Boekbinderij Drukkerij RUSTENBURG rel.72 17 78 Amsterdam Bibliotheek Universiteit van Amsterdam ; 01 2969 1234  ËEVOLUTION D E L'AMERIQUE. P A R M. L'ABBE RAYNAL, AUTEUR DE L'HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ET POLITIQCJE BES ETABLISSEMENS , ET DU COMMERCE DES EUR.OPE'ENS DANS LES DEUS ÏHDES. A LONDRES, éhez LOCKYER DAVIS, Holbonn?,& fe vend A LA H A Y E, Chez P. F. GOSSE, Libraire de la CotBV ... W.* M.D. CC.LXXXT.   (lil j AVERTÏSSEMENT DE L'EDITEUR. L'Histoire philofophique & politique des établiffements & dii COlïimercc des Eurupcens dans les deux Indes, par M. 1'Abbé Raïnal, eft certainement un deë plus beaux ouvrages qüi ayent para depuis la renaiflance des lettres, & peut-être le plus inftrü&if de ceux que nous connoiffons. C'eft une produdtion , dont oii n'avoit point de modèle; & qul pourra bien en fervir un jour. Lë public föuhaitoit avec impatience te fupplément, attendu depüis ü a 2  long temps, qui devoit traiter des démêlés de la Grande-Bretagne avec fes colonies. L'Editeur, dans le cours de fes voyages, a eu le fingulier bonheur de fe procurer une cOpie de eet excellent traité, qui n'a pas encore paru dans letranger. II fe flatte que 1'ilhiftre hiftorien aura quelque indulgence pour un homme, qu'aucune ennfideration n'auroic pu engager a donner, fans Ion aveu, eet écrit au public, s'il n'eut été intimément perfuadé que les raifonnemens folides dont il eft rempli, pourront dans ce moment de crife , être de quelque fervice a cette patrie qu'il ai me & chérit avec urte ardeur, qui ne le cède qu'a cette flamme d'un ordre fupérieur, dont brule 1'écriyain philantrope, pour la liberté  (v) & pour le bonheur de toutes les nations de la terre. L'éditeur ne donne pas feulement ce brillant morceau tel qu'il a été compo'lé en Fraricois ; il en publie auffi la tradu&ion en Anglois, en faveur de ceux qui n'entendent pas la première de ces langues, ou de ceux auxquels elle n'eft pas trés familiére. 11 fouhaite que la copie ait quelque chofe de la chaleur, de la grace, de la force, & de la dignité de 1'original. II doit avertir que l'auteur a evalué les monnoies enlivrestour* nois, & qu'il eftime la livre fterling vingt deux livres dix fois. On ofe croire qu'independamment de eet efprit de bienfaifance qui caradtérile ce traité hiüori^ que & philofophique , la protondeur des vues politiquesj, le a 3  C vi > logement exquis , & méme les falutaires farcafmes dont il efl: affaifonné, ne fauroient être préfentés plus a propos, a ceux pour qui il efl principalement deftiné. 11 paroit aujourd'hui que le vceu général de la nation , & même Ion attente, font, que le Parlement, avant la fin de fa féance, prenne enfin, fi toutefois il en efl: pnco.re temps» des mefures effipaces pour terminer les diffentions dénaturées & honteufes qui ont fi cruellement déchiré le fein de Ja mé re patrie & fes colonies ; düTentions au milieu desquelles, |es peuples , ( ainfi que Pa trés tien obfervé Pauteur d'un projet d'accommodement fondé fur la juftice & fur la générofité) fe yoyent dépouillég de part & d'aude kurs plus chers avantages^  C vii 3 & oü Ie facrifice forcé de leur félicité mutuelle, eft fuivi de lamifere, & du mépris des nations. L'éditeur defire, avec une folicitude proportionnée a Fimportancedufujet, que quelques uns de ceux de fes concitoyens qui cultivent les lettres, fous un gouvernement auïïi favorable a la liberté de penfer, que 1'eft celui de la Grande Bretagne, veuillent entrer dans la carrière, qui leur. eft ouverte par l'Académie de Lyon , dans l'avertiffement qui fuit : il feroit au comble de fes vceux, fi la palme du génie étoit adjugée a 1'un des écrivains de ce peuple, fi renommé pour fon éloquence, & qu'il fe flatte de voir bientöt reprendre fa fupériorité dans les armes, quand une fois les malheureufes querelles3 a 4  ( viii ) qui l'ont divifé de fes colonies; auront fait place a un amour mieux entendu de la patrie. II offre a tous ceux qui fe fentiront affez de forces pour traiter ce grand fujet, & qui n'auroient pas la facilité d'envoyer leurs compofitions a 1'addreife indiquée , de les faire paffer a Lyon, franc de port, pourvu qu'elles foyent remifes a fon libraire M. Lockyer Da vis, avantle premier Decembre ï782. X Londres, le $ Mars 178u AVER-  A VERTISSEMENT de l'académie DES SCIENCES BELLES LETTRES ET ARTS de l y 0 n. M. l'Abbé Raynal, apres avoir éclairé les hommes par fes écrits,a voulukur procurer encore de nou velles Ivtmieres, en excitant Pémulation. Affocié aux travaux de PAcadémie de Lyon > il a propofé a cette compagnie, d'annoncer deux fujets de Prix, dont il a fait le fonds, pour être diftribués parelle, aux Auteurs qu'elle jugera avoir lemieuxrempliles vues du programme. L'Académie a accepté cette orTre avec reeonnohTance, & s'empreffe d.e publier les deux fujets.  CO Le premier fujet, propofé pour Vannêe 1782, fe rapporte exclujivement aux manujafiures & d la profpêntê de la ville de Lyon; &. quoïque difté par les vues les plus judicieufes Cf les plus patrioti'ques, on fe difpenfe de le donner ici, fon cbjet êtant purement local & bornê, & n'ayant pas, comme celui du fe~ cond, un rapport direft & immêdïat avec les intéréts de l'humanitê. POUR L'ANNE'E 1783. L'Academie propofe le fujet qui fuit. La decouverte de VAmêrique a-t. elle été utile ou nuifible au genre ttf* mam f  S'il en efl refultê 'des biens, queh font les moyens de les conjerver &de les accroitre*. Si ellea produit des maux, queh Jont les moyens d'y remédier? Le Prix confifte en une fomme dé 1200 livres, qui fera remife a 1'auteurcouronné, ouafonFondé de procuration. CONDITIONS. Toutesperfonnes, detoutenation , pourront concourir pour ce Prix, excepté les Académie ciens tutelaires & les vétérans ; les Affociés y feront adrois. Les auteurs ne fe feront connoitre ni diredement, ni indiredtement; ils mettront une devife a la tête de 1'ouvrage, & y joindront un billet cacheté qui contiendra. la même  ( xfi > devife leurs nofns & les lieux de leur refidence. Vul'importance du fujet, TAca^ démie ne fixe aucunement 1'etendue des mémoires, & fe contente d'inviter les auteurs ales écrire en Franc/ois ou en Latin. Aucun ouvrage ne fera admis au concours , paffé le premier Fevrier 1783. L'Académie proclamera Ic Pri^, la mcme année, dansfonalfemblée publique, après la Fête de Saint Louis. Les paquets feront addrelfés, francs de port, a Lyon, A M. La Tourrette, noies, Secretaire perpêtuel pour la Clajfe des Sciences, Rue Boijfac; ou A M. de Bory, Secretaire perpêtuel pour la clajje des Belles,' JLettres, Rue Boijfac; ou  ( xiii } A M. AlMÉ DE LA RöCHE, Xmprimeur-Libraire de P Académie f maifon des halles de la Greneffc. Signé, La Tourrette, Secretaire perpétueL ALyon, le sSeptembre 1780.   TABLE DES MATIERES. EtAT de détreflè oüfe trouve 1'Angleterre. 1753 1 I/Angleterre appelle fes colonies a fon fe, cours 5 L'Angleterre exige de fes colonies ce qu'il ne falloit que leur demander 15 'Après avoir cédé, 1'Angleterre veut êcre obéie par les colonies 1 8 Les colonies e'toient en droit de fe feparer de leur me'tropole, indépendamment de tout mécontentement 3 r 'Quel étoit le parti qui convenoit a 1'Angleterre , loriqu'elle vit la fermencation de fes colonies 57 L'Angleterre fe détermine a reduirc fes colonies par la force 73 Les colonies rompent les liens qui les unilïbient a 1'Angleterre , & s'en déclarent inde'pendantes 86 La guerre commence entre les Etats - Unis & 1'Angleterre 97 Pourquof  t «1) p-ourquoi les provinces confédérées n'ontpas réuffi a chafTer les Anglois du continent Ame'ricain 116 La France reconnoit 1'indépendance des Etats-Unis. Cette démarche occafionne la guerre entre cette couronne & celle d'Angleterre 12S L'JEfpagne, n'ayant pas réuffi a réconcilier TAngieterre & la France, fe déclare pour cette derniére puiüance 147 Quelle doit être la politique de la maifon de Bonrhnn fi Hip eft vittorieufe 156 Quelle idee il faut fe former des treïze provinces confédérées k?* k e v &•  REVOLUTION d e L'AMÉRIQÜE^ \ L/'Angleterre fortoit d'une longue Et« 'Aé. , . délrefleoa & fanglante guerre, ou fes flottes avoient fe trouve arboré le pavillon de la vidtoire fur toutes'^"f'e~ les mers , oü une domination de'ja tropI?63' valte s'étoit accrue d'un territoire immenfe dans les deux Indes. Cet e'clat pouvoit en impofer au-dehors: raais au-dedans la nation e'toit réduite a gémir de fes acquifitions & de fes triomphes. Ecrafe'e fous le fardeau d'une dette de 3,330,090,000 liv. qui lui eoütoitun inte'rêt de 111,577,490 liv., elle pouvoit a peine fuffire aux dépenfes les1 plus néceflaires avec cent trente millions qui lui reftoient de fon revenu; &cerevenu; loin'de pouvoir s'accroïtre, n'avoit pas une confiftance affure'e. B  Les terres reftoient chargées d'ufl ïfflpolEplus fort qu'il ne 1'avoit jamais été dans un tems de paix. On avoit mis de nouvelle» taxes fur les maifons & fur les fenêtres. Le contróle des a&es pefoit fur tous les biens fonds. Le vin, 1'argenteriè, les cartes, les dés a jouer : tout ce qui étoit regardé comme un objet de luxe ou d'amufement payoit plus qu'on ne 1'auroit cru poffible. Pour fe dédommager du facrifice qu'il avoit fait a la confervation des citoyens, en prohibant les liqueurs fpiritueufes, le fifc s'étoit jetté fur ladrèche, fur le cidre, fur la bière, fur toutes les boiffons a 1'ufage du peuple. Les ports n'expédioient rienpour les pays étrangers, n'en reeevoient rien qui ne fut accablé de droits a 1'entrée & a la fortie. Les matières premières & la main-d'oeuvre étoient montées a fi haut prix dans la Grande-Bretagne, que fes négoeians fe voyoient fupplantés dans des contrées oü ils n'avoient pas même épróuré jufqu'alors de concurrence. Les bénéfices de fon commerce avec toutes les parties du globe, ne s'élevoient pas annuel-  C 3 5 ïefflent au-deflus de cinqnante flx millioiis f & de cette balance il en falloit tirer trentecinq pour les arre'rages des fommes place'es par les étrangers dans fes fonds publics. Les refforts de 1'e'tat e'toient force's. Les rnufcles du corps politique e'prouvant a la fois une tenfion violente, e'toient en quelque manière fortis de leur place. C'e'toit un moment de crife. II falloit laiffer refpirer les peuples. On ne pouvoit pas les foulager par la diminution des de'penfes. Celles que faifoic le gouvernement e'toient ne'ceflaires, foit pour mettre en valeur les conquêtes achetées au prix de tant de fang, au prix de tant d'argent; foit pour contenir la maifon de Bourbon , aigrie par les humiliations de la dernièra guerre, par les facrifices de la dernière paix. Au défaut d'autres moyens pour fixer, & la fecurite' du préfent, & la profpe'rité de 1'avenir, on imagina d'appeller les colonies au fecours de la me'tropole. Cette vue étoit fage & jufte. Les membres d'une confe'de'ration doivent toutes contribuer a fa défenfe & a fa gieVrr1» fplendeur, felon 1'e'tendue de leurs faculte's, ^pspce0"opuifque ce n'eft que par la force publique [^i^, B i  (4) que chaque clafTe peut conferver 1'entièrd & paifible jouiffance de ce qu'elle poffède. L'indigent y a fans doute moins d'intérêt qüè le riche; mais il y a d'abord 1'intérêt de fon repos, & enfuite celui de la confervation de la richeffe nationale qu'il eft appclié a partager par fon induftrie. Point de principe focial plus évident; & cependant point de foute politique plus commune que fon infraftion. D'oü peut naitre cette contradiÊtion perpétuelle entre les lumières & la conduite des gouvernements ? Du vice de la puiifance légiflative qui exagèreTentretien de la force publique, & ufurpe pour fes fantaifies une partie des fonds deltinées a eet entretien. L'or du commercant, du laboureur, la fubfiftance du pauvre, arrachés dans les campagnes & dans les villes, au nom de 1'état, proftitués dans les cours a 1'intérêt & au vice, vont groifir le fafte d'une troupe d'hommes qui flattent , haïifent & corrompent leur maitre , vont dans des mains plus viles encorc payer le fcandale & la honte de fes plaifirs. On les prodigue pour un appareil  <5) èe grandeur, vaine décoration de ceux qui ne peuvent avoir dc grandeur re'elle, pour des feces , reifource de 1'oifiveté impuiï-fante au milieu des foins & des travaux que demanderoit un empire a gouverncr. Une portion, il eft vrai, fe donne aux befoins publics: mais 1'incapacite' diftraite les applique fans jugement comme fans e'conomie. L'autorite' trompe'e, & qui ne daigne pas même faire un efforc pour celfer de 1'être, fouflre dans 1'impót une diftribution injufte , une perception qui n'eft elle-mêmc qu'une oppreffion de plus. Alors tout fentiment patriotique s'éteint. II s'e'tablit une guerre entre le prince & les fujets. Ceux qui lèvent les revenus de 1'e'tat ne paroiffent plus que les ennemis du citoyen. II de'fend fa fortune de 1'impót, comme il la defendroit d'une invafion. Tout ce que la rufe peut dérober a la force , paroit un gain légitime; & les fujets corrompus par le gouvernement ufent de repréfailles envers un maitre qui les pille. lis nes'appergoivent pas que dans ce combat inégal , ils font jgux-inêmes dupes & victimes. Le fifc infaB 3  C O tfableSt ardent, moins fatisfait de ce qu'oa lui donne, qu'irrite' de ce qu'on lui refufe, pourfuit avec cent mains ce qu'une feule ofe lui dérober. II joint l'a&ivité de la puiffance a celle de 1'intérêt. Les yexations fe multiplient. Elles fe nomment chatiment & jufticc ; & le monftre qui appauvrit tous ceux qu'il tourmente, rend grace au ciel du nombre des coupables qu'il punit, & des délits qui 1'enrichiiTent. Heureux le fouverain qui, pour prévenir tant d'abus , ne dédaigneroit pas dc rendre a fon peuple un compte fidéle de 1'emploi des fommes qu'il en exigeroit. Maïs ce fouverain n'a point encore paru; & fans doute il ne fe montrera pas. Cependant la dette du protégé cnvers 1'état qui le protégé, n'en eft pas moins néceffaire &faerée; & aucun peuple ne 1'a méconnue. Les colonies Angloifes de 1'Amérique feptentrionale n'en avoient pas donné 1'exemple; & jamais le miniftère Britannique n'avoit eu recours a elles , fans cn obtenir les fecours qu'il follicitoit. Mais c'étoient des dons & non des taxes, puifque la conceffion étoit précédée dc del|;  C 7 ) tóations libres & publiques dans les affcmble'es de chaque établifiement. La mèrcpatrie s'étoit trouvée engagée dans des guerres difpendieufes & cruelles. Des pariemens tumultueux & entreprenans avoient troublé fa tranquillité. Elle avoit eu des adminiftrateurs audacieux & corrompus , malheureufement difpofés a élever 1'autorité du tróne fur la ruine de tous les pouvoirs & de tous les droits du peuple. Les révolutions s'étoient fuccédées, fans qu'on eut fongé a attaquer un ufage affermi par deux fiècles d'une heureufe expérienee» Les provinces du nouveau-monde e'toient accoutumées a regarder comme un droit cette manière de fournir leur contingent en hommes & en argent. Cette prétention eütelle été douteufe ou erronnée, la prudence n'auroit pas permis de 1'attaquer trop ouvertement. L'art de maintenir 1'autorité eftun art délicat qui demande plus de circonfpcction qu'on ne penfe. Ceux qui gouvernent font trop accoutumées peut-être a méprifcr les hommes. Ils les regardent trop comme des cfclaves courbés par la nature, taniVB 4  ( 8 ) qu'ils ne le font que par 1'habitude. Si vous les chargez d'un nouveau poids,prenez garde qu'ils ne fe redreifent avecfureur. N'oubliez pas que le levier de la puiffance n'a d'autre appui que 1'opinion •, que la force de ceux qui gouvernent n'eft re'ellement que la fprce de ceux qui fe lailTent gouverner. N'avertiffez pas les peuples diftraits par les travaux, ou endormis dans les chames, de lever les yeux jufqu'a des vérite's trop redoutables pour vous; & quand ils obéiffentneles faites pas fouvenir qu'ils ont le droit de commander. Dès que le moment de ce reveil terrible fera venu; dès qu'ils auront penfe' qu'ils ne font pas faits pour leurs chefs, mais que leurs chefs font faits pour eux; dès qu'une fois ils auront pu fe rapprocher , s'entendre & prononcer d'une voix unanime: Nous ne vou/onspas de cette ki, eet ujage nou: depiaic; point de milieu, il vous faudra par une alternative inévitable, ou céder ou punir, étre foibles ou tyrans; & votre autoritédéformais déteftéeouavilie, quelque partiqu'elle prenne, n'aura plus a choifir de la part des peuples gue 1'infolence ouvertc ou la haine cachée.  ( 9 ) Le premier devoir d'une adminiftration fage eft donc de me'nager les opinions dominantes dans un pays : car les opinions font laproprietéla plus chère des peuples, propriéte'plus chère que leur fortunemêmc; EHe peut travailler fans doute a les reclifier par les lumières, a les changer par la perfuafion, fi elles diminuent lesforcesdel'état. Mais il n'eft pas permis de les contrarier fans ne'ceffité; & il n'y en eüt jamais pour rejetterle fyftême adopte' par 1'Amérique feptentrionale. En effet, foit que les diverfes contre'es de 'ce nouveau - monde fuffent autorife'es , comme elles le fouhaitoient, a envoyer des repréfentans au parlement, pour y délibérer avec leur concitoyens fur les befoins dc tout 1'empire Britannique; foit qu'ellcs continuaffent a examiner dans leur propre fein ce qu'il leur convenoit d'accorder de contribution , il n'en pouvoit re'fulter aucun embarras pour le fifc. Dans le premier cas, les re'clamations de leurs députe's auroient éte' étouffées par la multitude; & ces provinces fe feroient vues legalement chargées $e la portion du fardeau qu'on auroit voulii  leur faire porter. Dans le fecond, le miniftère difpofant des dignite's, desemplois, des penfions,même des élections , n*auroit pas éprouvé plus de réfiftance a fes volonte's dans eet autre hémifphère que dans le nótre. Cependant les maximes confacre'es en Amérlque avoient une autre bafe que des préjugés. Les peuples s'appuyoient de la nature de leurs chartes; ils s'appuyoient plus folidement encore fur le droitqu'a tout citoyen Anglois de ne pouvoir être taxé que de fon aveu ou de celui de fes repréfentans. Ce droit, qui devroit être celui de tous les peuples , puifqu'il eft fondé fur le code éternel de la raifon , remontoit par fon origine jufqu'au règne d'Edouard premier. Depuiscette époque, 1'Anglois ne le perdit jamais de vue. Dans la paix, dans la guerre, fous des rois féroces comme fous des rois imbécilles, dans des momens de fervitude comme dans des tems d'anarichie, il le réclama fans ceffe. Onvic 1'Anglois, fous les Tudors, abandonner fes droits les plus précieux Sclivrerfa tête fans défenfe a la bachc des tyrans: mais jamais •  C ii ) renoncer au droit dc s'impofer lui-ménac. C'eft pour le de'fendre qu'il répandit des fiots de fang, qu'il détróna ou punit fes rois. Enfin, a la rëvolution de 1588 , ce droit fut folemnellement reconnudans 1'actc célèbre oü Pon vit la liberte', de la même main dont elle chaffoit un roi defpote, tracer les conditions du contrat entre une naüon & le nouveau fouverain qu'clle venoit de choifir. Cette pre'rogative d'ua peuple, bien plus iacrée, fans doute, que tant de droits imaginaires que la ïuperftition voulut fanctifier dans des tyrans, fut a la fois pour 1'Angleterre, & 1'inftrument & le rempart de fa liberte'. Elle penfoit, elle fentoit que c'e'toit la feule diguc qui püt a jamais arrêter le defpotifme; que le moment qui dè'pouille un peuple de ce privilege, le condamne a 1'oppreffion; que les fonds leve's en apparence pour fa fürete', fervent tót ou tard a fa ruine. L'Anglois , en fondant fes colonies avoit porte' ces principes au-dela des mers; & les jmêmes idees s'étoient tranfmifesafes enfans. Ah! fi dans ces contrées même de 1'Eujope, oü 1'efclavage femble depuis long-tem*  s'étre affis au milieu des vices, des richefles & des arts; oü le defpotifme des armées foutient le defpotifme des cours •, oü 1'homr me, enchaine' dès fon berceau, garotté des doublés liens & de la fuperftition & de la politique n'a jamais refpiré 1'air de Ia liberte: fi dans ces contrées cependant, ceux qui ont léfle'chi une fois en leur vie au fort des états, ne peuvent s'empêcher d'adopter les maximes & d'envier la nation heureufe qui a fu en faire le fondement & la bafe de fa conftitution -, combien plus les Anglois, enfans de 1'Amérique, doivent y être attachés , eux qui ont recueilli eet héritage de Jeurs pères ? Ils favent a quel prix leurs ancêtres 1'ont acheté. Le fol même qu'ils habitent doit nourrir en eux un fentiment favorable a ces idees. Difperfós dans un continent immenfe; libres comme la nature qui les enyironne,parmi les rochers, les montagnes, les vaftes plaines de leurs déferts, aux bords de ces forêts oü tout eft encore fauvage &oü rien ne rappelle ni la fervitude ni la tyrannie de 1'homme, ils femblent receyoir de tous les objets. phyfiques leis le^on*  C »3 > 'de la liberte & de l'indépendance. D'ailleuïi ces peuples livre's prefque tous a 1'agriculture & au commerce, a des trayaux utiles qui élèvent & fortifient 1'ame en donnant des moeurs fimples, auffi éloignés jufqu'a preTent de la richeffe que de la pauvreté, ne peuvent être encore corrumpus ni par 1'excès du luxe, ni par 1'excès des befoins. C'eft dans eet état fur-tout, que 1'homme qui jouit de la liberté, peut la raaintenir & fe montrer jaloux de défendre un droit héréditaire qui femble être le garant le plus fur de tous les autres. Telle étoit la réfolution des Américains. Soit que le miniftère Britannique ignor&t i/Angfó-i „ . - . ... .)„ i * r terre exi- ces difpofitions ; foit qu il efperat que fes ge de fes délégués réuffiroient a les changer, il faifit ccf°^sne le moment d'une paix glorieufe pour exiger gj^ une contribution forcée de fes colonies. mander. Car , qu'on le remarque bien , la guerre beureufe ou malheureufe fert toujours de prétexte aux ufurpations des gouvernemens, comme fi les chefs des nations belligérantes s'y propofoient moins de vaincre leurs ennemis que d'affervir leurs fujets. L'an 17 64 vit éclorre ce fameux aóte du timbre,qui  ( 14 >• défendoit d'admettre dans les tribunaux' l tout titre qui n'auroit pas e'té écrit fur du> papier marqué & vendu au profit du fifc. Les provinces Angloifes du nord de TAmérique s'indignent toutes contre cette ufurpation de leurs droits les plus prêcieux & les plus facrés. Dun accord unanime , elles renoncent a la confommation voient couler ce fang avec une douce faüsfacrion. Mais les tyrans ne trouvent guère de complices que chez les peuples déja corrompus. Ce font les vices qui leur donnent des alliés parmi ceux qu'iis oppriment. ■ C'eft la molleffe qui s'épouvante & n'ofe faire 1'échange de fon repos contre des périls honorables. C'eft la vile ambition de commander qui préte fes bras au defpotifme, & confent a être efclave pour dominer; a livrer un peuple pour partager fa dépouille •, a renoncer a 1'honneur pour obtenir des honneurs & des titres. C'eft furtout 1'indifférente & froide perfonnalite', dernier vice d'un peuple , dernier crime des gouvernemens, car c'eft toujours le gouvernement qui la fait naitre: c'eft elle qui, par principe, facrifie une nation a un homme , & le bonheur d'un fièc'e & de la pofte'rite a la jouiffance d'un jour & d'un moment. Tous ces vices, fruits d'une fociété opulente & voluptueufe , d'une fociété veillie & parvenue a fon dernier terme, n'appartiennent point a des peuples agricultcurs öc nouveaux. Les Américains demeu-  C 23 > rèrent unis. L'exécution d'un bill qu'ils appelloignt inhumain, barbare & meurtrier, ne fit que les afiermir dans Ma réfolution de loutcnir leurs droits avec plus d'accord & de cunltaiice. A Bolton, les efprits s'exaltent de plus en pius. Le cri de la religion renforce celui de la liberte. Les temples retciitiflent des exhortations les plus violcntes contre 1'Angleterre. C'étoit fans doute un fpeclacle intereiiaut pour la philofophie de voir que dans les temples, aux pieds des autels, ou tant de fois la fuperitkion a béni les chaines des peuples, oü tant de fois les prétres ont flatté les tyrans , la liberte' élevoit fa voix pour défendre les privilèges d'une nation opprimée ; & fi 1'on peut croire que la divinité daigne abaifler fes regards fur les malheureufes querelles des hommes , elle aimoit mieux fans doute voir fon fanftuaire confacré a eet ufage, & des hymnes a la liberté devenir une partie du culte que lui ' adreffoient fes miniftres. Ces difcours devoient produirc un grandcffet; & lórfq.'ü» peuple libre invoque le ciel contre 1'opC 4  prefiïon, il ne tarde pas a courir aux armes; Les autres habitans de MaiTachufet dédaignent jufqu'a 1'ide'e de tirer le moindre avantage du défaftte de la capitale. Ils ne fongent qu'a relTerrer avec les Boftoniens les liens qui les uniffent, difpofe's a s'enfévelir fous les ruines de leur commune patrie, plutót que -de laiffer porter le moindre atteintc a des droits qu'ils ont appris a che'rir plus que leur vie. Toutes les provinces s'attachent a lacaufe de Bofton ; & leur afFeótion augmente a proportion du malheur & des fouffrances de cette ville infortune'e. Coupables a peu de chofe pres d'une re'fiftance fi féve'rement punie, elles fentent bien que la vengeance de la me'tropole contre elles n'eft que différe'e; & que toute la grace, dont peut fe fiatter la plus favorife'e , fera d'être la dernière fur qui s'appefantira un bras oppreffeur. Ces difpofitions a un foulèvement ge'néral font augmentées par l'adte contre Bofton , qu'on vort circuler dans tout le continent fur du papier bordé de noir,, emblême  ( *5 ) du deuil de la liberte. Bientót 1'inquiétude fe communiqué d'une maifon a 1'autre. Les citoyens fe raffemblent & converfent dans les places publiques. Des e'crits, pleins d'éloquence & de vigueur, fortent de toutes les preffes. " Les fe've'rite's du parlement Britanni*f que contre Bofton, dit-on dans ces im" prime's, doivent faire trembler toutes les " provinces Ame'ricaines. II ne leur refte " plus qu'a choifir entre le fer, le feu, les " horreurs de la mort, & le joug d'une «f obéiiTance lache & fervile. La voila enfin " arrive'e cette époque d'une révolution «f importante, dont 1'événement, heureux " ou funefte, fixera a jamais les regrets ou " 1'admiration de la poftérité. *' Serons-nous libres , ferons-nous efcla'< ves ? C'eft de la folution de ce grand pro.» " blême que va dépendre, pour le préfent, " le fort de trois millions d'hommes , & " pour L'avenir Ia félicité ou la misère de " leurs innombrables defcendans. " Réveillez-vous donc, ö-Américains! V jamais la région que voys habitez ne fut c s  « couverte d'sufii fombres nuages. On vous tf appelle rebelles , paree que vous r.e " voulez être taxés que par vos repréfen'( tans. Juitifïez cette prétention par votre « courage , ou fcellez-en la pene de tout ^ Philadclphic, des députés chargés de défendre leurs droits & leurs intéréts. Les démêlés de la métropole avec fes colonies prennent , a cette époque , une importanee qu'ils n'avoient pas eue. Ce ne font plus quelques particuliers qui oppofent une réfiftance opinidtre a des maïtres impérieux. C'eft la lntte d'un corps contre un autre corps, du congres de 1'Amérique contre le parlement d'Angleterre, d'une nation contre une nation. Les refolutions prifes de part & d'autre échauffent de plus en plus les efprits. L'animofité augmente. Tout efpoir de conciliation s'évanouit. Des deux có*és  C =8 ) on aiguife le glaive. La Grande-Bretagne envoie des troupes dans le nouveau-monde* Cet autre hémifphère s'occupe de fadéfenfe. Les citoyens y deviennent foldats. Les mate'riaux de 1'incendie s'amaffent, & bientót va fe former l'embraTement. Gage, commandant des troupes royales , fait partir de Bolton, dans la nuit du i S avril 1775, un detachement chargé de détruire un magafin d'armes & de munitions, affemblé par les Américains a Concord. Ce corps rencontre a Lexington quelques milices qu'il diffipe fans beaucoup d'efforts, continue rapidemment famarche,& exécute les ordres dontil étoit porteur. Mais apeinc a-t-il repris le chemin de la capitale, qu'il le voit affailli, dans un efpace de quinzemilles, par une multitude furieufe , a laquelle il donne,de laquelle il recoit la mort. Le fang Anglois , tant de fois verfé en Europe par des mains Angloifes , arrofe a fon tour 1'Amérique, & la guerre civile eft engagée. Sur le même champ de bataille font Uvrés, les mois fuivans, des combats plus réguliers. Warren devient une des victimes  C -9 ) de ces adtions meurtrièrcs & dénaturées; Le congrès honore fa cendre. " II n'eft point mort, dit 1'orateur, il " ne mourra pas eet excellent citoyen. Sa " me'moire fera éternellement préfente, " éternellement chère a tous les gens de «* bien, a tous ceux qui aimeront leur patrien " Dans le cours borné d'une vie de trente«f trois ans, il avoit déploye' les talens de " Thomme d'état, les vertus d'un fenateur, ** 1'ame du héros. " Vous tous ,qu'un même intérêt anime,' " approchez-vous du corps fanglant de " Warren. Lavez de vos pleurs fes bleiTures " honorables: mais ne vous arrêtez pas trop " long-tems auprès de ce cadavre inanimé. ** Retournez dans vos demeures pour y faire *' détefter le crime de la tyrannie. Qu'a * cette peinture horrible, les cheveux dé " vos enfans fe dreiTent fur leur têtes; que *• leurs yeux s'enflammenf, que leurs fronts Ainfl la fociéte' eft nee des befoins des hommes, Ie gouvernement eft né de leurs vices. La fociéte' tend toujours au bien; le gouvernement doit toujours tendre a réprimer le mal. La fociéte' eft la première ; ell«5 eft dans fon origine indépendante & libre j le gouvernement a été inftitué pour elle & n'eftquefoninftrument. C'eft a 1'unea eom-.. mander; c'eft a 1'autre a la fervir. La fociéte a créé Ia force publique; le gouvernement qui 1'a recue d'elie, doit la confacrer toute entière 3 fon ufage. Enfin, la foeiété eft efientiellement bonne 5 le gouvernement, comme on le fait, peutètre&n'eftque trop fbuvént mauvais. D  C 34 ) On a dit que nous étions tousnéségaux* cela n'eft pas. Que nous avions tous les mêmes droits. J'ignore ceque c'eft que des droits, oü il y a inégalité de talens ou de force, «c nulle garentie, nulle fanction. Que la nature nous offroit a tous une même demeure & les mêmes reflburces: cela n'eft pas. Que nous étions doués indiftinftement des mêmes moyens de défenfe: cela n'eft pas ; & je ne fais pas en quel fens il peut être vrai que nous jouiffons des mêmes qualités d'efprit & de corps. II y a entre les hommes une inégalité originelle a laquelle rien ne peut remédier. II faut qu'elle dure éternellement; & tout ce qu'on peut obtenir de la meilleure légiflation, ce n'eft pas de la détruire; c'eft d'en empêcher les abus. Mais en partageant fes enfans enmaratre; en créant des enfans débiles & des enfans forts, la nature n'a-felle pas formé ellemême le germe de la tyrannie? Je ne crois pas qu'on puiffe le nier ; fur-tout fi 1'on remonte a un tems antérieur a toute légiflation, tems oü 1'on verra 1'homme auffi paffionné, auffi déraifonnable que la brute.  C 3$ ) Que les fondateurs des nations, que les légillateurs fe font-ils donc propofé? D'ob» vier a tous les défaftres de ce germe dévelop-1 pe', par uneforte d'e'galite' artifjcielle,quifoumit fans exception les membres d'une fociétd a une feule autorité impartiale. C'eft un glaive qui fe promène indiftinctement fur toutes les tétes : mais ce glaive étoit idéal. II falloit une main, un être phyfique qui le tint. Qu'en eft-il réfulté? C'eft que 1'hiftoire de 1'homme civilifé n'eft que 1'hiftoire de fa mifère. Toutes les pages en font teintes de fang , les unes du fang des oppreffeurs, les autres du fang des opprimés. Sous ce point de vue, 1'homme fe montrg plus méchant & plus malheureux que 1'ani-* mal. Les différentes efpéces d'animaux fubfiftent aux dépens les unes des autres: mais les fociétés des hommes n'ont pas ceffé de s'attaquer. Dans une même fociété, iln'ya aucune condition qui ne dévore & qui ne' foit dévorée, qu'elles qu'aient été ou que foient les formes du gouvernement ou d'é-" galité artiflcielle qu'on ait oppofées a 1'iné-7 galité primitive ou naturelle» D s  C 3* ) Mais ces formes de gouvernement, ad choix & du choix libre des premiers aicux, quelque fanftion qu'elles puiflent avoir recue, ou du ferment, ou du concert unanime, oude leur permanence, font-elles obligatoires pour leurs defcendans ? II n'en eft rien -, &ileft impoffible que vous Anglois , qui avez fubi lucceffivement tant de révolutions différentes dans votre conftituuon politique , ballotés de la monarchie a la tyrannie, de la tyrannie a 1'anftocraüe , de Variftocratie a la démocratie, de la démocratie al'anarchie; il eft impoffible que vous puiffiez, fam vous accuier de rebelhon&de parjure , penfer autrement que moi. Nous examinons les chofes en philofephes ; & 1'on faitbien quece nefont pas nos fpéculations qui amènent les troubles civils. Point de fujets plus patiens que nous. Je vais donc fuivre mon objet, fans en redouter les fuites. Si les peuples font heureuxfous la forme de leur gouvernement, ilslegarderont. S'ilsfontmalheureux, ce ne feront ni vos opinions, ni les miennes; ce fera l'impoffibilité de fouffrir davantage &  ( 37 ) plus long-tems qui les de'terminera k la changer, mouvement falutaire que 1'oppreffeur appellera révolte, bien qu'il ne foit que 1'exercice légitime d'un droit inaliénable & naturel de 1'homme qu'on opprime , £t même de 1'homme qu'on n'opprime pas. On veut, on choifit pour foi. On ne fauroit vouloir ni choifir pour un autre; & il feroit infenfé de vouloir , de choifir pour celui qui n'eft pas encore né, pour celui qui eft a des fiècles de fon exiftence. Point d'mdividu qui, mécontent de la forme du gouvernement de fon pays, n'en puiffe aller chercher ailleurs une meilleure. Point de fociété qui n'ait a changer la fienne, la même liberte' qu'eurent fes ancêtres a 1'adopter. Sur ce point, les fociétés en font comme au premier moment de leur civilifatiori. Sans quoi il y auroit un grand mal ; que, dis-je, le plus grand des maux feroit fans reméde. Des millions d'hommes au* roient été condamnés a un malheur fans fin, Concluez donc avec moi: Qu'il n'eft nulle forme de gouvernement^ dont la prérogative fok d'être immuable»  < 58 ) Nulle autorité politique qui créée hier ou jl y a mille ans, ne puiiTe êtreabrogée dans dix ans ou demain. Nulle puiflance, fi refpeftable, fi facrée qu'elle foit autorifée a regarder i'état comme fa propriété. Quiconquepenfe autrementeft un efclave. C'eft un idolatre de 1'ceuvre de fes mains. Quiconque penfe autrement eft un infenfé, qui fe dévoue a une mifère éternelle, qui y dévoue fa familie , fes enfans ; les enfans de fes enfans, en accordant a fes ancêtres le droit de ftipuler pour lui lorfqu'il n'étoit pas, & en s'arrogeant le droit de ftipuler pour fes neveux qui ne font pas encore. Toute autorité dans ce monde, a commencé ou par le confentement des fujets, ou par la force du maitre. Dans 1'un & 1'autre cas, elle peut finir légitimement. Rien ne prefcrit pour la tyrannie contre la liberte'. La vérité de ces principes eft d'autant plus eflentielle, que, par fa nature, toute puiffance tendau defpotifme, chez la nation  C $9 ) même la plus ombrageufe , chez vous Anglojs-, oui chez vous. J'ai cntendu dire' a un Whig, fanatique peut-être; mais il échappe quelquefois aux infenfés des paroles d'un grand fens : je lui ai entendu dire, que tant qu'on ne meneroit pas a Tyhurn un mauvais fouverain, ou du - moins un mauvais miniftre , avec auffi pcu de formalite's, d'appareil, de tumuite & de furprife qu'on y conduit le plus obfcur des malfaiteurs , la naüon n'auroit de fes droits, ni la jufte idee, ni la pleine jouiirance qui convenoit a un peuple qui ofoit fe croire ou s'appeller libre; & cependantuneadminifiration de votreaveu même, ignorante, corrompue,audacieufe vous précipite impérieufement & impunément dans les abymes les plus profonds! La quantité de vos efpéces circulantes eft peu confidérable. Vous êtes accablés de papiers. Vous en avez fous toutes fortcs de dénominations. Tout 1'or de 1'Europe , ramaffé dans votre tréfor , fuffiroit a peina a 1'acquit de votre dette nationale. On ne fait par quel incroyable preftige cette monP 4  14°> noie fidtive fe foutient. L'événement le plus frivole peut du foir au matin la jetter dans ie 'de'cri. II ne faut qu'une alarmc pour amener une banqueroute fubite. Les fuites affreufes qu'auroit ce manque de foi, font au-deffus. de notre imagination. Et voili I'inftant qu'on vous défigne pour vous faire de'clarer a vos colonies, c'eft-a-dire, pour vous fufciter a vous-même une guerre injufte, infenfe'e , ruineufe. Que deviendrezvous , lorfqu'une branche importante de votre commerce fera de'truite; lorfque vous aurez perdu un tiers de vos poffeffions; lorfque vous aurez maffacre' un ou deux millions de vos compatriotes; lorfque vos forces feront e'puifées, vos marchands ruines , vos manufaCturiers réduits a mourir de faim; lorfque votre dette fera augmente'c & votre revenu diminué? Prenez-y garde, le fang des Américains retombera tót ou tard fur vos têtes. Son effufion fera vengée par vos propres mains; & vous touchez au moment. MazV.dites-vous, ce font des rebelles.... Des rébelles ! & pourquoi ? paree qu'ils  C 41 ) ils veulcnt pas être vos efclaves. Un peuple foumis a la volonté d'un autre peuple qui peut difpofer a fon gré de fon gouvernement , de fes loix, de fon commerce 5 1'impofer comme il lui plak; limiter fon induftrie & 1'enchainer par des prohibitions arbitraires eft fcrf, oui il eft ferf; & fa fervitude eft pire que celle qu'il fubiroit fous un tyranOn fe de'livre de 1'oppreffion d'un tyran ou par 1'expülfion ou par la mort. Vous avcz fait 1'un 8c 1'autre. Mais une nation, on ne la tue point, on ne la chalTe point. On ne peut attendre la liberte' que d'une ruprure, dont la fuite eft la mine de 1'une ou i'autre nation, & quelquefois de toutes les deux. Le tyran eft un monftre a une feule tête , qu'on peut abattre d'un feul coup. La nation defpote eft un hydre a mille têtes qui ne peuvent être coupées que par mille gla.ves leve's a la fois. Le crime de 1'oppreffion exerce'e par un tyran raffemble toute 1'indignation fur lui feul. Le même crime commis par une nombreufe fociété, en difperfe f horreur & la honte fur une multitude qui ha rougit jamais. C'eft le forfait de tous..  