VERZAMELING W. H. SüROGAK  CAUSES CÉLÈBRES E T INTÉRESSANTE5, A V E C LES JUGEMENS QUI LES ONT DÉCIDÉES. Rédigées de nouveau par M. Bic her, anelet\ Avocat au Parlement. ^r^^T*1^ TOME PREMlixT T0T *< /3 ZEDELIJKE Avocat au Parlement. A AMSTERDAM, Chez Michel Rhey. 1771.   AVERTISSEMENX Sur cette nouvelle Editïon. PEu d'ouvrages ont eu plus de vogue , que les Caufes Cclcbres & intérejfantes de M. Gayot de Pitaval; peu d'ouvrages auffi ont été plus cenfurés. Tout le monde a lu celui-ci , & tout le monde s'eft plaint que l'auteur n'y avoit fuivi aucune méthode ; que les faits y font jetcés fans ordre; qu'ils y font noyés dans un tas de réflexions triviales; qu'on eft enfin réduit le plus fouvent a la peine de les deviner; que les moyens y font expofés avec une prolixité qui leur fait perdre tout rintérêt qu'ils pourroient avoir par eux-mêmes. Je ne finirois pas, fi je voulois faire la lifte de tous les reproches qua éprouvés , & qu'éprouve a z  iv AVE R TISSEMENT. cncore journellement ce livre. J'ai ofé entreprendre de lui donner une nouvelle forme. J'ai etfayé detirer les faits du cahos dans Jequel on prétend qu'ils lont engloutis. J'ai taché, autant que les efpèces 1'ont per, mis , d'arranger la narration de Jnanière que le ledeur ne pré. vk pomt Ie jugement, 6c que ie fien reftdt incertain jufqu'au denouement. J'ai cru que cette mérhode rendroit chaque caufe plus intéretfante, en tenant 1'efpnt du ledeur fufpendu , & piquant jufqu'a la fin fa curiofiré par lc balancement des raifons des intéréts & des pafïïons. Tel a été mon deiïein; j'ignorc ü je I'ai rcmpli. J'ofe me flateer au moins que le ledeur me fcaura gi'e de mes efForts & de ma bonnc volonté. Entre les caufes qui compoient ce Recueil, il en eft ce, pendant quelques-unes fur lef-  AVERT1SSEMENT. v quelles je n'ai pas eflayé ce projet^ elies ne m'en onc pas paru fufceptibles. Je me fuis contenté d'y mettre de la clarté , ëc de faire valoir 1'intérêt qu'elles ont par elles-mêmes. Au refte j'ai fait main-bafTe fur tout ce qui, dans cette collection, étoit du cru de M. Gayot. J'ofe dire que eet écrivain n'avoit, ni gout, ni critique, ni philofophie ; il ne pouvoit donc rien produire de lui-même qui ne füt au-deiïbus du médiocre. D'après eet expofé, on voit que je me fuis totalement rendu maltre de 1'Ouvrage, 8c que j'en ai difpofé comme de mon propre fonds. Je ne me fuis pas contenté de fubftituer mon ftyle au ficn , de renverfcr 1'ordre qu'ii avoit fuivi dans chaque caufe ; j'ai pris fur moi d'ajouter des moyens a ceux qu'il avoic employés , a ceux même qui fc ïrouvent dans les mémoires oii  f] A VER T1SSEMENT. al avoit puifé. Je n'ai pu mé repuiera mon.imaginatiop, quand clle men a fuggéré qui étoient tirés fok de la loi , foit des circonfWes de Ia caufe : mais cncre ceux qui fe font préfenrés arafi , je n'en ai point adopté qui ne m'aienc paru propres a augmentcr 1'intérêc. , . Pour donncr a cette édition un dégré de fupériorité fur h précédente , j'y ai intercalé des caufes que M. Gayoc n'avoit point données au public. Elles font indiquées par un aftérifque * placé a cóté du titre. J'ai été , & je fuis encore bien ten té de retrancher les morceaux puremcnt hiftoriques <}ue Monficur Gayot avoit jugé a propos de transformer en caufts ; comme J'hiftoirc de Marie Stuard , celles de Dom Carlos, de Robert d'Artois, &c. Je crois que ces hiftoires ne doivent point être comprifes  AVER TI SS E M ENT. fous lc titre de Caufes. Ce titre ne rënferme que les affaires qui Te traitent entre particuliers devanc les tribunaux de la juftice contentieufe. II me lemble que ceux qui font curicux de connoïtre ces traits hiftoriques, ne doivent pas s'attcndre a les trouver dans un livre, dont le frontifpice n'annonce que le développement des intrigues & des intéréts des particuliers : c'elt dans les monumens &c dans les livres confacrés a 1'hiftoire publique des nations que 1'on doit cherchec la connoifTance de ces fortes d'événemens. Mais, quellc que foit ma fa^on de penfer fur cct objet, je me ferai un devoir de lafoumettre au gout du public, dont j'attendrai la décifion par la voix de MM. les Journaliftes, qui font fes interprètes , & que jepriede s'cxpliquer acet égard.  TABLE DES PIECES Contenues darts ce premier Volume. Les nouvdles Caufes font marquêes d'une étoiü. JLfArtin Guerre , page- t Rénée Corbeau , ., * Caa/è plaidée devant Henri ƒ51 Xe Gueux de Vernon j jr, * finguliere d'un lieutenantcriminel de Rouen, ^o«r co/zvai/zcre K/2 qjfajjin de jon crime ,117 'Enfant réclamé par deux mères ou. la célèbre caufe de S. Géran ,123 * Mere réclamée , qui na jamais accouché, Eifioire du proces de la Marquife de Brinvilliery ^zo * En fans d'un bénéficier légitimés, 433 CAUSES  CAUSES CÉLEBRES E T INTÉRESSANTES, Avec les jugemens qui les ont décidées. «g —:^gg^d^; ^ MARTIN GUERRE. Artin Guerre écoit nc dans Ia Bifcaye, de parens dont 1'érat étoit un peu audeiïlis de celui de payfan. Agé d'environ onze ans, il époufa, au niois de Janvier 1539, Bertrande de Rols, de Ia ville d'Arrigues, diocefe de Rienx. Monfieur Coras, (1) Rapporteur du (1) M. Coras croit né a Tonloufe. II profefla le Droic avec beaucoup de fuccès a Paris, a Padoue, aFeirare, & enfin dans fa patiie. II Une conduite auffi contradictoire annonce que , fi cette femme avoit quelque incerritude fur l'état du prifonnier, elle étoit plus portée a le croire fon mari, qu'a le regarder comme un importeur} & la procuration qu'elle avoit donnée, n'étoit que le fruit de 1'afeendant tyrannique de Pierre Guerre fur fon efprit. La fuite du procés prouvera la vérité de cette conjecture, L'accufé fonda d'abord fa défenfe fur la reconnoiflance univerfelle de tous les habitans du pays, de ceux avec qui il avoit vécu ie plus familiérement , de fes parens, de fa femme enfin. Cette reconnoiifance univerfelle formoit en fa faveur un argument d'autant plus invincible , qu'elle n'avoit été précédée d'aucun examen. Dés qu'il s'étoit préfenté fous le nom de Martin Guerre, tout le monde lui avoit tenda les bras; on 1'avoit connu au feul afped, quoique le temps eüt changé en barbe le poil follet qu'il avoit au menton , lots de fon départ : & cette obfervation étoit trés - importante, d'autant que 1'on étoit alors dans 1'ufage da porter la barbe longue. Dans 1'interrogatoire qu'il fubit, H rendit un compte exact de tous les faits, A5  i o Martin Guerre. fiir fefquels il fut interrogé; il prévenoir même les demandes. II paria avec toute l'exaótitude poffible du lieu de fa naiflance, de fon père, de fa mère de fon mariage, du prêtre qui 1'avoic célébré, de ceux qui furenr invkés aux noces, & de leurs habits; il nomma les perfonnes qui l'étoient allé voir dans le lir nuptial : il raconra 1'avencure qui avoic donné l'exiilence a fon fiis Sanxi, dcfigna le jour de la naiifance de eet enfant. 11 rapporta le motif de fon départ, paria des perfonnes qu'il rencontra dans fon cherain , rappella les converfations qu'il eut avec eux , dénom» bra les. villes qu'il avoit parcourues en France. 11 dit qu'il avoit fervi le Roi pendant fept a buit années; qu'il étoit enfuire pallé en Efpagne, ou il avoit été- foldat pendant quelques mois. II cita toutes les perfonnes dont il avoit été connu dans ces deux royaumes, Sc indiqua reus les moyens propres a s'afïurer de la vérité de tont ce qu'il avan.«poit. On fuivit la tracé de fes indications , & il fut prouvé qu'il n'avoit rien; avancé que de vrai. On iuterrogea Bertrande de Rols & quelques autres perfonnes que l'aeiaie avoit ckées dans fon interrogatoire. La  Martin Guerre. 11 première rapporra , dans la plus grande conformité , tous les fairs dont iaconnoiifmce pouvoit lui ècre commune avec fon mari. Elle en ajouta un dont 1'accufé n'avoir point parlé; c'étoit 1'hiftoire duprétenduenforcellemenr qu'elle détailla. II fur interrogé fur eet article , & paria comme s'il eüt concerté fes réponfes avec fa femme. II fourinrquele confentement qu'elle donnoit a la perfécution qu'on lui faifoit eifuyer, ne provenoit que de la fubornarion, & demanda en conféquence qu'elle fut fequeihée dans une maifon oh elle put ètre a l'abri de routes les impreffions de Pierre Guerre &C de fes gendres. Cette demande lui fuc accordée. 11 obtint encore permiffion de faire publier un monitoire , pour avoir révélation de la fubornarion de Bemande deRols, &c pour vénfier les reprocfies qu'il oppofoit aux témoins que Ton vouloit faire entendre contre lui. II fut ordonné en outre qu'il feroic fait une enquête, au Pin, a Sagias Sc a Anigues, de tous les faits qui pourroient concerner Martin Guerre , 1'accufé , Bertrande de Rols & 1'honneujr & la réputation des témoins. A &  12, Martin Guerre. Les révélations occafionnées par Te monitoire & les dépofuions des témoins. de 1'enquête, conftatèrent la vertu de Bertrande de Rols. Cette vertu rant vantée & fi bien ctablie étoit d'un grand poids pour la juftification de 1'accufé. II en réfultoic que, fi Bertrande de Rols 1'avoir reconnu pour fon mari, elle n'y avoit été déterminée que paria vérité,& non par le defir de remplacer un époux fur fe retour duquel elie n'avoir plus lieu de compter. L'information fut compofée de cent cinquante témoins. Trente a quarante déposèrent que 1'accufé étoit véritablement Martin Guerre, qu'ils avoienr eu de grandes habitudes avec lui dès fon enfance, & qu'ils le reconnoifibient a certaines marqués & certaines cicarrices que le temps n'avoit point effacées. D'autres témoins, au nombre d'environ cinquante , déclarèrent qu'ils Ie reconnoiifbient pour Arnauld du Tilh, dit Pansette, natif de Sagias, & qu'ils 1'avoient vu & fréquenté dès ie berceau. Le refte des témoins, au nombre de plus de foixante, reconnurent que la reffemblance enrre 1'un & 1'autre étoit fi frappante, qu'ils n'ofoient affurer &  Martin Guerre. 1$ Taca/é étoit Martin Guerre, ou Ar« nauld du Tilh. . Enfin, on ordonna qu'il feroit tast on rapport de la reflemblance ou dnfemblance entre Sanxi Guerre & 1'accufé , &c entre 1'accufé & les fcurs ae Martin Guerre. Du premier de ces deux rapports, il réfulta que Sanxi ne reiTemblott point a 1'accufé} mais"que 1'accufé reflembloit fi parfaitement aux filles Guerre, que deux aufs ne font pas plus femblables La procédure étoit en eet etat, lorique le Juge de Rieux prit fur lui de déclarer 1'accufé atteint & convaincu d'ctre un impofteur, de le condamner £ avoir la tete tranchée, & d'ordonner que fon corps mort feroit mis en quatre quartiers. _ , L'appel d'un jugement fi peu refieehi & fi légéremenc prononcé , fut porte au parlement de Touloufe. Cette Cour ne regarda pas la procédure faite en première inftance comme fufhfante, pour que 1'on put ftatuer fur une affaire auffi délicate. Elle ordonna d'abord que Pierre Guerre & Bemande de Rols ieroient fuccellivement confrontes e*. pleine chambre a 1'accufé. II montra, dans ces deux confronta-  *4 Martin Guerre. nons, une contenance ü aflurée & im vifage h ouverti Pierre Guerre & Bertrande de Rols parurenr fi déconcertes , que les Juges crurent lire fur le tromde 1 un qLl',i étoit injuftement perWe; & für cejui des deux autfe qiuls eroienr des calomniareurs. L'accuie fomma Berrrande de déclarer avec ferment li elle le reconnoiiToic : il ne vouIok d'autre juge qu'elle, & fe foumetroK a une peine capirale, fi elle ofoit jmerqud ne für pas Martin Guerre. Elle repondit quelle ne vouloit, ni le jurer, ni U croire. Ne pouvoir-on pas regarder cette réponie comme une efpèce d'aveu qu'elle » ofon plus reculer après la démarche qu elle avoit faire? Mais les Juoes ne crurent pas que leur décifion du? potter im des préfomprions : ik ordonnerenr une nouvelle enquêre. Elle fut compofee de trente témoins, dont neuf o" d,x atreftèrent que 1'accufé étoit f^rtin Guerre^ fept ou huit, que c'étoir Arnauld du Tilh; & les autres n'olerent rien alTurer de pofitif. ; Amfi lom que ces nouvelles précau«ons repandufent de la lumière dans iefprit des Juges, elles ne faifoient preuves & les raifons atiroienc eu, de pare &c d'autre?  Martin Guerre. 29 une force égale, & auroient pu laiffer quelque doute dans 1'efprit , la faveur du mariage, & 1'état de 1'enfanc donr Bercrande de Rols éroic accouchée depuis fa cohabitation avec 1'accufé, ne devoienc-ils pas déterminer en fa faveur ? D'ailleurs 1'humaniré & les loix nous apprennenc que, dans le doute, il vaut mieux s'expofer a lailfer un coupable impuni, qua perdre un innocent. Les juges étoient dans cette perplexité , lorfqu'il furvint tout a coup un autre Martin Guerre, qui avoit une jambe de bois, comme 1'avoit dit ce foldat, dont Bertrande de Rols avoir dépofé la déclaration chez un notaire. Ce nouveau venu préfenta une requête, par laquelle il réclama le nom 8c 1'état de Martin Guerre, 8c demanda d'être interrogé. II fut conftitué prifonnier , 8c fubic interrogatoire fur les mêmes fairs fur lefquels on avoit queftionné fon concurrent. II donna, fur fon état, des indices qui, dans toute aurre occafion , auroient été plus que fuffifans pour déterminer en fa faveur; mais, comparés avec ceux qui avoient été foutnis par 1'autre, ils ne paronffoient pas auffi eerB3  3© Martin Guerre. tains, Sc n'étoient, ni aulli détaillés , ni en fi grand nombre. Ils furent confrontés Tun a 1'antre. Le premier fourint que le nouveau venu avoir été apofté par Pierre Guerre; Sc déclara , avec ce ton d'aflutance que la vétité feule femble pouvoir donner, qu'il fe foumettoit au dernier fupplice, s'il ne découvroit pas la fourbe que 1'on machinoit contre lui. 11 interroge enfuite fon concurrent fur plufieurs circonftances qui ne pouvoient être conmies que d'un" mari. Le nouveau venu répondit a la vérité, mais fans montrer cette fermeté qui n'avoit jamais abandonné Taurre. On les interrogea féparément fur dix ou onze faits particuliers, dont on n'avoit encore parlé ni a 1'un, ni a 1'autre; ils répondirent tous les deux avec la même j uftefie. II ne reftoit donc plus qu'une reflource pourdécouvrir la véricé.Ön voulur avant de 1'employer, faire venir les frères d'Amauld du Tilh, pour qu'ils le reconnuifent entre les deux concurrens. Mais aucune menace ne put les déterminer a comparoitre ; Sc 1'on crut qu'il étoit contre 1'humanité de les contraindre a füre contre leur frère une dépo-  Martin Guerre. 3 1 fit ion qui ne pouvoit que le conduire au fiipplice. L'ainée des filles Guetre fut appel* lée la première a la confrontation : elle s'arrèta quelque temps les yeux fixés fur le nouveau venu, pais s'élanca fu^bitement dans fes bras, fondant en larmes, &c lui demandant pardon de Terreur oü le fourbe Tavoit jettée & entretenue fi long-temps, ainfi que tout le village d'Artigues. La nature arracha pareillèment des larmes a Martin Guerre : il embralfa fa fosur, & lui pardonna une méprife a laquelle il lui auroit été bien difiicile d'échapper. Les trois autres fosurs reconnurent pareillèment le dernier arrivé pour leur frère, ainfi que tous les témoins qui avoient été les plus opiniatres a vouloir trouver Martin Guerre dans Arnauld du Tilh. Enfin , on fit entrer Bertande de Rols. Elle n'eut pas plutot jetté les yeux fur le nouveau venu, que fondant en larmes, elle fe jetta a fes genoux : elle lui repréfenta que fon erreur étoit Touvrage de fes belles-fteurs •, que leur opiniatreté a prendre un impofteur pour leur frère, jointe a Tardeur qu'elle avoit de retrouver un mari fi cher, lui avoit B4  32; Martin Guerre: fafeiné les yeux, Sc 1'avoit conduite, dans Pabyme du déshonneur; qu'elle y avoit été arrêtée par les fourberies de ce fcélérat, qui 1'avoit trompée par fes difcours, par laconnoiflance qu'il avoit de faits qui ne pouvoient être connus que d'un mari, & par un extérieur fi femblable, qu'il n'étoit pas poffible de ne point s'y méprendre. Elle lui raconta que, dès qu'elle avoit pu quvrir les yeux, elle n'avoit rien épargné pour fe venger ; qu'elle avoir obrenu un premier jugement, qui co'ndamnoit lefourbe a être décapité;& que 1'appel qu'il, avoit interjetté de cette fentence, n'avoit point rallenti 1'ardeur de fes pourfuites. Le ton dont elle paria , fes larmes, fa beauté, 1'expreflion de la douleur empreinre fur fon vifage Sc fur toutes fes attitudes, rouchèrent les juges fpectareurs de cerre fcène atrendriflante. Le feul Martin Guerre, fur qui les témoignages d'affiitié & de repentir de fes fcBurs avoient tant fait d'impreffion,. fut infenfible a Ia douleur Sc aux gémiiTemens de fa femme. 11 1'écouta fans. 1'inrerrompre, la regardant toujours d'un ceil févère, & avec un air méprifant. » Je ne puis, lui dit-il enfin-,.  Martin Guerre. 3 3 "» ni vous croire , ni vous pardonner. » L'exemple de mon oncle, celui de mes » foeurs ne font point une excufe pour » vous. II eft tant de marqués infail» libles auxquelles une femme ne peut 35 fe trompet", qu'il eft impcffible qu'elle » prenne un étranger pour fon mari, » fi elle ne fe plait pas dans fon er» reur. Vous feule êtes caufe du défaftre » arrivé dans norre maifon. « Les juges s'efforcèrent de perfuader Martin Guerre de 1'innocence de fa femme confondue par les paroles de fon mari; rien ne put le toucher; rien ne put alors le fléchir : le temps feul en vint a bout. Pafquier, qui rapporte auffi 1'hiftoire de ce jugement, dans fes recherches, torn. z, liv. 6, chap. 36, eft étonnéde cette févérité de Martin Guerre , qui méritoit, felon lui, une punition auffi févère qu'Arnauld du Tilh, pour avoir, par fon abfence, occahonné la méprife de fa femme. Mais oü eet auteur a-t-il pris qu'il n'eft pas libre a un mari de s'abfen-ter, & qu'il eft permis a fa femme de 1'en punir, en fubftituant un étranger dans fon lit, fous prétexte de reftemblance ? Toute la vertu de Berrrande B 5  34 Martin Guerre: de Rols fera croire difficilement qu'elle' n'a pas pris plaifir a fon erreur. Que le premier afpect de 1'impofteur fait trompée comme tout le monde, rien de plus naturel. Mais, quelque frappanre que foit la reftemblance qui fe rencontre entre deux hommes, il eft des nuances diftinóHves qui peuvent échapper a tout le monde , mais qui ne peuvent pas ne point être appercues d'une époufe \ il n'eft pas poffible qu'elle ne les edt fenties depuis long-temps ces nuances , lorfqu'elle fit chez un Notaire la dépofition dont on a parlé, & lorfque Pierre Guerre & fes fils la follicitèrent de leur prêter les mains a la pourfuite de 1'impofteur. On ne prend point de telles prccautions , & 1'on ne fe prête point a une telle procédure contre une perfonne a qui on tient par des liens fi étroirs, lorfqu'on n'a ancun lieu de dourer de la réalité de fa préfence. Tout cé qu'on peut dire de plus favorable pour elle , c'eft que, quand elle eut reconnu fon erreur, elle aima mieux y perfifter que de découvrir fahonte. D'ailleurs, quels malheurs ne fe préparoit-elle pas, fi elle n'eüt pas réufli dans fon accufation , foit paree que celui qu'elle auroit pourfuivi comme impoftsur, fe fe-  Martin Guerre. 3 f roit trouvé être effectivement Martin Guerre, foit paree qu'elle n'auroir pu parvenir a fournir la preuve de l'im-pofhire ! Quoi qu'il en foit, le fourbe étoit démafqué, & la vérité étoit dans tout ion jour; mais avant que de prononcer le jugement, on agita beaucoup ia quettion defcavoir, fi Martin Guerre & fa femme ne méritoient pas punition. Le crime du mari n'étoit pas tant de s'ctre abfenté de chez lui, que d'avoir porté les armes contre fon Prince a la bataille de Saint-Laurent, oü il avoit perdu une jambe. Mais on conlidéra que , s'il étoit caufe de 1'adultère commis par fa femme, c'étoit une caufe éloignée. On ne peut impurer a un mari les défordres de fa femme, a moins qu'ils ne fe commetrent fous fes yeux, & que, par fa conduite, il donne lieu de préfumcr qu'il y confenr & qu'il s'y prère : mais qu'il s'abfente, & que fa femme pronte de fon abfence pour fe livrer au crime , la juftice humaine ne peur pas punir le mari; il n'eft refponfable qn'au tribunal de Dieu , d'avoir abandonné la perfonne pour laquelle il lui eft ordonné B6  3 6 Martin Guerre'. de quitter fes père & mère, & toiit-ce-; qu'il a de plus cher. Quant au fecond crime, les juges eftimèrent qu'il n'avoit pas eu un deflein formel de porter les armes contre fon Prince. II étoit allé en Efpagne , oü ilavoit fervi le cardinal de Borgos, & enfuire le frère de ce cardinal, qui 1'avoit emmené en Flandres» II avoit été forcé de fuivre fon maitre a la bataille de S.. Laurenr, & contraint de combattre malgré lui fous les. yeux de celui qu'il fervoit. D'ailleurs, il avoit fuffifamment expié; ce crime par Ia privation d'une jambe, par la perte d'une partie de fon bien ,. que du Tilh avoit difïïpée , & par les défaftres les plus humilians, dans. lefquels il avoit trouvé fa maifon. Al'égard de la femme, il n'y avoit contre elle que des préfomptions. Comment prouver juridiquement qu'elle: avoit été détrompée auffi-tót qu'il paroït qu'elle auroit düd'être ? Commentj prouver juridiquement que cette refTem- blance , qui avoit féduit tous les yeux, . n'étoit pas univerfelle ? On pouvoit même croire,, par les faits prouvés au; procés, que cette femme n'avoit pas ea:le temps d'acqnérir une expérience.. aflez league pour ne plus perdre la mi.-  Martin Guerre. 'ff tnoire des indices diftinéHfs de foiv tnari. Ces indices, d'ailleurs, font refneclifs, & les aceouchemens qu'elle avoit eus, y avoient vraifemblablement apporté de la variété. Enfin , 1'hurna- / nité qui, dans le doure, fait toujours préfumer pour 1'innocence, dé.rermina le parlement de Touloufe a abfoudre Bertrande de Rols. Par 1'arrêt qui fut prononcé le i z feptembre 1560., la fentence du juge de Rieuxfutinfirmée. Ladécapitation qu'il avoit prononcée eft le fupplice des gens. nobles feulement; encore y a-t-il des crimes, comme le vol, raflaffinat prémédité, qui font cefler leur privilege, &c qui les foumettent au gibet & a la roue Or étoit-il naturel d'appliquer un. fupplice réfer.vé pour la noblelfe , a unmalheureux de la lie du peuple , qui étoit coupable de fept crimes énormes a la fois t.fauiTeté de nom, fuppofition de perfbnne, adultère, rapt, facrilège, larcin & plagiat ? (i) Pour réparation de ces crimes, il fur condamné a faire amende honorable devant leglife. d'Attigues., a genoux., (i) On commct ce crime, en retenant en fa yuiiTancc une perfonne qui, comme une fcm->. ase, eft en la pmllaace d'un autre.  3 8-' Martin Guerre, en chemife, tête & pieds raids, la cordè au cou, tenant une torche de cire ardente, demandant pardon a Dien, au Roi, a juftice, a Martin Guerre, & d Bertrande de Rols, fa femme; a être de-la conduit par les rues & carrefours d'Artigues ; enfuire pendu & étranglé devant la maifon de Mattin Guerre, &c fon corps brulé. L'ufage & les loix du royaume veulent que les biens de ceux qui font condamnés au dernier fupplice, foient conflfqués au profit du Roi, ou au profit du feigneur haut-jufticier, dans le territoireduquel ils fe trouventfitués.Mais le parlement de Touloufe crut devoir s'écarter de cette regie en faveur de Tenfant que ce malheureux avoit eu de Bertrande de Rols, & les biens d'Arnauld du Tilh furent adjugés a fa fille. L'exécution de eet arrêt fut renvoyée au juge de Rieux , & Martin Guerre & fa femme furent mis hors de cour , a 1'égard des accufations dont ils pouvoient être chargés, Tune comme adultère , & Tautre, comme ayant porté les armes contre fon prince. Le juge, avant que de faire exécuter Tarrèt, fit fubir, le 16 feptembre 15^0, un interrogatoire au coupable. 11 avoua  Martin Guerre. ^ 19 tous fes crimes, & ccmfefla qu'étant foldat avec Martin Guerre , ils étoient devenus amis; que celui-ci lui avoit donné, en diftérentes converfations, tous les éclaircilfemens poflibles fur fa naiffance, fur fes biens, fur fes paren»; & fur fa femme; que dans llvreffe, il lui avoit découvert tous les myfteres cachés fous le voile de 1'hymen ; qu'au retour du camp de Picardie, quelques amis intimes de Martin Guerre 1'avoient pris pour lui; que cette erreur lui avoit fait naitre l'idée de fon impofture ; qu'il avoit tiré d'eux plufieurs détails dont Guerre nel'avoir point informé, ouque ie peu d'intérêt qu'il y prenoit lors de leurs entretiens, lui avoit laifle echapper de la mémoire. Enfin , il avoua que Bemande de Rols elle-même lui avoit appris une infinité de particularirés qu'elle croyoit feulement lui rappeller, &C fur lefquelles il avoit Tadreffe de lui faire croire qu'il avoit la mémoire auffi récente qu'elle. 11 confeiïa encore plufieurs autres crimes. Lorfqu'il fut au pied de la potence dreflee clevant la porte de Martin Guerre , il lui dernanda pardon & a fa femme d'un ton pénétré de repentir 8c de don-  4-0 Martitt Guerre. leur. Son corps, après 1'exécution, fat' jetté au feu. Cette. affaire a pu donner lieu a une queftion affiez importanre. On fe rappelle que, pendant qu'Arnauld du Tilh étoit en poifeliion du nom & de 1'état de Martin Guerre, il avoit aliéné une parrie de fes biens. Le véritable propriétaire ayant été rétabli dans tous fes droits par la condamnation de 1'impofteur, n'a-t-il pas pu; non-feulement faire annuller tous les contrats d'aliénation, mais fe faire reftituer les fruits percus par les acheteurs ?. La décifion de cette queftion dépend de quelques principes qu'il eft néceftaire d'expofer. Suivant le droit romain, qui eft le feul guide que 1'on puiiTè fuivre en cette matière, & qui d'ailleurs régit le pays oü la chofe s'eft paftëe, tout le monde peut aliéner non-feulement fon propre bien , mais lebien d'autrui , & la vente eft bonne & valable; (i) c'eft-a-dire, que le vendeur eft obligé de livrer a, 1'acquéreur la chofe vendue , ou d'en payer les intérêrs. (z)_ Mais fi la chofe vendue eft réclamée par un tiers qui y a droit, 1'acquéreur dort (i) L. 2.8 , jf. de contrnhenda emptione. U)L. 11, $. i,ff. Ae.ttü, etnpf. &,vend.~  'Martin Guerre. 41 être indemnifé par la reftitution du prix de la vente qui n'a pu avoir fon exécurion, & par les dommages &c intéréts , pout indemnité du tort que lui a pu occafionner le défaut d'exécution. (1) En etter, quand on dit qu'un tel contrat de vente eft bon, ce n'eft qu'entre le vendeur Sc l'acheteur, & non pas relativement au véritable propriétaire , qui ne peut jamais être dépoffédé de ce qui lui appartient, fans fon confentement. D'ailleurs il eft de maxime que perfonne ne peur donner plus qu'il n'a. Ainfi un poftefteur peut bien tranfmertre fa poifeliion , mais il ne peut pas tranfmettre la propriété , s'iL ne 1'a pas. (2) Les aliénations faites par Arnauld du Tilh ne pouvoient donc aucunement préjudicier a Martin Guerre, qui pouvoit rentrer, fans conttedit, dans la jouiffance Sc propriérédes fonds aliénés. Mais quant aux huits , les achereursn'ont pas pu être contrahits de les reftituer , pourvu que leur acquihtion Sc. la pofteffion dont elle a été fuivie aienc (ï) L. 50, §. i, ff. de aciionibus empti & vend. (1) L. 11, l. f4, ff- de divcrf. reg. jur.l.zo,. esd, de ad.qinr. rei,, domin.  41 Martin Guerre. toujours été accompagnées debonnefoi, c'eft-a-dire, qu'ils aient toujours cru qu'Arnauld du Tilh , leur vendeur, étoit Martin Guerre. En effet, la bonne foi de celui qui achete d'un homme qu'il croit le véritable propriétaire de la chofe achetée , prodtut deux effets: le premier eft que, tant que fa bonne foi dure, ou qu'on ne peut pas le convaincre qu'il ait été en mauvaife foi, il gagne les fruics, & 1'on ne peut pas le contraindre a les reftituer. (i) Le fecond efret eft que ce pofleüeuc de bonne foi pourroit prefcrire la chofe par une longue polTeffion , c'eft-a-dire, en devenir propriétaire incommutable.. (i) Inftit. ULt ytiti i , §. 55-  43 RENÉE CORBEAU. T TN jeune liomme né a Séez, en \J Normandie , de parens nobles, faifoit ion cours de droit a Angers. II fut épris des charmes de Renée Corbeau, fille d'un bourgeois de cette ville. Elle fe laitfa féduire par une promefle par écrit qu'il lui fit de 1'époufer. Ses complaifances eurent des fuites qu'elle ne put cacher a fes parens. Le mariage étoit le feul remède qui put réparer eet accident. Afin de vaincre la répugnance que la diftérence des conditions auroit pu infpirer au jeune homme pour cette union, on employa la rufe. Les père &: mère de la fille 1'engagèrenr a donner un rendez-vous a fon amant, un jour qu'ils feignirent un voyage a la campagne. Lorfqu'ils furent certains qu'il étoit en tête a tête avec elle, ils furvinrent fubitement, & le menacèrent de toutes. les rigueurs de la juftice pour le rapt de  44 Renée Corheciu. féduction dont il s'étoit rendu conpable. II ne fit aucune réfiftance \ & un notaire apofté dreffa un contrat de mariage, qui fut figné da toutes les parties. Pour fe fouftraire a 1'exécution de fon engagement, le jeune homme partit fubiteinent d'Angers , &c fe rendit chez fon père, auquel il fit 1'aveu de tout ce qui s'étoit paffe. Pour mettre un obltacle infurmontable au mariage, le père détermina fon fils a fe faire diacre. Renée Corbeau, indignée de cette trahifon, fe joignit a fes père & mère dans la pourfuite de la procédure. On fit informer a Angers du rapt de féduction. Le jeune homme fut décréré de prife de corps. L'appel de ce décret fuc porté au parlement de Paris, oü route raffaire fut évoquée. Sur les plaidoyers refpeótifs des parties, le jeune homme fut condamné, fuivant la jurifprudence de ces tempsla, a être décapité, ou a époufer Renée Corbeau 5 & fur la déclaration qu'il fit que les ordres dans lefquels il étoit engagé , ne lui laiffoient pas la liberté de profiter de 1'option qu'on lui déféroit, la cour ordonna qu'il fubiroit l& peine prononcée.  Renée Corbeau. 45" II fut livré a 1'exécuteur; le confeffeur qui devoit l'aiïifrer dans ces derniers momens, étoit a fes cótés, lorfque tout 1'amour de Renée Corbeau fe réveilla. Elle ne put foutenir 1'idée du fupplice que fon amant n'alloit fouffrir que paree qu'elle 1'avoit trop aimé. Elle fe fit jour jufque dans la chambre oü les juges étoient encore aflemblés. Elle obrint lapermiffion de parler. Elle repréfenra que, fans doute on 1'avoit ctue plus malheureufe que coupable, puifqu'on puniüoit de la mort celui auquel elle s'étoit livrée j mais que ce jugement, loin de réparer fon infamie , y mettoit le comble, en lui ravifiant la feule perfonne qui put rétablir fon honneur. C'étoit donc, au lieu de lui faire grace, la condamner a pleurer le refte de fes jours, une faure qu'on prétendoit tui pardonner : & les larmes auxquelles elle fe voyoit condamnée, étoient d'autant plus amères, qu'elles partoient de deux fources plus cruelles 1'une que 1'autre; une honre irréparable, & la perte d'un homme pour lequel elle n'avoit jamais celfé de relfentirles plusvives impreffions de 1'amour. Elle prit a témoins de fes peines ceux d'entre fes juges dont le coeur étoit, 01  4& Renée Corbeau. avoit été fenfible. Elle leut peignit Ia douleur dont ils feroienr déchirés, s'ils voyoient périr , par un fupplice infame, 1'objet de leuramour; fur-tout ü ce fupplice étoit 1'ouvrage de leur paffion. Car c'eft moi, dit-elle, qui ai attiré cette victimeinfortunéedans le précipice; c'eft moi qui 1'ai aimé avant que j'eufle fait aucune imprefïion fur fon cceur; c'eft moi qui 1'ai féduit; c'eft moi enfin qui lui ai vendu, au prix de cette fatale ptomeffe qui fait tout fon crime , des faveurs que je me ferois déterminée a lui ofFrir, fi mon adreffe ne Teut pas amené au point d'exiger avec ardeur ce que je fouhaitois encore plus ardemment que lui. C'eft donc moi, que vous jugez innocente, qui fupporterai toute la rigueur du fupplice: il en fera délivré par la mort; & j'en ferai frappée a tous les inftans de la vie qui me refte a parcourir. Elle repréfenta que Tengagement contta&é par eet infortuné en prenant les ordres, n'étoit point fon ouvrage , mais celui d'un père impérieux, auquel il n'avoit pu réfifter. Sa volonté n'avoit donc pas été libte; par conféquent il n'y avoit point d'engagement. D'ailleurs pouvoit-on rétraéfer le pre-  Renée Corbeau. 47 mier arrèt? On avoit donné a 1'accufé Ie choix de fe matier, ou de fubir le dernier fupplice; & 1'on choifiifbit pour lui ! 11 avoit déclaré, il eft vrai, que fon état ne lui permettoit pas de faire ufage de 1'option qu'on lui déféroit; mais cette déclaration n'étoit point un refus d'accomplir le mariage; elle fignifioit feulement qu'il ne pouvoit pas le faire, mais qu'il le feroit s'il le pouvoit. II falloit donc, pour le mettre en état de choifir, lui rendre le mariage poftible ; qu'une difpenfe, dont il y avoit mille exemples, fufrifoit; qu'elle feroit fort aiféeaobtenir, pour peu que la cour voulüt employer fon crédir; qu'en tout cas, elle fe flattoit de 1'obtenir, par fes inftances & par fes larmes, du légat que 1'on attendoit en France. Elle demanda, en conféquence, qu'il fut furfis a 1'exéciuion du dernier arrèt , & qu'on lui accordat le temps d'obtenir la difpenfe néceiTaire a fon amant pour le mettre en état d'exécuter le premier. C'eft ainfi, dit-elle, que vous pourrez concilier la miféricorde avec la juftice. Son difcours, orné des (leurs d'une éloquence naturelle, mais infpirée par 1'amour & par la douleur, & foutenue  48 Renée Corbeau. par les graces & par la beauté, eutls fuccès qu'elle en attendoit. II fut crdonné qu'il feroit furfis a 1'arrêt pendanr fix mois, pendant lequel temps 1'accufé fe pourvoiroit. Le cardinal de Médicis, qui fut dans la fuite élupape, fous Ie nom de Léon XI, & qui mourut un mois après fon éleótion, arriva en France a peu prés dans ce temps-la, en qualité de légat. La perfidie du jeune homme, qui avoit abufé de la fainteté des ordres, pour fe fouftraire a un mariage dont fa conference & toutes les loix de la probité lui impofoient la néceffité, indigna tellement ce prélat, qu'il fut fourd a toutes les foilicitations. Henri IV étoit alors fur le tróne. Tout le monde feait combien ce grand roi étoit acceffible a tous fes fujets, &c fenfible aux attraits de la beauté. Renée Corbeau fe jetta a fes pieds, il fut bientót petfuadé, & fit avoir la difpenfe. Le mariage s'accomplit; les deux époux vécurent dans lünionla plus parfaite, & le mari n'oublia jamais qu'il devoit fa vie & 1'honneur de fa familie i 1'amour de fa femme. Ces fortes de difpenfes accordées a des  Renée Corbeau. 49 1'avoit porté chez fon K-iu-hère, qui 1'avoit caché un endroit qu'il inJi^a. 1 ous ces fairs fe trouvèrent vrais. Boulanger fut cöndamné a la queftion ordinaire & extraordinaire; il la foutint fans rien avouer. II fut enfin mis en liberté, mais a la charge de fe repréfenter en juftice, toutes les fois qu'il en feroit requis. Quelque temps aptès, on arrêta trois Gafcons qui voloient dans Paris. Ils furent condamnés a être penduspourim vol fait avec effratftion. Celui qui fut exécuté ie dernier, déclara, avant que de monter augibet, que Boulanger étoit innocent dumeurtre de Jean Proft ; que c'étoit lui qui 1'avoit commis conjointement avec un de fes deux camarades que 1'on venoit d'expédier. Ils avoient appris que fa mère lui avoit envoyé de 1'argent: pour voler cette fomme plus facilement, ils réfolurent de tuer Proft le foir dans la rue. S'ils euffent commis eet aflaffinat dans la chambre même du jeune homme, Ie bruit qu'il auroit fait en fe défendant, les auroit décelés, & ils auroient pu être pris en C5  54 Caufe plaidée flagrant délic : au lieu que s'étant ainfi ctéfairs de lui, il leur étoit aifé d'aller. . dans rn chambre fans bruir, au moyerr de fa clef qu»u |uj aVoient prife dans fa poche. II ajouta quu. n'avoient retiré aucun fruit de ce crime, lis étojCut entrés a la vérité dans la chambre lu lendemain de raüaffinat; ils avoient forcé les cofFres, mais ils n'avoienr point trouvé 1'argent qu'ils cherchoient. On lui demanda ce qu'il avoit fait du cadavre de Proft. II dir que fon camarade & lui Tavoienr jetté dans les commodités de la maifon oü ils fe retiroient ordinairement; ce qui fut trouvé vrai. Boulanger préfenta fa requcte a la cour, par iaquelie il demandoit qu'on le déclarac innocent de 1'aüaffinar; qu* h nsère de jean Proft, qui Tavoit poür-fuivi comme allaffin de fon fils , tu% condamnée a lui faire réparafion d'honneur avec dépens , dommages & intéréts., Anne flobert, qui plaidoit pour Boulanger, débuta par un exorde compofé dans le gout de ces temps-la. » Tout » ainfi, dit-U, queTélephe, fils d'Her» cule , ayant été blelTé d'un coup de » lance par Achille, eut réponfe de 35 1'oracle qu'il avoit confulté, que la » lance feule d'Achille pouvoit le gué^  devant Henri IV. ^ 5 5 „ rir , de même fa partie ayant été tour» mentée par arrêt occafionné par Taccufation calomnieufe de fon adver„ faire, il avoit recours a la mème jul» tice pour la punition de la calomnie „ & PadoucilTement de fes malheurs. Paflant enfuite aux moyens , 1] dit qüinutilement la mère de Jean Prolt alléguoit pour fa défenfe , _q_ue la cour . ce cribuna! fi Sügüfte & i'on n'avoit point appercu les démarches qui pouvoient conduire a la découverte de la vérité. L'accufation a-voit été intentée contre Boulanger feul; le juge n'avoit pu diriger la procédure que contre lui. Quand une faulTe accufation n'eft point le fruit de la calomnie, mais de 1'imprudence , comme dans cette caufe, la punition a la vérité n'eft pas capitale, mais on ia convernt en dommages & intétêts. Les larmes d'une mère qui pleurefon fils affailiné, doivent fans doute tou-  'devant Henri IV. _ $7 cher le cccur des juges; mais doiventils ê:re moins fenfibles aux gémiffemens dün innocent auquel on fait fouffrir les tourmens de la queftion la plus rigoureufe, & qui refte tellement eftropié de tous fes membres, qu'il lui eft impoiïible de gagner fa vie , celle d'une femme & de cinq enfans ? Qnand il eut ceffé de patler , Hentf IV fe déclara pour lui, & dit qu'il avoit raifon. Me Antoine Arnauld, qui étoit chargé de la défenfe de la mère, établitque, lorfque Proft fut maflacré, Boulanger voyant qu'il ne rentroit point chez lui, au lieu d'avertir la mère de 1'abfence de fon fils, étoit allé prendre fon argent, & 1'avoit tranfporté hors de fa maifon; qu'il avoit plufieurs fois dénié ce fait a la face de la juftice, Sc avec ferment; que lotfqu'il ^avoit ka que deux étrangers étoient entrés dans la chambre du jeune homme, & y avoient enfoncé les coffres, il auroit encore dü avertir la mère ; qu'il ne s'en étoit difpenfé fans doute que par la crainte deperdrefonlarcin.Silesloix (i) condamnent a la reftitution du quadru^ (t) 1.1, de incendio , ruma, naufragio, c ^  jS; Caufe plaidée, &c; ple celui qui a volé ou recélé des cho^ ies volées dans un naufrage, un incendie, &c. quelle punition doit-on inniger a celui qui a volé 1'argent deIbn hóte afiTafliné ? Toutes les circonftances annoncoïent que Proft avoit été tué par quelqu'un. qui, inftruit qu'il avoit recu de 1'argent, vouloit fe lappropfie'r. Sa mère pouvoit-elle mieux s'adrelfer qua celui qui s'étoit trouvé faifi de eet argent? Lorfqu'il eut cefle de parler Henri IV dit que celui-la. avoit encore raifcn, & qu'ils avoient raifon tous deux,. Par Arrêt du lundi ij janvier 1600, Boulanger fut déclaré abfous du crime,. & fur la demande en dommages & intéréts, les partie? furent mifes hors de, eour, fans dépens. Dans foute autre circonftance, il au* foit été dü des dommages cV intéréts a Boulanger: mais 1'argent enlevé & caché prouvoit une mauvaife intention de fa part, & 1'on jugea qu'il avoit méritéla queftion qu'il avoit fubie, .Le Roi & Ie duc de Savoic applaus diremr. i.1'Arrcr.  59 JlWl^lWiJ^l w I ^ ^,ï=S=T ï^-r^f ÏY»*V' 'nti-T^r''"^^^* ! '^IP fï Z£ GUEUX BE VERNON. DU mariage de Jeanne Vacherot avec Lancelot le Moine, notaire au chatelet de Paris, naquirent trois enfans, Pierre, Jacques & Louis. Jacques, dont il va beaucoup être queftion dans cette caufe, fut baptifé dans 1'Eglife de Saint-Sulpice de la paroifle de Bois-Hiéraulme proche Vernon , en Normandie, le ii feptembre 1644. Lancelot le Moine mouruten 1649,. après avoir fait un teftament, par lequel il avoit nommé fa femme tutrice de fes enfans ; ne défirant pas qu autre qu'elle fut tutrice, paree que ce feroit leur ruim. Son fuffrage fut confirmé par fentence du chatelet. Au mois de Septembrei 65 4, la veuve fit un voyage a Vernon , oü étoit leprincipal fiege de la fortune de fes enfans;' elle mena avec elle Louis, le plus jeune, Sc laifla les deux autres, Pierre, agé de quatorze ans, & Jacques, agédedix3, G 6  6"o Le gueux de Vernon: fous la conduite de leur aïeule & d'une fervante. Pendant 1'abfence de leur mère , ils difparurent fubitement avec ceuxd'un nommé Coutard, bourgeois de Paris. Ceux-ci furent, peu de temps après, ramenés a leur père : on n'euc point de nouvelle des autres. Pendant que la veuve le Moine étoit occupée a en faire la recherche, elle rencontra un jourun mendiant accompagnéd'un enfant, dans lequel elle imagina remarquer quelques traits du plus j.eune de ceux qüelle avoit perdus. Elle 1'examina plus attentivement, crut s'être trompée, donna au mendiant lefignalement de fes deux fils, & le chargea de les lui ramener, s'il les rencontroit dans fes voyages. Après une recherche inutile de huit mois, elle rendit plainte & fit informer de leur évafion. Huit témoins dépofèrent, fans donnet aucun éclaircifiement. Un d'entre eux articula cependant un fait que des circonftances readirent fort important» Il étoit maïtre écriv.ain, & dit que les deux enfans fcavoient lire & écrire, & connoiffoient même les. premiers élémens de Ja langue larine» Quitque temps après, Ia veuve le  Le gueux de Vernon. tl Moine fit encore un voyage a Vernon. Elle y entendoit la mefie paroifliale le 25 juillet 1655, lorfque le mendiant dont on a parlé , entra dans 1 Eg ife, accompagné du même enfant. Elle lui nt figne d'approcher, lui paria en feeree & lui donna 1'aumóne. Quelques femmes affifes auprès d'elle, frappees des traits du petit pauvre, lui dirent qu il étoit le plus jeune des deux enfans qu elle avoit perdus. Elle répondit froidemens que fon fils avoit le nez un peu plus court. Ces femmes ne fe payèrent point de cette raifon; leur idéé fe communiqua de bouche en bouche i route 1 aifemblée, qui fut perfuadée que la veuve le Moine étoit une maratre , qui refufoit de reconnoïtre fon fils, apres 1 avoir livré elle-même a ce mendianr. L'office fini, le mendianr fut afiailli d la porte de 1'Eglife par cinq ou fix particuliers qui voulurent lui arracher 1'enfant, foutenant que c'étoit le hls de feu Lancelot le Moine & de Jeanne Vacherot. Le peuple s'attroupa , & rut confirmé dans la première idee qu ü. avoit faifie par le témoignage d'une mendiante. Cette mendiante s'approcha aa bruit,& rapporta, qu'elle étoit entree dans la ville avec 1'homme qu'on vou-  ét Le gueux de Vernon. lok arrêter, & qu'approchant d'une certaine rue , elle avoit entendu que I'enfanr difoit qu'il ne fallok pas y entrer paree que fa mère Vacherot y demeuroit. Le tumulte augmente : on preffele mendiant de déclarer s'il eft le père de 1'enfant; il répond : eft bien père qui nourrit. Je 1'ai pris dans un hópital ou fa mère eft morte , & lui ai promis de ne le point abandonner. Toute la ville fut bientöt imbue de cette aventute : perfonne ne douta que le gueux ne fi;: un raviffeur d'enfans, 8c Jeanne Vacherot, une mère dénarurée. L'après-midi, nouvelle fcène. On trouve le pauvre a la porte de Biflï , on 1'entoure, & il n'eft petfonne qui, au premier coup d'ceil, ne reconnoifte le petit le Moine. Le procureur du Roi fe trouve dans la mêlee; il fait différentes queftions, tant au mendiant, qu a i'enfanr. II demande au premier, quel eft fon pays : il répond, tantót qu'il eftde Périgord, & tantót, qu'il eft de Bapaume. Quant a I'enfanr, qui étoit un peu éloigné du mendiant, il lui demande d'oü il vient, & s'il connoiffoit queU qu'un. dans les villages ckconyoifms3,  Le gueux de Vernon. Cy, entre lefquels il affecre de nommer celui de Bois-Hiéraulme , oü la veuve le Moine avoic du bien , & alloic fouvent. L'enfant dit qu'il a beaucoup été dans ce village, Sc qu'il y a des connoilfances. Pour éprouver la tendrelfe paternelle du pauvre, le procureur du Roi prend fepr deniers qui étoient dans la main de i'enfant, les fait remettre au mendiant par un habitant, qui lui dit que, le petit le Moine le quitte & veut aller chez fes parens a. Bois-Hiéraulme, A ce mot, le gueux fend la preffe Sc s'enfuit. On 1'arrêre, Sc le procureur du Roi les fait conduite 1'un & 1'autre chez le lieurenant parriculier; le lieurenant-général étoit abfent. Ce juge, qui étoit coufin - germain de: feu Lancelot le Moine, interrog-2 le. gueux , qui déclare s'appeller Jean iVionrou[feau; qu'il eft fils d'un tailleur de pierres duLimoufin; que dans fon bas age il a gardé les rroupeaux; enfuire, fervi le Roi en Iralie Sc en Flandres;. qu'étant en garnifon a Bapaume, il rechercha. en mariage J'eanne Blond , veuve d'un cordcnnier; mais que cetre femme n'ayant pu rapporter le certifi— sat de mort de fon premier mari, onw  £4 Le gueux de Vernon* leur refufa la bénédióbion qui leur fat adminiftrée a Arras, le 27 mai 1641, par Michel Hocquet, curé de la parolde de S. Nicolas, en préfence du caporal & de plufieurs foldars de la compagnie oü fervoic Jean Monroufleau. Le mari & la femme allèrenc enfuire a Mondidier, oü elle accoucha dün fils, & düne fille, qui moururenr a quelques mois lün del'autre. De-la ils pafsèrent a la Neuville, proche Mondidier, oü ils s'occupoienr a travailler dans les jardins & dans les bois. Au mois de novembre 1646, la fem«>me de Monroufleau accouche encore de deux jumeaux de différens fexes. Le garcon , nommé Louis , éroit celui que 1'on vouloit attribuer a la veuve le Moine. Le foin qu exigeoient ces enfans , ne laiffa plus a la mère le temps de gagner fa vie par le travail : fon mari öc elle fe determinérent a mend'ier. En quittant la Neuville, ils fe précautionnèrent des acles dont ils avoient befoin pour conftater leur état & leur pauvreté. Ces aétes confiftoient, i°. dans une déclaration en forme de requête du 1 Ayril 1647, adreffée par le curé &c fepe  Le 'gueux de Pernon. #y ttes principaux habitans a 1'évêque de Beauvais , leur diocéfain, dans laquelle ils expofoient que Jean Monroufleau & Jeanne Blond, fa femme, s'écanc retirés a Neuville a caufe des guerres, la femme y étoit accouchée de deux jumeaux, ce qui avoit réduit le père & la mère a la detnière exttêmité, 8c les obligeoit d'avoir recours a 1'autorite 'épifcopale, pour avoir la permiflion de quèter dans le diocèfe. i°. Un certificat en date du4avril fuivant, par lequel le curé & le juge royal de la Neuville atteftoient que Jean Monroufleau & Jeanne Blond avoient recu le facrement de mariage en la paroifle de S. Nicolas d'Arras, comme il étoit prouvé par 1'atteftation du fieur Michel Hocquet, curé dudit S. Nicolas, en date du 31 Mai 1641, dans laquelle ,ajoutoit-on , Monroufleau étoit nommé Philippe au lieu de Jean; erreut qu'il n'avoit pu reconnonre plutót, 1'atteftation étant en latin. Le certificat portoit en ourre que le mari & la femme avoient féjourné continuellement pendant ttois. ans, ou environ , a la Neuville; qu'ils. y avoient probablement vécu en gens de bien. & fans qu'il leur eut jamais, été fait aucun reproche; qu'ils en étoient  '6.6 Le gueux de Vernön, fortis avec cette réputation , après que Ja femme étoit accouchée de deux enfans jumeaux, hls & fille , qui avoient recu le baptême. L'atteftation latine, dont il étoit parlé dans ce certificat, avoit été petdue depuis; ,tiais fon exiftence paroiffoit fuffifamment établie par le témoignage du curé & du juge qui certifioient 1'avoir vue. Le mari, la femme & leur familie fe rendirent dans le Limoulin. La fille y mourut quelques mois après. Lorfque le garcon fut parvenu a lage de fept ans, comme il demandoir moins de foins, ils crurent pouvoir retourner i la Neuville y prendre leur ancien établiffement. La femme, paffant par Tours, y mourut a 1'hópital, le 10 juin 1^5 4, fuivant fon extraitmortuaire. Monrouffeau de venu veuf, ne laiffa pas de fe rendre a la Neuville avec fon fils. Mais la paix y ayant rendu les travaux moins frucfueux & plus rares, il vint a Paris , oü il rencontra la veuve Ie Moine. H en fortit pour chercher, dans la campagne, 1'occafion de travailler a la récolre des grains; & le hafard le conduifit a Vernon, oü la relfemblance de £bn fils avec le petit le Moine avoit  Le gueux de Vernon. 6J caufé le tumulre qui le traduifoit en juftice. Après Texamen de fes pieces , le lieutenant particulier interrogea Monrouffeau qui, dans fes réponfes, ne mit, ni cette clarté, ni cetre précifion qui caractérifent la vérité. Après 1'interrogaroire , le juge ordonna verbalement Ti'on le menat en prifon, & qu'on lui mit les rers aux pieds , fans rendred'ordonnance judiciaire, & fans Ie faire écrouer. II commanda pareillèment que l'enfant fut mis en dépot a 1'hópital. Tout cela fe palTa dans la journee du. 25 juillet 1(355. Le 27, un nommé Jer.n le Moine r procureur a Vernon, fe difanr parent de l'enfant enlevé par Munrouncnu,: préfente une requête, dans laquelle il expofe que Jeanne Vacherot eft une maratre ; qu'elle a perdu fes enfans, fans s'être emharrafTée de les faire chercherj que le hafatd lui en a fait retrouver un qu'elle ne veut pas reconnoitre : en conféquence, il demande qu'il foit informé j mais il déclare qu'il fe porte feulement comme dénonciateut, & qu'il n'entend point pourfuivre a fes frais. Sur Ja communication 4aire au procureur du Roi, il requit k  6% Le gueux de Vernon: 1'audience qu'il fut informé a fa requête. II feut obferver que , dans fon requifitoire, il s'énonga comme s'il n'eüt fait que d'apprendre dans 1'inftant ce qui s'étoit paffe quoiqüil foit certain qu'il étoit mêlé patmi la populace, lorfque Monrouffeau & l'enfant furent conduits chez le lieutenant particulier* Sur ce requifitoire, le lieutenant-^énéral, qui étoit de retour, ppruiit d ïnformer, & ordonna que Jcanne Vacherot & Monrouffeau feroient interrogés. II eft néceffaire d'entter dans le détail de ces interrogatoires. Le mendiant déclare d'abord qu'il fe nomme Jean Monroufleau. Lejuge lui remontre qu'il ne dit pas vrai, puifque, fuivant le certificat de fon mariage, ilfe nomme Philippe. II répond qu'en quittant Bapaume pour aller a Arras, il prit le nom de Philippe, au lieu de celui de Jean. On lui en demande. la raifon \ il n'en peut donner aucune. Enfin , il dit qüayant chargé une femme de faire expédier le certificat de fon. mariage, elle peut avoir, par erreur, fait mettre un faux nom au lieu du vérirable. Cette réponfe pouvoit être vraie alors. On étoit affez peu foigneux de fenir les regiftres baptiftaires en règlej  Le gueux de Vernon. 65) tbuvent même on n'infcrivoit aucun a&e, ni de baptème, ni de mariage, ni de fépulture; & ceux qui vouloienc en conferver la preuve, n'avoient d'autre reifource que de s'en faire donner des certificats par les prêtres qui avoient baptifé, marié ou inhumé; & fi Tón ne prenoir la précaution de veiller foimême a. leur expédition, il pouvoit s'y glilfer mille erreurs. Quoi qu'il en foit, on demande a Monroufleau combienila eu d'enfiur^ il répond qu'il n'a eu qüune fille & un garcon; que la fille étoit morte a Iffudel; & dans un autre interrogatoire, qu'il fubit quinze jours après celui-ci, il déclare avoir eu quatre enfans de deuK couches. A la vingt-deuxieme queftion, on lui demande de quelle couche étoit l'enfant qu'il réclamoit: il répond qu'il eft forti de la première. Le juge lui repréfente que cela ne peut pas être, puifqüil a dit précédemment que le garcon né de la première couche, fe nommoit Jean, & la fille Renée; au lieu que celui-ci s'appelle Louis. 11 fe rétrade, & dit que l'enfant en queftion eft de la feconde couche. On lui rappeüe qu'il fe contredit encore, ayanc  ■^o Le gueux de Vernon. déclaré précédemment que le garcon de la feconde couche étoit mort a S. Vallery fix mois après fa naiffance. 11 jrépond que l'enfant dont on conteftoit 1'état, étoit né de la première. On lui obferve que cette réponfe eft encore en contradicHon avec plufieurs autres précédentes, oü il avoit dit que le premier garcon éroit né a Mondidier, 8c y avoit_étébaptifé fous le nom de Jean, au lieu que celui dont il s'agiffoit avoit jrecu le baptème a la Neuville, & s'appelloit Louis. II ne fit aucune réponfe -a cette objeétion. Interrogé a plufieurs reprifes, & de .diftance en diflance, s'il connoït Jeanne Vacherot; il vatie a chaque fois dans fes réponfes : tantot, il dit 1'avoir vue une feule fois fur la place de grèVe ; tantót il lui a parlé deux fois , 1'une a la grève , 8i 1'autre , auprès de 1'hópital j enfin , il parle. de trois entrevues, dont ladernièrea plus d'un an de date. On le preffe de donner la caufe de ces variations; il s'obftine au filence, Le juge ordonne enfuite qu'on lui amène, dans fa maifon, la veuve le Moine, pour la confronter a ce pauvre. L'ordre s'exécute fans aucune forKialité de juftice, fans information,  Le gueux de Vernon. 