Bibliotheek Universiteit van Amsterdam 01 3281 0045  E 12   L'HHSTTOIRE D E J O S E F A UUSAGË DES ENFAMS. pak. CUILLAÜME van OOSTERWIJK HÜLSHOFF. première partie* * * * * * A L E 1 D E chez D. du MORTIER et FILS, et a DEVENTER chez J. H» de LANGE. 1798.   AVIS AU LECTEUR. Sociéié de Salut public (Maatschappij tot nut van 't algemeen) aïant promis un prix k celui qui réusfirait le raieux a écrire 1'histoire de Josef, dans un ftile adapté au génie et aux capacite's des enfans , telle^ ment qu'on put s'en fervir avec fruit dans les écoles, c'est ce petit ouvrage de M, IIulshoff , qui a remporté le prix. Le jugement du Public ne parait pas avoir été différent de celui des Directeurs de la dite Société, vu qu'a peine on en avait publié la première édition, qu'il en a fallu faire une feconde, qui apparemment fera encore fuivie de plufieurs autres. Quant a la Traduction frangaife que nous en offrons au Public, il nous parait utile d'avertir, qu'on s'est écarté ausfi peu que posfible de la diction de 1'original, afin de ue pas trop embarasfer les commencans qui fcront ufage de 1'un et de 1'autre, et auxquels une pareille traduction doit fervir en quelque forte de Vocabulaire.  Les Perfonnes, qui connaisfent le génie ctes deux langues, fentiront aifément la difficulté d'une pareille entreprife et ils avoueront en mêrne tems , que le ftile d'une tra duction, faite dans ce desfein, ne faurai être fort coulant.  L'HISTOIRE X> E J O S E F A VUSAGE DES EN FANS, pL/ans ccrtain grand village demeürait un Imaitre d'école , qui avait beaucoup d'enfans 'k inftruire. La plupan de ces enfans s'en reitoumaient le foir dans la maifon de leurs paxens , vü que leurs pere et mere demeuraient jausfi dans le même village. Mais dans cette école il y avait ausfi des enfans d'autres vil;ies et villages , qui y avaient été envoïés par lleurs parens. Ceux-ci ne pouvaient pas aller Woir tous les jours leurs pere et mere , mais !;feulement de tems a autre dans 1'année. Ces enfans étrangers étaient cinq filles et cinq gar- I Les autres enfans étant partis au foir , ces i; étrangers étaient encore a 1'école, les garcons i avec le maitrc et les filles auprès de fa femme, j C'est ce qui eut bientöt cnnuïé ces enfin s ; li mais le Maitre trouva le moïen de le?-; amufer II et de • leur être utile en même tems. L'été, quand les- jours étaient longs et qu'il fit beau I tems » il -allait, après 1'heure des lecons, fe A  L' HISTOIRE promener avec ces dix enfans hors du village. Alors il leur apprenait les noms et 1'ufage des arbres , des plantes , du blé , — et de tout ce qui leur tombait fous la vue. Mais quand il faifait un tems froid et rigoureux et qu'en hiver les foirées devenaient longues, alors ils ne pouvaient pas fe promener , mais il fallait rester a la maifon. Que fit alors le maitre? II alla s'asfeoir auprès du feu en cercle , les cinq garcons d'un cöté et les cinq filles de 1'autre. Alors le maitre racontait a fes élèves telle jolie histoire , qu'il avait lue ou entendue. II favait toujours choifir des récits, qui faifaient plaifir aux enfans , et qui les inftruifaient en même tems. Mms alors ils devaient ausfi 1'écouter avec attention , comme il faut faire toujours lorsque quelqu'un nous parle. Quelquefois il arrivait cependant , qu'ils ne comprenaient pas bien ce que le Maitre racontait , ou que telle ou telle chofe leur paraisfait étrange ou étonnante. Dans ce cas le Maitre aima beaucoup , qu'ils le disfent tout-defuite, car il voulait que les enfans comprisfenr bien tout le récit. Le bon maitre fit pourtant ion posfible pour parler clairement, car les enfans étaient encore bien jeupes. Cornelie c'était la plus jeune fille, qui n'avait encore que fept ans : fuivait J'eanette agée de huit ans ; puis_ Mimi agée de neuf, Catd de dix et Ckristine d'onze ans. Le plus petit garcon s'appelait Pierre , c'était un enfant de huit ans: Jean en avait neuf, Comeille dix, Henri orize et Jdques douze ans. Parmi les dilférentes histoires, que le Mai-  de J O S E F. 3 tre racontait a ces enfans , il y en avait une par dcsfus les autres intéresfante et iniiructive, qu'on peut lire dans ce petit livre. Elle 1'occupait pendant plufieurs foirées. Voïons d'abcrd ce qu'il dit a la PREMIÈRE SOIREE. Gen. XXXVII: i — ao. Le Maitre. Mes enfans! hier au foir nous avons fini notre histoire. Commencerai-je maintenant un nouveau récit, ou préférez-vous de faire quelque autre chofe? Tous i.es Enfans. Non, mon cher Maitre! encore une histoire ! encore une histoire , s'il vous plait! Maitre. Trés volontiers. Je vous raconterai donc une longue histoire , du meilleur livre qui foit au monde. Je vous raconterai quelque chofe prife de la Bible. Corneille. De la Bible'. cela met ftche! Mtre. Et pourquoi cela, Corneille? Corneille. Parceque je crains que Phistoire ne fera pas jolie. Car la Bible n'est pas un livre amulant! Mtre. Y-avez vous donc lu quelquefois? Corneille. Oui, mon Maitre, a la maifon, chez mes parens fy devais lire tous les matins pendant une heure ; et plus longtems encore, quand j'avais été méchant. Mtre. Ah! je congois maintenant pourquoi vous né trouviez pas la Bible fort amufante. Vous étiez encore trop jeune pour comprendre tout feul tout ce que vous lifiez. Et quand A a  4 L'HISTOIRE on doit lire par punition , Ton s'en dégoute toujours. Je prierai vos parens de vous en dispenlêr quand vous retournerez chez vous. A préfent faites feulement attention a ce que je \ous raconterai de ce même livre. ]e fuis certain, qu'il vous plaira. Vous vous'apercevrez bientot que la Bible est un excellent livre. Dans la liiite vous fouhaitcrez vous même d'y lire , et cela pourra vous être fort utile. Corneille. S'il en est ainfi , mon Maitre, commencez donc s'il vous plait. Mtre. II y a plus de trois mille ans qu'il vivait un certain homme vertueux, qui s'ap> pelait Abraham. Dans ce tems la la plupart des hommes ne favaient pas grand' chofe du bon Dieu , ou ils avaient des idéés fausfes de la religion , mais Dieu donna a Abraham des inftructions particulieres, en forte qu'il devint meilleur et plus fage, que les autres hommes de ce tems. II ne demeurait pas toujours dans le même lieu , mais il voïageait fouvent d'un endroit a Pautrc. Cependant il pasfait la plus grande partie de fa vie au païs de Canaan, ou prés de ce pais, que Pon nomme ausfi de nos jours la Judèe, ou le païs des Juifs. Qui d'entre vous me donnera cette Carte, afin que nous y puisfions chercher ce païs et Pexaminer? JaQöES, QEn prèfentant la Carte.') Tenez, mon Maitre. Mtre. Voici maintenant la Judée, mes enfans! vers la fin, ou a Pest de la Méditerranée: La Syrië est iituée au nord de la Judêe; ÏAratte a Pest et au fud ; fEgypte au fud et a ' 1'ouest.  d e J O S E F. 5 Don-? ces contrées demeurait le pieux Abraham* dont je parlai tantót. II devint fort agë, et il avait un fils, qui s'appelait Ifaac, et qui après la mort d'Abraham habitait ausfi dans le même païs. Cet Ifaac devint ausfi un homilie trés vertueux et pieux. Dieu le protégeait et 1'inftruifait de même d'une maniere particuliere. Ifaac laisfa après lui un fils, qui fut appclé Jacob, quelquefois ausfi Israël, et dont nous parierons fouvent dans ce récit: Ces trois hommes pieux , Abraham, Ifaac et Jacob étaient des gens riches, Ils avaient nombre de fervitcurs et de fervantes , mais ils vivaient tout autrement, que les riches de nos jours font pour fordinaire. Ils ne demeuraient pas dans de belles maifons dans 1'une ou Tautre ville ; mais ils voïageaient lentement par le païs , avec leurs femmes , avec leurs enfans et les enfans de leurs enfans; avec leurs fervitcurs et fervantes et avec leur bétail. Mimi. Mais , mon Maitre ! pourquoi ces gens la voiageaient-ils toujours? Tean. Je pcnfe que c'était pour s'amufer j car il est bien agréable de faire des tours de rromenade. ,, . Mtre. Non , mon cher Jean .' ce n etait pas feulemcnt pour s'amufer , mais furtout par ce que c'étaient des bergers, qui devaient cherchcr de bons paturages pour leur bétail. Henri. Comment , mon Maitre ! n'etaientils pas riches — et les gens riches ne font pourtant pas des bergers. Mtre. Non pas a préfentl monami! mais alors ils Fétaient. Dans ces tems la on nomA3  6 L' H I S T O I R E raait le plus riche , celui qui posfédait le plus de boeufs, de vaches, de brcbis &c. ainfi qu'un grand nombre d'enfans et de domeftiques. C'est ainfi que ces bonnes gens voïageaient enfemble par bande. Le pere ou le Grand-pere ét'ait directeur de toute la familie , qui devait lui obéir. Et quand ils voïageaient ainfi , ils fe repofaient quelquefois pendant plufieirrs jours ou femaines , tantót dans une plaine , tantöt prés des forêts ou des montagnes , et presque toujours dans des endroits ou 1'on trouvait de Peau fraiche pour eux et pour leurs troupeaux. Pierre. Et y avait-il de bonnes auberges clans tous ces endroits pour y coucher? Mtre. Point du tout ! mais ils avaient beaucoup de tentes chez eux, qu'ils pouvaient dresfer comme de petites maifens et c'est la dedans qu'ils fe cöuchaient. Nous autres n'aimerions pas cela ; nous craindrions trop le froid i mais toutefois dans la Judèe il fait plus chaud que chez nous. C'est de cette maniere fimple que vécurent Abraham, Ifaac et Jacob. Ce Jacob était un homme extrêmement doux et pacifique. II était de même fort pieux , et comme fon pere Tfaac et fon grand-pere Abraham, il fut a bien des égards inftruit et dirigé par Dieu d'une maniere finguliere. Sa familie était bien grande; car il avait treize enfans , favoir, douze fils et une fille. Les noms des fils étaient: Ruben, Simeon, Levi, Juda, Sebulon, Isfachar, Dan, Gad, Asfer , Naftali , Jbfef et Benjamin : la fille s'appelait Dina. C'est 1'histoire d'un de ces fils de Jacob, que je voudrais vous raconter apréfent, telle  be JOSEF. 7 nuc je 1'ai lue dans la Bible. Nous parierons des aventures de Josef , 1'avant dernier fils, Nous pouvons trouver 1'histoire de ce Jo/ef au commencement de la Bible, au premier livre du Vieux Testament, que nous nommons la Génèfe , au Chapitre trente-feptieme et quelques fuivans. , ■ >. . Ouclle fut la conduite de ce Jofef et ce qui lui'arriva , pendant qu'il n'était qu'un petit gar- cou, c'est-ce que je ne faurais vous ra- conter; car on n'en trouve rien dans I'Ecriture. II faut donc vous imaginer tout d'un coup que c'est déja un jeune homme de dix-fept ans, et puis nous verrons ce qui lui arriva durant tout le reste de fa vie. Le vieux Jacob avait fait énger fes tentes, depuis quelque tems , non loin de la ville de Hébron. Voïons Catd! fi vous pourrez trouver ce Hébron , dans le païs de Canadn. Cató. (en regardant fur la Carte,j Oui! le voici, mon maitre ! a peu prés au desfus de Berfeba, au milieu entre la Mèditerranèe et Ia Mer morte ou 1'endroit oü ont été les villes de Sodom et de Gomorrhe. , ... - Mtre. Fort bien, mon enfant! C est ïci que demeurait Jacob, ainli que fon pere et fon »rand-pere y avaient autrefois demeuré. lous fes enfans étaient avec lui, et fon bétail, _ fon grand troupeau de difFérentes bêtes, paislait aux cnvirons dans les champs , quelquefois menie a une distance d'une ou de plufieurs lieues. Les freres de Jofef, étant bergers, avaient ibin du bétail , et lui même devait les aider, mais Benjamin était encore trop jeune. La mere de Jofef ne vivait plus quand il A 4  3 L'HISTOIRE fortit de l'enfance. Son pere Jacob était ausfi déja fort agé ; car quand notre Jofef maait, fon pere avait déja quatre-vingtdouze ans. Comptez a préfent, Mimi, quel age avait le vieux Jacob au dix-feptieme anniverfaire de Jofef. Mimi. Voïons! quatre-vingt-douze et dix font cent deux, et encore fept, cela fait — cent neuf. Mais , perfonne ne devient pourtant fi vieux! Mtre. De nos jours au moins il n'arrive presque jamais qu'un homme parvïenne a eet •fige; mais dans ces anciens tems, quelques hommes vivaient trés longtems. Le grand-pere de *?ofef, Ifaac, paivint a 1'age de cent-quatrevingt et Abraham, 1'aïeul de Jofef, a celui ce cent-foixante-quinze. — Or, quand Jofef cut atteint fa_ dixfeptieme amiéc , on comptait 2377, c'est a dire, deux mille, deux cent foixante tiixfept ans après la creation , ou le commencement de ce monde. Enfuile il s'est pasfé encore 1723. mille fept cent vingt trois ans, avant que naquit notre Sauveur, Jefus Christ; et combien de tems y a-t-il de laV Christine. 1794, mille fept cent quatre vingt quartorze. N'est-ce pas ? mon Maitre! ne comptons nous pas nos années de Pépoque de la naisfance de Jefus Christ? Mtre. Très-bien , Clxrisüne ! or en comptant le tout fur 1'ardoife , vous trouverez qu'il rtst déja écoulé 3517, trois mille cinq cent dix fept années depuis que notre Jofef agé de dix fept ans , fe promena dans les champs de Hébron, — Mais , pourfuivons. La conduite des fils ainés de Jacob était agfez déréglée et mauvaife ; ce n'était pas -de fort bravqs g£ns , comme nous verrons dans la  ■ de JOSEF. 9 fuite. Notre Jofef par contre était honnête et pieux. C'est pourquoi fon pere 1'aimait parti? culierement et beaucoup plus que fes autres enfans. Mais qu'arriva-t-il ? Jofef fit quelque chofe de fort imprudent. Quand les fils ainés de Jacob avaient commis quelque faute, il fe Mtait de le rapporter a fon pere, et alors fes freres furent grondés. Jofef penfait: „ Mon „ pere doit tout favoir , et quapd mes freres „ font grondés quelquefbis, ils fe corrigeront." II eut bien raifon que le pere dut tout favoir; mais il n'y penfait pas , que c'est être méchant que de mêdire et de trahir les autres. Voudriez-vous bien avoir un frere , mon petit Jdques'. qui rappordt d'abord toutes vos fautes a votre pere? JdouES. Mais non ! je ne pourrais pas le fouifnr! Mtre. Voila justement ce qui arriva ici. Les freres de Jofef commencerent a le regarder d'un mauvais oeil et ne fe fiaient plus a lui. Le pere continua neanmoins a aimer Jofef plus que fes freres. — Un jour Jacob fit faire au jeune Jofef un bel habit de différentes couleurs. Les autres freres ne recurent pas de pareils habits. Le feul Jofef 'fut paré avec tant de foin. Vous pouvez donc vous imaginer, quelle düt être la jaloufie de ces freres ainés, lorsqu'ils virent Jofef revêtu de ce bel habit. Ils fe fachaient tellement qu'ils voulurent a peine lui parler. On ne faurait approuver neanmoins dans les fils de Jacob cette jaloufie et cette mauvaife humeur a 1'égard de Jofef. Ce n'était pas toutefois la faute de Jofef, que fon pere 1'aimat tant, et, il est bien perA 5  io L* HISTOIRE mis a un pere de donner a Fun de fes fils une chofe , qu'il ne donne pas a tous les autres. Hs étaient les plus agés, ils auraient dü étre ausfi les plus raifonnables. C'est ainfi que notre Jofef fut envié et traité avec aigreur par fes freres. Sa franchife ncanmoins et fa cordialité ne changcrent point a 1'égard d'eux. II diiait un matin avec fa limplicité naturelle : „ J ai eu un fonge cette nuit , qui est bien fingulicr, et que je dois „ vous raconter. }e révai , que nous étions „ a ia campagne ,' et que nous faifions des „ gerbes." . Cornelie. C'est cc que ]c ne comprcnds pas bien , mon Maitre ! qu'est-ce que des cerbesV . , Mtre. On nomme gerbes des faisceaux de blé coupé , qu'on lie enfemble en bottes pour les fêcher enfuite. „ Je rêvai" dit Jofef „ que „ nous liïons des gerbes. Ma gerbe le leya et „ fe tint debout au milieu , et vos gerbes , „ mes freiös! fe leverent autour de la micnne, „ et s'inclinercnt devant ma gerbe , comme fi „ elles voulaient la faluer relpcctucufement. - Et, que voulez vous dire par la," s'écriaient I fes freres; Prétendez-vous regner un jour fur nous en fouverain? „ Nous profternerions-nous „ ausfi humblement devant vous , que nos ger- bes 1'ont fait dans votre fonge!" Cela ne leur plüt en aucune maniere et ils haïrent Jofef plus fortement encore , paree qu'il leur avait raconté ce fonge. Quclques jours après , Jofef trouva un matin fon pere et fes freres enfemble. „ E„ coutez" difait-il, „ j'ai encore rêvé cette nuit „ fingulierement. II me femblait que le Soleil  de J O S E F. il „ et la Lune et onze étoiles fe profternaient de„ vant moi." Le pere dit: „ mais, Jofef. quel I fonge que celui la! qu'est-ce que vous vous „ imaginez ? Nous faudrait-il a nous tous avoir „ tant d'égards pour vous ! cela va trop loin." Les freres ainés de Jofef fe ftcherent plus fortement encore contre lui a Fouie de ce fonge. Le pere Jacob penfait neanmoins en lui même: „ Ce font la des rèves fort étranges ! je les „ garderai dans ma memoire. Qui fait ce qui. „ en arrivera encore?" II faut favoir, mes enfans, que dans ces tems Dieu inftruifait quelquefois les hommes par des fonges. Quand il leur devait arriver quelque chole de fort hngulier, le bon Dieu le leur fit voir quelquefois d'avance, dans un rêvc, Jacob en avait fait plus d'une fois Fexperience, et par cette raifon il fit tant d'attention aux rêves de Jofef. Les freres favaient ausfi , que des rêves pouvaient fignifier quelque chofe qui düt arriver dans la fuite. Sans cela ils fe feraient moqué peut-être de Jofef; mais a-préfent ils ne pouvaient oublier ces fonges , et ils en furent fachés, Dans la fuite de ce récit nous verrons, qu'en efret par la fagedirectiondeDieu, ces deux fonges furent accomplis a Fégard de Jofef. Mais , je dois vous dire ausfi , mes enfans , que de nos jours le bon Dieu ne fait plus fonger Jes hommes tellement qu'il le fit alors. Vous ne devez donc jamais vous laisfer infinuer ou vous imaginer , qu'une chofe arrivera paree que vous ou quelqu'un d'autre en avez fonge. J'ai rêvé quelquefois moi même , que j?étais un Roi ; mais je fera^ bien fou , fi je croïais  M L'HISTOIRE que cela arriverait en cffet. II fuut nous en rapporter maintenant au proverbe : „ Les fon„ ges font des menfonges." Peu après que Jofef eut raconté fes deux fonges, fes freres ainés devaient avec le troupeau de leur pere voïager un peu plus loin , pour trouver de meilleurs paturages pour le bétail. Ils fe porterent de Hébron a Sichem , ce qui etait a quelques journées , environ a trente heues de la, au nord. Jofef resta avec Benjamin chez fon pere a la maifon. Catö. Voila qui est bon! a-préfent il est loin de ces méchans freres : j'en fins bien aife. Mtre. Mais cela ne dura pas longtems, ma chere Catd > Quelque tems après que les freres furent partis , Jaeob appella fon fils Jofef vers lui. •■> Jofef'.'''' dit le vieillard, „ vous devriez „ aller voir une fois comment fe portent vos „ freres dans les prairies de Sichem, et ce „ qu'il en est de mon bétail." Henri. Ce ne fut pas la un voïage fort amufant pour Jofef; d'aller ainfi tout feul vers ces méchans freres ! ne demandait-il pas d'en étre excufé , mon Maitre ? Mtre. Ho que non ! C'etait un fils obéisfant, qui voulait faire tout ce qu'il plaifait a fon pere. Ausfi n'était-il pas fiché contre fes freres ; mais il déiirait déja de les revoir. Tl prit donc congé de fon pere et de Benjamin ausfitöt qu'il put, et fe mit en chemin vers Sichem. II était connu partout aux environs , et c'était la coutume ausfi d'alors, de recevoir amicalement les voïageurs , en forte que Jofef pouvait fe repofei' et coucher la nuit dans chaquc maifon ou tente. Après avoir bien marché,  de JOSEF. 