LES VEILLÉES DU CHAT E AU. TOME SECOND.   LES VEILLÉES DU CHATEAU, o u COURS DE MORALE A UUSAGE DES ENFANTS. PAR L'AUTEUR D'ADELE et THÉODORE. 7 Come raccende il gufto il mutare efca, » Cosi mi par che la mia Iftoria quanto . » Or qua , or la piü variata fia, » Meno a chi 1' udira nojofa fia. Orlando Furiofo , Canto ter[o deiimo. TRADUCTIOtr LITTÉRALE. Comme le changement de nourriture ranime Ie goüt, ainfi il me fembleque plus mes récits feront variés, & moins ils paroitront ennuyeux a ceux qui les entendront. TOME SECOND. A MAESTRICHT, ChezJ. E. Dufour & Phil. Roux, Impriraeurs-Libraires affociés. M. DCC. L XXXIV.   LES VEILLÉES DU CHATEAU, o u COURS DE MORALE A VU SAGE DES ENFANTS, I c i Ia 'Baronne ceffa de parler, & Madame de Clémlre prenant la parole : Ëh bien, mes enfants, dit-elle, cette hüïoire vous a-t-elle fait plaifir ? — Oh, oui , Maman., & je tftcherai de relTembler urt jour a 1'aimable Eugénie. — Et moi auffi, puifqu'elle a rendu fa mere heureufe. Et moi , dit Céfar, j'imiterai Léonce. Mais, a propos de lui, maman, permettez-moi de vous faire une quelüon. Léonce, caché Tme IL A  2 Les Feillêes derrière une haie , écoutoit Eugénie : cela n'eft-il pas un peu indifcret? — J'aime a vous voir cette déficateffe, elle eft trèsfondée. II eft vrai que Léonce étoit bien für qu'Eugénie ne parleroit que 'du vieillard, & qu'il étoit certain d'ailleurs qu'elle n'avoit aucun fecret a dire a Valentine ; mais n'importe, il eut toujours tort de fe cacher pour 1'écouter. Dès qu'une aétion elt condamnable parelle-méme, on ne doit jamais fe la permettre , quel que foit le motif qui nous guide. Je tacherai , mes enfants , de vous faire connoltre ce qui eft mal & ce 9ui eft bien', & quand vous anrez cette précieufe connoiffance , j'en fuis füre, vous aimerez la vertu, paree que rien n'eft aimable comme elle , & vous détefterez le vice : alors , fi vous voulez être heureux & eltiinés , ditesvous : je ne ferai jamais une aclion condamnable , quelle que foit la fituation , 1'intention & le motif qui puiffent 1'excufer a mes propres yeux. En achevant ces dernieres paroles, Ma-, dame de Clémire fe leva ; & après s'être embraffés , chacun prit le cbemin de fa chambre. Madame de Clémire, en fe couchani, étoit bien loin de prévoir le chagrin affreux qu'elle devoit éprouver a fon réveil. Depuis deux mois, toutes les nouvelles qu'elle recevoit de Paris & de 1'armée, lui perfuadoient que la paix feroit faite avant 1'ouverture de la campagne. Quelle fut fa douleur.loifqu'a huit heures  du Chdteau. ^ % du matiu elle recut des lettres qui lui annoncoient que les armées fe trouvoient en préfence , & qu'une bataille étoit inévitable! ... Ses enfants, en apprenant cette cruelle nouvelle, partagerent le chagrin & les vives inquiétudes de leur mere; tous les jeux furent fufpendus,tous les plaifirs oubliés; & les heitres derècrèation s'écoulerent dans la triftefle & dans les laimes. Cette fituation dura quinze jours. Enfin, la veille du premier de Mai , les enfants , a neuf beures du matin , écoutoient avec attention 1'Abbé, lifant tout baut un chapitre de 1'Evangile, quand tout-a-coup ils entendirent des accents entrecoupés , des cris confus. Ils diftinguent parmi beaucoup d'autres voix, la voix de leur mere: tremblants , éperdus , ils s'élancent tous trois vers la porte , & fe trouvent au mème inftant dans les bras de leur mere, qui s'écrie : La bataille eft domiée & gagnée, & votre pcre fe porte bien. A ces mots , les enfants baignés de pleurs , fe jettent avec tranfport au cou de Madame de Clémire, & ne peuvent cxprimer 1'ex» cès de leur joie que par des fanglots.... Madame de Clémire, appuyée fur fa tenrire mere, & ferrant fes enfants contre fon fein, ofiroit a. toute la maifon ralTcmblée le fpeétacle le plus touchant... Au bout de que!']nes moments d'un filence interrompu par les douces larmes que ia joie faifoitrépauare, Madame de Clémire s'aflit A ij  4 Les Feillies au milieu de fon heureufe familie, & Vat tout haut les lettres qu'elle venoit de recevoir. Tous les détails ajouterent encore a la fatisfaction fi pure qu'on éprouvoit; car il paroiffoit certain que la paix feroit le fruit de la bataille gagnée. La tranquillité , le bonheur, ramenerent dans le chateau la gaieté, les jeux & les plaifirs. Ce jour li intéreflant étoit précifément celui oü 1'on devoitplanter le mat. II fut décidé que ce feroit dans la cour du chftteau, & 1'on attendit avec impatience 1'heure oü devoit commencer cette fête champêtre. A peine fortoit-on de table, qu'on entendit le bruit des cornemufes, des hautbois & des mufettes. On defcenditprécipitamment dans la cour. Elle étoit déja remplie des ménétriers & de toute la jeunefle du village; les garcons, en vefte blanches ornées de rubans , entouroient k mat coucbé a terre, & tenoient les cordes qui devoient le foulever dans le moment marqué pour le planter. Au fignal donné, on vit s'avancer une troupe de jeunes filles portant des corbeilles remplies de fleurs; elles en couvrirent le mat. L'une attaché un bouquet, 1'autre entrelace une guirlande : dans un inftant tout 1'arbre fut décoré de mille feftons d'aubépine & de rofes printannieres, & d'une multitude de couronnes de violettes, de narchTes & d'anémones. Alors, deux payfans d'un 3ge mür s'approchent gravement; ils ont chacun une bouteille a la main, ils verfent du vin  du Chateau. $ fur le pied de 1'arbre. Après cette libation, on boit a la fanté du Seigneur. Céfar, repréfentant fon pere, fuivant 1'ufage, dott faire raifon aux bons villageois. II s avance fiérement , les falue , re?oit un verre a moitié rempli de vin, & le boit de fort bonne grace. Auffi-tót on fouleve le mat, & dès qu'il eft planté, les garcons & les jeunes filles fe prennent par la main, & danlent autour de 1'arbre, en chantant une ronde a lalouange du jolimois de Mat. Céfar, Caroline & Pulchérie fe mêlerent a Ia danfe, & répéterent de tout leur cceur le refrein de la chanfon; les fauteufes Ca] fuccéderent a la ronde, & la fête finit par une belle partie de barres, faite dans les jardins. Céfar, étonnamment lefte & fort pour fon dge, fe diftingua dans ce deruier jeu, ou 1'on peut montrer de 1'agilité en furpaflant les autres a la courfe; de 1'adrefie en donnant le change a 1'ennemi; de la bonne foi ou de Ia délicateffe, en fe condamnant foi-même dans les cas douteux; enfin, de la valeur & de la générofité, en expofant fa liberté pour délivrer les prifonniers de fon parti. II ne manqua è ce beau jour qu'une veillée; mais Madame de Clémire en promit une pour le lendemain ; &lon convint en fe couchant qu'on fe leveroit avec 1'aurore, afin d'aller faire tou» («) Danfe villageoife de Bourgogne. A iij  6 Les failliet enfemble uné longue promenade dans les cbamps. En effet, aux premiers rayons du iour on vint éveiller les enfants. Un quartd'heure après, Madame de Clémire les envoya chercher, & 1'on fortit auffi-tót du Chateau , fuivis feulement du fidele Morel. Au bout d'une heure de promenade, les enfants s'arjpercurent qu'ils n'avoient point déieüné. Ón étoit a trois quarts de lieue du Chateau, la faim étoit preflante; on fe décida a chercher une chaumiere oü 1 on pat trouver du lait. Morel en enfeigne une, &l'on fuit avec autant d'empreffement que degaieté le chemin qu'il indique. Enlm,au bout d'une demi-heure, on arrivé a la chaumiere, oü 1'on eft lurpns de trouver un grand tumulte, beaucoup de gaieté, ei une nombreufe aflemblée de payfans, tous en habits de fête, & avec des hvrées de ttoces. Le Vigneron poffeffeur de la cabanne, avoit marié fa fille le matin meme; U revenoit de 1'Eglife, & 1'on préparoit le repas de noce. Madame de Clémire avec fes enfants pafla dans le jardin. On s affit fiir 1'herbe, & un moment après, la nouvelle mariée vint apporter du lait excellent &du pain bis. Caroline, autorifée par un figne cl'approbation de fa mere, détacha une grande croix d'or qu'elle portoit, SdapaHa au cou de la jeune payfanne, tandis que cette derniere fe penchoit vers elle pour lui préfenter une jatte remplie de crème. La nouvelle mariée rougit, &en regardant Madame de Clémire fe défeudit d'accepter ce  du Chateau. 7 préfent; mais Madame de Clémire prenant la parole :Manette, dit-elle, n'affligez pas Caroline , en rein fan t cett£ bagatelle, & ailez dire a votre pere que j Invite toute la noce a venir diner dimanche au Chateau avec nous. Manette , charmée de cette propofition-, & fur-tout impatiente d'aller montrer a 1'aflemblée fa croix d'or, partit fur le champ en courant, & fans fonger a remercier Caroline. Ellerevint bientótavec fon pere; & après avoir fait beaucoup de remerciements, run & l'autre retourneren! dans la cabane. Maman, dit alors Caroline , je fuis comme vous, j'aime les paylans ala folie. Comme Manette eft gentille! Qu'elle a 1'air dotix! Qu'elle eft jolie quand elle rougit! Et puis, elle donne de fi bon lait! Et du pain!... Quel plaifir vous avez fait a ces bonnes gens, en les priant de venir dimanche au Chateau! Je fuis füre qu'üs fe féliciteront long-temps du hafard qui nous a conduits dans leurchaumiere... Cette petite aventure, reprit Madame de Clémire , me rappelle un trait que j'ai lu dans 1'hiftoire de Ruffie... Ah! Maman, contez-nous ce trait. — De tout mon cceur; le voici : Le Czar Iwan («) fe déguifoit quelquefois afin d'apprendre d'une maniere certaine (a) Vers 1'an 1550. On a pris ce trait dans un Ouvrage qui a pour titre : Fafles de Polognc & de RuJJïe, tome a, page 40. A iv  8 les Veillèes ce que le peuple penfoit de fon gouvernement. Un jour qu'il fe promenoit feul aus environs de Mofcou, il entra dans un village; & feigïMif d'être excédé de fatigue, il y demanda 1'hofpitalité : il avoit des habits déchirés, tout en lui annoncoit la mifere; & ce qui auroit dü exciter la compaffion, &fur-tout engager a le recevoir, ne lui attira que des refus. Plein d'indignation de la dureté de ces méchants habitants, il alloit quitter ce village, lorfqu'il s'appcrcut qu'il y avoit unemaifon a laquelle ilne s'étoit point adreffé. C'étoit la chaumiere la plus pauvre & la plus petite du village». L'Empereur s'en approche, & frappe douceinent a la porte; au même inftant un payfan arrivé, & demande a 1'étr.anger ce qu'il defire. Je meurs de laffitude & de faim, répond le Czar; pouvez-vous me recueillir pour cette nuit? Hélas, dit le payfan, en le prenant par la main, vous ferezbien mal, vous me trouvez dans un grand embarras» Ma femme eft dans les douleurs del'enfantement, fescris vous empêcheront deprendre du repos; mais venez; du moins vous ne foufFrirez pas du froid, & nous partageronsnotrefouper avec vous. En achevant ces mots, le payfan fait entrer le Czar dans une petite chambre reinplie d^enfants. Un möme berceau en contenoit deux qui dormoient profondément. Une petite fille de troisans, couchée fur une natte auprèsde fes freres, dormoit auffi, tandis que fes deux fceurs atnées, 1'une agée de fix ans,  du Chateau. ont de la grace & de 1'efprit, & on les repréfeute toumant toutes les tètes, & gagnant les coeurs des jeunes perfbnnas les plus elhmables. — ilais cela eft impollible. -- Om , aflurémentj de telles peintures font, graces au  du Chateau. 27 Ciel, abfolument chimériques. Le monde n'eft point encore aflez corrompu, nonfeulement pour trouver de Fagrément & des graces a celui qui afficheroit avec taut de grofïiereté un femblable mépris des bienféances; mais eet excès de fottife & de perverlité n'y feroit pas toléré par les gens les moins délicats. — Mais oü les Auteurs de ces livres ont-ils donc pris des idéés li fauffes? — Je vous 1'apprendrai un jour; préfentement vous ne comprendriez point 1'cxplication que je pourrois vous donner. J'ai faitun petit conté pour votre jeunefle, il apour titre: Les deux Rèputations. Vous y. trouverez la réponfe h votre queftion. — Notre jeunelle n'arrivera pas de fitót! Maman , a quel dge commencerat-je a être une jeune perfonne'? - A quatorze ou quinzc ans, fi d'ici-la vous vous conduifez bien. — Si je me conduis bien! Oh, j'entends cela; pour devenir jeune, il faut devenir railonnable : cela fait peur... —Oui, car, par excmplc, il faut ceder d'êtr'e étourdiè & curieufe. — Les deux Rèputations.'VoiJ.ï un dróle de titre. Maman, fi je n'étois plus curieufe a douze ans, le lirois-je alors ? — Non, paree que votre efprit ne feroit point afl'ez formé pour 1'entendre. — Maman, dans ce Conté vous critiquez les ouvrages qui peignent fi mal le monde? — Devinez fi je dois les critiquer; & fongez qu'il faut toujours fe refufer une critique qui ne tomberoit que fur des chofes frivoles. Aiufi coafidérez d'abord, d'après B ij  2g Les VellUes ce que je vous ai dit de ces ouvrages, s'ils peuvent ou non être dangereux. — Premiérement , je vois qu'ils ont été tresdangereux pour M. de Luzanne, qui a cru que tout cela étoit vrai, & qui, afin de palier pour un homme a la mode, &; pour tourne les têtes, imite le langage des/oiis coureurs de toilettes. — D'ailleurs, outre 1'inconvénient de prcndre un mauvais ton & des manieres ridicules, il réfulte encore de cette lecture un plus grand mal; c'eft, comme nous 1'avons déja dit, de fe xepréfenter le monde infiniment plus corxompu qu'il ne 1'elt en effet; c'eft enfin de croire (ce qui n'a jamais exifté ) que le vice puiffe plaire fans aucun déguifement, & qu'une dépravation effrontée & groiliere puiffe s'allier avec les graces, & féduire lamultitude, & des coeurs innocents & vertueux. — Allons, je vois, maman , que vous avez critiqué. — D'autant mieux qu'il y a dans ces ouvrages des fcenes bien plus choquantes que celles dont je vous ai parlé : vous en verrez quelques détails dans mon Conté. — Oh ! que je voudrois voir ces fcenes plus choquantes Chere maman , dites-nous-en quelques petites chofes ? — Vous ne pourriez être frappé de Pexcès d'invraifemblance. — Ah, pardonnez-moi; car déja tout ce qui n'eft pas vraifemblance m'amufe... —Ce n'eft point-la du tout la difpofition que je vous defire pour lire mon Conté. — Allons, il faudra donc auendre: mais fürement, ma.  du Chdttau. st> man, vous n'avez point parlé de ces expredions qui avoient frappé mon frere, . puifque vous avez trouvé fes ohfervations fninutieufes. — Je fuis forcée d'en parler, pour déraontrer que ce prétendu tableau du monde eft idéal : ne faut-il pas prouver que les Auteurs de ces ouvrages n'ont pas connu le monde; & le puis-je mieux. qu'en prouvant qu'ils en ignorent abfolument le ton & les ufages ? — Cela eft vrai: ainfi dans ce Conté vous nous défendrez de lire tous ces Ouvrages ? — Tous, non; je ne Pécris au contraire qu'afin que vous puifïiez en lire plufieurs , non-feulement fans danger, mais avec fruit. — Quoi, il y en a de bons? — Vous en lirez beaucoup auxquels on ne peut reprocher que le défaut dont nous venons de parler; d'ailleurs, vous y trouverez une fenfibilité touchante, des principes excellents, des idéés ingénieufes , des tableaiix raviffants , & ,prefque toujours un dialogue rempli d'cfprit , de finelfe & de naturel. Quel dommage que 1'Auteur, avec un mérite fi fupérieur, n'ait peint le monde que d'après quelques ouvrages qu'il étoit plus qu'un autre en droit de méprifer ! En ne confultant que fon coeur & fa raifon, il eüt bien davantage approché de la vérité. A préfent, continua Madame de Clémire , parions de Madame de Luzanne & de Sidonie. Comment les trouvez-vous? — Maman , je trouve Madame de Luzanne très-aimabie, & fa fille me parolt charmanB iij  gd Les Veillèes te, — Vous avez ralfon ; elles fon obligeantes, réfervées, naturelles, & voila de quoi plaire a tout le monde & dans tous les pays. — J'ai caufé tout bas avec Mademoifelle de Luzanne; elle ine répondoit avec une complaifance, un air fi doux! Que feroit-elle donc , fi elle avoit une bonne éducation? — Mais, je vous prie, qu'appellez-vous une bonne éducation ? —Maman ,. .. c'eft la nótre. — Je vous remercie du compliment; cepenilant ce n'eft pas un éloge que je vous demande, c'eft une ddfinition. — Üne bonne éducation... C'eft d'avoir bien des talents... Mademoifelle de Luzanne, a ce qu'elle m'a dit, ne fait ni la mufique, ni le deffin ; elle n'a jamais eu de maitre a danler... —Vous rappellez-vous d'avoir entendu parler d'une chanteufe del'Opéra, nommée Mademoifelle Flore? — Oui,'maman. Cette perfionne que ma tante ne voulut pas avoir 4 la fête qu'elle vous donna? — Juftement. Et cette ariette qui fut fi mal exécutée, auroit été cbantée a merveille par Madedemoifelle Flore? — Oui; mais Mademoifelle Flore n'eft pas une perfonne honnète. -'— Cependant , Mademoifelle Flore chante fupérïeurement, elle danfe bien , elle joue de plufieurs inftruments; elle a bien des talents : ainfi, fuivant votre défi nition, elle a recu une éducation parfaite. --- Oh! certainement non, puifqu'elle n'eft pas honnête. — Vous fentez donc i préfent qu'une éducation qui n'eft que  du Chdtenii. 31 briüante n'eft pas une bonne éducation ? — Afiurément, maman. — Ne vous aije pas mille fois répété de ne jamais attacher un grand prix aux chofes qui ne font pas véritablement importantes? On trouve dans les talents mille relfources charmantes : plus on en polléde, plus on a d'agréments, de graces & de moyeus de plaire aux autres, & de fe fuffire a foi-même; mais les graces, les agréments peuvent fans les vertus nous rendre heureux? — Non furement, dit Céfar, puifque pour être heureux, il faut être eüimé, aimé... La danfe , le dclTin , la mufique ne peuvent ni nous rendre eftimables, ni nous faire aimer. — Ce nefont donc que des agréments frivoles? — Mais cependantinfiniment moins frivoles que la beauté & les charmes extérieurs , paree qu'outre 1'amufement inépuifable qu'ils nous procurent, il en cotUe de la peine pour les acqu 'rir; & 1'on fuppofe avec rajfon qu'une jeune psrfonne qui a beaucoup de talents, a dü être docile, & capable d'application & de perfévérance; & fous ce point de vue, les fimples talents agréables méritent fans doute un certain degré d'eftime. — Et 1'inllruction, maman ? — Tout ce qui peut éclairer Pefprit, étendre les idéés, doit perfectionner notre raifon, & nous rendre meilleurs : avoir beaucoup lu, favoir la Gécgraphie & plufieurs Langues, la Géométrie, &c. , toutcs ces connoifl'ances doivent éclaircr 1'efpnt; par conféquent, 1'é- B iv  Si Les VeilUet rudition & les fciences ne font donc pag des chofes frivoles ? — Certainement, puifqu'elles peuvent contribuer a nous rendre plus eftimables. Auffi elles font bien audeflus des talents qui ne font qit'agréailes? — Cela n'eft pas douteux; il n'y a même que les qualités du coeur qu'ön doive leur préférer. Maintenant, dites-moi, fi vous rencontriez une jeune perfonne fans talents, ne fachant aucune langue étrangere, n'ayant les éléments d'aucune fcience, mais aimant 2a lecture & 1'ouvrage, n'étant jamais oifive, d'ailleurs modelte, bonne, égale, toujours obligeante, naturelle & rélervée, fe défiant d'elle-même, defirant, cherchant des confeils; enfin, joignant la prudence & la difcrétion a la franchife. Répondez, Pulchérie, diriez-vous que cette jeune perfonne n'a pas regu une bonne éducation?: — Ah, maman ! j'ai eu tort. Si Mademoifelle de Luzanne, comme je le crois, eft tout cela, je vous aiTure que je penfe bien a préfent que fon éducation a été excellente. — Oui, puifque le vrai but que doit avoir un Inftituteur, 1'objet principal qui doit 1'occuper, c'eft de réprimerles défauts de fon éleve, & de perfectionner fon ca» raclere. S'il le rendbon, vertueux, fociable, il a dignement rempli fon noble emploi. — Oh! je fens cela; mais, maman » fiTéleve, avec des vertus & de la bonté, pouvoit encore avoir des talents & de 1'inftruclaon, 1'éducation alors feroit parfaite s.  1 du Chateau. 33 & cela eft très-poffibleV-— Oui affiirément; je m'en flatte, & j'efpere qu'un jour vous en fercz la preuve : d'ailleurs, je pourrois vous citer plufieurs jeunes perfonnes qui réuniffent aux qualités du coeur, a celles de 1'efprit, & de l'inftruftion , & des talents agréables ; fans compter Delphine, Eglan~ tine, & cette aimable Eugénie, — - Ah, maman ! je n'oublierai de ma vie cette converfation. Je me fouviendrai toujours qu'il ne faut attacher une grande importance qu'aux chofes effentiellés , & je ne confondrai plus les éducations qui ne font que brillantes avec les bonnes éducations, c'efta-dire, avec celles qui rendent bon cjP vertueux. — Tout ceci doit encore vous apprendre qu'une mere tendre, dans le fond d'une Province, fans fortune & fans le fecours d'aucun maitre, peut, avec de laraifon & de la vigilance, donner a fa fille une excellente éducation. II ne lui faut pour cela que de rafreétion, de la patience, & une petite bibliotheque bien choifie. Le foir même de cette converfation, Céfar & fes foeurs, a fouper, fe permirent quelques plaifanteries fur M. de Luzanne. Madame de Clémire leur fit a ce fujet une févere réprimande. Eh quoi! leur dit-elle, je croyois avoir re^u de vous une grande preuve de confiance , & je vois que ce que j'attribuois a votre tendreffe pour moi,n'étoit que 1'effet de votre malignité... — O Ciel, maman ! — II eft naturel, il eft néecflaire de confulter fa mere, de lui faire B v  34 Les Veillies part de fes opinions, des impreffions que 1'on recoit, afin d'apprendre fi 1'on voit bien, ou li 1'on juge mal : ainfi je trouve très-limple que vous me difiez avec franchilé ce que vous penfez desperfonnes qui viennent ici, pourvu que vos obfervations ne roulent point fur des minuties; mais li dans la converfation on dit une chofe qui vous paroiffe blefler lesbienféances, je vous autoriferai toujours a me faire part de vos remarques. Cette liberté avec moi ne fera que de la confiance; mais quand vous vous la permettrez avec les autres, elle ne fera plus que de 1'indifcrétion ou de la médiiance... — Ah, ma chere maman ! nous avons eu tort... — Un tort bien grave... La médifance, ce vice odieux, elt, lur-tout dans la jeuneffe, aufli ridicule, auffi révoltante, qu'haïlfable : non-feulement a votre 3ge, mais a dix-huit ans, a vingt ans, efton en état de juger, de décider,& lorfqu'il s'agit de condamner? A eet age, on n'a point encore de réputation établie. Comment obtiendra-t-on Teftime générale, fi 1'on montre de la légéreté, de 1'indifcrétion, de la malignité? Quand on eft fans expérience, quel befoin n'a-t-on pas del'indulgence des autres? & qui pourroit en avoir pour une jeune perfonne inconfidérée & méchante? En fe livrant a la médifance, elle perd toutes les graces touchantes de fon age , & elle prouve qu'elle manque également de difcemement, d'efprit & de principes.  du Chateau. 35 Cette lecon fit d'autantplus d'imprefiion fur Céfar «Sc fes fceurs, que Madame de Clémire la termiua, en déclarant que cette fante retarderoit la reprïj'e des Feillèes... — Et de combien, maman, s'écria-t-on douloureufement. — Je vais, réponditMadame de Clémire, travailler au Conté merveilleux que je vous ai promis... — Et quand il fera fait, nous n'aurons pas les Veillées?... — Non; nous ne les reprendrons que quinze jours après... — Ah, quel long retard! — C'eft fur la faute qui le caufe, qu'il faut gémir; car vous faves bien que des murmures prolongeroient encore la pénitence. — Oh , chere maman! pourrions-nous murmurer? Nous fentons bien que vous étes la juïtice même; & c'eft fur-tout le repentir qui nous afflige tant. Ici quelques larmes coulerent; latendrefle maternelle les effuya, & les douces carellés d'une fi bonne mere confolerent d'une punition fi fenfible. Cependant, Madame de Clémire fe mit a travailler au petit Ouvrage qu'elle avoit promis; & le 15 de Juin , elle annoncaque fon Conté étoit achevé & copié. La joie fut extréme; cependant on foupira , en penlant qu'il faudroitencoreattendre quinze jours avant d'en entendre la lecture; mais les plailirs fi charmants, fi variés de la plus agréable de toutes les faifons, rendirent cette privation moins pénible qu'elle ne Peut été dans les longues foirées de 1'hyver. Les cerifes commencoient a rougir, B vj  36 Les Veilïèes & déja dans les bois on pouvoit cueillfr des fraifes. Céfar apprenoit d'Auguftin a grimper fur les arbres; il en rapportoitfouvenc en triomphe des petits nids remplis dechardonnerets, ou de pincons nouvellement éclos. Heureufe celle delésfoaursalaquelle ce don charmant étoit deftiné! Quelle joie pure! Quelle reconnoiffance il devoit exciter! Cependant. en lerecevant, on s'at» tendriffoit fur le fort de lapauvre mereprivée de fes petits ; mais on gardoit les nids& 1'on achetoit des cages... Enfin , on s'a= mufoit a faire de jolis paniers d'oller, & des corbeilles de jonc, qui devoient contenir toutes les fleurs des champs & toutes les fraifes des bois. Ces divers amufements ne faifoient pas négliger la culture du jardin ; les jonquiiles & les eeillets avoient remplacé les jacinthes. Les lilas n'olfroient plus de fleurs; mais comment les regretter! On voyoit naitre les rofes. Un matin, que Madame de Clémire fe promenoit avec 1'Abbé &fa petite familie, auprès du jardin de fes enfants, Pulchérie demanda la permidion d'aller faire une vifite a fes rafters. Au même inftant elle part en courant, elle entre dans le jardin, & elle y trouve la plus charmante rofe entiérement épanouie : elle veut la cueillïr pour roffrir a fa mere; mais elle n'a ni couteau ni cifeaux. La tige eft grofie & couverte de longs piquants, & Pulchérie n'a pas plus d'induftrie que de force : elle imagine d'envelopper fa main dans un pan de fon four-  du Chdteau. 2? reau; & croyant qu'une toile nrince & légere , doit la garantir des épines, elle faifit hardiment la tige. Auffi-tót elle pouffe un cri percant, retire avec précipitation fes doigts enfanglantés, &donne au rofierune fecoufle fi violente, que la belle rolë en perd la moitié de fes feuilles. A cette vue Pulchérie ne peut retenir fes pleurs. Malgré fa douleur , elle s'occupe toujours de 1'arbufte cfiéri; elle craint que le fang quï dégoutte de fes doigts ne ternifle la fratcheur du feuillage : elle écarté fa main; mais elle trouve quelque douceur a laifTer couler fes larmes fur la rofe a demi-effcuillée. Dans ce moment, Madame de Clémire, prlle & tremblante , entre précipitamment dans le jardin : 1'Abbé & fes deux autres enfants la fuivoient. Elle avoit entendu le cri de fa fille, & elle accouroit pleine d'effroi. Pulchérie en voyant fa mere, futhonteufe de fa foibleiTe, & courut fe jetter dans fes bras. Après avoir conté fon aventure : Maman , ajouta-t-elle, c'étoit Ia plus belle de toutes mes rofes, & je vous la deftinois! — Ainfi une ridicule délicatefle n'a point été la caufe de ce cri terrible qui m'a fait tant de peur. — Maman,... je ne crois pas avoir crié bien fort. — II me femble que je n'ai jamais entendu de cri lipénétrant... — C'eft paree que vous avez reconnu le fon de la voix... Ah, chere maman, vous pouvez a peine encore vous tenir fur vos jambes; afleyons-nous... — Enfin, j'en  38 Les Veillies fuis charmée; vous ne pleuriez que pour "la perte de votre rofe, de cette rofe que Vous vouliezme donner. Celaeft aimable... — Maman... — Qu'avez - vous, mon enfant ? Pourquoi eet air embarrafl'éV —Maman... c'eft que je pleurois un peu auffi de Ia piquure... Cet aveu naïf valut a Pulchérie les plus tendres careflés & les plus doux éloges. Ah, mon enfant! s'écria Madame de Clémire, conferve cette candeur & cette générofité! fois toujours vraie , &ne fouffre jamais une louange qui ne feroit foudée que fur une erreur. II y a de la baffeiTe & de 1'ijijuftice a jouir de I'approbation des autres, quand on ne la mérite pas. C'eft a la fois une ufurpation & unelacheté. Une belle ame elt heureufe par Ie bien qu'elle a fait, & non par 1'applaudiflement qu'elle recoit. II eft certain,' dit 1'Abbé, que Mademoifelle Pulchérie eft naturellement d'une franchife qu'on ne fauroit trop louer. II feroit bien a defirer qu'elle fut auffi courageufe qu'elle eft fincere. Heureufement, répondit Pulchérie, que le courage n'elt pas une qualité néceflaire dans une femme. II eft vrai, reprit 1'Abbé, qu'une femme n'ayant pas la force d'un homme, ne peut en avoir Ia bravoure; elle n'eft faite ni pour fe fervir d'une épée, ni pour commander des armées : auffi peut-elle, fans fe déshonorer, manquer de courage. Cependant, fi elle en eft abfolument dépourvue, elle elt fort a plaindre, tScen möme-tejnps elle n'eft pas  du Chateau. 39 parfaitement eftimable. On n'exige point d'elle un courage héroïque, mais 011 ne lui pardonne pas de la pufillanimité ; carla 1ÏU cheté n'eft jamais excuiable. D'ailleurs, ajouta Madame de Clémire, fi vous pleurez pour une piquure , que fcriez-vous donc fi Ton vous arrachoit une dent? Comment fupporteriez - vous une infinité d'autres maux néceflaircment attachés a la condition humaine, tels qu'un violent mal de tête, une colique, une attaque ne nerfs?... — Maman, je voudrois bien devenir courageulé. — II ne tient qu'a vous. —Comment? — Imitez votre frere, apprenez a fouffffr fans vous plaindre : voila tout le fecret Mais cela eft bien difficile. — Point du tout: avec un peu d'empire fur vous-méme, & quelques réflexions, vous en viendrez a bout fort aifément. En fe plaignant, on s'exagere fes maux, on les augmente : enfefailant la violence de n'en point parler, on s'eu diftrair. Par exemple , 1'autre jour , a la promenade, vous aviez foif: h quoi vous a fervi de répéter cent fois : Que f ai foif.' Mon Dieu, que fat foif! Je meurt de foif. Vous étiez fort importune, vous nous avez excédés, vous n'avez pris aucune part a Ia converfation, & tous vos ennuyeux gémiflements ne vous ont pas procuré une goutte d'eau. — Cela eft bien vrai : j'ai la une mauvaife habitude; ce qui m'en fücbe le plus, c'eft de vous avoir ennuyée, ma chereMaman. Pour moi, fi je vous voyois foiiffrir, cene feroit pas de Fennui que j'é*  4© Les VeUUes prouverois. ■— Vous ne pouvez avoir une fouffrance imaginaire ou réelle, que je ne Ia partage, paree que je fuis votre mere : ainfi, vos plaintes m'ennuyoient cc m'affligeoient; mais fi vous n'eufliez pas été ma fille, elles ne m'auroientinfpiré que du mépris; car en général on ne plaint les maux légers, que lorfqu'ils font fupportés avec patience. — Ma chere maman, je me corrigerai, je vous le promets. Cinq ou fix jours après eet entretien, Ia pénitence de Pulchérie étant linie, Madame de Clémire promit de lire a la veillée Je conté qu'elle avoit compofé. Après Ie fouper, on paffa précipitamment dans le fallon, & Madame de Clémire s'afieyant a cóté d'une petite table, tira fon manufcrit de fa poche. Avant de commencer la lecture, dit elle, je dois vous rappeller que j'ai pris 1'engagement de ne vous conter que des chofes extraordinaires, & en mémetemps poffibles; des événements qui vous parottront incroyables, & qui, cependant, ou font arrivés, ou peuvent arriver : en un mot, des phénomenes dont Pexiftence actuelle ou paffée, foit parfaitement conftatée. Je n'ai inventé dans eet ouvrage que les aventures, c'eft-a-dire, la feule partie du conté qui pourra vous paroitre croyable. Mais tout ce qui vous femblera merveilleux, tout ce qui vous rappellera les contes de Fées , eft exactement vrai & naturel. ~ Oh, que cela eft charmant!... Des vèrités incroyables; ce!a elt bien plus joli que des  «7» Chateau. 43 vérités qui fautent aux yeux!...— Comment , maman, il faudra continuellement croire ce que nous ne pourrons pas comprendre? —Mon fils, n'enfoyez point humilié : c'eft le deltin commun, & de Tenfance, & de 1'homme raifonnable & curieux. Nos lumieres font trop bornées pour que nous puiffions comprendre toutes les vérités qui font démontrées. II feroit abfurde de croire un fait, uniquement paree qu'il feroit merveilleux : il feroit infenfé d'affirmer qu'une chofe ne peut exilter, paree qu'au premier abord elle parort incompréhenfible. Gardons-nous d'adopter des erreurs; mais ne nous livrons point a eette vaine & ridicule préfomption qui rejette avec dédain, & fans examen, tout ce que notre foible raifon ne peut concevoir. — Maman, tout le merveilleux de votre conté eft bien conftaté; ainfi, nous pouvons y croire aveuglément : voila tout ce qu'il me faut. — Et moi, je voudrois le comprendre; maman, me 1'expliquerez-vous? — Oui, je vous en expliquerai ce que j'en fais, c'eft-a-dire, très-peu de chofe. Je ne fuis nullement favante; d'ailleurs, je vous le répete, il exifte une infinité de phénomenes dont les hommes les plus favants ne pourroient donner de raifons. — Ainfi, maman , a chaque fait merveilleux, vous interromprez donc votre récit pour nous donner une explication? — Point du tout; vous fentez que cesinterruptions óteroient tout 1'agrément de mon conté. J'ai fait dss  42 Les Veillêes notes, que nous lirons avec attention dans une feconde lecture de ce petit ouvrage. A préfent, voulez-vous m'entendre? je vais commencer. — Ah , volontiers, chere maman ! A ces mots, chacun rapprocha fa chaife de Madame de Clémire, qui, reprenant fon manufcrit, lut tout haut le Conté fuivant. Alphonsf. &. Dalinde , ou la Féerie de F Art & de la Nature, conté mor al. „ Ce n'eft point en fe promenant dans nos campagnes cultivées , ni même en parcourant t, toutes les terres du domaine de 1'homme, que T 1'on peut coniioitre les grands effets des v.i„ rictés de la nature ; c'eft en fe tranfportant des „ fables brülants de la Torride aux glacieres des >i pöles , &c ". Af. p£ Burroiï. Alphonfe, le héros de mon hiftoire, naquit en Portugal. Dom Ramire, fon pere, ne devoit qu'a la faveur, & fes riclielfes & fes emplois. IiTu d'une familie obfcure, mais né avec de la fouplelfe dans le caraclere, le goüt de 1'intrigue & de 1'ambition, il fut s'introduire a la Cour, s'y faire des partifans, y former une cabale, & devenir enfin le favori de fon Roi. Le jeune Alphonfe fut élevé a Lisbonne, dans le palais fomptueux de fon pere. Fils unique de 1'homme le plus riche & le plus puhTant du Royaume, la flatterie, la vile adulation entourererent fon berceau , &  du Chdttau. 43 corrompirent fa première jeuneflc. Dom Ramire, occupé de grands projets & de petites brigues, ne pouvant être a Ia fois courtifan affidu & pere vtgilant , fe crut obligd de confier entiérement a des mains étrangeres 1'éducation de fon fils. Alphonfe eut des maitres de langues, d'hiftoire, de géographie, de mathématiques, de mufique, de deffin; tous firent 1'éloge de fes difpofitions merveilleufes, de fon efprit, de fon génie; cependant Alphonfe n'apprit qu'a deffiner des fleurs & a jouer quelques airs de guitarre. C'en étoit affez pour charmer toutes les Dames de la Cour ; d'autant mieux qu'Alphonfe d'ailleurs leur faifoit entendre qu'il étoit profond géometre, excellent phyficien & grand chymifte. II le dilbit de bonne foi. Son gouverneur, fes maitres , fes valets , & les nombreux complaifants de fon pere hij avoient fi fouveut répété qu'il étoit un prodige, qu'il n'en doutoit pas. Non-feulement il fe croyoit le jeune homme le plus diftingué de la Cour par fes talents, fa figure & fon inftruftion; mais il penfoit encore que fa naiffance étoit auffi illuftre que fa fortune étoit confidérable; car depuis fa faveur, Dom Ramire, dans fes moments perdus, avoit compofé.une fuperbe généalogie qui faifoit remonter fon origine jufqu'aux temps fabuleux de Lujus (a). Ce fruit des loifirs de Dom Ra- fa) Les Portugais s'appellóiem anciennement  44 Le Peiltiet ffliren'en impofoit qu'a fon fils. Le monde & les courtifans ne croyent pas aifément aux vieux tittes qu'on ne retrouve que lorfqu'on a fait fortune. Mais Alphonfe trop vain pour n'étre pas crédule i eet égard, ne voyoit au-deflus de fon pere & de lui que fon Souverain & les Princes de la Familie royale. Enfin, Alphonfe enivré d'orgueil, plein d'ignorance, de préfomption «Sc de fatuité , gaté par le falte , Ia flatterie, la faveur, Alphonfe n'étoit pas eorrompu fans reflburce. II avoit du courage, un coeur fenfible «Sc de Pefprit. L'inconltancede la fortune lui préparoit laplus wile de toutes les lecons. Dom Ramire n'avoit du fon élévation qu'al'intrigue; une nouvelle intrigue changea fa deftinée. II fut difgracié & dépouillé de tous fes emplois. Alphonfe étoit alors igé de dix-fept ans. Cette révolution imprévue , non-feulement ravifioit a Dom Ramire tout ce qui pouvoit flatter fon orgueil, mais elle lui enlevoit encore la plus grande partie de fes richeffes; & il étoit du nombre de ces ambitieux fubalternes, qui regrettent également & les honneurs & les penfions. D'ailleurs, il avoit des dettes. Sa difgrace rendit fes créanciers aufli importuns «Sc auffi preflants qu'ils Lufitains, nom, qui, fuivant une tradition fabuleufe, leur vient de Lufus ou Lyfas, 1'un de leur» Rois, fils ou compagnon de Bacchns,  du Chdteau. 4$ avoient été jufqu'alors patients & modérés. II falltit, pour les fatisfaire, vendre fes terres, & les vendre fort au-deflbus de leur valeur. Enfin , Dom Ramire ne fauva de toute fa fortune «pie fon fuperbe palais de Lisbonne. II eft vrai que ce palais contenoit encore d'immenfes richeffes en tableaux , en meublcs, en argenterie, & fur-tout en diamants. Dom Ramire, obligéde fe défaire de cette magnifique habitation , n'attendoit qu'une occafion favorable, lorfqu'un événement terrible vint uiettre le comble a fes malheurs. 11 n'avoit point encore déclaré a fon fils que Pétat de fes affaires le forcoit a vendre fon palais , & a fe retirer dans le fond d'une Province. II fe décida enfin a lui parler avec vérité fur fa fituation , & 1'envoya chercher un matin pour lui ouvrir Ion coeur. Lorfqu'ils furent feuls : Alphonfe, dit Dom Ramire , apprenez-moi Peffet qu'a produit fur vous & ma difgrace, & le renverfement de ma fortune? Mon pere, répondit Alphonfe, j'ai toujours entendu dire durant votre faveur que nul miniftere n'avoit été aufli glorieux que le vótre, que la nation vous admiroit & vous chériffoit; ainfi, j'ai penfé que 1'amour des peuples & la gloire devoient vous confolër d'une injufte difgrace. D'ailleurs , nous avions tant d'amis! Quand vous voudrez les recevoir, ils reviendront tous, n'en doutez pas. Nugn.es, Dom Alvar, «Sc beaucoup  46 Les Ve'illèes d'autfes que j'ai rencontrés, me 1'ont protefté; ils m'ont dit même que plufieurs d'entre'eux n'ont paru s'éloigner de vous qu'afin de vous mieux 1'ervir en fecret. Enfin , il. vous refte une fortune immenfe, Ia nailfance Ia plus illuflre; .quoi que 1'envie puiffe tramer, vous ferez toujours le plus grand Seigneur du Royaume.. .. Alphonfe., interrompit Dom Ramire, vous vous abufez... Eh, quoi donc, ignorezvous que le nom de mon pere étoit ablblument inconnu ? Non , reprit Alphonfe, je le fais,- mais je fais aulli que ces vieux titres que vous avez retrouvés depuis quelques années, nous égalent a tout ce qu'il y a de plus grand en Portugal : vous-mfijne, mon pere, avez daigncz me le dire en me le montrant, ces titres précieuxque contient une caffette renfe.rméc dans votre cabinet. A ces mots, Dom Ramire foupïra. II avoit eu en effct la ridicule vanité d'acheter une généalogie, & il n'avoit fenti que depuis fa difgrace combien cette indigne furpercherie eft méprifable & fuperflue. II voyoit enfin ce qne la flatterie jufqu'alors avoit fu lui cacher; c'eft, qu'excepté fon fils, tout le monde connoiflbit fa naiflance , ec fe moquoit de fes folies prétentionsa eet égard. II auroit bien voulu défabufer Alphonfe; mais il ne pouvoit fe réfoudre a faire 1'ave'ii d'un menfnnge fi bas. Dans cette perpkxité, il gardoit triftement le filencc, lorfque tout-a-coup il trciTaüle & voit Alphonfe chanceler. Dora  du Chateau. 47 Ramire palit & fe leve : Sauvez-vous, mon pere, s'dcrie Alphonfe; appuyez-vous fur mon bras: venez... En achevant ces mots, il entraine impétueufement fon pere. Au mêmeinftant, ils entendent mille cris confus, ils fe précipitent vers 1'efcalier; une partie duplanchers'entr'ouvre fous les pas d'Alphonfe; pourne pas entrainer fon pere dans fa chüte, il abandonne fon bras, & tombant avec les débris du mur qui s'dcroule, il difparolt aux yeux de Dom Ramire éperdu. Alphonfe, légérement bleffd, fe releve; il fe trouve au rez-de-chaufl'ée dans le cabinet de fon pere. Au milieu des ddcombres qui 1'euvironnent, deux caffettes frappent fes regards. L'une contient toutes les pierredes de fon pere; 1'autre renferme ces titres gdndalogiques li vantds jadis par Dom Ramire. Alphonfe n'hdlite pas; voulant du moins dans ce ddfallre horrible, fauver ce qui lui paroit le plus prdcieux, il faifit la caflétte oü font les papiers. Alors il s'élancc vers la porte , il entre dans le jardin; mais inquiet du deftin de fon pere, il alloit, au pdril de fa vie, rcntrer dans la maifon, lorfqu'il entendit fa voix, & un inftant après , il 1'appercut & 1'autre bout du jardin. Ce ne fut pas fans peine qu'il le rejoignit. Le terrein qu'il parcourt , femblable a la mer agitée par une violente tempetc, s'enfonce ou s'dleve fous fes pas. Son oreille eft frappée d'un bxuit fouterrain parcil au mngiffement des-  48 Les Peillêes vagues en furie fe brifant contre des rochers. Alphonfe chancelle, tombe, fe releve , retombe encore , & ne pouvant fe foutenir fur fes jambes, rampe, roule «Sc fe traine avec effort. II voit de tous cótés la terre fe fendre «Sc formerde long fillons, d'ou s'élance avec rapidité des feux éteincelants & des Hammes fubtiles qui s'élevent & s'évanouifl'ent dans les airs. Le ciel eft obfcurci, des éclairs pilles & livides percent les fombres nuages qui le couvrent , le tonnerre gronde, dclate ; Alphonfe voit fur fa tête la foudre menacante , & 1'enfer entre-ouvert fous fes pas. Souvent, lorfqu'il croit approcher de fon pere, une nouvelle fecouife Pen éloigne; la fueur inonde fon vifage; fes cheveux nr<£e par le traité dé Lisbonne en 166$»  •86" Les PeUUes pere, dit-il, eut autrefois une fortune immenfe; maintenant , n'ayant plus que le néceffaire , il vit en Philofophe fur les bords tranquilles du Mondégo : il a approuvé le defir que j'avois de voyager, efpérant qu'avec 1'éducation qu'il m'a donnée, je pourrois peut-être, en me faifant connoltre, acquérir quelque gloire, &... — Quel rlge avez-vous ? Et quels étoient vos projets en quittant votre pere?... — Je favois que vous étiez en Efpagne, j'appris que vous deviez palfer en Afrique ; je me flattai que vous daigneriez me permettre de vous fuivre dans vos voyages... — Vous ne vous êtes pas trompé; je dois parcourir toutes les parties du monde; fi vous voulezvous alfocier a mes travaux, j'y confens avec joie... A ces mots, Alphonfe , au comble de fes vceux, embraffa Thélifmar avec tranfport, & lui jura de ne plus le quitter. — Mais, reprit Thélifmar , fachez que mes voyages ne feront finïs que dans trois ou quatre ans au plutót : votre pere approuvera-t-il"... — Je fuis für de fon confentement... — Eh bien , fi vous aimez 1'étude; fi, comme je n'en doute pas, vous avez des fentiments nobles & des inclinations vertueufes , vous trouverez en moi un ami fidele & un fecond pere: trop heufeux fi je puis, par mes foins & par ma tendre afFeélion , vous montrer une partie de ma reconnoilTanee. Dalinde vous doit la vie; quels droits n'avez-vous pasa jamais fur mon cceur! Alphonfe attendri,  du Chateau. 87 fougit en entendant prononcer le nom de Dalinde. Trop érnu pour pouvoir répondre, il garda le filence; & Thélifmar, reprenant la parole : J'ai befoin de confo» lations , dit-il, je les trouverai, jel'efpere, dans votre amitié... —De confolations!... Vous avez des peines?... — Je fuisféparé pour quatre ans des objets les plus chers, de mafemme&demafille... — Comment, de Dalinde!... — Je ne pouvois 1'expofer aux dangers inféparables d'une longue navigation : nous avons voyagé enfemble dans une partie de 1'Europej je me fuisféparé d'elle a Cadix; & tandis que nous voguons vers 1'Afrique , elle retourne en Suede avec fa mere... — O Ciel! s'écria douloureufement Alphonfe , la Suede & 1'Afrique!... Ah, quel efpace immenfeentr'elle... & vous!... Que je vous plains l En achevant ces mots, Alphonfe ne put retenir fes pleurs. Je fuis vivement touché , dit Thélifmar, de la part que vous prenez a ma peine. Cette conveifation fut interrompne parl'arrivée du Capitaine. Alphonfe fortit pour aller s'enfermer dans fa chambre, afin de cacher fon agitation & fon trouble. Au défefpoir en fongeant qu'il pafferoit quatre ans fans voir Dalinde, il trouvoit cependant une grande confolation dans 1'intérêt que lui témoignoit Thélifmar , & il fe promit de mettre tout en ufage pour obtenir fa confiance & fon amitié. Le foir, Thélifmar lui fit plufieurs quef-  af Lei Veiïliei tions; il lui demanda s'il avoit les élément!* de quelques fciences. Mais, oui, répondit Alphonfe en fouriant avec fuffifance; je ne mauque pas d'inftruction. II n'eft rien que je n'aye appris. — Savez-vous un peu de Géométrie ? — J'ai eu un maitre de Mathématiques pendant dix ans. — Avezvous quelques notions de Phyfique & d'Hiftoire naturelle ? — Rien de tout cela ne m'eft étranger : j'ai d'ailleurs un goüt psflionné ppur les Arts; je fais mes délices du deffin & de la mufique. — Vous favez deffiner? Et quel eft votre genre? — Je deffine des fleurs. —- Aimez-vous la lecture? — Beaucoup... —• Votre langue n'eft pas riche en bons Ouvrages ; maisvous favez le Latin ? — Oh , parfaitement! Jügez-en : j'expliquois fupérieurement (c'éfoit 1'expreflion de mes maitres) Horace & Virgile k dix ans.— En ce cas, vos études étoient finiesadouze. — Précifément; auffi', depuis ce temps, j'ar ceffé de m'occuper du Latin, afin d'aciiuérir d'autres connoiffances. — Et je parie qu'a treize ans vous étiez affez bon Géometre pour laiiTer - la auffi 1'étude des Mathémati- ques ? Oui. Ce fut alors que je me livrai a mon gOiAit pour la Littérature : je eommengai a faire des vers. — De Savant vous devfntes bebefprit? Cette métamorphofe n'eft pas toujours heureufel... — Mes vers eurent un fuccès qui dut m'encourager... — Un fuccès de fociété, j'imagine. — Non 3 j'oferai le dire, un fuweg-  d» Chdteau. $9 tmiverfel. — Comment le fütes-vous?... — Par toutes les perfonnes qui veHoient «hez mon pere. Cette réponfe fit fourire Thélifmar. II changea d'entretien; & un moment après, Alphonfe alla fe eoucher, perfuadé qu'il venoit d'infpirera Thélifmar 1'opinion la plus avantageufe de fes talents & de fon inftruétion. Le jour fuivant, Alphonfe fe rappella Paventure du taureau furieux tué par une piquure d'aiguille, a Ia Fontaine de fdmour, & il demanda a Thélifmar Pexplication d'un événement aufli fingulier. Thélifmar lui répondit que lë jour même il avoit renouvellé connoiffance avec un ancien ami qui revenoitd'Amérique, & qui en avoit rapporté un poifon alfez fubtil pour produire 1'efFet dont Alphonfe avoit été témoin; que eet ami lui avoit fait préfent d'un étui qui renfermoit une aiguille trempée dans ce venin mortel. Thélifmar ajouta que comptant faire le foir Pexpérience de ce poifon, il 1'avoit gardé fur lui. (19). Ce qui me fur* prend, dit Alphonfe , c'eft que je n'aye jamais entendu parler de ce poifon. Mais, reprit Thélifmar, je crois qu'il exifte bien d'autres chofes extraordinaires qui vous font inconnues. II en eft fans doute, répartit Alphonfe; mais j'ofe dire que le nombre en eft bien limité : car je ne fuis pas ignorant, j'ai eu des maitres de toute efpece. J'ai d'ailleurs prodigieufement lu, & j'ai encore plus obfervé, médité & réfléahi.. Ce qui fur-toutengageoit Alphonfe i  t)o Les Feillies fe vanter avec autant d'alTurance , c'ett qu'il croyoit le pouvoir fans rifque. II ne voyoit dans Thélifmar qu'un homme fimple & fans prétentions, auquel il ne conuoifibit qu'un goüt,celui de la Botanique. Alphonfe ne doutoit pas que Thélifmar, a tout autre égard, ne füt d'une ignorance extréme; & Thélifmar, quelquefois a deffein, & fouvent par une modeftie qui lui étoit naturelle , le confirmoit a chaque inftant dans cette opinion. Enfin , on arriva a Ceuta : Thélifmar dit a Alphonfe qu'il fe charge de le loger,_& s'établit avec lui dans une des plus jolies maifons de la ville. Dans eet eiidroit du Conté, Madame de Clémire s'arréta. On ferra le manufcrit, & -la Veillée finit. - A la Veillée fuivante, Madame de Clémire , après avoir prié fes enfants de ne plus ï'interrompre par leurs queftions, reprit fa leéture en ces termes : Le premier foin d'Alphonfe en arrivant a Ceuta, fut d'écrire a fon pere une lettre pleine de repentir & de foumifïïon. II lui faifoit un récit fincere de tout ce qui lui étoit arrivé , lui demandoit pardon de fa fuite, & le fupplioit de lui accorder lapermilhon de fuivre Thélifmar dans fes voyages; & comme Thélifmar devoit refter affez de temps a Ceuta, pour qu'Alphonfe püt y recevoir la réponfe de fon pere, Alphonfe conjuroit Dom Ramire de lui donner fes ordres, en promettant de s'y conformer,  du Chateau. 91 quels qu'ils fuffent. II adreiïa fa lettre en Portugal, ne doutant point que Dom Ramire n'eüt retourné dans la Province de Beïra. Un peu plus tranquille après cette démarche, Alphonfe reprit fes amufements ordinaires; il chantoit & jouoit de Ia guitarre unepartie du jour, ou bien ildeffinok quelques petits bouquets, qu'il confidéroit comme autant de petits chef-d'ceuvres, & il les portoit a Thélifmar , qu'il croyoit toujours enchanté de fes talents. Un matiu Thélifmar 1'envoya chercher ; & lorfqu'Alphonfe entra dans fa chambre : Comme je fais, dit Thélifmar, que vous aimez paflionnément la mufique & le deflin, j'ai >penfé que vous feriez bien-aife de connoitre deux enfants qui pourront vous étonner : 1'un eft un petït garcon, qui deffine a merveille dans votre genre ; & 1'autre une jeune fille, qui joue très-agréablement du claveflin : ils font 1'un & 1'autre dans mon cabinet, venez les voir. En difant ces paroles, Thélifmar conduit Alphonfe dans la chambre voifine. Ils entrent, & s'arrétent a quelques pas de la porte. Alphonfe voit au fond de la chambre une jeune perfonne qui jouoit du claveflin, & h cóté d'elle, un enfant de cinq ans qui deffinoit. Reflons ici, dit Thélifmar, la jeune perfonne eft timide, elle fait que vous êtes connoiffeur, vous la troubleriez trop, fi vous étiez plus prés d'elle. En effet, reprit Alphonfe, elle arougi quand elle nous a vlis entrer. Et vous devez uiême remar-  pa Les PeUléet quer, ajouta Thélifmar, qu'elle a tan't d'émotion, que fa refpiration en eft un peit gênée: ne la voyez-vous pas refpirer d'ici? Cela eft vrai , Répondit Alphonfe, qui,charmé que fa réputation put produire de femblables elfets, voulut bien encourager Ia jeune perfonne, & cria plufieurs fois : Brava ! Brava ! avec tout Forgueil & la pédanterie d'un demi-eonnoiffeur, qui croit qu'un tel mot forti de fa bouche, doit combler de fafisfaétion & de gloire. Quand la Muficienne ent fini fa fonate, elle fit une profonde inclination. Alphonfe battit des mams, & Thélifmar s'avanc,ant : Allons, dit-il, voir defiiner I'enfant; pla^ons-nous derrière lui, nous en verrons mieux fon ouvrage. Alphonfe remarqua que I'enfant defiïnoit avec des gants, & fans modele. Ne trouvez-vous pas iingulier, dit Thélifmar, qu'on puilfe a eet ïlge defiiner de tête; & voyez comme cette fleur s'embellit fous fes doigts f A merveille's'écria Alphonfe; un defliu trèspur... Courage, mon enfant,., Arrondiffez un peu ce contour... C'eft cela.... Comme un petit Ange... En vérité, je ne ferois pas mieux. Ces éloges ne caufoient nulle diftraction a I'enfant, qui deflinoit avec la plus grande application, & de tempsen-temps éloignoit fa petite main pour contempler fon buvrage, en foufflant fur fon papier pour en écarter Ia poufiiere légere formée par le crayon. Quand la fleur fut achevée, Alphonfe, rempli d'admiration r fairte au col de 1'eufant: au raéoie iufljant  itu Chdteau.. 