VERZAMELING I W. H. SUBINtrAR $  CAUSES CÉLÈBRES E T 1NTÉRESSANTES, A VE C LES JUGEMENS QUI LES ONT DÉCIDÉES. Rédigées de nouveau par M. R I c H E R , ^ieh/U^\ Avocat au Parlement. -: •. <;;f£ ^\ TOME TROISllME. ^ AMSTERDAM. Chez Michel Rhey. ■ *773«  Et fe trouve a Paris 3 chei La veuve Savoie , rue S. Jacques.' ' Saillant & Nyon , rue Saint-Jeande-; Beauvais. Le Clerc , Quai des Auguftins. Guillyn , rue du Hurepoix, Cellot , Imprimeur , rue DauphineJ La veuve Desaint , rue du Foin, Durand , neveu , rue Galande. Delalain , rue de la Comédie Francoife; Moutard , Quai des Auguftins. Bailly , Quai des Auguftins.  AFERTISSEMENT. JE me garderai bien de tirer vanité de 1'accueil favorable que le public a daigné faire aux deux premiers tomes de eet ouvrage : c'eft a 1'intérêt de la matière en elle-même que j'en ai toutel'obligation.Cefuccèsm'encouragera de plus en plus a travailler pour mériter 1'indulgence de mes le£teurs. Je ferai tous mes efForts pour leur préfenter le narré des caufes, & la difcuffion des moyens -d'une maniere qui leur épargne le dégout de la féchereffe, les embarras des differtations compliquées, & la fatigue de chercher des faits épars & tranfpofés, qui doivent fe fuivre & être liés enfemble : défaiits que n'a pas toujours eu foin d'éviter 1'écrivain qui m'a précédé dans cette carrière. a7J  iv- A VER TISSEMENT. Je me iouftrais , autant qu'il m'eft poflible, a 1'efprit de prévention & de parti. Si, par hafard, il m'échappe de laifler voir mon opinion perfonnelle fur le fond d'une caufe, c'eft que cette opinion me paroit fondée fur des motifs qui fubjuguent mon jugement. Si quelquefois j'afTure ie public que je lui parle d'après des pièces authentiques, dont la difcrétion ne me permet pas de lui donner une connoiffance particulière, je le prie d'être perfuadé que je ne'le trompe pas. Je n'ai aucun intérêt perfonnel, aucun intérêt de préjugé dans les procés quej'ai traités jufqu'apréiènr, ni dans ceux que je me propofe de traiter par la fuite. D'ailleurs, je le refpe&e trop , pour ofer jamais me permettre de lui en impofer. Eh! que m'importe que des gens avec qui je n'ai jamais eu, Sc avec qui je n'aurai jamais aucu^ ne relation direéle ni indire&e,  A fERTlSSLMENT. t foient ou ne foient pas innocens? Le feul deftr qui m'anime eft de me faire lire par tout le monde: mais jamais je ne trouverai mauvais que tout le monde n embraife pas mes opinions. Ilmefumt de pouvoir les croire fondees en raiion & en preuve , & de pouvoir montrer au ledeur impartial, & me vendre a moi-même le temoignage, que cen'eft m la prevention , ni l'opiniatrete,m aucun intérêt, de quelque nature quece puifleêtre, qui mont deter miné, & m'ontfait prendre, maleré les preuves que ) avois fous les yeux, le menfonge pour lavérité. Jamais je ne me livrem a aucune déclamation pour ma défenfe ; jamais je ne repouflerai les imputations par des ïmputations. Toute difcuffion qui peut déeénérer en querelle perfonneUe me parok indécente & penlleufe , fur-tout quand c'eft le public qui en eftétourdi,&quand iU  3 AVERmSEMENT ieu de croire que c'eft rrroins iamourdelavérité,qUe Ydbrii ae para qui foutient & échauffe laquerelie. II en rit d'abord , & 5nit Par s'ennuyer du combat & des combattans. Si 1'on me prou- vequejemefuistromp^n'ayant aucuni motif qui me porte a foutenir des fentimens erronés fur des oojets qui, par eux-mêmes, me font indifTérens ; je me ferai un devoir de me rétraaer. Si 1'on mimpute des erreurs, fans 1ps prouver; le fiience fera ma réponfe. Je puiferai, dans Ia matière meme qui fait 1'objet de mon travaü, tous les agrémens qui pourront fuppleer a 1'infurniance de mes talens. A eet effet, toutes les rois que j'aurai occafion de nommer quelque perfonuage qui fe fera diffingué, foit par fes eents foit pard'autres talens, ioit enfin par fes emplois ou par les evenemens de fa vie, j'aurai  AVERTISSEMENT. vij foin d'en donnerla notice, autant que jepourrai me la procurer \ Sc la partialité ne prélidera jamais aux éloges ou a la critique que f en pourrai faire. S'il m'echappe quelque faute dans ces notices, je recevrai avec reconnoiffance les avis de ceux qui voudront bien me mettre a portee de les reftifier. Je m'abftiendrai cependant de parler de ces hommes célèbres qui ont influéfur les affaires publiques, & dont les a£lions fontpartie des faftes del'hiftoire.  TABLE DES PIECES Conrenues dans ce troifième volume. Les nouvcllcs Caufes font marquèes d'une étoïle. PROCES du fleur d^Anglade & de fa femme. page i Hifloire du fils du Jleurde Caïlle. 113 * Le feur d'Arconville juflifiL 380 * Enfant adultérin déclaré légitime. 43 3 CAUSES  CAUSES CÉLEBRES E T INTÉRE SS ANTES, Avec les jugemens qui /es ont décidées. Proces du sieur d'Jngladz et de sa Femme. E comte & la comtefTe rif» Montgommery occupoient le rez-de-chaufTée & le Dremier étaeed'unemaifonmeRnvalp proche la Baftille i Paris. Ce rez-dechauiïee confiftoit en trois pieces, dont chacune avoit fon entree dans une allee qui aboutifloit de la porre cochere a la cour. L'aumönier, nommé Gagnard> le page & le valec de chambre, logeoient dans une'; les deux autres ferTomc III, A.  2 Procés du fïeur d'Anglade voient a difTérens ufages. Sur la gauche de 1'allée, & vis-a-vis de ces trois porces , étoit l'efcalier qui conduifoit a 1'appartemeht du Comte & de laComtefle. Cet appartement étoit compofé entr'autres, d'une anti-chambre, d'une chambre, de laquelle on paflbit dans un cabinet oü ils dépofoient leur argent & leurs bijoux. Le Comte avöit recu, depuis peu, une fomme confidérable d'argent, confiftant en un fac de onze mille cinq cents livres. en piftoles d'Efpagne, treize facs de mille livres chacun, & cent louis au cordon dans un autre fac. Le tout étoit, avec un collier de perle, dans une malle de campagne, placée dans le cabinet. Ceslouis au cordon avoient été frappés en 1(3 8 (J & 1687 , & étoient recherchés pour la beauté du coin. TJn particulier, nommé Laurait GaiU lemot d'Anglade, & fa femme, nommée Francoife de Saint-Martin , avoient leur appartement au-defTus de celui du comte de Montgommery , & occupoient , en outre, le fecond, le troifième éc le quatrième étages. De 1'autre cbté de la cour, étoit un SUtre corps-de-logis , compofé de quelques chambres, occupé par la fceuï  & de fa femme. j du fleur d'Anglade, la belle-fceur du Comte, la femme-de-chambre de la Comtefle, & des brodeufes qui faifoient un meuble pour M. de Montgommery. On ne pariera point de la naiflance & de 1'état du comte de Montgommery ; cette maifon eft fuffifamment connue , d'ailleurs ce détail feroit ici hors d'ceuvre. Mais il eft indifpenfable de faire connoitre fon co-locataire. Laurent Guïllemot d' Anglade s né de baftè extraction, vivoit fur le ton d'un homme dont la haute naiflance auroic cté foutenue par 1'opulence. II craignoit tellement de faire connoitre fon origine, que, dans le cours du procés dont on va parler, il n'en dit jamais autre chofe, flnon qu'il ignoroit de quelle profeilion étoit fon père; que tout ce qu'il en fcavoit, c'eft qu'il ne portoit pas les armes. Toute fa fortune confiftoit dans le revenu du greffe de la bourfe de Bayonne, produifant 1650 livres par an ; & dans les intéréts de 6000 livres que lui devoit le duc de Grammont. Cependant il prenoit, avec confiance; la qualité de gentilhomme; il parloit fans ceflè de fon chateau d'Anglade, Aij  4 Proces du (leur d' Anglade qui n'étoit en eftet qu'une chaumière ruinée & fans revenu; il occupoic un appartement confidérable , avoit plufieurs domeftiques, entretenoit un carroffe ; étoit lié avec les perfonnes de la première diftincKon, jouoit très-gros jeu, & prêtoit fur gages. Au refte,il paroi(Toit mener une vie douce, aifée, & fair avec foin les peines & les inquiéfudes. II affecloit, par-deffus tout, des airs de hauteur, foutenus par 1'étalage faftueux de fa prétendue naifTance, Sc par le luxe de fon train. Ces travers n'avoient porti aucune atteinte a. fa réputation , qui étoit intacte quant i la probité , & tellemenr affermie , que , jufqu'au moment de la cataftrophe qui 1'a conduit au fupplice , elle avoit fuffi pour le garantir de 1'idée même d'un foupcon qui auroit pu tomber naturellement fur lui. Le fieur dAnglade avoit été principal locataire de la maifon ou il logeoit, avant que le comte de Montgommery y entrat, & avoit fous-loué le premier appartement au fieur Grimaudet. On yola a celui-ci de la vaiifelie dargent; & le vol feroit devenu fans doute bien plus confidérable par la fuite, s'il ne $'éroit appercu qu'on lui avoit pris auflï  & de fa femme. ƒ une clef de la première chambre. Le coupable n'a jamais éte découvert, & perfonne ne s'eft avifé d'imaginer qu'on putl'imputer au fieur'd'Anglade. Quant i fa femme, elle n'eft connue que par une vie honnète, Sc par fon attachement pour fon mari, pour fes en~ fans, & pour fon ménage. Le comte Sc la comtelfe de Montgommery, d'Anglade & fa femme vivoient enfemble dans une liaifon de bienféance, telle qu'elle fubfifte ordinairement entre des voifins bien nés, fans que les fentimens du cceur entraflent pour rien dans leur commerce. Le comte de Montgommery polfédoit la rerre de Viileboufin proche Montlheri. II invita un jour le fieur d'Anglade Sc fa femme d'y aller palfer quelque tems avec lui Sc la Comtefle. Ils acceptèrent d'abord; mais enfuite ils s'en excusèrent, fur un prétexte aflez frivole. Le Comte Sc la Cómtefle partirent le foir du lundi 11 feptembre 1^87, Sc annoncèrent qu'ils ne feroient de retour que le jeudi fuivant, au foir. Ils emmenèrent avec eux Francois Gagnard} prètre Manceau, leur aumonier \ Sc tous leurs domeftiques, a 1'exceptioh A üj  6 Procés du fieur d'Anglade d'une femme-de-chambre nommée Forménie, d'un petit laquais, & des quatre filles qui travailloient a la broderie. La clef de la première porte de 1'appartement fut confiée a la femme-de-chambre. Laumónier ferma, a doublé tour, celle de la falie ou il couchoit, & emporta la clef. II faut remarquer, avant que d'aller plus loin, que d'Anglade & fa femme n'ignoroient pas que Te comte de Mont-T .gommery avoit chez lui une forrime confidérable d'argent; ils lui en avoient même propofé un emploi : ce fait fut reconnu au procés comme conftant, Sc avoué même par les accufés. II paroit qu'il n'y avoit point de porrier dans la maifon, & que les domeftiques du comte de Montgommery en faifoient les fondions. D'Anglade, fous prétexte qu'il foupoit tous les jours en ville, fe fit remettre les clefs de la porte de la rue. Cependant il n'en fit pas ufage le mardi, jour du vol dont on ya parler, puifqne, contre fon ordinaire , il foupa chez lui. Le Comte '& la Comteffe revinrent un jour plutöt qu'ils ne 1'avoient annoncé. Le Comte a allégué, depuis, qu'il avoit eu 1'efprit frappé, paree qu'il avoit  & de fa femme. 7 trouvé du fang fur une nappe & fur une ferviette ; qu'il avoit regardé ces taches comme un mauvais préfage, & s'étoit déterminé a partir, par un fecret preffentiment de fon malheur. L'aumönier, le page Sc le valet-de-chambre, qui venoient a cheval, arrivèrent après leurs maitres. L'aumönier trouva que la porte de leur chambre commune n'étoit que tirée, fans être fermée, quoiqu'elle eüt toujours paru 1'être pendant 1'abfence du Comte Sc de la Comtelfe, Sc qu'il 1'eüt erfe&ivement fermée a doublé tour, Sc eüt emporté la clef. Cette circonftance, qui fut remarquée par tous les domeftiques, tant ceux qui étoient reftés, que ceux qui avoient été du voyage, ne fit pas grande impreflion dans Ie moment. Le Comte & la Comtelfe fe mirent a fouper dans une des falies balfes deftinée a eet ufage. Ils étoient encore a table , lorfque le fieur d'Anglade rentra chez lui, a onze heures du foir , accompagné des abbés de Villars & de Fleury, avec lefquels il avoit foupé chez la préfidente Robert. II s'arrêta pour caufer avec eux; Sc quelque tems après, la dame d'Anglade vint prendre part a. la converfation. A iv  8 Procés du fieur d'Anglade Chacun fe retira chez foi, fans qu'il füt queftion d'aucun accident. Le Iendemain au foir, le Comte rend plainte au fieur Deffita, lieutenant-crijninel au chatelet. II expofe que, pendant fon abfence de trois jours, on avoit forcé laferrnxe d'un cof&e de campagne, oü on avoit pris treize facs de mille livres chacun, en argent blanc , 11500 livres en or, en pièces de deux piftoles, cent louis d'or neufs & au cordon, & un collier de perles valant 4000 livres. Le lieutenant-criminel, le procureur du roi & un commiffaire fe tranfportèrent fur les lieux. Ces trois officiers, n'ayant trouvé aucune fraótion aux portes & aux ferrures de 1'appartement, fe perfuadèrent d'abord que le vol' n'avoit pu êtrè commis qua 1'aide de doublés clefs, & par des gens de la maifon : d'oü ils concluient qu'il falloit en viliter tous les appartements. f Le fieur d'Anglade & fa femme fe téuniffent pour demander que la vifite fe fuTe d'abord chez eux. Le mari conduit lui-même les officiers dans tous les lieux qu'il occupe. On ouvre les cabinets, les coffres, les tiroirs : on fouille dans leslits, dans bs matelas, dans les paillaiïès j on ne trouve rien. On monte  & de fa femme. 9 au grenier 5 la dame d'Anglade s'exeufe d'y monter, fous prétexte d'une dó~ faillance qui la retient. On découvre , dans'iin vieux coftre, plein de hardes 8c de linge, un rouleau de 70 louis aucordon, enveloppés dans un papier ïmprimé, on étoient les reftes d'une généalogie que le Comte dit être la fienne. II ajouta que ces louis faifoient. partie de ceux qui lui avoient été volés ; que les hens étoient, ainfi que ceux-la, de 16 8 6 Sc 16 8 7; circonftance dont il avoit oublié de faire mention dans fa plainte. On demanda a d'Anglade d'oü provenoient ces louis; d'Anglade ne put le dire, Sc répondit feulement qu'il en rendroit bon compte. Le lieutenant-criminel faifit ces louis, pour être dépofés, comme pièces de conviótion. Le fieur d'Anglade les compta lui-mème, avant que le juge s'en emparat. En les comptant, ü fentit fa main trembler, Sc dit, jtuembk. Des domeftiques, qui étoient préfens, déclarèrent alors, & ont répété depuis, dans rinformation, que d'Anglade avoit paru furpris a 1'arrivéé du Comte , Sc que fa femme refta comme interdite a la première nouvelle qu'elle en apprit. La dame d'Anglade, lorfque tout k Av  10 Proces du fieur d'Anglade monde fut defcendu du grenier, fit rernarqaer au lieutenant-criminel que la porte de Ia falie oü couchoient iaumómer, Je page & le valet-de-chambre avoit ete tirée feulement, & non fer32ftï! falI,0it au ,,, 4u on pourrou trouverla quelque chofe a & qu'il pourroit hen are coupable du vol. La précipiranon avec laquelle cette femme accufe un homme, dans le tems que Ie comte de Montgommery lui-même n'ofoit encore fixer fes foupcons furperfonne, caufa de Ia furpnfe au juge. Cette furpnfesaccrutencore quand le Comte eut aflure que fon valet-de-chambre 1'avoit fum a la campagne, & n'en étoit gadesobftina contre ce domeftique & repartit qu'il avoit peut-être fakcacherquelquun dans'fa chambre pour faire Je vol. Mais commenr ce voleu 3'nfi cac*f> f^oit-iJ pu tranfporter les' effetsvolés, aclefde la porrede la me «ant emre les mains de d'Anglade & fervu demr,? ^ ™me °bfeWarion iervit de juftificanon a la demoifelle de «itee a la maifon pendant 1'abfence de fts marnes, & avoit été dépofitaire de Ia  & de fa femme. 11 clef de la première porte de 1'appartement. Après ce colloque, on fit la vifite dans la chambre que la dame d'Anglade defiroit fi fort que 1'on examinat. L'on y trouva, dans un coin, cinq facs de mille livres complets, & unfixième, dont on avoit enlevé 119 livres 19 fors. Cette découverte, loin de détourner les foupeons, ne fit que les accumuler & les fixer fur la tête de d'Anglade & de fa femme. Ayant été principal locataire de la maifon, il étoit très-poflible qu'il fe fut muni de doublés clefs de tous les appartemens \ de-la le vol fait, fans fra&ure, au fieur Grimaudet, & celui fait au comte de Montgommery , avec la même facilité, fans fofcer aucune ferrure que celle de la malle qui contenoit les effets enlevés : le voleur n'avoit pu fe procurer la clef d'un coffre qui n'avoit jamais été a fa difpofition. D'Anglade & fa femme fcavoient que le Comte pofledoit une srolfe fomme d'arsent, & en connoiffoient la quotite ; ils avoient oftert euxmêmes de lui en procurer 1'emploi. Ayant accepté la partie de campagne qui leur avoit été propofée, ils s'en excufcnt fur un prétexte frivole, afin de A vj  IX Proces du fieur d Anglade refter feuls maitres de la maiion pendant 1'abfence du Comte & de la Comtelfe ; &, pour en difpofer plus facilement, ils fe font remettre la clef de la porte de la rue, dont les gens du Comte étoient ordinairement chargés, & qu'on auroit* pu confier au petit laquais , qui n'avoit pas fuivi fes maïtres, 8c qui auroit fufh pour ouvrir la porte au fieur d'Anglade, a quelque heure qu'il eüt voulu fe retirer. Mais ils avoient befoin de cette clef, foit pour être fürs qu'il n'entreroit perfonne qui ne fut utile a leur deflein ; foit pour avoir la facilité de tranfporter les effets volés, & de les mettre a. Fabri des perquifitions. Le fieur d'Anglade, qui foupoit tous les jours hors de chez lui, n'en fort point ce jour-la. Cependant, tandis que lui &c toute fa familie font au fecond étage, que fes domeftiques montent & defcendent 1'efcalier pour leur fervice, on ouvre les portes du premier, dont il fcait que les maïtres font abfens; on va, on vient pour tranfporter les effets volés; on referme les portes; 8c tout ce mouvement 8c le bruit qui 1'accompagnoit nécelfairement, quelque précaution que 1'on pnt, fe font fans que ni lui, ni fes gens voient, ou entendent rien ! II a  & de fa femme. 13 un nombrede louis qui étoient pour lors rares 8c recherchés \ on en a volé .de pareils au Comte, & d'Anglade ne peut dire d'oii proviennent les liens! & ou font-ils cachés ? Dans un grenier ; dans ' un coffre deftiné a contenir le rebut du linge & des habits ; dans un lieu enfin oü il n'étoit pas probable que 1'on allat chercher un dépot précieux. Cette confidération, jointe au prétexteque donna la femme de d'Anglade pour fe difpenfer d'aflifter a la perquifition qui s'alloir faire dans fon grenier, ne fait-elle pas préfumer qu'elle redoutoit la découverte des effets volés ? La maffe de ces préfomptions avoir encore été groflie par les apparences d'inquiétude & d'eflrroi que le mari & la femme n'avoient pu cacher, en apprenant le retour inattendu du Comte 8c de la Comteffe. D'Anglade, par des circonftances que les ténèbres dont les voleurs enveloppent toujours leurs actions ne permettoient pas de découvrir, n'avoit pas eu le tems de tranfporter en lieu für 1'argent qui fe trouva encore dans la maifon. II comptoit qu'un jour de plus lui faciliteroit la confommarion de fon crime. A la nouvelle de 1'obftacle imprévu qui s'y oppofoit, fa femme.  14 Procés du fleur d'Anglade Sc lui ne purent comprimer les fignes de-leur terreur : non-feulement les facs qui reftoient dans la maifon échappoient a leur avidité, mais ils devenoient contre eux des témoins muets de leur crime. La femme imagina de tirer parti de cette conjon&ure, pour détourner les foupgons fur les innocens. Mais elle ne fut pas adroite. Les trois domeftique's qu'elle vouloit inculper, avoient été, pendant tout le voyage, fous les yeux de leur maitre & de leur maitreffe. II étoir donc impomble qu'ils euffent ouvert la porte de leur chambre pendant leur abfence. C'étoit 1'un d'entre eux qui 1'avoit fermée a doublé tour, Sc qui avoit emporté la clef a Villeboulin ; le fait étoit conftant. Si les dépofïtaires de cette clef n'avoient pu ouvrir la porte, attendu leur abfence,il falloit néce/fairement qu'elle 1'eüt été avec une fauffe clef; Sc cette démarche périlleufe n'auroit eu aucun objet, fans la clef de 1'appartement oü les effets volés & tranfportés dans cette chambre, étoient enfermés. La même perfonne étoit donc nantie de routes les fauifes clefs néceffaires pour faire le coup ; Sc le fotipcon de la contrefadtion des clefs ne pouvoit tomber, comme on 1'a vu, que lïir d'An-  & de fa femme. glade & fa femme. Loin donc que 1'argent trouvé dans cette chambre fut un indice contre ceux qui y logeoient, il dépofoit contre la dame d'Anglade & fon mari : & les inftances de. cette femme pour y faire perquilition, prouvent feulement qu'elle étoit bien füre qu'on y trouveroit des veftiges du vol, ik qu'elle imaginoit que, le lieu de eet entrepot lui étant étranger, cette circonftance mettroit les coupables a 1'abri du foupcon, & le fixeroit fur les innocens. Toutes ces idéés combinées formèrent, dans 1'efprit du lieutenant-criminel, un corps de conviclion fi frappant, qu'il ne put s'empêcher de dire au fieur d'Anglade, ou vous, ou moi, avonz commis ce vol. L'attention de ce juge s'attacha tellement fur d'Anglade & fa femme, qu'il crut qu'il étoit fuperflu de faire la vifite dans les autres appartemens , fur-tout quand le Comte lui eut dit qu'il répondoit de fes gens. Le fieur Deftita ordonna, a la réquifition du Comte, & du confentement du procureur du roi, qu'il feroit informé contre ces deux accufés, & qu'ils feroient conftitués prifonniers. . Avant de les conduire en prifon, on  16 Procés du Jïeur. d'Anglade les fouilla, & 1'on trouva, dans la bourfe de d'Anglade, 17 louis d'or & une doublé piftole d'Efpagne. Nouvelle circonftance encore aggravante; une portion confidérable des' effets volés au comte de Montgommery, confiftoit en piftoles. Le mari fut conduit au chatelet, &c la femme au fort - 1'évêque. Ils font écroués, & enfermés dans des cachots, avec défenfes aux géoliers, fous de rigoureufes peines, de les lailfer parler 2 qui que ce foit. La compétence fut jugée, & il fut ordonné que le procés feroit fait aux accufés par jugement dernier, attendu, eft-il dit dans cette fentence, qu'il s'agit de vol avec efFraólion. Les indices que 1'on vient de détailIer , furent encore fortifiés par 1'information, & par les interrogatoires des accufés. L'information & 1'addition d'information furent compofées de la fceur du Comte, de celle de la Comtelfe, & de leurs domeftiques. Deux de ces témoins déposèrent avoir vu d'Anglade, lors de 1'arrivée & après 1'arrivée du Comte, prés de la porte du lieu oü eouchoit le vaiet-de-cbambre. Cepen-  & de fa femme. ïj dant il étoit conftant qu'il n'avoit paru apprendre ce retour, qu'a onze heures du foir , en rentrant de fouper en ville. Que faifoit-il a cette porte? Pourquoi fe fouftraire, en ce moment, a la vue de fon voifin, Sc feindrê de n'apprendre fon arrivée que plufieurs heures après 1'avoir vu de fes propres yeux ? Si les circonftances direótement relatives a i'objet du procés concouroient a. charger d'Anglade Sc fa femme, les découvertes que 1'on faifoit fur leur vie paffée, s'y réuniffoient, pour attefter que, loin d'ctre a 1'abri des préfomptions, ils étoient dans la clalfe de ces gens intrigans, fur lefquels la police ne peut trop avoir les yeux ouverts, Sc pour qui le foupcon eft prefque une conviction. Ils avoient eu, a. la vérité, le talent de fe couvrir du manteau de la probité; mais, plus ils avoient f^u en impofer, moins ils avoient droit de prétendre a Pindulgence. Un témoin déclara que 1'accufé étoit un joueur de profeffion ; que 1'abbé Bouin 1'avoit appellé fiipicr : ce qui s'accordoit avec 1'habitude qu'il avoit de preter fur gages. Un autre témoin dépofa du vol fait au fieur Grimaudet. D'autres déclarèrent qu'ils avoient oui-  ï 8 Proces du fieur d'A?i vlade direque d'Anglade avoit volé une pièce de ruban. Enfin 1'information fe trouva chargee de beaucoup d'autres-minuties dont le détail feroit rebutant, mais qui' reünies, ne laifioient pas de juftifier 1 imputation des fairs principaux. Quant i la nailïance de d'Anglade & aux revenus qui fournilfoient a fon talte, il avoir eu 1'art de fafciner tellement les yeux du public Ar 1'un & fur l autre^objet, qu'il fut impoilible de tirer, a eet égard, aucune lumière de 1 mformation. Dans les interrogatoires ie juge eut befoin de la plus grande fa'gacite , pour fuivfe 1'accufé dans toutes les f mtes ou il effaya de cacher fon origine, & 1'état de fa fortune. Mais il réiulta enfin de fes réponfes combinées & debarrafiées des déguifemens dont H les avoit couvertes, que, loin d'être gentilhomme, comme il avoit I'audace d en faire profeffion, il étoit de la naiflance h plus obfeure; & que fon revenu n excedoit pas annuellement Ia fomme de 19 5 o livres; ce qui n'approchoit pas a beaucoup prés, de la dépenfe que fon falie exigeoit. Cette circonftance étoit d autant plus inquiétante, qu'aucun de les fournilfeurs ne s'eft plaint qu'il f{jt en arnère pour fa dépenfe courante, ni  & de fa femme. 19 même pour les objets qui forment le fonds du vêtement. 11 payoit donc comp tant; & quelle étoit la fource de cette aifance ? Tout fembloit donc annoncer que d'Anglade étoit un de ces efcrocs, que 1'on qualirie Chevaliers d'indujlrie, qui ufurpent un nom , un rang , & font une dépenfe qu'ils ne peuvent foutenir qu'aux dépens des dupes que leurs tons impofans &: infinuans tout a la fois, font tomber dans leurs filets, & par la relfource des coups de main & de ia filouterie. A tous ces fairs, a cette maffe fubjugante de préfomptions, fe joignirent les contradictions dans lefquelles tombèrent les deux accufés, fur des objets de la plus grande importance. On demande au mari d'oü proviennent ces louis : il répond qu'il les amaflbit a mefure que le hafard lui en procuroit. On lui demande fi fa femme avoit connoiflance de eet amas de louis; il répond qu'il ne fe fouvient pas de lui en avoir fait la confidence. La femme déclare, de fon coté, qu'elle en avoit connoiffance; qu'ils les ont plufieurs fois comptés enfemble; & que fon man, en les comptant devant elle, lui dit ï ma  2-0 Proces du fieur dAnglade femme, voila qui eft bien joli. Le man* dit qu'il y a trois femaines ou un mois qu'iïs n'y onr touché : la femme avoue qu'il n'y a que quatre jours. II eft inutile d'entrer ici dans le détail de plufiëurs autres contradidions fur leur naiflance, fur leurs revenus, fur les reflburces dont ils faifoient ufage pour fourenir leurfafte, &c. II fuffit de faire attenrion a celles ou le mari & la femme font tombés, relativement aux louis qui formoient un des principaux objets, & un des principaux indices du vol. II eft conftant, en matière crimi«elle, que, Iorfqu'une contradidion eft formeile, & qu'elle frappe fur un fait confidérable, elle élève contre 1'accufé une preuve plus concluante, qu une reconnoiflance fimple & naturelle du fait meme. L'aveu dun accufé, tourné i fon avantage, doit être écouté favorablement; & le juge doit fe prêter & routes les ïnduéhons raifonnables qu'il en peut tirer pour fa décharge. Mais les conrradidions qui vont a établir le fait qu'il s'efforce de cacher, font connoitre en meme tems, & fa mauvaife foi, & l'inftfffice de fa défenfe. Aufli les auteurs, loin de regarder les contradidions' comme des moyens légers, décident  & de fa femme. li qu'elles peuvent faire prononcer la condamnatiou a la queftion, quand elles tombenr fur le fait même du crime, ou fur les circonftances principales qui 1'accompagnent (i). De,pette vérité, il en réfulte une autre contre d'Anglade & fa femme, a laquelle les juges ne pouvoient pas fe refufer. Quand le corps du délit eft conftant; c'eft-a-dire, quand il eft certain que le crime dont la jiiftice pourfuit la vengeance , a été commis , on peut condamher 1'accufé fur la foi des préfomptions & des indices. En effet, le juge qui, en s'aflurant que le crime qui lui eft déféré exifte réellement, a fait le premier pas dans la voie de la vérité, peut raifonner ainfi : « puifque » le crime eft certain, il faut néceftai» rement que quelqu'un 1'ait commis. » Or, quoiqu'il ne fe préfente aucune » preuve direéte contre le coupable, » paree qu'il a eu foin de les écaiter, (i) Vdriatio indiciurn facit ad torquendum, quando refpicit vel delitfum principale, vel qualitatem & circumflantias principales , & ad delirium inferentes & pertinentes. Farinacius, i. quxfi. 51, p. 22. Julius Clarus, queefl. 2. Hypolitus de Marfdiis, §. diligenter, p. 7. Carrer. pra&icd criminali. Menechius, de prafumpt. -lib. 1, quafl. 79.  