C 4* ) ce n'eft le forfait de perfonne; & le fentiment du défcfpoir e'garé ne fait oü fe porter. Mais se Jont nos fujets.... Vos iujets! pas plus que les habuans de la province de Galles, ne Tont les fujets du coraté de Lancaftre. L'autorité d'une nation fitt une autre, ne peut être fondée que fur la cunquête , le confentement général , ou des conditions propofées & acceptées. La :onquête neliepas plus que le vol. Le coBfente* ment des aieux ne peut obliger les defcen* dans; & il n'y a point de condit>on qui ne foit exclufive du facrifice de la I berte'. La liberte' ne s'e'change pour rien , paree que rien n'eft d'un prix qui lui for. comparable. C'eft le difcours que vous avez tenu a vos tyrans , & nous vous le tenons pour vos colons. La terre qu'ils occuputt ejl la nètre La votre! c'eft ainfi que vous 1'appellez, paice que vous 1'avez envahie. Mais foit. La charte de conceffion ne vous oblige-t-el!e pas xz traiter les Ame'ricains en compatriotes ? Le faites-vous ? Mais il s'agit bien ici de conceffions de chartes, qui accordent ce dont  ( 43 ) on n'eft pas le maitre,ce qu'en conféquence on n'a pas le droit d'accorder a une poigne'e d'hommes foiblcs & force's par les circonftances de recevoir en gratification ce qui leur appartient dc droit naturel. Et puis les neveux qui vivent aujourd'hui ont-ils été appellés aun pafte figné par leurs ancêtres? Ou confeiTez la vé ité de ce principe , ou rappellez les defcendans Jie Jacques. Quel droit avez-vous eu de le chafler que nous n'ayons de nous féparer de vous .vous di ent les Américains; & qu'avez-vous a leur rèpondre? Ce font des ingrats, nous fommes leurs fotidateurs ;nous avons èti leurs défenfeurs ; m us tious fommes endeitès pour eux... Dites pour vous autant & plus que pour eux. Si vous avez pris leur défenfe, c'eft comme vous auriezpriscelledu fultan deConftantinopie, fi votre ambition ou votre intérêt 1'enlTent exigé. Mais ne fe font-ils pas acquittés en vous livrant leurs productions; en recevant exclufivement vos marchandifes au prix exorbitant qu'il vous a plu d'y mettre; en s'aflujettiffant aux prohibitions qui gênoient leur  'C 44 ) induftrie, aux reftridtions dont vous ave» grevé leurs propriétés ? Ne vous onc-ils pas fecourus? Ne fe font-ils pas endmés pour vous ? N'ont-ils pas pris les armes & combattu pour vous ? Lorfque vous leur avez adreffe' vos demandes , comme il convient d'en ufer avec des hommes libres, n'y ont-ils pas aceédé? Quand en avez-vous éprouve* des refus, fi ce n'eft lorfque'eur appuyant la baïonnette fur la poitrine, vous leur avez dit: vos trêforsou la v!e;mourezou Joyez mes tjclaves. Quoi \ paree que vous avez été bienfaifans, vous avez le droit d'être oppreffeurs ? Quoi! ies nations auffi. fe feront-elles de la reconïioiflance un titre barbare pour avilir & fouler aux pieds ceux qui ont eu ie malheur de recevoir leurs bienfaits? Ah .'les particuliers peut-être, quoique ce ne foit point un devoir-, peuvent dans des bienfaiteurs fupporter des tyrans. Pour eux, il eft beau, il eftmagnanime fans doute de confentir a être malheureux pour n'être point ingrats. Mar 'a morale des nations eft différente. Le bonheur public eft la première loi, comme le premier devoir. La piemière obligation de ces grands  <4S 3 corps e!t avec eux-mêmës. Ils doiVent avant tout liberte' & juftice aux individus qui les Cpmpofent. Chaque enfant qui nait dans Tétat , chaque nouveau citoyen qui vient refpirer 1'air de la patrie qu'il s'eft faite , ou que lui a donnée la nature, a droit au plus grand bonhenr dont il puiffe jouir. Toute obligation qui ne peut fe concilier avec celle-la eft rompue. Toute rédamation contraire eft un attentat a fes droits. Et cue lui importe qu'on aitobligée ces ancêtrcs ,s'ileft diiftine' lui-même a être viótime ? De quel droit peut-on exiger qu'il paie cette dette ufuraire de bienfaits qu'il n'a pas même éprouvés? Non, non. Vouloir s'armer d'un pareil titre contre une nation entière & fa poltérite' , c'eft renverfer toutes les idees d'ordre & de politique; c'eft trahir toutes les loix de la morale , en invoquant fon, nom. Que n'avez-vous pas fait pour Hanövre? Commandez-vous a Hanovre? Toutes U-s républiques de la Grèce furent liées par des fervices réciproques: aucune exigea-t-> elle en reconnoilfance le droit de difpofer de 1'adminiltraüon de la républiqtie obligée?  C 40 Notre honneur eft engagêe Dites celui de vos mauvais admimftrateurs, & non le Votre. En quoi confllte le ve'ritable honneur de celui qui s'eft trompe'? Eft-ce a perfifter dans fon erreur ou a la reconnoitre? Celui qui revient au fentiment de la juftice, a-t-il a rougir ? Anglois, vous vous êtes trop hate's. Que n'attendiez-vous que la richelTe eüt corrompules Ame'ricains, comme vous 1'êtes? Alors, ils n'auroient pas fait plus de cas de leur liberté, que vous de la vótre. Alors, fubjugués par 1'opulence, vos armes feroient devenues inutiles. Mais quel ïnftant avezvous pris pour les attaquer ? Celui oü ce qu'ils avoient a perdre, la liberte', ne pouvoit être balance' par ce qu'ils avoient a conferver. Mais plus tard ils feroient devenusplusnom~ Ireux J'en co'nviens. Qu'avez-vous donc tenté ? L'aiTerviirement d'un peuple que le tems affranchira malgre' vous. Dans vingt, dans trente ans, le fouvenir de vos atrocite's fera récent; & le fruit vous en fera ravi. Alors, il ne vous reftera que la honte & ls temords. II eft un décret de la nature que  C 47 ) vousnechangefez pas: c'eft que les grandes msftés donnent la loi aux petites. Mais, répondez-moi, fi alors les Américains entreprenoient fur la Grande-Bretagne ce que vous avez entrepris aujourd'hui fur eux: que diriez-vous ? Pre'cifément ce qu'ils vous difent en ce moment. Pourquoi des motifs qui vous touchent peu dans leur Douche, vous paroitroient-ils plus folides dans la vótre? Ils ne veulent ni oheïr a notre parlement, ni adapter nos conjiitutions. . Les ont-ils faites i Peuvent-ils les changer? Nous y obtijjons Hen, fans avoir eu dans le pajpt & fans avoir pour te préfent aucune, influence fur elles.... C'eft-a-dire que vous êtes des efclaves, & que vous ne pouvez pas fouffrir des hommes libres. Cependant, ne confondez point la pofition des Américains avec la vótre. Vous avez des repréfentans, & ils n'en ont point. Vous avez des voix qui parient pour vous, & perfonne ne ftipule pour eux. Si les voix font achetées & vendues, c'eft une excellente raifon pouï . qu'ils dédaignent ce friyole avantage.  C 48 5 Ils veulent être independanï de nous.... Né Feces-vous pas d'eux. yamais ils ne pourroni Je foutenir fang nous.... Si cela eft, demeurez tranquilles. La néceffité vous les rarr.enera. E/ Jinous nepouvions fubjijler fans eux..; Ce feroit un grand malheur: mais les égorger pour vous en tirer, c'eft un fingulief expediënt. C"eji'peur leurintirit,c''ejlpour leur bienqüt nousfévijfons contre eux, comme en févit contre dis enjans infehfes... Leur intérêt! leur bien'! Et qui vous a conftitués juges de ces deux öbjets qui les touchent de fi prés & qu'ils doivent connoitre mieux que vous ? S'iL arrivoit qu'un citoyen s'introduisit de vive force dans,1amaifon d'un autre,par la raifön qu'il eft lui homme de beaucoup de fens, & que perfqnne n'eft plus en état de maintenir le bon ordre & la paix chez fon voifin , ne feroit-on pas en droit de le prier defe retirér & de fe mêler de fes propres affaires ? Et' il les affaires de eet officieux hypocrite étoient très-mai rangées? Si ce n'étoit qu'un ambitieux qui fous prétexte de regir voulüt ufur- per?  C 49 ) per? S'il ne cachoit fous le mafqiie de la bienveillance que des vues pleines d'injuftice, telles, par exemple que de fe tirer de preffe aux de'pens de fon concitoyen? Nous fommes la mère patrie Quoi, toujours les noms les plus faints pour fervir de voile a 1'ambition & a l'inte'rêt! La mère-patrie; RempliiTez-en donc les devoirs. Au refte, la colonie eft forme'e de différentes nations, entre lefquelles les unes vous accorderont , les autres vous refuferont ce titre; & toutes vous diront a la fois : il y a un tems oü 1'autorité des pe'res & des meres fur leurs enfans ceffe ; & ce tems eft celui oü les enfans peuvent fe pourvoir par eux-mêmes. Quel terme avez-vous fixe' a notre émancipation ? Soyez de bonne foi, & vous avouerez que vous vous étiez promis de nous tenir fous une tutèle qui n'auroit pas de fin. Si du-moins cette tutèle ne fe changeoit pas pour nous en une contrainte infupportable ; fi notre avantage n'étoit pas fans ceffe facrifié au vótre; fi nous n'avions pas a fouffrir une foule d'oppref^ fions de détail de la part des gouverneurs,. E  C 50 ) des juges, des gens de finance, des gena de guerre que vous nous envoyez: fi la plupart, en arrivant dans nos climats, ne nous apportoient pas des caraótères avilis , des fortunes ruinées, des mains avidcs & 1'iniolence de tyrans fubalternes, qui, fatigués dans leur patrie d'obéir a des loix, viennent fe de'dommager dans un nouveaumonde, en y exergant une puiffance trop fouvent arbitraire. Vous êtes lamère-patrie: mais loin d'encourager nos progrès, vous les redoutez, vous enchainez nos bras, vous étouffez nos forces naiffantes. La nature, en nous favorifant, trompe vos vceux fecrets •, ouplutót, vousvoudriez que nous reftaffions dans une éternelle enfance pour tout ce qui peut nous être utiie, & que cependant nous fuffions des efclaves robuftes pour vous fervir & fournir fans cefie a votre avidité de nouvelles fources de richeffes. Eft-ce donc la une mère, eft-ce une patrie ? Ah, dans les forêts qui nous environnent, la nature a donnë un inftindt plus doux a la béte fe'roce qui, devenue me're, ne dévore pas du-moins eeux qu'elle a fait naitre.  (Si ) En foufcrivant ct toutes hurs prètentions t UentSt ilsferoient plus heureux que nous... Et pourquoi non ? Si vous êtes corrompus } ïaut-il qu'ils fe corrompent? Si vous penchez vers 1'efclavage, faut-il auffi qu'ils vous irnitent? S'ils vous avoient pour maitres , pourquoi ne confe'reriez - vous pas la propriété de leur contre'e a une autre puiiTance, a votre fouverain ? Pourquoi ne le rendriez-vous pas leur defpote, comme vous 1'avez de'claré par un acte folemnel def> pote du Canada? Faudroit-il alors qu'ils ratifiaffent cette extravagante conceffion ? Ét quand ils 1'auroient ratifle'e, faudroit-il qu'ils obéilTenc au fouverain que vous leürf auriez donné, & qu'ils priffent les armes contre vous s'il 1'ordonnoit? Le Roi d'Angleterre a le pouvoir ne'gatif. On n'y faüroit publier une loi fans fon confentement» Ce pouvoir dont vous éprouvez chaque jour 1'inconve'nient, pourquoi les Améri* cains le lui accorderoient-ils chez eux ? Seroit-ce pour Pen dépouiller un jour, le3 armes a la main, comme il vous arrivera y fi votre gouvernement feperfectionne? Qne\ E a  C 52 ) avantage trouvez-vous a les affujettir h une conftitution vicieufe ? Vicieufe ou non, cette conftitution, nou: l'avotis ; & elle doit être généralement reconnue & acceptèe par tout ce qui porte le nom Anglois: fans quoi chacune de nos provinces fe gouvernant dfamanière, ayantjss loix & prétendant ct l'indépendance, nous cejjuns de former un corps nationale & nous ne jommes plus qiïunamas de petites répubtiques ifolées, divifées,fansceJ]e fouleve'es les unes contre les autres, & faciles a etwahir par un ennemi commun. LePhitippe adroit &puijjant, capable de tenttr cette tntreprife, nom l'avons h notre porte S'il eft a votre porte, il eft loin des Américains. Un privilège qui peut avoir quelque inconvénient pour vous , n'en eft pas moins un privilège. Mais féparées de la Grande-Bretagne par des mers immenfes, que vous importe que vos colonies acceptent ou rejettent vos conftitutions ? Qu'eftce que cela fait pour ou contre votre force, pour ou contre «rotte fécurité? Cette unité , dont vous exagérez les avantages, n'eft  C 53 > ëncore qu'un vain prétexte. Vons leur objectez vos loix lorfqu'üs en font vexés; vous les foulez aux pieds lorfqu'elles réclament en leur faveur. Vous vous taxez vousmèmes, & vous voulez les taxer. Lorfqu'on porte la moindre atteinte a ce privilège , vous pouffez des cris de fureur, vons prencz les armes, vous êtes prêts a vous faire égorger; & vous portez le poignard fur la gorge de votre concitoyen, pour le contraindre a y renoncer. Vos ports font ouverts a toutes les nations; & vous leur fermez les ports de vos colons. Vos marchandifes fe rendent par-tout oü il vous plak; & les leurs font force'es de pafier chez vous. Vous manufaéturez; & vous ne voulez pas qu'ils manufaóturent. lis ont des peaux, ils ont des fers-, & ces peaux, ces fers, il faut qu'ils vous les livrent bruts. Cc que vous acquérez a bas prix, il faut qu'ils 1'achètent de vous au prix qu'y met votre rapacite'. Vous les immolez a vos commereans ; & paree que votre compagnie des lndes pe'riclitoit, il falloit que, les Américains réparaffent fes pertes. Et vous E 3  C 54 > les appellez vos concitoyens; & c'eft ainfi que vous les invitez a recevoir votre conftitution. Allez, allez. Cette unité , cette ligue qui vous femble fi ne'cefiaire n'eft que celle des animaux imbe'cilles de la fable, entre iefquels vous vous êtes re'ferve' le róle du lion. Peut-être ne vous êtes-vous laifies entrainer a remplir de fang & de ravages le nouveau-monde que par un faux point d'honneur. Nous aimons a nous perfuader que tant de forfaits n'ont pas e'té les conféquences d'un projet froidement concerté. On vous avoit dit que les Ame'ricains n'e'toient qu'un vil troupeau de hkhes que la moindre menace ameneroit tremblans & confterne's a tout ce qu'il vous plairoitd'exiger. A la place des hommes pufillanimes qu'on vous avoit peints & promis, vous rencontrez de braves gens, de ve'ritables Anglois, des concitoyens dignes de vous. Etoit-ce une raifon de vous irriter? Quoi! vos aïeux ont admiré le Batave fecouant ]e joug Efpagnol; & ce joug , vous feriez e'tonnés ? vous leurs defcendans, que vos  rompatriotes, vos frères , ceux qui fentoient votre fang circuler dans leurs veines euflent pre'féré d'en arrofer la terre & de mourir plutót que de vivre efclaves ? Un étranger, fur lequel yous euffiez formé les piêmes prétentions, vous auroit deïarme', fi, vous montrant fa poitrine nue , il vous eütdit: enfonce Ie poignard, ou MJfe-moi übre; & vous égorgez votre frère; & vous Tégorgez fans remords paree qu'il eft votre frère! Anglois! quoi de plus ignominieux que la lerocité de 1'homme, fier de fa liberte' & attentant a la liberte' d'autrui. ' Voulezvous que nous croyions que le plus grand ennemi de la liberte' , c'eft 1'homme libre? Hélas! nous n'y fommes que trop difpofe's. Ennemis des rois, vous en avez la morgue. Ennemis de la prérogative royale , vous la portez par-tout. Partout vous vous montrez des tyrans. Eh bien, tyrans des nations & de vos colonies, ft vons êtes les plus forts, c'eft que le ciel aura ferme l'oreille aux vceux qui s'e'lèvent de toutes les contre'es de la terre. Puifque les mers n'ont pas englouti vos. E 4  < 56 ) fiers fatellites, elites - moi ce qu'ils devien-' dront s'il s'élève dans le nouveau - monde un homme éloquent qui promette le falut éternel a ceux qui périront les armes a la main martyrs de la liberte'. Américains 1 qu'on voie inceflamment vos prêtres dans leurs chaires, les mains chargées de couronnes, & vous montrant les cieux ouverts. Prêtres du nouveau-monde, il en eft tems; expiez 1'ancien fanatifme qui a défolé & ravage' 1'Amérique, par un fanatifme plus heureux, né de la politique & de la liberte'. Non , vous ne tromperez pas vos concitoyens. Dieu , qui eft le principe de la juftice & de 1'ordre, hait les tyrans. Dieu a imprimé au cceur de 1'homme eet amour facré de la liberte'; il ne veut pas que la fervitude aviliiTe & défigure fon plus bel ouvrage. Si 1'apothéofe eft due a 1'homme, c'eft a celui fans doute qui combat & meurt pour fon pays. Mettez fon image dans vos temples, approchez-la des autels. Ce fera le culte de la patrie. Formez un calendrier politique & religieux, oü chaque jour foit marqué par le nom de quelqu'un de ces  lie'ros qui aura' Verfé fon fang pour vous rendre libres. Votre poftérité les lira un jour avec un faint refpecr.: elle dira, voila ceux qui ont affranchi la moitié d'un monde, & qui , travaillant a notre bonheur quand nous n'e'tionspas encore, ont empêché qu'a notre naifiance nous entendiffions des chaines retentir fur notre berceau. Lorfque la caufe de vos colonies étoit Q«ï toit le par- débattue dans les affemblées de vos cham- ti qui iie vfc ou'il conyenoit peut-étre de vous addreiier ï laf?rme"- ^ A 5 tation do le voici. fes col°- mes. " Je ne vous parlerai point, Meffieurs, " de la juftice ou de 1'injuftice de vos " prétentions. Je ne fuis pas aflez étranger " aux affaires. publiques pour ignorer que " eet examen préliminaire & facré dans " toutes les autres circonftances de la vie, " feroit déplacé & ridicule dans celle-ci. Je " ne rechercherai point quel efpoir vous " pouvez avoir de réuffir, & fi vous ferez " les plus forts , quoique ce fujet vous " parut peut-être de quelque importance,  f & que je pufie vraifemblablement m'en f* promettre votre attention. Je ferai plus. " Je ne comparerai point les avantages de *' votre fituation fi elleréuffit, avec