JBibliotheek Universiteit van Amsterdam 01 3170 8794  MÉMOIRES SECRETS SUR I LA RUSSIE. T O M E S E C O N D.     MÉMOIRES SECRETS SUR LA RUSSIE, ET PARTICULIÈREMENT SUR LA FIN DU RÈGNE DE CATHERINE H ET LE COMMENCEMENT DE CELUI DE PAUL I. Formant un tableau des mceurs de Si. Pe'tersbourg d la fin da XVIIIfi siècle. Et coutenant nombre d'anecdotes recueillies pendant un séjour de dix années, Sur les projets de Catherine a 1'égard de son fils, les bizarrcries de ce dernier , le mariage raanqué de la grande - duchesse Ai.exandra avec le aai de Suède, et le caractère des principaux personnages dc cette cour, et nommément de Souvorow. Sulvies de remarques sur I'éducation des granJs seigneurs, les mceurs des femmes, et la religion du peuple. T O ME S E CONZ>. AMSTERDAM. 1800.   MÉMOIRES SECRETS SUR LA RUS SI E. QUELLES RÉVOLUTIO.NS ATTENDENT LA RUSSIE? Attitude et force du despotisme. Deux oukas de Paul, favorables a wie révolution. Avilissement du peuple : autres obstacles locaux. Le despotisme se roidit: la noblesse s'indigne. Elle seule peut changer le gouvernement: comment et pourquoi. Démembrement probable. Changement a espórer. Terreur prèmaturée. Les Russes ne serontpas toujours esclaves. SI la révolution frangaise doit faire Ie tour du monde, ainsi que plusieurs le prétendent, certes c'est enRussie qu'elle  • (6) arriveraen dernier lieu: eest auxfrontières de ce vaste empire, que 1'Hercule frangais posera deux colones, oü la liberté lira long-tems: Non plus ultra : c'est la qu'un nouveau monde est encore caché pour elle (i).Ledespotisme,le pied posé sur le front d'un esclave, et s'attachant au ciel d'une main criminelle, 1'insulte et le brave : peut-être doit-il un jour s'avancer a sa rencontre jusqu'aux champs de Ia Germanie et décider, dans un eombat terrible, des destinées du monde. Déja il a envahi la malheureuse Pologne, et paroit faire, aunord et au levant, les mêmes progrès que la liberté au eouchant et au midi. Déja le continent ne semble plus partagé qu'entre deux empires prépondérans, la France et laRussie: leurs principes et leurs intéréts sont diamétralementopposés, ils cherchent a se heurter, (i) Le génie de la révolution , comme un autre Archi— méde , n'auroit besoin que d'un point de contact et d'appui pour soulever ce monde-la : la Grèce pourra le lui oflrir un jour; maia «oü levier neposera crue sur les ruines d'un empire.  ( 7 ) et, dans leur choc, ils écraserontles puissances secondaires qui les séparent encore. Ce sera le combat du jour contre lanuit, la dernière lutte entre la philosophie et la raison , entre la barbarie et 1'ignorance. Le mur célèbre, que les Chinois ont élévé contre les incursions des Tartares, ce chef-d'oeuvre de travail et de lacheté , est moins inaccessible et moins épais que l'atmosphère ténébreux qui garde la Russie contre 1'approche de la saison, et la sépare des autres peuples. Le moscovitisme y tremblant a 1'aspect dudanger, est sans cesse occupé a. renforcer ce mur, et a réparer les brêches qu'y fait la raison. Ce monstre politique est comme la salamandre, qui étoufFe le feu qui 1'environne sous 1'écume immonde qu'elle jette de sa gueule inipure, et convertit la flamme en fumée obscure. Ce nest pas qu'il n'y ait en Russie des lumières, et des vérités; mais ceux qui les possédent, plusprudens encore queFon-  (8) tenelle (1) , bien lom d'oser ouvrir la mainpour les répandre, ne cherchent qua les étouffer; car ceux quisont instruits sont les seuls intéressés a protéger 1'ignorance et a réduire en système raisonné 1'esclavage et la tyrannie. Aussi long-tems qu'il n'y aura pas une classe nombreuse d'hommes éelairés, qui souffriront de la servitude dont le peuple soufFre , il ne faut point s'attendre en Russie a une révolution spontanée. Mais si quelque ehose pouvoit dés aujourd'liui hater cemoment suprème, c'est 1'oukas que Paul, dans sa sagesse, vient de publier, et par lequel, en abolissant la noblesse que donnoient les rangs militaires et les charges civiles, il a créé un vrai Tz'er^arquin'existoitpasencore en Russie;car, quelques affranchis devenus marchaiids, ou quelques artisans étrangers, ne méritoient pas ce nom: il n'y Cl ) II dit quelque part : Si j'avois la mairj pleine de vérilés, je me garderois bien de 1'ouvrir.  (9) avoit guères que des esclaves et des no bles. Tous ceuxquiavoientunrang, soit civil ou militaire, c'est-a-dire, tous ceux qui avoient un peu d'argent et d'éducation, acquéroient la noblesse ou sesprivilèges, et se hatoient d'en affecter 1'esprit et les préjugés; mais, aussitöt que cette portionéclairée de lanation n'aura plus le droit departagerles honneurs et les avantagesde la tyrannie, en profitant des abus du gouvernement et de 1'avivissementdes peuples, elle se tournera vers la liberté. Graces a la démense du despotisme, il a lui-même créé ses ennemis, et creusé son propre tombeau. L'espace immense qu'il avoit mis entre 1'homme esclave oupaysan, etl'homme libre ou noble, est a la fin rempli. Le Tiers Etat se dressera comme un géant; d'une main puissante il élèvera 1'esclave; de 1'autre ,il frapperale noble: avant un siècle, il les aura peut-être nivelés. Une autre démarche de 1'empereur, aussi moscovitique dans ses principes, et  (10) aussi heureuse dans les effets contraires qu'elle produira, c'est qu'il a proscrit par une autre ordonnance lesimprimeries de son empire: il n'en laisse subsister que trois,pour imprimer ses oukaset les livres d'église, ou ceux qui pourront subir la triple censure d'unsuppöt du gouverr nement, d'un suppöt de 1 ecole, et d'un suppöt de la sainte église orthodoxe grecque (1 ).En voulantpar la étouffer les lumières et les lettres, il leur a rendu le plus grand service qu'il soit en état de leur rendre. Du moment oü la philosophie etlaliberté ont une presse libre, le plus grand bien qu'on puisse leur faire est de briser les autres. Tous les livres qui ont opéré la révolution, dont notre siècle est témoin , setrouvent en Russie, et en ( i ) Il a depuis bien perfectionné la proscription des livres : il a même défendu 1'importation des catalo^ues etrangers, et enjoint aux libraires de mettre sur les ouvrages qui avoient pu supporter la triple censure : avecpermission impériale , au lieu des mots Ubèttè imvériale, qu'on employoit auparavant.  grand nombre: ce quipourra s'y en glisserencore de l'étranger,fut-ce de Vienne même , sera meilleur que tout ce que 1'on pourroit y imprimer avec approbation (1); ainsi , je Ie répète, Paul a renduuntrès-grand service aux lettres et a la liberté.Qu'on luipardonne 1'intention en faveur del'effet. La Russie est encore bien loin pourtant de jouir de ce bienfait dans sa plé- ( 1 ) Veut-on un échantillon des scrupules de la censure russe, même avant que Paul 1'ait triplée Sous le règne de Catherine , c'étoit un suppöt de police, nommé Legendre, qui la faisoit pour ce qui s'imprimoit a Pétersbourg , en langues étrangères. Il effaca d'une pièce de poésies, ou il étoit question de 1'aroour, ces mots: ce dieu malin , en notant qu'il étoit indécent de donner une épithète a un dieu. II permit pourtant que 1'auteur y subtituat le mot badin. Une autre fois, il raya d'une ode a la louange de Catherine, une strophe ou se trouvoient ces vers: Partout la foudre gronde et la foudre s'aiguise, Uu roi tombe du trone, et son sceptre se brise. Ceci faisoit allusion aux préparatifs de guerre en 1790, et aux commencemens de la révolution. C'étoit alors un blasphême politique d'oser entrevoir que Louis XVI tomberoit du tröne. O mes amis! ne ïiez-vouspas?  ( 12 ) • nitude, et c'est vainement encore que 1'mibécilleprévoyancedu despotirae appellele danger, en cherchantal eloigner. Lepeuple russe, abruti par des siécles d'esclavage, estsemblable aces animaux dégénérés, pour qui la domesticité est devenue une seconde nature. II ne poura retourner a la liberté que graduellement etpardes cliemins longs et difficiles;il ne laconnoitpas même encore : être libre, signifie pour lui,pouvoir quitterla glèbe oü il est enchainé , et mener une vie fainéante et vagabonde. Il déteste le travail, paree qu'il n'a jamais travaillé pour lui; il n'a pas même encore 1'idée de la propriété: ses champs, ses biens, sa femme, ses enfans, lui-même, appartiennent a un maitre qui peut en disposer, et qui en dispose a songré. II ne s'intéresse arien, paree qu'il n'a rien: son attachement pour son village nest que celui du boeuf ala crèche ouil est habitué. II est sanspatrie, sans loix, sans religion. Le christianisme, comme il est en-  ( i3) seignéet pratiquéparlepeuplerusse ,ne mérite pas plus le nom de religion, que les termes dont un bouvier se sert pour conduire ses boeufs ne méritent celui de langage, comme jeleprouverai ci-après. Le désespoir de quelques-uns de ces malheureux paysans pourra bien de tems entemsproduire, comme auparavant, des rébellions partielles contre leur seigneurs: maisune révolution générale en Russie, c'estun chimère. La Russie est trop vaste, trop dépeuplée , pour pouvoir se lever en masse , et cette masse trop étendue et trop mince seroit bientöt déchirée. De misérables bicoques de quelquesmilliers d'habitans sontordinairement a une distance de cinquante lieues de France,sans autreliaison entre ellesque des hameaux dispersés dans les bois a six ou sept lieues 1'un de 1'autre, et dont presque chacun a son petit tyran particulier. Comment un peuple aussi disséminé pourroit-il jamais former un ensemble ? un régiment de Fanagorie,  ( H) sous les ordres d'un Souworow, suffiroit pour massacrer la population d'un gouvernement. Outre les obstacle naturels que le moscovitisme opposera encore long-tems a toutes innovations dans 1'esprit de la révolution francaise, il est renforcé tous les jours par les auxiliaires qui lui arrivent en Russie de 1 'étranger. C'est aujourd'huile réfuge commun de 1'ignorance, de la barbarie, de la superstition et des préjugés, poursuivis en Europe. Nulle partles hommes, qui en sont imbus ne sont si bien accueillis qu'en Russie: ils y retrouvent 1'enfance de leurpatrie, le siècle dor de la féodalité. Lorsqu'ils arrivent, ils sont tout émerveillés de se sentir eux-mêmes déja trop éclairés, trop avancés pour cette heureuse terre: ils craignent encore d'y paroïtre dangereux et se renfoncent avec délices dans la crasse barbarie oü ils sont nés. Tel un paresseuxse replonge, en fermant les yeux, dans le sommeil dont un rayon de soleil  (i5) 1'avoit tiré malgré lui. L'homme qui apporte en ces climats quelques iumiéres et quelques sentimens , les sent peu-a-peu s'obscurcir et s'éteindre dans son coeur ; et, si le despote vient a lui donner quelques centaines d'ames pour prix de la sienne,il trouve très-juste,très-heureux qu'il y ait des esclaves, et qu'il le soit luimême (1). Autocrates de Moscovie ! pourquoi n'usez-vous pas plus souvent encore de ce moyen infaillible, et qui a même quelque chose de généreux ? Avez-vous dans votre empire un étranger dont les talens vous soient utiles et les lumières et la probité dangereuses , donnez-lui une centaine de paysans: eütil 1'ame d'un Frangais, il prendra celle d'un Russe. Mais, prenez-y garde; ces (1) Rienn'est si fatal a l'humanité que ces hommes qui ont des lumières sans avoir des principes , ou qui renient ceux que leur conscience leur rappelle. Ils ressemblent k ces fruits vermoulus, dont le dehors séduit et dont le dedans fait horreur. Ces hommes sont surtout dangereux, lorsqu'ils ont assez d'esprit pour envelopper sous des sophismes spécieux des erreurs revoltante». Voyea la note sur Nocolaï.  C**3 auxiliaires votis trahiront enfin; si ce pas nestparles germeslucidesqu'ilsapportent, ce sera par leur cormption même. Telle tronc du hêtre dépouillé de verdure, et privé devie, luit encore en pourrissant. Cependant il y a parmi la noblesse, et même a la cour de Russie, des ames génereusesetfières, qui sans être éprises d'un systême d egalité et de liberté parfaites, sont indignées pourtant de 1'abnégation honteuse que 1'on exige d'elles; car le despotisme ne convient qua des barbares,etles gentilshommesrussesne le sont plus. Loindes'adouciretde prendre des formesmoins-révoltantes, a mesure que les moeurss'humanisent, il se roidit au contraire de plus en plus, et rend son joug plus ridicule et plus odieux: il s'efforce de retourner vers la barbarie , en raison de ce que les peuples s'avancent vers la civilisation. Dans les autrepays de 1'Europe, il descend lui-mème quelques degrés de son trone,pour ne pas heurter de trop haut la raison et 1'opinion qu'il  ( i7 ) est enfin obligé de respecter (1): mais en Russie , il monte encore et écrase même le sens commun. Il est vrai que, jusqu'a ce siècle , la marche de 1'esprit humain en Russie a été si peu parallèle a celle qu'il a tenue en Europe, que la date de 1'entier asservissement des Russes est 1'époque oü il s'établissoit partout ailleurs des communes, et oü Ton rendoit les serfs a la liberté. II est assez remarquable que le tzar, qui cliassa les (i) La conduite du jeune roi de Prusse et celle de Paul otTrent un contraste bien frappant : 1'un s'efForce de se guinder dans les cieux; et 1'autre , de descendre au niveau de son peuple et de ne parfHTre que le premier serviteur de 1'état. Je lis dans la même relation une proclamation russe qui condamne une douzaine de malheureux Polonais a perdre le nez et les oreilles et a être envoyés en Siberië, pour avoir manqué au respect et d la fidélité jurée a sa majesté moscovite (il n'est pas dit en quoi), et une lettre du roi de Prusse a une petite ville qui s'étoit insurgée. Paul agit en Kalmouc barbare, et Frédèric-Guillaume parle en père a ses enfans : Fun est un ISabuchodonosor qui s'érige en dieu, et n'est qu'un bceuf ; 1'autre , un bon roi qui s'honore detre homme. 2. b  ( i8 ) Tartares de la Russie, fut le même qui soumit ses Russes a la servitude féodale ïnconnue jusques-la en ces climats: tant il est vrai que les tyrans ne travaillent jamais que pour eux mêmes. (1) Cette conduite revêche du despotisme, qui est le comble de 1'orgueil et de la démence, lui sera fatale a la fm; la génération présente demande des ménagemens. En se présentant sous la forme d'une femme pleine de graces et couverte de gloire, 1'autocratie recevoit aisément des hommages qui n'avoient rien d'humiliant: ceux du guerrier avoient au contraire quelque chose de chevaleresque ; ceuytlu courtisan, quelque chose de galant qui sembloit les ennoblir. Mais lorsqu'elle voudra, sous les formes dures et bisarres d'un Kalmouk, exiger des adorations personnelles, elle soulevera (1) C'est le tzar Iwan Wasiléwitsch I. L'histoire rasse le nomme pourtant le libérateur ; et le prince Sch.... a fait uu assez bon poème èpique en son honneur.  ( 19) tont être pensant. Un jeune hommerempli de sentimens généreux, p eut-il, sans se sentir profondément avili, ployer a tous momens les genoux et baiser la main d'un homme qui n'estni sonpère ni sonbienfaiteur qui ne lui inspire ni amour, ni vénération , ni reconnaissance et qu'il méprise peut-être au fond de son coeur ? Et lorsqu'on cherchera avec une impudeur vraiment incroyable, et par des détails et une affection ridicules, a rendre ses hommages plus révoltans, ne deviendront-ils pas insupportables (1) ? La raison ne peut s'anéantir dans 1'ame qu'elle est venue une fois habiter; elle est (1) J'ai vu Paul a sa fVachtparade , pendant qu'un officier étoit a genoux devant lui attendant sa main pour la baiser , tirer lentement son mouchoir de sa poche, se moucher, s'essuyer le front, se retourner pour voir ses soldats , replier et rempocher lentement son mouchoir, puis enfin tendre sa main auguste a 1'officier toujours a. genoux , après 1'y avoir, ainsi, avec affectation , laissé cinq minutes. Cet officier étoit ua Suisse! Qu'il y a loin de la au jeune roi de Prusse , qui vient de se mettre en colère prés d'EJbing paree-  C *° ) semblable au lion du désert, qui se retire lentement a 1'aspect d'une troupe lache et nombreuse: mais si elle a 1'audace de le harceler jusques dans son fort, il s'élance a travers les armes; il triomphe ou périt. Que 1'autocrate tremble donc de pousser la raison, 1'honneur et le bon sens a bout! les hommages qu'il exige pourront hater, plus qu'il nep ense, quelque catastrophe a la cour de Russie (1). Ce ne sera pas encore une révolution frangaise ; mais ce serapeut-être la seule pour laquelle la Russie soit müre, celle d'une aristocratie plus éclairée. Il faut en convenir, 1'ami de la liberté et de la Russie ne peut souhaiter encore qu'un paysan se jttoit a ses pieds pour lui présentec üne requête! Aucun homme , dit le roi , ne doit se mettre d genoux devant un homme. Qu'on voie aussi plus haut la punition d'un prince Galitzin , pour n'avoir pas baisé assez tendrement la belle patte de Paul. (1) Les émigrés francais ont démontré que la révolution n'est arrivée en France, que paree que la reine avoit négligé 1'étiqHettej et que le roi avoit éré trop populaire.  ( 21 ) un autre changement; c'est le seul dont ce vaste empire soit susceptible encore. Le peuple, dans 1 etat déplorable oü nous 1'avons vu, est indigne de la liberté : il fautl'y préparer, la lui faire désirer, avant de la lui offrir ; il en abuseroit, ou, chose plus horrible, iln'èn voudroit pas. —Une vérité revoltante et honteuse a 1'humanité, c'est que le gouvernement russe estmoins encore porté a la tyrannie que le peuple n'y est enclin a 1'esclavage, taht il est avili, tant il est dénaturé par ses tyrans ! Ce n'est donc point encore a lui qu'on peut s'adresser (1). Quoique la noblesse ait la même habitude a courber son front devant le despote , pour humilier encore davanlage celui de ses esclaves, cependant elle est (i) Quand je pSfïê iri du peuple russe, je n'y comprends ni des hordes tarlares , ni des peuplades de Cosaques, oü quelques souvenirs d'une espèce de liberté se conservcni encore ; mais d'une liberté de barbares qui ne s'en servent que pour faire des esclavei ; c'est une eipèce de liberté anglaise.  C 22 ) éclairee et s eclaire tous les jours. Elle a été corrompue plutöt que civiliseer mais elle conserve pourtant des vernis , que mille ans d'esclavage ou de tvrannie n'ontpu anéantir: c'est elle qui ,dignedésormais d'un gouvernement moins barbare , voudraavöir des lo is écrites ailleurs quedansle cerveau timbre desesautocrates. Elle commence a sentir le poids de ses chaines avillissantes: elle les brisera un jour, pour alléger ensuite celles de ses serfs; elle fera ce que la noblesse de Pologne a voulu faire, et efFacer ainsi la tache qu'elle imprima si long-tems sur le front de riiumanité, en reniant les crimes dont ses autocrates 1'ont rendue complice (1). Ces tems ne sont peut-étre pas si éloignés. Plusieurs jeunes tètes se nourrissent des exemples de 1'antiquité, (1) Que le terme de noblesse n'effarouche ici personne. Celle de Russie ne forme point, comme celle de France ou d'Aliemagne , ce corps feodal et chevaieresque, qui se croit a la lettre issu d'un autre sang que le reste des hommes, et qui en demeuroit séparé par soa morai  ( 23) et méditent en secret le sublime JeanJacques :plusieurs, après s'être oubliés un instant dans 1'histoire des nations , reportent avec horreur les regards sur la leur et sur eux-mêmes. Comment, en effet, la fin du dix-huitième siècle, dans un pays qui n'est pas environné d'une triple enceinte d'airain, dans un pays ou plusieurs savent lire et oü quelques-uns pensent, peut-il exister encore unpareil gouvernement(i)? DesRusses peuvent- et ses préjugés autant que par ses privilèges. Le mot noble, en francais et en allemand, marqué cette différence, puisqu'il désigne une qualité innée de 1'ame: ei» russe, Dv/orannoi, qui désigne un noble, ne signifis que propriétaire de biens mraux , paree que l'hommer libre seul pouvoit en posséder. (1) Tant qu'on n'aura pas découvert quelques hordes, dont le chef fasse égorger et rötir un de ses sujets pour son diner , on ne connoitra point de gouvernement plus barbare que 1'autocratie. Quand cessera-t-on de compter au nombre des nations policées celle qui 1'endure ? quand cessera-t-on de lire dans les géographies allemandes : " II y a en Europe tant de gouvernemens absolus , le Danemark , la Russie , etc. „ comme si la Russie avoit un gouvernement pareil a celui de Danemark ?  ( ^4 ) ils désormais étre traités comme des Marocains ? Dans notre siècle, et en Europe, ce n'est plus qua force de justice, de gloire, de vertus ou de bienfaits, qu'on peut se faire pardoimer le malheur et 1'opprobre d'etre despote. Ce n'est qu'en étourdissant la raison, a force de grandes actions, qu'on peut la forcer a se taire ; tel 1'aigle de Jupiter étouffoit sous ses ailes les cris dumalheureux escarbot.Le despotisme estuneidole, dont les pieds sont de boue, et les bras de fer; il a le corps gigantesque, mais creux : sa téte se cache dans un nuage épais que les esclaves preimentpour le ciel; il n'y a plus que les sots qui 1'adorent, et les laches qui en fassent semblant. Quand je montre en Russie la noblesse C'est une autocratie , vous dit-on; cela ressemble a rien de ce que vous connoissez. —Et c'est un pareil autocrate qui déclare dans ses oukas , que ses sujets ne peuvent avoir de liaisons avec la France, paree qu'elle n'a point un gouvernement raisonnaile et régulier!!!  ( 25 ) comme le seul corps sur lequel la liberté puisse poser le premier pas en entrant dans cct empire, je n'entendspas désigner la troupe méprisable qui suit la cour, comme une troupe de sales corbeaux suit les champs pour dévorer les cadavres. Ceux-la sont vils partout et les valets parvenus plus vils encore que les courtisans-nés. Ce n'est ni le tróne ni 1'autel, ni la personne sacrée du despote, qui les attachent; c'est la plus sordide lacheté: 1'homme qui ale crédit et la puissance esttoujours le dieu qu'ils adorent. On les a vu ramper de favoris en favoris , comme une chenille rampe de feuille en feuille, ne laissant que ses excrémens sur la dernière qu'elle a rongée. II n'est peut-ètre pas un de ces infames qui lèclient aujourd'hui dévotement la main de Paul, qui quelques mois auparavant ne la lui eut coupée a 1'ordre d'un Potemkin. On ne peut attendre de pareils laches que des intrigues ou des révolutions de cour déja trop fréquentes  (=6) en Russie: elles ne serventqua prolonger la barbarie ou la misère. Mais quelques families puissantes oü 1'instruction s'est établie, comme une étrangère sous untoit hospitalier (1); quelques jeunes gens plein? de courage et de talens, désireux de se faire un nom, profiteront peut-etre de quelques heureuses circonstances, comme celle qui viént d*écliapper, pour modifier au moins. en attendant mieux, les formes atroces du gouvernement ; pour placer im bon prince sur le tröne, et donner a im sénat ou a un conseil quelconque plus d'influence que 1'autocrate n'en laisse a ses valets: pour prescrire au moins quelques bornes a des abus qui n'en ont point. Ce que les Dolgorouki ont pu exécuter , il y a un demi-siècle , d'autres pourront (0 Flusieurs de ces families ont jusqu'a 20 mille esclaves , des villes et des canons , des richesses immenses, et surtout des parens généraux et chefs de régimecs. C'est plus qu'il ne faudroit : une bataille déci— deroit ia chcse peur eux, et non coctr eus.  ( 27 ) le mieux sputenir aujourd'hui (1). Mais, il faut le dire, ce pro jet ne peut être concu que par 1'ambition la plus noble et la plus dégagée de petits intéréts; il ne peut être exécuté que par un grand courage un grand crédit, et plus encore depersévérance. Cequipeut accélérerlafermentation dans quelques bonnes têtes, c' est que depuis long-tems le mérite est un titre d'exclusion a la cour de Russie. Pour parvenir aux honneurs et aux emplois, il faut avoir une bassesse au-dessus de toute expression, une imbécille abnégation dont tout le monde n' est pas doué. Il y a une grande différence entre posséder les talens nécessaires pour remplir dignement une grande place et avoir les petits (ï) Les families Dolgorouki, Galitzin, Soltykow, etc. ont souvent bien mérité de la Russie. Ce furent elles principalement qui secouèrent Findigne tyrannie d'un Mentschikow et d'un Birou ; ce furent elies qui, a la mort de Pierre II, voulurent établir un gouvernement moins arbitraire. L'occasion renait plus heureuse que jamais. Paul envoye son armée combattre a 700 lieues. Quel moment pour les bons Russes!  (28) maneges nécessaires pour v parvenir ou la conserver. De la vient que les mécontens et les disgratiés sont ordinairement 1 elite de Ia noblesse et d«s habitans de Moscou ; s'ils se réimissent et s'arrétent une fois a mi plan, een est fait du règne des bètes. De toutes les dominations, celle de la sotise et de 1"ignorance sur la raison et les lumières est la plus absurde et laplus lionteuse a supporter. Malheureusement pour les despotes, mais heureusemeni pour Fhumanité, depuis qu'il y a des autocrates ,aucunn'a pu comprendre encore que 1'homme le moins empressé a obtenir leurs graces par des bassesses, est toujours celui qui les mérite le mieux par les talens ou les vertus. En Russie, tout chemin a la gloire est ferme au jeune ambitieux qui se sent des movens. La trouveroit-il a vaincre des sauyages et a conquérir des SteppesQi^sous les ordres (i) Steppes est le nom que Pon donne aux plaines déserïes dont la Russie est environnée. C'est tout ce que peut faire de mieux un général russe.  .(*?) d'un favori, d'un barbare ou d'un sot ? la verroit-il dans 1'antichanibre du despote, aattendre qu'il sorte pour lui baiser Ia main a genoux, et marcher devant ou aprés lui jusqu'a sa chapelle , tous les jours de fêtes (1)? la mettroit-il a suivre dans une ehancellerie , ou prés d'une cour étrangère , quelque routine détestable, ou quelque trame dont il n'ose blamer 1'impolitique ou 1'absurdité (2)? Non, il n'est pour lui de route a la gloire que dans un nouvel ordre de clioses , et toutle sollicite.Les courtisans sont la lie de la nation; les favoris, la lie des courtisans : les despotes prennent tant de soin a éloigner d'eux le vrai mérite, que leur parti n'est plus que celui de la canaille. Mais une catastrophe plus malheureuse et plus prochaine qui paroït menacer les tzars, c'est un démenbrement de leur (1) C'est 1'unique affaire des chambellans et gentiishommes de la chambre. (a) C'est tout ce que fait un sous-ministre , ou un ambassadeur.  