t% Procés du fieur d'Anglade » celui-la eft cenfè 1 'être, contre lequel » les préfomptions s elèvent ». Ce raifonnement, qui fert de flambeau aux juges dans les efpèces oü il y a un corps de délit conftant, ne peut pas 1'éclairer dans celles oü il n'y a pas de corps de délit. Ici il étoit certain que 1'on avoit volé au comte de Montgommery la fomme qu'il réclamoit. Nulle preuve directe Sc pofitive, a. la vérité, ne défignoit le voleur: mais il exiftoit, contre d'Anglade Sc fa femme, un corps dé préfomptions rellement cimenté, qu'il n'étoit pas pof' fible a la juftice humaine de ne pas les reconnoïtre pour les vrais coupables. Mais, comme il étoit difEcile que le vol eüt été commis fans la participation des domeftiques de d'Anglade, on crut trouver marière, dans les informations, pour décrèter de prife de corps fon laquais, fon cocher & ia femme-de-chanv bre de fa femme. Ils furent emprifonnés , a la réferve du cocher. Cependant d'Anglade Sc fa femme fe pourvurent au Grand-Confeil contre le jugement qui avoit attribué au lieutenant-criminel la compctèhce en dernier reflort dans cette affaire. Ils redou- ' toientce juge, «dans lequel ils avoient  & de fa femme. x$ cru remarquer de la prévention. Par arrêt contradictoire du 15 cétobre 16 8 7, il fut ordonnc que le procés feroit jugé a la charge de Fappel au parlement. Ainfice tnbunal jugea que le vol s'étoit commis fans effraótion. En effet on s'étoit fervi de fauifes clefs, fan« bris de portes ni de ferrures, a 1'exception du coffre qui avoit été forcé. Mais on ne jugea pas que cette circonftance futfuffifante pour expoiér ia vie de deux citoyens a un jugement fans appel. II ne fumloit pas a d'Anglade de s'être afturé que la fentence du lieutenant-criminel feroit fujette a la réformation 5 il voulut entièrement écarter ce juge. Il le prit a partie, & prétendit que les preuves de prévention qui lui étoient cchappées, & la rigueur barbare avec laquelle il 1'avoit fait traiter, lui & fa femme, dans leur prifon , lui donnoient le droit de le regarder, non comme fon juge, mais comme fon ennemi, Les preuves de la prévention conhftoient. dans cette déclaration que le lieutenant-criminel s'étoit permife, en difant au fieur d'Anglade: c'efi vous,ou mor, qui avons commis ce vol; dans b précipitation avec laquelle il s'étoit tel-  24 Proces du fieur d'Anplade lement hvré a cette idéé, qu'il s'étoit abftenu ae fouiller dans les chambres des domeftiqnes,quoique 1'ön eüt pu raiïonnablement fonder des foupcons contre la Forménie, qui n'avoit point éte du voyage a ViUeboufin, & qui avoit etc depófitaire de la première clef de 1 appartement. Quant aux rigueurs exercées contre d Anglade 8c fa femme dans leur paIon elles étoient d'autant plus fen/ibles, qu'ils étoient accoutumés a une vie commode 8c aïfée. Le fieur d'Anglade avoit toujours ménagé la délicateffe de fon remperament par le fecours des foins rninutieux, qui ne font d'abord que des beioms imaginaires, & que 1'habitude convemt infenfiblemenc en befoins reels. On 1'arrache fubitement du fein d une mollefie habituelle, pour le préapiter dans un'cachot fouterrein, oü lair extérieur ne pénètre par aucune iflae; ou I'humidité laplus pourrhTante neft corngee par aucune évaporation: ou il ne trouve d'autre fiège, d'autre v' ?U^nrpeu de mauvaife paille que l on iaifle fe convertir en fumier avant que de la renquveller. Pour toute nournture, il eft réduit au pain des ptifonnicrU. Pain rel»atant pour un palais dé- licat,  & de fa femme. i £ licat, difficile a digerer par un eftomac accoutumé aux mets préparés avec art, & dont la quantité étoit a. peine fuffifante pour appaifer la faim. La rigueur avec laquelle on lui interdifoit toute communication a 1'extérieur, le privoit du fecours des charités qui s'exercent dans les prifons, quoique ces fecours ne s'étendent pas au-dela du plus Itriéte nécelfaire. Sa femme étoit au commencement cTune grofTeife, lorfqu'elle fut arrétée. La révolution que lui caufa cette cataftrophe lui occafionna une faulfecouche, dont elle éprouva routes les fuites au fond de fon cachot. Dans un état fi crttel, elle n'avoit d'autre Confolation que la compagnie de fa fille, agée de cinq ans, qui lui faifoit fentir un morceau de pain trempé dans du vin, pour la faire revenir des foiblelfes & des évanouiffemens ou fon état la faifoit tomber a chaque inftant. Quoiqu'elle attendit la mort de moment a autre, ce ne fut cependant qu'après biert des inftances qu'elle obtint qu'on lui donnat un confeifeur. Elle guérit enfin : mais a peine commencoit-elle a fentir un peu de foulagement, que fa fille tomba malade. Elle Tornt lil. B  •%6. Procés, du Jieur d'Anglade éprouvoit des fueurs froides qui laiffoient cette innocente viétime toute trempée. La mère n'avoit point de linge pour 1'efluyer, ni de feu pour la réchaufrer. Tout ce qu'elle put obtenir de la barbarie de fes gardiens, ce fut un peu de charbon dans un vafe de terre, Sc ce charbon étoit bientót éteint. 11 fallut pleurer, il fallüc gémir pour avoir un médecin. Au bout de cinq mois, on leur accorda un autre cachot, comme une faveur extraordinaire. Celui-ci recevoit 1'air extérieur par une petite fenêtre , mais on ia boucha; & la com- . munication étant ainfi interceptée, la mère & la fille étoient a toute heure expofées a être étouffées par la vapeur du charbon, Tant de rigueurs, tant de barbarie, ne pouvoient être exercées que par les ordres, ou au moins de 1'aveu du lieutenant-criminel. Cette févérité contre des accufés qui n'étoient pas convaincus, jointe aux impreilïons dont ce juge s'étoit laiffé frapper, & qu'il n'avoit pu diffimuler, ne fembloient pas comparibles avec 1'impartialité fi néceffaire au . rrjagiftrat qui veut trouver la vérité, Sc qui doit être exempt de tout ce qui la . jpeut offufquer,  & de fa femme. ij C'eft fur ces moyens que d'Anglade interjetta appel de la procédure, & pric le lieutenant-criminel a partie. Mais, par arrêt du 13 décembre 1687, rendu fur les plaidoieries refpecfcives, il fut jugé que le lieutenant-criminel avoit été follement intimi (1), & le procés fut renvoyé par devant lui. 11 continua donc la procédure; & par fentence du 19 janvier 1688, d'Anglade fut condamné a la queftion ordinaire & extraordinaire. Sur 1'appel, arrêt qui ordonna pareillement la queftion ordinaire & extraordinaire; mais avec la claufe manentibus indicüs 3 c'eft-a-dire, les preuves reftant dans toute leur force. Ces deux manières d'ordonner la queftion, produifent des etfets différens. Tout le monde fcait qu'il y a deux cas oü 1'on prononce ce fupplice contre un accufé. S'il a commis le crime dont il eft convaincu avec des complices qfe la juf tice ne connoit pas, & qu'il eft cependant important de connoltre, on condamné le coupable a la peine qu'il mé- (1) C'eft-a-dire qu'il avoit été affigné fans fujet, pour répondre perfonnellement fur fa procédure. On aura occafion, dans la fuite de ce recueil, de parler plus amplement des prifes a partie. Bij  x3 Procés du fieur d'Anglade rite; on ordonne, en même tems, qu'il fera, au préalable, appliqué a la queftion, pour avoir révélarion de fes complices 'y 8c cette queftion s'appelle queftion préalable. Mais s'il n'y a que des preuves, confïdérabies a Ia vérité, & néanmoins infuffifantes pour opérer la condamnation, le juge peut ordonner alors que 1'aecufé fera appliqué a la queftion, pour arracber de fa bouche, par laforce des tourments, desavenxqui, joints aux preuves que 1'on a déja acquifes, puilfeut former .une preuve juridique, ou du moins indiquer les routes qui peuvent y conduire; 8c cette queftion s'appelle provifoire. Si elle eft ordonnée purement & fimplement, le fort de 1'accufé dépend de la fermeté qu'il peut oppofer a la douleur. S'il lui échappe des aveux, le juge én fait ufage que fa prudence lui fuggère. S'il u'avoue rien, il doit être reuvoyé abfous; 8c tel eüt été 1'effet de la fentence du chatelet, fi le parlement feut confirmée purement & fimplement. Mais quand les preuves, tout infufïïlantes qu'elles font, paroiflent néanmpins trop fortes pour qu'oiï puüTe  & Je fa femme. l<) fouter fsÉCCufé arbitre de fon fort, alofs on ordonne qu'elles fubiifteront. Cette réferve donne au juge la faculté de condamner Faccufé, quoiqu'il n'avoue pas, a des peines péenniaires, même a des peines amiftives, de quelque nature qu'elles foient, excepté a la mort i ad cmnia citra mortem. Tel fut 1'effet de 1'arrêt du parlement contre d'Anglade. 11 n'avoua rien a la queftion : & cependant, par 1'arrêt définitif du \6 févner i<5"83, d'Anglade fut condamné aux galères pour neuf ans, & fa femme bannie de la prévócé de Paris 3 pour le même efpace de tems: condamnès conjointement en 10 livres d'amende envers le Roi; en 3000 livres de réparation, & 1567? Uv* de reftïtution envers le comte de Montgommery ; a la rejlitution du collier de perks3fuwn payer la fomme de 4000 livres, le tout folidairement :jufques auxquelles fommes, & au-dejffbus, le fieur de Montgommery & fa femme feront crus a leur ferment; déduclion néanmoïns faite de la fomme de 5780 livres 5 fois remfe h miins du fieur de Montgommery 3 de foixante-dix louis a"or au cordon éiant au greffc3 une doublé ff oh d'Efpagne3 & dix-fept louis d'or trouvés fur d'Anglade 3 quand il fut arrêté prifonnier. B üj  3° Proces au fieur ctAnglade DAnglade & fa femme condamnés aux tepenst meme ceux fans contre les domejtiques décrétés. ■ Les juges, convaincus que d'Anglade «oir crimmel, & Ja procédure ne leur ayant pas permis de lui infiiger le fUDplice que méritoit le délit dont ilsle voyoient coupable, n'épargnèrent aucune des peines dontlaloi ne leur iuterdifoit pas 1'afage, C'eft la coutume de donnerquelque rafrakhiffement aux malheureux qui ont été appliqués a la queftion. D'Anglade, pour tout rafrai'chiliement, fut conduit, de la chambre de la queftion, dans le cachot le plus iombre de la tour de Montgommery (i) Ji y fuHong-tems fans affiftance, fans conloktion, fans voir perfonne; & n'en tut ure que pour être mené, tout brifé tout rompu qu'il étoit, au ehateau de la 1 otirnelle (2). Succombant enfin fous le poids de cM £T t0v Cft renfermée clans 1'enceinte de la pnfon connue fous le nom de Concergene du palais. C'eft-la qu'on ren! Païtf " Proch/h Por'e fafnt Bernard k rans, ou 1 on condmt les criminels condam- " .aM Zdle?s >& °« on les attaché a la cliaine, pour les faire partir.  & de fa femme. 31 tant de maux, U tomba dangereufement malade. 11 recut le viatique, & declara en même-tems, de vive voix_& par écrit, qu'il étoit innocent • mais qui pardoniioit k fes ennemis J que le ieul déplaifir qu'il éproimit, étoit de ne le voir attaché qua la chame, tandis qnll voyoit fon Sauveur attaché a la croix. 11 ne mourut point, & demeura, julqu ru départ de la chaïne, fixé au premier mai, dans eet horrible féjour, ou il ne vivoit que d'aumónes. On reprocha au comte de Montgommery d'avoir follicité vivement pour faire partir le fieur d'Anglade, qumqu il ne füt pas encore guéri; & de 1'avoir même attendu fur le chemin pour fe repaitre du plaifit barbare de le voit dans 1'humiliation & dans la fouffrance. Le fupplice de la queftion avoit tellement brifé les membres de d'Anglade , qu'il lui étoit impoffible d'en faire uiage, & aue le moindre eftort qu'il vouloit faire ou le moindre mouvement qu'il ém-ouvoit, lui caufoie: t les douleurs les plus cuifantes. 11 föfot deux hommes pour le mettre fur la charrette. Pendant fa route, ils le defcendoient le foir & 1'étendoient fur un peu de paille dans une grange, ou fous une -halle. _ ö Biv ^  3* Procés du fieur nduit 1 hopital des forcats. IJ y conferva , femlmenS?a'davoiteusauchareaude la Tournelle, A tous fes maux, fe joil gnoit le tableau de 1'état déplo able 0li ^mme&f3 fille étoient ^iduite," parvint enfin a s'en détacher, p0Ur ne •occuper que de Dieu, perfufdé que lune trouverou en lui un proteéteu? &lautre unpère. Ceft dans ces fW mensqud mourat, le 4 mars Itf8o. 1 eu de tems après cette mort, on Jut dans la gazette de Hollande, un articfê amfi conc.u : On a executie OrléZ deux cnmnels> dont l'un a avoué, étant «ufuppUce qu'il avoit fait le vol che. le comte de Montgommery, pour lequel JaZTUidJ^efutcondamnfauX Cette première annonce donna des ioupcons en faveur du fieur d'Anglade*> foreur dont le public avoit été amme contre lui, commenca a faire , place a la compaflion. Cette révolution dans les efprits fut confobdee par des lettres anonymes qu coururentdans le monde. L'auteurdë ces lettres difou qu'il alloit s'enfermer danstmcWe;&qu'ilfecroyoitobli^ Pour la decharge de fa confcience, d'fp!  & de fa femme. 13 prendre que le fieur d'Anglade étoit innocent du vol dont il avoit été accufé; qu« les auteurs du crime étoient Vincent , dit Belejlre, fils d'un tanneur du Mans; & un prètre' appellé Gagnard 3 auffi du Mans , aumönier du comte de Montgommery ; & qn'une femme, nommée de Lacomble, en donneroit des nouvelles certaines. La comtelfe de Montgommery en recut une. Elle voulut la tenir fecrette; mais elle tranfpira parmi fes domeftiques, qui traitèrent Gagnard de frippon, lui reprochèrent d'être la cauje d'un malheur commun a. toute la maijon. lis forcèrent enfin leur Maitrelfe a le chalfer fur le champ. Un particulier, nommé Loyfdlon3 re<;ut auffi une de ces lettres. On fit ufa^e de celle-ci dans le procés dont on 1 va parler. Une troifième fut envoyée au lieutenant-criminel. II en fut effrayé, craignit d'avoir condamné un innocent, &£ voulut s'éclaircir fur'un fait auffi important. II remit la lettre a 1'exempt Defgrais, qu'il chargea de s'informer de la vie & des mceurs de Gagnard & de Beleftre. On a vu, dans le procés de la marquife deJBrinviilier, combien eet B v  34 Procés du fieur d'Anglade Èxempt éroir aéti'f, adroir & rigide dans fes opérations. II apprit que Beleftre ayant, dès* fa jeimelïe, été complice d'un affailïnat, avoit été contraint de quitter fon pays, & s'étoit fait foldat. Qu'ayant tué un fergent, il avoit déferté, & avoit, depuis, toujours mené une vie vagabonde, tantót au Mans, tan tot z Paris. Que, non-obftant le délabrement de fes babits , & 1'état de misère dans laquelle il étoit plongé, il avoit toujours été en grande liaifon avec 1'abbé Gagnard. Que tout d'un coup il avoit changé de fortune; qu'on lui avoit vu de groffes fommes d'or & d argenr, & pliüieurs habits très-ricbes; qu'il ayoit même acheté, auprès du Mans, une métairie de neuf a dix mille livres. A 1 egard de Gagnard , on feut qu'il étoit fis d'un geolier de la prifon du Mans; que fon patrimoine étoit faifi réellement, & en bail judiciaire ; qu'il avoit fubfifté a Paris, pendant quelque tems, du produit dés meffes qu'il difoit au Saint-Efprit; qu'il étoit entré chez le comte de Montgommery, oü il ne s'étoit pas enrichi: mais qu a peine il en étoit forti, qu'il avoit pap dans 1'abondance, recherché dans fes habits ecclé-  & de fa femme. fiaftiques, faifant une dépenfe exceffive, & entretenant une fille; on apprit même qu'avec de 1'argent, il avoit trouvé le moyen de fe procurer un bénéhce. Telles furent les découvertes de 1'e xempt Defgrais. La dame d'Anglade, informée de ce qui fe paffbit, fit aufli des perquifitions fur ces deux aventufiers. Voici ce qu'elle apprit. Pierre Vincent étoit fils d'un pauvre tanneur du Mans. II s'engagea dans le régiment de Normandie fous le nom de Beleflre; il devint fergent dans la compagnie de Boisguyet. Parvenu a. ce grade, il fut condamné aux galères par jugement du prevöt du Mans, en iè-j6. Sa complaifance, pour une proftituée , 1'avoit rendu complice de 1'affaflinat d'un pauvre meunier, que rrois fcélérats affommèrent. Tel fut fon coup d'effai. Paris & Verfailles lui parurent enfuite propres a. exercer fes talens pour la fiiouterie, & pour les vols dans les maifons. II mit auffi les grands chemins a contribution. Dans ces dirférens exercices-, outre le nom de Vincent, qui étoit celui que fom père lui avoit tranfmis, & celui de Belejire qu'il s'étoit donné dans les troupes, il s'appelloit tantot Beaulieu, tantót: B vf- . . ... /  3^ Proces du fieur d'Anglade Lagrange; d'autres fois Dellouches, ou Bd"ir; Au refte il étok dcbauché jufqu a 1'excès, & toujours en commerce avec les femmes & filles qui exercent Ja proftitution par état. , Entr'autres traits qui peuvent caractcrifer 1'adreffe de ce fcélérat, & qui annoncent une fermere & une préfence d'efpnt acquifes par 1'ufage du crime, en. voici un que Cartouche neut pas défavoué. U va, le icT juin 1686, au bureau des carroffes de Dijon, pour y rerenir une place, fous le nom de Belair. Après s'etre bien infonrié des voyageurs qui devoient remplir la voiture, il arrête la fienne. Les coquins de fon efpèce prennent toujours leurs mefures, pour que le fort paroiffe ne leur laiffer qu une des places de portière; ils font la plus a portée de s evader en cas d'accident. Lé foi-difant Belair n'oublia pas cette précaunon. Parmi ceux qui occupoient la voiture avec lui, étoit le gouverneur de Bhn en Franche-Comté, homme de condition, nommé Olivier. Ses fréquens voyages a Paris & a Ia Cour, 1 avoient fait connoitre du commis des carrolfes, qui dit a Belair quel il étoit; & ce fut a lm que ce voleiircriit devoir s'attacher.  & de fa femme. « 37 Pour avoir lieu de former une liaifon avec ce gouverneur, par la conformire d'état, Belair fe dit officier. Ayant fervi dans les troupes affez long-tems pour faire illufion a.ce fujet, il neut pas de peine a tromper le fieur Olivier. Mais, afin d'écarter tout foupcon, il joua la dévotion. La première couchée fut a. Guigne. Le prétendu officier, qui s'étoit donné tout 1'extérieur du role qu'il jouoit, s'arrangea pour coucher dans la meme chambre que le fieur Oüvier..Dès qu'ils y font entrés, Belair fe précipite i g&noux, & refte fort long-tems dans 1'attitude d'un homme qui prie Dieu. Cet air d'une piété exagérée, loin d'en ïmpofer au gouverneur, & de lui donner la fécurité que Phypocrite vouloit lui infpirer, lui fit naitre au contraire quelques foupcons, qui i'excitèrent a prendre les précautions qui pouvoient fe concilier avec 1'honnêteté. II avoit, dans fa culotte, deux bourfes garnies de louis d'or; il la place fous le chevet de fon lit: il ordonne a fon laquais de fermer la porte, & d'emporter la clef. Se croyant a 1'abri de la furprife, par ces ades de prudence, il s'endort tranquillement. Belair obfervQ & faifit le  38 Procés du fleur ctAnda^e tems du premier 'fomme du ffeur Olivier, tire adroitement la culorte de defous le chevet vuide une bourfe dans 1 autre, f-nue fur la table celle qu'd avolt vuidée, & la culorte parterre: attaché les draps de fon üt l'u„ au bout de I autre, les he aux chaffis de la fenêtre, fe ghlfe 8c s' évade. Le fieur Olivier, i fon réVeil appercoit fon défaftre, vólt comment fon voleur seftprocuré une fui te alTurée. II fait venir le juge de Guigne, qui drefTe un procesverbale retourne l Paris; va cTabord au bureau du caroffe, s adreffe au commis, examine fon livre, fur lequel il trouve : le fieur Belair ayant donne vtngt-cina livres pour fa pice, On repand dans Paris des billets d'indicatlon pouf é, ^ ^ , Belatr. Tantes ces formalités, routes ces recherches font infruótueufes. II „e réi toit d autre confolation au fieur Olivier que denes'être pas éveillé, pendant que ce fcéfcat faifoit fon coup f il ftu_ roitegorgé. r' 1 Quant il'abbé Gagnard, il n> avoit pas de cr d'éclat fur fon compt a^e SB^aif05 e»^eLe. avec Beleftre depuis leur naiua„ce, „e pouvoir que le rendre très-fufped Sa  & de fa femme, 39* phyfionomie , au refte, annoncoit de 1'efprit, & ne trompoit pas. 11 avoir tout 1'extérieur de la piété ; il avoit fait ufage de fon efprit & de fon hypocrifie, pour gagner la confiance du comte de Montgommery. II dirigeoit fes affaires j il fe mèloit de tout; tout lui paifoit par les mains: en un mot, il étoit a la tête de la maifon, & le dépofitaire des clefs. 11 ne pouvoit donc pas ignorer que le Comte avoit recu une grofle fomme vers le mois de»)uin 1687, ni le lieu oü elle avoit été dépofée. Les recherches de Defgrais lui apprirent en outre que, dans le tems qu'on informoit du vol contre le fieur d'Anglade & fa femme, tous les voleurs de Paris étoient imbus que Beleftre & Gagnard étoient les vrais coupables ; les filoux les 'nommoient fur le pont-neuf. Le bruit en aïla jufqu'au Mans, ou tout le monde en étoit perfuadé. Ce bruit avoit été répandu par des malheureux, . auxquels on n'avoit pas donné, dans le vol, la part qui leur avoit été promife. Toutes ces découvertes, jointes auxlettres dont on a parlé, pouvoient ouvrir la voie a la vérité. Mais il falloit faifir ces deux coquins. La Providence y  40 Proces du fieur JAnrfade pourvut. Gagnard fur conduit' au chatelet, pour avoir été préfent a un meurtre qm s'étoit commis dans un cabaret de la rue faint André-des-Arcs. Peu de tems après Beleftre fut arrêté, & conduit dans les prifons de Verfailles, en vertu d'un décret de la prévóté de 1'hótel, dont il avoit éludé 1'exécution pendant trois ans. Son crime étoit d'avoir joue, conjointement avec un autre filou contre un nommé Corpé , marchand iuivant la cour ^de lui avoir filouté quelque argent, & volé pour plus de cinqcents hvres de toile. Quand on 1'arrêta, on trouva dans' la poene, un exemplaire de cette eazette de Hollande, qui annoncoit qu'un voleur executé a Orléans étoit auteur du vol imputé au fieur d'Anglade. ^etteprecaution, d'avoir toujours avec lui une gazette qui avoit plufieurs mois de date parut mériter que 1'on en exa■ minat Ies motifs- Avec cette gazette etoit un billet de la main de Gagnard' qui liu mandoit qu'il prft garde a lui ■ qu il falloit eloigner 1'abbé de Fontpeirè On verra, pai-lafuite, combien eet abbe devoit erfedrivemem être fufpeét a ces deux camarades. Mais ce qui acheva douvnrles yeux de Ja juftice, c'eft que  & de fa femme. 4T Ie fieur Loyfillon, inftruir de la capture de Beleftre, fit remettre, au lieurenant-général de la prévóté, la lettre anonyme dont on a parlé plus haut, qui annoncoit que Beleftre étoit un des voleurs du comte de Montgommery. Le juge crut devoir profiter de 1'ouverture que lui donnoit cette lettre. Il fit chercher la de Lacombli , la trouva, & la fit afligner en témoignage, a la requête du procureur du roi. II paroit que cette de Lacomble, autrement nommée Ia Cartaut, vivoit dans une grande intimité avec Beleftre, & qu'elle étoit de quelque utilité a Gagnard , dans fes plaifirs. Mais elle ne leur avoit paru mériter leur confiance qu'en ce qui concernoit leur débauche j ils ne 1'avoient pas crue affez confommée, pour être la confidente de leurs crimes. Elle dépofa qu'un jour Beleftre lui avoit dit qu'il feroit un coup avec 1'abbé Gagnard, qui les mettroit tous en repos \ qu'on devoit 1'éveiller & lui donner un fignal, en jettant une pierre contre fa fenêtre, afin de 1'avertir d'aller faire fon expédition- Elle ajoute qu'il demeuroit rue du Colombier, & qu'il lui dit un jour, qui étoit, autant qu'elle s'en fouvient j 1'époque du vol commis ehez  42 Procés du fieur d'Anglade le comte de Montgommery : nousavons cefoir un grand coup a faire avec Vabbè Gagnard; alle^-vous en che\ mon hóteffe otertout ce qui m'appartiem. Elle y. alla effectivement, & enleva tout ce qui pouvoit avoir quelque fuite Sc procurer quelque indication, comme bourfe &c papiers. Immédiatement après le vol imputé au fieur d'Anglade, continuet-elle, Beleftre lui montra beaucoup d'or Sc dargent, Sc même un collier de perles fines, & lui dit, avec un air enjoué, en voila pour tretous. Ah ! mon Dieu} s 'écria-t-elle, ou ave^-vous pris eet argent3 ce collier? II répondit qu'il les avoit ga- gucs au jeu. ^e promenant un jour dans Ie Luxembourg, avec Beleftre,il la-congédia, en lui difant: allez-vous en: des mejjieurs doivent vemr, pour faire un partage. En fe retirant, elle vit approener 1'abbé Gagnard, qui ne la reconnut 'pas, & qui parut fort embarraffé. Elle ajouta que le jour que Beleftre lui avoit montré le collier de perles, elle lui avoit coufu, autour de lui, dans une ceinture de chamois, cent louis au cordon; & que, lui ayant reproché-qu'il avoit fait grand tort a ceux a qui il avoit pris tout 1'argent qu'il lui montroit, il lui avoit répondu que ces gens-la n'étoient pas a  & de fa femme. 43 plaindre, qu'ils en avoient' aiïez ; que tous les biens étoient communs, & qu'il n'y avoit que manière de les prendre. Eile paria auffi de la fille que Gagnard entretenoit, & qui, depuis fix femaines, étoit accouchée d'un garcon dont on le difoit père. Cette dépofition parut fuffifante au juge pour décréter Beleftre & Gagnard fur ce crime. En coniéquence Gagnard, qui ne fe trouva poinr coupable du meurtre qui avoit été commis en fa préfence, fut transféré, duchatelet, dans les prifons de Verfailles. Le premier acte de procédure contradictoire avec eux, fut de les entendre fur les fairs dépofés par la de Lacomble. Beleftre, interrogé fur le partage fait au Luxembourg entre lui & Gagnard, répondit qu'il étoit queftion d'une fociété de jeu qu'ils avoient enfemble. Gagnard, interrogé depuis, & féparément, déclara qu'il n'avoit eu, avec Beleftre, aucune fociété de jeu. Je ne ferai point ici de nouvelles rérlexions fur les conféquences des contradiótions enrre deux accufés en matière criminelle \ je prie le leéteur de fe rappeller celles qui ont été faites plus haut, pag. 10, «Sc de les appliquer ici.  44 Proces du fieur d'Anglade Les préfomptions réfultant des cifconftancesque 1'on vient de voir, furent aggravées par la précaution que prit Gagnard de récufer la de Lacomble, avant de connoure fa dépofition; & pour tout motif de récufation , il allégua qu'elle lui avoit prodult des filles. II falloit que eet accufé fut lemnel, jugés coupables du crime  & de fa femme 4? » qu'on nous impute. Nous ne pouvons » donc pas 1'avoir commis ; ou il raut » que 1'on prouve que nous ctions leurs » complices », Ce raifonnement qui, comme oh va bientór le voir, .n'eft pas fans réplique, les mettoit cependant fous la fauvegarde d'un prcjugé bien refpectable, d'un arrêt rendu en grande ccnnoiifance de caufe, Sc renchéritfant fur une fenreuce intervenue après la procédure la plus réguliere, II y avoit, il eft vrai, de violens foup rit le lieutenant-criminel qu'elle avoie appris que Pappartement du valet-dechambre s'étoit trouvé ouvert, qu'il falloit y chercher, qu'on y trouveroit quelque chofe; l'on y chercha, & Pon trouva fix facs de 1000 livres chacun. 8°. Le jour du vol, le fieur d'Anglade foupa chez lui, quoiqu'il eut coutume de fouper dehors. o°. On a appris que, dans le même appartement qu'occupoit le comte de Montgommery, Grimaudet, qui 1'avoit occupé avant lui, & qui fouslouqit du fieur d'Anglade, avoit été volé. io°. Le fieur d'Anglade fcavoir que le comte de Montgommery avoit de 1'argent. 11°. Le fieur d'Anglade logeant dans la même maifon, avoit eu Diij  78 Proces du fieur d Anglade plus de facilité qu'un autre pour commerrre le vol. Tel eft ce corps redoutable de preuves, qui a paru plus que fufEfanr au comte de Montgommery, pour s'acharner a la pourfuite de deux innocens, &: pour folliciter la juftice, avec une barbarie incroyable , de les envoyer au gibet. Mais, en examinant, 1'un après 1'autre , chacun de ces faits, ils s'évanouiflent au flambeau de la difcuflïon, & ne laifient que des preuves de 1'innocence des condamnés. A 1'égard du voyage de Villeboufin rompu, le mari & la femme onr répondu unanimement que, le dimanche x décembre, jour qui précéda le départ, une des foeurs du Comte fit profeffion a 1'abbaye de Panthemont; que le fieur d'Anglade & fa femme ayant été invités d'affifter a la cérémonie & au diner, le mari fut piqué de ce qu'on aftëóta de retenir fa femme au repas, & qu'on le lailfa aller. Ayant pris cette diftinction pour une malhonnêteté qu'on avoit voulu lui faire perfonnellement, il avoit cru devoir en témoigner fa fenfibilité, par 1'ordre qu'il donna a fa femme de rompre la partie de Villeboufin. Ce  & de fa femme. 