71 fans ordonnance , fans décrer. On la faifit dans la maifon oü elle étoic retiréej on lui fait traverfer la ville au milieu de tout le peuple, qui 1'accable d'injures & d'outtages; elle eft conduite dans une chambre de la maifon du juge; on garde la porte avec éclat pour empêcher fon évafion , & on la met en préfence de l'enfant. Dès qu'il 1'appercoir, il court audevantd'elle , en 1'appellant maman; mais elle petfifte toujours a foutenir qu'il n'eft pas fon fils. II paroit que le lieutenant-général négligea ici une précaution eflentielle: il auroit du interroger la veuve Sc l'enfant conjointement fur plufieurs particularités qui cjevoient leur être connues a 1'un Sc a 1'autre, Sc prendre toujours le foin de faire répondre l'enfant le premier. II fe contenta de demander a Jeanne Vacherot, fi elle connoiffoit Monroufleau : elle répondit qu'elle lui avoit parlé , il y avoit environ quatre mois, fur les dégrés de Photel-dieu de Paris; ce qui eft encore en contradiction avec les réponfes du mendiant fur la même queftion. Elle ne fut mife en liberté qua la nuit. Elle profita des ténèbres pour prévenir la fureur du peuple, Sc fe rendit a Paris avant qu'on  7* Le gueux de Vernon. feut fon évafion. A peine le bruit «fl fut-il répandu, que la populace entra dans la maifon oü elle avoit logé, cafta les vitres & s'abandonnaa tous les excès. L'information fut compofée de vingrun témoins. II faut rendre compte des dépofitions des principaux. La propre fervante de la veuve le Moine déclare que l'enfant qui lui eft repréfenté eft le fils de fa makreffe, & qu'elle le reconnok pour 1'avoir élevé pendant trois ans. Une autre fille qui fervoit dans une maifon oü Jeanne Vacherot avoit logé pendant fept ou huk ans , & oü l'enfant avoit été élevé, dépofe que celui qu'on lui met fous les yeux eft vraiment le petit* le Moine, qu'elle le connoit aux cheveux , aux yeux, au vifage & a. la voix. Elle ajoute que le jour de Témotion contre le mendiant, l'enfant fut conduit dans Ia maifon oü elle demeuroit, pour effayer fi on 1'y reconïioïtroit; elle lui demanda fon nom, il répondit qu'il s'appelloit Jacques , &C qu'elle fe nommok Marie. Elle le mena enfuke en haut, & lui demanda s'il ceconnokrok bien le lit oü il avoit autrefois couché, il la fit entrer dans une chambre oü il y ayoit deux lits, & lui (nontra  Le gueux de Vernon. ttontra celui. ?ui Jui avoit fervi. Elle bmt fa .^Pofinon par un fair bien remarquable : JWant entendant dire * &anif'Ü avoit-f-e nommé yVffj ü 1 inrerrompic de lui-mcme ^ 1lu eft le nom dont erT aive«ent onappelloit, dans fon bas 3ae e fot iJXinf * * & leurs enfans connoifTent fe p«?c men Un tailleur d'habits Ie reconnort pour 2VCtire H"e«e. « cnfanr^u,, eft cönfi^^  74 Légueux de Vernon. qu'il y avoit a cette jaquette des manches & des rubans. Le tailleur dit qu'etant allé dans 1'höpital pat curiofité , il interrogea le petit mendiant, qui hu dit que fa gtand'mère s'appelloit madame Vachetot, & qu'il avoit ete ptis dans la rue S. Martin. Anne Joubert, veuve de Jacques le Cocq parente & hötefle aótuelle de Jeanne Vacherot, dépofe que l'enfant ï'avoit appellée , en la voyant, madame le Cocq, lui avoit demandé des nouvelles de Jacques, fon fils, & ajoute qu'il avoit un jour aidé a ce hls a le tirer d'une foffe atanneriedans laquelle il étoit tombé. , Un chirurgien déclare qu il a panle autrefois le petit le Moine d'une plaie au front, & que l'enfant quon Uurepréfente eft le même, parce quil a la même cicatrice. ' Un nommé Robert RoulTel, dit qu etant allé dans 1'hópital avec Claude le Moine, l'enfant reconnut celui-ci pour Être fon oncle; qua fon egard al lui dit qu'il ne fe fouvenoit pas de fon nom mais qu'il étoit voifin de la veuve le Cocq-, qüun jouril 1'avoit voiilu chatier, paree qu'il étoit entre dans fa cour; qu'il avoit une fiüe que 1'on nommoit  Le gueux de Vemen. jf h Rouffèl, & qu'il metroic fon cheval dans une falie. Toutes ces circonfrances, ajoute le dépofant, qui font conformes a la plus exade vérité, le frapperen t tellement, qu'il demanda qu'on tal donnar l'enfant, & dit qu'il le nournroit tres - volontiers a caufe de la counoiflance. Enfin, deux autres femmes, proche parentes de la veuve le Moine, attefrent que le petit mendiant a tous les traits du fils de cette veuve, jufqu'aux ientilles au vifage, qui font comme une marqué caradériftique de la familie. Le juge, pour ne rien négliger de tout ce qui pouvoit le conduire a Ia decouverte de la vérité, veut effayer par lm - même fi l'enfant, après avoir reconnu les perfonnes, reconnoitra les maifons oü il avoit autrefois demeuré dans Vernon. II fe fait accompagner de • Ion greffier;ils arrivenr tous les trois chez Ia veuve le Cocq; l'enfant, en en trant chez elle, la nomme d'abord en la montrant du doigt: il montre la chambre ou couchoit fa mère, une falie dans laquelle il dit que le nommé des Launers mettoit fon cheval j entre plufieurs folies de tannerie, il indique celle de D x  76 Le gueux de Vernon '. laquelle il avoit aidé a retirer l'enfant de la veuve le Cocq. On lui préfente fur le champ eet enfant, au milieu de plufieurs autres de fon age , il le diftingue, & 1'appelle par fon nom, Louis le Cocq. Entrant dans la cour, il montre un endroit oü il dit qu'il y avoit autrefois un petit rocher qui jerroit de 1'eau-, ce qui eft confirmé par la veuve le Cocq & le nommé Roulfel préfens. L'enfant ayant dit plufieurs fois qu'il avoit été fouvent a Bois-Hiéróme, Sc qu'il y connoilfoit beaucoup de monde, le juge fe tranfporta avec lui dans ce village, accompagné du greffier. Nonfeulement il fcait les chemins, mais il marqué les endroits oü il y a eu des ponts qui n'y font plus; il nomme un monaftère qu'il appercoit fur la route; il entre dans le chateau de Bois-Hiéröme, oü il eft reconnu de la fermière & de plufieurs enfans. II reconnoit la ferme de fa mère, oü il entre, & eft reconnu du fermier. II va au prefbytère, reconnoit le curé, qui le reconnoit pareillèment, &c aftiire que c'eft le fils de Lancelot le Moine : cinq habitans &C toutes les femmes 6c filles du village affurent la même chofe. On lui dit que le ptêtre qu'il voyoit étoit le vicaire,  Le gueux de Vernon. 77 Sc non pas le curé; il foutient que c'eft le curé. Le feigneur de Bois - Hiéróme & fon frère, qui le reconnoilfoienr, lui demandèrenr fi ce même frère n'avoit point de mal : l'enfant répondic d'abord que non ; mais fe reprenant tout a coup, il dit qu'il avoit mal a un doigt de la main gauche; ce qui fe trouva vérirable. MonroulTeau avoit cependant toujours foutenu que, ni lui, ni fon fils n'avoient jamais été, ni a Vernon, ni a Bois-Hiéróme. La procédure eft terminée par un nouvel interrogatoire de Monroulfeau, qui perfifte toujours a foutenir qu'il eft père de l'enfant : menaces, emprifonnement, chaines; rien n'eft capable de le faire changer de langage. Décret d'ajournement perfonnel eft prononcé contre la veuve le Moine; le même jugement ordonne que le mendiant fera mis de nouveau dans les fers; que les parens du petit le Moine feront aflignés pour lui nommer un curateur; que cependant i! aura cent livres de provifion ; & pour eet effet, il fut permis de faire faifir tous les biens de la veuve le Moine & de fon défunt mari. Tout le contenu en cette fentence D5  yB Le gueux de Vernon. fut exécuté, a 1'exception de 1'affemblée de parens : le jugement fut fignifié a Jeanne Vacherot a la requête du procureur du Roi feulement. Sur cette lignification , elle intetjetre appel au parlement de Paris de toute la procédure faite a Vernon, & obtint un arrêt le zi aoüt 1655, qui fit défenfes de pafler outre, & de faire aucunes pourfuites ailleurs qu'en Ia cour. Cet arrêt fut fignifié, le 30 du même mois , au lieutenant-génétal, au ptocureur du Roi, &c au greffier de Vernon. Mais ces officiers, fous prétexte qu'ils n'étoient point foumis au parlement de Paris, étant dans le relfort de celui de Rouen , au lieu d'obéir, pourfuivent l'exécution de leur fentence contre les fermiers de la veuve le Moine , pour la provifion de cent livres, avec toute la rigueur poffible. Sur la nouvelle de cette procédure, feconde fignification de 1'arrêt avec affignation aux officiers, en leur propre & privé nom , pour répondre fur 1'appel. Cette nouvelle attaque n'eut pas plus d'effet que la première. Tous les fermiers futent affignés a la requête du procureur du Roi, pour affirmer ce  Le gueux de Vernon. 79 qu'ils devoient. Senrence intervint, qui leur fit défenfes de payer a la veuve le Moine ; & fur le requifiroire du procureur du Roi, il fur ordonné que la fomme de cent livrés feroit déiivrée fur le champ au profit de l'enfant. _ Nouvel arrêt, qui otdonne 1'exécution du précédent, & fait main-levée des faifies : autre fenrence qui ordonne que , nonobrtant les arrêts , il fera paflé outre; en conféquence, le procureur du Roi contraint les fermiers par vente de leurs meubles & de leurs chevaux, le tout fous prétexte que ie parlement de Paris étoit incompétent. La veuve le Moine, pour terminer ce conflit de jurifdiérion , fe pourvut au confeil, oü elle obcint un arrêt, ie 18 févrfec 16$6, par lequel il fut ordonné que les informations y feroient apponées, que le pauvre & l'enfant feroient conduits a Paris dans la prifon du fort-l'Evêque , pour y être inrerrogés par M. de la Moignon, alors maitre des requêtes; & cependant défenfes de mettre les fentences'de provifion a exécurion contte les fermiers & contre la veuve le Moine. On ptétendit alors que les officiers D4  8ö Le gueux de Vernon. de Vernon avoient commis un faux. Pour^ fe garantir de la prife a partie, qui étoit inévitable, ils fe firent préfenrer, après la figniflcation de 1'arrêt du confeil du iS Février 1^56', la requêre datée du 15 juillet 1655 > dbnt on a parlé plus haut. La marche de la procédure fembloit rendre cette préfomption plus que probable. Tout avoit été fait du propre mouvement des juges, & fous le nom du procureur du Roi, jufqu'aux faifies, fans aucune mentiori d'un dénonciateur. Le procés-verbal de Phuiffier a la cbaine, qui tranfféra les prifonniers, porre que le procureur du Roi, fans parler de dénonciateur , dit qu'il étoit ailigné, mais qu'il ne pouvoit l'être que comme procureur du Roi, & ajouta qu'on vouloit ravir un enfant a fa familie; que le parlement de Normandie feul étoit compétent; & que celui de Paris n'avoit pas pu faire des défenfes a des juges qui ne font pas dans fon telfort. Le procés-verbal ajoute qu'on a mis, entre les mains de 1'huiffier, un enfant agé. d'environ huit ans, ayant les cheveux blonds, & une marqué au front du cöté droit. Que le géolier des prifons de Vernon lui a livré un pauvre  Le gueux de Vernon. 8 r qui étoit detenu, fans qu'il parut avoir été écroué. Tous ces détails fembioient plutöt annoncer des particuliers qui avoient ufé de voies de fait & de violence, que des juges qui avoient voulu s'afliirer de la vérité. M. de la Moignon fe tranfporta au fort-l'Evêque, oü il inrerrogea Monroufleau, qui foutint toujours qu'il étoit père de l'enfant, & rapporra fon hiftoire conformément a ce qu'il en avoit dit dans les deux interrogatoires fubis a Vernon. La veuve le Moine perfifta également a ne pas reconnoitre l'enfant pour fon fils. On demande enfuire a eet enfant 6 la femme qui eft en fa préfence , n'eft pas fa mère, 8c s'il ne voudroit pas être fon fils , pour être plus d ion aife; d répond qu'il le voudroic bien , mais qu'il ne 1'eft pas. II dit enfuite qu'il fe nomme Louis Monroufleau , qu'il eft agé de huit ans ou environ, qu'il ne fcait ni lire, ni écrire; que fon père fe nomme Jean, que fa mère s'appelloit Jeanne Blond* qu'elle eft morte , il y a deux ans, l Ihotel-dieu de Tours; H cke la plupart des endroirs par oü il a paffe er* mendiant avec fon père. On lui de-  %z Le gueux de Vernon* mande s'il eft vrai qu'il foit un gueux; il répond qu'il faut bien qu'il le foit. Enfin, on lui propofe de quitrer Jeart M onrouffeau, Sc de ne plus aller mendier fa vie avec lui ; il répond qu'il faut bien qu'il aille avec lui, puifque c'eft fon père, & qu'il ne veut pas re» noncer fon père. Enfin , par arrêt du confeil du z juin 1656, les patties furent renvoyées au parlement de Paris, pour leur êrre fair droit fur le rout, dépens réfervés. Le motif de cette préférence fut le parlement deRouen, étoit que le mariage donton prétendoit que l'enfant en queftion étoit né, avoit été contradté a Paris: d'ailleurs 1'affaire y avoit été entamée par la plainte que la veuve le Moine avoit rendue, devant un commiflaire au chatelet, del'évafion de fesen fans. Dans ce temps-la mourut M. de Pomponne de Bellièvre , premier préfident, auquel fuccéda M. de laMoignon,, le même qui, en qualité de maïtre des requêtes, avoit interrogé les parties au fort-l'Evèque.^ Le Roi lui déclara, en lui apprenant fon élévation, qu'il ne la devoit qu'a fon mérite, & qu'il n'eüt point été préféré fi 1'on eut connu, dans  Le gueux de Vernon. 8$ Ie royaume, un fujet plus fidéle & plus capable d'un emploi fi important. Huit jours après Ie dernier arrêt du confeil, reparut Pierre Ie Moine, 1'ainé des deux enfans qui s'étoient évadés, 11 declara quetant forti de Patis avec Ion jeune frère, ils s'étoient rendus a Vernon; que de-la ils allerent dans la paroilfe de S. Waft, oü ils furent réduits a demander 1'aumöne. Un genrilhomme, nommé Montaud, les connut, a leur air, pour des enfans de familie j il les retira & les logea chez lui pendant douze jours. Le cadet y tomba malade, & mourut. II fin inhumé dans Ie cimetière de 1'églife de SaintWaft par les frères de la cbariré : 1'amé en avoit apporté un certificat figné du cure, de ce gentilhomme , de plufieurshabitans de Ja parodie & des religieus qui avoient fait 1'inhumation. Après la mort de fon frère, il s'étoit évadé de la maifon du fieur de Montaud , avoit mené, depuis , une vie errante & vagabonde, & fupporté toutes les horreurs de la pms affreufe mifere. Enfin , par un heureux retour fur fon état, il avoit foimé la réfolution de revenir fe jetter dans les bras de fa mere, qui le recut avec d'autant plus, B 6;  84 Le gueux de Vernon. de joie, qu'il étoit devenu fon fils unique \ le troifiènie, qui ne 1'avoit poinc quittée, étant mort. La caufe fut enfin portée a laudience» Les parties plaidantes étoient Jeanne Vacherot veuve le Moine, appellante de toute la procédure faite a Vernon. Elle accufoit' les officiers de ce fiège d'avoir agi contre elle par efprit de vengeance, pour n'avoir pas voulu leur vendre le bien qu'elle poffédoit dans leur jurifdiéfion , & qui étoit a leur bienféance. Ayant procédé fans dénonciateur, ils éroient la vraie & 1'unique partie contte qui elle put pourfuivre larépararion des outragesquilui avoient été faits; c'eft pourquoi elle les avoir intimés en leur nom. Elle avoit pareillèment fair intimer deux des témoins. de i'informarion , fcavoir, le tailleur 8c le chirurgien , comme complices avec. les juges de la fédition du peuple, 8c comme auteuts de plufieurs fuppofitions mifes en oeuvre pour foutenir 1'impofture. Elle demandoit que les juges 8c ces témoins fuffent déclarés bien intimés , & condamnés en tous les dommages, intéréts & dépens, & que l'enfant que 1'on prétendoit être fon fils, fut. déclaré non rece.vable. Me Pouffet deMontaubanplaida pour elle,  Le gueux de Vernon. 8 f Jean Monroufleau eut Ie célèbre Fourcroy pour défénfeur. II demandoir que i emprifonnement de fa partie fut dédare injurieux & rortionnaire : que LouisMonroufleau, fon fils, lui fütrendu; que Ie lieutenant-général & le procureur du Roi de Vernon fuflent dédates bien pris a parrie, & condamnes iohdairement en tous les dommages & mtérêts de Monroufleau, & en tous les dépens. Les officiers de Vernon confièrene leur défenfe a Me Billain, avocat, qui demanda^ que Ia cour déclarat qüils avoient été follement inrimés, & que les parties adverfes fuflent condamnées en leurs dommages Sc intéréts, Sc aux depens. Enfin, MeRobert fe charge* de la caufe de l'enfant, & demanda qu'il fut declaré fils légitime du fleur le xMoine & de Jeanne Vacherot, que la procédure faite a Vernon fut confirmée, Sc que le procés fut fait & parfait a Monroufleau , ravifleur de l'enfant. La caufe étoit dans eet état, lotfque M. Bignon, avocat-génêral', prir Ia parole. On n'eft point entré dans le detail des moyens employés de part & dautre; ils vont fe trouver dans 1'ex-  té Le gueux de Ver non. trait que nous ailons donner du plaidoyer de ce magiftrat. D'ailleurs, comme il avoit feul le fecret des informations, il va nous découvrir beaucoup de faits qui dévoileront la vérité. Les avocats ne pouvoient 1'approfondir , n'ayant pu pénétrer dans le myftère de la procédure, 6c n'en connoiflant que ce qui étoit public. II eft certain d'abord, dit M. Bignon, que le crime imputéau mendiant eft un véritable plagiar, c'eft-a-dire , le vol d'une perfonne libre ou d'un efclave 5 il eft encore cettain que l'acTrion en eft publique j c'eft-a-dire, que tout le monde avoit le droir a Rome d'en pourfuivre la vengeance. Z. i cod. ad leg. Fab. de plag. Donc le procureur du Roi a pu demander qu'il en fut informé, la voix publique ayant lèrvi de dénonciareur. Toutes les parties conviennent de cette maxime en général : mais on dit que le crime imputé a Monroufleau n'eft point un plagiat, paree qu'il foutient êtte le père de l'enfant qu'on 1'accufe d'avoir enlevé. IIfait plus; il rapporte des titres de pareraité, & prétend être en pofleilion de cette même paternité j ce qui forme , non pas ua  _ Le'gueux de Vernon. %7 Pjagiar, mais une fuppofition de part. Ur Ia pourfuite de ce délit n'eft permiie qu'au mari conrre fa femme qui voudroit: lui fuppofer un enfant donc elle ne feroit pas accouchée, ou a la temme contre le mari qui voudroit emPloyer une pareille fuppofition, ou en*n, aux parens qui auroient intérêc decarter un faux héticier qu'on voudroit faire fuccéder a leur préjudice. On ïiroit ae-la la conféquence que le procureur du Roi n'avoit pas pu intemer une aclion réfervée uniquement, ou au pere ou d Ia mère, ou aux héritiers prefomptifs. Mak pourquoi cette acKon leur eftelle réfervée ? c'eft qu'elle n'a pour objet que d'oter la qualité de patent & I enranr auquel ils prétendent qu'elle eft injuftemenr appliquée; elle ne tombe que fur 1 ordre de la familie & de la lucceffion. La manière dont l'enfant quils veulentrejetter a paffe en la poffeffion de celui qui sen dit le père ne les touche point; fa poffeflion même, conuderee fiinplement comme poffeffion neles intéreffe point, paree que peu leur nnporte que leur parent poffede ou ne poffède pas un enfant: mais Ie ptctexte de fa poffeftion les regarde  S8 Le gueux de Vernon. Si c'eft comme un enfant étranger qu'iï aime & qu'il veut s'attacher par les bienfaits, le filence eft leur pattage; mais s'il foutient que c'eft fon propte enfant, & que par-la, il veuilie mettre un étranger dans leur familie, ils onc la faculté de le pourfuivre en fuppofition de part feulement j mais non pas pour raifon du plagiat, paree qu'il leur eft indifférent que l'enfant ait ou n'aic pas été enlevé, pourvu qu'il ne foit pas leur parent; en un mot, ils ne peuvent contefter que la poffeftion de 1'état & non pas celle de la perfonne. Ainfi, quand la plainte commence par 1'aétion publique de 1'enlévement d'un enfant, qui fe trouve aéhiellement enrre les mains de celui qu'on accufe de ce crime, ce n'eft pas 1'état de l'enfant qui eft contefté \ il ne s'agit pas même de la pofteffion, mais de 1'origine de cette polTeffion, de la malice & de 1'intention qui fe trouve dans cerre origine, du rapt, en un mot;& voila tout ce qui fait le ctime. Or tout le monde eft bien fondé a le découviir & a en arrêter le cours. ..L'accufé qui poflède & qui retient injuftement n'eft pas abfous, en difanc qu'il eft le père de l'enfant; Ia faveur  Le gueux de Vernon. $9 d4 Le gueux de Vernon. néceflité de perfévérer dans leur crime ? L'image du dernier fupplice qui les menace n'eft-elle pas un morif afTez puiffant pour les forcer a ne pas avouer la vérité? Ajoutez a tout cela les variations de Monroufleau, dans fes interrogaroires , fur des faits importans; fur la naiflance Sc fur le nombre de fes enfans ; fur les voyages qu'il a faits a Paris : rantót il n'y a été qu'une fois, & n'en eft forti que depuis quinze jours; tantot il y eft venu deux fois, &c 1'a quitté, pour la dernière il y a un an; enfin, dans fon dernier interrogatoire, il y a fait trois voyages. Ces variations ne peuvent-elles pas raifonnablement faire foupconner qu'il s'eft pafte quelque chofe a Paris dont il appréhende la convicrion? Ne feroit-ce point le complot dont Jeanne Vacherot Sc lui font foup^onnés ? Ils ne font d'accord, ni fur le temps, ni fur 1'endroit oü ils s'y font vus. Mais ils conviennent tous les deux qu'ils fe font parlé. Hs fe rencontrent depuis a Vernon , la mère ne demande point des nouvelles de fon fils, le mendiant ne rend point compte de la commiflion dont elle dit 1'avoir chargé : ce qui femble donner lieu de croire  Le gueux de Vernon. 9 j que, s'ijs fe font effeébivement parlé a Paris, c'a été plucót pour confommer ia fuppreffion de I'enfanr, que pour en opérer la reftitution. Jufques ici, ce ne font que des ptéfomptions & des conjeétures; mais 1'information faite a Vernon fournit des preuves. Deux parentes, des voifines, des enfans camarades du petit le Moine, des fervantes qui Pont élevé, qui 1'ont fervi, le reconnoiifent & en font reconnus; il rappelle plufieurs particularités dont la vérité eft atteftée par ceux a. qui il en parle. Un chirurgien qui 1'a panfé, trouve & reconnoit la cicatrice au lieu oü il fcavoit qu'elle devoit être. • Tel eft le précis des dépofitions de vingt-un témoins; peut-être y en at-il quelques-uns qu'on pourroit reprocher : mais le témoignage de toute la ville de yernon ne peut 1'être. II a d'abord été excité par la reifemblance, & confirmé par tout ce qui s'eft dit, par tout ce qui s'eft fait en public. On ne peut accufer les juges d'avoir ufé de fuggeftions pour la partie de 1'inftruction qui concetne les reconnoilfances des lieux par oü l'enfant avoit pafle & qu'il avoit habités; tout le peuple  96 Le gueux de Vernon. en étoit témoin, & y avoit même pare en quelque forte. On a cependant voulu chercher la fource de cette hiftoire dans une ancienne haine que les officiers avoient concue contre feu Lancelot le Moine & contre fa femme : mais on ne voit aucune apparence de preuve ni de certe haine, ni de la caufe qüon lui attribue. Le retour de Pierre le Moine, & ce qu'il rapporte de fon frère, ne paroit pas détruire des preuves fi puiffantes. C'eft un enfant qui a déja donné des matques d'un efprit mal téglé , & d'un libertinage décidé par fon évafion, & par celle de fon frère qu'il a fans doute entraïné avec lui. Les pièces d'ailleurs qu'il rapporte pour juftifïer ce qu'il dit, loin d'être auchentiques , font manifeftement fauftes. Ce font deux certificats qui ne contiennent, en fubftance, que la même chofe, fignés 1'un & 1'autre des mêmes petfonnes; fcavoir, dir-on , d'un gentilhomme, nommé le fieur de Montaud, du curé de S. Waaft du Val, de fon vicaire, des frères de la chariré , d'un payfan nommé Verdure, & de quelques autres. Ces aótes portent qu'au mois  , Le gueux de Vernon. 07 mois de décembre deux enfans font ar- de Montaulle voyant qu'ils avoient d enfans d'honnête familie, Jes avoit reeus cb^'il,^ «appel er Ie Moine, Sc que le cadet nommé Jacques, eft décedé. * Quand ce certificat feroit 1'ouvraoe de ceux a qui il eft attnbué, poa£ roit-on Ie regarder comme une pfeuve «"«"edel a mort de Jacques ie" Moi? ne ? Les perfonnes qui ont Mé ne le connollroient pas. Sis ont P» d? pofer feulement qu',1 eft mort Ün el ne, ils „en peuvent rien fcavoir. Ces ^D'ailleurs ils font 1'un* & i'ai!rre f %nature privée , & n'onr aucune des Wes requifes pour faire foi ^ «ce. Ce ne font même pas des extraits dureg,ftre mortuaire. II\ en S folument fans date ; danï IW et avoit été laiifée en blanc, & a é l a puree après coup. Ces deux mots Jèr r- ;^fonc d'une écriture' S Hl d: fer?'Ue de «He du corps de part^deUfpace qm avoit été laifTé £  «)8 Le gueux ie Vernon. a. eet effet; enforte qüentre le mot, juillet, & les autres qui le fuivent, il y a encore un grand efpace vuide. Enfin ces deux pièces qui font, comme on 1'a dit, fignées des mêmes perfonnes , contiennent une contradiótion manifefte; l'une porre que l'enfant a été inhumé dans lEgiife, & l'autre , dans le cimetière de Saint-Waaft du Val. D'un autre coté, continuaM.Bignon, qui eft-ce qui défavoue l'enfant? C'eft une femme dont la conduite elf 4ns reproche, que fon mari a nommée tutrice de fes fils , ne pouvant pas, ditil, leur en donner d'autre fans courir rifquede lesruiner; qui leur a donné la plus grande marqué d'afFecfiön en reftant en vicfuité : il y a même un témoin qui dépofe qu'il a toujours remarqué en elle beaucoup d'amour & d'attachement pour eux. Un défaveu dans la bouche d'une telk femme eft un grand préjugé contre 1'état de l'enfant dont on prétend qu'elle eft mère. Un témoin dit a la vériré qu'elle eft d'une humeur avare : mais peut-on regatder cette imputation comme le motif qui la fait défavouer fon enfant; puifque c'efVfouvent 1'amour déréglé  Le gueux de Vernon. 99 des mères' qui excite & enttetient en elles cetre honteufe paffion ? Elle a fait dir-on , informer trop tard de la perte dé fes deux fils : mais il eft prouvé pat cette Information que, dès 1'inftant qu'elle a apPnsleurfuite, elle a fait toutes les diligences néceftaires pour les recouvrer. Si elle eut été faire plutót, elle n auroit eu d'autre effet que de confrater ce qui n'éro.r que rrop certain ; mais ayant ete fane long-temps après 1'évaiion , die a juftifié que eet intervalle a ete rempli par les perquifitions les plus fcrupuleufes. On ajoure que , I'inquiétude du peuple , J aiiurance même avec laquelle il regardoit lé petit pauvre comme fils de la veuve le Moine, n'a excité en eue aucun foupcon, aucun mouvement de cunofite.,Mais elle avoit déia vu eet enfant d Paris entre les mains du meme pauvre, & fexamen qu'elle en avoit fait 1'avoit afliirée que ce n'étoit Fs Ion fik Le témoignage d'une mère eit bien plus certain que celui de toute fa multitude enfembie; l'inftinct de la nature ne fe prête point au caprice dune populace pré ven ue. Sou dcfaveu conftanr auroit même ium pour faire re;-etter paccufation dès £ i A  ioo Le gueux de Vernon. fon principe; toute la difficulté n'eft venueque de ce qu'on a enveloppé dans la même affaire , un homme dont la condition & la vie rendoient fa réclamation foit fufpeéte. Ce foupcon a été confirmé par les variations que 1'on remarque dans les interrogaroires fubis par ce mendiant. Cependant les principaux faits qu'il -& articulés, &c qui fervent a établir 1'état de l'enfant, fe font trouvés véritables. Sa naiffance a la Neuville eft juftifiée par 1'extrait baptiftaire levé en 1'inftance au confeil, par le fieur Mordant, lieutenant-général a Vernon; on y trouve le même norn que Monroufleau lui avoit donné : la mort de fa femme eft aufli juftifiée par un extrait mortuaire. Il n'y a point, a la vérité , de certificat de mariage ; mais il eft énoncé & circonftancié dans une atteftation du curé de la Neuville , &C de quelques habitans du même lieu, dans laquelle la femme eft nommée du même nom que celui qui lui eft donné dans 1'extrait mortuaite rapporté depuis. La même atteftation fait mention de deux enfans, comme il 1'a dit dans fon interrogatoire. Ainfi toutes ces pieces viennent a 1'appui 1'une de 1'aucre. t  Le gueux de Vernon. i o r II a donc titre & pofleffion pour réclamer l'enfant-, & li quelqüun avoit voulu lui arracher cette pofteflion , il étoit en droit de demander qu'elle lui fut confervée pendant la conteftation fur la propriéré. Mais perfonhe ne Ie revendique; au conrraire, celle a qui on veut 1'attribuer le rejetre; & fa voix eft foutenue de toute la familie. Tous les parens qui demeurent a Paris, domicile ordinaire de la veuve le Moine , & ou elle a élevé fes enfans , ont dépofé dans la procédure faite au confeil, &c ónt tenu le même langage ;qu'elle. Leur témoignage eft bien dün autre poids que celui deshabitans de Vernon, puifque Jacques le Moine y a féjourné fort peu de remps, quoique né a Bois-Hiéraulme. Les prérextesde 1'accufarion font la fuire dün enfant quiadifparu unan auparavant, la reffemblance qui s'eft trouvée fur le vifage de celui-ci, ia voix publique qui fait la dénonciation, & les lieux & les perfonnes reconnues, diton , par ce petit garcon. Mais, outre que la juftice ne peut pas donner fa confiance a des preuves de cette nature, qui expoferoient tous Jes jours 1'état des hommes a'des téE3  ioi Le'gueux de Vernon, volurions; il y a un fait bien pofitif, qui diffipe tous ces nuages : c'eft en vain que 1'on cherche la reiïemblance de Jacques le Moine dans celui qui fe préfente; il eft mort. On fait le récit de fon décès , on en rappotte le certificat j c'eft fon propre frère qui en parle comme rémoin oculaire. D'ailleurs, s'il reftoit encore quelque doute &c quelque foupcon fur ce fait, rien ne feroir plus facile que d'en avoir des éclairciftemens plus pofirifs. Toute vraifemblance difparoir devant cette vériré. Quelque chofe que 1'on ait voulu dire contre ces certificats, que ce ne font point des pièces en forme, que 1'un n'a point de date, que celle de 1'autre eft faulfe, d'une autre encreajuftée après coup , que 1'un place le lieu de 1'inhiimation dans le cimetière, 8c 1'autre dans 1'Eglife; ils font cependant, on peut le dire, une preuve prefque enrière : paree que fi le lieurenantgénéral a Vernon a bien cherché & fait lever 1'extrait baptiftaire du fils du mendiant, que n'a-t-il fait les mêmes perquifitions pour eonvaincre de faux ces deux certificats, qui ont été produits? On ne peut même pas douter qu'il n'ait fait des diligences a eet égard; Si s'il  Le gueux de Vernon. 103 n'en eft point fait mention, c'eft que le réfultat ne lui en eft pas favorable. Le nom du village eft écrit dans ces pièces; c'eft S. Waait du Val en Nofmandie; un genulhomme du même lieu, lecuré, les frères de la charité, les ont délivtés, les ont fignés, après y avoir expliqué des circonftances que 1'on ne trouveroit pas dans un extrait mortuaire en foime. Voyons maintenant ce qui réfulte des informarions, &: quel eft le dégré de confiance qu'elles mérirent. Premièrement, des vingt-un témoins «ntendus a Vernon, la plupart font d'un fexe qui a une grande facilité a fe prévenir &. a fe lailfer furprendre par la nouveauté. De beaucoup de parens paternels, qui étoient dans cette ville, on n'a entendu que deux femmes : 1'une eft la veuve Cretté, chez laquelle la prétendue mère logeoit quand elle venoit a Vërnon , & qui, par cette raifon , devoit mieux connoicre l'enfant : cependant elle dit qu'elle ne le connoit en aucune facon , quoiqu'elley trouve quelque reftemblance. Elle ajoute même u'ne chofe fort confidérable; c'eft qu'elle a roujours reconnu dans Jeanne VacheE4  j 04 Le gueux de Vernon. rot beaucoup d'affe&ion pour fes enfans. ■ L'autre femme, qui fe dit parente, eft agée de quatre-vingt ans , elle reconnoit,a-la vérité, l'enfant pour Jacques le Moine; mais elle ajoute qu'il lui a dit, depuis qu'il eft a 1'hópital, qu'il y avoit quatre ans que fon frère 1'avoit lahTé dans le chemin ; ce qui eft abfolument conttaire a la vériré, puifque 1'abfence de 1'un & de l'autre n'avoit pas encore un an. De deux aurres témoins, 1'un dit tenir de l'enfant que fon frère 1'avoit laiifé dans le grand chemin ; & l'autre , que c'avoit été dans la rue S. Martin. Cette cicatrice, que 1'on ptétend avoir été reconnue par le chirurgien, eft affurément, par elle - même , une forte conjedture; mais elle fe détruit ou s'affoiblit beaucoup par Ia conrtaditfcion des témoins. Le chirurgien , qui pouvoir mieux s'en fouvenir, dir qu'il y a deux ans qu'il a panfé l'enfant dün rrou a Ia tête; les autres qui parient de cette bleifure , 4ui donnent quatre ans de date. D'ailleurs deux perfonnes peuvent avoir une cicatrice au même endroit, fans qu'on puilfe en faire une preuve d'identité ; lorfque d'un autre  Le gueux de Venion. i o y coté, cecce identité eft combattue par des preuves plus puiifantes. _ Le témoignage d'un nommé des Lauriers, eft celui qui a du faire le plus d'impreftion; & il auroit pu être inrimé a plus jufte titre que ie tailleur. Celui-ci dépofe feulement qu'il croit que l'enfant eft le petit le Moine, auquel il a fait une robe : mais des Lauriers^dit qu'il eft allé, par curiofité , a 1'höpital, voir l'enfant. Que de luimême, fans aucune fuggeftion , en préfence de trois perfonnes, 8c même dün oncle des le Moine, il 1'a nommé par fon nom de des Lauriers. Rien n'eft plus concluant que cette dépofition. Cependant le juge fait paroirre , devant ce témoin, l'enfant, quineputle nommer, quoiqu'qn le predat de le faire. Pourquoi, s'érant fouvenu de fon nom dans 1'hópiral, peut-être deux ans après 1'avoir vu, 1'avoit-il oublié fi pr'omptement? Mais il y a plus; un de ceux que des Launers a dit être préfens, lorfqu'il paria a l'enfant dans 1'höpital, dit nettement , dans une dépofition fuivante, qu'il n'appella point des Lauriers par Ion nom. Ce témoin eft donc convaincu de fauffeté, 8c 1'on eft en droit de croire que3 fi l'enfant a parlé de la falie E5  io6' Le gueux de Vernon. oü il mettoit fon cheval, & du petit rocher qui étoit fur fa porte, c'etoit lui-même qui lui fuggétoit ces réminifcences. Auffi paroit-il qu'il prenoib beaucoup de part a cette affaire, puifiqüil a demandé, porte fa dépofition , a nourrir l'enfant, a caufe de la connoiffance. Doit-on trouver étrange , après cette fauffeté, qu'un autre témoin ait dit avoir cui dire a une mendiante qu'elle avoit cui dire au petit garcon, lorfqüils alloient entrerdans Vernon, qu'il ne falloit pas y entrer, paree que fa maman y étoir ; & que Montoufieau avoit répondu qu'ils n'avoient point de pain > N'eft-il pas évident que ce témoignage unique eft concerté, paree qu'on fentoit qu'il étoit contre la vraifemblance que Monrouffeau, s'il eut été plagiaire, eut conduit la viétime de fon crime dans un lieu oü tout devoit naturellement concourir a le déceler, a moins qu'il ne fut forcé par la faim qui ne connort ni mefures, ni prudence? II eft encore une obfervation géné- 1 rale qui concerne toutes les dépofitions, & les réduit a leur jufte valeur. 11 n'y a aucun témoin qui n'ait été interrogé fur chaque fait, en préfence du petit  Le gueux de Vernon. rpf garcon; enforte que chaque dépofition éroir, pour lui, une inftruótion fur fes prérendues reconnoiflances. En effet quand le tailleur a parlé de la robe' quand une certaine Collette Bonami a dit que Jacques le Moine avoit eu.le fouet, pour avoir mêié un écheveau de fil, quand des Lauriers a parlé de la falie ou il mettoit fon cheval, lorfqüun autre a parlé de cette fofle de tannerie, l'enfant a fimplement reconnu ces fairs comme un écho, fans rien ajouter du fien. 11 eft encore certain, par finformation , que le premier jour que l'enfant parut a Vernon, il ne fut point mené a 1'hópital; qu'il coucha chez la veuve Cretté, 8c fut toujours entre les mains de cette fetvante, qui a affuré li politi vement que c'eft Jacques le Moine, &c qui a paru une des plus prévenues. Ainfi elle eut tout le temps d'infrruire l'enfant, 8c de lui infpirer les idéés que fa prévention lui faifoir foithaiter de communiquer aux autres. Mais ce qui léve toute la difüculté, & ce qui dérruit toutes ces faulfes reconnoiffances, c'eft ce qui s'eft paflé a Paris, lotfque l'enfant a été expofé i des yeux plus clairvoyans, & éloigné du lieu oü i'on prétend qu'il n'a parlé qu'aE 6  ïo8 Le gueux ie Vernon* prés des fuggeftions. S'il étoit JacqueS le Moine, il avoit inrérêt de perfifter , il n'y avoir pour lui ni danger, ni fupplice a appréhender : il s'agifTbit au contraire de fa naiflance, de fon état &c de fa fortune : fon age le mettoit a portée de diftinguet la dirférence qui eft entre la vie miférable d'un mendiant, & la douceur d'une vie aifée &C commode. Au furplus, il feroit aifé de s'affurerfices premières reconnoiftances font yéritables. Quoique" Jacques le Moine foit né a Vernon , il a néanmoins prefque toujours été a Paris; fa mère y a fa maifon, elle a des voifins chez. qui elle fréquente, & qui fréquentenr chez elle. On pourroit conduire l'enfant dans, ces lieux. Mais que ferviroit cette nouvelle épreuve, puifqüil défavoue cette. femme pout fa mère ? Que refte-t-il donc d'obfcur & de difbxile en cette. caufe, fi ce n'eft le principe de cette erreur, ou de cette impofture ? On 1'arrribue au fieur Mordant, lieutenant -général , & au procureur du roi a Vernon, qui, dit-on, portés par le mouvement d'une haine ancienne & fecrète, & même par 1'intérêtj, ont entrepris cette procédure..  Le gueux de Vernon, 109 11 parok, par les informations, que Je procureur du roi étoit parmi le peuple & 1'exckoit, lorfque le mendiant fut arrêté a la porte de Bify ; & cependant, dans la requête par laquelle il demanda permiflion de faire informer de 1'enlévement, il expofe qu'il en a eu avis, comme s'il n'en avoit paseu connoidance parlui-même.Monrouffeau a été emprifonné fans écrou; on lui a mis les fers aux pieds, pour lui faire dire que l'enfant n'étoit pas a lui; on a retenu violemment la veuve le Moine, pour 1'obliger de le reconnoitre; on n'a point obéi a 1'arrêt qui défendoit de palfer outre. Dans toutes les procédures, l'enfant eft nommé jacques le Moine, les juges ayant déja réfolu de le faire pafter pour tel; on lui a adjugé, en cette qualité, une^ provifion fur les biens de la veuve le Moine, qui a été exécutée par vente dé beftiaux. Enfin, pour couvrir tous ces vices, on a fait paroïrre, après coup , une dénoncia'tion d'un Jean le'Moine , qui s'eft dit parent, dont la date eft anrérieure d'un jour a la requête du procureur du roi, & dont il n'eft parlé que dans les pièces fecrètes, lefquelles €>nt pu être altérées»  ï io Le gueux de Vernon. On répond, de la pare du procureur du Roi, que s'il s'eft trouvé dans la mêlée, lors de la première émotion, g'a été plutót pour Pappaifer, que pour 1'excirer : qu'il n'avoit pas befoin de dénonciation, puifque la voix publique étoit fuflifante. II ne faut donc pas dire qu'il a mendié celle de Jean le Moine, procureur a Vernon, ni qu'on fe foic fervi de fon nom, pour couvrir une mauvaife procédure. Le lieutenant-général foutient, & met en fait, qu'il n'étuit point a Vernon quand Paffaire commencaj que Monroulfeau fut envoyé prifonnier par ordre du lieutenant parriculier, comme il paroït par 1'interrogatoire & par une atteftation de ce lieutenant particulier luimême, qui porte que le gueux lui fut amenépar plus de cent ou cent vingt perfonnes-, & qu'il fe déporta de l'affaire , paree qu'il étoit parent de feu Lancelot le Moine. On ajoute que les jugemens dont on fe plaint, n'ont été rendus que fur 1'avis des confeillers du fiège, ce qui eft en effet juftifié par les pièces. II y a plus; celui qui ordonna que le procés feroir continué , nonobftant 1'arrêc de défenfes, fut prononcé par M. de  . Le gueux de Vernon. t i t Bouville, maitre des requêres, qui s'étant trouvé a Vernon, préfida la iurifdióhon, ce jour-la. D'ailleurs Vernon etant dans le reflbrt du parlemenr de Rouen, le-fiège ne pouvoit pas déférer aux ordres de celui dê Paris en matière purement criminelle, s'aaiffant uniquement d'inftruótion, n'y ayant pas de réglement de juges, ni d'arrêt du conied portant furféance. La provifion qui a éré décernée eft encore enrre les mains du greffier; & la fentence qui 1'avoit ordonnée' eft conforme aux loix qui veulent que celui que 1'on dit être père dün enfant, foit tenu de le nourrir pendant 1'inftrudion de la queftion d'état. Z. 7 , ff[ de agnofcend. lib. Le défaut d'écrou n'eft point une preuve de vexation ; c'eft fimplethent un vice de fotme, puifque le deftein n'étoit pas feulement de retenir le mendiant, mais de lui faite fon procés, comme 1'événement 1'a juftifié. Les fers ne lui ont été'mis aux pieds qu'en vertu d'une ordonnance rendue fur 1'avis de tout le tribunal aflemblé. II n'y a aucune preuve des violences dont fe plaint la veuve le Moine, le contraire eft même prouvé par une atteftation qui eft rapportée.  'in Le gueux de Vernon. Quant a 1'ancienne haine que 1'on dit avoir animé les officiets de Vernon, on n'en peut pas accufet le lieutenantgénéral, qui ne poffede fa charge que depuis"neuf ans, qui n'avoit aucune habitude aVernon quand il en a été pourvu, étant né a Gifors ou eft toute fa familie & le fiège de fa fortune , & s'étant marié a Paris, oü réfident tous les parens»de fa femme. II n'a donc pas puconnoïtre Lancelot le Moine, mort il y a dix ans, ni par conféquenr avoir concu aucune haine conrre lui &c contre fa familie. On ne voit donc pas jufqüici qu'il y eut matière a intimer les juges en leur nom. Mais, comme il eft évident que l'enfant n'eft point Jacques le Moine , d'oü provient cette preuve par écrit, qui femble juftifier le contraire, (i ce n'eft du fait de ceux qui ont travailléla procédure ? Cependant cette affaire a tant fait de bruit a Vernon, qu'il eft bien difhcile que les officiers puffent fabriquer quelque chofe en fecrer. D'ailleurs s'il y avoit eu de la mauvaife foi de leur part, les infotmations ne feroient pas pleines de contradiéHons fur les points les plus importans: ils auroiene  te gueux de Vernon. 115 eu I'attention de ne pas lairter échapper, dans les procès-verbaux qui contiennenc les reconnoitfances de l'enfant, tant de marqués de vacillation & d'incertitude. Mais ils n'ont point entendu les parens en témoignage, ils ne les ont point aliemblés. Les procès-verbaux faits d Bois-Hiéraulme, oü il elf die que les fermiers, le curé & quelques femmes ont reconnu l'enfant, ne font fignés de perfonne que du juge & de fon greffier. Au fond, il n'y a rien dans tout ce qui a été dit par l'enfant, qui ne puifle etre 1'effet d'une fuggeftion maligne ou indifcrère. Le premier mouvement du peuple, frappé par la relfembiance, fut de ne pas douter quece ne für Jacques le Mome. Dans le tumulre, on nomma celle qu'on lui donnoit, pour mère, on dit que c'étoit le même enfant qui étoit ■ ne & qni avoit été élevé au Bois-Hiéraulme. Ce petit garcon , qui étoit affez grand pour fentir la différence qu'il y a entre 1'état malheureux d'un mendianr, & celui dün enfant de familie a qui la fortune peut procurer une vie aifée, voulut profiter de 1'occafion, & faire ufage de ce qu'il venoit d'ent'enore. II y a fix jours d'intervalle entre  ï 14 Le gueux de Vernon. fa détention & les reconnoiflances qu'il fit a Vernon ; & vingt-deux jufqu'd fon voyage au Buis - Hiéraulme. De quoi font entretenu, pendant rout ce temps , ceux qui l'ont vu? Lui ont-ils parlé d'aurre chofe que de fa mère, de fes parens, de fes voifins, des perfonnes de fa connoilfance, des maifons de Vernon & de Bois-Hiéraulme? ne lui at-on pas fait, par forme de queftions, toute la vie de l'enfant pour qui on le prenoit? & par ces interrogatoires peu adroits, ne lui a-t-on pas appris tout ce qu'il a répondu depuis ? II pourroit fe faire que. quelqu'un, mal intentionné pour la veuve le Moine , eut infpiré a eet enfant tout ce qu'il a dit; & 1'on ne peut pas fcavoir fi les juges font complices de cette méchanceté : mais, fans accufer perfonne, il ne paroït pas que 1'on doive chercher d'autre fuggeftion que celle du peuple qui, prévenu que l'enfant étoit celui de cette veuve, fouhaitoit avec paflion que la chofe fut ainfi. On peut dire qu'il n'y a peut-êtte eu perfonne qui, par un faux zèle & une fauffe compaffion , par les récits de ce qu'il fcavoir fur le compte de Jacques le Moine, par des interrogatoires fréquens, & par la certitude  Le gueux de Vernon. 11 y qu'il diioic avoir que cetoit ce même enfant qu'il avoit vu en rel & tel endroic, en celle & celle occafion , ne lui ait fait d'amples lecamsfurce qu'il avoit a dire. La reffemblance feule a éré la caufe de cette erreur publique. On fcair avec quelle facilité le peuple fe prévient, avec quelle ftupidité il donne croyance aux fables les plus abfurdes, & avec quel emportement il foutient les opimons qu'il a une fois faifies. C'elè a cette ptévention qu'il fautattribuer tout ce qui s'eft paffe a Vernon. Les officiers , aveugléf par le préiugé populaire, ■ n'onc pas apporré tous ies foins qu'ils devoient a la recherclie de la vérité qu'ils croyoient conforme a 1'opinion dont ils étoient imbus; c'eft une foibleffe de leur part; mais ce n'eft ni malice, ni efprit de vengeance. Par ces raifons, M. Bignon conclut conforn\ément a 1'atfêt qui fut ptononcé le jeudi de la femaine de la pallion 1Ó59, par lequel les officiers de Vernon, fur leur intimation , furent mis hors de cour; fur 1'exrraordinaire, & fur les demandes en dommages & intéréts, hors de cour. II fut ordonné que Jean Monrouifeau feroit mis hors  116* Le gueux de Vérnon. des prifons, fon écrou rayé & biffé; enjoint a Louis Monroufleau de le reconnoitre & de lui obéir comme a fon père; que néanmoins il feroit mis a 1'hópiral pour y être nourri & élevé comme les autres; & que la provifion confignée au greffe de Vernon, feroit rendue a Jeanne Vacherot.  ii7 *Rl/SE SINGULIÈRE D'un lieutenant-crimin el de Rouen, pour convaincre un ajfaffin de fon crime. UN particulier, de la ville de Luques en Italië, avoit fixé fa demeure en Angleterre, 8c y avoit fait, pendant plufieurs amices, un commerce aflez confidérable. Content de fa fortune il forme le deffein de retourner dans'fa patrie , 8c ccrit a Luques qu'on lui prépare une maifon, qu'il comptoit aller habiter dans iix mois, pour y finir fes jours. Peu de remps après, il part d'Angleterre, accompagné dün domeffique franeois, 8c emporte fes papiers 8c fes effets. II paffe par Rouen, oü il fait quelque féjour, 6c prend la route de Paris. Etant fur une montagne prés d'Argenteuil, il eff furpris dün orage. Son valet faifit ce moment oü il ne palfoit perfonne, pour 1'affafliner 8c le voler,  118 Rufe Jïngulière & jette fori corps expiranc dans les vlgnes. Un aveugle , conduir par fon chien , paffe par eer endroit, entend une voix plaintive, & demande ce que c'eft : le valet répond que c'eft un homme malade qui va a fes affaires. L'aveugle ne fait point d'autres perquifitions, & continue fa route. Le valet, de fon cöté, fe rend a Patis chargé des papiers de fon mairre, & fe fait payer des billets & lettres de change qu'il avoit a tirer fur cette ville. Les parens du Luquois, inquiets de ne point avoir de fes nouvelles, envoient un homme affidé a la découvette. Cet émiftaire fe rend a Londres, &c y apprend que celui qu'il cherche étoit allé a Rouen. A Rouen, on lui dit qu'il étoit parti pour Paris. .Après bien des recherches inuciles, il rend fa plainte au parlement de Normandie, qui donne commiffion au lieurenantcriminel de faire, dans la ville, les perquifitions néceffaires, & a M. Bigot , avocat-général, d'en faire faire au dehors. Le lieutenant-criminel charge un de fes fergens de s'informer de tous ceux qui pouvoient être arrivés depuis peu dans Rouen. Ce fergent, au bout de  d'un lieütenant-criminel. 11 ^ quelques jours, lui donne Ie nom & iademeuredün marchandnouvellemenc ecabli. Le magiftrar, pour s'afTurer de ce nouveau venu , & fe donner un prétexte de le conftituer prifonnier, fair fuppofer une obligarion par laquelle le marchand s'obligeoit par corps de payer une fqmme de deux cenrs écus dans un cenain temps. Le temps expiré, on lui fait commandemen t de payer : il répond que 1'obligationeft faufle, & on le conftitue prifonnier. II ne put s'empêcher de témoigner de 1'inquiérude , & demanda, dün ton allarmé fi certe prétendue obligaüon étoit 1'unique motif de fon empnfonnement. Le lieutenanr-criminel, informé de ce qui fe palfoit, fe fait amener le prifonnier, finrerro^e avec douceur & fansgreffier. II lui avoue que lobligarion qui avoit fervi de prétexte a fa dérention étoitfuppofée; mais qu'i!^ fcavoit que c'étoit lui qui avoit alfaflmé le marchand Luquois, & qu'il y én avoit preuve. Qu'au furplus, comme ce marchand éroit étranger, cette affaire pouvoit s'arranger moyennant de 1'argent. Le prifonnier qui n'étoit point préparé a eet interrogatoire, répondit que, puifqu'il ne s'agilioic que  1 io Rufe fingulière de donner de 1'argent , il avouoit Ia fait. Le lieutenant-criminel fait paroitre fur le champ fon greffier , fomme le prifonnier de dire vérité, & lui faic lever la main pour prêter ferment. Celui-ci, remis de fon trouble, foutient que toute la procédure eft pleine de fauiïetés &c de calomnie. Réintégré dans fa prifon , il fe confulta avec les autres prifonniers ; & , fur leur avis , il interjerta appel de fon emprifonnemenr, prit a partie le lieutenant-criminel Sc le fergent, & s'infcrivit en faux contre 1'obligation. Sur eet appel, & fur cette prife a partie, le lieutenant-criminel eut ordre de venir rendre compte de fa conduite au parlement. 11 expofa le fait tel qu'il s'étoir pafté ; & la cour, après 1'avoir tancé pour avoir mis en oeuvre une rufe auffi baffe & auffi indigne d'un magiftrat, lui pardonna en confidération de fa probité , qui étoit reconnue, Sc fufpendic la procédure. Cependant, M. Bigot fit faite des informations le long de la route qui conduit de Rouen a Paris. Etant a Argenteuil, le juge de ce village lui apprit que, depuis plufieurs mois, on avoit trouvé  d'un lieutenani-cnminel rn trouvé dans les vignes les reftes dün cadavre dont il avoit fair drefter proces-verbal. M. Bigot s'en fit donnet copie; öc pendant qu'on y rravailloit, faveugle v,nt dans i'hórellerie demander f aui"one- Ayant entendu parler de 1'objet des recherches de eet Avocat-géné«1. d raconta ce qu'il avoit entendu iurlamontagne, Sc affura qu'il recoa«oitroit la voix. Conduit d Rouen, on lui fait préter interrogaroire; on fait paroitre Ie prifonnier devant lui; mais pour s'aflurer q„e la prevention n'auroit aucune part dans la dépofition de 1'aveugle on ne les fait point parler en préfence lun de 1 autre. On fit retirer celui-ci «pres qUe l'autre eut eu le temps de le confiderer fuffifamment. On demanda enfune au pnfonniers'il avoit quelque jeproche a former contre 1'aveugle/ ü le plamt qu'on ne procédé contre lui que par artifice, & qu'il eft contraire a toutes les régies de Ia juftice d'emPloyer le témoignage dün aveugle pour Ie convaincre d'un fait qui ne pouvoit etre conftaté que par des témoins qui depofafient de vifu. Cependant, on fait parler devant laveugle, une vingtaine de perfonnes lome /. c  ï % % Rufe fingulihre, &c fucceffivement. II n'en reconnoit aucune pour être celle qu'il avoit entendue fur la montagne d'Argenteuil. tmrin, on fait parler le prifonnier, il le reconnoit t on répète la même chofe jufqua trois fois, & 1'aveugle perfifte. C'eft fur ces indices que le prilonnier fut condamné a être rompu & tut exécuté. . r On peut dire que ce jugement tut prononcé bien légèrement:j & que la dépofition de 1'aveugle ne devoit meme pas être regardée comme un mdice. En effet, il ne difoit pas qu il y eut eu d'homme tué, lorfqüil paria a la* cufé fur la montagne d'ArgenteuiL tt, quand il 1'auroit dit, il ne s enfuivoit nullement que celui dont il avoit entendu la voix fut le meurtrier. Heureufement pour les juges le condamné, avant d'expirer, confefla publiquement qu'il etoit véntablement poupable de laifaftinat.  123 Enfant réclamé par deux mcrcs3 ou La célèbre caufe de S. Gèran. LEs circonftances de cette caufe réuniflent a la fois tout le merveilleux du roman, & 1'intértt de la vérité j Sc u elle ne piqué pas la curiofité du iecteur, ce fera la faute du rédacteur. Le maréchal de S. Géran, de la maifon de la Guiche, avoit été marié deux fois. De fon premier mariage avec Anne de Tournon, il avoit eu deux enfans, Claude de la Guiche, &c une fille qui époufa le marquis de Bouillé, dont elle eut une fille qui devint comteffe du Lude. Sa feconde femme fut Sufanne aux Epaules veuve du comre de Longaunay, dont elle avoit eu une fille, Sufanne de Longaunay. De ce fecond mariage, naquit une fille qui époufa dans la fuite le duc de Venta- F 4  1 z4 Enfont réclamé dour. Les deux époux reiïerrèrent leurs liens par 1'union de leurs enfans du premier lic. Claude de Ia Guiche époufa Sufanne de Longaunay; le contrat de mariage fut paffe a Rouen le 17 février 1619. L'époux avoit dix - huic ans , &c 1'époufe, treize a quatorze. La grande jeunefTe de 1'épouxfit prendre le parti de le faire voyager en Italië , d'oü il ne revint qüau bout de deux ans. Le Maréchal mourut le 30 Décembre 1632 , & emporra Ie chagrin de n'avoir poinr de petits enfans qui puffent- afTurer la perpétuité de fon nom. Le comte de la Guiche, fon fils, lui fuccéda au gouvernement de Bourbonnois, fut fait chevalier des ordres du Roi, & prit le nom de comte dê S. Gétan. La ComtefTe, pendant plus de vingt ans, vécut dans les chagrins de la ftérilité. Enfin , au mois de novembre 1(^40, étant agée de trente-cinq ans, ou environ, elle revint de Moulins a Patis. A peine y fut-elle arrivée, qu'elle ctut fentir tous les fymptomes de la grofTeffe. La nouvelle de eer événement Ie répandit bientöt; toute la familie, tous les amis du comte de S. Géran s  par deux mères. 125 toure la province du Bourbonnois en témoignèrent leur joie. On eft obligé d'encrer ici dans les détails les plu» minutieux. Ils fotment le nceud & le développement de la cataftrophe. Peu de temps après, la ComtefTe retourna a S. Géran, oü étant dans la feptième mois, elle fit une chute. On appella les médecins & les chirurgiens, qui prirent toutes précautions néceffaires contte les fuites de eet accident. Plus de vingt femmes de qualité de la province accoururenr pour vifiter leur gouvernante, & lui firenr leur cour en lui pronoftiquant qu'elle accoucheroit d'un garcon. Le comte de S. Géran retint pendant deux mois , auprès de fon époufe, un médecin & une fage-femme, qui la traitoient comme une femme enceinte. En un mot, jamais grolfefte ne fit plus d'éclat. 