31 pöufle un cri de furprife. Doucement, dit Thélifmar en riant, prenez garde de cafler ce jeune Artifte. O Ciel ! s'écrie Alphonfe, c'eft une poupée! Oui, dit Thélifmar , c'eft ce qu'on appelle un automate O). — Et la Muficienne? — C'eft la fleur du Delïïnateur. — Mais elle refpiroit. — Elle jouoit véritablement du claveflin avec fes doigts : vous voyez, cher Alphonfe, qu'il ne feroit pas raifonnable d'attacher un grand prix a deux talents que des automates peuvent avoir. Ah, dit Alphonfe, je vais brifer ma guitarre & mes crayons. — Vous auriez tort, reprit Thélifmar: on doit s'étonner de voir un homme pafler fa vie k jouer de la guitarre & a deflïner des fleurs; mais perfonne ne vous blamera, quand vous regarderez ces deux petits talents, non comme des occupations, mais comme des délaiTements agréables, & que vous les cultiverez a vos moments perdus, fans Vous enorgueillir du foible mérite de les poiTéder. Cette lecon fit quelque impreflion fur Alphonfe : cependant, pour le corriger entiérement,. il étoit néceflaire qu'il en recüt encore beaucoup d'autres, (a) Tout le monde a vu a Paris, cette année 1783 , ces deux Automates. On en voit un mainjenant beaucoup plus finguüer; car il joue aux échecs , & contre tout le monde. Le mot Automate eft un mgt Grec, En effet, dès le lendemain, Thélifmar, Alphonfe, toute la troupe des voyageurs quitterent Ghiorel, & continuereut de remonter le Sénégal, jufqu'au village d'Embakané, prés des frontieres du Royaume de Galam. Enfuite ils pafferent la riviere de Gambie, ils traverlérent le Royaume de Farim (b); & après avoir parcouru une grande étendue de pays , ils arriverent dans la Guinée. Ce fut dans cette contrée, qu'Alphonfé fit une rencontre qui le furprit étrangement. II traverfcit un bois, & s'entrete* noit tranqulllement avec Thélifmar ; ils parloient de 1'immortalité de 1'ame. Croiriez-vous , dit Thélifmar , qu'il y a des hommes affez dépourvus de lens, pour foutenir que nous n'avons fur les anima ux d'autre avantage que celui d'une conformation extérieure plus parfaite, & qui ont dit en propres termes , que fi le cheval ( animal fi. intelligent) avoit, au - lieu du fabot informe qui termine fes jambes, une main adroite comme la nötre, il feroit tout ce que nous faifons (c).«• — Qu°i ! ^ (a) Voyez 1'Abrége de 1'Hiftoire des Voyages, Tomé H. (i) Ou de Saitit-Dormngue. (<■} On trouve eet étrange raifonneraent dsnj wn ouvrage intitulé de l'Efprit.  du Chateau. üeillneroit , il peiridroit V..— Qu'en penfez-vous?... — Je n'en crois rien ; il poui'roit tont au; plus tracer quelques imitations infonnes. — Le perroquet, lapie, Ie geai, & beaucoup d'autres oifeaux ont la faculté de parler-ils répetent bien quelques mots qui les ont frappés; mais ils ne peuvent ni les compreudre , ni par conféquent les appliquer avec juftefle. D'ailleurs, il exifte des animaux dont la conformation , tant extérieure qu'intérieure , eft parfaitement femblable a celle de 1'homme, qui marchent comme nous, qui ont des mains comme les nórres, & qui cependant ne batiffent ni palais ni cabanes, & qui font même moins induftrieux que beaucoup d'autres animaux. — Vous voülez parler des finges? En effet, ils ont de petites mains fort adroites. Eh bien, que difent a cela les Auteurs qui defirent une main au cheval?... — Ils convieunent que le finge , par fa conformation, feroit fufceptible de faire tout ce que fait 1'homme; mais ils ajoutent que fa pétulance naturelle Fen empêehe; que le finge eft toujours en mouvement; & que, fans cette brufquerie & cette vivacité, il feroit égal a 1'homme (V). ... — Cependant, il ne parleroit pas ? — Non, quoique dans - (ü) Tout ce que vient de dire Thélifmar fe trouve exa£tement dans ce même Ouvrage intjjulé de ÏEfpritf  134 Les Veillèes certaines efpeces, la langue & les organes de la voix foient les meines que dans riiomme, & que le cerveau foit abfolument de la même forme & de la même proportion (a). . . — Le cerveau de la même proportion ! Comment cela fe peutil? le finge eft fi petit!... Croyez-vous en connoitre toutes les efpeces?.... — Mais oui.... — Et vous n'en avez vu que de vifs & de turbulents ?... — Oui, fans doute; auffi cette objection des Auteurs dont vous me parliez me paroit affez jufte. En effet, il me femble que desêtres qui font dans un mouvement perpétuel, quelque bien conformés qu'ils puiffen: être , ne fauroient apprendre ni perfectionner... — Et fi cette objection qui vous frappe ne venoit que d'une profonde ignorance des chofes connues de tout le monde? — Comment! Des gens qui font Bn livre, ignoreroicnt des chofes connues de tout Ie monde?... — Ce doute, ener Alphonfe, prouve bien que vous avez peu lu dans votre vie!... Comme Thélifmar achevoit ces paroles, Alphonfe fit un mouvement de furprife, & poufi'ant Thélifmar: Regardez devant vous, s'écria-t-il; voyez 1'étrange figure affife la-bas fous eet arbre. Terminons ici la veillée, dit Madame de Clémire, en s'interrompant • je me fens (a) Voyez M. de Button , Tome XVI , de* Quadrt'gtdsi, édit, in-13,  du Chateau. 135 ce foir la poitrine un peu fatiguée. Ces mots ferraerent la bouche, quoiqu'on eüt bien defiré quelque explication fax fétrange figure. Le lendemain a huit heures trois quarts du foir, Madame de Clémire fatisfit la vive cüriofitë de fes enfants; _& reprenant fon manufcrit, elle hit ce qui luit : Thélifmar leva la tête; enfuite, regardant Alphonfe : Que penfez-vous de cette figure, lui dit-il? C'eft un fauvage, reprit Alphonfe; mais il eft bien laid... II fe leve, il tient un baton dans fa main. .. II nous évite... Eh bien, interrompit Thélifmar , vous prenez cette figure pour un homme ? — Afiurément. — Et fi c'étoif un finge?... — Un finge! de cette taille : il eft plus grand que moi : il marche naturellement comme nous, fes jambes on» la forme des nótres. — Ce n'eft cependant qu'un animal (» ; mais un anima! trésfingulier , que 1'homme ne peut voir fans rentrer en lui-même, fans fe reconnoltre, fans fe cenvaincre que fon corps n'eft pas la partie la plus effer.iielle de fa nature (£)... — Que vous m'étonnez!... Et: ce finge qui étoit affis fi tranquillement au pied de eet arbre, a-t-il, comme les petits finges, des mouvements brufques & précipités f (a) VOrang-Outangi il y en a qui oot plus de fix pieds. (i) M. de Buffon,  I3Ö Les VeilUes Point du tout; fa démarche eft grave, fes mouvements me fur és, fon naturel doux & tres-différent de celui des autres finges (ei)... — II n'a pas un fabnt de cheval, il eft plus grand que nous, fait comme nous. — Le Créateur n'a pas voulu faire pour le corps de Chomme un modele abfolument different de celui de Vanimal.... Mals en même* temps qu'il lui a départi cette forme matérielle femblable a celle du finge, il a pétiétré ce corps animal de fon fouffle divin : s,il eitt fait la même faveur, je ne dis pas au finge, mais a feFpece , h Vanimal qui nous parott le plus mal organifé, cette efpece feroit bientêt devenue la rivale de rhomme : vivifièe par fefprit, elle eüt pritnè fur les autres, elle eüt penfé, elle eüt parlé. Qiielque rejfemblance qu'ily aitdonc entre VHottentot & le finge, t'interval/e qui les fépare efi immenfe , puifqua Pintérieur il eft rempli par la penfée, & au- dehors par la parole (b). Alphonfe écouta ce difcours avec admiration. A préfent, dit-il , je fuis curieux d'apprendre ce que répondent a cela ces (a) En parlant d'un finge d'une autre eipece," appellé Gibbon, M. de Buffon dit encore : Ce finge nous a paru d'un naturel tranquille & de maurs affe-t douces; fes mouvements n'étoient ni trop bruf. ques ni trop prècipitès; il prmoit doutemmt fe qu'on lui donnoit a maneer, &e, (b) M. de Buffon,  du CMteau. 13? Auteurs • qni prétendent que notre forme feule nous éleve au-defliis des animaux?... — Ils ne connohToient pas 1'animal que vous venez de voir, ainfi que beaucoup d'autres efpeces a-peu-près femblables, décrites par tous les voyageurs : cependant leur ouvrage elt moderne ; & comme je vous 1'ai dit, ces faits étoient connus de tout le monde. Thélifmar , en prononcant ces mots fe trouva au bord d'un lac entotiré de rochers; le guide qui le conduifoitlui propofa de s'arrêter, afin d'attendre les autres voyageurs qui les fuivoient de loin. Thélifmar s'alïït a 1'ombre de quelques arbres , & tirant deux livres de fa poche, il en donna un a Alphonfe, en lui indiquant un chapitre qu'il le pria de lire avec attention. Alphonfe le lui promit, en ajoutant qu'il alloit s'afieoir tout feul a 1'écart, afin de lire avec moins de diftraction. En effet, il s'éloigne; & après avoir fait deux cents pas , il s'arrête au bord du lac. Au-lieu de lire, il tombe dans une profonde rêverie. Le murmure de 1'eau, les rochers, la fraicheur de la verdure, tout lui retrace un fouvenir qu'il n'a pas la force d'écarter de fon imagination. II fe rappelle la fontaine de VAmour; il voit Dalinde, il ne peut penfer qu'a elle; enfin, il ne fauroit réfifter au defir de prononcer un nomfi chcr. Certain de ne pouvoir être entendu de Thélifmar, il chante a demivoix un couplet fait pour Dalinde. Comme il achevoit le dernier vers de fa. chan-  138 Les Veillèet fon, il entend marcher, tourne Ia tête, & voit Thélifmar qui vient a lui. Auffi-tót il fe tak & reprend fon livre. Mais au moment méme une voix douce & fonore paroilfant fortir des rochers , recommence avec exaétitude le couplet qu'il vient de chanter. Thélifmar en approchant entend répéter le nom de Dalinde, & fon étonnement eft extréme en voyant que ce n'eft point Alphonfe qui chante. Alphonfe n'eft pas moins furpris. Quand 1'air fut fini, il alloit queftionner Thélifmar fur ceprodige, lorfqu'une autre voix lui coupa la parole en recommengant aufli fidélement le même couplet. A peine cette feconde voix eüt-elle ceffé de chanter, qu'une troifieme voix venant encore d'un autre cóté, reprit la chanfou & la répéta toute entiere; enfuite on n'entendk plus rien, & le concert finit (30). Quel euchantement eft ceci! s'écria Alphonfe. II faatconvenir, dit Thélifmar en riant, que les Faunes & les Sylvains de ces rochecs font de dangereux conlidents; les nymphes de la fontaine ds VAmour étoient plus difcretes; mais rendez-moi mon livre, & dites-moi fi vous avez été content du chapitre que je vous avois prié de lire. Alphonfe rougk & ne répondit que par un foupir, & Thélifmar changeant d'entretien, fut avec lui rejoindre les autres voyageurs. Thélifmar parcourut la cóte d'Or , le Royaume de Juida , le Royaume de Benin; il trouva dans ce dernier pays des  du Chdteau. 130 fauvages moins cruels & plus civilifés que leurs voifms. II traverfa le Congo, & c'eft dans cette contröe qu'Alphonfe fut au moment de perdre la vie, par les fuites de fon impe'tuofité & de fon imprudence naturelle. La petite troupe des voyageurs étoit en route, Alphonfe feul marchoit en avant, environ a deux ou trois cents pas. On approchoit d'un vafte étang entouré de huttes de fauvages, & Alphonfe levant les yeux crut voir de 1'autre cóté de 1'étang un long mur de briques qui en bordoit la rive. Ne concevant pas pour quel ufage on avoit élevé ce mur, il précipita fes pas dans 1'intention d'aller Pexaminer; mais en approchant, il s'appercut que ce prétendu mur avoit du mouvement. Alors. il s'imagina diftinguer clairement au-lieu du mur, des guerriers vötus de rouge & rangés en bataille. II remarqua quelques fentinelles pofées en - avant. Alphonfe vit bien qu'il étoit découvert : car aufii-tót que les fentinelles 1'eurent appercu, l'-allarme fut donnée, & la campagne rententit d'un fon éclatant feinblable a celui des trompettes. Alphonfe s'étoit arrêté ; & comme il délibéroit s'il avanceroit ou s'il retourneroit fur fes pas, il vit toute la troupe s'ébranler , s'agiter , s'élever de terre , & enfin s'envoler. Alphonfe connut, avec une extréme furpiïfe, que ce formidable efcadron n'étoit autre chofe que d'énormes oifeaux d'une couleur rouge, fi brillante, que lorfqu'ils eurent pris  140 Les Veillèts 1'eflbr, leurs ailes paroiflbient abfoliimén! enffatnmées, Alphonfe avoit un fufil ; 61 delirant porter a Thélifmar un de ces oifeaux extraordinaires, il tira fur toute Ia troupe, cc en tua un. Au bruit que fit le coup de fufil, quelques negres fortant des huttes qui environnoient 1'étang, accoururent avec précipitation, & en appercevant Alphonfe qui ramaffoit & trainoit avec lui 1'oileau qu'il venoit de tuer, ils poufferent des cris horribles. A Pinftant tous les negres fortirenrde leur cafés, & fe réuniffant vinrent fondre fur Alphonfe , qui fe vit affailli par une grêle de pierres & de traits. II alloit fuccomber fous leurs coups, fans 1'arrivée de Thélifmar & des autres voyageurs. Les fauvages prirent la fuite, & Alphonfe en fut quitte pour quelques bleflures légere} & une vive réprimande nir & fe détacher des arbres; les ruiffeaux driparoltre , les fontaines fe tarir, & les oileaux éperdus tomber des branches defl'échées. En même-temps des nuages brülants d'une cendre épaiflb & blanchikre, fe difperfant en forme de pluie, obfeurciflbient les airs, & une grêle de pierres tombant de tous cótés, brifoit, déracinoit les arbres , rouloit avec un horrible fracas du haut des monts dans les plaines, & retentilfoit au lom fur les rochers d'alentour. Alphonfe & Thélifmar s'éloignerent précipitamment de ces lieux défolés; & après avoir erré long-temps dans des routes iriconnues, ils arnverent enfin fur les bords de la mer, Tome II, G  .146 Les Veillèes En approchant du rivage, ils jugerent par le bruit des vagues, que la nier étoit violemment agitée. En effet, elle leur oifntle fpeétacle d'une atfreufe tempête , quoique 1'air füt calme & ferein. ils confidéroient ce phénomene avec un étonnement qui redoubla bientót, en voyant tout-a-coup paroitre au milieu des flots une multitude de flammes, qui au même inftant s'écartant & fe difbpant dans les airs, font place a une innombrable quantité de rochers ardents fortis & lancés des profonds abymes de la terre, & qui s'élevent au-dellus des vagues (37). Alors la mer s'appaife, & devient tranquille, & quelques infulaires accourus fur le rivage, apprennent a lhélifmar que le volcan ne vomit plus de flammes , & que 1'éruption eft finie. Alphonfe & Thélifmar fe font conduire a leur habitation , & deux jours après ce mémorable événement, ils quittent cette ifle malheu- r£ l[s'fe rendirent a 1'Ifle de Policandro (a) ; ils y trouverent un voyageur Suédois,ancien ami de Thélifmar, qui s'oflnt a leur fervir de guide, & a les fuivre dans toutes leurs promenades. II les conduifit dans fa maifon, qu'il voulutpartager avec eux; & le foir après fouper, adretfant la parole ft Alphonfe : Vous voyez , dit-il, que ce («) L'une des Cyclades, a« fud de Paros U d'Anüparos.  du Chateau. 14^ logement eft- fimple, & dépourvu d'ornements; mais fi vous aimez 1'éclat &lamagmficeuce, j'ai de quoi vous fatisfaire; j'ai' eu tam de joie de retrouver Thélifmar, que j'ai formé fur le champ le pro;et de lui donner trae féte dans un palais dont la richeffe & 1'éclat pourrout vous furprendre. En achevant ces mots, Fréderic, (c'étoit le nom de 1'ami de Thélifmar) fe leve, appelle fes gens, qui viennent avec des flamheaux , & il fort avec Alphonfe & Thélifmar. Au hout d'une demi heure, ils fe trouvent vis-a-vis d'une malle énorme de rochers. Voila mon palais, dit Fréderic; 1'afpect en eft fauvage, mais il Re faut pas toujours juger fur 1'apparence. Arrétonsnous ici un moment, & laiffons d'abord entrer nos gens. Alors les gens de Fréderic diftribuerent des flambeaux a une douzaine d'hommesqui les avoient fuivis. Chacun alluma fon flambeau, & s'éloigna des voyageurs. Quand Fréderic les vit a une certaine diftance, il fe remit en marche. Après avoir fait cent pas, ils appercoivent une immenfe -arcade, & ils font frappés du vif éclat d'une lumiere éblouiilante. Entrons, dit Fréderic; voyez le périftile de mon palais : comment le trouvez - vous 2 Cette queftion s'adreflbit a Alphonfe; mais pour y répondre, il étoit trop occupé k confidérer le fpeétacle brillant qui s'offroit k fes regards. Les murs de ce vafte périftile luiparurent entiérement couverts d'or te rubis & de diamants; & le plafond pai' G ij  .US La, Veillèes ferné de guirlandes élégantes & dé pendeloques de cryftal. Enfin, leplanchcrmime fur lequel il marchoit étoit pavé de la mêT mematicrebrillanteCsS)... Ah, maman! s'écria Caroline, pardonnez-moi de vous intcrrompre; mais ie n'y puis plus tenir. .. Ces diamants étoient-ils fins?... —Non; ils n'en avoient que 1'apparence; mais une apparence li parfaite, que Pceil le plus conr.oifleur y eüt été trompé. — Que cela eft lingulier!... Eft-Jl bien vrai, ma chere maman, que ce palais ait exifté?... — II exifte encore. — Encore!... — Rien n elt plus vrai.. . — Dans FIfle de Policandro? La jolie Ifle! maman, vous nous la tnontrerez demain fur la carte?... — Oui, je vous le promets... — Maman, fi vous le permettez, a ma première lecon de Géographie, j'indiquerai fur les cartes tous les voyages d'Alphonfe ; car je m'en fouviens parfaitement, ainfi que des chofes extraordinaires qu'il a vues. — J'y conlcns : en attendant, reprenons notre Conté. Fréderic fit admirer a Alphonfe 1'étendiie de ce fuperbe palais; & après avoir paffé plus de deux heures a le p.ircourir & a le contempler, les voyageurs le quitterent, & reprirent le chemin de leur petite maifon. Alphonfe, inftruit par Thélifmar, apprit que le préten du palais de Fréderic étoit i'o,uvrage de la feule nature, & il Pen admira davantage encore. Thélifmar, ayant fait le voyage de 1 Italië, n'avoit pas le projet d'y aller; mais  du Chateau. 149 fon ami Fréderic, qui partoit pour Reggio, le conjura d'y venir avec lui ,& Thélifmar y confentit d'autant plus facilement, que cette partie de 1'ltalie étoit la feule qu'il ne connüt pas. Fréderic, Alphonfe & Thélifmar quitterent Policandro , & partirent pour la Morée (a). Ils y virent les ruines d'Ëpidaure & celles de Lacédémone. De la Morée, ils pafferent a FIfle deCéphalonie, oü, fe rembarquant encore, ils fe rendirent a Reggio (_b~). _ Le lendemairi de leur arrivée dans cette ville, les trois voyageurs déjeünoient dans la chambre de Thélifmar, dont les fenétres donnoient fur la nier; leur converfation fut interrorapue par mille cris de joie 'qui fe faifoient entendre de tous cótés. Alphonfe fortit promptement, pour s'informer de Ia caufe quiproduifoit ces vives & bruyantesacclamations. II rencontraplufieursperfonnes qui fe précipitoient en tumulte vers 1'efcalier. II les interroge; elles répondent, en courant toujours : Nous allons fur le rivage voir les chdteaux de la Fée Morgana... Alphonfe rentre dans la chambre , & rendanr compte de cette étrange réponfe , on ouvre les fenétres, & les voyageurs font témoins d'un fpeclacle dont la beauté O) Grande prefqu'Ifle , autrefois 1'Attique. (b) Au Royaume de Naples , dans la Calabre ultérieure. II y a une autre ville de ce som e^ Italië, dans le Modénois. G iij  350 Les Veillèes & la fingularité furpaffoit tout ce qu'iJa avoient vu jufques-tó. „ La mer quibaigue .„ les rivages de la Sicile, fe gonflant & s'é„ levant par degrés, forma bientótla par,, faite repréfentation d'une immenfe & obfcure chahie de montagnes , tandis „ que les flots qui fe brifent contre les „ cótes de la Calabre, affailTés & tran- quilles, n'oftroient plus qu'une furface „ unie; & cette derniere partie de la mer „ devint femblable a uu vatte & brillant „ miroir, doucement incliné vers lesmurs 3, de Reggio. Alors parut fur cette glacé la plus rnerveilleufe peinture. On y vit ,, diftinélement plufieurs milliers de pilaf„ tres d'une élégante proportion, placés 3, avec fymmétrie , & réflécbilTant toutes les 3, vives couleurs de 1'arc-en-ciel. Au bout s, d'un moment, ces fuperbes pilaftres 3, cbangerent de formes, & fe ployerent „ en arcades majeftueufes, qui bientót s'é„ vanouiffant, firent placeaune multitude 3, innombrable de magnifiques cMteauX. „ tous parfaitement femblables : a ces „ palais fuccéderent des tours & des^co„ lonnades, & enfin des arbres, & d'im- menfes forêts de cyprès & de palmiers 55 (30) ".Après cette derniere décoration , le tableau magique difparut, la mer reprit fon afpect ordinaire , & le peuple qui bordoit le rivage, battit des mains avec trant port, en répétant mille fois dans des cris d'allégrefie , le nom de la Fée Morgana. Eh bien , maman, interrompit Pulché-  du Chateau. 151 ïie , nons voila donc retombés dan* les Contes de Fées?... — Point du tout; ce dernier phénomene, ainfi que tous les autres , eft pris dans la nature... — II y a une Fèe Morgana? ... —je vous ai conté ce que difoit le peuple de'Reggio; Ie peuple eft par-tout ignorant & crédule; il aime les fables, & les adopte aifément... — Mais ces tableaux magiques?... — Sont produits par des caufes naturelies... — fe ne concoisplus apréfent comment on ne'paffe pas fa vie a voyager, a lire, a s'inftiuire, pour apprendre, ou pour voir des chofes li cuneufcs & fi intérefiantes. Mais, chere maman, daignez reprendre votre manufcrit. — Alphonfe commencoit a penfer comme vous; 1'étonnemeiit que lui caufoient tantd'événements extraordinaires, excitoit en lui la plus vive curiofité & le defir fe plus vrai de s'inftruire. Infenfiblement il perdoit tous fes goüts frivoles, il devenoit réfléchi, il parloit avec réferve, il écoutoit avec attention : mais a mefure que fa raifon fe perfeélionnoit, il découvroit dans fa conduite paffée des fautes dont chaque réflcxion lui rendoit le repentir plus amer & plus douloureux. II ne comprenoit plus comment il avoit pu quitter fon pere. Le filence obftiné de Dom Ramire 1'accabloit, & lui caufoit une inquiétude déchirante ; il bruloit du defir d'arriver a Conftantinople; il fe flattoit d'y trouver des leures de Portugal; & qnoiqu'il eüt pris pour Thélifmar un attachement palïïonné, quoiqu'il G iv  152 Les Peiliées eüt prefque la ccrtitude d'obtenir un jour la mara de Dalinde, il forma la réfolution de quitter Thélifmar a Conftantinople, s'il n'y recevoit point de nouvelles de fon pere; enfin, de retourneren Portugal, & de facrifier au devoir le plus lacré, & fes efpérances, & toute la félicité de fa vie. Cette réfolution le plongea dans une mélancolie dont Thélifmar cherchoit en vain la caufe, & qu'il augmentoit encore en voulant la diffiper par les marqués de la plus tcndre alfection. Pour le tirer de fon abattement, Ibuvent même avec Fréderic, il parloit devant lui de Dalinde; & ces entretiens loin d'adoucir les chagrins fecrets d'Alphonfe, les aigriffoient encore. Enfin, Thélifmar prit congé de Fréderic, il quitta Reggio & revint dans la Grece. II traverfa toute la Grece, &arriva a Conftantinople fur la fin du mois d'Avril. Alphonfe trouva a Conftantinople une lettre de Portugal; il larecutavec uutrouble inexprimable: elle n'étoit point de Dom Ramire; mais on mandoit a Alphonfe que fon pere étoit revenu en Portugal; qu'il avoit même paffé quelque temps a Lisbonne; qu'il venoit d'en partir, en annoncant qu'il alloit entreprendre un voyage qui dureroit dix-huit mois : on ajoutoit que perfonne ne doutoit que Dom Ramire n'eüt eu plufieurs entretiens particuliers avec lö Roi, & que fon voyage n'eftt pour but quelques négociations fecretes; qu'on s'atleHdoit d'autant plus a le voir rentrer dans  du Chateau. 153 le miniftere u fon retour, que huit jours après fon départ, fon fucceflcur & fon cnnemi avoit été difgracié. L'liomme qui faifoit tous ces détails terminoit fa lettre en difant qu'il n'avoit pu voir Dom Ramire comme Alphonfe 1'en avoit prié, paree qu'ayant fait un affez long féjour en France, il n'étoit revenu a Lisbonne que trois femaines après le départ de Dom Ramire. Alphonfe calculant par la date de cette lettre , que fon pere ne reviendroit que dans quinze ou feize mois en Portugal, renonca au projet d'y retourner lui-même avant ce temps. En effet, entiérement dénué de fortune, il n'aüroit eu aucun moyen d'y fubfifter en Fabfence de Dom Ramire. II fe décida donc a continuer fes voyages, d'autant plus qu'il fe croyoit für d'être de retour en Europe avant un an. Le filence de fon pere 1'affligeoit profondément; mais enfin, raffuré fur le fort de Dom Ramire, il fe foumit au fien, ne doutant pas que le temps & fa conduite ne lui rendiffeut la tendrefTe d'un pere qu'il efpéroit fiéchir par fa foumiffion & fon repentir. Alphonfe, moins trifte & moins rêveur, reprit avec Thélifmar fes converfations ordinaires. Thélifmar parut fi fatisfait du changement qu'il remarqua en lui, qu'Aiphonfe crut pouvoir hafarder de lui parler de Dalinde. Thélifmar d'abord ié contenta de lui rappeller doucement fa promeffe. Alphonfe , enhardi par cette indulgence , retomba plufieurs fois dans la möme fauG v  ï54 Les Veiïïèes te , & Thélifmar finiff'ant par fe fdcher„ Alphonfe fut enfin forcé de fe taire; mais non fans rechercher toujours les occafionS de parler indireclement de fes fentiments, & de fe plaindre de la contrainte qu'on lui impofoit. Fréderic avoit donné a Thélifmar des lettres pour un Grec de fes amis qui poffédoit une maifon charmante fur le canaï de la mer noire. Ce Grec, nommé Nicandre, n'étoit point alors a Conftantinople. Thélifmar & Alphonfe au bout de quinze jours fe firent conduire a Buyuk-Déré, village a huit milles de Conftantinople («) , & dans Iequel Nicandre avec fa familie palfoit une partie de 1'été. Ce fut le premier Mai a dix heures du matin, que les deux voyageurs arriverent a Buyuk-Déré. En entrant dans le village , ils virent les mes remplies de jeunes gens vêtus avec élégance & couronnés de fleurs, chantant ou jou au t de divers inftruments; toutes les maifons étoient décorées de guirlaudes & de feflons de rofes; & les fenétres mieux ornées encore par une multitude de jeunes beautés Grecques, entourées d'efcïaves fuperbement vétues. Ce fpeótacle ravit Al- (a) La pofition de ce village eft trës-agréaM«i les Miniftres & plufieurs particuliere y ont des maifons de campagne. Voyage littéraire de la Gmt, par M, Guys » * £  du Chateau-. igg phonfe; & Thélifmar, ïriftruït des ufages de laGrece, lui apprit qu'pn célébroit ainfi tous les ans le premier jour de Mai; que dans ce jour folemnel , les jeunes gens amoureux attachoient des couronnes de fleurs fur les portes de la maifon de leurs maïtrefles, & chantoient fous leurs fenétres (40). Hélas, qu'ils font heureux! on les écoute Cette faveur ici ne prouve rien. — Mais quand deux rivaux fe trouvent a la même porte , ou fous Ia même fenêtre?... — Ils pofent enfemble leurs couronnes. & chantent alternativement. Les Voyageurs, après s'être arrêtés affez long-temps dans la première rue, continuerent leur chemin; & Alphonfe appercevant de loin une maifon encore plus ornée de fleurs que les autres: Certainement, dit-il, voila 1'habitation de quelque beauté célebre. En effet, en s'approchant il vit fur un grand balcon deux jeunes perfonnes charmantes; & lorfqu'il fut en face du balcon , le guide dit a Thélifmar que cette maifon étoit celle de Nicandre. Alphonfe & Thélifmar y entrerent. Nicandre vint aulfi-tót les recevoir; & après avoir lu la lettre de Fréderic , il les embrafla affectueufement 1'un & 1'autre, & leur témoigna lé' plus vif defir de les retenir longtemps chez lui. Nicandre, ainfi que toute fa familie, parloit afl'ez bien francois: Thélifmar favoit parfaitement cette langue, & Alphonfe 1'entendoit un peu. Nicandre appella des efclaves , qui conduifirent les G vj  jjjo' Les Veillées Voyageurs dans une grande falie revêtue de marbre.de Paros, oü 1'ön préparoit un bain pour eux. Après le bain (41), Nicandre vint les retrouver, & les mena dans 1'appartement de Glaphire , fon époufe. Glaphire étoit affife fur un fopha, avec fes filles , Glycere & Zoé , & une vieille & vénérable femme, nourrice de Nicandre, & que, fuivant 1'ufage des Grecs modernes, on appelloit dans la familie, Paramatia , doux & tendre nom juftement accordé par la reconnoilfance, puifqu'il lignifie/èconde mere (42). Les deux jeunes perfonnes étoient fuperbement habillées ; elles avoient 1'une & 1'autrc de longues robes flottantes , des voiles blancs , omés de franse s d'or, & des celntures richement brodées, & attachées avec des boucles d'émeraude (43). Glaphire & Nicandre queftionnérent Thélifmar fur fes voyages, & 1'engagerent a conter une partie de fes aventures. Enfuite on pafla dans la falie a manger, & 1'on fe nut a table. Sur la fin du repas , Zoé fut chercher fa lyre , & chanta en s'accompagnant plufieurs duo avec fa feeur (44). Lorfque cette agréable mufiquè fut finie, Nicandre propofii a fes hótes de les conduire a la promenade, & il fortit avec eux. II les mena dans les champs. En approchant d'une vafte prairie , ils virent une multitude de bergers & de bergères, vêt-us de blanc & couverts de guirlandes de fleurs, & prefque tous tenant dans leurs mains  du Chdteau. 157 des palmes vertes, ou des branches de myrthe & d'oranger. Les uns danfoient au fon de la lyre,les autres cueilloient des fleurs, en chantant les plaifirs & le retour du printemps. Voyez-vous, dit Nicandre, cette jeune filie couronnée de rofes, & mieux paree encore que fes compagnes; c'eft la Reine de la fête : elle repréfente la Déefle des fleurs , &, fous le nom charmant de Flore, elle recoit les hommages de toute la troupe champötre; mais fon empire n'eft que celui de la jeuneffe & de la beauté; il fera peudurable; fon regne doit firiir avant le décliu du jour. Comme Nicandre achevoit ces mots, la jeune fille fit un fignal, qui raflémbla autour d'elle tous les bergers. Alors une de fes compagnes chanta une bymme en 1'honneur de Flore & du printemps, & h chaque couplet, les bergers répétoient en chceur ce refrein : Soyez la bien venue, Nyinphe , DéeJJ'e du mois de Mai. Enfuite on fe remit a'danfer (45). Après avoir fait plufieurs fois le tour de la prairie , Nicandre ramena chez lui les voyageurs : ils y trouverent Glaphire & fes filles, au milieu de toutes leurs efclaves , occupées a broder, & contant tour-a-tour de petites hiftoires , ou des fables morales (46). Quoiqu'Alphonfe n'entendlt pas le grec, ce tableau le charma : c'étoit la jeune Zoé qui parloit ; Thélifmar 1'avoit conjurée de continuer fon récit, & elle le reprit avec une grace qu'augmentoit encore fa vive rougeur cc fon "modefte em-  158 Les VeilUes barras. Zoé contoit 1'hiftoire d'une jeune perfonne , a la veille de fe marier & de quitter la maifon patemelle; elle dépeignit avec autant de vérité que de fentiment, la douleur intérelTante & profonde d'une fille tendre & reconnoiflante, qui s'arrache des bras d'une familie chérie. Glycere écoutoit ce détail avec une extréme émotion: tout-a-coup des pleurs involontaires s'échappant de fes paupieres baiflées, tomberent fur fon ouvrage, & mouillerent la fleur qu'elle brodoit. Dans eet inftant, fa mere, qui Ia regardoit, 1'appelle d'une voix entrecoupée, en lui tendant les bras. Glycere fe leve, & court fe jetter aux genoux de fa mere en fondant en larmes : 1'hiftoire tft interrompue. Nicandre s'approche de Glycere , 1'embralfe tendrement. Zoé attendrie, quitte fon ouvrage, & vole vers fa fceur. Les efclaves lémoignent 1'intérét qu'elles prennent a cette fcene touchante, & Nicandre, au bout d'un moment, emmenant Alphonfe & Thélifmar dans une falie voifine, leur explique la caufe de tout ce qu'ils viennent de voir, en leur difant le fujet de 1'hiftoire contée par Zoé , & leur apprenant que Glycere étoit a la veille de fe marier. En effet, le foir même, le jeune homme, choifi pour être 1'époux de Glycere, envoya chez Nicandre de grandes corbeilles, ornées avec magnificence, qui contenoient les pierredes & les préfents de noces deftinés a Glycere & a fa familie; &  du Chdteau. 159 Ie lendemain le jeune Grec, fuivi de tous fes parents, fe rendit a la maifon de Nicandre. Alors parut la belle & touchante Glycere. Elle avoit une robe d'argent brodée d'or & de perles, rattachée avec une ceinture de diamants. Ses longs cheveux trelfés flottoient furies épaules; une couronne d'immortelles ornoit fa tête. Glycere fe jetta, en pleurant, dans les bras de fa mere... Elle recut a genoux la bénédiétion paternelle , que Nicandre prononca avec un profond attendrilfement , mais a haute voix & d'un ton ferme; tandis que la fenfible mere , hors d'état de pouvoir articuler une feule parole, preffoit dans fes mains tremblantes les mains de fa fille, en élevant vers le Ciel des yeux baignés de pleurs. Après cette cérémonie touchante , les deux families réunies , fuivies de tous leurs efclaves, fortirent de la maifon pour fe rendre a l'Eglife. Ce fuperbe cortege étoit précédé d'une troupe de joueurs d'inftruments & de chanteurs. Enfuite s'avancoit la jeune mariée , foutenue par fon pere & par faTnere. Timide & tremelante, elle marchoit lentement, les yeux baiffés; & 1'on voyoit fes paupieres mouillées de larmes qu'elle s'efforcoit en vain de retenir. On portoit devant elle, fuivant 1'antique ufage de la Grece, le flambeau de FHyménée. Ses efclaves , fon époux, les parents & les amis fermoient la marche : ils arriveren! dans eet ordre a FE*  iöo Les Veilléei glifc. Après la célébration, on reconduifit en pompe les nouveaux époux dans leur maifon, dont la facade étoit illuminée & déeorée de feuillages. On offiit des coupes de vin a tous les convives, & aux jeunes gens, des bouquets enlacés avec des fils d'or, en leur difant : Mariez-vous auffi. Ces mots firent treffaillir Alphonfe, & fes regards au même inftant fe porterent fur Thélifmar. On paffa dans la falie du banquet, oü 1'on danfa jufqu'a minuit (47). Alphonfe revint de cette fête trifte & chagrin. Le fouvenir de Dalinde , & la crainte de ne goüter peut-être jamais le bonheur dont il étoit témoin, avoient rempli fon ame d'amertume. II conferva cette mélancolie plufieurs jours ; mais la nouveauté & 1'agrément des objets qui 1'entouroient, & fur-tout la tendreffe de Thélifmar , la dillipcrent infenfiblement. Tous les jours , après la promenade, Thélifmar & Alphonfe fe rendoient dans la falie des brodeufes. Glycere & les jeunes amies de Zoé y venoient réguliérement. Nicandre expliquoit tout bas aux Étrangers les fujets des hifroriettes contées par les jeunes Grecques : mais quand Zoé parloit, Alphonfe étoit plus attentif*. Souvent avec Nicandre ou Thélifmar, il changeoit de place afin de voir travailler les brodeufes. II s'arrètoit toujours plus longtemps auprès du métier de Zoé. II louóit tous les ouvrages; mais il ne regardoit que celui de Zoé. II s'étoit remis a defiiner  du CMteau, 16t des fleurs , & chaque jour il offroit a Zoé un nouveau deffin de broderie. Enfin, il vantoit fans ceflè le climat, les mceurs & les coutumes de la Grece , & trouvoit Buyuk-Déré le féjour Ie plus agréable & le plus intéreflant qu'il ede vu. Un matin qu'il étoit feul avec Thélifmar, ce dernier le loua fur fa conduite. Je fuis enchanté de vous, mon cher Alphonfe , continua-r-il ; je vois qn'enfin, vous eommencez véritablement a prendre de 1'empire fur vous-méme. — Comment? — Oui, & je ne puis vous en cacher ma fatisfaction. Depuis trois femaines, je n'ai rien a vous reprocher. Vous favez vous diflimuler , & furmonter cette mélancolie qui m'affligeoit : vous êtes, dans la fociélé , obligeant, attentif, aimable , & ce qui doit vous coüter davantage, vous ne me parlez plus de Dalinde. Croyez que je fens tout le prix de eet effbrt. En difant ces mots , Thélifmar embralfe Alphonfe, qui fe lailfe embraflèr d'un air trifte &froid , & ne répond rien. II y eut un moment de filence. Alphonfe fe promenoit en rêvant dans la chambre. Tout-a-coup, fe tournant brufquement : Non, Thélifmar, ditil, non, je ne puis vous tromper; je ferois indigne de vos bontés fi je vous laiffois uneerreur... II s'arrêta & rougit, Que voulez-vous dire, reprit Thélifmar? Ah! s'écria Alphonfe, je vais peut-étre me perdre...— Vous perdre , auprès de moi, par une noble fincérité! Alphonfe, pou-  i€2 Zes Veilliet vez-vous le craindre ? — Eh bien, fachéz donc que mon coeur eft toujours lemême; oui, Dalinde feule 1'a rendu fenfible; & fans fefpoir de devenir votre fils, la vie me feroit odieufe : & cependant... Si j'ai cetTé de parler d'elle, fi j'aiparu reprendre ma gaieté , n'attribuez point cette conduite a ma raifon, au comraire.. . Viens dans mes bras, interrompit Thélifmar , viens , noble & cher Alphonfe ! Cette preuve de ta confiance & de ta franchife iufiifie toute Paffection que j'ai pour toi. O mon pere! s'écrie Alphonfe; ó Pami le plus indulgent!... Voyez, mon cher Alphonfe^ reprit Thélifmar, voyez a quel point 1'amour eft un fentiment fragile , lorfqu'il n'eft pas uni a la tendre & folide amitié. Deux grands yeux noirs, une mine ingénue, un fourire fin, & cinq ou fix hiftoriettes, que votis n'entendiez même pas , vous ont fait oublier pendant trois lemaines Pobfet de cette pafïïon que vous prétendiez fi violente !....- II eft srai que cette jeune Zoé m'amufoit, m'intéreffoit ; il erf vrai qu'elle a pu me diltraire. Dalinde s'offroit moinS fouvent a mon imagination; mais elle étoit toujours au fond de mon coeur. —- Non, Alphonfe, nevous abufezpas. Vous n'avez point encore pour Dalinde un attachement véritable, paree que vous ne connoilfez d'elle que fa figure... — Mais cette figure raviffante annonce une ame fi pure, fi fenfibie; d'ailleurs, je connois encore Dalinde  èlu Chateau. 163 par fes lettres, par fes talents, par fa tendreffe pour vous; en un mot, Dalinde eft la fille de Thélifmar, n'en eft-ce pas affez pour 1'aimer padionnément. — Tout cela ne fuffit pas pour fondcr un attachement profond & durable; car il n'en peut exifter de tels fans la confiance & 1'amitié. Mais revenons a Zoé : comment, ne vous apperceviez-vous pas de fimprefïion qu'elle faifoit fur vous ?.. . — Je n'y réfléchifibit pas... — Sentez donc quelles peuvent être les conféquences du manque de réflexion! Je me fuis déja plus d'une fois appeicu que Nicandre & Glaphire n'approuvoie'nt pas 1'excès de vos attentions pour Zoé. D'ailleurs, tant de foins & une préférence fi marquée auroient bientót fait le plus grand tort a la réputation de la jeune perfonne qui en eft 1'objet. Vous avez rifqué de jetter le trouble & la douleur dans cette maifon oü 1'on nous traite avec une bonté qui doit exciter toute notre reconnoiffance... Oh ciel! interrompit Alphonfe, vous me faites frémir; déformais je réfléchirai, je ferai moi-même chaque jour 1'examen le plus févere de mes aétions, de mes fentiments; & cequi vaudra mieux encore, je vous confulterai, je vous ferai part de toutes mes penfées, & ce cceur n'aura jamais, un feul inftant, rien de caché pour vous. Maintenant, dit Thélifmar, je dois m'acquitter d'une promelié que je n'ai point oubliée. En difant ces mots , Thélifmar  i6+ Les Feillêcs ouvre une caflette, il en tire 1'écharpe de Dalinde, & la préfentant a Alphonfe : Elle vous appartient, dit-il, vous 1'avez conquife, puifque j'avois promis de vous la rendre a la première preuve de fincérité.. . Ah ! Thélifmar , interrompit Alphonfe , avec attendrilfement, quelle occafion choifilfez-vous!... M'eft il permis de recevoir dans cette maifon un gage fi cher... Oui, dit Thélifmar, fi vous y attachez toujours rant de prix, fi vous avez les mémes fentiments... Je puis donc 1'accepter, s'écria Alphonfe. En difant cesparoles, il fe jette aux pieds de Thélifmar, il recoit a geuoux 1'écharpe de Dalinde, & baife avec tranfport la main qui la lui donne. Alphonfe, dit Thélifmar, ce préfent de la main d'un pere n'eft point un don frivole. Dans eet inftant, nous contractoris 1'un & 1'autre un engagement facré; oui, je vienS de vous adopter, je vous promets une compagne aimable & vertueufe, vous pouvez vous rendre digne d'elle, non par une paffion romanefque, mais par des vertus folides. Achevez d'éclairer votre efprit, de perfectionner votre raifon & votre caractere; c'eft ainfi que vous prouverez a Dalinde que vous favez aimer, & que vous me témoïgnerez la reconnoifiance que vous devez a ma tendrefie. Nicandre vint interrompre eet entretien. Alphonfe trop ému, trop pénétré pour pouvoir fupporter la préfence d'un tiers , fe retira. II fut chercher la folitude afin de fe  Ju Chateau. 165 fivrer fans contrainte ;\ tous les tranfports de fa joie. II eft iriutile de dire que depuis ce jour, il ne deflina plus de fleurs pour la jeune Zoé, qu'il ne s'arrêta plus fl longtemps devant fon métier, & que mème, toutes les fois que la politeffe le lui pcrmit, il évita d'aller dans la faile des brodeufes. Cependant, la familie de Nicandre éprouva un chagrin fenfible. Un de leurs amis, revcnant d'un petit voyage qu'il avoit fait ii 1'ifle de Calki (aj, en arrivant a BuyukDéré, tomba malade, & mourut au bout de quatre jours. Nicandre fit a Thélifmar les détails les plus intéreflants fur 1'ami qu'il pcrdoit. II lui couta que eet homme avoit renoncé a tous les honneurs auxquels ion état & fes alliances lui donnoient te droit d'afpirer , afin de pouvoir fe livrer entiérement aux charmes de 1'étude & de 1'amitié. Ce fage, continua Nicandre, retiré dans une maifon délicieufe C4")), voifine de la miemie, donnoit aux infortunés la plus grande partie de fa fortune. 11 confacroit le refte a rembelliflément de fon habitation. II n'avoit que des fentiments (a) C'eft la neuvieme des ifles de la Propontide, appellées anciennement Démonen, ou les Ifles des Génies. M. rl'Anville les appelle fauflement les Ifles du Prince. Ce nom n'eft donné par les habitants qu'a Ia quatrieme de ces ifles. Cette note efl ds M. G»)s,  i66 Les Veillies vertueux & des goüts fimples. II travallok lui-même a fon jardin : cultiver fes fleurs, élever des oifeaux, former une immenfe volière, tels étoient fes innocents plaifirs. Enfin, chéri de fes amis, adoré de fes efclaves , il avoit une fceur digne d'être fon ainie, qui logeoit avec lui, qui le fuivoit par-tout, & qui jamais ne feconfolera de fa perte. Demain, pourfuivit Nicandre , nous rendrons les derniers devoirs a mon malheureux ami... Sa fceur infortunée conduira la pompe funebre... Mais , dit Thélifmar, comment pourra-t-elle en avoir le courage?... Ah! reprit Nicandre , vous qui voulez connoitre nos mceurs & la nature, venez a cette trifte cérémonie; vous verrez la force que peut donner le défefpoir qui s'exhale. Parmi nous, la douleur n'eft jamais concentrée : elle fe montre dans toute fon énergie. Chez un peuple efclave des bienféances & de 1'ufage, la douleur doit être morne & muette; mais chez nous elle eft éloquente & fublime. Cet entretien excita Fintérêt & la curiofité de Thélifmar, & il ne manqua pas avec Alphonfe de fuivre Nicandre aux funérailles de fon ami. On fe rendit d'abord a la maifon d'Euphrofine (c'étoit le nom de la fceur du mort). Ilsentrerent dans une falie tendue de noir, oü le mort, a vifage découvert & magnifiquement habillé, étoit couché fur fon cercueil. Des efclaves a genoux entouroient Ie cercueil, en exprimant  du Chateau. i6y leur douleur par des larmes & des gémiffements. Thélifmar diitingua parmi cette troupe un Vieillard qui paroiifoit encore Slus profondéraent affligé que les autres. ficandre s'en approcha, & lui paria. Enfuite , Thélifmar queftionnant Nicandre fur ce Vieillard: II s'appelle Zaphiri, répondit Nicandre; il a vu naitre celui que nous pleurons; il a prefque perdu 1'ufage de fes jambes, &1'impoffibilitédefuivreIa pompe funebre, ajoute encore a fon affliétion. II vient de me dire qu'il ne lui reltoit plus qu'un feul plaifir fur la terre, celui de prendre foin desoifeaux & de cultiverles fleurs qui faifoient les délices de fon cher maltre. Nicandre parloit encore, lorfqu'Alphonfe & Thélifmar treffaillirent en entendant des accents entrecoupés & des cris fi douloureux, qu'ils en furentémus jufqu'aufond de Pame'. Ah, s'écria Nicandre, c'eft la malheureufe Euphrofine ! Au moment même paroit une femme en cheveux épars & enveloppée de longs habits de deuil, pille, baignée de larmes; elle avance a pas lents, appuyée fur des efclaves qui la loutiennent & la trainent. L'augufte & touchant caraétcre d'une profonde douleur, rend fa beauté naturelle plus majeftueufe, plus frappante; &fes cris, fes gémiffements lamentables ont un accent de défefpoir fi pénétrant & fi vrai, qu'on ne peut les entendre fans éprouver a la fois de rétonnement, de la terreur & la plus déchirante compaffion.  l68 Les VeiUêes Cependant le Patriarchê arrivé fuivi de fon cortege. On enleve le corps, les cbants funebres conimencent, & 1'on fort de la maifon. Après avoir traverfe" le village & fait un quart de lieue dans les champs, on arriva dans une place couverte de tombeaux, de colonnes fépulcrales & de cyprès. En appercevant de loin la fépulture préparée pour fon frere, Euphrofme frémit, poufle un cri douloureux, & fe cache le vifage avec fon voile. Enfin , on approche de la folie, la pompe funébre s'arrètcj le Patriarchê prononce les prieres d'ufage; enfuite il enibraffe le mort. Alors il s'éloigne, & Euphrofine relevant fon voile s'avance impétueufement, & vient tomber a senoux auprès du cercueil de fon frere. O mon frere ! s'écrte-t-elle, recoisles derniers * adieux de ta fceur infortunée!... Ami li tendre & fi cher ! je te vois donc pour la derniere fois !... Mon frere!... Quoi ! c'eft la mon frere?... Hdlas ! je reconnois encore fes traits!... Mais, ó fpectacle déchirant!... quand je le baigne de mes larmes, quand je 1'appelle, quand je meurs, je vois fur fon vifage Pinaltérable empreinte d'une morne tranquillité!.. . Ah, ce calme atTreux!... c'eft celui de Ia mort!... Mon frere ! oui , tu n'es plus qu'une ombre. La malheureufe Euphrofine n'embratTe que ton image!... Eh quoi donc, je te perds fans retour? je ne te verrai plus?... Tu vas pour jamais difparoitre a mes yeux!... pour jamais!... Non , je  du Chdieau. 16*9 je ne puis me lbumettre a cette horrible féparation ; non , je ne ïbuffrirai point qu'une main cruelle t'arrache de mes bras pour te plonger dans la tombe!... Arrétez, barbares, arrêtez ! ceffez de creufer ce tombeau!... prenez pitié de ma douleur, ou craignez mon défefpoir!... Comme Euphrofine achevoit ces paroles, le Patriarchê s'avanca pour enlever le corps. Euphrofine pouffe un cri terrible; fes efclaves fe précipitent vers elle; & malgré fa réfiftance, 1'entrainent a quelques pas de la folie. Euphrofine, hors d'elle-même, déchire fes vötements; elle arrache fes longs cheveux, & les jette dans la folfe... Enfuite fes larmes s'arretent tout-a-coup. Immobile & ftupide, elle confidere d'un ceil fixe le cercueil pofé dansle tombeau; mais lorfqu'elle voit foulever le marbre qui doit le couvrir, elle frémit : O Dieu ! s'écrie-t-elle, c'en eft donc fait. En difant ces mots, elle palit, fes yeux fe ferment, & elle tombe évanouie dans les bras de fes efclaves. Ou Ia tranfporte loin du tombeau; & lorfqu'elle eut repris fa connoiflTance, les parents & ies amis, fuivant 1'ufage, la reconduifirent chez elle. Pour arriver a la maifon, il falloit traverfer le jardin de fon frere. En entrant dans ce jardin, on y trouva le vieil efclave Zaphiri, tenant d'une main une ferpe, & de 1'autre un arrofoir. Cet objet frappe Euphrofine, elletrefiai!le,&s'élancantvers 1'efclave : O Zaphiri ! dit-elle, que faistu ?... — Hélas ! je prends foin des fleurs Tomé U. H  170 Les Feülées que mon maitre aimoit tant!... O malheureux vieillard, interrompit Euphrofine, en fe faififlant de la ferpe, mon frere n'eft plus ! ces lieux ne doivent Être pour nous déformais qu'un féjour de douleur... Que tout ce qui les embellifToit difparoiffe ou s'anéantilfe... Ouvrez ces volières; rendez la liberté a ces petits oifeaux dont le ramage & la gaieté me déchirent le coeur!... Et ces fleurs , cultivées par la main de mon frere... qu'elles périlfent avec lui!... En achevant ces mots, Euphrofine, d'un air égaré, parcourt avec rapidité le parterre en coupant ou brifant toutes les fleurs qui fe trouvent fur fon paffage (49). Cette fcene touchante fit la plus vive impreflion fur le coeur d'Alphonfe. Lorfqu'il fut de retour chez Nicandre: Expfiquez-moi, dit-il a Thélifmar, comment des idéés fi oppofées peuvent réfulter des mêmes fentiments. Pourquoi ce vieillard fe plaifoit-il a cultiver les fleurs de fon maitre , tandis qu'au contraire Euphrofine trouvoit une forte de confolation a les détruire? Laquelle de ces deux acbions préférez-vous, demanda a fon tour Thélifmar? Mais, reprit Alphonfe, celle du vieillard me paroit la plus naturelle; cependant, 1'aütre m'a caufé bien plus d'émotion... Une fenfibilité commune, dit Thélifmar, ne produit que des effets communs; une fenfibilité profonde produit naturellement & des idéés, & des aétions extraordinaires. Par exemple, fi cette femme intéreflante  du Chateau. ijx' que nous venons de voir, fi Euphrofine joint a cette ame palïïonnée, de la raifon, du goüt & du difcernement, & fi elle écrivoit, fes ouvrages auroient certainement de 1'originalité, on y trouveroit des idéés neuvcs, de 1'énergie, du fentiment & de Ja vérité. — Mais, dit Alphonfe, n'eft-ce pas la ce qu'on appelle du génie?... Eh, reprit Thélifmar, fi le génie ne venoit de 1'ame, feroit-ce un don fi précieux ? Seroit-il fi defirable? Exciteroit - il autant d'envie ?... Thélifmar & Alphonfe palTerent encore quelques jours a Buyuk-Déré; enfuite ils prirent congé de Nicandre & de fon aimable familie, & partirent : ils quitterent la Grece, & entrerent en Afie par la Natolie; ils féjournerent h Bagdad f», a Balfora (£) , & s'arrêtant a 1'ifle de Bahrein , dans le golphe Perfique, ils virent Ia fameufe pêche des perles (50); de-la ils fe rendirent par mer dans le Royaume de Vifapour. Durant cette navigation, Thélifmar & Alphonfe fe promenant un foir fur un des ponts du vaiffeau , s'entrctenoientdes merveilles de la nature. Enfin, difoit Alphon- (a) Bagdad, grande ville fur le bord oriental du Tigre : les Tiircs la prirent vers 1638. O) Baffora , belle ville au-deffous du confluent du Tigre & de 1'Enphrate; les Turcs en font les maitres depuis IÓ6S : elle eft a 100 lieues de Bagdad. Hij  172 Les Feillèes fe, maintenant je crois les connoitre toutes. Mon cher Alphonfe, reprit Thélifmar, puifque vous êtes fifavant, expliquez-moi donc le phénomene qui s'ofFre a nos regards dans ce moment. Tournez-vous de cecóté, & jettez les yeux fur les flots. A ces mots, Alphonfe fe rapproche de Thélifmar , & regardant la mer, il voit le vaiffeauvoguer dans un cercle de feu, que 1'obfcurité profonde de la nuit faifoit paroltre encore plus éclatant. Toute la furface de la mer étoit entiérement couverte de petites étoiles étincelantes. Chaque lame, en fe brifant, répandoit une vive lumiere, & le fillage du vailfeau, d'un blanc argenté & lumineux, étoit parfemé de points brillants & azurés (52). J'avoue , dit Alphonfe , que voila un magnifique fpectacle , & abfolument nouveau pour moi. Allons nous coucher, interrompit Thélifmar; & fi vous vous réveillez cette nuit, je fuis perfuadé que vous ferez de falutaires réflexions fur la préfomption, qui ne vous eft que trop naturelle, & qui vous perfuadé que vous avez des connoiffances étendues, quand tout d'ailleurs vous prouve le contraire. Alphonfe ne répondit rien; mais il embralfa Thélifmar, & 1'un & 1'autre furent fe coucher. II y avoit a peine une demi-heure qu'Alphonfe étoit endormi , lorfqu'il entendit dans fa petite chambre un bruit qui le réveilla. 