O, 3^™»/  MÉMOIRES SECRETS SUR LA RUSSIE. TO ME TR01S1ÈME*  Les deux premiers volumes , orne's des portraits de Catherine et de Souworow, se trouvent c^czBertran dzt , Imprimeur-Libraire , rue de Sorbonne , n°'. 584«    MEMOIRES SECRETS S ü R LA RUSSIE, ET PARTIGULIÉREMENT SUR LA FIN Bü RÈGNE DE CATHERINE II EX SUR CELUI DE PAUL I. Contenant nombre d'anecdotes et de faits h«f„. ■ °W ' leS °Perations de finances de Paul I sa vie domestique , et sa fin tragique. Suivi de pièces justificatives , parmi 1»,„„ml ' r ml «squelles se trouve Ia' constitutie peur la familie impériale. TOME TROISIÈMB. AMSTERDAM. Etsevend, d Pa. kis, Cliez Bïrtrandet, Imprimeur-Libraire , rue de Sorbonne , n». 3^, IÖ02.   MÉMOIRES SEGRETS SUR LA RÜSSIE. P R É F A G E. .A.U moment ou ce troisième volmtie étoit livré a la presse , une révolution aussi tragique , mais plus sourcle et plus lacbe que celle de 1762 , terminoit la yie et le règne de Paul I. Cet événement, ceux qui Pont précédé, accompagné et suivi, ont bien justitie 1'auteur de ces Mémoires. Ils ont mis le sceau a la véracité de ses récits, a la justesse de ses observations , et même de ses raisonnemens , puisqu'une partie de ce qu'il prévoyoit est arrivé. Aujourd'hui que Paul n'est plus , on laisse a ceux qui n'ont pas rougi de 1'encenser yivant, le soin de s'acharner sur,  P R É F A C F. lui après sa mort. Après avoir osé parler d'un puissant despote , durant sa vie, comme en parleront Phistoire et la postérité, faveur est satisfait de Pavoir atteint sur «oa trdne, k travers tant de baïonnettes et de puissance, de quelques traite, quipouvoient le corrigerenl'irritant (i )• mais il ne trouve plus aucun mérite a rassembler des anecdotes qui caraclérisent trop bien ce malheureux prince : il voudroit méme pouvoir effacer maintenant tout ce qui peut plaire a la maliguité , (i) A la première publication de ces Memoires , 1'envojé de Russie a Berlin s'empressa d'en expédier par un courier un exemplaire a Paul I. Celui-ci chargea aussitöt tous ses ministres en Allemagne d'en arrcter la circulation , et M. de Morawiew donna plusieurs notes publiques k ce sujet , au sénat de Hambourg. L'auteur pouvoit jouir de la gloire de ce moucberon du bon la Fontaine , qui oso t attaquer le lion rugissant de fureurj mais une puissance plus douce lui fut réservée. Le ridicule dont une peiniure fidéle couvroit les singularités de 1'empereur , parut faire effet sur lui j et 1'on vit h cette époque quelques cbangemens , qui sembloieut dictés par les remarques de ce livre. Un liyre seul peut faire eet effet-li sur un hommc h qui personne n'ose parler franchement.  P R É ï A C E. vij pour ne laisser que ee qui est véritablement utile et curieux. Sans entrer dans les détails trop récens de la conjuration qui vient d'immoler le fïIs de la grande Catherine , on fera ici une observation bien frappante. Ce ne sont point les nombreuses victimes du despotisme violent cle eet empereur bizarre qui l'ont assassiné • ce ne sont point les officiers déslionorés par ses emportemens , ni les families ruinées par ses injustices £ ce ne sont ni les époux, ni les veuves, ni les mères désespérées ; ce ne sont point non plus ces courlisans instruits et raisonnables qu'il regardoit comme dangereux, ni ces hommes éclairés, animés de quelques idéés libérales , dont il envisageoit les sages conseils , comme des atteintes a son autorité • ce ne sont ni les hommes de lettres, ni les philosophes qu'il a persécutés, moins encore les jacobins, ces assassins et ces empoisonneurs qu'il voyoit par-tout, et contre lesquels il prenoit des mesures si tyranniques, si  Vlij P B_ E F A C E. gênantes et si ridicules (i); mais ce sont les yils flalteurs qui 1'entouroient, les hommes rusés el fourbes qui nourrissoient ses extra vagances et divinisoientson despotisme, les valets dans lesquels il avoit mis toute sa confiance, et les officiers dont il avoit fait ses satellites fidèles. Tous ceux qui se sont souillés du sang de Paul, étoient décorés de ses faveurs et comblés de ses bienfails. L'on veut faire envisager eet attentat, comme un crime nécessaire et force , mème comme un bienfait de la providence qui a sauvé la Russie d'une ruine totale et d'un retour inévitable versl'ignorance et la barbarie. La noblesse , le peuple et 1'armée ont poussé des cris de (1) Paul I qui, jusqua son avénement, avoit conservé une austérité de moeurs exemplaire, une probité et une régularité de vie dignes de couvrir bien des bizarreries et des ridicules, s'abandonna bientót h un relachement scandaleux pour son age. II finit par s'attacher a une grosse cuisiniére qui lui apprêtoit son manger dans un réduit séparé, et qui avoit seule toute sa confiance.  P R É r A C I. ix joie , et Pélersbourg dans 1'ivresse a célébré par des fètes la mort violente de son tyran (i). On peut en effet regarder, (1) La conjuration se forma durant les fêtes du carnaval, nommées en Russie maslaniza, époque de joie, d'ivresse et de désordres pour la populaee. Routaisow { ce valet de chambre favori, devenu , comme on 1'a prédit dans le premier volume , si grand et si puissant seigneur , et qui vit aujourd!hui a Keonigsberg avecmadame Chevalier ) regut, la veille de 1'exécution , un avertissement qui trahissoit les conjurés , et qu'il dedaigna de lire. Paul fut immolé , durant la nuit, dans ce méme palais de St. Michcl, qu'il avoit construit par inspiration divine , par 1'ordre expres d'un archange > comme nous 1'avons détaillé , quarante jours après 1'avoir habité pour la première fois. Cette particularité , ce nombre de quarante , sacré pour le peuple et les prétres russes , ces fétes , époque de licence , servirent le complot et redoubleren! les transports de la populaee a Pétersbourg. Peu s'en fallut qu'elle ne proclamat les meurtriers de 1'empereur libérateurs de la patrie. Alexandre , confondü , indigné de la mort de sonpère , et la soupconnant violente, refusa d'abord de monter sur le tróne et de se montrer au peupie qui 1'appeloit a grands cris. Dans cette confusion et cette ivresse générale, ce jeune prince et. 1'impératrice sa mère étoient les seuls qui pleurassent la fin déplorable de Paul t Parler de le venger, c'eüt été exciter une indignation et peut-étre une révotution générale : tout le monde se déclaroit complice.  x P r É f a cve. sous un rapport, cette mort prématurée, comme un bonheur pour la Russie, et peut-ètre pour Phumanité entière : ellea placé, malgré lui avant le tems, sur le lröue,un jeune prince qui promet de réparer les maux qu'a faitsson prédécesseur. Alexandre Pawlowitsh a ius- Alexandre ne pourra satisfaire aux manes de son pèreet h ce qu'exigent de lui les titres sacrés d'empereur et de fds , qu'avec beaucoup de sagesse et de précautions. Dites-nous maintenant, adorateurs de 1'inviolabil.te des despotes , si ces complots lachement tramés si ces exécutlons sourdes et odieuses du p.dais del tzars, ne sont pas plus atroces et mille fois plus scandaleuses que les vengeances éclatantes du peuple ? Un jugement, fdt-il injuste , est pourtant un hommage a la justice : un assassinat est toujours ledernier forfait. La mort de Charles I et celle du déplorable Louis XVI , m'inspirent de la douleur et de la pitié : mais, c'est un grand, un sublime exemple pour les i;pis. La mort de Pierre III et celle de Paul I , n'inspirent que 1'horreur et 1'indignation ; elles sont iuutiles au moude. Un tyran croit toujours écbapper aux assassms , par les précautions qu'il prend , et qui le rendent plus odieux ; mais il ne pmrroit échapper a un jugement public , que par le génie , les talens , ou la vertu.  P K É F A C E. xj tifié , dès ses premières démarches , ce qu'on avoit annoncé dans ces Mémoires de son caractère et de ses heureuses dispositions. Réunissant la douceur et 1'amahilité qui firent chérir Elisabeth et Catherine, aux éminentes qualités qu'on doit attendre d'un vrai descendant de Pierre I (i)? il paroit destiné a porter au dernier degré de prospérité et de gloire la jeune et puissanle nation dont il est le chef adoré. (0 On montre dans le cabinet d'Histoire naturelle dé Pétersbourg , la figure en cire de Pierre I, habillée d'un habit de soie bleu, brodé des mains de 1'impératrice Catherine , son épouse. Cette figure , d'une beauté et d'une ressemblance frappantes , en a beaucoup avec le jeune empereur ; c'est sa taille haute et sa majesté imposante , son a;il, son front, son teint : mais , les traits d'Alexandre sont plus doux , plus réguliers et plus aimables ; on diroit qu'on les a corrigés sur ce modèle un peu sauvage , pour leur donner une harmonie parfaile. Eh bien ! Alexandre I a au moral avec Pierre I , la même ressemblance qu'au pbjsique. C'est 1'ame de ce grand homme ; comme on 1'eut désirée dans ce siècle éclairé , pour pouvoir 1'aimer 1'admirant.  TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE III"*. VOLUME. Préface. Gtjerre de Perse. Ses causes.L'eunuque Méhémet-Khan. Assassinat d'unprince persan. Le tzar HéracHus chassé de ses états. Vastes projets de la Russie. Du commerce de VInde. Marchesdes arméesrusses. Prise de Derbent, de BaJcou, etc Dépérissement de Varniée. Singuliere issue de cette expédition. Fin ance s. Repenus de r empire sous Catherine. lmpóts. Fntraves du commerce. Assignats. Leur discrédit. Mines du Kolivan. Yhrmann. Lazarow. Altération de la monnoie. Sages mesures de Paul. Fausses opérations. Fonte de la vais~ selle. Prodigalités. Bdtimens. Sjstème de corruütioji. JSoles intéressantes.  table des matières. xiij Les Cosaques. Leur origine. Leurs répuhliques. lis différent des Russes. Ils perdent leur indépendance et leur ancienne constitution. Ils sont assujettis et opprimés. Leur dispersion. Erüèvemens de peuples. Ils sont guerriers. Ils n'ont point de solde, et vwent de pillage. Leurs armes. Manière de combattre. Leur adresse et leur sagacité. Leur manière de piller. Leurs services. Inconvénient désastreux. Ce quils feront en Allemagne. Les paysans doivent se défendre. Ils ne peuvent combattre d pied. Leur défaite d Ismaïl. lis sont peu redoutables aux Francais. expéditions contre lesFrANCAIS. I. En Italië. Politiquede Catherine. Sespréparatifs contre la France. Etat des choses d Tavènement de Paul : son sjstême. II renoue la coalition. Alliances rnonstrueuses. Ordres donnés d son armée. Généraux quila commandent: détails  Xiv TAB LE DES MATIÈRES. sur la marche et sur les soldats russes. Aventure de Lwow. Anecdotes sur la disgrace et le rappel de Soiworow. Soji arrwée en Italië. Précis rapide^e cette campagne et de ses résultats. expéditions contre les francais. II. En Helvétie. Vastes entreprises de la Russie. Ses quatre armées. Marche de la seconde. Ses chefs. Rimslcy - Korsalww. Motijs particuliers de Paul. Les Russes en Suisse. Helvétiensmodernes. Danger de laFrance. Les Russes et les Francais en présence. Bataille de Zurich. Traits de valeur opinidtre des Russes. Leur dé%faite. Souworowpasselesmonts. Détails sur sa marche. II repousse Lecourbe, rappelle les Russes au combat. Sa retraite. Ses singidarités. Son chagi^in. Prisonniers russes. Catastropheen Hollande. Indignation de Paul I. Sa conduite incertaine et violente. Rappel et mort de Souworow. Parallèle. Triomphe de Paul. Foibritannique. Traité violé.  table des matières. xv Anecdotes historiques. Les poux , les dames, et Pierre le grand. Ambassadeurs francais d Pé~ tersbourg. Spéculationsodieuses. Ribas, Nassau et Paul. Le général Mélissino. Collet, NicolaïetPaul.PauletDuval. Madame Biwow. La Né va et ses glacés. Les Yswoschtschild. Le bouleau. Le buste de Catherine II. Catherine et les petits enfans. Les connoissances chimiques de Catherine satwent la vie d des rnatelotsinnocens.Traitcaractéristique. Mesures de police envers les libraires. Pièces justiejcatives. I. Exemption des ecclésiastiques de punitions corporelles. II. Titres de sa inajesté. III. Oulcas ordcmnant que les droits de douanes doivent êtrepercus en monnoies étrangères. IV. Rédaction d'un lïpre d'armoiries de la noblesse russe.  XV] TABLE DES MATIÈRES. V. Ordonnancepourdétruire quelques feuüles dans le recueil d'oukas de 1762. VT. F unition du lieutenant en second Fédosé'iew. VII. Etablissement d'une censurepour les livres. VIII. Légitimation de deux enfans naturels. IX. Extension des peines corporelles aux c?-iminels des classesprwilégiées. X. Acte pour la succession au tróne. XI. Proclamation relatwe d la célé~» bration du dimanche. XII. Loi fondamentale , portant la constitution de la familie impériale. XIII. Manifeste relatifd une nouvellê monnoie, dim iitre plus fort.  GUERRE DE PERSE. Ses causes. L'eunuque Méhémet-Khan. Assassinat dun prince persan. La tzar Héraclius chassé de ses états. Vastesprojets de la Russie. Du commerce de ïlnde. Marches des armées russes. Prise de Derbent, de Bakou , etc. Dépérissement de Parrrrée. Singuliere issue de cette expédition. La guerre que Catherine commenca contre les Perses, et que Paul termina en montant sur le trone, eüt sans doute occupé toute 1'Europe , si des événemens majeurs n'eussent, k cette époque, absorbé 1'attention générale. Le récit de cette expédition lointaine est intéressant: il pourra se placer un jour dans 1'histoh e, comme une espèce de pendant de la conquete de FEgypte, dont cette excursion en Perse semble êtfê une parodie. Eiie eut approchant les memes motifs, et pouvoit avoir la méme influence sur le reste du monde. 3. fa  (3) La belliqueuse Catherine avoit i'ait la paix avec la Suède etlaTurquie; elle venoit de subjuguerlamalhem-eusePologne et d'en ranger les deux tiers au nombre de ses provinces. Elle pouvoit enfin vieillir tranquille, et jouir de trenle-cinq ans de règne, de bonheur et de triomphes; mais, pour cette femme accoutumée ausang , la paix ne fut jamais que 1'ennui. LaFrance luttoit encore, et ses immenses conquêtes n'avoient point décidé la Russie a secourir directement 1'Autriche écrasée, et a disputer aux républicains 1'Italie, Malthe et PEgypte. Catherine d'ailleurs ne se fut jamais décidée a s'allier aux Turcs; elle tenoit trop au grand projet de renouveler 1'empire d'Orient, et d'étendre sa domination au midi de 1'Europe et de PAsie. Elle ne vit pas plutöt 1'Angleterre engagée dans^me guerre mortelle avec la France, et laïrusse enchainée par le parlage de la Pologne, qu'elle se repentit d'avoir fait la paix avec la Porte, au moment ou les Russes victorieux pouvoient enfin marcher sur Constantinople. Les troubles de  C 3 ) la Perse parure^t tout-a-coup lui ouvrir un chemin moins direct, mais peut-ètre plus sur et plus brillant encore, pour revenir au projet favori de son imagination. Depuis la mort du célèbre Thamas-KouliKhan, la Perse étoit plongée dans la plus affreuse anarchie. Desfantömes de rois se succédèrent quelque tems sur le tröne sanglant des Sophis • mais cette grande mönarchie s'étoit enfin dissoute, et chaque gouverneur ou khan s'étoit déclaré souverain de sa province. Le fameux Héraclius , prince de Georgië et ancien vassal de la Perse, avoit également reconquis son indépendance; il la défendit ensuite avec succes contre les Turcs, avec 1'aide de Ia Russie dont il avoit réclamé les secours. Héraclius les payachèrement^il fut ohligé de se reconnoLtre vassal de Catherine, et de recevoir une garnison russe dans Tiflis , sa capitale. A cette occasion, plusieurspetits princes voisins subirentle mème joug, et figurèrent dans 1'almanach russe sous le titre de tzars ou rois protégés de 1'em-  (4) pure (i). Les féroces Lesghis, peuples descendus des anciens Albanois, conservèrent seuls leur liberté, a 1'abri de leurs montagnes inabordables. Ils sont encore en ce moment les plus dangereux ennemis de la Russie dans ces contréessauvages. Cependant un nouveau Narsès avoit paru en Perse. Mehemet-Khan, que Thamas-Kouii-Khanavoit, dit-on, fait mutiler da us son enfauce pour le mettre hors d'état de réclamer les droits de sa nats** (i) Le mot de Tzar nest ni tartare , ni persan, comme on 1'a prétendu : il vient encore moins de César, comme la vanité russe le laisse croire. Tzar est un mot slavon , usité long-tems avant Firruption des 'Fartares-Mongols en Europe; il signifie roi et non empereur. II se trouve dans les plus anciennes biblcs slavonnes : Saül et David y sont nommés Tzars. Tzarstwo signifie règne et rojaume; tzartstwo-wat, règner. Korol en russe , Kroul en polonais signifie également roi, mais les Puisses ne 1'emploient qu'en parlant des rois modcrnes. Ils disent : Karl Koral Schwedsky , Charles roi de Suède; mais ils diront: Noama Tzar Rimsky, Numa roi de Rome. Ce titre de Tzars est aujourd'hui donné aux princes de Georgië , d'Imirette et de Cachet, qui s etoient mis sous la protection de Catherine.  ( 5 ) sance ( i ), s'étoit emparé d'Ispahan. Issu de la familie des anciens Sophis, il se fit déclarer Schach, et avec les secoursdeses frères, gouverneurs du Gilan, du Mazanderan et du Daghestan, il subjugua peu a peu tout ce vaste royaume, et en réunit les provinces démembrées. Peu délicatsur les moyens, a la manière des despotes asiatiques, 1'assassinat, la trahison , le servirent antant que la vicloire: mais au moins la Perse respira sous son règne• elle fut purgée de ces hordes deTartares(TW#r il descend de cheval au  ( I27 ) premier hourgan{i) que le hasard lui fait r-encontrer j par une longue habituele de sa vue exercee dans les ténebres, ou mème a 1'aide du tact seul, il distingueles herbes et les plantes qui croissent de préférence sur la pente du monticuie exposée au Nord ou au Sud. II repète eet examen autantde (i) Les Russes nomraent Kourgan ces terres ou monticules coniques, que 1'on trouve de distance en distance dans les déserts de la Bessarabie , du Duister, du Bog , d'A/.ow , d'Astracan , et le long de la lisière méridionale de la Siberië, Les fouilles que 1'on y a faites , a difïërentes époques , attestent que ce sont des tombeaux. On y trouve ordinairement des urnes d'une poterie grossière, des armes rouillées, des mors, des ossemeus de chieus et de chevaux , et quelquefois des boucles , des agraffes, des chainettes et d'autres ornemens d'or et d'argent. On y a aussi trouvé quelques médailles , avec des inscriptions grecques indéchifi'rables, et d'autres en langues inconnues aux savans modernes. C'est sur 1'un de ces kourgans que se placa Souworow pendant le terrible assaut d'Ismaïl , a une petite portee de canon de la place. C'est de la que, dans une f'éroce extase, 1'ceil attaché sur la ville couverte de hammes , et baignée dans le sang , attentif aux cris f'urieux des vainqueurs , aux plaintes des vaincus , au tumulte du carnage, il s'écrioit par intervalles , d'une voix grèle et cassée : Koli! Koli! ( tue ! tue ! ) Ce vieillard hideux et décrépit sembloit jouir du plus doux. spectacle.  ( «8 ) fois que 1'occasion s'en présente , et de cette manière il suit ou retrouve la direction qu'il doit prendre pour regagner son camp , sa troupe ou sa demeure , et tout autre lieu oü il veut se rendre. De jour , le soleil est son guide le plus sur : le soufflé des venls, dont il connoit le cours périodique , assez régulier dans ces contrées , lui sert également de boussole pour s'orienter. Nouvel augure , le Cosaque inlerroge assez volontiers les oiseaux : leur nombre , leur espèce, leur vol, leur cri, lui indiquent la proximité d'une source , d'un ruisseau ou d'un étang , d'une habitation , d'un troupeau ou d'une armée. Ces nuées de Cosaques qui environnent les armées russes pour la süreté de leurs campemens ou de leurs marches , n'en sont pas moins redoutables a 1'ennemi. Leur vigilance inquiète, leur curiosité téméraire, leurs attaques soudaines, 1'alarment, le harcèlent sans cesse, et sans cesse gênent et épient ses mouvemens. Dans une action générale , les Cosaques se tiennent ordinairement a 1'écart, et,  ( I29 ) spectateurs du combat, ils en atiendent Pissue pour prendre lafuite,ou se mettre a la poursuile des vaincus, dont leur longue piqué fait alors un grand carnage. Ces avantages réels , que les armées russes tirent de ces troupes légères, sont baiancés par bien des iuconvéniens. Le Cosaque est natureliement piliard, dévastateur; et quand même il n'auroit pas ce caractère, il seroit forcé d'avoir recours a la rapine pour subsister, puisqu'on ne lui donne rien. Ces hordes spoliatrices, accoutumées a gater, a détruire ce qu'elles ne peuvent emporter ni dévorer, ne laissent que des cendres et des décombres a Farmée qui les suit. Elles lui ótent ainsi, avec la subsislance, tous les moyens de jioursuivre les succes qu'elles lui avoient elles-mêmes préparés. On en a vu des exemples frappans dans la guerre de sept ans, oü les armées russes, après des victoires signalées, étoient forcées de se retireret d'abandonner leurs avantages. Le» dernières gueixes de Turquie, de Suède, de Pologne, et tout récemment Fexpédi3. .' i  ( i3o ) tion de Perse, ont reproduit les niëmea exemples. Les géuéraux russes qui ont souvent dépioyé des talens militaires, ignorent le grand art des subsistances et approvisionnemens; ils ne font vivre leurs troupes quau jour la journée • ils tolèrent, ils encouragent méme les dégats et les brigandages des Cosaques, paree que c'est un ancien usage, paree que les troupes régulières et leurs officiers sont aussi habitués a la rapine, et enfin paree que de tout tems les Russes n'ont encore fait que des guerres de dévastations, mëme dans les pays qu'ils vouloient conserver ( i ). Trucidare, rapere, falsis (i) La Livome , autrefcis ïe grenier du Nord, n'a pu , depuis prés d'un siècle qu'elle est a la Russie, se remettre encore des ravages et des dévastations qu'elle éprouva lors de sa conquète , qui ne fut presque point disputée. Elle est encore couverte de cicatrices. La Crimée , il y a vingt ans, renfermoit des villes considérables et une population d'envirou deux millions d'ames, Elle n'est plus aujourd'hui qu'un vaste décombre, sur lequel cinquante mille Tatares, foible reste d'une grande nation , pleurent leur patrie et maudissent leurs oppresseurs. La Pologne est encore jonchée de cendres} de  ( i3i ) nominibus imperium, atque ubi solitudi* nemjuciunt,pacem appellant. Tagit. ia Agric. La fureur des Cosaques est si aveugle, que souvent ils s'affameut eux-mémes au milieu de 1'abondance. Aussitót que 1'un de leurs partis entre dans un village, les portes fermées sont enfoncées, les habitans qui veulent s'opposer au pillage massacrés. Ils vident les maisons, les caves, les greniers, avec une célérité incroyable. Tout le gros butin est d'abord entassé péle-mële dans la cour ou dans le jardiu. Lorsque cette première besogne est acbevée, ils font entre eux le partage avec assez de jusiice et de scrupule. L'olïicier a naturellement la meilleure part: Ce qui leur semble inutile, ce dont ils ignorent 1'usage, ce qu'ils ne peuvent emporter ? en un mot tout ce qui ne leur convient ruines et d'ossemens. Ses villes sont désertes , et sans un nouvel ordre de choses , elle ne se relevera jamais. Quel sera donc le sort des pays que la Russie aura moins tl'intérêt a conserver ? Qu'on le demande au Brandebourgj a la Poméranie ? k la Moldavië.  c iai ) pas pour le monient, est incontinent gatë ou détruit. lis se font un amusement, de briser les meubles, de jeter au vent les plumes des lits, d'éparpiller le grain ou la farine dans la fange, et de faire fouler aux pieds des chevaux, le foin et Ia paille qu'ils n'ont pu consommer. Ils finissent souvent par y mettre le feu et par ineendier les maisons ou ils ont éprouvé quelque résistance. Ils partent accompagnés des gémissemens et des malédictions des malheureux qu'ils ont ainsi dépouillés, et vont renouveler les mêmes horreurs a. la première habitation qui se présentera. Mais ces mèmes Cosaques qui auront aujourd'hui brülé votre maison, vous offriront demain leurs secours, et partagerontavec vous le peu qu'ils auront, s'ils vous trouvent dans le besoin. Le Russe est bien moins susceptible de ces sentimens de pitié (i j. ( i; Tout le monde connoit la mort attendrissante du major Kleist , estimable poëte alJemand, et comnient les Cosaques de l'armée russe s'humanisèrent a 1'aspect de sa misère, et cherchèrent a le sauver. Ces mêmes  ( i33 ) 'Au bout cle quelque tems, ces Cosaques pillards seront ramenés aux lieux qu'ils ont ravages; et c'est alors qu'ils se trouvent trop heureux de pouvoir ramasser les resles épars et demi - pourris des grains et des fourrages qu'ils avoient dispersés. La faim , la disette la plus cruelle les a souvent punis, mais elle ne les a point corrigés. Ils en perdent le souvenir , aussitdt qu'ils se relrouvent dans 1'abondance. Les faits suivans earactériseront davantage les Cosaques en particulier, et les troupes russes en général. Deux gueires leur ont suffit pour réduire en déserts et dépeupler complétement la Bessarabie et le Boudziak , vastes contrées entre le Dnister , le Prutb , le Danube et la mer noire, occupées aulrefois par de nombreuses tribus de Tatares demi-nomades et de Moldaves agricoles. La Botna , le Cosaques. avoient, quelque tems auparavant ,.mis le feu au temple de la petite ville de Ragnitz, et brïilé le prê'r.re lutliérien et une grande partie de ses paroissiens qui s'y étoient réfugiés avec lui.  ( i34 ) Buik et d'autres petites rivières , qui serpentent dans les vastes steps de la Bessarabie , pour se jeter dans le Dnister, et ce fieuve lui-mème, étoient autrefois bordés de peïites villes , comme Kischnow , Kauschan, Tatar - Punar , oü les khans de Bielgorod ( Akirman ) faisoient leur résidence , et d'un grand nombre de villages assez populeux. En 1768, on donnoit a ce pays au deia de deux cent mille habitans males : en 1791, il n'en restoitpasdix mille • et depuis Bender jusqu'a Ismaïl, daus un espace de soixante lieues , on ne rencontroit pas une habitation, a peine y retrouvoit-on la tracé de celles qui avoient existé. Après le combat de Kauschan, en septembre 1789, une partie de l'armée s'avanca sur Polanka et Akirman • le reste forma le blocus de Bender , oü tous les habitans de la petite ville de Kauschan qui avoient pu échapper a la piqué des Cosaques , s'étoient réfugiés. Pendant ce blocus, qui dura cinq semaines, Kauschan et tous les villages d'alentour furent  ( ,35 } entièrement démolis et brülés par les Cosaques et les grenadiers d'Ekalhérinoslaw. Quelques mois auparavant, le général Kamensky avoit lui-même ineendié la petite ville de Gaugoura et tous les villages qui bordoient la Botna. L'biver vint cette année-la plutót qu'a Pbrdinaifej il tomba subitement une grande quantilé de neige, accompagnée d'ouragans d'autant plus redoutables que ces plaines immenses sont ouvertes a tous les vents et dénuéesde tout abri. II fallut penser aux quartiers d'hiver. Le général Pistor , quartier-maitre de l'armée , fut chargé d'en faire la répartition. Cet ancien professeur de 1'université de Giessen s'occupoit sans cesse d'astronomie, et connoissoit mieux la carte du ciel, que celle du pays oü 1'on faisoit la guerre. Bender et Akirman ( Bielgorod ) , sur la rive droite du Dnister , venoient eulin de se rendre; et ces deuxplaces assuroient laBessarabie jusqu'a I'embouchure du fleuve. La campagne suivante devoit s'ouvrir par le siégè de Kiiia et d'Ismail > seules forteresses  ( i36 ) qur fussent restées aux Turcs entre la mer noire et le Prulh : or , selon les régies , l'armée devoit, autant que possible, étre cantonnée a la porlée de ces places ; el c'est la seule circonstance a laquelle Pistor parut avoirréfléchi. Vers la mi-novembre toutes les troupes se mirent en marche pour gagner leurs quartiers d'hiver, a travers des steps immenses , parmi des neiges accumulées ou jelées en tourbillons. Les soldats supportèrent avec résignation lafaim, le froid , les fatiguesde ces marches accablaules, dans 1'espérancede s'en dédommager par un long repos. Quelques régimens qui avoient été instruits ou témoins de la deslruction des villages oü on les envoyoit, étoient les seuls qui murmurassent. Quei fut le désespoirde l'armée, lorsqu'au lieu des habitations qu'on leur avoit désignées pour cantonnemens, ils ne trouvèrent que des masures désertes et des ruines? Eneffet,Pistor, qui n'avoit consulté que la carle de Bauer dressée pendant le cours de la préeédenle guerre, s'étoit imaginé que , puisque les noms  ( i37 ) existolent encore sur la carte , les lieux devoient aussi exister. Avec beaucoup d'iudulgence , on pourroit lui pardonner cette bévue; mais comment excuser celle d'avoir également désigné comme existantes , des bourgades dont la destruction récente avoit été peut-etre effectuée sous ses propres yeux ? Cette coupable négligence eut les suites les plus funesles. Des compagnies , des bataillons entiers, se virent forcés de rebrousser chemin et de se chercher euxmémes des asiles contre Ia rigueur du froid, Toute discipline cessa j les soldats se débandèrent; beaucoup se logèrent et s'entassèrent de force dans les habitations qui avoient été assignées a leurs camarades plus heureux. On vit des cabanes3a peine suffisantes pour contenir dix a. quinze hommes , en recevoir jusqu'a cent, tous également dépourvus de vivres. Les brigades , les bataillons y les compagnies, tout fut confondu. II en résulta de nouvelles rapines, de nouveaux incendies, que les chefs n'avoient ni la volonté, nile pouvoir i également. dénnnrvus de vivres. Les bri-  C i38 ) de prévenir. Ces affreux désordres durèrent quinze jom^s, et entrainèrent une perte considérafale d'hommes et de chevaux j de munitions et d'équipages; il fallut faire une nouvelle distribution. Les troupes , hivernées a la proximité de Bender et d'Alkirman, durent céder leur place a celles qui erroient dans les neiges du désert; mais ces deux villes, déja surchargées, et dont les vastes fauhourgs avoient également été détruits, ne purentrecueillir tant de monde. Une grande partie de cette armée délabrée et souffrante fut donc contrainte derepasser le Pruth et de regagner la Moldavië, pour éviter une ruine totale. Les colonnes, qui prirent la route de Jassi, trouvèrent au moins des chemins un peu battus j les autres furent obligées de se les frayer elles-mêmes clans des neiges entassées, a travers les plages inhabitées qui séparentle Pruth du Dnister. Ce n'est qu'a Ia (inde décembre qu'elles arrivèrent dans leurs nouveaux quartiers, après des marches etdescontre-marches pénibles. II est impossible de se faire une idee des souf-  C i39 ) frances et des maux qu'elles eurenta sup^ porter. Leur dénüment étoit complet. Comme on n'avoit prévu aucun de ces inconvéniens, elles ne trouvèrent sur leur i route ni provisions, ni fourrages, ni bois, ni abri contre les tempëtes hivernales. Les | cbemins de Bender a Kiscbnow , a Hush, a Zézora, a Jassi, étoient joncbés de chevaux abandonnés ou morts. Leur nombre alloit au-deia de deux mille, et cela dans un pays qui n'est qu'une vaste prairie. II est vrai que sur la route de Kischnow a Jassi, on avoit eu la précaution d'entasser de distance en distance d'énormes meules de f'oin destinées a la cavalerie. Les Cosaques la devancèrent, et tout disparut: les chevaux des équipages de l'armée , qui i alloienta Jassi, avoient également entamé ces provisions, et la cavalerie ne trouva rien. Quant a la perte d'hommes, elle na jamais été bien connue ; mais elle doit avoir été effrayante, puisque je vislerégi! ment de la Petite-Russie (Malorossisky) perdre onze hommes dans 1'espace de sept  C 140 ) lieues. Ainsi cette armee victorieuse, qui venoitd'enlever deux places importantes aux ennemis, sans avoir essuyé aucune perte , renlra plus délabrée , et dans un plus grand désordre en Moldavië, que si elle avoit été mise en fuite etpoursuivie par un ennemi vainqueur. Voila comme les Russes expièrent par le froid, la faim, et toutes sortes de misères , leur impréVoyance et leur fureur destructive. Le brave prince d'Anhalt-Bernbourg instruisit Potemkin de tous ces désastres ; mais le mal étoit fait, et le général Pistor en fut quitte pour quelques sanglans sarcasmes que le prince Potemkin lanca sur sa personne et sur sa manie astronomique(j). L'armée russe qui , au moment oü j'écris, marche contre la France, est coraposée d'un grand nombre de Cosaques, L'empereur seroit-il assez pré venu en leur ( 1 ) Potemkin ordonna cependant que le général Kamensky, qui avoit lui-même fait ravager ces contrées, n «ut point d'autres quartiers d'hiver que les villages brulés par ses troupes.  (141) faveur pour les croire comparables aux troupes légères de 1'Autriche ? II est certain que les Cosaques , une fois transplantés loin de leurs steps accoutumés, deviennent plus a charge qu'utiles a leur armee. La guerre de Prusse , et tout récemment celle de Finlande, Font déja prouvé. Le Cosaque est, comme je Fai dit, plutot fait pour harceler Pennemi et pour le poursuivre, que pour le combattre. Otezlui Pappal du pillage, et son activité s'évanoüira. II n'est hardi, et ne s'aventure qu'autant qu'il se croit le plus fort, qu'il connoit le pays, est assuré d'une retraite', et court a une proie certaine. II, se fie davantage a son cheval infatigable qu'a ses armes. Ce n'est point dans les campagnes coupées de 1'Allemagne , encore moins dans les gorges et les montagnesde la Suisse et de 1'Italie, qu'il pourramettre enusage ces petites pratiques et ces petites ruses , qui lui réussissent dans les plaines contre des ennemis indolens. Son cheval non ferré, accoutumé au solmou etuni des steps, et  ( 142 ) aux herbes hautes qu'il broute , même en courant, ne pourra résister a nos chemins tlurs et pierreux,nifranchir, nidescendre nos cöteaux escarpés et chargés de broussailles. Si les Cosaques ont rendu de grands services en Pologne et contre les Turcs , c'est que la guerre se faisoit dans un pays plat, peu habilé , et couvert d'immenses paturages; c'est que la nourriture de leurs chevaux n'exigeoit aucun soin, et leur permettoit d'être saus cesse en activité ; c'est entin que, n'ayantjamais fait leurs excursions qu'en des pays oü ils trouvoient a peu prés leurs mcem-s,leurlangage et leur manière de vivre, en des pays oü tous les excès leur étoient permis, et dont les habitans , esclaves timides et désarmés, les craignent par tradition, et s'enfuient a leur approche (i), ils avoient contracté une assu- ( i ) II n'a pns tomi BUI gftfeHefg anglais, allemands et nn'nie lYfincuis, do uous inspinn les niêmes craintes, en iUis-aiil de tf- COfM|lief tantOt des ogres et des Huns qui mangcoient los jietits tllfaji», et tantöt des cavaliers «droits el vaillans auxqnel» aircuaes troupes légères ne pounvitnl résiatw. Caluouc, le grand calculateur  ( h3 ) rance et une audace qui ieur eut coülé cher partout ailleurs. Les cho-ses seront bien différentes , si la guerre se fait en Allemagne , et surtout sur le territoire francais. Dans le premier cas, il est probable qu'on tachera de soumettre les Cosaques a quelque discipline, et de réprimer leurs brigandages dans un pays quils uiennent protéger. Mais jedoiule fortqu on y parvienne. II n'est pas facile de détruire tout-a-coup de vieilles habitudes , devenues esprit national. Les Cosaques resterontdonc long-tems Cosaques; c'est-adire que pour eux la difference de pays allié ou ennemi sera peu de chose, et que, toutes les fois qu'ils se croiront assez forts pour piller une maison et une ferme impunément, ils ne s'infoiuneront guères a qui elle appai tient. En conséquence , je conseille sérieusement aux paysans alle- Calonne , après avoir calculé toutes les possibüités possibles, semble mettre sa dernière confiance dans cinquaute mille Cosaques armés de fouets , dont il annonce 1'arrivée, en criant aux Francais : sauve qui peut, dans le courier de Londres.  ( i44 ) mands de se reposer sur leurs propres forces plutót que sur la discipline russe , s'ils veulent se mettre a 1'abri des bons alliés qui viennent les défendre a leur inscu. Qu'ils renouvellent 1'exemple terrible qu'ils out donné , toutes les Ibis que des brigauds enrégimentés, quels qu'ils soient, oseront attenter a leur propriété [tj. Si le général russe parvient a contenir les hordes de Cosaques qui le suivent, les pays qu'il doit traverser s'en trouveront mieux 3 mais quel parti essentiel pourra-t-il tirer des Cosaques ? car , jusqu'ici, c'est leur indiscipline mèrae qui les a rendus recloutables; ce sont leurs brigandages tolérés qui ont nourri leur audace et leur vigilance entreprenante. Réprimez leur liceuce, ötez-leur i'espoir du butin , premier mobile de leurs vertus guerrières , vous les aurez paralysés. ( i ) O lionte éternelle , ö tache ineffacable ! ce ne sont point les Cosaques et les Kalmouks , que les paysans suisses et allemancls ont été forcés d'assommer enfin comme des brigands. Ce sont les Francais ! !! Note de VÊditeur.  c 145) Dans 1'instruction de 1'empereur au général russe , ü lui est expressément ordonné de faire observer la plus sévère discipline, tant que ses troupes seront en Allemagne, mais de leur permettre tout cequipourrahumilier et épouvanter 1'ennemi aussitót qu'elles auront touché son -ierritoire. Un ordre plus récent, donné a la parade le 2 novembre de cette année, respire le mème esprit: le voici en extrait, mais les expressions üdèlement traduites. « Sur le rapport du général Arakschéief, S. M. I. a vu avec satisfaction le bon ordre qui règne dans ie corps d'arméeauxordres du général Rosemberg. S. M. I. en témoignesa reconnoissance aux chefset aux commandans de bataillons. Quant aux soldats,S. M. I. est assurée de leurzèleet 4e leur bravoure. ; elle en attend avec certitude Pentière extermination des en~ jiemis de lafoi et du bien public. » Les Francais, sa vent donc ce qu'ils ont a attendre de la part des Russes et surtout -des Cosaques; ces menaces ne doivent cependant pas les intimider; ils en ont bravé, 3. k  ( i46 ) de plus lerribles encore. Si jamais les Cosaques s'avancent sur la rive gauche du Ehin , je conseille aux campagnards de metlre en s ure té leurs femmes et leurs enfans, d'éloigner leurs troupeaux et de sonner le tocsin sur les brigands. Ils n'ont pas besoin d'aller a leur rencontre en rase campagne : qu'ils se tiennent en embuscadedans les bois, derrière les haies, dans les fossés et les déülés, même dans leurs maisons. Les Cosaques, ainsi que je 1'ai dit, n'ont que de très-mauvaises armes a feu , dont ils ne savent pas faire usage : leurs piqués, si redoutables aux fuyards dans une vaste plaine, ne seront pour eux pour anéantir la Prusse. Aujourd'hui elle les rappelle pour sub]uguer la France, et rétablirl'intégrité de 1'empire, qu'elle eut mieux fait de ne point sacriüer par le traité de Campo-Formio. ( 1 ) C'est ce que 1'événement vient de justifier. Les. Cosnques n'ont osé paroitre en nulle rencontre, et les généraux. russes les ont tenus derrière les bagages. Ils avoient un petit camp avancé du coté d'Arau , lors de la bataille de Zuric : quelques chasseurs francais , chargés de faire une reconnoissance , passèrent la rivière et enlevèrent ce camp , les Cosaques ayant pris la fuite a leur approche. Dans le grand nombre de prisonniers russes qu'on a faits , on ne trouve presqu'aucun Cosaque, JSlote de l'Editeur.  EXPÉDITIONS CONTRE LES FRANCAIS. I. E tï Italië. Politique de Catherine. Ses préparatifs contre la France. Etat des choses d. Tavènement de Paul: son systême.. Mrenoue la coalition...Alliances monstrueuses. Ordres donnés d son armée.. Généraux quila commandent: détails, sur la marche et sur les soldats russes.. Aventure de Fwow. Anecdotes sur la, disgrace et le rappel de Souvorow. Son. arrivée en Italië. Précis rapide de cette campagne et de ses résultats. D E P ÜT S la fatale convention de' Pilnitz jusqu'eu 1796 , la conduite deCatherine envers les puissances coalisées avoit porté le caractère du plus pur machiavélisme. La coalition étoit dissoute mais Pastucieuse Catherine et le corrupteur Pitt en soutenoient encore les débris;  ( ï52 ) 1'une par sa politique et ses promesses, 1'autre par ses intrigues et ses trésors. Cependant 1'Autriche aux abois menacoit de faire une paix séparée et bonteuse a la gloire des souverains, si la Russie ne remplissoit enfin ses engagemens. Le cabinet de Pétersbourg se trouvoit alors dans une pénible situation , et 1'impératrice ellemème étoit dans une étrange perplexité. Onvenoit de commencer une guerre vague et ruineuse avec la Perse pour des projets chimériques: lesfinances étoient épuisées, le crédit anéanti, l'armée en mauvais état. L'on s'étoit brouillé avec 1'Espagne , et plus formellement encore avec la Prusse, dont la défection funêste avoit porté un coup mortel a la coalition , et qui refusoit d'accéder a la triple alliance conclue entre 1'Autriche, 1'Angleterre et la Russie : a cette brouillerie s'étoient jointes desaltercalions assez vives au sujet des nouvelles démarcations en Liihuanie ; on parloit hautement d'une procnaiue rupture , les troupes se rassembioient , et Catherine outrée disoit a ses généraux, quilfalloit  ( i53 ) d coups de canon forcer les armées prussiennes d retourner sur le Rhin , ou leur passer sur le ventre pour aller d Paris. Catherine n'avoit jamais aimé la France, e t nous avons vu, clans le premier volume, la haine cpii 1'animoit depuis larévolution. Cette haine est clans 1'ordre naturel des choses : larévolution ne devoit point avoir d'ennemisplus acharnés, plus implacahles que les autocrates russes. Les nouveaux principes attaquoient directement une puissance monstrueuse , fondée sur des maximes plus atroces , plus absurdes encore que celles de la féodalité. Aussi 1'esprit derévolulion,quitravailloitle monde, ne causa nulle part autant de terreur qu'a la cour de Russie , quoique la plus éioignée , et celle qui en avoit le moins a craindre par le caractère passif de ses peuples. Les idéés libérales ne sont pas incompatibles avec les principes de la monarchie , mais elles sont absolument contradictoires avec ceux d'un gouvernement.  ( i54 ) arbitraire , d'une noblesse propriétaire d'hommes, et d'un peuple dépravépar un long esclavage. La Russie se trouvoit aeet égard dans une situation pareine a celle de Saint-Domingue. Un empereur russe, despoteparexcellence, devoit êtredévoré de soucis et de terreurs. II sent que, dans une révolution, iln'y auroit aucun accoramodement avec lui; il regarde les insurrections populaües comme le fruit de 1'instruction et le résultat du progrès des lumières, tandis qu'on doit les attribuer bien davantage a I'excès de 1'oppression , et a 1'orgueilleuse ignorance des oppresseurs. Si 1'instruction et les lumières ont été funestes a quelques gouvernemens, ils ne peuvent en accuser qu'eux - mëmes , Pourquoi s'obstinoient-iis a rester en arrière ? Pourquoi n'ont ils pas su, n'ont-ils pas voulu s'élever a la bauteur des idéés de notre age ? Pourquoi, au lieu de se les approprier et de les diriger, en les faisant concourir au J)onheur de leur nation et a Pavantage du genre humain , ne cher-  ( i55 ) chent-ils qu'a les étouffer etarayaler 1'hu- manité(i)? Le peuple francais étoit déja a son dixhuitième siècle, etsongouvernement s'obstinoit a stationner au quinzième : voüa ce qui fut la cause véritable des violentes explosions qui ont accompagné samétamorphose. La plupart des gouvernemens se trouvent encore dans le même cas ,malgré 1'exemple terrible qui vient de leur ëtre donné. La Prusse est peut-être le seul état despotique oü la marche des gouvernans et celle des gouvernés soient parallèles : souvent mëme le despote appelle , excile son peuple a le suivre, et lui donne la main pour le souteuir et le faire aller au même pas. Aussi, malgré les par lies hétérogènes dont eet état est composé , sa machine a (Vl Le torrent des nouvelles idéés n'a pas été moins fatal aux républïques qu'aux monarchies, paree que les uns et les autres , quoiqu. sous des formes Mferentes ? aalssoient d'après des maximes gothiques et surannees. II est plus que propable, que, si la coalition eut ete compcée de républïques , les Francais , malgre leur revolutie* , auroient conservé les formes «onarchiques.  ( i56 ) été si fortement organisée , qu'elle surVivra probablement a toutes les autres(i). . (i) Le Danemarck offre un autre phénomène politique. Cette nation libre s'imposa volontairement en 1660 le joug du despotisme Ie plus illimité : mais elle semble aujourd'hui attendre son gouvernement, qui se règle avec prudence sur 1'opinion publique et les idees du siècle. Ce gouvernement s'est montré , dans ces circonstances difliciles , le plus sage et le plus vertueux de 1'Europe. Le Danemarck etl'Angleterre ont également un roi imbécille et insigniliant : mais quelle conduite opposée dans leur gouvernement! Si, pour être grand politique , il faut appliquer avec justesse les principes d'une sage prévoyance, et rendre 1'état qu'on gouverne heureux et florissant, Bernstorff est sans doute le plus grand ministre de ce siècle, et Pitt en est le plus inepte. II a rulné et trahi ses alliés, asservi et épuisé son pays; il est obligé , après 1'opiniatreté la plus inconcevable t d'argumenter d'une manière diamètralement opposée a ses premières maximes. Après avoir allumé la guerre la plus injuste et la plus odieuse qu'ait jamais falte une nation , il ose , sans rougir, la soutenir et la conlinuer, en s'appuyant sur les motifs qui 1'ont condamné. II est enfin parvenu a un résultat directement contraire a celui qu'il 6e proposoit: a force de crimes , d'orgueil et de perfidie , il a réuni contre lui-même tous les ennemis qu'il avoit suscités contre Ia France ; et eet Actéon politique se voit dévoré par la meute qu'il avoit si habilement dressée. C'est ce que j'appelle avoir été le plus inepte des ministres , et dans un autre sens le plus scélérat.  ( i57 ) Par des principes et une conduite entièrement contraires , la Russie a cru devoir opposer uue barrière invincible a la civilisation de ses sujets, et les faire rétrograder vers la barbarie d'oü Pierre I venoit a peine de les tirer. Exemple unique , dans les annales du monde , d'uu souverain qui réorganise 1'ignorance dans ses états , et qui avoue, par cela même, que sa puissance est fondée sur 1'erreur , la supercherie et 1'injustice ! En conséquence de ce systême \ les écoles, les imprimeries furent détruites, toutes commuaications directes avec les étrangers intirdites i le commerce des pensees deVint surtout un crime : on n'osa plus s'instruire , et désormais il faudra être noble et ricbe , pour pouvoir apprendre a lire dans les états de Paul I. L'Allemagne a vu avec indignation le souverain de cent nations barbares , traiter des universités célèbresd'écoles de corruption etdepépiiiières de désorganisateurs, dans un oukas public. Les princes qui protègent ces uni-  ( i58 ) Versités , ont été insultés non moins publiquement, clans un édit du mois de juin 1798 , oü le mème despoie se piaint amèrement de ce qu'ils ne suivent pas 1'exemple qu'il leur donne, en replongeant leurs sujets dans la crasse ignorance et 1'esclavage du treizième siècle. II est impossibleque ces idéés incohérentesaient germé spontanément dans la tële de Paul I. Nous avons dit que, dès sa jeunesse , ce prince montroit de 1'esprit et desconceptions lucides : il ne man que pas d'instruction ; il a voyagé. Ces idéés lui ont été suggérées par des laches intéressés a. Péternel abaissement des peuples, par des émigrés f par des prêtres, par des ministres et des courtisans ennemis de sa gloire et du bonheur de la Russie. Ombre de Pierre-le-Grand > sors de la tombe ! sors, armée de ce knout sanglant avec lequel tu chassas la superstition et la barbarie qui environnoient ton tróne ; frappe les hommes coupables qui osent saper aujourd'hui les fondemens de ton immorlel  ( i59 ) ©uvrage! Sois plus terrible encore a 1'ignorance systématique, qu'aux préjugés d'un peuple crédule ! Pour agir conséquemment k ce plan extraordinaire , pour faire rétrograder une grande nation dans le limon d'oii elle sort a peine , il faudroit que le cabinet de Pétersbourg renoncat k toute cornmunication , k toute influence sur le restede 1'Europe ; et qu'il adoptat la conduite de son voisin, 1'ernpereur de la Chine. Mais 1'ambitionde Catherine, toujours en contradiction avec 1'esprit de son gouvernement, ne put se soumettre a cette conséquence du systëme adopté a la fin de son règne. Accoutumée a régenter 1'Europe , elle se piquoit, depuis la mort de Frédéric - le - Grand, d'en conduire tous les événemens politiques. C'est elle qui avoit d'abord attisé le vaste incendie qui la consume encore ; c'est elle qui avoit organisé cette croisade terrible, qui, sous les ordres de son chevalier Gustave , devoit subjuguer et punir la France ,  ( i6o ) 1'odieuse rivale de sa gloire et de sa puissance , qui s'opposa sans cesse a ses vastes projets sur 1'empire d'Orient. C'est elle enfin qui commenca a soudoyer ces émigrés insensés qui venoient envenimer sa haine contre leurs compatriotes, et qui forca les Francais étahlis en Russie a préter un serment horrible, celui de haine a leur patrie. Trop politique cependant pour prendre une part active a la guerre, elle engagea par sesmenaces, ses promesses et sesmenéessourdes, la plupart des petits souVerains a prendre fait et cause dans cette grande querelle des despotes, qui n'étoit pas la leur. Quand elle vit ses voisins les plus puissans acharnés k poursuivre une guerre interminable, elle se dit avec orgued : Je suis aujourd'hui 1'arbitre de 1'Europe , je puis sans obstacle entrepreudre k mon gré la conquète de 1'Asie et reuouveler 1'empire d'Orient. Désormais maitresse de la Pologne, et en efïet dominairice de toutes les régions  ( i6i 3 e?« IVtW (a), elle devint la terreur des coalisés meines, dont elle seule pouvoit venger les humiliations; ce n'étoit plus qu'a vee crainte et respect qu'ils osoient, dans leurs humbles adresses, lui rappeler qu'elle s'étoit solemnellement engagée a joindre ses forces a leurs moyens pour écraser rennemi commun. « Je contiens les infidèles, je protégé vos frontières, je réprime les jacobins de Pologne, disoitelle, je rends les plus grands services a la bonne cause, mes armées victorieuses forment 1'arrière-garde; continuez a combattre. » Cependant le grand crime du partage de la Pologne étant consommé , et la défection de la Prusse et de 1'Espagne ayant considérablement affoibli la coalition, Catherine n'eut plus de prétexte plaustble pour différer des secours tant de fois promis, et dont on avoit un si pressant besoin. Les victoires des républicains commencèrent a 1'étonner et a (a) C'est le titre qu'elle prenoit, et que prennent Ie? •ropereurs de Riusi», 3. 1  ( IÓ2 ) la confondre- mais les sages consëils de ses ministres les plus éclairés 1'enipèchoient encore de sacrifier les véritables intéréts de son empire a sa passion pour cette guerre lointaine. Pour amuser i'Angleterre qui, par le -lache abandon de la Pologne, avoit quelque droit a lui parler plus énergiquement(i), elle équipa en 1795 une escadre de douze vaisseaux et de six frégates, qui allèrent se réunir auxfiotles britanniques, pour bloquer et affamer la France!!! Cette escadre, aux ordres de 1'amiral Kanikow, accoutumée aux promenades de la Baltique, fut plus a charge qu'utile aux Anglais. Après une longe etstérile croisière, elle rentra toute {1) L'histoire ne doit pas oublier que ce même ministre linglais , qui , en 1790 , s'opposoit i'ormellement a ce que la Russie conservöt labicoque d'Otsckakovv et les désert* de Bessarabie, paree que, disoit-il, cela romproit l'équllibre de 1'Europe, en donnant d cette puissance gigan-* tesque une prépondérance décidêe que ce même ministre , dis-je, soutint un an après , avec une égale ïmpudence , qu'il importoit a la balance de 1'Europe d'abandonner la Pologne entière d cette même puisfance} dont il craignoit tant la prépondérance»  ( i63 ) délahrée dans le port de Kronstadt, sans avoir rencontré un vaisseau ennemi. Cependant la défection de Ia coalition rendoit 1'Autriche plus suppliaule , et l'Angleterre plus importune. Zoubow et Markow, affamés de 1'or de Pitt , lirent sentir vivement le danger qu'il j auroit a laisser consolider et sanctionner par des traités avec les rois cette république monstrueuse , qui les menacoit tous. Ce fut en vainqueBesborodko, Ostermann et Nicolas Soltycow, déchus de leur antique influence, lirent encore quelques représentations. L'avidité et la présomption du favori, 1'orgueil et la haine del'impératrice 1'emportèrent enfin. Elle s'avilit jusqu'a vendre soixante mille Russes, pour remplacer l'armée que la Prusse avoit enfin rougi de livrer au marchand de chair humaiue d'Albion. Le héros d'Ysmail et de Pragua, Souworow, devoit conduire les victimes sur le Rhin. Ce traité subsidiaire, le premier de ce genre, etlepius honteux qu'ait jamais conciu 1'empire de Russie , fut secrètement negocie par le ministro  C 164 ) anglais Withwort, le favori Zoubow, et Ie diplomate Markow. Madame Gérebzow, sceur du favori, et maitresse de 1'Anglais, en fut le principal agent. Ce fut chez elle que se tinrent les conciliabules préliminaii es, et que Pon convint des démarches nécessaires pour entrainer la vieille Catherine. Souworow n'espéroit rien moins que d'aller directement & Paris, et le vieux guerrier devint a tel point le courtisan de Zoubow, qu'il écrivoit a 1'impératrice : « C'est au plan du prince Platon Alexandro witschZoubo w que je dois mes victoires en Pologne, et c'est d'aprés les mêmes plans que j'espère battre également les Francais. Mère, envoyez-moi punir cette exécrable nation. » On citoit cette leureala cour - et comme Zoubow disoit que 1'impératrice avoit elle sëule dressé tous les plans de campagne, c'est elle qui se trouvoitflattée des aveux de Souworow (a). Selon lui, et méme selon la souveraine, cinquanle mille •(-») Vöyez Vol I, p. 317.  ( i65 ) ilusses suffisoient pour effectuer eu une campagne ce que 1'Europe entière avoit tenté vainement depuis six ans. On eomptoit particulièrementsur les hordes de Cosaques, de Kalmouks et de Baschkirs (i), (D Nous avons parlé au long des Cosaques dans le ealner précédent. Les Kalmouks me fourniroient un article non moins intéressant, s'il „e m'éloignoit pas trop de mon sujet. Je me contenterai d'observer qu'il faut bien se garder de confondre ces peuples. Les troupes légères ou xrrégulières , qui suivent les armées russes, se composent de quatre „ations principales, dont la lamme , k rebgIOn et les mceurs sont absolument différentest 1°. Les Cosaques, slaves d'origine comme les Russes, 0t chretiens comme eux : ils sont les plus aguerris. 2°. Les Baschkirs, de race tatare, qui habitent la *ont Oural et les bords de 1'Irtisch. Ils sont armés d>arcg •t de flèches , avec le sabre et la piqué • ils se nourrissent de chair de clxeval crue, ou amortie sous la selle. On le* voxt quelquefois s'exposer au feu de 1'ennemi, passer viens ; Mou, mauvais ; Sai, bon 3 Mpura, un cheval ; Minda ! salut! Ces mots pourront servir a nos philo"Taguts. ( 1 ) Je 1'ai déja dit, Phistoire doit garder 1'empreinte du moment dont elle parle, et de 1'opinion du tems. C'est en eela que nos plus absurdes chroniques ont quelquefois un intcrêt , que n'ont plus nos belles histoires modernes qui se ressemblent toutes , et ont , comme les hommes corrompus, la même physionomie , ou plutót n'en ont aucune. Toutes, a commencer par cette monstrueuse histoire nationale de la France, et k finir par 1'intéressant ouvrage du C. Ségur,' enchainent les évéaeiaens, et présentent les faits, de manière è  ( 168 ) pour une femme , de mettre fin a cette grande aventure, et d'enchamer cettemagicienne , nommée Liberté, qui venoit caresser ou a corrorapre 1'esprit dominant. Elles ne donnent point aux choses les couleurs qu'elles avoient au moment oü elles se passoient, mais celles qu'elles dolvent avoir au moment oü. 1'historien porte son ouvrage a Fimprimeur. Que chacun abonde dans son sens , mais qu'il n'écrive point, ou qu'il soit franc dans son opinion; ear il ne peut y avoir d'historiens sans partialité, lorsqu'il s'agit d'opinions religieuses ou politiques d'un ïntérêt suprème pour 1'humanité. Pour que notre révolution' soit utile k la postérité , qu'elle laisse dans les cceurs et dans les pages de notre histoire ses empreintes nriginales. Que cette convulsion morale soit comme la . convulsion physique , qui a transformé la face du globe, en élevant ces rochers et ces montagnes ou le philosophe peut lire encore la course des torrens. Francais! n'oublions donc jamais ces instans terribles oüles tyrans se crurent vainqueurs , et décidèrent avec un sang-froid atroce la destruction générale de la grande nation , le supplice de ses héros, et le chatiment de 1'humanité pensante. II ne faut pas avoir été témoin de la scélératesse profonde des cours, il ne faut pas avoir été liumilié, torturé par la férocité de leurs suppóts , par la barbarie crapuleuse de leurs valets , pour que cette époque révoltante puisse s'effacer d'un cceur honnête et droit. Périssentla fausse sécuritó, la coupable foiblesse, qui fait envisager comme une dureté la haine qu'on doit aux tyrans. Haïr le despotisme, n'est point Jiaïr les  ( i69 ) désarconner les plus preux chevaliers dii monde ! Je ne rapporterai plus les fanfaronnades et les propos ridicules , dont on hommes ; c'est liaïr tous les crimes et tous les malheurs enun faisceau. Haïssons aussi les esclaves volontaires, ces vils instrumens de la tyrannie. Méprisons les peuplea asservis, mais ne les haïssons qu'en masse, en corps de nation , en bataillons armés; c'est alors seulement qu'ils sont ennemis des hommes libres : mais ne voyons dans 1'individu esclave que 1'homme malheureux et dégradé, que nous devons plaindre et secourir. Francais ! que 1'indignation qui embrasa vos cceurs & la lecturê du manifeste de Brunswick soit immortelle , car 1'esprit qui 1'a dicté est immortel. Pourquoi endormiroiton la liberté , ,quand la tyrannie veille toujours ? Que les républicains , semblables au lion du désert, ne s'apprivoisent point avec les courtisans, oii ils retomberont dans les fers, et le sang de tant de coupables, et celui de tant d'innocens aura coulé en vain , et k révolutioa ne sera qu'un long crime. Les coalisés ont craint la contagion des idéés nouvelles; ils vouloient investir la France comme un camp pestiféré : ah! c'est aux Francaia a se préserver aujourd'hui des miasmes mortifères quï les environnent. Le danger est tout entier du cóté de ceux qui se portent bien. Peuple francais ! lom de toï ces hommes dont 1'opinion vacille avec les succès, ou fléehit sous les événemens passagers. Amis de la liberté et de la philosophie, tenohs7nous aux principes, comme iiun rocherinébranlable; et, semblables au sage Ulyssey ji'en soyons arrachés par la forc« des yagues, qu'eji j  ( i7o ) se repaissoit, a cette époque, a. Ia cour de Pétersbourg j üs faisoient seuls quelque diversion a lamauvaise humeur qu'y avoit laissée le départ du roi de Suède. Ainsi, tandis que d'un cóté Catherine alloit conquérir la Perse, et cerner 1'empire des Sultans , de 1'autre, elle vouloit venger les rois de 1'Europe , et chatier la France. Catherine , la septuagénaire Catherine , portant déja sur son visage , qui sembloit se teindre de tout le sang qu'elle avoit versé, les symptömes d'une mort prochaine, s'égaroit encore dans ces gigantesquesprojets. laissant des lambeaux sanglans de nos membres déchirés» Laisfons ces prétendus hommes d'état rire de notre syïtême , qu'ils appellent une chimérique théorie. Le leurn'est-il pas plus chimérique? Théorie pour théorie il vaut mieux s'attacher a celle du bien qu'a celle dumal, et tourner autour d'un flambeau qu'autour d'unabime épouvantab'e. Ennemis de Ia liberté publique et de la peri'ectibihlé du genre humain, laissez aux cceurs génércux la consolation de penser a des générations meilleures, consolation aussi ravissante pour le philosophe, que 1'est, pour 1'homme juste et malheureux la. contemplation d'une autre vie : confessez enfin ces deux véntés de sentiment, plus certaines que celles de la ïaison et de la foi, ou niez la providence.  C ) Le traité avec Pitt alloit ëtreratihé, et les armées se melloieut en mouvement, lorsqu'un coup d'apoplexie suspendit lesnouvelles calamités qui devoient désoler le monde. Paul I monta sur le tröne , dégagé de toute entrave politique , puisqu'aucun traité formel ratitié ne le lioil encore aux membres isolés de la coalition, que Bonaparte frappoit en ce moment au cceur. Paul pouvoit embrasser le premier systême de sa mère, c'est-a-dire, ne prendre aucune part active dans la guerre de la liberté, sans meriier, comme Oalhcrine, le reproche de duplicilé. II étoit le maitre, sinon d'ordonner, du moins de hater la paix , et de lamodilier. Pour la première fois ,d'Europe auroit dü de la reconnoissance a la Russie, et ie début de 1'empereur pouvoit luiaequérir une gloire immortelle. C'étoit le moment précieux de sanctionner ce propos remarquable attribué a sa jeunesse : Sous quelqiie rapport, et dans quelques circonstances que jeyeialie poir un empereur de Russie , son plus hwu rok  C 172 ) sera toujours celui d'un pacificateur. Aussi, comme onl'a vu clans le premier volume, Paulparut-il d'abord, sinon vouloir jouer ce beau róle, du moins embrasser le parti de Ia neutralité, que lui dictoit la prudence la moins consommée. II venoit de bouleverser tout le systëme administratif du règne précédent;l'armée désorganisée attendoit une nouvelle formationetde nouveaux régiemens: nous avons vu 1'état des finances; tout, jusqu'a la géographie politique de 1'empire, avoit subi une entière métamorphose. Entouré des ruines de 1'ancien régime et des échaffaudages du nouvel édifice qu'il méditoit, Paul, selon 1'a vis de ses ministres les plus sensés(i), ne devoit s'occuper que de l'intérieur de ses vastes états, dont la réorgamsation, après le gouvernement de tant de femmes, exigeoit le règne le plus long et le plus fortuné. C'est en suivantces avis , que Paul auroit pu obscurcir et même ef- ( I ) Les princes Kourakin , et le Comte Nlcola» Soltykow, étoient prineipalement opposés il Ia guerre «Ctive contre la France» 3%  racerlefauxécIatdeceIuiclesamère,dont ilsedeclaroitsipubliquementiecontemp, teur • mais il ne vouloit que s'écarter des routes qu'elle avoit suivies, mëme pour armer au méme but. L'une de ses premières démarches politiqnesfutde refuser ia ratification du traité honteux conclu avec M. Pitt; etde contremander lalevée de cent trente mille hommes destinés a recruter l'armée de Perse et a compléter celle qui devoit marcher en France. Onprétendqu'il s'enseroittenua cette sage resoluüon, si les entreprises extraordinaires des Francais et la conduite du dnectoirenefussentvenuesaugmenterses alarmes, seconder les intrigues de Pitt et ia détresse de 1'Autriche, en alimentant k propos cette haine invétérée que Paul avoit concue contre la nation francaise. ^ette aversion s'étendoit sur presque tous lesmdividus, quelque füt le parti qu'ils ^ussentprisdans larévolution. II1 améme lait ressentir au prétendant, au prince de £onde, et en générala tous les émigrés. ■M sont eux qui pourront dire un jou*  ( i74 ) Pétat d'humiliaiion ou. ils ont vécu en Russie, et combien ils ont payé 1'hospitalité qu'on leur accorda. La baine invéiérée de 1'empereur ne doit point son origine a la révolution : il Pavoit sucée avec le lait, et son voyage en France la fortiüa. Les imperfections morales des Francais, leur habillement, leurs manières libres , ennetni.es de 1'étiquelte et de la gêne; lalégèreté des courtisans, le libertinage des princes, le relacbement de la cour de Versailles , et le ton des babitans de Paris , 1'avoient choqué , el il s'en plaignoit quelquefois. Le caraclère de la nation , en général, contrastoit, au moral comme au physique , avec la roldeur austère de Paul. A ces défauts , plus ou moins réels, de la nation f il associoit toujours 1'idée de tous les vices. La révolution vint a 1'appui de ces malbeureuses préventions, et ne les justifia que trop souventdansl'espritd'un homme dèspotepar élaiet par préjugés,mais foncicrement probe et loyal par caraclère , quoique injuste, bizarre , violent et con-  f 175 } , iradictoire dans la plupart de ses actions. A ces motifs, a ces passions personnelles qui sont toujours le premier mobile des démarches de Paul, ce qui lesrend, sinon plus sages, du moins plus morales que les froids calculspolitiques des autres cabinets (1), se joignirent des circons- (1) Les manifeste* et déclarations de Panl portent toutes ce caractère de franchise . tous les griefs qu'il énonce dans ses motifs de guerre contre 1'JWne et la France , se réduisent a des insultes personnelles qu'il croxt avoir recues , ou aux dangers prétendlis cqu_ rent les princes , la société et la reügion. II est le seul sonverau,, qui, dans cette grande querelle, a eu la bonne fox de ne point alléguer 1'intérêt de ses états et le bonheur de ses peuples pour cause de la guerre ; mais cette e.pèce de loyauté antique est mèlée d'un orgueil et d'une pré«omption qui en diminuent le prix. La Russie est en guerre avec 1'Espagne; c'est ce que le publxe xgnore, et ce que la postériténe pourra apprendre que par le manifeste publié a eet occasion. II est trop «ngulxer, et caractérise tron h;P„ P„,i t ■ _ -r ^ „ui ^ ? pour ne Itö point consigner ici, traduit littéralement du russe. «Nous Paul, par la grace secourable (*) de Dien • etc. etc. ( On sait qu'ily a une page de iitres). ' (*) Paul ordonna par un ouUs d'ajouterce mot s *u>U , se regardant comme étant parvenu au Mm par um faveur* Me protecUon de Dieu toute particulier  ( i76 ) tanoes nouvelles qui menacoient de subvertir le monde. Bonaparte avoit con- « Nous et nos alliés avons résolu de détruire le gouvernement impie et illégitime qui domine en France ; et nous nous sommes élevés contre lui avec toute notre puissance.» Dieu a béni nos entreprises en les conronnant jusqu'a ce jour de bonheur et de gloire. Entre le petit nombre de puissances européennes qui semblentdévouées a ce gouvernement abandonné de Dieu et expirant, mais qui redoutent en effet sa vengeance et sa rage è 1'instant oü il expire, 1'Espagne a plus qu'aucune autre manifesté son attachement ou sa crainte a 1'égard de la France, sirron par des secours effectifs, du moins par ses préparatifs. C'est en vain que nous avons mis tout en usage pour rappeler cette puissance dans le vrai chemin de 1'honneur et de la gloire , en la réunissant a nous : elle demeure opiniatrement attachée a ses mesures, et k un systême si funeste pour elle. Nous nous vtmes enfin forcés de lui témoigner notre mécontentement par le renvoi du chevalier d'Onix , son chargé d'affaires d notre cour; mais comme nous sommes maintenant informés que le conseiller Bützow, aussi notre chargé d'affaires auprès d'elle , a été ford de s'éloigner des états dn roi d'Espagne dans un terne prescrit, nous envisageons cela eomme une yéritable insulte d notre majesté, et nous lui déclarons la guerre. C'est pourquoi nous ordonnons de séquestrer et de confisquer tous les yaisseaux espagnols qui se Vrouvent dans nos ports, e6 nous envoyons aux commandans de nos forces de terro et de mer 1'ordre de trailer en ennemis tous les sujets d«  ( 177 ) qms 1'Italie et die té la paix aux portes de 'Vienne. L'Autriche, humiliée d'avoir roi d'Espagne. Donné a Saint-Pétersbourg, le aójuillet del'an 1799^ le troisième de notre rè ne. »• Certes , rien n'égale 1'ignorante présomption , la gros^ sièreté et Pmcohérence de cette déclaration de guerre , 'sinon la sagesse et la modération noble et simple avec ïaquelle le roi d'Espagne y répendit. Quoi! 1'empereur de Russie déclare lui-mème qu'ayant cliassé le chargé d'affaires d'Espagne de sa cour, il regarde comme une insulte que le sien Fait été de «elle d'Espagne par une juste mesurrfde représailles !On ne peut pousser 1'crgueil et la déraison plus loin que ne 1'a fait le rédacteur de cette pièce, et 1'on trouveróit a peineson pendant, même dans les siécles barbares. On voit par la réponse du roi que la fureur de Paul avoit pour véritable cause le refu» de le reconnoitre comme grand-maitre de Malthe. Réponse du roi d'Espagne, «La scrupuleuse exactitude avec Ïaquelle j'ai cherché et chercherai toujours a entretenir 1'aïliance conclue entre moi et la république francaise, ainsi que les liens de 1'amitié et de la bonne intelligence qui subsiste entre les deux états, et qui se sont consolidés par leur conveïiance évidente et par des avantages politiques-réciproques, ontexcitéla jalousie de quelques puissances; sur-tout depuis qu'il s'est formé une coalition, dont le desir chimérique et spécieux a bien moins pour but de ramener 1'ordre que de le détruire , en établissant le despotisme *ur des nations qui ne veulent point entrer dans ses des-  ( i7Ö ) jMibi la loi du vainqueur , mëditoit déja sa vcngeance. L'Angleterre , désoimais isolée, Irenxbloit de celle de la France , seins ambitieux. La Russie s'est particulièrement déclarée. contre moi ; et le Tzar, non content de s'arroger des titres q\ii ne peuvent lui appartenir en aucune manière , et de trahir par la ses intentions , n'ayant pas trouvé de xnon cóté toute la condescendance qu'il attendoit , a cxpédié une déclaration de guerre dont le contenu suffit pour en prouver l'injustice. 33 C'est sans étonnement que j'ai vu cette déclaration, paree que le traitement fait a men chaigé d'affaires , et d'autres démarches non moins extraordinaires de la part d'un souverain m'annoncoient depuis quelque tems ce qui vient d'arriver. En éloignant de ma cour et d» mes étatS M'. le conseiller de Bützow , chargé d'affaires 'de Russie , j'ai été inspiré bien moins par mon ressentiment que par la censidérationimpérieuse de mes devoirs : je suis en conséquence bien éloigné de relever ce que ce manifeste contient d'insolent et même d'insultant pour moi et pour tous les souverains de 1'Europe. Connoissant quelle influence TAngleterre exerce sur le Tzar actuel, il seroit au-dessous de ma dignité de répondie a ce mime manifeste , puisque je ne aois compte de ma conduite politique qu'au Tout-puissant, avec le secours duquel j'espère repousser toutes les agressious injustes , qu^ 1'orgueil et un systême de fausses combinaisons pourroient diriger contre moi et contre mes sujets, pour la défense et la siireté desquels j'ai pris et prends encor» lus mesures les plus efiicaces. En leur faisant connoitr»  ( 179 ) et redoubloit a eette époque ses intrigues aulour du nouvel empereur de Russie. Les lenteurs du congres de Rastadt, et les prélentions toujours croissantes du directoire , donuèrent a Pitt Ie tems de renouer les li ls de sa trame infernale. Le traité de Campo-Formio qui etablissoitles Francais dans 1'Archipel, le rèfus d'atlmettre un négociateur russe aRastadt, 1'humiliation de voir un puissant empire sans la moindre ■influence , au moment d'une paix qui ailoit décider des deslins de 1'Europe , en renouvelant les iiens poütiques de toutes les nations; toutes ces considérations étoient bien capables d'indigner un prince moins hautain que Paul I. L'invasionde Rome, la conquéle de Naples • la révolution et 1'envahissement de la Suisse , la pi i;e de cette déclaration de guerre , ]e les auforise a agir liostilement contre la Russie et ses possessions. Saint-Udefonse, 9 septembre 17150.» Comme durant cette guerre aucun Russe et aucun Espagnol ne se sont rencontrés, ces pièces serontles seuls monumens qui 1'attesteront. Heureux s'il en étoit de méme de toutes celles que se déclarent les princes! on pourroit alors en rire comme des querelles des auteurs.  C i8o ) Mallhe, i'expétlilion en Egypte, vinrent mettre ie conible a 1'annnadversion du tzar , contre une nation dont la gloire 1'irritoit, dont les principes , 1'audace et 1'avidiié i'épouvantoient (i), C'est alors (i) Dès long-tems une ptrtie des clievaliers de Malthe tramoit la redditi.n, ou plutót la vcnte de leur ïle a la Russ e. Déja sous le règne de Catlierine quelques-uns de ces intrigans stimulcient sans cesse 1'ambition de cette princesse a s'assurer de cette possession importante , et si propre a réaliser un jour ses projets sur 1'empire grec. Le chevalier Lita , commandeur de 1'ordre et amiral au service de Russie, étoit 1'un des principaux. Elle se refu?a cependant a ces ofnes inté.essées, strésista même k toutes les iniportunités qu'on lui faisoit peur envoyer un a^ent prés du grancl-maitre. Mais Paul embrassa avec ardeur une occasion qui le servoit si bitn dans la guerre contre la France : il concluoit son accord avec les che■valiersd'un parti, au moment oü Bonaparte proritoit des dispositions de ceux de 1'autre j et voila la véritable énigme de la reddition de Ma'.lhe. Cependant Paul, ne s'imaginant pas être prévenu , s'empressa de nommer le gouverneur , et d'expédier Ia garnison de 'Malthe. Ces nouvelles arrivèrent après celles de 1'expédition des Francais , et n'étonnèrent pas peu les liseurs de gazettes. Plusieurs femmes de la cour de Russie, mademoiselle Lapouchin, nouvelle maiïresse de Paul j Koutaisovv, esclave turc, son valet de chambrc , etc. etc. , sont aujourd hui commandeurs de Maltke! Fiers successeurs  C 181 ) que la politique sembla de concert avec sa haine ; mais Ie plus peremptoire de ses motifs fut toujours le dépit de voir la républiquefrancaise, consoiidée et triomphante, braver les ligues et les complots. Paul qui, d'un autre cöté , voyoit a ses pieds les princes de 1'Europe flatter son orgueilet Pimplorer comme leur dernière espérance , prit enfin des mesures plus violentes , plus extraordinaires, et plus contradictoires encore qu'on ne les attendoit de son caractère. II sembla dès lors inspiré par ce genre hypocrile et perfide qui depuis dix ans ensanglante le monde, et foule aux pieds toutes les maximes de morale et tous les droits politiques des nations ; je veux dire 1'esprit de Pilt. Ce perturbateur du repos de i'univers jouit en ce moment d'un triomphe bien digne de lui. Depuis long - tems les Anglais des la Valette et des d'Aubusson, que dites-vous ? Qu'est devenu le lustre de votre ordre, de ce sanctuaire de la noblesse ancienne et immaculee? Que Paul règne encore quelques années , que sur-tout il puisse introduire sa garnison et son gouterneur tn, partibus dans Malthe , et vous verrez ! —  ( i8a ) avoient exclusivement pompé les trésorsde la Russie , et ce fut avec son or qu'ils aclietèrent enfin son, sang. On vit donc avec étonnement le même prince qui se proclamoit lui - même le vengeur du tróne très-chrétien, le restaurateur desautels calholiques, le défenseur des maximes antiques de la politique et de ia foi, mettrea nud le système le plus absurde ou le plus perfide qu'ait jamais osé développer un souverain. Ce même prince, qui est grand-patriarche né de la religion grecque orthodoxe, qui, en cette qualité, fait maudire et exorciser le pape dans toutes ses églises, se déclara son protecteur spirituel et temporel. II se mit a distribuer de la même main des crosses pastorales aux évêqu.es de Rome, aux imans tarlares, aux lamas kalmouks, aux popes arméniens. II s'intronise grandmaitre de Malthe , d'un ordre dont le premier devoir et le premier serment sont la haine et 1'extermination des Musulmansj et en même tems il leur jure amitié et alliance, et envoie ses bataillons  ( i83 ) chrétiens dont les officiers sont bariolés de croix catholiques de St. Jean de Jérusalem, de croix schismatiques de St. André de Russie, de croix hérétiques de Ste. Anne de Hosltein, combattre sous Pétendard du Prophéte, pour rétablir , de concert avec les Anglicans, le pape a Rome, le clergé en France, et Pislamisme en Egypte. Jamais Phistoire du monde n'offrit un amalgame'de principes et d'intérêts si opposés , si extravagans. On avoit vu souvent la religion servir de prétexte aux guerres que se faisoient les peuples ou les souverains; on avoit quelquefois vu la politique faire laire les haines religieuses ou nationales, et produire momentanément des alliances monstreuses : mais il étoit réservé a Pitt d'inventer, et a Paul d'exécuter une association de souverains, êternels ennemis les uns des autres, dont chaque serment seroit la violation d'un serment précédent, chaque protestation un manque foi nécessaire, et chaque engagement une trahison évidente; de souverains qui, par la nature  C 184 ) mème de leur alliance, se mettoient dans la nécessitë de se tromper, de se mentir a eux-mëmes et les uns aux autres, et de ne pouvoir remplir un seul point de leur traité, sans eu violer la base fondamentale. Ne semble-t-il pas voir une troupe de charlatans, qui, après setre prouvé vingt fois tour a tour qu'ils sont des imposteurs, se réunissent enfin et s'engagenta se guérir réciproquement, et chacund'eux, avec la mème drogue que chacun d'eux croit un poison ou un orviétan ridicule, et en méme tems que tous prétendent tromper le public en lui annoncant ce remède pernicieux comme une panacée universelle ? Voila dans quel labyrinthe de contradictions et d'absurdités s'égare enfin cette diplomatie imbécille,quiprétendproduire le bien en combinant le mal, et tirer des résultats vrais en supputant des erreurs ou des faussetés. Les vérités simples, les principes dusens commun, lamorale et la justice, sont les éternelles sources du bien public et de la prospérité des états. Aussi  ( i85 ) long-tems que la politique ne les prendra pas pour base de ses spéculations, ce sera 1'art le plus absurde et le plus funeste a 1'humanilé. Paul étoit au moins sincère dans le but principal qu'il se proposoit , en formant cette monstrueuse association. La punition exemplaire du peuple francais et de ses gouvernans, la destruction des principes républicains , la restauration de la monarchie et de la secte catholique, si favorable au despotisme , sans prétendz-e pour lui a autre chose qu'a la gloire d'avoir opéré cette grandecontre-révolution. Voilaquels étoient ses projets. II ranima donc cette guerre avec toute la fureur et tout le fanatisme qui 1'avoient distinguée dans son principe; mais trouvant au-dessous de lui d'agir comme un simple auxiliaire dans une cause si importante , Paul I s'en déclara le chef, et se chargea de réorganiser lui-même la coalition sur des fondemens plus solides. Le prince Repnin, si fameux par ses succes militaires et politiques, fut envoyé a Berlin pour détermmer le jeune  C 186 ) roi de Prusse, dont le début sur le tróne étoit si glorieux et si différent, a rentrer dans la croisade générale. Frédéric-Guillaume III étoit trop bien conseillé, et trop sage lui-mème, pour ne point rester fidéle au systéme de neutralité , qui le rendoit 1'arbitre et le bienfaiteur de i'Allemagne. I 1 ■ << que cette affaire prêtoit singu- leill .i In ploiMUlterie, et qu'elle estdignede figurer dans les anecdotes militaires qu'on ne trouve point dans les rapports ofliciels des généraux. Les Autrichi. ns assiégeoient Giourgew, petite ville deWalachie : apiès s'ètre tenue assez tranquille, et avoir laissé ouvrir les trancliéjs dans les formes , la garnison turque fit une sortie si heurense , qu'elle s'empara des batteries , et que presque tous les assiégeans furent pris par les assiégés.  • ( ï92 ) tous cótés contre 1'indiscipline, ou plutót les violences de l'armée russe. Dans une occasion, le général Lwow , dont nous venons de parler, s'oublia mème jusqu'a frapper de sa canne un officier autrichien qui lui faisoit quelques représentations ; cette brutalité , jointe a plusieurs autres qui excitèrent la mème indignation ( i ) , olTensa surtoul les officiers impériaux, qui voulurenten avoir satisfaction. II étoit in> portant de ne point laisser ce premier motif d'iuimitié entre deux armées dont (l) Parmi le grand nombre de vexations commises par les Russes dans leur marclie , celles que les officiers se permirent dans les postes d'empire furent d'autant plus sensibles, qu'en Allemagne les maitres de poste sont eux-mêmcs grossiers et vexateurs envers les étrangers 5 tandis qu'en Russie ils sont peut-être trop abandonnés a la discrétion du militaire qui les maltraité , et sur-tout leurs postillons , qui sont ordinairement des esclaves. Quelques officiers russes traversant 1'Autriclie pour joindre leur armee > indignés de la lenteur avec Ïaquelle on les menoit, battirent un maitre de poste, et tuèrent un postillon. Comme on vouloit lts arrêter pour ce meurtre , ils demandèrent combien coutoit donc 'en. Allemagne un postillon, qu'ils le paieroierit, pour qu'on n'en parldt plus.  t m.) la bonne intelligence devoit garantir les suceès : la cour de Vienne fit a Paul des l remontrances] il les écouta, et rendit jusi tice avec sa promptitude accoutumée. Le comte Rosemberg recut, par un courier I extraordinaire , 1'ordre d'envoyer Lwow I a Pélersbourg pieds et poings liés , après I 1'avoir, enprésence de l'armée, dépouillé de ses ordres et de son uniforme. II lui i fut de plus ordonné de faire observer dans I les pays alliés la plus exacte discipline, en s annoncant aux soldats qu'ils pourroient I s'en dédommager aussitót qu'ils seroient ! en pays ennemi. Cette exécution et ces i promesses firent impression , et la conduite des Russes , en traversant le midi | de 1'Allemagne , fut en général beauJi coup plus modérée qu'on ne s'y attendoit j ce qui doit d'autant plus surprendre , que les officiers russes , qui , de tous les officiers de 1'Europe, sont les plus mal et les plus mesquinement payés,continuèrent a èti^e soldés en marche et en Allemagne sur le pied qu'ils le sont en Russie. On eut méme la mauvaise foi de 3.  