11 écrivit toutes ces circonftances a la Matéchale, fa bellemère , & la ptia de venir donner le nom a l'enfant qu'on attendoit. La Maréchale fit faire la layette dont elle fe promettoit de faire préfent a fon filleul, & fe rendit a S. Géran auprès de fa fille. La dame de Saligni, fceur du feu maréchal de S. Géran, arF3  12.6 Enfant réclamé riva peu de jours après la Maréchale, & ne qui tra S. Géran qua la fin d'octobre i ^4 r. On arrêta les nourrices , & 1'on tint tout ptêt pour la naiffance de l'enfant que 1'on attendoit. _ 11 eft néceftaire de faire connoïtre ici les perfonnes qui habitoient alors Ie chateau. Le marquis de S. Maixant, parentdu comte de S. Géran, s'étoit refugié dans fon chateau, pour fe mettre a 1'abri des fuites facheufes de quelques affaires dont la juftice vouloit prendre une connoiffance trop approfondie. San parent lui avoit fair un accueii fort gracieux , 1'avoit retenu auprès de lui, & en qualité de Gouverneur, 1'avoit mis fous fa prorection. La marquife de Bouülé, fceur du comte de^ S. Géran , & fon nnique héritière préfomptive, s'étoit retirée chez fon frère, après avoir fait divorce avec fon mari. Elle avoit, difoit-elle, beaucoup de fujets graves de s'en plaindre ; mais il y a apparence que lage de ce mari étoit fon plus grand crime; il étoit feptuagénaire. ^ Le marquis de S.Maixant étoit jeune, d unefigure aimable, il étoit infinuanr; lage de la Marquife étoit afforti au fien, elle n'étoit pas fans agrémens; ils s'ai-  par deux tnères. i ij nièrent. Ils avoient Ia liberté de fe voit en tête a tête a leur gré, & 1'on a prétendu qu'ils fotmèrent alois le pro jet de s'unir par des liens plus folides que ceux de l'amour, bien certains que le grand age du marquis de Bouillé levefoit bientöt 1'obftacle que fa vie apportoit a l'exécution de ce projet : d'ailleurs le marquis de S. Maixant n'étoit pas, difoit-on, novice dans Part d'avancer la mort des perfonnes dont la vie le gênoir. La Marquife avoit pour femmes de chambre deux fceurs dont le nom étoit Quinet, & qu'on avoit furnommées Dada. Elles avoient 1'efprit qu'infpire 1'état de domefticité. Souples a tout par Pappas de 1'argent, abufant^ des fecrets qui leur avoient été confiés pour renit leurs maitres dans la dépendance, cV profitant des circonftances pour continuer de tirer fans ceife parti de leurs complaifances paflees. f Le maltre d'hótel du comte de S. Géran fe nommoit Baulieu. C'etoit un homme fort attaché a fon maitre, qui lui avoit fervi de fecond dans un combat, & qui devoit naturellement attendre de lui route fa fortune, & la fubfiftance de fa familie qui étoit nombreufe. F4  liS Enfant réclamé La fage-femme, nommée Louife Goiliard, étoit, difoit-on, de ces femmes qui fe vendent pour routes fortes de crimes, 8c qui les commettent de fang froid & fans remords. Sa rélidence etoit a Vichi. II fera beaucoup parlé dans la fuite de tous ces perfonnages. Le 16 du mois d'aout 1£41 , la comteife.de S. Géran, entendant la meiTe dans fon chateau , fut prife de douleurs violentes ; on la pona dans fa chambre. La maréchale , fa mère, la coëffa de fa propre main comme on coëffe les femmes qui vont'accoucher, & qui ne doivent pas fi-tót changer de coëffurej on apporta les langes pour reeë voir l'enfant, lanourrice&lesfervantes furent averties, 8c 1'on mit promntement la malade dans fon lit. _ Les douleuts furent fi longues 8c Ci aiguës, que 1'on craignit qu'elle ne put pas y réiifter. Le S. facrement fut expofé dans toutes les Eglifes de Moulins, afind'obtenir 1'heureufe délivrance de la gouvernante. Un accouchement, qui alloit décider du fort d'une illulfre maifon prête d s'éreindre , aflembla dans la chambre de la ComtelTe, fes deux fcem-s utérines, filles du maréchal  par deux mères. 129 Sc de la maréchale de.S. Géran1, Sc foeurs confanguines da Comte, L'ainée, qui devint pat la fuite ducheflede Ven-^ tadour, étoit alors agée de feize ans; & 1'on prérend qu'elle avoit mis plufieurs fois la main fur le ventre de fa fixur, & avoit fenti l'enfant remuer.. Avecelles étoient la Maréchale, la dame de Saligni, le comte de S. Géran, le marquis de S. Maixant, la marquife de Bouillé, Sc les deux Quinet. Tant de monde raflemblé dans la même chambre ne pouvoit que nuire au fervice de la malade, & augmenter la chaleur que la faifon rendoitdéja exceffive. La marquife de Bouillé en fit 1'obfervarion haurement, & prenanc le ron d'autorité que 1'attachement Sc 1'amitié femblent autorifer , elle dit qu'il falloit que tout le monde fortit, a 1'exception de ceux dont la préfence étoit abfolument néceffaire ; Sc pour ne lailTer de prétexte a perfonne, elle exhorta la Maréchale a donner 1'exemple. Quoique , par fa qualité de mère , elle eut plus de droit que tout autre d'être préfente aux couches de fa fille , elle. fortit, Sc tout le monde la foi vit. 11 ne refta dans la chambre que la Marquife , la fage-femme Sc les deux QulF 5  130 Enfant réclamé net. On garda celles-ei pour remplacer ies deux femmes de chambre de la malade , que la pudeur ne permettoit pas de rendre rémoins dün accouchemenr; la plus agée avoit ï peine quinze ans. Cependant les douleurs continuèrent fans relache pendant deux heures. Sur les fept heures du foir, lüne des Quinet tenant la malade par la main, la fage-femme dit quelle ne pourroit jamais foutenir le travail, fi elle ne prenoit un peu de repos; & en mêmeremps elle lui preien ra a boire. A peine eut-elle avalé ie breuvage, qu'elle tornba dans un fommeil ïéthafgiqüe, qui durajufqu'aulendemain. Pendant qu'elle étoit dans eet état, le comte de S. Géran , la Maréchale & tous ceux qui prenoient part a eet accouchement, envoyoient a tout moment a la porte pour apprendre ce qui fe paiToir. Aucun des envoyés ne put pénécrer plus ayant; mais jamais on ne les chargea d'une mauyaife réponfe; on man dok toujours que tout alloit bien, & que les vccux feroient bientót exaucés. Le marquis de S. Maixant pafia la nuit a roder ; il fe préfenroit fouvent a la porte qui lui étoit en tr'ouverte, & parlóit bas , tantot a" la marquife de Bouillé, tantót  par deux mères. 131 a la fage-femme. Baulieu feul eut le privilège de pénétrer dans la chambre. La comtefle de S. Géran s'éveilla , enfin, a la pointe du jour. Elle fe crue environnée de tous les fymptomes affurés d'un accouchemenr , Sc fes premières paroles furent pour demandec ou étoit fon enfant. On lui dit qu'elle n etoit point accouchée : elle foutint vivement le contraire \ Sc pour appaifer 1'extrême inquiétude qu'elle témoigna, la fage-femme 1'alTura que la journée ne fè pafleroit pas qu'elle nHiccouchar, Sc que les opérations que la nature avoit faites pendant la nuit annoncoient que ce feroit d'un fils. Cette promefle calma le Comte & la Maréchale , mais ne calma pas la Comtefle, qui foutenoit opiniatrément qu'elle étoit accouchée. Le lendemain elle demanda , avec larmes Sc gémiffemens, ce qüétoit devenu fon enfant, foutenant toujours qu'elle ne fe trompoit point. Lafage-femmedit que la nouvelle lune s'étoit oppofée a fon accouchement, qu'il falloit en attendre le déclin, & qüalors , toutes les voies étant préparées, elle auroit une heureufe délivrance. La Comtefle ne fe payoir point de ces raifons: Sc la fermeté avec laquelU 3  13 i Enfant réclamé elle foutenoit qu'elle étoit accouchée, auroit cohvaincu tout le monde, ii ia Maréchale neut dit qu'elle fe fouvenoif- que, dans une de fes groifeifes, elle eut, au bout du neuvieme mois, tous les fignes avant-coureurs d'un accouchemenr, qui cependant n'arriva que fix femaines après. Ce récir féduifit tout le monde : le marquis de S. Maixant & la marquife de Bouillé parurent convaincus, & ne néglioèrent rien pour communiquer aux autres leur conviélion. La comtefTe de S. Géran fut toujours inébranlable. La fage - femme , pour vaincre fon opiniatreté, & la leurrer toujours de 1'efpérance d'un accouchemenr prochain, lui dit que l'enfant avoit fait les premiers efforrs pour naïtrej mais qu'd avoit été arrêté par un lien qui le renoit attaché aux reins; & que, pour ie détacher, il falloit qu'elle fit quelque exercice violenr. Se croyant toujours dans 1'état d'une femme nouvellement accouchée , elle refufa de fe prêter a une épreuve dont, en partant de fes idéés, elle connoiffoit tout^le danger. Enfin, la maréchale & le comre de S. Géran donnèrent bien Ia preuve qu'ils étoient coa-  par deux meres. 15J vaincus qu'il n'y avoit point eu d'accouchement.Ce furent eux qui déterminèrent la Comtefle a fuivre le confeil qu'on lui donnoit. Elle monta dans un carrofie comme une trifte viótime de la complaifance. On la promena dans des champs labourés, dans les chemins les plus raboreux. Enfin , on la fecoua fi forr, qu'il ne falloit pas moins que le tempérament le plus robufte pour réfifter a ces cruelles épreuves. Après cette barbare promenade, on la reporta dans fon lit. Voyant que perfonne n'adoptoit fon idéé , elle dit qu'elle fe remettoit entre les mains de la providence, & qu'elle alloit chercher dans la religion des motifs de confolarion. Six femaines fe paflerent dans une attente vaine. Enfin , on crut que la Comtefle n'avoit jamais été grofle ; que y féduite par fon imagination , elle avoit pareillèment féduit tous ceux qui avoient été intérefles a eet événement. On citoit des exemples de femmes qui s'étoient crues grolfes fans i'être,&qui avoient nourri leur erreur pendant plafieuts mois. Tout le monde, en un mot, fut perfuadé que cette aventure éroit un jeu de la nature, qui déroge de temps en temps a fa marche ordi»  134 Enfant réclamé naire. Le temps calma les inquiétudes de la Comtefle elle-même : fa douleur fe tefugia au fond de fon coeur; d'oü de remps en temps, elle laifloit échapper quelques éclats. Cette douleur étoit enfin prefqüéteinte par les années, quand un incident la réveilla. Baulieu avoit un frère maitre en fair d'armes a Paris. Ce frère avoit époufé Marie Pigoreau, fille d'un comédien ; il fur tué au mois de jiiin 1639, laiffant fa femme chargée dün enfant nommé Antoine, & grofle d'un fecond, dont elle accoucha le 9 aoüt fuivantj il fut nommé Henri. Deux ans après fes couches, elle alla trouver Baulieu, oncle & parrain de fon fecond enfant, 6c n'étant pas en état de le nourrir , elle 1'engagea a fe charger de ce foin. II demanda au comte & a la comtefle de S. Géran la permiflion de faire élever fon neveu dans leur hotel. L'intérêt qu'ils prenoient a ce qui le regardoit, lui fit d'abord efluyer un refus. lis voyoient avec peine qüayant cinq enfans, il voulüt encore prendre cette nouvelle charge. La complaifance céda enfin aux inftances, & l'enfant fut amené a 1'hötel. La comtefle de S. Géran , étant fur ie  par deux mcres. 135 point de partir pour Moulins, donna ordre que Ton mit Ie neveu de Baulieu dans la voicure de fes femmes : mais, quand elle le vit, elle le trouva fi beau , qu'elle voulut Pavoir dans fon catrofie. II avoit de grands yeux bleus, il étoit blond & avoit les traits réguliers. Son mari & elle le prirent en amitié j il fe jettoit otdinairement dans les btas de la Comtefle, qui ne le careffoit jamais fans fe rappeller celui qu'elle s'étoit attendu de mettre au monde. II auroit, difoit-elle , eet age, & peutêtre feroit-il auffi beau. Baulieu romba malade \ &c Pon a dit depuis que cette maladie étoit occafionnée par le poifon. II mourut en 1648. Cette mort ne changea rien au fort de fon neveu. L'attachement de fes maitres prenoit chaque jour de nouvelles forces ; ils lui donhèrent une éducation celle qu'ils auroieht pu Ia donner a leur propre fils. A peine eut-il fept ans, qu'ils t'habillèrént en page. II les fetvit en cerre qualité tant que le Comte & la Comtefle n'eurent aucufts foupcons fur 1'évcnement du mois d'aouc l6 Ai.  i 3 6 Enfant réclamé Ces foupcons furent excités par un bruir fourd qui fe répandit dans la province qu'il y avoit eu une confpiration tramée pour fupprimet l'enfant donc madame la gouvernante étoit accouchée. II vint jufqüaux oreilles du Comte &C de Ia Comtefle, qui réfohirent deremonrer a la fource, & de raflembler routes les lueurs qu'ils pourroienc trouver pout en former un corps de lumière qui dirigeat leurs pas. Le Comte étoit a Vichi avec fa femme & la marquife de Bouillé, pour y prendre les eaux. La comtefle furprir un jour fa belle-fceur en con verfarion particuliète avec la fage-femme qui 1'avoit afliftée lors de fon prétendu accouchemenr. Elle les interrompit, & leur demanda Ie fujet de leur entretien : » da» me Louife, dit Ia Matquife, fe loue » de mon frère, qui ne lui a marqué » aucun mécontentement. — Pourquoi » aviez-vous lieu de craindre un mauj> vais accueil de mon mari ? — J'ap» préhendois , madame, qu'il ne me 3> feut mauvais gré de ce qui s'eft pafte » lorfque nous croyions que vous al» iiez accoucher. » Le trouble que la Comtefle crut appercevoir fur le vifage de Ia Marquife 8c de la'fage-femme.a  par deux' mères. 137 lui fit foupconner de 1'ambiguité dans cette réponfe. Mais elle fe pofféda & comprima fon émotiön; elle ne voulut pas laiffer tranfpirer des foupcons contre lefquels, s'ils euflent été connus, on autoit pu prendre des précautions. Elle ne poufla pas la converfation plus loin. Cependant la marquife de Bouillé quitta prefque auffi-töt fon frère & fa belle-fceur, fe retira a Lavoine , & ne les revit plus. Le comte & la comtefle de S. Géran fiteat part a la Maréchale de toutes ces circonftances & des induétions qu'ils en tiroienr. Ils tinrent confeil tous les trois; & le réfulrat fut qu'il falloit faite venir la fage-femme a S. Géran, fans aucun fcandaïe , pour 1'interroger. Elle le fut fur plufieuts faits qui pouvoient conduire a la découverte de la vérité. Elle ne dit rien de pofitif; mais elle varia & fe contredit même dans fes réponfes ; elle marqua en un mot fi peu de fermeté, qu'elle donna tout lieu de la foupconner coupable d'un grand crime ; & quoiqüon n'eüt pas at teint la conviction , on pen fa qu'il y avoit aflez d'indices pour la mettre entre les mains de la juftice. Mais il falloit ufer de prudence. En  138 Enfant réclamé la faifant arrêter dans le chateau même, on auroit commis un acte de violence qui eüc jetté une grande défaveur fur cette affaire. En lui laiffant entrevoir qüon la foupconnoit coupable, elle auroit pu ptendre la fuite, & couper paria le fil qui feul pouvoit conduire dans le dédale oü 1'on alloit s'engager. II fallut donc rifquer de la laiiïer s'en retourner librement. Les queftions qu'on lui avoit faites avoient été fi fagement ménagées , qu'elle n'appercut nullement le motif qui les avoit infpirées : elle fe rendit dans fa maifon avec la plus grande fécurité. Le Comte 8c la Comteiïe rendirent pardevant le vice-fénéchal de Moulins, une plainte fur laquelle la fage-femme fut arrêtée & fubir interrogatoite. Elle avoua que la Comtefle étoit accouchée; mais elle ajouta que c'étoit d'une fille mortenée; qu'elle 1'avoit enterrée fous un dégré prés de la grange de la baffecour , fous une pierre. Le lieutenant particulier qui, pour 1'abfence du lieutenant - général , faifoit la procédure, fe tranfporra fur les Iieux accompagné dün médecin & dün chirurgien. On ne trouva ni Ja pierre , xii aucun indice qui put faire juger que  par deux mères. 135)' I la terre eüc été remuée. On fouilla en 1 vain en plufieurs endroits citconvoifins. Le Comte fit part a la Maréchale I de 1'inrerrogatoire de la fage-femme. '•: Elle répondit que cette malheureufe éroit digne de mort, & qu'il falloit fuivre ce procés avec chaleur. On déféra a fon avis. Dans un fecond interrogatoire, 1'accufée nia que la Comrefie fut accouchée \ dans un troifième, elle dit qu'elle étoit accouchée d'une mole; dans un quatrième, qu'elle étoit accouchée d'un fils, que Baulieu avoit mis dans une corbeille. Aulli-tötaprès eet interrogatoire, elle confirma la confeflion qu'il contenoit dans une lettre qu'elle fit écrire a la Comrefie par une demoifelle Duverdier; & elle reconnut en juftice certe lettre ,a laqueile elle avoit mis une croix pour marqué. Cependant, dans un cinquième interrogatoire, elle nia tout, èc rérraéta ce qu'elle avoit pu dire de ! contraire a cette dénégation. Mais,dans toutes ces variations, il ne lui échappa rien qui put conduire a la découverte d'aucun complice. Les conjeétures feules pouvoient faire foupconner qu'il y en eut.  140 Enfant réclamé On dit, par exemple, que la matrone fut a peine arrêrée, qu'elle dépêcha Guillemin , fon fils, vers Ia marquife de Bouillé, qui, ajoute-t-on, ne put, a cette nouvelle, comprimer les fignes d'une violenre confternation. On dit encote que le lieutenant - génétal de Moul ins s'étoit abftenu de connoïcre del'affaire, paree qu'il avoit voulu fe réferver la faculté de conduire la marquife de Bouillé contre le comte de S. Géran dont il étoit ennemi capital. La Marquife, ajoute-t-on, envoya fur Ie champ le fieur de la Foreftière, fon écuyer, pour demander confeil a ce juge fur le moyen de fecourir la matrone , fans qu'elle parut s'en mêler. Sur fon avis , la marquife écrivit a fon procureur a Paris d'obtenir, fut la procuration du fils de la fage-femme, un arrêt portant défenfes aux juges de Moulins de continuer la procédure; & la lettre fut éctite de maniète que le procureur put croire que cette affaire étoit totalement étrangère a la Marquife ; & que, fi elle s'étoit mêlée d'indiquer un procureur, cen'étoit que pour obliger le fien. Cependanr, pour aiguillonner Ia diligence de eet officier, elle lui fournit fous main 1'argent néceffiiire,  par deux mères. 141 Mais eet arrêt ne fit que fufpendre les pourfuites pour bien peu de temps ; les défenfes qu'il contenoit furent bientöt levées; elles n'avoient aucun motif plaufible. La procédure fut donc pourfuivie a Moulins ; une foule de témoins furent entendus, récolés (1) & confrontés a la fage-femme. Le juge rendit enfin fa fentence, par laquelle il déclara la matrone atteinte Sc convaincue d'avoir fupprimé l'enfant provenu de l'accouchement de la Comrefie : &, pour réparation, elle fut condamnée a être pendue, après avoir été appliquée a la queftion. Ce préjugé fondé fur une ample informarion, perfuada au comte & a la comrefie de S. Géran que l'enfant qu'ils avoient chezeux, fous la livréede page , étoit leur fils. Ils le traitètent déformais comme tel , & 1'appellèrent le comte de la Paliffe. Cependant la fage-femme interjetta (0 Quand Ie juge a entendu un témoin, il le fait comparoitre une feconde fois , avant de le confronter a 1'accufé , pour lui relire fa dépofition, pour fcavoir s'il y perfifte, 6c s'il n'y veut rien changer ou ajouter. C'eft c; qu'on appelle récolement.  Ï41 Enfant réclamé appel de la fentence qui 1'avoit condamnée, & fut ttansfétée dans les ptifons de la conciergerie. A peine fut-elle arrivée, qu'un particulier, nommé Sequeville , vintavertir la comteffe de S. Géran, qu'en 1642., on avoit baptifé myftérieu'fement un enfant a Paris, &c que la Pigoreau avoit eu beaucoup de pat: a eet événement. C'étoit de la Pigoreau que 1'on renoit le comte de la PalifTe. Cet avis fit faire attention a. fa conduite, & ouvrit une nouvelle catrière de recherches & de perquifitions. On apprit que ce baptème avoit été adminiftré a S. Jean-en-grève, & l'enfant nourri a Torcy. On leva 1'extrait baptiftaire : il étoit ainfi concu : Le feptième jour de mars 1642, a été baptifé Bernard3 fils de ... & de ... Le parrain, Maur Alarmion, gagne- denier & ferviteur de cette égüfe, & la marraine, Jeanne Chevalier, veuve de Pierre Thibou. Cette marraine étoit une mendiante dans 1'Eglife. Cet extrait baptiftaire ne défignoit aucun enfant plutót quün autre ; il ne quadroir même pas avec 1'époque du prétendu accouchernent de la Comtefie qui étoit du 17 aoüc de 1'année pré-  par deax mtres. 145 cédente. Cependant le comte de S. Géran obtint un arrêt qui lui petmit d'informer devant le juge deTorcy, & de faire publier un monitoire.^ Le réfultat des informations faites par les juges de Torcy , de Culfet &£ autres commis par arrêt, fut tel que le patlement d'office décréta la Pigoteau qui n'avoit pas été comprife dans 1'accufation. Pendant que le comte de S. Géran, nniquement occupé de cette affaire, prenoit toutes les routes que la plus légere lueur pouvoit lui indiquer; a mefure qu'il croyoit approcher de la lumière qui alloit découvrir la vérité, la natute fembloit s'obftiner a couper les chemins qui pouvoient y conduire. La marquife de Bouillé qui, d'après les faits rapportés plus haut, auroit pu jouer dans ce procés un rble fi confidérable, fut enlevée par la mort. Le marquis de S. Maixant, qui auroit pu être de moitié avec elle pour la découverte de certains faits, ne vécut pas long-temps après elle. Cette circonftance parut d'autant plus affligeanre, que les intétêts de ces deux amans ayant celfé d'être communs, ils auroient eu moins de mefures a garder : i4 Enfant réclamé pour découvrir les ravifleurs, elle ne lui en parle même pas. Tout le vacarme qüelle a fait, tombe dans ie calme le plus ptofond. On ne patle plus ni de couches , ni d'enfant, nideraviftement. Elle va même jufqu'a craindre que 1'on ne s'eri fouvienne : elle prie inftamment la Maréchale , fa mère, & les dames qui étoient venues pour 1'aftifter, de ne point la faite pafler pour folie, en publianr qüelle avoit cru être grolfe pendant dix mois, quoiqu'elle ne le fut pas. Elle ne perd cependant pas fon projet de vue; & quoique la machine qu'elle avoit établie, aitmanqué, elle cherche a en ramaifer les débris, pour donner a roure force un héritier a fon mari. Mais heureufement 1'expérience ne 1'avoit pas rendue plus habile dans 1'art de fabriquer des hiftoires. Elle fe réveille & demande enfin des nouvelles de fon enfant. Mais qui interroge-telle ? Ce n'eft pas la fage-femme qui 1'a accouchée; ce ne font pas les femmes qui ont aflifté a fon accouchement: ce font les matrones & les médecins de Paris, qui n'ont rien vu, & auxquels tous les évènemens paifés font étrangers. On en obdent cependant  par deux mères. \6f Wne déclaration conforme a ce que 1'on defire : mais cn ne fait pas pour cela la moindre démarche qui puifle conduire a la découverte de cet enfant, dont tant de gens de 1'art atteftent la naiflance. Mais revenons au vrai : oü font-elles ces confultations?Si elles exiftoj,enr,n'en feroit-on pas ufage dans ce moment-ci ? ne les produiroit-on pas ? Mais qui a imagiué un enfantement, peut bien imaginer des confultations. Telles font les illufions au travers defquelles il faut pafler, fans fe laifler furprendre, pour fe prêter au conté fabriqué par la comtefle de S. Géran. Mais quels font les auteurs du crime dont elle fe plaint, & quel intérêt avoient-ils a le commettre? Elle accufe la marquife de Bouillé & le marquis de S. Maixant qui, ditelle, avoient réfolu de s'époufer, &c de s'enrichir des dépouilles de la maifon de S. Géran, dont la Marquife devenoit héricière par la fuppreflion de l'enfant. Mais la Marquife, quand elle eut été libre de donner fa main, auroitelle fait choix du marquis de S. Maixant, dont elle n'avoit fait la connoifc  io'ó' Enfant réclame fance que dans le temps qu'il étoit refugié dans le chateau d'un gouverneur de province, pour fe dérober a la pourfuite des accufarions les plus atroces, qui d'ailleurs avoit la réputation la plus 'redoutable pour une femme, Sc qui enfin, avoit confumé tout fon patnmoine, Sc fe trouvoit encore écrafé de dettes? Veut-on pafler par-deflus cette confidération, & fuppofer que 1'amour lui avoir fermé les yeux fur les vices Sc fur la pofuion de fon amant? Mais elle étoir alors engagée dans les liens du mariage-, pouvoit-elle avoir une certitude fuffifante de 1'époque de fon veuvage, pour fe déterminer a commettre un crime énorme dans 1'efpérance dün événement incettain? A moins qu'on n'aille jufqu'a 1'accufer de méditer un autre crime plus énorme encore que celui qu'on luiimpute? Mais fuppofons, a cet égard, tout ce qu'on voudra fuppofer, il faut encore admettre d'autres fuppofitions qui ne font pas moins révoltantes ; car ce n eft que par une progrefiion d'abfurdités que 1'on peut parvenir au dénouement du roman forgé par la comtefle de S. Géran.  par deux mères. i 67 II a fallu que la marquife de Bouillé ck le marquis de S. Maixant aienr formé eer abominable complot. II a fallu que celui qui 1'a concu ait ofé s'en ouvrir avec l'autre. Que 1'on fuppofe le Marquis acsoutumé au crime, & capable , par conféquent, d'imaginet ou d'adopter ceux qui potivoient fervir a fes paftions •, il n'en étoit pas ainfi de la Marquife. On ne lui a jamais reproché le plus petit détangement dans fa conduite; elle n'a donné nul fujec de la foupconner d'avarice ni de noirceur. On ne peut donc pas la préfumer capable ni d'avoir concu, ni d'avoir adoptél a fuppreilion de part qu'on luiimpute. Ondoirmême croire qu'elle n'a pu, fans horreur, en entendre la propolition , fi le marquis de S. Maixant a été aftez téméraire pour la hafarder. Suppofons encore que le projet affreux que 1'on difcure ici ait pu entrer dans la tête des deux prétendus coupables. Mais la plus légere réflexion auroir du le leur faire rejetter. II leur falloit rrouver des miniftres de ce crime ; ils ne pouvoienr pas 1'exécuter par eux - mêmes. 11 falloit choifir ces miniftres parmi les gens de la maifon j  ï68 Enfant réclamé Sc il en falloit de ceux a qui leurs fonctions & la confiance de leur maicre donnoiencle droit d'agir &de roder par tout le chateau, fans qu'aucune de leurs démarches parut extraordinaire, Sc fans qu'on put leur attribuer aucune vue détournée. Mais, plus ces gens étoient avancés dans la confiance de leuts maitres , plus ils étoient difficiles a corrompre, plus il étoit même hafardeux de leur faire lafimple propofition. II falloit au moins, pour ofer la faire, & pouvoir efpérer qu'elle fut agréée, la rendre éblouiffanre par 1'éclat d'une técompenfe qui dérobat a Ia vue Sc les pertes que devoit ctaindte celui qui fe feroit prêté a la féduftion, Sc le danger qu'il auroit couru de la part de la juftice. II ne fuffifoit pas de gagner un domeftique, il falloit nécefiairement lui affocier la fage - femme. Elle jouiftbit dün état qui étoit 1'unique foutce de fa fubfiftance; elle s'expofoit aux peines les1 plus rigouteufes, fi 1'exécution de 1'entreprife entamée venoit a manquer. II falloit donc que le prix de Ia corruption fut proportionné a tout ce qu'elle autoit immolé pour fatisfaire la paflion des deux principaux perfon- uages  par deux mères. i6y ,nages de la confpiration; fa vie, fon honneur, fa fortune & celle de fa familie. Or oü la marquife de Bouillé féparée d'avec fon mari, & le marquis de S. Maixant, dont les affaires éroient dans le plus grand délabremenc, auro;ent-ils pris des fommes auili ccmfi. dérables que celles qu'il leur falloit pour corrompie ces deux complices? Auroient-ris eux-mêmes confié leur vie & leur honneur a des gens qui, ayant éfé gagnés une fois, pouvoicnt 1'être contre eux d'autant plus facilement, que les remords & le repentir fuffifoient pour les engager a .révéler cette horrible confpiration? L'efpérance d'ailleurs de fe dérober a la peine de leur crime par cette révélation, n'étoit elle pas alfez forte pour les obliger a le découvrir ? Pouvoit-on compter en un mot fut des ames vénales ? Er le marquis de S. Maixant, & la marquife de Bouillé, de leur cóté , auroient-ils fait de fi grands frais pour commettre un crime qui leur devenoi: inurile, fi la comtelfe accouchoit une feconde fois; ou fi , étant morte, le Comte époufoit une feconde femme qui für féconde ? Tomé I, H  ïjö Enfant réclamé Suivons toujours les fuppofitions; Sc convertiffons, fi 1'on veut, en réalités les abfurdités qui viennent d'ètre expofées: comment perfiiadera - t - on que la marquife de Bouillé & le comte de S. Maixant, qu'on fuppofe capables d'un fi grand crime, n'ont voulu le commettre qua demi, tandis qu'ils avoient tant d'intérêt , &c tant de facilité a le confommer ? Ne 1'achevant pas, ils s'expofoient a en perdre le fruit, pour n'en recueillit que 1'arTront & le chariment. Baulieu ne pouvoitil pas facilement étouffer l'enfant, le jetter dans une rivière, 1'expofer a rrente lieues de S. Géran dans un fofie , ou 1'enfouir la nnit dans un champ ? Ou fi 1'on ne veut pas lui fuppofer 1'ame affez fétoce pour immoler de fang froid, & de fes propres mains, a la cupidité d'autrui, une vi&ime innocente ; ne lui auroit-il pas été facile de 1'expofer dans une ville ou il auroit été inconnu , Sc oü 1'on auroit pris foin de lui dans un hópital ? Mais , loin que les prétendus coupables aient employé les mefures nécelfaires , &c que la plus légère précaution pouvoit infpirer pour effacer Ia tracé de leur crime • il femble, fui-  par deux mères. 171 vant Ia fable de la comtefle de S. Géran , qu'ils ont pris a tache de la marquer eux-mêmes, & de la conferver. On prétend d'abord que la fage-femme, pour tuer Penfanr, lorfqüil vinc au monde , lui prefla le crane, & alloit 1'écrafer, fi elle n'en eur été empêchée par la marquife de Bouillé. Mais peut-on imaginer que cette malheureufe eut entrepris de fon chef une aétion fi noire,li elle n'eur éré arrêtée dans le confeil des confpirateuts ? Et puifqu'elle avoit pris fur elle de fe charger de cetre atrocité que 1'on n'avoir ofé lui propofer, par quel aveuglement ceux pour qui elle travailloit , ont-ils empêché la feule démarche qui put leur alfurer & le fuccès, & 1'impunité ? On ajoute que ce fut Baulieu qui fe chargea de cet enfant, & qui le porta droir dans le fond de 1'Auvergne au village de Defcouroux, dans les montagnes voifines de Thiers & de Lavoine , oü la marquife de Bouillé avoit un chateau, dans lequel elle fe retitoit fouvent. Ce fait eft-il croyable, & ne bleflet-il pas toutes les regies de la vraifemblance, 8c même de la poflibilité? On H i  \ji Enfant réclamé a déja vu combien il répugne que Baulieu ait pu être déterminé a jouer le róle qu'on lui atribue. Mais convnent a-t-il pu, au milieu de tant de perfonnes , faire fortir cet enfant du chateau , prendre un cheval & difparoitre pendant long - temps, fans qu'on fe foit appercu de Pabfence dün domeftique , d'un maïtre d'hótel, dont le miniftère étoit indifpenfable dans une circonftance comme celle de 1'accouchement de la maïtrefle de la maifon ? Si 1'on s'en eft appercu, quelle excufe a-t-il pu donner a fon retour ? Comment at-il pu perfuader qu'il n'avoit pas eu rott de s'abfenter dans un temps oü, loin quün domeftique attaché a la maifon , puifte prendre des vacances, 1'on eft obligé de louer le fetvice de perfonnes éttangères ? Enfin, on retira l'enfant du village de Defcoutoux, oü il étoit fous les yeux & a la difpofition de la marquife de Bouillé. Eft-il croyable qu'elle eut ainfi laiftc échapper fa proie pour Ja killer venir a Paris, expofée a être recouvtée pat fes père &c mère ? Mais encore, oü le dépofe-t-on? Chez la Pigoreau , belle-fceur de Baulieu, qui par cette raifon, fréquentoiï  par deux mères. 173 j 1'hótel de S. Géran , & y avoit des corI refpondances avec tous les domeftiI ques. Quel étoit le gage de fa ildélité [ a garder le fectet ? Comment comp- ter fur fa difcrétion? Comment atten- dre d'une femme de fon état la pruj dence nécelfaire pour ne pas lailfer échapper un mot qui put donner lieu a des foupcons ? On lui donna, dit-on , deux mille i livres pour élever l'enfant. Mais ce pré1 fent elf encore un furcroït de preuve d'imprudence, Celle qui le recur éroic ; donc dans 1'indigence, & fa diicrérion | fe payoir a prix d'argent; elle apparj tenoit donc a celui qui en donnoic le I plus. Mais ce qui met le comble a 1'abI furdité du roman, c'eft que cet enfant \ rerourne a 1'hórel de S. Géran , oü on le \ jerte dans les bras de fa mère : & qui eft-ce qui 1'y conduit ? c'eft Baulieu. . Peut-on conce^oir qu'il l'ait remis lui- même au père ik a la mère a qui il j 1'a enlevé ? Peut-on concevoir que le marquis de S. Maixant & la marquife de ; Bouillé 1'aient fouftert, &c aient ouvert ; eux-mêmes la voie qui ne pouvoit mau- quer de conduire a la reconnoiffance ? , Cet enfant perpétuellement fous les H 3  174 Enfant réclamé yeux de Baulieu, comblé de ca-rettes parle Comte & par la ComtefTe, ne remettoit-il pas fans ceiTe fous les yeux de Baulieu l'iflfnftice cruelle qüd avoit commife? n'excitoit-il pas fans ceffe fa compaflion , en lui prcfentanr perpétuellement fon maitte au rang des domeftiques de fa propre maifon ? La préfence de cette vicTrime de fa batbare avarice n eroit-ellepas un aiguillon qui tourmentoit fa confcience , & le poufToit fans ceffe a rcparer fon injuftice? Auffi hu échappoit-il fouyent, dit-on, des rcticences qui donnoient clairement a entendre qüil avoit fur le cceut un fecret ds Ia dernière imporrance qui intéreffbit fon inaïtre&fa maitrefTe. Ces indifcrétions font inutiles; on ne cherche point a les approfondir. Enfin, ce malheureux eft empoifonné; & dansles bras de la mort, il déclare nettement qu'il.a caufé un grand préjudice au Comre £< a la ComtefTe. On fcait teut cela, & 1'on ne fe donne aucun mouvement ni pour découvrir ce myftère, ni pour connoftre les auteuts de la mort de Baulieu. On le demande ; cette tranquillité npathique eft-elle croyable, fur-tout dans une mère qui marqué aujourd'hui tant de ehaleur pour retrouver un en-  par deux mères. 175 fant qu'elle avoit oublié , & qu'elle redemande avec acharnement a ceux qui i ne peuvent lui en donner des nouvelles ; tandis qüelle a laifle mourir, fans leur en parler, ceux qu'elle accufe de 1'avoir ravi ? Tant que la marquife de Bouillé a été au monde , jamais on n'a ofé lui témoignet mème le foupcon du crime affreux dont on charge aujour- 1 d'hui fa mémoire. Elle feule cependant avoit la clef de cette hiftoire fingulière ; c'étoit elle-qu'il falloit indiquer & li-^ vrer a la juftice pour la trouver. Mais on n'avoit garde de compromettre le roman que 1'on ofe aujourd'hui mettre au grand jour. Ce témoin redoutable auroir, d'un feul mot, tenverfé la bafe fantaftique fur laquelle on veut placer un héritier de la maifon de S. Géran. Tout ce roman porte fur deux fuppofitions. La première, que la Comtefle eft accouchée; la feconde, que la Pigoreau n'a eu que deux enfans, dont le fecond eft mort, & auquel elle a fubftitué celui dont la Comtefle étoit accouchée. Pout établir Ie premier de ces deux fairs imaginaires, ufant du pouvoir abfolu qüelle avoit fur I'efprit de fon mari, elle fait arrêter la matrone par H4  17^ Enfant réclamé les gardes du gouvernement, Ia fait mettre dans fon chateau en un cachot, la fait maltraiter, pour lui arracher 1'aveu qu'elle 1'avoit accouchée, par le fecours dün breuvage magique, qui avoit tranfporté la douleur a une fille de chambre. On n'épargna rien enfuite pour extorquer de cette femme, que 1'on tenoit en chartre privée, des aveux reis qu'on les defiroit. Et de-la les variations dans lefquelles elle eft tom"bée a chaque interrogatoire. La vérité forroit de fa bouche dès qüelle avoit la liberté de Ia dire ; & le menfonge avoit fon tour s aufii-tót que Ia contrainte étoit employée. . Voila donc un accouchemenr imaginé , & prouvé par un témoin unique , dont les dépofitions fe croifent &fe contredifent. Mais ce témoin même, a Partiele de la mort, a fourni la preuve des violences qui avoient arraché celles de fes réponfes qui pouvoient être favorables au fyftème de ia Comrefie. La fage-femme, agée de 85 a 84 ' ans, tomba dangereufement malade a Ia conciergerie, dans le temps que 1'aceufation intentée'contre elle, étoit fur le point .d'etre jugée. Les dames de Venradour & du Lude demandè-  par deux mères, " 177 rent qu'elle fut entendue par deux confeillers de la cour. Mais 1'état oü étoit la procédure, ne permit pas de faire eer inrerrogaroire. Etant a 1'excrèmité, on lui adminiftra les freremens; & elle déclara hautement, en préfence de plufieurs perfonnes, que la Comrefie netoit point accouchée, & que les dépofitions contraires qu'elle avoit faites, étoient 1'tffet des menaces & de la torture. On demanda encore que 1'eccléfiaftique qui avoit adminiftré la matrone , & recu la déclararion qu'elle avoit faite pour Tacquir de fa confeience, für oui par deux co;ifeillers. Mais le morif qui avoir fait rejetter.la précédenre requêce, fit pareillèment rejettec celle ci. Un témoignage au (Ti pofitif, Sc donné dans une circonftance qui eft le triomphe de la vérité, n'arrête point la ComtefTe; elle foutient toujours que fon accouchemenr eft un fait certain. Mais ce n'eft pas aftez; il faut trouver l'enfant auquel cet accouchemenr a donné le jour. On (edonne bien des peiiies pour découvrir une mère qui veuille fe défaire de fon enfant au profit de la ComtefTe. Mais la furveillance de la Maréchale  Enfant réclamé fait mariqper ce ftraragême. On jette leyeux -fur Ia Pigoreau. On efpère ïcBbir a Ia gagner par argenr & par le credit dfe Baulierr, fon beau-frère, domeftique affidé a Ia cömreffe de S. Géran. Elle ne fe prête point; & 1'on veut rendre Ia juftice complice du rapt qu'on veut lui faire. Mais voici, dit-on, de Ia part de Ia Pigoreau & des dames de Ventadom & duLude, Ia véritable hiftoire de la familie de cette femme. Elle avoit eu deux enfans de fon mari; 1'un étoit vivant, lors de la mort de ce mari & elle étoit groife du fecond dont ellê accoucha après deux mois de vrduité , ie 9 aoür i6i9. II fut baptifé fous le nom de Henri. Elle en eut un troifièrne , qui fut Ie fruit d'une mauvaife habitude qu'elle eut avec un nommé üernard de Mantes, maïtre a danfer qui occupoit une chambre dans la même maifon ; & cet enfant avoit été mis en nourrice a Torcy. Or c'étoir a lui qu'apparrenoit 1'extrait baptiftaire ure des regiftres de S. Jean-en-grève & repréfenté par la comtefle de S. Géran. II fu- baptifé le 7 mars i(J42) pres de trois ans après la naiffance de «enn, fous le nom de Bernard, qui  par deux mères. 179 écoit celui de fon père. Si les noms de familie des père Ik mère nom pas été inférés dans Pafte, c'eft qu'on n'a pas voulu ériger un monument a leur impuJicité. Jeanne Chevalier , qui faifoit profeflloh de garder les femmes en couche, & qui avoir rendu cet office a la Pigoreau , après avoir préfenté l'enfant au baptème, le mit en nourrice au village de Torcy ; quand il fut en age d'être fevré , on le mit chez une femme nommée Madelaine Tripier „ qui étaloit dans un coin prés S. Paul: elle garda cet enfant , au vu & au feu de tout le monde jufqüen 1648. Quand il eut atteint lage de pouvoir fervir , il s'engagea, & dans le temps que 1'on plaidoit cette caufe , il écoit a Parmée. Tel éroit l'enfant que la Comteife précendoit être le fien. Mais, pour ajufrer fa fable avec la vraifemblance , elle foucenoic que la Pigoreau n'écoit accouchée que deux fois des ceuvres de fon mari , & qüelle avoit pafte fon veuvage dans la chafteté, ou du moins, fi elle avoit vécu dans Pincontinence , fes déréslemens n'avoient eu aucune .Pr 1 1 n'_ i'ince. L enfant poitliume ae ia rigureau , aioutoit laComtefte, qui pou¬ voit eifêftivement fe nommer Henrk^  i8o Enfant réclamé étoit mort peu de temps après fa naiffance; & c'écoit a ce Henri que 1'on pretendoit qu'elle avoit fubftitué le fruit des couches miraculeufes de h comtefle de S. Géran ■ & cecce fubftitution , ajoutoit-on , avoir éré faire attezfubtilement, pour que 1'on ne s'appercuc pas de 1'abfence de l'enfant décedé. Mais c'eft ici une fuppofition purement gratuite, & dénuée non feulement de touce preuve , mais de route vraifemblance. On ne peut jamais préfumer que perfonne commerte un crime de gaieté de cceur & fans intérèr. Or quel mrérêr la Pigoreau pouvoit-elle avoir de perpéruer la vie morale de l'enfant que la mort lui avoit enlevé ? de lui en fubftituer un autre , qu'elle auroit pris dans une des plus illuftres & des plus opuienres maifons du royaume , pour le plonger dans i'obfcuriré & dans la dérretfe ? Elle avoit un fils Vivant; elle n'avoit donc pas befoin de commercreun crime, pourfe donner un hénrier. D'ai! eurs concoir - on quüne femme dé fon étacfoic curieufe de tranfmertre a la poftérité un nom obfcur , & d- laiffgr des héritiers de ion indigence ?  par deux mères. i 8 ï Toutes ces raifons fuffiroient, fans doute par elles-mêmes , pour difliper les illuïions Sc les chimères qui feules forment le corps des preuves dont la comreiTe de S. Géran a voulu étayer fon roman. Mais elles font foutenues par la poifeilion d'érar. L'enfant que la comtefle de S. Géran veut ériger en petit fils d'un maréchal de France, n'eft aurre chofe que Henri de Baulieu , fils d'un fimple maïrre en fait d'armes. C'eft fous ce nom Sc fous cette qualité qu'd a toujours vécu. C'eft comme tel qu'il a écrit plufieurs lettres, mifes fous les yeux de la juftice, a la Pigoreau , fa vraie mère , Sc a Antoine Baulieu , fon frère afné. C'eft comme tel que la juftice fa mis fous la tutele de fa mère; c'eft comme tel que cette mère 1'a allaité de fon propre lait pendant deux ans; c'eft comme tel enfin qu'il a été connu dans la maifon même du comte Sc de la comtefle de S. Géran , jufqu'au moment ou ce!le-ci a pris la fantaifie d'en faire 1'héririer du nom Sc des biens de fon mari. On avoir unedertte du fieur Bode , aumónier du Comte , écrire a la Pigoreau. Après lui avoir rendu compte des progrès que fon fils faifbic dans fes études , il hniifoit en  i8a Enfant réclamé difant: Henri eft toujours bien aimê de monfieur3 & je ne crois pas que madame lepuijfe aimer davantage, quand il feroit fon proprefils. Elle lui fait apprendre a faire des armes & a danfer. Ce Henri étoit donc en pofteilion publique de iëcar de fils de Baulieu , maïcre en fair d'armes. C'eft la place que la nature & la loi lui ont affignée dans la fociété. II eft bien vrai que Fon repréfente un teftament & un codicille du comte de S. Géran , par lequel il reconnoit cet enfant pour fon fils. Mais imbu des chimères de fa femme , qu'une grande habitude dj complaifance & de confiance lui avoit fait adopter, ce téirjoin qui eft même décédé, étant partie au procés qui fe poutfuivoit uniquemenc ious fon nom , ne mérite pas plus de confiance que fa femme , avec laquelle il eft, a cet égard , en quelque forte identifié. Ce témoignage d'ailleurs eft combattu par celui des perfonnes les plus diftinguées 3e fa familie. Les comtes de Saligni, de Sévignon, de 1'Aubepin, de Boufteuil , madame d'Angoulême , de Schomberg, les fieurs' de Gonneville, Sobbevilla, de S. Pierre & BeUefonds?  par deux mères. 1S3 ont tous refufé de nommer la ComtefTe curatrice de fon prérendu fils. lis n'ont pas voulu , par leurs fignatures, autorifer une fuppofirion de part qui introduifoit le fils d'un mairre en fait d'armes dans la maifon de la Guiche. II ne s'eft donc rien pafte' dans cette maifon qui puifle fervir de prétexte au changement d'état que Pon veut procurer a Henri Baulieu. La Comtelfie, qui témoigne une fi forte ardeur d'êrre déclarée mère de cet enfant , n'a point été rebutée du refus de la familie de fon mari. Elle eut recours aux juges de Moulins qui lui ont déféré la curatelle de ce prétendu fils. Mais, outre que eer acte mendié, & qui n'eft que le produir du crédit, ne prouve rien ] il eft détruit par deux autres qui font 1'ouvrage dela juftice. Les dames de Ventadour &c du Lude ont obtenu des lettres d'héritièresdu comte de S. Géran parbénéfice d'invenraire ; elles les ont fait entériner au chatelet, & ont interjerté appel de la fentence qui a nommé la comtefle de S. Géran curarrice de Henri Baulieu , qüelle a décoré de la qualité de fon fils. Rien , encore une fois, ne détruit donc la pofleflion d'état de l'enfant en  184 Enfant réclamé. queftion. II a toujours été, & eft encore Henri Baulieu, & ne peut être autre chofe. Outre tous ces moyens , qui réfultoient uniquetnent du fait, &c qui ne tendoienc qua la juftiflcation des accufés, les dames de Ventadour & du Lude en puifoie.it dans le droit, qui leur étoient particuliers, & qui diftmguoient leur caufe de celle des prétendus coupables. Elles érabliffoient deux propofitions. i°. Le procés criminel intenté & pourfuivi contre la fage-femme & ia Pigoreau ne peut érablir contre les dames de Ventadour & du Lude que l'enfant que Ia Comtefle appelle Bernard de la Guiche , qu'elle prérend être fon fils öc celui du comte de S. Géran , foit capable de recueillir la 'fucceflïon qu'elles réclament. D'ou il fuit que 1'on n@ peut procéder contre elles que par la voie civile. 2°. La Comtefle ne peut avoir aucune preuve civile qui érablifte fa maternité. L'enfanr eft donc fuppofé , > & la fentence qui entérine les lettres de- bénéfice d'invenraire doit être confirmée. Touce Ia preuve fur laquelle fe fonde  par deux mères. 18 f la dame de S. Géran réfulte du procés I criminel. Or des preuves de certe ef, pècene regardenc que les accufés. L'infi cruétion criminelle confifte en inrerro; gatoires , information , récolement , confronration. Or une telle inftruction ne peur opérer que la condamnation i ou 1'abfolurion de 1'accufé. Cela eft fi, 1 vrai, que, s'il y a deux perfonnes atteintes du même vol , la confronration de 1'un ne peut pas fervir pour l'autre ; il faut une confronration particuliere pour chacun. Si, par le moyen d'une procédure criminelle achevée, on découvre un complice qui n'étoit pas compris dans 1'accufauon ; pour lui faire fon procés, il faut recommencer avec lui toutes les procédures. Tant il eft vrai que les preuves qui réfultent d'une inftruérion criminelle, ne réfléchiffent précifément que fur ceux avec qui il a été nommément inftruir. La raifon eft que , rout 1'ordre judiciaire n'a aue 1'accufé pour ohjet, tk ne cenftare la vérité de 1'accufation , que paree qu'on lui donne la facultc de fournir des repröches contre les témoins, des moyens pour fe juftifier; & qu'après avoir examiné fon apologie au fhrabeau des preuves confignées dans  Enfant réclamé la procédure , on voit que Ia vérité depofe contre lui, & que fa défenfe n'avoit pour objet que de la dérober aux regards de la juftice. Or les dames de Ventadour & du Lude n'ont point confeffe que l'enfant réclamé par la comtefte de S. Géran foit fon fils. Ce fait d'ailleurs n'a point été érabli con tradi&oiremenr avec elles: elles n'étoient point partie au proces criminel ; par conféquent elles n'onr point fourni de défenfes. On ne peut donc rien ftatuer contre elles , püifqu'elles n'ont aucune part a la procédure ni aclivement ni paftivement. Dün autre cóté , elles n'ont ni fouftrait ni fait fouftraire aucun enfant a la Comtefte. On ne peut donc pas inftruire contre elles une procédure criminelle ; il n'y a ni accufation , ni matière a accufation. On ne peut donc pas même prendre de conclufions èivites contre elles dans un procés criminel, oü elles ne font point accufées, & oü ejles ne repréfencent aucun des accufés. On a dit, il eft vrai, que la marquife de Bouillé étoit complice de la fouftraéhon Sc de 1'enlévement • Sc elle eft repréfentée par la comtelfe du Lude>  par deux mères. 187 ! fa fille & fon héritière. Mais la mar1 quife vivoit quand le procés a été in! tenté en 1649 , Sc n'eft décédée qüau i mois de novembre 1651. Cependant i la comtefte de S. Géran a tellement redouté cette adverfaire , qüelle n'a jamais eu la témériré de 1'attaquer. I Témoin oculaire de tous les faits, la défenfe de fon honneur & de fes jours Pauroit forcée a les révéler , Sc a faire retomber le poids de 1'accufation fur fa beile-iccur. Lm un mot elle n etoit pomt partie au procés, elle n'a donc tranfmis a fon héritière , ni accufation a défendre , ni procés criminel a foutenir. On ne peut donc inftruire contre les dames de Ventadour & du Lude j Sc cette procédure ne pouvantêtte düigée Sc ne pouvant produire d'effet que contre les accufés , la comtefte de S. Géran n'a d'autre moven que d'entreprendre contre ces deux-dames la preuve civile de fa maternité. Cependant, quand elles fe font préfentées pour êcre recues intervenantes dans le procés criminel , elle a mis tout en oeuvre pour les écarter du combatj Sc aobtenu, par arrêt du 10 aoüc 1657, que la queftion fur 1'intervention feroit jugée par 1'atrêt définitif  l88 Enfant réclaméqui termineroit les conteftations. Or, feroit-il jufte que le procés criminel fervir contre elles, après que leur intervention n'a pas écé admife ? N'effil pas évident que, puifque la ComtefTe vouloit faire ufage contre elles du procés criminel, elle devoit confentir a leur intervention , & travaillér même a la frire recevoir ? H feroit fuperflu d'oppofer que, quand la ComtefTe a foutenu que leur iratervention ne devoit pas être recue, le comte de S. Géran n'étoir pas'mort, & par conféquent fa fucceffion n'étoit pas onverre; qüainfi elles n'avoient alors aucun intérêt dans le procés. Mais n'avoient- elles pas intérêt qu'on ne déshonorar point 1'iiluftre maifon dont elles font ifTues, en y intercalant le fils d'un maïtteen fait d'armes ? N'avoientelles pas intérêt qu'on nereconnüt point un enfant fuppofé, & qu'on ne leur donnar point un proche parent qui pouvoit être leur héritiet ? On oppofoit, de la part de la ComtefTe, un artêt du iS juin 1658, donc voici 1'efpèce.Gabrie) Girard & Jeanne Beguier, fa femme, furent accufés par Marie Beguier, leur fceur & belle-fceur, de fe fuppofer un enfant. Marie Du-  par deux mères. 189 bois, mère commune des deux fceurs, intervint dans le procés pour foutenir cetre accufation. Les premiers juges permirenc den informer & de publier monitoire. Girard & fi femme interjerrèrent appel, & foutinrenc que les accufations fuffifoient feules pour la faire rejetter, puifqüelle rendoita trdubler la paix & 1'honneur des mariages. M. Talon, avocat-général, qui portoit la parole, fit voir qüeneffet, elle n etoit pa» admiffible, & 1'intervention de 1'aïeule elle-mcme n'empêcha pas la cour de déclarer Marie Beguier nonrecevable dans 1'accufarion qu'elle avoit intentée contre fa fceur &c fon beaufrère, & la condamna en leurs dommages & intéréts. Or, ajoutoit la ComtefTe, fi la propre mère de celle que 1'on accufoit de fuppofition de paar, n'a pas pu êrre écoutée, comment de fimples collatérales peuvent elles efpérer cette faveut ? On répondoit, de la part des dames de Ventadour & du Lude , que cet arrêt n'avoit rien de commun avec le procés aCtuel. L'enfant de Girard avoit joui de fon état depuis l'inftant de fa nailfance , &' pendant plufieurs années fans interruption , jufqüau moment 011  }9o Enfant réclamé il fut attaqué. Mais ici l'enfant ne prouve fa filiauon ni par des regiftres ni par Ia pofleftion. C'eft a 1'age de huit ou neuf ans qu'on 1'arrache d'un érat pour 1'inftaller dans un autre. La difference entre cet arrêt, & 1'efpèce prélente, eft donc auffi grande que celle qui eft entre Je jour & la nuk. La Comtefle offre a préfenr, il eü vrai, d'accepter 1'inrervenrion des dames de Ventadour & du Lude. Mais les chofes ne font plus dans le même etat. Après tout, le fait que la Comtefle don etablir contre les deux héritières de Ion man , eft purement civil. L'enfant nommé Bernard eft-il fon fils, na feft-il point? Or, cette queftion n'a aucun trait a la procédure criminelle: elle eft purement civile, du moins a J egard des dames de Ventadour & du Lude, puifqu'on ne leur impute rien de perfonnel relativement a la prétendue fuppreflion de part. Or , fi 1'on a permis a la Comtefle de faire fa preuve teftimoniale, 1'ordre de la procédure civile exige que 1'on accorde la même faculté a fes parties adverfes: permettre a lüne de prouver ce qu'elle allègue, 8c interdire aux  par deux mères. 191 ■autres la preuve de ce qüelles avancent, ce feroit fermer la voie qui peut conduire a la vérité. C'eft une défenfe bien frivole, que de dire que la liberté qui appartient aux deux parries de faire Ia preuve refpeótive de leurs faits, n'a lieu que dans les affaires purement civiles, mais non pas dans les affaires mixres, lelie que 1'eft une fuppreflion d'enfant, oü le civil n'eft qu'un acceffbire du criminel. Cette diftinction entre les procés purement civils & les procés mixtes, eft une chimère qui n'eft fondée fur aucune loi. Que le procés dont il s'agir foit mêlé, tant qu'on voudra , de civil & de criminel, il eft toujours cettain qu'il eft purement civil a 1'égard des dames de Ventadour & du Lude:& que par conféquent on ne doit point, a leur préjudice, renverfer la régie qui veut que, dans le civil, quand on permet a une partie de faire fon enquête, on autorife l'autre a faire fa contre-en-, quête. II y a même ici une circonftance qui doit déterminer en leur faveur. Puifqüon veut fe fervir des confeffions de la matrone, on doit permettre la preuve des faits qui ctaUiilent que ces con-,  192. Enfant réclamé feffions lui ont été exrorquées par vio- ence. On doit permettre ia preuve de Ia declaration qu'elle a faire a 1'article de la mort. Puifqu'on veut faire ufage de Ia depofirion des témoins, on doit permettte de prouver qu'ils ont été fubornes. II eft donc clair que la procédure civile eft la feule que la Comtefle de i>. Geran pmfle employer contre les dames de Venradour & du Lude. Mais cette voie, qui lui eft onverre, lui feroit encore inutile; elle ne réufliroit jamais a prouver la filiation de l'enfant dont elle veut être Ia mère. II eft certain que la filiation ne peut pas fe prouver phyfiquement & démonftrativement; on eft forcé de fe bomer, a cet égard, aux preuves morales, fouvent même a de fimples préiomprions. La preuve teftimoniale feroit fouvent impoflible , foit paree qu'il y a des femmes qui acconchent fans témoins , foit patce que les témoins n'exiftent plus au moment 011 Pon a befoin de leur témoignage. D'ailleurs cette preuye, quand on feroit toujouts a portée de fe la procurer, n'établiroit pas que celui qui s'attrihueroit la naif- fanca  par deax mères. i o | I ïance prouvée, feroit le même incliI vidu que cette naiffance auroit effecI tivement mis au monde. N'a-t-il pas jl pu arriver que les père & mère, de i . concerr, aient fubftirué un étranger a ■ leur véritable enfant ? C'eft cette impoftibilité phyfique de conftater la filiarion , qui a forcé la foI ciéré & la juftice de fe contenter de 1 préfomptions, qui font regardées comme les feules preuves civiles & polij tiques en cette matière. La première de ces preuves font les | regiftres bapriftaires, fur lefquels on { écrit le nom & le furnom des enfans, j ceux de leurs père & mère, & leur ibaprême, après qu'on leur a conféré ce (acremenr. Encore,a bien coniidérer cette preuve , elle n'eft rien moins que certaine. 