C3o) vaste empire. Depuisun siècle. Ia Russie, sous le sceptre de fer du despotisme, semblable a lapate sous le rouleau du boulanger, s'est amincie en raison de ce qu'elle s'est étendue. Toute la masse du centre aété poussée vers les bords pour yformer un ourlet qui en impose sur sa véritable force: ces bords appesantis se détacheront de ce centre qui ne peut plus les supporter. Qu'on jette les yeux sur la carte,on seraeffravé de 1'immense étendue de eet empire romanesque, des bords de laVistule aubout le plus lointain de Y Asie, et menie ] usqU en Amerique; des lives du Phase jusqua laLapponie ! c'est presque le quartdes continenshabités! Cette surface compte au plus trente millions d'habiians, et de vingt nations difFérentes de mceors, de religion et de langage ! Et c'est la téte de Paul qui gouverne autocratiquement tout cela, du milieu de Pétersbourg, du milieu de la cour de son palais, oü il a planté un piquet, du milieu d'un bataillon quarré, ou cinq ou six  (3i ) officiers le saluent de 1'espontori! L'empire de Russie me parait semblable a ces araignées, nomméesfaucheurs; elles ont un petit corps sur de longues jambes qui s'en détachent au moindre raccroc qu'elles rencontrent dans leur marche gigantesque. Il faudra moins qu'un Potemkin pour occasionner ce démembrement; mais la Russie n'y aura pas gagné grand'chose ( 1 ). Une espérance qui doit lui sourire, c'est de voir bientót sur le tröne un empereurassez sage, assez grand pour lui donner des loixauxquelles ilse soumettra lui-même; un prince assez magnanime pour se trouver humilié de régner sans ( i ) Par Ia tournure que prennent les affaires, il n'est pas trop hazardé de prévoir que la première érhancrure quel'onfera a eet immense paté sera du cóté oü il semble vouloir s'étendre encore , je veuxdire , du cöté des Turcs ; soit que les Grecs régénérés et affranchis repoussent enfin les barbares Musulmans et Russes , soit que les Frangais puissent s'ouvrir un chemin par l'Hellespont. LTIercule frangais, semblable a Archimède , n'a besoin que d'un point pour toucher et renverser ce colosse.  gloire sur un peuple sans droits, et qui sache établir du haut de son tröne une rampe douce pour arriver sans chute a la liberté: voilacequ'un véritableaini des Russes et de 1'humanité doit souhaiter ; voila ce qui peut seul aujourd'hui immortaliser mi empereur! Pierre I luimême gémissoit déja de n'ètreque le despote d'une nation esclave. Dans une entrevue qu'il eut a Mariemverder avec le roi de Prusse, il félicitatout hautceprin- ce de sonbonheur d'avoir une nation qu'il gouvernoit avec des loix, tandis qu'il ne pouvoit gouverner la sienne qu'avec le knout; etil promettoit de lui donner un régime plus doux, aussitótqu'elle seroit assez pobcéepour en être susceptible(i). ( i ) L'humariité n'accordera jamais le titre de grand- homme au barbare qui tua son lus-, decapita =a maitresse , et fouetta son épouse ; mais il étoit un grand prince. II inspire a la fois de 1'horreur et de 1'admiration , comme une nature sublime et sauvage. Le trait crue je cite est rapporté par le baron Pollnitz , témoin auiïculaire de sa conversation avec le roi. Ln autre trait, qui ne fait pas moins dhor.neur a ce grand  ( 33 ) Ce tems est arrivé pour les Russes; ils sont bien dignes désorniaisque leur souverain les laisse monter au niveau des peUples les moins asservis de 1'Europe. La raison et 1'humanité aurontdéja beaucoup gagné, quand ils auront un gouvernement modéré: fiit-il encore absolu, comme celui de Prusse, ou aristocratiquë ^insi que celui d'Angleterre, sous ce nouveau régime les Russes pourront encore figurer long:tems dans 1'histoire, en se préparant a cette grande révolution de 1'esprit humain dont on les croit déja sus-ceptibles. Elle ne peut être que le dernier terme de la civilisation, et le retour -jj^vïi»i . .'..Ar.- i öfi m ii b'.r fooi : "5 ruj - caractère, et qui prouve combiea il étoit ,au-des3us des petites vanités impériales de sa prétendue familie, c'est qu'étant emironné par 1'armée turque, et désespérant d'échapper , ir écrivit au sénat, comme un autre Alexarïdre : Choisissez ppur mon'successeur celui qui voxs enparohra . le plus dig.ne. Lej sénat d'alors étoit bien différent de celui d'aujourd'hui : il y avoit un Dolgorould, qui, semblable a 'Sully , avoit le 'courage de déchirer quelquefois les or.dpnnances tyranniques du tzar.  ( 34 ) aux idee; simples et prmntives, après avoir parcouru le cerele immense des erreurs et de? folies humaines. La liberté et 1'egalite ne feront le bonheur des .hummes, que lorsque des idees saines «erontdevenues le?prejuges du peuple; la Rus?ie est encore a des siecles de ces ■prejuges-la. Ra?surez-vous donc, Rus?es StaroïJJ ettsi, Russes de la vieille roche qui. a chaque coup que 1'Hercule francais a portesurles abuset sur lestvrans, avez fremipour vous-memes; vous tous qui tremblez encore de ses succes, et tressaillez de crainte a une verité, comme im criminel a la lueur de 1'eclair. rassurez-vous:le tëms n'est pas encore venu. Avant d'arriver a cette régénération redoutée. vous devez encore passer par tous les degrés de la cïvilisation : avant d'avoirun peuple instruit. il faut avoir cu un peuple policé; le vótre est encore dans 1'enfance : avant d'en venir a un gouvernement raisonné, ü faut avoir eu  C 35 ) des rois; vous n'avez encore que des autocrates; avant de craindre les démocrates,les démagoguesetlesjacobins(i), il faut avoir eu des royalistes, des aris- (1) Je ne sais ce qu'on entend maintenant en France et en Allemagne par cette épithète devenue si redoutable et si odieuse : mais il sera curieux d'instruire mes lecteurs de ce qu'elle désigne en Russie , oü e'.le est aussi Fatale a celui qui la regoit que le nom de juif 1'étoit cidevant a un malheureux espagnol. L'inquisition politique a même aujourd'hui des formes plus expéditives que la religieuse : pour les supplices je ne sais laquelle a les plus cruels. On sait que ceux qui étoient accusés de judaïsme étoient brülés en Espagne ; mais en Russie f on ne sait ce que deviennent ceux qu'on soupgonne de jacobinisme ; ainsi 1'on ne peut suivre la comparaison. Ea attendant, voici , pour 1'édification des étrangers , les marqués infaillibles auxquelles le gouvernement russe reconnoit un jacobin; Un homme qui sait lire et écrire , de quelque nation qu'il soit, est \iolemment suspecté. S'il est Francais, il n'y a aucun doute , jacobin. Quiconque lit les gazettes , dangereux : quiconque en parle , jacobin. Celui qui paroitroit douter que le boucher Souvorow, avec 5o mille Cosaques, puisse faire la conquéte de la France en une campagne , jacobin. Celui qui oseroit dire que les Francais sont bons  : (56. tqcrateSj de; monarchien;; vous n'avez encore que desesclaves.Renfbrcez leurs chaines, versez leur sang, buvez leur sueur en toute securité; arrachez encore 1'enfant de; mamelle; de sa mère pour soldats, que Bonaparte est grand général, et que les Autrichiens ont été quelquefois bartas, jacobin. V-elui qui auroit pense que la rologne n appartenoit pas a la Russie , et qu'il étoit permis aux Polonais de se défendre contre les Russes, jacobin. Tout gentühomme russe qui oseroit dire , qu'on pour— roit demeurer encore quelque tems sujet rïclèle en cessant d'ètre vil esclave , jacobin. Tout capitaine aux gardes , et tout officier russe , qui oseroit murmurer de ce que son caporal devient toui-acoup son commandant, jacobin. L'homme qui s'imagine qu'il faut traiter les Russes comme des hommes, ne les plus vendre, ne les plus troquer comme un vil bétail, jacobin. ' Un jeune seigneur a qui son marrre a danser n'auroit pas appris a faire une révérence assez profonde, et celui qui , en haisant la main de 1'autocrate , ne le feröit pas aussi tendrement que si c'étoit celle de sa maitresse , jacobin. s Celui dont le cocher ne connoissant pas sa majestê tzarienne ( qui pourtant est bien reconnoissable ) n'ar— %eteroit pas sa voiture , pour en descendre et se prostercer dans la neige ou la boue, jacobin.  ( 37 ) la forcer a allaiter des chiens qui ont perdu la leur ( 1): le jour de larémunération ne luira point encore sur la Russie. Craindriez-vous une constitution ? vous n'avez pas encore de lois. Redouteriez-vousime assemblee nationale? Eh! vous n'avez pas encore un parlement, pas mémeun divan; car votre sénat est loin de mériter ce nom. Un muphti, 1'alcoran a la main, a quelquefois réprimé les tyrans deByzance; — mais qui peutréprimerles vötres? Vos lois, votre reli- Du tems de Catherine , celui qui portoit un habit vert foncé et de grosses bottes étoit très-suspect aux favoris. Aujourd'hui quiconque porte un habit vert clair et des bottines est odieux a P.aul. Quiconque se fait suivre par un chien , porte un chapeau rond et un gilet au lieu d'une \eile , est arrcte et traité en jacobin. Cette énumération, qu'on pourroit augmenter, ne paroitroit peut-étre qu'une exagération : mais il est trop vrai que chacune de ces inculpations pourroit étre fatale a celui a qui on la feroit , et que la perte de plusieu'rs pérsonnes n'a pas eu de causes plus ra'Ssonnables et moms ridicules. (1) Cette atrocité a eu lieu euLivonie.  ( 58 ) gion, sont-elles ailleursque dan; sa tête? vos aine; ne ;ont-elle?pa; les ;ienne; ? son baton n'est il pas votre sceptre.; votre bassesse , sa grandeur; et votre nuHité , le zero qui marqué ce qu'il vaut? Rassurez-vous: Flieure de la liberté n'a point encore sonné. Avant ce moment terrible pour vous, le soleil verra encore long-tems les meines crimes. Vous aurez encore des Jarmak, des Raz-in des Pougatschew, avant d'avoir des la Favette et des Dumouriez: vous changerez encore de tvrans, avant de changer de gouvernement; vous éprouverez encore toutes les horreurs des révolutions de cour,.avant de voir celle= du peuple. Dans vos families impériales, on verra peut-étre encore les pèresassommerleurs filsa coups de baton a la face du ciel, les ésorg-er dans un cachot; les tantes, détróner et charger de fers leurs neveux au berceau ; les épouses, étrangler leurs maris; et massacrer vos empereurs: — oui, vous verrezpeut-  ( 39 ) être encore une fois ces scènes horriblesavant que la nation lasse de tant de crimes et de tant dehonte appelle enfin son dernier tyran a son tribunal. Mais enfin cette époque mémorable doit arriver en Russie comme. ailléurs : lamarche de la liberté est comme celle du tems, lente, mais süre; et le Nord la reverra un jour. On a beaucoup écrit de i'influence que le climat doit avoir sur les hommes; et un philosophe politique (1) prétend qu'il en a beaucoup sur leurs lois et leurs gouvernemens: je le crois, pour certaines applications secondaires:maispartoutlesprincipessontlesmêmes. Le climat ne peut agir sur la morale d'un peuple qu'audéfaut des loix et des religions qui en sont les premiers modificateurs,etquisetransplantentpartout. Je sais bien qu'une campagne déserte et inculte en Russie produira spontanémentquelquesplantes différentes de ( i ) Montesquieu.  (4° ) celles d'une campagne laissée en fiïche en France : mais si 1'on cultive 1'une comme 1'autre, et qu'on y sème dumeme grain , on y recueillera le meme fruit. L'influence sensible des climats ne peut donc ayoir lieu que sous les zones oü la race humaine est phvsiquement dégénérée : et d'ailleurs la Russie n'embrasse-t-elle pas aujourd'hui tous les climats de 1'Europe? Quoi! le Russe, ce descendant des libres et vaillans Slaves , seroit condanmé a un éternel esclavage, tandis que le Suédois plus septentrional que lui , se vante de sa liberté ! Moscou , qui est sous le méme degré que Londre , seroit toujours une ville barbare, oü les arts et les lois demeureroient étrangers! Eh ! sous quel climat donc floris^oit, dés le huitième siècle, la grande Nowogorod, cette ville puissante , commercante et libre, dans un tems ou les peuples qui se glorifient le plus maintenant de leur liberté eroupissoient encore dans rignorance,  ( 4i ) sous la massue de la féodalité (i) ? Les Slaves (2), qui fondèrent cette république, semblent, comme les Francs, porter ( 1 ) .Alexandre Newskoï, dont les moines russes ont fait un saint et un héros , est le plus lache des tzars qu'ait eu la Russie, et peut-être le plus vil des tyrans connus. C'est lui qui acheva la ruines de cette ville illustre par un massacre général de tous ses habitans. Loin de s'unir aux Nowgorodiens, qui secouoient courageusement le joug des Tartares , il se fit lui-même 1'exécuteur de ces brigands contre ses propres sujets, et détruisoit les villes qui refusoient de payer tribut a 1'étranger. On a vu des tyrans exercer pour leur compte de pareilles cruautés; mais il étoit réservé a saint Alexandre de donner 1'exemple de la plus absurde bassesse. (2) Slawa, en russe , signifie gloire ; et certainement fes Francais et les Russes sont les peuples les plus heureusement nommés. On voit que les mots Slawoï ou Slawnoï , qui signifient les glorieux , et dont les étrangers ont fait Slaves et Esclavons, sont étrangement défigurés. D'autres étymologistes prétendent pourtantque toutesles nations slaves ou sclaves , étant connues en Europe comme asservies , on donna dans 1'Occident le nom d'esclave aux malheureux qui avoient , comme elles , perdu leur liberté, et que c'est de ces régions que tous les genres de servitudes sont venus en Europe.  leurs destins et leur caractère empreints dans leurs noms immortels. Mille ans d'esclavage et de tyrannie n'ontpu effacer cette noble empreinte. Tous les Russes n'ont point encore oublié que leurs pères ont été plus heureux.  CARACTÈRE NATIONAL. Du Noble, du Courtisan, du Paysan, de l'Artiste et du soldat russes. XjE caractère russe, a-t-on dit, est de n'en avoir aucun, mais de savoir merveilleusement s'adapter celui des autres nations. Si 1'on ne veut parler que des Russes de la classe supérieure , on a raison ; mais cela pourroit s'appliquer également a tous les peuples a demi policés, et même auxhabitans de toutesles grandes villes, dont les physionomies se confondent aussi bien que les mceurs, paree qu'ils tirent leurs institutions et leurs alimens desmêmes sources, que leur race est mélangée, et leur genre de vïe le même. Le noble Russe, le seul Russe qu'on  puisse voir dans 1'étranger et bien connoitre dans son pavs, a effectivement une grande aptitude a s'identifier avecles opinions, les mosurs, les manières et les langues des aurres nations. Il sera frivole comme un ci-devant petit -maitre francais, fou de la musique conmie un Italien, raisonnable comme un Allemand, singulier comme un Anglais, bas comme un esclave, et fier comme un républieain. II changera de gmit et de caractère aussi facilement que de modes; et cette souplesse d'organes et d'esprit est sürement un trait qui ledistingue. L'onne s'étoimera point de cette grande mobilité, si 1'on se souvient que le Russe est un peuple nouveau surlequel toutes les nations ont plus ou moins influé. Il a reeu de 1'étranger des arts, des sciences, des vices et peu de vertus.Le génie du gouvernement et le caractère particulier de 1'autocrate sïmpriment sur toute la nation, comme sur un seul homme. et la rebgion grecque, la plus  (45) absurde de toutesles sectes chrétiennes, achève de la dénaturer. On peut dire du Russe que son gouvernement 1'avilit, que sareligionle déprave, et que saprétendue civilisationlacorrompu. Ce n'est donc qua travers routes ces institutions vicieuses, que 1'on peut remonter au caractère primitif de cette grande nation: mille ans d'esclavage sous les Varègues, sous les Tartars ét sous ses propres tzars, n'ont pu i'erTacer;et que ne doit pas avoirétéce peuple, qui, dans sa misère et ses chaïnes, nous montre èncore tant de belles qualités! Le paysan russe, sans propriété, sansreligion, sans morale, sans honneur, est hospitalier , humain, serviable , gai, fidéle et courageux: plus on s'enfonce loin des villes, plus on le trouve bon; le plus sauvage est toujoursle meilleur; le plus éloigné de son tyran est le plus prés de la vertu;il a, en un mot ,toutes ces vertus iimées qui noüs rappellent les mceurspatriarchales, et ses vices nesont que ceux de la servi-  (46) tude.Les restes de barbarie quemontre encore la portionlaplus éclairée oiTrent un constraste dégoutant. Cette barbarie se décelepar lagrossièreté des moeurs,le mépris outrageant pour les hommes en général, le dédain pour les inférieurs et la crainte servile pour les supérieurs; par rindifférencepour tout cequitend aperfectionner, 1'ignorance desconvenances sociales , f orgueil insolent, la bassesse , 1'impudeur, le manque d'esprit public et de patriotisme, mais sur-tout par le défaut de eet homieur qui quelquefois tient beu de la probité et raéme de la vertu. LeRussea demi éclairé estle plus vil des hommes; il rampe comme le ver; il invite a fecraser; il est plus servile que son gouvernement n'est despotique: il est impossiblea sonmaitre de n'etre pas sontvran. Cesemi-barbare est surtoutpropre au métier de courtisan;car ilest également cruel, avide.lache et rusé: mais on auroittort d'attacher au mot courtisan, lors-  (47) qu'il est question d'un Russe, ces idees d'urbanité, d'élégance de mceurs, et de délicatesse d'esprit, dont ils se vernissent ailleurs ( 1). En Russie, celui qui réussit a la cour, sur-tout auprès des grands, n'est souvent que le plus effronté et le plus infame personnage, qui est pret a offrir son dos au roi des grenouilles, non ^pas gisant dans le marais, mais manié par un bras aussi vigoureux que celui de Pierre I. Tout homme bien pensant, ( i ) Un caractère qui n'a pas été traité et qui attend encore un Molière , c'est celui du Courtisan , le seul digne de faire pendant au TartufFe ■, mais il est inutile de lui donner tant d'esprit et de finesse : les rois sont des Orgons bien plus -faciles a duper. II est aussi étonnant que dans la bonne comédie on ne s'empare pas maintenant du personnage de roi, aussi bien que dans la tragédie ;car il y a des rois qui ne sont pas moins ridicules qu'horribles. Après les papes , ce doit étre leur tour: on peut, sans outrerlaplaisanterie, lesmettre .en scène très-plaisamment ; et quel plus grand exemple k olFrir r Mais duvrai, du vrai! ce sera le plus piquant. Ah ! si un homme a. talent vouloit nous montrer un personnage couronné dans le goüt des capitans ou des médecins de Molièrej qu'il aüle au iNord: quel original acopier! -  (48) tout jeune homme d'une ame noble ou d'un esprit cultive. ne plaira point a la cour; et si sa naissance ou lei circonstance? Y.y attachent. il sera eraint et disgraciea 1'instant ouil serareconnu. Le Ru-se en géneral aime a s'instruire et honore les etrangers :il n'va que ceux qui manquent absolüment d'education, qui les haïssent, ou qui en soient jaloux lorsqu'il? se trouvent en ri valite avec eux. Une chose qui leur fait moins honneur distingue'encore les Russes; c'est une especé~de politesse basse et servile, qui iVxliale en complimens sottement flatteurs: des gestes rampans , mie contenancehumbleetsoumise devantleurs supérieurs, rappellentleur servitude oriëntale. Ils ne savent pas être polis sans bassesse, ni flarteurs sans flagomerie: c'est que pour etre vraiment poli. il faut etre vraiment honnéte. et nep as faire par contrainte, parintérét et par devoir. ce qu'on ne doit faire que par sentiment ou par bienséance. On trouve en Russie. dans la caste op-  (49) primante, deux sortes de gens qui différent absolüment de ra oeurs et d'opinion. Des siècles les séparent , a peine s'imagine-t-on qu'ils sont du même peuple , quoiqu'ils soient souvent de la même familie. Les uns sont des frondeurs de toute réforme, de toute instruction , de toute amélioration: ils voudroient faire reculer la nation vers la barbarie, et la séquestrer du reste de 1'europe; ils regardent toute civilisation comme perversive, et Pierre I est pour eux non le législateur, mais le corrupteur de son empire;ils sont pétris de superstitions , d'ignorance et de préjugés barbares. Les Raskolnikis politiques détestent les etrangers, plus que ne le font les Turcs et les Chinois(i); mais ils ont souvent (i) Rien n'égale la bétise et Ia grossièreté avec lesqu'elles ils apostrophent quelquefois les etrangers. Nous avons du pain , disent-ils , et vous êtes obligés de venir chez nous pour ne pas mourir de faim. Malheureux, trop barbares pour ne pas rougir des causes de cette abondance de pain dont ils se vantent! Oui, quelques milliers de leurs 2 d  C 5o ) des mceurs et des vertus domestiques, et lés excès de la révolution frangaise firent triompher leur système. Les autres sont eeux qui, adoptant les mceurs et les usages de 1'Europe, s'eiforcent de marcher de niveau avec leurs contemporains, et les dévancent trop souvent pour la corruption et les ridicules. Ils se font gloire de mépriser ou d'ignorer les anciens usages de leur pays; ils,ont de 1'esprit, ils sont sociables, et acquièrent des connoissances et des talens. C'est parmi eux que 1'on trouve des hommes d'un grand mérite et aimables plus que partout ailleurs; mais, pour la plupart, ils sont plus polis qu'honnêtes, semblables mangent du pain de froment, paree que trenta mdlions d'esclaves broutent 1'herbe et rongent 1'écorce de bouleau, dont ils se nourrissent comme lee castors qui les surpassent en intelligence. Quelques villes jouissent des plaisirs de la vie et étalent des palais , paree que des provinces sont désertes ou n ofFrect que de misérables huttes , oü 1'on soupgónneroit des ours plutót que des hommes. Dans une caverne de brigands, on voit aussi 1'abondance, et souvent le passant égaré y trouve Fhospitaiité.  C 5i ) plus dépravés qu'instruits, et plus vains qu'orgueilleux. Ils sont persécutés sous le règne ténébreux de Paul, qui s'efforce de tout ramener au siècle des Ivan-Basilides ; et les lueurs de la révolution frangaise en ont effra}'é plusieurs qui se remettent docilement a la lisière de la barbarie. Au milieu de cette barbarie, la nation russe est demeurée exempte de trois erreurs funestes, qui ont souillé le reste de 1'Europe de crimes et d'abus. Jamais les Russes ne se firent un faux point d'honneur de se venger d'un démenti par un meurtre (1): leur histoire ne fait mention (0 II faut pourtant convenir que les Russes, aussi bien que les Grecs et les Romains, ont prouvé qu'un guerrier peut être brave, sans avoir la manie d'égorger son camarade en duel. Le même officier, qui rend avec la canne un coup qu'on lui porte avec la main, monte un instant après >a 1'assaut comme un brave. Mais il est vrai aussi que, dans une société oü un soufFlet peut s'effacer avec un coup de poing, et oü 1'on peut répondre a celui qui vous dit une injure en lui crachant au nez , on ne doit pas s'attendre a cette politesse et a ces égards cérémonieux qu'affectent les peuples polis: aussi  ( 52 ) d'aucune guerre, d'aucun massacre occasionnés par un fanatisme religieux (1) ; et ils n'ont jamais regardé ia naissance comme supérieure au mérite (2). La Russie n'estima point jusqu'ici la noblesse en raison inverse de sa valeur supposée, je veux dire de son ancienneté; ce qu'on y ap pelle noblesse a vraiment une origine noble et précieuse , la bberté : noble ne le commun des officiers russes ressemble un peu a une troupe de laquais en uniforme. Un prince rus6e m'assurant de quelque chose parole d'homme dhonneur, je lui dis : Comment pouvez-vous m'engager la parole d'un autre ? On pourrait appliquer cette répartie a la plupart: mais , pour ceux qui ont de 1'éducation, ils ne le cedent a personne pour la poiitesse et 1'honneur. (1) La persécution des Raskolr.ikis par le liturgiste Isicon fait a peine une exception. Cette tolérance nationale a d'aiileurs eu pour garant 1'heureuse ignorance des popes , qui , de tout tems, ont mieux aimé s enivrer et dormir que de dogmatiser. (2) Ou a tu que Paul s'efForce aujourd'hui d'établir une noblesse gothique, de dresser des arbres généalo— giques et d'introduire le blason, seule science qu'il permette actuellement de cultiver.  (53) signifioit qu'homme libre et propriétaire, ainsi qu'on 1'a vu plus haut. Après 1'ivrognerie, le vice le plus pronoricé et le plus comraun parmi les Russes c'est le vol. Je doute qu'aucun peuple de la terre soit plus naturellement enclin a s'approprier le bien d'autrui: du premier ministre au général d'armee, du laquais au soldat, tout vole, tout pille et tout friponne. On n'a point en Russie pour le voleur ce mépris avillissantqui le couvre d'infamie, même parmi la dernière pop ulace: ce qu'il a de plus a craindre en volant, c'est d'être obligé de rendre ce qu'il a pris , car il compte pour rien quelques coups de baton; et, lorsque vous 1'attrapez sur le fait, il s'écrie en ricanant, winawat, Gospodin! Winawat! (je suis fautif monsieur ), et il vous rend son burin comme une rancpn suffisante. Ce vice honteux, répandu dans toute s les classes est a peine blamé. Il arrivé quelquefois que , dans les appartemens de la cour oü les personnes qualifiées et les offi.-  ( H ) ciers supérieurs ont seuls entrée, 1'on vous enlève votre portefeuille, comme dans une foire (i). Un étranger qui loge avec un Russe,fut-ce un Kniaiss, apprendra a ses dépens qu'il ne faut rien laisser sur sa toilette ou son bureau, et c'est même un dicton russe que , ce qui n'est pas enfermé, appartient a qui le veut prendre. On attribue faussement aux Spartiates la même quabté ; mais im Anglais, qui a publié un livre sur la ressemblance des Russes avec les Grecs, après avoir prouvé qu'ils mangeoient, chantoient et dormoient comme eux,a oublié d'ajouter qu'ils voloient mieux encore. "D'oü vient donc que les Russes sont plus voleups que les autrespeuples a demi policé? seroit-ce paree que le larcin est moins puni en Russie qu'ailleurs ? (1) Leroi de Suède , après le combat du q jaillet 1730, f.t diner k sa table une partie des officiers russes prisonniers: 1'un d'eux y vola une assiette. Le roi indigné les fit tous distribuer dans des bourgades oü 1'on ne les senit plus en vaisselle dargent.  ( 55 ) Non , cela vient de 1'immoralité de la religion grecque (1), dumanque de loix (1) Une preuve que c'est sur-tout leur religion qui leur laisse, ou plutot leur donne cette qualité c'est qu'elle n'est point commune aux peuples soumis au gouvernement russe qui professent une autre religion , ou qui n'en ont aucune. Les Tartares musulmans sont d'une fidélité k 1'épreuve; les Sibériens payens, d'une bonne foi exemplaire ; et les Livoniens, Esthoniens et Finnois , luthériens , ne sont ni fripons ni voleurs. Le cultes des images a cependant introduit un heureux préjugé chez les Russes. Celui qui , sans scrupule ,forcera un cofFre-fort n'osera briser un cachet. Voici un fait. Ayant un jour donné a un jeune soldat , qui me servoit deux rouble pour deux lettres que je lui ordonnois de portera la poste,je sortis. A mon retour, je vois qu'on a forcé mon cofFre et enlevé dix roubles en cuivre qui s'y trouvoient : j'apprends que mon soldat a joué et perdu beaucoup d'argent avec les couriers de la chancellerie , et je le fais envain chercher. Jele dénonce comme déserteur. Trois jours après il se présente , se jette a mes pieds et, demande grace , avoue qu'il a volé les dix roubles et qu'il s'est caché au fond des bois, mais que la faim et le repen tir le ramènent. Loin de le livrer comme voleur et déserteur , je me contente d'ordonner a un bas-officier de lui distribuer vingt coups de .baguettes. A eet ordre, il se jette encore k mes pieds , et me supplie en pleurant de le faire punir plus sévèrement t afin, dit-ilj quilne lui reste ricn sur la conscienin  ( 56 ) et de police, mais surtout de la mauvaise éducation des nobles, ento urés dès le berceau par des esclaves qui leur communiquent la bassesse de leurs sentimens. Si vous ètes en Russie plus qu'ailleurs exposé a être volé en détail, vous y risquezmoins qu'en Angleterre d'ètre assassiné. Je parcourois avec plus de sécurité les places vides de Pétersbourg et les déserts de Russie, que les mes populeuses de Londres et les routes fréquentées de d'avoir volé son. maitre • qu'il mèritoit pour le moins cent coups , et qu'il en auroit davantage si je l'envnyois au regiment. II insista long-tems pour obtenir cette singuliere grace. Surpris d'une telle requéte et touché de son repentir , j'étois loin de la lui accorder ; mais je lui dis : Maintenant que tu as tout avoué , dis— moi aussi ce que tu as fait de mes lettres qui' sontimportantes ?