les fuites f qu'elle aura fi vous manquez de fuccès. V Je ne vous demanderai point jufqu'a quand f vous avez réfolu de fervir vos ennemis. " Mais je fuppoferai tout d'un coup que " vous avez re'duit vos colonies au degre' " de fervitude que vous en exigez. Appre** nez-moi feulement comment vous les y " fixerez. Par une armée fubfiftante? Mais ** cette armée que vous épuifera d'hommes " & d'argent, fuivra-t elle ou ne fuivra" t-elle pas 1'accroiflement de la popula" tion ? II n'y a que deux réponfes a faire f a ma queftion, & de ces deux réponfes, «e 1'une me femble abfurde, & 1'autre vous f ramène au point oü vous êtes. J'y ai beau" coup re'fle'chi; & fi je ne me trompe, " j'ai découvert le feul parti raifonnable & *» für que vous ayez a prendre. C'eft auffi" tót que vous vous ferez rendus les mai« tres, d'arrêter les progrès de la popula** tion, puifqu'il vous paroit plus avanta-  < 59 ï f4 geux, plus honnête & plus décent de " dominer lür un petit nombre d'efclaves , " que d'avoir pour e'gaux & pour amis " une nation d'hommes libres. " Mais, me demanderez-vous , comment " arrête-t-on les progrès de la population ? ** L'expédient pourroit re'volter des ames *' foibles , des efprits pufillanimes : mais " heureufement il n'en eft point dans cette " augufte afllmblée. C'eft d'égorger fans " pitié la plus grande partie de ces indignes «' rebelles, & de re'duire le refte a la con" dition des nègres. Ces bVaVés & ge'ne'H reux Spartiates, fi vante's dans les hifroire? " anciennes & modernes , vous en ont " donné 1'exemple. Comme eux, la téte «e enveloppe'e de leurmanteau, nos concif* toyens & nos fatellir.es iront la nuit clan" deltinement maflacrer les enfans de nos *' Ilotes a cöte' de leurs pères, fur le fein " de leurs mères; & ne laifferont vivre que «* le nombre fuffifant pour leurs travaux & ** notre fureté." Anglois ! vous fre'miflez a cette horTible propofition, & vous demandez quel  parti 1'on pourroit prendre. Vainqueurs ou vaincus, voila ce qui vous convient. Si le reffentiment , excité par vos barbaries , peut fe calmer; fi les Américains peuvent fermer les yeux fur les ravages qui les entourent; fi, en marchant fur les ruines de leurs villes incendie'es , de leurs habitations de'truites, fur les olfemens de leurs concitoyens épars dans les campagnes ; fi, en refpirant 1'odeur du fang que vos mains ont verfé de toutes parts, ils peuvent oublier les attentats de votre defpotifme ; s'il leur eft permis de prendre la moindre confiance dans vos difcours & de fe perfuader que vous avez fincérement renonce' a 1'injuftice de vos pre'tentions, commencez par rappeller vos affaffins foudoye's. Rendez la liberte' a leurs ports que vous tenez ferme's ; e'cartez vos vaifieaux de leurs cótes •, & ■s'il eft un citoyen fage parmi vous, "qu'il prenne une branche d'olivier dans fa main, qu'il fe pre'fente & qu'il dife. " O vous, nos concitoyens & nos anciens " amis, permettez-nous ce titre, nous 1'avons " profane', mais notre repentir nous rend  (t dignes de le reprendre , & nous afpirons " déformais a la gloire de le conferver. Nous " confeffons en préfence de ce ciel & de cette " terre qui en ont été les témoins, nous con" feffons que nos prétentions ont été injuftes " & nos procédés barbares. Oubliez-les " comme nous. Relevez vos remparts & vos " fortereffes. Raflemblez-vous dans vos pai" fibles habitations. Effacons jufqu'a la der" nière goutte du fang qui a coulé. Nous " admirons 1'efprit généreux qui vous a di" rigés. C'eft Ie même auquel dans des cir'ƒ conftances femblables nous avons dü notre " falut. Oui, c'eft a ces marqués fur-tout que " nous vous reconnoiffons pour nos conci" toyens & pour nos frères. Vous voulez être *f libres •, foyez libres. Soyez-le dans toute " 1'étendue que nous avons attachée nous" mêmes a ce nom facré. Ce n'eft pas de " nous que vous tenez ce droit. Nous ne " pouvons ni vous le donner, ni vous Ie " ravir. Vous 1'avez regu comme nous de " la nature,que le crime & le fer des tyrans " peuvent combattre, mais que le crime & " le fer des tyrans ne peuvent détruire. Nous  C 6i ) " nepre'tendons aaucune forte de fupériorité* f fur vous. Nous n'afpirons qu'a 1'honneur de " l'égalicé.Cette gloire nous fuffit. Nous con« noilTons trop bien le prix ineftimable de *' nous gouverner par nous-mêmes, pour * vouloir déformais vous en de'pouiller. " Maitres & arbitres fuprêmes de votre * le'giflation, fi vous pouvez dans vos e'tats " vous créer un meilleur gouvernement que " le notre, nous vous en félicitons d'avance. * Votre bonheur ne nous infpirera d'autre " fentiment que le defir de vous imiter. For*' mez-vous des conftitutions adapte'es a " votre climat,avotre fol,ace monde nou" veau que vous civilifez. Qui peut mieux (t connoïtre que vous vos propres befoins ? " Des ames fières & vertueufes telles que les " vótres ne doivent obéir a d'autres loix * qu'a celles qu'elles fe donneront elles- * mêmes. Tout autre joug feroit indigne " d'elles.Re'glezvous-mêmes vos taxes. Nous " nevous demandons que de vous conformer * a notre ufage dans 1'affiète de 1'impót. Nous " vous pre'fenterons 1'e'tat de nos befoins ; SS" " vous alfignerez de yous-mêmes la jufte  C 65 ) èe proportion entre vos fecours & vos n« *' cheffes. " D'ailleurs , exercez 'votre induftrie, " comme nous exergons la nótre; exercez-la " fans limites. Mettez a profit les bienfaits " de la nature&les contre'es fêcondes que vous *i habitez. Que le fer de vos mines, les laines " de vos troupeaux, la depouille des animaux " fauvages errans dans vos bois, fagonne's " dans vos manufadtures, prennent fous vos " mains une valeur nouvelle. Que vos ports " foient libres, Allezexpofervos denre'esêc " les produétions de vos arts dans toutes les " parties du monde; allez chercher celles " dont vous avez befoin. C'eft un de nos 'f privileges, qu'il foit auffi le vótre. L'em" pire de 1'oce'an, que nous avons conquis " par deux fiècles de grandeur & de gloire, " vous appartient comme a nous. Nous ferons " unis par les liens du commerce. Vous nous " apporterez vos produdtions que nous ac" cepterons depre'fe'rence a celles de tous les " autres peuples, & nous efpe'rons que vous " préférerez lesnótres a celles de 1'étranger, *' fans toutefois que vous y foyez aftreintS;  C 54 ■) " par aucune loi, que par celle de 1'intérét " commun, & le titre de concitoyens & " d'amis. " Que vos vaifleaux & les nötres, décorésr " du même pavillon , couvrent les mers, & " que des deux cótés il s'e'lève des cris de " joie, lorfque ces vaiiTeaux amis fe ren" contreront au milieu des déferts de l'océan. " Quelapaix renaiffe, que la concorde dure " a jamais entre nous. Nos concevons enfin " que la chaine d'une bienveillance re'ci" proque eft la feule qui puiffe lier des em" pires auffi éloignés, & que tout autre prin" cipe d'unite' feroit injufte & précaire. " Que fur ce nouveau plan d'une amitié " éternelle, 1'agriculture , 1'induftrie, les " loix, les arts, & la première de toutes " les fciences, celle de faire le plus grand " bien des états & des hommes, fe per" fectionne parmi vous. Que le récit de " votre bonheur appelle autour de vos ha" bitations tous les infortunés de la terre. " Que les tyrans de tous les pays, que " tous les oppreffeurs, ou politiques ou * facrés, fachent qu'il exifte un lieu dans " le  " le rhoiïde oü 1'on peüt fe dérober jk létif-3 " chaines ; oü 1'humanité flétrie a relevè1 " fatête-, oü les moiflbns croilTent pont lë " pauvre; oü les loix ne font plus que lö (' garant de la félicité; oü la religion ei! ,f libre & la confcience a ceffe' d'être efcla" ve; oü la nature enfin femble vouloif iC fe juftifier d'avoir créé 1'hommej & lö " gouvernement fi long-tems coupable fur" " toute la terre répare enfin fes crimes. Cme1 " 1'idée d'un pareil afyle épouvante lé.4 " defpotes & leur ferve de frein: car fi lö " bonheur des hommes leur eft indifférent"^ t( ils font du-moins ambitieux & avares/ " & veulent conferver,' & leur pouvöir; " & leurs richeffes. " Nous-mêmes, ó nos concitoyens'/ " ö nos amis, nous-mêmes nous profiterons' *c de votre exemple. Si notre conftitutiort n s'altéroit; fi la richeffe publique corrom« * poit la cour, & la cour la nation 5 ft " nos rois a qui nous avons donné tant " d'exemples terribles les oublioient ehfirt f " fi nous étions menacés, nous qui étions* " ün peuple augufte , de ne devenir que 1#  C 66 ) « plus luche & le plus vil des troupeaux ^ P ennousvendantnous-mêmes: lefpeótacle " de vos verras & de vos loix pourroit " nous ranimer. II rappelleroit a nos cceurs " avilis, & le prix & la grandeur de la " liberte ; & s'il faut que eet exemple 'l devienne impuiiTant; s'il faut que 1'efcla" vage, fuite de la corruption ve'nale , " s'établiffe un jour dans ce même pays , « qui a été inondé de fang pour la caufe de f la liberte', & oü nos pères ont vu les " échafauds dreffés pour les tyrans: alors " nous abandonnerons en foule cette terre « ingrate 'livrée au defpotifme, & nous « laifferons le monftre régner fur un défert" Vous nous recevrez alors en qualité d'amis « & de freres. Vous partagerez avec nous " cefol, eet air libre, comme les ames de " leurs généreuxhabitans-, & grace a vos o verras, nous retrouverons encore 1'An" gleterre & une patrie. " Voila, braves concitoyens & notre ' « efpérance & nos vceux- Recevez donc « nosfermens, gages d'une fi fainte alliance. sr Invoquons, pour reradre ce traité plus  C 67 ) ee folcrrmel, invoquons nos aneêtres coK;j " muns, qui tous ont été animés de J'efprit " de liberte comme vous, & n'ont pas " craint de mourir pour la défendre. Atte^ *' tons la mémoire des fondateurs illuftres " de vos colonies, celle de vos auguftes " légiflateurs, du philofophe Locke, qui " le premier fur la terre fit un code de tolérance, du vénérable Penn, qui le " premier fonda une ville de frères. Les '* ames de ces grands hommes, qui dans " ce moment, fans doute, ont les yeux " fixés fur nous, font dignes de préfider " a un traité qui doit affürer la paix de s' deux mondes. Jurons en leur préfence, <3e toutes les colonies. La fupe'riorite' du congrès général fur les congrès particuliers fe bornoit a ce qui étoit du reffort de la politique & de la guerre. Mais quelques perfonnes ont jugé que i'inmturion de ce corps n'étoit pas auffi bien combinée que la légiflation des provinces. II femble en effet que des états fédéradfs, qui fortent de la condition de fujets pour s'élever a 1'indépenaance, ne peuvent fans pe'ril confier a leurs délégués le pouvoir iilimité de faire la guerre & la paix. Car ceux-ci, s'ils e'toient ou infidèles ou peu éclairés , pourroient remettre 1'état entier dans fes fers dont il cherche a s'échapper. II femble que dans ces momens de révolution la volonté publique ne fauroit étre trop connue , trop littéraement prononcée. Sans doute, il eft néceffaire, dit-on, que toutes les démarches, toutes les opérations qui concourent a 1'attaqóer & a la défenfe commune, foient décidées par les repre'fentans communs du corps de 1'état: mais la continuation de la guerre, mais les conditions de la paix  C 9S > devroient être de'libérées dans chaque province; & les délibérations tranfmifes au congrès par les de'pute's qui foumettroient 1'avis de leurs provinces a la pluralité. Ou ajoute enfin que fi dans les gouvernemens affermis, il eft bon que le peuple fe repofe avec confiance fur la fageffe de fon fe'nat, dans un e'tat oü la conftitution fe forme, oü le peuple, encore incertain de fon fort, redemande fa liberte' les armes a la main, il faut que tous les citoyens foient fans ceffe au confeil, k 1'arme'e, dans la place publique, & qu'ils aient les yeux toujours ouverts fur les repre'fentans a qui ils ont confie' leur deftine'e. Quoique ces principes foient vrais en général, on peut cependant re'pondre qu'il étoit peut-être difficile de les appliquer è la nouvelle république formée par les Américains. II n'en eft point d'elle comme des républiques fédératives que nous voyons en Europe, je veux dire la Hollande & Ia Suiffe, qui n'occupent qu'un terrein de peu d'étendue, & oü il eft aifé d'établir une corrununication rapide entre toutes les pro-  C 94 ) vinces. On peut dire la même chofe des conféde'rations de Pancienne Grèce, Ces e'tats e'toient placés a peu de diltance les 'uns des autres, prefque reflerre's dans les bornes du Pélopponéfe ou dans 1'enceinte d'un e'troit archipel. Mais les Etats-Unis d'Ame'rique , feme's fur un continent immenfe •, occupant dans le nouveau-monde un efpace de prèsdequinze degre's ; fe'pare's par des de'ferts, des montagnes, des golfes & par une vafte e'tendue de cótes , ne peuvent jouir de cette prompte communication. Si le congrès ne pouvoit rien décider fur les intéréts politiques fans les délibérations particulières de chaque province; fi a chaque occafion un peu importante , a chaque événement imprévu, il falloit de nouveaux ordres &, pour ainli dire,un nouveau pouvoir aux repréfentans, ce corps refteroit fans activité. Les diitances a franchir,les longueurs & la multitude des débats trop fouvent pourroient nuire au bien général. D'ailleurs ce n'eft jamais dans lanahTance d'une conftitution & au milieu des grandes  C 95 ) j fermentations de la liberte' que Ton doit i craind e qu ri corps de repre'fentans trahiffe, par corruption ou par foiblelTe, les intéréts qui lui font confiés. C'eft plutót dans un pareil corps que 1'efpn't général & s'exalte ; & s'enflamme. C'eft-la que réfide , dans fa vigueur, le génie de la nation. Choifis par 1'eftime de leurs concitoyens, choifis dans un tems oü toute fondtion jpublique eft un danger & tout fuffrage eft un honneur ; placés a la tête de ceux qui compoferont a jamais eet aréopage célèbre , & par-la même naturellement portés a regarder la liberté publique comme leur ouvrage, ils l doivent avoir 1'enthoufiafme des fondateurs j qui mettent leur orgueil a graver pour les ; fiècles leur nom fur le frontifpice d'un moj nument augufte qui s'éleve. Les craintes li que les partifans du fyftême contraire pourI roient avoir fur eet objet paroiffent donc mal fondées. Je dirai plus. II pourroit fe faire qu'un peuple qui combat pour fa liberté, fatigué d'une lutte longue & pénible, & plus frappé des dangers du moment que du bonheur  de 1'avenir, fentït affoiblir fon courage & tente' peut-être de préférer un jour Ia. dependance & la paix a une indépendance prageufé ,' & qui coüte des pe'rils & du fang. C'eft alors qu'il feroit avantageux a ce peuple de s'être démis lui-même du pouvoir de faire la paix avec fes oppreffeurs j & d'avoir dépofé ce droit dans les mains du fénat qu'il a choiü pour fervir d'organe a ff volonté, quand cette volonte' étoit libre, fiére & courageufe. II femble lui avoir dit au moment oü il 1'inftitua. Je léve 1'étendard de la guerre contre mes tyrans. Si mon bras fe laffoit de combattre, fi je pouvois m'avilir jufqu'a implorer le repos, foutiens-moi contre ma foibleffe. N'écoute pas des vceux indignes de moi que je défavoue d'avance; & ne prononce le nom de paix que quand ma chaine fera brifée. En effet, C 1'on confulte 1'hiftoire des républiques,on verra que la muldtudeaprefque toujours rimpétuofite' & la chaleur du premier moment: mais que ce n'eft que dans un petit nombre d'hommes, choifis Sc faits pour fervir de chefs, que réfident ces re'fo-r  ( 97 5 réfölutions conftantes & vigoureufes qui marchent d'un pas ferme & aiTuré vers un grand but, ne fe de'tournent jamais & combattent avec opiniatrete' les malheurs , la fortune & les hommes. Quoi qu'il en foit, & quelque parti qu'on «I* 8"erprenne fur cette difcuffion politique , lcsmenceen- , . . . , tre les E« Améncains n avoient pas encore cree leurtatsUnis fyftême de gouvernement, lorfque dans legieterre'. mois de mars Hopkins enlevoit de 1'Ifle Angloife de la Providence une très-nombreufe artillerie & d'abondantes munitions de guerre; lorfqu'au commencement de mai, Carleton chaifoit du Canada les provinciaux occupe's a réduire Quebec pour achever la conquête de cette grande poffeffion ; lorfqn'en juin, Clinton & Parker e'toient fi vigoureufement repouffe's fur les cótes de 1'Ame'rique méridionale. De plus grandes fcènes fuivirent la declaratiou de 1'indépendance. Howe avoit remplacé le foible Gage. C'étoit même le nouveau général qui avoit évacué Bofton. Regu le 2 avril a Hallifax, il en étoit parti le 10 juin pour fe porter H  < 9* i fur la petite ifle des Etats. Les forces dé terre 8t de mer qu'il attendoit Fy joignirent faccefiïvement; & le 28 aoüt, il débarqua fans oppofition a 1'Ifle-Longue ,fous la protedtión d'une flotte commande'e par 1'amiral fon frère. Les Ame'ricains ne montrèrent pas beaucoup plus de vigueur dans 1'intérieur des terres que fur le rivage. Après une ■médiocre réfiftance & d'affez grandes pertes , ils fe réfugièrent dans le continent avec une facilité qu'un vainqueur qui auroit fu profiter de fes avantages ne leur auroit pas donnée. Les nouveaux républic2ins abandonnèrent 3a ville de New-York beaucoup plus facilement encore qu'ils n'avoient évacué 1'IfleLongue; & ils fe replièrent fur Kingsbridge ou le Pont du Roi, oü tout paroiffoit difpofé pour une réfiftance opiniatre. Si les Anglois avoient fuivi leurs premiers fuccès avec la vivacité qu'exigeoient les circonftances , les nouvelles leve'es qu'on leur oppofoit auroient été infailliblement difperfées ou réduites a mettre bas les armes. On leur laiffa fix femaines pour fe raffurer; êa elles n'abandonnèrent leurs retranchemens  C 99 ) |üé dans Ia nuit du premier au fecond flö* vembre, lorfque les mouvemens qui fe faffoient fous leurs yeux les convainquirent que leur camp alloit être enfin attaqué. Leur chef, Washington, n'avoit pas voulü Confier la dcftinée de fa patrie a une adtion, qui auroit pu, qui naturellement auroit du être décifive contre les grands intéréts qui lui étoient confiés. II favoit que les délais toujours favorables a 1'habitant d'une contrée . font toujours funeftes a 1'étranger. Cette conviction le détermina a fe replier fur le Jerfey, avec le pro jet de trainer la guerre en longueur. Favorifé par 1'hiver par la connoiffance du pays, par la nature du terrein qui ótoit a la difcipline une partie de fes avantages, il pouvoit fe flatter de couvrir la plus grande partie de cette fertile province, & de tenir 1'enncmi éloigné de la Penfilvanie. Tout-a-coup,il voit fes drapcaux abandonnés par des foldats dontl'engagement n'étoit que pour fix ou même pour trois mois, & d une armée de vingt-cinq mille hommes, a peine lui en refte-t-il deux mille cinq eens avec lefquels il eft trop H 3>  C IOO } heureux de pouvoir fe fauver au-dela de la Delaware. Sans perdre un moment, les troupes royales devoient paffer la rivière a la fuite de ce petit nombre de fugitifs, & achever de les difperfer. Si les cinq mille hommes deftinés a la conquête de Rhode-Ifland 1'avoient remontée fur les navires qui les portoient, la jondtion des deux corps fe feroit faite fans oppofition dans Philadelphie même; & la nouvelle république -étoit étouffée dans la ville célèbre & intéreffante qui lui avoit fervi de berceau. Peut-être reprocha-t-on, dans le tems, au général Anglois d'avoir été timide & trop circonfpect dans les opérations de la campagne. Ce qui eft certain, c'eft qu'il fut tëméraire dans la diftribution de fes quartiers d'hiver. II les prit, comme s'il ne fut pas refte' en Amérique un feul individu qui eut eu ou la volonté ou le pouvoir de les inquieter. Cette préfomptïon enhardit les milices de la Penfilvanie, du Maryland, de la Virginie , accourues & reünies pour leur falut  C toi ) commun. Le 25 décembre,elles traverfent Ia Delaware & fondent inopine'ment fur Trenton, occupé par quinze eens des douze mille Heffois , fi lachement vendus a la Grande-Bretagne par leur avare maïtre. Ce corps eft maffacré , pris ou difperfe' tout entier. Huit jours après , trois re'gimens Anglois font e'galement chaifés de Princeton: mais après avoir mieux foutenu leur re'putation que les troupes étrangères a leur folde. Ces e've'nemens inattendus réduifent les ennemis de 1'Amérique dans le Jerfey, aux poft.