79 prétendu indice, ayant une caufe toute naturelle, celle d en être un. On n'auroit dofte pas du y avoir égard au procés. II en eft de même de la circonftance des clefs de la porte de la rue, que la dame d'Anglade fe fit remettre; elle eft toute naturelle <, & envifagce dans fon véritable point de vue, elle n'annonce aucune précaution criminelle. Son mari foupoit le plus fouvent en viile, & fe retiroit fort tard 5 il n'y avoit point de portier 5 il étoit dans 1'ordre que les domeftiques du fieur d'Anglade attendiffent leur maitre, a la décharge de ceux du Comte ; ceux-ci auroient pu mettre de la négligence dans cette fonétion, qu'ils avoient droit de regarder comme un furcroït de fervice onéreux, & faire languir le fieur d'Anglade a fa porte. Pourquoi, quand on trouve une caufe naturelle & prochaine d'un fait, en chercher une éloignée & compliquée ? On a trouvé foixante-dix louis au cordon, dans le coffre du fieiir d'Anglade : mais cette monnoie étoit-eüe donc réfervée a. 1'ufage du comte de Montgommery? N'étoit-elle pas dans le commerce ? Elle étoit rare, il eft vrai; mais elle ne 1'étoit pas au point que l'on n'en trouvat chez plufieurs panir Div  80 Procés du fieur d Anglade culiers. II y a plus ; la juftification da fieur d'Anglade, a ce fujet, eft éerite au procés. II a indiqué ceux qui lui avoient donné ces louis, ils ont été entendus , & ont confirmé fa déclaration. Le comte de Montgommery s'eft donc rendu coupable cle mauvaife foi, en re-vendiquant, comme lui appartenant, Jes louis trouvés chez le fieur d'Anglade. Ces foixante-dix pièces étoient enveloppées,il eftvrai, dans une généalogie ; mais rien n'autorifoit le comte de Montgommery aföutenir que c'étoit Ia fienne plutót qu'une autre; c'étoit un papier déchiré de manière qu'on n'y pouvoit plus reconnoitfe aucune fuite. .D'ailleurs les accufés ont été jufqu'a indiquer d'oü venoit ce papier ; c'étoit une revendeufe qui 1'avoit remis a la dame d'Anglade, pour fervir d'enveIoppe a des effets qu'elle lui avoit vendus. On a triomphé, paree que la revendeufe n'avoit point parlé de ce papier y mais elle en a fait mention dans fon récolement. Comment la prévention a-t-elle pu tenir contre des accufés qui ont rendu compte des plus petites minuties ? Aiifti le comte de Montgommery , honteux de s'être attaqhé  & de fa femme. 8r a une preuve fi frivole, n'en parle plus. La dame d'Anglade tomba en foiblefle, & le fieur d'Anglade trembla » en comptant les louis. Mais qu'on fe repréfente donc leur pofition. Quel eft 1'innocent qui ne fera pas effrayé, & qui contiendra les fymptomes de fa frayeur, en fe voyant entre les mains, & a la merci d'un jnge tellement imbu de la prévention qui 1'a frappé d'abord, qu'il ne peut la diiïïmuier, qui afteéle 1'exrérieur le plus rigoureux «Sc le plus terrible de la magiftrature, & négligé tout ce qui peut fervir a la décharge de 1'accufé? Comment n'être pas intimidé, en fe voyant tout d'un coup foupconné d'un crime énorme j en voyant que , dans le moment même oü l'on jouit de la confidération & de 1'eftime univerfelle, on tombe tout-a-coup dans le mépris , & dans Pinfamie ? Les peines, fous lefquelles les fieur & dame d'Anglade ont été éerafés, n'ont que trop juftifié la crainte qui a caufé leur défaillance & leur tremblement. Quant aux contradiétions du mari Sc de la femme fur les foixante-dix louis ,voici aquoi elle» fe rédüifent. La dame d'Anglade a dit qu'elle a feu que fon marifaifoit un amas de louis au cordon^  82 Procés du fieur dArzgladc qu'ils les ont comptés enfemble plufieurs fois ; 8c que le fieur d'Anglade , les comptant devant elle, lui dit: ma femme, voiia qui eft bien joli. Le fieur d'Anglade dit, de fon córé, qu'il ne pouvoit pas affurer fi fa femme faifoit unamas de louis; qu'il ne fe fouvient point de les lui avoir fait voir; qu'il peut fort bien fe faire qu'il les ait comptés en fa préfence; mais qu'il ne fe le rappelle pas. Dans .quelle pofition fe trouvent, a eet égard, le fieur d'Anglade 8c fa femme ? L'un eft incerrain, & 1'autre affirme; ils ne fe contredifenr donc pas, puifque 1'incertitude pencbe atitant du cóté de l'afïirmative, que du cóté de la négative. Si eet indice a fait condamner le fieur d'Anglade, il faudra donc pendre , ou du moins envoyer aux galères tout accufé a qui fa mémoire inridelle ne rappellera pas précifément les détails fiu lefquels on 1'interroge, paree qu'il aura négligé de graver dans fon fouvenir des faits minutieux, 8c qui, dans le tems qu'ils arrivenc, font de la plus grande indifféjrerice. Si le mari & la femme n'ont pas été d'accord fur leur origine, c'eft une ci&conftance qu'il faut pardonner a la va-  & de fa femrrt€. 83 nité, foibleife qui n'eft que trop' commune dans la fociété, 8c fur-tout, il faut 1'avouer, parmi les Francois. Le hafard avoit mis le fieur d'Anglade a portée de déguifer fa véritable naiflance, &: de s'en attribuer une i fon choix; il avoit cru ne faire de tort a. perfonne, en fouffrant qu'on le prit pour gentilhomme. Eh ! combien de téméraires de la naiffance la plus abjecte , ufurpent des noms illuftres, fous prétexte de quelqu'analogie , 8c vont même jufqu'a fe procurer de faux titres, pour s'enter fur des maifons d'une ancienneré 8c d'une nobleffe révérée! Le fieur d'Anglade, au moins, n'a ufurpé le nom de perfonne : on s'eft avifé de Ie croire gentilhomme; il a fouffert qu'on le crut; 8c, par un mouvement d'orgueil fi ordinaire qu'il a cefTé d'être ridicule , il s'eft prêté a 1'iilufion: mais fa noblefte chimérique éroit toute nouvelle , & n'appartenoit a perfonne. Or les contradiétions reprochées au mari & a la femme , fur ce point, provenoient de ce qu'ils n'avoient pas fongé a fe créer de concert une généalogie ; & voulant s'épargner la morrification d'être convaincus d'en avoir impofé au public fur Ie rang qu'ils avoient ufurpé, Dvj  Procés du fieur d'Anglade if étoit tout naturel qu'ils ne fuflenf pas d'accord fur des détails indifférens en eux-mèmes, & fur lefquels ils ne s'étoient pas concertés. Mais s'enfuit-il, de-la, qu'ils eulfent volé le comte de Montgommery, & qu'on düt, fous prétexte de ce vol, les envoyer aux galères ? La découverte que fit Ie lieutenantcriminel des fix facs de i ooo livres chacun, lui parut une convi&ion fi évidente , après 1'avis que lui avoit donné la dame d'Anglade, qu'il ne voulut pas continuer la vifite des appartemens du comte de Montgommery : il ne voulut pas qu'il y eüt d'autres coupables que les fieur & dame d'Anglade. Cette idéé lui parut tellement fondée, qu'il ne qu'on 1'a rrouvée ouverte : il n'a pas » fermé cette porte; donc il a apprén hendé d'être iurpris r dans cette crain» te, il n'a pas ofé achever fon vol». Toures ces conféquences, qui étoient naturelles, ont été empoifonnées. Comment a-t-on pu en faire des indices contre elle, après qu'elle a fair voir qu'elles étoient liées avec 1'événement ? Le fieur d'Anglade, qui avoit coutume de fouper en ville, foupe chez lui le jour du vol. Mais eft-ce done  86 Proces du fleur d'Anglade une aótion équivoque, que de fouper chez foi, quoiqu'on s'en foit abftenu plufieurs fois ? & doit-on chercher un motif cnminel ï un afte auffi fimple & auffi hbre ? Y a-t-il la matière a aucune induóhon ? H s'eft commis, autrefois, dans Ia meme maifon, un vol dont 1'auteur n'a jamais été connu. II n'y a eu, i eet egard, aucun indice contre les fieur & dame d'Anglade; jamais on ne les a meme foupconnés : &, paree qu'il fe commet un fecond vol dans cette maifon , il faut leur imputer le premier! j Lxt accufés %zvo'lent que le comte de Montgommery avoit de 1'argent. Mais pouvoit-on dire qu'ils fuffint les ieuls qm feuftent qu'il avoit cette Jomme chez lui? S'il leur en avoit fait la confidence, ne pouvoit-il pas pareiliement en avoir parlé a d'autres? Celui de qui proyenoit le rembourfement, ne le feavoiMl pas ? Ceux qui avoient tranfporte 1'argent, ne le fcavoient-ils pas' hnün ne difpofe-t-on pas de fes fonds, d un moment a 1'autre ? Toutes les conjeótures qu'on a voulu tonder fur la fomme du fleur d'Anfi f°n cara^re,font fauffis, 11 a mftxfie qUe, par les reffources d'une-  & de fa femme. 87; honnête induftrie, & d'une économie bien entendue, il étoit en état de foutenir la figure qu'il faifoit \ que les prêts qu'il a faits fur gages étoient fans intéréts ; & dans la recherche de fa vie &c de fes mceurs, on a trouvé que fa probité ne s'eft jamais démentie. Quant a la dame d'Anglade, on n'a ofé ternir fa conduite par le plus léger foup^on. La facilité de voler que donnoit au fieur d'Anglade fon habitation dans la maifon, eft un de ces indices qui eft commun a tous ceux qui habitent une maifon ou un vol a été commis, & qui, par conféquent eft d'autant moins concluant conrre chacun en particulier, qu'il peut fe faire, & qu'il arrivé fou-^ vent, que le coupable foit unétranger. Tels font les indices qui ont fervi de prétexte a la pourfuite acharnée du comte de Montgommery. Ils ont tous des caufes naturelles, qui juftifient parfaitement les accufés; & s'ils ont pu , au premier afbeet, donner lieu a quelque légère prévention, ils auroient dü, examinés avec réflexion dans 1'inftant même, la diflïper, &, après les éclairciflemens donnés par le mari & par la femme, contribuer a faire fortir leus innocence avec plus d'éclat.  S8 Procés Ju fieür J'AiïglaJe Le comte-de Montgommery con-' vient que , de tous ces indices pris féparément, il n'y en a pas un qui puifle charger les accufés; & cependant, de leur affemblage, il veut compofer une maffe qui puiffe former une preuve. Mais commenr un amas de plufieurs indices, dont chacun ne conclut rien, peut-il former une preuve concluante ? Comment peuvent-ils emprunter les uns des autres une force dont chacun d'ëux eft dénué ? Si aucun de ces indices ifolés ne peut faire charge, il fuit néceffairement qu'aucun ne peut être placé dans le rang de ceux qui font graves & concluans ; ils ne peuvent donc pas former une maffe qui opère la convidion. C'eft, fi l'on veut, une maxime en matière criminelle, que le nombre des préfomptions eft d'un grand poids: mais cette maxime ne s'entend que des préfomptions qui ont, par elles-mémes, quelque degré de force & de folidité,. & qui ont en outre quelque liaifon entre elles & avec Ie fait principal, le fait qui eft la matière du procés- Or, de tous les indices dont on a voulu compofer une preuve, il n'y en a pas un qui air une certaine connexité avec un autre i il n'y a aucune liaifon  & de fa femme. 89 entre le vol qu'on vouloit prouver , Sc les faits d'oü l'on vouloit faire rcfulter la preuve. Jettons un coup d'ceil fur celui qui a paru devoir faire plus d'impreffion. On a rrouvé ïbixante-dix louis dans un cof- fre du lieur d'Anglade; peut-on en coni clure qu'ils faifoient partie des cent qui I ont été volés ? Y a-t-il, entre le fait connu, Sc le fait cache, une liaiion neceifaire ? Peut-on dire que le fait connu, qui eft celui des foixante-dix louis trouvés, répande la lumière fur le fait caché, êc que l'on cherche ? Peut-on dire qu'ils font liés néceflairement Vim z 1'autre ? Mille caufes fimples & naturelles n'ontelles pas pu placer les foixante-dix louis en queftion dans les mains du fieur d'Anglade? N'a-t-il pu fe les procurer que par un vol? Vous n'avez ces foixante-dix louis, dit le comte de Montgommery au fieur Anglade, que paree que vous me les avez volés. — Je les ai, paree que c'eft une monnoie qui a cours, Scqui acirculé jufqu'a moij vousn'étiez pas la feule perfonne qui en eüt; vous en trouverez entre les mains de quantité de particuliers qui ne vous les ont pas volés. Je les ai, en un mot , paree que je les ai amafles j je vous indique  90 Procés du (leur d'Anglade même ceux de qui je les tiens. Vous les avois-je volés pour les leur donner \ ou, vous les avoient-ils volés pour me les remettre ? Qu'on parcoure, avec la même méthode, tous les autres indices, on les trouvera encore plus légers &c plus téméraires. Or fi, fuivant 1'efprit de la loi, fuivant les premiers principes de 1'equité, un accufé ne peut être condamné que fur des preuves plus claires que le jour, comment des indices aufiï incertains, auffi obfcurs, ont-ils pu opéf er une condamnation aux galères, au bannüTement? Ils auroientdü, tout au plus, répandre des doutes fur Pinnocence des accufés. Or, dans le doute, un accufé doit être renvoyé de 1'accufation. .C'eft une régie établie en faveur de Phumanité, qu'il vaut mieux fauver mille coupables, que de faire périr un innocent. Une condamnation fondée fur les motifs qui ont opéré celle des fieur & dame d'Anglade, ne peut que répandre la terreur dans tous les efprits, & faire craindre que 1'innocence la plus pure, attaquée avec les indices les plus chimériques & les moins propres a former un corps de preuve, ne foit foumife & Pignominie Sc a la rigueur des fup-  & de fa femme. 91 plices ctablis pour la punition des plus grands crimes. Or, a qui doit-on attribuer 1'eftet malheureux qu'ont produit les prctendus indices recueillis contre le fieur d'Anglade, fi ce n'eft a celui qui s'eft étudié a les mettre fous les yeux des juges, avec tant d'art, qu'il eft enfin parvenu a furprendre leur religion, Sc a les faire tomber dans le piége qu'il avoit tendu a leur équité ? C'eft en vain que le comte de Montgommery prétend que les juges font fes garants: celui qui furprend leur bonne foi, eft feul garant de la furprife. II eft du de voir du juge de décider, Sc la néceflité de fon miniftère le contraint a remplir ce devoir. Ses lumières acquifes par 1'étude & par Pexpérience, conduifent fes vues plus loin que celles des autres hommes; mais il n'eft pas infaillible. Ce n'eft pas lui qui donne lieu aux accufations, il n'a aucune part ni aux indices ni aux preuves qui lui font adminiftrés; c'eft 1'ouvrage de 1'accufateur. Si 1'accufation eft calomnieufe, fi 1'accufateur eft échaufte par la prévention , il n'épargne rien pour infpirer au juge la paflion qui 1'anime; 1'artifice Sc 1'éloquence larendent contagieufe; celui  91 Proces du fieur d'Anglade qui veut la communiquer au magiftrat; abufe de la liberté qu'il a de n'expofer que ce qui le favorife, & kde 1'expofer fous les couleurs qui lui paroiffent le plus favorables a fou delTein; il ajoute ou retranche a fon gré, force ou affoiblit les nur.ices des objets, felon qu'il a bcioin de les faire plus ou moins fortir : en un mor, il eft le maitre abfolu du tableau ; &, s'il fcai't conduire adroitement fon pinceau, il lui donne tous les preftiges de 1'illufion, induit & force meme le juge a prendre des images pour la realité. Cependant quelle eft 1'occupation de celui-ci? II recoit les preuves; mais il a beau les exammer en elles-mémes, il» ne peut les voir que comme elles lui lont prefentées ; & il ignore, fans que ion ignorance puiflè être éclairée autrement que par une forte de miracle ii 1 accufateur eft le funefte fabricateur de la preuve qu'il adminiftre , ou s'il n en eft que le dénonciateur fidele • fi ■le temom eft fuborné, quand il a 1'adrefie & le bonheur de cacher la fubornation fous le mafque de la bonne toi j iur-tout fi 1'accufateur & le témoin parviennent a faire croire que 1'huma«ite Jeur impoferoit filence, fi les droits  & de fa femme. 93 de la vérité & de la juftice, plus forts que ceux de cette compallïon, que l'on iiomrae humamté, ne fubjuguoient leur inclination. Il eft donc évident que 1'accufateur eft prefque toujours coupable des erreurs du juge. Ici, n'eft-ce pas le comte de Montgammery qui, en requérant 1'emprifonnement des fieur & dame d'Anglade , a fixé fur eux tous les foupcons du juge qui a fait 1'inftruótion ? N'eft-ce pas lui qui, en déclarant qu'il répondoit de fes gens, a empcché qu'on ne les interrogeat, & que l'on n'achevat la vifite des appartemens ? Si Gagnard eüt été interrogé fur le champ , n'auroit-il pas révélé la vérité, comme il 1'a déclaré depuis ? C'eft donc par le fait de 1'accufateur que l'on a manqüé cette découverte; c'eft donc a lui que l'on doit km*. puter 1'erreur qui a opéré la condamnation des innocens. Que l'on ne dife pas qu'il n'y a point eu de mauvaife foi de la parr du comte; que quand il a déféré les innocens comme coupables, il a cru agir conformément aux lumicres de la juftice & de la vérité; qu'un événement qu'on ne pouvoit prévoir a découvert fon erreur,  94 Proces du fieur d'Anglade il eft vrai \ mais que cette erreur étoit in volontaire. On ne veut, 8c vraifemblablement on ne peut pas foupconner le comte de Montgommery d'avoir voulu, de gaieté de cceur, trainer le fieur d'Anglade & fa femme au fupplice; mais il ne peut pas difconvenir lui-même que fa conduite eft marquée au coin de Pindifcrétion 8c de 1'imprudence. Or c'eft une maxime en droit, que les aótions commifes par impéritie ou par imprudence, font des fautes. Imperitia culpa admuneratur. L. 111, ff de reg. jur. Et quiconque eft coupable d'une faute, eft tenu de réparer les dommages qu'elle a caufés. Cette maxime, pofée par 1'équité, eft inconteftable en matière civile; pourquoi ne feroit-elle pas admife en matière criminelle ? Ceci nous conduit a. la queftion de droit, par laquelle le comte de Montgommery prétend s'aftranchir des dommages &: intéréts, fous prétexte qu'il eft exempt de calomnie. Les jurifconfultes diftinguent deux fortes de calomnie; la calomnie proprement dite, qui eft évidente , & la calomnie préfumée. On préfume la ca-  & de fa femme. 95 lomnie, quand 1'accufateur ne prouve point fon accufation ; ou quand, après 1'avoir entamée, il s'en défifte (1). On ne peut pas connoitre fi 1'accufateur a forgé la calomnie de propos délibéré; fes pratiques font fi fecretes & fi détournées, qu'il feroit ordinairement impoflible de leconvaincre, fi l'on exigeoit que la conviófcion ne put réfulter que de Pévidence. Tel eft le motif qui a fait admettre cette préfomption, & regarder la juftification de 1'accufé comme une preirsre de la calomnie. La loi préfume toujours conrre 1'accufateuK, en faveur de 1'accufé \ & cette préfomption légale impofe, dans le doute, la néceffité de regarder 1'accufateur comme coupable de calomnie (2). (1) Duplex eft calumnia ; vera fcilicet, & prcefumpta. Vera calumnia dicitur, quandb quis fciens, aut fcire debens, aliquem innocentem , proponit contra eum accufationem, aut querelam. Prcefumpta autem calumnia eft , quandb accufator non probat delitlum, vel quandb, poft cceptum judicium, ab accufatione defiflit; nam his cafibus prafumitur calumniari. Julius Clarus, quaft. 62, n. 20. Ex eo qubd accufator non probat deliElum , ■videtur calumniari. Mafcardus, concl. 14, n. 3. (2) Pro eo fempér lex prcefumit contra aflorern. Mafcardus, concl. 24, n. 5. In dubio autem judex nofter illurn calurnniatorem effe judi* cabit qui accufationem quam intendit, non pro-  $6 Proces du fieur d'Anglade IUft bien vrai que la calomnie préiumee n'eft pas punie comme la calomnie évidente. Celle-ci, chez les Romains, etoit foumife au fupplice qu'auroit eprouvé 1'accufé, s'il eut fuccombé. La calomnie étoit même teilement en horreur, que, fi la qualité de 1'accufation calommeufe n'étoit pas de nature k menter la peine de mort, la loi Rhem— ma vouloit qu'on imprinaat aux calommateurs la lettre K fur le front & qu'ils portalTent par-tout le caraótère ïneftacable de leur méchanceté. ^ II eft vrai que cette rigueur n'avoit pas lieu contre les accufateurs.qui s'étoient trompés de bonne foi dans leur acculation ; ils étoient exempts de Ia peme de la calomnie, mais ils étoient luiers aux dommages & intéréts de 1'accufe innocent. C'eft la difpofition de Ia loi c,, au code de calumniatoribus La loi dernière,/: decalumniatoribus, nous apprend qu'il ne faut pas confbndre la peine de la calomnie avec la peine des dommages & intéréts. C'étoit pour les aifurer, les dommages & interets, a 1'accufé innocent, que perlonne n'etoit aurrefois admis a intënter t>*vit;fi quidcm extat contra eum mis pmfumptw. Menoch. conf. 32, n. 7. F une  & de fa femme. 97 1 une accufation, s'il ne s'étoit infcrit auparavant fur un livre public, comme les dénonciateurs le font encore aujourd'hui. La loi avoit même prefent la formule de 1'infcription. Elle vouloit I que eet acte fut daté du cohfulat & du I jour du mois oü il fe faifoit \ qu'il conI tint le nom & la qualité du magiftrat ' auquel 1'accufation étoit déférée, lenom de 1'accufé, & le lieu précis oü le crime > avoit été commis (1). On exigeoit même i que celui qui prenoit cette pourfuite fur I lui, défignat tellement toutes les ciri conftances qui pouvoienf contribuer a i la conviétion de 1'accufé, que les doc1 reurs ont mis en queftion s'il fuffifoit I d'indiquer la maifon oü le crime s'étoit iicommis, par la place ou la rue oü elle 31 étoit fituée, ou s'il faüoit la nommer I expreftément. Le détail de ces circonf1: tances éclairoit 1'accufé fur la route qu'il i! avoit a fuivre pour juftifier fon innoI cence, convaincre fon accufateur de (1) Libdlorum inferiptionis conceptïo talis J,f/2; conful & dies, apud illum pratorem , vel iiproconfulem , Lucius Titius profeffus eft fe j'Mc-eviam lege Julia de adulteriis ream dej ferre ; quöd dicat eam ^um Gajo Sejo in téivrtate illa, domo illius, inenfe illo, con-, Bïulibus illis aduiterium cornmififfe. L. 3, ff. <;de accufat. & infeript. Tornt lil. E  98 Proces du fieur d'Anglade calomnie ou d'erreur; auquel cas la démarche de celui-ci étoit fujette a 1'animadverlion. Voici comment la loi s'exprime a ce fujet : avant que d'intenter une accufation3 il faut fe faire injcrire fur le regi/lre public. Cette infcription a été ordonnée pour mettre un frein a la légéreté des accufateurs 3 qui doivent fcavoir qu'une fauffe accufation ne fera pas impunie (1). Et le texte de cette loi fait entendre que 1'accufateur doit figner fa déclaration. La nécelTité d'aiileurs de cette fignature eft impofée par une loi exprefle, qui veut même que, fi 1'accufateur ne feait pas figner, il emprunte la fignature d'une autre perfonne (2), Et cette infcription contenoit, de la part de celui qui la faifoit, 1'obligation de pourfuivre 1'accufation jufqu'au jugement définitif (3), (-1) Si cui crimen objiciatur, prcecedere debet in crimen fubfcriptio : qua res ad id inventa eft, ne facile quis profiliat ad accufationem, cum fciat multam fibi accufationem non fututam. Jj. 7, eod. (2) hem fubfcribere debet is qui dat libellos, fe profefjiim eff'e ; vel alias pro eo , fi litteras nefcit. L. 3 , §. 2, eod. (3) Cavent itaque. finguli qllOd crimen objiciant, & praterea perfeveraturos fe m crtmine , ufque ad fententiam. L.7,%. 1, ff. de. accufat. & infcript.  & de fa femme. tpg II eft donc évident que cette infcription n'a été établie que pour alfujettir les faux accufateurs a la peine des dommages & intéréts, fans que leur bonne foi même puifte les en garantir. Sciat inultam Jlbi accufationem non futuram. Car, a 1'égard de la peine de la calomnie, elle étoit impofée par la loi, indépendamment de 1'infcription. Le comte de Montgommery s'eft infI crit fur le regiftre, il.s'eft cbargé de Tévénement a fes rifques. Cavent finguli quoi crimen objiciant. Farinacius eft de ; tous les auteurs celui auquel le comte ! de Montgommery paroït avoir donné : le plus de confiance. C'eft dans fes écrits qu'il a puifé prefque tous les détails de fa défenfe. II faut donc lui oppofer ce do&eur même, & lui faire voir que fa condamnation eft expreflement écrite dans fes ouvrages. Farinacius donc, en rapportant les | caufes qui peuvent juftifier un accufai teur, & le fouftraire a la peine due a i la calomnie , établit précifément que les foupcons & les demi-preuves quï juftifient Terreur de celui qui accufe, n'opèrent, en fa faveur, que la décharge de la calomnie; mais ne le déEij  i oo Proces du fieur d'Anglade gagent point de 1'obligation des dommages & intéréts (i). Voila précifément 1'efpèce du procés.' Le comte de Montgommery prétend qu'il a été dans la bonne foi, qu'il a été foutenu par des préfomptions, par des demi-preuves. En lui accordanr fon fyftême, Parinacius même, qui eft fa reffource, le condamnera aux dommages & intéréts. Er fon opinion, a ce fujet, n'eft pas équivoque; car il ajoute qu'un accufateur, dont la bonne foi eft manifefte (2) & qui a été induit par les indices &c les demi-preuves les plus prefTantes , peut fe garantir du reproche de la calomnie, & de la peine qui la fuit; mais il doit abfolument fupporter celle (1) Sïciit & omnes alias fequentes caufas 'mtelligit procedere quoad pamam calumnia , non autem quoad expenfarum condemnationem ; vulu que qubd, licct femi-plena probatio excufet accufatorem a calumnia., cum apparet eum non fine caufd motum , non propterea excufet ab expenfa* rum condemnaüone. Farinac. quceft. 16, n°. 62. (a) Lick jufta caufa, ac omnes praallegatas excujent accufatorem a calumnia & ejuspcend, non tarnen excufabunt ab impenfis , & earum condemnaüone : in hls enim expenfis non fufficie color quarelantis ad eum excufandum; fed ubi fuccumbit propter penuriam probationum, vel (ilid caufd, adhuc tenebitur, Farinac. quaft. 161 n, 7P, fub fine,  & de fa femme ioi des dommages & intéréts. Il eft même tellement affermi dans cette opinion, qu'il ajoute que, de quelque manière que 1'accufateur colore fon accufation, quand même 1'abfolution ne feroit prononcée que par défaut de preuves, & non par 1'évidence de 1'innocence, il aie laiiferoit pas de devoir tous les dommages & intéréts. Cet auteur veut qu'ils foient dus 1 un accufé dans les cas les moins favorables ; fi , par exemple , 1'accufation avoit été fondée fur les indices les plus violens, 8c qu'il n'eut pourfuivi fes dommages 8c intéréts qu'après fon abfolution orononcée. Il prétend même que la maxime qui établit que les indices 8c les préfomptions mettent a 1'abri du reproche de calomnie, n'a d'application qu'aux juges, a qui leur caraótère impofe la néceffité de prononcer. Ces régies n'ont point d'application contre les magiftrats qui exercent le miniftère public. Si une accufation intentée & pourfuivie par le procureur-général, fe trouve calomnieufe ,il n'eft tenu | ni des dépens, ni des dommages 8c intéréts ; il peut pourfuivre la punition de tout crime qui yient a fa connoiflance; fon miniftère 1'y oblige, lors même qu'il E iij  10% Proces du fieur d'Anglade n'a pas de dénonciateur ; s'il fe trompe fur 1'auteur de ce crime, c'eft un malheur pour celui fur qui Terreur eft tombée; mais c'eft un malheur que la füreté publique rend néceflaire. Si le procureurgénéral, ou fes fubftiruts étoient retenus par la crainte de Tévénement d'une accufation, les crimes qui ne leurferoient pas dénoncés refteroient impunis. Auffi, dans Texercice de leur miniftère, ils ne font foumis aux dommages & intéréts de ceux qu'ils ont accufés, que quand leur pourfuite eft Teftet du reiTentiment perfonnel. Mais fi Tofficier qui exerce le miniftère public eft toujours exempt de la peine de la calomnie, il n'en eft pas de même de ceux qui lui ont dénoncé le crime & le coupable; & Farinacius foutient qu'il n'y a point de difterence entre 1'accufateur & le dénonciateur; que, foit qu'on agifle par la voie de Taccufation, foit que Ton prenne celle de la dénonciation, on doit également fupporter les dommages & intéréts, non-feulement lorfqu'on agit par un efprit de calomnie, mais lorfque les preuves n'ayant pas eu le degré d'évidence néceflaire, on a fuccombé ; & il déclare que ce qu'il dit ici du dénonciateur en général, comprend  & de fa femme. T03 auffi le dénonciateur qui agit pour fon propre intérêt (1). Le comte de Montgommery avoit donc eu tort de chercher fa juftification dans Farinacius 5 fa condamnation au contraire y eft écrite; & pour 1'y trouver, il ne faut interprater eet auteur que par lui-même. On vient de voir qu'il décide qu'un accufateur qui fuccombe, eft aftujetti a la néceffité de prouver qu'il n'a agi que par une erreur involontaire, dont la fource étoit dans la bonne foi; autrement il feroit foumis a la peine que les loix impofent au calomniateur: mais que, quoiqu'il fe juftifie de la ca- (t) Reus tutus & abfolutus , legitimis prtzcedentïbus indicüs, adhuc potefi centra accufatorem agere propter damna Sfjntereffe. Quod emm dieïtur indicia excufare a calumnia., procedit in judice, qui officii neceffitate juvatur; feeks in accufatore. Farinac. queefl. \6,n.6, in fine. Etiam in denunciatore : five enim per viarn accufationis, five per viam denunciationis procedatur, expenfarum condemnationem femper in criminaübus faciend.im ejfe , falfumque denunchitorem puniendum fire cdligitur ex tradius : nedhm in denunciatore qui fit in vera calumnia , verum etiam in eo qui in deficiendo in probationibus prcefumptus eft calumniator. Intelhtitur autem in denunciatore privato , & fpontè crimina denunciante, vel ob privatum inierejfe. Farinac. queeft. 15 ,.n. 16, ampliat. 