13 il arriva prés de la et regarda de tous les cótés ; mais il ne put trouver ni freres, ni ten tes , ni troupeau. Enfin il fut rencontré par un homme qui avait appris que fes freres étaient a Dothan. C'était encore a quelques licues au dela de Sichem. Jofef continua courageulèmerit fa route et les vit enfin de loin. Quand il ie fut encore plus approché, voila que fes freres fe tenaient prés de quelques foslès profondes ou des puits d'eau. Ils appercurent le bon Jofef-, et fe dirent les uns aux autres; „ voici „ notre fongeur qui vient, avec fon bel ha„ bit ! Tuons eet orgueilleux jeune-homme, „ et jettons-le alors dans une de ces fosfes, „ et puis nous dirons a notre pere qu'une mau„ vailé béte fa dévoré. Nous verrons ainfi ce „ que deviendront fes fonges. Etant mort, „ il ne dominera point fur nous!" Cornelie. Fi donc! ces méchans freres.' Pierre. Ditcs plutöt: ce pauvre Jofef: Ciuustine. Je n'aurais jamais penfé qu'un frere put fe facher tellement contre 1'autre. Mtre. Oui, mes enfans ! voila comme cela va , quand on ne prend pas garde a foi-même. Voila les mauvais efTets de l'a jaloufie. C'est pourquoi je vous exhorte ferieulément, a ne jamais exciter d'autres enfms a Ia jaloufie; et aïez toujours foin de ne pas devenir jaloux vous-mémes ! Jeannette. Mais , mon Maitre! que devint le bon Jofef." Mtre. C'est ce que nous verrons dernain au foir, ma chere Jeannette/ Maintenant il nous faut aller a table — et puis nous coucher. ^  14 L' H I S T O I R E SECONDE SOIREE. Gen. XXXVII: 20-35. Le Maitre. Mes enfans ! je vous racontai hier au foir , que dans la campagne prés de Dothan, Jofef vit de loin fes freres, avec le troupeau du vieux Jacob. Je vous raconm ausfi que ces méchans freres voulaient tuer le bon jeune homme , quand il ferait arrivé jusöu'a eux. Nous voïons par la , que les fils ainés de Jacob étaient des gens corrompus^et pervers. Cependant je dois vous dire qu'ils rfétaient pas tous également méchans. Simeon et Levi fe montrerent les plus pervertis , dans ce cas comme dans d'autres occafions. Ruben le plus agé des freres était d'un caractere plus doux. II eut pitié du pauvre Jofef, qu'ils voïaient marcher ii gaiment de loin. Ruben paria encore en faveur du jeune homme: „ mes freres!" dit-il, „ ne tuons pas au moins nous „ mêmes Jofef; il vaut mieux le jeter vivant „ dans une fosfe profonde et nous en aller." lac-ues. Mais , cela ne valait pas beaucoup mfeux , mon maitre ! Jofef devait pourtant le nóïer dans cette fosfe ou mourir de faim , s'il ne pouvait s'en tirer. Mtre. Vous avez raifon, mon eniant ! ces fbsfes ou ces puits étaient fi profonds qu'on ne pouvait en fortir fans fecours. Mais Ruben avait encore un autre desfein. Quand ^ Jofef ferait dans ce puits, et que les freres fuslènt auprès du bétail ou dans leurs tentes , alors il voulait en retirer en fecret le pauvre garcon et  D E J O S E F. Tg le renvoïer vers fon pere Jacob. Mais c'est-ce que Ruben ne difait pas, fachant que dans ce fcas les freres envicux préféreraient de hier f Jofef. Maintenant ils penl'aicnt: „Voila un bon „ plan; qu'il rncure donc de fa-im et de mifere." Etant convenu de cela , voici que Jofef veInait d'arriver chez eux. Le bon jeune homme jjfut ravi d'avoir enfin trouvé fes freres. II le jréjouisfait de les voir tous en bonne fanté. Ausffitöt il les embrasfe cordialement et leur dit, Ique le vieux pere était encore bien-portant. Au lieu de 1'embrasfef de même, ou de lui jparler amicalement, fes freres tomberent tout fd'un coup fur lui et le dépouillerent asfez rudeJment de fon bel habit. II ne lui fervait a rien :de crier et de fe plaindre : ils le descenderent jdans une fosfe trés profonde. Heureufement il in'y avait point d'eau, fans cela notre Jofef'fe feïrait noïé. Le voila neanmoins pleurant amèrement let implorant en vain du fecours. Les méchans ïfreres s'asfirent non loin de la pour faire bonne ïchére. Mais Ruben s'éloigna$ il ne pouvait voir ïcette cruelle tranquillité et ne défirait que de ipouvoir délivrcr Jofef en fecret de la fosfe. Or pendant que les autres freres faifaient leur repas, lils virent arriver de loin une grande troupe de marchands Arabes. Je vous dis hier que PAraibie est lituée a 1'est et au liid du païs de Canaan, aPourriez-vous trouver rArabie fur la Carte, Mimi. (Clierchant) Eh oui , mon Maitre! ijVraiment, ce doit être un grand païs! [ Mtre. Oui, mon enfant! c'est ainfi. Mais «vous devez chercher plus encore. Ces marchands jvenaient de-s rnontagnes de Gilead. Regardezune  i6 L'HISTOIRE fcis, fi ce n'est pas a 1'est de Dot/ian, un peu au desibus de Damas. Mimi. Précifément! j'y vois beaucoup de montagnes, et ausfi le nom de Gilead. Mtre. Eh bien, de la ces gens voïageaient en Egypte, que vous trouvercz au fud et a 1'ouest de Canaan. Ils avaient beaucoup d'effets fur eux qu'ils voulaient y vendre. Les marchands Arabes donc pasferent a Pendroit oü les fils de Jacob faifaient leur repas et oü Jofef était encore dans la fosfe. L'un des freres, favoir Juda, dit aux autres: „ a „.quoi nous fert-il de faire mourir Jofef? Ven„ ctons-le plutöt a ces gens! C'est pourtant no„ tre frere; il ne faut pas le tuer!" Corneille. C'était encore asfez bien imaginé de Juda! Mtre. Oui, Corneille! Juda était un homme asfez fenfé et raifonnable, et il n'était pas fi cruel que Simeon et Levi, Henri. Mais, ditesdonc, mon Maitre, peut on ausfi vendre des hommes, comme des boeufs ou des chevaux? Mtre. Cela ce faifait alors au moins trés fouvent. Les marchands Arabes menaient beaucoup d'hommes en Egypte pour les y vendre. On nomme esclaves ces hommes qui font ainfi vendus : ils ont perdu toute leur liberté, et fouvent ils font traité plus mal que les bêtes. Henri. Mais fi-donc ! c'est pourtant fort rnauvais! Mtre. Oui cela est trés mal fait, trés injuste et méchant. La méme chofe arrivé encore quelquefois, mais il est ausfi bien des honnêtes gens, qui font leur posfible , pour y mettre irh.  de JOSEF, i? HenRi. Voila ce qui est bon ! Mtre. Le plan de Juda, de Vendre Jofef aux Arabes fut goüté des freres qui étaient avec lui. Ils retirerent donc le pauvre jeune-homme de la fosfe. II plut beaucoup aux marchands, car il avait bonne mine et paraisfait bien portant. II fut donc livré. a ces étrangers au prix de vingt pieces d'argent. Jüques. Et combien est-ce, mon maitre! qu'ulie piece d'argent. ■ Mtre. Une piece d'argent pcfait autant que quinze de nos fous , et par conféquent vingt pieces d'argent autant que quinze florins. TaouES. Eh vraiment, alors Jofef fut vendu a "bien bon marché! On ne iaurait acheter, même un boeuf pour quinze florins! Mtre. Vous avez raifon, Jdques i mais ausfi je difais feulement que vingt pieces d'argent pefaient autant que quinze florins» et je dois ajouter maintenant, que dans ce tems on pouvait bien acheter trois boeufs pour quinze florins; paree que les hommes n'avaient pas a* lors autant d'argent, que nous en avons. TaouES. Ah! c'est ce que j'ignorais. Mtre. C'est donc au prix de vingt pieces d'argent que les méchans freres livrerent notre Jofef aux Arabes. Ses pleurs amers , fes tendres prieres d'avoir pitié de lui, le nom de fon pere, qu'il appelait au fecours — rien ne put exciter leur compasfion. II devait abfolument partir. Qu'importait-il a fes freres , fi dans un païs inconnu , peut-être chargé de chaines aux mains et aux pieds, il allait fuccomber fou^ le poids du travail. ,, Emportez le feulemenr « bien vite," criaient-ils aux marchands*., » emH  sp L'HISTOIRE „ portez vite ce mëchant gargon T" C'est-ce qu'ils fïrent ausfi , en pourfuivant avec Jofef leur voïage. A peine furent-ils partis , que Ruben, qui ] s'était abfenté, revint vers la fosle dans laquelle Jofef avait été. II voulut le voir une fois , et tacher de 1'en. retirer: mais, Jofef xCy était plus. Ruben en fut tellement faclié, qu'il déchira lés fntbits fur la poitrine. Jeannette. Pourquoi fit-il cela, mon Maitre? Cela ne faifait pouitant pas revenir Jofef r Mtre. Non , ma chere Jeannette! il était ausfi peu utile, que Iorsqu'un enfant pleure pour ttvoir casfé fes joujoux. Mais en déchirant fes habits on lignifiait dans ges tems anciens, que 1'on était fort affligé ou épouvanté. Ruben courut avec précipitation vers lés freres. „ Ahï" s'écriait-il, „ Jofef est loin! je luis 1'ainé ; fau„ rais dü avoir foin de lui! Oü resterai-je main„ tenant, et que dirons-nous a notre pere!'' Pierre. Je fuis pourtant fort mécontent de Ruben. II aurait dü mieux prendre garde. Mtre. Oui, c'est-ce qu'il aurait dü faire, mais pour le coup il venait trop tard. Les freres dirent : „ Jofef est déja loin; il va en E„ g-ypte comme csclave: nous ne le reverrons ,, jamais!" Maintenant il leur fiut méditer ce qu'ils feront a croire a leur pere. „ Nous avons ven„ du notre frere pour esciave," c'est-ce qu'ils n'ofaient pas dire. II fallait donc chercher un menfonge. Ruben, embaraslé comme il 1'était, fe laisi'a perfuader d'y prendre part. Ils tuerent un cbevrcau, et au moïen du fang de ce chevreau ils firent des tavhes rouges fur le bel ha-  j) e j O S E F. 19 bit de Jofef, dont ils 1'avaient dépouillé. Puis ils envoïerent un homme avec eet habit vers Jacob , pour demandcr fi le bon pere connaislait eet habit? Cató. Cela est méchant! a-préfent ils mentent et veulent tromper leur pere! Mtre. Oui, mes enfans! nous pouvons voir par la , comment un fórfait entraine toujoüts. dans un autre. D'abord ils vendirent Jofef; apréfent ils dóivent mentir, et dans la fuite il leur fallait foutenir fms cesfe cette fraude en préfence de leur pere , par de nouveaux menfonges. C'est pourquoi vous devez prendre garde , de ne pas faire du mal ', & fi cependant cela arrivé quelquefois , vous devez le confesfer tout-de-fuite, fans quoi vous devez mentir encore fouvent, vous devenez alors toujours plus méchans , et le bon Dieu , qui entend et qui voit tout,. vous punirait alors certainement, Corneille. Est-ce que le bon Dieu ne punisfait donc pas ausfi ces méchans hommes, mon maitre? Mtre. Oui, certainement ; mais longtems après, comme vous allez entendre; car le bon Dieu n'oublie jamais une chofe, fe füt-elle pasfée depuis bien longtems. Le vieux Jacob attendait cependant le retour de fon cher Jofef. II défirait déja de revoir le bon garcon:- et voici! qu'arrive le mesfager avec Thabit enfanglanté, avec le bel habit de Jofef. „ Connaisfez-vous eet habit," demandait rhomme qui Papportait a Jacob , „ connaisfez-vous eet „ habit la ? Vos fils Pont trouvé en chemin; „ ils demandent, fi ce n'cst pas Phabit de leur „ frere?" Le pere s'efFraïa fortement et s'écria B a  ao L'HISTOIRE cn pleurant: „ Ah! c'est 1'habit de Jofef '. Ie „ nouvel habit que je lui ai donné. Et il est . „ plein de fang ! fans doute une béte féroce „ aura déchiré mon Jofef — 1'aura dévoré : „ il n'en est resté que 1'habit; mon cher rils „ est mort!" Cornelie. Y a-t-il des bêtes fi méchantcs, qui déchirent les hommes et qui les mangent? Mtre. Oui, mon enfant! telles que les Lions, les Loups , les Tigres et d'autres dont il y en avait dans ce païs , comme il y en a encore dans d'autres païs ; mais dans nos Patsbas il ne s'en trouve point. Cornelie. Alors je resterai toujours dans notre pais ; car je crains beaucoup ces bêtes. Mtre. Le vieux Jacob fut donc extrêmement affligé a caufe de Jofef. II déchira ausfi fes habits, et s'enveloppa d'un fac. C'était précifément comme fi nous prennions le grand deuil. Quelque tems après, fes méchans fils revinrent vers lui et firent femblant d'être afHigés de même, par ce que Jofef eüt été dévoré par une béte féroce. N'était ce pas fort méchant et faux? Ils favaient bien que ce n'était pas vrai, et cependant ils laisfaient leur pere dans 1'affliction. Quelquefois ils voulaient bien le confoler un peu , mais cela ne fcrvait a rien. Le vieillard s'écriait continuellement : „ je pleurerai mon r> J°fefi jnsqu'a ce que je ferai mort comme lui. „ Rien ne peut bannir ma tristesfe: je veux fui„ vre Jofef dans la mort!" Mes enfans ! le tems est écoulé. Demain au foir vous entendrez co qu'est uévenu Jofef.  Dl JOSEF. 21 TROISIEME SOIREE. Gen. XXXIX. Le Maitre. Maintenant le fils cliéri de Jacob, 1'innocent Jofef n'est plus qu'un pauvre esclave. II devait fuivre bon gré, mal gré, les marchands Arabes. „ Ah!" penfait-il en pleurant, „ que je fuis malheureux ! ils m' emme„ nent en païs étranger, oü perfonne ne fera „ mon ami! Je devrai travailler rigoureufement „ et je ierai maltraité encore. — Peut-être ne „ reverrai-je jamais mon pere, ni Benjamin l Com„ me ils feront affligés!" Heureulément pour Jofef, fon pere lui avait fouvent parlé du bon Dieu. Heureufement il Favait écouté alors avec beaucoup d'attention. Jofef favait donc que Dieu peut tout faire ; qu'il fait et qu'il voit tout 3 qu'il n'arrive rien qui ne s'accorde avec le desfein de Dieu, et que pour un homme pieux tout fe termine enfin heureufement. C'est-ce qui le confolait; c'est-ce qui lui donnait du courage dans fon infortune, et lui rendait fa tranquillité. Les marchands pourfuivaient leur voïage avec le vertueux jeune homme, fans qu'il leur arrivat rien de particulier. Enfin ils vinrent en Egypte, nommément dans la ville, oü le Roi üEgypte faifait fa demeure. Je ne puis vous dire avec certitude , comment s'appelait cette ville. Apparemment était-ce la ville d'O», qui fut nommèe enfuite Heliopolis. Elle etait fituée fur la grande riviere le Nyl, non loin de 1'endroit ou cette riviere fe divife en de plus peti-, tes rivieres , qui fe débouchent enfin dans la Mediterranêe, comme vous pouvez le voir fur la Carte. B 3  &2 L'HISTOIRE C'est la que les marchands fe rendirent au roarché, avec Jofef et les autres esclavcs. II y éut bjentót quelqu'un qui voulut acheter ,70fif. Cétait un homme distingué, qui irequentait la cour du Roi et qui etait Chef d'une troupe de Soldats. Son nom était Potifar. Le Seigneur achcta Jofef des Arabes. Le pauvre jeunc-hnmme devait fouffrir tout ce qui fe pas» fait fans dire un mot. II ne pouvait pas mème demander , ce qu'on voulait faire de lui. JaQUES. Pourquoi pas? C'est-ce que j'aurais fait certainement. J'aurais prié polimcnt ceMon* iieur de me rendre ma liberté. J'aurais dit Mtre. Que je vous dife donc , mon chcr Jdques! que Jofef ne favait parler ni entendre que rHebreu ; et ces gens parlaient pour la plupart FEgyptien ; en forte qu'il ne favait pas bien ce qu'ils difaient et qu'cux ne comprenaient pas bien ce que Jofef voulait dire. Jao_rEs. Eh! c'était ausfi bien tristc! Mtre. Sans doute. — J°fif fnt donc errimené a la maifon de Potifar, 'chez les autres esclaves de ce Seigneur. II y devait travailler toute la journée tant a la maifon qu'a la Campagne. La nourriture qu'on lui donnait, fuffifait a peine, et fon gitc était fort mauvais. li avait pour toute compagnie des csclaves ftupides, qu'il ne connaisfait point et qu'au commencement il ne pouvait pas comprendre. C'était une grande dilTéience pour lui en fi peu de jours! De 1'enfant chéri d'un liomme riche il avait pasle a 1'ëtat d'un pauvre et miférable esclave, Le pieux Jofef penfait neanmoins ; „ le bon Dieu fait dans quel état je me trouve, 3, Pourvü que je me confie en lui, tout ira bien."  de J O S E F. -3 Ausfi Jofef ne fut pas longtems fans éprouver qu'il avait bien fait, de lè confier en Dieu. Dieu fit reusfir tout ce que Jofef devait faire i pour fon maitre. II n'eut presque jamais quelque malheur. Aucune terre, oü Jofef labourait, I restait fterile. Le nouvel esclave était donc bien avantageux pour Potifar. Depuis la venue de \ Jofef tout allait mieux qu'auparavant. On pou- Ivait'voir fans peine, que Dieu l'asfiftait en toute chofe. Potifar s'en appercut ausfi et fe dit: „ Let „ esclave me vaut plus que d'autres esclaves. „ Ie dois le traiter plus doucement. J'ofe bien L lui confier des affaires d'importance." MainJ tenant Jofef fut ëlévé au desfus de fes CamaIrades. Cela reusfit encore tellement, que fon Imaitre le chargea enfin de la furintendance de kous fes autres domestiques. Jofef excrcait une Iautorité abfolue fur les valets dans la maifon , Iet fur les ouvriers a la campagne. II lervait | ausfi fon maitre avec attachement et avec fidéïlité , rendant graces a Dieu , qui le benisfait fi viiiblement dans fon infortune. Tout ce dont Jofef avait foin et qu'il dirigait, : reuslit a merveille. Potifar devint toujours plus Iriche et plus fortuné. II abandonnait donc a ' Jofef le foin de toutes fes affaires. II n'entrait ï pas même en compte aX'ec lui de ce qu'il faiilfait, mais il ne s'occupait que de manger, de iboire et de s'amufer. — C'est ainfi que pendant plufieurs années Jofef fut asfez heureux. 1' Maitenant il oubliait presque, qu'il était esclaive. II oubliait presque tous les maux, qu'il aIvait foufferts. B 4  2| L' H I S T O I R E Corneille. Et restait-il maintenant dans la maifon de Potifar, pendant toute fa vie? Mtre. Non Corneille'. II s'en faut beaucoup, que l'histoire foit déja finie. Notre Jofef eut encore bien des aventures remarquables, avant de mourir, et je vous les raconterai toutes. Quand il fut fi heureux chez Potifar, que je 1'ai dit , il arriva quelque chofe qui le rendit de nouveau tout-a-fait malheureux. JaQUES. Alors il aura commis certainement quelque faute , fans quoi le bon Dieu 1'aurait bien laisfé heureux. Mtre. Pour le coup vous vous trompez grosfierement, mon cher Jdques'. On devient quelquefois infortuné, quand même on n'a pas fait proprement du mal. Le bon Dieu fait esfüïer quelquefois des revers aux meilleurs des hommes , pour les rendre meilleurs encore, pour afFermir leur foi et leur confiance en lui , et pour leur apprendre la patience et la débonnaireté ou la douceur. Lorsque vous verrez donc de grandes et de nombreufes adverfités fondre fur quelqu'un , vous ne devez jamais penler ; „ il faut que ce foit un méchant homme!" De trés braves gens font devenus pauvres plus d'une fois, ou ont été mis en prifon , ou ont eü d'autres malheurs. Quelquefois même on devient malheureux *) , précilëment par ce qu'on 9) II faut avenic nos jeuncs lecteurj que cette expresfion n'est pas tout-a-fait juste. La vertu ne peut jamais nóu» rendre malheureux, hien qu'elle puisfe nous atiirer quelquefois des dissraces et ües revers. 