3<5o Mémoires fur des gorges ou petits batons appelles umhilics 9 & femblables a ceux de nos cartes géogra-! phiques, formoient quelquefois, quand on les déplioit, des volumes de deux cents pieds de long; i!s les firent copier fur des feuilles quï tournoient 1'une fur 1'autre, & dont toutes les pages diftribué- s, & comme encadrées dans des marges de proportion, leur donnoient un beau coup d'ceil, en rendoient la ledure infi•niment commode , & faifoient d'autant plus de plaifir aux leóteurs, que fouvent ces marges étoient chargées de vignettes amufantes ou infiruaiyes. Ils faifoient plus ; ils diftinguoient les diffiérentes parties d'un même ouvrage par de grandes miniatures ; ils en placoient de moins grandes au commencement de chaque chapitre, & de plus petites encore dans les lettres initiales de chaque alinea. Nos Francois en furent fi frappés dès \s temps des premières croifades , qu'ils effayèreqt d'en rapporter 1'art en Europe, oü ils 1'appliquèrent particuliérement a embellir les contes, romans & fabliaux dont ils nous ont inondés; (k eet art, quoiqu'imparfaitement imité, leur a donné & leur donne encore un prix qu'ils pe méritent pas par eux-mémes. A cette décoration intérieure des livres, Jes, Collat en joignirent une autre pour 1'exté-  des Colporteurs. 351 rïeür, qui ne contribuoit pas moins a leur confervation qu'a leur ornement : c'étoit des reliures en maroquin de diverfes couleur , 11 artiftement rapportées, qu'on ne pouvoit en difcerner le joint; avec des cartouches magnifiques brodés d'or, d'argent & de foie, qui renfermoient le titre de fouvrage, Entre les échantillons qu'Emmanuel Collat a produits de ces fortes de reliures, les iieurs commiffaires ne fe font point lafies d'admirer le deffein de celle qu'un de fes ancêtres , Nicéphore Collat, avoit faite pour les mémoires de la vie & du règne d'Alexis Comnène, redigés par Anne Comnène fa fille , qui en fut fi fatisfaite, qu'en Ie recevant, elle lui fit préfent d'une belle améthyfte qu'elle avoit au doigt ; & que 1'empereur, non content de lui avoir affigné une penfion de mille bezans a prendre fur tous Jes bains du palais, de la ville & des fauxbourgs, lui fit 1'honneur de tenir fur les fonts de baptême fon hls aïné , a qui, pour raifon de cette conceifion, il donna le nom de Nymphas Alexis, Mais a quelles révolutions les plus grandes fortunes re font-elles pas fujettes! üémétrius Collat, arrière-petit-fils de Nicéphore, perdit fubitement toute la fienne au malheureux fiége de Qonftantinople : il avoit, aux portes de la  ©bs Colporteurs, 353 fa maifon de Conftantinople, avoient échappé aux recherches des Turcs, entr'autres la belle améthyfte d'Anne Comnène; il faccommoda aulfi de quelques manufcrits précieux dont les Turcs n'avoient fait aucun cas, & que le fultan lui avoit permis d'emporter avec toutes les antiquailies qu'Emmanuel Collat, fon petit-fils, a exhibées aux fieurs commiffaires, & dont ils ont fait mention ci-deffus, De Florence, Démétrius Collat palfa en AHemagne, preffé par un des amis de Philelphe, 1'abbé Trithème, qui avoit la rage d'approfondir les myftères des Egyptiens, dont il ne trouvoit qu'une idéé fuperficielle dans ce qu'Lamblique nous en a laiffé, & qui n'avoit pas moins d'envie de fe mettre au fait des différentes manières fecrettes d'écrire , & fur-tout des notes de Tiron , qui, après avoir fait affez long-temps les délices d'une partie de 1'Allemagne & de la France, y avoient été tout-a-eoup tellement abandonnées , que ceux qui croyoient y entendre quelque chofe, paffoient pour des forciers. Démétrius Collat fatisfit pleinement fa curiofité fur tous ces articles ; & c'eft au réfultat de toutes leurs conférences que nous devons Ia Sténographie & quelques autres traités que ce favant abbé publia immédiatement après. Mais il fe remit bientót a I'hiftoire,  364 Mémoires1 dégoüté pour toujours de ces autres mlnutles laborieufes & obfcures, plus propres a exercer la patience d'un moine défceuvré, que 1'application d'un homme de lettres. Démétrius Collat mourut a Fulde dans un age mémorable; il avoit 103 ans 4 mois cinq jours. Michel Collat fon fils , & père d'Emmanuel, excité par la feule réputation de notre a grand roi, juftement appellé le père des lettres & Ie reftaurateur des arts, n'héfita pas a venir s'étabür en France avec fa petite familie. Heureux fi fa fanté lui eüt permis d'y travailler auffi utilement pour fa fortune que pour 1'éducation de fes enfans ! Le roi lui auroit aceordé quelque ordre de chevalerie & des lettres de nobleffe, comme il lui accorda des lettres de naturalité, auxquelles fa majefté a ajouté, en faveur d'Emmanuel Collat des armoiries convenables, qui font d'azur a trois échelles d'or pofées en pal, au chef coufu de gueules, chargé d'une jatte ou fceau d'argent, avec trois pinceaux d'or en cimier , feize feuilies volantes ombrageant Féeu en forme de lambrequins, & deux barbets de finople pour fupports. Fait a Paris, le mardi d'après la Trinité de 1'an 1J40, dans la feconde falie de 1'hötel-de ville, & fous Ie fceau des armes d'icelle. Le tout pour, en temps & lieu, fervir & valoir, ce que de raifon, audit Emmanuel Collat,  ï>e5 Colporteur s1. 307 Ainfi figné , Pierre, évêque de Macon, grand-aumöniec de France. Guillaume Budé, maïtre des requêtes, bibliothécaire du roi , ancien prévót des marchands. Francois Vatabe, abbé de Bellozane, le&eur & profefleur royal en langue hébraïque. Henri Etienne , regis typographus, avec paraphe, & ces mots au-deflbus: JVoli altum fapere. Au bas defquelles fignatures pend, dans une boïte a filigrane de corail, le fceau des armes de la ville, qui font de gueules a un navire d'argent flottant fur des ondes de même, oirtbrées du champ , au chef femé de France, avec cette infcription formant un doublé cercle de lettres : Paris fur toutes villes prife } La Nef repréfente PEglife. Si la juftice qu'on doit aux autres n'empêche pas qu'on ne fe la rende a foi - même, difons hardiment, meffieurs , & fans crainte d'être démentis, qu'entre tous nos envieux & nos  des Colporteurs. ^yt fur fouvrage & fur les ouvriers , faifit, verbalifa, &c. Elle eifaya en vain d'appaifer la communauté furibonde par I'orïïe d'une petite fomme pour faire recevoir fon mari libraire; on la renvoya bien loin , mais elle n'y fut pas j elle alla fe jeter aüx pieds du chancelier Se-1 guier, qui, après une aüdience particuliere, lui fit expédier un arrêt du confeil qui accordoit gratuitement a fon mari la place de libraire qu'elle avoit demande'e pour de 1'argent, celle d'imprimeur a laquelle elle n'avoit pas fongé, & le privilege exclufif des almanachs en queftiom Ce coup d'autorité, qui fembloit 1'effet d'un grand crédit, mit les libraires a la raifon ; les fyndics & adjoints furent les premiers a lui en faire des complimens, & a 1'aflurer qu'ils avoient été entrainés, malgré qu'ils en euffent, par le gros de leurs alfemblées tumultueufes : elle leur répondit en femme qui les auroit crus & qui n'y entendoit pas finefie; & comme dans le temps de fa plus grande profpérité, elle ne s'étoit diftinguée que par une modeftie coflue, toujours fupérieure a un luxe mal entendu , elle ne fe diftingua , en cette occafion , que par une politefie & un fang froid fort au-deflus de 1'infolence des triomphes ordinaires. Voila les almanachs qui prennent une forme. & une faveur nouvelles j ce ne font plus de A a ij  "§71 MÉMOIKÊS fimples morceaux d'ivoire toürnant fur uttö viröle comme des évantails, ce font de vrais iivres d'une impreffion mignone, mêlee de gravures , & qui, quoique plus petits, & plus légers qu'aucune tablette , contiennent cent fois davantage: on les produit a la cour avec les armes du roi, des princes & des grands; la ville n'en eft pas moins avide, On fe piqué d'en avoir des premiers & des plus beaux, & on n'oferoit fortir le jour de 1'an fans en avoir une douzaine dans fes poches pour en donner aux amis qu'on rencontre , comme on leur donnoit autrefois des dragées : on examine s'ils ne font point contrefaits, s'ils portent les chiffres de M. Colomb & de mademoifelle Collat; tout le monde s'accorde a les appelier des Collombats ; & ce nom immortel eft adopté par toute la familie, qui a d'ailleurs 1'avantage de reffembler a fes almanachs comme deux gouttes d'eau. Parlez-moi de cela, meffieurs, & avouez qu'un grain de bonheur relève bien le goüt d'une fauce d'efprit. Je ne me fouviens pas du nom de baptême des deux autres de mes tantes qui fuivoient de prés madame Colombat; je fais feulement que la première , qui faifoit d'affez mauvais vers avec une extréme facilité, & qui étoit inépuifable en enigmes, rébus & logogryphes ,  384. Mémoires ir.on fur la nature du crime dont j'étois accüfé; Le premier point m'annoncoit qu'il alloit droit a la grève en cas d'obftination, de réticence & de mauvaife foi ; le fecond m'offroit ert perfpeétive urie punitión courte & légère, fi j'avois le bon efprit de mé rendre la juftice favorable par üh aveu fincère» On penfe bien que ce fut Ié parti que jé pris, & y en avoit-il un autre a prendre ? 'On parut content du détail ingénu que je fis de tout ce qui s'étoit paffé a ce fujet; mon juge, que je ne regardois qu'en friffonnant, me raffuroit. Mettez, me dit-il, par écrit tout ce que vous venez de m'expofer, & avec plus d'étendue encore, s'il eft poflible, pour ne laiffer aucun foupcon fur votre ingénuité & fur la vérité des faits; vous me donnerez eet écrit quand je reviendraij ce fera dans quatre ou cinq jours au plus tard. II vint en effet, mais accompagné de quatre confeillers-commiffaires qu'il s'étoit fait donner pour adjoints par un afrêt d'attributation qu'il avoit demandé pour me juger en dernier reffort; on m'amena en leur préfence, on me mit fur la fellette 5 & je ne prévins le nouvel interrogatoire qu'on vouloit me faire fubir qu'en préfentant ma déclaration par écrit : le greffier la lut a haute Yoix; meffieurs parurent fatis- faits  des Colporteurs. 38 ƒ faits & fuffifamment inftruits. On me fit paffer a !a geole du greffe pour aller aux opinions, & le moment d'après, on me ramena pour entendre prononcer la {"entente qui me condamnoit a une prifon perpétuelle. C'eft a ce beau titre-la que je fuis depuis dix ans k la Salpétrière, oü. 1'on m'a d'abord tenu fort ferré; on m'y a donné enfuite un peu plus de liberté, j'y ai du papier, de 1'encre, des livres; & je prévoïs que dans quelque temps on pourroit bien m'y charger de quelque emploi, qui, en me rendant utile k la maifon, acheveroit de foulager mon ennui. Je me fuis fait une raifon fur le refte. Comment pourrois-je reparoitre dans le monde, après une flétriffiire que je n'ai non plus été élevé k fouffrir que M. L. D? Et comment pourrois-je efpérer d'avoir de la pöftérité, fans faire quelqu'alliance indigne du nom des Collat? Mais il ne faut pas, meffieurs, que le récit de mes malheurs me faffe oublier que je vous ai promis un échantillon des articles de fupplément que j'avois préparés pour ne jamais laiffer de vuide dans les différens chapitres de mon recueil d'affiches. Je vais vous le tranfcrire; j'en ai bien encore trente fois autant, & je m'engage de plus a ne vous en jamais laiffer manquer, quand vous fereas Tome Xt B b  380* Mémoires k portee d'en faire ufage, fous une condition bien fimple, & qui me paroït d'autant plus jufte, qu'elle tend k perpétuer le glorieux fouvenir d'une profeflion que mes ancêtres ont fi fort illuftrée : c'eft que tous les fyndics que vous élirez, a 1'avenir, foient obligés, fous peine de nullité, en fignant les aótes de leur fyndicat, d'ajouter toujours a leur nom ordinaire, celui de Collat, füt-ce le pape. SUPPLÉMENT Puur le recueil des affiches de Paris. T E R R E 65 . Le fief du Trébuchet, provenant de la fucceffion de madame Cornichon. Ce bien, fitué prés de Mirebeaux , paroiffe de Saint-Guignolet, eft en très-beaux droits, & les fruits en font faciles k recueiiür ; il confifte dans une pipée qui fe fait journellement, & oü 1'on prend, k volonté, des oifeaux de grand prix. M A I S O N S. Rue du Cheval-verd, pres la rue des Poftes. C'eft un paviilon placé entre cour fis jardin,  ao6 Les Etrennes votre, je ne laifierai pas que de vous tirer de 1'embarras oü vous auroit mis de n'avoir aucune réponfe, paree qu'en Turquie les gentilshommes turcs ignorent fouvent d'avoir appris a lire; ce qui fait qu'avec votre permiffion, je vous participerai quelques penfe'es que j'ai faites, en manière de remarques, fur 1'ignorance inde'crotable de votre lettre. Vous avez pris la bonté de me dire, (car pofez le cas que je fuis le gentilhomme turc qui parle) vous nous gliffez donc, fans faire femblant de rien, qu'il y a des marchands de cochons chez nous , dont il y a a cela beaucoup de malice ; car nous voyons bien que vous êtes un critique qui déchire la réputation du beau fexe par un cervelas: vous m'entendez du refte. Or, fachez donc que ce n'eft pas ici comme qui diroit a Londres ; car , puifque vous êtes perfan & mauvaife langue a 1'endroit du prochain, que ne dites-vous plutöt la vérité du fait? c'eft a favoir que dans aucunes villes qu'ij y a, il y a fi peu de police, qu'on voit les jeunes demoifelles dans les rues qui s'amufent a jouer a la foffette avec de petits libertins, malgré père & mère, comme des orphelins abandonnés; & qui , a faute de ce qui en peut arriver de-la, ne trouvent plus la fagon de s'établir; car, pour nous affrioler, il faut faire  DE LA SAlNT-JïAK. 407 les faintes nitouches; &, tout au rebours , elles vous ont 1'air d'avaleufes de pois gris : d'oü qu'on a bien raifon de dire que les parens font de vrais Judas, quand ils ne mettent pas la paille & le bied pour donner une belle éducation a leurs enfans ; car il n'y a que cela qui tourne les filles & qui poufle les gargons. Un des douloureux de la belle Marie lui écrivit un jour de vierge : « Si je pouvois vous étre les quatre premières lettres de votre nom, vous ne feriez jamais les cinq. » Ce billet accompagnoit un bouquet de foucis & de penfées, & fa conftance fut récompenfée. Le bouquet de rofes, Oertaine Agnès, qui s'appelloit de même, belle, charmante'& jeune ,• comme on doit 1'être a cet age O), aimoit, fans le favoir , le fils d'un bourgeois de fon voifinage. A la (.2) Elle devoit avoir prés de qulnze ans a la SaintJean prochaine, . Cc W  4ió" Les Etrennes vous fait préférer Babiche ? eft-ce paree que vous 1'aimez? cela n'y fait pas d'un coup a. fifflet; vous n'aurez pas été un an 1'époux do celle-ci, que vous m'en direz des nouvelles. Comme elle proféroit la parole , arrivé, comme par exprès, quoique ce fut fortuitement pac hafard , M. Gandion le notaire. Votre ferviteur, dit-il; car c'étoit un crouftilleux corps: voila des articles tous dreffés ; mais, comme dit 'cet autre, qui eft-ce qui tiendra la queue de la poële? Qa., laquelle eft-ce qui fe marie ? Mon père, qui pendant tout ce temps-la ne faifoit femblant de rien, s'entretenant avec mademoifelle Chaudron la cadette, laquelle il écoutoit fans rien dire, paree qu'elle avoit de 1'efprit comme un charme; mon père, veux-je dire, s'écria tout d'un coup: elle fera ma bru, ou je mourrai è la peine d'être fon beau-père. Voila, continua-t-il, mademoifelle votre cadette qui vient de me dire comme cela, que fi elle avoit un mari, il ne mourroit jamais que de fa main. Oh ! cette gentilleffe-la ne peut venir que d'un bon efprit, & je la demande pour mon fils. Oh ca, me dit-il, remerciez courtoifement mademoifelle Babiche; ce que je fis, en lui difant: mademoifelle, je vous demande pardon & excufe; c'eft que je n'y avois pas réfléchï; mais ne vous époufant point, puifque je  DE LA S AIN'T-J £ A N. 4T7 je prends mademoifelle votre fceur, je me fais véritablement un plaifir d'être votre beau-frère. Monfieur , je ne fais point faire la piegriêche , me répondit-elle; & puifque vous en ufez de la manière, je ne dis mot. Sur ces entrefaites, elle me donna un foufflet d'une main, elle caffa une pile d'affiettes de fayance de l'autre, & elle s'en alla. Tout 9a eft figne de joie, dit madame Chaudron; n'en rions pas moins pour cela. Compère Gandion , faites le contrat, nous le fignerons demain, & ils tacheront d'époufer dimanche. Comme nous nous en retournions pour aller faire la veillée chez mon père, nous trouvames, chemin cheminant, les marionnettes du fieur Alexandre Bertrand , qui défaifoient leur théatre, paree qu'ils s'en alloient. Son filsaïné, qui étoit déguifé en fille, prit fon violon & nous reconduilit a la maifon; & avant de nous quitter : 1'ufage , dit-il, d'une occafion comme la voila, c'eft d'embraffèr mademoifelle 1'accordée. La-deffus, il faute au col de ma future , & cela nous mit tous de bonne humeur, d'autant que nous en étions déja. Nous le o^viames de refter avec fa troupe pour nous taire danfer en bal, ce qui fut fait; & cela faifoit plaifir 4 voir. A minuit, environ, comme je danfois la forlande avec mon accordée : il faut, n eft-ce Tome X. D d  4ï8 Les Et ren nes pas, que je me déguifé? me dit-elle; & elle prit fous le bras le jeune Bertrand, & s'en alla a Catimini. Une heure après, je demande : oü eft donc la future ? On la cherche. Oü eft-ce donc qu'elle eft ? Faut la trouver, ce dit-on. Fort peu de ca. On rode par toute la maifon, on ne trouve non plus d'accordée que dans mon ceil. C'eft quelque dröle de tour, dit madame Chaudron, qui nous apprêtera bien k rire. A cette parole, elle appelle fes deux filles, & s'en retourne chez elle. Je la ramène en la reconduifant, fa fille cadette n'y eft point. Je vais me coucher. Le lendemain, m'étant éveillé dès le potron jaquet, comme mon père ronfloit encore, paree que le vin l'avoit furpris au bal, je vais a 1'écurie; je prends fa ju ment & le chemin de Niort. On y fait des nouvelles, ce dis-je en moi-même, puifqu'on y vend la gazette. J'arrive le troifième jour; je vois dans la place le théatre du fieur Beltrand ; & fur lui je reconnois ma future, qui, je penfe, jouoit le róle de Chimène; car elle étoit habillée en amazone. Quand le jeu fut fini, voyant mademoifelle Chaudron qui s'en alloit, tenant fous le bras le jeune Bertrand déguifé en Arlequin : eh ! je crois que vous voila , lui dis-je ? Qui eft cet infolent ? Je ne svous connois pas, rjjon ami, me dit-elle, ee  de la Saint-Jeak. 419 faifant une grande révérence. Elle ne me reconnoit pas, dis-je en moi-même, paree qu'eüe eft déguifée; mais du moins elle eft civile, il ne faut par la rebuter ; elle croiroit peut-être que je viens ici pour avoir une explication fur le mal-entendu de fon départ; il faut de la prudence. Voyons demain de quel cóté le vent viendra, & fur-tout bouche coufue; on ne fe repent jamais de n'avoir point parlé, d'autant plus que trop graté cuit. Nous verrons ca dans la feconde partie. Pour Jaint Pierre & faint Paid, N icolas & Damon, enfans de la contrée, Étoient tous deux foupirans de Philis; Des mèmes feux également épris, Ils ignoroient encor leur douce deftinée. L'un , pour témoigner fon ardeur, Etoit toujours paré d'une couronne ; L'amre, fans ornemens , veut plaire a fon vainqueur, Avec le feul tourment que fon amour lui donne. A Pombre de jeunes ormeaux , Tous deux trouvent Philis, & profërent ces mots: C'eft aujourd'hui, ma belle , notre fête; Vous connohTez , n'eft-ce pas , notre amour ? Trop charmante Philis, décidez en ce jour, De qui', d'entre nous deux, vous êtes la cortquête ? C'eft trop faarguigner en efTet, Dd ij  420 Les Etrennes Dit Philis , dans mes vceux je veux vous faire lire } De votre fort je m'en vais vous inftruire, En vous Jonnant un différent bouquet. Puis de fa droite elle ofF:e fa couronne A Damon qui n'en avoit pas; De fa gauche elle prend celle de Nicolas, Au lieu de celle qu'elle donne. ' Par cette diverfe faveur, Alors, d'un air gauffeur, demande la friponne , Qui des deux fe croit mon vainqueur ,? La rupture ingênieufè. En amour, un des plus grands embarms eft d'abord de dire que 1'on aime; mais la difHculté n'eft pas moindre de dire un jour que 1'on n'aime plus : comme enfin tót ou tard il en faut venir au dénouement, il s'agit de s'en tirer galamment. Voyez la fagon dont fe fervit un cavalier des plus accomplis de la ville de X. ... II étoit attaché depuis trois mois ü madame de C..., mais on ne peut pas aimer toujours au même endroit. Les allées & les venues font ce qui rend 1'empire d'Amour plus florilfant. La conftance du cavalier étant donc fur fes fins, un beau jour de Sainte-Elifabeth, qui étoit la fête de la dame, il lui envoya, pour préfent, une petite figurs en forme d'oubüsux,  be ea Saint- Jean. 435a propos entr'eux, fut le commencement des infortunes qui tourmentèrent la vie de nos amans. Les voila donc féparés & réduits a ne fe plus voir qua la dérobée, a la meffe, & par-tout oü ils fe rencontroient, c'eftVa-dire, rarement aux promenades, & jamais aux fpectacles. Heureufement ils demeuroient vis-a-vis 1'un de l'autre, & ils paffoient une bonne moitié de la journée a leurs fenêtres, a s'envoyer mille regards & mille foupirs que les zépliirs leur portoient ge rapportoient fans ceife trèsfidellement. Ce foulagement leur fuffifoit; 1'Amour fe paffe a. peu quand il eft jeune : mais leurs parens s'en appergurent , on changea Eulalie d'appartement; cette dernière fe'paration leur parut bien plus infupportable que la première. Ils auroient paffé leur vie a fe regarder a travers la rue , du moins ils le croyoieht. A cet age, on ne croit rien d'iropoffible. II fallut s'aider, & chercher des expédiens pour éluder la rigueur de leurs tyrans. La fortune, qui ne faifoit que femblant.de les abandonner, les tira d'embarras. Heureufement le feu prit chez Eulalie , mais avec tint de violence, que c'étoit un charme de voir comme en un inftant la maifon parut toute enflammée. L'occafion étoit trop belle pour qu'Alexis n'en profitat pas. II ne perdit point de temps, 3c Ee ij  ~4$6 Les Etrennes* fans craindre ni feu ni flamme , il fe jeta tout au travers de 1'incendie, & fit fi bien qu'il pénétra jufqua la couchette d'Eulalie, 1'en tira le plus modeftement qu'il put, la prit entre fes bras, & 1'emporta fi a propos chez lui, que le plancher d'Eulalie s'ëfondra le moment d'après, & la maifon prefque confumée tomba en ruine, & s'écroula fur elle-même fi parfaitement, que ce n'étoit plus qu'un monceau de décombremens, qui n'avoit plus ni forme, nï figure de maifon. La confufion fut auffi grande que le défordre; en forte que les parens, ne fachant a qui entendre , ne s'appercurent pas de 1'heureux enlevement de leur chère fille, & même ils firent mieux , car ils crurent qu'elle avoit été brülée & écrafée avec les meubles & le refte de la maifon. Tandis qu'ils la pleuroient, nos heureux amans étoient réunis en fecret par le plus grand bonheur du monde : jugez de leur amour ; c'eft la oü I'hiftoire refte tout court: on ne peut décrire ce qu'on ne peut définir. Mais cependant remarquons la délicateffe d'Eulalie , qui, entre les bras de fon amant, devoit naturellement n'avoir rien l defirer, & qui pourtant regretta de «'avoir pas fauvé de 1'incendie quelques petits billets doux qu'elle avoit regus de fon cher Alexis. Cependant il la tenoit, avec bien du  ©h tA Saittt-Jban. 437 ïecret, dans fa chambre au troifième ; Ia nourriffant de tout ce qu'il pouvoit attraper a la cuifine, & y mettant jufqu'au dernier fou de 1'argent qu'on lui donnoit pour fes menus plaifirs; mais 1'amour fuppléoit au refte : fi la chère étoit courte, les contentemens étoient grands. Leur félicité paroitra incroyable aux infenfibles; mais laiffons-les la, ils ne font bons a rien. Ces deux amans paffoient les jours entiers a. s'aimer & a en être charmés; ils n'avoient pas le temps de fonger a. 1'avenir; ils n'envifageoient que le préfent,& en profitoient: qu'auroient pu faire de mieux des gens plus raifonnables & plus expérimentés ? Le bonheur de leur roman fut troublé par cette fatalité qui ne permet jamais a la félicité d'être durable. Un fripon de valet s'appercut de quelque chofe, il en jafa, tout fut découvert ; & 1'on vint arracher, un beau matin, Eulalie d'entre les bras de 1'Amour même. Quel réveil! car enfin elle dormoit alors ; il falloit bien dormir quelquefois. Une mère facheufe, comme c'eft ''ordinaire , 1'enleva d'autorité ; ce qui fut accompagné de quelques petites influences fur les joues de rofes d'Eulalie. Qu'avoit fait la pauvre enfant, que toute autre n'eüt fait a fa place ? Les voila donc féparés comme fi de rien n'étoit, fans favoir ce qu'ils alloient devenir; & il n'e» Ee iij  \l% Les Etrennes refta a Alexis, fans compter le refte, que le plaifir d'avoir fauvé Eulalie du feu, & le chagrin de la perdre peut-être pour jamais. Mais il y a, cornme on dit, un dieu pour les enfans pour les amans, car c'eft tout un. Alexis, a force de remuer, apprit enfin qu'on alloit mener Eulalie au couvent dans une province des environs de Paris, & qu'apparemment elle étoit perdue pour lui fans retour. Effectivement, fa mère préténdoit en faire , bon gré malgré , une religieufe pour toute fa vie; & ,pour mieux y déterminer fa fille , elle lui avoit fait accroire rinconftance de fon amant. Filles, ne vous y trompez pas, c'eft la rubrique ordinaire dont les parens fe fervent en pareil cas. Eulalie, qui ne le croyoit pas plus que de raifon, laiffoit faire fa mère, & prenoit par force le parti d'obéir. Le jour du départ fatal arriva. II fallut fe lever pour la dernière fois ; on la mit en carroffe , cV 1'on partit fans lui permettre d'aller faire fes adieux dans le quartier. C'eft alors que 1'infortunéeEulalie fentitplus que jamais toute la force de fon malheur: un foible rayon d'efpérance l'avoit toujours foutenue; mais voyant que chaque pas qu'elle faifoit 1'éloignoit de fon cher Alexis , & 1'approchoit de fon exil éternel, elle perdit la tramontane. Le défefpoir s'empara de fon trifte cceur; elle  be ea Saint-Jean. 439 prit une réfolution bien terrible, & n'attendit qu'une occafion favorable pour 1'exécuter. Mais, me dira-t-on, on n'a point de nouvelles d'Alexis ? Patience, leéteur, chacun aura fon tourj nous 1'avons laiffé rongeant fon frein ; il ne tardera pas a reparoitre fur la fcène. Eulalie rouloit, lorfqu'a une certaine diftance il furvint une rivière qu'il falloit paffer dans un bac ; a cet afpect, Eulalie feignit d'avoir peur, & demanda a defcendre: comme on cherchoit a 1'amadouer, on n'eut garde de lui refufer fa demande. Etant donc defcendue a pied dans le bac , elle s'approcha d'un des bords , &, dans 1'endroit oü 1'eau étoit la plus forte, elle fe précipita a corps perdu : auffi-töt on entendit derrière un grand cri, & un des gens de livrée ne fut ni fou , ni étourdi; mais, fans perdre de temps, il fe jeta après elle, dans le deffein de la fauver ou de périr avec. Auffi étoit-ce le défefpéré Alexis, qui s'étoit ainfi travefU pour fuivre fa maitreffe de 1'ceil ; comme il s'étoit déja jeté une fois dans Ie feu pour elle , il n'eft pas étonnant qu'il fe jetat a 1'eau pour la fauver encore une fois. Cependant le courant, qui étoit extrêmement rapide , avoit déja entrainé bien loin Eulalie & fon amant; il faifoit des efforts furnaturels pour la joindre,.. . E e iv  44° Les Etrennes Ici I'hiftoire s'eft' trouvée par malheur interrompue, mais on fera fon poffible pour engager 1'auteur a nous en donner promptement la feconde partie, qui ne fera peut-être pas la dernière. Suite des épreuves d?amour dans les quatre élémens. Po u r peu qu'on s'en fouvienne, on peut fe rappeller aifément que nous avons laiffé nos deux amans a-vau-1'eau. Les fpeétateurs les avoient perdus de vue , & fe contentoient, ne pouvant faire mieux, de les recommander a faint Nicolas. Cependant, Alexis ne s'endormoit pas de fon cöté ; au contraire, il fit tant, qu'il joignit enfin fa chère Eulalie, que fes hardes & quelques mouvemens involontaires, qu'elle faifoit de temps en temps, faifoient revenir fur 1'eau ; mais au moment que je parle, fon amant alloit mettre ia main defius, il la voyoit faire le plongeon, & lui-mêrne alloit a la dérive. Ce petit manége dura quelque temps : Alexis effuyoit toutes ces contranétés ; il retournoit fans ceffie avec une patience admirable a la charge ; & fans attendre que fa proie reparüt, il alloit,même enplongeant, Ia  de la SaiNT-JeAN". 447 Eulalie accepta fon congé a belles baifemains; elle fortit fans favoir ce qu'elle deviendroit 5 il ne faut qu'aimer ; avec l'amour on «croit que terre ne peut jamais manquer. Notre nouvelle défroquée fe réfugia donc dans 1'endroit le plus prochain, & la elle voulut reprendre fon honneur, qu'elle avoit laiffé dormir quelque temps ; c'eft-a-dire qu'elle abjura fa prétendue grolTelTe, & rentra dans le rang des vierges, pour paffer bientót dans celui des martyres , comme nous 1'allons voir. Le juge des lieux, informé de fa fortie du couvent & du motif qui en avoit été caufe, ne lui voyant plus cette rotondité qu'elle avoit rapportée dans le fiècle, crut qu'elle étoit accouchée en fecret; c'eft pourquoi il fe tranfporta fur le lieu, pour la féliciter fur fon heureufe délivrance, & en même temps pour lui fignifier qu'elle eüt a lui repréfenter fon fruit; ce que n'ayant pu obtenir d'elle, a caufe de 1'impoffibilité, il la fit appréhender au corps & conduire en prifon, ne doutant pas un moment qu'elle ne fe fut défait du nouveau-né. On juge aifément de 1'embarras oü elle fut pour faire voir qu'elle n'avoit jamais été groffe; & en effet, malheureufement pour elle, rien n'eft plus difficile a prouver: elle eut beau nier, fes proteftations & uae cha.nfou furent la mcrne chofe, M. Je  448 Les Etrennes bailli entendit en dépofition toute la communauté, Tune après Tautre, qui foutint unanimement fon dire, ajoutant qu'elle s'y connoiffoit très-biec, & qu'elle n'étoit point fi facile z être affrontée. Enfin, il réfulta d'un témoignage II authentique , qu'Eulalie auroit été groffe; & le bailli fupp'éa d'office qu'elle étoit accouchée clandeftinement fans avoir acelarné, c'eft Ie terme , & qu'elle s'étoit défait de fon fruit ; pour réparation de quoi il la condamna a être fufpendue & a mourir au bout d'une corde. On fera fans doute étonné de la briéveté avec laquelle on rendoit la juftice en ce pays-la; le fait n'en eft pas moins conftant, & il y a fouvent bien des réalités auxquelles il ne manque que Ia vraifemblance: peut-être que , pour connoïtre 1'innocence d'Eulalie, on eüt pu procédés aux vérifications & rapports des perfonnes expertes en ce cas; mais , foit a caufe de leur ïncertitude, ou par autres raifons que ce foit, on n'en vint pas la, & dès le lendemain, 1'innocence même fut conduite au lieu de 1'exécucution avec un grand concours. Alexis y fut comme les autres. Quel coup de foudre pour lui, quand il appercut la patiënte Eulalie a la potence, &, qui plus eft, Eulalie perfide, infidelle, condamnée pour un crime auquel il n'avoit point donné lieu ; car il l'avoit toujours refpeclée  BE la Saint-Jean. 44,9 f efpe&ée fi parfiutement, qu'il étoit sur de n'a voir aucune part a cette maternité, & qu'il ne lui en avoit fourni aucun tirre. Défefpéré d'une infidélité fi publique, bien plus que de fa mort, qui fembloit le venger, il fut tenté de la laiffer fubir fon fupplice. Mais quoi ! voir pendre ce qu'on a tant aimé, & ce qu'on aime encore ; car la tendreffe d'un amant n'expire pas toujours avec la fidélité d'une maitreffe , & 1'Amour meurt rarement de mort fubite : cependant il étoit temps de réfoudre; Eulalie n'avoit plus qu'un inftant a vivre : le lien malheureux qui devoit lui öter la vie, entouroit déja ce col d'ivoire & d'albatre : quels nceuds , grand Dieu ! au lieu de celui qu'il devoit former, & qui devoit 1'attacher pour jamais a fon amant ! Alexis ne put fouffrir ce fpectacle plus long-temps; a tout hafard, il fe mit avec cinq ou fix étourdis, auffi touchés de compaffion que lui; i!s s'unirent; & faifant un efcarre dans la preffe, Alexis, d'un coup dj fabre, coupa la corde fatale, & regut Eulalie dans fes bras, tandis que fes camarades, a 1'aide de quelques coups de plat d'épée , écartèrent le refte, & lui donnèrent le moyen de fe fauver avec elle, dont le bailli fit un beau procés verbal. Ainfi Eulalie , qui avoit penfé périr dans le feu, dans Tome X, E f  452 Les Etrennes s'en fallut qu'il ne fe fït enterrer avec elle; mais on ne voulut pas lui accorder cette foible confolation. On le ramena malgré lui au logis de la défunte, oü ce fut encore pis quand il ne 1'y trouva plus; il ne lailToit pas de la chercher par-tout. Les grandes douleurs font folies; celles d'Alexis furent des plus extravagantes, mais elles lui étoient pardonnables ; quand on perd tout, on peut bien perdre 1'efprit; il lui en refta cependant affez pour lui faire prendre une réfolution qui marquoit bien la grandeur de fon amour, & qui prouva que le temps ne pouvoit jamais le diminuer. Pour exécuter ce grand deffein, il attendit la nuit, qui heureufement ne tarda pas : auffi-tot il fut trouver le corps d'Eulalie, qui giffoit dans fa dernière demeure. La, malgré la peur des revenans, il fit fi bien qu'il fe coucha avec elle , dans le deffein d'y mourir tout enterré : il fe mit donc lui-mêrne tout au fond, charmé de fe trouver enfin réuni pour jamais avec fa maitreffe : il fe recouvrit de terre le mieux qu'il put; & fe rangeant cöte a cóte du corps d'Eulalie, il fe mit a lui tenir les difcours les plus tendres, qui auroient été capables de réchauffer fa cendre, s'il n'eüt répandu en même temps un torrent de larmes: ce fut alors qu'un doux fornmeü venan fermer fes yeux, il fe crut  ce la Saint-Jean. 4J3 mort. On fe tromperoit a moins, puifque le fommeil eft le frère de la mort, & reftemble a fa fceur comme deux gouttes d'eau. Dans cet état, fon efprit ne s'endormit pas, & continua par un fonge agréable a s'entretenir avec la défunte, qui de fon cöté fembloit lui répondre fur le même ton. Qui auroit pu les oüïr, auroit fans doute été très-étonné d'entendre dire a des morts des chofes 11 belles, que les vivans auroient eu de la peine a en dire autant. Ainfi fe paffa la nuit entière, lorfqu'Alexis , qui ne croyoit plus être en vie > eut quelque foupcon du contraire. A force d'y prêter attention, il crut entendre fa voifine foupirer & gémir a fon tour: il fe rappella certains difcours, des réponfes, des plaintes & des tendrefles qu'il croyoit venir de l'autre monde, ou plutöt il s'y crut avec Eulalie: cependant , a travers quelques vuides qu'il n'avoit pas rebouchés exactement, le foleil pénétra ce myftère, &, par des détours obliques, porta fes rayons naiffans jufques au fond de leur fépulture. Eft-ce vous, cher amant, lui dit Eulalie ? Quoi ! vous n'avez. donc pu me furvivre ? Quelle marqué d'amour viens-je de recevoir de votre part! ah ! je m'en refibuviendrai éternellement! Vous le voyez, répondit Alexis; le trépas nous a réunis. Que Ff iij  45*4 Les Etrennes faire oü vous.n'êtes pas? La vie eil oü vous êtes; ce n'eft plus être mort que de 1'être avec vous (a). Mais, dit Eulalie, en bonne foi, fommes-nous morts ? Je ne fais ; mais je vous ayouerai que j'ai de la peine a le croire. Ah' n'en doutez pas, repond.it Alexis, puifque nous fommes enterrés; ce font nos ombres & nos ames qui s'entretiennent. Tatez comme nos corps font froids ; mais vraiment ils ne lefont pas, s'écrièrent-ils tous deux, s'étant tatés eh même temps. Ah ! dit Alexis , c'eft une chaleur d'amour ; c'eft le feu dont nous avons brülé qui couve fous fa cendre , & qui s'entretient par le voifinage de nos corps. Je ne fais, dit Eulalie; mais il me femble que je me fens comme fi j'étois pleine de vie. Après tout, comme je n'avois jamais été morte auparavant, j'ignore comme on eft quand on n'eft plus, & je m'en rapporte a vous. Je croirai tout ce qu'il vous plaira , reprit Alexis s & je ne ferai mort qu'autant que vous le ferez; mais édairciffons-nous , la vie en vaut bien la peine. Tout en difant cela, i!s fe démenèrent & fe débarrafsèrent un peu de leur funefte attirail. O ciel ! s'écrie Alexis, reffufcitons - nous ? Eft-ce aujourd'hui le grand jour ? Je ne fais oü j'en {» C'eft un vers; on ne fait d'oü il vient, ni c* qu'il deviendra.   E> E LA SAINT-JEAN. 4.;? fuis , ni ce que nous fommes. A tout hafard, voyons , levons-nous, & fachons un peu ce qui fe paffe. Oui, je reconnois tous ces lieux; ils font comme je les ai faifles. Voyez cette colline a gauche, & ce vallon au bas, ce ruiffeau qui ferpente, ces gazons qu'il fit naïtre, ces campagnes émaillées, & ces fleurs odorantes; je vois, j'entends les heureux habitans de ces cantons fortunés chanter & danfer au fon de la mufette; voila des troupeaux paiflans, des agneaux bondiflans, des chiens & des bergers , des cabanes ruftiques, des toits couverts de chaume. Tandis qu'Alexis, chemin faifant, faifoit 1'inventaire de ce qu'il voyoit, Eulalie lui dit, on nous prendra pour une mafcarade, fi 1'on nous voit; réfugions-nous promptemcnt a la maifon, & la nous nous inftruirons du refte. Ils arrivèrent a la porte du logis , oü ils ne furent pas plutót entrés, que chacun d fparut. La frayeur s'empara de toute cette maifonnée ; ils ne purent trouver a qui parler qu'a eux , mais cela leur fuffit; peu a peu ik s'aflurèrent réciproquement qu'ils étoient eu pleine fanté. Petit-a-petit, ceux qu'ils avoient fi fort effarouchés revinrent,& s'apprivoistrent avec nos revenans. Enfin , Eulalie & fon amant apprirent qu'on l'avoit crue aflez morte pour 1'enterrer ; qu'apparemment il lui avoit pris Ff iv  45'ó' Les Etrennes une foibleffe, qui étoit dégénérée en lethargie; & comme i! eft arnvé de nos jours a plufieurs morts que 1'on connoït, on Tavoit enterrée vivante : il fallut bien en pafter par-la, & recevoir les excufes qu'on leur fit a. ce lujet. Ainli Alexis remplit la quatrième épreuve d'amour dans le quatrième élément, & fe trouva dans le fien , qui étoit les bras d'Eulalie ; il 1'époufa enfin , au grand contentement de tous ceux qui furent cette hiftoire, qui n'aura peutêtre jamais fa femblable , quoique pourtant il n'y ait rien que de très-faifable. Ceux qui voudront en retirer quelque belle moralité en amour, y trouveront celle-ci: Tiens bon , & je t'aurai. D'une pierre deux coups. C^ertaine dame, a deffein ou autrèment, tourmentoit jour & nuit M. Tirfis, pour favoir s'il n'avoit point quelque anguille fous roche, c'eft-a-dire une mai'treffe. Comme la difcrétion eft une des premières obligations de la galanterie , le chevalier ne répondoit point ad rem; mais peut-on toujours réfifter a de beaux yeux & a. une belle bouche réunis enfemble? La dame étoit auffi aimable qu'on doit  de u Saint-Jean. 457 Yêtre quand on a ces fortes de curiofités; & il étoit peu de chofes dans le monde qu'elle ne fut en droit d'obtenir. Ses appas mettoient dans fes prières une autorité abfolue. Un jour donc de fainte Catherine, qui étoit fa fête, elle regut dès le matin, de la part du fieur Tirfis , un petit paquet cacheté d'un chiffre inconnu; elle 1'ouvre aufli-tót, & trouve, quoi? me direz-vous , ce n'étoit qu'un petit miroir de poche avec ces mots écrits au-deffous: N'ojant vous nomtner mon vainqueur, vous y verre^ fon portrait. Ce que voyant la dame, elle paffe dans fon cabinet, reilt un paquet du miroir, & le renvoya par le même porteur au galant , qui fut défefpéré en recevant fon paquet; il crut que la dame le méprifoit; cependant il 1'ouvrit en tremblant : quel fut fon raviffement ! quand il vit qu'elle y avoit ajouté au bas ces mots confolans: Je vous en livre autant. Qui perd gagne , hiftoire. Fragment. • L'infortuné M. Ufquebak, toujours conduit par fon malheureux fort, après avoir erré long-temps par la ville de ,  4j8 tn Etrennes fe trouva enfin rendu fur le pont-royal vers minuit ou une heure. La, excédé de fatigue & d'ennuis, le cceur gonflé de foupirs, & les yeux noyés de larmes , il leur donnoit un libre cours, aflis nonchalamment fur 1'une ou l'autre banquette , lorfqu'un événement imprévu & invifible lui fit, malgré lui , interrompre fes triftes rêveries , & le tira d'un fommeil qui eommencoit a 1'affoiblir. D'abord, il lui fembla ouïr quelque mouvement & quelques fons mal articulés qui venoient de loin. La curiofité calma pour un moment fon défefpoir, & lui fit tourner 1'oreille de ce cóté-la.; foit que le vent favorable alors lui portat la parole, ou autrement, il diftingua, fans rien voir, des gémiflemens qui partoient d'une femme, envers qui on vouloit apparemment ufer de vioience. II fut bientót plus inftruit; car, quoique la nuit femblat ce jour-la avoir employé expres les voiles les plus opaques , il difcerna ce dont il s'agiffoit, par ces mots que la fureur dictoit : non cruelle ! difoit l'autre, il n'eft plus temps de vivre ! il faut enfin expier a la fois vos refus , vos rigueurs & toutes vos cruautés , barbare que vous êtes ! & mille autres inveftives femblables qu'il vomiffoit a grands flots II n'y a que la mort qui puiffe m'óter un amour fi mal récompenfé , & vous jugez  L E LA S A I N T - J E A N. ^yp bien qui de nous 1'a mieux me'rite'e. En difant cela , il affit la pauvre dame fur le bord du parapet, les jambes paffées du cóté de la rivicre, & étoit pret de la précipiter. Dans cette fituation affreufe, la malheureufe infortunée, qui ne tenoit prefque plus l rien, joignoit les mains ; &, par les accens les plus pitoyabies, conjuroit inutilement 1'inhumanité de fon bourreau, qui devenoit toujours plus dur qu'un Pharaon. Quoi ! difoit-elle, en fe raccrochant du mieux qu'elle pouvoit, dans un moment qui eft le dernier de ma vie, refuferez-vous de m'entendre ? C'eft pour vous avoir trop entendue que je ne vous entends plus. Mais que vous ai-je donc fait, difoit-elle? Vous vous êtes trop fait aimer, difoit-il. Mais, difoit-elle, a-t-on jamais noyé une femme comme moi? Encore fi je vous avois ainié, fi après 1'avoir fait, je vous avois fait des infidélités, des perfidies , k Ia bonne heure, vous pourriez vous facher; mais je vous ai toujours hai. De bonne foi, c'eft peut-être un grand malheur pour moi que d'être infenfible, j'y perds pour le moins autant que vous; mais qu'y faire? il ne m'eft pas plus aifé d'avoir pour vous de l'amour, qua vous-même de vous défaire de celui que vous avez pris: d'ici a demain je ne vous dirois pas autre  460 Les Etrennes chofe ; ce feroit vous trahir que de vous rendre heureux; car votre bonheur ne feroit pas véritable Et que m'importe, reprit bruf- quement notre défefpéré? Attrapez-moi toujours de même, une erreur véritable eft un bonheur réel. (a) Mais c'eft perdre un moment trop précieux en difcours inutiles ; vous favez que jufqu'ici j'ai mieux aimé mourir que de vous violenter en la moindre chofe, & que fi j'avois voulu ufer de la loi du plus fort, mon amour a préfent en auroit le cceur net. Ingrate ! je voulois ne vous devoir qu'a votre goüt, & & que votre cceur devint un préfent de votre main; mais va-t-en voir s'ils viennenti enfin, je fuis trop défefpéré pour n'en pas finir. Encore un coup , & pour la dernière fois, il faut opter; ga, cruelle, le cceur ou la vie. Ni 1'un ni l'autre , répondit 1'inhumaine affez féchement. Ah ! c'en eft trop , tigreffe. Ce fut le propre terme dont il fe fervit. A ces mots, s'abandonnant a fa rage, qui croiffoit d'autant plus, il prend 1'objet de fa füreur a travers le corps, & après favoir quelque temps balancée en l'air comme pour la lancer a 1'eau, il la jeta tout au beau milieu du pavé du pont; & détournant tout-a-coup contre lui-mêrne fon (a) II faifoit des vers par mégarde; Hndignation fait le vers.  ds xa Saint-Jean. 461 défefpoir, il fe pre'cipita a corps perdu dans les flots, en s'écriant : mourons comme j'ai vécu. (a) A ce changement de fcène , & 'au bruit de fa chüte, la pauvre déïaiffée fit un grand cri, auquel le fieur Ufquebak accourut auffi-tót. Dieu ! quel fut fon étonnement fuprême, quand il reconnut que la dame en queftion étoit fa femme, qui lui avoit été enlevée la furveille de fes noces , & dont il pleuroit depuis fix femaines le raviiTement & TinfidéJité; car il ne doutoit pas qu'elle n'eüt prêté la main a fon enlevement. Elle fe juftina aifément de ce reproche ainfi que du refte. Sa réfiftance & le défefpoir du raviffieur, joints au petit colloque quils avoient eu enfemble, quadroient parfaitement avec fon innocence; l'amour croit volontiers une maïtreffe innocente. Ainfi nos deux époux fe trouvèrent réunis par une des plus fingulières aventures dont il ait jamais été fait mention fur le pont-royal. Cette intade Lucrèce rentra dans les bras de M. fon époux comme elle en étoit fortie, & retrouva dans lui-même un amant auffi tendre, mais moins furieux que le défunt. C'eft ce qui a fait intituler cette hiftoire véritable de Qui perd gagne , par laquelle les dames voient que la fidélité eft toujours bonne a avoir, & (ff) C'étoit un marin.  462 Les Etrennes qu'un amour qui n'eft pas en règle, tourne mal a fon auteur. On ne doute pas cependant qu'aprèslesexplications indifpenfables entr'eux, leurs premiers foins n'aient été de faire fecourir le malheureux qui s'étoit noyé a leur fujet. Galanterie nouvelle d'un marchand boucher a fa maitrejje. Il y avoit une fois un honnête boucher, qui avoit bien plus d'argent que d'efprit, duquel il fit 1'ufage qui s'enfüit. On l'avoit invité de faire une galanterie a fa maïtreffè; il rêva donc fi long-temps, que le mardi gras arriva: comme il n'y avoit plus de temps a perdre, il imagina de lui envoyer un bceuf, dans lequel ily avoit un cochon, qui renfermoit un veau, ou étoit contenu un mouton, oü 1'on avoit mis un poulet d'Inde, lequel contenoit un chapon du Mans, garni en dedans d'une bartavelle, oü fe trouvoit un ortolan; & ainfi toujours en diminuant, 1'un dans l'autre , jufqu'a une petite mauviette, dans laquelle, pour finir , il avoit écrit un billet de déclaraticn , en ces termes : « Si le contenu du préfent billet eft m agréable a mademoifelle, je préférerois la  de la Sa int-Je aït. 463 1 ™auvIe»e a ortolan, perdrix, chapon, din» don, mouton, veau & cochon , & je m'efti» merois plus heureux que Ce bceuf gras. „ Le poijfon cfavril. Un amant, qui par hafard n'avoit pu plaire a celle qu'il aimoit, ne laiffa pas de gager contre elle qu'il lui donneroit le meilleur poiffon d'avril du monde; elle, de fon cöté, ne voulant pas demeurer en arrière, ga^ea auffi contre lui qu'elle lui en fourniroit un bien plu, beau. Ledit fieur fit donc faire une caiffe en iorme de poiffon d'avril, mais affez grande pour qu'il pütfe fourrer dedans. Effcétivement il s'en fit un étui, & 1'on le tranfporta ainfi chez fa demoifelle, laquelle en concut a 1'inftant de fi grands foupgons, qu'elle fe douta du contenu. Elle trouva juftement fous fa main un autre de fes amans qui lui plaifoit infiniment, & avec qui elle étoit en pour-parler de noces; c'eft pourquoi elle s'aflit avec lui fur la caiffe énigmatique; & la , fans autre tagon, y regut & accepta de lui toutes les promeifes imaginables d'amour & de fidélité, a charge d'autant ; le tout accompagné de radleries & plaifanteries 4 1'encontre de  464 Les Etrennes celui qui faifoit 1'ame du prétendu poiffori d'avril. On demande lequel des deux valoit le mieux. On propofe par imitation, a 1'e'mulation des amateurs de vers, une nouvelle fabrique de fonnets qui n'ont point encore eu leurs femblables a la cour d'Apollon. Ami poëte ou verfificateur, qui que tu fois, que li ce nouveau genre vous duit, vous pouvez, chemin faifant, perfeótionner cette nouveauté. Sonnet en rimes rentrantes. Oublions un objet dont les charmes puiflans Eurent trop de pouvoir fur mon ame affervie; Que la table, la chaffe & les jeux Innocens Rempliffent tour-a-tour mes defirs & ma vie. Que je fuis foible encore! & quels tranfports je fensl Je reprens a regret ma liberté ravie. Venez a mon fecours, dieu du vin, j'y confens; Je ne puis ioire , hélas '. qu'a 1'ingrate Silvie. Son  ÖK IA SaiNT-JeAW. 4^ Son image s'obftine a me fuivre en tous lieux, Même au fond de mon verre elle s'offre . * mes yeux,' Et je fens a la fois deux ivreffes pour une. ' Ne forcons point l'amour, & laiffons dans un cceur S'éteindre d'elle-même une.flamme _ . importune. V?ui cherche a fe guérir, irrite fon malheur. Comme les chofes arrivent. HlSTOIRE. Ma de mo is elle Brecliet cotttok l'autre jour è un monfieur de qualité', de fes amis, qu'elle avoit trouve' chez une de fes parentes, la oü elle dïnoit, M. Daviliers, qui, 1'ayant entendue chanter des petits airs a boire, & qu'elle rendoit è manger, lui avoit dit .-' en vérité', mademoifelle, vous devriez bien entrer a 1'ope'ra. Pour qui me prentz-vous, monfieur? lui avoit-elle dit; je ne luis point fille a ga, je veux retourner a mon couvent, dont elle e'toit en effet penfionnaire. A quelques jours de la, elle revint encore dïner dans le meme  ^66 Les Etrennes endroit; & M. Daviliers, qui s'y trouva pareiilement, lui dit, quand elle eut chanté, ou plutöt enchanté toute la compagnie: en vérité, mademoifelle, vous devriez bien entrer a 1'opéra. Je 1'envoyai païtre fort poliment % mais de fagon que je crus qu'il ne m'en parleroit jamais plus. Cependant le même dïné s'étant encore refait de la même fagon , M. Daviliers ne me dit-il pas encore la même chofe! Oh, dame! je me fachai tout de bon, je vous le rembarrai qu'il n'y manqua rien; je pleurai, je voulus a toute force retourner a mon couvent, & j'entrai le lendemain a 1'opéra. Hiftoire véritable d'un gentishomme qui donna a Joüper a deux dames quyil. - vouloit époufer. Jamais on ne fe ruïne que quand on fait des dépenfes extraordinaires; c'eft ce qui fait qu'on ne doit pas s'abandonner k la diffipation des richeffes , quand la fortune nous fait le plaifir de nous donner du bien, comme on le va voir. Un gentishomme amoureux de deux damesnommé Guillaume, les couchoit toutes deux en joue, en tout bien & en tout honneur. Enfin finale, il parvint k leur donner  DE LA Saint-JeaN. 467 a fouper k toutes deux, & lui font trois. Rien ne faifoit mieux voir fa magnificence que fa bombance ; car fans doute le feftin n'a pas eu fon e'gal, tant pour les petits pieds que pour les autres viandes & la bonne chère qui y e'toit répandue par-tout, fans compter le vin & les autres boiffions; les bouteilles voloicnt a la ronde, pendant quoi ils faifoient la converfation , oü Cupidon & Eacchus n'étoicnt point épargne's ; il en comptoit a la brune & k lablonde, pour parvenir tour-a-tour a en époufer une des deux, car il s'étoit fait informer dans le quartier qu'elles étoient fort riches & fort belles. Mais les mauvaifes intentions font toujours mal récompenfees; car une des demoifelles, ayant beaucoup mangé de p'ufieurs ragoüts , rit femblant de fonir en s'en allant de la chambre pour les écouter; ce qui fit qu'il conta dts fleurettes k la blonde, dont elle fe trouvoit fort prête a l'ëp'öüfer en 1'abfence de l'autre. Elle rentra , après les avoit entendus entre Ia poire & le fromage , en fureur , oü elle prit un couteau, & voulant le poignarder dans fa colère. Mais l'autre demoifelle brune, voyant qu'il y avoit eu auffi des promeffes avec fa coufine , prenant de fon cóté une fourchette qu'il y avoit fur la table par hafard, elles fortirent toutes deux en renverfant tout ce Gg ij  468 Les Etrennes qui étoit deflus, foit plats, foit chandeliers, & jufqu'au vin, avec des paroles injurieufes, pour ne le plus voir jamais. C'eft pourquoi Damon, qui entra fans trouver feulement un verre oü 1'on put boire tout entier , entra déplorant le fort de fon infortuné ami, lui repréfenta qu'il ne faut pas dépenfer notre argent fans prendre garde a ce que nous faifons, entrainés par la volupté des paffions, fur-tout quand on court deux lièvres a la fois. CHANSON. Sur 1'air du prologue des Indes galantes: Point de bruit, &c. C/uakd on eft gentishomme, On fait comme L'amour fe gouverne : Quand on eft gentishomme, On fait comme Faut s'en agir. Quand on tient fa brunette, On va z'a la guinguette, On fait venir d'un air aifé Un ragout, du vin rofé. Quand on eft gentishomme, &c. Stcond couplet. En trinquant avec elle , On lui regarde dans la prunellej  de ia SaïNT-JeAN. 471 prétexte honnête, comme cf'aller parler d fon procureur, ou telle autre civilité. Etant feule, il faut qu'elle roule fa ferviette de telle forte que cela relTemble a une queue de mouton ; & la meilleure manière eft que 1'un des deux bouts foit propre a faire beaucoup de bruit, en y enfermant, par exemple, un mouchoir tortillé, ou même une fourchette, ce qui feroit d'un grand agrément. Quand la queue eft faite, il faut s'en attacher un bout par derrière, comme qui diroit a la grimace de la culotte, & faire paffer enfuite la queue a cöté de votre hanche droite ou de la gauche, felon votre goüt, la tenant a deux mains, & toujours en mouvement, comme la propre queue d'un mouton, pendant que vous chantez, & fur-tout quand la compagnie répète le refrain; ce qu'on fait ainfi. Nous dirons pourtant auparavant que, quand on a un ami dans la compagnie, & qu'il vous voit revenir avec la queue de mouton, comme nous avons dit, il doit avertir, fans faire femblant de rien, un quelqu'un de raffemblée, foit en pouffant du coude, ou par quelques joyeufetés en paroles, afin d'attirer les yeux des perfonnes deflus; car cela annonce agréablement la chanfon comme la voila. Gg iv  Les Eteennes CHANSON, Sur 1'air : Eh , haut le pied , gué, ma dlguedondaine , fl*. critiques des ouvrages ou d'ceuvres des plus fameux poëtes de vers ; & comme quand on parle du loup on en voit la queue, voici par hafard une critique d'un de nos meffieurs, que nous mettons ici exprès, fur la comédie d'Andromaque. PYRRHUS. Me cherchiez-vous, madame ? Un efpoir fi charmant me feroit-il permis ? Beau début! eft-ce qu'une dame de qualité comme Andromaque fera les avances? Maïs voici qui eft bïen plus incivil encore : chie%vous, madame? terme mabpropre, & queftion qui ne fe fait pas. Je pafiois jufqu'aux lieux ou 1'on garde mon fils. Aux Vieux eft du même goüt. Aux lieux om Von garde mon fils; voila un bel endroit pour élever un enfant ! Puifqu'une fois le jour vous fouffrez que je voie Le feul bien qui me refte & d'He&or & de Troye ,' J'allois, &c. Tracaffbrie de ménage dont on n'a que faire. Ah ! madame, les Grecs , fi j'en crois leurs alarmes, Vous donneront bientót d'autres fujets de larmes. ÏI y auroit bien des chofes a dire la-deflus.  4>o Les Etrennes de la Saint-Jean. Et quelle eft cette peur dont leur coaur eft frappé ? Aar, terme qui ne convient qua un enfant qui a peur des revenans , & non pas a un peuple. Quelque tiran vous eft-il échappé ? Ne diroït-on pas que Pirrhus eft un geolier? Un malheureux enfant, qui ne fait pas encor Que Pirrhus eft fon maïtre & qu'il eft fils d'Heaor. Un enfant, qui eft encore trop jeune pour avoir lu 1'Iliade, peut bien ignorer que Pirrhus eft fon maïtre, & qu'il eft fils d'Hedor: & qui eft-ce qui fait qui eft fon père ? Sans parler de 1'équivoque de ƒ d'HeSor, cette expreftion choque une oreille un peu délicate. Tel qu'il eft, tous les Grecs demandent qu'il périfie; Le fils d'Agamemnon vient hater fon fupplice. Tel qu'il eft, terme de mépris. Le fils d'Agamemnon. II feroit plus poli de 1'appeller par fon nom, qui eft Orefie. Le fils d'un tel n'eft point du tout le ton de gens qui favent vivre. Mais c'en eft affez pour 1'occafion ; nous voulions tant feulement faire voir que nqus fentons le mérite d'une pièce; nous ne voulons point décourager 1'auteur, & nous ferons bien aifes qu'il nous en donne encore.  J02 Les Etrennes fon amour , & qui venoit en France pour favoir ce qui en étoit, pour afin que fi en cas il trouvoit du retour, il put fe comporter pour le mariage tout également comme s'il eüt été né natif de France. Sa générofité , qui fut caufe de la reconnoiffance du fervice, étoit tine fi grande preuve que fon courage n'avoit point eu peur, dans 1'excès de fon amour, de la fauver en dépit des dangers, qu'elle 1'époufa par préférence aux deux meffieurs , tant le comte que le marquis, qui s'étoient réunis en buvant dans le cabaret en bas, fous prétexte d'entendre ce qui fe paffoit en haut, dont ils étoient la dupe, & qui les obligea a chercher d'autres perfonnes a marier en particulier, tandis que le feigneur milord & fon époufe fortirent pour aller s'établir a Londres en 'Angleterre , oü ils jouiront bientót des douceurs de la vie, ainfi que d'une nombreufe poftérité; Cette hiftoire apprend fort aifément que» tmoique l'amour uniffe !e fceptre & la houlette, ce n'eft pas toujours un moyen fur de faire tout ce qu'on veut, a caufe des inconvéniens; ce qui a fait dire un bon mot a un fameux poëte de nos jours , qui difoit en pareil cas : nage toujours , & ne ty fie pas. Cela pourroit encore faire voir qu'il faut bien connoitre les gens avant que de les époufer tout-a-fait,  ï)e la" SaiNT-JeaN. 503 Lettre de M* Jaquinet, marchand èonnetier, a M. Jtt*. IMoksieur & cher compère, Vous faurez que je me fuis mis dans la connoiffance des belles chofes. II eft vrai que j'y ai toujours été; ayant, dès mon enfance, recherché la compagnie des beaux-efprits; ce erui me faifoit aller fouvent a la foire SaintGermain, pour voir la belle hollandoife qui levoit une enclume avec fes cheveux. II y a quelques jours que notre voifin M. Jacques, vous favez qu'il faifoit des évantails pour la gouvernante de M. Rollin, dont il s'appercut, par la converfation de ce grand homme, qu'il favoit auffi manier la plume pour fe faire mouler tous les mois dans le mercure en contes de fées. II me propofa donc de me mener au bout du pont-neuf pour me faire déleclrifer; je fongeai a y mener ma femme, elle veut favoir de tout. Mademoifelle Rognon s notre coufine, voulut auffi en être * ainfi que mon neveu, 1'abbé Tricot. Nous voila arrivés. Nous voyons une groffe boule qui tournoit, & a cöté une petite verge de fer. On fait monter ma coufine & 1'abbé fur I i iv  ƒ04 Les Etrennes de la Saint-Jean. un boiffeau. Qu'arrive-t-il, mon compère? Voila que la verge-de fer touche, comme un clin d'ceil, mademoifelle Rognon, qui fait un cri, fe jette dans un fauteuil, & qui fe met a dire : faut quon me marie , faut qiion me marie, Vous favez quelle avoit toujours dit, quand on lui en parloit, fort peu de ca. Ayant trente ans paffes fans avoir fongé qui ni qu eft-ce que le mariage : & depuis ce jour, dès qu'elle s'éveille, ou le foir quand elle a bu un coup de vin rofé, c'eft toujours du mariage qu'elle demande. Et 1'abbé Tricot, me direz-vous ? oh vraiment ! il a bien fa folie auffi. La verge l'avoit touché au front, comme il fe baiffbit pour la regarder; eh bien, depuis cela,il va toujours donnant des bénédictions de la main droite & de la main gauche , difant qu'il eft évêque, ni plus ni moins que le clergé. Voyez, mon cher compère , ce que c'eft que de fe faire déleclrifer. Avertiffez-bien votre époufe & votre grande fille Babiche de n'en pas tater; 'elles feront plus fages que nos voifines de la rue Mouffetard, qui, depuis 1'enforcellement de ma couhne, n'ont pas manqué d'aller prendre ce maléfïce , dont elles ne fe vantent pas ; ce qui donne a croire qu'il faudra bientót les exorcifer. Ah ga, mon cher compère, a 1'honneur, &c. Fm des Etrennes de la Saint-Jean,  LES ECOSSEUSES, OU LES (EUFS DE PAQUES.   LES ECOSSEUSES, O u LES OEUFS DE PAQUE& 'Le Oui O le Non mal pldcisï Ie avlnt donc que ce fut le tour a 1'hïftoire de la mère Bachot; elle en favoit pour 1'ordinaire de bonnes , quand elle étoit en train; mais il falloit 1'y mettre : cela étaat ainfi, elle enfila le fien comme il s'enfuit. II m'eft avis que les enfans ne valent pas la peine d'en faire, & qu'a la parfin ga fe tourne au rebours du plaifir qu'on s'en imagine : tenez , fans offenfer perfonne, cette graine-la, drès qu'elle eft devenue drue, fe donne du menu aux dépens des pauvres pères & mères, qui croient avoir fait un beau chefd'ceuvre. Des enfans , vous dis-je, c'eft 1'engeance du diable; je fais ce qu'en vautl'aune,  yia Les Ecosseuses. & fi ga étoit a refaire... . Tant y a que chacun fent fon mal, j'en ai tout mon foul; ce n'eft pas pourtant que mon dröle, après la petite reprife de juftice qui lui eft arrivée, j'efpère, s'il plaït a Dieu , qu'il ira a SaintRaboni, & qu'il ne donnera plus tant dans 1'eaude-vie & dans la criature, & qu'il aura un peu plus de facriftie, ainfi foit & la Vierge; car, tout compté & tout rabattu, c'eft-la le hic. Ma commère, ótez ce qüe vóus favez a la jeuneffe, vous en faites pis que des faints. Mais, va-t-en voir s'ils viennent. En attendant, vous faurez-donc que 1'année paffée je fus de noces; 6V fi je n'en fus pas, nöüs eumes la courte honte, par rapport qu'on nous fit un vrai tour de carême-prenant, quoique ce fut après paques. Depuis quelque temps auparavant, la petite Grifaude, qui débite au cimetière Saint-Jean avec fa mere-grand, s'étoit laiffé amouracher par un enfant du quartier , qui lui alloit comme de cire : les deux faifoient la paire, & la propice y étoit a proportion, d'autant que 1'amoureux, dans fon métier du port Saint-Paul, y avoit des jours, quand ga donnoit, qu'il vous auroit gagné fes quarante, cinquante, jufqu'a 1'écu blanc; dame l ga fait un ménage de coq en pate, quand l'autre fe démène de fon cöté, & qu'elle fait le  Le» Ecosseuses. le tran-tran ; car 1'efprit par-tout fait tout ; ga fait qu'on s'e'tablit dans 1'aifance : or, ils fe faifoient donc l'amour, la petite Grifaude & le grand Cornichon; & puis, quand leur amo je fut fait, ce fut une autre paire de manches ; elle le vouloit, il la vouloit, & toute fa parente pareillement: voila donc qui eft baclé jufqu'a revoir; on paria d'époufailles; car faut toujours, coüte qui coüte, que le prêtre boute fon conjungo a tout ce tracas, & que 1'amitié finifTe par-la , d'autant que ca leur faifoit perdre leur temps; car ce n'eft que les riches qu'ont le temps de s'aimer, & fi je crois qu'ils ne s'aimont pas trop ; par rapport a ce que le négoce de nos amoureux ne battoit plus que d'une aile, il fut force de les flaneer ; ils le furent donc fans fonner mot; puis, allons gais, le faumoneur, dare dare, fit fa tournee ; un bon averti en vaut deux. Nous voila. donc tous tant que nous étions a féglife drès cinq heures du matin, fur notre droit, avec nos affiquets, bouquets & rubans fins; car la paille & le bied, tout y alloit par écuellée; qui n'eüt pas dit que le refte iroit de même ? nous avions tous 1'air a la danfe. II fallut déchanter ; écoutess bien la controverfe, la voila qu'arrive : la cérémonie alloit fon train , quand tout d'un coup, *1'endroit juftement oü faut dire oui, voila-t-il Tornt X. K k  Les Ecosseuses. pas la petite mafque de Grifaude qui, fus votre refped, dit, non, mais fi bel & bien qu'il n'y avoit point de nenni ; & dame ! en en voyant fon vertigo, c'eft tout comme fi les cornes fulTent venues d'avance a la tête de fon futur: queufi queumi, nous en eümes notre bonne part, comme bien croyez; n'y avoit pas a en démordre, loin de.ga: allons donc, vous voulez rire, Grifaude, lui dit le grand Cornichon ; eh non, ce lui fit la drölefle, je ne veux point d'un grand mal-va comme vous , vantez-vous en, voyez ce las-d'aller, tredame ! on lui dira oui, c'eft pour ton nez, zefte.... Parle donc, hay, fille, ce fit la mère-grand, qui voulut entrepofer fon autorité : te goberge-tu de nous ? je te barray d'une paire de moules de gants fi bons que la terre t'en donnera une autre; eft-ce la 1'honnêteté ? N'y a honnêteté qui tienne , ma mère-grand, reprit 1'obftinée; quand il me marcheroit a quatre pieds fur le ventre, il n'en feroit que ga; j'aimerois mieux gratter la terre avec mes ongles que de lacher la parole 5 mon confentement eft a moi une fois, ce n'eft pas pour lui M. le prêtre, qui étoit tout chofe de cette affaire, fe fcandalifa fi bien qu'il fe mit un peu a faire fon catéchifme, & a la fermoner fur fa fantaifie; mais autant de raifon d'un cöté comme de  Les Ecosseuses. ji ƒ l'autre, il y perdit fon latin & ne lui fit que de 1'eau claire ; ce que la Grifaude avoit. a Ia la tête , voyez-vous, elle ne l'avoit pas autre part; vaudroit autant prêcher une mule qu'une fille quand elle a pris fa quinte ; fi bien que le vicaire en fut pour fa mine de fêves, & nous pour un pied de nez. Le pauvre grand Cornichon ne favoit a quelle fauce manger le poifion qu'il n'avoit pas pris 5 5a lui devint d'autant plus dur qu'il avoit le cceur bien tendre pour elle; mais les malheurs n'arrivent que par les accidens; nous nous ëparpillames tous comme une poignée de puces ; la com-« pagnie s'en alla a la dégingandade, qui boire & l'autre ailleurs. Le conjungo fut rengainé, ou plutöt le même fervit a une autre qui ne fut pas fi dégoüte'e, car elle attendoit après, fi-bien que nous voila tous hors de noces. Mais, ce lui fis-je, coufine, en nous en allant, & par ma fi , fi ca ne te faifoit pas plaifir, pourquoi poufler les chofes fi avant; ca me fuffit, me dit-elle, ce m'eft affez, qu'il s'aille païtre; c'eft pour lui rabattre fon caquet; je lui gardois ga pour fes etrennes; he'rite, ton père eft mort; & en difant ga, elle netoit ni plus ni moins rouge qu'un charbon : nous autres, tóut en cheminant avec le grand Cornichon fous le bras, car je fsmes .comme les Kk ij  yicT Lis Ecossi viEf. médecins de village , je nous en refumes s pied. Nous nous mïmes donc après lui pouE favoir oü qu'étoit 1'encolure de tout ga, & qui pouvoit avoir ainfi dépité fa fiancée; mais nous eümes beau le retourner fens fus-deflous, fens devant derrière, il s'y trouva que de toute Ia journée le grand Cornichon n'avoit encore bu que la valifcence d'un pauvre poiffon d'eaude-vie, & cela ne fuffit pas pour rompre le cou au mariage qui eft de connivence comme étoit celui-la; faut bien fe tenir le cceur gai, & prendre fes forces quand on fe marie; mais le pauvre cher homme ne nous difoit pas tout, & nous découvrames peu après le tu autem qui avoit fait aller la noce a-vau-l'eau. Qa vint par le cóté du grand Cornichon, qui n'avoit pas affez épluché fes paroles par rapport a certains propos, paree que d'ordinaire la jeuneffe a 1'accoutumance de dire Ia befogne qu'elle fait, & plus fouvent qu'elle ne fait pas, comme li Ia naenterie les rendoit plus gras; maïs c'eft aufli qu'on ne devroit pas les croire quand ils s'en font accroire. Bref, la veïlle ou la furveille le grand Cornichon, en payant fon bec-jaune au port Saint-Paul a fes camarades, er trinquant dans la gaieté a la fanté de fon accordée , avoit a la parfin laché quelques contes faugïemjs, comrne il en arrivé fouveat  Lis Ecossiusbs. ƒ17 entre gargons au fujet de filles de leur connoifiance : ga n'étoit pas tombé a bas, un maudit cornifleux les avoit tout chaudement rapportés a la Grifaude qui les avoit entendus a mal, comme fi ga écorchoit fon honneur : ga n'emportoit pas la pièce, mais c'eft que n'y a rien de fi chatouilleux qu'a 1'endroit de 1'honneur du fexe; c'eft la caufe pourquoï la colère l'avoit fait monter fur fes grands chevaux, & qu'elle n'avoit plus ni bouche ni éperon. Ce que le grand Cornichon avoit laché, butoit a fignifier comme fi par-ci paria quelquefois dans 1'occafion il avoit mis des arrhes au coche , ou, fi vous voulez, pris un pain de braffe fur la fournée; c'eft ce qu'il avoit fait entendre au doigt & a 1'oeil; pourquoi comme ga n'étoit point en tout vrai; la Grifaude en étoit devenue pis qu'enragée, & ne lui gardoit pas poires molles en temps & lieu; car, en cas de ga, les filles n'aimont pa» qu'on mente ou qu'on dife vrai; & de fait, le grand Cornichon devoit empêcher fa langue de forcher ainfi, & du moins attendre au lendemain des noces pour en dire pis que pendre, s'il eüt voulu, il auroit toujours été aflez k temps pour cela; mais c'eft que le vin, ma commère, ne prend pas garde k ce qu'il dit, & que la prudence & lui ne peuvent pas tenir Kk ijj  jiS Les Ecosseuses enfemble dans le corps humain. Vous n'y êtes pas , on fe rencontre parfois dans la vie, c'eft ce qui arriva entre la Grifaude & le grand Cornichon, Ah ! vous voila, notre défunte future ; eh bien , la belle , qu'eft-ce ? avous encore le diable au corps , & mordié, fur quelle herbe aviez-vous donc marché la nuit d'auparavant la rupture de nos époufailles ? Palfandié , vous m'avez coulé un godan aux ceufs, 1'avez-VQus encore fur le cceur ? Voyons donc ce que c'eft , faites-moi participant de tout 9a; quelle manière ! n'y a-t-il pas moyen de ravitailler tout 5a ? Mais ta Grifaude, au lieu de dévifager fon homme, elle 1'envifagea fans faire femblant de rien, prenez que la raifon lui eüt mis de 1'eau dans fon vin, ou que fon amitié d'autre fois fut fachée d'avoir pris la chèvre : la voila donc a lui reprendre qu'i! étoit pis qu'un ferpent & qu'il avoit la langue de vipère; que c'étoit être bien damné que d'éflorer comme 5a en bonne compagnie Ia fleur des filles qu'on alloit époufer ; qu'elle ne lui pardonneroit ni a. la mort , ni a la vie 5 que, dieu merci, elle étoit ni plus ni moins que 1'enfant qui vient de naitre, & qu'elle aimeroit mieux je ne fais pas quoi que de paffer, quand ca étoit faux, pour avoir forfait. Drès-la le grand Cornichon fe fentit morveux a pourquoi  Les Ecosseuses. 