3. E iv  104 Proces du fieur d'Anglade omnie, il n'eft pas difpenfé de'rétablir les dommages & inrérêts qu'il a fait fupporter a un innocent qui n'a pas du etrë la vicrime de fon erreur. Et tous les auteurs, qui ont traité cette matière, ont embrafle un fentiment fi conforme au bon fens & a 1'équité naturelle (i). Si quelques criminaliftes ont paru s'en ecarter, ce n'eft qu'en faveur de! z partie publique, obligée, par fon miniftere, de pourfuivre le crime ; mais aucun n'a exempté les accufateurs particuhers de la peine des dommages & intéréts, quelque jufte que fut leur erreur & quelque bonne foi qui ait éclaté dans leur conduite. D'ailleurs le comte de Montgommery eft dans un cas particulier que les auteurs n'ont point prévu. Lorfqu'il a requis 1'emprifonnement des fieur Sc dame d'Anglade a fes rifques, périls & forrune; lorfqu'il a déclaré qu'il répondoit de fes gens, cette réquifition & cette foumiffion forment un contratqui 1'engage nécefiairement. C'eft une des conditions de fon accufation, condition (') Voyez Julius Clarus, qua.(l.6ï,n 8 Bofims, nt. de accuf.n. 29. Menochius, c'on'. J'dt. 3». «. 18, 33, 34. ZUetus,confU. n. 47. üambonderus, c. 5 , n. 8.  & de fa femme. ioj fans laquelle on ne' 1 auroit pas admife, & a laquelle il eft obligé de fatisfaire (i). Enfin 1'équité naturelle décide que les fautes, foit volontaires, foit involontaires, d'un homme, ne doivent nuire a perfonne; ou du moins, que les préjudices qu'elles caufenr doivent être réparés aux dépens de celui qui en eft Pauteur, & ce principe eft confacré par 1'ufage inviolable de la Prance. Celui qui fuccombe en matière civile, eft toujours chargé des dépens de la conteftation ; on n'a égard ni a fa bonne foi, ni aux moyens que les confeils les plus fages & les plus éclairéslui avoient indiqués pour tranquillifer fa confcience fur Pattaque ou fur la, défenfe qu'il avoit entreprife. Et fi la pourfuite du procés a caufé quelque préjudice, autre que les dépens , a celui ; qui le gagi"ie, ne cöndamne-t-on pas Pautre en fes dommages & intéréts, quoiqu'il n'ait pas eu deftein de nuire & qu'il paroifte n'a voir eu pour objet que la défenfe de droits qu'il croyoit I légitimes ? Qu'un homme, en chaiTarrt dans ua (i) In judicia quafi contrahimus. L. 3, §» 11, ff. de peculio. E V  io6 Procés du fieur dAnglade^ bois, en me un autre,,au lieu de bete qu'il pourfuivoit ; la grace du prince, qui le dégage de la peine, ne le releve pas des dommages & intéréts de la veuve & des enfans,. II n'y a cependant pas d'erreur plus innocente. L'accufateur, quoique procédant fans malice, ne peut donc pas nuire a. 1'accufé innocent; & celui-ci doit être indemnifé de 1'infamie, des malheurs Sc des pertes auxquelles 1'accufation a donné lieu. Et li ces réparations ont lieu en matière civile, qui ne peut donner atteinte qu'aux biens, a plus forte raifqn doivent-elles être accordées en matière criminelle, oü il s'agit nonfeulement des biens, mais de 1'honneur & de la vie. Tels étoienr les principaux moyens • employés de part & d'autre. On en fupprime ici plufieurs, que l'on doit regarder plutót comme de pures fubtilités,que comme des raifons capables de gagner les fuffrages; & on les fupprime, paree qu'ils ne ferviroienr, ni a 1'amufement, ni a l'inftruétion du lecteur. Par arrêt du 17 juin 169 3, « La cour » a déchargé la mémoire du ïieur d'An» glade, & abfous fa femme de 1'accu-  & de fa femme. 107' r> fation contre eux intentie ; a délaré n leurs emprifonnemens , les faifies, 35 exécutions & ventes de leurs biens &c y> effets, injurieux, tortionnaires & dé5> raifonnables: a ordonné que les écrous » faits de leurs perfonnes ès prifons du n chatelet, du fort-l'évêque & de la ti conciergerie du palais, feroient rayés> « & biffés: a fait main-levée a la dame o d'Anglade de toutes faifies, tant réelles jj qu'autres, de fes biens & effers, & de r> ceux de fon mari ; a annullé tous baux » judiciaires defdits biens , & ordonné » qu'en vertu du préfent arrêt, &c fans » qu'il foit befoin d'autre, elle rentrera 3» en poffeffion de tous lefdits biens &c y> effets. >i A condamné le comte de Mont» gommery a reftituer a ladite veuve 35 d'Anglade, la fomme de 1 ■ 177 5 livres 33 1 o fois pour le prix des effets & meu33 bles vendus ; & celle de 770 livres 33 pour la valeur de foixante-dix louis 33 au cordon, mentionnés au procès-ver« bal du commiffaire Regnaut, du z 5 J3 feptembre 1687; & 8250 livres pour 33 cinq années du greffe de la bourfe de33 Bayonne, échues au premier avril der33 nier^a raifon de 1(350 liv. par an. Le 33 comte de Montgommery condamné Evj  108 Procés du (leur d'Anglade 5' en outre aux intéréts defdites fommes; « fcavoir, de celle de 11775 livres du « jour qu'il les a touchées ; & celle de 3' 8150 livres année par année : déduc« tionpréalablementfaitedezi43 livres •■> 11 fois 6 deniers payés par le comte « de Montgommery a Pacquit des fieur « & dame d'Anglade, tant a leurs do3' meftiques, qu'a leurs autres créanciers, 33 &: de 2000 livres de provifion adju33 gées a la dame d'Anglade, par arrêt « du 25 juin 1(392, & qu'elle a touchées 33 du commiflaire aux faifies-réelles; fauf 33 au comte de Montgommery a fe pour33 voir contre ceux qui ont joui dudit 33 greffe, pour deux années de non-jouif 3» fance par lui prétendues, ainh qu'il 33 avifera. Les comte & comtelfe de 33 Montgommery condamnés folidaire33 ment a payer a la dame d'Anglade la 33 fomme de 6000 livres contenue dans 33 Pobligation palfée a fon profit & au 33 profit de fon mari par le duc & la du33 chelfe de Grammont, & les intéréts 3> de ladite fomme folidairement du »jour qu'ils Pont recue. Le comte de Montgommery condam33 né par corps au paiement de toutes les 33 fommes principales & intéréts ci-def3> fus mentionnés. La veuve d'Anglade  & de fa femme. ioq 33 fera néanmoins tenue de furfeoir, 33 pendant deux ans, toutes failies Sc 33 toutes pourfuires, même par corps; 3) lefquelles deux années font accorcfées 33 au comte de Montgommery & a fa 33 femme pour le paiement defdites fom33 mes, en payant, fuivant les condam33 nations prononcées contre chacun 33 d'eux, moitié dans un an, Sc les in33 térêrs; Sc 1'autre moitié & les inté33 rêts, un an après. Et faute par eux 33 de payer ladite moitié & intéréts la )3 première année expirée, le comte de 33 Montgommery y fera conrraint par 33 corps ; Sc fa femme par toutes voies js dues Sc raifonnables pour la moitié 33 defdites <5"ooo livres Sc intéréts feu33 lement; fans ptéjudice a ladite veuve 33 d'Anglade de la contrainte par corps 33 contre le comte de Montgommery, Sc 33 de fes pourfuites contre la Comteffe 33 pour 1'autre moitié des capitaux Sc in>3 térêts, la 'feconde année expirée. 33 Cependant, par manière de pro33 vifion, les comte Sc comtelfe de Mont33 gommery feront tenus folidairement 33 de payer a la veuve d'Anglade, dans 33 un mois pour tout délai, du jour de la 33 fignification de 1'arrêt, la fomme de 33 3000 livres qui fera impurée fur le  iio Proces du fleur d Anglade r> paiement qui doit être fait la première' j> année; au paiement de laquelle pro» vifion dans un mois le comte de Mont« gommery fera contraignable par corps, j) Sc fa femme par toutes voies dues Sc v> raifonnables. 35 Sur le furplus des demandes refr> pectives desparties, elles furent mifes ja hors de cour Sc de procés. 33 Le comte de Montgommery con33 damné en outre en tous les dépens, 33 tant du procés criminel fait a fa re33 quête au chatelet, Sc fur Pappel en la33 cour contre lefdits d'Anglade & fa 33 femme, qu'en ceux faits fur 1'inftance >3 en lettres de revifion pour dommages 33 & intéréts. 33 Ordonné en outre que le préfent j3 arrêt fera lu, publié Sc afflché par33 tout ou befoin fera, Sc tranfcrit a. cóté »3 des écrous de d'Anglade & de fa 33 femme ». Toutes les reftitutions ordonnées par eet arrêt étoient, comme l'on voit, dictées par 1'équité même. On peut cependant demander pourquoi le comte de Montgommery ne fut pas condamné aux dommages Sc intérêrs, envers la veuve d'Anglade & fa fille. C'eft lui qui, par fa dénonciadon, par la réqui-  & de fa femme. rri fïtion qu'il avoit faite de 1'emprifonnement des accuics, par les indicesqu'il avoit fournis k la juftice, par la déclaration qu'il répondoit de fes gens, avoit induit la juftice en erreur, avoit caufé la mort du fieur d'Anglade, Sc précipité fa femme Sc fa fille dans 1'ignominie & dans la plus profonde misère. Mais des juges qui s'étoient lailfé tromper par les impulfions d'un particulier aveuglé par fes intéréts, qui, féduits par de fimples indices, Sc fans aucune preuve de vifu3 avoient adopté & canonifé fon erreur, pouvoient-ils faire fupporter des peines pécuniaires a ce particulier? Les auteurs cités en faveur de la dame d'Anglade, ne foumettent 1'accufateur aux dommages Sc intéréts réfultant d'une faulfe accufation , que dans le cas ou 1'innocence a été découverte Sc prononcée par le juge; Sc n'ont point prévu celui oü 1'impartialité qui doit éclairer fes recherches & fes oracles, ne 1'a pas empêché de devenir, en quelque forte, complice d'une erreur infpirée & alimentée par la paffion de 1'accufateur. Au refte le comte de Montgommery avoit, par 1'événement, recouvré la plus grande partie du vol qui lui  r Proces du (leur d'Anglade, &c. avoit été fait. On lui avoit reftittié les fix facs de iooo livres chacun trouvés dans la chambre de Gagnard ; on lui avoit reftitué le collier de perles qui s'étoit encore trouvé en la poffeffion de Beleftre ; enfin on lui ad/ugea la terre dont ce Beleftre avoit fait 1 acquifitiqn dans leMaine; enforre que-la perte fupportée par le Comte fe trouva réduite aux environs de i zooo livres.. Quant a la fille des fieur &c dame d'Anglade, outre les reftitutions qui lui furent faites par M. de Montgommery, elle recueillit, dit-on, plus de iooooo livres d'une quéte qu'on fit pour elle a la Cour. Elle époufa, dans la fuite, M. des Effarrs, confeiller au parlement.  HISTOIRE DU FlLS DU S1EUR DE CAILLE. DEUX Parlements, célèbres par leurs lumières & par leur intégrité , ont jugé la même queftion, dans la même efpèce, & Pont jugée d'une manière diamétralement oppofée. Pour développer leurs motifs refpe&ifs, il eft néceflaire d'entrer dans des détails ' minutieux ; mais ils font foutenus par 1'intérêt piquant de la caufe en ellemême. Je fouhaite que cette circonftance les garantifle du déchet que 1'in.fuffifance de ma plume pourroit leur faire éprouver. Scipion de Brun de Caftellane, fei:gneur de Caille & de Rougon, époufa i:en 1655 Judith le Gouche de SaintDEtienne. Ils étoient 1'un & Pautre trèsIzélés feétateurs de la religion prétendue réformée. Leur féjour ordinaire fut a 'Manofque, petite ville de Provence. 113  H4 Hijloire du Fils De leur mariage, ils eurent cinq eilfans, trois garcons & deux filles. Deux des trois garcons moururent en bas age. Les deux filles étoient connues dans la maifon & dans Ia ville, Tune fous le nom de Margoton • Sc 1'autre fous le nom de Su\ette. Le garcon s'appelloit Ifaac. C'eft lui dont il eft ici queftion. La date de fa naiflance n'a pu être prouvée par un extrait baptiftaire, les regiftres du confiftoire de Manofque ayant été perdus après la révocation de 1'édit de Nantes. La dame de Caille mourut en 1679 des fuites d'une couche. Elle fit des legs particuliers au profit de fes deux filles, inftitua Ifaac fon fils fon héritier, & donna Tufufruit de tous fes biens au fieur de Caille fon mari. A la révocation de 1'édit de Nantes, Ie fieur de Caille aima mieux quirter fa patrie,que d'abjurer fes erreurs. II fe refugia en Suifle, avec fa familie compofée de fa mère, de fon fils, de fes deux filles, & du nommé Galle, précepteur de fon fils. II fut accompagné par la dame du Lignon fa foeur, Sc par Ia demoifelle de Saint-Etienne fa bellefoeur. Ils allèrent tous s'établir a Laufanne, hors Ia dame du Lignon, qui fe  du fieur de Caille. II? ïetira a Morges \ ce font deux villes du canton de Berne. Celle des filles qui fe nommoit Margoton mourut en \6%63 £c 1'aïeule en 1690. Par édit du mois de décembre 1689, les biens de ceux qui étoient fortis du royaume pour caufe de religion, furent donnés a leurs plus proches parens. Anne le Gouche, fceur de la femme du fieur de Caille & époufe de M. Rolland, avocat général au parlement de Grenoble, prétendit, comme plus proche parente des enfans de fón beaufrère, devoir recueillir tous les biens qu'il avoit abandonnés. Mais, par arrêt contradictoire du parlement d'Aix, on ne lui adjugea que les biens maternels produifant 2 5 00 livres de renre ; les biens paternels furent déférés a lafemme du fieur Tardivy , confeiller au fiége de Grafie. Aufli-tót après 1'arrêt rendu, madame Rolland laifta aux pauvres de la charité de Manofque, la jouilfanee de la maifon que le fieur de Caille y occupoit avant fa retraite. II ne fut plus queftion de cette familie en France, jufqu'en 1699, qu'un foldat de marine, connu fous le nom i de Piert e Mège} s'annon^a a Toulon comme étant ce même fils que le fieur  II6 Hijloire du Fils de Caille avoit emrnené avec lui, quand il fe refugia en Suifle. Voici fon hiftoire tirée d'un interrogatoire qu'il fubit a Toulon, des dépofitions de plufieurs témoins , & des mémoires imprimés pour fa défenfe. Le fieur de Caille père ne témoigna pas beaucoup de jbie a la naiflance de fon fils, & l'on reconnut bientót qu'il lui étoit infupportable. II paroit même qu'il avoit, fur la naiflance de eer enfant, quelques foupc_ons injurieux a la conduite de fa femme \ il 1'appelloit fouvent fils de Capucin. II flut avouer d'ailleurs que les mauvaifes qualités de ce fils contribuèrent beaucoup a entretenir & fortifier 1'antipathie dont fon père avoit d'abord été frappé. II étoit fort mal fait de corps & d'efprit; il avoit les manières & les inclinations les plus bafles; il ne fe plaifoit qu'avec les enfans de la lie du peuple; il étoit extravagant, emporté ; il battoit tous les jeunes gens de fon age; & l'on étoit fatigué, dans la maifon, des plaintes que l'on en recevoit tous les jours. On eut beau chercher & prendre toutes les mefures poflibles pour lui donner une éducation conforme a. fa naiflance; on eut beau mettre auprès de lui fuccefli-  du fleur de Caille. 117 . vement les' précepteurs les plus habiles I que l'on put trouver, on ne réuffir pas même a lui faire apprendre ai lire. Si 011 le preffoit de porrer les yeux fur un livre, ni les menaces, ni les corrections qu'il éprouvoit n'étoient capables de :; dompter fon opiniatreté ; il jettoit le I livre au feu. Cette averfion invineible f, pour 1'étude n'étoit pas feulement caufée par la légèreté de fon caraótère, il ) avoit la vue fort délicate, Sc les yeux S afïligés d'une fluxion perpétuelle. Lage ne redifia point ces défauts; 3 & le fieur de Caille refugié en Suiffe, I loin de prendre des fentimens plus doux I pour fon fils, laiffa un libre cours a fon averfion. Les mauvais traitemens que i ce jeune homme éprouvoit journelleI ment lui rendirent la maifon paternelle I infupportable. II fongea férieufement a I s'évader, pour revenir en France. Il I s'échappa plufieurs fois, mais il fur touI jours arrêté parfes parens, Sc ramené i chez fon père. Celui-ci, qui prévoyoit I que, fi fon fils rentroit dans le royaume, i il abjureroit infailliblement la religion : proteftante, prit le parri de le tenir enI fermé dans une chambre, oü il ne lui ij faifoit donner que du pain 5c de 1'eau,  ïi$ Hifloin du Fils & le fuftigeoit fouvent k coups de nerf de bceuf. Mais une fervante Suifle, touchée de fon fort, lui ouvrit un jour la porte de' fa prifon, a trois heures du matin. Avant de s'enfuir, il monta dans la chambre de fon père, pour y prendre fon habit que l'on tenoit enfermé, afin de lui óter la tentation de fortir. II trouva cette chambre ouverte, & 1'habit qu'il cherchoit. II appercut auili la culotte de fon père, dans laquelle il prit 48 louis dor, & fe mit fur la route de la Provence au mois de décembre 1690. La guerre étoit alors allumée entre la France & la Savoie. Le fieur de Caille fils rencontra, dans fon chemin, un détachement des troupes de Savoie, qui 1'enróla. Un parti de 1'armée de France le fit enfuite prifonnier. M. de Catinat, qui commandoit cette armée, &, k qui il fut préfenté fous le nom du fils du fieur de Caille, lui donna un pafleport, pour venir dans le royaume; il arriva a Nice, & s'engagea dans la milice de Provence ; & dans eet engagement, il prit le nom asSans-regret, cacha fon véritable nom, & Ie lieu de fa naiflance. Un jour qu'il étoit de garde chez le  du [uur de Caille. 119 gouverneur, il vit porter un balfin d'ar; gent qui étoit aux armes de fa familie, & que fon pére avoit vendu avec le refte de fa vailfelle, en palfant par Nice pour aller en Suilfe. Cet objet le toucha; il ne put retenir fes larmes. Le maitred'hötel du chevalier de la Fare commandant dans Nice, qui les vit couler, lui en demanda le fujet. ïai bien lieu d". pleurer, dit-il, en montrant fon caI rbet. ou étoient les mêmes armes, &C qui indiquoit qu'il touchök de prés a celui a qui le balfin avoit appartenu. Le makre-d'hotel rapporta ce fait a Ion I maitre, qui fit venir le foldat, lui fit raconter fon hiftoire; & ce commandant connoilfant le fieur de Caille de réputa} tion, fit mille honnëtetés a fon fils, lui : accorda une doublé paie, & ordonna a ; fes gens de lui donner tout ce qu'il de: manderoit. Cette aventure devint le i fujet des converfations de Nice , & fit 1 même du bruit jufque dans Turin, oü 3 le nom du'fieur de Caille n'étoit pas 1 inconnu. Le régiment dans lequel le fieur de : Caille fils avoit pris partij fut congédié huk mois après fon enrblement; il fe : rendit, de Nice a Manofque, oü il alla trouver fa nourrice qui le reconnut pour  Iio Hijloire du Fils le même fils du fieur de Caille, qu'elle avoit nourri, Sc Fengagea a pafler la journée chez elle, après lui avoir promis de ne le faire connoitre a perfonne. Étant proteftant refugié, Sc n'ayant pas fait abjuration depuis fon retour dans le royaume, il craignoit qu'en vértu des nouveaux édits, on ne 1'envoyat aux galères, ou même qu'on ne le fit pendre. Pour prévenir rout accident, il réfolut d'éviter les lieux oü il pouvoit être reconnu ; ce qui le détermina a. fe rendre a Marfeille. Vis-a-vis la maifon oü il fe logea, étoient trois filles avec leur mère. Il s'informa qui elles étoient, ik' apprit quelies étoient de ces religionnaires que les dragons avoient convertis. Sur cette découverte, comme il cherchoit quelque liaifon füre dans un pays oü il n'avoit aucune connohTance, il ne balanga pas a fe préfenter chez ces femmes. II leur dit qu'il étoit de leur religion, qu'elles ne feroientpas fachées de le connoitre, paree qu'il étoit fils d'un homme de qualité fort riche, Sc qu'il ppurroit un jour leur faire du bien. Elles le recurent avec une honnêteté qui, jointe a la religion a laquelle elles étoient demeurées attachées fous le mafque  du fleur de Caille. 121 i mafque du catholicifme, le détermina a leur révéler avec fécurité toutes fes , aventures. Elles lui déclarèrent auffi qui elles étoient. L'une s'appelloit Madeleine ; & 1'autre , Chrétienne Mege. La 1 troifième, qui fe nommoit Honorade Veneik du Martigue, étoit femme de , Pierre Mege, frère de Madeleine & de ; Chrétienne; mais elle fe croyoit veuve, ; n'ayant pas eu de nouvelles de fon mari ; depuis long-tems. II étoit parti, lui di. rent ces femmes, en 1690 pour paffer • en Ponant avec un detachement de galères qui fut envoyé a Rochefort. Etant tombé du mal caduc en préfence de : M. de Noailles, on lui donna fon congé : fur le champ. On prétend, ajoutèrentelles,qu'il revint en Provence, & s'embarqua fur la Belle au mois de mai 169 1: 1 mais elles n'avoient nulle certitude de I ce fait; & n'ayant eu, depuis ce tems, I aucune de fes nouvelle, elles le croyoienc I mort. C'étoit au mois de feptembre 1695 qu'eiles parloient ainfi. Le voyageur crut trouver, dans cette 1 découverte, un moyen afluré de vivre : rranquillement en France a 1'abri des | perfécutions de fon père, & des recherches contre les religionnaires. II propofa a Honorade Venelle de fouflai* Torne III. F  12.x Hijloire du Fils qu'il prit le nom & la place du mari qu'elle -t^roit perdu. L'eipoir d'être un jour amplementrécompenfée de fa complaifance, lui fit accepter la propofition. Elle détermina fes deux belles-fceurs, tk un beau-frère qu'elle avoit, nom mé Francois , a rraiter le nouveau venu comme leur frère, & comme fon mari; & s'accoutuma elle-même a le regarder comme tel dans toüte 1'étendue de fes fonétions. Ils allèrent loger d'abord dans la maifon d'une femme appellée Madeleine Olive. EUe s'appercut, au ton dont ils vivoient enfembie, qu'ils n'étoient point mariés. Elle communiqua fes foupcons au prérendu mari, qui avoua la vérité. EUe 1'exhorta a faire celfer le fcandale par un mariage régulier, Ne pouvant rien obtenir, eile les chalfa tous les deirx de fa maifon, Ils allèrent s'établir dans un autre quartier; & pour faire celfer les bruits fcandaleux que Madeleine Olive avoit répandus, ils firent croire qu'ils s'étoient époufés dans les formes, & continuèrent de vivre fur ce pied-la. Dans un? ville auffi grande que Marfeille, les gens du petit peuple ont beaucoup de facilité pour en impofer fur leur état.  du fieur de Caille. 113 Voila donc le Meur de Caille fils devenu Pierre Mège; en cette qualité, il recut, pendant deux ans, une petite rente qui appartenoit a Honorade Venelle fa prétendue femme, & en donna quittance. Enforte que, comme il 1'a déclaré lui-même lors de fa confrontation au 4 5e témoin entendu a la requéte de M. Rolland, depuis qu'il eut pris le nom de Pietre Mège pour cacher fon véritable état, il a cohabité avec Honorade Venelle en qualité de fon mari, a vécu avec elle dans un concubinage continuel, exigé fes rentes, joui de fes biens & de fon travail, comme un véritable époux. Ceux qui prétendoient que ce mari fuppofé n'étoit pas le fils du fieur de Caille, mais le véritable Pierre Mège , faifoient ici une difEculté qui, au premier afpect, paroir infoluble. Le débiteur de cette rente, difoit-on, devoit certainement connoitre fon créancier. Or, fi vous avez pris fubitement la place de ce créancier, comment a-t-il continué de payer a. un étranger qu'il ne pouvoit pas méconnoitre, & fur les quittances de eet étranger, les arrérages d'une rente que le véritable créancier F ij  124 Hijloire du Fils pouvoit répéter contre lui a chaque inftant, & avec fuccès ? La réponfe a cette objection eft dans la dépolition même du débiteur entendu en témoignage. Elle fai t comprendre clairement qu'il n'avoit jamais vu Pierre Mège, avant Pépoque des quittances dont il s'agit, ayant toujours payé auparavant, foit aux tuteurs d'Honorade Venelle, foit a des fondés de procuration: enforte que, la première fois qu'il paya a celui qui fe préfenta fous le nom de Pierre Mège, il ne pouvoit pas connoitre fi c'étoit erfeótivement lui, ou fi c'étoit un autre qui ufurpoit fa place Sc fon nom. II pouvoit même d'autant moins s'en inftruire, qu'il fe contentoit de quittances privées, Sc fignées de deux particuliers au lieu du créancier qui ne fijavoit pas figner; & l'on fe doure bien que le prétendu Mège ne choififfoit pas des témoins capables de trahir fon fecret. Auifi, quoique le témoin ait déclaré reconnoitre celui a qui on le confrontoit pour être le même auquel il avoit payé les arrérages en queftion , il a ajouté qu'il ne pouvoit pas alfurer s'il étoit le véritable Pierre Mège, ou s'il étoit fuppofé : & celui-ci, de fon cóté,  du fieur de Caille. \%% eft convenu de la vérité de la dépofition, dans fon entier. Mais reprenons Phiftoire du fieur de Caille. L'argent qu'il avoit pris chez fon père, & le peu qu'il avoit recu a Nice pour fa paie etant bientót confumé, la nécelfité lui fuggéra un moyen d'en gagner pour vivre. La grand'mère de Caille, qui étoit fort charitable, faifoit elle-même des remèdes pour les • pauvres, & fon petit-fils en avoit appris i la compofition. II imagina d'en vendre i publiquement; & en ayant rempli un f havrefac, fur lequel il avoit mis une ï grande croix de Malte rouge, il parut i au cours de Marfeille, & fe hak a faire 11'opérateur. Il alloit auffi dans les difféy rentes baftides des environs de Mar{ feille, pour j vendre de fes onguents. I Mais, outre qu'il n'étoit pas éloquent, j fon extérieur ne prévenoir pas en fa faI Veur ; enforre que le befoin le forca S d'abandonner la charlatannerie ppur | entrer, en qualité de gar il entendit deux ou trois perfonnes 33 qui étoient dans un bouchon tout au33 prés, qui parloient de Manofque; ce 33 qui 1'obligea de s'avancer pour fcavoir 33 de qui ils parloient; & enfuite il leur 33 demanda ce qu'on difoit en ce pays 33 de M. de Caille. II lui fut répondu 33 qu'ils n'étoient pas de Manofque, s' mais qu'ils y avoient des parens qui 33 avoient vu M. de Caille, & qu'ils con33 noifToient; & le répondant leur ayant 33 dit: connoitrie^-vous fon fils fi vous 33 le voyieit, un de la troupe, qu'il ne « connoiffoit pas, lui dit qu'il ne 1'avoit 33 point vu, & qu'on difoit qu'il étoit 3» morr, & qu'il y avoit a Toulon Jean33 Pierre Ampnoux, menuifier, qui ie 33 pourroit connoitre; & le répondant 33 lui dit: ah ! plüt d Dieu que ce fut la >■> Violette3 & leur ajouta que, s'ils le  du fieur de Caille. 119, >» Voyoient, ils le mandaflent chez Mo>i lar, chauderonnier, & qu'il deman» dat Sans-regret* Enfuite de quoi le » lendemain, jour des cendres,Te raes> nuifier vint voir Molar, & lui de« manda : n'y a-t-ïl pas ici un cadet de » Manofque; &c Molar lui dit: ily en a » un qui fe dit enfant de M. de Caille % » qui fe dit M. de Rougon; il eft a ft >» chambre; &c le menuifier appellé Am55 phoux étant monté a la chambre qui 5> étoit ouverte, & 1'ayant appellé, le 53 répondant 1'ayant vu & reconnu pour 33 fon ancien valet, le nomma de- fon. 55 nom la Violette 3 qui eft -le nom qu'il 33 avoit au fervice de fon père ; lequel 33 s'entendant nommer de ce nom , le 33 reconnut a même tems pour le fils 3» de M. de Caille, appellé d'Antre33 verges, le nommant de ce nom, vous 33 êtes le bien venu, & fe firent beaucoup; 33 d'amitié. Amphoux 1'ayant prié de 33 fouper avec lui, il y alla \ &c en fou»5 pant, il lui dit qu'il étoit encore de fa. : 5» religion, & qu'il ne falloit pas le dé: 3» clarer, bien qu'il eut intenrion ds' 1 5» changer de religion t & ledit Am1 33 phoux le lui promit,. & lui dit que; 33 s'il avoit deflein de changer de reli3» gion, il y avoit ici l'abbé Renoux, quï f v  130 Hifloire du Fils » ménageroit 1'affaire auprès de M. de 33 Vauvray, intendant, en facon qu'il j) ne lui arriveroit aucun mal. Le même 33 foir, après le fouper, la Violette fut 33 voir l'abbé Renoux a préfent marié y 33 & le lendemain, M. de Vauvray 1'en33 voya prendre par tin archer; & y étant 33 allé, M. de Vauvray lui dit: mon ami, 33 êtes-vous l'enfant de M. de Caille? Et 3> Fm répondanr ayant dit ouiy ledit fieur 33 de Vauvray fit entrer dans fon cabinet 33-ledit Amphoux, valet du répondant. 33 Connoiffe^-vous ce cadet? Amphoux 33 ayant dit: oui, c'eft 1'enfant de M. de as Caille , je l'ai menépar la main a. Ma33 nofque; alors M. de Vauvray lui ayanr 33 dit s'il vouloit être catholique, comme 33 il répondit qu'oui, il 1'envoya au P. la 33 Fare, pour le faire inftruire; & cinq' 33 femaines environ après, il abjura la » religion de Calvin dans la cathédrale 3J de Toulon, entre les mains dudit fieur 55 de Vauvray, qui lui fervit de par35 rein 33. Cette abjuration fe fit effedivement le vendredi 10 avril 16^99, entre les mains du grand-vicaire de Toulon, par le foldat en queftion, fous le nom d'ANDRÉ Antreverges , fils du fieur Scijpien d'Anueyerges 3 fieur de Caille 3 &  du (leur de Caille. t|I demo';felle Susanne de Caille, du lieu de Manofque, agé de 13 ans , lequel déclara ne fcavoir figner. M. de Vauvray , intendant de la marine a Toulon, qui étoit préfent a eet aéle, & qui le figna comme témoin, entendant le fils du fieur de Caille déclarer qu'il ne fca*voit pas figner, s'écria, dit-on, nous fommes pris pour dupes. Ce jugement de M. de Vauvray éroit, au moins, précipité. 