachoient des montagnes; ils avoient moins d'argent encore, paree que les hafirds qui pouvoient en faire tombcr dans leurs mains, étoient infiniment plus rares. Ces métaux u'étoient pas pour eux un moyen d'échange, mais de pur ornement & de fimple curiofité. Ils y étoient peu attachés. Auffi en prodiguerent-ils d'a- bord ie peu qu'ils cn avoient a une nation étrangere, qui en faifoit fon idole; auffi en jettoient-ils aux pieds de fes chevaux, qui, cn machant leurs mords, qevoient paroitre s'en nourrir. Dans la fuite les Mexicains jetterent ce perfide métal dans le lac & dans les. rivieres. Après la foumiffion, le conquérant alla K 5  154 PRÉCIS de l'HISTOIRE dépouiller les temples, les palais, les maifons des particuliers, les moincires cabanes. Cette fource épuifée , il fallut recourir aux mines. Celles qui pouvoient donner les plas grandes espérances fe trouvoient dans des contrées, qui n'avoient jamais fubi le joug Mexicain. Nuno de Gusman fut chargé, en 1530, de les affervir. Sur des millicrs de cadavres, malheureufes viétimes de fon extréme fcrocité, il vint a bout, en moins de deux ans, d'établir nne domination trés étendue, dont on forma 1'audience de Guadalaxara. Ce fut toujours la Nouvelle-Efpagne qui abondoit le plus en métaux. Ces richeffes font furtout communes dans la Nouvelle-Galice, dans la Nouvelle Bifcaye & principalement dans le pays de Zacatecas, Du fein dc ces arides montagnes fort la plus grande partie des 80,000,000 liv. qu'on fabrique annuellement dans les monnoyes du Mexique. La circulation intérieure, les Indes Oricntales , les Indes öccidentales, les ifles nationales & la contrebande abforbent prés de la moitié de ce numéraire. On en apporte dans la métropole 44,196,047 liv. II faut y ajouter cinq mille fix cents trente - quatre quintaux de cuivre, qui font vendus en Europe 453,600 liv. L'education des troupeaux, la culture des terres font au Mexique loin du tenue, oü un peuple induftrieux les auroit porties; les manufiétures s'en éloignent encore d'avantage. La province de Haf» cafa a des trayaux un peu plus animés. CE n'eft que 1'indolence des habitants de la Nou-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 155 Yelle-Efpagne, qui eft la caufc d'un état fi languisfant. L'adminiftration eft venuc encore retarder 1'acüvité de 1'iuduftrie. La cruauté & le carnagc des Elpagnols clans leurs guerres contre les Mexicains, la petite-vérole & d'autres maladies épiclcmiqties ont exceffivement dépeüplé ces pays. Seloii les régiilresde 1600, il y avoit cinq cents mille Indiens tributaires dans le diocefe de Mexico; & il n'y cn reftoit plus que cent dix-neuf mille fix cents onze en 1741. La même dépopulation a lieu dans les autres diltricls. Si-Ie nombre d'habitants Européens s'eft accru, cette augmentation eft bien loin d'êtte proportionnée a la perte dans la population nationale. Mexico fut détruit par les cruelles guerres dont il étoit le théatre- Cortès ne tarda pas a le rcbaiir, d'une mauiere fort fupérieure a ce qu'il étoit avant fon désaftre. Cette ville s'éleve au milieu d'un grand lac, dont les rives offrerit des fites heureux, qui feroient charmants, fi l'art y fecondoit un peu la nature. Sur le lac même, l'ceil contemple avec furprife & fatisfaétion des ifles flottantes. Ce font des radeaux formés avec des rofeaux entrelacés & affez folides pour porter de fortes couches de terre & mé ■ me des habitations légerement confiruites. Quelques Indiens y font leur demeure , & y cultivent une asfez grande abondance de légumes.- Ces jardins finguliers changent de fituation , lorfque ce changement conv'ient a leurs poffeffeurs. Des levées fort larges & baties fur des piiotis conduifent a la cité. Cinq ou fix canaux portent dans fon centre & dans fes plus  156 PRÉCIS de l'HISTOIRE beaux quarticrs les productie-ris de la campagne. Une. eau falubre qu'on tire d'une montagne voiline, eft conduite dans toutes les maifons, au moven des ajueducs. On y refpire un air Hun, plutöt tempéré que chaud. Sa population s'éleve probablcment a deux cents mille ames. Plufieurs de fes habitants font plus riches, que les hommes ne le font peut-être dans aucun autre lieu du globe. La plupart des chofes qui font ail'eurs de fer ou de cuivre, y font d'argent ou d'or. Ces métaux y brillent de toutes parts. Le luxe y eft proportionné a la richeffe. On multiplia depuis les édifices publiés, fans que prefqu'aucun rappellat a 1'cfprit les beaux jours d'architecture, pas même les bons temps Gothiqucs. De fes cinquante-cinq couvents, on en voit fort peu qui ne révoltent par les vices de leur conftruétion. II n'y a que deux monuments dignes de fixer 1'attention d'un voyageur. L'un eft le palais du vice-roi. C'eft un quarré, qui a quatre tours & fept cents cinquante pieds de lon fe ? Si c'eft pour cet inutile métal, que vous avez « quitté votrc patrie, que vous égorgcz tant de peuf> pies, jc vous conduirai dans unc région, oü il ■>■> eft fi commun, qu'on Py employé aux plus vil  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 167 n ufages." Prcffé de s'expliquer plus clairemcnt, il affurc qu'a peu de diftancc de 1'océan, qui baignc le Daricn, il eft un autre océan, qui conduit a ce. pays li riche. Cent quatre-vingt-dix Efpagnols, fuivis de mille Indiens, qui doivent leur fervir dc guides & d'esclaves, partent le 1 Septcmbre 1513, pour reconnoitre ce pays. Quoique le Pérou ne foit éloigné que de foixante milles du lteu, oü' ils fe trouvoient alors, ce ne fut qu'après vingt - cinq jours de marche, que ces hommes accoutumés aux périls, aux fatigucs & aux privations fe trouverent au terme de 'leurs efpérances: tant ces chemins étoient peu praticables! Balbap armé de toutes pieces, a la maniere de l'ancienne chevalcrie, avance affez loin dans la mer du Sud. Déja la croix étoit plantée fur la terre - ferme, & le nom de Ferdinand étoit déja gravé fur 1'écorce de quelques arbres. Tout confirmoit 1'idée flatteufe des richelTes du Pérou , qu'on s'en étoit formée. Balboa reprend la route du Daricn, pour y raiTembler les forces, qu'exigeoit la conquéte de cet empire. II étoit en droit d'attendre a conduire ce grand projet; mais on le conae a Pédrarias, aufii jaloux que crucl. Celui-ci arrcte fon prédéccflèur, & enfuite il lni fait tranchcr la tête. Par fes ordres , ou de fon aveu, les fubalterncs du nouveau commandant pillent, brulcnt, maffacrent de toutes .parts fans diliinction d'ennemis ou. d'alliés. Ce ne fut qu'après avoir détruit trois cents lieues de pays, qu'ea J518 il transféra la colonie de Saiiite-Marie fur les L4 c  168 PRÉCIS de l'mSTQIRÉ bords de 1'océan Pacifiqne, dans un lieu qui reent le nom de Panama. Cet établiffement fut bien loin de remplir les hautes idees, auxquelles il étoit appellé. Enfin trois hommes, nés dans 1'obfcurité, entreprennent de reitverfer a leurs frais un trönc, qui avoit fubfifté plufieurs fiecles. Franco.is Pizarre, le plus connu de tous , étoit fils naturel d'un gentilhomme d'Eftramadoure. Son éducation fut fi négligée, qu'il ne fcavoit pas lire. Son avarice & firn ambition le fit paifer au Nouveau-Monde, il étoit de toutes les expéditions. lis fe diftingua dans la plupart. L'ufage qull avoit fait jufqu'alors de fes forces phyfiques & morales, lui perfuada que rien n'étoit aü-deffus de fes talents, & il forma le projet de les employer contre ie Pérou. Die go d'Almagr.o étoit celui qu'il affocia a fes projets. Sa naiifancé étoit incertaine , mais fon courage étoit éprouvé. On 1'avoit toujours vu fo~ bre, patiënt, infatigable. L a fortune des deux foldats, quoique confidérabla, ne fuffifoit pas pour la conqucte méditée. Ils fe jettoicnt dans les bras de Fernand de Luques, prêtre avide, qui s'étoit prodigicufement enrichi. Dans cette fociété chacun devoit mettre tout fon bien; les richeffes devoient être également partagées. Pizarre devoit commander les troupes, Almagro conduire le fecours, & -Luques préparer les moyens. Celui-ci confacra publiquement une hoftie, dont il  P1IÏLQS0PIIIQUE des DEUX INDES. 169 ronfomma une partie, & dont il partagea le refte entre fes deux affocie's: jurant tous trois par le fang de Dieu, de ne pas épargner, pour s'enrichir, celui des hommes. Cette expédition comrnencéc, vers le milieu de Novembre 1524, avec tin vaiffeau, cent douze hommes & quatre chevaux, ne fut pas hcureufe. Des fóréts impénétrablcs, des terreins ïnondés, des fauvages peu difpofés h traitcr avec eux, le manque de provifions y oppofoient tant d'obiïacles, qu'on cnvoya ordre a ceux qui avoient échappé a tant de fléaux, dc rentrer dans la colonie. Trcize Efpagnols , fideles a leur chef, voulurent courir jufqu'a la fin fa fortune. Ceux-ci continüent leur navigation, &, après quelques echecs, ils abordent aTumbez, bourgadé affez confidérable dc 1'cmpirc, qu'ils { propofoient d'cnvahir un jour. Alors Pizarre . prend la route de Panama, oü il arrivé, ayet vafes d'or & des Péruviens. II réclame en Europe le fecours du mimfter, qui lui accorde la permiffion de s'équiper. Trois petits batlmênts font armes, dans lefquels cent quarante-quatre fantaffins & trente-fix cavaliers s'embarquent. Ils partent, dans le mois de Février Pan 1531. Des vents contraires obligent Pizarre de débarquer a cent lieues du port, oü il s'étoit propofé d'aborder. Le refte du chemin doit être fait par terre. Cette matche devient remarquable par la rapine & la cruauté. Les Efpagnols entrent viélorieux dans Tumbez. L5  170 PRÉCIS de l'HISTOIRE II- convient de diffiper Pétonnement dc cette conqnête achevée avec tant de facilité. L'oN z ibm e empereur Huyana -Capac avoit Iaiffé deux rils , Huafcar & Atabaliba. Ils étoient de différents Hts, & ils fe difputoient la fuccefiion au tróne. Des troubles agitoient pour la première fois le Pérou. Dans leur confufion on ne fongea pas, k arrêter la marche des Efpagnols, & ils arrivent fans obflacle a Caxamalca. Atabaliba qui fe trouvoit dans fon voifinage , leur envoye des préfents, en leur faifant dire, qu'il les fouhaitoit voir quitter fon territoire. . Dans le moment que Pempereur & Pizarre , qui avoit fait fes difpofitions, s'entrevoyent pour la première fois, un dominicain nommé Vincent pénétre, le crucifix a la main, jufqu'a Pempereur. II arrête la marche de ce prince , il lui dit de fe foumettre au roi d'Efpagne, a qui le papc avoit donné le Pérou. L'empereur, qui Pavoit écouté avec beaucoup de patience, lui répondit: „ Je veux bien être Pami du roi d'Efpagne , mais non fon tributaire; il faut que le papc foit d'une extravagance extraordinaire, pour donner fi libéralement ce qui n'efl pas a lui.' Je ne quitte pas ma religion pour une autre , & fi les chrétiens adorent un dieu mort fur la croix , j'adore le foleil qui ne meurt jamais. "" II demande «enfuite a Vincent, oü il a pris tout ce qu'il vient de dire de Dieu & de la création?' Dans ce lïvre, répond le moine, en préfentant fon bréviaire a Pempereur. Atabaliba prend le livre, le re-  PIlILOSOPflIQUE des DEUX INDES. 171 garde dc tous les cótés, fe met a rire, & jettant le bréviaire: Ce livre, ajoutc-t-il, ne me dit rien de tout cela. Vincent fe tourne alors vers les Efpagnols, en leur criant de toutes fes forces: Vengeance, mes amis, vengeance.- Chrétiens, vover-vous comme il méprife l'èvangïle? Tuez^-moi ces chiens, qui foulent aux pieds la loi de Dieu. Tout-a-coup un carnage affreux commence. Qu'on jtrge de l'imprelïion, que la cavalerie , la moufquettcrie & 1'artilleric ont dü faire fur les malheuretrx Péruvicns, qui s'entrécrafcnt dans la précipitation de la fuite. Pizarre s'avance lui-méme vers Pempereur, fait tuer par fon infanterie tout ce qui environne le tróne, & prend le monarque prifonnier. Une foule de princcs, les miniftres, la fleur de la noblcffe eft égorgée dans cette jouruée affreufe, dans ïaqüélle Vincent ne ccffa d'encourager les foldats dans leur rage fanguinairc. Atabaliba ne tarda pas d'obferver la foif des Efpagnols pour Por. II óffrit, pour fa rangon, autant que fa prifon, longue dc vingt-deux pieds & large dc fcize, en pourroit contenir, jufqu'a la plus grande bauteur , oü le bras d'un homme pourroit atteindre. Sur ces entrefaitcs, Huafcar, fon frere ainé, fait en offrir trois fois autant, fi les Efpagnols confentent a le rétablir fur le tróne de -fes peres. L' o r flipulé pour 1'élargiflcmcnt d'Atabaliba étant ramaffé, il ne fut plus poffible de contenir la furcur des Efpagnols avares. On le partagc. Le dernier des foldats eut pour ft part 21,600 liv. Le refte re-  17= PRÉCIS de l'HISTOIRE gut une fomme proportionnée a fon rang. Mais Atabaliba, au lieu d'être rendu aux fiens, eft, fous prétexte d'avoir le cceur endurci, aflamné juridiqu&> ment. Depuis cette époque les Efpagnols dévaftent le Pérou, oü tous leurs pas font marqués par la fureur & la foif d'or. Des cruautés de tous les genres, qui fe fuccédoient fins interruption, difpofoient a la vengeance un peuple paifible, qu'une nation douce & modérée auroit pü fubjuguer fans tirer 1'épée. Cependant les Efpagnols, multipliés jufqu'au nombre de fix mille, font celfer bientöt les hoftilités. Le petit nombre de Péruviens i qui ne yeulent fe courber fous 1'efclavage, fe retire dans des montagnes inacceffibles. Tout Ie refte fe foumet au vainqueur. Une réyolution fi fubite paroitroit incroyable, lorfqu'on confidere toutes les difficultés, qu'oppofe le local du Pérou, a celui qui en médite la conquête. Mais les Péruviens, accoutumés a vivre en paix, depuis des fiecles, difperfés, privés d'un chef & de la difeipline, fe trouvoient fans défenfe , laquelle fuppofe un concert de volontés, qui fe forme avec d'autant plus de lenteur, que le péril eft plus grand & moins attendu. Le Pérou étoit, felon les hiftoriens Efpagnols, un empire , qui fleuriffoit depuis quatre fiécles,' dont le fondateur étoit Manco-Capac & la femme Mama Ocello, qui furent appellés Incas ou feigneurs du Pérou. On a fuppofé, qu'ils étoient defcendus de quelque aavigateur Europécn qu'un otr.tgan avoit  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 173 jetté fur ces cötes. Mais cette conjeéïtire n'a point, de fondement. Les légiflateurs s'y difoient enfants du foleil. Ce difeours plaifoit 'a un peuple fans arts & fans idéés de moralité. Manco leur enfeignoit 1'agriculture, & les métiers de première néceffité. Le foleil étoit le dieu des Péruviens, & ce culte ne nous paroit pas des plus abfurdes. L'homicide, lé vol & 1'adultere y étoient punis dc mort. La polygamie étoit défendue; 1'empereur feul avoit la permiffion d'avoir des concubines. II les cherchoit parmi les vierges confacrées du grand temple de Cusco, devenu ft refidence. L'oifiveté étoit illicite. Les Péruviens s'aimoient, & un travail, qui pöurvoyoit a leurs befoins, & qui étoit accompagné de chants agréables. La vertu & le mérite étoient encouragés par des diftinftions & des marqués dmonneur. Telle en étoit celle de porter des habits travaillés par la familie des Incas. Les fpe&acles fervoient encore a honorer les grandes vertus & a inftruire le peuple. Un officier veilloit, dans tout 1'état partagé en décuries, Air dix families, & ceux-la étoient fubordonnés a des officiers fupérieurs: Ce qüi rendoit le gouvernement militaire. Les terres fufceptibles dé culture étoient partagées en trois parts, celles du foleil, celles de 1'Inca & celles du peuple. La culture des terres de 1'Inca étoit fon feul revenu. L'induftrie des Péruviens ne les élevoit pas au-deffus du plus étroit néceffaire. II ne connaiffoient pas 1'ufage de la monnoie. Ils étoient fans Commerce, fans arts & fans fciences. Au refte, il faut reléguer au  i74 PRÉCIS de l'HISTOIRE rang des fables tout ce que les Efpagnols ont débité au fujet de la magmrlcence, de la multipiicité des villes , des places dc guerre, des aqueducs, des voyes'fuperbes, des ponts & des manufactures des Péruviens. Dés que les Efpagnols fe virent les maitres du Pérou, ils commencerent a fe difputer fes dépouilles. Pizarre & Almagro fe porterent mutuellement unehaine implacable. EHc éclata, le 6 Avril 1538, dans un combat, non loin de Cufco ; le fort fc décida contre Almagro, qui fut pris & décapité. Pizarre eft lui-même égorgé peu de temps après par dix-neuf foldats du parti de fon adverfaire. L'image d'une place remportéc d'afiaut ne donneroit qu'une foible idéé du fpeclacle d'horreur, qtPorfrirent dans ce moment des brigands, qui reprennoient fur leurs complices le butin, dont ceux-ci les avoient fruftrés. Le jeune Almagro, qu'on avoit revêtu de 1'autorité, fe permet toutes fortes d'horreurs envers Pédro-Alvarès, qui s'étoit mis a la tête du parti oppofé. Vaca de Caftro, envoyé d'Europe pour juger les meurtriers du vieux Almagro, arrivé au Pérou. Son autorité qui eft celle du tróne, n'eft reconnuc qu'après qu'il ait gagné une bataille. Blasés Nunnez-Vela lc remplacc avec le titre de vice-roi & dc nouvelles ordonnances propres a rendre la nouvelle domination plus fupportable aux Indiens. Mais la férocité des mceurs des Efpagnols le fait reléguer dans une ifle déferte. Son fucceffeur  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 175 Gonzale Pizarre le fait regretter par fa tyrannie. Alors 1'autorité fuprcme lui eft de nouveau confiée. Pour s'y maintenir, il fe voit obligé a livrer une bataillc, dans laquelle Pizarre eft viétorieux & qui le fait maflacrer. Sa cruauté aveugle, fon avidité infatiable, fon orgueil fans bornes font foupirer pour un libératcur ceux-mêmes, qui lui étoient les plus attachés. Ie arriva d'Europe. Ce fut Pedro de la Gafca, prêtre d'un age avancé, prudent, désintérelfé, ferme & furtout trés délié. II cmploya un pardon univerfel. Cet aéte auroit feul fait ceffer les troubles, fi Pizarre eut voulu fe rendre. On le défit dans un combat, & il eut la tête tranchée fur un échafaud , ainfi que dix de fes officiers. Dans le nombre de ceux-ci fe trouvoit Carvajal, également fameux par fa valeur & fa cruauté. Telle fut la derniere fcene d'une tragédie, dont tous les aétes étoient fanglants, & dans tous lefquels les Indiens avoient pati indiciblement. La conquête du Pérou fut confommée, vers 1'an 1560. En moins d'un demi-fiécle les Efpagnols pousfcrent leur domination depuis Panama jufqu'a la riviere de la Plata, & depuis le Chagre jufqu'a 1'Orenoque. Toutes ces nouvelles acquifitions, quoique féparées par des chaines de montagnes, furent ineorporées au Pérou. S1 les Efpagnols n'euffcnt trouvé a Panama & k Porto-bello des havres commodes pour établir une communication entre 1'océan Atlantique, & la mer  176 PRÉCIS de l'HISTOIRE dü Sud, Paridlté du terrein auroit fait rejetter cet établiffement dans 1'ifthine' Darien. Une grande partie en refta abandonnée. Dotize cents EcoiTois fe déterminerent, en 1698, de s'y fixer. La politique fit échouer leur deffein. Le roi Guillaume lesrévöqua. Depüis cette époque les Efpagnols ont occupé eux-mcmes ces diftricts. Carthagêne eft une province qui a cinquan1ter trois lieues de cote, & quatre -vingt - cinq dans Pinterieur des terres. Le pays eft généralement montagneux & ftérile. Le climat y eft mal-fain a 1'excès. Ses habitants languilfent fans vigueur, ou nieurent d'une hialadie, qu'on n'a obfervée que dans ce pays-la. Une lepre hideufe y eft trés commune. Pedro de Heredia batit & peupla la ville de Carthagêne. Elle eft une des mieux-conftruites dans le Nouveau-Monde. Ses fortifications font régulieres. Elle peut contenir vingt-cinq mille ames. Les "Efpagnols en forment la fixieme partie. Le refte eft compofé d'lndiens & de races mélangées a Pinfini. L'exceelence du port juftifie la prédilection, que la cour de Madrid a toujours montrée pour Carthagêne. II eft un des meilleurs qu'on connoiffe. Dans urte étendue de deux lieues, fon fond eft profond & excellent; la mer y eft trés tranquille. Dans ce port ou arrivé par deux canaux; on s'occupe a en boucher celui qui eft le plus large, & a fortifier 1'autre, pour en .défendre 1'entréé. Carthagêne refte toujours le pont de communicatiun de Pan-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 177 1'ancien hémifphere avec une grande partie du nouveau. Sa culture eft languiilante & il n'entre qué: pour peu de chofe dans le commerce, qui s'y fait. Le fol de Saint - Marthe eft encore moins utile. Quoique cette province ait une 'étendue* de quatrevingts lieues du Levant au Couchant, & de cent trente du Nord au Midi, le miniftcre d'Efpagne uniquement occupé de 1'aggrandiiTement du royaume en Europe, 1'abandonna a des brigands; content de re~ tirer le quint d'or , qu'ils ramafibient dans leurs pillages. A cette condition feule ils étoient les maitres d'agir a leurs faintaifies , & de commettre toutes ïortcs d'horreurs. Des cruautés itiriombrables 'étoient les 'fuites dé cc fyftême abominable. Toute la pro • vince étoit dans la défolation. Des qu'il n'y eut plus rien a détruire, ces brigands difparürènt, a 1'exception d'un pëtit nombre, qui s'y fixerent. Ils y ont élevé urie ou deux villes &'quelques bourgades. Cette colonie a été toujours négligée par la cour , qui. n'y a jamais envoye un feul vaiffeaux. ElLe rie fortira jamais 'dé fon anéautiifemertt, tant que le même fafiatifme y fubfiftera. Alphonsè Ojeda recorinut le premier, en '499 > le pays appellé Venezuela, on petite Vënife, airifi nomme, paree qu'on y vit quelques huttes établies fur des pieux, pour les élever au-deftus dés «aux ftagnahtcs, qui couvroient la plaine. D*abord ü fe contenta d'y faire des efeiaves. Ce ne fut qu'en. 1527 qu'on fongèa a y former un établiffement. Lé produit principal de fon fol èft le cacoyer. Ses amajiM  i78 PRÉCIS de l'HISTOIRE des font la bafe du chocolat. Sa bonté dépend de la partie huileufe, qu'elles contiennent, & conféquemment de leur parfaite maturité. On cueille la capfule, qui les renferme, lorfqu'elle acquiert une couleur de mufc foncé. On la fend avec un couteau , & l'on en fépare toutes les amandes enveloppées de leur pulpe > que l'on entaüe dans des efpeces de cuves pour les faire fermenter. Cette opératien détruit le germe, & enleve 1'humidité furabondante des amandes, que l'on cxpofe dans la fuite au foleil, fur des claies. Le cacao ainfi préparé fe conferve longtemps, pour vu qu'il foit dans un lieu fee. Mais en vieilliffant il perd en partie fon huile & fa vertu. Cet arbre, qui ne réuffit nulle part fi bien qu'a Venezuela, fi l'on en excepte Soconufco, vient aifément des graines , femées dans des trous alignés, a la difiance dc cinq ou fix pieds les uns des autres. Ces graines, qui doivent être fraiches , ne tardent pas a germer; elles récompenfent le travail du cultivateur au bout de deux ans. On 'fait chaque année deux récoltes, qui font égalcs pour la qualité & pour 1'abondanee. Cet arbre veut un terrein gras & humide, qui n-'ait point été employé a une autre culture. II demande un ombrage contre les ardeurs du foleil, & tin appui contre la violence des ouragans. Cette culture n'a cependant pas fait fleurir 1*. colonie, négligée par la métropole. Elle n'auroitpu fubfifter fans 1'ayantage de vendre fes produétions aux Hollandois de Curacao, en échange de toutes les ftiarchandifes, dont. elle avoit bcfoiii. Cés Üaifojfö  PHILOSOPHIQUE pes DEUX INDES. j79 interlopes étoient des plus vives, lorfque quelques négociants de la province de Guipufcoa jugerent, en 1727-, qu'il leur feroit utile, de fe réunir pour entreprendre cette navigation. Le gouvernement approuva ces vues; il leur accorda un oétröi. Gette afiöciation a éprouvé nombre de changements, duraut lesquels les hommes fibres & les efclaves fe multiplioicnt a Venezuela. On y eompte au déla de cent cinquante plantations. Les cultures faifoient des progrès; celles de Caraque s'amélioroient principar lemment. La ville de ce nom comptoit vingt-quatre mille habitants, la plüpart aifés. Cette profpérité feroit étonnante, & même incroyable, mais les fecours que la colonie obtint de la compagnie, expliquent ce phénomene. Celle-ci a fervi a faire fleuiir 1'établiffement de Venezuela ,& a exécuter des entreprifes utiles en Efpagne. La nation ne lui paye le cacao que la moitié de ce que les Hollandois lé lui vendoient. Les revenus qui ne fuffifoient pas autrefois aux dépenfes de la fouveraineté , en couvrent acluellemcnt les frais, augmentés par la conftuétioo des fortifications & par 1'entretien des troupes. La cöte de Cumana fut découverte, en 1498 , par Colomb. Ojeda y aborda 1'année fuivante. On s'y livra a un brigandage, prefqu'autorifé par 1'ulage; on dépouilla les paifibles habitants de ces provinces dc leur or & de leurs perles. Enfin Las Cafas entreprend d'arrêter le cours de ces iniquités. Cet homme célébre avoit accompagné fon pere, lors de la découverte du Nouveau - Monde. 11 fe fit d'abord M 2  igo "PRÉCIS de L'HISTGIRE eccléfiaflique pour travailler a la converfion des Indiens, pour lefquels il fe trouva de 1'attachement. Bientöt ce fut le foin qui 1'occapa le moins. Comme il étoit plus homme que prêtre, il fut plus révolté des barbaries, qu'on exeercoit contre eux, que de leurs folies fuperltitions. On le voyoit continuellement voler d'un hémifphere a 1'autre pour coufoler des peuples chers a fon coeur, & pour adoucir leurs tyrans. Après bien d'efforts inutiles, il fe propofa d'établir une colonie fur des fondements nouveaux. Après plufieurs démarches infruétueufes , il réulïït a fe faire aüigner la province de Cumana, que la cour lui accorde, afin qu'il puifle réduire fa théorie en pratique. Suivant fes idéés, tous fes colons devoient être cultivateurs , artifans ou miffionnaires. Ce projet auroit probablement répondu aux vues fages du généreux Las Cafas, fi les cruautés, que les Efpagnols avoient commifes durant les deux ans de fon abfence, n'eusfent aigri les efprits des Indiens a un tel point, que la majeure partie de fa colonie, qui ne s'élevoit pas au - deffus de deux - cents, devint la vicbime des horreurs de leurs compatriotes. Le petit nombre dt ceux qui avoient eu le bonheur d'échapper <\ la perfécution, fc refugiadans la bourgade foible deToledo, d'oü iis étoient peu de temps après obligés d'aller chercher ailleurs- un afile. Ce fut Colomb, qui découvrit le premier, e» 1498, 1'Orenoque, dont les bords furent appellés depuis Guyane Efpagnole. Ce grand fleuve tire fa fource des Cordillieres; groffi par nombre de rivie-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. i8t res, il fe jette par quarante embouchures dans l'Océan. La rapidité de ce torrent eft fi grande, qu'eile furmonte les plus fortes marées, & qu'eile conferve la douceur de fes eaux jufqu'a douze lieues dans 1'Océan. L'Orenoque croit & décroit alternative- o ment fix mois confécutifs. Son lit eft embarrafie d'un grand nombre de rochers, qui obligent les navigateurs a décharger leurs bateaux. Les peuples qui vivoient fur les bords de cette riviere, ne connoifibient, avant 1'arrivée des Européens , ni vêtements, ni police, ni gouvernement, lis vivoient de chaffe, de pêche, de fruits fauvages. lis n'avoient qu'un baton pour labourer la terre , & que des hachés pour abattre des arbres; leur agriculture a donc dü être trés imparfaite. Leurs femmes vivoient dans 1'opprefiion. Cette tyrannie étoit une des principales caufes de la dépopulation de ces contrées. Les meres y avoient contraété 1'habitude de faire périr les filles, dont elles accouchoient, en leur coupant de fi prés le cordon ombilical, que ces enfants mouroient d'une hémorrhagie. Le chriftianis me n'a pas encore réufli a déraciner cet ufage abominable. Les Efpagnols qui ne pouvoient s'occuper de toutes les régions, qu'ils découvroient, ont longtemps négligé celles de 1'ürenoque. En 1771, on y comptoit, en diverfes peuplades , feize mille cent vingt habitants, gouvernés par quelques moines. Leurs cultures fe réduifent au tabac, que les Hollandais de Curacao vienneut échanger contre les deurées dé 1'Europe, M 3  i8a PRÉCIS de i/FIISTOIRE Derrière ces pays eft ce que les Efpagnols appellent le royaume de Grenade. II a une étendue prodigieufe. Son climat fe divcrfifie fuivant les rapports qu'a le pays avec la direétion des Cordilieres. II eft généralcment habité par des fauvages, a 1'exception d'un petit état civüifé, qu'on rencontre au milieu de ces peuples, dont on ne doit cependant comparer la légiflation &. les moeurs a celles des Mexicains ou des Péruviens. Ni Phiftoire ni la tradition ne nous expliquent pas Porigine de cette fociété. II faut regarder comme une exagération démcfurée tout ce qu'on débite au fujet des richeffes du royaume de Grenade. Nullcpart fur notre globe on trouve de fi belles émeraudes que dans ce pays. 11 ne nous en envoye que peu de chofe, foit que ces pierreries foyent devenues plus rares, foit que la mode en ait diminué cn Europe. L'or qui en vient aéluellemcnt eft plus abondant; on le trouye dans les provinccs de Popayan & de Chopo. On le ramaffe prefque a la fuperficie de la terre. Les mines en font cxplobjées par des ncgres; 1'ufage elt qu'ils en rendent a leurs maitres une quantité déterminée; cc qu'ils peuvent trpuver de plus leur appartient. Ces arrangements mettent en état les plus hiborieux, les plus hcureux, les plus économes d'achetcr leur liberté. Cependant la cour dc Madrid ne recut pas de la Grenade les revcnus, qu'êlle étoit en droit d'attendre d'un pays fi riche. On en changea, pour mieux veiller a fon adminiftration, le gouvernement. On partagea la vice-royauté du Pérou en deux. Mais il  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 183 faUoit du temps, avant que cette inngvation quoique fage remediat au mal. La moitié de 1'or ramasfé par la colonie paffa a 1'étranger, par les rivieres de 1'Atrato & de la Hache.« On eft parvenu au moyen des fortrefles conftruites fur les bords de ces rivieres, de gêner ce commerce interlope. A mefure qu'on civilife les -Indiens indépendants, la communication entre les habitations & les bourgades devient plus facile. La terre mieux cultivée fait heffer 1'importation des provifions, qu'on étoit dans la coutumede tirer de 1'Amerique Septentrionale ou de 1'Europe. L'abondance remplace le befoin, & l'on fe voit en état de pouvoir envoyer de la farine a Cuba. L'a GR.icuLTUR.Ey feroit plus de progrès, fi le vceu des peuples, qui habitent le nouveau royaume de Grenade, ne fe bornoit pas généralement a 1'extenfion des mines. Elles y font innombrables & tres Tiches. Les tremblements de terre & la qualité du fol les indiquent. C'eft de fon fein que doit couler 1'or qu'entrainent les rivieres. Les grandes mines de Mariquita , de Mufo, de Pampelufle , de Taycama, de Canaverales vont être ouvertes. On efpere qu'elles ne feront pas moins riches que celles de la vallée de Neyva , qu'on exploite depuis quelque temps avec tant de fuccès. Tous ces tréfors iront fe réunir a. ceux de Choco & du Popoyan dans Santa-Té de Bogota, capitale de la vice- royauté. Elle eft fituée a 1'entrée d'une vafte & fuperbe plaine, au pied d'un mont fourcilleux. En 1774, fa population s'é* levoit a feize mille deux cents trente trois habitaats. M 4  i84 PRÉCIS de l'HISTOIRE Elle doit augmenter, paree que c'eft le fiege du gou-. verneracnt & la réfidence d'un archevêque. C'eft par la riviere de la Magdelaine & par Carthagêne, queSantaTé entretient, malgré fonéloignement, la commtuucation avec 1'Europe. La même route fert pour Quito. " L'e tendue immenfc de cette province eft généralement inhabitable; il n'y a qu'une vallée de quatre-vingt lieues de long & de quinze de large, formée par deux° branches des Cordilieres, qui foit occupée & gouvetnée par les Efpagnols. Quoique fituée fous la Zone Torride , elle jouit du plus beauclimat du monde, d'un printemps perpétuel; 1'émail des prairies eft a peine tombé, qu'on le voit renaitrc. 11 n'y a que des ouragans aftreux, des pluies ou de féchereffes fuivies qui troublent de temps en temps le bonheur de ces climats. Leur population eft la plus forte de tout le continent Américain; on y compte au dela de cent mille habitants. C'eft encore que les mines, qui font, pour ainfi dire, le tombeau du genre humain, n'y font pas affez riches pour mériter d'être exploitées, Dans le pays de Quito, les hommes s'occupent, de manufaétures de chapeaux, de toiles de coton, de draps groffiers. On les exporté dans 1'Amérique Méridionale; elles feivent a payer les produits, qu'il a été impoffible de cultivcr, foit par ia nature du terroir, foit par la défenlë du gouvernement. Néantmoins cette profpérité n'a été gueres de duréc; elle a celfé depuis que les Européens ont trouvé le moyen de donner leurs marchanififes a meilleur marche. Si Quito eft tombé dans la  PHILOSOPHICUE des DEUX INDES. 185 plus grande mifere, c'eft que les produits de fon riche fol ne font pas de nature a être exportés. 11 n'y a que le quinquina qu'on débite dans 1'etranger. L'arbre qui donne cette écorce précieufe croit fur la pente des montagnes. On ne lui donne d'autre préparation que de la faire fécher. Celle qui eft la plus mince a le plus de vertu. Elle eft d'un jaune qui tire fur le rouge; 1'écorce Manche eft peu eftimée. Cclle-la eft brune, caflante & rude-a la furface. La plus précieufe eft celle qui croit fur la montagne Cajanuma; autrefois on cherchoit a prouver par des certifïcats, que 1'éeorce venoit de ce lieu rcnommé. Le quinquina fut par des jéfuites porté a Rome, vers Fan 1639. L'ulage en eft devenu depuis général. C'eft une opinion univerfellement regue, que les naturels du pays ont connu trés ancienncment la propriété de ce remede. Les Cordilieres coupent 1'Amérique prefque encifre dans fa longucur. Sous la ligne & au Pérou, leur majefté frappe le plus. Leurs fommets font couverts de maffes énormes de neige ; on s'appergoit que ces montagnes- étoient autrefois des volcans. Chimboraco, la plus élevée d'entre elles a prés de trois mille deux cerits vingt-trois toifes au-desfus du niveau de la mer. Elle furpaffe de plus d'un tiers le pic de Ténériffe, la plus haute montagne de Fancien hémifphere. Le Pichincha & le Caraeon, qui ont principalement fervi de théatre aux obfervations entreprifes pour la figure de la terre, n'en ont que deux mille quatre cents foixante - dix; & c'eft la M 5  iZ6 PRÉCIS de l'HISTOIRE cependant oü les 'voyageurs les plus intrépides ont été forcés de s'arrêter. La neige permanente a toujours rendu inacceflibles les fommets, qui avoient plus d'élevation. Des lacs plus ou moins confidérables, plus ou moins profonds occupent une partie de ce vafte efpace. Du fein de celui de Titi-Caca fort une petite ifle, oü les inftituteurs du Pérou prétendirent avoir recu la naiiTance. Cette fable rendit ce lieu vénérable. De pélérins y accouroient en foule avec des offrandes d'or, d'argent & de pierredes. C'eft une tradition générale, qu'a 1'arrivée des Efpagnols, ils jetterent tous ces tréfors dans le lac, eomme cela venoit a fe pratiquer a Cusco. L a nature doit y varier par finégalité extréme du terrein. Les lieux les plusi exhauffés font éternellement couverts de neige. Viennent enfuite des rochers nuds. Ap-deiTous de ceux-ci on commence a voir quelques mouffes. Des arbres fe montrent enfin, dont on n'obferve les efpeces que dans ces montagnes. Ceux qui les habitent font fujets a des maladies diverfes; celles des endroits élevés font les maladies de poitrine, les rhumatifnies; des fievres putrides, des fievres tiercés d'une tres mauvaife réputation tourment les habitants des endroits moins élevés. La petite-vérole caufe, par intervalles, des ravages affreux dans toute cette partie du Nouveau-Monde. ' 11 n'y a que peu de temps qu'on commence a y in' iroduire 1'inoculatiop. Un autre fiéau, au quel il eft.impoff.ble de remédier , tovjrmeate fouvent ces régiqns. Ce fent les trembl^  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 187 mcnts de terre tres ordinaires darts le Pérou. Ce phénomene s'annonce cependant par des avant - coureurs fenüblcs. Lorfqu'il doit être confidérable, il eft précédé d'un frémiflement dans l'air, dontle bruit eft femblable a celui d'une groffe pluie ,qui tombe d'un nuage diffous & crevé tout-a-coup. Les oifeaux volent alors par élancement. Leurs queues ni leurs ailes ne leur fervent plus de ramesou de gouvernail, pour nager dans le fluide des cieux. Ils vont s'écrafer contre les murs, les arbres, les rochers: foit que ; ce vettige dc la nature leur caufe des éblouiffements, ou que les vapeurs dc la terre leur ötent les forces & la faculté de maitrifer leurs mouvements. A ce 1'racas des airs fe joint le murmure de la terre, dont les cavité6 & les antres fourds gémiffent comme autant d'échos. Les chiens répondent par des hurlements extraordinaires a ce preifentiment d'un défordre général, Les animaux s'arrêtent, par un inftinél naturel ils écartent les jambes, pour ne pas tomber. A ces indices, les hommes fuient de leurs maifons, & courent clierchcr dans 1'enceinte des places ou.dans la campagne un afile contre la chute dc leurs toits. Lescris des enfants, les lamentations des femmes, les tenebres fubites d'une nuk inattendue: tout fe réunip pour aggrandir les maux trop réels d'un fléau qui renverfe tout, par les maux de 1'imagination qui fe trouble, fe confond & qtüpcrd dans la contcmplatiou de ce défordre, 1'idée & lc courage d'y remédier. Dans Ie haut Pérou, on éprouve des variations dc temps trés fubites. Ceux qui s'y rendent des  i8i? PRÉCIS de l'HISTOI RE vallées, font pendant quelques jours, percés d'un froid, dont rien ne les peut garantir. Lorfqu'on y arrivé pour la première fois, on fe fent tres fouvent tourmenté du mal de mer. Dans les vallées, quoique fituées trés prés de Péquateur, on jouit d'une température d'air trés délicieufe. Des quatre faifons, 1'hiver y eft le plus fenfible. C'eft un cas unique fous la Zone-Torridc. Dans le bas Pérou, il ne pleut que tous les dtux ou trois ans une fois. Depüis Tombes jufqu'a Lima, c'eft a dire dans un efpace de deux cents foixante - quatre lieues, on ne rencontre que des fibles d'une ftérilieé fans égale. Dans le bas Pérou il n'y pas une feule fource. Cependant les défordres de 1'organifation phyfique du Pérou n'avoient pas empêché, qu'il ne fe format dans fon fein un empire floriffant. Tout attefte fit population extréme. Si ce pays fe trouve actuellement fx défert, c'eft que fes conquérants, des brigands fins naiffance, fans éducation, fins principes, commirent d'abord plus d'atrocités que ceux du Mexique; c'eft que la métropole tarda plus longtems de mettre un freiu a leur férocité. Une opprcftion moins tyrannique mais plus fuivie qui a fuccédé aux premières eruautés, a jetté les Péruviens dans un découragement, dans une inaétion, dont ils 'ne fortiront probablement jamais. Ce vuide dans la population a été fuppléé par un plus grand nombre de negres & d'Efpagnols , attirés originairement dans cet empire par la réputation de fes richeffes extrémes.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. ilfc Passons un oeil rapide fur 1'état acluel du Pérou. La cöte iramenfe, qui s'étend depuis Panama jufqu'a Tumbès, eft une des plus miférables régions du globe. Des marais, des plaines inondées pendant fix mois de 1'année, d'oü s'élevent des exhalaifons mortelles , des forêts auili anciennes que le monde, oü la foible lumiere, que le foleil y jette a travers fon fueillage épais, eft encore obfcurcie par des brouillards épais; un fol oü aucun des produits de i'ancien hémifphere ne réuffit, forment ce pays immenfe. II eft terminé par le golfe de Guayaquil, oü la nature eft moins dégradée. Les Efpagnols y batirent une ville. Longtemps fans défenfe, elle eft aétuellement protégée par deux forts. On. y trouve les limacons qui donnent cette pour-pre fi célébrée par les anciens, & qu'on croyoitperdue. On ne connoit point de couleur qui puifie étre comparée a celle dont nous parions, ni pour 1'éclat, ni pour la durée. Guayaquil. fournitaux provinces voifmesdes boeufs, des muiets, du fel, du poiffon & une grande abondance de cacao. C'eft la contrée la plus riche en matures, en bois de conftruétion; le chanvre & le goudron qui lui manquent, lui vienneut du Chili & du Guatimala. C'eft le ehautier univerfel du Sud, & il pourroit 1'être de la métropole. Guayaquil eft 1'entrepót néceflaire de tout le commerce que le bas Pérou, Panama & le Mexique veulent faire avec lc pays de Quito. Malgré tant de moyens cette ville, qui ne compte que vingt mille ames, n'a  loo f RÉCIS de VHISTOIRE que dc 1'aifance. Des incendies & deux faccagements de corfaires y ont abbaiffé les fortunes. De Guayaquil on entre dans lc vallées du Pérou, dont les cótcs font fémées de mauvaifes rades; on n'y trouve qu'un ou deux bons ports. Ce pays eft fans chemins; la réverbération du foleil en rend les fables irapraticables pendant le jour. A des diftances de trente ou quarante lieues, on y voit quelques petitcs villes. Les produits de 1'Europc y viennent affez bien. ' Dans le haut Pérou, a cent vingt lieues de la Hier, eft Cufco, batie, par le premier des incas, fur le penchant de quelques collines. Dans fon origine , elle n'étoit qu'une bourgade; on 1'a divifée depuis en tant de quartiers, qu'il y avoit des nations dans l'empire. II faut regarder comme une enflure gigantesque la plupart des merveilles , que les hifforiens Efpagnols nous racontent de cette capitale, & des maifons de campagnes, fituées a utte diftance de quatre lieues de la ville. Après la conquete elle ne conferva que le nom. Par un changement total de fes édifices & de ces mcetirs, il eft arrivé, que les Européens & leurs crimes, les naoines & leurs préjugés, vimTent regner & dormir dans ces murs, oü les vertneux incas faifoient depuis longtemps le bonlieur des hommes! A tr milieu des montagnes, on voit les villes Chapuifaca, qui a treize mille ames; Potofi, vingt-cinq mille; Oropcfa.,' dix-fept mille; la Paz vingt mille; Guüiicavelica, huit mille; Huamanga, dix-huit mil-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. lot ïe cinq cents. Toutes ces villes font baties dans un fol ftérile. C'eft qu'on avoit tout facrifié a la foif de 1'or. Elles ont fuivi généralement le fort des mines. Les Efpagnols qui ne poüvoient s'accommoder de la frugalité Péruvienne, y ont avec fuccès tranfporté la plupart des produits de 1'Europe, capables de contribuer aux délices de la vie. Les Péruviens, qui étoient cependant les mieux vêtus des Américains, ne tiroient leur foibles manufaétures, que de la laine du lama & du paco. Celle des vigognes, efpece fativage de pacos, furpaffe toutes les autres. Son prix, enEfpagne, eft depuis quatre jufqu'a neuf francs la livre pefant, felon fa qualité. Les Péruviens en fabriquoient jadis des tapifferies, ornécs de fieurs, d'oifeaux affez bien imités. Les Efpagnols peu contents du vêtement Péruvien, demanderent a 1'Europe tout cc qu'eile poffedoit de plus magnifique en toiles & en étoffes. Les manufaétures du pays d'abord tombées dans 1'oubli, reprirent avec le temps quelque vigueur. Avec la laine de vigogne, on fabrique dans plufieurs provinces, des bas, des mou« clioirs, des écharpes. Les fabriqucs de luxe, enfait de bijoux, de diamants, de vaiffelle font a Arequipa, a Ctifco & a Lima. On y fait avec de 1'ivoire & du bois quelques morceaux de marquèterie & de fculpture. C'eft un ouvrage' dont les Indiens de Cufco s'occupent prefque feuls; mais leur travail n'éft pas fini. L E Pérou a donné au monde un huiticme métal; c'eft la platine. M. UUoa eft le premier qui en ail.  ip2 PRÉCIS de i/HISTOIRÈ parlé, en 1748. On la trouve dans les mines d'of, Elle ne nous parvient que fous la forme d'une grolfe limaille de fer. Sa couleur eft d'un blanc moyen , entre la blancheur de l'argent & du fer. Elle eft unie avec 1'or, Ie fer & le fible magnétiquè. Séparée des particules hétérogehes, la platine eft de la même pcfanteur fpécifique que 1'or; elle eft fusfeptiblc de fe forger, de s'ctendre cn iames minces, dc fe filer, mais elle n'eft pas a beaucoup pres ausfi ductile que 1'or, & le fil qu'on en obtient n'eft pas, a diametre égal, en état de fupporter un poids auffi fort fans fe rompre. Diffous dans de l'eau régale, ce métal eft fufceptible de prendrc, lorfqu'on leprécipite, une infinité de couleurs différentes On a fait exécuter t:n tableau, dans le quel il n'entrait prcfque rien que la platine. Celle - ci s'allie comme 1'or avec tous les métaux; mais lorfqu'elle entre dans 1'alliag'e dans une trop forte proportion, elle rend le métal caffant. Alliée avec le cuivre jaunc, elle forme un métal dur & compact,qui peut prendrele plus beau poli. On ne trouve poirtt de mines dans les vallées. Les grolfes maffes d'or les quelles s'y font quelquefois montrées, y ont été apportées par des embrafements fouterreins. Les Péruviens, ftns avoir des monnoyes, connoiifoient 1'emptoi de 1'or & de l'argent. Les rivieres leur fourniifoient le premier. Pour obtenir le fecond, on exploïtoit les mines quoique imparfaitcnient. Puls ou les fondit par le moyen du feu. Des foürneaüx, oü un courant d'air faifoit la fonétion da fwü-  PfilLDSOPHiQUE des DEUX INDES. 193 fouflet, eiitierement inconnu dans ces régions, fervoit a cette opération difficile. De toutes ces mines, eXploitécs par les naturels du pays, Porco étoit la plus abondante. Ce fut la première que les Efpagnols entameren! après. la conquête. Ce travail étoit génénilcment tres difpendieux, fauted'eau, de bois & de vivres. Plufieurs mines ont été abandonnéesj d'autres le feront, foit que les eaux s'en foyent emparécs , foit qu'elles ayent trompé les efpérances. On s'attachoit d'abord par préférence aux mines d'or; celles d'argent attirent actuellemcnt plus Pattcntion des perfonnes entendues , puisqu'elles font plus furvics-& moins fujettes a des accidents. Parmi les derniêres, qui ont le plus de réputatioh, font celles de Huantajaha (oii Pon trouve quelquefois, fous le mélange confus de gravier & de fab'ïe, des mafies qui pefent jufqu'a trois cents foixante -quinze livres, qui rendent a Pépreuve jufqu'a deux tiers de leur pefanteur) celles d'Arequipa & de Potofi. Celles-ci furent trouvées en 1545. Un Indien nommé Hualpa, qui pourfuivoit des chevreuils, faifit, dit-on, póur éfcaladér un roe efcarpé, un arbrifleau, dont les racines fe détacherent, & laifferent appercevoir nn lingot d'argent. II ne manqua pas de retourner a fon tréfor, toutes les fois que fes befoins ou fes defirs 1'eü follicitoient. II avoua fon feerct a fon concitoyen Guanca; leur brouillerie fit tout déeouvrir aux Efpagnols. Quelque riche que füt la mine de Potofi lors de cette déeottverte, fon produit a tellement diminué, qtPen 1763, le quint du roi se N  Ï04 PRÉCIS de l'HIS-TOIRE paffa pas 1,364,682 liv. On Pauroit même abandoflnée totalcment, fans Fextrêrrm faeilité dc fon exploitation". Indépendamment de ces mines, il y a dans le Pérou encore beaucoup d'autres, dont la lifte & Phiftoire nous meneroient trop loin dans ce précis. Ce-s mines étoient originairement exploitées par le moyen du feu. On lui fubftitua, depuis 1571 , le mercure. • On le trouve cn deux états différents dans le fein dc la terre. On le nomme mercure viergc, lorfqu'il fe préfente fous une forme fluïde. S'il eft combiné avec le foufre, il forme une fubftance "rouge , nommée cinabre. Longtemps l'on Pa tiré des feules mines d'Ydria dans la Carniole. Celle d'Almaden en Efpagne étoit déja connue du temps des Romains; elle fuffifoit aux befoins du Mexique. Enfin on a trouvé une mine de mercure dans le Pérou même. Elle étoit, dit-on, connue aux Péruviens, qui s'en fervoient pour fe peindre le vifage. Pedro Fernandez Velasco fut le premier qui, en 1571 , imagina de la faire fervir a F exploitation des autres mines. Guanca- Velica la polfede. Elle appartient au gouvernement. Quelques affociés 1'exploitent; ceux-ci livrent le mercure au fouverain, a un prix convenu. La ftérilité du diftrict de Guanca- Velica eft remarquable. L'orge n'y fait que germer. La pomme de terre feule y profpere. L'air y eft trés mal-fain. Les monts dc ce pays font trés hauts; les naturaliftes y ont découvert des coquilles en nature , & des coquilles pétrihees. Conféquemment ces montagnes, les plus hautes dePunivers, furent un jour couvertes de 1'océan.  ^HILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 195 Le gouvernement cnvoyc par douze dépots, ce mercure aux mines, oü l'on cn a befoin. On compte que Ia confommation du mercure eft égale a la quantité d'argent qu'on tire des mines. Lima a vu toujours coulcr dans fon fcin une grande partie des richeffes du Pérou. F. Pizarre la batit, cn 1535. Cette capitale elf fitué'è a deux lieues de la mer ; elle jóuit d'une pófition déTiciéufe; d'un cóté la vue s'y promenc fur une mer cahne, de 1'autre coté elle s'y perd dans les Cordilicrés. Son terrein eft tres fertrlé. Les Péruviens inftruits dc fa fragilité affeyoient leurs batis fur fa fuperlicie; i!s les lioicnt tellement cnfemble que les trémblements de terre les pouvoient endommager; mais il n^toit gueres poftiblc qu'ils les renverfaffent. Les Efpagnols trop"orgueilleux pour mettre 1'expéiïence des Péruviens a pront, conftruifirent leurs maifons fur des fondemeuts, cimcutés dans de profondes tranchées. Figurez-vous la joyc qu'ayent dü reffenttr les Indiens , lorfqu'ils virent les Efpagnols fe creufer des tombeaux. Le tremblement de terre du 2C Oétobre 1746 a mis la derniere main a renverfer Lima. Prefque tous les édifices , grands & petits, s'écrouloient cn trois minutes. Sous ces décombres trcizc cents perfonncs furent écrafées. Un nombre infiniment plus confidérable furent mutilées, & la plupart périrent dans des tourments horribles. Callao qui fert de port a Lima, fut également bouleverfé; mais ce fut le moindre de fes malheurs. La mer qui avoit reculé a cette terrible cataftrophe, revint N 2  i05 PRÉCIS de i/HISTOIRE bientót avec impétuofité. Le refte des maifons & des fortificatioas devint fa proie. Des quatre mille habitants, il n'y en eut que deux cents de fauvés. Ce ravage s'étendit fur toutes cls cótes. Dans les montagnes , quatre ou cinq volcans vomirent des colonnades d'eau fi prodigieufes, que le pays en fut inondé. Une inttruction auffi amere ouvrit les yeux aux habitans de Lima. Réparer toas les dommages d'un fiéau auffi terrible, quelle entreprife pour uri peuple oilif & cfféminé ! Déblayer les immenfes décombres entaffés les uns fur les autres; retirer les richeffes immenfes enterrées fous ces mines j aller chercher h Guajaquil & plus loin encore tout ce qui étoit nécesfaire pour des innombrables conftructions; élever, avec des matériaux raffemblés de tant de contrées, une cité fupérieure a celle qui avoit été détruite! Ces prodiges s'exécuterent trés rapidement. Le nouveau Lima eft devenu plus agréable. Ses maifons font trés baffes, & baties de forte qu'elles fe prétent aux mouvements de la terre. Ces maifons ont une belle apparence. Elles forment des rues large* & paralleles, qui fe coupent a angles droits. Des eaux tirées de la riviere de Rimac les lavent, les rafraichüTent continuellement & fervent a nombre d'autres commodités. Malheureufement fes habitants font piongés dans la plus vile fuperftition. L'Efpagnol Créole y paffe fa vie chez des courtifannes, ou il s'amufe a boire dans fa maifon 1'herbe du Paraguay. II préfere généralement le concubinage a des  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 197 n«euds légitimes. Les femmes de Lima ont de la beauté & des graces, qu'ellcs relevent par tout ce que l'art a pu y ajouter. Elles s'y livrent avec une profufion fans égale. Dans cette cité magnifique le goüt de la mufique & de la danfe eft généralement répandti. Pour fuffire aux dépenfes qu'exigent toutes ces profufions, la plupart ont cherché des resfources dans le commerce. Une occupaüon fi digne de 1'horame, doht il étend 'a la fois l'aétivité , les lumieres & la ptfiftance , n'a jamais paru déroger a leur nobleffe ; &: les loix les ont confirmés dans une maniere de penfer fi utile & fi raifonnable. Lima refte toujours le centre des affaires que les provinces du Pérou font' entre elles; des affaires qu'elles font avec le Mexique & le Chili; des affaires plus importantes qu'elles font avec la métropole. L e Détroit de Magellan paroi'ffoit la feule voye ouverte pour cette derniere liaifon. Mais la longueur d'un trajet périlleux tourna toutes les vues vers Panama. Depuis que cette Ville a été pillée cc brulée par des pirates, elle a été rebatie a trois lieues du port de Perico. Elle eft le fiege de plufieurs régions, la plupart défertes. Panama n'offre de fon propre fonds que des perles. La pêche s'en fait dans quarante-trois ifles de fon gólfe. On y employé ceux des Negres qui font bons nageurs. Chacun d'eux doit apporter un nombre fixe d'huitres* Tout ce qu'il peut ramaffer au-dela de ce nombre > lui appartient. Cette pêche devient dangereüfe par des monftres marins, trés communsdans le voiftnage N 3  i98 PRÉCIS de l'HISTOIRE de ces ifles. Les pcrlcs de Panama font d'une affez belle eau; mais cette branche de commerce a presque tari, depuis que l'art eft parvenu a les imker & que lc goüt en eft paffe cn Europe. Cependant les perles ont beaucoup moins enrichi Panama, que 1'avantage, dont elle jouiffoit d'être un entrepot confidcrable. Les richeffes arrivces dans cette ville par une flotillc, étoient voiturées les unes a dos de mul et c$ les autres par le Chagre, a Porto-Belo, ütué fur la cóte feptentrionalc de l'Ifthme, qui fépare les deux mers. Cette ville eft difpefée en forme de croiffant, • fur le penchant d'une montagne qui entoure le port. L'amiral Vernon détruiüt, en 1740, les fortincations qui le défendoient trés bien. Lc climat y eft tellement mal - fain, qu'on le nomme le tombeau des Efpagnols. Plus d'une fois on fut obligé- d'abandonncr des navires, dont les équipages y avoient péri. On n'y voit prefque que des Négres; il eft en quel que facon honteux d'y demeurer. La garnifon même n'y refte que trois mois de fuite. , Ces inconvenients n'ont pas empêché que Porto-Belo nc devint le théatre du plus grand commerce, qui ait jamais exifté. Les richeffes du nouveau monde y étoient échangées contre 1'induftrie de Pancien, que des vais- , feaux, connus fousle nom de galions, y apportoient. Ces échanges fe régloient a bord de l'amiral, avec une franchife noblc, avec 'toute la confiance imaginable. Mais avec la perte de la Jamaique commen5a une contrebande trés nuifible a. cette profpérité.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 199 La pacification d'Utrccht accorda aux Anglois la permiffion de pourvoir le Pérou d'cfclavcs, & d'envoyer a chaque foire un vaiffeau chargé de marchandifes. Cette liberté fut la fource d'un commerce interlope, qui a fait infiniment déchcoir la profpérité dc Panama & dc Porto-Belo. Les affaires les plus importantes fe font aclucllcmcnt par le Détroit de Magellan, fitué a 1'extrémité de 1'Amérique Méridionale. II fépare la terre des Patagons dc celle 3e feu. Cn débite que la première en eft peuplée d'hommes d'une taille gigantefque. Ce détroit a cent quatoizc lieues de long , & en quelques endroits moins d'une lieue de largc. Depuis plus d'un demi-fiecle, les navigateurs aiment mieux de doublcr lc cap Horn. L a cour d'Efpagne accufoit toujours le commerce interlope de détourner la majeure partie des richesfes'du Pérou. Depuis 1713, elle a pris des mefures efficaces pour le faire ceffer. Cette conduite a mis dans un jour tres clair, que les richeffes du Pérou ne répondoient pas a la haute idéé qu'on s'en étoit formée. En cinq ans, Lima ne regut d'Efpagne pour tout lc Pérou que dix navires, qui remporterent chaque année 30,764,617 liv. Cette fomme étoit formée par 4,594,192 liv. en or; par 20,673, 657 liv. en argent; par 5,496,763 liv. en productions diverfes. Ces efpeces & ces produélions appartenoient, en partie au gouvernement, & en partie au commerce. N 4  ioo PRÉCIS de l'HISTOIRE CHAPITIE VIII. Conquéte du Chili & du Paraguay par les Efpagnols. Détail des cvéncments qui ont accompagné & fuivi l'invafion. Principes fur lefquels cette puijfance conduit fes colomes, JL out es les nations qui ost établi des colonies dans le Nouveau Monde, fe font laifle conduire par des mouvemenfs de violence & d'injuftice, fans fe foucier des préceptes de cette équité, qui eft éternelle & immuable dans tous les temps, dans tous les lieux & vis-a-vis de tous les hommes, quels ea foyent la couleur , les mceurs ou le culte. Ce font les Efpagnols qui fe font le plus écartcs de cette vertu. Ce reproche va être malheureufementjuftifié encore par leurs forfaits dans le Chili. Cette région a une largeur commune de trente lieues entre la mer & les Cordilieres, & neuf cents lieues de cóte, depuis le grand défert d'Atacamas, qui la fépare du Pérou, jufqu'aux ifles de Chiloé, qui la féparent du pays des Patagons. II ny cut qu'une partie de ce vafte pays foumife aux Incas. Almagro entreprit de la conquérir, en 1535. Pour y pénétrer du Pérou, il y a deux routes, dont Pune va par deflus des montagnes couvertes de neige; Pautre n'offre que des fables brulants fur le bord de  PHILQSOPHIQUE des DEUX INDES. aoï la mer. L'on préféra le premier paffage, ce qui fit périr la plupart des Efpagnols & dix mille Indiens. Les peuples anciennementfoumis les accueillirent graeienfement. Dans le retour, on paffa par la route fablonneufe le long de la mer. Lorfqu'ils s'y montrerent pour la feconde fois, les Indiens refuferent de fe foumettre a ces brigands. Une guerre de dix ans ravagca le pays & les hommes. Dans un de ces combats, Valdiviaavec fon corps d'Efpagnols eft enveloppé par les Indiens; ils les maffaercut; on verfc au chef de 1'or fondu dans labouche, en lui criant: Abreuve - toi donc de ce métal, dont tu es fi altéré. Ces hoftilités n'ont proprement cefle que aar le traité de XT71. De tous ces fauvages les Arancos font les plus. terribles; ils font quelquefois renforcés par lis habitants de Tucapel & de la riviere de Biobio. Tous ces peuples font errants; ils trouvent partout & leurs armes & leur nourriture. Ils font les feuls qui ofent fe mcfurer avec les Européens en rafe campagne; avec la fronde ils lancent de loin la mort a 1'ennemi, Ils fe fervent encore des lances & des javelots. La guerre ne les fatigue pas. Ils fe croyent viétorieux, lorfqu'ils remportent la tête d'un Efpagnol, quoique payée avec celles de cent Indiens. Ainfi la fierté Efpagnole a dü fe plier, pour faire la première les ouvertures d'un accommodement. Au milieu de ces hoftilités les établiffements de Coquimbo , de Valparaifo, dela Conception, de' Valdivia, de Sant-Yago, fc font formés dans Je Chili. N 5  202 PRÉCIS de l'HISTOIRE Celui-ci eft la capitale de 1'état. Dans cette cöntréc s'eft formée fucceffivement une population de quatre a cinq cents mille ames. Les cfclavc's y font confacrés aux fervices domeftiques. Les habitants y vivent pailiblcment, cn labourant la terre. Un climat trés beau, un terroir tres fértile les encourage a ces travaux. On y recucillc du bied, dc 1'huile. Le Chili ponede encore un excellent cuivre. Cet établiffement peut dorénavant couvrir les dépenfes de fon entretien, quoique couteux par Pétendue des garnifons. Le Chili fait le commerce avec les Indiens, avec le Pérou & le Paraguay. Le premier leur vend le poncho (efpece d'étoffe de laine.) (Ils ont entre eux des foires, oü l'on échangc les marchandifes avec uné droiture, une contïancc, inconnues a des nations , qui ont une religion & une police. Autrefois onleur vendit des eaux-de-vie & des vins; mais ces boilfons qui abrutiffent ,les hommes fous le pöle, les rendent furieux. fous 1'équateur. II faut donc louer les Efpagnols d'avoir renoncé a ce commerce. Le Chili fournit au Pérou des cuirs, des fruits fecs, du cuivre, des viandes falées, des chevaux, du chanvre, des grains; qu'il échange contre du fucre, du tabac, du cacao, de la fayence, & quelques objets de luxe. II envoye au Paraguay des vins, des eaux-de-vie, des huiles & furtout de 1'or, contre des muiets, de la cire, du coton, 1'herbe de Paraguay, desNègrcs. Cette communication fc fait par terre.  PÏIILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 203 Le Paraguay eft une vafte région, bornée au Nord par le Pérou & lc Bréfil; au Midi par les terres Magellaniqucs; au Levant par lc Bréfil; au Couchant par le Chili & lc Pérou. II doit fon nom a un grand fieuve , dont la fource eft prés de Campo de Paracis. Avant Fanivée des Efpagnols dans ce pays, il y avoit tin grand nombre de peuplades, lesquelles vivoient de la chaffe, de la pêche & des fruits fauvages, de micl & de quelques racirtes. Ceux des Efpagnols & des Portugais qui fe montrerent les premiers dans lc Paraguay, furent masfticrés. En 1535 des forces plus impérieufes parureat fur le fieuve de Ja Plata , fous la conduite dc Mcndoca, qui fonda Buenos-Aires. Lc befoin les fit monter la rivicre , oü ils batirent a tp»is cents lieues dc la mer PAiTomption. La ncceffité les obligca dc s'unir avec les Indiens ; de leurs mariages eft fortie la race des Méns, qui, avec lc temps, devint fi commune dans PAmérique Méridionale. Mais cette union n'cmpècha pas. les Efpagnols d'être cruels cnvers les Indiens, lorfque la foif de Por les y engagea* Cependant cet-, te coloniedev int de jour en jour plus nombrcufc; mais des émigrations , faites dans le deffein de découvrir des mines , la firent languir * & il fallut des ordres réitérés de la métropole, pour les détcrminer a rétablir Buenos - Aires. Ceux des Indiens qui tenoient davantagtj a leur liberté, s'éloignercnt de plus cn plus jusque dans le p-^ys de Chaco. Celui-ei paffe pour un des meilleurs  229° liv- C'eft avec les deux tiers des produits du Bréfil qu'on livre a 1'étranger; c'eft avec 1'or & Pargent.qui arrivent de cette région; c'eft avec les vins, les laincs, les fels, les fruits de la métropolc même, que le Portugal parvient a payer foixantc millions de marchandifes qu'il recoit annuellcment de diverfes contrées de 1'Europe. De ce commerce 1'Angleterre a quatorze portions, 1'Pa'ic huit, la Hollande fept, Ilambourg lix, la France cinq, la Suede quatre, lc Dannemarc quatre, 1'Elpagne deux, & Ia Ruffie une feulement. L a révolution qui placa le duc de Bragance fur le tróne de Portugal, fut 1'époquc de fa décadencc. Le Portugais plein d'enthoufiafme quitta les arts manuels, & les métiers, pour courir a la défenfe de la patric; inais lorfque celle-ci n'avoit plus befoin dc ces mains courageufes, elles dédaignerent des travaux utiles. De ce moment il n'y avoit plus dc manufaéhires dans le Portugal. La guerre pour la fucceffion, placa un petit-fils dc Louis XIV. fur lc tróne d'Efpagne. Unc plus grande averfiorf contre dus voifms devenus trop rcdoutablcs en fut la fuite de la part des .Portugais , qui fe jettcrent dans les bras de PAngleterre; celle-ci profita de cate circontlance pour s'en approprier lc commerce. Tous les produits du Portugal & dc fes colunies palferent chez les Anglois, dont un miliion étoit occupé chez eux a pourvoir les Portugais de manufaétures, dc tout  234 PRÉCIS de l'HISTOIRE ce qu'il ne fe trouvoit pas , ou de ce qu'il ne fe trouvoit pas ouvré en Portugal. Ce dépériffemcnt entraina la décadcnce des arts libcraux, des lettres , des fciences, des bcns principes de polLe & d'adminiilration; & on vit cette nation rétrograder & exciter le mépris des peuples qui 1'avoicnt autrcibis admirée. Tout porte a préfumer qu'cllc ne fortira de longtemps de cet état d'anéantifLment. Pour. entrcprendre ce grand ouvrage, le premier pas qu'eile doit faire, c'eft de fecoucr le joug d'Anïletc.re, de ne montrer dorénavant aucune prédilection pour elle, & d'établir une égalité entre toutes les nations qui vititent fes ports. Le climat & le terroir de ce'royaume font favorables a la production des foyes, des oliviers, des laines, dont on pourroit doubler la quantité. La cour de Lisbonne doit, pour hater 1'amélioration de fa fituation, réformer fes impöts, les diminuer, encourager par des primes le travail & l'mduftiie, remplaccr les cloitres par des atteliers, faire ccffcr la fuperftition avec la pareffe, rétablir fa marine, élever fes colonies a une plus grande profpérité, en y reccvant toutes les nations Européennes. Mais pour y réulfir il faut éteindre jufqu'a la moindre tracé dc 1'inquifition, cc diminuer f abus que le clergé peut faire de fon pouvoir. Jufqu'a cè que la cour Fortugaifc ait atteiflt ce but falutaire, tout projet d'amélioration fera inutile. La crainte d'irriter 1'Angleterre ne doit pas retarder d'un inftant une réforme auffi fage; que la nation fe reffouvienne des exploits gloiieux 6c lïc-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 235 roïques dc fes ancêtres, lorfque les Anglois n'écoient rien; que toutes les nations commercantes de 1'Europe font intcreflees a plairc a un état auffi riche, & qu'elles fe réuniront, lorfque 1'anibition de 1'Efpagne lui donneroit des inquiétudes. Cependant, pour ne fe repofer pas enticrement du foin de fa défenfc fur 1'émulation des autres états, elle doit fe pénétrer de cet e maxime : qu'un état qui n'a ni armee ni Hotte, eft compté pour ïicn dans lc corps politique; c'eft ce qui eft le dernier des opprobres. Pourjouir de la conlidération, il ne doit pas avoir a craindre la guerre. Finalement, a juger dc 1'avenir par le préfent, tout nous autorife a conjeéturer que toutes ces réformes font plus a fouhaiter qu'a préfumer. CHAPITÏLE X. Établiffement des nations Européennes dans le grand Archipel de l'Amérique. Les Flibufliers. ivtérique renferme entre le huitieme & le trente-deuxieme dégré de latitude feptcntrionale, 1'archipel le plus nombreux, le plus étendu, le plus riche que 1'océan ait encore offert a la curiofité, a l'aclivité & a 1'avidité des Européens. On le connoit fous le nom d'Antilles. Les vents qui foufflent presque toujours de la partie dc 1'Eft, ont fait appeller cellestqui font plus a 1'Oiijr.t, i.les du vent,  x$6 PRÉCIS de l'HISTOIRE & les autres, ifles fous le vent. Elles compofent une chaine, dont un bout femble tenir au continent prés du golfe de Maracaibo, & Pautre fermer fouverture du golfe du Mexique. Peut-être ne feroitil pas téméraire de les regarder comme les fommets de tres hautes montagnes , qui ont fait autrefois partie de la terre-ferme & qui font devenues des ifles par une révolution qui a fubmergé tout le plat pays. Nombre de faits phyfiques viennent a Pappui de cette conjecture. La direction des Antiiies, celle des montagnes, des fources femblent encore la rendre plus vraifemblable. L e fol de ces ifles eft généralement une coucbe d'argile plus ou moins épaiffe. Celle-ci n'eit pas également fertile. Lorfque les Européens aborderent aux Antiiies, ils lestrouverent couvertcsde grands arbres, liés pour ainfi dire les uns aux autres par des plantes rampantes, qui s'élevant comme du lierre, embraffoient toutes les branches & les déroboient a la vue. On ne pouvoit pénétrer dans les bois fans les » couper. Ces forêts avoient plufieurs générations d'arbres aulfi anciennes que le monde ;ces arbres étoient d'une grande élévation , trés droits , fins aucune défeéUiofité. La chüte de leurs feuillcs & leur décompofiüon avoit formé, fur la furface de la terre, un fédiment, qui après le défricheraent opéroit une végétation prodigieufe. Les racines de c>.-s arbres avoient tout au plus deux pieds de profondeur; elles s'étendoient en fuperficie a proportion du poids qu'elles avoient a foutenr. Ceux qui creüi'oicnt fur les  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 237 montagnes avoient un bois trés dur, qui lailïbit 3 peine s'entamcr par 1'inftrument le plus tranchant. Les vallées étoient couvertes de bois mous. Au pied des arbres croiffoient nombre dc plantes. Les infulaires ne gênoient nullc part la marche de la nature. Ces ifles offroieut encore une grande variété de fruits, mais fort différents des nótres. Le plus utile en étoit la banané. Elle eft charnue , alongée, légérement arquée, couverte d'une pcllicule jaune & épaiffe, remplie d'une fubftance pulpeufe, jaunatre, un peu fucrée & trés nourriffantc. Chaque tige porte cinquante fruits & au-dela. Unc fingularité qui mérite d'êtrc obfervée, c'eft que la liane embraffe tous les arbres ftériles en s'éle-ignant des arbres fruitiers. On n'y voit dc légumes que le creffon & le pourpier. Toutes les autres nourritures y étoient trés bomées. Le plus grand des quadrupedes étoit de la groffeur du lapin. Les oifeaux, maigres & fans goüt, n'avoient d'autre mérite que la parure dc leur plumage. Ces contrées renfermoient nombre de plantes tres efiicaces contre les maladics de ces pays. L e climat des Antiiies eft divifé dans la faifon de féebércffe & celle de pluie. On y eft fujet a une continuité de chaleur, depuis le lever du foleil jufqu'a uue heure après-midi. Les variations dans la température de Pair viennent moins des faifons que du vent; mais il n'y a que celui d'Eft qui tempere la chaleur. Les autres procurent peu de foulagement5 ceux-ci y font trés rares. Lc vent d'Eft ne fe fait communément fentir que vers les neuf ou dix beures du  s3S PRÉCIS de l'HISTOIRE matin. Ce vent & ks pluies fervent a foulager Ia - chaleur de ce climat. Toutes les provifions s'y gatcnt fubitemcnt. Cette derniere faifon eft accompagnéc de phénomencs plus tesribles, de tremblemcns de terre, d'ouragans. Alors Focéan attaque la terre avec une impétuofité qu'on ne peut ni prévoir ni e'viter. Les vagues s'élevent tout-a-coup prés du rivage & crevent avec une violence extréme. Elles brifent alors contre la terre les vaiffeaux qui fe trouvent aux rades. Lorfque Pair eft tróublc , que le foleil devient rouge, que le temps eft calme, & que le fommet des montagncs eft clair, on préTage Papproche des onragans. Alors on entend fous terre; ou dans les citerncs, un bruit fourd, comme s'il y avoit des vents enfermés. Le difque du foleil s'obfcurcit; le ciel eft au Xordoueft d'un fombrc menacant; la mer rend une odeur forte, & fe foutere même au milieu du calme ; lc vent tourne fubitemènt de 1'Eft a 1'Oueit & fouffle avec violence par des reprifes qui durent deux heuros chaque fois; une nuk univerfelle & profonde fuccede a un jour vif & brillant, la nudité des plus tristes hivers a la parure du printemps; des arbres auffi anciens que lc monde font déracinés, ou leurs débris difperfés; les plus folides édifices n'offrent en un moment que des décombres, que des cóteaux riches&verdoyants, changés ehdes caverncs hideufes; des plafltationsbouleverfées,& des malheureux dépouillés de tout pleurant fur des cadavres, ou cherchant leurs parents fous des ruines. Les bruits des eaux , des  PIIILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 239 bois, de la foudie qui tombent & fe brifent contre les rochcrs ébranlés & fracaffés ; les cris & les hurlements des hommes & des animaux, pêle-mêle emportés dans un tourbillon de fable, de pierres & de débris : tout femble annoncer les dernieres convnlfions & 1'agonie de la nature! Dans tous ces malheurs il y a une confolation. C'eft que ces ouragans amenent des rccoltes plus abondantes & hatent les produétions de la terre. C. Colomb, après s'ètre établi a St. Domingue, une des grandes Antiiies, reconnut les petites. Les Cara'ïbes, leurs habitants, étoient plus nerveux que les autres ; leur figure auroit été agréable , 6'ils n'avoient déparé 1'ouvrage de la nature, pour fe donner de prétendues beautés, qui ne pouvoient plairc que chez eux. lis fe peignoient avec du rocou: cc qui leur donnoit la couleur d'une écreviffe cuite. Ils croyoient confufement un bon & un mauvais principe; mais ils étoient peu attachée a leurs préjugés. Cette indifférence ne les rendit pas plus dociles au Chriftianifme, lorfqu'on le leur offrit. Sans difputer contre ceux qui leur en prèchoient les dogmes, ils rcfufoient de les croire, de peur, difoientils , que Leurs voifins fe moquajfent d'eux. Au reste, leur bonté de ceeur leur tint lieu de code, & ils vivoient entre eux cn paix. Le vol ne fut connu de ces fauvages qu'a 1'arrivée des Européens. Lorsqu'il leur manquoit quelque chofe, ils difoient qua les chrétiens étoient venus che^ eux. Infenfibles aux paflions les plus fortcs, ils vivoient dans une  2-,o PRÉCIS de l'HISTOIRE apathie, le fondement de leur tranquiüté. Chaque Lniiile confti-uoit une cfpcee de répubiique féparée jufqu'a un certain point du refte de la aaïion. Elle formoit un hamcau, au centre duquel demeuroit le chef. Ces cabanes avoient pour colonnes des pieux, du chaunie pour toit, & pour met: bles des armes, des Hts de coton fans art & fans travail, quelques corbeilles & des ullenüles de calebaffe. Ils y palfeient la plus grande paide dc leur vie a dormir ou a fumer. S'ils en foitoitnt, c'étoit pour rester accroupis dans un coin, oü ils paroiifoient ci:f_velis dans une profonde meditation. Lorsqu'üs panoient, ce qui étoit rare, on les écou*oit fans les interromprc , fans les contredire, fans ,eur répondre que par un figne muet d'approbation. Le foin dc leur fabfiftance ne les occupoit pas beaucoup; ils mangeoient peu. Ils trouvoient au pied des arbres uue uomiiture afiüréc, faine , convenabie a leur tempérament, & qui ne demandoit pas une grande préparation. A ces dons bruts de la nature, on ajoutoit quelquefois les produits de la chaffe & dc la pêche. C'étoit'a Poccafion de quelque feftin. Les conviés n'éioient pas plus gais dans ces affemblées que dans leur vie ordinaire. Souvent ils s'y enivreünt, éc ces fétes fi triftes fe terminoient par j'efi'ufion de fang. On gaiflbit par s'cgorger. Ils s'embarqucient fur des bateaux formés d'un feul arbre, qu'on avoit abattu en le brulant par le pied. Des aaaées entieres avoient été employees ^ creufer ces canots avec des haches de pierre, & par le moyea  PHIL080PIHQÜE des DEUX INDES. 241 moycn du feu qu'on dirigcoit adroitemcnt dans le tronc de 1'arbre , pour donner a la piroguc Ia forme qui lui convenoit. Arrivés aux cótes, ils y cherchoicnt des nations a exterminer. Ils les altaquoient avec une efpece de maffuc, moins longue que le bras, avec leurs rlechcs empoifonnées. Au retour de 1'expéditicn , les fkuvages rctomboient dans leur inaétion. Malgré 1'avantage de leurs armes, les Efpagnols ne firent pas longtemps la guerre a ce peuple. Les Antiiies n'oü'roient point d'or; & leurs habitants, ré* duits en cfclavage, mouroient de mélancolie, Iorsqu'on les voulut faire travailler dans les mines. Les Anglois & les Francois iniïruits de ce qui fe paü'oit, hafirdereut quelques foibles armements, pour intercepter les vaiffeaux Efpagnols qui naviguoient dans ces parages. Les fuccès multiplierent ces corfaires. Ces pirateries étoient juftifées par 1'ufage, oü étoit PEfpagne d'arrctcr tous les batiments-, qu'eile trouvoit au-dela du ïropique. En 1625, des Anglois conduits par Warner, des Fraugois aux orchis de Danambuc aborderent lc meme jour a SaintChrilfophe, par deux cótés oppofés. La néceffité les réunit. Leur paix fut troublée par une flotte redoutable, cnvoyée, en 1630, paria cour dc Madrid contre les HoUandois, & qui devoit, en paffant, exterminer ces pirates. Les Anglois & les Francois furent ou maffacrés ou chaffés. Mais le danger paslé, ils retonrnerent la plupart a leurs habitations, oü 1'Efpagne, occupée de foins plus importants, ne les inquiéteit plus. Q  t42 PRÉCIS de l'HISTOIRE Al-oR-s ils fe tournerent vers les Caraïbes, contre lesqucls ces deux nations firent d'abord caufe commune. A la fin elles convinrent, en 1660, fur les poffeffions que les événements variés de la guerre leur avoient affurées. Cet aéte étoit accompagné d'une ligue offenfive & défcnfive; pour forcer les naturels du pais a accéder a cet arrangement, ce que la crainte leur fit faire la même année. Cette conventicn affura aux Francois la Guadeioupe, la Martinique, la Grenade & quelques autres propriétés moins importantes; & aux Anglois la Barbade , Nicves , Antigoa , Montfcrrat & plufieurs ifles de peu de valeur. Saint - Chriftophe refta en commun aux deux puilfances.. Les Caraïbes furent concentrés a la Dominique & a Saint - Vincent, oü tous les membres épars de cette nation, dont le nombre ne sfélevok pas au-deffus de fix mille hommes , fe réunirent. Cette convention fut encore 1'époque de la profpéilté.des colonies Angloifes, & la décadence des colonies Frangoifes: c'eft que celles-ci gémiflbient fous des privileges exclufifs. Les colons Francois, paffionnés pour la liberté, fe réfugierent a la cóte feptentrionale de Saint -Domincrue , qui depuis longtemps fervoit d'afyle aux avanturiers de leur nation. On les nommoit boucaniers, paree qu'a la maniere des fauvages, ils faifoient fécher, a la famée, dans des lieux appelles boucans, les viandes, dont ils fe nourriflbient. Comme ils étoient fans fera-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 243 mes, ils avoient pris 1'habitude de s'affccicr deux 3 deux. Leurs biens étoient en comniun; ils demcuroient toujours a celui qui furvivoit a fon compagnon. Leurs nfiges étoient ceux des anciens Gaulois. Ils vuidoient leurs qucrelles a coups de fufil. Une cbemife tcinte du fang des animaux qu'ils tunient a la chalfe; un calecon encore plus fale fait eu u.blier de braffeur; pour ceinture'une courroie , oü pendoient un fabre fort court & quelques couteaux; un chapcau fans autrc bord qu'un bout abattn fur lc devant; des 4bulicrs, fans bas; tel étoit 1'habi dement de ces barbares. Leur ambition fe bornoit a avóir un fufil qui portat des balles d'une oncc, & une meute de vingt-cinq ou trente chiens. Leur vie fe palï'oit a faire la guerre aux bceufs fiuvages. Les mcillcurcs parties de ces animaux, affaifonnées avec. du piment & du jus d'orange, étoient la nourriture ordinaire des boucaniers, qui avoient oublié 1'ufage du pain, & qui étoient réduits a l'eau pour boiffon. t)n raffembloit les cuirs des bceufs, pour les vendre & des niAigateurs étrangers. Ces cuirs étoient portés dans les radés par des engagés, cfpece d'hommes qui fe vendoient cn Europe, pour fervir comme efclaves pendant trois ans dans les colonies. lis connoisfoient peu les inrirmités. Le climat étoit le feul ennenii qu'ils euffent a craindre, depuis que la colonie I.fpagnolc n'étoit plus rien. ÜESESPEK.É3 par des hoftilités non - later* rompucs de la part des boucaniers, les Efpagnols fout vcnir des Troupes, qui furprennent ces barba.-  344 PRÉCIS de L'HISTOIRE res en petit nombre dans leurs courfes, ou pendant 1» nuit dans leurs cabanes. Tous ces avanturiers auroient fucceffivement péri, s'ils ne fe fuffent attroupés pour fe défendre. Alors le carnage devint affreux; tout fut immoié aleur fureur, fans diftinetion d'slge ni de fexe. Pour y mettre une fin, les Efpagnols s'avifent de détruire eux-mémes les besiiaux. Dès ce moment les boucaniers fe virent obligés de fe fixer; la France leur donna un gouverneur & des compagnes , tirées des femmes connues par leurs dtbauches. Mais ceux-la ne furent pas fcandoliiés de leurs mceurs paflees; ils s'aifurerent de leur chafteté a veuir par des menaces. L'a xgleterre, vers ce temps en guerre vee 1'Efpagne, s'emp'are après des échecs réitérés de 1'ifle de la Jamaïque, foumife aux Efpagnols depuis 1509- Avant cette époque des corfaires Francois & Anglois, ü célebres depuis fous le nom de iiibuiliers, avoient chailé les Efpagnols de la petite ifle de la Tortue, fituée a deux lieues de celle de St. Domingue, s'y étoient fortinés, & avoient coura avec une audace extréme fur 1'ennemi coraraun. Ils formoient entre eux de petites fociétés de cinquante, de cent, de cect ciuqaante hommes. Ene barque plus ou moii grande, c'étoit-la toute leur force navale. A peine pouvoit-on s'y coucher, & rien n'y mettoit a l'abri des ardeurs d'un climat brulant, des pluies qui tombent en torrents dans ces parages. Souvent on y manquoit les premiers foutiens de la vie. Mais a la vue d'un navire tant de êalamités étoient «ubliés. De quelque grandeur qu'il fut, les fiibus*  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 245 tiers alloient fans délibérer a l'abordage. Dès que le grapin étoit une fois jetté, c'étoit un vaiffau enlevé. Leurs courfes étoient priucipalement deltinéescontre les Efpagnols. Leurs cruautés contre les Américains, & la douleur de fe voir par eux interdire dans le nouveau-monde & la chaffe & la pêche, qu'ils croyoient avec raifon de droit naturel, affcrmirent ces corfaires dans leur haine cc dans leur intrépidité. Les batimcnts retournants en Efpagne chargés des richeüés de FAmcrique, tentoient principalement leur aviuité. Lorsque la prife étoit riche , 1'Efpagnol, glacé de terreur a leur vue, obtint fa vie; dans 1'autre cas 1'équipage étoit fouvent jetté a la mer. Ces forbans fe font diftingués par nombre d'aéfions les plus héroïques , dcnt lc récit ferme tout un volume. II ne nous eft permis dans ce Précis d'en citer plus que deux traits, qui laiffent entrevoir le refie. Pierre l, e g r an d n'a fur un bateau que quatre canons & vingt-huit hommes. Sa foiblefie ne 1'empêche pas d'attaquer le vice-amiral des galions. II 1'aborde, après avoir donné fes ordres pour faire couler a fond fon batiment ; éc il étonne fi fort les Efpagnols par fon audace , qu'il oblige le capitaine, auquel il met le piftolct a la gorge, de fe rendre. Le Basque, Jonqué & Laureut de Graaf croifent devant Carthagêne avec trois petits & mauvais navires. On fait fortir du port deux vaiffeaux de guerre, pour les combattre, & les amener vifs ou morts. L'efpoir des Efpagnols efi fi bien trompé, qu'ils font faits prifonnjers eux-mêmejs, Q3  245 PRÉCIS de l'HISTOIRE Lorsq u'i d s avoient fait un butin confidérable , les Francois alloient a Sahit-Domingue, & les Anglois a la Jamaïque. Tous juroient qu'ils n'avoient rien détourné du pillage. Si qaelqu'iin fut convaincu de parjure , ce qui étoit trés rare, il étoit abandonné comme infame fur quelque cóte déferte. Les premières distributions étoient pour les rautilés. Le refte étoit partagé en lots égaux parmi tout 1'éqnipage. Lorfque celui-ci étoit bien content de fon commandant, il lui acco'rda jufqu'a trois lots. Le propriétaire du navire tira un tiers du butin. Tout ce partage fe fit" avec une exacte probité. Enfuite Ie jeu, le vin, les femmes,toutes les débauches,toutes les profufions poifibles , abforboient dans peu de temps des richeffes immenfes. La mer revoyoit fans habits,fans vivres, abfolument ruines,des hommes qu'eile venoit d'enrichir de plufieurs millions. La guerre du prince d'Orange divifi les deux nations ; elle entraina la féparation des flibustiers Francois & Anglois; les hcureux elforts de 1'un cc flfc 1'autre gouvernement, pour atracher ces hommes a 1'agriculture, la fageife qu'on eut de fixer les plus acc.édités d'entre eux, en leur confiant des poftes civils ou miütaires, Pimpofiibilité de remplacer ces hommes extraordinaires, toutes ces caufes cc cent autres fe réunirent pour anéantir la focié'-é la plus fir.guliere, qui ait jamais exifté, & qui doit fon origine au dégout de 1'efclavage des gouvernements Européens, a celui d'une vie monotone, au dein1 des richefles & a la haine contre les Efpagnols.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 247 L'E ue.opb fatiguée depuis un demi - fiécle des haüteurs, de 1'ambition, de la tyrannie de Louis XIV, réunit fes forces pour empêcher 1'accroifiement d'une puiffance déja trop redoutable , & qui Ie feroit devenue trop par 1'acquifition dc la couronne d'Efpagne. La guerre pour la fucceffioa donna un afcendant fingulier aux enncmis dc la France ; elle fut remarquable par des viéfcoires également glorieufes & utiles. Bientöt il ne refta aux deux couronnes ni forces, ni réputation. Ni la France ni 1'Efpagne n'avoient plus de marine; leurs poffeffions dans 1'Amériqüe étoient fans défenfe. Celles des Efpagnols, les plus riches, auroient dü tenter la cupidité des Anglois" & des Hollandois; eiles s'offroient comme une proye auffi facile qu'importante. L'Espagne n'en devoit la confervation qu'a 1a rivalité des nations, avec lefquclles elle étoit cn guerre. La pacification d'Utreclit fut, dans les Antiiies, fuivie d'une grande profpérité. Les colonies que *es Européens y ont établies, ont befoin, pour flettrir, d'une communication füre & facile avec 1'Afrique, avec les cótcs feptentrionalcs du NouveauMonde & furtout avec 1'Europe. La Jmaïque avoit furtout fleuri par le commerce intcrlope avec les poffeffions Efpagnolcs en Amérique, qu'une longue habitude avoit fait regarder comme licite. L'Efpagne, devenue plus éclairée 'fur fes intéréts , voulut mettre fin a cette communication. Mais au lieu de fe bonter » empêcher ce commerce ftauduieux, Q4  =4S PRÉCIS de l'HISTOIRE on arrêta, fous prétexte de contrebande, des navires qui avoient une def.inaüon légitime. Ces hoftilités furent fuivies , en 1739 , d'une guerre ouverte. El de fut commencée dc la part des Anglois avec la plus grande fupériorité. Elle avoit un grand nombre de matelots & d'officiers erpérimentés; fes arfenaux regorgeoient dc munitions navalcs & fes chantiers étoient fournis de tout. Cette fupériorité ne laiffa pas d'être inutile a F Angleterre, par 1'irréfoludou du miniftre Walpole, qui étoit alors a la tcte de fes affaires. Mais on n'en fut pas «plus tranquille. dans 1'Amérique Efpagnole. Inutilemelit la cour de Verfailles joignit fes forces navalcs a celles de 1'Efpagne. Hctucufement pour les deux nations, la mort de Pempereur Charles VI avoit aUumé cn Europe une guerre vive, qui, pour des intéiêts tics équivoques, y retenoit les forces Britanniques. La paix d'Aix-la-Chap»e!le laiila les chofes dans le même état, oü elles avoient été avant la guerre. En 1755, la culture des colonies Francoifcs, dont la rapidité étonnoit tous les efprits attentifs, ré* veilk la jaloufie des Anglois. Ceux-ci, après avoir diliknulé quelque temps , cominenaerent les hoftilités, fins les faire précédcr d'aucune de ces formalités, qui font en ufage chez les peuples civilifés. lis fe féliciterent d'une inlaade, contre laquelle toutes les voix de 1'Europe s'élevoient avec indignation. Cependant la France, quoique furprife,, fut viéïoricufe dans ie Canada, rempurta fut mer^ uu $vantage cos-»  PHILOSOPHIQUE ces DEUX INDES. 249 fidérablc, conquit Minorque, menaga Londres même. Les Francois ébfyuis de quelques fuccès , qui ne décidoient de rien, s'engagerent trop dans les trqubles, qui commeucoicnt a divifer 1'Allemagne. Les Anglois, qui du découragement avoient paffé a lafureur, mirent a la tête du cabinet G. Piet, doué d'un caraétere entreprenant & ferme, d'une paffion pour les grandes chofes, d'une éloquence fóre d'entrainer. Son adminiftration ne fut qu'une chaise de conquêtes» Depuis le commencement des hoftilités, toute communication fut interrompue entre les colonies Francoifes & leur métropole. C'étoit beaucoup que lecolon, qui manquoit de tout, n'appellat un libérateur, un enncmi, qui pouvoit mettre fin a fes calamités. En 1759, dix vaiffeaux de ligne , des galiotes a bombes, des frégates, cinq mille hommes de débarquement fe préfentent devant laGuadeloupe. Mais ce ne fut qu'après deux échecs, que les Anglois parvinrent a foumettre, a des conditiems trés houorables , 1'ifle entiere. Cette conquête fut fuivie de celle de la Martiuique La Grenade & les autres ifles du vent, ou Francoifes, ou, quoique neutres, peuplées de Francois,ne firent pas acheter leur foamïffion d'un coup de canon. Saint-Domingue courut le plus grand rifque de fitbir le même fort. . L'Espagne , en changeant de maitrc, fortit de fon indolence. Elle échoui dans le deffeia d'éteindre le flambéau de la guerre, dans laquelle elle fe vit bieatot engagée elle-même. Cet événement entraiuajla perte de Cuba, , le pivot de la grwdear Efpagnole q 5  C50 PRÉCIS be l'HISTOIRE dans ie Xouveau-Monde. Cet échec rendit la paix égalemeut néceffaire a la cour de Verfailles & a celle de Madrid. Le minifiere Anglois, qui n'étoit plus dirigé par le grand Pitt, voulut bien 1'accorder. Les cours de Madrid & de Verfaüles céderent a celle de Londres tout ce qu'elles avoient poffédé depuis la riviere de Saint-Laurent jufqu'au fieuve de Mimffipi. La France abandonna de plus la Grenade & Tabago; elle confentit auffi que les Angluis gardaffent les isles réputées neutres de Saint-Vineent & de la Dominique, pourvu qu'eile put, de fon cöté, s'approprier Sainte - Lucie. A ces conditions, le vainqueur reftitua aux deux couronnes allléeS, toutes les conquêtes qu'il avoit fakes fur elles en Amérique. Dés ce moment il perdit une óccafion, qui ne xeviendra peut-être jamais, de s'emparer des portes & des fources de toutes les richeffes du XoaveauMonde. II tenoit le Mexique par le golfe, dont il avoit feul 1'entrée. Un fi beau continent tomboit de lid-même dans fes mr.ins. On pouvoit 1'attirer ou par les offres d'une dépendance plus douce, ou par 1'efpérance de la liberté, inviter & les Efpagnols & les Indiens a fecouer le joug d'un gouvernement foible & tyraaaique. Un pareil événement eut changc de face & FAmérique & 1'Angleterre & 1'Europc!  PIULOSOPHIQUE de5 DEUX INDES. 251' CHAPITRE XI. L' A f r. i Q u e. Les Européens y vont acheter des cultïvateurs pour les Antiiies. Manierz dont fe fait ce commerce. Produblions dües aux travaux des efclaves. IC/ a découverte de PAmérique a été la föttrce des horreurs fans nombre, qui out défolé le NouveauMondé. Ces horreurs ont depuis enfanté de nouvelles atrocités. L'avarice & la luperftition ayant dépeuplé PAmérique, on fe vit obligé d'aller chcrchcr én Afrique des mains, pour la culture des terres, dont les Européens ne pouvoient, fous un cicl brüfcrat", fouffrir les travaux pénibles. Alors on vit Phomme acheté & vendu par Phomme! L'AfïtiQüB eft une région immenfe, qui ne Pent a la terre que par une langue de terre de vingt lieues , qu'on nomme Pifthme dc Suez; licn phyfiqud h barrière politique, que la mer doit rompre tötou tard, par cette pente qu'eile a de faire des golfes & des détroits \ 1'ÖHent. Cette prefqu'iffe, coupée par Péquateur en deux parties inégales, forme un triangie irrégulier, dont un des cótés regarde POrient, Pautre le Nord & le troificme POccident. Le cóté êriental, qui s'étend depuis Suez jufqu'auprcs da  PRÉCIS di l'HISTOIRE cap de Bonne-Efpérance, eft baigné par la me» Rouge & 1'Océan. L'intérieur du pays eft peu con» nu: & ce qu'ou en fcait,ne peut intéreffer, ni 1'avidité du négociant, ni la curiofité du voyageur, ni l'humanité du philofophe. Les milhonnaires, qui ont péuétré dans ces pays , en ont abandonni les hommes a leur légéreté & a leur pertidie. Les cótes ne font le plus fouvent que des rochers affreux, un amas de fable brulant & aride. Celles qui font fmceptibles de quelque culture , font partagées catre les naturel» du pays, les Arabes, les Portugais & les Hollandois. Leur commerce, qui ne confifte qu'en dn peu d'ivoire ou d'or èc en quelques cfcLves, eft lié avec celui des Indes Ori L e cóté Septeiitrional, qui va depuis 1'ilthmc de Su.z jufqu'an détroit de Gibraltar, eft borné paria Méditerranée. II a neuf cents lieues de cótes occupées par une rc'gion connue depuis plulïeurs fiecles , fous le nom de Barbarie, & par 1'Egypte qui géniit fous le joug de 1'Empire Ottoman. Cette grande province eft bornéc a 1'Eft par la mer Rouge; au Stut par la Nubie; a 1'Oueft par les déferts de Barca ou par la Lybie; au Nord par la Méditerranée. Sa longueur du Sud au Nord eft d'environ deux cents douJte lieues. Un baac de rochers cc une chaine de Montagnes, qui fuivent a peu prés. Ia même direction, ne lui laiffent que fix ou fept lieues de large jufqn'au Caire. Depuis cette capitale jufqu'a la mer le pays décrit un triangle, dont ia bafe eft decent lieues. Ce triapgleen embraffe m autre, ctlcbre fotts Ie nom  PHlLOSÖPHlQUE des DEUX INDES. 15-5 de Delta, & formé par deux bras du Nil, qui vont fe jetter dans la Méditerranée, 1'une a une lieue da Rozette, & 1'autre a deux de Damiette. Le climat de cette région embrafée eft générale-' ment fain. La feule infirmité particuliere a 1'Egypte eft la perte de la vue. Son fol eft trés fertiie, quoique rien n'y foit plus rare que des fources. Cette fertilité eft düe aux inondations du Nil. Les terres font divifées en trois claffes. On regarde comme la première, celle qui forme les Vakoupsr ou le domaine des mofquées. Celles de la feconde clalfe font 1'appanage des officiers miiitaires & civils; elles font arrofées de fueurs des ferfs. Les autres font le bien des fimples citoyens, qui les font labourer par des fernüers intelligents & actifs. Cellesci font les mieux cultivées. De ces terres le tiers eft généralement en friche. On y compte cinq ou fix millions d'habitants. Les plus nombreux font les Coptes, qui tirent leur origine des anciens Egyptiens, auxquels ils reflérabient affez. Les uns fuivent 1'alcoran, les autres 1'évangile. Hs s'occupent de 1'agriculttire & des arts. Après lesCoptes,la race la plus multipliée eft celle des Arabes. Ils vivent tous dans* le plus grand opprobre. On difpofe arbitrairemeut de, leurs biens & de leur vie; & ces aétes d'injuftice ou. de cruauté n'ont jamais provoqué Ia vengeance da gouvernement. Le refte de la population eft formé par des Turcs, des Jaifs , des Arméniens, des hommes de divers pays, de fecpes diverfes. Ces étrangers, furtout le« Maiumelucs, iaifieat wement ua  ?54 PRÉCIS de l'HISTOIRE poftérité nombreufe. Inutilement on leur donne poUf compagnes les plus belles femmes de la Circaffie & de la Géorgie. Inutilement on les fait vivre les uns & les autres dans une abondance qui éloigne le befoin & qui prévient toute inquiétude. II ne fort prefque point d'enfants de ces liaifons fi bien. affortics, & le peu qui en naiffent, meurcnt dans 1'année. Le gouvernement de PEcypte ne reffemble a aucun autre. L'autorité réfide^dans les Mamelucs. Cette dynaftic finguliere eft compofée de dix ou douze mille efclaves, amenés dans leur jeuncffc de Géorgie ou de Circaffie. Affranchis un peu plus töt,un peu plus tard, ils moiitent de grade en grade jufqurad plus haut, celui de bey. Ceux-ci commandent aux vingt-quatre provinccs du royaume. Es font rarement plus de feize ou de dix-fept, parcecue les plus hardis d'entre èux ont plufieurs gouvernements, & que quelques foibles diftriéts de la haute Egypte font confiés, de temps immémorial, a des cheiks Arabes. Le bey de la capitale prend ordinairement de 1'empire audeffus les autres beys. Les Mamelucs, tous pleins de vigueur & de courage, forment différentes troupes de cavalerie, qui difpofent prefque généralement de Pinfanterie Turque, qui eft trés efféminée, ayant perdu tout Pefprit militaire. Les divers tributs levés par le grand-feigneur dans ce pays, montent communement a dix millions de livres, & ii cn paffe rarement plus du quart h Conftantinople. Une adminiftration vicieufe dépouille journellement & les gens en place, & le roifitaire & les citoyens. Le pays fe foutient par un  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. *g$ commerce tres avantageux, pour lequel il a plu* fieurs débouchés, dont les principaux font ceux d'Alexandrie & de Damnette, Scpt a huit cents batimcns Turcs, Barbaresques & Chrétiens arrivent annuellement en Egypte. On cvalue leurs cargaifons réunies a 22,500,000 liv. Elles font compofées de draps, dc dorures , d'étoffes de foye, de fer, de plomb , d'étain, de papier, de cochenille, de quincailleries, de verroterie. Onyregoit en échange'du riz , du café , du fafran, dc fivoire, des gommes, dui coton, du féné, de la caffe , du fil filé & du fel ammoniac. La valcur de ces diverfes denrées mon» te ordinairement a 45,000,000 de liv. La fiüfon la plus favorable pour la nagivation d'Europe en Egypt , a laquelle on employé cent batiments, eft 1'été. Mais 1'Egypte ne fortira jamais de fa pauvreté, nonobftant fes richeffes naturelles, tant qu'une administration fage n'aura remplacé fon anarchie. L a Lybie, contrée immenfe, ne commenea d'étre connue qu'a 1'arrivée des Carthaginois, qu'on fcait s'être fixés dans les environs de Tunis. L'histoire , quoique tres remarquable, des révolutions des cet état, feroit déplacée dans ce précis, dans lequel lc rédaéteur doit paffer rapidement fur tout ca qui s'éloigne de fon but principal, 1'hiftoire des établiffements & du commerce des Européens dam les deux Indes. Les états qui divifent la Lybie, ont une efpece d'ariftocratie. Le chef, qui fous le nom de dey les conduit, efi élu par la milicc, qui eft toujours Turque &kqui eft la feule nobleüe daas ie pays.  PRÉCIS ft* l'HISTOIRE • L'État de Tripoli a deux Cents trente lieues °de cótes.