51? ïl vous la détourna tout bellement dans la petite ruelle , afin de faire la paix de fagon ou d'autre, & y parlementer a leur aifement; car, faute de s'entendre , on meurt fans confefiïon; drès qu'on s'explique, n'y a plus que demi-mal; il la fit débonder; puis, comme ils n'avoient pas le temps de s'en dire davantage, le rapatriage fe fit, mais pas fi bien qu'il n'y eüt encore quelque chofe a refaire, ce qui fut pourquoi qu'afin de s'achever, ils fe donnèrent un autre rendez-vous, oü la Grifaude fe trouva .en perfonne, afin de fe faire réparer fon honneur a forfait: ce fut fur la brune d'un autre foir, entre chien & loup, derrière les facs a bied : dame , il en fallut découdre en plein, le grand Cornichon en favoit plus d'une nichée; c'étoit un dru qu'avoit la feffe tondue, beau difeur , ayant la parole en bouche ; il ne donna point de relache a fa mie, qu'il ne lui eüt replatré fon méfait; il lui dégoifa tant & tant, par rapport a ce qu'il l'avoit fachée, que la Grifaude, plus douce qu'une brebis,-y mit fa créance, comme fi les paroles d'un amoureux étoient mots d'évangile; puis le fexe eft fi foible envers 1'ami du ceeur, qu a la parfin la petite mijorée fe laifïa óter fa rancune, qui ne tenoic prefqua rien ; fon Cornichon lui parut plus net qu'un torchon 5 drès que 1'amitié eft entre Kk iv  yao Les Ecosseuses. deux, ga feit de leffive, tout le grabuge s'en va a-vau-l'eau; nage toujours, ne t'y fie pas, c'eft ce qui fe verra. Les voila donc rapatriés, fi bien qu'il n'y paroiflbit non plus que s'ils avoient toujours été en pleine cordialité; pour marqué de ca, a pareil'e heure d'une autre fois, fallut-il pas fe bailler encore une entrevue ; on auroit dit qu'ils avoient enfemble plus d'affaires que le légat, c'eft qu'avec l'amour y a toujours quelque chofe a refaire: ce fut dans un bateau de foin que les pauvres enfans fe retrouvèrent. Tant va la cruche a 1'eau qua la fin elle fe caffe; nos amoureux enfemble a 1'heure qu'ils étoient feuls, avec leur amitié fraichement remife en pied, ne favoient oü mettre leurs mains, tant ils étoient aifes de fe voir ; & ft pourtant ils ne fe voyoient pas, paree qu'il faifoit une belle nuit des plus noires, mais l'amour fent fon avoine; ils s'aimoient pis que jamais, ils étoient dans la paille jufqu'au cou, tout 5a y fait; bref, les frais du racommodement coütent queuquefois prefque toujours plus cher qu'au ma/ché; le pied glifie quand on ne fe tient pas bien avec ceux-la qui vont toujours leur train; 9a ne s'arrête pas par le licou comme notre ane ; puis ils avoient la bride fur le cou. On en pronte quand n'y a qu'a aller, auffi la petite Grifaude fut plus vite  Les Ecosseuses. 5-21 que le pas, & fon amoureux lui fit prendre le mords aux dents : ores, admirez 1'allée & la venue du cceur de la fille, qui veut par après ce qu'elle n'a pas voulu devant, tant y a que lachienne qu'avoit dit non, quand il falloit dire oui, dit alors oui, quand il falloit dire non; & quel oui, ma commère! mais c'étoit dans un bateau de foin, & le prêtre n'y étoit pas; fans cela , n'y auroit eu que demi-mal : la voila donc en contredition avec elle, puis après avec fon Cornichon; le retour vaut mieux que matines; la Grifaude ne tarda pas a s'en avifer, par rapport a ce que fon jupon naguère après fe mit a raccourcir tous les jours k vue d'ceil, dont elle devina bien k part foi ce qu'en étoit la caufe; car elle étoit comme celui-la qui devine les fêtes quand elles font venues ; bien lui fallut chaumer celle-la, mais ce fut k la malheure ; car quand 1'amoureux eft content, il faigne du nez, & s'en va de long; vouloir le rattraper, c'eft tirer le diable par Ia queue, la jeunefle devroit retenir ga dans fon catéchifme ; qu'a fait la fottife la boive ; elle la but tout fon foul. Voila que la créature eft en 1'air après fon Cornichon , a ce qu'il eüt k réparer le dommage arrivé de par lui k 1'endroit d'elle ; mais nefcio vos; a d'autres, ceuxla font rafflés; ils font cuits de jeudi, il n'y a  Les Ecosseuses. plus de Cornichon pour elle; le volontaire en avoit fa fuffifance , c'étoit le ventre de fa mère , il n'y vouloit plus retourner; le plus fort étoit fait, pas ne lui foucioit du refte; la cérémonie lui fit peur , il n'en avoit non plus d'envie qu'il en pleut dans mon ceil; elle eut beau le tintamarrer, tarabufter , fabouler, piffer des yeux, c'étoit pain perdu; quand 1'eau bénite eft faite, n'y a plus a revenir: fes angoiffes, fes doléances, fes reproches & toutes fes diableries ne firent fur le cceur de Cornichon non plus qu'un cautère fur une jambe de bois; le drole étoit pis qu'une enclume, falloit battre Ie fer tandis qu'il étoit chaud; voila de la befogne bien faite ! Ores, c'eft que quand les filles ne font pas en cas de ga la fourde oreille, les gargons la font par après ; car faut toujours que quelqu'un la faffe, & vaudroit mieux que ce fut l'autre ; mais ga ne s'arrange pas comme un papier de mufique: ce n'eft pas que Cornichon , a 1'entendre, n'eüt fa raifon ; car c'eft juftice d'écouter tout Ie monde : le dróle répondoit qu'il avoit déja été repouffé une fois a la demi-iune ; que chacun fon tour n'étoit pas trop; que d'ailleurs' la Grifaude étoit pis qu'un enfant; qui n'y avoit point de fiat a elle ; qu'on ne favoit, ni elle non plus, ce qu'elle vouloit ; que fa volante alloit par giboulées; que  Les Ecosseuses. 523 tantot elle difoit oui, & tantöt elle difoit non , felon que ga lui faifoit plaifir; ga ne laifibit pas d'être véritablement vrai : fi bien qu'enfin finale, de tout ce tracas, la Grifaude en eft reftée pour fa neuvaine , & n'a qu'a fe vouet a Nótre-Dame de bonne délivrance : voila le cas ; moyennant quoi cela fe féchera avec le temps. En attendant, ga nous fait voir qu'en cas de ga comme d'autre chofe, faut bien prendre garde dans la vie du monde a ne pas fe tromper en difant, oui ou non, & que le plus court a prendre pour la fille, eft toujours de répondre comme dans la Normandie, Le coup de tonnerre. Il n'y a perfonne dans le quartier qui n'ait entendu parler des noces de Jacqueline avec le coufin Sabot; la, celui qui a fait tant de bruit 1'an paffe , paree qu'il battit le père de la femme qui ne la lui vouloit pas donner, paree qu'i! n'avoit pas grand'chofe ; & dans le fond le père de la fille n'étoit pas dans fon tort, voyez-vous; car, a le dire entre nous, mes commères, fans que ga nous paffe; car je ne veux point faire tort a perfonne; j'ai bien affaire qu'on aille dire que je fuis une méchante langue : enfin, tant y a qu'il eft vrai que je fuis  524. Les Ecosseuses. fa coufine germalne, & que j'en fais fort bien le compte; mon coufin Sabot n'avoit pas davantage que cinquante écus devant lui pour fe mettre en maïtrife, & il n'avoit pas été plus de cinq mois en apprentiffage chez M. Giffiot dans k rue Gït-le-cceur; aufli difoit-on qu'il ne le faifoit pas trop bien ; il étoit pourtant d'une bonne corpulence , gros & gras comme père & mère. Pour Jacqueline, vous la connoiffez tout comme moi, mes commères, & vous êtes la pour me démentir fi je dis mal; c'eft une bonne dondon, bien réjouie, drue comme quatre, & fi gentille, que fi elle marchoit fur trois ceufs , dame ! elle n'en auroit pas écrafé quatre; Sc pour ce qui eft de fon métier d'écofler des pois, elle auroit plutot feffé fes trois litronsr que fa mère n'en auroit fait un; voila ce quï eft bon : oh ! pour 5a , 5a alloit dru, il falloit voir; ca venoit a Sabot comme mars en carême; car il alloit vite & droit en befogne , auffi lui; je lui en fais bon gré, ca marqué de la volonté; pour moi, cependant je n'aime pas qu'on faffe fi vïte, & vous, mes commères ? après 5a, chacun le fait comme il peut & non pas comme il veut. II arriva donc pour 5a que, quelques. jours après leur mariage, qui fut fait dans le plein cceur de 1'été ; oui, car c'étoit vers la Notre-Dame d'aoüt, lorfque quafi le pain des  L e • Ecosjeujïj. ƒ2 f noees n'étoit pas encore mangé, étantcouchés enfemble, le temps fe vint a troubler, & v'la de grands éclairs d'orage & de tonnerre, fi bien que toute la chambre trembloit, que c'étoit une bénédiftion ; s'il y avoit eu des vitres, il n'en feroit pas refte une : oh , pour ga, je m'en relfouviens bien ; car j'eus bien, peur moi; & fi pourtant j'étois couchée avec mon homme; v'la Jacqueline bien effrayée, & que par après fe jeta hors du lit toute en chemife; elle fait fa petite prière tout de bout en bout en courant par toute la chambre comme une folie, & la v'la qui va chercher de 1'eau benite, qu'elle avoit dans le cu d'une vieille cruche calfée dans lecoin de la chambre auprès de la porte, après avoir tant couru qu'elle n'en pouvoit plus, & fi, voyez-vous, il tonnoit encore ! Ia voila qui revient pourtant pour fe coucher dans lamelle du lit. Mais écoutez le plus beau, mes commères; par aventure fon mari, qui étoit tout nu ifur fon lit, paree qu'il faifoit grand chaud, & puis ga repofe le linge, voyez-vous ; il avoit, fauf votre refpeft mes commères, la face du grand turc tournee de cóté-la, & comme elle alloit fe fourrer dans le lit, elle entendit un grand bruit qui vous la fit jeter par terre, en criant de toute fa force : Ah ! Jefus-Maria! le coup eft tombé; mais point du tout, ce  $26 Les Ecosseuses. n'étoit qu'un gros pet que Sabot avoit fait pour fe foulager : aufli fe moqua-t-il d'eile il faut voir; elle voulut fe facher, mais il fe jeta fur elle, fans pourtant vouloir lui faire du mal, & il lui dit comme ga: va, va, Jacqueline , tu vas voir que petite pluie abat grand vent. HISTOIRE DE LA COMMÈRE JEAN-LOGNE, Au fujet de ce qui regarde un revenant. Oh dame ! oui, qu'il y en a des efprits , tu as vrament beau dire que ton père n'en avoit point; Dieu veuille avoir fon ame, le pauvre homme qu'il étoit! fi pourtant il eft revenu tout comme un autre, & nenni pas pour une fois, & toujours il mettoit tout fens deiTbs deiTous; il ne vous laifloit rien en place pour ce qui étoit de notre chambre : il ne faut pomt mettre en doutance qu'il en auroit fait tout de même de tous les meubles de cuifine, comme les efprits fefont pour 1'ordinaire; mais je n'en avions point; car les pauvres gens vivent de ce qu'ils mangent, comnie vous le favez bien 3  Les Ecosseuses'. 3:27 ma commère : tant y a qua faute de batterie, il vous faifoit rouler mon couvet que c'étoit une bénédi&ion; en queuque part que j'allaffe le cacher, il favoit toujours bien le trouver. Tredame! bien m'en prit, favez-vous, qu'il étoit de cuivre; auffi m'avoit-il coüté cinquantetrois bons fols; oui, tout autant, j'en jure; la, chez madame, fur le quai, qui eft une fi brave femme; eh, mon dieu .... de la Ferraille , aidez-moi donc a dire ; je vous dis que vous ne connoiffez autre, ni moi non plus, dont le fils, ce grand vaurïen de borgne, s'eft engagé 1'année paffee; ah! pour celui-la, 9a vous 1'a bien foulagée fte pauvre femme; c'étoit un garnement qui vous auroit fait une mauvaife fin; & fte pauvre Margot la Fourche doit affurément une belle chandelle a Dieu, le dróle ne vous 1'avoit-il pas fiancée; mais par bonheur (je ne me fouviens • plus pourquoi) il donna un coup de pied dans le ventre de la belle-mère ; fte pauvre madame la Fourche, ft bien & fi beau qu'elle vous en fit une fauffe couche, elle en fut vrament bien malade, elle en penfa crever j mais Dieu fur tout; 9a rompit le mariage, & le caffit, comme de raifon. Vous devez vous fouvenir de tout 9a, ma commère : mais que voulois-je dire ? ah, je fais; c'étoit donc fte brave femme du Soleii  >§z8 Les Ecosseuses. d'or, & la.... dont la fille le portoit fi beau, qu'elle pafloit dans la rue comme fi je ne 1'avions pas connue, c'étoit pourtant la fille a madame Beautrou; ah oui, je favois bien que je la trouverois; elle fréquentoit les compagnies , vous faifoit de la demoifelle que rien n'y manquoit. Un jour qu'elle pafloit dans un fiacre avec deux moufquetaires du roi; allons , elle étoit bien couverte, il faut donner ga; il y avoit un embarras,elle s'arrêtit tout au droit de moi, qui pafiois avec mon inventaire; elle ne fit pas tant feulement femblant de me regarder, & moi je lui dis tout franc, v'la une jolie demoifelle fi elle ne chioit point; oui, ma foi, je lui donnai ga dans fon fac tout comme je vous le dis la; eh, qu'eft-ce qu'elle m'auroit fait? j'aurois ma foi bien voulu qu'elle s'y fut frottée, je vous 1'aurois peignée en enfant de bonne maifon: dame ! v'la ce qu'on gagne k péter plus haut que le cu; aufli nous la vïmes pafler quelque temps après dans la charrette a madame Pataclin; mon Dieu I que ga me fit de plaifir 1 ah dame! pour lors je vous lui en dis bien du long fans le large. Madame Beautrou me dit donc, pour en revenir a mon hiftoire: ma foi de Dieu, commère Jean-Logne, prenezmoi le couvet, fur ma parole je vous le donne au prix coütant; c'eft un hafard, regardez-le bien;  Les Ecosseuses y2p bien , II n'a ni trou nt pièce, il vous fera de 1'honneur & du profit ; je crus ce qu'elle m'en difoiè après 1'avoir bien regardé ; car Ia min mee eft Ia mère de fóreté, & 1'on. ne do't j ..mais acheter chat en poche ; enfin elle ayon raifon , n'y a rien de tel que d'acheter de bonnes marchandifes; quand on paye bien , faut être feryie. Viennent les prunes, il y aura fept ans que je m'en quarre ; enfin tantya, Ie pauvre défunt ne laiifeit rien de repos quand il s'en venoit chez nous; notre grande Catin dormoit comme une foupe; j'avois beau la réveiiler , ga vous dormoit co.nme une pierre. Pour mol, commère, je me fouviendrai toujours & je nê nel'oublierai jamais, qu'une belle nuit, veille de faint Nicolas, bon jour, bonne ceuvre, je vis un grand homme tout droit, mais fi grand qu'il avoit bien trente pieds; je ne fa's bonnement comme il faifoit pour y tenir dans notre chambre, car elle n'étoit pas fort haute ; nous fcuyions dans ce temps-la, au cinquième, fur le devant, la tout auprès du corps-de-garde, chez fte pauvré mère la Touillaude ; vous m'y avez vu demeurer, commère Lantonne; vous pouvez dire fi je mens ; pour vous Ie faire court, j'y ferois encore, Dieum, !e pardonne, fans tout ce biau venez-y voir: enfin donc, tant y a que Ia peur me prit fi bien, que je battois la géné^ Torne X,  y^o Les Ecosseuses. rale avec les dents ; oh ! dame , on auroit peur a moins, je vous en réponds; pendant ce tempsla, vla tout qui roule par la chambre, le couvet, les galoches, 1'inventaire, la chaife, 1'efcabeau; enfin finale, tout ce qui pouvoit la danfer la danfa. Après tout letintamarre, j'entendis , mais comme je vous entends , faire de grands foupirs, 8c le lit de la grande Catin qui fretilloit que c'étoit une bénédiftion ; quand on n'aime point fes enfans, voyez-vous, on n'aime rien; je mis a crier tout bas tant que j'avois de force : Catin , Catin ! point de nouvelles ; le lit fretilloit toujours; préns garde a toi, lui difois-je de plus belle , 1'efprit eft, Dieu me pardonne, fur ton lit ; mais, pour tout ga, Catin ne m'entendoit feulement pas: au bout d'une demi-heure, qui me parut longue comme un jour fans pain, j'entendis que je n'entendois plus rien, 8c voyez, je vous en prie , fte malheureufe Catin, comme ga dort: ma commère, croyez - vous bien qu'elle me foutint lendemain dur comme fer que je n'avois rien entendu; mais, a quelques jours dela , ce lui fut bien force d'en convenir; car je . ne fais pas bien précifément comme ga fe fit; mais 1'efprit qui n'aimoit pas a voir dormir, faut le croire comme ga, vous la laiffa tomber , ou bien vous la jetit toute plate & toute  Les Ecosseuses. ƒ31 brandie au fin milieu de !a chambre : ah dame! il falloit après 1'er.tendre geindre, braire & pleurer comme un a.ie ; ma commère 9a faifoit pitie'; auffi ne voulut-elle plus coucher feule, & vous époufa-t-elle le compère 1'Enflé, le beau premier qui fe pre'fenta ; allons, elle vous eft bien tombée, faut en convenir ; car c'eft un honnête homme qui mange bien fa foupe ; auffi vous a-t-elle du mal, faut voir! pour moi je quittai bien vïte fte chienne de chambre , je donnai congé, car le bonheur m'en voulut affez pour que tout 9a fut bati & conclu au terme , & je n'ai plus rien entendu ; mais il n'y a rien de plus certain; dame! je m'y ferois hacher menu comme chair a paté : j'ai vu ftila, je 1'ai entendu, & je n'étois, ni foule ni folie. Tout le monde du quartier a voulu favoir ce qui en étoit , je vous leur ai conté tout de la même fagon que je vous le conté la; & je le dirai toujours, quoiqu'en difent de certains vauriens, des chenapans qui font les olibrieux, des épluaiSjfux de pois gris, qui mettent toujours leurs nez oü ils n'avont que faire, qui difoient que c'étoit un revenant pour moi toute feule, & la Verdure du corps-degarde pour ma fille Catin, comme fi je n'avois pas vu un homme tout droit; oui, ma commère , un homme de trente pieds tout au LI ij  yjz Les Ecosseuses. .moins, comme fi ce n'étoit pas 1'ame de fon père, qui n'auroit pas voulu faire une chofe comme ga; c'étoit fa fille une fois,^ le pauvre homme, vous le connoifiez, ma commère, il n'étoit pas capable de ga; il étoit bien plutöt capable de boire une pinte de vin qui ne lui auroit rien coüté; le cotillon ne lui étoit de rien, vous le favez, ma commère , j'en étois affez fachée; mais dame, au bout du compte, je voudrois bien favoir qui m'empêcheroit de vous en dire la vérité; oui, je voudrois bien le favoir, Catin n'eft-elle pas a préfent bien établie, c'eft 1'affaire' de fon homme après tout. Voila ce qui m'eft arrivé, a moi qui vous parle ; allez, laiffez-les dire : envoyez-les a la commère Jean-Logne, elle vous leur en dira des nouvelles, H ISTO I RE* De la fille dénatur^, par la commère Jambon. ~Y ous parlezdu mal qu'il y a pour vous élever des enfans comme' y faut; dame , je ne parle point de les torcher, de les fevrer, de les porter , enfin de tout le tracas: je vous  Les Ecosseuses. 533 parle, moi , pour les rendre raifonnables ; c'eft ca qui coüte, faut voir; quand je vois comme ga qu'une fille dont la mère lui dit : Babiche, faut aller au cate'chïme, & qu'a vous répond 5 fort peu de ga, j'en dis du mirlirot: funt la grand-mère a notre homme nous en racontoit le re'cit quand jetions encore petite fille, & que je 1'y paffions entre'les jambes ; c'étoit de la fille d'un huiflïer qui demeuroit dans la montée.d'a-cöté, fte petite mafque elle avoit pu d'efprit qu'elle n'étoit groffe; elle n'avoit pas douze anS| qu'en s'en revenant de 1'école, au lieu de vous répéter fon alegon, comme doit faire une fille qui veut être fage, ga vous^ montoit fur une borne dans la rue', pour faire comme Ie chanteux du pont-neuf qui porte un coq pour fon chapeau; allons, ga n'étoit pas mal imaginé , faut lui donner ga: nous avons vu auffi ftila qui étoit tout galonné de paille, je fuis franche comme 1'ofier:. tenez, ma commère, la première fois que je vis ga, j'y fus prife ; fte paille, ga vous eft reluifant, ma foi de Dieu, je crus que c'étoit quelque chofe de beau, & fi pourtant ce n'étoit que ga ; car tout ce qui reluit n'eft pas or , comme vous voyez, ma commère. Pour revenir donc a ce que je vous difois de fte jeuneffe, ?a étoit trop adonné k la fainiantife; ga com- L 1 iij  Les Ecosseuses. J41 HISTOIRE VÉRITABLE V'un beau bal danfé après Jbupé, dans un fauxbourg de Paris. IVÏonsieur Gaudichon , dans le fauxbourg Saint-Jacques, après d'heureufeS couches, venant d'avoir un gros garcon , a voulu donner une fête entre plufieurs autres qui marquat la joie de ce qu'il reffentoit, & qui fit plaifir aux dames de fon quartier , dont il eft fans contredit la coqueluche, & c'eft avec raifon. L'on va voir fi j'ai tort en lifant la fuivante invitation , faite & fignée par lui-méme affez fou-. vent en forme d'une efpèce de vers, ou de vermine, comme dit l'autre. La réfolution prife d'affembler douze demoifelles qui n'ont pas encore paru aux réjouiffances paflees, font priées de faire 1'honneur a M. Gaudichon de venir fouper chez lui jeudi prochain, avec chacune leur écuyer , d'oublier leurs noms; Et d'apporter chacune leur plat pour fair» sm repas déiicat,  J42 Les Ecosseuses. La Bokte. Mademoifelle Gifflet apportera Sa belle jeunefTe & fon air de bont-, Qui nous donnera envie de la pofléJer. LA Sagesse. Mademoifelle Boiffeau apportera Son adreffe & fa fagefle , Pour renouveller ma tendreflë. La belle Voix. Mademoifelle Julienne apportera Sa belle voix & fon petit air mutin, Qui fera la joie du feftin. La Gektillesse. Mademoifelle Bignet apportera Sa belle taille & fes beaux yeux, Qui lui procureront des amoureux. Le beau Teint. Mademoifelle Gallant apportera Son air fin & fon beau teint, Pour nous caufer de l'amour fans fin. LA Gaietè. Mademoifelle Dubois apportera Son enjouement & fa gaieté, Pour continuer ï fe faire aimer. La Beauté. Mademoifelle le Coq apportera Sa beauté & fa vivacité, Pour fe faire admirer.  5^2' Les Ecosseuses. quelque miché qui premie la moité de ft'enfani pour ne 1'avoir pas toute fine feule, comme ga en prend le chemin. SCÈNE II. Madame COTTERET avec fon inventaire, MARGOT dans fa boutique. Madame Cotteret. Poires cuites au four, poires. Ecoute donc, Margot; fi tu parles encore a ce Poitevin, nous aurons caftille , je t'en avertis. Margot. Moi, je ne li parle pas; je ne fais que li répondre. Madame Cotteret. Tout ci tout ca , pati pata, je 1'aime ce garcon-la. Et comme tu m'a promis de me le laiffer a moi toute fine feule , oh dame , je t'ai fervi comme pour le roi. Allons , que ne cbantes-tu donc comme a ton ordinaire? Margot. Hélas! mon ordinaire, ma pauvre madame Cotteret, vous favez ce qui en eft; j'en fuis bien trifte.  Les Ecosseuses. yyj Madame Cotteret. Eh fi, mon enfant; tu dis toujours la même turlure. Eh bien, tu es logee chez la veuve j'en tenons ; voyez le grand malheur ! fi toutes les filles fe pendoient pour 5a , vraiment, vraiment, il n'y auroit pas tant de femmes mariées. As-tu fait ce que je t'ai dit ? M a r g q t. Oui. Madame Cotteret. II faut s'endimancher comme 9a tous les jours. Margot. Je le fais , comme vous voyez. Madame Cotteret riant. Non. Mais je vois bien que tu 1'as fait.... Allons, fois gaillarde, donne-toi des talons dans le cu. Margot. Oui, ma foi, j'ai bien envie de rire, j'en ai mon cou chargé. Madame Cotteret. J'ai dit a tout plein de gens que tu avois eu une fucceffion ; que ne t'auroit pas qui voudroit; & pour preuve de 5a, vla un fac d'huïtres  55*4 Les Ecosseuses. a l'écailte qu'il faut mettre dans la boutique ; il faut le cacher pour qu'on le voye. Tu entends bien. Margot, Fort bien. Madame Cotteret. J'ai dit que nous devions aller, toi & moi & nous deux, aux pilliers des halles pour t'acheter du beau linge d'hafard. Oh, s'il ne tient qua parler, j'ai fait miracle. Je compte bien être de noce au moins. Margot. Ce feroit beau, vraiment, que vous n'en fuffiez pas; mais avec qui fte chienne de noce , & qui me voudra dans 1'état oü je fuis ? Madame Cotteret. Puifque la chofe eft ainfi, elle ne peut être autrement. II te faut une bonne couverture de mari; c'eft ma chanfon , c'eft mon refrain a moi. M a r g o t. C'eft le difficile, c'eft le tu autin. Madame Cotteret. Paree que tu as déja fait le plus aifé, il ne faut pas jeter le manche après la cognée; les  Les Ecosseuses*. 557 maris , vois-tu, c'eft une fi bonne pafe de gens, une femme leur alonge & leur accourcit comme elle le veut. Margot. Quoi ? Madame Cotteret. L'armanac. Elle leur perfuade tout le long du jour que des veffies font des lanternes; tant y a que la plus fotte de nos commères en fait plus que le plus madré de tous tant qu'ils font. Margot. Quand nous en aurons fait donner undedans, je faurai bien qu'en faire? repofez-jvous fur moi. Madame Cotteret. Lui diras-tu ? Margot. Je voudrois bien en être la ! mais pour ca s je fuis bien chanceufe; le malheur m'en a bien voulu; quand je vois tant de filles qui... je ne me puis m'empêcher de pleurer. Madame Cotteret. Bon, bon, pleurer, 5a ne guérit de rien; il n'y a d'emplatre a ca qu'un mari.  jj5 Les Ecosseuses. Margot. Oh ga, voyons. Madame Cotteret. C'eft le fils d'un favoyard,; en as-tu quelqu'un en vue ? Margot, Je ne parle pas de ca. Madame Cotteret. Qu'eft-ce qui te fait les doux yeux ? Margot. Comment! qui m'en conté, qui voudroït es découdre ? Madame Cotteret, Oui. Margot. Qu'eft-ce qui monte a ma chambre, n'eft-ce pas ? Madame Cotteret. Fort peu de ga, ceux-la ils ont trop monté ; ga efioufle, vois-tu ; mais ceux qui veulent monter, vla les bons. Margot. J'entends; tenez , celui qui paroït en avoir Ie plus d'envie, c'eft M. Sifflet,  Les Ecosseuses. 5/7 Madame Cotteret. Qui, le garde des fiaux? Margot. Oui, le porteur d'eau, ftilamême; il arrête toujours fes fiaux devant ma boutique , pour fe repofer , & ga fans être las : toutes les fois qu'il paffe & repaffe , il me dit, bonjour, mademoifelle Margot, ou bien , en voulezyous une prife ? je vais vous en raper. Madame Cotteret. Prends garde qu'il ne t'en caffe après, comme les autres feroient fans moi. Margot. La fontaine eft a ce tournant de rue, comme vous favez , madame Cotteret; drès qu'il a fu qui le lui rend , il vient d'abord a ma boutique s'il n'y a perfonne. Madame Cotteret. Stila eft un bon homme ; ga gagne fa vie, ga eft jeurte, ga fe porte bien , ga vous eft toujours en rue. Margot. Quand il n'y feroit pas , on va porter de fouvrage en ville; on,..,  jyS Les Ecosseuses. Madame .Cotteret. Tu 1'entendras de refte. Mais qu'aurois - tu fait fans moi? J'ai tant parlé de la fucceflion, de ton héritage, que tu les vas voir venir tretous te le propofer en tout bien & en tout honneur; s'entend, Champagne, Bourguignon, la Fleur; dame ! tu me feras bien obligée. Margot. Pour 9a oui, c'eft une charité, voyez-vous 5 que d'avoir pitié d'une jeuneife. Madame Cotteret. Vla venir ta tante Rognon; fait-elle tout 9a? je 1'ai cherchée par-tout a cette fin de lui en parler. Margot. Elle ne fait rien , n'allez point lui jafer. Madame Cotteret. Moi, jafer! vraiment tu me connois biens tu verras; je veux tant feulement 1'empêcher de faire du train ; je ne lui dirai que ce qui faut. Crois-tu donc que je ne fais pas avoir bouche coufue ?  Les Ecosseuses. jyg SCÈNE III. Madame ROGNON, madame COTTERET, MARGOT. Madame R o g x o n partant du ne? T ■ iENS,ma niece, voila un bon morceau de mou que je t'apporte pour ton dïne'. Madame Cotteret. Du mou, commère Rognon! ca n'eft bon que pour les chats; je ne m'étonne pas fi elle étoit fi laffe d'en manger. Madame R o g n o n. Tredame! voulez-vous pas qu'elle fait de la foupe tous les jours? fi bien que vous vla jabotant,jafant comme des pies borgnes; car pour 1'ouvrage, on vous en fouhaite, ca ne vous ficheroit pas un point. Madame Cotteret. Ah ! commère, vous ne devez pas gronde" pour ce qui eft de 1'ouvrage, vous en trouverez affez de fait. Madame R o g n o n. Tant mieux. Eh bien, il en faut faire encore.  y£o Les Ecosseuses. Madame Cotteret. Tuchou ! comme vous y allez! oh dame I elle a beau vouloir, elle n'en peut pas faire davantage, vous dit-on. Madame R o g n o n. Mon Dieu, notre commère Cotteret, vous êtes trop bonne quand vous n'êtes pas foule; vous gatez fte jeunefte, elle vous eft pareffeufe; c'étoit moi qu'il falloit voir a ft'age-la , je travaillois, moi, drès les quatre heures toujours chantant. Margot. Vous favez bien, ma tante, que je ne fuis pas pareffeufe de ne rien faire. Madame R o g n o w. QcL feroit bon lanlère; je voudrois bien voir ca, 9a je voudrois bien voir. Madame C otteret. Oh 9a, madame Rognon , il ne faut pas tant de beurre pour faire un quarteron; il s'agit d'aller a la noce. Madame R o G n o n". Bon, bon, a. la noce ! 9a étoit bon autrefois; dame! y falloit m'y voir par derrière & par devant; je ne favois a qui entendre , j'avois toujours  Les Ecosseuses ytfi toujours de franches Iippées. Oh ! c'étoit le bon temps, on s'enivroit pour fes fixfous; a préfent ce n'eft pu ga, fi je n'avois pas toujours le mot pour agacer ces gargons , y faudroit voir faire les autres, & ?a eft bien trifte : mais votre homme n'eft pas mort, madame Cotteret; je 1'ai dévifagé hier, fi je n'ai la berlue. Madame Cotteret. Mon mari, il eft plein de vie. Madame R o g n o n. Jene fais pas pour aujourd'hui, mais pour hier il étoit plein de vin; ca fe foule ces vilains hommes, que c'eft une bénédiótion : eh bien donc la noce a qui voulez-vous dire ? Madame Cotteret. Pardi! celle de votre nièce Margot. Madame R o g n o n. , MaAniè«, ma nièce Margot j qui voudroit sembater de cet oifon? Madame Cotteret. Qui? ah pardi! tous ceux qui la voudront ne 1'auront pas ; demeurez ici, je fuis b^en trompée fi vous n'allez voir beau jeu, donnez tant feulement votre confentement. Tornt X. Nn  'cia Les Ecosseuses. Madame R o g n o n. Mon confentement: 9a eft bientót dit, 9a fe donne comme 9a, mon confentement! & qu'eft-ce qui m'en reviendra. Quand je 1'aurai donné ce confentement, en ferai-je plusgrafte? mais encore faut-il favoir a qui. Madame Cotteret. Au premier qui en voudra. Madame R o Q n o n. Comment donc , ma commère! comment 1'entendez-vous ? pour qui nous prenez-vous j'ons du cceur & de 1'honneur. Madame Cotteret. Je favons ce que je favons , & fi je ne fommes pas marchand de favon, commère Rognon. Regardezplutót; dame, 9a fe voit fans lunettes 9a. (lui montrant le ventre de Margot,) Madame R o G n o n. Voyez un peu ft'infolente , ft'impudente ! n'étoit le refpeét de ton fruit, chienne, je te rouerois de coups, je t'échinerois; Dieu me pardonne la fainte parole; mais voyez fte bégueule , fte putain , ft'échappée de 1'hópital ! comment 9a t'eft y arrivé , malheureufe ; dismoi 9a toute-a-l'heure.  Les Ecosseuses. r6"3 Margot. Ma tante, vous le favez bien, fans Madame Cotteret. Elle a raifon , commère Rognon; vous n'avez pas oublié comme 5a fe fait. Madame R o g n o n. C^mon, nenny; mais voila une fille déshonorée. Madame Cotteret. Queu compLe! nous allons la marier, vous dit-on. Madame R o g n o n. Oui, a Jean des Vignes, vrament il ne lui manquoit que ca pour être un bon parti; elle n'avoit déja qu'onze écus , la malheureufe ' faire de ces chofes-la avant que vous avoir un mari! Margot. Ma tante, ne faites point tant de la fachée: laiffcz-nous faire , tant feulement. Madame R o g n o n. Travailler comme 5a fans chandelle & vouloir que je me taife , ca ne fe peut pas ; je veux Nn ij  564, Les Ecosseuses. que tout le monde le fache, quand ce ne feroit que pour li faire honte. Margot. Ma tante! Madame Cotteret. Commère , je vous en prie. SCÈNE IV. CHAMPAGNE, BOURGUIGNON, MARGOT, madame R O G N O N, madame COTTERET. Champagne. .AlH ga, Bourguignon , pourfuis ton chemin. bourguignon. C'eft moi qui te quitte, Champagne; je veux parler a Margot. Champagne. Je venois pour lui parler auffi; allons -y donc de compagnie, il y fait bon. Bourguignon. Tu as bon nez; on dit comme ca qu'il y a gras: bonjour, Margot.  Les Ecosseuses. y 6y Mar g o t. Votre fervante, M. Bourguignon; y a-t-il quelque chofe a reprendre? C hampagne. Ne veux-t-on pas toujours le reprendre a une jolie fille ? Margot. Vous êtes bien gracieux, M. Champagne! Bourguignon. Ah, ah ! que faites-vous donc d'un fac? Madame R o g n o n. Un fac , .il eft bon la , queu mie mac ! il n'eft que trop plein fon faa Madame Cotteret. Margot, pourquoi montrer 9a comme 9a? cache-le donc,fi tu puis. Bourguignon. Ah oui ma foi, c'eft bien cacher a qui le cul voit; allons de franc jeu, Margot, comme a ton ordinaire. Qu'eft-ce que c'eft que 9a. Madame Cotteret. Ne le dites pas au moins; eft-ce que vous N n iij  566 Les Ecosseuses. ne le favez pas ? c'eft un commencement de fat funeflïon. Madame R o g n o n. Une fufTeffion d'étrons, je gage. Champa gne. On vous le prendra comme autre chofe, mon petit bouchon; donnez-le moi, je le mettrai avec le mien. Margot. Fort peu de 5a, s'il vous plait. - Madame R o g n o n. A d'autres, dénicheux de marles; c'eft vramant pour fon nez, il n'a qu'a s'y attendre; donne-le moi, Margot, je te legarderai, moi.- M a r g o t. Quand j'aurai regu tout le reftant, ma tante, nous verrons 5a. BOURG u i G n o n. Je n'ai pas befoin du refte, moi; je ne fuis pas difHcile. Madame R o g n o n. Oui, la quille. Bourguignon. A qui en avez-vous donc, notre bonne mère  Les Ecosseuses. $6j Rognon ? croyez-vous que ce foit-la une bride a veaux ? Madame R o g n o n. Au diable , mal - au - dos ! vous êtes des avaleux de pois gris, vous autres; vous fentez le fac; mais 9a ne fe fait pas comme ga, favezvous ? Champagne. C'eft bien dit pour lui, je fais bien mieux faire les chofes, moi; je viens pour vous fimoner, commère Rognon. Madame Cotteret, bas a. Margot. Ne te 1'avois-je pas dit? Bourguignon. Comme fi je ne venois pas pour 9a! Madame R o G n o n, Tredame! comme vous y allez vous autres! eft-ce pour vous flageoler de moi ? Champagne. Nenni ma foi. Bourguignon. C'eft du tout de bon, j'en jure. Madame R o G n o n. J'ai beau être fa tante , je ne puis lui en N n iv  i"58 Les Ecosseuses. faire e'poufer qu'un, voyez-vous j qu'elle choififlè celui qui lui revient le plus; vla tout ce que j'y fais. Champagne. Bon ! c'eft moi. Bourguignon. Voila qui va bien, j'en fuis content; allons, Margot, touche-la. C hampagne. Doucement, Bourguignon, c'eft a moi a la toucher. Madame R o g n o n. ; AUons donc, Margot, ga eft donc bien difficile d'en prendre un. Madame Cotteret. Qui refufe mufe, mon enfant. Margot. Mais, ma tante, ils font deur. C hampagne. Pour moi, je me moque de ga; il ne faut pas tant de beurre pour, faire un quarteron, elle fera ma femme. Bourguignon. Ta femme! elle fera la mienne.  Les Ecosseuses. 569 Champagne. N'y a qu'un mot qui ferve, elle eft grofie. BoUKGUIGNON. Et c'eft juftement pour ga qu'elle eft a moi. Madame R o g n o n. A moi, a toi! voyez le beau venez-y-voir; voue en avez menti tous deux; ma nièce eft honnête fille: ne fuis-je pas fa tante Rognon, qui oferoit dire Ie contraire ? Champagne. Allons, bonne mère, tirez-vous de-la; laifTez-nous de repos, je fais mieux ce qu'elle eft que vous. Bourguignon. Celui-la n'eft pas mauvais , comme fi je ne !e favois pas mieux que toi. Madame R o g n o n. Vrament, vrament,vous me la baillez douce! jour de Dieu , ne m'échauffez pas les oreilles ; mais voyez un peu comme ga vous parle au monde! Champa gne. Dame, je parle, moi, comme faint Paul, la bouche ouverte , commère Rognon.  570 Les Ecosseuses;. Bourguignon. Champagne ! .. Champagne. Bourguignon!.. Madame Co tteret. Eh, meffieurs , faut-il que deux amis fe battent pour ga; tirez-moi la fille au doigt mouillé; ce fera plutöt fait. Champagne. Allez au diable , madame Cotteret, avec votre doigt mouillé. Madame Cotteret. Comment, chien, tu m'envoies dela 1'iau ! tiens, Bourguignon, crois-moi, va-1-en déclaret chez M. le commiffaire que 1'enfant t'appartient; nous verrons fi la mère.... C hampagne. Comme fi je n'en allois pas faire autant. Madame R o g n o n. Oui, chenapant, ma nièce n'eft point gibiera commiffaire, entends-tu, entendez-vous tous les deux, quand vous feriez plus d'un cent. Bourguignon. Nous ne parierons qu'a fon clerc. Vous ne devez pas vous ficher ; bon ! le voici qui s'en vient par ici,  Ljp s Ecosseuses. $71 SCÈNE V. M. PASSÉ-PARTOUT, CHAMPAGNE, MARGOT, BOURGUIGNON, madame COTTERET, madame ROGNON. Champagne. V otre valet, M. Palfie-partout; d'abord, voila la pièce; écrivez, s'il vous plaït. M. Passe-partout. Quoi ? que faut-il écrire ? Bourguignon. Que Margot eft groffe de moi; je ne fais pas tant tourner autour du pot. Champagne. II s'agït bien ici de pot ni de cruche! écrivez , monfieur, que fon fruit m'appartient; pardi, je vous ai donné la pièce, vous me devez 1'écriture. Bourguignon. Comme fi je n'avois pas de pièce aufiïbien que toi; tenez, voila la mienne. M. Passe-partout. J'entends a préfent; mais comme vos affaires  J72 Les Ecosseuses font abfolument communes, elles front fur le même papier. Champagne. C'eft votre métier, gouvernez 5a comme vous 1'entendrez. Bourguignon. Tout comme il vous plaira. Madame R o g n o n. Tout comme le cu vous pellera. Mais voila qui eft admirable ; comment! je verrai mettre ma nièce en écriture, & je ne parlerai pas! M. Passe-partout. Ma bonne, faites fïlence , s'il vous plait; procédons a préfent. Vos noms, vos qualités? Champagne, Bourguignon, Laquais fuivant nos maitres. M. Passe-partout. Et la fille, que dit-elle a tout ceci? Margot, avec une révérence. Monfieur, je ne fais que faire. M. Passe-partout. C'eft-a-dire qu'elle ne fait a qui des deux appartient fon enfant. Ecrivons,  Les Ecosseuses. 573 Champagne. Laïffe finir 1'écriture, après cela tu feras peigné d'importance. Bourguignon. Je n'attends que la définition pour t'accommoder en enfant de bonne maifon. Madame R o g n o n. Commère Cotteret, qu'allons-nous devenir avec ft'écritoire ? Madame Cotteret. Hélas ! commère, ca feroit bien facheux fi ce vilain enfant alloit caufer mort d'homme pendant que je fommes ici pour le .contraire. — _ * S C E N E V I. M. SIFFLET & les pre'ce'dens. Madame Cotteret. AlRRivez donc, compère Sifflet. M. S i e f l e t. Quoi ? qu'eft-ce ? de quoi s'agit-il ? quelle nouvelle ? que faites-vous la tretous ? que griffonne ce biau rnonfieurr que font la ces paroquets ?  j74r Les Ecosseuses Madame R o g n o n. On pataraphe fte belle Alifon , ce bel oifon. Madame Cotteret. Ils la voulont tretous. M. S i f f l e t. Qu'appellez-vous, i!s la voulont? Madame Cotteret. A caufe de fa fuftellion, ne favez-vous pas? M. S i f f l e t. Non, par ma fiquette. Madame Cotteret. Yous en voyez le fac, c'eft a qui 1'aura. M. S i f f e e t. Comment! pour avoir mademoifelle Margot , fte fuftèffion , ce fac, il ne tient qu'a faire écrire ft'écrivain ! M. Passe-partout. N'avez-vous plus rien a ajouter? Champagne, Bourguignon. Non, monfieur. M. Passe-partout. Ecoutez donc : (il lit) Pardevan-t nous font  Les Ecosseuses. 57$ comparus ies nommés Champagne d'une part, & Bourguignon d'autre part, foi-difant laquais fuivans leurs maitres, lefquels ont dit qu'ayant eu une parfaite cordialité qui a dégénéré dans une trop grande familiarité , il s'en feroit fuivï une copulation charnelle qui auroit occafioné 1'enfant dont elle eft groffe ; déclarant, chacun en leur particulier, vouloir a femme légitime la dénommée Margot, ravaudeufe publique, avec tous fes droits, fes biens préfens & k venir. M. S i f f l e t. La malle-boffe ! Passe-partout, contlnuant de lire. Mais, attendu que lefdits Champagne & Bourguignon perfiftent dans les mêmes prétentions fur les perfonne & produótion de la fufdite Margot, ils font convenus que la gueule du juge en péteroit incelfamment. Signez, meflieurs. Champagne. Volontiers, donnez que je figne. Bourguignon. Comme je ne fignerai pa* !  5j6 Les Ecqsseuses. Pendant quïls fe querellent M. SiFflet, après s'être gratté la teie. Tenez , M. le cömmifTaire , écoutez-moi bien. Passe-partout. Que voulez-vous, mon ami? M. S i f f l e t. II me vient une idee. Ces vivans-la ne pourront jamais s'accommoder ; car a tout ga, tout le monde eft aveugle, perfonne n'y voit goutte; c'eft un four que ga, favez-vous; écnvez-moi, puifqu'il faut de fecritoire pour ga. Je prendrai Margot pour elle, & fon enfant pour la fulfelfion. Bourguignon, Champagne fe lattent, battent M. Sifflet. Les femmes crient, la boutique fe renverfe, le fac fe délie , les écailles d'kuüres paroiffent. Champagne. Parbleu ! nous fommes de fots merles, vla donc la fuifeffion ? Bourguignon. Monfieur, rendez-moi ma fignature. Champagne. Apparemment que je n'en veux plus. M.  Les Ecosseuses. jjj M. Passe-partout. Doucement, meffieurs ; ca ne fe fait pas comme ga. Champagne. Pas pour un diable, vous aurez beau faire & beau dire. Bourguignon. Ce manant-Ia na-t-il pas %né comme nous> qu'il lepoufe, il eft plus fur de ion fait que nous du notre. AL S i f e l e t. Moi, que j'époufe une huïtre a 1'e'caille ! mornombille, je n'en ferai rien. Champagne. Nous faurons bien t'y contraindre. La bataïllerecommence- les femmes crient; M. öifflet tient bon. M. Passe-partout. Je vois bien qu'il faut accommoder cette affaire. II n'y a rien a gagner avec tous ces gueux-la. Tornt X,  Les Ecosseuses. SCÈNE VIL La batailh & le chamaillis durent a volonté, & ne finiffent que par Varrivés de Pajje-partout, qui fe met au milieu des combattans avec une pinte & des verres, PASSE-partout, avant de parler aux combattans. Cette pinte, oü j'ai fait mettre un pohTon d'eau-de-vie, appaifera les combattans. (haut) Meffieurs, de part le roi, buvez un coup. Ils boivent; mais il donne rafade d M. SiffLet, M. S i f f l E t. Deux contre un, ca ne fe fait pas; & fi pourtant ils ne m'avont morgué pas eu du poil. Passe-partout. Encore un coup, M. Sifflet; croyez-moi, prenez des forces. M. Sifflet bok. Très-volontiers , ca eft: bon du vin, ga foule. Passe-partout. Deux contre un ne vous font pas peur, a ce qu'il me femble ; eh bien, la mère & 1'enfant n'en font pas davantage,  Les Ecosseuses. 579 m. s i f f l e t. (Ja eft vrai, mais. . . . Passe-partout. Buyez encore, penfez-y bien ; on ne vous propofe pas autre chofe. M. s i f f e t bok. Encore fi tout ca n'étoit pas des chiennes de coquilles, s'il y avoit quelque argent, je dirois. Passe-par-tout. Allons, cela eft jufte, meffieurs; vous avez figné. Madame Cotteret. Oui, il faut cracher au baffin. Madame R o g n o n. Autrement je nous en tenons h 1'écrit, je faurons bien vous faire voir votre bec-jaune, & que les gens du roi ne font pas des maxoufles. Champagne. Je donnerai bien quinze francs , a conditïon que Bourguignon en donnera tout autant. Bourguignon. C'eft trop cher, quinze francs ! Champagne, tu te fiches de la barbouillée , fais tu.. .. Madame R o g n o n. Que vaut dire ftila avec fa barbouillée? Oo ij  y8o Les Ecosseuses, Margot n'eft vraiment pas barbouillée, elle vous eft nette comme un denier. Ah, dame 1 tout eft augmenté; il fait cher vivre; ce n'eft plus comme autrefois; 1'on ne peut faire a ce prix, c'eft trop bon marché, vous dit-on. Champagne. Bon, bon ! a vous entendre , commère Rognon , on diroit que la fagon n'auroit rien coüté. Passe-partout, donnant d boire d M. Sifflet. Ma foi, qu'ils faffent cinquante francs, vingt-cinq francs chacun, & je vous le confeiUe en ami, M. Sifflet. Champagne. Vingt-cinq francs, M. Paffe-partout, vous n'y penfez pas i Bourguignon. Je n'y confentirai jamais; vingt-cinq francs ! Passe-partout. Savez-vous bien que cela vaut cinquante francs par toute terre ? je fais bien ce qu'en vaut 1'aune: tuer un archer, crever un cheval de louage, faire un enfant a une fille, la loï 1'a dit, cinquante francs; ainfi je ne puis faire a moins.  Les Ecosseuses. ygr M. Sifflet, balbutiant. Sur ce pied-!a, 9a fait cent francs; ils font deux qui avont figné, fi j'ai bonne mémoire. Passe-partout. Oui, mais il n'y a qu'une fille groffe, il faut être raifonnable auffi, M. Sifflet , & vous avez figné de votre cóté que vous la preniez comme elle étoit. BoURG u i g n o n. Allons, il ne faut pas tant barguigner; il faut chier rendement; voila les vingt-cinq francs, pourvu que nous allions les boire. Champagne. J'y confens, fi je fuis de noce. M. Sifflet, a moïtié yvre. Pardienne, 9a eft bien jufte, c'eft a tout le moins; parlez-moi de bons garcons comme ca, dame ! vla des gargons de noce, ceux-Ia; ils avont fait toute la befogne : allons, j'y confens; baife-moi, mon petit cceur Margot. Margot. Le voulez-vous bien, ma tante ? Madame R o g n o n. Voyez la bonne pièce! m'a-t-elle demande permiffion quand .... je ne veux pas dire. Margot. Ma tante, ce n'étoit pas pour me marier. Oo iij  j82 Les Ecosseuses. Madame R o g n o n. Ah, c'eft autre chofe ! mais n'y retourne plus, je te Ie confeille. Margot. Non, ma tante, je n'aï garde; n'ai-je pas a préfent une bonne couverture ? M. S i e f e e t. Pardié , je t'en réponds. Madame R o g n o n. Embraffe-moi, ma nièce , embraffez- moi, mon neveu; embraffez-vous tretous. Madame Cotteret chante. Allons, allons a la guinguette, allons. Passe-partout. Allez tous vous divertir, croyez-moi; qu'on dife après cela du mal de la juftice. Si vous aviez eu de quoi, cet écrit étoit pour vous ruiner tous les trois. ( il le déchire. ) On chante, on danfe, Cet ouvrage étant fous la preffe, j'ai recueilli cette lettre approuvée par un monfieur laquais, de mes amis, qui m'a dit que fon maïtre l'avoit trouvée fort magnifique; & comme je Re vous cache rien, mon cher ledeur, & que  Les Ecosseuses. 5*83 je ne veux pas, comme les plumes du paon, prendre ce qui n'eft point a moi, je vous dirai tout franc que je ne 1'ai point écrite , puifqu'elle m'a coüté, pour l'avoir, une pinte de vin blanc avec une botte de raves pour déjeuner au Petit-Maure; je donnerois beaucoup plus pour vous afftirer combien je fuis tout a vous, votre refpe&ueux ferviteur. A GuiDOiA,ce 3 mai 1738. L'adreffe eft d mademoifelle Dalman, directrice de l'hópital de la Providence, rue de Créqui, a Grenoble. IVf ademoiselle,i1 y a huit années que j'étois malade a Grenoble mon pays, vous me rendates fervice avec bien de la charité , & je m'en fouviens toujours; comme vous ctes une perfonne toute charitable, je vous prie de me faire une grace , qui eft de parler a ma femme , Catau Rouleau, dite la groffe Gorge, demeurant a Grenoble, rue de la Perrière, fi elle eft en cette vie , fi plajt a Dieu, lui dire de venir me trouver a Guidoma en la Barbarie , la oü je demeure de préfent, èc fuis petit mufti, a caufe que je fuis favant en écriture, & que les gens O o iv    (EUVRES BADINES, COMPLE TTES, DU COMTE DE CAYLUS; AVEC F I GU R E S. TOME DIXIÈME.   (EUVRES BADINES, COMPLET TE Sy DU COMTE DE CAYLÜS; avec SIGURES. Q.UAT RIEME P A RT IE. TOME DIXIÈME. A AMSTERDAM, Et fe trouve a Paris, Chez Visse, Libraire, rue de la Harpe, prèfi de la rue Serpente. M. DCC. LXXXVII.   AVERTISSEMENT DE L'EDXTEUR. Oest iel le prodult du délaflTement d'une fociété de gens de lettres, qu'il faut bien fe garder <|e juger avec févérité. Non que nous faffions 1 mjure k ceux qui n'ont pas dédaigne' de s'ert occuper, & qui après en avoir fait leur pafletemps ont cru pouvoir les faire imprimer & s^en avouer les auteurs, d'implorer pour éux lindulgence du public. Nous penfons que les gens fages recevront avec plaifir ces agréables produóhons du loifir. & de la gaieté, & qu'iJs les recevront, fans leur donner plus d'importance qu'il ne faut; mais auffi fans y appliquec une critique déplacée. Le üvre ne leur tombera pas des rnains dès la quatrïème page, & jjf n'auront pas honte de fourire aux failli'es dont toutes ces facéties font remplies. Les tableaux préfentés dans ces divers ou vrages ne font pas nobles k la vérité, mais % n'en font pas moins faits pour plaire [ ce font des fcènes bourgeoifes, des aventures comiques, des caraöères plaifamraent chargés ; ea Tome X. ^  ij AVERTISSEMENÏ un mot, e'eft une fuite de peintures des mceurs du peuple, de fes vices , de fes ridicule* & de fes divertüTemens. Le lieu de la fcène eft analogue aux fujets que les auteurs ont voulu traiter: c'eft dans les guinguettes, dans les cabarets, fur les places publiques , au milieu des tues que fe patent la plupart des aventures. Nous croyons que ces tableaux puifés dans Ia nature, ne feront pas indifférens è ceux qui aiment a obferver les hommes dans les divers états ou la fortune les a place's. MM. Duclos , Crébillon fils , 1'abbé de Voifenon & autres , aufll avantageufement connus dans la républiquc de3 -lettres ont ouelque part a ce qui compofe cette quatneme partie; cependant on doit 1'attribuer particuïièrement au comte de Caylus, & on ne peut placer ces ouvrages ailleurs que dans fes ceuvres Tous fes amis ont reconnu qu'il y avoit la plus grande part, & que ce qu'il y avoit de plus faillant lui appartenoit ; c'eft en conle«mence lui, qui les a redigés dans 1'origine; & on lesaimprimés, fous fon nom, d'un confentement unanime. Vhifloire de Guillaume eft la plus ancienne 'de ces produdVions , elle contient différente* aventures comiques, arrivées a des perfonnes  DE i/EDITEUK, Hf dé toüs états que le cocher a fervis , foit ïorfqu'il étoit cocher bourgeois, foit lorfqu'il étoit cocher-fiacre. Cette hiftoire eft devenue trèsrare j & comme elle eft très-gaïe, on la retrouVera ici avec plaifir. Les Aventures des bals de bois & hs fétes roulantes, peignent les divertiflTemens du peuplej & donnent une idéé des efpèces d'orgies aux=quelles il fe livre, dans les fêtes & les divertiffemens publiés. Ce dernier ouvrage contient eri öutre une critique des fêtes données pair la ville j lors du mariage du Dauphin , fi!s de Louis XVi fen 1747 ■, quoique cette critique ait trait a un événement pafte , elle eft traitée d'une manière faite pour plaire dans tous les temps. Les aventures de bals de bois fe trouvent dans les ceuvres de 1'abbé de Voifenon, mais il eft 1'un de ceüx qui y a le moins de part. Le manége des colporteurs & les différentes intrigues de ceux qui font le commerce de livrei défendus , font comiquement peints dans les Mémoires de t'Académie des Colporteurs : on y trouvc aufll une dilTertation burlefque fur ('ancienneté & la nobleflè des afficheurs , col'eurs,. & une généalogie plaifante de 1'un deux. Les;deux derniers ouvrages, tiennent au genré poiffardjce lont les Etrames de la Saint-Jearij A ij  ïv AVERTÏSSEMENT DE L'EDITEUK. & les (Sufs de Pdques. Ce genre étoit alors a la mode ; beaucoup de gens d'efprit s'en occupoient; mais il faut convenir que tous ne fe font pas lire avec plaifir comme le comte de Caylus. Le Ballet des Vindons , & la Bataïlle des Chiens , qui font partie des Etrennes de la SaintJean, avoient été attribués au chevalier d'Orléans, grand-prieur.  HISTOIRE D E GUILLAUME, COCHER. A üj   PREF ACE 'M. Gü 1LLAU ME au Public. M onsieur le Public , vous allez être bien étonné de ce qu'un homme de mon acabie prend la plume en main, pour vous faire participant de bien des dróleries qu'il a vu fur le pavé de Paris, oü il peut dire, fans vanité, qu'il a roulé autant qu'un homme du monde qu'il y ait. Quoique je fois, a cette heure, un bon bourgeois d'auprès de Paris, cela n'empêche pas que je ne me fouvienne toujours bien , que j'ai été cocher de place , après de remife , enfuite j'ai mené un petit-maitre que j'ai planté la pour les chevaux d'une brave dame, qui m'a fait ce que je. fuis au jour d'aujourd'hui. Dans ces quatre conditions-la, j'ai vu bien des chofes, comme je vous difois A. i-v  vlij P R E F A C E. tout-a-Fheure, ce qui fait que je me fuis mis a rêver, en moi-même, commentje m'y prendrois pour coucher ca par écrit. Je n'ai pas bien la plume en main, a caufe du fouet d'autrefois qui me Fa corrompu; mais quand j'aurai écrit ce que j'ai envie d'écrire, je le ferai r'écrire par un écrivain des charniers, que je connois, du temps que j'étois a la Ferronnerie. Je fais ce que je vas vous dire , pour en avoir vu plus de la moitié de mes propres yeux ? moi qui vous parle, quand je menois Fe'quipage. Les gens qui vont dans un fiacre, tout par-tout oü ils veulent aller, ne prennent pas garde a lui; ca fait qu'on ne fe cache pas de certaines chofes, qu'on neferoit pas devant le monde. Mais, comme il y a très-bien de ces affaires-la que je fais, je n'étois pas mal embarraffé par qui commencer, & puis qa auroit fait tout drès d'abord, un trop  P R E F A C E. w; gros livre. Je me fuis avifé, avec 1'écrivain duquel je vous ai parlé, qu'il failoit, pour ne pas faire d'embarras, vous en couler quatre 1'une après 1'autre. Premièrement, d'abord & d'un; je commencerai par i'hiftoire de mamfelle Godiche , qui lui eft arrivée dans le temps que j'étois a la rue Mazarine, a la Glacière, a Chaillot, avec le fils d'un marchand de 1'Apport-Paris. Par après , je vous lacherai 1'affaire de la femme de ce notaire avec un gros commis de la douane, a la foire SaintLaurent, quand j'étois remifier. Pour ce qui eft de la troifième, ce fera I'hiftoire de monfieur le chevalier Brillantin, qui ne m'a jamais payé mes gages qua coups de plat d'épée, pendant que j'ai mené fa diligence. Et enfin finale, vous aurez celle de madame Allain, ma bonne maitrefle, qui m'a lailfé de quoi vivre, avec monfieur 1'abbé Evrard, duquel elle vit fon  *! P R E F A C E: bec jaune , comme vous le verrez vous* même a la fin du préfent livre. Par ainfi, ca fra quatre aventures d'amourettes. Si ceux-la vous plaifent è lire , je vous en détacherai encore d'autres, qui ne feront pas moins chenues.  E S S A I SUR LES MEMOIRES DE M. GUILLAUME. HISTOIRE ET AVENTURE De mam^elle Godiche la coëffeuje, C^omme j'étois un jour de 1'après-dlnée a attendre le chalant a la Mazarine , voila que je vois qui vient a. moi, une petite jeune demoifelle bien gentille, qui me demande, mon ami, qu'eft-ce que vous me prendrez pour me mener au Pont-tournant ? Mamfelle , ce lui fis - je , vous êtes raifonnable. Oh , point-dutout, ce fit-elle, je veux faire marché. Eh bien, vous me donnerez vingt-quatre fols, la pièce toute ronde.... Oui-da , qu'il eft genti! avec fes vingt-quatre fols! il n'y a qu'un pas. Je vous  HlSTOIRÉ en donneral douze:tene2, j'en mettraï quïnze;. fi vousnevoulezpas, je prendrai une brouette... Allons, mamfelle, montez. Vous donnerez de quoi boire... Oh, pourcela non, ne vousy atten- dez pas : c'eft bien afiez Eh mais ! dites donc, rhomme, tirez vos vitres, ii fait tout plein de vent, (il ne fouffloit pas) cela me de'friferoit; & ma tante croiroit que j'ai été je ne fais oü. Je tire mes glacés de bois, & nous voila partis. Tout vis-k-vis des Théatins , v'la-t-il pas qu une glacé tombe dans la codille de la portière , & j'entends : cocher , cocher, relevez donc votre machine qui eft tombée! Pendant que je la relève, il paffe par-la un petit monfieur, qui regarde dans ma voiture, & qui dit tout d'abord : ha ! ha ! c'eft mamfelle Godithe ! eh, mon dieu ! oü allez-vous donc comme cela toute feule ? Monfieur, je vais ou je vais, ce n'eft pas la vos affaires, réponditel!e. Ah ! pour cela, reprit-il, vous avez raifon; mais vous fentez fort, mademoifelle, qu'une dernoifelle comme vous, qui va dans un flacre 3'après-midi, toute feule, ne va pas coëffer des dames k cette heure. C'eft ce qui vous trompe, M. Gallonnet, repliqua Godiche; & cela eft fi vrai, que voila un bonnet que je ne fah que de monter, pour le porter k une dame, pour aller au paradis de FOpéra.    BE M. GüILtAÜMI. 1} A la vérité, la petite futée tire de dedans fa robe un efcofiïon qui étoit deffous : & le monfieur le voyant, tire une révérence en riant, & s'en va. Pour cela dit, mademoifelle Godiche, après qu'il fut parti, les hommes font bien curieux! auffi pourquoi votre chofe ne ferme-t-elle pas bien ? C'eft le nis d'un tailleur de notre montée , qui ne va pas manquer de 1'aller dire partout. C'eft la plus mauvaife lsngue du quartier, & fes bégueules de fceurs auffi : paree qu'on fe met un peu plus proprement qu'eux tous , il femble qu'on foit une je ne fais qui. II faut que je fois bien malheureufe de 1'avoir rencontré la. ! Tenez , voila vos quinze fols; je ne veux plus aller dans votre vilain carroffe. Ah, mon Dieu ! qu'eft-ce qu'on va dire ? Si ma tante fait cela, je fuis perdue! Eh bien, vous voila comme une buche de bois , me ditelle, a moi qui 1'écoutois fans mot dire, allez donc oü je vous ai dit, il en arrivera ce qui pourra: il faut bien que je porte ma coeffure ; une fois; cette dame m'attend : dépêchez-vous donc. Nous voila. allés. Nous arrivons au Ponttournant, oü il n'y avoit non plus de dame a fa toilette, que dans le creux de ma main, Mamfelle Godiche regarde a droite , a gauchea  t4 Htstoire & tout par-tout. A la fin , elle me dit, mori #nl, voulez-vous que je refte dans votre carroile , jufqua ce qu'un de mes coufins , qui doit me mener quelque part, quand j'aurai été chez cette dame,foit venu? Je vous donnerax quelque chofe pour cela. Volontiers, lui dis-je, mademoifelle, car j'avois pris de l'affe&ion pour* elle; & puis j'e'tois bien aife de voir fon coufin, que je me doutois bien qui ne 1'e'toit pas plus que moi. Au bout d'un gros quart d'heure , je vois venir un grand jeune homme, qui vient dar, dar, du cöté de la porte Saint-Honore'. Je ]e montre a mamfelle Godiche, n'eft-ce pas la votre coufin ? Eh, oui vraiment! appellez-le, cat il ne fait pas que je fuis en carroffe. Je cours après le coufin , qui s'en alloit enfiler le chemin de Chaillot ; & je lui dis : monfieur, il y a la mamfelle votre eoufine Godiche qui voudroit vous parler un mot. Auffi - tót après m'avoir dit grand merci, il s'en court a mon carroffe, monte dedans, & voila mes gens a chuchotter comme des pies-borgneffes, pendant long-temps. A la fin ils me difent, que je les mène dans quelque bon cabaret de ma connoiffance; & que je ferai bien content d^eux, fi je veux les attendre pour les ramener a Paris, quand ils auront mangé une falade, En même  Ï>E M. öUlLlïtJMÊ, temps le monfieur, pour me faire voir que c'eft de bon franc jeu, me coule dans la main un» roue de derrière, a compte. Je leur propofa de les mener chez la veuv* Trophée, a 1'entrée du cours ; mais ils trouvèrent que c'e'toit trop prés du foleil. Je leur parlai enfuite de la Glacière a Chaillot, ou de madame Liard au Roule; mais ils aimèrent mieuxla Glacière, oü je les débarqua , en peu de temps. Comme je me doutois bien du coufinage qu© c'étoit, je fis figne a la maitrelTe, qui entend 1© jars , autant qu'il fe puiffe ; & elle les fit mettre .dans un petit cabinet en bas fur le jardin. Pour ce qui eft de moi, je vous range moij carroffe ; & comme il y avoit bien des écots, j'öte les couffins, que la maïtreffe du cabaret va porter dans la chambre oü étoit mon monde, afin que perfonne ne les prenne. Au bout d'environ prés de deux heures, mamfelle Godiche eut envie de prendre 1'air dans le jardin; fon coufin y vint avec elle,& ils fe mettent a regarder danfer. Pendant ce temps-la, j'étois avec deux de mes amis de ma connoiffance, dont il y en a un foldat des petits corps, & nous buvions une pinte de vin, en mangeant le refte d'une fricaffée de poulets, que le coufin & la coufioe m'avoit donnés dans le  ' HlSTOlRE jardin avec de la falade qui reftoit, de fagon que nous ne feïfidhS pas fi mauvaife chère. Comme nous n'étions pas bien loin de la danfe, je vis que 1'on venoit prier mamfelle Godiche pour un menuet; enfuite elle prit fon coufin, & ils fe mettent a danfer enfemble fort gentiment. Dans le temps qu'ils n'y prenoient pas garde, a caufe de la danfe, voila monfieur Galonnet qui arrivé avec deux autres, & deux demoifelles. D'abord, une de ces demoifelles lui dit, comme ils paiToient auprès de nous, tiens, mon frère, la voila qui danfe avec fon amant de 1'Aulne. Ah, la petite chienne, re'pond-il, je m'en fuis bien doute'; quand j'aurai bu un coup , j'irai la prier a mon tour. Ce qui fut dit, fut fait: c'te pauvre mamfelle Godiche devint toute bléme, & M. de 1'Aulne tout pale, quand M. Galonnet la voulut prendre pour danfer, bien poliment le chapeau d'une main , & un gant blanc dans 1'autre. Je voyois bien qu'elle avoit envie de le refufer; mais je vis bien auffi qu'elle n'ofoit pas, paree qu'elle avoit danfé avec un autre, & que ca auroit pu faire du bruit, comme M. Galonnet ne demandoit pas mieux, a fa mine, d autant plus que cela ne fe fait pas, paree que ceit un affront qu'on bok en plein cabaret. Avec  E E M. GüILLAUaïZ» ï't» Avec tout cela, elle danfe ni plus nl moins *que fi elle avoit été bien aife. Et pour faire Voir a M. Galonnet qu'elle ne fe foucioit guère de lui, elle reprit M. de 1'Aulne , au lieu d'un de ceux qui étoient arrivés avec lui, qui étoient deux garcons tailleurs; comme ca fe pratique envers les nouveaux venus, qui n'ont pas encore danfé. p Les demoifelles qui étoient venues avec M. Galonnet, dont 1'une, qui avoit le vifage comme un verre a, bière , étoit fa fceur , Sc 1'autre qui étoit bancale, s'étoient mifes k une table auprès de Ia nötre. Et j'entendois que la grëlée difoit, en parlant de mamfelle Godiche ; pour cela, il faut que cette petite créature-la foit bien effrontée, de venir toute feule avec fon amant dans un cabaret ; je n'y viendrois pas moi, pour je ne fais pas quoi, devant tout le monde, comme elle fait. Oh, dam', dit Ia bancale, c'eft qu'elle eft bien aife de faire voit fa belle robe de fatin fur fil, qui, je crois, ne lui coüte guère: bon, répond 1'autre, je parie que c'eft ce nigaud de de 1'Aulne , qui aura volé cela chez fon père. II vouloit autrefois m'en conter ; mais il a bien vu qu'il n'avoit pas affaire k une Godiche ; en vérité , il convient bien k une petite fouillon comme elle, de porter une robe garnie avec un rnanTomé X, B  HlSTOlRE telet a cocluchon. Je n'en porte pas moi : Sc fi , je fuis pourtant fille d'un maïtre tailleur, qui eft le principal locataire de notre maifon; & puis, avec ce que je gagne de ma couture , il ne tiendroit qu'a moi d'en avoir fi je voulois; mais c'eft qu'il n'y a que ces gens-la d'heureux ; mon cher père a bien envie de mettre tout ce train-la dehors, auffi-bien fa tante ne paye pas trop bien fon terme. Oh mais , tiens, regarde donc Gogo, dit-elle tout de fuite, comme elle fe déhanche en danfant! ne diroiton pas d'une fille d'Opéra? Ah! pour cela, dit 1'autre, je ferois bien fachée de danfer comme elle; tu fais bien, Babet, la dernière fois que nous étions au gros Caillou : eh bien ! eft-ce que je danfois avec des contorfions pareilles ? & fi pourtant je n'ai jamais appris : pour moi, dit Babet, défunt ma chère mère m'a fait apprendre, pendant plus de trois mois, par le maïtre de ballets de M. Colin, de la foire, a qui 1'on donnoit vraiment , trente bons fols par mois , en arrière de mon cher père ; on lui difoit que c'étoit un ami de mon frère qui nous montroit pour rien. Ce monfieur-la nous faifoit entrer quelquefois les fêtes & les dimanches, dans le jeude M. Colin, qu'il ne nous en coutoit rien, a ma fceur Gotton 8c k moi; 5c bien, il y avoit la des filles qui  to E M. G U I I ï A ü M t J% 'ianfoient tout comme Godiche , fur le théatre. Fi , que c'eft vilain pour une honnéte fille ! auffi je regarde cela comme la boue de mes fouliers. Va, va, n'aye pas peur que je la falue jamais la première. Oh mais , dit Gogo , pendant que Babet reprenoit fon vent, c'eft que, comme elle eft un peu gentille, cela s'imagine... Qu'appellezvous donc, gentille, mamfelle, reprit vitement Babet, au rifque d'étouffer ? Pardi ! tu es encore une belle connoiffeufe de chat ! Eft-ce paree qu'elle a de grands yeux noirs ? Oh, c'eft que tu n'as pas vu qu'on diroit qu'elle louche. Si je voulcis mettre de la petite boite s eft-ce que je n'aurois pas de la couleur comme elle? Tiens, Gogo, ne me parle pas de ces petits nés retrouffés; & puis, elle fe pince toujours la bouche, fans cela feroit-elle fi petite? Godiche n'eft pas mal^faite, faut tout dire; mais elle n'eft pas fi grande que moi. As-tu vu comme elle s'habille court ? Oh, voila ce que }e ne faurois fouffrir , dit brufquement la bancale, rien n'eft plus vilain. Eft-ce que tu ne vois pas que c'eft pour faire voir fes fufeaux de jambes, reprit Babet; & un pied, qu'on croiroit qu'elle va tomber a chaque bout de champ ? ,Tout cela eft vrai, dit Gogo, qui y alloit Bij  gO HlSTOIRE plus a la franquette ; mais cela n'empêche pas que les meffieurs ne lui faflent les yeux doux. Et puis elle a peut-être de 1'efprit ? Ah ! c'eft la oü je t'attends, avec ton efprit; ce n'eft qu'une étourdie, & fans quelques petits mots de brouftilles que ces vilains hommes aiment a entendre dire a une fille , elle feroit plus béte qu'un pot, qu'une cruche. Oh ! je t'affure qu'avec toute ma grêle , je ne me donnerois pas pour elle, ajouta Babet, en fe redreffant dans fon corps ; & puis tout de fuite : mon Dieu! peut-on être décolletée comme cela ? C'eft pour faire voir fa belle carcaiTe, je ferois bien fachée de me débrailler comme elle; & fi , fans vanité Mais ne parions plus de cette petite bégueule-la, j'aurois pourtant bien envie de lui dire fon fait. Mamfelle Godiche ayant danfé tout fon bien aife, s'en alloit avec M. de 1'Aulne dans leur chambre; mais il falloit paffer pardevant Babet, qui, pour commencer la difpute qu'elle vouloit lui chercher , lui dit, en pafiant, & ü pourtant elle ne vouloit pas la faluer la première : Bon jour, mamfelle Godiche, comment vous portez-vous ?.... A votre fervice, mamfelle Babet vous voila doncici ? .... vous voyez, mamfelle, tout auifi-bien que vous.... J'en fuis bien aife.... Cela me fait plaifir.  