'C'eft le prêtte qui a conféré le bapitême, qui rédige i'acte, & qui certifie la naiflance & la filiation de l'enfant; il eft, en cette occafion , perfonne publique, & fon témoignage fair ifoi. Mais il n'a pas affifté a la naififance de l'enfant; il ne 1'a pas fuivi ::depuis 1'inftant oü il eft forti du fem i:de fa mère, jufqua celui oü il lui adrminiftre le baptème. II n'attefte donc Tome J. i  194 Enfant réclamé autre chofe que le rapport que lui font ceux qui le lui préfentent; & c'eft uniqtiement ce rapport qui alfure a l'enfant le rang qu'il va occuper dans la fociété. Mais s'il eft faux , ce rapport, fi les aftiftans ont concerté de trompet le prêtre \ il n'a nul moyen pour fe garantir de cette rromperiej il eft prefque toujours d'ailleurs fans intérêt i s'inquiéter de la vérité de ce fait. 11 eft impoflible de prévenir ces inconvéniens, &c 1'on a été forcé de s'en rapporter a la foi & du prêtre, & des témoins, donc il recoit & rédige les dépofitions. La feconde preuve civile & légicime de la nailfance & de la filiation fe tire de la pofleftion d'état de l'enfant, quand il a toujours été ttaité comme enfant légicime & nacurel. C'eft ia difpoficion de la loi. (i) Si au vu & au feu des voi' fins & d'autres perfonnes, dic-elle, vous ave^ vécu publiquement dans votre mai- (i) Si vicinis, vel aliis fcientibus , uxorem liberorum procreandorum caufd domi habuifti , & ex eo matrimonio filia fufcepta eft ; quam* vis neque nupiiaUs tabula., neque ad natam. filiam pertinentes faBce funt , non ideb minus verkas matrimonii , aut fufcepta filits fuam habet poteftatem, L. y. cod. de nuptïis.  par deux mères, 195fon avec une femme, dans la vue d'ert avoir des enfans ; & que, de votre mariage, il en foit venu une fille, quoiqu'il riy ait point d'acle qui conflate ni ce mariage, ni la naiffance de la fille, 1'un & l'autre n'en fera pas moins regardé comme confiant. ■ La raifon de cette difpofition eft expliquée dans une autre loi, (1) qui dit que, les acles faits pour prouver un mariage, ne prouvent rien , s'ils ne contiennent pas la vérité, cefl-a-dire, fi le mariage na pas réellement été célébré. D'un autre cöté, un mariage légitimement contraclé n'efl pas nul, quoiqu'on ne le pro we pas par un acle authentique; attendu que ce défaut de preuves n'exclut pas celles qui peuvent exifter d'ailleurs. C'eft ce qu'on appelle en droit, traczatus; mot qui exprime qu'un enfant eft reconnu, élevé, entretenu dans la maifon par fes père & mère, & par (1) Neque fine nuptlis inftrumenta facia ad probalionem matrimoniï furtt idonea , diverjum veritate contincnzes : neque , non interpafnis inftrumentis , jure conflrucium matrimon'ium irritum efi ciun omijja quoque fcriptura , ca:tera nuptiarum indicia non- funt irrita. L. 15. tod. Iz  19^ Enfant réclamé tous fes pareus, comme enfant légH time. Telles font les preuves un ques que 1'on peut adminiftrer de la filiation , quand les regiftres baptiftaires manquent. Or , le Betnard en queftion n'a aucune de ces preuves. Nul regiftre, nul acte public ne juftifie fa filiation. Pendant les huit premières années qui ont fuivi fa naifiance, il n'a été ni reconnu, ni traité comme fils du comte & de la comtelfe de S. Géran. Ce n'eft qu'après ce temps, que la Comtefle s'eft avifée de traveftir fon page en fils & héritier de fon mari. Mais, dit-on , la reconnoiflance des père & mère fupplée a toutes ces preuves. Les déclarations des pères & des mères ne font d'aucune utilité pour les enfans , fi 1'on n'y joint une preuve légitime de leur naifiance. C'eft la difpofition de la loi. (i) £h ! oü en ferions - nous} fi le fort des enfans dé- (i) Parentes natales , non confejjto , adJïgnat. L. ia., cod. de liberal. Cai/f. Non nudis adjeverationibus , nee ementitd profejjïone ( lick utrique confentiant) J'ed mavimonio legitimo concepti vel adoptione fohmni, filii ciyili jure patri conjlituuntur. L, 14. cod. d$ probat,  par deux mères. is>7 pendoit du caprice des pères & des mères, qui pourroient les rejecter ou les adupter a leur gré , par le moven d'une limple déclaration ? De ces réflexions, il réfulte que I'enfanr dont il s'agtt n'a d'autre relfburce, pour s'empater de 1'état auquel il afpire , que la procédure criminelle. Mais on a démonrré qüelle ne pouvoit être d'aucun ufage contre les dames de Ventadour & du Lude. Cependant adoptons - la , pour uil moment, cette procédure; elle ne fourJtrit aucune preuve en faveur du lyftcme de la comtefle de Saint - Geran. 11 ne faut que récapituler les circonftances les plus décifives de fon abfurde roman. II porte tout entier fur ce que la Comtefle étant prête d'accoucher, fut enfermée dans une chambre, pendant un jour & une nuit, avec la matquife de Bouillé, la matrone Ik Baulieu. Rien ne prouve ce fait, qui eft le fondement de toute la fable,& perfonne ne dit ayoir vu fortir Baulieu, avec l'enfant, de la chambre de la Comtefle. 2,°. Pour établir que la Pigoreau ji'eft pas Ia mère de l'enfant dont on li  19§ Enfant réclamé veut faire un comte de S. Géran, or* fuppofe que Henri de Baulieu eft mort. Mais perfonne n'a dépofé de la maladie de ce prérendu mort, Sc 1'on ne rappotte point fon extrait mortuaire. Pour- fuppléer a ces preuves, on founent que la Pigoreau elle-même a dit que fon fils étoit mott. S'il s'agiflbit de partager définirivement la fucceflïon dün enfant, fuffiroit-il, pour établir fon hérédité, d'avoir oui dire a la mère qu'il éroit mort? 3°. Les loix n'admettent point des prétentions qui ne font fondées que fur des prodiges, fur des fairs qui font contre les régies Sc contre le cours ordinaire de la nature, (i) Or il eft contre les régies & contre le cours ordinaire de la nature, qu'une femme püiiTe» dans un fommeil profond, accöucher fans douleur. il n'eft point d'affoupiffement capable de braver les douleurs de 1'enfantement. D'ailleurs la magie 0) fura confiitui opportet ,ut dlxit Theopkraflus , in hts qua {fi rc vM7rcr, id efl, ur plunmnm accidunt, non queti^it^a.\é^,id *ft , ex inopinato. Z. 3. ff de legib. Ex 'hit qua, ford uno aliquo cafu accidere poffunt , >ura non conflituuntur. L. 4. eod. Nam ad ea potius debet aptarijus, qua frequenter & facilh% quam qua perrarö eveniunt. L. eod.  par deux mères. I5>9 la plus forte ne fcauroit mettre une femme i 1'abri de la peine prononcee par Poracle dun Dieu vengeur toutpuiiTant tk immuable dans fes decrets. Cette hypothèfe ne doit donc pas etre admife en juftice. 4°. Les lentes de la maréchale de S. Gétan produites au procés font des preuves littérales qui établilfent que la Comtefte n'eft point accouchée ; elles font précifes, elles font conduantes. Elle étoit allee exprès au chateau de S. Géran, au mois de juillet 1641, pour aflifter auxcouches de la Comtefle. La dame de Saligni, tante de la pretendue accouchée, yarriva peu de jours après, &c y demeura jufqüa la fin doctobre; & la Maréchale, jufqüau mois de janvier 1642. Conimeiu tout Part magique auroitil pu dérober cet accouchemenr a ces Dames, que leur amour vigilant tenoit nerpétueilementen haleine, & a qu* il ne pouvoit laifler échapper aucune des plus petites circonftances d'un événement aufli intéreifant ? Comment la tumeur du ventte évanouie par 1'accouchement, les linges que 1'on emploie pour foulager 1'accouchée , le lait qui vient d'abord en fi grande abondance , 1 4  ioo ■ Enfant réclame qu'il met ia vie en danger, les remè, des "eceiraires&parricul.ersa'cecérar- e»drdrecuneufe d'une mère & d'une tante? Si elles ont eu ces fymptomes fous les yeux 7 a eu un ac- "«chementréel.ileftimpoffiblequïls leur aient echappé,) comment Vontelles pas foutenu d la face de Punivers que la comtefife de S, Géran étoit ac- Z'l l^?,0" vo"^« contraire, q»e la Maréchale a écrit pofitivement L??n dfFulsle P^ès cömmencé j ..... „ pumc accouchée. Au- «-r-on e« retours dia magie pour leur celer ces fisnes nfa;ii;kiJ? jf i> r rfim™f3 ° uc.ienran- 5 °- On alfègue que Baulieu & fa fage -femme nnr pró ■ ,- . - . -- — V'*- wilumpus ,par le marquis: de S. Maixant & ia marquife de Boiulle- Mais on ne rapporte aucune preuve de cette prétendue fédüc• non. Jamais Ja matróne n'en a parlé& ion a vu que les circonftances Ia xendoient i.mpoffible. Voild cependant un des points fondamentaux du roman. 6°. La ComtefTe prétend avoir fuivi Bernard, fon prétendu fils, dans tous les daours par oü on Pa fait pafTer,  par deux mères. ?.oi pour Ie dérober a fes regatds. Mais dès le commencement du voyage, la pifte de ce fils eft perdue. Lorfqüon l'enlève du village de Defcoutoux, fa tracé cchappe a ceux qui étoient a fa fuite, & rien ne remplit le vuide qui fépare Pinftant oü il eft forti de ce village , de ceiui auquel on prétend qu'il a été remis a la Pigoreau. Sur quel fondement s'appuid-t-on pour prétendre que cet enfant, qui a trompé la vigilance des efpions, eft le même qui fut remis a la Pigoreau a Paris ? Cerre lacune leroit feule fufïïfante pour faire crouler tout 1'édifice romanefque de la dame de S. Géran. 7°. Les dames de Ventadour & du *Lude difoient qüelles étoient en état de prouver que ce Bernard, baptifé a S. Jean-en-grève, & nourri a Torcy, étoit fils de Bernard, maïtre a danfer; on offfoit même de Ie repréfenter aux juges, le père & l'enfant étant encore vivans.Toutes les époques du baptème, de la nourriture& des autres traits de la vie de Bernard, fils de ce maltrè a. danfer , s'accordent parfaitement, &C quadrent enfemble ; & c'eft en fuivant ce Bernard, depuis fon baptème, jufqu'au moment préfeut, que 1'on eft etx( 1 5  202 Enfant réclamé écac de démon trer, que le même qui a été, baptifé a S, Jean-en-gtève, eft celui qui eft aétuellement chez Bernard de Mantes , fon père. Ces fait» étoient même prouvés par une enquête d'examen a futur. (i) t 8°. On offroit de faire entendre des témoins jrréprochables & néceflaires, qui s'étoient trouvés au chateau de S. Géran, dans le temps que la Gomtefte y avoit joué le role d'accouchée, qui avoient bu, mangé & communiqué avec Baulieu, qui fcavoient qu'il ne s'étoit pas abfenté un feul jour du chi» teau j qui y avoient vu la Maréchale depuis le mois de juiliet 1641, jafqu'au mois de janvier fuivant : qui avoient vu, a S. Jean-en-grève, bap- (1) C etoit une enquête qui fc faifint par avance , avant même que ie procés fut inrenté, afin de prévenir le dépérilTement des preuves dont on auroit pu , dans la fuite avoir befoin : dépérilTement qui pouvoit furvemr , foit par 1'éloignement des témoins ■qui pourroient s'abTenter , foit par la mort de ceux qui étoient valétudinaires , ou agés. L'ordonnance de 1667 a abrogé cet ufagê qui foavent étoit: un obftacle a la découverte cie la vérité , la partie contre qui fe faifoic cette enquête n'ayanr pas la faculté de la eoacredire par une autre enquête.  par deux mères. 203 tifet l'enfant que la ComtefTe s'atttibuoit, qui 1'avoient vu en nourrice ; qui 1'avoient vu retirer, &c. qui 1'avoient fuivi dans tous les lieux ou il avoit demeuré. La comtefle de S. Géran prétendoit titer un grand avantage de ce que la Pigoreau eflrayée du décret de ptife de corps dont elle étoit menacée, avoit pris la fuite. Mais la conduite de cette femme ne devoit point réfléchir fur les dames de Ventadour & du Lude , contre qui le procés criminel n'eft poinc dirigé, & qui n'y ont même aucune Parr- Quand on décideroir que I'enfanr, qui elf 1'objet du procés, ne feroit pas Henri de Baulieu , la queftion de filiation ne feroir pas décidée pour cela j il ne s'enfuivroit pas de-la qu'il fut fils de la Comtefte. Cette conféquence feioit d'autant plus mal fondée, qu'on offre de détruire par une preuve teftimoniale déja commencée , toutes les pièces de cette filiation idéale. C'eft ainfi aue 1'on combattoit Ia fupprefiion de parr dont fe plaignoit la comtefle de S. Géran ; & il eft bien certain que fi elle n'eüt eu d'autres ai16  2 04 Enfant réclamé mes que celles qu'on lui a fuppofées jufqüici, il feroit éronnant que la juftice neut pas profent fa préten tion dès qu'elle parut fous fes yeux, comme abfurde, & mal-adroitement appuyée par la calomnie. Mais cette abfurdité va difparoitre par le développement des fairs rapportés & prouvés par la comreife de S. Géran. Elle en avoit quatre a établir : i°. qüelle avoit été réellement enceinte ; 2°. qu'elle étoit réellement accouchée ; 3°. cjuefon enfant avoit été enlevé; 4°. que l'enfant qüelle avoit mis au monde, étoit le même que celui que réclamoit la Pigoreau. La gtoifeire étoit prouvée par le témoignage des médecins & des chirurgiens qui avoient été appellés lorfque la ComtefTe fi&une chute ; par celui de toutes ces femmes de qualité qui, de route la province, étoient accourues pour faire leur cour a leur gouvernante, a fon atrivée au chateau de S. Géran.Toutes, en appliquant leur main fur fon ventre, avoient fenti remuer l'enfant; toutes avoienrgx\ les tumeurs du fein & des cotés q'M annoncoient' un. accouchement prochain. La "dame de Saligni, a fon arrivée, frappée des  par deux mères. 20 ? merries marqués, porta le même jugement , reconnut les mêmes fymptomes , & s'en expliqua hautement. La Maréchale, inftruite par fa propre expérience, avoit été témoin des fymptomes de la grolTeiTe de fa fille, les avoit regardés comme les avant-coureurs d'un accouchement infaillible, &C s'éroit conduite en conféquence. 11 n'y eut donc jamais de groflefle mieux conftatée,& plus univerfellement reconnue.. La Comtefle, d'ailleurs, auroit - elle pu fafciner, pendant neuf mois, les yeux de fa familie enrière, & de toutes les perfonnes qui 1'environnoient, tant a Paris, que dans la province dont fon mari éroit gouverneur ? Mais cette groflefle a-r-elle abouti ? Un des plus forts argumens que 1'on oppofe a laréalité de 1'accouchenaent, c'eft que, contre 1'oracle.prononcé par un Dieu vengeur, la Comtefle ptétend être accouchée fans douleur. Mais ce fait n'eft pas vrai, puifqüü eft certain qüelle a été tourmentée pendant plus de neuf heures, par les fouffrances les plus aigucs. La Comtefle croit, il eft vrai, que fon enfant eft yenu au monde pendant qüelle étoit  406* Enfant reclame dans un aiToupjiTement fi violent que cet événement, qui eft toujours trés* douloureux, n'a pu la réveiller. II n'eft pas befoin de recourir a Ia inagre, pour expliquer comment la Gomtefle a pu accöucher fans le fentir, ou même en éprouvant toutes lesdouleurs qui accompagnent ordinairement cet evenement , mais fans fcavoir qu'elles euflent produit leur effet. La chofe a pu fe faire, ou par Ia force dün mrcotique aflez puiflant pour en^ourdir toute la fenfibilité naturelle^ ou par un evanouiiTement, ou enfin par les precautions & par 1'adreffe des miniftres de Ia fuppreflion concertée. La detmère douleur reffentie par 1'accouchee a pu mettre l'enfant au monde ; on a pu I'efcamoter adroitement & avec d'autant phis de facilité, qu'on n avoit pas manqué, fous prétexte de ia fante, de prendre toutes les précaunons poffibles pour 1'empêcher de voir ce qui fe paffoit autour d'elle. JLes cns de l'enfant furent interceptés r i1 ™c promptement livré 4 celui qui etoit chargé de le faire difparoitte. On dit alors a I'accouchée qu'elle n'étoit pas encore délivrée. N'ayant aucune expenence dans ces fortes d'évène-  par deux mères. 207 mens, n'ayant d'ailleurs aucun fot.pcon de la conjuration formée contre fon fruit, rien nel'empêcha de croire ce que les gens de 1'art voulurenr lat perfuader. Mais étant réellement déiivrée, la celfarion des douleurs, & la fatigue d'un travail continuel pendant neuf heures, provoquèrent fubitement un fommeil long & profond; & ce ne fur qua fon réveil qu'elle s'appercut, & qüelle paria de 1'accouchement qüelle avoit éprouvé. Tous les jours on voit des femmes que la violence des douleurs , jomte a 1'épuifement occafionné par les ecoulemens , plonge dans un évanouiffemenr fi profond, qu'elles font infenfibles a tout, & n'apprennent leur délivrance que par la ceffation de cet évanouiiTement, qui dure fouvent plus d'une heure après 1'accouchement. II eft certain enfin qu'il eft des narcotiques dont la vertu eft fi forte, que 1'aflbupiflement qu'ils opèrent eft moins un fommeil qüune véritable léthatgie. Mais il faut tant de précifion dans Fa dofe , pour qu'ils ne deviennent pas un véritable poifon , que 1'on ne fe permet jamais d'en faire ufage, fi ce n'eft dans des occafions comme celle-  10 3 ^ ^ £/z/S/ft réclamé ci, oü 1'on rifque tout pour confommer üh crime projetté. D'ailleurs un accouchemenr fans douleurs eft rare, il eft vrai; mais il n'eft pas lans exemple; & 1'on pourroir en ener plufieurs, enrr'autres celui de Ia inere de Cicéron. Ne fcait-on pas que les femmes des Abyflins ne reftenrent aucune peine de I'enfantement ? Quand leur enfant annonce qu'il veut paroitre au jour elles fe mettent a genoux, & font deiivrées fur Ie champ. Ces exceptions, qu'il pfcfc i Dleu de per_ mettre, ne por ent point atteinte a Ia vente de fes arrêcs. N'a-t-il pas défendu a Ia mer de pafler les hornes qu'il lui a prefentes? (i) Ce qui a fait dite a J^Balile que, quelque furieufe qu'elle ioit en approchant de fes bords, elle J voit ëcrit 1'ordre de Dieu, qui lui tait défenfe de pafler outre; & qu'alors elle fe retire par refpecl, en courbant fes Hots, comme pour adorer Ie Seigneur qui lui a marqué des bornes. Cependant combien y a-t-il de pays que Ia mer a fubmergés? 11 eft donc poflible que Ia comtefle O) Ufque hucvenus, & non procédés am- M xxxrui, ii.  par deux mères. ió$ de S. Géran aic accouché , fans le fcavoir , au milieu des douleurs, ou dans rengourdiffemenc d'un évanouiftemtnc; il eft poiiible encore qu'elle aic accouché plongée dans un fommeil provoqué par Pare, Sc fans éprouver aucun fencimenc de la naillance de fon enfant. Mais a-t-elle accouché eftedivement ? Sc qu'eft devenu fon fruit? Si elle a été enceinte, elle eft certainement accouchée. Sa groftefte a été publique; rouc le monde en a vu le commencemenc Sc les progrès. Tout le monde a pareillèment vu Sc attefté que cecte groffelfe avoit pris fin dans le temps ordinairement réglé par la nature. Or ce changement d'écac n'avoit pu s'opéter que par un accouchemenr. II a été atcefté d'ailleurs par le témoignage des perfonnes qui étoient demeurées enfermées dans la chambre de la malade ; par les deux Quinet entr'autres. La fage-femme avoit recu l'enfant; & Paccouchée , a fon réveil, fe rrouva baignée dans fon fang, fes forcesétoient épuifées; elle ne fentit plus, dans fes entrailles, le fardeau qui 1'avoit tant fait fouftiir; Sc elle ne cefla de deman-  2.1 o Enfant réclamé. cler avec des cris mêlés de larmes, ou étoit fon enfant. II y avoit des témoins qui dépofoient avoir vu la fage-femme laver des linges empreints de toutes les marqués d'un accouchement. lis avoient même vu les veftiges d'une abondante évacuation de lait; ce qui, difoit - on , Jie pouvoit être que 1'erTet dün remède violent. Une fille ajoutoit que le lendemain du jour que la Comteife avoit été en douleur d'enfant, elle avoit rencontré la fage-femme portant un paquet de linge qüelle alloit laver dans le foffé du chateau; que lui ayant demandé ce qu'elle portoit, elle avoit ïépondu que ce n'étoit rien. Que n'étant pas fatisfaite de cette réponfe, elle 1'avoit obligée de lui montrer ce que c'étoit; qu'elle avoit vu des linges impregnés de tous les écoulemens qui accompagnent un accouchement, & qüelle avoit dit a la fage-femme : Madame eft donc accouchée? a quoi elle répondit avec ptécipitation : non, elle ne l'eft point. Cette fille ne fe rendit pas, & dit : comment ne le fercit-elle point, puifque la marquife de Bouillé, qui étoit préfente a Vaccouchement, 1'a " dit ? La matrone confondue, repüqua \  par deux mères. iiï elle auroit la langue bien longue, fi elle avoit dit cela. Quelques témoins depofèrent avoit vu Baulieu fortant de la chambre de ]a Comtefle, emporter un enfant renfermé dans une petite corbeille; SC cette dépofition quadroit avec la réponfe de la fage-femme a fon quairième interrogatoire, pat laquelle elle avoit avoué que la Comtefle etoit accouchée d'un fils, Sc que Bauheu 1 avoit emporté dans une corbeille. Giullemin, fils de la fage-femme, avoua, après la mort de fa mère, qu elle lui avoit fouvent dit que la Comtefle étoit accouchée d'un fils que Baulieu avoit enlevé, Sc que c'éroirle meme enfant qu'il avoit remis a 1 hote de Géran H convint encore que les dames de Ventadour Sc du Lude avoient fourni de 1'argent a fa mère , Sc l a, voient aidée des lumières de leur confeil II révéloit ces chofes, diloit-U , paree qu'il les devoit i la juftice; & que fa mère étant motte, elles ne pouvoient plus lui nuire. D'autres témoins enfin, raeontoient Phiftoire de 1'accouchement, tel qu il s'étoit pafte , d'après le récit que Ia lagefemme Sc Baulieu leur en avoient tait.  , Enfant réclamé les \\T^ Cej,Preuves teftimonïaionc ï Permis/aj°urer des préfomptions, ,1 en eft une entr'amres que Jon peut regarder comme une preuve convamcante de la vérité de 1'accóu! chemenr Sr Ja gro/TefTe n eut pas Té averee- fi fout le monde neürpase'é perfuadé qu'elle étort a fon terme fe 2-r-on raffemblé dans la chambre menrTr ^VP°Ur a"endre dement de fa dehvrance ? La fage-fem- meaurome leétéJadupe de» douleurs femtes de Ja Comtefte? N auroit-el ie grofte/Te , & par conféquent point d'accoucheme.nt iattendre? que tout ce qui le palïbir, étoit une fiction, ou une erreur? Tandis quelle avoit' tant de moyens de prouver démonftrati vemen* que Ja Comtefte n'étoit point accouchée aurort-ellevoulu demeurer chargee du foupcon de ia fuppreffion de le^mr du gouverneur de JaV-ovrnce Ma^ lom de chercher a fe juftifier, Jjgioflefleavoic teilement été avérée & «connoe, qu'elle nofa pas aio s denier I enfamement; 8c cet enfantement meme étoit fi conftant, qu'elle «ofapaspropofer de faire voir^u'U «7 en avoit point de traces. Ellepric  •par deux mères. %\$ fe parti de s'en rapporter au remps pour eftacer la mémoire d'un fait conftant & connu de tout le monde. Mais, pour éluder la conviébion qui pourroir réfulcer des lignes aéfuellement exiftans, elle avoua qu'il y avoir eu réellement une groflefle, puifqu'elle dit tantót qüa la vériré toutes les voies s'étoient préparées pour la naifiance de I'enfanr, mais que la nouvelle lune s'y étoit oppofée, & que tout étoit préparé pour un accouchemenr au déchn : tantöt , que tous les efforts que l'enfant avoit pu faire pour venir au monde avoient éré rendus inutiles par un lien qui Ie tenoit attaché aux teins. Et, pour que 1'on ne prït pas cette dernière raifon pour une défaice, elle eut la barbarie de faire fubir a la malheureufe viérime de fa cruauré uneépreuve qui, en pleine fanté, auroit pu la blelfer grièvemenr; & qui, dans 1'état ou elle écoit, i'expofoit a perdre Ia vie dans les fouffrances les plus aiguës; ou du moins a fe voir affligée d'une infirmité incurable, & roujours périlleufe. Certe conduite n'eft elle pas diamécralement oppofée a celle qu'elle auroic tenue, s'il n'y eut point eu d'enfant, & fi el je neut pas voulu cacher celui qui  iT4 ; Enfant réclame étoit né ? II ne falloit, encore une fois; que faire voir qüil n'y avoir point de fymptomes de délivrance ; & rien n'étoir plus aifé. Mais qui avoir eu intérêt a foufïraire eer enfant ? qui 1'avoir fouftrait en e£fet, & quetoit-il devenu ? Pour répondre a ces queftions, il faut connoitre le caraótère & les intéréts du marquis de S. Maixant &c de la marquife de Bouillé, que 1'on accufoir d'être les principaux auteurs de la fuppreffion. Le marquis de S. Maixant, accufé de faufte monnoie, de magie, d'incefte, & d'avoir fait étrangler fa femme pour en époufer une autre, dont il avoit projetté de tuer le mari, s'étoit échappé des mains du prévót de la maréchauffée d'Auvergne, & réfugié dans le chateau de fon parent, qui en qualité de gouverneur, lui accorda fa proteótion, & mit tout fon crédit en oeuvre, pour le rirer d'embarras. IPétoit d'une figure aimable, avoir 1'efprir infinuant, & poifédoit fouverainement eet att perfide de féduirg & de perfuader; art qui n'eft que rrop fouvent 1'appanage des cceurs corrbmpus. Avec tous ces avantages extérieurs,  par deux mères. nf II neut pas de peine a s'infinuer dans les bonnes graces d'une jeune femme découtée de 1'humeur 8c des infirmitésÖd'un vieux mari. Si les agrémens de fa figure 8c de fon efprit fcurent captiver le cceur de la Marquife, fes talens dans 1'art de la perfuafion, lui gagncrent facilement fon efprit, & lui donnèrent cet afcendant qüun cceur épris ne fcauroit jamais refufer a la fupériorité des talens de 1'objet aimé. Le premier pas qu'il fit faire a cette viétime de fon gout pour le fexe 8c de fon ambition, fut de confentir a 1'époufer quand le marquis de Bouillé feroit mortj & cet événement ne pouvoit pas être éloigné pour un homme accablé fous le poids de la vieilleife 8c des infirmités. D'ailleurs le Marquis n'ignoroir pas 1'art d'aider la nature , quand elle étoit trop lente a fon gté. II avoit, il eft vrai, une réputation, & fe trouvoit chargé d'accufations qui devoient le rendre redoutable a unè femme. Mais qui ne fijait pas qu'il n'y a point de coupable qui ne fe juftifie aux yeux de quiconque 1'écoutera fans contradióteur, & qui n'atttibue a la haine & a la méchanceté de fes ennemis les accufation s calomnieufes dont  ait? Enfant réclamé on Ie charge? Si une juftification faite' avec: lart que poffédoit le marquis de b. Maixant, ebranle & féduit même iouvent ceux qui n'y prennent d'autre inreret que celui de 1'humanité ou d'une haifon momentanée, quel effet ne don-elle pas prodmre fur un cceur & lur un efpnt enveloppés du bandeau de lamour? Quant a Ia fortune, on icair que cet article eft rarement un obftacle a 1 union de deux perfonnes xndependantes, & mutuellement épri- D'ailleurs il étoit un moyen fort aiie de la corriger, cette fortune. La Marquife étoit unique héritière du Comte, fon frère,. qui poflédoit de grands biens. Un enfant alloit, par fa nailTanCe, intercepter cette fucceffion fur laquelle elle avoit prefcrir Ie droit de compter par une ftérilité de vingt ans. Quel mal pouvoit-il y avoir a écarter cet enfanr ? ij n'éprouvera aucune pnvation , puifqu'il ignorera éternellement fa naiftance. Le fort même qu'on peur lui préparer, loin de Ie rendre malheureux, fera pour lui une fource «v. Tmcm, un va ie placer dans un rang vil & opfcur, on va lui fubfti- tuer  par deux mères, üCy tuer des parens abjects & miférabies; Sc cependanr on prendra lc-s précautions nécelTaires pour lui afiurer une aifance bien fupérieure a celle donc jouifient ceux qu'il prendra pour fes égaux. Ce fut par ces raifons Sc d'autres fuggérées par laméchanceté éloquente , que la marquife de Bouillé fur enrraïnée dans le précipice, & qüelle fe ren dit coupable d'un complot horrible. Sa vie avoit fans doute été jufqüalors irréprocliable. Mais a qüels excès 1'amour ne fcait - il pas condujre ceux qu'il gouverne; fur - tour q.iand il a choifi un agent expert dans 1'art de plaire & de faire 1'apologie des crimes ? La Marquife ne vit point, comme on prérend qüelle auroit dü le voir, que 1'attentat auquel elle s'engageoit, pouvoit devenir inutile. II n'y avoir pas a préfumer qu'une femme qui avoir été ftérile pendant vingt ans, & qui, par conféquenr, touchoit a lage qui met fin a la ferrilité, put avoir un fecond enfant. Elle pouvoit, iLeft vrai, par fa mort, faire piace a une feconde époufe qui auroit pu donner d'autres héritiers au comte de S. Géran. Mais une prévoyance fi réflcchie, entre raTome I. K  ai8 Enfant riclami rement dans la combinaifon d'un projee dont les circonftances ne permettenr pas de dirférer les préparatifs pendant une minure, & qui avorteroit, s'il n'éroit tout pret pourun inft'ant, incertain a Ja vérité, mais affurément urgent. Le manage que 1'on pouvoit cramdre, au contraire, étoit incerrain & fort éloigné, & 1'on pouvoit fe promettre vaguement que le temps & les conjonctures fourniroienr des obftacles. . La réfolution prife, &c le complot formé, il fallut trouver des agens. La fage-femme en étoit un nécelTaire. Un trait va faire connoitre celle qui fut, ou choifie par la comreife, ou indiquée par ia Marquife. Le marquis de S. Maixant s'étoit infinué aifez avant dans le cceur d'une demoifelle Jacqueline de la Garde, pour qu'elle ne fe défendit plus de fes attaques, qüen fe retranchant fur les douleurs de 1'enfantemenr; il avoit eu le talent de lui fafciner les yeux fur ce qui regardoit 1'honneur. Pour lever le feul obftacle qu'on lui oppofoit, il fit offre du miniftère de Louife Goillard qui éroic verfée, difoit-il, dans 1'art de faire accöucher les femmes fans douleur, & qui eu avoir fait plufieurs expérietjees.  par deux mères. ït^ Cette demoifelle avoit elle-mêrne dépofé ce trait dans rinformarioil. On pariera encore dans la fuite de fa dépoiinon. Quant au maïtre d'hórel, Baulieu , il n'eft pas furprenant qu'd ait fuccombé fous 1'art féducteur du marquis de S. Miixant. On fcait combien la fé fon père; j'en ai recu 1'ordre d'un „ capucin a qui je me fuis confefle ,7 d'avoir enlevé, du milieu de fa fa„ mille , & fans qu'on s'en foit apper„ cu , un petit - fils d'un maréchal de m France, & fils d'un gouverneur de j5 province. >■> Ce page dit encore que le marquis de S. Maixant , par la condefcend nee du geolier, avoit la liberté de fortit de temDs en temps de prifon ; que proK3  -2.2,2, Enfant réclamé fitanr de cette facilité, il ie mena m jour voir un enfant qui pouvoit avoir iept ans, qul étoit blond, & quiavoit de beaux traits; qu'd lui dit : „ page «regardez bien cet enfant, afin que « vousle reconnoifliez, quand ie vous » enverrai le vifiter, pour fcavoir de » fes nouvelles. „ Et il lui avoua depuis que c'étoit de Penfanr du comte de i>. Geran dont il avoit entendu parier. L'enfant que la Comrefle récla, rnoit ayant été confronté au page, ceJui-ci le reconnut pour être le même que le Marquis lui avoit fait voir. Des témoins déclarèrent que le Marquis étant a Parricle de la mort, avoit dit au curé qui lui adminiftroit Je-s iacremens, qu'il avoic un fecret important i révéler au comte & a Ia comtefle de S. Géran. Les convulfions de Ja mort Ie faifirent alors, & il ne puvue lur un autre objet , & crurent quil pouvoit être queftion de quelque mhdelité dans fon adminiftration. lis craignirent qu'en prciTant ce de s'expliquer, ils ne lui Effent de la peine , & n'avancaffent fa mort. 11 expira, &c leur laiffa le chagtl.n di navoir point éclairci leurs doutes, lorlqu'ils commencèrent a s'élever. 11 eft donc prouvé que le marquis de S. Maixant & la marquife de Bouillé avoient formé le complot de faire enlever l'enfant dont h comtefle de Géran devoit accöucher; que Baulieu avoit été mimftre de ce complot, ö£ les Quinet, les témoins. Mais qüétoit devenu cet enfant? Etoit ce le même que la Comtefle reclamoit? & pat quel circuit d evenemens lui étoit-il tombe entre les mains? C'eft ce qui va fe découvrit pat les depofuions des témoins, qui femblent fe Ie tranfmettre 4e naam en mam ,  2- 2 8 Enfant réclamé pour le faire retourner dans la maiforj paternelle. Dès qu'il fut forti du fdn de fa mere, la fage-femme s'occupa du foiri de Im conferver la vie, en lui hünr Ie npmbnl Ma.sun moment après, elle icfolut de Ia Ituóter, & déia elle lui enfoncort le crane, Jorfqu'on' I'arracha de fes mams; & \\ a toajoms , depuis la marqué de Ia mairi meurtnere de cette malheurenfe. Les dames de Ventadour & du Lude trouvent étonnant que ion ait pris foin de conferver les jours d'un enfant conrre lequel on avoit cönfpiré ; que les confpuateurs fe foient dérerminés a ne commettre un fi grand crime qu'a deW' *ale»c fe'Té fubfilfer un enfant, tZii:pouvoit *chaque in[t™ Mais, files ames innocentes peuvent appercevoir les motifs qui règlent les demarches des criminels, il eft pof. iible que la marquife de Bouillé n'ait pas voulu confentit a acheter la fucceflïon de fon frère par 1'aftaftïnat de ion neveu Baulieu, de fon cóté, a pu refufer d'etfe complice dün homicide. Le marquis iui-même put avoir cette fois-ia, des raifons pour ne pas  par deux mères. 2.2.0 hrs auffi coupable qua 1'ordinaire. 11 youloit fe conferver un gage de la promelle que. la Marquife lui avoir faire, & pouvoir la menacer de reftituer au véritable hétitier, la fucceffion de S. Géran , fi elle refufoit de ia parcager avec lui en 1'époufant. Au refte, quelles que foient les caufes de cette retenue , il eft conftanr, & il eft prouvé que l'enfant ne feu pas tué. On le mit emmailloté dans une petite corbeille; Baulieu le cacha fous fon manteau, & fortit de h chambre. 11 pafta par une porte qui aboutiffoif au folie du chateau, & de-la fur une terrafle; il gagna un pont qui conduifoit au pare ""qui avoit douze portes, dont il avoit les clefs. Mais avant que d'enrrer dans le pare, il monta un cheval de prix qu'il avoit fait préparer. 11 pafta dans le village des Efcherolles , a une lieue de S. Géran, oü li s'arrêta chez la femme d'un nomme Claude Gautier, qui donna a tetter a. l'enfant. N'ofant s'arrèter dans un lieu fi voifin de S. Géran, il traverfa la rivière d'Allier, au port de la Chaife, mit pied a. terre a la porte d'un nommé Bouchaud, fit allaiter l'enfant par la  4 3° Enfant réclamé maïrreffè de Ja maifon , Sc pric foft chemin du ccké de 1'Auvergne. La chaleur écoit exceflïve,Ie cheval éroir fatigué, &c l'enfant incommodé. Baulieu rencontra un charretier, nommé Paul Boition , de la ville d'Aigueperce , qui s'en alloit a Riom. 11 attacha fon cheval au derrière de la charette, Sc monta delfus, tenant l'enfant entre fes bras. Converfant avec ce charretier, il lui dit qu'il ne prendroit pas tant de foin de l'enfant qu'il pottoit, s'd n'éroir pas de la première maifon du Bourbonnois. Sur Ie-midi, il arriv3 au village'du Ché, s'arrêra dans une maifon, dont la maürelïe donna a tetter a l'enfantelle fit chauffer de 1'eau & lui lava tour le corps, qui étoit enfanglanté. Le charretier leconduifit enfuite prés de Riom. Baulieu fe débarrafla alors du charretier, auquel il donna un faux rendezvous. II marcha du cóté de 1'abbaye de Lavoine, & arriva au village Defcou(toux , qui eft dans les montagnes voiCmes deThiers Sc de Lavoine. L'enfant y fut nourri par Gabrielle rvLuniot, a qui Baulieu paya un mois d'avance 5 mais elle ne le garda que fepr ou huit' jours, paree qu'on refufa de lui nom-  par deux mères. 2.3 T nier le père & la mère, &c de lui indiquer un lieu oü elle put s'adrefler pöut donnet' des nouvelles de fon nourriffon. Cette fingulatirc fe répandit dans tout le canton, & rit une relle impreffion , qu'aucune nourrice ne voulut fe charger de l'enfant. On fe détermina a le faire fottir du pays, Ceux qui 1'emportèrent prirent le grand chemin de la Bourgogne, traverfèrent un grand pays de bois, & la on perdit leur pifte. Tout ce détail a été ptouvé par les nourrices, par le charretier, ik par nombre d'aurres perfonnes. On ignore ce qu'il devint alors : mais le hl de fon hiftoire fe reprend a Paris , oü il fut porté chez Marie Pigoreau, belle-fceur de Baulieu. Elle s'en charge» volontiers, paree que, pour le faire élever, on configna deux mille livres enrre les mains d'un nommé Raguenet, épicier a Paris. La crainre de déceler 1'origine de l'enfant, &c de faire connoitre fon enlèvement, avoit fait différer fon baptème. La Pigoreau trouva 1'expédient de le faire baptifer furrivement a S. Jean-en-grève, en celant le père & la mère : & c'eft alors que 1'on fabriqua  2. J1 Enfant réclamé i'acxe baptiftaire que 1'on a rapporte plus haut. 11 étoit prouvé pat témoins que la Pjgoreau avoit affifté en perfonne a ce baptème; qu'elle fe tint dans le com feflïonnal pendant la cérémonie, & donna dix fois au parrain. Elle y avoir donc un intérêt différent de celui de la maternicé. La date du baptiftaire prouve qu'elle étoit veuve alors depuis un temps trop confidérable, pour que cet enfant eut pu provenir de fon mari. La faveur de 1'honnêteté doit donc faire préfumer qüelle n'avoit pas accouchédans un temps oü elle n'auroit pu lefaire qu'en vertu d'un crime. D'ailleurs il eftabfolument contraire alüfage qu'une mère fe tranfporre a 1'Eglife immédiatement après fes couches, pour aflifter au baptème de fon enfanr; & cet ufage a été érabli, pour prévenir les fuites cruelles que pourroir occafionher cette démarche. Si les loix de lüfage & de la nature ne lui permerroient pas d'aflifter a la cérémonie du baptème d'un enfant légicime; comment fe perfuader qüelle fera allee elle-même & fans aucune néCeiftté , avouer fon incontine'nce ? 11 eft donc prouvé que ia Pigoreau  par deux mères. n'étoit poinr la mère de l'enfant baptifé a S. Jean-en-grève, le 7 Mars 1642 , & que cependant elle y prenoit un vit inrérêt. Or qud étoit cet intérêt? Lehéur Raguenet, épicier, a dépofé qu'il lui avoit remis zooo livres, avec promefle de lui en donner bien d'autres, fi elle élevoit l'enfant; mais qu'il ne luiavott plus rien fourni, depuis qüelle n'avoir plus l'enfant en dépot. II étoit prouve en outre, que cette fernine, jufqu'a cette époque , avoir toujours été dans 1'indigence, d'oü elle paflafans nuance, dans 1'état d'opulence. Mais cet intérêt Sc les motifs qui 1'alimentoient, fe développent de plus en plus, fi 1'on fuit toutes fes démarches , & fi 1'on rccueille tous fes discours depuis le 7 Mars 1 641. Elle donna , a l'enfant qüelle avoit fait baptifer, des langes beaucoup plus riches que fon état ne le comporroit, quand fa fortune lui auroit permis d'en faire la dépenfe. Elle le mit en nourrice a Torcy en Brie, chez la femme d'un nommé Paillard , qui étoit fa commère. En le lui remettant, elle lui dit que c'étoit un enfant de qualiré qu'on lui avoit confié, Sc qüelle ne balancetoit pas,  ^34 Enfant réclamé sil lefallpir a racheter fa vie aux de?. pens de la fienne propre. Li fan té de cette nourrice ne lui perrmt pas de garder long-temps Pentant. tn le renrant, la l'igoreau lui dit qu elle etoit fachée pour elle qu elle ne put pas achever de le nourrir, paree que Ion pain auroit été gagné pour le refte de fes jours. La Pigoreau le remit, dans Ie même village, entre les mains de ia veuve dun nommé Mare Séguin, lui difant que c etoit le fils dün grand feigneur, qui feroit la fortune de ceux qui le ferViroienr. Du refre, il étoit entretenu comme «n enfant de quaiité, & les mois de ia nourrituré étoient exaclement payés. Quand il eut dix huit mois, elle le retira de nourrice , & le fevra. Ce fut alors qu'elle lui donna le nom & 1'état de fon fecond fils Henri qui étoit decede. Pour le dérober aux regardsde ies voifins, a qui elle n'aüroir pas pu en hure accroire fur cette fuppofition denfaru, elle quirra fon quarner Pour s aller Ioger dans un aurre fort éloi^né ou elle etoit mconnue. Par cet arnfice' elle mit Ie dernier fceau a la fuppref! Uon de I enfant du comte de S. Géran  par deux mères. 235 Quand il eur deux ans & demi, eïte voulut s'en décharger, paree queTintérêt de ceux qui avoient fait commettre le crime, ne fubfiftant plus, ils ne s'embarrallèrenr pas de continuer la dépenfe de fon entrerien. Elle le porta a Baulieu , fous prérexre qüétant oncle Sc parrain de l'enfant repréfenté par celui qüelle avoit adopté-, & elle n'étant pas en état de le noutrir, il étoit dans l'obligation de s'en charger : il ne put pas riiquer un refus qui auroit compromis un fecret qu'il avoit tant d'intérêt da» tenir enfeveli. Tels font les circuits par lefquels le fjs du comte Sc de la comtefle de S. Géran avoit paffe avant de retournec dans les bras de fes père Sc mère. II eft donc prouvé que la Pigoreau a fait baptifer Sc nourrir un enfant dont elle n'étoir point la mère; que cet enfant a été remis entre les mains du comre & de la comrefie d« S. Géran , & que c'eft le même que la comtefle réclame pour fon fils. Mais eft - ce le même que celui dont elie a accouché, Sc dont on a perdn Ia tracé au fortit du village de Defcötttoux? Les indifetétions éthappées a la Pigoreau , Sc la dépenfe qu'elle failoit  ^3 6 Enfant réclamé pour cet enfant, annoncenc qu'il étoit rils dun grand feigneur opulent. Mais quel «oir ce feigneur? Pour peu que 1 on fe rappelle les expreffions qui manireifoient les inquiétudes de Baulieu le cas de confcience qu'il avoit propofe auii religieux; fi l'on y joint les vifites frequentes qu'il faifoit a Torcy a ce meme enfant qu'il appelloit fon neveu qm étoit entretenu dans un «ar fa diftingué, & qu'ila remis a I'hótel de S. Géran ; fi pon y a|0Llte en_ core laveu enigmatique de la Quinet, lain.ee, a I occafion des monitoires publiés a la requête du comte de S. Géfan : toutes ces circonftances réunies torment un corps de préfomptions qui, aux yeux de tout homme raifonnabl* equivalent a une preuve complete. On pourroir même y en joindre beaucoup d'aurres encore. Par exemple: on avoit entendu dire plufieurs fois l Marie Pigoreau qu'elle n'étoit point en peine de la deftmée de fon fils ainé paree qu'elle étoit faire de la fortune du iecond. On lui remontra que, voulanr fe débarraffer dün enfant, elle devoit plutót garder Ie fecond, qui eroir beau : eiie répondir qu'elle ne pouvoit pas faire autrement. Des té-  par deux mères. zfr smoins atteftoient que la Pigoreau, en vifitant Penfanr avec un homme qui leur avoir paru être de condition, difoit toujours qu'il étoit fils dün grand feigneur; qu'il lui avoit été confié , Sc qu'elle efpéroit qu'il feroit fa fortune, Sc de ceux qui 1'aideroient a l'élever. Maur Marmion, parrain de I'enfanr, 1'épicier qui avoit été dépofitaire des 2000 livres, Sc la fervante de la Pigoteau, lui avoient entendu dire maintefois que le cómte de S. Gétan étoit obligé de prendre cet enfant. D'autres témoins dépofoient qüelle leur avoit dit qu'il étoit de trop bonne maifon pour porter des livrées de page. Enfin, la conduite que tint la Pigoreau pendant la procédure, met le comble a ces préfomptions. Par arrêr du 18 aoüt 1657, il lui fut fait défenfe de défemparer la ville & fauxbourgs de Paris, a peine de convidion. Les dames de Ventadour Sc du Lude l'engagèrent alors a demander par une requête que les témoins qui dépofoient de la groflefle Sc de 1'accouchement, lui fuflent confronrés, comme ils 1'avoient été a la fage-femme. On comptoit que fon talent pour les dérours, & fon effronterie les déconcerteroient.  Enfant réclamé Cetre confronration fut ordonnée paf arrêt du 28 aout \6tf j mais y fuc dk que, pour y procéder, ia Pigoreau fe mertroir, dans trois jours, en écar dans les prifons de Ia conciergerie. Son itnpudence ne tint pas contre les dangers auxquels elle prévoyoit qu'elle alïoijt s expofer en fe conftituant prifonnière. La confronration qu'elle avoit demandee avec tant de confiance, n'eur point lieu; au nfque d'être réputée coupable, comme le portoit le précédent arrêt, elle prit la fuke, & ne reparut plus. r Encore une fois, tant d'aveux échappes & réunis n'équivalent-iis pas a une preuve ? _ Mais, fans recourir aux préfomptions , voici des fairs qui forment tuxe preuve direéte. II étoit prouvé, comme on 1'a vu, que le marquis de S. Maixant avoic en fon pouvoir le fils dun très-grand feigneur; qu'il avoit déclaré que Baulieu lm avoit procuré le moyen de faire une fortune confidérable; qu'i] avoit enfin avoué nettemenc que eer enfant qui étoit en fon pouvoir, étoit le fils du comte de S. Géran. Or, c'eft chez la Pigoreau qu'il alloit avec fon page  par deux mères. 239 Voir l'enfant dont il avoit tant recommandé a ce page de bien graver les trans dans fa mémoire; & cet enfant, qu'il vifitoit ainfi, étoit Ie même qui demeutoit a 1'hotel de S. Géran , que Baulieu y avoit introduit, & qui alloit de temps en temps vifiter la Pigoreau comme fa mère. Quoique le Marquis de S. Maixanc n'eiu pas dépofé en juftice ; toutes ces öéélarations , toutes ces démarches juridiquemenr prouvées & combinées, ne forrnoient-elles pas un corps de dépofition aufti ptécife&auflï concluante, que fi le Marquis les eut faites au preffe en perfonne ? & ne renouoientelles pas le fil qui s'étoit rompu au fortir du village de Defcoutoux ? Mais écourons encore la Pigoreau elle-même ; elle va nous donner des déelararions au moins aufli précifes que celles du marquis de S. Maixant. En premier lieu, il elt certain , &C jamais elle ne 1'a nié , qu'elle avoit eu deux enfans de fon mari, que le fecond éroit pofthume. Mais ce qu'elle a toujours nié, c'eft que ce pofthume fut morr; elle a roujours prétendu au contraire que c'éroit celui même qui étoit réclamé par la comtefle de S. Géran.  M° -Enfant rèclamt , de fes Plus forrs arg"mehis, pourecabhr que fon fils écoit encore vivant,' c'eft, difoit-elie, que ceux qui avoient mtercfde prouver fon décès', devoient rapporrer fon extrait mortüaire; c'eft ceIul q«i avance un fait, l ie prouver : aciori probandi onus incumb'u. Mais, comme Pobferva M. Bipnon, on préfumoit facilement que cette femme adroite & déterminée, ayant formé e projet de mettre le petit comte de laPahftea la place de ce fecond fils, avoit pns routes les précaucions néceffaires pour en cacher la morr, & pour ne pas killer une preuve iiccérale de fon crime. Ce raifonnemenc ne produifoic d'autre effec que de décruire une objection. Mais la Pigoreau va dépofer précifémeiu elle -même du fait qüelle veut détruire. Marie Migot, fille de la fage-femme , qm avoit accouché la Pigoreau de fon fecond enfanr, avoit dépofé avoir oui dire a fa défunre mère , que cet enfant écoic morr, & que la confidence lui en avoit été faire paria Pigoreau ellemême. Une dame de Morangis avoir déclaré cenir de la propre bouche de la Pigoreau, qu'elle n'avoir plus qu'un enfanr. Cecte  par deux mères. 141 Cette dépofition étoit embarraflante fans doute \ aufli la Pigoreau fe retourna-r-elle pour la détruire. A la confrontation , (1) elle demanda a la dame Motangis en quel temps elle lui avoit fait cet aveu. Le témoin , qui n'avoit pas fixé dans fa mémoire Pépoque d'une converfation qui lui paroilfoit alors indifférente, ne put la déterminer au jufte. La Pigoreau faifit cette circonftance, dir que cette converfation s'étoit tenue avant qu'elle eut un fecond enfant, 8c qüelle avoit dit qu'elle n'avoit qu'un enfant, & non pas qu'elle n'avoit plus quün enfanr. Mais la dame Morangis foutint qu'elle avoit eu, quand elle la vit, deux enfans, 8c qu'elle lui avoir dit qu'elle n'en avoit plus qu'un. Voila donc deux témoins qui dépo- (1) On ne 1'avoit pas confrontée avec les témoins qui avoient dépofé de 1'accouchement: & de 1'cnlèvement teulemcnt; ces deux faits lui étoient étrangers. Si elle avoit demandé cette confronration , c'ctoit uniquement pour embarraHei & prolonger Ia procédure; Sc peutêtre dans 1'efpérance de trouver dans fes talens des reffources pour obfcurcir Ja vérité de ces dépofitions. Mais on 1'avoit confrontéc aux témoins qui avoient dépofé direclemenc de ce qui Ja concernoit. Tome I. L  242 Enfant réclamé fent de la more de cet enfanr, auquel la Pigoreau vouloit fubftituer le comte de la Palifle. En voici deux autres qui atteftent poficiveménr que ce même enfant, dont elle fe prétend la mère, eft réellement ce même comte de la Palifle. Jadeion, fieur de la Barbe Sange, avoit ajomé a la dépofition dont on a parlé, qüil avoit oui dire a la Pigoreau que l'enfant qu'elle avoit rendu a fon beau-frère n'éroit point fon fils, mais qu'il étoit celui du comte & de la comtefle de S. Géran, Sc qüelle le prouveroir quand il en feroir remps. La mère de la Pigoreau avoir détaillé a la comtefle de Montabilan toute 1'hiftoire de 1'enlèvemenr, jufqüau mo> menr oü l'enfant étoit renrré dans 1'hörel deS. Géran. Cette Comtefle en avoit fait le récit dans fa dépofition; & 1'hiftoire qui compofoir ce récit, étoit exactement le réfultat des autres dépolitions , Sc des conjectures que la procédure faifoit naitre. Mais il y a plus : il étoit impoflible de confondre l'enfant réclamé par la Pigoreau, avec celui donr elle éroit réellement accouchée. II étoit prouvé au procés que Henri de Baulieu éroit  par deux mères. 2.43 brun j au lieu que celui dont il s'agiffoit, éroit blond, 8c avoit de gros yeux bleus. II ne pouvoit pas non plus être Ie batard de Bernard de Mantes. Celui-ci avoit les cheveux noirs 8c Ie teint bafané : ainfi il y avoit, entre ces deux individus, la diffèrence du noir au blanc. Le batard, d'ailleurs, avoir été mis en nourrice a la Croix-Fauxbain, avoit été févré chez Madelaine Tripier, 8c élevé chez fon père. Mais la Pigoreau, dit-on , prétend être Ia mère de ce barard, 8c foutient que c'eft a lui qu'appartienr 1'extrait baptiftaire que 1'on veut arrribuer au fils de la comtefle de S. Géran. Elle a beau fe couvrir elle-même de 1'infamie de la lubricité j les faits prouvés au procés dépofent contre le fyftême qu'elle veut établir aux dépens de fon propre honneur. 11 eft conftant que l'enfant baptifé a S. Jean-en-grève a éré nourri a Torcy ; que de-la il eft entré direcrement chez la Pigoreau, d'ou il eft pafte a I'hótel de S. Géran. Or tous ces lieux font étrangers au batard de Bernard de Mantes, dont cn vient de marquer les traces , d'après les preuves qui exiftent au procés. Leurs L z  2.44 Enfant réclamé veftiges, leurs figures n'ont aucun rapport. Comment donc la Pigoreau a-relle pu croire que 1'on adoptetoit Ia confufion dans laquelle elle veut induire la juftice &c le public ? Enfin, l'enfant repréfenté pardevant un confeiller commiflaire, aux nourrices & aux témoins de Torcy, fut reconnu pour être celui qui avoit été nourri dans leur village, qui y avoit été mis pat la Pigoreau, au nom duquel elle avoit promis une fortune a ceux qui feroient aflez heureux pour lui rendre des fervices , & qüelle alloit vifiter fouvent avec un homme de condirion ; il fut reconnu, dis-je, a la blancheur de fa peau, a la couleur de fes cheveux & de fes yeux, & a i'impreffion des doigts de la matrone fur fa tere. Ce ve'ftige ineftacable du crime de la fage-femme fut un fignalement auquel il étoit impoflible de méconnoïtre le jeune Comte. II étoit donc bien évident que la comtefte de S. Géran avoit été groife; qu'elle étoit accouchée; que le marquis de S. Maixant & la marquife de Bouillé avoient fupprimé l'enfant; que la fage-femme, 1'inftrumenr de ce crime, 1'avoit remis a Baulieu, 8c que  par deux mères. 24? Baulieu 1'avoh enlevé. On avoit fuivi toutes les traces de cet enlèvement, jufqüau moment oü la Pigoreau en etoit devenue dépofitaire ; on 1 a. fem dans toutes les mains pat oü elle la hut paifet, jufqüau moment oü elle 1 a rendu a Baulieu, qui 1'a fait élever dans 1 hotel de S. Géran. En un mot, on la pris dès le fein de fa mère , & on 1 a fuivi dans tous les heux qu'il a parcourus, jufqu'd ce qu'il foit enfin revenu auprès d'elle. i Les dames de Ventadour & du Lude n'ont donné d'autre bafe i leur prétenrion, que des préfomptions. C'eft avec ces armes qu'elles fe font unies a des criminelles qui leur feroient horreur, fi la pafiion qui les amme ne leur ter- molt pas les yeux, 11 cue» tattices défintérefiees de ce combat fcandaleux. Mais de quel regret ne doivent-elles pas être pénétrées a la vue des faits circonftanciés & jundiquement prouvés qui démüfent ces ptefomptions, & qui ne leut laiftent que le regret d'avoir mis leur imagination en frais pour les enfanter, & d'avoir eu la rémérité de les ptoduire aux regards de la juftice & du public? Au refte , fi la dame de S. Geran avoit L 3  246* Enfant réclamé befoin d'autres moyens que de Ie vidence des faits qui viennent d'être établis: elle pourroir, ainfi que fes parties adverfes, faire ufage de Ia machine du pathetique, Sc puifer, comme elles, des nufonnemens dans le fentiment. Apres avoir peinr avec les pinceaux de Ia venté, la noblefie des fentimens, les vertus du comte de S. Géran , fon attachement & fon refpect pour 1'illuiere nom qu'il porroit, on les fomnieroit de nous dire comment il a pu ie fomller d'une acfion auffi lache que celle d'aller chercher le fruit de 1'incontinence düne miférable du bas peuple, pour Ie ranger parmi les héros qui compofent fa maifon, & lui tranfmettre les biens & la gl0ire de fon nom. Qui elt-ce qm lui fair cette injure ? G'elt ia propre fceur, c'eft fa nièce qui pretendent: que , par ce ftraCa?ême infame, il a voulu les déshériter. Mais avoit-il contre elles quelque fujet de ']?ln,e> & pouvoit-il jamais eu avoir d'aftez violent pour facrifier fon propre fang un fang étranger , vil & fiécri par une naifiance honteufe ? m Mais faifons , pour un momenr, cette injure d fa mémoire, fuppofons-lui cette hame effrénée, que les ennemis de fa  par deux mères. 247 gloire n'ont pas ofé lui reprocher, ni même mettre au rang de leurs nombreufes préfomptions; cette paffion auroit-elle réfifté aux approches de la mort? L'injuftice honteufe que 1'on im pure au comte de S. Géran, auroit-elle refifte dans fon cceur noble Sc généreux aux impreffions de la vérité ; fur-tout.dans ces momens critiques oü fa vi&oire & fon triomphe font toujours affurés ^Auroit-il choifi ces inftans pour érigera fon menfonge Sc a fa honte, un monument configné dans un codicille deftiné a faire la loi de fa familie Sc de fa poftérite? Les faits détruifent donc les préfomptions qui font toute Ia défenfe des dames de Ventadour & du Lude : mais au défaut de faits, elles feroient encore combattues par d'autres préfomptions au moins aulli fortes. Sans doute la filiation n'eft fondee que fur des préfomptions ; Sc c'eft pat cette raifon que , quand elle eft atcaquée, elle ne peut 1'être que par des préfomptions, Sc elle ne peut fe defendre qu'avec les mêmes armes. Les jurifconfultes établiftent, quindépendamment des acles & du témoignage des parens, trois chofes viennent au fecours de la preuve de h filiation; l'éducaL 4  24$ Enfant réclamé tión3 la preuve tefiimoniale & la commune renommêe. Ainfi3 fi celui dont la filiation eft douteufie a paffi pour être fils du pere qu'il fie donne, files témoins Le depofient3 fi la commune renommêe Jortifie cette opinion ; c'eft une préfiomption de filiation qui tient lieu de preuve. (i) C'eft une maxime contraire a 1'humamté, aux bonnes mceurs & aux loix, que les pères & les mères ne doivenr,' en aucun cas, être crus fur 1 etar de leurs enfans. 