- On en pourroit décupler la population. L'intérieur du pays n'eft qu'un défert. La républiquc peut avoir un revenu de i, ooo, ooo liv. fondé fur les palmiers, fur les puits de la campagne, fur les douanes & fur la monnoye. La caravane de Maroc s'y rend, en allant a la Mecque & en revenant de ce lieü révéré par les Mufulmans : mais comme le nombre des pélérins a fenliblcment diminué, cc paflage n'eft plus fi utile, & lc commerce qu'on faifoit autrefois par terre eft réduit a rien, ou a peu de chofes. Celui de mer eft un peu plus confidérable. II n'v a que les Tofcans & les Vénitiens qui ont des rélations fuivics avec Tripoli. Sa capitale, qui por, te le même nom, eft fituée fur le bord de la mer. Ses forces marines , qui étoient autrefois renommées, font entierenicnt tombées. La marine de Tunis eft dans lc même cas, depuis . qïie la valeur des prifes ne couvre pas les frais de 1'armement. Cet état a une armee de treize mille .JtqmXnes» dont la cavalerie compofe plus que la moitié. Son revenu eft le plus confidérable de toutes les püiffances de 1'Afrique Septentrionale; il s'élcvc a 18,000,000 de liv. Cet accroiflement des fipances eft dü a une meilleure adminiftration, qu'un prince .Maure y a introduite depuis peu. Toutes les nations font admifes a fon commerce, & ce font les •Francois qui profitent le plus de cette permiffion. II eft principalement concentré dans fa capitale, qui donne fon nom a toute cette répubiique. Située dans  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 257 dans des marais infects, elle compte cent cinquante mille habitants. A 1'Oueft de Tunis eft la répubüque d'Ahrer, dont les terres intérieures, terminées par le défert de Sahara, comme toutes celles de la Barbarie, ont plrfs de largeur, de population & de culture qu'on ne le croit communément. On y voit peu de villes. La plupart font fur les cótes , dont Pétendue eft de cent vingt lieues. Le revenu public n'eft pas proportionné aux richeffes dc cet état; c'eft qu'il paffe par des mains infideles. Sa milice, qui devoit étre de douzc mille hommes, mais qui n'eft jamais complete , eft compofée uniquement de Turcs. Les premiers officiers de 1'état font choifis dans ce corps puilfant. Vingt mille hommes de cavalerie font compofés de Maures. II dépend du gouvernement de difpofer d'un plus grand nombre de troupes. A ces forces de terre, celles de mer ne font point proportionnées. Elles font formées de dix-fept batiments, parmi lefquels il n'y a qu'un feul vaiffeau de cinquante canons. II y a fept ou huit ports, oü les navigateurs puilfent aborder. Algcr en eft la capitale. Elle s'éleve en amphithéatre fur le penchant d'une collinc, qui eft couronnée par la citadelle. Son territoire eft affez bien cultivé. Les Francois font le principal commerce, a Alger; toutefois leurs ventes ne furpafient pas 200,000 liv. ni leurs achats 600,000. L'immense contrcedu Maroc, eft aujourd'hui gouvernée par un feul defpote, dont les forces de li  258 PRÉCIS de l'HISTOIRE terre ni dc mer ne font gueres ïmpofimtes. Le revenu public eft peu de chofe dans un pays ruiné, mais les dépenfes y font encore moindres. Ce qu'on peut épargner va groffir un tréfor immenfe, trés ancieanenemt formé des dépouilles de 1'Efpagne, & toujours aecru par une longue fuite de fouverains, plus ou moins crucls, qui comptoient 1'or pour tout, Sc pour rien le bonheur des peuples. La foif de 1'or efi la palïion univcrfelle de ce peuple. On va le chercher dans la haute Guinée. Pour y arriver on a befoin de parcourir un efpa'ce de cinq cents lieues. Les ports du Maroc font fcrmés h plufieurs nations. L'Angleterre, la Hollande, la Tofcane, dont les navires y font admis, n'en profitent guere. Les ventes annuelles n'y paffent pas quatre cents mille francs, ni les achats douze cents mille. Sur. ces cótes 011 trouve encore plufieurs petits états, Tetuan, 1'Arrache, Salé, Safy, Sainte-Croix: il fuflit de les nommer. Dü ces.peuples 1'occupation favorite a été longtemps la piraterie. II ne tient qtt'aux puiffances maritimes reünies de finir leurs injuftices. Ce n'eft que . leur jaloufie mutuelle, qui met un obftacle a une révolution auffi fouhaitable pour les nations commercantes, que pour les habitants de 1'Afrique même, qu'on contraindroit, par ce changement falutaire, de s'appliquer a 1'agriculture & a vivre d'une induftrie honnête. Sur. cette cóte, qui s'étend depuis le détroit de Gibraltar jufqu'au cap de Bonne-Efpérancé, les ha-  PI-IILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 259 bitants • ónt tous, paffe le Niger, la tête- oblongue; le nez largc , écrafd, épaté; de groffes levres; une chevclure crepue, comme la lainè des moutons. Ils naifi'ent blancs., & n'ont d'abord de brunque le tour des ongles, que le ccrclc des yeux, avec une petite tache fornlce- aux extrémitcs des partics naturelles.' Vers le huitieme jout après leur naiffance, l'3s cr.'ants commencent a changer de couleur ; leur rêau bi-unit; enfin elle devient noire , mais d'un noir ttfrne, fale, prefque livide, qui, avec le temps, devient vif & hfifant. Toutes les parties inte'rieurcs ont la même couleur que celles des blancs. La différence la plus marquée entre les uns & les autres, c'eft que les noirs ont la peau plus échaufiëe & comme huüeafe, lc farrg noiratre, la bile trés foncce, le pouls plus i vil", une fueur qui répand une odeur fo'rte & désagréable, une tranfpiration qui noircit louvent les corps qui la recoivent. Ces peuples font dans l'ufhge de fe cifeler le vifage & la poitrine, & de marqueter letfr peau de diverfes couleurs, afin de fe reconnoitre dc loin. Une fubftance muqüeufe qui forme uncefpece 'de rézeau entre 1'épiderme & la peau, qui eft blanche dans les Européens, brune chez les peuples o'.ivatrcs , parfemée. de taches rougeatres chez les peuples blonds ou roux, efi noiratre chez les ncgres, & forme leur coloris. Le dcfk d'expliqaer cette fingularité, a enfanté- nombre de fyftêmes ,. lés uns plus abfurdes que les autres. LcS théologiens' mêmes ttftfi font mêlés. Le plus railbnaable' C'eft d'en chercher la raifon dans le 'climat, R 2  2ó*o PRÉCIS de l'HISTOIRE 1'air, l'eau, les alinients de la Guinee. Cette explication gagne une nouvelle force par le changement, qui arrivé a ce coloris , lorfqu'on tranfplante les negres. Dans la Guinée on ne connoït que deux faifons. La plus füne & la plus agréable commence en Avril & finit en Octobre. Dans le refte de 1'afinée les chaleurs font vives, & feroient peut-être infupportables, fins les pluies qui fe fuccedent trés rapidement. L'art n'eft jamais venu au fecours de la nature», pour faire écouler ces eaux trop abondantes. Elles s'amalfent dans des marais, qui infeétent PairLes vents & les courants ont a peu-prés Ia même direction depuis Avril jufqu'en Novembre. Au fud de la Ügne , le vent regne fud-eft & la direétion des courants eft vers le nord: au nord de la ligue , le vent regne a 1'eft, & la direction des courants eft vers le nord-eft. Ces directipns varient par des orages fréquents, le refte de 1'année. Les petits états, qui forment la Guinée, font gouvernés par des chefs éleétifs; il n'y a qu'un petit nombre de royaumes qui aient des chefs héréditaires. Les habitants de ce pays ne connoiffent ni la politique ni Part de la guerre. Xul gouvernement n'a des troupes a fa folde. Tous prennent les armes pour couvrir leurs frontieres, on pour aller chercher du butin. L'armée marche, & le plus fouvent les hoftilités commencées le matin, font terminées le foir. Une infulte faite dans une cérémonie, un vol furtif ou violent, le rapt d'une fille, voila les fu-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 261 jets ordinaires de leurs troubles. Des le lendemam de la bataille, le rachat des prifonniers fe fait de part & d'autre. On les éehange avec des marchandifes ou avec des efclaves. Jamais on ne céde aucune portion du territoire. Une raifon qui y empêche 1'asferviffement des petits états par les grands, c'eft que ces peuples n'attachent aucune idee a la gloire des conquêtes. La religion chrétiennc & la religion mahom«tane femblent tcnir par les deux bouts la partie de 1'Afrique Occidentale, frcquentée par les Europééns ; mais des cultes différents les ont déftgurées. Les cótes placées au centre, ont confervé des fuperfütions locales, dont Porigine doit être fort ancienné. Elles confiftent dans le culte de cette foule ïnnornbrable de divinités , que chacun fe fait a fa mode & pour fon ufage; dans la foi aux augures, aux épreuves du feu & de l'eau bouillante & la vertu des gris-gris. L e pays eft généralement mal peuple. II eft rare de trouver des habitations qu'auprès des rivieres, des lacs & des fontaines. Ces habitations ne portent pas 1'empreinte de la civililation. La conftruétion de leurs maifons eft trés défcétueufe. L'ameublement eft digne de 1'habitation; il fe réduit a quelques paniers, a quelques pots de terre, a quelques uftcnfiles de calebaffe. Si le pauvre ne couchoit fur une natte faite dans le pays, & le riche fur un tapis arrivé d'Europe, tout feroit femblablc. La nourriture eft aulfi la même. Du riz, du manioc , du maïs, des ignames ou des patates, felon la qualité du terrein; R 3  sÖ2 PRÉCIS de l'EÏISTOIRE des fruits fauvages; du vin de paimiér; du gibier & du poiflbn y que chaeun fe procure a fa volonté: tels font ies vivres qui, fans cn excepter les efclaves, font communs a tous. Une ccinture placée au-deffus des reins, & que nous nommons pagne, tient lieu de tout vêtement aux deux fexes. Des grains de verre, qu'on leur apporte & qu'on leur vend fort cher, forment la parure de la plupart des femmes, & flu petit nombre d'hommes qui cherehent a fe faire remarquer. Le talent du charpentier fe réduit a élever des cabanes. Le forgeron n'a qu'un très-pétit marteau & des enclumes de bois, pour mettre en ceuvre le peu de fer qui lui vient d'Europe. Le potier fait quelques vafes groffiers d'argile, & des pipes a fumer. Une herbe qui vient fans culture, procure au tifferand la toifon, dont il fait, fur fes genoux & fans métier, des pagnes. Ils féparent, au moyen d'un grand feu, le fel de l'eau de la mer. Ces travaux occupent ordinairement les efclaves. Les hommes libres paffent la vie dans 1'oifiveté. Ils ne fortent de cette inertie que pour aller a la onaffe óu a la pêche. L'agriculture, regardée comme le plus vil des travaux, efi 1'occupation des femmes. Dans tous ces pays la polygamie elf autorifée. Les garcons ne confultent que leurs goüts , dans le choix de leurs femmes. A 1'exccption des cótes, oü nos brigandages ont formé des brigands , il regne partout une grande iudifférence pour les richeffes. "Rarement les plus figes même fongent-ils au jour qui doit fuivre; aufli fhofmtalité eft-éïïe la vertu  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDE5. a6$ de tous. Celui qui ne partageroit pas avec fes voifins, fes parents & fes amis,ce qu'il rapporteroit de la chaffe ou de la pêche, s'attireroit le mépris public. Lc reproche d'avarice eft au-deffus de tous les reproches. On le fait aux Européens, qui ne donnent rien pour rien, en les appellant des maïns fermées. Sur les bords du Niger les femmes font toutes belles, fi ce n'eft pas la couleur, mais la juftefle des proportions qui fait la beauté. Modeftes, tendres & fidclcs, un air d'innocence regne dans leurs regards, & leur langage fe fent de leur timidité. Les hommes ont une taille avantageufe & une coutenance noble. On ne connoit point de domeltiqucs plus attentifs, plusfobres, & d'un attachement qui tienne plus de la paffion. La couleur & la beauté des Africains dégénerent en allant vers 1'eft. Ceux-ci ne font propres qu'au commerce. Dans les pays connus fous le nom de la cóte d'Or, les peuples ont la peau unie & d'un noir fombre, les dents belles, la taille moyenne, mais affez bien prife, la contenance fiere. Leur phyfionomie, quoiqu' affez agréable, le feroit beaucoup davantage, fans Pufage oü font les femmes de fe cicatrifcr le vifage, & les hommes de fe brüler le front. Une métempfyeofe qui leur eft particuliere, fait la bafe de leur croyance: ils penfent que dans quelque lieu qu'ils aillent, ou qu'on les tranfporte, ils doivent, apres leur mort, foit qu'ils fc la donnent, ou qu'ils Pattendent, revenir chez eux. Cette conviétion fait leur bonheur, parcequ'ils regardent leur patrie comme le plus délicieux féjour de JU  £6*4 PRÉCIS de l'HISTOIRE Punivers. Une erréur fi douce fert h.lcs rendre hujnains. Les étrangers qui fe fixent dans ce climat, y font traités avec des égards portés jufqu'au refpecl, dans la perfuafion oü l'on eft qu'ils viennent y recevoir la récompenfe de leurs bonnes mceurs. Ce peuple a une difpofition a la gaieté qu'on ne remarque pas dans les nations voifines, du goüt pour le travail, une équité inaltérable, ec une grande facilité a fe faconner aux manieres étrangeres. II tient davantage aux coutumes de fon commerce, qu'il n'a changées que depuis peu. Les peuples 'fitués entre la ligne & le Zaire ont moins de dignité. Du Zaire a la riviere Coanza, on remarque un mélange confus de pratiqucs Européennes, qui ne fe voit pas ailleurs. Ce changement eft dü aux efforts des Portugais, pour convertir ces nations. II importe de remarquer que tout ceci n'eft applicable qu'a cette claflè d'hommes, qui, dans tous Jes pays, décide du caractere d'une nation. En Guinée le commerce n'a jamais pu faire une grande révolution dans les mceurs. 11 fe bornoit autrefois a quelques échanges de fel & de poilTon féché, que confommoient les nations éloignées de la mer. Elles donnoient en retour des pieces d'étoffe fakes d'un fil, qui n'eft autre chofe qu'une fubftance iigncufe, collée fous 1'écorce d'un arbre particulier a ces climats. L'air la durcit & la rend propre a toute forte de tifiure. On en fait des bonnets, des efpeces d'écharpes, des tabliers pour la ceinturc, ^pnt la forme varie felon la mode que chaque nati&C  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. s% a adoptée. Les premiers Européens qui fréquentoient lés cótes occidentales dc 1'Afrique, donnercnt de la valeur a la cire, a 1'ivoire, aux gommes, aux bois de teinture, qui avoient eu iufqu'alors affez peu dc prix. On livroit auffi a leurs navigateurs quelques foibles parties d'or , que des caravanes parties des états Barbarefques enlevoient auparavant. II vint de Bambouk, fitué dans 1'intérieur des terres. Ce riche métal y eft fi commun , qu'on en peut prefque ramaffer indiffércmment partout, en raclant feulement la fuperhcie »d'une terre argilleufe, légere & mêlée de fable. La mine n'eft fouillée qu'a la profondeur de quelques pieds, & jamais plus loin, quoiqu'on ait rcmarqué qu'eile devenoit plus abondante, a mefure qu'on creufoit davantage. Les peuples fout trop pareffeux pour fuivre un travai' qui deviendroit toujours plus fatigant, & trop ignorants pour remédier aux inconvénients que cette méthode entraineroit. Leur négligence & leur ineptie font pouffées fi loin , qu'en levant 1'or pour le détacher de la terre, ils n'en confervent que les plus groffes parties. Les moindres s'en vont avec l'eau qui s'écoule par un plan incliné. Ces mines ne font exploitécs que lorfque les feigneurs, dans des befoins publics, en accordent la permiffion. Le travail fmi, on en fait le partage. La moitié dc 1'or revient au feigneur, le refte eft partagé parnii les travailleurs. Plufieurs Européens chercherent autrefois a pénétrcr dans un pays qui contient tant de tréfors, pour en devenir les poffeffeursj mais ces tentatives ont été infruétueufes. R-5  a55 PRÉCIS de l'HISTOIRE II, paroit qu'on a maintenant perdu 1'or de vue , pour s'occuper uniquément du commerce des efclaves. La proprié'té que quelques hommes out acquife les uns fur les autres dans la Guinee, eft d'une ori- . gine tres ancienne, d'un ufage prefque géncralement recu. Cependant nul propriétaire n'a droit de vendre un homme né dans 1'état de fervitude. 11 peut difpcfer feulement des efclaves qu'il acquiert, foit a la guerre oü tout prifonnier eft efclave a moins d'échange , foit a titre d'amcnde pour quelque tort qu'on lui aura fait, foit enfin qu'il les ait recus en témoignage de reconnaiffance. Cette loi, qui femble être flüte en faveur de 1'cfclave né, pour le faire jouir de fa familie & de fon pays , eft infuffifante , depuis que les Européens ont établi le luxe fur les cótes d'^frique. Elle fe trouve éludée tous les jours , par les querelles concertges que fc font deux propriétaires, poür être enndamnés'tour a'tour, 1'un cnvers 1'autrc, a une amende qui fe paye en efclaves nés, & dont la difpofition de vient libre par 1'autorifation de la loi. Alors on' a Vu les fouverains multiplier les guerres pour faire des esclaves. Ils ont établi 1'ufage de punir par 1'efclavage , non feulement ceux qui avoient attenté a la vie ou a la propriété des citoyens, mais ceux qui fe trouvoient hors d'état de payer leurs dettes & ceux qui avoient trahi la foi conjugale. Cette peine eft devenue, avec le temps, celle des fautes les plus légeres. On n'a ceffé d'accumuler les défenfes , même des chofes indifférentes, pour accumulcr les revenus avec  PHILOSOPHIQUB dés DEUX INDES. 267 les tranJgrefllons. II fe trouve des chefs qui vont enlcver auteur des villages tont ce qui s'y rencontre. Ön jetté les enfants dans des fats; on met un baiilon aux hommes 'h aux femmes pour étouffer leurs cris. Si les raviffeurs font arrétés par une fórce fupérieure, ils fout conduits au fouyerain, qui défavoue toujours la commifïïon qu'il adonnéc, & qui, fous prétexte de rendre la jüftice', vend fur le champ fes agents aux vaiffeaux, avec lefqucls il a traité. On fe voit de jour en jour moins en état de fournir aux demandes , que les marchands leur font d'cfelavcs. Oepuis vingt ans cet épuifement en a fait prefque quadrupler le prix. On les paye, en plus grande partie, avec des marchandifes des Indes Orientalcs, qui ont doublé dg valeur cn Europe. II faut donner en Afrique le doublé de ces marchandtfes. Ainfi les colonies d'Amériqpe, oü fe conclüt le- dernier marché des noirs, font obligées de fupportcr ces diverfes augmentations , & par conféquent de payer quatre fois plus qu'.efics ne payoient autrefois. Cependant lc propriétaire Africain rec^it beaucoup moins dc marchandifes, en payement dc fon cfclave, paree que les frais ont augmenté, par Péloignement ou il fe trouve. Ce commerce ceffera dés que les coions, obligés, pour fe dédommager, dc vendre leurs produólions a un prix exceffif, n'en trouveront plus d'acheteurs. Cc période eft moins éloigné qu'on ne le penfe. Les marchands d'hommes s'afTocient entre eux, & formant 4es efpeces de caravanes, ils conduifent  s<58 PRÉCIS de l'HISTOIRE dans 1'cfpacc de deux ou trois cents lieues, plufieurs files de trente ou quarante efclaves, tous chargés de l'eau & des grains néceffaires, pour fubfifter dans les déferts arides que l'on travcrfe. La maniere de s'en affurer, fins trop gêner leur marche, eft ingéïiieufcment imaginée. On paffe dans le col de chaque efclave une fqurche de bois dc huit a neuf pieds de long. Une cheville de fer rivéc, ferme la fourche par derrière, de maniere que la téte ne puiffe pas paffer.' La queue dc la fourche, dont le bois eft fort pefant, tombe fur le devaut, & embarraffe tellement celui qui y efi: attaché, que, qtiajqu'il ait les bras & les jambes libres, il ne peut ni marcher ni lever la fourche. Pour fe mettre en marche, on range les efclaves fur une même ligne; on appuie & on attaché 1'extfémité de chaque fourche fur 1'épaule de celui qui précede, & ainli de 1*un a 1'autre jufqu'au premier, dont 1'extrémité de la fourche eft portée par un des conducteurs. Les efclaves arrivent toujours en grand nombre, furtout lorfqu'ils viennent des contrées rcculécs. Cet arrangement eft néceffaire pour diminuer les frais, qu'il faut faire pour les conduire. On évite les obftacles qui arrêtent ceux qui voyagent dans 1'intérieur de 1'Afrique, lorfqu'on s'y prend depuis Février jufqu'en Septembre. La traite des Européens fc fait au nord & au fud de la ligne. La'première cóte commence au cap blanc, oü font tout prés Arguin & Portendic, que les Hollandois ont poffédés longtemps, & d'oü Louis XIV les chaffa, en 1678. Eu 1763 le miniftere Bri-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 269 tannique, qui avoit exigé le facrifice du Niger, voulut que ces poffeffions en fuffcnt une dépendance. Le Niger efi un fleuve confidérable. II porte aujourd'hui plus communément le nom dc Sénégal. Quelques géographes lui donnent un cours de huit cents lieues. Depuis Juin jusqu'en Novembre il eft navigable dans un cours de trois cents vingt lieues. Les cargaifons qu'on en exporté, confiftent dans des gommes & douze ou quinze cents efclaves.- De pu i's la pacification de 1763, les Francois font réduits a la cóte qui commence au cap Blanc & qui fe termine a la riviere de Gambie. Leurs comptoirs de Joal, de Portudal & d'Albeda, bien qu'ils! jouiffent d'un commerce exclufif, leur ont a-peine fourni aunuellement trois ou quatre cents efclaves. De ces divers établiflcments la petite ifle de Gorée efi le chef-lieu. Les Anglois poffedent encore, fur la riviere de Gambie, le fort James. Ils y traitent annucllement trois mille efclaves, arrivés, la plupart ,• comme au Sénégal, des terres intérieures & trés éloignées. L e petit Archipel des ifles du 'cap Verd, fut découvert par les Portugais en 1449. De ces ifles Sant-Yago eft la principale. Quoiqu'il put donnet toutes les produétions du Nouveau - Monde, il nourrit, a peinc, le peu de noirs, la plupart libres, échappés a quatre fiecles dc tyrannie. Mais on les livra a une affociation qui feule avoit le droit de pourvoir a leurs befoins, qui feule avoit le droit d'acheter ce qu'ils avoient a vendre. Dans ces parages  270 PRÉCIS de a'HISTOIRE on rencontre éncore plufieurs petits établilfements, qu'on a dans cet abrégé la permiffion de pafier fous filence. Les Anglois out formé auffi depuis peu un établiifemcnt au cap Apollonie , oü la traite des .efclaves eft confidérable: mais ils n'y ont pas encore pbtenu un commerce exclufif. ,• Apr*lis ce cap commence la cóte d'Qr^j elle finit a la riviere de Volte. Son étendue efi de cent trente lieues. Comme ie pays eft divifé en un grand nombre de petits états, ci que leurs habitants font les hommes les plus robufies de la Guinee, les comptoirs des nations commercantcs de 1'Europe y ent été exeeffivement multipliés. Cinq font aux Danois '■> douze ou treize, dont Saint-George de la Mina eft lc principal, appariiennent aux Hollandois; & les Anglois cn ont formé ou conqtüs. neuf ou dix," qui reconnoifiént pour chef le cap Corfe. Les Francois tenterent de s'y ctablir en 1749: mais 1'ambition & Pavidité des Anglois traverfa leurs vues, .quoique approuvécs par les naturels du pays. Le peu dümportancc d'une vingtaine dc petits établifièments, que Mr. 1'Abbé ;Raynal ne fait que toucher légerement, m'cngage a les palfer fous filenae, & le lcéteur n'en aura point de regret. Dans les premiers temps qui fuivirent la dccouverte de PAmérique, la population de 1'Afrique étoit plus grande , & le bcfoin d'efclaves moins fort. Celle-la a diminué fenfiblemcnt. On arrache a la Guinée quatre-vingts mille efclaves par an, dont un •huitieme périt dans la traverféc. Leur prix a aug-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. a7ï Ineïité fuccefiivement , furtout depuis qumze ans. On les paye a préfent depuis 580 jufqu'a 460 livres par tète. Ceux du nord font plus laborieux & plus intelligents que ceux du fud; toutefois ccux-ci font payés plus che:s, puisque ces dernieres cótes font plus faciles a aborder. Ainfi lc plus horrible des; fiicrifices eft payé a 1'Afrique, un peu plus un peu moins, 41,759,333 liv. par an. Le mareband d'efclaves ne recoit pas cette fommc enticre. Les impóts établis par les fouverains des ports, oü fe fait la traite , en abforbent une partie. Un agent du gouvernement, chargé de maintenir 1'ordre, a auffi fes droits. II eft, entre le vendeur & 1'acheteur, des intermédiaires, dont le miniftere eft devenu plus cher, a mefure que la concurrence des; Européens a augmenté, & que le nombre des noirs eft diminué. Ces dépenfes, étrangeres au commerce, ne font pas cxaétcment les mêmcs dans tous les marchés: mais elles n'éprouvent pas des variations importantcs, & elles font partout trop confidérables. Ce n'eft pas avec des métaux qu'on paye, mais avec nos produdtions & nos marchandifes. A 1'exception des Portugais, toutes les nations donnent a peu prés les mêmcs valeurs. Ce font des firbres, des fufils, de ia poudre a. canon, du fer, de l'eau de vie, des quincaillcries , des tap is , de la verroterie, des étoftcs dc laine, furtout des toiles des Indes Orientales, ou celles que 1'Europe fabrique & peint fur leur modele. Les peuples du nord ont adoptó pour monnoie un petit coquillage blanc, que nous leur appor-  272 PRÉCIS de l'HÏSTOIRE tons des Maldives. Au fud de la ligne le commerce des Européens a de moins cet objet d'échange. On y fabrique, pour figne de valeur, une petite piece d'étoffe de paille,de dix-huit pouces de long fur douze de large., qui repréfente cinq de nos fols. Les nations Européennes ont cru qu'il étoit dans Putilité de leur commerce d'avoir des établiffemeuts dans l'Afidque Occidentale. Les Portugais qui, felon 1'opinion commune, y étoient arrivés les premiers, firent longtemps fans concurrence le commerce des efclaves, paree que feuls ils avoient formé des cultures en Amérique. Des circonftances malheureufes les foumirent a 1'Efpagne , & ils furent attaqués dans toutes les parties du monde par ie Hollandois, qui avoit brifé les fers fous lesquels il gémiffoit. Les nouveaux républicains triompherent, fms de grands efforts, d'un peuple affervi; mais moins facilement ailleurs qu'en Guinée, ou l'on n'avoit préparé aucun moyen de défenfe. Auffitöt que Lisbonne eut recouyré fon indépendance , elle voulut reconquérir les poffeffions, dont on i'avoit dépouillée, dürant fon efclavage. Les fuccès qu'eile eut dans le Bréfil, enhardirent fes navigateurs a tourner leurs voiles vers 1'Afrique , oii ils réuflirent a foumettre a fes loix 1'empire du vafte pays d'Angola Celui-ci & quelques petites ifles, font les foiblcs débris qui font reftés a la cour de Lisbonne de la domination qu'eile avoit établie , & qui s'étendoit depuis Ceuta jufqu'a la mer Rouge. La  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 273 La jouiffance d'une fi riche .dépouillc fut aba.ndonnéc par la république a la compagnie des lades Óccidentalcs, avec toutes les prééniinences de la foijvcraincté. L'cntrcticn des forts, qu'eile a conftrtuts dans ces parages, luicoüte annuellement aGo,oco flprins. Les directeurs des différents comptoirs peuvent achctcr des efclaves, en donnant 44 liv. par tête a la fociété, dont ils dépendent; mais ils fout ob'igés de les vendre en Afrique même, & la loi leur défend.de les cnvoyer pour leur compte dans le Nouveau - Monde. Tout fujet de la république a la permiffion dc naviguer dans ces parages, cn payant a la compagnie 46 liv. '14 fols pour chacun des tönncaux que contiennent leurs navires, & trois pour cent de toutes les marchandifes , qu'ils rapporteur de PAmérique en Europe. Le nombre des navires occupés dans ces affaires, s'élcvoit autrefois chaque annéc k vingt-cinq ou trente, qui traitoient fix ou fept mille efclaves.- Cc nombre a fort diminué, depuis que Ia. baiffe du café a mis les colonies hors d'état de payer ces cargaifons. C'eft la piovince de Zélande qui s'occupe principalement de ce tralie-. La navigation & le commerce dans ces parages, autrefois affujettis par 1'Angleterre a des privileges exclufifs, font ouverts -fanp frais a tous les navigateurs Anglois; & c'eft le fifc qui s'eft chargé lui-même des dépenfes de la fouveraineté. Après la paix de 1763, la Grande -Brctagne a envoyé affez réguliercment, tous les ans aux cótes de Guinée 195 navires, formant enfcmble vingt-trois mille tonncaux, &mon.S  274 PRÉCIS de l'HISTOIRE tés de fept ou huit mille hommes. Liverpol en a expédié un peu plus de la moitié; le refte eft parti de Londrcs, de Briftol & de Lancafter. Ils ont traité quarante mille efclaves. La plus grande partie a été vendue aux ifles Angloifes des Indes Occidentales & dans PAmérique Septentrionale. Cc qui n'a pas trouvé un débouché dans ces marchés, a été introduit cn fraude, ou publiquemcnt, dans les colonies des autres nations. Ce commerce n'a pas été cou-? duit fur des principes uniformes. La partie de la cóte qui commence au -cap Blanc & qui finït au cap Rouge, fut mifc, cn 1765, fous Pinfpection immédiate du minifterc. Depuis cette époque, les dépenfes civilcs & militaires de cet établiffement ont monté a 4,050,000 liv. Trois députés dc Londres, trois de Briftol & trois de Liverpol forment un comité, qui doit prendre foin des loges répandues depuis lc cap Rouge jufqu'a la ligne. Sur le refte de 1'Afrique Occidentale il n'y a point de comptoir Anglois. Chaque armateur a la liberté d'y faire fes opérations felon fes vues. La France a établi de temps en temps quelques comptoirs dans ces parages, qui n'ont jamais joui de quelque éclat. Le commerce des Danois, dans ces contrées, a été longtems conduit par une compagnie exclufive. En 1754, il fut ouvert a tous les citoyens, a condition qu'ils payeroient 12 liv. au fifc, pour chaque negre, qu'ils introduiroient dans les ifles Danoifes du Nouveau - Monde. Ils y achetent annuellement  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 275 cinq cents efclaves. Chrifliansbourg & Frédcricsbourg font les feuls coraptoirs un peu fortifiés, les autres ne font que de iiniples loges. Le gouvernement y entrctient foixantc - deux hommes, dont la de'penfe montc a 51,160 liv. Si les magalins étoient convenablemcnt approvifionnés , il feroit facile de traitcr tous les ans deux mille efclaves. L'Espagne 1x5ut fucceffivement fes efclaves des Génois, des Portugais, des Francois & des AagloiS. Pour fortir dc cette dépendance, elle s'eft fait céder, dans les traités de 1777 & 1778, par la cour dc Lisbonne, les ifles d'Anobon & de Fernando del Po, toutes deux fituées trés-pres de la ligne. Cependant, que le miniftere Efpagnol nc croic pas qu'il fuffife d'avoir quelques poffcflions en Guinéc , pour fc procurer des efclaves. L'utilité de tous ces établiflémcnts fe perd avec 1'épuifcmcnt des objets de cc commerce abominable. On n'a pas affez de larmes pour en déplorer 1'liorrcur! & ces larmes font inujales ! La difficulté de fe procurer des efclaves fait qu'on n'y emploie que de petits batiments. Pour abreger cette navigation, rendue dangereufe par un climat mal-fain, il faut avoir égard -a la marche des navires, & a la faifon la plus convenable a ce voyage : paree que, dans ces parages, on nc trouve les vents & les courants favorables, que depuis le commcnccmcnt de Scptembre jufqu'a la fin de Novcmbrc. Des maladies, furtout la petite vérole, enlcvent un grand nombre de negres. Dans lc trajet les AnS 2  a7 teint a tout age , mais plus particuliercment dans Peiifance & dans la jeuneife. Les vieillards ont rare* ment des forces fuffifantes pour réfiftcr aux longs & violents traitements qu'il exigc. On compte quatre fortos de pian: le boutoimé, grand & peut comme la petite - verole ; celui qui reffemblc a la IcntuV 1q' & enfin le rouge, le plus dangercux dc tous. H attaque toutes les parties du corps, lc viiage prin* cipalenient. II fe manifefte par des taches rouges & grainelécs comme la framboife. Ces taches dégéne* rent en ulceres fordides, & le mal finit par gagner les os. En général, il y a peu de fcnfibilité. II donne un éloignement prefque invincible pour tout mouvement, fans leque! 011 ne peut cependant efpérer 'de guérifon. Tous les negres venus dc Guinee, ou nés aux ifles, hommes & femmes, ont le pian une fois dans leur vie. Mais il eft fans exemple qu'aucun d'cux en ait été attaqué dc nouveau, lorfqu'il avoit été guéri radicalemcnt. Les Européens ne prennent jamais ou prefque jamais cette maladie, malgré lc commerce fréquent, on peut dire. journalier, qufils ont avec les negreffes. Celles-ci nourriffent les enfants blancs, & ne leur donnent point Ie piam S4  sSo PRÉCIS de i/HISTOIRE La population des noirs répandus aujourd'hui dansles colonies Européennes du Nouveau - Monde , fc tóduit a quatorze ou quinze cents mille; c'eft le refte infortuné de huit ou neuf millions d'efclaves. II convient de développer la fource d'une deftruétion! auffi horrible. Ceux qui vont aeheter les noirs fur des cótes barbares; ceux qui les menent en Amérique; ceux furtout qui dirigent leur induftrie, fe croient obligés par état, fouvent même pour leur proprefurcté, d'opprimer ces malheureux. Mais les cultivateurs dcvoiont faire attenfion, que pour rendre l'.felavage utile , il faut du moins le rendre dóux; que la fofce _ ne prévient pas les révoltes de Pame; qu'il eft .derintérêt du maitre que 1'efclave aime a vivre, & qu'il n'en faut plus rien attendre, dés qu'il ne craint plus de motirir. Alors ils fe rendroient a la néeefiïtj de les loger, de les nourrir convenablement. P-ar dégrés , ils arriveroient a cette modération politique, qtti confifte a épargner les travaux, a mitiger les peiues , a rendre a Phomme une partie de fes-droits, pour' en ïetiref'plus furement le tribut des devoirs qu'on lui impofe. Cette fiige économie ponferveroit un grand nombre d'efclaves, que 1'oppreflion, les maiadies caufées par le chagrin ou Pennui cnleveut ank colonies. II feroit même faeile de diftiper en eux toute idéé de mélancolie, en favorifant leur pasfion pour la mufique, a laquelle leurs organes lont exedhvement fenfibles. Au-lied de laiffcr vivre les - duns ie célibat, il conviendroit, pour en fair©  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 2&te accroitre la population,. d'en favorifer les mariages. Les cultivateurs qui en naïtroient, feroient préférablcs . a des efclaves vendus, expatriés & toujours forcés. Cette réforme deviendroit aifée par une loi , qui obiigeroit les navigateurs de compofer leurs cargaifons d'un nombre égal d'hommes & de femmes: & il y a dc 1'apparcncc, que les plaifirs de. 1'amour leur feroient oublier la rigueur de leur fort. Le fol des ifles de PAmérique a tres peu dc rapport ayee lc nötre. Ses produelioiis font trés différentes, ainfi que la maniere de les cultivcr. A 1'exception de quelques graines potagcres , on n'y enfemence rien; tout s'y plante. pour labourer les terres , on s'eft fervi fucceffivement du grattoir, de la houe cc de la charruc: & il eft vraifémblahle, que cc.tte derniere méthode deviendra générale partout, oü elle fera praticablc. II n'eft rien qui ne porte k le delirer & a 1'efpérer. Quelle qu'ait été la ferti'ité dc ces terres dans leur origine, elles' 1; perdent avec le temps. C'eft aux labours & a dc. labours fréquents a prévenir leur épuifement tatit. C'eft la faifon humide qu'il faut choifir pour les lemmer. Cette pratique détruiroit auffi les infeöes, qui fout lc liéau de ces contrées. Elle amencroit encore Pufage desengrais, déja connu fur-la plupart des cótes. Celui qu'o'n employé fe nomme Varech. C'c'j uue plat te marlie, qui, au temps dc fa maturité fe dét. chant des eaux, eft portee au rivagc par 1 mouvement des ondes. II cit un grand principe d fécondité: mais e.nplo, é fans préparation, il con s5  282 PRÉCIS be l'HISTOIRE muöique au fucre une apreté défagréable. C'eft un défaut que Pexpérience nous apprendra le mieux a corrigcr. Les terres intérieurcs n'ont commence que depuis peu a être fumées. Le fol de PAmérique recevra avec le temps les mêmes fecours que le fol de 1'Europe. Mais faute de troupeaux, il faudra recourir a. d'autres" engrais. La plus grande reffource fera toujours dans les mauvaifes herbcs, dont il faut débarralfer continuellcmcnt les phmtcs utilcs. Cette méthode eft déja mife cnvogue par les colons, qui cultivent le café. Tous les quadrupedes domeftiques ont été portés en Amérique par les Efpagnols: c'eft de leurs :olonies que les autres nations Europécnnes les ont irés. A 1'exception du cochon, qui eft devcnu plus Tand éc d'un meilleur goüt, ces animaux ont tous légénéré, & Pon n'en trouve dans les ifles que de tès petites races. Quoique le vicc du climat puiüe aoir quelque part a cette dégradation, le défaut de fon en eft peut-être la principale caufe. Les chevaix y ont beaucoup d'ardeur, mais peu de force. On eft réduit a les multiplier beaucoup, pour en tirc: le fervice qu'un petit nombre rendroit en Eu•ope. II faut en atteler trois ou quatre aux voitures :xtrêmcment légeres, dont les habitants aifés fe fer•ent pour des courfes, qu'ils appellent des voyages, c qui ne feroient chez nous que des promenades, •n auroit empêché, retardé, ou diminué la dégradatm des animaux aux itles, fi Pon eut eu 1'attentioii o les renouveller par des races étrangeres. En-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 283 vain a-t-on tenté de fuppléer le 'manque ou la foiblcfle des.chevaux par le chameau.; il. auroit été plus utilc de fubftituer le bceuf a bolle au bccuf commun. Tous les ;gcns inllruits doivcnt n) rappeller que le premier a lc poil plus doux & plus luftré, lc naturel moins lourd, moins brut que notre bccuf, & une intelHgence, une decilitc fort füpérieurcs. II eft léger a la courfe, & ilpeut fuppléer auckcval, puisqu'on le montc, II fe plait.autant dansles contrées méridionales, que celui dont nous nous fervons, •aime les zones froides ou tempérées. On pourroit peut-être rctircr encore plus d'avantage du bufflc, puifqu'il furpaffc prodigicufement, en 'force & cn ' vitefie , le bceuf même. I Deux buffles enchainés a un. chaniot, au moycn d'un anneau qu'on leur paffe dans le nez, trainent autant que quatre beeufs les pftts vigpureux, & en moitié moins de temps. L'indolcnce & la routine qui out empêché la propagatièn des animaux domeftiques, n'ont pas moins arrèté le fuccès de la transplantation de nos arbres fruitiers. Ceux qui n'onf pas péri, font des efpeces dc fauvageons, dont les fruits nc font ni beaux, ni bons. ' Si nos plantes potageres y ont réüffi, c'eft qu'ellcs n'avoient pas a .lutter contre le climat, ou elles rencontroient ur.e terre gralfc & humide, c'eft qu'elles exigeoient peu de foin. Avant 1'arrivée des Européens & des Africains aux ifles , croiffoient, au milieu des forèts, la patate & 1'igname. Ces plantes affez multipliées par la nature feule pour la fubfiftancc d'un petit nombre de  aS4 PRÉCIS -de L'HISTOIRE fauvages, durent être cultivées lorsqu'il Mat nourrir une population plus nombreufe. C'étoit le premier objet de leurs foins. On leur affocia d'autres plantes tirées du pays même des nouveaux confommateurs. L'Afrique a fourni aux ifles Parbufte d'Angola, dont les gouffes renferment une cfpece de pois trés faine & tres nourriffante. Cependant le manioc fut pour elles un préfent bien plus préeieux. Cette plante eft originaire dePAfrique, quoiqu'en difent certains hiftoriens. Le manioc eft un arbufte qui s'éleve un peu plus que la hauteur de Phomme. Sontronc, a peu prés gros comme lc bras, eft d'un bois mou éc caffant. II n'y a d'utile dans la plante, que fa racine qui eft tubereufe & qui acquiert au bout de huit mois ,ou plus , la groifeur d'une belle ravc. On en diftingue plufieurs variétés, qui adherent par leur volume , leur couleur Sc le temps qu'files mettent a murir. Cette plante eft délicate; la culture en eft pénible: le voifinage de toute herbe 1'incommode; il lui faut un terrein fee Sc léger. Lorsque les racincs ont atteint la grofleur & la maturité qu'elles doivent avoir, on les arrache Sc on leur fait fubir différentes préparations, pour les rendre propres a la nourriture des hommes. II faut ratisfer leur première peau, les laver, les raper, & les mettre a la preffc, .pour en extraire le^fuc regardé comme un poifun trés aétif. La cuiffon acheve d'ea faire évaporer le refte de toute humidité. . La racirie de manioc rapce, 6c réduite en petits grains par JU cuiffon, s'appelle faiiae de maiLc. On denne  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 285 lc nom de caffave 3 la pate de manioc , changée en gateau par la feule attention de la faire cuire, fims la remuer. L'une & 1'autre fe confervent longtemps & font trés nourriffantes, mais d'une digeftion un peu difficile. II fe trouve un grand nombre de blancs aux ifles, qui les preferent au meilleur froment. Plufieurs nations Européennes, occupées a tourner Paétivité entiere de leurs efclaves vers les productions qui entrcnt dans le commerce, négligent les cultures, dont il faut nourrir les negres. Elles tirent leurs provifions dc TAmérique Septentrionale. Une avidité fans bornes ferme les yeux des colons infulaires fur une dépendance auffi dangereufe. On a parlé dans ce précis de 1'indigo, de Ia cochenille, & du cacao. II nous refte aétuellement de décrire lc rocou, le coton, le café, le fucre. L e rocou eft une teinture rouge , nommée par les Efpagnols ackiote, dans laquelle on plonge les laines blanches, qu'on veut teindre de quelque cou-* leur que ce foit. L'arbre qui le donne, eft auffi haut & plus touffu que le prunier. Chacun de fes bouquets contient huit ou dix gouffes, dont il fuffit qu'une s'ouvre d'elle-méme, pour qu'on les puiffe cueillir toutes. On en détache les graines, qui font mifes auffitót dans degrandes atiges, remplies d'eau. Lorsquc la fermentation commence, les graines font remuées fortement avec de grandes fpatules de bois, jusqu'a cc que le rocou en foit entierement détaché.' On verfe enfuite le tout dans des cribles de jonc,qui retiennent ce qu'il y a de folide, & laiffent ccouler  tM PRÉCIS de l'HISTOIRE dans des' chaudieres de fer une liqueur épaiffie^ rougeatre & fétidc. A mefure qu'eile bout, on la recueille dans de grandes balTines. Quand elle n'en fournit plus, on la jette comme inutile, & Pon remet dans ia chaudicre 1'écume qu'on en a.tirée; Cette écume - qu'on fait bouillir pendant dix ou douze heures , doit être continuellcmcnt remuée avec une fpatulc de bois, pour qu'eile nc s'attache pas ii la chaudiere & ne noirciffe point. Lorsqu'elle eft cuite fuffifamment & un peu durcie, on la met fur des planehes, ou elle fe refroidit. On la divife enfuite cn pains de deux ou trois livres , & toutes les prépara* tions font terminées. L e coton demande un fol fec & pierrcux. Un terrein qui eft déja familiarifé par la culture, lui convient lc mieux. On lc feme au printemps. On fait des trotis a fept ou huit pieds de diftance les uns des autres, & l'on y jette un nombre indéterminé de 'graines. Lorsqu'eiles font levées, jusqu'a la hauteur de cinq ou fix pouces, toutes les^tiges font arrachécs, k 1'exccption dc deux ou trois des plus vigoureufes. Celles-ci font'étêtées deux fois, avant la fin d'Aoüt. Cette précaution eft d'autant plus néceffaire, qu'il n'y a que le bois, pouffé après la derniére taille,qui potte du fruit, &quefi onlaiffoit mon!er 1'arbufte au-deffuS de quatre pieds , la récolte ferbit moins aifée , fims être plus abondantc. II faut porter une attention trés fuivie a arracher les mauvaifes herbes qui naiffent autour de cet arbufie. La récolte demande un temps fec, pour que lc coton ne  PHÏLOSOPHIQUE des DEUX INDES. 287 foit pas taché ou rougi. Le piftil, placé dans le milieu des ileurs, devient une coque de la groffeur d'un ceuf de pigeon, a trois ou quatre loges. Chaque loge, en s'ouvrant laiffe apperecvoir plufieurs graines arroudies, enveloppées d'une bourre blanche, qui eft lc coton proprement dit. Cette ouverture du fruit indique fa maturité. Lorsque la récolte eft faite, on féparc, par lc moven d'un moulin a coton, le coton de la graine qu'il recouvre. Ce moulin eft une machine compoféc dc deux baguettes de bois dur, qui ont environ dix-huit pieds de long, dixhuit lignes de circonférencc, & des cannelures de deux lignes dc prbfondeur. On les aflujettit par les deux bouts, & il n'y a de diftance entre elles, que celle qui eft néceflaire pour laiffer paffer la graine. A hip' des bouts eft une cfpece dc petite meule, qui mife en mouvement par le pied, fait tourner les deux baguettes en fens contraires. * Elles prennent le coton qui leur eft préfenté, & en font fortir, par 1'impulfion qu'cllcs ont recue, la graine qu'il ren» ferme. L e cafier eft originaire de 1'Arabie, il en a fait longtemps la principale richeife. Toutes les tentatives des Européens pour lc transplanter furent inutiles , jusqu'a ce qu'on l'eut porté a -Batavia, & enfuite a 1'ifle de Bourbon & a Surinam. Cet arbre ne profpere que fous un climat, oü 1'hivcr ne fe fait pas fentir. Les fleurs renferment un piftil, qui devient une baie d'abord verte, puisrougeatre, de la groffeur d'une petite cerifc, remplie  288 PRÉCIS de l'HISTOIRE de detix noyauxou feves de fubftance dure & co-m* me cornée. Ces noyaux convexcs a Pcxtérieur , ap* .platis & filloimés du cöté par lequel ils fe touchent, donncnt, lorsqu'ils ont été rötis & mis en poudre , une infufion fort agréable, propre a éqarter le fommeil, & dont Pufage, ancien dans 1'Afie., s'ell répifndu infenfiblement dans la plus grande partie du globe. Le meilleur café efi toujours celui d'Arabic: mais PAmérique en fournit infiniment davantage. Les plants du caficr doivcnt être mis dans des trous de .douze ou quinze pouces, & a fix, fept, huit ou neuf pieds dc diftance. Ils s'éleveroient a dix-huit on vingt pieds; mais on les arrcte acinq, pour pouvoir cucillir commodement leur fruit. Ainfi étêtés ils étendent fi bien leurs branches ,qu'elles fe confondent. Le callcr portc des fruits, quelquefois au bout de trois, quelquefois au bout dc fix ans. Tantöt il ne prodait pas une livre de café, & d'autres fois il cn donne jusqu'a trois ou quatre. En quel.ques endroits, il ne dure que douze ou quinze ans, &: cn d'autres vingt-cinq ou trente. Ces variations dépendent fingulieremcnt du fol & du climat. Aujourdhui on ne porte le café au moulin, qu'après avoir été lavé, • qu'après avoir été dépouillé de fa gomme. Ce moulin efi compofé de deux rouleauX de bois, garnis de lames de fer, longs de dix-huit pouces fur dix ou douze de diametre; ils font mo■ bilcs,. & par le mouvement qu'on leur donne, ils s'approchent d'une"troifiemc piccc immobile, qu'on nomm» machoire. Au-deffus des roulcaux efi une trémie  PHlLQSOPHIQuE des DEUX INDES. ago tix'mic, dans laquelle on mot lc café, qui tombant ea»è les rouleaux & la machoire, fe dépouille de fli première peau, & fe divife en dcuxpanies, dont il cd compofé. En fortant dc cette machine , il entre dans un crible dc laiton incliné \ qui laiiïe palfcr la peau du grain a travers fes fils , tandis que le fruit g'iffc & tombe dans des paniers, d'oü il eft transporté dans un vaiffeau plein d'eau, oü on lc lave, après qu'il y a trempé une nuit. Quand Ia récolte eft finiB & bien féchée, on remet le café dans une machine qu'on appelle moulin a piler. C'eft une meute de bois, qu'un mulct ou un cheval fait tourner verticalemcnt autour dc fon pivot. En pasfint fur le café fec , elle en enlevc lc parchemin. On le tire de cc moulin, pour être vanné d'un autre, qu'on appelle moulin a van. Cette machine , armél dc quatre picccs de fer blanc pofées fur un elfieu, eft agitée avec beaucoup de force par un efelave. Enfuite il eft pofte" fur une table , oü les negres en féparent tous les grams oaffés & les ordures. Alors on peut le vendre. La paffion que prit 1'Europe enticre pour cette boiffon, cn fit trop vivcment pousfcr la culture, après la pacification de 1763 ; ce qui ruina les planteurs. L a cannc qui donne le fucre, eft une efpcce de rofcau, qui s'éleve a neuf pieds & quelquefois plus. Son diamct'e le plus ordinaire eft d'un poucc. Elle eft couverte d'une écorce un peu dure, qui renferme une moélle plus ou moins compaéte, remplie o'un fuc doux & visqueux. Des nceuds la coupenf T  29o PRÉCIS j>s l'HISTOIRE par interVaUes, & donnent naiffance aux feuil1.es, qui font longucs, étroites, coupantes fur les bords & ergndnées a leur bafe. Cette plante eft de toute ancienneté cultivée dans quelques contrées de 1'Afie & de 1'Afrique. On la tira de Madere & des Canaries, pour la porter dans le Nouveau-Monde^, oü elle a fi bien profpéré que fi elle en étoit originaire. Un fol léger, poreux & profond eft celui que la nature a deftiné a cette produétion. La méthode générale pour 1'ottenir eft de préparer un grand champ , de hare, a trois pieds de diftance 1'une de 1'autre, des tranchées qui aient dix-huit pouces de long, douze de large, & fix de profondeur; d'y coucher deux, & quelquefois trois boutmes d'environ un pied chacune, tirées de la partie fupérieure de la canne, & de les couvrir légcrement de terre. La tige qui en fort, devient avec le temps canne a fucre. Pendant fix mois, il faut avoir une attention fuivie a la débarraffer des mauvaifes herbes. Alors elle a affez de farce , pour faire périr tout ce qui pourroit nuire a fa fécondité. On ne coupe les cannes qu'au bout de dix-huit mois. H fort de leur fouche des rejettons, qui font coupés a leur tour quinze mois après: mais cette feconde coupe ne donne gueres plus que la moitié du produit de la première coupe. Elles diminuent progreflivement: auffi ne demandc-t-on que deux récoltes de la même canne. La fakon la plus propre a couper les cannes eft dans les mois de Mars & d'Avril. Pour extraire le fuc des cannes coupées ^ ee qui doit fe faire dans vingt-quatre heures, fans  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 291 quoi il s'aigrircit, on les. met entre deux cyliudrcs' de fer ou de cuivre, pofés pcrpendiculairement fur une table immobile. Le mouvement de ces cylindres eft déterminé par une rouc horizontale, que des bceufs ou , des chevaux font tourner. Du réfervoir, pu le fue de la canne ett ree u , il tombe dans une chaudiere, oü l'on fait évaporer les partics dc l'eau les plus faciles a fe détacher. Cette liqueur ell verféc dans une autre chaudiere, oü un feu modéié lui fait jetter £1 première ccumc. Lorsqu'elle a perdu fa glutinofité , on la fait paffcr dans une troiiicme chaudiere, oü elle jette beaucoup plus d'écume a un dégré plus fort dc chaleur. Enfuite on lui donne le dernier dégré dc cuiffon dans une quatricme chaudiere , dont le feu eft a celui de la première comme trois a un. Cette derniere opération conduite comme ilfaut, ie fucre forme des Cryftaux plus ou moins gros, plus ou moins brillants, a raifon de la plus grande ou de la moindre quantité d'huile qui les falih Auffitót que le, fucre eft refroidi, on lc verfe dans des vafes de terre faits cn cónc. La bafe du cöne eft découverte, fon fommet eft percé d'un trou, & l'on fait écoulcr par ce trou 1'cau qui n'a pu fournir des cryftaux. Ceft ce qu'on appelle le fyrop. Après 1'écoulement 011 a du fucre brut. II eft gras, brun & mou. La plupart des nations laiffent a 1'Europe le foin de donner au fucre les autres préparations néceffaires pour en faire ulage. II n'y a que les Francois qui exportent en Europe, du fucre entierement raffïné. La canne fournit, .outre le fucre, des fyT s  202 PRÉCIS 35e l'HISTOIRE rops qui valent le douzieme du prix des fucres. Le fyrop dc meillcure qualité eft celui qui coule d'un premier vafe dans un fecond , lorsqu'on fait le fucre brut. Ce fyrop eft le plus utile, par le fecret qu'on a trouve de»le convertir, en le diftillant, en une eaude-vie que les Anglois appellent rum, & les Francois taffia. Cette opération fe fait, en mêlant un tiers de fyrop avec deux tiers d'eau. Lorsque ces deux fubftances ont fufrifamment fermenté, ce qui arrivé ordinairement au bout de douze ou quinze jours, elles font mifes dans Palambic, oü la diftillation fe fait a Pordinaire. La liqueur qu'on en rctire , eft égale a la quantitc de fyrop qui y a été employée. 11 y a de 1'appareuce que la culture du fucre eft fufceptible d'une perfeétion ultérieure. Si, au lieu de planter les cannes en de grands champs d'une feule piece, on diftribuoit un terrein par divifions de dix toifes , laiffant entre deux divifions plantées une divifion d'intervalle vuide, il en réfulteroit de grands avantages. Alors toutes les cannes parviendroient a un point égal de maturité. Alors on pourroit encore mieux laiffer repofer les portions de terres fatiguées, qui deviendroient par-la plus propres a la reproduétion. Dans une habitation bien conditionnée, deux noirs font plus que fufnfmts, pour exploiter cent pas géométriques en tout fens. Un tel quarré donne communement foixante quintaux de fucre brut, qui rendront pour le produit net d'un arpent & demi de terre 450 livres, déduétion faite de tous frais.