11 avoit éteint fa lumiere, & il fut effrayé, en ouvrant les yeux, d'appercevoir du feu fur la cloifon qui étoit vis-a-  du Chateau. 173 vis de fon lit. II fe leve précipitamment, & alors fa furprife augmente, en voyant très-lifiblement en grolfes lettres de feu, ces paroles écrites fur le mur : Savant Alphonfe , votre effroi n'eft pas fondé; car ce feu ne hrüle point (52). Alphonfe ,, auffi honteux qu'étonné, mit la main fur ces caracteres brillants; & nefentantaucunechaleur : Ah, Thélifmar, s'écria-t-il, ce qni me furprend le plus, c'eft que vous fachiez rendre aimables les leijons mêraes quibleffent 1'amour-propre! Comme il achevoit ces paroles, Thélifmar, une lumiere a la main, entra en riant dans fa chambre; & après lui avoir expliqué la nature de ces prétendus caracteres de feu, il fe retira, & Alphonfe fe rendormit. II eft temps auffi que nous allions nous coucher, interrompit la Baronne; car la veillée, ce foir, a été beaucoup plus longue que de coutume. A la veillée fuivante, Madame de Clémire reprit ainfi la leclure de PHiftoire d'Alphonfe. = Les deux voyageurs, arrivés a Vifapour, vifiterent les mines de diamants (53); enfuite ils fe rendirent a la Cour du GrandMogol. Thélifmar, ayant obtenu une audience de l'Empereur, fut avec Alphonfe introduit dans le palais. Ils traverferent plufieurs appartements, & trouverentpartout de belles femmes, fuperbement habillées, & armées de lances, qui formoient la garde intérieure du palais; ils arriverent H iy  174 Le* Vtillies dans une vatte & magnifique galerie, meublée de brocard d'or. Le Monarque étoit affis fur un tróne de nacre de perles, parfemé de rubis & d'émeraudes. Quatre colonnes entiérement couvert-es dediamants, foutenoicnt un baldaquin d'étolfed'argent, bordé de faphirs, & orné de fcftons & de glands de perles. A 1'une des colonnes étoit fufpendu un fuperbe trophée, compofé des armes de rEmpereur; fon are, fon carquois & fon fabre, garnis de pierreries, & Hés enfemble par une chaine de topazes & de diamants. L'Empereur étoit vêtu de drap d'or : on voyoit au milieu de 1'on turban un diamant d'un écfat éblouiffant & d'une fi prodigieufe grófleur, qu'il occupoit prefque toute la largeur de fon front; plufieurs rangs de groffes perlesformoient fes bracelets & fon collier, & une 'infinité de pierres précieufes de diverfes couleurs enrichiflbient fa ceinture & fes brodequins; il avoit devant lui une table d'or maffif, & tous les grands Seigneurs de fa Cour, dans la plus éclatante parure, étoient debout, rangés autour de fon tróne. Thélifmar lui préfenta quelques inftruments de Géométrie, dont, par le moyen d'un interprête, il lui expliqua 1'ufage. L'Empereur parut charmé des préfents & de 1'entretien de Thélifmar : il lui dit que ce jour étoit celui de fa naiffance, & quë tout 1'Empire en célébroit la fête; & il invita Alphonfe & Thélifmar a paffer lafoirée avec lui.  du Chdteau. 175 On apporta du vin dans des vafes de cryftal'de roche; tout le monde s'affit, des muficiens entrerent dans la falie, qui retentit bientót du fon des timbales & des trompettes. On fervit des fruits dans des plats d'or. L'Empereur fit remplir une coupe de vin & 1'envoya a Thélifmar; cette coupe étoit d'or, enrichie de turquoifes, d'émeraudes & de rubis. Lorfque Thélifmar eut bu, 1'Empereur le pria de garder la coupe , comme une marqué de fon amitié. Sur la fin du repas, on apporta a 1'Empereur deux grands baffins pleins de rubis, qu'il jetta au milieu de. raffemblée , & que les Courtifans s'emprefferent de ramaffer. Uu inftant après, on préfenta encore h 1'Empereur deux autres ballins remplis d'amandes d'or & d'argent mélées enfemble, qui furent pareillement jettées & enlevées avec la même promptitude. Thélifmar & Alphonfe, comme vous croyezbien, ne voulurent point participer a cette générofité; & 1'avidité & la balfeffe des grands Seigneurs Mogols les remplit d'indignation. L'Empereur diftribua auffi aux muficiens & a quelques courtifans des pieces d'étofïl-s d'or & de riches ceintures; enfuite on fe remit a boire. Thélifmar & Alphonfe furent les feuls qui ne s'enivrerent point. L'Empereur, qui ne pouvoit plus fe foutenir, pencha la tête, & s'endormit. Alors tout le monde fe retira. Lorfqu'Alphonfe & Thélifmar fe trouverent feuls: Que penfez-vous de cette Cour, H iv  175 Lei VeilHes dit Thélifmar? Je penfe, répondit Alphonfe, que le Grand-Mogol eft le Souverain le plus riche & le plus magnifique qu'il y ait fur la terre.... — Et le croyez-vous le plus heureux & le plus confidéré?... — Je ne fais s'il eft heureux, puifque j'ignore s'il eft aimé de fes peuples, & s'il regne avec gloire & tranquillité ; mais j'avoue que _ fa perfonne n'a rien d'augufte , rien qui imprime le refpect. Iï n'y a pas un feul Prince en Europe qui n'en impofe davantage. —- Cependant le Grand-Mogol étale un fafte & une magnificence dont nul Souverain d'E/.irope ne peut approchcr. L'or, les diamants & tout 1'éclat pompeux du luxe Afiatique n'infpirent donc par euxmêmesaucune véritable confidération. Que penfcz-vous donc de ces frivoles Européens , qui attachent un fi grand prix a toutes ces brillantes bagatelles? Je voudrois que la femme d'Europe la plus riche en diamants , celle qui pofléde ce qu'on appelle le plus magnifique écrin, je vou* drois que cette femme pilt être tranfportée ici pendant vingt-quatre heures. Que diroit-elle, en voyant toute fa magnificence furpaffée par celle d'une efclave des femmes de 1'Empereur? Pour moi, reprit Alphonfe en rougiffant un peu, je fens que je ne parlerai plus des diamants que mon pere a perdus dans le tremblement de terre de Lisbonne. Mais, continua-t-il, expliquez-moi pourquoi les grands Seigneurs de cette Cour , qui paroiflent fi riches <  du Chateau. 177 font en même-temps 11 avides. Avec quelle balfelfe ils fe précipitoient fur 1'or & les pierreries que leur jettoit 1'Empereur!... — Ils mettent tout leur amour-propre a briller par de fuperbes vêtements & des parures éclatantes ; ils ne cherchent a fe diftinguer les uns des autres , que par le fafte & la richeffe, & vous voyez que cette efpece de vanité poulfée a 1'excès, rend ftupide & capable des balTeffes les plus aviliffantes. Revenons a 1'Empereur. Vous ignorez, difiez-vous tout-a-l'heure, s'il eft heureux : croyez-vous qu'un Souverain auffi groffier, auffi ignorant, puilfe 1'être? — Mais, s'il eft bon, il pourroit être aimé. — On n'aime point le Souverain qu'on méprife. Pour rendre fes fujets heureux, nefaut-ilpas qu'il foitéclairé, jufte, eftimable? D'ailleurs, celui-ci n'a point de fujets, il ne regne que fur de vils efclaves;. .. il eft defpote enfin ..., il exerce un pouvoir tyrannique, & il éprouve toutes les craintes, toutes les terreurs, qui feront a jamais la jufte punition des tyrans. II n'obtient que des hommages forcés; & tandis que la flatterie 1'encenfe, la haine en fecret trame fa perte. II paffe fa vie a redouter, ou a découvrir des révoltes; il fe défie de tout ce qui 1'entoure; & pour comble d'horreur, fes enfants mêmes lui font fufpects. Le lendemain de eet entretien, Thélifmar & Alphonfe fe rendirent de bonneheure au palais. Le Mogol faifoit alors la H v  i?8 Les Veïllèes guerre au Roi de Décan. II voulut vifiter le camp oü fes troupes étoient raflèmblées. Ses femmes montercnt furies éléphants qui les attendoient a leurs portes. Thélifmar compta quatre-vingts éléphants , tous fuperbement équipés. Les pctites tours qu'ils portoient étoient revètues de plaques d'or & de nacre. Le même métal formoit le grillage des fenétres. Un dais de drap d'argent rattaché avec des nceuds h des glands de rubis, couvroit lehaut de la tour. L'Empereur étoit porté dans un palanquin d'or & de nacre, recouvert de pierredes & de perles. Beaucoup d'autres palanquins auffi magnifiques , fuivoient celui de 1'Empereur. Ce pompeux cortege étoit précédé d'un grand nombre dctrompettes, de tambours & d'autres inftruments mêlés parmi une foule d'Officiers richement vêtus, qui portoient de fuperbes dais & des parafols de brocard d'or brodés de perles, de rubis & de diamants. Les voyageurs , après avoir admiré Ia magnificence du camp, quitterent Ia Cour du Grand-lvlogol (54) , ils continueren! leurs voyages, & prirent Ia route de Siam. Ils virent dans ce Royaume le fameux éléphant blanc, animal fi révéré dan? les Ihdes. Son appartement eft magnifique; on ne le fert qu'a genonx & dans une vaiffdle d'or (#). ,, Les attctions, dit un illuftre (a) A Laos , a Pégu, &c. on a le même ref» fiü pour les éléphants blancs.  du Chateau. 179 „ Philofophe O), les refpects , les oftran- des les flattent fans les corrompre : ils 5, n'ont donc pas une ame humaine; cela feul devroit fuffire pour le démontrer „ aux Indiens ". II ne reftoit plus qu'une feule partie du monde que nos voyageurs ne connuflent pas. Ils paflerent enfin en Amérique, & aborderent dans la Californie. De-la ils furent au Mexique. Comme ils étoient en route pour fe rendre a la ville de Tlafcala, Thélifmar, regardant a fa montre, fit arrêter fa voiture, &mettant pied a terre, dit a fes gens de 1'attendre & de tenir avec foin les chevaux; car ajouta-t-il, la nuit va bientót nous furprendre. Comment, dit Alphonfe, en riant, la nuit! &il n'eft que midi. Thélifmar ne répondit rien; mais cherchant 1'ombre , il tourna fes pas vers quelques arbres peu éloignés. Alphonfe en le fuivant, appercut un animal dont la figure extraordinaire fixa fon attention; fa longueur étoit a-peu-près de dix-neuf ou vingt pouces, fans compter celle de fa queue, qui en avoit au moins douze. II avoit des oreilles de chouette, un poil hériffé, & une longue queue de ferpent couverte d'écailles. Comme il étoit arrêté, Alphonfe eut la curiofité de l'examiner, & il remarqua qu'il attendoit fes petits qui conroient vers lui. Quand 1'animal eut ralfemblé tous fes (<.) M. de Buffon. H vj  i8o Les VeilUes petits, il les mit 1'un après 1'autre dans une grande poche qu'il avoit fous le ventre. Enfuite il dirigea fa courfedu cóté des arbres. Alphonfe voulant obferver de prés un animal fi fingulier, & voyant qu'il couroit mal, fe mit a le pourfuivre. II alloit le faifir lorfque Fanimal fe trouvant au pied d'un arbre, y grimpa avec une agilité furprenante; & faififlant avec fa queue 1'extrémité d'une branche élevée, il s'y fufpendit, & parut alors immobile (55). Alphonfe fe difpofoit a monter fur 1'arbre, quand tout-a-coup il entend autour de lui un pétillement éclatant & redoublé, femblable au bruit d'une décharge d'artillerie. Au moment möme il fe vit couvert d'une multitude innombrable de petits grains noirs lancés de tous cótés fur lui (56). II fe recule précipitamment, en pofant fa main fur fes yeux, qu'il fentitblefTés par les grains qui venoient de le frapper. La douleur qu'il éprouvoit le forca de fermer les yeux pendant quelques minutes. Enfin, il les ouvre; mais auflitót il pouffe un cri douloureux : Ciel s'écrie-t-il, je fuis aveugle !... O Thélifmar! O Dalinde! je ne vous verrai plus... Thélifmar! Thélifmar! oü êtes-vous... Abandonnerez-vous le malheureux Alphonfe?... Comme il achevoit ces paroles, il entendit affez prés de lui un grand éclat de rite, & il reconnut la voix de Thélifmar. Quoi donc, reprit-il, Thélifmar infulteroit-il a mon malheur? Non, il n'eft pa» poflible!.,. Alors fe rappellant que Thélif-  du Chateau. i8r mar, en defcendant de voiture, avoit prévenu fes gens que la nuit alloit les furpren» dre, il commenca a fe ralTurer, & a fe douter de la vérité. Malgré 1'obfcurité profonde qui 1'environnoit, il marchoit toujours du cóté oü il entendoit la voix de Thélifmar; a la fin il le rencontra &le faifit dans fes bras. Alphonfe, lui dit Thélifmar, ce n'eft pas dans ce moment que je puis vous fervir de guide; car je fuis aveugle, ainfi que vous. Graces au ciel, reprit Alphonfe, j'en fuis quitte pour la peur. Je vois bien a préfent que la caufe de mon effroi n'eft autre chofe qu'une éclipfe de fo1'eil; mais je ne croyois pas qu'une éclipfe produifit de femblables ténebres, & je ne puis imaginer par quel art vous avez pu la prévoir & la prédire avec tant de juftefle. Alphonfe parloit encore, lorfque le foleil, commencant a reparoitre, diflipa 1'effrayante obfcurfté qui cachoit tous les objets. Ce filence profond, ce calme impofanr. de la nuit cefia tout-a-coup; la nature entiere fembla revivre, les oifeaux fe ranimerent; & croyant chanter le retour de 1'aurore, ils annoncerent par le plus éclatant ramage , la renaiflance du jour (57). Thélifmar & Alphonfe regagnerent leur voiture; &l'éclipfe, 1'animal fingulier obfervé par Alphonfe, & 1'efpece d'artillerie qui lui avoit caufé tant d'effroi , fournirent aux voyageurs un fujet de converfation, qui n'étoit pas épuifé lorfqu'ils arriverent a Tlafcala.  ï£>2 Les Veillèes En quittnnt le Mexique, Thélifmar & Alphonfe s'embarquerent pour aller a Sr. Domhi-gue. Alphonfe fe flattoit d'y trouver une lettre de fon pere : il fut encore trompé dans fon attente; mais il y reijut des nouvelles du Portugal, qui 1'affligerent fenfiblement. On lui mandoit que Dom Ramire n'avoit point reparu en Portugal, & qu'on étoit abfolument duTuadé de 1'idée qu'il eut ,repris une partie de fon ancienne faveur , & qu'on 1'eüt envoyé en ambaflade ; que même beaucoup de perfonnes le croyoient exilé de fa patrie;mais qu'on ignoroit entiérement dans quelle partie du monde il s'étoit re'tiré. Ces nouvelles accablerent de douleur Alphonfe : inquiet de nouveau fur le fort de fon pere , il fentit renaltre fes remords avec plus de force que jamais. II étoit abymé dans les plus douloureufes réflexions, lorfque Thélifmar vint le trouver. Je vous cheivhois, lui dit Thélifmar, pour vous annoncer.que vous verrez Dalinde beaucoup plutót que vous ne 1'efpériez; elle elt a Paris avec fa mere, elle nous y attend : nous partons demain pour Surinam, & de-la nous nous embarquerons pour la France, oii nous irons direétement. Mais , ajouta Thélifmar , en attendant que vous voyez Da. linde, je veux vous montrer un préfent d'elle, que je viens de recevoir. Tenez, ouvrez cette boite, & regardez cette figure : la reconnoifiez vous ? Dieu, s'écna Alphonfe, le portrait de Dalinde! Quel ta-  du Chateau. 183 bleau ravilfant ! quelle reffemblance ! & quelle perfection de peirttüre !... Ce tableau vous intérefiera davantage encore, quand vous faurez qu'il eft 1'ouvrage de Dalinde elle-même... — Dalinde! Elle a donc tous les talents, ainfi que tous les charmes !... Ah ! fouffrez que je regarde encore cette précieufe peinture. Oui, voila fes traits; voila ce fourire enchanteur. . . Ah, Thélifmar, que vous étes heureux, de pofféder un femblable tréfor!... — Cependant je defire un autre portrait; je veux que Dalinde fe peigne encore, mais a cöté de fon époux ; & quand elle me donnera ce tableau , Alphonfe , je vous promets de vous donner celui-ci. A ces mots, Alphonfe, pour toute réponfe, ferra tendrement les mains de Thélifmar, & les arrofa de fes larmes. Alphonfe étoit bien loin d'éprouver une joie pure & fans mélange; il regardoit comme un devoir indifpenfable de fe rendre en Portugal, dans 1'efpoir d'y trouver quelques éclaircitléments fur le deftin de fon pere. II étoit inébranlablement décidé a déclarer cette réfolution a Thélifmar; mais ce projet coütoit trop a fon cceur, pour ne pas lui caufer les plus violentes agitations. D'aiileurs, il n'avoit jamais eu le courage d'avouer a eet ami fi cher la faute qu'il fe reprochoit avec tant d'amertume; celle d'avoir quitté I'Efpagne furtivement, & fans 1'aveudefon pere. Cette première diffimuiation 1'avoit ©bligé a déguifer la vérité dans mille au-  i§4 Les Feillées tres circonftances; mais enfin, il prit la ferme réfolution d'expier tous fes torts par une fincérité fans réferve, & s'il lefalloit, par les plus douloureux facrifices. Ce fut dans ces difpofitions qu'il quitta St. Do- mingue. Nos voyageurs arriverent a Surinam (V?) au commencement de la nuit. En abordant dans cette contrée, leurs yeux furent frappés du fpectacle le plus brillant. La cóte leur parut couverte d'une infinité de luftres allumés, pofés fans fymmétrie adesdiftances inégales. Thélifmar & Alphonfe admiroient cette agréable illumination, lorfqu'ils s'appercurent que plufieurs de ces lumieres changeoient de place, & s'avancoieut vers eux. Un moment après, ils virentdiftinctement huit ou dix hommes, qui marchoient légérement,quoiqu'ils euflent 1'air d'être couverts de petites bougies allumées. Ils en avoient fur leurs bonnets, fur leurs pieds & dans leurs mains. Cette vifion furprit beaucoup Alphonfe : il auroit bien voulu s'approcher de ces hommes; mais ils pafierent rapidement, fans s'arrêter; & comme Alphonfe n'entendoit pas le langage des guides qui le conduifoient , fa curiofité ne put être fatisfaite. Arrivés a la maifon oü ils devoient loger, Alphonfe & (a) Surinam eft une colonie de Hollandois qui s'étend 30 lieues environ , le long de la riviere de Surinam dans la Guyane.  du Chdttau. 185 Thélifmar en entrant dans un joli cabinet, le trouverent parfaitement éclairé: mais Alphonfe remarquant que les lumieres étoient pofées dans deux petites lanternes de verre , les voulut voir de prés, & il décöuvrit avec étonnement que ces lumieres n'étoient autre chofe que des mouches d'un vert brillant d'émeraude, & qui répandoient la plus vive clarté. Voila , dit Thélifmar, 1'explication que vous deüriez : des arbres d'une forme pyramidale, couverts de ces mouches, rcffemblent, è quelque diftance, a des girandoles, ou des luftres fufpcndus en lair. Les hommes que nous venons de rencontrer avoient attaché de ces infeéles brillants fur leurs bonnets & fur leurs pieds, & ils eH portoient a la main , dans des tubes de verre. Le foir même, Alphonfe apprit que ces belles mouches étoient utiles de plus d'une maniere. Lorfqu'il fut dans fon lit, on les fortit de leurs petites lanternes, on les 1ÊIcha dans la chambre, & on dit a Alphonfe qu'elles ne 1'incommoderoient point, & qu'elles tueroient tous les coufins qui s'approcheroient de lui (5;!). Cependant Alphonfe , dévoré d'inquiétude & de chagrin, ne put fermer 1'ceil, de la nuit 11 fe leva avant 1'aurore, décidé a ne plus différer d'ouvrir fon cceur a Thélifmar, & déterminé a lui confier ce jour même & fes fautes & fes peines. En attendant le réveil de Thélifmar, il fut fe promener feul fur le bord de. la mer. Après  186 Les Fet'Hé'es avoir marché long-temps, il s'afiit au pied d'un arbre , & tomba dans une rêverie vague & pénible : bientót fes yeux appefantis fe fermerent, & il s'endormit au bout de quelques inftants : un cri percant & douloureux le réveille : il ouvre les yeux, & fe trouve dans les bras de Thélifmar, qui, le ferrant étroitement, 1'enleve & le porte a cent pas fur le même rivage. Alphonfe vent parler, mais il ne peut articuler que des fons entrecoupés & plaintifs. Pale & glacé, il n'a pas la force de fe foutenir; il n'a pas même la faculté de penfer. Thélifmar le pofe fur i'herbe; & courant vers le bord du rivage, il remplit fon chapeau d'eau de la mer, & fe rapprochaut d'Alphonfe, il lui fit boire cette eau. Enfuite, aidé de quelques domeltiques, il fouleva Alphonfe, & le tranfpona dans fa maifon. Alphonfe reprit peu-a-peu fa connoiffance; & fentant renaitre fes forces : Oü fuis-je, dit-il enfin? Ah, mon fils! dit Thélifmar, je vous avois parlé de eet arbre fatal; ne vous avois-je pas dit que fous fon perfide ombrage , le fommeil eft fuivi de la mort (59)? II eft. vrai, reprit Alphonfe, d'une voix languilfante, je me le rappelle maintenant... Graces au Ciel, interrompit Thélifmar, vous êtes hors de tout danger; mais fi mon inquiétudene m'eüt conduit fur ce rivage a l'inftant oü j'y fuis arrivé, je vous perdois, Alphonfe... O mon pere! s'écria Alphonfe, je vois couler vos larmes!... O le plus tendre des amis!....  du Chateau. I«7 Ó Ie plus chéri des bienfaiteurs!... Ah! pourquoi m'avez-vous arraché a Ia mort?... J'eufle cmporté vos regrets... Hélas! Thélifmar, en pleurant le malheureux Alphonfe, eut a jamais ignoré des égarements.... — Que fignifie ce difcours?... — Je fuis comblé de vos bienfaits, péuétré de vos bontés; ma tendrefle pour vous eft le fentiment dominant de mon coeur; & cependant je fuis le plus infortuné de tous les hommes... — O Ciel! & par quelle bizarreiie?... — Thélifmar, un feul mot voi.s fera juger de ma fituation; je ne puis vous fuivre en France.... — Et pourquoi?... Un devoir facré me prefcrit de retourner en Portugal.. . Ah, puilTé-je par ce douloureux facrifice , expier une faute!... — Quel preffant remords parolt vous accabler? ... Mais non , tu ne peux être coupable, ni d'un crime, ni d'une baffellé. Parle, ralfure-toi; ouvre ton coeur a ton ami. Aces mots, Alphonfe verfant des larmes de reconnoifl'ance & de joie, garde le filence quelques inftants $ enfuite, prenant la parole , il avoua fans détour a Thélifmar qu'il 1'avoit trompé, en alfürant que Dom Ramire approuvoit fon voyage : il conta fans déguifement tous les détails de fa fuite, & peigriit de la maniere la plus touchante fes remords, & fes vives inquiétudes fur le fort de Dom Ramire. Quand il eut fini ce récit, Thélifmar, le regardant d'un air attendri: Non , dit-il , je ne t'abandonnerai point ; je te conduirai  l88 Les VeilUes moi-même en Portugal... Ces paroles infpirerent a Alphonfe un fentiment de reconnoiflance fi palfionné, qu'il ne put 1'expriiner qu'en tombant aux pieds de fon générenx ami. Oui, reprit Thélifmar, nous retrouverons ce pere malheureux; je jouirai de la douceur de te remettre entre fes bras, j'oferai 1'aflurer que je lui rends un fils devenu digne de faire fon bonheur... Nous arriverons un peu plus tard en France ; mais Dalinde ne te reverra que réconcilié avec le Ciel, avec toi-même; enfin, honoré de la bénédiclion paternelle. Alphonfe ne put répondre a ce difcours fi tendre, que par un torrent de larmes. Dom Ramire, continua Thélifmar, confentira fürement fans peine a votre union avec Dalinde : ma fortune n'eft pas immenfe; mais elle eft honnête : tous les liens qui attachoient Dom Ramire en Portugal font rompus; il ne fera pas difficile de 1'engager a rcgarder la Suede comme fa patrie, & ma maifon comme la fienne. Ah , c'en eft trop , dit Alphonfe ; ah , Thélifmar , laiffez-moi refpirer !... Mon coeur ne peut fuffire aux mouvements qu'il éprouve!.... Avec un bienfaiteur tel que vous, la reconnoitfance devient une paffion. Eh , comment exprimer jamais ce qu'un fentiment ii vifinfpire! Cet entretien délivroit Alphonfe d'une partie de fes peines : 1'indulgence &latendrellé de Thélifmar adouciffoient 1'amertu»ie de fes remords , & faifoient renaltre  du Chateau. 189 dans fon ame les plus douces efpérances. Thélifmar, avant de quitter Surinam, voulut voir une pêche a laquelle il fut invité. Le jour indiqué pour la pêche, nos voyageurs fortirent de grand matin. Avant d'arriver fur le rivage, ils traverferent un marais rempli d'arbres extraordinaires. De leurs rameaux flexibles, partent des paquets de filaments qui defcendant jufqu'a terre, s'y couchent, y prennent racine, & croiffant de nouveau, forment d'autres arbres auffi beauxque ceuxauxquels ils font unis, & dont ils ne font que des rejettons qui fe multiplient de la même maniere; de forte qu'un feul arbre peut devenir la fouche d'une forêt entiere. Mais ce qui furprit le plus Alphonfe, c'eft que tous ces arbres étoient couverts de coquillages. On voyoit une multitude d'huitres attachées a leurs branches (60). Thélifmar achevoit d'expliquer a Alphonfe les caufes de cette fingularité, lorfqu'ils arriverent fur le rivage. La pêche commence, on jette le filet, &onle retire chargé de poiffon. Alphonfe voyant un énorme poiffon, aqjeu-prés de laforme d'une anguille , s'approche , & dans ce mouvement , une petite baguette de bois qu'il tenoit dans fa main, touche le poiffon; a Pinftant Alphonfe fentit dans la main & dans le bras une douleur fi vive, qu'il ne put retenir un cri percant qui lui échappa malgré lui. Tous les pêcheurs fe mirent a rire, & Alphonfe, auffi piqué qu'étonné, refta un moment iramobile. Enfuite, fe rap-  !9o Les Veülêes prochant du poiffon : Jene pujs concevoir, dit-il, comment le feul attouchement de ce poiffon peut caüfer une auffi violente commotion ; mais du moins je vais prouver que li eet effet a pu me furprendre, il ne fatiroit m'iutimider. En difant ces mots, i! fe baiffe & touche le poiffon avec fa main. Pour cette fois il ne cria point; mais il éprouva un engourdiffement général, & il reent une fi terrible fecouffe , qu'il feroit tombé , fi Thélifmar ne s'étoit avancé & ne 3'eüt retenu dans fes bras. Alphonfe fut fi étourdi de la violence du coup, qu'il en perdit prefqu'entiérement i'ufage de fes fens. Lorfqu'il eut parfaitement repris fa connoiffance:Je veux, lui dit Thélifmar, vous faire connoitre un effet encore plus étonnant produit par ce poiffon. Nous fommes ici quatorze perfonnes, formons tous un cercle en nous tenant par la main; je ferai a la tête, & vous ie dernier de ce cercle; je tpucherai le poiffon avec une baguette, & vous, féparé de moi par douze perfonnes, vous fentirez, malgré cette diftance, ce que j'éprouverai moi-même. En effet, 1'éxpérience confirma exacbement tout ce que Thélifmar avoit annoncé (61). Le lendeniain de cette aventure, les voyageurs quitterent Surinam & 1'Amériqne, & ils s'embarquerent pour le Portugal. Durant la traverfée, Thélifmar répondit a la confiance d'Alphonfe en faüsfaifantune curiofitc qu'il lui connpiffoit depuis longtemps. Alphonfe ne concevoit pas com-  du Chateau. 191 ment Thélifmar, avoit pu fe réfoudre a s'expatrier pendant quatre ans, & a s'arracher pour un temps fi confidérable du fein d'une familie chérie. Thélifmar lui apprit que fon Souverain, Protecteur éclairé des Gens de Lettres & des Savants, 1'avoit lui-même engagé a faire ce facrifice. Enfin, continua Thélifmar, les bienfaits de mon Roi, mon amour pour les fciences, mon goüt particulier pour 1'hiftoire naturelle, ont fu me déterminer a cette entreprife , dont mon amitié pour vous m'a fait fupporter fi facilement la fatigue. Le ibin de former votre cceur, d'éclairer votre efprit, les fentiments que vous m'avez infpirés, ponvoient feuls adoucir les chagrins & les inquiétudes que j'ai fouvent éprouvés, & qui font inféparables d'une aulli longue expatriation. Cependant nos voyageurs, après laplus heureufe navigation , aborderent en Portugal. Toutes les informations que fit Alphonfe, relativement a Dom Ramire, ne lui procurerent que de bien foibles lumieres ; il s'aflura feulement que depuis prés de deux ans Dom Ramire n'avoit point reparu dans fa patrie, & quelques indices, fruits d'une innnité de recherches, perfuaderent a Alphonfe que fon pere étoit en Angleterre ou en Ruflie. Alphonfe favp.it que des intéréts de familie appelloient Thélifmar en Angleterre; ainfi, en quittant le Portugal, il eut la confolation de penfer qu'il ne féjouraeroit pasen France,& qu'il  J02 Les Veillècs fuivroit Thélifmar & Dalinde dans un pays oü. il fe flattoit de retrouver fon pere. Thélifmar, en approchant de laFrance, fit promettre a fon jeune éleve qu'il cacheroit avec foin a Dalinde fes fentiments & fes efpérances. Vous allez voyager avec Dalinde, ajouta-t-il; je vous 1'ai dit, Alphonfe , le vceu de mon cceur eft d'unir enfemble , par le plus faint des nceuds , deux objets , qui, maintenant, me font prefque également chers : mais enfin, Alphonfe, vous ne pouvez,fans 1'aveu d'un pere , difpofer de vous-même. Je ne doute pas que ce confentement ne vous foit accordé ; cependant, comme 1'impoflibilité d'un refus n'eft pas démontrée... — O ciel , que dites-vous?... — Si je vous préfentois a Dalinde comme 1'époux que je lui deftine, elle vous verroit fans doute avec des yeux prévenus; dansl'efpece d'incertitude oü nous fommes, devons-nous hafarder de troubler Ie repos de fa vie?... — Moi! troubler un inftant fon repos & le vótre; ah , j'aimerois mieux ne la revoir jamais !... Mais nous fommes fi fürs que mon pere. donnera avec tranfport fon confentement !...—■ Enfin, fi par un caprice bifarre , il le refufoit ? ... — Quoi, mon pere prononceioit 1'arrêt de ma mort!... — Non , Alphonfe, ou j'ai perdu tous les foins que je vous ai-prodigués, ou vous fauriez fupporter avec courage un femblable malheur :eh, quelle infortune peut accabler quand la vertu nous refte, & quand nous  du Chateau. 103 nous pofledons un véritable ami!... — Ah , Thélifmar !... vous ferez toujours i'arbitre fouverain de ma deftinée... Ne difpofez - vous pas a votre gré de mes actions, de mes opinions, de mes fentiments ? Cet afcendant fuprême que vous avez fur moi, vous ne pouvez le perdre; la raifon , la vertu, la reconnoilfance & 1'amitié vous Fatfurent a jamais; oui , je fuivrai fidélement la loi que vous m'impofez; je verrai Dalinde, & je faurai me taire... Cependant, quel erïbrt!... Mais vous 1'exigez; puis-je douter que je n'en fois capable ? Les voyageurs arriverent a Bordeaux; ils en partirent fur le champ. Leur voiture cafTa a trente lieues de Paris ; ils furent obligés de s'arrêter dans le lieu oü ils fe trouvoient. Thélifmar écrivit a fa femme ; il lui manda qu'il feroit fürement a Paris le lendemain fur les cinq heures après midi au plus tard, & il donna cette lettre £ un courier qui partit au moment même. Avant la nailfance du jour, Thélifmar & fon éleve monterent en voiture, & prirent la route de Paris. Aux premiers rayons da 1'aurore, Alphonfe, tranfporté, embrafla Thélifmar. Quel beau jour, s'écria-t-il, je verrai Dalinde avant qu'il finiffe! Songez a vos promeffes, reprit Thélifmar, craignez de vous trahir dans cette première entrevue... — Ah, je fuis für de moi... — N'y comptez pas trop; & li vous m'cn crovez , modérez dès-a-préfent des tranfTome U. I  194 Les Veilïées ports, & l'excès' d'une joie qu'il faudra cacher entiérement dans quelques heures. Paiions d'autres chofes... — Et le puis-je... — N'en doutez pas. Defirez-vous acquérir un empire abfolu fur vous-même? Accoutumez-vous ii régler a votre gré votre imagination, & a vous diftraire facilement de quelque idéé que ce puiffe être. — Mais pourvu que ma conduite foit toujours raifonnable, qu'importent mes penfées?... — Comment me donnera-t-on des preuves éclatantes de courage , fi habituellement on eft foible & lüche; celui qui fe laifle maitrifer par fon imagination, celui qui ne fait ni écarter un fouvenir dangereux, ni rejetter une penfée qui lui plait, aura-t-il la force de ne confulter jamais que la raifon dans toutes les circonftances oü il faut agir? II eft deux fortes a"i~ dées, celles qui s'offrent naturellement a notre efprit, & celles que nous infpirent la réflexion & la fageffe. Les premières, prefque toujours frivoles ou dangereufes, font produites par nos paflions, par nos fenfations , & par les objets qui nous frappent ; en ne les rejettant jamais on ceffe d être libre, puifqu'on renonce a la faculté de choiftr fes penfées : alors fi on a despallions vives, on s'égare; fi 1'on n'en a point, on végere. II ne faut donc pas s'arrêter a une penfée paree qu'elle eft agréable , ou paree qu'elle fe préfente ; mais il faut Pécarter fi elle eft minutieufe ou condamnable; enfin, on doit chercher  du Chdteatt. 195 des fujets de méditation, & diriger avec choix fa penfée fur des objets utiles. C'eft pour les autres que nous parions, on doit tacher de plaire dans la converfation; mais la faculté de penfer nous eft dónnée pour perfeétionner notre efprit & notre cceur: nous pervertiflbns 1'ufage de cette faculté fi noble , quand nous arrötons notre imagination fur des objets peu dignes de nous occuper , & fans doute les penfées les plus fecretes d'un fage font encore plus pures & plus fublimes que fes lecons. A ces mots Alphonfe foupira , & garda lefilence pendant quelques inftants; enfuite, faifant un effort fur lui-même, il reprit la parole : Thélifmar mit la converfation fur les voyages , il fit une récapitulation de tout ce qn'Alphonfe avoit vu; Alphonfe finit par écouter Thélifmar avec plaifir; enfin, on paria de phyfique, de chymie. Que vous étes heureux , difoit Alphonfe, a Thélifmar, vous favez tout, il eft impoffible que rien puiffe jamais vous, étonner ou vous paroitre nouveau! Quelle eft votre erreur, reprit Thélifmar; les cieux , la terre , tout ce qui nous environne, 1'univers enfin, eft 1'ouvrage dun Etre fuprême , c'eft un livre éternel oü 1'homme jufqu'a la fin des temps trouvera toujours des fecrets impénélrables & des objets nouveaux; il y dévoilera dans chaque fiecle des myfteres fublimes, fans pouvoir jamais parvenir a tout connoitre. En s'cntretenant ainfi, on approchoit de I ij  io6 Les Vtillêes Paris : bientót les voyageurs, prefque égalementémus, cefferent tout-a-coup de parler. Après un long lilence: Convenez, dit Alphonfe a Thélifmar, que dans ce moment vous ne choiftjj'ez pas vos pcnfées, & que vous êtes enfin forcé de vous arrêter è celle qui fe préfente fi naturellement a préfent?... Comme Alphonfe achcvoit ces mots , 1'homme a cheval qui couroit en avant, s'approcha de la porfiere, en difant a Thélifmar qu'on voyoit dans les airs le phénomene le plus furprenant. Thélifmar met la tête a la portiere, & découvre en effet au-deffus des nuages, du cóté de Paris, un petit corps arrondi, opaque & noiratre, qui paroiffoit, enfe mouvant, s'approcher lentement de la prairie. Thélifmar étonné, confidéroit attentivement ce phénomene , & fa furprife augmenta en voyant ce corps s'agrandir & devenir lumineux; alors ilvoulut defcendre pour le mieux examiner, d'autant plus que le poftillon effrayé , venoit d'arrêter fes chevaux. Alphonfe & Thélifmar fe trouverent dans une prairie charmante; ils étoient a Arpajon, a fix lieues de Paris. Cependant le globe de feu fembloit toujours augmenter de volume. C'eft, difoit Alpbonfe, un météore a-peu-près femblable a celui que j'ai vu en Efpagne aux environs de Loxe. Ce n'eft point un météore, reprenoit Thélifmar. — Qu'eft-ce donc? — Je ne puis le concevoir... lls'approche toujours; voyez comme il devient brillant... Avez-vous une  du Chateau. Vjf lorgnette?... — Oui. — Donnez-la-moi. En difant ces paroles, Thélifmar prend la lorgnette qu'Alphonfe lui préfente; & fixant de nouveau le globe: Cela eft incroyable, s'écria-t-H , je crois diftinguer au-delfous de ce globe une efpece de vailfeau, de barque qui y femble attachée... c'eft certainement une illufion... Tenez, rcgardez a votre tour. Alphonfe reprend la lorgnette, & au bout de quelques fecondes , il fait un cri, en difant :j'y vois un homme. Thélifmar fe metarire. Tout elt expliqué, ditil , c'eft apparemment le Scythe Abaris qui voyage (0). Votre incrédulité ne me furprend pas, reprit Alphonfe; car moi qui le vois je ne le crois alfurément pas.... Mais... cependant... jufte Ciel.. . quel enchantement eft cecü... maintenant je vois diftinétement deux perfonnes. En achevant ces paroles , Alphonfe fe frotte les yeux... la lorgnette lui tombe des mains, il regarde Thélifmar, qui, immobile d'étonnement, gardoit un profond filence. Quelques minutes s'écoulent , le globe, s'avancant toujours , paroüt enfin au-deflus de la prairie. Je n'en puis plus douter, s'écria Thélifmar, ce globe d'or & de pourpre contient des êtres animés.... je les vois!... O prodige inconcevable qui confond la raifon, triomphe heureux de 1'au- (<0 Abaris re?ut d'Apollon une fleche fur Uquelle il traverfoit les airs. Iiij  ïq8 Les VeUlèes dace & du génie!... eft-il poflible que le Ciel ait permis a 1'homme d'ofer mcttre eet efpace immenfe entre lui & 1'élément dont il fut formé, & dans le fein duquel la nature a placé fon tombeau !. .. Thélifmar parloit encore, lorfque le globe , qui planoit fur fa tête, s'abaiffa majeftueufemeut. Alors, dans le char éclatant fufpendu au globe, on diflingue deux figures céleftes; ce font des femmes, 1'une a la beauté impofante & noble de Junon ou de Minerve; 1'autre , vêtue de blanc & couronnée de xofes, reflemble a 1'Aurore & a la Déeffe charmante des fleurs & du printëmps. Alphonfe s'élance versie globe, une violente palpitation de cceur le force a s'arrêter... Non, s'écrie-t-il, ces objets raviflants ne font point des créatures mortelles!... Elles s'approchent... elles fe tiennent embraffées. .. Ah, fans doute, c'eft la vertu & 1'innocence qui defcendent du Ciel, & qui viennent fur la terre nous rendre 1'age d'or!... Mais, grand Dieu... eft-ce encore une illufion nouvelle!... O Dalinde! cette jeune Divinité, pour mieux nous charmer , s'offre fous votre image... Je n'ofe en croire mes yeux; mais mon cceur ne peut me trompen.. Oui, c'eft elle!... O Ciel! c'eft Dalinde elle-même... En prononcant ces paroles , Alphonfe éperdu , appelle Thélifmar. Dans ce moment, le globe & le char touchent enfin la terre. Thélifmar poufle un cri pénétrant, & pftle, tremblaut, tranfporté de joie, en même-temps glacé par la  du Chateau. 199 furprife & par le faiTiflement, il précipite fes pas. Les deux Divinités volent a fa rencontre , & fe jettent dans fes bras. Alphonfe, hors de lui,, accourt, il n'ofe tomber aux genoux de Dalinde, il s'arréte, & l'excès de fon trouble & de fon émotion le force a s'appnyer contre un arbre; car fes jambes tremblantes ne pouvoient le foutenir. Dans les premiers moments d'une joie fi vive, le globe magique, le char, le prodige, tout fut oublié; Thélifmar ne voyoit que fa femme & fa fille, & fit curiofité étoit fufpendue par un charme au-deflus de tous les enchantements. Alphonfe , témoin de cette réunion touchante , ne goütoit pas une joie fans mélange, il contemploit avec ra\dflement Dalinde, il jouiflbit avec tranfport du plaifir fi doux de comprendre enfin fon langage, & de lui entendre dire a Thélifmar tout ce que l'afFeétion filiale peut infpirer de plus tendre ; mais cette fcene intéreffante retracoit a fa mémoire le fouvenir de fon pere, & il connut qu'un feul remords fuffit pour empoifonner la félicité la plus pure. Cependant la réflexion ramenant bicntót la furprife & la curiofité , Dalinde & fa mere furent vivement queftionnées par Thélifmar. Elles répondirent qu'elles ne s'étoient fervies du globe aéroftatlque , qu'après avoir vu des expériences qui en prouvoient la füreté; que fachant le jour de Parrivée de Thélifmar, & ayant le vent favorable, elles n'avoient pu réfifter au defir de lui caufer une furprife, I iv  200 Les Veillies qui, d'aillenrs avanceroit Pinflant 'de le revoir; qu'enfm, logeant chez un phyficien qui avoit un globe tout pret, elles avoient faifi une occafion fi favorable de voler au-devant d'un époux & d'un pere fi chéri : elles ajouterent qu'en planantaudeflus dela prairied'Arpajon, elles avoient diftingué une voiture & des chevaux , & qu'alors elles étoient defcendues. Après cette explication , on fe rapproche du globe, & la femme de Thélifmar fit en peu de mots le détail intéreffant des expériences faites a la Muette & aux Tuileries. Thélifmar s'attendrit lorfque fa femme lui dépeignit 1'enthoufiafme géuéral que ces expériences fublimes avoient excitées, & 1'admiration qu'éprouvoit la nation entiere pour 1'Auteur immortel de cette découverte , & pour les illuftres Phyficiens dont 1'audacehéroïque avoit procuréala France un fpeftacle fi pompeux & fi nouveau. Thélifmar apprit avec plaifir que tous les Savauts partageoient 1'enthoufiafme fi fondé dela nation. Alphonfes'étonnaque latrifte & noire envie n'eftt pas empoifonné le triomphe de 1'Auteur d*une découverte fi brillante. Un peu de réflexion fera ceffer votre furprife, reprit Thélifmar, on recoit avec tranfport la lumiere qui peut guider vers le but qu'on fe propofe; fongez qu'un Chymifte ou un Phyficien, en faifant une grande découverte , ouvre une nouvelle carrière a tous les Savants ; il leur fournit la matiere d'une infinité de fpéculatiotïs  du Chdteau. 201 intéreflantes, & une foule d'idées neuves; il leur offre enfin de nouveaux moyens de fe diftinguer & d'acquérir de la gloire. Mille découvertes brillantes doivent naitre d'une découverte fublime; chaque Savant n'eft occupé que du foin de perfeétionner la découverte &d'en tirertoutle parti qu'on en peut attendre. Ainii bien-loin de chercher a_ diminuer le mérite de la première invention, il n'employe fes talents & fon génie qu'a la rendre plus utile, & parconféquent plus glorieufe. Vous me charmez, dit Alphonfe; il exifte donc une carrière dans laquelle les hommes peuvent, en courant vers le même but, fe furpalfer & s'atteindre fans fe haïr ! noble arene oti le vainqueur eft couronné par fes rivaux, oü le triomphe d'un feul caufe la joie de tous, & devient pour eux une fource inépuifable de gloire & de fuccès nouveaux. Ah , pourquoi les Gens-de-Lettres ne donnentils pas eet exemple fublime! Vous demandez une chofe impoflible, répartit Thélifmar, on ne peut nier un fait prouvé : une découverte conftatée par des expériences eft au-deffus de toute critique, de toute cenfure; il n'en eft pas ainfi des ouvrages d'imagination : avec la meilleure volonté du monde un Auteur ne fauroit démontrer géométriquement que fon ouvrage eft bon; il a beau Ie dire de mille manieres dans fa Préface, chacun peut lui foutenir le contraire; & quand ilaur .it fait un chef-d'ceuvre , le mauvais goüt & Ia mauvaife foi 1 v  202 Les Peiüées le contefteroient toujours ; ds-\h naiflent ces difputes , ces critiques amcres , ces inimitiés qui deshonorent la littérature. Enfin, leSavantne peut rien écrire deneuf & de lumineüx, qui ne foit utile a tous les autres Savants ; tandis que Tefprit & les talents d'un Homme de Lettres ne peuvent fervir qu'a fa propre gloire. Ainfi par la nature même des chofes, on doit trouver en général, beaucoup plus d'union, de juftice & de vertus parmi les Savants, que parmi les Gens de Lettres. Après cette converfation, on fe promena dans la prairie, enfuite on monta en voiture, & 1'on reprit le chemin de Paris, oü 1'on arriva fur les dix heures du foir. Thélifmar ne féjourna point a Paris, & partit fans délai avec fa familie & Alphonfe pour I'Angleterre. Ils pafferent quelque tèmps a Londres, & ils n'y apprirent aucune nouvelle de Dom Ramire; ils fe rendirent dans le Comté de Darby. Arrivés a Buxton , Thélifmar propofa une promenade. Lorfqu'ils furent en chemin : Je vais, dit Thélifmar, vous conduire a une fontaine qui, par les vertus fabuleufes qu'on lui attribue, feroit beaucoup mieux placée dans la Sicile ou dans la Grece, que dans cette Province. On prétend qu'elle ne coule que pour les cceurs conftants, & que tout amant coupable de la plus légere infidélité, ne peut boire de fes eaux, paree qu'elles s'arrêtent aufii-t6t qu'il en approche. II y a long-temps,ajoutaThélifmar, que j'ai en-  du Chateau. 203 tendu faire ce vieux conté, dont Ia galanterie rapelle la fontaine Acadine & l'hiftoire d'Argyre (6a). Thélifmar achevoit ces mots, lorfque fes guides lui parierent en Anglois , langue qu'Alphonfe n'entendoit pas. lis me difent, reprit Thélifmar, que nous fommes a cent pas de la fontaine; mais comme le chemin eft rempli de ronces & de pierres , ils vont aller devant avec nos gens, pour nous frayer la route. Repofons-nous fous ces arbres : ils nous appelleront, lorfqu'ils aurontnettoyé le chemin. Thélifmar s'affit fur le gazon, entre fa femme & fa fille. Au bout d'un demi-quart d'heure,on vint les chercher, & ils fe rendirent a la fontaine. Je vais, dit en riant Thélifmar a fa femme, vous prouver une fidélité dont j'efpere que vous n'avez jamais douté; d'ailleurs, cette belle fource fi claire & fi abondante invite a boire; ainfi je conléns volontiers a fubir cette épreuve d'une conftance parfaite. En difant ces paroles, Thé lifmar s'approcha de la fource, & but a plufieurs reprifes. Eh bien, s'écria-t-il, qu'on dife a préfent que les hommes font inconftants! Vous voyez... Mais, pourfuivit-il, Alphonfe, avez-vous foif?... Non, répondit Alphonfe en fouriant; cependant je veux bien boire auffi. Allons, venez, reprit Thélifmar. Comme Alphonfe s'approchoit, Thélifmar, 1'empêchant de fe baiffer : Quoi, lui dit-il tout bas, vous avez le front de vous expofer a cette épreuve? Souvenez-vous de la Grece, & de cette I vj  204. Les Feillies jeune Zoé... —-Ah, Thélifmar, que vous êtes cruel!... — Enfin , vous venez de vous engager témérairement; il n'eft plus temps de vous dédire, il faut boire. Pendant ce dialogue, Dalinde s'étoit avancée; & Alphonfe, craignant qu'elle n'entendit les plaifanteries de Thélifmar, fe pencha vers la fontaine; il approche fes levres de la fource; dans ce moment Peau s'arrête, & celle entiérement de couler. Alphonfe confondu, hors de lui, éprouve un battement de cceur d'une violence inexprimable... Pétrifié d'étonnement, il refte immobile a fa place. Dalinde rougit en fouriant, d'un air un peu contrahit, & Thélifmar en filence, confidéroir malignement ce tableau. Enfin, prenant la parole, & s'adreflant a Alphonfe : Allons, profane, dit-il ,éloignez-vbus de ces bords facrés!... Certainement, interrompit Alphonfe, cette fontaine eft faétice! II n'eft pas poflible... Je vous protefte, reprit Thélifmar, qu'elle eft naturelle... «—11 eft certain qu'elle en a bien 1'air; mais vous qui poffédez tant de fecrets merveilleux, vous en avez fiïrementpour arrêter, quand vous voulez , le cours des fontaines... — Ce fecret feroit en effet merveilleux!... —Je vous ai vu faire des chofes aufïï furprenantes... — Celle-ci cependant furpafle mop pouvoir; je vous donne ma parole, que je n'ai nulle influence fur cette fontaine, & que le prodige qui vous étonne eft uniquement 1'ouvrage de la feule nature. Ce foir je tache-  du Chateau. 205 rai de vous expliquer ce phémomene : en attendant, Alphonfe, cédez-moi votre place; comme j'ai la confcience nette, je la prends fans crainte, malgré la difgrace que vous venez d'éprouver. Regardez, maintenant vous allez voir 1'eau reparoitre... En effet, comme Thélifmar approchoit de la fontaine, la fource jaillit impétueufement; & Thélifmar, après avoir joui un momeni de fon triomphe, prit Alphonfe fous le bras, & quitta cette fontaine merveilleufe (63). Alphonfe n'étoit plus affez ignorant pour croire a renchantemcnt. de la fontaine; & méme, en y réfléchifl'ant, il devina a-peuprès les caufes d'un effet fi extraordinaire; mais la plaifanterie de Thélifmarl'avoit tellement déconcerté, que,pendant toute la promenade, il ne put fe remettre de fon embarras. Thélifmar ne fit pas fembkmt de s'appercevoir de fa triffefle & de fa diflraetion; & le foir, lorfqu'ils furent feuls : Avez-vous remarqué, lui dit-il, a quelexcès Dalinde a rougi, quand elle a vu la fontaine s'arrêter pour vous? Cette vive rougeur, effet du premier mouvement, m'a fait craindre'qu'elle n'eütquelque foupcon de nos projets ; & pour la dérouter, je lui ai fait une fauffe confidence... — O Ciel! Que lui avez-vous dit?. .. — Que vous aviez un engagement qui m'étoit connu; qu'enfin vous aimiez une jeune perfonne de votre pays, une charmante 1'ortugaife... — Ah, Thélifmar, eft-il poflible!...  206 Les Veillèes — J'ai mêlé la vérité avec la fable : j'ai ajoiité qu'une jeune Grecque vous avoit caufé quelques diftraétions, & que c'étoit a ce fujet que j'avois imaginé la plaifanterie de la fontaine... — Ah, grand Dieu!... Et qu'a dit Dalinde?... —Elle m'a fait une finguliere queftion ; elle m'a demandé le nom de cette jeune Grecque , &tout bonnement j'ai nommé Zoé... — Quoi,Thélifmar, vous auriez eu la cruauté!... — Comment, la cruauté ! Je vous allure que Dalinde m'a écouté fans trouble & fans chagrin; feulement j'avouerai qu'elle a eu 1'air attentif & un peu furpris... — Ah! je ne doutois pas de fon indifférence... Quand je vous accufe de cruauté, je ne gémis que fur moi-même!... — Mais foyez donc conféquent; nous fommes convenus qu'il ne falloit pas que Daliude put foupconner nos engagements... — Oui, vous m'avez ordonné de lui cacher mes fentiments... — Et jufqu'ici je n'ai qu'a me louer de votre obéiffance, elle efttelleque je puis la defirer... — Ah! fi vous faviez a quel point eet effbrt eft douloureux!... Quand j'ai pris un engagement fi cruel, je ne connoiflbis Dalinde qu'imparfaitement.... Depuis deux mois je 1'entends, je la vois tous les jours; vous m'avez permis d'afpirer a fa main, & vous me forcez au filence !. .. — Oui, je vous ai promis Dalinde; mais a condidon que vous fauriez mériter toute mon eftime. L'époux de Dalinde ne fera point un homme ordi-  du Chateau. 207 naire... — Ah! qui pourroit afpirer a ce titre, s'il falloit être digne d'elle pour y prdtendre! Pardonnez des murmures infenfés, ó Thélifmar! Je ne puis mérrter le prix que vous daignez me promettre; mais du moins , pour 1'obtenir, il n'eft point de facrifice que je ne falfe avec tranfport. Parlez, qu'exigez-vous?—Une feule chofe, qui me répondra de toutes vos vertus, qui m'en garantiralafolidité... Enfin, que vous ayez un empire abfolu fur vous-même. — Je vous renouvelle la promeffe de cacher a Dalinde un attachement que chaque inftant paffé prés d'elle femble accroitre... — Cela ne fuffit pas; Dalinde a de 1'efprit & de la pénétration, elle voit matendreffe pour vous; & fi elle ne croit pas votre cceur engagé, elle foupconnera bientót la vérité. II faut donc encore que vous me juriez de ne rien dire, qui puiffe la diffuader de 1'idée que vous aimez en Portugal... — Quoi! vous voulez que jelatrompe?... — Non ; vous croyez bien qu'elle ne vous fera point de queftions; ainfi , vous ne ferez point dans 1'embarras de lui déguiferla vérité a eet égard. Je vous ai confiéce que je lui ai dit : tout ce que je vous demande, c'eft que vous ne me trahifïïez pas, & que, par des phrafes indirecles , vous ne cherchiez point a détruire 1'opinion que je lui ai donnée... — Dalinde imagine que je fuis fenfible, & que ce n'eft pas pour elle... O Ciel!... — Laiflez-la dans fon erreur; je 1'exige, & j'attends de vous eet effbrt...  