11 ne delend paa toujoucs de Bpns , ii'être fortimés', mais on peut 4tre heureux fans étre fortuné; et toutes les calamités posfibles ne fauraient nous rendre proprement malheureux, lorsque nous favons en quoi confist^e le vrai Honjieur, et auifi longtems que nous u-«sfons fldelles a.ls venu. Note du Tr&diicteHE.  de J O S E F. as vput rester vertueux et agir honnêtement. Ce fut lil le cas de Jofef. II ne voulait pas devenir méchant, et il s'attirait par la fes disgraces et fa mifere. Christine. Je ne concois pas pourtant , mon maitre ! cofnment le bon Dieu puisfe permettre qu'on devienne malheureux par fa probité. Mtre. Cela fcrait en effet inconcevable , jna chere Christine, dans le cas que eet homme pieux restat toujours malheureux; mais c'estce qui n'arrive jamais. A la fin Dieu rend toujours les hommes vertueux trés heureux, et alors ils voï'ent, que les revers leur ont été fort utiles. Catö. Mais, mon cher maitre! lorsqu'il arrivé qu'un homme trés honnête périt par mer, quand est-ce donc que Dieu le rend fi heureux ? alors il est pourtant mort. Mtre. Vous avezraifon, Catö'. Mais apres la mort nous venons tous dans un autre monde, qui ne finit jamais. C'est dans cette vie feulement que les pieux deviennent bien heureux , bien plus heureux, qu'on ne faurait s'imaginer. Ceux donc , qui ont beaucoup fouffert lur la terre , et qui font restés pourtant vertueux, feront plus heureux encore dans cette feconde vie, que bien d'autres. Mais cn général les braves gens recouvrent ce bonheur, déja longtems avant de mourir. C'est ce qui paraitra, par la dgrniere partie de mon récit. Je dirai maintenant ce qui arriva a notre Jofef. Potifar, le maitre de Jofef, avait une méchante femme. Cette femme voulait féduire Jofef a faire de fort mauvaifes chöfes. Elle tachait B5  L' II I S T O I R E de le perfuader, a commettre avec elle de fort méchantes actions, qui la rendraient infidéle a fon mari, et Jofef coupable devant fon bon maitre. Le jeune-'homme en fut fort embarasfé. En lui obéisfant , il faifait du mal, et en fe refufant a elle il dut craindre qu'elle ne fe fachat et qu'elle ne le fit déloger. - Jofef jugea pourtant , qu'il valait mieux d'être malheureux que d'être méchant. II dit donc tout-de-fuite a la femme de Potifar , qu'il ne ferait point ce qu'elle délirait. Mais elle ne discontinua pas, de le tenter au mal. Elle lui promit bien du plaiiir et du profit; elle promit, qu'elle ne le trahirait jamais et elle lui conta de fort jolies chofes. Toutes les fois , que Jofef avait a faire quelquechofe dans la maifon, et que la femme de Potifar put lui parler, elle 1'importuna par fes' inftances. Jofef neanmoins ne fe laisfiut pas engager , a être inridéle a fon maitre , et a foire ce qu'il favait être méchant. II était fermement réfolu , de risquer tout plütót que de faire ce que le bon Dieu défendit. II était fi honnête, qu'il ne fe fachait pas même contre cette méchante femme qui tachait de le féduire. II avait plutót pitié d'elle et s'ap*pliqua fericufement a la corriger. ,, Songez ., donc bien," dit-il, ,, a ce que vous me demandez! Vous favez bien qu'il ne niest pas ,, permis de le faire. Mon maitre me confie „ tout ce qu'il posfede. Je fuis le domesüque ., le plus distingué de la maifon. Je jouis de ii „ grands avantages. Serait-ce donc la reconnai„ tre les bienfaits de mon honnête maitre, que ,, de lui faire cette injure! cela ferait fort mak v fait! Comment fevaiï-ie donc un ii grand mal  de j O S E F. 2*7 „ ct pécherais-je contre Dieu! C'est-ce que vous „ ne fauriez exiger de moi : vous ne "m'y en„ gagerez jamais! " Corneille. Et cette méchante femme n'eutelle pas honte, mon maitre ! quand elle s'appercut que Jofef était beaucoup plus honnête qu'elle? Mxre. C'est bien li, ce qu'il efpérait, mais point du tout ! Elle ne le laisfait pas encore en repos , mais elle voulait même Ie forcer a faire du mal. Mais Jofef fit, ce qui convient a d'honnêtes jeunes gens; il s'en alla toutd'un-coup, et ne vbulut plus 1'écouter. Mes enfans!' C'est ici qu'il faut admirer Jofef. Mais il ne fuffit pas que nous 1'admirions fimplement , et que nous difions: „ C'était Ja „ un brave homme; c'était la un vertueux gar„ con!" Nous devons nous fouvenir de quelle maniere il penfait et ce qu'il xaifait, et alors nous devons faire le mieux posfible, pour ap; prendre a penfer et a agir de même. Lorsque 1'envie nous prend, ou qu'on nous follicite, de faire quelque chofe qui est mauvaife, nous ne devons pas penfer : „ Est-ce que le pere , ou j „ la mere, ou le maitre, ou quelqu'un d'autrc „ le découvrirait ? Serait-ce agréable ? est-ce „ qu'autrement, on ie moquerait de moi , ou j „ me mépriferait — me maltraiterait-on ? " Nous I ne devons pas nous embarasfer de tout cela nous n'y devons pas avoir égard. La léule question jest: „ Comment le bon Dieu veut-il que je „ fasfe? Qu'est-ce qui fera le plus agréable a U, Dieu? Quel est mon devoir?" C'est-ce qu'il nous fiiut faire conftamment, car Dieu s'en appergoit toujours : et lors qu'on veut nous en-  c3 L'HISTOIRE trainer a de mauvaifes chofes , nous devons, comme fit Jofef, nous retirer tout d'un coup. La femme de Potifar était bien fachée maintenant contre Jofef, de ce qu'il s'était refufé i toutes fes follicitations. Au lieu de 1'aimer a. caufe de fa piété , elle le haïsfait et elle voulait fe venger fur 1'honnête jeune homme. Ausfi penfait-elle en fecret: „ peut-être qua . Jofef „ racontera mes desfeins malhonnêtes a fon mai„ tre. Peut-être me proftituera-t-il devant toute „ la maifon ; il faut le prévenir ! Hé bien ! „ je m'en vais acculêr Jofef, comme s'il m'a„ vait voulu féduire lui même ; tout le con„ traire de ce qui s'est pasfé." Christine. C'était affreux! Mtre, Nous apprenons de nouveau par la, CJiristine.' comment on pasfe d'une malhonnêteté a 1'autre, et combien il importe de fe garder ntwiier tiéché. La méchante femme ne tarda pas un inftant. d'exécuter fon desfein perfide. Elle appela tous les valets et fervantes auprès d'elle. Alors elle fit lémblant d'être tout-a-fait embarasfée , et dit: „ Ce Jofef qui a un air fi honnête , ^est „ un grand'fripon! II voulait m'engager, même „ me contraindre a des chofes mal-honnêtcs. „ II voulait tromper fon bon maitre et le voler! „ fugez , quelle peine il a mérité! " Peu après pötifar revint a la maifon , et fa femme eut encore recours aux menfonges. Elle n'épargnait pas les menfonges , pour opérer la ruine de Jofef. Elle ne fut contente jusqu'a-ce que Potijar fe fut fortement faché contre le jeune homme , et promit qu'il ferait' puni févèrement. T * nauvre innocent '7ofef ne resfentit aucim  de J O S E F. 29 ircmords de fon refiis conftant. II fe plaifait a j,penfer que Dieu voit et entend tout; que Dieu laime chacun qui le révère et qui fait fon devoir ; que le bon Dieu n'abandonne jamais les vertueux, mais qu'il les aide toujours. Potifar fut extrémement enragé. II fit lier I J°fef L't le transporter dans la maifon de force j du Roi d''Egypte. Voila que le malheureux fils li de Jacob devait , comme un malfiu'teur, habij ter une affreule priibn avec des voleurs et des :meurtriers, fans favoir , s'il en ferait jamais déI livré. I Jean. Et est-ce que Jofef ne difait pas a | Potifar, qu'il n'en allait pas de fa faute ? fe ilaisfait-il emmener fans dire le mot? Mtre. Cette question ne m'étonne pas, mon I cher Jean.' il est fort naturel que Fon fe déI fende , lorsqu'on est fausfement accufé. Mais f Jofef n'en gardait pas moins le filence. II penll'ait en foi mëme: „ perfonne ne m'en croira, „ lorsque j'accuferai la femme de mon maitre ,, de menlonge et de perfidie. Ou, fi mon L, maitre le croit, fa femme fe faclaera fans L„ doute plus fortement encore contre moi, et L, je ne pourrai pas être une heure en repos et |(„ en füreté dans cette maifon. Ausfi mon bon „ maitre s'imagine-t-il qu'il a une femme hon,„ nête, et alors il s'apercevrait, qu'elle est li „ méchante. Or s'il favait cela, il s'affligerait, j-, et il ferait bien malheureux." C'est par ces iraiions que Jofef garda le filence, et ils Femjmenèrent dans la maifon de force , chez les Imalfaiteurs, que 1'on y gardait. C'était encore iun grand changement pour Jofef! Hier il était lencore Je, ctomelfique le plus _distingué dans la  3© _ L'HISTOIRE maifon de Potifar , et maitenant il e.st prifonnier. Hier il allait encore et revenait, il était tantót a Ia campagne et tantót dans la maifon; toujours en mouvement pour le plailir de fon maitre: et maintenant — il n'ofait aller nullei part : il n'avait plus rien a faire : fon maitre: était fiché contre lui : il paraisfait être abandonné de tout le monde. Malgré tout cela le: vaillant Jofef demeurait content et de bonne: humeur. II ié conduiliüt hoimêrement et fe conliait toujours au bon Dieu. Mes enfans ! Combien peu d'hommes _ qui a eet égard resfemblent a Jofef; Ils fe fachent déja, lorsqu'il pleut au moment qu'ils ié propofaient de faire une promenade. Ils changent d'humeur, pour avoir perdu quelque bagatelle. Qu'ils enrageraient , fi on les enfermait en prifon, fans qu'ils 1'cusfent mérité! JaQUES. Pour cela , ie connais un garcon , qua est de mauvailë humeur pendant toute la loirée , quand il a perdu feulement quelques chiques a midi. Jean. Mais fi donc, Jaques'. comment pouvez vous dire cela ; ce fut quand j'étais encore petit. Mtre. C'est-ce que je crois ausfi , Jean 1 Faites feulement en lorte que vous appreniez mieux que tous vos camarades a fupporter des revers et même de mauvais traitemens, cela est de grande importance! Le pieux Jofef s'appercut bientöt que le bon Dieu ne Pavak pas encore oublié dans fa pii fon. Car Dieu fit que le maitre ou le géolieri de la maifon de force mit ion affection en Jofef. Ce géolier . donc laisfa toujours plus de  de j O S E F. 3* jliberté au jeune homme. Pendant le jour il lui jperrait de fe promener librement par toute la amaifon: il lui donnait quelque ouvrage agréable Ipour ramufer : il le laislait parler a tous les iprifonniers et il les confiait même a Jofef pour Bes furveiller. Le bon Jofef fe conduiliüt enIcore en toutes chofes au gré de ce maitre , et Il mènait alors une vie fi contente et fi agréSjable qu'il était posfible de le faire dans une Jriaifon de force. Nous 1'y laisferons maintenant, let je vais vous raconter demain, ce qui arriva fencore a Jofef dans la prifon , et comment il ijcrut pouvoir en fortir. QUATRIEME SOIREE. Gen. XL. \ Mtre. Le Roi dCEgypte s'appelait Farabn. tl demeurait dans une belle maifon ou dans un talais, et il était magnifiquement habillé. Ausp avait-il beaucoup de iérviteurs, comme tous les Roïs. Quelques uns de ces valets étaient lÜe petits feigneurs , et avaient d'autres valets lil leur fervice. C'est ainfi qu'il y avait parmi Eux un ferviteur , qui devait prendre foin que p table du Roi Fara'ón.. fut toujours garnic de mets delicieux. Dans la bible eet homme est appelé le Grand-panetier, ou le chef des bouyangers , paree qu'il avait 1'infpection iur tous es boulangers et cuifiniers , et fur tous ceux in étaient emploïés dans la cuifine. Les Roi* ll'a-prefent ont encore un pareil officier, qu'un ippelle Miitre-d'Hotel.  3rt L'HISTOIRE Il demeurait encore un autre homme chez le roi d''Egypte, qu'on nommait le Grand-échanfon. C'était ausfi un ferviteuf distingué , qui avait lui même beaucoup de valets a fa dispofition, dont il était le chef Le Grand-échanfon devait faire en forte que Farabn eut toujours différentes efpcces de vin exquis pour fa boifon, II devait avoir foin, que la Cave ne fut jamais vide , et qu'a table le Roi et fes conviés fusfent bien fervis a boire. II arriva un jour que ces deux hommes, ^ le maitre-d'hotel et 1'échanfon furent accufés d'un grand crime contre le Roi. Ce crime confiftait apparemment en ce qu'ils avaient mis quclqucchofe de malfain parmi les Viandes ou la boisfon, pour le rendre maladc. Quoiqu'il en foit, le roi fe mit fortement en colere contre ces deux hommes et les fit emprifonner. Ils furent placés dans la même maifon oü etait Jofef. Le maitre de la prifon dit a Jofef qu'il devait fervir ces perfonnes et les foigner. Ils furent donc confiés au jeune-homme et celui-ci était fort complaifant pour eux. Un certain matin Jofef vint chez le GrandPanctier et le Grand-Echanfon, pour voir comment ils avaient dormis. Ausfitöt qu'il entra il Vit que ces deux hommes avaient un air pale et troublé. „Qu'est-ce que c'est ,"dit-il, „quelle est la caufe de votre embarras ? N'étes vous „ pas bien ? " Ah ! " lui répondirent-ils, „ nous avons rêvë tous les deux cette nuit fi „ fingulierement. C'est-ce qui nous inquiéte tout„ a-fait. Nous n'avons perfonne qui puislê nous „ dire , ce que iignifknt ces fonges étranges." „ Allons," dit Jofef, „ racontez-moi ces fonges  d e J ö S E F. 33 t,i étonnans , qüe vous avez eus : peut-être le „ bon Dieu fera-t-il en forte que je puisfe vous ■„ les expliquer." Ils s'asfirent alors enfemble, et 1'échanfon commenca le premier a racontër fon fonge de la maniere fuivante : „ je fongeais ,, que j'étais prés d'un cep de vigne." — _ Pierre. Qu'est-ce que c'est, mon maitre , qu'un cep de vignet Mtre. C'est 1'arbuste, ou croisfent les raifins , et du fuc de ces raifms les hommes font le vin : c'est pour cela que eet arbuste, s'appele un cep de vigne. — Je fongeais que „ j'étais prés d'un cep de vigne," racontait 1'échanfon de Farabn, et a ce cep je vis trois far- mens ou branches; Enfuite le cep eut trois gros s,, bourgeons, il fleurisfait et il-y vint des grap„ pes de raifms müres. Je rêvais enfuite, que „ favais dans ma main la Coupe dans laquelle „ le Roi boit pour 1'ordinaire, qüe je presfais „ les raifms dans cette coupe, et que je don„ nais alors la coupe au Roi, pour en boire." Quand 1'échanfon eut fini fon reve il fut fort curieux a fivvoir ce que Jofef eh dirait Le Maitre-d'hötel écoutait ausli avec attention et Jofef fit tout-d'un coup au Grand-échanfon cette explicatian de fon fonge. 4, Les trois branches, „ ou farmens de ce cep , dont vous fongiez, ,, fignifient trois jours. Le fonge entier veut ,', dire, que dans trois jours d'ici vous rentre- rez dans les bonnes graces de Farabn , et que vous lui verferez du vin , tout comme „ auparavant." Mimi. C'était une bonne nouvelle pour 1'échanfon! dés ce moment il n'aura plus été fi inquiet, Mtre. C'cst-ce que je crois ausfi Mimi l C  34 L'HISTOIRE Ausfi le Grand-échanfon n'était pas coupable, mais le Grand-Panetier était bien coupable. Quand 1'échanfon rendit graces a Jofef de fon explication favorable du fonge , Jofef lui dit: ,, Pour le coup , j'ai ausfi une prieie a „ vous faire. Vous pouvez me rendre un fer„ vice important. Quand vous ferez de nou„ veau chez le roi , et que vous meniez une „ vie agréable , fouvenez-vous alors de moi , „ que 1'on tient enfermé dans ce lieu. Parlez „ alors de moi a Farabn , et faites en forte, „ que je puisfe quitter cette maifon, et que je „ recouvre ma liberté ; car je fuis un pauvre „ malheureux. J'ai été emmené d'une maniere „ perfide de ma patrie, de Canaan. Et ici en „ Egypte je n'ai pas fait du mal non plus. Quoi- ; „ que prifonnier, je liiis innocent. C'est pour,, quoi vous devriez intercéder pour moi prés „ du Roi." L'échanibn promit qu'il le ferait certainement, dans le cas qu'il rentrerait au fervice de Farabn; ainfi que Jofef lui avait prédit. Henri. Pour cette fois-ci , je penfe que notre honnête Jofef ne tardera pas a jóuir de fa liberté. Mtre. Pas fi vite, mon chcr enfant ! il devait attendre encore bien du tems. Dans la fuite vous verrez d'oü cela vint. Le Grand-Panetier déiirait déja a fon tour de raconter a Jofef, ce qu'il avait fongé. II com- • menca fon récit de cette maniere: „ je rêvais, „ que je portais trois corbeilles fur ma tête, „ 1'une au desfus de 1'autre. Dans la plus hau„ te corbeille il y avait du pain et des patis„ lëries pour le Roi. Pendant que je marchai?  de J O S E F. S5 L ainfi , voila des oifeaux qui defcendent des L airs , et mangent le pain et les pètisferies „ dans ma corbeille." Mimi. Ce fonge était bien dröle! fi cela fut arrivé, il n'eut pas fu, ce qui en était de fon ipain et de fes pütisferies! Mtre. Sans doute , que cela eut été plaifant; mais 1'explication que donna Jofef de ce fonge, ne fut rien moins que plaifante. II dit au Maitre-d'hötel: „les trois corbeilles fignifient i „ trois jours. Dans trois jours le Roi vous fera „ pendre , et quand vous ferez mort, les oi„ feaux viendront vous manger. ' Jeannette. Fi donc ! cela épouvante! Mtre. Oui , mon enfant ! je fouhaiterais qu'il ne düt jamais arriver quelquechofe de pareü! — Le Maitre-d'hötel fut trés affligé et iconfondu. Trois jours après, 1'ondécouvritqu'il vavait commis le crime , et que 1'échanfon était iinnocent. Alors le Roi Faraön fit pendre le •Grand-Panetier, et il rétablit le Grand-échanfon iidans fa charge, ainfi que Jofef 1'avait prédit. Jean. Ah! Jofef avait donc déviné juste! Mtre. Oui , mais cela venait, de ce que Be bon Dieu l'avait asfisté. Henri. Mon maitre ! voici que 1'échanfon test de nouveau prés du Roi : est ce que main: tenant Jofef' ne fera pas tiré bientöt de ce tristc 1 cachot ? Öu est-ce que le Roi ne voulut pas Icroire , qu'il était innocent? Mtre. Penfez-vous donc, Henri! que J'une iides deux chofes devait nécesfairement arriver? Henri. Eh oui! Quand 1'échanfon s'intéresifa en faveur de Jofef, le Roi ajouta foi a fes C 3  36 L' H I S T O I R E paroles , et délivra Jofef; ou il ne 1'eh crut point, et Jofef demeura dans la priibn. Mtre. Réfléchisfez, s'il ne pouvait exister nn troifieme cas. Henri. (Après avoir rèflècht) — L'écbanfon n'oubliait pas pourtant tout-a-fait la comuiisfion? Mtre. Vous y voila justement! Le GrandEchanlbn ne fe fouvint plus du vertueux Jofef. II oublia ce qu'on lui avait demandé et ce qu'il avait promis. Henri. C'est ce qui etait bien malhonnête! que ce Jofef est infortuné! Mtre. Oüi, mes enfans ! il est bien malhonnête, de promettre quelquechofe, et de ne pas 1'accomplir enfuite. C'est pourquoi il ne faut pas trop légérement promettre quelquecholè, ni promettre plus qu'on ne peut retenir. Et lorsqu'on s'engage h faire quelquechofe , 1'on doit fe dire fans cesfe: „ j'aurai foin de ne pas „ 1'oublier!" Le Grand-Echanfon aurait abfolument dü retenir, ce que Jofef lui avait demandé j paree qu'il connaisfait Jofef pour un brave homme , et paree qu'il avait des raifons pour croire, qu'il etait injustement emprifonné , ce qui n'est rien moins qu'agréable , ainfi que 1'échanfon venait de 1'éprouvcr lui-même. Outre cela, le bon jeune homme n'avait-il pas rendu a 1'échanfon un fervice important dans la priibn? II avait interprété fon fonge, chasfé Ion inquiétude et prédit qu'il ferait rétabli a la cour de Faraön. Jofef aïant fait ccci avec tant de bonne volonté , 1'échanfon aurait dü être ausfi reconnaisfant envers lui. II aurait dü faire lans cé>fe 1'imposfible, pour fervir Jofef'a fon tour.  de JOSEF. 