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 293 L e climat agit fur tous les êtrcs vivants. Les animaux qui ont été de 1'Europe transplantés cn Amérique, ont tous dégénéré. Si fon influence s'eft moins fait fentir fur Phomme, c'eft qu'il eft plus gouverné par le moral. Attaché a fes habitudes , il a autant que poflible transporté cn Amérique les ufages de 1'Europe. Ceux-ci n'ont pas empêché les nations Européennes & les Indiens de s'allicr enfemblc par lc mariage. Pour empêcher 1'abatarduTcment des efpeces, il faut, dans les hommes, comme dans les animaux, croifer les races. Cette vérité fait voir la raifon du caraélere particulier qu'on obferve dans les Créoles. Ils font, en général, bien faits & trés découplés. Leur teint n'a cependant jamais cet air de vie & de fraichcur, qui tient de plus pres a la beauté que des traits réguliers. Mais cette teintc, plus ou moins foncéc , eft a-peu-pres celle dc nos peuples méridionaux. Les Créoles font hommes de bien, hospitaliers, intrépides. La difhmulation, lesrufes, les foupeons n'entrcnt jamais dans leur ame. L'ardeur de leur imagination les rend têtus & inconftants. Au refte, ils ont une pénétration & une fagacité étonnantes. Les femmes, quoique privées d'un eoloris animé , ont une blanchcur tendre. Elles font fobres, trés fécondes, tres fldelles, mais jaloufes jusqu'a la fureur. Elles ont une grande timidité, qui les embarraffe dans le commerce du monde. L'habitude de vivre avec des efclaves, condamnés a obéir aveuglement aux caprices de leurs maitres, dés leur plus tendre jeunefle, donne aux Créoles cet orgueil, T 3  294 PRÉCIS de l'HISTOIRE qu'on doit haïr en Europe, oü plus d'éeatitd entre les hommes leur apprend a fe rcfpcétcr davantage. Eleyés fans connoitre la peine ni lc travail, ils ne feavent ni furmontcr un obftacle, ni fupporter une contradiétion. C'eft ce caraétcre qui les rend bizarres , fantasques & d'une fociété peu goütéc en Europe. La nature femble avoir deftiné les Américains a plus de bonhcur que les Européens. A 1'exception des fluxions de poitrine & des pleuréfies , on 'nc connoit que peu de maladics aux ifles. La gouttc, la grayelle, la pierre, 1'apoplexie, cent autres fléaux de 1'efpece humainc, n'y font jaftiais le moindrc ravage. II n'y a que lc Tetanos qui affligc les enfants aux ifles, qu'un anéantiffement des forces qui y mine la fanté du beau fexe, qu'une ficvre chaude qui y abrege la vie des hommes; mais ces maux font peucêtfe moins 1'effet du vice du climat que de leurs cxcès. Dans 1'état aéluel des colonies, fur dix hommes qui paffent aux ifles, il meurt quatre Anglois, trois Francois, trois Hollandois, trois Danois & un Efpagnoh Lorsqu'on commenca a fonder des colonies, on s'imagina qu'elles fiuiroient par miner le^s états , d'qü elles étoient forties. C'eft un préjugé dont on eft revenu. L'expérieuce a démontré que ces établhïéments out augmenté le commerce, les manui'aélures, la navigation, la richcifc & la confidération, politique des états qui les ont formés.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 295 CHAPÏTIE XII. EtabliQcmtnts des Efpagnols, des Hollandois O des Danois dans les ifles de L'Amérique. ILYisle que les Efpagnols trouverent d'abord, en arrivant en Amérique , fe nomina la Trinité. Ce ne fut, qu'en 1535, que la cour dc Madrid la fit occupcr. Elle eft placée vis-a-vis de Pembouchure de POrenoque , comme pour ralenür la rapidité du fleuve. On lui donne trois cents dix-huit lieues quarrées; elle n'a jamais effuyé d'ouragan, & fon climat eft fain. L'année eft partagée cn temps de pluie & de féchcreffe. Les trcmblements de terre y font plus fréquents que dangereux. Dans Pintéricur de 1'ifie, font quatre groupes de montagnes qui, avec quel.iucs autres, formées par la nature fur les rives de 1'océan, occupent lc tiers du fol. Le refte eft presque généralement fusceptible des plus riches cultures. Les établïffements Efpagnols fe réduifent au pott d'Efpagne, qui a foixante-dix-huit cabanes couvertes de chaume, & a Saint-Jofeph, placé trois lieues plus loin dans les terres , oü l'on compte quatre-vingts families encore plus miférables. Lc cacao leur donnoit autrefois une foible profpérité ; mais depuis 1727, tous les arbres ayant péri, la Tfiiiiténe fut gueres plus fréquentée que Cubagua. Cette petite ifle découverte & méprifée par Colomb , attira dans la fuite les Efpagnols par fes T 4  20ö PRÉCIS de l'HISTOIRE perles. Après bien de conjectures , on les croit apréfent une fuite d'un defordre dans les huitres. Dans le commencement ces perles trouverent un debit avantageux. Mais cefutlc fuccès d'un moment. Lcgoüt Je ces ornements dimin.ua avec le temps, & le bano fut bientót épuifé. Alors les Efpagnols fe transporterent a la Marguerite. On n'y voit de bourgade que Mon-Padre, défendue par un petit fort. Son fpl feroit fertile, s'il étoit cultivé. Le miniftcre Efpagnol a cherché, il y a quelque temps, d'alléchcr daas ces deux dernicres ifles des nations étrangcres , mais catholiqnes, par 1'appas des grandes conccfiions de tene. 11 n'y a qu'un petit nombre de Francois de la Grenade qui s'y foient transportés. Ces deux ifles font, au refte, habitées par un petit nombre d'Efpagnols, qui vivent dans 1'indolence & dans la fuperflition, & qui gagnent leur vie par un commerce interlope avec fes colonies Francoifes. Des troupeaux domeftiques, devenus avec le temps fauvages, pcuplent les forêts : on les tue a coups dc ftifiL L'isle de Porto-Rico, découverte, cn 140», par Colomb, n'attira 1'attention des Efpagnols qu'en 1509. Cette nouvelle conquête devoit leur couter. Le manccniüier, qui CiCit dans cette ille, fournit un Ihc, dans lequel les fauvages tremperent leurs fieches, pour les cnvénimer. C'eft un poifon qui confervc fa vertu méme au-dela d'un fiécle. De tous les ïieux ou fe trouve cet arbrc funefte, PortoRico eft celui, oü ii fe pkSt le plus, oü il s'eft le  . PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 297 plus multiplié. Toutefois la difcipline militaire des Efpagnols, & les imbécillcs prejugés des fauvages, firent en forte que ceux-la furmonterent ces pe'rils. Ceux-ci finifienl bientötpar fc courber fous le joug. Onles condamne aux mines , oü ils périflent, cn neude temps, dans les travaux de 1'efclava'gc. Porto-Rico , une des mcilleures & des plus faines ifles du NouveauMondc, a trente-fix lieues de long, dix-huit lieues de largeur & cent de circonférencc. Toutes les producrions propres a PAmérique y profperent. Un port fur, des rades commodes, des cótes facilcs fe joignent a tant d'avantagcs, négligés ou oubliés jusqipen 1765 , lorfque lc port de Saint-Jean fut iugé propre par le gouvernement, pour y placer les flofr tes royales. En 1778, Porto-Rico comptoit quatre- vingts mille fix cents ibixante habitants, dont fix mille cinq cents trente feulement étoient efclaves. II comptoit foixantc-dix-fept mille trois cents quatrcvingt- quatre -bêtes a corne; vingt-trois mille cent quatre-vingt quinze chevaux ; quinze cents quinze muiets; quarantc-neuf mille cinquante-huit têtes dc menu bétail. Sur les plantations, qui étoient au nombre de cinq mille fix cents quatre-vingt-un, on récoltoit deux mille fept cents trente fept quintaux de coton; onze taille cent foixante-trois quintaux de café; dix-neuf mille cinq cents dnquantc-fix quintaux de riz; quinze mille deux cents fcize quintaux de maïs; fept mille quatre cents cinquante-huit quintaux de tabac; neuf mille huit cents foixante quintaux de mclaiïe. Dans les paturages, dont on comptoit T5  t98 PRÉCIS de l'HISTOIRE deux cents trente-quatre, la reproduétion annuelle étoit de onze mille trois cents'1 foixante-quatre bceufs; de quatre mille trois cents trente - quatre cheva.ix; de neuf cents cinquante - deux muiets; de trente-un mille deux-cents cinquante - quatre têtes dc menu bétail. Tout cela eft bien peu de chofe. On efpere que tout va changer par un nouvel arrangement, qui accorde le droit de propriété a tous ceux qui avoient autrefois des terres en ufufruit. Mais ce plan n'aura poiut 1'effet deüré; il foudra accorder la permisfion aux colons de vendre leurs productions a toutes les nations; il faudra affranchir les terres de toute impolition, permettre une exportation cc une importaaon libres de toutes denrées, ouvrir les ports a toutes les nations , déclarer même pour quelque temps Porto-Rico une ifle neutrc. Le même ordre des chofes pourroit s'étcndre a Saint -Domingue. Cette ifle , célébrc dans 1'hiftotre pour avoir été le berceau des Efpagnols dans le Nouveau-Monde, jetta d'abord un grand éclat par fon or. Mais ces richeffes diminuerent avec fes habitants, qu'on forcoit dc les arracher aux entrailles de la terre; elles tarirent enfin entierement, lorfque les ifles voifines ne fournirent plus de qaoi remplacer ces déplorablcs vicihnes de 1'avidité des conquérants. Envain fit-on venir des negres pour le travail des mines; celles-ci avoient perdu leur valeur par la déeouverte des mines plus riohes du continent. On emnloya donc ce; negres a la culture des terres.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 290 L'Efpagnol accoutunié a opprimer los Indiens a-peu-* prés auffi blancs que lui, majkraita ii 1'excès les negres , ravalés encore a fes yeux par le prix qu'ils lui coütoient. II fut néanmoins force , par leurs révoltes, d'avoir plus d'égards. Alors la culture fut poufféc avec une efpece de fuccès, qui cependant ne dura gueres. La découverte des riches contrées de PAmérique entraina de fortes émigrations de Saint - Domingue , dont les habitants mépriferent les pauvres établiifements. L'ifie devenue foible par cette dépopuladon fut en proye aux ravages enncmis. En 1717, on n'y comptoit que dix - huit mille quatre cents habitants Efpagnols, métis, negres ou mulatrcs. Ils vivent dans Pindolence & dans la pauvreté, d'oü le miniftere a cnvain cherché de les retirer. La capitale de l'ifie, jadis célcbre, ne préfente qu'un amas de ruines magnifiques. Le petit nombre d'établiffements Efpagnols de Saint - Domingue méritent par leur peu d'importancc d'être oubliés dans ce précis. L'isle de Cuba, féparée de celle dont nous vcnons dc parler , pourroit fculc valoir un royaume. Elle a deux cents trente lieues de long & depuis quatorze jufqu'a vingt-quatre de large. Aucune de fes rivieres n'eft navigable. Les rades du Nord peuvent recevoir des vaiffeaux de guerre, mais celles du Su'd n'admettent que des vaiffeaux marchands. Cuba fut découvert par Colomb, cn 1492. Diégo de Velasquez viht, en 1511, avec quatre vaiffeaux le conquénr. Les fufils, les canons, ces dicux épouvantables, dc leur bruit foudroyant difperferent Je* fau-  300 PRÉCIS de l'HISTOIRE vages qui vouloient réfifter. Les cruautés des Efpagnols , 1'exploitation des mines & la petite vérole changerent bientót 1'ifle entiere dans un défert. La découverte du canal de Bahama qu'on vit bientót être la feule route convenable pour les vaiffeaux, qui voudroient fe rendre du Mexique en Europe, fit renaitre Cuba, comme de fes cendres. Pour recevoir ces vuiïTeaux on batit la Ilavane. L'utilité de ce port fameux s'étendit depuis aux batiments expédiés de Porto-Belo & de Carthagêne. Tous y rclachoient & s'y -attendoient réciproquement pour arriver enfemble avec plus d'appareil ou dc fiireté dans la métropole. Les dépenfes prodigieufes que faifoient, durant leur féjour, des navigateurs chargés des plus riches tréfors dc Punivcrs, jetterent un argent immenfe dans cette ville, qui elle-même étoit forcée d'en verfer une partie dans les campagnes pius ou moins éloignées, qui la nourriifoient. Envain le gouvernement chercha d'accélérer cette profpérité par une alfociaüon de marchands; 1'infidélité des adminiiirateurs fit échouer ce plan. Un gouverneur qui a le titre de capitainc général, préfide roaintenant a la colonie. Son gouvernement eft fubordonné a 1'audicnce de Saint - Dominique. Un intendant percoit la uixme; elle appartient a la couronne. Cuba eft le fiege dc Pévêque & de fon chapitrc. La colonie compte vingt-trois couvents d'hommes & trois de femmes, dont, felon Pévaluation la plus modérée, les biens fout ellimés 14,509,590 Uv. II y a, depuis 3.728, une univerlité ala Havane; les cm'ants rc^oi-  PHILOSOPfflQUE des DEUX INDES. 3oï vent leur ëdücatión' dans les cloltrcs. Dix - neuf höpit'aüx font répandus dans 1'iflc. Sclon lc dénombrement de 17745 1'iflc de Cuba compte cent foixante & onze mille fix cents vingt-huit perfonnes, dont vingt-huit mille fept cents foixante-fix feulement font efclaves. La population doit être même un peu plus confidérable, paree que la crainte bien fondée de quelque nouvel impöt a dü empêcher 1'exactitude dans les déclarations. On ne trouve gueres d'autres arts dans 1'ifle que ceux de nécelfité première. Ils font entre les mains des mulatrcs ou des noirs libres , & tres imparfaits. La feule menuiferie y a étéportée a un dégré de perfection remarquablc. Les denrées deftinées pour 1'exportation occupent lc plus grand nombre des efclaves. Depuis 1748 jufqu'en 1753, les travaux de ces malheureux ne produifirent chaque année pour la mctropole, que dix - huit mille fept cents cinquante quintaux de tabac, qui valurent en Europe 1,293,570 liv. Cent foixante -treize mille huits cents quintaux de fucre, qui valurent 7,994,786 liv. Quinze cents foixante - neuf cuirs, qui valurent 138,817 liv; & 1,064,505 liv. en or & en argent. Sur cette fomme de 10,491,678 liv. le tabac feul appartenoit au gouvernement; tout le refte étoit pour le commerce. Depuis cette époque les tfavaux ont beaucoup augmenté. Cependant ils ne fe font pas encore tournés vers 1'indigo & vers le coton , quoiqu'ils croiffent naturellement dans 1'ifle. Lorsqu'en 1763, la Floride fut cédée par la cour de Madrid a celle de Londres, les cinq ou fix  3o2 PRÉCIS de i/HISTOIRE cents miférables. qui végetoient dans cette contrée, fe réfiigierent a Cuba, & y porterent quelques abeilles, qui fe roultipiierent avec une célérité, qui nc paroit pas croyable. En 1777, on exporta de Cuba fept mille cent cinquante quintaux & demi de cire. Cette production augmentera encore davantage fous un ciel, fur un fol qui lui font également favorables, d:ns une ifle, oü les ruches donnent quatre récqltes chaque année, & oü les cifaims fe fuccedent fans interruption. Une des produetions les plus ricbes de cette ifle eft le tabac. Lc gouvernement en achete-quarante-fix mille fept cents cinquante quintaux, quilpayc 2,272,050 liv. qui rentrent anniieh» lcment dans Ia colonie. Elle s'enricbiroit encore davantage, s'il ne lui étoit pas défendu d'en planter plus qu'il ne faut au gouvernement pour fes fermes. Maintenant on cherchc a tourncr 1'activitd des colons vers lc fucre; & il y a de 1'apparence que ces tentatives ne feront point infructueufes. Avant 1765, Cuba ne recevoit annuellement que trois ou quatre grauds navires partis de Cadix, & les batiments, après avoir fait leur vente fur les cótes du continent, venoient chercher un chargement, qu'ils n'avoient pas trouvé a Vcra-Crux, a Honduras & a Carthagêne. L'ifie manquoit alors fouvent les chofes les plus néceffaires; & il falloit bien qu'eile les demandat a ceux de fes voilins, avec qiu elle avoit formé'des liaifons interlopcs. Lorfque les gênes ont été diminuées, le nombre des expéditions a multipiié les produdions, qui réciproqueinent ont  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 303 étendu la navigation. En 1774, il arriva d'Efpagne dans la colonie cent & un navires, qui y porterent des farines , des vins, des eaux-de-vie, tout ce qui efi néceffaire a un grand établiffement, & qui en emporterent toutes les denrées qu'un meilleur ordre des chofes avait fait naitre. La même année, Cuba rec,ut fur cent dix-huit petits batiments; de la Louïfnmc, du riz & du bois pour fes caiffes a fucre; du Mexique, des farines, des légumes, du marroquin & du cuivre; des autres parties de ce grand continent, desbeeufs, des muiets, du cacao; de Porto-Rico, deux mille efclaves qu'on y avoit entrepofés. Ces navires étoient obligés de dépofer leurs cargaifons a la Havane , au Port - au - Prince , a Cuba, a la Trinité, les feuls endroits oü l'on avoit établi des douanes. Avant «765, elles- ne rendoient pas 565,963 liv. Leur produit s'éleve maintenant a 1,620,000 liv. que la métropole retire de la colonie, & a 8,1000,000 liv. en métaux, au lieu de 1620,000 liv. qui lui arrivoient autrefois. Les impóts levés a Cuba, ou du moins ceux qui entrent dans les caiffes de 1'état, ne paffent pas 2,430,000 liv, & le gouvernement verfe dans 1'ifle 2,272,050 pour le tabac; 1,350,000 liv. pour Pentretien des fortifications; 2,160,000 liv. pour les garnifons ordinaires, & 3*78o,ooo liv. pour les befoins de la marine. Ce n'eft que depuis 1724 qu'on y conftruit des vaisfeaux de guerre, nonobftant 1'excellence du bois de ccdre, dont la colonie étoit couverte. Depuis cette époque il en eft forti cinquante-huit vaiffeaux  304 PRÉCIS de l'HISTOIRE • ou fregattes. La Havane vient d'être récemmment embellie par des promenades délicieufes & une falie de fpectacle fagement décorée. Le gouvernement s confacré aux fortincations dont la place a été entoufée, depuis 1763 jufqti'en 1777, 22,413,989 liv. iC f. 6 d. Ces om-rages ont été élevés par quatre mille cent quatre-vingt-dix-huit noirs; par quinze cents matiaiteurs, dont PEfpagr.c & le Mexique fefontpurgés; par* les hommes libres qui n'ont pas dédaigné ce travail. Cette dépenfe n'a pas été iuutilc; elle a rendn la Havane imprenable, autant que la nature aidéc par Part y peut parvenir. L'E s p a g x e poflcdc la partie la plus riche de 1'Archipel Américain: mais dans 1'état actuel, ce font de vaftes forêts, oü regne une folitude aft'rcufe. Ces ifles ne fout qu'afforblir la monarchie par les dépenfes qu'abforbe leur confervation. Jufqu'a préfent cet état ne paroit pas bien fentir que les fources de leurs richeffes ne peuvent être que des cultures. Cependant nous touchons vraifcmblablemcnt au moment, oü les prohibitions qui ont gêné Pinduftrie, vont cesfer. Ces conceffions pourroient bien devenir infructueufes par la jaloufie des autres nations , dont les intéréts font oppofés a la profpérité de PEfpagnc. Lorsque les généreux habitants des ProyincesUnics leverent la tète au-deffus de la mer ec de la tyrannic, ils virent qu'ils ne pouvoient aflèoir les fondements de leur liberté fur un fol qui ne leur olfroit pas même les foutiens de la vie. Ils fentirent que lc commerce étoit la feule bafe de leur exiftence. ïls par-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 305 parvinrent a la monarchie uiiiverfelle dit commerce; toutes les mers fe couvrirent de vaiffeaux de la Hollande. Les feules contrées de 1'Amérique , oü la culture eüt jetté les germes. des vraies richeffes , recoimoilfoient fes loix. Mais après la perte du Bréfil , il ne reftoit a cette* nation que quelques petites ifles, en particulier celle de Curagao, qu'en Ï634 ils avoient enlévée aux Caftillans, qui la poffédoient depuis 1527. Cc rocher, qui n'eft qu'a trois lieues de la cóte de Venezuela, peut avoir dix lieues de .long fur cinq de largc. II a un port excellent, mais dont 1'approchc eft fort difncile. Lorsqu'une fois 011 y eft entré, fon vafte baffin offre toutes fortes de commodités. Une fortereffe conftruitc avec intelligence & conftamment bien entretcnue fait fa défenfe. L'eutreprife de Louis XIV pour conquérir cette ifle fut fans effet. Aucune nation n'a fongé de s'emparer ■ d'un fol flérile, qui n'offre que quelques beftiaux, quelque manioc, quelques légumes propres a la nourriture des efclaves, & qui ne fournit d'autre production qu'un peu de coton qui puiffe entrer dans le commerce. Saint-Euftache vaut encore moins. Cette ifle, qui n'a que deux lieues "de long & une dc largc, eft formée par deux montagnes, qui laiffent entre elles un vallon affez rcfferré. II eft prouvé que les Hollandois étoient établis dans 1'ifle, en 1639. Ils cn .furent chaffés par les Anglois, furlesquels Louis XIV la reprit. Après la paix, il la remit aux Hollandois. Alors ceux-ci y planterent quelques cannes, qui ne leur ont annuellement dontié que huit  3o6 PRÉCIS de l'HISTOIRE ou neuf cents milliers de fucre brut. La colonie envoya bientót quelques-uns de fes habitants dans une ifle voifine, nommée Saba. C'eft un roe efcarpé, qui n'eft connu que par le coton, qu'une cinquantaine de families Européennes font cultiver & ouvrer par leurs efclaves, qui en font des bas trés beaux, qu'onvend jufqu'a dix écus la paire. Cette heureufe peuplade eft encore connue par la beauté de fon fang. Sous le méme ciel eft l'ifie de Saint-Martin, occupée en partie par les Frsngois & en partie par les Hollandois. Ces deux nations s'y occupent maintenant, dans dix-neuf plantations , de la culture du fucre & du coton. On y compte douze cents efclaves, dont les travaux font dirigé-s par environ mille blancs, Anglois, Franqois & Hollandois. Ces pofleffions des Hollandois dans 1'Archipcl Américain ne préfentent, au premier coup-d'ccil, rien de grand ni d'intéreffant. L'oubli le plus profond feroit leur partage, fi quelques-unes de ces ifles, qui ne font rien comme agricoles, ne 1'étoient beaucoup comme commereantes. Le defir de former des liaifons interlopes avec les provinces Efpagnoles du Nouveau - Monde , décida la conquête de Curacao. Bientót on y vit arriver un grand nombre de navires Hollandois, forti & bien armés, équipés par des hommes , dont la bravoure étoit entretenue par un irrrérêt vif, paree que chacun avoit une part dans la cargaifon, qu'il étoit déterminé a défendre contre les attaques des gardes-cótes. Souvent les Efpagnols venoient eux-mêmes échanger, dans un entrepot conftammeat bien approvifionné, leur or, leur argent,  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 307 leur quinquina, leur cacao, leur tabac, leurs cuirs* leurs beftiaux , contre des negres, des toiles ^ des foieries, des étoffes des Indes, des épiceries, du vifargcnt, des ouvrages de fer ou d'acier. L'établiffement de la compagnie des Caraques & la fubftitution des vaiffeaux de regiflre aux galions ont beaqpoup ralenti cette communication : mais des liaifons qu'on a formées avec les habitants de la colonie Franeoife deSaint-Domingue,ont un peu diminué ce vuide. En temps de paix, la république regoit annuellement uns douzaine de navires chargés de productions, qu'un fol étranger a vu croitre. Ces liaifons fe raniment, lorsque 1'Angleterre & la France fe trouvent en guerre. Pcrfonne n'ignore Pim'menfité du commerce qui s'eft fait, dans ce dernier temps, a Saint-Euflache, par les divifions des Anglois & des Anglo-Américains. Cette ifle fert dc magafin général d'approvifionnement des Colonies Frangoifes du Vent & d'entrepöt de toutes leurs produétions. Les Anglois & les Francois s'y réuniifent, pour conclure, a Pabri de fi neutralité, des marchés trés importants. De cette grande liberté naiffent des opérations fins nombre & d'une combinaifon finguliere. C'eft ainfi que le commerce a trouvé Part d'endormir & de tromper la difcorde. Ces avantages ont réuni a SaintEuftache dix mille blancs de diverfes nations, cinq cents negres ou mulatres libres & huit mille efclaves.; Un gouverneur, fubordonné a la compagnie des Indes Occidentales , régit ce fingulier établiffement ainfi que ceux de Saba & de Saint-Mart-irn II fét V 3  So8 PRÉCIS de l'HISTOIRE fa réfidence auprès d'un mouillagc trés dangercuXj mais le feul de l-jfle. Si fa rade étoit défenduc avee vigueur & intelligence, 1'ennemi le plus audacieux y tenteroit vraifemblablement fans fuccès une defcente. - Ce ne font pas les feuls avantages auxquels les Hollandois font réduits dans le Nouveau-Monde. Ils y poflèdent encore un grand terrein , dans le pays connu fous le nom de Guyane. Dans cette partie du globe il eft autrefois arrivé des révolutions, oceafionnées par des feux fouterreins, aujourd'hui éteints. Lesrives de ces contrées préfentent un autre fpectacle. Les nombreufes rivieres qui, de ce vafte efpace, fe précipitent dans 1'océan, dépofent fins ceffe fur leurs bords & fur la cóte entiere une multitude prodigieufe de graines, qui germent dans la vafe, & produifent en moins de dix ans des arbres de haute-futaie, connus fous le nom de paletuviers. Ces grands végétaux occupent toüte 1'étendue, oü lc flux fe fait fentir, Ils y forment de vaftes forêts couvertes de quatre ou cinq pieds d'eau durant le flot, & après qu'il s'eft retiré, d'une vafe molle & inacceflible. Ce fp.eclacle eft le même dan? une étendue de quatre cents lieues de cóte , c'eft-a-dire, depuis 1'Amazone jufqu'a 1'Orénoque: on y voit partout, fur le rivage, un rideau de paletuviers, alternativement détruit & renouvellé par la vafe & par le fable. Derrière ce rideau, a quatre ou cinq cents pas, font des favanes noyées par les eaux pluviales qui n'ont point d'écoulement: & ces fivanes fe prolongent toujours latéralement au rivage, dans une profondeur plus ou  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 309 moins confidérable, felon 1'éloignement ou le rapprochement des montagnes. Ces immenfes marais a?étoient originairement peuplés aqe de. reptiles. Le génje? & Pinduftrie de Phomme ont changé leur deftination primitive. C'ell au milieu de ces eaux croupiffantes, infeétes &bourbeufes , que la liberté a formé trois établiffemcntsutiles, dontSurinam eft leprincipal. • Cet établiffement fut d'abord formé par les Anglois ; on y comptoit cinquante fucreries , lorsqu'il fut, en 1667, attaqué & pris par les Hollandois, qui furent maintenus dans leur conquéte par ie traité de Breda. Des malheurs de diverfes efpeces Paffiigerent d'abord. Un des plus grands fut la défenion des efclaves. Ces fugitifs fe virent avec le temps cn asfez grand nombre pour former des peuplades. Les tentatives qu'on fit pour arrêter leurs incurfioris furent toutes inutües, Ce danger devint a la fin fi presfant, que la république crut devoir envoyer en 1749, en '1772 & en 1774, quelques-uns de fes meilkurs bataillons au fecours de la colonie. Toute leur bravoure n'a produit aux colons qu'une tranquillité précaire., II a fallti recoimoitre fucceffivenienc Pindépendance dé plufieurs hordes nombreufes, mais fins'communication entre elles. On leur doit des préfents annucls, & l'on s'eft engagé a les füre jouir de tous les avantages d'un commerce iibre. Ces nouvclles nations ne fe font obligées de leur cöté qu'a fecotirir leur allié, s'il en eft befoin , & a lui remettre tout efelave., qui viendroit fe rcfugier fur leur territoire. V3 .'-  $io PRÉCIS de l'HISTOIRE Cependant la colonie s'eft trouvée plus florilfante qu'on n'auroit pu 1'efpérer. Les premiers Européens qui.fe fixerent dans cette région barbare, etablirent d'abord leurs cultures fur des hauteurs qui fe trouverent généralement ftériles. On foupconna avec raifon que les plaines feroient plus fertiles. Elles font inondées par les fleuves qui. les arrofent, mais elles ne le font pas toute 1'année. Dans la £üfon raéme des débordcments, les eaux ne s'y répandent que peu avant ou peu après la pleine mer. Lorscjue les pluies ne font pas abondantes & que les rivieres font baffes, c'eft alors qu'il fout s'occuper des defféchements. Durant ce période , 1'efpace qui doit étre mis a 1'abri des inondations, eft enveloppé d'une digue fuffifante pour repouffer les eaux. Cette digue a rarement plus de trois pieds d'élévation. A un de fes coins eft une machine hydraulique, entierement ouverte d'un cöté , taiilée de 1'autre en bec de fiute, & garnie d'une port* que 1'impulüon des eaux ouvre de bas en haat, & queretombe par fon propre poids. Lorsque le mouvement de 1'océan fait enfier les ondes, les rivieres pefent fur cette porte, & h ferment de maniere que les eaux extérieures n'y fcauroient entrer. Lorsqu'au contraire les rivieres font baffes, les eaux intérieures & pluviales, s'i! y en a, la foulevent & s'écoulent facilement. Ce travail eft fini dans un an. Lc terrein eft défriehé dans la feconde année, & pourroit étre cultivé au comraencement de la troificme, s'il a'étoit abfolument nécelfaire ds le küifer affez long-  PHILÓSOPHIQUE dis DEUX INDES. £¥< temps expofé a 1'influence de l'eau douce, pour atténuer 1'aétion des fels marius. L'abondance des récoltes dédommage ee retard. Depuis cet arrangement jes cultures des Hollandois ont profpéré. Us les ont pouflées jufqu'a vingt li -nes de la mer & ils ont donné a leurs plantations un agrémcnt & des commodités qu'on n'appercuit pas dans les poffeffions Angloifes ou Francoifes les plus ftoriffantes. Ce font par-tout des batiments fpacieux & bien difpofés, des terraffes parfaitement alignées , des potagers d'une propreté exqtiife , des vergers délicieux, des allécs plantces avec fymmétrie. Cependant les capitaux, occupés par ces fuperftuités, feroient plus fa- • gement employés a la multiplication des produétions vénales. C'eft avec les fecours des emprunts levés dans la république , qu'il s'eft formé fur les bords éi Surinam, du Commawine, des rivieres de Cottica & dePerica, quatre cents trente plantations. En 1775, elles donnerent vingt-quatrc millions trois cents vingt mille livres pefant de fticré brut, qui en Hollande furent vendues 8,333,400 liv.; quinze millions trois cents quatre-vingt-fept mille livres pefant de café, qui furent vendues 8,580,934 fc^'i neuf cents füixan" te-dix mille livres pefant dc coton, qui furent vendues 2,372,155 Hv.; fept cents quatre-vingt dix mille huit cents cinquante-quatre livres pefant de cacao , qui furent vendues 616,370 lfv.; oent cinquante-deux mille huit cents quarante-quatre livres pefimt de bois de couleur, qui furent vendues 14,788 liv. Ces productions furent portées dans les rades de la répi* V 4  Ji.2 PRÉCIS de l'HISTOIRE blique pat foixante-dix navires. Le nombre en feroit accru, fi le firop & le rum , qu'on exporté pour PAmérique Septentrionale, prenoit la route de la HpUande. Les travaux réunis de cet établiffement occupoient, en 1775, foixante mille efclaves de tout age & dc tout fexe. Ils obéiffoient a deux mille huit cents quatre-vingt-quatre maitres , fins compter les femmes & les enfants. Ces blancs font de divers pays & de fecles diverfes. Paramaribo, chef-lieu de la colonie, eft une petite ville agréablement fituée. Les maifons y .font jolies & commodes. Son port, éloigné de cinq lieues de la mer, laiife peu de chofes a defirer. La Société , alaquclle appartient ce grand établilfement, s'eft chargée des dépenfes pubüqucs. Dans le deffeiu d'y pourvoir , les denrées qu'on exporté de la colonie payent un droit de deux & demi pour cent; celles qü'on y importe en payent un d'un & demi pour cent. Malgré ces impóts, malgré ceux qu'qn paye pour reatrctien de trois cents negres affranchis , deftinés a garantir les cultures contre les incurfions des negres fugitifs, & d'autres encore, Ja colonie étoit' fioriflante dans le temps oü fes productions avoient un débit fur éc avantageux. Mais lorsque le café a perdu dans le commerce la moitié de fon ancien prix, tout eft tombé dans. un défordre extréme. II 11'y^iquela fagcife du gouvernement & une direction mieux éclairée qui puilfeut y remédier. C^eft ce qu'on a fait, depuis que cette colonie a été comlée, pour fon bon-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 3ig heur, aux foins d'un magiftrat (M. T. C. v. d. IL) dont les lumieres, les talents & le ze'le patriotique y ont introduit une réforme falutaire, qui doit bientót faire revivre fon ancienne fplcndeur. L'établissejvtent de Berbiche n'occupe, que dix lieues de cóte. Rien nc 1'arrêteroit dans Pintérieur du pays , jufqu'a la partie des Cordilieres, connues fous le nom des montagnes Bleucs. Le grand fieuve qui lui a donné fon nom, cmbarraffé a fon embouchure par un banc dc bouc, devient plus avant tres navigable. C'eft a trente-fix lieues de la mer que s'arrêtent les plantations. Les premiers fondements de cette colonie furent jettés, cn 1626. Elle eut a effuyer dans fon enfince plufieurs revers. Berbiche ne compte que cent quatre plantations, la plupart peu confidérables, fcmées de difiance en difiance fur les bords de la riviere de Berbiche ou de Canje. On y voit fept mille efclaves de tout age & de tout fexc, & deux cents cinqftante blancs, fans compter les foldats qui devroient former le même nombre. Ce qui eft annuellement rccueilli de café, de fucre, de coton, eft porté par quatre.ou cinq navires dans la métropole , oü il n'eft pas vendu attdcffus d'un miliion ou douze cents mille liv. Quoique, fuiyant les calculs remis, cn 177a , aux Etats-géncraux, les dépenfes annuclles dc fouveraineté ne paffent pas cn Europe & en Amérique 190,564 li. vres, la Société n'en eft pas moins dans une iituaüon défefpéréc. Depuis 1720 jufqu'eu 1763, les dïvidendes réunis ne fe font élevés qu'a 61 pour cent.' y 5  3i4 PRÉCIS de l'HISTOIRE Après cette époque, il n'y a plus eu de répartition. Auffi les actions , qui ont coüté 2,200 liv. chacune, n'ont-elles plus de cours. Essequebo fe trouve dans une. pofition moins défavantageufe. La riviere qui lui rfonne le nom, eft éloignée de vingt lieues de celle de Berbiche. Ce pays fixa le premier Pattention des Hollandois qui, comme d'autres Européens, rempliffoient, vers Ia lin du feizieme liecle, la Guyane de leurs brigandages , dans 1'efpérance d'y trouvcr de 1'or. On ignore Pépoque précife a laquelle ils fe fixerent a Esfequebo : mais il eft prouvé que les Efpagnols les en chafferent, en 1595. Ils retournerent depuis a leur pofte. Cet établiffement a été toujours peu de chofe. En 1740, fes productions ne formoient pas la cargaifon d'un feul navire. Deux ou trois ans après quelques colons d'Effequebo jetterent les ycux Ra la riviere voifine de Demerary. Les bords s'en trouverent trés fertiles. La compagnie des Indes Occidentalcs fiüfit le moment propice (oü fes autres établiffements étoient agités par les révoltes des negres) pour appeler a fa conceffion des hommes entreprenants de toutes les nations. Ceux qui y arrivoient avec un commencement de fortune, recevoient gratuitement un terrein', avec quelques encouragements. En 1769 , on comptoit déja fur les rives du Demerary cent trente habitations, oü le café, le fucre , le coton étoient cultivés avec füccès. Le nombre des plantations s'eft accu depuis cette époque , & il doit augmenter encore.  . PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 315 Toutes ces colonies gémiffent fous le poids accablant des dettes qu'elles ont contracties. Ces emprunts ont ruiné les colons & ceux qui avoient prêté leurs capitaux , lorsque leurs denrées ont perdu dc leur ancien prix. L'importance de ces établiffements pour la république la doit occuper des foins pour en améliorer le fort. Qu'eile réuniffe a 1'état des poffeffions abandonnées, comme au hazard, a des affociations particulieres. Tous les gouvernements ont compris que leurs colonies feroient plus florifiantes fous leur proteétion immédiate, que fous une protecUou intermédiaire. Le fuccès a généralement démontré la folidité de leurs vues. On ne voit que les Provinces-Unies, qui foienr, dans un aveuglcment opiniatre, reftées fidclles a leur premier plan. Dés qu'elles retourneront fur leurs pas, les poflèsfions Hollandoifes dans la Guyane formcront un tout capable de quelque réfiftance. Berbiche, Effequcbo & Demerary qui, dans 1'état actuel des chofes , ne repoufferoient pas un corfaire entreprenant , fcront réunis a la colonie de Surinam. Ses milicés, fes douze cents hommes de troupes réglécs & deux compagnies d'artillcrie, qui fervent a fit défenfe, protégcront égalcmcnt les établiffements voifins. Les forces de mer & de terre raffureroient encore plus im'médhtement fon exücncc. Des loix fages & humaines arrêteront les atrocités, que les colons fe pcrmettent envers leurs negres ? un traitement moins cruel deviendra une barrière plus füre contrè la défertion. Le dépériflement des manufaélures , du  3i*5 PRÉCIS de i/HISTOIRE commerce & de la navigation de la république, le peu d'étendue de fon territoir, les progrès que les autres nations font fucceffivement dans le commerce, tout cela doit engager a donner plus d'attention a ces poffeffions, qui par une réforme falutaire pourront devenir plus floruTantes. Les Danois & les Norwegiens, réunis aujourd'htii fous les mêmes loix, ont été tres anciennement des navigateurs fort hardis.. On croit même entrevoir a travers les téncbres liiftoriques jettées fur les monuments du Nord, qu'ils poulfercnt, dans le onzieme fiecle, leurs cotirfes jufqu'aux cótes de Labrador & de Terrc-Neuve, & qu"ils y j etterent quelques foibles peuplades. II e!l donc \raifembLible qu'ils peuvent difputer a Chriftophc Colomb la gloirc d'avoir découvert lc Nouveau-Monde. Mais ijs y étoient fans le fcavoir. Eu 1671 , ■ ils alierent occuper une petite. ifle , connue fous le nom. de Seint-Thomas. Cette derniere des Antilies étoit tout-a-fait déferte, lorsque les Danois entreprirent de s'y établir. Dans une étendue de cinq lieues , fur deux lieues & demie de largo, elle offre tin terrein fabloneux, qui n'empêcha néantmoins pas l.a culture., On y vit fe former autant de plantations, que 1'aridité de fon fol comportoit. Cependant Saint-Thomas dut principalcment 1'éclat, qu'il jetta , a 1'excellence de .fon port, qui peut mettre en füreté cinquante vaiffeaux. II fut fréquenté par les flibuftiers. Angfois, Francois, Hollandois , qui votiloicnt fouftr:.i:e le fruit de leurs rapines aux droits, qu'on exigejit d'eux <|ans leurs  PHILOSOPHIQUE ces DEUX INDES. 317 propres étabiiffements. Les corfaires qui avoient fait des prifes trop bas, pour les faire remonter aux ifles de leur nation, les vcnoient vendre a celle de SaintThomas. II étoit Pafile dc tous les batiments ncutres qui, pourfuivis cn temps de guerre, y trouvoient un port neutre. C'étoit Pentrepót de tous les échanges que les peuples voifins n'auroient pu faire ailleurs avec autant d'aifance & de fureté. C'eft de-ia qu'on expédioit tous les jours des bateaux richement chargés, peur un commerce clandeftin avec les cótes Efpagnoles, d'oü l'on apportoit beaucoup dc métaux & de marchandifes précieufes. Mais c'étoient des étrangers qui profftoient de cette circulation rapide. Un fculnavire, chargé d'une cargaifon de negres, entrctint la feule efpece de liaifon qui fubfïftoit entre' la métropole & la colonie. Cet état de foibleffe fe ranima un peu, en 1719, par lc défrichcment de 1'ifle de Saint-Jean , voifine de 1'autre. Mais 1'entreprife de cette 'nation pour fc fixer dans celle de Crabes ou de Bonïquen, fut traverfée par lajaloulie des Efpagnols. Sainte-Croix attira dansfé fuite plus digue. ment leurs regards. Elle a dix-huit lieues dc long, fur trois & quatre de largeur. Cette ifle fut fucceflivement occupée par les Hollandois, les Anglois & les Francois. Son fol eft excellent; mais fon climat eft mal-fivin. Des forêts épaiffes empêchent les vents de balayer les exhalaifons qui infeétent l'air. Pour y remédier les Francois les brulerent. Le feu en dura des mois entiers. Les champs fe trouverent d'une  gi8 PRÉCIS de L'HISTÖIRE fertilité incroyable. Le tabao, le coton , le rocou $ le fucre y réuffiffoient également. Tels furent les progrèsde la colonie, qu'onze ans après fa fondation, elle comptoit huit cents vingt-deux blancs, av'ec un nontbre d'efclaves proportionné. Si cependant la cour de Verfailles ordonna d'abandonner SainteCroix, c'etl que les fermiers jugcrent que le commerce clandeftin de Sainte-Croix avec Saint-Thonias étoit contraire a leurs intéréts. En 1733, la France la céda , pour 738,000 liv. au Dancmarc, qui nc tarda pas a y batir le bourg & la fortereffe de Christianftadt. Malhcureufemcnt cet état fit gémir fes cultures fous un privilege exclufif. Ce n'eft que depuis 1754, que la navigation dans ces iiles eft ouverte a tous les fujets dc la domination Danoife. Au premier Janvier 1773, il y avoit a Saint-Jean foixante-neuf plantations, dont vingt-neuf étoient destinées a la culture du fucre, & quarante - deux * d'autres produciions moins importantcs. Saint-Thomas en avoit exaétement le même nombre, mais beaucoup plus confidérabïcs. Sur trois cents quarantecinq qu'on en voyait a Sainte-Croix, cent cinquante étoient couvertes de cannes. Dans les deux premières ifles , les propriétés acquierent 1'étendue, que le colon eft en état de leur donner. Ce n'eft que clans la derniere que chaque habitation eft bornéc a trois mille pieds Danois de longueur fur deux mille dc largeur. Saint-Jean eft habité par cent dix blancs & deux mille trois cents vingt-quatrc efclaves. SaintThomas , par trois cents trentc-iix blancs & quatre  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 319 mille deux cents quatre-vingt-feize efclaves. SainteCroix, par deux mille cent trentc-fix blancs & vingtdeux mille deux cents quarante-quatre efclaves. II n'y a point d'affranchis h Saint-Jean; & il n'y en a que cinquantc-deux a Saint-Thomas, & cent cinquante-quatre a Sainte-Croix. Les produciions annuellcs des ifles Danoifes fe réduifent a un peu de café, a beaucoup de coton, a dix-fept ou dix-huit millions pefant dc fucre brut, & a une quantité proportionnée de rum. Une partie de ces denrées eft livrée aux Anglois, propriétaires des meilleures plantations , & en poffeffion de fournir les efclaves. Ce qui n'eft pas enlevé par cette nation, eft porté fur une quarantaine de batiments, du port dc cent vingt jufqu'a quatre cents tonneaux. La plus grande partie s'y confomme, & il n'en eft guere vendu en Allemagne ou dans la Baltique, que pour un miliion de Jivres. Les terres fufceptibles de culture ne font pas toutes en valeur dans les ifles Danoifes; * & celles •qu'on y exploite, pourroient être améliorées. Le produit de ces polfeflions feroit aifément augmenté d'un tiers , fans la gêne des colons. Ils doivent 4,500,000 liv. au gouvernement, 1,200,000 liv. au commerce dela métropole, 26,630,170 liv. aux Hollandois. Ils gémiflent encore fous le poids des impóts. Cependant le Danemarc doit fentir, a moins que d'être aveuglé fur fes véritables intéréts, qu'il doit jouir le plus que polïible des richelTes de fes ifles dans Ie Nouveau-Monde.  320 PRÉCIS de i/HISTOIRE CH APITS.E XIII. EtabUJJimcnts des Francois dans les ijles dc 1'Amérique. pourroit fe demandèr, fi notre véritable bon« heur exige la jouiffance des chofes, que nous allons cherchcr fi loin ? Cette recherche fcroit plus pénible qu'utile. Ces fortes de difcuffions reftent fans conféquence. II faut laiffer a ceux qui en ont le temps les queftions oifeufcs. Qu'ils écrivent, qu'ils difputent. Ce ne fout pas des difcours, mais des faits qu'il faut dans un précis hiftorique. Les Francois ne tournerent leurs voiles vers les Anrilles que peu de temps après' la mort du meilleur des monarques; L'ifie de Saint-Chriftophe leur parut propre a leurs deffeins. On accorda a une compagnie exclufive la liberté de faire des conquêtes dans 1'Archipel Américain. Ses moyens étoient fi foibles, qu'on n'en pouvoit efpérer rien de grand. La concurrence des Hollandois lui étoit trés nuifible. Le défefpoir lui fit bientót céder fon privilege. Des particuliers lui achetoient fes poffeffions, la Guadeloupe, Marie-Galande, les Saints, la Martiniquc, Sainte-Lucie , la Grenade, les Grenadins, SaintMartin , Saint-Barthelemi, Sainte-Croix & la Toftue. Trois acheteurs devinrent les proprïétaires de • ces  PfflLOSOPHIQUE ras DEUX ÏNDES. 341 ces ifles, qu'ils gouvernoieht avec un pouvoir iUi— mité. Cette révolnti'on y fit fleürir pour un moment 1'agriculture ; mais la concurrence des Hollandois 'étoit toujours le plus grand obftacle, qui erhpêchat ■ la nation de tirer quelque avantage de ce changement. Colbert racheta dans la fuite ces poffeffions, mais la fautc de fon adminiftration étoit de les avoir mifes fous la direction d'une compagnie exclufive. Celle-ci n'eut aucun moment d'éclat. L'état réunit ces ifles a fa maffe, en payant les dettes de la compagnie, qui s'élevoient a 3,523,000 liv. & cn lui rembourfant fort capital de 1,278,185 liv. Ce changement fut d'abord peu utile au fort des colons, accablés par nombre d'impóts & de Ioix gênantes. En 1717, on y fubffitua un réglement clair &; fimple & on déchargea les produciions de toute impofition. Alors la profpérité des colons étonna les nations. Si le gouvernement en eüt fenti 1'importance, fon ambition déplacée ne 1'auroit pas mis dans la néceffité d'en facrifier une partie aux Anglois. L'importancë des colonies qui reftent a la France, mérite qu'ort en pefe la valeur. Commencons par la Guyane. Cette contrée étoit habitée par les Caraïbes. TJn chef éleetii' les gouvernoit. Avant de parvenir tl cette dignité , il étoit obligé de donner des prêuvetf les moins équivoques d'une force extraordinaire d'ame & de corps. L'Efpagnol Alphonfe Ojeda y aborda le premier, en 1499. La réputation de fes richeffes y attira les Franc,ois, en 1604, conduits par la Ravardiere. Pour déterrer fes minés, ilsfe livrè» X  32a PRÉCIS de l'HISTOIRE rent a des fatigties incroyables. Ils fe fixerent enfin a Cayenne, oü la direétion fut encore confiée fuccefiivement a des affociations, dont la conduite étoit plus propre a miner cette colonie naiffante qu'a lui donner de la conüdération. La colonie , loin de pouvoir s'étendre dans la Guyane, ne fit que languir a Cayenne même. Cette ifie n'eft féparée du continent que par les eaux d'une riviere. Elle peut avoir quatorzc on quinze lieues de circonférence ; elle eft basTe' au milieu & élevée fur les cótes. Des marais en entrecoupent partout les Communications. Le feul bourg qui foit dans la colonie , eft bati dans une plaine de deux lieues. Les maifons y font miférables. Quelques foibles forüfications fervent a fi défenfe. Les premières productions de Cayenne furent le rocou, le coton & le fucre. En 1722, on y apporta dc Surinam des femences fraiches de café. La paix de 1763 avoit obligé la cour de Verfailles de faire le faerificé de plufieurs poffeffions importantes. On deftina la Guyane a réparer ces pertes. Mais en réfiéchiffant fur la condition miférable de cet établiffement, dans laquelle il avoit toujours langui malgré tout ce que lc gouvernement avoit fait en fa faveur, on étoit autorifé a former des doutes fiir la jufteffe de ce plan. Pour donner un appui a fes colonies méridionales , la cour de Verfüllcs imagina d'étendre la population de Cayenne. Le miniftere voulut peupler la Guyane d'hommes libres. Mais des Européens nrétoient gueres capables de foutenir les rigueurs de fon cliraat: eüt-il été même poflible de  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 323 trouvcr des hommes qui s'accoutumeroient a Ia fub-. ftance précaire d'une vie.fauvage , après s'étre expatriés pour trouver un meilleur fort. Ce plan fut d'ailleurs mal exécuté. Après une longue navigation, douze mille'homnles furent, dans la faifon des pluies, débarqués fur des cótes défertes & prefque impraticables, oü dix mille cn ont péri dans la mifc re & le défefpoir. Depuis cette époque on a décrié cette malheureufe région avec tout le reffentiment que le malheur peut donner ; mais le tableau que nous venons de tracer de la colonie de Surinam , démontre qu'il y avoit plus de paflion que de juftice dans ce procédé. Si les Francois n'ont pas mis en valeur les terres de la Guyane, c'eft que 1'exemple de leurs voifins les Hollandois, qui en avoient,avec des travaux innnis, deffeché les marais, 11'avoit fait fur eux aucune impreifion: or, ce méme exemple les doit inftruire que de pareils travaux demandent beaucoup de bras, de patience & de fonds, paree qu'il n'y a que les negres qui y foient propres. Tout eft' a faire dans la Guyane, jufqu'aux bornes qu'il faut encore fixer a la colonie. On ne compte a Cayenne que trente plantations, toutes miférables. Le continent eft encore dans un plus grand défordre. Des déferts immenfes y féparent les habitations. On n'y jouit d'aucune commodité de la fociété. Le nombre des blancs ne s'y élevoit pas au-deffus de treize cents perfonnes , & celui des negres au-deffus de huit mille. La foibleffe de fes exportations eft encore audeffous de fa population. S'il faut fe promettre X 2  324 PRÉCIS de l'HISTOIRE quelque chofe, c'eft fur les lumieres de M. Mallouet, fon adminiftrateur actuel, fur le tabac & fur les arbres a épiceries, qui pourroient bien y réuffir, qu'il faudra affeoir cette efpérance. L a poffeffion de Sainte-Lucie a été, depuis plus d'un fiecle, un objet de difpute entre les Anglois ec les Francois , dont tous les deux s'arrogeoient la propriété. lis convinrent dans la fuite que cette ifle feroit abandonuée par les deux nations, mais qu'elles auroient la permiffion d'y faire de l'eau & de bois. Le traité de 1763 affura a la France cette ifle, qui lui avoit été ft longtemps cc fi opiniatrément difputée. L$. cour de Verfailles, après avoir perdu fes poffeffions dans PAmérique Septentrion'ale, fe propofa d'en faire un entrepot, oü Pon échangeroit les provifions apportées par les Anglois contre les firops de la Martinique & de la Guadeloupe. L'événement prouva que ce plan étoit chimérique. Faute des moyens, on vit encore manquer dans la fuite 1'idée qu'on avoit concue de s'y livrer aux cultures. Cette entreprife couta 7,000,000 liv. au fifc & onze cents hommes a 1'état. L'exécution en fut réfervée aux Francois venus de la Grenade & de Saint-Vincent. Le terroir de Sainte-Lucie eft généralement aride. Son climat eft lc même des autres ifles, avant qu'on y eüt abattu les foréts, c'eft-a-dire impur & mal-fain. Les eaux de rivieres n'ont point d'écoulement, & elles forment au milieu des marais infects. Cette raifon n'a pas éloigné .de cet endroit les Francois ; mais ils fe•ont punis de leur faute, a moins qu'ils ne leur pro-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 325 curent un écoulement. Déja fe font formécs, dans la colonie, onze paroiffes , prefque toutes fous le vent, oü on a la plus grande facilité a reccvoir cc a expédier des navires. Le refte dc 1'ifle fera occupé avec le temps. Un chemin cn fait le tour, deux autres la traverfent. Ceux-ci fervent a porter les denrées des plantations aux embarcadaires. En 1777, on y comptoit deux mille trois cents blancs de tout agc & de tout fexe. II y avoit mille cinquante noirs ou mulatres libres & feize mille efclaves, cinquante-trois fucreries, cinq millions quarante mille neuf cents foixante-dcux pieds de café, un miliion neuf cents quarante - cinq mille fept cents douze pieds de cacao, cinq cents quatre-vingt-dix-fept quarrés de coton. Les produits en étoient vendus dans 1'ifle même , un peu plus un peu moins que 3,000,000 liv. II n'y en avoit qu'un tiers acheté par la Martinique; le refte Étoit vendu aux Américains, aux Anglois & aux Hollandois. Mais, lorfque 1'ifle entiere fera mife en valeur, elle pourra occuper foixante mille efciavcs, & donner pour neuf ou dix millions liv. . de denrées. Si Sainte-Lucie eft encore tellement éloignée de ce point de profpérité, il eu faut chercher la raifon dans la mauvaifc diftribution des terres, accordées a des gens dépourvus des talents requis pour 1'agriculture & des facultés qu'en abforbe 1'exptoitation, dans les fourmis & dans 1'jnconftance du gouvernement. Pour y c hanger la face des affaires, on commencera par cn affeoir la direétiou fur des principes fages & conftants. Ellc: dépouillera des terres fnperfiucs X 3  |aÖ PRÉCIS de l'HISTQIRE ceux qui n'ont pas La faculté de les mettre cn valeur ; elle rapprochera les plantations trop difperfees; elle y attirera les étrangers par la douceur de fes régiemens. L e port de Sainte-Lucie eft un des meilleurs des Antilies ; la nature y a formé trois carénages parfaits. Trente vaiffeaux de ligne y feroient a 1'abri des ouragans les plus tcrribles. II ne faut que quelques fortifcations de plus pour rendre cette ifle imprenable. L'i s l e dc INIartinique a feize lieues de longueur & quarantc-cinq de circuit , fans y comprendre les caps qui avancent quelquefois deux & trois lieues dans la mer. Elle eft partout entrecoupée de monticules. Trois montagnes dominent fur ces petits fommets. La plus éleyée porte 1'empreinte d'un ancien volcan, les deux autres font prefque entierement cultivées. De npmbreufes fources , forties de ces hauteurs , arrofent 1'ifle. Denambuc en prit poffesfion , en 1635. Cent hommes laborieux & faits au climat de Saint-Chriftophe en formoient la colonie. Leur repos fut d'abord troublé par les Caraïbes; ceux-ci quitterent la Martinique, en 1658, pour n'y plus reparoitre. On y vit fe former dans la fuite une population compofée de deux claffes d'hommes, dont la première poffédoit les terres; les autres étoient des miférables, qui fous le titre d'engagés étoient des efclaves durant trois ans. Les uns & les autres s'occuperent uniquement d'abord du tabac & du coton. On y joignit fuceeffivement le  PHILOSOPHIQUE des DEUX -INDES. 