208 Les Veillèes — Je vous obéirai, mais vous me déchirez le cceur!... — Quelle expreffion exagérée! Paroltrez - vous aux yeux de Dalinde inconitant ou perfide ? Ce que je vous prefcris ne peut diminuer fon eftime pour vous; eet excès de douleur n'eft donc qu'une foibleffe. A ces mots Alphonfe ne put retenir fes larmes : Thélifmar 1'embraffa, & changea d'entretien. Thélifmar partit de Buxton, & conduifit fa femme & fa fille jufqu'aux frontieres de 1'Ecolfe (64). La , ils fe féparerent; Dalinde & fa mere prirent la route d'Edimbourg. II fut convenu qu'elles iroient en Ecollé, chez un parent, ancien bienfaiteur de la femme de Thélifmar, qui les atteiidoit avec impatience ; & que durant ce temps, Thélifmar & Alphonfe feroient le voyage de 1'Iflande. Cette féparation fut d'autant plus cruelle pour Alphonfe, qu'il laiffoit Dalinde perfuadée de fon indifférence, & qu'il falloit, en s'arrachantd'auprès d'elle , lui cacher la douleur qu'il éprouvoit de la quitter. II fe conduifit dans cette occafion avec une force & une fermeté qui furpatferent même les efpérances de Thélifmar ; craignant de fe trahir, a peine dans les derniers adieux ofa-t-il regarder Dalinde , & lui dire ce que la fimple politefie eüt exigé. Lorfqu'il fe trouva feul avec fon ami, il fit éclater fes regrets; mais les tendres éloges de Thélifmar en adoucirent bientót 1'amertume. Ils s'embarquerent, & arrivés  du Chdteau. aoo en Mande, ils furent a Skalhot, d'ou on les conduifit a Geizer. Ils adrairerent d'abord dans ce lieu fan vage une cafcade naturelle , d'une élévation prodigieufe : mais un fpeclacle plus nouveau fixa toute leur attention. Jettez les yeux de ce cóté, dit Thélifmar, & regardez ces colonnes fuperbes de rubis , d'ivoire & de cryffal, qui couvrent cette plaine immenfe... Alphonfe fe retourne, & dans une vafte étendue de terrein remplie de gouffres & de rochers, il voit s'élever dans les airs a des hauteurs & des diftances inégales , une multitude de jets d'eau de diverfes couleurs : les uns d'un rouge éclatant, les autres d'une blancheur éblouilfante , quelques-uns d'une eau pure & limpide, & prefque tous paroilTant s'élancer jufqu'aux nues (65). Alphonfe & Thélifmar ne pouvoient fe laffer de contempier un fpeftacle fi brillant & fi beau : ils admirerent encore dans Ia même ifle beaucoup d'autres phénomenes aufiï curieux; & après avoir vu tout ce que riflande offre d'extraordinaire & d'intéreffant, ils fe rembarquerent, & retournerent en Angleterre. Alphonfe revit Dalinde, & les chagrins de 1'abfence furent oubliés; mais le foin pénible de cacher fa joie, en corrompit toute Ia douceur. Thélifmar quitta 1'Angleterre , & avec une fatisfaétion inexprimable, il s'embarqua pour aller en Suede. Après tant de travaux & de fi longs voyages, il jouit enfin du bonheur de fe retrouver au milieu de  21 o Les VeilUes fa familie, de fes amis, & dans fa patrie. II eut le plaifir de revoir ce vertueux Zulaski chez lequel il avoit logé aux ifles Acores, & dont la maifon fut fi miraculeufement lancée dans Ia mer. Thélifmar apprit avec joie que la piété filiale de ce jeune homme le rendoit 1'objet de 1'adrnirationpublique; que fon Souverain 1'avoit comblé de bienfaits; que, pour comble de bonheur, il avoit retrouvé fa maitreffe fidelle; qu'enfin il étoit marié, & le plus heureux de tous les hommes. Thélifmar voulut le contempler au fein de fa familie. II vit Zulaski entre fon pere & fa femme, & tenant fur fes genoux fon fils , jeune enfant & peine agé de deux ans. O Zulaski ! dit Thélifmar, quel fort eft comparable au vótre? Cette femme, eet enfant que vous chériffez, votre fortune, votre réputation, tout ce qui fait vos plaifirs, votre félicité, votre gloire, vous le devez a la vertu! Ce bonheur eft d'autant plus pur qu'il infpire trop d'intérêt pour exciter 1'envie ! les qualités qui ne font que brillantes font plus d'ennemis qu'elles ne procurent d'admirateurs ; mais celles qui ne viennent que du cceur , entrainent , obtiennent le fuffrage univerfel. On ne peut éblouir les hommes fans blefler leur orgueil; quand on les étonne , fouvent on les irrite; & toujours quand on les touche on les fubjugue. Et ce fils, tendre objet de vos plus cheres efpérances, que n'êtes-vous pas en droit d'en attendre! Pour  du Chateau. 211 lui faire connoitre 1'étendue des devoirs facrés de la nature ; pour le rendre digne de vous, il ne faudra que lui conter votre hiftoire. Cependant Alphonfe , plus que jamais dévoré d'inquiétudes fur la deftinée de fon pere, confervant encore 1'efpérance de le trouver en Rulfie , déclara a Thélifmar qu'il étoit décidé apartir pourPétersboug. Thélifmar imaginant facilement a quel point Alphonfe feroit a plaindre, fi cette derniere recherche étoit infructueufe, ne voulut point 1'abandonner, & partit avec lui. Ils trouverent a Pétersbourg Frédericeet ancien ami de Thélifmar , qu'ils avoient rencontré dans Fifle de Policaudro. Je fuis deftiné , leur dit Fréderic , a vous faire voir & a voir avec vous des chofes extraordinaires. Si vous voulez me fuivre , je vais vous conduire dans un palais de cryftal... Nousfavons, interrompit Alphonfe, que vous nommez ainfi une caverne formée par Ia nature... Pour cette fois , reprit Fréderic, ce n'eft point une f39011 de parler : vous allez voir un véritable palais de cryftal, bati par des hommes, & fuivant les regies de la plus élégante architecture. Cette alfurance ne peut perfuader Alphonfe; & Fréderic, pour lui óter fon incrédulité, le conduifit fur le champ dans ce merveilleux palais. Aufli-tót qu'ils 1'appercurent, Alphonfe fit une exclamation de furprife en voyant en effet un palais tranfparent, d'une fuperbe architecture,  21a Les Vetllèes & qui paroifïbit formé de cryftaux de di« verfes couleurs. Avancons , dit Fréderic, votre étonnement va redoubler. Regardez cette batterie de canons! Que vois-je, s'écria Alphonfe, des canons de cryftal!... Comme il difoit ces mots, fon oreille fut frappée par des fons harinonieux. Ces concerts, reprit Fréderic, viennent du palais enchanté. L'entrée en eft ouverte; oferezvous pénétrer dans un lieu qui ne peut être habité que par des fées? Oui, répondit Alphonfe en fouriant, je fuis maintenant trop familiarifé avec les enchantements pour les craindre. En achevant ces paroles , il paffa fous les brillants portiques du palais; & conduit par les accords mélodieux d'une mufique célefie, il arriva dans un magnifique fallon dont les colonnes & les murs de la même matiere que le refte du palais, étoient ornés de guirlandes & de feitons de rofes. Des girandoles de cryftal placées dans les angles du fallon, portoient un nombre infini de bougies dont la lumiere fe réfléchiffant de tous cótés produifoit une clarté éblouiffante; mais ce qui frappa le plus Alphonfe, ce fut la beauté des femmes qu'il trouva raffemblées dans ce palais magique. II n'eut pas de peine a les prendre pour des fées : elles étoient vêtues a-peu-près comme on nous peint Calypfo ou les Nymphes de Diane; telles qu'Aréthufe ou la belle Atalante. Leur parure étoit formée de la dépouille des animaux pris a la courfe ou vaincus a la chaf-  du Chateau. 213 fe. Des ngrafFes de diamants rattachoient leurs manteaux d'hermine & de martre; & dans eet habit fuperbe , leur beauté , leurs charmes effacoient 1'éclat du brillant féjour qu'elles habitoient. Alphonfe en quittant ce palais fut enfin de quelle maniere eet édifice étoit formé. 11 apprit que les glacés de la riviere de Neva en avoient fourni tous les matériaux (66\ Quoi, maman, s'écria Céfar, un palais de glacé!... Cela eft-il bien vrai?... — Rien n'eft plus certain. .. — Et comment ce palais rempli de lumieres ne fondoit-il pas?... Comment avoit-on pu trouver une glacé affez épaifle pour le conftruire ? D'ailleurs, vous avez dit que cette glacé étoit de diverfes couleurs... — Mes notes répondront a toutes ces queftions... — Oh que j'ai envie de les voir ces notes!.. .. Maman, vous aviez bien raifon, il n'y a point de contes de Fées plus merveilleux que Ie vótre; mais, chere maman, reprcnez-en le fil; nous ne vous interromprons plus. II elt trop tard, dit Madame de Clémire, demain vous apprendrez le refte de 1'hiftoire d'Alphonfe. Le lendemain au foir, Madame de Clémire reprit ainfi la leéture de fon manufcrit. — Toutes les recherches d'Alphonfe, relativement a fon pere , furent aufii infruétueulés que celles qu'il avoit faites en Angleterre. Accablé de douleur, il trouva dans Paffeétion de fon généreux bienfaiteur les feules coufolations qu'il füt fufceptible  21^ Les FeilUes de recevoir. Vous nepouvez, lui dit Thélifmar , difpofer de votre main fans Paveu de votre pere : le devoir & les loix mêmes s'y oppofent. II faut, cher Alphonfe, vous foumettre a votre deftinée. Vous avez fait tout ce qui dépendoit de vous pour retrouver votre pere, maintenant il faut attendre avec réfignation 1'age oü les loix vous permettront de difpofer de vous-même... D'icila vous ferez féparé de Dalinde, vous ne la reverrez que pour recevoir fa main. vous pafferez eet efpace de temps, continua Thélifmar, dans la Suede, dans une maifon qui m'appartient & que j'habitois avant mes voyages : je vais vous y conduire. Je vous y laiflerai feul. J'iraia Stockholm rejoindre ma familie. Nous ferons fl*parés; mais du moins nous habiterons le même pays , & nous avons la certitude d'être pour toujours réunis dans deux ans. llélas, dit Alphonfe, quel exil! quelle féparation! Encore, fi Dalinde connoiffoit mes fentiments !fi je pouvois me flatter d'obtenir fa pitiél... Mais je me foumets a mon fort: ah, puiffent les peines que je vais fouffrir expier les fautes de ma jeunefle ! Puiffe le Ciel, touché de mon repentir, me rendre un pere qui m'a coüté tant de larmes ! Thélifmar partit de Pétersbourg, & con: duifit Alphonfe dans la retraite qu'il lui deftinoit. C'étoit un antique chateau, fitué dans un lieu fauvage aux environs de Salfeberift. Voila donc, dit Alphonfe, la folitude oü je dois pafler deux ans ! Sans  du Chdteau. ng le fouvenir déchirant de mes fautes & de mon pere, je pourrois fupporter avec courage eet exil rigoureux; mais je ferai feul avec mes remords!... Confervez de fi juftes regrets, dit Thélifmar; mais ne vous lailiez point abattre par la triftelfe; occupez-vous du foin de perfeétionner dans la retraite les connoiffances dont je vous ai donné les éléments. Je vous ai promis jadis un tréfor que vous étes maintenant en état d'apprécier. Voyez-vous fur ces tablettes cette longue fuite de volumes? Voila , mon cher Alphonfe , Pouvrage immortel qui achevera de vous dévoiler les fecrets de la nature. Je ne vous quitterai que dans quelques jours. Nous parcourerons enfemble les environs de ce chdteau, & vous trouverez dans ces lieux agreftes des objets dignes d'exciter votre curiofité. Le lendemain matin, Thélifmar &le trifte Alphonfe monterent en voiture au lever de 1'aurore. Thélifmar promit une promenade intéreffante; mais Alphonfe étoit trop profondément abforbé dans fa mélancolie pour pouvoir efpérer que rien pót 1'en diftraire. Après avoir fait prés de trois miiles, ils arnverent dans un lieu aride & fauvage, entouré de tous cótés d'énormes montagnes. Arrêtons-nous , dit Thélifmar. Alphonfe, fi je ne connoiflois pas votre courage, je ne vous aurois point amené dans ce défert ; car nous allons tenter une entreprife très-périlleufe : avaneons... A travers ces rochers, n'appercevez-vous pas plufieurs  ai6 Les Preillèes gouffres... Nous allons defcendre dans ces abymes. Thélifmar achevoit ces mots, lorfque deux hommes d'un afbeet effrayant s'approcherent de lui. Ils étoient enveloppés de longues robes d'une couleur fombre. Ils avoient les bras nuds & tenoient des torches allumées. Voila nos guides, dit Thélifmar; il faut nous féparer ici, nous nous rejoindrons bientót. En dïfant ces paroles, il s'éloigne avec 1'un des deux inconnus. Alphonfe fuit 1'autre qui marche devant en filence. Après avoir fait quelques pas, Alphonfe fe trouve fur le bord d'un gouffre; il s'arrête, & il appercoit a 1'ouverture de eet abyme un petit tonneau qui paroit fufpendu en l'air. Le guide d'Alphonfe s'élance dans cette efpece de barque. Alphonfe s'y place a cóté de lui. Alors le guide , tenant toujours fa torche allumée , fait entendre fa voix lugubre. Au moment oü l'air retentit de fes chants funebres la barque s'enfonce dans 1'abyme. Une main invifible femble la précipiter au fond du gouffre. Alphonfe levant les yeux n'appercoit plus le ciel que comme un point imperceptible, Biantót il le perd entiérement de vue, & ne voit plus que fon étrange compagnon qui lui retrace 1'image du faroucheBatelier des Enfers. Cependant, au bout d'un quart-d'heure , Alphonfe commence a s'étonner de la longueur du trajet & de Pimmenfe profondeur du précipice. Tout-a-coup il entend autour  du Chdt'eau. fcutour de lui des torrents impétueux tornier avec fracas de toutes parts. Ces chütesd'eau qu'il ne peut voir, rappellent a Ion imagination les redoutables fleuves du lartare. Sa curiofité s'accrolr avec fa furprife ; un prelfentiment fecret J'émeut & le trouble... 11 fe fent attendri; il a peine 4 démeler lui-même ce qui fe paffe au fond de ion cceur. Enfin, la barque s'arrête. H en-fort précipuammenr. Au même moment, lhénfmar accourt & vient le rejoindre- & après avoir fait quelques pas, Alphonfe eft trappé de la lueur d'une vive cJarté II avance, & 1'étonnement le rend immobiie. -II -fe trouve dans un vafte & magnifique fallon dargent, foutenu par des colonnes de même métal, auquel viennent aboutir quatre galeries fpacieufes» Un ruiffeau d'une -eau pure coule au milieu du fallon & des galeries. Cet édifice fbmptueux eft éclairé par une infinité de lampes & de fhimbeaux. 1 out brille, tout éblouit dans ces ré°-ions fouterreines. Les lumieres fe réfléchffferft Ci k répetent fur 1'ar^ent des murs & des voötes, & fur le cryftal des eaux limpides qui traverfent le fallon. Alphonfe & Thélifmar entrent dans les galeries; ils y trouvent un peuple immenfe employé a divers travaux. Au bout des galeries, Alphonfe découvre des mailons il voit pafler des chevaux, des chariots' & fon étonnement eft au combk en armer! cevant un moulin a vent!... Quoi ma man, interrompit Caroline, une vilk'd'arloitie IL j£  ai8 Les VeüUes gent fouterreine, & dans cette ville, des chevaux , des voitures & un rnoulin k vent?... — Cette ville exifte toujours telle que je viens de vous la dépeindre; mais laillez-inoi finir mon conté, & ne m'interrompez plus. Thélifmar ramena Alphonfe dans les galeries. Au moment oü ils y entroient, Thélifmar treflaille, en remarquanr, que la lumiere des lampes paroit s'affoiblir; il leve la tête, & voit voltiger en l'air une efpece de voile blancliatre. II prend brufquement Alphonfe par le bras, 1'entralne avec lui, & le force a fe profterner fur le plancher. A L'inftant même, un cri terrible & général fait retentir les voütes du fouterrein; toutes les lumieres font éteintes; une affreufe obfcurité fuccede a 1'éclat de la plus brillante illumination. Un profond filence augmente encore 1'horreur de cette fcene furprenante. Enfin, au bout de quelques lecondes, on entend un bruit femblable k celui d'un coup de canon. Alors tout le monde fe releve , on s'écrie qu'on eft hors dedanger. On rallume les lampes, &Tfcélifmar fe tournant vers Alphonfe: Lamort, dit-il , a pafifé fur nos têtes. Tel eft 1'affreux péril oü 1'on eft fouvent expofé dans ces profonds abymes creufés par la cupidité. Hélas ! ce n'eft pas. ce peuple malheureux , privé de la clarté du foleil, qui jouit des tréfors qu'il arrache du fein de Ia terre! La mifere le force a defcendre yivant dans ces tombes funeftes. Au milieu  (Ju Chdteau. 21 p des richefles qui 1 environment, il ne trouve même pas 1'aifance; il fe confacre aux plus pénibles travaux, il détruit fa fan té, il avance le terme d'une vie languiifaute... Ah, Ciel! interrompit Alphonfe, combien vous m'intéreflez en faveur de ces viétnnes malheureufis (67)! Mais, pourfuivit Alphonfe , quel nouvel événement vient d'arriver! Voyez-vous toutce monde qui fe raflemhle la-bas?... En difant ces paroles , Alphonfe retourne au bout de la galerie; Thélifmar le fuif, & ils rencontrent un homme qui leur apprend que dans 1'inftant oü la vapeür méphitique s'étoit répandue dans le fouterrein , un ouyrïer ri'ayant pas éteint affez promprement fa lumiere, avoit été blelfé, & qu'on s*empreflbit a le fecourir. J'ai dans ma poche, dit Thélifmar, un flacon qui peut lui être utile. Allons le voir. Alors Alphonfe & Thélifmar précipftent leurs pas. Ils percent la foule raflemblée autour du bleffé, & ils arrivent auprès de lub Ce malheureux, fans counoiflance, étoit étendu fur la terre. II eft mort, dit un de fes camarades , en voyant Thélifmar s'avancer. Alphonfe, pénétré de com- paflion , s'approche II jette un ceil mouillé de pleurs fur ce trifte objet.... If frémit... recule... s'élance vers lui... Ie regarde encore d'un air égaré; fon fang fe glacé dans fes veines; fes cheveux fe hériflent fur fa tête, & comme s'il eüt été frappé de la foudre, fans pouvoir prononK ij  220 Les Veillies eer une feule parole, il tombe évanoui ft cóté dc 1'infortuné dont la vue vient de produire en lui une fi terrible révolution... Thélifmar vole au fecours d'Alphonfe. II recommande l'inconnu aux gens qui 1'environnent en leur laiffant fon flacon & fa bourfe, & il fait tranfporter'Alphonfe dans une autre galerie. Au bout d'un demi-quart d'heure, Alphonfe fait un mouvement, il ouvre les yeux en pouffant un cri douloureux. L'égarement du plus horrible défefpoir fe peint dans fes regards & défigure fes traits... Mon pere! s'écrie-t-il!... C'eft lui! c'elt mon pere!... Barbares, rendezmoi mon pere!... Qu'on meconduife a fes pieds... Je veux Ie revoir... Je veux mourir prés de lui... Dans quels lieux , dans quel état devois-je, óCiel! le retrouver!... II n'eft plus, & i'exifte encore !... Je jouiffois de la clarté des cieux, & mon pere gémiffoit dans eet affreux abyme !... Laiffezmoi, pourfuivit-il en repoufi'ant Thélifmar d'un air farouche, laiitez-moi; fuyez un monftre indigne de revoir le jour. Je renonce au monde, au bonheur, a la lumiere, cefouterreinfera mon tombeau; il eft, hélas! celui de mon malheureux pere!.... Du moins la mort va nous réunir.... Alphonfe , en prononcant ce difcours d'une voix entrecoupée, faifoit de vains efforts pour s'échapper des bras de fon ami... Arrêtez! s'écria Thélifmar, arrêtez; Alphonfe, méconnoilfez-vous Thélifmar? nereconnoiflez-vous plus fa voix?..>  du Chateau. 321 'y Ah, fe ne vois plus que mon pere! je n'entends plus que la voix de la nature qui crie dans le fond de ce cceur déchird! Encore une fois, calmez-vous un inftant, s'il elt poflible; écoutez-moi. S'il eft vrai qu'une reffemblance trompeufe ne vous ait point abuf'é... vous pouvez encore con- ferver quelque efpdrance — Ciel' il vivroit!... — Et fa bleffure peut-être n'eft- pas mortelle... O Dieu! s'dcria Alphonfe, en fe prdcipitant a genoux, & en élevant fes bras vers le Ciel!' Dieu! prends pitié de mes remords & de mon défefpoir; rends - moi mon pere! - .. Ah , courons, cher Thélifmar, daignez gmder mes pas... — Non, difFérons quelques inftants une entrevue qui pourroit lui caufer une révo- lution funefte — Mais il vit? vous m'tn repondez ?... — Oui, je vous protefte que l'inconnu que vous avez vu fans connoiffance n'eft que bleffd. J'ai donné I ordre qu'auffi-tót qu'il auroit repris fes lens, on le fit fortir du fouterrein; il n'efl plus ici... — II a donc repris fa connoiffance ? il a parlé?,.. O Thélifmar! ne me trompez-vous point?... — Si vous ne me croyez pas, Alphonfe, reftez ici, mterrogez tous les ouvriers; pour moi, je vais fur le champ foigner l'inconnu, car il eft chez moi.. . — Chez vous ? mon pere eft chez Thélifmar! fe peut-il? - II eft pnrti dans la voiture qui nous atten- rioir — Ah , courons , ne différons plus.. K iij  222 Les Veillées A ces mots, Alphonfe & Thélifmar quitterent précipitamment la galerie; ils reprirent leurs guides, & fortirent du fouterrein. Ils furent obligés de retourner a pied au chateau : cependant, a moitiéchemin, ils trouverent des chevaux qu'on leur envoyoit. Alphonfe queftionna vivement fur fon pere les domeftiques qui les conduifoient : il n'en put tirer que des réponfes vagues & peu fatisfaifantes. Ses foupcons& fes doutes fe ranimerent, & 1'inquiétude qui le dévornit étoit d'autant plus infupportable, qu'il n'ofoit la montrer a Thélifmar. Enfin, on arrivé au chateau; Alphonfe vent en vain fuivre Thélifmar dans la chambre du malade : Vous ne feriez point maitre de vons, lui dit Thélifmar; fi eet inconnu eft votre pere, demain je vous conduirai a fes pieds; mais laiffezmoi le temps de le prévenir. Alphonfe, obligé de fe foumettre a eet arrét , paffa la journée entiere dans un trouble & une agitation dont il eft impoffible de peindre la violence. Enfin , ne pouvant plus fupporter une incertitude déchirante, il prit la réfolution de cacher a Thélifmar ce qui fe paffoit au f >nd de fon ame, & de s'iutroduire la nuit dans la chambre de fon pere. Eu effet, aufli-tót que Thélifmar fut couché , Alphonfe fe rendit fans bruit dans le corridor oü le malade étoit logé. On lui avoit défigné la chambre qn'fr occupoit; il 1'avoit que fe lit étoit placé de maniere qu'on pouvoit  êu Chateau. 22$ êntrer fans être vu. II ouvre doucement la porte ; il pofe avec précaution , un pied tremulant dans la chambre. Au même inftant, il entend la voix de Dom Ramire. Traufportê , hors de lui, il s'arrête, écoute; mais, hélas! que devient-il, en reconnoiffaut par les difcours de fon pere, qu'il elt dans l'accès du délire le plus effrayant... Alvarès! s'écrioit le malheureux Dom Ramire... Alvarès! viens me tirer du gouffre borrible oü tu m'as précipité... Prends piiié de mes peines ! Jette les yeux fur moi!... Mais, du haut des Cieux, tes regards pourront-ilspénétrer jufqu'au fond de eet abyme?... O qu'il eft affreux eet abyme! J'y vois par-tout le tombeau de ton époufe & de ton fils... leurs ombres pales & menacantes me pourfuivront-t-elles toujours ? ... Dieu ! que vois-je!... Alvarès , ton fils arme le mien d'un poignard ! ... Alphonfe veut te venger ; il veut me percer le cceur! ... Mon fils , arrête !... eft - ce a toi de me punir ?... Mon fils! tu me donne la mort & tu m'abandonnes... Ah, viens du moins recevoir mon dernier foupir!... A ces mots, Alphonfe, au comble du défefpoir, veut s'élancer dans les bras de fon pere.... Dans ce moment, Thélifmar parolt , fe précipité vers lui; & malgré fes cris & fa violence, l'entraine hors de la chambre. Cependant, un \ édecin que Thélifmar avoit envoyé chercher arriva. Dom Ramire paroiubit plus calme. Le Médecin K iv  024 Les feillèes ne pronönea pas d'abord. II' voulut voir Verlet de quelques remedes. Dom Ramire reprit fa connoiflance, & au point du jour Ie Médecin répondit de fa vie. Les traafports de joie d'AJphonfe égalerent 1'excès de douleur qu'il avoit reifentie. En reprenant 1'efpérance de conferver fon pere,. il reprit toute fa tendrelfe cc toute fon obóiffance pour Thélifmar. Depuis quelques heures, Thélifmar ,. pour la première fois, trouvoit Alphonle mjufte , emporté ,, intraitable ; mais Alphonfe, raifuré fur 1'état de fon pere, redevint foumis, rail'onnable & plus tendre. que jamais pour fon bienfaiteur. Dom Ramire en apprenant qu'il étoit chez Thélifmar, fit im cri de furprife, & demanda Alphonfe; il ne fut plus poflible de diflérer cette entrevue. Thélifmar va chercher Alphonfe, & le ronduit dans la chambre de Dom Ramire. Alphonfe, éperdu , baigné de larmes , court- fe préeipiter a genoux auprès du lit de fon pere, qui lui tend les bras. O mon pere-! s'écrie Ahphonfe, cher auteur de mes jours ,, vous m'êtes donc rendu !.. . & vous daignez recevoir dans vos bras votre coupable fils... Ah! fans doute , vous lifez dans mon cceur; vous y voyez mon repentir, mes remords, ma tendrelfe... Mon pere! ma vie eutiere vous fera confacrée; je ne veux exifter que pour réparer mes fautes pour vous- rendre heureux , pour- voas obéir... O parlez • moi, mon pere! que.  du Chateau. 22-5 /'entende Ie fon fi cher de cette voix révérée !... Que mon pardon confimé par votre bouche me rende le repos, le bonheur que je ne pouvois retrouVer qu'avec vous ! O, n'eft-ce point une illufion, dit enfin Dom Ramire, efi-ce Alphonfe? effce mon fils que je prelfe contre mon fein ?... Va, je n'accufe que moi de tes fautes & de mes malheurs!... Mais le Ciel eft appaifé puifqu'il nous réunit... Je te revois, je fuis payé de tout ce que j'ai fouffert.. . Lafoibleffé de Dom Ramire l'empêcha d'en dire davantage; il palit, & laiffa tomber fa tête appefantiè fur le vifage de fon fils. Alphonfe effrayé fe leva précipitamment, & rappella le Médecin , qui le raffura ; mais qui défendit au malade de parler davantage. La ré volution que venoit d'épröu ver Dom Ramire retarda un peu les progrès de fa eonvalefcence. Cependant au bout de trois jours il fut en état de te lever. Alphonfe alors lui conta toutes fes aventures. Dom Ramire témoigna a Thélifmar Ia recOrinoiffance dönt il étoit pénétré; & quand il fut entiérément rétabli, il voulut auffi conter fon hiftoire a Thélifmar en préfence de fon fils. II fit fans déguifement I'aveu de toutes fes fautes , & ne cacha aücune cireortftance de 1'hiftoire d'Alvarès, ce vertueux Hermite Portugais , qu'il avoit rencontré fur Ie mont Serrat, Lorfqu'il en fut A 1'époque de la fuite d'Alphonfe, il continua fon récit dans ces termes : K v  aa<5 Les Veillèes „ Le départ de mon fils me pénétra d'une douleur d'autant plus vive, qu'il „ me fut impofïïble de ne pas regarder ,, eet événement comme une jufte puni- tion du ciel, & 1'effet des imprécations ,, prononcées autrefois contre moi par ,, un pere infortuné. Hélns! me difois-je, combien fout équrtables les décrets de „ la Providence! J'abufai, jadis de ma for„ tune & de ma faveur; le ciel me ravit „ l'une & 1'autre. Mon ambition détefta„ ble priva le malheureux Alvarès d'une ,, époufe & d'un fils. La colere divine ,, m'arrache enfin 1'unique bien qui pou„ voit me tenir lieu de tous les autres... ,, Mon fils ! ma feule efpérance... Alphonfe m'abandonne!... & parvenu a ce eom,, ble de mifere, je ne puis même me plain„ dre de mes maux. Je n'en puis accufer „ le fort, ils font tous mon ouvrage !... ,, C'eft ainfi qü'en gémiffant fur ma deftï„ tinée, j'étois forcé d'admirer Ia jufrice j, céleite qui me pourfuivoit. ,, Cependant , a force d'informations , „ j'appris que mon fils avoit pris la route ,, de Cadix. Je ne pus fuivre fes traces „ fur le champ, comme j'en avois le de- fir & le proiet. Arrêté a Grenade par ,, une fievre violente , je fus obligé d'y „ refter fix femaines. Au bout de ce temps, „ quoique je n'euffe plus l'efpranéce de rejoindre mon fils, ie perfiftai dans le ,, deffein d'aller a Cadix, me flattant que ,, je pourrois du moins y apprendre des  du Chateau. 227 ,, nouvelles d'Alphonfe. Arrivé a Loxe, „ je m'arrêtai dans une auberge, oü, d'a„ prés le fignalement que ie dounai de „ mon fils, & les réponlés de l'hóte, je „ fus, a n'en pouvoir douter, que mon ,, fils y avoit palfé quelques heures. Je „ voulus coucher dans fa chambre, j'exa„ minai cette chambre avec autant d'inté„ rêt que d'émotion. J'appercus quelques ,, caraéteres Portugais gravés fur les vl- tres. Je ne pus méconnoltre la main „ d'Alphonfe, & je lus deux vers dans lef„ quels le nom de Dalinde étoit répété ,, trois fois. Comme je retrouvois ce mê3, me nom tracé fur les murailles, il me „ frappa, & je 1'écrivis fur mes tablettes. En arrivant a Cadix, je m'informai d'Al„ phonfe, & même de Dalinde. Ces noms „ étoient inconnus fl tous ceux auxquels „ je m'adreffai; mais enfin j'appris qu'un ,, jeune homme Portugais, quicachoit avec ,, fora fon nom & fa nailfance, avoit paf,, fé dix jours a Cadix, avec une jeune „ perfonne qu'on le foupconnoit d'avoir „ enlevée, & que ces deux f gitifs étoient ,, partis pour la France, avec le projet de ,, s'y fixer. Je ne doutai point que mon „ fils ne füt le raviffeur, & la [eune per„ fonne cette Dalinde, dont j'avois déja „ découvert que mon fils étoit amoureux. ,, Je pris fur lecbamp la réfolution de paf3, fer en France. Mais auparavant je me „ rendis il Lisbonne pour y toucher quelj, que argent qui m'étoit dü de ma penK vj  22!? Les Peillies „ lion ; enfuite je partis pour Paris. Après „ beaucoup de temps, de recherches <£ de peines ,. je parvins a retrouver Ia „ tracé des fugitifs qu'on m'avoit indiqués 3, a Cadix; & le fruit de tant de foins fut „ de découvrir deux. perfonnes qui m'et^ toient totalement inconnues. ,, Jufqu'a ce moment j'avois toujours été foutenu par 1'elpérance de rejoindre }, mon fils. En perdant cette. efpérance fi „ chere , je tombai dans le découragement „ & la.mélancolie la plus noire. Entiére-,, ment détaché du monde., je formai le „ projet^ de le quicter fans retour, & d'alIer m'enfevelir dans la folitude même 5, qu'avoit choifie le vertueux. Alvarès. „ J'arrivai au mout Serrat, je courus a fa. „ grotte d'Aivarès; mais hélas! ce véné„ rable vieillard touchoit au terme de fës peiues..Je le trouvai fur le bord de fa „ tombe; il me recut avec cette douceur, cette inaltérable bonté qui le caraétérf„ Joient. Je Jui fis part de mon malheur; il écouta ce récit. avec attendrifferoent.. „ Puiffes-tu roe dit-il , trouver dans ce 9, paifible afyle quelque foulagement a tes maux!... Si tu veux te fixer dans cette 3, grotte,.tu la. pofféderas bientót fans partage!.... En te 1'abandonnant, plflt „ au Ciel qu'il me fut poflible de te JaifTér ,, encore la tranquillité dont je jouis"! Tel fut 1'accueil d'Aivarès. ,, j'admirofs ,, toujours avec un nouvel étonnement, }, une vertu fi parfaite. Loin que fa pré-  du Ckdteau. 121$' „ fenceaugmentat mon trouble& mes re„ morris, je me ("eiitpis moins agité prés „ de lui; je trouvois une douceur inexpri.,, rnable a Pentendre, a Ie contempler, a ,, lui rendre des foins;. chaque inftant re- doubloit mon affcctton pour lui, & bien- tót j'aurois voulu pouvoir prolonger fa „ vie aux dépens même de la miemie. Jë ,, ne lui avois d'abord confié mes maï„ heurs que vaguement : je m'êtois corr„ tenté de lui dire que mon fils avoit pris la fuite; que j'ignorois fa deftinée, & „ que, fur de faux indices, je 1'avois vai„ nement cherché en France. Par la fuite „ Alvarès me demandant un récit plus dé- taillé., je lui parlai de ces deux vers Por- tugais que j'avois trouvés fur les vltres „ d'une auberge de Loxe. A peine eus-je „ prononcé le nom de Dalinde , qu'Al„ varès m'interrompant: Allez, me dit-il', chercher dans cette armoire le livre oü „ j'infcris depuis dix ans, le nom des étran„ gers qui font venus vifiter eet hermita,, ge. A ces mots je vole vers 1'armoire, „ j'en rapporte le livre, & Alvarès y trou„ ve la note fuivante Ce 20 Juin j'ai re„. fu ia vifite d'une familie Suédoife; le pe,, re, qui s'appelle. Thélifmar, parle afféz „ bien Portugais; il m'a charmé par fon inflrucTion cJp fa fimplicité ril revient du ,, Portugal. Llvad Cadix oii il compte s'em,,. barquer pour aller en Afrique. Sa fille „ eft remarquable-par fa beauté & fa mo}, chftie.- Son pere a voulu qu'elle me mon-  230 Les Feillèes „ trdt des payfages de fon ouvrage. Elle tl tiré de fa poene un porte - feuille qui en contenoit plufieurs, tous dejfwés d'après ,, nature; d l'exceptlon d'un feul, qu'elle n'a fait que de fouvenir , C35 qui eft pré„ cifément le mieux fini & le, plus joli. Ce payfage repréfente la Fontaine de VAmour „ dans la Province de Bé'ira. Cette jeune ,, perfonne fe nomme Dalinde. „ Cette not-e éclaircit tous mes doutes, „ & me caufa le premier mouvement de ,, joie que j'euffe éprouvé depuis mon re- tour de la France. II me reftoit encore „ bien des inquiétudes cruelles; mais eu- fin je découvrois des indices certains, „ je reprenois 1'el'pérance de retrouver „ mon fils ! Alvarès m'apprit encore que Thélifmar lui avoit dit qu'il comptoit „ voyager quatre ans avant de retourner dans fa patrie. Ainfi, pourfuivit Alva,, rès , fi votre fils eft avec lui, vous ne le reverrez que dans deux ans; mais ce „ n'eft qu'en Suede que vous pouvez ap„ prendre des nouvelles pofitives d'Al„ phonfe... Non , Alvarès, interrompis- je; non, je ne vous abandormerai point „ dans 1'état oïi vous êtes... Alvarès, „ vous avez offert un afyle it votre perfé„ cuteur; vous lui donnez des confeils; „ vous le confolez; vous daignez recevoir fes foins!... Tant de magnanimité en „ redoublant encore mon repentir, dimi,, nue cependant les affreufes terreurs que me caufoieat mes remords. Lorfque Al-  du Chdteau. 231 „ varès n'eft plus irrité contre moi, il me „ fcmble que le Dieu vengeur qui me pour„ fuit doit s'appaifer... Hélas! je ne dois „ qu'a la Religion cette pitié fublime que ,, vous me témoignez ! mais fi votre cceur „ pouvoit partager les fentiments du mienl... J'oferois efpérer encore la pro,, tection du Ciel... En parlant ainfi mes yeux fe remplirent de larmes. Alvarès ,, me regarda avec un profond attendrifle„ ment. Quoi! me dit-il, mon amitié pour,, roit adoucir ton infortune, & calmer la „ cruelle agitation de ton ame!... Va, „ fois fatisfait.. . j'accepte tes foins, tes ,, fecours... ta main... La main de Dom Ramire fermera les yeux d'Aivarès... „ En prononcant ces paroles, le ver,, tueux Vieillard neputretenir fes larmes. „ Je ne fentis que trop quel fouvenir dé„ chirant fe retra^oit a fon imagination... „ En m'afTurant de fon amitié,' Pinfortu„ né pleuroit fon fils!... La nuit qui fui,, vit eet entretien , Alvarès fe fentant plus „ oppreffé qu'a 1'ordinaire, voulut fe le» „ ver. II s'appuya fur mon bras & palfa ,, dans fon jardin. II s'affit. Les rayons „ de la lune donnoient fur fon vifage. ,, Leur lumiere argentée , en ajoutant a ,, fa paleur, rendoit plus touchante enco- re la douceur de fa phyfionomie & 1'au„ gufte férénité répandue fur fon front. II ,, éleva les yeux & les mains vers le Ciel, „ & pendant quelques inftants il parut ab„ forbé dans une efpece de raviflément;  2jz Les Feillèi-s „ enfuite fe tournant vers moi : O toi'.' „ dit-il, qui depuis trois mois me rends „ tous les foins qu'un pere pourroit at,., tendre du- fils le plus fenfible , recois enfin tout ce que je puis te laiffer.... „ recois la bénédiétion paternelle d'Alva,, rès. O mon pere ! m'écriai-je , en me „ profternant a fes pieds, mon refpeCtable „ pere! Hélas! que m'annoncez-vousV... „ Oui, reprit Alvarès, d'une voix foible,. „ tu vas perdre un pere que la Religion „ t'avoit donné Dans un inltant, mon „ fils, je vais paroitre devant 1'Etre éter- nel dont la clémenee & la bonté font les „ plus fublimes attributs... O Dieu! pour- fuivit Alvarès, en tombant a genoux a ,, cóté de moi; Dieu, mon Créateur ,, & mon Juge, je touche a ce moment redoutable oü le plus vertueux des hom„ mes doit craindre ta juftice.... J'ofe „ compter fur ta miféricorde ! ... J'ai fu ,y pardonner!.... Vois dans quels bras „ j'expire!.... Vois pour quel objet cou« „ lent mes larmes!... Vois pour qui fe „ t'implore! Écoute, ó mon Dieu! ,., les gémiflements de Dom Ramire. Son „ ame n'eft point corrompue, elle eft fen> „ fible, elle peut s'élever jufqu'a toi.... „ Acheve de purifier fon coeur, de défil.„ Ier fes yeux... Reuds-lui fon fils! Rends- „ lui la paix & le bonheur! Daigne „ exaucer les derniers vceux d'Aivarès!... „ En achevant ces mots, Alvarès laifie „ tomber doucement fa tête fur mQn fein;  du Chatmu. 233 „ jé bargne de mes larmes fon vifage vé„ nérable.... Hélas! je venois de rece„ voir fon dernier foupir !.... Alvarès „ n'exiftoit plus . ... Toute la douleur que „ peut caufer la mort du pere leplusché,, ri, le plus digne de 1'être, je 1'éprouvai „ en perdant Alvarès. Cependant je goCl,, tois déja les fruits heureux de cette hé„ nédiétion fi folemnelle & fi touchante qu'il m'avoit donnée; en me rappellant „ les derniers adieux d'Aivarès, je ne me ,, regardois plus comme une viétime dés, vouée aux vengeances céleftes tles plus „ douces efpérances fuccédoient dans mon „ coeur aux noirs preffentiments infpirés „ par les remords. „ Dans 1'enceinte de lfiumble retraite „ d'Aivarès, a cótéd'une fontaineombra,, gée d'oliviers , i'élevai de mes propres „ mains la tombe champêtre qui devoit „ contenir les reftes précieux du plus ver„ tueux des humains. Aulfi-tót que j'eus t, rempli ce devoir, je n'afpirai plus qu'a „ partir pour la Suede. Pour entreprendre „. un auffi long voyage, j'avois befoin d'ar„ gent. j'écrivis en Portugal que j'exiftois 5, encore , que les intéréts les plus chers „ me forcoient a voyager dans Ie Nord» „ JefinilTois ma lettre en demandant qu'on m'accordat deux années d'avance de ma ,., penfion. J'obtins cette grace.. Pour Ia „ derniere fois , je me rendis au bois d'o,^ liviers 011 repofoient les cendres d'Alw vaj'ès; j'arrofai de larmes Pherbe & les  234 Les Peiflèes fleurs qui croiflbient fur fa tombe..,. „ Enfuite je quittai le Mont-Serrat&l'Ef- pagne , & je pris la route de Suede. Mou premier foin en arrivant a Stock- holm fut de m'informerfi Thélifmar étoit de retour dans fa patrie. J'appris qu'il ,, n'y reviendroit que dans un au; que fa ,, femme & fa fille ne 1'avoient point fui„ vi, & qu'elles habitoient au CMteau ,, litué prés de Salfeberizt : je me difpo- fois a les aller trouver, lorfque je fus ,, informé qu'on attendoit incelfamment a Stockholm un amiintimede Thélifmar, nommé Fréderic, &que ce dernier avoit „ long-temps voyagé avec Thélifmar. Alors voulant abfolument voir Fréderic , ie „ reftai a Stockholm. Je 1'attendis quelques mois. II arriva enfin, fe le vis. Je lui „ parlai fans me faire connoitre. Jele quef„ tionnai Ibr Thélifmar , & je fus a n'en ,, pouvoir dotitèr, qn'Mphonfe exiftoit, ,, & que la Providence 1'avoit remis fous la garde & dans les mains de la fagefle & de la vertu.... „ Raffuré fur le fort de mon fils, je fentis plus vivement que jamais le malheur d'en être abandonné !.. .. Hélas! „ i'ignorois fon repentir, fa douleur; j'ignorois qu'il m'eüt écrit. N'ayaut été 5, qu'un moment h Lisbonne depuis fon „ départ, & n'étant jamais retourné dans „ la Province de Réïra, je n'avois pu recevoir fes lettres, qui, fans doute, ont été perdues. Fréderic n'ayant pu me  etu Chateau. £35 dire dans quelle partie du monde étoit „ alors Thélifmar, je me décidai a partir pour Salfeberizt. Je n'y trouvai ni cette „ charmante Dalinde, que j'avois tant d'en,, vie de voir, ni fa mere. On me dit qu'el,, les voyageoient ; qu'elles ne revien„ droient a Salfeberizt qu'avec Thélifmar. „ Je vins dans ce Chateau; j'interrogeai ,, quelques riomeftiques qui m'aflurerent que Thélifmar avoit toujours habité cette ,, folitude , qu'on Fattendoit, & qu'il ar,, riveroit fous trois mois. Sur cette atlurance , je me fixai a Salfeberizt. J'y vi,, vois inconnu, ignoré : mon projet, en „ attendant mon fils, étoit de m'offririnopinément a fes yeux; de voir 1'effetque „ produiroit fur lui cette première entre„ vue; & fi fon cceur ne répondoit pas au mien , de le quitter pour jamais , & d'aller finir mes trifies jours auprès du 5, tombeau d'Aivarès. „ Cependant Thélifmar n'arrivoit point. „ Plus d'un an s'écoula dans une attente que chaque jour me rendoit plus infupportable. J'allois écrire en Portugal pour y déclarer enfin le lieu oü j'étois retiré , „ & pour demander qu'on m'y fittou,, cher ma penfion , lorfque je tombai ma„ lade. Une fievre ardente m'óta pendant „ plufieurs jours 1'ufagede ma raifon. D11rant ce temps, un l'célérat qui me fervoit me vola, & pritla fuite en emportant tous les habits & tout 1'argent que „ je ppfi'édois, L'homme chez lequel je  236 La PeilléeS „ Iogeois eut 1'humanité de me cachercet ,, événement jufqu'au moment oü mafanté „ fut entiérement rétablie. Alors il m'ap„ prit mon malheur. .... Je me fouiins „ fans murmure a ma deilinée. Je confï„ dérai ce dernier revers comme un m yen. „ que le Ciel daignoit m'offrir pour ache- ver d'expier mes fautes. Cette idéé ra- nima tout mon courage, & je conuus „ que la douce & pieufe réfignation fou„ tient mieux les infortunés que l'efpé„ rance même. J'écrivis a Lisbonne. En attendant une réponfe que je n'ai pas ,, encore recue , je demandai du travail ,, dans les mines d'argenr. J'y fus em- ployé, & j'ai vécu trois mois dans ces profonds fouterreins ". Comme Dom Ramire achevoft ces mots, Alphonfe , dont les pleurs avoient plus d'une fois interrompu cerécit, fe jettaaux pieds de fon pere, & lui dit tout ce que le repentïr, la reconnoiffance &la tendrelTe peuvent infpirer de totichant & de paffionné a 1'ame la plus n«ble & la plus fenfible. Dom Ramire, au comble du bonheur, ferroit fon fils dans fes bras, & le baignoit de larmes; & Thélifmar, en filence, les coutemploit 1'un & 1'autre avec raviffement. Enfin , Dom Ramire, Alphonfe & Thélifmar partirent pour Stockholm. Thélifmar couduifit Alptionfe aupiès de l'aimable Dalinde. Alphonfe fe dédommagca du pénible fileuce atiqucl Thélifmar'l'avoit cun-  du Chdteau. 237 damné pendant 0 long-temps. Dalinde en apprenant qu'elle étoit aimée depuis cinq ans, connut 1'empire que 1'honneur & la reconnoifiance avoient fur fon amant. Combien Alphonfe alors s'applaudit d'avoir été fidele a fa parole! II devoit a ce vertueux effort 1'effime & le cceur de Dalinde _ L'heureux Alphonfe recut ia main deDalinde; il juftifia par fa conduite & par fes vertus, le choix & 1'affection du généreux Thélilmar; il expia fes torts envers fon pere, par un attachement & une foumiffion fans bornes, & par les plus tendres foins. Il ne s'en fépara jamais; il mit fa gloire & fa félicité a remplir dans toute leuréteudue les devoirs de la nature, de la reconnoiflance, de 1'amitié : il fit Ie bonheur de fon pere, de fon bienfaiteur&defa femme. Quoi, Maman, dit Caroline, d'un ton chagrin, 1'hiftoire d'Alphonfe eft finie?... — Et méme la Feillée, répondit Madame de Clémire en fe levant. — Oh quel dommagei... Et les notes? — Nous en commen«erons dcmain la lecture... Je meurs d'envie de vorr les notes... — Vous avez raifon : elles font beaucoup plus intéreflantes que mon Conté; mais nous allons nous coucher. Le lendemain, Madame de Clémire demanda a fes enfants s'ils trouvoient qu'elle eüt rempli Pengagement qu'elle avoit pris, de leur compofer un Conté auffi merveilleux qu'un conté de Fées, & dont cependant tout le merveilleux feroit vrai. Oui, ma-  038 Les Fallées man, répondit Caroline; &puifqu'fl exifte dans la nature des chofes fi extraodinaires &fi curieufes, vous pouvez être bien füre qu'a 1'avenir, ce ne fera plus dans les Contes des Fées que nous irons chercher le merveilleux que nous aimons. En lifant, reprit Madame de Clémire, en vous inftruifant, vous apprendrez bien d'autres chofes auffi furprenantes que celles que je vous aicontées. Si j'avois voulu employer tous mes extraits , 1'FIiftoire d'Alphonfe auroit été en deux volumes : elle y eCtt gagné; car pour 1'abréger autant, il m'a fallu facrifier des détails & des développements intérelfants, &une iufiuité de phénomenes curieux; & cependant mes extraits necontenoient que des faits certains & avérés. J'ai rejetté tous ceux qui me paroiffoient non-feulement fabuleux, mais même douteux. Si j'euffe eu moins de fcrupule , je vous aurois parlé d'un village, dont tous les habitants deviennent roux a 1'age dedixhuit ans; d'un fruit de la Virginie ( (70)... — Ah, par exemple, je ne m'attendois pas a cela!... Comment, une araignée a huit yeux... une éponge momllée... entre fes griffes... & des tenailles £ cóté de la bouchel... Si vous aviez examijié une araignée avec une hmpe, vous auriez parfaitement diftingué tout cela, & même a heil nud, vous pourriez le voir fur une grolfe araignée. - Oh, je prierai Auguftin de m'apporter de groffes arai* erées ; car je veux ablblument voir les Iponges, les tenailles & les huit yeux... »~- Et moi je vous lirai THiftoire des araigtiées frangoifes & étrangeres; & je fuis fur que cette Hiftoire vous amufera. Vous y trouverez des détails merveilleux... ^— Maman , & le nom de 1'autre animal qu'on multipfie en le coupant?.», — C'eft un (0) L'araignée dpmefticfue.  du Chateau. Ê45 potype d'eau douce (71). — Ah , je ne connois pas celui-la; il&ftétranger. C'eltdommage ; car il elt encore bien plus curieux que 1'araignée... — Puifque vous avez tant d'envie de voir ce prodige, je vous donnerai cette fatisfaétion. .. — Vous ferez venir des polypes des pays étrangers? Maman, que vous êtes bonne!... — Vous en aurez demain... — Efr-il poflible ?... — Les étangs de Champcery en font pléins... — Nos étangs!... Et nous ne connoiffions feulement pas le nom d'un animal li fingulier!... — La nature oflre par-tout, & avec profufion, lesphénomenes les plus furprenants. L'ignorance privé du plaifir de les connoitre & de les admirer, tandis que 1'homme inltruit trouve a chaque pas- des objets dignes d'exciter & de fatisfaire fa curiofité... — Maman, nous queftionnerons , nous lirons , nous aurons des loupes , nous examinerons tous les infectes de Champcery, & du moins nous connoltrons les chofes curieufes qui nous environnent. L'Abbé qui étoit encore un peu piqué de n'avoir pas reconnu 1'araignée, rompit enfin le filence, & s'adrcffant'aux enfants: Croyez, dit-il, comme Madame votre mere vous 1'a fait obferver très-judicieufement, que le Conté d'Alphonfe ne contient qu'une bien petite partie des phénomenes que nous préfente la nature: par exemple, Madame n'a point parlé des caftors & des éléphants... C'eft peut-être, dit Céfar, L iij  •2^6 Les Veilties paree que maman favoitque nousconnoiTfions 1'hiftoire de ces animaux... Mais, reprit Madame de Clémire, je ne vous ai rien dit d'une infinité d'autres animaux finguliers & beaucoup moins connus , tels que le toucan (72), le kamichi(73), les chauves-fouris étrangeres (74), &c. L'Abbé qui fe creufoit la tête pour trouver quelque chofe de merveilleux que Madame de Clémire eüt omis dans fon Conté, reprit la parole : II eft certain, dit-il , que , fans parler des animaux , le regne végétat & le regne minéral offrent une foule de phénomenes dont Madame n'a pu parler dans un ouvrage auffi court. Ilmefemble cependant qu'elle auroitpuplaceravantagcufement dans ce petit Conté 1'arbre de Cire (75), la plante nommée Senfitive (76), celle qu'on appeile Fraxinelle f77), & la toile d'Amianthe (78), &c. Après avoir prononcé cette nomenclature d'un ton capable, 1'Abbé, très-fatisfait de fa mémoire, le leva & fortit. Pulchérie fe mit a rire. Je crois, maman, dit-elle, que M. 1'Abbé s'eft un peu fiché contre vous... Si cela eft, reprit Madame de Clémire, pourquoi me le faire remarquer? S'il étoit vrai que M. 1'Abbé eüt un peu d'humeur & de fufceptibilité, il féroit d'autant plus excufable qu'il n'a jamais vécu dans le grand monde oü 1'on perd fouvent beaucoup de vertus, mais oü Pon acquiert prefque toujours du liantdansle caraétere, & une politelTe qui nous apprend a cacher  du Chateau» 247 nos prétentions & ces petits dépits ridicules caufés par 1'amour-propre ma] entendu. Je vous ai déja rappellé plus d'une fois tout ce que vous devez au Précepteur de votre frere. Je vous ai répété bien fouvent, que non-feulement il ne nous eft pas permis de faire (dans le fein même de la plus grande confiance) des obfervations malignes fur les gens avec lefquels nous vivons intimement; mais que nous devons encore écarter de notre imagination le fouvenir de leurs torts, & rejetter les penfées qui nous rappellent leurs défauts. Cette lecon toucha Pulchérie , elle répandit quelques larmes. Comme elle n'avoit dit qu'un mot fans réflexion , qu'elle pleuroit fans humeur, qu'elle fe repentoit véritablement de fa faute, elle obtint fon pardon , & reprit bientót fa gaieté. La veillée du foir, & fept ou huit autres furent employées a lire toutes les notes du conté d'Alphonfe. Quand on eut fini cette leéture, Céfar remarqua qu'il y avoit un des prodiges du conté qui n'étoit pas expliqué. Dans les ifles Canaries, pourfuivit-il, après 1'aventurede la caverne des Guanches, Alphonfe, toujours égaré, arrivé au bord d'un lac : c'eft la qu'il voit la colonne merveilleufe, & puis cette pluie linguliere : & lorfqu'enfuite il rencontre Thélifmar, il le trouve inftruit de tout ce qui lui eft arrivé furies bords du lac. Thélifmar lui dit qu'il 1'a vu de fa terraffe , quoiqu'ils fulTeut a deux lieues 1'un de 1'auL iv  243 Les VeiUêes tre. En effet, reprit Madame de Clémire, je n'ai point expliqué cela dans mes notes; mais venez demain déjeuner dans le petit belvedère qui eft au bout du verger , je vous apprendrai la le fecret de Thélifmar. La petite familie accepta le rendez vous avec joie, & s'y rendit avec empreffement. Toutle monde étoit raffemblé au belvedère avant huit heures du matin. On y trouva une grande machine qui excita la curiofité des enfants. Ils en demanderent le nom. C'eft un télefcope, répondit Madame da Clémire; Caroline, afleyez-vous vis-a-vis de ce verre, & regardez.... Que vois-jej s'écria Caroline?... Un chflteau qui me paroit a deux pas d'ici... Cependant, reprit Madame de Clémire , il eft a une lieue. C'eft celui de M. de Lufanne. — Ah, maman, cela eft incroyable ! Je diftingue parfaitement toutes les perfonnes qui paffent dans cette baffe-cour... Voila une fervante qui donne a manger a des poules... Voila des vaches que 1'on conduit auxchamps... Voila une vieille femme qui paroit a la porte & qui demande faumóne... Ici, Caroline fut interrompue par fa fceur qui la pria inftamment de lui céder fa place. Pulchérie, en regardant dans le télefcope , fit un cri de joie : Ah, maman, ditelle, je vois Sidonie! c'eft elle-même!.... Elle parle aux fervantes... Je parie qu'elle eft chargée du foin de veiller fur la baffecour , car elle a l'air de donner des ordres.... C'eft joli a fon flge! je voudrois  du Chateau, bien être affez grande pour pouvoir me rnêler stuift de la baffe-cour!... Elle fe baiffe.... Elle fe releve... Elle fe baiffe encore... Oh, lürement, elle ramaffe des ceufs!... aL Tt 3 011 Pré("ente un panier.,.. Ah , elle fe tourne du có'té de la pauvre jemme qui eft toujours a la porte!... Céfar , continua Pulchérie, fouffrez que je refte encore un moment... Sidonie s'approche de la vieille femme... Elle lui parle... Elle la fait entrer dans la cour... La vieille femme s'aflied fur un banc. Sidonie lui donne Ion panier... Et puis s'en va en courant. La temme refte... A mon tour, dit Céfar... -— Ah, mon frere ! un inftant.... Sidonie revient... mais bien doucement... Elletient une grande jatte... c'eft apparemment du lait... Oui, elle le donne a la vieille bonne temme. Ah, cette charmante Sidonie, que je Faime!... En difaht ces mots, Pulchérie fe leva, & Céfar prit fa place. II ne vit rien d'intéreffant. Sidonie fortoit de la balie-cour : mais il comprit enfin comment I héhlmar de ia terraffe avoit pu voir diftinétement Alphonfe , malgré la diftance qui les léparoit 1'un de 1'autre. On ne paria toute la iournée que du télelcope & de Sidonie. Pulchérie admira la maniere finguliere dont elle avoit découvert le caraétere bienfaifant de cette aimable jeune perfonne. Elle ne fe doutoit pas, pourfuivit Pulchérie, que nous étions témoins de tout ce qui fe paftbit dans la baffecour. Le hafard, ajouta Madame de Ck'L v  zgo Les Veillèes mire, & une infinité de circonftances irrtprévues, découvrent chaque jour des actions bien pius cachées encore. Auffi le plus fur eft de fe conduire toujours comme 011 feroit devant des témoins : car nonfeulement Dieu nous voit &nous juge dans tous les inftants de notre vie; mais le hafard, la curiofité humaine , 1'indifcrétion des domeftiques , les trahifons des faux amis , expofent fans celle au grand jour nos fecrets les plus intimes. Après le diner, Madame de Clémire demanda a fon fils ce qu'il penfoit du premier volume d'un livre qu'elle lui avoit prêté depuis peu de jours» C'étoit la Vie du Dauphin, pere de Louis XV (a). Céfar répondit qu'il étoit enchanté de eet Ouvrage; d'autant plus , ajouta-t-il, qu'on y trouve beaucoup de détails fur 1'enfance du Prince; au-lieu que dans toutes les autres hiftoires- on ne parle que des hommes „ & jamais des enfants... — Vous avez lu bien peu d'autres hiftoires; ainfi ce jugement n'eft fondé que fur une fuppofition.. — J'imagine qu'il faut qu'un enfant foit un prodige, pour qu'un Hiftorien en faffe mention ; & comme les prodiges font rares, j'ai penfé que dans toutes les hiftoires , il n'étoit prefque pas queftion des enfants... — Mais qu'appellez-vous un prodige ! — Ce qu'étoit le Due de Bourgogne (a) Par M, 1'Abbé Proyart,  du Chateau. a5I dans fon enfancc : il aimoit les mathema- cmcours.. - Il ,,'y a rien de merveilleux a tout cela, c'étoit un enfant diftingué • mais ce n'étoit point un prodiee — Si un tel enfant n'étoit pas un prodige... que ftus-je donc moi! _ Un enfant ordinair ' & il ne tiendroit qu'a vous de ne pas tre. II ne vous faudroit qu'un peu p d applurauon, de patience & d'envie e vous d.ftniguer Mais , maman e ne ferots jamais des difcpurs.1 - Pourquoi Croyez-vous qu'elle valüt 1'original _ Se' ^unTf^r Mais Pour vótit a?e, e elt un chef-d'ceuvre. U en femir ainfi de vos difcours... _ A préfent ie meurs d'envie de faire des difcoj ..n'uS dommage que tout mon temps foit fi rim n ,a'"; ~~ quand vous vo»s promenez quand vous travaillez a votre jardin pen! fle'ursT a%f:ment * des ^ret'aTs autres ch'ofeï V^man;/ penfe a rfuaes enoies. -- tt bien , durant ce temns occupez-vous d'une idéé intércffante fni' vez-la conftamment. C'eft ainlï «ue'lfn IT^a-- Maman< don«ez moïun fu jet chaque matm. — f'v confens • 4 ü«« dmon que tous les foii^^v , Te founer vous me rendre. compte de votre m& L vj  Les Velïïèes tj0rt„.