11 n'eft pas étrange, comme on 1'obferva dans les mémoires publiés fur cette affaire , il n'eft pas même furprenant que le fils d'un gentilhomme" ne fcache ni lire ni écrire. On feait que le connétable du Guefciin n'a jamais pu apprendre ni 1'un ni 1'autre, quelques efforts que l'on ait faits pour 1'en inftruire. L'empereur Licinius ne le fcavoit pas non plus, & donnoit a. toute la terre des loix qu'il ne pouvoit pas figner. Charlemagne étoit dahs le même cas. Héraclidede Licie,homme de naiflance, d'aiileurs très-bien élevé , ne put jamais apprendre a écrire fon nom. Britannion, ce fameux rebellequi difputa 1'empire a Conftance, ne connouToit pas les lettres. Herodes Atticus, orateur connu d'Athènes, ne put jamais parvenir a faire apprendre a fon fils » Fvj  132 Hijloire du Fiïs lire Sc a écrire. Deux chevaliers de. Malte, de la maifon de Grafie, qui, lors du procés, fervoient a Toulon fur les vaifieaux, n'ont jamais pu rien apprendre , quelques foins que f'on air pris de leur éducation. L'un d'eux,, homme de courage, & d'un trés-grand, fens, ayant été fait major du régiment de la marine, refufa eet emploi, attendu, qu'il ne fcavoit pas feul'ement écrire fon nom.. Quoi qu'il en foit, le bruit de cette abjuraüon fe répandit promptement., On en avertit le fieur de Caille a Laufanne.. II répondkque fon fils étoit.mort ie 15 février 1696 , Sc envoya, de cette mort, un certificat qui fut remis a M., de Vauvray. Sur cette pièce unique, M. Pintendant prit fur lui de faire arrêter le foldat, comme importeur. Le fieur d'Infreville, qui commandoit les troupes a Toulon, prétendit que Pintendant n'avoit pas-Ie droit de faire arrêter un foldat. Ils écrivirent tous les deux au Roi,. au nom duquel M. de Pontchartrain fit la réponfe fuivante : « Le Roi a apa> prouvé que M. de Vauvray ait fait ar» rêter Sc meme a 1'arfena-l le foldat de » la compagnie de Ligondès, qui fe dit.  du fieur de Caille. 133 » fils du fieur de Caille, & a fait fon abt> juration. L'intention de S. M. eft que » vous le faffiez remettre aux juges or» dinaires, pour inftruire fon procés, & » lui faire fubir la peine que fon impofn ture mérire. Vous leur remettrez, en » même tems, les atteftations qui ont r> été envoyées a M. de Vauvray de la» mort du véritable Caille ■>■>. Cette lettre fut adreflee au fieur Ie Vaifeur, ordonnateur de la marine, qui fit conftituer le foldat prifonnier dans ; les prifons de la jurifdiclion de Toulon; & M. de Vauvray remit au greffe lesi pièces qui lui avoient éré adreifées coni cernant la mort du fils du fieur de Caille. j L'objeótion réfultant de ces pièces eft •. ttne des plus fortes que le foldat eut alors I a combattre; & il eft certain que, fi cette I mort etit été prouvée, il n'y avoit plus I de procés, &c ce foldat n'étoit qu'un im- I pofteur digne des plus grands chatimens. f On va donc rapporter ici les preuves fur llefqueHes on 1'appuya, & examiner le II poids qu'elles ont du avoir en juftice. La première démarche du fieur de 3! Caille père, a la nouvelle qu'un foldat -He difant fon fils avoit fait abjurarion , li fut de paffer la procuration que voici I'« L'an 1700, & le premier jour du mois.  134 Hifloire du Fils 35 de janvier, pardevant moinoraire juré 53 public, citoyen de Laufanne, & pré33 fens les témoins bas nommés, a com55 para &c s'eft préfenté & établi meffire 35 Scipion de Brun de Caftellane, fei33 gneur de Caille, demeurant audit Lau55 fanne, & de moi notaire & témoin 35 bien connu; lequel a conftitué fes pro33 cureurs généraux &c fpéciaux , Me 33 Pierre Mouton, procureur au parle53 menr de Provence, & tous autres por55 teurs particuliers des préfentes, & le 55 tout pour, & au nom dudit feigneur 55de Caille, afliirer-avec ferment & 33 toute autre circonftance de juftice, 35 comme le feigneur de Caille aflTure & 55 déclare en parole de vérité entre les 55 mains de moi dit notaire, qu'il infifte 33 a toutes les déclarations par lui faites 55 en fon acte de procuratiori du 6 mai >5 1699, recu par Me Jacques-Francois 33 de Ribeau-pierre, curial & bourgeois 33 de róle, notaire public & juré, tou55 cbant Ifaac de Brun fon fils, & per55 fifte & foutient que ledit Ifaac eft dé33 cédé au lieu & dans la ville de Vevay 33 en Suifte, le 15 février i<3'96', & dé53 clare que, s'il avoit la moindre dubi33 tabilité de la mort de fon fils, qu'il )> fe fut échappé, & qu'il n'eüt appris fa  du Jieur de Caille. » mort que par autrui, ou qu'elle fut j> arrivée en quelque pays lointain & » éloigné, il n'auroit pas pafte la fufdite » procuration recue par Ribeau-pierre, y> paree qu'il pourroit avoir été trompé » fur 1'avis qu'on lui auroit donné de la » mort de fondit fils; mais qu'étant fonj> dit fils mort fous fes yeux , & 1'ayant >■> accómpagné au fépulcre fans qu'il fe » foit échappé de fa maifon, & après 55 une longue maladie , pour laquelle il 551'auroit envoyé audit Vevay pour chan53 ger d'air, il ne peut plus douter que 33 fon fils ne foit mort: fuppliant tous 35 meflieurs les juges qui connoitront & 55 jugeront le procés d'un importeur qui 53 dit être fon fils, d'aider a fes parens 55 proches qui font en France en poflef33 fion de fes biens , a le pourfuivre cri33 minellemenr, pour le faire punir de 33 la peine de mort qu'il mérite, & d'êrre 33 perfuadés que fi bien ledit de Caille 55 a quitté fes biens & fon pays pour fa 33 religion, il ne s'eft pas dépouiilé des 33 fentimens d'humanité , & moins en55 core de ceux de paternité; enforte que, 35 s'il y avoit quelque doute pour la vé55 rité de la mort de fondit fils, bien 55 loin de prier fes parens de pourfuivre, 33 il les auroit priés d'examiner Ia chofe,  i^G Hijloire du Fils » & d'agir avec route prudence & beaut » coup de retenue : & déclare en outre. » qu'il n'a jamais battu a coups de nerfs33 de bceufs , ni de baton, fondit fils ^ 33 ni tenu en prifon, étant d'une com33 plexion trop délicare ; comme aufll 33 n'avoir point été en familie, ni avec 33 fondit fils a Genève depuis leur re33 traite en Suiife, en 1'année i <5"8 5 : qu'il 33 eft très-vrai qu'il le conduifit au col33 lege aux années 1681 ou 1682.; mais, 33 que fondit fils s'en retourna en France. ,3 a Manofque , d'oü ils font fortis en33 femble en 1'an 1(385 dans le mois, 33 d'octobre; que ledit feigneur de Caille 33 n'a pas mëme été a Genève depuis,. 33 ayant refté a. Laufanne avec fondit fils. n & fa familie; & a eet effet a obligé 33 généralement tous fes biens préfens. 33 & a venir , foiumiiions & toutes au33 tres claufes requifes. Fait & ainfi palfé 33 audit Laufanne, préfens Efgre-Sa,3 mudy citoyen, & fieur Jean-Bapvjlc » Bclles-Dumont, babitant audit Lau33 fanne, témoins requis, avec la figna33 ture manuelle dudit noble feigneur >3 de Caille ici bas jointe avec celle du 33 notaireftipulateur despréfentes-iS/gvze, 13 Caille, Matthjïi 33., Cette procuration étoit appuyée de  du fieur de Caille. 137 iplufieurs autres pièces, dont les unes !avoient pour objet de prouver que le fieur de Caille fils n'avoit pas, depuis qu'il s'étoit refugié en Suiife, quitté les villes de Laufanne ou de Vevay; & les autres, qu'il étoit mort a Vevay le 15 tfévrier 1696. Ces pièces étoient: i°. L'extrait du livre de Pegat, apofhicaire a Laufanne, contenant le détail ides remèdes donnés au fils du fieur de i Caille, de Pordonnance du fieur Duclerc, médecin. Le premier article commen^oit : le 11. feptembre 169 3, & continuoit, i jour par jour, jufqu'au 1 2. octobre fuivant. Cet extrait avoit été tiré de 1'autorité du magiftrat, & confirmé par le i ferment de 1'apothicaire. ,; i°. Une lettre du fieur de Caille i père a la dame de Vaucroue fa parente, du 13 feptembre 1693 , par laquelle il mande : « Nous fommes tous dans le » meme état ou Perier nous a lailfés, a i; )3 la réferve de mon fils, qui eft tou;i 53 jours plus incommodé ». 30. Une autre lettre du même au 1 fieur Perier, du 5 avril 1694. Il lui b marqué : « Mon fils eft toujours de 1: 33 même que vous 1'avez vu, quoique 1 33 j'aie mis tout en ufage povu: le rei >3 tablir 33,  138 Hifloire du Fils 4°. Autre lettre du même a madame Rolland, du 17 feptembre 1695:" Mon s> fils, ma fille, dit-il, vous remercient » très-humblemënt de la grace que vous » leur faites de vous informer de leur 35 fanté: ils font i'un & 1'autre des vceux 33 pour la confervation de la vbtre. Celle 35 de ma fille eft alfez bonne, Dieu merci; 33 mais fon frère eft toujours de même. 35 Tous les remèdes qu'on lui a faits ont 35 été inutiles ; il eft retombé dans fon 35 premier état d'abord qu'ils ont été 35 finis. Et au bas : mon fils & ma fille 55 vous offrent leurs refpecls, &c a M. 55 Rolland 55. 5 °. Déclaration judiciaire de Berard, apothicaire a Geneve, portant « qu'il 33 alla exprès a Laufanne, pour traiter Ie 33 fils du fieur de Caille; qu'il y féjourna 33 deux mois en 1 c?9 5, & qu'il lui fut 33 payé 3 00 livres pour fon voyage par 55 Ie fieur de Caille père 55. 6°. Le féjour conrinuel du fils du fieur de Caille, tant k Laufanne qu'a Vevay jufqu'au 15 février 1696, époque de fa mort, eft prouvé par une procédure judiciaire faite a Laufanne-, compofée de 19 dépofitions des plus notables de la ville, gentilshommes, miniftrc-Sj profelfeurs, marchands, bar-.  du fleur de Caille. 139 biers, &c. Au bas de cette enquête, les magiftrats en corps & en particulier déclarent & certifient être mémoratijs que le fils du fieur de Caille , nommé Ifaac Rougon , habitué che\ eux depuis environ 13 années, étoit de petite taille, d'un teint bl'anc & de bonne voix , lequel y a féjournefans difcontinuatlon jufqu'en 1695 ; qu'il alloit de tems en tems a. Vevay , qui eft une v'dle a quatre lieues d'ici, oh il mourut environ le commencement de l'année 1696. 70. Enfuite de cette procédure eft Ia déclaration du fieur de la Clozure, réfident pour le roi a Geneve, en ces termes : tout le contenu dans les déclarations ci-dejfus eft enticrement conforme a ce que j'en ai apprit, & au témoignage que m'en ont donné différentes perfonnes d'honneur & dignes de foi de ce pays. 8°. Cette procédure a été légalifée B par le bailly de Laufanne, par les fouI verains de Berne, & par M. le marquis dePuyfieux, ambafladeur pour le roi 1 en Suifte. 90. Une lettre écrite le 20 février I 1696 par le fieur de Caille a. madame . Rolland, & qu'elle a recue a Grenoble : en préfence du curé de fa paroifle, qui I en a donné fa déclaration : cette lettre  140 Hijloire du Fils porte : « Je ne doute point que vous ne 35 foyez furprife & afïligée en même 33 tems, madame ma très-chère fceur, de j3 la mort de mon fils, que Dieu appella 33 a foi dimanche dernier, après trois ac33 cès de fiévre. II étoit dans un fi grand 33 delféchement, qu'il a d'abord fuc33 combé a laviolence de fon mal, &c.». 1 o°. Lettre du même au fieur d'Aftier de Monnefargue, gentilhomme de Provence, fon ami, du z6 mars 1(396': « J'ai 33 été aflez malheureux, dit-il, pour 33 perdre mon fils; Dieu Pa appellé a foi 33 depuis un mois; je ne doute point que 33 vous ne preniez part a mon déplai33 fir, &c. 33. n°. Lettre du 22 mars 169 6, écrite par le fieur Silveftre, marchand a Laufanne, au fieur Vafcher, marchand a Manofque; par laquelle il lui mande, après avoir parlé de leur négoce: » Le 33 fils de M. de Caille eft mort aVevay, 33 il y a ün mois, ou environ.js. 1 20. Un aéte pardevant notaires, de Ia donation faite le 5 décembre 1698, par madame Rolland a la charité de Manofque , d'une grande maifon dont on a fait 1'hopit'al, & d'un domaine de 800 livres de rente, provenant de Ia fucceffion des enfans du fieur de Caille.  du fieur de Caille. 141 Dans eet acte, la mort du fils du fieur de Caille cjï exprime'e comme le motif & la füreté de cette donation. 130. L'atteftation du commandeur & du confeil de la ville de Vevay, concue en ces termes : « Atteftons & » certifions en parole de vérité, que no3> ble Ifaac de Brun de Caftellane , fils n de meflire Scipion de Brun de Caftelj> lane, feigneur de Caille & de Rou» gon, de Manofque en Provence, ren fiïgié en ce pays, eft décédé le 15 fé» vrier, de notre ftyle, de Pannée 1696. « En foi de quoi nous avons fait expé3> dier le préfent certificat audit feigneur n de Caille, fur la réquifition qu'il nous j> en a fait faire. Donné fous le fcel de 3> certe ville prez le feing du fecretaire jjd'icelle, le 15 avril 1696». Cette atteftation légalifée par le bailly de Vevay.' 140. Procédure judiciaire faitea Vevay le 27 avril 1699, dans laquelle le minifire , qui a afftjté le fils du fieur de Caille a la i more, le mèdccin 3 le chirurgien, fapo1 ihicaire qui lont traité dans fa derniére 1 maladie- la femme qui Va enveloppé dans 1 le drap mortuaire, le menuifier qui a fait 1 le cercueil & qui y a mis le corps , & plu, fieur s perfonnes qui Vont vu malades &  142- Hifloire du Fils qui ont affifté a fon enterrement, affir~ ment tous avec ferment 3 la vérité de cette mort. Cette procédure a été légalifée par le bailly de Vevay, par les fouve- j rains de Berne, & par le marquis de Puyfieux, ambafladeur pour le roi en Suifle. 15 °. Certificat de M. de Puyfieux en ces termes : « Nous le marquis de 33 Puyfieux, lieutenant-général des ar33 méés du roi, gouverneur d'Hunin33 gue, ambafladeur pour le roi en 33 Suifle, certifions a tous qu'il appar33 tiendra, qu'ayant été requis de nous 33 informer fi le fils du fieur de Caille, 33 gentilhomme de Provence , refugié 33 dans la ville de Laufanne au canron 33 de Berne dés 1'année 1(385 , éroit » mort au lieu de Vevay, petite ville ï 33 quatre lieues de Laufanne, le 15 fé33 vrier 1696', ledit fils appellé Ifaac de 33 Brun de Caftellane, feigneur de Rou33 gon , comme il avoit été certifié par 33 les magiftrats dudit lieu de Vevay : 33 nous aurions requis les magnifiques 33fei gneurs du louable canton de Berne 33 de s'informer de la vérité du fait; 33 lefquels nous auroient envoyé deux as extraits des deux procédures faites, !j 1'une audit Laufanne, & 1'autre audit  da fieur de Caille. 143 n Vevay, par lefquelles il réfulte que 55 led.it fils eft mort. Au bas defquels » nous avons mis notre légalifation, que » lefdites procédures nous avoient été >■> envoyées a notre réquifition, qu'elles >? étoient en la forme ufitée audit pays » de Suifle, & que femblables acres & 55 procédures faites audit pays de Suifle, » doivent faire pleine foi dans les trijï bunaux de France, fuivant les traités 3> d'alliance faits entre le Roi & la na» tion Helvétique : nous certifions en » outre que nous étant informés encore 33 plus particuliérement de la mort du « fils, on nous a confirmé qu'elle eft 33 conftante, véritable & notoire que 33 ledit fils eft décédé audit Vevay le 15 33 février 1696, & que le contenu aux33 dites procédures, dont nous avons »3 envoyé les extraits en France, eft en33 tiérement conforme a ce que nous 33 avons appris, & aux témoignages que 33 nous ont donnés difterentes perfonnes 33 d'honneur & dlgnes de foi dudit pays: as & pour être la vérité telle, iigus avons 33 figné de notre main ie préfent certi33 fir;ir. & 3 icelui fait anoofer le cachet | » de nos armes, & fait contre-figner par J3 notre fecretaire. Donne a Soleure le :> 17 mai 1700. Püysieüx. Par men-.  144 Hifloire du Fils 33 feigneur 3 Martiniere. Scellèfur cirt 33 noire >■>. \6°. Quatre déclarations judiciaires, ou pardevant notaires, faites en difterens tems pat le iieur de Caille père, dans lefquelles il attefte avec ferment «< que 33 fon fils unique ne s'eft point échappé 33 d'auprès de lui \ qu'il eft mort fous fes 33 yeux le 15 février 1696 a Vevay, oü 33 il 1'avoit envoyé changer d'air après 33 une longue maladie ; qu'il a accom33 pagné le corps au fépulcre, 8cc. >3. 170. Le fieur ie Caille écrivit, en conformité de ces déclarations, a M. le Chancelier, a M. de Torcy, & aux commiftaires des bureaux de M. de la Reynie & de M. de Marillac. 18°. Toutes ces déclarations ont été confirmées par celle que le fieur de Caille père fit au lit de la mort, en préfence de trois commifïaires députés par le confeil de Laufanne, après avoir prêté ferment entre leurs mains. « Me 33 voyant, dit-il, attaqué d'une maladie 33 dont les fuites me font inconnues Sc 331'événement incertain, j'ai voulu pro33 fiter de ia liberté que Dieu me donne 33 en fa grace, pour faire une déclara3) tion que je crois néceflaire au main»»tien de la juftice 8c de la vérité, a 1'édi33 fication  da fieur de Caille. 14^ » fication du public, & ï la décharge de » ma confcience. Dans cette vue, je j> déclare en homme d'honneur, après ; n la force du ferment que je viens de » folemnifer entre les mains des magifn trats de cette ville, que mon vrai 8c j« unique fils eft mort a Vevay au pays r> de Vaud; que celui qui ofe foutenir » en France qu'il eft mon fils, ne 1'eft » abfolument point, mais qu'il eft un 1» infigne impofteur, digne d'être puni mpour tel;& tout ce que j'ai dit ciw> delfus, produit dans le procés intenté, \» eft très-certain & véritable, fans au53 cune équivoque, laquelle vérité je i» déclare &c foutiendrai fans varier juf(53 qu'a mon dernier foupir, comme je ïs3 defire que Dieu me fafle miféri:» corde >3. '19°' Trois déclarations judiciaires faites en Suifle par trois tantes du fils du fieur de Caille, 1'une paternelle, 8c deux maternelles; & une quatrième de la fille du fieur de Caille, qui atteftent toutes unanimement la maladie & la mort du fieur de Caille; a quoi la fille .ajoute que fon frère eft mort entre fes hras; 8c elle déclare, conjointement avec Ja dame Dulignon fa tante paternelle, E& la demoifelle de Saint-Eftienne fa Tome III. G  z^S Hifloire du Fils tante maternèlle, qu'elles ont été préfentes a la déclaration faite par le fieur de Caille père, au lit de la mort. 11 eft vrai que, fuivant nos mceurs , toutes ces preuves auroient été infufEfantes, au défaut d'un extrait mortuaire en forme. Mais la raifon pour laquelle on n'en rapportoit point, eft qu'il ne fe tenoit point a Vevay de regiftres baptiftaires ni mortuaires. On en rapportoit la preuve dans un certihcat authentique, dont voici les termes : « Nous „ Samuel Jenner, bailli de Vevay, & „ capitaine de Chillon, pour leurs ex« cellences de Berne nos fouverains fei„ gneurs fupérieurs, fcavoir faifons par v ces préfentes, comme enfuite des dé3> clarations fermentales qui ont été exv pédiées en chambre baillivale audit «Vevay, le 17 avril 1696", au fieur « Charge, agent de M. de Caille, des s> témoins qu'il a fait convenir pour juf» tifier le décès du fils du fieur de Caille, » arrivé audit Vevay au mois de février »» 1696, on auroit encore deinandé un » acTre comme dans la ville de Vevay il m ne fe tient aucun regiftre mortuaire. » Sur quoi nous atteftons qu'effeéfive*> ment ce n'eft point la coutume audic s> Vevay de tenir des regiftres mor-  au fieur de Caille. 147 » maires; & que, quand il s'agir d'avoir » des certificats du décès de quelqu'un, jj ils ne fe donnent qu'en la manière qui 33 a été accordée au fieur Charge, agent 33 dudit fieur de Caille, touchant le déj3 cès & Tenfeveliflement de fon fils au>3 dit Vevay, dont on a encore la mé33 moiré toute récente. En foi de ouoi 3» les préfentes font munies du grand 33 fcel de nos armes , fignées par notre 33 fecreraire fubftitut, le 6 juin 1700. 33 RoBERT )3. Cette atteftation eft légalifée par les fouverains de la ville & république de Berne, & par M. de Puyfieux, qui déclare qu'elle a été expédiée a fa réqun fition. Ce corps de preuves paroït , au premier coup-d'ceil, bien redoutable pour le foldat. II femble démontrer que le fils du fieur de Caille n'eft pas forti deSuillè depuis 168 5; qu'il y eft mort en 1696, & que, par conféquent, ce foldat eft un impofteur. Mais fi l'on examine ces preuves d'un ceÜ attentif, & d'après des faits qu'il faut développer ici, elles perdent beaucoup de leur force; peut-être même font-elles entiérement annullées. La démarche que le fieur de Caille. Gij  148 Hiftoire du Fils père avoit faite, en quittant fa familie & fes biens pour aller profelfer librernent la fecte de Calvin dans un pays étranger, prouve alfez qu'il étoit religionnaire fanatique, & l'on ne peut fe dilïïmuler que le fanatifme a porté des pères aux excès les plus cruels contre leurs enfans, Si l'on vouloit ouvrir les faftes aes fiècles éloignés, on y verroit 1'hiftoire d'un grand nombre d'enfans qui ont été les viófcimes fanglantes de la politique, de la jaloufie , de i'ambition de leurs pères, & de cette férocité outrée qu'ils décoroient du beau nom d'amour de la •pairie. On a vu un Brutus faire trancber, fous fes yeux, la tête a fes deux fils, paree qu'ils avoient confpiré contre la liberté de Rome. Manlius Torquatus fe rendit coupable de la même barbarie pour un fujet moins grave. Dans la guerre contre les Gaulois, un d'entre eux propofa un combat fmgulier contre le plus vaillant des Romains. Manlius s'offrit a combattre ce téméraire, le tua, lui ota une chaïne d'or qu'il avoit au cou, & la mit au fien. Dela vint le nom de Torquatus (1) qu'il tranfmit i (1) Tprqites 014 torquis, en latin, fignifie  du fieur de Caille. 14c) fes defcendans. II commanda enfuire, en qualité de conful, 1'armée Romaine dans la guerre contre les Latins, & fit défenfe a qui que ce füt d'acceptef aucun défi particulier. Un des chefs des ennemis en préfenta un au fils même de Manlius. Le jeune héros, aiiïmé par le fouvenir de la viétoire que fon père avoit remportée en pareille occafïon, attaqua & terralfa fon adverfaire. Victorieux, mais défobéiffant, il revint au camp, oü il reent, par ordre de fon père, une couronne & la mort. Don Carlos ne payat-il pas de fon fang la jaloufie qu'il avoit donnée a. fon père ? Si de vaines idéés de liberté, de difcipline-, fi des tranfports de jaloufie ont déterminé des pères a fe repaitre du fang d'enfans qu'ils avoient chéris jufques-la, a quels excès le fanatifme religieux n'a-t-il pas pu en exciter un contre un fils pour qui il n'a jamais eu que de 1'antipathie ? L'établiffement de la vraie religion a fait voir plus d'une fois les mains des 1 pères, aveuglés par le paganifme, teihtes I du fang de leurs enfans chrétiens. Com: bien d'exemples plus récens ne trouveroit-on pas, li l'on vouloit fouiller dansles archives de la ligue, & pcnétrer dans Giij  150 Hijloire du Fils les ténèbres de 1'exécrable & trop fa* meufe nuit de faint Barthelemy ? Mais, pour ne pas s'engager dans des recherches rebutantes par les horreurs qu'elles feroient découvrir, contentons-nous de citer un fait arrivé de nos jours. Un prince d'Allemagne, luthérien, ayant appris que fon fils unique & fes deux filles avoient embralfé la foi catholique, poignarda lui-mcme ce fils, que Ie feul changement de religion avoit rendu coupable a fes yeux; & les deux filles n'évitèrent un pareil traitement que par la fuite. L'ainée eftmorte depuis, & lacadette fe refugia a Paris, oü le roi 1'entretint jufqu'a la mort. II ne faut donc pas alléguer 1'amour parernel comme un frein infurmontable contre les paffions dont un père peut être aveuglé, & foutenir, comme on 1'a fait dans un procés célèbre de nos jours, qu'il n'y a point d'exemples de pères dont la religion ait armé le bras contre leurs enfans; c'eft bien peu connoitre le cceur humain, & être bien peu verfé dans fon hiftoire. . On a déja obfervé que le fieur de Caille père étoit, par lui-même, bien éloigné d'avoir pour fon fils cette tendrefie tant vantée. Lorfque ce fils fuc  du fieur de Caille. I < ï forti de Suiife, il ne chercha pas a le rappeller; il mit an contraire fon attentie* entière as'informer exiótement de tputes fes démarches, pour en tirer avantage contre lui, en cas qu'il fit abjuration; & qu'il voulut s'autorifter de eet aclie pour rentrer dans Ie bien de fa familie. Le mauvais commerce qu'il avoit entretenu avec la femme de Pietje Mège, 1'imprudence de s'ètre fuppóTe fon mari, d'avoir agi & contraleen cette qualité, de s'ètre engagé depuis dans des états bas & obfeurs qui dementoient fon origine j toutes ces circonftances parurent favorables au père, pour défavouer fon fils avec fuccès. 11 n'avoit été jufqu'alors animé que par une antipathie occafionnée par les defauts naturels de eet enfant, & peutêtre par quelques inquiétudes fur ia naiflance ■ mais la nouvelle de fon abjuration mit en jeu tous les reflorts du fanatifme du père, & la perte du nouveau catholique fut jurce. II fut donc arrèté , dans le coniei! de la familie, qu'on feroit pafler pour mort en Suiife le véritable fils du fieur de Caille, & qu'on foutiendroit que celui qui fe donnoit pour tel en Provence, étoit véritablement Pierre Mège, man G iv  ijl Hifloire du Fils d'Honorade Venelle. La chofe parut d'autant plus aifée, que ce Mège étoit abfem depuis trés-long-tems', qu'on n'avoit aucune de fes nouvelles, & qu'on le croyoit mort; enforte qu'il'n'y avoit pas apparence que fon retour dérangeat ce fyftême. i Pour donner un air de vraifemblance a la prétendue mort du fils du fieur de Oulle, on imagina d'écrire des lettres qui femblaflent y préparer, en apprenant fa maladie a ceux a qui on les adrelfoit, & qui étoient dans le complot. On en écrivit d'autres, dans Ia fuite,qui déclaroient qu'il étoit mort. On poufia les précautions plus loin. On fcavoit que le fils du fieur de Caille etoit d'une ignorance extréme, öc telle qu'elle pouvoit feule donner lieu de douter qu'il füt fils d'un gentilhomme opulent. Cette circonftance ne fut pas néghgée; &c pour retenir eet enfant infortuné dans 1'état abject qu'il avoit adopté, on forgea des preuves pour étabhr que le véritable fils du fieur de Caille avoit des talens fupérieurs, des connoilfances recherchées, & qu'il étoit meme un profond mathématicien. Pour appuyer ces précautions d'une ombre de forme judiciaire , on fit faire,  du fieur de Caille. 7^3 en Suifle , deux enquêtes concertées ; Tune a Laufanne, compofée de trente témoins Suifles, qui déclarèrent avoir cuïdire que le fils du fieur de Caille ctoit mort \ 1'autre a Vevay, compofée de douze Francois refugiés, qui difent plus pofitivement qu'il étoit mort le 1 5 février 1696 ; date que le fieur de Caille père , de concert avec fa familie, avoit réfblu de donner a ce prétendu décès. M. Rolland, auquel ces pièces furent envoyées, Sc qui étoit, depuis longtems,avocat général dans un parlemenr, fcavoit bien que la juftice ordinaire ne , pouvoit afleoir un jugement fur des enquêtes fecrètement Fabriquées, fans que la partie intéreffée eüt été appellée, fans qu'on 1'eüt mife a portée de difcuter la foi due a chaque témoin, Sc de fournir fes reproches; que cette juftice ne pouvoit ftatuer d'après des ceri tificats mendiés, & qui, prefque tous, 1 ne portoient que fur des ouï-dires. Mais i il crut qu'un tribunal militaire n'y rei garderoir pas de fi prés, &c que ces | preuves lui fuffiroient pour obtenir une 1 condamnation. Dans ce point de vue, : il employa tout fon crédit auprès des officiers de marine, qui, a fa prière, mirent d'abord leur foldat en arrêt fur Gv  154 Hijloire du Fils 1'amiral. Le chevalier d'Infreville, qui' commandoit, le fit mettre en liberté; mais ayant été obligé de fe rendre a Paris, le foldat fut remis en arrêt; enfuite conftitué prifonnier a 1'arfenal, jufqu'a ce que, par des ordres fupérieurs, il fut livré aux juges de Toulon pour lui faire fon procés. Il étoit affez naturel que des juges fubalternes, aquiun avocatgénéral d'un parlement, muni d'enquêtes, de certificats & de lettres , atteftoit la mort du fils du fieur de Caille, fuffent prévenus contre celui qui en prenoit le nom. Auffi lui firent-ils d'abord effuyer, comme fi le crime eür éré certain, toutes les ri-» gueurs du cachot. L'humidité du lieu le rendit malade; a. cette première indifpofition, on ajouta des fecrets plus prompts pour le-faire mourir: il fe plaignit d'être empoifonné, & eut recours aux vomitifs. Cet état excita la compaffion du geolier de la prifon, qui prir fur lui de le transférer dans une chambre; on lui en fit une affaire :. il fallut remettre le foldat dans les cachots. La vie de ce malheureux étoit donc attaquée de toutes parts; ön avoir vouht armer contre lui la juftice militaire ; a  du fieurde Caille. rif fon défaut, on n'épargnoit rien pour troinper les magiftrats & les irriter contre cette viótirne du fanatifme Sc de la cupidité. On alla plus loin, on voulut prévenir, par le poifon, la lenteur d'un. jugement qui pouvoit n'être pas au gré de ceux qui faifoient tant d'efforts pour ïe faire rendre conforme a leurs vues. Ce projer ayant manqué, on fongeaa. profiter de l'imbécillité du perfécuté, pour farmer contre lui-même, en lui fuggérant des démarches qui pulfent rendre fa perte infaillible. Trois coquins furenr employés a eet effet ; ce furent les nommés Silvy, Cleren Sc Carbonnel. Ils s'emparèrentde la confiance du foldat, qui, jufqu'a ce qu'on les lui eüt démafqués, n'agit que par leurs confeils. Le premier qu'ils lui donnèrent, fut de ne pas répondre devant le lieutenant général de Toulon „ s'il lui faifoit fubir interrogatoire; & ce confeil eft configné dans une lettre écrite d'Aix a Toulon par Cleron. L'efpoir du fuccès que l'on fe1 promettoit de cette précaution, étoit fondé fur la ftupidité du perfonnage a qui on le donnoit; Sc fur les pièges que ce juge dévoué a. Rolland, ne manqueroit pas de tendre a la fimplicité du répondant: G vj  1^6 ^ Hifïoire du Fits Le véritable bu t de ces émiflaires étoit d'engager le malbeureux qu'ils vouloient perdre, ou a garder un filence opiniatre, dont on fe feroit un argument redoutable contre lui; ou a chercber a déguifer h vérité, en lui fubftituant des fauffetés ou des abfurdités dont on pourroit tirer avantage pour le conduire au fupphce. r Cet interrogatoire qui, après ces précautions, ne pouvoit manquer de fe trouver conforme aux vues des ennemis de celui qui devoit le fubir, fe fit enfin le 19 juin 1699, neuf jours après i empnfonnement du foldat; & l'on prefume aifément que ces neuf jours avoient été employés auxpratiques dont on avoit befoin pour le faire tomber dans les pièges qu'on lui tendoit. II parut ignorer tous les faits dont il étoit impolïïble qu'il n'eüt pas une parfaite connoiffance. II dit, par exemple, qu'il n'a jamais feu fon véritable nom de bapteme, paree que fon père ne 1'avoit jamais appellé que d'Antreverges de Rougon de Caille. II avoit même pris dansfon aéle d'abjuration, un nom de bapteme tout différent de celui du fils du fieur de Caille, qui s'appelloit Ifaac, « le foldat s'étoit nommé Andrê; c'eft  du fieur de Caille. t^j rnême fous ce nom qu'il fubit fon interrogatoire, & qu'il continua toute la procédure. 