327 rocou, 1'ineligo, lc fucre & furtout lc cacao. Une calamité fct périr, en 1727 > tous les cacaotiers. Pour > les remplacer, on préfenta aux colons le cafier. Le miniftere de France avoit recu des Hollandois en préfent, deux pieds de cet arbre, qui étoient confervés avec foin, dans lc jardin royal des plantes. On cn porta deuX rejettons a la Martinique, oü ils fe multiplierent avec une rapidité incroyablc. Cet établiffement a d'ailleurs la pofition la plus bcurcufe , par rapport aux vents qui regnent dans ces mers. Ses ports offrent un afüe fur contre les ouragans. Sa pofition 1'a rendu le fiege du gouvernement, & elle a recu plus de faveurs, & joui d'une dircétion plus éclairée & moins infidelle. Malgré tant de moyens de profpérité, la Martinique étoit fort peu avancée a la fin du dernier ficclc, époque a laquelle elle ne comptoit que fept mille blancs, mulatres & negres libres, & quatorze mille cinq cents foixante-fix efclaves. Dès que la France cüt abandonné des projets de conqticte, la Martinique fortit dc fa langüeut & fa profpérité fut éclatante. L'Europe ne connoiffoit qu'eile. Comme agricole, elle occupoit, en 1736, foixante-douze mille efclaves, fur un fol nouvellement défriché en grande partie , & qui donnoit par conféquent des récoltes trés abondantes. Comme commercantc, elle gagnoit le dixieme des produciions des ifles voifines, qu'eile tenoit dans fi dépendance. Ces opérations heureufes & bien d'autres encore y avoient fait entrer un argent imraenfe. Douze mülijns y circuloient X'4  PRÉCIS de lTIISTOIRE habituelïement. Pour ' ficiliter ' h navigation &U .circulaüon dans le commerce, on érigea Saintlpierrè en entrepot. Ce bourg dut a fes commodités Pavantage de devemr lc point de communication entre h nietropole & la colonie. Les opérations de commerce sy firent Par des commiffionaires, dont la probite tint Heu de tout. La guerre de I744 vint interrompre cette profpérité, diminuée depüis deux ans , paree que la colonie perdit le commerce frauduleux qu'eile faifoit avec les Américains Efpagnols Une adminiftration, embarraffée par nombre de formalicés, acheva k perte de la Martinique. La derrière guerre 1'accomplit 'finalemcnt. Elle la fit tombcr fous le joug des Anglois, qui la céderent, en 1763, mais dépouillée de tous les moyens de profpé-' nté. Non-obftant toutes ces cahmités, elle auroit repris courage', fans un nouveau rléau, inconnu jusqu'a ce temps dans PAmérique , une efpece de fourmi, qui cavia des ravages inexprimables. La deftruction en- duroit onze ans, lorfque les colons arrêterent, le g Mars 1775 , une récompenfe de 666,oco liv. pour celui qui trouveroit un remede contre ce fiéau. Pour le détruire, il paroft que le parti le plus fage eft de multiplier les labours, les e'ngrais & les fiirclages , en brülant les pailles oü cet in'eére fe réfugié. Ccttc calamité étoit dans fa plus grande force , 'lorfque Pduragan de 1766, le plus' furieux de ceux qui ont ravage la Martinique, vint y détruire les vivres , mriiOTonner les récoltcs, déraciner les arbres,' renverfer. même les batiments. '  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 329 Au premier Janvier 1778, la Martinique comptoit douze mille blancs de tout age & de tout fexe, trois mille noirs ou mulatres, plus de quatre-vingts mille efciavcs, quoique fes dénombrements ne montaffent qu'a foixante-douze mille. En 1775 , les navigateurs Francois chargerent a la Martinique, fur cent vingt-detix batiments , deux cents quarante-cjuatre mille quatre cents trente-huit quintaux cinquante-huit livres dc fucre terré ou brut, qui furent vendus dans la métropole 9,971,155 liv. 3 fols 7 deniers; quatrevingt-feize mille huit cents quatre-vingt-neuf quintaux foixante-huit livres de café, qui furent vendus 4>577?529 hv- 16 f.; onze cents quarantc-fept quintaux huit livres d'indigo , qui furent vendus 975,018 liv. ; huit mille fix cents cinquante - fix quintaux foixante - trois livres de cacao, qui furent vendus 605,964 liv. 12 f.; onze mille douze quintaux de coton, qui furent vendus 2,753,100 liv.; neuf cents dix-neuf cuirs, qui furent vendus 8,271 liv. ; vingtneuf quintaux dix livres de carret, qui furent vendus 29,100 liv. ; dix-neuf cents foixante-fix quintaux trente-cinq livres de canefice, qui furent vendus 52,980 liv. 10 f.; cent vingt-ciuq quintaux de bois, qui furent vendus 3,115 liv. Cette fomroe entiere n'appartenoit pas a la colonie. 11 en devoit revenuun peu plus du quart a Sainte-Lucie & a la Guadetoupc, qui -y avoient verfé une partie de leurs productions. Les obfervateurs qui .connoifient le mieux l'ifie, s'aceordent tous a dire que ces cultures pourroient étre augmentées d'un tiers. On arriveroit a  33Q PRÉCIS de i/HISTOIRE cette amélioriation , fans ncmveaux défrtehements , par une culture meilleure & plus fuiyie. Mais pour atteindre ce but, il faudroit un plus'grand nombre d'efclaves. Or, elle eft hors d'état de payer ces recrues, & les raifons de fon impuiffance font connues. On fcait qu'eile doit a la métropole, comme dettes de commerce , a peu pres un miliion. Une fuite d'infortnnes 1'a réduite a en emprunter quatre aux négocians établis dans le bourg Saint-Pierre. Plufieurs engagements 1'ontrendue infolvable. Cette fituation ne lui permet pas de remplir , du moins de longtemps , toute la carrière de fortune qui lui étoit ouverte. L'état a dépenfé 10,000,000 de liv. pour couvrir cet important établiffement contre 1'attaque dc 1'ennemi. Ces fortifications défendues par quinze cents hommes, pourroient peut-être tenir deux mois contre une armée de quinze mille hommes. Mais il n'y a que des efcadres , capablcs de protéger efficacement les colonies. L'i s l e de la Guadeloupc a une circonférence irréguliere de quatre-vingts lieues. Elle eft coupée en deux par le canal, connu fous le nom de riviere faléc , qui ne peut porter que des pirognes. La partie de Pifle qui donne fon nom a la colonie entiere, eft hériffée dans fon centre de rochers affreux, oü il regne un froid continucl, qui n'y laiffe croitrc que des fougeres & quelques arbuftes inutiles, couverts de mouffe. Au fommet de ces rochers, s'éleve h perte de vue, une montagne appellée la Souphriere. Elle exhale une famée épaifiè, entremêlée d'étinceP  PHILOSOPHIQüE des DEUX INDES. 331 les vifibles pendant la nuit. Des fotirces fans nombre en découlent, & portent la fertilité dans les plaines. La partie de Pifle, connue fous lc nom de GrandeTerre, n'a pas été fi bien traitée par la nature. Son fol n'eft pas fi fertile, ni fon climat auffi fain. Les Francois y arriverent les premiers, le 28 Juin 1635. Cette entreprife mal dirigée, fut malhcureufe faute de vivres. Le befoin occafionna des guerres avec les Caraïbes. Une famine horrible en fut la fuite. Les colons en vinrent jufqu'a brouter Phcrbe, jusqu'a déterrer les cadavres pour s'en nourrir. Le fouvenlr des maux qu'on avoit éprouvés, excita puisfamment aux cultures dc première néceflité, qui amcnent enfuite celles du luxe de la métropole. Lc petit nombre d'habitans qui avoient échappé a ces hor- ' rcurs, fut bientót grofli par quelques colons dcSaintChriftophe, par des matelots dégoütés de la navigation , par des capitaines de navires. Plufieurs circonftances réunies firent longtemps languir cette colonie naïfl'ante. En 1700, elle ne comptoit, pour toute population , que trois mille huit cents vingtcinq blancs ;* trois cents vingt-cinq fauvages, negres ou mulatres libres; fix mille fept cents vingt-cinq efclaves , dont un grand nombre étoient Caraïbes. Elle ne commencoit a profpérer qu'après la pacification d'Utrecht. On y comptoit neuf mille fix cents quarante-trois blancs, quarante-tm mille cent quarante efclaves, lorfqu'clle fut conquife par les armes de la Grande-Bretagne, en 1759. Elle eut des raifous pour fe confoler d'un événement en' apparence fi fa-  33a PRÉCIS de l'HISTOIRE cheux. Les Anglois multipliercnt tellement leurs expéditions , que la concurrence, excédant de beaucoup la confommation, fit tomber a vil prix toutes les marchandifes d'Europe. Le colon en eut prefque pour rien; & par une fuite de cette furabondance , obtint de longs délais pour le payement. La nation victorieufe y porta encore dix-huit mille fept cents vingt un efclaves. L'état floriffant ou la Guadeloupe avoit été portee par les Anglois, frappa tout le monde, lorfqu'ils la rendirent le 11 Juillet 1763. On concut pour elle cc fentiment de. coniidération qu'infpire J'opulencc. On lui donna alors une adminiftration indépendante. L a petite ifle de la Defirade dépend de celle de ht Guadeloupe. Elle n'en eft éloignée que de quatre ou cinq lieues. Son terrein, exceffivement aride & de dix lieues de circonférence, ne compte que peu d'habitants, tous occupés de la culture de quelques pieds de café, de quelques pieds de coton. Les Saintes, éloignées de trois lieues dè la Guadeloupe, font deux très-petites ifles qui, avec un iilot , forment un trianglc & un affez bon port. Leurs cultures ne produifent annuellement que cinquante milliers de café & cent milliers de coton. Marie-Galante, éloignée de fix lieues de la.Guadeloupe, a quinze lieues de circuit. C'eft un fol excellent, oii s'eft fucceffivement formée une population de fept ou huit cents blancs & de fix ou fl-pt mille noirs , la plupart occupés de la culture du fucre.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 333 Saint -Martin & Saint-Barthelemi font encore dans la même dépendance. On a parlé de la première. 11 refte a dire quelque chofe de la feconde. On lui donne dix a onze lieues de tour. Son terroir eft tres ingrat. La mifere de fes habitants répond a la ftérilité de fon fol. Au premier Janvier- 17775 la Guadeloupe, en y comprenant les ifles plus ou moins fertiles, foumifes a fon gouvernement, comptoit douze mille fept cents blancs de tout age & de tout fexe , treize cents cinquante noirs ou mulatrcs libres, & cent mille efclaves. En 1775 , quatre-vingt & un batiments de la métropole, emporterent de cette ifle cent quatre-vingt-huit mille trois cents quatre-vingt-fix quintaux fix livres de fucre brut ou terré , qui rendirent en Europe 7,137,930 liv. 16 f; foixante-trois mille vingt-neuf quintaux deux livres de café, qui rendirent 2,993,86b liv. 19 f.; quatorze cents trente-huit quintaux vingt-fept livres d'indigo, qui rendirent 1,222,52^9 liv. 10 f.; mille vingt-trois quintaux cinquante-neuf livres de cacao, qui rendirent 71,651 liv. 6 f. ; cinq mille cent quatre-vingt-treize quintaux foixante - quinze livres de coton , qui rendirent 1,298,437 liv. 10 f.; fept cents vingt-fept cuirs, qui rendirent 6,973 uv> '■> ^eize quintaux cinquante-fix livres de carret, qui rendirent 16,560 liv.; douze quintaux foixante-deux livres de canefice, qui rendirent 336 liv. 15 f. 10 den.; cent vingt-cinq quintaux de bois , qui rendirent 3,125 liv. Quelquesunes de ces produciions palfoient aux établilfements  334 PRÉCIS de l'HISTOIRE .Anglois & Hollandois. La vigilance des derniers adminiftrateurs a mis quelques bornes a ces liaifons interlopes. Tout porte a croire que cette colonie s'élevera a une plus haute confidération. Les augmentations faites aux fortirications depuis quelques ntmées , mettront un commandant acbif & expérimenté, en état de foutenir avec deux mille hommes, un fiege pendant deux mois & peut-être davantage. » L'isee de Saiut-Dominguc a cent foixante lieues de long: Sa largeur moyenuc eft a peu prés de trente , & fon circuit de trois cents cinquante, ou de fix cents, en htifant le tour des anfes. Elle eft coupée dans toute fa longucur, qui va dc PEft a l"Oucft, par une chaine de montagnes, d'oü l'on tiroit autrefois de Por. Du cóté de la partie Efpagnole, ou n'apper§oit qu'un amas informe de terres entaffées, couvertes d'arbres & découpées vers la mer par des baies ou des promontoires. La cóte Francoife, quoique cultivée, n'offre pas un afpecl beaucoup plus riant. II n'y a que la partie du Nord, remplie de riches plantations, depuis 1'océan jufqu'a la cime des collines, qui offre une perfpeétive digne de quelque attention. L'air humide & frais, avant & après le coucher du foleil, y eft embrafé dans Ia journée. L'Espagke occupoit fans fruit, comme fans partage, cette grande poffeffion, lorfque des Anglois & des Francois qui avoient été chaffés de Saint-Chriftophe , s'y réfugierent en 1630. Pour fe ménager un lieu de retraite, ils jetterent les yeux fur la Tortue > petite ifle fituée a deux lieues, de la grande.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 335 Vingt-cinq Efpagnols qui la gardoient, fe retirerent a la première fommation. Ces avanturiers y trouverent un air pur, mais point de rivieres & peu de fontaines. Des bois précieux couvroient les montagnes ; des plaines fécondes attendoient des cultivateurs. La cóte du Sud olfroit une rade excellente, dominéé par un rocber, qui ne demandoit qu'une batterie de canons pour défendre 1'entrée de 1'ifle. Des habitants y accouroient en foule; ils s'occupoient de la culture du tabac & de la chaffe des bceufs de Saint-Domingue & de la piraterie. Les bornes de cet abrégé nous défendent d'entrer dans le détail prolixe des évenements arrivés dans cette colonie naiffants. Elle a langui longtemps. Ce qui s'y trouva de culture, de population, lorsqu"elle remit, en 1720, fes droits au gouvernement, étoit pour la plus grande partie 1'ouvrage des interlopes. Le commencement de profpérité s'y eft opéré, durant la longue & fanglante güerre ouverte pour la fucceffioH d'Efpagne. Après la pacification d'Utrecht , Li profpérité de cette ifle fut retardée par des calamités de diverfes efpeces, mais elle ne laiffa touvtefois pas de devenir la première colonie de la France , qui ne demande, pourfleurir, qu'un champ ouvert a l'aétivité de fes habitants. Partout oü la nature leur laiffe une librè carrière, les Francois réusfiffent a lui donner tout fon effor. Saint-Domingue a finguliérement .éprouvé tout ce que peut un fol heureux , une pofition heureufe entre les mains dê cette nation. „  33$ PRÉCIS de l'HISTOIRE L a partie du Sud , occupée par elle, s'étend aclueliement depuis la pointe-a-Pitre jusqu'au cap Tihnron. 11 n'y a que quarante ans, que les Francois fréquentent cette partie de la colonie, malgré Jes vents qui en rendent fouvent la fortie longue & difficile. Ce vafte efpace eft renipli par cent foixante eaféyeres, foixante-dcux indigoteries & foixante cotonneries. La plupart de leurs cultivateurs font pauvrcs & ne peuvent jamais devenir bien riche?. L'iiigratitude du fol leur défend d'afpirer a 1'opulcnce. Aqouin a quinze lieues fur le rivage de la mer, & trois, quatre, quelquefois fix lieues dans 1'intérieur des terres. Cet établiffement compte quarante plantations en indigo, vingt cn café Sc,neuf en coton. Ses plaines furent autrefois trés riches; actuellement des féchéreffes en ont diminué la fertilité; on la leur rendra, en y plantant du fucre, qui tient la terre couverte contre les ardeurs du foleil, pendant dix-huit mois confécutifs. A préfent toutes les produciions du quartier fe réuniffent dans un feul bourg trés enfoncé dans les terres. Saint-L oui s eft une efpece de bourgade qui, quoique batie au commencement du fiecle, n'a qu'une chiquantaine de maifons. Un trés-bon port, mcme pour les°vailfeaux de ligne, décid3 cet établiffcment. Sur un filet, fitué a 1'entrée de la rade, on éleva des fortifications confidérables , qui furent détruites, en 1748, par les Anglois &.qui depuis n'ont pas été rétablies. Le territoire de ce quartier s'étend cinq a fix lieues fur la cóte. Ses montagnes encore  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 337 re cpuvertes de bois cVAeajou, font la plupart fusceptibics de culture; fa plaine inégale offrc quelquefois un fol fertile; & fes nombrcux marais peuvent étre dcfléchés. On n'y compte que vingt caféycres, quinze indigoteries, fix cotonncries & deux fucreries. Cavaillon n'occupe qu8 trois lieues fur les bords de rOcéan. C'eft une grande gorge qui s'étend huit ou neuf lieues dans les terres. On n'y compte que vingt plantations de café, dix d'indigo , fix de coton & dix-fept de .fucre. Les conceffions que le gouvernement y a faitcs, reftcront incultes, jufqu'a ce qu'on ait pratiqué des chemins pour 1'extraeïion des denrées. Cette entreprife, qui eft audeffus des moyens des habitants, devroit être exécutéc par les troupes. L a plaine du fonds de 1'Ifle-a-Vache contient vingtcinq mille quarreaux d'un fol excellent, oü il s'eft formé fucceflivement quatre-vingt-trois fucreries, & l'on y peut en établir environ cinquante. Celles qui exiftent, n'onf guere qu'un tiers de leur cerrein en valeur; & cependant elles donnent une quantité immenfe de fiere brut. Qu'on juge de ce que le territoire entier en fourniroit, s'il étoit convenablement exploité. Toutes les produétions de la plaine font portées a la ville de Cayes, formée par prés de quatre .echts maifons, toutes enfoncées dans un terrein marécageux, & la plupart environnécs d'une eau croupiiïante. Ce défavantagc & celui de la mauvaifc qualité de fa rade, ont fait défirer ii la cour de VerY  338' PRÉCIS de lHISTOIRE failles que les affaires qui s'y traitent, fe portaffent u Saint-Louis. Mais fes efforts ont été intitiles. Ce qu'on pourroit faire, c'eft de former un lit a une ravine dont les débordements furieux caufent fouvent des ravages inexprimables ; c'eft'de purifier & dc fortifier un peu la© ville. L'Abacoü eft une péninfüle que 1'abondance & la qualité de fon indigo rendoient autrefois üoriffante. Depuis que cette plante vorace a détruit tout principe de végétation fur les petites collines tres imullipliées de ce quartier', on ne cnltive avec quelque fuccès que les bords dc la mer, eflrichis de la dépouillc des terres fupéricures. C'eft fur les hautcurs défrichées , épuilées de ce quartier, qu'il conviendroit de multiplier les troupcaux. Les Cóteaux occupent cnviron dix lieues dc rivage , fur une profondeur dc deux jusqu'a dix lieues, Partout on trouve de petites anfes, oü lc débarquement eft facile, fans qu'aucune offre un abri contre le mauvais temps. Le quartier contient vingt-quatre caféycres, trois cotonncries, foixantc-fix indigotcries. Cette dernicre production y a moins diminué en quantité, y a moins dégénéré en qualité qu'ailleurs , avantages qu'il faut attribuer a la nature & a la djfspofition du terrein. T i b u r o n , qui a douze lieues d'étendue fur les bords de la mer, & deux, trois, quatre dans 1'intérieur des terres , termine la cóte. La rade dc cc cap n'offre pas un abri fuffifant contre les tempêtes: mais des batteries bien placées eu peuvent faire un  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 339 lieu de retraite &# de protcetion, pour les batiments Francois, pourfuivis cn temps de guerre dans ces parages. Tiburon a quatre habitations cn coton, trente en indigo & trente-fept cn café. Tous ces établïffements languiffent dans une mifere plus ou moins grande. Elle eft cn partie due a la privation des eaux de pluie, qui fécondent autrepart les campagnes , durant fix mois da 1'année. Le manqtie des negres y eft encore plus fenfible qu'ailleurs. Pour y remédier le gouvernement doit otivrir, pendant dix ou quinze ans , cette portion de ft colonie a tous les étrangers. L'Ouest de la colonie eft bien différent du Sud. Le premier établiffement digne de quelque attention qui s'y préfente, c'eft Jcrémie ou la Grande-Anfe. 11 occupe vingt lieues de cóte, depuis Tiburon jusqu'au Petit-Trou, & quatre ou fix lieues dans les terres. II n'y a gueres que les bords de la mer qui foient habités, & encore le font-ils fort peu. Cependant toutes les denrées qui enrichiffent le refte dc l'ifie y font cultivées. Une produéiion qui lui eft particuliere & dont il recueille annuellement cent cinquante milliers , c'eft le cacao, qui ne réuffiroit pas dans les cantons plus découverts. Le point de réünion eft un botirg joliment bati & fitué fur une" hautcur, oü 1'air eft très-fiilubre. Le temps doit rendre ce marché confidérable. Malheureufement fa rade eft mauvaifc. ■ Le Petit Goave eüt autrefois un grand éclat, & il en fut redevable a un port, oü les vaiffeaux de' Y 2 ƒ  340 PRÉCIS deL'HISTOIRE toute grandeur trouvoicnt un mouillage excellent, des faeilités pour s'abattre, un abri coutre tous les vents. C'étoit 1'afile le plus convenable pour des aventuriers , qui ne fongeoient qu'a s'approprier les dépouilles des navigateurs Efpagnols. Depuis que les cultures ont remplacé la piraterie, ce lieu a beaucoup perdu de fa célébrité. Ce qui lui refte de confidération, il le doit a fes richeffes territoriales, bornées a quinze plantations en fucre, vingt en café & douze £11 indigo ou en coton. 11 eft mal-fain , & le fera, jusqu'a cc qu'on aft réuffi a donner de la pente a la riviere Abaret, dont les eaux croupiffantes forment des marais infëcts. Les dépendances dc Léogane ont de 1'étendue. On y compte vingt habitations confacrées a 1'indigo, quarante au café, dix au coton, cinquante-deux au fucre. Avant le tremblement de terre de 1770, qui détruifit tout, la ville avoit quinze rues bien alignées & quatre cents maifons de pierre qui ne font plus qu'en bois. Sa pofition dans une plaine étroite, féconde, arrofée, nc laifferoit pas beaucoup a délirer, fi un canal de navigation lui ouvroit une communication facile avec fi rade, qui n'eft éloignée que d'un mille. Léogane mériteroit la préférence, s'il étoit raifonnable de faire une place de guerre fur la cóte de 1'Oueft. Le territoire de ce quartier contient quarante fucreries, douze indigoteries, cinquante caféyeres, quinze cotonneries. Ce produit eft grofli par d'autres beaucoup plus confidérables, qui lui viennent  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 341 des rióhes plaincs de Cul-de-Sac, de 1'Arcahaye & des montagnes du Mirabalais. Sous ce point de vue, le Port-au-Prince eft un entrepot important, auquel il falloit ménager une protection fuffifanto pour prévenir une furprifc & pour affureï la retraite des citoyens. Deux iflêts y forment un maurais port. C'eft' cependant cc port qui a décide la conftruétioH de la capitale. Elle occupe en longueur fur le rivage , douze cents toifes , c'cft-a-dire, presque toute 1'ouverturc que la mer a creufée au centre de la cóte de 1'Oucft. Dans cc grand efp'ace qui s'enfonce a une profondcur d'environ cinq cents cinquante toifes, font comme perdues cinq cents cinquante-huit maifons, ou cafés, difperfées dans vingt-neuf rues. Cette rille a peu dc füreté 6; unc pofition mal-füne. Des intéréts particuliers fculs ont'décide le choix de batir une ville dans unc pofition II défavantageui'è. Un treniblement de terre, arrivé en 1770, Pa détruite de fond cn comble; mais unc inftruction auffi amere n'a point fait revenir les habitants fur leurs pas. Us ont rebati la capitale dans le même endroit. Saint-Marc , qui n'a que deux cents maifons, mais agréablcment baties, fe préfente au fond d'une baie couronnée d'un croiffantde collines, remplies de pierres de taille. Deux rttiffeaux traverfent la ville, & Pair qu'on y refpire eft pur.. On ne compte fur fon territoire que dix fucreries, treutedeux indigoterics, cent caféycres , foixante-douze cotonneries. Y3  343 PRÉCIS de l'HISTOIRE L'Autiboniïb eft une excellente plaine de quinze lieues de long, fur une largeur inégale de quatre a neuf lieues. Elle eft coupée en deux par la riviere qui lui donne le nom. L'élevation de ces eaux a donné 1'idée de les fubdivifer. L'on ne concoit pas , pouiq' oi on retardc une opération qui, en fertiiifant le pays, doit donner une augmentation de dix ou douze millions pefant de fucre. Le territoire de Gona'ïvcs eft plataffez uni & fort fee. II a deux plantations cn fucre, dix en café, fix cn indigo cc trente cn coton. Cette derniere production pourroit être aifém nt mnltipiiée fur une grande étendue de fable, qui nc paroit aétuellcment ' propre qu'a cette culture. Lorsqu'on aura un jour diftribué avec inteliigence les eaux de 1'Artibonite, alors on yerra peut-être que c'étoit dans fon port excellent & facile a fortifier, qu'il eut fallu placer le fiege du gouvernement. II s'y trouve des eaux minérales. On les négügea longtemps dans unc coJonic toujours remplie de convalescents & de malades. Enfin, en 1772, on y batit. des bains, des fontaines, quelques logements commodes, un hópital pour les foldats & les matelots. L'0uest de Saint-Domingue eft féparédu Nord par le mole Saint-Nieolas, qui participe des deux cótes. A 1'cxtrémité 'du cap eft un port également beau cc commode. La nature, en le placani vis-avis la pointe du Maifi dc fifle de Cuba, fcmble 1'avoir deftiné a devenir le pofte lc plus intéreflant de 1'Amérique, pour les facilités de la navigation.  PH1L0S0PHIQUE ras DEUX INDES. 343 Sa bui e a quatorze ce«ts cinquante toifcs d'ouverturc. La rade conduit au port & le port au bafiin. Tout ce grand enfonccment eft fain, quoique la mer y'foit comme ftagnante. Lc baffln, qu'on diroit fait expres pour. les carénages ', n'a pas le défaut des ports encaülés: il eft ouvert aux vents d'Qneft & de Nord, fans que leur violence puiffc y troublcr ou rctardcr aucun des mouvements des travaux intérieurs. La péninfule ou le port eft ütué, s'éievc comme par dégrés jusqu'aux plaincs qui repofent fur tme bafe énorme. L E mornc Saint Nicolas n'avoit jamais fixé 1'attention publique. L'ufage que les Anglois firent de fa pofition, durant la guerre de 1756. le tira du néant, oü il étoit refté. Lc minifterc dc France, éclairé par fes ennemis , y établit, en 1767, un entrepot, oü les aavigateufs étrangers pourroient . librement échanger les bois & les beftjaux'qui manquoient a la colonie, cóntrc fes firops & fes caux-dc-vie de fucre que la métropole rcjettoit. Cet arrangement donna nailfance a une ville , aötueilement compofée d'cnviron trois cents maifons dc bois, apportées toutes fiiites de la Nouvelle.Angleterre. Dans le meme diftria , il fe trouve la botirgade de Bompardopolis. Les Acadiens & les Allemands qu'on y avoit transportés, cn 1763^ pêrirent d'abord avec une rapidité eflrayante. Lc peu de ces infortuncs qui avoient échappés aux atteintes funeftes du climat, du chagrin & dc lamifere, ne fongcoient qu'a s'éloigner d'un fol peu fevtile, lorsque les combinaifons iaites Y 4  344 PRÉCIS de l'HISTOIRE dans leur voifmage, releverentun peu leurs efpéranccs. Ils cultiverent des vivres, des fruits, des légumes, qu'ils vendoient aux habitants du port, & même un peu de café,, un peu de coton pour 1'Europe. Après le mole Saint-Nicolas , le premier établiflement qu'on trouve a la cóte du Nord, c'eft le Pon-de-Paix. L'ancienneté de fes défrichements a rendit ce canton un des moins mal-fains de SaintDomiiKjAie . & il eft arrivé depuis longtemps au point de rmheffe & de population, oü il pourroit arriver. La diffic'ulté qu'on trouve d'aborder au Port-de-Paix, lc fépare en quelque forte de la colonie. L e petit Saint-Louis, ie Borgne, le port Margot, Limbé, Lacue font auffi fans communication entre eux. Ces terreins font généralement trop froids pour que les cannes y puiffent profpérer. 11 huit que Part, fecGndé par des dépenfes coniidérables', vienne au fecours de la nature, en améiiorant les terres. On regarde fon café comme lc meilleur dc la colonie. Limbé en récolte feul deux millions pefant, " comparable a celui de la Martinique. C'est peu en comparaifon des produciions du Cap, qui a vingt lieues de long, fur environ quatre de large. B y a peu de pays plus arrofés: mais il ne s'y trouve pas une riviere, oü une chaloupe puiffe remouter plus de trois milles. Tout ce grand efpace elt coupé par des chemins de quarante pieds de large , tirés au cordeau, bordés de haies de cirp.tnniers, & qui ne laifferoient rien a defircr, s'irs  ' PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 345- étoient ornés dc futaics propres a procurer un ombragc délicicux aux voyageurs, & V prévenir la difette de bois, qui commence a fc faire trop fcntir. C'eft lc pays de PAWrique qui prodnit le plus de fucre & de meilleure qualité. La plaine eft courotinée par une chaine dc montagnes , dont la profondeur eft depuis quatre jusqu'a huit lieues. La plupart n'ont que peu d'élevation. Plufieurs peuvent étre cultivées jufqu'a leur fommct. Toutes font remplies d'un nombre prodigieux de caficrs & de tres belles indigoteries. Ce terrein n'a cependant été mis en valeur que depuis 1670, époque a laquelle ils cefferent de craindre PEfpagnol, qui jusqu'alors s'étoit tenu en force dans lc voiiinage. Les maifons s'y multipliercnt, a niefure que les campagnes voifincs étoient défrichées. En 1695, c'étoit une ville affez florilfantc pour exciter la jaloufie & la cupidité des nations ennemies. Pour fon malheur, elle eft batie dans une pofition mal-faine , oü Pair n'eft jamais rafraichi par la0douce halcine des vents dc terre, & oü la réverbération des montagnes doublé les ardeurs du foleil. Cette ville, fuccefiivement enrichic par les campagnes voilïncs, eft coupée , par vingt-neuf rucs tirées au cordcau, en deux •cents vingt-cinq iflets de maifons riantes, qui montent au- nombre de neuf cents. Ces rues font généralement fiües. Aucun des édifices publics y mérite de fixer 1'attention du voyageur. Unc belle inftitution efi celle des maifons de la Providence. Elles fervent a reccvoir les étrangers qui arrivent au Cap Y 5 y %  346 PRÉCIS i>e l'HISTOIRE fans fortune. Le port eft digne de la ville ; il eft admirablement placé pour recevoir les vaiffeaux de toute grandeur. C'eft dans cc fameux entrepot que font verfées plus dc la moitié des denrées de la colonie entiere; elles y arrivent des montagnes, des vallées & des plaines. L'on compte, dans la partie Francoife de Saint-Domingue, trois cents quatrevingt-cinq fucraries cn brut, & deux cents foixante en terre; deux mille cinq cents quatre-vingt-fept indigoterics, quatorze millions dix-huit mille trois cents trente-fix cotonniers , quatre-vingt-douze millions huit cents quatre-vingt-treize mille quatre cents cinq cafiers, fept cents cinquante-fept mille fix cents quatre-vingt-onze cacoyets. Toutes ces cultures réunies produifoient, cn 1775, un revenu de 94,162,178 liv. 16 f. 9 den. Ce revenu & ceux des autres colonies Francoifes réunis fonnoient, la même anuée, une maffe dc 126,378,155 liv. 18 f. 8 den. Le royaume ne confomma de ces produciions que pour 52,793,763 liv. 5 f. 8 den. 11 eii veqdit donc a 1'étranger pour 73,584,392 liv. 13 f. Toutes ces produciions furent exportées des colonies fur cinq cents foixantedeux navires. * Les travaux, qui rendoient ces produciions , occupoient trente-deux millesfix cents cinquante blancs de tout .age & de tout fexe; fix mille trente-fix negres ou mulatres 'libres & environ trois cents mille efclaves. Ces habitants font repartis fur quarante-fix paroiffes. II y en a dont la circonférence eft de vingt lieues. La plupart n'ont que des cabaucs pour pcuxs églifes. Les bourgs font formés par  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 347 les boutiques de quelques marchands, par les atteliers de quelques artifans. II s'y établit les jours dc fête une efpece de marche', oü les efclaves viennént troquer les fruits, les volailles , les autres petites denrées qui leur font propres, contre des meubles, des vêtements, des parures, qui, quoique dc peu de valcur, leur procurent quelques commodités, & les diftinguent de ceux de leurs femblables, qui n'ont pas les mêmes jouiifances. Les villes de la colonie &, cn général, toutes celles des ifles. dc PAmérique , •préfentent un fpectacle bien différent des villes d'Europe. En Europe, nos cités font pcuplé^s d'hommes dc toutes les. claffes, dc toutes les profeffions, de tous les ages; les uns riches & oififs, les autres pauvres & occupés; tous pourfuivant dans le tumulte & dans la foute 1'objet qu'ils ont cn vue ; ceuxci le plaifir, ceux-la la fortune, d'autres la réputation on le bruit du moment, qu'on prend fouvent pour elle, d'autres enfm leur fubfiliance. La diverhté & la force des paffions y prodüifeüt de grands mouvements, des contraftes inattendus, quelques vertus & quelques crimes. A Saint-Dominguc & dans les autres colonies Américaines , lc fpectacle' des villes, eft uniforme & monotone. On. n'y voit que des commiffionnaires , des aubergiftes & des aventuriers. Chacun fe bate de s'enrichir , pour s'éloigner d'un féjour , oü l'on vit fans diftinclions , fans honneurs & fans autre aiguillon que celui de Pintérêt. Indépendamment des produétions mentionnées, la colonie envoye encore quelque fucre .quilque taffia a  348 PRÉCIS de t'HISTOIRE fon voifin , 1'iiidolent Efpagnol, pour les échangcr contre fon porc , fes bceufs fumés, fon bois, fes cuirs & fes bêtes a corne. Les Hollandois de Curaeao envahiffent furtout une grande partie du commerce de la colonie Francoife, durant les guerres, oü ils ne font pas engagés : mais ils y enlèvent auffi quelques produciions, durant la paix. Les liaifons avec les Jamaïcains font beaucoup plus confidérables. Les Anglois envoyent annuellement quatre mille noirs dans la colonie, qui font payés avec du coton, furtout avec de findigo, accepté a plus haut prix que par le commerce national. Ces interlopes Pintroduifent dans leur patrie comme une produétion des ifles Britanniques, & recoivent une gratification de douze fols par livre. Cependant c'eft avec PAmérique Septentrionale que Saint-Domingue entretient une communication plus fuivie & plus néceffaire. Elle y importe fes provifions, qu'eile échange contre vingtcinq on trente mille barriques de firop & contre toutes les produciions qu'on peutou qu'on veutluilivrer. Tel eft 1'état de la colonie durant la paix, avec laquelle" cette profpérité finit. Alors le négociant de la métropole interrompt fes expéditions; 1'habitant de 1'ifle négligé fes travaux. A des Communications importantes & rapides, fuccedent une langueur & un défefpoir, qui durent auffi longtemps que les divifions des nations belligérantes. L'on auroit pu prévenir ces calamités, fi les colons euffent fongé d'abord, en s'établiffant a Saint-Domingue, a tirer leurs provifions de la colonie même. Au refte , la cour de  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 349 Vcrfailles ne parviendra jamais a maintenir, pendant la guerre, des liaifons fuivies avec fa colonie, que par Ie moven de quelques vaiffeaux de ligne au Sud & a 1'Oueft, & d'une bonne efcadre au Nord. Pour mettre cet établiffement important, a 1'abri des attaques ennemies, il fatidra placer, du cöté de 1'Oueft & du Sud, des batteries, qui empêchent une descente. Chaque cóte doit avoir, fur fes derrières, un lieu d'alile toujours ouvert a la retraite, loin de la portee de Pennen», ii 1'abri de fes infultes & capable de le repouffer, une gorge oü l'on put fe retrancher & fe défendre avec avantage. II paroit que la France commence a s'appercevoir que la meilleure proteétion de fes colonies eft fondée dans fa marine; qu'elles font le mieux gardées par des arfénaux mouvants , qui peuvent a la fois défendre & attaquer. Ses flottes devenues formidablcs empêcheront dorénavant fes ennemis de dévafter ces établiffements. La France, en accordant gratuïtement des poffesfions, fins égard pour les facultés des colons, a COntribué ellc-mcme a retïmlpr los onlturps avilir la valeur des terres. II falloit peu d'appui ou de recommandation, poür garder impunément fon domaine en friche. Les corvées en arrêtoient encore les progrès. La contrainte qu'on i'mpofe aux colons de ne livrer leurs denrées qu'a la métropole, devoit a celleci tenir lieu de tout impót. Tout ce qu'ils payent de plus doit être regardé comme extorfion. Mais fourde a ces vérités, la France a taxé chaque tête  s£ö PRÉCIS de l'HIST'OIRE de noir. Cette capitation dure après que le recenfemcnt a été fait, c'eft-a-dire, après la mort. Cependant le fruit que le maitre retire dc fon efclave, ne dépend pas de 1'activité du negre feule, mais auffi de la qualité du terroir. Les denrées n'ont pas d'ailleurs la même valeur. Les récoltes font fujettes a de nombreux acciclents. Cette capitation devient infupportable durant les hoftilités, qui empêchent les colons de mettre a profit leur induftrie. La difficulté de la perception de cet impöt le condamne. Celui qu'on a mis fur les denrées exportées de la colonie eft dans le méme cas. II auroit été plus fitge d'en encourager les cultures par des libéralités, & d'en charger les produciions , lorsqu'cllcs font portées dans la métropole. Ne feroit-il pas effentiel que la caiffe deftinée a recevoir les droits établis furies^ produétions des colonies fut entierement féparée des fermes du royaume? L'argent, qui V feroit toujours comme en dépot, couvriroit les dépenfes dc cet établiffement. ApaÈ3 unc longue indCcifioii , 1'élat paroft avbif fenti la néceffité des miliccs, pour la défenfe des isles. En efFet, elles fervent a maintenir leur police intérieure; a prévenir la révolte des efclaves; a arrêter les courfes des negres _ fugitifs; a empêcher 1'attroupement des voleurs ; a" protéger le cabotage ; a garantir les cótes contre les corfiiircs. La Guadeloupe & la Martinique, quoique révoltces des abus d'une autorité inconftante & précipitée , fe foumirent enfin aux volontés du miuiftefe, en 1767; mais cet  PHILOSOPHÏQUE des DEUX INDES. 35c exemple ne fut fuivi par Saint-Domingue qu'après une réfiftance opiniatre. L'égai/ITÉ dans les partagcs des fuccefiions, quoique juftinée par les loixdala nature, n'eft point praticable dans les colonies, oü la nature des habitations ne fouffre point de divifion. II faut que la fageffe du gouvernement en aboliffant 1'égalité des partages, lui infpire des dédommagemens , pour ceux qu'eile aura dépouillés & f^crifiés en quelque maniere a la fortune publique. Plüsieurs circonftanccs reünies ont contribué a la naiiïancc d'une jurifprüdènce favorable aux débiteurs. La faifie des terres & des cfclave-s a été embarraffée par tant de formalités, qu'on paroit avoir eu le projet de la rendre impraticable. L'opinion a flétri lc petit nombre de créanciers qui entreprenoient de vaincre ces difficultés ; & les tribunaux ne fe prêtoient qu'avec une extréme repugnance aux rigueur» qu'on vouloit exercer. Cependant 1'ordre ne fera rétabli, que lorsque les. créanciers pourront faire fiiifir fins délai, fms frais , fans formalités gênantes, toutes les propriétés dc leur débiteurs. S 1 la' France veut que toutes les produciions de fes colonies doivent étre portécs dans fes ports, elle doit, de fon cóté, a moins que d'être injüfte & tyrannique, pourvoir a tous leurs befoins. Pour. awicliorer le fort des Francois qui vivent aux ifles, 1'état doit en changer Padminiftration. Le premier pas qu'il doit fake pour y parvenir, c'eft  352 PRÉCIS de i/HISTOIRE de limiter Ie pouvoir fans bornes des gouverneurs & des intendants. Ce changement falutaire ötera de leurs mains & dc celles de leurs commis ou de leurs créatures la fortune des colons, dont la propriété n'était que précaire. La population, les richeffes ,& la pofition de la France la mettent cn état d'avoir une marine formidable. L'cxpérience nous a convaincus qu'il ne tient qu'a elle d'en crcer une a fon gré. Elle maintiendra lés forces navales, cn êncourageant fa marine marchandc. Seulc , elle peut former des hommes endurcis aux injures des climats, aux fatigues du travail , aux dangers des tempêtes. Mais ce nouvel ordre des chofes ne s'établira jamais, fi la marine marchande ne fort dc 1'humiliation, oü jusqu'ici elle a été malhcurcufement plongée'; humiliation qui tient les matelots dans un état d'abjection. Au lieu de ces armements découfus de quelques I'égattes ifolées , dont la miffion n'eft d'aucune utijité réelle , lc niiniftere fubfiittiera des efcadres permanente» durant trois ans , ou plus, dans tous les parages de 1'Ancien & du Nouveau - Monde, oü 1'état a des établïffements, oü la nation fait un grand commerce. Que ces croifieres inftruétives occupent conftamment la moitié de fes batiments inférieurs & quelques vaiffeaux de ligne. Alors les officiers , qui ne tiennent aleur état que par la facilité de n'en pas remplir les devoirs, prendront le parti de fe retircr. Alors ceux qui pcrfévéreront dans ce métier périlleux éc honorable, ac- quer-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 353 querront des lumieres, de 1'expérience , de 1'amour d'un élement, oü ils doivent trouver leur gloire & leur fortune. Alors la marine pourra fervir a protéger cfficacemcnt ces colonies. CHAPITR.E XIV.' EtabliJJements des Anglois dans les ijles dc l' Amérique. s diffentions & les guerres civilés d'Angleterre donnerent les premières 1'occafion a des émigrations, & celles-ei a 1'établilTement des colonies dans les ifles de PAmérique, dont la nation venoit de s'emparer. La tranquillité que les Anglois y trouverent, multiplia ces émigrations. Alors on vit palfer aü Nouveau-Monde ces hommes inquiets, pleins de feu, a qui de fortes palfions donnent de grands defirs, infpi. rent de projets vaftes, qui bravent les dangers, les hafards & les travaux , dont ils ne voient que deux ilfues, la mort ou la fortune; qui ne connoilfent que les extrémités de 1'opulence ou de la mifere: également propres a renverfer ou a fervir la patric, a la dévafter ou a Penrichir. Les ifles étoient encore Paffle des négociants ruinés dans leurs affaires, ou des jeunes gens perdus dans la débauche, a qui les colonies fervoient de planche après le naufrage. Ces «vers colons eürent a leur difpofition, pour défriZ*  354 PRÉCIS de l'HISTOIRE cher 6c cultiver leurs terres, les fcélérats des trois royaumes d'Angleterre, qui pour des crimes capitaux avoient mérité la mort: mais que par un cfprit de politique humainc & raifonnéc, on iaifoit vivre pour le bien de la nation. Ces malheureux contrafterent dans les fers lc goüt du travail & des bonnes babitudes, qui les remirent fur la voie de la vertu. Cependant 1'Angleterre étoit trop occupée de fes diffentions pour fonger a donner a fes colonies une légiilatron. Elles s'en formerent une, modelée fur celle de la métropole. Sous ces loix, les ifles Angloifes furent bientót heureufes , mais peu riches. Leur culture fe bornoit au tabac, au coton , au gingembre, a Pindigo. Quelques colons entreprenants allerent chercher aux ifles des cannes a fucre. Elles multiplicrent prodigieufement, mais fans beaucoup d'utilité pour la métropole. Les colonies répandoient elles-mêmes directement leurs denrées partout, oir elles en efpéroient lc meilleur débit; & les navigateurs dc toutes les nations étoient indiflinétcment recus dans leurs ports. Cet arrangement en fit tomber le commerce dans les mains des Hollandois. On voyoit dans les ifles Britanniques,dixdc leurs vaiffeaux contre unnavire Anglois. Mais, lorsque la discorde civile étoit appaifée, le gouvernement vit que ces colons feroient comme perdus pour 1'état, fi les étrangers qui dévoroient le fruit des colonies, n'en étoient exejus. Unnouvelordre des chofes y fut introduit. Alors les travaux s'accrurent de plus en plus dansles ifles Angloifes. Lescoions s'attaclierent principalement a la culture du fucre,  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 355 dont le débit augmentoit chaque jour dans 1'Europe entiere. La concurrcnce des Francois fit après un demi-fiecle tarir cette fourcc de richeffes; & les Anglois fe virent réduits, vers 1'an 1740, de n'en cultiver que pour leurs befoins. La Barbade étoit 1'une des poffeffions Britanniques qui fourniffoit le plus dc cette denree. Quelques families Angloifes s'y tranfportcrcnt, mais fans aucune iniluence de 1'autorité publique. Deux ans après il s'y forma une colonie réguliere. On trouva cette ifle couverte d'arbres fi gros & fi durs, qu'il falloit, pour les abattre, un caraétere, une patience & des befoins peu communs. Des citoycns, las de voir couler le fang de leur patrie, fe haterent de peupler ce féjour étranger. La Barbade recevoit, pour fon bonheur unique , tous les jours de nouveaux habitants , qui lui apportoient avec des capitaux, du goüt pour 1'occupation, du courage, de 1'aéiivité, de 1'ambition. Avec ces moyens , une ifle qui n'a que fept lieues de longueur, depuis deux jufqu'a cinq de largeur & dix-huit lieues de circonférence , s'éleva en moins dc quarante ans a une population de plus dc cent mille ames, a un commerce qui oc-' cupoit quatre cents navires , de cent cinquante tonneaux chacun. Jamais peut-étre le globe n'avoit vu fe former un fi grand nombre de cultivateurs dans un efpacc fi rcfferré, ni crécr de fi riches produétions en fi peu de temps. Ncantmoins la colonie a prodigieufement déchu de fon ancienne profpérité. Ce ü'eft pas qu'on n'y compte encore dix mille blancs Z 2  356 PRÉCIS d-e lTIISTOIRE & cinquante mille noirs: mais les récoltes n'y répondent pas a la population. C'eft que le fol de la colonie eft entiérement ufé; & 1'épuifement du terroif donne un fucre d'une mauvaife qualité. Des féchereffes fréquentes mettent le comble a cet état de détreffe. L'opulence de cette ifle a encore beaucoup diminué, depuis que les autres ifles recoivent leurs efclaves de la Guinée en droiture. Antérieurement rt ce changement il circuioit un affez gros numéraire a la Barbade. Le peu d'argent qu'on y voit encore aujourd'hui, eft tout Efpagnol. Elle préfente généralement un terrein uni , partout fufccptible de culture. On n'y trouve point de rivieres, mais les fourecs d'une eau potable y font affez communes. La pofition de la Barbade 1'ouvre aux invafious ennemies; la plus facile a pratiquer feroit celle qui fe feroit entre la capitale & le bourg Holetown. Cependant le grand nombre de cultivateurs braves & aguerris pourroient rendre cette entreprife plus difficile qu'on nc le croiroit. AntigoAj qui a une forme circulaire & environ vingt milles de long, fut longtemps déferte, faufe de fources. Quelques