-s d'Amboy & de Brunfwick: encore y font-ils très-harcelés durant le refte de la mauvaife faifon. L'eflet des grandes paffions & des grands dangers eft fouvent d'étonner 1'ame & de la jetter dans une forte d'engourdiffement qui la privé de 1'ufage de fes forces. Peu-a-peu, elle revient a ellemême , & fe reconnoït. Toutes fes facultés fufpendues un moment, fe développent avec plus de vigueur. Elle tendtous fes reflbrts, & fa force fe met au niveau de fa fituation. Dans une grande multitude; quelques-uns ëprouvent d'abord eet eiTet, & il fe commuH 3  ( io2 y nique rapidement a tous. Cette révolution s'étoit opérée dans les états confédérés. II en fortoit des toutes parts des hommes armés. La campagne de 1777 s'ouvre très-tard. L'Année Angloife, défefpérant de fe tracer par le Jerfeyune route en Penfilvanie, s'embarque enfin le 23 juillet, & atteint paria baie de Chefapeak une contréc qu'on pouvoit reprocher a fes generaux de n'avoir pas cnvahie 1'année precédente. Samarche n'eft pas interrompue jufqu'a Brandywine. La, elle attaque, elle bat les Américains le 11 feptembre ; & arrivé le 30 a Philadelphie, abandonnce le 25 par le congrès , & quelques jours plutót ou plus tard par le plus grand nombre de fes habitans. Cette conquête n'a aucune fuite. Levainqueur ne voit autour de lui que haine, que dévaftation. Refferré dans un efpace trèscirconfcrit, il rencontre des obftacles infurmontables pour s'étendre fur un territoire inculte. Son or même ne lui fait pas trouver des refTources dans les diftrióts voifins; & pe n'eft qu'au travers des mers, que peuvent lui arrivcr fes fubfiftances. L'ennui d'une  C 105 ) prifon qui dure depuis neuf mois, le détci> mine a regagner New-York par ie Jerfey; & fous le commandement de Clinton, fucceffeur de Howe, il exéeute cette longue & pe'rilleufe retraite avec moins de perte qu'un ennemi plus expérimenté ne lui en auroit caufée. Tandis que les Anglois languifTöient en Penfilvanie, une grande fcene s'ouvre dans les contre'es plus feptentrionales de 1'Amé» rique. Carleton avoit chafie au moi de mai 1776, les provinciaux du Canada, & de'cruit en octobre les batimens de guerre qu'ils avoient conftruits fur le lac Champlain. Ce fuccès conduifit Burgoyne a Ticonderago' au mois de juillet de Panne'e fuivante. A fon approche , une garnifon de quatre mille hommes abandonna ce pofte important, avec perte de fon artillerie, de fes munitions, de fon arriêre-garde. Le ge'néralAnglois étoit naturellement préfomptueux. Une foiblefTe fi marquée ac rut fon audace. II avoit concu le dcflein de réunir les troupes du Canada a celles de New-York par les rives de 1'Hudfon. Ce projet étoit H 4  C 104 ) grand & hardi. S'il eut réuffi, il coupoiten deux 1'Amérique feptentrionale & peut-être il terminoit la guerre. Mais pourlefuccès,il auroit fallu que pendant qu'nne armée defcendroit le fleuve, 1'autre armée le remontat. Cette Combinaifon ayant manqué, Bur- goyne devoit fentir, dès les premiers pas, que fonentreprife étoit chimérique. A chaque marche,elle le devenoit davantage. SesCommunications s'alongeoient; fes vivres diminuoient; les Américains reprenant courage fe raffembloient de toutes parts autour de lui. Enfin ce malheureux corps d'armée fe trouva envelloppé le 13 oclobre a Saratoga; & les nations apprircnt avec étonnement que fix mille foldats des mieux difciplinés de 1'anciea hémifphère avoient mis les armes bas devant les agriculteurs du nouveau, conduits par 1'heureux Gates. Ceux qui fe rappelloient que lesSuédois de Charles XII jufqu'alors invincibles avoient capitulé devant les Rufles encore barbares, n'accufoient pas les troupes Angloifes, & blamoient feulement ITmprudence de leur général. Cet événement, fi décifif au jugementde  nos politiques, n'eut pas plus de fuite que n'en avoient eue les actions moins favorables aux armes Ame'ricaines. Après trois ans de combats, de dévaftations, de maffacres, 1'état des chofes ne fe trouva guère différent de ce qu'il étoit quinze jours après les premières hoftilités. Tachons de démêler les caufes de cette étrange fingularité. D'abordla Grande-Bretagne, accoutumée P°nrquoi ° les An- aux orages dans fon propre pays, ne vit pas tfois ne dans la tempête qui s'élevoit fur fes poiTef- parvenus ,, . , , ,, . . a fouraet- fions eloignees tout ce qu'elle pouvoit avoir tre ie3 de dangereux. Depuis long-tems fes troupes ?onfedé-S e'toient infultées dans Bolton; il s'étoit formérés* dans laprovince deMaiTachufet une autorité indépendante de la fienne; les autres colonies fcdifpofent a fuivre eet exemple, fans que 1'adminiftration fe füt férieufement oecupée de ces grands objets. Lorfqu'ils furent mis fous les yeux du parlement, les deux chambres fe remplirent de clameurs; & 1'on y déclamoit encore après avoir long-tems déclamé. Le fénat de la nation arrêta enfin, que la contrée rébelle a fes décrets y feroit foumife par la force: mais cette réfolution vio-  Jente fut exécutée avec les lenteurs trop ordinaires dans les états libres. L'Anglecerre penfa ge'néraiement que des cótes fans defenfe, que des contrées entie'rement ouvertes ne réfifteroient pas a fes flottes & a fes armées. Cette expédition ne lui paroiffoit pas devoir être affez longue pour que les paifibles cultivateurs de 1' Amérique euffent le tems de s'inftruire dans 1'art de la guerre. On oublia de faire entrer en calcul le clirnat, les rivières, les dëfile's, les bois, les marais, le de'faut de fubfiftances a mefure qu'on avanceroit dans 1'inte'rieur des terres, une infinité d'autres obftacles phyfiques qui s'oppoferoient a de rapides progrès dans un pays dont les trois quarts e'toient incultes & qu'il falloit regarder comme neuf. L'influence des caufes morales retarda encore plus les fuccès. La Grande - Bretagne eft la re'gion des partis. Ses rois parurent affez ge'néralement eonvaincus de la nécefiïté d'abandonner la dircclion des affa'res a la faction qui prévaloit. Elle les.conduifoit communément avec  ( 107 ) intelügence & avec vigueur, paree que les principaux agens qui la compofoient e'toient animés d'unintérêtcommun. Alors al'efprit public qui règne en Angleterre plus que dans aucun gouvernement de 1'Europe, fe joignoit encore la force d'une faCtion, & eet elprit de parti, premier refiort peut-être desre'pubüques qui remue fi puifiamment ies ames, paree qu'il eft toujours l'effet d'une paffion. Pourfortir de cette longue tutèle, GeorgelII compofa fon confeil de membres ifole's. Cette innovation n'eut pas de grands inconve'niens tant que les e'vénemens roulèrent dans leur cercle ordinaire. Mais auffi-tót que la guerre d'Ame'rique eut compliqué une machine qui de'ja n'e'toit pas trop fimple, on s'appereut qu'elle n'avoit ni cette force ni cette union fi ne'ceflaires pour exécuter de grandes chofes. Les roues trop divife'es manquoient, pour ainfi dire, d'une impulfion commune, & d'un centre de mouvement. Leur marche fut tour-a-tour tardive & pre'eipite'e. L'adminiftration reffembla trop a celle d'une monarchie ordinaire, quand le principe d'adtion ne part point de la tête d'un  ( io8 ) monarque aétif & intelligent qui raflemble lui-même fous fa main tous les refforts. II n'y eut plus d'enfemble dans les entreprifes; il n'y en eut pas dayantage dans leur exécution. Un miniftère fans harmonie &fans accord fe vit expofe' aux attaques fans ceffe renaiffantes d'un corps ennemi, unr&ferre'. Ses réfolutions quelles qu'elles fuffent, e'toient combattues par !e ridicule ou par le raifonnement. On Ie blamoit d'avoir fe'vi contre des citoyens e'loignés, comme on 1'auroit bldmé de les avoir me'nage's. Ceux même qui, dans le parlement s'élevoient avec le plus de ve'hémence contre le traitement fait aux Amèricains; ceux qui les encourageoient le plus a la réfiftance; ceux qui peut-être leur faifoient paffer des fecours fecrets, e'toient auffi oppofés a Pindépendance que les adminiftrateurs qu'on travailloit fans relache a avilir ou a rendre odieux. Si l'oppofirion eut réuffi a dégoüter le prince de fes confidens, ou a en obtenir le facrifice par le cri de la nation, le projet de fubjuguer 1'Amérique eut été fuivi: mais avec plus de di-  C iop ) gnité, plus de force & des mefures peutétre mieux combine'es. La réduction des provinces révoltées ne devant pas être fon onvrage, elle aime mieux que cette immenfe partie de 1'empire Britannique en fut fépare'e, que fi elle y reftoit attache'e par d'autres mains que les Hennes. L'activite' des ge'ne'raux ne répara pas le vice de ces contrariétés, & des lenteurs qui en e'toient la fuite. lis accordèrent au foldat de trop longs repos; ils employèrent a méditer le tems d'agir; ils approchèrent des ■nouvclles levées avec les mêmes précautions qu'il auroient prifes devant des troupes exercées. Les Anglois, qui ont tant d'impétuofité dans leurs fa&ions, portent par-tout ailleurs un caraclère froid & calme. 11 leur faut des paffions violentes pour les agiter. Quand ce reffort leur manque , ils calculent tous leurs mouvcmens. Alors ils fe gouvernent par la trempe de leur efprit qui en général, ü on excepte les arts de 1'imagination & du gout, eft par-tout ailleurs méthodique & fage. A la guerre, leur valeur ne perd jamais de yue les principes, & accorde peu au  C Ho ) hafard. Rarement laifiènt-fls fur leurs francs ou derrière eux quelque chofe qui puiiTe leur donner de 1'inquiétude. Ce fyftême a fes avantages, fur-tout dans un pays étroit & reiTerré, dans un pays hériffé de fortereffes ou de places de guerre. Mais dans les circonftances préfentes & fur Je vafte continent de 1'Amérique, contre un peuple a qui il ne falloit donner le tems ni de fe fortifier, ni de s'aguerrir, la perfeclion de 1'art eut été peut-être de 1'oublier pour y fubftituer une marehe impétueufe & rapide, & cette audace qui étonne, frappe & renverfe a la fois. C'étoit dans les premiers momens fur-tout qu'il eüt fallu imprimer aux Américains, non pas la terreur des ravages qui indignent plus qu'ils n'épouvantent un peuple armé pour fa liberté: mais eet effroi qui nait de la fupériorité des talens & des armes, & qu'un peuple guerrier de 1'ancien monde devoit naturellement porter dans le nouveau. La confiance de la viftoire eüt été bientót la viótoire même. Mais par trop de circonfpeftion, par leur attachement trop fervile aux principes & aUx régies, des  cIII > chefs peu habiles manquèrent de rendre h leur patri.- le fervice qu'elle attendoit d'eux, & qu'elle e'toit en droit d'en attendre. De leur cöté les troupes ne preffoient pas leurs officiers de les mener au combat. Elles arrivoient d'un pays oü la caufe qui leur avoit fait palier tant de mers ne faifoit aucune fenfation. C'étoit aux yeux des peuples une effervefcence qui ne pouvoit pas avoir de fuites. Les débats qu'elle occafionnoit dans le parlement, ils les confondoient avec d'autres débats fouvent de très-peu d'importance. On n'en parloit point; oufi quelques perfonnes s'en entretenoient, elles n'y mettoient pas plus d'intérêt qu'a ces nouvelles, qui, dans les grandes villes, occupent 1'oifiveté de chaque jour. L'indifférence de la nation s'étoit communiquée aux défenfeurs de fes droits. Peut-être même auroient-ils craint de remporter des avantages trop décififs fur des concitoyens qui n'avoient pris les armes que pour repouffer des fers. Dans toutes lesmonarchies de 1'Europe, le foldat n'eft qu'un inftrument de defpotifme, & il en a les fentimens. II croit appartenir au tröne & non  C lis 3 i la patrie; St cent mille hommes armés ne font que cent miile efclaves difcipline's & terribles. L'habitude même d'exercer Pempire de la force,eet empire a qui toutcède,contribue a e'teindre en eux toute idee de liberté'. Enfin le régime & la fubordination militaire, qui, a la voix d'un feul homme, meut des milliers de bras, qui ne permet ni de voir, ni d'interroger, & fait au premier fignal une loi de tuer ou de mourir, achève de changer en eux ces fentimens en principes, & en fait pour ainfi dire la morale de leur état. II n'en eft pas de même en Angleterre. L'influence de la conftitution eft fi forte, qu'elle s'étend même fur les troupes. Un homme y eft citoyen avant d'être foldat. L'opinion publique, d'accord avec la conftitution, honore 1'un de ces titres, & fait peu de cas de 1'autre. Auffi voit-on par 1'hiftoire des révolutions arrivées dans cette ifie fi orageufe,que le foldat Anglois, quoiqu'engagé pour fa vie,conferve pour la liberté politique une paffion dont on fe feroit 1'idée difficilement dans nos contrées d'efclavage. Comment 1'ardeur qui manquoit aux troupes  C "5 ) pcs Britanniqucs auroit-elle animé les Hef* fois, les Brunfwickois, les autres Allemands range's fous les mêmes drapeaux, tous également me'contens des fouverains qui les avoient vendus, me'contens du prince qui les avoit achete's, me'contens de la nation qui les foudoyoit, me'contens de leurs camarades qui méprifbient en eux des mercenaires ? Ces braves gens n'avoient pas e'poufédans leur cceur une querellea laquelle ils e'toient abfolument e'trangers. D'ailleurs ils avoient auffi dans le camp ennemi des frères auxquels ils craignoient de donner la mort, de la main defquels ils n'auroient pas voulu recevoir des bleffures. L'efprit des arme'es Angloifes avoit encore changé par une fuite de la re'volution arrivée depuis quinze ou dix-huit ans dans les mosurs de leur nation. Les fuccès de la dernière guerre1'extenfion que lecommerce avoit recu après la paix; les grandes acquifitions faites dans les Indes orientales: tous ces moyens de fortune avoient accumule' fans interruption des richeffes prodigieufes dans la Grande-Bretagne. Ces tre'fors allumèrent I  C "4 2 Ie defir de nouvelles jcuiffances. Les grands\ en allèrent puifer 1'art dans les pays étrangers, fur-tout en France, & en empoifon* nèrent leur pays. Des conditions fupérieures, il fe re'pandit dans toutes les clalTes. A un caradtère fier, fimple & réferve', fuccéda le gofit du f&fl:e, de la diffipation, de la galanterie. Les voyageurs qui avoient anciennement vifité crtte ifle fi renommee , fe croyoient fous un autre ciel. La contagion avoit gagné les troupes. Elles portèrent dans le nouvel hémifphère la pafiion qu'elles avoient contractée dans i'ancien pour le jeu, pour les commodités, pour la bonne chère. En s'éloignant des cötes , il auroit fallu renoncer aux fuperfluite's dont on étoit épris • &ce goüt de luxe,cetteardeurd'autant plus violente qu'elle étoit récente, n'encourageoient pas a pourluivre dans 1'intérieur des terresun ennemi toujours prêta s'yenfoncer. Poütiques nouveaux qui avancez avec tant de confiance que les mrjeurs n'ont aucune ïnfluence fur le fort des états; que pour eux !a melire de la grandeur eft celle de larlcheffe: que le luxe de la paix & les yc-  ( «5 ) Jupte's du citoyen ne peuveut affoiblir 1'eflet de ces grandes machines qu'on nomme des armées, & dont la difcipline Européenne a tant perfectionnefelon vous le jeu fur & terrible : vous qui, pour foutenir votre opinion, de'tournez vos regards des cendres de Carthage & des ruines de Rome , fur le récit que je vous fais , fufpendez du moins votre jugement, & croyez que peut-être il eft des occafions de fuccès qu'óte le luxe. Croyez que pour des troupes même braves, 1'inde'pendance des befoins fut fouvent le premier reflbrtde lavictoire. II eft trop aifépeut-être de n'affronter que la mort. Aux nations corrompues par 1'opulence, eft réfervée une e'preuve plus difficile: celle de fupporter la perte de leurs plaifirs. . Ajoutez a toutes ces raifons, que les moyens de guerre arrivèrent rarement, au travers de tant de mers, dans les faifons convenables pour factiën, Ajoutez que les confeiis de Georges Hï voulurent avoir trop d'influence dans les opératiors militaires qui devoient s'exécuter fi loin d'eux; & vous connoitrez la plupart des obftacles qui s'op- I 2  pofèrent au fuccès des efforts ruineux de la métropolc contre la liberté de fes colonies. pourquoi Mais 1'Amérique elle-même, comment ne vinces repouffa-t-elle pas de fes rivaees ces Euro- confédé _ ' •' rées n-ont Peens 1U1 l"1 porcoient la mort ou des gioisAdu Ce nouveau-monde étoit défendu par des eminent troupes régiées, qu'on n'avoit d'abord en<*in, rólées que pour trois ou pour fix mois, & qui le furent dans la fuite pour trois ans ou même pour tout le tems que pourroient durer les hofiilités. II étoit défendu par des citoyens qui ne fe mettoient en campagne que lorfque leur provinee particulière étoit ou envahie, ou menacée. Ni 1'armée toujours fur pied, ni les milices paffagéremens affemblées n'avoient Pefprit militaire. C'étoient des cultivateurs, des marchands, des jurifconfultes, uniquement exercés aux arts de la paix, & conduits au péril par des guides auffi peu verfés que leurs fubalternes dans la fcience très-compliquée des combats. Dans eet état de chofes, quel efpoir de fe mefurer avec avantage contre des hommes vieillis dans la dilcipline, formés  t 117 ) aux évolutions , inftruits dans la tadb'que; & abondamment pourvus de tous les inltru\ mens néceffaires a une attaque vive, a une réfiftance opiniatre? L'enthoufiafme feul auroit pu furmonter ces difficultés: mais en exuta-t-il plus re'elI lement dans les colonies que dans la më- tropole ? L'opinion générale étoit en Angleterre que le parlement avoit effentiellement le droit de taxer toutes les contrées qui faifoient partie de 1'empire Britannique. Peutêtre au commencement des troubles n'y i auroit on pas trouvé cent individus qui révoquaffent en doute cette autorité. Cependant le refus que faifoient les Américains de la reconnoitre, n'indifpofoit pas les efprits. 