D E M. GüIILAÜMI. 2! Vous avez la une robe d'un joli goüt, dit la couturière ; & la votre , répond la coëfleufe , elle me paroït bien choifie. N'eft-ce pas de. ces petites c'toffes a cinquante fols ? Pour moi , la mienne me coüte trois livres cinq fols , & a bien marchander encora. . . Oh dam', tout le monde ne peut pas en avoir de fi belles que mamfelle Godiche , dit Babet, en riant du bout des dents , ccmme SaintMédard. J'en fais faire une de taffetas; fi vous n'aviez pas eu tant d'ouvrage , mamfelle Galonnet, je vous 1'aurois donnée a faire Oh ! je ne fuis pas affez fameufe couturière pour une demoifelle comme vous... Bon , vous vous voulez badiner ; puifque je monte vos bonnets , vous pouvez bien faire mes robes... . Vous ne m'en avez guère monté , toujoürs.... Cela vous plait a dire , a telles enfeignes, que vous m'en devez encore deux ou trois.... Moi, je vous dois des montures de bonnets? Allez, allez, mamfelle, fongez plutót a payer a mon cher père, votre terme de fept livres dix fols.... Cela fera a compte , mamfelle , cela lera a compte.... Vous feriez bien mieux de payer vos d'ettes, que de porter la robe garnie, & le mantelet.... Allez , mamfelle, ce -n'eft pas a vos dépens Vraiment , fi on ne vous en donnoit pas, oü les prendriez-vous ? Ce n'eft Büj  c &i HlSTOïRË pas a monter des bonnets qu'on gagne tant..* G'eft que vous n'avez pas aflez de mérite pour en gagner.... Je ferois bien fichée de 1'avoir comme vous , bonne petite hardie ! ... C'eft vous qui êtes ude effrontée. Ma bourgeoife neut pas plutöt laché Ia parole, que Babet Galonnet qui la trouva tout jufte au bout de fon bras, vous lui couvrit la joue d'une giroflée k cinq feuilles, qui claqua comme mon fouet. Tout le monde qui étoit Ü , nous demeurons omme des ftatues 5 il n'v eut ahê M Ac 1'Aulne, qui dit k Babet: en vérité, mamfelle, Ce que vous fakes-la ne fe fait pas, & fi ce n'étoit que vous êtes une fille, je vous feroisi bien voir.. <. Que vous êtes fot, mon petit monfieur, répondit la couturière ; allez , allez, j'avertirai votre père que vous le volez pour dépenfer votre argent avec des créatures. Jufqües-la, mamfelle Godiche s'en étoit pris a fes yeux du foufilet de fa joue; mais quand elle fe vit appelier créature, elle montra a la grêlée qu'elle avoit Ia langue bien penduej elle fe mit k vous lui dégoifer les dix-fept péchés mortels ; en forte que la couturafie fe jette fur elle, lui arrache fon morillon plus tïte que^le vent, & Ie trépigne aux pieds , dans de 1'eau qui étoit par terre , en forte qu'il n'étoit que de boue & de crachat.  t> Ë M. GïïILtAÜME. 25 Elle veut après lui fauter aux yeux, car je voyois bien qu'elle avoit envie de défigurer fa phyfionomie, qui n'étoit pas grêlée comme Ja fienne; mais M. de 1'Aulne fe fit égratigner a la place de fa coufine de vendange. Pendant ce temps-!a, le petit Galonnet & fes camarades , avoient quitté une contredanfe , pour venir voir ce que c'étoit; & comme il vit M. de 1'Aulne qui tenoit fa fceur par les mains, pendant qu'elle lui donnoit des coups de fouliers fur les guibons , il fe mit dans la tête qu'il la battoit , en forte que pour 1'en empêcher , les trois tailleurs fe mettent a vous lui rabattre les coutures , pendant que mamfelle Godiche faifoit des cris de Merlufine. Oh dam' ! quand je vis cela, je ne fus ni fou, ni étourdi; je dis a mes amis, ne lailfons pas fabouler mes bourgeois. Ils ne demandent pas mieux ; par ainfi, nous tombons fur les mangeurs de prunes, que c'étoit comme une petite bénédióiion. Notre foldat avoit tiré fa guinderelle , 1'autre étoit un rude cannier , & moi, avec mon fouet, nous donnions fur les tronches & les tirelires, pendant qu'ils fe défendoient avec les tabourets du jardin. J'avois donné un fier coup du gros bout de mon fouet fur les apótres , a un qui vouloit me prendre par les douillets; mais B iv  24 Histoiei je vous le plaque a plate-terre, comme une grenouille, qui ne remuoit ni pied ni patte. Enfin finale pourtant, on nous fépare -a Ia fin, & qui eüt 1'ceil poché au beurre noir a c'e'toit pour fon compte. Pendant la batterie, mon bourgeois & ma. bourgeoife étoient retournés dans leur chambre, oü nous allons leur dire , qu'ils ne craignent rien , paree que nous fommes bons poue tous les piquepoux, Mamfelle Godiche pleuroit, comme fi elle avoit perdu tous fes parens , & fon coufin la confoloit. II nous fit avaler plus de la moitiê d'une bouteille a quinze , qui n'en valoit pas fix, comme c'eft la coutume, II n'y avoit pas moyen que mamfelle Godiche put remettre fon tortillon, qui n'étoit que de boue; mais elle s'atintela bien proprement avec celui de cette dame du Pont-tournant, en forte qu'il n'y paroiflbit pas. Comme elle étoit toute honteufe, nous attendons que la cohue fut pafiee, & puis elle ayoit peur de la grêlée , qui lui avoit dit qu'elle n'en étoit pas encore quitte, & que fa tante la fauroit, pas plus tard qu a ce foir. Sur les dix heures du foir, je mets mes che* vaux & mes couffins, & nous allons grand train 4ans la rue des Gordeliers, oü demeuroit  DE M. GüIItAVME. 2f 'Godiche. Mes camarades étoient a cóté de moi; puis je remène M. de 1'Aulne a 1'Apport-Paris , oü il me donna encore un gros écu, & vingtquatre fols pour le rogome, que nous lavons chez M, de Capelain. II y a bien apparence que la tante de mamfelle Godiche lui aura chanté le te Deon raboteux; mais il paroït qu'elle s'eft fichée de ca; car je 1'ai vue, du-depuis, lur le pied frangois, & je 1'ai menée bien fouvent avec des plumets galonnés. Elle m'a bien reconnu depuis ce temps-la; Sc j'avois toujours pour boire avec elle; cae quoiqu'elle fut avec des gens du haut ftyle, f Jle n'en étoit pas plus fiére envers rnon égard.  26* tïrsTöiRg H IS T O I RE De M. Bordereau , commis a. la douane ; avec madame Muuitin. JVf. Périgord, mon pays, pour qui je menois le carroffe, e'tant mort, fa. veuve fe défit de tout, de forte que me voila fur le pavé. J'alla me propofer a un de mes amis, qui Iouoit des remifes dans la rue des vieux Auguftins. Comme j'avois un bon habit fur le corps , il me donna un équipage a mener. J'aüois, tous les jours 1'après-dïnée, prendre M. Bordereau, qui étoit un des gros de la douane , chez lui, pour le mener tantöt d'un cöté, tantöt de 1'autre , & prefque toujours avec des dames , que ce n'étoit pas de la guenille. Un jour , je le mène au bout du cul de-fac de 1'Orangerie , d'oü il entre dans les Tuileries , nous reftons k jafer, fon laquais &moi, de chofes & d'autres; & comme il me difoit fouvent les tenans & aboutiffans des maïtreffes de fon maïtre, qui en avoit tous les jours de nouvelles , je lui demandai s'il connoiffoit celle que nous venions chercher, & oü je la menerois.  DE M. GüIIlAÜME. ai Je n'en fais, ma foi, rien, répondit la Fleur, c'étoit fon nom: tout ce que je fais, c'eft qu'il eft venu ce matin une efpèce de femme-dechambre qui a été long-tcmps avec lui, & qui lui a dit, en fortant, que fa maitreffe fe trouveroit aux Tuileries lurjes quatre heures du foir. A peine la Fleur avoit il fini, que nous voyons M. Bordereau avec deux dames qui le fuivoient, dont la Fleur en reconnut une, pour Iafemmede-chambre de ce matin. Quand ils font dans 1'équipage , ils ne favent oü aller. A la fin pourtant, c'eft a la foire SaintLaurent oü je les débarque. Après que le laquais les a conduits dans le jeu de 1'opéracomique, il vient me retrouver; je me range, & donne mes chevaux a garder; de-la nous allons tous les deux, nous promener & boire un coup' dans la foire. Quand le jeu eft pret a finir , la Fleur va trouver fon maïtre, & moi mes chevaux; puis il vient me redire après, que je ne m'impatiente pas, paree que M. Bordereau va fouper avec fa compagnie chez Dubois; je redonne encore mes chevaux a garder, & je vas le retrouver dans ledit endroit, paree que la ce n'eft pas la manière que les laquais fervent a table. Nous nous attendions bien, la Fleur & moi.  £S Histoire a fouper des reftes, quand ils feroient au deiTertJ mais nous manquames de faire des croix de Malthe, comme vous allez voir. Madame Dubois avoit mis M. Bordereau & ces dames dans une falie a rideaux au fond du jardin ; on apporte le fouper; & nos gens faifoient bonne clière, quand voila qu'il arrivé un jmilord d'Angleterre avec mademoifelle Tonton de 1'ope'ra-comique, une de fes amies, & un bourgeois de leur compagnie vêtu de noir. Tout cela demande auffi a fouper,Sc on les campe dans un petit cabinet vitré, a 1'entrée du jardin. En attendant les reftes pour fouper, nous nous amufions, la Fleur & moi, a creufer une bouteille de vin fur le compte de notre bourgeois, dans un cabinet auprès de la falie; & dans ce temps - la M. Bordereau & mademoifelle Tonton, qui avoient envie de quelque chofe, fortent chacun de leur endroit, pour aller dans un coin , de forte qu'ils fe rencontrent nez a nez au beau clair de la lune. La Fleur m'avoit dit, en voyant entrer mademoifelle Tonton , que fon maïtre 1'avoit eue de louage ; mais qu'il 1'avoit quittée, a caufe qu'elle le menoit un train de chaffe. Mademoifelle Tonton reconnoït tout d'un coup mon bourgeois; & elle lui dit, de facon  DE M, GUILLAUME. 2 e M. Güillaume, Fait pas qu'une notarefTe n'eft pas uae bourgeoife ? d'oü venez-vous donc, pour ne pas favoir cela, M. Minutin? Madame Minutin. II n'a jamais fu tenir fon rang. M. Bordereau. Oh ! notre ami , il ne faut pas fe laifle* manger la laine fur le dos. Quelque jour je vous conterai un différent que j'ai eu avec un de nos directeurs. Oh, dame ! je lui fis bien voir, en plein bureau, que fon encre n'étoit pas reluifante : il ne faut pas fe jouer a moi ; quand une fois je m'y mets, je ne fuis pas tendre. M. Minutin. Ce n'eft pas tout-a-fait Fair dont elle fe met qui me fait de la peine; c'eft qu'elle voit un certain monde qui ne me plaït pas. M. Bordereau. Ah ! cela eft tout different. M. Minutin. Eh ! mais, mais, M. Minutin, vous «'y C iv  ï° HlSTOlRÉ penfez pas; je ne puis me renfermer, ni dans ma familie , ni dans la votre; nous n'en connoiflbns pas. Je fraye avec les gens de ma volée. M'a-t-on jamais vue, par exemple, vous faire 1'affront de me faufiler avec des procureufes, des avocates ? M. Minutin. ^ Je fais que vous ne vous encanaillez pas; je ne me plains pas des gens que vousvoyez; ce n'eft que de la facon de les voir. M. Bordereau. . 'Oh ! c'eft autre chofe. Madame Minutin. Qua donc de repréhenfïble ma manière d'agir? M. Minutin. Comptez-vous pour rien, d'aller fcandaleufement aux fpeöacles & aux promenades, avec des moufquetaires & des abbés ? M. Bordereau, Celui-la eft un peu fort. 'M. Minutin. Paroïtre en public \ avec des gens de cette,  13 e M. guillaume. efpèce , c'eft vouloir fe décrier a plaifir ; & nous fommes folidaires en réputation. M. Bordereau. II a raifon. M. Minutin. Voyez-les au logis , madame , voyez-les au logis. ^ M. Bordereau. II y a encore quelque chofe a dire a cela; mais cela viendra avec le temps. Avez-vous encore quelque chofe fur 1'eftomac ? M. Minutin. M. Bordereau, vous êtes mon ami? M. Bordereau. Touchez-la. M. Minutin. II faut donc vous ouvrir mon cceur. Je ne fuis rien moins que jaloux; mais je fuis ruiné. J'en impofe encore au public par un fafte éblouiffant; mais, dans peu, on me verra donner du nez en terre,  42 Histoire M. Bordereau. Eh bien, mon ami, nous vous foutiendrons. M. Minutin. Je n'aurois pas tout-a-fak befoin du fecours de mes amis, fi madame Minutin vouloit aflocier fa pratique a ia mienne. M. Bordereau. Ah ! ah ! eft-ce qu'on paffe auffi des ades pardevant madame ? Madame Minutin. Que voujez-vous dire ? M. Minutin. Vous m'entendez: votre penfion ne peut fufïïre pour vos plaifirs & vos habits; il faut bien qu'il vous vienne de 1'argent de quelqu'autre part. Madame Minutin. Mais je gagne beaucoup au, jeu. M. Bordereau. Cela fe peut fans miracle.  BE M. GüULAUMH. 43 M. Minutin. D'accord : mais quand la femme donne a jouer, il ne refte ordinairement au mari, que les vieilles cartes & les cornets. M. Bordereau, Ne parions pas de cela, M. Minutin. Tenez, madame Minutin, je ne fuis plus jeune; &, a certain age, on fe défait de beaucoup de préjugés , faifons bourfe commune : mettez le produit de vos a&es dans l'efquipou Madame Minutin. Mais, monfieur Minutin M. Bordereau. Vous y perdriez , peut-ctre , il faut que 1'étude du premier étage aille mieux que celle du rez-de-chaulTée. On peut trouver une facon de vous accorder; rapportez en cahTe le produit de deux études , & M. Minutin fera la dépenfe de la maifon. M. Minutin. II n'eft rien que je ne faffe pour foutenir  M HlSTOlRÉ I'honneur du corps. Y confentez-vous, m* femme ? Madame Minutin. Soit. M. Minutin. Ah ! que je vais bien morguer mes confrères. M. Bordereau. N'allez pas garder mirmte de eet acle-la, au moins. Pour peu qu'une bourgeoife fut paffable, elle auroit bien 1'ambition de parvenir aux honneurs du tabellionnat. Au refte, M. Minutin, mon ami, comptez toujours fur moi. II faut qu'au premier jour j'aille fans facon manger votre gigot. M. Minutin. Nous ne vous ferons pas 1'affront de vous faire manger avec les c'ercs. Quand tout fut arrangé, de la manière que je viens de le dire, il étoit une heure après minuit, ce qui fit que M. Bordereau demanda la carte , qu'il paya tout de fuite fans marchander; madame Dubois lui demanda fi c'étoit lui ou ce monfieur qui payeroit les débris, des  DE M. GUILHUMÏ, 45" bouteïlles, des verres & des affiettes caflees. Plaifante gueuferie, dit M. Bordereau, pour en aller éiourdir la tête de eet honnête homme. Combien faut-il pour tout cela? En confeience, répondit madame Dubois, cela vaudroit cinquante francs pour un autre ; mais, comme c'eft vous qui payez , je me contenterai de deux louis, & c'eft le prix courant; vous concevez bien que je ne gagne rien la-deflus. M. Bordereau allonge deux louis, on monte dans 1'équipage , & je remène tout le monde, chacun chez eux. Du-depuis , j'ai fouvent mené madame Minutin & M. Bordereau, a fa petite maifon au fauxbourg Saint-Antoine, oü M. Minutin venoit les trouver le foir, jufqu'a ce qu'un beau matin, mon bourgeois fit un trou a la lune , dont il a emporté a mon maïtre pres d'un mois de louage de fon remife, & ce qu'il me donnoit pour boire. Je crois que M. Minutin 1'eft allé trouver, car il a déménagé fa boutique, fi teüement, qu'il n'y a laifle que des paperaffes. X  HlSTOIEE HISTOIRE Des bonnes fortunes de M. le chevaüer Br Man tin. UN de mes amis, qui étoit cocher bourgeois, me propofi un jour d'entrer au ftrvice de M. le chevalier Brillantin , pour mener fa diligence ; & je donnai la-dedans , paree que je ne favois pas ce qu'en vaut 1'aune. C'eft la plus fichue condition qu'on puiffe imaginer. Je me fouviendrai toujours qu'un matin s qu'il y avoit tout plein de créanciers dans fon anti-chambre, il donna des coups de baton aux uns, des coups de pied dans le cul aux autres; de facon que, comme par fon commandement, j'avois aidé a les mettre dehors, ils fe mirent cinq ou fix après moi, dans Ia rue, oü ils m'équipèrent en enfant de bonne maifon ; cela fit , qu'avec les coups de plat d'épée qu'il me donnoit en particulier, je le' laiffai-la; & puis, affüte-toi, mène les chevaux qui voudra. Dans les commencemens que j'étois a fon fervice, je ne favois pas encore le trantran de  DE M, GUILLAUME. 47 fon allure ; c'eft pourquoi, une fois qu'il fortoit de 1'opéra, & qu'il y avoit bien du monde a la porte , il me dit tout haut : chez la marquife. Quelle marquife, lui dis-je; chez la marquife oü j'ai diné, répondit-il ; ah ! ce lui fis-je, dans la rue de la Huchette, je fais oü c'eft. Cette réponfe fit rire tout ce qui étoit la; & fi pourtant, on ne favoit pas que c'étoit une couturière: 5a n'importe, en defcendant du carroffe il me promit vingt coups de baton, quand nous ferions a la maifon ; je ne les ai pas comptés, mais fi je favois laiffé faire, du train qu'il y alloit.... la pefte .... mais ca m'apprit a vivre. Le lendemain , le valet-dechambre & le laquais me dirent fon allure, & je n'y fus plus attrapé. M. le chevalier avoit trois ou quatre femelles , tant coëffeufes , que couturières & autres, dont il faifoit des marquifes & des comteffes dans le monde; leurs appartemens étoient toujours au quatrième étage. Il n'y a pas de tapillier qui fache mieux meubler une chambre que lui, & a peu de frais. D'une tapilferie de I'hiftoire de Bergame, il vous en fait une haute-liffe; & de chaifes de paille, des fauteuils de damas ; les habits & les diamans ne lui coütent pas plus : on peut dire que c'eft un bel inftrument que fa langue.  48 Htstoirk Du fcfte il en fait acroire a tout le monde 4 & quelquefois il joue des jeux fi dröles, qu'on ne peut pas s'empêcher de rire ; vous allez voir. Un foir qu'il foupoit au fauxbourg SaintGermain, avec plufieurs de fes amis, la Roche, fon valet-de-chambre , va 1'avertir , au milieu du fouper, que je fuis en bas avec fon petit carroffe gris & fes chevaux de nuit. Aufïi-tót il dit tout bas, que toute la table 1'entendit, a un de ces meiïieurs , qu'il va a un rendez•vous, & qu'ils n'ont qu'a toujours fe réjouir, en 1'attendant, paree qu'une petite heure fera fon affaire. II monte, en me difant: au Marais, a toutes jambes; & je té mène a. 1'ordinaire, grand train; mais il me fait arrêter au bout de la rue, pour me dire d'aller, au pas, a la place aux veaux. Quand nous y fommes arrivés, il defcend pour regarder de quel cöté venoit le vent; moi, je ne favois ce que cela vouloit dire; comme il vit qu'il ne ventoit pas , il fe mit a taponner toute fa frifure, a fe peigner avec fes doigts; en un mot, a s'ébouriffer tout au mieux; apres il fe déboutonne , puis fe reboutonne tout de travers ; il déroule fes bas , chiffonne fes manchettes, óre le bouton d'une ; fe  Ï3E M. GtJlLtAüME, 4.9 fe mk du rouge au bout du nez, arrache fa mouche du front, fe marche fur les pieds ; enfin, II fe met. comme en revenant du pillage. Quand cette farce-la. eut dure environ une demi-heure, il remonte & m'ordonne d aller doucement jufqua cent pas de la maifon oü étoient ces metfieurs, & d'entrer dans Ia cour k toute bride. Son laquais, la France, m'a dit, qu'il étoit arrivé dans la chambre tout effoufllé, & qu'il avoit dit k fes amis, que ga n'avoit pas été fans bien de la peine , comme il y paroiffoit, qu'il étoit venu k bout de la petite ducheiTe» II a fait cent tours pareils, qu'on prenok pour argent comptant; mais il lui arriva, une fois, une vilaine cataftrophe avec une vraie préfidente de campagne; c'eft la bonne fortunè Ia plus relevee qu'il ait eue , fi tant eft qu'on veuiüe 1'appeller bonne fortune, k caufe de la fagon dont cela tourna. Si elle avoit bien fini, M. le clievalier n'auroit pas manqué de s'en vanter; & puifqu'il faifoit de fes Couturières des duchefies, il auroit fait de madame Ia préfidente, au moins une impératrice. Après tout, c'étoit aufii belle catin que beau robin, car madame !a préfidente lui reffembloit prefqüe pour les fagons. Eüe avoin été quelquefois a la cour, quand tout le monde Tome X. D  ƒ0 HlSTOIRE y va voir jouer les eaux a la Saint-Louis, & a la procefGon des cordons bleus. Avec ga que comme i elle avoit vu des ducheffes de condition, & autres , a 1'opéra , ou ailleurs, elle en avoit pris les manières aifées. Ils fe faifoient donc accroire tous les deux, que des veffies étoient des lanternes; en forte que madame la préfidente , promit de venir fouper, un foir, a la petite maifon de M. le chevalier : elle auroit bien voulu que g'eüt été a la fienne, a el!e-même, car elle étoit outillée de tout ce qu'il faut pour les rendez-vous: mais elle 1'avoit prctée a une de fes amies, qui faifoit comme fi elle avoit été a elle. Madame la préfidente arriva la première , comme cela fe pratique aujourd'hui; & quand M. le chevalier fut venu, ils fe mettent a fouper tête-a-téte, comme des fourbilfeurs. Pour moi, 'après avoir bu deux coups d'une main, & autant de 1'autre, je vais chercher a roupiller un fornme , dans le jardin , a la belle étoile. II y avoit prés d'une heure que je tapois de 1'ccil au mieux, quand je m'entends réveiller par deux voix qui parloient auprèj de moi; on voyoit clair comme dans un four; mais je reconnus bien la parole de M. le chevalier, qui affuroit madame la préfidente,qüil n'avoit  DE M. GUIILAUME. ft aimé perfonne comme elle. Chevalier, lui répcndoit-on, vous hafardez beaucoup ; un homme auffi répandu que vous 1'êtes , a du reflentir de grandes paffions : il eft vrai , reprenoit mon maïtre, & je ne fuis pas affez fot pour en difconyenir; mais je vous jure , en honneur, que je n'ai jamais été auffi vivement amoureux que je le fuis a cette heure : & voila juftement, dit la préfidente , cette vivacité que j'appréhende ; vous n'ignorez pas, chevalier, que je fuis veuve, & encore affiz jeune pour appréhender de compromettre ma réputation. Je vous jure, reprenoit mon maïtre , qu'elle ne court aucun rifque avec moi, & que je fauraï la ménager. Allons, ma reine , plus de réfiftance ; rendez-vous aux emprefiemens du plus amoureux de tous les hommes. La converfation finit la, pour un petit bout de temps; car, un moment après, madame la préfidente dit, a moitié bas: eh, mais, chevalier , vous n'y penfez pas ? Vous me prenez apparemment pour une griiette vous n'avez nulle confidération ötez-vous, cela eft horribie ..... c'eft malgré moi, je vous allure vous m'affommez vous aviez bien raifun de dire que ma réputation ne courroit point des rifques avec vous.... retournez d'oü vous venez vous êtes un D ij  5"2 HlSTOIRE infolent on n'en ufe pas ainfi avec une femme de ma qualité. Je m'appergus bien que la préfidente s'étoit dépétrée de M. le chevalier, car elle demanda fon carroffe, &, malgré tout ce que put faire mon maïtre, elle monta dedans, & le laiffa la avec fa courte honte. Cette affaire-la lui fit bien de la peine ; & comme il avoit, outre cela, befoin d'argent, nous allarnes auprès d'Orléans, oü il avoit des lettres pour en ramaffer. II j avoit dans le village une jeune fille, fort jolie , qui avoit demeuré a Paris fort long-temps, avec fa mafaine, qui 1'avoit prife en amitié auprès d'elle; mais comme elle étoit venue a mourir, Javotte étoit retournée avec fa mère , pour refter dans le pays, ce qui ne lui plaifoit guère. La Roche, qui étoit au fait de la commiffion, tourneviroit cette jeuneffe, pour la faire omber dans les filets de fon maïtre ; il lui avoit fait accroire, que fi elle vouloit 1'époufer en mariage, il demanderoit fon congé de valetde-chambre, pour être conciërge du chateau, ou pour aller vivre a Paris a louer des chambres garnies. La fille, qui étoit futée,aimoit mieux 1'un que 1'autre ; paree qu'a. Paris on a une bien meiileure liberté que non pas a la campagne, 11  ¥>E M. "ÖUIl'tA'üME. H Svec tout cela, elle voyoit bien qu'il avoit peut-être envie de 1'attraper , ce qui faifoit qu'elle ne croyoit pas la rnoitié de ce qu'il lui difoit. Je voyois bien la manigance de la Roche; j'avois envie de découvrir, a Javotte, la mêche du paneau oü on vouloit la faire tomber; mais favois peur auffi , que fi cela venoit a être fu de M. le chevalier, je lui payerois tot ou tard. J'étois donc bien embarrafle , comment m'y prendre ; quand, un beau jour que j'étois dans le pare, a faire, je ne fais pas quoi, je vis paffer la Javotte , & la Roche qui alloit après elle; je les fuis a pas de loup, jufqu'a un petit endroit oü ils s'affirent fur 1'herbe ; je me cache derrière un builfon, d'oü j'entends toute leur converfation, que voila, comme je 1'ai retenue, en propres termes, mot a mot. La Roche lui difoit, pourquoi ne vouloir pas croire ce que je vous dis des bontés que mon maïtre a pour moi ?. II ne me laiffera jamais manquer de rien ; & il me difoit encore hier , que fi j'avois Ie bonheur de vous époufer, il ne prétendoit pas que je me retiraffe de fon fervice, comme. j'en avois formé le deffein : Le fien eft, que vous demeuriez ici, dans le chateau ; votre logement eft marqué', c'eft dans 1'aile gauche, du cöté du petit bois,  5"4 Histoire paree qu'il trouve qu'il eft néceflaire que jè fois logé auprès de lui; & naturel que vous foyez avec moi. Cependant nous aurons une chambre féparée, afin de me trouver plus a portee de mon fervice, & pour ne pas interrompre votre repos, quand, par hafard, dans la nuk, il aura befoin de moi. ! Ces mefures-la, re'pondit Javotte, qui voyóit bien ce qui en étoit, font bien prifes ; je crois que qui les dérangeroit, vous feroit grand dépit, Ce ne feroit, repliqua la Roche, que par rapport k M. le chevalier, qui mérite toutes fortes d'attehtions ; fi vous faviez jufqu'oü s'étendent fes bontés pour moi, avec quelle amitié il ïn'afiure qu'il veut travailler k ma fortune vous verrez , vous verrez de quel air il s'y prendra ; je fuis perfuadé que vous en ferez furprife. Point-du-tout, dit Javotte, je m'y attends, & que vous la méritez cette fortune, par toutes vos complaifances ; mais, dites-moi une chofe: fi je deviens votre époufe, ne faudrat-il pas que je fourniffe auffi mon contingent de ccmplaifance ? Je crois vous entendre, re'pondit le valetdechambre en riant un peu, celle qu'il pourroit exiger de vous, ne doit vous caufer aucune inquiétude par rapport a moi. Et quoique je vous aime chcremeat s j'ai trop dc bon fens  deM. Guillaume. 57 pour donner dans Terreur commune. Non, non , je ne fuis pas aftez fat pour me mettre en tête que vous ne puifliez plaire qua moi. Un homme feroit ridicule de vouloir que fa femme ne fut belle qua fes ycux. Ah ! je vous entends, re'pondit Javotte, vous feriez homme a vous prêter a certains pctits defleins, que M. le chevalier pourroit avoir fur ma perfonne. Ayez meilieure opinion de moi, repliqua vïtement la Roche. Cependant je crois qu'on peut, fans pécher contre 1'exade bienféance , ne pas s'arrêter a cent pctiteffes qui ne valent pas qu'on y penfe , & fur lefquelles cependant le commun des maris fe gendarme. Je m'expüque : je vous fuppofe marie'e ; M. le chevalier vous a vue; il fait que vous êtes belle , & il le verra de plus pres, quand nous ferons unis. Je le connois pour un conteur de fleurettes , & c'eft tout. Le bon feigneur n'en demande pas davantage: il vous cajolera fur votre beauté, fur vos agrémens, que fais-je, moi? fur mille chofes , qui le plus fouvent échappent a un mari. Eh bien ! irai-je fottement me facher de ce qu'il eft poli, galant? de ce qu'il vous trouve de fon goüt? Ce n'eft pas ma faute. Je ne lui ai pas dit, pas fait remarquer. Entre nous, n'aurois-je pas mauvaife grace de faire le jaloux? pour une bagatelle qu'il vous aura D iv  5& HïSTOlRE tiite en paffant ? bagatelle qui, en effet, n'en- efcqu'une qui ne porte nul coup. Galanterie que vous dira le premier qui vous verra : car ce que je vous dis de lui, je le dis de tout le monde. Les hommes fe font fait une habitude de débiter la fleurette, & les femmes de s'en repaïtre avidement. Pourquoi s'oppofer au torrent ? k un ufage établi, &, pour ainfi dire, genéralementregu? En vérité , mademoifelle, ce feroit être ridicule de gaieté de cceur. Si j'en fuis cru, je ferai le maïtre, fur eet article, dans mon ménage. C'eft-a-dire, répondit Javotte, que vous comptez avoir toute 1'autorité, & me faire partager le déshonneur. Le déshonneur ! reprit la Roche, expreffion vague, que chacun interprète k fa manière, & que perfonne n'entend au jufte, pour lui vouloir donner trop d'étendue. Je n'ai pas plus. a'efpnt qu'un autre ; mais un gros bon fens m'enftigne k faire peu de cas d'une chofe d'elleïnême fi chimérique, qu'étant réalifée, elle ne produit aucun mal effe&if. Cependant il y a des gens affez fots pour s'en formalifer, & pour publier les vifions qu'enfantsnt d'autres vifions; pius un homme fait voir clairement qu'il eft un fot, moins il paffe poqr 1'être. N'eft-ce pas bien entendre fes intéréts ? Quoi ! paree qu'il a plu k quelques. cerveaux creux de rendre les  Femmes dépofitaires de ce qu'on appelle notre honneur, il faut crier au voleur, quand elles le laiffent échapper! On veut que j'aille publiquement demander raifon d'un mal, dont je ne me ferois jamais plaint, fi mon voifin, que la chofe n'intéreffe point du tout, ne s'avifoit pas de s'en formalifer pour moi. Les maris de votre efpèce, dit Javotte, devroient faire imprimer cette morale-la. Penfezvous, repliqua la Roche, que les femmes euffent tort de contribuer aux frais de 1'impreffion; elles y ont autant & même plus d'intérêt que nous. Je vais vous le prouver, ajouta-t-il, en retenant Javotte qui vouloit s'en aller, fi vous voulez me prêter un moment d'attention. Et fans attendre fa réponfe, il continua: Quand nous vous avons confié la garde de notre honneur, nous favions que vous le défendriez mal; & par un raffinement de fottife, oui , de fottife , c'eft le terme convenable , nous avons mis en ceuvre toutes les rufes dont on fe ferviroit contre un ennemi , dont on connoitroit la vigilance & 1'intrépidité. Nous favions bien que vous fuccomberiez même a de moindres efforts; mais nous avons voulu nous mettre dans le cas de vous faire les reproches que mérite votre impertinence. Nous faiions bien pis, a la honte de notre fexe plutöt  H I S T O I R E que du vótre. Quand nous vous avons vaincuer, nous vous infultons en indignes vainqueurs : nous nous réjouifTons de votre défaite, comme fi nous n'y perdions pas plus que vous ; con- venez donc, mademoifelle . En voila aftez, dit Javotte, en s'en allant, je n'en veux pas entendre davantage. La Roche vouloit encore la retenir; mais elle le rabrona de fagon, que je vis bien qu'il n'y avoit rien a faire pour lui, c'eft ce qui me fit prendre la hardieffe de lui propofer de la prendre en manage pour moi tout feul. Je n'attendis pas plus tard que le foir même oü je la trouvai feule, & tout a la franquette, je lui lache ce que j'avois fur le cceur a fon égard : elle ne me met ni dehors, ni dedans, de fagon que j'avois bonne efpérance, d'autant plus qu'elle netoit pas a favoir que j'avois quelque chofe devant moi a Paris, des profits que j'avois e'pargnés en menant 1 equipage; de forte que ga faifoit un petit magot bien joli pour une fille qui n'avoit rien du tout. Deux jours après, mademoifelle Javotte, de fa grace me dit qu'elle alloit bientöt partir pour Paris avec fa mère , pour tacher de trouver une bonne condition , & que fi je veux les aller trouver la, nous parierons d'affaires. Ce qui fut dit, fut fait; le lendemain de  DE M. GuiLLAU ME. S9 leur départ, je me mets a les fuivre a beaupied fans lance, après avoir demandé i M. le chevalier , de 1'argent & mon congé ; il me donna 1'un , tout fur le tas, & je cours encore après 1'autre. Ca n'empéche pas que je ne rattrape mes gens a Montlhéry, d'oü nous arrivons a Paris, chez une blanchiffeufe de ma connoiffance, oü mademoifelle Javotte & fa mère furent bien recues. Comme on ne trouve pas des conditions, d'aucunes qu'il y a, dans le pas d'un cheval, mamfelle Javotte , & fa mère, furent un bout de temps fur mes crochets , que mon faint frufquin s'en alloit petit a petit, je propofa le mariage pour tout de bon; & comme la mère voyoit bien que j'étois le fait de fa fille, ca fut bati en quinze jours. La belle - mère s'en retourna au pays après la noce; & moi je trouve la condition duquel je vais vous parler, & oü notre femme entra par la fuite.  $o His rcfis? HISTOIRE De madame Allain & de M. Vabbé Evrard, Ce fut tout bonnement & par un cas fortuit du hafard, que j'entrai au fervice de cette dame. Comme elle paffoit un jour fur le Pontneuf, un fiacre accroche fon équipage, fi tellement fort , que fon cocher tombe a bas, fans pouvoir remonter. Comme j'étois la préfent en perfonne, je m'offre a monter fur le fiége , ce qu'elle accepte. Son cocher ne pouvant plus mener depuis fa chüte, elle le fit fon portier, & moi j'ai pris fa place. C'étoit une bien brave dame, veuve fans en* fans, de quarante-deux ans environ, qui avoit été belle femme, & qui en avoit encore de beaux reftes. II y avoit dans la maifon , M. 1'abbé Evrard, qui conduifoit tout. II étoit gras comme unmoine, & cependant il ne mangeoit guère que des petits pieds; fon vïfage étoit frais & vermeit comme une rofe, a caufe du bon vin de Bourgogne qu'il buvoit, pour fortifier fon eftomac contre le bréviaire; il n'y avoit jamais  DE M. G U I E L A ü M E. &Ü fur fon habit, ni fur fon chapeau de caftor, la moindre petite ordure. Ah! c'étoit un homme bien propre l Tout d'abord que je le vis, je le pris en amitié, car il avoit fair d'un luron; mais j'ai bien trouve? a déchanter par la fuite. Quand on eft nouveau venu dans une maifon, on n'en fait pas le trantran ; cela fit qu'un jour je payai du vin au portier , dont j'avois pris les chevaux, pour afin qu'il m'inftruife de tous les tenans & aboutiffans. II me dit donc, que madame Allain, c'étoit notre maïtrefTe, étoit la meilleure femme du monde , quand on ne la contrarioit point; paree que M. 1'abbé lui avoit appris , qu'il ne falloit pas qu'un domeftique dife non , quand le maïtre dit oui; quand même le bourgeois auroit tort, paree que le valet eft un impertinent , quand il a plus de raifon que fon maïtre. Pour ce qui eft d'a-l'égard de M. 1'abbé, qu'il étoit, comme je le voyois bien par mes yeux, un gros compère qui avoit tant d'efprit, qu'il n'y avoit que madame qui put entendre quelque chofe a fes difcours ; il en faifoit a toute la maifon , en manière de pröne ou de fermon , les dimanches & fêtes , plutöt que d'aller a la paroilfe, paree que M. Evrard difoit,  6a HisToire que les prêtres de la ne favoient pas la bonnö religion comme il faut. Que madame Barbe, la gouvernante autrefois de madame Allah, ne faifoit prefque plus rien dans la maifon , a caufe qu'elle étoit vieille , que de porter tous les matins un bouillon a M. Evrard, & de lui faire fon chocolat, quand il étoit levé, & fon café de Faprès-dinée ; & que madame ne vouloit pas qu'elle fit oeuvre de fes dix doigts, que pour fon fervice a lui. Que mademoifelle Douceur, la fille de chambre, faifoit tout ce qu'il falloit aux environs de madame, excepté de baffiner le lit de M. 1'abbé, 1'hiver , qu'il faifoit froid , & de lui mettre fes rjoines a cöté de fes jambes , & fa boule d'étain pleine d'eau chaude aux pieds, quand il étoit dans le lit. Que M. Coulis, le cuiGnier , avoit ordre de faire tout de fon mieux en fricaffées, & fur-tout en foupe ; paree que M. 1'abbé difoit, a chaque bout de champ, que le bon potage faifoit le bon eftomac. Qu'il n'y avoit pas pour le préfent d'ofïïcier en confitures, a caufe qu'on avoit renvoyé Ie dernier qui ne faifoit pas fon métier, comme M. Evrard le vouloit, qui s'y connoiffoit mieux que lui. On en avoit mandé un de Tours & un de Rouen, pour voir a qui feroit le mieux des deux.  DE M. GUILLA UME. 6$ Enfin finale, qu'il falloit que tout !e monde obéït a M. 1'abbé, qui n'en faifoit qu'a fa tête, comme les bonnetiers, dans la maifon oü il étoit maitre de tout, jufqu'a manier 1'argent de la daronne, fans compte ni mefure. Quand je fus bien inftruit de tout cela, je m'arrange la-deffus, de facon que j'obéiffois plutöt a monfieur qu'a madame. Malgré tout cela, je manquai pourtant d'en fortir. Un jour que j'avois un peu viné, j'avois menê M. Evrard, pour prendre 1'air, dansles allées de Vincennes. En revenant, comme je voulois paffer plutöt qu'un autre a la porte Saint-Antoine, nous accrochons tous les deux, pas bien fort pourtant, mais affez pour réveiller M. 1'abbé qui fommeilloit dans le carroffe. II ne fut pas plutöt arrivé a la maifon, qu'il alla dire a madame, que j'étois un brutal qui ne favois pas mener; & qu'il falloit en prendre un plus doux. Moi, qui ne favois rien de rien, je fus bien étonné , quand madame me fait appelier, pour me fignifier qu'il faut que je faffe mon paquet pour le lendemain, qu'elle prendra un autre cocher. Je ne pus m'empêcher de demander la raifon pourquoi ? Et M. 1'abbé me répond, que c'eft pour m'apprendre a ne pas accrocher, au rifque I  % HlS'TOlRE de faire tuer le monde, k caufe que je fuis un ivrogne qui put le vin d'une lieue. J etois faché de fortir pour un fi chétif fujet; mais enfin , on ne refte pas chez le monde malgré eux. Le lendemain, comme je vas pour monter a 1'appartement de M. 1'abbé, & recevoir mon argent, voila ma femme qui vient m'apporter du linge a rechanger, & je lui conté mon hiftoire dans la cour, que M. Evrard nous voyoit par la fenêtre. Madame Guillaume fe mit k pleurer de me voir fur le pavé; moi je la confole de mon mieux, & je vas chez M. Evrard pour toucher mes noyaux. Mon compte étoit tout prêt. Comme je mettois mon pouffier dans ma poche, M. 1'abbé me fait la grace de me dire : quelle eft cette jeune femme a qui vous parliez dans la cour? Monfieur, vas-je lui répondre, c'eft la mienne. Vous êtes donc marié, ce fit-il ? Oui, monfieur; vous n'êtespas k le favoir, lui fis je. Oh ! cela change la thèfe, il faut avoir de la commifération pour les gens qui ont de la familie. Combien avez-vous d'enfans ? Celui ou celle qui va venir, lui répondis-je , ce fera le premier. C'eft une raifon de plus qui engage ma chanté k demander grace pour vous, dit-il; 1'état dans lequel fe trouve votre femme, & la misère, oü vous vous verriez, peut-être, bientöt plongé  DE M. GUiLLAUMB, %f pïongé, étant fans condition , me font oublier vos fottifes: allez , retournez a votre devoir, j'obtiendrai votre pardon; votre femme demeure-t-elle dans le quartier? Tout au contraire, monfieur, lui répondis-je ; elle eft vraiment bien loin ; mais, continua-t-il, elle doit •étre fatiguée de venir de fi loin ? Je crois qu'il y a, ici-deffus, une petite chambre oü 1'on pourroit la loger ; elle fera plus a portee des fecours que fon état exige. La charité de madame Allain s'étend fur toutes fortes de fujets indiftin&ement; mais il eft naturel que fes domeftiques foient préférés : je vais lui demander le logement de votre femme, faites toujours apporter fes petits meubles, en attendant. Je demeurai fi ébaubi, en voyant tant de bonté , que je reftai comme une fiatue qui ne fouffle pas, fans pouvoir le remercier. Dans le temps que je raconte tout cela a madame Guillaume, notre maitreffe nous fait venir tous les deux devant elle. Après bien des queftions, & des oui, & des non , a caufe que madame Allain n'avoit jamais voulu avoir de ménage chez elle , enfin, il fut arrêté que ma femme coucheroit dans la petite chambre, au-deffus de M. 1'abbé, & moi, dans la mienne, a 1'ordinaire, fur 1'écurie. II me parut , a quelques paroles que dit Tomé X. E I « «  g£ H I S T Ö I R E mamfelle Douceur, qu'elle n'étoit pas biea contente de voir madame Gulllaume dans la maifon ; mais, comme on ne lui demandoit pas fon avis, c'étoit a elle a fe taire. Cela n'empêcha pas notre femme de venir s'y inftaller quelques jours après; & ce qui fit encore plus de peine a la chambrière , c'eft que M. 1'abbé fit manger madame Guillaume a 1'offtce; & puis , quand elle fut prés de fon terme, on lui en portoit dans fa chambre, a caufe qu'elle pouvoit fe bleffer en montant ou en defcendant ; de fagon qu'elle étoit bien choyée. J'étois fi aife de voir toutes ces bonnes jnanières, que je me ferois mis dans la glacé pour madame, & dans le feu pour M. 1'abbé, qui prenoient tant de foin de ma femme & de fon fruit, qui fut une petite fille, qui vint un peu plutöt que madame Guillaume ne croyoit ; cela fit que madame Allain ne lui donna qu'une petite layette de rien , au lieu d'une plus belle ; mais M. 1'abbé dit a madame Allain, qu'il n'y avoit pas grand mal, paree que 1'autre ferviroit pour le premier enfant qu'auroit notre femme. Tout alloit le mieux du monde dans la maifon , oü chacun étoit content, a. 1'exception de mamfelle Douceur, qui me lachoit toujours quelques brocards en paffant, fur madame  DE M. GüILEAüMË, 'Cj Guillaume, & M. 1'abbé. A la fin, pourtant, cela me mit martel en tête; de forte que je nae mis a les efpionner pendant longtemps, fans rien voir de ce que difoit mamfelle Douceur, que je vis bien qu'elle n'étoit qu'une bavarde. Un beau jour, elle crut avoir ville gagnée, en m'apportant une lettre d'amour de M. 1'abbé, a ce qu'elle difoit, & qu'elle avoit vu tomber de la poche de ma femme; elle me la lut plus d'une fois, depuis un bout jufqu a 1'autre, fans y rien comprendre de ce qu'elle vouloit qui fut dedans, contre mon honneur ; & vous allez voir, qua la vérité, il n'y avoit rien du tout de cela: car voila que je vous la mets devant les yeux. 55 Ma très-chère fceur, 55 Je goüte enfin, avec une entière fuavité, 55 le fruit de la nouvelle vie dont j'ai eu le 95 bonheur de vous enfeigner la pratique; & 55 vous êtes prête d'entrer dans la perfecfion 55 dont je vous ai vanté les douceurs ineffables. 55 Je m'appergois auffi, avec plaifir, que vous 55 n'avez plus ces féchereffes , dont la privation 55 ne vous caufoit, autrefois, que d'imparfaits 5» embrafemens de cceur; féchereffes, qui nous  jSB Histoire 3j faifoient mutuellement défefpérer de parve33 nir jamais a eet état de béatitude, qui fait 33 la récompenfe de la vie unitive , dont nos 33 plus grands & plus pröfonds do&eurs nous 33 font un fi beau portrait; cependant comme 33 je crois, & que je fais, par ma propre 33 expérience , qu'il eft bon quelque fois de 33 s'éloigner des principes généraux, je ne 33 faurois trop vous répéter, que pour faire 33 ceffer ces cruels combats, qui vous font as reffentir encore les violentes fecouffes des 33 tribulations intérieures, il faut un peu s'é33 carter du contemplatif, fans cependant le 33 perdre de vue, pour donner quelque chofe 33 de plus a Tactif. Coopéréz donc, doréna33 vant avec moi, ma très-chère fceur, a Ia 33 perfeótion de ces douces extafes , dont votre 33 tiédeur vous a privée jufqu'a. préfent, malgré 33 les foins que je me fuis donné pour vous les as faire gouter, dans leur entière plénitude. 33 Que tröuvez-vous donc k cela, dis-je k mamfelle Douceur, quand elle eut fini de lire ? II n'y a pas la-dedans un feul mot, de ce que vous voulez me faire accroire. C'eft vraiment un bel & bon fermon, & vous voulez que je me plaigne de ce que M. 1'abbé veut bien pröner notre femme? Non ferai, ma foi; au contraire, je lui en aurai obligation , toute ma vie vivante.  Sje M, Guillaume". "6$ Ah ! puifque vous le prenez fi bien, répondit-elle , il faut vous en donner encore un paquet; vous m'avez l'air de le bien porter, pauvre M. Guillaume; que vous avez 1'efprit bouché ! vous n'entendez donc pas ce que ces termes-la veulent dire pour votre honneur ? Pour mon honneur , répondis-je ? Vous avez donc la berlue a 1'efprit ? Allez , allez , mamfelle Douceur, tant qu'on ne pariera que comme cela a ma femme, je n'ai pas peur de loger a 1'enfeigne de jen tenons. Tant mieux pour votre femme, & pour votre repos, M. Guillaume , me dit-elle ; mais fi vous ne camprenez rien a ces mots-la, 1'abbé les lui fera bien entendre : le fcélérat ! je ne fais a quoi il tient que je ne 1'étrangle : eet indigne ! après ce qu'il m'avoit promis. ... & tout de fuite elle s'en va en jetant quelques larmes, qui ne laifsèrent pas que de me donner a penfer, que M. 1'abbé lui avoit peut-être promis plus de beurre que de pain. J'ai eu cette idéé-la dans la penfée, pendant plus de huit jours; mais une chofe, que j'appergus, au bout de ce temps-la, me fit venir toute autre chofe dans 1'efprit, tant fur elle, que fur madame Guillaume. Un matin que j'étois dans mon grenier a 1'avoine, pour la remuer, comme c'eft la ma- E lij * 1  7° HlSTOIRE mère dans les cochers, pour empêcher'qu'elle ne s'échauffe, je vis de dedans un coin , oü j'étois par k fenètre , M. Evrard qui étoit en robe de chambre auprès du lit de madame , & qui lui parloit de bien prés a 1'oreille, de facon que je ne voyois pas leurs mains, ni a 1'un, ni a 1'autre ; cela fit que je me douta de quelque chofe, avec autre chofe d'une autre fois, qu'il raccommodoit la jarretière de madame , couchée fur fa duchefie. Cela me donna de la curiofité de voir mieux; mais comment faire ? On pouvoit me voir par lafenêtre. Je fonge en moi-même que madame m avoit ordonné d'aller, tous les matins, fa voir .fi elle fe feryiroit de fes chevaux. C'étoit une bonne invention pour me couler chez elle, comme je fis tout bellement. Je ne rencontre ame qui vive jufqu'a la porte de la chambre, qm étoit entre-baillée; de facon que je ne voyois d'un ceil, dans un miroir vis-a-vis, que la moitié de ce qui fe .pafToit fur le lit; mais en récompenfe, j'entendois tout ce qui s'y parloit, & c'étoit madame Allain qui, dans ce temps-la, difoit a M. Evrard : a quoi, mon cher abbé ,dois-je attribuer la froideur, pour ne pas diré 1'indifférence , que vous me faites éprouver depuis quelque temps ? Moi , froid ! moi mdififérent ! répondit-ilj je ne fus jamais plus  DE M. GÜILLAÜMI. 7T 'épris, plus charmé, & plus en état de répondre aux bontés dont vous m'accablez; & il falloit que cela fut comme il le difoit, car ils ne parloient plus, ni 1'un ni 1'autre, que par des paroles entrelardées de foupirs & de ha ! ha ï oü je ne comprenois rien; c'eft pourquoi j'allois me retirer, quand mamfelle Douceur arrivé, qui me demande ce que je veux. Savoir fi madame fortira ce matin, lui dis-je; mais je n'ai pas ofé entrer, paree que je crois qu'elle eft avec M. 1'abbé, en converfation férieufe, qui ne regarde qu'eux d'eux. Paffe encore pour elle , répondit en grognant la chambnère ; mais pour une autre, il me ie paiera, ou je ne fuis pas fille. Allez, M. Guillaume, continua-t-elle , je vous ferai avertir fi madame a befoin de vous; mais apprenez toujours de moi, en paffant, qu'il ne faut pas fe Eer aux detits collets. Je compris bien, par ces paroles, ce que mamfelle Douceur vouloit me faire entendre » fon fujet, comme a celui de madame; mais je ne pouvois pas me fourrer dans la caboche, qu'un abbé étoit capable de ces fortes de chofes-la, envers la maïtreffe & la fervante ? qu'il yen avoit affez d'une des deux, pour un homme tout feul: & ce qui me paffoit encore, e'eft que cette petite langue de ferpent vou-  72 HlSTOIKE lort me faire accroire, comme a un Glaude, que madame Guillaume avoit part au gateau; d'autant plus que je favois bien encore, par rnoi-même, que ma femme n'étoit pas trop fur fa bouche de ce cöté-la , & puis, d'ailleurs, que la lettre qu'il lui avoit e'crite, ne parloit pas du tout comme ce qu'il difoit i madame. Les jours allans & venans, comme dit 1'autre, il arriva, pourtant a la fin , que mamfelle* Douceur favoit mieux que moi ce qui la regardoit du cöté de M. 1'abbé, qui n'en agit pas bien avec elle dans cette occafion-la; ce qui la fit aller aux oreilles de madame, qui ne fit femblant de rien, pendant quelque temps, pour mieux jouer fon jeu, comme vous verrez par après. A 1 egard de mamfelle Douceur, elle difoit, de fon cöté, qu'elle alloit voir fes parens dans fon pays ; mais il y avoit des gens de la maifon qui favoient bien qu'elle alloit être pigeon dans le colombier d'une fage-femme. Madame Guillaume prit fa place de chambrière auprès de notre maïtreffe , qui la fit coucher tout auprès de fa chambre , a porte ouverte, a caufe que depuis un certain temps, elle s'imaginoit de voir des efprits la nuit' dont elle avoit peur; & c'étoit pour la rafiurer^ car elle ne s'en rapportoit pas a M. 1'abbé, qui  be M. Guiiiaümi. 75 difoit qu'il n'y avoit jamais eu de revenans que dans la tcte des bonnes femmes. Je n'étoïs pas trop content de ce changement-la, qui m'empêchoit d'aller voir ma femme, comme je faifois quelquefois dans la petite chambre. Je fis enfin tant, par mon efprit, que bien fouvent, la nuit, j'allois la trouver dans fon lit, par le petit efcalier borgne; & je décampois toujours drès le grand matin, pour aller panfer auffi mes chevaux. Un jour pourtant, je ne fais comment cela fe put faire, je m'étois endormi fi fort, que je ne fongeai pas a me lever, a 1'ordinaire, au point du jour, que je voyois venir par la fenétre, dont je ne tirois pas le rideau; comme il avoit fait bien chaud pendant toute la nuit, je m'étois mis a l'air, fur le bord du lit, comme quand on fait bien que perfonne ne nous verra. En me réveillant, j'entends du bruit dans la chambre de madame, comme de quelqu'un qui marcheroit : aufii-tót je vois par le pied du lit, que c'eft madame Allain, rien qu'avec fa chemife, qui entre oü je fuis; me voyant pris, comme un renard dans un bied, je m'avife de faire le dormeur, & je fais femblant de ronfler, fans remuer ni pied ni patte, tant que madame fut fur fa chaife percée, qui étoit dans un coin de la chambre, tout vis-a-vis de  74 HlSTOIBfi moi. On fait bien qu'une femme veuve a été mariée, & qu'elle n'eft pas apprentilfe ; c'eft ce qui me fit refter comme j'étois, fans changer de pofture, ni fans faire femblant de me réveiller, pour n'avoir pas la peine de lui faire des excufes: après tout, m'auroit-elle fait un pêché d'être couché avec ma femme ?" Si-tót qu'elle fut partie , je m'en allai aulïï a mon ouvrage , comme a 1'ordinaire , & tout fe paffa ce jour-la, a 1'accoutumée. La nuit d'après, en voulant aller voir madame Guillaume , je trouve la petite porte fermée. Ce qui me fit penfer que c'étoit par ordre de madame, qui ne vouloit pas que je couche avec ma femme. Cela ne me fit pa3 trop de plaifir. Je frappe tout doucement a Ia porte ; mais notre femme ne m'ouvroit pas, je penfe qu'elle eft dans fon premier fomme; c'eft pourquoi je m'en retourne avec fi peu de poiflon que j'ai pris. Le lendemain , comme j'étois après mes chevaux a cinq heures du matin, je vois madame a fa fenêtre , qui me fait figne de monter par le grand efcalier: elle ouvre toutes les portes elle - même , & paree que j'avois mes efcarpins d'écurie, elle me les fait laiffer dans 1'antichambre, pour ne pas faire du bruit. Je ne favois que penfer de tout ce manége: car elle n'avoit qu'un petit cotillon tout court;  de M. Guillaume. 73* maïs elle me dit: fi tu me promets de ne rien dire de ce que je vais te faire voir, tu auras tout lieu de te louer de moi. Je lui promis tout ce qu'elle voulut, & elle me mena tout au travers de fa chambre, dans celle de ma femme, que je vis dans fon lit, & monfieur 1'abbé étendu auprès d'elle, qui dormoient tous les deux. Cette vifion-la me furprit fi fort, que quand je n'aurois pas promis a madame Allain de ne rien dire de ce que je venois de voir , je n'aurois pas pu fouffler le mot: ma maitreffe m'entraïna jufques dans 1'anti-chambre, dont elle ferma les portes fur nous, & puis elle me dit: eh bien ! Guillaume, que penfes-tu de ce que tu viens de voir? Ah ! madame, lui répondis-je, je ne m'y ferois pas attendu; cela eft bien vüain pour un homme de eet habit-la. Je n'oleraï peut-être pas lui toucher, a caufe de fon caractère ; mais pour ma femme qui n'en a point, je vous la rofférai, qu'elle dira bien vïte hola! II n'en fera ni plus ni moins , mon pauvre Guillaume, dit-elle; & 1'éclat que tu ferois , apprendroit a tout le monde, ce qu'il eft bon qu'il ignore pour ton honneur & celui de ma maifon : mais ne t'inquiète de rien, je fais les moyens de te venger, & tu verras, dès aujourd'hui, comment je m'y prendrai. Achève de panfer tes chevaux, & för, les neuf heures  7$ HrsToiRg tu iras dire au révérend père Si'mon, que je le prie de venir diner ici aujourd'hui. Et qu'eft-ce que fera, madame, lui dis-je, le père Simon a tout cela ? Me remettra-t-il 1'honneur fur la tête, a la place de ce que ce chien de M. 1'abbé y a planté ? A préfent, voyez-vous, je ne me fierai ni a prêtre, ni k moine. Tu feras bien , répondit madame, je fuis bien revenue des uns & des autres: mais, exécute toujours ce que je t'ordonne ; je te donne ma parole, mon cher Guillaume, que dans peu nous ferons débarraffés de ce coquin d'abbé; tu auras le plaifir de me le voir mettre a la porte: vous feriez bien d'y mettre auffi ma carogne de femme, lui répondis-je. Cela n'en feroit peut-être pas plus mal, repliqua-t-elle: mais prends patience, tout ira bien ; j'efpère trouver les moyens de te guérir bientot du mal que je viens de te faire, en te découvrant la conduite de ta femme; tu verras que ce fera un mal pour un bien : attachés-toi k moi, & je ferai ta fortune : je te tirerai de 1'écurie pour te faire mon valet-de-chambre. Je ne ferai pas la première femme qui fe fera fervie d'un grand brun comme toi : ne dis rien de tout ceci a perfonne, & me laiffe faire. La-deffus elle me fait fortir, & rentre dans fa chambre. On a bien raifon de dire, qu'il n'y a rien qui guériffe de tout mal, comme le bien:car  öe M. Guillaume. 77 la penfée feule de la fortune, que venoit de me promettre madame Allain , me fit prefque oublier ce que je venois de voir: & puis d'ailleurs, quand votre femme a été capable de faire de ces écarts-la, celadiminue tellement la bonne opinion que vous devez toujours avoir d'elle , quand ce ne feroit que pour vous-même, qu'il paroit qu'on ne fe foucie plus qu'elle s'écarte ou non de fon devoir, paree qu'elle ne vaut pas la peine qu'on l'eftime, quand elle ne le mérite plus ; & qu'on eft indifférent pour les chofes, donton a raifon de ne plus s'embarraffer. Je me mis donc a prendre mon parti la-deffus , & cela fut bientöt fait , car j'y allois de bon cceur : je n'avois plus d'envie que de voir ce qu'alloit opérer le père Simon , quand il feroit venu pour diner, comme il 1'avoit promis , quand je lui en avois parlé. A fon arrivée , M. 1'abbé Evrard fit une moue longue d'une aune; car c'étoit fa béte: on fe met a table , fans que madame s'embarraffe de la mine de 1'abbé, qui fe mit a afticoterle moine pendant le diner , & il lui répondoit bravement fur toutes les chofes qu'il mettoit en avant, pour difputer; d'autant plus que madame étoit du cöté du révérend, contre fon ordinaire , ce qui fit que la moutarde monta au nez d'Evrard qui jette fa ferviette, & s'en va comme un fou, bouder dans fa chambre.  ?8 HlSTOIRE ^Cela fir-un efclandre, que tout le monde qui étoit-la, nous ne favions qu'en penfer; mais, madame prit tout d'abord la balie au bond • Guillaume, me dit-elle, allez dire a M. Evrard, que puifquil reconnoït fi mal 1'honneur que je lui fais , en 1'admettant a ma table, & qu'il y manque de refpeét aux gens que je confidère, il me fera plaifir de n'y plus paroitre dorénavant. Quand on m'auroit donné de 1'argent, madame ne m'auroit pas fait plus de plaifir que de me charger de cette commiffion , que je, vas vous lui faire tout chaud. Ne t'auroit-elle pas auffi chargé, me re'pondit 1'abbé, de me dire de fortir de chez elle ? Non, lui repartis-je; mais cela pourroit bien arriver fans miracle: quand on eft chaffé de la table , on ne met guère a Tetre de la maifon. Ces derniers mots que j'avois ajouté de mon cru, & a caufe de la bonne amitié que je lui portois, le mirent dans une colère qui me fit un grand plaifir: je crus qu'il m'alloit battre, & je 1'aurois bien voulu voir; car je lui aurois rendu de bon cceur fur le dos, le bois qu'il m'avoit mis fur la téte. Sur le foir, 1'abbé envoya demander a madame, fi elle vouloit bien lui donner jufqu'au lendemain pour lui rendre compte de ce qu'il avoit a elle : & madame Allain lui fit répondre,  de M. Guillaume. 79 qu'elle le vouloit bien. De forte que le jour d'après, il rendit fon compte tant bien que mal: mais madame étoit fi aife de s'en voir dépétrée, qu'elle ne prit pas garde a bien des petites chofes, qui ne laiffoient pourtant pas que d'être de conféquence. Ses meubles furent bientöt emportés; car il n'en avoit pas; ceux de fa chambre appartenoient a la maifon: a la fin il partit, & il n'y eut ni petit ni grand qui n'en fut bien aife, a 1'exception de madame Guillaume , qui ne faifoit pourtant femblant de rien, mais qui n'en penfoit pas moins ; car la bonne béte fit un trou a la lune deux jours après, qu'elle m'emporta ce que j'avois de plus beau & de meilleur pour courir après fon abbé. II faut qu'ils foient allés bien loin , car je n'en ai jamais eu ni vent, ni voix du depuis , & je m'en foucie comme de Colintampon. Madame Allain me donna Ie doublé pour Ie moins de ce que ma femme m'avoit emporté, ce qui fit que je fus encore plutöt confolé. J'eus commiffion de lui chercher une femme-dechambre & un cocher, & je lui donnai tous les deux a ma pofte. Quoique je ne favois lire, ni écrire, ni chiffrer, je pris fes affaires en main pour gouverner le ménage, comme avoit fait 1'abbé; en forte  que toutle monde m'appelloit M. Guillaunie, gros comme Ie bras, dans la maifon. Un matin qu'elle étoit dans fon lit, & que je lui rendois compte de quelque chofe, elle me va dire: tu vois, Guillaume, que j'ai beau; coup de confiance en toi; j'efpère que tu ne me trahiras pas comme ce fripon d'Evrard. Oh! pour cela non, madame, ce lui fis-je, car il faudroit que je fuffe un grand miférable ; & la-delfos je lui baife la main d'un bras qu'elle avoit hors du lit. Comment donc, dit-elle , tu es galant? Oh ! madame, répondis - je, je voudrois être auffi galant que vous êtes belle, afin de vous étre autant agréable: mais, fais tu bien, repritelle, que tu me fais une déclaration d'amour, & que je devrois m'en facher ? Qu'eft-ce que cela vous avanceroit, dis-je, a mon tour? il n'en feroit ni plus ni moins, & il vaut mieux que vous foyez bien aife que fachée. Je fais bien qu'un homme de mon acabie n'eft pas digne que vous correfpondiez k fon dire; mais fi vous aviez cette bonté-la, vous ne vous en repentiriez pas par la fuite. Je le veux croire, répondit-elle, ou je ferois fort trompée, ou tu es un honnèfe homme; mais ce n'eft pas encore affez, il faut être difcret. Oh ! n'ayez pas peur; allez , madame, lui dis - je , je fuis muet  de M. G u i l t a u m e1. Sr rnuet comme une carpe quand il le faut. Ladeffus elle fe mit a rêver, & moi a prendre fa main, puis fon bras; en forte que je découvre la couverture, a 1'endroit de fon fein , qui étoit blanc comme de la neige. Je me hafarde a mettre undoigt deffusun, & puis toute une main, enfuite les deux fur les deux; comme el!e rêvoit toujours, fans que cela la fit revenir en rien , je me hafarda, de lui prendre un baifer. Oh ! c'eft cela qui la fit revenir: retire-toi, Guillaume, dit-elle, en fe mettant a fon féant, tu es trop hardi, ou je fuis trop foible. Ëh bien ! ma-' dame, repartis-je, laiffez faire a ma hardieffs Sc a votre foiblefTe. Cela fera que nous aurons tous deux contentement: non, répondit-elle, auffi-bien j'entends ma femme-de-chambre: retire-toi, & fur-tout fonges que tu ne peux me plaire, que par la difcrétion. Et comme la* femme-de-chambre venoit véritablement , je dis a madame , en me retirant, que fur ce pied-la, je comptois que mon affaire étoit dans le fac. Je ne lui avois parlé , & fait ce que je viens de dire, que paree que j'avois reconnu qu'elle avoit de la bonne volonté pour moi, depuis un certain temps. Cela fe déclara bien mieux le lendemain, que nous mimes toutes nos flütes d'accord, pour vivre, par la fuite, d'une bonne, Tome X. E,  02 HlSTOIRE DE M. GUIEEAUMEV amitié parfaite avec toutes fortes de circonfj tances, les meilleures & les plus agréables; fans que qui que ce foit, s'en foit jamais appercu au point que c'étoit. Cela a duré, de cette fagon, pendant plus de prés de dix ans, qu'elle m'a fait le bien dont je vis a préfent a mon aife: après ce temps la, cette bonne dame mourut, en me lailfant encore quelque chofe par teftament, de même qu'a fes autres domeftiques. Depuis fa mort, je fuis a la campagne auprès de Paris, d'oü j'ai appris du maïtre d'école, a écrire , & lire dans les livres, qui m'ont fait venir 1'envie d'en faire un a mon tour, comme je vois que tout le monde s'en mêle. Si ces quatre hiftoires-la ne déplaifent pas au public, elles ne déplairont pas k d'autres, a coup sur : cela m'encouragera; & qu'eft - ce qui m'empêcheroit après cela, de tomber dans le bel efprit? de plus, que fait-on ce qui peut arriver dans le monde? Je ne fuis pas plus gros qu'un autre; & puis d'ailleurs, la porte de 1'académie n'eft-elle pas belle & grande? en tout cas, qu'eft-ce qu'on peut me reprocher ? que j'écris comme un fiacre , il y en a bien d'autres qui écrivent de même; & fi pourtant ils ne font jamais été ? Fin de I'hiftoire de M. Guillaume*  LE LIBRAIRE a qui a lu. A Ia füreur d'écrire, a fuccédé celle d'êtfe imprimé; & Ie bon M. Guillaume, mon voifin de campagne , ne m'a pas donné de ceffe, que je ne lui aie promis d'employer ma typographie, au fervice de fon ouvrage. Comme j'ai eu, dans le commencement, afTez de peine a entrer dans mes bottes, Tenvie qu'il avoit de paroïtre, en perfonne, au grand jour du lumineux théatre de rimpreffion, 1'a porté jufqu'a m'offrir de 1'argent pour parvenir a cela; mais le défintérelTement dont nous nous piquons, dans la librairie, m'a fait rejeter cette offre fcandaleufe, avec une efpèce de fainte horreur, a caufe, non-feulement paree que je craignois 1'appréhenfion de me voir expofé aux juftes reproches de mes confrères les libraires , mais, encore même, paree qu'une bonne confeience, bien timorée, ne fouffre pas certaines baffelfès, dans celui qui en eft revêtu. Parmi, & entre le fatras immenfe des hiftoires dont ce recueil eft compofé, j'ai choifi les quatre que vous venez de lire, cher ami le&eur; j'en ai corrigé le ftyle en extirpant les F ij  84 LE LIBRAIRE A QUI A LU. brouffailles dont elles étoient remplies du- depuis un bout jufqua Tautre. J'ai rectifie de mauvaifes inverfions , dures, rendues moins louches; des tournures amphibologiques & corrigé un très-grand nombre de mots, qui ne m'ont paru tout-a-fait dignes de la pureté de la langue francoife, tel que nous avons 1'avantage de la parler, au jour d'aujourd'hui. Enfin, je crois avoir mis lefdites quatre hiftoires en état d'être lues agréablement par un public écialrément judicieux, d'un goüt déhcat, & d'une jufte finefie de difcernement. Je pourrois même dire, que c'eft un petit fervice effentiel que j'ai déja rendu, fans rougir, a plufieurs de meffieurs nos plus célèbres auteurs, qui ne s'en font pas trouvé beaucoup plus mal, & de même que leurs ceuvres, que j'ai eu 1'honneur d'imprirner. Si je n'ai pas réuffi , pour cette fois, on dira du moins, a ma louange : laudahilis coronatus. Au furplus, comme mon talent n'eft pas de me piquer d'écrire, & que je ne cherche pas a cacher, fous une feinte modeftie appalente, le fervice que je crois avoir rendu a notre littérature, en me donnant pour 1'éditeur de ce petit ouvrage, dont je déclare, a la face du public, que je ne fuis point, en aucune fagon quelconque^ 1'auteur auffi cache' qu'anonyme.  