Anglois fe flatterent de furmonter ce grand obftacle, en recueillant dans des citernes l'eau de pluie. Ony voyoit, en i6"40, une trentaine de funilles. Charles 1'accorda a lord Willoughby; il y fit paffer a fes frais, en 1666, un asfez grand nombre d'habitants. Cette colonie naifiante dut fa richelfe au fucre, dont, a forc.e des foins ingénieux, on vint a bout de corrigcr la mauvaife  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. ZS7 qualité qu'il eut d'abord. Ccttc culture occupoit, en 1741, trois mille cinq cents dix-huit blancs & vingt-fept mille quatre cents dix-huit' noirs. Depuis cette époque lc nombre des hommes libres & beaucoup diminué, & celui des efclaves s'eft accru conlidérablement. Dans des annécs communes, leurs travaux réunis font naitre dix-huit ou vingt millions pefmt dc fucre brut, & unc quantité de rum proportionuée. C'eft dans lc' bourg de Saint-Jean, fitué a I'oueft de 1'ifle 3 que font tous les tribunaux, que s'eft concentrée la plus grande partie de commerce. Un grand intérêt doit exciter 1'Angleterre a prévenir, par tous les moyens poffibles, la décadence d'un établilfcment li pré'cieux, Ceft 1'unique boulevard de fes ifles nombrenfes; c'eft un excellent port, oü les efeadres trouvent réunis, dans des arfénaux & des magafins trés bien entendus, les objets néceffaires pour affurcr leurs opcraiions. La défenfe de cette ifle eft payée par les colons; elle abforbe les deux tiers des 272,58a liv. que ceux-ci fourniffent annuellemenf. C'eft un fardeau trop pefant, & les moyens qu'on a imaginés, pour 1'alléger, ont manqué leur hut. Le commandant géncral d'Antigoa a encore 1'iufpeétion annuejje dc deux petites ifles; & c'eft par Moutferrat qu'il commence ordinairement lil tournee. Cetïe ine fut occupée par les Anglois, cn 1632; elle n'a que huit ou neuf lieues de circonférence. Lts fauvages qui y vivoient paiflblcment, en forent, felon ;i'ufage, chaffés par les ufurpateurs. On Z 3  3o-8 -PRÉCIS de l'HISTOIRE n'y comptoit, cinquaute-fix ans après fa fondation que fept cents habitants. A 1'époque oü nous écrivons , Ia vigilance de mille perfonnes libres & Ie travail de huit mille efclaves , font naitre cinq a fix millions pefant de fucre brut, fur de petites plaines ou dans des vallens, que fertilifent les eaux tombées des montagnes. Son plus grand défavantagc , c'eft de manquer une rade. Kieves eft expofé au même inconvénient. Ce n'eft proprement qu'une montagne tres haute & d'une pente douce , cotironnce par de grands arbres. Les plantations regnent tout autour, &, cnnmencant au bord de la mer, s'élevent prefque jufqu'au fommet. Mais a mcfure qu'elles s"éloignent de la plaine, leur fertilité diminue , paree que leur fol devient plus pierrcux. Ses nombreux ruiffeaux feroient des fources dc richefles, fi les orages ne les changeoient cn torrents. Cette colonie fut longtemps, par 1'cxemple de fon premier gouverneur, un modele. dc vertu. Mais fa vertu ne la mit pas a 1'abri des ravages de la guerre & d'une mortalité affreufe. Ou y voit encore fix cents hommes libres & cinq mille efclaves , dont les impofitions ne paffent pas 45,000 liv. & qui envoyent a 1'Angleterre trois ou quatre millions de fticre brut, que les navigateurs chargent en totalité fous les murs dc Ia jolic ville de Charlcs-Town. Les Anglois & les Francois arrivcrent, le même jour , en 1625, a Saint-Chriftophe. Ces Nations fe partagerentl'ifie; elles fignerent une neutralité pcrpétuelle; elles fe p:omirent des fecours mutuels contre  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 359- Pennend mutucl, c'eft-a-dire, 1'Efpagnol, qui depuis un fiécle envahiffoit ou troubloit 1'un & 1'autre hémilphere. On avoit laiiTc en commtin la chaffe, la péehffj les bois, les rades, les falines. Cet arrangement mêloit trop des hommes qui ne pouvoient s'ainier ; & la jaloufie dLvifa bientót ceux qu'un intérêt momentané avoit unis. En 1702 les Francois cn furent cxpulfés ; le traité d'Utrecht leur óta tout efpoir de retour. Le gouvernement ordonna dans la fuite que toutes les terres fuflent mifes a 1'encan, & que lc prix cn fut porté aux caiffes de 1'état. L'isle , qui eft généralement, mais. très-iiiégalement étroite, peut avoir une furface de trente-fix lieues quarrées. Des monts entafies, fiériles, quoique couverts de verdure , & qui occupent le tiers du terrein , la coupent dans prefque toute fa longueur. On voit éparfes, dans la plaine, des habitations agréablcs, propres, commodes, ornée-s d'avenues, de fontaines & de bofquets. Le gout de la vie champêtre, qui s'eft plus confervé cn Angleterre que dans les autres contrées de 1'Europe civilifée, eft devenu une forte de paffion a Öaint-Chriftophe. Dix-huit cents hommes libres vivent fur leurs. plantations, auxquelles , par les bras de vingt-quatre a vingt-cinq mille efclaves, ils arrachent dix-huit millions pefant d'un fucre brut, le plus beau du Nouveau-Monde. Ce produit met la colonie en état de fournir aifémcat aux dépenfes publ.'q ics, qui nc; pcffe it pas annueUeraent 68,145 liv. 10 f. Z4  3óo PRÉCIS de l'HISTQIRE L a Barboude , qui appartient toute entiere a la familie de Codrington , & dont la circonférence eft de fix a fept lieues, a des cótes dangereufes. Son terrein eft excefiivement uni; on n'y trouve qu'une couche de terre de fix ou fèpt pouces, fur une couche de pierre a chaux. La nature y a placé une grande abondance de tortues; un caprice y a fait envoyer des bêtes ftiuvcs & plufieurs efpeces de gibier ; le hafard y a rempli le bois de pintades & d'autres volailles, échappées des navires dans quelques naufrages. Sur ce fol font nourris des bceufs, des chevaux, des muiets , pour les travaux des établïffements voifins. Sa population fe réduit a trois cents cinquante efclaves & au petit nombre d'homnies libres, chargés de les conduire. L'air y efi trés pur & trés fain. L'Anguille a fept ou huit lieues de long fur une largeur trés inégale, mais qui n'excede jamais deux lieues. On rfy voit ni montagnes , ni bois, ni rivieres. Son fol n'eft qu'une craie. On y cultive un peu de coton, un peu de millet, quelques patates & un peu de fucre. Deux cents perfonnes libres & cinq cents efclaves s'occupent de ces foibles cultures. Les Vierges font un grotipe d'une foixantaine de petites ifles, fa plupart montueufes, feches & arides, oü les Efpagnols de Portoric pêcherent longtemps feuls, des tortues qui y étoient trés abondantes. Les Hollandois venoient dc former un petit établiffement a Tortola, une des meilletires & celle qui a le port  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 3Ö1 Je plus fur , lorfqu'en 1666, ils cn furent èhaffés par' les Anglois. lis y vécurent cn fauvages, jufqu'en 1748; ils ne cultiverent que du coton. Depuis cette époque , ils y ont ajouté lc fucre, dont ib envoyent affez régulierement quatre ou cinq millions pefant a la métropole. Alors on a fongé h leur donner une légiflation. Elle oblige les habitants de ces ifles a payer au fifc quatre & demi pour cent, a la fortie de leurs produétions. L'isle de la Jamaïque peut avoir quarante-trois ou quarante-quatre lieues dc long , & feize ou dix-feot dans fa plus grande largeur. Elle eft coupée de deux chaines de montagnes irrégulieres, oü des rochers affreux font confufement entaffés. Ceux-ci ne laiffcnt pas de potter unc quantité prodigieufe d'arbres de différente efpcces. Leur verdure perpétuelle , ahmentée , cmbcllic par une foule de cafcadcs, forme un printcmps durant toute 1'année , & préfente aux yeux enchantés le plus beau fpeétacle dc la nature. Malheureufement les eaux de ces cafcades ont un goat de cuivre & des qualités nuifibles. Malheureufement le climat de la Jamaïque eft mal-fain; on y périt tres rapidement, & après dettx fieclcs de défnehements, il fe trouve des diftrifts trés fertiles même prés de la capitale , oü un nomme libre ne pasferoit pas la nuit fans une extréme néceffité. Colomb découvrit, en 1494, cette .grande ifle; mais il n'y ferms point d'établiffement. Huit ans après il y fut jetté par une tempête. La perte de fis vaiffeaux, le mettant hors d'état d'en fortir, il Z 5  S62 PRÉCIS de l'HISTOIRE implora 1'humanité des fauvages, & il obtint tous les fecours de la commifération naturelle. Cepei*dant ce peuple qui ne cultivoit que pour fes befoins, fe laffa de nourrir des étrangers , qui 1'expofoient a mourir lui-mème de difette ; & il s'éloigna peu-a-pcu des cótes. Alors les Efpagnols fe porterent a leurs atrocités ordinaires, & ils s'cmporterent jafqu'a prendrc les armes contre un chef humain & jufte,qui n'approuvoit pas leurs férocités. Cependant Colomb cüt 1'adreiTe dc fe fervir de 1'approchp d'une éclipfe de lune, pour arracher des vivres aux Indiens. II n'en manqua plus jufqu'a fon départ. Ce fut Don Diégue, fils de cet hommc extraordinaire, qui iixa les Efpagnols a la Jamaïque. II y fit, en 1509, pafier dc Saint-Domingue foixante-dix brigands fous la conduite dc Jean d'Efquimel. Tous fembloicnt n'aller dans cette ifle paifible, que pour fe baigner dans le fang. humain. Leurs barbaries ne s'arrêterent, que lorsqu'ii ne refla plus un feul homme d'un peuple nombreux, doux, fimple & bienfaifant. Tous les établiffements. élevés fur la cendre des naturels du pays, tomberent a mefure que le travail & le défespoir acheverent d'épuifer le refte des fauvages échappés aux fureurs des premiers iconquérants. Celui de Sant-Jago de la Vega fut le feul qui fe foutint. Les Anglois les en chafferent, en 1665. Avec eux entra la difcorde. L'efprit de divifion qui, en Europe, avoit fi longtemps & fi cruellement déchiré ks deux partis, des royaliftes & des républicains, les fuivit au-dela des mers. Toutefois la fitgeffe du  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 363 gouverneur de la Jamaïque, jointe a la rigueur de fa difcipline , cxcita 1'induftric , encouragée par fes foins, fes confeils, fes exemples & fon desintéreffemcnt. En 16S2 , on donna a la Jamaïque une forme de gouvernement civil. Les loix fages tcndent a favorifer la culture, la population & le courage des habitants. En i7<5i , il fut décidé que tout homme qui ne feroit pas blanc, ne pourroit hénter que de 13,629 liv. 3 f 4 d. Cette loi déplut a plufieurs membres du fénat Britannique; il fc faifit de la conteitation ; 1'un des oratcurs du parlement lut avec confiance le chapitre de Montesquieu fur 1'efclavage; les véritables vues de cet auteur judicieux mal-entendues firent pafier cette loi abfurde, malgré les réclamations de la nature. A n t é r. 1 e u r e m e n t a ces arrangements, la colonie avoit déja acquis de la réputation. Des aventuriers coururent avec unc grande intrépidité fur les vaiffeaux Efpagnols ; lc nombre de ces corfêfres fut groffi parunefoule d'Anglois, accotitumés au fang dans les guerres civilcs , qui les avoient minés. Ces hommes avides de rapine & de carnagc, écumoient les mers, dévaftoient les cótes du Nouveau-Monde. C'étoit a la Jamaïque , qu'étoient toujours portées Par les nationaux, & fouvent par les étrangers , les dépouilles du Mexique & du Pérou. Ils trouvoient dans cette ifle plus de ficilité, d'accueil, de proteftion & de liberté qu'ailleurs, foit pour débarquer, foit pour depenfer a leur gré le burin de leurs courfes. C'cft-la que .la prodigalité de  36*4 PRÉCIS de l'HISTOIRE leurs débauclics les jettoit bientót dans la mifere. Ainfi la colonie s'enrichiffoit des vices qui étoient Ia fource & la ruïne de leurs tréfors. Ces richefTes dcvinrent la bafe d'une nouvelle opulcncc , par la facilité qu'elles donnerent a ouvrir un commerce interlope avec les poffeffions Efpagnoles , oü les Jamaïcains introduilircnt un grand nombre d'efclaves, & d'oü ils tirerent beaucoup de riches productions. Ces tehanges tendoient au grand avantage des deux nations , lorfque la fubftitution des Vaiffeaux de regiftrc aux galions en ralentit la marche. Pour réparcr cette pertc, le miniftere Anglois imagina de füre de la Jamaïque un port franc. Cet arrangement ranima un peu les affaires languiffantes. Quoiqc'il cn foit, il eft certain que les habitans de la Jamaïque s'occupercnt longtemps beaucoup trop d'un commerce fraudulcux, & trop peu dc fes cultures, lis fe livrerent d'abord a celle du cacao, dont les arbres y étoient autrefois plantes par les Efpagnols. Ceux-la ayant vieilli, on leur fubftitua f indigo. La culture en dépérit par le droit que le gouvernement Anglois avoit mis fur cette production, & qu'eile ne pouvoit pas fupporter. II exittoit encore quelques plantations d'indigo , lorsqu'on commenca a s'occuper du coton, du gingembre, du poivre de la Jamaïque & furtout du fucre. Avec le temps il fortit de cette poffeffion une grande abondance de cette derniere denrée , inférieure, a la vérité, a celui qu'on fabriquoit dans les autres colonies: mais dont le rum avoit une fupériorité marquée. A ces cultures on  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 365 joignit celle du café; mais on ne la poufla jamais fi loin que chez les nations rivales. La Jamaïque étoit, felon 1'opiuion commune, cn 1756,.au fafte de fa profpérité poffible. L'ifie enticre peut contenir trois millions huit cents mille acres dc terre. Les montagnes, les rochers, les lacs, les marais, les rivieres , d'autres lieux nécelfairement perdus pour les travaux utiles, cn occupent un miliion fept cents vingt-huit mille quatre cents trente-un. Le gouvernement en a ïucceffivement accordé un miliion fix cents foixante-onze mille cinq cents foixante-neuf, qui font défrichés, ou qui peuvent 1'être. II en refte encore a concéder quatre cents mille, qui attendent des bras & des moyens d'exploitation. En 1775, la Jamaïque comptoit dix-huit mille cinq cents blancs, trois mille fept cents noirs ou mulatres libres, & cent quatre-vingt-dix mille neuf cents quatorze efclaves. Cent dix mille de ces malheureux font placés fur fix cents quatre-vingts, fucreries. Le refte eft employé a d'autres travaux. T.PS dépenfes ordinaire.* dc la colonie s'élevent annuellement a 817,750 liv. On y pourvoye au moyen des impofitions fur les maifons , fur les produétions, fur les boiffons étrangeres & fur les têtes des noirs. Les monnóies qui circulent habituellement dans 1'ifle , ne paffent pas 954,041 liv. Ce foible numéraire eft plus que fuffifant, paree qu'il ne fert qu'aux plus petits détails de commerce. Les produdions réunies que la Jamaïque envoye, dans la métropole , forment année commune une maffe de 40,812,000. On n'cmploye  oó6 PRÉCIS de e'HISTOIRË a cette navigation que des navires de cent cinquanté tonncaux. Les Anglois ne fe furent pas plutöt rendus maitres de la Jamaïque, que lc foin de rendre cette conquête utile £c de sJcn affurer la poffeffion, les occupa. Les défrichements entrepris par les Efpagnols 6c les avantages d'une rade immenfe, füre, commode, -arrêterent fagement leurs regards fur Port-Royal; elle devint une cité célebrc. Son climat eft mal-faiii', mais la foif des richeffes & des plaifiis y avoit réuni une opulence imiffenfe & beaucoup de corrupüon. Cette ville fut détruite , en 1692 , par un tremblement de terre, qui fit un dégat iafini d'édinces, de vaiffeaux & d'hommes. Cette calamité fe répéta. Alors les habitants fc rcfugient aKingstown, fitué fur la même baie. Ce bourg devient bientót une ville agréable & floriffante. Cependant Sant-Yago de la Vega, que les Anglois ont appellé Spanish-Town, jouit de la prérogative d'être la capitale dc 1'ifle, Deux régiments de troupes réglées fervent a la défenfe de cette ifle importante. Mais ces troupes, fuffent-elles auffi bonnes qu'elles font raauvaifes, ne la préfervcroient pas de 1'invafiou; elles feroient bientót réduites a capituler devant des forces navalcs, fupérieures a celles qu'on auroit deftinées pour les apptiyer. L a Jamaïque eft d'aiileurs expofée a des dangers domeftiques, plus a craindre encore. Lorfque les Efpagnols furent obligés d'abandonner cette ifle aux Anglois, ils y laifferent un affez grand nombre de negres & de muiatres, qui, las de leur efelavage,  PHILOSOPHIQUE bes DEUX INDES. 367; pikeqt la réfolution de chercher, dans les montagnes, une liberté que fcmbloit leur offrir la fuite de leurs tyrans. Après avoir établi des réglements qui dcvoicnt affurer leur union, ils plantcrent du maïs & du cacao dans les lieux les plus iuacceffibles de leur retraite. Mais 1'iinpoffibilité dc fubfifter jufqu'au temps de leur récolte, les forga de defcendre dans la plaine, pour y dérober des vivres. Ce pillage impatienta le conquérant; il déclara la guerre la plus vive a ces raviffeurs* Plufieurs furent mafi'acrés. Le plus grand nombre fe foumit. Cinquante ou foixante feulement trouverent encore des rochers, pour y vivre ou mourir libres. Les efclaves que Phorreur du travail ou la peur des chatiments, jettoit dans le défespoir , ne tarderent pas a chercher un afile dans les bois, oü ils étoient fürs de trouver des compagnons prêts a les affifter. Le nombre des fugitifs augmenta tous les jours. On les vit bientót déferter par elfaims, après avoir maffacré leurs maitres, & dépouillé les habitations qu'ils livroient aux Hammes. Les noirs fe batiffoient dans les montagnes bleucs la ville de Nauny. Envain la colonie affemble toutes fes forces pour les exterminer. Forcés de céder au nombre ou a Padrefiè, ils fe retranchent dans 'des lieux inacceffibles. Après neuf mois de combats & de courfes , on abandonne enfin le projet de les foumettre. Les Anglois rebutés de courfes & d'armements inutiles, tomberent dans un découragement univerfel. En 1739, le gouverneur Trelatmay conclut avec eux un traité , qui porta que le chef qu'ils fe choifi-  gö§ PRÉCIS de l'HISTOIRË roient eux-mêmes, recevroit fa commiffion du godvernement Anglois ; qu'il fe rendroit tous les ans dans la capitale de la colonie, s'il en étoit requis ; que deux blancs réfideroient habituellement auprès de lui, pour maintenir une harmonie utile aux deux nations ; qu'il ne donneroit plus de retraite aux efclaves 'fu'dtifs & qu'il prendroit les armes avec tous les fiens , fi la colonie étoit jamais attaquée. Cette petite république ne compte plus dans fon fein que trcize cents individus, hommes, femmes, enfants, répartis dans cinq ou fix villages. Encouragés par cet cxemple, les negres ont révolté deux fois: des mefures, dictees par la barbarie, préviennent des foulèvements futurs. Néamnoins un moment fuffit; une defcente heurcufe a la Jamaïque peut faire paffer des armes a des hommes qui ont 1'ame ulcérée & le bras levé contre leurs opprefleurs. La perte de la Jamaïque feroit cependant une chofe funefte pour 1'Angleterre. La nature 1'a placée a 1'entrée du golfe Mexique, & 1'a rendue comme la clef de ce riche pays. Les vaiffeaux qui vont de Carthagêne a la Havane, font forcés de paffer lelongdc fes cótes. La umltitude & 1'exceHcncc de fes rades lui donnent la facilité de lancer des vailfeaux de guerre de tous les points de fit circonférence. Mais fi l'on arrivé aifément a la Jamaïque par des vents ahfés , il n'eft pas auffi facile d'en fortir. Les navigateurs partis des ifles Lucayes n'éprouvent pas les mêmcs difficultés. On en compte envïron deux cents, toutes fituées au nord de Cuba. ( La  KÜLOSOPHIQUE des DEUX INDES. 369 La plupart ne font que des rochers a fleur d'eau. Colomb qui les découvrit en arrivant dans le Nouveau-Monde , & qui donna lc nom dc San-Salvador a celle oü il aborda, n'y forma point d'établifiement» En 1507 , les Efpagnols en enleverent tous les ha^ bitans , qui pérircnt tous dans les travaux des mines, ou dans la pêche des perles. Après plufieurs révolütions , les Anglois ont réufli a s'établir dans Pifle de la Providence & dans les ifles voiflnes, oü l'on compte actuellement une population de trois ou quatre mille ames. Ces colons cnvoyent annuellement pour quarante ou cinquante mille écus en coton, en bois de teinture, en'tortues vivantes; & avec leur fel ils payent les vivres que.leur fotirnit PAmérique Septentrionale. Ces ifles font fufceptibles d'une culture beaucoup plus animée; mais une pofition trop favorable a la piraterie a tourné les vues des habitants vers la courfe. Ceux des Bermudes font moins inquiets. Cet archipel, éloigné d'envirou trois cents lieues de celui des Antiiies, fut découvert en 1527 par PEfpagnol Jean Bermudes, qui lui donna fon nom, mais fins y aborder. Ces petites ifles fixerent fuccefiivement Pattention des Efpagnols, des Portugais, des Francois & des Anglois. Une compagnie formée a Londres, en 1612, y envoya foixante hommes , que beaucoup d'autres ne tarderent pas a fuivre. ïls occuperent d'abord Saint-George , celle des ifles qui avoit le meilleur port, & avec le temps toutes celles q| étoient fufceptibles de culture. Ce qu'on publioit Aa  §7° PRÉCIS de l'HISTOIRE de la falubrité, de la douceur de ce climat, y attlra des colons de toutes les parties de Pempire Britannique. Mais ce charme difparut, & ces ifles tomberent dans Poubli que méritoit leur petitefie. Ces ifles font extrêmemeut nombreufes , & n'occupent qu'un efpace de fix a fept lieues. Le fol y eft d'une «ature médiocre, fans aucune fource pour 1'arrofer. On' n'y boit d'autre eau que celle des puits & des citernes. Le maïs, les légumes, beaucoup de fruits excellents y donnent une nourriture abondante & faine. Le hafard a raffemblé fous ce ciel pur & tempéré quatre ou cinq mille habitants. Leurs liaifons de commerce avec 1'Angleterre ne paftent pas annuellement cent vingt mille livres, & celles qu'ils ontformées dans le continent de PAmérique ne font gueres plus étendues. L'induftrie de ces infulaires s'eft bornée a la fabrique des toiles a voile, occupation qui s'allioit fi naturellement avec la confirucbion de ces petits batiments de cedre ou d'acajou, qui n'ont jamais eu d'égaux, fur le globe, ni pour la marche, ni pour la durée. Les principaux habitants des ifles Bermudes formerent, en 1765, une fociété, dont les ftatuts font peut-être le monument le plus refpeétable qui ait jamais honoré Phumanité. Ces vertueux ckoyens s'engagerent a former une bibliotheque de tous les livres écouomiques, en quelq e langue qu'ils eulfent e'té écrits; a procurer aux perfonnes valides des deux fexes une occupation convenable a leur caraéiere-; a récompenfer tout honinie qui auroit introduit dans la i  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDE". 371 colonie un art nouveau, ou qui auroit perfeclionné un art déja connu; a donner une penfion a tout journalier qui, après quarante ans d'un travail affidu & d'une réputation faine, n'auroit pu araaffer des fonds fuffifants pour couler fes derniers jours fans inquiétnde; a dédonunager enfin tout individu que le magiftrat ou le miniftere, auroit opprimé. Le fuccès de la guerre, terminée en 1763, donna au domaine de la puiffance Britannique une ex* tenfion confidérable , dont la Grenade fut la partie la plus riche. Cette ifle a vingt-une lieues de circonférence , fix dans fon plus grand diametre & quatre de 1'Eft a 1'Oueft. Son terroir eft prefque généralement fertile , & fufceptible de quelque culture fuivant fit qualité & fon expofition qu'on n'étudie pas affez. Plufieurs fources arrofent cette ifle; elles fervent encore a fiüre rouler des moulins a fucre. La Grenade n'eft pas affiigée par ces ouragans fi fréquents dans les autres ifles. Son port principal fe nommeBaffe-Terre ou Saint-George. Avant les Anglois la Grenade avoit été un domaine de la France. Ceux-la n'y débuterent pas heureufement. Un grand nombre d'entre eux voulurent avoir des plantations daris une ifle, dont on s'étoit fait d'avance la plus haute idéé; & dans leur enthoufiasme, ils les acheterent beaucoup au-deffus de leur valeur réelle. Cette fureur fit fortir de la métropole trente-cinq ou irentc-fix millions de livres. Les nouveaux colons fubftituerent de nouvelles méthodes a celles de leurs prédeceffeurs. Les negres fe révolterent. 11 fallut Aa s  37a PRÉCIS de lHISTOIRE faire marcher des troupes & verfer du fang. Tout? la colonie fe remplit d'inquiétudes... La réfolution du parlement, qui vint d'accordcr aux Catholiquesromains la permiilion d'y étre membres de 1'adminiftration, occaüonna de nouveaux mécontentements. Les colons , débiteurs envers les capitaliftes de la métropole, incapables de faire honneur a leurs engagements, devinrent infolvables. Malgré ces revers & ceux des incendies effroyables, les produciions ont tripié , depuis que cette colonie eft fortie des mains des Francois. Elle eft devenue la feconde des ifles Angloifes. Sa nouvelle métropole en recoit annuellement dix-huit millions pefant de fucre , qui a 40 livres le quintal produifent, en Europe, 7,200,000 liv.; un miliion cent mille galons de rum, qui a> 1 liv. lof. le galon produifent 1,650,000 liv.; trente mille quintaux de café, qui a 50 liv. le quintal produifent 1,500,000 liv.; trois mille quintaux de cacao, qui a 50 liv. le quintal produifent 150,000 liv.; trois cents quintaux d'indigo , qui a 800 liv. le quintal produifent 240,000 liv.; treize mille quintaux de coton, qui a 150 liv. le quintal produifent 1,950,000 liv.: c'eft en tout 12,690,000 livres. Dans cereveJïu eft compris celui que donnent les Grenadins. Ce font une douzaine de petites ifles, depuis trois jufqu'a Imit lieues de circonférence. On n'y voit point couler de riviere, & le climat en eft cependant très-fain. Tabago, acquis a la Grande-Bretagne, a la même époque & par le même traité, n'eft féparé de 1'ifle Efpagnole de la Trinité que par un canal de  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 373 neuf lieues. Cette islc a dix lieues de long fur quatre dans fa plus grande largeur. Elle a deux rades. Sa population étoit autrefois trés grande. Les Hollandois y jetterent les premiers les fondements d'une colonie. Elle fut malheureufe. Après plufieurs révoiutions, les Francois les en chafferent. Ceux-ci négligerent cette isle importante, au point dc n'y pas euvoycr un feul homme. Lc néant oü on 1'avoit foiffée, ne 1'avoit pas dérobée a 1'ceil avide dc 1'Angleterrc , a laquclle elle fut cédée par le traité de 1763. Les nouveaux habitants des Antiiies, preiTc's de joüir, abattirent des forêts entieres. Auffi-tót des vapeurs épalffes s'élevcrent d'un fol échauffé pour la première fois des rayons du foleil. Elles augmentereftt, a mcfurc qu'on fouilla les champs, pour Jes enCémencer ou pour les planter. Cette pratique rendit le climat encore plus mal-fain. Afin de préver.ir la mortalité qu'eile entraine, on auroit dü éviter (lorsquc la nature du terrein n'y met point d'obftacle) de fe placer fous le vent, de peur qu'il n'apportat dans le fein des nouvelles habitations les vapeurs nuiliblcs de terres nouvellement défiichécs; on auroit du aUumer, pendant la nuit, du feu dans les cafés , pour divifer lc mauvais air qui pourroit s'y être introduit. Ces précautious prifes, on commenceroit a abattre les arbres, mais a 1'éloigucmcnt dc cinquante toifes.au moins des cabanes; On accoutumer'oit les negres iinenfiblemeut aux fatigucs du traAa 3  374 PRÉCIS del'HISTOIRE vail. Faute de ces foins, les Anglois & leurs esclavers périrent en foule a Tabago, quoique venus enfcmble des colonies voifines. Eclairés par ce désïiftre, \\s fe placereHt au-dcffus du vent, & la mort ceffa fes ravages. Cc ne fut qu'en 1766, que furent adjugés quatorze mille acres de terre, divifés en portions de cinq cents acres chacune. A&uellement on n'y compte pas encore plus que quatre cents blancs & huit mille noirs. Leur prospérité a été arrêtée par les fourmis. Les quarante mille quintaux de fucre que rendoient trente habitations, ont été depuis réduits a la moitié. Les Francois & les Anglois convinrent que les isles de la Dominique & de Saint-Vincent refteroient en propre aux Caraïbes. Quelques - uns de ces fauvages , disperfés jufqu'a ce moment, allerent y chercher ieur alile. La cupidité des Francois fit romnre cette convention. Ceux-ci y avoient établi des ctrlTures importantes, lorsque Saint-Vincent tomba fous la domination Angloife & y fut attaché par le traité de 1763. Cette isle peut avoir quarante lieues de circuit; elle eft coupée par d'excelients vallons & arrofée par quelques rivieres. Elle n'a pas encore beaucoup prospéré fous fes nouveaux maitres. Sa population ne monte pas au-deffus de cinq cents blancs & de fept ou huit mille noirs. Leurs travaux ne donnent que douze quintaux dc coton, iix millions pefant de trés-beau fucre & trois cents foixante mille galons de rum. La Dominique étoit habitée par fes propres en-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 375 fants. En 1732, on y trouva neuf cents trente - huit Caraïbes , répandus dans trente - deux carbets. Leur occupation, celle de quelques mulatres libres k d'un petit nombre de families Francoifes, fe bornoient a élever des volailles, a culüver des denrées comeftibles pour la confommation de la Martinique, & a foigner foixante - douze mille deux cents pieds de coton. Lc café vint augmenter la maffe de ces foibles produciions. Enfin riste comptoit fix cents blancs & deux mille noirs a la paix de 1763, qui en lit une poffeffion Angloife, Au premier Janvier 1778, on y- comptoit quinze cents foixante-quatorze blancs de tout age & de tout fexe ; cinq cents foixante - quatorze mulatres ou noirs libres; quatorze mille trois cents huit efclaves. La Dominique avoit alors foixante-cinq fucrerics, qui occupoient cinq mille deux cents cinquante - fept acres de terre'. trois miilc trois cents foixante - neuf acres plantés en café, a railbn dc mille pieds par acre; quatrevingt-ncuf acres plantés cn coton, araifon de mille pieds par acre; foixante - neuf acres d'indigo, & foixante arbres de cauefice. Cet établiffement effuya, des fes premiers pas', une infidélité des plus criminelles. Plufieurs de fes cultivateurs avoient obtenu du commerce des avances tres confidérables. Pour nc pas payer leurs dettes, ils fe réfugiereut avec leurs csclavcs dans les Mes Francoifes, oü une prof tcélion marquée leur fut accordée.. Inutilement on les réclama. Alors les Anglois affuroient a tous cs émigrante Francois Pavantage de jouir avec fécuA a 4  376 PRÉCIS de l'HISTOIRE rité de toutes les richeffes qu'ils porteroient a laDo« minique. L'Angkterre vouloit, en même temps, attirer a la Dominique les produciions des colonies Francoifes. . C'eft pour Pexccution de ce grand projet, qu'en 1766 furent rcndues libres toutes les rades de cette isle. Ces avantages ne font que précaircs. Mais fa pofition qui la place entre la Guadeloupe & la Martinique, fait qu'eile menace toutes les deux. Les isles Angloifes font généralcment plus étendues que fertiles. Les meiileures terres font défrichées depuis longtemps Elles fe : trou vent presque toutes expofées a des féchereffes qui ruinent les travaux entrepris. La quantité des produétions y a diminué, proportion gardée aux bras qu'on a employés a leur extraction. Le nombre des blancs a diminué, celui des noirs a augmenté. Cette disproportion devient alarmante, depuis que les colons enrëgimentés ne font plus en état d'en repouffer Pattaque. Les colonies font obligées de pourvoir a leurs dépenfes intérieures ,. devenues eonfidérables par Pimportance des falaires accordés aux adminiftrateurs. Cependant tout refpire Populence dans les établiffements Anglois des Indes Occidentales ; elle eft due a la facilité , avec laqucllc les colons ont trouvé des fonds dans leur prtrie. Ces dettes s'élevent a trois cents foixante millions de livres. Autrefois les colonies n'avoient des liaifons qu'avec la capitale feule. Briftol, Livcrpool, Lancaster, Glasgow y ontpris defmis une affez grande part.  PIIILOSOPHTQUE des DEUX INDES. 377 L' II1 s T o IR E du grand archipel de 1'Amérique ne fcauroit être mieux terminée que'par une ré'capitulation des avantages qu'il procure aux puiffances qui Pont fuccelfivement envahi. Ces isles donnent annuellement quinze millions a 1'Efpagne; huit aü Dannemarck; trente a la Hollande ; quatre-vingt-deux a 1'Angleterre ; cent vingt-fix a la France. Les Européens donnent en échange, mais avec un avantage marqué , ce que leurs attelicrs & leur fol fourniucnt. Les produétions de cet archipel font Punique bafe du commerce de PAfrique , étendent les pêcheries & les défrichements de PAmérique Septentrionale, procurent des débouchés avantageux aux manufaétures de 1'Afie , doublent, triplent 'peut - être 1'aétivité de 1'Europe entiere. Cette aétivité deviendroit beaucoup plus confidérable, fi les colons pouvoient jouir d'une liberté illimitée. Lc fort futur de cet archipel immenfe dépend d'évenements, qu'il n'eft pas donné a la fagacité humainc de prévoir. CHAPIT1E XV, EtabiiJJiments des Francois dans VAmériquz Septentrionale. C-/ETTE hiftoire va prendre un afpeét tout différent. La nature va changer de face. La partie du globe, qui va fixer nos regards, n'offrira point cet or, ces mines, fources de tant d'horreurs ! Les A a 5  3?8 PRÉCIS de l'HISTOIRE fauvages poffelfeurs de PAmérique Septentrionale ne feront point une.race abatardie , fms force de corps & d'ame; mais des chaffeurs, des guerriers, qui fe caraétériferont par la férocité la plus inouïe, par la plus héroïque magnanimité & la plus abfurde fuperfiition. Celle - ci eit le propre du genre humain de tout pays, de tout temps. Elle défigne peut-être un élan de Phomme ignorant & peureux vers Pauteur de fon exiftence, d'un enfant qui cherche fon pere dans les ténebres. E n 1562, l'amiral de Coligny envoya Jean Ribaud dans la Floride. Cette contrée immenfe s'étendoit alors depuis le Mexique jusqu'au pays, que les Anglois ont cultivé depuis fous le nom de Caroline. Les Espagnols Pavoient découvert en 1512, mais ils Pavoient méprifé. La tentative des Frangois d'y former une colonie, fut malheureufe par 1'inconféquence de leur caractere , malgré la faïubrité du climat, la fertilité du terroir, la douceur des fauvages. L'Espagne , accoutumée de regarder PAmérique comme fon domaine, en chaffa ces prétendus ufurpateurs. Cet acte, accompagné des horreurs qui étoient dans le coftume de ces temps, fut vengé par un feul Francois, Dominique de Gourgue, né au Mont - Marfan en Gascognc, navigateur habile & har-, oi, ennemi des Espagnols, dont il avoit recu des outrages peribnnels, paffionné pour fa patrie, pour ïe« expédidons périlleufes & pour la gloire. Tels furent les motifs qi:i 1'animerent a vendre fon bien, a f'ire cünftruire des vaiffeaux, achoifir des compagnons  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 379 digues de lui. II attaque les affaffins de fes compatriotes, les bat partout & les fait pendre. Alors' il reprend la route de fa patrie. Cependant les Francois , égards par le fanatisme , oublicrcnt le Nouveau - Monde. Enfin le généreux Henri les guérit de cette hideufc pafiion. Alors la nation concut des projets utiles. Crainte de provoqUer les Espagnols, alors tout - puiflants, on s'en éloigna. Des navigateurs hardis , conduits par des pêcheurs expérimentés, allerent reconnoïtre TerreNcuve & le golfe de Saint - Laurent. Toutes ces entreprifes furent malheureufes, pour avoir été couduites par des compagnies exciufives. Cependant Samuel de Champlain remonta bien avant le Fieuve Saint-Laurent & jetta fur fes bords, en ióbo, les fondements de Quebec, qui devint le berceau, le centre, la capitale de la Nouvelle - France ou du Canada. Ce pays n'offroit aux premiers rer gards que des forêts fombres, épaüïes & profondes, dont la feule hatiteur atteftoit 1'ancienneté. Des rivieres fans nombre venoient de loin arrofer ces contrées, & y former des lacs immenfes. La nature y déployoit un luxe de fécondité, une magnificence, unc majefté, qui commandoient la vénération. Le cliiïiat n'y perdoit rien de fa falubrité par la rigueur /mguliere d'un froid long & violent. Les habitants de cet apre climat étoient cependant mal vètus. Un manteau de buffle ou de caflor, ferré par une ceinture de cuir ; une chauflüre dc peau de chevreuil: tel étoit leur habillement avant  380 PRÉCIS de l'HISTOIRE leur commerce avec nous, Ce qu'ils y ont ajouté depuis, a toujours excitè les lamentations de leurs vieillards fur la dccadence des mceurs. Les femmes s'occupoient feules de leur uniqtie culture, celle du maïs: leur vie & leur gloire étoient la chaffe. Tous fe mettoient en campagne, les hommes pour tuer le gibier , les femmes pour lc porter & le fécher. L'hiver en étoit la belle faifon. Ces fauvages paffoient a la courfe la plupart des animaux légers; leur chaffe fut rarement malheurcufe. Au défaut dc gibier , on vivoit de gland. Dans les intervalles des chaifes on en réparoit les inftruments. Ceux d'entrè eux qui s'étoient réunis cn bourgades , avoient cu la précaution de les entourer de paliffades. Leur itature étoit trés belle, mais plus propre aux fatigues des courfes qu'aux peines du travail. Ils avoient un air de férocité; leur peau étoit d'un rouge obfeur & fale; ils la frottoient de la graiffe des quadrupedes ou dc 1'huile de poiffon. Leur population étoit peu nombreufe; elle fut fouvent retardée par des famines affreufes ; un grand nombre de jeunes fauvages périfToient par le froid & par les fatigues. Ceux-même qui furvivoient a une fituation auffi pénible, étoient peu propres a la génération. On trouva dans le Canada trois langues - meres, 1'Algonquine, la Sioufe éc la Huronnc. Les dialeétes fe multiplioient autant que les bourgades. On n'y remarquoit point de termes abftraits. Les langues prenoient un caractere vivant , poétique, enne. Elles étoient accompagué.s de beaucoup dc  PHÏLOSOPHIQUE des DEUX INDES. 3Sr gefticulations. Ces peuples étoient divifés en plufieurs petites nations, gouveinées par des chefs héréditaires ou éleétifs. Les mceurs maiuteöoient en paix ces fociétés fans loix, comme fans biens. Un refpect mutuel étoit obfervé parmi eux. Une bienfaifan.ee générale, une hofpitalité illimitée font encore le fonds de leur caraétere. Tous ils font égaux entre eux, fans égard pour des rangs ou des conditions. Leurs •amours ne font que froids, malgré la beauté des femmes," dont les agrémeftts ne font comptés que durant le temps de leur indépendance. Quand les gens mariés ne fe conviennent plus, ils fe féparent de concert, & partagent les enfants entre eux: ce feroit , difent-ils, offenfer lc grand efprit de vivre dans un état de contrainte & de chagrin. Dès Page lc plus tendre, on refpeéte dans les enfants Pindépendance naturelle. Jamais on ne les bat, jamais on ne les gronde , pour ne pas abattre cet efprit libre & martial, qui doit former un jour la bafe de leur caraétere. Ils font les enfants les plus heureux de la terre. Ces fauvages cultivent entre eux une amitié trés vive & inébranlable ; des intéréts oppofés ne Paltcrent jamais. Tout devient commun entre deux amis. Ces peuples ont une fagacité & une pénétration extraordinaires. Ils aiment la mufique, mais leurs chanfons font monotones. Leurs danfes font prefque toujours une image de la guerre , & communément exécutées les armes a la main. Les jeux, furtout ceux de hafird, font leur amufement principal. Alors ils deviennent quelquefois forcenés, avides, turbulents; ils y per-  382 PRÉCIS de l'HISTOIRË dent le repos, la raifon & tout ce qu'ils polfedemV Ils adorent confufement ub premier être; ils femblent avoir quelque idee d'une autre vie; mais ils ne la croient pas deftinée a la punition du crime, a la récompenfe de la vertu. La fuperitition les inquiete fur leurs fonges , qu'ils prennent pour des avis des dieux; & la crainte qui met cette opinion dans leur1 ame, ajoute a leur férocité par la mélancolie, dont elle teint toutes leurs idéés & leurs fombres regards. Les vieilles femmes, inutile* au monde , rêvent pour la füreté de 1'état, comme parmi nous les indolents prient & chantent. Vainement on a travaillé durant deux fiécles a diffiper des illufions fi profondement enracinées. Vous autres Chrétiens ^ ont conftam-' ment répondu les fauvages, vous vous moque^ de la foi que nous accordons aux fonges, & vous exige? que nous croyions des chofes infiniment moins vraifemblables. La chaffe eft fouvent parmi les Canadiens un germe de guerre ; une légere efcarmouche eft la femence d'une difcorde éternelle. Quand il y n fiijet de guerre, cc n'eft pas un homme qui en juge, qui la décide & la déclare: la nation s'affemble & le chef parle. On pefe les dangers & les fuites d'une rupture. Lorsqu'elle eft décidée a 1'unanimité des voix, les alliés y font invités. Raremen> ceux-ci s'y refufent. Enfuite on s'occupe a choifir un chef. L'éloignement qu'ils ont pour la gêne, ne les a pas empêché d'en fentir la néceffité. Celui qui a Pair le plus guerrier, la voix la' plus forte, eft créé capitaine. II faut fubir bien  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 3S3 des épreuves, avant d'être recu foldat; il faut qu'if puiffe fouffrir, fans gémir, les ardeurs du foleil les rudes gelees de la nuit, lés piqüres fanglantes des infeétes. Du milieu des feftins, des chants & des danfes tia fe mettent en marche. Ils ont pour toutes armes, une efpece de javelot heWé de pointes d'osüs ontuncaffe-tète. C'eft une petite haehe, qu'il* mament avec une dextérité iurprenante. Lorsqu'ils attaquent des palilfades qui entourent les bourgades ils fe couvrent le corps d'un bois léger. Les ar' méés fe font fuivre, dans les expéditions, par des rêveurs qui décident tres fouvent des opérations. Tontel armee eft mie, fes étendards. Ces guerres fe tournent fouvent en rufes. L'honneur eft d'acca bier Pennemi, fans qu'il s'y attende. La gloire du chef eft de ramener tous fes compagnons. Lorsqu'on a le bonheur d'arriver a llmprovifïe prés de l ennemi, il fe fait une décharge générale de fleches, & l'on fond fur lui le caffe-téte a la niain. Celui qui l'emporte,acheve les bleffés qu'il ne pourroit emmener, arrache aux morts leur chevelure pour toute depomlle, & fait des prifonniers. Le vainqueur fe hate de retourner dans fa bourgade. C'eft-la qu<011 le recoit avec les tranfports de la plus vive tóe, avec des éloges qui font fa récompenfe. Enfuite ou .;occnpe du fort des prifonniers, uniqöe fruit de la viétoire. Les heureux font ceux qu'on choifit pour lemplacer les guerriers que la nation a perdus dans 1 adion qui vient de fe pafler. Ils y prefaneht tous *es titres du mort qu'ils remplacent. Les captifs que  384 PRÉCIS de L'HISTOIRE perfonne n'adopte, font bientót condamnés a la mort. On y prépare les vicümes par tout ce qui peut leur faire regretter la vie. Les femmes 1'emportent dans la commune joie. Celle a qui lc prifonnier eft livré , ïnvoque 'auffitót 1'ombre d'un pere , d'un époux, d'tm bis , de 1'être le plus cher qui lui refte a veneer. Frappant & muülant fa viéume attachée au poteau, elle donne le lignal de toutes les cruautés. Dans des tourments trés vifs & trés variés, rien ne les arrête, que la crainte d'en hater la mort. Son fupplice dure quelquefois une femaine. Au milieu de ces horreurs, le héros chante , d'une maniere barbare , la gloire de fes anciennes vi&oires; il chante le plaiür qu'il eut autrefois d'immolcr fes ennemis. Le patiënt meurt, fans que le feu ou le fer ayent pu lui arracher une larme, un foupir. C e caraétere s'étoit fmgulierement déployé dans la guerre des Iroquois & des Algonquins. Ces deux peuples, les plus nombreux du Canada, avoient formé une efpece de confédération. Des difputes troublerent cette alliance. Les Algonquins attendirent que les Iroquois fuffent endormis , & leur cafferent a tous la tête. Leurs compatriotes outragés jurerent de périr ou de fe venger. D'abord ils allerent au loin s'esfayer & s'aguerrir contre des nations moins redoutables. Alors ils allerent faire la guerre a ce peuple , avec une férocité proportiounéc a leur reffeatiment. ' Sur. ces entrefaites les Francois pavoiffent dans le Canada. Les Montagner, les Algonquins, les Hu-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. tf$ Hurons, quelques peuples moins eonfidérablcs favorifent ces étrangers. Ils virent dans eux une reffource inopinée contre les Iroquois". Les Francois eurent J'inconfïdération d'époufer cette querelle. Ceux-ci n'eurent pas plutót tué , a coups d'arquebufe , deux Iroquois, & bleffé mortellement le troifieme^ que 1'armée entiere, également étonnée & coufternée, prit la fuite. On peut conjeéiurer que tous les Iroquois auroient été détruits ou forcés de vivre eu paix, files Hollandois qui, en io~io, avoient fondé a fon voifinage la colonie de la Nouvelle-Belge, ne leur euffent fourni des munitions. Ce changemnet ne fit qu'affoiblir toutes ces nations. Cependant les Francois ne s'élevoient pas fur tant de débris En 1627, ils n'avoient encore que trois miférables bourgades. C'eft que cette nation y gémiffoit fous 1'oppreljion d'une compagnie exclufive. Celle-ci jouiffoit des privileges les plus éminents, des gratifications royales. La guerre furvenue avec 1'Angleterre troubla les efpérances fbndées fur une affociation auffi favorifée. Celle-ci ayant été caffée, en ï668, on commenca a y vivre pour. la première fois en paix & en abondance, par la liberté qu'on vint d'accorder au commerce, & parl'amitié, qui fubfiftoit alors entre les Francois &les fiuvages. Mais cette Concorde ne pouvoit pas durer chez des peuples, toujours armés pour la chaffe, faas les contenir 'par la crainte. La foibleffe des Francois fit bientót revenir les Iroquois a ce caraétere remuant, que leur donnoit 1'amour de la vengeance & de la domination. Bb  386 PRÉCIS be l'HISTOIRÉ Les Anglois devenus les poffeffeurs de la Nouvelle» Beige, qu'ils ont nommée depuis Nouvelle-York, cncouragerent les Iroquois a faire la guerre aux Francois. II doit fuffire d'indiquer que la paix de Ris•wick fit ceifer tout-a-la fois les calamités de 1'Europe & les hoftilités de PAmérique. Cet exemple fut fuivi par les Hurons & les Iroquois. Alors le commerce des pelleteries, qui font la bafe des liaifons des Francois avec les fiuivagcs, reprit de la confiftance. En effet, lors de Parrivée des Francois au Canada, fes foréts immenfes n'avoient été qu'un vafte repairc de bêtes fauves, de loutres, de fouines, de rats-de-bois, de rats mufqués , d'hermines, de martres, de loups-cervicrs , de renards , d'ours , de caftors. Le leéteur curieux peut trouver 1'hiftoire de 1'économie de ces animaux, dans les auteurs de 1'hiftoire naturelle. La préémince du caftor juftifie toutefois une petite digreffion cn fa faveur. Cet animal, doué d'une fagacité extraordinaire, d'un inftinét pour vivre en fociété avec fes feinblables, eft doux, fenfible, plaintif, nicarnacier, ni fanguinaire , ni guerrier. Long d'cnviron trois a quatre pieds , épais dans une proportion , qui lui donne entre cinquante & foixante livres de pefmteur, qu'il doit furtout è la groffeur de fes mufcles, il a la tête comme un rat , & il la porte baiffée avec le dos arqué comme un fouris. II nage au moyen des membranes qu'il a aux pieds de derrière. Ses doigts féparés aux pieds de devant lui tiennent lieu de mains. Sa queue plate, ovale, couverte d'écailles, lui fert *  PHILOSOPHIQUÊ des DEUX INDES. 