11 donna, dans la fuite, pour raifon, qu'il avoit voulu abdiquer un nom qui étoit propre au culte qu'il abjuroit, & lui en fubftituer un qui fut analogue a la religion qu'il embratfoit. Quoi qu'il en foit, dans linrerrogatoire dont il s'agit, il a varié fur fon age; il n'a jamais feu le nom de fa mère; il n'a jamais connu fon parrein & fa marreine j il ne fxavoit ni le nom de la rue,ni le nom . du quartier ou fon père demeuroit a Mai nofque; il décrit fort bien les dehors de la maifon, mais il n'en connoifloit pas les appartemens. Quoique fon père eut eu ! cinq enfans, il dit qu'il n'en a jamais eu i que trois. II n'a aucune connoilfance ni de l'air ni de la taille ni de la couleur ; des cheveux de fa fceur Suzette; il donne a fa défunte fceur un nom qu'elle n'a jamais porré; il dépeinr fon père tout aui tre qu'il n'étoit. 11 ne connoit ni la grandeur ni la couleur des cheveux de fa i riante du Lignon, qui avoit cependant i toujours demeuré a Laufanne avec fon j père. II eft dans la même ignorance au : fujet de fa grand'mère, avec laquelle il avoit toujours vécu. II ne fe louvient pas fi, dans la maifon ou il logeoit a  i<$8 Hijloire du Fils Laufanne, il y avoit d'autres locataires que fon père : il ne fe fouvient pas fi k Manofque, a Laufanne,ou a Genève, il avoit connu & fréquente quelques-uns des amis de fa familie, ou des fiens ,&c. &c. &c. On ne finiroit pas, fi l'on vouloit recueillir toutes les abfurdités Sc toutes les fauffetés dont eet interroo-atoire eft infeété. Mais, loin que ces abfurdités fuftènt une preuve contre le foldar, on pouvoit , en un certain fens, les regarder comme une préfomption en fa faveur. • C'eft un principe certain, en droit,que, dans les affaires criminelles, les confeflïons fauffes Sc erronées des accufés ne leur nuifent point (i), paree que ce ne fonr pas des preuves > ils peuvent les réparer en tout état de caufe (2); non-feuiement dans le cas oïi 1'erreur eft involontaire, mais lors même qu'elleaétéfciemment commife (3); & (1) Non fatetur qui errat, nifi jus ienoravent. L. i,ff.deconf. b ■ 0) Divus Severus refcripfit confejfwnes reorumpro exploratis facinoribus haberi non opporter^fi nulla prabatio rdigionem coznofcentis injlruat. L. ï , §. f , ff de qud venjjimum rtuhi yidetur ; maxime fi quis poJkA  du fleur de Caille. i^g fi le juge parvient a connoltre la vérité par une autre voie, les aveux de 1'accufé ne font point un obftacle a fon abfolution (i). Ces maximes ont lieu principalement dans les queftions d'état, ou les loix ont décidé que les réponfes faufles. d'un accufé, par lefquelles il donne atteinte a fon état & a fa condition, ne lui font aucun tort; il eft toujours recevable a prouver le contraire de ce qu'il a avancé (2.). II n'eft pas difficile de pénétrer 1'efprit de ces loix; c'eft que nous ne fommes pas plus maïtres de notre vie, que de celle d'autrui; c'eft que 1'état des perfonnes ne dépend point de leur confeflion, mais de leur véritable naiflance: & comme il n'eft pas a notre choix d'être ce que nous voulons, il ne dépend pas plenius inflructus-quid faciat, inflrumentis vel epiflolis amicorum juris fiui edoBus. L. 11, §. li, ff. de interrog. (1) Voyez L. 7 , ff. de confejf. (2) Nee fi volens fcripfiffes fervum te eff'e non libcrum, prtejudicium juri tuo aliquod com~ paraffes. L. 6, eod. de iiberal. cauf. lnterrogalum & profejfum apud acta feancillam, hujufmodi failum defenfionem liberteüs nonexclüditi. Z. 24, eod.  iGo Hijloire du Fils de nous de ne pas être ce que nous fommes. C'eft d'après ces principes que le parlement ne s'eft jamais arrêté aux déclarations des accufés, quand elles fe font trouvées contraires a la vérité. Sans en chercher un grand nombre d'exemples, qu'il feroit aifé de trouver, bornonsnous a celui du Gueux de Vernon, dont Paffaire eft rapportée dans le premier volume de ce recueuil. Monroufteau varia trois fois fur la naiftance de Pen-, fant qui étoit 1'objet du procés. Tantöt il dit qu'il étoit né de la première couche de fa femme; tantót de la feconde;. puis il s'étoit repris, & avoit dit que c'étoit de la première. Dans un interrogatoire, il dit qu'il n'avoit eu que deux enfans; dans 1'autre, qu'il en avoit eu quatre. II avoit également varié fur fes voyages a Paris, oü il étoit accufé d'avoir volé eet enfant. II dit d'abord qu'il n'y avoit été qu'une fois , enfuite deux, enfin trois fois. Cette variété fur les voyages, dit M. Bignon, fait douter qu'il ne fe foit pafte quelque chofe dont il appréhende la conviétion ; &c d'autant plus que plufieurs témoins avoient alfuré a Vernon que ce petit  du fieur de Caille. 161 gar^on n'étoit pas fon fils. Néanmoins, comme la vérité du fait fut prouvée a Paris par des témoins irréprochables &c par les pièces produites par Monrouffeau, 1'arrêt le déclara père de 1'enfant. Ces loix & cette jurifprudence ont ici une application toute naturelle. En vain les réponfes du foldat aux interrogaroires paroitroient juftes & raifonnables, elles ne le feroient pas devenir le fieur Caille, s'il ne Pétoit pas. Elles ne peuvent pas non plus, quoique fauffes & erronées, le faire celfer d'être le fieur Caille, s'il 1'eft en effet. On peur même dire que eet interrogatoire, dont on fe fait des armes contre le foldat, ne prouve autre chofe que fa ftupidité, puifqu'en le fuppofant un importeur, il n'eft pas poffible de croire qu'il ne fe fut pas précaunonné des connoiftances qu'il devoit indifpenfablement fe procurer; comme du véritable nom, & de 1'état de la familie de celui dont il vouloit prendre la place. Or, ayant ces connoiftances, il n'auroit eu garde, non-feulement de les déguifer, mais de n'en pas faire parade ; il n'y alloit pas uniquement de la perte de fa caufe, mais du danger de fa vie.  l6i Hifloire du Fils Ce n'eft donc point dans eet interrogatoire qu'il faut chercher la vérité} c'eft dans la fuite de la procédure. Sur Pinterrogatoire, le lieutenantcriminel de Toulon ordonna que le tout feroit fignifié au fieur de Caille, a fes plus proches parens &c aux poftefteurs des biens, pour débattre les demandes du foldat: on y confentit; le tout communiqué au procureur du roi, pour être ordonné ce que de raifon. Le foldat leva Pinterrogatoire, le fit fignifier a M. Rolland, au fieur Tardivi; & par fentence du 16 feptembre 1699 , il fut ordonné qu'il feroit traduit a Manofque & ailleurs , poury etre confronté avec tous ceux qui le voudroient reconnoure ou defavouer. Ce jugement donna Palarme a M. Rolland qui fe rendit promptement a. Toulon, & mit tout en oeuvre pour en empêcher 1'exécution. II commen^a par fe rendre formellement partie contre le foldat, en Paccufant de fuppofition de nom & de perfonne. Celui-ci, informé de 1'arrivée de fon oncle, fouhaita de le voir, pour tenter, difoit-il, de rappeller en lui les fentimens naturels. M. Rolland, qui parut craindre cette épreuve, la recula tant qu'il put-, mais  du fieur de Caille. 163 le public murmuroit hautement de fon refus; la bienféance le forca enfin de fe préfenter. Entre un grand nombre de particularités que le foldat lui rappella dans leur entretien, il en eft une qui embarrafta beaucoup M. Rolland, & qui ne laifte pas de mériter attention. Ce magiftrat, après avoir exercé avec honneur la profenion d'avocat au parlement de Grenoble, pendant plus de trente ans, fut pourvu de la charge d'avocat général en la même cour. II avoit été élevé dans la religion de Calvin; &, pour ne pas perdre fon état, il 1'avoit abjurée en 1685. On comprend que la plupart des abjurations faites a cette époque étoient plutot infpirées par 1'intérêt, que par la confcience, & qu'une partie de ces prétendus convertis confervèrent dans le cceur 1'amour des erreurs qu'ils avoient paru abandonner. M. Rolland fut accufé par le foldat d'être du nombre de ces hypocrires qui n'étoient catholiques qu'aux yeux du gouvernement. En eftet il lui reprocha en face qu'il 1'avoit vu a Genève , depuis fon abjuration, faire la ccne avec les proteftans. M. Rolland ne put foutenir ce reproche. II cacha fon trouble, en fe retirant précipitamment.  i6"4 Hijloire du Fits &répondant, en termes vagues, que c'étoit le langage d'un impofteur; & il eft bon de remarquer que ce fait eft conngne dans une Information qui eft au proces. Deux motifs animoient donc M. Rolland a la pourfuite de faccufation qu'il avort intentée contre Ie foldat: 1'intérêt lecret qu'il avoit confervé pour une religion qu'il pranquoitfurtivement, nonobltant le voile de converti fous lequel f s«olt & Ie defïr de garder les biens de la maifon de Caille qui lui alloient etre enlevés, fi 1'héritier de cette mailon, devenu catholique, parvenoic a le raire reconnoïtre. Cependant il appréhendoit les fuites de la fentence qui autorifoit le foldat a faire les demarches nécelTaires pour acquenr les preuves de fon état. Celui-ci en demanda l'exécution. Mais M. Rolland eut le crédit de 1'arrêrer : il ordonner, par le lieutenant-criminel de 1 oulon que cette demande feroit iointe a la procedure criminelle. Le foldat interjetta appel de ce iugement qui, dans le fait, étoit contraire au premier. M. Rolland, de fon cóté interjetta appel de Ia fentence du iS feptembre. Le parlement d'Aix , fcifi de  du fleur de Caille. 16^ 1'arraire par ces appellations refpeétives, ordonna que 1'accufé feroit -transféré de Toulon a Aix. Dans le cours du voyage , il fut accompagné par le nommé Auvray, conciërge des prifons de Toulon, & par les trois apoftés dont on a parlé, Silvy, Carbonnel &c Cleron. Le conciërge, a la garde duquel il étoit confié, lui laiffoit toute liberté, paree qu'il étoit bien für qu'il n'avoit nulle envie de s'enfuir. Ce conciërge fut entendu dans 1'information dont on va bientót parler. Ecoutons fon témoignage : « Traduifant le 3> prifonnierde Toulon a Aix, étant, fur » le minuit, prés le bois de Conil, le » dépofant s'arrêta pour quelque né» ceffité, & ledit de Caille, Silvy, Car» bonnel & Cleron s'étant avancés, le n dépofant entendit crier ledit de Caille, »> difant: monjieur Auvray, vene\ a moi, 55 verleg vtte ; ce qu'il répéta plufieurs 53 fois) & le dépofant y ayant accouru, 95 entendit que ledit de Caille 1'avoit >3 appellé, paree qu'on lui vouloit don33 ner de 1'argent pour s'en aller, ou bien i3 qu'on 1'affallineroit, remarqua, lui qui 33 dépofe, que quand ledit de Caille fe j3 plaignoit, les trois autres reftèrent jj fans repartir, & fe moquoient enfuite,  166 Hijloire du Fils r> fans comparaifon, comme Pon fit du 53 fils de Dieu; & entendit même ledit 33 de Caille fe plaindre qu'au lieu de >3 donner du fouet a fon cheval, on lui 33 avoit porté un coup fur les reins; & 33 étant arrivés a Aubaigne, au logis de 53 la tête noire, lefdits Silvy, Cleron & »> Carbonnel, avec ledit de Caille, fer-°#5 més dans une chambre, faifoient en33 tre eux beaucoup de bruit, & pref3> foient ledit de Caille de figner un 33 écrit, dont il fe défendoit,ne voulant 3» pas y confentir ». La dernière partie de cette dépofition a donné lieu aux défenfeurs de M. Rolland de prétendre qu'elle étoit faufle dans fon entier. II eft conftant, difoientils, qu'en 1699, tems auquel la dépofition fe rapporte, le foldat ne fcavoit ni écrire, ni figner. II n'a fignéen aucun endroit de la procédure de Toulon, qui ■ff duré jufqu'au mois de mars 1700. Ce n'eft que depuis qu'il fut traduir a Aix, qu'il apprit, dans la conciergerie, a gritfonner un feing. La dépofition, difoit-on, eft donc faufte, & doit être rejettée. II eft impoffible que des gens qui étoient attachés a ce foldat aient voulu hu faire faire une chofe, dont certainement ils le connoiftoient incapable.  du fieur de Caille. x6y II y avoit, ce me femble, une réponfe fort iimple a cette obje&ion. Ces trois hommes avoient été apoftés depuis peu, pour tromper le foldat, & environner fa ftupidité de pièges continuels, mais ils n'avoient pas eu le tems de le pratiquer affez, pour étre inftruits s'il fcavoit, ou ne fcavoit pas écrire. D'ailleurs il eft tout naturel de penfer qu'ils préfumoient que le fils de M. de Caille fcavoit écrire , & qu'ils prenoient le refiis qu'il faifoit de figner, fous prétexte de fon ignorance,.pour une mauvaife défaite qui, loin de les appaifer, les excitoit a le maltraiter. On n'expliquera point les différens incidens qui, après avoir fait porter 1'affaire au parlement d'Aix, & renvoyer dela au premier juge, la retinrent enfin au parlement. Il fuffit de dire que, par arrêt contradictoire du i 8 juin i joo, il fut permis au foldat de prouver fon état, & a ceux qui le conteftoient, de faire une preuve contraire. Tout ce qui tendoit a fufpendre les projets de M. Rolland, fembloit 1'alarmer. II avoit interjetté appel de la fentence de Toulon, qui avoit admis le foldat a la preuve de fon état. Il n'auroit pas manqué de fe pourvoir aufli,  if$8 Hijloire du Fils s'il eut pu, contre 1'arrêt qui ordonnoit Ia même chofe ; mais c'étoit un arrêt contradictoire; il falloit 1'exécuter. Une chofe néanmoins le raffuroit. II fcavoit que fon adverfaire étoit dénué de tout; que fon indigence le mettroit horsd'état d'avancer les frais de Tenquête ; & qu'ainfi 1'arrêt, dont il craignoit fi fort les fuites, deviendroit inutile. Dans cette vue, pour prévenir les fecours qu'il avoit a. redouter de la part des ames charitables & compatiffantes, il preflbit finftruétion avec une chaleur dont il eft peu d'exemples. Tous les jours on voyoit éclorre, de fa part, des demandes a ce que 1'accufé fut déchu de fa prétention, faute d'avoir fait fon enquête. II obtint même un arrêt qui ne donnoit, pour cela, qu'un délai de cinq jours; enforte que 1'état & la vie du malheureux couroient rifque d'être facrifiés aux rigueurs de Ia procédure. Les charités s'ouvrirenr enfin, & mirent 1'accufé en état de faire les pourfuites ordonnées. II fut d'abord reconnu a Aix par beaucoup de perfonnes. Mais plufieurs de ceux qui 1'avoient reconnu évitoient de le déclarer; on redoutoit le crédit de M. Rolland. II fallut donc -avoir recours a la voie fecrete du monitoire,  du fieur de Caille. 169 nitoire. M. Rolland s'y oppofa encore -y mais fon oppofition ne fervit qua manifefter fa crainte. II y eut des enquêtes & des monitoires de part & d'autre. M. Boyer d'Aiguille, en fa qualité de rapporteur, fe tranfporta a Toulon, a Manofque, a Caille, a Rougon, dans tous les lieux, en un mot, oü la familie du fieur de Caille étoit connue; & part-out 1'accufé, qui 1'accompagnoit, fut reconnu avec acclamation; par-tout il y eut, en fa faveur, des reconnoiifances formelles, ou des déclarations qui tendoient a le reconnoitre. M. Rolland, de fon cóté, profitant de 1'imprudence qu'avoit eue le foldat de fe faire paifer, pendant quelque tems, pour Pierre Mège, travailloit a établir qu'il 1'étoit véritablément. La difriculté ne coniiftoit pas a trouver des gens qui 1'euffent connu fous ce nom, puifque certainement il 1'avoit porté ; mais il falloit leur faire dire qu'ils 1'avoient connu comme tel dans un tems antérieur a celui ou il difoit avoir ufurpé ce nom. Or il étoit aifé de leur faire confondre les tems ; il n'y avoit qu'a antidater celui oü le demandeur s'étoit donné publiquement pour Pierre Mège; & ce fecret,que M. Rolland, difoit-on, Tomé UI. H  170 Hijloire du Fils avoit fi habilement mis en ufage, faifoit tout le myftère de fon enquête, qui certainement, au premier coupd'ceil, paroifloit concluante. Avant que d'aller plus loin dans 1'hiftorique- de cette affaire, il faut établir plufieurs faits qui font la clef de 1'arrêt rendu en Provence. 1 °. M. Rolland étoit dans la mauvaife foi, fcachant bien que celui qu'il perfécutoit étoit fon neveu. 20. II a fuborné plufieurs témoins. 30. II a commis, de fa propre main, plufieurs faux, & a altéré des aófces qui étoient décififs contre lui. A ces faits, il faut ajouter ceux d'empoifonnement 8c d'affallinat, dont on a parlé plus haut. Voici les preuves de la mauvaife foi de M. Rolland. Etant un jour a Sifteron avec fa femme, ils fe retirèrent le foir dans leur chambre, 8c la maitreffe du logis, paffant devant leur porte, les entendit fe quereller, La curiofité lui fit prêter 1'oreille, 8c elle entendit madame Rolland qui difoit a fon mari: pour quoi tourmente\-vous fifort cepauvrt garcon ? 11 eft votre neveu ; vous le fcavei bien. N'efi-ilpas tems enfin de ceffer la perfécution que vous lui faites ? Sur quoi M. Rolland , en colère, traitoit fa femme de folieè & lui commandoit defe  du fieur de Caille. iji M. d'Aiguille rapporteur, étant un jour au paiais pour entendre des témoins , madame Rolland s'y trouva avec 1'accufé. Celui-ci, avec le ton brufque qu'il a ordinairement, fe plaignit a elle, de ce qu'elle avoit la cruauté de le défavouer contre fa confcience; & afin de la forcer a le reconnoïtre, en lui faifant voir qu'il fcavoit des particülarités qui s'étoient paflées entre elle & lui: vous fouvene^-vous , ma tante j^lui dit-il, que vous f nes cuire che^ nous , en V abfence de mon père , un cochon de lalt, & que vous le cachdtes, des que mon père, qui ne peut pas feulement fouffrir 1'odeur de cette viande, fut arrivé au logis ? Madame Rolland, toute troublée, & rougiflant: vous êtes un impofteur , dit-elle , c'ctoit un agneau. A 1'inftant tous ceux qui étoient préfens lui dirent: vousy étie\ donc , madame, & 1'accufé y étoit auffi. Que ce foit un cochon ou un agneau , la chofe cfl donc véritable; & par conféquent 1 accufé qui la fcait, & qui ne l'a appriji ni de vous, ni de perfonne, ne la peut fcavoir que par lui même. II eft donc votre neveu, & vous le connoiffei donc pour tel. Paflons aux falfifications & a la fubornation des témoins. M. Rolland avoit mis dans fes intéréts un fieur Fauque, Hij  172 Hifloire du Fils curé de Rouffillon, commis pour recevoir les révélations, en conféquence des monitoires. Ce curé, abufant de la fimplicité de fes paroifliens, & de 1'afcendant que fon caraótère lui donnoit fur eux, leur préfentades révélations toutes dreflees, qu'il leur fit figner. II pouffa 1'infidélité fi loin, qu'il a eu 1'affront de fe voir défavoué fur des faits elfentiels qu'il avoit mis dans la bouche des témoins , contreileur intention, & contre la vérité. Dix entr'autres lui reprochent, non-feulement d'avoir écrit, dans fon cahier de révélations, des chofes fort effentielles dont ils n'avoient pas dit un mot, mais d'avoir écrit le contraire de ce qu'ils avoient dit, & de leur avoir fait figner leurs révélations, aux uns plufieurs jours, aux autres plufieurs mois aurès qu'ils les avoient faites, & fans leur en donner leclure. Ces témoins font les 98% 99E, iooe, ioie, 103% 105°, io6e, ii4e, 116% ii7edel'enquête de M. Rolland lui-même. A cette prévarication énorme, le curé en ajouta une autre, qui ne 1'eft pas moins. Quand ij eut rédigé, a fa manière, les révélations, il les envoya a. M. Rolland lui-même, qui étoit la partie y & eet avocat général qui, par état,  du fleur de Caille. I73 eft obligé, non-feulement de fcavoir que ces procédures doivent être enveloppées du plus profond fecret, mais de maintenir Pexécution de la loi qui ordonne : ce fecret, ne fit pas difficulté de les recevoir 8c de les examiner. II fit plus; il abufa de cette criminelle confiance, 8c , commit, de fa propre main, des changemens eflentiels de mots 8c de dates t I c'eft ce qu'il faut encore expliquer. Dans 1'idée qu'avoit M. Rolland de i faire pafter le foldat pour Pierre Mège, il falloit lui adapter Page & les adions I de ce Pierre Mège. II éroit certain, par j exemple, que celui-ci étoit a Mefline 1 en 1676. Cependant Jean-Pierre Odol, I vingt-unième témoin de 1'enquête de I M. Rolland, avoit dit, dans fa révéla|i tion, qu'il avoit connu Pierre Mège a , Joucas, qu'il 1'avoit connu vingt-fix ans I avant fa révélarion. II auroit réfulté dela I que la connoiflance avoit commencé en | 1676'; 8c cependant le véritable Pierre \. Mège étoit alors a Mefline. Que fait i M. Rolland, pour fauver cette contraI diétion? II met en chiffres le nombre I zo, au lieu de celui de 2.6. Quelques I autres témoins difoient aufli qu'il y ; avoit 14 a 15 ans qu'ils avoient vu tra1 vailler Pierre Mège a Joucas; 8c par-la, Hiij  174 Hiftoire du Fils ils romboient dans la même faufteté, paree que Pierre Mège n'étoit revenu de Me/fine qu'après 167 8, & les révélations fe faifoienten i'7oi. M. Rolland; ne pouvant concilier ces dates avec fon intérêt, a pris fur lui de changer les chiffres ; il a mis 20 & 11 a la place de 24 & 25. En d'autres endroits, il a mis tantöt 1 8, au lieu de 15; tantót 6 3 , au keu de 3 3 ; tantót 17, au lieu de 16. Les dates étoient décifives, paree que te foldat pouvoit avoir été pris pour Pierre Mège, dans le tems qu'il vouloit lui-même paffer pour tel; mais il s'agifiqit de faire dire aux témoins qu'ils avoient connu le même individu, fous le même nom, dans un tems antérieur. Auffi M. Rolland n'a pas manqué de les y engager par le miniftère du prieur de Rouffillon; & comme ce prieur, en travaillant fuivant les vues de celui pour qui il trahiffoit fon miniftère, avoit laifle glilïer des contrariétés dans les révélations^. Rolland, plus éclairé & plus attentif, changea, de fa main, toutes les dates qui pouvoient donner lieu a des induétions contre lui. Le même prieur avoit fait dire qu'un particulier nomme Dumefni/ne fcavoit pas figner, le fait étoit faux. M. Rolland  du fieur de Caille. 17, apprchenda qu'on n'en établit la fauf' fetc en rapportant quelque fignature de ; eet homme. U a effacé tout ce quiconi cernoit ce fait. Il s'eft en outre permis : des changemens de mots, &, poui: 1'exi cufer de cette prévarication, on dijoit j que ce n'étoit que des corrections d'orI tographe. < , On ne s'arrêtera point a faire des re- • flexions fur ces intidélités ; elles fe préfentent d'elles-mêmes; & l'on voit d'un coup-d'ceil 1'influence qu'elles doi- ' vent avoir fur toutes les preuves admi- niftrées par M. Rolland. Voici encore une de fes manoeuvres, I qui n'eft pas moins criminelle que celles ] dont on vient de parler. Le foldat con- vient qu'il s'eft enrólé fur les galères en \ 1695 ; c'eft le feul enrolement qui lui • foit propre, avec celui qu'il venoit de ] contraóter i Toulon immédiatement avant fon abjuration, les autres qui paroiftbient fous le nom de Mège, étoient du véritable Mège de Joucas. M. Rolland , qui a vu le même nom écrit plufieurs fois fur les regiftres des galères, a entrepris de faire croire que c'étoit toujours la même perfonne. Mais comme 1'accufé, en prenant le nom de Mège, avoit ajouté ces mots, dit Sans-regret>  xjG Hifloire du Fils èc que les mêmes mots ne fe trouvoient pas dans les enrólemens du véritable Pierre Mège, M. Rolland les fit inférer entre lignes dans 1'enrólement du véritable Mège, fait en 168 3; & , pour i denrifier encore mieux les deux individus, il fit mettre aufii entre lignes, dans 1'enrölement de 1'accufé, en 1695 ,ces mots., c'eft le même. II fe fervit, pour cette falfification, de la main d'un commis du fieur Croizer, commilfaire général.des galères, qui délivra enfuite, fur une feule feuille de papier, les extraits de ces deux enrólemens; & dans cette expédition, les mots Sans-regret & c'eft Ie même, qui avoient été ajoutés après coup fur 1'original, ne paroifioient plus une addition, & faifoient partie du corps de 1'écrit. Mais eet artifice a été découvert: le fieur Croizet, qui n'y avoit d'autre part, que de s'ètre trop fié a fon commis, a donné depuis, de fa propre main, une copie de ces deux enrólemens, oü les mots ajoutés dans la première ne fe trouvent plus. On ne peut regarder ce changement comme une addition involontaire échappée a la plume du commis ; ce font des mots trop efientiels &c trop marqués pour être le pur efiet du hafard.  du (leur de Caille. 177 ' On ne peut dire non plus que ce foit 1'ouvrage de ce commis feul : quel intérêt auroit-il eu dans une addition de \ cette nature? 11 faut donc en imputer : tout le blame a M. Rolland, qui y trou1 voit feul fon avantage, & qui, étant convaincu de plufieurs faulfetés dans la 1 même affaire, doit être regardé comme 1'auteur de celie-ci: femel malus ,/cmper pr&fumhur malus in eodem genen mas litia. Ces précautions ne fuffifoient pas en^ core pour la tranquillité de M. Rolland» | L'accufé, fuivant fon emólement de 1695 , «'avoit que 25 ans; & le véri; table Mège, fuivant celui qu'il avoit 1 contraété en 1676, n'avoit alors que zo 1 ans. Ainfi, quand il s'enrbla en 1680, il devoit avoir 24 ans, & , par la même raifon, il en auroit eu 26 en 168 2 , 27 en 1685, 28 en 1684, 3.5 en 1691, Cependant, quoiqu'il eut 20 ans dès 1666, on lui donne toujours le même age dans rous les enrólemens fuivans, jufqu'a celui de 1691 , dans lequel on ne lui en donoe que 22 ; enforte que,. dans quinze ans, il n'a avancé en age que de deux ans. Cette faulfeté eft trop ! fenfible, & trop fouve&t renouyellée > pour être 1'effet de i'inattenriou 5e de= Uv.  178 Hifloire du Fils 1'oubli. Pierre Mège n'avoit nul intérêt de cacher fon age; il ne pouvoit pas ignorer que 15 ans après fon premier enrólement, il fe trouvoit plus agé que dans ce rems la. D'oii vient donc cette lenteur affeótée dans le progrès de fes années ? Elle ne peut venir que de 1'intérêt qu'avoit M. Rolland de faire paroitre Pierre Mège beaucoup moins agé qu'il ne 1'étoit, afin que fon age approchat davantage de celui de l'accufé, &c que, par-la, il fut plus facile de confondre les perfonnes. Et la preuve fenfible que c'eft fon ouvrage, c'eft que, d'un cóté la fauffeté fur ce point eft cerraine;& que, de 1'autre, 1'addition des mots Sans-regret & c'eft le meme s ne 1'eft pas moins; & que ces fauffetés, ayant toutes le même objet, étant faites dans la même vue , & par rapport a la même affaire, ne peuvent naturellement être imputées qu'a celui qui y trouvoit fon avantage, & qui fe fert des pièces oü elles fe trouvent: cul prodeft Jcelus , is frciffe pr&fumitur. Ces titres ainfi préparas n'étoient pas encore fuflifans pour conduire M. Rolland a'fon but; il falloit les étayer d'une enquête d'oü il put réfulter que Pierre Mège & l'accufé étoient la même per-  du fisurde Caille. 