11 faut diftinguer: li leur declaration rend a faire perdre cet état, on ne la regarde pas comme infaillible; I'enfanr peutfe pourvoir& la combartre. Le cceur d'un père & d'une mère n'eft pas a 1'abri de cette haine qui peut les porter jufqu'a le défavouer. f Mais on ne préfume pas qu'un fils étranger puifle infpirer une eendrede fi (0 Pr At er fidem inflrumemorum & „Jfeveratwnem parentum , trio. recenftntur ; traBatiis , ufics b fama; & JuppUnt, deficiënties probauombus certioribus , filiationem omnem tam probari, quam prcfumi. Si is de cujus fiatu agitur pro fiÜo habitus fit; fi teffes & vicini idem deponunt ; fi fama populans idem ajfeveret. Covarruvias , de matr. part. II, cap.8, §. ?0j dt fi/iat tonis pro- iangne. V. Egidius BaiTus, de fuppofitopartu.  par deux mères. 14 9 aveugle, qu'on lui donne la place de l'enfant de la maifon. Aufli, quand le père & la mèïeprononcent en faveur de celui qui fe dit êtte leut enfant, ils ne font pas feulement alors témoins irréprochables, mais juges fouverains & néceffaires. La loi, dans ces queftions n'admet même d'autres contradióteurs, que le père & la mèrè. En un mot, I'enfanr qui vent entrer dans une familie n'a de légirime concradideur, que celui auquel la nature a déféré la quahté de défendeur , en le placant dans le premier rang de cette familie. (1) Or, quand la queftion eft terminée avec ce contradicteur, par la reconnoillance qu'il a faire en juftice, on ne peut plus la faire revivre; paree que celuili feul qui avoit droir de 1'élever & de lacontefter, s'eft impofé lni-même an lilence irrévocable par le contraC qu'il a formé en juftice. C'eft par une fuite de ces principes que la loi veut que les déclarations faites publiquement dans les tribunaux par les pères Sc mères, foient regardées comme des preuves invincibles (1) §. 7 , infiit. de leg. agn.fucc. L.Ji pluus. f de accuf. & injcript,  ijo Enfant réclamé de la Iégitimité des enfans. (0 Le jurifconfulte qui a fourni cette loi, propofe Phypothèfe düneffemme déréglée, qui a eu, pendant fon manage, un enfant que fon mari a reconnu en juftice , quoiqu'il n'en fut pas le père naturel. Cette reconnoiflance, toute fufpecfe qüelle peut être en elle-même, eft confidérée en juftice comme un puiffanr préjugéen faveurde l'enfant. Quandoque enim ccepit agi caufa, grande pr&judicium offert pro filio confejjio patri s. Cujas , 1'oracle de la jurifprudence tomaine, dit qu'il faut faire une grande différence entre la reconnoiflance d'un père faite en juftice , & celle qu'il fait en particulier, comme dans une lettre ; paree qu'au premier cas la déclaration eft efficace pour l'enfant; au fecond cas, elle eft beaucoup moins conlidérable. (z) Si 1'acrion des dames de Ventadour & du Lude étoit autorifée, quel eft le citoyen dont 1'état ne pourroit être contefté ? Des collatéraux chicaneurs , artificieux , porteront le feu par-rour, (0 L> i, §. li, f. de agnofc. & alend. lib. (i) Sup. tit. 16, 7, lib. cap, de lib, cauf.  par deux mères. 251 & rompront, au gré de leur avarice, les Hens du fang les plus facrés; plus de fécuriré dans la fociété ; il n'y aura perfonne qui ne tremble fur fon état, & qui n'imagine voir fans celTe la cupidité armee pour le lui difputer & le lui ravir. . Mais ce qui fait paroitre 1'entreprife des dames de Ventadour & du Lude plus étrange , c'eft qüencore une fois, elles ne difenr rien qui puifle faire préfumer que le Comte & la Comtefte aient été capables de cette fuppofition. Y a-t-il eu entre elles & eux une inimirié capitale ? L'efpérance de quelque fucceflïon avantageufe a-t elle potté le Comte & la Comtefle a cet attentat ? Leur vie eft-elle tachée d'actions contraites a 1'honneur & a la probité? Le crime leur eft - il familier ? Leur nailfance eft-elle fi obfcure, qu'ils ne doivent pas en être jaloux , & qu'ils puiflent, fans la ternir , fe choifir un héritier dans le plus bas étage de la fociété ? Suppofons tous ces faits , couvrons un inftanr, le Comte & la Comtefle d'ignominie; la feule confidération de 1'honneur des families , de 1'honneur des mariages, 1'emponeroit fur toutes L 6  252 Enfant réclamé ces préfomptions ; a plus forte raifon , Jorfque des préfomptions abfolumenc contraires s'élevent en faveur du père Sc de la mère. Peut-on imaginer que le Comte ait voulu expiter dans I'impofture, & que fa veuve veuille la mainrenir, & perfévérer dans une réclamation fi fatale k fon repos ? Admectons que la malice du cceur bumain puiife aller jufqu'au poinr oü 1'on veur porter celle du comte Sc de la comtefle de S. Géran ; qu'üs aienr franchi, de concert Sc de plein faut, lefp ace immenfe qui fépare 1'érat d'innocence de celui d'un criminel féroce Sc obftiné, qui commet & foutient des attentats fans intérêt; il eft des épreuves déciiives contre lefquelles cette méchanceté ne peut tenir. Eft il croyable que la Comtefte , élevée dans la délicateffe dont fon rang lui fait une forre de loi, & que fa fortune 1'a toujours mife a portéede fe procurer.fe dérermine , de gaieté de cceur , a fouffrir toutes les fatigues & routes les inquiétudes dün long procés, dans lequel on la fait pr.fter par rous. les circuits Sc au travers de .outes les ronces de la chicane ?  par deux mères. 253 II ne lui faut, pour rentrer dans le repos, qui eft fon élément, que dire un mot; il ne lui faur que rendre hommage a la vérité & a la pureté du fang de Ia mailon de S. Géran dont elle porte le nom •, il ne lui faut enfin que rendre juftice a des héritières légitimes , dont les intérérs n'ont rien de commun avec les ficns ; Sc elle s'en abftiendra, pour pafler fes jours dans la fatigue Sc dans la douleur 1 Toutes les circonftances de cette affaire érigent donc la réclamation du Comte Sc de la Comtefle en un jugement abfolu, contre lequel on ne peut oppofer,ni raifons, ni préfomptions. Mais quelle force n'acquiert-il pas encore par cette nuée de témoins , par ce torrenr de preuves qui renverfe tout ce qu'on lui oppofe, par cet enchainement de faits qui s'engrenent tous les uns dans les auttes, Sc forment un tout d'oü la vérité jaillit avec éclat ? Les jurifconfultes reconnpiflenr quatre circonftances qui, dans les queftions de cette nature, découvrent la vérité aux juges : quand l'enfant a été reconnu par le père Sc la mère •, quand on ne peut alléguer aucune caufe Sc au-  2.5 4 Enfant réclamé cun prétexte raifonnable de Ia fuppofinon: quand le père & la mère font reconnus pour êrre düne probiré entiere. Enfin , quand il y a une groflefle. Or, ces quarre circonftances concourenr en faveur de la Comtefle. On ne trouve nul de ces indices qui peuvent faire préfumer la fuppofirion : fi ia femme qui fe die mère, eft dans wn age fort avancé; s'il lui eft échappé quelque parole qui puifte conduire d ioupconner fon crime; fi 1'accouchement qu'elle s'attribue a été fait fans le miniftère düne fage-femme; fi elle a caché fa groflefle i fes parens, & a cherché quelque lieu écarté favorable a lexecurion de fon deffein. Ici nul veftige de ces préfomptions; on en oppofe même qui font rour-dfair contraires. La Comrefle n'a pas encore atteint lage de la ftériliré; elle en étoit donc encore bien éloianée d 1'epoque de la naifiance de fon fils'. La maligmté attentive de fes ennemis n'a Pu epiloguer fur aucune de fes paroles, pour lui rrouver une interprétation favorable d leur fyftême; il ne lui elf jamais rien échappé qui puc faire naitte même 1'ombre du foupgon. La fage-femme a été appellée a fon  par deux mères. 2.5 5 accouchement; la Comtefle a publié fa trroflefle plus de fix mois avant qüelle accouchar. C'eft au milieu de fa familie Sc de celle de fon mari qu'elle prouve qu'elle eft accouchée, & que l'enfant a été fupprimé. La calomnie ne trouve rien dans toute fa conduite fur quoi elle puifle mordre; elle a toujours été forcée de garder le plus profond Sc le plus refpeótueux filence. Joignez a tant de préfomptions convainquantes la preuve complete qui réfulte des informations, vous ferez frappé de la vérité triomphante. Les dames de Ventadour Sc du Lude, effrayées de la lumicre que produifent ces informations, Sc des preuves de la filiation qui en réfultent, pour parer ce coup, qui les frappe a plomb, onr imaginé un raifonnement bien fingulier , Sc qu'elles ont foutenu avec bien de 1'efprir. Si on les croir, les preuves de filiation acquifes par la procédure criminelle, font inutiles a leur égard pour le jugement de la queftion d'état; paree que, difenr elles, il faut diftinguer le civil du criminel', & comme ce qu'il y a de criminel dans cette affaire n'a rien de commun avec elles, il faut leur  1,6 Enfant réclamé permettre de prouver, par Ia voie civile, Ia fuppofition de l'enfant. Mais ce langage dement la conduite qu elles ont tenue dans le ptocès. Si 1'inftruchon extraordinaire eft inutile a leur égard, pourquoi ont-elles demande avec rant d'inftances a y être recues parriesinrervenanres ? N'allèguent-elles pas , pour moyen de leur intervention , q^elles ont un intérêt fenfible dans 1 affaire, puifqu'on veut leur donner un proche parent, un héritier ? Elles ont donc cru que la queftion d etat pouvoit fe juger, même avec elles, par le procés criminel. Et elles voyoient fi bien que la condamnation de Ia fage-femme & de la Pigoreau emportoit la décifion de la queftion d etat, qu'elles ont fair tous leurs efforrs pour fauver ces criminelles. Mais e es onr changé de batterie, quand elles onr vu qu'il n'y avoit plus rien a faire ni pour lüne, ni pour l'autre, Ia mort ayant fouftrait la fage-femme a la peine qu'elle méritoir, & M. le procureur-général ayant, par fes concluiions , préjugé le fort de la Pigoreau qui par la fuite, s'eft mife a 1'abn du chanment qu'elle ne pouvoit autrement éviter,  par deux mères. 157 Ce raifonnement fuffiroit peut-ètre pour leur prouver qüelles font non-recevables a propofer ce moyen, tout frivole qu'il eft. Mais il faut 1'examiner en lui-même. ' Quel eft le fond de ce proces? Celt la fuppreffion d'enfant imputée a la fage-femme, c'eft la maternité difputée pat la Pigoteau. Si 1'arrèt juge que I'enfanr a été fupptimé, Sc que, conformément aux conclufions duminiftère public, la Pigoreau foit déclarée la faulfe mère , Sc la Comtefte la véritable, comment pourra-t-on faire pour juger plus clairement 1'état de l'enfant ? Après que cet état aura éré fi folemnellement fixe par le fupplice de la fiiuile mère , écoutera-t-on les dames de Ventadour Sc du Lude , lorfqüelles diront qu'il n'y a que le crime qui foit jugé; mais qua leur é^ard, il faut tout de noc.veau inftruire 1'arfaire civilement ? C'eft une maxime inviolable que la même queftion d'état ne peut jamais être jugée deux fois-, Sc que lorfqu'elle Peft, c!eft pour toujours, Sc a 1'égard de toutes fortes de perfonnes. L'état des citoyens eft trop précieux , pour qu'on le compromette plus d'une fois au hafard d'un jugement. Des que la  258 Enfant réclamé tóaternité & la filiation feront décidees, fur quel prétexte feroit-on renaitre un procés, pour remettre en compromis cette maternité ? Suppofons quün père ait informé d un rapt qu'il prétend avoir été commis en Ia perfonne de fa fille, & que le père fuccombant dans le procés , on ait déclaré légitimes les enfans iftus du manage contracfé par cette fille pendant ce prétendu rapt; les frères & es fceurs , après 1'arrêt qui aura jugé Ja queftion , feront-ils recevables a difputer Pérat de ces enfans, fous prétexte qu'ils y font inréreftés, & qu'il n'y a eu que le crime jugé ? m Qui ignore que ces forres d'accufations de rapt, de fuppreffion de part, lont melées du civil & du criminel, mais de manière que le criminel, regardant la perfonne, attirele civil, dont quand il eft décidé, il forme le jue' ment ? ' ö Quelle étrange confufion n'introduiroit-onpas,fi quand Pétat düne perfonne a été jugé une fois , on 1'expoloit encore i la cenfure de tous ceux qui peuvent y avoir intérér? A ce compte, il pourroir donc être jugé autanr de fois qu'il y auroit d'indfvidus  var deux mères. 2.? 9 compofant la familie. 11 n'y en auroit pas un qui ne put alléguer qua défaut d'enfans, on lui donne un héritier, que 1'on communiqué le nom , les droits &c les armes de la familie a un étraneer. ö II eft certain que 1'oppofuion de ces patens ne feroit pas écoutée. A plus forte raifon doit-on rejetter celles des dames de Ventadour & du Lude qui fonr intervenues dans le procés, qui ont appellé des jugemens rendus contre les accufés, ou qui y ont formé oppofition. D'ailleurs des accufés qui feroient condamnés fur 1'informarion , & peutêtre exécutés, pourroient être trouves innocens par l'enquère des dames de Ventadour & du Lude, qui auroient fait entendre des témoins fubornés &C cotrompus. Ainfi la fraude anéannroit un procés criminel inftruit par récolemenr & confrontation. Un accufé condamné par arrêt ne peut être admis a des faits juftificatifs ni direébement, ni indiredement. Ce feroit expofer les oracles de la juftice a une jufte dérifion; ce feroit fe jouer des ouvrages les plus férieux de la fociété j ce feroit renverfer les régies les  2, fans laiffer de poitériré, n'ayant eu d'autre enfant, que fa rille religieufe.  zG7 *MÈRE RÉ CL A MÉ E, QUI N'A JAMAIS ACCOUCHÉ. LA caufe de S. Géran m'en rappelle une qui fe rrouve au comniencement du quacrième tome du journal des audiences , & qui y a quelque analogie. Ce livre n'écanc pas de narure a pouvoir être enrre les mains de rout le monde, j'ai cru faire plaifir au commun des lecteurs, en 1'inféranc dans ce recueil. L'Arèftographe die que le plaidoyer de Mc Lordelor, qui parloir contre 1'impofteur, & celui de M. Talon, avocat-général, avoient été donnés dans le temps au public dans un petit recueil qui étoit devenu fort rare; & il copie Fun & l'autre, avec 1'arrêr. On va donner ici certe hittoire, dans un otdre plus méthodique qu'elle n'eft racontée dans la plaidoierie, & dégagée de beaucoup de réflexions qui ne feM a  lóS Mère réclamêe , roient aftütément pas du gouc de tout le monde. Claude Marfaulc étoit fils de Claude Matfault du village de Suzencoutt, en Champagne. Après Ia mott de fon père, il fut élevé a Paris chez le fieur Marfaulr, fon oncle, conrróleur des rentes fur Phötel-de-ville. Au mois de novembre 165 5, il époufa Marie-Eléonore Sauvage, fille de Prudent Sauvage , capitaine de cavalerie , qui fut gouverneur d'Arney en Lorraine , & mourut gendarme de la reine mère. Les deux époux , après leur mariage, ne demeurèrenr qüun an & demi a Suzencourt. Au mois de mai 1657, le fieur Marfault voulut, a 1'exemple de fon beau-père, fuivre le parti des armes, & s'engagea dans la compagnie de cavalerie du fieur Moulinet. Cette compagnie fut réformée, & le fieur Marlaulr obligé de rerourner dans fa patrie au mois de novembre fuivanr. Une maladie 1'arrêta a Rheims, & Pobligea d'y féjourner jufqüau mois de mai 1658. 11 écrivir alors a fa femme de fe rendre a Paris, oü il étoit réfolu d'aller s'établir. Il fe fit receveur des rentes fur 1'hötel-de-ville, öc par-  qui na jamais accouché. 269 vint, par fes ttavaux & fon économie, a amalfer des biens confidérables. 11 quitta alors fon occupation, maria fa fceur a un fieur Thiellin , & par fon contrar de mariage du 15 Aour 1678 , il lui donna une dor de 2000 livres , & tranfmic toutes fes pratiques a fon beau-frère. En 1679, le fieur Marfault acheta une charge de controleur-général des guerres, &c par de nombreufes acquifitions , il augmenra & embellit le parrimoine qu'il avoit i Suzencourt 8c aux environs. N'ayant point d'enfans, & ayant petdu Pefpérance d'en avoir, le fieur Marfault & fa femme fe firenr^e^o feptembre 1671, un don mutuel, >,tel que la coutume le petmet aux conjoints qui n'ont point de poftériré. Pour jouir plus tranquillement de leur fortune, les deux époux fe retitèrent a la campagne. Mais loin d'y trouver le repos qu'ils cherchoient, la bonte de leur coeut, & la douceur de leur caracTxre , ne leur laiffèrent pas la fermere nécelfaire, pour chaffer de chez eux une nuée de collatéraux , dont 1'avidité auroit voulu dévorer leur fuc°?c0™%\"£ eux-mêmes, ou impoffibles. C elf la feconde propofition a étabhf. < Le premier fait que Joublot articule, & celui duqueldécoulenrtous ceux qu il a fabriqués depuis, eft qu'il eft ne dans le feptième mois du mariage de fes pre-. tendus pere ex meic. 11 ajoute que le fieur Marfault ptit d'abord tous les foins dun man tendre & inquier fur 1'état de fa femme : que, pour Paccoucher, il alla cherchet lui-même un nommé Maunce Daudin, chirurgien : qüayant fait enfuite confidence i un nommé Cholot de fes foupcons fur la conduite de fa femme, qui avoit produit un fruit premature de fon mariage , il avoit non-feulement négligé 1'éducation de fon fils , mais pris toutes les précautions poflibles pouc lui détober la connoiftance de fon etat. D'oü 1'on a conclu que toute cette at-  2. 8 6 Mère réclamèe , faire „>ctoit que la fluce de Ia jalou(ie du mari, a laquelle il avoit facrifae Ihonneur de fa femme, le hen Sc Imnocence de fon enfant. Mais fi ce mari eüt été tourmenté de la jaloufie qu'on lui impute, auroit-il pris la peine d'aller lui-même au milieu de la nuit, dans la campagne , chercher un chirurgien, pour executer un accouchement dont il n'auroit pas cru être 1'auteur ? Se feroit-il dererminé a une démarche qui je forcoit de reconnoïtre pour fon fils un enfant dont il ne fe croyoit pas le pète > Lorfque 1'appel a mis la caufe fous les yeux du parlement, les défenfeurs de Joublot plus éclairés que ceux qui 1 avoient dingé en province, ont fenti que ce fait n'étoit pas vraifemblable. ils ont comptis que 1'impofteur, en le fabnquant & le foutenant, détruiloitfon état lui-même, puifque, jetrant des doutes fur fa propre naifiance, il fe dec aroic, par fa propre bouche, enfant illegitime. On s'eft rerourné, & dans une requere préfenrée en la cour, le 15 fep. tembre i Joublot dira-t-il que fon baptème nocturne hu a été adminiftré en préfence de fes père & mère prérendus? Mais, apres avoir eu tant d cceur de cacher Ia naiffancè de cet enfant, 8c pns_ rant de précautions pour y parvenu-, ils auront été eux-mêmes réveler leur fecret au curé de Bergère au parrain & d la marraine, & en coniigner la preuve dans un regift re ' , ,Cf abfurdités, qui n'avoient pas ete lenties en première inftance, ou qu on avoit cru pouvoir hafarder devant un juge ignorant ou prévenu, onr frappe les défenfeurs de Joublot en la cour• lis ont taché de les reóHfier. On a imaginé une enquête qui, diton , prouvequele fieur Marfault a eu, pendant plus de quinze jours, en fa dépofition , Ie regiftre de la paroifle de Bergère, & qu'H en a fouftrair Vi&e baptiftaire de fon fils. Mais cette enquête ne mérite aucune attention. Lorfquelle a été faite, la cour étoit faifie du d.frcrend , & e'a été au milieu des •audiences qu'elle donnoit aux avocats. J»j on vouloit inftruire fa relig'on , c'étoic d elie-meme qu'il falloir s'adrefter pour avoir cette enquête. Mais on  qui na jamais accouché. 193 drefTe au contraire a un juge inférieur, au prévöc de Bar-fur-Aube, devanr qui aucune partie de cette affaire n'avoit jamais été pendante. D'ailleurs, &c c'eft ici une obfervation de M. Talon, ce juge n'étoit pas feulement incompétent; il étoit fufpedb a jufte titre 5 il éroit le proreóteur déclaré de Joublor & 1'ame de fon impofture. Et cette imputation étoit fondée. On verra par la fuite qu'il y a tour lieu de penfer que joublot étoit batatd du Seigneur de Suzencourr j or le prévöt de Bar-fur-Aube éroit neveu de ce Seigneur de Suzencourr, & en avoit même hérité : la preuve en étoit confignée dans les qualités qui étoient a la tête de cette information , oü il prend celle de feigneur de Suzencourr. Ces deux morifs fonr plus que fuffifans pour faire rejetrer cette pièce , qui eft 1'ouvrage d'une main incompétente & fufpecfe. Mais, fut-elle revêtue des formes qui lui manquenr, elle feroit inutile. Qu'il y-ait eu.des fouftraclions faires tant qu'on voudra dans les regiftres de Bergère, Joublot n'en peut titer aucun avantage, cette paroifte lui eft étrangère 3 &c s'il prétend qu'il y a été bap-  2-94 Mère réclamée 3 tifé, comme ce feroit une irrégulatité* qui ne fe préfume pas, il faudroit qu'il prouvat^qu'effeétivement le baptème lui a c-ré admmiftré dans cette é quinze mois après la nailfance de Ion nourriffon , qüelle ne connoiffoit ni le père, ni la mère de I'enfanr. Or, comment fe fait-il qüune femme donne un enfant a noutrir a fa propre foeur, fans lui apprendre qui il eltï Comment d'ailleurs conciher certe knorance avec les vifites fréquentes que faifoit la dame Marfault a fon fils, & les générofités qüelle faifoit dans la maifon? ° Mais reprenons le fil de la narration. L'enfant fut, au bout des quinze mois de nourritute, ramené a la maifon paternelle. La dame Marfaulc Ie promenoit par la main dans le village, Sc le montrant a fes voifins, elle leur difoit que fon fils étoit plus beau que les autres. Le fieur Marfault s'étant enfuite engaaé dans le fervice du Roi, Sc étant alle s'érablir a Paris, fans eoimener fon N4  *9&Jefir cwer par charité. Tn^°rfqrere fieLlr M^nk eur fair for une fafemme vouIut ayoi f ™c ^--iF^oiieeoungnyS te. de Ie lui envoyer par Ie coche. bit i T HT n°UVelJe ^olution fuIe ' ^ k ™émofe d'aprcs lequel état ï ^ C;renfa!lci°^itdefon Wat, & que feS père & è gecuent avec lui les douceurs dS We t devmr tout dün coup 1 I t mis, & Jes circonftances de ce changement d état font rapportces de d "ux Suivant. la première, 1'entremife deaaame Marfault neut aucune p rrl h urdela Barre en qualité de laqnais. Jalle. vifiter & de le recommander 3 femme,de chambre de ia maifon Su.vant l'autre lecon , ce fut Th recommandation de fa p'ropre mère ctmabrre enrrenifeae c^ "emme dè  qui n'a jamais accouché. 19? Pour récompenfe des fervices qu'il avoir rendus dans cette maifon , on Ie mit en apprentiffage chez un memufier. Ce fut alors que la nommee le Vete lui fic quitter fon vrai nom, pour lui faire prendre celui de Jacques Joublot. C'eft fous ce nom emprunte que rut pafte fon btevet d'apprentilfage dans lequel il eft qualifié hls d'Antome Joublot, vigneron a Suzencourt, & de Francoife Sauvage. . Tel étoit fon dernier etat , & celui qu'il poftédoit quand il a enfin reclame celui qui lui appartenoit, & qui lui avoit été ravi. Sa mère, continue t-il, 1 avoit peidu de vue i mais elle ne 1'avoit pas oublié. Elle avoit demandé de fes nouvelles a différentès perfonnes, & avoit toujours témoigné qüelle le regardoit comme deftiné a rêcuejUif fa fucceflïon. Un particulier recherchoit en mariage la feeur de la dame Marfault, & vouloit que fon man &C elle s'engageatlent a la dot : elle fit réponfe qu'elle ne le pouvoit pas, arrendu qüelle avoit un fils'en campagne qui , en cas qu il revint, feroit leur héritier. Mais fi la dame Marfault n'avoit pas oublié qüelle avoit un hls, celui - ci  *5>S Mère rèclamée, avoir, OUDlie qui écoit fa mère; i] , avoue juridiquement lui-même qu'il cue indiquee. Voici comment il raconte cette hiftoire. v,inCant ^^PP^ntilTage, il alfa travaler endifférens endroits & en di£ ferentes boutiques. Ce ne fut qu'après «ne longue abfence qu'il revint dans ft patne & qu'il fut inffruit de 1'hiftoue de fa nailfance pat Bernarde Choquart, fa marraine. Ce fut elle aui le prodmfit chez fes parens, qd to*us Je reconnurenc pour être le même enfant dont la dame Marfault étoit accouchée j'Vmois de mamge, qui avoit éré Potte & allaité au village de Bergère & eleve a Suzencourr. Ce fut enfin Ia meme marraine & ie nommé Peticfour qui lui firenr reconnoïtre fa mère. lous ces faits étoient atteftés par les remoms qui compofoient 1'information faite en première inftance. I els étoient les fairs* telles étoient es preuves fur lefquels Joublot prétendent fonder fa filiation. II ne |ut pas des reflexions bien profondes pour ' mettre au grand jour 1'abfurdité de fon lyftemei Pour qu'il füt poffibJe d>a:our£r fo-  qui n'a jamais accouché. 299 aux düférens traits dont il a tilTu fon hiftoire, il faudroit qu'il put conciliet le deftèin formel qu'il dit qu'on a eu de 1'abandonner , de le caclier & de le perdre, avec les foins que 1'on a toujours pris publiquement de le reconnoïtre, & de veiller a fa confervation, jufqu'au moment ou il eft forti d'apprentiffagew Un coup d'eeil jetté fur chacun de ces faits, va mettre 1'impofture & fon abfurdiré dans tout fon jour. L'hiftoire de fa vie, jufqüau moment oü il eft entré chez le feigneur de Suzencourr, eft atteftée par cetre Bernarde Choquart, qui fe dit fa marraine. Mais elle ne mérire aucune croyance par elle-même : on a vu, il n'y a pas long-temps, qüelle eft en conrradicfion avec un autre témoin qui a dépofé fur le même fait. D'ailleurs M. Talon écarra routes ces dépolitions par une obfervation générale. Pour la qualité des témoins, ditil, c'étoient douze payfans qui faifoient une hiftoire bifarre & peu probable de la prétendue naifiance & nourrirure du fils des fieur & dame Marfault. JEt 1'on verra par la fuite combien peu ils méritoient de foi, & combien l'hiftoire N6  3 oo Mère réclamée, qu'on leur avoit tracée étoit contraire aux regies de la vraifemblan.ee. Joublot n'a pas pu nier qu'il eut demeure , pendant plufieurs années de fon enfance, chezle feigneur de Suzencourr. Ge fait etoit trop notoire , & Ia preuve la plus completre en auroit été facilement adminiftrée. Mais cette ckconf tance, malhenreufement pour lui, rappelle le fouvenir des longues débauches uu fieur de Suzencourr; & M. Talon ne"balanca pas a en tirer certe conféquence; que fon féjour dans le chare?u ;«qfqu'di'%e de neuf ans, & fans être reclame par aucun de fes prérendus parens , eft une forte préfomption qu'il etoit le fils naturel de ce Seigneur. Mais, avant qu'il entrat dans cette maifon, fa prétendue mère avoir écrit aFrancoife Coufigny, fa tante, dele lui envoyer par le coche. Sana examiner s'il eft naturel quüne rnere qui n'a qu'un fils fe contente d eenre qu'on ie lui envoie dans un aoe fi rendre, par une voiture publique0, & lans erre accompagné de perfonne qui en prenne foin , joublot feta taire toutes les réfiexions, en repréfenrant cette lettre. Mais comment Ia repré* icnteroit-il? il eft impoffible qu'elle ait  qui n'a jamais accouché. 30!" été écrite, puifqüil n'y a pas dix ans que la dame Marfault fcait a peine écrire fon nom, & qüavant ce temps, elle ne fcavoir. pas former une lertre. D'ailleurs ce faic eft inconciliable avec ceux qui le fuivenr. Quoi ! la dame Marfaulc aura fait venir fon fils chez elle, 1'aura avoué publiquement, 1'aura mis fous les yeux de toute fa familie, 1'aura préfenré a tous fes parens comme le plus bel enfanr qüelle connüc, pour enfuire 1'aller recommander a une femme de chambre, en faire un laquais, & en dernière analyfe, un garcon menuifier, 1'aller vifiter publiquement dans ces différens endroirs, & ie recommander a vifage découvert a ceux auxquels il étoit fubordonné ! II ne faut point de differration pour faire voir 1'abfurdité de ces faits. Joublot a cru couvrir le ridicule de cette hiftoire, en difant qu'une cerraine femme, nommée le Verr, 1'avoit forcé de prendre le nom de Jacques Joublot. Mais quel nom porroiti! auparavant? Sous quel nom entra-til en qualité de laquais chez le fieur de la Barre ? Voila ce qu'il devroit dire , & prouver juridiquement. Mais il veut qu'on 1'en croie a fa parole ;  $oi _ Mère réclamée, lorfqüil die que, fans qu'on lui donnat de raifon, on 1'a forcé d'abdiquer un nom qui lui afiuroir un état honnête & opulent, pour en prendre un qui le plongeoir dans 1'obfcurité Sc dans la mifère, fans qu'il y ait eu aucune reclamation de fa parr, Sc fans qu'il lui foit même jamais rien échappé qui indiquat I'injufte violence dont il fe plaint aujourd'hui dans les termes les moins mefurés. Mais ce qu'il y a de remarquable ,' ce n'eft que pour entrer chez le maitte menuilier qu'on le fair renoncer a fon nom. Jufqu'a ce moment, fa prérendue mère, non-feulement ne 1'avoit pas perdu de vue, mais lui avoit donné routes les marqués poffibles de rendrelfe; & cependant il en avoit rellemenr perdu le fouvenir, qu'il a fallu, pour qu'il la reconnüt, la lui montrer & lui rappeller comment elle s'appelloit. II 1'avoit oublié , quoiqüelle 1'eüt été voir chez fon menuilier, Sc qu'elle eür recommandé a eer artifan un apprentif qu'elle difoit être fon fils, Sc qui ne porroir ni fon nom, ni celui de fon mari. Les douze payfans qui avoient dépofé en fa faveur, avoient une mémoire  qui n'a jamais accouché. jo| bien plus heureufe que lui j elle tenoic du prodige. Pour établir ce prodige , il faut rappeller le fair dans fa précifion. II réfulte de toute l'hiftoire controuvée par Joublot qu'il eft né a Suzencourr un enfanr a fept mois de mariage de fa mère , qu'il a été nourri pendanr dixhuit mois au village de Bergère, qu'il eft rerourné a Suzencourr, ou il eft refté jufqüa neuf ans, qu'il en eft forti, pour n'y reparoïtte qüa 1'age de trente. Or, il faut fcavoir fi Joublot eft ce même enfant. II ptétend que l'affirrnative eft prouvée par 1'information , les témoins ayant tous dépofé qu'ils 1'avoient reconnu. Mais quand on a perdu de vue un enfant, on ne peut le reconnoitre qu'en deux manières; ou par le fouvenir de fes traits qui fe font gravés dans la mémoire de ceux qui 1'ont fréquenté; ou par l'air & la reflemblance qu'il peut avoir avec fes parens. Le premier motif de reconnoiflance ne peut pas avoir lieu ici. Tout le monde fcait que le changement des traits qüéprouve le vifage humain , eft fi confidérable pendant 1'efpace de temps qui s'écoule entre lage de neuf ans ik ce-  304 Mère réclaméej bi de trente, qu'il eft impoftible d'êtré reconnu de ceux que 1'on a toralemenc perdus de^ vue pendant ce pétiode : on ne peut 1'être que de ceux avec qui 1'on a toujours vécu. Les changemens fe font par des nuances imperceptibles aux yeux des perfonnes qui font pré-* fentes. Mais celles qui n'ont pas été témoins du progrès de ces nuances fucceiliyes, Sc ne voyanr que les deux exttêmités qui les rerminenr, ne peuvent les rapprocher pour les cönfondre ; la différence eft telle que 1'on ne peut y appercevoir aucun rapporr. Cependant les témoins qui ont dépofé en faveur de Joublot, fe fouviennent des traits qu'il avoit a neuf ans , voienc ceux qu'il a a trente, Sc les confondent au point de le reconnokre fubuement 8c- au premier afpeil. . Suppofons ce prodige, donr il n'y a poinr, Sc donr, vu le cours ordinaire de la nature, il ne peut y avoir d'exemple, Joublot n'en fera pas plus avancé. Tous ces témoins, qui ne l'ont pas vu dans le même temps, ne peuvent pas dépofer de la même époque. Les uns ne 1'onr vu que pendant les dixhuit mois qu'il dir avoir été en nourrice a Bergère. Mais ne 1'ayant pas vu  qui n'a jamais accouché. 305 naïtre , 1'accouchement ayant été fecret &c caché , l'enfant ayant été enlevé fortant du fein de fa mète , par trois cavaliers, ces témoins peuvent-ils affurer que c'etf le même individu qui a été porté a Bergère, & qui y a été nourn? S'ils 1'aflürent; ou fi, 1'afiurant, ils ne peuvent pas juftifier aux yeux de la juftice les motifs de leur certitude , leur dépofition ne peut qüêtre incertaine & inutile. Les autres ne peuvenr dépofer que du temps qu'il a été a Suzencourr. Mais comment icavent-ils que c'eft le même qui eft né furrivement dans ce village, qui de-la a été porté a Bergère , & eft: revenu a Suzencourr au bout de dixhuit mois ? Et, en fuppofant que , pour fuivre cette marche, ils fe foient trouvés a point nommé dans la chambre , & au pied du lit düne femme qui vouloit accöucher en fecret -y qu'ils aient marché fur les pas des trois cavaliers ravifteurs; que pendanr dix-huir mois ils n'aienr pas quitté Ia nourrice de vue , pour fcavoir fi elle ne changeoit pas fon nourrifton ; qu'au bout de dixhuit mois, ils foient enfin revenus dans leurs maifons u Suzencourt; que de-la.  Mère rêclamie; ils aient guetté l'enfant, pour s'alTurer de lidentité; il eft enfin échappé a leun vigiiance aflidue, quand il a été agé de neuf ans, 8c n'a reparu fous leurs yeux que vingc ans après. Qu'ils nous difent donc comment, dans un homme de trente ans , ils ont reconnu un enfant de neuf ans. Ce n'eft donc pas aux traits propres & parriculiers de Joublot, que les témoins ont pu le reconnoïtre. Refte la reftemblance avec fes parens. On ne veut pas foutenir qu'il faille avoir né■ceftairement quelque air ou quelque reffemblance avec fes parens, pour afpirer a la légirimité. Ce feroir foumettre 1'état des hommes au hafard. On fcait combien Ia nature varie fes ouvra^es, ■8c fur-rout les trairs 8c les proportions •du vifage humain. II faut néanmoins demeurer d'accord que, dans prefque toutes les families, il y a un cerrain fonds de rraits, cer'tains airs, une cerraine nuance de phyfionomie, ce qu'on appelle en un mor, Vair de familie, qui caraétérifenr les races, (i) Mais comme ces rapports ne (i) . . . . . Facies non omnibus una; J$ec diverfa tarnen , qualem decet effe fororum, Ovid. Metam. lib. a§  gul na jamais accouché. 307 fe rencontrent pas toujours, la juftice ne peut pas- s'en faire un moyen de décifion. Elle peut, tout au plus , iuivant les circonftances, les regarder comme une piéfomption. Mais Joublot qui ne rapporte aucune preuve écrite de la naifiance qu'il reclame ; qui ne la fonde que fur le rapporr de témoins qui ne mentent aucune confiance, qui fe contredifent entte eux, qui rapportent des faits impoffibles, n'a pas même la reffource de cette préfomption. La nature eft muette pour lui; elle n'a imprimé fur fon vifage aucun trair de reftemblance ; elle ne lui a donné ni air, ni maintien, en un mor, aucun rapport avec les fieur & dame Marfault. II ne refte donc a Joublot d'autre titre de fa réclamation, que fa réclamation elle-même. II n'eft pas befoin de prouver qüétant ifolée de toute autre circonftance, & n'étant pas jointe a la plus légère apparence de pofteffion d'état, elle ne peut non-feulement être d'aucun poids , mais qu'elle ne peut être confidérée que comme une impof- ture ti - «Ine . rpttp réclamation , qiU n'eft appuyée 'fur rien, eft combattue  l°l Mèrerédamèe; ltrPar ***** & danstcuTl1 ,3ar0arcrif I«*»ê«f, ba"u par aucun autre afte ■ %i .5» a voulu lattaquer par L& donner a ia vérité Jy eft ' -f" :«n rriomphe plus ér 1,7 con%nee, SS^éeT^^ cès-verhal J~ c"n"gnee dans un pro- coudieraent. Cet afle »i? * . Jamais leur „iiion n'a Dat„ lrP •  qui tr'a jamais accouché. 309' Mais ce n'eft pas fimplemenr la commune renommee qui dépofé de lünion de ces deux époux; il en exifte un monument configné dans un acte authentique, & dtefle dans un temps qui n'étoit pas fufpeét: c'eft le don mutucl qu'ils fe font fair le 30 décembre 1671 , environ quatorze ans avant qu'il eut pafte par la tête de Joublot de faire croire qu'il eft leur fils. On peur dire que eer ade eft comme Ie fceau de la concorde qui a régné entte eux, fans interruption, depuis que Ie lien du mariage les a rafiemblés ; concorde qui n'auroir pas pu fubfifter, fi le cceur du mari eür été uljcéré par la jaloufie. II n'en eft pas de cette paflion com voue-t-elle? pourquoi fait-elle inf&a mer contre lui ? pourquoi le rraite-telle de frippon & d'impofteur ? C'eft ainfi que la faufleté de chacun des Fairs de Joublot eft la fuite de la faufleté dün autre. On peur lui appliquer le mot de Terrullien touchant Pythagore. Ce philofophe, pour établir Jedogme de la métempfycofe, étayoic fon fyftême par des menfonges & des faufletés. Sur quoi Tertullien difoir : commenr puis-je croire que Pythagore ne ment pas , puifqu'il ne ment ou'afin que je le ctoie? Quomodo créUarri non mentiri Pythagoram, qui memitur ut eredam? Si, après avoir fair voir la faufleté des faits fut lefquels Joublot fondoir ia réclamation , on pafte aux moyens de droir, ilsconcourent a la faireprofcrire, A-r-on jamais oui dire que 1'érat des perfonnes & des families put être abandonné a la feule dépofition des témoins ? Si ce genre de preuve, dénué de tout autre, étoit décifif, il ne dépendroit que de la malice de deux hommes de fe rendre maitres des plus illuftres maifons, & den faire pafter les biens ckr Jes honneurs fur la tête de' tels enfans qu'il leur plairoic de choifir. Combien  qui n'a jamais accouché. 5*3 'Combien d'évènemens funeftes n'arxivent pas dans les affaires donr 1 événement dépend uniquement de la preuve teftimoniale? Le jufte y gémit; le métham y triomphe- le pauvre y fouffre-, le riche y jouir en paix de fes dépouilles : & combien de fois n'a-t-on pas vu le juge déchiré entre la vérité qu'il diftingue clairement & la dépofition des témoins qui, armée de la force de la loi, lui arrache un jugement qui fait triomphet le menfonge ? C'eft d'aptès ces craintes que nos légiflareurs, juftemenr aitarmes des momimens que la preuve reftimoniale a confacrés au menfonge dans les faftes de la juftice , n'ont pas voulu abandonner a la dépofition des témoins, la preuve pour aucune fomme qui excède celle de 1 00 liv. (i) Si 1'on a tant pris de précautions pour un objet fi léger, quelle attention ne doit-on pas apporter, lotfqu'il s'agit de fixer 1'état des perfonnes? Aufti rejette-t-on fans reftri&ion toute ptofeflion en religion qui n'eft pas accompagnée des folemnités hga- (1) Ordonnancc de Biois , art. 54. Ordoitnance de 1667, au titre d'.s faits qui g'Jjent en preuve. Tome /,, O  314 Mère réclamée., les pour laquelle on n'offriroit d'au- tre preuve que la dépofition des témoins. Quand un notaire a paffe un contrat, ou quand un particulier a figné un fimple aóte, quoiqu'il foit fufceptible de furprife, de faufleté ou d'altération , il ne peut jamais être attaqué* par la fimple preuve reftimoniale. L'impétuofité du plaideur eft amortie par le plus fimple écrit; a plus forre raifon doit-elle être repouffée, quand il s'agit de donner a un particulier, un rang dans la fociété, öc un droit au nom & a la fortune d'une familie. Une foule de loix romaines concourent a faire rejetter cette forre de preuve dans les queftions d'état. Elles partent de ce principe, qui n'eft que trop confirmé par une fatale expérience, que rien n'eft plus aifé que de trouver des témoins qui fe prêtent a dépofer contre la vérité. (1) (1) Tefiium facilitate, multa veritati contraria perpetrantur. L. 1 ï , Cod. de teflib. Non nudis adfeveraiionibus, nee ementitd profejjione (licèt utrique confentiant) fed matrimonio legitimo concepti , vel adoptione folemni, filii chili jure patri conjlituuntur. Z„_ 14, Cod. de probat. Si tibi controverfia. ingenuitatis fiat, defende caufatn tuam inftrumentis & argumentis qui-  qui n'a jamais accouché. 315" La juftice ne peut donc, dans ces matières, admettre d'autre preuve, que la preuve litrérale ; & fi quelquefois elle prêre attention aux témoins, c'eft quand leurs dépolitions font étayées de ce genre de preuve, qu'elles fervent quelquefois a confirmer & a expliquer. Ces loix & ces raifonnemens font connoitre de plus en plus 1'injuftice ■& 1'abfurdité de la fentence dont eft appel. 11 a admis Joublot a faire la preuve de la paternité qu'il réclame , fans avoir appercu aucune ttace de preuve lirrérale, qui put former le plus léger préjugé. On neïepréfente même nul extrait baptiftaire, de quelque na--, ture qu'il puiflé êtte. A cette pièce fon-! damentale & néceftaire, Joublot fubftitue un menfonge. 11 dit qu'il a été. baptifé dans une paroifte érrangère a. la lienne; & entre toutes celles qu'il' pouvoit choifir, il jette juftemenr les yeux fur une dont il prétend que les; regiftres ont été perdus , après que fon bus potes. Soli eitim tefles ad ingenuitatis probationem non Jufficiunt. L. t, Cod. de itfl;b.^ Probationes qua de filiis d.mtur nor. in fold adfirmacione tejlium confiflunt. L. 19 , ff. de prebat.  yi '6 Mère rèclamèe, père prérendu en a fouftfait fertiele cui ie concerne. Et ce qu'il y a de fingulier, c'eft que le juge a regardé 1'afiertion de Joublot lui-même comme un commencemenr de pteuve fuffifanr pour_ pouvoir nfquer la preuve reftimoniale. ^ II y a plus : il a confié a la foi des témoins la juftifiéatién d'un fait qui eft démenti par un acte authentique; c'eft le brevet d'apprentiffage de Joublor. Cet acte, qu'il a foufcrit lui-même & dont la date eft dün temps qui n'étoir pas fufpeót, eft un titre authentique de Ia filiation de cet impofteur. On n'oppofe aucun écrit, de quelque nature que ce foit, qui puiife en effleurer la fubftance : il eft: même appuyé de la poftefiion trentenaire : il y a rrente ans que 1'impofteur porre le nom de Jacques Joublot; il y a rrente ans qu'il jouit de 1'état de Jacques Joublot; Sc le juge donr eft appel veut détruire un titre & une pofteflion de cette nature par la preuve reftimoniale ! Et quels témoins a-t-il fait entendre? des payfans qui, tout fufpeers qu'ils étoient par eux-mêmes , ont perdu tOïite efpèce dg foi par 1'abfurdité de leurs dépolitions & par les contradieïions refpec-  qui n}a jamais accouché. 317 tlves dans lefquelles ils font tombés. Si des procédures de cette nature étoient autorifées , on ne peut trop le répéter,. il n'eft point de citoyen qui put jouir tranquillement de fon érat, &c qui, a chaque i.nftant, ne fe vit expofé , ou a le perdre, ou a voir interealler dans fa familie des gens qui n'y auroient aucun rapporr. Le 3 janvier i68 E L A MARQUISE DE BRINFILUER. MARIE MARGÜ£RITE d'AüBR ay eroir fille de M. Dreux d'Aubray l.eutenanc-civil an chatelet de Paris!' Wdher, fils de M. Gobelin, préhdenr-en ja chambrf des compres. Ce manage «oir alTorri par la naiflance & par les biens, Le Marquis jouitfoic de 30000 hvres de rente, & fa fem me, qui avoir deux frères & une foeur ui apporra 100000 livres en dor, avec 1 efpcrance de fa porrion hérédiraire , dans la fucceflïon parernelle.. La nature avoit concouru avec la fortune pour pater Ia Marquife de tour feclar exterieur. Sa taille étoit médiocre; mais fon vifage, düne forme ronde& gracieufe, etoit orné de traits ré-  de la M. de Brinvillier. 311 guliers, qui jamais n'étoient altérés par les impreffions incérieures. Si fa beauté lui gagnoit les cceurs; les'charmes de cette férénité qui annoncent une ame bienfaifante, une ame pure & qu'aucun remords n'agite , lui captivoient la confiance de tous ceux qui l'apprc*choienr. Le marquis de Brinvillier étoit meftre de camp du régiment de Normandie. Etant a la guerre, il s'étoit lié d'amir rié avec le fieur Godin , dit de SaiuteCroix, capiraine dans le régiment de Traffi cavalerie. On ignoroir quelle éroir au jufte fa naiffance. On fcavok qu'il étoit otiginaite de Montauban : mais les uns le eroyoienr batatd d'une maifon diftinguée; d'autres difoient qu'il étoit d'une familie honnête : mais tous convenoient qu'il étoit abfolument dénué des biens de la fortune.. Le rble que ce perfonnage a joué dans cette affaire , exige qu'on le faffe connokre. Voici fon portrait, rel qu'il eft tracé dans un des mémoires qui fu> rent imprimés alors. Sa phylionomie étoit heureufe & annoncoir de 1'efpric. 11 faifoit fon plaiiir du plaifir des autres ; il entroit dans un deffein de piété avec autant de joie qu'il acceproit la O 5,  3 2 2, H'ijloire du proces propofirion du crime : délicat fur les injures; fenfible a l'amour, & dans fon amour, jaloux jufqüa la fureur, même des perfonnes fur qui la débauche publique donne des droirs qui ne lui étoient pas inconaqs • d'une prodiga■ lire incroyable \ mais ce guur n'ér.mt foutenu par aucun revenu, ni par le produit d'aucnn emploi, fon ame étoir proftiruée a rous les crimes. Qnelqués •années avant fa mort , ii fe mèloir de dévonon; on prétend même qu'il a fait des livres fur cette matière. 11 parloit divinemenr du Dieu qu'il fervoir filiaal; & a la faveur de ce mafque de piété, qu'il ne lailfoit tomber qu'en la préfence de fes arms , i' paroilfoic avoir part aux bonnes actions, & il étoir complice de rous les crimes. Le marquis de Brinvillier éroir riche &C forr adonné aux plaifirs. Ces deux qualités éroienr deux pufflaris artraics pour Sainre-Croix. II s'infinja dms les bonnes graces du Marquis qui, au retour de fes campagnes, l'mrro luifir dans fa maifon. 11 n'y fut d'abord que furie pied d'ami du man; mais bientór il devint 1'amanr de la femme, & il ne tarda pas a infpirer les fentimeös qu'il éprouvoir.  de la M, de■ Brinvillier."^ Ia diilïpa-ion du Marquis ne iui permettoir pas de veil Ier fur les démarches de fa femme, & ne IanToft place & aucune inquiécude fur fa conduite; enforte que les deux amans ne truuvoient aucun oblfacle a leur union. Les affaires du Marquis fe dérangèrenc enfin tellement, que fa femme parvint a obtenir fa féparation. Elle en prit prétexte pour fe fouftraire abfolumenc a 1'autorité maritale; elle ne garda plus de mefures. L'éclat de fon commerce avecSainteGroix , quelque fcandalenx qu'il fur, ne fit aucune imprefiion fur le Marquis. Cette infenfibihté du mari détermina M. d'Aubray a faire ufage de 1'autorité parernelle; il obrinr une lettre de cachet qui 1'autotifoit a faire arrèter SainreCroix; ce qui fur exécuté un jour qu'il étoit en carroffe avec la Marquife; il fut conduic a la b iftille , oü il fut dérenu pendanr un an. L'abfence, loin de ralentir la paffion de Ia Marquife, n'avoit fair que 1'irrirer; & la contrainte qu'elle crut devoir s'impofer , pour prévenir une ieconde privarion , lui fcrvoir encore d'alimens. El'e feut fi bien en impofer par 1'adreffe de fes démarches, & par r 06  jz4 Hiftoire du proces 1'art qu'elle polTédoit fupérieuremenr de compofer fon extérieur a fon aré qüelle renrra dans les bonnes graces de fon père, qui lui rendit même fa confiance. Sainte-Croix profira du pouvoir que lamour lui donnoir fur fa maureifë, pour en faire un monftre compofé de tous les crimes. La marquife de Brinvillier devint, a 1'école de ce fcélérat, lhorreur Sc le fléau du genre humain. 11 refolut d'affouvir fa vengeance fur toute ja familie d'Aubray j& d'en faire en même - temps paffer tous les biens fur Ia rête de la Marquife > pour les diffiper tranquillemenr avec elle, dans le fafre Sc dans la débauche. Pendant fa capriviré, il avoir fait connoiffance avec un cerrain Exili, Iraben de nation. II lui raconta fon hiftoire. Exili 1'excita a Ia vengeance, Sc Un apprit les moyens d'y parvenir im> punemenr. Les Italiens font le reproche aux •Francois d'avoir de la bonne foi jufques dans leurs crimes, Sc, qu'ils font aiiez fimples pour s'envelopper eux^ memes ^ns \em propre vengeance> L eclat avec Jequel ils font périr leurs eunemis,, leur attire une mon plus  de la M. de Brinvillier. 3 itf cruelle que celle qu'ils font éptouvet, & qui traïne avec elle 1'horreur & Unfamie des fupplices. La haine des Italiens eft plus intelIiaente , & leur vengeance plus mctnc-. dfque. Ils font parvenus a compo er des poifons fi fubtils & tellement deguifefs , qüils trompenr les yeux & l art des médecins. Les uns fonr lents & con fumenr par des langueurs mortelles,; les autres fonr prompts & vlols"s ' mais les uns & les autres ne laiflent aucune tracé qui décele le ravage qu ils ont fait; ou s'il en paroit quelques hgnes, ils fonr fi équivoques, qu'on peut les imputet aux maladies les plus communes. Enforte que les médecins, meertains fur la caufe des fymptomes quils appercoivent dans leurs opérations anatomiques, les attribuent aux mauvaifes difpofitions du malade, ou a quelque accident dont ils ne. manquent jamais au befoin; ou enfin a 1'mtemperie de Pair. Ainfi 1'arr met toujours les crimes des hommes fur le. compte de la nature. . , Sainte-Croix faifix avidement I occafion de s'armer d'une vengeance aflurée , & qui , loin de 1'expofer a aucna danser , portoit avec elle.la récompenle:  3 >-6 H:fïoire du proces du crime , en faifarrt paffk des richefles immenfes en des mams dans tófduèl'e's « pourroit pmfer a ("on gré. ■ il eut le temps, avant d'obrenir fa t*erte- de s'inftrjuire a fond de cette infernale ptórmaciel Le loifir donc |omWent ces deux prifonniers ■ pnab.l -te du maitre, le zèle du difaple echauffe par Pardeur de Pamour & de ia vengeance par- Pefpo.r -allure de, plufieurs fucccfliohs optden tes, totte voni cou ur a lm faire faire des pr-ogrés t*> pides dans cet art abominable.° Le premier objer qu'il voua k fa fureur ,fur M. d'Aubray, père de la Marquife. C etoit un cenfeur févère 8c incommode k leurs plaifirs : c'eft lui qut les avoir troublés, dans Ie remps que le mari lui-même ne les voyoir pas, ou les voyoir de fang f.oid. Ce n etoit pas aflez- pour ce monftre d'óter la vle k ce magiftrar refpecfable; Jl voulur encore, par un raffinement de cruaute & de fcélératefte, que Ü coup parrïr de y propre majh de fa r c\a a e ? 1ue rien n'arrêroi'r dansles bardtis, quine refpectoit, ni les löix de Pequité , ni les mceurs, n'a pas ole le permerrre d'imaginer un crime fcexecrabie. Si Médée vieac iboui de  de la Af. de Brinvillier. U7 faire affaffiner Péfias par fes propres filles, c'eft après leur avoir perfuadé qüelle le rajeuniroit, en fubfhtuant au fang ufé qu'elles alloient répandre , un fang frais & nouveau , qui rendroit au vieillard toure la vigueur de.i'adolefcence, & le reporteroic a 1'enuée de la carrière qu'd étoir fur le point de rerminer. Ainfi, comme dit Ovide, ce fur la piété qui les arma éontre la vie de leur père, & elles ne eommetroienr ce crime, que pour ne pas are criminelles. Ce mout ne fut cependant pas capable de leur deguifer 1'horreur de leur a&ion j elles détournoient la tête en frappmr. < 1) Mais 1'abominabie Sainre-Croix trouve une femme encore plus abominable que lui. Blle fe charge de la fmction de bourreau de fon propre père, fans autre motif, que de lui arr.icher la vie , paree que cette vie eft un obf- (i) Hts , ut queeque pia eft, hortatibus impia. prima ift : Et, ne fit jeeUr.ua, facit fcelus. H-iud tarnen icius Vila fitos fpedare potefl; oculojque tefiec- tunt, ' w . Cacaqut dant fecvis aver'a vutnera dextris. Maam.L. VII, v. 33?'  5-2:8 Hiftoire daWprocès tacle aux défordres dans lefquels elle veut conrinuer de fe plonger. M. d'Aubray, pour fe déïalfer des travaux penibles & affidus attachés è ia charge, fe retire i fa maifon d'Ofremonc, pour s'y ménager quelqües jours de loifir. Revenu fur le compre de fa fille & trompé par h dfa niulation fous laquelle elle cache fes nabitudes criminelles , il M rend toute fa rendrelfe. Elle devient pour im une compagne néceftaire dans fa retraite; il luiconfieles foins qüexioe un age avancé, & veuc partager avec elle les amufemens & les p!aifirs de ce Ueu de repos; & c'eft dans eer afyle meme, au milieu de ces effufions d'amir,e & de confiance, que la marquife de Brinvillier verfe-la morr dans le fein de Ion propre père. Elle ne veut pas que d'autres qu'elle fe chargenr du détail de ces petites précaunons que 1'on emploie pour 1'entretien dune fanté précieufe. Qui peut rmeux quüne fille rendre, veiller a lexecut.on de ces officieufes minuties > Eileprefidoir a la confection des bouillons que 1'on faifoir pour fon père, &les lui admmiftroirelle-même. Lo^n que Ie crime qu'elle méditoit imprt-  de la M. de Br'rnvillier. 319 mat fur fes traits & fur fes démarches! la plus légere altération , elle ne paroilfoit que plus emprelTée & plus attenrive pour la confervation de la victime fur qui elle tenoit le couteau levé. Enfin . aptès avoir capté une confiance entière , elle empoifonne un bouillon, le préfente, le fait avaler elle-mème i fon père, voit couler Ia mort dans les enttailles paternelles fans s'émouvoir , & fans perdre 1'exrérieur d'une fille rendre, düne fille inquiete de la plus petire indilpuficion dont ce pète peut être atceint. Cette mégère fut fetvie a fouhait ; les empreinres du poifon fe firent promptement fentir : le lieutenant - civil éprouva des vomifiemens extraordinaire*, des maux d'efiomac infupportables & une chaleur qui lui bruloit les entrailles. Sa fiile, fous prétexte de lui adminiftrer des foulagemens & des remèdes, ne le perdoir pas un inftant de vue, contemploit dün ceil curieux les effets du poifon , faifoit des vceux peur accélérer la mort de fon père •, fi elle avoit quelque inquiétude , ce n'étoit que celle qui lui étoit infpirée par la crainte que le tempérament üe fut  33° Hiftoire du proces plus fort que le venin • & ces execfcu bles fentimens étoienr mafqués par les apparences düne douleur naïve. Le malade revinr a Paris, oü il lüccomPa, en peu de jours, fous les efforts du poifon. Les grands crimes , & fur-rout ceux de la nature de celui-ci, loin de fe foupgonner, nes'imaginent même pas. On fut bien éloigné de pénétter la caufe de la mort de ce père inforruné; on ne fongea pas a la chercher dans fes entradles. On plaignir fes enfans de Ia perte qu'ds avoient faite; & Li belle affligee fut celle qui eut le plus de conlolaceurs. La douleur feinte dont elle couvroic fa joie, parut auffi fincère & plus vive que celle de fes frères & de la foeur. Mais ce monftre alloit fe repöfer des farigues de la conrrainte dans les bras de fon complice, & difpofoic avec hu des dépouilles de fon père qu'elle venoir d'alTaffiner de fa pronte Certe mnlhpnrpnfo c'if^.v „m...' a.. ~ - ouwi Aiiuice uu iucces de fon parricide par des eflais reitérés. Les animaux ne fuffifoienr pas a fa rage; comme c etoit a Ia vie des hommes qu'elle en vouloit, c etoit fur des fujecs humains qu'elle s'exercoicj  de la M. de Brinvillier. 