1 On ne leur porta point de haine, même après qu'ils eurent pris les armes pour foutenir leurs prétentions. Comme les travaux ne languiffoient pas dans 1'intérieur du royaume, que la foudre ne grondoit qu'au 'oin, . chacun s'occupoit paifiblement de fes affaires, ou fe livroit tranquillement a fes plaifirs. Tous attendoient fans impatience le I 3  C 118 ) fin d'une fcène dont, a la vérite' , le dénouement ne leur paroiflbit pas incertain. La fer.nentation dut fe montrer d'abord plus grande dans le nouvel he'mifphère que dar,s 1'ancien. Prononca-t-on jamais aux nations le nom odieux de tyrannie, le nom fi doux d'inde'pendance , fans les remuer ? Mais cette chalenr fe foutint-elle ? Si les imaginations s'étoient maintcnues dans leur premier mouvement, le befom d'en réprimer les cxcès n'auruit-il pas occupéles foins d'une autorité nailfante? Mais loin d'avoir a cymenir dace,ce fut la lachc-té qu'elle eut a pourfuivre. On la vit punir de mort la défertion , & fouilier par des aifairinats 1'étendart de la liberté. On la vit fe refufer a lechange des prifonniers, de peur d'augmenter dans les troupes, le penchant de fe rendrea la première fommation. On la vit réduite a la néceffité d'ériger des tribunaux chargés de pourfuivre les généraux ou leurs lieutenans qui abandonneroient trop légérement les poftes confiés a leur vigilance. II eft vrai qu'un vieillard de quatre-vingt ans , qu'or.vouloit renvoyer dans fes foyers, s'éeria : Ma mort put  ( ii9 ) ét re utile ; je couvrirai de mon corps tmplus jeune que moi. II efl vrat que Putnam dit a un roya!;ite fon prifonnier: V.etourne vers ton chef- & s'il te demande combien j''ai de tr upesy rép^'2ds-ltdquej\ii ai affez ; que quandilpar' vierjroit ales baitrc ,il ni'en refteroit encors affez; & qu'i: finirn par éprouver que j'en ai trop peur lui &'pour les tyrans qu il jert. Ces fentmiens étoient héroiques, mais rares; & chaque jour ils devenoient moins communs. Jamais 1'ivrelfe ne fut générale; & elle ne pouvoit étre que momentanée. De toutes les caufes énergiques qui produifirent tant de révolutions furie globe, aucune n'exiftoit dans le nord de 1'Amérique. Ni la religion , ni les loix n'y avoient été outragées. Le fang des martyrs ou des citoyens n'y avoit pas ruiffelé fur des échafauds. On n'y avoit pas infulté aux mosurs. Les manières, les ufages, aucun des objets chers aux peuples n'y avoient été livre's au ridicule. Le pouvoir arbitraire n'y avoit arraché aucun habitant du fein fa familie ou de fes amis,pour le trainer dans les horreurs d'un cachot. L'ordre public n'y avoit pas été interverti. Les principes, d'adI 4,  C «o ) miniftration n'y avoient pas changé; & les maximes du gouvernement y e'toient toujours reftées les mémes. Tout fe réduifoit a favoirfi la me'tropole avoit ou n'avoit pas ie droit de mettre direCtement ou indire&ement un léger impót fur les colonies: car les griefs accumulés dans le manifefte n'eurent de valeur que par ce premier grief. Cette queftion prefque métaphyfique, n'étoit guère propre o foulever une multitude, ou du-moins a 1'intéreffer fortement a une querelle pour laquelle elle voyoit fes terres privées des bras deftinés a les féconder, fes moiffons ravagées, fes campagnes couvertes des cadavres de fes -proches ou teintes de fon propre fang. A ces calamités, ouvrage des troupes royales fur la cóte, s'en joignirent bientót de plus infupportables dans 1'intérieur des terres. Jamais 1'inquiétude des cours de Londres & de Verfailles n'avoit troublé le nord de 1'Amérique , fans que les deux puiffances n'euffent mêlé dans leurs fanglans débats les peuples errans dans cette partie du nouvel hémifphère. Inftruits par 1'expérience de ce que ces bordes pouvoier.t apporter de poids  ( 121 ) «lans la balance, les Anglois & les colons re'fölurent également de les employer a leur deftruction mutuelle. Carleton tenta le premier d'armer dans le Canada ces mains barbares..." C'eft, re" pondit-on a fes folicitations, c'eft le de" mêle'd'un père avec fes enfans •, il ne nous " convient point d'entrer dans cette brouille" rie domeftique... Mais fi les rebelles ve" noient attaquer cette province, rie nous " aidcriez-vous pas ales repouffer ?.. Depuis " la paix,la hache de la guerre eft enfevelie " a quarante braffes de profondeur... Vous " la trouveriez fürement, fi vous fouilliez la " terre...Le manche en eit pourri, & nous " n'en pourrions faire aucun ufage." Les Etats-Unis ne furent pas plus heureux. " Nous avons entendu parler des dif" fe'rends furvenus entre 1'ancienne & la " Nouvelle-Angleterre , dit la tribu des P Onéidas a leurs députe's. Jamais nous ne " prendrons part a vos divifions attroces. La " guerre entre des frères eft une chofe " e'trange & nouvelle dans ces régions. " Nos traditions ne nous ont laiffé aucun I S  C I« ) ff exemple de cette nature. Etouffez vos haïnes, *{ infenfées; & qu'un ciel favorable difllpe " le fombre nuage qui vous enveloppe " Les feuls Mafphis parurent s'intéreffërau fort des Américams. " Voila fe;ze fche» 'c lings , leur dirent ces bons 'auvages. " C'eiï tout ce que nous polle'dons. Nous " comptions en acheter du rum; nous boi" rons de. 1'eau. Nous irons chaffer. Si " quelques bétes tombent fous nos flèches, " nous en vendrons les peaux , & nous vous " en porterons le prix." Mais avec le tems, ies agens trés adlifs de la Grande-Bretagne réuffirent a lui concilier plufiours nations aborigènes. Ses intéréts furent préférés a ceux de ces ennemis, & paree que les diltances ne lui avoient pas permis de faire aux fauvages les outrages qu'ils avoient reeus de leurs fiers voifins, & paree qu'elle pouvoit , qu'elle vouloit mieux payer les fervices qu'on feroit a portee de lui rendre. Sous fes drapeaux, des alliés, dont le caractère fe'roce n'avoit pas de frein firent cent fois plus de mal aux colonétabiis prés des montagues, que n'en  t 123') fouffroient des troupes royales ceux de leurs concitoyens qu'une deftinée plus heureufe avoit fixe's fur les bords de 1'océan. Ces calamite's n'attaquoient qu'un nombre d'Ame'ricains pl ■ s ou moins confidérable: mais bicntót un vice inte'rieur les affligea tous. Les me'taux qui fur le globe entier repre'fentent tous les objets de commcrcc, ne furent jamais abondans dans cette partie du nouveau monde. Le peu qu'on y en voyoit difparut même aux premières hoftilite's. A ces fitnes d'une convention univerfelle, furent fubftitue's des figncs particuliers a ces contre'cs. Le papier remplaca 1'argent. Pour donner quelque dignite' au nouveau gage, il fut entourd d'cmblêmes qui devoient continuellement rappeller aux peuples la grandeur de leur entreprife, le prix inappréciable de la liberte', la ne'ceffite' d'une perfévérance fupe'rieure a toutes les infortunes. L'artifice ne reuffit pas. Ces ricbeffes ide'ales furent repoufle'es. Plus le befoin obligeoit a les multiplier , plus leur aviliflement croiflbit. Le congrès s'indigna des  C 124 ) affronts faits a fa monnoie; & il déclara traitres a la patrie tous ceux qui ne la recevroient pas comme ils auroient reeu de 1'or. Eft-ce que ce corps igfioroit qu'on ne' commande pas plus aux efprits qu'aux fentimens ? eft-ce qu'il ne fenroit pas que dans la crife préfente, tout citoyen raifonnable craindroit de commettre fa fortune ? eft-ce qu'il ne s'appercevoit pas qu'a 1'origine d'une république, il fe permettoit des acres d'un defpotifme inconnus dans les régions même faconnées a la fervitüde ? Pouvoit-il fe diffimuler qu'il puniffoit un défaut de cónfiance des mêmes fupplices qu'on auroit a pcine mérités par la revolte & par la trahifon? Le congrès voyoit tout cela. Mais le choix des moyens lui manquoit. Ses feuilles méprifables & méprifées e'toient réeliement trente fois au-deiTous de leur valeur origfnaire, qu'on en fabriquoit encore. Le 13 feptembre 1779, il y en avoit dans Ie public pour 799,744,000 livres. L'état devoit d'ailleurs 188,676,5-25 livres, fans compter les dettes particulières a chaque province. Les peuples n'e'toient pas dédommmagé»  C Ï25 > d'un fiéau qu'on peut nommer domeftique, par une communication facile avec toutes les autres parties du globe. La GrandeBretagne avoit intercepte' leur navigation avec 1'Europe, avec les Indes occidentales, avec tous les parages qui couvroient leurs navires. Alors, ils direnta 1'univers, "C'eft " le nom Anglois qui nous a rendus odieux; " nous 1'abjurons folemnellement. Tous les " hommes font nos frères. Nous fommes " amis de toutes les nations. Tous les pavil" lons peuvent, fans crainte d'infulte, fe " montrer fur nos cötes, fre'quenter nos " ports." On ne fe rendit pas a uneinvitation en apparence fi féduifante. Les e'tats vraiment commercans, inftruits que 1'Amérique feptentrionale avoit été réduite a contracter des dettes, a 1'époque même de fa plus grande profpérité pensèrent judicieufement que dans fa détreffe actüèlte elle ne pourroit payer que fort peu de chofe de ce qui lui feroit apporté. Les feuls FranQois, qui ofent tout, osèrent braver les inconveniens de cette liaifon nouvelle. Mais par la vigilance ëclairée de 1'amiral Howe ,  la plupart des navires qu'ils expédièrent furent pris avant d'arriver a leur deftination, & les autres a leur départ des bords Américains. De plufieurs centaines de batimens fortis de France , il n'y en rentra que vingt-cinq ou trente , qui même ne donnèrent point ou ne donnèrent que fort peu de be'néfice a leurs armateurs. Une foule de privations, sjoute'e a tant d'aurres fiéaux, pouvoit faire regretter aux Américains leur ancienne tranquillité, les incüner a un raccommodement avec i'Anglererre. En vain on avoit lié les peuples par la foi des fermens & par 1'empire de la religion au nouveau gouvernement. En vain on avoit cherché a les convaincre de 1'impofTibilité de traiter furement avec une me'tropole, oü un parlement renverferoit ce qn'un autre parlement auroit établi En vain on les avoit menacés de 1'éternel reiïentiment d'un ennemi outragé & vindicatif. Ii étoit poffible que ces inquiétudes éloignées ne balancaiTent pas le poids des maux préfens. Ainü le penfoitle miniftère Brittannique, lorfqu'il envoya dans le nouveau-monde des  agens publies, autorités a tout offrir, exceptë 1'indépendance, a ces mêmes Américains dont deux ans, auparavant on exigeoit une foumiffion illimitée. II n'eft pas fans vraifemblance que quelques mois plutöt ce plan de conciliation auroit produit un rapprochement. Mais a 1'e'poque oü la cour de Londres le fit propofer, il fut rejette' avec hauteur, paree qu'on ne vit dans cette démarche que de la crainte & üe la foiblefie. Les peuples étoient déja raffurés. Le congrès, les géneraux, les troupes, les hommes adroits ou hardis, qui dans chaque colonie s'étoient faifis de 1'autorité: tout avoit recouvré fa première audaee. C'étoit l'effet d'un traité ö'amitié& de commerce entre les Etats-Unis & la cour de Verfailles, figné le 6 février X778. / / La Fran- Si le miniftère Brittannique y avoit refle- ce recon, chi, il auroit compris que le même délire ™^J'ir" qui 1'entramoit a 1'attaque de fes colonies, des le réduifoit a la néceffké de déclarer dans c«1'inftant la siuerre a la France- Alors régnoit che occa- ö licnne la dans les confeüs de cette couronne la cir- guerreen- . . rre cetts confpeCtion que doit toujours mipirer un^.  C m 5 ronne& noweaa règne. Alofs feg d'Angie- dans b confufion, oü les avoient plongées vingt ans de folie. Alors le délabrement de fa marine rempliflbit d'inquiétude tous les citoyens. Alors 1'Efpagne, déja fatiguée de fon extravagante expédition d'Alger, fe trouvoit dans des embarras qui ne lui auroient pas permis d'accourir au fecours de fon allié. L'Angleterre pouvoit fe promettre fans te'mérité des fuccès contre le plus puiffant de fes ennemis: & intimider 1'Amérique par des vidtoires remportées ou par des conquêtes faites a fon voifinage. L'importance dont il étoit pour cette couronne d'oter a fes fujets rébelles le feul appui qui leur fut allure', auroit diminué 1'indignation qu'infpire la violation des traités les plus folemnels. George III ne vit rien de tout cela. Les fecours obfcurs que la cour de Verfailles faifoit paffer aux provinces armées pour la défenfe de leurs droits, ne lui deffillèrent pas les yeux. Les atteliers de cette puiüance e'toient remplis deconftruéteurs. Ses arfenaux fe rempliffoient d'artillerie. II ne reiioit plus de place dans fes magafins pour de nouvelles munitions  C 129 ) munitions navales. Ses ports préfentoienc 1'appareil le plus menaeant; & eet étrange aveuglement continuoit encore. Pour tirer Saint-James de fa léthargie , il fallut que Louis XVI y fit fignifier le 14 mars qu'il avoit reconnu 1'inde'pendance des Etats - Unis. Cette de'claration e'toit une de'claration de guerre. II étoit impoffible qu'une nation^. plus accoutumée a faire qu'a recevoir des outrages, fouffrit patiemment qu'on déliat fes fujets de leur ferment de fidélité, qu'on les élevat avec éclat au rang des puiflances fouveraines. Toute 1'Europe prévit que deux peuples rivaux depuis plufieurs fiècles alloient teindre de fang les eaux de 1'océan, & jouer encore ce jeu terrible oü les profpérités publiques ne compenferont jamais les défaftres particuliers. Ceux en qui 1'ambition n'avoit pas étouffé toute bienveillance pour leurs femblables, déploroient d'avance les calamités qui, dans les deux hémifphères étoient prêtes a tomber fur le genre-humain. Cependant la fcène fanglante ne s'ouvroit pas, & ce délai faifoit efpérer la continuation de la paix a quelques efprits crédulcs, K  ( IS© > On ignoroit qu'une flotte partie de TouIojï étoit chargée de combattre les Anglois dans le nord de PArae'rique. On ignoroit que des ordres expédie's de Londres prefcrivoient de chaftèr les Frangois des Indes orientales. Sans être initiés dans ces myftères de perfidie, qu'une politique infldieufe eït parvenue a faire regarder comme de grands coups d'e'tat, les hommes vraiment éclairés jugeoient les hoftilités inévitables, proebaines même fur notre oce'an. Ce dénouement prévu fut amené par le combat de deux frégates, livré le 17 juin 1778. Ici notre tache devient de plus en plus difficile. Notre objet unique eft d'étre utile & vrai. Loin de nous tout efprit de parti qui aveugle & de'grade ceux qui conduifent les hommes & ceux qui ofent afpirer a les inftruire. Nos voeux font pour la patrie, & nos hommages pour la juftice. En quelque lieu, fous quelque forme que la vertu fe prefente, c'eft-elle que nous honorons. Les diftindlions de fociétés & d'états ne peuvent nous la rendre étrangère ; & 1'homme jufte & Hiagnanime eft par tout notre concitoyea.  c m ) Si dans les divers événemens^ qui paffent fous nos yeux, nous blamons avec courage ce qui nous paroit devoir 1'étre, nous ne cherchons pas le trifte & vain plaifir d'une indifcréte cenfure. Mais nous parions aux nations & a la poftérité. Nous leur devons tranfmettre fidèlement ce qui peut influer fur le bonheur public. Nous leur devons 1'hiftoire des fautes pour apprendre a les e'vicer. Si nous ofions trahir un fi noble devoir , nous flatterions peut-être la génération prélente qui paffe & qui fuit: mais la juftice & la vérité qui font éternelles nous dénonceroient aux générations a venir qui nous liroient avec mépris, & ne prononceroient notre nom qu'avec dédain. Dans cette longue carrière nous ferons juftes envers ceux qui exiftent encore, comme nous 1'avons été envers ceux qui ne font plus. Si parmi les hommes puiffans, il en eft qui s'offenfent de cette liberté, ne craignons pas de leur dire que nous ne fommes que les organes d'un tribunal fuprême que la raifon élève enfin fur un fondement inébranlable. II n'y a plus en Europe de gouvernement qui ne K 3  ( ij» 3 dorve en redouter les arréts. L'opi>;pn pu* blique qui s'e'claire de plus en plus, Cv que rien n'arrête ou n'intimide , a les yeux ouverts fur les nations & fur les cours. Eüe péoètre dans les cabinets ou la politique s'enferme. Elle y juge les dépofitaires du pouvoir, & leurs paffions, &leur foiblefle; & par 1'en pirc du génie & des iumières s'élève de toute part au-deiïus des adminifirateurs pour les diriger ou les contenir; Malheur è ceux qui la dédaignent ou qui la bravent! Cette apparente audaee n'elt que de rimpuiffance. Malheur a ceux qui par leurs talens n'ont pas de quoi foutenir fes regards! Qu'ils fe rendent juftice & dépofent un fardeau trop pefant pour leurs foH bles mains. Ils cefferont du moins de compromettre eux-mêmes & les états. La France commengoit la guerre avec des avantages in?ppréciabL5s. Le lieu, le tems, les circonftances: elle avoit tout cho'fi. Ce ne fut qu'après avoir fait aloifir fes prépara:tifs; qu'après avoir porté fes forces au degré qui.lui convenoit, qu'elle fe montra furie -champ de bataille. Elle n'avoit a combattre  C 133 > qu un ennemi humilié, affoibli, déeouragé par fes diiïentions domeftiques. La faveur des autres nations étoit toutepourelle contre ces maitres impérieux , ou, comme onle div feit, contre ces tyrans des mers. Les événemens parurent répondre aux voeuxde l'Europe. Les officiers Frangois, qui avoient d'anciennes humiliations a effacer, . firent des adtions brillantes, dont le fouvenir durera long- tems. Une favante théorie & un courage inébranlable remplacèrent ce qui pouvoit leurmanquer du cöté de 1'expérienceTous les engagemens particuliers les comblèrent de gloire, & la plupart fe terminèrent a leur avantage. La flotte Britannique courut de plus grands dangers encore que fes vaiPfeaux ifolés. EUe étoit maltraitée au point de craindre fa deftrudtion totale ou partielle, fi la flotte qui 1'avoit réduite a eet état prefque défefpéré, a Oueflant, n'eüt été determinée par des ordres timides, par d'odieules intrigues, par la foibleffe de fes amiraux, ou par tous ces motifs enfemble, a quitter la mer & a rentrer la première dan$ fes ports.  