— Monsieur, je les ai.portées a la poste.— Voudrois-tu donc me faire croire que tu n'auras pas commencé par jouer les deux roubles quejet'avoisremis, avant de briser mon coffre. — Ah .' dit-il , Dieu me preserve d'avoir touche d un argent qui appartenoit d une chose cacheté '. Effectivement, après avoir perdu , rouble après rouble, ce qu'il avoit enlevé , il avoit porté les lettres et 1'argent a ia poste , et j'en regus les répocses dans le tem».  ( 57 ) France. Partout oü je rencontrois une cabane, j'étois sur de trouver sur son seuil l'hospitalité, et, si je portois une cocarde a mon chapeau, je me faisois respecter et craindre des mal-intentionnés. Si le vol et 1'ivrognerie sont les vices les plus saillans des Russes, l'hospitalité et la valeur sont leurs qualités les plus marquantes. On voit,de 1'excès de 1'esclavage et du malheur, naïtre quelques biens, comme on voit, du sein de la corruption , sortir quelques germes. Les pays oü les hommes sont esclaves ou sauvages sont pauvres en population, lors même qu'il sont fertiles: par conséquent les hommes doivent y être a 1'aise , et, pour peu qu'on leur laisse de force et de tems, ils seprocurentenabondancelespremières nécessités de la vie. Ayant peu de besoins et une propriété mal assurée , ils vivent au jour le jour, et sont dispensateurs faciles des biens dont ils jouissent. Un serf  ( 58 ) partage Yolontiers son pain, son sel et sa cabane avec le passant (1) ; et un noble aussi volontiers sa table et ses plaisirs avec un etrangers (2).L'esclave russe ou livonien peut tous les ans mettre le fèu a une forêt, et ensemenser une terre Irièrge encore,quiluirend dix ouquinze pour un: eet esclave n'emploie pour lui que le plus absolue nécessaire de son tems et de ses denrées, pour ne pas mourir de faim et succombèr a ses travaux : tout le reste est consacré a angmenter le superflu de son tyran(3). Or en Russie , (1) Un passant entrar.t dans la cabane d'un paysan salue l'rmage d'un signe de eroix, et ensuite son hóte, en disant pain et sel \ puis il s'assied sur le banc et mange avec la familie , comme s'il en étoit. (2) En Russie, les parasites ne sont point encore méprisés. Le général , le riche uégociant, tout homme un peu a son aise, tient ure espèce de table ouverte , ou 1'officïer, les amis et les connaissances de lamaisonet, cette foule de jeune gens et d'étrangers qui n'ont ni feu ni lieu 1 sont journellement regus. (ö) Plusieurs seigneurs msses et livoniens font travailler leurs esclaves cbq jours de la semaine : quelques-uu»  ( 59 ) ^ oü il y a trente millions d'esclaves, il n'y a pas cent mille tyrans qui s'engraissent de leur sang et de leurs sueurs; et ce sont ceux-la seulement qui composent la classe consommatrice d'un empire immense et fertile : il n'est donc pas même ne laissent a ces malheureux que le saint jour du repos , pour cultiver le champs nourricier de leur familie. Mais je laisse a 1'un de mes amis , qui traite ce sujet et plusieurs autres plus spécialement, le soin de détailier la tyranniehorrible, incompréhensible , que soufFrent les Russes et surtout les misérables Livoniens. L'estimable Merkel (a) vient d'indigner 1'Allemagne même, en donnant une idéé de leur sort : jamais le s/stême féodal , jamais le code noir n'ofFriroit de telles atrocités. Paul, en détruisant tout ce qu'avoit fait sa mère dans le commencement de son règne en faveur des esclaves , les a remis a la merci de leurs maitres particuliers , comme des bipèdes domestiques. Et des Livoniens, des Allemands, osent, dans ce siècle, a la face de 1'Europe, trailer ainsi des hommes ! Puissent au moins les amis de la liberté et de 1'humanité se liguer avec autant d'ardeur pour affranchir ces virtimes , que les brigands en montrèrent en se croisant pour les asservir! Tout possesseurs d'ames, qui oseroit désormais se montrer en Europe , devroit être banni de la société. (») Auteur d'un ouvmge allemand , intitulé : les Leltons,  (6o) de voir les seigneurs russes étaler un luxe et une profusion qui en imposent, et qu'on chercheroit en vain dans les pays oü les biens et les maux sont plus également départis. Il faut avouer que plusieurs de ces grands seigneurs conservent des quabtés louables.Ils sont en général plus enelin a jouir de leurs richesses qu'a les accumuler: ces richesses sont renaissantes comme la race d'hommes qui en est la source, et ne leur coütent souvent rien a accquérir. La munificence de leur tzar et les prévaricalion* de toute espèce en sont ordinairement 1'origine impure; mais ils savent qu'ils peuvent aussi facilement les perdre que les obtenir et ils en jouissent; quelques-ims méme le font avec une noblesse qui leur fait supposer# des vertus ou du moins des remords. Le génie du peuple rasse se tonme avidement vers Ie commerce, et y paroit sur-tout propre. Lorsqu'un pavsan peut  (6i ) obtenir un passeport de son maitre (1) ; il se hate de quitter ses ingrats sillons pour embrasser quelque genre d'industrie,dans 1'espérance d'amasser de quoi acheter sa liberté ; mais il est en eela souvent trompé (2). Les marchands russes, pour laplupart eselaves et encore entravés par le gouvernement le plus absurde , peuvent rarernent , malgré (1) Un paysan , pour vingt-cinq roubles par an obtient quelquefois de son maitre un passeport ou congé, a la faveur duquel il peut exercer son industrie dans les villes ; mais son tribut augmente a. raison de cette industrie. (2) L'esclave russe , quand il est parvenu a amasser un petit pécule , ne peut pas toujours 1'olFrir pour sa raugon ; car son maitre s'approprie quelquefois son trésor et rive davantage ses fers. Plusieurs de ces eselaves deviennent très-riches ; mais leurs ma'rtres refusent de leur vendre leur liberté regardant leurs capitaux et leur industrie comme leur propre bien , et comme une dernière ressource pour eux. II en est qui, après s'étre ruinés au jeu, ont fait des recherches domiciliaires chez leurs eselaves pour se saisir de tout ce qui s'y trouvoit. Ce brigandage est une des raisons pour lesquelles les paysans enterrent souvent leur argent, et meurent avant d'avoir pu le révéler a leurs enfans.  ( 62 ) toute leur industrie , s'élever a de grandes spéculations : ils se bornent au tralie intérieur; et, au lieu d etre les négocians dans leur propre pays, ils n'y sont que les commissionnaires des Anglais, et se voient obligés de se rabattre, conune ailleurs les Juifs, sur un petit cormnerce de détail de mercier et de colporteurs. On ^est vraiment émerveillé de voir avec quel soin la pobtique russe cherche a ruiner ses sujets. Ils ne peuvent commercer avantageusement , qu'autant qu'il y a concurrence entre les nations étrangères qui ont besoin des productions naturelles de la Russie : cependant le cabinet de Pétersboug a fermé tous ses ports aux rivaux de 1'Angleterre. Les Anglais sont les seuls pourvoyeurs de la Russie, et les arbitres du prix de ses productions et de la valeur de ses roubles, puisqu'eux seuls fixent le change : ils font en un mot ce commerce avec le même  ( 65 ) avantage qu'on le fait chez tous les peuples barbares, dont le gouvernement plus barbares encore vend des privilèges a quelque compagnie exclusive (1). Mirabeau 1'a dit le peuple (1) Quoiquon dise en Russie , le commerce y est toujours passif : touies les productions naturelles de eet empire immense ne peuvent payer les objets de luxe etrangers importés dans les deux capitales. Un vaisseau chargé de quincaillerie anglaise équivaut a trente batimens chargés de fer , de bois ou de chanvre. L'Anglais emporte du cuir , et rapporte des souliers ; du grain, et rapporte de la bière , eet. eet. Le seul pays avec lequel la Russie pourroit faire un échange direct de productions , c'est la france qui peut lui livrer 1'huile etlevin :1a Russie aime mieux les acheter de latroisième ou de la quatrième main , et payer le doublé. Les Russes voyant que leur numéraire disparoit et qu'il ne leur reste que du papier , malgré la grande quantité d'or et d'argent qu'ils lirent de la Sibérie , s'ima-inent que ce sont les etrangers qui viennent chercher fortune, travailler et servir chez eux , qui 1'emportent : c'est une grande erreur. Les gens de lettres , les militaires , s'enrichissent rarement, et moins en Russie que partout ailleurs : les artistes et les artisansy trouvent également plus souvent la misère que la fortune , et la plupart decesétrangermeurent ous'élablissentdans le pays. Tous ceux qui apportent quelques ducats, et, sur cinquante il n'en est pas deux qui s'en retourne avec quelque bien.  ( 64) russe est le plus malléable des peuples. Un jeune pavsan sauvage, brute, timide arraché a son hameau, est en moins d'un mois métamorphosé en laquais élégant et adroit, ou en soldat leste et hardi. Son maitre en fait en peu de tems son tailleur , son musicien , menie son chirurgien et son avocat. On m'avoit répété cent fois que le meilleur moven de leur apprendre quelque chose , c'étoit de les battre; je ne pouvois le croire ; je fai vu. Lorsqu'on délivre quelques centaines de recrues a un officier, pour en former un nouveau bataillon, on lui fournit aussi le drap et le cuir nécessaire pour les habiller. Avant rangé ces malheureux a Fa file il leur dit: «toitu sera le tailleur, toi le Si 1'on calculoit, 1'avantage se. trouveroit a la Russie. II n'y a plus depuis long-tems que les musiciens les marchandes de modes, les prêteurs sur gage et les Anglais, qui s'y enrichissent : ces derniers sont surtout les vraies sangsues du pays.  ( 65 ) > cordonnier et toi le musicien de la compagnie.» S'ils murmurent, on commence par distribuer quelques coups de baton a. ces élus, et on leur donne quelques mauvais instrumens pour aller s'essayer dans leur art respectif. On renouvelle la bastonnade , jusqu'a ce qu'ils rapportent une botte ou un habit passablement faits, et qu'ils sachent jouer la marche du régiment. « Mais, disois-je a un colonel qui se vantoit d'enuserainsipourformer les grenadiers de Moscou, « parmi ces hommes il y en a plusieurs, qui, dans » leurs villages, avoient exercé les arts » dont vous avez besoin: au lieu de » choisir vous-même, que ne les in» terrogiez-vous? celui qui sait jouer de » la Balaleika ( 1) auroit été un bon » fifre, et celui qui de lui-même apprit a » faire les Lapki ( 2 ) seroit devenu le ( 1 ) Espèce de luth a deux cordes, dont se servent les paysans russes. ( 2 ) Chaussure d'écorce de tilleul, que portent les Russes. 2. e  ( 66 ) » meilleiir cordonnier. » — Oh!» me » dit-il, «vous étes érranger, vous ne » connoissez pas nos Russes : parmi » tous ces gueux-la, il n'y en a pas un » qui vouMt avouer son talent. » Etranfre et triste vérité! mais ce n'est pas le Russe seul, c'est 1'esclave de tous les pavs. On sera toujours dans le menie cas, lorsqu'on voudra que 1'homme emploie forcémentles facultés de son corps et de son ame. Cet esprit de sujétion machinale oü 1'on soumet les Russes influe nialheureusenient sur tous les arts qu'ils imitent. ffè ontune musique nationale de leur invention, qui eSt extraordinaire, et qui porte l'empreinte caractéristique deleur génie asservi : elle paroit plutöt faite pour être exécutée par une machine que par des hommes. Une cinquantaine de prétendus musiciens ont chacun mi cor dont la grandeur est différente et graduelle , comme les tuyaux d'un orgue: ehacun de ses cornets ne rend qu'LUi  ( 67 ) son, etchacun des musiciens n'a devant lui qu'une seule et même note, dont le plus ou le moins de valeur, et le plus ou moins d'intervalle, forment toute la variation. C'est ainsi que ces musiciens, répétant cliacun leur note, exécutent, par un accord général, les airs les plus simples et les plus composés. La grandeur de ces cornets, la pureté et la profondeur de leurs sons , rendent ce concert sublime : il est sur-tout du plus grand effet la nuit et a la campagne. Mais je doute qu'il soitpossible d etablir ailleurs qu'en Russie cette étrange musique , paree qu'on trouveroit difïicilement cinquante hommes qui voulussent consacrer leur vie a ne souffler qu'une même note dans un cornet, et s'assujettir, des heures entières, et a compter ces pauses pour attendre le moment de pousser un son, sans pouvoir s'affecter de 1'air qu'ils jouent, ni de 1'art qu'ils professent: il n'y a qu'un automate, un tuyau d'orgue 3 ou un esclave, que 1'on  (68) puisse contraindre a cette exactitude. Les Grecs et les Romains avoient aussi des eselaves, mais ils avoient des arts Kbéraux-, il n'en est point en Russie: tous les arts y sont etrangers ou serviles. et ne se naturaliseront qu'avec la liberté. Soitenexercantles arts, soit en guidant la charrue nourricière, soit en maniantle fusil destructeur, le Rus-e est enchamé et tremblant sous le bras d'un maitre: toutes les qualités de son ame sont flétries, et les plus doux senthnens du cceur outragés ( 1). Chose étonnante ! c'est avec ces hommes avibs, arrachés de forcea leurs families, comme fagneaua sa bergerie j et dont la plupart meurent t i ) Ce qui m'a révolté, c'est de voir des horomes en eheveux blancs, avec une barbe patriarchale, couchés surle ventre, les chausses abaissées, recevoir le fouet comme des enfans. Chose horribie ! j'aihortte defécrïre -jTnais il est des raaitres qui forcent quelquefois le hls a être ainsi 1'exécuteur de son peretchose plus abominable! il est des fils qui se prétent a un pareil outrage. Ces horreurs et beaucoup d*autres sé commettent sur-tout dans les campagnes , oüles seigneurs «xercent dans leurs chateaux la m^rae police sur les hommes  de douleur et d'effroi avant d'arriver a 1'armée oü ils sont conduits a coups de gaules;c'est, dis-je, avec despareils guerriers que la Russie a remporté tant de victoires sur ses voisins! On pourroit pourtanttrouver des raisons de ces contradictions apparentes.Le Russe qui a pü supporter les misères de sa vie , jusqu'a ce qu'il fut facpnné au métier de soldat, doit être regardé comme un être invulnérable, ou du moins insensible, trempé dans leStyx. Untiers a peine éehappe a ces épreuves, mais il demeure infatigable etdur comme un métal battu sous le marteau. Du fastueux prince moscovite qui ronge une rave ou un concom- que sur les animaux. Les femmes y sont fouettées, montrées a nu avec lamême impudeur, et offrent quelquefois le spectacle le plus indigne et le plus dégoutant. Au reste , ces barbaries deviennent rares et inspirent autant d'horreur aux Russes honnêtes qu a mes lecteurs ; mais elles se commettent encore, et attestent combien 1'espèce humaine est dégradée sous un gouvernement autocratique.  C 70) bre cm, après s'ètre goinfré de mets exquis a une table somptueuse (1), jusqu'au sale Sibérien qui se nourrit de poissons pourris, et qui invite ses voisins a se regaler avec lui de farrière-faix de sa femme en couche (2), tous les peuples russes semblent avoir un tempérament de fer, et supporter également les excés du froid et du chaud, de la gourmandise et de 1'abstinence. Les vieuxsoldats écrouis sur f enclume du despotisme sont les plus durs des hommes, lis sortent d'une étuve, se roulent dans la neige, et s'endorment sur un glagon. Ils passent des travaux les plus rildes au repos le plus fainéant: après le jeune le plus long et leplus austère, ils segorgent ( 1 ) On a souvent vu Fotemkin, les jambes nues, les cheveux épars se présenter au milieu de ses courtisaos , mangeant comme un Orang-outang unerave ou une carotte crue, en sorïant de a table de rirnpératrice. ( 2 ) Voyez Gmelin et Muller : ils attestent ce fait \ qui doit étre en usage.  ( 7i ) impunémentde viandes; et, avecun soukaré (biscuit) et un oignon dans la poche ilsferont soixante verstespar jour pour suivre Souvorow. Lassant la faim, la soif la fatigue , Le soldat russe afrronte les revers , Brave la mort et franchit les déserts. Fier et soumis , de soi-méme prodigue , Guidez son bras; il détruit 1'univers. Enunmot, si, pour être bon soldat, il ne falloitqu etre la plus exacte machine, ainsi qu'on 1'a cru long-tems, le Russe seroit a coup sur le meilleur soldat du monde entier. Sa valeur est si machinale et sidocile(i), qu'il craint davantagela ( i ) Le soldat russe donne quelquefois des preuves bien plaisantes de cette exactitude machinale. Pierrel avoit ordonné d'arrêter quiconque, après dixheurespasseroit sans lanterne. Un médecin, venant de chez son malade, étoit précédédesondomesliquequiportoitlasienne. Le domestique passa, et le médecin, malgré ses réprésentation, fut conduit par la sentinelle au corps de garde. A un combat contre les Suédois , une galère que montoient plusieurs officiers au garde coiuaa fond. Lofficier de la galère voisine cria  C 72 ) cannede son officier que le canon de Ten nemi: ï'on pourroit dire de lui qu'il est brave a force de lacheté. Au rebours de bien d'autres nations, le soldat russe est plus intrépide que son officier. II a pour véhicules puissans son instinct féroce, 1'ardeur du pillage et son propre désespoir. L'officier n'a point les mèmes stimulans , et manque souvent de ce point d'honneur qui tient lieu de patriotisme et de valeur. Catherine y subtitua Tappas des récompenses de toute espèce, qu'elle prodigua en toute occasion. Chaque officier qui s'étoit trouve a un combat ( 1 ) aux siens : Sauvez les officiers aux gardes ! Un malheureux, tendant les bras hors del'eau, demandoit secours : un soldat, avant de le retirer, lui demanda : Es-tu officier aux gardes ? 1'autre , nepouvant répondre , enfonga et pent. ( 1 ) Les soldats recevoient une médaille d'argent, etj'ai vu desrégimens entiers oüil n'y avoit que les recrues nouvellement arrivées qui n'en eussent pas. La médaille qui fut distribuée a ceux qni étoient del'expédition de Tschesmé ou Clazomène, oü la florte turque fut brülée, porte une inscription sublime : Bouil, j'y étois. Paul aujourd'hui a une  (73) recevoit un grade: ceux dont les généraux faisoient mention honorable dans leurs rapports recevoient des croix et des épées d'or; et ceux qui étoient blessés, des paysans ou des pensions. J'ai vu des officiers qui, pour une seule campagne, avoient recu deux croix, uneépée d'or et deux grades. Il y a loin de la valeur de céssoldats-la a celle de ces guerriers^ dont une feuille de chène , ou une simple approbation de leur patrie, paie les exploits héroïques. Malgré sa barbarie et son abrutissement, le soldat russe a conservé des vertus, et il en donne souvent des preuves au milieu des excès oüil selivre trop souvent; car, malgré 1'horreur et 1'effroi qu'inspireau paysanl'état de soldat, on autre facon de récompenser le soldat, qui est bien plus délicate. Lorsqu'ila fait suer un régiment pendant toute la journée et qu'il en est content, il luidonnela permissionde jouer la marche des grenadiers, et il est sur que les musiciens reeoivent des coups de baton pour f apprendre. C'est la Marseilloise de Paul.  ( 74) a vu de jeimes gens se jeterauxpieds des recruteurs, etlessupplierdelesprendre au lieu de leur frère qu'on enjevoit a sa familie ( i ). II ne faut pas comparer un pareildévouement a celui d'un Frangais quis'orfroitaremplacerun de ses pareus: il ne sacrifioitquehuit ans de sa liberté; mais le Russe sacrifie sa vie entière. Une fois enlevéa sa cabane et a tous ceux qu'il peutchérir,il doit vieillir sous la discipline la plus dure, ou tomber sous le fer ( i ) On m'avoit intéressé a un jeune homme, qui étoit venu de deux cents lieues supplier qu'on le prït dans un régiment a la place de son frère qui .avoit une familie nombreuse. J'en parlai au ministre de la guerre , en lui détaillant un dévouement qui, selon moi, méritoit qu'on donnat la liberté au soldat, sans retenir son généreux frère. J'aurois peut-être réussi: mais un parent du ministre , qui étoit présent, se mit a dire : Ah ! il faudroit donc renvoyer tous les soldats ; car j'ai été mille fois témoin de pareils traits qui vousétonnent. Je fus interdit, ne sachant ce que je devois le plus admirer, tlu bon naturel des eselaves russes ou de la dureté de leurs seigneurs. Celui-ci avoit été pris par Pougatschef, enfermé dans un sac , et prêt a être jeté dans la rivière , lorsqu'un parti russe le délivra.  (75).,, de 1'ennemi. S'il est marié^ a peine ?urat-il quitté sa femme que son maitre peut la donner a un autre (1); et, s'il a des enfans, il ne les reverra jamais (2). Il est perdu, mort pour sa familie; il devient égorgeur, et parvient enfin a se plaire a ce métier. On le voit alors donner despreuvesde courage et de confiance a ses généraux, qui lui tiennent lieu de patriotisme (5). ( 1 ) Cela est déferidu; mais cela arrivé souvent, et c'est pour que le maitre ne perde point de ses revenus, car il seroit obligé de nourrir la femme et les enfans : an lieu qu'en la remariant le successeur du mari cultive les mêmes champs et paye les mêmes tributs que lui. Souvent même un seigneur marie une rille robuste de vingt ans a un enfant de dix ou de douze, pour former de cette fagonun nouveau feu. Quelquefois un père de familie n'ayant que de jeunes garcons, et accablé de travail,demande aussi une fille forte pour un de ses fils; et c 'est le beau-père qui lui fait des enfans, en attendant que ce fils grandisse.Cesdésordres sont très-communs dans les campagnes. (3) Le soldat n'obtient jamais de sémestre. (3) Au siège d'Otschakow , un piquet de soldats , allant occuper un poste avancé, rencontre un officier de tranchée qui leur dit: les Turcs ont fait une sortie ; ils occupent déja le ppste désigné : retournez, ou vous  ( 76) Tel on voit le chien bien dressé montrer par obéissance le mème courage que le lion généreux qui défend sa yie ou sa liberté. Par sa bravoure, par sa gaieté naturelle, par ses allures et sa propreté, aucun soldat n'approche du francais comme le russe. Il y a des régimens qui, depuis soixante ans ont presque toujours été en présence de allez éfre massacrés. Qu'est-ce que cela nous fait, répood 1'un des soldats, c'est le prince Dolgorouki qui répond de nous. Malgré les représentations de 1'officier 2s allèrent, et ne revinrent pas. A 1'attaque que les Turcs tentèrent sur Kimborj-g, Souvorow, i\Te , sortit a la téte de sa garnison pour repousser reDnemi. Les Russes plièrent au premier choc , et plusieurs prenoient déja la fuite. Un soldat indigné arréte les fuyards sur la pointe de sa bayonnette, les force a retourner au combat , et charge a leur téte , comme s'il eut été leur officier. Catherine , informée de cette action , qui fut cause de la première victoire de la dernière guerre, voulut 1'élever au grade d'ofEcier. Ü refusa eet avancement en disant qu'il ne savoit pas écrire , et qu'il aimoit mieux etre bon soldat que mauvais officier. L'impératrice lui envova alors une médaille d'or, lui fit une pension de trois cents roubles.  (77) • n . 1'ennemi: ces guerres contmuelles ont aguerri les Russes : mais les massacres d'Otschakow, d'Ismaïl et de Prague , dont 1'Europe frémit encore , leurs dé-, vastations dans la malheureuse Pologne, ont donné a leur valeur le caractère de la barbarie la plus féroce ; mais ce caractère étoit celui des généraux qui les commandoient, celui de Catherine même qui les excitoit, plutót que le leur. Cette vieille furie railloit la sainte humanitê avec laquelle Repnintemporisoit en Lithuanie, etle boucher Souvorow devint son héros: mais, au milieu de cette horde debuveurs de sang, qu'eile lachoit sur cette malheureuse nation, a cóté des Souvorow, des Denisow, des Kakousky, des Kretschetnikow dont les noms sont moins barbares encore que les caractères, on voyoit les Repnin, les Gallitzin, les Buchshewden, les Fersen, le jeune Tolstoï , et plusieurs officiers supérieurs, dont 1'humanité et 1'urbanité même contrastoient avec la barbarie de  (■78) leurs compagnons. Les Russes , devenus si feroces sous le règne de Catlierine , 1 étoient beaucoup moins sous celui de la douce Elizabetb. Leur mémoire est encore chère en Prusse : la conduite et la discipline ■ quils y observèrent pendant deux ans, y méritèrent la reconnoissance des habitans. Ce n'est donc pas a la nation en général qu'il faut artribuer ces massacres. Le Russe est esclave : il suit les impulsions qu'on lui donne; il est ce que 1'on veut qu'il soit (i). Les Cosaques (i) Au terrible combat de Erzesez qui fraya le chemin de Varsovie i Souvorow, il harangua ainsi ses solda »s : Canurades et f rei es ! notre bonne mère m'a ordon„e de massacrer tous les Polonais : massacrons-les. L'arraée rnssse massacra lesfuyards et les'prisonniers pendant un jour entier, et Souvorow , a la téte des Cosaques, crioit a ceux qu'on ne pouvoit attraper : Allez, allez , dites que Souvormv arrivé. A la' nouvelle de. ce combat, Catherine sortit toHte transportée de s9n .cabinet, et trom ant deux courtisans' qui jouoient aux échecs dans son antichambre, elle leur dit : Ah j messieurs tandis que vous jouez aux échecs, je fais pifcux, je m'amuse d tuer des Polonais,' écoutez • et elle leur kat le rapport avec emphase. ' ' +  (79) irréguliers, les Bachkirs, les Kirguis ; et les Kalmoucks, qui composent leurs troupes légères, sont seuls des barbares sans discipline. II a fallu au génie de Catherine une nation aussi neuve , aussi malléable, ^ et dont elle puisse dire comme le statuaire de la Fontaine disoit de son bloc de marbre : Sera-t-il dieu, table, ou cuvette ? Elle n'eut pu faire un dieu du Russe, mais elle eut pu en faire un homme; son plus grand crime est de né pas avoir mis la sa gloire (1): elle en a fait sa (!) Catherine , la disciple et 1'idole de nos philosophes , la législatrice du Nord, a rivé les few des malheureux Russes., Par qu'elle fatalité celle qui , dans sa jeunesse , ne craignit point de faire discuter , s'il n'éteit pas a propos de rendre la liberté aux paysans , finit-elle par réduire au même esclavage les provinces qui avoient conservé quelques franchises ? Wiasemsld , que Momonow , par calembourg , appelloit Volterre , a , d'un trait de plume , réduit les Cosaques , les Tartares et les Pinnois , a la qualité d'esclaves , pour augmenter la capitation, Catherine avoit pourtant garanti et reconnu leurs droits. Ce Wiasemski , aussi coquin que son successeur fut béte , étoit pro-  ( 8° ) cuvette. En souffrant le règne de Catherine et de ses douze favoris, le peuple russe aprouvé qu'il étoit le plus avili des peuples ; et, s'il supporte jusqu'au bout la tyrannie de Paul, il faut qu'il en soit le plus lache. Pierre I avoit chargé un moine de traduire en russe 1'histoire politique de 1'Europe par PuiTendorf : le moine , par un sentiment de basse et fausse délicatesse, aifoiblit toutes les expressions qui concernoient 1'esclavage et la Russie; il se permit même de supprimer entièrement le chapitre qui traite du caractère national des Moscovites. Pierre s'en appergut d'abord en feuilletant le livre , fit une verte rein ontrance au moine , et lui ordonna d'aller sur-le-champ traduire et rétablir le tout fldèlement. On estimera cette cüreur-général et trésorier de 1'empire , et c'étoit , selon 1'expression russe , loeil du souverain. Le comte Panin , parlant de lui , dit a Catherine : Vous avez la. ■un ceil borgne. Élle répondit : C'est pour cela que je l/êiïx qu'on lui obëisse.  