AVENTURES DES BALS DE BOIS. F üj   LES BALS DE BOIS. L E T T R E De M. h comte Z***, a M. H marquis, &c. ]YÏonsieur, cher ami, & marquis; c'eft pour vous dire, que je ne vous regrette point ce port; quand vous feriez encore moins généreux qu'affurément vous ne 1'ctes pas, vous verriez, avec contentement, le récit de nos joies & Tamufement de nos plaifirs. Je crois que vous êtes inftruit,de 1'heureux mariage de notre ïncomparable dauphin; fi vous ne le favez, je vous 1'apprends. La bonne ville de Paris a fait Ia magnifique, on peut affurer qu'elle a tout mis par écuelles, pour en témoigner fon plaifir ; elle a donné fept grands bals gratis, qu'elle a fait batir par % F iv  §8 Les Bals de iois,exprès, pour ne fervir qu'a ga ; c'e'toir, comme qui diroit, de belles halles. La, 1'on a vu des Violons, des lumières comme en plein jour, & beaucoup de bonnes chofes a boire comme3 a manger; a vous dire le vrai, c'eft-la ce qu'on appelle des fêtes, & cela vaut bien mieux que des fufe'es violentes; ce n'eft pas qu'il n'y en ait eu, peut-être même en plus grand nombre ; mais , fauf votre refpeéf, d'une autre nature : les Parifiens font trop attache's au roi, pour avoir manqué a ce qu'Üs lui devoient dans une fi belle rencontre. Vous favez que je fuis affez Uen faufilé, & que je vais beaucoup dans les compagnies ; je me fuis fait un plaifir, rapport a vous, monfieur, cher ami, & marquis, de jramalfer plufieurs hiftoires, qui font arrive'es dans le nombre, & de vous les adrelfer. II y en a par-ci, par-Ia, de vos amis; & qui vous regrettent fouvent en trinquant le verre a Ia main, & la larme a la bouche. Sur ce, monfieur, cher ami, & marquis , vous priant d'excufer la liberté, je fuis & ferai toute la vie, Votre, &c.  PREMIE&E AVENTÜrE. 8^ PREMIÈRE AVENTURE, 'Arrivée au Bal de la Porte Saint-Antoine. ]N"otre ami Guillaume 1'Engelé, qui, comme on fait, a une renommee , & qui pète plus haut que le cul, rapport qu'il rote fouvqnt, ce qui faifoit qu'il ne pouvoit pas aller au bal, fans être pris pour lui a cette manière de faubrefaut de fon cceur, qu'on découvroit toujours au travers du mafque ; mais auffi avoit-il une dröle de femme, qui favoit bien fon pain manger, pourquoi elle en prenoit de chez plus d'un boulanger : arriva de tout ga qu'elle eut beaucoup d'enfans par le canal de fes amis ; car un ancien a eu grande raifon de dire , dans un de fes beaux livres, que pour avoir bien des enfans, il faut avoir bien des amis, & encore il faut en acquérir d'autres, quand ce vient 1'age de les pouffer. Comme c'étoit une commère de la joie, vous imaginez bien qu'elle ne manqua pas la circonftance des bals de bois, pour y faire de nouvelles connoiffances dans le beau monde qui y affluoit; & comme elle avoit ouï dire, dans \  Les Bahs de bojï$', Ie cimetière Saint-Jean, que ce feroient desbals pares avec illumination, & qu'on étoit en deuiUelle mit fa belle robe de ferge noire, fur laquelle elle avoit fait peindre, d'une magere bien entendue, un grand nombre de lampions ; car, pour ces occafions, il faut donner un peu dans une magnificence, qui puiffe iaire de 1'honneur, au goüt de Ja porteufe. M. Hurel, qui étoit la coqueluche du fauxbourg Saint-Marceau, & qui reconnoiffoit les Vilages , a ce qu'il prétendoit, è la marche des perfonnes, fut affez embatraiTé de reconfloltre celui de madame 1'Engelé, paree qu'il ne 1 avoit jamais vu marcher; mais, comme marchand d'oignons fe connoit en ciboules, & que, par cette raifon , il avoit bien de la Ünefie pour ouvrir une connoifiance, & qu'il étoit retors , il entama ainfi la converfation fans faire femblant de rien, comme pour tater le terrein : madame , Ü y a bien du temps que je fuis mécontent de mon marchand de chandelles;fi vous vouliez me dire franchement votre nom, j'en prendrois chez vous, dès ce foir, pour la femaine. Madame 1'Engelé, qui netoit pas femme a fe killer tondre, paree quelle fe fentoit bien de ce qu'elle étoit, lui fit voir, bien vïte, qu'elle avoit la replique a h mam, en lui donnant un foufflet eomme  par plaifanterie. Apprenez, impudent, lui ditelle fort fee, a ne point vous méprendre, & a ne pas déshonorer une fage-femme, en la prenant pour une vendeufe de bougie grafie. Dans le moment qu'elle eut laché ce mot de fage-femme, qui étoit dans eet endroit-li comme mars en carême, on entendit, dans un coin du bal, quelques plaintes qui difoient: ah ! bon Dieu ! je vais accoucher; que dira ma pauvre mère ? Et tout aufïï-töt d'ouïr les falutations du nouveau venu, qui difoit, a fa fagon, bonjour a la compagnie. Madame 1'Engelé, qui croyoit bien que c'étoit queuque marquife qui étoit venue la pour mettre bas fon enfant, comme elle 1'avoit fait fans que fon mari en eüt connoifiance, fe dépêcha bien promptement d'aller manigancer ca , & de prouver ainfi a M. Hurel, qu'elle ne vendoit pas des chandelles. Mais, eft-ce que ne v'la pas qu'au lieu d'une marquife , elle reconnoit, je ne fais comment, que c'étoit fa fille Louifon, qui étoit comme ga en travail ? Qa lui donna d'abord bonne opinion de fa fagon de fe déguifer, paree que comme elle n'étoit pas mariée, il étoit dröle de faire croire a un public , en accouchant , qu'elle étoit femme: mais comme madame 1'Engelé favoit bien reprendre fes enfans a propos, elle crut,  £2 Les Bals ce söi^ après quelques paroles de plaifanterie, qu'elle étoit dans 1'obligation de demander a fa fille pourquoi elle faifoit ca. Dame, a ce coup, Louifon, qui ne fe déferroit pas fi facilement que la cavalle de notre curé, lui dit bel & bien, qu'elle gardoit toujours le plaifir pour le dernier, & qu'elle avoit mieux aimé accoucher devant, pour fe marier par après, que de fe marier d'abord, pour accoucher par enfmte. Madame fa mère, fentant bien, dans lé Fond d'elle-méme, qu'il n'y a pas trop de réponfe a ga , lui demanda, par manière de converfation, de quelles ceuvres elle e'toit de.venue dans ce bel état-la. Mais ga lui fit bien de la bonte, quand Louifon re'pondit tout net, que c'étoit de Jacquet, le porteur d'eau. De' Jacquet, cria madame 1'Engelé! d'un porteur d'eau ! ah ! quelle défalliance pour une femme comme moi ! Eh ! ma mère, dit la fouffrante, en vérité de Dieu, ce n'eft pas ma faute; il me déclara qu'il vouloit que nous fufïions auffi amis que fes deux fciaux, & puis je ne fais pas de quelle tournure il s'y prit ; mais fi j'avois fu ce qu'il faifoit, voyez donc, eft-ce que je 1'aurois fouffert ? A préfent, que j'ai quelque doutance de fes manoeuvres, qu'il y revienne, il verra. Hélas! la pauvre innocente , dit madams  PREMIERS X VENTURE. 95 FEngelé , je vois bien que ce n'eft pas de fa faute, j'y aurois été prife tout comme elle; & 9a ne feroit pas arrivé, fi je lui avois donné plus de connoifiance des manières du monde. Et la-deffus on emporte Louifon : mais comme madame 1'Engelé avoit voulu faire contre fortune bon cceur , elle tomba tout auffi-tot éblouie fur le ventre, pour ne pas dire fur le nez, fans avoir de connoifiance; &, fauf votre refpeót, fes cotillons fe levèrent, de fagon qu'on vit fon derrière, fur lequel elle avoit oublié de mettre un mafque. On auroit été bien embarraffé de favoir qui c'étoit-la; fi M. 1'Engelé , qui fe doutoit bien, en homme d'efprit, qu'a ce bal-la il y auroit d'autres roteurs que lui , n'eut pas cru qu'il pouvoit y aller fans fe commettre, avec trois de fes amis , qui, appercevant la phyfionomie de madame , la reconnurent du premier coup , & dirent tous les trois, comme par infpiration, a M. 1'Engelé : parle donc, compère , m'eft avis, que ce derrière-la, c'eft de ta femme. A quoi ,voyez-vous ga, re'pondit bien fièrement M. 1'Engelé ? Pardi, dirent les autres , c'eft qu'elle 1'a comme du chagrin; & quand on 1'interroge fur la caufe de ga , elle dit que c'eft le chagrin que tu lui donnés, qui fe jette la. Oh bien, reprit M. 1'Engelé, elle a peur  5>4 Les Bals de bois, apparemment, de me faire de la peine en me Ie découvrant; car dès qu'elle eft avec moi, elle fe couche fur le derrière: oh! pour ca, il faut convenir que c'eft une brave femme.' Vous croyez bien qu'on ne la laifia pas la, paree qu'elle fe feroit enrhume'e 5 on la rapporta chez elle, on la fit revenir; & encore, quant a pre'fent, elle accouche les femmes & les filles, comme fi de rien n'étoit.  ÖEUXIEME AVEHTURE. $>9\ DEUXIEME AVENTURE, Arrivée au Bal de la Barrière de Sévei D ans une des belles réjouifTances qui fe trouva dans la rue de Séve , nous allames , comme de raifon , pour en avoir notre part; ma tante Guichard étoit avec nous ; M. Bertrand le clincailler, qui fait le coin, lui donnoit la main; la coufine Perrotin étoit menée par le jeune Grand-Jean, & cadet Paulmé me donnoit le bras. AiTurément, Ton peut dire que nous étions la plus belle compagnie du bal , & que nous aurions été remarqués, quand bien méme il y auroit eu d'autre monde qu'il n'y avoit pas. Après avoir danfé la vigoureufe (a) avec un fultan qui avoit un mafque de papier, il me propofa d'aller me rafraïchir; j'y confentis ; & nous attrapames une bonne bouteille de vin, que notre ami du pied de biche, ne nous auroit pas donnée pour quinze. Nous eümes encore un plüt a (a) On n'a jamais pu retrouver cette danfe; apparemment qu'elle eft ancienne, ou que c'eft une faute d'impreflion.  $>'6 Les Bais de bois/, Dieu & une moitié de poularde fine, dont II me donna, fort fionnêrement, une aile & le fondement; enfuite il tira de fa poche une tafle dargent; il 1'effuya avec fon mouchoir, me fervit a boire, de fagon que nous primes du rafraïchilfement fort a notre aife. Nous étions placés , comme je vous 1'ai dit, s'il m'en fouvient, auprès de la buvette; & le fultan, qui ne perdoit pas un coup de dent, eut encore le bonheur d'attraper un grand & beau gigot de mouton froid; enfuite il me propofa de faire avec moi le tour du bal. J'y confentis, fans penfer a ce qu'il avoit fait du gigot; car, pour moi, j'en avois ma fuffifance ; je croyois, peut-être , qu'il en avoit fait un préfent a quelque demoifelle, qu'il avoit trouvée, de fa connoifiance. Nous marchions dans la foule; mais je voyois que tout le monde rioit, en nous voyant pafler; & que 1'on fe poufibit pour nous regarder: quoiqu'aflurément, dans un bal, tout foit de carême-prenant, il y a de certaines rifées qu'une honnête fille n'aime pas a être 1'occafion mais, après avoir vu long-temps que je ne voyois rien , je m'appergus que le fultan ne marchoit pas comme il avoit danfé, & qu'il tortilloit du cul, un tant foit peu bien fort. Je le lui témoignai en me retournant vis-a-vis; mais  DEUXÏEME AYÏNTÜEÏ. mais comme le manche fait ordinairement reconnoïtre Je gigot,■ je vis qu'il 1'avoit placé entre fes jambes , & que le manche fortoit. II faut convenir qu'il y a des gens qui favent bien peu leur monde , & foutenir leur de'guïfement; car je ne crois pas que ce foient-la des manières de fultan. Tome X. | G  ^8 Lis Bals be bou, TROISIEME AVENTURE, Arrivée au Bal du Carroufel. Notre bon ami M. Jean Pain-Mollet, qui a pris le nom de fa rue , comme on voit M. Champagne porter celui de fa ville , avoit toujours comme 9a de dröles d'imaginations. On diroit qu'il jette 1'argent par les fenêtres ; & 1'on fe trompe bien lourdement, comme dit eet autre ; car tous nos bons gargons de la Grange-batelière furent bien confondus 1'année dernière, quand ils lui virent acheter deux fols & demi ou fix blancs, a la Foire Saint-Clair, unmafque de pain d'épice, au lieu de prendre, comme eux, quelque fifflet ou trompette, qui eft un meuble d'amufement, comme on peut voir quelquefois, tous les ans, a la Foire SaintOvide : mais Jean Pain-Mollet, qui voyoit plus loin que fon nez, avoit deffein de plaire, avec ce mafque-lè, a mademoifelle Jacqueline d'Ofier, dont il avoit preffentiment qu'il pouvoit faire fon chemin , a un bal qu'elle avoit dit qu'on lui donnoit le jour de Sainte-Pe'tronille, fa fête; car elle avoit pris ce nom-la auffi.  TRÖISIIME AVEKTÜR!» J)p Comme on voit quelquefois d'aucunes perfonnes qui prennent des noms de baptême, quand ils ont fait fortune; ce qui eft une grande marqué de bonté & d'attention de leur nart» On me demandera, a ce que je m'attends de la part de queuque critique, quel chemin monfieur Jean Pain-Mollet comptoit faire auprès de Jacqueline d'Ofier ; je pourrois répondre fort naturellement a ca, qu'il prétendoit faire la route de coutume; mais ca n'apprendroit pas au public une aventure crouftilleufe, qu'il eft a propos qu'il apprenne, k condition qu'il n'en dira rien ; c'eft que mademoifelle d'Ofier avoit de fa nature, le teint de la peau, un peu beaucoup couleur de pain d'épice; & comme notre ami Jean Pain-Mollet avoit entendu dire dans le monde , en courant les rues, que le fexe fe trouve toujours content de fon vifage, il avoit eu dans 1'imagination de fon efprit, qu'en mettant fur le fien , un mafque de mime Uniforme qu'étoit mademoifelle Jacqueline, ca faifoit une galanterie qui devoit naturellement lui faire du plaifir a elle. Ca fit qu'il 1'aborda dans un des bals avec fon déguifement, & lui paria de cette manière : mademoifelle , comme vous avez 1'efprit bien chargé, vous avez vu fans doute dans vos leótures d'hiftoires , car vous ne lifez pas de livres de romans, qu'auv G ij  fioö Les Bals de bois, trefois meffieurs les chevaliers portoient, commë qui diroit, des livrées de leurs maïtreffes : oh, comme vous n'avez jamais eu de laquais, ou, pour mieux dire , de gargons , & que vous n'avez point encore eu afftz de confidence en ma difcrétion pour me communiquer queulle couleur étoit le plus a votre goüt, je me fuis douté a part moi , que c'étoit la celle de votre agréable vifage , & tout d'abord, j'ai voulu. porter la livrée du votre, en me prétentant a vos regards, avec ce mafque de pain d'épice. Mademoifelle Jacqueline d'Ofier démontra a ce coup qu'elle avoit bien de la modeftie; car, au lieu d'étre bien enflée de cette louange-la, pour punir monfieur fon amoureux d'avoir ofé publier fon éloge, elle lui donna un bon foufflet, qui auroit fürement mis le mafque en compote, s'il avoit été auffi-bien de croquet comme il étoit de pain d'épice. Naturellement, Jean Pain-Mollet, qui avoit appris la latinité, paree qu'il avoit été deux ans répondeur de melfes aux Quinze - Vingts, plaga ce paffage d'une ode d'Horace, comme s'il avoit été de 1'Académie : Et turpher atrum definit in pifcem muiier fortnofa fuperne. Gageons , dit mademoifelle Jacqueline, en riant, que ce font-la des fottifes. Mademoifelle, répondit monfieur Jean Pain-Mollet, il y a fottifes & fottifes5  TEÖISIEME AVENTUKE. IOÏj celles-la difent qu'un femme qui elle belle pir le nez, révérence parler, n'eft pas de même fl agréable par tous les bouts ; & la-deffus s'en alla, après avoir donné ainfi fon paquet a mademoifelled'Ofier, qui n'en fut pas moins, pour fa couleur de pain d'épice. Je m'attends bien que mon leéfeur eft inquiet de ce que deviendra le mafque; car, puifqu'il n'a pas été cafie par le fourBet, il faut qu'il foit en fon entier; &, sil eft entier, il faut favoir queu charge il va avoir, auprès de M. Jean Pain-Mollet. II va refter dans le tiroir ce fa falie, paree que M. Jean Pain-Mollet, qui favoit, par le cocher d'un potde-chambre de fes amis , qu'on devoit marier madame la Dauphine, un an après, avec le fils du roi, fe douta bien qu'il y auroit bien une petite féte a cette occafion , qui pourroit bien en être une, de faire reparoïtrele mafque de pain d'épice. II ne fe trompa pas , car il s'en couvrit le vifage au bal de bois du Carroufel; mais il arriva que mademoifelle d'Ofier , qui avoit fait un enfant a quatorze ans, pour s'accoutumer au manage, dit a fon fils , qui en avoit déja douze , de venir avec elle au bal du Carroufel, & de prier une penfion du fauxbourg Saint-Antoine de venir avec elle. Ne vela-t-il pas qu'elle reconnut le vifage de M. Jean-Pain Mollet, en appercevant fon mafque , & qu'elle lache après fes G iij  'xóz Les Bals de bois^ trouffes toute la penfion , en difant: ce monfieur-laa un vifage fucré. Aufli-tót dit, auflï-töt fait; on fauta après le nez de M. Jean PainMollet, qu'on trouva être un bon manger, & les yeux de même , & les joues encore mieux, paree qu'elles étoient plus charnues ; & quand le mafque fut mangé, & que la penfion vit un autre vifage delfous , elle crut qu'il étoit encore fucré, & le mordit; ce qui fut caufe que M. Jean Pain - Mollet fe fauva , après avoir perdu queuque morceau d'oreilles, & autres lieux; ce qui fait bien voir que c'eft un grand malheur, quand on ne fait pas faire les plaifan« teries a qui conviennent aux perfonhes.  QUATRIEME A VENTURE. 10% QUATRIEME AVENTURE, Arrivée au Bal de l'EJlrapade. C^j o mme re, j'ai vu des mafcarades oü 1'on ne connoiflbit rien , mais rien du tout, & qu'un forcier n'auroit pas devinées : vous avez tout perdu , ma commère, de ne pas venir voir ga; falloit laiffer gronder votre homme; on n'a pas du bon temps tous les jours : il étoit maladea dites-vous, vous n'en pouviez donc rien faire, & le lendemain vous 1'auriez tout ragaillardi par les beaux contes & les belles hiftoires que vous auriez a préfent a 1'y faire. Pour ga, ma commère, j'en ai pour ma vie, moi, a. conter & conteras - tu. Y en avoit un , entre autres , qui n'étoit pas grand; non , ma foi de Dieu , il n'étoit pas plus haut que la petite Manon a la commère Poirée ; je ne puis m'empêcher de rire de fa dröle de figure ; c'eft un facétieux corps, il faut 1'y donner ga : il avoit deux mafques fens devant derrière; par ainG , on ne favoit bonnemerit quand il avangoit ou quand il reculoit : il avoit un efcoflon de demoifelle; & j'aurois juré , de queuque cóté que je m'y prille , que c'étoit une * Giv  104 Les Bals de bois, petite fille, qui étoit logée a la veuve j'en tenons. Ce qui me chiffonnoit malheur, eft que , devant comme derrière, elle paroiflbit avoir la même charge. Vous fentez bien ,' commère, que ce n'étoit pas naturel; auffi je ne favois bonnement qu'en penfer, & je ne pouvois ceffer de la dévifager , tantöt par ici, tantöt par ila. ; tantöt croyant que c'étoit le bon cöté, tantöt que ce ne 1'étoit pas. J'en étois la; vela-t-il pas qu'on lui marche fur le pied ! elle de crier un gros mot, tout a droit, d'une petite voix ; moi, de dire auffi-töt, bonne Vierge, prenez garde a fon fruit. Tout le monde qui étoit la fe prefle & lui fait place; 1'un lui va querir du vin , 1'autre du rogome & de ftaffaire, de toutes les couleurs & de toutes les facons : il vous prend tout ga, ma commère, comme je ferois me portant bien. II eft vrai, faut tout dire, qu'il ne buvoit jamais que d'un cöté, car je le regardois fixement. Tandis que nous la tenions dans nos bras pour la réconfronter, qu'en arriva-t-il? le diable de mafque ne s'étoit-il pas faoulé bel & bien, ma commère ? Ce n'eft pas tout; vela-t-il pas le vin qui vous 1'y porte a la tête , la vela qui fe trouve mal, & qui ne connoit plus rien ; enfin finale, fi faoule qu'elle ne pouvoit dire pain. De tout ca, ma commère, je ne m'en doutois pas plus que vous; jf ja eroyois en  QUATRIEME A VENTURE. lOf. travail pour fe délivrer. Ah ! fi j'avois fu ce qui én étoit, ca ne fe feroit pas pafie comme ga: mais n'importe ; nous la couchons fur un banc , nous la confortons , nous la retournons , nous la tatons, & nous trouvons toujours la groffefTe de deux cötés, nous ne favons par quel bout nous y prendre, k 1 egard de fes deux chiens de vifages , vous entendez bien. Mais veci le bon ; vous ne devineriez jamais , ma commère, ce que c'étoit que ga. Nous y ferions encore, entendez-vous, fi je ne l'avois deviné en touchant; car, a la parfin, je lui ötai tous ces mafques de par-tout, & je vis que c'étoit un vieux vilain , boffu du devant comme du derrière, qui s'étoit fagotté en demoifelle, que j'aurois juré qui étoit groffe, comme je ne 1'étois pas. Ah ! dame , voyant ga k n'en pouvoir douter, je ne fus ni fotte, ni étourdie, mais je me trouvai penaude , & fi honteufe de 1'avoit pris pour un autre, que nous i'emportames patles pieds & par la tête , la groffe Jacqueline & moi, & que nous le portames k la porte du bal, & fort proprement, comme il le méritoit, nous le mimes, fort bien comme ga, dans un gros tas de boue, oü nous le couchames tout brandi, fi bel &c fi bien, qu'il y étoit encore, j'en jure, le lendemain au matin, qu'une belle madame de condition, que 1'on dit être de qualité, 1'eft vepp chercher pour 1'époufer demaina  I0Ï5 Les Baes de b o r ^ CINQUIEME AVENTURE, Accident arrivé dans un des Bals. Billet de Jean Brftlé, dit Babine, trouvé par une compagnie avec qui il devoit aller a un des Bals de bois, qui ne le recut point; mais bien une autre inconnue , qui la trouvé, par hafard, par terre. M.... " Je fuis bien faché de ne pouvoir aller au » bal de bois avec vous; mon ami le Duc,. 33 traiteur de la rue Auz-ou, fort de chez moi; 3> le maréchal des moufquetaires m'attend; 33 je vais diner chez le fuifTe du Luxembourg: 33 il faut que j'écrive au marchand d'andouilles 33 de Chalons; & je ne puis me difpenfer de 33 me faire décroter. 3» On avertit que Ton rendra ce billet a ceux a qui il peut appartenir, quoiqu'il foit un peu défiguré; la raifon, c'eft que 1'on a beaucoup  CINQÜIEME AVE N T U R ï. IO7 fnarché deflüs : mais on a cru devoir rapporter eet accident, pour faire voir comme quoi les lettres fe trouvent perdues, quand elles ne fone pas rendues a leur adreffe, ou autrement; & comme elles reviennent, lorfqu'on n'y fonge plus du tout, quand on les retrouve. Ce qui fait bien voir a la jeunelTe , que le ftyle de lecriture, eft bien dangereux.  ïoS Les Bals de bois, SIXIEME AVENTURE. Il n'étoit pas bien difficile de favoir qu'on feroit sur que le plaifir des réjouifTances pour le mariage de monfeigneur le Dauphin , feroit la caufe de beaucoup d'aventures fecrètes dont on feroit part au public. En voici donc une, qu'on fait affurément de bon lieu : Un procureur de Paris, nommé M. Pinfon, qui le porte auffi haut qu'un confeiller de province , n'étant pas obligé de travailler pour cela, en faifoit autant faire par fes clercs. Sa femme, qu'on nommoit auffi madame Pinfon , étoit fur le pied d'une dame de condition ; & ce qui prouve qu'elle hantoit des gens de cour, c'eft qu'on voyoit même des pages, aller chez elle. Elle avoit donc une honnete liberté, & faifoit tout ce qu'elle vouloit. C'eft pourquoi, ayant entendu dire qu'il y avoit beaucoup de gens d'épée aux bals de bois, c'eft-a-dire dans les belles falies magnifiques que monfieur le prévöt des Marchands a fait faire, pour faire rire le peuple. Ce n'eft affurément pas par flatterie ce que j'en dis , & ce n'eft pas pour a 1'égard de moi; car je fuis un homme d'une  StXïEME- AVEHTülil?. 10jï eertaine fagon , qui ai le moyen d'aller toujours diner chez mes amis, & que je n'ai fait collation au bal, que paree que je vis avec tout le monde. Si bien donc qu'après qu'on eüt ordonné que toutes les boutiques feroient fermées , & qu'ii n'y avoit rien d'ouvert qu'a la joie, il falloit voir comme tout le monde couroit au bal, dès le matin ; mais le foir, quand les violons commencèrent a jouer, on ne voyoit que des gens qui buvoient & mangeoient è la fanté du roi ; de forte que , comme dit un bel efprit, tout le monde étoit faoul de vin, & ivre de plaifir. Ce qu'il y avoit encore de plus admirable, c'étoit le bel ordre qui s'y obfervoit. Ceux qui ne pouvoient plus danfer, rapport qu'ils étoient las d'avoir bu , on les rangeoit, a couvert, dans les falies, ou dans les rues; & il étoit même défendu de danfer fur eux; ainfi tout le monde a fini le matin, par coucher chez foi ou ailleurs. Pour en revenir donc a madame Pinfon , elle fe déguifa en cavalier, ce qui lui attira beaucoup de galanteries, de la part des perfonnes, qui fe connoiffoient en beautés: mais, lorfqu'elle y fongeoit le moins , des raccoleurs la prirent fous le bras, & voulurent 1'emmener. Les cris qu'elle fit furent entendus de fon mari, qui étoit venu au bal de fon cóté , déguifé en amazone : mais I  %ïö Eej Balsde eoi*, comme il avoit oublié de fe faire la barbe, oft le prit pour un importeur , & on le bourra. Madame Pinfon, voyant maltraiter fon mari qui venoit la fecourir , foutenoit qu'elle étoit fa femme. Les raccoleurs , pour s'en éclaircir , 1'emmenèrent dans un cabaret voifin, oü elle leur fit voir qu'elle ne mentoit pas ; ce qui fit que fon mari fut reconnu pour honnête homme, & en fortit a fon honneur.  ÜSPTIEMÏ A^IJTTÜRE. lil SEPTIEME AVENTURE, D'un prlnce & d'une princeffe, arrivée a un des Bals de la place Vendöme* CvE prince & cette princefie-la étoient pourtant mon coufin & ma coufine, tel qu'ou me voyez; ils s'appelloient, de leur nom naturel, monfieur & madame Miche-en-bled, qui s'aimoient bien, & fe battoient toujours; mais de leur nom de déguifement, il n'en étoit pas de même. Un chaffe-marée m'a conté hier a SaintDenis , en buvant a 1'Arbalête, que mon coufin & ma coufine fe laflant de coucher dans le même lit, oü ils fe mordoient toujours, fans que cela aboutït a rien qu'au plaifir de fe mordre, ils avoient réfolu de fe fauver en beau catimini, & d'aller au bal de bois de la place Dauphine, qui étoit le plus beau de tous, comme étant le plus voifin du cheval de bronze. La coufine eut d'abord la première volonté d'emprunter 1'habit d'un garcon apothicaire de fes amis , qui avoit fait partie , tout feul, d'y venir pour s'y mafquerj mais elle fit réflexion \  jriö' Les Bals de bois', que des embaucheurs pourroient bien la jetef dans un four; &, comme on dit dans le peuple , 1'obliger de s'enröler, a force de lui ficher le tapin: cela fit qu'elle quitta cette imagination, & qu'elle alma mieux fe déguifer en princeffe; elle en trouva les facilités par le moyen de fes amis du quartier, comme la voifine madame de Lorme ; car c'eft une madame, puifqu'eüe eft fage-femme recue a Saint-Cöme, qui lui prêta fa robe de damas, couleur de feuille morte; la veuve de 1'Etoile, qui lui donna, en pleurant, les bas blancs de feu fon mari, fergent aux Gardes ; & le compère Guillemet, qui lui fit préfent, pour une heure , en riant, de la coëffure de fa défunte femme, qui étoit revendeufe a la toüette. Le coufin Miche-en-bled, de fon cöté, qui trouvoit fes projets tout d'abord , & qui étoit auflï long a les exécuter, que s'il les avoit trouvés bien tard, fe détermina a. fe déguifer en prince; & , pour y réuffir, il trouva le moyen , par fes connoiffances, d'emprunter 1'habit d'un page. Les voila tous deux, fans faire femblant de rien, tout au beau milieu du bal: nous allons voir ce qui va leür en arriver, & comme quoi ils eurent chacun un pied de nez 5 car le coufin Miche-en-bled, qui avoit de la préfence d'efprit le lendemain de la veille, & la coufine, qui  SEPTIEME AVENTUKI, lij qui avoit de la fagefie une heure après qu'un homme 1'avoit quittée, fe trouvèrent la comme de cire , fans fe reconnoïtre, quoiqu'ils fe doutafiant bien qu'il y avoit quelque chofe ladeffous: cependant 1'anguille fe mit fous roche comme d'elle-même; car monfieur Miche-enbled , qui, en voyant madame Miche-cn-bled vétue a la princeffe , foupconna bien vite que c'étoit une bonne bourgeoife, 1'aborda avec honnéteté & civilité, & lui offrit, comme par manière de converfation , une faucilfe qu'il portoit toujours; car il difoit fort joliment, que les faucilfes font comme les olives, bonnes , quand elles font pochetées. Madame Micheen-bled jugea bien, par ces belles magnières-la, que c'étoit queuque gros feigneur, puifqu'il avoit une fauchTe pour repréfenter en public, & repliqua, avec un grand favoir-vivre, que puifqu'il le vouloit abfolument, elle en mangeroit le petit bout; ce qui fit qu'on la tira. Elle crut devoir demander, comme par manière d'éloge, quel étoit fon chaircuitier; mais il répondit, pour la dépayfer, qu'il apportoit la faucilfe des pays étrangers, & la-deffus, prit occafion de lui apprendre qu'il étoit prince, & de plus gentilhomme, & que fon père avoit une charge de fecrétaire du roii La-defTus Ia coufine Miche-en-bled lui fit bien de petites Tome X, H  frï^ Les Bal's de böis<, avances d'amkié, ce qui lui fit d'abord foup«* conner que ce poürroit bien être fa femme; car il connöifibit de quel bois elle fe chauffoit; & il n'y avoit pas jufqu'a fon frère, 1'habillé de noir, qui n'en fit des gorges chaüdes; de fil en aiguille ^ elle fe mit auffi a devifer fur fon :état de prince; la converfation s'échauffa, & madame Miche-en-bled encore davantage; de fagon que, petit a petit, le prince Miche-en-bled 'en étoit bientöt venu a fes i fins, paree qu'il 1'avoit tirée a 1'écart après avoir bu bouteille; <& la princeffe lui avoit, a force de fe faire .prier , déclaré qu'elle en étoit amoureufe, paree qu'il étoit un homme de qualité. Mais il prit un fcrupule au coufin ; il crut qu'un brave gentilhomme, quand il fe faifoit prince-, ne devoit pas avoir de familiarité avec une femme, fans favoir fon nom auparavant; & il lui demanda le fien. Elle dit qu'elle étoit princeffe d'un autre pays que la France: mais comme elle n'en étoit jamais fortie que pour aller a Marfeille , & qu'elle étoit comme qui diroit un peu prife de vin, elle dit qu'on la nomnioit la princeffe Très-volontiers. Auffi-töt le coufin Miche-en-bled', lui arracha poliment fon mafque de deffus fon nez; il öta auffi le fien; & après avoir donné deux foufflets a fa ifemme, il la ramena, 8c Ia conduifit deux  SSPTtÈME A VENTURE, jjjl köuts de chemin, en lui donhant des coups de pied au bul. On ne fera pas e'tonné qu'il la reconnüt au nom de la princeffe Très-volontiérs, paree que c'étoit le nom qu'on lüi don«pit quand elle étoit fille, & dont la mémoire de fon mari eut fouvenance mal-a-propos. C'eft pour vous dire que tout le monde ne fait pas fe déguifer, & que. fe pot 5>enfui|. Soujours par quelque endroit. «3  |:X4 Les ,B als bi bois, HUITIEME A VENTURE, DU BAL DE LA PLACE VENDOME. Lëttre d'un coufin, a fon coufin qui : étoit en province. Monsieur & honoré coufin, ces llgnes font pour vous faire part des plaifirs que vous m'avez demandés, paffes dans Paris, a 1'occafion préfente. Figurez-vous, quand je dirois plus de vingt fois, ce qui s'eft paffe aux noces de notre chère 'tante Jeanne Touaffe, dans la «naifon de M. le receveur des tailles , qui n'y étoit pas ; & fi pourtant nous avions enjolivé le grand hangard, que tout le monde en étoit étonné. Malgré cela, cela n'apptoche pas de cent piqués de ceux d'ici. II y en eut fept, faits avec du bois & de la toile peinte expres, fous la figure de Bacchus , de 1'hiver, de treillages, de pierre, & autres figures qui repréfentoient toute autre chofe, dont je ne vous ferai pas un trop grand détail; il fuffit que tout le monde danfoit dedans, & on y étoit fervi en toutes fortes de rafraïchiffemens, de dindons, de mouton cuit, avec du vin rouge  HÜITIEME A VENTURE. I17 tant qu'on en vouloit ; ce qui fut fi magnifique, qu'on n'entendoit prefque pas les vioIons , tant on y rioit. Tout cela , fans compter un autre grand bal ferme , pour les perfonnes de la dernière confidération , qui avoient le moyen d'être propres; & oü il y avoit beaucoup d'autres chofes a manger, foit en patés, jambons & friandifes, qui a fatisfait tous ceux qui en font fortis. Mais on voit fouvent arriver, dans le public, des chofes particulières. Voici ce qui eft arrivé dans 1'allée d'a-cöté de chez nous, qui eft vrai comme vous êtes mon coufin : c'eft un nommé Jacques Beaurein , garcon braffeur, qui dit des dröleries depuis le matin jufqu'au foir, d'oü vient que les filles du fauxbourg SaintMarceau l'ont appellé le garcon embrafTeur, étant fort facétieux de fa nature, II eft venu a époufer une apprentiffe couturière, qu'il n'y a rien a redire contre elle, qu'une tache de vin fur 1'ceil gauche, qu'on ne voyoit pas du tout, en Ia regardant de 1'autre cöté. II a voulu faire le mariage le jour des réjouiffances, paree qu'il difoit que cela ferviroit a fes noces t tout comme fi c'étoit lui qui avoit payé; mais on voyoit bien que c'étoit une plaifanterie k 1'ordinaire. Le mariage, s'étant fait , il propofa k k Hiij  iiS Les Bals de bois?; mariée de la mener au bal de l'eftrapade, quï s'en excufa fur je ne fais. quoi qui lui faifoit mal, Quant a lui a il pafïa la journée a fe fair© un déguifement en diable, pour faire enragertoutes fes connoiffiances car, quoiqu il y en ait d'auguns qui 1'aient blamé de ce dégui-. fement, qui peut s par hafard , porter malheur; on peut dire qu'il y a bien de 1'efprit, a avoir1'idée de cette imagination. Si vous 1'aviez vu , mon cher coufin, c'étoit a faire peur ; il avoit mis. une vefte noire, oü il avoit attaché je ne fais com.bien de coquilles d'hu;tres,; il avoit pafie fes. jambes dans les manches de fa redin-* gote rouge ; il s'étoit fait des mouflaches noires comnie un fuifle ; il avoit caché fon nez avec une groffe écreviue cuite; fa perruque étoit de plumes, de dindonsil avoit palfé a fon cou la chaïne d'un tourne-broche, & s'étoit fait une queue avec la crémaillère : enfin, on ne peut pas fe mettre mieux, & faut avouer qu'il fait de fes doigts, tout ce qu'il veut. II partit de bonne heure, & laiffa la mariée, qui gégnoit, comme je vous difois tantöt ; pour lui, il alla dans tpus les- baux, mangeant Sc buvant comme. tous les. diables, & faifant hou», hou, \ tout le. monde,, comme ils font pour 1'ordinaire , ce qui divertifloit beaucoup de gens, A trciis heures du matin , il entra a Ia  KUITIEMÉ AVÉïTTtfRB1. ïl£ place de Vendome, oü, après avoir bien réjoui 1'affemblée, en danfant en furieux, comme on fait a 1'opéra , il s'alla affeoir contre un homme déguifé en mafque de payfan , qui tenoit fur fes genoux un petit mafque déguifé en grand-, turc ; cela fit qu'il les examinoit, & qu'il devina, au mouvement de leur contenance, qu'ils. avoient voulu ufer de 1'occafion d'un bal déguifé, pour être tous deux en rendez-vous d'autant plus qu'il les entendit dire des mots de francois , quoiqu'ils fufient déguifés en étrangers : il prit la balie au bond ; &, par rapport a fon déguifement, il leur cria avec fa groffe voix : je m'en vais vous emporter tous les deux ; mais la barbe du grand-turc lui étant reftée dans la main , voila qu'il reeonnoït fa femme. Comment diable, dit-il a, c'eft toi, Marianne? Voyez, ce dit-elle, fans. doute; y a-t-il quatre heures que je cours les, mes, pour chercher ce bon vaurien; il a tant de hate , qu'il oublie, a la maifon, le plus principal de fon déguifement. Tiens , voila les cornes que je t'apporte. En difant cela, elle en tira de deflbus fa robe, une belle paire, de bceufs, qu'il avoit laifiees fur fon lit, & qu'elle lui attaeha elle-même fur la tête. II ne favoit que dire , paree qu'il voyoit bien qu'il étoit dans. fon tortmais M., la Rofe, le fergent de milicoE, 0 H bt  ,i2ö Les Bals db bois, qui étoit venu avec fa femme, tira de f« poche une carcaffe de dindon & une bouteille de vin , qui fit changer la converfation. Le marié, pour n'être pas en refte, ofFrit aufli a fa femme un cervelas qu'il avoit attrapé; mais elle remercia , en lui difant qu'elle eo avoit mangé tout fon faoul. C'eft donc pour vous dire qu'il n'eft pas poflible qu'il n'arrive toujours quelque chofe : étant avec toute la confidération que j'ai, monfieur mon trèshonoré coufin, votre très-humble, &c.  NEUVIEME AVENTÜRE. 12» NEUV1EME AVENTURE > De la place Vendóme. LES EILLES POURVUES. C^uand on peut établir fes trois filles, faudroit qu'un père fut pis qu'un jocriiTe pour ne pas prendre foccafion au gobet, fur-tout quand fes filles trouvent agréablement le moyen de faire une femblable fin, fans que le père lui-même n'en fache ni quoi ni qu'eft-ce, comme ce qui m'eft arrivé par la gratification des Bals de plain-pied a la rue , aux divertiffemens des réjouifTances des fêtes. Le foir, comme j'étois a rofler ma femme, pour 1'empêcher de fe mettre en colère, dont c'eft fon habitude quand je ne veux pas me coucher, Jojotte , notre fille ainée , que je n'avois pas vue de toute la journée, non plus que fes deux fceurs cadettes, entrent toutes trois, battant, comme on dit, la muraille de leurs corps, tout de même que de vraies ivrognefles. Je crus d'abord qu'elles contrefaifoient d'être faoules^ ce qui me parut d'un mauvais  %VZ Jj E S BA£S DE BOIS, caraótère ; car je n'aime pas qu'on m'affronte % & j'allois jouer du gourdin (que nous appellons) fur leur échine, quand je m'appercus qu'elles étoient naturellement de la manière; ce qui ne m'étonna pas , rapport qu'elles avoient badiné avec une chopine d'eau-de-vie par tête, ce qui peut furprendre une fille qui ne s'y attend pas. Je vis bien alors qu'il falloit leur parler raifon ; elles me demandèrent la permiffion d'y aller (je veux dire au Bal des rues). Je les envoyai au diable , dont apparemment elles prirent ca pour ma permiffion , §c les voila a détaler chacune de leur cöté. Jojotte arriva a. la . place de Vendöme ; & des qu'elle eft entrée , comme elle tenoit d'une rnain un cervelas qu'elle avoit attrapé en fair, un mafque, habillé en mouftache, avec un baudrier, je penfe que c'étoit un fuifle du quartier, car il avoit un plumet , lui prqnd 1'autre main & 1'emmène, lui difant: Eh ! je, crois que vous êtes ma femme; ou, du moinss c'eft comme tout de même rapport que vous reffemblez a la défunte. Et la-defliis, Jojotte vient a fe fouvenir qu'une bohémienne lui a prédit qu'elle n'épouferoit jamais qu'un carêmeprenant, dont elle ne fit aucune difficulté de s'en aller avec la mouftache en queftion; & le lendemain, elle me fit favoir qu'elle m'avertiroi$,  S E'Tï VI E M E A'VEITTuSg. ^ Hans 1'année , pour être le parrain de fon premier enfant, attendu qu'elle demeuroit avec fon époux au Pont-au-biche, prés du Temple, oü qu'ils font commerce de chiffons, peaux de chiens, & autres marchandifes qu'on trouve naturellement dans la rue, pour peu qu'on faffe attention, Et d'une. Je fus trois jours fans avoir vent ni voix de Baftienne ma feconde fille; je commengois 3 me méfier de fa conduite pour la manière de fe comporter, lorfque j'en regus fte lettre , quï me fit connoitre toute la gentilleffe de fon efprit: « Mon cher père, vous m'avez toujours *3 chiffonné malheur fur le mariage, en me » difant, qu'a caufe que je fuis volontaire w pour faire mes fantaifies, & j'aime affez k »> ne rien faire, je ne trouverois pas tant feu*> lement un mari. Je vous avertis, mon cher 33 père, que j'en ai deux, ou a peu prés; je 33 fuis fachée de vous faire voir, en ga, votre 33 bec-jaune, rapport qu'il n'eft pas gracieux 33 pour un père de familie de n'être qu'une s? bete; mais il y alloit de mon honneur. 33 Je fuis avec foumiffion, Bastienne, » La troifième, c'eft-a-dire, ma fille Geor|ett.e, ne roe l*dfTa pas dans 1'inqujétude de  124 Les BAtS PE Boïg * NEÜV. AVENTURE. 1'embarras; comme fa fceur, dont elle eft pun nee; dès lelendemain matin, elle me fit dire, par un gargon marchand de vin, qu'elle s'étoit fait dragon dans le régiment de Grallin , & que ia première fois qu'elle auroit brülé deux ou trois maifons a 1'endroit de 1'ennemi, elle ne manqueroit pas de m'envoyer de bonnes bribes. On voit bien a fte fortune de ces pauvres chers enfans, le contentement d'un père; mais ma femme fur-tout alla le conter par tout le quartier, pour fe faire honneur, dont véritablement tout le monde rit & la complimenta, ce qui fait toujours plaifir a une familie. Ah ga, compère, a 1'honneur que d'étouffer pinte avec vous. Fin des Bals de bois. \  LES FETES ROULANTES, E T LES REGRETS DES PETTTES RUE&   LES FETES ROULANTE S, E T LES REGREÏS DES PETITES RUES. Les Romaïns ont eu leurs édiles; les empe^ reurs eux-mêmes ont cherché a amufer ce peuple indomptable, par des fpeétacles d'une magnificence égale a la puiflance & a I'étendue de ce grand empire. Cependant chaque objet de ces magnificences étoit fixe. Le théatre fameux de Scaurus, qui fit tourner le peuple romain fur un pivot , étoit affurément une une chofe admirable; mais c'étoit une chofe fixe •..«..?, • • s ••:...!..; • 5 • • » •»• 55 - = ..<:...,...,.. ••;...:..)..!.. * j' • cc v ° j - 4 •••!...:...?.,. Il y a iel une lacune ; c'eft une mauvaife plaifanterie d'un de nos auteurs, chargé du char de Bacchus, qui a cru s'en débarrafler en nous envoyant une lacune. *  Le Char de Bacchus. ï;ï Nous fommes fichés de voir que nous avions pris pour affocié, un homme qui eft dans Terreur publique, & qui croit qu'une lacune n'eft rien. Nous allons prouver quel abus on en a fait, quelle en eft Torigine, & quel róle elle a joué. Une lacune eft aufli énergique pour celui qui Tentend, qu'une lanterne fourde eft claire pour celui qui la porte. Retournons la face de la lanterne, & préfentons la lumière aux yeux des nations. Kïv  ij2 Les Fêtes roulantes H ISTOIRE #'4 i . . 7. „ d slis siü'; i-j r.on"~ ;:: -,> • . ■ JD JS LA PRINCESSE LACUNE. vant qu'on eüt inventé 1'e'criture , par conféquent avant 1 etablifiement de la grande pofte, il exiftoit une princeffe qu'on nommoit la princeffe Lacune; elle ne favoit pas écrire, paree qu'on n'e'crivoit pas alors, comme je 1'ai déja dit; & de-la on peut conclure qu'elle ne favoit pas lire. Elle avoit une mère, & tout au moins un père, qui, heureufement pour eux & pour elle, la gênoient beaucoup. Je dis heureufement, paree que la gêne & Ia contrainte forment Ie plaifir des mères & le bonheur des filles ; le plaifir des mères, paree que c'eft un. droit d'autorité qui leur rend Ia fageffe fupportable ; le bonheur des filles, paree que cela leur donne une occafion d'exercer leur efprit & d'attraper leur mère. II eft louable que les. unes reprennent, il eft jufte que les autres trompent» L'aigreur fait  La Princesse Lacuke. xyj Ja dignité des vieilles, la fupercherie fait 1'agrément des jeunes; tout eft établi dans le monde pour le bien de 1'ordre. Voila donc le lecteur inftruit que le roi 8c la reine rendoient malheureufe la princeffe Lacune. Elle étoit fort amoureufe d'un joli prince , qui étoit le pot-pourri de la cour; on 1'appeHoit le prince Sous-entendu : la reine ne vouloit pas qu'il rendit vifite a la princelfe, de peur qu'il ne lui portat a la tête, ce qui peut tirer a conféquence. Mais les ordres de 1'amour font mieux exécutés, que les défenfes des mères. Le prince étoit trifte , quoiqu'il eüt grande attention de fourire toujours. Toute la cour le croyoit amufant, mais fon fourire n'étoit qu'un ennui fous-entendu. II mettoit de la fineffe a tout: rencontroit-il une femme, il lui difoit: en vérité vous étes adorable je n'en veux pas dire davantage. Trouvoit-il un fat, il 1'embraffoit en lui criant : mais rendez-moi donc raifon de cela; tu as les yeux bien battus; & je parie que II n'eft pas étonnant qu'avec autant d'efprit il eüt tourné la tête de Lacune : lorfque par hafard ils fe rencontroient, i!s fe trouvoient beaucoup d'efprit; comment auroit-elle pu na  'tfó Lés Fêtes roulantes'. pas être perfuadée par quelqu'un qu'elle ne comprenoit jamais ? Princeffe, lui dit-il un jour, vos yeux font bien vifs, je ne puis y fixer les miens que... Vous devinez le refte. Prince, lui repliqua-t-elle, vous penfez toujours avec délicatefle; auffi je vous vois avec un plaifir véritable; car. ..... Ah ! quel bonheur pour moi, reprit le prince tranfporté ! Permettez que je vous prenne la main , & Ah ! finhTez, feigneur , pour- fuivit la princeffe avec une voix émue ; paree que je vous ai donné mon cceur, faut-il ? ... Le prince continua , la princeffe repliqua, il preffa , elle s'attendrit, il ceffa de parler , elle fe tut; tout le refte eft fous-entendu. Quelques heures après, ne fachant plus que faire, la princeffe prit un petit morceau de crayon, & fit fans diftraction plufieurs points différens. Que faites-vous, princeffe? lui dit Sous-entendu. Je m'occupe toujours de notre amour, répondit-elle, je fais des fous-entendus. Voyez ce point-la; je veux qu'il fignifie: mon cher prince, m'aimez - vous ? Auffi-tót le prince s'écria: fi je vous aime, ö Dieu ! Cette réponfe, dit la princeffe, doit avoir pour marqués deux points différens. Le premier point marquera la première partie. Si je vous aime !. La dernière partie, qui eft, 6 Dieux! fera mar-  La Princesse Lacune. 157 quée par ce point-ci. Ah ! que d'efprit, dit le prince, nous pourrons par ce moyen nous entendre fans nous parler: oui, dit la princeffe, beaucoup mieux que lorfque nous nous parions; il ne s'agit que de convenir de nes faits. Voici une petite marqué que nous appellerons une virgule, cela voudra dire une propolition ; la réponfequi, tant que vous m'aimerez, fera oui, aura pour marqué un point fur la virgule; s'il arrivé que nous nous faffions des reproches, car 1'amour délicat en a toujours a faire, ils feront notés par ces points-ci, que nous nommerons le point aigu. On fera éclater fa fenfibilité par un autre point, qu'on peut appelier le point de douleur. Lorfque nous voudrons dire du mal de nos parens, nous nous fervirons de cédilles pour faire des allufions : ces deux marqués () , ainfi placées , indiqueront un têtea-tête; en dénotant qu'on eft féparé des autres, ce fera une paranthèfe. Le point admiratif en fera une fuite néceftaire; & ce moment, dit— elle en rougiffant, que malgré moi vous avez fu amener, fera dépeint par le point circonflexe. A 1'égard des mots qui ne fignifient rien, convenons qu'ils feront rendus par ces marqués «3», auxquelles nous donnerons le nom de guillemets,  fj-6* Les Fêtes koüeantes*. Voila pourquoi on s'en fert pour marqués les harangues. Ah ! qu'il y a d'ambaffadeurs dans le monde , a commencer par meffieurs les échevins, qui font de vrais guillemets ! C'eft ainfi que le prince & la princeffè parvinrent a fe voir & a tromper le roi & la reine. Ce fut la ce qui donna la première idéé de 1'écriture ; on la doit a 1'Amour. La plume, dont on s'eft fervi, fut tirée de fes ailes. Toutes ces lignes, en points différens, furent appellées lacunes, du nom de la princeffe ; & voila fe eontre-fens dans lequel les auteurs tombent ïndignement. Ils mettent leurs lacunes en points fixes, ils croient que cela ne veut rien dire, & cela dit trop-, Ils font fouvent bien plus énergiques , en ne ftifant que des lacunes. Je ne veux, pour preuve infaülible des chofes fortes, que renferme la lacune, que tous ces petits points, dont les. poëtes féparent les mots d'un vers qui exprime 1'incertitude, le trouble , la tendrelie & la terreur Corneilie en a plur üeurs ; 1'auteur de Radamifthe en eft plein .; on en trouve beaucoup dans Mérope; tout le cinquième acf e d'Armide en eft femé; oa en yo.it les plus heureufes dans le comte d'Effex,& ce!Ie-ci fur-tout, lorfque Salsbur,veut dire a Elifabeth ;  La Peincesse Lacune. ï$~f Vous perdez dans le comte, le plus grand < Elifabeth répond: Je le fais, & le fais a ma honte, Preuve que les lacunes difent beaucoup, puifqu'il n'y a que le plus grand qui s'y trouve. Ah ! fi je fais jamais un ouvrage pour le Public, je veux qu'il foit en lacunes; & les chars de la ville auroient été bien moins critiqués^ slis y avoient été aufli.  158 Les Fètes roulantes. SIXIEME CHAR, QUI N'A PAS PARU; Par un auteur qui ne paroitra jamais. On croit pouvoir dire, fans flatter le Public, qu'aucun des autres n'approchoit de la magnificence fuperbe de celui-ci. C'étoit le char des mariages. La ville , toujours occupée de fe peupler, avoit jugé digne de fa prudence de faire faire des fujets pour les maitres qu'on nous prépare. Cent demoifelles , prefque toutes filles des quatre principaux quartiers de Paris, avoient été mariées des libéralités de la ville: ces heureux couples, unis fous de fi favorables aufpices, ne pouvoient manquer de faire des fortunes proportionnées. La fatisfaction, peinte fur leur phyfionomie , fe coirimuniquoit d'autant plus aifément, qu'il y avoit une multitude de concours attiré par la curiofité d'une fête fi intéreffante ; c'eft ce qui les avoit fait placer fur les deux cótés du char, a caufe de la vue. Mille chaïnes de fleurs, galamment entrelacées en guirlandes, fembloient  | SIXIEME CHAR. iy^ les attacher les uns aux autres, a peu prés comme 1'on unit les particuliers qui fe deftinent au fervice de mer. (a) Une table, magnifiquement fervie, tenoit le milieu du char , & fembloit n'être que le repas de la noce , quoiqu'elle fut deftinée k 1'événement le plus éclatant de la journée. Tout le monde fait que la poudre, bien maniée, peut diriger a point nommé les effets du mouvement qu'elle imprime aux corps, qui, en la comprimant, font devenus fufceptibles de toute la force de fon élafticité : ainfi je juge, fans vous flatter, ami leéteur, que vous devinez que le doublé fond du char étoit rempli de poudre, difpofée avec tant d'art par une perfonne confommée dans 1'artillerie dès la dernière guerre , qu'en y mettant le feu, elle devoit enlever, k hauteur des toits ordinaires des maifons, toutes les viandes contenues dans le char, qui, décrivant chacune leurs paraboles particulières, en raifon de leur gravitation différente, feroient tombées a différentes diftances dans toute la fuperficie des places publiques , pour y préfenter des rafraïchiffemens aux fpeétateurs. (rz) On a ufé de cette périphrafe pour éviter le mot de gaiérien, qui auroit pu rappeller au lefteur d^s >dée> peu gracieufes pour une réjouiflance.  ifjö Les Fêtes roueantes. Les peiritures du char étoient dignes de fes autres ornemens. Sur un fond gros bleu, négligemment glacé de couleur de rofé, on avoit peint, en argent ou en or, les différens attributs des mariages; mais comme ils n'étoient qu'en détrempe, une pluie, qui tómba toute la nuit au travers des remifés du rempart, les fit couler prefque tous. (a) Pour qu'un char, deftiné k conduire les heureux époux, fut afforti, de pied en cap, a leur allégreffe , on avoit eu foin de prendre des chevaux de quinze k dix-huit mois, dont la gaieté devöit répondre k celle de leürs maïtres; mais on a bien éprouvé ici s cömbien il eft dangereux de confier le timon des affaires k une jeuneffe. A peine le cortége étoit-il erf marche, que les jeunes animaux, animés pat le bruit des chars précédens , & de meffieurs les officiers k cheval, dont ils étoient entrelacés, fe livrent k toute Ja pétulance de leur imagïnation. En vain les cochers prudens ufent de toutes les voies de douceur, pour ramener les efprits ; la correétion les irrite , leur vivacité fe tourne en fureur ; ils entraïnent avec eux les palefreniers pendus aux longes de foie (a) On avoit, par précaution , élevé des remifes en forme de hangards, pour y mettre les chars, afiri «l'ètre tout portés pour partir. bleues  bleues & argent deftinées a les rétenir. Les fiance'es tremblent pour leur fruit, les époux crient, les cochers jurent, les enfans pleurent, les chiens aboient, le peuple fuit en defordre le long du rempart • plufieurs demoifelles voulant pafTer les foffe's des contre-alle'es, y tombent la téte la première: quclques-unes y gagnent, d'autres s'en défolent; Ia fermentation redouble ; les traits caffent enfin; tout s'arrête, le calme revient peu a peu; la compagnie d'ouvriers , e'tabiie ayec prévoyance a la fuite de chaque char, s'avance diligemment; leurs habits bleus, d'un bordé d'argent, que 1'on avoit mis doublé fur la manche pour marquerleur utilité , femblent redoubler leurzèle; & le défordre ne dure qu'autant de temps qu'U en falloit pour le re'parer. Ce temps fi court, fut ne'anmoins affez long pour donner quelque inquie'tude a la pauvre mademoifelle Mougnif M. Quijain fe trouva Ia pour fon malheur [ 1'ayant vue d'abord par derrière, voila, dit-il un dos de ma connoifiance; il fait le tour, & a fes traits charmans il reconnoit fans pe'ine fon vifage: c'eft alors, qu'elle auroit bien voulu troquer fes jolis yeux rouges contre des yeux noirs, fon nez camus contre un autre. Ah » ah! lui dit-il, mademoifelle, vous êtes donc une faifeufe de fortune; vous avez fait la Tome X,  i&2 Les Fêtes roulahtes. mienne , j'en conviens; vous m'apportates en mariage les trois eents livres de meffieurs les fermiers généraux, fans lefqüels je ne ferois pas aftuellement garcon tailleur; mais je croyois Ce feroit vous dérober la reconnoiffince de »3 vos bienfaits, que de ne pas vous apprendre » toutes les métamorphofes que 1'Amour a » faites en moi depuis le jour heureux oü j'ai 33 eu le bonheur de vous connoïtre en faifant » collation au Luxembourg. Non , madame , 3j les Métamorphofes d'Ovide n'en approchent 73 pas ; auffi n'étoit-il qu'un pocte, & mon as cceur me dit que vous avez les fentimens as d'une mufe. Enfin, madame, je ne fuis plus 33 le même; toute la pareffe que 1'on me reprosa choit eft difparue, mon profefleur en eft 33 furpris ; & moi je fens que j'apprends mes 33 cahiers avec autant de plaifir qu'ils me fai33 foient de peine , depuis que vous m'avez >3 dit que vous n'aimiez pas les ignorans, & 33 qu'il faudroit, pour vous plaire, être fore P fur les humanités. Je congois que la fcience  lp® Mémoires » de monfieur votre époux vous rend difficifö 33 la-deffus. O trois fois heureux, & peut-être 33 davantage, le mortel qui a pu gagner votre 33 cceur par une fcience folide & profonde!. 3» peut-être y parviendrois-je, fi jamais j'étois 33 un répétiteur en vogue comme lui; peut33 être ne me trouveriez-vous pas indigne de 33 vous; j'y travaille fans ceffe : le ballon, le 33 volant, le cheval fondu, tout cela ne m'eft 33 plus de rien ; je voudrois que vous puiffiez 33 voir tous les facrifices que je vous fais. >3 Mais vous m'avez recommandé d'être prosa pre; en vérité c'eft un plaifir de me voir ï 33 je n'efluye plus mes plumes a mes bas; je 3» détire mes manchettes tous les matins ; je 33 me lave les mains tous les jours de congé; 33 & toutes les fois que j'ai marché dans la »3 crotte, j'effuie mes fouliers avec mon mou33 choir, pour n'avoir pas, comme vous dites 33 fi plaifamment, l'air d'un porteur de chaife. 33 Enfin, je ne pouvois pas mettre la main a 33 la plume, & je ne puis vous dire combien 33 je 1'y mets avec plaifir depuis qüe c'eft pouc 33 vous prouver mon amour. Tant de méta3» morphofes, madame, ne peuvent venir que 33 d'une divinité; & votre phyfionomie char33 mante 1'annoncoit, car c'eft bien de vous 3»_qu'on peut dire après Ie célèbre Virgile;  bes Colporteurs. ic/t s> inceffu patuu Dea. Cela perdroit a être traas duit. Achevez donc, madame, de me rendre 33 tel qu'il faut être pour vous plaire; 1'Amour sa vous aidera; il protégé des cceurs auffi fin33 cères que le mien : permettez qu'il fafïè mon 33 bonheur, & ajoutez k cette grace celle de 33 me croire avec refpect, » Madame & charmante maitreffe, 33 Votre très-humble & 33 très-obéiffant ferviteur, 33 1'abbé Pinabelle. 3» Je n'étois déja que trop porté k 1'amour; mon cccur ne cherchoit que des prétextes ; les métamorphofes de 1'amour me firent efpérer qu'il s'en feroit en moi de favorables. Déja 1'amour me devoit donner des jambes, me voila décidé k aimer : mon choix tomba fur mademoifelle Ninon; fes bontés m'avoient attaché, fes charmes n'eurent pas de peine k m'enflammer, étant auffi a portée que j'étois de les voir depuis les pieds jufqu'a la tête. La première chofe cependant qui m'occupa fut de rendre k madame Lefevre le paquet quoique décacheté; pour cela je le mis fous moi, dans ma jatte. Quand elle vint, je lui fis figne de le prendre? jBlle ro'entendit fort bien;, mais comme je m'ap-  ïp2 Mémoires1 puyois defius a mefure qu'elle le tirolt, ellé acheva de déchirer 1'enveloppe, & ma tricherie réuffit. On devine aifément que la nuit fuivante fe paffa de ma part a rêver : comment dire a mademoifelle Ninon que je 1'aime ? comment le prendra-t-elle ? Mais elle le prendra encore moins bien fi je ne lui dis pas : il faut donc parler. J'en eus bientót 1'occafion; elle venoit tous les matins déjeuner fur la porte, j'avois retenu ce que j'avois pu de la lettre j j'en fis une déclaration affez pafTable, & qui ne réufïït pas mal, car elle fe mit a rire de toutes fes forces. De ce moment je fus plus hardi a lui en parler, & j'ofe dire que je ne lui ai jamais parlé fans avoir le plaifir de la voir rire aux larmes: comme on eft cependant troublé dans une boutique par les allans & venans, j'imaginai que fi je pouvois être une nuit dans fa chambre, j'aurois tout le temps de 1'entrete*nir ; elle couchoit dans 1'arrière-boutique de plain-pied, & monfieur & madame Viquetté dans la chambre par-dela fur le derrière. II ne me fut pas difficile le foir, pendant le fouper, de me glifler dans fa chambre; je me mis fous fon lit pour n'être point vu, on crut que je dormois fous le comptoir, & tout le monde fe coucha. J'attendois quelques momens pour lui parler 3 mais elle avoit oublié une précau-1 tiq§  bes Colporteurs. ip^' tlon en fe couchant; pour la réparer, elle met la rnain fous fon lit, elle prend ma jatte au lieu de ce qu'elle cherchoit; le poids lui paroi't plus pefant que de coutume, elle n'en tire que plus fort, car elle étoit vive; la fecouffe me fait tomber violemment la tête contre le vafe qui étoit auprès de moi, & qui s'en va roulant jufqua la porte de la chambre, oü ii fe brife. Pour comble de malheur, la chatière étoit ouverte, & ce qui étoit dans le pot paffa en grande partie par la maudite chattière, & alla inonder une püe de factums qu'on avoit •mis la en fortant de la preffe. II en falloit bien moins pour faire arriver madame Viquette: on peut juger de fa fituation quand, ouvrant fa porte, elle vit les faclums inondés, le pot de chambre caffé, mademoifelle Ninon tremblante & pétrifiée a genoux fur fon lit, comme on eft en pareil cas, avec Ia jatte de Cubas a la main. L'action commenga par quelques foufflets, que madame Viquette accompagnoit de la harangue la plus pathétique. La pauvre .Ninon pleuroit de tout fon cceur, & dans fa furprife laiffa tomber ma jatte, dans le moment, par malheur, oü je fortois un peu la tête hors du lit pour voir fi M. Viquette ne viendroit pas au fecours de fa fille. La chüte de la jatte, qui .m'attrapa le milieu du nez, me fit faire un cri Tome X,  194, Mémoires involontaire, qui détourna 1'attention de madamS Viquette: mais comme la jatte m'avoit couvert en même-temps la tête, le paquet informe qui fe préfenta a fa vue lui parut être un revenant pour le moins ; elle recula deux pas ; la chandelle lui tomba des mains ; un gros infoüo qui étoit a terre lui fit donner une entorfe , a laquelle je crois que Ninon & moi devons la vie. Ce fut alors que M. Viquette parut avec de la lumière , & propofa des movem de conciliation, ou du moins d'éclairciflèment. On peut juger s'il fut bien reeür madame Viquette lui paria avec franchife, & il faut avouer que les fureurs d'Orefte paroïtroier.t froides auprès de la franchife de la bonne dame; elle fe dédommageoit en propos des aöions dont 1'entorfe la privoit : elle ne voulut entendre a rien,que pour préliminaire on ne me mit a la porte de la rue ; j'y paffai la nuit. Quelles réflexions ! Le retour du jour, loin d'adoucir ma peine, augmentoit mes inquiétudes; le lever de 1'aurore m'annongoit le retour de madame Viquette , je tremblois; heureufement fon entorfe la retint au lit. La charitable Ninon vint m'apprendre qu'il n'étoit pas poffible que je reftalfe plus long-temps ; elle vit toute ma douleur, elle y fut fenfible. La compaflion eft ingénieufe comme 1'amour j  öes Colporteurs. Ninon me propofa, pour avoir occafion de revemr a la maifon , de me faire colporteur; fa mere en cherchoit un pour quelques ouvrages anonymes; 1'intérêt étoit fa paffion dominante. Ninon lui fit faire ia propofition par G°1g' Premler gar9on de la boutique, qui avoit fa confiance, & quï , eu depuis celle de bien d autres; il Ia détermina furie champ. Ma jatte parut une cache peu fufpeéte : on ne me donna quun fol par exemplaire, & je partis. 11 eit aife de juger qu'a ma démarche ie ne pouvois pas prétendre aux premiers étages, & que_, dans ^ tout le chemin que j'ai fait dans U' u °£ PU COnnoïtre q«e les mceurs des rez-de-chauflee, ce font les moins intéreifans; lerecit en feroit froid. Peut-être quelque jour les mettrai-je en aétion ou en vaudeville, malgre la diftance des rues différentes oü les fcènes fe pafieront fi j, puis les bien dialoguer, faire Sw d ^ c°mme n doit'donner au h^ dune ducheffe un autre ton qu'au gar?on d'un procureur & a une marchande en boutique un propos différent d'une fruitière a la peL femame; le leéteur fera plus frappé des objets que d un recit & ]es chofes fe p,aceront dans la tete, avec dautant plus d'ordre, que celui de la p.ece fera plus extraordinaire. D'aprè, «ette reflexion, on me permettra de paffer. Nij  [JOG* MÉMOIRES tout de fuite aux événemens intéreffans de ma vie. Les deux premiers livres dont je fus chargé, furent deux brochures ; 1'une intitulée, Problême propofé a t académie dés fdenczs, pourquoi les muleis £ Auvergne, qui ont le trou du cul rond, font des crottes quarrées ; 1'autre, flnutilité du manage, par une religieufe qui a fait deux voyages aux eaux. Des efpions, que je ne pouvois corinoitre, avoient acheté mes livres des premiers : on les examina. L'ignorance pardonne moins une quef. tion embarraffante qu'un blafphème : auffi les gens du métier décidèrent le problême tendant a détruire la certitude des fciences, a établir le pirrhonifme 8c a autorifer l'impiété. Le fecond livre fut trouvé janfénifte , par 1'éloignenient qu'il infpire d'un facrement: & le pauvre Cubas fut le lendemain conduit au cha* telet, d'oü il ne fait en vérité par oü fortir. II eft cependant véritable que je fauvai de ma jatte quelques morceaux, dont je fais préfent a mes confrères , & dont ils m'ont promis de fe fervir dans le tableau de leurs misères; il y a quelques morceaux imparfaits.  toEs Colporteurs, 197 HISTOIRE DU SORCIER GALICHET, On croit qu'il n'y a de forciers que les vaches efpagnoles : un efprit fort a bientót dit cela; mais je penfe qu'on doit plutöt s'en rapporter a moi qui fuis un efprit foible. Je n'en veux pour preuve que m. Galichet, qui' n'étoit ni vache, ni efpagnol, & qui cependant avoit 1'honneur d'être forcier. C'eft lui qui fit teindre un cheval bai & le vendit pour un cheval noir. C'eft lui qui fit pafier pour 1'ame d'un jacobin une grande fille habillée de blanc, qui venoit toutes les nuits voir le père procureur. C'eft lui qui fit pleuvoir des chauves-fouris: fur le couvent des religieufes de Montereau y le jour que les moufquetaires y arrivèrent^ C'eft lui qui fit paroitre tous. les foirs un lapin blanc dans la chambre de madame 1'ab— beffe , fans que 1'on parvint a le prendre, paree que m. Galichet avoit prédit qu'on ne pourroit 1'attraper que lorfque madame 1'abbeueferreroit les jambes. n ii|  ïpS Mémoires Je ne finirois point fi !e fouvenir des tours qu'il m'a joués ne m'ötoit pas le fouvenir de ceux qu'il a joués aux autres. II eft vrai que tout cela ne me feroit pas encore arrivé, fi je n'avois voulu avoir familie. C'eft fans contredit une grande peine pour un honnête homme que de fe marier, tant il y a d'efpèces différentes de femmes; fages, fenfibles, prudes, coquettes, triftes, gaies, laides, jolies, le choix en eft également embarraffant. Les fages n'ont que 1'amour-propre; elles fe remercient d'une vertu dont la nature fait fouvent tous les frais; 1'orgueil fait leur févérité; 1'obftination fait leur perfévérance; 1'aigreur forme leur caraftère; elles ne veulent point c'amans, ne peuvent pas avoir d'amis. Toute la charge retombe fur le pauvre mari, qui eft en vérité bien a plaindre lorfque fa femme'eft impérieufe & qu'elle n'a qu'un ferviteur. Je me fuis étendu fur ce portrait des femmes vertueufes, paree que c'eft le défaut le plus, effentiel a corriger dans la fociété ; a 1'égard des autres, je n'en dirai qu'un mot. Les femmes fenfibles font a charge, les prudes font trompeufes, les coquettes font inquiétantes , les triftes font ennuyeufes , les enjouées vous raillent, les jolies. vous laiffent, & les laides, VOys reftent4  des Colporteurs. 