37 II n'aurait dü laisfer échapper aucune occafion de lui faire plaiiir. II lui aurait fülu penfer fi fouvent a Jofef, qu'il lui eüt été imposfible d'oublier des ibllicitations ou des commisfions de fa part. C'est la la vraïe rcconnaisfance , cette grande vertu, qui est fi agréable au bon Dieu L'éclianfon ne fut donc pas reconmus-, fant ■ il n'agit pas d'une maniere honnête. Nous devons prendre garde, de ne jamais etre ausfi inarats , aprés avoir joui d'un bienfait. Nous devons être reconnaisfans envers ce Dieu , qui nous donne tout. Puis nous devons être reconnaislans envers nos parens, qui ont lom de bous , et envers tous nos amis. —- Prenez karde de retenir ceci, mes chers enfans! deJmain je vous raconterai encore de Jofef. CINQUIEME SOIREE. Gen, XLI. Jean. Si le bon Jofef ne fort pas bientöt de' la prifon, je perds patience! Catö. II est bon , mon cher Jean! que Jofef ait eu plus de patience que vous n'en avez. Te crains que vous feriez de fort mauvaife humeur , fi nous vous enfermions pour fi longtems. Mtre. Et moi je crains, que perfonne d'entre vous ne le lüpporterait ausfi longtems que^ol'ef devait le fupporter encore , après que 1'échanfon füt forti de la prifon et ié fut rendu chez le Roi. • Jean. Combien de tems est-ce que cela du-, •ruit encore? une quinzaine? C q  38 L' H I S T O I R E Mtre. II s'en faut de beaucoup! bien plus de tems ! Cela durait encore deux années entieres. Pendant tout ce tems 1'échanfon ne fe fouvint pas de Jofef. Jean. Mais c'est afrreux! c'est bien triste! Mtre. Après que ces deux années fe fusfent écoulées, il arriva une certaine nuit, que ie Roi Faradn rêvait d'une maniere étrange et finguliere. II eut deux fonges dans la même nuit. Le matin il les raconta k fes amis de cette maniere : „ je rêvai d'abord que j'étais „ au bord du grand fleuve ÜEgypte , du Nyl. „ Quand je fus la, je vis fept vaches , grasfes ,, et aïant de 1'embonpoint, fortir de la riviere „ et venir a terre, pour manger de 1'herbe qui „ croit a Pentour. Enfuite je vis dans mon fon„ ge fept autres vaches fortir de la riviere, „ qui étaient maigres et laides, je n'en vis ja„ mais de fi difibrmes. Ces vaches maigres a„ vaient tant de faim, que chacune d'elles dé„ vorait une des belles vaches , en forte que „ de quatorze il n'en restait plus que fept. Les „ vaches maigres ne gagnerent point par la en „ poids ni en beauté. Je ne pus m'apercevoir „ qu'elles eusfent mangé'la moindre chofe. J'en „ fus étonné au point que je m'éveillai, et c'est „ ainfi que finit mon premier fonge." Les amis du Roi trouverent ce fonge fort étrange. Jls étaient eurieux d'entendre ausfi le fecond fonge. Farabn ne tarda donc point k le leur raconter. — „ Après ce premier fon„ ge," dit-il, „ je m'endormis de nouveau. Je „ rêvai alors, qu'il forfait de la terre fept épis „ d'une feule tige." Mimi. Avant de pourfuivxe , voudriez-vous  de J O S E F. 52 june dire mon Maitre, ce que c'est qu'une tige let des épis? Christine. Eh Mimi i ne favez-vous plus :celaV L'èté pasfé notre maitre nous a pourtant imontré tout cela, au champ, derrière 1'églife. Mtre. Hé bien, celui qui le fait, doit le idire. Racontez-nous donc, Christine! ce que c'est qu'une tige et des épis. Christine. La tige est ce tuïau épais, qui fort de la terre. Ce tuïau fe distribue en de {minces petits tüiaux, comme de petites branches d'un arbre. Ces petits tuïaux portent le blé k Ueur pointe, dans de belles barbes, et ce font ices petits tuïaux que 1'on nomme des épis. IN'est-il pas ainfi, mon Maitre. Mtre. Trés bien, mon enfant! ^vous 1'avez bien retenu. Farabn donc, vit croitre en fonge une grosfe tige , avec fept épis , „ et," pit-il, „ ces épis étaient beaux et remplis de E bon blé. Puis je vis fortir de la même tige, L ou du même tuïau, fept autres épis, qui éi„ taient fort minces et fecs, comme s'ils étaient „ fiétris et brülés par un vent d'Est." JaouES. Brülé par le vent d'Est; mon Maitre! Icomment cela fe peut-il? le vent d'Est est pour'itant froid! I Mtre. Oui, mon cher Jdques.' chez nous il est presque toujours froid; mais dans le chaud jpaïs ff Egypte il est presque toujours chaud ; 'quelquefois il est chaud a brüler et par conféJquent il est dangereux aux femailles. — Farabn ipourfuivit: „ ces fept épis minces et fecs enL gloutirent enfuite les fept épis beaux et bien L nourris , tellement que les minces resterent „ feuls a la tige. Ce fut la mon fecond fonge. C 4  40 L'HISTOIRE „ Lorsqu'il était fini, je m'éveillai tout-a-fait et „ je ne rêvai plus." Le Roi ff Egypte fut fort troublé a caufe de ces fonges. II lèntit fort bien, qu'ils différaient des fonges ordinaires. II penfait; „ fans doute „ ils dóivent fignifier une chofe , qui arrivera „ bientöt!" En cela il avait raifon; car Dieu voulait lui notifier par Ja des événemens futurs, Le Roi Farabn ne défirait donc, que de trouver quelqu'un, qui put lui dire, ce que figniT fiaient ces deux fonges. Bien des Egypttens iirent pour eet effet le mieux qu'ils pouvaient; mais perfonne ne put s'en tirer , en forte que le Roi fut dans le plus grand embarras. A force de parler de fonges et de 1'explication des fonges, le Grand-Echanfon fe fouvint a la fin de Jofef, qu'il avait oublié alors pendant deux aris. II dit au Roi: ,, Je me rap„ pelle maintenant le tems ou je fus en prifon „ avec Ie Grand-Paneder. C'est la qu'une cer„ taine nuit nous avions un fonge prodigieux, „ le Grand-Panetier et moi, II y eut la dans „ ce tems un jeune homme , qui nous fervait „ de valet. II était natif de Canaan. Ce va„ let fut d'abord interpréter nos fonges, ausfi„ tot que nous les lui racontames. II me dit, „ que je rentrerais dans vos bonnes graces et „ il annonca la mort au Grand-Panetier, pré„ cifément comme il est arrivé." Tout ausfitöt le Prince s'écria : „ Voila 1'homme qu'il me „ faut, qu'on le fasfe venir!" Jean. Ah ! voici que Jofef va quitter Ia prifon! Henrx Pouryu qu'on ne 1'y enferrae de nou, ¥?fiu?  de JOSEF. 41 Mtre. Non, Henri! il va- quitter maintenant la prifon, pour n'y plus entrer. Les désastres de Jofef ont fmi et il va mener une yic agréable. - Mimi. Voila qui est bien; fort bien! Corneille, En véiité je le lui iouhaite ausfi. , . , . Mtre. II s'éfait déja . écoulé treize années depuis qu'il avait été vendu comme esclave par fes freres. II avait eu alors dixfept ans, ainfi que je vous ai dit. II fortit donc a trente ans de la prifpn; car dixfept et treize font trente. Notre Jofef fe réjouit fortement , lorsqu'il recut la nouvelle, que le Roi ff Egypte voulait Jui parler. II fut promtement équipé, de maniere a pouvoir paraitre comme il faut. II fut rafé et on lui donna d'autres habits, C'est ainfi qu'il _ le mit en chemin vers la cour roïale, priant Dieu en fecret qu'il voulut 1'asfister, pour recouvrer enfin fa liberté et le bonheur. Corneille. Est-ce que Jofef nt fut pas fort en peine et honteux, mon Maitre! lorsqu'il devait paraitre devant le Roi et devant les grands Seigneurs de la Cour? Mtre. Eh non, Corneille! II ny eut pas de quoi. L'on ne doit jamais être èmbarasfé.nl honteux, fi ce n'est quand onfait, ou que 1 on a fait du mal. Jofef était innocent : il n'était pas ftupide ni grosfier non plus ; en lorte qu ii entra avec asfurance et avec reipect dans I'appartement , oü était Farabn avec les anus et avec fes fervitcurs. Le Roi dit a Jofef „ jai „ eu des fonges fort étonnans, que perfonne ne „ faurait expliquer; mais on m'a dit de vous, _ que vous interprétez un fonge, ausfitot quil C 5  4a L'HISTOIRE „ vous est rapporté." Maintenant Jofef aurait pu dire: „ oui, mon Roi! je fuis fort habile ,, en cela ! je comprends tous les fonges!" mais il était trop pieux et trop fincere pour parler ainfi. Jofef favait bien que perfonne ne faurait interpréter de pareils fonges, fi le bon Dieu ne 1'y asfiste. II dit donc a Faraön : „ ce n'est „ pas moi proprement, qui puis faire cela; mais „ Dieu m'en a bien donné quelquefois la fa„ culté. Peut-être qu'il m'asfistera ausfi k cette heure, tellement qu'au moïen de ces fonges „ je pourrai vous enfeigner quelque chofe de „ bon et d'utile." Le Roi raconta alors fes deux fonges a Jofef; le premier fonge des vaches dont fept étaient grasfes et fept maigres, et le fecond fonge des épis , dont lépt étaient bien nourris et lept minces. Ausfitöt que Farabn eüt fini , Jofef fentit que le bon Dieu 1'aidait a comprendre ces fonges, et qu'il devait répondre au Roi de cette maniere: ce que Dieu va faire, 6 Faraön / il „ vous le notifie par ces fonges. Ces deux „ fonges fignifient la même chofe, qui dok ar„ river avec le tems. Que la même chofe ait „ été exprimée deux fois, cela lignifie, qu'elle „ arrivera certainement. Les fept vaches bien „ nourries et les fept gros épis fignifient fept „ bonnes années, pendant lesquelles il y aura „ abondance de vivres. Mais les fept vaches „ maigres , et les fept épis minces, fignifient „ fept mauvaifes années , pendant lesquelles „ il y aura une grande difette de bonne nourri„ ture, tellement que les hommes mourront de „ faim. Pendant fept années, a compter dés a „ préfent, il y aura ici en Egypte quantité de  de J O S E F. 43 „ bonne viande , beaucoup de blé et d'autres „ fruits a manger: mais enfuite il y aura une „ terrible famine , qui durera fept ans." Le Roi d''Egypte écouta Jofef avec attention et avec furprife. Les fonges étaient alors interprétes: mais Jofef donna encore a Faraön ce bon confeil: „ Or," dit-il, „ comme cette farnine doit „ furvenir d'ici en fept ans, le Roi devrait „faire amasfer beaucoup de blé, pendant les „ fept bonnes années, pour avoir de quoi fe „ nourrir au tems de la diiëtte. II devrait é„ tablir fur toute VEgypte un homme entendu, „ qui fit conferver alors une cinquieme partie „ de tout le blé qui croitra pendant les années ,, fertiles." Le Roi Faraön trouva beaucoup de bon fens dans tout ce que Jofef venait de lui dire. Tous les asfistans furent également étonnés de la fagesfe de Jofef Sans y réfléchir longtems le Roi dit a fes Courtifans et a fes amis: „ Est-il „ apparent que nous trouvions quelque part un „ homme, asfisté fi vifiblement de 1'Etre fupré„ me , que eet homme-ci ? Trouverions-nous „ quelqu'un qui méritat plus qu'on Fétablit gou„ verneur fur toute VEgypte? Non pas , fans „ doute." Perfonne n'eut la moindre chofe a répliquer. Christine. Quoi! c'est étonnant! Voici que Jofef devient tout d'un coup le maitre de toute VEgypte! JaouES. Je ne le crois pas encore. Un ancien esclave', qu'on vient d'emmener dans 1'inftant de la prifon; est-ce que le Roi ferait un grand Seigneur d'un tel homme du commun! Mtre. Oui, Jdques! c'est ce qu'il fit. Ce  44 L' HISTOIRE Farabn était un prince vertueux. II en agit, comme tous les princes devraient en agir. 11 s'apercut que Jofef était fort entendu et pieux: il fentit que Jofef avait rendu un grand fervice a tous les habitans ff Egypte en notihant d'avance cette famine. Le Roi vit ausli que Jofef était asfisté de Dieu, plus que le grand nombrc des hommes. Ces railons lui fuffifaient pour lui faire choifir Jofef lorsqu'il fallait un gouverneur a YEgvpte. Au reste , que Jofef parut être un homme du commun , qu'il eut lervi comme es-, clave, qu'il ne fit que lortir de la prifon,- c'est ce donc Faraön ne s'embarasfa gueres. II préférait Jofef a un Seigneur grand et riche, mais fans elprit ou fans probité. Catö. Mais , comment cela allait-il , mon Maitre! Est-ce que le Roi en paria d'abord a . Jofef ou lui faltait-ij s'en retourner encore? Mtre. Tout de fuite , pendant que Jofef était encore devant lui , il lui paria et dit ,! „ paree que Dieu vous a notifié, ce qui arri„ vera en Egypte , il n'y a perfonnc de plus „ fage et de plus entendu que vous, et qui. „ püt avoir foin de nous tous , durant la fa-. ,i mine future. Je vous établis donc maitre fur „ tout mon païs. Tout mon peuple doit vous. „ refpecter et vous obéir. Aprés moi, qui oc- . „ cupe le tröne roïal, vous ferez le plus grand „ homme de Y Egypte." Alors le Roi tira un anneau precieux de fon doit et le mit au doit. de Jofef. C'était une preuve de fon estime et en même tems le figne de la charge importante qu'il confiait a Jofef. Enfuite il fit révêtir Jofef d'habits fins et beaux, et il mit une chaine d'or a fon cou. Alors le Roi fit monter Jofef  DÉ ] O S Ë F. 45 par la ville dans une voiture, qui était presque ausfi élégante que celle * dont Faraön fe lervait pour 1'ordinaire lui même. C'est ainfi que Jofef fut préiénté au peuple, qui devait s'agenouiller devant lui, lorsqu'il paraisfait. Chacun devait favoir que Jofef était, après le Roi, le Seigneur ou le gouverneur de toute YEgypte. Mes enfans! penfez-y, quel pas de géant c'é e J O S E F. 6"? c*était la 1'ufage dans ces païs chauds. Les hommes n'y voïageaient pas comme nous , en barque ou en voiture; mais le plus fouvent a pied, par le que je n'ai pas oublié de parler d'un mesfage que Jofef eüt dépêché en Canaan. Vraifèmblablement il n'en fut rien ; mais Jofef y penfait peut-être bien fouvent et faifait plufieurs projets qu'il ne pouvait executer ; je pcnfè , qu'a cet égard vous avez railbn. Rappelons nous maintenant tout ce qui arriva a Jofef pendant ces vingt années. D'abord il était un pauvre esclave : enfuite il devint un domestique distingué chez Potifar, aprés quoi il pasfa bien du tems dans la prifon. Treize ans s'écoulerent pendant toutes ces aventures de J°fef — Au commencement il n'ofait envoïer perfonne vers fon pere, crainte d'être de nouveau maltraité de fes freres , et d'exciter de nouvelles disputes dans la familie, ainfi que Christine a trés bien remarqué. Quelque tems après il ne put envoïer un mesfage, paree qu'apparemment fon pere Jacob ne fut plus dans le voifmage de Hebron, et qu'il ne favait pas alors, oü il fallait envoïer. Ét a cet égard Catö avait raifon. Mais d'ailleurs , durant ces treize années Jofef n'eut ni le pouvoir ni asfez d'argent pour envoïer des gens en Canaan. Un esclave ne peut pas faire cela, un valet ausfi n'a pas pour 1'ordinaire beaucoup de fuperflu, et un prifonnier ne peut faire rien du tout. JaQUES. Mais , mon Maitre ! quand il fut* g premier domestique dans la maifon de Poti- m  de J O S E F. 93 War, il aurait pourtant pu obtenir un valet ou Un esclave pour faire ce petit voïage, et il ne tal lak en tout cas qu'un feul homme ? Mtre. Non, Jcïques! un homme ne füfIfifait pas. Dans ces païs-la , les routes étaient peu fréquentées et peu lüres a caufe des voleurs et des bêtes féroces. On ne txouvait nulle part jde quoi ié nourrir et fe rafraichir. II n'y aivak presque nulle part un auberge. Perfonne n'y pouvait voïager feul. Pour faire ce mesifage il aurait fallu bien des perfonnes, avec ides anes ou d'autres animaux, pour porter tout tce qui est nécesfaire en voïage. Mais Jofef he pouvait pas former une pareille entrepriie ni en faire les fraix ausfi longtems qu'il était en lérvitude ou prifonnier. Corneille. Tout cela est fort bien , mon «Maitre I mais pourquoi n'envoïa-t-il donc pas Ides gens en Canaiin, après qu'il fut devenu le ipmaitre de toute YEgypte ? Alors il ne manqua jjpas pourtant de valets ni d'argent! Mtre. Je m'attendais déja a cette question , ÏCorneille ! Voici 1'objection principale: „ pourL quoi Jofef, le Régent, garda-t-il le filence, i„ pendant les fept années d'abondance en EgypL te , et encore pendant environ deux ans de „ la fiunine, jusqu'a ce que les freres vinsfent [„ d'eux mêmes chez lui?" JaquEs. Eh ouï, c'est ce qui n'était pourItan't pas bien, d'être un grand et riche Seigneur wuiiidant neuf ans, fans s'informer de fes parens, Jou de leur distribuer quelquechofe! II aurait dü lies inviter inceslammcnt chez foi. Car il était ijftoutefois trop puisfant et trop heureux pour lloir encore peur de fes freres!  94 L'.HISTOIRÈ Mtre. Vous avez r ai fon , Jdques > ce ne fut pas la non plus la caufe principale , pourquoi Jofef garda a cette époque Je filence. Ii ne devait pas non plus alors fe foucier des fraix, ainfi que Corneille a fort bien reniarqué. Mais ausfitöt que Jofef eüt été établi Régent d''Egypte, il eut de nouvelles raifons, pour ne pas faire favoir a fes parens quelle était fa fituation , et pour ne pas encore les faire venir chez lui. — Ecoutez maintenant avec attention, ce que je vais vous en dire : Durant les fept années d'abondance Jofef penfait : „ Le Roi Faraön m'a tellement elevé, ,, paree que j'ai expliqué fes fonges et paree „ que j'ai prédit la famine. II croit avec la „ plupart des Egyptiens. que le bon Dieu m'a „ aslifté en cela , et que ces années fteriles „ viendront certainement; c'est pour cela qu'il „ me laisfe conftruire des magafins, acheter „ du blé, et dispofer de tout a mon gré. Mais ausfi longtems que les années fteriles ne fey, ront pas venues , tout le monde ne fera pas „ encore convaincu , que mon explication des „ fonges de Faraön ait été juste. Or, fi avant „ cette époque, je faifais venir mon pere avec „ fa familie nombreufe, les Egyptiens fe fache„ raient contre moi. Ils penieraient que je ne „ me fois laisfé guider que par mon propre in* „ térêt, pour favorifer mes amis, pour les „ enrichir aux dépens du Roi. Ils infpireraient „ au Prince des foupcons contre moi, et celui., ci me congédierait." — C'est pour ces raifons que Jofef dut garder le filence pendant ces fept années , bien qu'il eüt défiré d'avoir ia familie prés de foi.  de J O S E F. 95 Christine. Eh bien ! Jdques < qu'avezvüus maintenant a répliquer. JSques. Je commence déja a croire, que Jofef est innocent; — mais que le Maitre nous dife encore , pourquoi Jofef ne fit pas d'abord chercher fes amis , quand la famine eüt lieu, pourquoi il attendit encore fi tranquillement, qu'ils vinslént d'eux mêmes? Mtre. Pendant les fept années d'abondance, ainfi qu'au cómmencement de la cherté, Jofef eut encore une raifon importante, pour attendre la fin en filence. II avait vu et reconnu la bienfaifante direction de Dieu dans tout ce qui lui était furvenu jusqu'alors. II avait principalement fenti, que le bon Dieu Fasfiftait, dans 1'explication des fonges du maitre-d'hótel, de 1'échanfon et de Faraön lui-même. Au moïen de 1'explication de ces fonges le bon Dieu Favait rendu plus fortuné et plus puisfant, qu'il n'avait eu lieu d'efpérer. C'est ce qui le fit ausfi penfer plus d'une fois a fes propres fonges , qu'il avait racontés a fa familie; car c'est eux qui avaient donné lieu a fa venue en Egypte ; qui avaient déja alors annoncé fon élévation au desfus de fes freres , et qui maintenant commencerent d'être accomplis par Dieu même , fans qu'il y avait contribué. Jofef ne put réfléchir fans émotion a 1'isfue miraculeuïe , que fon histoire avait prife jusqu'alors fous la direction de Dieu. — II faut