179 fonne. Mais cette preuve, qui alloit aa détriment de la vérité, ne pouvoit s'acquér-ir que par la bouche de témoins fubornés & corrompus. C'eft a quoi M. Rolland a travaillé, Sc a réuffi. La preuve que ce magiftrat n'a rien oublié pour fuborner les témoins, eftadminiftrée par les témoins mêmes. Oncopiera, dans la fuite, la dépofition entière d'une des nourrices du fils du fieur de Caille. On y verra les diftcrens mouvemens que M. Rolland s'eft donnés pour la féduire, Sc 1'empêcher de dépofer. Il la fit venir chez le maire de Manofque oü il étoit, & oü il avoit pris foin d'affembler un certain nombre de gens dévoués a fon parti. La, on lui demande adroitement fi elle connoit encore le fils du fieur de Caille qu'elle a nourri ; elle appercoit, en même tems, le laquaisde M. Rolland, Sc M. Rolland lui-même qui fe cachoit ; elle voit autour d'elle plufieurs perfonnes attentives acequ'elle alloit dire ; il n'y avoit pas de füreté pour elle a expliquer tout ce qu'elle fcavoit ; elle fe contente de faire fur cela quelques difcours vagues, Sc fe retire. On tache, quelques jours après, de la faire venir une feconde fois dans la meme maifon; elle refufe d'y aller. On revient  ï8q Hifioire du Fits une troifième fois a la charge ; elle refufe encore. Le valer, qui éroit chargé de la eommiöïou, la prelfe ; il 1'afture quW/ du fieur de Caille, non-feulement 53 paree qu'elle 1'a achevé de nourrir; * mais elle continua de le fervir encore lij  1-9 6 Hijloire du Fils » pendant le tems qu'elle, qui dépofe j3 nourrifloit une fienne fceur dans la « maifon du fieur de Caille, & faifoir sj coucher avec elle ces deux petits en33 fans qu'elle avoit nourris, & qu'on 33 lui avoit confiés; Sc fevra pareillement 33 la fille, qui n'a pris d'autre lait que 3> de la dépofante. Le gancon avoit été 33 véritablement nourri, au commence33 cement de fa naiflance, par d'autres, 33 Sc notamment par la nommée Cathe3* rine, dite, de faux nom, la Guinche. 3j Mais encore celle qui dépofe fe fou33 vient très-bien que ce jeune enfant =9 avoit eu, toute fa vie, de la recon39 noiflance pour elle qui dépofe,8c elle, une tendrefle naturelle pour lui; ce qui 33 le portoit a. vifiter fouvent la dépo3s fante, quand elle fut fortie de la mai33 fon du fieur de Caille, oü elle avoit s? gagné dix-neuf écus par an, Sc la vie 33 pendant trois ans, après lefquels elle 33 fréquentoit familiérement Sc en toute as liberté dans cette maifon : 8c de fon s» cóté la dépofante n'a jamais refufé de 3s rendre a cette familie tous les fervices 3? qui ont dépendu d'elle. N'a pas de s? plus oublié la dépofante, que le fils du s3 fieur de Caille a marqué, dès fon enp fanee, un efprit folatre, qui fe perdoit  du fleur de Caille. 197 js a tout moment, d'abord qu'il put mar■>■> cher feul \ auquel on ne pouvoit don35 ner aucun principe, 8c qui jettoit les >> livres dans le feu, quand on le preffoit 33 d'éuidier. Avoit les yeux pleureux & 33 chaffieux dès 1'enfance; & quand il fut 33 devenu un peu grand, & qu'on com33 menca a 1'envoyer a 1'école, ce jeune 33 enfant recut un coup de pierre fur le 33 front vers 1'ceil, pour lequel on lui 33 coufit la plaie qui lui avoit été faite 33 par le nommé Clément ; & quand 33 cette plaie fut fermée, il lui furvinr 33 une tumeur derrière l'oreille,qui fup33 pura quelque tems, & lui doit avoir 33 laiffé une cicatrice. Comme auffi le 33 même enfant a eu mal a un genou, 8c 33 doit y avoir une autre cicatrice, que 33 la dépofante lui a vu pareillement pan33 fer par le nommé Gandevez, méde33 cin de la maifon du fieur de Caille. Et 33 quand cette plaie fut guérie, & qu'on 33 obligeoit ce gentilhomme d'aller a 331'école apprendre a lire &c a écrire, il 33 le refufoit toujours, & n'a jamais"pu 33 apprendre quoi que ce foit, paree qu'il 33 ne le vouloit pas, Sc qu'il étoit trop 33 emporté; 8c avoit les cheveux longs 33 8c abattus, un peu obfeurs ; les yeux 33 enfoncés 8c pleureux, pour raifon de liij  198 Hifloire du Fils » quoi la dame fa mère lui faifoit porter » une petire emplatre en forme de luftre, » a la naiflance de Pceil contre le nez., » pour arrêter 1'eau de lafluxion. Et lorfsj que ce gentilhomme commen^oit a >j grandir, fa familie quitta le royaume y » & depuis la dépofante n'en a plus en« tendu parler, qu'environ un an, ou 35 plus, que deux foldats d'Epinoufe , qui font fcieurs de bois, & trois frè» res, dirent a la dépofanre qu'ils ve» noient de Toulon, & qu'ils avoient 3' vu le fils du fieur de Caille en prifon, 33 ce qui furprit la dépofante. Et il y a 33 environ trois ou quatre mois, vers la 33 faint Michel dernier, qu'elle fut man>3 dée venir par le maire de Manofque, 33 qui s'appelle Brunet, & que l'on nom>3 moit le maire a Manofque, paree qu'il 33 avoit acheté un nouvel office de maire; >3 & s'étant j elle qui dépofe , rendue d la 33 maifon dudit Brunet, pour fcavoir ce 33 qu'il pouvoit demander d'elle , & étant j> entree dans la cuijtne3 elle obferva que »3 M. Rolland s'étoit caché derrilre la 33 porte, & ne laiffoit pas d'être appercu3 »3 & le laquais de M. Rolland étoit contre 33 la rnai d pêtrir, tout droit; le nommé 33 Ruffin de la grande rue , dont le frère 39 ejl curé, étoit prefent dans la cuifine  du fieur de Caille. 199 » avec la demoifelle Brunet, le précep„ teur des enfans dudit Brunet, qui eft « étranger , & un nommé Berrcnguier, „ notaire d Manofque , qui loge dejfus le « college; & tous enfemble aaenüjs a ce ,■> que la dépofante avoit d dire. Ledit ,3 Brunet, qui defcendit par une petite 5) porte d trois d, grés , commenca d'inj) terroger la dépofante, en lui demandant „fi elle connoifoit encore le fils du fieur „ de Caille au elle avoit nourri, dijant qu'elle ne vouloit rien dire, & 33 qu'elle n'avoit point affaire d'y aller; Iiv  200 Hiftoire du Fils »&nonobfiant cette réponfi , une troi»fièmefois, Ie valet dudit Brunet, deux » jours après3vint encore appelier la dé» pof ante pour le même fujet, & la preffa » d'y aller, lui promet tant qu'elle neper« droit pas fes peines ; & cette of re ne put »porter la dépofante d fe rendre d cette » infante prière , ni aux offres qu'on lui «faifoit. Et depuis, ayant été affignée » pour etre ouïe, a la requête du fieur de » Caille, elle s'eft rendue en cette ville» & au moment de fon ferment, a rel » connu, en la perfonne de celui qui fe » dit fis du fieur de Caille, le véritable » enfant qu'elle a nourri, & n'a pu fe » contenir de pleurer, reftant en elle un » mouvement intérieur, & tout ensemble une douleur fenfible de le » voir en 1'état qu'il eft, après 1'avoir » vunournr fi délicatement; a reconnu » le même air, les mêmes cheveux, la » plaie du front, l'autre derrière l'oreille, » les yeux chaffieux & meurtris ; & n0n » contente, a voulu lui faire dépouiller un » defesgenoux, auquel elle a obfervé une » plaie qu'il avoit eue dès fa jeunefè, & » que la dépofante a vu panfer au fieur » Gandevei dont U faifoit; mais la dépofante avoit cette 33 précaution de tenir toujours la main 33 levée, pour menacer eet enfant, 8c 331'empêcher de 1'a mordre : fe fouvessnant, elle qui dépofe, qu'il falloit 33 avoir tous les jours foin d'éclaboulfer 33 du lait fur fes petits yeux, pour dé33 tremper les chaffies donr il a été at33 teint dés fa naiifance, & qui ont, dans 33 la fuite, obligé la dame fa mère de lui 33 tenir une emplatre au coin de 1'ceil, 33 vers le nez, en forme de luftre, pour 33 détourner la fluxion; avoit les os des 33 joues relevés, les joues maigres & en33 foncées: & quand il eut atteint 1'age 33 de neuf ou dix ans, recut un coup de 33 pierre fur le front, par le nommé Clé33 ment, qu'on appellé Claude, & qui a 33 le pied tourné, & qui fe traine en 33 marchant; & la dépofante fe fouvient 33 que, quand eet enfant recut le coup de 33 pierre, toute la ville le croyoit mort, 33 ce qui effaroucha & étonna extraordi3j nairement la dépofante, qui fe rendit 30 d'abord chez lui, & le vit panfer fiu* 33 le champ; 8c quelque tems après, & 33 quelques jours avant que cette familie  du fieur de Caille. 10$ » fortit du royaume, ce jeune gentii33 homme étarft chez la dépofante, prit 33 la ftbérté de fe mefurer avec celle qui 33 dépofe, & lui donnant un coup fur le 33 menton pour faire haufter la tête a la | 33 dépofante, fe préfenta contre elle, &£ 33 ne venoit alors, quoiqu'il fe hauflat » fur le bout du pied, qu'au menton 33 d'elle dépofante, & connut que la i 33 paftion de eet enfant étoit de pafter la 33 taille de la dépofante, qui eft mé- j 33 diocre, ni grande ni petite. Et depuis 33 n a plus entendu parler de lui qu a 33 cette occafion qu'étant alfignée pour 33 dépofer dans le palais, a vu entrer, en 33 notre préfience, le même fils du fieur de 33 Caille, qu'elle a vu & connu d Manofi33 que pendant tout le tems qu'il y a été, 33 qu'elle a allaité, & dont elle porte les 3; mdrques qu'elle ne peut ouhlier, s'étanc 33 elle trouvée failie intérieurement d'a33 bord qu'elle 1'a vu Sc entendu, & n'a 33 pu retenir fes larmes, le jeune homme 33 lui ayant parlé au cceur au même mo33 ment qu'il a paru, & qui n'a changé „ que de taille, ayant les mêmes yeux 3) chajjieux & meurtris, la cicatrice au 33 front, les cheveux abattus, Vair em33 porte, le même ton de voix & le même " v!fiage> offirmant, elle qui "dépofe, a la Ivj  204 Hijloire du Fils » damnation de son ame , que l'tft le 33 véritable fils du fieur de Caille, le même « qu'elle a allaité, vu & fréquente d Ma» nofque, jufqu'a la forti e du royaume, » & qui peut avoir préfentement } i ans j 35 Sc plus n'a dit fcavoir ». II ne peut pas y avoir de reconnoiffance plus formelle, ni mieux détaillée, que celles de ces deux nourrices. En voici une troifième qui va parler. "Anne Reine, i37e témoin, agée >■> d'environ 66 ans, dépofe avoir fré33 quenté dans la maifon du fieur de 33 Caille, & fe fouvient que la dame de 3> Caille envoyoit prendre, de tems en 33 tems, elle qui dépofe, pour donner 3> du lait a fon fils, encore en nourrice, 33 toutes les fois qu'elle en vouloit chan» ger; & avoir, la dépofante, obfervé, 33 avec ladite dame de Caille, qu'on ap33 pelloit dame de Rougon, que ce jeune 3> enfant avoit les jambes fort minces„ 35 & le gras de la jambe fort haut* s3 comme fon grand - père de Saint35 Etienne. Et les petits fervices que la 35 dépofante avoit rendus a eet enfant, 33 avoient procuré a elle qui dépofe fon 33 amitié, qui portoit ce jeune homme a 33 vifiter la dépofante dans fa maifon » avec toute liberté j Sc quand il fut  du fleur de Caille. 205 % devenu un peu plus grand, & qu'on „ lui eut donné le haut-de-chauifes, fe „ fouvient, elle qui dépofe, qu'un jour »> qu'elle avoit ourdi une pièce de tode „ pour la dame de Rougon fa mère, ce » jeune enfant jettoit les noix de la » dépofante par la fenêtre a d'autres en„ fans de la rue, dont fa mère le voulut „ maltraiter, & a la follicitation de la „ dépofante, elle ne le fit pas. Et tout „ préfentemcnt la dépofante s'eft appercue „ que le prifonnier, qui fe dit fils du fieur „ de Caille, a les mêmes jambes mennes^ „ & les ayant, elle qui dépofe, voulu 1. toucher, s'eft appercue que le gras d'i„ celles eft au plus haut de la jambe, & „fort élevé, comme il étoit dans fa jeu„ nefte; & a raconté ledit prifonnier 1'a„venture des noix, & l'obligation qu'il „a d la dépofante de lui avoir fauvé la „ correclion dejeue fa mère, pour avoir „jettêles noix d'elle qui dépofe, par la „fenêtre; ajjurant la dépofante, avec „ AUTANT de termete que si elle de- „ rosoiT devant Dieu, étant préte „ a mettrf. la MAIN au feu , qut Ce « nrifonnier au elle a vu d fon ferment, „ & qu'elle a depuis touché & interrogé „ en notre préfence, eft le même & le vét> ritable fils du fieur de Caille, qu'elle  %0 6 Hijloire du Fils 3j a allaité, connu & fréquente d Ma» nofque, dans fa jeunejfe: & plus n'a 3J dit fcavoir Voici encore unequatrième nourrice, qui tient a-peu-près le même langage , & qui ajoute deux faits bien elfentieis , qui prouvent de plus en plus, & que M. Rolland a fubomé & corrompu les rémoins, & que le curé qui a recu les révélations a prévariqué. Catherine Peiron, 139e témoin, agée d'environ 50 ans, a dit avoir révélé : « que la dame de Fontienne étanr 35 dans la maifon de la dépofante, pour 55 prendre fa copie de 1'affignarion en 33 témoin, auroit dit qu'elle connoijfoit 33 une femme, d qui on avoit donné deux 55 louis d'or pour l'empêcher de dépofer 55 en faveur du prifonnier; & qu'il y a 35 environ fept ans, a ce que la dépo33 fan te déclare, que ledit prifonnier fut 33 dans la maifon d'elle qui dépofe, lui 33 fauta au cou, en la nom mant ma mère 35 boiteufe; &, quoique, dans la révéla33 don de la dépofante, il dit été écrit 33 au'elle ne le reconnut pas dans cette 33 occafion, néanmoins elle déclare pré„fentcment avoir dJclare\ révélé tout au 33 contraire, qu'elle avoit reconnu le fils » du fieur de Caille aux yeux chaffieux,  du fieur de Caille. 2.07 » aux cheveux a mèches & aux ]ambes „menues, aïnfiqu'elle les lui déclara en » révéiant, & le fouüent encore pour le » véritable fils du fieur de Caille, qu'elle 35 a nourri pendant fept mois, 6c qui a » eu plufieurs nourrices •, & ia dépofante » a continué de le voir 8c connoitre pen33 dant une quinzaine d'années, jufques 3> a tems qu'il eft forti du royaume, 6c 33 peut avoir environ 3 4 ans; ne pouvant 33 bien compter au jufte, qu'autant que 33 la mémoire lui peut fournir: 6c plus 33 n'a dit fcavoir ». Arrêtons nous un moment fur deux léftexions que fait naitre le rémoignage de ces nourrices. i°. Tant que le procés a etc pendant en Provence , M. Rolland n'a point nié qu'elles n'euftent nourri le fils du fieur de Caille. Les reproches qu'il a fournis en font foi. II y a même, dans 1'information qui fut faite a Toulon , un témoin nommé Fleur, qui parle d'Efprite Martine comme d'une des nourrices du fils du iieur de Caille ; 6c ce témoin ne pouvoit ét re fufpect a M. Rolland, puifqu'il a été entendu a fa requête. i°. De toutes les perfonnes qui peuvent reconnoitre un fils de familie, il n'y en a point qui mentent plus de  ao8 Hifloire du Fils croyance, que celles qui lont nourri; paree que la longue habituele de le voir, la connohTance qu'elles ont de tout ce qui regarde fa perfonne, les acces & les relations qu'elles confervent dans fa familie , les impreflions qui leur reftent de fon air & de fes manières, ne permettent pas de croire qu'elles aient pu s'y méprendre. Ainfi, quand l'accufé n'auroit pour lui que le témoignage uniforme des nourrices qu'il a eues fucceflivement, c'en feroit aflez pour ne pas douter qu'il ne füt le fils du fieur de Caille, puifqu'elles 1'ont toutes également reconnu pour tel, tk avec des particularités & des détails qui convainquent les plus incrédules. On ajoutera ici la dépofition d'une femme chez qui le fils du fieur de Caille avoit été mis par fa grand'mère, après après avoir été fevré; c'eft le 38eTe témoin. « Louise Mondete, &c. a dit avoir «connu, depuis fa première jeuneffe, « la familie du fieur de Caille, & fré»> quenté ordinairement dans fa maifon, » fe fouvenant que le fieur de Caille » avoit deux filles & un garcon , lequel 33 n'avoit pas, dans fon enfimce, beauP coup de fanté, & auquel on fut obligé  du fieur de Caille. 209 n de changer cinq a fix fois de nourrice, » & après avoir ére fevré, il fut remis jj a fa grand'mère, laquelle n'en pre33 nant pas tout le foin néceflaire a un 33 enfant de eet age, le remettoit par 33 diverfes fois a la dépofante, pour en 33 avoir foin; lequel, étant devenu un peu 33 plus grand, fut atteint des écrouelles, 33 qui lui firent quelques ouvertures au 33 bas d'une jambe ; & fe fouvient, elle 33 qui dépofe, que eet enfant étoit né 33 avec les oreilles collées & prifes con33 tre la tête, en facon qu'un chirurgien, 33 appellé Beflbn,iui fit quelques opé33 rations pour les féparer de la tête, 33 comme font les oreilles des autres, Sc 33 panfa les écrouelles de la jambe dudit 33 enfant, Sc lui fit quelques incifions. 33 Et n'a pas oublié, elle qui dépofe, que 33 le fils du fieur de Caille recut un coup 33 de pierre au front fur un de fes four33 cils, qui lui fut donné par le fieur 33 Clément, Sc dont il lui refta une pe33 tite cicatrice au front; Sc que, pen33 dant tout ce tems-la,' eet enfant ve33 noit fouvent dans fa maifon, & ap33 pelloit la dépofante fa mère. Et quand 3> il fut un peu plus grand, on lui donna >3 un précepteur, & on 1'envoyoit au col»3 lege; & quand le fieur de Caille quitta  •2T0 Hifi oir e du Fils n la province, eet enfant pouvoit avoir j> environ douze ans, auquel tems de -3> fon départ, Louis Rey en eut foin, & 33 conduifit quantité de hardes qu'on fit 33 charrier dans cette occafion. Et depuis 33 ce tems-la, la dépofante ne 1'a jamais 33 vu, que depuis environ un mois, lorf33 qu'il fut traduit a Manofque avec un 33 commiflaire de la cour, quoiqu'elle >3 eüt ouï dire a celle qui avoit été la »3 nourrice du fils du fieur de Caille, que 33 ledit querellé y avoit demeuré trois 33 ou quatre jours, lorfqu'il revint de ia 33 guerre; que quand il fut audit Md,33 nofque cette dernière fois, il envoya 33 prier la dépofante de le venir voir; ce 33 qu'ayant elle fait, d'abord qu'elle fe 33 préfenta a lui, le prifonnier la recon33 noiflant, lui dit ces paroles en langage 33 du pays : Jias e/JJi ma maire e/ffucho 3 33 m'adufe^ ges d'smendos cuechos (c'eft33 a-dire : ah vous voici, ma mere, ne 33 m'apportez - vous point d'amandes 33 cuites ?) Ce qui furprit la dépofanre, -33 voyant qu'il fe fervoit des termes qui 33 lui avoient été familiers quand, dans 39 fa jeunefle, la dépofante 1'abordoit, 33 & dont elle qui dépofe, n'en avoir 33 parlé a perfonne, & 1'obligea de ré-j3 pondre que non, & que, s'il en falloit,  du fieur de Caille. ai i » il feroit facile d'en avoir : mais qua33 vant de s-'expliquer davantage, elle jj vonlut s'éclaircir fur quelques mar33 ques dont elle fe fouvenoit: & ayant 33 relevé les cheveux du front du prifon33 nier, trouva la cicatrice du coup de 33 pierre fur le fourcil \ Sc lui ayant fait ,3 dépouiller fon bas , elle trouva les 33 marqués & cicatrices des écrouelles a ,3 fa jambe; Sc enfuite découvrant fes ,3 oreilles, s'appercut de la marqué de 331'incifion qui y avoit été faite \ ne dou,3 tant pas, après toutes ces obfervations, 33 que ce prifonnier ne fut ejjectivement ,3 le fis du fieur de Caille, ainfi qu'elle ,3 le déclara alors en préfence de plufieurs ,3 perfonnes, & de la manière qu'elle 33 l'affirme préfentement dans la vérité; ;3 & déclare qu'il a le menton & les os 33 des joues de feue fa mère,&c que ref,3 femblant plus a kelle qu'a fon père, ,3 le lieur de Caille ne 1'aimoit pas au33 tant que fes fceurs, qui reifembloient 33 plus a leur père qua leur mère; décla53 rant préfentement avoir dit & affirmé ,3 la vérité, puifquelle na qu'une ame a. ,3 fauver; & plus n'a dit fcavoir »3. La naïveté & les minucies qui caractérifent cette dépofition, en garantilfent la lincérité Sc la vérité.  1T2 Hifloire du Fils On terminera ces copies de dépofitions par celle d'un gentilhomme qui a reconnu l'accufé, après 1'avoir interrogé fur plufieurs faits qui ne pouvoient être connus que du fils du fieur de Caille. « Messire Arnaud de Guillen de sjSalla, feigneur de Monjuftin, i3e » témoin, agé d'environ 60 ans, a dit » que, pendant que le fieur de Caille » & fa familie étoient encore dans le » royaume, le dépofant 1'a connu & fré» quentéparticuliéremenr, étant fami» liers enfemble, & fi fort attachés d'a« mitié, que, quand il s'eft fait bruit 35 que le fils du fieur de Caille étoit en 33 prifon, lui qui dépofe, pouffé de cu33 riofité, fe feroit porté aux prifons, & 33 y auroit vu le même qu'il vient de 33 voir i fon ferment; & feignant, lui 33 qui dépofe, d'être étranger & inconnu 33 de la familie du fieur de Caille, auroit 33 interrogé le prifonnier fur divers faits 33 qui ne pouvoient point convenir au 33 fieur de Caille père; demandant, par 33 exemple, audit prifonnier, fi fon père 33 avoit un carroffe, s'il aimoit la chaffe, 33 ce que le dépofant fcavoit n'être pas 33 véritable. Et ce prifonnier, fans héfi»»ter, auroit reconnu lui qui dépofe, & j> nommé Ie fieurdeMontjuftin, ce que  du Jleur de Caille. 2T3 » le dépofant auroit nié & protefté ne «1'êcre poinr, mais avoir fouhaité de » 1'étre ; & le prifonnier infiftoit tou» jours que le dépofant étoit le fieur de j» Montjuftin, qu'il le reconnoiffoit a. » l'air du fieur des Crotes fon fils; nia » que le fieur de Caille, père de lui » prifonnier, eut tenu carroffe, mais » bien des chevaux de felle d'un grand » prix; niant en outre que fon père aimac y> la chaffe; ce qui furprit le dépofant s » d'autant mieux que, lui qui dépofe n fuppofoit être tout autre, & le prifon» nier infiftoit le connoitre pour le fieur » de Montjuftin, qui étoit intime ami « de fon père. Et, pour déeouvrir toun jours fi ledit prifonnier fuppofoit a la 3» vérité, lui qui dépofe pourfuivant fes k interrogats, demanda au même pri» fonnier quels chevaux fon père avoit » quand il étoit dans le pays, & s'il étoit 3» arrivé a iceux quelque chofe de re33 marquable ; a quoi, fur le champ, le 33 prifonnier répondit que fon père avoit 33 un cheval d'Efpagne blanc a queue 33 trainante, & encore entre les autres » chevaux un certain poulain très-beau, 33 qui mourut en fix ou fept heures, & 3» dont fon père fut fi faché, que, lors i> de eet accident, il envoya prier le  Z14 Hifloire du Fik js dépofant lui-même de lui venir don5) ner quelque fecours, paree qu'il fca» yoit que le fieur de Montjuftin enren» doit beaucoup aux chevaux; &c que » ledit fieur de Montjuftin étant arrivé, jj auroit fait divers remèdes audit pou-. j> lain, & même feringué la verge, pour » le faire uriner, & autres remèdes qui »> ne purent fauver ledit poiüain, & qui » mourut, au grand regret de fon père :. » ce qui eft très-véritable, & qui fit. » foupconner au dépofant que ce pri-, » fonnier ne füt vérirablement le fils. » du fieur de Caille. Et voulant encore,. »lui qui dépofe, s'inftruire de fa fa-. » mille, demanda au prifonnier s'il » avoit vu le dépofant chez lui; &c ce" " prifonnier répondit que le dépofant »> étoit tous les jours chez la dame de » Caille fa grand'mère j & lui qui dé-: r> pofe croyant de furprendre ce pri» fonnier, lui demanda oü logeoit fa. » grand'mère a Manofque : icelui ré-. » pondit qu'elle logeoit chez le fieur » Loth : tout ce qui eft très-véritable, » &C dont le dépofant ne peut difcon» venir, n'ayant pu, a l'infpection dudit. «prifonnier, reconnokre perfonnelie-. » rnent le fils du fieur de Caille, qui» étoit, alors que le dépofant 1'a vu a  du (leur de Caille. 11 ? » Manofque, encore jeune : & dans le » tems que le dépofant fréquentoit le , » fieur de Caille 8c la dame de Caille ■ «grand'mère dudit prifonnier, icelui » pouvoit avoir huit ou neuf ans, étoit » un butor, dont le père ne faifoit point » de cas ; 8c croyant qu'il lui faifoit „ honte, le faifoit retirer quand il pa» roiflbit devant le monde, ou qu'il » avoit des étrangers chez lui; ne pou-»vant,lui qui dépofe, fe déterminer » fi c'eft un fuppofé ou non ; mais dé„ clare, a la foi de fon ferment, qu'il » le croit plutot le fils du fieur de Caille, » qu'un fuppofé y &c plus n'a dit fija>» voir ». Quoique ce témoin ne foit pas du nombre de ceux qui afhïment pofitivement que l'accufé eft fils du fieur de Caille, on a cru néanmoins devoir mettre fa dépofition fous les yeux du lecteur, comme un exemple des différentes manières dont la reconnoiffance eft établie par 1'enquête. Il y a une infinité de témoins qui déclarent avec ferment quJ l'accufé eft fils du fieur de Caille. II y en a quelques-uns qui, fans le dire fi formellement, font, du fils du fieur de Caille, un portrait tout fe.mblable a l'accufé ; il y en a d'autres enfin qui, inftvuits  2i C Hijloire du Fils de certaines particularités qui ne peuvent être connues que du fils du fieur de Caille, n'ont point douté que cette qualité ne fut celle de l'accufé, après lui en avoir entendu raconter tout le détail; & cette variété forme une preuve bien moins fujette a. la critique, & bien plus certaine, que fi toutes les dépofirions euflent été uniformes: c'eft la plus parfaite de toutes les preuves teftimoniales. Si les témoins entendus ï la requête de l'accufé avoient d'éclaré feulement qu'ils le reconnoiffbient pour le fils du fieur de Caille, M. Rolland auroit pu dire que leur déclaration eft 1'effet d'une prévention aveugle & contagieufe. Si, d'un autre cbté, ils fe fuflent contentés de décrire le portrait du véritable fils du fieur de Caille, fans en faire 1'application a l'accufé, ce feroit un prétexte pour foutenir qu'il ne peut établir fa prétention fur le fondement d'un portrait dont il n'eft pas 1'original. Si enfin ils s'en fuflent renus a rapporter fimplement les fairs & les détails domeftiques qu'ils auroient entendu raconter par le prifonnier, on ne manqueroit pas de dire que tous ces difcours lui auroient été amficieufement fuggérés, & qu'd ne  du fieur de Caille. 2,17 ik ralloit que de la hardiefle 8c de la mémoire, pour les débiter a propos. Mais, lorfqu'on voit que, dans une enquête compofée de 394 témoins, les uns difent affirmativement, &, pour ufer de leurs termes, d Ia damnation de leur ame3 que l'accufé eft le fils du fieur de Caille ; que les autres dépeignent le fils du fieur de Caille avec les mêmes traits, les mêmes marqués perfonnelles, les mêmes inclinations 8c les mêmes défauts qui fe trouvent dans l'accufé; que la plupart rapportent de lui des réponfes juftes & circonftanciées fur 1'état de la familie ; & qu'avec cela, il y en a plufieurs qui réuniflent, dans la même dépofition , une reconnoiffance formelle , un portrait conforme, & une fuite de faits que l'accufé a détaillés, 8c dont nul autre que le fils du fieur de Caille ne pouvoit être inftruit: toutes ces preuves réunies formentcerrainement 1'évidence 8c la conviótion. - II fuit, de ces témoignages & de ces icnexions, que la preuve de l'accufé eft complete, & qu'elle a tous les caractères de la vériré 5 cara&ères que la fubornation n'auroit jamais pu atteindret, Encore une fois, des témoins fubornés auroient purement & fimplement dépofé Tomé III. Yi  ai8 Hifioire du Fils du fait dont on les auroit déterminés a forger la preuve, Sc fe feroient bien donné de garde d'entrer dans un dédale de circonftances Sc de dérails dont on auroit pu leur faire rompre le fil a tout inftant. Eut 41 été pofllble d'inftrmre 3 94 babillards, la plupart gens du peuple, fans expérience , fans jugement, fans habitude a donner de la fuite & a mettre de la liaifon a leurs idéés, de manière qu'aucun ne fe fut coupé luimême, Sc que plufieurs d'entr'eux ne fe fuflent mutuellement croifés ? D'ailleurs, comment fuppofer que l'accufé eüt pu fuborner un fi grand nombre de perfonnes de tout état? II jae vivoit que de charités; Sc la vie obfcure & ignoble qu'il avoit menée depuis fon évafion de la maifon paternelle, lom de lui avoir acquis du crédit, n'avoit pu que le plonger dans le mépris. Ses talens, d'ailleurs, n'étoient pas une reffource qu'il eüt pu employer pour reparer ce que fes déportemens lui avoient fait perdre; il en étoit abfolument dénué. De plus, en le conftimant prifonnier aufli-tbt qu'il s'étoit dcclaré, on lui avoit oté tout pouvoir de faire des Intrigues. M. Rolland, au contraire, avoit to*  du jieur de Caille. lig jours vécu dans le monde ; il étoit exercé, depuis fa naiflance, dans la fcience du barreau , il en connoifïbit tous les détours; il étoit opulent; fa place lui donnoit un grand crédit ; &c il étoit prouvé qu'il avoit tiré parti de tous ces avantages, pour mettre la féduétion & la fubornation en pratique. On n'a rien dit, jufqu'ici, de la refifemblance qui devoit fe trouver entre l'accufé & le fils du fieur de Caille. C'eft un point qu'il faut éclaircir. L'accufé s'eft déclaré fils du fieur de Caille, dans le tems que le père vivoit j il a été reconnu, du vivant même de ce père, qui paroifToit le défavouer. Seroitil naturel qu'un importeur eüt pris ce tems-la pour agir, & qu'il n'eüt point craint les fuites de ce défaveu ? A la vérité le fieur de Caille père étoit abfent; mais il n'étoit pas dans un pays fort éloigné, on pouvoit facilement recevoir de fes nouvelles ; il ne lui étoit pas impoflible de revenir; un importeur auroir, a tout moment, appréhendé ce retour, Mais celui-ci, loin de le redouter, a toujours fouhaité de voir ce père; dans tous les écrits imprimés pour fa défenfe, il a témoigné le plus grand empreffement de le voir, & lui a fait plufieurs fois  2io Hijloire du Fils des défis refpectueux a ce fujet. L'artifice d'un impofteur ne va point jufqu'a rechercher de telles épreuves, ni a donner des ouvertures qui le découvriroient infailliblement. Mais, dans quel pays l'accufé s'eft-il déclaré fils du fieur de Caille ? N'eft-ce pas dans le pays même oü ce fils étoic né; oü il avoit été élevé; oü il avoit pafte une partie de fa jeunelfe; oü le père, jufqu'a la révocation de 1'édit de Nantes, avoit toujours eu fon établiffement, fa demeure, fes biens & toute fa familie ? Et ce n'étoit pas une familie obfcure, dont 1'état püt être ignoré. Le fieur de Caille étoit un gentühomme riche, qui, par fa naiffance & par fa fortune , tenoit un rang confidérable dans la province. Peut-on concevoir que, fi l'accufé n'eüt pas été véritablement le fils d« fieur de Caille, il fe füt donné pour tel dans un pays oü il auroit rrouvé autant de témoins contre lui, qu'il y avoit d'habitans ? D'un cóté, fi on en croit M. Rolland, en fes enquêtes de Suiife, l'accufé ne reffemble en rien au véritable fils du fieur de Caille, &, d'un autre cóté, malgré ce prétendu défaut de reffemblance, il vient fe déclarer fils du iieur de Caille dans un pays oü tout  du fieur de Caille. le monde connoiffbit ce fils & fa familie. Comment accorder ces deux chofes ? Mais venons au détail des traits de reiTemblance entre l'accufé & le fantome que M. Rolland veut ériger en véritable fils du fieur de Caille. On ne veut pas foutenir ici qu'en général la feule application du portrait, fi elle n'étoit pas foutenue par des reconnciffances précifes, fut toujours une régie füre pour décider. Ce feroir trop donner au bonheur de la reiTemblance, au jeu de la nature. Mais, lorfqu'une fois il y a un grand nombre de reconnoiffances formelles, pofitives, accompagrfées des fermens les plus folemnels, 8c qu'avec cela il fe trouve une mulritude d'autres témoins qui, fans en venir a une reconnoiffance fi exprefle, font néanmoins un portrait qui y eft conforme , les dépofitions de ceux-ci acquièrent, par leur conformité avec les autres dépofitions, un degré de force qui les égale & qui les confond; & toutes enfemble conduifent a Tévidence 8c a la certitude de la preuve. Dans Penquête de l'accufé, 120 témoins le reconnoiflent expreflement pour le fils du fieur de Caille; 8c ces Kiij  ■xi2 Hlfloire du Fils témoins lui trouvent les mêmes traits &c les mêmes marqués qu'avoit ce fils. Les autres difent feulement que le fils du fieur de Caille étoit fait d'une certaine manière; qu'il avoir certains traits remarquables, un grand nombre de cicatrices fingulières, & on ofe dire uniques ; ils dépeignenr le caraótère de fon efprit, la figure de fon corps; &c ce portrait convient en tout a l'accufé. Que conclure dela, finon que les uns & les autres le reconnoiflent également, & qu'il n'y eut jamais de preuve plus parfaite en cette matière? S'il n'y avoit ici qu'un fimple rapport de traits, une conformité équivoque de phyfionomie & de taille, on pourroit dire que la nature fe feroit jouée a former deux hommes tout femblables. S'il n'y avoit auffi que de ces marqués perfonnelles que 1'art peut facilement imiter, on infinueroit que le prifonnier auroit pu fe les faire lui-même. Mais les marqués & les cicatrices dont on parle font fi rares & fi extraordinaires , qu'il n'eft pas poffible qu'elles foient 1'eftet de 1'artifice. Le fils du fieur de Caille, fuivant le langage des témoins, avoit les yeux chaJfieiiXj les os des joues relevés, le  du [uur de Caille. 