109 J'avois toujours fait ces réflexions pour de-> meurer garcon; mais il fufflt de faire des réflexions, pour être tenté de faire des fottifes; j'en fuis la preuve : j'ai commencé par les unes & fini par les autres. Je fus pofledé du démon du mariage; cela m'en fit acquérir un autre , qui fut ma femme malheureufement: le premier paffe & !e fecond demeure. C'étoit la fille de M. Galichet ; e'le s'appelloit Claudine Galichet. Je ne 1'aurois pas époufée fi j'avois connu fon père pour ce qu'il étoit; mais je le croyois mon ami , c'en étoit affez pour que je ne le cruffe pas forcier. Mademoifelle fa fille étoit un compofé de toutes les dames dont je viens d'avoir 1'honneur de parler; elle avoit la taille courte, les hanches groffes , les jambes rondes & les cuifles menues. Ce dernier accident venoit de M. fon père, qui avoit marmotté quelques paroles pour que fespieds fuffent mis au bout de fes cuiffes, au lieu de les mettre au bout de fes jambes; ce qui fut caufe qu'on donna aux uns la place des autres. Je demandai a M. Galichet pourquoi il avoit fait eet arrangement; il me répondit que c'étoit pour la rendre modefte. Malgré tous c-rs inconvéniens, je m'avifai d'en être jaloux, & un ïnarguillier s'avifa d'en être amoureux ; il dk Niv  200 Mém o j r e s vrai qu'il étoit plus excufable, paree qu'il ne 1'avoit jamais vue, & que je la voyois tous les jours. C'étoit fur fa réputation de fcience qu'il avoit pris feu fi vite; elle favoit par cceur le petit & le grand Albert. II me prioit tous les jours de le préfenter ; j'éludois adroitement, paree qu'il étoit dans l'habitude, comme tout le monde, de demander, comment vous portezvous ? Et ma femme avoit coutume de répondre, comme bien d'autres , fort a votre fervice. J'avois peur que le marguillier ne la prit au root. C'étoit trop aimer la jufteffe du dialogue; cela me déplaifoit: il falloit cependant qu'elle eüt entendu parler de lui; car elle me dit un jour qu'elle vouloit apprendre a danfer. J'en fus étonné; je lui demandai quel maïtre elle vouloit prendre : elle me répondit qu'elle vouloit prendre le marguillier. J'en fus con'fondu , je n'avois jamais ouï dire que les mar•guilliers fuflent maïtres' a danfer. J'en porta-i mes plaintes a M. Galichet un jour que nous déjeünions enfemble a Goneffe chez madame Dubié avec un cochon de lait & un pain de quatre livres : il me dit que fa fille étoit naturellement fauteufe, tk qu'il falloit que je me portaffe a fes gouts. Je me mis en colère ; il ne s'en émut pas davantage , & croqua de fang froid toute la peau du cochon, & ne me. laiüa  BES CotPORTEURÏ. 20Ï que la viande. J'étois fi piqué, que je n'en laiffai point ; cela me donna une fi grande liberté de ventre, que je me relevai pendant quinze nuits tous les quarts-d'heure. Je défendis k ma femme d'en rien dire a fon père; je ne me fouciois pas que 1'on fut toute la dépenfe que je faifois de ce cöté-la. Le beau-père me raiila fur la paleur de mon vifage , & me fit entendre qu'apparemment j'aimois trop fort Claudine Galichet : il me pouffa fi loin que je lui avouai ma maladie : il me repliqua qu'il falloit la faire ceffer en y mettant un nceud. Je ne m'attendois pas que le maudit forcier voulüt me jeter le fort qu'on jette quelquefois a un nouveau marié pour 1'cmpêcher de fe vanter. Je m'appercus bientót de 1'aventure; je ne dis pas d'abord a madame ce dont il étoit queftion , mais elle s'en douta; elle me fit des plaifanteries. Comme elle avoit 1'ironie aigre, & moi 1'efprit acre, je me fachai Sc je m'en plaignis encore k Galichet. De quoi 1'accufez-vous , me demandat-il? eft-ce de n'être pas affez complaifante ? Peut-être 1'importunez-vous trop. II fourit a ces mots, & moi je fus tenté de lui donner un coup de poing. Mon cher ami, continuat-il, je connois votre mal, vous ne pourrez en être déhvré? k moins que le marguillier ne  S02 MÉMOIRES vous faffe ce que vous ne pourriez lui faire' s'il étoit marié. Je n'y voulus jamais confentir. A quoi voulez-vous donc que je m'occupe, me repartit Claudïne? A lire, repliquai-je en colère; je vous acheterai un almanach royal, vous n'avez qu'a vous inftruire. Eh bien , repartit mon beau-père, elle lira, puifque vous le voulez ; mals je vous déclare que ce fera un pupitre qui vous jouera le tour. Vous le prenez donc par-la, répondis-je, je Tattraperai bien, elle ne lira que des brochures, & il n'y aura pas plus de pupitre dans la maifon que chez Bonnefoi le procureur. Galichet me rit au nez, je ne fus pas pourquoi; je 1'ai appris depuis, & je vais vous en inftruire. Un foir j'étois rentré chez moi fort fatigué j j'avois mis mon bonnet de nuit pour paroitre plus gai , & mes pantoufles , afin de mieux raifonner ; ma femme étoit a 1'autre bout de la chambre, je ne la regardois pas, de peur de la voir; elle ne me parloit pas , de peur de s'ennuyer. C'eft ainfi que depuis mon petit accident nous vivions en bonne intelligence : je lui ordonnai, en lui tournant le dos , de me lire quelques fottifes nouvelles. Elle me répondit qu elle tenoit une hiftoriette nouvelle d'un amant qui s'étoit introduit chez fa maitreüe.  des Colporteurs. 205 en fe changeant en livre. Cela doit être bien fou , lui dis - je auffi - tot; & quel titre cela a-t-il? Fapon de grandir vüe. Affurément , pourfuivis-je, je ne fais pas de quoi on ne s'avife point; allons, lifez-m'en quelque chofe , tandis que je vais m'endormir en me chauffant les pieds. Elle commenca en ces termes : Oui, je vous aime, c'eft par un pouvoir fupérieur que je me fuis introduit fous cette forme, c'eft celle qui me convient. Tant qu'un amant foupire fans être fur de plaire, ce n'eft qu'une brochure. Oh, parbleu, dis-je alors, il faut convenïr que cette idée-la eft bien folie; voila comme font tous les ouvrages d'aujourd'hui, il n'y a pas le fens commun. Ma femme retourna le feuillet & continua ainfi : puifque vous pourfuivez votre ledture, il faut apparemment que vous n'ayez pas pour moi une haine bien marquée ; fongez que je ne dois tenir mon reliëf que de vos fentimens. Quelle volupté de devoir fon être a fa maïtreffe ! Si vous acceptiez mes vceux , fi vous y répondiez, j'irois toujours en augmentant. Ah, quel bonheur pour moi fi je devenois dans vos mains un livre de bibliothèque ! En vérité, m'écriai-je, cela eft auffi trop extravagant ; j'aime qu'on garde la vraifemblance. Ma femme ne lut enfuite qu'avec  Mémoires une voix tremblante; je crus que c'étoit paf crainte; je me trompois , c'étoit paree qu'elle rendoit le livre in-oclavo. Eh, continuez, madame , lui dis-je, pourquoi trembler ? Soyez füre que ces misères-la ne me font nulle impreflion. Elle voulut pourfuivre , j entendis des paroles coupées par des foupirs : ah ! feigneur, difoit-elle .... vous êtes dans mes bras .... mais que deviens-je moi-méme ? ... hélas ! . .. ah ciel ! vous êtes déja 'm-quarto ! C'eft fans doute. la princeffe qui parle ainfi, dis-je a ma femme; eh bien, elle a de la paflion & vous lifez fort bien. Je n'entendis plus que ce mot i ah, Dieu ! eft-il poflible? Je retournai la tête, & je fus confondu de voir que la brochure étoit devenue un gros in-folio du diclionnaire de Chomel, placé fur Claudine Galichet, qui étoit changée en pupitre. Je jetai les hauts cris , je voulus la faifir ; mais le maudit pupitre couroit a toutes jambes tout autour de la chambre, & le docleur Chomel tenoit bon. Mon beau-père parut en ce moment , & me dit d'un ton d'amitié : mon gendre, calmezvous, ce n'eft pas M. Chomel, c'eft notre ami le marguillier. Je redoublai ma pourfuite en criant: eh ! finiffez donc, monfieur le marguillier, vous prenez ma femme pour 1'ceuvre de la paroiflê. Je l'avois déja fait tomber du  BES COLPÓRTÈÜ S s". pupitre, lorfque Galichet me pinca 1'oreille , & me transforma en une feringue ambulante. U in-folio reprit alors la figure de marguillier, & le pupitre redevint ma femme ; je ne pus pas me contenir, & je lachai a la face du marguillier une chopine d'eau de caffe que ma colère avoit rendue brülante. Ah ! il eft trop chaud, s'écria-t-il en fe débarbouillant; mais je m'en vengerai : aufïi-töt il me prit & me porta chez fon apothicaire ; tenez , lui dit-il, voila un préfent que je vous fais pour vos étrennes, c'eft une feringue qui marche toute feule ; elle vous tiendra lieu de deux gareons. En effet, on ne paria que de moi dans tout . Paris; il n'y eut point de dame qui ne voulüt prendre un remède de ma fagon. A la fin, M. Galichet me défenforcela ; je redevins homme, fans que ma femme ait jamais été dans le fecret. Je' choifis le métier de colporteur , je fis^imprimer mon aventure; je la vends tous les jours dans les maifons, & j'y vois fouvent des femmes fort laides, que j'avois jugées fort jolies, lorfque j'y avois été en qualité de feringue.  J3ö6 Memoires Hors-de-propos fervant de préface au conté fulvant. C^üoique dans ce conté, mon cher le&eur, on parle de Souveraine & de Difcrette comme de deux fées, je n'oferois vous affurer qu'elles fuffent bien véritablement fées ; car pour moi j'ai bien de la peine a croire qu'il y en ait jamais eu; mais ce que je puis vous en dire, c'eft que des fées de la meilleure féerie auroient été bienheureufes de leur reffembler; & fi vous les rencontrez jamais, vous en conviendrez. Peut-être êtes-vous a&uellemerit devant elles, car on les rencontre tous les jours a Paris fous le nom de deux femmes qui, a dire vrai, n'ont pas trop mal réuflii Quant a 1'enchanteur, vous le connoilfez fürement, & il vous a enchanté plus d'une fois»  ©es Colporteurs, 207 Maan LA TOILETTE o ir LES ARRETS DU DESTIN. Xj'on a toujours dit que les arrêts du deftin font irrévocables; le vulgaire le croit par préjugé, quelques-uns en doutent par raifonnement: le fage fe décide par les faits ; en voici un capable de confondre toute incrédulité. Dans le temps des fées, & ce temps' eft moins reculé qu'on ne croit, il y en avoit deux extrêmement fingulières ; leur pouvoir ne s'étoit jamais manifefté par ces effèts furprenans, enfans du déréglement d'une imagination bizarre, & fouvent caufe ridicule du renverfement de la nature. Leur féerie étoit la plus douce féerie que 1'on eüt jamais vue, & quoiqu'elles filfent perpétuellement les chofes du monde les plus incroyables, leur art copioit fi exactement la nature, qu'il n'y avoit perfonne qui ne s'y méprit. S'il leur échappoit de ces traits lumineux qui cara&érifent les intelligences du premier ordre, c'étoit fous un  2o8 Mém oie.es voile fi fimple, que chacun s'applaudiflbit de découvrir tant de fineffe dans une pure naïvete. Se'duifantes fans devenir impérieufes, elles euffent gouverné 1'univers, fans qu'on fe fut appercu de la force de leurs enchantemens. A la vérité elles éteignoient toutes les autres fées, ce qui pouvoit leur faire des ennemies; mais elles paroiffoient fi peu y prétendre, que pas une ne leur en favoit mauvais gré. Toutes deux étant douées du goüt le plus jufte & du difcernement le plus fin, elles ne pouvoient manquer de fe trouver mutuellement charmantes: aufïi vivoient-elles dans une union parfaite; tout le monde approuvoit leur choix , tout envioit leur bonheur; qui ne 1'eüt cru a 1'abri de tous les événemens ? Mais les Dieux feuls peuvent jouir d'une félicité ihaltéïable. Souveraine étoit fee , &, comme intelligence femelle , ne pouvoit être exempte d'un peu de jaloufie; elle en concut des agrémens de Difcrette ; mais comme elle étoit bonne, fa jaloufie ne la porta point aux baffes noirceurs dont les mortelles font capables. Elle crut qu'il fuffiroit a. fa gloire d'ajouter a Difcrette quelque nouvel agrément qui la fit paroïtre plus jolie, & de fe la rendre, par-la, redevable d'une partie de fes charmes : le trait étoit hardi. Difcrette , fake pour plaire par elle -même, aurok-ellg  E" g s "C o' £ p d r t e u r s*, ao^ kiroit-elle trouvé bon d'en avoir obligatïon a fon amie ? il n'en falloit pas davantage pour altérer la bonne intelligence dans laquelle ils avoient vécu jufqu'alors; auffi tous les génies de leur cour étoient-ils attentifs a la fin d'un fi grand événement. On favoit qu'il étoit écrit dans le grand livre que Souveraine réuffiroit dans toutes; fes entreprifes; mais on favoit auffi qu'il étoitmarqué au même livre que Difcrette feroit toujours charmante, indépendamment d tout agrément extérieur, & que rien ne diminueroiü jamais 1'amitié des deux fées. Comment des chofes fi oppofées pouvoient-elles s'accorder? Les incrédules commengoient déja a dire qu'il étoit un peu imprudent au livre d'être fi clair, & qu'on alloit enfin avoir une preuve bien füre de 1'incertitude de fes oracles. On avoit vu jufques-la réuffir Souveraine en tout ce qu'elle avoit defiré ; a la vérité, elle n'avoit encore travaillé qu'a fe faire des amis & des querelles , & elle étoit parvenue a fe faire adorer de tous ceux qu'elle en avoit cru dignes , & a être en querelle réglée avec tcus les autres: de fi beaux commencemens fembloient afiurer que ce feroit fur Ie fort de Difcrette que le livre fe feroit trompé. Souveraine avoit choifi, pour fon triomphe^ 2 'ome X, q  le jour qu'un fameux enchanteur devoit raffembler chez lui toutes les fées de la contrée 5 elle fe chargea de la coëffure de Difcrette, qui, convaincue par expérience de 1'inutilité de la parure, en abandonna volontiers le foin, jè fon arme. Les diamans furent d'abord exclus de 1'ajuftement ; leur éclat éblouilTant ne fert qu'a ternir la phyfionomie la plus brillante, & leur quantité a annoncer plus d'opulence que de goüt ; les cheveux de Difcrette & le plus fïmple de tous les rubans firent toute fa parure. Pour les cheveux, on pouvoit ne s'en pas embarralfer, c'étoit bien les cheveux du wionde les plus adroits k fe diftribuer avantageufement; on n'a jamais fu précifément fi les graces les arrangeoient, ou s'ils faifoient naïtre les graces; mais on eft toujours convenu qu'ils en étoient inféparables. Le ruban n'étoit pas de même, il arriva fur la tête de Difcrette de l'air du monde le plus mauffade : Souveraine approche, le ruban femble s'agiter; trois fois elle le touche du bout du doigt, & trois fois le ruban prend les formes les plus agréables : tantöt il forme un papilion, tantöt une rofe; fa couleur devient plus vive & plus brillante ; il fe place de lui-même dans tous les -sndroits qui lui font favorables.  Bes Coejorteürs. 211 Souveraine s'arrête quand elle le volt au point de perfe&ion. Prefque fure de fon triomphe, déja la joie brlllolt dans fes yeux ; un regard qu'elle laiffe tomber fur fon amie renouvelle fon inqulétude. Difcrette part ; fon char, traïné par fix papillons (a), fend 1'air avec Ia plus grande rapïdité : elle arrivé chez 1'enchanteur au moment que Ia foule y mettoit le plus de confufion. On n'apperqoit d'abord que fa coëffure, & II fe fait un filence; les génies admlrent, les fe'es paliffent de jaloufie. Quelle joie pour Souveraine, qui l'avoit fuivie fans fe laiffer voir; mais que cette joie fut courte ! La foule s'ouvre, on voit Difcrette, & on ne voit plus qu'elle; les gém'es la trouvent charmante, fanss'appercevoircomment elle eft coëffée ; les fées envient fa phyfionomie, & oublient d'envier fa coëffure : Souveraine ellemême eft enchantée des graces de fon amie. On examine auffi-töt la vérité du livre, & tout le monde convient que 1'effet qu'a produit la coëffure a fon arrivée, eft la réuffite la plus complette que put defirer Souveraine, & que 1'impreflion qu'a faite dans 1'affemblée la vue de Difcrette, fi-töt qu'elle a paru, prouve (a) Leurs ailes font encore confervées, avec grand foin, dans le fameux cabinet de B***. Pij  Ü 5 M 'd i i t i bien quelle plak indépendamment de tout ornement extérieur. Leur amitié, mieux cimentée par cette petite épreuve, dura autant de fiècles que leur règne 5 & depuis ce tempsB les arrêts du deftin ne parurent douteux qu'a ces génies médiocres, qui ne connohTent d'efprit qu'a fe roidir oontre les vërkés qu'il* ïgnorent,  BES C Ö L P O' R T E Ü R t PODAMIR ET CHRISTINE. Nouvelle Russienne. On eft perfuadé, dans les pays pollcés, que, 1'amour eft ignoré par les peuples a qui notre, amour-propre donne le nom de Barbares ; leut fimplicité nous paroit oppofée. a. la délicateffe, néceftaire pour bien fentir tous les mouvemens d'une véritable tendreffe. Ce n'eft pas la moindre de nos erreurs ; éblouis par le faux brillant de cette galanterie fuperficielle qui fait toute notre, occupation 5 nous croyons fentir quand. nous ne faifons qu'imaginer, & nous refufons aux autres le bonheur d'éprouver un amour que nous ne connoiffons pas. La Ruflie, parvenue depuis un fiècle k un point de.politeffe & d'agrément qui fait 1'admiration de toute 1'Europe , ne voit plus d'exemples pareils a ceux que nous fourniffent Podamir & Chriftine, dans des temps fi re-* culés, qu'a peine ce vafte empire avoit-il encore commencé a jeter les premiers fondemens du gouvernement informe qui, pendant la_ longue fuite des. fiècles qui ont précédé?  2.14 Mémoires Pierre Alexiowitz, n'avok paru merker aucunff attention de fes plus proches voifins. Nés dans ces vallons fertiles qui bordent les affreufes montagnes de Sybérie, habkées encore alors par les peuples qui occupent aétuellement la Tartarie, Podamir & Chriftine ïgnoroient les plaifirs & les peines que le luxe a répandus depuis dans toutes les parties du monde. La fimple nature étoit prefque la feule loi de leur pays ; ils aimoient leurs parens , craignoient les Dieux, & les Tartares s'occupoient des amufemens champêtres que la lituation du pays leur procurok. L'amour, chez ces peuples heureux, n'étoit point une affaire de convenance , une occupation néceffaire pour être du bon ton ; on ne formoit point le projet de chercher une intrigue pour ne pas être defceuvré. Mais quand on trouvoit un objet aimable, on 1'aimoit fans s'en douter; le fentiment feul guidoit les amans; aufïi leur amour étoit-ii ordinairement durable. Podamir étoit 1'un des habitans de ce paysla qui fe croyoit le plus incapable d'aimer; convaincu, par la connoiffance de lui-même, qu'il devoit avoir peu d'efpérance de réufïir, peu fufceptible d'ailleurs d'être touché des feuls ■agrémens extérieurs} il ne fe fentoit difpofé a  Bes C o Lto e fETTRjf. sr| armer que ce qu'il trouveroit eftimable , Sc performe n'accordoit moins facilement fort eftime. Simple d'ailleurs, & fans prétention, il joignoit a la moins agréable de toutes les figures Ie génie le moins brillant: une humeur affez égale, & quelque valeur, que la dernière invafion des Tartares lui avoit donné occafiort de montrer, étoient fon feul mérite. On le confidéroit peu; mais comme on ne le craignoit pas, on 1'aimoit aflêz. Ennemi du trouble, il cherchoit fouvent la folitude dans des lieux charmans Sc retirés, qui forment une partie des jardins de fempereur. II ne voyoit prefque jamais cette beauté que dans les jardins folitaires, oü elle fe retiroit quelquefois pour fe délaffer des fatigues du gouvernement. Ce fut Ia que Podamir fe trouva enfin le plus amoureux des hommes , au moment qu'il s'y attendoit le moins. Chriftine, guidée par une indifférence naturelle, qui rend ennuyeufe la cour la plus brillante, venoit quelquefois fe promener dans ces mêmes lieux : il avoit vu cent fois Chriftine, il l'avoit trouvée charmante; mais n'ayant pas eu occafion de connoitre fon caractère, il avoit attribué 1'intérêt qu'il avoit toujours pris en elle, au feul effet que produifoient fur tous les honnêtes gens, fa jeuneffe & fes malheurs.  Ï2i6" Mémoires On ne détaillera point ici les charmes de" .'Chriftine; le tradu&eur a fenti que Podamir feroit fufpeót dans le portrait qu'il fait de fa maïtrelfe, (car le manufcrit original eft de lui; ) on fe contentefa de dire qu'elle joignoit a la taille la plus noble, la phyfionomie la plus intéreiTante; elle annoncoit de 1'efprit, de la fineffe , de la vivacité , de la douceur, & jamais on n'a annoncé fi jufte. Elle ne connoiffoit pas 1'amour, mais elle le craignoit. Le palatin Ourfousky, avec qui elle avoit été élevée, lui avoit paru d'abord affez aimable, elle en avoit recu quelques foins; mais 1'importunité & la pétulance d'Ourfousky lui avoient paru infupportables, & 1'avoient déterminée a renoncer pour jamais a une paffion dont il ne lui avoit fait connoïtre que les dangers. La promenade, la pêche & la chaffe étoient devenues fes feuls amufemens ; ils avoient penfé lui coüter cher. Un orage affreux 1'avoit enlevée des bords du Volga, oü elle fe livroit a la pêche avec trop peu de précaution; emportée par la rapidité du fleuve, on l'avoit vue entre la vie & la mort pendant très-longtemps, & 1'inquiétude des fpeöateurs étoit pour elle un gage peu équivoque des fentimens qu'elle avoit infpirés a tous ceux qui la connoilfoient.  des Colporteurs. 217 Le hafard,-ou plutöt 1'amour, conduifit un jour feuls Podamir & Chriftine dans la même alle'e de ces jardins ; Podamir fe trouva touta-coup fi prés d'elle, qu'il ne pouvoit fe difpenfer de 1'aborder. Jamais il ne s'étoit trouvé fi peu en état de parler, il fe fentoit ému fans en deviner la caufe : il avoit, pour la première fois de fa vie, un defir exceffif de plaire; il vouloit avoir de 1'efprit, c'eft affez pour en manquer. Sa converfation n'avoit aucune fuite, il ne favoit parler que fentiment; tout 1'y ramenoit; un gazon, un arbre, une fleur, une étoile étoient pour lui un fujet d'amour. Chriftine, qui l'avoit toujours traité avec affez de bonté, ne parut point s'appercevoir de fa ftupidité; elle répondoit a tout ce qu'il difoit: il la connut mieux en 1'écoutant, &, par une conféquence néceffaire, il la trouva plus aimable. Enfin, fans s'en douter, il lui dit qu'il 1'aimoit: il fentit aufli-tót le ridicule de le dire a quelqu'un a qui il ne devoit pas efpérer de plaire ; mais , hélas ! que peut 1'efprit , quand le cceur eft vivement affecté? Chaque mot de Podamir devenoit plus clair a mefure qu'il vouloit réparer fa faute. Chriftine , trop füre d'elle-même pour craindre un engagement, paroiffoit 1'écouter fans répugnance ; mais cette tranquillité n'étoit-elle pas une preuve de fon indifférence ?  2i8 Mêmoïre* La retraite de la fee obligea Podamir de fe féparer de Chriftine. Quelle foule d'idées défefpérantes pour lui ! II ne pouvoit douter de fon amour; l'agitation de fon cceur, le défordre de fa converfation, 1'aveu indifcret qui lui étoit échappé, tout lui prouvoit qu'il étoit le plus amoureux des hommes; plus il connoifToit fa maïtreffe, plus il aimoit, & moins il avoit d'efpérance. Les premiers jours qui fuivirent cette entrevue, ne furent employés, par Podamir, qu'a: chercher, a quelque prix que ce fut, les occafions de revoir la charmante Chriftine ; il err connoiffoit tous les dangers , mais il n'avoit plus rien a ménager pour la tranquillité de fon cceur; & le ridicule qu'elle eüt pu jeter fur/ rui en lailfant appercevoir au public 1'extravagance de la paffion a laquelle il fe livroit, étoit la moindre de fes craintes. On eftime ce que 1'on aime; & quand elle eüt été capable de le rendre 1'objet de la raillerie publique , il n'en eüt pas été affecté ; le malheur de ne pas plaire ■a la feule femme du monde qu'il pouvoit aimer véritablement, n'eüt laiffé dans fon cceur aucune fenfibilité pour tout autre événement. Chriftine de fon cóté ....... »Le traduöeur n'a pu aller plus loin, & en eft fürement plus faché que perfonne; mais le manufcrit ayanj  des Colporteurs. 2.19 été apporté dans le nord d'Ecoffe par des réfugiés ruffiens, un perroquet, que la reine Elifabeth y avoit envoyé pour apprendre la langue des montagnards, (car les princeffes avoient dés-lors beaucoup de fantaifies ) égratigna beaucoup d'endioits du livre, qui fe trouva pendu auprès de fa cage. Ce livre , qui ne nous eft revenu que depuis Ia dernière expédition , n'a pu encore être bien décbiffré; tout ce que 1'on a pu y trouver de certain, c'eft que Podamir fut, jufqu'au dernier foupir, le plus tendre, le plus fidéle & le plus empreffé des amans, fans faire de ces fermens indifcrets que le defir de féduire fait fi légérement prodiguer aux amans vulgaires. Sa conftance fut d'autant plus füre, qu'elle étoit moins fondée fur aucun projet, que fur les nouveaux charmes qu'il trouvoit tous les jours dans 1'efprit & dans le cceur de fa maitreffe. Son empreffement fut toujours contenu par la crainte de laiffer découvrir fes défauts en fe livrant k 1'importunité : fi fa délicateffe, la certitude que Chriftine devoit plaire a tout ce qui la voyoit, & les affiduités même de quelques rufliens affez heureux pour 1'amufer , lui firent quelquefois fentir les atteintes de la jaloufie, Chriftine ne s'en appercut qu'a la mélancolie tendre dont il parut accablé , & jamais il ne chercha a éclairer fes doutes par aucune de ces voies indignes, fi oppofées a la confiance que 1'on doit a une femme que 1'on a trouvée affez eftimable pour 1'aimer comme aima toujours Podamir. Le traducleur attendra , pour fuivre eet ouvrage, que 1'on ait pu en déchiffrer affez toutes les parties, pour en faire un corps d'hiftoire un peu complet & fuivi, d'autant qu'il s'eft appercu que ce qu'il en a traduit jufqu'a préfent eft paffablement découfu , cruellement embrouillé & ridiculement plat.  %2Ö MÈMOIRE^ Suite de I'hiftoire de Podamir. T i E s heureufes découvertes d'iin favant dè nos jours ayant donné de grandes facilités a déchiffrer les abréviations des anciens, un curieux a efTayé d'en profiter pour déchiffrer la fuite dü manufcrit de Podamir. Cette fcience n'eft pas encore parvenue au point de certitude néceffaire pour affurer affirmativement la fidélite de la tradu&ion. Voici les conjeclures du tradufleur ; le lefteur eft prié de ne les prendre que pour ce qu'ellesvalent. La paffion de Podamir ne fut pas aufK heureufe que la délicateffe de fes fentimens le méritoit. Chriftine, infenfible, fe contenta de lui impofer filence, fans craindre de continuer de le vair. Le matheureux Podamir fentit vivement fort infortune fans en accufer fa maitreffe; il fe rendoit juftice. Chriftine eftimoit la vertu, mais il falloit que les agrémens y fuffent joints pour féduire fon cceur; &, en vérité, il le falloit pour mériter la plus charmante de toutes les femmes. Elle fut gré a fon amant du refpect qu'il lui marquoft, mais elle n'alla pas plus loin; & Podamir reconnut enfin que ce n'étoit pas  DES C O t V O R T E Ü E S. 22F feffez pour réuffir en amour. La fatuitc, quoique groffière, de quelques Tartans des contrées voiftnes avoit réufli déja ?uprcs de plus d'une xuffienne ; il s'imagina que fi elle étoit conduite avec plus de puHteilè, le fuccès en feroit encore plus briüant & plus fur. Voila Podamir déterminé a être auffi fat qu'il lui fera poffible ; il décide, il contrarie, ïl méprife; rien ne paroït digne de fon attention; il ne voit pas une femme fans la foupConner du goüt le plus vif pour lui ; une politeffe lui paroït une de'claration ; 1'impatience que caufe fa fottife a quelques-unes d'entr'elles , lui femble une fuite du dépit qu'elle a de n'être pas auffi bien traitée: mais au fond, il ne peut pas avoir de bontés pour toutes ; tant pis pour les malheureufes, leur ïmportunité 1'excède trop, pour qu'il ne s'en plaigne pas a fes amis. Le nombre des fottes étoit beaucoup plus grand en Ruffie, telle eft la différence de ce pays au nötre: auffi Podamir fut-il bientót a la mode; fat en huit jours, comme s'il 1'eüt été toute fa vie, il eft furpris de la rapidité de fes conquetes, vraies, ou du moins apparentes : mais , hélas ! cette reffiource étoit inutile avec Chriftine; pouvoit-ü devenir moins ïefpectueux avec elle? Mieux il la connoiflbit,  222 M é: M O ï E E é plus il continuoit a la voir. En vaïn ifièhercrië a 1'oublier , 1'idée de Chriftine lui revenoit a chaque inftant. Quelle eomparaifon! fes nouvelles maitreffes ne la foutenoient pas un moment dans fon cceur, aucune ne lui paroiffoit digne de fon attachement. Comblé de leurs faveurs, il fe trouvoit le moins heureux des hommes; fon amour-propre en étoit auffi peu fatisfait que fon cceur. Chriftine feulê pouvoit le rendre heureux, & Chriftine ne lui laiffoit aucune efpérance. II imagine qu'il vaut mieux s'éloigner d'elle, il fe flatte que 1'abfence diminuera fa peine, (c'eft en quoi il fe trompa, & la tête lui tournoit encore de Chriftine en écrivant fon hiftoire plus de après,)' & que les femmes des pays plus policés feront plus capables de le confoler. Le hafard lui fournit 1'occafion d'en faire 1'épreuve. On venoit de fondre alors la fameufe cloche quï rend Archangel célèbre dans tout le Nord; deux vaiffeaux étoient deftinés a reporter en France les habiles ouvriers que eet ouvrage doit immortalifer. Podamir projette de s'y embarquer. Bien des favans critiques ont douté que 1'importunité des bonnes fortunes de Podamir fut la caufe de fon départ. On trouve dans des mémoires du fameux Roublousky, troifième évêque d'Archangel, un motif tout  des Colporteurs. 225 différent, & qui paroït plus vraifemblable. Nos femmes, dit ce bon prélat, ont toujours plus cherché le folide que le brillant; elles ne furent pas long-temps les dupes des faux airs de Podamir; fa galanterie affeétée ne leur parut qu'un moyen de faire paffer fon inconftance, & fes airs impérieux, plutöt un fentiment de vanité, que ce defir tendre & fi naturel de fe foumettre entiérement le cceur de 1'objet aimé. Auffi Podamir fe trouva-t-il dans 1'abandon le plus cruel; & les femmes ruffes font reftées , depuis ce temps, dans le principe de ne fe livrer qu'a ceux de 1'attachement & de la franchife de qui elles font affez fïïres, pour croire qu'un amant leur donnera plutöt cent coups de baton que de leur déguifer un moment 1'humeur dont fon cceur peut être agité. C'eft en effet la plus grande preuve de confiance qu'un amant puiffe donner a fa maïtreffe, que de ne lui pas cacher un défaut tel qu'une pareille vivacité. Les femmes rufTes fe font bien trouvées jufqu'a préfent de cette conduite. Elles n'ont qu'un amant, mais elles en recoivent plus de marqués d'eftime que les frangoifes les plus occupées n'en regoivent de la foule empreflée de leur faire la cour. On laiffe au leöeur a décider entre ces deux f»pinions. Quoi qu'il en foit, Podamir raffemble  224 M I I O I K E S fes amis pour leur dire adieu: je vous quitte a regret, leur dit-il ; je ne puis plus tenir aux femmes de ce pays-ci; en vérité, il n'eft pas poffibie a un homme d'une certaine efpèce de s'en accommoder. Quoi ! on ne trouve que des fottes ou des bégueules ! les unes trouvent qu'on leur conviendroit, ont envie même de vous attirer; mais elles ne favent pas fe déterminer, & elles s'imaginent qu'on fera des femaines entières a les décider! Ma foi, les attende qui voudra , ce ne fera pas moi; je fais que cela m'en a fait manquer plufieurs ; mais que puis-je faire ? elles y ont autant perdu que moi: les autres s'imaginent, quand elles ont pris quelqu'un , qu'il doit leur refter comme une maifon a vie; & j'ai été brouillé ave cinq ou frx, pour les avoir enfin quittées après y avoir tenu plus d'un grand mois. C'eft être, a dire vrai, un peu difficile a vivre; auffi vais-je chercher fortune dans un pays oü j'efpère trouver un meilleur ton: d'ailleurs j'ai toujours les Francois ; ce me fera un grand plaifir de troubler leurs arrangemens par mon arrivée. (a) (fi) On trouve dans un manufcrit de la bibliothèque "des Coptes de Pétersbourg , que le départ de Podamir eut tout un autre motif que celui qu'on lui attribue ici. Suivant ce manufcrit, les femmes ctuelles fentirent bientót tout le faux de la fatuité de Podamir, elles Teï  e s Colporteurs. 22^ Tel fut Ie difcours de Podamir. Une vingrtaine de ruifes, déja gatés par fon exemple ëc fa réuffite, s'empreffent de le fuivre; on met a la voile ; quelques-uns plus me'lancoUques , fans être moins fats, s'ennuyent bientót de la pétulante vivacité de leurs compagnons ; on fe fépare. Les premiers fe retirent fur le batiment qui fuivoit prefque vuide , & Ia navigation fe continue le plus heureufement du monde , jufqu' a 1'entre'e de la Manche : la, nos voyageurs font accueillis d'une de ces tempêtes que la proximité des terres n'y rend que trop communes, fur-tout dans les équinoxes. Les mélancoliques , toujours difpofés a prévoir les malheurs, regardent leur perte comme affurée, & 1'évitent en fe faifant échouer fur les cótes d'Angleterre, oü ils reftèrent, & oü 1'on voit encore leur nombreufe poftérïté. Podamir & le refte de fes compagnons, perfuadés que les élémens les refpe&eront, fe ïivrent au gré des vents, &, par le plus heu- comprirent qu'un fat ne pouvoit être fufceptible d'un! véritable amour. Elle plus compatible avec laplus groffière fimplicité ordinaire a leur nation, & c'eft depuis ce temps-la qu'elles font convenues de. regarder les coups de baton comme la pierre de touche: d'un véritable attachement. Tome X, P  MÉMOIRES» leux de tous les hafards, (a) entrent a pleines' voiles dans le premier port de France ., oü la fatuité débarqua pour lors avec eux, au même temps qu'un vaiffeau napolitain y apporta, par Marfeille, un autre tic qui n'a pas moins smultiplié; & c'eft de-la que 1'un & 1'autre, a préfent, font prefque tout le fonds de Ia fociété. L'éditeur fe croit obligé d'avertir le public que ceci pourroit bien ne pas être une tra'duction; le prétendu traducteur a tout l'air d'avoir, dans la première partie, raconté quelque aventure qui lui eft arrivée, & qui n'aura pas réufti comme il s'en flattoit. On voit que la feconde partie n'eft faite que pour fe tirer d'affaire (b), & qu'il fera fort heureux fi fa fatuité n'a pas plus de réalité que les bonnes fortunes qu'il s'y donne. (a) Chriftine, a qui le fentiment de Podamir n'avoit point fait impreffion , & qui n'avoit pas reconnu fa fatuité, ne s'appercut point de fon abfence; tant il eft vrai qu'il faut être aimable ou ridicule pour inté-. refter. ( b) Depuis ce temps, bien des gens, dans ce pays-ci > ne fe tirent d'affaire que par des fottifes, & c'eft eftecfivement ce qui réuftit le mieux.  b e s Colporteurs. 22j H I S T O I R E DU SIEUR BONIFACE; JL/ A vieilleffe crie , la jeuneffe s'égare ; le bon' fens reffemble a la vieilleffe ; la jeuneflë eft 1'image de fcfprit; la morale eft de mode , la' vertu ne 1'eft plus ; on décourage les talens; on force les vocations: voila pourquoi j'aï changé de métier, Sc que je fuis forcé d'être en prifon. Je fuis né de familie a faire fortune; ma mère a de 1'efprit, mon père n'en a guère; je dis cela plus pour lui faire macour , que pour lui manquer de refpect; il aime fa fottife, & je le natte quand j'ert parle. II prétend être gentilhomme ; je fuis obligé de 1'en croire fur fa parole plus que fur fes titres. II avoit voulu, comme toute la nobleffe , entrer dans le fervice & lever une compagnie de cavalerie ; mais , admirez 1'étoile ! il trouva plufieurs beaux chevaux qu'il acheta, il ne rencontra que de yilains hommes qu'il refufay il eut de la cavalerie & man qua de cavaliers, ce qui le forga a fe faire marchand de chevaux. Pij  22§ MÉMOIRES Ma mère en fut fort affligée, elle fentoit ce qu'elle étoit, fon père étoit libraire d'Anvers ; & il eft bien trifte pour quelqu'un qui a 1'ame haute, de déroger dans le négoce ; elle marqua fa peine a fon mari, qui ne la partagea point, & qui lui foutint qu'il n'étoit pas plus noble de tromper le public en vendant de 1'efprit qu'en vendant des chevaux. La converfation s'anima, les altercations vinrent ; ma mère, qui favoit mieux écrire que mon père, lui dit tant de fottifes, qu'il fut obligé de fe taire ; il ne voulut point fouper. Quelques heures après , il voulut fe raccommoder ; ma mère, qui avoit le cceur bien placé, lui reprocha fa mauvaife humeur pendant le repas: mon père, qui de temps en temps avoit 1'efprit jufte, lui répondit: cela doit vous prouver, madame , que je puis bouder contre mon ventre , fans que celui des autres s'en reftente. Madame fourit, la paix fe fit, mon père s'afficha maquignon , ma mère demeura bel-efprit, & moi, 1'on m'apprit a. monter a poil tous les chevaux de 1'écurie; ce qui, dans la fuite, m'a été d'une grande reftource dans la fociété. Je me laffai d'uA métier fi monotone, fi tant eft qu'il y ait de la monotonie k monter des chevaux, dont 1'un va le trot, 1'autre le galop, celui-ci le pas, celui-la 1'amble; mais c'eft  BES C Ö E E Ó R T E Ü R f. 22p toujours monter a cheval, & c'eft ce qui rend 1'occupation monotone. La nouvelle profeffion de mon père ne dérangea point celle de ma mère ; ils n'avoient ni les mêmes goüts, ni les merries connoiffances; ils logeoient enfemble par décence, fe haïffoient par fentiment, fe méprifoient par juftice, fe trahiftoient par jaloufie, & ne s'accordoient que par intérêt. Madame ne quittoit pas fon appartement; monfieur étoit fouvent a l'écurie,& dès qu'il en fortoit, madame, qui favoit placer fon monde, 1'y renvoyoit bien vite. Elle cultivoit meflieurs les beauxelprits ■ entr'autres , le turc qui faifoit de fi beaux équilibres a la foire dernière ; & comme ma mère étoit fort brune, fort maigre & fort menue, j'ai fouvent entendu dire a fes amis, par manière de plaifanterie, qu'elle jouoit le röle de la corde lache. De pareilles badineries ne laiffoient pas que de me faire plaifir & de me former 1'efprit, en me faifant comprendre le ton de la bonne compagnie ; celle que mon père voyoit ne me fit pas tant de pront. Comme il avoit toute fa vie aimé les bêtes a poil, il étoit en grande liaifon avec les capucins. Un jour il m'ordonna de préter deux de fes meilleurs chevaux au révérend père Alléluïa de Québec Sc au révérend père Augufte- Piij  250 MÉMOIRES Chryfoftöme-Séraphique d'Hefdin. J'étois char-* gé de les accompagner jufqu'a la dïnée, mais j'eus une diftraétion qui caufa bien des malheurs. Je donnai au père Alléluïa un fort beau cheval entier , & au père Séraphique une fort jolie jument en chaleur. Les deux révérences ne furent pas plutöt en marche, que le cheval d'Alléluïa partit par un henniffement & trois ruades. Je m'appercus de ma faute , je criai auffi-töt: piquez des deux, père Séraphique; tirez la bride, Alléluïa. Alléluïa tira la bride , le cheval rua plus que jamais, le cavalier fut enlevé de Ja felle & retomba a cheval a plomb; mais fa robe fe retrouffa fur le capuchon, ce qui ne laiffe pas que d'être un accident pour un cavalier qui n'a point de culotte; auffi, lui dis-je: prenez donc garde de vous enrhumer, mon révérend père. Ah ! bienheureux faint Frangois , s'écrioit-il en galoppant, on voit votre derrière ! Dans eet inftant le cheval joignit la jument, il fe cabra & mit brufquement fes deux jambes de devant fur 1'eftomac du révérend pèré^Augufte - Chry foftöme - Séraphique d'Hefdin ; j'avois beau lui crier : tenez-vous ferme , joignez la barbe aux crins ; il fut renverfé fur le dos , & auroit pu confidérer le* étoiles, fi le ventre du cheval n'avoit été collé fur fon nez,  Alléluïa r croyant bien faire, piquoit fon. cheval tant qu'il pouvoit.;. moi qui, depuis un quart-d'heure , ne voyois de toute fa perfonne. que. fon derrière. j'appliquois defTus des coups de fouet de toute ma force;. il me crioit. finiffez donc: eh, mon révérend, lui répondis-je, fi c'eft a. votre cheval que vous parlez^ prenez patience, cela finira bientót. En effet, la fcène fe termina; le père Séraphique s'évanouit; mais il rappella fes forces pour me dire : mon cher enfant, cette aventure doit vous faire voir que, même dans les animaux , c'eft une terrible chofe que le pêché de la.chair.Je ne pus pas m'empêcher d'éclatet de rire, cependant j'envifageai 1'excès de ma faute par fes effets ; je craignis la colère de mon père; je laiffai les deux bleffés, dont je n'ai jamais entendu parler depuis, non plus que de mes parens ; je n'ofe pas même demander slis font morts,. de peur de découvris qu'ils font encore vivans. Je ramenai k Paris les deux chevaux, 1'un portant 1'autre. Je balangai long-temps. fur le choix d'un état ; &, après avoir pefé les avantages d'être bel-efprit ou maquignon , je me décidai pour tous les deux. J'eus une jolie pouliche de 1'aventure des ^apucins ; apparemment que la jument. avoit..,. P iy  032 'Mémoires en ce moment, regardé le révérend père Alléluïa de Québec, car la pouliche étoit une béte a longs poils. Je 1'échangeai contre une vache, je 1'enfermai avec le cheval; il en naquit une efpèce fingulière d'animal qui avoit les jambes de cheval & tout le corps de vache ; cela me donna 1'idée d'une nouveauté. J'attendis que mes deux animaux m'en euflent encore donné un pareil ; cela me fit un équipage de deux chevaux a cornes , que je vendis; & c'eft de cette efpèce qu'on s'eft fervi long-temps pour aller les matins au palais. J'aurois fait une grande fortune, fi je n'avois pas eu la fureur d'être en même temps colporteur ; c'eft la. ce qui m'a perdu, & ce qui m'a prouvé que le bel-efprit appauvrit aut.ant que 1'efprit enrichit. Je n'entendois parler que de colporteurs faifis, pris & emmenés par le guet a pied; je me fis colporteur a cheval, & je portai impunément des brochures dans mes bottes : il eft Vrai que quand le foin enchériffoit , j'étois obligé de vendre mes livres plus cher. J'aurois continué long-temps ce commerce9 fans un malheur qui m'arriva. Je débitois depuis quelque temps des differtations fur les bêtes a cornes; mais on m'en  des Colporteurs. 233* ettvoya un ballot d'exemplaires, dans le corps defquels on avoit malignement inféré plufieurs aventures , qui n'étoient méchantes que paree qu'elles étoient vraies ; elles avoient toujours le titre de difTertations. DifTertation fur monfieur . . . . , procureur en la cour. Par fes cleres & conforts. DifTertation fur monfieur .. . . , confeiller aux confuls. Par un confeiller de cour fouVeraine. DifTertation fur monfieur . . . ., doóteur en médecine. Par ceux qui ne font pas fes malades. DifTertation fur Jean-Gilles-Claude Venezy-voir, expéditionnaire, qui a pris le nom de fa femme, paree qu'elle eft de familie d'épée & qu'elle s'en reffènt elle même , ayant plus de difpofitions que fes trois frères a être chevau-léger. Le débit de ces exemplaires me perdit, je fus accufé, pris & renfermé ; depuis ce temps on ne voit plus de difTertations, mais on voit toujours des bêtes a cornes.  *34 MÉMOIRES. SS HISTOIRE DE CATHERINE CUISSON* QUI COL PORTO IT. Ma mere avoit ete couturière , mais pat parefTe elle avoit £i bien oublié fon métier, qu'elle ne fut même jamais tentée de m'apprendre ce qu'elle en favoit encore. Elle avoit époufé mon père pour avoir un mari. On con-< nok 1'incommodité de cette efpèce d'hommes; cependant elle a fes avantages, & bien des femmes n'en prennent que pour empêcher de parler. Quel que füt le motif de ma mère en époufant mon père, il avoit été facteur de la pofte, maïs trop fujet au vin ; il avoit perdu fon emploi, & s'étoit vu réduit a faire ufage de la grande connoiffance qu'il avoit des rues de Paris, pour faire les commiflïons du tiers & du quart. II eft vrai qu'il y avoit fouvent une grande différence de fon exactitude du matin a celle du foir. Malgré tout ce qu'on en a pu dire dans le quartier, ( car Ia langue des voifins eft une terrible chofe) indépendamrnent des autres apparences, j'étois trés-  des Colporteur s. 235; affurément la fille de mon père, non par mon goüt pour le vin , car je n'ai jamais été fenfible au plaifir de boire, mais fi je n'y avois fait attention de bonne heure , j'avois une grande difpofition a trainer la favatte & a courir les rues comme tant d'autres. Les pauvres ont ordinairement beaucoup d'enfans ; réduits a ce qui ne leur coüte rien, ils en font ufage: fur ce principe, notre familie auroit dü être fort nombreufe, cependant je n'ai eu qu'une petite fceur; fans nos malheurs, j'aurois pu répondre qu'elle m'auroit imitée & qu'elle auroit profité de mon exemple. Mais, pour revenir a moi , les exemples de ma familie me dégoütèrent de la fainéantife, & m'apprirent qu'il n'eft point aifé de pafier tout le jour fans avoir rien a faire: d'ailleurs, je fentis de très-bonne heure en moi une envie démefurée d'être parée & d'être trouvée jolie ; c'eft a. cette envie feule que je dois 1'éducation que je me fuis dor.née, c'eft elle auffi qui me met eh état d'écrire mon hiftoire & mes malheurs. Si le titre des malheurs n'eft pas nouveau, du moins il eft heureux ; j'ai même été au moment de le donner a eet ouvrage, mais j'ai changé d'avis; on verra , dans la fuite, que ce n'eft pas la feule fois. Animée du defir de plaire, que j'ai porté ,  '256 M é k ö is ! Ü je 1'avoue, dans toutes les acYions de ma vie,pour n'être poirtt grondée , & fur-tout pour n'être point auffi iaide qu'on m'avoit dit que je 1'étois en pleurant, j'appris , d'une facon fingulière, tout ce qu'on peut apprendre a 1'école, j'y occupois toujours la première place ainfi qu'au catéchifme. Une dame de notre paroiffe & de nos voifmes m'avoit trouvée jolie , & fourniffoit aux petites dépenfes que pouvoit coüter mon éducation. Je n'avois pas quinze ans quand cette bonne ame mourut au moment qu'elle alloit me mettre en apprentiffage , je n'ai jamais fu trop de quoi : ce qu'il y a de certain, c'eft qu'on pouvoit tout me montrer, car j'étois encore plus curieufe qu'ignorante. Quelques jours après fa mort,, j'allai faire mes complimens a fon fils ; il étoit revenu de 1'armée', ou il étoit gendarme, pour recueillir une fucceffion qui ne répondit point a fes efpérances: je l'avois connu autrefois , mais depuis long-temps fa mère m'avoit défendu de lui parler. Si je le trouvai plus grand, il me trouva plus jolie , & me dit qu'il n'ignoroit pas les intentions favorables que fa mère avoit eues pour moi: il ajouta qu'il vouloit les fuïvre, en me montrant un métier qui n'étoit pas diffïciie, En effet, il me le montra & me donna  des Colporteurs. 237 les premières lecons en me faifant lire devant lui & en m'apprenant tout ce qui fait aujourd'hui le fel & 1'agrément des brochures. Si j'avois eu de 1'ardeur pour 1'école & pour le catéchifme, on peut juger de celle que je fentis pour mes nouveiles études. Mon maïtre , mon gendarme , mon bon ami ne s'en tint pas la : pour me mettre en état d'aider mes parens & ce m'entretenir dans une efpèce de propreté, il me préfenta & répondit de moi a. quelques-uns des libraires qui favent fe paffer de priviléges. Dès-lors ils me confièrent leurs marchandifes avec plaifir, pour les porter a toutes les pratiques, que je ne fus pas longtemps fans me procurer. Ce ne fut pas la feule obligation que j'eus a eet honnête homme; il ne négligea aucun des détails qui pouvoient fervir a mon inftruction; il m'apprit par oü & comment on prenoit les hommes : ainfi une pinte de vin payée a, un fuiffe, une bouteille offerte a propos au premier laquais de monfieur ou de madame, j'étois affurée de ne trouver jamais la porte fermée & d'entrer dans les appartemens , quand on croyoit qu'il y faifoit bon pour moi; car les domeftiques ont fur cela un infrinct merveilleux. Tantöt j'étois •introduïte pour interrompre le languiffant têtea-tête du mari & de la femme : que j'étois bien  238 Mémoires recue ! Combien on regardoit mes livres f Combien on craignoit 'mon départ! Combien on étoit de temps a conclure le marché d'un livre ! On m'annoncoit une autre fois, pour autorifer le tête-a-tête de madame avec fon amant, au moment que le mari alloit arriver. On étoit alors fi centent de me voir en tiers, on me favoit tant de gré dans ce moment, que par un fentiment de reconnoiffance intérieur , 1'amant & la maitreffe ne me renvoyoient point fans m'acheter, & le marché étoit toujours accompagné de ces marqués d'amitié que la reconnoiffance de 1'amour exprime avec des mots fi doucement choifis & exprimés. 'Affez jolie d'ailleurs avec Ie babil que j'avois acquis, mon vifage me faifoit bien recevoir du maïtre de la maifon, des enfans, & même du précepteur, quand il n'y avoit point d'étrangers. Ainfi, de quelque facon que ce fut, même dans les premiers commencemens de ma profeffion , j'avois le débit de ma marchandife. Cependant ma mère me fuivoit encore, & vouloit me conduire dans les maifons ; je m'appercus bientót que cela me contraignoit & dérangeoit bien des chofes : j'avois plus d'efprit qu'elle, auffi je me déterminai a lui dire un jour, avec beaucoup de politefte : ma mère, vous n'y entendez rien ; c'eft pour avoir de^  b e s Colporteurs. 23,9 i'argent que vous venez avec moi, c'eft pour me tout prendre; croyez-moi , ce n'eft pas votre affaire , laiffez-moi faire , & , fur ma paxole, quand j'irai feule, je vous rapporterai beaucoup davantage, quand même j'en garderois, comme de raifon, la moitié pour moi. Ma mère voulut en effayer, & s'en trouva bien : en effet, fans tout ce que je donnois a fon infcu a ma petite fceur & a mon père, & fans compter tout ce que je mettois fur moi, il n'y avoit point de jour que je ne rapportaffe a la maifon des cent fols & des Cx francs. II ne m'eft jamais trop xarrivé d'aventures ïntéreffantes , mais bien d'intéreffées , & j'aurois fort voulu que la liberté régnat moins dans Paris ; mais les femmes y font trop libres pour avoir befoin d'employer aucun ftratagême pour donner & recevoir des lettres: cette partie de ma profeffion, que j'aurois pu faire valoir fans rien déranger de mon débit, ne m'a donc jamais été d'aucune utilité. Le feul embarras oü je me fois trouvée eft celuici : j'étois chez le comte L*** un matin, car j'avois remarqué que les ledtures du matin étoient les plus favorables; le comte avoit renvoyé fes gens; &, malgré le nombre des vifites que je lui rendois depuis quelques jours.  240 Mémoires j'ignorois que fa femme fut jaloufe ou qu'elle feignït de 1'être. J'étois donc chez lui fort tranquillement & fort a mon aife; 1'oreille extrêmement fine, que Dieu m'adonnée, me fervit utilement; j'entendis marcher quelqu'un; je m'appercus alors que j'étois un peu trop comme la maitreffe de la maifon; je me levai promptement & je courus au paquet de mes livres: madame entra dans le moment que je difois avec une préfence d'efprit admirable: oui, monfieur, il m'eft aifé de vous prouver que ce roman n'eft pas fini, & que eet incident fufpend abfolument toute l'aclion. La comteffe fe contenta de me regarder fort noir, mais moins encore que fon mari: notre fcène muette me prouva qu'elle n'aimoit point la lecïure, & moins encore les études de fon mari; perfuadée d'ailleurs que je jouois a mon tour le röle que la femme venoit de jouer, c'eft-a-dire que j'étois de trop, & de plus certaine de ne pouvoir conclure le marché que j'avois commencé, je ployai bagage & je fortis. Quelques jours après, curieufe de favoir le dénouement de 1'aventure , je revins dans la maifon, & le portier me dit en confidence qu'il avoit ordre de ne me iailfer jamais entrer; je n'en ai jamais fu davantage & j'ai perdu ces gens-la  ües Colporteurs. gens-la de vue. Hélas ! on fait bien d'autres pertes. J'avois remarqué que les ouvrages des gens du monde, quoique peu correéts & affez mal écrits, avoient un certain tour négligé qui les faifoit palier malgré la critique amère des auteurs de pïpfeffiqn, qui ont tous 3a peüteffe de croire qu'une idee qu'ils n'auroient point eue eft un bien qu'on leur eniève; & quoique la fureur de ces meffieurs foit de paffir pour gens du monde, un de ceux-ci, quand il écrit, leur paroit toujours un intrus. M'embarraffant peu de leurs idéés bonnes ou mauvaifes , j'engageai plufieurs jeunes gens a travailler & a me donner leurs manufcrits; j'en ai fait imprimer dans les temps heureux de notre profpérité , 8 c j'ai eu lieu de me louer, fiaon de leurs fucccs, du moins de mon débit. Je dois, peut-être, me reprocher d'avoir fait penfer ces jeunes gens k devenir auteurs ; mais les petits comme les grands ne font occupés, dans le monde, que de leur intérêt préfent; d'ailleurs, tout bon colporteur, comme tout bon marchand, ne doit-il pas ficrifier fon père pour un médiocre intérêt? Auffi j'ai fouvent attribué de fort mauvais ouvrages k de fort honnétes gens qui n'avoient jamais penfé k les faire, pour en déterminer 1'acquifition. CepenTome X, q  242 Memoires dant, il le faut avouer, j'ai dü le fin de mort métier a un abbé dont le portrait & le caractère peuvent trouver ici leur place. L'abbé du Q .... étoit un homme entre deux ages, mais plus frivole que la plus jeune coquette ; il étoit abbé fimplement pour 1'habit Sc les commodités qu'il en retiroit: eet ajuftement lui évitoit les infultes, ou du moihs le danger de les relever, & lui donnoit 1'entrée de plufieurs bonnes maifons que fa naiffance lui auroit fermées, car il étoit fils d'un marchand de la rue Saint qui lui avoit laifie beaucoup de bien. Jeune, il avoit voulu faire le brave & le fendant fur le pavé de Paris; car la valeur, ou plutöt fes airs, font la folie des jeunes Francois. Mais ce métier ne lui avoit pas réuffi, & il 1'avoit fait avec fi peu de fuccès , qu'il fut obligé de changer de nom, d'habit Sc de quartier; il profita pleinement de 1'avantage des grandes villes; en fort peu de jours il devint un homme nouveau , Sc ce qu'il entendit dire de lui-même, fans qu'on put foupconner qu'il y prït inté' rêt, fervit a le confirmer dans fon nouvel état, Sc 1'engagea a reflerrer les bornes de fa fociété. II vivoit dans la molleffe, ne fe refufant aucune commodité, allant rarement en carroffe; il en eüt été fatigué; la chaife a porteurs  des Colporteurs. pra «onvenoit feule 11'arrangement de fa perruque, ainfi qu'a la confervation de fa perfonne. II seloignoit peu de chez lui, ear il ne voyoit que quelques femmes opulentes qui avoient de trés-bons cuifiniers & qui 1'accabloient de complaifances; les amans, les maris, les femmes même le comptoient pour rien, quelque part qu'il eüt dans leur intimité. Il n'étoit point jaloux, la jaloufie 1'auroit fatigué ; mais la confidération que 1'on avoit pour fes décifions ne fe peut exprimer; il étoit Yefprit de ces dames. C'eft le nom que 1'on peut en effet donner a ceux qu'on laifte décider par pareffe ou par ftérilité. On me donna fa pratique comme une des meilleures de Paris, & qUoïqu'il n'achetat jamais de mes livres, je remercie tous les jours celui qui me l'a procurée, quoiqu'en Vérité je ne fache plus fon nom \ mais il faut être reconnoifiante. Voici 1'explication de eet endroit de- mon hiftoire qui me paroït néceffaire. D'abord qu'un de nos livres paroiffoit, je le portois chez lui; il eft d'une extréme importance, a Paris, d'avoir les brochures le premier : j'avois cette attention pour lui, nonfeulement pour entretenir fes bonnes graces mais pour mon utilité. II lifoit le livre avec une extréme diligence & donnoit des noms l Qij  a44 . MÉMOIRES tous-les portraits; vrais ou faux, il ne lm importoit. La jufteffe & la vérité ne m'étoient pas plus nécelfaires, ilme fuffifoit de les ïetenir i & c'eft a quoi la mémoire , que j'avois exercée de bonne heure au catéchifme , me fut d'un merveilleux fecours. L'abbé du Q.... connoiffoit tout le monde, mais il n'en favoit oue le mal, il étoit méchant comme tous ceux qui ont des vices, ou qui font notés; ils craignent la vertu ; ne pouvant la détruire, ils la nient autant qu'il eft poffible. Le moyen que je lui préfentois en étoit un dont il profitoit pour fatisfaire fa bile d'une facon -qui. ne le pouvoit commettre:,.auffi avoit7il grand foin de me marquer les meilleurs endroits; il m'inftruifoit des beautés ou des défauts du ftyle, & fur-tout baptifoit les anonymes. C'eft ainfi que je me trouvois , comme les dames chez lefquelles il régentoit, chargée de fon jugement. l\ faut convenir , & je m'en rapporte aux deux tlers de Paris, qu'il eft affez doux de ne_fe poinf donner la peine de lire, ou , fi on lit, d'éviter celle de réfléchir, & de trouver un jugement tout fait, qui foutienne la converfation du jour, donne une bonne opinion de fon efprit l ceux qui en ont, &, ce qui eft plus véritable, en impofe aux fots , dont le nombre eft fort étendu. Auffi 1'abbé du Q...a  b E S e 6 tV O R T 1 TJ K-ff. 24,/ qui n'eftimoit point les hommes; me difoit qu'ils étoient méprifables, & que les ouvrages du genre frivole & amufant étoient abfofument foumis a Ia mode & aux circonftaneès -, & qu'enfin tel étoit tombé pour avoir paru le lundi, tandis qu'il auroit réuili, fi on l'avoit mis- au jour le mercredi; j'en ai eu la preuve plus d'une fois, en faifant mettre par fes confeils un titre nouveau, quelques mois après, a quelques-uns de ceux qui n'avoient pas réufli. J'ai encore remarqué , par les réflexkms de mon abbé , que la haine ou 1'amitié que fort a pour Ie nom de Tauteur, & fur-tout la confidération que le public a pour lui, décide fouverainement; car dans Paris il n'y a qu'un faifeur en chaque genre, tous les- autres, quels qu'ils foient, ont 1'exclufion; mais la providence y met ordre ; il faut que tout le monde vive, & le plus long, règne n'eft pas d'une durée fort étendue. Enfin , Ia perfécution eft arrivée, 1'ingratitude a triomphé; ceux que nous avons foutenus au milieu des périls nous ont affligés ; Bicêtre , la' Baftille , 1'höpital & l'exil ont été la récompenfe de nos peines & de nos foins. Pour moi, voici le tableau de mes misères & des malheurs de ma familie. J'avois foin de ma petite fccur, & je 1'envoyois a 1'école, dans Q Sj  £4^ MÉMOIRESfefpérance, comme je 1'ai dit, de lui apprendrè pion métier & de lui donner inceffamment mes plus mauvaifes pratiques; je ne fuis plus en état de la foutenir, & je crains bien que ce xis foit une fille perdue. Ma mère eft obligée de -travailler; mon pauvre père gémit de fang froid de ne plus rien recevoir de moi; moioméme je fuis obligée de n'avoir plus d'efprit, ou du moins de ne favoir a quoi 1'employer. Je ne fais point demeurer fans rien faire, nï fortir fans avoir d'objet; ainfi je ferai peut<être réduite a faire un bon mariage avec un homme riche, a la vérité; mais tout mariage vous fufliez ici pour m'apprendre bien des "» chofes que je ne veux favoir que de vous; 3> mon père a battu ma mère, je n'y étois 33 pas dans ce temps-la, elle venoit de m'en3> voyer a la petite rue, pour affortir un 33 échantillon; il avoit trouvé la porte fermée 3> en dedans avec les verous , tandis qu'un 33 monfieur d'Angleterre étoit enfermé avec 3> ma mère ; tout ce que j'en fais , c'eft qu'il >3 1'a bien battue. J'ai demandé a la petite 3» Catin, notre bonne amie, fi elle ne favoit 33 point ce que cela vouloit dire; elle m'a 53 répondu que fa mère avoit dit devant elle 33 a la fruitière que mon père étoit cocu. as Eüe n'a pu m'en apprendre davantage; vous  des Colporteurs. orjf » favez ce que c'eft fans doute , & peut-être » mieux qu'un autre; fi cela eft, je vous prie » de me 1'apprendre. En attendant votre ré» ponfe, je vous dirai que cela me femble bien « facheux; car mon père eft trifte, & ma mère » n'eft pas gaie. Adieu, mon petit coufin , » ferez-vous long-temps fans revenir? &c. Je fuis, &c. » Dans ie nombre de ceux qui attendoient, un jeune homme affez bien mis prit la place & me dicta une lettre fur le malheur du mariage , apprenant a un de fes parens qu'il étoit cocu. Oui, vous fêtes, appuyoit-il, en frappant fur mon bureau; j'en fuis au défefpoir, continua-t-il, mais il faut que ce malheur ne foit pas fi trifte, car tout le monde en rit & fe moque de vous, &c. Ce jour-la, j'écrivis plus de douze lettres; fur le même fujet, fans avoir aucun foupcon, & je me fentis même confolé intérieurement de voir que tant de gens éprouvoient le même fort que moi; mais cette fécurité ne fut pas de longue durée : un de mes voifins me dit le lendemain , a mon retour de diner, que le fac^ teur lui avoit laifle un gros paquet a mon adreffe ; je fus de plus obligé de lui payer huit fols. Je 1'ouvris avec empreflement, & jy.trouvai-quatre des plus fortes lettres que j'eufie Sq  cq6 MÉMOIRES écrites la veille fur le malheur des gens mariés; fans doute que le facteur étoit d'intelligence , ou que le voifin voulut fe rembourfer avec ufure d'une lettre que peut-être il m'avoit fait difter. Ce fut alors que je me rappellai la foule qui avoit été la veille a mon bureau , les apoftrophes qu'on m'avoit adrelfées, les rires que j'avois attribués a d'autres objets, & que les témoins n'avoient cependant lachés qu'a proportion du plus ou du moins de répugnance, de grimaces & de marqués d'étonnement que j'avois témoignées a de certains mots qu'on m'avoit dictés, & qui, malgré ma bonne-foi, m'avoient toujours coüté a écrire. Ce n'en fut point affez pour me défefpérer; j'entendis, tout ce jour-la , faire autour de moi la le&ure des autres lettres que j'avois écrites & qui ne m'avoient point été renvoyées. J'ai toujours eu 1'honneur en recommandation ; ainfi, tout piqué que je fuffe d'avoir été le jouet & la dupe de mes perfides voifins, convaincu d'ailleurs que les hommes aiment a troubler la tranquillité de ceux qui font affez heureux pour la rencontrcr, comme un homme fage & qui n'a jamais aimé le bruit, fans rien dire , je quittai le tonneau , la-profeffion, le public, & j'abandonnai fi bien le quartier, que per-n  DES COEEORTEURS. 277 fonue ne peut dire m'avoir vu depuis ce temps paiTer feulement fous les charniers ; & je crois qu'on ne me blamera point d'une telle modération. La médiocrité de mes emplois ne m'avoit pas rendu jufques-la difficile a nourrir ; ainfi une de mes pratiques , pour laquelle j'avois écrit quelques bagatelles, me propofa la charge de fecrétaire d'un auteur; elle étoit, il eft vrai, fans appointemens, mais on promettoit un lit & le couvert : on faifoit efpérer de devenir un jour fecrétaire d'un duc , par le crédit qu'on étoit afltiré d'employer au bout d'un certain temps : on faifoit envifagér quelques profits, légers a la vérité; mais fur-tout on appuyoit fur les heures qu'on abandonnoit généreufement au fecrétaire , pour travailler pour fon compte & gagner fa nourriture. J'aceeptai eet emploi fans peine, bien aife d'avoir un état, & voulant d'aiüeurs me former 1'cfprit ; je mettois au net les ouvrages de mon maitre, & je faifois fes extraits, ou plutöt de longues copies fort exades de plufieurs ouvrages imprimés que des amis nous prêtöiëht : par ce moyen, 1'auteur n'avoit plus que les coutures a faire pour donner un volume ou des brochures fuivant les circonftances. II eft vrai que les titres nous embarrafibient affez Süj \  27S Mémoires fouvent; mais je dois rendre jufHce a mon maitre, ce grand hbmme imagina un moyen furnaturel qui nous tira parfaitement d'affaire , ce fut de donner a nos productions un titre maie fi la femelie avoit paru avec fuccès, & femelle quand le male avoit e'té brillant. Par exemple, les mémoires de la marquife fuivoient promptement ceux du marquis; la eomteffe ne fe faifoit pas attendre long-temps après le comte. Louant un jour ce grand homme fur Ja beauté-de fon idéé, après s'en être applaudi quelque temps, je me fouviens qu'il me dit; je ne dois point cette utile invention au ha-, iard; la feule connoiffance du monde & les réflexions me 1'ont fuggérée; dans le fond , continua-t-il, le public eft bon homme , il eft pnncipalement compofé de gens qui, par rapport a la librairie, veulent lire tout ce qui paroït; il en eft d'autres qui veulent tout avoir; ainfi, pour peu que le titre faffe une liaifon, ou qu'il indique une efpèce de fuite, ils veulent avoir 1'ouvrage, n'importe ce qu'il renferme ; le livre eft acheté : par bonheur encore, ajouta-t-il, ce font les gens riches qui penfent de cette facon. Ebloui du fuccès d'une telle idee, j'imagmai , a. la fuite de 1'imagination de mon man-re, de faire une comédie; car c'eft la  des Colporteurs. 279 folie de tous ceux qui commencent & 1'écueil des plus confomme's, dit un auteur, dont j'ai oublié le nom. Après avoir long-temps réflechi, je réfolus de 1'intituler, Crijpine médecine ; mais la néceffité ne me permettant pas de perdre de temps, je voulus favoir, avant de me mettre férieufement a 1'ouvrage, ce qu'on penferoit de mon titre, & fi on le trouveroit auffi brillant qu'd me le paroilfoit; pour eet effet, je fis connoiffance avec un de ces meffieurs qui préparent le théatre & qui fe trouvent a toutes les repréfentations , & je le priai de propofer mon idéé; il y confentit pour une légere rétribution, & me rapporta que ma propofition avoit fait rire tout le monde: cette nouvelle me fit très-bien augurer pour la pièce & pour mes talens comiques; je le priai de faire une nouvelle propofition plus étendue, que j'accompagnai d'un mémoire qui prouvoit 1'avantage ïmmenfe que la comédie pouvoit retirer de mon projet, puifqu'elle donnoit un moyen certain de doubler leurs richeffes ; j'eus le malheur de ne pouvoir rien obtenir, cependant mon fecret a déja fervi l plufieurs auteurs & fervira vraifemblablement dans la fuite; mais le malheur eft fait pour me pourfuivre, Siv  *8o M 't m o i e: s s] Dans le fort de nos ouvrages & dans te chaleur de nos copies, mon maüre fut prié d'un grand diner, & mourut d'une indigeftion; il y a fi peu de temps que j'ai eu le malheur de le perdre que j'en fuis encore affligé, il ne m'a cependant lahTé que fes talens, fes moyens & les connoiflances de plufieurs libraires & colporteurs , tous attachés a la petite Bollande. Le pauvre homme n'avoit point d'autres propriétés, pouvoit-il reconnoitre autrement 1'attachement que j'avois pour lui ? Par bonheur encore, il ne faut point de notaires pour de tels teftamens, & c'eft au moins des frais épargnés. Au refte , fi je n'avois connu que lui , fa profeffion ne m'auroit point tenté; mais, fans recourir a I'hiftoire pour rappeller les auteurs^des pays étrangers, anciens ou nouveaux, qu'on affure être morts revêtus d'honneurs & comblés de richeffes, n'en voyons-nous pas k préfent dans Paris qui roulent carroffe , qui font revêtus d'ordres, honorés de charges' qui ont des procés, & qui font enfin recus' par-tout dans le beau monde, oü ils font' la plüie & le beau temps ? Ces exemples me déterminèrent k tenter 1'aventure , & a me préfenter dans une fi noble carrière , avant de prendre abfolument parti avec ces mêmes colporteurs qui ont fi généreufement re9u  des Colporteurs. 