ausfi vous accoutumer a faire de pareilles réflexions, mes enfans ! quand vous ferez plus agés; vous devez alors vous rapeller d'une année a 1'autre le pasfé, et ne pas mener une vie fi disfipée que ne le font plufieurs perfonnes qui ignorent a  96 L' HISTOIRE quelques années prés, a quel age ils font déja parvenues. Or il rrianquait encore a raccomplisfement total des fonges précédens de Jofef, que fes parens vinsfent chez lui , et s'inclinaslent devant lui, comme les gerbes de blé, le foleil, la lune et les onze étoiles , dont il avait rêvé. Jofef eut donc lieu de penfer i „ Voici que le „ bon Dieu commence a Vérifier les fonges de „ ma jeunesfe , en m'élévant d'une hianiere_ fi ,, extraordinaire. Ce même Dieu pourra faire „ et il fera arriver le reste. Sans doute verraiy, je tot ou tard mes parens chez moi. Le „ bon Dieu fait le mieux quand cela pourra et „ devra arriver. Je lui en abandonne le foin , „ et j'en attendrai Fépoque avec patience." Nous venons donc d'apprendre les raifons principales , pourquoi Jofef garda le filence en Egypte, fans envoïer perfonne dans fa patrie. Que vous fêmble-t-il, Jêques.' devons nous accufer encore Jofef, d'avoir oublié d'une maniere honteufe fes parens ? Nous faut-il penfer encore qu'il ne fe foit tü que par indifférence ? — qu'il ne défirait pas de revoir fon pere et fes freres? J&ques. Non, mon Maitre ! je concois k préfent, qu'il ne pouVait pas eri agir d'une maniere différente. J'aime notre Jofef de nouveau , comme auparavant. Mtre. Et Corneille , qu'en dit-il? Corneille. J'aime ausfi Jofef de nouveau , mon Maitre. Mtre. Nous voila donc tous réconciliés avec lui , excepté Mimi , n'est ce pas ? Mimi. Ho que non I je ne fuis plus fêehée  de j ö S E F. 97 léontre lui non plus. Avant que le Maitre eut mni, je m'appercus déja, que ce n'était pas fa paute. Je 1'aittierai autant que Christineet Catö et Henri. Mtre. Eh ! j'en fuis bien charmé , et Jo\fef, s'il vivait, en ferait ravi de même; car ui failait grand cas des enfans , ainfi que vous le verrez dans 1'occafion. Mais il est tems , que je continue mon rept : car nous n'avancerions pas de cette maniere. — Hier au foir nous quittames les freres dé Jofef dans leur voïage d''Egypte en Canaan. II nous faut voir, comment ils y arriveront [avec tous les prélêns de leur frere retrouvé , |et avec la bonne nouvelle pour le pere , que Ifon Jofef vit encore. Le bon vieillard était apparemment dans fa nente, lorsque les fils arriverent chez lui. II put extrêmement réjoui, de les revoir tous en Jbonne fanté. Le retour de Benjamin et de Simeon lui caufa furtout une joie fenfible. A peifne.les freres avaient-ils embrasfé le pieux Jacob, iqu'ils s'écrierent avec des transports de joie ; L Mon pere ! notre Jofef vit encore ! Lui mêL, me est le Régent d''Egypte.'" Ils furent trés ijétonnés de ce que le pere recut cette nouvelle inattendue fans témoigner une grande joie, ct ifans y répondre beaucoup; Cató. Mais , d'oü vint cela , mon Maitre! jle pere n'aimait-il donc plus fon Jofef? Mtre. Oüï vraiment I mais la nouvelle ne jle toucha pas fortement ,l paree qu'il n'en put irien croire; II penfait: „ N'y -a-t-il pas plus „ de vingt ans , que mon Jofef est mort. . Je L vis moi-même fon habit enfanglanté. Coh»  98 L'HISTOIRE „ ment revivrait il maintenant? Comment pour„ rait-il être ce Seigneur rigide d'Egypte, qui „ a caufé tant d'embarras a mes fils. Non! Ils „ fe feront trompés fans doute. Je ne fais point „ de cas de cette nouvelle finguliere!" Les fils ne purent fupporter que le pere ne les crüt point , et qu'il ne fe réjouit pas extrêmement. C'est pour cela qu'ils lui raconterent tout ce qui leur était arrivé, tout ce que Jofef avait dit et fait. Ils le conduifirent ausfi auprés des chariots, des anes et des préfens qu'ils avaient recus de leur frere pour eux et pour le pere. C'est alors que le vieillard Jacob vit, que cette nouvelle incroïable devait pourtant être vraie. II s'anima tout-a-fait, fon efprit acquit une nouvelle vigueur et il fut transporté de joie. „ Cela fufKt" s'écria-t-il, „ mon Jofef vit en„ core ! J'irai vers lui ; je le verrai encore „ avant de mourir!" JaquES. Et est ce que Jacob ne dcmanda pas enfuite , de quelle maniere Jofef était venu en Egypte , et comment on avait pu trouver ion bel habit tout enfanglanté? Mtre. Je ne fais pas pour für, s'il en paria d'abord, ou s'il s'en est informé dans Ia fuite. Mais certainement Jacob aura voulu favoir le précis de ce qui était arrivé. Les fils ainés, qui fe répentaient de leur forfait, et qui étaient touchés de ln générolité de Jofef, auront fans doute, en rougisfant de honte, confesfé 1'histoire entiere a leur pere. La nouvelle.agréable, que Jofef était retrouvé ^ fut bientöt connue de la familie entiere et de tous les habitans de la maifon. Par ordre  r> e J ö S 'ê F. 99 fdu vieux Jacob chacun fe prépara aü voïage ■ ^Egypte. — Enfin le train nombreux fe mit 1! en route. Imaginez-Vous , mes enfans , quel i mouvement cela doit avoir caufé, et combien la troupe dut être nombreüfe. Le vieux Jacob i'avec fes fils et leurs enfans et les descendans Ide leurs enfans compofaient déja alors une fofciété de foixante cinq perfonnes , fans compter les femmes , et les filles. Ausfi partit41 avec [eux pour YEgypte un grand nombre de valets |et de fervantes, et enfin les bêtes de fomme, qui devaient porter les eifets et le grand troüipeau de brebis et d'autres animaux. Le vieililard , les femmes et les petits enfans occupeiifent les voitures, que Jofef avait envoïées * •la plupart des autres allerent a pied ; et c'est ainfi qu'ils s'avancerent pas a pas. J^ignore dans r quel endroit de Canaan ils aïent proprement commencé leur voïage , mais je fais qu'ils arri|-Verent bientot a Berfèba ^ Voïez un, fois fur lila carte, Jeanette.' fi ce Berfèba n'est pas fitué lau fud ou au fud ouest de Hebron. Jeannette. (Après avoir cherchè pendant i quelques in/lans fur la carte) Oüï, mon Mai| tre ! c'était justement fur le chcmin de Canada i:en Egypte! Mtre. A Berfèba donc, la grande compag||nie de voïage s'arrêta un peu pour fe répolêr. if En attendant le pieux Jacob s'inquiétait encore Jlfur ce qu'il ne favait pas s'il était agréable au i\ bon Dieu , qu'il partit ainli avec toute fa faIj mille pour YEgypte. II adresfa a Dieu uiie prie' |re ardente, afin d'en être inftruit deplus pr_s, i et il fit avec tous les fiens un acte folemnel de J dévotion , fuivant 1'ufage de ees temsi Ha m.  ïeo L'IIISTOIRE Christine. Mais par quelles raifons Jacob craignait-ii, que ce voïage ne füt pas agréabie au bon Dieu ? II n'y avait pas du mal, j'en luis füre! Mtre. Je vous dirai , Christine >. ce qu'il en fut. Le bon Dieu avait ordonné a Jacob d'habiter en Canaan , et lui avait promis de le bénir extraordinairement dans ce païs. Le pere de Jacob Ifaac, ainfi qü'Abraham le grand pere de Jacob, avaient déja recu les mêmes ordres. C'est potir cela que Jacob héfitait de partir pour un autre païs, bienque la famine 1'y engageat : car il était trés pieux , et il crai' gnait beaucoup de commettre quelque imprudence. _ Mais Jacob fut asfuré d'une maniere particuliere , de laquelle le bon Dieu n'inftruit plus les hommes , que fon voïage en Egypte était agréable a Dieu ; qu'il y ferait béni de même; que fes enfans fe multiplieraient jusqu'a devenir un grand peuple, et enfin, qu'ils reviendraient un jour fous la direction de Dieu en Canaan ^ pour le posféder en entier fuivant les anciennes promesfes. C'est alors que le pieux vieillard fut tranquillifé de nouveau, et qu'il pourfuivit de bonne humeur le voïage vers fon bienaimé Jofef. A mefure qu'il s'approcha de YEgypte , il déiira plus fortement de voir fon fils retrouvé. — C'est ainfi qu'ils arriverent au païs de Gofen , que, 1'on trouve fitr la carte du cöté oricntal óc'■■YEgypte, et en conièquence du cöté de Canaan, prés de la riviere du Nyl et non loin de la Mediterranée. Cette region fut ausfi ap- peiee aans ia uute Kamejes et ene etaxt extre- .  de J O S E F. tol mement: propre a nourrir du bétail. II'y avait de bons paturages et une quantité d'eau fraiche, mais malgré cela les Egyptiens n'en faifaient pas beaucoup d'ufage. Ce beau païsage ne lem: blait appartenir a perfonne et n'être utile a qui que ce fut. Jacob et tous les fiens s'y repofaient un peu, pour laislèr paitre leurs trourjlpcaux dans ces beaux paturages. Et pendant qu'ils s'arrêtaient en Go/en , JaLob envoïa fon fils Juda dans la ville d'O», Jpour avertir Jofef qu'ils venaient d'arriver tous renfemble , et qu'ils défiraient de le voir. — Ausfitöt que 1'honnête Régent tfEgypte recut Icette nouvelle agréable, il monta fur un char magnifiquc, et partit au plutöt, et apparem* inent accompagné de Juda, vers fon cher pere et vers fes trés chers parens. Cc ne fut qu'avec June joie inexprimable et avec des émotions de idilFércntes efpeces qu'il parcourut des ieux la Jtroupe que compofait fa familie nombreufe. La Eplupart des femmes de fes freres, tous les [enfans avec leurs dcscendans lui étaient encore iinconnus. Tout le monde fixait d'un oeil cuirieux et étonné le riche Seigneur d''Egypte, La Ivue des tentcs paternelles , des bergers et du | grand troupeau, fit que Jofef s'imagimrit presI que d'être encore en Canaan, et il fe retraca Javec une douce émotion les jours dg fa premiefre jeunesfe. — Mais il ne voulut encore s'arIrêter a'tous ces objets touchans. Ses regards I cherchaient avec impatience le pieux Jacob. 11 Ireconnait a la fin fon pere', que le nombre 1 des années , mais que furtput le deuil fur fon I bienaimé fils avait vieilli. Ausfitöt Jofef s'élani ce du char , et embrasfe le vieillard avec des I H 3  105 L' HISTOIRE transports d'une joie filiale , qui fempêcherent de parler. Le vieillard reponnait les traits de Hm Jofef dans le vifage du Régent d''Egypte. Sa joie fut inexprimable. Le pere et le fils ne purent que s'embrasfer — et verfer des larmes. — Lqrsque Jacob fut un peil plus tranquille , il s'écria: „ quand il me faudrait mou„ rir dans Finltant, mon fils! je mourrais con„ tent, après avoir vu ta face , après favoir „ revu vivant ! ce fut la mon plus ardent de„fir!" Alors Jofef embrasfa tendrement tous fes freres , fes foeurs , fes neveux et fes nieces. II les asfura qu'ils étaient tous les bienvenus en Egyfte •> et tout le monde fut tres content de lui. II n'y eut jusqu'aux valets et aux fervantes qui ne partagerent la joie de leurs maitres, Chacun caulait, riait et fe réjouisfait. Jamais on n'entendit a la fois tant de discours'qui refpiraient la gaité ; jamais 1'on ne vit tant de joie . innocente , qu'on en appercut maintenant dans les champs de Gofen. Mimi. J'aurai bien voulu être de la partie! Jean. Et moi ausfi ; j'aurais danfé de joie avec les petits enfans. Catö. Non, je n'aurais fait qu'obferyer Jofef et le vieux Jacob. Mtre. Et moi, j'aurais préféré de me trouver fur. une colline, afin de les contempler tous enfembie. Nous ne faurions nous figurer uri plus beau, un plus touchant fpectacle , mes enfans ! que cette rencontre de Jacob et de Jofef! Tel est 1'agrément de revoir fes plus chers amis, après qu'on en a été féparé. Nous devons nous reprefenter fouvent ce plat-  b e J O S E F, j.03 fir , lorsque nous ne faurions être prés de nos parens ou de nos amis. Mais vouions-nous faire en forte qu'il fe rejouisfent fortement a notre retour , nous devons ausfi tacher de nous conduire toujours d'une maniere honnête. Si le vieux Jacob eüt re trouvé fon Jofef, a'iant autant de vices qu il posfédait maintenant de vernis , au lieu de fe réjouir , il fe ferait affligé. Et fi les fils de Jacob eusfent dü esfüïer de la part de leur frere des reproches fanglans et amers, au lieu d'obtenir leur pardon d'une maniere gracieufe, ils auraient préféré fans doute , que le Seigneur d''Egypte les eüt fi peu connu, qu'ils 1'avaient d'abord reconnu lui même pour être Jofef. Mes enfans ! faites donc des efforts conftans, pour resfembler z Jofef dans votre conduite envers vos parens, envers vos freres et foeurs! et vous pouvez être asfurés , qu'ausfi fouvent que vous les rejoindrez après quelque abfence , ils fe réjouiront autant que Jacob et fes fils fe réjouirent en retrouvant leur Jofef DIXIEME SOIREE. Gen. XLVI: 31, — XLVII: a6. Mtre. Nous avons discontinué hier notre Irécit a 1'arrivée de Jofef pres de fes amis dans fe païs de Gofen, en nous figurant la joie extréme , que caufa cette entrevue. Maintenant je dois vous dire encore ce que Jofef fit en faveur de fa familie et des habitans \<$ Egypte. H 4  IP4 L'HISTOIRE Ausfitöt que Jofef eüt accueilli, comme jl faut, tous fes amis; ausfitöt qu'on fe fut éclairci mutuellement fur ce qui était arrivé depuis plus de vmgt ans et que la première émotion eüt fait place, il dit au vieux Jacob et a fes :r" restez encore un peu ici pour vous „ delasfer ; je vais avertir en attehdant le Roi ., Faraön, qUe toute ma familie vient d'arriver, „ de Canaan , ainfi qu'il me 1'a accordé. Je „ raconterai, mes freres ! que vous êtes tous „ bergers, et que vous avez amené votre bé„ tail. Lors donc que le Roi voudrait vous „ parler lui même , vous devez lui dire ausfi: „ nous avons toujours eu foin du bétail, ainfi „ que nos ancêtrcs; nous ne nous entendons qu'a „ nourrir ec a foigner les brebis et d'autres anir „ maux. — Si vous parlez de cette maniere, Faraön vous accordera fans doute d'habiter ce beau païs, et c'est ce qui vous conviendrait fort bien , a vous et a vos troupeaux ; „ vous devez donc certainement lui demander • , cette faveur." Henri. Fallut-il pour cet effet s'adresfer encore au Roi, mon Maitre! — Jofef fijt pourtant le Maitre de toute YEgypte, qui pouvait asfigner a fes amis tefie demeure qu'il voulait. ' . Mtre. Je penfe que ouï, Henri.' a condir tion que ce ne fut pas au préjudice d'autres habitans, qui y avaient demeuré déja précédemment. Or comme le païs de Gofen n'appartenait pour ainfi dire a perfonne, et qu'il était presque défert, il aurait pu y établir fa familie , fans que Faraön en eüt été fort mécpntent. Mais Jofef était circonfpect et trés intelligent. II voulut éviter jusqu'aux apparen-  DE J O S E F. 105 ces d?intérêt propre. C'est pour cela qu'il n'accorda rien a fes parens, fans 1'approbation du Roi. Son pouvoir ausfi ne le rendit pas orgueilleux. II ne fe disfimula point que Faraön lui avait tout donné: il reconnut volontiers le prince pour fon Maitre, et il aimait mieux le confulter trop fouvent que de le faire trop peu. Voila ce qui était bien humble de fa part, et 1'humilité fied toujours fort bien. — C'est ainfi que j'ai appris quelquecholë de deux enfans , d'un garcon et d'une rille , qui tous les deux recurent de leurs parens quelque argent, pour en faire ce qu'ils voudraient. Le petit garcon emplo'i'a fon argent a acheter des jouets et du bonbon , ou il en donna quelques pieces a les camarades , ou il eut 1'étourderie de le jeter par terre dans 1'école , pour voir les enfans lé le disputen Ils lui demandaient bien quelquefois : „ d'oü avez-vous cet argent, et vos pa„ rens favent-ils ? ce que vous en faites ? mais alors le petit caufeur difait: „ c'est mon „ argent: je puis 1'emploïer comme il me plait, „ je ne le dis pas même a mon pere ni a ma „ mere!" Mais la fille avait un caractere trés différent. Elle n'acheta jamais quelquechofe pour fon argent d'épargne qu'elle ne demandat d'avance: „ qu'en femble-t-il a mon pere ou „ a ma mere ; ferais-je ceci, ou ne le ferais„ je point?" Elle n'en dépenfa jamais, fans raconter a fes parens comment elle 1'avait emploïé. — Dites-moi a préfent, Pierre! qui des deux enfans était le plus fage ? Qui des deux resfemblait le plus a Jofef, du garcon pu de la fille?  ioö L' HISTOIRE Pierre. Eh, la. fille! c'est ce que je comprends fans peine. ' Mtre. Notre Jofef alla donc chez le Roi d''Egypte , et lui raconta , que toute fa familie venait d'arriver. Faraön voulut voir quelques un» ues ireres , amu que jo/e; s y etait attendu. On amena donc cinq des'fils de Jacob du païs de Gofen , et Jofef les introduifit chez le prince. - Quand le Roi leur demanda: „ quel„ le est votre vocation , que faites-vous pour „ gagner la vie?" ils répondirent tellement que .f°fef les avait inflruit, et comme c'était ausfi la vérité ; „ nous fommes tous bergers ainfi „ que nos ancêtres. C'est a caufe de la faminc s, en Canaan que nous fommes venus ici avec „ notre bétail, pour y habiter comme des é9, trangers. Nous vous" demandons refpectueu„ fement que vous nous pennettiez de nous é„ tablir a jamais dans le païs de Gofen." Sur quoi Faraön dit a Jofef: „ Mon païs entier „ est _a votre fcrvice ; donnez-en la meilleure „ partie fi vos amis , pour y habiter : donnez„ leur toujours le païfage de Gofen, qu'ils ont „ choifi. Ët fi vous voulez, vous pourrez char„ ger ceux d'entre vos freres, que vous en „ iugez capablcs , de la direction de mes ber„ gers et de mon bétail." Après que Jofef et fes freres eusfent rendu graces au Roi de la permisfion qu'il venait de Jeur accorder , ils s'en retournerent en Gofen,pour dire au perp et aux autres freres qu'ils pouvaient rester dans ce beau païs. Enfuite Jofef invita fon pere Jacob de fe rendre avec lui a la ville. Le vieillard y confentit, et Jofef eut le plaifir de conduire fon pere a la cour  13 e J O S E F. 107 magnifique chez le Roi. L'honnête vieillard y fit une étrange figure. Habillé comme un fimple berger , il entra dans la falie roïale , au 1 milieu des Egyptiens de la première distinction, iet asfifté du grand Régent , qui 1'honora et le j;fervit comme fon pere. JSques. C'était bien honnête de la part de jföfej\ qu'il ne rougit pas de ion pere, et qu'il : ne füt pas trop orgueilleux9 pour paraitre avec lui devant le Rbi. Mtre. gans doute, Jdques! Jofef fe fit ;ihonneur d'avouer partout et en public le vieux {berger comme fon bienaimé pere , ainfi qu'il ! avait avoué fes freres et qu'il aimait a paraitre 1 avec eux en public. C'est ainfi que tous ceux 1 doivent agi'r, qui font plus puisfans et plus ji riches que leurs parens , ou que leurs freres )] et foeurs. Mais dans ce cas la les hommes ne :i font pas toujours leur dcvoir. Le fils d'un bourij geois , qui devient tout a coup un grand fei| "gneuroublie fouvent fes honnêtes parens ou iamis. II feint d'ignorer qu'ils font en effet fes parens ; il n'aime pas a en parler; il redoute d'être vu avec eux en public. Ils ont l'air trop bourgeois, leurs habits et leurs manieres font trop peu a la mode, pour qu'il veuille les produire et rappeler par la aux hommes ce qu'il était auparavant, et ce qu'il aurait pu devenir ou rester. S'il distribue a fes parens une peti:te partie de fes richesfes , comme fon devoir 1'exige, il le fait fouvent d'un air hautain , :pour s'en débarasfer, ou pour empêcher que I d'autres ne médifent de lui. — Que vous fem[ble-t-il mes enfans ! n'est-ce pas vilain et fort jméchant?  