331 elle craignoit que les différences anatomiques ne milfent fes expériences en défaur. Elle donnoir aux pauvres des bifcuitsempoifonnés, alloit elle-mème les diltribuer a 1'hótel-dieu , & s'informoit foigneufement, mais fans fe compromettte, de l'effet qu'ils produifoienr. Mais, ne pouvr.nt pas êtte témoin oculaire des progrès & des fymptomes du venin , elle en fit 1'expénence fut Erancoife Rouffel, fa femme de chambre. Cette pauvre fille recut de fa maitreffe , a titre de régal, des grofeilles & une tranche de jambon. Elle en tut très-incommodée , mais elle.n'en mourut pas. Ce fur une lecon pour SainteCroix de reccifier un poifon qui man«uoit fon coup. , Voici ce que dit, de ces eflais , madame de Sévigné, dans fa 19^ lettre : „ la Bi invillier empoifonnoit des tourtes » de pigeonnaux, dont plufieurs mouM roient qu'elle n'avoit pas defTein de o> tuer. Le Clievalier du Guet avoit éte » de ces jolis repas, & s'en meurt de» puis deux ou ttois ans. Elle demanr„da, quand elle fut en prifon , s'il „ éroit mort : on lui dit que non. 11 „ a la vie bien dure , dit-elle. M. de „ k Rochefoucaulc dit que eek eft vrai.  33^ Hiftoire du proces La fucceflïon du lieu tenant-civil rve fut pas auffi avantageufédfon abominab e fille , quelle 1'avoit efpéré. La medleure partie de ces biens échut d M dAubray, qui fficcéda i la charge de Ion pere, & d un autre frère qu'elle avoir, confeiller au parlemenr. C etoit de nouveaux. crimes qu'il falloit commettre, pour faire romber deux têtes qui interceproient des biens qui faifoient Ie principal objet de 1'ambition de Sainte-Croix. & de fa maitreffie. Les deux magrftrars furenr punis de mort du droir de préciput que les loix 8c les acres de la familie donnoient d leur iexe dans la fucccffion paternelle. II fiiffifoit aux vues de Sainte-Croix que fa complice eut commis elle-mème le parricide qu'il avoit confié d fa main. Ce crime 1'affiiroit de la difcrétion de ia furie & de fon aveu pour rous les forfaits qu'il jugeroir par la fuite nécefiaires d leurs intéréts communs. U ie chargea de 1'exécution de ce qui reftoic d faire. H avoir deux fcélérats d fa dévorion,: 1 un etoit un hommé Martin , qui étoit du meme pays que lui, & auquel il avoit donne, dans fa maifon, la quaLte d'homme d'affaires. C'étoit fur lui  de la M. de Brinvillier. 333 qu'il ferepofoit de l'exécution des coups les plus hardis , & du fuccès des crimes les plus difficiles. U étoit bien digne du choix de fon maïcre. Sa principale occupation étoir de fe mêler de fauffe monnoie, & de confommer dans une débauche exceflive le temps que fes emplois lailToient a fa difpofition. L'autre agent de Sainte Croix éroit un coquin nommé la Chaulfée, qui avoir été fon laquais, & dans qui il avoit trouvé toutes les difpofitions néceflaires pout mériter fa confiance. La Marquife le fit enrrer au fervice de fon frère , le confeiller, qui demeuroir avec le lieutenant - civil, & eut grand foin de leur cacher qu'il avoir fervi Sainte Croixils ignoroient même que leur fceur eut encore aucune forre de liatföh avec lui. Ceux qui mertoient la Chaulfée en oeuvre, lui promirent cent piftoles de récompenfe , s'il réulfiftoit a faire mourir le lieutenant - civil, qu'ils avoient conjuré d'arraquer le premier, avec affurance de prendre foin de lui pendant le refte de fa vie. Le defir d'exécurer promprement 8c furement la commifiion dont il éroit chargé, lui fit manquer fon coup la  3 34- Hiftoire du proces '., première fois. Il préfenta au lieutenant» civil un verre d'eau & de vin empo& fonné. Mais la dofe étoit trop forre, & a peine le magiftrat y eut-il touché des lèvres, qu'il s'écria : Ah ! miférable que mas-tu donné? je crois que tu veux m'empoifonner. II le préfenra i fon Secrétaire, qui, après en avoir effayé dans une cuillière, dit qu'il avoit fenti de famerrume, & une odeur de vitriol. La Chaulfée ne perdir point contenance; & fans laifTer échapper aucun figne de la furprife qui déconcerte ordinairement un coupable pris en flagranr délir, il fe faiüt prompteinent duvafe, renverfa la liqueur, Sc s'excufa en difant que le valet de chambre du confeiller avoit pris une médacine dans ce verre, ce qui donnoir ce mauvais gout. II en fur quitte pour, une réprimande fur fa négligence • Sc 1'on ne foupconna rien de plus. Cet incident qui avoit penfé tout découvrir, ne fit pas abandonner le pro-, jet; mais on prit de plus juftes mefures pour le^faire réuffir, fauf a faire pénr du même coup nombre de perfonnes auxquelles on n'avoir aucun fujet den vouloir. Au commencemenf d'Avril 1670, Ia  de la M. de Brinvillier. 3 3 5. lieutenant-civil alla pafler les fêtes de paques a fa terre de Villequoy en Beauffe : le confeiller an parlemenr fut de la partie , & fe fic fuivte par la Chauffée. On fervir, a un dïné, une toutte de béatilles. Sept perfonnes qui en mangèrent, en furent très-malades; 5e ceux qui s'en étoient abftenus , ne reftentirent aucune incommodité. Le lieutenant - civil & le confeiller étoient des premiers, & furenr artaqués de vomiflèmens conlidérables. Ils tevinrent le 12 Avril a Paris , ayanr rous les deux l'air de perfonnes qui avoient éprouvé une maladie longue & violente. Sainte-Croix failïr cette circonftance pour s'afliirer le fruir de fes crimes. 11 fe fit faire par la Marquife deux promeffes; 1'unede 50000 livres fous fon nom, & l'autre, de 15000 liv. fous celui de Martin. C'eft a ce prix qüelle s'acquitta de la mort de fes deux frères. Le lieutenant-civil alla toujours en empirant : il avoit une averfion décidée pour toutes les viandes qu'on lui préfentoit , & les vomiflèmens ne ceflbient pas. Les trois derniers jours de fa vie , il fut dévoré d'un feu violenc dans 1'eftomac, qui confuma toute fa  3'3 6 Hiftoire du proces fubftance. 11 expira enfin Ie i7 jü[a 1670. On 1'otivrit; oh lui trouva 1'eftomac & le boyau duodenum noirs Sc s'en allant par morceaux , comme s'ils euffent éré mis fur un grand feu, & le foie gangréné 8c ferulé. On fur bien convaincu qu'il avoir été empoifonné. JMais fur qui faire romber les foupcons ? rien ne pouvoit alors les diriger. La Marquife avoit pris la précaution de fe rerirer a fa campagne, pendant ces cataftrophes. Sainte-Croix lui écrivir la morr du lieiuenanr civil, 8c ajouta que lamaladie du confeiller annoncoit qu'il fuivroir bientöc fon frère. Le confeiller fur malade trois mois, eut les mêmes fymptomes que le lieutenant-civil. II fouffroit des agirations d'efprir & de corps donr la violence étoit extréme & fans relaclie. II ne trouvoir aucune fituation commode : le lit étoit pour lui une efpècede fupplice; 8c dès qu'il Tavoir quitté , il le redemandoit pour appaifer fes douleurs. On louvrir, & on lui trouva 1'eftomac 8c le foie dans Ie même état que ceux de fon frère. II avoir li peu foupconné Ia Chaulfée d'être 1'auteur de fa morr, qu'il  de la M. de Brinvillier. 337" qu'il lui iït un legs de 3.00 livres qui fur>délivré. Ces trois morts ne fuffifoienr nas poar raflafier le goüt de la Marquife, .pour les fuccellions. Elle avoit une fceur qui lui enlevoit la moitié des fucceffions qu'elle conquéroit par le poifon. Elle 1'attaqua plufieurs fois avec les mêmes armes. Mais 1'exemple de trois morts cruelles & confécutives dans fa familie lui donnèrent des foupcons qui la firenr fe tenir fur fes gardes; Sc fes précaurions la préfervèrent. Quant au mati de cette furie , voici ce qu'en dir madame deScvigné, dans fa lertre ijo : » madame de Brinvil» lier vouloit époufer Sainre-Croix, » & empoifonnoit fouvent fon mari » a cetteintention. Sainte-Croix, pour» fuir-elle, qui ne vouloit point avoir » nne femme auffi méchante que lui, »> donnoit du contre-poifon a ce pau» vre mari; de forte qüayant été ba» lotté de cette forte, tantót empoi» fonné , tantót défempoifonné, il eft » demeuré en vie. Le bruir de routes ces morts Sc de leuts citconftances répandu dans le public , perfuada tout le monde que le Totne l, P  338 Hiftoire du proces père & les deux fils avoient été empoiionnés ; mais on n'avoit que des foupcons vagues fur les auteurs du crime. On éroir bien éloigné de penfer que Sainte -Croix put y avoir parr. Un croyoit qu'il avoit, depuis long-temps, rompu tout commerce avec la dame de Brinvillier; dans quelle vue auroitil mis la mott dans cette familie? La Chaulfée même, en apptenant 1'art de commettre fes crimes, avoir aufii appris celui de les diflïmuler fi bien, que 1 on ne s aviia meme pas de longer a lui. Voici comment enfin cette trame infernale fut découvette. Quoique Sainte-Croix eut extetminé tous ceux de la familie d'Aubray qui ne s'étoient pas ptéfervés de fes coups, il ne voulur pas celfer de culriver un art qui le conduifoit fi commodément a bout de fes delfeins* Les poifons qu'il travailloit étoient fi fubtils, qu'il fe feroit tué lui-même par la fimple refpirarion, s'il n'en eut intercepté les exhalaifons par un mafque de verre. Un jour ce mafque tomba, 8c il périt fur le champ. Morr beaucoup trop douce pour ce montere qui 1'avoit donnée par les douleurs les plus longues 8c  de la M. de Brinvillier. 339 les plus aiguës, a tant de citoyens miles. On ne lui connoidoit aucuns parens, Ik le domaine fit appofer lefcellé fur fes effets. Lors de 1'inventaire, on trouva une cafifette que 1'on ouvrir. Le premier objec qui fe préfenta fut un écrit, dont voici la copie : Je fupplie tres-humblement ceux ou celles entre les mains de qui tombera cette caffette , de me faire la grace de vouloir la rendre en main propre a ma dame la marquife de Brinvillier, demeurant rue neuve S. Paul; attcndu que tout ce quelle contient la regarde & appartient a elle feule ; & que d'ailleurs il ny a rien d'aucune utilitè a perfonne du monde , fon intérêt a part. Et en cas quelle fut plutót morte que moi, de la bruler, & tout ce qu'il y a dedans, fans rien ouvrir ni innover. Et afin qu'on n'en prétende caufe d'ignorance, je jure fur le Dieu que j'adore, & tout ce qu'ily a de plus facré, qu'on nimpofe rien qui ne foit véritable. Et fi d'aventure 1'on contrevient a mes intentions, toutes jufies & raifonnables en ce chef, j'en charge en ce monde & en l'autre, leur confcience, pour la décharge de la mienne, protefiant que c'eft P 1  34° Hiftoire du procés ma demi ere volonté. Fait a Paris ce z 5 mai après midi i6yz. Signé de Sainte-Croix. Et au-delfous étoit écrit: paquet adrejfé a M. Penautier qu'il faut rendre. Voici la defctiption de ce dépot mis fous la fauve-garde de Dieu & de touc ce qu'il y a de plus facré. S'eft trouvé un paquet cachetéde huit cacheis marqués de dijférentes armes , fur lefquels eft écrit: papiers pour être brulés en cas de mort , n étant d'aucune conféquence a perfonne. Je fupplie trèshumblement ceux entre les mains de qui ils tomberontj de les bruler; fen charge même leur confcience; & le tout fans ouvrir le paquet. Dans ce paquet il s'en eft trouvé deux autres ou il y avoit du Jublimé. Item. Un autre paquet cacheté de fix cachets de différent es armes, fur lequel étoit pareille infcription, dans lequel s'eft trouvé d'autre fublimé du poids d'une demi-livre. Item. Un autre paquet cacheté di fix cachets de plufieurs armes 3 fur lequel étoit pareille infcription, dans lequel fe font trouvés trois paquets ; dans 1'un, une demi-once de fublimé, deux" dans l'autre, & un quarteron de vitriol  de la M. de Brinvillier. 341 romain : dans le troifième, du vitriol Ollciné préparé. Dans la cajfette a été trouvé une grande fiole quarrée, d'une chopine dé eau claire ; laquelle obfervée par M. Moreau, médecin, a dit n'en pouvoir dire la qualité}jufqud ce que l'épreuveen ait été faite. Item. Une autre fiole d'un demi-feptier d'eau claire, & au fond de laquelle ilya. unfédiment blanchatre. M. Moreau en a dit la même chofe que de la précédente. Un petit pot de faiance, dans lequel étoient deux ou trois gros dé opium préparé. Item. Un papier plié, dans lequel il y avoit deux drachmes de fublimé corrofif en poudre. Plus , une petite boite, dans laquelle s'efi trouvé une manier e de pierre >appellée pierre infernale. Plus, un papier dans lequel étoit une once d'opium. Plus, un morceau de régule d'antimoine , pefant trois onces. Plus, un paquet de poudre , fur l'enveloppe duquel eft écrit : pour arrèrer la perre du fang des femmes. Le fieur Moreau a dit que c étoit la fleur de co-in} &. le bouton du coin féché. P3  34* Hiftoire du procés Item. A été trouvé un paquet cacheté de fix cachets, fur lequel efl écrit pareilles infcriptions que deffus, dans lequel s'eft trouvé vingt - fept morceaux de papier, fur chacun defquels eft écrit : plufietus fecrets curieux. Item. Un autre paquet contenant encore fix paquets, fur lequel eft écrit pareille infcription que deffus, dans lequel s'eft trouvéfoixante-quinie livres de fublimé, adreffé a divers particuliers. Voicile rapport dun des médecins, au fujer des eftets trouvés dans ce dépór infernal. Ce poifon artificieux fe dérobe aux recherches qu'on en veut faire, llefi fi déguifé, qu'on ne peut le reconnoitre3 fi fubtil, qu'il trompe 1'art & la capacité des médecins. Sur ce poifon, les expériences font fauffes , les régies fiautives , les aphorifmes t idicules. Les expériences les plus fures & les plus communes fe font par les élémens, ou fur les animaux. Dans l'eau, la pefanteur du poifon le jet te au fond; elle eft fupérieure ; il obéit; il je prècipite & prend le deffous. L'épreuve du feu n'eft pas moins [ure : il évapore, il diffipe, il confume se  de la M. de Brinvillier. 343 „•a y a dinnocent & d'irnpur ; tl ne TJJadune matière «ere ï P^ante, Jfelle réfifie a fin ks Les effets que le poifon fait Ju les Jmaux (on\ encore plus fenfibles. 11 nes ou U fe diftribue, & vme wut ce Vranrer & violent, toutes les entraüles Le poifon de Sainte-Cr*** paf pa, tltescesépreuves; *d furmonte Ppart & la capacué des medeans; tij ioue de toutes les expériences. Ce poifon nage fur l eau, ü fJfr de fait obêir cet élement. II Je J*uJj matière douce cy innocente. ~ ;/ r* cache avec tant d art & ammaux y tl Je cacne uvc d'adreffe, qu'on ne peut le ^moure Toutes lesparties de l'anima Jont failTs tvJntes. Dans le même temp qu'il y fait couler une fource de mort Te poifon ^ificieux y latjft l image iy les marqués de la vie. On afait toutes fortes d'epreuves : laPremière,en verfant f^sTdars d'une liqueur de l'une desfioles dedans Vlile de tartre 6- dans Vcau marin, 11 ne s'efl rien préciphé au fond des vaij feauxdans lefquels la liqueur aete verjet.  3j44 Hiftoire dit proces La feconde expérïence s'efi faite en feaufablé. On na trouvé fur le fabli aucune matière acre a la langui d>Ind,tr°iflème éPnuve>f«r un poulet « inde , un ptgeon a un chien , le fouels le lendemam étant ouverts, on n'a rien trtl q7np£U d£fanZ CaUléa«* ven. triades du cceur. dott^épre'V d'une poudre blanche donnee a un chat dans une freffure de niouton Le chat vomit pendant demiheure Le lendemain on le trouva mort- Zr/T!,* V°n m trmv* ^cune P/n aU& devoir faire; ayant cru que cétcitune chofe facrée, comme  de ld M. de Brinvillier. f& les autres,. la confejfwn fut brulée. De ce que deffus, tl en rendit compte a meffieurs de la cour, lorfqudfut mandé; & 'que s'il eut eu le moindre foupcon contre la vie & la conduite de SainteCroix , ou que la confeffwn eut eté cachetée, cela ne fe feroit pas fait.^ Depuis la caffette a été ouverte, ou Ion découvrit la vie de Sainte-Croix. La Marquife appric en même-temps la morr de Sainte-Croix & 1'appofuion des fcellés fur fes cffets. L'allarme que lui caufa ce fcellé, ne lailfa point de place aux regrets fur la perte de fon amant. La fatale caffette fut 1'unique objet de fes foins. D'ailleurs ou va Ure , dans un moment, la preuve que lamour n'unifToit plus ces deux aborntnables perfonnages. 11 eft bien difticile que cette palfion foit de longue duree entre deux monftres qui fe mepnfent perfonnellement & réciproquement, & dont cbacun crainr que l'autre ne le fafte péi ir, pour s'afturer du fecret des «rirnes dont ils font complices. Pierre Frarer, Clerc du commillaire Picard, dépofa dans 1'information que la dame de Brinvillier vint che^ fon maltre, a dix heures du foir, demander a lui parler: a quoi ayant réponduque 1? G'  34-8 Hiftoire dit proces fon maltre étoit couché, elle lui dit dè lui aller dire quelle.demandoit une caffette qui lui appartenoit,.& la vouloit avoir fans etre ouverte : le commiffaire lui ayant fait dire qu'il dormoit3 ladite dame lui dit qu'elle enverroit, le lendemain, un homme la querir. a CnlueC '.Mrergenc> déP°k Ia dame de Bxinvdher avoit dit que fon frère laine ne valoit rien; que fi elle avoit voulu, elle l'auroit fait affaffmer par deuxgentilshommes fur le chemin d'Orleans, lorfqu'ily étoit intendant; qu'elle menageou Sainte-Croix pour avoir fa cajjette, & qu'dle, avoit dit qu'elle auroit donné cinquante louis pour la ravoir apresda mort de Sainte-Croix ; qu'elle ne voudroit pas que 1'on vlfice qui étoit dedans ; que c'étoit une chofe de conféquence qui la regardait; qu'elle rougk quand tl lui dit que le commiffaire Picard avoit dit qu'il y avoit trouvé d'étranges- chofes, & au'elle . changea de djfcours; qu'il eut la hardieffe 'de lui demander fi elle n'étoit pas complice des empoifonnemens .dont.on foupconnoit Sainte-Croix. Elle répondit?fort smbarraffie: pourquoi moi lElle ajouta dans le même embarras, fans faire at■temwn a ce qu'elle difoit-, qud.^avok  de la M. de Brinvillier, .3-49 tong-temps quelle perfécutoit SainteCroix pour avoir cette caffette ; & que, fi elle Veut eue, elle Vauroit fait égorger. Enfin, affurée que Ia caffette qu'elle réclamoit, ne lui feroit point rendue, puifqüelle étoit fous la main de la juftice , avec les papiets qui la concernoient, ou faifoient mention d'elle., elle fe déterminaa fe mertte eniiireté par la fuite. Elle fortit, pendant la nuit, de Picpus , oü elle logeoit, & fe refugia a Liège. Elle chargea , avanr fon départ, un procureur de comparoitre pour elle au fcellé. Voici l'aébe qu'il fit inférer dans le procés-verbal: Efi comparu Alexandre la Mare, procureur de dame Marie-Marguerite d'Aubray, marquife de Brinvillier, lequel a dit que,fi dans une caffette, il fe trouve unepromeffefignée de la marquife UeBrinvillier de la fomme de 30000 livres, c'eft une promeffe qu'on lui a furprife, & contre laquelle elle prétend fe pourvoir, pour ld faire dèclarer nulle,, Toutes ces circonftances réunies prcuvoient fuffifamment lescrimes de Sainte-Croix, & faifoient naitre de juftes foupcons fur la compliciré de la Marquife , qui ne fuffifoientpas pour lacoiv  35° Hiftoire ctu procés vamcre. Mais fimpudence de iaChaufr tou;n£,4 la juftice des connoiflances iafhfanres pour exercer fa vengeance. Ii hr oppoficion au fcellé, fous pretexre qu'il avoir fervi le défunr pendant lept ans; qu'd lui avoit donné en garde deux eens piftoles & cent écus Wancs qui devoient être dans un fac oe toile, derrière la fenêtre dn cabinetavec une reconnoilfance qui mfnfioir que cette fomme lui apparte«oitj un tranfport düne fomme de Ia°JIV?S' W'1 lui étüir düie Par M. dAubray, confeiller; ce tranfport fait au profit de la Setre, & trois quirrances de fon maüte d'apprentilfage de cent hvres chacune , lefquelles fon> mes & papiers il réclamoir. Ce détail, qui fe trouva vrai, annoncoir que la Chauffée connoilfoit le local d'un cabinet dont il eft d préiumer que Sainte Croix ne permertoit 1 entree qu'd fes inrimes & d fes condens Or il éroit impoffible d'ètre dans la confidence intime d'un tel homme fans être fon complice. Sa démarche fixa d'abord les foupcons fur lui. VfS /™P9°«« acquirenr un nouveau degre de force par le rrouble qu'il fir paroitre, quand il fut inftruk des dé-  de la M. de Brinvillier. 3 5 r couyeries qu'on avoit faites au fcellé. La dame Mangot de Vdlarceau crut avoir alfez d'indices pour rendre plainte contre lui, pour raifon de 1'empoifonnement du fieur d'Aubray , fils Sc lieutenant-civil , fon mari. 11 fut décrété de ptilè de corps; & lorfqüon 1'ariêta, on trouva du poifon fur lui. Enrre une foule de rémoins qui compofètent 1'information , Laurent Perrette, garcon apothicaire chezGlazer, dépofe qu'il a vu fouvenr une dame venir chez fonmairre, menée par Sainte-Croix •, que le laquais lui. dit : c'efl la dame de Brinvillier; fi: parierois ma tite, que c'eft du poifon qu'ils vitnnent faire compofer a Gh^er. Toutes les fois qu'ils y alloienr, ils laifloient leur carrolfe dans un lieu écarté. Aimée Huer , fille d'un apothicaire,. qui alloit fouvent Sc librement dans la maifon de la dame de Brinvillier, dépofa qu'un jour que cette Marquife étoit ivre, elle fe retira dans fa chambre, pour cuver fon vin; qu'elle dépofante s'y trouva dans ce moment, Sc que la dame de Brinvillier eut 1'imprudence de lui montrer une boire qu'elle tira de fa calferte, Sc lui die ■qüelle avoit la dedans de quoi fe ven*  35 2 Hiftoire du procés ger de fes ennemis, & cju'il .y avoir aufii bien des fucceflïons. La demoifelle Huet reconnut que c etoit du fublimé en poudre Sc en pare. Au bout de fept ou huit heures, lorfque les fumées du vin furent évaporées,& Ia raifon de Ia Marquife raffermie, la dépofante lui rappella la confidence qu'elle lui avoir faite. J'ai parlé en Vair, dit-elle. Cependant elle lui recommanda le fecret le plus inviolable. Mais elle. gardoir toujours cette caffette avec beaucoup de foin, Sc pria cette fille de la jetter au feu fi elle venoir i mourir. II lui échappoir de dire, ajoute ce témoin, lorfqu'elle avoit quelque chagrin, qu'elle s'empoifonneroir; Sc lorfqu'elle étoit irritée contre quelqu'un ; ily a, difoitelle, des moyens de fe défaire des gens., lorfquüs déplaifenty.on leur donne uri , coup de piflolei dans un bouillon. Aimée Huet ajouta qu'elle avoir four venr yu la Chaufice avec la dame de Brinvillier, qui caufoir familièremenr avec elle; Sc qu'elle difoir : ceft, un bon garcon, il ma rendu de-bons fervices : Sc elle le carelfoir. La demoifelle VilJeray, a rémoigné qüelle avoit vu la Chaulfée en grande familiarité avec la dame.de Brinvillier 5 .  de la M. de Brinvillier. qüelle les avoic vus feuls, depuis la more du lieutenant-civil; ; que deux jours après la mort du confeiller , elle le fit cacher dans la ruelle de fon lir, lorfque Coufté, fecrétaire de ce magiftrat, vint la voir. La Chauflee convint de ce fait dans fon fecond interrogatoire ,oü il dit, qu'il a porté me lettre a la dame de Brinvillier de la part du. fieur de Sainte-Croix3 unjour après la mort de M, Aulray3 fon mair tre ; & qu étant che% elle, elle le fit cacher, lorfque le fieur Coufté fiurvint, Cluet, a la dépofition que- 1'on a vue il y a un moment, ajotite qu'avant 1'empoifonnement des deux meffieurs d' Aubray , fils, il ditun jour a la dame de Brinvillier que, fi le lieutenant-civil fcavoit que la Chaulfée eut fervi Sainte-Croix, il Ie renverrom Bon dieu ! s 'écria-t-elle, ne le ditespas k mes frères3 car ils lui danneroient des coups de baton; il vaut mieux qu'il gagne quelque chofe. qu'un. autre. Des témoins rapportoient quequand , pendant la maladie de fon maïtre, on lui en demandoit des nouvelles j. il languit bien3 difoit-il, en lui donnanx une épithète gtofiière &. pleine.de mépris ; il nous fait bien- de la peine; .;.e  3 5"4 Hiftoire du proces nefcais quand il crevera. Lorfqu'ii I'eut couiu, après fa morr, dans un drap : d eft mort, dir-il, en lui donnant ia jneme epit^ète; je viens de Venfevelir; je 1'ai touiné auparavant; s'il rut ete vivant, je ne l'aurois pas retoumé de meme. On a vu que ce maüre avoir legue cent écus a ce fcélérat, qui ne 1 avoir lervi que forc peu de remps. Le chateler ne crut pas avoir des preuves fuffifanres pour le faire mounr; il hit condamné a la queftion prépararoire. La dame Mangoc de VilJarceau fe rendir,. appellante d'un jugement qm autoit fauvé le coupable, s il eut réfifté aux douleurs de la queftion , & s'il n'eür rien avoué. Mais par arrêt de la tournelle du 4 mars i673> ia Chauffée fut de'clare■ atteint Cf convaincu d'avoir empoifonné le dermer lieutenant-civil & le confeiller • pour réparation, il fut condamné a être rompu vif & a expirer fur la roue; prealablement appliqué a la queftion or. dinaire & extraordinaire, pour avoir revélation de fes complices. La marquife de Brinvillier fut condamnée par contumace a avoir la tête tranchée. A la queftion, il av0ua fes crimes, & declara qu'd n'avoit été\jue i'agenc  de la M. de Brinvillier. 3 55 de Sainte Croix, qui Pavoit déterminé par Tappas des ïécompenfes. II déclara que la première fois que Sainre-Croix lui avoir remis du poifon , il lui avoit dir que c'étoit la Marquife de Brinvillier qui le lui avoit donné pour empoifonner fes ftères; & que, quand le crime fut commis, Sainte-Croix lui avoit dit que la dame de Brinvillier ionoroit ces empoifonnemens. Mais laChaufleeajouta qu'il penfoit qu'elle n'ignoroit pas ces crimes, paree qüelle lui parloit toujours de poifons, &c qüelle vouloit 1'obliger a s'enfuir après qu'il les eut commis; qüelle lui avoit même donné de 1'argent a cet efret. 11 ajouta qu'il avoit empoifonné les deux frères dans de Peau & des bouillons ; qu'il avoit mis de Peau rouflatte dans le verre qu'il préfenra au lieutenant civil, & de Peau claire dans^ la tourte qui fut fervie a Villequoi. L'on peut conclure de cette déclaration qu'il avoit réitéré les empoifonnemens fur ces deux magiftrars. 11 dir enfin que Sainre-Croix avoit grande envie d'empoifonnerla demoifelle d'Aubray , fceur de la Marquife , & qu'il avoit voulu lui donner un domeftique qui put commettre ce crime. Mais ce projet man-  3$6 Hiftoire du pro cis qua , foit par les circonftances-, ,foir paree que cetre demoifelle, foupconmnr la caufe des morts qui défoloienr ia familie, fe défiat de rout ce qui provenoir de la main de fa fceur. Cependanr elle envoyoir a cette fceur des fecours dans fa retraite. Enfin, la Chaulfée fut exécutéen place de grève. Cette procédure avoir', comme 1'on voir, fait tomher rout le poids de l'accufarion fur la marquife de Brinvillier. Tout le monde, fut perfuadé qüelle croit coupable , & 1'on ne pouvoit ptononcer fon nom fans horreur. Elle croyoit s'être mife, par fa fuite en pays étranger, hors de la portée du bras. de la juftice. Mais fi les princes fe font un devoir d'humanité , ÖC regardenr comme un appanage de leur puiffance de donner afyle, Sc d'accorder leur proteétion aux criminels des pays étrangers, jf eft.des forfaits, Sc le poifon eft du nombre, qui fonr exceptés de cette règle, Sc pour lefquels les coupables font rendus a.leur fouverain , quand il juftifie le motif de fa réclamation. Defgrais, exempc de la maréchauffée, fur envoyé a .Liège pour arrèter  de la 'M. de Brinvillier. 357 la Marquife. 11 étoir efcorté de plufieurs archers,& muni d'une lettre du Roi adrelfée au confeil des foixante de cette ville, par laquelle ce prince réclamoir cette criminelle^, pour la faire punir. Après avoir examiné la procédure dont on avoit pris foin de munir Defgrais , le confeil lui permit d'arrêrer la Marquife , pour la conduire en France. Elle s'étoit tetirée dans un couvent. L'exempt ne crut pas devoir tenter de la faifir dans eer afyle; il auroit pu manquer fon coup. D'ailleurs il avoir lieu de craindre, s'il faifoit eer enlèvement avecéclat, que la violencene fut regardée comme la profanation d'un lieu facré , & n'excitat une fédirion dans la ville, a la faveur de laquelle on lui auroir ravi fa proie.^ 11 eurrecours a 1'artirice : il n'y en a point que les -gens de fa profelfion ne fe permettent; & il faut avouer que fouvent la furetó des citoyens, quelquefois même celle de 1'état, font le fruit de leurs rufes. Defgrais fe déguifa fous l'habit eccléfiaftique, & fut rendre vifite a la Marquife , fous prétexte qu'étant francois, il n'avoit pas voulu pafTer par Liège fans voir une femme fi célèbre par fa beauté Sc" pat  358 HiJIoire du proces fes malheurs. II s'inlinua au point de pouvoir parler d'amour. II fut écouté. Un couvent n'eft pas un lieu commode pour les rête-a-tête de deux amans. Defgrais propofa une promenade hors de la ville ; elle fut acceptée. A peine furent-ils hors de la portee des regards du public ,"que 1'amant fe changea tout d'un coup sn exempt; il arrera la Marquife , & la mit entre les mains , ;7rc|iers> qui étoient apoftés. II s'étoit précautionné d'un ordre desfoixanre, pour enrrer dans le couvenr. II rrouva, fous le lir de la Marquife, une calTerte, qüelle réclama avec les plus vives inftances, mais inutilement. Elle avoit extrêmemenr a. cceur qu'on lui rendïr un papier qüelle nommon fa conftffwn. La difcrétion due a tout ce qui eft relatif au facrement de pémtence, ne détermina point I exempt d reftituer 1'écrir. II auroit cru manquer a la rigueur de fes toncrions, s'il n'eüt pas livré a Ia jufnee la perfonne de la coupable, & tout ce qu'd pourroic découvrir de propre a fa convi&ion. Dès qu'elle futarrêtée, elle entreprit de corrompre un archer, qui feigmt de fe prêter, & qui la trahit. Dans  de la Af. de Brinvillier. 359 fa rerraite , elle étoit en inrrigue avec un nommé Théria. Elle confia a fon archer une lettre pour lui. Elle lui mandoit de venir en diligence la retirer des mains de Defgrais. Par une feconde lettte, elle lui mandoit que toute 1'efcorte n'étoit compofée que de huit perfonnes, que cinq pouvoient facilemenr défaire. Dans une troifième, elle écrivoit a fon cher Théria que , s'il ne pouvoit la délivrer a force ouverte , il vint au moins uier deux des quatre chevaux du carrolfe qui la conduifoit j qu'il pric la caffette, & la jettat au feu ; qüautrement elle étoit perdue. Quoique Théria n'eur recu aucune des lettres de fa chère maitrefTe, il ne UiflTa pas de fe rendre a Macftricht , par ou elle devoit paffer. II tenta de corrompre les archers, &c leur otfrit jufqua mille piftoles, s'ils vouloienr la fauver; ils furent inébranlables. Toutes fes relfources éranr épuifées, elle voulut fe donner la mort, en avalant une épingle; mais elle en fut empèchée par un archer. Le parlement eut ordre de commettre M. Palluau , confeiller, pour 1'aller interroger a Rocroy, foit pour prévenir les brigues  3&o Hiftoire du pro cis ém faveur de-cette fcéiérate , qui-teneur a toute la robe , foit pour ne paj lui donner le temps de méditer fes réponfes, ou de fe procurer des éehapparoires, par 1'adreffe de quelque confeil. L'ordre fur exécuté. Arrivée a la conciergerie, elle vouJur employer le crédit du fieur Penautier, tréforier de la province du Languedoc & du Clergé. -Ces deux emplois le faifoient nager dans 1'opulence, & lui fervoienr de prétexte pour tenir une table fomptueufe ; ce qui lui donnoit une grande confidération , & le mettoit dans le cas de s'ériger en proteéleur. Mais on verra, par la fuire 3 qu'il fur forcement compromis dans cette .affaire , & qu'il eut befoin de ion crédir pour lui-même. -Le danger qu'il courur fur occafionne par une lettre que la Marquife lui ccrivit de la conciergerie, & qui fut interceptée. Elle lui parloir confidemmenc du danger oü elle éroir de périr furun échafaud 5 elle lui rendoir compte de la conduite qüelle avoit réfolu de tenir pendant l'inffrQclion du procés ; difoir qu'elle n'avoueroirrien, & qu'elle diffimuleroit tour. "Elle lui demandoir fon  de la M. de Brinvillier. fon confeil, & le prioit d'employer fes amis pour elle. En effec, elle avoit tout nié a Rocroy ; elle défavoua les lettres qu'elle avoit écrites depuis qüelle étoit arrêtée, & ne voulut point reconnoïtre la caffette de Ste. Croix qu'on lui reprélenta. Quanr a la promeife de 30ooolivies,elle dit que cet écrit n'avoit d'autre bur que de donner a Sainte-Croix le droitde fe ranger au nombre de fes créanciers, afin qu'il les ménageat, & qu'il röllennt 1'ardeur de leurs pourfuites •, qu'il lui voit donné une conrre-lettre qu'elle avoit perdue en chemin. Elle affeéloit, dans faprifon,une fécuriré qu'elle éroit bien éioignée de fentir. La comuilfanee intiuie qa'clle avoit de fes forfaits; les lum ères aont elle fcavoit par fes interrog.itoires que fes juges étoient éclairés , toat lui préfèntoit 1'image du fupplice qui 1'attendoit ; & dans le temps qüeile detnandoit qu'on lui fit faire une p.irtie. de piquec pour fe défennuyer , elle méditoir de fe donner ia mort. Le moyen qu'elle crur pouvoir düróber le plus facilement aux yeux atuntifs' de ceux qui la furveilloient , étoit' Tome I. Q  3 avoic continué fur le même ton ; » qüelle avoit empoifonné fon père , » fes frères, un de fes enfans : elle „ s'empoifonna elle-mème, afin d'ef»> fayer d'un contre-poifon. Médée n'en j> avoit pas tant fait. (1) Elle a re» connu que cette confeffion eft de „ fon écriture : c'eft une grande fot„ rife; mais qüelle avoic la fièvre o chaude quand elle 1'avoit écrite ; que » c'étoit une frénéfie, une extrava» gance qui ne pouvoit être lue férieu» fement. » Elle ajoute , dans la lettre fuivante. « On ne parle ici que „ des difcours , des faits & geftes de „ la Brinvillier. Si elle a écrir, dans » fa confeflion , qüelle a tué fon père ; „ elle craignoit fans doute d'oublier „ de s'en accufer. Les peccadilles qüelle » craint d'oublier fonr admirables. » Ce monftre trouva cependanr un défenfeur ; & ce qu'il y a d'éronnanr, un défenfeur autant connu par fa probité & par fes lumières, que par fes talens: ce fut M. Nivelle. (1) Machrrte de Sévigné ne dit pas qu'elle avoir auffi attente a la vie de fa foeur par la voie du poifon. Ce fait étoit cependanB configné dans la co..feffion. Q *  3^4 Hiftoire du procés 11 fit impnmer un mémoire, dans lequel il réünic tous les erTorts de fon efprit pour faire 1'apologie de fon abominable cliënte. Voici le réfultat de fes idéés. 11 conyient de lapaflion condamnable dont elle avoit brülé pour Sainre-Croix; mai? il tiroir de cette foiblelfe même la jullification de 1'acculèe. Elle avoit eu rort , fans doute , de laiffer prendre des racines dans fon cceur a un amour criminel , & encore plus de choifir pour 1'objjt de cet amout le plus méehant de tous 'es hommes. Mais, elle ne le cormoilloit pas. 11 fcavoit cachèr le cceur le plus cor.ro mpu , fous les dehors impofans de la plus rigide probité. Lui feul étoit I'ouvrier des défaflres affreux qui avoient détruit la familie de laMnquife ; ëc ce fcélérat,que famour &c k itndrelfe rendoient confident de fes douleurs , dont elle regardoit les entretiens comme le feul baume ptopre a calmer les maux aigus qu'excifcoient des pertes fi cruelles & cumulées avec ranr de précipiration, la conMoit de ce qu'elle venoit d'éprouver , tandis qu'il méditoir de h frapt er de nouveau du même coup.  de la M. de Brinvillier. 365 Il elfuyoit fes lartfies d'une mam , & de l'autre; ü lui pércokle cceur. Irrité contre une fanulle, dont ^le chef 1'avoit attaché des bras de Pamour, pour le précipiter dans una prïfon i il en jura la perte , & ne tint que trop bien fon ferment. Des coups qu'il ftappoit, il en réfultoit deux avantages bien flatteurs pour une ame telle que la fienne : il alfouvilToit fa vengeance , & fe rendoir maïtre des biens de toute la familie. La Marquife les recueilloit ; & la tenant toujouts fous le joug de la fédudion, tout ce qüelle poflédoit, il 1'avoit a fa difpofition. Mais elle s'entichi(Toit, fans connoitre la fource affreufe d'oü découloient rous ces biens j elle les arrofoit de fes larmes, & ne reprochoir qüa la nature des richelTes, dont elle autoit acheté la privation aux dépens de fa propre vie. Si elle eut été complice , n'en auroir-on pas trouvé des rraces dans les lettres amoureufes que Sainte-Croix avoit confervéesdans cette funefte caffette qui a révélé tous ces myftères infernaux?Le cceur de cette infortunée s'y déploie dans toute fon étendue; elles femblent être diótées par la confiance  366 Hiftoire du procés même & par 1'amour le plus briljant. Cependant il n'y a pas un mot qui puiffe même faire foupconner la compliciré. Sainre-Croix d'ailleurs étoit trop expert dans 1'art de commettte des crimes, pourignorerquela fureté du coupable eft attachée au fecret, Sc qu'un fecrerconfiéa plufieurs perfonnes, ceffe de 1'être; ou que du moins chaque confident eft comme une ouverture comme par oü il peut s'échapper. Laconfidence ne fe dépofé donc que dans lefein des complices nécelTaires j 8c 1'on n'en choifit pas parmi ceux que le cri de la nature pourroit arrêrer dès le premier pas, ou dont elle rendroit la main chancelante Sc incerraine; ou enfin qu'elle tourmenteroit par des remords perpétuels, capables de mettre le myftère dans le plus grand jour. Or, Sainte-Croix avoit choifi un complice ; & ce complice lui fuffifoic pour Pexécution de fes deffeins , puifque c'étoit par fon opération uniquemenr qu'il les avoit accomplis : c'étoit la Chaulfée, qui en a porté la peine. Si Pon joint a ces confidérarions , celles qui font perfonnelles a la Marquife j loin qu'il refte aucun motif de  de la Af. de Brinvillier. 367 foupcon , ceux qui les ont fait naitre, & Sri font tant d'efforts pour les realifer , demeuteront coupables de la calomnie la plus atroce Sc la plus puniifable. La Marquife eft d'une natftance diftinguée. Aucun forfait, aucun reproche même n'a taché le fang qui coule dans fes veines; 1'honneur Sc 1 mtégrité font 1'apanage de fes ancctres Sc de tous ceux qui ont porte Sc qui portent fon nom. Les femences de ces vettus, qüelle a apportees dans fon cceur en naiflant, ont été cdtiyees pat Péducation la plus foignée Sc la mieux entendue. . . Tant de faveuts de la nature &de la tortune n'ont point été vaines. Si la repuration de la Marq. a recu quelque atteinte, ce n'eft que par 1'excès düne paffion malheureufe, occafionnéepar 1'imptudence Sc nourrie par les déréglemens de Ion mari. Mais fa conduite Sc fes mclinarions connues étoient fi oppofees aux crimes qu'on lui impute aujoutd hui, qu'il ne s'eft pas élevé , dans le temps, le plus petit murmure qui en annoncat le foupcon, Sc elle recuedlit, fans aucun obftacle, les fucceffions que ces forfaits ouvrirent en fa faveur. Q4  3^8 , Hiftoire du procés Ma1S celle eft la deftmée de cette malheureLfe vicW de la caUriufc elle eft rédune a avouer publiquement des foiblelfes, dans toute autre arconitance la pudeur lu.fetoitun devoir de couvrir du myftère le plus epais. Pour fe W de" Ptgnommie dulupohce, elle eft fo.cée^ etablir fa juftification par fes faures mêmes. L"' a«achcment ft conftanc pour le mallieoieux'qiH lavoir féduite , & qui avoit bit faire naafrage a fa vertu , je Peut fe trouver q„e dans un cceur rorme pOUr Ia rendrefle • & Un cceur tencre concoit-il des fratricides, des parricides ? rout ce qui eft malheureux a des droits fur fa compaffion ; la dou. ieurdes autresledéchire. Cependant, par «ne excepnon néceffaire ï Iacalomnie qui veut conduire Ia Marquife i Pécbafaud on veut que les fentimens les plus doux fe conciiienr chez elle avec ceux que Pon n'imagine qti'avec horreur dans les bêtes féroces. Ce n'eft pas que 1'amour ne porte quelquefois ceux qu'il enflamme \ des attentats qui femblent incompatibles avec les d.fpofirions naturelles du cceur. dont il fe rend maitre. Mais, outre que les exemples de ces fortes d'excès font  de la M. de Brinvillier. i6<) rares , on n'en peut afligner que deux caufes •, la jaloufie , ou la févénté des furveillans. Ce n'étoit pas pour fe défaire d'une rivale que la Marquife auroic empoifonné fon père & fes frères; & 1'on ne dit pas que fa prétendue fureur ait attaqué aucune femme j nulle de fes lettres n'eft empreince des traits de la jaloufie ; jamais elle ne s'eft plaint, ni de vive-voix, ni par écrit, que fon amant parrageat fes foins. Nul furveillanr ne Ia gênoit dans fon intrigue. Son mari, uniquemenc livré a la diftiparion qui avoit pouffe fa femme dans 1'égaremenc, n'apportoit aucun obftacle a fes goüts , & ne la gènoit pas plus que 1'homme auquel elle auroit été la plus indifférente. Son père , fes frères n'éroienr plus incommodes a fes amours; elle avoit eu 1'art de les tromper , & ils font mt>rcs perfuadés qu'elle n'avoit plus rien de communavec Sainte-Croix. On ne peut donc alléguer aucun rao tif qui ait pu introduit* la férocité dans un cceur qui étoit 1'afyle dè l'humanité & de la tendreffe. Ces préfomptions , qui militent enfaveur de la Marquife , qui font puiQ 5  37° Hiftoire du procés fées dans 1'honnêteté & dans la nature, ne peuvent être détruites que par des preuves telles qu'il en faudroit pour etabhr la vérité & la certitude d un miracle. Cependant quelles font celles pat lelquelles on veut la conduire a 1'échafaud ? Lntre routes les dépofirions, laplus concluante eft celle de Cluet, Sergent: mais elle eftunique, &ne'peut par conféquenr, influer fur le ju' gemenr. D'ailleurs quelle apparence que la marquife de Brinvillier eüt fair de patedies confidences a un homme de neant? Aucun des autres témoins ne parle de vifu; ils ne débitenr que des conjeéhires. Le reftamenr de mort même de Ia Chaulfée contienr deux parties. Dans Ia première, il déclare pofitivemenr que Sainte Croix lui avoit certifié que la Marquife, non-feulement n'avoit aucune part a fes empoifonnemens; mais qu'elle les ignoroir. L'autre partie eft compofée de réflexions & de préfomptions par lefquelles ce fcélérat vent prouver que SainteCroix avoir memi, quand il avoit afture que la Marquife n'étoit fa com-  de la M. de Brinvillier. 371 plice ni direétemenr, ni indirecremenr. Si elle lui a fuuvent parlé de poifons, elle devoit avoir l'imagination violemment frappée'de ce crime, qui avoic fait mourir fucceffivement deux rreres qüelle aimoir. Tout lui rappejloit 1'image de ce funefte accident j c'étoit le pnncipal objer de fes converfations avec fes parens, avec fes amis. Si elle en parloir fi fouvent, c'étoit bien ja preuve qüelle n'en étoit pas complice, & que la douleur feule lui rappelloit la perte de fes frères, & le coup cruel qui les lui avoit enlevés. Les coupables ne font point , de leuts crimes, la matière ordinaire de leurs converfations; ils écartent même avec grand foin rout ce qui peut y avoir du rapporr: leurs remords fe réveillent au récit de leurs forfaits; ils craignent qu'un mot,un regard, fair de leur.vifage ne les trahiflenr. Loin donc que les entretiens que la Marquife pouvoit tenir fur le poifon puident lui être imputés comme une preuve de fa compliciré , ils doiventaucontraire être regardéscomme une préfomption de fon innocence. Elle fouhaitoit que la ChaulTée qtuctat Patis? Ce defir pouvoit être excite par celui d'écarcer un témoin que Samteï Q6  3"z. Hiftoire du proces Croix avoic mis trop avant dans Ia confadence de fes amours avec Ia Marquife. Sa préfencela faifoit rougir düne foibletfe , don run valer d'ailleurs elf toujours un confidenr peu für. Mais , quoi qu'il en foit, ces faits ne font atreftés que par un fcéiérat convaincu d'ètre l'ennemi du genre humam. Ils ne mérirent donc aucune foi. Mais fulfenr-ils cerrains , fut-il permis de les interprérer au défavanrace de 1 accufee, .1 n'en réfulreroit que des préfomptions : & peut-on prendre de pareils _ indices pour la preuve des crimes qui répugnent en général a la nature , Sc particulièrement ï leducation Sc aux ïnchnanons connues de la Marquife? Mais elle a rémoigné le défir Ie plus vit ae retirer la cafTette de SainteCroix, avant qu'elle fut ouverre. Elle fcavoir donc que cette calfette renfermoit la preuve de fes crimes. Pour détruire cetre prcfomprion , il taut examiner les effers que cont^noit cette calfette , & 1'otdre qu'ils "y occupoienr. On y trouva la déclaration portant que ce qu'elle contenoir apparrenoir a la marquife de Brinviibcrj que peifonne, autre qu'elle, n'y  de la M. de Brinvillier. 373 avoit intérêt, & qu'il falloit IV lui rendte, ou la bruler , en cas qu elle für morre avant Sainte-Croix. On y trouve enfuite les lettres amoureufes que Sainte-Croix confervoit cherement. C'eft une imprudence allez commune aux amoureux, & qui a touvent caufé des événemens bien tuneltes pour eux. Sainte-Croix avoit donc cette fantaifie fi ordinaire de vouloit refter nanri. des preuves de la paflion qu'd avoit infpirée a fon amante mais il ne vouloit pas que ces preuves pa(faflentdans d'autres mams que dans celles de qui elles émanoient. C'ett pourquoi il avoir tant tecommande qu'on les rermt a la Marquife ellemème ou qu'on les brulat , fi elle n etoit plus a portée de les recevoir. Sa maitrefle , plus intérelfce que lui, par fa qualité de femme, i ne pas laifler fubfifter des traces de Ion amour, n'avoit confervé aucune de celles qüelle avoit recues de lui. Mais cette ptécaution de les déttuirea mefure qu'il les lui envoyoit, ne la tranquilïifoit pas fur la füreté de fon fecret fi celles qüelle écrivoit elle-meme étoient confervées. Elle témoigna plufieurs fois de 1'inquiétude a ce fu-  374 Hiftoire du procés jet &c Sainte-Croix iatranquülifoir en lafTuranr qu'il les avoic dépofées dans une caflette dont il étoir le rnaitre, & qu'd les avoit même munies dün reftament qui les préfervoir de la curioiite de rous ceux entre les mains de qui la caffette pourroir romber. C'eft ainfi que la Marquife fur infrruite de 1'exiftence de certe caflette & de ce qu'elle contenoir- & telles lont les raifons qui lui faifoient deiirer avec rant d'ardeur qu'on la lui relrituat fans 1'ouvrir. Quant aux pacquets de poifon , rien fe Prouve> "en n'annonce même que ia Marqmfe en eut connoilTance. SainteCroix s'étoit accoutumé a tegarder la botte qui contenoit les letttes de fon amante, comme le dépót de fes fecrers les plus intitnes, & y cachoir les armes dont il fe promettoit d'attaquer avie de ceux qui luidéplairoient. Mais la xMarquife, qui ignoroit que fon ami tut un empoifonneur public , ignoroit, a plus forte raifon , que la boite qui renferrooit les gages de fon amour, renfermar en même-temps lesinftrumens de la fureur & de la cruauté. Et 1'on rrouve dans les dares fa ■ preuve que Sainte - Croix n'avoit pas  de la M. de Brinvillier 375 eu intencion de comprendre les poifons dans Pefpèce de legs qu'il avoit fait de certe boïte a la Marquife. L'étiquette de chaque paquet de poifon étoit datée; & toutes ces dates étoient poftérieures a celles du papier qui léguoit la boite a la Marquife. Elle ne conrenoit donc alors que les lettres amoureufes •, ces lettres éroient donc le feul objet du legs \ la Marquife n'avoit donc aucune parr aux poifons \ & les prétentions qu'elle vouloit exercer fur la boite , ne s'étendoient pas fur 1'abominable dépot qui y avoit été ajouté. Refte a pailer de ce papier intitulé confejfwn, & qui contient des aveux exécrabies. Ce papier ne pouvoir non-feulemenr êrre d'aucun ufage dans le procés de la Marquife ; mais il ne devoit même y être d'aucune influance. Le fecret le plus auftète inviolablement attaché a tout ce qui a ttait a la confeffion , & a tous ceux qui y patticipent „ foir qu'elle foit verbale, foir qu'elle foit parécrir, la rend abfolument inutile a tous les ufages de la vie civile. Ce fecret impénétrable eft fondé fur la loi naturelle, & fur la loi divine.11 efl évident que Jefus-chrift 3 en appel-  •37^ Hiftoire du procés tant les pécheurs au tribunal de Ia p£nuence, pour exercer fur eux fes miiericordes, n'a pas voulu les expofer au danger de perdre leur honneur, & meme leur vie par la révélation de certains péchés. Comment concilieroiton de fi grands maux avec la bontéde Dieu qui éclate dans ce tribunal ? Cette loi du fecret fe répand donc eiïentiellement fur les confeffions par écrit auffi-bien que fur les coafeffioni vocales & oblige les confelfeurs , & tous ceux qui peuvenr avoir connoillance de 'a confeffion, puifque les niotifs du fecret, tirés du facretnent & de 1'obligation de fe confelTer, s'appliquent aux uns & aux autres. On n'entrera point ici dans le détail des autorités tant facrées que prefaties qui mettent le fecret de Ia confeffion fous la fauve-garde de la reliaion meme. L'abbé Lenglet Dufrefnoy les a recueilhes avec beaucoup de foin & d'etendue dans fon Traité du feeree inviolable de la confeffion. Les Souverains ont toujours employé Ia force de leur pouvoir, pour fouremr les décifions de l'égl.fe fur un point li ellentiel a la tranquillité des citoyens & au falut des fidèles. On fe conten-  ie la M. de Brinvillier. 377 tera d'en rapporter deux ou trois traits affez intérelfans , recueillis dans le meme ouvrage. . Un Catalan ayant éte condamné a la mort, pour un homicide qu'il avoit commis , rerufa de fe confelfer lor* qüonle menoit au fupplice. 11 reiiltoit avec tant d'opiniatrece a toutes les exhortations qui lui étoient f.utes, fans nétnmoins en donner aucune raifon, qu'on atttibuoit cette conduite au trouble de fon efprit caufe par la crainte de la mort. On en averrit S. Thomas-de-V nleneuve , archevêque de Valence en Efpaane, qui fe trouva dans le ueu ou lefugement avoit été rendu. II eut la charité de s'employer pour determtner ce malheureux a ne pas perdre1 ame & le corps tour enfemble. Mais le fainr prélat fut bien furpns en apprenanr la caufe de ce refus. _ Le pénitent lui dit qu'il devoit avoit la confeffion en horteur, pmfqüil n'avoir été condamné qu'en coniéquence de la révélation que fon confdfeur avoit faire de 1'homicide qu'il lui avoit declaré; que qui que ce foit n'en avoit eu connoilTance j mais que s'en érant confelfé, il avoit avoué ingenument  37§ Hifloïre Ju procés au prêtre rout le crime, marqué 1'endroit ou tl avoir enterré celui qu'il avoit afiaffine & toutes les autres circonftances. Que fon confelfeur les ayanr révelees, ,1 n'avoir pu les nier devant le Pge, ce qui avoit donné lieu a fa condamnation. Qu'il avoit même pns ce qu'd ne fcavoir pas , lorfqu^l seroir confelféj que fon confelfeur «ou frere de celui qu'il avoit tué & que le deur de la vengeance avoir porté ce pretre a revélerfa confeffion. J>. Thomas de Villeneuve juge que cet inadem étoit beaucoup plus confidcrable que ie procés même , qui ne regardoit que la punition d'un particulier j au beu que, dans cette révélation il S'agi/r0ic de ja rd- jon m^ me, donr les intéréts font bien plus importans. II fit appelier le confelfeur, & lui ayant fait avouer fon crime il engagea les juges d révoquer le jagemenr & d renvoyer 1'accufé abfous. Le confeflènr fut puni, mais fa peine tut moderee, en confidérarion de la facdue avec laquelle il s'étoit récon. nu coupable. En 1570, un cabaretier de Touloufe avoir tué feul, & d I'infcu de toute la maifon, un étranger qu'il avoie  de la M. de Brinvillier. 37$ reen chez lui, & 1'avoit enterré fecrétement dans fa cave. Ce miferable le confelTa de cet atTailinat, déclara toutes les circonftances, & indiqua menie , i fon confelfeur, 1'endroit ouil avoit enterré le cadavre. Les parens du défunt, aptès avoir fan toutes les recherches poffibles , pour s'en procurer des nouvelles, firent enfin publier dans la ville qüils donneroient une grolfe récompenfe a la perfonne qui leur découvriroit ce qu'il étoit devenu. Le confelfeur, tenté par lf|pat de la fomme ptomife , avertit en fecret qu'on n'avoit qua chercher dans la cave du cabaretier , & que 1'on y trouveroit le cadavre de la perfonne que 1'on cherchoit. On le trouva en effet. Le cabaretier fur mis en prifon , appliqué a la queftion , & avoua fon crime. Mais il foutint toujours que fon confelfeur étoit le feul qui put f avoir décelé. . , Le parlement de Touloufe , indigne de la voie injufte qui avoit^ fervi a rourmenter ce criminel, le déclara innocent, jufqu'a ce qu'on eüt d'autres preuves que la déclaration du confelfeur; & celui-ci fut condamné a être pendu, & fan cadavre jetté au feu.  380 ^ Hiftoire du procés C'eft ainfi que ce fage tribunal mit en jurete un lacrement fi néceftaire au laiiir. . Les infidèles mêmes , dans les pays ou ils tolèrent 1'exercice de la religion carhohque, convaincus de la nécefliré de garder inviolablement un fecret dépofé dans le fein de la religion même, & par fes ordres, font convaincus que Ie magiftrat politique n'en peut faire aucun ufage, & que ceux qui le profanenr par des révélations, font dignes des plu*grands fupplices. _ Une femme Arménienne avoit infpiré une paffion violente a un jeune feigneur Turc.La fagefiè de cetre femme fut, pendant long-temps, un obfta.de aux defirs de fon amant. Enfin, ne gardant plus de mefure, il la menaca de la tuer, elle & fon mari , fi elle ne confentoit pas a le fatisfaire. ErTrayée de cette mer.ace , dont elle ne fcavoir que ttop bien que 1'exécution étoit certaine, elle feignit de fe rendre, & donna au Turc, un rendez-vous chez elle, dans un moment ou elle dit que fon mari feroit ahfenr. II s'y rendit armé, dün fabre & de deux piftolets. Le mari furvint; & les chofes tournèrenrde facon que le mari  de la Af. de Brinvillier. 