28f mon avertiffement. Leur profeflion , felon mes réflexions, ne me pouvoit jamais manquer, & c'étoit une reffource affurée; car ce fut ainfi que je raifonnai: il me parut, fans faire trop d'efforts de calcul, que fi je vendois mes propres ouvrages, je mangerois a deux rateliers \ & que je devois par conféquent me faire auteur & colporteur, a Pexemple de quelques-uns de mes confrères , qui cependant font bien établis. Enfin, je ne doutai point que ce moyen diftingué ne me fit retrouver d'un cóté ce que je pourrois perdre de 1'autre: ainfi, pour prafiter de mes talens & me faire un nom , j'ai commencépar compofertrès-promptement un fi joli ouvrage, qu'il a été généralement applaudi, quoique je n'en aye fait la leéture qu'a un trèspetit nombre de perfonnes; & c'eft celui que j'ai réclamé avec tant de raifon, avant que de conter I'hiftoire de ma vie, comme un vol qui crie & qui criera toujours vengeance. En effet, j'avois lieu de tout attendre, argent, crédit, prote&ion, confidération, fecours enfin de toutes les efpèces. Ma deftinée me lie au pavé le plus intime, & ne veut pas m'en féparer; car enfin ce bel ouvrage m'a été volé , & les colporteurs font accablés de misères & d'infortunes. Et pourquoi? Le ciel eft - il donc fans juftice? Cjue vais-je devenir, moi qui vous parle?  2S£ fyïéMOIRÏSl Quel état nouveau puis-je embraffer ? Quell# profeflion convient k un homme d'honneur & de mon mérite ? Ou font les protecteurs des gens de lettres ! On m'a promis quatre livres dix fols & un exemplaire des colporteurs pour eet abrégé de ma vie , que je compte bien donner encore & plus au long, avant même qu'elle foit finie; en confeience, ce petit morceau eft-il payé ce qu'il mérite ? je vous en fais juges; encore 1'argent n'eft pas comptant, & 1'exemplaire ne peut être li-tot délivré: cependant oü dinerai-je ce foir?  des Colporteurs. 283 »» ■■■■■ui—bb—uumaii™ MiiiiaTMnBmwnmgm, LETTRE DE JEAN LONGUART, A M. D. L. B. Voos n'exigez de moi, monfieur, pour prix de toutes vos bonte's, qu'un récit exaéfc des principales circonftances de ma vie; je me les rappelle continuellement, & ma plus grande confolation efl de pouvoir les écrire a. quelqu'un qui daigne y prendre part. Mon père étoit un des forts de la halle, que fes camarades appelloient par dérifion M. le controleur général, paree qu'il ne trouvoit jamais rien de bien que ce qu'il faifoit lui-même. Ma mère, au contraire, qui étoit revendeufe k la toilette, & amie de tout le monde , ne trouvoit perfonne qui ne fit mieuX que fon mari; ce qui occafionoit fouvent des tracalTeries dans le ménage, fur-tout les foirs, paree qu'elle courroit toute la journée, & que mon père buvoit d'autant. A 1'age de fept ou huitans, je tenois des deux, j'aimois k courrir & k boire le petit coup, & je n'aurois déja  2?^ MÉMOIRES rien valu , fi mon parrain, qui n'avoit pas attendu que je fuffe venu au monde pour prendre foin de moi, ne m'avoit mis a 1'école & alfujetti a lui rendre compte de tout ce que je faifois : c'étoit un exempt qui avoit naturellement le verbe haut, qui m'apprenoit a faire des phrafes, & qui , pour m'accoutumer a lire plus diftinctement, vouloit qu'on m'éntendit de toute la maifon; j'en contraétai 1'habitude au point que ce fut ce qui détermina ma vocation a être colporteur. Mon parrain m'en fit avoir la pancarte , la médaille , la petite malle & tout 1'attirail -y il y joignit, pour fonds de boutique, un nombre d'édits, décïarations & arrêts qui ne lui coütoient guère que la peine de les demander ou de les prendre, & avec cela il crut avoir fuffifamment pourvu a mon étabüffement; je le croyois auffi, mais je fus bientót détrompé. J'avois beau me quarrer dans les rues, annoncer a pleine bouche le titre, quelquefois même le contenu de tout ce que je portois , j'étois entouré de beaucoup de monde , & perfonne ne m'achetoit rien. Un jour que j'en marquois mon étonnement a une efpèce de badaud que je voyois fouvent a ma fuite, eomment diable veux-tu, me dit il, que 1'on t'achète qutlque chofe; tu expliques tout fi bien , qu'après  CES C O E ï Ö R T E U R S, 28 j* t'avoir entendu on n'en a plus affaire, tes confrères vendent, paree qu'i.s braillent fans rien dire, & qu'ils ne permettent feulement pas que 1'on jette les yeux fur leurs chiffons , de peur que cela ne fuifife. Je fus frappé de fa réponfe,je rongis de n'avoir pas fait cette découverte par moi-même, & plas encore de la devoir a un animal , qui fembloit ne m'avoir tant fuivi que pour fe moquer de moi: je proiitai donc de 1'avis ; j'examinai 1'allure de mes confrères qui vendoient le plus; je remarquai qu'effectivement ils ne difoient que ce qui pouvoit exciter la curiofité, & nullement la fatisfaire : A rit du confeil dEiat du roi pour les monnoies. Nouveau Reglement pour les enfans mineurs; les mariages clandeflins; les teftamens , & ainfi du refte. Je réfolus de les imiter, & je m'en trouvai bien; je voulus enfuite les furpaffer, & je m'y pris d'une manière qui me réuffit encore affez : j'ajoutois de temps a autre a ce que j'annoncois des geftes & des virgules, j'y tranfpofois ou corrompois, comme par bétife , certains mots qui, un peu défigurés, me paroiffoient former une plaifanterie propre a amufer le peuple, que je regardois comme ma meilleure pratique. Ainfi, au lieu de dire : Déclaratïon du roi concernant les gens d'cifaires , je difois; conjlemant: fi c'étoit une  286* MÉMOIRES fentence & condamnation de mort contre des Voleurs ou alTaffins , je difois en faveur. Je vendis un jour plus de fix cents exemplaires d'une pièee de vers fur le mariage de M. le P. de * * * en criant a tue-tête ; Epure a l'Ame, & quelquefois Epure a l'Ane de M., au lieu üEpitha larne. Toutes ces gentlllefTes, qui pouvoient mé-1 riter correction jufqu'a un certain point, ne m'en attirèrent aucune, & la chofe du monde la plus innocente penfa me perdre. Un jeudi matin-, que j'allois prendre la lifte des prédicateurs, qu'on nous avoit promife pour ce jour-la, je trouvai, a 1'entrée de la rue de notre libraire , un homme qui en tenoit un affez gros paquet; je lui dis : quoi, monfieur s vous en avez déja? Oui, me répondit-il, & vous iriez en chercher inutilement; car j'ai pris tout ce qu'il y avoit de tiré ; mais fi vous voulez que je vous en cède la moitié au prix coütant, je le ferai de tout mon cceur, je vous indiquerai même un quartier ou bien des gens m'en ont demandé , & oü vous en vendrez beaucoup, en y arrivant le premier, comme cela ne fauroit manquer, fi vous ne vous arrêtez pas. Le prendre au mot, le remercier 8c & le payer, ne fut pas 1'affaire d'une minute; je cours, & ne commence a crier qu'a 1'entrée  dés Colporteurs. 2$f de la rue des R. ..., qu'il m'avoit particuliérement marquée. Le portier d'une affez grande maifon m'appelle auffi-töt, & me dit: montez , madame eft levée, vous lui en vendrez beaucoup ; elle fe fait un plaifir d'en avoir des premières, elle va en envoyer de toutes fraïches a fes amies pour les réveiller, fi elles dorment encore; Dieu fait, ajouta-t-il, la belle affemblée qu'il y aura ici tantót! comme on s'arrangera pour fe mener alternativement, aujourd'hui a Saint-Roch, le furlendfemain aux Innocens ou a Saint-Euftache ; c'eft vraiment madame qui décide , qui connoït les bonnes pièces de chacun de ces meffieurs, & qui leur dameroit a tous les pion Ce bavard, qui m'avoit d'abord preffé de monter, m'auroit retenu encore long-temps , fi fa maitreffe, qui m'avoit entendu, n'avoit envoyé fort vite un laquais, dans la crainte qu'on ne m'eut laiffe paffer, & que quelques perfonnes du voifinage n'euffent des liftes avant elle. Le portier reconnut fa faute, il fe hata de fiffler, & en montant, je 1'entendis qui difoit: bon! j'aurai 1'ouverture des conférences, & me voiia fur d'un beau fermon, quand elle fortira pour aller a la meffe. J'arrive ; on m'introduit dans la chambre; madame me dit de ne pas m'impatienter, qu'il faut que je refte jufqua ce  £§g Mémoires1 que ces paquets foient portés a. leur adreffe j afin qu'on n'en ait pas d'ailleurs, qu'elle faura bien me dédommager du retard : elle écrit rapidement les noms, elle trouve qu'il n'y a pas afiez de gens dans la maifon pour faire les melTages , quoique la plupart foient dans le quartier. Déja le cocher & un laquais étoient partis, quand une des femmes de madame, qui lifoit en fon particulier, fit un grand cri, & tomba comme évanouie fur fon fofa , en s'écriant: ah, madame ! On va a elle, & .tout le figne de vie qu'elle donne, c'eft de mettre le doigt au bas du papier qu'elle tenoit encore : madame le prend, le lit, fur le champ donne ordre qu'on ferme les portes & qu'on aille chercher le commiffaire, qui n'étoit qu'a deux pas. Il arrivé, elle lui rend plainte; & moi, qui ne favois de quoi il s'agifloit, qui d'ailleurs n'avois, a eet égard, rien fur ma confeience, je fuis fort étonné d'être interrogé comme un criminel, accufé d'avoir fait imprimer un placard contre 1'honneur de madame , de 1'être venu débiter dans fon quartier, & jufques dans fa maifon , pour 1'infulter plus cruellement. Je crus n'avoir qu'a rendre compte de ce qui m'étoit arrivé, dans la plus fimple vérité; le commiffaire griffonne , & paroït a chaque inftant me trouver plus coupable : enfin %  des Colporteurs. .289 enfin , après avoir verbalifé une bonne demiheure & m'avoir dépofé fous la clef, dans une chambre que je n'étois ni en état ni en volonté de forcer, on lui a amené un carrofie de place, avec lequel étant allé d'abord chez 1'imprimeur , & de-la chez le magiftrat, il revient avec un ordre pour me conduire frus bonne & süre garde a Bicêtre, oü je reflai au pain & a 1'eau depuis le jeudi d'av.nt Ie premier dimanche de 1'avent jufqu'au kndemain de quafimodo , fans pouvoir donner de mes nouvelles ni en recevoir aucune de mes parens, ni de mon parrain ; tant 1'étoile & les reflburces d'une dévote accréditée font audeflus de celles de 1'exempt le plus madré. Je donnerois bien en cent a deviner ce qui avoit li fort échauffé la bonne dame, ce qui avoit fait pamer fa fuivante, & ce qui m'attiroit un fi rude chatiment; le voici: Madame de P . . . ., que je n'avois jamais vue, & qui m'apprit fi bien k la connoïtre, étoit une vir~ tuofe d'un caraétère fingulier , parleufe impitoyable , qui, plus occupée , ce femble , du falut de fon prochain que du fien propre, ne tarilToit point fur le blanc, le rouge, les mouches, les mantelets, fur les fpe&acles, les bals, & tous les ufages du monde; elle étoit charmée de trouver fes domeftiques en faute; Totne X. T  $ zyo Mémoires prétendoient même qu'elle faifoit 1'aumöne a cette intention, paree qu'elle en tiroit 1'avantage de les fermoner pendant huit jours, a moins que quelque nouveauté d'éclat n'interrompït 1'ociave ; & alors, difoit un de fes gens, fa langue alloit, comme le moulin des Feuillantines, fur un toirent d'eau bénite. Quelqu'un , qui vouloit fans doute lui faire fentir le ridicule, & peut-être la guérir de ce flux continuel de morale qui la rendoit infupportable, s'avifa de faire imprimer furtivement cette malheureufe lifte dont je fus embaté, fans y foup^onner la moindre fupercherie; car a 1'extérieur elle reflembloit fort aux liftes ordinaires , & toute la différence confiftoit en ce qu'a la fuite du nom des prédicateurs & de celui des églifes qui leur étoient aflignées, du jour & des heures auxquels chacun d'eux prêchoit, on avoit mis : & madame de P. .. . toute l'anne'e, du matin au foir, dans fa maifon , rue des R t. G. Au fortir de Bicêtre , mon parrain me confola de fon mieux; il m'apprit que je n'avois plus que lui de père , il me fit quitter le colportage des rues & pafler a celui des ruelles , pour lequel il m'endoêtrina a ravir , & me remit des fonds de toute autre importance que les premiers. Nous partagions le profit en trois  des Colporteurs» 2pi portions égales; 1'une pour lui, qui trouvoi£ Je moyen de s'approprier une partie des brochures que fouvent il faififfoit lui-même, & qui n'en devenoient que plus recherchées , lautre pour un d.öle, ambigu de moine & dabbe, qui avoit fouverainement 1'art de tirer des fucceflions & des inventaires des ouvrages qui fans lui n'auroient jamais vu le jour ; & la troifième pour moi, qui avois grande peine a grapiller fur eux la plus petite bagatelle, tant ijs étoient retors! Nous tirames grand partï ou Baaqnet de Platon, avec la clef & le paffepar-tout des Inftruaïons de madame L. M. D. L. " fa fille, & de quantité d'autres dont'l'énumération pourroit vous fatiguer. Puifgue I'hiftoire de ma vie & de mon état eft tout ce que vous me demandez, j'en vais reprendre Ie fil jufqua mes derniers malheurs, dont vous étes affez inftruit pour me difpenfer de vous en renouveller le détail. Mon pauvre père d'exempt eut une attaque d apoplexie, qui dégénéra en paralyfie, & le conduifit au tombeau dans le courant de 1'année, après avoir auffi exaclement confommé les fruits de fon patrimoine ou de fon induftne , que s'il avoit travaillé toute fa vie a ce calcul. Dans les intervalles de fa maladie, qui me Tij  202 MÉMOIRES coütoit prefqu'autant qu'a lui, je tentai plufieurs fois de 1'engager a me mettre en relation directe avec fon homme ; il ne pouvoit pas douter que je ne le connuffe, puifque nous en parlions quelquefois fans détour; mais nous étions convenus que je ferois toujours femblant de ne le point connoïtre, & que j'éviterois même de le voir, fous quelque prétexte que ce put être, tant qu'il ne le jugeroit pas a propos. II ne vouloit jamais y confentir, prétendant que c'étoit pour mon propre bien : déja, me difoit-il, il fe réjouit au fond de fon ame de 1'état oü il me voit, paree qu'on n'eft véritablement alfuré de la difcrétion de fes témoins ©u de fes complices , que lorfqu'ils ne font plus : quoique dans mes beaux jours je n'euffe pas moins d'expérience & de manége qu'il peut en avoir , & que nous fuffions lui & moi comme Didot vis-a-vïs Chaubert, vingt fois j'ai penfé donner dans les piéges qu'il m'a tendus; jugez de la facilité avec laquelle il vous perdroit ; & Dieu fait fi pour 1'entreprendre il a befoin d'autre motif que celui de notre liaifon perfonnelie; car, ne vous y trompez pas, il vous connoït auffi bien que vous le connoiffez, & la circonfpecfion dont il ufe a votre égard lui eft encore plus a charge qu'a vous. J'aurois dü croire un homme mourant, qui  DES COLPOET E-0 R S. 293 rne parloit de 1'abondance du cceur, & qui voyoit plus loin que moi ; mais je m'imaginai qu'il ne combattoit mon projet que pour m'öter la connoiflance de mille chofes qui s'e'toient paffées entr'eux ; c'étoit précifément augmenter 1'envie que j'avois de le fuivre, & comme il me reftoit d'ailleurs peu de reflburces, celle-la me paroilfoit unique. Ma mère n'avoit pas attendu, pour prendre fon parti, que le fort de fon ami fut abfolument décidé : dès qu'elle l'avoit vu tomber en paralyfie, elle avoit fait fa petite pacotille dans le plus grand incognito, & elle étoit paffée en Angleterre a la fuite d'une jeune dame, qui alloit y pouifer des foupirs fterlings ; mais le vent lui fut toujours contraire , même après fon arrivéc ; car s'étant trouvée engagée dans la bagarre d'un combat de taureaux, elle fut fi outrageufement mordue d'un vieux dogue, que dans les quarante jours elle mourut de la plus fine rage que 1'on connoiffe en ce pays-la. Tous ces contre-temps me portèrent a ne pas differer la vifïte de 1'abbé ; j'eus bien de la peine a parvenir jufqu'a lui, & plus encore a lui rappeller le fouvenir de mon pauvre parrain ; queiques renfeignemens que je lui donnaffe, a peine convenoit-il qu'il l'avoit connu T iij  2P4 Mémoires devue, & qu'il fe le remettoit un peu. II me fit cent queftions étrangères a mon objet, & plus je tachois de 1'y ramener, plus il s'en écartoit; de forte que le voyant boutonné pardefius le menton , je lui tirai ma re've'rence , & partis. Son valet qui, d'un petit re'duit ferme d'une fimple cloifon , avoit entendu toute notre converfation, me joignit fur 1'cfcalier, me dit qu'il ne falloit pas me rebuter; que fon maïtre aimoit a. connoitre fon monde avant que de s'y livrer ; qu'il lui parleroit de moi d'une manière convenable, & qu'en attendant nous ferions enfemble , fi je Ie voulois, une petite fociété ou je trouverois mon compte. II me propofa, d'entrée de jeu , des Tan^aï, des Sopka, des Porder, qui n'e'toient pas chers ; 51 ajouta qu'il fav'óïf bien qu'on faifoit communément de la terre le fofie, mais que je ne devois pas étre étonné fi, dans un premier marché, il ne me livr.it rien fans argent ou füreté équivalente ; je lui remis une fort jolie montre dor , qui, avec une tabatière cifelée de même métail , étoient les feules chofes que j'eufie eues de mon parrain , lorfqu'il fut obligé d'avoir recours k moi pour fubvenir aux frais de fa maladie. Je débitai fort bien ma marchandife, mais Kialheureufement elle me porta a la tête j les  des Colporteurs. z$y Cuïfiniers mettent affez volontiers le doigt dans leurs fauces; je m'avifai auffi de vouloir mettre le nez dans mes livres, & je men occupaid'une manière que je favois mon Portier par cceur. Etant allé, fur les onze heures, chez une petite veuve, a. qui la veille j'en avois laiffé un a crédit, je la trouvai encore au lit, ou , de fon propre aveu, elle le lifoit pour la troifième fois, les yeux pleins de feu, Sc. le corps agité comme une perfonne qui recorde fes danfes. Parbleu, madame , lui dis-je , fi vous le prenez fur ce ton-la, bientót vous le faurez par cceur comme moi, & puis quand vous n'en aurez plus affaire, vous me le rendrez tout frippé. Tu te trompes, me dit-elle, mon pauvre enfant; ces fortes de livres ne s'achèvent jamais , paree qu'on les recommence toujours : mais eft-ir bien vrai que tu le faches par cceur? Eh oui; de par tous les diables, lui répondis-je avec impatience, cela n'eft que trop vrai, toujours j'y fonge, & tant qu'encore en ce moment.... voulez-vous a 1'ouverture du livre ? A ce dernier trait elle éclata de rire, en s'écriant: voila qui eft merveilleux, ce tant qu'encore me charme,, Sc tout ce qui m'étonne, c'eft que tu ne t'empreffes pas d'en donner une nouvelle édition avec un commentaire ; j'y trouve plus d'un endroit qui en auroit befoin, Sc. qui certai-. T iv  |§! Mémoires nement feroit grand plaifir. Vous me la baïllez belle, rep!iquai-je tout de fuite, avec votre commentaire, comme fi je pouvois le faire tout feul. Je crois, par ma foi, ajouta-t-elle, que tu as raifon, & qu'a nous deux nous en fenons un qui ne feroit pas mauvais. La parole vaut le jeu, & fans plus de difcours nous nous mïmes k 1'ouvrage, & nous y allames fi grand train , qu'il fembloit que nous voulions porter ce miférable in-i% k la dignité du plus grand in-fiüo. ' AInfi ' m lieu de frme ardemmcnt le cours oe la vente qui m'étoit favorable , je 1'abanmxi&\ totalement pendant prés dequinze jours, que je paffai dans 1'ivreffe de ma bonne fortune; & comme on dit que fi Ie palefernier de la reine en devenoit amoureux, il y mangeroit 'fon étrille, je voulus m'habiiier plus proprement que je ne 1'étois , & je ne reconnus ma fottife qu'après avoir confommé non-feulement tout mon gain, mais encore une partie confiüérable du prix que je devois rendre des livres .qu'on m'avoit fournis fur un gage que j'avois extrémement a cceur de retirer. Une autre circonftance qui acheva de m'ouv'rir les yeux, c'eft que Ia petite dame, non contente de 1'exemplaire que je lui avois donné, m'en demanda fucccffivement quatre autres , non  des Colporteurs. 207 p*öur'de fes amies, comme elle difoit, mais pour des amis que je m'apperc/js qui gatoient mon commentaire ; & c'eft a ces furvenans que, dans la fuite, j'ai attribué le faux germe de la Tourrière des Carmélites. Je me retirai fans peine de cette belle enfilade , & me promis bien d'être plus circonfpect a 1'avenir; tout mon embarras étoit d'avoir de la nouvelle marchandife, fans porter ce que je devois fur la première; j'en fis latentative, & mon homme , toujours courtois en apparence, fe retrancha a me dire bonnement qu'il fe pouvoit bien faire que la montre que je lui avois laiffée valüt beaucoup plus que le premier lot de livres qu'il m'avoit remis, mais que, comme il ne s'y connoiffoit pas, je ne rifquois rien, fi je voulois avoir un fecond lot, a lui confier de même ma tabatière, puifqu'il me rendroit le tout en foidant nos comptes. Il fallut en pafler par-la. Ce nouveau courtage ne fut pas, k beaucoup prés, auffi avantageux que le premier; &, comme guignon' ne va jamais fans fon compagnon , il m'arriva que dans une maifon oü j'avois déja été deux fois • je trouvai une efpèce d ajgrefin de robe, qui me parut trés au fait de !a valeur intrinsèque de toute cette Smette ou morue , comme il 1'appelloit indifféremmem;  2p8 M i M Ö I K ! s' il me méfoffrit beaucoup , je fus pïquë, ïl s'emporta , & ordonna fi précifément d'aller chercher le commiffaire pour me faire arrêter, que je fus trop heureux de m'échapper, laiffant généralement tout ce que j'avois apporté. Pour hater ma fuite, on fit femblant de courir après moi; on jeta même dans la cour un ou deux de mes volumes, que je n'eus garde de ramaffer, & qui vraifemblablement ne furent pas perdus. Comme j'avois quelque idee d'avoir vu ce robin de libraire chez M. 1'abbé, j'y allai tout de fuite; le valet n'y étoit plus ; une petite vieille, qui gardoit 1'antichambre, me dit qu'il avoit été chaffé le matin avec grand fracas, paree qu'on 1'accufoit de faire commerce de mauvais livres, & que monfieur en étoit dans. une fi grande colère, qu'il avoit défendu fa porte pour toute la journée; enfuite, voyant Ia furprife & la douleur peintes fur mon vifage, elle me ferra la main, & s'approchant de moi, elle me dit dans le tuyau de 1'oreille : ne croyez rien de tout cela; le pauvre garcon eft allé s'établir en Franche-Comté, oü monfieur lui a fait donner une bonne petite commiffion; il y a plus de huit jours que je le fais, & c'eft moi qui lui ai aidé a. faire fes paquets ; mais il faut, pourlafrime, faire femblant de croire  fi E S C O t E ö R T È ü E S. 2pp «e que monfieur 1'abbé fouhaite, & vous y avez plus d'intérêt qu'un autre; car, fi je ne me trompe, vous êtes impliqué dans la manigance : allez vous-en, & ne me décelez pas. Je commengai, mais trop tard , a fentir la vérité de tout ce qu'on m'avoit prédit; la feule envie de retirer mes bijoux, qui valoient quatre fois plus que ce que j'avois recu, m'engagea a revenir le furlendemain. A la p!ace de la petite vieille, je trouvai un nouveau valet renfrogné, qui, après m'avoir bien confidéré de la tête aux pieds, m'annonca, & me fit entrer au bout d'un gros quart-d'heure que fon maïtre fonna. M. 1'abbé, fans me donner le temps d'ouyrir la bouche, me dit, en levant les yeux au ciel: mon ami, je tremble du danger que vous courez en venant ici, il y a un décret contre vous & contre ce coquin de valet que vous m'avez débauché, & que j'ai été obligé de renvoyer; on vous cherche tous deux, je vous en avertis charitablement, & que fi vous revenez jamais ici, je ferai le premier a vous faire mettre dans un cul-de-bane-folfe. Je voulus me juftiiier, il éleva la voix ; je me rabattis du ton le plus humble fur 1'article de mes bijoux. Malheureux, me dit-il, en me pouffant dehors par les épaules, ne ferois-tu point encore  %öö Mémoires un feceleur de bijoux volés, comme tu es uri vendeur de livres défendus ? Sorti de chez lui, & livré a mon défefpoir, je fus quelque temps a roder dans Paris fans trop fa voir ce que je f ai fois, ni ce que je voulois faire; enfin, un jour que, traverfant par hafard une grande cour , je vis une belle falie oü quantité d'honnêtes gens s'affembloient, je parvins a y entrer, & ïe premier objet qui me frappa fut M. 1'abbé qui rioit aux anges, & qui, affeótant une forte d'impatience de ce qu'on ne commencoit pas, tira fa montre, que je reconnus aufli-tót pour la mienne, quoiqu'il eüt mis un autre cordon. Le moment d'après parut la tabatière, que j'eus encore moins de peine a reconnoitre, paree que, pour faire parade de fes nouveaux meubles, il la laiffoit fur le bureau & la faifoit jouer aux olivettes , a droite & a gauche, fous prétexte d'offrir du tabac a fes voifins. A eet afpect redoublé, je fentis une émotion que je n'aurois peut-être pas été le maïtre de contenir par-tout ailleurs; mais, quelqu'attentif que je fuffe a la renfermer en moi-même, je crus -m'appercevoir qu'elle gagnoit infenfiblement mon homme ; il devint férieux , & regardant de tous cótés, je ne fais comment il me déterra  des Colporteurs. 301 dans un coin perdu, oü fes yeux m'annoncèrent quelque chofe de plus perfide que tout ce qu'il m'avoit dit dans fon cabinet. L'affemblée finie, je m'éclipfai dans la foule, & mon premier foin fut d'aller conter ce qui venoit de m'arriver a une perfonne déja inftruite de ma première aventure : c'étoit un galant homme, ferviable, plein de droiture, & qui, attaché depuis long-temps a un miniftre étranger , avoit mérité toute fa confiance : s'il n'avoit pas été obligé de le fuivre, quand il retourna a. fa cour, j'aurois encore en lui un protecteur digne de vous être comparé. Je l'avois acquis en lui procurant des chofes qu'il n'avoit jamais pu trouver; je ne les lui avois point fait valoir , & 5'auroit été mal m'y pren* dre, paree qu'outre 1'attachement que je me fentois pour lui, je le voyois toujours mefurer fa générofité au défintéreffement des perfonnes qui 1'approchoient; & il m'en donna une marqué fenfible dès les premiers jours de notre connoiffance : il voulut favoir quelle étoit ma fituation ; je la lui expofai avec candeur & dans le plus grand détail. Après qu'il y eut un peu réfléchi, il me dit de revenir dans deux ou trois jours au plus tard; je n'y retournai qua la fin de la femaine, crainte de  302 M i' m o t r e s 1'importuner & d'abufer de fes bontés. II m'efl gronda, paree que dès le lendemain il s'étoit informé , & avoit fu , k n'en point douter, qu'il n'y avoit jamais eu de plainte juridique ni aucune procédure faite contre moi, de forte que tout ce qu'on m'en avoit dit n'étoit que pour m'intimider. Cependant il me confeilla fort de faire le facrifice de mes bijoux, dont je n'avois point de regu, & dont je rifquois beaucoup a former la demande. Quand je vins lui dire que je les avois en quelque forte retrouvés, les ayant reconnus entre les mains de M. 1'abbé, il réva encore un moment; mais il ne changea pas d'opinion. Vous voila, me dit-il, en état de reprendre tranquülement un commerce pour lequel vous êtes né; bornez-le k des chofes honnêtes, k des matières d'hiftoire , de littératüre, ou de fimple agrément; elles vous fourniront affez; vous ne trouverez plus en votre chemin un ennemi dangereux; tout content qu'il paroït du butin qu'il a fait fur vous , il n'en jouit pas fans inquiétude, & fes remords font votre füreté. Qu'il le connoiffoit mal ! S'il a eu de 1'inquiétude & des remords, ils n'ont fervi qu'a augmenter fa haine. Vous favez, & tout Paris fait avec vous, monfieur, qu'il a éié  des Colporteurs. 30$ 1'ame & le premier mobile de la plus noire trahifon que 1'on pouvoit faire a quelqu'un de mon etat Aurois-je jamais pu penfer que, tandis qua lmftante prière d'un homme de lettres auffi fameux par fa conduite que par fes ouvrages, j'étois tout occupé du foin de retirer un écrit qu'il croyoit bleifer fon honneur, & que, pour parvenir k cette fuppreffion, j'employois tout ce que j'avois de reffources & de credit, je me ferois vu arreté par lui-mêrne dans iapropre maifon, &précipité dans les horreurs &la m-sere d'une prifon qui ne finit point. La plus grande confolation que j'y aye recue, & que ,e tiens de vous, a été d'apprendre quau milieu de la bagarre littéraire que ma detention a caufée, mon ennemi fecret s'eft decele lui-mêrne en voulant prendre le mafque de la vertu, qui n'a jamais pu tenir fur un vilage li peu fait pour el!e. Je fuis pleinement convaincu de ce que vous ne ceffiez de me dire, que je dois me foumettre avec une parfaite réfignation auxordres de la providence, qui a permis que je fuffie reduit deux fois k la plus honteufe & k la Plus dure captivité , pour des chofes trèsinnocentes, après m'avoir laiffié jouir de mille douceurs & d'une efpèce de fortune, pen-  MÉMOIRES dant tout le temps que je m'étois le plus écarté de la règle & du devoir. A Dieu ne plaife que j'ofe murmurer contre fes déGrets ! qu'elle me permette feulement de protefter, k la face du ciel & de la terre, que je confens a être colporté en Grève, fi de ma vie je redeviens colporteur, & fi je celfe jamais d'être, avec la plus vive reconnoiffance, M. V. ABicêtre, le 1 janvier 1747. LA  bes Colporteurs. 30/ LA MALLE*BOSSE, nouvelle Nuit de Straëarole. Xves fpe&acles finïflbient; on venoit dé donner , a la comédie francoife, la première repréfentation d'une comédie nouvelle, dont 1'auditoire éploré s'e'couloit a grands flots, au moment d'une terrible averfe ; 1'air retentiffoit 1de la criaillerie fcandaleufe des cochers, du claquement de leurs fouets & du nom de tous les laquais du royaume: des torches a demi allumées, s'agitant au milieu de ces airs qu'elles empeftoient, fembloient repréfenter celles que les furies du Parnafle fecouoient, en ce moment , dans le cceur palpitant du poëte encore incertain de fon fort. De jeunes calotins, graves arbitres des réputations littéraires, la plupart en rabats & en manteaux courts, h travers les timons de cent carrolTes e'branJés, franchiffoient gaillardernent le ruiffeau devenu rivière, pour voler aux opinions chez Procope, & pour y prononcer fouverainement; bref, il pleuvoit trés-fort, & il étoit huit ou neuf heures du foir, quand un cavalier, connu dans To me X* , y  ^06 MÉMOIRES le monde fous le nom de Similor , n'ayant pour tout abri que les ailes de fon chapeau , & ferpentant k travers les roues, les goutières & les boutiques , fut arrêté par une vieille raccoleufe de Cythère , au détour de la rue de Buffy. Mon gentilhomme, lui ,dit-elle, une jeune brune, belle k ravir, chantant comme les fées, & tout nouvellement enrölée , vous attend k fouper chez elle , au coin d'un bon feu & dans la meilleure humeur du monde. Elle demeure ici prés, & plus prés encore d'un excellent traiteur. Suivez-moi, vous ferez heureux ; &, foi de femme d'honneur, vous ne vous en repentirez point. Similor eft un de ces efprits libres au-deffus des préjugés , jufqu'a la déraifon , un de ces êtres penfans qui fe piquent de haute philofophie, qui n'admettent nulle corruption dans la nature; & qui, fous le prétexte d'un amour paflionné pour la vérité, la recherchent indifféremment par-tout, excepté oü elle eft, & oü fa pure & vive lumière les éclaireroit fur la vanité de leurs recherches. Ce caractère imprudent qui dans tous les ages maintient un homme dans 1'age heureux qui méconnoit la crainte, d'ailleurs, le froid, la pluie qui redoublöit; & plus que tout cela , le mauvais génie  DES CotrOKTEtfRS. 307 de Similor, l'engagèrent, pour la première fois de fa vie a tenter une pareille aventure. II fe difoit a lui-même, pour fa juftification, qu'un homme qui penfe ne fauroit trop voir pour trouver de quoi exercer fa raifon. Il fe jeta donc, avec cette femme, » la merci d'un fiacre qui fe trouva la fous leurs mains dans la bagarre, &qui, après trois grands quarts-d'heure de juremens & d'embarras, les defcendit enfin a un troifième étage, au commencement de la rue de Seine. La dupe eut a peine un pied dans Ia chambre , qu'une mademoifelle Manon , très-jolie en effet, & afïïfe auprès d'un bon feu, trésne'ceffaire a fa vêture legére, fe leva & courut a lui les bras ouverts. II vit un minois, une gorge & des épaules fi agréables , que, malgré 1'horreur du lieu , a peu ne tint qu'il ne fe fentït le cceur ému d'une efpèce de fentiment tendre. II fe le reprocha bientót, & fe fouvenant qu'il n'étoit la que par curiofité philofophique, il repouffa la fille affez dédaigneufement, & fut s'affeoir dans une chaife longue qui fembloit attendre la le premier venu a ia place d'honneur. ^ Par ma foi, s'écria-t-il, en homme qui ne s'avifoit guère de philofopher que relativement i 1'intérêt de fes paffions , il faut 1'avouer Vij  tnalgré qu en aient les libertins; les bienféancêS» la pudeur & la modeftie ne font point des chimères; elles font un bien très-réel & le plus vif afTaifonnement que la délicateffe du cceur humain pouvoit mettre a la volupté. Je n'en veux que ceci pour preuve. Avec une fois moins de charmes que n'en voila, je le fens bien, le feul fourire obligeant d'une femme comme il faut feroit mille fois plus attrayant pour moi, m'intérefferoit mille fois plus qu'une faillie fi prévenante. Par ma foi auffi, s'écria Manon de fon cöté, en fe remettant a fa place vis-a-vis de lui , voila bien rentré de piqués noires ! Et disnous, mon roi, d'oü viens-tu donc pour débiter de fi graves fornettes ? Tu fors de la comédie frangoife , je gage : tiens , tiens , fi tu aimes tant les moralités, les maximes & les fentences , prends-moi eet écran & t'en donne a ton aife, tu en trouveras la & de meilleures & de plus naïves qu'a aucune des pièces d'aujourd'hui. Pauvre malheureufe, lui dit Similor, un peu furpris de cette jolie vivacité , tu me fais vraiment pitié ! A ta phyfionomie & a 1'efprit que tu montres, tu pouvois bien mériter un meilleur fort que le tien : mais laiflons cela, prends ces deux louis, dit-il, en les jetant  bes Colporteurs. 5®^ fur une table, & donne ordre feulement au fouper ; après quoi, bois, mange , ris, chante, extravague, a. la bonne heure; mais laiffe-mói moralifer ici tant qu'il me plaira, & que chacun faffe fon métier.. Eh pourquoi, monfieur, répondit-elle froïdement, aurois-je plus perdu que vous le droit & le don de moralifer? Eft-ce a titre de fage que vous vous en réfervez le privilége exclufif ? Ah ! je vous en fais juge, qui de nous. deux 1'eft ici le moins ? ou vous qui m'y venez chercher de propos délibéré, ou moi qui m'y trouve a contre-cceur ? A ces mots, elle tourna la tête d'un autre cöté, poulfa un foupir & fe tut. L'apoftrophe étoit fenfée, & ne laiffa pas que de déconcerter 1'être penfant : le fombre filence & le. mauvais maintien s'emparoient de la fcène, & 1'argent reftoit fans maïtre, fi la dame du logis ne 1'eut pris pour donner fes ordres : ils furent exécutés diligemment ; en peu de temps le fouper fut prêt & fervi, fans que cependant il fe fut rien paffé au coin det la cheminée que de trés - férieux, & qui ne permette a 1'imagination du plus honnête lecteur de fuivre la mienne, & de fe tranfporter pour un inftant fur les lieux. Similor avoit déguifé ce moment d'em aarras  Jio Mémoires fous un faux air de rêverie & de diftraétion : 1'air mortifié de Manon , le peu qu'elle avoit dit, & fon fïlence lui infpiroient pour elle une forte de confidération momentanée; la vieille remêla les cartes fort a propos, & ranima le jeu par des difcours un peu plus de faifon, qui, fecondés de la bonne chère & du vin, remirent infenfiblement les chofes dans une pofition plus vive & plus naturelle. Similor devint plus liant, Manon plus gaie ; il fe dit quelques folies ; on la pria de chanter; &, quoiqu'elle fe fentit bien en voix dans ee momentla, elle ne fe fit point redire, elle obéit, & thoifit ingénieufement eet endroit de 1'opéra c'Armide, acte IV, fcène II. Voici la charmante retraite De la félicité parfaite ; Voici 1'heureux féjour Des jeux & de 1'amour. Jamais dans ces beaux lieux votre attente n'eft vainej Le bien que vous cherchez fe vient offrir a vous ; Et, pour 1'avoir trouvé fans peine , Devez-vous le trouver moins doux ? Voici la charmante retraite, &c. Quinault &Lully, en chantant le palais d'Artnide , ne fe doutoient guère que leurs chants ferviroient un jour a célébrer un troifième étage de la rue de Seine; & voila comme quelquefois  des Colporteurs. 311 Pégafe innocemment porte une felle a tous chevaux. Ces paroles, animées d'une belle voix, d'une figure aimable & d'un air d'efprit, qu'on devine aifément a la jufteffe du choix, achevèrent enfin de tourner tout de bon Similor du cöté des jolies manières. Petite folie, lui dit-il, d'un ton tout-a-fait adouci, tu fais bien que d'emblée ces fortes d'endroits-ci n'infpirent la galanterie qu'a des fots , quelles que foient les beautés qui s'y rencontrent; oublie de grace & pardonne-moï 1'accueil défobligeant que je t'ai fait; touchela , foyons amis, & crois que je te regarde a cette heure tout d'un autre ceil. Manon fe prêta, comme elle le devoit, a ce petit raccommodement, & fon nouvel ami,reprenant la parole, continua ainfi: tu n'es pas fans avoir lu les contes de la Fontaine? Non, mon, iieur, répondit Manon : ni par conféquent celui de la Courtifanne amoureufe ? pourfuivit-il: Je 1'ai préfent; dit-elle; hé bien, reprit Similor, je veux que tu en profites auffi bien que moi; je te donne a jouer le róle de Conftance, & je veux bien me charger de celui de Camille. Tu m'entends bien ? Fort bien, repliqua Manon ; vous ne vous partagez pas mal; mais attendez donc que j'aye joué le róle de courti* V iv  3Ï2 Mémoires tifanne auffi long-temps que Conftance, fi vous voulez que le votre vous fa (Te autant d'honneur qua Camille ; & vous attendriez, je crois, vainement; car, franchement, je ne m'y fens guère de difpofitions. Je fais trop, ma pauvre enfant, dit Similor, que le plus fouvent on ne fe choifit point fon e'tat, & que celui d'honriête femme & Ie tien font quelquefois bien ïnvolontaires ; auffi tu as vu comme prefque d'abord je t'ai rendu la juftice de te croire digne d'un meüleur fort. Oh, ca! conte-moi donc naturellement toute ton hiftoire; je fuis difpofé a te croire, a te plaindre & a te fecounr. Pourquoi mènes-tu la vie que tu mènes? Qu'eft-ce qui t'y a réduite ? Qu'eft-ce qui m'y a re'duite? monfieur, re'pondit-elle d'un air touchant, en pouvez-vous douter un inftant> Ce qui fans doute y re'duit la plupart de mes. pareilles, Ia profonde misère. Hélas ! tu n'auras pas de peine i me le perfuader, dit le philofophe. Qui fait mieux que moi combien la bonne ou la mauvaife fortune influe fur les. mceurs ? que moi, dis-je , qui fais la profeflion de. fentir & de penfer plus que tout autre ! que moi le grand fcrutateur du cceur humain !: 'Auffi, vice, vertu, cceur, efprit, crime, innocence, vertueux, coupable, font mes termes favoris a me§ écrits publics & farniliers j ife  des Colporteurs. 315 font fans cefie au bout de ma plume & fur Je bord de mes lèvres; car, mademoifelle, foit dit en paffant, il eft bon que vous fachiez que vous êtes ici avec quelqu'un que vous avez peut-être cent fois lu & admiré: mais parions d'autre chofe , ne fongeons qua toi, qu'a boire & qu'a nous re'jouir; a ta fante', Manon! La vieille prit le temps qu'il buvoit pour faifir fon tour a parler. La misère, dit-elle, oü nous fommes fut fi grande & fi fubite, qu'il n'y eut pas moyen de nous en tirer autrement moi ni ma nièce; car je vous découvre a cstte heure le comble de cette misère, en vcus avouant que cette malheureufe eft ma nièce. En difant cela, elle fe mit a pleurer d'affez mauvaife grace. Quelqu'autre, qui auroit la rage des defcriptions, vous détailleroit fes grimaces & fes contorfions, & diroit Que fur fon nez fa prunelle éraillée Verfoit les pleurs dont elle étoit mouillée. Enf. Prod. mais je ne dois rien peindre que de eomique ou d'agréable, & ceci ne feroit ni 1'un ni 1'autre. Et quel e'toit votre e'tat i demanda Similor. Vraiment, dit la tante, il e'toit bon ; nous nous mêhons d'un négoce qui nous entretenoit  314 Mémoires honorablement moi , ma nièce donc que vous voyez, & fon frère qui eft maintenant je ne fais oü, au diable Vauvert. Et qui vous a fait difcontinuer ce bon négoce ? dit Similor. Une perfécution la plus opiniatre du monde, réponditla bonne tante, des faifies, des amendes, des emprifonnemens , . ... que fais-je ? tout ce que vous pouvez vous imaginer de plus ruineux pour des gens de commerce. Dites la vérité, continua Similor, en la preffant; vous vendiez de Ia contrebande. Mais c'en étoit, fi vous voulez, répondit la vieille babillarde, & ce n'en étoit pourtant pas; car enfin ce n'étoit ni fel, ni tabac, ni toiles peintes, ni rien qui fit tort a meffieurs les fermiers généraux; c'étoient de beaux & bons livres fabriqués dans le royaume , bien moulés & faits comme les autres, & peut-être mieux, excepté feulement qu'il manquoit a ceux que nous vendions urt peu de veau par-defiüs, & deux ou trois méchantes lignes a la fin qui font dans les autres , & qu'on ne lit jamais ; & vrai comme il faut mourir un jour , vous m'en croirez fi vous le voulez, je n'y entendois non plus de malice que 1'enfant qui vient de naïtre, car je n'ai jamais fu ma croix de par Dieu. En un mot, monfieur., nous étions de bons libraires arubulans. Oui, oui, je vous entends de refte 3  des Colporteurs. 515 dit Similor, prenant un air férieux qui tenoit de la gravité; & même un peu de la févérité vous jouyiez fur le théatre de la librairie des róles a manteaux ; en bon frangois, vous étiez colporteurs. Oui , monfieur , dit la pauvre femme , fans prendre garde a la morgue de ^Similor; mais , comme vous favez, en tous métiers il y en a qui les gatent & d'autres qui les honorent. II y a colporteurs & colporteurs ; nous étions des forts & des mieux achalandés , & je défie bien qu'on me montre un de ces livres un peu palTables, vendus depuis quinze ou vingt ans, qui ne foit forti de nos mains. Je dis donc, monfieur, que depuis ce temps-la nous nous tirions très-honnêtement d'affaire, moi, ma nièce & fon frère; ah ! le bon temps fur-tout que c'étoit du vivant de ce gros abbé qui ne demeuroit pas loin d'ici; un grand latin dont tout un chacun, je ne fais pourquoi, difoit tant de mal; non pas nous, vraiment. Tout au contraire, & devant Dieu foit fon ame, c'étoit le père nourricier de tous nous autres, celui-la! Dis donc, ma nièce, t'en fouvient-il de fes Lettres Philofophiques , de fon Réfervatif & de fa belle Epitre a Iranie ? comme cela fe vendoit bien ! Mon Dieu! ma chère tante , répondit Manon , vous vous trompez, & lourdement, ces livres-la nous venoient de toute autre main; nous n'en avons  5i5 Mémoires jamais vu ni connu 1'auteur; c'étoit un de fes confidens qui nöus les apportoit , & il s'en falloit tout qüe ce tiers-la ne fut ni fi gros ni fi gras que M. 1'abbé. Je crois que tu as. raifon , reprit la tante; mais ce qu'il y a de vrai toujours, c'eft que ces livres-la faifoient bien bouillir la timbale; & plut a Dieu que nous en vendiffions toujours de pareils! tuaurois encore tón innocence. Ce qu'il y a auffi de bien vrai, c'eft que le pauvre cher abbé n'eut pas ks yeux fermés qu'adieu la boutique; il nous la fallut fermer auffi. Nous nous échappions auffi , & nous vivotions avec les Nouvelles Eccléfiaftiques & d'autres petits brimborions, quand il s'eft avifé de paroïtre, je ne fais quel maudit chiffon ! ( le diable emporte 1'auteur. ) li y avoit quelque chofe dedans contre un monfieur de la cour qui n'a pas entendu raillerie,. & qui, dans fa mauvaife humeur , s'en eft pris. a qui n'en pouvoit mais ; il a fi bien fait donner la chaffe au corps des colporteurs , que c'eft une vraie défolation qai crie vengeance*. Figurez-vous, monfieur, que de misère; les uns fe font faits foldats, les autres filoux ; il y en a que le défefpoir a pouffés jufqu'a fe faire auteurs : mon neveu continue le métier , mais avec des rifques qui le mettent fans ceffe a. deux doigts des galères, Pour nous qui fommes  des Colporteurs. 317 Teftées feules, fans favoir oü donner de la tête, vous voyez notre état; il falloit vivre, item $ & dame, quand on ne fait pas ce qu'on veut, on fait ce qu'on peut. Voila toute notre hiftoire. A votre avis, mon cher monfieur, ne fommes - nous pas bien a plaindre ? Non, fur mon ame , répondit Similor, qui l'avoit ouïe fort impatiemment jufqu'au bout? non certes, vous n'êtes point a plaindre; jufte punition d'un métier dont ont pati des genS qui valoient mieux que vous, fans eomparaifon , & que vous n'avez jamais plaints ; vous fubiffez la peine du talion: cela s'appelle vivre a fes dépens , après avoir vécu aux dépens d'autrui; vous viviez du déshonneur des autres , & vous vivez du votre a préfent. Ce retour de mauvaife humeur alloit vraifemblablement rebrouiller Conftance & Canaille ; la courtifanne amoureufe faifoit déja trés - mauvaife mine a fon aimable cavalier , quand, la porte s'ouvrant avec grand bruit, un nouvel objet changea la fcène, Entre un jeune homme en affez mauvais équipage & tout effaré; ah ! ma tante , s'écria-t-il, en jetant une petite malle fur la table, je viens, ma foi, de 1'échapper belle; j'étois dans un nid k rats, au fauxbourg Saint-Marceau, on m'y a déterré; les mouches volent dans le quartier,  gïS Mémoires & je donnois comme une grue dans les filets, fi un voifin charitable, comme je rentrois chez moi, ne m'eüt couru au-devant pour m'avertir du danger oü j'étois : j'ai bien vite rebrouffé chemin , fans quoi je ferois a cette heure fort mal a mon aife dans un cul de bafle-fofie. Ayez la bonté de me donner le couvert, en attendant que je me reconnoiffe & que je dépayfe 1'efcouade. . Tandis que le jeune homme parloit, Similor 1'examinoit attentivement; &, a. mefure qu'il 1'examinoit, fon fourcil fe défrongoit de plus en plus; la férénité qui renaiffoit fur fon front paroifibit mêlée d'un profond étonnement, qui fe termina enfin par un grand éclat de rire. Je ne vois pas, monfieur , lui dit affez féchement le nouveau-venu, ce qu'il y a de fi plaifant dans ce que je viens de dire, pour en rire comme vous fakes. Mon cceur, lui dit Similor, en tirant une brochure de fa poche, n'êtes-vous pas 1'énorme boflü qui me vendit hier ce livre a la fortie de 1'opéra ? Je ne le nie pas, repartit le neveu ; je vous crois trop galant homme, pourfuivit-il en riant auffi, pour me vouloir dénoncer. A Dieu ne plaife ! dit Similor ; mais , quel eft: 1'habile opérateur qui vous a, d'un jour a 1'autre, fi bien extirpé la loupe effroyable qui vous couvroit 1'omoplate ?  des Colporteurs. 31^ Pour Dieu, indiquez-le moi en favétir d'un jeune médecin de mes amis, qui, tout favant qu'il eft, n'a pas ce beau fecret-la ; car il ne manqueroit pas de s'en fervir pour lui-mêrne. C'eft moi, monfieur, répondit le colporteur, qui viens de faire cette belle & prompte opération tout-a-l'heure en montant 1'efcalier. Tenez, voila ma boffe , continua-t-il, montrant la petite mallé qu'il avoit jetée en entrant, & voila la clef; ouvrez , choififfez & achetez, je vous mets a même, & trouvez bon, puifque j'y fuis auffi, que je m'accommode pareillement: difant cela il fe mit a table. Similor, qui n'aimoit guère moins 1'humiliation de fon prochain que fa propre gloire, & 1'une ou 1'autre entrant d'ordinaire pour quelque chofe dans les brochures du jour, il fe fit un vrai régal du paffe-temps qui s'offroit a lui, comme auffi le colporteur de fon cöté, preffé d'un befoin plus naturel, & qui voyoit bonne chère devant lui, ne fe faifoit pas un moindre plaifir d'en profiter. Ils fe fatisfirent tous les deux : celui-ci vifitoit auffi curieufement tous les plats que 1'autre inventorioit la malle, & chacun a 1'envi donnoit fon coup de dent a fa fagon. Le premier livre qui tomba fous la mam de Similor fut le Recueil de ces meflieurs, Recueil  §2c) M E M Ö ï R £ S de misères, dit-il. Ces prétendus meffieurs étoient de grands fous; je n'en excepte que le dernier, qui a fi bien parlé contre la raifon, & qui juge tous les autres fans les avoir lus, comme il Taflure lui-mêrne. Celui-la du moins n'a perdu de temps, ou n'en a mal employé que le peu qu'il lui en a fallu pour prononcer a. la boullevue, comme il a fait & comme il a dü faire, Qu'eft-ce qui fuit ? Les fêtes roulahtes. 'Autres impertinences qui ne valent pas le papier a fucre qui les couvre,& moins encore mille fois la peine que j'ai prife de les lire. Ajoutez k la mince value que c'eft une injuftice criante. De quoi rlt-on? Les fêtes dont il eft queftiori font tout 1'honneur poffible k celui qui les a imaginées. Les cinq Chars ne valoient-ils pas bien cinq carofies d'ambaffadeurs, dont il n'en faut qu'un pour faire bayer tout Paris : & la bonne chèré par-deffus le marché, n'eft-ce donc rien ? Ort ne fait ce qu'il faut a ces diables de badauds. Ils ne font jamais contens , quoi que 1'on faffe pour leur plaire ; amufez-les , fêtoyez-les, régalez-les , il leur manquera encore quelque chofe. Pouffez la galanterie jufqu'a les mener: oü je fuis, ils y demanderont des fentimens* Oh,  des Colporteurs. 321 Oh, oh ! continua-t-il, paffant a une autre brochure, voici qui m'a bien Ia mine d'un bon libelle diffamatoire dans toutes les formes: Oraifon funèbre de 1'abbé D. F,, oü Pon s'ejl interdit le privilege de mentir. La pefte ! je ferois bien fiché, pour deux grandes raifons , d'être Ie fujet d'une pareille pièce d'éloquence. La première de ces deux grandes raifons, dit le colporteur, fe devine aifément; c'eft qu'il faudroit primo que vous. fuffiez mort, pafte pour celle-la, elle eft valable; mais pour 1'autre, telle que je la concois, au diable qui s'en foucieroit ! Doucement, doucement, notre ami, dit Similor ; vous ne favez pas, comme moi, ce que c'eft que d'avoir maille a partie avec la poftérité. S'il eft facheux, comme vous en cönvenez, de mourir une fois, vous m'avouerez qu'il 1'eft encore plus de mourir deux; qu'il ne faut qu'un placard comme celui-Ia fur la tombe d'un illuftre pour le défimmortalifer tout net; ou, qui pis eft, pour immortalifer fes fottifes ; car a qui n'arrive-t-il pas d'en faire ? Lifez, lifez cette feuille que je vous montre, dit Ie colporteur, elle me vient de bonne Tome X. X  xj22 MÉMOIRES main, & on m'a dit que cela étoit plaifant. Je n'entends rien au titre , dit Similor: Mémoire pour Janotus de Bragmardo, contre tüniverfitè. Qu'a-t-on voulu dire? Tout ce que j'en fais, dit le colporteur , c'eft que.cela roule fur laquerelle ridicule & fans fin des'chirurgiens & des médecins. Ah ! ah! j'y fuis, j'y fuis, dit Similor le mémoire,.a ce qu'il paroït, eft pour les chirurgiens. Je ne favois pas, dit le colporteur, que Janotus de Bragmardo voulut dire le corps des.chirurgiens ; mais pourtant, felon ce que j'en ai ouï dire , le mémoire n'eft ni pour 1'un ni pour 1'autre parti , on daube également fur tous les deux. II n'y a pas de mal a cela, repliqua Similor ; on ne fauroit trop s'égayer fur la friperie de gens qui s'égayënt impunément fur notre peau ; on ne leur nüira jamais autant qu'ils nous nuifent: leur fureur de détruire va, comme on voit, jufqu'a fe vouloir auffi détruire les unS les autres. En puiffent-ils venir a leur honneur! Que fait-on fi ce n'eft pas 1'intentïon de leurs juges, & ü leur lenteur a décider n'eft pas un effet de leur fagefie & de leur amour. pour le bien public ? Car affurément, quand les médecins & les chi-  des ■■Colporteurs. 3??» rurgiens cherchent a fe détruire, c'eft la feule & précieufe occafion oü rien n'eft mieux que de les laiffer faire; qui les y peut mieux aider que les lentedrs de la juftice ? De ce beau propos , il trouva bientót de quoi paffer a. d'autres, qui étoient plus de fon reffort. Voici, dit-il, un titre qui ne me plak point: Tranfmigration des Beaux-Efprits de Trance en Prujfe. Tranfmigration ! tranfmigration ! ce n'eft pas la le mot propre ; pour parler correétement, il ne falloit mettre que colonie : tranfmigration ne fe dit que du tranfport de toute une nation expatriée par la force du conquérant; & pour un bel-efprit, ou deux au plus , que nous a ravis la cour de Berlin, il nous en refte au moins trois ou quatre de bon compte. Il faut dsre cela a 1'auteur, qui d'ailleurs ne me paroït pas un fot; car eet ouvrage finit par une affez bonne épigramme. li la lut haut, & la voici: La France au. roi de Prujje* Prince ambitieux, arrête : Pourquoi cetta incurfion , Et d'une jufte conquête Paffer a 1'inyafioni Xij  Memoires Reprends a ta rantaifie Et garde la Siléfie, C'eft ton droit que tu pourfuis; Mais d'oü vient, roi téméraire, Nous enlever Maupertuis Et la moitié de Voltaire? II eft vrai qu'il n'y a pas de confcience a eela, difoit Similor en riant; du refte, continua-t-il férieufement, quand je difois : pour un bel-efprit ou deux que nous enlève la cour de Berlin me trompois-je dans mon cal- cul ? L'enlévement, comme on voit, fe réduit précifément a un & demi tout en gros. Mais en voici bien d'un autre ! II faut 1'avouer, la gaité francoife eft admirable pour créer de jolies bagatelles : c'eft dommage qu'elle ait renonce au comique: 'JLes. Arnours de myladi Melpomèné & dt mylord Amphigouri} nouvelle galante. La belle union ! il n'eft pas" difficile de voir que c'eft une pafquinade contre le tragique ampoulé qui a fuccédé a celui de Corneille & Racine, & contre notre nouveau goüt pour le théatre anglois. II y auroit bien des chofes a. dire fur le premier point; quant au deuxième, je Ie maintiens très-injufte, Le théatre anglois  des Colporteur s. 32 ƒ feft une mine de diamans pour le nötre dans Tépuifement oü il eft; & fans parler de Venife fauvée & de toutes les belles fuivantes qu'elle aura, on feroit bien furpris de favoir tout ce que depuis douze ou quinze ans notre cothurne doit a celui-la; fi j'en dreffois un mémoire exa» du Fauxbourg Saint-Germain une éclipfe du » bon goüt; elle arrivera le 18 janvier 1747, « & elle fera totale, avec demeure dans 1'oms> bre. Son commencement fera a la première » repréfentation d'une comédie nouvelle, & 9* finira a une première leéture.  bes Colporteurs. 320 Cette raillerie univoque & ^mordante, qui tomboit a plomb fur un de nos meilleurs écrivains & fur fes admirateurs, remit Similor en belle humeur , & le livre qui fuivit celui-la 1'y maintint, mais fur tout un autre ton: c'étoit Nocrion, ou hijloire véritable & merveitleufe d'un prodige arrivé a Pendroit du nommé Fot^, muetdu ferrail d'Ifpaham, auquel eji Jurvenu fubitement l'ujage de la parole. Muet de ferrail! Oh , voici a coup fur bien de la gravelure & des godrioles. Il ne faut pas être un grand grec pour compréndre qu'un muet forti de fi bon lieu, & dont la langue fe dénoue, jafe diablement & a de bonnes chofes a dire. L'auteur eft un grand mal-adroit s'il n'a pas bien édifié fur un fi beau fonds. L'ami, dit-il au marchand, je veux prendre un Fotz. Prenez, monfieur, lui dit 1'autre, vous êtes bien le maïtre. Combien un Fotz ? Tant. C'eft trop, dit Similor; allez, allez, jefuisau fait de cette marchandife-la comme vous-méme, depuis le temps que je m'en mêle pour mon compte ; voila plus que cela ne vaut. Que cela foit dit, je n'en donnerois pas une obole pardela. II jeta ce qu'il voulut, empocha un Fotz  33° Mémoires & continua fon inventaire. La dernicre pomme de difcorde attendoit ici norre curieus. Le fond de la malle étoit occupé de toute la première édition d'un livre intitulé : Nouveau Supplément du graad dictionnaire hïfiorique de Moréri. Jufques-la il n'y avoit rien de trop frappant, mais ce qui piqua 1'attention de l'inquiiiteur , c'eft 1'année de 1'impreffion; elle étoit de 1801. Un fupplément de Moréri en 1'année 1801 ! dit Similor, en frappant des mains : i i non vero, bené trovato. Beau cadre a dire bien des vérités en face a des vivans fuppofés morts ! il ne ceffoit de fe récrier fur la commodité de ce plan; & pour démontrer qu'il étoit très-ingénieux, il répétoit fans ceife qu'ori ié lui avoit volé. Enfuite, ayant parcouru des yeux la première page & grommelé quelques mots de 1'avertiffement, ce fut bien autre chofe. Mais , mais comment donc ! voila du neuf, du joli, du léger, de 1'heureux, du fin, du délicat! Ce ne fut jamais la de la drogue a vendre fous le manteaü : cela mérite, je ne dis pas privilége & permiffion , mais récompenfe. Je garantis Lcetendroit déja, corps pour corps, ouvrage pour ouvrage,  bes Colporteurs. 3 3 t approbation , acclamation générale. Je voudrois 1'avoir fait. En effet, tel étoit le début de eet avertlffement: « Ce fupplément contient les articles de tous les hommes plus ou moins illuftres qui ont paru depuis les dernières éditions de Moréri jufqu'a la préfente année féculaire 1801, c'eft-a-dire, pendant une partie du glorieux règne de Louis XV, affis aujourd'hui fur le tröne, dans le fein d'une paix profonde & de fon augufte familie, qu'il a la fatisfadtión de voir multipliée jufqu'a la cinquième génération. « Similor s'enquit du temps qu'il y avoit que ce livre paroiffoit. On l'affura qu'il n'avoit pas encore été mis en vente, & qu'il voyoit la tous les exemplaires, qui n'excédoient pas le nombre de deux cents. Oh, parbleu, cette nouveauté féra fortune ! j'en réponds, car j'en dirai du bien. Je prétends faire plus; j'aime le roi, on ne 1'ignore pas depuis le témoignage éclatant que j'en donnai dans mon ode iur la convalefcence : le roi verra ce livre-la; demaih , demain , je veux lui lire eet endroitla ! demain je vole exprès a Verfaüles , & je perce le petit coucher; on peut compter ladeffus. Le fupplément étoit écrit en ftyle de die-  33^ Mémoires tionnaire , avec fimplicité &.précifion; maïs cette précifion & cette fimplicité étoient juftement le tour ingénieux qui donnoit une certaine force aux traits dont 1'ouvrage étoit parfemé. Les noms omis n'étoient pas, de ces traits, ceux qui étoient les moins piquans: te! avantageux de nos jours qui , pour quelques produótïons heureufes en ce fiècle de bagatelles , ne s'érige pas moins dans fes rêves qu'un trophée chez M. Titon, devoit, fuivant le fens de ces omiffions afFeótées, fe voir en 1801 déja parmi les noyés. Du refte, ce livre, ainfi que de vives railleries, contenoit auffi, comme de raifon,de juftes éloges. Par exemple, Similor, qui eüt defiré n'y trouver que le fien , eut le chagrin , en le cherchant au S I, de rencontrer dans fa route S A, celui d'un autre, dont la longueur Timpatienta furieufement pendant le cours de quinze ou vingt feuiilets. C'étoit fous 1'article de SAXE, (Maurice comte de) maréchal de France. On y détailloit les qualités éminentes de ce grand homme, & 1'auteur s'étoit donné fes ai fes en écrivain fuppofé du fiècle futur, Sc qui n'avoit par conféquent plus de loix a prendre que de la vérité , ni plus rien a démêler avec la modeftie du héros. Similor, efpérant qu'on n'auroit pas plus ménagé la fienne, fe  des Colporteurs. 333 hata de mettre le nez fur 1 'encens. II parvint enfin a fon article; on ne favoit heureufement point omis, il n'eut garde de s'en étonner ; mais voici ce qui 1'étonna. Similor , ( Matthieu ) écrivain fuperficiel & fleuri qui brilloit encore vers le milieu du dernier fièc!e. Ses ouvrages, alors nombreux, & dont il ne nous refte que des fragmens, tirèrent leur peu de vogue de 1'étrange aétivité qu'il eut a leur procurer des fuffrages. II fut s'introduire chez les grands & s'infinuer chez les femmes , qui diftribuoient alors les honneurs du Pamaffe. II déprimoit adroitement les bons poëtes, exaltoit les mauvais, & foudoyoit des próneurs. II faifoit compofer & compofoit lui-même fes éloges, que par des envois anonymes il faifoit enfuite inférer dans des feuilies périodiques dont la France étoit alors infectée. Tout ce manége ne le fauva point, même de fon vivant, d'un grand difcrédit. II n'étoit prefque plus mention de lui fur la fin de fa carrière; de-la vient que 1'on ne fait précifément ni quand, ni comment il mourut: les uns veulent qu'a la première repréfentation de fa dernière pièce il mourut fubitement avec elle fur le théatre ; fur quoi même üs rapportent cette épitaphe:  334 MÉMOIRES Ci git Similor, qui fur terre Rembourfa plus d'un camouflet, Et qui, par mefïieurs du parterre j Fut tué d'un coup de fifflet. D'autres le font mourir tout naturellefnenê dans fon lit, d'une attaque d'apoplexie caufée par fon trop d'embonpoint, C'eft aux continuateurs de M. 1'abbé d'ölivet a nous débrouiller cette anecdote, & a conftater lequel de ces faits eft le plus vrai cu le plus vraifemblable. Sa furprife & fon dépit furent te!s , qu'il en penfa tomber a la renverfe , & vérifier ainfi d'avance, en quelque forte , la première de ces deux opinions : il fe pofféda toutefois, roulant dans fa tête différens moyens 'pour empêcher ce livre de voir le jour. Son premier delïehi fut'de payer töute 1'édition ; il en demanda" le prix: on lui dit cent piftoles. L'avarice effrayée lia les mains a 1'orgueil mortifié pour les délier a. Tartiüce : le plus fimple eüt été d'aller, fans faire mine de rien, chez le commiffaire, & de lui faire mettre la main fur 1c colporteur 8a fur la malle ; mais fon objet 'étoit d'anéantir exaétiment les deux cents exemplaires; & ce ne font pas !a de ces fortés d'effets faifls , de ces dépots facrés dont rien ne fort jamais des greffes. Ne s'en fiant donc qu'a foi feul, il s'y prit autrement; il commenga, pour mener a  des Colporteurs. 335" bien fon projet, par fe bien ralTéréner, prendre & payer deux exemplaires, bien refermer la malle & prendre la clef. Ramenant enfuite un léger fourire fur le bout de fes dents, il fe rapprocha de la table , reparla du voyage de Verfailles , y promit fa proteótion, refit fa cour a Manon, fit venir le champagne & le verfa a profufion. Quand les fumées eurent achevé de mettre la compagnie fur le bon ton, mon camarade , dit d'un air enjoué Similor au colporteur, ma foi, plus je vous examine de pied en cap, plus je me dis que j'avois hier Ia berlue, de ne pas voir que votre boffe étoit poftiche. Et a quoi cela fe devoit-il voir ? dit le colporteur. A vos gras de jambes, répondit Similor , & a cette face de jubilation. Bon ! reprit 1'autre ; belle rêverie de vouloir qu'il y ait des jambes & des vifages a part pour des bofïus ! N'en doutez pas, dit Similor, tenez, examinez-moi bien; vous verrez de Ia tete aux pieds un homme bien taillé pour porter boffe; elle m'iroit comme de cire, & pour vous en convaincre, je veux par plaifir que vous me. l'efTayiez, L'épreuve parut divertifiante : on y taupe. On lui apphque tres-corre&ement Ia boffe fur ks épaules; il fe la fait bien attacher par-deffous le jufte-au-corps, & 1'on éparpilb agré--  33^ Mémoires blement fa perruque naiffante par-delfos : cela fait, il fe préfente au miroir comme une belle qui fort de fa toilette, fe promène avec toutes les graces d'un boffu, fe carré, fe tcurne k droite. a gauche : Eh bien, monfieur! eh bien, mes dames ! comment me trouvez-vous ? Voila ce qui s'appelle un boffu, cela; qu'en dites vous ? Tous de 'fe re'crier qu'il étoit a peindre, qu'il étoit vraiment boffu, tortu même en cas de befoin. On lui bat des mains, on crie, vivat! II s'égaye tout de bon & comme par enthoufiafme; il folatre, on pame de rire : il danfe; il fait la cabriole & faute le bolfo. Jamais polichinel ne fut fi fêté, fi claque' , fi brillant; jamais feène fi jolie ni fi folie ne fe joua fur le théatre de la joie. Cependant le colporteur feffoit le champagne en homme qui n'y étoit pas accoutumé : rien. n'étoit plus naturel en pareil cas que des befoins qai 1'obligeafTent a fortir. Auffi rentroit-il pour la troifïème ou quatrième fois, quand Similor, qui crut avoir enfin affez préparé le moment d'enlever la malle'& de s'évadér, cria, qu'un enfant en pleureroit, & courut k la porte , le cceur épanoui déja d'une joie fecrette k 1'approche de 1'heureux dénouement; mais quel coup de théatre pour les lecteurs , & quel coup de foudre pour lui! Tout  des Colporteurs. 