C *94 ) leur payer quelques mois de leur solde en papier, avant qu'ils quittassent les frontières. Ce papier-monnoie perdoit soixante pour cent en Pologne, et n'avoit aucune valeur en Autriche (i); de facon que ces militaires, qui s'étoient flattés de recevoirune paye anglaise aussitót qu'ils seroient hors de leur pays , furent réduits a la moitié de Ia leur. En supposant qu'elle leur soit régulièrement comptée, il leur seroit de toute impossibilité d'en subsister en Allemagne, et surtout en marche. Lesappointemens d'un capitaine d'infanlerie nesont pas de mille francs par an, et les subal- (!) L'on a eu occasion de parler des assignats qui sont depuis vingt ans la monnoie courante en Russie. Ils perdent cinquante pour cent, et les militaires, dont les appointemens sont encore a peu prés les mêmes que du tem» de Pierre I, ne sont aujourd'hui payés qu'en assignats. II y en a de cinq roubles en papier bleu, de dix en papier rouge , de vingt-cinq, de cinquante et de cent roublei en papier blanc. Voyez Partiele sur les finances. J'ai vu plusieurs officiers prisonniers, qui avoient encore dans leurs poches de ces papiers qu'on les avoit forcés d« prendre , et dont ils n'avoient pu tirer aucun parti ; il leur sera même difficile de les reporter en Russie, oü il est défendu d'en introduire de 1'étranger.  A195) ternes sont soldés a proportion. Quant aux soldats, ils sont, comme onl'avu,nourris : et habillés j mais ils ne touchent qu'environ 24 francs par an en numéraire. Cette pénurie d'argent n'est pas si sensible en i Russie pour l'armée, les denrées de première nécessité y étant a bas prix j etpar- 1 tout, a 1'exception de quelques garnisons 1 dans les villes capitales ou commercantes, le militaire satisfait ses petitsbesoins jour- ! naliers a peu de frais ; mais dans les pays étrangers, et en voyage, il n'en est pas de mème. Aussi le soldat russe, le plus mal entretenu de tous les soldats, ne pourroit subiister dans les lieux oü le pillage et la maraude lui sont interdits, s'il n'avoit une ressource parliculière , que les autres militaires n'ont point. II y a dans les régimens des associations indépendan tes de celles des bataillons et des compagnies , nommées artel, qui forment une espèce de masse j commune , oü chaque recrue verse, en arrivantason corps, 1'argent qui luireste, et le prix des habits qu'elle vend en recevant son uniforme. Le petit mobilier ü'un  ( ) camarade mort ou tuéy tombe également. En tems de guerre, le produit du pillage et du butin, que chaque associé y apporte assez fidèlement , grossit encore cette masse , qui s'élève quelquefois a des sommes assez considérables. Elles sont ordinairement confiées a de vieux caporaux , au choix des soldats 5 et ces trésoriers , nommés artelchiki, ont souvent le talent de faire valoir et d'augmenter ces fonds. JLe soldat russè, étant engagé pour lavie, n'ayant plus aucun autre inlérét ni aucun bérilage particulier a attendre, s'accoutume a piacer tout son espoir dans cette espèce de communaulé, dont il tire souvent des secours. En marche, et dans tous les besoins extraordinaire, on a recoursa Vartel, soit pour acheter un cheval qui traine le bagage , soit pour se procurer quelques provisions lorsque le pain manque , soit pour se remeltre de quelque grande fatigue ou de quelque disette par un verre d'eau-de-vie , ou un morceau de viande ; car , dans les denrées qu'on distribue aux Russes, on ne comprend que  C 197 ) Ia farine de seigle, 1'orge m ondé et Ie sel (1), Avec ces munitions de bouche, ordinairement trés-mal condilionnées, le soldat s'apprêle lui-même a sa fantaisie , avec beaucoup de dextérité , du pain , du biscuit , ou une espèce de homilie, nommée Tcasch, qu'il est trop heureux de pouvoir assaisonuer quelquelbis avec dé 1'huile de chanvre, un bout de suif, ou un oignon : il fait de plus, avec un peu de farine fermentée, ou des resles de son biscuit, une boisson appelée kwass, qu'il préfère a l'eau pure, mais qui paroitroit détestable a quiconque n'y seroit pas accoutumé. Voila toute la nourriture du solda t russe en campagne : elle ne coute point a la couronne cinq francs par mois pour un homme , et jamais on n'ajoute rien de plus a eet ordinaire moins que frugal. Quelques pois- (1) On disrribue cliaque mois ces provisions en nature au soldat. On donne a chacun son païok ou boisseau de farine de seigle , son garnitz ou litron d'orge, et sa petite portion de sel. Le capitaine qui fait cette distribution k sa compagnie , gagne encore sur la mesure de «juoi nourrir son clieval et ses chiens.  C 198 ) sons, que ce malheureux se procure assez facilemeut le long des rivières, ou auhord des lacs nombreux du nord , quelques champignons qu'il recueille en abondance en certaines saisons dans les vastes foréts, et qu'il cuit dans Peau pure comme des chataignes, ou quelques fruits et quelques herbes légumineuses qui croissent spontanëment dans les provinces du midi, et qu'il y récolle lorsqu'il a le bonheur de camper, composent les seuls ragouts qu'il y ajoule lui-mème dans 1'occasion : de manière que la livre et demi de pain et de froment, et la livre de viande , qui forment Pordinaire journalier du Francais, seroienl un festin, pour un Russe , qui d'ailleurs ne couche jamais dans un lit, même lorsqu'il est malade ou blessë (1). (1) Lorsque le soldat russe est en cantonnement, il donne toutes ses provisions au paysan qui le loge, et mange alors a. sa table. LanourriLure du paysan russe est le Schtschi, espèce de chou aig^i, un peu différent de la cKoucroute d'Allemagne , que 1'on cuit.aussi avec du lard , et qui se mange en soupe avec uue grande quantité d'eau, Ce mets est fort sain. —• Lorsque Paul I est  ( *99 ) On voit par cette esquise de Ia manière de vivre du soldat russe, de quelle ressource lui est quelquefois Vartel: il ne peut cependant y recourir que du consentement unanime de tous ceux qui y ont part, et de Papprobation du colonel. Cet établissement dans les armées remonte a Pépoque ou elles n'étoient point encore soldées, et oü chaque boyard conduisoit a ses dépens ses esclaves sous les étendarts du grand-prince ou du izar; mm encore aujourd'hui les masses communes sont regardées comme sacrées. Quelques colonels ruinés se sont permis d'en content d'un régiment, il fait distribuer un demi-verre d'eau-de-vie a chaque soldat; mais il s'en trouve un grand nombre , surtout les nouveaux arrivés des provinces méridionale», qui ne boivent point de cette li. queur. Le soldat russe, qui paroit h la guerre si cruel et si larouche , est le carnivore des hommes. Lorsqu'il campe dansles steppes, et qu'il prend quelque gibier , il le vend ou le donne a ses officiers, plulöt que de le manger. lui-même. II est en général très-sobre, et comras jel'ai dit, il ne coiite pas cinq francs de nourriture par mois : on ne pourroit en France nourrir un clïien de ehasse a ce prix-la.  ( 200 ) era prunter des sommes, et ne les ont ensuite point rendues j mais ceux qui les ont ainsi dilapidées, ou pillées plus ouvertement, ont souvent été cassés et punis. Quoiqu'il en soit, elles existent encore dans la plupart des régimens, et 1'ofïicier pauvre y est a la lettre bien plus misérable que le soldat, dont il est obligé, en plusieurs occasions, de partager le husch (bouillie) et le soukaré(biscuit), pour ne pas mourir de faim. L'armée russe s'avancoit a petites journées, pendant 1'hiver de 1798 a 1799. Elle étoit suivie des pièces de campagne que chaque bataillon traine ordinairement avec lui, et de toutes les munitions de guerre nécessaires; car on n'avoit pas jugé a propos d'établir eu Autriche des fonderies pour lui préparer des boulets de calibre ( 1) : mais on la débarrassa des (1) La livre russe n'a que quatorze onces. Le calibre des canons, est de quatre, de huit, de dcuze , de seize, etc. etc. La pièce !a plus en usage dans leur artillerie est une espèce d'obusier qu'ils nomment licome, et qui lance également le houlet, la mitraiile et les bombes  ( 201 ) transports de gruau et de farine, en établissant sur sa route des boulangeries, qui épargnèrent au soldat le soin de cuire lui-même son -pain. Un bagage considérable, mais pauvre et inutile, suit ordinairement ces armées dans leurs plus longues marches j car elles n'ont ni dépots ni hopitaux, chaque régiment étant une espèce de république nomade qui traine tout avec elle (i), et dont le chef modifie a son gré le gouvernement et les horizontalement. Ils ont de tres-bonnes fonderies , et des machines excellentes et ingénieuses pour forer le canon. Le général Mélissino a beaucoup perfectionné 1'artillerie russe , et surtout la foute et la composition du métal. (i) On a dit qu'un régiment russe étoit une espèce de république nomade. Rien ne seroit plus utile aux armées et a 1'empire que de fixer h chaque régiment un cautonnement fixe , en distribuant a chacun un terrain inculte et inhabité; ce seroit le moyen de peupler promptement ce vaste pays , et de donner une patrie aux soldats en leur assurant une propriété. Le dépót, les femmes et les enfans du corps y resteroient pendant les campemens; et le militaire oisif seroit occupé utilement pour lui et pour1'état pendant six mois de 1'année. II seroit digne d'Alexandre de réaliser ce projet. ( Note ajoutée en iöoi ).  ( 202 ) usages: car il n'y a encore aucun ensemble dans 1'organisation et la discipline générale des troupes. Ce résultat doit cependant être le fruit du nouveau système introduit par Paul I. Plusieurs de ces régimens conduisent plus ou moins de voitures fermées, poury placer leurs malades et leurs blessés. Ces voitures, dont les gazettes allemandes parloient avec admiration,et qui tiennent lieu des ambulances des armées francaise, sont devenues un objet de luxe et de parade pour plusieurs colonels, qui les font défiler avec ostentation, a chaque revue, devant les inspecteurs généraux ; et il est étonnant qu'ils les aient amenées si loin, car sept k huit grandes berlines a la suite d'un régiment ont du être très-embarrassantes. Chaque artel, ou chaque compagnie, a, comme on vient de le voir plus haut, la coutume d'entretenir un ou plusieurs chevaux, pour trainer ses bagages; chaque officier a également, selon son grade et sesmoyens, plus ou moins de hibithi^charrettes), de domestiques-esclaves, et de  ( 203 ) chevaux de main. Ces officiers avoient, pour la plupart, desfemmes et des maitresses, enlevéesen Pologne. Les prètres, leurs épouscs ( i ), leurs églises portatives, les enfans du régiment, formoient une longue queue a la suite de l'armée , quoique sa destination lointaine . et les généraux qui la commandoient et qui n'étoientpas des plus riches, neluieussent pas permis d'avoir le train et le bagage ordinaires. Jamais armée en marche ne fit autant de bruiten Europe que ces 5o mille Russes, qui s'avancoient ainsi, a travers les glacés de l'hiver, pour venir attaquer des ennemis, qu'ils ne connoissoient point, et qu'ils n'avoient jamais combattus. Les papiers aulrichiens ne tarissoient pas sur la belle (1) Un prètre russe ne peut exercer ses fonctions sans avoir sa femme ; et, silöt qu'elle vient a mourir, il est obligé de se faire moine. Ils prenuent a la lettre un passage de 1'apötre qui dit : Que chaque éveque soit le mari d'une seule femme ; et par conséquent il leur est défendu de se remarier. Chaque régiment a son pope et sa chapelle portative , qui est ordinairement une tente d'une .grandeur et d'une beauté remarquables.  ( 204 ) tenue, 1'exacte discipline, les mceurs et Ia valeur de ces guerriers hyperboréens , attendus depuis sept ans en Allemagne! Cependant il manqua d en arriver comme dubergermenteurdelafable, qui, aforce de crier a faux : voipi le loup ! ne put se faire croire , lorsqu'il le vit effectivement fondre sur son troupeau.Le politique des coahsés nourrissoit encore cette incertitude, et les Russes se trouvoient déja a Brünn , que la moitié de 1'Europe les croyoit encore cantonnés en Pologne. L'empereur et 1'impératrice d'Allemagne , qui étoient allés a leur rencontre , leur dormoient des gratificalions et des fëtes, le jour même oü les ministres de 1'empire a Rastadt répondoient aux plémpotentiaires francais, demandant raison de cette marche en tems de paix et au milieu des négociations, que cen'étoit qu'uu bruit, qu'il n'y avoit aucun avis officiel de 1'arrivée des Russes en Allemagne. Quant a 1'empereur , il ne daigna pas même répondre. Cette dénsion insultante effcctualarup-  C 205 ) ture provoquée, et Pon vit bientöt jusqu'a quel point d'audace et d'atrocité ia haine et la vengeance égarent la politique : le ' massacre des ministres francais a Rastadt est le plus horrihle des attentats publics qui aient été commis en Europe , depuis qu'elle est civilisée. II est mème si révohtant, qu'on répugne a 1'attribuer a des ordres directs du cabinet de Vienne, quoique ce cabinet se soit signalé dans Phistoire par son manque de foi. Mais il est aussi absurde qu'atroce de chargerle directoire de ce forfait inouï et inutile. Cette idéé n'a pu naitre que dans des ames capables de la plus lache scélératesse, et n'a puse propager que dans une société familiarisée avec tous les crimes et toutes les vengeances de larévolution. O honte éternelie pour la France et pour Paris ! C'est la , c'est parmi les Francais, que cette indigne mculpation a pu trouver de la croyance ! Xe tems nous dévoilera sans doute un jour que le génie d'Albion, ce génie qui, depuis dix ans, a tramé tous les complots qui déshonorent la poluique et offeuseut  ( 206 ) 1'humanité, fut encore 1'ame de celui-ci, comme il vient de son soufflé impur d'allumer la mèchede cette machine infernale dont la France est épouvantée (i). (i) D'oü vient lesilencemorr.e qui plane aujourd'hui sur la tombe des nialheureuses victimes de Rastadt ?La justice a donc composé avec le crime , et la générosité avec la bonte ! Le général Zach, fait prisonnier a M'arengo, s'étonnoit hautement a Paris, de voirdans 1'antichambre de jios ininistres et dans les bureaux, Pinscription qui consacroit le forfait attribué a son gouvernement, et il disoit : les Francais eux-mêmes savent bien ce qui en est; vous trompez donc aussi le peuple, comme vous nous reprochez de le trom per? — Qu'on y prenne garde, eu épargnant 1'orgueil d'une puissance, nous pourrions bien enfin laire retomber sur notre propre nation 1'ignominie de eet atlentat. N'est-ce donc qu'en nous en chargeantnous-mêmes, que nous 1'avons excusé? Les victimes échappées , accusées aujourd'hui d'avoir été complices, se taisent! Jean de Bry s'est tu au tribunat ! ! ! Oui , 1'olive de la paix, comme le figuier du paradis d'Eden , doit s'étendre sur cette affreuse nudité : mais pourquoi la France a-t-elle a rougir d'un crime qu'elle n'a point commis ? Qu'on relise la relation authentique de eet attentat, faite par les ministres des rois et des princes, et 1'on sera persuadé de la vérité. Certes , si le directoire avoit pu acheter desrégimens autrichiens, il eüt employé cette niesure pour les battre quelquefois. L'archiduc Charles, dont on doit honorer le caractère, et le colonel des Székely; qui paroitun officier loyal, attri-  ( *°7 ) L'Autriche, 1'Angleterre et les Condéens avoientmis leur dernière espérance dans les armées russes , et leur confiance particuliere dans ce général renommé par lesboucheries d'Ismaïl etdePragua, dans k fureur et la fortune de eet admirateur des Gaston, des Charette et des George, qu'ils regardoient comme le fléau vengeur destiné a chatier enfin les républicains. On travailJoit donc a rappeler k la tête des armées le féroce et vieux Souworow que Paul venoit de disgracier si outrageusement. L'archiduc Palatin,qui étoit alors a Pétersbourg pour épouser la grandeduchesse Alexandrine, se chargea de cette négociation difficile auprès de Paul. La présomption russe répugnoit d'un cöté asoumettre une armée de cinquante buent dans leurs rapports officiels, ce forfait aun pillage, A une indiscipline d'avant-poste. Pourquoi doncn'a-t-on pas au moins exigé que Vienne punit et déshonorat ce corps ? c'eüt été une foible satisfaction, qui ne 1'eüt ppint bumiliée. J'admire et bénis plus que personne le traitéde Lunéville, mais le meurtre de Rastadt y laisse une lacune dont la postérité demandera la raison. (Note ajoutde en i8di).  ( 208 ) mille hommes aux ordres d'un. Autrichien; de 1'autre , la lierté des officiers impériaux étoit humiliée de se voir commander par des généraux russes , sans gloire et sans réputation, comme 1'étoient Lwow et Rosemberg. La célébrité et le rang de Souworow pouvoient seuls trancher la difficulté, et Paul prit enfin sur lui de sacrifier son ressentiment personnel aux circonslances. Mais avant de montrer Souworow a la tëte des conquéraus de 1'Italie, il sera trés-intéressant deraconter ici les détails de sa disgrace et de son rappel. Nous revenons a eet homme extraordinaire , que nous avons déja fait connoitre dans le premier volume. Nous en dirons encore du bien et du mal, paree que nous copions la nature, et que nous racontons des faits, paree que nous ne faisons ni un portrait idéal , ni une relation systématique. Nous avons déja laissé entre voir , a trayers la férocité de ce général romanesque et bouffon , des traits de désintéressement, de franchise originale et d'héroïsme burlesque; ces qualités vont  ( 209 ) paroitre avec plus d'éclat aux jours de sa disgrace. Au moment oü Catherine mourut Souworow, au comble de la faveur et de la gloire, se trouvoit a Ia tete d'une armee puissante, qui occupoit tout Ie midi de la Pologne, el s'é tendoit jusqu'a la mer noire. Paul n'avoit jamais aimé ce général dévot, inquiet, volontaire, entreprenant, enthousiaste de Catherine et de ses gigantesques entreprises. De son cóté , Souworow, Russe dans toute la signification du terme, et par conséquent ennemi de cette discipline allemande , minutieuse et pédantesque , dont son futur empereur se moniroit engoué, n'avoit jamais cultivé ses bonnes graces. Les corps qu'il commandoit, bien loin de se faire remarquer par une tenue exacte et une précision riguureuse dans le maniement des armes étoient presque toujours aux extrêmes frontières de 1'empire, occupés a combattre , et ne se distinguoient que par cette espèce de désordre aai nu^r>,A^^ | le soldat durant la guerre. Paul craignoit  (210 ) cependant ce guerrier populaire et chéri des troupes ; mais il le ménagea d'abord, et le confirnia dans tous ses commandemens : il lui envoya ensuite 1'ordre d'établir l'armée sur unautrepied, etd'y ine Ure en exécution les nouveaux règlemens militaires. Souworow, qui tenoit aux vieilles institutions russes, et même k celles de Potemkin , trés - adaptées au caractère national qu'il connoissoit part'aitement, Souworow, persuadé que des troupes avec lesquelles on avoit toujours vaincu , ne pouvoient être que sur un trés - bon pied, ne s'empressa pas de se conformer aux ordres de 1'empereur, et se permit de plaisanter en les recevant (i ). C'étoit (O Nous avons parlé de ces plaisanteries dans 1c premier volume. C'est une espèce de dicton en mauvalses rimes , comme Souworow en faisoit; le voici en russe. C'kasa nié kaset, Choucli nié pality C'poudri nié strélaU Voyez-en la traduction, ou le sens 5 dans le premier Tolume.  C 311 ) blesser au vif Paul I, qui mettoit toute sa gloire a réformer et a perfectionner a sa manière son état militaire , et qui parloit d'un bouten deguétre,etde la queue d'un soldat comme des choses les plus importantes a Ja gloire de ses armes. II envoya incontinent au vieux général 1'ordre de se démettre du commandement, et dequitter l'armée sans délai. Le soldat russe, qui est chansonnier comme le francais, avoit déja mis en chanson les bons5 mots de Souworow; ce qui ne contribuoit pas peu a jeter du ridicule sur les nouveiles ordonnances. Nous avons dit que Souworow <*tmW™ barbare , un bouffon ; mais c'étoit neut- être le général le plus convenable an mSm'a ides Russes: le soldat 1'annoit, ell'officier, itout en le trouvant burlesque, combattoit To-ici encore le rapport Iaconique, qu'il envoya * i imperatrice après la prise d'Ismaïl. Slawa bogou, slawa wam l Krépoctwsiata, y ïa tam. Gloire k Dieu , gloire a vous aussij La ville est prise, et m'y Yoicj.  I iii ) sous ses ordres, avec confiance. Si Paul, en le congédiant, n'avoit considéréque sa cruauté naturelle, ou sa folie véritable ou affeclée , on auroit peut-ètre applaucli ; maïs il parut vouloir punir 1'homme dévouê a sa mère , et le frondeur de ses innovalions militaires trop brusques et trop mal digérées. Lorsque'e vieux Souworow reuul i'ortlre de se démeltre du commandemeut, il voulut lui-mème le communiquer a son armee , et la fit ranger en balaille. Devant la ligne s'élevoit une pyramide de tambours e t de timbales entassés: habillé en simple grenadier, mais décoré de tous ses ordres, du portrait de 1'impératrice et de celui de Joseph II, Souworow harangua ses compagnons d'armes , et leur fit des adieux très-pathéliques. Ii se dèpouilla ensuite de son casque, de son habit, de son écharpe, de sonmousquetet de toutes les marqués du service effectif, qu'il déposa sur la pyramide, en guise de trophée. « Camarades, dit - il, il \ iendra peut-ètre un temsoii Souworow reparoitra au milieu de Vous ; alors il reprendra  ( 2l3 ) Ces dépouiiïes , qu'il vous kisse , et qu'il pórtoit toujours dans ses victoires. » Les soldats indignés, attendris, murmuroient et gémissoient • Souworow les quitta ainsi, kissant l'armée a son lieutenantgéuéral. II se retira dans une maisonnette qu'il avoit a Moaeou; mais un homme si célehre et si populaire) dont le renvoi, après de si grandsservices, faisoit une sensation générale dans 1'empire, portoit ombrage a Paul dans cette eapifale, oüilalloit se faire couronner, et il donna 1'ordre d'éloigner Souworow de Moscou. Un major de police C de gendarmerie ) entre un jour dans 1'asile du vieux guerrier , et lui présente eet ordre qui 1'exile dans un misérahle village. D'un air assez indiffé rent, Souworow demande combien de tems lui est accordé pour arranger ses affaires. Quati e heures, répond 1'officier. « Oh! c'est trop de bonté, s'écrie le général une heure suffit a Souworow. » II mit aussitót son or et ses pierredes dans  C 214 ) une cassette (1) , et descendit. Un carrosse de voyage 1'altendoit a la porte. — « Souworow allant en exil, dit - il, n'a pas besoin d'un carrosse il peut bien (1) Malgré 1'espèce de mépris que Souworow affectoit pour les richesses , il étoit tiès-curieux en bijoux et en pierrgries , et Catherine, a chaque vicroire , lui enToyoit quelque garniture précieuse : tantót c'étoit une branche de laurier en brillans, une épaulette, une épée , un portrait, une étoile d'ordre, ou tout autre riche bijou. Après la prise de Prague , elle lui envoya un baton de maréchal enrichi de pierres fines. II ne tiroit jamais de sa cassette 1'un de ces dons de sa souveraine , sans se signer et sans le baiserrespectueusement. Souvent, en Marche ou a table, il demandoit tout-a-coup a ses aides— de-camp: Oii sont mes bijoux? les avez-vous vu? corabien en ai-je? eombien valent-ils? pourquoi notre maman me les a-t-elle donnés ? II falloit faire a toutes ces demandes une réponse directe et précise, sans quoi il traitoit celui qu'il avoit interrogé de sot et d'ignorant. II en etoit ainsi , lorsqu'il s'avisoit de demander eombien il y avoit d'étoiles au firmament, d'arbres dans une forêt, ou de poissons dans un lac. Ces questions incongrues marquoient plus encore ses distractions, et le peu de cas qu'il faisoit de la conversation de son état - major, que sa folie : mais tout officier qui lui avoit répondu par ua on dit, ou par un je n'en sais rien, étoit perdu dans son esprit, et il le désignoit, en le revoyant, par le nom d© Niésndwschtschik,  { 21$ ) s'y rendre dans le mème équipage dont il se servoit pour se rendre a la cour de Catherine ou a la tète des armées ; qu'on m'amène une charrette ! » II fallut se conformer a sa volonté , et 1'officier se vit foreé de faire avec le vieux feld-ma■réchal une route de 5oo verstes dans une Tdbiïka: c'est la voiture laplus incommode en été, que 1'on puisseimaginer; mais Souworow y étoit habitué , ne voyageant que de cette manière, couché sur un mateks, et enveloppé dans son manteau. Arrivé au village désigné, il se logea dans une cabane de bois, sous la surveillance du major et de quelques exempts de police. Personne n'osoit le voir ni lui éerire, et le vieillard habitué au tumulte des camps, et a la vie la plus active et la plus agitée , se vit tout k coup dans un isolement complet. Les lecturesetles réflexions qu'il eut le tems de faire pendant cette disgrace , n'influèrent pas peu sur le reste de sa vie. II fut enfin permis k sa fille, mariée k un frère du favori Zoubow, de lui faire une< visite, qui fut courte, mais a Ïaquelle le  ( 2x6 ) comte Souworow parut sensible. L'empöreur, de retour dans sa résideuce , parut aussi se radoucir peu a peu, et lui écrivit. Un courier arrivé, et remet sa dépêche; 1'enveloppe portoiten grosses lettres: Au Feld-maréchal Souworow. « Cette lettre n'est pas pour moi, dit froidement le vieux guerrier, en lisant 1'adresse : si Souworow étoit feld-maréchal, il ne seroit pas exilé et gardé dans un village; on le verroit a la tête des armées. » Le courier, stupéfait, eut beau dire et répéter qu'il avoit ordre de remettre cette dépêche a son excellence, il fallut qu'il la reportat cachetée a 1'empereur. Paul ne manifesta point son dépit; mais Souworow dés lors fut gardé plus exactement. C'est ainsi qu'un homme célèbre, fort de sa gloire et de l'opinionpublique,peut quelquefois braver un despote. Paul, qui vouloit faire un voyage a Kasan et traverser la province qu'habitoit Souworow, craignit encore de 1'y laisser durant son voyage, et lui enjoignit de se rendre a Pétersbourg. II obéit a cesecond  ( 217 ) ordre; et ce fut alors que les sollicitations de 1'Autriche et de 1'Angleterre déterminèreot enfin 1'empereur a le rétablir dans sesgrades, pour-1'euvoyer a la tète de l'armée russe. Souworow, qui avoit si long-tems brigué 1'honneur de combattre les Francais, se vit au comble de ses vceux, et parut rajeunir. I/espèce de prophétie qu'il avoit fait en quittant ses soldats, s'accomplissoit, etilpartit comble d'honneurs et d'espérances. II se montra sur la route de Vienne , ce qu'il avoit toujours été. Ce fut une I série de fanfaronnades , de génuflexions , de signes de croix, de charlataneries et de superstitions dégoutantes. II se chargeoit de scapulaires et de reliques dans tous les couvens, s'abreuvoit d'eau bé* nite et se repaissoit d'hosties dans toutes les églises, ne voyant aucun crucifix , aucune image , qu'il ne s'arrétat pour réciter ses oraisons. S'il rencontroit unprétre ou un moine, il lui baisoit burlesquement les mains , et lui demandoit la bénédiction, allant, disoit-il, chalierles rebelles,  C *i8 ) les régicides , les ennemis de Dieu et de la foi. La cour de Vienne méme ne sut si elle devoit se scandaliser ou s'édifier des singeries dévotes et surannées de ce héros grotesque. — Et c'est par un tel général que les Francais ont mérité d'ètre chassés de 1'Italie ! C'est sous ses auspices que les Autrichiens devoient en six semaines récupérer ce que les armées répubhcames avoient mis un an a conquérir sous le commandement d'un Bonaparte !! Le honheur qui avoit suivi Souworow dans toutes ses expéditions, sembla le précéder dans celle-ci, comme un ennemi de sa gloire. II n'arriva en Italië , que pour recueillir les lauriers que Kray venoit de moissonner , comme il n'étoit naguères arrivé devant Varsovie, que pour profiter de la victoire de Fersensur Kosciuszko. L'armée francaise , sous les ordres de Scherer , venoit d'essuyer la défaite la plus compléte et la plus désastreuse de cette guerre (i) : ces fameuses (i) Les Francais, qui n'ont su continent nommer cette  . ( 2I9 ) 'demi-brigades, la terreur et 1'admiration de 1'Europe , n'offrirent plus a l'armée russe, qui se mit a l'avant-garde des Autrichiens vainqueurs , que des bataillons épars. Cefutsur quelques fuyards, échappés a la cavalerie impériale , que les Cosaques firent d'abord preuve de cette aptitude a atteindre et a dépouiller, que nous avons dépeinte dans l'article précédent. X le général Rosemberg marcha pour occuper cette place avec le corps russe qu'il avoit sous ses ordres. Mais ce bruit étoit faux, et il ne put exécuter son projet. 33 Unfait non moins extraordinaire, est que Scherer, ministre de la guerre , et général en chef de l'armée , ose lui-même citer comme une excuse de ses revers, c'est qu'il ne put trouver a l'armée aucune carte géographique du Mantouan. Les Francais occupoient, dit-il, ce pay, depuis i796, et on n'en avoit levé aucune carte militaire , aucun plan; on n'y avait fait aucune reconnoissance, et on n'en connoissoit pas les chemins. La présomption de quelques officiers généraux , 1'avidité des commissaires „ et 1'orgueil du directoire^ avoient fait négliger tous les moyens, et même repousser avec méfiance et dédain les offres de quelques Francais qui avoient servi en Russie, et il ne se trouvoit a l'armée aucun interprète. On intercepta un courier avec des lettres russes et même des ordres de Paul : il fallut envoyera Paris pour les déchiffrer; et comme il s'agissoit de vérifier la signature de eet empereur, il n'y eut personne en état de le faire. II se trouvoit cependant k Paris des officiers récemment arrivés , qui avoient des brevets de lui - et c'étoit dans un tems oü le littérateur la Harpe menacoit déja le public de sa correspondance avec Paul I, qui devoit donc lui avoir écrit souvent. P  ( 226 ) Moreau essaya d'arrèter ce torrent indomplable, et le forcadumoins aclianger de cours. Le général russe Rosemberg, ayant passé le Pö, trouva une résistance qu on n'attendoit plus de la part des Francais. Garreau, commandant 1'aile gaucbe de la division deGrenier, le forca a repasser le fleuve avec une perte considérable en tués, et surtout en prisonniers. Souworow, indigné de ce premier échec, renforca surle-champ le corps de Rosemberg, qui, dés le lendemain, renouvela le passage a la tète de sept mille hommes. Les Francais furent d'abord forcés a céder; mais le chef de brigade G ardanne soutint 1'attaque jusqu'a i'arrivée du général Victor avec sa division. Alors se livra prés de Bassaguagno, et a forces approchant égales , Ia première bataille qui ait eu jamais lieu entre deux nations que la nature aplacées si loiu 1'unede 1'autre,et qu'elle a cependant rapprochées par des conformités morales et physiques trés - frappantes. II semble, qu'en les éloignant ainsi, elle ait  ( 22J ) voulu les séparer d'interêts pour les unir d'amitié : mais la politique et la tyrannie, ces ennemies éternelles de la nature , en ordonnoient aulremeni (i). Le combat fut opinialre et sanglant. Un chateau, qni se trouvoit au centre de Pattaque, fut ernporté et repris plusieurs fois par les deux par lies; mais les bataillons russes,éclaircis etdéconcertésparla supériorité du feu des Francais et la vivacité de (0 Je me trompe, les Francais et les Russes s'étoient déja battus en 1733. La guerre de la succession de la Pologne ayant commencé , Stanislas Leszinsky essaya de remonter sur ce tróne d'oü il avoit été forcé de descendre, et la France prit une f'oible et honteuse part dans sa juste querelle. Plélo, ambassadeur de France a Copenhague, sollicitoit en vain le foible Louis XV de faire quelques efforts en faveur de son beau-père. On lui envoya enfin deux frégates et quelques troupes, avec 1'esquelles il partit lui-même, pour débarquer a Dantzioqui s'étoit déclarée pour Stanislas. Mais les Russes venoient d'y arriver, et assiégeoient déja cette plice, au moment 011 la flottille parut dans la rade. Le brave Plélo voulut cependant effectuer son débarquement. Sous la protection de ces deux frégates , il mit a terre quinze cents hommes , en présence d'une armée. Ils furent aussitót attaqués , et, après une résistance opiniatre , oü Plélo lui-même périt a la tête de sa petite troupe, le reste  ( 228 ) leurs attaques au pas de charge, lachèrent enfin pied , et furent poursuivis la baïonnet te dans ies reins jusqu'au bord du fleuve, oii uue grande partie se précipita etpérit. Ils perdirent «ianscecombat un général et quelques milliers d'hommes , ainsi que cinq qauons et un drapeau. Souworow , par ces deux combats, images de ceux qui se livrèrent ensuite sur la Trebia , apprit a estimer, oudu moins a respecter ia bravoure francaise. Désespérant de forcer Moreau a quitter son camp retranché prés d'Alexaudrie , en passant le Pö pour 1'atlaquer de front, il céda a la tactique autrichienne , qui 1'engagea a remonter la rive gauche pour fut obligé de se rendre prisonnier de guerre. On mena ce* Francais en triomphe a Pétersbourg , et 1'impératrice Anne se fit présenter les officiers a la cour, et leur fit un accueil très-gracieux et des complimens flatteurs sur leur bravoure. J'ignore oü les soldats composant les débris des deux régimens débanpués furent relégués, et mème s'ils furent jamais rendus k la France : mais j'ai été visiter avec intérêt et attendrissement, au bord de la mer, les tombeaux des malheureux qui moururent sw cette plage lointaine.  C **9 ) tourner la posltion des Francais en marchant subilement sur Turin. Moreau fit un mouvement pour arréter cette marche. II passa la Bormida, se mit lui-mème a la tète desa cavalerie , et, ayant renversé les Cosaques et les troupes légères autrichiennes, ils'empara de leurs postes avancés depuis Marengo jusqu'a Saint-Julien. II attaqua alors avec une forte colonne le camp du général Lusignan, et s'en empara : mais Lusignan, renforcé par le corps russe sous les ordres de Bagration ( i ) , revint sur ses pas , ( i ) Bagration est un kniaiss géorgien , créature du féroce Araktsohéicff; il commandoit les troupes légères, et souvent 1'avant-garde de Souworow. G'est le même général que les gazettes francaises ont si souvent défiguré dans les relations de cette campagne, jusqu'a métamorphoser enfin son nom en celui de prince Pancrace.. Les Francais ne sauront-ils jamais écrire etprononcer les noms étrangers, ordinairement moins durs que ceux qu'on leur substitue pour les adoucir? Voltaire , que j'ai déja cité pour cela , s'obstinoit a écrire Schwalou-, Cheval-loup , au lieu de Schouwalow, Chouvalove, dont la prononciation est infiniment plus douce. Ce défaut est si inhérent a notre caraclère , que Rulhière et le C. Ségur lui-mime n'en sont pohit exenrpts, Ca  ( 23o ) et les Francais , forcés a leur tour de renoncer a leurs avantages, reprhent leur première posilion. Ce fut le dernier effort que put faire dernier, dans 1'intéressante histoire k Ïaquelle il a , je ne sais pourquoi, donné pour cadre le nom de FrédéricGuiljaume , parle d'une infante deSaxe; et qtiand il est question de 1'illustre familie prussienne et polonaise de Doen/ioff, il a soin d'écrire toujours d'Oenhoff. Ce nom doit cependant être connu en France, et sur-tout des anciens courtisans, puisque 1'avant-dernière reine descendoit de cette maison. Rulhière écrit ordinairement d' Olgorouki et d'Aschkoff, comme si un nom ne pouvoit être noble, sans être précédé du de. Cette manie est choquante dans les mots russes , presque tous composés d'un génitif pluriel, dont la terminaison en ow ou off, ew ou (.'ff i et i, exprime déja notre article des, et qu'on estropie doublement; de manière qu'en écrivant le comte de Soltykow, le prince de Zoubow, c'est comme si 1'on disoit Mr. de des Malesherbes, ie prince du de la Trimoiiille. On ne releveroit point ces bagatelles dans un Parisien qui n'auroit fait que son tour de St.-Cloud, ni dans un gazetier qui ne connoit que les Tuileries et la rue des Piêtres ; mais elles peinent dans des relations d'ambassadeurs, et même dans le Moniteur, qui servira un jour d'annales k 1'histoire. Cette feuille, d'ailleurs écrite avec soin, fourmille de fautes dans Partiele Extérieur. Le journal du gouvernement ne devroit-il pas avoir parmi ses rédacteurs quelqu'un qui süt la géographie et les langues étrangères} et qui put  ( s3i ) le Turenne de la révolution , avec sa petite armée, pour se maintenir prés donner aux relations du Nord la mème correction qu'i celles de 1'Angleterre." La mutilation des noms suédois , russes et allemands , est d'autant plus choquante , que la plupart ont une signillcation. Ouvrez, parexemple, le Moniteur , N°. i35, an 6, k Partiele Lausanne. II y est question d'un général suisse JVeins. On y parle longuement de son caractère et de ses écrits , bien connus a Paris, oü il a résidé long-tems. On est fort étonné de voir, par toutes ces particularités , que le Moniteur vent parler du célèbre colonel Weiss; or TVeiss veut dire blanc, et IVeuis veut dire du vin. Voulez - vous des exemples plus récens, prenez le N°. 225 de 1'an 9 , que j'ai sous les yeux , et lis z, si vous le pouvez , les noms russes qui sont accumulés dans la première colonne ; presqu'aucun n'est reconnoissable , ni même prononcable de la manière dont il est écrit, avec des redoublemens de consonnes qui ne s'assemblèrent jamais en russe. Défigurer ainsi des noms illustres dans le Nord, c'est comme si 1'on y imprimoit les articles de Paris, avec les noms et les qualités de nos plus illustres citoyens burlesquement travestis; ce qui seroit moins choquant encore , puisque les noms russes ont une signification bien plus déterminée que les francais. Dolgo-rouki veut dire longue-main, et ce surnom d'un grand-prince de la race de Rouric, nommé Youri Wladiniirowitsch, qui fonda Moscou vers le douzième siècle , a passé a sa postérité.  C 232 ) d*Alexanclrie. La lète de l'armée austrorusse avoit déja passé le Pö au-dessus de Valence et emporté Casal, le seul poste qui couvrit le dos des Francais Le Moniteur a été long-tems avant de pouvoir apprendre le nom de Souworow , qu'il s'obstina k écrire Sawaroti et Souwarou : mais la renommee répéta tant de fois ee terrible nom, qu'on le sait enfin en France. La même feuille fit souvent mention de Bébroko et de Berboko, au lieu de Bez-borodko, qni veut. dire sa* barbe, imberbe. Orlow est le génitif pluriel d'Orel, aigle; Zoubow, le génitif pluriel de Zoub, dentj le comte des Aigles , le prince des Dents. Dites d sa Majesté que je ne meporteraipas bien , aussi long-tems que les dents qui me font mal ne seront pas arrachées , c'est ainsi que Potemkin répondit un jour a un officier qui venoit s'informer de sa santé , de la part de 1'impératrice. C'étoit, comme on le voit, un calembourg sur le nom de Zoubow : ce dernier venoit d'être élevé a la place de favori, en dépit de 1'orgueilleux Potemkin. Ce Russe-la , dira-t-on, veut-il qu'on apprenne sa langue hyperboréenne? Non; mais je voudrois que vous écrivissiez les noms étrangers qui ne sont pas naturalisés dans la vötre, comme ils se prononcent, sur-tout quand vous n'avez pas les caractères de cette langue pour en copier au moins 1'orthographe. C'est un respect que' 1'on doit aux étrangers, a 1'histoire, et h la postérité. Si les Romains n'avoient pas eu, comme vous, la manie de tout finir en us, vous sauriez quelque chose de plus de 1* langue de vos ayenx.  ( s33 ) la valeur personnelle de chaque chef, le courage particulier de i chaque soldat, rien ne put triompher de cette ïmpassibihte russe, de cette opiniatreté moutonnière contre Ïaquelle la discipline prussienne et la taclique du grand Frédéric avoient si souvent échoué. Les Francais, las de combattre , et même de tuer , désespérant de repousser ces masses vous faites tout faire k un Russe. J'ai déja observé que , iipris séparément, le Russe est fort doux , et même fort itimide : mais en bataillons, il a une opiniatreté , une adhérence moutonnière , qui le rend redoutable , et quelquefois invincible.  ( H4 ) mouvantes et hérissées de fer, eu les heurtan:, repasserentenfin Ia Trébia,et changèi eut ie combat en une canonnade meurtriè.e qui detruisil totalement quelques compagnies russes, lesquelles, prenantla retrane des Francais pour unefuite, voülurentlessuivre ei franchir la rivière. Les Russes, arrëtés sur le rivage qu'ils venoient degagner, furent obligésdes'en éloigner, de manière que le champ de bataille resta au canon et aux boulets. L'aile gauche des Autrichiens , commandée par Mélas, avoit eu également sur l'aile droite des Francais un avantage que 1'infériorité du nombre avoit moins balancé ; mais après avoir repoussé leurs ennemis au dela de la Trébia , les Autrichiens établirent eux-mèmes sur la rive des balteries qui les en rendirent maïtres, et qui lirent sur les Francais le mème ravage que celles de ceux-ci sur les Russes. I,a nuit et la rivière séparoient déja les combattans épuisés; mais cette canonnade réciproquese prolongea dans les ténèbres, et sembla continuer cette mémorable  e 245) bataille jusqu'au lendemain, oü elle de^ voit recommencer avec une nouvelle fureur. Elle fut renouvelée de la part des Francais dès le matin. A la faveur de leurs batteries, l'aile gauche repassa la rivière sous le feu de l'ennemi, renversa et poursuivit l'aile droile des Russes jusqu'au village de Casalégio. La, Bagration rallia ses troupes, grossies par les renforts que Rosemberg y fit mardber, et les Francais, attaqués a dos eten flancs, furent arrètés. Au centre , ils avoient repassé avec le même courage et le même succès,bravant la mitrailie de 1'ennemi, et emportant toutes ses batteries a Ia baïonnette. Ils poursuivoient leur avantage , et la victoiresembloit décidée, lorsqu'un corps de cavalerie autrichienne vint fqndre en flanc sur la cinquième demi-brigade, el la renversa dans le plus grand désordre. Cette demi-brigade, forte de trois mille hommes, gardoit 1'espace entre la colonne du centre et celle de la gauche, qui se Virent ainsi coupées et prises en flancs par  C M6 ) la cavalerie. On dut changer 1'ordre du combat, et manceuvrer pour se couvrir et sedéfendre; 1'ennemi, déjaa demivaincu, profita de ce mouvement pour se rallier : la bataille se rengagea , devint générale sur toute la ligne , dura toute la journée, et eut enfin le même résultat que la veille. Mélas, surtout, avoit remporté un avantage décidé, et, ayant le premier repoussé les Francais, il put envoyer au centre des renforts considérables qui arrêtèrent les progrésde l'ennemi. Cependant les Francais se reformèrent encore sur Tautre rive • leur retraite s'y fit sous la protection de leur artillerie, et les armées occupèrent les mêmes positions que la veille. Souworow, au lieu d'attendre une troisième attaque, résolul de passer lui-même la rivière, et de décider cette longue et sanglante bataille. Mais Macdonald , qui avoit en vain compté sur 1'arrivée de la légion ligurienne, et même sur la marche rapidedeMoreau; Macdonald, qois'étoit empressé ci'attaquer ou de combattre seul une armee si nombreuse etsiformidahle,  ( M-7 ) ! dans 1'espérance de remportpr une victoire i plus glorieuse et moins partagée, craignit de compiomettre le salut de son armee entière par une troisième bataille, qu'il ne se sentoit plus en état de soutenir. II avoit fait une perte considérable (i); et, trompant la vigilance de l'ennemi, il ordonna | sa retraite pendant la nuit avec une telle I précipitation, qu'il abandonna ses blessés, ( 1) Je ne m'arrète point a copier le nombre des morts dans les rapports ofiiciels , toujours menteurs. Je ne pourrois d'abord , en comparant ceux des Fran.cais avec ceux. des Autrichiens , en tirer le terme moyen qui s'approcheroit le plus de la vérité. Le directoire ne fit publier aucun rapport, ni aucune des relations de Macdonald, malgré les réclamations de ce général. Ce parti est peut-ètre préf'érable a celui que prennent ordinairement les généraux , d'annoncer une bataille sangjante, . oü l'ennemi, supérieur en nombre, a combattu avec acharnement, et disputé long-tems la victoire, et oü, par Un prodige inconcevable, ou n'a cependant qu'un ou deux tués , avec quelques blessés. Pour une nation éclairée , qui lit et raisonne, la meilleure politique seroit, au au reste , de dire toujours la vérité : le peuple et les soldats , qu'on ne veut point effaroucher par des pertes , lisent rarement les gazettes ; et ceux qui les lisent supposeront les malheurs plus grands, aussi-tót que vous mentirez pour les leur cacher.  ( ) parmi lesquels se trouvoient plusieurs généraux, déposés a Plaisance. Les Austro-Russes le suivirent dès le lendeniain , et Rosemberg atteignit sou arrière-garde au passage de la Nura. La il eut la gloire de faire prisonnière une partie de la dix-septième demi-brigade, formée du ci-devant régiment d'Auvergne si célèbre dans les annales militaires. C'est ainsi que se termina 1'une des batadies les plus longues, les plus sanglantes et les plus dispulées, qui aient eu lieu durant la guerre de la liberté. Les Francais ne purent vaincre, mais ils ne furent point vaincus. Ils étoient trés-inférieurs en nombre a leurs ennemis, atténués par une marche pénible et périlleuse,affoiblispar les combatsprécédens, manquantde vivres et d'habillemens, environnés de peuples soulevés contre eux: leur armée n'avoit ni la sécurité ni la confiance de celle des coalisés. Macdonald, se retirant de i'autre cöté des Appenins, revint alors au premier plan dont son ardeur 1'avoil écarté,  C H9 ) et il opéra sa jonclion avec Moreau, en remontant la rivière de Gênes. La célérité de sa marche , et les passages avantageux des montagnes que son arrière - garde défendit toujours, empêchèrent les ennemis d'achever sa défaite • mais il semble que le dénüment de sou armée , le mécontentement général , et la désorganisation du gouvernement exéculèrent ce que l'ennemi n'avoit pu effectuer, Cependant Moreau avoit fait un mouvement pour seconder l'armée de Naples j mais ce mouvement ne parut point comhiné avec les attaques de Macdonald, qui les commenca a une distance e t a une époque oü il ne pouvoit recevoir aucun secours. On saura un jour si la jalousie , cette ennemie éternelle de la gloire des héros et du succes des plus grandes entreprises, fut la cause de ces revers:en attendant, la déclaration d'un homme comme Moreau döit prévaloir sur les raisonnemens des politiques et des historiens. « Si ces opérations, écrivoitce général aMac-  ( 2Öo ) donald, n'ont pas eu tout le succes qu7on pouvoit s'en promettre , la cause en est que vous n'aviez pas trente mille hommes y et que je rten avois que dix mille, que tout le pays étoit soulevé contre nous, et que l'ennemi y avoit soixante et dix mille hommes. Avec une pareille disproportion de forces, c'est sans doute faire beaucoup que d'éviter une défaite. » Quoiqu'il en soit, ce ne fut que le lendemain de la bataille que Moreau, s'étant avancé , par la Bochetla , dans la plaine d'Alexandrie avec ses dix mille hommes, attaqua le maréchal de Bellegarde , et lui fit lever le siége de Tortone, en le forcant a repasser la Boimiida. Moreau s'avanca ensuite a marches forcées jusqu'aux bords de la Scrivia, oü il arriva le 25 juin , et apprit le malheureux succes de la bataille du 18 et du 19. N'étant point en état de rétablir les affaires avec sa petite armee, il se retiraparNovi, et reprit sa première position. Souworow , informé de sa marche , avoit aussitót abandonné la poursuite de  ( *5ï ) Macdonald, pour venir le combattre. Rien de plus étonnant que 1'infatigable activité de ce vieillard, courant nuitet jour d'une extrémité de la Lombardie aux frontières du Piémont dans unemauvaise charretle; il faisoit mouvoir l'armée autrichienne avec une rapidité qu'elle ne connoissoit pas. On a cependant remarqué que Souworow en Italië ne se montra plus sur le cbamp de bataille , comme il avoit coutume de le faire en Moldavië et en Pologne ; soit que la supériorité de Partillerie des Francais, la vivacité de leurs mouvemens et 1'adresse de leurs tirailleurs lui inspirassent de la prudence ; soit que se voyant généralissime dans une guerre dont le triomphe sembloit dépendre de sa fortune et de la confiance qu'elle inspiroit, il crut dcvoir la ménager ; il se conduisit avec une circonspection qu'on ne lui connoissoit point , mais qui n'influa en rien sur 1'audace et la celérité de ses manoeuvres , ni sur la promplilude de ses résolutions. Ses propos devinrent plus grossiers et plus fanfarons, ses ordres plus  ( 252 ) tlespotiques, et ses proclamations plus orgueilleuses (i). ( i ) J'eusse rapporté dans cette note plusieurs des proclamations de Souworow en Italië ; mais je n'y trouve pas son cachet caractéristique : elles out, pour la plupart, été faites par les Autrichiens et les Italiens , et paroissent souvent des parodies de celles que-les Francais eux-mêmes avoient publiées. Voici cependant deux pièces qui me paroissent plus originales. Proclamation du feld - maréchal Souworow , du. 2 mai 1799. « L'armée victorieuse de 1'empereur apostolique et =» romain est ici. Elle combat uniquement pour Ie » rétablissement de la sainte religion, du clergé , de la » noblesse , et de 1'antique gouvernement de 1'Italie. » Peuples! unissez-vous a nous pour Dieu et pour la » foi. Nous sommes arrivés avec une grande puissance » a Milan et a Plaisance pour vous secourir. » Signé, Souworow. 'Aux habitans des valides de Lucerne et de SaintMartin. « Peuples! quel parti avez-vous embrassé ? Campa le point qu'il avoit ébranlé, au lieu d'en; aller attaquer un autre oü son écueil étoit marqué par les destins ? II est a remarquer pourtant, sans vouloir diminuer sa gloire, ou plutöt 1'ascendant de sa fortune, que son départ, i loin de cbanger les choses en Italië, sem, bla au contraire y laisser la victoire au1 prés des Autrichiens, oüil 1'avoit trouvée en arrivant. Ils achevèrent la campagne avec des succès plus marqués encore; et les soldats francais (I ), après avoir com- aveugle dans ce Dieu , et, plus que tout autre, il servit a en propager la croyance. Depuis prés d'uu siècle , les Russes n'avoient pas perdu de bataille rangée : celle de Zurich a seule détruit 1'enchantement. ( i) On s'étoit plu a répandre dans les armées francaises les bruits les plus effrayans sur la conformation et la férocité des Russes. C'étoient, a entendre leur partisans secrets , des géans , des ogres , des Briarées. Nous verrons s'ils ont quatre bras , disoit un soldat francais , enmarchant a la première renèontre pour les combattre. JEh bien! ils n'en ont que deux , et n» savent pas s'en servir, dit-il ensuite. Les premiers prisonniers que 1'on fit, achevèrent de détromper sur leur compte. On fut étonné de voir des hommes moins grands et moins  ( 262 ) battu les Russes en deuxbataillesmalheureuses, les craignirent beaucoup moins qu'avant de les avoir vus. aguerris que les Autrichiens, et dont le feu étoit bien moins meurtrier : mais on reconnut bientót eombien ils étoient redoutables par cette abnégation d'eux-mêmes , et ce mépris de la mort avec lequel ils marchent au combat. Tout confirme le mot de Frédéric : II est plus difjicile de les tuer que de les vaincre.  E XPÉDITIONS CONTRE LES FRANCAIS. II. Ei* H e l v é t ie. Vastesentreprisesdela Russie. Ses quatre armées. Marche de la seconde. Ses chefs. Rimshy-Korsakow. Motifs particuliers de Paul. Les Russes en Suisse. Helpétiens modernes. Danger de la France. Les Russes et les Francais enprésence. Bataille de Zurich. Traits de valeur opinidtre des Russes. Leur défaite. Souworow passé les monts. Détails sur sa marche. Ilrepousse Lecourbe, rappelle les Russes au combat. Sa retraite. Ses singularités. Son chagrin. Prisonniers russes. Catastrophe en Hollande. Indignation de Paul I. Sa conduite incertaine et violente. Rappel et mort de Souworow. Parallèle. Triomphe de Paul. Foi britannique. Traité violé. Quoique, depuis un siècle, les Russes se soient distingués par les entreprises les plus extrac-rdinaires , leurs expéditions  C 264 ) contre la France ont surtout répondu a 1'idee gigantesque, attachée a eet empire immense. Elles suffiroient seules pourdistinguer le règne bizarre et rapide de Paul I; et si elles eussent été couronnées du succès , les merveilles et les créations de Pierre legrand, les vastes projets et les triomphes de Catherine II , eussent été effaces par des événemens plus surprenans. LeNord tout entier se rouloit sur le Midi3 la plus effrayante révolution s'opéroit. La Russie fut devenue 1'arbitre du monde j et Paul, le restaurateur du despotisme et de la barbarie , eut renchainé les peuples a la glèbe de la féodalitè et k 1'autel de la superslilion. A la voix de eet au tocrate, quatre armées s'élancèrent des confins de 1'Asie, pour venir, par des chemins différens, subjuguer et détruire la république naissanle; et eet effort puissant d'un empire dix fois plus grand lui seul que la France entière, n'étoit cependant que le secours auxiliaire qui devoit seconder la nouvelle coalition dans sa première campagne. Deux de ces  ( 265 ) armées traversèrent la Pologne,la Bohème, la Moravie et le Sud de lAllemagne, pour pénétrer en mème tems en France par 1'Est et le Midi: les deux autres , portées, par des flottes redoutahles, sur les mers opposées qui emhrassent 1'Europe , devoient reconquérir les iles de la Grèce, Naples, Malthe et la Holiande. C'est ainsi que la Russie, étendaut ses longs hras, sembioit déja saisir sa proie de tous cötés , pour 1'étouffer, en mème tems qu'elle la f'rapperoit au cceur. Aussi 1'on a vu que Paul ne doutoit nullement du succès. Nous avons résolu, ditil dans son manifeste, nous et nos alliés , de détruire le gouvernement impie qui domine en France. Certes , s'il y eut un moment oü les coalisés , les émigrés , et tous les ennemis de la France et de sa cause sublime , cessèrent de paroitre extravagans , en croyant fermement a la contrerévolution, ce fut celui oü les deux empires d'Orient se joignirent encore a celui d'Allemagne et a une coalition déja si formidable, pour renouveler, avec des  forces qui n'avoient point encore été compromises , cette lutte terrible contre une nation déja épuisée par huit ans d'efforts f de combats et de victoires. L'on sait avec quel succes Souworow réunit la première armée russe k celle des Autrichiens , vainqueurs en Italië , et la conduisit presque jusqu'aux frontières de Pancienne France: nous allons maintenant jeter un coup-d'ceil rapide sur la marche et les exploits de la seconde, et sur la catastrophe de Pexpédition entière , qui, en dépit de tant d'espérances de la part de tous ceux qui, par principes ou par intérêt, détestentle nouvel ordre de choses, finit comme celles qui Pavoient précédée. L'armée russe qui marchoit sur le Rhin , d'après les états publiés en Autriche pour régler sa route, étoit forte deplus de quarante mille hommes de 1'élite des troupes russes. Elle étoit surtout composée de ces. fameux bataillons de grenadiers, qu'avoit formés Potemkin , et qui avoient livré ces sanglans assauts d Otschakow et d' Ysmdih c'étoit en partie l'armée qui revenoit de  ( *67 ) 1'expédition de Perse; et il y avoit des régimens qui, deux ans auparavant, étoient partis des embouchures de la Néva et de la Dwina, pour se rendre aux rives de 1'Araxe, et qui de la revenoient immédiatement auxbordsdu Rhin.Quel'on calcule les cötés de 1'angle immense qu'avoient parcouru ces troupes , et que plusieurs corps fermèrent, après avoir traversé toute la France, pour retourner au point d'oii ils étoient partis (i). Cette armée n'étoit point encore a sa destination , qu'elle avoit déja changé ( i) Les prisonniers russes, faits en Italië et en Suisse, ont la plupart traversé la France, pour venir dans les Pays-Bas se joindre a ceux faits en Hollande, et de la passer le Rhin k Cologne , d'ou ils se rendent en Russie, a travers 1'Allemagne, la Silésie et la Pologne. Plusieurs ïndividus feront consécutivement, de cette manière, environ 3ooo lieues de chemiu a pied : c'est le diamètre du globe. Suivez sur la carte cette route immense : de Fétersbourg ou d1'Arckangel, a Samacliy en Perse ; de la k Novi et dans le Piémont; de la a Lille en Flandre; de la a Cologne ; de la a Brzesc en Pologne , pour se rendre a leurs corps respectifs , soit de nouveau aux froatières de Perse, soit au nord du vaste empire de Russie.  ( 268 ) quatre fois de chef. Paul 1'avoit d'abord; fait rassembler sous les ordres du prince \Galitzin, ce mème général qui avoit commandé en Courlande et en Lithuanie durant la guerre de Pologne , et qui joignoït aux qualités d'un excellent officier celles d'un homme instruitethumain : mais Paul ne ie trouvoit pas assez grand manipulateur de troupes; et il luisubstitua le général Jrlermann , dont la destmation fut bientöt changée. Le comte Schembach,~Polona.[s, lui succéda ; et Rhimsky-Kor-sakow fut nommé définitivementchefde cette grande expédition. Ce Korsakow , que 1'on a confondu mal-a-propos avec un ancien favori de Catherine du même nom , qui vieillit a Moscou, avoit été major du régiment des gardes Séménowsky, dontNicolas Soltykow étoit lieutenant-colonel (i). II s'étoit alors distingué par 1'excellenle tenue de ce beau régiment, et par la précision et (i) Les régimens des gardes n'ont que des lieutenanseolonels : les impératriees ou les empereurs en sou; toujours eux-mémes les colonels en pied.  ( 269 ) Pexactitude de ses évolutions. Korsakow avoit ensuite été nommé par 1'impératrice pour accompagner le comte d'Arlois sur la frégate qui ie reconduisit en Angleterre (i). Après avoir passé quelque tems Cl) Pour reconduire le comte d'Artois co Afgieten e 1'impératrice Catherine fit équiper magnifiquement li frégate la Vénus, qui avoit été prise sur les Suédois. Elle vouloit faire parade de cette conquête. Je crois avoir dit ailleurs eombien elle fit de politesses au malheureux prince francais, qui étoit venu la visiter. La veille de •son départ, elle lui envoya quarante mille roubles en argent, et une cassette remplie de montres et d'autres bijoux , avec ce billet délicat: Votre altesse royale, d la veille de son départ, voudra sans doute faire quelques petits présens aux personnesquil'ontenvironnée et servie durant son sêjour ici. Mals, comme vous le savez, monsieur le comte, f ai défendu tout commerce , et toute communication avec votre malheureuse France. C'est en vain que vous cher■cheriez d acheler ces bagatelles dans la ville : il ne s'en. trouve plus en Russie que dans mon cabinet. J'espère donc que votre altesse royale agréera celles-ci, de la part de son affectionnée amie Catherine. 11 faut avouer que voila, une manière bien gracieuse .etbien noble de faire des présens, et d'en prescrire 1'em.ploi a un prince, qui, bien loin d'étre en état de faire lui-même ces cadeaux d'usage dans le Nord, étoit venu •y réclamer des secours pécuuiaires.  C 27° ) a Londres, il débarqua en Flandre, et se rendit auprès du prince de Cobourg , qui commandoit alors l'armée autrichienne : il fut témoin de la sanglante bataille de 1794, etrevint en rendre compte a 1'impératrice. II 1'assuroit que les mauvaises dispositions et Ie mauvais esprit des troupes autrichiennes étoient les seules causes de leurs désastres; que les Francais n'étoient nullement redoutables a des troupes bien disciplinées, et qu'il suffiroit d'un corps d'armée russe pour les mettre a la raison, aussitót que Sa Majesté Impériale le jugeroit convenable. Catherine envoya Korsakow a l'armée de Perse, pour y servir sous les ordres du jeune Zoubow , ainsi que le jeune Christophore Liéwen qui 1'avoit aceompagné dans son voyage en Angleterre et aux Pays-Bas. A 1'avénement de Paul I, Korsakow fut rappelé et disgracié , comme la plupart de ceux qui avoient fait cette guerre ; mais son goüt et ses talens pour les exercices militaires lefirent bientöt rentrer dans les bonnes graces de son maitre :1e soin qu'il prit alors de ne paroitre /  ( *7ï ) qu'un simple écolier de 1'empereur, et de faire exécuter avec admiration tous les changemensfutiles que ce prince introduisoit journjeliement dans le maniement des armes, gagnèrent sa confiance. Korsakow eut occasion d'entretenir Paul de la campagne de 1794, de lui détailler les fautes des généraux autrichiens, et surtout les défauts de leurs manceuvres et de leur tactique ; il disoit son avis sur celle qu'il falloit employer pour hattre et réduire facilement les Francais , dont il exagéroit la mauvaise tenue et 1'indiscipline (1). ii ne s'agissoit, selon lui, que d'ètre fidéle et scrupuleux observateur du nouveau régiement militaire. Paul crut avoir trouvé le général qu'il lui falloit, pour mettre en évidence la supériorité de son nouveau systèmecar Souwarow ne s'y astreignoit pas, et 1'empereur voyoit avec une espèce (I) Lés Francais, selon Korsakow, ne savoient ni se tenir droit, ni marcher, ni s'alligner, ni conserver les distances, ni se former en bataillons quarrés, ni manceuvrer en ligne oblique, etc., etc Tel* étoieat les propos de ce tacticien.  C 272 ) de dépit, qu'il ne pouvoit bien cacher, les succes dece vieuxguerrier, qui prétendoit Vaincre comme il avoit vaincu, sans guêtres, sans queues , et sans pwfWf 1'épée derrière le dos (i). (i) Quand on parle d'un nouveau systême militaire de Paul I , il ne faut pas croire qu'il s'agisse d'un systême nouveau , comme en avoit projeté le maréchal de Saxe , comme en exécuta le grand Frédéric, et moins encore d'une tactique nouvelle , comme celle que proj>osa Guibert, ou celle que les Francais ont déployée dans cette dernière guerre. On sait que tout changement subit dans 1'art de tuer son prockain , füt-il d'ailleurs défectueux , déconcerte toujours un ennemi routinier, et a, par cela même , un grand avantage pour celui qui le met en usage. Les meilleurs généraux ont été souvent la dupe de ces innovations , comme le maitre d'escrime est quelquefois percé par le novice courageux, qui avance sur lui sans consulter les régies de Part. C'est sous ce rapport que le grand Frédéric jugeoit le général russe Boutoui iui le plus dangereux de ses adversaires. On ne peut faire, disoit ce roi guerrier, aucun plan de défense contre eet homme- ld; il agit toujours d'une manière opposée d toute supposition raisonnable. Frédéric attribuoit cette conduite a 1'ignorance : peut-étre étoit-ce le résultat d'une réflexion lumineuse. Boutourlin pouvoit se dire : En attaquant ce grand-maitre , d'après les régies qu'il connoit si bien, je serai battu ; j'ai donc moins a risquer en les enfreignant toutes.  C273 ) Korsakow recuten co nséquence 1'ordre d'agir de concert avec 1'archiduc Charles C'est le même raisonnement, ou plutót le même instinct, qui a fait si souvent vaincre Souworow. II attaquoit le point jugé inattaquable , il choisissoit l^route la I plus difficile; et son premier mouvement, dans la plus Heureuse position , étoit quelquefois celui qu'un autre géuéral n'auroit fait que dans un cas désespéré. Quant a Paul I , de qui nous voulions proprement parler dans cette note , son systême militaire ne consis-i toit qu'a faire monter dans son palais la garde, un peu 1 différemment qu'on ne 1'avoit fait auparavant : une .! pedanterie minutieuse dans le maniement des armes, un ordre et des détails insignifians a la parade journalière, et aux revues coutinuelles qu'il faisoit de ses troupes , absorboient toute son activité. II déployoit une sao-acité I merveilleuse en raisonnant sur le nombre des boutonS d'un habit, sur la position du pouce en tenant le fosil, sur la forme d'un chapeau , etc., etc. Voici un exemple d'un changement plus raisonné qu'il a fait dans les armées russes. La cocarde, jusqu'a son règne, avoit été blanche. Un jour a 1'exercice, en contemplant le front d'un régiment, il tombe tout-a-coup dans une profonde méditation. Parblen ! s'écria-t-il, il est bien étonnant qu'on n'ait pas pensé a une chose qui me frappe. La cocarde blanche se voit de loin sur le chapeau noïr; elle sert de point de mire a l'ennemi : il faut ia chanoer. Jl roulut d'abord qu'elle lót verte sur un chapeau bleu de ciel, dont la couleur se fut confondue dans celle de Pair: mais il trouva plus sur de consuiter l?s régies du blasoa, O. s  ( ^74 ) pour le plan général de la campagne, mais de combattre toujours séparément avec l'armée russe, pour ne point mélanger ses exploits et sa gloire avec celle des Autrichiens , comme cela arrivoit en Italië oü les Russesn'étoientqu un corps auxiliaire. La marche de l'armée fut retardée pour lui apprendre 1'exercice dans la dernière perfection. Paul lui-même fit un voyage pour passer différens corps en revue, et il mit toute son affection dans ces troupes que lui-même avoit réorganisées. Ces dispositions ne contribuèrent pas peu a la mésintelligence qui régna bientöt entre les deux armées alliées, et k la catastrophe de la campagne. pour ne pas les offenser. Nicolaïeut ordre de lui apporter tous les traités de cette science sublime. Comme les armes de la Russie sont un aigle de sable en champ d'or, la cocarde fut définitivement noire avec un liseré iaune. De la ces chapeaux étranges , que nous avons admiré» en voyant les Russes. Mais il est k remarquer qu'au même instant oü il substituoit la cocarde noire a la blanche , il donnoit aux soldats des vestes et des culottes de cette dernière couleur, qui ressortissent d'autant mieux «ntre les guêtres noires et Phabit vert foncé.  ( 275 ) Elle s'étoit ouverte en Allemagne et en Helvétie, avec le même succès pour les Autrichiens qu'en Italië; et certes il faut convenir que cette campagne de 1'an 7 est pour eux la plus glorieuse de cette guerre, et balance les succès les plus brillans qu'aient eus les Francais. II est même a remarquer qu'aucune n'avoit encore eu des avantages aussi constans, aussi suivis; car il ne se livra point de bataille oü la victoire ne sedéclarat en leur faveur. Au moment de 1'arrivée des Russes en Allemagne, elle sembloit même avoir trahipour eux Masséna, son favori. Après avoir repoussé Jourdan a Ostrach et a Stokach, 1'archiduc Charles, dont la destination semble avoir été de ne céder qu'a 1'ascendant de Bonaparte et de Moreau , et de donner la paix a 1'Allemagne lorsqu'on 1'appeloit trop tard pour lui rendre la victoire, ayant passé le Rhin, repoussa également Masséna au dela de 1'Aar et de la Limmat; et les Autrichiens, maitres de Zurich, se trouvoient déja au  ( s76 ) «entre de 1'Helvetie, partagée en leur favëür. Ou ne s'attendoit pas a voir encore les Russes suivre en Suisse, comme en Italië, le chemin frayé par leurs alliés. II est ceriain que le haut et le bas-Rhin leur offroient un théatre nouveau , oü ils eussent pu avec plus de gloire faire une diversion plus funeste a la France. On a pensé que les forleresses, dont cette frontière est hérissée, leur avoient paru des obstacles plus difficiles a surmonter que lés monts belvéliens ; et en effet les Russes sont plus aptes a emporter, dans un pays coupé, des postes a la haïonnette , qu'a faire des siéges réguliers , pour lesquels ils n'avoient pas le train nécessaire, ou a livrer des batailles i-angées en plaine, oü la cavalerie et la supériorité de 1'artillerie francaise eussent pu détruire 1'exceilente infanterie qui fait la force et la gloire de leurs armées. Mais ce ne furent point ces motifs raisonnés qui déterminèrent Paul I. Avant d'ètre in-  ( 277 ) formé des victoires du prince Charles, il avoit pris sur lui d'expulser les Francais de la Suisse, etd'y rétahlir Pancien ordre de choses. Son courroux contre la Harpe, dont la conduite et Pélévation au directoire Pindignoient, Pavoit surtout confirmé dans cette résolulion. 11 étoit outré de voir ce simple particulier, qui avoit osé a sa cour professer des sentimens répuhlicains, triompher, et rivaliser, pour ainsi dire, d'intluence avec les souverains (i). On a déja répété que les pas- C i) La haine de Paul étoit bien gratuite. Personne ne rendit de plus grands services <\ Paul que la Harpe , et il lui doit peut- être d'avoir régné. On a parlé, dans le second volume, de Pestime et de la confiance dont Catherine honoroit te précepteur de ses petiis-fils. Lorsqu'elle méditoit le projet de transmettre directement la couronre a Alexandre , elle sonda plusieurs fois la Harpe , pour pénétrer ses dispositions. Ces entretiens particuliers avoient sur-tout lieu quand Paul choquoit 1'impératrice ou la cour par quelques traits de son earactère bizarre. « Dites-moi donc , mon cher la Harpe , disoit alors Catherine, que pensez-vous de ce fou-ia? (c'est ainsi qu'elle nommoit son iris). Et que deviendra la Russie, s'il règne un jour? C'est cette idéé qni me tourmente Quelle diflérence entre lui et son file Alexandre ! Cet  C ^ ) sions personnelles de Paul sont toujours les vrais motifs de sa conduite politique : mais il est nécessaire de ne point oublier un instant cette disposition de son aimable enfant me console, et me rassure pour 1'avenir. Pourquoi est-ii si jeune encore? AKI je vous en prie , si son esprit précoce lui permet déja de remarquer les lubies de son père , que ce soit au moins pour les éviter; faites-lui en sentir les dangers et Ie ridicule dans un homme né pour régner, et donnez-lui sur-tout un peu de hardiesse et d'assurance : il est bon de le préparer aux démarches que Ia conduite de son père nécessitera peutêtre , etc. 33 . . C'est par de semblables propos que Catherine les préparoit elle-même. La Harpe lui avoit été présenté et recommandé par Lanskoï, le plus cher de ses favoris : elle avoit en lui une confiance entière, qu'il justifia , non en stimulant 1'ambition de son jeune élève aux dépens de sa moralité , mais en lui apprenant a conrili r les devoirs que lui imposoit la nature envers un père, avec ses lumières et sa raison. Après le départ du colonel la Harpe et 1'expulsion du major Masson, tous ceux qui avoient eu quelques liaisons avec eux , se virent exposés aux mêmes persécutions. M. de Sibourg, précepteur des grandes-duchesses , ainsi que M. du Pujet, bibliothécaire de 1'impératrice, soupconnés d'entretenir des correspondances en Suisse, leur patrie, furent enlevés et conduits en Sibérie. Mais Paul I". les rappela ensuite, et les dédommagea même de cette punition arbitraire et terrible.  C 279 ) caractère, pour en concilier toutes les contradictions apparentes, et pour en concevoir toutes les bizarreries. Les Russes, que le prince Charles attendoit pour quitter PHelvétie , n*y furent pas plutöt arrivés , qu'ils passèrent aux i avant -postes , et parierent de livrer bataille sur-le-ehamp. Korsakow ne fit quesourire a ce qu?ön lui raconta de l'armée de Masséna , de sa vigoureuse résistance , et de la position formidable qu'il occupoit. II s'exprima avec une telle présomplion en faveur de-son armée, une telle indifFérence envers les Autrichiens , et un tel' mépris pour les Francais , que 1'archiduc Charles, imaginant cependant qu'il yavoitquelques difficultés et quelque gloire a i vaincre ces derniers, futchoqué de ce toni léger et suffisant. II se hata de laisser le I champ libre aux Russes, et marcha, avec : 1'élite de l'armée autrichienne, au secours, i de Philisbourg menacé par les Francais. II ne laissa qu'un corps de troupes , sous le commandementdu général Hotze ,quiformoit l'aile droite de l'armée russe, et s'ef-  ( 280 ) forcoit de grossir la sienne, en y ralliant tous les Suisses, qui, comme lui, ne rougissoient pas d'emmener des hordes étrangères, et de plonger le fer dans le sein de leur malheureuse patrie (i). Voiladonc une armee de quarante mille Russes transportée toutacoup aucceur de la Suisse. De tous les événemens extraordinaires, amenés par la révolution, certes , celui-ci n'est pas le moins étonnant, ni le moins imprévu. Si 1'on pense au prétexte spécieuxqui conduisoit cesHyperboréens dans la patrie des Teil, des Winkelried et des de Tlue, on ne pourra que s'étonner davantage: c'est la liberté , la religion , 1'ordre social et le bien public , qu'ils étoient appelés a rétablir. Lorsque le tems aura effacé les intéréts secondaires et les (1) Hotze a, je crois, donné le premier et 1'unique exemple d'un Helvétien commandant une armee étrangère contre son pays. Si toutes les vertus républicaines furent, dans les tems modernes, 1'apauage prescjue exclusif de cette brave nation , il lui étoit aussi réservé de ïnontrcr, a la fin du dix-huitième siècle , tous les vices qui ont caractérisó les peuples les plus corrompus et les plus dégénérés.  C 281 ) passions qui ont lié entre eux des événemens aussi étrangers, et des résuliats aussi disparates, on sera porté a les révoquer en doute, et 1'on contemplera, avec une stupide admiration, le vide immense qui les séparera. Mais ce qui doit nous confondre aujourd'hui, a la honte de 1'humanité et méme de la gloire , c'est que la conduite des Francais a pu faire un instant douler qui d'eux ou des Russes étoient en efFet les véritables lihérateurs de la Suisse. La question est décidée aux yeux de 1'homme impartial: tous deux en furent les spoliateurs. Mais la corruption et le vénal avilissement des enfans dégénérés de Teil décidèrent, dans le principe, en faveur des coalisés, et 1'on vit ensuite des villes helvétiennes former hautement des vceux pour Souworow. I;e reste d'amour antique de la patrie , et de zèle généreux , mais égaré, qui avoit emhrasé une partie de la Suisse a la première invasion des Francais , qui avoient armé les femmes et les enfans pour défendre 1'intégralité de ce sol chéri, oü la véritable liberté  ( iSz ) s'arrèta jadis au milieu des mceurs simples et des vertus austères , sembloit s'ètre épuisé a ce deruier effort , comme un flambeau qui jèle, en s'éteignant, sa dernière lueur. Les Helvétiens modernes avoient recu en plusieurs endroits, comme des protecteurs qui venoient les afFranchir, ces Autrichiens , leurs ennemis héréditaires, ces Autrichiens qu'ils apprenoient a haïr dès le berceau, et a vaincre dès leurs premiers jeux. Et ces montagnards libres et fiers , ces citadins naguères si orgueilleux , qui regardoient avec mépris et compassionles peuples enchainés, ces mémes républicains, qui retrouvèrent une partie de leur sauvage énergie pour massacrer les Francais, ces fils ainés de la liberté enfin , se laissèrent impunément piller etmaltraiter par des hordes de Cosaques, et baissèrent leur front avili devant des esclaves (r). (0 Je n'emploie pas ici le mot (Yesclave dans le sens animé qu'on lui donnoit durant Pardeur de la révolution , pour désigner avec mépris tous les soldats et les sujets des rois, C'est au sens modéré, propre et véri-  ( a83") Quel contraste entre le génie et les hiceurs des Helvétiens des quatorzième et quinzième siècles, et ceux du dix - huitième! Que 1'on compare la Suisse resserrée encore dans ses étroites limites, pauvre et presque barbare , engloutissant tour-atour dans ses vallées, tombeauxdetous ses ennemis, les puissantes armées des empereurs et des ducs d'Autricbe, et celles plus formidables encore de Charles le témé- table qu'il faut les prendre. Les Russes sont malheureusement esclaves, dans la plus simple et la plus claire signification de ce mot, qu'il est si honteux d'appliquer a des hommes. Mais il seroit lache et ridicule d'en employer un autre. Qu'est-ce qu'un esclave? C'est un homme qui appartient a un autre homme. Le Russe , d'après cette définition précise , est doublement esclave. II appartient d'abord , lui, sa femme et ses enfans , a son maïtre et seigneur, qui peut en disposer k son gré , le vendre , le battre, le laisser mourir de faim , et mème le tuer avec de certaines précautions. II appartient encore, ainsi que son maitre, a l'empereur, qui peut, a son tour, en disposer sans aucune restriction. Les usages , les préjugés , 1'intérêt, la générosité ou 1'urbanité du maitre et du souverain , peuvent seuls donner quelques formes douces et humaines a eet esclavagc illimité.  ( *84 ) raire, avec cette raeme Suisse, envahie et spoliée par tous ies partis , ne servant plus que de champ - clos a des armées étrangères qui venoient s'y détruire ! On nedaignoitméme plus compter pour quelque cliose ces peuplades jadis si belliqueuses, quicomposoient naguères encore la meilleure infanterie de plusieurs puissances de 1'Europe. Cette fameuse Helvétie , qui avoit enfanté en quelques jours des troupes suffisantes pour arrèter les efforts de la France sous Charles VII, et pour détruire cette multitude d'Anglais , d'Italiens, de Beiges et de Bourguignons, qui vouloient 1'envahir et la subjuguer ; cette mème Helvétie, qui envoyoit pres de trente mille hommes de ses citoyens se laisser égorger a la solde de 1'étranger, n'en trouva plus pour se défendre. Elle leur avoit appris elle - même a ne verser leur sang que pour de l'argent; elle n'en n'avoit point a leur offrir, et fut enfin punie de son crime par ce même crime. Jamais on ne put remplir le tiers d'un  ( s85 ) cadre de dix - huit mille hommes pour s'unirauxFrancais (a). Divisés d'inlérêts, d'opinions , subjugués avant d'avoir su se réunir, lesSuisses furent ainsi victimes des vices de leur confédération antique , de leur vénalité, de 1'orgueil de leurs gouvernemens, mais principalement de FaristocratieimpardonuabledeceluideBerne(i). (a) Les milices , ou troupes d'élite , désertèrent leurs drapeaux , lorsqu'on voulut les conduire a l'ennemi ; et les mécontens enrégimentés et soudoyés par 1'Angleterre, pour asservir leur patrie , furent presque les seuls qui se complétèrent et qui combattirent. Pitt, avec ses guinées, eut pu faire égorger une moitie de cette nation déchue , par 1'autre moitié. (i) Oui, je crois fermement que les malheurs de la Suisse ont leur véritable source dan* 1'orgueil, 1'immoralité politique , la vénalité des Bernois. Je n'entreprendrai point d'excuser la spoliation de la Suisse, ordonnée par le directoire francais. Mais qu'on se rappelle les premiers beaux jours de la révolution ! Une nation asservie, voisine et antique alliée de 1'Helvétie, veut réformer des abus qui appesantissentsurelle un joug honteux.Tous les peuples qui ont un gouvernement libéral, tous ceux qui chérissent la liberté et la philosophie, toutes les corporations qui s'intéressent aux progrès des lumières et aa bonheur de 1'humanité, s'empressent de témoigner la part qu'ils prennent a cette sublime révolutjoa. Les  C 286 ) Leurs montagnes, jusque-la inconquises, ne furent plus regardées que comme des Américains , les Anglais , les Bataves, les Polonais mêmes en témoignent leur joie publiquement. Les Suisses seuls , qui avoient donné a 1'Europe moderne le premier exemple d'un peuple qui s'affrancliit, laissent échapper leur chagrin de ce que le gouvernement francais , qui les protégé et lesnourrit depuis trois siècles, seréfbrme et s'améliore , leur jalousie et leur crainte de ce qu'une grande nation aspire a être libre comme eux. Les régences aristocratiques persécutent par-tout les hommes qui participent aux fëtes innocentes et sublimes de fa liberté renaissante , et affichent les principes sordides qui les dirigent , en se montrant exclusivement attachées a la monarchie absolue , en se prononcant par-tout en faveur des privileges , des émigrés et des despotes. Lorsqu'enfin la France triomphe de la première coafition, lorsque des rois ont fait la paix et reconnu la république, lorsque 1'Autriche traite avec elle , des bourgeois de Berne hésitent encore, et se vendent a 1'Angleterre, qui leur promet autant d'or que les despotes francais leur en avoient fourni. Je le demande k tous les hommes susceptibles de sentimens libéraux, ne s'attendoit-on pas a voir les Helvétiens, sinon embrasser dès le principe le parti de la révolution, du moins montrer le plus vif intérêt a cette grande cause , qui étoit celle de 1'humanité entière? Lorsqu'aucun crime ne 1'avoit encore souillée, lorsqu» les drapeaux américains et bataves flottoient entremêlés aux drapeaux tricolores, 1'ceildu philosophe ne cherchoitjl pas les bannière* des eofans de Teil ? Qu'on ne s'j  ( aSy ) postes militaires qu'il étoit important d'occuper. Depuis la fameuse époque de 1793 , la France n'avoit pas été dans une situation aussipérilleuse que celle oü elle se trouvoit a 1'arrivée des Russes en Helvétie. Eile n'avoit plus, pour se soutenir, ni ce premier enthousiasme de la liberté naissante, ni cette impulsion terrible qu'avoit donné la terreur. I/honneur national etl'amour de la patrie, dont 1'on avoit si indignement abusé , sembloient se llétrir et s'éteindre dansles cceurs. La Hollande étoit menacée, 1'Italie perdue, la Suisse a moitié conquise; la Suisse, ce boulevard naturel du cöté le trompe pas , c'est cette haine constante que les gouvernemens suisses montrèrent aux principes de la révolution , c'est leur partialité offensante en faveur des coa; lisés , qui ont été le premier ferment du levain dans le 1 coeur des Francais. C'est cette cause morale qui a enfanté i des prétextes politiques. La Suisse a été désenchantée , 1 spoliée, punie : la Suisse s'est attiré ses malheurs ; et, : jugement qu'il est douloureux de prononcer , la Suisse les a mérités. Si dans un autre monde, ilest une rémunération pour les particuliers, il en est une pour les gouyernemens et pour les peuples dans celui-ci,  ( 288 ) plusfoible, et que la France elle - mème avoit renversé dans ses convulsions anarchiques ! Les Russes arrivoient sur le champ de bataille, que les Francais avoient déja perdu , avec une réputation de courage et de férocité qui inspiroit l'effroi; et ils venoientde justiüer en Italië cette effrayanle réputation. Quelle nation plus terrible en effet, que celle qui réunit a ia férocité des barbares la discipline et la tactiqne des peuples policés ! Les armées francaises étoient détruites et dispersées • celle d'Helvétie étoit la seule qui n'eut point essuyé une défaite , quoiqu'elle eiit souffert plusieurs échecs. Eile semblo.it en ce moment le dernier appui de la république chancelante ; et ce n'étoit plus que dans son sein qu'on respiroit encore la confiance etle patriolisme. Les Francais et les Russes étoient en présence, et s'examinoient avec une curiosité réciproque(i). La Limmat, naguères (1) Le général L. . . ., qui a bien youlu me communiqner ses remiarques intéressantes sur la glorieuse cam-  ( 289 ) si heureuseetsi pcüsible, séparoit ces deux peuples célèbres et guerriers, qui alloient pagne qu'il a faite en Helvétie, s'exprime de cette manière , a 1'occasion des Cosaques. cc J'ai vu sur la rive droite de la Limmat, pendant que notre armee tenoit la gauche , des postes de Cosaques blottis ensemble de la manière la plus pittoresque : on les voyoit dévorer crus des alimens que 1'on a grand soir» de faire cuire dans tous les pays policés, comme la viande, les citrouilles , les concombres , etc. etc. La musique francaise venoit parfois jouer des airs guerriers sur les fcords naguères si heureux de cette belle Limmat. Alorsr ces Cosaques se relevoient spontanément pour danser eu rond , tandis que le factionnaire qu'ils avoient en avant, se tenoit appuyé sur sa lance, immobile comme un terme. En voyant pour la première fois ces étranges soldats , je me rappelois les voyages et les Hottentots de le Vaillant, ou de 1'Ecossais Bruce. Cette troupe est mal soignée , mal vêtue, et paroit plus a mépriser qu'elle ne 1'est en effet. II y a une différence sensible entre les Cosaques et les rógimens réguliers; et 1'on concoit difficilement, en les voyant les uns et les autres dans le même camp, qu'ils soient faits pour s'entendre et servir ensemble. Mais il existe une différence plus frappante encore entre tel officier et tel autre du mème régiment. Autant vous apercevez d'instruction , d'élégance et de politesse chea une certaine classe d'officiers russes , autant vous êtes surpris du contraire dans une autre classe. Ceux de cetta dernière ne se distinguent du simple Cosaque que par la marqué distincfciYe de leurgrade. » 3. t  C 290 ) hientót ensanglanter ses bords,et décider par une baladle a jamais mémorable , les destiuées du monde (1). Les Russes, de- Cettenote, qui prouve la sagacité de l'observateur, rappelle et confirme, d'une manière bien frappante , ce que nous avons remarqué dans le second volume, a l'oc>casion du caractère des Russes , qui semblent effectivement se partager en deux nations, par Péducatjioh et les mceurs. Quant aux Cosaques , le général francais ne les auroit pas trouvés si mal équipés, s'il les avoit vus , avant le règne de Paul, formés en régimens réguliers , par Potemkin. II sera curieus de voir, a cette occasion, le texte d'un oukase de Paul, du mois de novembre 1707, qui remet les Cosaques du Don sur l'ancien pied , en ces termes : cc Je confirme entièrement, et sans exception, 1'ancienue organisation des Cosaques du Don , et suis résolu de la remettre en vigueur, pour rétablir les formes antiques sous lesquelles les troupes du Don ont toujours été si otiles aux monarques et k la patrie. Pour ce qui regarde les abus et les changemens introduits par le prince Potemkin , c'est k vous , monsieur VAtaman, k détruire les premiers, et a moi a désapprouver les seconds, qui tendoient continuellement d renverser 1'ordre des choses dans la société. » En vertu de eet ordre, adressé au général Orlow, nommé Ataman des Cosaques du Don, leur ancienne constitution militaire a été rétablie. (1; Ne rapetissons pas les événemens , paree que nous les avons vus ; ne dénaturons pas les causes et les effets, paree que nous les connoissous : tachoas de nous dégager  f 291) puis pres d'un siècle , n'avoient point essuyé de défaites, et, vainqueurs tour-a-tour de ious les peuples du Nord etde 1'Orient, ils avoient cette confiance aveugle que donne 1'habitude de la victoire, et qui semble enfin 1'enchainer. Cette disposition étoit secondée par la haine qu'on leur avait inspirée, par ce fanatisme religieux qu'on avoit rallumé dans leurs cceurs , par la férocité naturelle et la discipline machinale qui seules pouvoient les faire vaincre. Les Francais , enorgueillis également par leur supériorité et leurs conquètes sur les peuples du Sud e t de 1' Occident, étoient presque aussi familiarisés avec les revers qu'aveclestriomphes, paree qu'ils avoient toujours combattu des peuples plus redoutables et plus aguerris. Un peuple, brave de toutes passions, de toutes préventions, jugeons comme la postérité jugera : elle dira qu'aiicuiie bataiile ne décida d'aussi grands intéréts, dans un moment aussi critique et aussi dangereux, que celle de Zurich. Si les Francais 1'eussent perdue , c'en étoit fait : Bonaparte arrivoit trop tard pour le bonlieur de la France et da 1'hunian.ité.  