38 f & b femme furent affez heureux pour tuer leur ennenü, qüils enterrèrent dans leur maifon, fans que perfonne en eut connoiftance. Ils allèrenc fe confefTer a un prêtre de leut nation , auquel ils révélèrenr cette hiftoire tragique dans le plus grand détaü. Cet indigne miniftrecrut que, dans un pays régi par les loix mahométanes, oü le caractère du facerdoce & les fonttions du confelfeur fonr, ou ignorés , ou réprouvés, on n'examinerok point la fource des connoiffances qüil procureroir a la juftice , & que fon rémoignage auroit le même poids que celui de tout autre dénonciareur 3 réfolutde tirer parti des circonftances, pour aftbuvir fon avarice. II emprunta , du man & de la femme , plufieurs fommes, avec menaces de rcvéler leur crime , s'ils le refufoient. Dépouillés de toute leur fortune, & ne pouv-ant plus prêter, le prêtre alla les dénoncer au faphi , pour en titer encore de 1'argent. Le faphi, ami du vifir, lui dit qu'il connoiftoit les meiFtners de fon fils par la dépofition du prêtre d qui ils s'étoient confetfes, & lui demanda juftice. Le vifir concut auiant de pitié pour ces  3§2 Hiftoire du procés infonunés, qui avoient été fi Iachement trahis, que d'indignation contre Ie confelfeur. II fit palier le faphi dans une des chambres qui donnoient fur le divan , Sc envoya chercher 1 'évêque Armenien pour lui demander ce que c etoit que la confeffion ? quel chariment méritoic un prêtre qui la révéloit ? Sc Ie fort que 1'on faifoit éprouver a ceux dont les crimes étoient découverts par cette voie ? L'évêque répondit que le fecret de la confellion étoit inviolable; que la juftice des chrétiens faifoit brüler ceux qui le révéloient, Sc renvoyoir abfous ceux que 1'on accufoit par cette voie ; paree que 1'aveu qu'ils en avoienr fair au prêtre, éroit 1'ouvrage de la loi, qui les y obligeoir, fous peine de damnation éternelle. Le vifir, conrent de ces réponfes, le fit entrer dans une autre chambre , & manda les accufés, pour fcavoir d'eux les circonftances de cette affaire. Ces pauvres gens , a demi morts , fe jettèrent d'abord aux pieds du vifir. La femme prir la parole , & lui repréfenra que la néceflité de défendre leur honneur & leur vie leur avoir mis les armes a la main, Sc les avoit obii-  de la M. de Brinvillier. 383 gés de porrer a leur ennerni des coups moreels. Elle ajouta que Dieu feul avoit été témoin de leur crime , & qu'il feroit encore ignoré, fi la loi de ce même Dieu ne les avoit obligés d'en dépofer le repentir dans le fein d'un de fes miniftres , pour en obtenir la rémiffion -} mais que 1'avarice infatiable de ce miniftre qui les avoit dénoncés, les avoit réduits a 1'état de mendicité. Le vifir les fit pafter dans une autre chambre , & manda le prêtre révélateur, qu'il mit en préfence de 1'évêque, auquel il fit répéter quelles éroienr les peines dues aux prêtres qui révèlent les confellions. II condamna enfuite le ptètre a être brulé vif en place publique, avant 3 ajouta-til, qu'il le foit dans l'enfer, oh. fa place eft préparée pour le punir de fes infidêlités & de fes crimes. Ce qui fut exécuté fur le champ. II eft donc évidenr que les découverres qui parviennent a la juftice par la voie de la confeffion , ne peuvent lui être d'aucun fecours pour fon inftruótion. Mais cette règle n'eft pas bornée aux confellions yocales; elle étend fa  - 3$4 Hiftoire du proces proteétion iur celies qui font écriresj comme elle 1'érendoit autrefois fur celles même qui fe faifoient en public, au milieu des temples & a la face de toute 1'éghfe. Si cette doéfrine n'eüt été obfervée inviolablement , les juges qui, comme chrériens , entendoient tous les jours, dans les églifes, de femblables confeflions, auroient été obligés de punir inceftamment ceux qui fe feroient confefïés j ce qui auroit caufé un défordre li étrange, qu'il ne peut pas même tomber dans 1'imagination : rant il eft véritable que, de quelque manière qu'une confeffion foit connue , foit pat 1'ouie, foit par la leóture , foit en particulier , foir dans le public, il eft contre la juftice & contre'la religion, de vouloir faire punir les pécheurs qui deviennent innocens par leurs propres accufations , & que 1'on ne peur accufer, fans fe rendre coupable foiitiême Mais, quoiq!ie les juges ne reCuffent point alors les accufations des crimes dont les pénitens s'étoient confeffés, quand la dénonciation étoit fondée fur la connoiffance de la confeffion ; cependant, lorfque les mceurs cotnmencèrenr a fe corrompre, les ennemis  de la M. de Brinvillier. 3 S y ennemis des pénitens, inftruirs de leurs faures par la voie de la confeffion publique, fe portoient accufateurs contre eux; & faifoient recevoir leur dénonciation , en lui attribuanr une autre fource , que la révélation publique , & 1'étayant de preuvas étrangères'a cette cérémonie facrée. Un abus fi conttaire a l'humanité, aux loix, aux droits & aux vues de la religion, obligea enfin 1'églife de changer cet ufage, & de fubftituer la confeffion auriculaire a la confeffion publique. L'abrogarion des confeflions publiques, & les motifs qui ontdéterminé 1'églife a faire cette révolution dans fadifcipline, font confignés dans le chapitre quamvis 89 , dijt. 1. de pcenitent. (1) (1) Voici les termes de ce décret : Quamvis plenitudo fidei videatur ejfe laudabilis , qua. propter Dei timorem apud homines_ eTubefcere non videtur; tarnen quia non omnium kujufmodi funt peccata, ut ea qui panitentiam pofcunt non timeant publicare , remoyeatur tam improbabilis confuetudo, ne multi d poenitentiiz remediis arceantur ; dum aut erubefcunt, aut metuunt inimicis fuis fua faSa referare , pro quibus poffunt legum conftitutione percelli. Svffidt enim Ma confejfio qua primum Deo offertur, turn etiam facerdoti qui, pro delitfis, poe- Tome I. R  3 8 G Hiftoire du procés Cette vérité eft li conftanre, & fi folidement établie par les loix de la religion , & par les régies néceffaires pour nitenlium pracator accedit. Tune enim demum plures ad poenilentiam poterunt provocari, fi populi auribus non puhlicetur confeientia confitentis. Ce décret, qui eft tiré d'une lettre du pape faint Léon, a été vu par les interprètes en deux fens tout-a-fait oppofés. On a cru trouver dans ces mots , pro quibus pojfunt legumconftitutione percellï, que les loix humaines avoient eu le pouvoir de punir les pénitens, pour les crimes qu'ils avoient coafeflés. Mais il eft évident que ce n'eft pas le véritable fens de ce chapitre : il feroit contraire a 1'efprit de la religion. Ce paflage fignifie feulement que les pénitens craignoient que leurs ennemis ne découvriiTent, par leur confeffion, des crimes pour lefquels ils pourroient trouver des preuves recevables en juftice, & fufHfantes pour les faire punir. Tel eft le fens de laglofe, qui cependant femble laifTer quelqu'équivoque dans fon interprétation; voici fes termes : fi a/ia probationes funt, qua fujficiunt cum hujufmodi confejfione. On pourroit croire que la particule cum annonce que , pour faire condamner les pénitens, il faudroit joindre les preuves judiciaires avec la confeffion. Mais il eft certain que cette particule ne peut avoir cette lïgnification; car fi les preuves font fuffifantes, comme la glofe le fuppofé elle-même , probaüanes qua fufficiunt, il eft auffi inutile, qu'il  de la M. de Brinvillier. 387 Ie maintien du bon-ordre, que 1'on etoit réduit a ioatenir contre la dame de Brinvillier que 1'écrit en queftion eft injufte & odieux d'y ajouter la confidération d'une confeffion qui auroit etc faite publiquement, pour en tirer une conviétion déja établie par d'autres preuves fuffifantes. La glofe n'a donc voulu marquer autre chofe , finon que les loix humaines pourroient punir les crimes des pénitens, lorfqu'il y auroit d'autres preuves fubllftantes contr'eux , outre ces fortes de confeffions, dont les juges mêmes n'auroient pas eu de connoillance : & la particule cum doit fignifier ici ultra, fuivant un ufage affiez ordinaire. Pour fe convaincre que tel eft 1'eïprit & le véritable fens de ce chapitre , il ne faut que lire 1'épitrede faintLéon , dont il a été tiré , qui dit que, li quelqu'un prenoit occaiion d'abuferde ces confeffions publiques, pour en faire des procés, cette entreprife injufte étoit direétcment contraire aux regies & aux loix apoftoliques. Voici les termes de cette épltre qui précédent ce chapitre : 'Mam contra apoftolicam regulam praJumptionem , quam nupcr agnovi a quibufdam Micitdufurpalione commilti modis omnibus,conftituo fubmovcride panilentid; ne videlicet de fingulorum peccalorum genere libello fcriptaprofejfio publicè recitetur; cum reatus confeientiarum Jufficiat folis facerdotibus indicari confeffwne fecret i. Quamvis plenitudo , &c. Ces termes expliquent bien nettement Ia véritable caufe pour laquelle ce chapitre a été fait. ï°. Que 1'on n'a jamais fourfercj dans R 2  3 88 Hiftoire da procés n'étoit pas une confeffion , mais un firn? ple projet, jetté fur le papier, pour fe confefler. Mais la qualité de cet écrir fair voir que c'eft une véritable confeffion. 11 commence par ces mots : je meconfejfed Dieu, & d vous, mon père. La Marquife ne parle, dans cet ouvrage, qüaDieu f les véritables maximes de la religion & de la juftice, ni les dénonciations, ni les inftructions des prorès qui fe formoient par la connoiflance de la confeffipn, puifque le pape Léon les traite d'attentat, d'ufurpation , ou d'abus contraire aux maximes apoftoliques. 2-°. Que, fi 1'on a défendu ces confeffions publiques, ce n'a été que pour empêcher a 1'ar venir que 1'pn put avoir aucune ouverture pour pouvoir accufer, même fous d'autres preuves, les pénitens qui s'étoient confeffés publiquement; c'eft ppurquoi cc pape ajoutp ces termes eflentiels de ce chapitre : modis omnibus conftituo removeatur tam improbabilis confuetüdo, ne multi d pcenitentia; remediis arceantur, dum aut erubefcunt, aut metuunt inimicis fuis fua fatfa referare, pro quibus pojfunt legum cqnfiuutione percelU. De forte que, fi 1'ufage perpétuel de 1'églife, depuis les premiers fiècles jufqu'a préfent, a toujours confirmé cette doctrine', il eft certain que 1'on ne peut recevoir en juftice des confeffions religieufes; & qu'il faut d'autres preuves fuffifantes par elles-mêmcs, & conformes aux regies prefcrites par les loix contre les accufés.  de ld Mi de BrinviWier. 3 S ? Sc a fon confefTeür qui le repréfente ; Sc puifque c'eft n Dieu feul que fa confeffion eft adreftee , les hommes ne la doivent plus examiner, il n'appartient qua Dieu feul d'en prendre connoiffance. Les païens mêmes nous ont donné 1'exemple du refpeót du a la divinité, pour les chofes dont elle fe mêle direétemenr. Le fénar s'abftenoir de route fonótion légillative, lorfque le ciel faifoir entendre le tonuerre. Quand la juftice divine fe fait entendre , la juftice humaine eft. fans pouvoif. Jove tonante 3 legem fieri nejas ejl, dir Aulugelle. 11 faut avoir la même confidérarion pour les confellions par écrit, que pour les confeffions vocales, puifque les unes & les autres font, a 1'égard de Dieu , a qui elles font adreftees, de véritables confeffions. Aufti les théologiens, qui onr écrit fur cette matière, décidenr nettement qu'il n'y a aucune raifon de différence,&: que c'eft un facrilège égal de révéler 5 foir une confeffion ré.ligée par écrir, qu'elle ait été prononcée, ou qüelle ne l'ait pas été; foit une confeffion faite de vive voix. R 3  390 Hiftoire du proces Trois principales raifons appuient cette decifion. r La première eft que rous les moyens neceffaires pour fervir d une parfaite comeflion, doivent être en fureté fous elceau du filenee, & ne peuvenr être legitimement communiqués qu'au feul mmiftre confacré pour recevoir la contefiion : aucun autre ne peut prendre cette communication, fans commetrre un pêché mortel; & il faur confidérer les difpofirions eftenrielles de la confeffion , comme faifant partie de la conreilion menie. La feconde eft que le même inconTC-ïasa-ï asa a fair mettre Ia confeffion vocale a fabn du fceau du fecrer, fe rencontre pour la confeffion par écrit; En effèt, fi des perfonnes, qui auroient entendu une confeffion , ne font pas recevables d en dépofer comme témoins, les écrus ne doivent pas plus être admis pour fervir de témoignage dans 1'infrrudion dün procés, pour convaincre ceux qui fe confeftent. II y a plus, les inconvéniens, qui fe rencontrent dans Ia révélation des confeffions vocales, font bien plus confidérables relativel • ment aux confeffions par écrit, paree  de la Af. de Brinvillier. 391 que les preuves écrites font bien plus puilfantes, que les preuves verbales F La troifième eft que le confeffeur n'eft pas le feul qui foit obhge au fecret de la confeffion : cette obhgation inviolable peut engaget, par accident, d'autres perfonnes: comme ceux qui auroient entendu , de deffeinformcou par hazard , une confeffion ; ou comme un interprète dont un pénitent étranger auroit eubefoin pour fe faue entendre de fon confeffeur. Paree que, comme dit faintThomas, (1) l'imerprete tient alors, pour ainfi dire, ..place du miniftre , en tant qu'on lui fait d abord fa confeffion, afin qu'il la reporte aam», niftre facré, en la place de la perfonne qui fe confefte. . 4 Or la confeffion par écrit eft en effet un vérirable interprète, internuntia conféionis, difent les théologiens, auquel on confiele fecret de la confeffion pour k tranfmettre au confeffeur Julqu au rè-ne du pape Clément VlU, fut éle°vé fur le faint fiège en 1 on etoit dans 1'ufage, quand le confeffeur auquel on avoit donné fa confiance, etoit eloigné, defeconfefferalui par lettres. (1) Suppl. part. 3, queft. 11, att. *,  392- Hijloire du proces Cette pratique fut abolie par ce pape comme fujetre d un trop grand nombre dinconveniens. Mais, tant qu'elle dura ceux entre les mains de qui ces lettres romboient étoient obligés au fecret le plus inviolable; paree que ce fecret eft egalement obligatoire pour rous ceux qui ont connoiffance düne confeffion ioit par hazard, foit par deffein , foit en vertu de leur miniftère. Ce qui eft daurant plus jufte, que Ia confeffion d un penitent ayant toujours Dieu pour pnnc.pal objer, i! peutrecevoirauffibien fon abfolution de ce fuprême conte!le«r>.quand même elle lui feroit adreüee immédiatement, & fans Pen tremife des miniftres, foit pat Ia voie, ou par Ia plume du pénitent (i).. Kefte d examiner fi Pécrir en queftion eft une véritable confeffion. II eft certain qu'd eft rédigé dans les termes düne confeffion préfente & aétuelle : il en (r) Dixi confitebor adverfhm me injulüt.am meam Domino ; &- tu remififli impie Jem peccau me:. Pfalm. , r, MagnapLas Dei Z «tjolampromiftonem peccata dimiferit. Non- m oor de , guia tpfum dtcere quafi auoddam pronunetareefl. Votum enim 'pJople reputZ. ^'W- Can. 5, dzfi. i, depanit.  delaM. de Brinvillier.^ 393 porte le titre & l'expreflion & li on le confidéroit autrement, il feroir impoffible que les fourds & les muets pulTenc jamais faire de véritables confeffions, puifqüils ne les peuvent faire que par écrit; & en mecrant, comme a fair la Marquife,;'e me confejfe cïDieu & h vous, mon pere; & enfuire le récit détaillé de leuts péchcs. Et, fi le fecret d'une confeffion de cette efpèce n'eft pas en süteté fousle fceau le plus inviolable } ces mallieureux infirmes fonr dans la plus cruelle fituation. Privésd'un fens eftenriel au bonheurde la vie , il faut encore, ou qüils fe rangent au nombre des réprouvés, en s'abftenant du facrement depénitence; ou s'iis veulent y avoir recours, qüils courent le danger épouvanrable de fe voir faire leur procés , pourraifon de leur confeffion. Les autres pénitens tomberoient dansle même péril, lorfqüils font engagés a faire une confeffion générale, & que la foiblelTe de leur mémoire les oblige de fe fervir d'un remede qui eft fi légirime, que le confeffeur même le prefcrit quelquefois. Auffi tous les dcéreuts ont décidéque les juges, tant eccléfiaftiques que féculiers ne doivent avoir aucun égard au»  394 Hiftoire du proces écritsqui contiennent Ia confeffion d'un pecheur; qu'ils doivenr les rejetter abfolument des proces, fans pouvoir interroger 1'accufé fur cefujet, ni faire aucune informarion qui y foir relative. Sans entrer dans le détail de ceux qui ont traité cet objet, on fe contentera de rapporrer ceqüen ilnDominicusSoto, fameux canonifte, qui étoir confelfeur de Charles-Quinr, & qui affifta aux premières alfemblées du concile de Trenre tenu fous Paul III. II propofe ce cas : (i) un homme avoir perdu un papier oü il avoir écrir fes péchés. Ce papier tombe entre les mains d'un juge 'eccléfiaftique, qui voulur en faire Ie fondement d'une information contre celui qui 1'avoit écrite : mais il fut puni par fon fupérieur, & a jufte titre; car, dit eer auteur, la confelhon eft une chofe iifacrée, que tout ce qui eft deftinc pour la faire, doit être enfeveli dans le filence le plus profond & le plus inyiolable.^ Er ce qüil a dit au fujet du juge eccléfiaRique , il veut qu'on I'appliqu£*ui juge féculier. Eftenim confjjio tamfacra, ut id etiam quod adeam ordi- 0) In 4 fentent. dlflihft. 18, ait. 50.  de la Al. de Brinvillier. 305natur 3 fit p.erpetuo fiüentio fiepeliendum : & quod diclum efi de pr&latis ecclejiafiicis , intelligendum de pratoribus & judi' cibus fcularibus. Or il eft certain que 1'écrir en queftion n'eft pas un fimple mémoire dreffé par la dame de Brinvillier, pour fe confefter; c'eft une véritable confeffion, qu'elle n'a rédigée par écrit, que dans la confiance qu'elle ne pouvoit être connue que de Dieu feul, ou de fon miniftre deftiné pour la recevoir. L'églife eile-mênte lui eft garanre du fecret de fa confeffion. Car, comme dit le cardinal du Perron (1), 1'églife a donné d fes enfans, qui fe confeffent a elle , pour affurance de leur honneur & de leur vie y le fauf-conduit de la foi & dufilence de tous leurs péchés qu'on ne peut violer , fans violer en mêrne-temps tout droit divin & humain. Le rils de Dieu même eft le garant du fecret de la confeffion de la dame de Brinvillier : elle ne 1'a rédigée par écrit, que fur la certitude de fa parole immuabfe & facrée. Lui feul en peut prendre connoilfance; & il n'eft permis a perfonne d'en titer le plus petir avanrage contr'elle. (1) Rcplique a ia réponfe du roi de la Grandb. $re:agne, chap. 5,  396' Hiftoire du proces II ne faut pas s'imaginerque ce foit fa petfonne facrée du miniftre, ou la fonction divine qu'il exerceen donnantl'abfolution , qui foit le motif de ce fectet. Car il eft certain que, quand le prêtre, après avoir entendu la confeffion, jugeroir a propos de refufer 1'abfolurion, * il ne feroir pas moins obligé au fecrètj & cette obligation lieroir égalemenr celui qui n'éranr pas prêtre, auroir pris place dans un confeffionnal pour découvrir les fentimens intérieurs de quelqu'un; ou ceux qui auroient entendu un pénitent qui auroit raconté fes péchés a un prêtre qu'il auroit cru être dans le confeffionnal, & qui n'y feroit pas, ou enfin un laïque qui, dans un cas de néceffité, croiroit pouvoir fuppléer au défaut de ptêtre. Joinville, qui certainement ne 1'étoit pas, raconte que,dans un vailfeau agité de la tempêre, plufieurs feigneurs,effrayés de 1'image de Ia mort, fe confelfèrent a lu', croyanr farisfaire au précepte ; & lui, dans la même perfuafion, dir, avec fa naïveté ordinaire, qu'il leur donnoit 1'abfolution; autant qu'il en avoit le pouvoir : in tantum quantum poffum. Or il eft certain qu'il étoit autant aftreinrau fecs:et5 que s'ü eut été véxjtablement mi-  de 'fa M. de Brinvillier, 3 97 niftre. Car, encore une ^ ce n'eft, ni la perfonne du miniftre, ni 1 abfolution , mais 1'effence de la confeflion qui produic d'elle-même cetre obhgation indifpenfable du fecrer. Par cerre raifon, fi l'hiftoire que 1'on rapporte oe Sanreul eft véritable, il devoit a la femme qui fe confeffa a lui, le prenant pour un prêtre, la même difcrétion, que s'il 1'eüt été véritablemenr. Mais, dira-t-on, il n'eft pluscjuelrion de garder le fecret pour cet écrit : que ce foit une confeflion, que ce n'en foit pas une, ce qu'il contient elt connu eft détruited'avance, par les autorités & par les faits rappor- ïés plus baat. 11 eft Prouvé -e Juproch de eiTencede la confeffion, du refpecl i erac dans lequel écoit la Marquife ^ndeleacouc,^certeconfeffilp:; ecrir. Ob!lgee de fair fi rj *\ ■ e elle' & dccerminés a ne rien cpargner pour Ia conduire au cubet- tz's drJes ft étr**> S iecours fans conleiis, couverre de la honte refultant des preuves publiées de Croix , elle fur arraquée düne fièvre ardenre qni obfcurcitVa raifon , & h ™t dans eer état de rêverie & d'excranonT' ?U!faicPre^re des chimères Pour des reautes, & porte ie maiade i imputer d lffi-même des faits qui n onr ama,s exifté, ou auxquels il „\ ™ plus petite part; & cet état de^êveJie & d extravagance eft toujours le réiuitat des ag.tations dün efprit elfravé Pari image des peröcutions, & pa 7\l terreur des maux& des fupplicescion; un accufe innocent eft menacé. P^s que I eenr donr il s'agit, ne foit une véritable confeffion religieufe, & n>en mtOQS ks caraftères^U fuffit que £  de la M. de Brinvillier. 399 commencemenr foit confacré aDieu, pour que tout Ie refte lui foit pareillèment confacré. Pour le mettre fous la t fauve-garde du fecret le plus inviolable, il faffit que la pénitente 1'ait fait pour en avoir une abfolurion générale, que les confeffeurs nerefufentpointauxmalades qui font en état de déliret, paree que ce n'eft qu'une extravagance palfagère, qui laiiïe quelques bons intervalles, 8c non une fureur petpétuelle. Aulfi les prières que 1'on fait, dans cet état, fonr de véritables prières, qui fouvent font exaucées. Or rour prouve que , quand la dame de Brinvillier a rédigé cet écrit, elle étoit dans une fièvre violente qui lui otoit l'ufage de la raifon, 8c même la faculré d'écrire, & de conduire fa plume. Le caraétère de fes lettres eft rellementdéfiguré par 1'agiration de la fièvre dont elle étoit échauffée, qu'il eft impoffible de le reconnoitre, 8c prefque impoffible de le lire. D'ailleurs elle y fait des aveux qui font démontrés faux. Elle s'accufe d'avoir tué fon père, 8c il étoit mor», dès 1666. Efle a iroité ce furieux dont paile Quintilien, que la fureur rranfporra jufqüa fe déclarer le tneurtrier de fon père. Le magiftrat  4°o Hiftoire du procés 1'ayant condamné fur cerce faufte accufation, fut pourfuivi comme coupable du meurtre de cet infenfé, qu'il avoir fait exécuter (i). Telle fut la défenfe avec laquelle 0:1 entrepnt de fouftraire ce monftre a la -juftice. Maisle corps du délit étoit eertam. L'empoifonnemenc des deux frères de la Marquife étoit conftaté par le rapport d'un médecin, de deux chirur, giens & d'un aporhicaire. Les dépolitions des témoins combinées, démontroient que Sainte-Croix & la Marquife avoient commis ces aftaftinats parle mimftère de la Chanftee, _ Les réponfes que fit la dame de Brinvillier a fes interrogatoires, ajoutenr encore un nouveau degré'de con-viclion. Les voici mor pour mot. A dit s'êire reiirée de France, d caufe des affaires qu'elle avoit avec fa bellefeeur. A dit que, dans fa caffette, ily avoit plufieurs papiers de fa familie; & entre autres fa confeffion générale qu'elle vouloit faire. Lorfqu'elle l'écrivh, elle avoit l'efprit défefpéré : ignore ce quelle y a \i) Ego te, pater, occidi. Magiftrattts, tanquam de eonfiffo, fupplieium fumpfa„nas 'ft ccedis. Quiatil. dedamat. 314.  de la M. de Brinvillier. 40 t mts, ne fcachant ce qu elle faifoit, ayant i'efprit aliéné, fe voyant dans des pays étrangers ,fans fecours de fes parens, redutte d emprunter un écu. Interrogée fur le premier article de fa confeffion , dans quelle maifon elle avoit fait mettre le feu ? Elle a dit ne Vavoir point fait; & quand elle Va écrit, quelle avoit refprit troublé. Interrogée fur fix autres articles de fa confeffion ? A dit quelle ne ffait ce que c'efi, & quelle ne fe fouvient point de tout cela. Interrogée fi elle na point empoifonné fon père & fesfrères ? A dit quelle ne ff avoit rien de tout cela. Interrogée fi elle ne ff avoit pas que fa fceur ne devoit pas vivre long-temps 3 a caufe quelle avoit été empoifonnée ? Répond quelle le prévoyoit 3 a caufe que fa fceur étoit fujette aux mêmes incommoditês quelle a encore ; quelle a perdu la mémoire du temps quelle a écrit fa confeffion ; dvoue être fortie de France par le confeil de fes parens. Interrogée pourquoi ce confeil lui a été donné par fes parens? A dit que c'étoit d caufe de l'affaire de fes frères ; avoue avoir vu Sainte-Croix 3 depuis fa fortie de la Baflille.  4o z Hiftoire du procés Interrogée fi Sainte-Croix ne Va pas perfiuadée de fe défaire de fon père? A dit ne s'en fouvenir, ne fe fouvenanl auffifi Sainte-Croix lui a donné les poudres ou autres drogues, ni fi SainteCroix lui a dit qu'il fcavoit le moyen de la rendre riche. A elle repréfenté huit lettres & fommée de déclarer a qui elle les écrivoit ? A dit ne s'en fouvenir. Interrogéepourquoi elle a fait unepromeffe de 30000 livres a Sainte-Croix? A dit quelle prétendoit mettre cette fomme èsmainS de Sainte-Croix , pour s'en fervir lorfqu'elle en auroit befoin 3 le croyant de fes amis; qu'elle ne vouloit pas que cela parut 3 d caufe de fes créanciers ; qu'elle en avoit une indemnité de Sainte-Croix qu'elle a perdue dans fon voyage ■ que fon mari ne fcavoit rien de la promeffe. Interrogée fi la promeffe a été faite devant ou après la mort de fesfères? A dit ne s'en fouvenir, & que cela nefaie rien d la chofe. Et depuis elle a dit que Saint e-Croix lui avoit fait préter ladite fomme par un de fes amis, & lui avoit fait faire ladite promeffe. Avoue avoir été trois fois che^ Glazer 3 pour fes fiuxions.  de la M. de Brinvillier. 403 Interrogée quel intérêt elle a eu de prier Penautier de lui donner confeil? A dit quelle 1'a priéque 3 s'il a des amis, il les emploie pour elle, pour fes affaires. Interrogée pourquoi elle l'affure quelle fera tout ce qu'il lui confeillera ? A dit ne.fcavoir pourquoi; mais qu'en 1'état ou elle eft, elle demande confeil a tout le monde. Interrogée pourquoi elle a écrit d Maf tricht 3 a Théria, d'enlever tout fon proces? A dit ne fcavoir ce que c'étoit. ^ Interrogée pourquoi 3 en écrivant a. Théria , elle difoit qu'elle étoit perdue 3 s'il ne s'emparoit du procés ? A dit ne s'en fouvenir. A dit quelle ne s'eft pas appercue que fon père fe foit trouvé mal en\G66, a fon voyage d'Ojfemont 3 ni en allant 3 ni a fon retour. La caflerre de Sainte-Croix a été repréfentée : a dit quelle ne lui appartient point 3 & ne la connoit pas. Dit n'avoir eu de commerce avec Penautier que pour les 30000 livres qu'il lui devoit. Que fon mari & elle ont prêté dix mille écus a Penautier■■, qu'il leur a rendus; depuis lequel rembourfement elle n'a eu  4-04 Hiftoire du proces aucune relation avec lui; que c'ejl par Vavis de fes parens quelle a réclamé fa caffette 3 trouvée che^ Sainte-Croix. II ne faut que lire ces répo'nfes, pour y appercevoir une ame agitée par la vérité qu'elle veut déguifer, & qui perce malgréelle. C'elH'ame noire & timide dünefemmej quicommer, fans frémir, les crimes les plus atroces, tant qu'elle voir 1'impunité enrr'elle 8c fes forfaits ; mais qui perd conrenanee auffi-tót que k juftice jette fes regards fur elle, 8c qu'elle voir le chemin ouvert au fupplice. Elle avoit formé le projet de tout mer; mais la rerreur lui fait perdre tête, & lui fuggère des réponfes qui, m,a!.§ré e]le > prennent la teinte de la vérité qu'elle voudroit fuppfimer. ^ Si elle eut été innocente, auroit-elle répondu quelle ne fcavoit pasfelle avoit empoifonné fon père & fes frères? L'inculparion dün crime fiaffreux, n'auroiril pas révolté rous fes fens ? Ne lui auroit-elle pas infpiré une réponfe pleine d'indignation contre les accufateurs, 8c contre le magiftrat même qui lui en auroit fait Ia queftion en face? Mais elle n'a même pas la forcedefe rérrancher dans la négative abfolue : fon trouble ne lui permet d'autre défenfe que 1'i-  de la M. de Brinvillier. 4 c j gnorarice. Elle ignore fi elle a tué fon père 8c fes frères! Tout le refte de 1'in* terrogatoire eft marqué au même coin. Cette piece, jointe aux dépolitions .des témoins, & combinée avec elles, portoic la conviótion au dernier degré d'évidence. On ignore fi la cour tira des preuves de la confeffion de la Marquife; mais il ne paroït pas qüelle eut befoin d'en chercher ailleurs que dans les pièces même de la procédure. D'ailleurs, quoi que les adverfaires de la Brinvillier aient pu dire, cet écrit ne pouvoit 8c ne devoit fournir aucune lumière. Si tout ce qui elf placé fous le fceau de la confeffion n'eft pas préfervépar le fecret le plus inviolable, il n'y a poinr de milieu entre le danger de fe défendre des accufations les plus atroces, &d'en être fouvent la viébime; 8c la privation d'un iacrement néceftaire au falut. Enfin, par arrêt du 16 juiller 1676, rendu par la grand'chambre & Tournelle affemblées, Marie - Marguerite d'Aahray , époufe du fieur marquis de Brinvillier, fint déclarée duement atteinte & convaincue d'avoir fait empoifonner maitre Dreux d'Aubrayfon père, Antoine d'Aubray, maitre des requêtes & lieutenant-civil de la prévêté & vicotn*  4o 6 Hiftoire du proces té de Paris } & mejjïre d'Aubray, confeiller en la cour, fes deux frères , & attentéd la vie de défunte Thérèfe d'Aubray} fa fceur. Pour réparation a élé condamnée d faire amende-honorable audevant de la principale porte de 1'églife de Paris, oü elle fera menée dans un tombereau 3 nuds pieds, la corde au col, tenant en fes maïns une torche ardente du poids de deux livres; cS' ld , étant d genoux, dire & déclarer que méchamment & par vengeance , & pour avoir leurs biens, elle a fait empoifonner fon père, fes deux frères, & attenté d la vie de fa fceur : de-la y conduite en place de Grève, pour y avoir la tête tranchée fur un échafaud; fon corps brülê, & les cendres jettées au vent : préalablement appliquée a la queflion ordinaire & extraordinaire , pour avoir révélation de fes complices : déclarée déchue desfucceffwns de fes père } frères &fa>ur, du jour des crimes par elle commis (i); & (i) Laraifon, la jurifprudence & les loix, ne .pcrmettenr pas que, ni les parricides, ni leurs enfans, profiteur des fucceffions auxquelles leur crime a donné ouverture. On trouve, dans le joun.al des audicnces, un arrêt fur cette matière, rendu le i j mai r-SSj , qui mérite de trouver place ici. Jeanag Morineau,  de la M. de Brinvillier. 407 tous fes biens acquis & confifqués a qui il apparüendra ; fur iceux &• autres non fi'y'ets d confifcation 3 pris la fomme de pour empêcher Hugues Morineau , fon père , de palier a des fecondes noccs , prit le parti de le faire aflarfiner. Elle choifit la rüain d'un nommé Quyeie, dit de Montigtiy, batard d'un moine de 1'Abbayc de Cormery, en Touraine , nommé Morineau , & frère de Hugues Morineau, père de cette malheureufe. Cent écus d'or furent le prix de 1'alTalTïnac exécuté a coups de bayonnette, le 6 décembre 1630. Montigny fut condamné par fenrence du juge de Cormery a ê:re rompu vif, & bmlé, fes cendres jettées au vent. II reconnut qu'il étoit coupable ; qu'il méritoit le fupplice ordonné ; & pria qu'on ne le différat point, paree qu'il fe fentoit en bon état. Sur fes inftances, il n'y eut point d'appel interjetté. Jeanne Morineau fut pareillèment condamnée a être rompue & brülée, fes cendres jettées au vent; & , par furcroit de fupplice , a ctre tenaillée aux mamelles. Mais cette condamnation n'étoit contr'cllc, que par contumace : elle étoit en fuite avec le nommé Jacgueau , fon mari & fon complice , & qui avoit été condamné a le même peine que Montigny. lis avoient lailTé , a Cormery, un fils mineur, qui avoit recueilli la fuccelfion de fon aïeul alfalfiné, Sc celle de fes père & mère, morts civilement pat leur condamnation. Ilss'étoient retirés au village de Ballaze , prés Laval, pays du Maine, ou ils avoient tenu les petites éco ks, Si étoient enfuite paffes en pays étranger.  4oS Hiftoire du proces 4000 livr£s d'amende envers le Roi; 5000 livres pour faire prier Dieu pour le repos des ames defdics défunts frères, En 1640, Jeanne Morineau étoit accouchée d'une fille, nommée Jeanne Jacqueau. Son mari mourut après Ia naifiance de ce fecond enfant; & Fraucois Jacqueau , fon fils, décéda en 1641, deux ans après la naiffance de cette £lle. En 166% , trente-un ans complets après fon exécution par contumace, elle reparut a Cormery avec fa fille. Cet efpace de temps la mettoit a 1'abri du fupplice qu'elle avoit mérité : elle crut qu'il lui rendoit pareillèment le droit de réclamer la fucceflïon de ce même père, dont elle n'auroit- hérité , a 1'époque de fa mort, que paree qu'en rairaffinant, elle avoit haté Touverture de fa fucceflïon. Elle fe préfenta, tant en fon nom, que comme tutrice de fa fille, héritière de fon frère , qui avoit recueilli les fucceffions de fon aïeul & de fon aïeule. M. Bignon , avocat-général, jugeant Jeanne Morineau, condamnée comme parricide, indigne des fucceffions de fes père & mère, eftimoit qu'on n'en devoit pas exclure Jeanne Jacqueau , fa fille; en 1'y admettant non pas comme héritière de fes aïeul & aïeule , paree qu'en cette qualité, elle auroit repréfenté fa mère; & cette mère, qui étoit indigne, ne pouvoit être repréfentée, paree qull n'y a point de repréfentation d'une perfonne vivante; mais comme héritière de fon frère, qui avoit recueilli ces deux fucceffions, père  de la M. de Brinvillier. 409 I père & fceur , en la chapelle de la concierI gerie du palais ; 10000 livres de réparaj tion envers la dame Mangot de Villar- « Sur tout cecjue deflus, dit 1'auteurdu jour- j: » nal des audicnces , la cour ayant opiné & dé» terminé fur 1'indignité générale, tant en la |: " perfonne de la mère . que de la fille, & j ugé » que, ni Ieparricide , ni les enfans du parri» cide, nedevoicnt jamais recueillir les biens, *> & qu'ils devoient être ótés de la ligne, quel» que fiction que 1'on put faire, laquelle nc s> devoit être recue en ce cas, paree que ce " feroit indireétement admettre les parricides 55 a la fuccelfion de leurs pères, fi on y admet« toit leurs enfans : fur ces motifs , joint les » confidérations du long-tcmps que les pa« rens avoientpoffédé , fans être inquiétés , la » cour déclara ladite Morineau & fa fille non*> recevables «. Cet arrêt a jugé , non-feulement que le cou- : pable du crime de parricide ne peut jamais ; participer aux biens de celui qui a été la victime de fon forfait, ne ex facinore fuo lucrum Jentiat; mais que 1'indignité fe répand fur les I enfans du parricide, afin que le coupable ne puifle, ni direétement, ni indireétement, ti- : rer avantage de fon crime. Ce font ces motifs qui ont infpiré les légiflateurs romains , quand ils ont dit : ex his qua per flagitiam damnatus adquifiit, portïones liberorum non augentur : ■ veluti ,fi cognatum fuum interimi curaverit, 6> ejus hareditatem adiit, vel bonorum poffejfionem accepit. L. 7, §. 4, ff. de bon. damnat. in un mot, Ie parricide a fait divorce avec la Tome I, S  410 Hiftoire du procés ceau3 veuve de M. d'Aubray 3 & en tous \ les dépens 3 même ceux faits contre la \ Chauffée. La Marquife qui, rant qu'elle avoit j pu efpérer de falciner les yeux de la juftice, avoir nié fes crimes, les avoua, après I avoirenrendulale&uredefon arrêr. Le fieur Piror, doéteur de Sorbonne, qui la confeffa, Sc 1'accompagna au fupplice , a fair une relation fort tonchante des j vingt-qnatre dernières heures de la vie ] de cette célebre criminelle. llladépeint I comme une perfonne fi pénérrée de | douleur , fi éclairée des lumières de la grace, & fi bien convertie, qu'il va j jufqua dire qu'il auroit fouhaité d'être a fa place. Elle demanda la communion, mais on la lui refufa : elle ne I s'accorde point a ceux qui doivent fubir une peine capltale. 11 lui dit qu'elle devoit fe regarder comme une pénitente publique qui eftexclue, par les canons, 1 de la participation a 1'Euchariftie. Elle demanda qu'on bui donnat le pain-bénir, nature : c'eft par cette raifon qu'on Ie faifoit enfermèr dans un fac de peau, & jetter a la mer, afin qu'il expirat dans Ja privation de tous les élémens. II eft donc jufte au moins, qu'il y perde tous les avantages qu'il pourroit recueillir de 1'efFofion du fang qu'il a verfé.^  / de la Af. de Brinvillier. 411 ainfi, dit - elle, qu'on 1'avoit donné au maréchal de Marillac , fon patent, avant qu'il fut exécuté. On le lui refufa , en lui difant que le crime du maréchal n'étoit pas, a beaucoup prés, fi énorme que le fien; qüelle le devoir expier, non-feulemenr paria privation de 1'Euchariftie, mais même par la privation de la figure de ce facremenr. On doir penfer que la célébrité de cette criminelle fixa les yeux du public fur les derniers inltans de fa vie, & attira un gtand concours.de monde fur fon. palfage & dans la place de 1'exécution. Le célèbre le Brun fe mie dans un lieu d'oü il put 1'examiner attentivement, afin de pouvoir faifir 1'exprefiion düne criminelle faifie de 1'horreurdu fupplice qu'elle va fubir. Mais il y a lieu de croire qu'il ne trouva pas ce qu'il cherchoit. L'ame de la marquife de Brinvillier s'étoit accoutumée avec 1'image de la mott, qüelle avoit tant de fois adminiftrée de fes propres mains; Sc .cette férocité acquifé par ranr de coups réirérés, avoit tourné contre elle-même, £c forcé la nature a dépofer 1'horreur qüelle relfenr a la vue de fa propre defrruétion. Entre les fpeótateurs qui s'étoient attroupés en foule fur fon palfage,  4* 2, Hiftoire du proces étoient plufieurs da-mes de diftin&ion J quoique chaque pas qu'elle faifoit, 1'approchat d'une mort certaine 8c douloureufe; quoique la pofition oü elle fe trouvoit, fut la plus ignominieufe de toutes celles oü 1'on peut fe rencontrer , fon attention ne fut nullemenr altérée: elle voyoir & diftinguoit rour ce qui fe palToir autour d'elle. Elle appercut ces dames que la curiofité avoir placées fur fon palfage, les regarda avec fermeté, & leur dir, avec le ton de 1'amettume ; Foilk un beau fpeclacle a voir. Mais écoutons la relation de cette morr, par madame de Sévigné, dans fa lettre 296, datée du vendredi 17 juillet 1676', lendemainde 1'arrêt. » Enfin c'en eft fair, la Brinvillier eft; 35 en l'air. Son pauvre petit corps a été s> jetté, après 1'exécution, dans un fort a> grand feu, & les cendres au vent : 35 de forte que nous la refpirons j &, par » la communication des petits efptits, 3> il nous prendra quelque humeur em3> poifonnante donr nous ferons tous s> étonnés. Elle fur jugée dès hier; ce 3> marin, on lui a lu fon arrêt, on 1'a >3 préfentée ala queftion : elle a dit qu'il n tien étoit pas befoin, qu'elle diroi?  dé la M. de Brinvillier. 4.1 3 & tout. EnefFet, jufqüa quatre heures-, » elle a conté fa vie, plus épouvantable » qüon ne penfoit. Elle a empoifonné » dix fois de fuite fon père; elle n'en 35 pouvoit venir a bout; fes frères : 8c 33 toujours 1'amour 8c les confidences 33 mêlées par-tout. Elle a demandé a 33 parler a M. le procureur-général: elle 33 a été une heure avec lui; on ne fcait 33 point encore le fnjet de cette con33 verfation. 33 A fix heures, on 1'a me'née, nue 33 en chemife 8c la corde au col, a Notre33 Dame, faire Tarnende-honorable •, & 33 puis on fa remife dans le même tom33 bereau, ou je 1'ai vue jettée a recu33 lons fur de la paille, avec une cor.33 nette bafle, & fa chemife, un doc33 teut auptès d'elle , le bourreau de 1'au33 tre coté. En vérité, cela m'a fait fré33 mir. Ceux qui ont vu 1'exécntion, 3) difent qu'elle a monté avec bien du 33 courage ; pour moi, j'écois fur le pont » Norre-Dame , avec la bonne Defeurs. >3 Jamais il ne s'eft vu tant de monde, 33 ni Paris fi ému 8c fi attentif : deman33 dez-moi ce qu'on a vu. Pour moi, je 33 n'ai vu qüune cornette. Ce jour étoit 1» confacré a une tragédie. J'en fcantai S 3  414 Hiftoire du proces ■» demain davanrage j & cela vous re- j » viendra «. Dans la lettre fuivante, elle dit; 33 Encore un petir mor de la Brinvillier. 3> Elle eft morte comme elle a vécu, 3> c'eft-a-dire, réfolument : elle entra 33 dans. le lieu ou on lui devoit donner » la queftion; Sc voyant trois feaux » d'eau, c'eft affurément pour me noyer, » dit-eile j car, de la taille dont je fuis, » on ne prétend pas que je boive tout » cela. Elle écouta fon arrêt, dès le » marin , fans frayeur Sc fans foiblelfe j * &, far la fin, elle fit recommencer, 33 difanr : Ce tombereau ma d'abord » j"rappee, /'en ai perdu Vattention pour » le refte. Elle dit a fon confeffeur, en 33 chemin, de faire mettre le bourreau 33 devant, afin de ni-point voir, dit« elle, ce coquin de Defgrais qui ma »prife : il étoit a cheval devant le « tombereau. Son confelfeur la reprit 33 de ce fentiment. Elle dit : Ah, mon 33 Dieu ! je vous demande pardon • 33 qu'on me laiffe donc cette étrahge vue. 53 Elle monta feule Sc nuds pieds fur33l'échafaud, & fut un quarr-d'heure » miraudée, rafée , dreftée & redreflee » par le bourreau. Ce fur un grand nïur-  dè la M. de Brinvillier; 41 $ » mure' & une grande cruauté. Le len„ demain, on cherchoic fes os, paree „ que le peuple difoit qüelle écoit fainte. » Elle avoit, difoit-elle, deux confef» feurs; 1'un difoit qüil falloit touE 5, dire; l'autre, non. Elle rioir de cette „ diverfité : Je.puis faire, difoit-elle, » tout ce qu'il me plaira. 11 lui a plu de » ne rien dire du tout de fes complices. » Penautier fortira un peu plus blanc „ que la neige. Le public n'eft pas con„ rent : on dit que tout cela eft trou" ble«. Dans la lettre 299 : » Le monde eft , „ dit-elle, bien injufte j il 1'a bien été auffi pour la Brinvillier. Jamais tant p de crimes n'ont été traités fi douce9 ment. Elle n'a pas eu la queftion : » 011 lui faifoit entrevoir fa grace; & fi » bien entrevoir, qüelle ne croyoit pas „ mourir, & dir, en monranr 1'écha» faud : C'eft donc tout de bon ? Enfin » elle eft au vent : fon confeffeur dit „ que c'eft une fainte. M. le premier i> préfident lui avoit choifi ce dodeur » comme une merveille; c'étoit lui » qu'on vouloit qüelleprir. N'avez-vous » point vu ces gens qui font des tours « de carrés ? Ils les mêlent fans ceffe, 8c » vous difent de prendre celle que vous S4  4 * 6 Hijioire da procés » voadrez; qu ik ne s'en foucienr pas , «vous kprenez, Vona oroyez 1'a voir -bien choifie; feft juftement celle » «ju ils veulent. A Papplkation, elle »eftmfte IlneZ/aspoffibleque » cette hornble femme Wen paracbs; " la Vliaine ame doit être féparée des. autres. AfTaffiner, c'eft unebgateHe »en comparaifon d'être huit mois è " tuerj.on Pere, i recevoir toutes fes -careflès& fes douceurs, a qnoi elle k ;e0g« qu'en toujours doubIanf li n'eft point queftion, dans tout Ie cours du procés, du marquis de Brinvdher, 6V 1'on „'a pas feu ce qu'il étoir devenu, depuis 1'a venrure de fa femme. Madame de Sévigné dit qu'il follicitoir fom fa chere rnouié. II y a apparence pl alla cacher dans Ia retraite Ta dort! ieur & un nom qui étoir devenu 1'exprellion du crime. L'apothicaire Giazer, dontil a été fait ^ention plufieurs fois, fur irnpiiqué dansce proces, pouravoirfournid.es drogues a Samre-Croix, & eut bien de la peine a être renvoyéabfous. C'eft 4 ion occafion que fut ren du le fameus anetdu i7 févrierier77, qui obIl & les apothicaares & épieiers a prendre da-  de la M. de Brinvillier. 417 grandes précautions a 1'égard de toutes les drogues dont on peut faire un mauvais ufage. lis ne peuvent les vendre qüa gens connus & domiciliés, donc ils font obligés d'infcrire les noms fur un regiftre, avec 1'ufage qu'en veulent faire ceux qui les achetent. La lettre écritede la prifon de laconciergerie, par la dame de Brinvillier au fieur Penautier, annonce que cette criminelle avoir en lui beaucoup de confiance j & il étoit de notoriété qu'il avoit été en grande liaifon avec Sainte-Croix. Le bruic des empoifonnemens commis par ce Sainte-Croix, -réveilla 1'attention de la dame Volfer fur la mort de fon mari. Elle éroit veuve du fieur de Saint-Laurenr, receveur-général du clergé, & prétendit qu'il avoit été empoifonné par Sainte-Croix, a 1'inftigation de Penautier; que celui-ci avoit écé détetminé a cet horrible attentac par le delir de fuccéder a 1'emploi du fieur de Sainr-Laurenr, qui 1'avoit emporté fur Penautier, avec lequel il avoit concouru, pour Pobtenir. Elle prérendoic que cet empoifonnement s'étoit fait par le miniftère d'un laquais, que Sainte-Croix avoic placé auprès de fpu mx'u s5  41 8 Hiftoire du proces , Son fyftême de conviclion confiftoie a dire que Penautier avoic un intérêt marqué pour faire périr le fieur de SaincLaurent : la vengeance du triomphe qüil avoic obtenu fur lui, & la cerrirude de parvenir a un emploi trèsJucratif. II concuc facilemenc le delfein de faire périr fon rival, & 1'exécuta avec aucanc de faciliré : il étoit dans la liaifon la plus intime avec un empoifonneur public, & fa complice; avec Sainte-Croix & la marquife de Brinvillier. Penaucier d'ailleurs nageoit dans Populence; & Sainre-Croix , qui ne jouiffoic d'aucune forre de revenu, puifoit dans les rréfors de fon ami les fonds nécelfaires pour enrrecenir deux laquais, deux porceursordinaires, un carrolfe 6c une maifon briljante. L'amirié eft-elle, par elle - même , un morif aflez fort pour déterminer a cette dépenfe en faveur d'un ami, fi elle n'eft excitée par Ie plus vif intérêt ? Br quel autre intérer pouvoit-on avoir d'obliger li fort Sainte-Croix, fi ce n'étoit de lui payer 1'exerctce de fes talens dans Parr d'empoifonner? II étoit dans Pordre des complots criminels que Sainte -'Croix  de la M. de Brinvillier, 41 o profitat d'une partie des revenus d'un emploi qu'il n'avoit fait échoir d fon ami, qu'en fe rendanr coupable d'un crime qui pouvoit le conduire au bucher. Quant a 1'intimité de leur liaifon , elle eft notoire, & toüt le monde fcait qüils ne pouvoient fe paffer 1'un de l'autre \ qüils fe voyoient tous les jours; & que, quand Sainte-Croix manquoic de fe rendre chez fon affocié , il lui envoyoit Martin, le confident de tous fes crimes. Leur confiance réciproque eft d'ailleurs prouvée par écrit. Le teftament de Sainte-Croix, ttouvé dans fa caffette au profit de la dame de Brinvillier , avoir a fa morr deux ans de date. C'eft a Penautier qu'il eft adrefté ; c'eft a lui qu'il veut qu'on le remettre. C'eft par ce reftamenr que fes crimes ont été découverts; c'eft pat ce teftament, qui met le comble a tous fes attentats, que 1'on découvre fa liaifon & la nature de fa liaifon avec Penautier. C'eft pour lui feul, Sc pour ia dame de Brinvillier, qu'il fait un teftament: il les met de niveau dans fa confidence ; Sc cet aéte n'eft pas le fruit d'un mouvement paffager de tendrelfe Sc de conS 6  410 Hiftoire du proces fiance : il ne fait de teftament que poir* eux feulsj ily perfévère pendant deus annees pour eux feuls; & ij n'y a pas un mftanr, dans ces deuxannées, qui ne doive s'appeller un crime. La mors met le fceau a la petfévérance de eer amchement; & cette mott eft le comble de fes forfaits : il n'en a étéatteinc que paree qu'il préparoir celle du genrehumain. Enforte que.les plus arands crimes de Sainte-Croix. font les"Yeules preuves de fes liaifons & de fon atrachementpour la dame de Brinvillier, & pour Penautier. Er quels ga^es de fon amitié leur. laiffe t-ii ? Des promeffes & des poifons;. la matière & la récompenfe de fes crimes. VoiH toute fa fucceflïon ;. & c'eft cette fucceflïon qu'il leur lègue. Pour. dernière preuve , Ia dame de Saint - Laurenr prétendoir que lenautier avoir fait un billet d'une grofle fomme a Sainte - Croix , pour le recompenfar du crime qu'il avoit exécuté en fa faveur; & qu'après. la mort. de ce fcélérar, il avoir em 1'adrefle de fouftraire ce billet , en corrompanr, a force dargent, le commiflaire qui devoit affifter a 1'invenïaite. Cc fut icette occafion que ce con^  de la M. de Brinvillier. 411 tnilTaire ftu interrogé, Sc fit la déclaration qui a été ttanfcrire plus haut. Tels étoient les moyens que 1'on employoit pour prouver que Penautier étoit complice de Sainte-Croix, & qu'il avoit profité de fes talens dans 1'art d'empoifonner. Mais il eft certain que, s'ils fuififoient pour rendre fa conduite équivoque, Sc tetnir fa réputation, il n'étoit pas poflible que la juftice les adoptat pour en faire le motif d'une condamnation. Cependant le public le condamnoir, & croyoit qu'il ne pouvoit échapper au fupplice qua farce dargent & de profufions. On vient de voir ce qüen penfoic madame, de Sévigné. Voici ce qüelle ajoute dans fa 291 lettre : » II a été 33 ( Penautier) neuf jours dans le cachot »3 de Ravaillac. II y mourok; on Paóté. 33 II a de grands protecteurs : 1'archevê3» que de Paris & M. Colbert le fou33 tiennenr. Elle dit, dans fa 298 : >s Penautier elt 33 heureux ; jamais il n'y eut un homme 33 fi bien protégé. Vous le verrez for35 tir, mais fans être juftifié dans 1'efprit » de tour le monde. 11 y a eu des chofesx extraordinaires dans ce procés,, maisx> on ne peut les dire». Dans fa 293 »  4* 2, Hiftoire du proces » elle revient encore. a" la charge, & dit • » Le maréchal de Villeroy difoit 1'autte » jour : Penautier fera ruiné de cette n affaire. Le maréchal de Grammonc » répondir : IL faudra qu'il pepprime fa n table. Voila, ajoute-t-elle, bien des » épigrammes. On croit qu'il y a cenc » mille écas répandus pour faciliter » toutes chofes. L'innocence ne fait m guère de telles profufions «. Voici de mauvais vers que 1'on fit courir a fon fujet. Si Penautier, dans fon affaire, N'a feu trouver que des amis, C'eft qu'il avoit feu fe défaire De ce qu'il avoit d'ennemis. Si, pour paroitre moins coupable, II fait largefTe de fon bien , C'eft qu'il prévoit bien que fa table • Ne lui cóutera jamais rien. . Enfin, la Cour n'ayant trouvé aucune preuve qui put, non-feulement affeoir un jugement de condamnation, mak donner, fur fon compte, de 1'inquiétudeala juftice, le déchargea de f accufation. 11 reprit 1'exercice de fes emplois, & alla , dans la même année, tenir table aux états de Languedoc, Sc les plus grands Seigneurs fe faifoient un plaifir d'y manger.  de la M. de Brinvillier. 425 Mais fon arrêt ne fit pas revenir le public fur fon compte. Le cardinal de Bonzy, qui payoir plufieuts penfions impofées fur fon archevêché de Narbonne, furvécut a tous fes penfionnaires, & difoit que c'étoit fon étoile qui vouloit qu'il les enten dt. Madame de Sévigné le vit un jour dans fon carrolfe avec Penautier, Sc dit qu'elle avoit vu l'arckevêque de Narbonne avec fonétoile. Cette époque étoit celle du règne des empoifonneufes. La Voiiin a eu prefque autanr de célébrité que ia Brinvillier: elle avoit établi chez elle un attelier de forcellerie. Lorfqüune femme Palloit confulterpour fcavoir fi elle ne feroit pas bientót veuve , Ia fauffe forcière, après avoir fair fes évocations magiques, Sc s'êtte fait donner les rétributions convenables , fixoit un temps dans lequel i'époux devoit mourir;& pour süretéde fa promeffe, elle affuroir que Pexécution en feroit annoncée par un préfage de la viduiré. Ce préfage étoit tantot la fradfion de quelque porcelaine, ou de quelque glacé de prix, donr un domeftique préparoit la chute, de manié te qu'elle paroiffbit fe faire fans que perfonne 1'eür occalionnée : rantot 1'annonce fe faifoit par un bruic dont on  4-i 4 Hiftoire du proces ignoroit la caufe, ou par quelqüaurre amiice femblable. Quant a la mort du mati, elle arrivoit toujours a point nommé, par le fecours d'un poifon donné a propos.. Enforte que Ia femme avoic la fatisfaóïion de devenic veuve, fans y avoir contribué autremenc que par la confuitation qu'elle avojt payée a la forcière. Elle avoit donné, a la manière dont elle rendoir fes oracles , un air d'importance qui mettoic le comble a la crédulité des efprits foibles. Lorfqüon entroit en explication du fait fur lequel on yenoit la confulter : Taife^-vous, s ecnoic-eUe , je neveuxpoint fcavoir vos affaires: cefl dl'efprit qu'il fa ut ledire ; car c'ejlun efprit jaloux3 quine veut point qu'on entre dans fes fecrets : je ne puis que le prierpour vous, & lui obéir. Elle alloit enfuite chercher du papier, qüelle difoicêrre charmé. Elle vous dictoit les noms & les qualités de 1 efprit > & le préambule de la lettte t enfuite oh vous lailfoit la liberté de 1'achever comme vous Fentendiez. Quand toutes vos queftions étoient rédigées par écrit,. madame Voifin paroilfoir, d'un air grave Sc cempofé, un rechaud a la main,. Sc une boule de cire vierge dans  de la M. de Brinvillier. 42.5 l'autre. Plie\difoic-elle, cette bouk darts votre lettre, & vous verrq confumer iune & l'autre par le feu; carl'efprit ff ait de'ja ce que vous ave\ d lui dire ; & dans trois jours , vous pouve^ venir fcavoir fa réponfe. Cela dit, madame Voifinprenoir, d'un geftecérémonieux, le paquet, de votre main , & le jetrok devant vous dans le feu: vous le voyiez confumet a Tmftant, de vos propres yeux; & cependant, au bout de trois jours, vous aviez une réponfe précife aux quelHons que vous aviez écrites, quelque nombreufes qu'elles fulTent; & cetre réponfe fe rrouvoit cachettée chez madame Voifin : fa maifon éroit 1'unique enrrepót dontl'efprit vonlut fe fervir. On imagine bien que ce n'étoit pas le papier que 1'on avoit écrit, que la Voifin jettoir au feu : elle l'efcnmotoit, enjettoitun autre, & gardoit le votre pour ajufter fa réponfe, pendant les ttois jouts. Elle les employoit a s'inftruire plus partkulièrement des affaires &c de 1'humeur de la perfonne , &rédigeoir, fous le nom de 1'efprit, line réponfe qui, par hazard & par les découvcrtes que fes inttigues lui faifoient faite , rencontroit fouvent jufte.  41 & Hiftoire du proces Elle étoit dans 1'ufage , & 1'on ne fcait pas trop quel en étoit le but, d'infcrire fur un regiftre les noms de rous ceux qui alloienr chez elle. Lorfque la juftice la fit arrêrer, on fe faifit de ce livre; &c 1'examen que 1'on en fit, donna lieu a deux aventures qui pourronr égayer 1'imagination du leóteur, noircie par les horreurs de la marquife de Brinvillier. • Phihberr & des Cóteaux étoient deux célèbres joueurs de flute, qui firent long-temps les délices de la cour de Louis XIV"; & leur célébrité n'avoit fait que former & refterrer entre eux les liens de 1'amirié. Philibert-s'infinua fi avant dans les bonnes graces d'un riehe bourgeois, nommé Bntnet3 qu'il le détermina a lui donner fa fille unique en mariage. M. Brunet étoit fi engoué de fon gendre futur, qu'il n'entretenoit fa femme que de fes éloges. !l fit tant, que la bonne dame s'échauffa pour Philibert, & en vint au point de mieux aimer 1'avoir pour mari, que pour gendre. Elle étoit bien sure que Ia fortnne de fa fille avoit plus d'appas pout Philiberr, que fa perfonne. Elle étoit joüe, mais fi jeune, fi neuve & fi gauche, qu'elle n'étoit pas faite pour  de la M. ie Brinvillier. 