— Maman, tantót vous me donner rez un fujet de fable, tantót un fujet de difcours... j'arrangerai tout cela dans ma tête, & je fens que je ne m'ennuirai plus tout feul... car je ne m'ennuie que paree que je n'ai rien a me dire... — Vöilajuttement ce qui produit 1'ennui le plus ïniupportable. Quand nous n'avons que des idéés vagues & découfues, notre propre infipidit; nous ell auffi a charge qu'elle le feroit aux autres, fi nous exprimions ces mêmes penfées dans la converfation; tandis qu au contraire nous nous amufons nous-mêmes lorfque noire imagination travaille, &lorfqu'au-lieu de penfer a des choles communes & frivoles, nous nous occupons d idées intéreffantes. Mais revenons au livre que |e vous ai prêté. Qu'avez-vous particuliérement remarqué dans le premier volume? — Ce qui m'a fait le plus de plaifir , c eft une fable compofée par M. le Duc de Bourgogne lui-même encore enfant. Cette r-able a pour titre : Le Voyageur & fes chiens («). — Quel en eft Je fujet? — C'eft Licas qui vovage : il avoit pour compagnons trois chiens, & pour provifions quatre pains. II arrivé dans une forêt bien timbre ; enfin , au bord d'un clair ruiffeau. II voit tout d'un coup paroitre un monjlre. Les (<■) Vie du Dauphin , pere de i«uU XV, t, J, page 3*.  du Chateau. 253 chiens combattent le monftre & le terraffent... La-deffus Licas donne un pain a Fbrax (c'eft le nom d'un des chiens), & Vorax difparolt aufti-tót. Cerhere , autre chien , recoit auffi un pain, & de même prend la fuite. Gargas, le troifieme chien , fe prélente a fon tour, dans Pefpérance d'obtenir une femblable récompenfe : mais Licas qui étoit prudent, voyant que chaque pain lui coütoit un chien, ne donna a Gargas qu'un petit morceau , & Gargas refta pour avoir le refte... Voila tout, maman... — Et quelle eft, je vous prie, la morale de cette fable?.... — Maman.... mais j'ai le livre dans ma poche, je vais vous lire la fin de la fable... Tenez, maman, voici la moralité... ,, Princes, avez,, vous trouvédes guides capables de vous „ diriger & de vous défendre dans la forêt ,, de ce monde, gardez-vous bien de ne „ les mettre en état de fe palTer de vous, ,, que lorfque vous pourrez vous-même „ vous palier de leurs fervices ". Je fuis perfuadée, reprit Madame de Clémire, que vous ne comprenez pas bien le fens de cette moralité; en confervant la penfée, je vais vous l'expliquer en termes plus clairs. Voici ce qu'elle fignifie. ,., Princes, avez-vous trouvé des Minifi, tres éclairés, de- Générauxhabiles, des s, amis fideles, gardez vous bien de vous „ acquitrer envers eux autant qu'il eft en „ vo is; gardez-vous bien de récompen£ fer .dignemeat leur zele & leurs fervi-  254 Les Velllèes „ ces, dans la crainte qti'après avoir ob- ,, tenu de vous tout ce qu'ils font en droit d'en attendre, ils ne vous abandonnent. Princes, 1'oyez injuftes , foyez ingrats, „ afin de vous les attacher fondement " ! Ah, maman , s'écria Céfar , elt-il poffible que fe foit-la le vrai fens de cette fable? — Oui , c'eft le fens littéral de la moralité qui la termine. Réfléchilfez-y, & vous le trouverez vous-même.,,. . Cela elt vrai. Comment n'ai-je pas fenti cela d'abord; comment ai-je pu aimer cette fable ! — Dans 1'ouvrage le plus intéreffant & le plus eftimable a tous égards , vous avez juftement admiré la feule chofe qu'on endoive critiquer. Si vous lifiez avec moins de rapidité, & avec plus d'attention, vous ne feriez certainement pas des bévues auffi groffiercs. Le foir a la veillée, la Baronne prenant ta parole : Céfar, dit-elle, vous vous étes plaint que les Hiltoriens ne parient pas affez des enfants; nous allons vous prouver que ce reproche n'eft pas fondé; car nous ne vous entretiendrons toute la foirée que de traits tirés de 1'Hiltoire, & les héros que nous vous ferons connoitre feront tous des enfants.... — Ah, maman, cela elt charmant! — Vous verrez que les enfants difting és ne font pas auffi rares que vous 1'imagiiKZ. — Maman, vous nous conterez donc plufieurs hiftoires?. .. —Votre mere , M. 1'Abbé & moi, nous conterons chacun tour-a-tourun trait d'hiftoire, tant  du Chateau. z ". que notre mémoire nous en fournira, ce qui fürement pourra remplir une bonne veillée. Je vais commencer, continua la Baronne, écoutez. Chan-chi, Einpereur de Ia Chïne, avoit trois fils. Les deux premiers n'étoient que des enfants ordinaires; mais le dernier, nommé Kang-hi, faifoit les délices de fon pere & des Inflituteurs. II étoit docile, fenfible, appliqué, fincere, rempli d'aétivité. II avoit de 1'empire fur lui-même; on pouvoit compter fur fes promefiés : fa parole étoit inviolable. Lorfqu'il avoit pris une réfolution utile & raifonnable , il la tenoit avec une perfévérance que rien ne pouvoit rebuter. II brüloit du defir de s'inftruire, de fe diftinguer, de mériter ï'affeetion de fon pere , d'obtenir Papprobation de tous cenx qui 1'entouroient. II ne voyoit que des vifages fatisfaits. Chaque lecon lui procuroit le plaifir d'entendre louer fon application, fon cara diere : on le chérifloit, on s'occupoit avec joie de fes plaifirs , de fes amufements; il trouvoit toute Pindulgence a laquelle la bonne conduite & les vertus donnent tant de droits. Si, par hafard, il faifoit quelques fautes, on ne Ie grondoitpas, on s'affligeoit avec lui. Enfin, ce Prince charmant éprouvoit que les enfants les mieux nés font toujours les plus heureux. Cependant 1'Empereur tomba malade. L'ainé de fes fils n'avoit alors que douze ans, & le dernier, (eet airnable Kang-hi)  256 Les Veïllées entroit dans fa neuvieme année. L'Empe* reur fentant que fon état étoit mortel, lit appeller fes enfants; & leur ayant déclaré que fa fin approchoit, il leur demanda lequel d'entre-eux fe croyoit affez fort pour foutenir le poids d'une couronne nouvellement conquife (V)? L'ainé s'excufa fur fa jeuneiïe, & fupplia 1'Empereur de difpofer a fon gré de fa fucceflion. Alors Kang-hi fe mit a genoux devant le lit de fon pere, il baigna de larmes la main que 1'Empereur lui tendoit; & après un momoment de filence.. . „ Pour moi, mon ,, pere, dit-il, je me fens capable de vous „ imker. J'aime mieux la gloire que les „ plaifirs & le repos : fi le ciel vous en„ leve ft vos enfants , & fi votre choix tombe fur moi, je vous prendrai pour modele , & je rendrai mes peuples heu„ reux". Cette réponfe fit tant d'impreffion fur Chan chi, qu'aulïï-tót il nomma le jeune Prince pour fon fucceffeur, fous la tutelle de quatre perfonnes, par les avis defquelles il devoit fe gouverner (h). Kanghi juftifia la tendrelfe & le choix de fon pere; il s'inftnnfit, il acheva de perfectionner fon efprit & fa raifon. II éloigna de {a) Chan-chi étoit fils de Tfun-té , fondateur' de la nouvelle Dynaftie Tartaro-Chinoife , qui regne dons 1'Empire du Katay depuis le milieii du dernier ficcle. ip) J&ang-hi aionta fur le trène en 1É61.  du Chateau. 2$? fa Cour les flatteurs & les intriguants; il fut récompenfer dignement le mérite, les talents & la vertu; il fut jufte, il fut bon; il aima la paix, & il devint le bienfaiteur & Pidole de fes peuples (a). (79). La Baronne ayant celfé de parler: Je ne pourrai, mes enfants, dit Madame de Clémire, vous citer un trait plus fingulierque celui que votre bonne maman vient de vous conter; car rien n'eft plus extraordinaire qu'un enfant de huit ans, qui fait obtenir le tróne du plus vafte Empire de 1'univers par fes difcours, fa conduite & fes qualités ; mais je vais vous entretenir d'un jeune Prince du même age, & qui devint auffi par la fuite, un des plus grands Souverains de fon temps. Le Duc Uladiflas régnoit en Pologne {b) , il avoit un fils nommé Boleflas (01 ^gé de neur"ans ■> dont l'aétivité, 1'ardeur pour 1'étude , la douceur, la patience, la bonté, donnoient les plus grandes efpérances. La Bohème venoit de déclarerla guerrea la Pologne. Un jour qu'Uladiflas, en préfence de fon fils, donnoit fes ordres au Général de fon armée, le jeune Boleflas, qui avoit écouté eet entretien avéc une profonde attention, fe jetta tout-a-coup aux pieds de fon pere, (a) Abrégé de l'Hiftoire des Voyages , t, VII, page 158. (4) En 1094, (c) Qui fut depuis Boleflas III.  Les Veillies en le fuppliant de lui permettre de faire la campagne fous les ordres du grand Général. II nt cette priere avec tant d'inftances octant d'énergie, il 1'accompagna de raifonnements fi juftes , fi forts , & fi finguliers pour fon rlge, que le Duc, aulli attendri qu'étonné , ne put le refutèr. II fe rendit a fes defirs, & le confia au grand Général qui 1'emmena aufli-tót avec lui. Le jeune Prince arrivé a 1'armée , ycaufa une furprife & une admiration générales; il parut attentif a tout ce qui s'y paffoit; mais il montra une intelligence fi extraordinaire , qu'on eüt dit que rien n'y étoit nouveau pour lui, & qu'il fe rappelloit plutót qu'il n'apprenoit tout ce qu'il y voyoit faire. Affable, libéral pour les foldats, plein d'égards pour les Officiers, il gagnatous les cceurs. Sa magnificence n'éclatoit que dans fes dons; on ne la coi> noiffoit qu'a fa générofité. D'ailleurs , fa nourriture étoit frugale; la terre lui fervoit de lit; il fouffroit gaiement les intempéries des faifons. Toujours a la tcte des plus pénibles travaux , montrant un courag; auffi naturel que brillant, il fembloit qu'il n'attendit fa fortune que de fes aclions! Enfin, tout annoncoit que fes vertus & fes exploits le rendroient un jour un modele éternel de gloire pour les Princes qui devoient régner après lui. Sou exemple, que fon Age rendoit encore plus frappant, redoubla 1'ardeur des Polonois, les Bohêmes furent complétement défaits dans tou-  du Chateau. 259 tes les rencontres , & Uladiflas jouit du bonheur inexprimable de devoir a fon fils, flgé de neuf ans, une partie du fuccès de cette heureufe campagne. La fuite de la vie de Boleflas répondit a de fi glorieux commencements; il devint un Héros. Quoique Guerrier & Conquérant, il futhumain, il fut fenfible; il s'occupa du bonheur de fes peuples. II fut mériter leur amour & les rendit heureux. Ce Prince poffédoit trop de vertus pour n'être pas encore diftingué par fa piété filiale. Tous les Hiftoriens s'arrêtent avec complaifance fur les détails intéreflants de fa tendrelfe pour fon pere. Quand il eut le malheur de le perdre, la douleur qu'il en témoigna acheva de faire connoitre toute la beauté de fon ame, & le rendit encore plus cher a la nation. Boleflas voulut porter pendant cinq ans le deuil d'un pere qu'il regretta toute fa vie; il voulut que fon image , profondément gravée dans le fond de fon cceur, füt toujours également préfente a fes yeux. II avoit nuit & jour attaché a fon cou une médaille fur laquelle étoit gravé le portrait d'Uladiflas. II la regardoit fans ceffe, pour fe rappeller, difoit-il, les vertus de ce pere fi digne de fon affection & de fes regrets. Enfin , il defira qu'un enfant paffionnément aimé, fervit encore a lui retracer le fouvenir de fon pere; il donna a fon fils ainé le nom chéri d'Uladiflas (V). (a) Voyez 1'Hiftoire générale de Pologne, par  £6ö Les VetUêes A préfent, M. 1'Abbé , ajouta Madame de Clémire, c'eft a votre tour. Je ne conterai pas, répondit 1'Abbé, d'aufïï belles hiftoires, car je ne me rappelle dans eet inftant que deux faits abfolument dénués de détails. M. Céfar a dix ans; & lorfque fon Maïtre de deffin lui dit que fi depuis deux ans il s'étoit appliqué davantage,il feroit maintenant en état de defliner des tétes d'après nature; M. Céfarparoitcroire qu'a fon age c'eft beaucoup de pouvoir copier avec quelque exactitude; il ne fera donc pas inutile de lui dire que Pierre Mignard O) fut deftiné a la Médecine par fes parents, qui lui firent faire des études en conféquence. Dans fes moments de récréation, le jeune Mignard s'amufoit a deffiner. II n'avoit point de maitre, mais it avoit du goüt & de 1'application; & a 1'age de onze ans, il deflinoit des portraits auffi correéts que reflémblants. Alors fes parents M. le Chevaüer de Solignac, tome I, page 315, & tome II , page 9. (a) Né a Troye en Champagne ea x6io : il mourut a Paris en 1695 , agé de 85 ans, trèsriche , & comblé d'honneurs. Son tombeau en starbre fe voit dans l'Eglife des Jacobins de Ia rue Saint Honoré. La Comteffe He Feuquieres fa fille , qui 1'a fait ériger, y paroit a genoux au-Heffous du bufle de fon pere, qui eft de Defjardins. Ce monument eft exécuté par Le Moine, fils. Voye\ Extraits des différents ouvrages publiés fur ia Vie des Peintres, par M. P. D. L. F. t. II.  du Chdteau. aói !e mirent chez un Peintre. II fe livraentiérement a eet arr, & devint un des meilleurs Peintres de 1'école Francoilé. Un autre Peintre, nommé Jean-Baptifte Vanloo, commenca a peindre très-agréablemeiit dè> Page de huit ans (a). je n'en exige pas tant de M. Céfar; mais je voudrois qu'il eót le defir de fe diftinguer dans tout ce qu'il fait, & la noble ambition de ne pas relter confondu dans la clalfefi nombreufe des enfants ordinaires. Ces deux citations de 1'Abbé n'eurent pas un grand fuccès auprès des enfants. Céfar attaqué perfonnellement n'ofa manifelier fon öpinion , il garda un froid filence; mais Pulchérie prit la parole , & avec plus de franchife que de politeffe, elle déclara fansdétour qu'elle aimoit mieux 1'hiftoire de Kang-hi & celle de Boleflas. Je vois, Mademoifelle, reprit 1'Abbé, que les lecons direcles ne font pas de votre goftt. Vous êtes il eet égard comme les tyrans qui ne peuvent fupporter la vérité, f\ moins qu'elle ne foitadoucie &-déguifée fous le voile agréable de quelque apologue ingénieux... Ah, IV!. 1'Abbé, interrompit Pulchérie, je ne fuis point comme les tyrans ! J'aime toujours la vérité , je vous alfure... Mais , j'ai eu tort , je Ie fens; pardonnez-moi, M. 1'Abbé, & n'ayez (a) On trouvera dans les notes tut les Peinêres beaucoup d'exemples de ce genre.  2fj2 Les Veiïïèes pas mauvaife opinion de moi... ~- Mon opinion , Mademoifelle , eft une chofe fi peu importante... — Pour me prouver que vous n'étes pas fdché contre moi, je vous en prie, M. 1'Abbé, ayez la bonté de me faire une legon direSte... a moi toute feule... j'en ferai charmée... — Quand on demande la vérité de fi bonne grace, on doit Fobtenir. Je vous dirai donc, Mademoifelle, que depuis trois femaines quelechaud exceffif nous a fait abandonner le cabinet de votre frere, & que notre étude de 1'après-midi fe paffe dans la falie baffe, oü vous travaillez une heure fous les yeux de votre Gouvernante; j'ai penfé plus d'une fois qu'en faifant votre filet ou votre broderie , vous pourriez profiter mieux des chofes que vous entendez répéter a M. votre frere; & voici a ce fujet un trait que je n'aurois jamais ofé conter devant vous, fans la demande pofitive que vous venez de me faire. Mademoifelle le Febvre, qui fut depuis la célebre & favante Madame Dacier, n'apprit dans fon enfance qu'a lire, écrire & travailler. Telle fut fon éducation jufqu'a. Fage de onze ans. M. le Febvre fon pere avoit un fils qu'il élevoit avec le plus grand foin. Pendant qu'il lui donnoit des lecons, Mademoifelle le Febvre étoit préfente & travailloit a de la tapifferie. Un jour que le jeune écolier répondoit mal aux quefiions de fon pere, fa fceur, fans quitter fon travail, lui fuggéroit a demi-voix tout ce qu'il  du Chateau. 263 devoit répondre. Le pere l'entendit avec une joie égale a ("a furprife, & de ce moment il fe livra avec ardeur a 1'éducation d'un enfant fi digne de tous fes foins («). Vous conviendrez , Mademoifelle, pourfuïvit 1'Abbé, que fi cette jeune perfonne, au-lieu d'écouter les lecons, s'étoit amufée a faire des mines &' de petites niches a fon frere, elle n'auroit certainement pas procuré a fon pere une furprife li agréable... Je ne me rappelle pas, dit Pulchérie en rougiffant, d'avoir fait beaucoup de petites niches a mon frere... Pour moi , reprit 1'Abbé, je me rappelle bien queLundi dernier vous avez tout doucement coufu fon habit a fa chaife; que Mardi vous 1'avez piqué deux fois avec votre aiguille, pour réveiller, difiez-vous ,fo/i attent ion; qu'hier vous lui avez caufé mille diftraclions en faifant toutes fortes de grimaces; entr'autres un certain bec de lievre qui a tant fait rire Mademoifelle votre fceur, qu'elle a été obligée de fortir de la chambre. A ces mots, Pulchérie, les larmes aux yeux, regarda fa mere d'un air confus & lupphant. Rafiurez-vous , Pulchérie , dit Madame de Clémire , je ne faurois point ce détail fi vous n'aviez pas defiré une lepon direEte, éc fürement vous ne ferez pas grondée pour avoir demandé qu'on vous (a) Hifloire Littéraire des Femmes Frattfoifes, par une Socie'té de Gens de Lettres, tome II,  ■264 Lts Veiïïèes dit la vérité fans déguifement. je vous obferverai feulement que ces petites efpiégleries n'ont rien d'aimahle. qu'on n'en rit quelquefois que paree qu'elles font ridicules; quece caraétere eft fur-totit choquant dans une fille, paree qu'il lui óte l'air de douceur & de modeftie, le prb'cipal ornement de Ion (èxe : qu'enfin un enfant tfphgle peut bien lérvir de jonet pour un moment a des étrangers indifférents; mais qu'il eft néceffairemeut infupponable a fes parents &a tous ceux qui fentourent. J'ai encore un petit reproche a vous faire, Pulchérie : vous m'aviez promis de la confiance, vous m'aviez affuré que vous me feriez toujours un aveu fincere de vos fautes , & cependant vous ne m'avez point dit que vous euffiez troublé les lecons de votre frere. Ma chere Maman, répondit Pulchérie, ce n elt point un manque de confiance , c'eft que je ne fentois pas comme a préfent tout mon tort; & pour vous montrer que je ne veux rien vous eacher, je vous avoue que M. 1'Abbé n'a pas tout dit. ü a oublié qu'il ya environ huit ou dix jours, j'ai fait femblant d'éternuer pendant prefque toute la lecon, en faifaut une grande révérence a chaque éternuement Et moi auffi, Maman, ajouta Caroline d't n ton trifle, j'ai un peu éternué & fait la révérence. Et moi aufli. Madame, dit 1'Abbé , j'ai fait au moins dix révérences; car de lameilleure foi du monde, j'ai cru que ces  du Chdteau. 26*5 ces Dcmoifelles étoient enrhumées du cerveau; c'eft pourquoi je n'ai point parlé de cette ingénieufe efpiéglerie dont j'ai été complétement la dupe. Maman, reprit Pulchérie , pardonnez-moi. De tout mon coeur, dit Madame de Clémire en 1'embraffant; mais fongez, Pulchérie, quepuifque vous feutez a préfent les conféquences & lablurdité de toutes ces petites malices plates & puériles, vous ne feriez plus excufablede momber dans les mêmes fautes. Maintenant, dit la Baronne, reprenons nos petites hiftoires d'enfants; ma fille , c'eft k vous a parler. Je vais , reprit Madame de Clémire, vous conter un trait d'un enfant de cinq ans, ainfi vous ne devez attendre qu'un petit détail bien minutieux: maïs eet enfant étoit Guftave - Adolphe, & fut depuis un des plus grands Rois qui ait régné fur la Suede. Agé de cinq ans, il fe promenoit un jour avec fes femmes dans une prairie prés de Nicoping. Le jeune Prmce^s'échappa&gagnoit des brouffailles, lorlqu une de fes femmes , pour 1'engager a revenir, lui cria que ce petit taillis étoit rempli de gros ferpents venimeux qui le piqueroient. Eh bien, répondit Guftave, donnez-moi un baton, je les tuer ai. On voulut en vain le détourner de cette réfolution; comme Hercule avec fa maffue, affommant tous les monftres de la fijrêl de Némée, le petit Prince, armé d'une baguette, entra dans Je taillis, prêt a extermincr tous les ferpents qu'il y trouveroit; Tome //. M  ft66* Les Feillées mais fes recherches furent infruéhieufes. Nul monftre ne s'offrit a fes regards, & pour ce jour-la fes travaux fe bornerent a a une promenade auffi longue que fatiguante (a). Ce trait eft charmant, dit la Baronne;il prouve bien que le courage vient de 1'ame non du fentiment de fa force, ou du raifonnement. On n'exige pas d'un enfant les qualités qui ne font ordinairement le fruit que de 1'expérience & de la réflexion : par exemple, on trouve fimple qu'il foit quelquefois inconféquent , étourdi , inappliqué : mais on veut qu'il annonce toutes les vertus qui tiennent au coeur; ces vertus naturelles qui n'ont befoin que d'être cultivées,& dont tous les enfants bien nés apportent en naiffant 1'heureux germe. Ainfi un enfant qui auroit de la lAcheté, de la dureté , de 1'ingratitude , feroit un monftre fi fes vices n'étoient pas 1'ouvrage d'une mauvaife éducation. — Ma bonne maman, il nart donc beaucoup de monftres? car on dit qu'il y a bien des ingrats, bien des gens durs... — C'eft qu'il y a une multitude de gens corrompus.. La nature produit bien rarement des monftres; mais 1'éducation en fait beaucoup. — Ainfi, maman, s'il y a des méchants, c'eft donc la faute des peres &des (a) Hifloire de Guftave Adelphe, tome I, fa ge jo.  du Chateau. 267 incres?... — Oui, en général : mais cependant , un enfant fans être né méchant, peut fe corrompre en recevant la meilleure éducation du monde... — Comment cela?... — S'il n'eft pas docile &de la plusparfaite fincérité, les parents les plus vigilants, les plus éclairés, ne pourront le préferver d'une infinité de vices auxquels il fe livrera infenfiblement. Vous fouvenez-vous de ce pauvre Brunet. Le laquais de votre pere?... — Oui, maman; qui mourut il y a deux ans... — Sa plaie a la jambe n'étoit pas mortelle; il étoit panfé par le meilleurChirurgien de Paris. II avoit une garde qui ne le quittoit ni jour ni nuit. OnVappercut qu'il arrachoit 1'appareil mis fur fa jambe. Je lui donnai une garde de plus. On fut même obligé de lui lier les mains pendant la nuit. Toutes ces précautions furent inutiles. II frottoit fes jambes 1'une contre 1'autre ; avec un de fes pieds il écartoit 1'appareil falutaire qui pouvoit le guérir. Enfin, la cangrene fe mit a fa jambe ; 1'habileté, les lumieres de fon chirurgien, la vigilance de fes deux gardes, la bonté même de fa conftitution , rien ne put le fauver; il mourut... Un enfant indocile &défobéiffant eft 1'image de eet infortuné. Que peuvent les foins de fes parents s'il n'en rent pas le prix? S'il ne comprend pas qu'on ne lui défend que ce qui peut le rendre vicieux, &par conféquent haïffable & malheureux , & qu'on n'exige de lui que ce $ui doit alTurer fon bonheur?... — Mais M ij  2()3 Les Feillées il faut qu'un enfant foit imbéciile pour ne pasfentir cela... Si nous défobéiifons quelquefois , ce n'eft que par étourderie & faute de mémoire & de réflexion : quand nous nous en appercevons nous fommes bien fichés... — Cela ne fuftit pas; il faut me 1'avouer, il faut venir m'en inftruire comme on va confulter fon Médecin quand on afait quelque imprudence dont on doit redouterles fuites pour fa fanté. Je me doute bien que la crainte des médecines fait fouvent différer la confultation : mais voila précifément en quoi confitte 1'imbécillité dont Céfar parloit tout-a-l'heure; il n'y a que la ftupidité même qui puiffe aimer mieux ne pas guérir que de faire les remcdes convenables a fon état; fur-tout quand on eft certain que ces remedes feront aufïï doux que falutaires. N'êtes-vous pas fürs, mes enfants, que lorfque vous me faites 1'aveu d'une faute que j'ignore, cette candeur vous donne les plus grands droits a mon indulgence, & qu'en même-temps elle redouble ma tendreffe pour vous ? Aulfi, vous le favez, fi la faute eft légere vous en êtes quittes pour une fimple repréfentation : fi elle eft grave, la pénitence eft bien plus douce que celle que vous recevriez fi javois découvert le tort dont vous me faites 1'aveu. Ainfi, votre intérêt, de toutes les manieres, doit donc vous porter a la plus parfaite fincérité. D'ailJeurs, fongez encore que fi vous pouvez, pendant quelque temps, me difiimuler vos  du Chdteau. 269 fautes, il eft impoflible que vous puifTiez me les cacher toujours. Nous le difions hier a .propos du télefcope, tout fe découvre avec le temps. N'eft-il pas plus avantageux pour vous, que je doive a votre amitié des lumieres que le hafard &ma vigilance finiroient toujours par me procurer? Enfin, quand je fuis inftruite furie champ de vos petits torts, j'éclaire votre efprit , & je forme votre raifon par des conléils qui vous ouvrent les yeux : je vous fais fentir les cónféquences de vos fautes. Alors, comme vous avez un bon naturel, vous craignez d'y retomber : au-lieu que fi je ne fuis inftruite qu'au bout d'un certain temps, je trouve en vous de mauvaifes habitudes formées, enracinées, qu'on ne peut plus vous faire perdre qu'a force de punitions & de pénitences. Pour vous en citer un exemple, Caroline & Pulchérie, je vous ai toujours recommandé de vous accoutumer a 1'ordre & a 1'économie. Pendant la longue maladie de votre bonne, vous avez pris 1'habitude de ne rien ferrer, de ne rien remettre a fa place, de perdre vos mouchoirs, vos mitaines, &c. Je 1'ai fu a la fin, mais trop tard. Cette habitude étoit devenue un défaut dont vous aurez beaucoup de peine a vous corriger. Si dés le commencement, vous m'euffiez fait 1'aveu de vos petites négligences, la feule hiftoire A'Eglantine auroit fuffi alors pour vous rendre aétives & foigneufes. M iij  37o Les Veiïïèes On convint unanimement de la vérité de ces réflexions de Madame de Clémire , & les trois enfants promirent de ne jamais faire a 1'avenir la plus légere faute, fans en avertir leur mere avec autant d'empreffement que de lincérité. Je vous préviens, Madame, dit 1'Abbé, que fi vous avez encore quelque trait a conter, nous n'avons plus le temps de faire la converfation y car il eft prés de neuf heures &demie. Ce qui me refte a conter, reprit laBaronne, n'eft pas long. Dans ce moment, je ne me rappelle que la bataille de Leucofoé, remarquable par une circonftance peut-être unique. On y vit trois Rois, 1'un dgé de douze ans («), les autres de dix (Z<), & de neuf (c), commander en perfonnes leurs armées (d). Je vais auffi, dit Madame de Clémire, vous citer un trait pris de 1'hiftoire de France. Cet infortuné Charles VI, qu'une maladie cruelle priva de la raifon, fans cet affreux malheur, eüt été un bon Roi. Charles V prit un foin particulier de formerfon cceur. II fe faifoit un plaifir d'éprouver fes premiers fentiments. „ Un jour , 1'ayant (<0 Clotaire. (i) Théodébert. (t) Théodoric. {d) Les deux derniers Princes, Théodébert 5i Théodoric , étoient freres, Hifioirt de Gharltm&gnt, ptr M. Gaillard.  du Chateau. 271 fait venir dans fon cabinet, il lui pennit ' de choifir un bijou parmi ceuxqui com', pofoient fon tréfor. Le jeune Prince, ,, négligeant tout ce qu'il voyoit de riche ,, & de précieux, s'arrêta comme Achille ' a une épée fufpendue dans un coin du ' cabinet. Une autre fois , le Roi hu pré„ fenta d'une main une couronne dor,& „ de 1'autre un cafque; le Prince choilit le ', cafque. Sire, dit-il a fon pere,gardez a jamais votre couronne. Ces bagatelles „ qui annoncoient un caraftere heureux, ,, pénétroient de joie ce fage Monarque aulTï tendre pere que vertueux politi„ que (ö) ". . . Jufqu'ici, dit 1'Abbé, nous n'avons cité que des enfants diftingués. Je vais maintenaut vous faire connoitre quelques autres enfants qu'on peut appelier des prodigcs... Chrifiliel le Bereclh d'Ext er mourut dans " fa dixieme année en 1706. ii étoit fils d'un Médecin. On publia fes ouvrages ,, pofthumes en Allemand. Ce font des Traités de piété dans lefquels 011 remarque une fimplicité pleine de bon fens ". Jacquet Marini, Vénitien, a 1'dge de fept ans, foutint a Rome, 1'an 1647, des thefes publiques fur la Théologie, la Junf- (a) Hiftoire de la querelle de Phitippe de Valais & d'Edouard III, par M. Gaillard, tome II. Charles VI n'avoit que douze ans lorfqu'il mont* fur le trêne. M IV  Ut FeiUèes prudence, la Médeciue & plufieurs autres Sciences. Le fils de M. Baratier, nommé Jeanrhdippe, parloit parfaitement le Latin a quatre ans, & a cinq ans favoit le Grec. Alors il apprit 1'Hébreu, & a fix ans il favoit quatre langues, 1'Hiftoire, Ia Géographie. On peut mettre au rang des enfants extraordinaires le Baron de'Helmfeld, Suédois, qui mourut en 1674. Sa jeunenejuftifia les efpérances qu'on avoit concuesde lui dés fa plus tendre enfance. A dix-fcpt ans, il fut recu dans la Société Royale de Londres. A vingt ans, il parloit dix langues, il étoit excellent Mathématicien & grand Junfconfulte. Chrétien-Henri Helneikein, né a Lubeck , commenca a parler h dix mois. A deux ans il avoit une connoiffance fuperficielle,mais générale, de 1'Hiftoire ancienne & moderne, & de la Géographie. A cinq ans, il favoit de plus trois langues qu'il parloit également bien. Enfin , Adrien Baillet, a qui nous devons un Traité fort intéreffant des enfants célebres par leurs études, en cite une multitude, & il auroit pu fe mettre lui-même au rang de ces jeunes Savants. II naquit en 1749 au village de Neuville, prèsBeauvais. Son pere étoit un payfan. Le jeune Baillet apprit a lire & a écrire dans un Couvent de Cordeliers, oü il alloit réguliérement prendre des lecons; & quoique  da Chateau. 273 fon pere ne 1'exigeat pas, i) faifoit tous les jours plufieurs lieues dans 1'efpoir de s'inftruire. Peu de temps après, un Eccléliaftique auffi éclairé que bienfaifaut, voulut fe charger de cet enfant fi digne d'infpirer de 1'intérêt. II lui fit faire fes études. Baillet devint un Savant diftingué, & mourut en 1705. II n'eft pas le feul qui ait recueilli des notices fur les enfants célebres par leurs travaux littéraires. Beaucoup d'autres Savants fe font occupés du même objet, & nous ont donné des Ouvrages très-curieux en ce genre (a). (a) Entr'autres , Af. Goe-iius , AL Kleffeker, Wolf, Seelen, &c. Voyez Di&ionnaire des Merveilles de la Nature, au mot Enfants précoces. On peut mettre encore au rang des enfants célebres, Edouard VI, Roi d'Angleterre , fils d'Henri VIII, & de Jeanne Seymour. 11 monta fur le tröne a 1'age de neuf ans , & favoit alors le Latin , le Francois,le Grec &l'ltalien. Marie Stuart, Reine d'Ecoffe , i l'age de trei-te ans , re'cita publicuement dans une falie du Lourre , en préfence du Roi Henri 11, de la Reine Catherine de Médicis, & de toute la Cour, un difcours Latin de fa compofition, oü elle foutenoit, dit M. Gaillard, (contre le pre'jugé dès-lors commnn) qu'il fied aux femmes d'être inftruites. Marie faifoit auffi des vers Francois , excellents pour le temps ; elle réuniffoit d'ailleurs tous les talents agréables ; elle danfoit parfaitement, elle chantoit, elle jouoit de plufieurs inftruments. L'hiftoire du fameux Pic de la Mirandole eft généralement connue , & tout !e monde fait que ïafcal a douze ans étoit grand Géometre, M V  a^.ï- Lu VeilUes M. 1'Abbé , dit Madame de Clémire, c'eft apparemment par politeffe pour notre auditoire, que vous nous avez annoncé que tous les enfants dont vous alliez nóus parler avoient été desprodiges. II eft vrai que ces enfants font bien fupérieurs aux nótres; cependant je ne vois parmi eux qu'un feul prodige, celui qui parloit a dix mois. Tous les autres nemeparoiffent que des enfants extrêmement appliqués. Era effet, répondit 1'Abbé , tout leur mérite ne venoit que d'une application foutenue^ jointe a une extréme docilité. j'ai lu avec attention 1'biftoire détaillée de plufieurs de ces enfants; & j'ai vu qu'ils avoient tous un refpeét fans bornes, une affeétion touchante pour leurs inftituteurs, & parconféquent une obéiffance aveugle & une douceur inaltérable. Mais, M. 1'Abbé , reprit Céfar , cette mémoire prodigieufe ?... — Elle eft le fruit, non de Pefprit & du génie, mais des qualités que je viens de vous dépeindre. Un enfant fe fouvient toujours des chofes qu'il écoute avec attention. La preuve en eft qu'on n'a jamais vu un enfant appliqué n'étre pas très-remarquable par fa mémoire. D'ailleurs , calculez donc, fi vous pouvez, combien 1'impatience, 1'humeur, le dépit, le chagrin, les réponfes, les raifonnements déplacés, font perdre de temps a un enfant mutin & défobéiliant ? Si on Ie reprend, au-lieu de redoubler d'attention & d'écouter avec foumiffion, il répond pour donner de raau-  du Chateau. t?$ vaifes excufes. On eft forcé de lui impofer filence. S'il obéit, il boude, il murmnre au fond de fon cceur, il n'entend plus rien , il eft diftrait, dominé par l'humeur: voilft nne le^on perdue... — Mais je meflatte, M. 1'Abbé, que vous ne me trouverez pas un enfant mutin ö5 défobéijfant ?... — Non , fürement, puifque je reïte avec vous: Vous êtes en général docile, foumis, & vous ne manquez pas d'application ; mais vous ne poffédez pas encore ces qualités a un degré éminent, & vous êtes enfin audetfous de ce que vous pourriez être. — Ah, M. 1'Abbé, je vous affure que je ne me fuis jamais fenti tant d'émulation que j'en ai maintenant, que je fais qu'il y aeu de tous temps une fi grande quantité d'enfants célebres ; & puifqu'il ne faut pour le devenir, que deladocilité &un bon cceur, je vais redoubler d'attention, & je fuis bien certain qu'a 1'avenir vous ferez content de mes progrès. Caroline & Pulchérie firent a leur mere les mêmes promeffes, & 1'on fut fe coucher fort fatisfaits d'une veillée qui avoit produit de fi bonnes réfolutions. L'arrivée de quelques voifins qui vinrent paffer plufieurs jours h Champcery, interrompit les Veillées : mais le foir même de leur départ , la Baronne conta 1'hiftoire fuivante : Fin du Tome fecond. M vj  276 Notes. NOTES DU TOME S ECO ND. (i) XJn fameux Fleurifte, en Hollande, m'a dit avoir acheté un oignon 6800 liv.; il ajouta qu'il en avoit vu de beaucoup plus chers. Les Curieux ne comptent que fix efpeces de fleurs Ïui valent réellement la peine d'être cultivées. les fix efpeces font : la Jacinthe, la Tulipe, l'Auricule, l'(Killet, la Renoncule, Y Anémone. La Jacinthe eft une des plus belles, mais la plus bornée quant aux couleurs ; elle eft plus rare que les autres. On croit que la Renoncule nous a été apportée de Syrië , du temps de la guerre fainte. M. Bachelier, dans le fiecle précédent , apporta d'Amérique 1'Anémone. On prétend que la Jacinthe vient du Cap de Bonne-Efpérance; la plus belle Jacinthe eft YO~ pfiir ; elle eft jaune , entrecoupée de taches pourpres en-dedans. (2) 11 y eut a Lisbonne un affreux tremblement de terre en 1755 ; plufieurs maifons furent confumées par des tourbillons de flamme qui lbrtoient de la terre ; phénomene affez commun dans les tremblements de terre, & qu'on avoit déja vu a celui qu'on éprouva a Remiremont fur la Mofelle, a quatre lieues de Plombieres, 1'an 1681. Ce qu'il y eut de  Notes. 277 fingulïer , c'eft que les fecoufles ne fe faifoient fentir que pendant la nuit, & nullement le jour. Elles étoient accompagnées d'un bruit fouterrein femblable a celui du tonnerre, 8t 1'on voyoit des flammes fortir de la terre. On a vu en Amérique des tremblements de terre durer plus d'une année entiere, 8c faire fentir chaque jour plufieurs fecoufles très-violentes. Sous 1'Empire de Tibere, treize villes confidérables de 1'Afie furent totalement détruites. La célebre ville d'Antioche éprouva le même fort 1'an n< ; le Conful Pédon y périt, & 1'Empereur Trajan , qui s'y trouvoit alors, eut beaucoup de peine a fe fauver. En 742, il y eut un tremblement de terre univerfel en Egypte & dans toutl'Orient; en une même nuit, fix cents villes furent renverfées. Les Provinces méridionales, qui font bcrnées par les monts Pyrénées, ont auffi reflenti quelquefois des fecoufles très-violentes. En ï66o , tout le pays compris entre Bordeaux & Narbonne , fut défolé par un tremblement de terre ; entr'autres ravages, il fit difparohre une montagne du Bigorre, & mit un lac a fa place. Par cet événement, un grand nombre de fources d'eaux chaudes furent refroidies, & perdirent leurs qualités falutaires. Dans les tremblements de terre de 1'année 1753 ■> c'eft auffi cette partie de la France qui a éprouvé le plus fonemen t des fecoufles. Lima , Capitale du Pérou , qui n'eft éloignée que de deux lieues de Collao , port de la mer Pacifique , après avoir éprouvé en différents temps des tremblements de terre, a été  2?8 Notes. enfin totalement détruite, avec Collao , en 1746. La mer couvrit de fes eaux tous les édifices de Collao , & noya tous les habitants: il n'y eft refté qu'une tour; ók de vingt-cinq vaiffeaux qu'il y avoit dans ce port, il y en eut quatre qui furent portés a une lieue dans les terres; le refte a été englouti par la mer. Juiqu'ici, dit M. de Bomare , 1'on attribue les tremblements de terre a deux caufes : ï°. a 1'élafticité de l'air interne , extrêmement raréfié() Les Pyrites font des fubftances compofées par la nature , minéralifées, plus ou moins compaftes, pefantes & cryftallifées dans différents états, formant fouvent des veines très-profondes dans les mines. On appelle fubftances minéralifées celles dont les interftices ou pores ont été remplis par des infiltrations ou vapeurs minérales ou métalliques. Enhiftoire naturelle, on appelle cryftallifation toutes les fubftances minérales qui prennent d'ellesmêmes une figure conftante & déterminée. II y a donc autant de cryftaux qu'il y a de fubftances qui affeétent une figure réguliere. (c) Efflorefcence. On défigne par ce mot Ia mattere en flocons qui fe forme a la fuperficie de certains corps qui fc décompofent par le contact ie l'air. Af, de Bomare,  Notes. 279 que celfe rj« fair. Ainfi le feu, l'air ik 1'eau, eoncourent a ébranlen la terre qui les contient. Voyc^ le DitTiortnaire cfHï/ioirt Naturelle, par M. de B o M A RE , au met Tremblemenï «Je terre, & le même mot, dans 1'Ouvrage qui a pour titre : Diclionnaire des merveille* de la Nature. (3) En effet, Ia plus grande partie de la ville de Lisbonne ne fut détruite que par des incendiaires, qui ,dans ce défaftre affreux, met» toient le feu aux maifons afin de les piller avec plus d'impunité. Les malheureux habitants de Lisbonne, victimes de cette fcéiérateffe inouie, trouverent des dédommagements dans 1'humanité d'une nation généreufe. Les Anglois n'eurent pas plutöt appris ce tertible événement , qu'ils s'emprefferent de leur envoyer tous les fecours dont ils avoient befoin; bienfait qui coüta aux Anglois fix miilions , mais qui leur affura de nouveaux droits a feftime de toute 1'Europe. (4) Je trouve dans un Ouvrage Anglois auffi inftruclif qulntéreffant , une anecdote finguliere & peu connue, relativement a la Catalogne. Après beaucoup de révolutions , nn Wifred-le-Chevelu obtint pour lui & fes defcendants le Gouvernement de la Catalo- fne. Ce Wifred ayant été dangereufement leffé dans une bataille contre les Normands, re^ut une vifite de 1'Empereur, qui, trempant fon doigt dans le fang qui couloit de Ja bldffure, en tra^a quatre lignes fur le bou-  aSo Notes. dier d'or de Wifred, en difant : Comte ; qut déformais ce foient - ld tes armes. Depuis ce temps , quatre palettes de gueule, fur un champ d'or, furent les armes de la Catalogne, & par la fuite, de 1'Arragon, loifque Raymond V époufa Pétronille, héritiere de Ramire II, Roi d'Arragon. Travels througk Spain in the years, 1775. 'And 1776 , by Henry Smnburne efq. Un vol. in-4to. (5) Voici, au fujet des cafcades dont je parle, ce que dit le Voyageur Francois. » On eft étonné , en parcourant ces roches n menacantes, de rencontrer des vallons dé» Ucieux, de trouver la verdure & 1'ombrage » au fein de la ftérilité, de voir des cafca» des naturelles fe précipiter de la cirrie de » ces pointes hériffées, & ne troubler le fi» lence qui regne dans cet afyle , que pour » le rendre plus intéreiTant " Ejfais fur FEfpagne, torn. 1, page 3^. A préfent voici, au fujet de ces mêmes cafcades, ce que dit le Voyageur Anglois. j> Le plus grand inconvénient du Mont-Ser» rat eft la difette de bonne eau. Excepté une >> fource qui fe trouve a la Paroiffe & une » autre au Couvent, les Hermites n'ont que j> de 1'eau de citerne ; ce qui eft infupportable j» en été, & donne un démenti a toutes les » agréables defcriptions que j'ai lues des ruif» feaux qui murmurent, & des charmantescaf» cades qui fe précipitent du haut des ro*> chers brifés. Le manque d'eau eft tel, qu'on  Notes. 28 i n'a jamais yu fur cette montagne ni loups, » ni ours, ni aucune bete fauvage (a) ". f Voila une contradi&ion affez frappante.. Si 1'on fe donnoit la peine de confronter ainfi tous les Voyageurs , je crois qu'on en trouveroit bien d'autres. Au refte, en écrivant mon Conté , j'ai fait ce que fe permettent beaucoup d'Hiftoriens ; j'ai choifi ce qui m'a paru le plus agréable a dépeindre : mais du moins je ne diffimule pas les motifs de ma préférence , & j'avoue fans peine que le nom, ia réputation & les Ouvrages du Voyageur Anglois , doiyent infpirer la plus grande confiance. (6) II y a beaucoup d'exemples de morts fubites caufées par le faififfemsnt de la douleur. L'an93o, Gormond III, dit le Vieux, Roi de Danemarck, avoit eu de Thyra fon épyufe, deux fils, Canut & Harald. Canut, 1'ainé , par fes vertus, faifoit les délices de fon pere & de la nation. La férocité d'Harald lui avoit aliéné le cceur des Danois. Ce monftre, (a) The Greateft hardship here is a Scarcity of good water except one Spring at the parish and another at the convent, they have no other , than ciftern-»^ater and that bad enough ; this , in Slimmer is a terribile irtconveniency and gives the lye tothe florid defcriptions j have read of the purhngftreams. And beantifu! cafcades-tumbling down on every fide from the broken rocks. The want of water is fogreat that neither wolf, bear nor other wild beaft is ever feen on the mountain. _ Travels through Spain. By Hmry Swinburne efa. Jfl-4to, pag. 49. * ,H  282 Notes. jaloux de fon frere, 1'affaffina. Thyra ne fachant comment annoncer cette affreufe nouvelle au Roi, fit tendre tout le palais de deuil. Le Roi, a 1'afpeél de cette lugubre décoration, s'écrie : Sans doute mon fils efi mort, & fur le champ il expire de douleur. On prétend que Guillaume , Evêque de Rofchild (fan 1050) , avoit pour Suénon II , Roi de Danemarck, un tel attachement, que durant le cours de la maladie dont ce Prince mourut, il fentoit fes forces diminuer a mefure que le Roi perdoit les fiennes; & qu'enfïn voyant Suénon a 1'exttêmité; s'y trouvant lui-même, 6c fur de ne pouvoir lui furvivre , il fit faire fon cercueil, le fit porter avec celui du Roi, fe traina aux funérailles de ce Prince, y mourut, & fut enterré avec lui. Eric III, dit Ie Bon, Roi de Danemarck, 1'an 1104 , répudia la Reine Bathilde, fon époufe ; il fit vceu de vifiter les faints Lieux. Bathilde, quoique répudiée, 1'aimant toujours, voulut le fuivre. II mourut dans 1'Ifle de Chypre , & Bathilde, défefpérée de fa pene, mourut de douleur. L'an 1108 , Philippe , premier Empereur d'Allemagne . fut affaffiné. L'Impératrice Irene , fa femme , perdit la vie en apprenant la mort de ce Prince. Deux Domeftiques de Charles VIII tomberent morts en afliftant aux funérailles de ce Monarque. L'an 1501 , Louis de Bourbon, Comte de Montpenfier, arriva a Naples après la prif«  Notes. 283 de Cajïóue i ou 51 avoit donné des preuves de Ia plus grande valeur. Son premier foin eft de fe rendre a Pouzzols, lieu de la fépulture de fon pere ; il fe profterne fur fa tombe , & il expire de douleur. Ce jeune Prince fut a jufte titre furnommé le Héros de U tcndrejfe filiale. On fait que plufieurs perfonnes moururent fubitement en apprenant 1'affaffinat d'HenriJe-Grand; Sc de nos jours, lorfque le malheureux Amiral Byng fut condamné k la mort, il écouta fa fentence avec fermeté ; elle étoit tnjufte, elle lui raviffoit la vie 6c non 1'honneur : mais fon frere qui perdoit en lui 1'ami le plus cher, voulant lui dire un dernier adieu, fe jette dans fes bras 6c y expire. (7) Dans les combats entre les Efpagnols & les Maures, on en trouve un oü fe fignale» rent les femmes de Tortofe. Elles s'expoferent fur les remparts de leur ville , 8c firent de tels prodiges de valeur, que Raymond Bé» renger , dernier Comte de Barcelonne , inftitua pour elles, en 1170 , 1'Ordre militaire de la Hacha ou du Flambeau. Elles obtinrent encore plufieurs privileges honorables qui n'exiftent plus; mais le droit d'avoir le pas fur les hommes, de quelque rang qu'ils foient, dans les cérémonies de mariage, leur a été confervé. L'Hiftoire d'Allemagne offre un trait femblable. L'an 101 , les Polonois affiégerent la ville de Meiflin, qui fe feroit rendue fans le courage héroïque des femmes, qui partagerent tous les travaux du fiege. L'Empereur  aS4 Notes. Henri II, pour perpétuer la mémoire de 1'action des femmes de Meiflïn , qui , en cette occafion, avoient montré un courage fupérieur a celui de leurs maris, ordonna que 1'on célébreroit 1'anniverfaire de Ia délivrance de la ville, & que les femmss iroient feules proceffionellement a l'Eglife, pour marquer que c'étoit a elles que Meiffin avoit du fon falut. Cette proceffion fe fit avec la plus grande pompe jufqu'au feizieme fiecle. Les Luthériens 1'abolirent en profcrivant le cnlte Romain. Hijlolre génèr. £Alkmagnt, par M. Mon- tigny, tom. 4. Pendant la guerre que fe firent JeanI, Roi de Caftille, & Jean I, Roi de Portugal, les Anglois ayant afTiégé Palancia, dans le Royaume de Léon , qui fe trouvoit alors dépourvue d'hommes, & toute la NoblelTe ayant fuivi le Prince en campagne , les Dames défendirent la ville , repoufferent 1'affaut de 1'ennemi j le harcelerent par des forties , & le contraignirent de fe retirer. Pour récompenfer leur valeur, Jean leur petmit de porter ï'Echarpe d'or fur le manteau , & leur accorda tous les privileges des Chevaliers de la Bande ou] de ï'Echarpe. La date de cet Ordre eft incertaine; on en place 1'inftitution entre 1383 & 1390. Encyclopédie, mot Echarpe. (8) On admïre encore dans Tolede 1'Hotelde-Ville, auprès du Palais de 1'Archevêque ; 1'architeéture en colonnades en eft parfaitement belle. Sur une des murailles de 1'efcalier  Notes. 285 de cet Hótel-de-Ville, on lit des Vers Efpagnols , dont voici la tradutKon littérale. » Hommes nobles & judicieux, oui gou» vernez Tolede , dépofez vos paflions fur » cet efcalier J laiffez-y Famour , la crainte » & l'avidité ; pour 1'intérêt public, oubliez » les intéréts particuliers : & puifque Dieu » vous fit les colonnes de ce Palais augufte , » foyez toujours fermes, droits SC inébranla" bles ". Ejfais fur I'Efpagne, torn. I. (9) » Cesmontagnes, abfolumsnt incultes, » fervoient, depuis plufieurs fiecles, de re» paire aux voleurs & aux loups. Quelques » Patriotes avoient en vain propofé des défri» chements.. M. Olavidès , après avoir peuplé j» les déferts de 1'Andaloufie, couvrit la Sier» ra Morena de colons & de laboureurs. Le » Gouvernement a favorifé cet établiffement, » qui a profpéré '*. Mais , dit le Voyageur que je copie, n malgré les attentions bienfaifantes » & les exemptions répétées du Gouverne» ment, ces peuplades font pleines d'efprits n mécontents. Leurs plaintes, en général peu « fondées, font les fruits de Phumeur inquiete « de 1'homme, qui voudroit parvenir a 1'aia fance, fans fe livrer au travail qui la procu» te ". Ejfais fur I'Efpagne , torn. I. Le chef- Lieu de la Colonie de la SierraMorena, s'appelle la Caroline. Les deux Voyageurs Anglois & Fran$ois font 1'un & 1'autre de charmantes defcriptions de ces nouvelïes peuplades. Celle de 1'Anglois eft remplie de fentiment; j'en aurois orné cette Note, fi je  *86 Notes. n'eufle craint de la gater en la traduifant; (10) Du temps des Mufulmans, cette Mofquée étoit un batiment en forme de quarrélong, avec un toit plat pofé fur des arches. Ce monument manquoit de proportion ; il n'avoit pas plus de 3 5 pieds d'élévation ; fa largeur étoit de quatre cents vingt, & fa longueur de cinq cents dix, en y comprenant 1'épaiffeur des murailles; le toit étoit fupporté , fuivant les uns , par mille colonnes, & fuivant les autres, par huit cents environ. Cette Mofquée avoit alors vingt-quatre portes, plus de quatre mille lampes y brüloient chaque «uit, & confumoient, dit-on, prés de vingt mille livres d'huile par an. II n'exifte préfentement qu'une partie de la Mofquée, dont on a fait une Eglife; on y entre par dix-fept portes : cette Eglife a cinq cents dix pieds de longueur, fur deux cents quarante de large {a). On y trouve un grand nombre de colonnes de marbre de diverfes efpeces , formant un vafte quinconce. TraveU through Spain by Henry Swinburne. efq. (11) Grenade eft fituée au pied de la Sierra-Nevada, ou montagne de Neige, & batie fur deux coteaux qui font féparés par le Darro ; le Genil baigne fes murailles. Ces deux ri- (a) Le Voyageur Francois dit que l'Eglife a fix aents pieds de longueur, fur deux cents cinquante «1« largeur. Tornt I, p«g. 2Sj.  