C 292 ) et instruit, qui sent et qui raisonne , qui sait qu'il peut ëtre vaincu, est plusa craindre encore que le peuple barbare et présomptueux qui ne 1'a point été. La bravoure personnelle , 1'honneur national, 1'orgueil de la liberté , remplacoient le fanatisme et le courage féroce. L'habileté des officiers francais équivaloit a la discipline servile etala tenace opiniatreté, qui distinguent les Russes: mais ceux-ci avoient undésavantage marqué; ils n'étoient point, comme leurs ennemis, conduit par un général célèbre, habitué a les mener a la victoire. Korsakow ne les avoit encore conduits que sur les places d'exercice , pour les faire manceuvrer eu parade ; et Masséna, compagnon d'armes et de gloire de Bonaparte, Masséna , le favori de la victoire, avoit cent fois guidé les Francais au combat. Quoiqu'ils fussent plus nombreux en Helvéiie que les Russes, comme leur front s'étendoit depuis les environs de Bale jusqu'au pied du Gothard , et que le général Flotze, et les Suisses qui partageoient sa  (393) honteuse trahison, tenoienten échec toute la droite de l'armée , il paroit que leur nombre fut a peine égal k celui des Russes au centre , oü ces derniers avoient réunis toutes leux'S troupes , et oü fut eonstamment 1'ame de la bataille. 11 n'entre point dans mon plan de la décrire; je me bornerai a en rapporter quelques traits -frappans et caractéristiques ( i ). Elle commenca le 3 vendémiaire an 7 ( 24 sept. 1799 ) dans le bassin de Zurich, oü les Francais descendirent des plateaux voisins pour attaquer les Russes , qui se préparoient eux-mèmes a livrer bataille, et qui en attendoient 1'ordre de Souworow; ils se trouvèrent par conséquent bien disposés a la recevoir. II s'agissoit d'abord de passer la Limmat , et d'entamer leurs (1) Je tiens les faits militaires, sur lesquels je passé rapidement, du général cpue j'ai déja cité. II a été témoin et acteur très-distin0aé de ces journées mémorables; et les notes manuscrites qu'il m'a communiquées, sont d'autant plus précieuses, qu'elles ont été faites sur le cliamp de bataille. Je me plairai k conserver ses expressions, qui portent 1'empreinte des choses, les couleurs locales , et le cachet ininiitable de la vérité.  ( ) bataillons rangés et immobiles comme des remparts , le long des bords. Le passage fut si rapide , et 1'altaque de front si hnpélueuse , que les assaillans renversèrent et détruisirent les premiers obstacles; mais 1'on vit a ce choc quels ennemis 1'on avoit a combattre. Quelques bataillons de ces braves grenadiers dont j'ai parlé, qui défendoient le point du passage vis-a-vis de Dietikon, après avoir été éclaircis par un feu terrible, furent forcés d'abandonner les bords du fleuve; ils se rallièrent aussitót dans une position de défense intermédiaire, et yarrétèrent long-tems la fougue des Francais. Forcés enfin dans ce poste, ils se rallièrent encore derrière leurs teutes; et la, épuisant leurs gibernes, et combattant sans vouloir se rendre, ces braves fanatiques tombèrent jusqu'au dernier , et moururent alignés (i). (i) Ce sont les expressions du même général francais, qui ne pouvoit trop admirer ce dévouement, en pensant avec douleur que la discipline machinale, la crainte servile et le fanatisme le plus barbare, peuvent produire les mêmes eflets que 1'enthousiasme le plus sublime et le plus généreux.  C *95 ) L'aile droite des Russes , du cöté de Bade, étoit couverte par un camp de Cosaques. La division , qui avoit ordre de faire une diversion de ces cötés , emporta le camp a la première attaque, et vint seeontler puissamment les efforts que 1'on faisoit au centre, oü la résistance prolongeoit le carnage, et oü 1'on emporta enfin les batteries russes , défendues avec eet acharnement désespéré (i) dont sont seules capables des troupes fanatisées. Les Russes, après des actes de valeur dignes de leur réputation, voyant leurs postes les mieux défendus et leurs batteries (i) Les canonniers et bombardiers russes, qui sont 1'élite de l'armée, en entrant dans 1'artillerie , font serment au drapeau de leur régiment et a la pièce qu'on leur confie : ils jurent avec imprécation , sur leur corps et sur leur ame , de ne point 1'abandonner et de Parroser de la dernière goutte de leur sang. Ils tinrent ce redoutable serment a la bataille de Fran fort, oii plusieurs recurent le coup mortel de la baïonnette prussienne , en embrassant leurs canons; ils le tinrent également a la bataille de Zurich, ou aucune batterie ne fut abandonnée, ou tous les canonniers et bombardiers se lirent massacrer autour de leurs affüts. J'ai vu le capitaiae coinman-  '( 296 ) emportésde viveforce, cédèrent Ie terrein; et Korsakow forma dans Ia plaine un gros de quatorze a quinze mille hommes en hataillon quarré. Cette manoeuvre favoritedes Russes, et qui leur avoit si souvent réussi pour repousser les attaques furieuses des Turcs, n'eut pas le mème succès contre des troupes qui chargent avec la mème furie et le même dësordre apparent, mais qui soumettentun effort simultané aux régies les plus exactes, et qui se rallient ou changent 1'ordre d'attaque avec la plus étonnante rapidité. Cette masse lourde et impénétrable faisoit reculer l'ennemi partout oü elle se portoit; mais les nuées de tirailleurs qui 1'assadloient, y exercoient un ravage continue!, et se replioient sans Ja fuif, pour éviterson feu, et pour en faire un plus dant d'une batterie, qui demeura vivant, lui quatrième de tous ceux qui 1'avoient ainsi défendue. II fallut terrasser les trois hommes qui lui restoient, et qui refWent de se rendre, même malgré ses ordres. Et ce brave homme tutcassé ainsi que tous les officiers faits prisonniers comme lui!  ( 297 ) meurtrier. Celui des Russes étoit trop machinal et trop régulier pour avoir beaucoup d'effet; il sembloit toujours subordonné a la voix des officiers qui servoit d'avertissement. L'arlillerie légere arrivoit au galop dans 1'intervalle, s'arrètoit a vingt pas du bataillon quarré, y vomissoit des torrens demitraille, et regagnoit aussitót une position sure, pour recharger les armes, et pour revenir avec la même célérité tirerenbrêche contre ce bastionmouvant ethérissé d'impuissantesbaïonnettes. Des files entières tomboient de front: des rangs entiers étoient renversés par les flancs. Les Russes fouloient aux pieds leurs frères expirans pour se serrer,etse maintenir en ordre, pour recharger par pelotons et pardivisions, pour combattre avec la même régularité qu'ils faisoient 1'exercice; et ils étoient frappés, et ils mouroient sur la place qu'ils avoient occupée. Lorsque lè feu destructeur des Francais eut,a plusieurs reprises, éclairci et mutilé cette masse d'hommes • lorsqu'un grand nombre des officiers et des bas-  ( ) officiers qui en étoient 1'ame eurent été ïnis hors de combat, le désordre et 1'effroi s'y introduisirent enfin. Les Francais, ordonnant une attaque générale, marchèrent au pas de charge, et la cavalerie acheva de la disperser. C'est alors seulement que la bataille fut décisive, et la victoire compléte; les vainqueurs entrèrent dans Zurich en y poursuivant les Russes, qui en étoient sortis pour se ranger et combattre dans la plaine. Korsakow avoit fait de cette ville son quartier général: les magasins, les blessés, les femmes, les équipages et une partie du train de l'armée , tombèrent au pouvoir du vainqueur;la caisse militaire avoit déja été prise durant la bataille (i). Les troupesfrancaises ethel- (i) L'avant-veille de la bataille de Zurich, le major Herms , commandant 1'escorte de la caisse militaire des Russes, étoit arrivé d'Augsbonrg avec soixante mille ducats de Hollande en espèces , et trois cent mille florins en monnoie d'argent. Le jour de la bataille , eet olficier fut envoyé un peu en arrière avec quatre-vingts chasseurs qui escortoient la caisse. Voyant, vers midi, les Russes aniver en désordre jusqu'a lui, il s'alarma , et courut auprës de Korsakow, pour lui demander 1'or-  ( 299 ) yétiques coramirent dans celte ville quelques désordres, provoqués par la chaleur die de mettre le trésor de l'armée en sureté. Jj vous donnerai eet ordre quand il en sera temps, répond le général; retournez a votre poste. A peine y fut-il de retour , qu'un détacliement d'une demi-brigade légère , ayant percé jusque-la, tomba sur son escorte, et fit main-basse sur la caisse. Le major rendit son épée a un Francais qui parloit allemand, et lui dermnda d'être conduit avec sa voiture au quartier-général. Non , monsieur , répond le soldat, vous viendrez a pied , et et la voiture restera ici ; car si nous la conduisions au quartier-général, elle seroit a la nation , au lieu que sur le cliamp de bataille, elle est a nous. Herms fut donc emmené loin de son trésor, et les captureurs mirent pied a terre pour défoncer les tonneaus., et y puiser a pleines mains 1'or et 1'argent dont ils remplissoient leurs poches. Comme ils étoient occupés a cette besogne lucrative, un parti de Cosaques et de chasseurs a pied russes fond sur eux , les tue ou les disperse , avant qu'ils puissent remonter k cheval, et s'approprie les restes de cette riche proie , avec lesquels ils s'enfuient a leur tour, a 1'approche d'une nouvelle troupe ennemie qui accouroit. J'ai vu 1'un des Francais surpris par les Cosaques, au moment oü il avoit la tcte et les mains dans un tonneau, qui avoit recu une profonde blessure a la seule partie qu'il offroit a l'ennemi dans cette singuliere posture. Ilse consoloit de eet accident, paree que les Russes, en le retirant comme mort du tonneau, pour y puiser a leur tour, n'avoient pas eu le temps de fouiller dans ses  C 3oo ) du combat et peut-être par la partialiié des habitans : mais je tire le rideau sur poches, qui étoient déja remplics , et lui fournissóient encore de quoi faire une agréable convalescence. Quant au major Herms , Livonien , dont je tjens les détails précédens, je le vis après la bataille. II y a quelques jours j'avois des millions, me dit-il, et voici ce tout ce qui me reste. II fit ouvrirnn petit porte-manteau oü il y avoit une paire de pantouffles et une robe de chamfcre blanche. J'ai eu beau prier vos soldats, ajouta-t-il , de me laisser au moins quelques écus dans ma bourse, en considération de la riche capture que je leur avois procurée; mais ils rn'ont enlevé impitoyablement jusqu'a ma montre, et je n'ai pas même en ce moment de quoi me faire la barbe. La situatiën de eet officier étoit triste sans doute : mais je répondis a ses plaintes amères contre les soldats francais, en lui faisant observer les riches aio-uillettes et les galons d'or qu'il avoit encore a ses habits et ason chapeau. Convenez , lui dis-je, que vos Cosaques n'en eussent pas laissé autant k un officier francais. Votre bel habit d'uniforme , sous une bonne capote, une robe de chambre , des pantouffles, et deux esclaves qu'on vous a laissés pour vous servir, cela s'appelle-t-il avoir été" maltraité et dépouillé, quand on a été , comme vous , pris* les armes a la main sur le champ de bataille ? II en eonvint; mais il me dit que les Russes étoient desbarbares > et les Francais un peuple policc. II étoit vivement affecté de son malheur et de sa captivité , que de jeunes officiers russes, qui la partageoient, supportoient avec plus de ïesignation.  ( 3oi ) des scènes qui attristent quelquefois la victoire (i). La nuit suspendit le carnage de cette mémorable journée: mais les Russes dé- . faits la veille se rallièrent encoï^e le matin, et secondes de quelques troupes fraiches et des postes qui n'avoient point été attaqués, ou qui n'avoient pu ètre forcés, ils osèrent encore combattre pour arracher la victoire a leurs ennemis. Leur courage, leur opiniatreté, leur désespoir, I la rendirent de nouveau indécise jusqu'au i| milieu du jour, ou les Russes furent enfin (i) II faut 1'avoucr en rougissant, ce ne furent ni lesAutrichiens , ni les Manteaux-rouges , ni les Russes, ni les Cosaques qui assassinèrentlepieux Lavater; cefut un Francais ou un Suisse. Cet homme paisible et bienfaisant devoit-il s'attendre a une mort si cruelle au milieu de sa ville natale ? Lavater fut un philosophe chrétien, ascétique et mystique , mais tolérant et éclairé ; un philanthrope ardent et vertueux , quoique systématique et crédule. It est a regretter pour la religion et pour la philosophie qu'il n'ait pas vécu quelque siècles plutót. II ent alors rendu service a 1'une ou k 1'autre , et les eüt peut-étre conciliées. II eüt avancé les progrès de la morale et de 1'espriï ; humain, que dans ce siècle-ci il n'a pas tenu a lui de retarder encore. C'étoit Rousseau évêque f on Voltaire capucin.  ( 3ö2 ) enfoncés une seconde fois; mais chaque bataillon, chaque compagnie, chaque peloton qui pouvoit se rallier encore autour d'un drapeau ou d'un officier, derrière une haie, ou derrière une pièce de canon, livroit un nouveau combat et lomboit les armesa la main, plutót que de se rendre. Excepté les généraux et les officiers, qui savoient bien que les Francais donnoient et mème offroient quartier a haute voix, presqu'aucun Russe ne se rendit qu'il ne fut blessé, désarmé, ou terrassé (i). L'on (j) Outre la valeur opiniötre et la discipline machinale qui distinguent les Russes et les i"endent si redoutatables un jcur du combat, plusieurs autres causesy contribuent encore, etprincipalement la superstition. Ils ont une croyance bien singulière qui se transmet de la part des vieux soudrille^ aux jeunes soldats. Ils observent, au commencement de 1'action , si le premier homme atteint dans le rang tombe en avant ou en arrière: si c'est en avant c'est une marqué certaine de la victoire ; si c'est en arrière c'est un mam ais augure. Quelques .prisonniers russes m'assuroient que leurs premiers blessés étcient tombés en avant, et que c'avoit été pour eux un signe d'avancer. Ils étoient de plus dans 1'idée que les Francais ne leurs feroient aucun quartier; nouvelle cause de eet acharnement terrible avec lequel ils se défendirent ; pouï.  ( 3o3 ) en vit plus d'un, atteints mortellement, se soulever avant d'expirer, pour frapper la vieille croyance dans la résurrection, elle est générale parmi les soldats. Miis ce qui prolonge ordinairement le massacre dans une bataille entre deux peuples dont les gestes et les signes différent souvent autant que le langage, c'est le défaat de pouvoir s'entendre : cc défaut a déja fait repandre bien du sang inutilement, et mème après que la victoire est décidée. II seroit digne d'un siècle plus humain et plus éclairé de remédier a eetinconvénient, m introduisant chez toutes les nations policécs le même mot pour demander la vie, quand on veut se rendre. Mais la voix de 1'humanité pourra-t-elle se faire entendre aceux qui perfectionnent 1'art du carnage? Le Francais vaincu demande quartier ; 1'Allemand gnadeou pardon! le Russe dit prosti; et le Turc crie aman! Au sac d'Isimïl, une troupe de ces derniers poursuivie par les Russes , se trouva enfermée dans une rue étroite, oü 1'on braqua des pièces chargées a mitraille. Les Turcs crioientdès long-tems oman! ma;s les Russes, croyant que c'étoit un cri de commandement ou de fureur, redoublcientleur feu. Les Turcs jetèrenr enfin leurs armes , se mirent a genoux , et redoublèrent leurs cris. Les officiers russes parvencient déja a fa re suspendre le massacre : mais,a i'instant même, 1'un de ces Turcs fanatiques qui se dévouent a la mort, se releva et fit feu du milieu de la troupe. Ce coup fut le signal de de la plus horrible boucherie : les pièces recliargées furent lachées a brüle-pourpoint; et ce qui échappa a cette mitrailiade fut stir-le-champ tuéacoup debaiou-  ( 3o4 ) de leurs armes l'ennemi victorieus, qui bondissoit dans la plaine. D'autres, aussi furieux, poignardoient leur chevaux , pour öler aux Francais les moyens des'en servir. La division du général Lorge, soutenue par le corps aux ordres du général Oudinot, eut la plus grande et la plusglorieuse part a cette journée mémorable, oü l'armée d'Helvétie sauva la république. Ce fut surtout après leur victoire, que les Francais en sentirent tout le prix , et frémirent du danger qu'ils avoient couru en pensant a la rage fanatique de ces malheureuses victimes dont le champ de bataille étoit jonché. II n'étoit pas un Russe, qui, frappé du coup mortel, et lorsque la mort lui en laissoit le tems , ne saisit encore 1'image de son patron , suspendue a nette, ou ass'ommé a coups de crosse. II y eut en eet endroit six cents cadavres entassés. Les mêmes accidens ont eu lieu entre les Francais et les Russes, en Suisse et en Hollande, ou cmelcpies fanaticrues de ces derniers ont aina occasionné le massacre d'une troupe entière entoujée et yaincue.  ( 3o5 ) sou sein, pour la baiser avant de rendre le Idernier soupir. En parcourant le champ de bataille , après le combat, on voyoit ces reliques sur leurs poiLriucs ou dans leurs mains; leur attitude et leur dernier geste témoiguoient que leur deruier sentiment avoit étéun acte cledévotion. cc Des guerriers aussi braves et aussi fanatiques , dit 1'un des généraux francais qui eut la gloire de les vaincre, ne peuvent qu'être terribles un jour de combat, et certes ils le sont (i) ». (1) Le général qui ra'a communiqué ces détails le rapporte avec autant d'agrément qus de vérité. « Un officier russe , fait prisonnier en avant de Zuricli, dlnoit chez moi a Winterth.ir ; et il m'adres;a touta-coup cette phrase , quoiqu'il eut ju-que-la montré dans la conversation beaucoup de connois?anoes et de jugement : Monsieur le général, j'aiperdu tous mes effels et prés de rjuatre mille ducats; je suis d-peu-près ruiné : cependant je ne dois pas me plaindre; vos soldats m'ont laissé mon plus dier trésor. Teut en disant ces mots , il tiroit de sa poche un petit cadre de la grandeur de la main , recouvert en plaques d'argent, avec 1'intervalle nécessaire pour laisser apcrcevoir les portraits de Saint-Alexandre Newsky (a) et de Saint- (a) Ce saint est le graml-piince Alexandre I, surnommé Newsky iVtine bataille qu'il gagna sur les borils de la Néwa. Voycz U page ji du second volume, 3. Y . . . . ' v»  ( 3o6 ) Korsakow, au dire des officiers russes, neparut poiutconserver dans cette ba taille Nicolas, dont la peinture me parut très-soignée. J'eus d'abord grande cnvie de rire; mais je ne le devois point 5 et, par réflexion , je dis en moi-même : Heureux celui qui peut ainsi se consoler! Cela me prouvoit du moins que, dans une pareille circonstance, une petite dose de superstïtiou vaut une grande dose de piulosopliie. C'est ainsi que les extrêmes se touehent, et produisent les mêmes elfets» » II faut savoir que les Russes prennent a la lettre le commandement; Tu ne teferaspoint <£'images taillées, ét que c est pour cette raison qu'ils font peindre leurs saints en miniature. Les draperies , en feuilles d'or ou d'argent, sont ensuite appliquées sur la peinture , dont elles ne laissent voir que le visage et les mains : c'est ainsi qu'ils éludent bizarrement la loi, et se font des images qui iniiteiil lasculpture; car toutes les draperies sont en reliëf. La partieularité, que 1'officier russe en question avoit inontré de 1'esprit, a bien lieu de surprendre. La dévotron aux images est si inhérente aux préjugésetau caractère nntionai , que j'ai vu les plus instruits faire de vains efforts pour se mettre au-desSus de cette foiblesse; et 1'on a lu, dans le second volume , des preuves du respect que leur portent les fiües de joie et les volcurs. Cette superstition, inspirée dès la plus tendre enfance, se marie, ehez les Russes honnêtes, a une sensibilité profonde, et a une espèce de point d'honneur qui n'est pas toujours ridicule, Mr. Y...} auteur de quelques bonnes comédies russes,  ( 3o7 ) ïe sang-froid et la présence d'esprit d'un général expérimenté. Déconcerlé par la rapidilé et la multiplicité des mouvemens de l'armée francaise , qui ne correspon- que j'ai beaucoup comni, et qui se trouvoit comme colonel d'artillerie a la bataille de Zurich , en fournit un jour une preuve , chez le général Mélissino. II étoit de garde au camp. Comme il avoit de la singulaiité dans 1'esprit , le général excita, pendant le diner, quelques-uns des autres officiers qui se mirent a le railler impitoyablement. Larépartie lui manquant, et suf'foquant de dépit, il prit tout-a-coup son hausse-col, oü étoit le chiffre de 1'impératrice en bosse. II le signa, le baisa avec respect, puia se mit a genoux en 1'élevant vers le ciel, et fondit en larmes. II demandoit pathétiquement pardon a eet emblêmc d'avoir enduré de sottes raillcries, et se déclaroit indigne de servir et de porter désormais cette marqué honorable et révéiée. Cette scène surprit et toucha tout le mende , mème les raüleurs, et eet officier parut déscspéré. II fallut que le général lui-même le haranguat et 1'exhortat a reprendre son hausse-col, pour continuer son service; il le reprit enfin , après avoir tiré de ton sein et baisé également son patron qui y étoit suspendu. Chez toute autre nation européenne, un officier aussi sensible a une raillet ie, d'ailleurs assez insignifiante, s'en fut vengé en se coupant la gorge avec les railleurs : et celui-ci, après s'être réconcilié avec ses images , alla présenter la main a ceux qui 1'avoient offensé. Je sais qu'il a déployé le plus grand courage a la bataille de Zurich,  ( 3o8 ) doient point a ceux qu'il avoit si souvent exécutés dans les casernes de Sémonowsky, il parut perdre Ia teie. II n'avoit guères sousses ordres que de jeunes officiers-géne'raux, dont les plus courageux furent faits prisonniers sur le ehamp de bataille (I). (i) Le lieutenant de Korsakow étoit le prince Gortschakow, neveu de Souworow, jeune homme avantageux, qui portoit uil corps a baleines, pour se former la taille, et qui mettoit du rouge. Comme il avoit suivl son oncle dans quelques campagnes , on Pavoit toujours envoyé en courier a 1'impératrice, qui , a chaque voyage, le gratifioit d'un grade ou d'un ordre. II avoit recu celui de 1'aigle de Prusse, pöur une visite faite au roi de Polögue. Frédcric-Guillaume II prodigua surtout aux officiers russes ces récompenses, dont ie grand Frédéric avoit été si ménager. L'ordre du mérite militaire, cette distinction qu'envioient les héros de la guerre de sept ans, fut donné a un enfant de dix ans , le petit Buxhowden, qui s'étoit, disoit-on, trouvé a une affaire avec son père contre les Polonais. Aussi, lorsqu'un général russe avoit a sa suite quelque officier qu'il favorisoit, et pour lequel il n'osoit cependant encore rien demander a 1'impératrice , il lui donnoit une commission pour FrédéricGuillaume qui lerenvoyoit avec un ordre. Les généraux Markow et Sn eken furent, entre autres, faits' prisonniers a Zurich. Ce dernier , homme d'expérience , se montra si religieus, observateur de la discipline et des institutions de son souverain, que, même a  ( 3o9 ) L'armée eut élé totalement détruite, si on avoit pu en poursuivre les débris sans relache et avec vigueur; mais des nouvelles alarmanfes étoient venues tout-a-coup suspendre les opérations de Masséna, et 1'obligèrent a faire subilement d'autres dispositions. Souworow , avec son armée d'Italie , avoit franchi le Golhard, et il en descendoit comme un torrent destrucleur. Sa marche rapide fut admirée des généraux francais. Comparable peut-ètre au passage mémorable du Mont-Bernard en 1'an 8, elle eüt Paris , il n'osoit quitter ni ses grosses bottes ni prendre un chapeau rond. Paul lui en sut gré , et il fut le premier général de 1'expédition réintégré. Le consul, ayant fait Tenir de Nancy le major Ségréieff, pour 1'envoyer a Pétersbourg faire a Paul I la généreuse proposition de lui renvoyerses prisonniers sans rancon, s'il vouloit les recevoir , on remit a eet officier 5oo louis pour les frais de son voyage , et 011 lui recommanda le secret; ce qui 1'engagea a partir sans prendre les ordres de Sacken. Ce général , scrupuleux observateur de la subordination , s'en trouva très-oflènsé; et il est a présumer que Ségréieff eüt été puni de sa discrétion, si sa mission n'avoit pas été accueillie par 1'empereur. Mais on en connoit le succès. (Note ajoutée en 1801).  C 3io ) mérité la méme gloire ■ si elle eüt obtenu les mèmes succès. Ceux qu'avoit eus jusque-la le fameux Souworow , étonnent tous les militaires , qui ne voient le grand homme de guerre que la oü se trouve le véritable génie. Mais ce général extraordinaire avoit Ie grand , Ie rare talent de fanatiser ses troupes, et de leur inspirer la plus aveugle confiance en sa personne et en sa fortune. Nous en avons cité destraits-etMahomet u'eut point sur les Arabes un ascendant plus puissant et plus marqué, que celui de Souworow sur les soldats russes. Son armée , épuisée par la faim , la ïassitude et mille privations , envisageoit avec désespoir ces sommets couverts de neige, qu'il falloit encore atteindre. Le soldat murmure, s'arrëte, etrefuse d'aller plus lom. Souworow fait creuser une fosse sur le chemin, etsecouche dedans.« Couurez - moi de terre, dit - il, et laissez ici votre général: vous né'tesplusmes enfans; je ne suis plus votre père Je n ai plus qua ?nourir». Et ses grenadiers de se préci-  (3n) piter autour de lui, de demander agrands cris d'escalader les cimes du Gothard, et d'en déloger les Francais (i). La marche de Souworow des environs de Novi jusqu'a ces cimes du GotHard , avoit été si rapide , si extraordinaire , si imprévue, qu'elles étoient a peine gardéés par de foibles partis, qui ne purent défendre ce point important. La guerre de la liberté a prouvé d'ailleurs , plus que toute autre, qu'aucun poste de montagne n'est tenable , lorsqu'il est sérieusement attaqué ; et les positions réputées les plus inexpugnables ont été plusieurs fois prises ( i ) Je rapporte ce trait, d'ailleurs connu, comme ; il m'a été communiqué par le général déja cité. II est si bien dans le caractèrc de Souworow, que je n'liésite ! point a le croire, quoique plusieurs officiers russes qui ont passé le Gothard avec lui, et entre autres un lieutenant qui porte son nom et qui est de sa familie , m'ait assuré que cela n'était pas vrai : mais la raison qu'alléga le lieutenant, me parut aussi remarquable- ' que le trait même. Cela nest pas vrai, me dit—il , paree que jamais l'armée russe n'a été découragée ' en suivant Souworow; et jamais le soldat n'a murmuré sous ses ordres.  ( 3ia ) et reprises par les différentes armées, dans le cours d'une campagne. La division de Lecourbe , qui, après sa glorieuse campagne dans 1'Engadine , avoit étéforcée par les circonstances de se retirer en-deca du Gothard , en oecupoit les débouchés sur i'Italie et sur la vallée du Rhin ( Kheinthal) , depuis la source de ce fieuve jusqu'a la hauleur de Glaris. L'atlaque simullanée de Souworow , avec une armée de douze mille hommes, forea cetle division affoiblie de se retirer précipitamment, tan t derrière la Reufs que sur la pointe méridionale du lac deZug,et au piedduMont-Rigi, pour en garder les passages. SouworoAv j vainqueur de tous les obstacles que lui avoit opposés la nature , eü de la résistance qu'avoit faite l'ennemi, menacoit déja la droite de l'armée d'Helvétie, et se voyoit, par le succès de ses premières attaques, maitre des troispetits cantons.G'étoit dans ce berceau de la liberté qu'étoit marqué 1'écueil de sou plus rq-  ( 3i3 ) doutable ennemi (a). Ce fut la que Souworow apprit la mort et la défaite du général Hotze, qui commandoit le corps d'armée autrichien, fozmiant l'aile gauche des Russes , et auquel il étoit prèt a se joindre, ainsi que la déroute de Korsakow devant Zurich. Aces nouvelies, les transports de fureur du vieillard furent tels , qu'il écumoit de rage , et halhulia longtems sans pouvoir parler. A la fin, il laissa échapper des cris et des ricanemens de sa voix grèle et usée , qui exprimoient son étonnementetson indignation.Ne croyant la défaite de Korsakow ni aussi compléte, ni aussi décisive qu'elle 1'étoit en elTet, il lui expédia sur-le-champ un message, par lequel il le rendoit responsable, sur sa lëte, de chaque pas en arrière qu'il feroil désormais , et lui donna ordre de marcher en avant, en annoncant a. l'armée que Souworow étoit arrivé, et avoit déja battu les (a) Le sol helvétique , imprégné de la cendre de ses héros , sembla du moins encore être jaloux d'une gloire que leurs descendans ne briguoieht plus.  ( 3i4 ) Francais devant lesquels on reculoit. Les menaces et le nom de Souworow semblèrent ranimer d'une nouvelle ardeur les resies désespérés de l'armée de Korsakow, qui, renforcée par le corps de Condé qui venoit d'arriver a Constance, osa suspendre sa retraite , pour se reporter tout-acoup en avant, etlivrer encore un combat sauglant prés de Diesenhofen. Dans] ce combat mémorable , qui fut le denier entre les Russes et les Francais, un corps de cavalerie russe chargea en plaine deux demi-brigades d'infanterie, commaudées par le brave Lorge, et dépourvues de cavalerie. Trois fois ce corps d'environ trois mille hommes répéta sa charge furieuse , et, quoique rompu toujours, il se rallioit sous un feu terrible de mitraille et de mousqueterie qui le détruisoit. On craignit loug-lems de voir cette cavalerie fraichement arrivée , et qui sembla démentir ici 1'idée peu avantageuse qu'on a de celle des Russes, pénétrer dans les rangs de 1'infanterie francaise , et décider ainsi cette sanglante journée.  ( 3i5 ) Cependant Masséna en personne, avec une partie de la division de Lorge, et celle de Mortier, marchoit k Souworow, et 1'arrêta. Désespérant de passer avec ses douze mille hommes sur le corps d'une armée victorieuse, pour arriver jusqu'a Korsakow ïnis en füite une seconde fois, Souworow dut songer lui-même k la retraite, tandis qu'elle lui étoit possible encore. Masséna manceüvra en vain pour 1'attirer hors des défilés, dans 1'espérancede le faire prisonnier, lui, l'armée qu'ilcommandoit, et le jeunegrand-ducConstantin qui l'accompagnoit( i). Qu'on juge de la situation ou dut se ( i ) Nous avons plusieurs fois parlé du grand-dnc Constantin. Ce jeune prince, en faisant ses premières armes dans la farneuse campagne d'Italie, eut occasion d'observer que faire la guerre et faire 1'exerciee sont deux choses bien différentes. Ce voyage lointairi j la vue des pays et des peuples nouveaux pour lui, 1 organisation des belles armées autrichiennes , la valeur et 1'aménité des Francais républicains , qu'on s'étoit efiorcé de lui peindre comme des brigands férocès , les malheurs et les scènes sanglantes qu'il eut sous les yeux , modifièrcnt son caractère, d'une manière avautageuse. II se fit aimer a l'armée; et sa politesse envers les prisonniers le montra aux Francais dans un jour trés-  ( 3i6 ) trouverce nouveau Marius,lui qui, dans toules les évolutions qu'il commandoit , avoit toujours défendu les feux de retraite, disant qu'une armee sous ses ordres n'auroit jamais besoin de cette honteuse manoeuvre. II étoit forcé de 1'ordonner pour ia première fois • mais les généraux francais avouentqu'elie fut digne de sa marche et admirable comme elle. Souworow se retira devant l'ennemi, comme un vieux lion qui se retourne , lorsque les dogues , qui le poursuivent, le serrent de Irop prés, et les arrète en leur montrant son front terrible et sourcilleux. II abandonuaquel- favorable. II ressentit vivement la défaite des Russes enHelvétie, et en accusoil hautement 1'arcliiduc Charles et les Autrichiens. II ne contribua pas peu , par les expressions de son ressentiment, k brouiller les deux eours. Une lettre de 1'impératrice, sa mere, contenant plusieurs détails de familie, ayant été interceptée en Helvetie, le directeur la Harpe, son ancien précepteur, la lui renvoya, en Pexhortant a écouter des sentimens de paix et d'humanité, en lui reprochant avec ménagement les ravages et les exces des troupes russes dans cette malheureuse Suisse, qu'il sembloit aimer dans son enfance. Le jeune prince ne répondit point.  C 3i7 ) ques bagages, quelque artillerie, quelques malades et ses blessés ; mais le général Mortier, chargé de le poursuivre dans le Muttenthal , ne put véritablement entamer que deux ou trois bataillons de grenadiers , qui se dévouèrentpoursauver le reste de l'armée.. Je ne sais si Souworow fut invincible; mais il est certain qu'il est mort invaincu. Aucun général ne peut se vanter d'avoir battu Souworow ; et bien peu ont, comme lui, ernporté cette gloire au tombeau, après avoir fait, comme lui, la guerre quarante ans, tantöt aux peuples les plus barbares, et tantöt aux nationsles plus policées. II se montra en Suisse tel qu'ilavoitété en Italië, dé vo t, supersti lieux et hypocrite. II savoit qu'il enlroit dans des pays catholiques , oü depuis long-tems le fanatisme de la liberté s'étoit amalgamé a celui du papisme. II visitoit les curés, leur demaiv doit la bénédiction , leur déclaroit qu'il venoit au nom de Dieu et des empereurs, des oints de i'éternel, rétablir la sainte religion , et exterminer les impies. 11 eüt  C 3i8 ) fait les mêmes protestations a Zurich et a Berne, s'il lïït arrivé jusques-Ia • et il n'est point douteux que Lavater et ses disciples, traités d'hérétiques par les Grecs et les Romains modernes , ne 1'eussent recu comme un autre Messie(i). Ilharanguoit ( i ) L'une des premières mcsures qu'eussent pris les coaÜsés , s'ils eussent triomphé, pour éloigner a jamais *une seconde révolution de Fesprit humain, et pourremettre la pauvre humanité au maillot, c'eüt été de rappeller le luthéranisme et le calvinisme dans le giron de Féglise catholique , a Ïaquelle 1'on eüt rendu toute sa force , en rétablissant les Jésuites, les missionnaires etles propagandistes. Une partie des ministres protestans et rëförmés y eussent consenti, haïssant mille fois davantage la liberté francaise que le pape de Rome. II est certain que des ouvertures furent faites en Suisse k plusieurs d'entre eux, qui y répondirent d'une manière satisfaisante. L'on comptoitsur Lavater dont la plulosophie myslique et dogmatique s'accommodoit beaacoup de cette réunion. La réforme rcligieuse a été certainement 1'annonce de la grande révolution politique. La renonciation volontaire, que fit dans le seizibme siècle une partie du clergé k ses droits et a son influence tyrannique sur les consciences , fut aussi magnanime que celle que fit dans le dix-huitième siècle une partie de la noblesse a ses privileges et a ses préjugés. Mais la nullité et Pinsiguifiance absolue a Ïaquelle les démsgogues voulurent condamner les  C 3i9 ) tous ceux qu'il rencontroit, et se montroit le plus burlesque buffon pour paroitre ministres du culte (a) , révolta même les plus éclairés et les plus philosophes d'entre eux; et il est certain qu'en détachant Ia morale et la religion de 1'ordre social et même du gouvernement , il y reste un vide affreux, que rien ne pourra remplir. II falloit être plus conséquent, et assez sage pour faire de nos lois notre religion , ou du moins pour les lier a une morale religieuse , simple et pure. II faudra le faire un jour, ou se resoudre k rentrer au confessionnal. N'avoir point de religion dans un état, est aussi absurde que d1y avoir une secte privilégiée ou dominante. La coalition travailloit en même tems a une réunion plus importante encore , et qui eut assuré pour des siècles l'empire du tróne et de l'autel. On vouloit réconcilier les Grccs et les Romains, j'entends le pape et les patriarches. Paul I entroit dans ce projet, que Pierre le Grand avoit déja concu par des motifs diamètralement opposés , puisqu'il le regardoit comme un moyen de plus de civiliser sa nation , et que Paul espéroit par la renchainer a jamais les peuples a la clef du paradis. On touchoit au moment de réaliser tous ces projets. La coalition saisit celui de son triomphe éphémère , pour rétablir un pape , qui se fut prêté k consentir a toutes les mesures qu'exigeoit l'intérêt commun. O journée de Zurich et de Maringo^ je vous bénis; vous avez sauvez 1'humanité ! (a) On sait qu'un article de la constitution qu'on donne a la Suisse ,, les exdut même des droits de citoyen actif.  ( 320 ) populaire. Ces farces ne laissèrent point d'en imposer d'abord aux habitansj mais le prestige fut bientót détruit par la conduite des nouveaux apötres de la coalition. L'indiscipline et lalicence furent toujours des moyens dont Souworow se servit pour s'attacher les soldats. Les siens se distinguèrent partout par les excès et lepillage. Ce fut alors que les enfans dégénérés de Teil, de Stauffacher et de Melchlbal , sentirent la différence qu'il y avoit entre des Cosaques et des chasseurs francais. L'apparition momentanée de Souworow, comme celle d'une comètesanglante, sera a jamais 1'effroi de ces montagnards j etles cruautés d'une guerre atroce leur ont enlevé pour long-tems ces vertus douces et simples, qui contrasïoienlsi heureusement avec leur énergie sauvage et leur lierté lacédémonienne. A eólé de la fosse oii se couche Souworow, et oü il veut que ses soldats le couvrent de lerre, qu'on le place sautantsur un pied et faisant mille singeries, on verra lesublime et 1'extra vagant se toucher el se  ( Zn ) iréunir. L'officier , chargé de lui préparer son logement, avoit grand soin d'en enlever tout ce qui pouvoit le choquer ou lui déplaire , comme leslivres, les estampes, les choses de luxe, et surtout les glacés. Si malheureusement ces dernières se trouvoieut oubliées , Souworow les brisoit lui-méme en mille pièces (i). Souvent il ( i ) On donnoit pour raison de cette antipathie de Souworow pour les glacés , qu'il se trouvoit trop laid et qu'il ne vouloit pas se voir. L'on attribue au même motif la singularité de Paul de n'avoir pas vouhl mettre son elligie sur les monnoies. Cependant , si les médailles qu'on a frappées en 1'honneur de Souworow parviennent a la postérité, quelle fausse idee Jes futurs Lavater doivent-ils s'en former ! Dans 1'une de ces médailles, gravée par Haas, on lui a donné la beauté, la jeunesse et les armes d'Achille. Son ceil, comme celui du génie , perce Pespace et fixe la gloire. On est parvenu même k embellir sa bouche horrible et baveuse, oü le sourire n'habita jamais. Ses cheveux s'échappent en boucles charmantes de son casque meuacant. Sa poirrine relevée porte fièremeut un médaillon de sa sjuveveraiiie, peinte sous les traits de Minerve. Son col d'albatie enfin , s'élancant audacieusement d'entre ses épaules arrondies , semble élever sa tête au dessus de tous les héros qui 1'environnent. O beaux arts, arts libéraux, que vous êtes adula- 3. x  ( 3z2 ) faisoit enlever aussi les fenêtres, en clisant qu'il n'avoit pas froid, et les portes , en disant qu'il n'avoit pas peur • puis il se couchoitsur de la paille fraïche, qu'on lui étendoit sur le lit de la chambre. Le premier homme qui le suivoit dans son logement, étoit un Cosaque, chargé de lui portersa chaise percée durant la marche , et qui lui remettoit, en arrivant, ce meuble nécessaire. C'étoit souvent sur ce siége qu'il recevoitlesrapportsdesesaides de camp et de ses généraux. Un autre denschik(a) apportoit la cassette oü étoient renfermés les reliques , les images , les diplömes, les ordres, les pierres précieuses, le baton de maréchal et 1'or de Souworow. Sa voiture ordinaire étoit un petit chariot a quatre roues , surmonté d'un banc h découvert, que les Russes nomment teurs, que vous êtes serviles ! Je me trompe , ce sont ceus qui vous cultivent, qui sont trop souvent les esclaves , «inon des tyrans, du moins de 1'argent. Puissent-ils dan* une république , ne 1'être jamais de leurs besoins ! (aj Un denschik est un soldat affecté au service d'un officier. Pierre le grand n'avoit pas d'autres domestiques pour sa personne.  ( 323 ) troschk, et ressemblant un peu aux charsa-bancs de la Suisse francaise. C'est-la qu'il se perchoit, lorsqu'il étoit fatigué du cheval , ou de la kibitka, charrette plus incommode encore, dans Ïaquelle il faisoit les plus longs voyages. Souworow sera a jamais 1'orgueil et la gloire des armées russes , et le sujet iné-. puisable des contes et des récits du soldat. j Lasingularité de ses mceurs, 1'originalité i de son caractère, ses propos burlesques et piquans, sa manière de vivre bizarre, sa dévotion bouffonne , sa valeur féroce , mille traits de sa vie, mille bons mots de sa facon , assureront son immortalité au-tant et plus que ses victoires.Son nom sera long-tems encore le cri de ralliement des bataillons russes, pour leur inspirer le courage du fanatisme , et les exciter h vaincre (i j. ( i ) Le bruit se répandit dans l'armée russe que Souworow avoit péri en passant les Alpes ; et plusieurs soldats et Cosaques, en le revoyant après sa retraite, triste, morne et chagrin , étoient persuadés que c'étoit *on ombre qui leur apparoissoit.  ( 324 ) Souworow se montra plus sensible aux revers de la fortune, qu'il ne 1'avoit été a la disgrace de Paul, et ne les supporta pas avec le même caraclère. II parut humilie, accablé de la défaite des Russes et de sa retraite. Son humeur gaillarde devint taciturne; sa dévotion bouffonne, triste et sombre. II s'enfermoit , maltraitoit ou brusquoit tout le monde, et s'emportoit sur tout contre Korsakow , les généraux autrichiens et même le prince Charles. II les accusoit tout haut d'envie et de trahison • déclarant ne plus vouloir combattre avec eux , même avant d'en avoir recu 1'ordre de son maitre (i). Ils'en alloit, O) Voyez a la page 252 , laproclamation de Souworow, en quittant 1'Italie. On en a cité d'autres de lui asses caractéristiques , dans ce volume : mais la pièce la plus curieuse en ce genre fut peut-ètre celle que les Francais répandirent, et qu'ils cherchèrent a faire distribuer dans les armées de Korsakow et de Souworow. La voici , traduite aussi littéralement que possible du jargon moitié russe et moitié polonais , dans leqnel elle est écrite. Le plus remarquable est qu'elle fut imprimée h. Paris en très-beaux caractères russes , comme le témoigne 1'exemplaire que j'ai sous let yeux. Je prie au reste le lecteur d'etre persuadé qu»  ( S25 ) couché au fond de sa kibitha, caché sous son manteau , détournant les yeux de ses l'original est encore plus incoherent et plus iasupportable que ne lui paroitra la traduction. « Soldat russe , pourquoi ces armes ? pourquoi te prépares-tu a la guerre ? Tu marches a ta perte. La foudre du ciel étoit prête a te frapper : Mais SaintNicolas , ton protecteur , a détourné le coup. II a prostemé respectueusement son front devant la face du Tout-Puissant , dont la main s'étoit déja avancée pour t'anéantir. Léve les yeux au ciel , et reconnois celui qui s'est dévoué pour ta conservation. Prosternetoi devant ton protecteur , et écoute avec respect les conseils de sa paternelle affection. 33 33 L'éternel Dieu que tu adores, courroucé de nos péchés , résolut de les punir. Pour cette raison, il nous donna des rois, des princes et d'autres chefs , qui nous tinrent dans les fers, dans 1'oppression et dans la corvée. Mais les peuples du goble, ennuyés de manger du pain de douleur } et de b oire leurs larmes, se sont prosternés a terre , et ont prié le Dieu tout-puissant de leur accorder secours et miséricorde. 30 x> 33 33 II a entendu leur humble prière : les vapeurs des sanglots de la terre ont touché son ceeur sensible. Alors il s'est levé , et a prononcé cette sentence terrible : Que les rois tombent de leurs trênes: que lespuissans tombent dans l'humiliation ! et que les peuples sortent de la servitude oü ils ont été trop long-tems ! Je donnerai de la force au foible , et le timide se sentira le courage d'un brave guerrier. Cette sentence reteatit long-tems dansles  ( 3a6 ) soldats} et refusant de se montrer aux armées qui le demandoient. voütes du ciel; et 1'éclio céleste n'en avoit pas encore répété le dernier mot, que des milliers de personnes , enflammées d'un zèle et d'une ardeur sacrée, résolurent fle renverser le tröne des rois. » » » » Les hommes sont devenus raisonnables et courageux. Ils ont vu que leurs oppresseurs étoient en petit nombre , et que , de puissans et fiers qu'ils étoient auparavant, ils devenoient laches et grossiers, paree que Dieu avoit retiró sa main de dessus eux. » » y> » Peuple russe , ton heure est venue. Et toi, soldat, je t'ai appelé dans ces contrées, non pour combattre les Francais, mais pour t'associer a eux, et retourner dans ton pays délivrer tes parens et tes amis qui gémissent dans 1'esclavage. Malheur a 1'insensé qui s'écartera du chemin que je lui ai préparé! je le'maudirai; et je lui retirerai ma puissante prstection. Son frère périra dans la ruisère etl'angoisse, et lui trainera une vie malheureuse chez les peuples sauvages ; car sa patrie le bannira dc ses limites , comme un fléau de 1'humanité. t> » Certes si cette adresse est parvenue k quelque Russe qui ait pu la lire, il aura heaucoup ri aux dépens du rédacteur et des distributeurs. Au lieu de tout ce fatras, si 1'on avoit voulu haranguer les Russes, voici ce que 1'onauroitpu dire aquelques prisonniers, que 1'onauroit laissés échapper sans affectation. « Braves Russes, savez-vous pourquoi votre empereur vous a envoyé si loin de votre patrie, pour vous égorger avec'nous qui ne vous avons point offensés ? Nous  C 327 ) Quel spectacle lui offroil en effet cette triste réunion , opérée dans la fuite , de étions naguèresesclaves et serfs comme vous , obligés de travailler pour des maitres qui nous traitoient comme des animaux , qui nous ravissoicnt, comme vous font les vötres, nos femmes et nos enfans, qui nous vendoient nous-mêmes, ou nous laissoient périr de misère-quand nous étions vieux. Des sages nous ont enfin révólé que ces tyrans étoient des hommes comme nous, que nous étions leurs égaux, et que Dieu seul étoit le maitre de tous. Alors les paysans et les soldats francais se sont réunis : les bourgeois, les prêtres et les nobles raisonnables se sont joints a eux pour chasser les grands seigneurs . et les tyrans qui nous opprimoient. Nous sommes a présent tous libres , tous égaux et tous frères, comme Dieu nous a créés. Nous n'avons plus ni rois, ni princes , ni comtes, ni excellences , et c'est le plus brave sohlat qui devient général. Les rois, nos voisins , ont eu peur que leurs peuples ne suivissent notre exemple. Ils se sont tous ligués pour nous détruire ; et votre empereur leur a fourni des soldats , paree qu'il sait que vous être braves, mais trop ignorans pour penser a la liberté que vous pourriez conquérir comme nous. Qui vous empêche maintenant de jeter vos armes, d'abandonner ces officiers qui vous donnent des coups de baton et un morecau de pain pour prix de votre sang? Venez parmi nous ; vous serez libres , vous ne travaillerez que pour vous , vous aurez des femmes et des enfans qui vous appartiendront, et vous ne serez soldats que pour défendre vos propriétés ou vos droits, »  ( 3s8 ) , deux armées nombreuses et brillantes, plus fortes du doublé qu'il ne 1'avoitdesirépour faire la conquéle de la France !. De plus de quatre - vingt mille hommes qui les avoient composées, elles n'offroient plus qu'un ramas de bataillons délabrés, de régimens désorganisés, pour la plupart sans chefs , sans artillerie , sans bagages ; des hommes exténués par la fatigue , et couverts de lambeaux sanglans. Mais , il faut en convenir, malgré eet état désastreux , ces braves troupes emportoient leur gloire; car , si les Russes avoient enfin trouvé des vainqueurs , ce fut dans les admirateurs de leur constance et de leur courage 7 mème de leur fanatisme national et religieux. C'est en les vaiu- Je me suis convaincu de 1'effet que ces raisonncmens simples et vrais t'aisoient sur les soldats russes; et je ne doute point qu'ils n'en eussent engagé un grand nombre a déserter leurs drapeaux. Cette mesure étoit sórement permise contre des'ennemis qui yenolent nous égorger ou nous asservir; il eüt été plus humain d'accueillir ainsi des armées que de les détruire en bataille rangée : mais il y a cependant loin de ces mesures-la a celles que 1'on a prises depuis.  C 3*9 ) quant, que les Francais apprirent véritablement a les craindre et a les estimer. Lesdébris de cesbandes terribles, qu'on amena prisonniers en France , n'inspirèrent plus que de la compassion et de la surprise. O n s'attendoit a voir des hommes extraordinaires , d'une taüle avantageuse et d'un aspect féroce; mais les Francais ne trouvèrent dans les Russes que le peuple qui a avec eux le plus de ressemblauces physiques et morales. Plusieurs officiers , surtout, contrastoient bien avantageusement par leur langage,leur exceiient ton et leur politesse, avec 1'idée qu'on s'en étoit formée,et même avec leurs compatriotes qui n'avoient pas la même éducation (i). Mais les Francais , qui avoient vu les Russes du tems de Catherine, et qui avoient parlé avantageusement de leur tenue et de leur équipement leste et guerrier , ne les reconnoissoient plus sous 1'accoutrement grossier et grotesque dont Paul les avoit afFublés. Ce misérable habil- (j) Voyez la ncte de la page 3i,  ( 33o ) lement, joint au délabrement, suite naturelle d'une campagne aussi fatigante et d'un combat aussi meurtrier, leur donnoit la plus chétive apparence. Quoique pris les armes a la main et dans la fureur de 1'action, on ne leur avoit enlevé que leurs armes : on pourroitcroireque la pauvreté de leurs habits fut la principale cause de ce ménagementj mais on voyoit encore a plusieurs de ces prisonniers la médaille d'argent qu'ils avoient recue pour des exploits plus heureux • et ce témoignage de leur bravoure en étoit un en 1'honneur du soldat francais (i). On avoit peine a se (1) On a parlé de ces médailles que recoivent les soldats russes, comme une espèce d'ordre'de mérite qui excite leur émulation. On en donne a tous ceux qui sa sont trouvés a un combat ou 1'on a été victorieux. J'ai vu avec étonnementque plusieurs prisonniers russes , malgré les besoins d'une longue captivité, n'ont pu serésoudre a vendre cette médaille, et la reporteront dans leur patrie. Certes un pareil sentiment leur doitobtenir une récompense a leur retour, et mérite, en attendant, les éloges des Francais. Pour apprécier cette conduite d'un soldat russe , il faut se souvenir qu'il est depuis prés de deux ans prisonnier, qu'il ne recoit qu'une livre et demie de pain et trois sous par jour pour subsister. On m'ob-  C 33i ) persuader jenles voyant dans eet état, que ce fussent la ces Russes si célèbres qui jectera que c'est plus encore qu'ils ne recoivent chez eux de leur souverain. Oui; mais en Russie ils ont des habits, ils sont logés chez le paysan , ils ont la ressource de leurs artels, nesont point enfermés , et se procurent les petits besoins journaliers a vil prix. Malgré 1'humanité des habitans , ces malheureux , couverts de lambeaux, ont mené en quelques villes ou chateaux de France une vie misérable. La munificence du. gouvernement est enfin venue au secours de ces braves gens, abandonnés de leurs souverains et trahis par leurs alliés. Ce sont les ennemis, les vainqueurs des Russes , qui leur ont témoigné 1'estiine et 1'intérêt qu'ils avoient droit d'attendie de ceux qui avoient acheté ou vendu leur saug. Mais en voyant passer ces fameuses colonnes, formant une petite armée de sept mille hommes (a) , on regrettoit que les intentions généreuses du gouvernement francais n'aient pas été suivies avec toute la libéralité digne d'une grande nation. Les malades etles blessés paroissent avoir été oubliés dans la distribution des vêtemens5 et ceux qui s'en retournent , n'ont que leurs anciens lambeaux. Au lieu d'avoir donné a ces soldats des armes qui auroient fa t connoitre avantageusement nos manufactures dans le Word, on leur a distribué a Cologne, des vieux fusils tirés de 1'arsenal de Mayence. (a) II ont passé en cinq colonnes , cliacune de i?>oo a i5oo hommes. En y comprenam les blessés restés dans les hdpitaux , etles malades et déserteurs, on peut évaluer les prisonniers russes 'x 8 mille hommes.  ( 33s ) devoient opérer Ia contre-révolution du monde. Au reste, presque tous étoient couverts de blessures sanguinolentes, qui achevoient de les défigurer , en attestant leur bravoure et leur résistance. I/humanité et la douceur, avec lesquelles on les traitoit, calmèrent bientót leur désespoir et leurs appréhensions: leur joie de n'ètre point enchainés et guillotinés, comme on le leur avoit persuadé , s'épanchoit en expressions de reconnoissance et en bénédictions (i). (i) C'est surtout 1'humanité, la promptitude et la propreté avec lesquelles les Russes blessés furent soignés dans les hópitaux francais, qui les surprirent et les touchérent. Qu'on s'imagine le contentement de ces malheureux soldats, traités chez eux si durement en état de santé , et si impitqyablement lorsqu'ils sont malades ou blessés , de »e voir chez leurs ennemia couchés deux è. deux dans des Hts propres, pourvus de linge blanc , de bonnets de nuit, de robes de chambre et de pantouffles ; commodités inconnues aux soldats russes, a commencer par le lit, dont ils ne font jamais usage. Dans quelques villes frontières , comme Montbéliard, ou 1'impératrice de Russie , princesse de Wurtemberg , avoit été élevée, et étoit encore aimée; oü, par des événemens aussi extraordinaires, le chateau de ses ancêtres  ( 333 ) L'expédition des Russes en Hollande fut aussi désastreuse que celle en Helvétie. se trouvoit métamorphosé en hópital pour recevoir ses nouveaux et lointains sujets, les femmes alloient au-devant des chariots de blessés, et leur portoient des rafraichissemens. Plusieurs babitans de cette ville s'empressèrent d'offrir leur table aux officiers convalescens , et de leur témoigner Pattachement qu'ils conservoient a leur princesse. C'est ainsi que 1'empire de la vertu et de la reconnoissance se conserve et se répand encore des extrémités du monde , k travers les armées dévastatrices et les dissentions politiques. C'est ici le lieu de placer un mot sur la négligence des Russes pour leurs blessés, sur 1'inaptitude et 1'ignorance de leurs officiers de santé , qui ne sont pour la plupart que des barbiers , sous le nom de podléker (sous-chirurgien). Un couteau mal aiguisé est quelquefois le seul instrument dont ils se servent pour déchirer les chairs d'un malbeureux , et lui arracher une balie , ou pour achever , sur le champ de bataille, 1'amputation d'un membre fracassé par un coup de feu. Si ce blessé n'a sur lui ni mouchoir , ni écharpe, ni liuge , pour étaneher et bander sa plaie, il expire dans son sang, avant qu'on lui ait mis le premier appareil; ce qui n'arrive souvent que quarante-huit heures après la blessure. Potemkin, dans la guerre contre les Turcs, avoit pris avec luiun chirurgien francais , nommé Mr. Massot, è quiildonnal'inspection des lazarets ou hópitaux de campagne, qui tiennent lieu d'ambulances. Massot, entendant qu'oa se préparoit u livrer 1'assaut  C 334 ) Les Anglais se servirent de ces braves soldats en guise de gabions mouvans, pour tfOtschakoff, fit une espèce de revue dans le camp. II trouva les pliarmacies sans médicamens, les chirurgiens et barbiers sans instrumens , et dans la plus parfaite insouciance. On n'avoit pas même pensé k préparer des bandages et de la charpie. Les chirurgiens-majors, Allcmands , protégés par les médecins de la cour, et jaloux de 1'étranger , ne tinrent compte de ses exhortations, et se moquèrent de ses menaces. Massot , frappé des suites qu'alloit avoir ce dénuement absolu et la mauvaise volonté des chefs, déclara qu'il s'en plaindroit au prince; Comme il étoit k diner avec lui, il se leva tout-a-coup de table , et en présence de tous les officiers généraux , il fit une description animée et pathétique de la mauvaise administration des höpitaux, et supplia le prince de vouloir donner les ordres les plus prompts etles plus précis pour qu'on se procurat au moins les secours les plus urgens, et principalement de la charpie. Le prince Potemkin rit de son zèle et de son éloquence , lui dit de se tranquillizer, qu'on n'auroit besoin de rien, paree .qu'on n'auroit pas de blessés. Lelendemain, il fit donner 1'assaut, et, en moins d'uue demi-heure , dix-huit cents blessés furent entassés daps les baraques ou dans les rues du camp. On fut alors obligé d'acheter des Juifs polonais qui suivoient l'armée, de la grosse toile neuve pour en faire de la charpie. Plusieurs milliers de soldats périrent en quelque jours de froid et des suites de leurs blessures. Ce qui surprendra peut-ètre le plus les Russes a l'armée de leurs prisonniers, et ce qui les touchera Ia  ( 335 ) se mettre a. couvert de Partillerie et de Ia baïonnette francaises. Après quelques succès dus uniquement a la valeur intrépide des Russes, ils furent pour la plupart taillés en pièces, ou faits prisonniers avec leur chef, le général Hermann. Je ne m'étendrai point davantage s ur les sanglans événemens de cette campagne, qui se termina par une capitulation honteuse pour les armées combinées de Russie et d' Angleterre • capitulation d'autant plus glorieuse pour les Francais , que les moyens avec lesquels ils avoient contenu ces deux armées formidahles, vomies par 1'océan pour moins, ce sera d'en voir un si grand nombre de mutilés, a qui 1'art supérieur et les soins des chirurgiens francais ont pu seuls conserver la vie. Malgré les guerres continuelles de la Russie , il n'est point de pays oir 1'on rencontre moins de soldats mutilés : ceux qui sont blessés gnévement périssent tous. Je n'en accuserai pas une pclitique intéressée ; il seroit trop affreux de le supposer. On s'étonne, au contraire, de rencontrer en France , et sur-tout a Paris , tant d'liommes a qui il ne reste, pour ainsi dire , que le tronc. Plusieurs courent sans béquilles et sans batons dans les rues les plus fréquentées. On voitmême a Versailles la danse des jambes de bois, exécutée avec beaucoup de graces et de légèreté.  C 336 ) inonder la Hollande, furent d'abord trèsmférieurs aux forcesdes ennemis. L'armée du général JBrune n'avoitpu ètre renforcée qu'a prés les batailles sanglantes qui con~ traignirent le duc d'York a se rembarquer. Ce que 1'on a dit, ce que 1'on a vu dn caraclère de Paul fera comprendre 1'excès de son indignation a la nouvelle de ces désastres multipliés. L'expédition contre laFranceavoitéléentreprise aveclamême confiance et la même présomption , que celle de la flotte invincible le fut jadis par Pbilippe 11 contre 1'Angleterre. Mais Paul I ne recut pas avec la même indifférence la nouvelle de la défaite de ses armées par les Francais , que Philippe avoitrecu celle de la dispersionde sa flotte par les vents. Son orgueil bumilié, la gloire de son règne et de ses armes compromise, portèrent jusqu'a 1'égarement sa fureur et son ressentiment. 11 cassa et ilétrit en masse tous les officiers qui manquoient a l'armée , sans s'embarrasser s'ils étoieut morts ou vivans, tués ou prisonniers. Cet  ( 337 ) exemple du despotisme le moins raisonné surpasse tout ce que 1'on a vu chez les rois et les peuples les plus harbares; et il prouve que 1'orgueil d'un monarque peut tenir lieu du fanatisme le plus féroce. Cette injuste punition étoit d'autant plus révoltante, que plusieurs de ces officiers, après avoir comhattu en braves , avoient été ramassés comme morts sur le champ de bataille, pour la plupart mutilés, et ne conservantla vie que par les solns duvainqueur (i). Quant aux soldats, il les aban- (i) Dans Pun des cc-mbats qui se donnèrent en Hollande , un enseigne tomba blessé , en défendmt son drapeau, et s'enveloppa dans les plis. En revenant a lui - même , sa première pensee fut de le soustiaire a 1'ennemi II le déehira , et le caclia dans son sein. Ramassé comme prisonnier sur le cbamp de bataille, il co^erva précieusement ce signe d'honneur , confié a sa vaillance, et il le reporte en Russie. Paul , revenant peu a peu de ses' emportemens , et informé de cette action, le récomjjiensa, en réiutégrant dans son grade ce brave officier, qui avoit ete exclu du service comme tous / s autres prisonniers. Plusieurs avoient les mêmes droits k la reconnoissance de leur souverain , et ne s'attendoient, k leur retour , qu'a 1'exil ou k d'autres punitions. Les colonnes russes recureat, en passant le Rliin, la nouvelle de la 3. v  ( 338 ) donna comme un butin conquis par un ennemi, et ne daigna pas même faire une démarche auprès de ses alliés pour les échanger, sans s'abaisser k traiter avec la France. II est vrai qu'il n'avoit point de Francais k proposer pour leur rancon ■ mais il avoit un droit sur les prisonniers qu'avoient faits les Autrichiens, les Napolitains et les Anglais. Ces derniers eurent 1'indignité de se refuser aux propositions que leur fit a eet égard le premier consul : mais, certes, ilssefussentempressés, aussi bien que les Autrichiens , a échanger les Russes, si Paul 1'avoit desiré. Ce qui vint cependant consoler 1'orgueil offensé de eet empereur, ce furent les mort de Paul et de 1'avénement d'Alexandre; leur allégresse fut inexprimable : ce fut alors seulement que les officiers se réjouirent de revoir bientöt leur patrie (a). (a) En passant par le nord de 1'Allemagne , ces prisonnier» eurent toutes les facilités possibles pour déserter. Beaucoup d'entrc eux s'imaginèrent que , pour les en empêcher , les officiers avoient iuventé la fatje de la mort de Paul. Ils n'y ajoutèient foi que quand, arrivés enSaxe, les habitans leur confirmèrent 1'avénement d'Alexandre. Alors ils s'abandonnèrent a l» joie. JN/ote des éditeuri.  ( 339 ) détails du grand - duc Constantin, et les rapports des généraux Souworow, Korsakow , Gortschahow et Essen , qui tous s'accordoient a lui dire que ses troupes invincibles n'avoient essuyé des échecs, que paree que les alliés, jaloux de leur, valeur et de leur gloire, les avoient sacrifiées et trahies. Son ressentiment contre 1'Autriche sembla cependant s'irriter davantage, en voyant les succès de cette dernière puissance continuer, malgré la défection des Russes, et les généraux autrichiens triompher et s'applaudir , pour ainsi dire , de ce que les Russes seuls, ayant été battus, ils avoient eu tort de s'attribuer leurs victoires en Italië (i). Pauls'abandonna aux premières impulsions de son caractère, en accablant de CO C'étoit, il est vrai, une injustice que 1'on faisoit aux Autrichiens : mais il faut avouer que Sorrvrorow leur rendit un témoignage éclatant et flatteur dans sa proclamation , en quittant leur armée et 1'Italie. C'est l'armée autrichienne , dit-il, que f 'ai trouvée victorieuse, qui m'a rendu aussi vainqueur. Ce vieux guerrier parut effectivement reconnoissant des lauriers dont cette armee avoit eugore paré ses, cheveus WaftCS»  C 340 ) reproches et d'affronts les ministres anglais et autrichiens a sa cour, en refusant de conferer avec eux , en leur enjoignant de s'éloigner, et en se permettant les sarcasmes les plus sanglans contre la coalition (1). II combattit long-tems avec luimèmepourprendre une résolution: tantöt (1) Paul fut si indigné de la défaite de ses troupes,et si outré de voir la coalition, que lui-même avoit reformée,avoir le même succès que les précédentes, qu'il se vengeoit des princes d'Europe par lessarcasmes les plus sanglans. Oa a parlé des affronts qu'endurèrcnt chi étiennementles ministres d'Autriche et d'Angleterre, avant de se déterminer a partir. Celui de Dannemark encourut la même disraee par une singularité assez plaisante. Un jour Paul s'exprimant k son ordinaire avec beaucoup d'amertume sur les coalisés, finit par dire qu'ils ne méritoient pas qu'on fit la guerre pour eux ; qu'ils devroient, au lieu d'un congrès, convoquer un tournois , pour y vider leur querelle en champ-clos; que ceux qui n'auroient pas le courage de se battre eux-mêmes, 'pourroient envoyer en leur place les ministres qui les avoient si bien servis, et pour Popi, nion desquels ils se ruinoient. Paul poussa cette amère plaisantene jusqu'a désigner chaque combattant, en opposant roi k roi , et ministre a ministre. Le ministre de de Dannemark rendit compte k sa cour, ou a un ami, de ces propos de 1'empereur, en y mêlant quelques railleries piquantes. La lettre fut iaterceptée; et Paul, furieux ,  (34i r son dépitl'emportoit, tantótsa haine contre la république et ses principes étouffoit son ressentiment. II résulta de cette alternative une foule de démarches contradictoir es * qui lirent penser que Paul avoit effectivement perdu la tête : il envoya définitivementa ses troupes 1'ordre de revenir en Russie. C'est ainsi que cette guerre ünit comme celle de Perse; c'est ainsi que Paul se retira de la coalition, sans garder aucune des mesures que lui prescrivoit une sage politique, et que cette troisième croisade, qui s'étoit formée sous des auspices qui sembloientla rendre indissolubleettriom- lui ordonna de quitter sa capitale en 24 heures (a\ Voil* la véritable clef de ces bruits dont les papiers allemands furent pleins. Ils parlèrent de ces plaisanteries de Paul > comme d'un projet sérieux qu'il avoit i'ormé de publier un tournois et des joütes, oü il inviteroit toutes les puissances a se rendre, soit les princes, ou leurs cliampions r pour se livrer un combat, et décider en champ-clos. (1) II faut ajouter que Paul St insérer dans la gazette de la cour , le morceau extrait de la lettre de M. de Rosencranz , sané omettre les réflexions plus qu'amères que 1'écrivain avoit a joutées a son récit. M. de Rosencranz tomba du ciel en lisant cette feuille : on n'y avoit pas nommé les correspondans ; mais il sentit d'oü cela partoit, et prépara ses paquets , avant d'a^oi? r«£u 1'ordre du départ. Note des éditairs,  C 342 ) phante, aboutit a une défection plus brusque, plus extraordinaire et plus désastreuse encore, qu'on n'eüt osé, je ne dirai pasle pré voir, ni mémel'espérer, mais le desirer en France,pour la gloire de la république et le bonheur de 1'humanité. Cette catastropbe des armées russes, la disgracede tant d'officiers distingués, la mort ou la captivité des autres, la bonte qui sembloitréjaillir sur la Russie, accoutuméedès long-tems a ne compter, dans ses annales militaires, que des victoires, augmentèreut de beaucoup les mécontentemens de ce règne turbulent et bizarre , qui menacoit d'une prochaine décadence 1'empire, épuiséd'hommes et d'argent(i). (O Pour recruter les armées russes, et compléter celles destmées k conquérir la France, Poukas de septembre '1798 ordonna la levée de trois hommes par cinq cents tetes males. En supposant a 1'empire de toutes les Russies3o milllons de population, et en retranchant d'atord i5 millions pour les femmes, puis encore un million pour les „obles, les militaires, les employés ciyils etles marchands qui se rachètent, il resteroit quatorze millions . le produit de tro.s hommes ^ ^ c^ts «nales est de six cents par million j le total seroit par con-  ( 343 ) La conduite de Pempereur envers les puissances naguères ses alliées, acheva de • lui aliéner 1'esprit des grands. Ses soupcons , ses terreurs et ses violences continuelles, le rendirent de plus en plus odieux. séquent de quatre-vingt-quatre mille recrues. J'obserTerai que c'est la fleur de la population male que 1'on enléve. Les. officiers recruteurs vont recevoir et choisir les individus , que 1'on dépouüle tout nuds , et que 1'on examine scrupuleusement. On s'en tient pour le nombre au dernier recensement qui a été fait, et oü sont compris tous les males qui existoient alors, k compter de Penfant qui vient de naitre, jusqu'au vieillard qui expirera peut-ètre le lendemain. Ces recensemens n'ont lieu que tous les vingt ans environ; de manière que dans Pintervalle il se fait de grands changemens. C'est cependant sur cette base mobile qu'est assise la capitation k Ïaquelle est sujet tout male vivant. II arrivé souvent qu'un père de familie , qui, k Fépoque du recensement, avoit trois ou quatre fils, les perd quelques années après ; le malheureux est cependant obligé de payer pour eux jusqu'au prochain dénombrement. D'un autre cóté, il est des paysans qui ont des enfans de quinze k dix-huit ans , pour lesquels ils ne payent point encore , puisque ces enfans n'étoient pas nés. Pour Pétat, tout est k peu prés compensé ; mais pour une familie, ou pour une commune oü quelque maladie épidémique a régné, c'est une véritable calamité. Cette commune , füt-elle réduite au quart de sa population, paye la même contribution pergonnelle.  ( 344 ) Sa conduite particuliere finit par Pisoler dans son empire , dans sa cour, et mème dans sa familie, comme sa conduite politique venoit de 1'isoler en Europe. II ne sefioitplusa personne , ni mème a ses anciens soldats de Gatschina , qu'il avoit mcorporés dans ses gardes • il devintplus rigide, plus minutieux et plus inconstant que jamais dans tous les détails du service militaire (i). En lourmentant sans cesse (1) Paul faisoit la ronde a toute heure , pour surprendre quelques soldats ou quelques officiers en défaut. Lorsqu'il étoit a Gatschina ou a Pawlcwsky , il traversoit plusieurs fois par jour le quartier de ses gardes. II falloit alors que chacun se présentat sur la porte de sa caseïne pour faire front; et si, a travers la fenêtre, Pempereur apercevoit quelque officier en robe de chambre ou sur son grabat, s/U voyoit quelqu'un se retirer , se cacher ou l'éviter, il le faisoit sur-le-champ sortir et conduire au corps de garde; de manière que ces pauvres officiers, après un exercice fatigant, qui avoit souvent commencé avec le jour pour ne finir qu'aprés midi, n'avoient pas un instant de repos : ils étoient obligés de tenir tonjours quelques dome.^tiques aux aguets pour les avertir, au cas oü 1'empereur touraeroit ses pas du cóté de leur logement. D'autres fois Paul I". faisoit battre pappej ^ QU troi,s fois par jour, pour s'assurer de la prcinptitude et  ( 345 ) _ les troupes dont il s'environnoit, pour s'assurer de leur exactitude et de leur fidé- de la vigilance de ses troupes. Un jour qu'il en avoit été très-mécontent a 1'exercice, il se fliit a souper de trèsmauvaise humeur; et, rappelant les revers qu'elles venoient d'essuyer en Suisse et en Hollande , il s'emporta contre les Russes en général, les accusa de manquer de vigilance et d'activité , disant qu'on pouvoit tout au plus, a force de soins et de peine , les dresser comme des machines , mais qu'il étoit impossible de leur donner du zèle et de 1'énergie. Le grand-duc Alexandre, présent, entreprit de défendre les troupes, et répondit sur-tout de la promptitude et de la bonne volonté de la garnison, qu'on pourroit a tout moment mettre a 1'épreuve, en lui donnant une fausse alarme. Paul prit son Els au mot, et lui ordonnade faire battre la générale, la nuitmême, a une heure du matin. Comme l'empereur avoit, pendant cette conversation très-animée, bu plus qu'a 1'ordinaire, Alexandre lui demanda 1'ordre par écrit, et le mit dans sa poche avant de sortir. Paul étoit plongé dans son premier sommeil , lorsque tout-a-coup, a 1'heure sonnante, la générale bat dans tous lts quartiers , et le tocsin est sonné par toutes les cloches. Personne n'ayant été prévenu , les habitans se lèvent eflrayés , et les troupes sortent en foule de leurs casernes, pour se rendre au lieu désigné du rassemblement. En un moment, les rues furentinondées de bourgeois et de soldats en mouvement, et les maisens illuminées. Chacun demandoit ce qui venoit d'arriver, et personne ne pouvoit répondie, Le vacarme et 1'eil'roi sa  ( 346 ) lité, il leurrendoit 1'existence insupportable, et se faisoit lui-même détester. répandent bientót au palais de 1'empereur : ses valets de chambre se précipitent dans son appartement, et le réveillent en sursaut pour lui annoncer que les rues se remplissent d'une foule de peuple et de soldats, et que toute la ville est en alarme. Paul avoit cuvé son vin : mais sa mémoire ne lui rappelant ni la scène, ni les ordres de la veille , il se léve tout agité , et ordonne qu'on lui selle son cheval. Les craintes et les soupcons qui 1'inquiétoient continuellement lui firent perdre la tête : it crut que 1'heure de la révolte et de la révolution avoit sonné, et n'eut pas plutót mis en hate ses habits, qu'il descendit, monta a cheval, et prit, au grand galop, la route da Gatschina, suivi de deux hommes seulement. Un instant après arrivé le grand-duc Alexandre , pour demander k son père s'il est content, et lui annoncer que déja toutes les troupes rassemblées n'attendent que les ordres de S. M. Quelle fut la surprise du jeune prince, en apprenant Pépouvante et la fuite de 1'empereur. IJ court sur ses pas , avec sa suite, et bientót il en approche assez pour que son père put entendre le bruit des chevaux. Paul pense qu'on le poursuit, et redouble d'abord ea course. II ne voulut enfin s'arrêter, que lorsque le grand-duc , ayant laissé sa suite en arrière , s'avanca eeul et Patteignit. II y eut alors une explication entre le père et le fils, qui revinrent tranquillement ensemble au Palais. Cette aventure ne corrigea pas Paul de ses craintes et ■de ses soupcons. Les moyens a-la-fois tyraoniques et ri-  ( 347 ) Dans sa guerre avec la France , Paul avoit été Pagresseur. II se contenta de dicules qu'il employa pour sa conservation, et pour prévenir une révolution qu'il redoutoit," ne servirent qu'a le Tendre tous les jours plus odieux. Pétersbourg, avec des guérites et des barrières oü 1'on arrête lespassans a chaque coin de rue, ressemble maintenant a une ville en état de eiége. Les palais de 1'empereur ne sont que des prisons éntourées de nombreux corps de garde. La police est une véritable inquisition politique. L'espionnage et les délations ont banni la confiance. Les visites domiciliaires continuelles répandent 1'alarme , a toutes les heures , dans les maisons bourgeoises. La gêne d ;ns la manière de vivre et de s'habiller, et 1'étiquette rigoureuse etablie dans toutes les classes de la société, ont enfin rendu cette capitale, naguères si brillante , et oü les mceurs étoient si libérales , si douces et si aisées, le séjour le plus lugubre etle plus triste de 1'univers. Tous ceux qui peuvent 1'abandonner , s'en éloignent; et Pétersbourg a peutêtre perdu quarante mille ames de population depuis la mort de Catherine. II ne faudra que dix ans du règne de Paul, pour faire un désert de cette magnilique création de Pierre I; d'une ville qui, en moins d'un siècle, étoit parvenue, comme par enchantement, a un point de splendeur et de prospérité qui la rendoit la jeune et superbe rivale des premières cités de 1'Europe. Les défaites des armées russes en Suisseeten Batavie, de ces armées qui, depuis le règne de Pierre le grand, n'avoient comptés que des victoires ou des succès , n'ont pas non plus détrompé Paul sur 1'importance des inno-  C 348 ) retirer ses combattans, sans publier aucune raison de cette démarche, et sans vations minutieuses qu'il a introduites dans le service. Il est même parvenu a se persuader que, malgré la jalousie etpeut-être la trahison de ses alliés, les Russes ne furent battus que pour avoir manqué d'exactitude dans leurs évolutions. II en fait des reproches a ses généraux dans les revues; et il s'est mème exprimé a ce sujet d'une manière assez remarquable dans un prikas impérial publié * la Parade du 20 «pu* iöoo, qui mérite d'être consigné ici. « Comme dans les manoeuvres d'aujourd'hui, sa majesté impériale a trouvé que les troupes de la division de Finlande (a) n'ont point du tout observé les dispositions qui leur avoient été prescrites , et que la colonne de la gauche est arrivée bien avant celle de Ia droite a la place désignée, oü elle a attendu cette dernière , par pelotons , sous le feu de l'ennemi , sans se couvrir de cavalerie ou de chasseurs, comme cela lui étoit ordonné; et même qu'a la retraite de 1'escadron le long du front (de la ligne) , un bataillon a fait feu sur tapropre cavalerie, sadite majesté impériale fait une réprimande au général prince Gortschakow ( b ) , et remarque de plus que c'est sans doute un pareille négligence et une pareille inattention des généraux, qui ont été Ia cause de la perte des (a) Les régimens et les divisions russes sont nommés d'après ïes villes et les provinces [de 1'empire ; ce qui n'est pas si sec que nos numéros , qui ne laissent rien a la mémoire ou a 1'imagination. (b) Le neveu de Souworovr , qui se trouvoir k Ia bataille d# 2urxch , et qui commandoit au combat de Diessenhoff.  ( 349 ) provöqlier la paix avec la nation contre Ïaquelle il les avoit envoyés guerroyer si batailles en Suisse et en Hollande Sa même susdite majesté impériale observe encore que les généraux de 1'inspection {division~] de Finlande doivent eux-mêmes) roir eombien ils sont éloignés d'être des généraux, même médiocres , et qu'aussi long-tems qu'ils demeureront tels, ils se feront battre partout, et par chaque ennemi. » Piien n'est plus contrastant avec cette verte réprimande que les louanges qui avoient été donnóes a la même division , quelques jours auparavant, dans un semblable prikas, oü 1'empereur témoigne sa reconnoissance aux commandans de la division de Finlande , et reconnoifc tout le mérite de leur zèle ct de leurs efforts dans le service , en accordant de plus un verre d'eau-de-vie k chaque subalterne. Dans le même prikas , sa majesté, après avoir excessivement loué son corps d'artillerie dans les manoeuvres du a3, crée commandeurs ou chevalier9 de Malthe, tous les officiers qui le commandent. Ce corps , en reconnoissance d'une si flatteuse distinction , déclare « que ce qui fait sa gloire et son honneur part;% x> culier, c'est de pouvoir dire qu'il a le bonheur de ne » devoir saperfection actuelle qu'aus. très-illustres soins » de son très-gracieux monarque et maitre ; puisque sa » très-haute et dite impériale majesté, en très-haute et 3> très-propre personne, avoit elle-même eu la bonté >-> d'inventer un nouveau calibre de canons, parle moyen » duquel 1'artillerie russe venoit d'être portée au dernier o» point de perfection et s'ouvroit uije nouyelle carrière, et  ( 35o ) loin. L'espace, qui le séparoit de cette nation, lui parut sans doute une garantie plus süre qu'uu traité , qu'il eüt trop répugné a conclure avec un gouvernement dont il avoit, quelques mois auparavant, résoluïadestrucüon. Mais il se fit, acette époque mème, une révolution subite dans ce gouvernement; et celui qui lui succéda » qui, avec le nom du plus gracieux et du plus glorieux » des monarques, suffira désormais pour être partout, » et en toute occasion la terreur de ses ennemis. » Tudieu! quel calibre cela doit être ! Au reste, qu'on ne 6 étcnne pas des tournures basses et avilissantes du style de ces passages, qui sont traduits mot a mot des gazettes de Pétersbourg du 25 et 26 aoiit 1800. La langue russe, malgré sa riehesse et ses beautés antiques , se ressent iingulierement de la servitude du peuple qui la parle. Un esclave russe , en parlant de son maitre, et tout autre , en parlant de 1'empereur , ou même d'un supérieur , dit: il a la bonté de dormir, il a la bonté de manger, il a la complaisance de parler, de penser, etc. II n'ose pas même employer le même mot pour signifier la même chose, lorsqu'il est question de son seigneur. Potschiwat et kouchit signifient manger et dormir, pour le maitre; spat et test expriment la même chose, pour Pesclave. C'est ainsi que les Allemands se servent d'expressions différeutes pour les mêmes choses, lorsqu'il s'agit d'un homme ou d'un anjjual.  ( 35i ) sut habilement et sagement calculer sur les passions et le caractère de Paul, et sur la déloyauté des coalisés^pour lestourner a son avantage (i). (i) Les liaisons intimes qui paroissent s'établir entre Paul I et le gouvernement francais , sont faites pour surprendre tous ceux qui en connoissent les principes directement opposés. Voiciun raisonnement qui pourra servir peut-être a les expliquer. Paul a été le seul des coalisés de bonne foi, le seul conséquent, le seul qui ait agi sans intérêt direct, sinon celui de la gloire dedompter les Francais, d'être le restaurateur des choses, et d'assurer a jamais les princes contre les suites d'une révolution effrayante. On lui avoit même persuadé qu'il lui étoit réservé par le ciel de rétablir le tröne et Pautel dans leur ancienne inviolabitité. En conséquence il rassembla , il amalgama autour de lui tous les débris des anciennes institulions politiques et religieuses, qui tendent a renfermer les lumières dans les mains de quelques scélérats adeptes , pour s'en servir a leur gré , comme les filoux se servent de leur lanterne sourde. II est certain que la France avoit le plus grand et le plus puissant interêt a neutraliser au moins les forces d'un ennemi aussi redoutable, dont les soldats sont inépuisables et ductiles comme les métaux de 1'Angleterre : ils n« coutent presque rien; et, comme on 1'a vu, des automates humains sont difficiles a tuer. Le gouvernement francais a sürement dü chercher a «ettra a prollt le dépit de l'empereiu contre la mauvais*  ( 35s ) De cetle conduite de Paul I envers la France, il résulta un état de choses assez foi de ses alliés. Je ne sais de quelle voie secrète il a pu se servir pour se rapprocher : la seule démarche conuue est 1'olfre de lui renvoyer une armée prisönniere sans rancon. Si, a 1'appui de ces généreuses avances, on a pu indirectement persuader a Paul : cc que Popinion rétrograde en France ; que 1'on y a senti enfin 1'inconvénient et 1'exagération des principes avancés; qu'on ne cherche plus qu'a les étouffer peu a peu pour se rapprocher in— sensiblement de 1'ordre de choses nouvellement resversé ; mais que ceux qui s'intéressent a ce rétablissement ne pourront 1'effectuer qu'en travaillant de concert avec le gouvernement actuel francais ; cpie la paix mènera plus surement et plus proniptement a ce grand but qu'une guerre a outrance, qui réveillera toujours puissamment 1'amour de la patrie, 1'enthousiasme de 1'indépendance et de 1'honneur national; que les puissances voisines sont déja gangrénées elles-mèmes des idéés de la révolution ; que Pexpérience prouve trop que les princes coalisés aspirent bien moins a extirper les racines du n al qu'a en tirer des avantages particuliers et éphémères, sans son ^er au salut des rois et du monde, qui ne pourra s'opérer qu'en laissant reposer ce ferment dangereux ; x> si, dis-je, Pon a pu faire entendre ces raisons a Paul Ier, je m'explique faci'ement sa conduite. Quant a 1'amitié particuliè e qu'on s'est cimplu a lui snpposer pour Bonaparte , c'est bien gratuitement. Paul a pu s'étonner de 1'ascendant et de la gloire d'un grand homme ; mais il avoit déja renoncé a la coalition et rap-  ( 353 ) remarquable. Le célèbre pbllosopbe Kant établit que la guerre est le puissant moyen pelé ses troupes avant le retour du consul en Europe. Oserai-je dire une vérité! Grands politipies, lecteurs assidus des feuilles de la rue des Prêtres et de celle des Moineaux ; et vous , journalistes, qui, sans lire eet ouvrage, allez bientöt le juger sur soa titre , vous croyez peut-étre que 1'éclat des victoires de Bonaparte , la sagesse et la fermeté de son gouvernement, la régularité de ses mceurs et de sa vie privée , lui ont enfin mérité 1'admiration de votre grand Paul Ier. ; ce n'est pas cela. Le premier consul a établi une grande parade; c'est de ce moment que date la première exciamation de 1'empereur en sa faveur. C'estpourtant un hommel s'écria-t-il, en, apprenant cette nouvelle. Supposer au prince le plus bizarre, le plus despote, la plus ennemi des lumières , le plus persécuteur qui ait régné depuis des siècles ; supposer au destructeur des écoles publiques et des imprimeries de son «mpire , au restaurateur du blason et des étiquettes les plus barbares et les plus absurdes; supposer a 1'empereur qui a rendu une ordonnance publiée , que 1'on ait a regarder les ordres qu'il donnoit a sa parade comme ayant force de loi; supposer au souverain qui a fait mourir de faim ou fouetter en cérémonie ses chevaux. pour lui avoir manqué , qui a enfin commis, sinon les cruautés, au moins toutes les extravagances d'un Caligula ; lui supposer , dis-je, le projet de s'unir au plus grand homme de 1'Europe, pour exécuter, de concert avec lui, les projets sublimes et libéraux qu'avoient concus des génies bienfaiteurs de 1'hu- 3. z  ( 354.)) dont la cause du monde se sert pour disperser ou rapprocher les peuples, et que, sans la guerre , il n'y auroit ni paix ni relations légales entre eux ( i). Ces prin- manité, pour le bonheur et la paix perpétuelle du monde, c'est ce qu'on ne devoit pas attendre de Garat; et c'est ce qu'on lit avec étonnement dans une note de son éloge de Kléber et de Desaix. Etranges méprises de ceux qui cherckent a saisir et a flatter sans cesse Fintérêt du jour et Fa-propos du moment ! Ces êtres fugitifs écbappent, et ne laissent que la confusion de les avoir embrassés pour des formes solides. Machiavel et le boii abbé de Saint-Pierre ; le loyal et brave Henri IV, et le fourbe Pliilippe II; Bonaparte , le béros de la liberté , et Paul Icr, le don Quichotte du despotisme, seront, je 1'espère, a jamais des contrastes dans Phistoire. (1) Emmanuel Kant a publié un traité raisonné profondément, et assez intelligiblement écrit, sous le titre de Projet de Paix perpétuelle, essaiphilosophique. Cet cuvrage, traduit et publié aussi en francais a Kcenigsberg, par un homme qui voyoit beaucoup 1'auteur, est bien différent de celui de 1'abbé de Saint-Pierre, connu sous le même nom. Celui - ci mériteroit d'autant mieux de 1'étre en France, qu'il n'est pas de ceux du célèbre philosophe qui out besoin de commentaires pour être entendus. Dans le cours de ce traité , Kant établit, entr'autres, que la bonne politique ne peut être fondée que sur la morale et la justice; que le meilleur gouvernement, Ie  ( 355 ) cipes ne sont point applicables ici. La France et la Russie avoient été cle tout seul solide , est le républicain ; que celui qui n'est pas représentalif n'est qu'une tyrannie. II définit la liberté légale en ces mots : Elle consiste d n'obe'ir qu'd des lois auxquelles on a pu donner son assentiment. II réfute, de la manière suivante, le mot de Pope : Laisse les sots disputer sur le meilleur gouvernement; le mieux administré est le meilleur : « Si cela veut dire que 1'état le mieux administré est le mieux administré, Pope a casséï une noix pour avoir un ver : mais si ce mot signifie que, dans 1'état le mieux administré , le gouvernement est le meilleur , quant a sa constitution , rien n'est plus faux.' - Une bonne administration ne prouve rien en faveur dn ' gouvernement. Qui a mieux régné que Titus et MarcAurèle? Néanmoins 1'un eut pour successeur Domitieny et 1'autre Commode; ce qui n'auroit jamais eu lieu dans une bonne constitution. » Kant conclut ainsi. « S'il est du devoir, si 1'on peut même concevoir 1'espérance de réaliser, quoique par des progrès sans fin , le règne du droit public, la paix perpétuelle qui succédera aux trèves nommées jusqu'ici traités de paix, n'est pas une chimère. C'est un problême, dont le tems , abrégé par 1'uniformité des progrès de 1'esprit humain, nous promet la solution. » Au reste , que les Francais ne s'attendent pas a trouver dans Kant de ces idéés neuves, de ces traits de génie qui nous tiennent dans 1'étonnement, et qui nous entrainent. II n'a presque rien dit qui ne se trouve épars dans nos philosophes, ou que Phonnête homme éclairé,  ( 356 ) tems en paix. Un roi de France (Henri I) avoit même épousé une princesse russe , sans que ces deux nations aient jamais été en état de guerre • et la première qu'elles se sont directement faite, a cessé tout-acoup , sans qu'il paroisse depuis deux ans aucun acte public , de la part des Russes , qui suppose la paix 5 quoique n'ait pensé lui-même. Son mérite n'est pas d'avoir inventé, mais d'avoir réduit en systême , prof'ondément raisonné et senti, les maximes les plus saines de raison et de sentiment. Si Condorcet ou Montesquieu, ou Ilousseau avoient écrit ce qu'il a si savamment médité , nous auHons aujourd'lmi la doctrine philosophique la plus parfaite, dont puisse s'enorgueiüir 1'esprit humain. Ce que j'admire le plus dans ses ouvrages diffus , qui tous respirent la plus pure liberté, c'est de voir qu'ils sont tous imprimés et réimprimés a Berlin et a Koenio-sberg. Cette dernière ville se distingue sur-tout dans le Nord par les lumières et les idéés libérales qui y sont généralement répandues, en politique ainsi qu'en religion. Un déisme pur et la saine morale de Jésus y sont même enseignés publiquement dans quelques églises , *ous le nom de christianisme raisonnable. J'ai assisté a la confirmatiou des princesses de Holstein-Beck, élevóes dans cette nouvelle doctrine , qui fait tous les jours des progrès, et dont les disciples de Kant sont partisans zélés.  ■ ( 357 ) Paul, semblant répondre enfin k toutes les avances du gouvernement francais , vienne d'envoyer un ministre pour la conclure (i )• Souworow avoit quitté 1'Allemagne , navré au fond du cceur. N'avoir pu vaincre , lui causa la mort. II arriva mourant a Pétersbourg , alla descendre chez un de ses neveux, et se mit dans un lit d'oii il ne se releva plus. I/empereur avoit ache vé de le tuer, en lui attribuant une partie des désastres essuyés en Helvétie , et en distribuant les débris des armées de manière qu'il ne restoit aucun commanclement au vieux guerrier, qui se trouvoit par le fait exclu du service. Certes , si la campagne brillante qu'il avoit faite en Italië , sa marche extraordinaire et mémorable* a travers les monts , et sa belle retraite , dans la position désespérée ou il se trouva en Helvétie , ne lui méritoient pas un triomphe aux yeux de Paul, du (1) C'est par tine inadvertance du compositeur, qu'oit sl indiqué ici une note le texte.  ( 358 ) moins ce prince devoit - il plus d'égards et de reconnoissance au seul général qui ait soutenu la réputation des Russes sous son règne (i). II parut cependant prendre (i) Uoukas, ou 1'ordonnance de regarder a 1'avenir Souworow comme le plus grand général de tous les tems, de tous les lieux et de tous les peuples , est, il est vrai , un acte bien extraordinaire ; mais il paroit que Paul a été le premier a le violer lui-même. Cet oukas fut donné a. la parade; et par conséquent il doit avoir force de loi, en vertu d'un oukas antérieur, dont nous avons déja parlé, et qui a paru inconcevable. Nous allons, pour convaincre les incrédules, le traduire mot a mot du recueil des ordonnances de Paul I, publié par son ordre. II s'y trouve au tome I, page 141. OukAs, portant que les ordres de sa majesté impériale, donnés a la parade, seront considérés comme oukas formels , ( c'est-a-dire , auront force de loi). ■> Par ordre de sa majesté impériale, le sénat dirigeant a entendu lecture d'un oukas formel de sa majesté impériale, dont 1'adjudant - général Kouchelew a présenté copie au collége de 1'amirauté, le l3 novembre 1796, oü il est dit : Notre empereur et maitre a eu la bonté d'ordonner que les ordres donnés en sa sublime présence a la parade , aussi bien ceux concernant V'avanceinent quj- tovt ze hes te , seroient considérés comme ou kas formels de sa majesté impériale. Le sénat ordonne en conséquence de faire connoitre cette sublime ordonnauce a tous les gouvernemens , administrations et tnbunaus. de 1'empire, par un arrêté, et d'en instruire  ( 359 ) quelque intérét a ses derniers tnomens, envoya demander de ses nouvelles, et peraiit aux grands-ducs, ses Hls, d'aller visiter Souworow. Ce vieillard, si actif et si vivace , expira presque dans leurs bras de chagrin, d'épuisement et de vieülesse. II avoit commencé sa carrière militaire par être simple soldat dans les gardes de 1'impératrice Elisabeth , et la finit comme généralissime des armées de 1'empire de toutes les Russies, décoré de tous les ordres et de tous les titres, comblé cle toutes les faveurs, surnommé le Rimnique par Catherine II, a cause d'une victoire remportée sur les Turcs aux bords du Rimnik , et Vltalique par Paul I, la cbambre du sénat a Moscou et le tiès-saint sinode, par un avis. Aout 1797. Du quatrième département du sénat. » On voit, par eet acte authentique, que le sénat dirigeant est une espèce de parlement, qui enregistre et publie les lois, c'est-a-dire , les immennoiïi oukas, oukas formels des empereurs de Russie : mais il n'a pasle droit de le refuser , ni même de faire des remontrances. II est absolument un instrument passif de la volonté souveraine.  ( 36o ) pour sesvictoires en Italië. Aces marqués d'honneurs éclatantes , Paul en ajoula tine plus extraordinaire j il ordonnaquoji lui rendit les mêmes honneurs militaires qua lui-même, et qu'il Jut regardé désorjnais comme le plus grand capitaine de tous les tems, de tous les peuples , et de tous les pays du monde. Je doute que la postérité confirme eet oukasimpérial- mais il est certain que le nom de Souworow lui parviendra , environné de terreur, de gloire et de sang. On diroit que la victoire, en couronnant constamment ce héros eu caricature , a voulu rabaisser 1'amourpropre et 1'orgueil de ses plus chers favoris. II faut convenir pourtant qu'il fut le meilleur général , que pussent avoir les Piusses et sur-toutla coalition. II eut cette force, cette intensité de volonté et de caractère , qui peuvent tenir lieu des plus briJlantes qualités et mème du véritahle génie. S'il eüt été donné k un homme d'arrèter 1'esprit humain dans sa marche , de soumettre la raison k 1'empire de labaïonnette, et de renchainer la race d'Adam a  ( 36i ) la glèbe de Nembrod ■ Souworow , avec ses Russes, eüt opéré cette effroyablecontre-révolution. Les amis desa gloire et de son bonheur ont a regretter qu'il ne soit pas mort au cbamp de victoire ; ceux qui admirent la bisarrerie de son caractère et de sa fortune, qu'il ne sojt pas mort d'une manière aussi extraordinaire qu'il avoit vécu ; et ceux qui déteslent les principes affreux el la tyrannie dont il étoit 1'organe terrible , qu'il n'ait pas été , comme on Fespéroit, conduit vivant a Paris pour le triomphe de la liberté. Avec des événemens absolument opposés , Souworow parvint presque au mème résultat que Bonaparte 3 ce héros destiné a établir et a défendre ce que 1'autre étoit chargé de détruire. II eüt été du plus sublime intérêt de voir ces deux hommes extraordinaires , aux prises 1'un avec 1'autre , décider les destinées du monde : 1'un, disposant a son gré de la vie et de la mort d'une multitude d'esclaves disciplinés,échaufféspar le délire du fana-  ( 362 ) tisme, égarés par la superstition, remplis de la plus aveugle confiance dans leur dieu, dans leur chef et dans leur valeur , redoutahles , surtout, par 1'habitude de vaincre , en ohéissant raachinalement; 1'autre, disposaut non moins impérieusement d'une nation libre, par 1'ascendant du génie et de la fortune, éveillant par ses actions et ses discours toutes les idéés libérales, et excitant dans tous les cceurs 1'enthousiasme de 1'honneur national; Tun, vieilli dans les comhats, écroui par toutes les fatigues de la guerre , et suppléant, par une continuelle expérience et par une longue pratique aux plus savantes théories de eet artmeurtrier; 1'autre mais pourquoi pousser plus avant ce parallèle entre deux hommes si différens? On nepéut les rapprocher que comme 1'on rapproche les extrémités du serpent d'Esculape, symbole de 1'immortalité , dont la tête engloutit la queue: sansdouteque 1'extrémité la plus noble eüt aussi englouti la plus rampante. Un triomphe plus grand  ( 363 ) encore fut réservé a la France : la liberté eut la gloire cle vaincre , même avant le retour de son jeune Renaud j elle eut clans Masséna son Raimond , et dans Moreau son Tancrède. Paul eut cependant aussi son triomphe dans cette guerre immortelle. C'est avec les Turcs que les Russes furent heureux; et leurs escadres combiuées réussirent complètement dans leur expédition. Elles firent la conquête des iles vénitiennes, oü les Francais n'avoient que de foibles garnisons, et oü ils ne purent porter aucun secours. Cesgarnisons, obligées de capituler après quelque résistance , furent trailées par les Turcs avec une brutalité digne de cette nation stupide et fanatique, dont ia barbarie résiste a la civilisation et a la lumière des siècles , coiume les glacés des Alpes résistent a 1'action du soieil. Mais Pamiral Outschakow et ses-officiers russes traitèrent les Francais avec cette bumanité qui distingua les premiers sous ie règne d'Elisabetb, et qui les eüt caraclérisés  C 364 ) partout sous les règnes suivans, si, dans une guerre alroce , 1'orgueil et le despotisme même n'eussent pas cherché a les rendre implacables etsanguinaires (i). L'empereur jouitde cefacile et premier triomphe, avec une ostentation quisemble indiquer que son règne ne sera pas fécond en exploits glorieux. II enfla tellement le cceur des deux despotes orientaux, que, sans attendre 1'issue de la guerre et 1'assentiment de leurs alliés, ils décidèrent entre eux du sort de ces iles conquises • mais ce fut d'une manière aussi extraordinaire et aussi inattendue que 1'avoit été leur alliance. Ces despotes, ligués pour détruire les républiques , trouvèrent plaisant d'en créer eux-mêmes sous leur protection immédiate. C'est ainsi que se termine cette (i) Je consacre ici ma reconnoissance envers 1'officier russe , qui, chargé d'amener ces prisoimiers de guerre dans les ports de France , eut des égards particuliers pour quelques officiers qui lui parlèrent de moi , et lui dirent me connoitre. J'ai taché de m'acquitter depuis envers les prisonniers russes que j'ai rencontrés cu France.  ( 365 ) révolution extraordinaire: la ligue deS Tnonarques finit par ériger des républiques , et la république par ériger des monarchies! Cette guerre avoit commencé dans une intenlion précisément opposée a ce doublé résultat. Or maintenant, grands politiques, combinez de vastes plans, publiez vos manifestes , proposez-vous un but dont rieri ne pourra vous détourner , établissez un systême posé sur des principes inébranlables, et cimentez-les avec le sang humain -puis, chantezle Te-Deum^hénissez Dieu , et surtout votre propre sagesse. J'ignore encore si cette atteinte expresse au traité de Campo-Formio seraconsacrée par celui de Lunéville, dont il est la base, et si le gouvernement francais a consenti a cette espèce de démembrementdes conquêtes glorieuses de son chef. Quoiqu'il en soit,la déloyautédesalliés de Paul lui porta , du cöté oü il avoit triomphé , le coup le plus sensible qu'il put rece voir après la défaite de ses armées. Malthej capitula avecjles Anglaisj et, d'après les conventions secrètes de la ligue,  ( 366 ) cette ile devoit être remise a la Russie. La garnison , qui lui étoit destinée , erroit même depuis long-tems autour de cette nouvelle Ithaque • mais le gouvernement anglais crutpouvoiragir impunémeniavec les Russes, comme il avoit fait avec les Stathoudériens, avec les émigrés, avec les Turcs et tous ses alliés , c'est - a - dire , garder pour lui ce qu'il s'étoit engagé a reprendre pour eux. Paul s'abandomia a toute 1'indignation que lui inspira ce nouveau.trait de la foi britannique , et traita le gouvernement anglais et ses agens avec une hauteur et un mépris , que les Israébtes et les Bretons seuls supportent, quand 1'intérét le leur commande. Mais enmettant 1'embargo sur les vaisseaux anglais, ■en arrêlant leurs matelots, et en séquestrant leurs biens et leurs marehandises , Paul enfreignit lui-même Partiele le plus clair et le plus important du traité qui le lioit a 1'Angleterre (i), et prouva que la (i) L'r.rt. du traité de commerce conclu a Pétersbourg entre la Russie et PAngleterre, du mois de février 1797,  ( '367 ) loyauté impériale étoit digne de la foi britaimique. Voila doncle résultat de vos traités les plus inviolables, ö vous qui ne voulez en conclure qu'au nom de la trés - sainte et oue Paul a violé en mettant 1'embargo sur les vaisseaux anglais , est ainsi concu : « S'il arrivoit, ce qu'a Dieu neplaise , une rupture entre les deux parties contraelantes, les "vaisseaux, ni les marehandises, niles équipages, nepourront être arrêtésouconfisqués : mais il sera accordó un an de tems pour le moins, pour vendre les eifets ou pour en disposer autrement, soit pour les emmener, ou se retirer oü chacun le trouvera bon; ce qui est a étendre également a tous ceux qui se trouvent au service militaire sur terre ou sur mer. II leur sera en outre accordé de disposer des effets dont ils n'auront pu disposer, des créances qu'ils pourront avoir, même de les remettre en d'autres mains, s'ils le trouvent bon; et les créanciers seront tenus de payer ces dettes avant ou après le départ des débiteurs, comme s'il n'y avoit aucune rupture entre les puissances. » Paul I, en confisquant les vaisseaux, et faisant prisonniers de guerre les matelots anglais , au premier moment de sa juste brouillerie avec 1'Angleterre , a évidemment violé eet article. II avoit cependant confirme et ratifié le traité en ces termes : « Après un mur examen 'de ce traité , nous 1'avons adopté et confirmé dans tous ses points, et nous le ratifions de la manière la plus solemnelle, euengageant notre  C 368 ) indwisible Tri/iité, et qui refusates si longtems de traiter avec la république une et indwisible ! parole impériale pour nous et nos successeurs , que tout ce qui y estcontenu sera inviolablement exécuté , etc. etc. Fait dans notre résidence de Moscou, le 3o avril, 1'an 3797 de la naissance du Sauveur, et le premier de notre règne.» Signé, Paul.  ■ ANECDOTES HISTORIQUES. Les Poucc, les Dames et P ierre-le-Grand. La chose la plus commune, et celle dont ! on se formalise le moins en Russie, c'est d'avoir des poux. Cette vermine y abonde; Ü et un étranger est a peine débarqué a Cronstadt, qu'il s'en voit couvert. On doit i attribuer eet inconvénient au clima', a la nourriture des Russes, et a leur habillement. Le paysan , le soldat et le matelot passent une partie del'année, dans le nord, couverts d'une peau de mouton a peine pre'parée, qui leur sert en même-tems de linge, d habits et de couverture de lit. La manière de vivre | des nobles les exposé a partager avec le peuple cette incommodité : ils sont toujours em'ironne's d'une foule d'esclaves malpropres, qui couchent saiement sur le plauclier, ou sur les meubies de 1'appartement; car il y a bien peu de maisons oü 1'on pense a leur assigner une chambre, et moins encoi'e de Hts. S'il vous arrivé de traverser un peu tard les appartemens du palais ou les salons de quelques hotels, vous êtes obligé de vous détourner pour ne pas fouler aux pieds les domesliques ronflans sur les parquets, enveloppés dans leur inexpugnahle peau de mouton: c'esl-la que ces parasites importuns se retranchent et se propagent en süreté. Cela m'a fait penser souvent qu'Hercule, avec sa dépouille du liou de Neraée pour tout 3, a a J  ( 57o ) ^ vêtement, devoit être rongé de poux comme un Russe. Les dames de Russie, allant en visite, remettent en entrant leurs belles pelisses de renard bleu ou noir, d'hermine et de martrezibeline, a leurs laquais, qui se couclient dessus en attendant leurs maitresses dans 1'antichambre. lis leur remettent en sortant la précieuse fourrure, peuplée et fourmfllante; aussi voit-on quelquefois une jolie femme, durant une partie de wisk, tirer une riche tabatière d'or pour prendre une prise, puis se gratter élégamment les tempes, pincer légèrement la petite béte entre les doigts, la poser sur le couvercle e'maillé, et la faire craquer sous 1'ongle: il est plus ordinaire encore de voir des officiers, et d'autres personnes comme il faut , se débarrasser de cette vermine et la jetersur le plancher, tout en causant. Je me rappellerai toujours a ce sujet Ie jour oü je fus pre'senté au général Me'lissino. II étoit occupé a faire 1'épreuve dun beau microscope anglais dont il venoit de faire emplette, et environné de plusieurs officiers de son corps. 11 appela son valet de chambre pour lui demander un insecte, afin de le placer dans le foyer du verre : mais a peine eut-il exprimé ce desir, que je vis trois ou quatre de ces officiers, poudrés a Liane, s'empresser de prévenir le domestique et présenter a la fois leur capture ; de manière que le général, embarrassé du choix, donna la préférence au domestique, qui avoit été aussi prompt que les officiers a saisir une proie  ( 37I ) _ derrière son oreille. J'ètois si émerveillé, que je ne reraarquai point ce que deyinreüt les animaux refuses. Je ne rapporte point ces particularitcs pour jeter du ridicule ou du mépris sur les Russes. Quoique dans 1'espace de douze ans j'aie vu ces exemples devenir plus rares ; il est certain que les poux ne répugnent point encore autant a leur délicatesse qu'a celle des peuples oü 1'usage du linge et 1'abandon des fourrures sont d'ancienne date. Les Russes ont encore un jeu national, digne pendant des courses de Newmarket, oü 1'on se sert de poux au lieu de coursiers. On voit, sur quelques marchés de Pétersbourg et de Moscou, des revendeurs tirer un cercle sur un banc , et placer chacun un pou au centre; celui dont le petit coureur parvient le premier du centre a la circonférence du cercle , gagne f'eniéu. Pierre le grand jouoit lui - même quelquefois a ce jeu-la dans les cabarets et autres lieux qu'il aimoit a fréquenter incognito. L'on assure que ce prince célèbre n'étoit pas le dernier a trouver dans sa superbe chevelure 1'animal nécessaire pour participer au jeu. Ambassadeurs francais a Pétersbourg. Les Anglais se souviennent d'un ambassadeur de Henri IV , que la reine Elisabeth eut envie de déconcerter au milieu d'une grave harangue qu'il lui adressoit. La reine se mit a jouer la distraite et letourdie, laissant voir a découvert une jambe charmante qu'elle affectoit d etaler.L'arabassadeur  ( 372 ) _ sé précipita soudain, et baisa avec transport ce qu'on lui montrait. Elisabeth feignil d en être indignée : Ah ! belle femme s'écria 1'ambassadeur, si le roi mon maitre étoit en ma place, rien ne manqueroit a son bonheur. Les Russes citeut aussi avec admiration rurbanité et la présence d'esprit de M. de la Chétardie, envojé de France auprès de leur impéi'atrice Elisabeth. Elle étoit sur son tróne, environnée d'une cour nombreuse qui écoutoit en silence le ministre francais : au milieu du discours, un bracelet d'Elisabeth se rompt et tombe sur les degrés du tröne. La Chétardie s'interrompt, ramasse le bracelet , et le présente a 1'impératrice d'un air galant et respectueux ; puis reprenant son róle d'ambassadeur, il revient a sa place , remet son chapeau, et poursuit sa harangue avec une gravité imperturbable. Ce la Chétardie est encore cité a la cour de Russie pour sa poiitesse et pour 1'influence qu'il exercoit. Tous ses successeurs ne servirent qu'a le faire citer et regretter davantage, jusqu'a ce queSégur, doué également des talens et de 1'esprit qu'il faut pour plaire et réussir a cette cour, parut enfin le faire oublier. Si jamais les relations intimes se renouent entre laFrance et la Russie, quoiqu'il paroisse que les femmes n'y régneront pas de longtems, j'ose prévenir cependant qu'aucun envoyé de France n'y réussira, qu'il ne réponde, par son caractère et son esprit, a 1'idée avantageuse qu'on s'est formée dans le nord de rurbanité francaise. Si 1'on veut qu'il fassent  ( M ) •autre chose que de se charger d'une lettre et d'en rapporier la réponse, il faut qu'il joigne : aux qualités essentielies celle dune société aimable : il faut qu'il sachejouer, faire de la musique, des calembours, et dans 1'occasion descouplets; cela lui fera sa réputation chez les courlisans et chez les femmes: mais auprès de Paul, qu'il se garde bien de montrer qu'il i sail autre chose que 1'exercice a la prussienne. Qu'on apercoive a peine sa personne enlre de grosses bottes etun énorme chapeau, et qu'il ne parle de la France que pour rappeler 1'époque oü Paul y voyageoit, ou tout au plus pour détaillerles grandes parades du premier consul. Spéculations odieuses. On a souvent parlé, dans le cours de eet ouvrage, de la manière revoltante dont les serfs sont traités, vendus,, troqués ou joués. L'on ne sauroit trop se récrier contre ces actes atroces, qui contrastent si horriblement avec les lumières, les moeurs, et même avec la religion et le degré de civilisation de la nation russe, aussi bien qu'a vee les principes avoués de son gouvernement. C'est a force de réclamer contre ce brigandage barbai'e , que le philanthrope se fera entendre. Littérateurs a phrases usées, qui ne disent pas plus aujourd'hui qu'elles ne disoient il y a cent ans; froids savans, qui analisez ou disséquez la matière et les ètres animés avec la plus parfaite abstraction de toute influence morale; et vous surtout, impassibles calculateurs, qui répéterez jusqu'a la fin des siècles que deux et deux font  C 574 ) quatre, et que tout autre raisonnement est une chimère, ce n'est pas vous qui opérerez le bien. C'est un Voltaire, en ï'èpétant mille fois Ecrasez l'infdme; c'est même un Mercier, si ridiculisé a Paris , et regardé partout ailleurs comme le plus moral des e'crivains francais (a). Puissent les traits suivans frapper d'une salutaire indignation les princes qui ont le malheur de régner encore sur des peuples esclaves ! M. de K... ky, officier aux gardes de 1'impératrice Catherine seconde, étoit un jeune homme libertin et débauché. Après avoir dépensé et joué tout son bien, il ne lui restoit plus qu'un village. Pour en tirer meilleur parti, il en vendit tous les habilans males un a un, soit pour être soldats, soit pour être domestiques, et n'y laissa que des veuves et des filles, pour cultiver cette terre qui étoit sa dernière ressource : il vendit enfin ses propres domestiques, qui 1'avoient élevé ou servi dès son enfance; de manière qu'il resta seul, sans autre moyen d'exister que sa lieutenance et un village qui ne lui rapportoit presque plus rien, puisqu'il n'y avoit plus que des femmes, des vieillards et des impolcns. JSe pouvant se soutenir a Pétersbourg, sur- (a) II est aussi presque le seul oii 1'on trouve du neuf pi de la Iraicheur dans les idéés. On lui reproclie ses drames : muis s'ils ne sont pas des chef's-d'ceuvre , il feut avouer que Ja Bröuette du vinaigner a opéré plus de bien qu'Athalie, et que le Tableau de Paris a plus concouru a faire sentir et retrancher des ai»us <|ue Ja iroide Epkre sur les embarras de rctte ville , qui doir ètre aussi un chei'-d'ceuvre. Quant a l'an 2440, c'est une oeuvre de genie et vraiinent prophétique. Personne n'a eu, comme Mercier, » bonkeur de voir ses rêveries se réaliser.  ( 575 ) tout après y avoir joué un röle et fait de la dépense , ce jeune homme , qui avoit de 1'esprit et même de 1 education, devint rêveur et mélaneolique. II songeoit sans cesse au moven de rétablir ses affaires, et, croyant enfin 1'avoir trouve, il demanda tout a coup son congé. Ses amis setonnèrent d'autant plus de cette résolution, qu'ils savoient ce jeune homme ruiné. Camarades, leur dit-il, la paix est feite, j'ai une trés mauvaise réputation, aucun espoir de fortune, ni même d'avancement prochain : je ne puis me soutenir a la cour, et moins encore me flalter d'y obtenir quelque grace. J'ai imagmé un moyen de rétablir mes affaires mème de m'enrichir, en me retirant dans ma terre. Ce moyen n'est encore tombé sous Ie sens de personne, et il est cependant infaillible. Ses amis lui demandent ce que c'est. Vous savez , continua-t-il, que j'ai vendu tous les males de mon village; il n'y a plus que des femmes , dont la plupart sont de jeunes veuves que j'ai faites, et de joKes fdles. J'ai vingt-cinq ans, et je suis très-vigoureux; je vaisla, comme dans un sérail, m'occuper a repeupler ma terre, et a me créer des ressources inépmsables pour ma vieillesse : le plan que j'ai formé s'accorde autant avec mes besoins qu'avec mes goüts. En dix ans , je serai le veritable père de quelques centaines de mes sujets; dans quinze ans, je pourrai déja les vendre : imaginez dans quelle proporiion va s'augmenter annuellement mon revenu , aussi long-tems que j'aurai la force et la santé. Aucun haras n oüre un profit si clair et si  ( 376 } sür : les mères et les bancroches suffirorrt pour cultiverle seigle et les choux qui nourriront cette marmaille. Allez, je serai riche Tin jour. Ses camarades voulm-ent eu vain rire de ce projet extravagant et atroce ; il prit son congé, et partit, bien résolu de 1'exécuter. II y a quinze ans que le fait est arrivé, et peut-être ce spéculateur est-il prêt a reparoitre a la cour. J ai vu moi-même exercer un commerce presque aussi lucratif et presque aussi odieux. Madame de Posnikow étoit une veuve de Pétersbourg, qui avoit a quelque distance de cette capitale, une terre assez peuplée. Cette dame en faisoit enlever chaque année les petites fllles les mieux faites et les mieux organisées, aussitót qu'elles atteignoient lage de dixa douze ans. Elle les faisoit alors élever dans sa propre maison , sous l inspection d'une espèce de gouvernante, et leur faisoit donner des lecons dans les arts utiles et agréables. On leur enseignoit en même tems la danse, la musique, a coudre, a broder, a coiffer etc; de manière que cette maison, oüily avoit toujours une douzaine de petites filles ainsi élevées, parois^oit une pension de jeunespersonnes bien conduite. A quinze ans, ces demoiselles étoient vendues; les plus adroites a des dames, pour en faire leurs femmes de chambre, et les plus jolies a des bbertins, pour leurs maiti-esses. Comme la propriétaire les vendoit jusqu'a cinq cents roubles pièce , cela lui faisoit un rapport constant, dont Ia moitié, au moins étoit un gain net.  ( 377 ) On doit s'étonner que les spéculations dé ce genre ne se soient pas multipiiées et perfectionnées davantage dans les pays oü elles sont permises , et même prolégées ; cela fait honneur aux mceurs et a 1'humanité des Russes, en faisant honte a leur gouvernement. II y auroit sans doute des inconvéniens en rendant tout a coup la liberté aux esclaves; mais un empereur pourroit au moins défendre la vente individuelle des hommes , et restreindre le pouvoir de leurs maitres. Si Alexandre remplit les espérances qu'il a données , et même les promesses qu'il a faites, ce bienfait k 1'humanité sera 1'un des premiers actes de son règne, s'il monte un jour sur le tröne. Rib as, Nassau et Paul. Paul I, encore grand-duc , avoit le titre de grand-amiral; mais on ne lui communiquoit rien de ce qui concernoit la marine. II ne lui fut même jamais pet'mis d'aller voir la flotte de Cronstadt. Le romanesque prince de Nassau-Siegen et le rusé aventurier Bibas , nyant été faits amiraux , se presentéren! un jour au salon du grand-duc , dans un nouvel uniforme introduit a 1'inscu de Paul, pouruti nouveau corps de marine. Le grand-duc fit semblant de ne pas les reconnoitre, et les oMijea de lui décliner leurs noms et qualités. Ha! ha ! dit-il en ricanant, je ne vous remetiois pas; mais quel uniforme avez-vous donc la ? — Da corps de marine qui vient d'être formé , monseigneur. — Cela n'est pas possible ! Que je ne vous revoie plus sous eet habit , et  G378 ) souvenez-vous que je suis grand - amiral de 1'empire. Les deux amiraux allèrent se plaindre a 1'impératrice, et 1'informèrent de la déf'ense du grand-duc. Elle leur ordonna de se présenter de nouveau dès le lendemain devant son Hls , reyêtus du même habit, et de lui dire que c'étoit par son ordre exprès. Ce prince fut obligé de dévorer cette morlification, comme bien d'autres chagrins qui 1'aigrissoient tous les jours, et qui altérèrent enfin son ceractère. II se ressouvint de cette scène. A peine fut-il sur le tróne, qu'il retira au prince de Nassau la pension de douze mille roubles que Catherine lui avoit laissée, en lui accordant son congé. Ribas perdit aussi son commandement, et vécut quelque tems dans la disgrace: mais ce souple Italien , voyant toutes les circonstances contre lui , se tut et rampa. II avoit épousél'amie intimedeMlle. Nélidow, maitresse de 1'ernpereur ; cette dernière 1'a fait reparoitre un moment sur la scène , oü il a joué un röle assez marquant pour être connu. Joseph Ribas est un Napolitain , originaire d'Espagne. II possède au suprème degré tous les vices qu'on reproche aux Italiens, et quelques-uns des agrémens de leur esprit dans la société , sans avoir aucunes de leurs bonnes qualités. Chantant, buvant galment, parlant plusieurs langues, bouffon et farceur, on le mettoit de toutes les orgies bacchiques et galantes. C'étoit le roué j,»i,iiuic. j_,ca glacons arrrvent tous formés du lac Ladoga, d'ouils sont détachés par les vents; ils flottent sur le fleuve jusqu'a ce que, repoussés par les vagues de la mer, ou s'engorgeant a 1'embouchure , ils s'arrêtent , s'arrangent d'euxmêmes comme des pièces de rapport, et e'tablissent sur la Néva un parquet de glacé, qui souvent n'a besoin que de quelques heurespour se cimenter solidement. Ces glacons de différentes grandeurs arrivent épais de plusieurs pieds, et 1'on voit bientöt glisser dessus les traineaux les plus lourds, et les charsles plus chargés. Une dame de Paris frémiroit a 1'idée de traverser, dans un carrosse a six chevaux,unfleuve silarge et si profond, sur des bloes de glacé fragüe : mais a Pétersbourg il n'y a que quel-  ques femmes crainüves qui s'en effravent. A larrivée de ces glacés, tous ks ponts de bateaux sont replies, et avant qu'ils soient rétabiis, il se passé plusieurs semaines sans qu'il y ait une au!re conimimica'ion que le chenun praliquéa travers la 1 ivière. En revenant d un souper, d'un bal ou dun spectacle pendant la nuit, enfermé cbaudenu n au fond d un carrosse, dans une bonne veïi-se > OI* oublie qu'on Iraverse un abime pendant pres d'un quart de lieue : lorsque les g'aces sont recouvertespar les neiges, et que ïeschemins sont battus, 1'on ne s apercevroit mème pas qu'on est sur 1'eau , si un relentissement sonore ne vous en averiissoit, et si vous n'étiez pas étonné de passer entre des lignes de vaisseaux qui semblent posés sur la neige, et qui forment sur la IVéva des rues qui lui donnent 1'air d'une ville d une architecture singuliere. Ces vaisseau* , qui hivernent dans les glacés, sont pour la plupart habités, et servent quelquefois de retraite aux filous et aux brigands , qui infes'ent alors ces étendues de glacés désertes. S ils attaquent les passans isolés ou égarés dans les neiges, ils les dépouillent, et les précipitent dans ouelques troas pratiqués dans l épaisseur des glacés par het pecheurs, par les lavandières ou par les puiseurs d'eau, et surtout par les ouvriers qui coupeut les glacés. La ISéva devient alors une espèce de carrière, oü chacun fait sa provision pour 1 été. Des cubes de glacés de qua!re a cinq pieds, ressemblant a des masses de pur cristal, sont rangés et équarris a coups de hache sur la neige : on lts transporte dans les caves a glacé dont chaque  (395) maison est pourvue, et on les réserve pour les chaleurs. Sans parler du superbe palais de glacé que fit construire sur la Néva 1'impératrice Anne, et rlont on a plusieurs descriptions, j'observerai, comme un fait plus utile, qu'un architecte italien réfléchissant sur 1'intensité qu'acquiert la glacé dansle nord, eut 1'idée d'en construire les fondemens d'un édifice. Plusieurs observations on! prouvé que le degel ne s'opère point a plus de 6 pieds sous terre : les glacières n'ont pas même besoin d'avoir cette profondeur en Russie ; par conséquent des cubes de glacé formeroient une solide construction a cette profondeur; ce qui seroit d'autant plus avantageux a Pétersbourg, que la ville est batie dans un terrein marécagcux et surpilotis. L'architecte ne put inspirer assez de sécnritéau propriélairc d'une maison pour le résoudre a la fonder sur Ja glacé : mais ce propriétairc consentit a faire eet essai pour le portail et le mur de la cour qui a douze pieds de haut. Ce poriail eï ce mur subsistent sans s'être dérangés depuis vingt ans; et il est certain qu'ils sont plus sol voK 1' P- 22- Voyez aussi plus bas, au iN». IX, raboluion.Ue ce privilege.  