ioO L' HISTOIRE Corneille. Eh oui"! Je fuis faché qu'il y ait des perfonnes de cette trempe. Hé bien , ii jamais je deviens trés riche , je me garderai bien de cette faute ! Mtre. Dans ce cas , Corneille '. je verrai avec plaifir, que vous devinsfiez un grand Seigneur ; mais autremcnt j'aimerais mieux que vous n'eusfiez pas le fou ; car il vaut mieux d'être pauvre et honnête , que d'être riche et vicieux. — Que chacun, qui devient plus distingué ou plus riche que fes parens et fes proefjes, fe fouvienne de notre Jofef, préfentant fes freres et fon pere au Roi Faraön. Voici comme il doit penfer ; „ les richesfes ne iauraient au „ fond changer 1'homme. Quelque riche que je „ fois, mon pere est toujours mon pere , ma „ mere fera toujours ma mere, et mes proches „ feront mes proches tant qu'ils vivront , mon „ devoir exige donc, que je les honore, que „ je les aime, et que je les asnife autant qu'il „ est en moi. Je ne dois jamais en rougir, „ tant qu'ils feront vertueux; car dans ce cas „ je mériterais que le bon Dieu m'ötat tout ce que je posfède, et que mes amis ne voulus? „ fent pas a leur tour fe foucier de moi." — Retenez cela, mes enfans ! je vais continucr mon récit! Lorsque Jofef parut avec fon pere Jacob devant le Roi d''Egypte , le refpectable vieillard donna au prince fa bénédiction fur un ton coi% dial et grave. Sur quoi Faraön dit: „ Vous „ femblez être bien agé, mon pere ! quel age „ auriez-vous?" Jacob répondit: „ je parais plu? ,„ vieux que je ne fuis en effet , 6 mon Roi! une foule de désastres afait blanchir mes cher  de J O S E F. „ veux de bonne heure. II n'y a que eènt tren% te ans que j'ai erré daris ce monde comme „ un voïageur , et c'est ce qui est fort peu en „ comparaifon de mes ancêtres , dont le pélé- rinage dans ce monde a duré bien plus long„ tems ; car cette vie n'est autre chofe qu'un „ pélérinage , un voïage dans le païs oü 1'on „ efpère de fe repofer et de fe fixer a jamais , „ c'est un pasfage au Ciel , a 1'endroit déli„ cieux aprés lequel nous languisibns;" C'est ainfi que le pieux Jacob confidérait fa vie terrestre. Lui fallait-il endurer des maladies ou des revers, il fe difait a lui-même: „ C'est .„ la les incommodités du voïage, qui finiront „ tous, lorsqu'une fois je ferai arrivé la oü „ j'eipère de venir." Et coulait-il quelquefois des heures , ou des journées agréables, il les confidéra alors comme une faveur et il en fut reeonnaisiant: mais il ne s'attendait pas a en jou ir toujours; tel qu'un voïageurqui trouvé un ehemin fraïé et agréable * ne s'imagine pas pour cela qu'il ne rencontrera plus de chemins raboteux ni d'obftacles. — C'est ainfi que toutes les perfonnes honnêtes peuvent et doivent penfer ; c'est alors qu'ils apprennent a endurer patiemment des revers et a jouir de la profpérité avec reconnaisfance, fans attendre de ce monde plus qu'il n'est en état de nous procuren Après que le Roi Faraön et le vieux Jacob eusfent parlé encore pendant quelque tems enfemble , le vieillard prit congé, eri Ibuhaitant que le bon Dieu voulut combler le prince de ianté et de toute efpece de bénédictions. Enfuite il retouma vers le païs de Gofen, oü jofef fit arranger tout ce qui était necesfaire "pour  iio L'HISTÖIftÊ que fa familie püt y habiter a fon aife. La famine augmenta d'une maniere afrreufe ; mais Jacob ne manqua de rien. Son Jofef eut ten* drement foin de lui, de fes enfans et de tous fes desceüdans. Mimi. Et est ce que Jofef demeura ausfi dans le païs de Gofen auprès de fes amis, ou resta-t-il dans la ville ffOn? Mtre. II lui fallut rester a On, paree qu'il était Régent ff Egypte, et qu'il devait diriger le trafic du blé. Cependant le païs de Gofen n'était pas fort éloigné de la ville. II alla fouvent voir fa familie , quand fes affaires le permettaient; il contempla alors avec fatisfaction leur vie pastorale et les agrémens dont ils jouisfaient dans ce beau païs. II fe réjouit principalement de ce qu'il avait pu procurer tant de repos et d'aifances a fon vieux pere , et il rendit continuellement graces a Dieu, de ce .qu'il' avait retrouvé fes meilleurs amis. Henri. Voila ce qui était fort bien fait < mon Maitre! mais cependant, fi j'avais été Jofef, je leur aurais fait un tout autre établisfement! Mtre. Quoi donc , Henri / ïfétes-vous pas encore content de Jofef, maintenant qu'il nour^ rit toute fa familie , et qu'il la fait demeurer en Gofen. Henri. Non , pas tout-a-fait, le maitre de toute YEgypte aurait dü distribuer a fon pere et a fes freres des charges ou des emplois aVantageux, tellement qu'ils euslènt pu vivre a leur aife, comme des perfonnes de qualité, fans travailler beaucoup, et fans courir plus longtems après les brebis !.  DE JOSlF. III Mtre, Votre intention est bonne , mais en eXaminant la chofe de plus prés , nous verrons que Jofef n'eüt pas ,tort en agisfant différemment, mais qu'il en mérite plutöt des éloges. Si notre Jofef avait distribué a fes proches des charges honórables , il aurait provoqué le dépit et la jaloufie de bien des Egyptiens distingués. Et il y aurait eu de quoi ; car Jacob et lés fils étaient incapables et peu propres a occuper de pareils postes. II n'avaient appri autre chofe que 1'agriculture et a foigner le bétail. jofef aurait donc dü dépofer ou pasfer de perfonnes plus capables , ce qui aurait. été injuste et désavantageux pour le Roi et pour le peuple. — Celui qui peut distribuer un emploi ou une charge , doit toujours emploïer les perfon* nes les plus inftruites et les plus capables, qui peuvent être les plus utiles. II ne doit pas donner cet emploi a fes amis particuliers, s'ils n'y font pas ausfi propres que d'autres ; par la même raifon perfonne ne doit afpirer a une charge , qu'il est incapable de remplir comme il faut, et 1'on ne doit pas faire des efforts non plus , pour procurer a d'autres perfonnes ignorantes des emplois importans ; de cette maniere on nuirait a fa patrie et 1'on ferait du tort a fon prochain. — Ausfi Jofef deploïa-t-il un amour trés raiibnnable , en laisfant fes amis dans la vocation de berger. C'était la leur genre de vie ordinaire, et 1'habitude leur en avait infpiré le goüt. lis s'entendaient trés bien a avoir lom du bétail , et ils pouvaient inltruire et asfirter a cet égard les Egyptiens; c'était pour eux la meilleure vocation et Itt plus faciler Dans des postes dillëreus et pénibles ils aü-  114 1'HISTOIRE raient dü commencer de nouveau a s'inftruife , et encore auraient-ils été enviés , raillés et ri-. diculilës. L'exemple de Jofef nous apprend donc, que 1'on doit diriger prudemment fa bienveillance, et que Fob doit avoir égard aux eapacités de chacun * afin de mettre tout le monde a fa place. Maintenant nous accofderons quelque repos au vieux Jacob et aux fiens en Gofen, et nous allons voir ce qu'il en fut des Egyptiens pendant le reste des années fteriles. La feconde année de la famine s'était déja écoulée , avant que la familie de Jofef fe fut établie dans la contrée de Gofen. Notre Jofef avait déja vendu une quantité de blé aux habitans d'Egypte et aux peuples du voifinage, au grand avantage du Roi, qui s'était par la coniidérablement enrichi. Dans les années fuivantes la détresfe augmenta encore , le blé devint encore plus cher , et il entra encore plus d'argent dans le tréfof de Faraön. Vers la fin de la cinquieme année fterile tout l'argent fe trouva entre les mains de Faraön én échange des blés. Perfonne n'eut plus de quoi acheter des vivres. Chacun fut embarasfé , les Egyptiens ainfi que les étrangers. Jeannette. Je n'efpère pas pourtant, que Jofef va laisfer moürir maintenant ces pauvres gens de faim, paree qu'ils n'ont plus d'argent! Mtre. Non, Jeannette! ne vous en inquiétez pas! céS pauvres gens expoferent a Jofef leur détresfe , et celui ci leur dit alors : „ hé bien, fi vous n'avez plus d'argent, vous £ n'avez qu'a me vendre votre bétail, et je H vous donnerai du blé ï la plaee , pour eiï  be J O S E F. J13 „ faire du pain." Tout le monde en fut content , et préféra d'être privé de fon bétail quë de manquer de pain. Ils amenerent donc leurs chevaux , leurs boeufs , leurs vaches , leurs' brcbis et leurs anes, l'un après 1'autre au grand Régent, et ils en recurent la valeür en blé. De cette maniere Jofef conferva encore pendant une année entiere des milliers d'hommes dans bi vie , en même tems qu'il ènrichit fon Roi, en argent et en bétail. Mais cela ne put pas non, plus durer au dela d'un an , favoir jusqu'4 la fin de la fixieme année ftcrile et le commencement de la lèptie-. me 011 derniere. Alors les Egyptiens revinrent en grand, nombre trouver Jofef et lui dirent: „ nous fommes de nouveau .fort embarasfés 3 „ c'est Ce que nous ne faiirions cacher. Nous „ n'avons plus d'argent , ,et nous vous avons déja vendu tout notre bétail. 11 ne festé dónc „ maintenant que notre corps, et nos terres; „ Achetez-nous apréfent pour faraön avec nos „ champs, et domrez-nous par contre a manger „ et de la femence pour enfemencer les terres, „ afin que nous ne pensfions pas de faim, et „ que le païs ne devienne pas tout-a-fait délèrt." jAquES; Qü'est ce que les Egyptiens avaient proprement en vue s mon Maitre ! quand ils difaient : ,, achetez-nous et nós terres pour Fa* „ rvön" Toutefois demeuraient-ils déja dans le , païs de Faraön : .comment doiic pouvaientils 4ui vendre fon propre bien? MtRe. C'est ce que vous devez vous repréfenter de cette maniere. Les habitans d'Egypte avaient été jusqu'alors a bien. des égards des hommes librès j ils avaient chacun ion propr*  «4 L' H I S T O I R E champ, dont ils pouvaient dispofer a leur gré. Le Roi était feulement le fouverain juge, lorsqu'il y avait des disputes, et leur général , lorsqu'ils faifaient la guerre. Ausfi dirigeait-il le culte public par tout le païs. Faraön avait ausfi lui même des terres qui lui appartenaient et dont il retirait du profit; quant a ces païfages , oü perfonne ne s'était encore établi , il pouvait en dispofer ausfi a fon gré, ainfi qu'il fit par exemple par rapport au païs de Gofen, mais outre cela le roi n'avait aucun droit fur les perfonnes, ni fur les champs et les posfesfions de fes fujets. Ils offrirent maintenant de vendre toutes leurs terres a Faraön, et de devenir eux mêmes fes valets ou esclaves. Ils préféraient encore d'être privés de la liberté et de leurs posfesfions , que d'aller mourir de mifere. CorneLie. Ah ! les pauvres gens; qu'ils doivent avoir été en peine! Mtre. Oui , Cornelie .' cette famine était bien forte : qui est ce qui vendrait fans cela fa precieufe liberté ! — Notre Jofef agréa donc la propofition des Egyptiens. II acheta toutes les terres pour Faraön, en forte que celuici devint le propriétairc de YEgypte entiere. Au lieu de cela Jofef donna ausfi" aux habitans du blé pour leur nourriture , et des grains pour les femailles de 1'année future , qui devait être de nouveau fertile. Chacun fut donc obligé de vendre fes terres, excepté les prêtres. Ceux ci étaient des hommes, qui avaient foin du culte public , et qui 1'administraient fuivant les ufages du païs et des tems. De pareilles perlbnnes étaient toujours nourries par le roi, par  dé J O S E F. 115 ce qu'elles ne pouvaient pas labourer la terre, ni exercer le commerce; mais qu'elles dcvaient étudier lans cesfe et vaquer a des actes de dévotion. Ces prêtres ne furent donc pas dans la néccsfité de vendre leurs posfesfions, ainfi que le reste des habitans. Maintenant les Egyptiens s'étaient ausfi livrés eux mêmes a Faraön, comme fes esclaves. Au nom du Roi , Jofef put en agir avec eux comme bon lui femblait. Mais il ne voulut pas que ces malheureux perdisfent tout-a-fait leur liberté \ Jofef était trop humain et trop généreux pour en ufer de la forte. Ausfi favait-il par experience , combien il est triste d'être esclave. C'est pourquoi il rendit a chaque Egyptien une portion des terres comme un cmpiunt, pour y habiter et pour le labourer , a condition qu'il donnat annuellement a Faraön une cinquieme partie du blé , qui croitrait fur ces terres , ij mais par plufieurs raifons Jofef fit en forte que perfonne n'obtint ion ancien champ , mais un i autre de la même grandeur. II empêcha ainfi que les habitans ne devinsfent proprement les enclaves de Faraön ; mais feulement fes vasi faux qui relevaient de lui a caufe d'un fief, ou «comme des fermiers, qui doivent païer tous les ans une fomme flipulée, comme un bail ou louagc , paree qu'ils jouisfent des terres d'un autre. On pouvait donc appelier alors le Roi, le Seigneur féodal de fes fujets , ou bien le j propriétaire du païs entier: et hormi qu'ils de[vaient donner la cinquicme partie de leur blé, I les Egyptiens continuaient a jouir de la même 1 liberté "qu'auparavant. Jao_ues. C'était certainement honnête de la  n6 L' II I S T O I R E part de jofef, qu'il ne rendit pas ces bonnes gens tout-a-fait esclav.es i mais je' le trouve pourtant mauvais , qu'il dépouillit tant de milliers d'hommes et qu'il les rendit pauvres b. ja* mais 9j afin d'enrichir le Roi, qui était pourtant riche et qui pouvait déja vivre d'une maniere fplendide. Mtre. Je ne vois pas , Jdqties .' que notre Jofef ait commis le moindre crime en agisfant ainfi. Retracons-nous feulement tout ce qu'il fit avec les Egyptiens. Pendant les fept années fertiles il acheta d'eux du blé pour l'argent de Faraön. II eut fans doute le droit de le faire. — Durant les cinq premières années de la' famine les Egyptiens avaient de l'argent et ils avaient faim : Jofef avait du blé dans fes magafins et le leur vendit pour leur argent. II n'y eut pas du mal la dedans non plus. —— Dans la fixieme année fterile les habitans d\S» gypte n'avaient plus d'argent, pour acheter des vivres 5 mais ils avaient du bétail. Jofef leur donna alórs de nouveau du blé , et ils lui donnerent ce bétail. Tous ces échanges fe faifaient volontaircment. Les Egyptiens préféraient des vivres a l'argent et aux troupeaux. Jofef ne leur uta, rien d'une maniere injuste ou par violence. Ausfi ne deyinrent-ils pas par la pauvres a jamais. Ausfitöt qu'il y eut des années fertiles ils avaient de nouveau abondance de blé, qu'ils pouvaient vendre a d'autres peuples ; et en recevoir de l'argent et du bétail. Enfin dans Ia feptieme ou derniere des mauvaiiés années , les habitans offrirent encore volontaircment leurs champs, et les donnerent ii, j°fef•> qni leur rendit des vivres. Ausfi fit-il  de J O S E F. ii? en lbrte, comme je remarquais tantöt, que 'chacun obtint de nouveau une terre en louage, et qu'il ne fut pas obligé de devenir esclave, pourvu que dans la fuite il apportat une cmquieme part de fon blé au Roi. Ce ne fut la qu'une charge peu confidérable, paree que YEgypte était un païs trés fertile. Ausfi les habitans furent-ils du même avis, et ils rendirent eraces a Jofef de fes bontés. Peu dtonnées après cette famine ils vécurent ausfi de nouveau a leur aife , enforte que leur pauvreté ne fut pas de longue durée. . Nous devons y penfer ausfi, que ce ne tut pas au préjudice des Egyptiens que Jofef ennchit le Roi, mais plutót a leur avantage. Ce Faraön était un prince trés vertueux. II emploïa tous ces tréfors non pas a une magnificence iputile, ni a nourrir des fonctiqnnaires fuperflus, et bien moins encore a opprimer fon pcuple ; mais il s'en fervit pour ameliorer les batimens publiés, pour établir plufieurs ïnftitutions utiles , et pour défendre le païs contre les ennemis. — Toute la provifion de blé était donc copfumée de la meilleure maniere. Les campagnes furent peupléps d'hommes et de bétail fur un'pied plus égal, le Roi était mieux en état, dq bien défendre fon peuple. Perfonne n'eüt lieu de fe 'plaindre d'être opprimé ou furchargé d'une maniere injuste. -Qu'en penfezyous Jdques '. peut-on djre encpre , que Jofef dépouilla les Egyptiens de tput ce qu'ils posfér daient, et qu'il les rendit pauvres pour toute la vie? JaouES. Non, mon Maitre ! c'est ce que je' ne dirai plus maintenant. Jofef fit bien , ' 13  n8 L'HISTOIRE èt fans -eela ce peuple eüt été beaucoup plus malheureux. *') Mthe. Nous voila donc d'accord, JdquesJ et j'en fuis charmé. — Maintenant je vous ai raconté asfez pour ce foir, mes enfans! demain nous parierons encore du refpectable vieillard Jacob. ONZIEME SOIREE. Gen. XLVII: 27. — L: 14. Mtre. Nous avons appris hier au foir, Comment Jofef en agit avec les habitans d'ügyfte, pendant la faniine qui dura fept ans de iüitc. Nous devrons raconter a prelent quelquechofe du pieux Jacob. Savez-vous encore , Pierre! oü demeurait ce vieillard, durant ces mauvaifes années? Pierre. Eh oui, mon Maitre! dans le beau païs de Gofen. Mtee. Fort bien, mon enfant! c'est la qu'il demeurait dans ce tems et encore longtems après. C'est la que Jofef prit foin de lui et de fes enfans pendant la détresfe : c'est la que Fhonnête vieillard fe repofa de fes voïages, de fes foucis et de fes travauxj c'est la qu'il coula des jours fort agréables. La familie de Ja. mb augmenta de plus en plus , tellement qu'il füt a peine le nombre de les descendans. C'est ainfi que Jacob vécut pendant dixfept ans dans *j C'est ]e petit JSquês, mii parJo, Kstc c!u Tra4.  