Notes. 287 ywM-es font formées de la fonte des neiges dont la Siërra elt toujours couverte. Ejfais fur I'Efpagne , tom. I. : (12) Les monuments les plus remarquables de Grenade, font : le chateau de YAlhambra, ancien Palais Maure, dans 1'enceinte duquel on en trouve un plus moderne & cependant en ruïne, que fit batir Charles-Quint. Ce dernier n'a aujourd'hui que les quatre murailles ; on ne lui donna que peu d etendue, afin de conferver le Palais Maure que 1'on deftinoit k l habitation d'été. On trouve dans 1'Alhambra les reftes de la plus grande magnificence, des colonnes de maibre, des fontaines, des basreliëfs, une prodigieufe quantité d'infcriptions, ckc. On y admire entr'autres la fuperbe cour appellée Cour des Lions. Le Généralif eft un autre Palais Maure qui communiqué avec 1'Alhambra; il eft bati fur une montagne trèsélevée , les eaux y jailliffent de toutes parts , les jardins font en amphithéatre, fa fituation e& ravifTante & préférable k celle de 1'Alhambra. Ejfais fur I'Efpagne , tom. I. (13) Du temps de Boabdil ou Abdali, dermer Roi de Grenade , les Abencerrages & les Zegris étoient les deux plus puiffantes families de cette ville. Albin-Hamet, un des Abencerrages , devint favori du Roi ; alors les Zégris conjurent fa perte. L'un d'eux fe trouvant feul avec le Roi, employa la plus noiredes calomnies , & dit qu'il avoit vu Albin-Hamet aux genoux de la Reine dans les jardins de Géne-  288 Notes. ralif, & la Reine le couronnant d'une guirlande de rofes. Le Roi, fur ce rapport, fe livra a toutes les fureurs que lui infpirerent & la jaloufie Sc les Zégris; il fut décidé qu'on attireroit tous les Abencerrages , lesuns après les autres, dans la Cour des Lions (a) , Sc qu'on les égorgeroit; ce qui fut exécuté. Chaque victime admife dans cette funefte enceinte étoit faifie par les Zégris , conduite a un large baflïn d'albatre (i), & la décapitée. Trente-fix des Abencerrages perdirent ainfi la vie. Un Page ayant furtivement fuivi fon maitre , ne fut point appercu , vit cette horrible tragédie, & trouva le moyen de fortir & d'aller avertir le foible refte de la familie infortunée des Abencerrages. Aufli-têt toute la ville de Grenade prit les armes ; il y eut plufieurs combats , Sc ce tumulte étant appaifé par la fageffe de Mufa , frere batard du Roi, Abdali rendit publiquement compte de fa conduite , Sc déclara le prétendu crime de la Reine ; enfuite il condamna la Princeffe a être brulée , fi dans 1'efpace d'un mois , elle ne produifoit pas quatre Chevaliers pour défendre fa caufe contre quatre accufateurs. En attendant, la Reine fut enfermée dans une tour (c); plufieurs Chevaliers Maures offrirent leurs fecours a la Reine , qui les (a) Dans 1'Alhambra. (b) On montre encore ce baffin , qui contint toutes les têtes des Abencerrages. (c) On voit cette tour dans 1'Alhambra, 6c on 1'appelle encore la prifon de la Reine.  Notes. 2>?o le* refufa ; elle ne voulut devoir fa delivrance qu'a des Chevaliers Efpagnols, dont la réputation avoit obtenu toute fa confiance. Elle leur écrivit; ils arriverent au moment oü la Reine , prête a perdre la vie , montoit a 1'échafaud. Sur leursbouclierson lifoit ces mots: Pour la. vérité. Ils entrerent en lice contre les Zégris , & furent vainqueurs. Le fcélérat qui avoit calomnié la Reine recut une bleffure mortf 11e, & avant d'expirer, il avoua fon crime. La Reine fut reconduite en triomphe au palais ; Abdali vint tomber a fes pieds, il ne put obtenir fon pardon ; la Reine quitta la Cour, 8c fe retira dans une folitude. Les retïes de la familie des Abencerrages abandonnerent Grenade , laifferent Abdali privé de fes meilleurs Généraux , & a la merci de fes ennemis, qui , quelques mois après , lui arracherent un Tröne qu'il avoit fouillé par tant de meurtres. Quoique cette hiftoire foit contée gravement & pathétiquement par plufieurs Auteurs, on ne doit la regarder que comme un Roman dont le fond eft vrai, fans doute, mais dont toutes les circonftances font imaginées. Traveli ikrough Spain by Henry Swinburne, efq. (14) Ce globe de feu étoit un météore. On donne ce nom a certaines efpeces de phénomenes qui naiiTent & paroiffent dans le corps de_i'athmofphere; c'eft-a-dire, dans la maffe d'air qui nous environne immédiatement , & dans iaquelle nous refpirons. Tels font les nuages, le tonnerre, la pluie, la grêle, la neige, Tome 11. N  «oo Notes, les brouillards, le ferein , la rolee, les feux folets, 1'éclair , les vents, les tourbillons, les orages , &c. Les Phyficiens font trois divifions des météores; en ignés, en aérietis 8t en aqucux. Les premiers font : le tonnerre, le feu Saint-Elme , les globes de feu , & autres phénomenes qui tiennent k I eleclricité ( On vit paroitretout d'un coup dans le No-ds> Oueft un feu femblable a une groffe étoile » tombante, qui augmentant a mefure qu'il n approchott. parut bientót fous la fotme d'un •» globe , & enfuite avec une que je qui entral» noit tout après lui. Ce globe ayant traverfé j> une .partie du ciel, fon mouvement rapide » parut fe ralentir, & fa forme devenir fem» blable a celle d'une larme batavique. II ré» pandit alors la plus vive lumiere , fa tète » paroiffoit environnée de flammeches de feu , » & fa queue bordée de rouge étoit parfemée » des couleurs de l'arc-en-ciel ; enfin , il éclata 1» en répandant un grand nombre de parties » lumineufes , femblables aux brillants des » feux d'artifice. i) Le 12 Novembre 1761, M. Ie Baron des ;> Adretz vit , a une lieue de Villefranche en " Beaujolois, un globe de feu éclatant qui s> fembloit fe précipiter vers la terre, & groffir » a mefure qu'il en approchoit j il laiffoit après » lui une grofle trainée de feu qui marquoit fa » route. Après qu'il eut parcouru a-peu-près s> la huitieme partie de 1'horifon, il parut de »> la groffeur d'un très-gros tonneau coupé ho- s> rifontalement par fa moitié il fe renver- » fai_& il en fortit une quantité prodigieufe » d'étincelles & de flammeches femblables aux s> plus groffes de celles qu'on voit dans les feux ï> d'artifice.,.. « Dans la ville de Beauriè, ce météore N ij  se/- Notes. » avoit répandu une clarté égale a celle du jour » en plein midi.... 71 Le 3 du mois de Novembre 1777 , k » neuf heures 8c demie du foir , on appercut » a Sarlat ( en fortit deux efpeces de volcans qui, fépa>j rés de la maffe, prirent la forme de deux m grands arc-en-ciels, dont 1'un feperdit vers >» le Nord, 8c 1'autre vers le Levant. Alors on n s'appercut que la maffe fe fondoit infenfi» blement, 6cc. " DicTwnn. des Merveilles de la Nature, tom. ii, (15) II faut fefouvenir que la femelle des fouliers d'Alphonfe eft parfemée de clous de fer, 6c que fon baton eft ferré. » Les Anciens, dit M. de Bomare, con» noiflbient la vertu que 1'aimant a d'attirer le » fer : 8c ft 1'on en croit Pline, ce fut par un t) effet du hafard, un Berger ayant fenti que » les clous de fes fouliers 6c le bout de fon (a) Petite ville du Périgord, a 110 lieues de Paris. (i) La toife courante fe divife en fix pieds.  Notes. 293 » baton J qui étoit ferré, s'attachoient a une >» roche d'aimant fur laquelle il paflbit; mais » ils ne connoiffoient point celle qu'il a de fe » diriger vers les pöles du monde ". Alphonfe plein d'ignorance, de remords, & déja épouvanté du météore qu'il vient de voir, en fe fentant arrêté fur cette roche, fe croit arrêté par le Ciel même , irrité de fa fuite. Cette idéé redouble fa terreur , lui ravit toutes fes forces, le rend immobile, & le fixe fur le rocher. » L'aimant eft une pierre ferrugineufe que » 1'on trouve dans les mines de fer; fa couleur j> n'eft pas uniforme. Dans les Indes Orien» tales, a la Chine, & dans tous les Pays du j> Nord, il eft couleur de fer. Dans nos pays, » fa couleur tire pour 1'ordinaire fur le noir. » Celui de Devonshire eft brun - rougeatre ; » celui de Lorraine grifatre.... » L'aimant a cinq propriétés très-remarquaj> bles : i*. celle d'attirer le fer; c'eft ce que » 1'on nomme attrattion : iQ. celle de lui tranf» mettre fa vertu ; c'eft la com.munica.den : » 3°. celle de fe tourner vers les póles du » monde; c'eft fa dirctlion : 40. celle de s'y din riger avec une variation que 1'on nomme » déclinaifon: 5*. enfin, la propriété de s'in» cliner a mefure qu'on approche de 1'un ou j> 1'autre pöle , ce qu'on nomme inclinaifon. y> Toutes ces propriétés fingulieres, dépendan»> tes de la nature de l'aimant, tiennent a quel» que propriété générale qui en eft 1'origine, » & qui jufqu'ici nous eft inconnue. On foup»» conne qu'il regne auteur de l'aimant une efN üj  2t>ty Notes. » pece d'afhmofphere auquel on a donné Ie » nom de matiere magnétique , & qui forme un ïi tourbillon autour de cette pierre ; 1'on dé»> couvre fenfiblement ce tourbillon par fes s> deux póles , qui ont des effets contraid res ; 1'un d'attirer, 1'autre de repouffer le » fer. La force attraöive d'un aimant forti de » la mine eft peu confidérable ; c'eft pourquoi » on eft obligé de farmer pour augmenter fa » force...-. II eft a remarquer que ce que le fer » n'étoit pas par lui-même, la rouille de fer » Feft quelquefois; je veux dire un véritable » aimant.... » Dans le cabinet des curiolïtés de la Socié» té Royale d'Angleterre, il y a une pierre » d'aimant de 60 livres, qui ne leve pas un fort » grand poids en proportion de fa grandeur t n mais qui attire une éguille a la diftance de >7 neuf pieds.... L'Hifïoire de 1'Académie des » Sciences parle d'une pierre d'aimant qui pe» foit onze onces, & levoit vingt-huit livres n de fer, c'eft-a-dire, plus de quarante fois » fon poids. Ditïion. (THift. Nat. par M. DE 3> B O M A RE, j> Magnétifme eft le nom général qu'on dort» ne aux différentes propriétés de Faimant. H » y avoit dans 1'Afie mineure deux Villes aps> pellées Mag/iéde 1'une auprès du Méandre t t> 1'autre fur le mont Sypile. Cette derniere, j> qui appartenoit particuliérement a la Lydie r j> & qu'on appelloit auffi Héraclée, étoit la n véritable patrie de l'aimant. Le mont Sy» pile étoit fans doute fécond en métaux , & m en aimant par conféquent; ainfi l'aimant  Notes. 20$ » appelle Magnes, du premier lïeu de fa dé» couverte , a confervé fon ancien nom Encyclopédie. J'ai placé 1'aventure de la roche d'aimant en Efpagne, paree qu'elle étoit plus frappante dans les premiers moments de la fuite d'Alphonfe. Au refte, 1'efpece de vraifemblance qu'on peut defirer dans un Conté s'y trouve affez, puifqu'en effet, les environs de Loxe font remplis de rochers , & qu'il y a beaucotp de mines en Efpagne. (t6) » La prétendue pluie de fang n'arrive » que dans des temps de tempète, & fur-tout » en été. II n'eft pas étonnant que la plupart }> des infectes qui cherchent leur pature fur ») les branches , foient emportés par de gros » vents, & déchirés en pieces; ce qui fait » qu'en tombant ils font comme enfang'an» tés , & qu'il pleut du fang des infeétes DicTwnnaire d'Hiftoire Naturelle, par M. D £ B OM ARE , au mot Pluie. J'avoue que cette explication ne me paroit pas trop fatisfaifante: car s'il ne falloit, pour produire ce phénomene, qu'un vent impétueux accompagné de pluie dans les mois- de Juillet ou d'Aoüt , il n'y a perfonne qui n'eüt vu dans fa vie plus d'une fois pleuvoir du fang; ce qui n'eft affurément pas. » On a vu , dit encore M. de Bomare, en v 1703 , les eaux du lac de Zurich devenir >? tout - a - coup rougeatres comme du fang. 3» L'examen fit reconnoitre que c'étoient des ?i courants d'eaux bitumineufes chargées d'ocre N iv  ao<5 Notes. » rouge de fer, qui vinrent alors fe mêler aux 3) eaux de ce lac. » On dit auffi pluie de foufre. Cette pluie i> eft ainfi nommée, des grains jaunatres qui ij femblent tomber des nuages avec 1'eau mên me. Ce n'eft qu'a la pouffiere jaunatre des » étamines ( tes en fleurs, que font dues ces prétendues ï> pluies de foufre qui tombent fi fréquemment » dans le voifinage desmontagnes. Ce phénoj) mene arrivé fouvent a Bordeaux pendant le 3> mois d'Avril, temps ou les pins font en 3> fleurs ". DitTion. d'Hijl. natur. par M. d e Som are. (17) En quittant Loxe, on traverfe le mont Orofpeda , & dont le voifinage d'Archidona , ville batie au fein des rochers , fur les frontieres de 1'Andaloufie , on appercoit la Serta de Los Enamorados ; c'eft un rocher qu'une aventure tragique a rendu célebre. Un jeune Chevalier Francois fut fait prifonnier par les Maules , dans le temps qu'ils régnoient encore k Grenade. Le Roi Maure lui donna la liberté , (3) On appelle étamines les petits filets qui font au milieu des fleurs. Les efpeces de petits boutons qui furmontent ces filets, fe nomment fommets ; 1'enveloppe qui contient la fleur, s'appelle talice, & les feuilles de la fleur pctales ; enfin, le pijtil eft la partie de certaines fleurs qui en occupe ordinairement le centre, comme on peut le voir dans le lys. C'eft' un tuyau deftiné a recevoir la pouffiere des étamines; c'eft-la que fe trouve la graine.  Notes. 297 le retint a fa Cour, & Ie combla de bienfaits. Le Chevalier féduifit la fille du Roi, & la fit confentir a fuir fecretement de la Cour de fon pere. II s'échappa avec elle au milieu de la nuit; mais le Ciel pourfuivit en eux un ingrat & un vil raviffeur , & une fille criminelle Sc dénaturée. A Ia pointe du jour, ils appercurent une troupe de Maures qui les fuivoient; ils gravirent un rocher prodigieufement élevé. La troupe Maure ne tarda pas a les envelopper; alors troublés par les remords & réduit* au défefpoir , ils ie précipiterent du haut de la roche qui porte encore le nom de la roche des Amants. Ejfais fur l'Efpagne , tom. I. (18) L'art de la navigation comprend trois parties : ic. l'art de batir des vaiffeaux , ce qui s'appelle conftrutïion : iQ. l'art de les charger , ce qui s'appelle lejle & arrimage : 30. l'art de les conduire fur la mer , qui eft l'art de la navigation proprement dit. On appelloit navires ficrt's chez les Egyptiens , les Grecs & les Romains , des batiments qu'on avoit dédiés aux Dieux; tels étoient chez les Egyptiens , i°. le vaiffeau qu'ils dédioient tous les ans a Ifis; a°. celui fur lequel ils nourriflbient, pendant quarante jours, le boeuf Apis, avant que de le transférer de la vallée du Nil a Memphis , dans le Temple de .Vulcain; 30. la nacelle nommée vulgairement la barque d Caron , & qui n'étoit employée qu'a porter des corps morts ; c'eft de cet ufage «les Egyptiens qu'Orphée prit occafion d'imaN V  £03 Notes. giner le tranfport des ames dans les Enfers au» dela de 1'Achéron. Entre lesbatiments facrés qu'on voyoit dans la Grece, les Auteurs parient fur-tout de deux galeres facrées d'Athenes, qui étoient deftinées a des cérémonies de Religion , ou a porter les nouvelles dans les befoins pteffants de 1'Etat. L'une fe nommoit la Parale , ou la galere Pa* ralicnne ; elle emprunta fon nom du Héros Paralus , qui, joint a Théfée, fe fignala contre les Thébains : ceux qui montoient ce navire s'appelloient Paraliens. L'autre vaiffeau, dit le Salamïnien ou la galere Salaminienne , prit, felon les uns, fa dénomination de la bataille de Salamine , & felon les autres, de Naufithoüsfon premier Pilote, natif de Salamine. Ce fut fur cette célebre galere, a trente rangs de rames, que Théfée revint vi&orieux de rille de Crete. On la nomma depuis Düiaque, paree qu'elle fut confacrée a aller tous les ans a Délos y porter les offrandes de Théfée a 1'Apollon Délien. L'une & l'autre de ces galeres facrées fervoit auffi a ramener les Généraux dépofés ; & c'eft en ce fens que Pitholaüs appelloit la galere Paralienne , la majfue du Peuple. Les Athéniens conferverent la galere Salaminienne pendant plus de mille ans; c'eft-a-dire , ils la renouvellerent en remettant des Ïilanches neuves a la place de celles qui vieiliflbient. Outre ces deux vaiffeaux facrés, les Athéniens en avoient encore plufieurs autres ; YAntigone , le Démétrius , Y Ammon & la Minerve. Ce dernier vaiffeau étoit d'une efpece fingu-  Notes. ZQCf liere, puïfqu'il étoit deftiné a aller non fur mer, mais fur terre. On leconfervoit prés de 1'Aréopage, pour ne paroitre qu'a la fête des grandes Panathénées. Ce navire fervoit alors a porter au Temple de Minerve 1'habit de la Déeffe, fur lequel étoient repréfentées la victoire des Dieux fur lesGéants, & les aétions les plus mémotables des grands hommes d'Athenes. Ce qu'on admiroit le plus dans ce navire, c'eft qu'il voguoit fur terre a voile & a rames , par le moyen de certaines machines que Paufanias nomme louterreines; c'eft-a-dire , qu'il y avoit a fond de cale des refforts cachés qui faifoient mouvoir ce batiment, dont la voile, felon Suidas, étoit 1'habit même de Minerve. Tous les vaiffeaux armés en guerre , chez les Anciens , alloient a la rame & a la voile; mais dans les combats ,on abattoit le mat, on plioit les voiles , & on ne fe fervoit que de rames. Les vaiffeaux guerroyoient alors comme les oifeaux avec leurbec, leurs rames leur tenoient lieu (Talles , & ils tachoient de brifer les ailes du vaiffeau ennemi : c'étoit dans la rame que confiftoit toute la force d'un navire : auffi tiroit-il fa dénomination du nombre de rames. Lilia Gerardi a donné , d'après Maxime de Tyr, la defcription d'un vaiffeau d'un Roi Phénicien , qui s'en fervit pour faire un voyage a Troie : c'étoit un palais flottant divifé en plufieurs appartements richement meublés ; il renfermoit des vergers affez fpacieux , remplis d'orangers , de poiriers , de pommters , de vi- §nes ik d'autres arbres fruitiers. Le corps du atiment étoit peint de diverfes couleurs; 1'or N vj  3°° Notes. & 1'argent ybrilloient de toutes parrs.;.. Les vaiffeaux de Caligula étoient encore plus magnifiques; lor & les pierreries enrichiffoient leurs poupes, des cordes de foie de différentes couleursenformoient les cordages, & la grandeur de ces batiments étoit telle , qu'ils renfermoient des falies & des jardins templis de fleurs, des vergers & des arbres. Caligula montoit quelquefois ces vaiffeaux, & au fon des inftruments il parcouroit les cotes d'Italie (a\ L'ufage très-ancien de donner aux vaiffeaux le nom des animaux repréfentés fur la proue , a enrichi la Mythologie ; elle ne dit point que Perfée voyageoit fur un vaiffeau , mais qu'il étoit monté fur un cheval ailé. Dédale s'enfuit de Crete fur un vaiffeau a voiles : voila (a) Rien n'étoit plus magnifique que la galere fur laquelle Marie de Médicis paffa de Genes a Marfeille. Cette galere avoit foixante-dix pas de longueur, avec vingt-fept rames de chaque cöté. Tous les dehors en étoient dorés, les bords de la poupe jjiarquetés d'ébene , de nacre, d'ivoire & de lapis. Elle étoit garnie de vingt grands cercles de fer, enrichis de topazes, d'éméraudes & d'autres pierreries , avec un grand nombre de perles. Le dedans répondoit au-dehors; on y voyoit une grand» décoration repréfentant les armes de France & de Médicis formées par des diamants, des faphirs , des rubis & des perles; les rideaux des fenétres vitrées de glacés & de cryftal, étoient de drap d'or a franges, & les chambre* tapiffées de pareille étofte. Mémoires hiflonAues tr critiques , 4> Anttdotes it France , tom. YH,  Notes. 30 r les ailes avec lefquelles il s'envola, &c. Encyclopédie. La quille eft la première piece par laquelle on commence la conftru&ion d'un vaiffeau , & fur laquelle les membres font pofés. La partie de Varriere d'un vaiffeau , & la plus élevée , fe nomme la dunette ; l'autre , qui eft plus baffe , Ie gaillard d'arriere. II y a auffi a l'autre extrêmité une partie qu'on appelle gaillard £ avant i 1'artillerie eft placée fur les ponts. Stribord fignifie la droite du vaiffeau, & basbord la gauche. Les ouvertures aux cêtés du vaiffeau , pat oü fortent les canons, fe nomment fabords ; & ce qui fert a fermer ces ouvertures , mantelets. Le mat le plus arriere du vaiffeau, fe nomme mat efartimon; celui du milieu , grand mat; celui qui vient après , mat de mifaine ; celui qui eft plus avant, mat de beaupré. La poupe eft la partie du derrière d'un vaiffeau ; la proue eft la partie qui s'avance la première en mer. (19) Le poifon connu par quelques hordet de Sauvages monragnards du Pérou , fut rapporté en 1746 par M. de la Condamine. Ce poifon eft très-fubtil & mortel ; fon effet eft fi prompt, qu'un finge ou un perroquet piqués au fang par ces petites fleches ailées que les Sauvages tirent avec des farbacanes, tombent fur le champ. M. de Réaumur avoit chez lui un ours de deux ans qui commencoir a devenir méchant, & dont il réfolut de fe défaire ; on effaya fur cet animal le poifon dont on vient de parler; on y trempa la pointe d'un petit  302 Notes. dard propre a tirer dans une farbacane. L'ours Tecut la première flêcke au-deffus de 1'épaule, fans en paroitre bleffé : on lui en lanca une feconde ; alors 1'animal fit un bond , entra en convulfion , trembla , écuma & tomba mort au bout d'une minute & demie. II eft a remarquer que les iïnges & les perroquets tués par ce poifon , & qu'on mange au Pérou , ne contraétent aucune qualité pernicieufe. On les mange fans nulle efpece de précaution ; le fucre eft le contre-poifon le plus certain de ce venin ft redoutable ; on a fait manger du fu«re a des chiens , des chats , un quart-d'heure avant de les piquer , ils n'ont reffenti nul effet du poifon. Cette Note a été donnée a 1'Auteur par une perfonne qui a été témoin de Pexpérience cideifus. (20) Tout le monde connoit cette expérience de M. le Doéteur Franklin ; expérienee fondée fur 1'éleérricité. (21) Cette clef étoit éleétrifée. (22) » L'année 1755 , oh Lisbonne fut dl»> truite, les Ifles Afores furent cruellement n agitées. Dans 1'ifle St. Georges, éloignée » de douze lieues d'Angra, la terre trembla » avec tant de fureur, que la plupart des ha» bitants perdirent la vie fous les décombres » des maifons; la frayeur redoubla le lenden main matin dans les deux mêmes endroits, » a la vue de dix-huit nouvelles Ifles qui s'é:  Notes. 305 s> Teverent de la mer. D'un autre eóté, on refj» fentit une fecouffe qui jetta dans la mer » différentes portions de terre, dont l'une s» étoit encore chargée d'une maifon entourée s> d'arbres ; ceux qui y logeoient alors ne s'aps> percurent que le lendemain matin de leur n changement de place. Voyex^ DicTionnaire d'Hifl. natur., par M, be Boma re, au mot Tremblement de terre. (23) j) Cet arbre s'appelle vulgairement sï arbre-dragon ; c'eft un grand arbre dont les » Botaniftes diftinguent quatre efpeces. Ce» lui qui croit aux Ifles Canaries reffemble de » loin au pin ; fes fruits font ronds , gros » comme de beaux pois, jaunatres, ék un peu si acides. Son irronc, qui eft raboteux, fe fend » en plufieurs endroits , & répand dans lè » temps de la canicule une liqueur femblable s> a du fang, qui fe condenfe en une larme » rouge , molle d'abord , enfuite feche & frta» » ble (a) ; c'eft le vrai & naturel fang de dra" n gon des boutiques, dont on fe fert en Méj> decine. Quand on fait une incifion au tronc j> ou aux branches de cet arbre , la liqueur en s> découle ". M. d e B oma re, au mot Sang de dragon. (24) » Une trombe n'eft autre chofe qu'une 0) Friable, c'eft-a-dire fufceptible de fe réduire en poudre.  304 Notes. » nuée épaifle, comprimée & réduite en un n petit efpace par des vents oppofés & con» traires qui, foufflant en même-temps , don» nent a la nuée la forme d'un tourbillon cyi> lindrique , 8c font que 1'eau tombe tout a-lan fois fous cette forme cylindrique. La quan» tité d'eau eft ft grande, la chüte en eft fi » précipitée, que fi une de ces trombes vei) noit a fondre fur un vaiffeau, elle le fub» mergeroit dans un inftant. En 1755 , au mois » de Juillet, en Baviere , un coup-de tonnerre » abattit une nuée toute entiere qui fe dreffa » perpendiculairement, 8c forma comme une » trombe marine. Ce tourbillon en paffant fur » un étang, en pompa 1'eau, 1'éleva a une » hauteur prodigieufe, enfuite il la difperfa » avec tant de force, qu'elle reffembloit a une » épaiffe fumée. La nuée renverfa dans fon » paffage plufieurs maifons 8c quelques ar» bres. Un autre météore prefque femblable, » arriva prés de la Baltique , le 17 Aoüt 1750: » c'étoit une colonne d'eau attachée a un gros » nuage , 8c que le vent amenoit fur la terre ; » elle attiroit a elle tout ce qu'elle rencon» troit, gerbes de bied , buiffons , branches « d'arbres ; elle les enlevoit a la hauteur d'en» viron trente pieds, 6c puis les tordoit, 8c » les laiffoit tomber en petites parcelles. On » prétend qu'en tirant fur ces trombes des » coups de canon, on les rompt 8: on les » diffipe... II y a encore une autre efpece de » trombe qu'on appelle Typhon; elle ne def» eend pas des nuages , mais elle s'éleve » de la mer vers lc ciel. Ces Typhons n'ont  Notes. 305 » d'autre caufe que les feux fouterreïns; car » la mer eft alors dans une grande ébulition, » & l'air eft rempli d'exhalaifons fulfureu» fes ". Voyei M. de B om are , au mot Vents. On lit dans les Mémoires de VAcadémie de Stockholm, que le'iy Aoüt 1746, on vit auprès ds Nyftad une colonne qui s'élevoit de la terre; qu'elle attiroit Ie chaume , les gerbes, déracinoit de petits buiffons.... On en avoit vu une plus finguliere, en 1727, a Béziers. Cette colonne étoit d'une couleur tirant fur le violet; elle arrachoit quantité de rejettons d'oliviers, déracinoit les arbres ; elle tranfporta un gros noyer a quarante ou cinquanta pas , & marquoit fon chemin par une tracé bien battue, oü trois carrofles de front auroient paffé. Elle étoit accompagnée d'une fumée épaiffe ckd'unbruit femblable a celui d'une mer fort agitée.... Une autre trombe parut dans la mêmï année dans la Brie.... En paffant fur un foffé, elle le combla de terre ik de pierres, ik marqua fon paffage par des efpeces de fillons, tels que ceux qu'auroit faits une herfe.... En 1'année 1776 , on vit a Carcaffone une colonne d'une hauteur confidérable ; elle paroiffoit defcendre d'une montagne voifine ; fa couleur étoit fouci-foncé , depuis le bas jufqu'a la moitié, &l le furplus paroiflbit enflammé. Le bruit que faifoit ce météore reffembloit aux mugiffements de plufieurs bceuf réunis; elle alla fe précipiter dans la riviere d'Aude, qu'elle deffécha dans un efpace affei grand.  3o6 Notes. DiÜionnalrc des Mcrveilles de la Nature, tom. II, mot Trombe. (25) En 1740,11 tomba a Rome une grêle dont les grains étoient gros eomme des ceufs.... Dans la Thuringe, Province d'Allemagne, il en tomba, en 1738, dont les grains étoient auffi gros que des oeufs d'oie.... Vallade af* fure, dans fa defcription des Ifles Orcades, qu'au mois de juin 1680, il tomba, par un terrtps d'orage, des morceaux de glacé de 1'épaiffeur d'un pied. Morton a obfervé a Northampton , en 1693, des lames de gkce qui tomberent dans un orage , & qui avoient deux pouces de longueur fur un pouce d'épaiffeur. Outre cela, il obferva des grains fphé iques d'un pouce de diametre , fur lefquels on voyoit cinq rayons faillants qui formoient une efpece d'étoile En 1720, il tomb.) une grêle a Crembs ; dont cenains grains pefoient jufqu'a fix livres DiÜionnaire des Mcrveilles de la Nature , tom. I, mot Grêle. n La grêle eft une eau de pluie qui s'eftcon» denfée & cryftaliifée par le fioid en paffant » dans la moyenne région de l'air, avant de n paffer fur la terre Nrcéphore-Califte rap- » porte qu'après la prife de Rome par Alaric , »» il tomba dans plufieurs endrorts des mor» ceaux de grêle qui pefoient huit livres. En w 824,11 tomba prés d'Autun en Bourgogne, » parmi la giêle, un amas de glacons long de » feize pieds, large de fept, & de 1'épaiffeur » de deux En 1723 , il tomba a Leicefter >> des morceaux de grêle qui avoient cinq pou-  Notes. 507 '*> ces. .Dans lefamcix orage qu'on efluya » en Picardie au mois d'Aoüt 1722, la plus »» petite grêle qui tomba, accompagnée de la » foudre, pefoit une livre, & la plus forte » huit.. .. Plufieurs de ces grains étoient en » aiguilles ou en fourchons , &c. m. de Bq~ » mare, au mot Grêle. » (26) Edens, un voyageur Anglois, ran conté qu* fa qualité de Médecin lui ayant n fait rendre des fervices confidérables aux In» fulaires ( des Ifles Canaries) , il obtint d'eux » la liberté de vifiter leurs cavernes fépulcra» les ; fpeétacle qu'ils n'accordent a perfonne, n & qu'on ne peut fe procurer malgré eux, » fans expofer fa vie au dernier danger.... » Ils ont une extreme vénération pour les >» corps de leurs ancêtres , & la curiofité des » étrangers paffe chez eux pour une profana» » tion Ces caves font des lieux ancicn- » nement creufés dans les rochers , ou formés »> par la nature.»... Les corps y font coufus » dans des peaux de chevre , avec des cour»> roies de la même matiere, & les coutures n fi égales & fi unies, qu'on n'en peut trop J> admirer Part : mais ce qui caufe beaucoup » d'admiration , c'eft que tous les corps y font » prefqu'entiers. On trouve également dans » ceux des deux fexes les yeux ( mais fermés)^ » les cheveux , les oreilles , le nez, les levres, » les dents, la barbe Un jour que 1'Auteur » (de la relation) étoit a prendre des lapins» aufuret, ce petit animal qui avoit un gre» lot au cou fe perdit dans un terriër, & dif>  3o8 ATctts. » parut Iui-même, fans qu'on piit reconnoitre » les traces. Un des chaffeurs a qui il apparte>i noit s'étant mis a le chercher au milieu des » roes 5c des brouffailles, découvrit 1'entrée » d'une cave fépulcrale des Guanches. II y » entra, 6cc. » Si 1'on s'en rapporte aujourd'hui aux plus » anciens Guanches , il y avoit parmi leurs an» cêtres une Tribu particuliere qui avoit l'art » d'embaumer les corps, & qui le confervoit » comme un myftere facré Cette même » Tribu compofoit Ie Sacerdoce, & les Prên tres ne fe mêloient point avec les autres J> Tribus par des mariages. Mais après la » conquête de 1'Ifle , la plupart furent détruits » par les Efpagnols , & leur fecret périt avec » eux. La tradition n'a confervé qu'un petit » nombre d'ir.grédientsqui entroient dans cette » opération , &c. (a) ". Abrigè de 1'Hiftoire générale des Voyages , par M. de la Harpe, tom. L O) De tous les peuples anciens , il n'y en a aucun chez lequel 1'ufage d'embaumer les corps ait ete plus commun que chez les Egyptiens. II y a de ces corps qui fe confervent plus de deux mille ans. On a trouvé dans la poitrine d'un de ces cadayres une branche de romarin a peine deflechee. L art des embatimements, tel qu'on le pratique aujourd'hui, n'a été connu en Europe que dans ces derniers fiecles. Auparavant on faifoit de grandes incifions fur les cadavres, on les faupouoroit, & on enveloppoit Ie tout avec une peau oe bosuf tannée, EscrcLorÉDiE.  Notes. g9» (17) Les Francois appellent cet arbre calebajfier, & fon fruit pain de finge. II croit au Sénégal, oü les gens du pays le nomment gom , & fon fruit, boni. Son véritable nom eft boababj fes premières branches, qui s'étendent prefqn'horifontalement , ont communémentfoixante pieds de longueur, & fon tronc environ foixante-dix-huit pieds de tour ; mais beaucoup de voyageurs en ont vu de plus'gros. Rai dit qu'entre le Niger & la Gambie , on en a mefuré de fi monftrueux, que dix-fept hommes avoient bien de la peine a les embraffer, en joignant les uns aux autres leurs bras étendus ; ce qui donneroit a ces arbres environ quatre-vingt-cinq pieds de circonférence. Le boabab , ajoute M. de Bomare, eft vraifemblablement le plus gros des végétaux connus de 1'univers. On cite cependant dans les Ouvrages de différents Naturaliftes, d'autres exemples d'arbres très-connus, & dont la grofleur étoit ft prodigieufe , qu'on doit les regarder comme des monftres dans les végétaux. Rai cite le rapport des Voyageurs qui ont vu au Bréfil un arbre de cent vingt pieds de tour : on fait encore mention d'autres arbres plus merveilleux dans les dernieres hiftoires de la Chine. Le premier fe trouve dans la Province de Suchu , prés de la ville de Kien; d s'appelle Sieunich, c'eft-a-dire, arbre de mille ans. II eft fi vafte, qu'une feule de fes branches peut mettre a couvert deux cents moutons. Un autre arbre de la Province" de Chékianga a prés de quatre cents pieds de circonférence.  3i» Na tes. (28) II y a un ferpent qui s'appelle ferpent du Royaume de Damel. Ces animaux font fort communs dans cette contrée de 1'Afrique occidentale. Quand les Negres en font mordus, ils mettent aufli-tót de la poudre fur la plaie , & y appliquent le feu ; pour peu qu'ils different, le venin gagne , & la mort fuit trèspromptement.... Les Sereres , nation Negre, les prennent au piege pour les manger. 11 y a de ces ferpents qui ont quinze a vingt pieds de longueur, & demi-pied de diamêtre. II y cn a de tout verds, d'autres font noirs , tachetés & ondés de belles couleurs. Le Boijïningua, oü Boifinïnga , ou ferpent a fonnettes, eft commun aux deux Indes ; il n'a guere plus de cinq pieds de longueur, & eft de la groffeur de la cuiffe. La fonnette eft placée a 1'extrêmité de la queue; c'eft un [affemblage d'anneaux creux , fonores , emboités enfemble, & attachés a un mufcle de la derniere vertebre de cet animal. La nature a voulu que ce dangereux animal ne put cacher fa marche ; car il ne peut fe remuer fans faire entendre fa fonnette. M. de B om are. Sur la cóte des Efclaves, dans le Royaume de Juida & dans celui de Bénin, tous les Sauvages adorent une efpece de ferpent qu'ils appellent ferpent fétkhe. Ces ferpents font fort doux, n'ont point de venin, & font extrêmement familiers; dans ces pays, ce feroit un crime digne de mort de les tuer. Les Negres les regardent comme des Dieux bienfaifants, & leur rendent un culte particulier; en même-temps ils détruifent avec le plus grand  Notes. 311 foin, les autres ferpents nuifibles & vénimeux. (29) » Les Francois du Fort Saint-Louis » avoient une Lionne qu'ils gardoient enchai» née. Cet animal fut atteint d'un mal k la » machoire... II fut bientót réduit k 1'extrê» mité ; les gens du Fort lui êterent fa chai»» ne, & jetterent fon corps dans un champ •i voilin. II étoit dans cet état, lorfque le Sieur » Compagnon', Auteur du Voyage de Jlam« buck , 1'appercut k fon retour de la chaffe ; •i fes yeux étoient fermés , fa gueule ouverte ji & déja remplie de fourmis. Compagnon »> prit pitié de ce pauvre animal, il lui lava >» le gofier avec de 1'eau , & lui fit avaler un 11 peu de lait. Un remede ft fimple eut des efs> fets merveilleux; la lionne fut rapportée ao 11 Fort, elle fe rétablit par degrés; mais n'ou•» büant pas k qui elle étoit redevable d'un s» fi grand fervice, elle concut tant d'affecj> tion pour fon bienfaiteur , qu'elle ne vou>» loit rien prendre que de fa main; & lorf» qu'elle fut tout-a-fait guérie, elle le fuivoit » dans Plfle avec un cordon au cou, comme » le chien le plus familier... » Un lion du Grand-Duc (de Tofcane), »» étant forti de la Ménagerie, entra dans la w ville de ( Florence), & y répandit beaucoup s» d'épouvante. Entre les fugitifs, il fe trouva 11 une femme qui portoit fon enfant dans fes 11 bras, & qui le laiffa tomber. Le lion s'en n faifit & paroifToit pret a le dévorer, lorf« que la mere, tranfportée du plus tendre  31 a Notes. i> mouvement de la nature, retourna fur fes » pas, fe jetta aux pieds du lion , lui demanda » fon enfant. II la regarda fixement, fes cris >> & fes pleurs femblerent le toucher; enfin , i) il mit I'enfant a terre fans lui avoir fait le » moindre mal... Le malheur 65c le défefpoir » ont donc une expreffion qui fe fait enten» dre des monftres les plus farouches. Mais » ce qu'il y a fans doute de plus admirable, » c'eft ce mouvement aveugle & fublime qui » prc-cipite la mere fur les pas de 1'animal » féroce devant qui tout fuit; cet oubli de » toute raifon, bien au-deffus de la raifon mê» me, & qui fait recourir cette femme dé» fefpérée a la pitié du monftre même qui ne » refpire que la mort & le carnage : c'eft » bien la 1'inftinft des grandes douleurs , qui n femblent toujours fe perfuader qu'on ne n peut pas être inflexible ". Abrégé de 1'Hiftoire des Voyages, par M. de la Harpe, tom. II. » Ce qu'il y a detrès-für, dit M.deBufu fon , c'eft que le lion , pris jeune 8c élevé » parmi les animaux domeftiques, s'accoutui> me aifément a vivre, 8c même a jouer in» nocemment avec eux ; qu'il eft doux pour » fes maitres & même careffant, fur-tout dans >» le premier age , 6c que fi fa férocité natuj» relle reparoit quelquefois, il la lourne rare» ment contre cetix qui lui ont fait du bien.,.. » Je pourrois citer un grand nombre de faits » particuliers dans le(quel> j'avoue que j'ai » trouvé quelque exagération , mais qui ceO pendant font affez fxindés pour prouver, au „ moins  Notes. jjj w moins par leur réunion , que fa colere eft 33 noble, fon courage magnanime, fon natu» rel fenfible. On la vu fouvent dédaignerde » petits ennemis , méprifer leurs infultes , & » leur pardonner des libertés offancantes : on » 1'a vu réduit en captivité, s'ennuyer fans » s'aigrir, prendre au contraire des habitudes » douces, obéir a fon maitre , flatter la main » qui le nourrit, donner quelquefois la vie a 3» ceux qu'on avoit dévoués a la mort en les ai lui jettant pour proie ; & comme s'il fe füt 3> attaché par cet acte généreux, leur conti3» nuer enfuite la même proteétion ; vivre trans» quillement avec eux, leur faire part de fa 3» iubfiftance, fe la laifler même quelquefois »> enlever toute entiere, & fouffrir plutöt la 3» faim , que de perdre le fruit de fon premier J> bienfait...." On a pris dans 1'Hiftoire des Voyages les détails relatifs a Ia chaffe du lion. (30) C'étoit un écho. »> ö y a un écho remarquable pres de Rofn neath, belle maifon de campagne en Ecof3) fe, a 1'oueft d'un lac d'eau falée, qui fe perd » dans la riviere de Clyde, a dix-fept milles » au-deflbus de Glafcow. Ce lac eft enri» ronné de collines, dont quelques-unes font 3» des rochers arides; les autres font couver3» tes de bois. Un trompette habile , placé fur 33 une pointe de terre que 1'eau laifte a dé3» couvert, tourné au nord, a fonné un air 3> & s'eft arrêté: auffi-töt un écho a repris l'air' 31 qu'il a répété diftinctement & fidélement! lome 11. O  514 Notes. n mais d'un ton plus bas que la trompette! » Cet écho ayant cefle , un autre , d'un ton » plus bas , a répété le même air, avec la « même exaétitude ; le fecond a été fuivi d'un n troifieme, qui a été aufli fidele que les deux » autres , a 1'exception d'un ton plus bas en» core , & 1'on n'a plus rien entendu. On a » répété plufieurs fois la même expérience , j> qui a toujours été également heureufe. i» II y a eu autrefois dans le chateau de Sij> monette, un mur de fenêtre, d'oii on eni> tendoit répéter quarante fois ce qu'on di5> foit. Adiffon & d'autres perfonnes qui ont j> voyagé en Italië, font mention d'un écho. » qui repete cinquante-fix fois le bruit d'un »> coup de piftolet, lors même que l'air eft » chargé de brouillards. Dans les Mémoires i> de 1'Académie des Sciences de Paris pour i, 1'année 1692 , il eft fait mention de 1'écho ,» de Genetay, a deux lieues de Rouen, qui » a cela de particulier , que la perfonne qui 3» chante n'entendpoint la répétition de 1'écho, 3» mais feulement fa voix; au contraire^ceux 3> qui écoutent n'entendent que la répétition 3> de 1'écho ; mais avec des variations furprer 3> nantes : car 1'écho femble tantöt s'approi» cher, & tantöt s'éloigner. Quelquefois oa 3> entend la voix très-diftinftement, d'autres 3» fois on ne i'entend plus; 1'un n'entend qu'une 3> feule voix , & l'autre plufieurs; 1'un entend 3> k droite , & l'autre k gauche , &c. " Cet écho fubfifte encore ; mais il eft fort déchu de ce qu'il étoit autrefois, paree qu'on a plante , aux environs, des arbres qui nuifent beau-j coup k 1'eftet.  Notes. 'Echo eft un mot qui vient du Grec, & qui flgmfae fon. Dans la théorie de, échos , on «omme le lieu oü fe tient celui qui parle centre phonique; & 1'objet ou 1'endroit qui renvoye la voix , centre phonocamptique , c'eft-adire , centre qui réfléchit le fon. Encyclopédie, (31) Cet oifeau s'appelle Flammant, ou Phcmcoptere, ou Bècharu ; les Grecs lappelloient Phéntcoptere, nom qui fignifioit dans leur langue , Oifeau d Falie de flamme , paree qu'en effet, lorfqu'il vole a 1'oppofite du foleil, ij paroit tout flamboyant, comme un brandon de feu : le plumage des jeunes eft couleur de rofe; & quand ils ont dix mois, leurs plumes font couleur de feu. Nos plus anciens Naturaliftes Francois appelloient cet oifeau Flam~ bant; » & peu après, dit M. de Buffon, 1'é» tymologieoubliée permit d'écrire Flammant; jj &, d'un oifeau couleur de feu ou de flam)> me , on fit un oifeau de Flandres; on lui 3» fuppofa même des rapports avec les habiv tants de cette contrée, oü il n'a jamais paru.' » Cette aile couleur de feu n'eft pas le lèul s> caraftere frappant que porte cet oifeau : fon 3» bec d'une forme extraordinaire ,... fes ramsj bes d'une exceffive hauteur, fon cou long » & grele, fon corps plus haut monté , quoi« que plus petit que celui de la cicogne, of3» frent une figure d'un beau bifarre, & d'une s» forme diftinguée parmi les plus grands ois> feaux de rivage.., 3> Cet oifeau fe trouve dans Panden contin nent, depujs les cótes de la Méditerrannée ; O ij  Slct Notes. » jufqu'a Ia pointe la plus auftrale de 1'Afrii> que... Ils font en quantité dans les Provinj, ces occidentales de 1'Afrique , a Angola , j> Congo, oh, par refpeét fuperftitieux, les h Negres ne fouffrent pas qu'on tue un feul j> de ces oifeaux... " Le Flammant eft certainement un oifeau voyageur; ils font en trèsgrand nombre a St. Domingue , aux Antilles..c Ces oifeaux font toujours en troupe : ils fe ferment naturellement en file ; ce qui, a une certaine diftance , reffemble a un mur de bnque, & de moins loin, & des foldats rangés en ligne. Ils établiffent des fentinelles; & lorfque ces fentinelles appercoivent quelque objet qui les allarme, elles jettent un cri bruyant, qui s'entend de très-loin» & qui eft femblable au {on d'une trompette ; alors toute la troupe s'envole. Leur chair eft un méts recherché : les anciens en ont parlé comme d'un gibier exquis, &c. (32) » Cet oifeau s'appelle le Coucou lns> dicatcur. C'eft dans 1'intérieur de 1'Afrique, s« dit M. de Buffon, a quelque diftance du Cap m de Bonne-Efpérance , que fe trouve cet oi» feau, connu par fon fmgulier inftinfl d'in>t diquer les nids des abeilles fauvages. Le mast tin & le foir font les deux temps dela jour»> née ou il fait entendre fon cri: Chirs, chirs, w qui eft fort aigu , &L femble appeller les chafn leurs & autres perfonnes qui cherchent le » miel dans le défert. Ceux-ci lui répondent »» d'un ton plus grave, en s'approchant tou» jours. Dès qu'il les apper$oit, il va planer  Notes. 317 » fur 1'arbre creux oü il connoft une ruche; i> & fi les chafTeurs tardent de s'y rendre, il re11 doublé fes cris, vient au-devant d'eux, re11 tourne a fon arbre, fur lequel il s'arrête & « voltige , & qu'il leur indique d'une manier» i> très-marquée. II n'onblie rien pour les excii> ter a profiter du petit tréfor qu'il a décou» vert, & dont il ne peut apparemment jouir »> qu'avec 1'aide de 1'homme : foit paree que » 1'entrée de la ruche eft trop étroite, foit par » d'autres circonftances que le relateur ne nous » apprend pas. Tandis qu'on travaille k fe faifir i> du miel, il fe tient dans quelque canton peu 1» éloigné , obfervant avec intérêt ce qui fe » paffe, & attendant fa part du butin, qu'on v ne manque jamais de lui laiffer ; mais point j> affez confidérable , comme on penfe bien , 11 pour le raffaflier, & par conféquent rifquer » d eteindre ou d'affoiblir fon ardeur pour cette ji efpece de chaffe, i> Ce n'eft point ici un conté de voyageur; » c'eft 1'obfervation d'un homme éclairé, qui » a affifté a Ia deftruêlion de plufieurs répuj) biiques d'abeilles trahies par ce petit efpion, » &L qui rend compte de ce qu'il a vu , k la Sor> ciété Royale de Londres. Voici la defcripj! cription qu'il a faite de la femelle , fur les 3) deux feuls individus qu'il ait pu fe procurer, 3> & qu'il avoit tuéi , au grand fcandale des » Hottentots : car dans tout pays, 1'exiftence 11 d'un être utile eft une exiftence précieufe. 11 II a le deffus de la tête gris; la gorge, le 11 devant du cou & la poitrine blanchatres , » avec une teinte de vert, qui va s'affoibüfO iij  3*8 Notes. 3» fant, & n'eft prefque plus.fenfible fur Ia po!» trine, le ventre blanc;... Ie bec brun a fa v bafe , jaune au bout; les pieds noirs... Lonj» gueur totale, fix pouces & demi, bec, en» viron fix lignes". IVI. de Buffon ajoute dans une note, qu'il eft arrivé quelquefois que le chaffeur, allant a la voix de ce Coucou, a été dévoré par les bêtes féroces ; ce qui a fait dire que 1'oifeau s'entendoit avec elles, pour leur livrer leur proie. Hifi. nat. tom. ïz des Oifeaux. èdit. 12°.. (33) La Mecque, ville d'Afie dans 1'Arabie Heureufe, eft a-peu-près grande comme Marieille. Son temple magnifique y attire un concours prodigieux de toutes les fectes de Mahométans, qui y vont en pélerinage : c'eftla patrie de Mahomet. (34) Médine, ville de 1'Arabie Heureufe; Le mot Medinach fignifie en Arabe une ville en général, & ici la Ville par excellence; paree que Mahomet y établit le fiege de 1'Empire des Mufulmans, & qu'il j mourut. On 1'appelloic auparavant Lotreb. Au milieu de Médine, eft lafameufe mofquée ou les Mahométans vont e» pélerinage, & dans les coins de cette mofquée, lontjes tombeaux de Mahomet, d'Abubecker& d'Omar. Médine eft gouvernée par un Schétif qui fe dit de la race de Mahomet, & qui eft Souverain indépendant. Encyclopédie. (35) Le Caire eft la Capitale de 1'Egypte;. Le Sultan Sélim la prit fur les Mamelus e©-  Notes. 310 1517 5 & depuis ce temps elle eft affujettie aux Turcs : le vieux Caire en eft a trois quarts de lieue , fur le bord du Nil: les Cophtes (a) y ont une églife magnifique. (36) Les pyramides d'Egypte furent baties pour fervir de tombeaux a ceux qui les ont fait élever. Les Egyptiens de moindre condition, au-lieu de pyramides , faifoient creufer pour leurs tombeaux, de ces caves qu'on découvre tous les jours , Si dans lefquelles on trouve des momies. Toutes les pyramides ont une ouverture qui donne paffage dans une allee baffe, fort longue, & qui conduit a une chambre ou les anciens Egyptiens mettoient les corps de ceux pour lefquels les pyramides étoient faites. Toutes les pyramides étoient pofées avec beaucoup de régularité : chacune des trois grandes , qui fubliftent encore, font placées a la tête d'autres petites, que 1'on ne peut connoitre que difficilement, paree qu'elles font couverten de fable : toutes font conftruites fur un rocher uni, caché fous du fable blanc. Dans toutes les pyramides, il y a des puits profonds, quarrés Sc taillés dans le roe : les murailles de quelques-unes ont des figures hiéroglyphiques , tailiées auffi dans le roe. Les trois pnncipales pyramides connues des voyageurs, font (a) On appelle Cophtes ou Coptes, les Chrétiens de la fe£te des Jacobytcs ou Monophyfites. On eft trèspartagé fur 1'ongine de ce nom; oa le tire de Coptc, ou Coptus, ville d'Egypte. O iv  32° Notes. a environ neuf milles du Caire. La plus belle de toutes eft fituée fur le haut d'une roche, dans le défert des fables d'Afrique , a un quart de lieue de diftance, vers 1'oueft des plaines d'Egypte. Cette roche s'éleve environ cent pieds au-deflus du niveau de ces plaines, mais avec une rampeaifée, &facile a monter. Elle contribue beaucoup a la majefté de 1'ouvrage. On trouve dans cette pyramide des chambres, des corridors, &c. Pour vifiter la pyramide en-dehors , on monte, en reprenant de temps en temps haleine ; environ k la moitié de la hauteur , on rencontre une petite chambre quarrée , qui ne fert qu'a fe repofer. Quand on eft parvenu au haut, on fe trouve fur une plateforme, d'oü 1'on découvre la plus agréable vue. La plate-forme, qui, k la regarder d'en-bas, femble finir en pointe , eft de dix k douze groffes pierres, & elle a k chaque coté, qui eft quarré , feize k dix-fept pieds. On ne peut defcendre que par le dehors , & cette defcente eft très-dangereufe. En mefurant cette pyramide d'un coin k l'autre par le devant, le Pere Vanfleb a trouvé qu'elle avoit trois centspas; enfuite, ayant mefuré la même face aye«*necorde, i28braffes, qui font 704 pieds. L'entrée de la pyramide n'eft pas au milieu. La hauteur de la pyramide, en la mefurant pardevant avec une corde, eft , felon le même voyageur, de ii2bralTes,chacune de cinq pieds & demi; ce qui re vient k 600 pieds On (a) Saint-Pierre de Rome n'a que 441 pieds d'éV «vatton. *  Notes. 