387 trainer & a travailler; il a quatre dents incifives & tranchantes, & il en fait des outils decharpente. Dans 1'état ifolé a peine öfe-t-il fe défendre. A moins qu'il 'ne foit pris, il ne fcait pas mordre. Les caftors fe raffemblcnt en été, pour batir leurs bourgades d'hiver. Ils fe réuniffent au nombre de deux ou trois cents, mais toujours fur le bord des eaux. Quand ils ne trouvent point d'étang, ils en forment dans lés eaux courantes des fleuves óu des ruifieaux; & c'eft par le moyen d'une chamTée ou d'une digue. La ils conftruifent un pilotis de cent pieds de longueur, fur une épailfeurde douze piéds a la bafe, qui décroit jufqu'a deux ou trois pieds, par Un talus • dont la pente & la hauteur répondent a. la profondeur des eaux. S'il fe trouve fur les bords du fieuve un gros arbre, il faut 1'abattre, pour qu'il tombe de lui-même en travers fur le courant. Füt-il plus gros que le corps d'un homme, onlefcie, ou plutót on le ronge au pied, avec quatre dents tranchantes. II eft bientót dépouillé de fes branches par le peuple ouvrier, qui veut en faire une poutre. Unè foule d'arbres plus petits, font également abattus, mis en pieces & taillés pour le pilotis qu'on prépare! Les uns trament ces arbres jufqu'aux bords de la riviere ; d'autres les cónduifent fur l'eau jufqu'a 1'endroit oü doit fe faire la chauflee. Chaque compagnie fe conftruit une cabane dans l'eau, furce pilotis. Ces cabanes ont depuis quatre jufqu'a dix pieds de diametre, fur une enceinte ronde ou ovale. II y en a de deux ou trois étages, felon le nombre des families Bb 2  388 PRÉCIS de i/HISTOIRE ou ménages. Une cabane en contient au moins un ou deux & quelquefois dix a quinze. Les murailles, plus ou moins élevées , ont environ deux pieds d'épaiffeur, & fe terminent toutes en forme de voute ou d'anfe de panier, maconnées en dedans & en dehors avec autant de propreté que de folidité. Les parois en font revêlues d'une efpece de ftuc impénétrable a l'eau & a Pair extérieur. Chaque maifon a deux portcs; 1'une du cöté de la terre , pour aller faire des provifions ; 1'autre vers le cours des eaux, pour s'enfuir a 1'approche des chasfeurs. La fenêtre de la maifon eft ouvette du cöté de l'eau. On y prend le frais durant le jour, piongé dans le bain a demi-corps. On fait des provifions d'écorce & de branches tendres, dans des magafms particuliers a chaque cabane, & proportionnés au nombre de fes habitants. Chacun reconnoit fon magafm, & perfonne ne va piller celui de fes voitins. Chaque tribu vit dans fon quartier, contente de fon domaine, mais jaloufe de la propriété qu'eile s'en eft acquife par le travail. On y ramaffe, on y confomme, fans querelles, les provifions de la communauté. L'unique paffion eft 1'amour conjugal. Les deux' époux fe retirent dans leur cabane dés 1'automne. Alors ils ne fe quittent plus. Les meres congoivent & portent les doux gages de cette paffion univerfelle de la nature. Si quelque beau foleil vient égayer la trifte fiifon, le couple heureux fort de fa cabane , va fe promener fur le bord de 1'étang ou de la riviere, y manger de 1'écorce frai-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 389 che, y refpirer les falutaires exhalaifons de la terre. Vers la fin de 1'hiver la mere met au jour deux ou trois petits. Lc peuple qne nous venons de décrire , feroit heureux fans la perfécution de riiomme, qui le prend a l'aflut, dans des attrapes, ou au moyen d'une chaffe générale. Pour rentrer dans notre fujet, le commerce des pelleteries fut feul capable de faire iieurir les affaires des Francois dans le Canada. Cette profpérité exci.a la jaloufie des Anglois dc la Nouvelle-York. L'attention que cette nation a eue généralement de s'attirer le commerce, & de le favorifer par des loix fages , fit bientót tarir, pour les Francois , cette fpurce de richeffes. Ceux-ci fortoicnt eux-mêmes de leurs établilfements pour porter leurs fourrures chez les Anglais, oü ils les vendoient avec un plus grand profit & oü ils alloient fe fixer \ jamais. Le mimftèrc de France jugea finalcment a propos d'affermer la traite des pelleteries ; ce qui fit totalement difparoitre les fauvages , rébutés de 1'avidité efcs fermiers. La décadence des affaires de la France, au Canada, alla toujours en augmentant, lorfque 1'éiévation du duc d'Anjou , fur le tróne de Charles-Quint , replongea 1'Europe dans les horreurs d'une guerre unir verfelle. La paix d'Utrecht, qui les fit cefier, obligea Louis XIV de céder, a 1'Angleterre, la baye de Hudfon, Terre-Neuve & 1'Acadie, Pour réparer cette perte, la France tourna fes premiers regards vers 1'ifle du Cap Breton , fituée entre les quarante-cinq & les quarante-fept dégrés de Bb 3  3po PRÉCIS de l'HISTOIRE latitude Nord; elle eft a 1'entrée du golphe Saint» Laurent. Terre-Neuve, a Ton Oriënt, fur la même. embouchure , n'en eft éloignée que de quinze ou feize lieues : l'Acadie,a fon Couchant, n'en eft féparée que par un détroit de trois ou quatre lieues. Ainfi placée entre les domaines de fes ennemis , elle menacoit leurs poffeflions, en protégeant celles de fes maitres. Sa longueur eft d'environ trente-fix lieues, & fa plus grande largeur de vingt-deux. Elle eft hériffée, dans toute fi circonférence 3 de petits rochers féparés par les vagues,. au-deffus defquelles plufieurs élevent leur fomraet. Ses ports ne font ouvcrts qu'a 1'Orient. II n'y a que quelques endroits montueux qui ont de la folidité ; tout le refte n'eft qu'une mouffe légere & de l'eau. Son cliniat eft trèsfroid, mais 1'air n'y eft pas mal-fain. Les Frangois 1'occuperent au mois d'Aoüt 1713 ; ils lui donnerent le nom d'Ifie-Royale , & ils formerent leur principal établiffement dans le Fort-Dauphin. Celui-ei jouiffoit d'un affez bon port; le terrein y étoit moins ingrat qu'ailleurs. La difficulté d'y entrer le fit abandonner dans la fuite , pour s'établir a Louisbourg. En 1720 011 commenca a le fortifier. On employa, a ces ouvrages , trente millions. On ne crut pas que ce fut trop pour foutenir les pêcheries . & pour s'affurer la communication dc la France avec le Canada. En effet, la pêche de la morue fêche fut la principale occupation de la colonie. Les habitans, moins aifés, y employoient annuellement deux cents chaïoupes, & les plus riches cinquante a foixante  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 391 bateaux de trente a cinquante tonneaux. Les chaloupes ne s'éloignoient jamais au-dela de quatre a cinq lieues de la cóte, & revenoient tous les jours porter leur poiflbn, qui, préparé fur le champ, avoit toujours le dégré de perfeétion, dont il étoit fufceptible. Les batiments plus conlidérables alloient faire leur pêche plus loin, gardoient plufieurs jours leur morue ; & comme elle prenoit fouvent trop de fel, elle étoit moins recherchée. Mais la facilité de la pêche & celle de trouver des débouchés, les dédommageoient de cet inconvénient. Cependant les colons ne laiffoient pas de languir dans la mifere la plus affreufe. Ce mal tiroit fi fource de la dépendance oü leur pauvreté les avoit jettés en arrivant dans 1'ifle, Les habitants de 1'ifle de Saint-Jean jouhToient d'une fituation plus heureufe. Plus avancée dans lc golphe Saint-Laurent, elle a vingt-deux lieues de long, mais elle n'a guere plus qu'une dans ft plus grande largeur. Elle a la figure d'un croiffant. L'on.. ne commenga d'en fentir 1'importance , qu'après la pacification d'Utrecht. L'hiver y eft long, le frcid cxceffif, la neige abondante , la quantité d'infeétes prodigieufe : une cóte fiüne, un port excellent, & des havres commodes rachetent ces défagréments, Son terroir eft propre a plufieurs cultures ; le gibier & les bêtes fauves y font fins nombre; les meilieures fortes de poiffons y abondent : la population des fauvages y étoit plus confidérable qu'ailleurs. Ces avantages n'avoient pas empéché que cette ifle 11c fut tombée dans 1'otibli ; lorfque les Acadiens commtnBb 4  3p2 PRÉCIS de l'HISTOIRE cerent a s'y rendre, en 1746. Avec le temps ils s'y réunirent jufqu'au nombre de trois mille cent cinqüa'nte-quatre. Comme ils étoient la plupart cultivateurs , fur tout habitués a élever des troupeaux; le gouvernement crut devoir les fixer a ce genre d'occupation : mais il s'y méprit, en leur prohibant la pêche de la morue. La grande & belle contréede la Louyfiane, que les Efpagnols comprenoient autrefois dans la Floride, refta long-temps inconnue aux habitants du Canada! Ce ne fut qu'en i<5<5o qu'ils en foupconnerent 1'exiftence. Avertis par les fauvages qu'il y avoit , a 1'üccident de la colonie, un grand fieuve qui couloit, ni a 1'Eft ni au Nord, ils en conclurent qu'il devoit fe rendre au golphe du Mexique, s'il couloit au Sud, ou dans 1'Océan Pacifique , s'il fe déchargeoit a 1'Oueft. Le foin d'éclaircir cette conjeéture eft confié a deux Francois , Joliet & Marquette. Ceux-ci réuffiffent a découvrir ce fleuve, a en affdrer la diredion. Son embouchure fe trouve dans lc golphe du Mexique. Le pays qu'il arrofe eft nommé Louyfiane. Elle fut le berceau d'efpérances chimériques , que 1'Ecoffois Law eut 1'adreffe' d'infinuer dans le miniftere de France, a une époque, oü la décadcnce des finances de 1'état demandoient un remede extraordinaire. Ce mouvement convulfif de toute la nation, dura pendant les années 1718 & 1719. La Louyfiane eft une vafte contrée, bornée au Midi par la mer, au Levant par la Floride & la Ca-  PHILQSOPHIQUE des DEUX INDES. 393 rojine , au Couchant par le Nouveau Mexique, au Nord par le Canada & par des terres inconnues, quj doivent s'étendre jufqu'a la baye 'de Hudfon. II n'eft pas poflible de fixer fa longueur avec précifion : mais fa largeur eft de deux cents lieues. Le climat y varié felon la qualité du fol. L'hiver y eft généralement pluvieux, 1'été orageux. L'air y eft plus froid qu'on devroit 1'attendre de fit latitude. Les maladies y font rares, fur-tout dans la Louyfiane baffe. Cette falubrité eft peut-être due aux fréquents tonnerres. Tout annoncoit la fertiftté de ce pays. D'heureufes expériences ont depuis confirmé ces augures fxvorables. La navigation fur le Miffiffipi eft lente & difficile. Cet obftacle eft un des plus grands que la France ait eu a furmonter dans la formation de fes ctabliffements. Les habitants de la Louyfiane étoient des fiuvages , divifés en plufieurs nations toutes ennemies, quoique féparées par des déferts immenfes. Des feuillages entrelallës , étendus fur des piettx, formoient leurs habitations. Des peaux des bêtes fauycs couvroient les tribus qui n'alloient pas tout-afait nues. Les mceurs de ces peuples étoient les mêmcs que celles des Canadaiens; mais avec moins de force & de courage, moins d'énergie & d'intclligenCe, moins de caraétere. La plus remarquable de ces nations étoit celle des Natchez. Un fouverain, le plus tibfolti, les gouvernoit fous le titre de grand foleil. Elles habitent la rive oriëntale du Miffiffipi, depuis la riviere d'Iberville jufqu'a 1'Ohio , c'eft-adire , un efpace dc quatre cents lieues. Le climat Bb 5  394 PRÉCIS de l'HISTOIRE Je leur pays eft fain & tempérc , le terroir fertile & affez élevé pour n'avóir rien a craindre des innondations du fieuve. Ces avantages y attirerent les Francois; ils fe propofercnt d'y former le eentre dc la colonie. Leur avidité & leur injuftice firent ceffer les liaifons de commerce qu'ils avoient formées avec les fauvages. Ceux-ci commencerent bientót a fe dégoüter de 1'oppreffion de leurs tvrans. Mais leur entreprife, pour s'en de'faire, n'eut qu'en partie fon effet. Les troubles , occafionnés par cet événement , ont duré jufqu'en 1736 ; depuis cette époque la paix de la Louyfiane n'a plus été troublée. Quoique les Francois duffent fouhaiter de s'approcher du Mexique, ils n'ont formé aucun établiffement fur la cóte, qui eft a 1'Oueft du Miffiffipi. On aura craint, fans doute, d'offenfer 1'Efpagne, qui n'auroit pas patieniment fouffert ce voifinage. Al'Eftdti fieuve l'on voit le fort Mobile. II fervoit a contenir , dans 1'alliance des Frangois , les Chaétas , les Alimbous, d'autres peuplades moins nombreufes,& a s'affurer de leurs pelleteries. La Nouvelle-Orléans, fituée a trente lieues de 1'océan, eftle premier établiffement qui fe préfente. On jetta les premiers fonments de cette ville en 1717 ; mais ce ne fut qu'en 1722 qu'eile prït quelque confiftance, qu'eile devint la capitale de la Louyfiane. Jamais elle n'a compté plus de feize cents habitants, partie libres, partie efclaves. Les indigoteiies forment hur occupation principale. Des eaux ftagnantes & mtrécageufes en  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 395 féparent les plantations. Ori rencontre encore quelques colonies Frangoifes, répandues fur les bords du Miffiffipi. Leur foible population , difperfée dans une étendue de cinq cents lieues, ne s'eft jamais élevéc au-deffus dc fept mille blanes, fans y comprendre les troupes, qui varioient depuis trois cents jufqu'a deux mille hommes. Us envoyoient a la France quatre-vingts milliers d'indigo, quelques cuirs , & beaucoup de pelleteries; ils envoyoient aux ifles du fuif, des viandes fumées, des légumes, du riz, du maïs, du brai, du goudron , du merrein & des bois de charpcnte. Ces objets réunis pouvoient valoir 2,000,000 livres. Cette fomme étoit payée a la colonie en marchandifes d'Europe, & en produciions des Indes Occidcntales. Les dépenfes publiques pafferent fouvent, en pleine paix, le produit entier dc ces établiffements. Des Francois Proteftants feroient allés s'y fixer en foule, fi le gouvernement leur eut laiffé la liberté de confcieuce, qui leur fut refufée jufques dans les domaines Frangois du NouveattMonde. Cependant la France auroit pu tirer des avantages infinis de ce pays; elle y auroit pu prendre tout fon tabac, dont elle confomme annuellement vingt millions livres pefant. Une perfpeétive auffi avantageufe ceffa ; la cour de Verfiülles annonca, le 21 Avril 1764, aux habitants de la Louyfiane, que par une convention fecrete du 3 Novembre 1762, on avoit abandonné, a celle de Madrid, la propriété de leur territoire. De quelque maniere que la politiquc veuille envifa-  39 il y wok environ dix mille habitants. La ville des Trois-Riviercs n'a fait que languir; fa population ne s'eft jamais élevée au-deffus de quinze cents hommes. Soixante lieues au-deffus de Quebec eft la ville de Montréal. De tous les pays qui 1'environnent, il n'en eft 'point ou le climat foit auffi doux , la nature auffi belle, le tcrroir auffi ferdle. Elle devint avec le temps une ville réguliéremcnt batie & bien percée , qui contenoit quatre mille habitants. Les autres colons étoient épars fur les rives du fieuve Saint-Laurent. Rien de plus beau que de voir les payfigcs depuis Quebec jufqu'a Montréal ; 1'ccil ne fe laffe jamais de les contempler. Tous ces colons auroient joui d'une plus grande aifance, fi les loix n'euffentrendu les poffeffions divifibles. Oiichaugea les loix vers 1'an 1745. La plupart des habitants avoient une vingtaine de moutons , dont la toifon leur étoit précieufe ; dix ou douze vaches qui leur donnoient du lait ; cinq ou fix bcetifs deftinés au labourage. Tous ces animaux étoient petits , mais  3o8 PRÉCIS de l'HISTOIRÉ d'une cliair exquife. Ils avoient encore ün affez grand nombre de chevaux*, qui ü'étoieHt pas beaux, mais durs a la fatigue, & propres a faire fur la neige deë courfes prodigieufes. Au-deffus de Ia fource du fieuve de Saint-Laurent, & dans les contrées connues fous lc nom de pays d'en-haut, on voyoit huit mille cölons, plus communément adonnés a la chaffe & aü Commerce, qu'a 1'agriculture. Dans le dclfein d'empecher les fauvages de porter leurs pelleteries' chez la nation rivale, la France avoit bati, k des diftances confidérables, des fortifications: Mais les Francois, établis dans le Canada, étoient généralcment denués des qualités convenables a. leur état. Ils ne donnoient que des moments paffagers a 1'occupation qui devoit les nourrir. Le refte du temps étoit confumé dans 1'inaction , au cabaret, ou a courir fur la neige avec des traineaux. Ils n'exercoicnt que nonchalemmant 1'agriculturc. Les habitants des villes paffoient leurs jours dans une diffipation continuelle. Ils n'étoient fenfibles qu'aux plaifirs de la danfe. Le gouvernement . au lieu de tirer les hommes dé cet état d'anéantiffement, les tint dans 1'opprelïion & le découragement. Les cultures gémilfoient fous des impöts , que la pattvreté des colons ne pouvoit fupporter. Leurs befoins firent fortir du Canada tout l'argent qu'ils y avoient porté en s'y fixant. Les finances du département de la colonie étoient dans un défordre extréme. Les dépenfes anhu elles du gouvernement avoient monté, en huit ans, de deux millions jufqu'a vingt-fept. Ce pays méritoit-il le facrilice de ce qu'il coütoit a la  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 399 métropole ? Non. Mais au lieu d'être onéreux a 1'état, il auroit pu 1'enrichir par un grand nombre de produétions , de grains, de fhlaifons, de fer, des bois , des caftors, de la pêche des baleincsqu'on auroit dü efiayer dans le golphe Saint-Laurent, oü la morue fe plait beaucoup encore. Tout concouroit a la profpérité des établiffements du Canada, s'ils euffent cté fecondés par des hommes qui fembloient y avoir le plus d'intérêt. II faut pourtant convenir que la nature oppofa quelques obftacles au bonheur de ces peuples ; des rivieres fermées,par les glacés, pendant fix mois de 1'année, des brouillards épais pendant les fix autres mois, des cataracles qui rendent les fleuves impraticables. T b e étoit 1'état des chofes au Canada. Le gouvernement en étoit confié , en 1747 , a la Galiffonnerie ; lorfque les prétentions des Anglois , pour étendre leur domaine jufqu'a la rive méridionale du fieuve Saint - Laurent ( que la Galiffbnneric jugea devoir être borné par les Apalaches) occafionnerent des hoftilités, plutót autorifées qu'avouées par les deux royaumes. George II jugea qu'une fituation fi équivoque ne convenoit pas a fes intéréts, ni a la fupériorité de fes forces de mer. Les Anglois s'emparerent de Pïïle Royale, mais pour la rendre a la paix d'Aix-Ia-Chapelle. Cette polfeffion fut attaquée de nouveau, en 1758. Ce fut le 1 Juin qu'une flotte compofée de vingt-trois vaiffeaux de ligne, 'de dix-huit frégates, qui portoient feise mille hommes de troupes aguenies, jetta 1'ancre dans la baye  400 PRÉCIS de l'HISTOIRË de Gabarus, a une lieue de Louisbourg. Les aiïiégés fe conduifirent avec beaucoup de bravoure. Elle fut foutenue par 1'exemple de 1'époufe du gouverneur, Madame Drucourt. Le fort fut enfin obligé de fe rendre; mais la capitulation fut honorable. La conquête de riflc-Royale ouvrit le chemin du Canada, oü l'on porta, dès 1'annce fuivante ,1aguerre, qui devint fameufe par nombre d'actions capablcs d'illuftrer les deux nations. A Ia fin de Juin 1759, une Hotte Angloife , oü l'on comptoit trois cents voiles, & qui étoit commandée par l'amiral Saunders, fe fit voir fur lc fieuve Saint-Ltiurent. Huit brülots lancés contre cette forcc, Pauroient mife cn cendres, fans 1'inconduite de ceux qui dirigeoient cette entreprife. Quelque temps après la capitale du Canada capitula. Cependant la prife de Quebec ne rendit pas encore les Anglois de tranquilles poffeffeurs de ce pays immenfe. Une poignéc de Frangois rétarda encore , pour quelques moments , une defiinée qui parut inévitable. Mais leur entreprife, pour s'emparer par un coup de main de la capitale, fut malheureufe. Les Francois ne voyant point arriver du fecöurs de la patrie, furent obligés de lever le fiege & de fe replier jufqu'a Mont'éal. Ces braves gens furent enfin réduits a capituler devant des forces fupérieures. Les traités de paix cimenterent la conquête. Les Anglois regardoient cette acquifition comme le dernier terme de leur grandeur. Le miniftere Frangois croyoit avoir tout perdu par ce fit' crifice. Les  FHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 401 Les événcmcnts paroiffent vouloir .prouver , que cette conquête doit entrainer la ruinc de ia nation victorieufe; CHAPITiE XVI. Colonies Angloifes de la baye de Hudfon , du. Canada , de l'ijle Saint-Jean , de Terre-Ncuve s de la Nouvelle-Ecoffe, de la Nouvelle-Angleterre , de la Nouvelle - York , de la NouvelleJerfey. E regne d'Eüzabeth vit éclore une affociation de marchands, formée dans le defiein de par* tager les richeflés dont les Efpagnols avoient fi longtemps abul'é pour troubler la tranquülité des autrés peuples. Les deux vaiffeaux qu'eile expédia, mouiilercnt dans la baye dc Roenoque , qui fait a préfent partie de la Caroline. Cette expédition fut fans fuccès, & la compagnie ne fit que languir. La colonie tomba, avec la difgrace de fon fondateur \Valter Raleigh, dans un entier oubli. Seulemcnt un de fes directeurs, Gofwold, aborda quelques années après dans lc pays , connu de nos jours fous 'le nom de Virginic, d'oü il avoit apporté une riche cargaifon de pelleteries. Cc pays étoit d'aillcurs d'une grande ferttiié; mais 1'aifance étoit alors fi générale en Angleterre , que le defir de s'expatricr pour coutir après Ce  4o2 PRÉCIS de L'HISTOIRE la fortune ne 'tentoit perfonne. II n'y avoit que des paflions religieufes, capables de peupler ce nouveau continent ; en effet , il dut fes premiers habitants aux presbytériens, qu'un fanatifme ambitieux perfécutoit dans leur patrie. La fausfaclion dont ils jouiffoient dans leur retraite, les multiplia. Le nombre en fut augmenté par des aventuriers, que 1'efpérance de redreffer leur fortune fit paffer dans 1'Amérique, par des milliers de malheureux, opprimés dans leur patrie par la tyrannie ou 1'intolérance de leurs fouverains. Les Européens qui aborderent les premiers dans les colonies Angloifes, y trouverent d'immenfes forêts. Les gros arbres, que la terre y avoit pouffcs jufqu'aux nues, y étoient embarraffés de plantes rampantes, qui en interdifoient 1'approche. Des bétes féroces rendoient ces forêts encore 'plus inaccefiibles. ön n'y rencontroit que quelques fauvages , hérilfés du poil & de la dépouille de ces niónftres. Les humains épars fe füyoient, ou ne fe cherchoient que pour fe détruire. La terre y fembloit inutile a Phomme , & s'occuper moins a le nourrir qu'a fe peupler d'animaux plus dociles aux loix de la nature. Elle produifoit tout a fon gré, fims aidc & fans maitre; elle entaffoit toutes fes produciions avec une profufion indépendantc, ne voulant étre féconde & belle que pour elle-même , non pour 1'agrément & la commodité d'une feule efpece d'étres. Les fleuves couloient, tantöt librement -au milieu des forêts, tantöt dormoient & s'étendoient tranquillement au fein de vaftes marais, d'oii fe répandant par diverfes ifiues,  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. m ils enchamoient, ils enfermoient des ifles dans une multitude de bras. Le printcmps renaiflbit des débris de Pautomne. Les feuilles féchées & pourrie* a« pied des arbres, leur redonnoient une nouvelle feve qui repouflbit des fleurs. Des troncs , creufés par je temps , fervoient de retraite a d'innombrables oifeaux La mer bondilTant fur les cótes & dans les goiphcs f f f P,aifük 1 a créneler , y vomilfoit par bandes des monftres amphibies, d'énormes cétacées, des tortues & des crabes qui venoient fe jouer ^ dLTertCS & £'y Hvrer aUX P'« dc la liberté & de Pamour. C'eft-la que la nature exercoit fa force créatrice , en reproduifant (ahs ceife ces grandes efpeces qu'eile couve dans les abymes de i océan. Toüt-a-coüp Phomme y parut, & PAmérique feptentnonale changea de face. II y porta Ia ffi * * Paulx de la fymétrie, avec les inftruments detous les arts. Auffitót des bois impraticables s'ouvrent & reeoivent dans de larges clairieres des habitations commodes. Les animaux deftruéieurs cédent la place 1 dGS trouPeaüx domeftiques; & les ronces arides aux moiflbns abondantes. Les eaux abandonnent ure partie de leur domaine, & s'écoulent dans le fein de Ia terre ou de la mer par des canaux profonds. Les cotes fe rempliffent de cités, les aafes de vaiffeaux& le Nouveau-Monde fubit le joug de Phomme, £ I exemple de 1'ancicn. Le tableau que nous venons de mettre fous les yeux du leéteur, eft trop éteudu pour qu'il pui& Cc %  402 PRÉCIS de l'HISTOIRE étre éclairci , achcvé, illuminé, fans que nous le reprenions par fes détails. Dans 1'enfoncement de cette étendue innnenfe eft un objet ifolé , qui ne fait point maffe avec Pcnfcmblc 3 c'eft la baye dc Hudfon, Ce détroit, dont la profondeur eft de dixdégrés, eft formé par 1'Océan , dans les régions éloignées, au Nord de PAmérique. Son embouchure a fix lieues dc largcur. L'entrée n'en eft praticable que depuis lc commcncemcnt dc Juillct, jufqu'a la fin dc Saptembre. Cette navigation devient dangereufc par des montagnes de glacé, auxquelles on donne quinze a dix-huit cents pieds d'épaiffcur, & qui s'étant formées par un hiver permanent de cinq ou fix ans dans "de petits golphes étcvnellement remplis dc neige, en ont été détachées par le vent dn Nord-oueft , ou par quelque caufc extraordinaire. Ce vent y excite, durant 1'hiver, des tempêtes effroyables, d'autant plus a craindre, que les bas-fonds y font tres-communs. Dans les contrées qui bordent cette baye , lc foleil nc fe leve, ne fe couche jamais, fims un grand ccne dc lumiere. Lorfque ce phénomene a difparu, Paurorc boréalc en prend la place, & blanclnt Phemifpherc de rayons fi colorés & fi bri'dants , que leur éclat n'eft pas même effacé par la pleiae iune. Dans Ie printemps & dans 1'automnc , Pair eft habitucllcmcut rempli dc bvouillards épais ; & durant Phiver, d'une iufmité de rlcches glaciales. Le tonnerre & les éclairs y font rares. Un des eifets de ee climat eft de rendre blancs, cu hiver, les animaux qui font, die leur nature , bruns ou giis. Tous ont recu de  PHILOSOPHIQÜE des DEUX INDES. 405 1 • Ia nature des fourrures douces , longnes, épaiffes mais dont le poil tombe a mefure que le temps s'adoucit. Sous cc ciel trifte & morne, toutes les liqueurs deviennent folides en fe gélant. L'cfprit-dc-vin même y perd fa fluidité. 11 n'eft pas extraordinaire dc voir des morceaux de roe brifés & détachés de raaffes plus conlidérables, par la force de la géfée. On y a dêcouvert des mines de plomb, de Ier, de cuivre, de marbre, d'une lubftance analogue au charbon de terre. Le fol y eft d'ailleurs d'une ftérilité* extréme. Les hommes mêmes y font en petit nombre , & d'une taille qui n'exccdc guere quatre pieds. Comme les enfants , ils ont la tête énorme a proportion de leur corps. La petiteffe de leurs pieds rend leur marche vacillante & mal affurée. Quoique ftms poil & fans barbe, tous les hommes, même les jcunes gens, ont un air de vicilleffc. ïels font les Eskimaux, qui habitent non-feulement le Labrador, ou ils ont pris leur nom, mais encore les contrées qui s'étendent depuis la pointe de Belle-Ifle, jufqtt'aux régions les plus feptentrionales de PAmérique. Ceux de la baye de Hudfon ont, comme ceux du Greenland , le vifiige plat, le nez petit, mais non écrafé, la prunelle jaunatre & 1'iris noir. Leurs femmes ont des caracleres de laideur qui font particuliers a leur fexe, entr'autres des mamelles longues & molles. Les Eskimaux paffent 1'hiver fous des huttes, conftruites a la hate de cailloux, Hés entr'eux par un ciment de glacé, fans autre feu que celui d'une lampc allumée au milieu de la cabane, pour y faire cuirc Cc 3  4oö PRÉCIS de l'HISTOIRE le gibier & le poiffon , dont ils fe nourrifient. La mer pourvoit prefqu'a tous leurs befoins ; ils fe reffentent extrêmement de la qualité de leurs nourritures. Les meres lechent, a 1'exemple des ours , leurs nouveaux-nés. La foibleffe de cette nation ne 1'empêche pas d'être intrépide fur une mer continuellement périlleufe. Avec des batteaux faits & coufus , pour ainfi dire, comme des outres , fi bien fermés que l'eau n'y peut eutrer même par-deffus , ils fuivent les colonies des harengs dans toutes leurs émigrations du póle ; ils affrontent les balciucs & les chiens de mer dans une guerre, oü il va de- la vie pour les combattants. La faim des Eskimaux eft plus forte que la rage des monftres avec lefquels ils doivent fe mefurer. Ils brülent d'une foif dévorante pour 1'huite de la baleine. Cette boiffon entretient la chaleur de leur eftomac , & les défend contre les rigueurs du froid. Ces hommes ont deux grands fléaux a craindre, la perte de la vue & le fcorbut. Cependant aucun peuple n'eft plus pafïionné pour fa patrie. La baye de Hudfon, découvertc, en 1607 1 Par 1'intrépide navigateur, dont elle porte le nom , n'eft , a proprement parler, qu'un entrepot de commerce. La rigueur dc fon climat y interdit tout efpoir de culture, & par conféquent de population. On ne ..trouve, fur ces immenfes cótes, que quatre-vingtdix ou cent foldats & facteurs, enfermés dans quatre mauvais forts, dont celui de York eft le principal. .Leur occupation eft dc reccvoir.lcs pelleteries, que les fauvages voifins vienuent échanger contre quel-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES.- 407 ques marchandifes , dont on leur a fait connoitre & chérir 1'ufage. Les fauvages donnent dix caftors pour un fufil; deux pour une livre de poudre; un caftor pour quatre livres de plomb ; un pour une hache; un pour fix couteaux ; deux caftors pour une livre de grains de verre ; fix pour un furtout de drap ; cinq pour une jupe; un caftor pour une livre de tabacLes- miroirs , les pcignes , les chaudieres , Peau-devie, ne valent pas moins de caftors en proportion. Comme le caftor eft la mefure commune des échanges, un fecond tarif, auffi frauduleux que le premier, exige deux pcaux dc loutres ou trois peaux de martre, a la place d'une peau de caftor. A cette tyrannie autoriféc , fe joint une tyraimie au moins tolérée. On trompe habitucllemcnt les fauvages fur la mefure, fur le poids, fur la qualité de ce qu'on leur livre ; & la léfion eft a-peu-près d'un tiers. Le commerce de la baye de Hudfon eft foumis a une compagnie exclufive. Les deux tiers de ces belles fourrures font confommés, en nature, dansjes trois royaumes , ou dans les manufaétures nationales. Le refte paffe en Allcmagne. Les bénéiiccs qu'on. fait fur ces importations ne font rien, en comparaifon de 1'importance qu'on attaché a cette baye, par la communication qu'on lui fuppofe avec les mers pacinque & oriëntale. Cette communication, dont 1'cxpérience n'a jufqu'a préfent pas encore réaftfé 1'exiftcnce, abrégeroit confulérablement la route de 1'Europe aux grandes Indes. Alors les liaifons entre celle-la & PAfie deviendront plus vivcs; le cap de Hom & le détroit Cc 4  4o8 PRÉCIS de l'HISTOIRE dc Magellan feront entiérement abandonnés ; le cap de Bonne-Efpérance même fera beaucoup moins fréquente". L' A n g l e t e e. e. b donna d'abord, après la conquête du Canada, un gouvernement militaire k fa nouvelle polfclfton. Elle le changea dans la fuite, cn la foumettant, quant a la navigation , aux loix de 1'amirauté Angloife, & ii fes loix criminelles , pour ce qfii regarde les affaires des délits. Celles-ci furent pour les Canadiens un préfent, dont ils apprirent bientót a connoitre le prix par la ceffation des défordres , qui les opprimoient antérieurement a ce changement. Mais ces nouveaux fujets d'Angleterre n'étoient pas également fitisfaits des loix civiles qu'on leur donnoit. Ces loix furent abolies, en 1775 , par un aéte du parlement. La population du Canada, que les combats y avoient fcnfiblcment diminuée, s'eft élevéc a cent trente mille ames, dans 1'efpace de feizc ans. Cette augmentation n'eft due qu'a 1'atfance , qu'a la multiplication* des travaux utiles, qui fculs ont produit cet événement hcureux. Les manufaétures des bas, des dcntelles, de groilcs toiles, des étoffes communes s'y font étendues , mais élles ne fe font pas perfcctiouHées. Le commerce des pelleteries a été un peu augmenté. Les troupeaux fe font mukiphés. Mais Ia culture du lin, du chanvrc , du tabac, du bled,a recu des accroifTemcnts fenfibles. En 1769, les produaions vendues a 1'étranger s'éleverent a 4,077,602 livres 7 f. 8. d. Elles furent exportées par environ fokante-dix navires. La colonie eft devenue beaucoup  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 409 •plus riche qu'eile ne fut fous une autre domination. Depuis 1772 , fes dettes font cnticïcmcnt payées , & elle n'a point de papier monnoyc. Son numéraire augmente tous les jours, & par la multiplication de fes denrées, & par les dépenfes du gouvernement. Indépendamment de ce que 1'Anglcterre a dépenfé pour fes troupes, fon adminiftration civile lui coute annuellement 625,000, tandis qu'eile ne ix-tire que 225,000 livres des impolitions , dont elk/a chargé les vins, les caux-dc-vie , le rum, les mélaffes, les verres & les couleurs. Mais la difriculté qui embarraffe la navigation de ce pays, retardcra toujours la profpérité de cet établiffement.. Lbs ifles dc Saint-Jean, dc la Madelaine & du cap Breton, ne font que languir ,• leur population n'eft que très-foible ; elles n'ont des liaifons qu'avec Quebec & Hallifax. Louisbourg, la terreur de PAmérique Angloife, il n'y a pas vingt ans , n'eft plus qu'un amas dc ruines. Les quatre mille Francois qu'une défiance injufte & peu raifonnéc difperla après la conquête , n'ont été remplacés que par cinq ou fis cents hommes, uniquement occupés de contrebande. Ter re-N euve n?eit pas dans le même cas. Elle eft lituéc entre les quarante-fix & cinquantedeux dégrés de latitude Nord. <£ile n'eft féparée de la cóte de Labrador que par un canal de médiocre largeur, connu fous le nom de détroit de Belle-Ifle. Sa forme triangulaire renferme un peu plus dc trois cents heues de circonfcrence. On ne peut parlcr que par conjeéture de fon intérieur, paree qu'on n'y ajaCC5  *io PRÉCIS de l*HISTOIRE mais pénétré bien avant, & que vraifemblabiement perfonne n'y pénétrera, vu la difiiculté de le tenter, & 1'inutilité, du moins apparente, d'y rcuffir. Lcpeu qu'on en connoit, efi rempli de rochers efcarpés , de montagnes couronnées de mauvais bois, de vallées ctroites & fablonneufes. Ces lieux inacceflibles font remplis dc bêtes fauves, qui s'y mu.tiplient d'autant plus aifément, qu'on ne fauroit les y pourfuivre. Terre-Neuve fut découverte, en 1497, Par *e Vénitien Jean Cabot. Le chevalier Hampthrée, qu'Elizabeth envoya en 158a, dans ces parages, avec cinq navires , fut autorilê a aüürer a perpétuité , a chaque pêcheur 3 la partie de la cóte qu'il auroit choiüe. Ce • nouvel arrangement multiplia tellement les expédiüons pourTerre-Neuve, qu'on y vit, enióis, deux cents cinquante navires Anglois, dont la réunion pouvoit former quinze mille tonneaux. En 1634 , les Frangois obtinrent la liberté de pêcher dans ces parages , en payant au roi Charles, un droit de cinq pour cent, & fcientót après cc prince leur accorda encore 1'exemption de ce tribut égalcment onéreux & humiliant. C'eft ici le lieu de remarquer, a 1'honneur de 1'ifle de TerreNeuve, qu'eUe n'a pas donné occaflon a offenfer 1'humanité, a blelfer les droits d'aucun peuple; qu'eile a tiré feule , du fein dss eaux, une richeflé formée par La ■ nature feule, & qui fert d'aliment a diverfes contrées de 1'un & de 1'autre hémifphere. Le poifibn qui rend ces parages fi célebrcs, c'eft la morue. Jamais il n'a plus de trois pieds de long, & communément ilen a beaucoup moins. Sa votacité eft  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 411 extréme. Ce poiffon fe montre dans les mers du Nord de 1'Europe. II efi pêché par trente batiments Anglois, foixante Francois, & cent cinquante Hollandois , les uns & les autres de quatre-vingts ou cent tonneaux. Ils ont p0Ur concurrcnts les Iflandois, & furtout les Norwégicns. La morue de Terre-Neuve ell plus délicate , quoique moins blanche ( mais elle n'eft pas un objet de commerce) lorfqu'elle eft fraiche. Alors elle nc fert qu'a nourrir ceux qui la pêchent. Salée & féchée, ou feulement falée, elle devient précieufe, pour une grande partie de PAmérique & de 1'Europe. Celle qui n'eft que falée, fe nomme morue verte & fe pêche au grand banc. On donne communément a ce banc cent foixante lieues de long, fur quatre-vingt-dix de large. La murue en difparoit, depuis le milieu de Juillet jufqu'a la fin d'Aoüt. A cet intcrvalle prés , la pêche s'en fait toute Pannée. Avant de la commcncer l'on fait une galerie depuis le grand mat en arrierc , & quelquefois dans toute la longueur du navire. Cette galerie extérieure eft garnie de barils, défoncés par lc haut. Les matelots s'y placent , la tête garnie des injures du temps, par un toit goudronné qui tient a ces barils. A mefure qu'ils prennent une morue, ils lui coupent la langue ; enfuite ils la livrent a un mouffe, pour la porter au décoleur. Celui-ci lui tranche la tête, lui arrache le foie, les entrailles , & la laiffe tombcr par un écoutillon dans Pentrepont, oü Phabilleur lui tire Parête jufqu'au nombril, & la faitpaffer par un autre écoutillon dans la cale. C'cft-la qu'eile  4i2 PRÉCIS de l'HISTOIRE eft falée & rangée en piles. Le faleur doit avoir attention d'y mettre ni trop ni trop peu de fel. A peine cette pêche eft-elle commencée , que la mer s'engraiffe, s'adoucit, & que les barques voguent fur la furface des eaux, comme fur une glacé polie. Lorfqu'on dépece la baleine , la graiffe qui en découle produit le même effet. Un batiment nouvellement goudronné , appaife la mer fous lui, & autour des navires qui 1'avoifment. II paroit que 1'huile végétale a plus d'efricacité que 1'huile animale. On eftime la durée du calme qui en réfulte a deux heures , en pleine mer, oü cet effet exige 1'effufion d'un volume d'huile confidérable. Le facrificc de quelques barils de cc liquide a fauvé de grands batiments d'un naufrage , dont ils étoient menacés par la plus effroyable tempête. Ce phénomene fingulier demande a être éclairci par de nouvellcs expériences. Cependant il paroit que 1'huile & les matieres graffes ont la vertu en queftion, principalement dans les brifans. Dans le droit naturel la pêche du grand banc auroit dü être libre a tous les peuples; cependant il n'y a que les Francois & les Anglois a qui il foit permis de fréquenter ces parages. En 1773, la France y envoya cent vingt-cinq navires , qui formoient neuf mille trois cents foixante-quinze tonneaux, & qui étoient montés par feize cents quatre-vingt-quatre hommes. On prit deux millions cent quarantc-un milliers de morues, qui rendirent cent vingt-deux barriques d'huile. Le produit entier fut vendu 1,421,615 Uvres. Les pêehears Anglois artivoient la plupart d*  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 41 g la Nouvelle-Angleterre, de la Nouvelle-Ecofie, de 1'ifle même de Terre-Neuve. Leur pêche fut infïniment fupérieure a celle des Francois; ils convertiffoient le poiffon cn morue feche. Danscecas, lc décoleur, après avoir coupé la tête a la morue # lui vuide le corps, & la livre a Fhabilleur, qui la tranche & la met dans le fel, oü elle refte huit ou dix jours.' Après qu'eile ji été lavée, elle eft étendue fur le gravier, oü on la laifie jufqu'a ce qu'eile foit bien féchée. On 1'entaffe enfuite en piles, oü elle fue quelques jours. On la remet encore fur le gravier, oü elle acheve de feC.her, éc oü elle prend la couleur qu'on lui voit en Lurope. Cette pêche n'eft pas exempte d'accidents; les pêcheurs manquent quelquefois le but de leur voynge, pour n'avoir pas atteint i'endroit que le poiffon préfere. Cette pêche finit dès les premiers ours de Septembre, paree que le foleibcelfc d'avoir la force nécelfaire pour fechcr la morue. Des ports dc France partirent pour cette pêche, en 1773 , cent quatre batiments, qui compofoient quinze mille fix cents vingt-un tonncaux , & qui avoient fept mille deux cents foixante-trois matelots. Cent quatre-vingtdix mille cent foixante quintaux, & deux mille huit cents vingt-cinq barriqaes futent la récompenfe de leurs travaux. Ces deux objets téunis rendirent 3,816,38a liv. Autrefois cette branche d'induftne ttoit beaucoup plus animée en France ; il faut chercher la raifon dc ce dépérilfement dans les impóts, dont 1'importation du poiffon & 1'ufagc du fel étoient furchargés , & aux genes auxqueiles 1'avidité d'une  4i4 PRÉCIS de l'HISTOIRE nation rivale & victorieufe dans la guerre précédente ont foumis la pêche de la morue. La pacifïcation d'Utrecht exclut les Frangois de la poffeffion de Ter* re-Neuve. Ceux-ci ne conferverent que le droit de pêcher, depuis le cap Bonavifte , en tournant au Nord , jufqu'a la Pointe-Riche. Cette convention occafionna fouvent des conteftations & des hoftilités, dans lefquelles la détreffe de la France 1'obligea de Céder, quoique le tort füt du cöté de fon ennemi. La pacifïcation de 1763 réduifit leurs établiffcments fixes a 1'ifle de Saint-Pierre & aux deux ifles de Miquelon , qu'il ne leur fut pas même permis de fortifier. La foibleffe de ces trois établiffements nous difpenfe d'en parler. II doit fuffire que dans ce précis nous finiffions cet article, en inftruifant le lecteur, que le produit entier de la pêche de la France monta, en 1776, a 6,033,605 livres. Ce produit étoit trop foible, pour pouvoir alimentcr les marchés étrangers , comme elle faifoit vingt ans auparavant. A peine cette pêche fuffifoit-elle a la confommation du royaume. Cet important objet étoit paffé tout entier a fes rivaux. II leur auroit rendu un bénéfice encore plus exorbitant, fi, au temps de la conquête, la cour de Londres n'avoit pas eu 1'inhumanité & le peu de politique , de chafler des Iflcs-Royales & de Saint-Jean les Frangois qui s'y trouvoient établis, qui n'ont pas été remplacés, & qui peut-être ne lc feront jamais. Le nom de Nouvelle-Ecofle, qui défigne aujourd'hui la cóte de trois cents lieues , comprife depuis  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 4-5 les limites de la Non veile-Angleterre, jufqu'a la rive méridionale du fieuve Saint-Laurent, ne paroit avoir exprimé, dans les premiers temps, qu'une grande péninfule de forme triangulaire , fituée vers le milieu de ce vafte efpace. Cette péninfiile, que les Francois appelloient Acadie, efi très-propre par fa population, a fervir d'afile aux batiments qui viennent des Antiiies. Elle a beaucoup de ports , & fes mers font trèspoiffonneufes. Ce fut, en j6o+, que les Frangois s'y établirent. La colonie étoit encore au berceau, lorfqu'elle vit naitrc, a fon voifmage, un établiffement qui devint depuis fi floriffant, fous le nom de Nou- veile-Angleterre. Cette profpérité attira foiblement 1'attention des Frangois. Mais dés qu'ils purent foupconner qu'ils auroient bientót un concurrent dans le commerce du caftor & des fourrures, ils employerent leurs miffionnaires, pour s'attacher les nations fauvages, que ceux-la eurent 1'adrefle de rempür de haine du nom Anglois. Cette difpofition occafionna des hoftilités ^appaifées par la pacifïcation d'Utrecht, qui céda cette eontrée a la Grande-Bretagne. Mais ü ne fe tranfporta que cinq ou fix families dans 1'Acadie. Elle refta toujours habitée par fes premiers colons. On ne réuffit même a les y retenir, qu'en lenr promettant de ne les jamais forcer a prendre les armes contre leur ancienne patrie. Après avoir légererement fortifié la capitale dc 1'Acadie, oui avoit pris lenom d'Annapolis, 1'Angleterre fe contenta d'y envoyer une garnifon médiocre. Sa population ne s'éleva pas au-deffus de treize cents habitants. On ne  4ió PRÉCIS de i/HISTOIRÈ kur donna point dc magiftrat pour,les conduirc. lis ne connurent pas les loix Angloifes. Jamais il ne leur fut demandé ni eens , ni tribut, ni corvee. Leur nouveau fouverain les paroiffoit avoir oubliés ; & luimême il leur étoit tout-a-fait étranger. L'agriculture avoit pris la place de la chaffe pour nourrir cette population fmiple & bonne. Un terroir très-fertile récompenfoit avec profufion le travail du laboureur. D'immensesprairies étoient couvertcs de troupeaux nombrcux. Les maifons , prefque toutes conftruites de bois étoient commodes , & mcublées avec propreté. Les Anglois fentirent, cn 1749 , de quel pront pouvoit être, a leur commerce , la poffcffion dc VAcadie. Le m'miftcre Britannique ofirit a tout foldat, a tout matelot, a tout ouvricr qui voudroit aller s'établiren Acadie, cinquante acres dc terre, & dix pour toute petfonnc que cbacun d'cux amencroit de fa ftmiile; il accordoit des terres aux miiitairts cn proportion de leur grade. Avant le terme de dix ans, le terrein dér ftiché ne devoit être fujet a aucune redevance, & Pon ne pouvoit, a perpétuité , être taxé a plus d'une livre deux fols üx deniers d'impót, pour cinquante acres. Le tréfor public s'cngageoit d'aitleurs a avan. cer ou rembourfer les frais dn voyage, a élever, des habitations, a fouruir tous les outiis pour 1'agnculturc ou pour la pêche , a donner la nouniture de la première année. Ces encouragements dêterminerent, au mois dc Mai 1749 , trois mille fept cents cinquante perfbnnes ii quitter 1'Europe, oii elles rifquoiuit de mourir de iaim, pour aller vivre en Améiique. Cette nouvelle  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 417 nouvelle peuplade devoit s'établir k Hallifax. C'étoit pour y fortifier ie meilleur port de 1' Amérique, pour etabhr, au voifinage, une excellente pêcherie de morue, qu'on avoit donné la préfércnce a cet cndroit moms fertile que les autres diftricts de la Nouvelle' Ecoffe. Cet établiffement fut d'abord inquiété par les fauvages de ce pays, les MLmacks. Ces mouve fflents n'étoient pas encore appailës, lorfqu'une grande partie de Francois fe déterminerent a quitter leurs habitations , pour fe «anfplanter dans la Nouvelle France. Le refte fe difpofa a les fuivre : mais le gouvernement Anglois les prévint , en les tranfportant dans fes autres colonies, les ayant tous raffemfelés par un ftratagême infidieux. tfepuis cet événement la Notivclle-Ecoffe n'a fait que languir. Les calamités' fi multiphées en Europe, y poufferent a la fin quelques malheureux. On en comptoit vingt-fix mille ca 1769- On neles voyoit réunis, en quelque nombre qu'a Hallifax, a Annapolis & a Lunebourg. Cette' dermere peuplade, formée par des Allemands, étoit Ia plus fioriffante. La colonie exporta, la même annee, fept mille trois cents vingt-quatre tonneaux de marchandifes. Elle en recut fept mille fix tonneaux. Les troupes qui bouleverfent maintenant PAmérique Septentrionale , ne font pas arrivées jufqu'a la Nouvelle-Ecoffe. Elle en a même tiré quelques avantages. Sa population a eté portée a quarante mille ames. La néceffité de pourvoir aux befoins des troupes Britann.qucs a fait multiplier les fubfiftances. Un numéraire immenfe a tout ammé, communiqué aux homDd  4i8 PRÉCIS de l'HISTOIRE mes & aux chofes un mouvement rapide. Si les autres colonies fe détachent enfin de leur métropole, & que la Nouvelle-Eeofie lui foit confervée, cette province , qui n'étoit rien , deviendra très-importante. Aucun moyen de profpérité ne lui manque. Son terroir eft cgalcment propre a Pagriculture & a 1'éducation des troupeaux. Les cótes font très-navigables & fort bien fituées pour la pêche de la morue. Le gouvernement a pourvu a la fiireté de ce pays, en 1'entouraut de bonnes fortifications, qu'on peut augmentet encore. La Nouvelle-Angleterre, connue d'abord fous le nom dc Virginie Septentrionale, nerequt des Européens qu'en 1608. Sa première population fe perdit. Les presbytériens Anglois, que la perfécution avoit rafiémblés en Hollande, ce port univerfel de la paix & de la liberté, laffés de n'étre rien dans le monde, après avoir été martyrs dans leur patrie, réfolurent d'allcr fonder une églife, pour leur fefte, dans un nouvel hémifphere. Ils acheterent donc, en 1621, les droits de la compagnie Angloife de la Virginie Septentrionale. Le 6 Scptembre 1621, ils Vembarquerent a Plimouth, au nombre de cent vingt perfonnes. Elles arriverent au commencement d'un hiver qui fut très-rigoureux. Le pays entiérement couvert de bois n'offroit aucune reffource a des hommes épuifés par la fatigue du trajet. II en périt prés de la moitié de froid, de fcorbut, de mifere. Le refte auroit probablement fuccombé, fi leur efpérance n'eut été ranimée par la vifite de foixante guerriers fauvages. Un  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 4r9 d'eux leur enfeigna la culture du maïs, & la maniere de pêcher fur la cóte qu'iis habitoient. La perfécution contre les Pu.itains, en augmenta bientót le nombre ; on fut objigé de difperfer ces peuplades. Elles formcrentla province de Mafiachufet. Bientót fortirent de fon fein les colonies du Nouvel-Hampshire, dc Conneéticut & de Rhode-Ifland, qui obtinrcnt chacune une cbartre particuliere de la cour de Londres. Ces colonies ne furent, dans leur origine, formécs que d'eccléfiaftiques & de gens du bas°peup!e. Dans la fuite les plus grands feigneurs que 1'ambition , 1'humeur ou la confcience avoient entraïnés dans le puritanifme, imaginerent de fe ménager d'avance un afile dans ces climats éloignés. Ils y firent batir des maifons, défricher des terres, avec le deffein de s'y retirer , s'ils échouoient dans le projet d'établir la liberté civile. Les habitants de la Nouvelle-Angleterre refterent quelque temps en paix & fans loix. Ce ne fut qu'en 1630, qu'ils fentirent la néccffité de' fe donner une légiflation. Elle fe caraétérifoit par une grande auftérité de mceurs, une vilefuperftition, une intolérance choquante. Les hommes, convaincus ou foupconnés de tolérantifme , furent expofés a de fx cruclles vexations, qu'ils fe virent obligés d'abandonner leur nouvel afile , pour en chercher un autre exempt de ces oragcs. Cette maladie de religion étendit fix févérité jufqu'aux objets les plus indifférents de la nature. Ce rigorifme fe déchaina furtout contre les Quakers. Charles II jugea a propos d'arrêter ce vettige. Une nation naturellement mélancolique, deDd 2  420 PRÉCIS de l'HISTOIRE venue fombre & farouche par les guerres civiles & celles de religion , commenca alors a prcndre 1'efprit de fociété, & des mceurs plus humaincs. Ce roi voluptueux fit interrompre le cours des perfécutions, en Amérique , par une ordonnance de 1661. H. Vane reffufcita les qucftions obfcures & frivoles fur la grace & le libre arbitrc. Un caraétere de diffenfion , un délive fanatique domina toujours la colonie. Deux filles , tourmentées de convulfions, accompagnées de fymptonies extraordinaires, occafionnent la mort de trois citoycns , accufés de les avoir enforcelées. Ces horreurs font fuivics d'autres atrocités. L'excès du mal réveille enfin les efprits" qu'il avoit engourdis, & leur fait fentir 1'abomination de leurs mceurs. Mais en renoncant a 1'efprit de perfécution , la colonie conferva 'encore de trop fortes tcintcs du fanatifine & de la férocité qui avoit fignalé les triftes jours de fit naiffance. Ce caraétere la fit févir eontre 1'iuoculation & fes partifans. Ce même caraétere fit accorder , dans ces provinces , une prime de 2150 liv. a ceux des colons qui " donnoientlamorta quélqu'lndien. JohnLovemcl, encouragé par cette prime , forme une compagnie d'hommes féroces comme lui, pour aller a la chaffe des fauvages. Un jour il en découvrit dix, paifiblement endormis autour d'un grand feu. 11 les maffacra , porta leur chevelure a Bofton , & recut la récompenfe promife. La Nouvelle-Angleterre , bornée au Nord par le Canada, a 1'Oueft par la Nouvelle-York, a 1'Eft & au Sud par la Nouvelle-Ecoffe & par 1'Océan, n'a  PHILOSOPHIQUE ras DEUX INDES. 