337 ! Tout en ouvrant la porte, il fe vit 1'eftomac pointe par deux ou trois hallebardes que lui préfentèrent autant de grivois a mouftaches, fuivis d'un commifTaire & d'un exempt. Ah! chien de boffu ! lui cria 1'exempt, en luï ferrant la gorge, nous te tenons pour le coup; tu payeras les peines que tu nous donnés depuis fi long-temps. En prifon. Meffieurs, meffieurs ! s'écrioit le pauvre étranglé, vous vous méprenez indignement ! entendons-nous, fongez bien a ce que vous faites ! Nous y fongeons trés-bien, dit le commiffaire d'un ton de fauffet & en fe rengorgeant, vous êtes bien celui que nous cherchons, & vous n'êtes pas fait de fagon a s'y pouvoir méprendre ; au chatelet ! Monfieur le commiffaire , dit Similor , en fe rengorgeant auffi de fon mieux, vous vous trompez, vous dis - je , je ne fuis pas plus boffu que vous. C'eft auffi , reprit 1'homme de robe, un faux boffu que nous cherchons , ne vous faites pas mettre les menottes , obéiffez de bonne grace a lajuftice, & marchons. Similor , outré & fe déboffuant en fureur, jeta la boffe a la tête de fon maïtre, en difant, voila votre boffu ! Celui-ci lui rejeta la boffe au nez, jurant qu'il n'y prétendoit rien , & qu'elle étoit bien a lui. Tous deux pelotoient !a boffe Tome X. Y  338 MÉMOIRES & fe la renvoyoient a coups de pied avec les meilleures raifons qu'ils pouvoient s'imaginer. Me ferois-je avifé comme un fot, difoit le colporteur, de vouloir faire le boffu avec mom air joufflu & ces jambes-la, & ne voit-on pas clair comme le jour que c'eft un déguifement ajuftéa la figure de monfieur? Qu'il replique a cela? Le commiffaire, qui n'étoit rien moins •qu'un Salomon, pour favoir a qui adjuger la bofié , fe laffa de fa perplexité. Marchons , marchons, dit-il, voila bien des facons ; toutes boffes & tous vilains cas font reniables, on le fait bien; & ceci ne finiroit jamais. Qu'on les mène tous deux au cachot; le fait s'éclaircira tout a loifir. Similor conftemé, comme on peut croire, en envifageant les fuites d'une fi vilaïne ^.venture , obtint enfin, par fes larmes & par fes prières, un moment d'entretien fecret avec le commilfaire & 1'exempt : étant donc paffe avec eux dans une chambre voifine , la il fe nomma & fit un détail fidéle de tout ce qui venoit d'arriver. II n'en étoit pas mieux, & toute fon élcquence étoit perdue fans le fecours d'une bourfe de cinquante piftoles qu'il avoit heureufement fur lui: a 1'harmonie d'une fi belle peroraifon , le commiffaire baifla le fauffet d'un ton, 1'exempt s'humanifa; ils fe  des Colporteurs, 339 parlèrent a demi-voix pour fe concilier fur le renvoi de leur fuite, promirent a SimÜor de lui rendre bon compte des exemplaires qui 1'intéreffoient fi fort, & lui montrèrent un petit degré dérobé qui defcendoit dans la petite rue des Marais. II 1'enfila bien vïte & regagna fon logis, laiftant tout le monde extrêmement fatisfait d'avoir eu fon foupé, fon argent & une eomédie fi plaifante , dans un temps für-tout ou elles font fi rares. Car il eft temps enfin de mettre mon leóteur au fait , en lui difant que, depuis la rencontre de la vieille jufqu'a ce dernier & parfait dénouement , tout n'étoit qu'un jeu concerté par des colporteurs, qui avoient de juftes fujets d'en vouloir a Similor. ( Autre matière a utie nouvelle nuit de Straparole, ) nièce, neveu , tante , archers , commiffaire , exempt , tous n'étoient que de faux perfonnages qui , de longue main , s'étoient diftribué les röles, & avoient fu ajufter la fcène au théatre, felon les différentes circonftances ; & les fréquentes forties du colporteur, après le vin de champagne, avoient fervi a faire les defniers arrangemens. II en revint bien a Similor, après deux ou trois jours , quelques foupcons qu'il voulut éclaircir , mais en vain ; on retrouva bien !e  g4o Mémoires théatre , mais les acteurs étoient bien loin. II ne put plus douter qu'il n'eüt été joué, & cette découverte de fa part auroit manqué a la pleine vengeance des rieurs. Depuis ce temps, il ne voit palTer ni malle ni bolTe qu'il ne lui fouvienne de la Malle-Boffe.  bes Colporteurs. 34* MÉMOIRE DE SIMON COLLAT, DIT PLACARD, Maïtre afficheur, donneur d'avis , & juré-crieur des chofes perdues. A Messieurs les Colporteurs. C/est honneur & grace que vous me faitesa meffieurs, que de vouloir bien m'affoeier a vos remontrances, comme je le fuis a vos malheurs; & fi cette conformité, qui achève de rendre les hommes fenfibles, ne fuffifoit pas pour vous bien affurer de ma reconnoifiance, je pourrois du moins vous prouver par un détail intéreffant de 1'ancienneté de ma familie & de la profeifion qu'elle a toujours exercée , que , loin d'être indigne de vos bontés, il peut en rejaillir fur vous-mêmes un éclat trés - avantageux a la caufe commune. Les Collat font par rapport aux affiches ce que font les Collot pour 1'opération de la Y üj  462 Mémoires taille, c'eft-a-dire , les premiers & les plus célèbres de tous ceux qui ont exercé leur art; avec cette différence pourtant que les Collot ne font venus que des milliers d'années après les Collat; que la réputation des Collot ne s'eft répandue que dans une partie de PEurope, & que leur habileté n'a fauvé qu'un petit nombre d'hommes , au lieu que celle des Collat, utile a tout le genre-humain, n'a eu prefque d'autres bornes que celles de 1'univers. Vous en jugerez, meffieurs, par cette efpèce d'arbre généalogique & hiftorique que les quatre plus favans' hommes du règne de Francais I, Guillaume Budé , Pierre du Chatel , Frangois iVatable, & Henri Etienne, drefsèrent en fayeur d'Emmanuel Collat, mon trifaïeul. Cette pièce curieufe, que j'ai trouvée dans fes papiers , n'a jamais été rendue publique , & ne peut, je crois , le devenir dans une conjoncture plus favorable & plus trifte que celle ou nous nous trouvons. Les commiffaires fouffignés, qui ont vu & examiné les mémoires , titres & documens qu'a produits pardevant gux Emmanuel Collat, collationneur perpétuel, colleur, reftaurateur , & enjoÜveur des manufcrits de la bibliothèque  des Colporteurs. 343 'de Fontainebleau , afficheur du colle'ge royal & de tous les autres placards refervés par 1'édit du mois de février de 1'année dernière, iy3P, & qui ont joint a ces titres , mémoires & documens , leurs propres recherches , avec d'autant plus de plaifir, que ledit Emmanuel Collat les a toujours fervis avec un zèle, une intelligence & une probité inexprimables , Sc que fon défintéreffement les empêche de s'acquitter envers lui d'aucune autre manière : déclarent, atteftent & certifient, aux périls, rifques & fortunes de tous littérateurs, chronologiftes, géographes, hiftoriens , gcnéalogiftes , hérauts & pourfuivans d'armes qu'il appartiendra, préfens & a venir, qu'il appcrt: Que Caïn Collat, premier du nom , étoit un des hommes de confiance de 1'entrepreneux en chef de la tour de Babel> qu'il étoit en~ tr'autres chargé des affiches qui chaque jour annongoient réguliérement le genre de travai'1 qui fe feroit le lendemain , la difpofition & la qualité des matériaux ; le nombre & le rang des ouvriers qui feroient employés a chaque partie de l'édifice ; les heures de réfection & de délaffement; 1'ordre & la nature des paiemens , &c-. fans quoi ta confufion fe feroit mife en moins de rien dans 1'ouvrage méme, comme peu de temps après elle s'introduifit. Y iv  344 . Mémoires dans le langage. Que cette révolution fatale ne fervit qu'a rendre Caïn Collat encore plus ïlluftre; qu'alors, par des affiches hiéroglyphiques, qui s'expliquoient dire&ement aux yeux & a 1'efprit, fans paffer par 1'intervalie des fons, il enfeigna aux nations ftupéfaites 1'art de fe reconnoïtre toujours, & de converfer encore enfemble fans fe parler; il leur traca les routes différentes qu'elles devoient tenir pour peupler avec une forte de proportion & d'égalité Ie refte du monde défert; il leur facilita les moyens de retrouver & d'emporter aifément leurs hardes mélées; & qu'enfin le terme de fac, qui fut le feul mot écrit dont ïl fe fervit en cette occafion, parut fi expreffif & fi convenable au fujet, qu'il eft auffi le feul qui fe foit confervé depuis fans altération dans toutes les langues du monde. Que fon arrière-petit-fils, Mifraïm Collat porta en Egypte 1'ufage de ces affiches hiér roglyphiques, auxquelles les Egytiens furent redevables des premiers élémens des fciences qui dans la fuite les rendirent fi fameux; mais qu'au lieu d'en marquer une éternelle reconnoiffance a 1'inventeur, ils ne s'appliquèrent qu'a lui enlever fon fecret, & a fe le rendre propre par les additions qu'y firent fucceffiyement Ifis, Ofiris , Typhi Harpocrate,  des . Colporteurs. 34£ Anubis & les grands prêtres d'Héliopolis; additions malheureufes qui font qu'on n'y comprend pius rien. Que les enfans de Mifraïm Collat, fenfibles a. une fi noire ingratitude, formèrent le deffein de s'en venger d'une fagon proportionnée a 1'injure, & que la fortie des Hébreux leur en fournit la plus belle occafion qu'ils pouvoient fouhaiter, paree que le pharaon qui régnoit y alors, & qui, fuivant la tradition conftante de la famiile des Collat, juftifiée par un fragment de Manéthon , étoit Amofis II, & non Aménophis fon ayeul, comme 1'a cru Apion, n'ayant confenti qu'a regret a leur fortie, alfembla, immédiatement après leur départ, un confeil extraordinaire pour délibérer fi on les pourfuivroit, ou non , & que 1'avis le plus fage , qui étoit de les laiffer aller, prévr.ioit infenfiblement, quand, aux premiers rayons du foleil, on appergut au fond de la falie du confeil une affiche hiéroglyphique que les petits Collat y avoient adroitement mife pendant la nuit, laquelle affiche ayant tout l'air d'un oracle , en produifit auffi tout 1'effet. Elle repréfentoit Neptune armé d'un trident d'écarlate, qui fembloit appeller a lui les Egyptiens & leur tendre le bras en figne de prote&ion & d'amitié. A cette vue , le confeil revire de  34^ Mémoires bord; il eft unanimement décidé qu'on pourfuivra les Hébreux; 1'armée s'afTemble , le nombre des volontaires paffe celui des troupes réglées; il n'eft enfant de bonne maifon qui ne veuille en être; toute 1'Egypte enfin , fon roi a la tête, s'achemine en triomphe vérs la mer Rouge, & il refte k peine dans la capitale quelques femmes grofies, quelques invalides & poetes crottés , qui ne s'occupent que du foin de préparer des couronnes pour le retour des vainqueurs. Que dans eet intervalle les Collat, qui fé doutoient bien que le retour feroit pis que matines, pafsèrent dans le Péloponèfe, oü I'ainé de la familie, XXIVe du nom, & de qui Emmanuel Collat defcend en droite ligne , s'attacha a Médée, & 1'accompagna dans le voyage de la Colchide, oü il lui fut d'un grand fecours, paree que c'étoit lui qui, de concert avec cette favante princeffe, appliquoit tous les foirs au mat de la navïre Argo, fait d'un chêne coupé dans la forêt de Dodone, une nouvelle affiche qui inftruifoit le Argonautes de ce qu'ils avoient a faire ou k éviter dans la journée fuivante ; ce qui donna lieu aux auteurs imbécilles , & fur-tout aux poëtes bavards, de dire que les arbres de Dodone parloient & rendoient des oracles.  des Colporteurs. 347 Qu'enflé du fuccès de cette expédition célèbre, notre Collat, qui fut furnommë Adèle, c'eft-a-dire, Ylnconnu , paree qu'on ne connoiffoit ni Porigine de fa familie, ni les principes de fa fcience , fe flatta d'introduire dans la Grèce 1'ufage des hiéroglypnes; mais que les Grecs, accoutumés a une langue qui avoit déja pris une forte de conffftance , une langue qui par elle-même étoit belle , fonore, douce, arrondie , & qui fe perfeótionnoit tous les jours , ne vouiurent jamais tater de ce précieux grimoire, aimant mieux donner a plein collier dans le phcebus, que de s'envelopper dans le moindre rébus ; de forte qu'Adèle Collat & fes fucceffeurs fe virent réduits a n'afficher qu'en langage vulgaire; en quoi cependant ils fe diftinguèrent d'une manière affez. avantageufe pour ne pas regretter leurs oignons d'Egypte. Ils furent propofés pour afficher, dans toutes les républiques alüées & chez les puiffances voifines , les décrets des Amphictyons , 1'ouverture des jeux Olympiques, les. conditions fous lefquelles on pouvoit y être admis dans chaque genre d'exercice ou de combat. Ce fut auffi a eux feuls qu'appartint le droit de publier & d'afhcher, d'après le róle des agonothètes ou intendans des jeux, le nom des vainqueurs, hommes, chars & chevauxj  348 Mémoires & outre les appointemens confidérables attachés a eet emploi, on ne fauroit dire combien il leur rapportoit en gratification de la part des athlètes qui s'y trouvoient intéreffés; il y en eut un qui leur donna lui feul deux talens euboïques, pour que les lettres de fon nom euffent environ un demi-quart de ligne de hauteur plus que celles du nom de fes concouronnés. Telle étoit Ia fortune des Collat aux plus beaux jours de la Grèce, quand 1'auftère vertu dont ils fe piquoient, peut-être auffi Ia malheureufe habitude qu'ils avoient confervée de parler en hiéroglyphes, & plus que tout cela fans doute , leur liaifon intime avec Socrate, penfa les entraïner dans fa difgrace ; mais n'étant pas comme lui originaires de 1'Attique , & naturellement foumis aux loix de 1'aréopage , il leur confeilla de s'y fouftraire par une retraite prudente ; il leur offrit même, s'ils vouloient paffer a Rome, d'excellentes recommandations auprès des confuls , des décemvirs & des tribuns, avec qui d'illuftres Athéniens, fes amis particuliers, entretenoient déja, quoique fourdement, des correfpondances d'état & de politique. Ce fut fous de tels aufpices que 1'ainé des Collat, le leul dont nous fuivons préfentement  des Colporteurs. 349 fe tracé • vint avec fes deux fils s'établir i Rome, dont la puiffiance commengoit k faire du brüit, & dont les hautes deftine'es s'avangoient a grands pas: les. magiftrats, avantageufement prévenus de fa probité & de fes talens, 1'employèrent auffi tot; ils lui affignèrent un logement fur le mont Collatin , & pour ne pas effrayer les tribus ruftiques par un nom étranger & purement phénicien, ils lui donnèrent celui de Collius Collatianus, qui, a la terminaifon prés, diffère peu de Collat, & n'a pas moins de rapport k 1'ufage de colier & collationner : il paroït, par quelques affiches , que les defcendans de ce Collat abrégèrent encore le furnom de Collatianus, en fignant fimplement Collatus. Sur quoi, les fieurs commifTaires, pour faire plaifir aux lecteurs curieux d'anecdotes hiftqriques, obferveront que c'eft contre toutes fortes de raifon & de vérité, que Diodore de Sicile & Paufanias attribuent 1'invention de la colle forte a Dédale , au préjudice des Collat, qui font bien plus anciens que lui, & qui ont conftamment tiré leur dénomination de cette découverte, que leurs fucceffeurs font d'autant plus en droit de revendiquer, que titulus clamat. Ils obferveront encore que la colle par excellence, c'eft-a-dire la colle forte, fe dit  3jó Mémoires de même en grec k»'aa* . que ce mot vient du phénicien, & que les Coptes s'en font toujours fervis : i!s ajouteront qu'il eft de notoriété publique qüe les Grecs étoient coutumiers du fait , qu'ils s'approprioiènt impudemmen!? toutes les découvertes dans les arts ; qu'ils décrioient particuliérement les Egyptiens, paree que c'étoit d'eux qu'ils tenoient leurs plus belles connoiffances, & que quand ils furent paffes föüs la dorhination des Romains , qui les traitoieiit avec une extréme douceur, & a qui, de leur cöté, ils prodiguoient les plus grands éloges, ils haïffoient & méprifoient fouVerainement au fond de 1'ame ces vainqueurs généreux, & que ce ne fut que pour les dénigrer avec plus d'adreffe que Plutarque entreprit d'écrire la vie des hommes' illuftres des deux natiorts, & de términer ces vies par un parallèle oü 1'avantage denieure toujours aux Grecs. Enfin, que la prétendue preuve, la feule que ces meffieurs rapportent, de 1'invention de Ia colle forte par Dédale, c'eft qu'il eft a préfumer qu'il s'en fervit pour s'attacher a lui & a fon fils des ailes pofticheS , par le moyen defquelles ils puffent échapper, comme des oifeaux, a la fureur du roi de Cfète ; mais qu'outre qu'une tradition bien plus générale porte qu'il n'y  bes Colporteurs. ^jt employa que de la cire commune , que le foleil fondit, au lieu de s'être fervi en cette occafion de colle forte, il s'enfuivroit bien plutöt quelle étoit déja connue , qu'il ne s'enfuivroit qu'il Pauroit inventée ; que d'ailleurs 1'événement femble avoir décidé la queftion , & que Dédale ne fe fervit ni de cire commune, ni de colle forte , puifqu'après la chüte du pauvre Icare dans la mer Egée, il fut très-clairement vérifié que ce n'étoit que de la colle de poiffon. Après cette digreflion, oü les fieurs commiflaires fe font moins engagés par la liaifon , la force & 1'aménité du fujet, que pour la fa tisfaétion des gens de lettres, ils reviennent a Colhus Collatianus , qu'ils n'ont pas perdu de vue dans fa tranfplantation & fon nouvel établiffement a Rome. II leur paroït que ce fut lui qui , d'entrée de jeu, & par ordre des magift-rats, fut chargé d'y afficher dans tous les carrefours de la ville les loix dés douze Tables, tandis qu'on les gravoit fur de grandes plaques d'airain, deftinées a refter au Capitole; ce qui étoit. alors un bien plus grand ouvrage qu'il ne le feroit aujourd'hui. Ses fucceffeurs eurent toute la connance des tribuns , particuliérement des deux Gracques , dans ces temps orageux oü le fénat & le peuple , divifés d'intéréts 6c de fentimens, s'atta-  3^2 Mémoires quoient & fe ripoftoient autant & plus par des écrits & des affiches, que par des harangues Sc des voies de fait. Un fragment de la loi Agraria, confervé dans la familie des Collat, Sc ayant encore au haut la figure d'un geaï paffablement deffiné , & contrefigné au bas Collatus, eft un monument qui pourra beaucoup fervir aux auteurs qui, dans les fiècles fuivans, entreprendront de traiter cette matière. Emmanuel Collat en a produit quelques autres moins bien confervés, qui paroiffent aux fieurs commiffaires des reftes d'affiches des comédies de Plaute & de celles de Térence; mais celui de tous fes fragmens qui eft le plus entier, Sc quia auffi moins d'étendue, eft un avis au public , qui fut affiche lorfqu'un grand nombre de Gaulois, amis de Céfar, & par lui élevés a la dignité des Sénateurs , vinrent a Rome pour y être inftallés : 1'avis portoit en fubftance que ce feroit un bon tour a leur faire que de ne leur point indiquer le lieu oü s'affembloit le fénat; Sc en effet, ils ne le découvrirent & n'y arrivèrent qu'après la féance levée. La tradition de la familie eft que ce fut Cicéron qui leur infpira cette efpiéglerie , & qu'il aimoit les Collat, paree que dans le temps des profcriptions de Marius & de Sylla, ils s'étoient retirés a la campagne dans un lieu voifin de Tujculum,  dès Colporteurs* 3 Tufculum, pour n'être mêlés en rien dans les öpérations tragiques de ces deux turbulens perfonnages. II y a apparence que c'eft de la même mairi que partirent ces mots qué 1 on trouva affifchés ün beau matin fur la bafe dé la ftatue dé Brutus j que n'es-tu en vie ! & ceux-ci qui y furent fubftitués peu de temps avant la mort de Céfar: Brutus Jut fait cónful pour avoir chaffé les reis, & Céj'ar eft devenu roi pour avoir ckaffi les conjutsi On ne doit pas oublier que ce fut dans ce lotfiï dé la campagne ■, & ce voifinage de Tufculum * qué les Collat donnèrent a Cicéron les premières idéés de 1'art d'écrire en abrégé auffi vïte qué 1'on parle, & que nous appellohs tachoeograph.e : ils 1'avoient toujours cultivé dans !a familie, & 1'avoient fucceffivement appliqüé a la tangue des différehtes nations parmi lefquelles ils avoient vécu depuis la tour de Babel. Cicéron , charmé de pouvoir recüeiüir par ce moyen les tirades cauftiques & merveüleüfés qui échappoient a Caton prefque toutes les fois qu'il difoit fon avis au fénat, fe renait très-habile dans eet art, & le fit foüveraihemerit bien apprendre i un de fes affranchis nommé Tiron , qui le réduifit ên forme celexique, ou tables alphabétiques, que lome Xi 2  Mémoires 1'on conferve encore aujourd'hui dans plufieurs bibliothèques. II y a de plus dans les efpèces d'archives de la maifon Collat, divers morceaux de tablettes antiques, les unes enduites de cire, les autres d'une efpèce de craie, & toutes chargées de caraétères latins; de 1'examen defquelles tablettes il réfulte aux yeux defdits fieurs coia» miffaires, accoutumés a déchiffrer les manufcrits les moins lifibles, qu'un des fils du Collius Collatus dont nous venons de parler, étoit en liaifon avec Horace & Virgile, comme fon père 1'étoit avec Cicéron; & que ce fut de lui que Virgile fe fervit pour placer adroitement fur Ia porte du palais d'Augufte ce diftique qui le flattoit de partager avec les dieux Pempire du monde, fur ce qu'après une pluie exceffive, qui, ayant duré toute la nuit, faifoit craindre que les fpeftacles que le prince devoit donner le lendemain ne fuflent différés : le foleil avoit reparu dans toute fa fplendeur, & les fpeótacles avoient recu un nouvel éclat de la pluie qui les avoit précédés, paree qu'elle n'avoit fervi qu'a rendre le cirque plus frais & moins poudreux. Augufte, fenfible a une louange fi délicate, voulut en connoitre 1'auteur; il lui promit une alfez grande récompenfe, & un poëte des halles  ï> E S C ö E E Ö R T E U R J. 3 s'étant hardiment préfenté pour Ia recevoir, avant que Virgile eüt pris le parti de fe découvrir, celui-ci, juftementpiqué, fit afficherle même jour, & au même endroit, par CoIIatus, cinq autres vers, dont quatre étoient coupés par la nJoitié, de manière que nul autre que lui ne pouvoit les bien remplir; ce qui lui réuffit au point que Pimpofture fut aufli-töt découverte, & le poëte efcroc bien & duement hué, berné, confpué. L'empereur , informé de ce qui s'étoit paffe , honora CoIIatus du titre de prototype des afficheurs, & le chargea d'aller promulguer par des affiches hiftoriées, datts toute 1'étendue de 1'ernpire, la célébration des jeux féculaires. II s'acquitta dignement de cette commiffion; &, h'oubliant rien de ce qui pouvoit exciter Ia curiofité des peuples, il mit, par manière de préambule a. fes affiches , ces mots qui pafisèrent en formule: venez tous voir des jeux que vous n'avez jamais vus, & que vous ne reverrea jamais. L'afHuence des nations qui fe rendirerit a Rome pour la célébration de ces jeux, fut il grande, qu'Augufte s'écria,dans un tranfport de joie , que c'étoit pour lors qu'il tertoit véritablement fous fa main 1'univérs entier, & que, voulant donner a Collius CoIIatus des marqués partieulières de fa fatisfaétion , il affecta k Z ij  35"6* MÉMOIRES fes defcendans le privilege ge le droit de poUJ voir feuls , de père en nis , ou plutöt de fiècle en fiècle, faire de femblables affiches & proclamations. Toutes ces circonftances font rappellées dans un refcrit daté de fan de Rome 737, fous le .confulat de C. Furnius Sc de Junius Silanus, la veille des nones du mois de feptembre; de forte que, comme les régiemens faits par Augufte font ceux qui ont été le plus religieufement obfervés, il eft a préfumer que les Collati ont paifiblement joui de ce droit jufqu'a 1'extinction des jeux. Mais 1'ordre des temps exige des fieurs commiffaires qu'ils placent ici un fait fingulier dont ils trouvent pareillement des veftiges, pour ne pas dire des preuves, dans les annales Collatine ; c'eft que, dans 1'intervalle des jeux féculaires célébrés par Domitien, & de ceux qui le. furent fous Sept. Sévère , lorfque Trajan , vainqueur des Daces & des Parthes, des Quades & des Marcomans, voulut tourner fes armes du cöté de 1'Inde , & foumettre divers peuples dont le ïangage, le nom même étoient inconnus a Rome, il emmena avec lui deux Collati, ou Collat, qui, ayant toujours cultivé Tart des affiches' hiéroglyphiques , s'en fervoient dans les c tcafions comme d'une langue univerfelle : ils lui furent d'une grande utüité dans le cours de cette  des Colporteurs. 357 'dernicre expédition, n'y ayant rien qu'ils ne vinffent a bout de faire en tendre aux Barbares par ces fortes d'affiches. L'ainé de ces deux Collati mourut de douleur a Ctéfyphonte, le même jour que Trajan ; & le cadet, qui étoit tout dévoué a Plotine, lui remit en fecret le fceau du bon empereur, qu'il appofa lui-mêrne, par ordre de la princeffe, aux lettres d'adoption antidatées dont elle jugea a propos de gratifier Adrien. Dieu fait de quels bienfaits le nouvel empereuc 1'auroit comblé, fi 1'on n'avoit eu a Rome quelque foupcon fur ces lettres d'adoption! mais la crainte d'augmenter ce foupcon par la préfence du fabricateur même, fit qu'Adrien ne lui permit pas d'y revenir, & que non content de 1'en tenir fi éloigné, il 1'envoya plus loin encore rejoindre fon pauvre frère. Heureufement toute la race des Collat ne périt pas avec lui; 1'amé avoit laiffé a Rome deux fils, qui y furent élevés par un affranchi zélé, & fidele dépofitaire des plus précieux talens de la familie. Avec ce fecours, ils firent a leur tour des étabüflemens affez avantageux. Un enfant de ceux-ci, qui avoit particuliérement hérité du goüt de fes ancétres, le perfectionna par les voyages qu'il entreprit^ Ziij  3jS MÉMOIRES il parcourut d'abord la Grèce avec Paufaniasj & les remarques qu'il lui communiqua, font ce qu'il y a de plus beau dans la defcription que eet auteur nous en a donnée. De-la, ii pafla en Egypte, oü il feroit a fouhaiter qu'il eüt trouvé un compagnon de voyage qui nous eüt tranfmis de méme ce qu'il y recueülit fur les hiéroglyphes, les pyramides , les temples Sc autres monumens linguliers, avec plus d'élégance & d'exactitude qu'il ne Pa été par Ammien Marcellin , a qui fes mémoires furent communiqués par quelqu'un de la familie. Les fieurs commifTaires n'ont rien trouvé dans le furplus des débris hiftoriques & généalogiques échappés a 1'injure des temps, Si produits par Emmanuel Collat , qui les mette en état de juger de la figure qu'ont faite les fuccefleurs de ce dernier CoIIatus pendant le fiècle luiyant; & ils attribuent ce deficit aux troubies qu'excita dans 1'empire römain cette multitude de tyrans qui commencèrent a s'y élever fous le règne de Gallien , & qui s'y perpétuèrent jufqu'a Maxence, Alors ils retrouvèrent un CoIIatus, attaché a Conftantin, qui, après fa viótoire miraculeufe , lui accorda le privilege de travailler feul, lui & fes defcenr dans, a ces enfeignes chrétiennes & rnihtaires ^Gnnues, fous le nom de labarum,  des Colporteurs. 359 Ce fut-la, jufques fous les derniers empereurs grecs, la principale occupation des Collat, qui devenoit tous les jours plus lucrative, paree qu'a mefure que la religion s'étendoit, le labarum, qui, dans les commencemens, n'étoit guère que Penfeigne des cohortes prétorienues, devint peu a peu ceile de prefque toutes les troupes de Pempire; & que les contours, les broderies & les autres ornemens dont ils enrichifToient ces enfeignes ou drapeaux, en faifoient un objet de luxe & de dépenfe, qui, loin de rebuter les Grecs, étoit pour eux ur> nouveau fujet d'émulation , au moindre changement de mode. Les Collat, dont Ie nom paiToit aiors pour ure fynonyme du goüt & de Pintelligence, fe trouvèrent auffi feuls en poffeffion de décorer les dyptiques , & de faire broder ces efpèces de mouches ou de ferviettes, mappce circenfes, avec lefquelles les empereurs ou les confuls donnoient le fignal des jeux ; mais ce qu'ils firent de plus remarquable, & a quoi les gens de lettres gagnèrent autant qu'eux , ce fut 1'ufage qu'ils introduifirent dans la tranfeription des manufcrits : au lieu de les écrire, comme on le faifoit auparavant, fans aucun intervalle, fur des feuilles exaclrément collées les «nes au bout des autres., qui, fe roulant enfuits;  M ï « ot r' ü ^ ville, un rlche domaine, qui fut un des premiers poftes que les infidèles occupèrent & dévaftèrent; deux de fes fils, Bafiïe & Eusèbe, furent tue's fur Ia brèche le jour du terrible affluit qui foumit cette ville ce'lèbre au pouvoir des Turcs ; il y a précife'ment aujourd'hui quatre-vingt-fept ans révölus. Démétrius luimême , dangereufement blefle, voulant regagner fa maifon, oü il avoit laiffé fa femme & le plus jeune de fes enfans avec quelques domeftiques , la trouva déja pille'e, bouleverfée; & fans fa bieffure, qui paroiffoit mortelle, il y auroit été chargé de fers en y arrivant. La feule compaffion qu'infpiroit fon état, lui fauva la vie en ce moment, & les témoignages avantageux qu'on rendit enfuite de fa probité au fultan , lui valurent fa liberté & celle des reftes de fa familie fans aucune raneon. Mahomet II, qui, après le fuccès, fe piquoit d'une certaine grandeur d'ame envers les vaincus dont on lui vantoit le mérite, lui perfnit de paffer en Europe avec Manfredonia Doria, belle-mère de Francois Philelphe, un des plus beaux efprits du fiècle dernier. Ils allèrent donc le joindre a Milan, & pafsèrent enfuite avec lui a Florence, oü Démétrius Collat refta quelque temps , & vendit a Cöme de Médicis fes pierreries, qui, cachées dans un lieu fecret de  ^o"6* M ï M O I S E S plus ardens perfécuteurs, il n'en eft aucuri qui foit décoré de titres auffi refpeftables que celui que je viens dépofer a vos pieds, comme la bafe des prérogatives de Pilluftre fociété oü VÓus daignez m'admettre. Moh age, plus que feptuagénaire, me permet d'y ajouter que je Vois quelques-uns de ces feigneurs-la occuper de grandes maifons, a la porte defquelles leurs grands-pères ont décfotté mes fouliers quand j'allois au collége; ce qui m'a fouvent fait creufer le cerveau pour découvrir fi c'étoit-la3 comme on dit, de fimplés jeux de la fortune, oü s'il y avoit quelque caufe réelle de cette élévation fubite des uns & de 1'abaiffement précipité des autres ; & je me fuis enfin convaincu de Ia raifon fondamentale du proverbe t, il n'y a point de bonheur pour les honnêtes gens. C'eft que la probité engourdit fon monde , Ie rend fcrüpuleux, modefte, timide, indolent, tandis que Ia misère effrontée, toujours a 1'affüt du gairt, légitime ou non , fe préfente hardiment par-tout^ enfonce les portes qu'elle ne peut ouvrir^ & ne fe fait faute de rien. Si j'étois plus jeune, je pourrois faire ufage de cette découverte , & fi j'avois des enfans, je pourrois leur en infpirer le courage; mais mes réflexions & toute ma morale font aujourd'hui en pure perte: il vaut donc mieux reprendre le fil de notre biftoire ,  bis Colporteurs. %'6f que les favans du fiècle de Frangois I ont laiffée amon trifayeul Emmanuel Collat. Tout ce que j'en fais de plus , c'eft qu'il mourut le jour même de la Saint-Barthelemi 1572, & qu'on eut beaucoup de peine a le faire enterrer, p-rce qu'on ne croyoit pas que ce jour-la perfonne mourut de fa belle mort. Son fils unique, The'ophrafte Collat, mon bifayeul, avoit été deftinéaun métier fort différent de celui de fon père; mais fon étoile 1'y ramena» On vouloit le pouffer au palais, & pour Ie former aux affaires , on l'avoit mis dans 1'étude de M. le Clerc, quil'aimatendrement, de même que fa femme; mais ce M. le Clerc, qui prit enfuite Ie. nom de Bufti, fous lequel il s'eft rendu fameux dans notre hiftoire, paffa fubitement de la robe a 1'épée; & de procureur au parlement, il en devint le geolier,l'ayant conduit en perfonne alabaftille, dont la ligue lui avoit confié la garde. II voulut que Théophrafte Collat 1'accompagnat dans cette expédition, après Iaquelle il le préfenta comme un héros du fecond ordre au cardinal Pellévé, au duc de Guife Sc a toute la fa&ion des Seize, qui lui firent un état convenable, & qui, pendant le fiége de Paris, 1'établirent afficheur Sc courier en chef de la fainte-union , dans toute 1'étendue de la ville & des fauxbourgs. Cet em. ploi tomba avec la ligue, & femployé en fut pour fes appointemens échus.  3 £8 MÉMOIRES Ce Théoph'-afte avoit eu un grand nórnbrë d'enfans , prefque tous mörts eiï bas age , a 1'exception de deux garcöns, dont 1'aïné, plein des récits qu'il avoit fi fouvent eritendn faird de 1'opujenee de fes snré'tres a Coriftantinóple , réfolut d'y aller , & de pénétrer, .s'il étoit pof-* iïb1e s dans 1a bibliothèque des Paléologues, oui cto;ent ces beaux manufcrïts grecs, décorés dè la rriaift des Collat. On préterid qu'il y parvint, & qu'il n'y trouva que de la cendre encore ch ude , paree qr'ii n'y avoit que trois femainesj au plus , qu'Amurar IV, dans un ac* ces de dévotión roulülmane, les avoit fait tous brüler; mais que^ foit qu'il s'en repenfK, foit qu'il fut bien aife de L'fier toujours eet appat a la curioiité des chrétiens, il ne vouloit pas que le brult s'en répanuït. On aioute que le fultan 4 biformé de 1'cntreprife de notre jeune témé— raire, !e fit palief par les oubliettes pratiquées da un des eabinets de cette méme bibliothèque. Ce qui tft vrai, c'eft que jamais on n'a pu1 avoir de fes nouvelles, ni par les voyageurs, ni par les négöcians, ni par les ambaffadeurs, fii par les capucins ,• ni p-.r 'es pères de la Merci. Pareet événement, la familie fe' trtfuva réduite » Polycai pe C ollat, mon grand-père, qui fe dé :fvice de la fronde, comme fon père l'avoit été a celui de la ligue: il avoit faie  des Colporteurs. $ésj feit fes claiTes avec un M. Bachaumont, jeune confeiller, furnommé le parrain de la frondet paree qu'il avoit fait Ie mot, & s'en étoit fervi plufieurs fois en frondant 1'avis de fon propre père dans une affemblée des chambres. II étoit auffi extrémement Hé avec Scaron , Mézeray & quelques autres efprits cauftiques qui travailJoient fous cape aux pièces les plus féditieufes qu'on lachoit contre la cour & fes miniftres ; c'eft ce que nos curieux appellent aujourd'huï des Mazar'mades ■$ elles pleuvoient a foifon , il en paroiffbit tous les jours de nouvelles ; &, pour les avoir de la première main , il falloit les tenir de Polycarpe Collat, qu'on nommoit avec d'autant plus de raifon , le père aux bro^ chures, qu'il avoit d'ailleurs cinq ou fix jeunes filles qui n'étoient pas les pièces les moins pb> quantes du magafim L'aïnée de ces filles, mademoifelle Collette, étoit auffi eftimée pour la gentilleffe de fon efprit que pour celle de fa figure ; elle gravoit fort proprement, & s'entretenoit de même du feul produit d'une efpèce d'almanach qu'elle avoit inventé, & qui, légérement tracé fur des tablettes dJivoire , contenoit prefque tout ce qu'on pouvoit defirer d'utile ou de curieux pour le commerce ordinaire de la vie, dans la courant de 1'année. M. le coadjuteur, depuis Tome X, A a  afjo Mémoires cardinal de Retz, a qui elle avoit coutume d'en donner un tous les ans pour fes étrennes, Ia maria a un de fes fecrétaires, qu'il fit fon intendant en faveur de ce mariag-e : ce petit monfieur, quoiqu'avec une affez baffe mine, ne manquoit pas d'efprit ; il fe nommoit Jacques Colomb, prétendoit defcendre du céièbre Chriftophe Colomb, & en recueiilir un jour toute - la fucceffion, fi trois aütres branches feulement, qui n'avoient fur lui que Pavantage d'un degré, venoient a manquer ; d'autres gens plus au fait, fans doute, que je ne le fuis des généalogies, n'en croyoient rien & le foupconnoient d'être juif, paree qu'il aimoit beaucoup Phé* breu , & le lifoit tout courant , même fans points. Quoi qu'il en foit, M. Colomb & mademoifelle Collat jouirent du fort le plus heureux, jufqu'au moment oü la fronde abbatue & diffipée forca fon éminence a déguerpir & a retrancher inhumainement fon train & fes amours. Toute autre que notre héroïne auroit été confondue par un revers fi peu attendu; il n'y parut pas ; elle fe remit tranquillement a fes petits almanachs, dont 1'interruption n'avoit fait qu'augmenter le defir, & k qui la circonftance du renouvellement donna une telle vogue , que toute la librairie en rumeur fondit  DES COLEO.ETÏUSS. 57? epoufa un M. 1'Afichard du Mans, & que fes talens & fes fuccès fe font perpétués dans toute fa progéniture par la feule force du fang. L'autre, qui étoit filleule du célèbre M. Ducange, avoit appris de lui & l'avoit enfuite aidé lui-méme a déchiffrer les vieux parchemins enfumés & grefillés dont il faifoit continuellement ufage ; il avoit voulu lui faire époufer le fils de fon libraire , mais ne pouvant fe réfoudre a s'appeller madame Moètte., elle le refufa féchement, & lui préféra un M. Pancartiers receveur de 1'abbaye de Tiron en Beauce. J'en avois une quatrième avec qui j'ai longtemps vécu , paree que, n'ayant jamais voulu fe marier, elle étoit toujours reftée avec feu Gabriel Collat mon père , que Dieu abfolve; prenant foin de fa maifon, de fes enfans, & te foulageant beaucoup dans fes différentas occupations; elle s'appelloit Barbe Collat, & par une plaifanterie qu'elle fouffroit volontiers., Barba-calLe. Son efprit,. quoique gai & amufant, étoit naturellement porté aux mécha.niques ; elle avoit entr'autres invenlé & exécuté deux fortes d'échelles brifées très-fingulières, toutes deux folides..& légères, &. de fi peu de volume, qu'elle les portoit fous le, bras,, dans un fac a ouvrage. L'une de ces échelies étoit Aa üj  374 Mémoires une efpèce de zigzag affez femblable a ceux dont les écoiiers fe fervent pour des malices de carnaval: les deux extrémités de ce zigzag étoient plates; &, en mettant au bout de chacune une affiche enduite de colle au revers, elles fe plaquoient toutes feules comme deux tableaux en pendant a 1'endroit oü elles étoient dirigées: l'autre étoit une échelle de fangle a reffort, qui s'éievoit & s'abaiffoit en un inftant comme nos meilleurs ftores; & avec cette échelle elle pofoit & affichoit en un clin d'ceil tout ce qu'on vouloit, jufqu'a la hauteur d'un fecond étage. Elle nous en donnoit quelquefois le plaifir; & ce qui 1'augmentoit beaucoup, c'eft que de deffus le dernier échelon, elle chantoit & dan foit aufli librement qu'elle auroit fait dans fa chambre, avec cette circonftance que par un feul pli de cotillon artiftement ménagé , elle ne donnoit pas la moindre prife aux curieux, qui fe tenoient au pied de lechelle fous prétexte de 1'affurer. J'ai peu de chofe a vous dire de mon pauvre père ; il étoit connu de la plupart de meffieurs. vos anciens pour la meilleure pate d'homme qui fut au monde, Ie plus aifé a tromper, & qui fe trompoit lui-même tout le premier; j'étois fa belle paflïon , il m'avoit fait étudierCQmme pour être imprimeur, & tous les  des Colporteurs. 375* premiers jours du mois il faifoit ferment de s'e'pargner le plus qu'il lui feroit poffible , pour fubvenir aux frais de mon éducation. Pendant les huit premiers jours, il fe privoit quelquefois du plus nécelTaire , & regardoit avec complaifance le fruit de fon épargne ; mais elle n'aüoit jamais jufqu'au quinze , que perfuadé qu'il y en avoit affez pour lui & pour moi, il commencoit a en retrancher quelque chofe ;. & que, s'oubliant peu a peu, il n'y lailïbit rien.. Alors il pleuroit comme un veau, ne parloit pas moins que de s'aller noyer, & 1'auroit peut-être fait réellement, fi ma bonne tante , qui amafToit avec plus d'art & de conftance , & qui lui püloit fon propre magot quand il étoit hors d'état de s'en appercevoir, n'eüt lait femblant d'emprunter a fes amis pour nous tirer d'affaire. Sa petite curiofité confiftoit principalement dans un ample recueil de billets d'enterremens qui remontoient bien au-dela du fiècle; il lui en manquoit peu, paree qu'il travailloit pour les jurés crieurs , & qu'il étoit continuellement a leur bureau. Par le moyen de ces billets , des notes, & quelquefois des pièces originales qui sy trouvoient jointes , on voyoit 1'extinction totale ou raccroiffement prodïgieux de diverfes families, foit. dans la perfonne , dans, Aa iv.  375 MÉMOIRES les biens ou dans les titres : on y trouvok auffi la preuve de quantité d'hommes nouveaux intrus dans les plus anciennes , & qui, par 1'acquifition de leurs terres patrimoniales, en avoient ufurpé le nom & les armes, qu'ils foutenoient plus par leur opulence que par leurs fentiroens. Un magiftrat du premier ordre, qui étoit dans le cas, fit intenter contre lui, par un de fes émiffaires , une accufation grave & capitale , qui, a la vérité, n'avoit aucun fondement, mais fous le prétexte de laquelle s'étant commis lui-mêrne a la vifite & defcente qu'on devoit faire chez 1'accufé , il y examina ce recueil tout k fon aife, & en brüla ce qui lui convint; après quoi il ne fut plus parlé du procés que comme d'un fimple q.uiproquo. Cependant mon pauvre père, inconfolable & toujours occupé de cette décoïffiture, tomba dans une langueur contre laquelie échouèrcnt tous les remèdes de la faculté 5 il mourut en quelque forte fur la brèche de fipn recueil, & moi je vendis le refte a 1'épicier du coin dans les premiers momens de k douleur que fa mort me caufa. J'avois un objet tout différent, & bien plus utile pour mon commerce ; c'étoit de donner taus les mois une lifte générale & raifonnée de tout ce qui s'affichoit dans le royaume^ Sc  bes Colporteurs. 577 même dans les pays étrangers, oü j'entreteno's expres des correfpondances : mais il faut rapporter la gloire du projet a fon véritable auteur, vous 1'avez tous cotinu , un M. du Góne, qui avoit paffe foixante-dix ans de fuite dans la grande falie ou dans la buvette du palais ; homme grand & fee, qui, avec fa tête chargée de douze cheveux blancs comme neige & précifément de la longueur d'une aune, étoit le portrait de 1'hiver le plus reffemblant qu'on ait jamais vu : il ne différoit, me difoit-il, 1'exécution de fon projet des affiches , que paree qu'il vouloit le commencer par le titre de vingt-cinq ou treqte de fes ouvrages choifis fur une centaine qu'il comptoit faire imprimer en moins de fix mois. Le pauvre homme mourut a la peine a 1'age de cent ans , fans en avoir laiffé deux lignes. Quand je me vis déchu des efpérances qu'il m'avoit données , & libre des égards que je croyois lui devoir , je repris mon premier plan fur lequel nous n'avions jamais été d'accord. Je mettois a la tête de l'ouvrage une biftoire des affiches, qü le procés verbal des illuftres commifTaires du règne de Francois I, que je viens de vous communiquer, ne figuroit pas mal; je difpofois le refte , c'eft-a-dire , le fonds du recueil, non fervilement §c fuivaat  37^ Mémoires les dates ou la grandeur des affiches, mais par ordre des matières toujours également remplies; paree que, quand il arrivoit que quefqu'une ne fourniffoit pas affez, j'y fupple'ois par des articles de ma fagon , capables d'amufer, & fouvent propres a donner des vues utiles: vous en jugerez par 1'échantillon que vous en trouvez joint a ce me'moire. Enfin, j'e'tois fort content de moi, quand le diable, qui ne dort jamais, me joua le tour fanglant qui depuis dix ans me retient dans fes patés crochues, Un foir que je rentrois chez moi , d'oü je ne faifois que de fortir, je trouvai un jeune homme qui m'attendoit, difoit-il, depuis plus de deux heures; il étoit bien mis , d'une figure affez aimable, & d'un air plein de candeur. Lui ayant demandé ce qu'il fouhaitoit de mon miniftère, il ne me répondit d'abord que par un torrent de larmes , qui s'arrêta enfin pour faire place a ces mots entre-coupés: « Vous voyez un honnête homme accablé de la plus vive douleur, outré de la perfidie d'une femme que j'aimois, & que peut-être j'aime encore a la folie, d'une femme que j'ai comblée de biens, & qui, fans aucun fujet,a profité d'une abfence de trois jours, que j'ai été obligé de paffer a la campagne chez mes  des Colporteurs. 379 parens , pour déménager , difparoitre , & fe jeter entre les bras d'un malheureux qui fera le premier a 1'abandonner quand il lui aura mangé tout ce qu'elle m'emporte. « La recommence la debacle des pleurs le to.rent paffe par-deffus toutes les digues, & n'efpérant pas d'en fufpendre fi-töt le cours, je prends le parti du filence, & la patience du payfan qui n'avoit jamais vu de rivière ; je n'attends pas tout-a-fait fi long-temps; le pauvre enfant fe calme & pourfuit ainfi : « J'ai recours a vous, mon cher monfieur; je fais, pour 1'avoir ouï dire a plufieurs libraires qui me fourniffent des livres, que perfonne ne pofsède 1'art des affiches au point que vous le poffédcz , qu'ils vous confukent fouvent, & qu'ils s'en trouvent toujours bien. Or, j'ai pcnfé que fi vous m'en faifiez une qui expliquat allégoriquement & bien pathétiquement mon hiftoire , c'eft-a-dire mon infortune, & les dangers oü s'expofe, fans le favoir, 1'infidelle que je pleure, il arriveroit de deux chofes 1'une , ou que j'acheverois de la mettre dans fon tort, de manière qu'eiie n'auroit jamais de reprochc a me faire, ou, ce qui me flatteroit bien plus , que je lui deffillerois les yeux, & qu'elle reviendroit a moi pleine d'un repentir qui feroit le plus fur gage de fa tendreffe &c  580 MÉMOIRES de fa fidélité. Mettez Ie prix qu'il vous plaira a ce que je vous demande, je ne le trouveraSpoint trop fort; je vous ouvre, fans réferve, mon cceur & ma bourfe, & je croirai toujours ma reconnoiiTance au-deflbus du bienfait. » Une paffion fi bien exprimée fe communiqué aifément; j'entrai dans fa peine, je faifis fon idee , je lui promis de la mettre dans. un beau jour , & que le lendemain il en verrok une bonne efquiffe. « Qu'entends -je ? s'écriat-il, demain, une efquiffe? Quoi ! ne fauriezvous, par pitié & au prix de 1'or, me facrifier cette nuit; nous la paiTerons enfemble, je vous aiderai, & tout fera fini avant le jour. 3» Je vois bien , lui répliquai-je , que vous ne dormez guère, & que vous ne demandez qu'a travailler toute la nuit ; moi je fuis tout le contraire ; il faut que je dorme, fans quoi la plume, les outils, tout me tombe des mains ; ce que vous n'étes pas content d'avoir en ua jour, vous 1'attendriez huit, & n'auriez rien qui vaille ; il ne s'agit, quant a préfent, que de me donner les éclairciiTemens dont j'ai befoin pour mieux défigner la perfonne. II ne fe le fit pas dire deux fois; &, fans me donner la peine de le queftionner, il ne me laiffa rien ignorer fur Ia taille, la figure, fage, 1'encolure & le poil de la béte Qu'il me détail-  l>fcs Colporteurs. 3S1 löït voluptueufement les particularités les plus fecVéttes de leür union ! mais il revenott fi fouvent a la charge fur le même objet, qu'entendant fonner minüit, je le mis a ia porte, en lui difant: adieu , monfieur, j'en fais plus qu'il ne faut; Apelle n'aura pas mieux pëint la belle grecque qu'Alexandre lui céda. Je fongeai toute la nuit k cette affiche fingulière , & je commeneois a peine a m'endormir quand je fus réveille par les coups qu'on frappoit a ma porte ; c'étoit mon amoureux qui, pour s'excufer, me dit qu'il avoit pris le parti de venir de grand matin & de ne s'en retourner que le foir pour n'être pas reconnu dans le quartier. Vous ne ferez que m'embarraffer, lui dis-je ; allez-vous-en , fi vous n'aimez mieux refter ici fous la clef dans une chambre au-deflus de la mienne, paree que fi vous m'interrompiez le moins du monde, je quitterois tout. Il y confentit, & je compofai mon affiche malgré fes piétinemens continuels, qui m'étourdifibient autant que fi je l'avois eu k mes cötés. Enfin , j'allai le délivrer, plus défait & plus pale que la mort; mais il reprit couleur en lifant cette affiche fi impatiemmeöt attendue; elle ayoit pour titre:  382 Mémoires CENT LOUIS A GAGNERj CHIENNE PERDUE. Rien d'elfentiel n'y avoit été oublié; i! n'y trouva que deux mots a ajouter, & je !es ajoutai par pure complaifance. Je favois difpofée de manière que chaque article du fignalement te* hoit une ligne jufte, & que chaque ligne commencant par une grande lettre, ces grandes lettres formoient enfemble par acroftiche le hom chéri qui fautoit aux yeüx. Je 1'imprimaï avec des caractères a jour; & au milieu de la nuit fuivante j'allai, avec le zigzag de ma bonne tante Barba- colle, en planter fix exemplaires au-delfous, au-deffus & a cöté des fenêtres du nouvel appartement qu'il avoit fu qu'occupoit la dame fugitive, autant a fa porte, autant a celle de fon nouvel amant, & deux a celles de leurs amis communs. L'affiche fit grand bruit, je m'y attendois; mais ce a quoi je ne m'attendois point, c'eft qu'elle eut le fuccès que Richard Minutolo en avoit efpéré. Dans les vingt-quatre heures, il fut parlé de raccommodement, & ia doguine rejoignit fon roquet, qui * le lendemain fur le midi, vint me faire part de fa joie & m'apporter cinquante piftoles de gratification par-  ee's Colporteurs. 38$ deffus les cent qu'il m'avoit données la furveille. Il n'eut garde de me dire que dans les tranfports de ce raccommodement, il avoit eu la foibleffe de révéler tout !e hiyftère de faffiche; il me dit feulement qu'il donnoit a la reconnoiffance le premier moment dont il- avoit pu difpofer; que la dame avoit abfolument voulu aller a la meffe, & faire en quelque forte une abjuration folemnelle de fon erreur. La chienne qu'elle étoit ! elle ne fongeoit a rien moins : elle avoit pris ce prétexte pour aller trouver le premier magiftrat de la police, qu'elle connoiflbit & qui la lorgnoit depuis long-temps» Après lui avoir conté fon hiftoire, & lui avoir donné les plus grandes efpérances, s'il la vengeoit de moi d'une manière qui marquat le prix qu'il mettoit a 1'honneür de fes bonnes graces, leur marché fut bientót conclu ; il fe feroit engagé a me faire pendre, fi elle l'avoit demandé. Ce jour-la même, entre chien & loup, je fus enlevé a quatre pas du logis par des alguafils, qui me jetèrent dans un fiacre & me menèrent a la bafHIle , oü en arrivant on me mit dans un cul-de-baffe-foffe au pain & a 1'eau. Je n'afpirois qu'au moment d'être interrogé, & je ne le fus qu'au bout de trois jours : mort interrogatoire fut préeédé d'une efpèce de fer-  des Colporteurs. 3S7 fort convenable pour la retraite d'une dame de bien qui a e'té beaucoup du monde , ou pour fervir de maifon de campagne a quelque prélat entre deux ages; il n'y a point de rue fur elle, & on voit de la falie a manger le clocher de Sainte-Geneviève , le dóme de Ia Sorbonne & 1 eglife de Saint-Médard. Outre la porte d'entrée , fur laquelle eft un faint Michel, il y en a deux qu'on appercoit a peine, & qui peuvent être d'une grande commodité. L'une eft tout joignant le féminaire des Anglois, & tient a une porte de communication de laquelle quelques féminariftes ont 1'ufage. L'autre, qui donne dans la rue du Puits-quiparle , eft placée vis-a-vis une maifon d'éducation pour de jeunes brodeufes , tenue par mademoifelle de la Croix, perfonne d'une con duite exemplaire ; & c'eft a elle qu'il faut s'adreffer pour voir le pavillon en queftion. AVIS. Lanternes a 1'ufage des dames pour fe guïder dans la nuit. II ne faut qu'en prendre une de chaque main , & 1'on eft sur de ne s'égarer jamais. Cette découverte eft de 1'invention d'une demoifelle de Saverne, qui a eu Ia gé- B b ij  |8S Mémoires néfofité de ne point demander de privilege exclulif. Poudre fympatique a 1'ufage des tuteurs, des jeunes demoifelles & des maris jaloux. Tel en eft 1'admirable effet : mettez-en feulement une pincée imperceptible fur 1'orteil du piedgauche de la demoifelle en queftion , quand ce feroit par-deffus fa mule; prenez-en pareüfe quantité que vous placerez fous la jointure de votre genoux droit. Auffi-tót s fulftez-vous éloigné de deux, quatre , jufqua dix lieues , ( mais la vertu ne vous fuit pas plus loin ) vous ferez averti, affecté, remué, faifi de toutes les idéés, pafïions , mouvemens, joie, inquiétude , qui fe paffent fucceffivement dans la perfonne qui vous intéreffe; fi elle chante, vous préluderez malgré vous; fi elle danfe, vous fauterez; fi elle fe moque de quelqu'un , vous vous fentirez donner des camouflets; fi elle eft bien aife, vous rirez en enrageant; fi elle mange, boit, & par hafard s'enivre, vous macherez a vuide, & vous ne pourrez vous tenir fur vos jambes ; fi elle prend médecine, vous n'en aurez que faire. Enfin, vous ferez inftruit exa&ement de toute fa conduite; & ce qui eft plus merveilleux encore , c'eft que iorfqüelle vous fera infidclité, vous courrez les champs, & vous  des Colporteurs. 385? ne direz que des extravagances jufqu'a temps qu'elle revienne a vous aimer; fecret admirable pour n'être jamais dupe & ne pas mourir de gras fondu ! PRIVILEGE EXCLUSIE. Une feringue a Vufage des pzrfonms exadement modefes. Elle eft fufceptible d'extenfion , & fe plie de manière que d'une chambre a l'autre on peut infinuer un clyflère a une perfonne qui ne voit pas. La canule, par un effet fympathique , va , d'eiie-même , fe pikeer , avec un ménagement & une aménité très-confolante , au lieu de fa defti nation. Vn mdirre-ès-ares , né en Auvergne & agé de vingt-deux ans , a découvert une méthode trés -étendue & très-facile pour enfeigner les humanités au fils d'une jeune veuve , ou au neveu d'une jeune demoifelle qui a renonce au mariage. II va donner fes lecons de deux jours 1'un, & a des heures réglées , depuis huit du matin jufques a quatre de 1'après-diné. II ne prend que fix francs par cachet; on peut B b iij  3S.Q M é m o i r e s prendre deux legons de fuite, en donnant un cachet de plus. VENTES OU INVENTAÏRES. Vente de plufieurs meubles, bijoux précleux & curiofite's, après le de'cès d'une dame de qualité, qui eft morte de confomption. i°. Le carroffe de la maréchale de Clérambaud, en très-bon état, quoique la dame,quï vient de mourir , s'y promenat fept fois Ia femaine , mais toujours la nuit, pour 1'empêcher d'être glté par 1'ardeur du foleil. 2°. Un cornambule, animal qui reffemble a 1'homme , a s'y tromper, & qu'on a confervé parfaitement dans de 1'efprit de vin. 3°. Deux tableaux mouvans, dont le premier repréfente le fonge de la maréchale de Rochefort; & Ie fecond , le rhumatifme de madame Voiiin. On y trouvera encore d'autres curiofités dignes d'attirer les perfonnes de la cour. MÉLANGES. Réfeexions fur la beauté, oü 1'on examina quelle eft ia raifon de la préférence quoa  des Colporteurs. 391 donne aux beaux vifages ovales fur les beaux vifages ronds , & les avantages réciproques de ces deux figures dans le corps humain ; par un feigneur allemand, qui a beaucoup voyagé. Dissertation fur 1'origine des allumettes, oü 1'on traite la queftion de favoir fi celles des anciens étoient comme les notres, foufrées par les deux bouts ; pour fervir de fupplément a 1'Hiitoire ancienne de M. R * * *. Traité des fcrupules qui fe lèvent le foir, & des paranthèfes qui fe ferment le matin; ouvrage pofthume de madame Jacques, 1'évantaillifte, Discours tendant a prouver que le bas monde n'eft plein que de trompeurs, de trompés & de trompettes; traduit de 1'italien de Francefco Maria Rotolato di Volaterra. Le plaifant & délectable jeu de 1'oye, renouvellé des Grecs , & repréfenté en figures de ronde boffe tournantes. Par Jea'n Brocbe le cadet, rótiffeur de la rue aux Ours. Observations grammaticales fur une eonfultation de M. Sylva pour une jeune dam* Bb iv  -55>2 Mémoires des Colporteurs. qui s'étoit démis le croupion la première nuit de fes noces; par 1'auteur des Synonymes de la langue francoife. Mémoire pour un monfieur qui n'y eft pas, contre une dame qui prétend qu'il y eft. Fin des Mémoires des Colporteurs,  LES ETRENNES DE LA SAINT-JEAN.   LES ETRENNES D E LA SAINT-JEAN. JPour répondre aux bontés avec lefquelles le public répond aux foins que je me donne , je lui préfente eet ouvrage , qui renferme prefque tous les morceaux connus dans la littérature. Si celui-ci prend bien, je donnerai inceffamment un fecond ouvrage , oü 1'on trouvera ceux qui ne font point dans ce préfent volume ; comme des obfervations du Pour & du Contre, quelques Glaneurs & autres morceaux a la mode.  3$6 Les Etrennes L' É D ï T E ü R AU PUBLIC, C^uand fon exarrune la vie du monde, 1'ofj trouve toujours que le fage a eu grande raifon de dire qu'il falloit travailler : en effet, qu'eft-ce qu'un homme qui ne fait oeuvre de fes dix doigts ? C'eft un faine'ant que perfonne ne regarde, a moins que ce ne foit pour en battre la monterde & fe moquer de lui, ou plutöt pour le regarder avec mépris. Nul, que je fache, ou du moins fort peu de gens n'aiment a être regardés de cette manière , & ne foutiennent point, la fainéantife; quand bien même ils auroient de quoi mettre fous la dent. Je fais très-bien que notre bonne mère la Nature eft maratre pour d'aucuns, & que tous fes enfans ne peuvent pas avoir le même talent; mais comme dans une familie qui feroit de douze enfans grouillans, il n'y en a point ^ui meure de faim, & qui pour fa réfeóüon  de la Saint-Jean. 397 n'ait du moins du pain & de 1'eau, il en eft affurément de méme dans la vie de ce monde; comme, par exemple, il arrivé en ce préfent petit recueil que je vous préfente, ami leêteur, car n'étant pas affez fort pour imaginer, nï vous donner des chofes de mon cru; ce qui, Dieu aidant, ne manquera pas de me fuccéder avec , la peine & la fatigue que je me donne ; en attendant, je raffemble avec foin des morceaux qui feroient perdus fans les foins que je me donne; & lorfque j'en ai une quantité fuffifante, je m'en accommode avec un honnête libraire. Ainfi vivant avec loyauté^ quoique petitement, je conferve a la poftérité des chofes qui, fans moi, ne feroient jamais plus rencontrées, & qui méritent cependant quelque confidération; car fi 1'on a raffemblé ce qui regarde la politeffe, ce qui concerns 1'écriture des lettres, la facon de faire des complimens, 8c mille autres chofes fort utiles pour fe bien gouverner, 1'on doit auffi conferver ce qui a fervi pour des bouquets & pour des plaifirs innocens 8c gracieux, quife trouvent mêlés dans les devoirs de la vie du monde;  3p8 Les Etrennes on en a befoin très-fouvent jufqu'a. Ia plus grande vieilleffe; car c'eft fort bien fait d'être toujours galant. Voici donc tout le fruit de mes dernières recherches , compofé de chofes qui n'ont point encore paru fous la preffe ; & je vous en fais préfent, ami le&eur, pour en tirer votre profit en temps & lieu, & fuivant 1'occafion. Adieu.  BE LA SAINT-JEAK. 395» IVIoNSiEUR P..., toujours magnifique, & fachant profiter de toutes les occafions qui fe préfentent pour régaler fes amis, en rafTembla chez lui un grand nombre le jour de la SaintMartin. La compagnie fe rendit de bonne heure au rendez-vous ; & M. P...., qui fait parfaitement bien fon monde, avoit raffemblé beaucoup de tables pour les faire quadriller. II fit enfuite fervir un repas, dont le détail pourra fervir d'inftruótion a ceux qui fe trouveront avoir la même générofité. II donna d'abord une grande fricaffée de poulets avec une belle tourte de pigeonnaux, un cochon de lait, & le dindon confacré a ce jour étoit accompagné d'une grande falade, Pour entremets, (carM. P... n'oublia rien ) on fervit chacun fa moitié de pied k la Sainte-Menehoult, avec des ceufs dans le jus du gigot. Le tout fut remplacé par des fruits d'hiver de fon beau jardin de la Courtille, & du fromage. Le vin a quinze y fut abondamment fervi; & tout le monde , après avoir été traité k bouche que veux-tu, s'en alla pénétré des manières honnêtes de M. P...; c'eft ainfi qu'il faut toujours regaler fes amis & fes connoifiances.  400 Les Etrennes Pour entretenir les bons ufages établis dans le beau monde, pour fe récréer , plufieurs demoifelles qui logeoient autour de la Grève, & dont la promenade étoit fur le Port-au - bied, ayant trouvé que le jeune F s'en faifoit trop accroire pour un clerc; en un mot, qu'il faifoit le fendant, réfolurent, pour le punir, de lui faire tenir ce billet par un laquais du public, ordinairement dit un favoyard. « Le quartier eft trop médifant pour que « je puifie vous y parler; trouvez-vous, beau *> F..., demain a dix heures du matin dans » un fiacre, auprès du cerceau d'or, dans la « rue de Vaugirard ; je m'y rendrai ; & j'ai « lieu de croire que vous ne ferez pas faché » de m'y rencontrer. » F.... ne manqua pas de fe trouver au rendez-vous une heure plutöt qu'on ne lui avoit mandé; & fur les deux heures après midi, n'ayant encore vu perfonne, il fe reffouvint qu'il étoit le premier jour d'avril. II en fut pour fon fiacre, & revint tout honteux chez lui, fans ofer convenir qu'il n'avoit pas dïné, de peur d'attirer Ia rifée ; mais les plaifanteries du quartier furent fi fortes , que ne les pouvant foutenir, il prit parti avec un capi- taine  DE LA SAINT-JEAN. 4OI taine. Cet exemple nous apprend qu'il ne faut jamais avoir de la fierté mal p'acée. \J N jeune praticien fentoit depuis longtemps 1'aiguillon de 1'Amour pour mademoiRofette, fille d'un procureur , chez qui il alloit apprendre 1'art lucratif de la chicane; il foupiroit par refpect, fans ofer lui avouer fon amour. Il avoit fouvent jeté des ceillades, ferré le bout des doigts, marché fur le pied, mais inutilement; la merveilleufe Rofette tournoit la tête, retiroit' fes doigts brufquement , répondoit par un coup de pied, & ne vouloit rien entendre. Enfin, notre amoureux, n'y pouvant plus tenir, réfolut de fe déclarer, & imagina, pour cet effet, le tour que vous allez voir. II prend un papier de la forme du papier timbré, y tracé au haut un cartouche femblable au vrai timbre, & y deffine dans le milieu trois rofes , avec ces mots alentour: petit papier, deux balfers la feuille ; puis imitant 1'écriture de fergent, il écrivit au-deffous ce qui s'enfuit : " L'an de fidélité mil fept cent trente35 fept, le feptième du mois des amours , a la » requéte de Jérémie Tircis, tendre & refpec» tueux amant, lequel a élu fon domiciie rue Tomé X, C c  4©2 Les Etrennes 35 de la Fidélité, a 1'hötel de 1'Efpérance; j'ai, 33 Euftache Clitandre, huiilier a verges, imma33 triculé en la cour fouveraine de Cupidon, " demeurant rue des Bonnes Nouvelles, prés 33 la grande Pinte , fouffigné , donné affigna33 tion a damoifelle Agnès Rofette , fille miss neure, demeurante chez Me Boniface Clopin 33 fon père, procureur, rue des Mauvaifes Pass roles , en parlant a fon petit frère , qui n'a 33 voulu dire fon nom , de ce interpellé, fuivant 33 fordonnance ; a comparoir d'hui a huitaine 3, par-devant le fufdit monfeigneur Cupidon, 33 pour voir déclarer bonne & valable la paf>3 fion dudit Jérémie Tircis pour ladite char33 mante Rofette , & fe voir condamner a. » 1'écouter favorablement; &, en cas derefus, 33 a y être contrainte par toutes voies dues & »3 raifonnables, même par corps ; lui declarant 33 qu'en cas de procédure , Me le Lièvre occu33 pera pour ledit Tircis , & lui ai laiffé copie s> des préfentes, a ce qu'elle n'en ignore. 33 Clitandke. 3, Controle a Cythère tan & jour que dejjus , BONTE MP S\ On prétend que ce petit ouvrage réulfit pleinement; car Rofette, qui vifoit a 1'efprit,  DE LA S A I X T - J E A Sr. 4.03 porta cette pièce a fa mère, qui en fut charmée, ainfi que toutes fes voifines, Tircis fut bien recu , on lui fit fète ; tout le monde le voulut voir , lui & fon aifignation; & on fa regardée long-temps , dans le Marais , comme un chef-d'ceuvre digne de la carte du Tendre. C'eft fur une de ces copies fidelles que 1'on a tiré celle-ci, pour vous en faire part, ami lecteur, efpérant que vous en ferez le cas qu'elle mérite, & que vous lui rendrez juftice. Lettre perfanne d'un monfieur de Paris a. un gehtilhomme turc de fes amis. Monfieur & très-cher, par 1'honneur de Ia vötre, j'ai appris ce que vous me faites la civilité de me mander, dont j'ai 1'honneur de vous remercier ; car il eft toujours gracieux d'être inftruit de nouvelles pour un quelqu'un qui va fouvent en compagnie. Votre nouveau vifir me paroït un fort joli homme, & il ne i'entend. pas trop mal : je m'étois bien douté ( car je fais un peu 1'allure ) que les femmes 1'avoient porté, car c'eft tout de même chez nous ; elles pouffent leurs amis tant qu'elles peuvent, & finalement il'n'y a rien de meilleur que d'être favorifé du beau fexe : je prends la liberté de dire cela, en paftant, a vous qui C c ij  404 l ê s Etrennes êtes un feigneur des plus accomplis, & qui ne tombe pas dans beaucoup d'inconvénlens fort communs chez vous comme ailleurs, 8c partout. Par exemple, nous fommes ici en carême, c'eft comme qui diroit parmafan chez vous ; cela a fait un cas dont voici 1'occafion : Une jeune perfonne de bonne maifon, dont le mari étoit maitre-d'hötel chez un fous-fermier, avoit, depuis quelque temps, concu la plus violente paftiön pour le fils d'un chaïrcuitier, c'eft a peu prés comme qui diroit chez vous un marchand de cochon ; le jeune homme avoit accoutumé quelquefois fouvent de porter, en allant donner fon mémoire pour compte, un cervelas par-déffus le marché , qu'il portoit fous fon tablier , & qu'il donnoit en eachette a la femme, qui étoit fort fenfible a ces petites attentions. II y a huit jours que le mari, rentrant chez lui plus matin qua 1'ordinaire, monte a fa chambre ; ce qu'ayant entendu le chaircuitier enfemble & 1'époufe furent fort confternés , dont le mari augurant quelque chofe, demanda fur quoi c'étoit que le monfieur étoit la-haut; lequel, fans fe déférer du tout, repartit : monfieur, j'avois pris la liberté d'apporter a mademoifelle une petite douceur pour fon déjeuner, & tout de fuite defcendit i'efcalier quatre k quatre. Mais la jeune per-  BE la SaiNT-JEAN. 405" fonne, étant hors d'elle-même par fon émotion fecrette : qu'eft-ce que cette petite douceur, dit-il ? Hélas ! dit-elle , c'eft un cervelas. Un cervelas! oü eft-il ? II I'a remporté, ce ditelle, car je n'en ai fait que tater. Un cervelas, re'pondit-il quand on eft pas en charnage ? on m'en repouffë. Vous me pardonnerez, mon fils, répondit-elle alors gracieufement; on en fait pour les perfonnes dégoütées. Cette fauftë monnoie fut prife par le mari pour de 1'argent comptant. II faut conclure de-la que 1'habileté des femmes eft par-tout d'une grande adreffe. L'autre fois que je me donnerai 1'honneur de vous écrire en premier, j'aurai celui de vous faire réponfe. Je vous envoie des écrits nouveaux, fort curieux & intéreffans pour une perfonne de votre mérite , dont j'ai 1'honneur de me dire, en baifant la main, le Reponfe pour le gentilhomme turc , a la lettre perfanne de Paris* ]Monsieur & cher ami, quoique je ne fois pas connu de vous, n'étant point le gentilhomme turc a qui s'adreffe 1'honneur de la Cc iij  408 Les Etrennes fin, il arriva que le jour de fa fête chacun lui apporta des bouquets. Le genr.il voifin y vint aulfi lui fouhalter une bonne fête; mais il y vint les mainsvuides, dont on lui fit la guerre agre'ablement ; & Agnès même, fans qu'il y parut , car elle e'toit bien née , ne put s'empécher dans 1'ame de lui en favoir mauvais gré : c'étoit moins un préfent qu'une marqué d'eftime qu'elle auroit voulu recevoir du voifin. Lui, fans fe déconcerter, leur dit : vous n'y connoiffez rien, tous tant que vous êtes, car j'apporte a mademoifelle ... En même temps, par furprife & fans dire gareil fournit a Agnès deux baifers des mieux appliqués qu'il en fut jamais ; fi bien qu'il colora tous les attraits de la belle, qui, s'écriant au fort de 1'émotion : hé bien ! que faites-vous donc ? II lui répondit : j'embellis ce que j'aime. Agnès continua de s'animer & de rougir: fi fa rougeur vint de pudeur, il n'importe ; il fuffit que le voifin, content de fon exploit, leur dit a tous: voyez fi je ne lui ai pas donné un bouquet de rofes ?  