321 ne peut cependant pas dire de combien elle eft plus large que haute , paree que le fable em~ pêche qu'on ne puiffe mefurer le pied. Encyclopédie. (37) » L'Ifle de Théra, dans PArchipel, » qui a douze grandes lieues de France de cir» cuit, s'eft élevée du fond de la mer par la » violence d'un volcan, qui depuis a produit » fix autres Ifles dans fon golphe. Ce volcan » n'eft pas encore éteint; car en 1707, il fe » ralluma avec plus de furie que jamais, & j> donna le fpeétacle d'une Ifle nouvelle , de » fix milles de circuit. La mer parut'alors fort » agitée , couverte de flammes, d'oü fortirent » avec un fracas épouvantable , quantité de » rochers ardents. Toute la terre a été fi cul» butée dans les patages de 1'Ifle de Théra , ■» qu'on n'y trouve plus de fonds pour 1'en» crage des vaiffeaux. M. de Bom are. « Une des plus violentes éruptions du Vé» fuve, (la vingt-deuxieme de ce volcan) a été « celle du 20 vlai 1737. La montagne vomif» foit par plufieurs bouches de gros torrents j> de matieres métalliques fondues & arden» tes, qui fe répandoient dans la campagne, » & s'alloient jetter dans la mer (a). M. de (a) Les produftions de volcan font des fubftanees formées par la deftruction d'autres corps foffiles , qui , par 1'afr.ion d'un feu fouterrem , ont été calcinées, comme les pifrres dc* volc.in proprement dites ; ou liquéfiées; a demi-vitrifiées 8c lendue» poreul'es, comme les ponces •, ou totale- O v  S»a Notes: » Montealegre , qui communiqua cette rela<3 »> tion a l'Académie de Paris, obferva avec » horreur un de ces fleuves de feu , & vit que » fon cours étoit de fix ou fept milles , desi puis la fource jufqu'a la mer; fa Iargeur , de » 50 ou 60 pas; fa profundeur, de 25 ou 30 n palmes, & dans certains fonds ou vallées, » de 120, &c. M. de Bom are. 11 Les éruptions des volcans font ordinaires> ment annoncées par des bruits fouterreins,. w femblables a ceux du tonnerre, par des fiffle»> ments affnux, par un déchirement intérieur, j> &c. L'Hiftoire nous apprend que dans deux »> éruptions du Véfuve, ce volcan jetta une fï »> grande quantité de cendtes, qu'elles volen rent jufqu'en Egypte , en I ibye & en Syrië. » En 1600, a Aréquina, au Pérou, il y eut une ïj éruption d'un volcan qui couvroit tous les » terreins des environs, jufqu'a 30 ou40 lieues, »> de fable calciné & de cendres. Qu< lques en31 droits en furent couverts de l'épaiiïeur de deux »» verges. La lave vomie par le mont Ethna» inent vitrifiées, comme le verre de volcan , oupierre ohftdienne; en un mor, toutes les efpeces de laves, font des réfultats de volcan. On donne. Ié nom de laves a des matieres de volcan, telles que les différentes efpeces dé ponces, la pierre du Véfuve, ou de Naples, la pozzolane , la pierre obfidienne, ou de Gallinace , &c. Toutes ces matieres ont été, les unes calcinées, d'autres a demi-fondues , Sc d'autres totalemenc vitrifiées. Ün trouve des laves T de couleur tantöt noiratre ou rougeatre , tantöt blanchatre ou jaunatre , tache» chetées de parties vitreufes, &c. M. vs, E OMA Ü.S,  Notes. 323 'n a formé quelquefois des ruifTeaux, qui avoient » jufqu'a 18000 pas de longueur... So .vent 11 on a vu des volcans faire foitir de Kur fein » des ruiiTeaux d'eau bouillante , des poiffons , » des coquilles, & d'autres corps rmrins. En ji 163 1, pendant une éruption du Véfuve, la jj mer fut mife a fee; elle parut abfoibée par » ce volcan, qui peu après inonda les campa» gnes d'eau falée... On trouve des volcans « dans les contrées les plus froides , comme 7) dans les pays les plus chauds («•). Encyclopédie. (38) I/embouchure de la caverne de Polieando (b) eft grande , tout fon fond eft couvert de congellations formées par les gouttes d'eau qui diftillent du fómmet; mais elles font d'une nature ferrugineufe, pointues par en- (a) Les bitumes font des matieres huileufes & minérales , qu'on rencontre dans le fein da. la terre, fous une torme fluide , & nageant quelquefois a la furface des eaux; ou fous une forme tantöt molïaffe , tantöt folide. On nr connoit qu'une feule efpece de bitume Iiqii'de ; c'eft la petro/e, ou huile de pierre , ainfi nommee , paree qu'elle découle des fentes des rochers; car il paroit que ce qu'on nomme naphte n'eft autre chofe que la pétrole la plus fluide , Ia plus blanche , la plus pure. Les bitumes folides fo.it le fuccin , le jayet ou jais, 1'afphalte , & le charbon de terre. II y en a de mollaffes , comme Ia pix afphalre. Les bitumes étant très-inflamm.:bl s & très-abondants, on les regarde comme des caufes de Ia fljmme perpétuelle des volcans. M. de Bom'RE (b) Sur la Carte, on trouve Policandro, au-lieil «te Palicando, O vj  3"24 Notet. haut, &dures au point de blefler les pieds. Le toit offre les plus grandes beautés & les plus variées... Ces congellations, quoiquetrèsélégantes, ne font pas les feuls ornements que cette grotte ait recus de la nature : on y trouve beaucoup d'une efpece de mine de fer, qui eft toute en étoiles , & brillante comme de 1'acier poli. Les morceaux font en quelques endroits rougeatres , & brillants comme des diamants.... Dans un autre canton de Ia voüte, on voit de grandes mades de corps ronds, pendants comme des raifins (a). Quelques-unes O) Ce font les flalaaUcs : les fialaflites Sr les fialagmacs font compufées de fubftances terreufes ou piert eufes , qui fe font formées dans 1'eau , ou qui ont été charriees par ce fluide da.is des cayites fouterreines, y ont pris de la liaifon, & s'y font durcies fous différentes figures. Si 1'on imagine des gouttes d'eau qui, par leur filtration au travers des pierres porreufes , fe font chargées de petites parties pierreufes (fans pour cela que la traufparence du fluide en foit entiéremer.t altérée,) & qui enfuite ont iré charriees avec une rapidité relative a leur nuid'.té , a leur pefanteur, & a la pente du lol , daas des canaux pratiqués par la nature , entre des rochers & des fouterreins, on aura une idéé de leur formation. L'eau de ces parties pierreufes s'en detache facilement par 1 evaporation. Ces corps pierreux s'attachent ïntimement^ aux paro s des lieux abreuvés par reau , tantöt aux voütes , rantöt aux murs , &c. On donne proprement le nom de flalaclius aux cryftallifations rameufcs, qui ont la forme de quilles, ou de culsde-lampe pyramidaux , avec une large barre qui les attaché aux rochers "n contre-bas. On nomme flalagm ut les concrétions protubérancées, c'efl-a-dite , qui font plobuleufes ou  Notes. 3=5 font rouges; d'autres d'un noïr foncé , mais parfaitement luifantes & éclatantes. Le plus grand ornement du toit confifte dans la même efpece de congellations en forme de cryftaux ; plufieurs font pointues, comme fion eüt aiguiié leurs extrêmités.... Mais ce qui eft plus remarquable, c'eft que quelques-unes font dorées naturellement, d'une maniere auffi. réguliere que ft elles fortoient des mains du plus habile Artifte, &c. Merveilles de la Nature, Tome premier, (39) M. Swinburne, Auteur d'un excellent Voyage d'Efpagne , que j'ai déja cité, a fait un autre ouvr.ige auffi intéreffant, qui a pour titre : Travels in the two Sicdies. Voyage des deux Siciles. J'ai trouvé dans cet ouvrage la defcription du pbénomene que les gens du pays appellent en effet la Fata Morgana, nom dérivé , dit M. Swinburne , de 1'opinion ét?blie parmi les peuples, que ce fpeftacle eft produit par une Fée ou par un Magicien. La populace eft enchantée a Ia vue de ce phénom-ne, & pour le voir, court dans les tues , avec des accb.mations & des cris de joie. Ce curieuxphénomene paroit trés - rarement a Reggio. M. mamellonnées , comme des choux-fleurs ou des nuffes; Lt s ftalagmites font pr .fque toujcrs a la bafe du fo! ou plancher fouterrein , c'eft-a-dire, en contre-haut, ou a l'op. ofite des Jlalaciites, quoique formées égaiement par 1'eau qui coule goutte a goutte.... Lorfque la concrétion pierreufe eft cteufe 8c en tubes rameux , on "appelle ojiéocolle, M. d£ Bomasb  32(5 Notes. Swinburne ne 1'a point vu ; mais il dit qu'ofi en trouvera les caufes favamment détaillées dans Kircher Mina^i & dans d'autres Auteurs. M. Swinburne en donne une exacte defcription , tirée d'une relation du Pere Angduccï , témoin oculaire.de ce phénomene ; & c'eft cette même defcription du pere Angelucci , citée par M. de Swrnburne, que j'ai traduite littéralement, & placée dans mon Conté . fans y rien changer, & fans y ajouter le moindre embehiffement. Comme ce morceau eft affez long , je me contenterai de 1'indiquer , dans le cas oü Ion douteroit de la fidélité de la trarluction (a). M. Swinburne explique les caufesSc les raifons de ce phénomene. Cette explication eft au-deffusde mon intelligence ; pour la comprendre, il faudroit avoir quelques notions d'Optique & de Géométrie , qui me manquent abfolument: c'eft pourquoi je ne traduis point ce paffage. On fait mention (très-fuperfïciellement a Ia ▼érité) de ce phénomene, dans un Ouvrage Francois en quatre volumes , qui a pour titre : Tableau de l'Univers. (40) ii Les Amants, dit Athénée, (ancien » Auteur Grec) couronnent de fleurs la porte » de leurs Maitreffes , comme s'ils ornoient les j> portes d'un Temple. De-la vient fans doute « 1'ufage oü font les Grecs aujourd'hui, le (j) Travels in the two Steiltes by Henri Swinburne, efq. in-qto, pag. 366,  Notes,. S^f ë» premier de Mai, de couronner de fleurs lei n portes de leurs maifons, & de celles des per»> fonnes qu'ils aiment. Ils vont chanter & fe » promener devant la maifon de leurs belles, »> pour les attirer du moins a la fenêtre ; &C » voila encore les galanteries qui fe pratin quoient du temps d'Horace... Les jeunes fil» les mêlent a leur coëffure des fleurs natuj> relles, dont elles fe coutonnent. Les jeunes » gens qui veulent fe piquer de galanterie , en » font autant... Voyage Littéraire de la Grej> ce , troifieme édit. par M. GiJYS, tom. preil mier. (41) »It y avoit anciennement une fête infj> tituèe en 1'honneur d'Hécate , pour avoir m donné 1'hofpitatitc a Théiée. Hécate fit auffi ii des vceux & même offrit des viélimes pour 3» fa vicloire & pour fon retour. De-la 1'étam bliffement de la fête qui la mit au rang des m DéelTes... Dans 1'ancienne Grece . lorfqu'un, » étranger arrivoit, le maitre de la mailon le » prenoit par la main, en figne de confiance. » Le premier devoir étoit de le conduire au » bain , & de lui donner des habits pour j, changer.... Chez .les Grecs modernes , quand » un étranger arrivé, le maitre de la mailon v va au-devant de lui, 1'embraffe ... Il le con71 duit a l'appartem.'nt le plus commode de lai> maifon , & pendant qu'il 1'interroge fur les » événements de fon voyage , les efclaves » prép.irent le bain ,. il trouve du linge & des « habits pour changer; ceux qu'il a quittés 3 font enlevés par les efclaves, quilesblap,-  3iS Nites. » chiffent & les réparent pendant le féjour » qu'il fait dans la maifon ". M. Gbïs, lom. premier. (42) » On voit encore aujourd'hui, com» me anciennement, dans toutes les bonnes i> maifons des Grecs, la nourrice du maitre »> ou de la maitreffe , faire partie de la familie. « Chez les anciens, une femme qui avoit nour» ri une jeune perfonne, ne la quittoit pas, j» même après fon mariage... Chez les Grecs >> modernes , ainfi que chez les anciens, la » nourrice eft le plus fouvent une efclave j> qu'on achete a 1'approche de 1'accouchey> ment... L'attachement des noutrices Grec»> ques pour les enfants qu'elles ont allaités 9 » tient tellement a leurs moeurs, que le nom » moderne de nourrice eft Paramana , mot m très-doux , & même plus expreflif que 1'an» cien , puifqu'il fignifie jeconde mere. La nour» i» rice eft toujours logée dans la maifon , lorfj> qu'elle a nourri un enfant; & dès ce moment I» eft en quelque facon incorporée dans la faf> mille... Les filles efclaves lont traitées com»> me elles 1'étoient anciennement chez les » Grecs, avec beaucoup de douceur & d'hu» manité, & après un certain temps, on a » foin de les affrunchir ; il y en a même qu'ils « adoptent encore jeunes, & qu'ils appellent >» Filles de leur ame... Les fervantcs, ou les » efcUves , travaillent, comme ancn nnement , » a la broderie avec leurs maitreffes , & font i) tout le 1 rvice de la maifon... Les fervantes « ne reftent pas au logis lorlque la maitreffe  Notes. 329 » fort; elles font obligées de la fuïvre : cet » ufage eft encore ancien parmi les Grecs. .. Le » Légillateur Zaleucus, pour réprimer la va» nité & le luxe de fon temps, ordonna qu'au»> cune femme libre ne fe feroit accompagner » par plus d'une fervante , a moins quelle ne fe » fut enivrie. M. GüTS, tom. premier. (43) » Les Dames Grecques ont toujours » aimé a fe couvrir de pierreries; leurs bou» cles de ceintures, leurs colliers, & leurs bra» celets en font enrichis; & quoiqu'elles fe » plaifent a courcnner leurs têtes des plus i> belles fleurs du printemps, les diamants bril» lent a cóté du jafmin & des rofes. Elles fe n parent fouvent , fans fortir de chez elles, » fans avoir deffein d'être vues.... On ne fa» crifie tous ces ornements qu'a quelque vif i> fujet de douleur... Prefque toutes les fem>» mes Grecques, en 1'abfence de leurs maris, » négligent conftamment de fe parer.... Les » femmes Grecques aujourd'hui, lorfqu'elles » vont un peu loin , ne voulant pas étaler leurs » bijoux dans les rues, les font porter avec n elles , pour s'en parer avant que d'entrer n dans la maifon oü elles vont fe rendre, & » les ötent de même pour revenir, quand leur » vifite eft faite. C'eft encore un très-ancien » ufage.... L'ufage du voile eft très-ancien ; il j) fait encore, comme autrefois , une partie » eff ntielle de 1'habillement des Grecques, & j> diftingue les conditions. Celui de la maitreffe » & de la fervante, de la femme libre & de n 1'efclave eft différ«nt.... L'origine du voile  35® Notes. » eft rapportée par les Grecs a Ia modeftie » & a la pudeur , qui font également tin mides ". Aujourd'hui le voile des Dames Grecques eft de mouffeline , tiffu d'or aux extrêmités, Vöyei M. Guys, Tom. 1. L'ufage d'avoir la tête couverte ou découverte dans les Temples , n'a point été le même chez les différents peuples du monde. Les anciens Romains rendoient leur culte aux Dieux, la tête couverte. Selon 1'ancienne coutume, dans les facrifkes & autres cérémonies facrées, celui qui facrifioit immoloit la viétime la tête voilée. Cependant ceuxqui facrifioient al'Hontieur & a Saturne , comme a 1'ami de la vérité , avoient la tête découverte. Dans les prieres qu'on faifoit devant le grand autel d'Hercule, c'étoit l'ufage d'y paroïrre la tête découverte ; foit a 1'imitation de la ftatue d'Hercule , foit paree que cet autel &le culte d'Hercuie exiftoient avant le temps d'Enée , qui le premier introduifit la coutume de faire le iérvice divin avec un voile fur la tête. Encyclopédie. (44) » Les repas des Grecs, pour peu qu'ils » foient animés , finiffent toujours par des j> chanfons... La lyre des Grecs modernes ref■n femble a celle qu'Orphée , fuivant la def» cription de Virgile , tantöt pincoit avec fes » doigts, tantöt touchoit avec un archet (<*)... (a) Je ne comprends pas comment on peut joue» de la lyre avec un arenet.  Notes. 531 » La guitarre & la lyre font les principaux » inftruments ufités chez les Grecs (j) ; le » berger joue indifféremment de la mufette , » de la flute, ou de la lyre. M. Guïs, tom, n premier. (45) Les Grecs modernes ont confervé des n danfes champêtres en 1'honneur de Flore. Les » femmes & les filles du village vont, le pre» mier de Mai, danfer dans la prairie , cueiln lir & répandre des fleurs , Sc s'en orner de la » tête aux pieds. Celle qui conduit la dan» fe, eft toujours mieux parée que les autres , » repréfente Flore Sc le printemps, dont » 1'Hymne qu'on chante annonce le retour. n Une des danfeufes chante : Soye^ la bien ve» nue , Nymphe, Déeffe du mois de Mai (b).... » Dans les villages Grecs , ainfi que chez les J» Bul^ares , on obierve encore les fêtes de » Céres. Quand la moiflbn approche de fa » maturité, on va , en danfant au fon de la ly» re , vifiter les champs: on en revient de mê- ra) D'oü 1'on peut conclure que la mufïque eft chez eux un art peu cultivé. La guitarre eft un inftrument très-borné •, & la lyre n'eft un inftrument que dans Ia fable. A moins qu'elle n'ait (comme on en a fait ici ) doublé rang de cordes , & une mécanique , au moyen de laquelle on puiffe faire changer !es diezes, & par conféquent moduler, & changer de ton. (b) Dans 1'ancienne Grece, lorfque les femmes célébroient les fêtes de Flore, elles couroient nuit & jour, danfant au fon des trompettes -, & celles qui remportoient le prix a la courf? , étoient covteoanée» de fieurs. Diciioun, de la Eable„  33a Notes. n me, avec la tête ornée d'épis entrelacéi » dans les cheveux ". (46) » La brodetie eft 1'occupation des fem- »> mes Grecques Nous devons aux Grecs » l'art de la broderie, qui eft trés - ancien » parmi eux, & qu'ils ont porté au plus haut » point de perfeétion... Entrez dans la chambre » d'une fille Grecque, vous y verrezdesja» loufies aux fenétres , & pour tout metible , » un fopha , un cofFre garni d'ivoire , oü ionc » lesfoies&les aiguilles, & un métier a bro» der.... Les Apologues, les Contes, Jes Ro» mans , &c. tirent leur origine de la Grece... » Les Grecs modernes aiment toujours les Fa» bles & les Contes; ils ont recu ceux des »> Orientaux & des Arabes avec le même emw prt flement qu'ils eurent autrefois pour adop» ter les Fables Egyptiennes.... Les vieilles » femmes aiment toujours a, conter , & les » ; unes fe piquent de répéter a 1'envi jes Conn tes qu'elles ont appris, ou qu'elles favenf » faire, d'aprps ce qu'elles ont vu elles-mê» mes. J'ai fuivi leurs converfations, (tandis « qu'elles brodoient) je vais la fier pari 1 les » Grecques , & tntduire librement une fcene » de leurs entretiens, oü vous verrez, com„ me je l'ai dit, les filles de Minée, en travaillant a leurs broderies, raconter chacune a fon tour, les hiftoriettes qu'elles favent, „ pour s'amufer , &c. M. Guts, tome pre„ mier. (47) „ Les Grecs n'ont pas aujourd'hui de  Notes. 3-j „ temps marqué pour les noces , comme les anciens, qui fe marioient ordinairementdan» „ le mois de Janvier... Anciennement on acht„ toit par des fervices réels , qu'il falloit ren„ dre au pere de la fille qu'on vouloit épou„ fer , la poffeffion de fa perfonne. On adou„ cit enfuite cette obligation, & les fervices ,, furent convertis en préfents qu'on faifoit ,, pour Pobtenir... Aujourd'hui, un Grec qui fe marie, fait des préfents aux parents de la fille; mais ces préfents font purement arbitraires. II n'eft point dans 1'obligation d'a„ cheter la femme qu'il époufe, puifqu'au con- traire, il ne la prendroit point fans une dot proportionnée a fa condition. „ C'eft fur le fameux bouclier d'Achille „ qu'Homere décrit la marche des nouveaux mariés. On y voit, dit - il , des noces &c des feftins. De nouvelles mariées fortent de „ leurs maifons , font conduites dans les rues avec un bel ordre... Tout retentit des chants d'hyménée ; des troupes de jeunes genspré,, cedent & fuivent la marche nuptiale, en „ danfant au fon des trompettes Öc des flutes , &c... On voit aujourd'hui dans la marche des Grecs lamêmepompe, le même cortes, ge 6c la même mufique; elle eft ouverte „ par des danfeurs , par des inftruments 6cpar „ des chanteurs , qui entonnent 1'épithalame; ,y La mariée , chargée d'ornements , les yeux baiffés, 8c foutenue par des femmes, ou par „ deux de .fes proches parents, marche avec une extréme lenteur, 6cc... Anciennement j, la nouvelle mariée porton un voile rouge  S34 Notes. ou jaune "t que les Arméniens ont confer„ vé.... II étoit fait pour cacher la rougeur- modefte , 1'embarras & les larmes dela jeu„ ne époufe.... Lebrillant flambeaud'hymé- née n'a pas été oublié par les Grecs moder„ nes. On le porte devant les nouveaux époux , ,, & dans la chambre nuptiale, oü il brule jufqu'a ce qu'il foit entiérement confumé : ce feroit même un mauvais préfage , s'il „ venoit a s'éteindre par quelque accident; „ auffi y veille-t-on avec autant de foin que „ les Veftales en avoient pour le feu facré. Arrivés a l'Eglife , les nouveaux époux '„ portent chacun une couronne, que le Prê- tre , pendantla célébration, change alterna- tivement, en donnant la couronne de 1'é,, poux a 1'époufe , & celle de 1'époufe a 1'é„ poux. C'eft encore ans anciens qu'eft due ,, 1'origine de cette couronne.... Je ne dois pas oublier une cérémonie effentielle que les Grecs ont confeivée ; c'eft la coupe de vin „, qu'on préfentoit anciennement au nouvel époux , en figne d'adoption. Elle étoit le „ fymbole du contrat& de 1'alliance: 1'époufe s, buvoit du vin de la même coupe , qu'on of„, froit enfuite a tous les parents , & aux con„ vives.... On danfe encore , & on chante pendant toute la nuit; mais les compagnes „ de la nouvelle mariée en font exclues; elles fe réjouiffent entr'elles dans des apparte- ments féparés & éloignés du tumulte de la ,, noce. Les Grecs modernes, comme les ans, ciens, couronnent encore, le jour des no„ ces, les portes de leurs maifons, de verdure  „ 8c de fleurs attachées avec des bandelettes. 5> M. GüïS, tome premier. M. Guys 1'ainé, fils de celui que je viens de citer, fait le détail le plus intéreffant d'un mariage Grec dont il a été téraoin. „ La jeune fiancée, dit-il, richement paree, „ portant fur fa tête de longues treffes de fil d'or trait , entrelacées avec celles de fes „ beaux cheveux , a la maniere des Grecs , „ eft defcendue de fon appartement. Elle s'eft „ avancée avec empreffement, pour embraf- fer fon pere & fa mere, qui 1'attendoient k „ la tête de dix enfants raffemblés autour d'eux... „ Qui de nous auroit vu d'un oeil fee une mere „ tendre & refpeétable, ne pouvant fe détacher „ de fa fille , qu'elle prefloit dans fes bras, „ qu'elle arrofoit de fes douces larmes qu'un „ excès de joie & de tendreffe fait couler abon„ damment fur le fein maternel!... Le pere „ pleuroit auffi ; mais, les yeux tournés vers „ le Ciel, il a prononcé d'un ton ferme, fa bé„ nédiétion fur fa fille, & les voeux pour le bon„ heur des deux époux, &c... Au retour, on „ donne aux jeunes gens des bouquets enlacés „ avec des fils d'or, en leur difant en Grec: „ Mariez-vous aujji ". M. Guys termine ce récit en difant que Madame Vanlenep (c'étoit le nom de Ia mere de lat jeune mariée ) conduifit fa fille dans un appartement fuperbement meublé, & dont ia tapifferie & le lit, ornés des plus belles fleurs, brodées fur un fond blanc , étoient 1'ouvrage de cette bonne mere. „ Elle y travailloit feule, „ ajoute M. Guys, & depuis dix ans, fans * qu'on s'en doutat ". M. Guys, T. 11,  33Ö Notes. Les Grecs, dans 1'intérieur de leurs families, offrent le fpectacle le plus touchant. „ Vou* ,, verrez dans la Grece, dit M. Guys, des en- fants embraffer les genoux, baifer refpeétueu„ fement la main de leur pere, 8c demander „ cette bénédiftion dont on ne connoit plus 1'u- fage que dans 1'hiftoire des Patriarches " M. Guys, T. 1. (48) „ Les maifons des Grecs font divifées en deux parties par une grande falie qui occupe le centre & toute la largeur. C'eft dans „ cette falie qu'on donne les fêtes 8c que fe font „ toutes les cérémonies qui exigent un grand efpace. Tel eft le divan des Turcs, la galerie des Italiens, le fallon de compagnie des Fran„ cois ( Nobleffe Grecque : tout annoncoit 1'abatteï> ment de cette ame fenfible; Ie défordre de » fon voile 8c de fes habits, la négligence de fa » coëffure ajoutoient de nouveaux traits k tous> tes les marqués de fa douleur.... Après les j> prieres d'ufage, on fit la-cérémonie que les ji Grecs ont confervé , 8c qu'on nomme le der-, n nier adieu. Après que Ie Patriarchê eut emm braffé le corps, les parents & ceux qui forj> moient Ie convoi en firent de même. Cette ■n fcene que 1'idée d'un éternel adieu ne rend » que trop attendriffante, le devint encore plus }> quand cette fceur éplorée, qui n'écoutoit que j> les mouvements de fa douleur, déchira fes :> habits & arracha fes cheveux pour en cou« vrir le cercueil d'un frere qu'elle ne doit j> bientót plus voir. On fit des efforts pour » abréger cette fcene lugubre , Sc pour ramen ner la fceur affligée dans fa maifon; fes fens » alors étoient moins agités , Sc fa douleur j» plus calme... " Après ce détail, Madame Chenier fufpend fa narration pour faire la defcription du jardin du mort: » De ce jardin, 1'on découvroit la mer, » Sc il étoit orné, comme je 1'ai dit, d'une voPij  34<5 Notes. v liere remplic d'oifeaux, de belles fleurs, & » d'arbres fruitiers ; en outre, on y voyoit un » rcfervoir rafraichi par les eaux de la mer, & » qui renfermoit toutes fortes de poifibns. Ce v jardin , continue Madame Chenier, ces oi3> feaux, ces poiffons faifoient tout 1'amufest ment du fage que la mort venoit de ravir a 3» fa fceur & a fes amis. Vous fentez déja, 3> Monfieur, combien le fonds de ce tableau 3» peut intéreffer la fcene ( frere, difoit cette fceur accablée, en par» courant le jardin de fes yeux.... 11 n'eft plus >i II a pafte comme une ombrel... Vous, fleurs, y> qu'il cultivoit avec tant de plaifir, vous n'aves^ 3> déja plus cette fraicheur que vous devie^ d fes »i foins !... Périjfe^ avec lui!... Courbez-vous , 33 féchez^ jufqu'a la roemtl... Vous, poiffons, ii puifque vous n'avei plus de maitre ni d'ami qui ii veille d votre confervation ,... retournez^ dans ii les grandes eaux !... allez_ courir après une vie 3i incertaine ! ... Et vous , petits oifeaux, fi vous 31 furvivez^ d votre trifteffe... que ce ne foit que 31 pour accompagner mes foupirs de vos chants lw n gubres ! ... Mer tranquille ! vos flots d préfent n font agités... Seriez-vous auffi fenfible d ma ii peine ? (f) Jugez, Monfieur, de 1'effet que ,» 1 1 (a) Les points de ce difcours ne marquent pas des paffages fupprimés, ils font tous dans 1'original, (£) La mer eft prefque toujours tranquille le matin & le foir dans le canal. Elle ne commence a être agitée que vers les dix heures, jufqu'aux approches du coucher du foleil. C'eft ie moment qui juftifie cette allegorie, Cette note eft de M. Guya  Notes. - 341 » faifoit furies fpectateurs cette touchante apofj> trophe faite avec cette tranquillité que 'a i> douleur ne permet qu'aux grandes ames. Cet» te Dame fe tournant enfuite vers fes efcla» ves : Pleurez_, mes enfants , leur dit-elle,... J» vous riavc^plus de pere.... Mon frere n'eft n plus!... La mort cruelle nous l'a enlevè... II a » difparu commeUombre!... & nous ne le verrons » plus... Ces lieux, que fa préfence rendoit agréa» bles, ne doivent être pour nous qu'un féjour de n triftejfe & JaftHtlion... II n'eft pas poflible, » Monfieur, de donner k la nature plus d'ex» preflïon , plus de force , plus de naïveté. J'ai » cru que vous verriez avec plaifir ce petit » échantillon de 1'éloquence Grecque , ókc » Les tombeaux des Grecs font fitnes , com« me ceux des Turcs & des autres peuples de ,, 1'Orient, fur le chemin des villes & des vü» lages. Ils ne font pas entourés de murs, & » n'en font pas moins un afyle facré... Les tom» beaux des Grecs & Arméniens, font ornés » d'ormeaux... Les anciens avoient choifi cet » arbre, comme le plus convenable aux morts, » paree qu'il ne porte aucun fruit. II en eft de >» même du cyprès... Outre les pierres qu'on » met fur les tombeaux , on y trouve de pe» tites colonnes fépulcrales , qui, comme au» trefois, portent fimplement les noms de ceux » qui font enterrés. C'eft encore un ufage adop» té par les Turcs... Les Grecs vont de temps » en temps pleurer fur les tombeaux... Pen» dant les fêtes de Paques , que les Grecs céle» brent avec beaucoup de joie & d'éclat, par » des feftins & des danfes publiques, il y a un P iij  342 Notes. ï> jour ou ils fe rendent en foule aux tombeaux. » La ils pleurent leurs parents, leurs amis, » & peut-être encore la perte de leur ancienne »> liberté— Les femmes Grecques lecontentent » aujourd'hui de s'arracher les cheveux fur les » tombeaux. Autrefois elles coupoient leurs j> longues treffes fur la tombe de leurs parents » & de leurs amis ". M. Guys, tom. 1. De tous les peuples de la terre, il n'en eft point de plus magnifique que les Chinois dans leurs funérailles. » L'idée de la mort, dit » M. deSonnerat, ne cefle de les tourmenter. » Cependant elle leur paroit moins cruelle, fi s> ils peuvent acheter un cercueil, & placer » leur tombeau fur le penchant d'une colline, j> dans une fituation agréable. Ils dépenfent des s> fommes exceffives pour les funérailles , qui » fe font, quelquefois fix ans après la morr, »> avec une magnificence dont rien n'approche. » Ils louent des hommes qu'ils habillent de »> blanc, pour former le deuil, & pleurer k n la fuite du convoi. Pendant plufieurs jours j> confécutifs, on promene le défunt fur la ri« viere, au fon de quantité d'inftruments. Le n bateau qui le porte & ceux qui 1'accompa» gnent, font illuminés de maniere , que Jes » feux diverfement colorés, forment des def» fins jufqu'au fommet des mats; &c. " Voyages aux lndes Orientales & d la Ch'int , fait par ordre du Roi , par M. Sonnerat, tom. IL (^o) Le coquillage qui produit les perles, eft une huitre a écailles nacrées, qui fe pêche dans les mers Orientales & dans 1'Ifle de Ta-  Notes. 343 bago. II y a quatre grandes pêchefies de perles dans FOrient. La première dans 1'Ifle de Bahrein , dans le Golphe Perfique. La feconde fur la cóte de 1'Arabie heureufe , proche de la ville de Catifa; elle appartient a un Prince Arabe. La troifieme , pres de 1'Ifle de Ceylan. La quatrieme, fur la cöte du Japon. On compte auffi quatre pêcheries de perles en Occident, qui font toutes fituées dans le Golphe du Mexique, le long de la cöte de la Nouvelle-Efpagne. On pêche encore des perles dans la Méditerranée ; on en pêche auffi fur les cötes de 1'Océan , en Ecoffe, & ailleurs. La pêche des perles, prés de 1'Ifle de Ceylan, eft la plus confidérable, & produit un grand bénéfice a la Compagnie des Indes de Hollande. Cette Compagnie ne fait pas pêcher pour fon compte : mais elle permet aux habitants du pays, d'avoir pour cette pêche, autant de bateaux qu'ils veulent, & chaque bateau lui paye au moins foixante écus. Les Commiffaires Hollandois viennent de Colombo, pour préfider a la pêche. Le jour qu'elle doit commencer , une affluence extraordinaire de peuple & de bateaux arrivé. L'ouverture de la pêche fe fait dès le matin, & elle eft annoncée par un coup de canon. Dans ce moment tous les bateaux partent & s'avancent dans Ia mer , précédés de deux groffes chaloupes Hollandoifes, qui mouillent l'une a droite, & l'autre a gauche , pour afligner a chacun les limites qu'il ne peut paffer. Auffi-tot les plongeurs de chaque bateau fe jettent a la hauteur de trois , quatre & cinq braffes. Un bateau a P iv  341 Notes. plufieurs plongeurs, qui vont k l'eau tour-atour. Aum-tot que 1'un remonte , l'autre s'enfonce. Ils font attachés k une corde , dont le bout tient k la vergue du batiment, & qui eft difpofée de maniere que les Matelots du bateau , par le moyen d'une poulie , la peuvent lacher ou tirer felon le befoin. Celui qui pionge a une pierre du poids d'environ trente livres attachée aux pieds , afin d'enfoncer plus vite , Sc une efpece de fac a la ceinture , pour recevoir les huitres qu'il pêche. Dés qu'il eft defcendu au fond de la mer, il ramaffe promptement ce qu'il trouve d'huitres, Sc les met dans fon fac. Le plongeur, pour revenir k l'air, donne le fignal, en tirant fortement une petite corde différente de celle qui lui tient le corps. II eft rare qu'un plongeur puiffe retenir fon haleine plus d'un quart-d'heure. II a foin de fe mettre du coton dans les narines & dans les oreilles. Comme les huitres font quelquefois attachées au rocher , alors les plongeurs les détachent, avec un inftrument de fer dont ils font munis. Ils prétendent qu'ils voient parfaitement k foixante pieds de profondeur. La pêche dure jufqu'a midi, & alors tous les bateaux regagnent le rivage. Quand on eft arrivé , chaque maitre du bateau fait tranfporter dans des foffés creufés de fable, les huitres qui lui appartiennent. La, ils les étalent k l'air , & on attend qu'elles s'ouvrent d'elles-mêmes , ( ce qui dure trois ou quatre jours ) , afin d'en retirer les perles fans les endommager. Les perles étant tirées Sc lavées, on a c^nq ou fix petits baffins a cribles, qui  Notes. 345 s'enehaffent les uns dans les autres, enforte qu'il refte une diftance entre ceux de deflus 8c ceux de denbus. Les trous du fecond crible font plus petits que ceux du premier, 8c ainfi des autres. Les perles qui ne paffent point le premier crible, font du premier ordre; celles qui reftent dans le fecond , font du deuxieme ordre , 8c de même jufqu'au dernier, lequel n'étant point percé, recoit les femences des perles. Les Hollandois fe réfervent toujours le droit d'acheter les plus groffes , du moins ils ont la préférence fur le prix qu'on en offre. II y a d'autres animaux teftacées (); c'eft ainfi, qu'au moyen de l'art, on produit auffi des phofphores. II fuffit de chauf- 0) Dail. C'eft un coquillage que 1'on nomme encore Pholade, Pieaut, &c. il meurt rans le premier trou qu'il a habité après fa naiffance. Auffi le caradere générique des dails , fe tire-t-il de leur habitude a fe cacher dans les pierres , & a creufer eux-mémes leurs fépulcres. Ton en trouve quelquefois 20 dans un même bloc de pierrr. Ces animaux, lori'qu'ils font vivants, font phofphoriques. * [b) C'eft-a-dire qui brille dans 1'obfcurit». P Vj  348 Notes. fer ou de frotter vivement les diamants, les cailloux, les bois durs & réfineux, &c. de calciner la pierre de Bologne, de verfer de 1'efprit de nitre fur de la craie, de cuire de 1'alun avec du miel, &c. Les phofphores produits par ces dernieres opérations , s'appellent Pyrophores, & font d'autant plus finguliers, qu'on peut en allumer de 1'amadoue, brüler du papier, écrire des lettres de feu. M. de Hornare. (53) Jufques a ce fiecle, on ne connoiflbit de mines de diamants que dans les Indes Orientales ; mais on en a trouve depuis dans le Brélil en Amérique , ainfi que des rubis , des topafes , & d'autres pierres précieufes. Les meilleures mines de diamants & les plus riches font dans les Royaumes de Golconde, de Vifapour & de Bengale fur les bords du Gange , dans 1'ifle de Bornéo. Le*diamant eft la pierre précieufe la plus pure, la plus dure, la plus pefante Sc la plus diaphane. II eft ordinairement fans couleur, mais on en trouve de loutes les couleurs; cependant on n'a jamais vu de diamant d'un auffi beau rouge que le rubis, d'un auffi beau verd que 1'émeraude, d'un aufli beau bleu que le faphir, &c. Le diamant eft d'une telle dureté qu'on ne le peut ufet qu'avec la poudre d'égrilée (a) , qui provient de 1'écorce (a) La première opération de Ia taille du diamant, eft celle par laquelle on le décroüte. Pour cela , il faut oppofer le diamant au dkraant, &  Notes. 349 d'autres diamants noiratres. Le diamant réfifte a lalime, & acquiert la propriété de reluire dans 1'obfcurité , foit en 1'expofant quelque temps aux rayons du foleil, foit en le faifant chauffer fortement, &c. II a la propriété , comme la plupart des pierres tranfparentes , d'attirer , après avoir été frotté , la paille, les plumes, &c.; mais il n'a pas ta propriété de réfifter a la violence de toutes les efpeces de feu , fans en être altéré. Des expériences faites a Florence démontrent que le diamant eft altérable au feu folaire , au point d'y difparoitre , tandis que le rubis y réfifte, &. ne fait que s'y amollir. Les Lapidaires appellent diamant rofe le diamant taillé a facettes par-deflus , & plat pardelTous. Ils nomment diamant br'dlant celui qui eft taillé a facettes par-deffous comme pardeffus (a). les frotter les uns contre les autres-, c'eft ce que 1'on appelle égrifer. Par ce moyen, les diamants mordent 1'un fur l'autre , & il s'en détache une pouffiere , que 1'on recoit dans une petite boite nommée ègnfoir. Cette pouffiere fert enfuite a les tailler & a les polir. (b) Le deffous du diamant taillé , fe nomme la culajfe- II y a quelques diamants revêches , auxquels on a donné le nom de diamants de nature, 8e qui, quelqu'effort que 1'on faffe , ne peuvent acquerir le poliment dans certaines parties •, mais «ela eft rare. 11 n'y a guere plus d'un fiecle qu'on a commencé a brillanter les diamants. Louis de Berquen , natif de Bruges , & d'une familie noble, mit le premier en pratique la taille du diamant; il n'y a pas 300 ans,  35° Notes. Les cinq plus beaux diamants que 1'on con* noifle font, i". celui du Grand Mogol, qui pefe 279 karats, neuf feiziemes de karats ; a°. le diamant du Grand-Duc de Tofcane qui pefe 139 karats & demi; les deux diamants du Roi de France, le Sancy qui pefe 106 karats , & le Pin ou le Régent, qui pefe 547 grains : ü coüta, dit-on, deux millions & demi, & 1'on afTure qu'il vaut davantage ; & enfin le diamant de la Czarine qui pefé 779 karats... On aflure que le diamant que poffede leRoide Portugal pefe douze onzes, mais il eft très-défe&ueux. M. de Bomare. On voit dans la Cathédrale de Gênes une jatte formée par une feule éméraude, d'ua beau verd fa). J'ai vu auffi a La Haye, dans le Cabinet d'Hiftoire naturelle du Stadhouder, une topafe qui n'eft point taillée, & qui pefe, m'a-t-on dit, quatorze livres. La Vermeille eft une.efpece degrenat, mais pluseftimée que Ie grenat, proprement dit; on les fait venir de Bohème. La Hyacinthe eft une pierre tirant fur Ie vermillon ou le fouci. Le Bérille ou Aigue marine eft couleur de verd d'eau. Le Peridot eft d'un verd jaunatre ; la Chrifolide reffemble beaucoup au Péridot, & n'en eft peut-être qu'une variété : on ne taille guere cette pierre k facettes, mais' (a) S'il eft rrai, comme tout le monde 1'aflure, 1uece P'at foit d'émeraude : il eft certain qu'il neft m plus brillant, ni plus beau, que ne feroit un plat de verre.  Notes. 35* communément en cabochon, c'eft-a-dire , arrondie en forme de goutte de fuif. C'eft auffi de cette maniere qu'on taille 1'Opale, belle pierre, qui a la propriété de réfléchir tout-aïa-fois les couleurs de 1'Iris , ou de les changer fuivant la différente expofition du jour fous laquelle on la regarde. Le Girafol eft une pierre a-peu-près de même qualité que 1'Opale , mais moins précieufe. L'Amethifte eft de couleur violette. On voit beaucoup de bijoux , 6c même des meubles, des tables, des colonnes, &c. faites de ce qu'on appelle prime d'Emeraude , prime d"1 Amethifle. La même matiere que la nature a deftinée a la formation des émeraudes & des améthiftes, fert a celle des primes; mais trop groffieres , trop terreufes , les primes n'ont pu arriver au degré d'excellence qui conftitue les émeraudes 6c les amethiftes ; elles font a leur égard ce que la bourre eft au cocon de foie. La Tourmaline eft une pierre d'un jaune obfcur qui tient du verd 8t du noir. Elle a la propriété finguliere, lorfqu'elle eft chauffée, d'attirer 8c de repouffer altetnativement les corps légers, tels que les barbes de plumes, des cheveux, du ruban, &c. {a). (a) Le cryftal de roche ne differe des pierre* recieules , que par la aurete : cepenaant quoique eaucoun moins dur. il fait feu avec 1'acier. On a tiré de 1'ifle de Madagafcar, des morceaux de cryftal de roche , de fix pieds de long & de quatre de large , fur autant d'épaiffeur. La mine de Fifchbach au Valais, en fournit des raaffes énormes 8c par-  35^ Nates. (54) Tout ce détail de la magnificence du Grand-Mogol fe trouve dans tous les Voyageurs. J'ai iuivi particuliérement le voyage de 1'Anglois Rhoë, tom. V de 1'Abrégé de 1'Hiftoire générale des Voyages, par M. de la Harpe. La coupe d'orenrichie de turquoiles, d'émeraudes & de rubis, fut donnée pat le Grand-Mogol a Rhoë , qui vit diftribuer les deux bajjins Templis de rubis & d'amandes d'or & d'argent. Les defcriptions du tróné de 1'Empereur, de fon habillement, de fa marche pour fe rendre a fon camp , font tirées du même Ouvrage. J'ai joint a ces defcriptions quelques détails tirés du voyage de Tavernier qui fe trouve dans le même volume. » (55) Cet animal fingulier s'appelle Sarigue ou Opoffum. » Le Sarigue, dit M. de Buffon, » eft uniquement originaire des contrées méw ridionales du nouveau Continent... On le j> trouve non-feulement au Bréfil, a la Guyan» ne, au Mexique, mais auffi a la Floride , 3} en Virginie , &c... La femelle a fous le j> ventre une ample cavité , dans laquelle elle 3) recoit 8c allaite fes petits... Ces petits for» tent de la poche, & y rentrent plufieurs fois » par jour, ékc. " faites. On vient d'y découvrir une quille ou canon , qu'on dit être du poids de douze quinraux. Le cryftal SIflande tire fon nom de 1'ifle oü il fe trouve. La propriété la plus remarquable de ce cryftal, eft celle de faire paroitre doublés les objets qu'on voit a travers.  Notes. 353 On trauve dans 1'Amérique une foule d'animaux extraordinaires, entr'autres trois efpeces d'animaux a long mufeau , a gueules étroites & fans aucunes dents ; a langue ronde & longue , qu'ils infinuent dans les fourmilieres , & qu'ils retirent pour avaler les fourmis. Ces animaux s'appellent le Tamanoir, le Tamandua , & le Fourmiller. Le Pangolin & le Phatagin font encore deux animaux très-extraordinaires. Ils font quadrupedes, & font en grande partie recouverts d'écailles... LesTatous , autres animaux quadrupedes de 1'Amérique , font couverts comme les tortues , les écreviffes, &c d'une croüte ou d'un têt folide. La Giraffe eft un grand qnadrupede de eette contrée , dont les jambes de devant font infiniment plus longues que celles de derrière (a). (56) » On appelle Arbre du Diabic, un » arbre qui croit en Amérique. Son fruit , » dans 1'état dematurité, eft élaftique. Defféj) ché par la chaleur du foleil, il fe gerce , » fe fend avec éclat, & lance au loin fes grai» nes. C'eft a ce jeu de la nature que cet ar» bre doit fon nom. Dans le temps du déj» veloppement de fes graines, le fruit proji duit 1'effet d'une petite artillerie , dont le («) Les Gerboifes, petits animaux quaclrupedes , ont au contraire, les pattes de devant beaucoup plus courtes que celles de derrière.  354 Notes. n bruit fe fuccede rapidement, & s'entenrj » d'affez loin. Ces mêmes fruits, tranfporn tés avant leur maturité, dans un endroit » fee , ou expofés fur une cheminée a 1'im» preffion d'une chaleur douce, s'y deflechent n peu-a-peu, & préfentent le même phéno» mene M. de Bomare. ($7) „ Le mot Éclipfe vient d'un mot Grec ,, qui fignifie défaillance. Tite-Live rapporte „ que Sulpicius Gallus, Lieutenant de Paul „ Emile, dans la guerre contre Perfée , prédit „ aux foldats une éclipfe qui arriva- le lende„ main , & prévint par ce moyen la frayeur „ qu'elle auroit caufée. C'eft une chofe très„ finguliere que le fpeétacle d'une éclipfe to„ tale de foleil. Clavius qui fut témoin de celle „ du 21 Aoüt 1560 a Conimbre, nous dit que „ 1'obfcurité étoit, pour ainfi dire, plus gran- de , ou du moins plus fenfible & plus frap„ pante que celle de la nuit- On ne voyoit pas ou mettre le pied, & l^s oifeaux retomboient „ vers la terre, par l'eff.oi que leur caufoit une „ fi trifte obfcuiité". Encyclopédie. (58) LAcudia eft un infeék volant & lumineux qui fe rouve en Amérique. On foupconne que le cucuju ou cocojus , qui a les mêmes propriétés, eft le même inleóte que 1'acudia. „ Cet infeéle, de la claffe des fcarabées (a), (a) On comprend communément fous le nom 0* fearabéts des infeftes dont les ailes rnembraneur  Notes. 3S5 eft de la groffeur du petit doïgt, &long de deux pouces. II eft fi lumineux pendant la nuit, que lorfqu'il vole il répand une grande clarté. On prétend que fi on fe frotte le vifage avec 1'humidité provenante des taches luifantes ou étoiles de ce petit phofphore vivant, on paroit tout refplendiffant de lumiere , tant qu'elle dure. Avant 1'arrivée des Efpagnols , les Indiens ne faifoient point ufage de chandelle. Ils fe fervoient de ces infeétes dans leurs maifons pour s'éclairer pendant la nuit. Avec un de ces infe&es , on lit, on écrit auffi facilement qu'avec une chandelle allumée. Lorfque les Indiens voyagent dans 1'obfcurité de la nuit, ils en attachent un a chaque orteil du pied, & en portent un autre a la main. Lorfque ces infectes font pris, ils nevivent que trois femaines au plus. Tant qu'ils fe portent bien, ils font très-lumineux; mais lorfqu'ils font malades , leur lumiere s'affoiblit; ils ne brillent plus lorfqu'ils font morts. Ces infeétes font doublement utiles. Lorfqu'on les a pris, on les laiffe voler dans la maifon , ils dévorent les coufins... On eft incertain fi Yacudia n'eft pas le même infefte que le porte-lanterne, ainfi nommé, paree que la partie intérieure de la tête, d'oü la lumiere fort, a été regardée comme une ef- fes font renfermées fous des étuis écailleux... On appelle élytres, ces étuis de leurs ailes. Tous les infeftes dont les ailes font renfermées dans des élytres , s'appellent auffi celéoptsres. Le Hanneton, eft coléopurs.  356 Notes. '„ pece de lanterne,.. Mademoifelle Mérian^), „ qui a obfervé ces fortes d'infeétes a Surinam, dit que leur lumiere eft belle, qu'une feule lui a fufE a chaque féance pour peindre les figures qui font gravées dans fon ouvrage fur les infecles du pays... On trouve en Italië des mouches luifantes , ou pour mieux dire , „ un fcarabée a-peu-près gros comme une abeil„ le, & dont le ventre eft affez lumineux pour ,, que trois de ces infeófes enfermés dans un „ tuyau de verre blanc , faffent diftinguer pen„ dant la nuit tous les objets qui font dans une „ chambre. M. 1'Abbé Noliet a éprouvé que ,, la lumiere de cet infeéle s'étendoit fur les „ endroits ou on 1'écrafoit {b) ". M. de Bomare. (d) Marie Sybylle Me'rian , fille de Mathieu Mérian , fameux Graveur & Géographe , naquit en Allemagne, l'an 1647. Elle apprit d'Abraham Minion a peindre des fleurs, des fruits, des plantes, des infe&es , & elle excella dans ce genre. Elle favoit parfaitement le Latin, & fit une étude particuliere de 1'Hiftoire naturelle. Elle fut a Surinam , oü elle paffa deux ans , afin d'y deffiner les infecles de ce pays. Elle fit un Ouvrage en Allemand, fous le titre i'Hifioire des Infecles de fEurope, avec les deffins d'après nature, & des explications oü 1'on traite des differentes me'tamorphofes des infecles, & des plantes dont ils fe nourriffcnt. Elle mourut a Amfterdam, agée de 70 ans, laiffant deux filles, auxquelles elle avoit appris a peindre; dont l'une fur-tout, nommée Dorothée , fe diftingua par une rare réunion de connoiffances & de talents. Vies des Peintres , tome II. (b) Les foffés de Mantoue font remplis de ces infeftes. L'herbe & les arbres en font couverts; ce qui produit, le foir, le plus agréable fpectacle.  Notes. 357 Le fcarabée le plus fïngulier eft celui qu'a décrit M. Rolander. „ La première fois que M. Rolander ramaffa cet infeéte qui eftphofpho„ rique , il fortit de fon corps un bruit fem„ blable a celui d'une arme a feu, & une fumée d'un bleu fort clair... Une autre fois, 1'ob„ fervateur familiarifé avec 1'artillerie de ces „ mouches, s'avifa de chatouiller celle-ci avec „ une épingle , & elle tira jufqu'a vingt coups „ de fuite... M. Rolander ouvrit l'iniefte, 8c „ il trouva dans fon corps une petite veffie af„ faiffée ; mais il ne put découvtir ft c'étoit le „ réfervoir de l'air ou quelque inteftin. On „ pourroit (ajoute 1'auteurqueje cite) appel,, Ier cet infefte le bombardier". DicT. des Merveilles de la Nature, tom. II. (59) Cet arbre s'appelle Mancenillier ow Man' «henillier. II eft de la hauveur de nos noyers : pour peu qu'on y faffe une incifion, il en fort une fubftance laiteufe qui eft un poifon mortel. Les Indiens y trempent les fleches qu'ils veulent empoifonner. On ne coupe cet arbre qu'avec beaucoup de précautions. Son fruit reffemble a nos pommes d'api ; leur odeur eft agréable, mais leur chair eft empreinte d'un fuc blanc auffi dangereux que celui de 1'écorce 8c des feuilles. Le mancenillier croit dans Ia plupart des Ifles Antilies, aux bords de la mer. Si 1'on dort a 1'ombre de cet arbre, les yeux s'enflamment, le corps devient enflé, 8cc. Si J'on y dormoit long-temps, on pourroit en mourir. L'eau de la mer bue fur le champ, eft, dit-on, le remede le plus efficace contre les effets du poifon de cet arbre.  353 Notes. On trouvë encore en Amérique urt arbrifleaü dont la racine produit un poifon très-fubtil. Cet arbriffeau s'appelle manioque. II s'éleve depuis trois pieds jufqu'a huit ou neuf de hauteur. Sa racine mangée crue feroit un poifon mortel; tnais lorfqu'elle eft defféchée & préparée, on en retire une farine avec laquelle on fait une forte de pain appelle caffave. L eflentiel eft d'enlever a cette racine un lait qui eft un véritable poifon. Ce lait a la blancheur & 1'odeur du lait «Tarnende : quoiqu'il foit un poifon, en le laiffant dépofer, on obtient une fubftance blanche & nourriffante que 1'on trouve dans le fond du vafe, & qu'on lave plufieurs fois avec de 1'eau. Cette fécule a 1'apparence de 1'amidon le plusLilanc. On 1'appelle mouffdche. On 1'employé au même ufage que notre amidon; mais cette poudre brüle les cheveux a la longue; ce qui n'empêche pas d'en faire des efpeces d'échaudés. Cet arbriffeau eft très-commun a St. Domingue (a). M. de Bomare. (60) Le Mangle ou Manglier eft un arbre qui croit dans les Indes Occidentales , prin«ipalement aux Ifles Antilles , & vers 1'embouchure des rivieres. » De fes rameaux flexi- (a) II eft bien étonnant qu'on puiffe manger avec autant de fécurité , d'un pain qui n'eft que 1'extrait d'un poifon mortel; quand on fonge que ce dangereux aliment mal préparé, peut donner la mort. Ceci prouve bien qu'il n'eft point de dangers, avec lefquels la feule routine de 1'habitude ne puiffe familiarifer. Ce principe établi, il eft évident que 1'éducation peut donner le courage.  Notes. 359 « bles , dit M. de Bomare, partent des pa» quets de filaments qui defcendent jufqu'a ter» re , s'y couchent, y prennent racine, & » croiffent de nouveau en arbres auffi gros que » celui d'oü ils fortent. Ceux-ci fe multiplient » de la même maniere. Un feul arbre peut de» venir la fouche d'une forêt entiere... Dans » 1'Ifle de Cayenne, les marais font couverts » de mangles. Les huitres s'attachent au pied » & aux branches pendantes de cet arbre. Des » huitres y dépofent leur frai (a) : Ia poftérité » y adhere auffi , groflït, & dans les flux & » reflux , fe trouve alternativement dans 1'eau » ou fufpendue aux branches dans l'air". L'Amérique produit encore un arbre très-fingulier. Le Fromager ou Saamonna, dit M. de Bomare , » croit dans les Indes & dans les An» tilles a la hauteur du pin. Le haut Sc le bas »> du tronc font de la groffeur ordinaire aux » autres arbres, mais fon milieu eft relevé du « plus du doublé ; tout autour , les racines qui » font très-grofles fortent hors de terre, de fept » a huit pieds , & forment comme des appuis » ou arcs-boutants autour de la tige. Le bout » de ces racines s'étend beaucoup a la ronde. » On a appellé cet arbre Fromager, paree que » fon bois reffemble a du fromage... Les fruits » de cet arbre étant mürs, contiennent des fer » mences d'un rouge noiratre , grofles comme » un petit poids, Sc garnies d'une efpece de (i) Frai, fe dit des oeufs de poiffon, & du temo» «» cet animal les dépofe dans 1'eau,  jób Notes. » coton gris de perle, d'une extréme finefte, ■>■> luifante & foyeufe au toucher; mais dont » les filaments font fi courts, qu'elle ne peut » être que très-difficilement cordée ou filée... >» Les Indiens en font l'ufage que nous faifons » du duvet pour garnir les oreillers, les cou- » vre-pieds , &c. " M. de Bomare. (61) Ce poiffon extraordinaire, c'eft la Tbrpille. II a la propriété d'occafionner un engourdiffement douloureux a ceux qui le touchent. Les plus grandes torpilles des mers de France n'ont pas deux pieds de long. » L'Afrique ÖC »> 1'Amérique ont des animaux torpilles fembla» bles aux nötres par les effets, mais qui font » de figures différentes. Ce poiffon eft fort conj» nu a Surinam. Ses effets font beaucoup plus » vifs que celui de la véritable torpille, 6c r> reffemblent tout-a-fait a la commotion élec» trique. La caufe paroitroit donc être dans un » fluide qui s'échappe de 1'animal Quand le » poiffon s'échappe avec viteffe, on peut fenv tir la fecouffe en plongeant la main dans » 1'eau a quinze pieds de diftance du poiffon... » Lorfqu'on re9oit des commotions violentes , » 1'engourdiffement eftgénéral, & la tête mê» me refte un peu égarée. L'état naturel re» vient peu-a-pen... L'efpece de torpille dé» crite par le Doéïeur Fermin , dans fon Hif» toire naturelle de Surinam , fait éprouver un » horrible engourdiffement dans les bras & y> jufqu'aux épaules , quand on la touche avec » les mains ou avec un baton , & qui fe com» munique avec violence a quatorze perfonne* qui  Notes. 