C 4io ) il demande que, pour son exécution par les magistrats civils, le £>énat donne les ordres nécessaires ,accorupagnés de quelques excmplaires de la requête confirmée , afin que ceux qui d. ns ce moment pourroient être condamnés pour crimes a une punition corporelle, puissent participer a la grace aceor. ée parS. M. I. — aordonné que, pour 1'immanquable exécution de cette requête, confirmée par 6. M. I., il soit envoyé a toutes les régences de gouvernement, aux tribunaux de Pétersbourg el de Moscou , un nombre suilisant d'exemplaires avec les Oukas , dont en consëquence on joint ici... exemplaire;. Le .. . décembre 1796. Du quatriime département. 1 i * Titres de Sa Majesté. IS ous, parlagracesecourable de Dieu , Paul premier , •empereur et autocrate de toutes les Ri/ssies , de Moscou, Riew , W ladimir , Nowgorod j tsar de Rasan ; tsar d'Astracan ; tsar de Sibirie (1) j tsar de la Chersonese taurique; seignmrdePskow,etgrand-prince (2)de Smolensk, de Litkuanie , de "\ olhvnie et Podolie ; prince d'Esthonie , de Livonie , Courlande et Sémigalle , Sa— mogitie , Carélie , Twer , Jugorie , Perm , Wialka , Bnlgarie et autres pays ; seigneur et grand-prince de ÏSischni-IN'owgorod , Tschernigoiv , Rasan , Polotsk , Rcstoiv , Iaroslawl , Beloosero , Oudorie , O.jdorie , Randie , Witepsk , Mstislawl , et de toutes les régions septentrionales ; doiuinateur et seigneur du terntoire dTweï ; seigneur suzerain et hérédi'aire des tars de Rartalinie el de Grusiuie (5), des princes de TcLir— cassie et de la 3Iontagne (4j ; béritier de Norwègej duc (1) On dit en russe, et ou dtvroit dire en francais Sibirie, et nor. Sibérie. (2, Weliki kniais reut ilire grand-prince, et non grand-duc, coimiH- nous ie i i*ons : cm a conseivë le vëritahle tiire tians la traduf rion (ie toutes c. s pièces. (3; C'esl-a (iire :es tsars de Géor^ïe. t,4J Su en! les ti;r s. de Paul, urovenant de sa familie, et étrangers a la Itu.vsie. * Ordonnanccs de Paul I, vol. I, p. 3i.  ( 4« ) de Slesvic-Holstein , Stormarie, Ditmarsen et Oldenbourg; (5; et seigneur de Jéver, etc. etc. etc. (6). Sur l'original S- M. I. a écrit: qu'il en soit a1ssi. A St. Pétersbourg, le ïzdéc. ij<)6. III.;* Oukas ordonnant que les droits de douanes doiventétrepercus en monnoies étrangères. Dans un oukas formel de S. M. I. signé par ellemême, et adrcssé au Sénat le 16 janvier , il est dit : « Nous ordonnons que , jusqu'a la publication d'un.nouveau tarif conforme a 1'avantage de notre caisse et au produit du commerce , les droits de douanes des marehandises d'introduction soient percus , d'après le tarif duaysept. 1702, en monnoies étr.-.ngères d'or et d'argent, en prenant 1'écu de Joachim de poids pour 1 roubïe 4o kopeks , et que cette perception ait lieu pour les marehandises introduites par mer , depuis le 1 avril , et pour celles introduites par terre, depuis le 1 mars de la présente année. Pour ce qui regarde les porls de Itiga et de Courlande, les droits y seront percus comme jusqu'a ce jour, en attendant la publication d'un nouveau tarif. En conséquence , notre Sénat doit prescrire au college du commerce de prendre a tems , pour l'exécution de notre volonté , les mesures"nécessaires >,. Le (5) Le reste des titres provient de sa jnère. Catherine II étoit la sceur unique Hu dernier prince d'AnhaÜ:Zerbsf, a la mort duquel les autres princes de la maison Ascanienue se partagèrent saprincipauu , d'a>:ès 1'ordre de succession féodal. Mais ce prince possen it en Westphalic , et en toute souveraineté , un. alleu, la seigneurie de Jéver, d'un rapport de 34.0,000 francs , qui passa a sa sceur , et par celle-ci a Paul I. Comine en 1770 ün, a engagéce prince, alors fort jeune , de renonce* k la succession de son père, duc de Holstein , en faveur d'un de ses cousins , il ne posséderoit plus rien aujourd'hiti eu empire, .s'il n'avoit liérité de cette seigneurie de Jéver. Si un jour les emp reurs de R assie trouvoient :i leur convenance d'ex: rc er un vote ï la d èle de 1'empire, il est a présumer que, pour l'oblewr,, ils IVroient valoir cette possession dont ils oflfriroient la suzerainefé a l'e/11pire , qui, dans 1'état actuel des clioses, n'y exerce aucune autorité. ^ (6) La qualité de grand-maitre de 1'ordre de Malthe , aioutée a ces titres , est postérieure. * Ordonnances de Paul I; vol, I, p. in.  ( 4» ) Sénat dirigeant a ordonné que , pour laparfaite connoissance et exéculion de eet ordre de S. M. I. il soit publié par des oukas. Ce qui par les présentes est publié. St. Pétersbourg. de l'imprimerie du Sénat, le 22 janvier 17y7. Signépar le Sénat dirigeant. I V. * Rédaction d'un livre d'armoiries de la noblesse russe. O U K. A s DE S. M. I. Le Sénat ayant entendu 1'oukas formel , signé pa» S. M. I. , et adressé au Sénat le 20 janvier , qui dit t « Nous ordonnons que dans YHéroldie (1) il soit établi, sous 1'inspection de noire procureur-général, un registre général de toutes les families" nebles ; lui permettons d'adjoindre , pour eet objet, aux^'employés dans 1'Héroldie les autres employés du Sénat, qu'il jugera nécessaires ; et établissons pour ce livre d'armoiries les regies suivantes. Dans la première classe , on comptera toutes les families , d'après 1'ancienneté de leurs maisons : d'abord les princes et comtes ; après eux les barons et nobles , depuis 1'époque oü cette dignité accordée a vie a élé réunie a des biens héréditaires , de manière cependant que les princes et comtes du saiut-empire romain , qui n'ont pas obtenu cette même dignité de 1'empire de Russie, ne serontpas inscrits parmi les princes et comles, mais laissé danslaclasse de la noblesse a Ïaquelle ils apparliennent d'aprcs leur naissance, et que pareillemcnt les princes tatars ne soient pas comprisparmi lesfamilles princières de Russie. Dans la seconde classe , on inscrira les gentilshommes qui ont été élevés a la noblesse par la grace impériale , et dans Ia troisième ceux qui ont acquis les prérogalives de la noblesse par le rang u ns ont oDicnu dans le service , et qui auparavant éü avoient été sratifiés de rliiilniiies V)p tnnc l<»c autres on dressera dans I'Héroldie une liste exacte , avec indication de ceux qui ont droit a des lettres de noblesse , Ïaquelle sera soumise a notre examen. » A ordonné que , pour 1'exécution de eet ordre formel de S. M. I. il soit enjoint par des oukas aux régences de (1) Le département des affaires de la noblesse. * Ordonnani.es de Paull, vol. I. p. i^.  v>3) , gouvernement et a tous les tribunaux d'adresscr sans délai a 1'Héroldie, sur sa réquisition , les renseignemens °. Aucun ouvrage original, ni traduit, ne peut être imprimédans aucune imprimerie de notre empire, ni publié, a moins qu'une des censures a établir dans nos résidences ne 1'ait lu, et ne lui ait donné son approbation motivée sur ce que dans un tel ouvrage il n'y a rien de contraire aux bonnes mceurs. 4°. A 1'égard des livres qu'on voudroit introduire de 1'étranger, les censures qui, conformément a 1'article premier, seront établies dans les deux résidences, aRiga, a Odessa et a la douane de Radzivilow, auront a observer les mêmes regies; de sorte qu'aucun livre ne puisse être introduit sans un examen préalable, et que ceux qu'on trouvcra contraires aux commandemens de Dieu, ou au pouvoir des magistrats, ou qu'on estimera propres a corrompre les bonnes mceurs , soient livrés aux flammes. 5°. II est accordé des imprimeries aux régences des gou— vernemens, paree qu'elles peuvent servir a soulager les travaux desbureaux; mais a condition que, pour 1'impression de livres, on se conforme a 1'arlicle 3 de eet oukas. 6°. L'inspecsion des imprimeries établies auprès de notre synode et des écoles ecclésiastiques, ainsi que Ja censure des livres , appartiennent audit synode et aux éparchialarchirées sous 1'autorité desquelles les écoles se trouvent. 70. Notre Sénat ordonnera par un oukas au directeur-général des post s d'observer les mêmes régies a 1'égard des journaux et ouvrages périodiques, que les ollices des postes font venir. Enfin, 8°. 11 sera prescrit aux gouverneurs généraux et aux autres dicastères a qui il appartiendra, de veiller soigneusement a ce que toutes ces mesures soient scrupuieusement observées , que chaque abus soit prévenu ou arrête, et que ceux qui seroient Irouvés en 1'aute soient livrés aux tribunaux. « Le Sénat dirigeant a ordonné : i°. II sera établi une censure dans tous les endroits nommés dans 1'oukas formel, savoir, aSt Pétersbourg, Moscou,Riga, Odessa, et auprès de la douanne de Radzivilow.Chacune sera composée de trois membres, d'un ecciésiastique, d'une personne de 1'état civil, et d'un savant : les ecclésiastiques seront nommés par le synode, les civils par le Sénat, etle savant par 1'académie  ( 4i6 ) des scienccs et 1'université de Moscou, qui les présenteront au Sénat, avec un avis sur le trailement qu'on pourra leur accorder. La Héroldie présentera les can d.dats de 1'état ciyil. 2°. Quand les censeurs seront nommés, chaque censure rédigera un état du rombre d employés dont elle aurabesoin, ainsi que des frais de ïmreaux; elle les soumettra au Sénat. ó°. Des imprimeries , les suivantes seules seront conservées: a. celles qui sont clabhespres les dicastères et écoles, ainsi que les imprimeries ecclésiastiques mentionnées dans l'art.6 de 1 oukas; b. celles qui ont été établies par des parliculiers, de 1 agrement expres de S. M. ï. Toutes les autresseront supprimees. 4°. Vu que le premier article de 1'oukas ordonné d etabhr des ccnsures dans les résidences sousla direction du benat; et vu que , d'après un oukas du i5 dec. 1703, les affaires relatives a cette censure sont sous la direction du 3*. département du Sénat, les affaires relatives a cette censure sont aussi adjuSées au meme département. 5°. En exécution de 1'ait 7 de 1 oukas formel, on donnera les ordres nécessaires au directeur-gen eral despostes,etchevalier, comteAlexandre Alexandreiew.tsch Besborodko, ainS1 qu'en exécution Ce 1 article b, aux chefs des gouveniemens, afin que de leur cóte tout ce que present eet article soit exactement rempli : on fera aussi notification aux départemenson Senat a Moscou et au très-saint synode Le fëyr. 1797(1). V I I I. * Légitimation de deuce enfans naturels. Oukas de S. M. I. En conséquence d'un oukas formel de S. M. I.adressé au Sénat le 5i mars, qui dit: « A la prière de notre (1) Par un oukas postérieur du même mois , i! fut ordonné que lés censures qui devoient être érigées a Odessa et a RadzoviloV n auroient pas lieu. Chaque censeut a St. Pétersbourg et a RiSa eut un traitement de 1800 roubles, ceux de Moscou de 1000. Ces censures subsistèrent jusqu'au mois d'avril ou de mai 1800, que lintrodiiction de tous livres, estampes et musique , futabsolumeut micrdiie. On pretend que eet ordre sévère fut la suite de ïnumeur qu avoit donnée a Paul I la lecture de certain livre, bT.\ ."'ViXedë'KUre Jl" aV Le Sénat dTfi ge.mta ordonné de notifier ce decret tr.- «rari» T S \l i ■ i "ctiei _ irci-gr^oieux de O. M l. aux regences de gouvernement et a tous les dicasteres. Le .. avril i 97 s -s Vu premier département, de l'Héroldie. I X. * Extension des peines corporelles aux crumnels des classes privdégiées. Oukas de S. M. I. Le 2 janvier de la présente année 1707, Ie Sénat diri* geant sourmt a S. M. I. un très-bumble mémoire" relaTf a l ensetgne destUué Roshnow, qui, p0ur avoir proféré des propos msultans et séditieuX contre les images des saints, et contre les princes et monarqu^s, avoit mérité dapres les loix, la peine de mort. Mais comme cette peine avoit ete interdite par un oukas de i754, il étoit dans ie cas d'être puni par le knout, d'avoir le neZ lendu , d etre marqué et envoyé aux travaux : comme d un autre cote il avoit rang d'officier , et que les lettres patentes accordées a la noblesse en i785 disent: La noblesse ne sera pas soumise a des punitions corporelles, cetmt Ie cas de le declarer déchu de son rang et de la quahte de noble y adherente , de le mettre aux Ls et de envoyer aux travaux. Sur ce mémoire S. M. I. donna «xVT*™' °fa" f°rnlel Suivant' S. 45. Après avoir, de cette manière, déterminé les titres et armes dus a chaque prince de notre sang , nous crovons aussi nécessaire de faire quelques changemens dans les livrées , pour établir des distinctions. En conséquence , nous ordonnons ce qui suit: 1. Lalivrée de l'héritier du tróne ne differe en rien de celle du monarque. , a. Les hls et filles du monarque regnant, et toutes les altesses impériales, conserveront les galons el principales couleurs de la livrée impériale , avec les distinctions suivanies : a. les habits de leur officiers seront bleus de ciel au lieu de rouge; b. leur livrée aura des paremens irerts, au lieu de rouges; c. celle de la classe inferieure de leurs domestiques aura des paremens noirs , au lieu deverts. . . 3 Tous les autres princes et princesses du sang impérial qui porte le titre d'altesse, peuvent se servir de fa même livrée que celle qui est donnée a leurs peres. K 44 Les grandes-princesses et princesses du sang impérial, mariées a des princes étrangers qui portent le titre d'altesse, peuvent faire porler la livree qui leur est accordéc par la présenle constitution ; celles mariées a l'héritier d'un tróne ou a des princes portant le titre d'altesse royale , prendront la livrée de leurs epoux. S 45 Tous les descendans de grandes-princesses et princesses du sang impérial, prendront la livrée de leurs ■pères. . , S 46 Toutes les duairières qui ne se remarient pas, conservent les titres, rangs et livrées de leurs mans. Une impératrice-douairière a le rang avant i epouse de Pempereur' regnant.  ( 433 ) SECTION IV." Mode d'après lequel les personnes issues du sang impérial jouiront de leurs biens, et régies pour leurs successions. §. 47- Après avoir posé les régies qui concernent tout xnembrede notre familie , nous passons a I'alimentation ; qui leur est due d'après leurs grades. Avant tout, nous ; crovons nécessaire de déterminer de quels biens ou pensions ils jouiront, d'après quellè base ils en jouiront, et de quelle manière ces biens passeront a leurs héritiers. En conséquence nous fixons , i°. k tous les descendans du sang impérial, d'une ligne masculine, une pension, depuis leur naissance jusqu'a leur majorité , et, depuis la majorité , leur compétence en argent ou apanages , pour toute leur vie; 20. aux femmes , lors de leur ma— : riage , leur dot une loispayée, de manière qu'elles n'aient plus ensuite rien a pretendre ; 3°. aux douairières des grands-princes et princes du sang impérial une pension en argent, tant qu'elles restent dans 1'empire , et le tiers seulement, si elles le quittent. §. 48. IN ons autorisons chacun et chacune d'acquérir par acuat des biens-fonds, dont ils pourront librement disposer. §. 49- Ees immeubles de 1'apanage étant destinés a former la succession de chaque ligne, nous croyons juste : d'endéfendre l'échange ou 1'aliénition: quant aux autres biens-fonds acquis par les ancêtres et qui ont passé a leurs héritiers, chaque possesseur peut les aliéner ou échanger selon sa volonté. §• 5o. De ce qui vient d'être dit, il appert que les • ; grands-princes ou princes du sang impérial peuVent 1 posséder quatre sortes d'immeubles : i°. immeubles recus comme apanage; 2°. immeubles hérités comme 1 apanages; 3°. autres immeubles hérités; 4°. acquets. §. 5i. Le §. 44- borne la disposition des apanages : , les loix générales règlent celle des immeubles nonapanages, dont le possesseur a hérité. Celles des acquêts est illimitée; mais les possesseurs sont soumis , pour ce qui regarde ces biens, aux loix générales de 1'empire et aux tribunaux ordinaires. §. 52. Lorsqu'un individu n'a pas disposé avant sa i mort de ses acquêts, ils sont copfondus avec les biens 5. e e  c 434 y héréditaires de la branche , et partagés d'après les loix générales. § 55. La successions dans les biens de la familie impériale, sera la même que celle qu'étabüssent les loix de notre empire. §. 54. Les pensions ne sont pas un objet de la succession : après jla mort des titulaires elles cessent, et retombent a la caisse des apanages. §. 55. La succession aux biens dans chaque ligne, a lieu d'après les loix ordinaires ; les biens héréditaires de la branche et les acquêts passent également aux héritiers, d'après les loix : mais les apanages retombent a la masse des apanages , après 1'extinction de la ligne a Ïaquelle ils avoient été accordés. §. 56. L'autorisation accordée par le §. 48 a tous les descendans du sang impérial de 1'un et de 1'autre sexe d'acquérir des biens immeubles , est étendue a tous les princes étrangers mariés a des grandes-princesses et princesses du sang impérial, etaleurs descendans, mais seulemcnt pour Ie tems de leur séjour dans nos états; de manière que, lorsqu'ils voudront s'en éloigner, ils ne pourront en emporter que les meubles et le capital qu'aura produit la vente des immeubles , qu'ils seront ttnus de faire. La même disposition s'étend a toutes les princesses étrangères mariées a des grands-princes ou princes du sang impérial, et qui;, pour cause de veuvage ou autre , voudront quitter nos états. Elles seront obligées a vendre leurs biens héréditaires ou acquêts : les biens héréditaires seront vendus, d'après une estimation légale, a la li^ne dont ces princesses les auront óbtenus, ou, lorsque cette ligne refusera de s'en charger, au département des apanages, qui sera obligé d'en payer Ia yaleur fixée par l'estimationj elles pourront vendre aqui elles voudront leurs acquêts Tous les princes étrangers qui^épousent des grandes-princesses ou princesses du sang impérial, sont soumis a la même disposition, et obligés de 1'observer dans toute sa force. Le département des apanages est spécidlement chargé de veiller a I'observation de ce point. §. 57. Ceux qui quittent nos étas , sont soumis, conformément a 1'oukas du 4déc. 1755, a la retenue, au benefice de la caisse des revenus de 1'empire, du dixième  C 435) des eapitaux qu'ils emportent: dans ces eapitaux sont compns, et le produit de la vente des immeubles , et ce qu'ils possèdent en argent comptant, lettres de cn'an-e ou autres obligations. 3 ' §. 58. xN'ous limittons a un miliion de roubles le capital qui peut être emporlé par ceux de notre familie • dans cette somme ne sont cependant jias compris les bijoux et autres effets. Ce qui excède ce milion retombe a la familie qui r ste dans le pays, ou, a son defaut, au departement des apanages. §. 5a. Tous ceux de notre familie, qui, s'étant rendus dans les pays étrangers , ne rentrent pas au terme que 1 empereur leura fixe , ou n'en demandent pas une proJongation , seront regardés corume s'étant absentés nour toujours: les dispositions des §§. 56, 57, et 58, seront executees envers leurs posessions. § 60. La défense aux étrangers de posséder des immeubles dans notre empire, n'excepte pas les successions qui pourroient eciieoir a des grandes-princesses ou princesses du sang impérial, mariées en pavs é:rangers ou a leurs descendans : cependant Ia familie a qui ces im meubles retombent, leur en pavera ia valeur avec celle du mobiherjet, si elle s'y refuse, le département des apanages suivra les dispositions du §. 56 §. 61. Lorsqu'il ne reste d'une Jjgne qu'une seule grande-prmcesse ou princesse du sang impérial, mariée a un prince etranger, et que, d'après les loix, la succession de tous les biens de cette ligne échoit a cette princesse, elle lui sera délivrée, pour en jouir pleineinent, si cette princesse esl établie dans nos états : mais Si, apres avoir accepté la succession , elle juge a propos de quittar sa patrie, elle remettra ses biens au départementdes ajianages, qui, pendant sa vie, luien pavera le revenu, et après sa mort, réumra a la masse des apanages la partie de ces biens qui en provenoit ori-inairement , et rendra les biens héréditaires aux collatéraux qui y auront oroit d après le §. 55. Les mêmes dispositions seront observe: s envers une héritière qui a déja quitte le pays au moment oi, une succession lui échoit ^. b?.. Par la raison que des princes étrangers mariés a des grandes-princesses ou princesses du sang impérial et etabhs en pays etranger, ne peuvent posséder des tuens immeubles, il dou aussi être étabii, comme règle  ( 4^6 ) générale, que, dans la dot que ces princesses obtiendront de la part de 1'empire ou de leur père, on ne comprendra jamais des immeubles. L'acquisition de biens a titre d'achat leur estpermise, ainsi qu'a tous ceux qui ont leur domicile dans notre empire : cependant nous nous référons a ce qui a été statué par le §. 56. §. 65. Toute grande-princesse ou princesse du sang impérial, comme apparlenante a l'empire et mariée par 1'empereur a son époux, recevra sa dot par 1'empire j elle lui sera payée de la somme dont il a été question au §• io. Son pére lui fouruira, suivant sa fortune , les effets, habits et bijoux, qu'on a coutume de donner aux iilles au moment de leur établissement. §. 64. Quoique, d'après cette constitution, une grandeprincesse ou princesse du sang impérial recoive une dot de la part de l'empire, cependant elle n'est pas excluede lasucccssionpaternelle et maternelle;mais, quelque soit son état, elle 1'obtient d'apr- s les loix générales. §. 65. Toute grande-princesse ou pricesse du sang impéri al, qui a recu sa dot, n'a plus rien a exiger ni de l'empire ni des apanages. §. 66. Lorsqu'il sera question de marier des grands■princes et princes du sang impérial, ou des grandesprincesses ou princesses du sang impérail , a des monarques, princes ou princesses étrangères, il sera avant tout en tam é des négociations forraellessur toutes les condilions que, d'après les circonstances du moment, on jugera nécessaires; et le ministre du département des apanages est spécialemcnl chargé d'y veiller en commun avec le chancelicr des aifaires étrangères. §. 67. Si des circonstances imprévues exigoient des changemens, il faudroit, pour les assurer a 1'avenir, fixér dans 1'établissement des grandes-princesses ou princesses du sang impérial,les régies principales suivantes: i°. Que la dot d'une grande princesse ou princesse du sang impérial, mariée a 1'étranger, soit a jamais assurée , et qu'elle en percoive les revenus, sa vie durant. 2°. Que , si elle ne laisse pas d'enfans , cette dot soit restituée au département des apanages, et que son epoux n'en obtienne que la portion fixée par nos loix. 5°. Que , comme veuve , elle obtienne , a. le douaine qui lui est dü d'après les loix du pays ou elle aura été mariée; b, qu'il lui soit permis de rentrer dans sa patrie;  ( 4*7 ) et e. qu'après son retour elle recoive exactement ce «uï lui est du. 4° Qu'on convienne d'avance dans quelle foi> ses enfans seront élevés. 5°. Que lorsqu'un prince etranger, marié a une grande-princesse ou princesse du sang impérial, vient s'élablir dans notre empire , tout ee qui. coucerne les successions et apanages s'observe d'après les loix de notre empire, tant que lui ou sa ligne restera dans nos etats, et qu'il se soumette a nos constitulionset statuts „ dans toute leur force. §. 68. Après avoir ainsi assuré 1'état de toute notre familie, en fixant les droits d'un chaeun a 1'égard de I'alimentation et de la succession , nous touruons notre attention vers les épouses et douarières des grandsprinces et princes du sang impérial, estixnant ce qui leur est du. d'après les liens légitimes qui les altachent a notre familie, et regardant comme un de nos premiers deyoirs d'assurer leur sort , dans quelque situafion qu elles puissent se trouver. En conséquence, nous dcstinons h chaque épouse une pension sur le département des apanages; et a chaque douairière, outre la portion de la fortune de son mari que les loix lui accordent, les présens, qu'il lui a faits, et ses propres acquêts, une pension viagère sur les revenus de i'apanage; et ordonnons qu'il en soit ainsi parmi tous nos descendans. §. 69. Dans le cas oii une douarière voudroit quitter nos etats, il lui est permis de vendre a qui elle voudra les immeubles qu'elle aura acquis'ou recus en présent de son man, en se conformant toutefois aux dispositions qui ont lieu pour ceux qui quittent l'empire. Elle remettra ses biens héréditaires a ses descendans, et, a defaut d'iceux , aux plus proches collatéraux de la ligne de son man, contre Ie tiers de 1'estimation de ces immeubles. 81 toute la ligne de son mari est éteinte, elle remettra au département des apanages, qui lui en pavera la somme due et le tiers de la pension qui lui aura ete accordée. §. 70. Lorsqu'une douarière convolera en secondes noces, on observera, a 1'égard de ses biens, ce qui est present par le §. 69 , dans le cas oü elle quitteroi.t le pays. t.i elley reste, elle en conserve ha possession, mais perd toute prétention a une pension.  ^ ( 458 ) '§. 171 Par cette déclaration de notre volonté relativement a I'alimentation de toute notre maison , et a 1'assurance de ce qui a été déterminé pour un chacnn, nous avons sans doute donné a chaque memhre le droit d'exigrr et de recevoir ce qui lui est du.: cependant nous enjoignons en même tems a chaque membre de notre familie de porter a la personae du monarque respect, obéissance et soumission, et lui cominandons des senlimens pacifiques, pour que la tranquillité et 1'harmonie soient maintenues dans notre familie. Le monarque, comme aulocrate absolu, est en droit, dans le cas contraire , de leurenlever ce que nous avons fixé pour eux et de les traiter comme des rebelles a notre Volonté el a la volonté de celui qui nous succédera. Mais si, comme nous I'espérons fermement, chacun de i'otre familie, en lémoignage de sa reconnoissance pour notre sollicitude, répond par sa conduite a nos rceux , et estime comme un vrai bien la présente constitution , son exécution doit avoir lieu a perpétuité, de branche en branche, et elle doit être regardée comme une loi fondamentable de l'empire. SECTION V. Fixation de Valimentation pour chaque personne issue du sang impérial. §. 72. La section précédente contient les dispositions générales sur I'alimentation de chacun, d'après son age et les circonslances oü il peut se trouver, conformes aux deuxième el troisième sections, oü la manière de calculer 1'origine et le rang de la familie impérial a été étabüe. INous allons , en conséquence de ces principes généraux, déterminer ce qui sera du a chacun, et assignons nommémcnt aux ainés de la branche ainée la même alimentation que recevra l'héritier du tróne , paree que la succession leur est due a sa place. Chacun de leurs ftvres, "'esl-a-dire chaque fils puiné, comme souche d'une ligue, sera mis dans la classe des U's ilViupercur , a 1'égard de son alimentation. Chacun de leurs descendans fera valoir, pour la fixation de ce qui lui est dü, sa proximité, ou celle de son père, de 1'. mpereur dont il desc ndra directrment. §. 75. Dans toutes les maisons régnantes on a adopté deux régies ciifférentes entre elles : la première a 1'égard  ( 4^9 ) de ceux qui, selon Ie droit de progémture, doivent entrer a la place de l'héritier du tróne; la seconde a 1'égard de ceux qui a cause de leur éloignement de la prïmogéniture, n'ont aucun droit a la succession, tant que dure la ligne de 1'ainé. §. 74. En adoptant ces principes pour notre farmlle , nous croyons utile d'établir une différence dans les alimentations, et d'assigner celle des premiers sur la caisse de l'empire , et celle des autres sur les apanages et les revenus d'iceux. En conséqnence. §. 75. Nous assignons sur la caisse de l'empire celle de l'impératrice , de l'héritier du tróne , de chaque fils ainé de ce dernier, et de leurs épouses , ainsi que la dot de toutes les grandes-princesses ou princesse du sang impérial. §. 76. Tous les autres grands-princes et princes du sang impérail, leurs épouses et enfans, ainsi que les grandes-princesses et princesses du sang impérial, chacun selonl'ordre établipour lui, sont assignés sur les apanages et les revenus d'iceux. §. 77. Aprés avoir distinguési les membres de notre familie doivent recevoir ce qui leur est du , de la caisse de l'empire ou dc celle des apanages , nous fixons. Les paiemens de la caisse de l'empire. I. A l'impératrice, pendant le règne de son époux, 600, 000 roubles annuels, et 1'entretien desa maison. Observalion. Notre épousé recoit annuellement un miliion, d'après notre disposition particuliere ; mais aussi lui devons-nous une reconnaissance particuliere, pour, par ses conseils et son consentement a 1'élablissement d'un ordre de succession, nous avoir aidé a fonder a jamais le repos , la paix et le bien-être de 1'eitipire, et par 1 onséquent a assurer aussi le sort des branches de notre familie. 2. Comme douarière, elle conservera tous sesacquêts meubles ou immeubles, la pension fixée par les présentes, et 1'entretien de sa maison, aussi long-tems qu'elle restera dans l'empire. 3. L'impératrice douarière, en restant dans nos états, dispose a son gré de tous ses biens meubles et immeubles. Si elle meurt, sans en avoir disposé, toutes sa fortune passé a ses filles et fils puinés. L'héritier du tróne n'y a pas de droit.  ( 44o ) 4- Si l'i'.npératjice décède avant son époux , on obsersera pour sa succession ie même ordre ;. et son fils ainé, coujine neritier du tróne, n'y participe pas. Lorsque l'impératrice quitte nos états, elle emporte teute sc fortune inobiliaire, apres avoir donné ou vendu les immPiibles a qui elle aura voulu : par tout oü elle se fixera eile jouira de la moitié de sa peusion. II. Pour I'alimentation des enfans de Fempereur, k chacun jusqu'a sa majorité, 100, 000 roubles par an. III. Pour I'alimentation de Théritier du tróne, outre 1'entretien de sa maisom, 3oo, 000 roubles paran. IV. (. XYépouse de Théritier du tróne. pendant soa mariage, i5o, 000 roubles paran. 2. Si elle est douarière, une pension annuelle de 5oo. oco roubles et 1'entretien de sa maison, tant qu'elle demeurera dans nos états; et i5o, 000 roubles par an, si elle les quitte, en observant tout ce qui est prescril plus haul a 1'égard de l'impératrice. Pour I'alimentation des enfans de théritier du tróne, qui seront réputés enfans d'empereur ou devant I'être . jusqu'a leur majorité ou a leur mariage approuvé par le monarque. a chacun 5o. 000 par an. VI. La dot de chaque grande-princesse ou princesse du sang impérial doit être fixée selon le degré de sa proximité de 1'empereur dont elle descend en ligne directe, d'après les §§. 32 et 55. En conséquence , nous fixons 1. Aux filtes et petites-filles, un miliion de roubles. 2. Aux arrièrp-petites-filles , ou fiites d'arriere-petits£ls . 5oo, 000 roubles. 5. Aux petites-filles d'arrière-petits-fils, de 1'empereur , et ainsi de suite ,100, 000 roubles a chacune. §. 78. De la caisse du département des apanages nous fixons les payemens suivans : I. Achaque/ï/s d'empereur, a 1'exception de l'héritier du tróne, dont la pension a été fixée plus haut, depuis sa majorité, 5oo , 000 roubles par au.  I '44« ) Ir. A leurs épouses, durant la vie deFepoux, 60,000 roubles par an , qui leur restent après Ie décès de ccuxci, a condition qu'elles demenrenf dans le pays : elles conserveront aussi la pnrt des biens meubles et immeubles de leurs maris , que les loix leur ad ji'gent, ainsi que tous leurs acquêts. 2. Lorsqu'une douairière quitte le pays, on observera a son égard hjs dispositions reJatives aux veuves qui quitlent . os états: elle recevra annuellement le tiers de sa pension. 5. Lorsqu'elle convole en secondes noces, elle perd ■ son droit ala pension, et recoit ia portion, de ses biens assurée aux veuves qui quitttntle pays , par les §§. 6g et 70. I I I. Aux peiits-fils d'empere :r, 'usqu'a leur maiorité ou mariage approuvé par 1'empereur, a cliacun 8o ,ooo roubles, pour leur alimentation et éducation. I V. Aux filles d'empereur, depuis leur majorité jusqu'a leur mariage, 5o ,ooo roubks par an. V. L'alimentation despetits-fils d'empereur jusqu'a leur majorité étant fixée plus haut, nous accordons a chacun, •lepuis sa majorité , 5oo, ooo roubles par an. V I. 1. A leurs épouses, pendant le mariage, une pension, de 60,000 roubles. 2. Aux douairières les mêmes 60,000 roubles , et la portion des biens meubles et immeubles de leurs maris, que les loix leur accordent. 3. Lorsqu'une telle douairière veut quitterle pays ou convoler en seconde noce , on observera ce qui a été prescrit plus haut pour les épouses des fils d'empereur. VII. Aux arrière-petits-fils d'empereur , jusqu'a leur majorité ou mariage approuvé par le monarque, a chacun 3o,ooo roubles par an , pour leur alimentation et éducation. VIII. Aux petites-fdles d'empereur , depuis leur majorité jusqu'a leur mariage, i5o,ooo roubles paran.  ( 442 ) i x. Lesarrière-petits-fds d'empereur obtiennent,depuis leur majorité, un apanage en villages d'un revenu de 5oo,000 roubles , et une pension annuelle de i5o ,000 roubles. X. 1. Aux épouses des arrière-petits-fds, a compter du du jour de leur mariage , et pour toute leur vie , une pension annuelle de 3o, 000 roubles, et en outre , en cas de veuvage , la portion des biens de leurs maris cpii leur est due suivant les loix. 2. Lorsqu'elles veulent quitter nos états ou convoler en secondes noces , on observera ce qui a été prescrit plus bant aux §§. ;.q et 70 , pour les veuves qui quittent ou se remarient. X I. Nous ne fixonsrien aux/SYs d'arrière-petits-ftls d'empereur, pour leur alimentation et éducation jusqu'a leur majorité, leurs pères recevant un apanage en villages , inoyennant lequel ils sont obligés d'élever leurs enfans et de les entretenir de tout ce dont ils ont besoin jusqu'a leur majorité. X I I. Aux arrière-petites-filles d'empereur, depuis leur majorité jusqu'a leur mariage , 5o,ooo roubles par au. XIII. Les fils d''arrière-petits-fils d'empereur, étant fils de grands-princes qui ont obtenu des apanages en villages , ne recoivent rien jusqu'a leur majorité: depuis celle-ci, ils recoivent une pension annuelle de 100,000 roubles. XIY." 1. A leurs épouses , a compter du jour de leur mariage , une pension viagère de i5,ooo roubles , et en outre, en cas de veuvage , ce qui leur revient, d'après les loix, des biens de leur maris. 2. Si la veuve quitte le pays, ou qu'elle convole en seooudes noces, on observera , a 1'égard de ses biens et pension , ce qui a été prescrit plus haut pour ces deux cas. X V. Conformément a ce quia été dit plus haut sur les enfans des arrière-petits-fils, rien n'est fixé pour les petitsenfans des arrière-petils-fil$, jusqu'a leur majorité.  ( 443 ) XVI. Les petites-filles des arrière-petits-fils d'empereur recoivent, depuis leur majorité jusqu'a leur mariage , une pension annuelle de 20,000 roubles. XVI I. Tous les descendans d'empereur, plus éloignés que les fils d'arrière-petits-fils , ont Ie titre des princes du sang impérial, et recoivent depuis leur majorité, outre leur portion légale des biens de leurs pères , une pension de 5o,ooo roubles. XVIII. 1. Aux épouses des princes du sang impérial, depuis le; jour de leur mariage,unepensionviagère de to.oooroubles. 2. Lorsqu'elles quittent le pays, comme douairières, ou convolent en secondes noces , on observera , a 1'égarcl de leurs biens et pension , ce qui a été prescrit plus hautjpour les veuves des grands-ducs qui quittent ou se remarient. XIX. Toutes les princesses plus éloigées ques les filles d'arrière-petits-fils , auront le titre de princesses du sang impérial , et obtiendront, depuis leur majorité jusqu'a leur mariage, une pension annuelle de 10,000 roubles. §. 79. Toutce qui a été ordonné dans ces dispositions sur 1'alimentatiou de notre familie , s'entend seulement de ceux qui sont provenus d'un mariage légitime , approuvé par 1'empereur régnant : tous les autres n'y ont aucune part , et n'ont absolument rien aprétendre. En terminant la présente constitution de notre familie , dans 1'établissement de Ïaquelle nous avons porté , autant que la prudence humaine le permet , tous nos soins et un désir ardent d'arranger tout pour le mieux nous la confions a la main du Tout-puissant , et nous recommaudonsa sa divineprovidence et a sa sainte protection , nous, toute notre maison , notre empiré , et tous nos sujets. Nous espérons avec confiance que tous nos successeurs non-seulementne supprimeront pas cette disposition utile , mais au contraire la maintiendront de tout leur pouvoir (1). L'original est signé par S. M. I. Signé: Paul. Et sur chaque f'euillet: ALEXANDRE COMTE BESBORODXO. A Moscou, de l'imprimerie du Sénat, le 5 avril 1797. (1) On toit par cette conclusion que cette constitution se erniine avec le $. 79: en etï'et les trois sectious suiyantes, indi-  ( 444 ) XIII.* Manifeste relatif a une nouvelle monnoie , d'un titre plus fort. Nous , par la grace de Dieu, PA UL I , etc. etc. Savoir fcisons a tous et a un chacun ; par notre oukas du 20 janvier 1797 , nous avions déja annoncé notre intention de faire frapper la monnoie russe en argent au titre de 85 un tiers, au lieu de 72 , comme par le passé. Maintenant nous confirmons ce titre a nos cours de monnoie , pour sV conformer en frappant la monnoie d'argent; nous iixous la valeur intrinsèque d'un rouble a 56 un demi stüvres , et ordonnons de frapper dix-ueuf roubles , soixante quinze kopeks, de la livre d'argent allié: les autres pièces d'argent, comme demi-roubles , quarts den bles , pièces de dix et de cinq kopeks , seront frappeer la mème proportion. En conséquence , il est défencK r.ux raaitres des mines d'argent de le travailler a un titre inférieur k celui de 84 , sous la peine prononcée par les loix en cas de contravention. Les pièces d'or, savoir Ips ducats de cinq roubles, seront frappés au titre de 94 deux tiers , au lieu de 84, et la livre alliée a soixante-sept ducats, un rouble , cinquante-neuf kopeks et une fraction. Les pièces d'argent seront frappées , comme par le passé, savoir, seize roubles du poud. Et pour que ces dispositions ne soient ignorées de personne , onajoute les dessins des monnoies d'or, d'argent et de cuivre susdites. Donné a Gatschina , le 5 octobre 1797. Signé: Paul. 'A St. Pétersbourg, de l'imprirr.erie du Sénat, le i5 nov. 1797. «pées dans 1'introduction, ne sont que réglémentaires. Quoiqu'il soit intéressant de voir tous les détails dans lesqueis la solïi^i^/ tude de 1'empereur le fait entrcr, nous ne croyons pas les devoir insérer ici. On y trouve, entre autres, un plan d'écononiie rurale tout entier pour 1'administration des apan.nges , ainsi qua des régli-mens de police pour les terres y comprises , dans lesqueis on n'a orblié ni 1'obligation d'envoyer les enfans a 1'école , ni les précautions contre les incendies , nilapropreté des rues , la politesse envers les étrangers , etc. Ces trois sections comprennent encore 129 55., formant ensemble plus de cinquante pages impiimées in 40. * Ordonnances de Paul I, vol. II, p. 236. F I N.