C 81) noble franchise d'un despote dur et barbare : mais que dira-t-on en aptorenant que , sous le gouvernemenWde Catherine, une nouvelle , traductiorl^e Puffendorff n'a paru qu avec les sot-s et ridicules retranchemens que le moine avoit voulu faire? Peuple russe, peuple brave et puissant , aimable et hospitalier, chez qui je trouvai desprotecteurs et des amis , pardonne a la franchise d'un étranger^qui ose te peindre comme il t'a vu, ét qui, s'ileutparlé de ses compatriotes mêmjp. n'auroit putoujours en dire du bien-En peignant tes bonnes qualités,j'ai montré ton cceur:en peignant tes vices , je n'ai montré qne 1'empreinte de tes fers. Puisse la liberté 1'effacerun jour! .0 f  RELIGION. Eglise grecque. Pretres. Fètes. Jeünes. Dieu de poche et Images. L.A philosophie , qui des long-te ms renroche a la religion que ses plus zélés Méïeriseurs sont ordinairement les plus Ééclians des hommes, trouve surtout en fesie de quoi étayer ce terrible argument. C'est la qiie la secte laplusignare, ou'la plus dégénérée du christianisme, place encore le dogme au lieu de la morale, le miracle au lieu de la raison, la pratique des cérémonies aulieu de lapratique des vertus ,etle rachatdu crime au lieu du repentir ou de la punition. C'est la quacoup sürledévötestuncoquin(i) (0 Un officier, érranger s'étoit choisi un domeslique parmi des soldatsj et le ramenoit chez lui. En passant  ( 83 ) etl'hypocrite un scélérat. J'ai avancé que la principale cause des vices du peuple étoit 1'innnoralité de sa religion; et 1'on sera de mon avis, si 1'on fait attention que dans leséglises russo-grecques iln'y a ni prönes, ni exhortations, ni catéchisme. Une espèce de confession auriculaire, mais bien différente de celle des catlioliques, est le se ul acte qui rappelle le Pviisse a quelques devoirs ;maisle confesseurne lui recommande que des jeünes, des litanies et des signes de croix; c'est 1'atoutce que la religion grecque orthodoxe apprend a ses sectaires. Il est vrai que dans la chapelle du palais, 1'archevèqueou le métropolitain, fait quelquefois un sermon? mais ce sermon n'étoit qu'une flagornerie a Catherine qui 1'écoutoit, les vis-a-vis d'une église, le soldat s'arréte, se prosterne et se signe. Ah! dit 1'officier, tu es un coquin , je ne veux pas de toi : ton prédécesseur en faisoit autant , et il m'a volé. II ramène le dévot , et changea son thoix , jusqu'a ce qu'il ce qu'il trouva un homme qui passa devant 1'église sans s'arrêter.. II le garda , et le Irouva honnéte.  yeuxbaissés, et qui; par reconnoissance, baisoit la main au prédicateur. Il est encore vrai que Platon, archevèque de Moscou, et pourtant homme de mérite, a composé des homélies pleines de sens et d'eloquence, et qu'il a enjoint aux popes-curés d'en faire de semblables , ou du moins de lire les siennes les fetes et dimanches. Mais, les popes des campagnes ne sont pas toujours en état de satisfa:re,mème a cette derniere injonction, et les autres moins encore d'obéir h la première : ceux qui le pourroient ne le font pas. Outre les cinquante-deux dimanches, les Russes choment soixante-trois jours de fetes, dont vingt-cinq étoient consacrés auculte particulier de la déesse Catherine et de sa familie (1). C'étoit a la (1) Cinq de ces fêtes étoient consacrées exclusivement a Catherine: i°. sa naissance , le 21 avril , v. st. 20. son k\énemeut , le 28 juin; 3°. son couronnement , le 22 septembre ; 4°- =on inoculation de la petite vérole , la 21 novembre ; .et 5°. son jour de nom, le 24. Chacun de ses géséraux s'e.Torgoit de lui envoyer jour  C 85 ) cour des jours de Te deum, ou plutót Te Deam, de pompe, de bals, de distribution de graces, et de.festins; dans les villes, des jours de désordes et d'ivrögnerie. Dans les campagnes, ils auroient pu être des jours de relacbe pour les malheureux; mais si, après la messe, leurs maïtres ne les conduisoient pas a leurs corvees ordinaires,ils consacroient ces momens a recueillir en bate leurs propres moissons ; en cela , ces fètes étoient un bienfait pour eux. Ce qu'il y a de plus méprisable et de plus méprisé en Russie, ce sont les prêtres : plusieurs ne savent pas lire ; mais ils sont plus méprisables encore par leurs mceurs crapuleuses que par leur ignorance crasse. Il y a pourtant des séminaires pour les instruire; mais il ne faut pas toujours y avoir été élevé ces jours solemnels , un bouquet de iang,)e veux clire, la nouvelle d'un massacre : c'étoit 1'hommage qu'elle préféroit. Les ennemis des Russes avoient surtout a se tenir sur leurs gardes , les jours qui précédoient ce* fêtes cai ils étoient attaqués.  (86) pour être regu prêtre. Un père transmet a son fils sa cure, son église et son troupeau; il n'a pour cela besoin que del'agrément de son seigneur, qui obtient facilement celui de 1'évêque. Si ce fils sait, comme Je père, lire un peu le slavon, dira la messe et chanter les'vêpres, ilest maitre en son métier et 1'exerce. II va ensuite boire, s'enivrer et se battre avec ses paroissiens, qui cependant lui baisent la main et lui demandent sa bénédiction après 1'avoir battu (1). Il n'est pas rare de rencontrer dans les mes de Pétersbourg et de Moscou des prêtres et des moines ivres, chantant, disant des sottises aux passans , et insultant les femmes par des attoucliemens licentieux. Au reste, 1'une des principales (1) A certains jours de 1'année , les popes font une tournee dans leurs paroisses , pour demander, de cabane en cabane , des oeufs , du beurre , du lin, des poules, etc. On les voit revenir , couchés ivres morts dans une charrette parmi ces provisious, ou chantant du haut de cette chaire ambulante.  (87) causes des vices et de 1'ignorance des prêtres russes est a chercher dans la religion grecque même : elle leur défend de lire d'autres livres que leur bréviaire, de s'occuper d'aucun art, de se livrer a aucun travail, et de jouer d'aucun instrument de musique. Ces prêtres chrétiens officient avec une indécence qui rendroit trés - ridicules des cérémonies qui le seroient beaucoup moins. Il en est quijurent a 1'autel, frappent les marguilliers, et leur commandent tout haut, d'un' ton de grenadier, d'allumer tel cierge, d'approcher tel saint, ou de lire dans tel livre(i). Mais, c'est surtout dans les grandes so- (1) Un général russe faisant baptiser , dans son antichambre, 1'enfant de 1'un de ses domestiques , y conduisit la compagnie qu'il avoit a diner pour jouir du spectacle. Le prêtre ayant officie avec une aisance et une dignité qu'on n'attendoit pas , le général applaudit, en battant des mains et en criant: Bravo ! bravo! Au reste , ces baptêmes russes par immersion sont toujours de laplus grande indécence, lorsque 1'on baptise un Turc ou un Kalmouk de vingt-cinq ans , qui se dépouijle tout nu , et que-  C 88 ) lemnités, telles que la bénidiction des eaux ou la procession au couvent d'Alexandre Newskv,qu'il est très-plaisant de voir le clergé marcher in pontifiCaïïbus. Tous ces popes, en longues barbes et en habits de lévites, ressemblent aux compagnons du vieux Silène, bien plus qu'aux disciples de Jésus. Plusieurs seigneurs ont des chapelains particuliers pour dire la messe dans leurs maisons; mais ils vivent ordinairement avec la valetaille , et ne sont point admis a la table du maitre : le prêtre plonge dans la cuve en présence de ses marraines , comme 1'ingénu en présence de Mlle. de St. "ives. Les mariages ont aussi plusieurs cérémonies ridicules. J'ai vu une dame , mariant sa femme de chambre dans sa chapelle , y gronder vertement le chapelain de ne savoir pas ces cérémonies, les diriger et les prescrire elle-méme. Cette femme de chambre étoit Anglaise, et un ministre de sa nation lui servoit de père. Son air grave contrastoit singulièrement avec les singeries du pope officiant , et il prouvoit bien que ce n'est pas toujours la barbe qui donne un air respectable.  («9 ) cependant ces prêtres sont de condition libre (1). Le hautclergé estplusrespectable, ou du moins plus respecté. Rien n'est plus pompeux qu'une messe solemnelle célébrée par un archevêque qui se fait habiller au milieu du temple par son clergé, comme jadis le grand sacrifrcateur (2). Platon et Gabriel, arcbevê- (1) Pendant la guerre avec ia Suède , comme on avoit besoin urgent d'hommes , on enleva pourtant plusieurs milliers de lils de prêtres , dont on f'orma quelques bataillons d'artillerie ; plusieurs avoient déja commencé leurs fonctions sacerdotales. Ils furent arrachés , comme des eselaves , a leurs autels et a leurs femmes , pour venir apprendre a manoeuvrer le canon dans le camp du général Mélissino. ( 1 ) D'Artois , pendant son séjour a Pétersbourg, étoit justement a une pareille cérémonie , lorsque Catherine lui envoya un officier avec la nouvelle que Dumouriez avoit été défait a Nerwinde. Les Russes s'imaginèrent que c'étoit sa dévotion a leur SaintAlexandre qui procuroit un si heureux message , etle prince voulut faire un compliment a 1'archeveque , qui lui ré— pondit assez impoliment : Je n'ai prié que pour les vrais croyans. On sera peut-être étonné d'apprendre que Catherine , qui se mocquoit tant avec Frcdéric et Valtaue de 1'épée bénie qu'avoit envoyé le pape au  (9o) ques de Moscou et de Pétersbourg r sont des hommes vénérables par leurs conduite, surtout par les soins qu'ils se sont donnés pour réformer les mceurs de leurs confrères. M. Samboursky, chapelain des grands-ducs, est un homme fait pour honorer son état et sa nation. II est le seul prètre russe qui aille sans barbe : il en obtint dimcilement la permission , étant a Londres, et eut le courage de continuer a se raser après son retour. Mais, s'il a laissé sa barbe en Angleterre, il en a rapporté des connoissances et des goüts utiles a son pays. 11 s'applique a faire fleurir 1'agriculture aux environs de TzarskoéCélo , oü il a défriché des déserts et desséché des marais, pour en faire des général autrichien Daun , en ait fait elle-même bénir une par le métropolitain de St. Alexandre Newsky > pour en faire présent a Mr. d'Artois. Cette épée étoit d'or v garnie de brillans , avec ces mots sur la garde : Dieu et le Roi; elle n'a pas été plus miraculeuse que cellede Daun,  (9* ) champs fertiles ou des jardins anglais (1). C'est ainsi qu'il se venge du mépris de ses confrères les plus bigots , qui le regardent comme un hérétique. II a obtenu une autre exemption non moins extraordinaire. Sa femme étant morte, il eut la permission de continuer, comme veuf, ses fonctions de curé \ ce qui est contre la hiérarchie grecque. Il faut être marié pour être curé; mais , comme un prétre ne peut se marier qu'une fois , s'il perd sa femme, il doit (1) Ceux du grand-duc Alexandre , dont il fut 1'ordonnateur et souvent l'e?:écuteur , furent construits d'apris une idee très-ingénieuse. Catherine avoit fait pour sespetitsfils un conté , intitulé : le Tzaréwitch Chlore. Ce petit Chlore entreprend un voyage , pour arriver sur une montagne oü fleurit la rose sans épines , et la cueille après mille dangers et mille fatigues. Mr. Samboursld a représenté dans la nature même les scènes et les avantures de ce conté. Le centre du jardin est une montage sur laquelle s'élève le temple de la rose sans épines, et le chemiu qui y conduit ofï're toutes las allégories instructives que Catherine avoit inventées pour les jeunes princes Un fils adoptif du digne Samboursld a fait un poème descriptif de ces jardins, que j'ai traduit en frangais.  (9* ) s'enfermer dans un couvent. Les femmes de popes sont par cette raison les plus choyées et les plus heureuses des femmes, L'ignorance et 1'ivrognerie, qui caractérisent le clergé russe, sont peut-être , comme je 1'ai noté, les causes principales de 1'Ireureuse exeeption qu'offre leur église dans les annales du christianisme. Leurs disputes et leur faux zèle n'ont pas, comme ailleurs, occasionné des guerres, des massacres et des persécutions. Si 1'on excepte les violences de de Pierre I pour réformer les barbes et * les habits longs, et celles de Nicon pour établir sa nouvelle lithurgie, 1'histoire russe ne présente aucune de ces saintes fureurs qui ont ensanglanté la terre. Cet archevêque Nicon avoit raison de vouloir simpiifier et purifier le culte ; mais ileut tort d'engager le tzar Alexis a employer la violence. On coupoit la main a ceux qui ne vouloient pas faire le signe de la croix avec les doigts : il en  résulta un schisine. Ces schismatiques ne veulent reconnoitre ni les livres saints traduits par Nicon ni ses nouvelles litanies : encore aujourd'hui, ils aimeroient mieux se laisser couper la main que de ne pas faire le signe de la croix avec deux doigts , pour attester que le Saint-Esprit ne procédé que du père. On les nomme Raskolnikis (1): euxmêmes se nomment Stawïvertsi ( vieux croyans ). Le culte public leur étoit défendu; mais ils tenoient des assemblées, et, sous le prince Potemkin , ils obtinrent la permission de se batir plusieurs églises. Son plan étoit de s'étayer un jour de cette secte puissante et fanatique. De riches marchands et de grands seigneurs y sont attachés , et elle est trèsrépandue parmi les paysans. Du reste , on ne persécute plus les Raskolnikis , et les russes en général montrent la plus grande insouciance concernant la foi des autres. (1) Schismatiques.  ( 94) Le peuple observe avec la plus serapuleuse exactitude les quatre grands carèmes qui lui sont prescrits: il pousse alors la superstition jusqu'a s'abstenir de sa femme et de sa tabatière. Le Russe bigot ne se reprochera pas autant un vol ou un meurtre , dont le prêtre 1'absoudra facilement, que d'avoir mangé un ceuf, de la viande ou du laitage, pendant le carême. De 1'huile de chanvre , dupoisson, des herbes, des racines et des champignons, sont alors sa seule nourriture, et, après six semainés d'une pareille abstinence, il est exténué. Les riches ont des tables somptueuses, des poissons, des fruits exquis: quelques-uns même servent gras en faveur des etrangers ou des malades ; mais j'ai vu un dévot ne pas vouloir manger sa soupe au poisson, paree quelle lui étoit servie avec une cuiller qui avoit touché au bouillon gras. Ces jeiines rigoureux ont fait dire a quelqu'un que les Russes ne savoient prendre le ciel que par familie.  (95) Chaque Russe, outre une amulette bénie qu'il porte au cou, qu'il a recue a son baptême, et qu'il ne quitte plus , garde ordinairement dans sa poche une «mpreinte de cuivre qui représente Saint-Nicolas, ou tout autre saint son patron. II la porte partout avec lui, aussi dévotement que le pieuxEnée ses dieux pénates : c'est souvent 1'unique meuble qu'un paysan, ou un soldat en voyage > ait sur lui. Rien n'est plus singulier que de voir quelquefois ce soldat ou ce paysan, tirer sonpetit dieu de sa poche , cracher dessus et le frotter avec la main pour le laver, puis le placer vis-a-vis de lui, et se prosterner tout a coup en faisant mille signes de croix, en poussant mille soupirs et récitant ses quarante (1) Gospodi fpomiloï! ( Dieu aie pitié de moi! ). Sa prière faite ,il ferme sa boite et remet son dieu dans sa poche. Les (1) Le nombre quarante a quelque chose de sacré parmi la prétraüle russe.  ( 96 ) Égyptiens avoient leurs dieux dans leurs jardins, ou dans leurs écuries; les Africains le portent au bras et les Russes souvent dans leurs culottès. In noble russe y met un peu plus de facons. Son dieu le suit aussi dans ses voyages; mais il est habillé d'or ou dargent: arrivé a une station. la première affaire du domestique est de le tirer de sa caisse, et de le placer dans le chambre de son maitre . qui l'honore aussitót de ses prostememens. Jaiconnu une princesse russe . dont le dieu pénate étoit un grand crucifix dargent , qui la suivoit toujours dans une voiture apart, etqu'elle placoit ordinairement dans sa chambre a coucher. Lorsqncdans la journée, il lui était arrivé quelque chose d'heureux et qu'elle étoit contente de ses amans . e lle faisoit allumer des bougies autour du christ, et lui disoit en langage familier: Eh bien ! vois-tu , puisque tu as été bon aujourd'hui, tu seras bien traité; tu auras des  . C 97 ) bougies, toute la nuk -je t'aimerai Je te prierai; tuseras mon petit bon dieu mignon. Si,au contraire, il arrivoit a cette femme quelque chose de facheux, elle faisoit éteindre les cierges , défendoit a ses domestiques de rendre aucun hommage au pauvre crucifix, et faccabloit de reproches et d'impertinences. Catherine même affectoitune grande dévotion pour les images. On la vojoit souvent dans sa chapelle se prosterner sur le parvis, ramasser la poussière et en souiller la couronne de diamans qu'elle portoit sur la tète. On lui vola une fois une vierge entourée de brillans , dont 1'impératrice Élisabeth lui avoit fait présent d sa confirmation, et qu'elle avoit déposée dans cette chapelle. Elle mit toute la police en mouvement pour découvrir 1'auteur de ce vol hardi: mais ce fut en vain. Ah ! disoit Catherine , ce ne sont pas les brillans, c'est la sainte image que je regrette! je donnerois le doublé de sa valeurpour S  ( 98 ) la retrouver. Ses vceux furent exaucés : aprés bien des recherches et des emprisonnemens,en trouva. au bout de quelques jours, la vierge nue et dépouillee de sa riche garniture, gissant dans la neige aupres de 1'aniiraute. Caüierine, enchantee, recompensa celui qui la lui rapporta, la fit rhabiller plus richement et replacer en grande cérémonie sur 5011 autel. Les filles de joie russes sont aussi trés?dévotes aux saints. Quand elles ont des visites, et qu elles veulent se livrer a leurs plaisirs,elles commencent toujours par rabaisser le voile et éteindre les bougies de leurs images : c'est le signal du sacrifice qu'elles vont offrir a Vénus. Je ne ferai pohit le détail de toutes les superstitions, qu'une telle rehgion doit nécessairement inspirer a un peuple esclave et ignorant. Le tzar actuel met aujourd'hui sa politique grossière a épaissir le nuage d'erreurs et de sotise, que le génie de Pierre, fhumanite dÉlisa-  C 99 ) beth et la philosophie de Catherine, vouloient un peu éclaircir. Tel un crapaud trouble encore le limon de son bourbier, pour mieux s'y cacher (1). (0 On sera peut-être étonné de voir comment en Russie on fait encore des saints. Voici un article édifiaht de la gazette impériale de Pétersbourg, qui 1'apprendra. Je le traduis Pétesbourg , 7 dëcembre 1708. « En 1796 , on trouva dans leparchie de IFologda , au couvent de Soumorin dans la ville de Trotma, un cercueil oü étoit un cadavre en habit de moine : 'il y avoit été enterré en i568 , et se montroit parfaitement conservé , ainsi que ses habits. Aux lettre brodées sur les vêtemens , on reconnut ce cadavre pour être le corps du T R E S-V ENÉRABLE FÉODOSE S O IJMORIN , fondateur et supérieur du couvent, et qui fut déja durant sa vie , reconnu pour saint par les miracles qu'il faisoit ». Le tres - saint dirigeant synode fit a cette occasion un très-humble rapport a S. M. L Après quoi s'ensuivit ce sublime oukas de Paul. " Nous Paul , etc. etc. Ayant été assuré , par un rapport spécial du très-saint synode , de la découverte qui a été faite , dans le couvent de Spassa-Soumorin , des ossemens miraculeux du T R È S-V ÉNERABLE F E O D O S E ; lesquels ossemens miraculeux se distin— guent par 1'heureuse guérison de tous ceux qui y ont recours avec une entière confiance , Nous prenons la  ,c .1C3} En plaignant 1'avilissement oii croupit un grand peuple, ilfautrendre justice aux Russes éclairés qui en gémissent. Mais ils sont enchainés par les préjugés, comme le géant Gulliver par les Liliputiens-.ëeè liens étoient foibles et imperceptibles comme ses ermemis; mais chacun de ses cheveux étoit séparément attaché a laterre;ilnepouvoit soulever la tete. ddcoiiverte de ces ossemens , comme un signe visible que le seigneur jette sur notre règr.e les resaids les plus distmgues et les plus gracieux. C'est pourquoi nous éievor.s notre fervente pricre et notre gratituöe au dispensateur suprème , et chargeons notre très-saint synode d'annoncer dans tout notre empire cette découverte remarguable, selon les usages prescrifs par la saicte égiise et par les saints pères. etc. etc. Le 28 septenibre *798 „ - Tout ce que je pouircis ajouter a un pareil fait ne pourroit qu'affoiblir le ridicule et 1'indignation. Au reste , Paul a enrichi le calendrier russe de quelques jours de fttes de plus que celles dont j'ai parlé; entre autres , de celle de ce saint délerré , et de celle de la Madonna de Kcsan, qu'il a ordonné de chomer. De plus ,«haque enfant qui lai aait amène deux fetes nonvelles, celle de la naissance et celle du nom : Paul a déja neuf ar-s.  GYNÉCOC RATIE. De son influence sur les femmes en Russie. Leur caractère, leur immodestie, leur cruauté, leurs mceurs, leurs bains , leurs talens , leurs charmes. La princesse Daschkow. La Russie offre un exemple unique dans 1'histoire. Le même siècle a vu cinq ou six femmes règner (1) despotiquement sur un empire, ou les femmes étoient auparavant eselaves d'hommes eselaves; oü Pierre I fut ohligé d'employer la violence (2) pour les tirer de (1) Sophie , soeur de Pierre i , Catherine i , Anne i 4 Anne la régente , Elisabeth , et Catherine ii. (2) Avant Pierre i , les femmes ne paroissoient ni a la cour , ni dans les sociétés ni même a k. table de leurs maris. Pierre, par un oukas , ordonna a ces maris de  C 102 ) eet avilissement barbare, et leur donner une place dans lasocieté ; ou,meme encore aujourd'huije code de la servitude ne leur accorde pas un ame (i),et ne les compte point parmi les créatures humaines. Le règne de ces femmes offre un exemple bien militant en faveur des peuples qui n'ont jamais laissé tomber leur couronne en quenouille ; car il est difficile de citer six règnes plus féconds en guerres , en revolutibns, en crimes , en désordres, en calamités de toute espèce. A la cour , les mceurs se sont adoucies, j'en conviens , mais elles se sont corrompues , et la misère a a*o-men- produire leurs femmes , dont le commerce lui sembloit avec raison propre a civiliser la nation : mais il fut souvent obligé d'employer les officiers de police poui amener les dames au bal. ,* (0 En langue russe , on désigne , par le mot 0771e les paysan* eselaves. Au lieu de demander d'un homme combien il a de revenu , on demande combier. Üa d ames ? et un pareil homme en a quelquefois dJx ou ringt mille , sans compter ni celles des femmes , ni la sienne , qui assurérnent mérite le raoias d'eatrer en compte.  ( 103) té, en raison du luxe et de la désorganisation. Les abus de tout genre , la tyrannie et la licence, sont deyenus 1'essence même du gouvernement. Le viel adage , quand les femmes règnent, les hommes gouvernent, est faux ou insignifiant. Quand les femmes règnent, leurs amans tyrannisent, et cbacun pille. Mais, sans m'arrêter ici aux effets politiques de la gynécocratie, qui pourroit bien être le comble de 1'avilissement ou de l'extravagance humaine (1) , je remarquai seulement l'influence qu'elle a eue sur la société et sur les femmes en Russie. L'existence des Amazones ne me (i) Par qu'elle contradiction la charge d'impératrice et de reine , qui exige la vigueur du corps et celle da 1'esprit, et des connaissances ou des talens en tout genre , a-t-elle si souvent été donnée a des femmes ! quoi ! Catherine disposoit d'une armée de 5oo mille homme, et ne vouloit pas confier une compagnie a une autre femme ! Elle dirigeoit la politique de 1'Europe , y décidoit de la paix et de la guerre , et une femme n'y peut avoir le moindre emploi ! Cela est bien inconséquent.  C 104 ) paroitplus une fable. depuis que jai vu les femmes russes. Encore quelques imperatrices autocratrices, et 1'on eut vu peut-etre cette nation de femmes guerneres se reproduire aux memes lieux et sous le meme climat oü elles existerent autrefois (i). On remarque encore chez les peuples slaves beaucoup d energie dans les femmes, et leur histoire en Fournit plusieurs preuves. Cette aciivite pninine, que famour. la tendresse et les soins domestiques, absorbent dans les autres pays, les femmes 1'emploient dans le Nord. oü elles naissent plus froides et plus robustes, a 1'envie de dommer et aux intrigues poliiiques. (i) Il est bien singulier qu'aux mêmes heux, oü Ion place cette associat.on de femmes qui proscrivoit les hommes on ait vu depuis 1'association des Cosaques Zaporo^e. ' qui ne souffroient aucune femmeparmi eux, et qui nese recrutoientque par 1'enlèvement des jeunes garcons de= pavs vomns Cette république barbare a été détruite par Potenden , et ceux qui la composoient dispersés dan* les armees ou parmi les autres Cosaques.  ( io5 ) Etre aimées, est souvent pour elles un besoin physique; aimer en est rarement un pour leurs cceurs. Sous le règne de Catherine,les femmes avoient déja pris a la cour une prééminence, qu'elles rapportoient dans leurs maisons et dans les sociétés. La princesse Daschkow, cette Tomiris parlant francais, comme disoit Voltaire, déja masculinisée par ses gouts, ses allures et ses exploits, 1'étoit encore davantage par ses titres et ses fonctions de Directeur de 1'académie des sciences, et de Président de f académie russe. On sait qu'elle sollicita long-tems Catherine de la nommer colonel des gardes, emploi dont elle se fut sans doute mieux acquittée que la plupart de ceux qui 1'exercoient. Catherine se défioit trop de celle qui se vantoit tant de 1'avoir placée sur le tröne , pour lui confier un pareil emploi. Mais encore un règne féminin , et 1'on auroit pu voir une fille général d'armée, et une femme ministre d'état-  C 106 ) Plusieurs généraux russes,crai ont du renom dans 1 etranger , étoient a cette époque gouvernés par leurs femmes. Le comte V.Pouschkin qui commandoit en Fmlande, n'osoit faire un mouvement , qu'après avoir envoyé un courier a la sieune pour la consulter. Le comte Iwan Solrykow étoit inférieur a sa femme au moral comme au phvsique. et le ministae de la guerre trembloit devant sa furieuse moitié. Qu'on ne s'imagine pas que cette soumission, devenue presque générale, fut cette galante et chevaleresque déférence qu on a quelquefois pour les dames: celles que je cite pour exemple étoient vieilles, laides et méchantes: c'étoit, a la lettre, la soumission du foible devant le fort, la pusillanimité devant le courage, la sotise ou la folie. La superiorite naturelle se trouvoit ici lepartage du sexe'féminin. Le respect et la crainte qu'inspiroit CaÜierine a ses courtisans, sembloient rejaillir sur tout son sexe.  