Dans 1'ivrefle de ces fuccès peut-être ïnattendus, la France parut perdre de vue fes intéréts les plus chers. Son objet piincipal devoit être d'intercepter le commerce de fes ennemis, de leur couper le doublé nerf qu'ils tiroient de leurs matelots, de leurs capitaux, & de fapper ainfi les deux fondemens de la grandeur Angloife. Rien n'étoit plus aifé pour une puiffance préparée de loin aux hoftilkés, que d'intercepter une navigation marchande entiérement furprife & très-foibiemeut convoyée. II n'en fut pas amfi Les immenfes richeffes, qu'attendoit la Grande-Bretagne de toutes les parties du globe, entrèrent paifiblement dans fes rades, fans avoir été feulement entamées. Au contraire, le commerce de la France fut harcelé dans les deux hémifphères, & partout intercepté. Ses colonies virent enlever , fur leurs propres cótes, des fubfiftances qu'elles attendoient avec toute 1'impatience du befoin; & la métropole fe vit privée de quatre-vingts ou cent millions arrivés prefque a fa vue. Ces revers avoient yne caufe. Tichons de la découvrir.  3La marine Francoife étoit depuis longtems malheureufe; & c'étoit au vice de fa conftitution qu'étoient attribuées tant d'infortunes. On eiTaya plufieurs fois d'en modifier ou d'en changer les régiemens; mais ces innovations, bonnes ou mauvaifes, furems toujours repouffées avec un dédain plus ou moins marqué. Enfin fes amiraux didtércnt eux-mêmes , en 1776, une ordonnance, qui les rendant maitres abfolus des rades, des arfenaux, des atteliers , des magafins, détruifoit cette mutuehe furveillance que Louis XIV. avoit crue devoir établir entre les officiers rnilitaires & ceux. d'adminiftration. Dèslors il n'y eut plus de règle,plus de compta» bilite .plus d'économie dans les ports. Tout y tomba dans la confufion &c le defordre. Le nouveau plan eut une influerice encore plus funefte. Jufqu'a cette epoque, c'étoit le miniftère qui avoit dirigé les opérations navales vers le but qui convenoit a fa politique. Cette autorité paffa, peut-étre fans qu'on s'ea appercut, a ceux qui devoient les exécuter. Elles prirent infenfiblement la teinte de leurs préjugés. Ces préjugés leur faifoient croire  'c y 'que ce n'étoit pas en efcortant pefamment, kborieufément les navires de la nation, en féjournant dans des croifieres difficiles pour furprendre ou détruire les batimens de 1'ennemi,qu'onparvenoit a fe faire un nom. Ce doublé devoir fut donc entiérement négligé ou très-mal rempli, d'après 1'opinion commune a Breit, qu'un pareil fervice n'avoit rien de noble & ne conduifoit a aucune forte de gloire. II faut convenir que ce préjugé eft bien bizarre & entiérement contraire a toutes les loix de la fociéte'. Qael peut avoir été le but des états en inftituant cette force militaire deftinée a parcourir les mers ? N'eftce que pour procurer des grades a ceux qui commandent ou qui fervent ? Que pour leur donner 1'occaüon d'exercer une valeur inutile è tout autre qu'a eux-mêmes ? Que pour enfanglanter un élément de plus par Ie carnage&les combats? Non> fans doute. Les flottes guerrières font fur 1'océan ce que font les fortereffes & les remparts pour les eitoyens des villes, ce que font les armées nationales pour les provinces expofées aux ■  t 137 ) ravages de 1'ennemi. II eft des propriétés attachées au fol •, il en eft d'autres crée'es, EranTporte'es par le commerce, & qui font, pour ainfi dire, errantes fur 1'océan.- Ces deux . fortes de propriétés ont befoin de défenfcurs. Guerriers, voila vetre fonction. Que diroit-011, fi les arme'es de terre refufoL-ut de prote'gcr contre 1'ennemi 1'habitant des villes , le laboureur des campagnes , de repouffer 1'embrafement qui menace lesmoiffons ? Officiers de marine, vous vous croyez avilis de prote'gcr , d'efcorter le commerce ! Mais fi le commerce n'a plus de protectcurs, que deviendront les richeifes de 1'état, dont vous demandez fans doute une part pour récompenfe de vos fervices ?, Que deviendront pour vous-mêmes les revenus de vos terres, que le commerce & la circulation des richeffes peuvent feuls rendre fécondes? Vous vous croyez avilis. Quoi, avilis en vous rendant utiles a vos concitoyens ? Et que font tous lesordres de 1'état a qui le gouvernement a confié quelque portion de la force publique , finon des protecteurs, des défenfeurs du citoyen &  de ft fortune? Votre pofte eft fur les mers comme celui du magiitrat fur les tribunaal, celui de 1'officier & du foldat de terre dans les camps , ceiui du monarque même knie tróne, oü il ne domine de plus haut que pour voir de plus loin, & embraiTer d'un coup d'ceil tous ceux qui ont befoin de fa prote&ion & de fa de'fenfe. Vous alpirez a la gloire. Apprennez que la gloire eft partout oü 1'on fert 1'état. Apprennez que la gloire de conferver vaut encore mieux que celle de détruire. Dans 1'antique Rome,fans doute, on aimoit auffi la gloire. Cependant on y préféroit 1'honneur d'avoir fauvé un feul citoyen a 1'honneur d'avoir egorgè une foule d'ennemis. Quoi, ne voyez-vous pas qu'en fauvant les vaiiTeaux du commerce, vous fauvez la fortune de 1'état? Om, votre valeur eft brillante; elle eft connue del'Europe comme de votre patrie: mais qu'importe a vos concitoyens qu'elle fe foit montrée dans une occafion d'éclat, qu'elle ait enchainé un vaiffeau ennemi ou couvert de débris & de ruines les vagues de 1'océan, fi par votre faute vous avez laiffé  1139 y périr ou enlever tous les navires qui portoient les richeffes de votre pays; fi dans ce même port, oü vous rentrez vidtorieux, une multitude de families defoiées pleurent leur fortune de'truite? A votre abord vous n'entcndrez pas les cris de la vidtoire. Tout fera muet & confterné. & vos exploits ne feront deftine's qu'a groflïr les relations des cours,&ces papiers publics,qui,faits pour amufer l'uifivete' , ne donnent la gloire qu'un jour, ouand cette gloire n'eft pas gri.ve'e dans ie coeur des citoyens par ie fouverrif d'une utilite' re'elle pour la patrie. Les maximes confacrées a Portfmouth étoient bien oppofées. On y fentoit, on y refpeótoit la digni'e'du commerce. On s'y faifoit un devoir comme un honneur de ie défendre ; & les événemens décidèrent laquelle des deux marines militaires avoit des idees plus juftes de fes fonctions. La Grande-Bretagne venoit d'éprouver des revers très-humilians dans le nouveaumonde. Un eitnemi plus puifiantlamenacoit de plus grands défaftres dans 1'ancien. Cette fituation alarmante remplifloit tous les ef-  C Mo > prits de défiance & d'incertitude. Les richeffes nationales arrivenc. Celles de Ja puiffance rivale en groffiffent la maffe énor^ me; & fur le champ le crédit public eft ranimé; les eipérances renaiffent, & ce peuple qu'on fe plaüoit a regarder'comme abattu, reprend&foutientfa fierté ordina.re. D'un autre cóté les rades de la France fe rempliffent de gémiffemens. Uneinaetion avmifante & ruineufe y fuccÉde a une activké qui leur donnoit de 1'éclat & les enrichiffoit. L'indignation des négocians fe communiqué a la nation entière. Les premiers momens du fuccès font toujours desmomens dWffe qui femblent couvrir les fautes & les juftifier. Mais le malheur donnc plus de févérité aux jugemens. La nation alors obferve deplus prés ceux qui la gouvement, & leur demande qompte avec une liberte' fiére du depót de puiffance & d'autorité qui leur eft confié. On reproche auxconféils de Louis XVI d'avoir bleffé la majefté de Ja première puiffance du globe en défavouant a Ia face de I'univers des fecours qu'on ne Ceffoit de donner clandeftinement aux Amé-  C mi ) ficains. On leur reproche d'avoir, par une intrigue de miniitres ou par 1'afcendam de quelques agens obfcurs, engagé 1'état dans une guerre défaftreufe, tandis qu'il falloit s'occuper a remonter les refforts du gouvernement, a gue'rir les longues playes d'un règne dont toute la dernière moifé avoit été vile & foible, partagéë entre les déprédations & la honte, entre la baffeffe du vice & les convulfions du defpotifme. On leur reproche d'avoir provoqué les combats par une politique infidieufe, de s'êrre enveloppés dans des difcours indignes de la France, d'avoir employé avec 1'Angleterre le langage d'une audace timide qui femble démentir les projets qu'on a formés, les fentimens qu'on a dans fon cceur, langage qui ne peut qu'avilir celui quis'en fert, fans pouvoir tromper celui a qui on l'adreffe, & qui déshonore fans que ce déshonneur même puiffe être utile ni au miniftre, ni a 1'état. Combien il eüt été plus noble de dire avec toute la franchife de la dignité! " Anglois, vous " avez abufé de la victoire. Voici le mo?6 ment d'être juftes, ou ce fera celui de la  ( MO " yengeance. L'Europe eft laffe de fouffrir " des tyrans. Elle rentre enfin dans fes " droits. Déformais , ou 1'égalité ou la " guerre. Choififlèz. " C'eft ainfi que leur eüt parlé ce Richelieu que tous les citoyens, il eft vrai, doivent haïr, paree qu'il fut un meurtricr fanguinaire , & que pour être defpote il affaffina tous fes ennemis avec la hache des bourreaux :mais que la nation & l'e'tat doivent honorer comme miniftre, paree que le premier il avertit la France de fa dignité, & lui donna dans 1'Europe le ton qui convenoit a fa puiffance. C'eft ainfi que Jeur eüt parlé,ce Louis XIV,qui, pendant quarante ans, fut être digne de fon fiècle, qui mêla toujours de la grandeur a fes fautes même, & jufques dans 1'abaiffement & ie malheur ne dégrada jamais nï lui ,ni fon peuple. Ah! pour gouverner une grande nation il faut un grand cara&ère. II ne faut point fur-tout de ces ames indifférentes & froides par légéreté, pour qui 1'autoritë abfolue n'eft qu'un dernier amufement, qui laiffent flotter au hafard de grands intéréts, & font plus occupés k conferver le  C 143 )/ pouvoir qu'a s'en fervir. Pourquoi, demandet-on encore, pourquoi des hommes qui ont entre leurs mains toute la puilTance de 1'état, & qui, pour être obéis , n'ont qu'a cörmnander, fe font-ils laiiTés prévenir fur toutes les mers par un ennemi dont la conftitution entraine des lenteurs néceflaires ? Pourquoi s'être mis par un traité inconfidéré dans les fers du congrès qu'on auroit tenu lui-même dans la dépendance par des fubfides abondans & réglés ? Pourquoi enfin n'avoir pas affermi la révolution en tenant toujours fur les cótes feptentrionales du nouveaumonde une efcadre qui protégeat les colonies & fit en même-tems refpecter notre alliance ? Mais 1'Europe, qui a les yeux fixés fur nous; voit un grand defièin & nulles démarches concertées; voit dans nos arfenaux & fur nos ports des préparatifs immenfes, & nulle exécution; voit des flottes menagantes, & eet appareil rendu prefque inutile; 1'audace & la valeur dans les particuliers, la molleffe & 1'irréfolution dans les chefs; tout ce qui annonce d'un cóté la force & le pouvoir impofant d'un graacj  C 144 ) peuple, tout ce qui annonce de 1'autre Ia" foibleffe & la lenteur qui tiennent au caractère& aux vues. C'eft par cette contradiótion frappante entre nos projets & nos démarches, entre nos moyens & 1'efprit qui les emploie, que le génie Anglois, un moment étonné , a repris fa vigueur ; & jufqu'a préfent c'eft un problême a réfoudre pour l'Europe,fi, en nous déclarant pour 1'Amérique , nous n'avons pas nous-mêmes relevé les forces de 1'Angleterre. Telles font les plaintes qui retentiffent de toute part, & que nous ne craignons pas de raffembler ici & de mettre fous les yeux de 1'autorité, fi elle daigne les entendre ou les lire. Enfin la philofophie, dont le premier fentiment eft le defir de voir tous les gouvernemens juftes & tous les peuples heureux, en portant un coup-d'ceil fur cette alliance d'une monarchie avec un peuple qui défend fa liberté, en cherehe le motif. Elle voit trop que le bonheur de 1'humanité n'y 3 point de part. Elle penfe que fi 1'amour de la juftice eüt décidé ia cour de Verfailles elle  C HS) elle auroit arrête' dans le premier article dc fa convention avec 1'Amérique, que tous les peuples opprimés avoient le droit de s,e'lever tent re leurs opprejfeurs. Mais cette niaxime, qui forme une des loix de 1'Angleterre; dont un Roi de Hongrie, en montant fur le tróne, ofa faire une des cönftitutions de 1'état$ qu'un des plus grands princes qui aient régné fur le monde; Tra jan, adopta , lorfqu'en préfence du peuple Romain affemblé, il dit au premier officier de 1'empire, je te remets tette e'pée pour me defendre fi je Juis ju/ie, pour me combattre & me punir fi je deviens tyran: cette maxime eft trop étrangère a nos gouvernemens foibles & corrompus, oü le devoir eft de fouffrir, & oü 1'oppri-» mé doit craindre de fentir fon malheur, de peur d'en être puni comme d'un crime. Mais c'eft fur-tout contre 1'Efpagfie que font dirigées les plaintes les plus amères. On la blame de fon aveuglement > de fes incertitudes, de fes lenteurs, quelquefois même de fon infidélité: accufations toutes mal fondées. En voyant la France s'engager fans néh  C 14* 1 ceffité dans une guerre maritime, quelque* politiques imaginèrent que cette couronne fe croyoit affez puiffante pour divifer le domaine Britannique , fans partager avec un allié 1'tionneur de cette importante révolution. Or> n'examinera pas fi 1'efprit qui 'égnoit dans le cabinet de Verfailles autorifoit cette conjedture. II eft aujourd'hui connu que cette couronne, qui, depuis lecommencement des troubles, avoit donné des fecours fecrets aux Américains, épioit le moment propicepourfede'clarerouvertement en leur faveur. L*événement de Saratoga lui parut la circonftance la plus favorable pour propofer au Roi catholique de faire caufe commune avec elle. Soit que ce prince jugeat alors la liberté des Etats-Unis contraire a fes intéréts; foit que la réfolution lui parut prêcipitée; foit enfin que d'autres objeds politiques exigeaffent toute fon attention, il fe refufa k cette ouverture. Son caractère difpenfoit de toute follicitation nouvelle. Depuis les premières tentatives,onl'occupafipeu de cette grande affaire, que ce fut fans 1'en prévenir que la cour de Verlailles fit fignifier a Saint-  C 147 ) James qu'elle avoit reconnu 1'indépendaned des pro vinces confédérées. Cependant les forces de terre & de mer que l'Efpagne employoit dans le Bréfil contre les Portugais e'toient revenues. La riche flotte qu'elle attendoit du Mexique étoit entree dans fes ports. Les tréfors qui lui arrivoient du Pérou & de fes autres poffeffions e'toient a couvert. Cette puilTance étoit libre de toute inquiétude & maitrefle de fes mouvemens, lorfqu'elle afpira a la gloire de pacifier les deux bémifphères. Sa médiation fut acceptée, & par la France dont la hardieiTe n'avoit pas les fuites heureufes qu'elle s'en étoit promifes & par 1'Angleterre qui pouvoit craindre d'avoir un nouvel adyerfaire a combattre. Charles III foutint avec dignité le beau vwps& róle dont il s'étoit chargé. II prononca qu'on ylnt^aa mettroit bas les armes ; que chacune. des condHe/" parties belligérantes feroit maintenue dans [^i^'u les terres qu'elle occuperoit a 1'époque de ^era feconfondent & fe fervent les uns les autres. II en arriva tout autrement dans les ifles Britanniques. Les troubles n'y furent jamais plus violens. Les pre'tentions oppofées ne femontrèrentdans aucune circonftance avec moins de ménagement. Le bien général fut infolemment foulé aux pieds par 1'une & par 1'autre faction. Ces cbambrès oü 1'on avoit autrefois difcutéles queiVxms les plus importantes avec éloquence, avec force., avec dignité , ne retentirent plus que des clameurs de la rage, que des infultes les p-us groffières, que d'altercations auffi nuiübles qu'indecente!», Le peu qui reüoitde citoyens appeliox-nt a-grands cris un nouveau Pitc, un minntre qui comme lui n'eüt ni parsns ni amis: mais eet homme extraordinaire ne fe montroit pas. Auffi penla-t-on affez généralement que ce peuple fuccomberoit, malgré la fier:é de fon caradtère, malgré 1'expérience de fes amiraux , malgré l'aus dace de fes hommes de mer, malgré 1'éru rgie que doit acquérir une nation libre dans les fecouffes qu'elle éprouve. Mais 1'empire du hafard eft bien étendu. L 4  ( 152 ) Qui fait pour quel parti les éiémens fe deJ . clareront! Un coup de vent arrache ou donne la virïoire. Un coup de canon déconecrce une armée entière par la mort d'ua général. Desfignaux, oune font pas entendus , ou ne font pas obéis. L'expérience, le courage, 1'habiletéfont croifés par 1'ignorance, par la jaloufie, par une trahifon, par la certitude de 1'impunité. Une brume qui furvient & qui couvro les deux ennemis, ou les fépare, ou les contbnd. Le calme & la tempête font également favorables ou nuifibles. Les forces fonr coupées en deux par l'inégale celerité des vaiffeaux. Le momem efimanqué, ou par la pufillanimité qui diüere, ou par la témérité qui fe héte. Des plans auront éte formés avec fageffe: mais ils refteront fans cfiet par Je défaut de concert dans les mouvemens de 1'exéeution. Un ordreinconiideréde la cour décide du malheur d'une journée. La difgrace ou le decès d'un minilire change les projets. Éft-il pofJïble qu'une union étroite pu;ffe long-tems fubfifter entre des confedérés A'-m ctractere auffi oppofé que le Francois  < 15! ) «mporté, dédaigneux & léger ; 1'Efpagnol lent, hautain, jaloux & froid; 1'Américain qui tient fecrétement fes regards tournés vers fa mère-patrie & qui fe réjouiroit des défaftres de fes alliés, s'ils e'toient compatibles avbc fon indépendance? Ces nations, foit qu'elles agiffent féparément, foitqu'elles agiiTent de concert, tarderont-clles a s'entr'accufer, a fe plaindre & è fe brouiller ? Leur plus grand efpoir ne feroit - il pas que des revers multipliés ne feroient tout au plus que les replonger dans 1'état humiliant dont elles vouloient fortir & affermir le fceptre des mers dans les mains de la Grande-Bretagne; tandis qu'une ou deux défaites confidérables feroient defcendre pour jamais ce peuple ambitieux du rang des premières puilfances de eet hémifphère? Qui peut donc décider, qui peut méme prévoir quel fera 1'événement? La France & 1'Efpagne réunies ont pour elles des moyens puiflans ; 1'Angleterre, 1'art de diriger les fiens. La France & 1'Efpagne ont leurs tréfors; 1'Angleterre un grand crédit national. D'aa cóté la multitude des hommes &  <. 