de J O S E F. 119 le païs de Gofen. Mais nous ne trouvons pas dans la Bible de quoi il s'est occupé pendant tout ce tems, ni ce qui lui est furvenu. Cela ne doit donc pas avoir été fort remarquable ou extraordinaire , et je ne vous en faurais raconter la moindre chofe. C'est pourquoi nous ferons encore une fois ce que nous fimes ausfi au commencement de notre récit. Je difais alors que Jacob eut un fils , qui s'appelait Jofef, et nous nous imaginames tout d'un coup, que ce Jofef était déja un jeune homme de dixfept ans , paree que j'ignorais abfolument ce qui s'était pasfé pendant cet intervalle. C'est ainfi que pour les mêmes raifons nous devrons encore une fois fauter une époque de dixfept ans , et nous allons voir ce qui arriva a Jacob après qu'il eüt habité dixfept ans en Gofen. Corneille. Peut-étre alla-t-il voïager alors de nouveau dans d'autres païs. Mtre. Non , Corneille! Tous fes voïages étaient alors finis. II fentit fes forces diminuer; la vieillesfe le rendit infirme. Et en ! effet c'est ce qui n'était pas étonnant a un age ausfi avancé ! Pourriez-vous fupputer quel age \ Jacob avait alors? Corneille. Non, mon Maitre ! je ne le ipourrais pas fi vite, , Mtre. Rappelez-vous feulement k quel age l Jacob fe difait être parvenu , lorsqu'il parut ; 'devant le Roi Faraön, la feconde année de la ifamine. Corneille. Ah ! c'est vrai ! II dit alors , „ j'ai erré pendant cent trente ans fur la terre." j'y joins les dixièpt ans qu'il a demeuré en Ge- u  iqo L'.II I S T O IR E jfrtf, cela revient a .... cent quarante fept ans. Est-ce bien caleulé, mon Maitre? : Mtre. Trés bien, Corneilk { Lors donc que le vieux Jacob commengait a s'affaiblir de plus en plus , et qu?il fentait qu'il allait bientut mourir , il fit appeler Jofef prés. de foi. Cc iils'honnête apprit avec peine que fon pere était indippofé, et i] vnïagea le plutöt posfible en Gojen. Quand il y -fut arrivé , le vieillard lui dit : „ Jofef, fi vous m'aimez fincerement, Pi vous me promettrez de Ia maniere Ia plus fi> „ iemneMe , qu'après ma mort vous ne ferez U P"s enterrer mon corpa ici en Egypte , mais „ au païs de Canaan , dans le fépulcre de mes Ü ancêtres." Jofef fut pret a faire tout ce que fon pere défirait. II le promit par ferment, ce qui est une folemnité rcligieufe, qui 1'obligeait é le faire , a moins qu'il voulut fe rendre indigne des faveurs et de la bénédiction de Dieu. Christine. Mais Jacob n'avait-il pas d'autres raifons pour vouloir Être enterré en Canaan-, li ce n'est parceque fes ancêtres y étaient enterrés de même? i \ i i Mtre. . Oui , il le défirait encore principalement, parceque le bon Dieu lui avait promis plufieurs ibis , que fes degcendans posféderaient un jour le païs de Canaan en enticr, comme leur propriété , et qu'ils y jouiraielit d'un état fort heureux. Jacob n'ignorait pas que lui -mêïiie n'atteindraitvpbint cette époque mais il défirait du moins que fon corps fut dépofé dans ce païs promis , pleincmcnt perfuadé que tout arriyerait ce que Dieu lui avait prédit. v L'indispofition du vieux Jacob ne femblai't pas encore être dangéreulè, et Jofef, le ré-  de J O S E F. ï!2i gent , ayait tant d'affaires dans la ville d'O», qiiiil dut quitter au'plus vite Gofèn pour s'y rendre et qu'il düt abandonner lbn pere aux foins de fes freres et de fes foeurs. II né partit neanmoins qu'a regret ; car un enfant vertueux n'airne pas a quitter fes parens, quand ils font malades. Mimi. Kt le bon vieillard ne fe rétablit-il pas encore? 'T Mtre- Non , Mimi! maintenant, a 1'age de cent quarante lépt ans 1'époque était venue, a laquelle il devait quitter ce monde. II ne s'affligeait pas non plus de ce que fa vie , fon grand voïage , allait finir, paree qu'il pouvait railbnnablement efpërer qu'il pasferait dans un meilleur monde. -— Dans i'espace de quelques jours fa maladie et fa faiblesfe ■augmentcrent encore. C'est ce qui fut annoncé a Jofef, qui s'en retouma bien vite en Gofen, amenant avec foi fes deux fils , favoir Manasfé et Efraïm. , Christine. Quant a ceux ci, je les aurais laisfés 'a la maifon. Que faifaient ces enfans prés de leur grandpere mourant! • Mtre. Vous dites que ce font des enfans, Christine f mais fachez qu'ils étaient plus ügés dors que vous ne 1'êtes actuellement. Efraïm, le' cadet, avait déja tout au moins dixneuf ans. • Christine. Oferais-je vous demander, mon Maitre! comment vous calculez cela. i Mtre. Je calcule ainfi: Ils étaient nés tous deux avant le commencement de la familie en Egypte , et de la il y avait alors précifément dixneuf ans; car Jacob vint en Gofen deux ans1 après le commencement des années fteriles, et is  123 L' H I S T O I R E il y avait demeuré dixfept ans quand il mourut. — Manasfè et Efraïm étaient donc des jeunes gens d'un certain age , auxquels il est fort utile de voir, avec quelle tranquillité 1'homme pieux fait mourir. Mais Jofef eut encore un autre motif, qui Ie fit amener fes fils avec foi au païs de Gofen. Lorsqu'au tems d''Abraham, d''Ifaac ou de Jacob un pere de familie allait mourir , il prenait folemnellement congé de fes fils et de leurs descendans: il les bénisfait tous avant fa moit, comme le prêtre de fa familie , au nom et avec l'asfiftance de Dieu. Souvent même le bon Dieu faifait en forte , que le pere mourant put , comme un prophete , annoncer aux enfans des événemens, qui furviendraient dans la fuite a eux ou a leur posterité. Ce congé et cette bénédiction étaient donc un objet d'importance, dont on faifait beaucoup de cas. Jofef amena donc fes fils avec lui, afin que Jacob les bénit avant de mourir. Lorsqu'on avertit le vieillard, que fon fils Jofef venait d'arriver , il en fut fi réjoui, qu'il s'érigea dans fon lit, malgré fa faiblesfe. Enfuite il raconta a Jofef, comment Dieu lui avait promis d'avance, que fes descendans pos» féderaient un jour le païs de Canaan, pour y habiter a jamais. II dit encore , qu'il voulait que par rapport a 1'heritage on confidérat Manasfè et Efraïm comme fes propres fils, et non point comme fes petits fils, en forte que chacun d'eux recut autant des posfesfions de Jacob que chacun de leurs oncles en recevrait. Après quoi Jacob paria encore de la mere de Jofef, qu'il avait tendrement aimée , mais qu'il avait pcrdue de bonne hcure.  de J O S E F. 123 Ce n'est qu'alors qu'il appercut que Jofef avait encore deux peribnnes avec lui et qu'il demanda: „ de qui font ces enfans?" La vieillesfe lui avait fait perdre la vue jusqu'a ne plus pouvoir reconnaitre distinctement fes propres petits fils Manasfé et Efraïm. Jofef répondit: „ ce font mes fils , o mon pere ! que Dieu „ m'a donnés et dont vous venez de parjer tout „ a l'hcurc. Amenez les vers moi," dit Jacob ,, afin que je les bénisfe." C'est ce qui eut lieu et le fiiible vieillard les embrasfa encore cordialement. Cornelie. Ah ! voila qui fut tendre! Mtre. Le vieillard était alors extrêmement ému et dit a Jofef: „ que de motifs n'ai-je „ pas a la reconnaisfimce envers le bon Dieu ! „ je n'ofais efpérer de vous revoir, — et „ maintenant je vois encore vos enfans!" Jofef fit agenouiller fes fils prés du lit de leur giand pere , qui s'y tenait encore .érigé et qui voulait leur impolèr les mains. Catö. Qu'est ce que cela fignifie, mon Maitre ! que d'impolèr a quelqu'un les mains : et pourquoi Jacob voulut-il iaire cela? Mtre. Lorsque dans ces tems la on voulait fouhaiter a quelqu'un folemncllement la bénédiction de Dieu , on mettait pour 1'ordinaire la main fur la tête de la perfonne , qui était a genou , pour recevoir la bénédiction. Et lorsqu'un pere ou un grandpere devait ainfi benir deux de fes fils ou de fes petitsfils, il était d'ufage, qu'il mit la main droite iür la tête de 1'ainé et la gauche fur celle du cadet : paree qu'on prenait la main droite pour la meiileure et la plus excellente, et paree qu'alors  124 L' HISTOIRE Ie fils ainé jouisfait toujours de quelques droits exterieurs et de quelques avantages au desius de fes cadets. Comme tel était donc 1'ufage, Jofef fit agenouiller fon fils ainé, Manasfé, tout prés de la main droite de Jacob , ainfi que le cadet Efraïm prés de fa-gauche, pendant qu'il s'inclinait lui ■même; entre eux deux.' Mais le vieux - Jacob placa fes mains tout autrement 3u'on le faifait pour 1'ordinaire , il mit fa main roite fur la tête dü' cadet et fa gauche fur celle de 1'ainé, et il commenca de la maniere fuivante a leur donner la bénédiction folemnelle : „ Qüe TEtèrnel , 'devant la face duquel „ mes aficétres 'Abraham et Ifacia ont marché , „ et' par lcquel j'ai été tellement béni et pro„ tégé des mon bas age ; que ce même'Dieu „ bénisfe ainfi mes enfans que voici, et qu'il '„ leur donne une 'posterité dont le'nombre éga„ le celui des poisfons" de la mcr!" — C'est alors feulement que Jofef appereüt que fon pere avait mal placé fes mains fur les jeunes gens 4 Ce qu'il nttribua a la faiblesfe de fa vue. II dit dont : „ Vous vous abufez, mon pere1. „ eeluici, fur la ' tête duquel Vous avez mis la „ main gauche, est 1'ainé'' Jofef voulut alors placer les mains de fon pere de la maniere qu'il jugeait la plus convenable ; mais le vieillard dit: „ je n'ignore pas ce qüe je fais , mon „ fils ! Ce Manasfé, votre fils ainé fera ex„ trêmement béni ," et fes descendans fe multi„ plieront jusqu'a devenir un grand peuple ; „ mais cependant la posterité ff Efraïm fera plus „ nombreufe encore et plus confidérable. C'est „ ce que PEteniel m'indique , et c'est pour cey, la que je mets déja d'avance ma droite, ma  de JOSEF. 105 „ plus excellente main , fur la tête du cadet, „ qui devicndra le plus grand." Jofef garda alors un filence refpectueux , appercevant que le bon Dieu.le voulut ainfi, et le..vieux Jacob tennina fon voeu folemnel fur fes. petitsfils en difant : „ Le Seigneur vous rendra ausfi „ heureux, que 1'on dira a fes amis pas forme „ de proverbe: Dieu vous fasfe comme a „ Efraïm et a Manasfé? Enfuite Jacob prédit encore une fois qu'un jour fa familie demeurerait de nouveau en Canaan, et il donna encore a Jofef une terre, qu'il y posfédait, et qui appartiendrait alors exclufivement aux descendans de Jofef. Jean. Et tout cela a-t-il été accompli tellement que Jacob l'avait prédit. La familie d'JSfraïm est elle devenue plus nombreufe que la familie de Manasfé, et font-ils tous rentrés en Canaan. Mtre. Mais fans doute. Jacob n'avait pas inyenté lui-même. ces prédictions , mais 1'Eternel lui avait notifié tout cela et le lui avait promis ; et tout ce que Dieu promet, arrivé ausfi necesfairement ; il ne nous est pas permis d'en douter , fi nous ne voulons pas nous rendre coupables d'incredulité, de méfiance et d'ingratitude. — Je vous raconterai en deux mots , comment tout cela est arrivé enfuite. Après que les descendans de Jacob eusfeut demeuré pendant plus de deux cent ans en Egypte, — après que Jofef füt mort depuis longtems — il y regna un Roi vicieux qui les tourmenta d'une maniere affreulè et qui les fit foaiter en esclaves. Ce méchant Roi s'appelait de même Faraön; mais il ne resfemblait en  126 L' II I S T O I R E rien a l'honnête Faraön, duquel nou; avons parlé. Alors le bon Dieu déhvra la posterité de jacob d'une maniere miraculeule de YEgypte , fous la conduite de Moïfe , et après bien des couifes il la fit habiter enfin pailiblcment dans le païs de Canaan , fuiVant les anciennes promesfes. Et quand ils fortirent d'"Egypte la posterité d'Efraïm furpasfait déja celie de Manasfé de plus de huitmille hommes. — Mais, il me faut revenir maintenant a mon récit. Après que le vieux Jacob eüt pris congé de Jofef et de fes enfans, il fit venir encore tous fes fils pour les bénir, et möiennant Patfiftance de Dieu il prédit alors ausfi , ce qui arriverait d'important a chacun d'eux. Ces prédictions de Jacob font trés remarquables et trés belles; mais vous êtes encore trop jeunes pour les comprendre. C'est pour cela que je n'entrèrai pas dans des détails a cet égard ; mais quand vous ferez plus agés, vous ne devez pas oublier de les lire fouvent avec recuedlement dans la Bible. Après que ces prédictions eusfent été prononcées et écoutées avec attention , Jacob rcnouvclla encore a tous fes fils fes ordrès , touchant la fépulture a faire en Canaan rt non point en Egypte. II leur fignifia tros distinctcment dans quel Sépulcre il voulait être dépofé_, favoir dans une cave , ou caverne, vis-a-vis le bois de Mamré, non loin de Hébron , laquelle caverne Abraham avait déja achetée avec le champ oü elle était fituée , et ou les plus proches parens de Jaeob avaient été enfévélis de même. Après avoir dit cela . le pieux Jacob s'étendit fur ion lit et mourut doucément et tranquillement.  de JOSEF. 137 Catö. Je fuis fachée de ce que nous n'allons plus rien entendre de ce bon vieiliard. J'aurais mieux aimé qu'il eüt recouvert de nou* Veau fa fanté et fa vigueur. Henri. Mais oüï, il vivait a cette heure fi agréableinent dans le beau pais de Gofen : cela aurait dü continuer encore pendant quelque tems! Mtre. J'apprends avec plaifir, mes enfans! que vous avez pïis le vieux Jacob en affec* tion, et que vous auriez fouhaité qu'il eüt vécu plus longtems. Cet homme vertueux méritait ausfi a tous égards notre estime et notre aftection. II était fi pieux , qu'il n'y a que trés peu de perfonnes qui lui resfemblent. Mais quelque pieux que 1'on foit, il faut pourtant mourir une fois , et le bon Dieu fait mieux que nous quand il est utile a chacun de quitter ce monde. Le bon Dieu aura donc fü fans doute , qu'il convenait a Jacob de ne pas parvenir k un %e plus avancé qu'a celui de cent quarante fept ans. Pour un homme vraiment pieux la mort n'est pas non plus un fujet d'affliction , car un tel homme meurt content, et après fa mort il entre dans cette vie bienheureufe , qui ne finira jamais. — Voila ce qui doit nous confoler , lorsque nous perdons des parens ou des amis vertueux. Mais des enfans ne doivent pas neanmoins regarder avec 'mdiffé* rence la mort de leurs bons parens. Ils y perI dent beaucoup, et il leur fied fort bien de flfentir certe perte et de la pleuren — Jofef, Ice bon fils , peut ausfi nous fervir de modele la cet égard. Ausfitöt que Jacob füt mort , \jefef fe prostérna fur la face de fon pere et  Ja8 L'. HISTOIRE Pembrasfa tout cn pleurant. Enfuite il prit.fi in du corps inaninié , ainfi que. du deuil et de 1'obfervation de tout ce qu'il avait promis aü défunt. „ • Jofef, le Seigneur 8 Egypte, avait ausfi parmi fes fcrviteurs les' plus distingués , des mëdecins, qui fe connaisfaient a toute efpece de remedes ; pour rétablir les malades. Ces perfonnes favaient ausfi tellement conferver les cadavres , qu'ils ne pouvaient pourrir pendant bien du teriis , mais qu'ils restaient a peu rprès dans le même état oii ils étaient :ï la mort des; perfonnes. II était d'ufage en Egypte, d'en n^if ainfi avec fes parens , après leur mort; On croïait honorer, par la les défunts et cela eoütait beaucoup d'argent. Suivant. cet ufage Jofef ordonna £ fes fcrviteurs, qüi s'entendaient & cet art, d'embaumer, comme on dit , le cotps de Jacob de la maniere la plus precieufe et la plus folide. Car il était trés nécesiairc dans ce cas la , de préferver le corps de Jacob de la corruption , vü qu'on devait femmener encofe en Canaan. jaQUES. Mais comment cet embaumement ie faifait-il donc , mon Maitre ? Mtre. Cela fe faifait a peu prés de cette maniere : le corps était nettoïé en dcdans et rempli de plufieurs drogues prccieufes. Enfiüte il était oint ou frotté au dehors durant trcnte iöurs avec de 1'huile fine , qu'on nomme laaie, ■de cedrea ; ou le corps fut mis plus longtems encore dans du falpètre. II fallait le laver enfin et 1'emmaillötter tout-a-fait avec de la toile fine , qui était enduite de gomme. Cela res* femblait alors a un petit bomme fèche ; mais  de J O S E F. 129 ceux neanmoins, qui avaient connu le défunt, pouvaient voir encore distinctement après bien des années, quel corps c'était. II n'y a pas même longtems , qu'on a trouvé de pareils corps embaumés de Tanden tems , qui n'étaient pas encore réduits en poudre. Ces corps embaumés , on les nomme pour 1'ordinaire de9 Momies. On fut occupé pendant quarante jours a em~ baumer le corps du vieux Jacob. 11 fut dépolé enfuite dans une bière oü 011 le conferva. En attendant Jofef et fa familie prirent le grand deuil pour leur pere. Même la plupart des Egyptiens honorerent le défunt en s'habillant dc deuil pendant foixante dix jours. Jamais les habitans ffEgypte ne prenaiènt-ils le deuil pour plus longtems. — Jofef neanmoins ne quitta pas encore le deuil après que les foixante dix jours fe fusfent écoulés , et par cette raifon ii ne lui était pas permis , fuivant 1'ufage d'alors, de paraitre devant Faraön. U fit donc avertir le Roi, par de bons amis, de fa promesfe, et du ferment qu'il avait prêté a fon pere , touchant la fépulture de ion corps , dans le tombeau de fa familie , prés de Hébron; et il demanda a Faraön 'la permisfion d'asfiiter a cette fépulture, après quoi il retournerait en Egypte. Corneille. Je commencai déja a croire, que Jofef oubliait ce que fon pere lui avait ordonné , quand le Maitre ne raconta que de ce long cmbaumement et du deuil. Mtre. Non pas certainement, Corneille '. Jofef agit comme il appartient a un fils vertueux. II tint parole arjrès fa mort de ion pe-  130 V H I S T O I R E re, ausfi bien que s'il vivait encore. II n'ignórait pas que le bon Dieu avait ausfi écouté fa promesfe , et que PEternel regardait maintenant s'il s'aquitait de tout ce qu'il avait promis. Mais pendant les foixante dix premiers jours du deuil, Jofef ne put pas convenablément voïager en Canaan: c'est pour cela qu'il attendit ausfi longtems , avant de demander a Faraön la permisfion d'aller enterrer fon pere.' Le Roi accorda fans peine que fon Jofef, fon favori, fatisfit felon fa promesfe a la derniere volonté du vieux Jacob. Alors la grande procesfion fe mit bientöt en route , pour elfectuer cette fépulture remarquable. Jofef et tous fes freres, avec leurs femmes et leurs enfans aïnés , voïagerent avec le corps du défunt en Canaan. II n'y eut que les petits enfans feuls, qui resterent, avec les valets et les fervantes , en Egypte auprès du bétail. Tous les autres partirent. Même les Courtifans les plus distingués de Faraön et les premiers fonctionnaires de VEgypte les accompagnerent, pour enterrer le pere de leur Régent. Tant de voitures et de cavaliers donnaient a cette Société 1'air d'un camp étendu , qui s'avancait gravement. — C'est ainfi qu'ils arriverent en Canaan, et qu'ils s'arrêterent dans une plaine, non loin de Hébron. C'est la que, pendant fept jours, ils temoignerent tous 1'affliction que leur avait caufée la mort de Jacob, par des fignes foiemnels de toute efpece, par leurs vêtemens, par leur contenance et par leurs discours , ainfi qu'il était alors d'ufage. Cette cérémonie publique fut cependant plus folemnelle qu'on n'en avait encore vue , telk-  • BE JOSEF. qp öient qüe les gens qui demeuraient aux environs de cette plaine en Canaan, en parierent avec étonncinent les uns aux autres, et qu'a caufe de cet événement feul, (ils donnerent même a cet endroit le nom d''Abel Mitsraïm , ce qui veut dire ; Deuil des Egyptiens. Toute cette pompe et cet embarras étaient fort utiles, en ce qu'ils faifaient penfer fréquemment a Jacob, qui avait été un homme trés fage et pieux, tellement qu'on devait fe fouvenir toujours avec refpect de fon exemple et de fes inftructions. Après ce deuil pompeux notre Compagnie de voïage pourfuivit fon chemin Vers le fépulcre d''Abraham et fflfadc, qui maintenant allait ausfi devenir celui de Jacob. Ils enfévélircnt cet homme pieux exactement comme il le lei r avait ordonné, dans la caverne vis-a-vis le bois de Mamré. Ce fut avec une joie douce et avec beaucoup d'émotion que Jofef fixa encore une t fois cette contrée , et qu'il appercut les endroits qui lui rappelaient les jeux de fon enfance , et les plaifirs dont il avait joui dans fa jeunesfe. Enfuite ils s'en retournerent tous ènfemhle en Egypte, s'occupant fans cesfe en chemin de 1'homme vertueux, au corps duquel ils veiiaient de rendre les derniers devoirs. Et chacun de retour chez lui reprit fes occupations ordinaires. Pour cette fois , nous en resterons ici , mes enfans ! maintenant notre Jofef n'a plus de pere ni'de mere. Jen*efpere pas que vous autres lui resfemblerez bientöt a cet égard, je i'ouhaite que vous gardiez encore vos chers pareus^ pendant bien des années. Mais a la fin , il faut pourtant qu'ils deviennent malades ev. K 2  132 L' HISTOIRE qu'ils meurent. Tachez dès maintenant de vous comporter a leur égard tellement s, que vous puisliez alors vous fouvenir d'eux avec plaifir. Puisfiez-vous vous retracer alors 1'exemple de Jofef, qui fervit fon pere avec tant de bienveillance pendant fa maladie , qui écouta fi reipectueufement les derniers voeux et les dernieres dispofitions dc Jacob mourant, et avec quellc fidélité il s'acquitta dans la fuite de tout ce dont il était chargé et de tout ce qu'il avait promis. Prenez donc a cet égard ausfi Jofef pour modéle , et le bon Dieu vous aimera et vous en récompenfera. DOUXIEME SOIREE. Gen. L: 14. &c. Mtre. Maintenant je dois vous raconter, mes enfans! ce qui fe pasfa entre Jofef et fes freres , lorsqu'ils furent revenus enfemble en Egypte , après 1'enterrement du vieux Jacob. Les freres ainés donc , ceirx qui avaient autrefois maltraité et vendu Jofef, s'en inquiéterent de nouveau, maintenant que leur pere était mort. Ils penferent : „ peut-être Jofef ne „ nous ofa-t-il faire du mal pendant la vie de „ notre pere , 1 crainte de lui déplaire; mais ,, voici qu'il va nous punir de tout ce qu'il a ,, fouffert dc notre part. II nous haïra main„ tenant et il nous perfécutcra!" Jeannette. fi donc , penfaient-ils cela! ne croïaient ils donc pas , que Jofef leur eüt tout pardonné de bon Qoeur?  