D y. LA SAINT-JeAN. 4CK) Dialogue en forme de queflions , [ar le mariage. Demanve. Quelle eft la première chofe qu'il faut faire avant de fe marier, quand on a le deftein de faire un établiffement ? Réponfe. II faut trouver une époufe qui ait tout ce que votre cceur peut fouhaiter pour fon contentement. D. Quelle eft la partie la plus effèntielle qui rend le mari content? R. La tête de la femme. D. Si vous trouvez fille qui vous convienne, qu'y a-t-il a faire avant de 1'époufer ? R. Savoir premier fi elle n'eft pas la femme d'autrui. D. Si vous avez volonté d'époufer quelqu'un , que faut-il faire de plus ? R. Qu'elle le veuille bien auffi. D. Comment faurez-vous fi elle eft pucelle ? J?. En vous en informant, fans faire femblant de rien, dans le quartier, a des perfonnes qui le fachent bien. D. Comment faut-il faire pour fe rendre agréable aux parens de la future ?  4^0 Les Etrennes R. Etre poli, honnête & généreux. D. Qu'entendez-vous par être poli & honnête ? R. D'avoir toujours de belles paroles en touche, offrir fouvent du tabac a la compagnie, fi vous avez une tabatière d'écaille, dargent , de corne ou autre métal ; &, fi la demoifelle en ufe, tirez votre rape, & lui en rapez du frais fur-le-champ; elle fera fenfible a cette attention de votre part, D. Que faut-il faire pour être généreux? R. Ne pas trop regarder a 1'argent, mais y avoir 1'ceil; & , allant a la promenade, de payer quelquefois a la compagnie du croquet, petits gateaux, pains de mouton & autres friandifes , fans oublier les rafraichiffemens. D. Quand vous aurez fait tout ce qu'il faudra a 1'endroit des père & mère, qu'.y aura-t-il a faire encore ? R. Leur demander , bien poliment, s'ils veulent vous bailler la fille. D. S'ils difent que non ? R. Ce fera peut-être pour vous en donner plus d'envie. D. S'ils difent que oui? R, C'eft peut-être que perfonne n'en veut,  i>e la Saint-Jean; 411» D. Comment favoir tout cela ? R. On n'en peut être bien éclairci qu'après le lendemain de la nöce. D. Pourquoi pas auparavant ? R. Paree qu'on fe donne bien garde de vous dire de quoi eft la triomphe. D. II faut donc bien prendre garde a ce qu'on fait ? R. Sans doute , & fi 1'on eft fouvent attrapé, D. Si on a été attrapé, que faut-il faire ? R. N'en rien dire & fe taire. D. Si 1'époufe a 1'humeur accariatre ? R. Battez-la comme platre. D. Si elle eft plus forte que vous? R. Elle ne portera pas les coups. M ONsiEUR C...,fi connu par les galanteries qu'il a pour toute fa rue, voyant arriver la Sainte-Marguerite, & voulant témoigner a la belle Gogo fa voifine, pour laquelle il avoit le cceur égratigné, 1'extrême conlidération de fes fentimens, fit venir la veille au foir fous fes fenêtres une orgue de Barbarie. Les plaifans du voifinage commencèrent par faire des gorges chaudes d'une mufique aufli commune,  4 e ia Saint-Jean. 433; Les épreuves d'amour dans les quatre. élémens. HlSTOIRE NOUVELLE. LJne dame, dont je tairai le nom, appellée' Cécile, fort adonnée aux amufemens de 1'efprit, avoit exigé d'un cavalier, qui la confïdéroit beaucoup, une hiftoire de fa fagon pour bouquet, en guife de difcrétion qu'il avoit perdue avec elle a certain jeu; dont voici comme il s'acquitta. Eulalie étoit née pour éprouver les caprices les plus finguliers de la fortune & de 1'amour ; fa beauté étoit conforme a fa naiffance, & c'eft tout dire. Sa vie commenga d'abord au bal de 1! opéra de Paris, oü madame fa mère fe trouva dans la néceffité de la mettre au monde. Elle y fut regue par une troupe de mafques, parmi lefquels il s'en trouva un en fage-femme, & l'autre en nourrice, qui facilitèrent beaucoup la naiffance de la jeune Eulalie. D'un autre cóté,le jeune Alexis naiffoit. C'étoit un cavalier qui devoit être accompli, comme il le fit voir dans peu. C'étoit lui-mêrne que Ie ciel deftinoit pour caufer & partager les avenTome X, Ee  434 Les Etrennes tures d'Eulalie ; car nous naiffons toujours affortis a quelqu'autre; la queftioa eft de nous rencontrer. Cependant la belle Eulalie entra en nourrice comme Alexis en fortoit : leur étoile commenga par les faire venir frère & fceur de lait; jugez de la fimpathie que cela leur donna 1'un pour l'autre. Auffi peut-on avancer que ce commencement leur procura, par la fuite, 1'occafion de fe connoïtre, de s'attacher encore plus étroitement 1'un a l'autre, & de remplir leur vocation. Je pafferai, s'il vous plaït, en filence toutes les gentilleffes d'une enfance li charmante, qui rempliroient un volume, afin d'aller en avant dans une hiftoire fi intéreffante. Paflons donc tout d'un coup a 1'adolefcence de ces pauvres enfans ; ce que j'en dis de pauvres enfans, n'eft pas qu'ils ne fuffent affez accommodés des biens de fortune pour avoir de quoi ; mais c'eft par rapport aux révolutions de leurs cceurs. La fortune, qui fembloit conduire leur roman par la main, fit encore plus pour eux, & les rendit voifins de quartier , en forte qu'il n'y avoit que la rue entre deux. Bientót leurs parens, qui s'étoient plu k voir 1'attachement réciproque de ces deux enfans, & qui s'en faifoient un jeu, en craignirent les fuites, Une brouilierie, furvenue  DE £A' SaiNT-JeAN. 44Ï ehercher jufques au fond des ondes ; tel qu'un barbet courageux qui pourfuit un canard. II étoit temps que leur naufrage finit: Alexis épuifé raffembla toute fon induftrie , &, a force de rufes, il faifit Eulalie par fes beaux cheveux, qui flottoient au gré des eaux. Alors, ranimé par cet heureux avantage, il la remorqua jufque fur la rive, & la fit echouer fur un gazon, quï fembla fe trouver la expres pour recevoir une li belle charge ; il ne Teut pas plutöt mife a fee, que, fe mettant a la confidérer , il crut s'appercevoir que la vie lui manquoit, & qu'elle l'avoit laiffée au fond de la rivière. Alors il fut fur le point d'aller s'y jeter lui-même, défefipéré d'en avoir fait a deux fois : il prenoit congé de fa pauvre défunte par mille baifers qu'il prodiguoit fur ce vifage, oü il n'y avoit plus que des lis, lorfqu'ayant par hafard rencontré fa chère bouche, il fentit quelque refte de refpiration : il eüt non feulement partagé fon ame avec elle , mais il la lui auroit volontiers tranfmife toute entière. II continua donc ; c'étoit de quoi ramener un mort; auffi fit-il. Eulalie, reprenant haleine, foupira, ouvrit un de fes beaux yeux mourans , & un de fes regards fut adreffé a fon libérateur, qui jouit de fa réfurreótion avec des tranfports trop grands pour être fenfibles: trop heureux de pouvoir cprouver  '442 Les Etrenne* alternativement qu'on peut mourir de plaifir ainfi que de défefpoir. Tandis qu'ils étoient tous deux dans cet heureux paffage de la mort a Ia vie, les parens, les amis & tous les paflagers arrivèrent a la file; & nos amans, fans s'en appercevoir, s'en trouvèrent environnés. Chacun félicita Alexis, excepté Ia mère, qui Ten remercia froidement, & qui fit tranfporter fa fille autre part , fans vouloir permettre a Alexis de venir prendre un air de feu avec elle; il fut, comme on dit, obligé de fe fécher oü il s'étoit mouillé : ce dernier trait de dureté 1'affügea plus que tout le refte; mais il s'èn confola par le plaifir d'avoir fauvé ce qu'il aimoit. II prit donc fon parti, & devint ce qu'il plut a Ia fortune. Cependant, après qu'on eut fait a Eulalie tout ce qu'on put lui faire humainement, il fallut remonter en carroffe & continuer la route. On arriva, trop tot pour elle, dans le trifte féjour oü elle devoit être confinée bientót après. Elle recut les adieux de toute la carroffée; on la laiffa auffi mouillée de fes pleurs que fi elle fortoit encore de la rivière z mais fa mère n'en répandit point, & partit après avoir recommandé aux mères difcrettes de lui donner Ie plus de vocation qu'il feroit poffible pour la vie religieufe,  BE la SaiNT-JEAN. ^ Voila donc Eulalie claquemurée. Sa clóture lui parut un enfer anticipé; elle fut parmi ces veftales quelque temps comme au milieu des fauvages dans une ïle inhabitée; elle ne voyoit & n'entendoit rien; lorfqu'a la longue, parmi les jeunes profeffes, qui s'emprelfoient autour d'elle, elle en appercut une qui avoit un faux air tout-a-fait reffemblant a Alexis. Eii'e fe mit a 1'envifager plufieurs jours de fuite; fa preftance , fa corporance, fon maintien , fon ton de voix, fa voix même, fes difcours équivoques, & tout enfin lui gagna infenfiblement le cceur; elle fentit que c'étoit, ou que ce devoit être Alexis en perfonne ; rarement le preffentiment nous trompe , fur-tout quand il eft fondé fur la vraifemblance & appuyé par 1'amour. En effet, c'étoit Alexis qui , a 1'aide de fa phyfionomie modefte & de fa jeuneffe , avoit trouvé le fecret d'entrer parmi les novices de ce couvent. II ne tarda pas a ne laiffer aucun doute a Eulalie du recouvrement de fon amant; ce fut alors qu'elle pardonna tout a la fortune. Quel plaifir pour deux amans de porter le même habit, d'avoir la même demeure , les rriêmes fonéf ions, les mêmes devoirs , & de ne voir entr'eux d'autre différence que celle qui fervoit encore plus a les réunir ! Ils comptoient faire enfemble profeflion ; ils avoient toujours  444 Les Etrennes fait les mêmes vceux : ainfi ceux qui leur reftoient a faire leur parohToient la confommation du refie. Le temps de la profeflion approchoit; ils foupiroient après ce moment qui devoit les •unir pour jamais. Ils auroient voulu en être au lendemain; mais le démon de la jaloufie fe fourra entre deux; leur grande liaifon, ou plutot 1'inftinct de quelques nones, fit qu'elles examinèrent le plus qu'elles purent la faufie novice. L'amour heureux eft aveugle, la félicité porte avec elle une efpèce de fécurité qui devient fouvent très-dangereufe: quoi qu'il en puifte être, Alexis fut trahi par fon fexe, qui trapercoit a travers de fa guimpe. La none qui s'étoit furtivement aflurée du fait, n'ea douta plus ; &, foit par défefpoir, ou par l'amour de fa règle, elle fut dénoncer ce qu'elle avoit vu , en faire la defcription authentique aux mères difcrètes, qui eurent peine a croire ce rapport. L'affaire fut mife en délibération; celle qui nioit le fait, n'étoit pas fachée en fecret de s'en convaincre par fes propres yeux, c'eft ce qui fut exécuté fort heureufement pour elle. Un beau matin Alexis fut pris au faut du lit, il n'y eut pas moyen d'éluder ; la conviclion fut telle, qu'il fut dès-lors traité comme un loup qui fe feroit fauvé dans la bergerie ; cependant 1'on en revint, après bien des débats*  BE LA' SAINT-JeAN. 44C 3 un parti plus raifonnable, qui étoit de ne rien laiffer ébruiter. Après avoir pris d'Alexis un ferment qui raffura toute la communauté , & qui maintint chaque religieufe dans fon innocence, on lui fit dépofer les dépouiltes monaftiques , que 1'on rebénit après , & on lui fournit les vieux habits d'un facriftain mort depuis peu a la fleur de fon age au fervice du couvent. Ainfi Alexis fut renvoyé, avec défenfe de roder autour du couvent, & d'en approcher plus prés qu'a la portée du piftolet. On dit qu'Eulalie ne fut pas la feul qui le regretta : toutefois , pour ne rien avancer qui ne foit vraifemblable, fon défefpoir fut égal a. fa perte ; mais il fut prefque fecret: heureufement pour elle, on convint , pour plus de füreté, de lui faire recommencer fon noviciat. Je dis heureufement, paree que cela lui mettoit encore une année devant elle : comme oh dit, qui a terme ne doit rien ; & le temps amène bien des événemens, qui n'arriveroient pas fans lui. De quoi l'amour féminin n'eft-il pas capable, quand il eft contrecarré fi conftamment! Eulalie paflbit le temps a imaginer inutilement, lorfqu'enfin n'ayant plus d'autres reflburces, elle s'en tint a un expédient bien imprévu, qui fut de faire femblant d'être enceinte. On lui apprit  446 Les Etkennes a en feindre tous les fymptömes les plus fignïficatifs ;^on lui fournit k mefure de quoi s'arxondir la taüle. Comme elle s'étoit fait aimer dans le couvent, elle y trouva fecrétement tous les fecours néceffaires. Les chofes étant en cet état, un bruit fourd en circula pat toute la communauté ; 1'habitation qu'Alexis avoit faite dans le couvent , ne nuifit pas k Ia confirmation de cette rumeur. Autre confeil fut tenu dans le chapitre fecret, & 1'on réfolut d'en écrire a la mère, qui, auffi-töt la lettre recue, devint comme une furie , déclara qu'elle renongoit fa fille pour jamais; qu'elle 1'abandonnoit a. fon mauvais deftin, la privoit de fa fucceffion ; & que de plus, par la préfente, elle lui envoyoit fa malédiétion. Que faire a tout cela ? la groffeffe prétendue alloit toujours fon chemin & augmentoit a vue d'ceil; Ia terreur augmenta auffi dans le couvent; peut-être que fi 1'on eüt pu efpérer qu'Eulalie n'accouchat que d'une fille, on auroit pu Ia garder; mais on craignit qu'elle ne mit au monde un gargon, & même deux : quel fcandale auroit-ce été ! Dans cette incertitude, on fignifia a Eulalie qu'elle eüt a prendre fon parti le plus promptement qu'elle pourroit, d'autant plus que le terme approchoit, & que le bruit qui tranfpiroit déja au-dehors, fe répandroit bientót dans les environs,  ,tjo Les Etrennes 1'eau , & tout-a-l'heure en Fair, fut pour la troifième fois fauvée par- fon amant. Cependant nos oifeaux s'envoloient a tire d'aile. Comme tout fe trouve a point dans les hif • toires extraordinaires , Alexis rencontra un cheval qui paffoit non loin de la, qui lui vint fort a propos; au hafard de le crever, il lui fit faire une traite, qui paroïtroit fans doute incroyable, fi tout n'étoit pas poffible dans de certaines circonftances. La fortune, qui fembloit vouloir fe réconcilier avec eux, après leur avoir fourni les moyens de fe mettre en füreté, n'en demeura pas la. Alexis recut des nouvelles du pays, qui luimandoient que fon père étoit a 1'extrémité , & qu'il n'avoit point de temps a perdre , s'il vouloit venir recueillir fes derniers foupirs & fa fucceffion. Dans cette extrémité, combattu par l'amour, par la piété envers fon père & par le befoin futur oü il alloit tomber, il crut qu'il ne devoit pas laiffer mourir fon père fans lui; il fallut encore fe féparer de fa chère Eulalie; mais il efpéra que cette féparation feroit la dernière , & qu'ils fe réuniroient enfin une bonne fois pour tout. Cependant , certains pronoftics opiniatres , qui reviennent toujours quand on les chafiè, fembloient lui préfager quelque chofe de finiftre; ü avoit  k e la SaiNT-JeAN. 4,^1; 'beau les fecouer; il buvoit, il mangeoit, alloit, venoit, demeuroit & dormoit malgré lui avec eux 5 il ne pouvoit deviner a qui ils en vouloient, & ne prevoyoit pas qu'il put lui arriver rien au-dela du tre'pas de fon père. II part donc, & les adieux furent emremêlés de foupirs plus accablans que jamais. A peine Eulalie, qui l'avoit fuivi des yeux, autant qu'ifs pouvoient s'étendre, eut perdu de vue cet objet que l'amour fembloit ne lui faire que prêter, qu'elle tomba dans un abattement affreux; elle eut tous les avant-coureurs de la maladie la plus en forme & la plus confidérable qu'on puiffe avoir; le courage, qui l'avoit foutenue jufqu'ici, lui fit faux-bond tout-a-coup ; elle s'en trouva moins qu'une femmelette accable'e de la perte d'une guenuche ou d'un perroquet. La maladie ne manqua pas de fe déclarer au plutöt; il fallut fe mettre au lit pour n'en plus relever ; malgré la difette de médecins, le mal empira de lui-mêrne , fans aucun fecours, & vint a tel point, qu'elle cefia de donner aucun figne de vie. Ce moment fatal arriva jour pour jour le quinzième du départ d'Alexis, qui, fans favoir rien de rien,v arrivoit a toutes jambes, & fe trouva juftement a temps pour afiifter aux convoi & enterrement d'Eulalie. Ce fut alors que le défefpoir eut fon cours; peu Ff ij   DE LA s A I N T-J E A N. 46$ En trinquant avec elle, On la prend par le chignon , Endifant, c'eft que je t'aime. Elle répond, moi de même; Et puis, pour la divertir , On rembraffe, ca fait plaifir! En trinquant avec elle, &c. Bataille de chiens, dont un mariage ejt devenu rompu. Je ne fais pas d'öü vient qu'on confidère tant les chiens après ce qui en vient d'arriver de nos jours a un repas fur la paroiffe de BonnesNouvelles, le propre jour de la noce, ainfi qu'jl s'enfuit. Comme on y mangeoit beaucoup, & qu'un chacun, par mégarde, jetoit les os fous la table, deux chiens les rongeoient, comme on voit fouvent que c'eft d'ordinaire la coutume dans les feftins, fi bien que la chienne , fe difputant avec Médor, faifoit un diable a. quatre, qu'on avoit bien de la peine a s'entendre, dont on donnoit différens coups de pieds pour les faire taire; ce qui fit que Sultane marcha imprudemment fur le pied du marié, qui, prenant 5a pour un autre, fentit d'affreufes jaloufies qui lui entrèrent dans le eceur. La mariée innocente, qui n'avoit marché Gg üj  47P Les Etrennes fur perfonne , & qui n'en favoit pas les eonféquences , faifoit comme fi de rien n'étoit. Pendant tout ce temps-la , les yeux du fiancé tomboient avec fureur fur fon coufin du cóté de la mariée , qui, fur ces entrefaites , but par malheur a fa fanté, qui le lui rendit, ainfi que la civilité le permet, fans qu'il y eüt rien ladeifous. A cet outrage, le fieur Dorimène, je veux dire le marié, que nous nommerons dorénavant de la manière, fe jeta fur fa prétendue, lui arrachant fa belle garniture. Sur cette vivacité, voila tous les garcons de la noce & madame la belle-mère qui retirèrent fa parole, dont le ma-iage ne fe fit plus. Voyez, après cela, fi vous devez mener vos chiens en compagnie. LA QUEUE DE MOUTON, chanson, Avec la manière qui convient. Il faut d'abord que la perfonne, foit homme ou demoifelle, qui veut divertir honnétement la compagnie en chantant cette chanion, fe retire pour un moment du repas, fous quelque  476* Les EtïInsïJ Je lui dis tont nettement, Que je wwlois bien étre fon amant. Elle ne me répondit rien, ni ne fit la bégueule. Je crus pour certain, Qu'elle me répondroit drès le lendemain: Ce fut en vain , puiffe fon cceur Me tient encor rigueur. Enfin, elle me re'pondit, avec un air modefte, Que j'avois un fort grand tort de vouloir tant 1'aimer ; Qu'elle fe connoit bien, qu'elle n'eft pas faite pour charmer; Avec ces beaux propos, elle crut me donner mon refte» Qu'elle a des mépris, Paree que fi fon cceur étoit épris, Elle voudroit m'aimer tant, Que cela feroit fon tourment. Voyez la belle raifon qu'a ma flamme elle oppofe, Elle me laiffe quelquefois pourtant baifer fes mains. Ne vous étonnez pas fi cela me fait du ch'agrin, C'eft que je voudrois bien, moi, ^*e//emedonnat autre chofe ; Mais; hélas ! e//e me répond, Et cela d'un air qui me confond , Que je n'aurai jamais Aucun de fes attraits. Elle dit que ce n'eft qu'a fes yeux qu'elle doit ma tendrefle; Mais quand bien même cela feroit, doit-elle m'en aimer moins ? Malgré fes rigueurs, tous les jours je lui rends des foins, Et je lui tiens des difcours tout comme pour une princeffe,  de ia Sa int-Jean. 477 C'eft que fi je ne 1'ai pas, Me voila dans un grand embarrasj Paree que c'eft celle d'Argos (a) Qui trouble mon repos. Quoiqu'e/Ze ne rende pas juftice a ma conftance, Je ne veux pas la quitter pour m'enflammer ailleurs. Peut-être qu'un jour je pourtzi bien vaincre fa rigueur ; ( Car il eft des momens contre 1'indifférence.) Si je lui plais jamais, Je me pzyerai bien de tous mes /ïgrets, Etant très-sür qu'elle a Tout ce qu'il faut pour cela. D'aucuns de nos amis envïeux prétendent, en parlant au monde, que nous n'avons jamais connu ce que c'eft que les régularités des vers. Pour les convaincre de la preuve du contraire , nous glifferons dans ce corps de pièces furtives une déclaration de poëfie en amour, d'un anonyme nommé M. de Genticour, qui écrit avec réflexion tout ce qui lui vient au bas de la plume. (a) Pdris,  478 Les Etrennes Pour mademoifelle de Romeray, aimable demoifelle. D'un mouvement fóudaïh, co7ffle \\ fut légitime, Votre objet, mon vainqueur, Paffa dedans mes yeux, er tra dans mon eflime, Et tomba dans mon cceur. Ce ne {or.t point vos lis, ce ne font point vos rofes Qui m'ont le plus tenté; Je découvre plus loin, & vous avez des chofes Par-dtla la beauté. Votre aimable beauté contribne a ma flamme, Qui caufe mon tranfport; Or, c'efl plus qu'en partie a caufe de votre ame Que j'aime votre corps. La parole fait le jeu. HlSTOIRE. IWonsieur Bonnau, dont'nous tairons Ie nom dans ce cas-Ia, avoit une fille qu'il fe plaifoit a élever dans les belles manières. Elle étoit belle comme un charme, & civile a faire plaifir a tous ceux qui alloient la voir; mais tout cela, fans la vertu, ne fert pas d'un clou  de LA SaiNT-JeAN. 479 a lïrflet. II arriva donc que, comme il ne vouloit pas qu'on hantat des hommes , d'autant qu'il favoit ce qu'en vaut 1'aune, rapport que la plupart du temps les filles ne tombent dans le défordre de leur mauvaife conduite que paree qu'on leur en donne 1'inftigation; c'eft pourquoi il fut obligé de faire un voyage oü il ne pouvoit pas la mener; ce qui fit que parmi la plus grande partie du peu d'honnêtes gens qu'il foupgonnoit d'avoir une bonne éducation, il choifit un jeune feigneur de condition, d'autant qu'il y a bien de la différence entre les gens d'une certaine fagon, & il lui laifia mademoifelle Javotte. Comme Hs demeuroient enfemble, & même fe voyoient tous les jours, ce qui étoit fort aifé & facile , ils devinrent amoureux, dont ils ne fe feroient douté de rien, fi mademoifelle Javotte ne s'en étoit pas appergue. Elle le dit k fon amant, qui en convint de bonne foi ; mais cela ne les avanga de rien, ce qui eft toujours bien cruel dans le cas de ces fortes d'occafions. M. Bonnau, en revenant, trouva fa fille comme il l'avoit laiflee, ce qui ne lui fit pas de peine; car il craignoit que 1'amant de fa fille auroit voulu devenir fon gendre, c'eft-a-dire s'amufer k la bagatelle; mais il ne fut ni fou, ni étourdi, & lui déclara, fans en faire k deux fois, qu'il  4.S0 Les Etrennes ne vouloit pus girder fa fille, d'autant que cela fe garde , pour la plupart, comme le chat fait la fouris; ce qui fit que M. Bonnau le remercia de fa civilité. Mais dès le lendemain, comme le jeune amant n'avoit plus d'honneur a garder dont il fut charge' par Ia politeffe du père, il vint tout doucement en catimini, & fe cacha dans la ruelle., de manière que tout le quartier en a tonu hautement de certains difcours a I'oreille, fous prétexte que la fille en étoit devenue enceinte ; & voila ce qui fait la probité. Cette hiftoire galante nous a été envoyée pour inférer dans notre livre; mais, quoiqu'on y^ remarque bien du mérite , nous ne 1'avons pas jugée digne de 1'impreffion ; c'eft pourquoi nous la mettons ici, afin que Ie public voie que nous ne cherchons qu'a avoir 1'honneur de fon approbation. Dédaration mufulmane. 1/amour eft du pays de tout Ie monde, jufqu'en Turquie, a la différence de la fagon, ce qui, dans le fond, revient au même; témoin le turc ci-après, que 1'on appellera , je crois, mufulman. II étoit tombé furtivement amoureux de  db LA Saint-JeAN. 481 de trois honnêtes & belles filles de fon quartier, qui logoient enfemble , & a qui cependant il n'avoit pas encore ofé le faire favoir. Or, pour y parvenir, il fe propofa de leur donner Ia foire, qui fe tenoit pour lors a Conftantinople; il y fut, & acheta trois beaux & bons fichus brodés comme des anges en foie, qu'il mit bien proprement dans une jolie boïte, fur laquelle il avoit fait peindre en France trois cceurs au naturel, qu'un amour pourfuivoit, avec cette devife inge'nieufe autour, en lettres dore'es au-deffus : Autant de fichus. Le tout fut porte drès le matin par un eunuque au logis de ces belles, qui déjeünoient enfemble, dont les trois demoifelles toutes réjouies, ayant de'couvert le pot-aux-rofes, fe doutèrent bien de l'énigme, & le tinrent dès-lors pour leur amant. Vous autres , qui aimez fans ofer fonner mot, donnez; c'eft la groffe cloche en amour, É L O G E. T^ar la mort, meffieurs, a laquelle nous fommes tous fujets, fans qu'aucun mortel en foit difpenfé , nous perdons le fouven r des penfées dont cette vie eft remplic; i'ex^mple Tomé X, H h  482 Les Etrennes des autres nous 1'apprend. L'illuftre M. G., que nous venons de perdre, digne objet de nos regrets, ne les entend pas, & même les ignore; il nous en laiffè goüter 1'amertume, & n'en recueille que les fruits. L'héritage qu'il nous a laiffe de plufieurs beaux ouvrages, enrichit la poftérité; & un fi beau modèle d'émulation, en formant fur lui des fujets qui 1'imiteront, fera naitre notre confolation de la caufe même de notre douleur. Permettez , meffieurs, que je ne m'explique pas , & que pour me conformer a la modeftie du mort & a la volonté des vivans, je ne nomme pas' par leur nom les ouvrages de M. G. répandus dans cette édition nouvelle: chargé feulement du foin de fon éloge, j'ai cru devoir en ufer comme je fais, & me borner a ce qui peut donner aux leéteurs de ce livre une idéé jufte d'un de ceux qui y ont travaillé. M. G. étoit un gros homme, & la nature en cela s'étoit joué, comme elle fait fouvent; car il n'avoit été que deux mois en nourrice, a caufe qu'il avoit apporté toutes fes dents en naiffant: cependant il n'a jamais été fur fa bouche, & ce n'eft pas de cela qu'il eft mort, mais bien d'avoir paffe les nuits a travailler. II avoit été magifter dans fa ville a 1'age de dix-fept. ans, enfuite bedeau de la cathédrale,  © E LA S A I NT -Jï A tft 48 ^ éi puis tabeilion , & puis b aucoup d'autres emplois, dont il s'eft töüjours acqüitté a la fatisfaótion d'un chacün. Ses cejvres prou\ênt combien il étoit agréab'e en compagnie, faifant toujours rire, fans pincer; auiïi fes meilleurs amis n'étoient jamais faches c'étre avec lui; & cependant il leur faifoit, quand il vouloit, accroire que des verties étoient des lanternes ; mais ci leur faifoit plaifir. Ce n'eft pas qu'il n'y eut bien quelque chofe a dire fur fon c.;mpte , a 1'occafïon d'un événement qui arriva dans une rencontre oü il ne fe conduifit pas de la belle manière; mais il ne faut jamais dire de mal des gens dont on veut dire du bien, quoique ce'a fe pratique de la forte aujourd'hui. Ajnli je n'irai pas plus loin , & je ne dirai rien non plus des livres qu'il a écrits,& qui ne lui ont pas fait honneur. Le filence eft 1'enfant de la douleur & le père du fecret: renfermons-nous dans les bornes qui nous font prefcrites par 1'un & par l'autre. Hh ij  •.•4S4 Les Etrennes LE MARIAGE EN DÉTREMPE. Nouvelle véniable & hiftorique. \Jn jeune gentilhomme, comme qui diroit M. Erafte, d'honnête familie, quoiqu'il méritat bien qu'on lui en fit la honte , mais on efpère que pas moins il s'y reconnoitra, ne manquoit pas, pour fe divertir, drès que les foires de Saint-Germain & de Saint-Laurent étoient arrivées , que d'y aller tous les jours. C'eft ce qui faifoit qu'il ne défemparoit pas du Préau; ' après quoi il étoit très-affidu d'entrer a la comédie des perfonnes naturelles , & toujours aux places a fix fols, dont il n'y avoit^petit ni grand dans le jeu qui ne remarquat fa magnificence, fur-tout M. Léandre , le premier afteur, qui,ayant beaucoup de manières fort nobles , d'autant que fon bon efprit l'avoit fait, par-deffus tous les autres , compère de Polichinelle. M. Erafte, méme pendant le jeu, s'ingéroit de la converfation avec Polichinelle, 8c lui faifoit dire bien des gaudrioles, pourquoi les fpeótateurs de bon goüt, qui les trouvoient fort recréatives & inftrudives, 8c qui s'y divertiffoient a bouche que veux-tu, admirant 1'efprit de M. Erafte , le préféroient  ©E LA' S AlNT-J E AN. 48 c a toutes les autres marionnettes, dont il s'en falloit bien qu'on ne s'y divertït autant; de quoi M. Léandre eut la perfuafion que c'étoit une perfonne de qualité; mais il n'en fut bien convaincu que quand, en 1'efpionnant un jout en catimini le foir, il le vit fortir de la foire, pleuvant a verfe, qui prit un fiacre pour fe xemener chez lui. Auffi le lendemain , dans un cabaret a bière avec des demoifelles & meffieurs de fa troupe, qu'il fe rafraichiffoit, le voyant pafier, il ne fe put tenir qu'il ne courüt a lui, pour lui demander, comme fon meilleur ami, des nouvelles de fa fanté, & qu'il avoit été bien mouillé hier au foir. A quoi M. Erafte, dont on verra peu après les deffeins, fit femblant de ne le pas remettre autrement, & lui demanda, comme furpris, ce que c'étoit qu'il lui faifoit une queftion ded'même, dont il ne lui avoit jamais encore parlé, n'ayant pas, ce lui difoit-il, 1'honneur de le connoitre. Le fieur Léandre, quoiqu'un peu étonné de ce qu'il ne le remettoit pas, ne fe déféra point tellement qu'il ne lui d'it fon nom, & la raifon pourquoi il lui demandoit des nouvelles de fa fanté, dont l'autre admira 1'efprit de fa réponfe, & lui dit que pour cela il vouloit boire avec lui, & le fuivit dans le cabaret a bière, oü, entr'autres, étoit mademoifelle Gogo, fceur Hh iij  4.86" Les Etrennes du fieur Léandre, qui parut étonner M. Erafte, comme s'il ne s'en fut pas appercu, ce qui n'étoit pourtant qu'une frime. Cette demoifelle , qui d'un cöté étoit jolie , de l'autre repréfentoit a ravir les Ifabelles ; & pour fa vertu, on peut bien dire qu'elle étoit fans reproche , d'autant qu'il y avoit bien quatre ans qu'elle couroit les villes & les provinces; mais pour le refte , fort peu de 9a. On peut juger fi M. Erafte fut bien recu de la compagnie, étant un homme de diftinction, qui commenca par boire a la fanté d'abord de tout le monde, fans rien affecter, de quoi le fieur Léandre en fut fort aife, & le remercia. Lui qui étoit en cachette amoureux, a perdre les pieds, de mademoifelle fa fceur, & qui favoit combien l'autre étoit jaloux envers fa réputation , ne la regardoit que du coin de l'ceil, de peur de pis; ce qui fit que quand il alla pour compter, il trouva que c'étoit fait, tant a 1'égard de la bière, ratafia, &c. dont il ne lurdit autre chofe, finon qu'il vouloit avoir fa revanche ce foir même aux Porcherons; de forte qu'après la comédie, ils allèrent tous trois en fe promenant du cöté de la barrière blanche ; & M. Erafte donna le bras.a mademoifelle Gogo, d'autant qu'elle avoit de 1'eftime pour les gens de mérite, & en étoit bien aife.  DE la SaiNT-JeAN. 487 Le fieur Erafte demanda d'abord une falade, une fricaflee de pigeons , avec une bonne tranche de bceuf a la mode , & du vin a douze, fans compterfles cerneaux, cervelas, & autres delferts , de telle manière qu'il en coüta au fieur Erafte plus de fept ou même huit francs; mais il étoit dans des circonftances & dépendances a ne pas prendre garde a 5a. Pendant la collation , il avoit ( car l'amour a de 1'invention ) trouvé moyen de perfuader a mademoifelle Gogo que ce n'étoit que pour elle tout ce qu'il en faifoit ; &, fans qu'il en vit rien , faifi 1'occafion de boire dans fon verre, de quoi touchée, comme 9a fe doit, elle lui avoit marché fur les pieds, dont il ne douta pas qu'il lui tenoit au cceur ; ce qui lui fut d'une grande fatisfaótion , par la raifon que nous avons dite, & qui lui fit pjiffer gaiement la collation, paree que M. Léandre, qui étoit naturellement jovial & cocaffe , n'en avoit rien vu. Quand fallut s'en aller, il pria 1'amoureux de ramener mamefelle fa fceur, paree qu'il avoit affaire pour cette nuit fur le rempart ; a quoi, faut croire , il ne rechigna pas, dont le voila feul avec elle, la tenant par-deffous les bras, lui témoignant du refte comme c'étoit pour elle de ce qu'il ne bougeoit de fon jeu, & que fans ga il ne s'en foucieroit Hh iv  RELATION GALANTE ET FUNESTE De Phiftoire d'une demoifelle qui a glifjé, pour être époufée , l'hiver du mois de dêcembre   A M. D E *'* * EPITRE DE DEDICACE. JPour moi, je ne fais pas pourquol,' par oü, ni comment on ne s'eft pas encore avifé de fonger a. dédier des ouvrages a feu M. le grand Molière, ou du moins a fa fervante. II me femble que, depuis qu'il eft mort, il eft bien un affez grand feigneur pour cela. Je voudrois donc qu'en confidération de fon mérite d'autrefois, les auteurs d'aujourd'hui lui . fiffent la dédicace de leurs pièces, a moins qu'on ne dit que c'eft rendre le mal pour le bien. Comme je travaille dans le même goüt que vous, monfieur, & que je me fuis modelé, c'eft comme qui diroit ftylé, fur vos  4P4 EPITRE. excellens ouvrages, je vous prie dagréer rhommage que je vous fais de ce petit morceau d'hiftoire galante & funefte. Je fais bien auffi que c'eft ici 1'occafion de faire votre éloge, & que tous les auteurs en ufent de la manière avec leurs Méeènes (ar); mais je ne fais par oü commencer. i°. 11 vous faudroit un portrait tout neuf, paree qu'attendu que vous reflemblez k peu de gens, il y a peu de gens qui vous reffemblent. Eh ! oü trouver un homme auffi philofophe que vous, qui méprifez toutes les chofes néceffaires, & ne vous fouciez que du fuperflu ? Parlerai-je du grand art de fe rendre heureux ? Vous jouirïez du plus parfait bonheur, fi vous pouviez feulement ne pas troubler le plaifir que vous goütez par 1'inquiétude d'en chercher toujours (a) Mécène eft un mot latin , tiré de I'hiftoire romaine.  E P I T R E. 4py un autre. Si j'envifage votre fcience, le catalogue feul de vos ouvrages feroit une bibliothèque. Je n'oferois pas les nommer tous, de peur de faire fouffrir votre modeftie & la pudeur des autres. Vous en auriez encore produit davantage , fi vous n'aviez pas réfifté a votre talent marqué. Oui, vous dtiez né poëte: quand on ne s'en appercevroit pas a la facon dont votre profe eft négligée, on le jugeroit a votre bibliothèque, oü, juf qu'aux reliures , tout eft en vers. Les éloges que vous méritez ne m'aveuglent point fur vos défauts; je vous les dirai franchement, & je vous avouerai que vous ne fentez point du tout votre homme de condition. Vous n'avez ni ignorance ni orgueil; &, comme fi on n'avoit pas affez de fes peines, vous êtes affez fimple pour compatir a celles d'autrui. Vous vous diftinguez par 1'ef-  4p5 E P I T R E. prit & les talens comme un bourgeois j & , ce qui marqué la dépravation de votre goüt, vous cherchez des amis, vous fuyez les complaifans, & vous êtes plus fenfible a 1'eftime qu'au refpeór avec lequel je fuis, &c. Devine fi tu peux, & choifis fi tü 1'ofes, RELATION  Les Etrennes de la Saint-Jean. 457 RELATION galante et funeste De Vhiftoire d'une demoijelle qui a glijfè , pour être époufée , Vhiver du mois de décembre 1J42. Il y a a parier cent contre un que la poftérité a venir ne fauroit pas un mot de quoi il s'agit de nos jours , fi on n'avoit pas foin de le lui apprendre; ce qui a fait inventêr I'hiftoire; & par ce moyen on fait vivre fans avoir vécu. Quoi qu'il en foit, deux jeunes meffieurs, qui s'appelloient 1'un & l'autre le comte & le marquis, & qui même étoient de condition, ayant beaucoup de parens dans la robe & dans 1'églife : comme ils ne pouvoient fe regarder fans fe voir comme deux rïvaux, d'autant mieux qu'ils aimoient la même perfonne, qui étoit fille a lage de dixTfept ans : il eft vrai que c'étoit une beauté régulière ; de grands yeux, qui accompagnoient le plus joli nez du monde, a fleur de tête ; la bouehe bien fendue, Tornt X, I i /  498 Les Etrennes oü il y avoit, quand on rit, des dents auffi belles que fi c'étoit d'ivoire; avec toute la langueur des blondes & la vivacité des brunes,, fans qu'elle fut ni 1'une ni l'autre. Pour a 1'égard de 1'efprit, elle l'avoit tresferme & très-grand, eu égard a la portée de fon age , attendu qu'elle alloit fouvent a Ia comédie au paradis, & quelquefois le mardi a 1'opéra, par le moyen de mademoifelle C ** *, & même de M. T***: &, pour en cas de la. politeffë, elle en avoit de la plus fine, comme on le verra dans la fuite. II n'étoit donc pas étonnant que tout le monde en fut amoureux, & particuliérement beaucoup de perfonnes telles que le comte & le marquis. Un de ces jours paffes , qu'il faifoit trèsfroid, comme chacun s'en fouvient , mademoifelle Javotte de Paffy, qui fe nommoit 'ainfi, voulut aller prendre fair, paree qu'il eft bon de s'hiverner pour n'avoir pas fi froid cbez foi. Nos deux amans, qui la fuivoient jufqu'aux lieux oü elle alloit, 1'ayant vue tourner fes pas le long d'une pièce d'eau glacée, dans un jardin dont le nom eft trop connu pour ne le pas cacher, ou pour le dire, entreprirent de lui donner un divertiflement dont les jeunes gens fe fervent ordinairement , c'eft-a-dire  de e a SaiNT-JeaN. 499 qu'ils voulurent lui faire voir comme ils patinoient. Mademoife'le Javotte les voyoit faire avec plaifir; &, réellement & de fait, ils lui montroient des chofes fort agréables. De temps en temps, c'étoient des culbutes , & le tout par expres, & pour faire rire. Mais ne voila-t-ii pas que tout d'un coup on voit paroitre un traineau , tel qu'on en voit dans les pays du froid. Monfieur le comte & le marquis ne furent ni fous ni étourdis , & le firent approcher de mademoifelle Javotte , pour afin de 1'y mettre : elle le voulut bien, en riant. Tout le monde faifoit des acclamations de 1'admiration qu'on avoit de fa fatisfacfion: c'étoit une foule, qu'on ne s'entendoit pas de plaifir. Mais il ne faut jurer de rien en amour; c'efl un grand Dieu malicieux , qui nous élève fouvent au plus haut fommet de Ia fortune, pour nous précipiter dans les inconvéniens des piéges ; il prend toutes fortes de couleurs pour nous tromper. On croit , a 1'entendre, que c'eft tout fucre & tout miel, tandis que c'eft tout au contraire ; puifque 1'on parvient au malheur affreux de s'en mordre.les doigts pour toujours. Mais laiffons la morale, & revenons a nos moutons. Sans s'en appercevoir, 1'implacable, ou incapable démon de la jaloufie indigne s'empare de leurs cceurs,& leur entre li ij  jroo Les Etrennes dans 1'ame. La fureur les faifit comme d'intelligence. Mademoifelle Javotte croit qu'ils vont fe battre a 1'épée; & elle en étoit d'autant plus inquiète, que cela fait du bruit pour 1'honneur d'une demoifelle, Elle leur crie d'arreter, &, pour le leur couper court, dit qu'elle veut retourner a bord. A peine a-t-elle proféré cette parole , que tous les deux, s'accordant enfemble a. force de difcorde, pouffent le traïneau fur un endroit de la glacé qui étoit dégelé; femblable a un air d'opéra, qui dit qu'il aime mieux qu'un monftre affreux , & le refte de la chanfon. Mademoifelle Javotte alloit être noyée toute vive, lorfqu'un autre jeune étranger, qui fe nommoit ordinairement F * * *, & qui s'étoit déguifé a telle fin que de raifon en matelot, a caufe du canal, tire une corde de fa poche, s'avance hardiment, avec toutes les précautions du péril oü il s'expofoit, lui donne un bout qu'elle prend, & il la tire au bord. Elle raccommode auffi-tót fes jupes que fon évanouiffement avoit dérangées. II la prit entre fes bras & 1'emporta dans une maifon voifine, qui fe trouva la. toute trouvée. II la mit fur un lit, qui étoit par hafard dans la maifon , & s'évanouit deffus a fon tour, fans pouvoir parler. On ne peut rapporter a quel point ils fe difoient tout ce que la tendreffe eft capable de  BB LA SAINT-JEAN. yOI fentir dans des cceurs bien appris. Ce n'étoit que des mots fans aucun ordre de fuite, tel qui convient dans un pareil accident. On entendoit fouvent, fans favoir qui, fenfonce , f enfonce ; tant ils étoient frappés de 1'image de ce qui venoit d'arriver. La belle ayant eu foin de mettre fes pieds auprès du feu, Ie généreux matelot s'y jeta, en lui faifant une déclaration en propres mots : mademoifelle, ce n'eft pas pour me vanter; mais il y a longtemps que je guettois le moment fortuné que je trouve aujourd'hui. Je ne donnerois pas dix écus pour que cela ne fut point arrivé, puifque ca me procure de vous déclarer ma paffion dont j'aurai 1'honneur de vous entretenir, fi vous êtes auffi. féche que je le voudrois ; mais la civilité veut que 1'on coure au plus preffé. Un difcours auffi touchant étoit trop tendre pour n'être pas pris du bon cöté: ce qui occafiona que mademoifelle Javotte répondit par un fouris gracieux , dont il devina que 1'interprétation fignifioit tout ce qu'elle pouvoit dire dans cette occafion , & 1'enhardit a fe découvrir, de facon qu'elle reconnut que c'étoit un feigneur anglois qu'elle n'avoit jamais vu, mais qui cependant lui avoit fait éerire plufieurs lettres unanimes, par le moyen d'une tante qu'elle pouvoit avoir, fur 1'article de li iij  AVIS AU LECTEUR Hj E Public a trop d'efprit pour être la dupe des mauvais auteurs; mais il eft difgracieux néanmoins de voir des gens affez ofés pour vouloir, comme on dit, lui en couler. C'eft ce qui fait qu'on lui écrit la préfente pour qu'il ne prenne pas fon cul pour fes chauffes, ou marte pour renard. Certains écrivains fades , & bêtes comme trente-fix cochons, s'avifent d'envoyer de temps en temps des manufcrits a ruiner les imprimeurs, ce qui fait qu'on voit des Etrennes de la Saint-Martin & des Suites d'hiftoire d'un gentilhomme amoureux de deux dames, & tant d'autres dont on infette le beau monde, pour imiter les bataill.sde chiens, Etrennes de la SaintJean , cruauté inouïe, & autres ouvrages reconnoilfables aux perfonnes de goüt. Mais, de peur qu'on ne s'y méprenne , on conviendra d'un figne particulier avec 1'ami public, pour qu'il ne foit pas expofé davantage a fe tromper fur la  je^ AVIS ■conféquence. Après ce petit avis, que je n'ai pu refufer a 1'intérêt de ma réputation 3 je vais lui rendre compte de ce préfent petit recueil, pour continuer a travailler, comme j'en ai déja rendu compte au public. Je regarde de tout ce que je vois; car il y a bien des gens qui voient fans regarder, & je puis dire, fans vanité, que je ne fuis pas de ceuxla. Ce mois de juillet dernier, me promenant dans Paris, je fus arrêté par les rires 6c le ton de la joie que j'entendis faire a cinq ou fix bonnes & groffes commères qui écoffoient des pois visa-vis la boucherie de Saint-Roch; j'entrai, pour écouter , chez un honnête monfieur, marchand épicier de profeffion, qui fait le coin de la petite rue qu'on appelle du rempart; &, fans faire aucun femblant de rien, j'écoutai plufieurs de leurs hiftoires fur différens fujets : je vis bien, a part moi, qu'elles étoient convenues enfemble de faire chacune la leur; car il y en eut une qui dit en finiffant: a vous le dez, ma commère, une autre,  AU LECTE01L s°9. car chacun le fien ce n'eft pas trop; 6c je fuis perfuadé qu'elles parloient de ca, faut croire. Or, les hiftoires me parurent coffues 6c fi pleines de gorges chaudes , qu'elles me donnèrent la penfée de les écrire avec un meilleur ftyle 6c plus en francois qu'elles n'étoient dites , 6c de les donner fous le titre des Ecojfeufes, -paree qu'en effet cette occupation nempêche pas plus les femmes de parler que les ducheffes qui font des nceuds : je pourrai donc rapporter beaucoup d'autres hiftoires chaque année ou tous les ans, fi ce petit effai peut agréer; je n'ai point rapporté toutes les converfations a la fuite; car il ,y a bien fouvent du fretin, comme 1'on peut croire. Je n'ai dit que les chofes qui m'ont paru hifitoriales, ou bien inftruaives&amufantes; du refte , j'ai ajouté a mes Ecoffeufes, fur lefquelles je fais un grand fonds , quelques pièces de différens fujets, afin de trouver, comme dans un bouquet, le goüt des curieux ; fi ce n'eft fur une chofe, c'eft fur une autre que 1'on le  jio AVIS AU LECTEUR. trouve; & comme la comédie eft, a ce qu'on m'a dit, fort a la mode, ma voifine la ravaudeufe m'a fourni un fujet que je n'ai pu me refufer, & que j'ai travaillé tout de mon mieux, paree que les caractères de tous gens de ma connoiffance m'ont paru touchans, quoiqu'a la vérité ce ne foit pas ce qui touche le plus ma plume que ces fortes d'ouvrages; mais il faut bien effayer de tout, pour favoir a quoi 1'on peut être propre.  3 Les Ecosseuses. mencit par chanter, comme je vous ai fait le conté, & ga fink par la danfer; alle voulut le porter trop haut pour une fille de fon calibre, alle en fit tant, tant, qu'a la fin Dieu la punit vifiblement; car comme elle avoit chanta, au lieu d'aller au catéchifme, on en compofa une belle chanfon qui fut moulée; je vais vous en réga'er ; car une chanfon vaut bien une hiftoire; c'eft fouvent tout un, m'eft avis: écoutez donc, vous autres , faites chorus avec moi; c'eft fur 1'air: O reguingué, 6 Ion lanla. Chrctiens, oyons dévotement Le très-terrible chatiment, O reguingué, ó Ion lanla, A 1'endroit d'une jeune fille, D'lionnête & très-nob!e familie. Son père , qu'avoit le moyen , L'éleva en fille de bien, O reguingué, &c. L'y fit apprendre la lecïure Dans toute forte d'écriture. Mais, quand a devint grande un peu, A perdit la crainte de Dieu, O reguingué, &c. En fe montrant rebourfe & fiére Aux confeils de mamfelle fa mère, AI' aimoit les jeunes muguets^ Et fréquemoit les cabarets,  Les Ecosseuses. 5-3 y O reguingué, &c. Peftant & jurant_ comme un diantre, Et faifant fon Dieu de fon vencre. Comme a la taverne alle étoit, Qu'alle chantoit, qu'alle trinquoit, O reguingué, &c. Sa mère vint, d'un amour tendre , Pour très-fagement 1'en reprendre. L'indigne , fans écouter ca, De fa mère elle fe gauiïa, O reguingué , &c, Tant qu'enfin lui faifant Ia moue, De fa main lui couvrit la joue. Son bon ange, qui la voyoit, En la tancant fe lui crioit: O reguingué, &c. Malheureufe peux-tu méconnoftre, La propre mère qui t'a fait naitre? Le ciel, courroucé grandement, La punit par un cliatiment j O reguingué, &c. Son vifage devint un mafque, Et fa piau de tambour de bafque. La chanfon finit avec la dernière écoiTe de ce jour-la, & chacun que 5a avoit mis en train s'en alla de fon cöté, qui chantant, qui difant qu'il y avoit de mauvaifes gens dans Ie monde plus que par-tout ailleurs ; que la punition étoit toujours au bout; que 1'on ne favoit pas  •yjó" L ir s Ecosseuses. ce qu'on faifoit quand on faifoit des enfans; que pour deux qui nourriffoient leur père & mère, ü y en avoit cent qui les marïgeoient; & plufieurs autres belles chofes &' moralités que je ne pus attraper; mais j'efpère être plus heureux a 1'écofle de cette préfente année 17 39 , & vous en faire part, ami leéteur, fi vous avez bien fait la mienne, en achetant ce préfent petit recueil. Le Départ lucratif. Il n'eft pas vrai de dire qu'il en coüte toujours pour partir; car il en coüte encore quelquefois plus pour refter : témoin 1'aventure qui eft arrivée a M. Guillaume, comme on verra par après ; car il eft vrai que MM. les traiteurs font forts chers , & qu'ils vous fucent une bourfe tant qu'ils ont de force: auffi, pour l'inftruction de la belle jeuneffe, un maïtre de penfion, qui crachoit des vers comme du latin, a bien pris la peine de mettre cette hiftoire véritable en rimes pour que ca fut plus aifé a retenir par la mémoire, & il la faifoit dire "par cceur tous les matins a fes écoliers avant de déjeüner. Mais, comme il vouloit joindre 'agréable a i'utile, il la faifoit chanter aufiij  Les Ecosseuses. 737 car, quoïqu'il ne fut pas mubcien ( il buvoit cependant bien tout de même ) , il avoit mis ligne pour ligne tout comme il y a dans un opéra de Cadmus ou de Camus, je ne (ais pas lequel, mais c'étoit tout en chant , & par conféquent c'étoit la même chofe. Ainfi, Cl vous favez chanter, vous n'avez qu'a le faire, li vous ne le favez pas, lifez-la agré iblement: li vous ne favez rien du tout, retenez-la par cceur , & puis vous la faurez. DIALOGUE De dame Guillemette & de fon fis te gros Guillaume. L e Fils. Il faut partir, ma bonne mère, Tous ces meffieurs voudroient qu'on leur fit bonne chère , Et je ne fais rien dépenfer C'eft en vain que mon cceur pritendroit s'en défendrc; II faudroit a la fin a tant d'affauts fe rendre, Je ne puis plus les amufer. La M e r e. Ah , mon fils, ah, que tu me plais! Tn foutiens dignement le renom de la race ;  S3% Les Ecosseuses. Vas, fuis toujours la même tracé,' Tu ne t'appauvriras jamais. L'honneur, ce pauvre faint, jamais on ne le chaume Dans la familie de Guillaume. Ah, mon fils, ah, que tumeplais! L e Fits. L'eyemple d'un coufin n'étoit pas bon a fuivre, En vain a fon régal on m'offrit le bouquet. La M e r e. Ah! que fort a propos d'eux tous tu te délivres! Je fais bien que de toi par-tout on fe moquoit; Mais il vaut mieux fans honneur vivre Que de donner un tel banquet. L e Fus, Ma bonne mère, il faut, fans tarder davantage," Par un départ foudain éviter tous ces bruits; Pour les éviter tous, je me retire & fuis De ce maudit pays, oü 1'on fe rit du fage. La M e r e. Hélas ! pourquoi blamer ainfi le bon ménage ! Fautil, pour contenter ce glouton de coufin, Cefler ici d'être mefqwin ? N'en aye pas la comjjlaifance;. S'il aime tant le bon feftin, Qu'il en faiTe feul la dépenfe. L e Fils. En effet, a quoi bon nous venir atabler ? Auffi-tot qu'il parut, j'eus raifon de trembler.  Les Ecosseuses1, J39 La M e r e. Tu concus de juftes alarmes. L e F i l s. J'en reffens encor les douleurs. La M e r e. J'en ai pour toi verfé des pleurs. L e Fils, En partant je taris la fource de vos larmes. La M e r e. Fuis donc, & promptement. L e Fils. Je vais vous obéir. La M e r e. Fuis, mais il faut courir. Je fais que ton cceur eft fenfible; Mais brife de l'amour le dangereux Hen. L e Fils. Aux cceurs intéreffés il n'eft rien d'impoflible, Auöi-töt qu'il s'agit de conferver fon bien. DUO a deux. La Merh & le Fits. Ne donnons jamais rien. La M e r e. Qu'une périlleufe tendrefle Ne te retienne point.... le temps prefie.  5r° Les Ecosseuses. DUO a deux. La Mère & l e Fils, Le brillant dont nos cosurs font le plus éblouis, Eft celui des louis. L e Fils. AmaiToris. La M e r e. C'eft ce qu'il faut faire. Aux cceurs comme le tien c'eft 1'or feul qui doit plaire, DUO d deux. La Mere,& le Fies, Quand on donne , qu'on a d'ennuis! La M e r e, Epargne. L e F i l Sé Je le fais. La M e r e. Sois mefquin. L e Fils. Je le fuis. Maïs je rifque quand je diftere; II faut me fortir de ce lieu. La M e r e. Ah, mon fils! L e Fils, Ah , ma mère ! La M e r e. Adieu,  Les Ecosseuses. La D ou ceur. Mademoifelle Charpi apportera Son air de douceur , Qui infpirera de l'amour dans les cosurs. JL'Embonpoint. Mademoifelle Bertrand apportera Ses belles joues & fon embonpoint, Pour de tous s'attirer les foins. Les R.i s. Mademoifelle PaJJi apportera Ses ris gracieux ordinaires, Qui feronc fouhaiter de 1'imiter. Le bon Air. Mademoifelle Bardot apportera Sa belle ph<'fionomie & fon bon air, Qui nous engagera a paffer la rivière. Les Graces. Mademoifelle le Caeur apportera Ses charmes & fes grace, Qui nous feront au coliet Ia paffe. Les quatre demoifelles qui arriveront les premières, avec chacune leur écuyer, commenceront une contre-danfe, & auront la bonté de faire les honneurs de cette charmante afTembiée, jufqu'au foupé ; apres le foupé, les quatre premières forties de table Prendront leur place & le foin que tout jufqu'a minuit aille bien,  Les Ecosseuses. Après minult, les quatre autres continueront A faire danfer jufqu\.u matin pour infpirer 1'envie d'avoir encore un dvjphin. Les violons commenceront a trois heures. Ces douze premières reines font priées de faire avertir les anciennes qu'elles ne pourront occuper dans cette partie que les places de princeffes & de duchefles. 'Apostilze. Mademoifelle, vous prierez madame votre mère & mademoifelle votre fceur de vous accompagner. Cette apoftille eft pour celles qui ont des mères ou des fceurs. Notez bien la deftination des quatre qui feront danfer depuis minuit jufqu'au matin. Gaudichon» Le tout fe pafTa, comme deffus} magnifiqueaient & agréablement. LE  L E PORTEUR D'IAU, O u LES AMOURS DE LA RAVAUDEUSE, CO MÉ DIE EN UN ACTE EN PROSE. Tomc X. Aï m  Les Ecosseuses. ACTEURS. M a R G o T, ravaudeufe. Madame R O G N O N, triplère. Madame CoTTERET, vendeufe de pommes. M. SiFFLET, porteur d'eau. POITEVIN, ) Champagne, > laquais. BoURGUIGNON, \ Passe-PARTOUT, clerc du commiffaire. La fcène ejl dans une rue de Paris.  L E PORTEUR D'IAU, C O M É D I E. SCÈNE t MARGOT dans fa boutique, POITEvTN. M a r g o t. Poitevin, Poitevin , écoute donc, Poitevin. Poitevin. Que veux-tu ? je n'ai pas le temps. M a r g o t. Tu n'a plus le temps ; tu 1'as bien fu prendre9 bon vaurien. Poitevin. Je me donne au diable fi je n'ai une commiffion qui prefTe. Mm ij  y^g Les Ecosseuses. M argot. Oüeftletemps, Poitevin, quand je te voulois renvoyer; quand je te difois, va-t-en; monfieur te grondera, monfieur te feramaitre d'hötel chez toi: tu me difois; bon , bon ! s'il n'eft pas content, qu'il prenne des cartes; eft-ce qu'il n'y a point d'autres rnaitres que lui dans Paris ? c'eft que tu avois envie de ma piau, c'eft que.. .. Poitevin. Oh, monfieur eft devenu plus difficile, & je ferois, ma foi, bien fiche de le quitter. M. S i f f l e t paffant. A 1'iau... au...votre valet, mademoifelle Margot. M a r g o t. Votre fervante, M. Sifflet. Tout cela eft bel & bon; mais a quand notre mariage ? Poitevin. Qui ? notre mariage ? Oh ! il n'y a rien qui preffe. Margot. N'y a rien qui preffe, dis-tu ? vois-tu donc comme vla qui pouffe ; tout le monde le verra bientót; on en battera la moutarde dans tout  Ju e s Ecosseuses. 549 le quartier; & fi je ne puis pas dire, je fuis la femme a Poitevin , je ne faurai que devenir. Poitevin. Bon , Margot ! n'es-tu pas bien établie ? n'as-tu pas quelque chofe devant toi ? eft-ce un chien que toutes tes pratiques ? tu changes continuellement le trou pour la pièce. Oh, dame, je ne vois pas Margot. Quoi ! tu n'as pas pitié de 1'état oü tu m'a mis? Poitevin. Cela eft donc bien facheux. Oh bien, je ne veux pas m'afflïger tout feul; je vais avertir Champagne , Bourguignon, la Fleun ...» Margot. Qu'entends-tu par-la, chien devoierie? Poitevin. Doucement, mademoifelle Margot, je vous en prie, point de gros mots; je faurois biea vous paumer la gueule. J'entends vous le favez ce que j'entends. Le four n'a pas chauffé pour moi tout feul. Margot. Voyez cet impudent ! comme fi j'étois fille.... Mm iij  j-jro Les Ecosseuses,, Poitevin. Vraiment nenni, tu ne 1'es pas. Margot. Ce chien-la ! ne me 1'as-tu pas vu ? Poitevin. Oh qu'ouï, je te 1'ai vu. Margot. Eh bien, c'eft donc pour ga. Je crois, Dieu me le pardonne, que tu te fiches de moi? veuxtu m'époufer , ne le veux-tu pas ? Poitevin. Je te dis que monfieur ne le voudroit pas. Margot. Je te dis & je te douze moi, que ga n'eft pas vrai; mène-moi chez lui tout a ft' heure , finon je m'y en vais. Je lui dirai.,.. Poitevin. Tu lui diras que j'a* couché avec toi. II eft, ma foi, bien curieux de ga. Margot. Nous verrons. Je lui demanderai juftice. Poitevin. II te le fera. II me défendra de te voir jamais plus.  Les Ecosseuses. 571 Margot. Et tu pourras lui obéir ? Poitevin-. Dame, c'eft mon maïtre' une fois. Margot. Comment! ton fruit ne fauroit te toucher? Poitevin. Pourquoi diable veux-tu me le donner ce beau fruit ? qu'ai-je affaire moi de ta préférence ? Margot. Je fuis bien malheureufe , hi hi hi. Voila comme ils font, ces vilains hommes ; quand on les a contentés , ils vous traitent comme des je ne fais qui. PoiTEVi n. Sans adieu , Margot; tu ne pleurnïcheras pas toujours. Margot. Adieu , montfaucon , adieu, bicétre ; on t'attend a Ia grêve, va donc, va donc vïte, tu les fais trop attendre. Que ferai-je ? le chien n'a pas voulu gober 1'hamecon ; ce gueux - la me chie du poivre; il faut cependant trouver M m iv  5S4 Les Ecosseuses. du pays ne favent quafi pas e'crire. Je menrólas etant foul, envers M. Calignon, dans la Couronne, &je défertis deux mois après par de méchans confeils; je m'en fus a Bayonne; & puis, de peur d etre pendu, j'allas en Efpagne, & je travaillas de mon métier de peigneur de chanvre; mais je me foulas un dimanche, & je me renrölas encore, & on nous embarqua dans la mer, & on nous menit k Oran, la ville capitale de' la Barbarie, & au Roi d'Efpagne, qui n'y demeure pas, mais bien k Madrid dans 1'Efpagne ; je vous dis la vérité comme un bon chrétien. J'allas en détachement avec notre coronel M. de la Roya,qui fut tué d'un grand coup de fabre, & nous autres pris par les foldats noirs, qui nousdépouillirent, fauf votre refpeóè, comme des vers, &c nous battoient comme des bceufs & nous mettoient k la charrue pour labourer, fans manger de pain , mais bien des racines crues; & je fus vendu par bonheur au grand mufti d'Ameleta, qui eft comme un évéque ; c'eft pourquoi, me voyant, il me dit: bon garcon, d^oü eft-ce que tu es, Spagnol? & moi je lm dis que je n'étois pas Spagnol, mais du roi de France; & il me dit, de Paris' & je lui dis de Grenoble? & il me dit, oü eft-ce que c'eft Grenoble , & moi je lui dis, du Dauphiné; & ii regarda fur fa carte, & il dit, c'eft  Les Ecosseuses. j8j vrai: & puis il dit, j'aime les gens de ton roi, Sc je te ferai a ton aife fi tu veux n'être pas chrétien; & moi je lui difis que je voulois être chrétien en Jefus-Chrift; il me dit, tais-toi & mange , & on me menit a 1'écurie , & on me baillit de la viande, & on ne me faifoit point de mal. II me raandit querir deux jours en après, & il me dit, adoreDieu, & je le lui adoras; il me dit, voila qui eft bien: moi, j'étois bien aife ; mais il ne voulut plus plus par après que je fille le fïgne de Ia croix, & difoit que je n'étois plus chrétien ; & moi je difis que fi. Alors on me battit bien & on me laiffa mourir de faim ; & moi j'étois en défordre & je recommandois mon ame a la bonne vierge Marie , je difois que j'étois malheureux, mais on n'avoit pas pitié de moi; je fus quatre jours fans manger qu'un peu de 1'eau. Mon maïtre me manda encore querir, j'y alias que je voyois tout trouble , tant j'étois foible; il me dit, eh bien ! veux-tu être reniant ? je lui dis que je ne voulois pas me damner; il me difit alors, ni moi, ni toi ne fera jamais damné en adorantDieu ;&moï jc lui dis qu'il étoit plus favant que moi, & que je ferois tout ce qu'il voudroit; & il dit a fon aumönier : circoncis ce francois, & aye bien foin de ne lui pas faire mal; alors onme menit dans une belle chambre & un bon lit, & on  }S6 Les Ecosseuses. me coupit la circoncifion fans me faire de mal, & je fus guari peu de jours après , & j'allas puis a 1'école, pour apprendre la religion du pays, qui eft qualï comme celle de Grenoble , excepté qu'on ne dit pas la meffe & vêpres; il n'y a point de prêtre habillé de noir , mais des muftis en fouranne verte. Après trois années d'étude, mon maïtre me mit petit mufti de Guidoma , qui me vaut bien plus que la cure de Saint-Laurent de Grenoble: j'ai quatre cents habitans qui m'aiment comme leur garcon ; ils font de bonnes gens , & je leur fais la lefture une fois la femaine, & puis comme qui diroit le catéchifme , & puis je circoncis les garcons. Je vous dis la vérité, mademoifelle , comme fi j'étois pret de mourir. Quoique j'aye époufé ici trois femmes, j'aime toujours la première. C'eft pour cela que je vous prie de me 1'envoyer ; elle n'a qu'a vendre tout ce qu'elie a & s'en aller a Marfeille; elle y trouvera un négociant de Tunis, mon bon ami, nommé Abdalla Rifabec, qui doit paffer en Barbarie au printemps prochain , & qui me 1'emmera •' j'attends cette charité de vous, mademoifelle , pour l'amour de Dieu. Je fuis votre affeftionné ferviteur, Nicolas Didier, dit a préfent Grafallon Mauricque.  Les Ecosseuses 587 Autre avis au public. JLe s petits génies s'imaginent qu'il n'y a qu'a fe baifler & en prendre , & qu'en allant du grenier a la cave, & mettant la charrue devant les bceufs, & comme on dit, magnificat a matines, que cela fe fait tout feul, mais ce n'eft pas ca. Le public n'eft pas un aveuglc des rues, il voit bien de quoi il retourne , & que ca fe fait pour lui attraper deux liards par ei par la; la chofe ne va pas ainfi, encore qu'on la poufie , & ce n'eft pas la le tu-autem. Ami lecteur , cher leóteur , on veut vous plaire ; mais on ne veut pas moins vous édifier & inftruire les jeuneffes par des préceptes & des hiftoires dont il y ait du profit ; car fans 1'honneur, foin du refte; vous trouverez dans tout ce que j'écris, morale, philofophie, juftice, & femences de toutes vertus, car voila le hic ; tout ce qui ne vous fera pas tel, cela n'eft pas de chez nous , ne vous y trompez pas , bonne renommee vaut mieux que ceinture dorée. On ne veut que votre bian, & nou pas votre argent. Ah , ah , ah, ah, ah ! Fin du dixième & dernier volume.  TABLE DU TOME DIXIEME. FACÉTIES, QUATRIÈME PARTIE. J£vertissement de Véditeur. page i Histoire de M. Guillaume. c Préface de M. Guillaume au public. 7 Hiftoire & aventures de mademoifelle Godiche la coëffeufe. Iz Hiftoire de M. Bordereau, commis a la douane, avec madame Minutin. 26 Hiftoire des bonnes fortunes de M. le chevalier Brillant in. ^5 Hiftoire de madame Alain & de M. Vabbé Evrard. $q Les Bals de bois. 8y, lettre de M. le comte Z * * *, a M. Ie marquis 3 &c. $j Première Aventure} arrivée au hal de la porte Saint-Antoine. 8 arrivée au bal du Carroufel. pg Quatrième Aventure > arrivée au bal de VEfi trapade. IOj Cinquième Aventure , arrivée dans un des bals. io5 Sixième Aventure. 108 Septièrne Aventure } d'un prince & d'une princeffe , arrivée a un des bals de la place Vendame. IU Huitième Aventure du bal de la place Vendóme. Il6* Neuvième Aventure de la place Vendome. Les filles pourvues. 121 Les Fêtes roulantes. 124 Le Char de la Gloire. 130 Le Char de Vlijmen. Ij^ Le Vaiffeau de la ville. I yj Le Char de Cérès. X45 Le Char de Bacchus. iyo Hiftoire de la princeffe Lacune. 1 ra Sixième Char qui na pas paru y &c. iyg Les Regrets des petites rues. 166 Chanfon nouvelle. lóg Autre Chanfon. ijq  S9o table. Mémoires de l'Académie des c olporteurs. 171 Avant-propos. 173 Idéé générale de la fociété des colporteurs. 175" J^oyages d'un cul-de-jatte, colporteur. 178 Hiftoire du forcier Galichet. 197 La Toilet te , ou les Arrêts du deftin. 207 Podamir & Chriftine, nouvelle rujjienne. 213 Suite de Vhiftoire de Podamir. 220 Hiftoire du fieur Boniface. 22TJ Hiftoire de Catherine Cuiffon , qui colportoit. 234 La Reine de Congo, tragédie. 24.7 Scène de politique. 2.ÓO Manufcrit per du. 263 Avertiffement. 264 Vie de Vauteur. 265* Lettre de Jean Loncuart a. M. D. L. B. 283 La Malie-bofte, nouvelle nuk de Straparole. 30J Mémoire de Simon Collat, dit Placard. 341 Les Etrennes de la Saint-Jean. 393 VÊditeur au Public. 396 Lettre perfanne d'un monfieur de Paris , a un gentïlhomme turc de fes amis. 403 Réponfe du gentïlhomme turc. 405 Le Bouquet de rofes. 407 Dialogue en forme de queftions fur le manage. 4°9  TABLE. S91 Les Mémoires du préfident Gu'dlerin. 3.12 Pour faint Pierre & faint Paul. ^ip La Rupture ingénieufe. ^20 Penfées différentes fur divers fujets. 422 Le Ballet des dindons. 4,2y L'Emblème allégorique. ^26 Le prince Bel-Efprit & la reine Toute-Belle. 4,29 Pourfainte Elifabeth. ^2 Les Epreuves d'amour dans les quatre élé- mens. . -„-. Suite des épreuves d''amour dans les quatre él émens. AArs D'une pierre deux coups. Qui perd gagne, hiftoire. ■ ^ Galanterie nouvelle d'un marchand boucher afa mattreffe. Le Poiftbn d'avril. Comme les chofes arrivent, hiftoire. ^oy Hiftoire véritable d'un gentïlhomme qui donna a fouper a deux dames qu'il vouloit époufe'• $66 Chanfon. ^ La Bataille des chiens. La queue de mouton , chanfon , &c. 470 Cruauté inouïe exercée par M. Chambéry envers Javotte de Pantin. . Vde amoureufc & lyrique, traduite du grec. 477  5*02 T ABL E. Pour mademoifelle de Romèray , aimable' demoifelle. 4.78 La parole fait le jeu , hiftoire. ib.d. Déclaration mufulmane. 480 Eloge. 48 r ie Mariage en détrempe, nouvelle véritable & hijlorique. 484; Relation galante & fiinejle de Vhijloire d'une demoifelle qui a gUJfé, pour être époufée, Vhiver du mois de décembre lyqz. 4.01. Lettre de M. Jacquinet. 503 Les Ecosseuses, ou les (Sufs de paques. joj, Avis au lecieur. $0~J Le Oui & le Non mal placés. ƒ11 Le Coup de tonnerre. ' 523 Hiftoire de la commère Jean-Logne y &c. 526 Hiftoire de la fille dénaturée , par la commère Jambon. C32 Le Départ lucratif. Dialogue de dame Guillemette & de fon fils Gros-Guillaume. j-37 Hiftoire véritable d'un beau bal danfé après foupé dans un fauxbourg de Paris. 541 Le Porteur d'iau , ou les Amours de la ravaudeufe , comédie en un acte & en profe. 545* Fin de la table du tc-me dixième.