154 ) 3e nombre des. troupes ; de 1'autre la fupériorité dans 1'a'c de conduire les vaiiTeaux & d'affujettir ia mcr dans les combats. ïci, 1'impétuofité & la valeur; la, & la valeur & 1'expe'rience. Dans un parti, 1'adtivité que peut donner aux deffeins la monarchie abfolue; dans 1'autre la vigueur & le reffbrt que donne la liberté. Ici , le reffentiment des pertes & de longs outrages a venger; li, le fouvenir d'une gloire récente & la fouveraineté de 1'Amérique, comme celle de 1'océanaconferver. Les deux nations alliees ont eet avantage que donne la reunion de deux vaftes puiffances, mais 1'inconvénient qui réfulte de cette union même par la difficulté de 1'harmonie & de 1'accord, foit dans les deffeins, foit dans 1'emploi des forces; 1'Angleterre eft abandonnée a elle-même, mais n'ayant a diriger que fa propre force, elle a 1'avantage de 1'unité dans les deffeins, d'une combinaifon plus fure & peut-être plus prompte dans les idéés : elle peut plus aifément fubordonner a une feule vue fes plans d'attaque & de défenfe. Pour avoir une balance exacte, il faut  C iS5 ) encore pefer la différente énergie que peut communiquer aux nations rivales une guerre, qui d'un cöté n'eft a beaucoup d'égards, qu'une guerre de rois & de miniftres; qui de 1'autre eft une guerre vraiment nationale , oü il s'agit pour 1'Angleterre de fes plus grands intéréts , d'un commerce qui fait fs rieheffe, d'un empire & d'une gloire qui font fa grandeur. Enfin fi 1'on conüdére 1'efprit de la nation Frangoife, oppofé a celui de la nation qu'elle combat, on veria que 1'ardeur du Francois eft peut-être également prompte'a s'aliumer & a s'éteindre; qu'il efpére tout lorfqu'il commence, qu'il défefpèie de tout dès qu'il eft arrêté par un obftacle; que par fon caractère il a befoin de 1'enthoufiafmé des fuccès pour obtcnir des fuccès nouveaux: qliê 1'Anglois, au contraire, moins préfomptueux d'abord malgré fa bardieffe naturelle, fait, quand il le faut, lutter avec courage, s'élever avec le danger & s'affermir par la difgrace: femblable a ce chêne robufte auquel Horace compare les Romains, qui, frappé par la hache & mutilé par le fer, renait fous les  coups qu'on lui porte, & tire une vigueur nouvelle de fes blefiures même. L'hiftoire nousapprend encore que pen de ligues fe font partagées les dépouilles de la. nation contre laquelle elles fe font formées. Athènes vidtorieufede la Perfe; Rome fauvée' d'Annibal; dans les tems modernes, Venife écbappée a la fameufe ligue de Cambrai; & de nos jours même, la PruiTe qui par le génie d'un homme a fu tenir téte a 1'Europe, ont droit de fufpendre notre jugement fur 1'iffue de la guerre préfente. Mais fuppofons que la maifon de Bourbon ait les avantages dont elle a pu fe flatter. Quelle doit étre fa conduite? dStl're La France eft fous tüUS les points de vue u pohti- 1'empire le plus fortement conftitué . dont Ip que de la r .- . ' u,u lc maifon de louvenir ie foit confervé dans les annales «etie °ft' ^u monde. Sans pouvoir lui être comparée Tiaoheu- i-Efpagne eft auffi un état d'un grand poids,' & fes moyens de profpérité augmentent tous les jours. Le foin le plus important de la maifon de Bourbon doit donc être de fe faire pardonner par fes voifins les avantages qu'elle tient de la nature ,qu'el! doit b 1'art, ou que les événemens lui ont donnés. Si elle cherchoit a augmenter fa fiipériorité, 1'alarme feroit générale, & 1'on fe croiroit menacé d'un efclavage univerfel. C'eft peut-être beaucoup que les nations ne 1'aient pas encore traverfée dans fes projets contre 1'Angleterre. Le reiTentiment que les injuftices & les hauteurs de cette ifle fuperbe ont infpiré par-tout, doit être la caufe de cette inadtion. Mais la haine fe tait, lorfque 1'intérêt fe montre. II eft poffible que 1'Europe juge contraire a fa fureté 1'affoibliffement de la Grande-Bretagne dans 1'ancien & le nouvel hémifphère; & qu'après avoir joui des humiliations, des dangers de cette puiffance orgueillenfe & tyrannique , elle prenne enfin les armes pour la défendre. S'il en étoit ainfi, les cours de Verfailles & de Madrid fe verroient déchues de 1'efpoir qu'elles ont congu d'une prépondérence décidée fur le globe. Ces confidérations doivent les déterminer a preffer les attaques, & a ne pas laiffer a une politique prévoyante ou fimplement jaloufe, le tems de faire de nouvelles combinaifons. Qu*elles s'arrêtent  C 15» ) far-tuut a piopos, & qu'un defir immodéré d'abattre leur ennemi commun ne les aveugle pas fur leurs véritables intéréts. Les Etats-Unis ont montré k découvert le projet d'attirer a leur confédération toute 1'Amérique feptentrionale. Plufieurs démarches , celle en particulier d'inviter les peuples du Canada a la rébellion, ont du faire croire que c'étoit auffi le vceu de la France. On peu; foupgonner 1'Efpagne d'avoir également adopté cette idée. La conduite des provinces qui ont fecoué le joug de la Grande-Bretagne eft fimple, & telle qu'il falloit 1'attendre. Mais leurs alliésne manqueroient-ils pas de prévoyance, s'ils avoient réellement le méme fyftême ? Le nouvel hémifphère doit fe détacher un jour de 1'ancien. Ce grand déehirement eft préparé en Europe par la fermentation & le choc de nos opinions; par le renverfement de nos droits, qui faifoient notre courage ; par le luxe de nos cours & la mifère de nos campagnes ; par la haine, a jamais durable, entre des hommes laches qui poffèdent tout, dc des hommes robuftes;  ( 159 1 vertueux même, qui n'ont plus n'en h perdre que la vie. II eft préparé en Amérique par raccroiffement de la popu'ation, des cultures , de 1'indultrie & des lumières. Tout achemine a cette fciffion, & les progrès d'un mal dans un monde, & les progrès du bien dans 1'autre. Mais peut-il convenir a 1'Efpagne & è la France, dont les poffeffions dans le nouvel hémifphère font une fource inépuifable de' richeffes, leur peut-il convenir de précipiter ce déchirement ? Or , c'eft ce qui arriveroit , fi tout le nord de ces régions étoit ailujetti aux mêmes loix, ou lié par des intéréts communs. A peine la liberté de ce vafte continent feroit-elle affurée, qu'il deviendroit 1'afyle de tout ce qu'on voit parmi nous d'hommes intrigans , féditieux, fiétris ou ruinés. La culture , les arts, le commerce, ne feroient pas la reffource des réfugiés de ce caradtèreII 'eur faudroit une vie moins laborienfe c-„ plus agitée. Ce génie , également éloigné du travail & du repos, fe tourneroit vers les conquêtes •, & une paffion qui a tant  d'attraits fubjugeroit aifement les premier* colons, détournés de leurs anciens travaux par une longue guerre. Le nouveau peuple auroit achevé les préparatifs de fes invafions, avant que le bruit en eüt été porté dans nos climats. II choifiroit fes ennemis, le champ & le moment de fes victoires. Sa foudre tomberoit toujours fur des mers fans défenfe,oufur des cótes prifes au dépourvu. Dans peu, les provinces du midi deviendroient la proie de celles du nord & fuppléeroient, par la richeffe de leurs productions a la médiocrité des leurs. Peut-être même , les poffeffions de nos monarchies abrolues brigueroient-elles d'entrer dans la confédération des peuples libres, ou fe détacheroient-elles de 1'Earope pour n'appartenir qu'a elles-mémes. Le parti que doivent prendre le» cours de Madrid & de Verfailles, s'il leur eft libre de choifir, c'eft de laiflèr fubfifter dans le nord de 1'Amerique deux puiffances qui s'obfervent, qui fe contiennent, qui fe balancent. Alors des fiècles s'écouleront, avant que 1'Angleterre & les républiques formées a fes dépens  ( 16*1 ) de'pens fe rapprochent. Cette défiance réciproque les empêchera de rien entreprendre au loin; & les établiffemens des autres nations, dans le nouveau-monde, jouironc d'une tranquillité, qui jufqu'a nos jours a e'té li fouvent troublée. C'eft même vraifemblablement, c'eft l'or-> dre de chofes qui conviendroit le mieux aux provinces Confédérées. Leurs limites refpectives ne font pas régiées. II régne une grande jaloufie entre les contrées du nord & celles du midi. Les principes politiques varienc d'une rivière a 1'autre. On remarque de grandes animofités entre les citoyens d'une ville, entre les membres d'une familie. ChaCun voudra éloigner de foi le fardeau accablant des dépeüfes & des dettes publiques. Mille germes de divifions couvent généralement dans le fein des Etats-Unis. Les dan» gers une fois difparus, comment arrêterl'explofion de tant de mécontentemens ? Comment tenir attachés a un même centre tant d'efprits égarés, tant de cceurs aigris ? Que les vrais amis des Américains y réfléchiffent, & ils trouyeront que 1'unique naoyen de pré« M  C 16a ) venir les troubles parmi ces peuples, c'eft de laiffer fur leurs frontièresunrival puiffant & toujours difpofe' a profiter de leurs diffenfions. II faut la paix & la furete' aux monarchies, il faut des inquiétudes & un ennemi a redouter pour les re'publiques. Rome avoit befoin de Carthage; & celui qui de'truifit la liberte' Romaine, ce ne fut, ni Sylla, ni Ce'far, ce fut le premier Caton, lorfque fa politique étroite & farouche öta une rivale a Rome, en allumant dans le fe'nat les ftambeaux qui. mirent Carthage en cendre. Venife elle-même., depuis quatre eens ans, peut-être, eüt perdu fon gouvernement & fes loix, fi elle n'avoit a fa porte & prefque' fous fes murs des voifins. puiflans qui pourroient devenir fes ennemis ou fes maitres. Q„eiie Mais dans cette combinaifon a quel degré feéförS" de fëlieite'» de fplendeur & de force pourprov7nceSe ront avec le tems s'élever les provinces cor.fédé-, confédérées ? rees. lei, pour bien juger, commencons d'abord par écarter 1'intérêt que toutes les  ames, fans en excepter celles des efciaveSj ont pris aux ge'ne'reux efforts d'une natiori qui s'expofoit aux plus effrayantes calamités pour être libre. Le nom de liberte' eft ü doux, que tous ceuX qui combattent pour elle, font fürs d'intéreffér nos vosux fecrets. Leur caufe eft celle du genre-humain tout entier; elle devient la nótre. Nous nous vengeons de nos oppreffeurs, en exhalant du-moins en liberté notre haine contre les oppreffeurs étrangers. Au bruit des chaines qui fe brifent, il nous femble que les nötres vont devenir plus légères; & nous croyons quelques momens refpirer un air plus pur i en apprenant que 1'univers compte des tyrans de moins. D'ailleurs ces grandes révolutions de la liberté font des lecons pour les defpotes. Elles les avertiffent de ne pas compter fur une trop longue patience des peuples & fur une éternelle impunité. Ainfi; quand la fociéte' & les loix fe vengent des crimes des particuliers, 1'homme de bien efpére que le chdtiment des coupables peut prévenir de nouveaux crimes. La terreur quelquefois tient lieu de juftice au brigand ^ M 2  C 164 ) St de confcïence a l'aiTafiin. Telle eft la fource de ce vif intérët que font naitre en nous toutes les guerres de liberté. Tel a été celui que nous ont infpiré les Araéricains. Nos imaginations fe font enflammées pour eux. Nous nous fommes affociés a leurs viétoires & a leurs défaites. L'efprit de juftice qui fe plait a compenfer les malheurs paiTés par un bonheur a venir, fe plait a croire que cette partie du nouveau - monde ne peut manquer de devenir une des plus floriffantes contrées du globe. On va jufqu'a craindre que 1'Europe ne trouve un jour fes maitres dans fes enfans. Ofons réfifter au torrent de 1'opinion & a celui de 1'enthoufiafme public. Ne nous laiffbns point égartr par 1'imagination qui embellit tout, ptr le fentiment qui aime a fe créer des illufions & réalife toutce qu'il efpére. Notre devoir eft de combattre tout préjugé, même celui qui feroit le plus conforme au vceu de notre cceur. II s'agit avant tout d'être vrai, & de ne pas trabir cette confcience pure & droite qui préfide a nos écrits & nous dicte tous nos jugemeus. Dans ce moment,  peut-être, nous ne ferons pas crus : mais une conjecture hardie qui fe véntte au bout de plufieurs fiècles fait plus d'honneur & 1'hiftorien, qu'une longue fuite de faits dont le récit ne peut être contefte'; & je n'écris pas feulement pour mes contemporains qui ne me furvivront que de quelques anne'es. Encore quelques révolutions du foleil: eux & moi, nous ne ferons plus. Mais je livre mes idéés a la poftérité & au tems. C'eft a eux a me juger. L'efpace occupéparlestreize républiques entre les montagnes & la mer, n'eft que de foixante-fept lieues marines; mais fur la cóte leur étendue eft en ligne droite de trois eens quarante - cinq depuis la rivière de SainteCroix jufqu'a celle de Savannah. Dans cette région, les terres font prefque généralement mauvaifes ou de qualité médiocre. II ne croit guère que du maïs dans les quatre colonies les plus feptentrionales. L'unique reffource de leurs habitans, c'eft la pêche, dont le produit annuel ne s'élèvs pas au-deffus de fix miüions de livres, M 2  Le bied foutient principalenrnt les proFinces de New-York, de Jerfey & de Penfilvanie. Mais le fol s'y eft fi rapidement détérioré, quel'acre quidonnoitautrefois jufqu'a foixante boiffeaux de froment, n'en produit plus vingt que fort rarement. Quoique les campagnes du Maryland & de la Virginie foient fort fupérieuresa toutes les autres, elles ne peuvent être regardées comme très-fertiles. Les anciennes plantations ne rendent que le tiers du tabac qu'on y récoltoit autrefois. Il n'eft pas poffible Ü'en formcr beaucoup de nouvelles; & les cultivateurs ont été rèduits a tourner leurs travaux vers d'autres objets. La Caroline feptentrionale produit quelques grains, mais d'une qualitéfi inférieure qu'ils font vendus vingt-cinq ou trcnte pour cent de moins que les autres dans. tous les marchés. Le fol de la Caroline méridionale & de la Géorgie, eft parfaitement uni jufqu'a cinqnantemillesde 1'océan. Les pluies exceffives quiy tombentne trouvant point d'écoulement, forment de nombreux marais oü ie  ( iö7 ) riz eft cultivé au grand détriment des hommes libres & des efcaves occupés de ce travail. Dans les intervalles que laiffent ces amas d'eau fi multipliés , croit un indigo inférieur qu'il faut changer de place chaque année. Lorfque le pays s'élève, ce ne font • plus que des fables rébelles ou d'affreux rochers , coupés de loin en loin par des paturages de la nature du jonc. Le gouvernement Anglois ne pouvant fe diffimuler que 1'Amérique feptentrionale ne i'enrichiroit jamais par les produdtions qui lui e'toient propres, imagina le puiffant reffort des gratifications , pour créer dans cette partie du nouveau-monde le lin, la vigne, la foie. La pauvreté du fol repouffa la première de ces vues ; le vice du climat s'oppofa au fuccès de la feconde; &ledéfaut de bras ne permit pas de fuivre la troifième. La fociéte' établie a Londres pour 1'encouragement des arts, ne fut pas plus heureufe que le miniftère. Ses bienfaits ne firent éclorve aucun des objets qu'elle avoit propofés a 1'aüivité & a 1'induftrie de ces contrées. XI fallut que la Grande-Brétagne fe caDM 4  C 16*8 ) tendt de vendre chaque année aux contrées qui nous occupent pour environ cinquante millions de marchandifes. Geux qui les confommoient lui livroient exclufivement leurs indigos , leurs fers , leurs tabacs & leurs pelleteries. Ils lui livroient ce que le refte du globe leur avoit donne' d'argent & de matières premières , en échange de leurs bois, de leurs grains, de leur poiffon, de leur riz, de leurs falaifons. Cependant la balance leur fut toujours fi défavorable, que lorfque les troubles commencèrent, les colonies devoient cent vingt ou cent trente millions a leur me'tropole; & qu'elles n'avoient poiut de métaux en circulation. Malgré ces défavantages,;il s'étoit fucceffivement formé dans le fein des treize provinces une pgpulation de 2,981,678 perfonnes, en y comprenant quatre eens mille noirs. L'oppreffion & 1'intolérance y pouffoient tous les jours de nouveaux habitans. La guerre a ferme' ce refuge aux malheureux : Piais la paix Je leur rouvrira; & ils s'y rendront en plus grand nombre que jamais. Ceux $Ui y pafferont avec des projets de culture  n'auront pa? toute la fatisfacTion qu'ils fe feront promife; paree qu'ils trouveront les bonnes terres, les me'diocres même , toutes occupe'es; & qu'on n'aura euère a leur oifrir que des fables ftériles, des marais mal-lains ou des montagnes efcarpe'es. Lérnigration fera plus favorable aux manufaéturiers & aux artiftes, lans que peut-être ils aient rien gagné a ehanger de patrie & de climat. On ne détermineroit pas fans te'mérité quelle pourra être un jour la population des Etats-Unis. Ce calcul, aiTez géne'ralement difficile, devient impraticable pour une région dont les terres de'ge'nèrent très-rapidement, & oü la mefure des travaux & des avances n'eft pas celle de la reproducbion. Si dix millions d'hommes trouvent jamais une fubfiftance affurée dans ces provinces , ce fera beaucoup. Alors même les exportations fe re'duiront a rien ou a fort peu de chofe:mais 1'induftrie intérieure remplacera 1'induftrie e'trangère. A peu de chofe prés, le pays pourra fe fuffire a lui-même, pourvu que fes habitans fachent être heureux par 1'economie & la médiocrite'. M 5  ( *70 ) Peuples de 1'Amérique feptentrionale, que 1'exemple de toutes les nations qui vous ont précédés, & fur-tout que celui de la mèrepatrie tous inftruife. Craignez 1'affluence de 1'or qui apporteavec le luxe la corruption des mosurs, le mépris des loix; craignez une trop inégale répartition des richeffes qui montre un petit nombre de citoyens opulens & une multitude de citoyens dans la misère ;d'oü nart 1'infolence des uns &l'aviliffement des autres. Garantiffez-vous de 1'efprit de conquéte. La tranquillité de 1'empire diminué a mefure qu'il s'étend. Ayez des armes pour vous défendre; n'en ayez pas pour attaquer. Cherchez 1'aifance & 3a fanté dans le travail; la profpérité dans la culture des terres & les attelieTs de 1'induftrie; la force dans les bonnes moeurs ik dans la vertu. Faites profpérer les fciences & les arts qui diftinguent 1'homme policé de 3'homme fauvage. Sur-tout vcillez a 1'éducation de vos enfans. C'eft des écoles publiques ; n'en doutez pas, que fortent les magiftrats éelairés , les militaires inftruits & courageux, les bons pères, les bons ma-  ( i7i ) ris; les bons frères , les bons amis, 1es hommes de biens. Par-tout oü 1'on voit la jeuneffe fe dépraver, la nation eft fur fon de'clin. Que la liberte'aitune bafe inébranlable dans la fagefTe de vos conftitutions , & qu'elle foit 1'indeftrudtible ciment qui lie vos provinces entre elles. N'e'tablifiez aucune préfe'rence le'gale entre les cultes. La fuperftition eft innocente par-tout oü elle n'eft ni prote'ge'e , ni perfécutée ; & que votre dure'e foit, s'il fe peut, egale a celic du monde. F I N.