de JOSEF. Corneille. Mais , c'était fort méchant ! pcnlaient-ils que Jofef put. leur faire bonne mine pendant tant d'années, malgré qu'il eüt été interieurement enragé? Mtre. J'avoue qu'il n'était pas ïbrt noble de la part des freres , de mettre fi peu de confiance en Jofef. Toutefois il y avait déja plus de dixfept ans pasfés, qu'il leur avait tout pardonné cordialement : et depuis ils avaient recu au païs de Gofen mille preuvcs de la bienveillance de Jofef: il les avait nourri et il avait eu foin d'eux. Ils lui faifaient tort par une fuppofition ausfi injuricufe. JaouES. Mais ouï ; je ne concois pas ce qui pouvait faire naitre en eux cette idee et cette crainte? Mtre. Voici comment je 1'explique, Jdgues.' Des gens qui ont commis un grand 'forfait, nourrisl'ent pendant toute leur vie quelqiie inquiétude. A chaque occafion ils fe fouviennent de leur ancien crime , et leur fiit-il pardonné depuis longtems , ils restent toujours inquicts et ils ne fauraient être contens et vraiment tranquilles , quclle que foit leur prospcrité exterieure. II en fut de même des freres , qui avaient vendu notre Jofef. Après que leur pere fut mort, ils commencerent de nouveau a avoir peur du meilleur de leurs freres. 11 s'étaient bien corrigés en quelque forte ; mais ils n'étaient pas encore fi vertueux que Jofef. Ils penferent donc : „ fi nous étions a fa'place , „ nous y aurions attendu nos méchans freres." Ils jugerent alors d'autrui par eux mèmes, et ils attendirent que Jofef en agirait avec eux, comme ils en auraient agi peut-être a lor. égard. lis a' K 3  134 L'HISTOIRE vaicnt dc la peine a croire qu'il resterait ttuiióurs ausli complaifant et ausfi doux j ils ne connaisi'aient pas asfez la vraie piété et la vraie douceur. Voila ce qui leur infpira cette crainte de Jofef, Ecoutez maintenant ce qu'ils pratiquercnt, 'pour fe tirer d'embarras. Ils envöïerent quelques perfonnes connues vers le Seigneur d''Egypte avec le mesfage fuivant: „ votre défunt pere ,, nous a chargés peu de tems ayant fa mort, „ de vous prier inftamment en fon nom , que „ vous veuillez continuer dc pardonner a vos ., freres leurs forfaits , de les aimer toujours „ et d'ayoir foin d'eüx dans la fuite," Depuis longtems fhonnête Jofef ne penfait plus a ce qu'il avait fouffert de la part de fes freres. 0 ne fongeait point a fe venger ; mais il les ai-tnait fihcerement. Cette priere , qui lui fut addresfée au nom de ion pere le toucha jusqu'aux larmes. L Catö. Et étaitce tout-de-bon, que Jacob avait chargé ces perfonnes d'une pareille commisfion avant fa mort, ■ Mtre. ]'en doute, Cato! 1'honnete vieillard mettait plus de confiance en fon Jofef: ce ne faurait avoir été pour lui un fujet de cramte. Ausfi n'en avait-il jamais parlé a Jofef- ce qu'il aurait bien fait dans ce cas la. Ce fut Tembar-, ras feul qui fit inventer aux freres ce mesiage, pt ils ne firent pas bien en cela; car quelque cmbarasfé que Ton puisfe Être , on ne doit jamais inventer des menfonges pour fe fauver. ' Jofef ne voulut pas même Texaminer. 11 ne fut pas faché non plus, de ce que fans la moindre raifon, fes frerss avaient une fi piauvaile  de J O S E F. 135 opinion de lui. Ce n'est que la compasfion qui le fit pleurer a 1'ouïe de ce mesfage inattendu. Mimi. Est-ce que Jofef ne rasfura pas alors bien vite fes freres? Mtre. II défirait de le faire a la première occafion ; et cette occafion ne fe fit pas attendre. Les freres inquiets voïageaient vers la ville ffOn et arriverent chez Jofef, tout ausfi timides et ausfi foumis , qu'ils avaient été en le revoïant pour la première fois. Ils fe prosternerent de nouveau devant lui , en difant : „ Voici, nous fommes vos fcrviteurs ! vous „ ferez de nous ce qui bon vous femblera. Nous „ vous fervirons fidelement comme notre Mai„ tre." L'honnête Jofef ne put pas fupporter , que fes propres freres , que fes ainés, ié prosternasfent de nouveau devant lui avec tant de fraïeur. II les releva tout ausfitöt et leur oria, les larmes aux ieux : ,, ne craignez donc rien , „ mes chers freres , je n'ai aucune envie de „ vous punir de votre iniquité; ausfi cela n'ap„ particnt>il qu'a Dieu, qui comme j'efpère „ vous aura déja pardonné. Vous aviez formé „ des desfeins injusteg a mon égard, il est „ vrai , mais le Seigneur a dirigé tout cela „ en bien, pour fauver les habitans ff Egypte „ et notre familie entiere de la famine, et „ pour les conferver dans la vie. C'est ce „ que vous avez vu ; fongez-y de nouveau •■, „ obfervez la toute fage direction de Dieu ? et „ n'aïez plus peur de moi. Je vous ferai .. du „ bien ausfi longtems que je vivrai, même „ j'aurai foin de vos petits enfims." Christine. Cet honnête Jofef est pourtant toujours le même ; toujours la même foiénveilK4  Ï36 L' H I S T O I R E lance ct la mcrnc douceur ! Si les freres continuent maintenant encore a fe défier de lui, je né puis plus les fouffrii. Mtre. Et vous auriez raifon , Christine.' Jofef montra , que fa facon de penfer était encore la même depuis dixfept ans. II leur donna les plus fortes preuves d'un pardon fmeere et d'un amour conftant. Ses freres n'étaient pas non plus asfez incrédules ni asfez foupconneux, pour lë aiéfier encore de lui. Ils s'en rctournerent en Gofen fortement émus , mais confolés et encouragés : et ils louaient Jofef partout et le veconnaisfaient pour leur bienfaiteur. Je ne doute pas non plus que moïennant tout cela iis n'aïent appris a réfléchir de plus en plus , et qu'ils ne föïent devenus toujours plus vertueux. Pendant bien des années les enfans dc Jacob vécurent ainfi en paix et en prosperité , fans qu'il leur arrivat quelquechofe de fort remar^ qitablc. Cependant la familie s'accrut extraordinairement. Jofef ne fut pas feulement grand? pere; mais il fut aïeul. En veritable ami des enfans , il joua avec les enfans de Manasfé , qu'il tcnait fur fes genoux et qu'il poitait entre lés bras. II était ausfi Tonele et le Grandoncle chéri des enfans et des petitsfils de fes freres. ■II ne vint jamais au païs de Gofen , qu'il n'y eut une joie univerfëlle : il ne, repartit jamais pour la ville, que Ton «e definit de le revoir bientöt. — C'est ainfi que le pieux Jofef •■.yxuX du doux piailir de faire du bien et d'être 'aimé , jusqu'a l\ige de cent dix ans. Henri. Et qu'arriva-t-il alors? Je n'efpère uas pourtant qu'il ira déja mourir! ■< CpRJvEi-iE. Ah! je n'en iérajs pas moins  de J O S E F. 137 ladiée! j'aimerais mieux qu'il parvint au moins a 1'dge de Jacob. Mtre. Oüi, mes enfans ! je dois le dire. On vit diminuer alors les forces de Jofef ex 1'on craigriit avec raifon , de le perdre bientöt. Lui même fentit ausfi distinctement, qu'il lui faudrait bientöt quitter ce monde. II fit donc appeler ceux d'entre fes freres qui vivaient cmcore , et leur dit : „ je vais mourir mainte„ riant, et je ne pourrai plus avoir foin de „ vous. Mais 1'Eternel vous reste. II vous „ ramenera un jour, vous ou vos enfans, dans „ le païs de Canaan, ainli qu'il a été promis a „ Abraham, a Ifaac et a notre pere Jacob. „ Cela arrivera certainement et je n'en doute en „ aucune maniere. — Mais lorsque vous, ou „ vos fils, quitterez VEgypte, emportez mon „ corps avec vous , et enterrez-le auprès de „ nos ancêtres dans ce païs promis.. Jurez-moi „ folemnellement, mes freres ! que vous en „ aurez foin et que vous ferez enforte que vos ,, enfans s'en resfouviennent encore après que „ vous ferez morts." JaquEs. C'était la même chofe a peu pres que Jacob avait dite , quand il allait mourir ; n'est ce pas , mon Maitre? Mtre. Oui, Jdques l Tous ces hommes pieux, Abraham, Ifaac, Jacob et Jofef font morts avec cette confiance en la promesfe de Dieu , que leurs descendans conquerraient un jour tout le païs de Canaan et y habiteraient. 'Perfonne d'entre eux n'en vit arriver la moindre chofe. II n'est pas apparent non plus que Jofef ait recu a cet égard une promesfe réitérée du bon Dieu ; mais neanmoins il y ajouta foi, K 5  i38 L' H I S T O I R E vü que PEternel Favait promis autrefois. Voila ce qui fut fort honnête de fa part ; et nous devons en agir de même, en apprenant que Dieu a promis quelquechofe. Ciirjstine. M2is , mon Maitre ! je croïais que cela n'anivait plus a préfent. Ou est ce que le bon Dieu parle encore quelquefois aux hommes, comme dans ces anciens tems? Mtre. Non , Christine, il n'est plus nécesfaire ausfi, comme il Pétait alors. Dans ces tems d''Abraham , $ Ifaac, dc Jacob et de Jofef et encore longtems après, les hommes n'avaient point de livre , dans lequel ils pouvaient apprendre, ce que Dieu exigeait et ce qui leur était promis. II n'y avait pas encore de Bible dans Ie monde. C'est pour cela que les hommes furent inftruits alors d'une maniere particuliere. Mais cela ne ferait pas nécesfairq par rapport a nous. Nous avons la Bible entiere , pour y lire. Nous y pouvons trouver , tout ce qu'il nous faut favoir ; et ce que le bon Dieu promet dans cette Ecriture fainte a tous les hommes, c'est ce que nous devons confidérer et croire tout comme s'il nous venait d'être promis en perfonne. De cette maniere nous pouvons imiter notre Jofef dans fa confiance en Dieu , et en ajoutant foi aux chofes, que nous ne voïons pas , qui ont été promifes ei devant et qui n'arriveront que dans la fuite, Vü donc que Jofef était intimément perfuadé, que fa familie rentrerait en Canaan, il défirait que fon corps y fut enterré. Mais il n'exigea pas que fes freres Vy portasfent tout de luite après fa mort. II lui fuffifait, qu'ils promisfent d'avoir foin , que fon corps y fut conduit  »e JOSEF. *S9 par eux nu par leurs enfans, quand ils partiraient pour ce païs. Les freres s'en chargerent et s'y obligerent par un ferment folemnel. Enfuite la cérémonie des adieux et la bénédiction eurent lieu , a peu prés comme a la mort de Jacob , ' et après tout cela notre Jofef rendit pefprit avec beaucoup de calme et de dévotion, Jean. Ah ! voila que Jofef est mort , et notre récit est fini. Catö, Mais, cela va bien vite ! J'avais efpgré que notre Maitre nous en raconterait encore au moins pendant fix foirées. Henri. Mais peut-être que notre Maitre aura oublié quelquechofe ? Nous aimerions a apprendre tout ce qui s'est pasfé. . Mtre. Non, mes enfans! je n'ai faute rien, pour autant que je fache. Jofef vécut encor e cinquante quatre ans après la mort de Jacob ; mais nous trouvons dans la Bible fort peu de ce qui s'est pasfé pendant ce tems. Voila la raifon pourquoi mon fécit est terminé , plutót que vous ne vous y attendiez. Quand vous ièrez plus agés, vous ferez bien de lire tout cela dans l'Ecriture fajirte , et puis vous me direz , fi j'ai oublié quelquechofe. TaouES. Mais , racontez nous' du moins , mon Maitre , fi les parens de Jofef ne iurem pas fort affligés de fa mort ? ' Mtre. Ouï , fans doute ; 1'afflction caulee par la mort de Jofef fut profonde et univerfelle. Les freres qui lui' furvécurent, le pleurerenr, comme leur plus cher frere , et leur meilleur ami. Ils penferent encore avec beaucoup démotion a fa bienveillance a leur égard , qu'ils ayaient fi peu méritie. Tous les enfans dc-  Ho L'HISTOIRE manderent avec abattement leur grandpere ou leur oncle , qui avait la coutume de jouer avec eux , et qui leur avait fait toujours tant de plaiiir. Ils pleurerent fa mort avec leurs parens. Les habitans $ Egypte s'affligcrent ausfi de la perte de leur bienfaiteur , de Phonnéte, du charitable , du vertueux régent , qui avait eu foin d'eux comme un pere tendre , et qui avait travaillé fans relache pendant quate vingt ans pour Putilité du païs entier. Corneille. Quatre vingt ans .' y a-t-il déja fi longtems, qu'il ait été le Seigneur tfEpypte? JaouES. Mais ouï, Corneille '. Car il avait trente ans , quand Faraön le fit tirer de la prifon et Pétablit régent: eh bien , trente et quatrevingt, ou quatrevingt et trente font cent dix ans tout juste , et Jofef avait atteint cet age quand il mourut. Mtre. Fort bien, Jdyues! je comptais faire le même calcul. — II ne me restc qu';ï vous raconter , que les freres de Jofef firent embaumer fon corps , ainfi qu'on avait fait au corps de Jacob, et que Pon le conlèrva enfuite dans une bière. Christine. Et lorsque les freres de Jofef partircnt dans la fuite de VEgypte pour Canaan, emporterent-ils alors fon corps avec eux, ou cstce qu'ils Poublierent ? Mtre. Les freres, dc Jofef ne vécurent pas jusqu'a cette époque , Christine >. Car deux fiecles entiers s'ecoulerent encore pendant qu'ils demeuraient en Gofen , ainfi que je 1'ai dit hier au foir. Mais leurs descendans n'oubberent pas neanmoins d'emportcr le corps avec eux, comme  de JQSEF. 141 a leur tour ils avaient dü promettre a leur peres. Lorsqu'ils arriverent enfin au païs-promis, ils enterrerent le corps de notre Jofef, non loin de Sichem. Voila la fin de notre récit, mes enfans ! Dites moi maintenant, Corneille.' Phistoire de Jofef vous a-t-elle plue? Corneille. Parfaitement, mon Maitre ! elle m'a caufé . beaucoup de plaifir , et je ne me fuis pas ennüïé du tout en Pécoutant. Mtre. Eh, j'en fuis charmé! Vous ne vous1 y attendicz pas, Corneille .' lorsque je commengai ce récit. Savez-vous encore pourquoi vous vous imaginiez alors, que cela ne faurait être beau ? Corneille. Oui, mon Maitre ! paree qu'il était pris de la Bible. Mtre. Précifément ! Or vous venez d'en^ tendre une histoire trés belle et inftructive qui est prife de la Bible. On y trouve encore plufieurs autres qui lui resfemblent , il y en a même qui feront encore plus intéresfantes pour vous, quand vous ferez plus agés. C'est ce que vous devez retenir, et il vous faut lire enfuite avec asfiduité dans la Sainte Ecriture. Catö. Je ne faurais m'imaginer encore que notre honnête Jofef foit déja mort. Je penfe toujours que demain au foir nous apprendrons encore quelquechofe de lui. Mtre. Ouï , mon enfant! c'est ainfi que cela va. Nous étions déja tout-a-fait accoutumés a nous entretenir de lui. II est maintenant a notre égard comme s'il venait de mouiir ce foir même ; et cependant combien de tems n'y a-t-il pas déja qu'il est mort,  i43 L'HISTOIRË Catö. Ah pour cela , je ne faurais en faire le calcul. Mtre. II y a Ö534-) 0-018 ™lle cm1 cei1t et trente quatre ans que jofef est në , ainli qu'il parait par notre premier entretien fur' ce fujet. II y a cent dix ans de moins qu'il est mort, car c'est a cet age qu'il est parvenu: or quand je deduis ces cent dix des (3534) trois mille cinq cent trente quatre , je trouvé qu'il est déja mort maintenant depuis (3434) trois mille quatre cent vingt quatre ans. Henri. Mais c'est affreux, comme cela est longtems! Mtre. Mais , qu'en penfez-vous , mes enfans ! Jofef aurait-il tout-a-fait péri depuis tant de milliers d*années , tellement qu'il ne restat abfolument plus rien de lui, comme s'il n'y eüt jamais eu de Jofef: et quand nous autres mourons , peririons-nous donc ausfi tout-a-fait, comme fi nous n'eusfions jamais vécu? Mimi. Ah , cela ferait triste ! Henri. Je ne penfe pas non plus , que cela arrivé : car le Maitre nous a raconté autrefois, que pour les hommes vertueux il y aurait encore une meilleure vie après celleci. Catö. Eh ouï! et fans doute Jofef y fera maintenant. Mtre. Certainement , mes enfans ! Pour tous les hommes vertueux et pieux il y aura une meilleure vie , après la mort. Ils entrent alors au ciel , et y jouisfent d'un bonheur inconcevable, fans mourir de nouveau. Abt-a* hum, qui est appelé 1'ami de Dieu , le vénérablc Ifaac , le pieux Jacob et notre honnête jofef font déja entrés dans cette meilleure vie, jour y rester a jamais. Et quand nous nous  de JOSEF. 143 appliquons ausfi fans cesfe a devenir vertueux et heureux , ainfi qu'il nous est indiqué plus particulierement dans la Bible , nous les joindrons un jour tous enfemble dans le eiel , dans cet endroit d'une beatitude inconcevable. Réfléchisfez-y, mes chers enfans! quel bonheur ce ferait pour nous. Cette vie entiere fur la terre n'y faurait être cornparée ; car elle est trés incertaine , trés courte et imparfaite. Perfonne d'entre nous ne parviendra k 1'age dc Jofef-. ni apparemment a la moitié de 1'age | 3''Abraham. Quand vous vieillirez . je ferai déja enterré depuis longtems , et il n est pas I même certain, que vous me furvivrez vous tous. l Cette vie terrestre n'est donc autre chofe, comj me difait le vieux Jacob, qu'un voïage au Ciel. Ecoutez donc avec attention dans 1'Eglii fe. Soïez attentifs lorsqu'on vous inftruit dans j la religion ; faites vos prieres avec recueillcment, et demandez fouvent a des perfonnes j vertueufes, ce qu'il vous faut faire, pour piaij re au bon Dieu. Et quand vous ferez plus a? | gés, lifez alors beaucoup et avec attention dans1 ! la Bible. Cherchez y asfidüment, de quelle i maniere Dieu veut que vous penfiez, que vous 1 parliez et que vous agisfiez. Priez fans cesfe Ie bon Dieu, qu'il vous foit propice, qu'il vous préferve du mal , et qu'il vous asfiste a faire le bien. Alors ausfi vous reusfirez tous; alors j'efpère et je fouhaite , qu'après cette vie , nous nous reverrons, étant heureux , dans le ciel, auprès de Jofef et de tous les hommes vertueux , pour mener tous enfemble et a jamais une vie Ibienheureufe et reconnaisfante. F I N.