417 donner de 1'amour. La mère, agée d'environ quarante ans, étoic fraiche &C dodue : elle étoir bien propre a infpirer des defirs, Sc paroiffbir au moins auffi propre a les fatisfaire. Elle alla confulter laVoilin , a qui elle conra tous fes projets au plus jufte. Le fruit de fa confidence fut une apoplexie qui, a 1'heure qüon y penfoit le moins, rendiï madame Brunec veuve. Philiberr, après lecérémonial du deuil, pourfuivit fa pointe, Sc demanda qu'on terminat fon mariage avec madcmoifelle Bruner. Mais on lui fit entendre que la mort du père avoit changé les chofes de face, Sc qu'il n'étoit pas féant de demander en mariage une fille qui avoit une mère a marier. Philiberr, qui n'en vouloit qu'a 1'argenr, fe conforma a 1'ériquette, & adrefia fes foupirs a madame Bruner. II fut écouté : mademoifelle Brunet fut mife dans un couvent; & fa mère n'eut pas plutót fatisfait aux ufages recus pour le veuvage, qu'elle donna fa main a Philiberr, avec tous les biens dont elle pouvoit difpofer. Le pauvre Philiberr éroir le plus content du monde : il vivoit dans 1'aifance avec une femme qui ne manquoit, ni  4l% t Hiftoire du proces _d'efprir, ni d'agréniens , & dont il étolg adoré. Son bonheur fut terminé par un accidenr bien facheux. La Voifin fut arrêrée & brülée. Le nom de madame Brunet fe trouva infcrir fur fon livre : la juftice fcruta l'hiftoire du veüvage de madame Brunet, & en forr peu de temps la fit pendre. On ne mancjua pas de foupconner Philiberr d'avoir eu part au crime de fa femme. Tour le monde lui confeilla de prendre la fuite. Le roi lui-même 1'avertit que, pour peu que fa confcience lui fit quelque reproche, il devoir fê garantir de ja peine par la fuite; attendu qu'il n'avoit point de grace a efpérer. Son ami des Cêteaux lui repréfenra le danger qu'il y avoir a rifquer, fur une affaire fi délicate, la décifion de lajufrice humaine. Et, comme un fecond Pijade , il lui offrit d'allerparrager avec lui fa mauvaife fortune, dans tous les lieux qu'il choifiroit pour afyle. » Nous 3' ne fcaurions manquer de pain nulle » parr, dir-il :■ il n'eft poinr de fouve» rain qui ne fe faffe un plaifir de nous '• avoir a fa cour. Puifque nous ne pou» vons être étrangers nulle parr , allons «chercher une autre patrie; &, con^ s> tens d'ètre enfcmble, tous les pays  de la M. de Brinvillier. 419 f> du monde doivent nous être égaux «. Philiberr remercia le roi Sc rous fes amis des avis qüils lui donnoienr.; mais il voulut lailfèr aller le cours de la juftice, qui le juftifia pleinemenc, Sc le renvoya abfous. Le Roi fur du nombre de ceux qui lui en témoignèrent leur fatisfadion, Sc permir que 1'on prït, fur les biens de madame Brunet, qui avoient été confifqués, une dot pour faire fa malheureufe fille religieufe. La cataftrophe de 1'autre aventure n'eft pas fi ttagique. Le nom de madame T.... fe trouva fur la lifte de la Voifin; & ce fut fon mari qui le lui apprit d'un ton a la faire frémir. Elle fe crut perdue , Sc s'attendoit a tous momens a voir la juftice enrrer chez elle, pour la conduire en prifon. Elle étoit au fort de fes allarmes, quand on vint lui annoncer qu'un homme, que fes gens ne connoilfoient pas, de» mandoit a lui parler. Scache\ fon nom, s'écria-c-elle route tremblante. Mais quelle fut fa frayeur, quand on vint lui dire que cet homme avoit répondu qu'il n'y avoit qüa dire a Madame, que c'étoit Defgrès. Ce nom étoit préjijfément celui de ce fameux exempt  4 3 0 Hiftoire du proces qui avoit arrêté la marquife de Brinvillier , & qui faifoit tous les jours les captures les plus hazardeufes, & qui demandoienr Je plus d'adreffe & leplus de fermeté : c'éroir en un mot la terreur de tous ceux qui avoient lieu de craindre d'avoir quelque démêlé avec la juftice. A ce nom terrible, Madame T fe crut abfolurnent perdue : elle barricada toutes les avenues de fon appartement, & courur, toute éplorée, fe jetter aux pieds de fon mari. Sauvez-moila vie, lui dit-elle : il eft vrai que j'ai été une feule fois chez la Voifin; mais ce n'étoit que pour la prier de me faire venir de la gorge : jamais je ne lui ai demandé autre chofe. M. T a qui cette confeffion , ar- rachée par la peur, qui eft fouvenr 1'augure de la vérité, ne laiffbit aucune ïnquiétude fur la conduite & fur les delfeins de fa femme, 1'affura qu'elle n'avoir rien a craindre. Mais Defgrès ne s'en alloirpoinr; & fa perfévérance a refter allarma fi forr Madame T. . . qu'elle vouloir fe jetrer par la fenêrre. Enfin M. T.... qui avoit cru que la frayeur feule avoir fair imaginer a fa femme que Defgrès étoit dans fa maifon , envoya fcavoir ce que c'étoit. U  de laM.de Brinvillier. 431 fe trouva que c'étoit un tapilfier de même nom, a qui fa femme avoit fait dire, quelques jours auparavanr, de' venir lui parler. Cette aventure amufa quelque temps le public; & donna lieu a une des fcènes de la Comédie intitulée : Madame Jobin, oxxla Devinereffe, LaVoilin expia en fin fes crimes dans les Hammes. Les Mémoires du remps nous alfurenr qüelle mourut forr repenrante. lis ajoutent que le Brun , qui n'avoit pu que voir Ia Marquife de Brinvillier j fans pouvoir la copier fur 1'original, qui d'ailleurs lui avoir rrouvé un air de fermeré qui inrerceptoit les elfets que la terreur & le repentir peuvent produire fur un vifage, demanda permif. lion de peindre la Voifin, quelques heures avanr qu'on la conduisit au fup-» plice. II réuflir fi bien a la peindre , &C rendir, avec tant de vériré, les imprelfions d'une mort certaine fur tfn coupable en fanté, que ce portrait palle pour un de fes chefs-d'ceuvre. La Voifin laifla un grand nombre d'écolières après elle, &c 1'on n'enrendoit parler que de morrs fubites pronoftiquées par de prétendues DevinerelTes. Pourmettre fin a cerléau, le Roi créaune Chambre ardente, donc les'fondions fe  4 3 I Hiftoire du proces > &c. bornoienc a juger ces fortes de crimes; êc qui vint enfin a bout de détruire la race funefte des devinerefïes & empoifonneufes. Ce fut a cette occafion, que parut 1'Edic de Juillet 1681, pour la punition des maléfices , empoifonnemens } Sc autres crimes de cecte na*? ture. ENFANS  433 f ENFANS D'UN BÉNÉFICIER LÉGITIMES. FRancois de Dampierre, Seigneur de Beaulieu, etoit pourvu, en quaI lité de fimple Clerc tonfuré, de deux i prieurés; celui de Deuil, & celui de . Dampierre, produifant conjointement ; environ "ooo livres de rente. II hai bita publiquement pendant vingt-deux ■ ans avec Marie Charton, fille d'ua i boucher de la ville de Chinon. De ce concubinage naquirenr feize enfans, i tous baprifes fous le feul nom de leur i mère, fans défignation d'aucun père | quelconque. Le domicile de fabbé de Beaulieu 8c I de fa concubine étoit tantót aNiorren 1 Poitou, ou il avoit acheté une maifon i fous le nom de Marie Charton; &C ] rantót au village de Deuil, dans la maifon du prieuré. Ces deux domiciles étoient conltatés par les róles des tailTome I. T  434 Enfans d'un Bénéficier les des deux Paroiffes, furlefquels 1'abbé de Beaulieu éroit employé comme exempt. Ce doublé emploi étoit uné précaution contre les menaces de Tévêque de Xaintes, qui vouloit pourfuivre ce bénéficier comme concubinaire public. Beaulieu eft a la vérité dans le diocèfe de ce Prélat. Mais, en lui prouvant un domicile hors de fon diocèfe, le coupable échappoit a fa jurifdiétion. Or la ville de Niorr, qui n'eft qüa quatre lieues de Deuil, eft du diocèfe de Poitiers, dont 1'évèqne étoit plus commode que celui de Xaintes. Cette précaution mettoit 1'abbé de Beaulieu a 1'abri des pourfuires perfonnelles. Mais d vouloit auffi fauvet fes bénéfices de la rapacité des dévolutaires (i), & conferver en même-remps fa concubine : un autre ftratagême lui (i) Le Dévolutaire eft celui qui obtient en cour de Rome des provifions d'un bénéfice pofledé par un titulaire indigne. Il pourfuit ce titulaire en juftice, pour le faire déclarer déchu de fon bénéfice, & fe le faire adjuger. Or le concubinaire public , après certaines formalités prefcrites par les canons & par les ordonnances, peut être privé de fes bénéfices au profit d'un dévolutaire.  légidmês. 43? fournit, le moyen de concilier ces deux polTeftions. II faifoit de temps en temps des actes de réfignation de fes bénéfices, fans pout cela s'en dépouiller, foit qu'il laifsar ignorer ces aétes aux réfignataires, foit qu'ils fuflent confidentiaires (i). Le titre ne réfidant ainfi jamais fut fa tête , il étoit toujours en état de faire face aux dévolutaires , en leur faifanr voir, par des aftes de réfignation , qu'il ne réunilfoit pas les deux qualités de bénéficier & de concubinaire. L'attachement de 1'abbé de Beaulieu pour Marie Charton, 8c 1'afcendant de cette concubine fur 1'efprit 8c fur le cceur de fon amant, furenr portés a un tel excès, qu'il renonca a routes ces gênantes précautions, & fe détermina a perdre fes bénéfices par 1'éclac d'un mariage folemnel. Le 30 Avril 1671 , il pafla un contrat de mariage avec Marie Charron, dans lequel ils inférèrenc la lifte de (1) Confidentiairc eft 'celui qui prêre fon nom pour la pofleflion du titre d'un bénéfice; 6c qui fe foumet a remettre a un autre , foit les revenus du bénéfice, en tout, ou en partie, a mefure qu'ils échéent, foit le titre même du bénéfice dans un temps conyenu.  43 6 Enfans d'un Bénéficier leurs enfans vivans, & les reconnurent pour leurs héririers légirimes. Cet a£te fut fuivi de trois publications de bans; & le 17 Mai de la même année, ils s'épousèrent en face de 1'églife. Les huit enfans qui reftoient des feize dont la Charton étoit accouchée, furent mis fous le poé'le, &c quelques-uns d'entre eux lignèrent 1'aóte de célébrarion. Le curé de Deuil, qui rédigea cet aéte, prit la précaurion peu ulirée dedéclarer que les parties contraclantes étoient en bonne fanté. Le lendemain de la cérémonie, la nouvelle mariée accoucha de fon dixfeptième enfant. Le neuvième jour, elle fut prife d'une fièvre qui la mit au rombeau douze jours après fon accouchemenr. Elle fut inhumée dans 1'églife de Deuil, en qualité de femme du fieur de Beaulieu. Ces événemens mirenr enfin les Réfignataires du fieur de Dampierre dans le cas de fe mettre en polTeflion publique de fes bénéfices. Philippe de Villiers, curé de Bourdet, & Jacques Gauthier, curé de Deuil, prirenr poffefiion; le premier du prieuré de Deuil, & l'autre de celui de Dampierre,  légitimes. 437 Les frères, fceurs, neveux & nièces, liéririers préfomptifs du fieur de Beaulieu, ne virenr pas d'un ceil rranquille un mariage qui leur enlevoit 1'eipoir düne fucceilion que 1'état clérical du fieur de Beaulieu les avoir accourumés a regarder comme alfurée, &c qui d'ailleurs incroduiföir dans leur familie les enfans d'üne concubine de la lie du peuple. lis prétendirent d'abord que Ie véritable domicüe du fieur de Beaulieu écoir dans la ville de Niort, diocèfe de Poitiers; qu'ainfi le curé de Deuil, qui étoit du diocèfe de Xainres, n'avoit pas pu célébrer un mariage entre les habitans d'un autte diocèfe, ^iu moins fans une difpenfe de 1'évcque diocéfain. Sur leur dénonciation, le promoteur (1) de Xaintes, fous le prétexte de difcipline ecclélïaftique, & de réprimer 1'abus de marier des perfonnes d'un diocèfe étranger, fans la permiffion de 1'ordinaire, cita le curé de Deuil, Sc (1) Promoteur eft celui qui, dansles jurifdidtions eccléTiaftiques, ou officialités, exerce le miniftère public, & fait les foncrions de procureur fifcal. T3  4 3 8 Enfans d'un Bénéficier le fic inrerroger fur ce mariage. Le curé conyinr de deux fairs donr, par la fuite, en tira un grand avanrage comte la validité de cette union. II déclara que Marie Charton s'étoit trouvée mal le fioir^ même du jour de fon mariage; d'oü 1'on concluoit qüelle étoit, au moment de cet acte, attaquée de la maladie donr elle eft morte j & que cette circonftance, d'après le texte précis des ordonnances, opéroit la nullité de ce matiage. Le curé de Deuil déclara , en outrê , qne le fieur de Beaulieu & fa concubine avoient coutume de fe confeffer d Niort d lafête de pdques ; d'oü 1'on concluoit encore que Niort étoit leur véritable domiciléj & que s'étanr mariés a Deuil, ils ne 1'avoient-pas été par le propre pafteur , coram proprio parocho ; autre circonftance qui, aux termes des canons & des ordonnances , annulloit encore ce mariage. Le promoreur ne fe concenta pas dè 1'interrogatoire du curé ; il fit mTd£ mer pardevant rofiicial des vie & moeurs de Marie Charton ; & il paroit que cette information appric que cette concubine n'avoit été rien mom^ que fidele a. fon amant.  légitimes. 439 Les chofes étoient en cet état, lorfque Francoife Charton & Brandolie Gruce, fceur & nièee de Marie charton , interjettèrent appel comme d abus de fon mariage. Elles étoient fes héririères , & avoient , par-confequent intérêt d ecarter fes enfans de fa fucceflïon, en les faifant declarer ba- tards. ... , Leur parti fut fortifie par le concours des. parens du fieur de Beaulieu : fcavoir , Charles Fourre marquis de Dampierre; Marie Fourre , veuve de Louis Foucault de SaintGermain , maréchal & vice-amiral de France; René Fourré de Dampierre feigneur de Feuille; Francoife &. Helène Fourré de Dampierre , ftères , fouts & nièces du fisur de Beaulieu. Tous interyinrent au procés, & interjettèrent auffi appel comme dabusde la célébration du manage. ^ Le fieur de Beaulieu , de fon cote, intetjetta appel comme d'abus de_ la procédure faite pat 1'othcial; foutint fa légitimité de fon mariage cc de fes enfans. ,. ,, Après une pfcidoienc folemnelle , la caufe fut appointée , & jugée au rapport de M. Rougeault.  44° Enfans d'un Bénéficier Quatre propolitions fórmoient h *yfteme_ des appellans comme d'abus du manage. i II n'avoit point été célébré en prefence & du confentement du propre cure des parties. i°, Le mariage d'une femme enceinte, celeoré Ia veille de fon accouchement , & dont elle meurt douze jours apres eft cenfé fait in extre. ws; il eft donc nul. 3 °- Les enfans naturels d'une concubine, qUI ne fonr point baptifés fous Ie nom de 1'homme qui Pentrenent ne peuvent être reconnus par cet homme. r #4°. Les enfans d'un bénéficier : *es pendant qu'il jouit de fes bénél Hees, ne peuvent être légitimés par tin mariage fubféquenr. On ne s'arrêtera point & Ia difcufiion de la première de ces queftions, La decifion en eft peu imporrante, & depend de tant de circonftances particuheres , qu'elle ne peur qu'ennuyer lans mftruire. 1 Quant a la première des trois autres, il faut, pour 1'éclaircir , copier ici r ^ de 'a déclafa"on du vinarlix Novembre , qui profcl-it °\es manages dandeftins, & ceux qui fe cé-  légitimes. 441 lèbrent a 1'extêmité de la vie de 1'un des contradans. Les deux articles con- f cernanr ces deux fortes de mariages , onr befoin d'étre mis fous les yeux du ledeur ; ils feronr dans la fuite combinés 1'un avec l'autre. » Art. V. Defirant pourvoir a I'aj5 bus qui commence a s'mtroduire •> dans norre royaume , par ceux qui » tiennent leurs mariages fecrets & ca» chés pendant leur vie , contre le ref53 ped qui eft dü a un fi grand fa>3 cremenr , nous ordonnons que les ,3 majeurs contradent leurs mariages „ publiquemenr, & en face d'églife , ,3 avec les folemnités prefcrites ^ par ,3 1'ordonnance de Blois ; & décla,3 rons les enfans qui naitront de ces jj mariages , que les parties ont tenu 33 jufqüici , ou tiendronr a 1'avenir 33 cachés pendant leur vie , qui 'je£33 fentent plutöt la honte d'un concubi35 nage , que la dignité d'un mariage , 33 incapables de toutes fucceflions , auffi33 bien que leur poftérité. 33 Ait. VI. Nous voulons que Ia mê»3 me peine ait lieu contre les enfans » qui font nés de femmes que les 33 pères ont entretenues 3 & qu'ils épou»fent lorfquils font d l'extrêmité de T J  44* Enfans d'un Bénéficier . » la vie : comme auffi contre les en»fans procréés par ceux qui fe ma" nent aPrès avoir été condamnés i » morr même par les fenrences de »nos Juges rendues par défaur, fi, " avant leur décès , ils n'ont été re» mis au premier état fuivant les loix » prefcrites par nos ordonnances ». Les appellans comme d'abus foutenoient que le mariage en queftion etoit dans le cas de la prohibition portee par le fecond de ces deux articles. La femme étoit malade lors de la celébration de fon mariage • & 1'on ne pouvoit le dirférer fans co'urir les rifques de le voir prévenu par la morr de Marie Charton ; il y avoit en un mot du danger dans la demeurf- Lelie étoit la déclaratióti du curé de Demi par-devant 1'official de Xaintes: & il parloit en témoin oculaire, puifqu'il avoit été le miniftre du mariaoe. 11 ajoute d la vérité que la maladie ne fe manifefta que le foir du jour des noces. Et cette déclaration femble être fortifiée par celle qu'il a eu foin d'ajourer dans le certificat de célébration, dans lequel il a expreffément remarqué que les parties étoient en fan té. Mais, loin que ces deux déclara-  lèg'uimés. 443 tions foient favorables au fait que leur auteur a voulu établir, elles le détruifent,fi on les confidere en ellesmêmes Sc par les circonftances qui les accompagnenr. Elles dénoncent l'afFe&ation d'un homme entièrement dévoué aux intérêrs Sc aux fantaifies du fieur de Beaulieu , qui lui avoit réfigné un prieuré de fix mille livres de rente. Mais, outre qu'il fe contredit lui-même , la précaution qui lui a diófé ces deux obfervarions , décèle Sc le menfonge , Sc le but de ce menfonge. Si, comme il le dit, la rrïaladie de Marie Charton ne s'eft dcclarée que le foir, elle étoit donc en bonne fanté au moment des époufailles, & Padfce de célébration le porte; Sc fi , dans ce moment elle étoit en bonne fanté, comment ce ptêtte avoitil appercu du péril dans la demei re ? Si d'ailleurs 1'état de maladie actuel dans lequel étoit Marie Charton , ne 1'avoit pas averri qu'il falloit prendre des précautions contre un accident qui pouvoit attaquer le mariage dans fa fource , lui feroit-il venu en penfée d'inférer dans fon aéfeune mention extraordinaire , & qui ne fe rencontre jamais dans ces fortes de pièces? T 6  444 Enfans d'un Bénéficier C'eft Ia maladie de cette femme qui a fait parler de fanté. Mais nimia pr£~ cautlo dolus. L'aftaire eft donc exadlemenr dans 1'efpèce de ladéclararion de 1 ^39. En effer deux chofes fonr nécelfaires a 1'application de cette loi : la débauche avant le mariage; & la célébratioa a 1'extrêmité de la vie. Ici 22 années de cohabitation , la nailfance de dix-fept enfans, dont neuf font vivans , conftatent une " débauche perfévérante. Quanr a 1'extrêmité de la vie, le mariage de Marie Charton eft du 17 , & elle eft motte le 30 Mai 1672. II n'y a donc que 13 jours d'intervalle entre ces deux époques. II faur convenir cependanr que ce court efpace , eür-il encore moins d'étendue , ne feroit pas fuffifant, dans la thèfe générale , pour établit qüune perfonne feroit a 1'extrêmité de fa vie. Que 1'un des deux époux vienne a décéder un jour, une heure après la célébrarion de-fon manage j fi eer accident eft occafionné par un malheur fubir & extraordinaire, on ne pourra pas en inférer que celui qui en a été la viótime, éroit a 1'extrêmité de fa yie}, dans le fens de Ia déclaration  Uguimis. 44? de Ï6y). Le bur de cette loi a été de profcrire 1'abus des mariages dont ceux qui- les contractent, ont voulu, pendant leur vie , éviter la honte , & dans lefquels ils ne s'engagent qüau moment oü ils font alfurés qüune mort procbaine va les fouftraire a l'infamie d'une démarche qui n'aura d'autre effec que de purifier de la tache du concubinage & de la batardife la perfonne qui parrageoit leur débauche , & les enfans qui en font provenus. Ce-rte intenrion ne peur pas être imputée a celui qui, étant en pleine fanté, termine la honte de fon concubinage par la fainteté du mariage , & donr la vie eft fubitement éteinte par un de ces accidens imprévus auxquels route créarure vivante eft a tout inftantex» pofée (i).. (i) On ne s'avifa pas d'attaquer cornme fait in extremis le mariage de Ia fille d'un gouverneur de la Samaritaine a Paris, qui mourut miférablement une heure après avoir recu la bénédidion nuptiale. Elle étoit oméc de toutes les graces- dé la beauté & de la jeunelfe; fon efprit & fon caraélère donnoient encore un nou vel éclat a fes charmes. On 1'avoit aflortie a un jeune époux qu'elle aimoit, dont elle étoit airnée, & qui.  44^ Enfans d'un Bénéficier Mais celui qui tombant malade, eft emporté , nonobftant les foins &c les remèdes qu'on lui adminiftre, eft placé par la nature a 1'extrêmité de fa vie, dès 1'inftant qüelle le foumet a la maladiequi termine fes jours. Or il n'y a poinr de difterence enrre une groffefte & une autre maladie; il fuffit que la morr provienne d'une caufe naturelle , pour que 1'extrêmité de la vie puilfe fe comprer du moment oü cette caufe fe manifefte. II eft cerrain que Marie Charton eft décédée, foit de la maladie qui 1'avoit' attaquée le jour même de fon mariage, & qui étoit fi caraétérifée, que le curé a jugé qu'il y avoit péril dans la demeure; foit de 1'accouchement > effer néceftaire de la groftefle qui touchoit a fon rerme lors de la célébration du mariage. par^ fa naifTance & fes qualités , ne pouvoit quetre heureux & faire le bonnheur de fon époufe. On étoit de retour de 1'églife , les convives s'alloient placer a la table du feftin. Un befoin attira Ia nouvelle maric'e dans un cabinet particulier : la charpente qui Ie foutenoit croula dans la Seine , & entraina Ia jeune époufe qui pént fous les débris & &us les eaux.  légitimes. 447 L'état d'une femme enceinte eft af- peut être terminé que par un evenement qui produit toujouts une maladie auffi dangereufe qüaucune de celles pour lefqueiles tout 1'art de la médecine & toute 1'adreffe du médecin font néceffaires. Qu'une femme fe marie au moment oü elle eft furprife par les fympromes d'une pleuréfie, & qüelle en meure, ba!ancera-t-on a prononcer que fon mariage a été contraire in extremis} Or, 1'accouchement ne produit il pas une maladie qui demande autant d'atteptions & de foins que la pleuréfie ? & la mort fait-elle moins de ravages par 1'un, que par l'autre ? Le décès de Marie Charton eft donc provenu de 1'une des deux maladies dont elle étoit attaquée lors de fon mariage, ou de toutes les deux combinées enfemble. Son mariage a donc été fait in extremis. 11 eft donc profcrit par La déclaration de 1639. Cette loi, au refte , indépendamment des motifs qui l'ont dictée, tire encore une nouvelle force de la nature & de 1'effence du mariage. II n'a été inftitué que pour produiredes enfans; Svem tollenJa fobolis ha-  448 Enfans d'un Bénéficier beant. II fauc donc que les deux con» tfaótans foienr en écac de remplir eer objer ; fans quoi leur contrat, n'ayant aucun mocif , feroir nul. D'oü plufieursinterprères onr conclu qu'tm mariage fair a 1'extrêmité de la vie ne légirimoit pas les enfans précédemment riés ; paree que de reis mariages étant contraires au but de la loi , étoient illégitimes , &C ne pouvoient communiquer une légirimité qüils n'avoient pas eux-mêmes. Or qüe ce foir 1'homme qui foit a 1'exrrêmiré de la vie, ou que ce foit la concubine, la raifon eft égale', puifque i'incapacité de 1'un rend néceffairemenr la capacité de l'autre infrudtueufe. II eft donc inutile de raifonner ici d'après I'exprellion littérale de Ia Déclaration de 1639 , qui femble ne profcrire les mariages faits in extremis, que quand c'eft 1'homme qui fe trouve dans cet état. L'efprir de la loi infpiré , non-feulemenr par la pureté des mceurs , mais par le but, par 1'effence du mariage , profcrit cette diftinófcion, & comprend la maladie de la concubine ; de même que celle du concubinaire. Mais, quand on pourroit, pour un  légitimes. 44.$ moment, fuppofer que cette loi n'eft: pas applicable au mariage dont il s'agirici,. & qüelle n'eft pas fuffifante pour potter atteinte a 1'état des enfans que le fieur de Beaulieü veut ériger en enfans légitimes, a quel titre réclameroient-ils cette qualité honotable ? Les regiftres de baptème font, parmi nous , les feuls titres qui puiflent régler la naifiance & la qualité des perfonnes. (1) Or , il eft conftant qu'il n'y a qu'un enfanr né du mariage du fieur de Beaulieu & de Marie Charton : c'eft cet enfant qui a couté la vie a fa mère. Les aut tes,, au nombre de fept vivans, font nés. dans le concubinage , & baptifés fouS le nom feul de leur mère , fans défignation de père. Tel eft 1'état que les extrairs baptiftaites de ces enfans leur donnent : & cet état eft fixé par 1'acfte auquel feul la fociété & la juftice accordent leur confiance en cette matière. Or n'étant baptifés que fous le nom de cette femme, ils ne peuvent pas, (1) Voyez cette queftion traitée dans Ia Caufe de /'Enfant réclamé par deux mcres, f. i j-i & fuiv. & p. 147 Sc fuiv.  47° Enfans d'un Bénéficier plufieurs années après, être reconnusr par le fieur de Beaulieu , que la loi ne préiume point êtte leur père, puifqüelle ne le trouve pas dans le feul titre fur lequel elle puilfe fonder fa préfomption. La nature ne le préfume pas davantage : elle ne fe fait connoïrre que par les précautions de la loi. Autrement il ne dépendroir que dün homme de fe donner les enfans qu'il voudroir, & Pon verroit bientöt reparoitre parmi nous la liberté de 1'adoption, que nos loix ont profcrite (i). C'eft d'après ce principe que le droit canon & le droit civil ne fe ptêtent pas a accorder indiftin&ement d toutes fortes d'enfans la légitimatton par mariage fubféquent. Ce privilege eft (i) Les loix Romaines autorifoienc les pères de familie a admettre , par la voie de 1'adoption , teüe perfonne qu'ils jugeoienf a propos au nombre de leurs enfans , Sc ces enfans adoptifs acquéroient les mêmes droits que les véritables enfans , partageoient avec eux la fucceflion du père commun ; prenoient le nom de la famill: ou 1'adoption les avoit introduits ; on ne les diftinguoit des enfans naturels de la roaïfon qu'en ce qu'ils a/jutoient a leur nom d'adoption celui de la fam 11e dont ils defcen-j doient véritablcment ,ou le furnom de la branche particuliere d'ovi ijs étoient ilfus dü naiifancc.  Ugitimés. 471 réfervé a ceux qui peuvent nommer Sc faire connoitre leur père a des marqués que la loi ne fcauroit méconnoitre. Mais il eft refufé a ceux qui ont été concus au milieu de la pcoititution de leur mère., La loi les appelle enfans du public, vulgo qurjitos (i). Or comment le fieur de Beaulieu peut-il reconnoitre pour fes enfans ceux qu'il veut ériger aujourd'hui en enfans légitimes? L'informanon faire de 1'autoriré de 1'ofïicial de Xaintes prouve que Marie Charton vivoit publiquement dans la dcbauche , Sc fouffroit les privautés de plufieurs hommes a la fois. Ses enfans font donc le fruit düne proftitution vague Sc incertaine, & qu'aucun de ceux qui ont coopéré i leur conception, ne peut s'attribuer Sc reconnoitre. Le fieur de Beaulieu n'a donc pas plus de droit a cette paternité, que ceux qui ont parragé avec lui les faveurs de fa concubine. Si on 1'écoutoit, la plus légere in- (') Vulgo conccpti dlcunlur qui palrem detnonflrare non pojfunt vel qui pojfunt qnnsac, c'e'l i'effencedela religion qui lui intetdit tout commetce avec les femmes. St. Auguftin, qui vivoic dans un temps ou  légitimés. 461 Ia loi civile n'avoit pas encore profcrir le concubinage , en défend 1'ufage , même aux laïques. Audite, cariffimi „ dit-il , fornkari vobis non Bcèt : fufficiant vobis uxores ; & Ji non habetis uxores , tarnen non Heet vobis habere concubinas. Si c'étoit un'pêché d'avoir une concubine dans un temps oü la loi en autorifoir 1'ufage , que doit-on penfer de cette licence dans un fiècle oü le véritable efprit de la religion a tellement pris le deffus , que le mor concubine eft devenu fynonyme d'un autre mor qui exprime a la fois le défordre d'une femme & le mépris que ce défordre répand fur fa perfonne j dans un fiècle oü 1'églife gouvernée par les régies établies au conciie de Trente, fait le procés aux concubinaires publics , & lance contre eux les foudres de 1'anathème (1)? Auftï Barthole , fur la loi in concubinatuff. de concubinïs, après avoir examiné les raifons des auteurs qui avoient écrit avant lui fur cette matière, décide que les enfans d'un bénéficier ne (1) Concil. Trid. fejf. 2.4 > C"P- 8 ' & M' *S> caP- :4- V 3  4^2 Ênfans d'un Bénéficier peuvent pas être légitimés par le mariage fubféquenr, attendu que , lors de leur naifiance, leur mère n'auroit pas pu être 1'époufe de leur père (i). Autrement, comme la légitimation par mariage fubféquent n'eft autre chofe qüun effet tétroaétif que 1'on donne au mariage , il arriveroic qu'un clerc feroit réputé avoir eu en même-remps un bénéfice & une femme \ ce qui eft effentiellement incompatible. II peut fe trouver, il eft vrai, quelques auteurs qui foient d'une opinion differente. Mais li3 dans une affaire de la nature de celle ei, il y avoit qnelq'-ie doute, pourroit-on mieux faire, que de prendre le parri qu'infpire L'honnêteté publique? lei toutes les circonftances font odieufes; foit que 1'on confidère la pureté de la difcipline ecclélnltique ; foit que 1'on confidère Ia qualité vile, & la débauche vague de la mère de ces barards. Pour Ie fieur de Beaulieu , & fes enCo Ad quxfi'ionen principalem, dieo qubd fi clericus eft beneficiatus , fi alias retinebat concubinam 3 filii tune nali , per fubjtquers. matnmonium non legitimantur, quia , cum nati fuerunt rebus fic fe habentibus , non poterat sffe uxor.  légitimés. 46 3 fans , on difoit que toute leur défenfe feréduifoita réfuter trois objeéhons. La première porte fur un feul fait. Marie Charton étoit, difent les appellans ,attaquée lors de fon manage, de la maladie dont elle eft morte peu de jours après. Elle étoit donc a 1'extrémité de fa vie. Son mariage eft donc annulléparla Déclaration de 1639; & ils appuient ce fait, non fur des preuves, mais fur des induétions. Dans l'interrogaroire fubi par le curé de Deuil devant 1 official de Saintes ce pafteuradéclaré que le foir du jour des époufailles,Marie Charton fe trouva mal , 6c qu'il y avoit péril dans la demeure. Mais cet interrogatoire ne peut être d'aucune confidération au procés. C'eft un acte effentiellement nul. Depuis quand un official peut-il rnterroger un curé , fans avoir au préalable fait une information , & prononcé un déctet quelconque contre lui ^ On fcaic d'ailleurs que cette procédure n'a pas eu pour objet le maintien de la difcipline eccléfiaftique. L'official n'a agi que d'après les impulfions des collatéraux du fieur de Beaulieu & de fon époufe. Ils vouloient fe V4  4^4 Enfans d'un Bénéficier préparer des moyens d'abus. Mais ils n ont pas vu que les démarches quils provoqnoient, étoient abufives elles-memes, & qu'ils n'en pouvoienr, parconfequent, tirer d'autre fruit «e a preuve de la paffion aveugle qui les ammoir. ^ Enfin il eft impoffible de faire aucun ufage aéluel des acres émanés de cet official, piufqüils font attaqués par i appel comme d'abus que le fieur de Ueauheu en a interjetté. Mais d'ailleurs la déclararion de ce cure , confidéréeen elle-même, ne peut nerj produire. II n'a pas pu, par une decjaration verbale & fubféquenre , détrmre Ie certificat qu'il avoit inféré dans lacte de célébration. Or, ce certificat porte que les parties étoient en patfaite fanté. II y a plus : les termes du certificat combinés avec ceux de la déclararion , n'ont point la fignification qu'on veut leur donner. Dans 1'état de grolfelfe ou étoit la dame de -Beauheu, il pouvoit aifément arriver qu'elle fe portat fort bien le matin du jour de fes époufailles: & que le foir ehe fe trouvac indifpofée, & même gnèvemenr malade; enforre qu'il y eut eu effeótivement du uéril dans la  légitimés. 465 demeure , fi le mariage n'eut pas été célébré le matin. Le curé na donc parlé de ce péril, que d'après 1'éyénèment , & non d'après 1'érat oü étoient les chofes au moment de la célébration. La feconde induétion étoit tirée de la précaution prife par le curé , d'inférer dans 1'aébe de célébration que les parties étoient dans une par faite fanté. Mais toute énonciation a laquelle les conttaétans n'ont point de parr , ne peut jamais être confidérée comme 1'ouvrage de leur voionté , ni comme 1'effet de leur précaution. Celle dont il s'agit , eft un trait du caprice du curé , ou un eftet du hafard, qui ne peut les engager. On peut même aller plus loin , & confidérer cette clanfe comme une claufe inutile , dont les parties ne tirent aucun avantage, que les loix confidèrent comme non écrite, ainfi que les ftipulations qui font contraires aux bonnes mceurs, ou aux difpofitions des coutumes. Les parties fe trouvent donc dans le droir commun , qui admer toujouts les préfomptions favorables, quand elles ne font pas détruites par 1'évidence. Or ici la préfomption favorable , celle qui v5  4^6 Enfans d'un Bénéficier par conféquent eft infpiréepar le droit commun, eft que ceux qui fe marient fonr en fanté. Cette préfomption n'eft combartue par aucune autte. Le curé s'eft expliqué comme bon lui a femblé : s'il n'a pas ob'fervé le ftyle ordinaire des aSbes de célébration de mariage, perfonne n'en eft refponfable; c'eft un fait particulier de fon miniftère, qui ne concerne pas les parties : d leur fuftu d'avoir été mariés fuivant toutes les régies civiles & canoniques. Cela eft li vrai, que , quand même le curé n'auroit point enrégiftré la célébration de leut mariage; cette omiffion bien plus conlidérable que la fuperfluité dont on fe plaint, n'y donneroit aucune atteinte; & le curé feroir puni par la privation de fon temporel. Dans le fair, peut-on préfumer que, lors du mariage, la dame de Beaulieu fur attaquée d'une maladie qui put faire craindre pour fes jours ? At-on remarqué dans la conduire des contradans , cette précipitation qui ne man que jamais d'accompagner les mariages faits in extremis? Le contrat de mariage eft du 3® avril 1671$ les trois publications font du premier,  légitimés. 467 du quatorze 8c du quinze mai fuivant j 8c le mariage eft célébré en face d'églife , le 17 du même mois. Ces intervalles annoncent-ils des perfonnes moribondes , des perfonnes donr l'état eft , tel qu'il faille précipiter les actes par 1'appréhenlion d'être furpris d'une morr imminente? 11 eft vrai que la dame de Beaulieu étoit enceinte, 8c peu éloignée du terme de fa délivrance. Mais feize enfans qüelle avoit mis au monde fans accident, étoient un motif fuftifant de fécurité fut la dix-feptieme groffefte, quoique celle-ci, par un accidenr imprévu , lui ait couté la vie. D'ailleurs la grolfelfe n'ajamais été mife au rang des maladies comprifes dans 1'efprir de 1'ordonnance qui privé des eftets civils les mariages faits in extremis. L'état düne femme enceinte eft un état d'infirmité 8c d'incommodité. M'atri Ion ga decem dedtrunt faflidia menfes. Le cours d'une grolfefte eft compofé de momens alternanfs d'incommodité 8c de fanté. Marie Cha;ton jouilfoit d'une fanté apparenre i le curé qui 1'a mariée n'en peut pas fcavoir davantage. 11 1'avoit confelfée & commuV 6  468 Enfans d'un Bénéficier niée en bonne fanté ; elle fe tranfpotte le lendemain a 1'églife dans le même état ■> elle y recoit la bénédiction nuptiale a dixheutes du matin , & le foir elle fe trouve indifpofée. C'eft 1'alrernative de l'état oü elle étoit, & dont ce curé a parlé dans fon interrogatoite. II n'eft donc point en contradiótion avec lui-même. Mais une femme grolfe , même dans les douleurs de 1'enfantement, n'eft point malade d'une maladie qui par elle-même ait trait a la mort. Elle eft dans fon état naturel, dans l'état auquel afpirent toutes les femmes ; elles veulent devenir mètes. Ce feroit donc , li une femme enceinte étoit aftujettie a la déclaration de KS30, ttansformer l'état natutel de cette femme en une maladie mortelle. II faudroit foutenir en même-temps que toute jeune femme eft moribondej que fa jeunefle eft un état perpéruel de maladie; & qüelle ne doit attendre la perfeélion de fa fanté , que dans la caducité de fon age. II n'y aura point de don mutuel qu'on ne puifte contefter , fous prétexte du défauc de fanté de la femme , tant qüelle fera en age d'avoir des enfans (1). Cependant, par arrêt rendu (1) Une des conditions eifentielles a la  légitimés. 469 en 165 8 , il a été jugé qüun don mutuel fait par une femme grofte , qui étoit toujours malade dans fes groffeftès , & donr les enfans mouroient peu de temps après leur naifiance , étoit valable. En effèr la maladie, difent les médecins , eft une intempérie du corps qui, contte le vceu de la nature, trouble Pharmonie de la machine matérielle, & tend a fa deftrudion j mais a laquelle la nature oppofe fes précaurions, & Part fes rem'èdes. Or ^ cette définition peut-elle être appliquée a Ia grolfefte ? y a-t-il de 1'intempérie ? Pordre de la natute y eft-il troublé ? cet érar tend-il a la deftrudion de Pètre? eft-il permis d'ufer de précautions & de remèdes pour Pempêcher ? Au contraire, fi un mari, dit Quinrilien , a de la confidérarion pour fa femme , c'eft paree qüelle lui donne des enfans : Uxoris ea prcecipuè reverentia , qubd eft inventa caufd liberorum. En un mot, fi la grolfefte eft confidérée comme une maladie , quelle funefte propofirion pour lesfilles, quand elles fcauroient que leur parler de ma- validité du don mutucl entre les deux époux', eft qu'ils foient 1'un Sc l'autre en parfaits fanté , lorfqu'ils patiënt facie.  47° Enfans d'un Bénéficier riage, ^ c'eft leur propofer de pafler dans l'état düne maladie mortelle i Ce feroit un écrange compliment de noces. Aufli, quand Dieu marqué la peine de la défobéiffance de la première femme, il ne la menace pas de convertir la conception en une maladie mortelle : il lui dit feulement qu'il multipliera fes peines, & qu'elle enfanrera avec douleur (i). Er quand la loi civile parle d'une femme grolfe, même düne femme qui eft dans le moment de 1'enfantement , elle dit qu'elle n'eft point malade; qu'elle eft même dans l'état oü elle doit être , & qu'il n'y a que les accidens qui puiffent altirer fa fanré. Elle diftingue même exprelfément la maladie de la grolfelfe. Quoiqüune femme avancée dans fa groflefle , ditelle , ne foit pas maiade, elle doit cependant être dtfpenfée de paroitre en juftice a 1'échéance de 1'aflignation. Mais fi, après fon accouchement, elle gatde le lit, elle doit prouver qüelle eft réellemenr malade. La raifon qu'elle en donne eft que la femme n'a été créée que pour enfanter, & la loi va julqüa dire que (i) MulupHcabo cz'umnas tuas , & conceptustuos : in dolore panes filios. Gen. Ill, 16.  légitimés. 471 fa deftination a cet égatd eft marquée par le deur violent qui la poïïe a la progénirure, defir tellemcnt irréfiftible, que c'eft mettre une veuve dans le cas dün parjure certain, que de lui faire jurer qüelle ne fe remariera pas. Aufli la loi profcrir-eile ces fortes de fermens , &c accorde néanmoinsa la femme ce que fon mari lui avoit legue , fous la condirion qüelle ne fe remarieroit pas (1). (1) Si non propter valetudinem muiier non fteterit judicw , [cd quód gravida erat ; exceptionem ei dandam Labeo ait : fi tarnen poft parlum decubueril , probandum erit quafi valetudine impeditam. L. l, §. 4, ff fi quis caution. Si muiier pragnans venierit, inter omnes convenit fanam eam ejje. Maximum enim ac pracipuum munus feminarum eft accipere ac tueri conceptum. Puerperam quoque fanam ejje, fi modb nihil exvinfecus accidit quod^ corpus ejus in aliquam valetudirum bmnilteret, L. r 4. §. 11. ff. de JEdilit. ediÜ. Concedimus .. . . lieert mulieiibus , etiam maritorum Juorum interminalione fipreta qui. viduitatern eis indicit , & non dato facramenio , procreanJa: jubolis gratid tantum , ad jecundas migrare nupt'as ... & ea percipere qua. maritus dereliquit, .. Ne ex ntctffiiale legis , & facramento colorato perjurium committatur. Cum enim mulieres ad hoe na-  Enfans d'un Bénéficier L'application de ces principes a 1'efpèce préfente , fe fair touc naturellement. La dame de Beaulieu étoit enceinte quand elle a contraébé fon mariage, & n'avoit point d'autre incommodité. Elle s'eft tranfportée a 1'églife la veille & le jour de fes époufailles , elle n'écoit donc pas malade. Elle a vécu treize jours depuis fon mariage. Elle n'eft donc pas morte de fa couche , mais d'un accident furvenu depuis. Aliud extrinfecus accidit , dit la loi , quod corpus ejus in aliquam valetudinem immifit. C'eft une fievre dont elle a éré arraquée quelques jours après. Car, felon les principes de la médecine, une femme n'eft réputée en couche que pendant neuf jours. Mais fuppofons un inftanr que Ia grolfefte eft une vraie maladie; que la dame de Beaulieu eft morre de la maladie donr elle étoir arteinte lors de fon mariage ; qu'elle étoit in extremis enfin \ ce ne feroit pas le cas d'appliquer la déclaration de 1639. II faut diftinguer , dans cette loi, tura progenuerit ut partus ederent , & maxima eis cupiditas in hoe conftituta fit , quare fcientes prudentefque perjurium ■ committi patimur ? L, 2 , cod. de indifi, viduit.  légitimés. 473 la manière dont le légiflateur s'eft expliqué dans Tarnde V , d'avec celle donc il a parlé dans Partiele fuivant. Dans le premier de ces deux articles , les termes prohibitifs fonc communs aux deux fexes. Déclarons incapabks de toutes fuccejjions les enfans qui naitront de ces mariages que les parties ont tenus ou tiendront a Vavenir cache's pendant leur vie. Mais, dans l'autre , il n'eft parlé que des enfans qui font nés de femmes que les pères ont entretenues , & qu \\s époufent lorfqu'ils font d 1'extrêmité de la vie. La peine n'eft donc prononcée contre ces mariages que quand c'eft 1'homme qui eft in extremis, loiTqüil les contraefte, Mais elle n'a pas lieu, quand c'eft la femme qui fe rrouve dans le cas. La raifon de cette difterence eft fenfible. Le fecret dans les mariages eft le crime de deux , lorfqüils cherchent conjointement les ténèbres, au lieu de donner au facrement de mariage tout 1'éclat qui lui eft néceftaire pour óter tout lieu de foupcon au fcandale. II faut qüils foient 1'un & l'autre complices du myfiére; autrement il n'yeu auroit plus.  474 Enfans d'un Bénéficier II n'en eft pas ainfi de deux perfonnes qui vivent dans le concubinage j il y en a toujours une qui defire le mariage, & l'autre qui y réfifte. Une femme enrretenue ne manque jamais de le defirer -y c'eft 1'unique but oü elle tend, paree qüelle eft ordinairement d'une condition beaucoup inférieure a celui qui 1'entretient; & lui für - elle égale , ou même fupérieure par la naiffance , le concubinage dans lequel elle vit, la dégrade , & ne lui lailfe aucun honneur civil. Elle eft 1'efclave de la paftion de cet homme ; il eft feul le maitre de perpéruer leur commerce, de le rerminer, ou de le dêcorer de la gloire du facremenr. L'une n'afpire qüa ce noeud qui peur feul terminer fa honte, & aftiirer fa fortune j tandis que l'autre le fuit & s'en défend : il veut bien être foible, mais il ne veut pas fe couvrir d'un opprobre. II diftere ordinairemenr jufqüa 1'heure de la morr; la femme redouble alors de féduélion & de plainres. Un directeur gagné préfente au moribond le mariage comme le moyen le plus für pour réparer le fcandale, & racheter les défordres d'une vie palfée dans une fuite continuelle  légitimés. 475" de péchés. L'état des enfans föumis a tous les malheurs de la barardife, qui vont être 1'objet du mépris & de la barbarie des collatéraux; tous ces tableaux préfentés par une femme confomméedans 1'art de féduire, échautfée & foutenue par Pintétêt le plus fenfible & le plus preftant, ne peuvent manquer dc produire un effet d'autant plus certain , que le motif qui avoit arrêté fes projets ambitieux, ne fublifteplus. La mort préfente aux yeux de 1'homme , tire le ndeau fur la honte de 1'engagement qüon lui propofe \ il n'en éprouvera pas 1'humiliadon , puifquil va celfer de vivre. Le confentement qu'd dönne alors_ n'eft donc pas un confencement de choix , & n'a pour objet que d'élever a la dignité d'époufe une femme qu'il en a crue indigne tant qüelle autoit pu être la fienne , & a laquelle il ne confère cet honneur que dans 1'intention de préférer fes batards a fes collatéraux ; préférence qui ne produit d'effets que pour un temps oü les chofes de la vie lui feront abfolument étrangères. Mais, quand 1'homme eft en fanté , il délibère avec tout fon bon fens ; il ptend fon parti de lui-même, &  47^ Enfans d'un Bénéficier n'eft fujec aaucune impreftion nide violence , ni de fauffe piété. Et fi fa concubine eft moribonde,loind'être pour lui un objet de féduétion , les traits de la mort répandus fur toute fa perfonne, ne font capables que de leloigner & le faire fuir. S'il réfiftea cette répugnance , s'il approche d'elle pour lui donner la main , c'eft 1 effet de fes réflexions, & düne affeótion dégagée de rous les fens pour cette femme &c pour fes enfans. Enfin la déclaration de 1055) eft une loi pénale. Les expreflïons mêmes dans lefquelles elle eft concue , ne lailfent aucun doute fur ce point. L'article VI, celui qui doit faire ici la loi, commence ainfi : Nous voulons que la même peine ait lieu, &c. Or, il eft de maxime qu'une loi pénale ne s'étend poinr dün cas a l'autre , & doit être renfermée dans la ftrióte fignification de fes expreftions : Favores ampliandi; odia rejïringenda. C'eft le cas que les Jurifconfultes ont ptévu , en difant que les tetmes mêmes qui pourroienr s'érendre aux deux fexes , ne font point fufceptibles de cette extenfion quand .il s'agit de prononcer des peines, in odiofis.  légitimés. 477 Mais ce moyen eft même furabondant ici : la loi dont il s'agit, n'a mis aucune équivoque dans fes expreffions; elle ne patle que des pères qui époufent a 1'extrêmité : & encore ne déclare-t-elle pas le mariage nul; elle fecontente^de rendre les enfans incapables de fuccellions, fans les déclarer batards (1). Ces vérités ont été confacrées par un arrêt du 16 mai 1674 , rendu en la cinquième chambre des enquêtes , après un partage en la quatrième. Un fieur Ferry avoit entretenu une femme pendant plufieurs années, & en avoit eu des enfans. 11 prit enfin le parti de 1'époufer, & choifit le temps oü (1) Cette diifertation fur la déclaration de 1639, étoit alors dans les vrais principes. Mais 1'édit du mois de mars 1697 a tranché Ia difficulté, « Youlons , y eft-il dit, que « 1'ordonnance de 1639 , au fujet des ma3= riages que 1'on contraéle a 1'cxtrêmité de 33 la vie, ait lieu tant a 1'égard des fem35 mes qu'a celui des hommes; & que les 33 enfans qui font nés de leurs débauches 3> avant lefdits mariages, ou qui pourronr 33 naitre après lefdits mariages contraclés en =3 cet état, foient, aurfivbien que'leur pofté» rité , déclarés incapables de toutes fuccefr »> llons ».  478 Enfans d'un Bénéficier elle étoir ptête d'acconcher , & tellemenc incommodée de fa grolfefte, qu'on fut obligé de lui adminiftrer le facremenr de mariage dans fon lir, après avoir obtenu difpenfe des trois bans. Elle mourut quatre jours après. Ferry avoit, pendanr qu'il étoit garcon , fait plufieurs donarions entre vifs. Les enfans qui, jufqua fon mariage, avoienr été batards, ayant été légitimés a fes yeux par fon mariage, il crut pouvoir demander la révocation de ces donations. L'affaire fut portée aux requêtes du Palais. Les donataires convenoient que route donation entre vifs eft révoquée par la naifiance des enfans du donateur , poftérieure aux donarions. Mais ils ajoutoient que cette loi n'avoit été faite qu'en faveur des enfans légitimes ; que ceux de Ferry étant batards , Sc n'ayant pas éré légirimés par un mariage nul en foi, ils ne devoienr pas opérer la révocation que leur père demandoit, fous ptétexte de leur naifiance. Cependant la fentence déclara les donations révoquées par la furvenance des enfans. Mais on n'auroit pas pu juger aurremenr. Ferry repréfentoit un aóte de mariage eu  légitimés. 479 forme. Ce mariage n'étoit point attaqué par la voie de 1'appel comme d'abus , qui ne peut être déféré qüau Parlement. Les juges des requêtes ne pouvoient donc prononcer que d'après un a&e dont la validité ne pouvoit être attaquée a leur tribunal. Mais après la mort de Ferry, fes collatéraux, pour écarter fes enfans de fa fucceflïon , interjettèrent appel comme d'abus de fon mariage. On fondoir cette démarche fur la maladie de la femme , dont elle mourut quatre jours après; d'oü 1'on concluoirqüayant été fait in extremis, il étoit annullé par-la déclaration de nJjo. Il fut cependant confirmé par 1'arrêr. On prérendoir, il eft vrai, de la part des collatéraux du fieur de Beaulieu, qu'ily avoit dans PArrêt de Ferry, une circonftance qui pouvoit autorifer a prétendte qu'il n'avoit pas jugé la queftion. La fentence des requêtes, en annullant les donations faites par Ferry depuis la naifiance de fes enfans, les avoit déclarés légitimes. Or n'y ayant point d'appel de cette fentence , l'état des enfans ne _ pouvoit être attaqué, tant qu'il étoit étayé  48 o Enfans d'un Bénéficier d'un jugement qui fubilttoit dans fon entier. Mais on répondoit que quand une queftion d'érar eft portee au parlement par la voie de 1'appel comme d'abus, ce rribunal ne confidère point les préjugés des premiers Juges ; paree qu il n'y a que 1'antoriré fouveraine qui puifte décider de 1'érat des perfonnes. D'ailleurs rien ne peur réparer un abus intrinfeque. II y a plus : non-feulemenr 1'appel de cette fenrence étoit inutile, mais il auroit pu être préjudiciable aux collatéraux , s'ils Peuifenr inrerjerté. Ils n'avoient point été parties au procés terminé par cette fentence j elIe ne leur portoit donc aucun'préjudice ; c'éroit res inter alios acla. Par cette démarche , ils auroient d'ailleurs remis fur les rangs les donataires entre vifs qui avoient été exclus; & fi le mariage eut été déclaré abufif, fe trouvanr, par 1'arrêt qui auroit annullé la fentence y rérablis dans rous leurs droits , ils auroienr obtenu 1'exécution de leurs donations, au ptéjudicedes héririers. 11 éroir donc bien intéreftant de ne pas réveiller leur attention. L'arrêt  légitimés. 4&1 L'arrét de Ferry a donc jugé qüune groflefle n'eft point une maladie ; &C que , quand c'en feroit une, la mort prochaine de la femme n'eft point j comprif© dans la difpofition de la déclaration de 163 9. Quant au fecond moyen des appellans , qui confifte a dire que les enfans düne concubine ne peuvent pas être reconnus par celui qui 1'entretenoit, s'ils ne font pas baptilés fous fon nom, il fe détruit en deux mots. La première preuve de la nailfance des enfans requife par la loi, eft 1'extrair bapriftaire. Mais , lorfque cet acte manque, elle regoit toutes les autres preuves qui peuvenr conduire a la vérire. Or 1'extrait baptiftaire ne peut faire preuve de la nailfance; c'eft-a-dire, de la defcendance de I'enfanr, qüautant que les père & mère y font marqués. Si 1'un ou l'autre n'y paroit point, il n'y a point d'exttait baptiftaire relativement a celui qui eft omis. Il faut donc alors avoir recours a une autre preuve. Or, quelle preuve plus certaine peut-on avoir de la parernité d'un homme , que fa cohabitation avec la mère de ces enfans , pendant plufieurs années , & pendant tout le temps qüeb Tomé I. • X  48 2 Enfans d'un Beneficie? le a été fujette aux grofteftès & ans accouchemens fucceflifs ; événemens qui fe paffbienr fous les yeux & dans la mailon de celui dont on veut nier la paternité ? Ira-t-on jufqua dire que, fans avoir part a ces accouchemens , ilèri fupportoit tranquillemenr le fcandale , la dépenfe & 1'mcommodité dans fa propre maifon ? Ajoutera-t-on que c'eft pour fauver 1'honneur de la concubine d'un autre, qu'il 1'a époufée , 8c que c'eft pour donner un état aux batards de fon voifin, qu'il les a reconrms pour fes propres enfans? Car , fi 1'on n'admet pas ces abfurdités, le fyftême des appellans croule par les fondemens, D'après ces préfomptions , auxquelles il n'y a point de replique raifonnable , il eft inutile d'invoquer 1'autorité de Papon, fondée fur la jurifprudence, qui dit que, fi cejï une concubine tenue a pot & olie , 1'on doit demeurer a fon ferment 3 fi elle affirpie que l'enfant eft de fon maitre , lequel ne peut venir au contraire, ores qtl'il prouve quelle fe foitproftitue'e de ce temps a d'autres qua lui (i). Son opinion a été confirmée par arrêt du (i) Papon, art. iiy. 11, tü. j , art, ij.  légitimés. 4^3 i3 Fevrier 1562, rapporte pat Chenu , dans fes additions fur Papon. Pat ce jugement, un nommé Etienne Poulatt s pauvre labbureur , fur condamné par corps a payer une provifion a Emée Perit, fa fervante, qui éroit devenue grofte pendant qüelle demeuroit chez lui. II n'eft donc pas poffïble de foutenir que les enfans en queftion ne font pas du fieur de Beaulieu , qui les reconnoïr & les réclame. Leurs extraits baptiftairesne leuraffignenraucun père; mais il leur en faut un 5 & cette qualité ne peut être déférée a nul autte qüa lui, & tout prouve qüelle lui appartient réellemenr. Si elle ne lui a pas été donnée dans les regiftres baptiftaires , c'eft qu'il étoit bénéficier alors , & qu'il ne vouloir pas configner dans un dépbr public la preuve d'une débauche qui pouvoit le conduire a la perte de fes bénéfices. Quant aux informations par lefquelles on a voulu prouver Ia prétendue proftitution de Marie Charton, elles n'ont été faites qüaprès fa morr; elles ne peuvent donc rien prouver, puifqüil n'y avoir poinr de contradiófeur légitime. Elles ont été faites d'ailleurs X 2.  4