C 107) Loin de la cour, on retrouvoit souvent les mêmes effets. Plusieurs femmes de colonels avoient les détails du régiment, donnoient les ordres aux officiers, les employoient a des services particuliers les congédioient, et les créoient quelquefois. Madame Mellin, colonelle du régiment de Tobolsk, le commandoit avec une hauteur vraiment martiale , recevoit les rapports a sa toilette et faisoit monter la garde a Narva, tandis que son mari bénévole s'occupoit ailleurs. A une surprise que tentèrent les Suédois on la vit sortir de sa tente en uniforme, se mettre a la tête d'un bataillon, et marcher a 1'ennemi. Plusieurs autres femmes suivoient 1'armée contre les* Turcs. Le sérail de Potemkin étoit toujours composé dé belles amazones, qui se plaisoient a visiter les champs de bataille et a examiner les vigoureuses nudités des Turcs étendus sur le dos, le cimeterre a la main', et fair encore ménacant , comme 1'Argant du  ( io8 ) Tasse le parut a la douce Herminie (i). Dans les campagnes, on remarquoit encore davantage la masculinité des femmes. On leur remarquera sans.doute un peu de ce caractère dans tous les pays oü les hommes sont eselaves : elles s'y trouvent souvent dans le cas , étant veuves ou fillesmajeures, deprendrele gouvernement de leurs terres, dont les habitans sont leur bien, leur propriété, comme un vil troupeau. Elles entrent alors dans les détails les moins convenables a leur sexe. Acheter, vendre échanger des eselaves, leur distribuer leur tache, les faire déshabiller devant elles pour leur infliger les verges, sont des choses qui répugneroient autant a Ia sensibilité qua la pudeur d'une femme, dans im pays oü les hommes (0 .Après 1'assaut d'Oschakow, on entassa sur le Liman, alors glacé des piles de cadavres nus , qui j\ restèrént jus qu'au dégel • et c'est autour de ces pyramides que les dames russes alloient se promener en traineaux, pour admirer les beaux corps musulmans, roidis par le freid.  C 109 ) ne seroient point ravalés au niveau des animaux domestiques, et traités avec la même indifférence (1): mais ce sont des fbnctions dont plusieurs femmes russes sont souvent obligés et même cbarmées de s'acquitter. Cette habitude d'en agir ainsi avec les hommes, et celles qu'ont encore les deux sexes de se montre»nuds et pêle - mêle dans les bains, émoussent de bonne heure dans les femmes cette pudeur qui leur est naturelle, et j'en ai vu d'aussi (1) J'ai appris d'une frangaise de Saint-Domingue, que plusieurs dames créoles ne sont pas plus scrupuleuses que celles de Russie. Quelques-unes vont elles-mémes sur le vaisseau négrier choisir et marchander des eselaves, qui leur sont exposés tout nus. On nomme un jeune négre de 25 ans, bien cont'ormé, un nègre toutes pièces. Je vis un jour une dame russe marchander un jeune étalon, aussi trés bien conformé , et qui étoit d'une beauté et d'une douceur rares. Elle le visitoit avec une complaisance singuliére ; lui caressant les testicules qu'il avoit trésapparens. II est probable que cette femme en usoit de même avec un jeune esclave qu'on lui amenoit de la campagne , pour en faire son coureur ou son laquais.  ( Ho) aguerries a eet égard que les hommes les moins modestes (1). II ne faut point attribuer au libertinage, ni a une grossière volupté, cette espece d'effronterie de quelques femmes russes.Ellesvivent,dèsleurenfance,dans la plus grande privauté avec la foule de leurs eselaves : elles se font rendre mille services parti^uliers, et même secrets , par des eselaves males, qu'elles regardent a peine comme des hommes. Les moeurs domestiques leur fournissent, tous les jours, les occasions de satisfaire et même de prévenir leur curiosité sur tous les mystères de 1'amour, et d'émousser, a sa naissance , . firritahilité nerveuse. 11 faut être leur (O Me trouvanta la campagne, chez une dame, elle voulut un jour se donner le plaisirde la pêche. Elle envova chercher desiilets , et ordonnaa quelques-uns de ses domestiques de se déshabiller pour se jetter a 1'eau. Ils se mirent devant leur maïtresse , nus comme Adam avant sa crute' devant Eve. Ede leur donnoit des ordres , dirigeoit la pêche, et regardoit; d'un air de mépris vraiment comique, leurs mefibres rapetissés par 1'eau et Ie froid.  (111) égal pour les faire rougir: un esclave n'est pas pour elles un être de la même espèce (1). J'ai déja remarqué combien la manière dont on traite les hommes en Russie est révoltante. Il faut que la sensibilité se soit déja émousséc, et que le cceur se soit déja ossifié par des spectacles cruels, pour pouvoir soutenir un instant, sans horreur et sans indignation, celui des punitions que 1'on inflige quelquefois aux eselaves. Mais il faut (i)Une dame russe étoit a la promenade avec une francaise , et suivie de deux grands laquais. Elle les appelle , se fait prendre sous le bras, et s'éloigne un peu du chemin, La , derrière un buisson , elle se fait relever ses jupons par ses deux pages, et se délivre, tandis qu'il la soutiennent , d'un besoin qui la pressoit. La Francaise ne put s'empécher de lui témoigner sa surprise et son indignation de la voir s'acquitter d'une pareille fonction entre deux hommes. — Comment ! répond la dame russe, ce sont mes eselaves ; ils ont été élevé avec moi : je voudrois voir qu'ils eussent 1'audace de penser que je porte autre chose qu'un jupon , et de croire que je suis femme pour eüxet qu'ils sont hommes pour moi!  C mi ) convenir que 1'on est plas révolté encore de voir les femmes v assistêr et même v présider , et quelquefois inniger elles-mèmes ces punitions. Je me suis trouve a des tables oü, pour quelques légères fautes d'un laquais, le maitre ordonnoit froidement, et comme une chose toute simple,' de lui déKvrer cent coups de bagottes. On le mène sur-Ie-champ dans la cour, ou seulemcnt dans une antichambre , et tout cela se fait en présence des femmes et des jeunes filles qui, en mangeant et riant, entendent les cris du malheureux fustigé (1). (O Lalégèreté aveclaquelle on ordonne de fuseer un homme , produisit, il y a quelques années , un étrange quiproquo.Le comte Bruce, gomerneur général de Pétersbourg , avoit un cuisinier esclave ,q,.i déserta. D trouve a la cour Ie maitre de police KhiefetM donne ses ordres pour que la police nit a faire les perquisitions nécessaires , afin de retrouver son cuisinier, Elles furent vaines. Sur ces entrefaites, arrivé de Varsovie nn cuisinier francais , qui venoit chercher de 1'emploi en Russie', et qui étoit adW et recemmandé i Kléïef par un de ses amis de Polo^ne  ( «3 ) Je ne suis pas le premier qui ait remarqué qu'en Russie les femmes sont en général plus méchantes, plus cruelles, plus barbares que les hommes : c'est qu'elles sont encore beaucoup plus ignorantes, plus superstitieuses. Elles ne voyagent guères, s'instruisent peu , ne travaillent point. Toujours entourées d'esclaves pour satisfaire ou prévenir leurs désirs, les dames russes passent leur tems, couchées sur un canapé, ou a une table de jeu. On les voit rare- Kléïef, croyant placer eet homme , 1'envoye de suite chez Bruce , dont il savoit la cuisine vacante par la désertion de son cuisinier, en disant au Francais qu'il n'avoit qu'a s'annoncer de sa part. Ou annonce donc au comte Bruce un cuisinier , qu'envo'e le maitre de police. — Ah ! dit-il, c'est mon dróle ! qu'on lui donne sur-le-champ deux cents coups et qu'on le remette a sa cuisine. Les ordonnances du gouverneur se saisissent aussitöt du frangois , et le conduisent dans le manége. La, malgré ses cris , ses protestations , on fait subirle supplice ordonné : qu'on juge de la surpris , de la terreur de eet homme. On le laisse demi mort. A peine peut-il se trainer chez le ministre , oü il fait sa plainte. Bruce , instruit de 1'erreur, appaisa 1'affaire pour quelques cents roubles qu'il donna au malheureux cuisinier frangais. 2. h  ("4) ment lire, plus rarement encore s'ocenper de petits ouvrages de main ou des soins de leur ménages; et celles , qu'une éducation étrangère et soignée n'a point humanisées, sont réellement encore barbares. C'est parmi elles que vous retrouverez cette Romaine,dont parle Juvénal, laquelle , envoyant un esclave au suppbce, répondit a celui qui la conjuroit d epargnerTin homme: O demens, ita servus homo est! et cette autre qui montre ses bijoux et eolifichets a ses amies,tandis qu'on entend les cris d'un eselaves : Ce n'est rien, dit-elle a ses compagnes effrayées, c'est un homme que je fais fustiger. S'il y avoit de telles fenmies a Rome, que doit-on attendre de Pétersbourg ou de Moscou? Aussi vais-je citer des traits horribles. Je préviens pourtant que ce sont des exces , des monstres, que je cite : mais il est bon d'apprendre jusqu'ou peut aller quelquefois la férocité d'une femme Lorsque le gou-  ( ii5 ) vernement, la religion, les lois et les usages du pays semblent 1'autoriser. Faut-il s'étoimer si 1'esclavage et la tyrannie pervertissent les hommes, lorsqu'ils transforment en bètes furieuses le sexe le plus sensible et le plus doux ! Une princesse K ky retrace 1'idée de tous les crimes, de tous les emportemens et de toutes les turpitudes. On 1'a vue faire dépouiller des hommes, les faire battre de verges en sa présence , compter les coups,et exciter 1'exécuteur a les appésantir, On fa vue, dans les acsès de son ivresse ou de sabrutalité, faire attacher par ses femmes eselaves un homme esclave nu a un poteau, le faire, en eet état, mordre par des chiens , ou fustiger par ces mêmes femmes. On 1'a vue leur arracher les verges, et le frapper elle-même sur les parties.... les plus sensibles, ou enfin prendre une bougie allumée , et lui brüler le poil.... mêlant ainssi les jouissances monstrueuses d'une cruauté atroce a celles d'une horrible  C ) lubricité... La plume tombe ... la honte et 1'indignation font monter le sang Je ne puis pousser plus loin ces détails. Les supplices, qu'elle faisoit subir a ses femmes, portoient le même caractère , et c'étoit alors des hommes qu'elle choisissoit pour bourreaux. Après les avoir fait fouettcr a nu, souvent pour assouvir sa fureur et sa vcngeance, elle leur faisoit poser leurs mamelles pantelantes sur le marbre froid d'une table, et fustigeoit elle-même les parties délicates. J'ai vu une de ces malheureuses, a qui elle avoit souvent infligé ce chatiment ,et qu'elle avoit de plus estropiée. Lui mettant ses doigts dans la bouche 3 elle lui avoit déchirée les lèvres jusqu'aux oreilles. J'ai vu, dis-je , cette pauvre fille, ainsi déchirée, trainer ses jours déplorables dans une écurie, oü elle étoit nourrie et cachée par charité des autres domestiques. Son crime étoit d etre soupconné par sa Messaline de lui avoir enleve les faveurs de 1'un de ses  ( ii6) méprisables favoris. De pareilles indignités , qu'elle avoit déja commises -a Moscou, forcèrent le frère de cette Tisiphone de 1'envoyer aPétersbourg,pour la soustraire a la vengeance du peuple. Elle continua a mener une vie infernale, a 1'ombre d'un parent puissant qu'elle avoit a la cour: mais ce parent fut obligé de lui défendre de prendre ses propres eselaves pour domestiques ; elle dut louer des gens libres, qui ne restoient qu'un jour auprès d'elle. A la fin, elle n'avoit plus que des soldats, qu'on lui envoyoit par corvée, pour la servir et assouvir sa fureur dans tout les genres. J'ai donné a ce monstre son titre de princesse, n'osant lui donner celui de femme. Il est agé de quarante ans: il est d'une taille et d'une épaisseur immense. Il ressemble a 1'un de ces Sphinx, que 1'on voit parmi les monumens gigantesques des Egyptiens. 11 vit encore, et j'en donnerai 1'adresse a ceux qui voudront le voir.  ( »8 ) J'ai connu une autre dame de la cour, qui avoit dans sa chambre a coucher une espèce de cage obscure, oü elle tenoit enfermé un esclave, son perruquier. Elle le tiroit de la elle-même, tous les jours, comme 1'on tire son peigne de son 'étui,pour se faire accommoder, et le renfermoit aussitot, le plus souvent après Tavoir souffleté pendant sa toilette. Le malheureux avoit un morceau de pain, une cruche d'eau, un petit banc et un pot de chambre , dans sa boïte. Il ne voyoitle jour, que pendant le tems qu'il arrangeoit une perruque sur la téte chauve de sa vieille géolière. C'étoit au chevet de son litqu'elle avoit cette prison portative , dont elle se faisoit suivre a la campagne. Et son mari souffroit cette horreur! Comment n etoit-il pas troublé dans son sommeil par les soupirs que poussoit le misérable assis a ses cótés entre quatre planches. II passa trois ans consécutifs dans la même géhenne ; et lorsqu'il reparut, il étoit horrible et  ( "9 ) p&le, courbé et rabougri comme un vieillard. Le principal motif d'une aussi étrange barbarie étoit que cette sempiternelle prétendoit cacher a tout le monde qu'elle portoitperruque, et, pour cela, elle séquestroit un homme de dixhuit ans de la société humaine pour rapetasser en secret ses charmesdélabré.s.Les mauvais traitemens et les jeunes, qu'elle lui faisoit outre cela endurer, étoient pour le punird'avoir voulu s'échaper, et de ce que , malgré tout 1'art.et les soins du malheureux , elle devenoit tous les jours plus vieille et plus détestable. Au reste, je le répète, je ne cite point ces infamies, aussi incroyables qu'elles sont vraies, comme des traits caracté1 istiques et genéraux, que 1'on doive reprocher aux dames russes: ce sont les crimes de deux femmes;mais ces crimes n'auroient pu se commettrent ailleurs qu'en Russie. Les parens, les familiers, les connoissances des furies qui les commettoient , ne les eulsent point  ( 12°) ailleurs envisagé comme des singularités de 1'humeur de ces dames. Le9 parens du jeune homme eussent eu le droit de se plaindre, et de réclamer non-seulement la justice, mais 1'indignation et la vengeance (i). Ce n'est pas seulement a la cour • et dans leurs ménages que les dames avoientprisdel'ascendantsurleshommes.On ne voit nulle part tant de femmes s'arroger la primauté, et jouer le röle actif en amour. Catherine étoit bien propre,par son exemple a leur donner ces mceurs et ce goüt masculins et dévergondés. Sans être aussi impudente qu'une Messaline, elle réalisoit de-nos jours, et a la face de sa cour et de son empire, ce que des relations fabuleuses rapportent de la reine d'Achem. Changeant souvent de favoris, et son (0 Sous le règne d'Elisabeth , une ayeule de ces furies setoitdéja distinguéepar de pareilles atrocités : ses parens furent obligés de l'enfermer.  (w) ardeur, aussi bien que son rang, la mettant toujours dans le cas de faire les avances, les femmes de sa cour se formèrent sur son exemple, et plusieurs surpassèrent le modèle. Qui n'a pas connules fureurs amoureuses d'une Maria Pawlowna? Quel jeune officier, un peu appétissant, n'a pas été violé par madame S w? Toute la Russie même n'a-t-elle pas été scandalisée des amours de madame P....n ? On avoit vu aupa- ravant mesdames B n, K...n, G . . .n (1), et tant d'autres, faire , a 1'envi de leur souveraine , un vrai b .. du palais des tzars. A la fin de sa vie , Catherine s'étoit si bien masculinisée , qu'il lui falloit des femmes: ses ébats avec les tribades Daschkow} Protasow et Branistka , n'étoient ignorés de per- (1) Cette princesse G...n disoit un jour, dans une société qu'elle avoit acheté trois singes, une femelle et deux males. Lorsqu'il y en a deux d'accouplés, dit-elle , le troisième se suffit a lui-même. Assise sur mon sopha, je m'amuse beaucoup de cette scène singuliere.  ( 122 ) sonne, et le dernier favori ne servoft plus guères qua tenir les flambeaux. Presque toutes les femmes de la cour a 1'instar de leur auguste souveraine, tenoient des hommes en titre et en fonction, de favoris; je ne dis pas d'amans, car cela méleroit du sentiment a la chose. II n'y avoit qu'un besoin physique grossier, et souvent rien autre chose que I'envie de suivre la mode. Ce gout étoit devenu comme celui du boire et du manger, ou du bal et de la musique. Point de tendres intrigues, moins encore de fortes passions (1). L'ambition (1) Une jeune princesse Schakmvskoi, marié a un comte d'.Areroberg, riemde fournir une exception bien tragique. .4 1 epoque de la révolution du Brabant, oü sDn mari avoit prispart, Catherine lui ordonna d'abandonner ce factieux ct de revenir en Russie , sous peine de confiscation de tous ses biens. Elle revient, ramenée par sa vieille mère ~ et Catherine déclara nul son mariage. L'un de ses cousins 1'enlève, et val'épouser k Moscou, pour obtenir ensuite plus facilement des dispenfes. Cependantil n'avoitpas le cceur desa jeune femme ou du moins ne le remplissoitpas. Elle aimoit un officier aux gardes, nommé Kamosmvsky. La jalousie de  ( 1^3 ) et la débauche avoient banni 1'amour. Le mariage n'étoit qu'une assoeiation, qui ne supposoit que la* convenance : heureux si 1'amitié venoit quelquefois sans y être priée, adoucir des chaines, que 1'intérêt des pareus, ou la vanité seule, avoit formées. Ce qui achève de prouver la dépravation, 1'abrutissement, la confusion des mceurs et des goüts sous le règne de Catherine, c'est la découverte que 1'on fit, il y a quelques années, a Moscou , d'une assoeiation connue sous le nom de club physique. C'étoit un espèce d'ordre surpassant en turpitude tout ce que 1'on araconté des institutions et des mystères les plus impudiques. Les hommes et les femmes se rassembloient , a certains jours, pour se livrer pêle-mêle aux débauches les plus infames. Des maris y son mari ayant éventé ses rendeï-vous, et s'en étant plaint , la princesse s'empoisonna et mourut dans des convulsions horribles. Son mari , homme d'une sensibilité sombre , er* perdit pour un tems la raison et pour toujours le bonheur.  (m) faisoient admettre leurs femmes; des freres. leurs soeurs. Ce qu'on exigeoit dans les hommes, etoit de la rigueur et de la santé; dans les femmes,de la beauté ou de la jeunesse. Les recipiendaires n'etoient inities . quaprès avoir donné leurs preuves et subi des visites. Les hommes recevoient les femmes, et les femmes. les hommes. Après un repas splendide. le sort decidoit des accouplemens. Ala révolution francaise. la police eut ordre de fureter et de dissoudre chaque espece d'ordres ou de rassemblemens: et ce fut alors que 1'on examina le Club phvsique, dont les meubres furent obligesd'en re veler les mvsteres: comme ces meubres de 1'un et de 1'autre sexe appartenoient aux plus riches et aux plus poissantes families, et qu'il n etoit pa; question de politique dans leurs assemblees, on se contenta de fermer et d'interdire cette loge scandaleuse. On a beaucoup de relations sur les bains russes; mais comme ils ont une  ( 125) grande influence sur le caractère et sur les mceurs des femmes du peuple particulièrement, il ne sera pas hors de propos d'en parler ici sous ce rapport. A mon arrivee en Russie,l'une de mes premières recherches fut de réaliser 1'idée que m'en avoient donnée les voyageurs, et que je croyois fausse. Jeune et venant d'un pays oü les mceurs sont de la plus sévère décence , je me promettoit de comtempler a mon aise des trésors que jamais mon ceil n'avoit entrevus que furtivement. Je me retracois les bains voluptueux de Diane, et nouvel Actéon, je ne méditois rien moins que d'aller surprendre des nymphes. Un jour donc, je descendis avec un ami les bords de la Néwka, pour m'approcher d'un bain public; mais je ne fus pas obligé d'aller bien loin pour me convaincre que les belles Russes étoient accoutumées a exposer leurs charmes aux yeux des passans. Une troupe de femmes de tout age, invitée par la chaieur de juin, n'a-  ( ) voit pas jugé a propos d'aller jusques dans 1'enceinte des bains. Elles s'etoient nuses nues, nageoint et folatroient vers les bords de la riviere. Ce speetacle, auquel je n'etois pas habitué, fit sur moi la plus vive impression : je m'arretai et m'appuvai sur le quai. sans que ma pre sence ni ma proximité troublassent en rien les jeux des baigneuses (i). J'ai ete depuis, plusieurs fois, dans les bains, et j'ai revu les memes ehoses sur (i) La rue des appas naissans, que quelques-jnes dei plus jeunes exposoient ingénument, étoit presque acbefée par les ob)ets degoütans qu'étaloient inrpudemment les lieiïles, dont la peau ridée formoit miüe piis , qui n étoient rien moins qne k cachette des amours. L*une de ces vieilles , Tovait 1 quelque distance des hommes de sa connaissancé qui se baignoient anssi, allales joindre a la nage , et cornm2Dca avec un jeune drole me lurte comparable a celle qu'eut SaunacisavecHermaphrodite. Mdisle jeune homme ne sacnant pas nager, la vieille eut l"avantage : elle Ie saisit, d'une main, par la barbe, et, de 1'autre, par , et lê pioagea dans 1'aau, auxgrands édats de rire des deuxtroupes et des spectateurs. Cette scène se passoit prés d'un rivage , oü aHoient et renoient des personnes de tout age et de tout sexe; «les jeunes demeiseiles , habitantes des ma5socs voisiees, pouvoient en jouir ds leurs fenétres.  v ( 127 ) larive des isles de la Néva. Mais après le tableau que je viens de tracer, de plus amples détails seroienttrop licencieux.il existe,ala vérité, un oukas de Catherine la chaste, qui enjoint dans les villes aux entrepreneurs de bains publics de construire des bains séparés pour les deux sexes, et de ne laisser entrer dans ceux des femmes, que les hommes nécessaires pour le service, et lespeintres et les médecins qui viendroient y étudier leur art. Ainsi un amateur prend 1'un de ces titres pour être introduit. Les deux sexes ont donc maintenant a Pétersbourg leurs étuves et leurs enceintes séparées par une cloison : mais plusieurs vieilles femmes aiment toujours mieux se mèler aux hommes; et d'ailleurs, après avoir pris le bain chaud, hommes et femmes sortent tout nuds pour courrir ensemble se plonger dans la rivière qui passé derrière les bains. Les femmes les plus pudiques tiennent alors devant elles la branche de bouleau dont elles se sont ser-  ( 128 ) vies pour se flageiler dans 1 'étuve. Lorsqu'un homme veut prendre un bahi séparément. c'est souvent une femme qui le lave. le savonne et le flagelle: elle s'acquitte de ces soins avec tout le détail et rindifFerence possibles. Dans les campagnes, les bains sont encore sur Tanden pied, e'est-a-dire, que tous les sexes et les ages les preiment ensemble ; et qu'une familie composée d'un père de quarante ans, d'une mère de trente-einq,d'un fils de vingt et d'une fdle de cruinze.s'vmontrent les uns aux autres dans 1'état d'inno cence, et se flagellent mutuellement. Ces usages. qui nous paroissent si choquaiis. et qui le sont toujours chez un peuple qui s'habille et qui n'est plus sauvage.ne sontpas un effet de la corruption et ne supposent pas le libertinage. Ce ne >ontmeme pas ces bains. d'ailleurs si salutaires au peuple russe . qui le portent aux debauches. Au contraire. 1'habitude de voir sans cesse et de bonne heure des nudités sans voiles, émousseroit les sens  C 129 ) et réfroidiroit 1'iniagination, si on lui laissoit le tems de s'enflammer par la curiosité contrainte. Jamais un jeune russe ne sentira palpiter son cceuret bouillonner son sang, a 1'idée d'un sein naissant. II n'a point a soupirer après 1'aspect de quelques charmes secrets , qu'il ose k peine deviner; car il a; dès 1'enfance , tout vu, tout examiné. La jeune fille russenerougirajamaisinvolontairement d'une curiosité ou d'une pensee indiscrete , et son époux n'aura rien de nouveau nia lui montrernia lui apprendre. L'amour n'a donc plus ces alentours piquans et délicats qui font ses vrais charmes , ni ces préludes du plaisir plus doux que le plaisir même. Si les sentimens exquis ne viennent plus ennoblir la plus heureuse des passions de 1'homme, elle ne sera plus qu'un besoin momentané, trop facile a contenter pour y mettre du prix. Ce n'est donc point en Russie qu'il faut chercher des Julies, amantes de 2 i  ( ) Saint-Preux, et moins encore des Julies, épouses de Wolmar. Pour ce dernier, je ne sais quelle idéé avoit Rousseau de lui donner une telle patrie. Le pavs de 1'esclavage n'est p*as celui des belles passions: on auroit peine a y trouver 1'étofFe d'un roman. Cependant le Russe est sensible, gai, cbante et danse volontiers; et lerecueildes chansons populaires atteste qu'autrefois il futinspiré par 1'amour. On y trouve souvent une sensibilité exquise, et une mélancolie touchante qui vous charme et vous attendrit(i). Apres ce que j'ai dit des dames russes, je crains que 1'on ne prenne une trop mauvaise idees des femmes de Russie, oü il y en a tant d'aimables et de charmantes (2). Presque toutes ont de 1'es- (1) Si les circonstances changent, et que) e puisse recouvrer quelques liaisons littéraires en Russie , je ferai connoitre un jour des morceaux en ce genre , qui ne le cèdent point a ce que la france a produit de plus délicat. (2) Peut-étre aussi, que le malheureux hazard, qui m'a fait voir de prés les plus méchantes et les plus méprisables, a  ( i?i ) prit naturel et des graces; les yeux, les pieds et les mains comme on le desire; une aisance dans les manières, un goiit dans les ajustemens, et des agrémens dans la conversation, qu'on ne retrouve que chez les Francaises. Ces dames russes, si spirituelles, si aimables, ont du goüt pour les arts. Elles rient a la représentation d'une bonne comédie, sentent fort bien un trait malin, comprennent parfaitement une équivoque, et applaudissent a un vers brillant-, mais les traits du sentiment semblent perdus pour elles ; je ne les ai jamais vu pleurer a une tragédie. Les mères, les filles, les amantes, voyoient d'un ceil sec Mérope, Antigone et Zaïre, au théatre francais de Pétersbourg, que Floridor, Aufrène et la Hus illustroient encore. mêlé, malgré moi, quelque fiel a mes pinceaux; et il faut convenir qu'autant les femmes afFectent un air indécent, autant les filles paroissent réservées et modestes. Elles naissent susceptibles des sentimens les plus profonds et les plus doux. L'exemple et la corruption ne les dépravent qu'avec peine.  ( i5a ) On trouve rarement chez les femmes russes les vertus domestiques, et eet esprit d'ordre et d economie si nécessaire a la médiocrité. Elles ferontplutöt les charmes de la société que les affaires de leur ménage, et sont plus propres a faire les plaisirs de plusieurs que le bonheur d'un seul. Mais tous ces agrémens que relève le luxe, tous ces talens enchanteurs qu'une heureuse aisance permet de cultiver, rehaussent ordinairement la beauté des jeunes Russes. Elles excellent surtout a bien parler les langues, et il en est plusieurs qui en possèdent trois ou quatre également bien (1). Celles dont 1'éducation a été soignée, que les mceurs de leurs families, et Jes (i) Une Livonienne , qui a regu quelque éducation , parle 1'allemand, qui est sa langue naturelle ; le russe , qui lui est indispensable ; et le francais, qui est celle de la société : plusieurs y ajoutent 1'italien , a cause de la musique ; et quelques-unes, 1'anglais. Outre ces langues , elles parient encore le livonien ou 1'esthonien, qui sont des langues particulières et originales de leurs provinces. Au reste les Livoniennes out un caractère bien diiFérent de celui des Russes.  ( 155 ) soins d'une sage gouvernante ou d'une mère respectable, ont formees aux graces, sans les fagonner aux vices; celles surtout que la lecture ou quelque voyage aperfectionnées, mentent 1'une des premières places parmi les femmes aimables de 1'Europe, et rappellent ces dames illustres que la France a produites (1). Mais ce sont des fleurs clairsemées, et qui ne s'épanouissent qu'en secret. La superstition, 1'envie, la calonmie s'acharnent sur elles; et si elles ne peuvent supporter la torture oü les met la conversation des commères du pays, elles sontobligées de se composer un cercle de femmes choisies, et surtout d'étrangers (2); ce qui redouble contre elles la haine et la persécution. (1) Je pourrois facilement designer quelques-unes de ces femmes respectables, comme j'en ai désigné de méprisables: mais on ne trouvera pas mauvais que je ménage plus la modestie des unes, que 1'inpudeur des autres. (2) M. KapiefF a fait une assez jolie comédie, ou il essaie de peindre le ridicule de ces] commères, et il ne lui falloit  ( i54 ) II ne sera pas hors de propos de fmir eet article sur les femmes russes par quelques particularites concernant la princesse Daschkow. qui est après Catherine , la femme de Russie dont on a le plus parle, et dont le portrait seroit le digne pendant de celui du prince Potemkin, si le mème maitre avoit voulu le faire (i). Je ne démentirai ni ne répéterai ee qifon a déja cent fois impnmé de cette Virago véritable héroïne de la révolution de i~62; et qui doit pour le moins en partager 1'odieux avec son iUustre amie. Cette amitie s'etoit singulièrement altétée depuis i.en mens que la gaiété et Ie njasque de Thalie , pour rendre p.a:sant ce qu il v a de Plus plat et de plus sot dans la société ■ mais .1 na pas ose copier les mis originaux fideUement. (0 II se trouve dans un lrvre , intitulé : vïe de Catherine II. Au reste, lauteur, ou le compilateur de cette bistoire a ete .nduiten erreursur quamitéde faitsetde personnes' La pnncesse Daschkow etoit déja dissraciée et partie a 1'epoque oü il la fait peindre a Pétersbourg • et le cadre'de eet oavrage est aussi faUx qu'invraiseuiblable.  C ï35 ) quelques années, et voici le vrai sujet de la dernière brouillerie, qui neut point de raccommodement. Dans 1'espoir de gagner quelques roubles, elle fit,en i794,imprimer,aux frais de 1'académie, une tragédie posthume de Kniaigenin(i).A toute autre époque, on n'auroit pas fait attention a cette pièce d'ailleursmédiocre.Mais Catherine , depuisla révolutionfrancaise, et surtout depuis la mort de Potemkin, étoit devenue craintive et soupconneuse : environnée d'ames foibles et timorées, la sienne s'étoit rappetissée. On lui paria de cette tragédie , comme d'un ouvrage séditieux. Elle fut défendue, tous les exemplaires saisis 5 et 1'on fit mème des recherches domiciliaires pour recueillir ceux qui avoient déja été vendus. Comme 1'ouvrage avoit été imprimé par les ordres- (1) Auteur russe , assez estimé.  C >36 ) « Mon Dieu, que vous ^ f ƒ T Mre 51 Ulfi™e et si «Weren* P même qu'elle mit a la réaliser. Ces mariages précoces entre des adolescens semblent n'avoir servi qu'a ruiner leur tempéramment. Le plus jeune, quoique vigoureux pour son age, fut plus de huit jours avant de pouvoir consommer son mariage , et 1'ainémanqua de perdre 1'ouie des suites du sien. Il n'eurent point d'enfans, et il est a craindre qu'ils n'en aient jamais (1). La naissance des deux grands-ducs avoit comblé de joie 1'impératrice. Ses vastes projets et ses espérances s'étendirent davantage, et les noms mêmes de ces princes en furent 1'emblême. Elle voulut renouveller pour eux le partage du monde en deux empires : elle fit peindre partout ces enfans, 1'un coupant le nceud gordien, et 1'autre portant la croix de Constantm. Leur éducation sembla d'abord n'ètre qu'un développement de ces grandes idees. Constantin (1) Onaparlé, dans le premier cahier , du mariage d& ces princes.  C i56 ) eut des nourrices grecqu.es, fut entouré de Grecs : il ne parloit que cette langue dans son enfance; mais 11 1'oubüa dès qu'on voulut lui donner des maitres pour la lui enseigner mieux. Alexandre fut environné d'Anglais, et on s'efforca de lui donner pour cette nation ime prédilection, dont il est a souhaiter, pour le bien de son empire, qu'il se défasseun jour, comme son frère se dégoiita de la Grèce. J'ai déja dit ailleurs que Paul n'avoit aucune influence ni aucune autorité sur leducation de ses fds. Il étoit obligé de solliciter auprès de Soltikow la permission de les voir, ou de gagner leurs valets de chambre pour savoir ce qui se passoit autour d'eux. Pendant 1'été, ils avoient la permission d'aller, une ou deux fois la semaine , passer une ou deux heures chez leurs parens, et le bizarre Paul se priva, une année entière, de ce plaisir, paree qu'il ne vouloit pas voir la comtesse Schouwalow, qui les accompagnoit dansles derniers tems. Au  ( i57 reste,voici mie legon pleine d'humanité que l'on a entendu ce bon père donner a ses fils. On avoit recu les nouvelles de quelques scènes sanglantes de la révolution francaise: Vous voyez, mes enfans, dit Paul a cette occasion, quilfaut traiter les hommes comme des chiens. 11 paroït jusqu'ici fidéle a cette maxime; c'est le fruits qu'il a tiré de la terrible legon que la révolution a donnée aux tyrans. A 1'exemple de leurs derniers souverains, les Russes, depuis quelque tems, s'étoient efforcés de sortir de la barbarie , et ils s'adonnoient avec beaucoup de soin a 1'éducation de leurs enfans ; leur donner des connoissances et des talens étoit jadis 1'heureux moyen de les produire et de les avancer: ils n'épargnoient ni peines ni dépenses pour cultiver les sciences et les arts dans un pays oü elles étoient étrangères 5 aussi bien que les fruits qu'ils font mürir forcément dans leurs jardins d'hiver et dans leurs serres. Elisabeth et Catherine érigèrent plusieurs instituts en faveur de la jeu-  C i58 ) nesse, dont quelques-uns, comme les écoles normales, et surtout les trois différens corps des cadets, ofTroientle spectacle intéressant de plusieurs milliers de jeunes gens élevés auxfrais de Fétatj et instruits dans les mceurs, les langues, les sciences et les arts. Paul vient d'abolir les écoles; et les corps de cadets ne sont plus que des corps de garde et des maisons d'exercice. Le couvent des demoiselles, établissement digne de la générosité d'ime grande princesse, par le sentiment qui le fit fonder , manque absolüment son but, comme la plupart des autres instituts. On y doime a deux ou trois centspauvres jeunes filles 1'éducation la plus soignée; mais lorsqu'elles ont atteint dixhuit ans, on les met a la porte. Elles entrent dans un monde dont elles ont vécu séquestrées dés leur enfance; elles n'y retrouvent souvent ni parens ni connoissances, et ne savent que devenir.— Elles deviennent la proie des officiers aux gardes, dont: les casernes environ-  ( i59 ) _ nent le couvent, et qui veillent a chaque sortie pour recueillir les plus jolies de ces vierges.Il seroit possible d'épargner sur les frais immenses de leur éducation de quoi les doter, ou du moins les entrenir jusqu'a leur établissement. L'éducation des jeunes Russes qui ont quelque fortune, est ordinairement confiée a des gouverneurs particuliers , connus etdécriés en Russie, souslenom d'Outschitéli, enseigneurs. Ils sont, pour la plupart, étrangers, et surtout Francais et Suisses. Les Allemands, malgré leurs bonnes qualités et leur érudition pédagogique , sont trop incompatibles avec le caractère des Russes pour sounirici la concurrence; et les essais que quelques parens ont voulu faire avec les nationaux, sortis de 1'université de Moscou ou des instituts de Pétersbourg, n'ont point été satisfaisans. C'est ici qu'est applicable la fameuse réponse d'un philosophe grec. Quelqu'un lui disoit: Avec ce que tu me demandes pour l'éducation de mon fds, j'achèterois un  C160) bon esclave qui 1 'élèveroit chez moi. Achète un esclave, répond le philosophe, lui et ton fds en feront deux. Les Outschitéli, ces hommes sur lesquels les têtes légères s'égaient a jeter du ridicule, et que les vieilles matrones s'efforcent de faire envisager comme dangereux, ont le plus contribué a policer la Russie, puisqu'ils font instruite en détail, homme après homme. Ce sont les seuls personnages dont le ministère ait été d'y prècher la philosophie , Ia morale et la vertu , en y répandant quelques lumières : car nous avons vu que la religion grecque orthodoxe ne se mele guères d mspirer et de faire aimer ces choses-la; et un colonel, seul précepteur qu'aient ensuite les jeunes Russes, ne s'en mele pas davantage. A commencer par le célèbre Lefort, qui inspira a Pierre I le desir de s'instruire, et a finir par un petit clerc de procureur frangais, qui enseigne a conjuguer quelques verbes de sa langue, ce sont ces Outschitéli qui ont donné aux  ( i6i ) Russes ce goüt , ces cotmoissances e,t ces talens , que plusieurs d'entre eux firent admirer dans 1'étranger. Il est déplorable sans doute que , dans le nombre de ceux qui s'adonnent a l'éducation domestique et font métier de former des hommes , il s'en trouve tant d'indignes de eet emploi, et dont 1'immoralité et 1'ignorance jettent du ridicule et de 1'odieux sur leurs collègues. Mais de pareils instituteurs commengoient a trouver difficilement a se placer excepté dans les campagnes éloignées, chez quelques bons Russes de la vieille roche , qui s'imaginoient avoir donné de l'éducation a leurs enfans lorsquils les entendoient parierune langue étrangère. A Pétersbourg , on étoit devenu plus difficile sur le choix d'un gouverneur., et l'on trouvoit parmi eux des gens estimables et d'un vraimérite. C'étoit , sans en excepter les académiciens , la seule classe de gens en Russie qui cultivat un peu les sciences et la littérature. 2. 1 •  ( i62 ) Un Brückner, chez un prince Kourakin; un Granraont, chez une princesse Dolgorouka ; un Lindqvvist, unabbéNicoie et plusieurs autres, sans avoir desplaces aussi avantageuses (1) , étoient dignes de 1'état auquel ils se vouoient par goüt, et se distinguoient par leur succès autant que par leur mérite. Les grands de Russie , qui ont des riehesses et des emplois considérables , sont trop ignorans, ou trop occupés a jouer et a intriguer, pour se meier de réducation de leurs enfans; et , manquant daus leur pays de colléges et d'universités , ils prennent un parti fort sage. Sitót qu'ils ont fait choix de ï'liomme qui doit les remplacer dans leurs devoirs de père, ils lui donnent beaucoup de confiance et de pouvoir: pour peu qu'ils apportent de discerne- (i) Mr Brückner recevoit trente-cinq mille roubles , pour quatorze ans qu'il s'engageoit de consacrer a l'éducation des jeunes princes Kourakin ; et Granmont , vingt-cinq mille pour celle des princes Dolgorouki.  ( i 63 ) ment dans leur choix, c'est ce que les plus instruits peuvent faire de mieux. II est rare qu'un gouverneur soit assez dépourvu de bons sens , d'instruction et d'honneur, pour abuser de ses fonctions ; il se trouve dans les plus heureuses dispositions envers son élève : 1'instruire , le former, s'y attacher, s'en faire aimer, devient un besoin de son cceur. S'il est dans une maison honnête, opulente, il n'a point de regret a sacrifier dix ou douze ans de sa vie, on lui fera un sort (1) ; il se fait souvent un véritable ami, et toujours unprotecteur, de son élève. Son intérèt même 1'excite a lui inspirer des sentimens nobles et justes, et a lui donner le goüt des sciences; (1) Les grands seigneurs francais donnoient quelque fois de riches abbayes aux abbés , leurs éducateurs : les riches Anglais enusent encore plus généreusement. Les Russes les imitent souvent, leurs gouverneurs regoivent des pensions viagères en partant, ou des emplois et des grades , s'ils se fixent en Russie. Ainsi en agissent au moins ceux qui n'ont point regardé leurs instituteurs comme leurs premiers domestiques.  (i64) ce qui est bien plus , et bien plus difficile que d'enseigner les élémens. C'est ainsi que la plupart des jeunes Russes passent leur adolescence avec un étranger, qui devient leur second père, et pour lequel ils gardent une juste reconnoissance, pour peu qu'ils soient bien nés. Eh! a qui en doivent-ils davantage , a celui qui leur donna par hasard la vie en s'amusant, ou a celui qui consacra sa jeunesse et ses plaisirs a étendre, a annoblir le sentimens et a leur inspirer des gouts qui la rendent plus heureuse ? Cette éducationétrangère a un inconvénient, mais il n'est pas un mal pour la Russie. Les Russes, presque tous élevés par des Frangais, contractent, dèsleur enfance, une prédilectionmarquée pour cette nation : ils en possèdent bientöt mieux la langue et 1'histoire que celles de leur propre pays , et n'ayant point de patrie en efFet , la France devient celle de leur cceur et de leur imagina-  ( i65 ) tion. Tel étoit le Scythe Anacnarsis , élevé parle GrecThéagène.Tels étoient aussi les jeunes Romains formés par les Grecs : mais les Romains avoient des vertus a perdre > ce n'est guères le cas des Russes. D'ailleurs , ils n'apprennent a connoïtre la France qu'enbeau, comme la patrie du goüt, de la politesse , des arts , desplaisirs délicats et des hommes aimables; ils la regarderit déja comme 1'asile de la liberté et de la raison, comme le foyer du feu sacré oü ils viendront un jour allumer le flambeau qui doit éclairer leur ténébreuse patrie. Les émigrés frangais, chassés enfin jusques chez les Cimmériens modernes , furent bien étonnés d'y trouver des hommes plus instruits qu'eux-mêmes des affaires de leur propre pays ; c'est qu'il y a de jeunes Russes qui méditent avec Rousseau , et qui étudient les harangues de Mirabeau: les émigrés n'ont rien lu, et n'apportentque leurspréjugés.Plusieurs jeunesRusses connoissoient mieux Paris  ( i66 ) que ceux qui avoient passé leur vie a en battre le pavé (1). On a remarqué en général que les Russes ont les dispositions les plus heureuses et une facilité de conception surprenante : aussi font-ils les progrès les plus rapides dans tout ce qu'on enseigne. Il n'y a pas d'enfans plus aimables , plus intéressans: plusieurs , a Ia fin de leur éducation domestique , ont des connoissances plus étendues et mieux choisies que les jeunes gens qui ont fréquenté les universités d'Allemagne; ils ont surtout une merveilleuse aptitude a mettre»ces connoissances en avant et a propos. Mais ce sont trop souvent des fleurs précoces qui ne portent point de fruits: ils voyagent rarement, comme un Anacharsis , et le retour dans leur patrie estle terme (i) Un Comte Bouttourlin avoit poussé si loin cescounaissances locales , qu'il pouvoit soutenir avec un Parisien la conversation la plus détaillée sur les spestacles , les rues , les hotels et les mpnunens de Paris. Le Francais demeuroit stupéfait, lorsqu'enlin le Russe lui avouoit qu'il n'avoit jamais été en Frante.  ( i67 ) ordinaire de leurs études et même de leur goüt pour les sciences et les lettres. Telle on voit s'élever 1'alouette légere ; Elle charme un instant par son chant matinal , Puis retombe et se tait sur le gazon natal (1). C'est encore ainsi qu'un Suisse, après avoir passé sa jeunesse au service de France et contracté des vices brillans, les quittoit en rentrant dans son pays pour reprendre la simplicité de ses ancêtres. Il retournoit a 4a vertu , mais le Russe retourne a la barbarie. Il n'y a que les ames fortes et bien épr^ses du charme de la philosophie , ou des attraits de la véritable gloire , qui. puissent résister au torrent ; car les connoissances, que les autocrates faignoient de protéger, fmisoient par être im titre d'exclusion pour les emplois et les honneurs de la cour. C'est ainsi que les mceurs européennes et le caractère de Catherine même étoient en perpétuelle contradic- (i) Tiré d'une épitre a un jeune Russe.  ( 168 ) tion avec les formes barbares et 1'impulsion une fois donnée au gouvernement russe , qui détruisoit par sa réaction tout ce que 1'humanité et la philosophie vouloient étahlir. Le despotisme exige une abnégation continuelle de soi-mème , et même des lumières qu'il protégé quelquefois. L'influence des précepteursétrangers sur le caractère et sur- la moralité des Russes est donc combattue par des préjugés et des obstacles presque invincibles: mais cetteinfluence est constante et continue; elle travaille en secret sur les ames; sesprogrès,lents comme la marche du tems, n'en sont que plus surs.La jeune noblesse russe est peut-ètre la mieux instruite et la plus philosophede 1'Europe, mais il vient de se faire une contre-révolutioncomplette dans son éducation: depuis le triomphe de la liberté, et surtout depuis le régne ténébreux de Paul et f arrivée des émigrés, la marche de 1'esprit humain est rétrogradée en Russie. La plupart des  ( i6g ) Outschitéli sont aujourd'hui des ehevaliers, descorates, et des marquis ou des prêtres; car il en arrivé avec les émigrés, comme il en arriva jadis avec les colons que Catherine faisoit venir pour cultiver ses déserts : tous ceux qui savoient lire et écrire abandonnoient leurs champs pour se faire instituteurs. Mais cela n'aura pas de longues suites: le nouveau métier qu'embrassent ces messieurs les rendra penseurs, ouils ne le feront pas long-tems. Il est presque impossible d'être Outschitel, sans devenir un peu raisonnable : ce qu'on entend, ce qu'on voit, ce qu'on souffre tous les jours milite davantage en ces lieux en faveur de la liberté que les victoires et 1'éloquence des francais. Un Montmorency outschr tel devient a coup sur démocrate. On lit, dans un Voyage de deux francais en Russie , des réflexions bien étranges sur ces Outschitéli. On s'étonne de ce qu'ils sont presque tous démocrates , quoiqüils jouissent dans fhötel d'un  ( 17° ) grand seigneur d'une vie douce et aisée, et on les raille de ce qu'ils n'y renohcent pas pour aller consacrer leur vie a la liberté. Vous dites que l'on a raison en France: que n'y allez-vous donc ? c'est le dilerame de ces messieurs. Si quelqu'un louoit la coutume qu'a 1'empereur de la Chine de labourer un champ, ils lui diroient également : Que n'allez-vous y tenir la charue? Voila comme on est conséquent. Un homme éclairé et honnête ne pourra-t-il donc reconnoitre la vérité d'un principe , lorsqu'il ne peut en pratiquer toutes les conséquences? Seroit-il plus honorable de renier ses lumiéres et de faire 1'aristocrate, paree que l'on est placé entre des tyrans et des eselaves ?Un Francais qui se trouve a Pétersbourg ne pourra donc se réjouir des victoires de ses coinpatriotes,paree qu'il n'a puy contribuer que par ses vceux secrets ? Il ne pourra se réjouir de voir la liberté, 1'ordre et le bonheur, se rétablir dans son pays, s'il,  ( *7'ï ) ne peut y retourner (1)? C'est la le langage des petites ames qui n'osent confesser une vérité , lorsqu'ils sont dans un lieu oü il est dangereux de ne la pas renier. L'Outschitel frangais, qui a la plüs noble imprudence de défendre les droits de 1'homme en Russie et de condammer ses tyrans , ne füt-ce que par un courageux silence, est sans doute digne de la liberté. Ce qui vient aujourd'hui arrêter, ou du moins entraver la marche de 1'esprit humain en Russie, ce sont les mceurs ridicules et tyranniques , mais assez conséquentes de sa majesté Moscovite pour interrompre touie communication extérieure entre 1'Europe et ses fortim^s états. Jamais Pierre I ne se donna tant de peines et de soin pour réformer et policer son empire, que Paul prend (1) J'apprends avec douleur que ces braves Frangais ne pourront jamais revenir jouir dans leur patrie des fruits de leurpénible industrie , paree qu'ils ont été forcés de faire un serment ridicule et monstrueux.  ( ) aujourd'hui de précautions pour empècher la lumière de pénétrer chez les Cimmériens. Tel Horaère nous peint Ie roi des enfers. Pluton sort de son tróne, il palit, il s'écrie; II a peur que ce dieu, dans eet affreux séjour, D'un coup de son trident ne fasse entrerle jour. Le code le plus complètement ridicule a montrer a 1'Europe seroit un recueil des oukas de Paul, depuis son avénement. Il vient en dernier lieu de défendre a tous ses sujets, et spécialement aux Livoniens et Courlandais, d'envoyer leurs enfans étudier en Allemagne, paree qu'on y respire des principes corrupteurs. 11 rappelle, sous peine de confiscation, tous ceux qui se trouvent dans les imiversités étrangères(i); mais il promet de permettre dans ses provinces allemandes 1'établissement (i) Ilse trouvoit trente-six étudians a. Leipzig , et soixante-cinqa Jena , sujets du tzar ; ils vienneut de partir en hate', en vertu de eet oukas-.  ( 173) d'une université, oü l'on pourra enseigner aux jeunes gens les sciences les plus nécessaires. En attendant que cette université soit fondée sous ses auspices, et que les disciples de Kant désertent d'Allemagne pour y aller puiser une philosopliie plus lumineuse, les Finnois, les Esthoniens, les Livoniens, les Courlandais demeurent sans aucun moyen d'instruction; car il n'y a pas même dans ces vastes provinces d'écoles publiques. Le comble de la sagesse de Paul, c'est qu'il défend en même tems d'employer des etrangers dans les tribunaux, et de leur donner des cures. Il va plus loin; il interdit, par un autre oukas, 1'entrée de ses états a tout étranger, a moins qu'il n'ait une permission spéciale de sa majesté Moscovito-chinoise; et pour dernière preuve de barbarie, eet immennoï-oukas n'a point été publié. Des marcbands, des étrangers possessionnés en Russie, de jeunes gens qui y étoient appellés j sont arrêtés aux frontières ou  ( *74 ) sur les vaisseaux oü ils arrivent, et renvoyés après avoir fait les frais et couru les dangers d'un long voyage. Un autre oukas, rempli d'invectives contre la France, et même contre les puissances qui entretiennent des liaisons avec elle, défend la lecture de tous les papiers frangais. Aucune gazette ne pourra aborder en Russie, sans avoir été examinée et timbrée par un comité de censure, et il est enjointa tout homme qui recevroitpar la poste, par un courier, ou par un voyageur, quelle gazette ou ouvrage imprimé que ce puisse être, de les porter sur-le-champ a cette censure, sous peine d'être puni comme rebelle! L'on est plus heureux en Allemagne, car on y regoit les gazettes russes; et les articles suivans, que j'en extrais, édifieront mes lecteurs frangais. « Si quelqu'un veut acheter toute une familie, ou un jeune homme et une jeune fille séparément, il peut s'adresser chez  ( ) la blanchisseuse en soie, vis-a-vis 1'église de Casan. Le jeune homme , nommé Iwan, est agé de 21 ans ; il est sain , robuste, et sait friser les dames. La fille, bien faite et bien portante , nommée Murpha , agée de i5 ans, sait coudre et broder. On üpit les examiner et les avoir a un prix raisonnable (1). » « On trouve dans la même maison un étalon du Holstein a vendre. S'adresser au cocher pour les voir. » « Il se trouve encore a 1'imprimerie de 1'académie quelques exemplaires de 1'instruction pour le code, par Catherine II. etc. etc. (2). » Et ces nouvelles nous viennent d'Europe ! d'un pays chrétien; d'un empire (1) Leprix ordinaire d'une fille ou femme est de 5o a 200 roubles : ce prix varie selon son age , sa figure , ou ses talens. Celui d'un homme varie aussi de 3oo jusqu'a 5oo ou même 1000 roubles. Quelquefois on échange un esclave contre un chien ou un cheval; et, d'autres fois, on le joue au pharaon. (2) Anhang zu der Petersburger Zeitung, N°. 56, 1798-  C 176 ) que Pierre a civilise, oü Élisabeth, oü Catherine ont régné et captivé 1'admiration ! Certes , si Paul avoit quelque pudeur, il défendroit Ia sortie des gazettes russes, bien plutöt que 1'entrée des étrangères. II est a remarquer que , sous le règne de Catherine , la russie fiit, pendant un teins, le, seul pays de 1'Europe oü les papiers francais ne fussentpas défendus. Le Moniteur ayant parlé plusieurs fois de 1'impératrice, et sur-tout de Paul et de sa cour, Catherine donna ordre qu'on ne distribuat plus le Moniteur qu'après qu'elle 1'auroit parcouru. Quelques semaines après, elle y trouva un article oü* elle étoit qualifiée de Messaline du Nord, eet. L'ayant lu, elle dit: Puisque cela ne regardeque moi, qu'on le distribue. Au moment oüles gazettes,lescocardes et les chansons frangaise , étoient proscrites chez les nations les moins barbares; tandis qu'on emprisonnoit a Turin ceux qui chantoient Ca ira; qu'on pu-  ( 177 ) nissoit en Angleterre les ciseleurs et les oiseaux qui répétoient ces mots; et qu'on défendoit a Vienne de parler frangais, il étoit intéressant de voir le gouvernement russe au-dessus de ces petites inquisitions, et d'entendre les élèves du colonnel La Harpe solfier les airs de la liberté dans le palais des tzars : 1'un d'eux portoit dans sa poche une cocarde nationale, qu'il montroit d'un air triomphant, en narguant les courtisans les plus timorés. Ce ne fut qu'après la mort de Louis XVI, et 1'assassinat de Gustave III, que Catherine, frappée de terreur , commenca a s'abandonner aux suggestions de ses laches favoris, et des émigrés qui 1'obséuoient: c'est alors seulement qu'on la vit prendre des précautions qui trahissoient ses craintes, ses remords et sa décrépitude (1). (1) Un fait prouvera encore la noble sécurité de Catherine. Un frère du célèbre Marat se trouvoit a Pétersbourg gouverneur chez un chambellan Soltikow. Ce Marat, en condajnnant les fureurs de.son frère, ne cachoit point u ses 2. m  ( 178) Cependant l'on a toujours eu davantage a eraindre le zèle barbare et intéressé des suppöts subalternes du gouvernement que le caractère de C atherine. Avec des ministres plus instruits , des courtisans plus honnètes, des favoris moins pusillanimes, elle n'eiit point fini, comme les Sirènes de Virgile, qui sont de belles femmes terminées en queue de poisson. Parmi les nombreuses victimes de 1'inquisition politique, Radischejf mérite surtout les regrets des amis de la raison. On sait que Catherine envoya souvent de jeunes Russes voyager et s'instruire a ses frais : plusieurs furent heureusement choisis, devinrent des gens de mérite et rapportèrent dans leur patrie des connoissances et des idéés de philosophie et d'humanité. amis ses sentimens républicains, et il demeuroit en paix, amenant méme quelquefois son élève a la cour. Cependant, comme son nom pouvoit 1'exposer a quelque avanie, al'époque de la mort du roi il demanda a Catherine la permission de le changer , et il se nomma Boudri, du lieu de sa naissance.  ( m) Le plus distingué et le plus malheureux de cesélèvesde Catherine fut Radischeff II devint, a son retour, directeur de la douane, et, dans eet emploi de publicain, sa probité, 1'aménité de ses mceurs, et les agrémens de sa société , le firent estimer et chérir. II cultivoit les lettres , et avoit déjapublié un ouvrage intitulé: Potschta Doukow (1), la production périodiquelaplus philosophique et la plus piquante qu'on ait jamais osé publier en Russie. Cependant on ne 1'avoit point inquiété : mais, depuis la révolution , il eut le courage d'imprimer une petite brochure, oü il osa laisser transpirer sa haine pour le despotisme , son indignation contre les favoris, et son estime pour les Francais. Ce qu'il y avoit de singulier,c'est que plusieurs exemplaires de 1'ouvrage portoient 1'approbation de la police. Kléief, maitre de police aussi célèbre en Russie , par ses balourdises, que les d'Argenson, les le Noir et les (0 La poste des esprits.  ( i8o ) Sartine le furent en France par leurs finesses, fut cité pour rendre compte de cette approbation. 11 ne sut querépondre , car il n'avoit pas lu 1'ouvrage, et ne 1'auroit pas compris. Mais 1'estimable Radischeff, également cité, avoua que les morceaux les plus hardis de son livren'étoient pas danslemanuscritlorsqu'il le soumit a la censure, mais qüil les avoit imprimés chez lui (1). Il étoit digne du caractère que montra ailleurs Catherine de pardonner : mais Radischeff fut expédié pour la Sibérie. II demanda d'embrasser encore une fois sa (1) L'ouvrage de Radischeff est intulé : Voyage d Moscou. Onavusdes marchands russes donner jusqu'a vingt-cinq roubles pour 1'avoir pendant une heure et le lire clandestinement. Je n'en ai lu que quelques lambeaux, entre autres une allegorie ou il détaille 1'orgueil et la sote grandeur d'un despote environné de laches flateurs. Voici la phrase qui indigna surtout Catherine, puisqu'elle étoit directe :J'entre d Tzars~ koé-Celo • je suis frappé dusilence ejfrayant cjuiy règne : tout se tait, tout tremble; c'est ici la demeure du despotisme. Et c'est cette phrase qui a valu la Sibérie au malheureux RadischelF.  C 181 ) Femme et ses enfans; et, enletirant de sa prison pour le faire partir, on lui permit de s'arrêter un instant sur le bord de la Néva pour les attendre: mais c'étoit la nuit; on venoit de lever le pont pour ouvrir passage a un vaisseau , et en ce moment sa malheureuse épouse arrivé a 1'autre bord. Radischeff supplie qu'on retarde son départ jusqu'a ce que le vaisseau soit passé , ou que sa femme puisse trouver une chaloupe; ce fut en vain : la garde impitoyable le fit reraonter et 1'enferma dans son tombereau , a la vue de son épouse éperdue , et qui lui tendoitles bras a travers le fleuveen poussant de grands cris. C'est ainsi qu'il partit, le désespoir dans le cceur. Ah! s'il vit encore dans les vastes déserts oü il est confmé, ou s'il respire enseveli dans les mines du Kolivan, puisse sa philosophie et sa vertu le consoler encore ! son courage n'a pas étéinutile a sa patrie. Malgré les recherches domiciliaires du despotisme, son ouvrage existe chez  ( i8a ) plusieurs de ses compatriotes; et sa me- moire est chère a tous les hommes rai- sonnables et sensibles. Cette proscription de tout ce qui ose penser est la seule chose que Paul imite aujourd'hui de sa mère , et oü il soit en état de la surpasser. On ne trouvera pas mauvais que je finisse ce cahier par eet apologue, que sa conduite ïninspira déja lorsqu'il n'étoit que grand-duc, et qu'il n'a que trop justifié.  ( i83) LE GRAND-DUC (*) ET LE VER LUISANT, F A B L E. Dans une sombre nuit d'été Un ver luisant caché sous 1'herbe, Jetoit une douce clarté. Ce n'étoit point un pbare éclatant et superbe, II n'éclairoit qu'nn pas a 1'environ ; C'étoit la son horizon : Mais pourtant 1'insecte lucide Servoit de guide Aux petits hötes du gazon. A sa lueur douce et tranquille , La fourmi retardée atteignoit son azile , Le papilion léger s'égayoit a 1'entour : En un mot, eet astre reptile Embellissoit les nuits de son humble séjour. Non loin de la, dans une vieille tour , Prison de sa triste familie, Un vieux hibou tenoit sa cour. Un hibou hait les vers qui lui montrent le jour. Audacieux ! dit-il, a 1'insecte qui brille , Qui t'a fait si hardi que d'approcher de nous ? Tu mourras. Monseigneur, lui répond 1'humble insecte , Je suis indigne, hélas ! d'un si noble courroux. Je vous honore , vous respecte ; Je tremble d'approcher de vous : A sucer la rosée ici je me délecte ; (*) Ois«au de aiiit, qu'on trouve surtout en Rusiie. Voyez Buffos.  ( i84 ) Mau d'aucun bruit pourtant je ne trouble vos nuit,. Comment un animal foible comme je suis Peut-il ofFenser Votre Altesse ? Insecte dangereux ! tu luis • Péris, la lumière me blesse. Cela dit, le nocturne oiseau, En écrasant le ver , éteignit son flafabeau , Sans rendre la nuit plus épaisse.  SUPPLÉMENT (i> Francais et Suisses en Russie. Persécutions qu'ils y éprouvent. Proscription de plusieurs. Serment qu'on exige d'eux. Billet d'absolution. Nouveaux traits de Paul. Réflexions. Jeunes infortunés, que des relations mensongères et des espérances trompeuses amènent de tous les pays sur les bords orageux de la froide Newa, que les tableaux que j'ai tracés et ceux que je vais esquisser encore vous désabusent (1) Cet article a été en partie rédigé par 1 editeur, sur des fragrriens et des noteslaissés par 1'auteur, et sur des relations orales, mais certaines. (Note de lediteur).  .(i86) enfin (i). De mille qui abandonnent leur patrie pour chercher loin d'elle la fortune et le bonheur, a peine quelquesuns trouveront-ils en Russie la première, et jamais le second. Les autres gémissent de misère et de regrets, ou tralnent une vie végétative sous 1'inclémence d'un ciel rigoureux. Le souvenir des jeux de leur jeunesse et des mceurs de leur pavs est le seul plaisir pur que les plus honnêtes goutent encore. Dans 1'abondance et la dissipation oü plusieurs passent leurs jours monotones, ils éprouvent une vague inquiétude qui les effraie; , (i) Il n'est plus possiblea des suisses ou a des Frangais d'alier en Russie. Un arliste et deux demoiselles de Montbélïardy etanf demand.js'pour remplir des places particulières, n'ont pu'obtenii-de dëbarqués, malgré les plus grandes recommandations , et ils eurent ordre de repartir sur-lechamp.\ oüa la Russie fermée^ a 1'Europe comme le Japon. LePauldece pays-Ia vóuloït qüè les etrangers marchassent gnr la croix; celui de Russie exige qu'on abjure la raison. Jlais, je le répete , il est conséquent. II est le seul qui fasse en ce moment la guerre aux Francais de bonne-foi; «'est le Doa Quichotte de la eoalition.  C 187 ) 1'air accablant de Russie semble peser sur leur front et le courber vers la terre: ils vieillissent rapidement; leur sang s'épaissit; leur ame se matérialise. Telle Ovide nous peint la métamorphose graduelle de Daphné : une écorce dure et sauvage enveloppe son cceur. 11 palpiie encore, mais il ne sent plus. Elle perd la pensee avant de perdre fexistence, et cesse de vivre pour commencer a végéter. Heureux pourtant celui qui parvient a cette végétation animale! Il est du moins insensible aux scènes révoltantes qui 1'environnent et a son propre avilissement; tandis que fhómme qui conserve son cceur, est sans cesse tourmenté par 1'indignation que lui inspirent le despotisme impudent, la bassesse de la servitude et 1'avilissement de 1'humanité. O vous, que les orages de la liberté ont fatigués, vous qui sentez s'éteindre en vous le feu sacré qu'elle allume, allez a la cour des tyrans pour retremper  C 188) vos ames! Et vous, Frangais républicains, croyez-vous avoir seuls souffert et eombattu pour la raison? Tout homme assez fier pour ne pas anéantir sa conscience et renier son bon sens devant les plus absurdes préjugés, devant lés plus barbares maximes, faisoit cause commune avec vous. S'il ne pouvoit parvenir a une entière abnégation de lui-même, il en etoit la victime. Le moment sublime oü vous brisates vos chaïnes, fut celui oü tous les tyrans renforcèrent celles de leurs eselaves. Tandis que la liberté agitoit sur 1'Europe le flambeau de la raison, le despotisme écrasoit de son pied fangeux chaque étincelle qui voloit autour de lui. Malheur a celui qui laissoit spontanément échapper quelque trait lucide, et beati pauperes spiritus! Les déserts de la Sibérie, les souterrains du Kholivan et les bastilles du Nord se peuploient en raison de vos déportations et de vos envois a 1'abbaye. Chaque exces de vos démagogues étoit aussitót vengé par un  C 189 ) excès contraire et plus absurde. En un mot vous rejettiez sur le reste des hommes , surtout sur vos malheureux compatriotes, tout le poids de ces fers que vous aviez secoués. Il falloit alors autant de courage a 1'ami de la liberté, entouré de tyrans et d'esclaves, pour dire une simple vérité, qu'il en falloit a ses héros pour renverserla coalition. De tous les étrangersquise trouvoient en Russie durant la révolution, les Francais et les Suisses furent les plus exposés aux vexations mquisitoriales. Le nom seul de Francais devint une injure , et les bigots politiques et religieux cherchoient partout a ameuter contre euxla populace russe, d'ailleurs paisible , tolérante et hospitalière. Ces hommes que 1'aptitude , les lumières et les talens avoient auparavant fait distinguer; dont plusieurs remplissoient des places importantes a la cour et dans les armées, d'autres des places de confiance dans les maisons particulières ; les courtisans ,  ( ) les officiers, les instituteurs, les artistes, les comédiens, les hommes de chambre' les cuisiniers (i), etc. devinrent en un moment des objets dehaine, deméfiance et de- proscription. Catherine qui avoit accoutumé elle-mème les Russes a des idees libérales et philosophiques les démentit tout-a-coup. La mort de Louis XVI et 1'arrivée des émigrés furent le signal des persécutions: les émigrés surtout ne cherchèrent qu a dénoncer et a remplacer leurs compatriotes qui ne partageoient par leurs opinions; et les anciens Francais qui voyoient de loin les flammes de la révolution sans en voir le tison, qui en embrassoient les principes avec d'autant plus de candeur que les honnêtes gens et les gens de (i) Un cuisinier francais du défunt roi de Prusse , nomme' le Boeuf, ayant été demandé pour Catherine, il n'arriva qu'après sa mort. Paul le prit pour un empoisonneur qu'on lui envoyoit, et le fit enfermer. Ce ne fut qu'après six mois de cachot qu'il obtint sa liberté avec 1'injoaction de repartir surle-champ sans dédommagement.  C 191 ) lettres les avoient dès-long-tems au fonds de fame, furent les premiers atteins; les laches, les coquins, les hypocrites et les valets qui se mirent a déclamer hautement contre les innovations, furent seuls épargnés. L'une des premières victimes fut Cuinet d'Orbeil que tout Pétersbourg a connu, et qui 1'étoit même ailleurs par ses jolis vers dont on trouve plusieurs dans les Almanachs des Muses. C'étoit un Francais chaud de cceur et d'expression; un poète dans 1'acception vulgaire du mot, mais incapable de rien entreprendre et de rien tramer dont le gouvernement eiit pu s'alarmer. La cour se trouvoit a Péterhof pour y célébrer la fète de Saint-Pierre : on faisoit jouer les eaux; il y avoit bal et illumination. Cette réjouissance attira d'autant plus de monde, que I'impératrice Catherine n'étoit pas venue a Péteihof depuis plusieurs années i car elle avoit en aversion le chateau qui lui inspiroit si justement  ( 192 ) de noirs souvenirs et des remords (1). Au milieu de la fète arrivé un courier avec la nouvelle de 1 evasion de Louis XVI. Grande rumeur, grande joie dans les appartemens; le bal est interrompu, et la nouvelle triomphante passé de bouche en bouche. Le comte T qui connoissoit d'orbeil laborde en sortant du sallon de 1'impératrice. Ehbien! lui dit-il, monsieur Ie démocrate, savezvous une grande nouvelle? Oui,répond d'Orbeil qui arrivoit de Pétersbourg, je sais une grande nouvelle. — Savezvous que le roi est échappé de Paris? — Oui, M. le comte: mais savez-vous une plus grande nouvelle? c'est qu'il a été repris. Ces mots furent un coup de foudre pour les auditeurs. Le fait étoit que les deux couriers arrivèrent presque en même tems a Pétersbourg 5 mais celui qui annoncoit (i) Péterhof'est le chateau qu'elle habitoit lors de la révolution de 1762. C'est la qu'elle fit arréter Pierre III. D fut étranglé dans une maison voisine.  c ^) 1 'heureuse évasion du roi ayant été de suite expédié a 1'impératrice pour compléter la fète, on ne s'empressa pas de lui envoyer le second pour la troubler. Cependant comme la conversation de d'Orbeil avec le comte avoit fait une espèce de scène piquante, il fut remarqué et surveillé des lors. 11 lui échappa peu de tems après quelques expressions en faveur de la révolution, chez laHus, comédienne qu'entretenoit Markow , secrétaire d'état: d'Orbeil fut enlevé pendant lanuitde l'hótel Tschernitschew, et transporté dans un vaisseau du port, oü on le jeta a fond de cale. La surprise et 1'effroi lui tournèrent la téte ; il s'échappa et se précipita dans la mer: c'est le blafard Markow qui fit ce coup d'état. Comment la Hus n'intercéda-t-elle pas en faveur de son comriatriote , de son ancien camarade et ami ? Si de pareilles horreurs arrivèrent sur la fin du règne de Catherine, lorsque les plats courtisans et les émigrés 1'envi2 n  C 194) ronnèrent de soupcons et de terreurs; on la vit au moins souvent revenir a la j ustice et même a sa généro sité naturelle, quand la vérité pouvoit pénétrer jusqu'a elle. Dans le même tems , Mioche, autre Frangais, ayant été désigné par les émigrés comme un patriote , fut aussi jeté dans les cachots; mais Catherine le fit élargir bientót et le dédommagea de ce qu'il avoit souffert, par des exemptions particulières qu'elle lui accorda pour le commerce du vin. Paul, bien différent de sa mère , fait consister les principes de la justice dans son infaillibilité même. Il ne peut se tromper 5 on ne peut le tromper. C'est d'après cette opinion bien connue que ceux qui veulent se réintégrer dans ses bonnes graceSjCommencentpars'avouer cóupables de quelques fautes, dussent-ils les inventer. Malheur a celui qui voudroit prouver soninnocence; ce n'est pas le fait quiconstitue le crime, mais 1'opihion de Paul.  ( 195 ) L'une des injustices les plus criantes, et celle qui indigna le plus les honnêtes gens de tous les partis , fut laproscriptionqu'essuyèrent le colonel et le major Masson, et qui signala le commencement de son règne. Ces deux frères, Suisses ou Wirtembergeois, et dès leur jeunesse au service de Russie, s'y étoient acquis de la considération. L'un qui avoit été aide de camp de Potemkin, ayant fait a sa suite les campagnes contre les Turcs , avoit obtenu, comme récompenses militaires, la croix et 1'épée d'or que Catherine donna aux officiers qui s'y distinguèrent. II avoit épousé la niéce du célèbre général Mélissino qui vient de mourir en fonction de grand - maitre d'artillerie. L'autre, après avoir été quelque tems au corps d'artillerie et ensuite aide de camp du comte Soltykow, ministre de la guerre (1), avoit été placé auprès du (2) II acheva aussi l'éducation des deux jeunes ***, dont le mérite fait aujourd'hui beaucoup d'honneur au sieD.  C 196) grand duc Alexandre,après le départ du colonel La Harpe. Il s'étoit également marié a une demoiselle russe d'une familie distinguée de Livonie. Tous deux, cultivant par goüt les sciences et la littérature, menoient une vie retirée et tranquille dans le sein de leur familie ils se faisoient chérir de leurs amis par 1'aménité de leurs mceurs, et estimer par leur raison et leur esprit. Tous deux officiers supérieurs, au service depuis douze ans, tous deux mariés a des Russes, alliés a des families accréditées,possessionnés en terres et en eselaves, ils furent enlevés a leurs femmes , a leurs enfans par un ordre secretde 1'empereur, emmenés séparément et sous sure garde dans des traineaux couverts, sans même qu'on ait su le crime dont ils ont été accusés. L'épouseduplus jeune, relevantapeine de couehes , n'écouta que son désespoir et fut dès le lendemain attendre le farouche empereur sous les voütes du palais d'hiver , demandant a grands cris  ( 197 ) justice pour son mari. Votre mari est coupable, répondit Paul. Retirez-vous si vous ne voulez pas que mon cheval vous écrase. L'infortunée tomba évanouie, et le cheval de Paul passaheureusement a cóté. Ces faits et 1'indignation qu'inspira cette dureté despotique , furent même consignes dans une sommation que les parens et amis de ces opprimés osèrent publier. Envoicilatraduction littérale. S'ommation formelle et prière a MM. de Masson, ci-devant officiers au service de Russie (1). « Ces deux frères servoient depuis plusieurs années 1'empire de Russie, et s'y étoient acquis la réputation d'être hommes de cceur et detète. L'ainé étoit colonel, chevalier, etc.; le cadet major, tous deux mariés : le premier a la fdle (i) Voyez le Journal: La Minerve , par M. d'Archenholz, Mai 1797 . P-366- Ernstliche AufForderung und Bitte an die, in russischen Diensten gestandenen Herren von Masson.  C 198") du général Yhrmann, brave et respectable guerrier, qui venoit de mourir, après avoir long-tems et loyalement servi 1'état (1) ; 1'autre a une baronne Rosen, d'une familie livonienne connue et estimée (2). Tous deux avoient d'ai- (1) Le brave général Yhrmann fut pendant vingt ans-gouverneur-général en Sibérie, et directeur des mines du Kholivan. Il en obtint un produit qu'elles n'avoient jamais livré avant lui et qu'elles ne rendirent jamais depuis, ainsi que 1'attestent les registres. II augmenta la civilisation , la population , le commerce et le bien-être de ces vastes provinces , et il se retira pauvre après avoir si long-tems exploité les plus riches mines d'or et d'argent du continent. Pour récompense de sa probité , la couronne ne lui paya pas même 10 , ooo roubles qu'elle lui doit encore ; et sa fille unique proscrite avec son mari erreloin du tombeaudece digne père. Elle est aussi la nièce du célèbre général Mélissino , qui a reudu de si grands services a la Russie, et alliie aux Dolgorouky, et auxSoltikow. {note de l'éditeur). (2) Catherine II, voulant réduire la Livonie a la même forme d'esclavage que les autres provinces , exigea , selon sa coutume , que ce fussent les Livoniens eux-mêmes qui vinssent implorerces nouvelles chaïnes comme une grace. Les députés furent donc mandés avec ceux des autres nations ; mais le général Rosen, père de celle dont il est ici question,  ( 199 ) mables enfans, et vivoient en bons pères de families. L'aïné étoit même possesseur de terres en Ësthonie ». « Un jour du mois de décembre dernier (1796), les deux frères sont cités chez le général Arkarow, directeur-genéral de police. Ils y trouvent un certam comte de Plaisance , officier au corps et qui se trouvoit a la tête des députés , bien loin de souscrire a ce que l'on exigeoit d'eux, fit des représentat.ons a Catherine qui lui dit avec emportement : Qm vous donne l-audacedemerésisterainsi?-Le nomdePmre le grand aui a signé nosfranchises, et celui de Cathenne la grande lui a jurë de les conserver , répondit le vieux Rosen. Catherine la grandele disgraciaet fit nommer d'autres deputes. Le comte de Stackelberh , plus traitable , se fit un honneur de ce dont le baron de Rosen se faisoit une honte, et vendit son pays (a). H en fut récompensé par le don des terres, immenses qui environnoient celles du vieux général, dont on dépouilla les états de la province. Telle est 1 ongme de la fortune et du crédit de ce Stackelberg qu'on a vu si longtems régenter la Pologne, brouiller la SuMe, et ensmte faire le boufFon dans les anti-chambres de Zoubow. (a) Je le répète, les droits de pays , de franchise,, etc. lonqa'fl est „uestiondeia Livonie oude la Russie , ne peuvents appl^er qu * \l »ot>le«e ; c» le peupU »'y est lui-mème **'»« propaeté,  ( 200 ) des eadets d'artillerie, personnage dont 1'existence semble en effet accuser la nature d'une mauvaise plaisanterie. Cet homme avoit écrit une lettre a Moscou, ou il disoit entre autres a 1'un de ses amis : L'on met beaucoup de jacobins aux fmntières. (i) et je crains bien qu'il n'en arrivé autant a MM. de Masson. Cette lettre, sans doute parunordre suprème, fut onverre a la poste, et devint la cau^e' de ee désagréable rendez-vous. Le comte de Plaisance soutint son assertion paria terrible mculpation que MM. deMa^on enlisant les gazettes , avoient toujours pns le partidesFrangais.MM.deMasson 1'avouent; mais ils désirent savoir quelle Outre les parers en Livonis, ]a femme du jeune Masson est.all.ee a di Férenfes families r.sses en grand crédit, co^me les Se.wers, les Sesborodko, les Tamara, etc. qui, bien loin ö user de leur infloence pourhü faire rendre son bien l'abandonnenfct l^emen! dans sa détresse, sitot que son mari fut prosent. ( Note de tediteur ). CO L'on a vu plus haut ce que la dénomination de jaco-  C 201 ) conséquence désavantageuse k leur caractère et a leur honneur , et même a leur dèvoir comme officiers russes , f on en pouvoit tirer ? Le résultat public et divulgué de cette affaire est que les deux frères , sans autres informations , furent jetés dans une kibitka (1) , et eonduits jusqu'aux frontières sous sure garde (2). « L'épouse de M. de Masson cadet, se jeta aux pieds de 1'empereur en pleine rue, et demanda a grands cris: Justice! justice! et point de grace! L'empereur répondit: Ils sont coupables; j'aime 1'ordre dans mon pays. II voulut passer outre : mais l'épouse désespérée saisit la bride de son cheval. L'empereur lui dit de se garder d'être foulée aux pieds.» (i) Traineau couvert dont on se sert en Russie. (ö) Les auteurs de cette sommation n'ont su que ce quj s'est divulgué dans le public de Fétersbourg. Le général Arkarow , grand inquisiteur politiquede Paul, reprocha a ces deux officiers d'avoir osé dire dans un diner que Bonaparte étoit un grand général.  ( 202 ) « J'aime mieux mourir, répondit cette courageuse femme, que d'être l'épouse d'un homme perdu d'honneur... Ce fut en vain, l'empereur pousse son cheval et passé (1). Tout Pétersbourg vient d'être témoin de eet événement. L'empereur est juste, et l'on suppose, ou qu'il a été trompé, ou que MM. de Masson se sont en effet rendus coupables de quelque attentatignoré dans le tems (2). Il est vrai que l'on ne peut s'expliquer le mystère dont on en- (1) Les femmes des deux frères s'expatrièreat pour les suivre. L'empereur, non content d'avoir voulu fouler aux pieds celle qui lui demandoit justice , fit mettre le séquestre sur les biens de sa familie, pour qu'elle ne put emporter le sien, dès qu'il sut qu'elle avoit suivi son mari dans son exil. (2) Comme, au grand étonnement de leurs amis, Mrs. de Masson n'ont point encore répondu a cette sommation , ils laissent soupgonner que leur proscription pourroit bien avoir des causes plus sérieuses que celles énoncées ci-dessus. Elevés tous deux sur les hauteurs du Mont-Terrible , ils y ont peut-étre sucé des idees libérales qu'ils n'ont pu bien étouffer en Russie. L'ainé avoit été attaché a Potemkin et a Zoubow; le cadet étoit a la cour, auprès du grand-duc  C 2o5 ) veloppe cette affaire\ car, s'ils sont coupables, pourquoiles épargner? Et s'ils ne le sont pas, pourquoi les punir? Dans le premier cas, l'on ose présumer que Alexandre et protégé par 1'impératrice : - n'auroient-ils pas été mêlés dans le projet qui se forma de placer ce prince sur le tronea la place de son père ? projet qu'avoit eu Catherine , et qui fut cause d'une foule d'autres disgraces a sa mort. Alexandre fut même surveillé, et tous les officiers de sa suite renvoyés. Ceux qui connoissent la RusS1e et qui se ' souviennent que quelques officiers aux gardes et un chirurgien frangais , nommé Lestoc , suffirent pour opérer la révolution qui placa Elisabeth sur le trone, ne trouveront pas cette suppositioninvraisemblable. On sait d'ailleurs que les deux Masson étoient des principaux membres d'une société nommée philadelphiqxie, dont le général en chef Mélissine , leur oncle , étoit le fondateur , et oü plusieurs autres généraux ou courtisans étoient admis. Cette société dont on parloit a Petersbourg, paroissoit, il est vrai plutot un régiment de la calotte qu'une assemblée politique, et Catherine a qui on 1'avoit dénoncéeu avoit ri, mais 1'ombrageux Paul pourroit bien 1'avoir envisagée autrement; car a cette même époque, le fils de Mélissino, chef d'un régiment de grenadiers , et le ' chambellan Mettlew, membre intime de cette même société, furent aussi disgraciés et exilés. Quoiqu'il en soit, il pourroit sans doute paroïtre étonnant que deux officiers supérieurs ' aient ainsi été enlevés a leur familie sans procés et saus raison , si l'on ne connoissoit pas le caractère de Paul. On sait qu'il a traité sans plus de ménasement 1'agent de Sar-  C *°4 ) sa majesté l'empereur est en quelque sorte redevable a son peuple de la publication de leur attentat; a son peuple qui 1'adore (i) qui a mis toute sa confiance dans sa justice, et qui seroit malheureux s'il avoit a trembler devant chaque délateur secret». « Les soussignés, tous parens et amis de MM. de Masson, et a qui il importe en cette qualité de dévoiler ce fatal secret, les somment donc ici solemnellement de se défendre, s'ils sontinnocens: comme homme d'honneur, ils doivent cette démarche a tous ceux dont ils ont gagné 1'estime par leur agréable com- daigne T paree qu'il lui fut désigné par Eesborodko , comme un homme qui conseilloit a sa cour de se tenir lié a la France. Paul en fureur s'écria : Quoi! un jacobin a ma cour; qu'il parte sur-le-champ. Le ministre deBavière, Réglin, fut également traité de jacobin et jeté dans un traineau couvert qui leconduisit jusqu'aux frontières comme un criminel: et seulement paree que son maitre ne vouloit point d'abord reconnaïtre Paul comme grand-maïtre de Malthe. (i) Pauvres Russes! comme ils sont obligés de mentir.  ( 205 ) merce; ils la doivent même a l'empereur, qui est assez magnanime peut-être pour réparer les suites d'une action trop précipitée, si quelque scélérat 1'avoit tromp é (1) ». Suivent les signatures des parens et amis. Il faut être au fait des localités et connoitre le caractère de Paul, pour apprécier leur courage, malgré les ménagemens qu'ils ont observés dans cette sommation. (1) Nous" avons vu comme Paul peut être détrompé. Nous savons que 1'impératrice essaya de parler en faveur du jeune Masson; mais il lui ordonna de se taire sur eet objet , en la menacant de la punir elle-même. II la fit mettre quelque tems après aux arrêls , pour une autre intercession. Paul faisant sa ronde ordinaire autour de son chateau de Pawlowsky, surprit une sentinelle endormie auprès du pavillon de sa femme. II fit donner la bastonnade sur la place au malheureux soldat. A ses cris , 1'impératrice se met a la fenêtre et demande sa grace. Comment, s'écrie Paul, vous 06ez m'interrompre dans un acte du service militaire ? Oubliez-vous que je suis votre empareur aussi? je vais vous en faire ressouvenir. A ces mots, il ordonne a son aide de camp de mettre 1'impératrice aux  ( 206 ) Un autre moscovitisme de Paul excita aussi f indignation publique. Les réformés frangais et suisses ont a Pétersbourg une église oü ils permirent aux Allemands de célébrer aussi leur culte en leur langue; mais comme les premiers fonds de ce temple provenoient des Frangais, ils en gardoient la manutention. Les Allemands prétendirent une entière commimauté; ils intentèrent un procés qu'ils perdirent. Ils implorèrent la protection de Paul, qui ordonna une révision. Le sénat eonfirma son premier jugement. Nouvelle réclamation; et Paul ordonna de juger en faveur des Allemands. Mannsbandel de Mulhouse étoit pasteur des Frangais, et le comte Gollowkin, capitaine de marine, 1'un de ses anciens d'église (1): ils se permirent arrêts. L'aide de camp hésite; Paul menace de le faire soldat, et 1'officier va signifier les arrêts a. Marie et place un factionnaire a sa porte. Ce fut sa seconde arrestation. (i) La familie des comte CoUowhin ayaut été dis-  ( 207 ) quelques remarques sur la partialité de l'empereur. Mannsbandel fut jeté au fond d'un cachot, d'oü il ne sortit qu'avec injonction de quitter la Russie; le comte Gollowkin eut ordre de sortir de Pétersbourg sur-le-champ; puis il recut un nouvel ordre de se rendre sur le vaisseau qu'il commandoit, oü a son arrivée , il fut fait matelot. A la nouvelle de la mort du dernier roi de France, Catherine, saisie de frayeur, prit contre les Frangais en Russie des mesures de süreté: il leur fut ordonné de prêter serment de fidétité a Louis XVII et a leursainte religion, en juranthaine et exécration aux principes qui étoient professés en France. D'après les listes imprimées par ordre du gouvernement, il se trouva sept a huit cents Frangais a graciée sous le règne d'Elisabeth, vint en Hollande , ou elle embrassa la réforme. Rappelée depuis en Russie , elle y a conservé sa religion, et c'est la seule familie russe qui la professe.  ( 208) Pétersbourg, et davantage a Moseou. Tous se virent forcés de prononeer dc bouche des imprécations contre leur patrie. II n'y en eut que quelques-uns qui, depuis long-tems ayant pris leurs arrangemens pour repasser en France, oü ils avoient leur fortune, aimèrent mieux partir en huit jours, comme le prescrivoit Youkas, en cas de refus. Cet oukas fut aussi absurde et barbare dans sa rédaction, que ridicule et contradictoire dans son exécution. Ce ne fut pas seulement les Frangais qu'on obligea de de prêter serment, mais presque tous les etrangers qui parlaient frangais, ou qui avoient leurs passeports écrits en cette langue : de manière qu'un Brabangon, un piémontais, un Liégeois, un Milanais, se trouvoient forcés de prêter hommage au roi de France : il semble que la police russe ait dès-lors prévu la grande réunion qui devoit bientöt avoir lieu, et qu'elle ait voulu la sanctifier  ( 209 ) d'avance. Quelques Suisses, Montbéliardois, Neuchatelois et Virtembergeois, y furent également contrahits. Le grand duc Paul 1'exigeoit de tous les étrangers indistinctement qui se trouvoient a sa suite; plusieurs prévinrent officieusement ses vceux et ses ordres. Un plus grand nombre s'en disculpa en disant qu'ils n'étoient p as nés suj ets de la France. et firent entendre raison, non pas a Paul, mais a la police. Paul, devenu empereur, renchérit beaucoup sur ce qu'avoit fait sa mère; il ordonna que tous les étrangers qui se trouvoient en Russie, eussent a professer la religion dans laquelle ils étoient nés. II fut enjomt nommément aux catholiques de pratiquer scrupuleusement les rites de leur secte, et les commandemens de 1'église romaine. On afficha, danstoutes les langues, un oukas qui enjoignoit a chacun d'eux, sous peine d'être traités en rebelles, de s'approcher du saint sacrement de péni- 2. O  ( 2lO ) tence, et de se mettre en état de recevoir le corps du sauveur a paques; mais il étoit ordonné aux prêtres de n'accorder 1'absolution qua ceux qui la méritoient. Leglise catholique jusqu'alors déserte se remplit; les prêtres frangais, allemands, italiens et polonois qui la désservent se mirent a confesser. Devant chaque confessional fut préparée une boëte, oü le pénitent étoit tenu de jeter une carte portant son nom, sa profession et sa demeure; les cartes étoient chaque soir portées a l'empereur. Le confessé recevoit alors un billet d'absolution signé du prétre, et en vertu duquel il étoit admis a la sainte table. Ce billet étoit d'aillemjs pour lui une carte de süreté, et il le produisoit dans le besoin a la police. Les aubergistes, lespropriétaires de maison, furent chargés de veiller a 1'exécution de ces ordres dans ce qui regardoit les personnes logees chez eux , et de dénoncer ceux qui ne fréquentoient point les égiises  ( 211 ) ou qui portoient des pantalons, des chapeaux ronds et des gilets croisés. On avertissoit charitablement les malades qu'ils pouvoient exiger que le confesseur vint chez eux, et les pauvres qu'on leur porteroit le bon dieu.gratis. Qu'on juge de 1'embarras de la plupart des Frangais: jusqu'alors ils avoient été en Russie aussi libres qu'on peut 1'être, relativement aux opinions religieuses dont le gouvernement ne prenoit aucune connoissance. Qu'on juge sur-tout de 1'indignation, de 1'humiliation de ceux qui avoient de la philosophie et des principes libéraux; il falloit se soumettre; le Compella intrare étoit pratiqué avec vigueur par les soldats de la police. Les émigrés qu'on avoit dépeints a Paul comme des libertins, quoiqu'ils füssent armés pour le tröne et 1'autel, fusent obligés d'aller a la messe en parade, deux a deux, passant entre des haies de soldats russes. Les catholiques un peu riches trour  C 212 ) verent bientót le moyen d'obtenir des billets d'absolution, même sans se confesser. Leurs prêtres les vendirentd'abord 5o roubles, puis 20; ils les donnèrent enfin pour 10, et se chargèrent, par dessus le marche, de jeter euxmèmes la carte dans la boete. Ce fut prés de cette égiise catholique que se passa une scène qui mérite place ici. Paul faisoit célébrer un service en ï'honneur du duc deWirtemberg, père de 1'impératrice, qui venoit de mourir a Stuttgard. Comme il ne lui convenoit pas, a lui autocrate et patriarche orthodoxe russo - grec, d'assister a une messe schismatique, il prit le parti de se mettre a la tète des grenadiers qui environnoient 1'église, pour maintenir 1'ordre et la dignité. Il faisoit un grand froid; son cheval, né sans doute sous Un climat plus chaud, ne pouvoit rester immobile: las de piaffer, de caraccoler et de faire des efforts inutiles pour le  ( 2i3 ) retenir, il se mit a galoper dans la me, passant et repassant devant les troupes et une grande foule de peuple que lo cérémonie funèbre et le manége de l'empereur attiroient. A mesure que Paul arrivoit au galop d'un cóté, cette foule se découvroit et s'inclinoit. Un groupe rassemblé sur le Pont-Vert, éloigné de plus de 400 pas du point oü l'empereur faisoit volte, se couvrit enfin a cause du grand froid et de 1'éloignement. Paul s'en apergoit; il fait a 1'instant cerner le groupe par les troupes et 1'envoie a la maison de force; il y avoit cinquante a soixante' individus de différentes conditions. Ceux qui n etoient pas nobles furent fouettés pendant trois jours consécutifs, les nobles dégradés, et les officiers faits soldats. II se trouva parmi les arrètés un Genevois nommé Martin, qui gagna un officier de police, et trouva moyen decrire a la cour, oü il avoit des amis. II fut relaché ; mais indigné d'un pa-  C 214 ) rcii outrage, il quitta sur-le-champ Ia Ru,ssie (1). Quelque tems après, Paul fit inhumer dans la même église le corps du malheureux roi de Pologne. II vint luimême examiner le catafalque et les préparatifs de la pompe funèbre. Un tapissier occupé de la décoration des voütes étoit au haut d'une échelle, en veste et en pantalon, pour travailler plus commodément. Paul apprenant que c'étoit un Frangais, nommé Leroux, lui ordonna de descendre, et lui fit donner a 1'instant la bastonnade au milieu de 1'église. Voila une partie des avanies auxquelles sont exposés les étrangers et surtout les Frangais en Russie. II est certain que leur sort est devenu plus déplo- (1) Nous avons vu ce qui arriva a une dame Likarow, pour n'etre pas descendue de voiture en passant devant Paul. La femme du riche auberyste Démuth eut le même accident ; mais comme elle n etoit pas noble , elle fut fouettée pendant trois jours de suite a la maison de force.  rable encore, depuis que Paul a déclaré laguerrea la France. Que d'humiliations, que d'affronts il a fallu dévorer a la maison de force de Pétersbourg, comme au bagne de'Constantinople! Mais il faut les réprimer, ames généreuses, les élans sublimes vers votre patrie, et cette admiration pour ses héros. Lorsque les tyrans vous auront proscrits pour avoir témoigné votre attachement a la France, ce sera en vain que vous étendrez les bras vers elle; ce sera en vain que vous demanderez un asile sous 1'arbre de la liberté; vous en serez repoussés comme i'oiseau qui veut se réfugier sous le chêne battu par la tempète, et qui en est rechassé par Les branches agitées. La liberté elle - même est captive et outragée en France; Cest Bradamante tombé dans 1'antre de Merlin. On refuse aux Frangais venant de Russie la rentrée en France, sous prétexte qu'ils ont dii prêter un serment par lequel ils renoncent a leur patrie. O  C 216 ) Frangais! oubliez - vous vous - mêmes combien vous avez prêté de sermens contradictoires dans 1'espace de cinq ou si* ans ? ne sera-ce que ceux qui ont été arrachés a vos malheureux compatriotes, par le fer des tyrans, qui devront etre gardés religieusement, au moment même oü vous vous faites un jeu de vioIer ceux que vous avez prêtés par acclamation a la face du ciel et de la France ? Rappelez-vous du moins 1 epoque oü ce serment absurde fut exigé. C'étoit celle ou la tète de Louis venoit de tomber, et oü tous les despotes trembloientpour la leur; celle oü Léopold mouroit, disoiton, empoisonné, et Gustave assassiné sous vos coups CO ; celle oü Marat et Robespierre régnoient! Qu'on juge quelle sensation terrible ces nouvelfes produisoient en Russie, sur une princesse que les remords devoient effrayer, (1) On assuroit ala cour de Russie que c'étoit les jacobins qui avoient assassiné Gustave et empoisonné Léopold. II eut été dangéreux de paroitre en douter.  ( 217 ) sur une cour qili 1'environnoit de terreurs, et sur un peuple pour qui les rois sont les oints de Dieu. Les Francais de Pétersbourg s'enfermèrent dans leurs domiciles, et craignirent de s'y voir tous massacrés; ils s'attendoient au moins a une proscription générale. Je le dirai aujourd'hui, comme je le pensois alors: Catherine se montra encore en ce moment grande etmodérée. Par le serment qu'elle exigea, elle mit les Frangais sous Ia sauve-garde du gouvernement, et les sauva de la fureur des nobles et du peuple aveuglé. Aucune des puissances coalisées, réputées cependant moins barbares, ne prit une mesure si humaine. Au moment oü l'on emprisonnoit, oü l'on massacroit les malheureux Frangais a Londres, a Vienne, aNaples et a Rome, un frère de Marat se montroit avec sécurité a la cour de Catherine.  Si DESCRIPTION DU P A L A IS TA L RI QüE et de la fete que le prince Potemkin y donna a 1'impératrice Catherine U(i\ Ce fut le palais taurique que le prince Potemkin choisit pour donner a ^a souveraine la fete briïlante, qui a ete regardee comme un hommage de reconnaissance pour la grandeur a laquelleelle f avoit eleve. C'est le menie palais que Catherine II . depuis la mort de ce favori, occupoit enautomne. Lafacade de ce banment est composée d'une immense colonnade , qui suppprte une coupole. En entrant on se trouve dans im £rand (1) Comme dans eet ouvrage il a été plusieurs fois questwn du palais taurique , nous arons er j devoir y ajouter la deseriprion suivante de ce palais et de la fète que le prince Potemkin y donna a sa souveraine. Eile est tiree du Tableau de St. Petersbourg par Storch.  C 219 ) vestibule, sur lequel donne des appartemens a droite et a gauche; au fond est un portique qui conduit a un second vestibule d'une grandeur prodigieuse, éclairé par le haut, et entouré a une très-grande élévation d'une galerie destinée a 1'orchestre, et dans iaquelle on a placé des orgues. De-la un doublé rang de colonne conduit a la principale salie, destinée aux grands festins. II est impossible d'exprimer 1'impression que fait ce temple gigantesque; il a plus de cent pas de long, il est largeaproportion etil est formé par un doublé rang de colonnes colossalesril y a entr'elles a demi-hauteur de loges ornées de festons élegamment sculptés, et garnies dans 1'intérieur d'étoffes de soie. On a suspendu a la voute des globes de cristal, qui servent de lustres et dont la lumière est réfléchie a 1'infmi par des glacés placées a toutes les extrémités de cette immense salie. Il n'y a ni meubles ni ornemens ;mais aux deux extrémités, qui s'arrondissent en demi-  ( 220 ) cercles, il y a des vases de marbre de Carrare,surprenansparleurprodigieuse grandeur et par la beauté de leurtravail. Prés de cette salie se trouve le jardin d'lnver, qui n'en est séparé que par la colonnade. La voute de ce batiment immense est soutenue par des pilastresqui ont la forme de palmiersron a pratiqué dans 1'intérieur des murs des tuyaux de chaleur, qui circulenttoutautour des batimens; et des canaux de métal remplis d'eau chaude, entretiennent une égale température sous ce parterre délicieux. L'ceil se promène avec ravissement, tantót sur des plantes et des arbustes de tous les pays, tantót il se repose avec admiration sur une téte antique, ou bienil parcourt avec étonnement la diversilé des poissons de toute couleur, contenus dans des vases de cristal. Un obélisque transparent reproduit a la vue, sous mille teintes diverses, ces merveilles de 1'art et de la nature , et une grotte tapissée de glacés les réfiechit a 1/infira. La tem-  ( 221 ) pérature délicieuse, 1'odeur enivrante des plantes, et le silence voluptueux de ce lieux enchanteur, plongent 1'ame dans une douce rêverie, et transportent 1'imagination dans les bois de 1'Italie : 1'illusion ne se détruit que par Faspect de tout ce que 1'hiver a d'apre et de rude quand vos regards enchantés se portent hors des croisées sur les frimats et les glacons qui entourent ce magnifique jardins. Au milieu de eet élysée s'élève majestueusement la statue de Catherine II en marbre de Paros. C'est sur ce théatre de sa grandeur que le prince Potemkin disposa les apprêts de la fète qu'il donna a sa souveraine avant son départ pour les provinces méridionales oü la mort Fattendoit. Ce favori sembloit avoir un secret pressentiment de sa fin prochaine et il vouloit encore jouir de toute la plénitude de sa faveur. Les préparatifs de cette fête étoient immenses, comme tout ceque soniina-  ( 222 ) gination enfantoient. Il avoit occupé pendant plusieurs mois les artistes de tous les genres : plus de cent personnes se rassembloient tous les jours pour se préparer aux röles'qu'il leur avoit confiés , et chaque répétition étoit une espèce dé fète. Enfin le jour fixé arriva, au gré de 1'impatience de toute la capitale. Outre 1'impératrice et la familie impériale, le prince Potemkin avoit invité toute la cour, les ministres étrangers, la noblesse du pays , et un grand nombre departiculiers des premières classes de la société. L'ouverture s'en fit a six heures du soir, par un bal masqué : a 1'approche de la voiture de 1'impératrice, on distribua avec profussion des mets , des habillemens et des boissons de toute espèce , a lapopulace assemblée. L'impératrice entra dans le vestibule aux accords d'une musique brillante , exécutée par plus de trois cents musiciens  ( 223 ) dela elle se rendit dans la principale salie , oü la foule la suivit : elle monta sur une estrade , qui lui avoit été élevée au milieu de la salie et qui étoit entourée de décorations etd'inscriptions en transparens. La foule se distribua sous la colonnade et dans les loges; alors coramenga le second acte de ce spectacle extraordinaire. Les grands-ducs Alexandre et Constantin, a la téte de la plus belle jeunesse de la cour, exécutèrent un ballet. Les danseurs et danseuses étoient au nombre de quarante - huit, tous habillés en blanc, revêtus de magnifiques écharpes, et couverts de pierreries dont on estinioit la valeur a plus de dix millions de roubles. Le ballet fut exécuté sur des airs choisis analogues a la fete, et entremêlés de chants. Le célèbre Lepicq termina le ballet par un pas de sa composition. On passa alors dans une autre salie, ornée de plusieurs riches tapisseries des  ( ) Gobelins : au milieu on voyoit un éléphant artificiel, couvert d'éméraudes et de rubis; un Persan richement vêtu, lui servoit de cornac. Au signal qu'il donna en frappant sur une cloche, une toile se leva, et l'on vit dansle fond unmagnifique théatre. Ony représenta deux ballets d'un genre nouveau, et le spectacle fut terminé par une comédie fort gaie, qui amusa beaucoup 1'assemblée. Au spectacle succédèrent des chceurs, des danses variées, et une pompe asiatique remarquable par la diversité des costumes, tous représentant les divers peuples soumis a la domination de 1'impératrice. Bientót après tous les appartemens, iiluminés avec le plus grand soin , furent ouverts a la curiosité de la foule empressée : tout le palais sembloit en feu; le jardin étoit couvert de pierres étincelantes; des glacés sans nombre, des pyramides et des globes de cristal, réfléchissoient en tous sens ce  ( 225 ) spectacle magique. On servit une table de six cents couverts; le reste des conviv.es étoient servi debout. La vaisselle étoit d'or et d'argent;les mets les plus recherchés étoient servis dans des vases de la plus grande richesse; les liqueurs les plus précieuses couloient a grands Hots de coupes antiques; des lustres, du plus grand prix, éclairoient la table. Les officiers et les domestiques , richement vêtus, s'empressoient, en grand nombre, a prévenir les désirs des convives. L'impératrice re sta, contre sa coutume , jusqu'a minuit:elle sembloit craindre en s'éloignant detroubler lafélicité de son favori. Quand elle se retira, des chceurs nombreux et une musique harmonieusefirentretentirentles voutes du palais d'une hymme en son honneur. Elle en fut si émue, qu'elle se tourna vers. le prince Potemkin pour lui témoigner sa satisfaction : celui-ci entrainé par le sentiment de tout ce qu'il devoit a sa souveraine, se jeta a ses pieds, 2- P  C 226 ) prit sa main, et 1'arrosa de larmes, Ce fut la dernière fois qu'il put, dans ce lieu , témoigner sa reconnaissance a 1'auguste auteur de sa grandeur.  NOTE ADDITIONNELLE SUR KORSAKOW. A 1'occasion de la retraite des Russes de la Suisse,les papiers ont publié 1'ahecdote suivante , tirée de la Vie de Catherine , par M. de Castéra. « Korsakow (favori de 1'impératrice ) étoit d'une jolie figure et d'une taille trèsélégante ; mais n'ayant ni de 1'esprit, ni des connoissances, il ne pouvoit, pas plus que Zoritz,porter atteinte au crédit de Potemkin. Un seul fait suffira pour le faire connoitre. Dés qu'il eut obtenu la place de favori, il crut qu'un homme comme lui devoit nécessairement se procurer une bibliothèque. Aussitót il fit venir le plus fameux libraire de Pétersbourg, et lui dit qu'il vouloit avoir des livres pour les placer dans la maison  ( 228 ) ce Wasieltschikoff, dont 1'impératrice venoit de lui faire présent. Le libraire lui demanda quels livres il lui falloit.— « Vous savez cela mieux que moi, ré» pondit le favori ; c'est votre affaire. » De gros livres en bas, de petits en » haut: voila comme ils sont chez 1'im» pératrice ». Nous sommes loin de vouloir contester la vérité de cette anecdote qui nous a été confirmée par plusieurs personnes dignes de foi, auxquelles le libraire la raconta dans le moment même; mais nous devons prévenir nos lecteurs qu'en la publiant les papiers ont confondu le favori Korsakow avec ce Korsakow qui commandoit 1'armée russe en Suisse. Celui-ci est un homme d'esprit et de connoissances; il a fait la campagne de Flandre comme volontaire sous le prince de Cobourg, et il sait très-bien ce que c'est qu'une bibliothèque.  TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE. JE pinus, précepteur de Paul. Alexandre-.newskoï, saint et tyran russe. Alexandre Pawlowitsch , grand-duc de Russie. Alexandri.ne , grande-duchesse, élevée pour être reine de Suède. Anhalt (le comte d' ) auteur d'une description de la maison des cadets de Pétersbourg. Anne, régente de Russie. Araktschei'ff , officier russe. Aremberg ( comtesse d' ), voyez Schkowsky. arkarow, gouverneur-général de Pétersbourg. Armfeld , conspirateur protégé par la Russie. Artois ( comte d' ). Insolence qu'il éprouva de la part de 1'archevèque de Pétersbourg. Altesti , auteur d'une brochure impertinente. Aubert, secrétaire de légation a Vienne, déserte avec les papiers. A  a3o Table AuGUSTE-SlGISMOXD , roi de Pologne, envoie au grandduc Iwan Wasiliéwitsch une jument blanche en guise de femme. B. Bacmeister, historiographe de la Russie. Bade.n-Dourlac (princesses de ) conduites en Russie. Bade.N'-Doürlac ( Elisabeth, princesse de) épouse du grand-duc Alexandre, la seule princesse allemande heureuse en Russie. Baden-Dotrlac ( Frédérique, princesse de) passé tristement ses jours a Pétersbourg. Baden-Dourlac ( Louise, princesse de), voyez BadenDourlac( Elisabeth). Bariati.xsky ( prince de) un des étrangleurs de Pierre III. Bauer , officier supérieur de 1'armée de Potemkin. Emploi que celui-ci de ses talens. Beloseisky ( prince de ) envoyé de Russie a Turin , disgracié par Catherine II. Benkendorf) madame de) chasséeet rappeléepar Paul I. besborodko, (comte de) donne des fêtes au roi de Suède. Bilistein ( le baron de ), anecdote singuliere qui le concerne. Bobrinsky , fils de Catherine II, et de Grégoire Orlow. BouDRy, nom pris par Marat de Pétersbourg.  Des Matières. s3i bouttoürlin ( comte de ) cité pour ses connoissances locales de Paris. BKANICKA ( comtesse de ) favorite de Catherine II, prise pour elle par les princesses de Baden. BrANICKI ( comte de ) mari de la favorite , orateur de i'ambassade polonaise. Bruce ( comtesse de ) surprise par Catherine entre les bras de son favori. Bruce ( comte ) réception qu'il fit a un cuisinier francais. Brückner, instituteur chez le prince Kourakn. Brunsvic (Sophie, princesse de) épouse du Tzarewitsch Alexis. Buchshewden, sa conduite humaine en Pologne. BüDBERG ( M. de ) conduit en Russie la princesse de Cobourg et ses trois filles. Bonaparte. Ses victoires procurent des bals a la cour de Pétersbourg. Catherine II, impératrice de Russie, veut rétablir son influence en Suède et marier une de ses petites-filles au jeune Gustave. Cazanova, ses tableaus de la prise d'Otschakow et d'Ismaïl. chapfe(abbé), son ouvrage sur la Russie détesté par Catherine. Chlore, tzaréwitsch, conté allégorique, composé par Catherine II.  Table CincikjïAtus ( ordre de ) défendu en Russie. Cobenzl ( comte de ) ambassadeur d'Autriche a Pétersbourg. Cobourg( Anne, princesse de ) épouse du grand-duc Constantin. Son portrait. Cobourg ( princesses de ) conduites en Russie. Constantin-Pawlowitsch , grand-duc de Russie. Ses palissonneries le font mettre aux arrêts. Courlande (princes de ) traités avec mépris par le grand-duc Constantin. Coürlande ( princesse de ) projet de Zoubow de 1'enlever. Cristin, Genevois, ses intrigues a Stockolm et Pétersbourg. Cunet d'ORBEiL, voyez Orbeil. Custine. Son expédition en Allemagne sert de prétexte a Catherine pour faire venir en Russie les princesses de Baden. D. ( Da.naurow, aide de camp de Paul. Daxilowxa , voyez Matrona. Darmstadt (Natalie, princesse de ) première épouse de Paul. Daschkow , (princesse) son caractère. Demuth ( madame ) son aventure. Denisow, général russe. Ses cosaqneries. Derjavin, secrétaire de Catherine, auteur de ses pièces de theatre.  Des Matières. a33 EOLGOROUKA ( princesse ) amante du comte Cobenzl. DolgorouKY ( Georges, prince de) destinépour la forme au commandement contre la Suède. DolgorouKY (prince) sénateur sous Pierre I, déchire les ordonnances de ce prince. E. Elisabeth , impératrice de Russie. Son règne a vu naitre les lettres en Russie. Elisabeth , princesse de Baden, voyez Baden-Dourlac. esterhazy, dénonce La Harpe a Catherine II. F. FÈODOR, tzarde Russie, brüle les diplömes de la noblesse russe. Flemming, (M..de) Suédois, conseille le roi de ne pas agir contre les loix du royaume. Fox , son buste jeté dans un coin par Catherine. Frédéric II, roi de Prusse, ne permet pas que laprinCesse de Wirtemberg, destinée a Paul, aille jusqu'a Pétersbourg. Fredéric-Guillaume II, roi de Frusse, modèle que Paul s'est proposé. Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, anecdote qui le concerne. Frédérique, princesse de Baden. Voyez Baden-Dourlac  z54 Table Gabriel, archevêque de Pétersbourg, consulté par Catherine II sar i abjuration de sa petite-fille. Gallitzai.n (Georges, prince) envoyé aux arrêts, pour avoir baisé la main de Paul trop négligemment. g4sparini, cantatrice a la cour de Catherine II. Gay, libraire a Pétersbourg. Georgi, auteur d'une mauvaise description de Pétersbourg. Gallowkrix ( comte de ) son avenrure. Gortschatkow, (princes), neveux de Souvorow. Granmo.xt, instituteur chez la princesse Dolgorouka; Gribovvsky, secrétaire de Zoubow. Gustave III, roi de Suède, Catherine II vent 1'envoyer contre les Frangais. Gustave Adolphe II, roi de Suède. On lui destine la grande-duchesse Alexaudrine. H. Hus, maitresse du comte de Markow. L Iwan III, anecdote de lui. Iwan Pawlowitsch, valet de chambre favori de Paul; Iwah Wasiliewitsch I, grand-duc de Russie, offensé par le roi de Pologne.  Des Matières. 235 J. JosEPH II, son épigramme sur Catherine, au sujet de la fondation de la ville d'Ekatarinoslaw. K. kamasowsky, amant de la comtesse d'Aremberg-Schakowsky. Kam ar, nonce polonais, son apostrophe au roi Sumslas Poniatowsky. kamenskoi, général disgracié par Catherine pour avoir pris le commandement de 1'armee apres la mort Potemkin. Kapieff , auteur de la comédie russe desCommères. KapieW, favori de Zoubow. kléief, maitre de police de Pétersbourg. Anecdote sur le cuisinier qu'il procura au comte Bruce. Kl-inger, auteur allemand, vivant a Pétersbourg. Kniaigenin, auteur d'une tragédie russe, défendue par Catherine. KorsAKOW, huitième favori de Catherine. korsakow, général, est un autre que le favori. kosciuszko obtient sa liberté par Paul. Koezébue, auteur allemand, vivant en Russie. Critique de ses ouvrages. Kourakin ( Alexis prince) , favori de Paul. Koutousow, satyre contre lui.  856 Table KrAFT, professeur de physiqoe des grands-ducs. K Ky ( princesse ) femme-furie. La Harpe, instituteur des grands-ducs Alexandre et «-onstantin, détesté par Paul. Lambro—Cazziom , pirate, médecin de Catherine. LAM! ( 1'abbé ) auteur d'une explication des estampe» de Hogarth. r Lampi a fait le portrait de Catherine. Laxgero.v (de), émigré frangais, obligé de quitter en russie lordre de Gncinnatus. Laxskoi, neuvième favori de Catherine. Son tomheau a Tzarkoe-Zelo. Lapoukhin ( mademoiselle de ) maitresse de Paul. Le Bgeuf , cuisinier frangais, arrété comme empoisonneur. Le Brun (madame ) a pemt Catherine II , aprcs