30"! n qui fe tiennent par la main. Cet animal paroit « être le même que 1'anguille que M. de laConn damine décrit dans fon voyage de la riviere » des Amazones... M. Adanfon en a trouve un i) femblable dans la riviere duSénégal... L'Anti guille trtmblante de Cayenne eft auffi une ef11 pece de torpille. Elle parvient quelquefois » a la grolTeur de la cuifle, a la longueur de 5» quatre ou cinq pieds ; elle differe peu de la sj torpille de Surinam ", M. de Bomare. (6 a) La Fontaine Acadine fe trouvoit dans la Sicile. Elle étoit confacrée aux Freres Paliques [a), Divinités particuliérement honorées dans cette Ifle. On attribuoit a cette fontaine une propriété merveilleufe pour faire connoitre la fincérité des ferments. On les écrivoit fur des tablettes qu'on jettoit dans l'eau; & fi elles ne furnageoient pas, on étoit perfuadé que ces tablettes ne contenoient que des parjures. Argyre étoit une Nymphe de Theffalie. Céiénus, fon époux, la voyant prés de mourir romba lui-même dans une langueur mortelle? Vénus, touchée de leur tendrelfe, les méta- (a) Les Pahques ou Pali/ques étoient freres rumeaux , enfants de Jupiter & de Thahe. Cette mufe craignant la colere de Junon , pria la terre de 1 englout.r. La terre s'ouvrit, & fe referma fur elle. Les Pahques vinrent au monde dans ce eoufire. 11 fe forma deux lacs formidables aut parures ix aux criminels, dans 1'endroit oü les deux freres naquirent. D'autres difent qu'en ce lieu, les ieux du Mont-Ethna commencerent alors a naToitre. *a Tome 11. n  362 Notes. morphofa 1'un en fleuve , & l'autre en fontaine , qui, comme Alphée & Aréthufe, fe réurent en mêlant leurs eaux enfemble : cependant Célénus parvint a oublier Argyre, & depuis il eut la vertu de faire perdre aux amants le fouvenir de leur amour , lorfqu'ils boivent de fes eaux, & qu'ils s'y baignent. La Grece offroit encore beaucoup d'autres fontaines merveilleufes , telles que la fontaine Caftalie, Nymphe qu'Apollon métamorphofa en fontaine, qu'il confacra aux Mufes, & a laquelle il donna la vertu d'infpirer les Poëtes. La Fontaine Aganipe, l'Hypocrene, ou la Fontaine Caballine , avoient la même vertu. La Fontaine Acidalie étoit celle oü fe baignoient les Graces. Junon fe baignoit dans la Fontaine de Canathos, proche de Nauplie. DïEiïonn. de la Fable. (63) » La Fontaine de Buxton, dans le Com» té de Darby, dont parle Childtey, dans les » Curiofités de 1'Angleterre, coule tous les » quarts-d'heure feulement.. . " DicT. des Mcrveilles de la Nature, tom. I, page 339. 11 faut fuppofer que Thélifmar, inftruit de ce phénomene , comptoit attentivement fur fa montre les minutes, fans qu'Alphonfe s'en apper^üt, afin de faifir avec jufteffe les moments oü la fontaine devoit s'arrêter & recommencer a couler. II y a , comme on va le voir, beaucoup de fontaines. intermittentes» n On trouve en Provence une fontaine qui  Notes. » coule & s'arrête environ huit fois dans une » heure... La fontaine de Frouganches , Dioi> cefe de Nimes, coule & s'arrête réguliére» ment deux fois en vingt-quatre heures.... » Les fontaines des environs de Paderborn'i » qu'on nomme Bullerbares, coulent, dit-on* » douze heures, 8c fe repofent autant de temps..; » Celle de Hautecombe en Savoie coule 6c » s'arrête deux fois par heures, 6cc. 8cc. DitT. des Merveilles de la Nature , tom. I. « La fontaine brülante de Bozeley, dans la » Province de Shrop , préfente le phénomene » le plus furprenant. La fontaine de Bozeley » fit la première éruption, il y a 65 ans, après' » un fort ouragan : k peine la tempête eut-elle » ceiTé, qu'au milieu de Ia nuit, un bruit térrii> ble réveilla tous les habitants, qui, voyant » la terre agitée 6c bouleverfée, crurent tou» cher au moment de la deflruftion généra" le. Plufieurs d'entre eux fortirent de leurs » maifons, 8c allerent vers une petite mon» tagne, arrofée par la riviere de Séveme La » terre s'y élevoit 6c s'y abaiffoit plufieurs'fois » dans une minute. Un des fpeélateurs fit dans » la terre un trou de quelques pouces de dia» metre. Auffi-t6t il en fortit avec impétuo» fite une eau jaillifTante, dont Péruption fut » fi violente , que cet homme en fut renverfé • » un inftant après , le même homme ayant » pafte pres de la fource avec une lumiere » 1'eau s'enflamma & vomit des flammes. On » intercepta 1'accès de l'air, 6c la flamme dif» parut. Depuis ce temps, la fontaine a tou» jours les mêmes propriétés. Elle s'enflamrae Q ij  364 Notes. » dès qu'on en npproche avec une chandelle » allumée ; & 1'activité de ce feu eft telle, n qu'il réduit en un moment de gros mor« ceaux de bois verd en cendres. Malgré la » violsnce de la flamme, 1'eau n'a pas le moiti» n dre degré de chaleur, & eft auffi froide que « celle des autres fontaines... Prés de Velleia ■» en Italië, eft une fource dont 1'eau s'enflam» me en fa furface , lorfqu'on en approche une m allumette ou une mêche allumée ". Af. de Bomare. (64) » II y a en Ecoffe une montagne aps> pellée Montagne de Cor-kead, quf a la finn gularité d'être un des méridiens les plus éle>i vés de 1'univers. Sa hauteur perpendiculaire » a , dit-on, plus de quatre cents toifes,-Cette « montagne eft fendue & entr'ouverte jufqu'a n la cime, par une crevaffe qui fait face au >> foleil du midi, & les deux fommets for» ment une efpece de cadran qui indique 1'heure n qu'il eft par 1'ombre qu'il donne fur des ro» chers oppofés ". Precis d'Hifi. nat. par M. tAblè Snury , tom. I {a). (65) Voici 1'extrait d'une lettre dans laquelle M. le Doéteur Troil rend compte du voyage (a) On trouve en Suiffe un phénomene de ce genre , appellé Trou Saint-Martin. C'eft une efpece de méridien naturel, dans un rocher percé , par lequel le foleil cclaire en Mars & en Septembre, k docher du village d'EIm, au canton de Cjlaris.  Notes. 3^ qu'il fit en Mande pour examlner le Mont Hecla. » Le ciel étoit pur, 1'eau du lac refTem» bloit a une glacé de mifoir. Huit jets d'eau » s elevoient dans Ie contour de ce lac. J'en » remarquai particuliérement un dont la co» lonne qui avoit fix a huit pieds de diame» tre, montoit a la hauteur de dix-huit a vingt» quatre pieds. L'eau en étoit extrêmement » chaude, Sc nous fit cuire en fix minutes au » plus un morceau de mouton & des truites » que nous y expofames. Reikum nous offrit » un femblable fpeftacle. Le jet d'eau que » nous y appercümes s'élevoit, il y a quel« quesannees, afoixante &foixante-dix pieds • j> mais les terres s etant éboulées couvrirent » une partie de fon orifice, 6c l'eau ne monta » lous nos yeux qu a cinquante-quatre ou foi" ^"c? ?,ieds' Etant arrivés » Geifer, prés » de Skalhot, nous y vimes l'eau s'élancer » avec impetuoftté par une Iarge bouche 8c » former une cafcade a laquelle celles de Mar» ly, deSt.Cloud, de Caffel, d'Herrenhaufe » ne font pas comparables. Nous y obferva» mes dans la circonférence d'environ une bon, » ne lieue, quarante a cinquante jets d'eau » bouillante, qui fans doute proviennent d'un » rneme refervoir. L'eau des uns étoit très» hmpide , celle des autres étoit trouble 8c » arg.lleufe. Ici elle étoit d'un très-beau rouee » docre, dont elle fe charge en paffant fur » cette terre ferrugineufe ; la elle étoit d'un » blanc de lait. Ces jets étoient les uns con» tinuels, les autres interrompus a différents Q üi  3<5<5 Notes* » intervalles de temps , &c... Nous fentïmes » la terre trembler en plufieurs endroits... II » s'éleva une colonne d'eau de quatre-vingtj» douze pieds, &c. &c. Nouvelles de la République des Lettres & des Arts, année 1783 , n". 9, Mercredi 26 Fèvrier, (66) » Pendant le rigoureux hyver de 1740, 33 on conftruifit a Pétersbourg, fuivant les re» g!es de la plus élégante architeéture, un pa» lais de glacé de cinquante-deux pieds 6c 33 demi de longueur fur feize 6c demi de lar33 geur, 6c vingt de hauteur. La Néva, ri■» viere voifine , oii la glacé avoit deux 011 « trois pieds d'épaiffeur, en avoit fourni les >» matériaux. A mefure qu'on tiroit les bloes » de glacé de la riviere , on les tailloit 8c on r> les embelliffoit d'ornements : puis étant poy> fés , on les arrofoit par une face d'eaux co7» lorées de diverfes teintes. On placa au-dej> vant du palais fix canons de glacé faits fur » Ie tour avec leurs affüts, leurs roues de la j> même matiere , 6c deux mortiers a bombes » dans les mêmes proportions que ceux de fonv te. Ces pieces de canon étoient du calibre a> de celles qui portent ordinairement trois lijj vres de poudre ; on ne leur en donna ce3) pendant qu'un quarteron , après quoi on y 3) fit couler un boulet d'étoupe 6c un de fonte. 3> L'épreuve d'un de ces canons fut faite en 3> préfence de toute la Cour, 6c le boulet perv ga , a foixaiate pas de diftance , une planche 3> de deux pouces d'épaiffeur. Ce f it peut ren3) die croyable ce que rapporte Ola'ds Magnus,  Notes. 367 „ FHiftorien du Nord , des fortifications de „ glacé dont il allure que les nations Septen„ trionales favent faire ufage dans le befoin. „ Un Phyficien d'Angleterre fit en 1763 une ,, expérience curieufe : il prit un morceau de „ glacé circulaire, de deux pieds neuf pou3, ces de diametre , & de cinq pouces d'épaif„ feur. II en forma une lentille qu'il expofa „ au foleil, & il enflamma a fept pieds de „ diftance de la poudre a canon, du papier, „ du linge , &c. Des Auteurs font mention „ de la glacé d'Iflande & de celle de quelques „ endroits des Alpes , qui ont une mauvaife „ odeur, & qui btülent dans le feu au-lieu de 1'éteindre; mais ces fortes d'eaux con„ cretes ne donnent le phénomene de 1'inflam- mabilité, qu'a caufe du bitume qu'elles con„ tiennent... On ne croyoit pas autrefois que „ l'eau de la mer changée en glacé donnat de „ 1'eau douce. M. Adanfon fut étonné de trou„ ver les bouteilles qu'il avoit remplies d'eau „ falée, remplies d'une eau glacée fort dou„ ce , & qui n'avoit point dépofé de faumure. „ Ce fait a enfuite été démontré par M. Ed„ ward Nairne , & par 1'expérience de M. „ Cook II eft de fait, que plus il gele , „ plus la glacé augmente de volume; & ce„ pendant , plus elle diminue de poids, ce „ qui eft le contraire de ce qui arrivé dans „ les autres corps, &c. Af. de Bomare. (67) „ La mine d'argent de Salfeberit eri „ Suede , préfente un des plus beaux fpeéta„ des. On defcend dans cette mirie par trois Q iv  368 Noter* „ Iarges bouches femblables a des puirs dont on ne voit point Ie fond. La moitié d'un „ tonneau foutenu d'un cable fert d'efcalier pour defcendre dans ces abymes, au moyen„ d'une machine que l'eau fait mouvoir.... On n'eft qu'a moitié dans un tonneau, oü 1'on „ ne porte que fur une jambe. On a pour compagnon un fatellite noir comme nos for„ gerons, qui entonne triftement une chan„ fon lugubre , 8c qui tient un flambeau a „ la main : quand on eft au milieu de la def„ eenre, on commence a fentir un.i»rand froid; on entend les torrents qui tombent de tou- tes parts; enfin , après une demi-heure , on „ arrivé au fond d'un gouffre; *lors la crainte fe diflïpe, on n'appercoit plus rien d'affreux : „ au contraire , tout brille dans ces régions „ fouterreines. On. entre dans une efpece de 3> grand fallon , foutenu par deux colonnes de „ mines d'argent. Quatre galeries fpacieufes 3, y viennent aboutir. Les feux qui fervent „ a éclairer les travailleurs fe repetent fur ,, 1'argent des vofites , & fur un ruiffeau qui „ coule au milieu de la mine. On voit la des „ gens de toutes les nations : les uns tirent „ des chariots , les autres roulent des pierres.. f, Tout le monde a fon emploi : c'eft une ville „ fouterreine; il y a des cabarets, des mai„ fons, des écuries, des chevaux ; mais ce ,, qu'il y a de plus fingulier, c'eft un moulin ,, a vent mis en mouvement par un courant „ d'air. Le moulin va continuellement dans ,, cette caverne, Sc fert a élever les eaux qui „ incommöderoient les mineurs.., En 1478 y  Nvt es. j5fj » «n trouva au Hartz un morceau d'argent fi » confiderable, qu'étant battu , on en fit une » table ou pouvoient s'affeoir vinet-quatre » perfonnes... Du temps d'Olaus Wormius, on » ura des mines de Norv/ege une maffe d'ar» gent qu. pefoit cent trente marcs... L'areent t> difious par 1'acide nitreux donne des cTyf» taux , qui étant fondus & enfuite jettés dans » un moule forment la pierre infernale dont » on fait ufage pour corroder les chairs. . » Ua compte ordinairement fix métaux ; i« le » plomb x9 1'étain, ,« le fer, 4c ]e cui» vre s«. 1'argent, 6 la.fons {a) de différentes efpeces , Sc qui i4 On doit donner propreraent Ie nom d» y». Q v  «7o Notes. « produ'üent des effets différents. Ces exha» laifons font appellées différemment par les » mineurs, fuivant leur nature. Les unes font » nommées proprement exhalaifons, les au» tres feu brijfou, d'autres mouffites ou pouf» fel, & d'autres ga^... Enfin , il regne dans » les mines qui ont été long-temps abandon» nées , des vapeurs fouterreines que 1'on j) nomme inhalations ou inhalaifons , qui oon» tribuent infiniment a la compofition & déj> compofition des minéraux métalliques, puifj) que par leur moyen il fe fait continuelle3' ment des diffolutions qui font enfuite fuir> vies de nouvelles combinaifons. Ce font ces r> exhalaifons minéralesqui jouent te plus grand 3> röle dans la cryitallilation, la coloratïon des v pierres, & la minéralifation.... Lefeu brifn fou, ou terou, ou feu fauvagc, s'éleve quel» quefois dans certaines mines de charbon, » de métaux, &c. Cette vapeur fort avec une » efpece de fifflement par les fentes des fou7> terreins oü 1'on travaille , & paroit fous k 77 forme de ces fortes de toiles d'araignéesou' 7> fils blane que 1'on voit voltiger dans l'air » a la fin de Pétê.... Lorfque cette vapeur n n'eft point affez divifée par 1 air, elle s'al>7 lume aux lampes des ouvriers, & produif 73 des effets femblables a ceux du tonnerre 6c „ew, aux fuméeshumides qui s'élevent de 1 eau & des autres corps liquides y & celui Atxhalaifon, aux fumées feches qui s'exhalent des corps folides; tels que la terre , le feu, les muieraux, ks fels, &e.  Notes. 371 » de la poudre a canon. Pour prévenir ces « efFets dangereux , les ouvriers ont 1'ceil k >» ces fils blancs qu'ils entendent & qu'ils voient » fortir des fentes. Ils les faififfent avant qu'ils » puiffent s'allumer a leurs lampes, & les » écrafent entre leurs mains. Lorfqu'ils font » en ttop grande quantité, ils éreignent la lu» miere qui les éclaire, ie jettent ventre a »' terre, &, par leurs cris , avertiffent leurs » camarades d'en faire autant : alors Ia matiere » qui s'eft enflammée avant qu'ils aient pu » éteindre leurs lumieres, paffe par-deffus » leur dos, & ne fait du mal qu'a ceux qui » n'ont pas eu la même précaution. Ceux-la » font expofés a être tués ou bleiïés. On en» tend cette matiere fortir avec bruit, &c.„ » Le phénomene le plus fingulier que les ex» halaifons minérales nous préfentent, ell ce» lui que les Mineurs nomment Ballon. II pa» roit a la partie fupériettre des galeries des » mines , fous la forme d'une efpece de po» che arrondie , dont la peau reflemble a de » la toile d'araignée. Si ce fac vient a crever, » la matiere qui y étoit renfermée fe repand j> dans les fouterreins , & fait périr tous ceux j> qui la refpirent... On appelle gaz des exhaj> laifons plus ou moins vifibles , & produites j> par des fouterreins profonds, comme les « galeries des mines. Quelquefois elles for« tent de cettains creux, grottes ou fentes de 3) Ja terre , &c... Le prétendu efprit des eaux » minérales eft une forte de gaz.... Aujour33 d'hui 1'on donne auffi Ie nom de ga{ a toute 33 efpece de vapeurs invifibles, qui f0nt ca- Q vj  jrï Notes. n pables de détruire 1'élafticité de l'air, qui» éteignent la flamme , &c.. Toutes les va— » peurs qui réfultent des fubftances végétales » & animales en combtiftion , celles des corps » pourriffants & des latrines , font encore des » efpeces de gat. ... L'air fixe , proprement « dit, ou g l'eau en toute proportion , &c. II ne dif» fere de l'air commun par aucune de fes pro»> priétés... Mais ce gaz differe de l'air, i°. en » ce que fa pefanteur fpécifique eft plus gran» de...; 2°. en ce qu'il eft incapable d'entre» tenir la vie & la refpiration des animaux. 11 Auflï-töt qu'on introduit un animal dans un » recipiënt rempli de gaz méphitique , il pé» rit dans le même inftant en convulfion.... " 3°- '2 Saz méphitique ne peut entretenirla j> combuftion d'aucun corps combuftible , par« ce que cette faculté, de même que celle » d'entretenir la vie des animaux terreftres , n eft propre & particuliere a l'air, exclufi» vement a toute autre fubftance. Ainfi, non5? feulement on ne peut allumer dans le gaz j> méphiyque aucun corps combuftible; mais j» les corps les plus inflammables, allumés 3) d'aboi d dans l'air, & piongés dans le gaz « méphitique, s'y éteignent auffi fubitement ii que fi on les plongeoit dans l'eau ; avec ii cette feule différence que 1'extinction dans » le eaz méphitique fe fait fans aucun bruit ii ni frémiffement, & que comme il ne mouille ti point les corps, ils peuvent être rallumés si auln-tót dans l'air commun... La quatrieme  Notes-. j7» # propriété qui diftingue le gaz méphitique » de l'air commun , c'eft de fe mêler avec » Teau en quantité beaucoup plus grande que » l'air pur... Une obfervation qu'il eft bon de » faire, c'eft que, quoique le gaz méphitique » faffe mourir en un inftant les animaux qui » le refpirent, on peut boire de l'eau qui en » eft toute remplie, fans aucun danger ; & « qu'au contraire elle eft falutaire & pro» pre a guérir plufieurs maladies. Cela prouve 3» bien que ce n'eft pas par aucune qualité 5» cauftique ou corrofive particuliere , que ce » gaz tue les animaux ; mais plutöt, paree » que n etant pas de l'air , il ne peut tenir » heu de ce fluide, le feul qui foit propre k » la refpiration , ainfi qu'a la combuftion. M. de Bomare, (68) » Quoique 1'on fache que la mer proi> duife les maffes d'animaux les plus énor» mes, tels que les baleines, les licornes (a), » on ne peut guere croire a 1'exiftence des » Krakens : ce font, dit-on , des animaux qui » habitent les mers du Nord, & dont Ie corps » a jufqu'a une demi-lieue de longueur. On » le prendroit pour un amas de rochers flot» tams ou de pierres couvertes de mouffe... » On penfe que c'eft une efpece de Polype, » dont les bras, pour répondre a la maffe du » corps, font de la grandeur des plus hauttf (a) La licome de mer eft une efpece de baleine »es mers du Groenland; on 1'appeile auffi Narhwal.  374 Notes. » mats de vaiffeau. On ajoute que les poif» lont font attirés au-deffus de cet animal j> par les humeurs fongueufes qu'il rejette , n & qui colorent la mer; & comme tout doit » ctre fingulier dans un femblable animal , v on dit que fon dos s'otivre , Ö£ qu'il en» gloutit ainfi les poiffons qui font au - def» fus de lui... Af. Je Bomare. (69) » Pline, & après lui divers Auteurs, » ont avancé que 1'huile calme les flots de la 5i mer... Rien ne paroit plus vrai, fi nous de» vons nous en rapporter aux témoignages les » plus refpeétables & les plus mültipfiés : voici » 1'extrait d'une lettre fur ceffujet adreffée k » un ami de M. Franklin... M. Gilfred Law» fon , qui a fervi long-temps dans les trou» pes de Gibraltar, m'affure que lespêcheurs » de cet étabüffement font dans l'ufage de ver3; fer un peu d'huile fur la mer , afin qu'en » calmant fon agitation , ils puiffent voir les j> buitres, &c...'. Pline dit auffi qu'on calme )> une tempête en jettant un peu de vinaigre » dans Pair... " M. de Bomare cite une autre lettre qui eft du célebte Doöeur Franklin: dans cette lettte , le Philofophe Anglois rend compte d'une expérience qu'il afaite fur 1'étang de Clapham... » Le vent, dit-il, élevoit alois )> de groffes rides fur la furface... J'allai en» fuite au coté du vent, ou les vagues comj> mencoient k fe forrr.er: une cuillerée d'huile » que j'y lépandis, produifit k 1'inftant, fur 3> Pefpsce de plufieurs yerges en quarré, u$  Notes. 375 Ti calme qui s'étendit par degrés jufqu'a ce qu'il » eüt gagné la cóte fous le vent, & bientót » on vit toute cette partie de 1'étang , qui » étoit d'environ un demi-acre,auffi unie qu'une » glacé.... " M. Franklin explique ce phénomene : je ne comprends pas affez cette explicaiion pour la rapporter. (70) Cette defcription de 1'araignée domeftique eft exaéie. La petite pelote , femblable a une éponge peu mouillée , qu'a 1'araignée entre fes deux ongles , lui fert, ainfi qu'aux mouches , a marcher & grimper fur les corps les plus polis. Ces éponges fourniffent une liqueur glnante qui fuffit pour les y faire adhérer. A 1'exrrêmite du ventre de 1'araignée , il y a » fix mnrnmelons mufculeux, pointus v vers leurs exnêmités , qui font amant de » filieres dans lefquelles fe moule la liqueur 31 qui doit devenir de la foie , lorfqu'elie fe 33 lera féchée , après être fortie de ces filie» rcs... Chacun des fix mammelons eft com» pofé lui-même de mille filieres infenfibles, 3) qui donnent paffage a autant de fils. Si on 3> confidere la fineffe de cette foie d'araignée , n compofée de fix milliers de fils, 1'imagina37 tion ne peut concevoir l'exceffive ténuité 13 des fils qui fortent des petites filieres. . . , 33 Toutes les arai^; ées n'ont pas le même nom3i bre d'yeux , & ils font placés différemment 33 dans prefque toutes les efpeces..." On en compte de huit elpeces. L'araignée domefti(jue , l'araignée des jardins , l'araignée noire des caves , l'araignée enragée ou tarentuk ,  3? t> Notes. commune en Italië (a), l'araignée aquatique^ l'araignée maconne , l'araignée vagabonde , 6t l'araignée des champs ou faucheux... On a fait avec de la foie d'araignée des mitaines & des bas ; mais cette foie ne vaut pas celle des vers « a foie. » II y a dans les Ifles de 1'Améri» que de très-groffes araignées. On en pourT> roit trouver de la groffeur d'un poing; elj> les ne font point venimeufes..-. Ces araignées j> étant vieilles, font couvertes d'un duvet noi» ratre, auffi doux & auffi preffé que du ve5> lours... Leur toile eft fi forte que les pe» tits oifeaux ont bien de la peine a s'en dé3) barraffer... Selon quelques habitants de 1'Ifle, 3i leurs poils brülent & piquent comme les or33 ties. II y a a la Louyfiane une efpece d'asi raignée groffe comme un oeuf de pigeon , 33 mais bien plus longue. Sa couleur eft noire 33 & bigarrée d'or. Cet infeéle fait fur les ar33 bres des toiles d'une foie forte, torfe & do» rée, quelquefois de la grandeur d'un cul de » tonneaux, fous lefquelles s'arrêtent fouvent 3> des oifeaux... On trouve dans 1'Ifle de Cey» lan une araignée couleur d'argent, &c.. " M. de Bomare. (71) Les Polypes d'eau dotce different pour la grandeur & pour la couleur. M. Trembley en fait mantion de trois efpeces qu'il appelle (u) Tarentule a été ainfi nommée, a caufe de Tarente, ville de la Pouille, oü elle eft commune. On dit qu'elle eft venimeufe; mais fa piquure ne fait ni danfer, ni chanter.  Notes. £?7 a tong bras. La première efpece eft Ia plus petite ; elle n'a que cinq ou fix lignes de longueur ; elle eft très-aifée a rrouver; il ne s'agit que de ramaffer dans les eaux quelques poignees de lentilles aquatiques (a) , & de les mettre dans un vafe tranfparent rempli d'eau r au bout de quelques inftants , on voit les polypes qui. ne paroiffent d'abord que comme des pomts verds, épanouir leurs bras. Au moindre mouvement, lmfeéte retire fés bras, & ne paroit plus qu'un grain de matiere verte. Le nombre des bras des polypes eft communemem depuis fix jufqu'a douze. Ces animaux marchent & changent de lieu ; ils font tous leurs mouvements avec une extreme lenteur. Lorfqu'on veut jouir du plaifir de voir Ia multiphcation des polybes par boutures, il fautmettre un polybe dans le creux de fa main, avec un peu d'eau; & lorfque 1'animal eft forti de fon etat de contraction, on le coupe en deux. La partie ou eft la tête marchera & mangera' le jour même qu'elle aura été féparée , pouryu que ce foit dans des jours chauds : quant a Ia partie poftérieure, il lui pouffera des bras au bout de vingt-quatre heures , & en deux jours elle deviendra un polype parfait, tentiant fes filets, faififfant fa proie. Que 1'on varie les expériences de toutes les facons, on aura toujours de nouveaux phénomenes. Que (a) C eft une plante qu'on trouve dans les lacs .eseaux dormantes, &c. Elle furnage fur les eauxt-s temllefi ortucuhures ont la forme d'une lentille»  .37^ Notes. 1'on coupe le corps d'un polype en tout fens, 6c en autant de lanieres que la dextérité le permettra, on verra paroitre autant de polypes. Les polypes fe multiplient naturellement par rejettons. On remarque fur un polype une légere excroiffance qui prend la forme d'un bouton ; c'eft la tête du jeune polype. Dans les temps fort chauds, un polype eft forméckféparé en vingt quatre heures : on voit quelquefois fortir d'un feul polype jufqu'a dix-huit. petits. La découverte des polypes d'eau douce, 8c celle des petits polypes marins, architeétes des coraux, des corallines , 6c de plufieurs produéfions a polypier , qu'on avoit prifes pour des plantes marines, font l'une 6c l'autre trèsmodernes. Les petits polypes de mer font de très-petits animaux qui ont échappé a de tresbons obfervateurs qui les ont pris pour des fleurs. Ces font ces vers dont il y a un trèsgrand nombre d'efpeces différentes , qui conftruifent ces coraux, ces corallines , ces litho— phytes, ces efcarres , ces éponges , ces variétés de madrépores fi nombreufes , Sc toutes ces autres fubftances qu'on avoit prifes autrefois pour des plantes; mais les oblervations de MM. Poiffonel, Réaumur, Bernard de Juffieu, Sec. ont fait voir qu'elles n'étoient que des loges, des cellules conftruites par des efpeces de vers infeéles qui multiplient en tel nombre qu'on ne fauroit les évaluer; 8c que ces loges baties chacune par autant d'individus , font pour les polypes ce que les guêpiers font pour les guêpes. On a öté a ces produélions le nom de plantes marines; on les  Noies. 379 a appellêes de^s Polypiers , ou ptoduBions d Polypiers... Oiitre tous ces polypes, il y a encore les grands polypes marins , tels font laSecfie, le Calmar, le Lievre marïn, &c. Ces animaux ont les pieds ou les bras placés a leur tête ; ils ont ordinairement entre trois pouces a trois pieds de longueur. Ils font ovipares : on ignore s'ils ont pour fe multiplier les reffources des polypes d'eau douce. II paroit certain que leurs bras croiffent de nouveau quand ils ont été coupés, ainfi que ceux des écreviffes. Les grands polypes marins étoient d'ufage pour la table chez les anciens. • Al. de Bomare. (ji) Le Toucan eft un oifeau très-fingulier, particuliérement par la groffeur & la longueur difproportionnée de fon bec , qui, loin de faire un inftrument utile , n'eft, au contraire, dit M. de Buffon, » qu'une maffe en lévier, qui « gêne lÊvol de 1'oifeau... Le bec exceflïf du « toucan renferme une langue encore plus inu» tile... Ce n'eft point un organe charnu ou » cartilagineux... C'eft une véritable plume, si bien mal placée comme 1'on voit, & ren3) fermée dans le bec comme dans un étui. 3i Le nom de Toucan fignifie plume en lan?ue » Brafilienne ". Les Toucans font répandus dans tous les climats chauds de 1'Amérique méridionale. Leur plumage eft fort beau. (73) » Le Kamichi eft un grand oifeau noir » de 1'Amérique , très-remarquable, dit M,  3 8 a Notes n de Buffon, paria force de fon en, & par celle » de fes armes. II porte fur chaque alle deux » puiffants éperons , & fur la tête une cou» ronne pointue, de trois ou quatre pouces de » longueur, fur deux ou trois lignes de dia» metre a fa bafe, Sic. "... Certains oifeaux tels que les Jacunas , plufieurs efpeces de pluviers , de vanneaux , ékc. portent aux épaules des éperons ou ergots ; mais le Kamichi eft de tous le mieux armé. M. de Buffon. (74) » Les Chauve-fouris fe retrouvenf en j) dive°rs pays ; mais dans la plupart des clijj mats chauds , on ert voit de monftrueufes » pour la groffeur. II y en a une efpece très» commune en Amérique, a laquelle M. de » Buffon a donné ie nom de Vampirc , paree » qu'elle fuce le fang des hommes & des ani» maux qtti dorment.. .. Le Vampïre eft d'un » afpeél hideux... Les voyageurs s'accordent a » dire qtre ces vampires fucent (fans fes éveil» Ier) le fang des hommes 8c des animaux qui n dorment". M. de Buffon fupppole que ce n'eft ni avec leurs dents , ni avec leurs ongles, qu'ils entament la peau des animaux , mais que c'eft avec leur langue qu'ils peuvent faire des ouvertures affez fubtiles dans Ia peau , pour en tirer du fang 8c ouvrir des veines , fans caufer une vive douleur. M. de Buffon n'a point vu la langue du Vampire. II imagine qu'elle eft femblable a celle de la RouJJette (autre efpece de chauvefouris) qui eft pointue 8c hériflée de papilles dures, très-fines, très-aiguës , Sec. M. de Bomare.  Notts. 38 r (75) L'arbre de cire eft un arbriffeau. II y en a deux efpeces ; 1'un croit k la Louifiane, l'autre a la Caroline. Cet arbriffeau a le port du myrte , 8c fes feuilles ont a-peu-ptès la même odeur, bes baies qui font de la groffeur d'un grain de coriandre, contiennent des noyaux qui font couverts d'une efpece de réfine, qui a quelque rapport avec Ja cire. Les habitants de ce pays en font de la bougie. L'arbre-fuif croit k la Chine & dans la Guyane. II s'éleve k la hauteur d'un grand cerifter. Son fruit conhlte en des grains blancs , de la groffeur d'une noilette , dont la chair a les qualités du fuif • on en fait des chandelles; c'eft auffi un arbre' qui produit 1'encens; c'eft encore d'un arbre que les Chinois retirent leur beau vernis. M. de Bomare. (76) Tout le monde fait quelotfqu'on touche les feuilles de la Senfitive, elles feflétriffent auffi-töt, ck qu'elles reprennent leur première fraicheur un moment après qu'on les a quittées.... M. Adanfona vu en Afriqueun arbufte fenfitif, dont les feuilles s'abaiffent lorfcju on paffe deffous. On dit auffi qu'il fe trouve a Panama un arbufte a feuilles épineufes, dont les branches s'abaiffent lorfqu'on paffe auprès & tendent a s'attacher a 1'habit du voyageur Comme il s'incline lorfqu'on paffe auprès de lui, les naturels du pays lui donnent le nom de Bonjour. On voit au jardin du Roi une plante nouvellement découverte, originaire d'Otahiii qu on a nommée plante ofdllante; elle eft du  382 . Notes. genre de la Senfitive, mais beaucoup plus extraordinaire. (77) La Fraxintlle ou Diflame blanc, eft une plante" vivace , qui vient d'elle-même dans les bois du Languedoc, de la Provence , de PItalie & de 1'Allemagne.... Les extrêmités des tiges 6c les pétales des fleurs font couvertes d'une infinité de verticales pleines d'huile effentielle , comme on peut 1'obferver facilement a 1'aide d'un microfcope. Elles répandent dans les jours d'été , le foir 6c le matin , des vapeurs éthérées inflammables, 6c en telle abondance , que ft 1'on place au pied de cette plante une bougie allumée , il s'éleve tout - a - coup une grande flamme qui fe répand fur toute la plante ; elle forme alors un buiffon ardent trèscurieux. M. de Bomare. (78) L'Amiante eft une matiere foflïle , compofée de filets très-déliés.... II y a plufieurs fortes d'amiantes; de jaunatres , de grifatres 6c de blancs ; il y en a même de verds 6c de rouges. On file 1'amiante , on en fait une toile qu'on jette au feu , fans crainte qu'elle fe confume ; 6c même on blanchit cette toile par le feu : de fale 6c de craffeufe qu'elle étoit, elle en fort pure Sc nette. Le feu confume les matieres étrangeres Sc combuftibles dont elle eft chargée, fans pouvoir 1'altérer. Cependant, toutes les fois qu'on la retire du feu , elle perd un peu de fon poids. Du temps des anciens Grecs Sc des Romains , on bruloit dans des toilet d'amiante les corps des Rois, afin que  Notes. 28'' leurs cendres ne fe mêlaffent point avec celles du bücher. L'amiante eft très-propre a faire des meches , paree qu'il ne leur arrivé aucun changement qui puiffe offufquer la lumiere. Les I ayens s'en fervoient dans leurs lampes fépulcrales. M. de Bomare. (79) La Chiae dolt a ce grand Prince 1'abolition d'une coutume auffi barbare qu'infenfée. " £'etoit UI\ ufage aflez commun parmi les » Tartares , a la mort d'un homme , qu'une de » fes femmes fe pendit... En 16Ó8 , un Tar» tare de diftinction étant mort a Pékin, une » de fes femmes, agée de 17 ans , fe difp'ofoit '» a lui donner cette preuve d'afHiétion; mais » fes parents préfenterent une requête a 1'Em» pereurpour le fupplier d'abolir une fiodieufe " coutume. Ce Prince ordonna qu'elle füt » abandonnée comme un ancien refte de bar" barie: elle étoit établie auffi parmi les Chi» nois , mais les exemples en étoient plus ra>> res , & leur Philofophe ne l'avoit point ap» prouvée.... Les Chinois en eénéral font d'un » caraétere doux & traitable. fis ont beaucoup » d'aftabilité dans leurs manieres , fans qu'il » y paroiffe aucun mélange de dureté , de » paffton £k d'emportement. Cette modéra'tion J» fe fait remarquer jufques dans le peuple. Les » Européens qui ont quelque affaire a traiter » avec les Chinois doivent fe g.nrder de toutes » fortes de vivacités & d'emportements. Ces » excès paffent a la Chine pour des vices con„ traires a 1'humanité , non que les Chinois „ ne foient auffi vifs que nous; mais ils ap-  384 Notes. ,, prennent de bonne heure a fe rendre mattres „ d'eux-mêmes.... _ „ La modeftie des femmes Chinoifes eft e» trême. Elles viventconftamment dans la ret, traite, avec tant d'aitention a fecouvrir, „ qu'on ne voit pas même paroitre leurs mains „ au bout de leurs manches : fi elles préfen\, tent quelque chofe a leurs plus proches pa„ rents, elles le pofent fur une table , dans , la crainte qu'on ne leur touche la main..." Voici parmi les Chinois les caufes de divorce les plus remarquables „ i°. Une femme babil„ larde, qui fe rend incommode , parcedéfaut eft ftijette a être répudiée, quoiqu'elle „ foit mariée depuis long-temps, & qu'elj« „ ait donné plufieurs enfants a fon man; 2 . , une femme qui manque de foumiftion pour „ fon beau-pere & fa belle-mere ; 3C. la fté„ rilité eft une autre raifon de divorce ; 4'Ja „ jaloufie , &c... Le foir des noces, on con„ duit la jeune mariée dans 1'appartement de " fon mari, ou elle trouve fur une table des cifeaux , du fil, du coton & d'autres matieres a ouvrages, pour lui faire connoitre " qu'elle doit aimer le travail & fuir 1'oifiveté. *' „ Rien n'eft comparable au refpect que les „ enfants ont pour leurs pere & mere, & les „ écoliers pour leurs maitres. Ils parient peu , 11 & fe tiennent toujours debout en leur pré" fence. L'ufage les oblige, fur-tout au com,'' mencement de 1'année , le jour de leur naif„ fance, & dans d'autres occafions, de les „ faluer a genoux, en frappant plufieurs fois „ la terre du front. ij Quand  JSÏotes-. 3§5 „ 'Quand un fils ainé rfauroit rien hérité de fon pere , il n'en feroit pas moins obligé d'élever fes freres, & de les marier; il dok ■9, leur tenir lieu du pere qu'ils ont perdu» Ceux qui n'ont pas d'héritier male adoptenr „ un fils de leur frere on quelqu'autre parent 5 s> quelquefois même un étranger» L'enfant „ adopté eft revêtu de tous les privileges d'ua „ fils légitime , prend le nom de celui quil'a„ dopte, ck devient fon héritier. S'il nart dans „ la fuite un autre fils dans la même familie, „ Fenfant adoptif entre toujours en partage de la fucceffion. 11 eft permis aux Chinois de „ prendre des fecondes femmes qui tiennerft „ Tang après 1'époufe légitime ; cependant la „ loi n'accorde cette liberté, que lorfque la première femme eft parvenue a lage de „ quarante ans, fans aucune marqué de féV „ condiré. „ Toutes les couleurs ne fe portent point in» „ différemment a la Chine. Le jaune n'appar„ tient qu'a 1'Empereur & aux Princes de fon fang. Le fatin a fond rouge eft le partage „ d'une efpece de Mandarins-, aux jours de cé= „ rémonie^ les autres portent ordinairement le noir, le bleu ou le violet. La couleur du „ peuple eft générakment le bleu ou Ie noir,,. „ La chemife eft de différentes fortes d'étof„ fes, fuivant lesfaifons. C'eft un ufage affez „ commun dans les grandes chaleurs de porter „ fur la peau un filet de foie qui empêcheïa fueur de fe communiquer aux habits. La „ couleur qui appartient aux femmes eft ou -si rouge , ou bleue, ou verte. Peu de femmes Time JL - &  386 Notes. „ portent le noir & le violet, fi elles fle font „ avancées en age, Sec. „ A la Chine , le deuil d'un pere & d'une mere doit être de trois ans. On prétend que „ cet ufage eft fondé fur la reconnoiffance „ qu'un fils doit a fon pere & a fa mere pour „ les trois premières années de fa vie, pen,, dant lefquelles il a eu continuellement be„ foin de leur affiftance. La couleur du deuil „ eft le blanc; mais pendant le premier mois „ qui fuit la mort d'un pere ou d'une mere , „ 1'habit des enfants eft un fac de chanvre d'un rouge éclatant, qui ne differe pas pour „ la qualité des facs de marchandifes. Leur 9, ceinture eft une corde lache. II eft permis ,, aux Chinois de garder auffi long-temps qu'ils le fouhaitent les cadavres dans leurs mai„ fons; ils les gardent quelquefois pendant „ trois ou quatte ans. Leur fiege , pendant cet ,, efpace de temps , eft un tabouret, & leur lit une natte de rofeaux prés du cercueil. Ils fe retranchent l'ufage du vin & de cer„ tains aliments. II fe difpenfent d'affifter aux „ fêtes; ils ne fréquentent point les affemblées „ publiques; cependant il faut enfin que le „ cadavre foit inhumé; car c'eft pour un fils un devoir indifpenfable de placer le corps „ de fon pere & de fa mere dans le tombeau „ de fes ancêtres. II y a chez les Chinois deux fêtes célebres; la première eft celle ducom„ mencement de 1'année , & l'autre celle des „ lanternes. Dans cette derniere fête , toute la „ Chine eft illuminée; on la croiroit en feu. „ Tous les habitants de PEmpire, a la cam-  Notes. 387 >» pagne ou dans les villes, allumant des lani, ternes peintes de différentes couleurs, & les „ fufpendent dans leurs cours & a leurs fenê,, tres , & dans leurs appartements ; les gens „ riches font en lanternes une dépenfe prodi,, gieufe : on voit des lanternes de diverfes for„ mes, & la plupart dorées & magnifique„ ment ornées; mais rien ne donne tant d'é„ dat a la fête, que les feux d'artifice qui „ sëxécutent dans toutes les parties des vil„ les.... Les réjouiffances durent cinq jours. ,, L'opinion commune fur 1'origine de cette „ fête, eft qu'elle fut établie peu de temps „ après la fondation de 1'Empire , par un Mandarin qui , ayant perdu fa fille fur le bord „ d'une riviere, fe mit k la chercher, mais 99 inutilement, avec des flambeaux & des lan,, ternes , accompagné d'une foule de peuple „ dont il s'étoit fait aimerpar fa vertu ; mais „ les Lettrés donnent une autre origine k h „ fête des lanternes. Ils prétendent quel'Em„ pereur Kye , dernier Monarque de la familie „ de Hya, fe plaignant de la divifion des ,, nuits & des jours, qui rend une partie de la j, vie inutile , fit batir un palais fans fenêtres, ou il raffembla un certain nombre du perfonnes ; tk que pour en bannir les téne„ bres, il y établit une illumination cont;„ nuelle de lanternes qui donna naiffance a „ cette fête,... La magnificence des Chinois „ éclate dans leurs ouvrages publics, tels que „ les fortifications, les temples, les tours, ,, les arcs de triomphe, les ponts, les che„ mins, les canaux, &c. On compte environ Rij  3.8$ Notet. „ trois mille tours le long de la grande mu„ raille. Le tiers des habitants de 1'Empire „ fut employé a la b-atir. Ce fameux ouvra„ ge fe conferve auffi entier que le premier ,, jour qu'il fut bati. Le plus fameux édifice „ eft celui de Nankin , qui fe nomme la grande ,, Tour oa la Tour de- Porcelaine. C'eft un „ oöogone dënviron quarante pieds de diametre 't de forte que la largeur de chaque „ face eft de quinze pieds.... Les étages font au nombre de neuf..... Le mur du rez-dechauffée n'a pas moins de douze pieds d'épaiffeur fur huit pieds 3t demi de hauteur. II eft revêtu de porcelaine. Cette porcelaine eft bien confervée , quoiqu'elle ait 0, plus de trois cents ans. On donne a cette „ tour depuis le rez-de-chauffée jufqu'a 1'ex„ trêmité du toit, environ deux cents pieds „ d'élévation.... On compte a la Chine plus 3, de onze cents arcs de ttiomphe élevés a „ 1'honneur des Princes, des hommes & des „ femmes illuftres , & des perfonnes renom9) méés par leur favoir & leur vertu.... „ L'agriculture eft partkuliérement honorée a la Chine.... Une pluie favorable eft une 3, occafion de vifite & de compliments parmi „ les Mandarins. Au printemps , 1'Empereur ne manque pas, fuivant l'ancien ufage, de „ conduire folemnellement une charrue, d'ou„ vrir quelques ftllons,& de femer différentes efpeces de grains. II nomme douze Seis, gneurs pour lui fervir de cortege, 8t labourer après lui; 'il eft en outre accompa„ gné de cinquaate laboureurs refpeétables  Notes. 38c* par leur a\ge , 8c aixquels 1'Empereur lui», même diftnbue différents-préfents. Les M.in„ darins obfervent la même cérémonie dam „ chaque ville.... L'Empereur Yongchin exi„ geoit de tous les Gouverneurs des villes „ qu'ils lui envoyaffent tous les ans le nom. d'un payfan de leur diftriét diftingué par „ fon application a cultiver la terre , par une ,, conduite irréprochabie, par 1'union de fa n familie , par la paix entrerenue avec fes voi» „ fins , enfin , par fa frugalité 8t fa fageffe. „ Sur Ie témoignage du Gouverneur, 1'Empereur élevoit ce fage & diligent laboureur », au degré de Mandarin du huitieme ordre „ 8c lui envoyoit des patentes de Mandarin » honoraire ; diftinérion qui le mettoit en droit „ de porter 1'habit de Mandarin, de rendie „ vifite au Gouverneur de la ville, de s'af» „ (eoir en fa prélénce , 8t de prendre du thé' „ avec lui ". Abregi de l'Hifl. gènir. des Voya%es , Tom. VUL (80) Barege „ célebre par fes eaux minérales, eft fitué au pied des Pyrénées. Ce vilfc* ge nëft habitable que depuis le mois de Mai jufqu'au mois d'OéLbre : a cette époque, leshobitants fe retirent a Luz ou dans d'autres bourgs de ia vallée de Barege , qui contient dix-fept vjllages ck la petite vHIe de Luz. Les habitants emportent avec eux tout ce qu'ils pofledem, même leurs portes 8t leurs fenétres» paree que les voleurs ofent gravir les monceaux de neige pour aller piher les maifons. Barege eft a quelques lieues de Bagneres. II j R iij  3po Notes. a auffi aBagneres des eaux minérales. La fituation de ce dernier village elt charmante. II eft Yoifin de la belle vallée de Campan. On trouve a cinq lieues de Barege la cafcade de Gaverny, l'une des plus hautes que 1'on connoiffe. (81) Tous les détails relatifs aux Freres Moraves font conformes a la vérité : ceux que je vais donner encore feront auffi exacts. L'habitation des Freres Herneutes ou Moraves, eft immenfe & fituée de la maniere la plusagréable. LesFreres Moraves refpirent l'air le plus fain de la Hollande : l'eau de Zaft eft excellente ; avantage extrêmement rare dans ce pays. Leurs jardins font auffi beaux que vaftss. La maifon eft compofée de plufieurs grands corps-de-logis. Dans cette énorme enceinte , toutes les femmes veuves 8c fans enfonts couchent dans la même falie , 8c mangent enfemble dans une efpece de réfeftoire. La même chofe eft obfervée pour les filles, pour les hommes veufs 8c fans enfants, & pour les garcons; ainfi les perforines libres des deux fexes font féparées les unes des autres. II nëft pas permis aux Freres veufs 8c garcons d'aller dans les falies des veuves 8c des filles. Ils ne peuvent fa rencontrer que dans les jardins, ne fe voyant d'ailleurs qu'a l'Eglife ou ils font encore fép'atés. Les femmes mariéesvivent avec leurs maris 8c leurs enfants, 8c forment de petits ménages particuliers. Toutes les femmes ont des juftes, 8c pour coëffures le petit begum Hollandois, attaché fous le cou avec un tuban 3  Notes. 391 dont la couleur les diftingue. Le ruban des femmes mariées eft bleu , celui des veuves eft blanc , celui des filles eft rouge. Ils s'appellent tous entrëux frere & foeur, & paroiffent étroitement unis. Leurs logements font de la plus grande fimplicité ; mais on y trouve une propreté recherchée. Ce font les plus anciens Freres qui ont le foin de 1'adminiftration de la maifon. C'eft aufll a eux que s'adreflent les Freres & Sceurs qui veulent fe marier. Leur Eglife eft très-vafte ; on n'y voit ni ornements ni tableaux. La forme de cette Eglife eft quarrée; deux grandes tribunes , foutenues par des colonnes , occupent deux cötés de cette Eglife. Dans l'une , eft une orgue. Aux deux autres cötés de l'Eglife font rangés des bancs. L'un de ces cotés eft pour les hommes, l'autre en face eft pour les femmes, Ces dernieres arrivent par la porte qui eft du cóté de leurs bancs. Les hommes de même. Ainfi les hommes & les femmes font féparés dans l'Eglife, & ils y entrent & en fortent par des portes différentes. A-peu-près au milieu de l'Eglife , eft un Frere affis vis-a-vis une petite table, fur laquelle eft un gros livre. Tout le monde eft afïïs dans l'Eglife. Les hommes n'ont point de chapeaux r ils ne fe mettent jamais agenoux, & n'ont point de livres d'heures. Seulement a la £n de leur priere, ils fe levent tous un moment avant de sën aller. La cérémonie commence ainfi : 1'orgue joue; enfuite le Frere , qui eft a la petite table, chante feul d'abord : il s'arrête ; tout le monde lui répond en chceur, Durant ce temps, 1'orgue accompagne en piano.  392 Notes* Cette mufique eft d'un effet ravifiant t. elle eftr douce, touchante, majeftueufe, Après la mufique , le Frere , placé a la petite table , fait lane efpece de fermon ou dëxhortation (en-AlIemand) ; ce qui termine la cérémonie. Ils s'affemblent dans cette Eglife tous les jours, deux fois. La première , a fept heures du foirj la. feconde, a neuf heures , toujours du foir. Trois fois la femaine on prêche a la première priere.. Les autres jours, a cette priere, on lit les Saintes Ecritures. Leur priere ne dure jamais plus de quarante mmutes» U regne dans cette maifon un air de modeftie , de pureté, de fimplicité & d'union qui difpofe a l'attendriffément. Tout y travailie, tout y eft occupé , tout y paroit paifible , heureux & fa^e. Voila ceque j'ai vu a Zaft. Voici les details que je trouve dans 1'Encyclopédierelativement a cet étabiiffemenu Les Moraves , tefte- de la Stéle des Huflites , font répandus en grand nombre fur les frontieres de Pologne , de Bohème 8t de Moravie (a) , d'oü vraifemblablement ils ont pris le nom de Moraves , & celui d'Herneutes , du nom de leur principale réfidence , en Luzace , contrée d'Allemagne. Ils fubiiftent en plufieurs maifons, qui n'ont d'autres iiaifons entrëlles que la conformité de vie & d'inftitut. Le Comte de Zinzindoif, Patriar•she, ou Chef des Freres unis „ eft mort en (a) On trouve en Amérique, a Philadelphie , un etabi.ffement de Freres Moraves , abfolumen* femblable a celui de Zafia  Notes. 393 ij6o~. Ce Seigneur Allemand s'étoit fait Mem» bre & Prote&eur zélé de cette Société, avant lui opprimée & prefqu'éteinte ; mais qu'il a rétablie & foutenue de fa fortune ck de fon crédit. Nous avons, en Auvergne, d'anciennes families de laboureurs , qui vivent, de temps immémorial, dans une parfaite fociété. On nomme en tête les Quitard Pinon , comme ceux qui prouvent 500 ans d'affociation. On nomme encore les Arnaud, les Pradel, les Bonnemoy , les Tournel & les Anglades, anciens & fages roturiers, dont Porigine fe perd dans 1'obfcurité des temps. Chacune de ces families forme différentes branches, qui habitent une maifon commune, 6k dont les enfants fe marient enfemble , de facem pourtant que chacun des confcrs n'établit guere qu'un fils dans la communauté pour entretenir Ia branche que ce fils doit repréfenter un jour après la mort de fon pere; branches dont ils ont fixé le nombre par une loi de familie , en conféquence de laquelle ils marient au-dehors les enfants furnuméraires des deux fexes. De quelque valeur que foit la portiondu pere dans les biens communs, ces enfants furnuméraires s'en croyent exclus de droit , moyennant une fomme ifixée différemment dans chaque communauté, & qui eft chez les Pinon de 500 liv. pour les garcons, & de 200 liv. pour les füles. Ufage injufte ; mais du refte leurs régie— rnents font fort bons , & leurs loix trè:iages. (82) i> Les fapins font des arbres réfineu*:  394 Notes. n qui deviennent fort hauts, & qui fe plaifetit » dans les pays froids. On peut divifer les fa» pins en deux ordres ; favoir : les fapins pro» » prement dits, & les Picéas ou Epicias ,pect » ou peffe.... Les fapins fourniffent de la téréj» benthine liquide qu'on appelle en Angle)> terre Baume commun de Gilead.... Les Picéas n ne donnent point de térébenthine ; mais il j> fort de leur écorce un fuc épais, ou une »> réfine qui s'épaiffit , devient concrete & >> femblable a des grains dëncens commun. » C'eft avec cette réfigne que 1'on fait ce qu'on » nomme poix de Bourgogne.... On voit fur le j» Mont Pilate, en Suifle, un fapin remarquaj> ble. De fa tige , qui a plus de huit pieds » de circonférence, fortent a quinze pieds de » terre neuf branches d'environ un pied de » diametre & de fix pieds de long. De lëxtrê»> mité de chaque branche s'éleve un fapin fort » gros , de forte que cet arbre imite un luftre « garni de fes bougies ". M. de Bomare. (83) 11 Lechêne eft un arbre utile dans tou» tes fes parties. On fait ufage de fon écorce » réduite en poudre, & fous le nom de Tan n brut (d) , pour préparer les cuirs. Son au» bier (£), fon bois , & mème le cceur du » bois, ont ia même propriété, a quelque dif- (a) D'oü vient le nom de Tanneut, donné aux ouvriers. (b) h'aubier eft la couche qui fe trouve entre 1'écorce & le cceur de tous les arbres.  Notes. ^ m h férence pres. L'écorce qui a paffe les cuirs, » fe nomme Tan préparé. On en fait ufage » pour faife des couches dans les ferres chau» des. Le guy elt une plante parafite (a), qui j» vient fur plufieurs arbres , & particuliérej> ment fur le chêne. Les Druides , anciens » Prêtres Gaulois , cueilloient le guy de chê» ne avec de grandes cérémonies ". M. de Bomare. (d) Les plantes Parafites font des efpeces de plantes qui ne tirent leur nourriture que d'autres plantes, fur lefquelles elles s'attachent. Fin du Notes du Tome fccpnd.