4?, pas moins de trois cents milcs fur les bords de Ia mer, & s'étend a plus dc cinquante miles dans les terres. L'agriculture y eft fubordonnéc a des réglements. Le gouvernement a voulu que des viliages entiers fuffent tormes dans le même temps. Dès que foixante families offrent de batir une églife, d'entretenir un pafteur, de folder uu maitre d'école ; 1'affembk'e générale leur afligne un emplacement, & icur donne le droit d'avoir deux repréfentants dans le corps légiflatif de la colonie. Lc diftiïét qu'on leur donne, eft toujours limitrophc des terres qu'on a déja défrichées, & contient le plus ordinairement fix mille quarrés d'Angleterre. Ce nouveau peuple choilit une affictte convenable a 1'habitation, dont la forme eft généralement quarrée. Le temple eft au milieu. Les colons partagent le terrein entr'eux, & chacim enferme fit propriété d'une haie vive. On réferve quelque bois pour une commune. Le climat de ce pays n'eft pas auffi doux que celui des provinces de 1'Europe, qui font fous les mêmes paralleles. Cette colonie vivoit dans une indépendance entiere de la mcrepatrie , quoiqu'on eut réglé le contraire. Mafiachii-* fet, la plus floriffante province dc ces colonies, fe permettoit encore plus de chofes, & fe les pérmettoit plus ouvertement. Cette émancipatïon caufa 1'annullement de leur chartre , fous Charles II. Guillaume III leur donna une légifiation calquée ftir celle d'Angleterre. , dans laqüêÏÏe 1'autorité civile réfidoit parmi lc gouverneur, qui repréfentoit le roi, & Paffemblée nationale. Suivant le dernier dénombrement, Dd 3  422 PRÉCIS de l'HISTOIRE la population des quatre provinces qui forment la Nouvelle-Angleterre s'éleve a huit cents un mille fix cents foixante-dix-huit ames. Cependant leur terroir n'eft point fertile. Cette grande population n'eft due qu'a la pêche. La fertilité du terrein réveilla 1'induftrie ; elle s'occupa d'abord a conftruire , pour les navigateurs étrangers , des navires , dont les matériaux furent longtemps a bon marché. On y ajouta la fabrique des chapeaux, des toiles & des étoflés d'un tiffu grofiier, mais ferré. On y diftilla, avec les firops d'Amérique , des eaux-de-vie, qu'on vendit avec beaucoup de bénéfice. Toutefois la pêche eft toujours la mine d'or de ces peuples, qui pêchent au moins deux cents cinquante mille quintaux de morue. Cette pêche a depuis été augmentée par celle de la baleine. Elle fe fait dans le golphe de Saint-Laurent, avec moins de dangers & d'accidents facheüx que celle de Groenland. L'esporïaïion de tottes les denrées de la Nouvelle-Angleterre s'éleva, en 1769, a 13,844,430 liv. 19 fols 13 deniers. Elle recut annuellement plus qu'eile ne donna, puifqu'elle dut conftamment, a fa métropole , vihgt-quatre ou vingt-cinq millions de livres. Sa capitale eft Bolton ; elle eft fituée dans une péninfule de quatre miles de long, au fond de la belle baye de MalTachüfet, qui s'enfonce environhuit miles dans les terres. Ouantité de rochers la défendent contre les vagues. Ceux-ci ne laiffént une libre entree qu'a trois vaiffeaux de front. Elle eft défendue par une citadelle, qui pofte cent canons du plus gros  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 423 eaïibre. Quand méme une flotte palfcroit impunémcnt fous cette artillerie, elle trouveroit au Nord & au Sud de la place , deux batteries qui commandent toute la baye & qui l'arrêteroient a coup fur. Cette rade eft affez vafte pour que lix cents voiles puiffent y mouiller en fureté. On y a conftruit un hiagnifique mole affez avancé, pour que les navires, fans le fecours du moindre ailege, déchargent dans les magafins batis au Nord. A 1'extrcmité du mole eft la ville , batie fur un terrein inégal & en forme dc croÜTant autour du port. Elle comptoit, avant les troubles, trentc-cinq ou quarante mille habitants de diverfes feétcs. Tout y reffembloit a la ville de Londres on n'y rcmarquoit de différence que celle qu'éntrainé toujours 1'excelfive population des grandes capimles". La Nouvelle-York eft refferréc a 1'Eft par la Nouvelle-Angleterre, & bornée a 1'Oueft par la NoüveileJerfey. Elle occupe un efpace étroit de vingt milles fur le bord dc la mer, s'élargit infenfiblemcnt, & s'enfonce dans le Nord , deux cents miles dans les terres. Cette contrée fut découverte vers le commencement du dix-feptieme fiécle , par H. Hudfon, navigateur Anglois , qui étoit alors au fervice de la Hollande. La république ne vit , dans cette profpérité , qu'un établiffement pour le caftor & pour d'autres pelleteries. Elle la céda a la compagnie des Indes Occidentales. Pour s'approchcr de plus en plus des fourrures , celle-ci fit élever, fur les bords de la riviere de Hudfon, a cent cinquante miles de la mer, le fort Orange, qu'on a npmmé depuis Albaui. La D d 4  424 PRÉCIS de l'HISTOIRE elle échangeoit , avec les Iroquois, les pelleteries contre des armes a feu & des munitions de guerre, pour combattre les Francois, arrivés depuis peu dans le Canada. La ville d'Amfterdam acheta la permiffion de batir la ville de la Nouvelle-Amftërdam , dans 1'ifle Manahatar ; elle la paya fept cents mille francs. L'Angleterre vit d'un ccil jaloux la profpérité de Ia république. Charles II lui déclara la guerre. Au mois d'Acüt 1664, une efcadre Angloife mouilJa fur les cóte? de la Xouvelle-Bclge, dont la capitale fe rendit a la première fommation. Le refledela colonie ne fit pas plus de réiiihmce. La république en dépouilla la Grande-Brctagnc , mais 1'Anglois en refta.toujours maïtre a la pacifïcation. Cc pays devint la propiïété du frere du roi, qui lui donna le nom de Nouvelle-York. En 1691 , on lui donna une conftitution fixe; elle fit réiider 1'autorité dans le gouverneur, & fon confeil, compofé de douze membres, & trente députés choifis par les habitants. Cette province, dont les limites n'ont été réglées qu'après les difcuffions les plus longues, les plus vivcs , les plus opiniatres avec la Nouvelle-Angleterre , la NouvelleJerfey & la Penfilvahie, forme aujourd'hui dix comtés. Elle n'a que peu d'étcndue au bord de la mer; mais en profondeur , fon territoire s'étend jufqu'au lac Georgc ou Saint-Sa;rement, cc juf;u'au lac Ontario. La riviere de Hudfon, qui fort des montagnes fituées entre les deux lacs, ne regoit que de foibles canots durant foixante cinq miles. Mais d'Albani jufqu'a 1'Océan, c'efi-a-dirc , dans Pcfpace de cent cin-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 425- quante miles, on voit voguer ftir ce magnifique canal, avec la marée, jour & nuit, durant toutes les failbns, fans crainte d'aucun accident, des batiments de quarante a cinquante tonneaux, qui entretiennent une circulation rapide & conlinuelle dans la colonie. La partie que les navigateurs trouvent d'abord, c'eft rifle-Longuc, féparée du continent par un canal étroit. Elle a vingt miles de long, fur douze de large, divifés en trois comtés. Les Européens s'y occuperent d'abord dc la pêche, & puis de la multiplication destroupeaux, furtout des chevaux. Son fol,eft fablonneux, mais plus égal que celui du continent ; il lc devient davautage, a mefure qu'on approche des lacs & du Canada. Cette contrée peut devenir une des plus fertiles de la colonie. Suivant les derniers calculs, la province compte deux cents cinquante mille habitants de diverfes nations & de feétes diverfes. Les nches pelleteries qu'eile ne confomme pas , font porj& au marché général , la ville de Nouvelle-York, Elle fut autrefois batie par les Hollandois dans 1'ifle dcManahatan, longue de quatorze miles, & d'un ""Ie dans fa plus grande largeur. Son climat eft bun Sa population s'éleve a vingt mille ames. Les rues ont f0rt lrrégulieres , mais très-propres. Les maifons , baties de briques&couvcrtcs de tuiies , offrent plus de commodués que d'élégance. Les vivres font abondants , d'excellente qualité & a bon marché. L'aifanec eftuniverfene. Elle n'a ni port, ni baflin ; mais fa rade, ouverte dans toutes les faifons, acceffible m Plus grands vaiffeaux, a 1'abri de tous les onDd 5  4s6 PRÉCIS de l'HISTOIRE ges, doit lui fuffire. Les marchandifes qu'on en a exportées, en 1769, monterent a 4,352,446 liv. 17 f. 9 deniers. Les Hollandois , premiers fondateurs de la colonie, y établirent cet efprit d'ordre & d'économie, qui diftingue par-tout leur nation. Cet exemple a été fuivi par les Allemands , les Francois & les Anglois qui font vernis augmenter cette population. II arriva de-la que les colons ne contraéterent pas de dettes envers la métropole. Cette fimpficité, dans les mceurs, a été fenfiblement altérée depuis 1763, époque a laquéHe la Nouvelle-Yórk devint le féjöur du général, des principaux officiers , & d'une partie des troupes. Ceux-ci y ont introduit un efprit de fainéantife, un goüt de luxe , la fureur du jeu. Au voifmage de la Nouvelle-York eft la Nouvelle-Jerfey , qui porta d'abord le nom de la Nouvelle-Suede. Elle fut ainü défignéc par des aventuriers , qui aborderent a fes plages fauvages, vers 1'an 1638. Cette colonie ne fut rien , lorfqu'elle fut conquife, en 1655, par les Hollandois. Lorfque le duc d'York recut 1'inveftiturc de la province , a laquelle ü donna fon nom, il en détacha ce qui y avoit été ajouté, & le partagea entre deux de fes favoris, fous le titre de Nouvelle-Jerfey. Ce n'eft que depuis 1702, qu'on a réuni les deux provinces, qui, comme la plupart des colonies Angloifes, font dirigées par un gouverneur, un confeil & les dépütés des communes. On y coinpte cent trente mille habitants. La colonie eft couverte de troupeaux & abondante en grains. Le chanvre y fait plus de progrès que dans  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 427 aucune des contrées voifines. On y a ouvert, avec fuccès , une mine excellente dc euivre. Ses cötcs font acceffibles , & le port Amboi, & capitale, eft affez bon. Cependant cette colonie eft toujours reftée dans une obfeurité profonde. Sa pauvreté la mit dans Ia néceffité de vendre fes denrées a Philadelphie, & plus ordinairement a la Nouvelle-York. Ces deux villes lui donnoient quelques marchandifes de la métropole, & quelques denrées des ifles. Leurs plus riches négociants lui firent même des avances , qui la inirent de plus en plus dans la dépendance. En 1769 i la Nouvelle-Jerfey n'expédia aucun batiment pour 1'Europe ; elle n'envoya aux Indes Occidentales que vingtquatre bateaux, dont la charge ne valoit que 56,965 liv. 39 fols 9 deniers. Tout le refte de fes richeffes territoriales fut livré aux colonies voifines, qui en firent clles-mémes le commerce. CHA PITIE XVII. Colonies Angloifes fondées dans la Penfdvanie , dansle Maryland, dans la Virginie, dans la Caroline , dans la Georgië & dans la Floride. Confidiratioks générales fur tous ces établïffements. T ■^'Unique gi0ire des Anabaptiftes futpeut-ëtre d'avoir contribué a la naiffance des Quakers. Le fondateur de cette feéte humainé & padfique fut S. Fox  428 PRÉCIS de l'HISTOIRE affez enthoufiafte pour croire d'avoir puifé, dans k bible , Pinfpiration des apótres & des prophetes. II trouva aifément des profélites, dans un temps & dans un pays, oü les délires de la religion enthoufiafmoient toutes les têtes. Ils fe diftinguerent par la fimplicité de leur vêtement, par leur averfion pour les déférences extérieures, par leur morale inoffenfive, dont les préceptcs leur défendoient de porter les armes, de jurer devant un tribanal, par leur haine des cérémonies du culte dans le rit eccléfiaftique. Les temples n'étoient, a leurs yeux, que des boutiques de charlatannerie ; lc repos de dimanche qu'une oifiveté nuifible ; la cène éc le baptême que des initiations ridicules. Ils ne vouloient point de clergé. De tous ceux qui donnerent de 1'éclat a cette feéte , le feul qui mérita d'occupcr la poftérité fut Guillaume Pen. II étoit fils d'un amiral de ce nom, affez. heureux pour avoir obtcnu la coniiance du protecieur & des deux Stuarts. Ce marin avoit fait des avances confidérables, dans diftérentes expéditions, dont il avoit été chargé. Le malheur des temps n'avoit guere permis qu'on le remboursat durant fa vie. Après fa mort, on fit a fon fils la propofition de -lui donner , au lieu d'argent , un territoire immenfe dans le continent de PAmérique. Ce pays, quoiqu'entouréde colonies Angloifes , avoit été toujours négligé. On lui céda cette forte de patrimoine, prefqu'en fouveraineté héréditaire. II réfolut d'en faire Pafile des malheureux, & le féjour dc la vertu. Avec ce généreux deffcin, il partit vers Pan 1681 pour fon do-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 42«, maine, qui fut appelle dès-lors Penfilvanie. Les Quakers, perfécutés par le clergé, demanderent a le fut? vre: mais par une prévoyance éclairée, il n'en voulut amener d'abord que deux mille. Son arrivée au Nouveau-Monde, fut fignalée par un acte d'équité , qui rit aimcr fa perfonnc & chérir fes principes. Peu fuisfait de la ceffion du miniftere Britannique, il acheta des naturels du pays,lc vafie territoire qu'il fe propofoit de peupler. Pena eut la gloirc d'avoir donné le premier, en Amérique, un exemple de juftice & de modération, que les Européens n'avoient iraaginé jufqu'alors. II légitima fa poffeffion autant qu'il dépendoit de fes moyens. Les Américains prirent , pour fii nouvelle colonie, autant d'auééiion, qu'ils avoient 00119u d'éloignement pour toutes celles qu'on avoit fondées a leur voifïnage, fins confulter le^irs droits ni leur volonté. Dèslors s'établit, entre les deux peuples, une confiance réciproque , dont rien n'altéra jamais la douceur, dont une bonne foi mutuelle refferra de plus en plus les heureux Hens. II fonda fa légiflation fur les deux pivots de la fplendeur des états & la félicité des citoyens : la propriété & la liberté. La tolérance étoit le fondement de la fociété. 11 conclut que tout homme qui reconnoïtroit un Dieu, participat au droit de cité ; que tout homme qui 1'adoreroit, fous le nom de chrétien, participat a 1'autorité. Mais laiffant a chactin la liberté d'invoquer cet être a fa maniere, ü n'admit point d'églife dominante en Penfilvanie , point de contribution forcée pour la conftruclion d'un  430 PRÉCIS de l'HISTOIRE temple, point de préfence aux exercices religieux qui ne fut volontaire. Penn voulut que cet établiiTcment reftat a perpétuité a fa familie, mais qu'eile nc put faire aucun aéte d'aütorké fans le coneours des députés du peuple. 11 falloit que ceux-ci duffent leur éleclion a des fuffrages fecrettement accordés. II fuffifoit de la pluraKté des voix pour faire une loi : mais il fut ftatué que les deux tiers en feroient néceffaires, pour établir un impöt. Penn céda pour 450 livres mille acres de terre , a ceux qui pouvoient les acheter a ce prix. Tout habitant qni en avoit la faculté, obtint pour lui, pour fa femme, pour chacun de fes enfants au-deffus de feize ans , pour chacun de fes ferviteurs, cinquante acres , a la charge d'une rente perpétuelle, d'un fols & dix déniers & demi par acre. Cinquante acres furent encore affurés a tous les citoyens qui, devenus majeurs, coufentiroient a un tribut annuel de deux livres cinq fols. Pour affurer ces propriétés, on fixa des tribunaux; on défendit févérement a tous ceux qui devoient y prêter leur miniftere, d'exiger, d'acceptcr aucun falaire, pour leurs bons offices. Chaque canton fut encore obligé de nommer trois arbitres ou pacificateurs, qui devoient tacher de concilier les différends , avant qu'on put les porter devant une cour de juftice. Pour prévenir Pindigence, fource des crimes, on ftatua que tout enfant au-deffous de douze ans, quelle que fut fa condition, feroit obligé d'apprendre une profeffion. La profpérité de la Penfilvanie fut très-rapide. On vit enfin qu'un peuple pouvoit être heureux fans prêtres & fans maitres.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 431 La Penfilvanie eft bornée a PEft par 1'océan; au Nord, par la Nouvelle-York & la Nouvelle Jerley; au Sud, par la Virginie & le Maryland ; a 1'Oueft, par des terres qu'occupcnt les (auvages; de tous cótés par des amis. Elle eft partagée en onze comtés. Le ciel de la colonie eft pur & ferein. Le climat trés - fain par lui-mcme, s'eft encore amélioré par les défrichements. Les eaux limpides & fafibres y coulent toujours fur un fond de roe ou de fiible. Les faifons y temperent 1'année par une variété marquée. Le pays, quoiqu'inégal, n'eft pas ftérile. Quand les Européens aborderent dans cette contréc, ils n'y virent d'abord que des bois de conftruöion & des mines-de fera exploiter. En abattant, en défrichant, ils couvrirent peu-a-peu les terres qu'ils avoient re-' muées , de nombreux troupeaux, de fruits très-variés, de plantations de lin & de cbanvre, de plufieurs fortes de légumes, de toute efpece de grains. Les inftitutions fusmentionnées firent en accroitre la population, & celle-ci les cultures. Ce qu'il y a de plus édifiant & de plus fingulier, en même temps, c'eft 1'efprit de concorde qui regne entre toutes les' diverfes fecbes qui peuplent la Penfilvanie. Quoique les gens ne foient pas membres de la meme églifc, ces feétaires s'aiment comme des enfants d'un feul & même pere. Ils ont vécu toujours en freres, paree qu'ils avoient la permiffion de penfer en hommes. Au commencement de 1774, cet établiffement comptoit trois cents cinquante mille habitants, fuivant lecalcul ducongrès général. Les Penfilvains font, en général,  432 PRÉCIS de l'HISTOIRE ■bien fctits , & leurs femmes d'une figure agréable. Elles font plutót nietes qu'en Europe, & elles continuent d'étre plus longtemps fécondes. L'aifance y eft univerfelle. Chacun y eft bien vêtti & bien nourri. Un grand nombre peut ufer habituellement des vins de France & d'Efpagne, du punch & même des liqueurs plus cheres. La mendicité n'y eft pas connue. L'hofpitalité eft une vertu nationale. En 1766, les impöts ne s'élevoient pas au-deffus dc 280,140 liv. La plupart des habitants vivent ifolés dans leurs families. Chaque propriétaire a fit maifon au milieu d'une vaftc plantation ,\ bien environnée de haies vives. Aufli chique paroüTe de campagne fe trouve-t-elle avoir douze ou quinze lieues de circonférence. Ces hommes, d'une ft grande lïmplicité, paroiffent oublier la modeftie dc leur caraétere, a 1'occafion des enterrements. Ces convois font quelquefois compofés d'un cortege de cinq cents perfonnes a cheval , qui gardent un filencc, un recueillcment, conformes a 1'efprit de la cérémonie qui les raffemble. Les Penfilvains fabriquent des toiles de lin & de coton, des draps groffiers, & ils exportent des provifions , du bifcuit, des farines , du' beurre, du fromage , des fuifs , des légumes, des fruits, des viandes falées, du cidre, de la bierre, des bois de conftruclion. Ils recoivent en échange, du coton, du fucre, du café, de 1'eau-de-vie, de l'argent. Cependant le réfultat de tant d'opérations a été au défavantage de la province, fans qu'on puiffe Pen plaiudre, ni Pen blamer. Car le fort des nouveaux établifferaents c'eft de coii- tracter  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 4S3 traéïerdcs dcttes. La feule chofe qui foit blamable, dans cette colonie , c'eft la maniere irréguliere dont s'y forment les plantations. En i75o , les exportations de la Penfilvanie s'élevercnt a 13,164,449 fiv. 5 f. 3 d.; & elles ont depuis beaucoup plus conftdérablement augmenté dans cette colonie que dans aucune autre. C'eft Philadeiphie qui eft le centre de tous ces mouvements. Elle eft fituée k cent vingt miles de la mer, au confluent de la Delaware&dtt Schuylkill. Penn .voulut qu'eile occupat un mile de large fur deux miles de long, entre les deux rivieres. Jufqu'ici on n'a bati que fur les bords de la Delavvare. Les rues dc Philadelphie , toutes tirées au eordcau, ont depuis cinquante jufqu'a cent pieds de largeur. Des deux cótés regnent des trottoirs, défendus par des poteaux, placés de difiance cn difiance. Les maifons, dont chacune a fon jardin & fon verger, font confiruites de brique , & ont commtinément trois étages. Elles font plus décorées qu'autrefois , & elles doivent leur principal ornement k des marbres de différentes couleurs, qui fe trouventaun mile de la ville. Oh en fait des tables , des cheminées ou d'autres meubles, qui font devenus 1'objet d'un commerce aflèz important avec la plus grande partie de PAmérique. L'bótel-de-ville eft d'une magnificence tres-fomptueufe. Les repréfentants de la colome s'y affcmblcnt tous les ans. A cöté de cet édifice eft une fuperbe bibliotheque , formée , en . par les foins de 1'illuiïre Francklin. Elle n'eft oü-' ^rte, au public , que le famedi. Pour la rendre plus Se  434 PRÉCIS de l'HISTOIRE utile , on y a ajouté des inftruments de mathématiques & de phyfique , & un beau cabinet d'hiftoire-naturelle. Non loin de ce monument, eft un autre du même genre. C'eft une belle colleétion des claffiques grecs & Iatirs. En 1752, elle futléguéeau public par le favant & généreux citoycn Logan. Le célebre Francklin y a fondé uu college , oü l'on enfeigne la médecine , la chymie , la botanique &: la plnfique expériincntaie. Cette ville eft ouverte de tous les cótés, ainfi que les autres villes de la Penfilvanie. C'eft une fuite nc'ceflaire des principes des Quakers, lis femblent penfer que les états les plus bclliqucux ne durent pas toujours le plus long-temps; que la méfiance , qui eft en fentinclle, n'en dorme pas plus tranquille; ni qu'on jouifïe, avec un grand plaifir, de cc qu*oii poffede avec tant de crainte. Des perfécutions religieufes déterminerent le lord Baltimore a chercher, dans la Virginie, un afile a la liberté de confeience. Comme il ne 1'y trouvoit pas, il forma le projet de s'étabiir dans la partie inhabitée de cette région, qui eft fituée entre la riviere de Potowmak & la Penfilvanie. Son fils pourfuivit cette entreprife. Ilpattit, en 1633, d'Angleterre , avec deux cents catholiques, tous d'une naiffance honnête. Les fauvages, gagnés par leur douceur, s'emprefferent de concourir a former leur colonie. Sa profpérité augmenta fa population. Les catholiques de Maryland ouvrirent enfin un afile a toutes les fectes indiftinctement. Le gouvernement qu'on lui donna, fut modelé fur celui de la métropole. Cette province eft trés-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 435 arroféc. ün y voit coulcr de nombreufes fources , & cinq rivieres navigables la traverfcnt. Le climat y eft fain ; il n'y a qu'une grande quantité d'infectes , qui y rendent la vie incommode. C'eft une des plus petites provinces de 1'Amérique Septentrionale; mais toutes les terres y font exploitées. Sa population s'éleve a trois cents vingt mille habitants. Ils n'ontjoui d'une grande aifance, que depuis qu'ils fe font livres a la culture du tabac. Cette plante fut trouvée,en 1520, pres de Tabafco , dans le golfe du Mexique. La mode & 1'habitude en ont , avec le temps , prodigieufement étendu la confommation dans toutes les partics du monde connu. Elle demande une terre médiocrement forte, mais grafie, unie & profonde, & qui nc foit pas expofée aux inondations.. Ön feme des graines de tabac fur des couches. Lorfque les plantes ont deux pouces d'élevation", & au moins fix feuilles, on les arrache doucement, dans un temps humide , & on les porte, avec précaution , fur un fol bien préparé, oü elles font a trois pieds de difiance les unes des autres. Mifes en terre avec ce ménagement, leurs feuilles ne fouffrent pas la moindre altération, & elles reprennent toute leur vigueur en vingt-quatre hcures. II faut arracher continuellement les mauvaifes herbes , étêter cette plante a deux pieds & demi, lui öter les feuilles les plus baffes, celles qui ont quelque difpofition a la pourriture. Deux mille cinq cents tiges peuvent recevoir tant de foins d'un feul homme, & elles doivent rendre mille livres pefant de tabac. On lc laiiTc cnviron quatre mois cn terre* Ee 2  463 PRÉCIS de e'HISTOIRE A mefure qu'il approche de ft maturité, le vert vif & riant de fes feuilles prend une teinte obfcure. C'eft alors que la plante eft müre, & qu'il faut la couper. Les pieds cueillis font mis en tas fur la même terre qui les a produites. On les y laiiTe fuer une nuit feulement. Le lendemain on les fufpend dans des magafins, pour les fécher. Cette plante elt cultivée en Afie , en Afrique & en plufieurs endroits de 1'Europe : mais les meilleurs tabacs du globe croiffent dans le Nord de PAmérique. De ces tabacs , il faut mettre au fecond rang, ceux qu'on récolte dans le Maryland. Ils different cependant felon les diftriéts oü ils ont c!ü. Sainte-Marie & Annapölis, deux villes dc cette colonie, ne font prefque rien. C'eft a Baltimore, dont le port peut recevoir des navires tiranr. dix-fept pieds d'cau, que fe traitent prefque toutes les affaires. Toutês trois elles font fituées fur la baye de Chefapeak , qui s'enfonce deux cents cinquante miles dans les terres , & dont la largeur efi de douze miles. L'épuifement du fol, fuite ncceffaire de la culture du tabac, la réduira infenfiblement a peu de chofe. Alors on cxploitcra les mines dc fer, qui font trèsabondantes dans la colonie. On y fabrique, depuis quelque temps, des bas , des étoifes de foie & de laine, des toiles de coton, toutes les efpeecs de quincailleries, jufqu'a des armes a feu. . La colonie de la Virginie eft beaucoup plus étendue que celle dont nous venons de tracer le tableau. Ses fleuves re^oivent de plus gros navires , & leur permettent une plus longue navigation. Ses habitants  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 437 ont nn caraétere plus élevé, plus ferme, plus entreprenant. Sous le nom de Virginie étoit compris, il y a deux fiecles, tout le pays que 1'Angleterre'fe propolbit d'occuper dans PAmérique Septentrionale. Ce nom ne défigne plus que Pefpace, borné d'un cöté par le Maryland, & de 1'autre par lafcaroline. Les Anglois aborderent dans la Virginie , en l6o6. James-Town fut leur premier établiffement. Une famine cruelle fut la punition de la folie errear des colons qui ne rêvoient que des mines, & q,i négfigeoient les cultures. De cinq cents hommes envoyés d'Europe, il n'en échappa que foixante a ce flest, terri• ble. Delaurere fe préfenta avec trois vaiffeaux, une nouvelle peuplade, & des provifions de toute efpece. Ses grandes qualités lui donnerent 1'empire des cceurs. Cependant la colonie ne fit que languir. A 1'avénc ment de Charles I au tröne , on fix* les bornes des terres; des vagabonds, devenus citoyens, recurcnt des limites dans leurs plantations. Les défrichements fe multiplierent de tous les cótés. Cette aétivité fit accourir, k la Virginie, une foule d'hommes conrageux , qui vinrcnt y chercher ou la fortune , ou ce qui en dédommage, la liberté. Les troubles de 1'Angleterre en augmenterent encore Paffluence. Charles II, que la colonie avoit proclamé , avant qu'il Peut été en Angleterre , ne fut pas fenfible a cette marqué d'affeétion. II accorda, par foiblejfe ou par corrupüon, a des courtifans avides , des terreins immenfes, qui abforboient les poffeffions d'un grand nombre de citoyens obfcurs. Ee 2  438 PRÉCIS de i/HISTOIRE La hauteur des Anglois, qui refufuient de s'allier avec les Amé;i:ains , les iudirpofoit; aliénés encore par la mauvaife foi qu'ils avoient mife dans leurs échanges avec eux. Leur haine fe manifeft* par des aétes d'hoftilité , fuivie des atrocités fans nombre de part & d'autre. Je m'applaudis que les bornes de ce précis me défendent d'en faire 1'énumération, & celle des révolutions que cette colome a éprouvées dans fa nailfance. Les premiers habitants n'étoient que des vagabonds. Lorfque 1'aifance leur avoit permis de fe marier, ils achetoient 2,250 liv. chaque jeune perfonne qu'on leur amenoit d'Europe , avec un certificat de fageffe & de vertu. Cet ufage ne dura pas long-temps. Lorfqu'il ne refta plus de doutc fur la falubrité, fur la fertilité du pays , des families cntiercs, même d'une condition honorable, fe tnmfporterent dans la Virginie. Des difputes religieufes vinrent arrêter le progrès de cette profpérité. Cependant la réputation de la fécondité dc cette contrée en augmenta fucéeffivement la population. On y compte üx cents cinquante mille amcs, fi les calculs du congres nc font pas exagérés. Dans cc nombre eft eompris celui de cent cinquante mille efclaves. Ce fut en 1620 , que les Hollandois les introduifirent les premiers dans la colonie. Les cultures dc ces hommes donnent, aux deux hémifpheres, du bied , du mars, des légumes fecs , du fer, du chanvre , des cuirs , des fourrures , des falaifons, du bray, des bois, des matures , cc furtout des tabacs généralemcnt fupérieurs a ceux du Maryland.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 43, Depuis 1752 jufques & eööipris 1755 , fe GrandeBretagne regut de la Virginie & du Maryland réunis trois millions cinq cents un mille cent dix quintaux de tabac; ce qui fit pour chacune des quatre anhëes , huit cents Lixante-quinze mille deux cents quatrevingts quintaux. Elle en exporta deux'millions neuf cents quatre:vingt-ncuf miile huit cents quintaux , ou fept cents quarante-fept mille quatre cents cinquante quintaux tous les ans ; ce qui réduifit fa cenfommation annnelle a cent vingt-fept mille huit cents trente quintaux. Depuis 1763 , jufques & compris 1770, les deux colonies n'envoyerent, a leur métropole, que fix millions cinq cents mille quintaux de tabac , ou huit cents douze mille cinq cents quintaux chacune des huit années. La nation en confomma tous les ans cent foixante-neuf mille quintaux. Dans 1'intervaüe des deux époques, 1'importation diminua donc,'année commune, de foixante-deux mille fept cents quatre-vingts quintaux ; fexportation de cent trois mille neuf cents cinquante quintaux ; & ]a confommation angloife augmenta de quarante-un mille cent foixante-dix quintaux chaque année. L'ufage du tabac n'a pas diminué en Europe. Cette diminution n'eft due qu'a 1'induftrie Européenne, qui a pouffié cette culture dans plufieurs contrées. Eu 1769, la Virginie & le Maryland réunis , vendirent de leurs denrées pour 16,195,577 liv. 4. f. 7 d., fomme dont les deux tiers appartenoient au premier de cet établiffement. Le tabac fut la principale des produétions, pmfqu'une colonie en exporta cinquante-fept millions E e 4  440 PRÉCIS de l'HISTOIRE trois cents trente-fept mille fept cents quatrc-vingtquinze livres pefant, & 1'autre vingt-cinq millions fept cents quatre-vingt-un mille fept cents foixante-neuf livres. i/inconvcnient de la Virginie eft, qu'eile fe trouve dépourvue d'un entrepot, & que les vaiffeaux font obligés d'aller chercher leur chargemcnt dans les plantations, quelquefois affez éloignées les unes des autres. Les engagements de la province furent habitucllement très-confidérables. Au commencement des troublcs on les croyoit de 25,000,000 liv. C'eft que ces colons font beaucoup attachés au luxe & a une profufion extraordinaire. Pour fortir de leur condition défefpérée en apparence, ils n'ont qu'a mettre plus de fimplicité dans leurs mceurs, plus d'cconomie dans leurs dépenfes. La yafte contrée des deux Carolines fut découverte, par les Efpagnols , peu de temps après leurs premières expéditions dans le Nouveau-Monde. L'amiral de Coligny s'y établit après eux. L'affaffinat de eet homme jufte, humain & éclairé, ruina les efpérances des Frangois. Quelques Anglois les remplacement vers la fin du feizieme fiécle. Charles II accorda la propriété de ce beau pays a quelques families angloifes, noblcs. Le célebre Locke cn traga la légiflation. Celle-ci ne fut ni fi tolérante, ni fi humaine, qu'on 1'auroit efpérée d'un philofophe, ami des hommes, ami dt la juftice & de la modération. Par une bifarrcrie inconcevablc dans un philofophe Anglois , la propriété de cc pays étoit accordée a huit propriétaires & a leurs héritiers.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 44i Les deux Carolines occupent plus de quatre cents miles fur la cóte, & environ deux cents miles dansles terres. C'eft une plaine généralement fiiblonneufe, que lc débordement des rivieres , que des pluiesfortes & fréquentes rendent très-marécageufc. Le fol ne commence a s'élever qu'a quatre-vlngts ou cent miles de la terre, & s'élcvc toujours davantage jufqu'aux Apalaches. Sur ces plages & au milieu des pins qu'y a irréguliérement jettés la nature , fe nourriffent d'une herbd forte & groffiere quelques moutons, dont la chair & la toifon out extrêmeroent dégénéré ; une multitude innombrable de pores, qui paroiifent s'être perfectum né,c. Le pays eft arrofé par un grand nombre de rivieres, dont quelques-unes font navigables. La navigation- s'en étendroit plus loin, fans' les rochers & les chütes d'cau. Le climat y eft généralemcnt d'une température agréable. Dans la Caroline Septentrionale le fol eft généralemcnt plus plat, plus f.iblonneux,plus marécageux que dans la Caroline Méridionale. Ces défavantages en éloignerent d'abord les Anglois. Ce ne fut que tard que quelques vagabonds, fins aveu, fims loix, fans projets, s'y fixerent. La cherté des terres, dans les autres colonies, fit refluer les hommes dans une région, qui leur en offroit gratuïtement. On„ y compte anjourd'hui, felon le congres, trois cents mille ames. Ces fmhlles ont la plupart une origine Ecoffoifc. Elles vivent ordinairement éparfes fur leurs plantations, fins ambition & fans pré-, Ee 5  442 PRÉCIS de l'HISTOIRE voyance. On leur trouve peu d'ardcur pour le travail, & rarement font-ils bons cultivateurs. C'eft le pore, c'eft le maïs, c'eft le lait qui font leur nourriture; & l'on n'a d'autre paffion a leur reprocher qu'une paffion déméfurée pour les liqueurs fortes. Les premiers habitants de la Caroline Septentrionale fe bornoient a couper du bois, qu'ils livroient aux navigateurs. Bientót ils demanderent au pin qui couvroit le- pays , de la térébenthine , du goudron & de la poix. Avec le temps, la province parvint a fournir a 1'Europe des cuirs, un peu de cire , quelques fourrures, dix ou douze millions pefant d'un tabac inférieur ; & aux Indes Occidentales, beaucoup de cochon filé, beaucoup de maïs , beaucoup de légtimes fecs, unc petite quantité de mauvaifes firines 3 & pluiieurs objets de moindre importance. Les exportations de la colonie ne paffoient pas douze ou quinze cents mille livres. Dans toute 1'étendue des cótes, il n'y a que Brunfwick qui pailfe recevoir les navires deftinés a ces opérations. La Caroline Méridionale fournit, au commerce des deux mondes , les mémes objets que la Caroline Septentrionale : mais en moindre quantité. Elle a principalement tourné fes travaux vers le riz & 1'indigo. L'époque de la culture du riz remonte a la plus haute antiquité. Elle eft toujours fuivie d'effets pernicieux. Les cultivateurs des rizieres font ordinairement livides & hydropiques. Le riz croit, par les foins des Negres, dans les marais voifms des cótes. II y acqiüèrt tous las jours plus de perfeétion. Les expor-  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 443 tations de la Caroline Méridionale, en y comprenant celles de la Caroline Septentrionale, s'élcverent, en 1769, a 10,601,336 liv. Elle eft de toutes les provinces la plus riche. Auffi le goüt des cotnmodités y eft-il général: auffi les dépenfes s'y élevent-elles juf qu'au luxe , furtout remarquable dans les enterrements. Si les Carolines réufïiffent a fupplanter les nations rivales, dans les marchés oü elles vendent leur indigo, leur riz, comme elles ont raifon de 1'efpérer, ces provinces potirroient aifément dotibler leur population , & conféquemment les bras pour les cultures , fources de Poptilence, qu'on pourroit encore atigmenter par celle de 1'olivier & de la foie. La Caroline Méridionale n'a que trois villes dignes de ce nom ; & elles font en méme temps des ports. II fuffit de nommer Georges-Tovvn & Beaufort. Charles-Town, capitale de la province, mérite de fixer un moment notie attention. Le canal qui y mene, demande un bon pilote pour conckiire le vaiffeau au port, affez vafte pour mettre en füreté trois cents voiles. La ville occupe un grand cfpace au 'con. fluent de 1'Ashley & de la Copez, deux rivieres navigables. Elle a des rues bien alignées , la plupart fort larges, deux mille maifons commodes, & quelques édifices publiés , qui pafferoient pour beaux, en Europe même. Le doublé avantage qu'a Charles-Town d'être 1'entrepót de toutes les produélions de la colonie qui doivent être exportées, & de tout ce qu'eile peut confommer de marchandifes étrangeres , y etitretientun mouvement rapide, fcya fuccefïivement élevé des fortunes fort confidérables.  444 PRÉCIS de l'HISTOIRE Entre la Floride & la Caroline eft une Jangat de terre qui occupe foixante miles le long de la mer, acquiert peu-a-peu une largeur de cent cinquante miles , & a trois cents miles de profondeur jufqu'aux Apalaches. Ce pays eft borné au Nord , par la riviere de Savannah , & au Midi, par la riviere d'Atalamaha. Le miniftere Britannique le regardc comme une dépendance de la Caroline. Un citoyen compatiffant & riche voulut, qu'après la fin dc fes jours, fes biens fuffent employés a rompre les fers des débiteurs infolvables, que leurs créanciers tenoient en prifon. Le parlement ajouta 225,000 liv. au legs facré de ce citoyen généreux, en ordonnant de peupler la Georgie°dc ces malheureux. Une foufcription volontaire produifit des fommes encore plus°confidérables. Oglethorpe y conduifit, au mois de Janvier 1733, une peuplade de cent perfonnes ; il la plaga fur les bords de la Savannah , a dix lieues de la mer. Elle fut fuccefiivement groffie par cinq cents Anglois, quelques montagnards Ecoflbis, par des Saltzbourgeois , que le fanatifme avoit chalTés de leur patrie, & par des Suiffes qui n'avoient pas les mé- . mes motifs. Le commerce des pelleteries occupa davantage cette population que 1'agriculture. La colonie auroit avancé a grands pas vers la profpérité, fi des loix injuftes & des impóts accablants ne 1'euffent retardée. Le gouvernement apprit, en 1741, avec étonnement, que la plupart des malheureux qui étoient allé chercher un afile dans la Georgië , s'en étoient fuccefiivement retirés , & que le peu qui y reftoit en-  PHILOSOPHIQUE ras DEUX INDES. 445 core, foupiroit fans ceffe après un féjour moins infupportable. Cette lecon, quoique tardive, ne fut pas inutile. On donna a la province le gouvernement qui faifoit profpérer les autres colonies. Ceffant d'être un fief de quelques particuliers, elle devint une poffefiion vraiment nationale. Depuis cette heureufe révolution, fes marais ont fourni une affez grande quantité de riz; & fur fon fol plus élevé a été récolté un indigo fupérieur a celui de la Caroline. Avant le premier Janvier, fix cents trente-fept mille cent foixantedix acres de terre y avoient été concédés. En 1769, les exportations de la colonie s'éleverent a 1,025,418 livres 9 fols 5 deniers. L'ambition Efpagnole comprenoit anciennemcnt, fous le nom de Floride, toutes les terres de PAmérique, qui s'étendoient depuis le golfe du Mexique jufqu'aux régions les plus feptentrionales. Mais la fortune , qui fe joue de Porgueil national , a refferré depuis longtemps cette domination illimitée , dans la pémnfule que la mer a formée entre la Georgië & la Louifiane. Le débarquemcnt dc Luc Velafquès & de fes compagnons fut marqué par un aéte d'atrocité commife contre les Indiens , que les Efpagnols conduifirent aux mines, après avoir déchargé leur canon contre les fauvages, que la nouveauté du fpeélacle de leur navire avoit attirés fur le rivage. Les Efpagnols ne paroiffoient s'y êcre fixés, que pour eloigner les nations rivales de fes richcs-poffeffions. Ce fut a Saint-Auguftin & a Pe„facole qu'ils formerent proprement des établiffements ; Pun- a leur  446 PRÉCIS ut l'HISTOIRE arrrvée dans le pays, & Fautre en 1696. Le traité de paix de 1763, fit paffer au pouvoir des Anglois la Floride. II n'y avoit alors que fix cents habitants. La propriété d'une province immcnfe fut encore augnientée par la ceffion de la Louifiane. Cette nouvelle acquifition fut partagée en deux gouvernements. SaintAuguftin devint le chef-lieu dc la Floride Oriëntale, & Penficole celui de la Fioride Occidentale. Ces capitales , qui étoient en même temps d'affez bons ports , ne réunilfoient pas toutes les produciions, dont elles étoient fufceptibles. Cette contrée eut pour premiers colons des officiers réformés, des foldats congédiés a & quelques cultivateurs. Les Grecs gémiffent fous la tyrannie Ottomane. Ils doivent étre difpofés a fecouer ce joug détefté. Beaucoup fe rendirent aux follicitations du doéteur Tumbull, qui leur ofti it, en 1767 , un afile dans PAmérique Angloife ; & pour une centaine de louis il obtint, du gouvernement local , la permiffion de les embarquer a Modon. II aborda en Corfe ; il aborda a Minorque , & il perfuada encore a quelques habitants de ces deux ifles dc le fuivre. Les émigrants , au nombre de mille, arriverent avec leur fage guide a la Floride Oriëntale , oü il leur fut accordé foixante mille acres de terre. La pe:ite peuplade a recu de fon fondateur , des inftru&icn? qu'elle-même a approuvées & qui s'obfervent. Au premier Janvier 1776, elle avoit déja défriché deux mille trois cents acres d'un fol affez fertile. Elle avoit affez d'animaux pour fa nourriture & pour fes travaux.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 447 Les récoltes fuffifoient a fa confommation ; & elle vendoit pour 67,500 livres d'indigo. L'induftrie & 1'adivité qui la diftinguent, font beaucoup cfpérer du temps & dc 1'expérience. La domination de la Grande-Bretagnc s'étend depuis le fieuve Saint-Laurent jufqu'au fieuve Miffiffipi. Elle eft encore groffie par la baye de Hudfon, Terrc-Neuve, & les autres°iiles dc PAmérique Septentrionale. Cette vafte région eft coupée du Nord au Sud par une chaine de hautes montagnes, qui s'éloignant alternativement & fe rapprochant des cótes, laiflent entr'elles & 1'océan , un territoire de cent cinquante, de deux cents , quelquefois dc trois cents miles. Au-dela de ces Apalachcs, eft un défert immenfe. Ce continent eft , en général, fi égal a la mer, que lc plus fouvent on a de la peine a diiiinguer bi terre du haut du grand mat, même après avoir mouiïlé a quatorze braffes. Cependant la cóte eft très-abordable, paree que ce bas-fonds, ou cette profondcur, diminué infenfiblement a mefure qu'on avance. Le na • vigateur en eft même averti par les arbres qui, paroiffant fortir de 1'océan, forment un fpectacle enchanteur a fes yeux. Les produétions viennent en abondance fur un fol nouvellement défiiché, mais lentement a leur maturité. Ce pays a prefque tous les arbres qui font naturels en Europe. II en a de propres a lui feul, cntr'autres 1'érable 61 le chier, dont celtoi-ci fournit une maticre, mitoyenne entre le fuif & la cire, pour la qualité & la confifiancc. L'autre donne naturellement un fuc miellcux qu'on évapore,  448 PRÉCIS de l'HISTOIRE & qui peut rcmplacer le fucre ; mais pour en avoir une livre, il ne faut pas moins de dix-huit ou vingt livres de liqueur. Parmi la multitude d'oifeaux qui peuplent les forêts de PAmérique Septentrionale, le plus fingulier c'eft Foifeau-mouche. L'Amérique a recu en préfent, de 1'Europe, Pabeille, les animaux domeftiques qui, a 1'exemption du porc , fe font tous abatardis; les grains, qui y féulfiffent tous, quoique < moins parfaitement que dans le lieu de leur origine. L'induftrie des Américains a été a fon tour utile a la métropole. L'encouragement dont elle favorifa la culture des Américains , fit bientót aborder , dans les ports d'Angleterre , la poix , le goudfon, la térébenthine, les vergues, les matures. Elle peut même en vendre aux pays voifins. Cet avantage retira la Grande-Bretagne dc la dépendance des puiffaiiccs du Nord , oü' elle avoit été a 1'égard des munitions navales. II y eut même de la probibilité, que PAmérique pourroit remplir, avec le temps, tous les befoins que la mere-patrie eut des bois & du fer. Cependant la culture de la vigne & de la foie ne répondront pas également aux vues du gouvernement Anglois. Dans le tableau, quoique ferré, que nous avons ci-deffus tracé des poffelfions Angloifes cn Amérique, on a pu voir quelle étoit leur première population. Elle eft maintenant compofée d'hommes libres, que les guerres civiles, des perfécutions religieufes, un caraétere inquiet & la mifere s'y firent traufplanter; les malfaiteurs que la métropole condamnoit autrefois a étre tranfportés en Amérique, & qui devoient un  PHÏLOSOPHIQUE des DEUX INDES. 449 ün fervice forcé de fept ou de quatorze ans, aux planteurs qui les avoient achetés des tribunaux de juftice; — d'hommes indigents que 1'impofiïbilité de fubfifter en Europe , furtout dans le Palatinat, dans la Souabe ( oü des embaucheurs foudoyés vont vanter les délices du Nouveau-Monde) y ont pouffés. Suivant le dénombrement du Congrès, la population de PAmérique Septentrionale eft compofée d'environ quatre cents mille noirs , & de deux millions cinq öu fix cents mille blancs. Cé nombre eft continuellement grofïi par les infortunés que des gouvernements opprelfeurs chalfent de chez eux. La grande abondance des vivres y multiplie les mariages, & ceux-ci les hommes. On compte que la population y doublé tous les vingt-cinq ans. Les hommes y font fiins & robuftes , d'une taille avantageufe. Ils vivent dans une grande abondance de vivres. Le vétement y eft toujours cher. On y obferve généralemcnt de 1'économie, de la. propreté, du bon ordre clans les fimilles. Les femmes y font douces , modeftes, compatiffantes & fecourables. Les hommes font occupés de leurs premiers devoirs, du foin & du progrès de leurs plantations, qui feront le foutien de leur poftérité. Uii fentiment de bienveillance unit toutes les families. Cette union précieufe eft cimentée par une certaine égalité d'aifance. Un bien-être univerfel a mis , dans tous les cceurs, le defir de fe plaire mutuellement. On fe rapproche, on fe rafiemble , on mene enfin , dans les colonies, cette WS champétre, qui fut la première deftination de 1'homÈf  45° PRÉCIS de l'HTSTOIRE me, la plus convenable a la fanté , a la fécondité. A la naiffance des colonies, les efpeces y avoient la méme valeur que dans la métropole. Mais elles fortoient toutes du pays , pour payer les marchandifes Angloifes. II falloit pourtant un moyen d'échange. A 1'exception de la Virginie , toutes les provinces le chercherent dans lacréation d'an papier-monnoyé. L'abus qu'on en fit, 1'aviliffoit a un tel point, qu'il n'y avoit plus de cours a aucun prix. Cette pauvreté étoit due aux loix Angloifes , qui défendoient aux Américains de fe pourvoir eux-mêmes de manufaétures. Ces loix prohiboient 1'entrée des vaiffeaux étrangers dans leurs ports, fans un péril évident de naufrage. Finalemcnt , la Grande-Bretagne traita fis colonies, dans PAmérique Septentrionale , avec une partialité contraire aux principes de fon gouvernement, & qui étoit autant au profit de la mere-patrie, qu'eile étoit au défavantage des colous. L'Angleterre, cn fortant d'une longue & fanglaute guerre, avoit augmenté fan domaine d'un territoire immenfe dans les deux Indes ; mais Ia nation étoit écrafée fous le fardeau d'une dette de 3,330,000,000 livres ; elle gémiffoit fous lc poids des impöts. 11 falloit la laiffer refpirer. On nc pouvoit pas la foulagcr par la diminution des dépenfes. Celles que faifoit le gouvernement étoient néceffaires , foit pour mettre en valeur les conquétes achetées au prix de tant de fimg & de tréfors, foit pour contenir la mui? fon de Bourbon, r.igtie par les humiliaticns delide nicre guerre, par les facrifices de Ia dcruicie paix.  PHILOSOPHIQUE des DEUX INDES. 451 On imagina d'appeller les colonies au fecours dc la métropole ; jamais le miniftere Britannique n'avoit eu recours a elles, fans 1'obtenir. Mais c'étoient des. dons & non des taxes , puifque la conceffion étoit précédée de délibérations libres & publiques dans les affemblées de chaque établiffement. Les colonies du Nouveau-Monde étoient accoutumées a regarder, comme un droit, cette maniere de contribuer aux charges de 1'état. Cependant le miniftere Britannique faifit lc moment d'une paix glorieufe, pour exigcr une contribution forcée des colonies. Leur indignation 1'oblige a reculer, & cet acte famenx dn timbre , que Pan 1760 vit éclore , & qui défendit d'admettre, dans les tribunaux, tout titre qui n'auroit pas été écrit fur du papier marqué & vendu au profit du fifc, fut aboli. Dans la fuite les Américains ne font pas moins révoltés des impóts, que le gouvernement Anglois jugea a propos de mettre fur le verre, le plomb, le carton , les couleurs, le papier peint & le thé , qui font, portés d'Angleterre en Amérique. Le minificre Britannique eut encore, 1'année 1770, la facilité ou Ia foibleifede céder au mécontentement des Anglo-Américains. II croyoit leur difpofition changée , lorfqu'en 1773 il ordonna la perception du droit fur le thé. Cette nouvelle caufa un foulevement univerfel, dont Bofton fut le théatre principal. Ses habitants»détruifirent, dans le port même, trois cargaifons de thé qui arrivoient d'Europe. En 1774,11 fat porté un bJU qui fermoit le port de Bofton, & qui défendoit cl'y rien débarquer, d'y rien prendrc. Toutes les provinFf 2  452 RËCIS de l'HISTÖIRE, &c. ces s'attachent a la caufe de cette ville. Elles fe reu; niffent toutes pour défendre leurs droits & leurs intéréts ; elles envoyent, dansce deffein, des députés a Philadelphie. Tout efpoir de conciliation s'évanouit. La Grande-Bretagne envoye des troupes dansleNouveau-Monde, & les citoyens y deviennent foldats, commandés par le général Washington, né en Virginie , & connu par quelques aétions heureufes dans les guerres précédentes. Le 4 Juillet 1775, le congrès général, encouragé par quelques fuccès, fe déterrnina a rompre tous les liens avec l'Angleterre, en décla. rant 1'Amérique indépendante. Dans 1'incertitude des événements, on ne peut former que des conjeétures. Elles femblent annoncer que la Grande-Bretagne reconnoitra bientót elle-même , a fa grande douleur, cette indépendance, qui va a jamais détacher de fon domaine un terrein immenfe, lequel, fous une adminiftration fage & humaine, auroit pu étre pour elle une grande fource de richeffes, & la bafe d'une puiffance confidérable. F I N.