22^ menton pointu, les dents brunes & gatées ; il étoit né avec une oreille entiérement collée a la tête, il fallut faire une incifion pour la féprrer. Il avoit un os pointu derrière la tête, les cheveux bruns & abattus ; la taille haute & mince, les jambes menues. Tel eft le portrait que les témoins font du véritable fils du fieur de Caille , & tel eft précifément 1'accufé. Les témoins ajoutent que le fils da fieur de Caille avoit recu, dans fa jeuneffe, un coup de pierre au-deflus des yeux; qu'il étoit fujet a des humeurs froides, pour lefquelles on lui avoit fait des incifions; qu'il avoit eu mal au gros doigt du pied, oü on lui avoit encore fait une incifion, pour le guérir; qu'on lui avoit donné des coups de lancette fous les yeux, a caufe de fes fluxions. Ces cicatrices font en grand nombre; elles font fingulières: on les trouve toutes fur la perfonne de l'accufé. On ne prétendra pas que les yeux chaflieux & toujours humides puiftent continuellement paroitre tels par le feul effet de 1'artifice; on croira encore moins que Pos pointu derrière la tête ait été placé par art a Pendroit oü il fe trouve; on ne s'imaginera pas que ia circonftance  2-24 Hifloire du Fils rare & peut-être unique d'une oreille coilee a-la tere en naiflant, & féparée depuis par une incifion, fe foit trouvée rormitement dans deux hommes ou •qu elle ait été imitée exprès par 1'un pour reflembler l 1'autre. II n'y a donc rien qui puiffe fauver l'mdu&ion qui fe tire neceffairement de ces marqués & de ces in-egulantés perfonnelles: car, puifque les témoins les ont vues fur le fils du fieur de Caille, & que la plupart le reconnoiffent en la perfonne de l'accufé il s enfuit que ces marqués, jointes aux reconnoiffances exprefTes, prouvent jnvinciblementque l'accufé eft le véritable nis du fieur de Caille. Cette preuve eft fans doute une de celles que M. Rolland auroit du combattre avec plus de foin. Cependant, dans fes defenfes, il n'ofe prefque toucher eet articie; & quand il s'y voit engage mnlgré lui par la fuite de fon difcours, il fe contente de renvoyer fa réponfe a un endroit plus éloigné, ou neanmoms il n'en parie pas. Mais forcons-le, s'il fe peut, a exphqiier fa penfée: il ne faut, pour cela, que hu propofer une queftion bien firnple. Croit-il que les marqués dont on parie foient naturelles a l'accufé ? Les  du fieur de Caille. 225 : croit-ü faites expres pour fervir a la pré, tendue impofture? Si elles font i'ouvrage ! de 1'artifice, l'accufé auroit donc voulu I fe les donner pour relfembler au fils du ï fieur de Caille. Mais il s'enfuivroir dela. que le fils du fieur de Caille les avoit. '. Cependant M. Rolland en a fait un portrait, oü il ne fe trouvoit rien de femi blable. Si au contraireces marqués font naturelles, li elles font la fuite d'indifj polïtions, comment fe peut-il qu'une ( multitude prodigieufe de témoins les aient vues fur la perfonne du fils du 1 fieur de Caille, & que cependant l'accufé, qui les a certainement fur fon i corps, ne foit pas le fils du fieur de ! Caille, pendanrque les mèmes témoins li le reconnoiflent pour tel ? Dira-t-on que le fils du fieur de ] Caille n'avoit point ces marqués ? Mais alors, quel intérêt tant de témoins avoient-ils a les lui fuppofer ? II faudroit, en tout cas, prouver bien clairement qu'ils ont été fubornés; & c'eft ce que l'on n'a fait, ni pu faire. Une partie même des témoins de M. Rolland convient des mêmes marqués. Le i67e témoin de fon enquête dit que le fils du fieur de Caille avoit les yeux chajuux; les 8,18,165 & i66e difent Kv  2.2 6 Hifioire du Pils qu'il avoit le ne% court; les i o, i Gf 168, i6c,, iji, i723 i73j I78 Sc i3 8oe, qu'il avoit le vifage long & féminin; les 13 , 19, kS", 171, 174, i77, [378, 180, i8ie, qu'il étoit fluet Sc avoit la taille mince ,Tes 6,16 6 & 17 5e, qu'il avoit les genoux gros & cagneux; les 367, 169, 175 Sc i7 Brun de Caftellane, tendant a faire ,) informer contre le fieur Rolland, avo33 cat crénéral au parlement de Grenoble , 33 en fubornation de temoms, calomnie , 33 corruption de domeftiques, fauffetés 338c empoifonnemens, il fut ordonné 33 que la pourfuite en feroit faite aux; 33 chambres alfemblées ; la dame Rol33 land, Tardivy Sc conforrs condamnés ,3 en tous les dépens. Ordonné en outre 33 que Jofeph Fauque du Colombier,' 33 prêtre, prieur de famte Anne Sc curé 33 de Rouflillon, Jofeph Perrrer, notaire ? de Rougon, Antoine Audibert, meü-  228 Hiftoire du Fils « nier dudit lieu, Louis Rey, de Saint» Martin de la Brufque, cabarerier a* 35 Manofque, feront conftitués prifon35 niers ès prifons du palais \ Claude 35 Funel & la femme d'Audibert, dé33 crétés d'ajournement perfonnel, & 33 Croifet, ci-devant commiflaire-géné33 ral des galères , fon commis qui a 33 écrit 1'exttait des deux enrólemens de 3> Pierre Mège des i $ avril & 5 mars » 1695, couchés dans une même feuille 33 fïgnée Croifet, expédiés le 17 novem35 bre 1699, feront affignés pour être 33 OUÏS 33. Cet arrêt caufa au public une joie incroyable. Les marchands, les artifans avoient tenu leurs boutiques fermées. Dès fix heures du matin les falies du palais, les mes & les places d'alentour étoient remplies par la foule. Les juges furent reconduits chez eux par le peuple avec des acclamations redoublées ; & M. Boyer d'Aiguille, rapporteur, fut, malgré lui, reportécomme en triomphe dans fa maifon. Mais il furvint des circonftances qui donnèrent un grand échec d cerre faveur du public. A peine 1'arrêt fur-il rendu, que la femme d'un médccin de Toulon, nonnné Serry, fit fortir le  du fieur de Caille. 229 foldat des prifons, le fit habiller promptement, répondit au marchand des étoffes, Sc le mena en triomphe a Toulon dans la maifon de fon mari. La ils lui firent époufer leur fille avec difpenfe de deux bans ; le dernier fut publié le jour même du mariage, pour prévenir toute oppofition; Sc la cérémonie fe fit dans la chapelle des pénitens de Toulon. Tout cela fut confommé en 15 jours , avant même que 1'arrêt eüt pu être fignifié. Cette précipitation, difoit-on, pouvoit avoir pour motif la crainte que le foldat ne voulüt pas effecruer le mariage projetté, s'il eüt eu fon arrêt avant la célébrarion. La mère de cette fille fe nommoit de Viileneuve; elle étoit coufine-germaine de M. de Villeneuve, 1'un des juges, Sc coufine iflue de germain de M. le préfident de Maliverny, gendre de M. d'Aiguille, rapporteur ; le grand - vicaire de Toulon, qui prêta les mains a la célérité de ce mariage, étoit parent de M. d'Aiguille. On feut que c'étoit le médecin qui avoit fait tous les frais du procés, Sc avoit vendu les pierreries de fa femme & de fa fille, pour fournir aux dépenfes de 1'enquête. On feut que, quand le proces fut fur h  230 Hijlcire du Fils bureau, la mère & la fille allèrent exprès de Toulon a Aix, pour le folliciter; ïogèrent chez M. de Villeneuve, leur coufïn 8c 1'un des juges, 8c n'eurent d autre table que la fienne. MM. de Maliverny 8c de Villeneuve avouèrent eux-mêmes la parente dans leur réponfe a une fommation qui leur fut faite en oótobre 1706; & M. de Villeneuve convint, de plus, que la dame Serry avoit mangé chez lui, pendant que le procés étoit fur le bureau. On feut que la mère 8c la fille s'étoient donné beaucoup de mouvement pour la follicitation, & avoient employé, auprès des trois magiftrats dont on vient de parler, tout le crédit que peuvent donner 1'alliance Sela parenté; qu'elles avoient encore, dans le parlement, un autre parent au degré prohibé; c'étoit M. de Villeneuve, confeiller honoraire ; 8c que tous ces juges avoient, du cóté de leurs femmes, plufieurs autres parens dans le parlement, On feut qu'aufïköt que 1'arrêt fut rendu, la dame Serry délivra 5000 livres pour le paiement des épices (Ie rapport avoit .dure 5 o féances, fans compter celle oü 1'arrêt fut prononcé). Cette fomme 11 'étant pas fuffifante, Ie médecin envoya «ne procuratie», a un beau-frère qu'il y  da fieur de Caille. 231 avoit a Aix, nommé Boudon, a 1'effet de s'obliger au reftant du paiement pour la levée & de 1'expédition de 1'arrêt, Sc eet afte portoit la réferve exprefte des autres fommes & fournitures qu'il avoit avancées. Par le contrat de mariage, le fieur Serry avoit fait donner a fa fille, par le foldat, la fomme de 40000 livres, Sc une penfion viagère de 1000 livres par an. Et par deux actes faits après ce mariage , il fe fit céder, a lui-même, fur les revenus de la fucceflion de Caille» échus & a échoir, la fomme de prés de 18000 livres. Et, dans tous ces aftes, la réferve des fommes & fournitures qu'il a fakes eft foigncufement répétée. Outre ces générofités faites au profit de fa familie, le fieur Serry fit faire, par fon gendre, une obligation de 12.000 livres au profit de Me Silvain, avocat, qui lui avoit prêté fon miniftère pendant tout le cours du procés. II lui fit faire, en outre, une obligation de 15 000 livres au profit d'un fergent, nommé Méyére, qui avoit fait toutes les affignar tions données au nom du foldat; & 1'acte portoit que cette fomme étoit outre & par-deffus ce que Méyére avoit recu da fieur de Caille jou de fa part, en ar gent ^  232, Hifloire da Fils denrées , & fubjijlance pour lui & fa familie , d raifon de quoi ils ne pourront être recherchés. Or, difoit-on, pourquoi avoir fourni, pendant fept ans qu'a duré le procés, de 1'argent & des denrées a un fergent qui n'a fait que donner des exploits, & lui donner, en outre, 15000 livres ? Une générofité fi exceffive ne feroit-elle point la récompenfe de prévarications qu'il auroit commifes dans fon miniftère ? Et s'il en a commis, qui peut les lm avoir ainfi payées, fi ce n'eft-le fieur Serry, puifqu'il eft certain que le foldat n'avoit ni argent , ni denrées d donner?'Ce fieur Serry eft donc complice des prévarications qu'il a payées ; cette complicité n'avoit pour but que de s'appliquer, par le mariage de fa fille, la propriété des biens de la maifon de Caille. On feut d'ailleurs qu'il s'en falloit beaucoup que 1'arrêt fut le réfultat de Funanimité: que M. le procureur général, après avoir pris 1'avis des avocatsgénéraux, avoit conclu a ce que la cour ordonnat, qu'avant faire droit, on feroit faire en Suifle une preuve plus juridique, que celle qui avoit été adminiftrée du féjour du fieur de Caille fils en ce pays-la, & de fa mort a Vevay. On feut enfin qu'après un débat d'opinions de  du fieur de Caille. 233 plus de Irak heures, fur vingt juges, il n'y en eut que douze pour déclarer le foldat fils du fieur de Caille $ que du nombre de ces douze, étoient les trois parens & alliés de la dame Serry; que cinq des autres vouloient qu'on prononcat 1'interlocutoire propofé par M. le procureur-général, & le refte , qu'on déclarat le foldat atteint & convaincu de fuppofition de nom & de perfonne; ces derniers revinrent a 1'avis des cinq précédens. Ainfi 1'arret ne paüa que de douze voix contre huit. A ces circonftances, défavorables aux" yeux du public, le foldat joignit la dureté avec laquelle il fe fit reftituer les biens de la familie de Caille. II chaffa, a Manofque, les pauvres de la maifon •que madame Rolland leur avoit don- nee, & gata, par cette action, ie meute de la faiïlie pieufe qui lui étoit échappée en leur faveur, lorfqu'étant conduit dans cette ville, il avoit dit, en les voyant aux fenêtres: vous êtes dedans , & moi3 qui fuis le fils de la maifon , je fiuis dehors: je ne vous en chafferai pas. II donna, en outre, lieu de penfer qu'il n'étoit pas fur de ne point être évincé des biens qui venoient de lui être adjugés. Il vendit des capitaux, &;  234 Hifloïre du Fits aliéna des fonds a bas prix; il fit déplacer les meubles des chateaux, & prit fii bien fes mefures, que les fermiers, qui avoient fait des avances confidérables au fieur Tardivy, en firent encore de trés-fortes a ce nouveau propriétaire 5 enforte que la fucceffion du fieur de Caille fut ravagée en moins d'un mois de tems. La vanité fe joignit a une conduite fi défavorable. Le foldat fit graver fon portrait , avec cette légende autour : Ifaac de Brun de Caftellane , feigneur de Caille & de Rougon, agé de 37 ans en 1707, & ces vers au bas : Depuis mes jeunes ans, j'éprouve avec conflance Les divers caprices du fort. On me vouloit ravir 1'honneur de ma naif- fance, Et prouver que je fuis mort. Mais le ciel proteéleur de la foible innocence, Par la tempête même, enfin m'a mis au port. Mais ce qui acheva de donner au public des foupcons fur le véritable état de celui qu'il avoit favorifé avec tant d'eiuhoufiafme, c'eft la demarche d'Hch  du fieur de Caille. 23? norade Venelle, femme de Pierre Mège. II eft certain que, fi elle n'étoit pa.s véritablement 1'époufe du foldat, elle 1'avoit adopté pour fon mari fous le nom de ce mari, 8c avoit vécu quelque tems avec lui, en qualité de fa femme. Ainfi fon témoignage, fur ces deux individus, s'ils étoient différens, étoit d'un grand poids. Elle avoit, pendant tout le cours du procés, gardé le plus profond lilence. Mais, quand elle fut inftruite de ce nouveau mariage avec Madeleine Serrv , elle fe rendit a Aix, accompagnée d'une partie de fes parens. Elle alla trouver un prêtre de cette ville, fon coufin, qui la mena chez M. le Bret, premierprélident. Ce magiftrat n'avoit point été des juges, & n'avoit pris aucune part a 1'arrêt. De-la, ils allèrent chez le comte dc Grignan, lieutenant de roi de la province, 8c parent de la maifon de Caille. Le magiftrat 8c le lieutenant de roi accueillirent cette femme avec bonté, 8c plaignirent fon fort; c'eft tout ce qu'ils pouvoient faire. Elle alla enfuite chez un notaire , le 8 janvier 1707 , oü elle fit la déclaration fuivante: « Qu'elle a appris que Pierre Mège, » du lieu de Joucas, a été déclaré être » Hls du fieur de Caille, 8c que, de  2,2 6 Hifloirc du Fils 3> plus, il a époufé une feconde femme, I 35 Elle déclare, avec ferment, pour la I 35 décharge de fa confcience, & le fou- I 55 tien de fon honneur, que ledit Pierre 3> Mège eft fon véritable mari, avec le- I ■35 quel elle a paffe un contrat de mariage 53 recu par Coulet, notaire royal de la 33 ville du Mamgues depuis 1'année 33 i^ScT, enfuite duquel ils s'épousèrent 1 33 en face de notre mère fainte Eglife, 53 Sc qu'ils ont enfuite cohabité comme 3) mariés légitimement jufqu'en 1695; I 33 que le fecond mariage illicite & pro- ; 33 hibé trouble le hen; que ledit Pierre 33 Mège n'a du, elle vivante, époufer 35 une autre femme,•qu'elle protefte de 33 fe pourvoir pardevant qui il appar35 tiendra, pour faire caffer ce fecond 33 mariage. Cette déclaration faite en 33 préfence de meilire Jean Granièr, '33 prê-tre-bénéficier en Péglife mérropo33 litaine de faint Sauveur de cette ville 35 d'Aix, demoifeileAnneGranier,fceur srdudit meffire Granier, les coufin Sc ■33 coufin e d'icelle Honorade Venelle; Sc ^3 encore de demoifelle Marguerite Bar33 thelemy, veuve de feu M. jean Ve35 nelle, tous originaires de la ville du 33 Mamgues: tous lefquels nous ont dit, v attefté Sc affirmé avec ferment, de  Ju fieur de Caille. 237 pconnolcre ladite Honorade Venelie 1 „ dudit Martigues, & iceile être la I » meme qui a fait la préfente déclaraI » tion ci-deftus , &c qu'elle contient I j> vérité ». A Cette déclaration ne fut pas plutot I connue des juges auteurs de 1'arrêt, j qu'ils rendirentune ordonnanceportant I qu'Honorade Venelie [era arrêtée}& mife 4 dans les prifons de la ville d'Aix pour ,i lieu defürcté. L'irrégularité de cette or1 donnance, qui contient un genre de dé-" \ cret qui n'eft autorifé par aucune loi, fit I comprendre a cette femme qu'elle n'é1 toit pas en füreté dans le reftbrt des | juges qui avoient rendu 1'arrêt contre )| lequel elle avoit ofé protefter. Elle fe ij rendit aufti-töt a Paris. En y arrivant, 1 elle alla fe jetter aux pieds de M. le 1 Chancelier, de M. de la Reinie, &c de I la plupart des confeiilers d'état (la deI mande en caffation de 1'arrêr du parleI ment de Provence étoit alors pendante I-au confeil). M. le Nain , rapporteur de I cette inftance, la confronta avec celui 1 qu'elle réclamoit pour fon mari. Il les ij entendit en préfence de leurs avccats; ] elle lui foutint qu'il étoit Pierre Mege, I qu'elle étoit fa femme, & lui rappelia 1 beaucoup de circonftances qui tendoient  238 Hifloire du Fils a le prouver. II avoua tout ce qui concernoit le tems oü il convenoit d'avoir emprunté le nom 8c la place de fon mari; 8c fur le refte, il ne répondit que par des dénégations & des injures. II fut enfin jugé que cette femne n'ayant point été partie au procés, ne pouvoit être recue intervenante en caflation. Cependant les frais énormes du procés que M. Rolland avoit foutenu en Provence 1'avoient ruiné; 8c 1'arrêt, en adoptant les accufations de faux & de corruption de témoins, 1'avoient dés honoré. II ne lui reftoit d'autre reflource que la voie épineufe de la caflation; il y eut recours. Les membres du confeil 8c canto» de Berne crurent, de leur coté, que 1'arrêt du parlement de Provence, qui n'avoit point eu égard aux actes que les magiftrats de Laufanne 8c de Vevay avoient délivrés pour certifier le féjour & la mort du fils du fieur de Caille, donnoit atteinte a leur droiture & a leur probité. En conféquence, ils écrivirent, le 10 feptembre 1706, la lettre fuivante au Roi: « Sire , » II y a eu, depuis quelques années,  du fieur de Caille. 239 L un procés confidérable au parlement » d'Aix en Provence entre les parens de » Scipion de Brun de Caftellane, fieur » de Caille, natif de Provence, qui de„ meuredans notre j urifdiétion, & une » perfonne qui doit être foldat de vaif» feau a Toulon , mais qui fe dit fils „unique de ce Caille, que lui Caille » a refugié dans ce pays-ci. „ Le fils que le pere avoit mené en « ce pays-ci étant mort, & ayant été „ enterré a Vevay qui eft dans notre ju» rifdiótion, plufieurs perfonnes de nos » deux villes de Laufanne Sc de Vevay, „ont, pour rendre témoignage de la „ vérité, donné en forme, Sc par fer„ment, des déclarations du décès du „ jeune de Caille; lefquelles ,pour plus „grande confirmation, ont été recon„ mies authentiques par les magiftrats „ defdites deux villes, Sc enfinlégahfées » par nous leurs fouverains, Sc remifes „ au pere de Caille, pour fes parens en „ France. „ Notre penfée n'eft pas de reprefen„ ter k Vorre Majefté royale le peu de „ cas que nos atteftations Sc déclarations „ véritables, aufli-bien que celles de nos ,> fujets ont trouvé au parlement d'Aix, >, puifque nous apprenons que 1'affaire  24.0 Hlfloire du Fils » a ére portee au confeil royal de Vowe » Majefté. » Mais,comme nous apprenons avec » douleur, que, dans la procédure audit „ parlement, on a attaqué au fupreme » degré notl'e honneur& celui des nö» tres, ainfi que S. E. M. 1'Ambafta- \ 33 deur, le marquis de Puyfieux aura » 1'honneur d'en informer plus ample» ment Votre Majefté 5 nous nous fom» mes trouvés indifpenfablement con33 traints, pour fauver notre honneur qui 33 a été injurié, de nous adreifer très33 refpecFueufement a V. M. royale, & „ de la prier très-humblement qu'il lui 33 plaife d'ordonner très-bénignement 33 que l'on donne fatisfaótion due a no33 tre Etat, qui a particuliérement I'hon33 neur d'être allié avec V. M. & que 33 l'on défère auffi a nos certificats dans 33 les tribunaux qui font en France, de 33 même que dans tous les autres. » Nous ne manquerons pas de mé» nter, dans toutes les occalïons qui fe 33 préfenteront, par tous les fervices qui j' feront dans notre pouvoir, cette fa» veur, que nous efpérons de V. M. & 33 prions Dieu qu'il conferve fa perfonne 33 royale, dans une conftante fanté, & »qu'il verfe fes bénédiétions fur fon ;? règne  du fleur de Caille. 241 '» règne. Donné a Berne, le 1 o fep55 tembre 1706. „ De V. M. les trés-humbles fervi» teurs, les Avoyer & Confeil de » la ville de Berne. V « Sire , » Nous Ambafladeur du Roi en Suifle, » certifions que la traduéKon ci-deffiis „ de la lettre qui a été écrire a S. M. ■>•> par les feigneurs du canton de Berne, » a été faite très-Hdclemenr par les fe5; cretaires-interprètes du Roi en Suifle, i „ fur 1'original allemand qui nous a été ,5 envóyé ; lequel nous avons fait re3> mettre a S. M. avec copie de ladite 33 traduétion , par M. le marquis de 33Torcy, miniftre & fecretaire d'état, 33 avec la traduétion de celle qui nous 3# avoit été écrite en même tems par 3) lefdits feigneurs du canton de Berne. 33 Fait a Sillery le 6 avril 1707. Puy- 33 sieux 33. Les plaintes du canton de Berne contre le parlement d'Aix ne paroiflent pas fondées. Ce tribünal n'a point regardé I les atteftations des magiftrats Suifles comme faufles; il a fimplement cru que les dépofitions des témoins adminiflxés I par le foldat devoient 1'emporter fur ces Tome UI. L  24.1 Hijloire du Fils preuves.. Si le défenfeur de ce foldat a prétendu que ces certificats étoient faux, on ne peut pas dire que le parlement ait adopté cette opinion dans fon jugement \ 1'injure que 1'avocat peut avoir faite au canton n'eft pas 1'ouvrage du tribunal. Je parlerai bientót encore de ces preuves tirées de la Suiife, & tacherai d'apprécier la foi qui leur eft due. Pour revenir a la pourfuite en caifafion intentée par M. Rolland, il obtint, le 31 janvier 1707, un arrêt qui ordonna que le fieur de Caille fils feroir aftigné pour procéder au confeil, & cependant que toutes les procédures & pièces fur lefquelles 1'arrêt du parlement d'Aix étoit intervenu, feroient inceffamjnent apportées au greffe du confeil. Je n'entrerai point dans les moyens de forme qui furent propofés au confeil, pour obrenir la caffation; il faut avouer qu'ils n'étoient rien moins que décififs, II faut avouer aufti que les juges, dont 1'opinion avoit formé 1'arrêt, n'étoient pas a 1'abri du foupcon de la prévention, &c qu'il peut fe faire que le confeil ait penfé qu'une affaire de cette importance pour les mceiirs & pour la fureté des propriétés, fut examinée de nouveau.  du Jieur de Caille. 243 En efFet, fi l'on examine le fujet qui venoit d'être déclare fils du fieur de Caille, 8c qui, en cette qualité, avoit obtenu la propriété de tous les'biens de cette familie, il n'eft pas poflible de ne point le regarder comme un homme fans moeurs, 8c dénué de tous les fentimens d'honneur. De fon propre aveu, il a ufurpé un état & un nom qui ne lui appartenoient pas; il a vécupubliquement dans le crime avec la femme d'autrui; il a commis faux fur faux, pour toucher des revenusqui ne luiappartenoient pas; il a fait la profeflïon de charlatan, il a été recors de fergent, il a été mendiant, 8cc. La vie d'un tel homme méritoit affurément qu'on 1'examinat avec plus de foin qu'il ne paroit que le parlement d'Aix ne 1'avoit fait: 8c peut-etre qu'en le déclarant fils du fieur de Caille, s'il 1'étoit en effet, la juftice auroit dü, en cette qualité même, le punir févèrement, puifque ce n'étoit que comme tel qu'il s'étoit rendu coupable de fuppofition de nom & de perfonne, en fe donnant pour Pierre Mège : ce n'étoit que comme vrai fils du fieur de Caille qu'il avoit vécu dans 1'adultère avec Honorade Venelie; qu'il avoit commis des vols 8c des faux 5 en recevant des Lij  i44 Hijloire du Fils revenus qui appartenoiênt a Pierre Mège, & en dpnnant des quittances fous le nom qu'il avoit ufurpé, pour voler le véritable propriétaire. II femble donc que, s'il devoit gagner fon procés, cette viótoire, lóin de lui valoir le rriomphe qu'il a obtenu, étoit un motif qui forcoit la juftice a le retenir dans fes hens. On peut dire même que, quelque parti que priflent les juges, ils ne pouvoient pas ne pas le regarder comme coupable de fuppofition de nom & de perfonne, & par conféquent digne du fupplice, Etoit-il Pierre Mège ? il avoit ufurpé le nom d'une familie diftinguée; & au moyen de cette fauffeté, il tendoit a. voler une fucceilion opulente, fur les vérifables propriétaires, Etoit-il de Cailie? il avoit ufurpé le nom & 1'état de Pierre Mège, avoit 'féduit fa femme, yécu avec elle en adultère, &c volé fes revenus. II paroiffoit d'ailleurs que les juges ne s'étoient pas contentés de s'abftenir de punir un crime qui, quelque parti qu'ils priftent fur le fond, étoit évident; on pouvoit les taxer encore d'une prévem tion fi peu ménagée, qu'ils n'avoient pas craintde tomberdans un dénide juftice formel, On avoit foutenu, de la part du  du fieur de Caille. 1^ foldat, que les enquêtes faites en Suifle touchant le féjöïïr & la mort du fils du fieur de Caille, foit a Laufanne, foit 'X Vevay, ne pouvoient pas fiiire foi en juftice. M. Rolland, par une requête du 25 juin 1700, demanda qu'/V plüt d la cour commetcrc des officiers in parribus hors la monarchie , pour prouver devant eux les faits qu'il avoit articulés , & dont la preuve avoit été faite eh Suifle. Cette requête, par arrêt du 28 juin, fut jointe au procés, pour } en jugeant, y avoir tel égard que de raifon. Ce réglement n'annoncoit pas, de la part des juges, un grand defir d'être inftruits de la vérité, puifqu'ils remettoient a examiner s'ils accorderoient, ou s'ils refuferoient la permiflron de prouver un fait, au moment oü ils feroient aflemblés pour juger le fond du procés. Mais voici quelque chofe de plus. M. Pvolland étant a. la pourfuite de fon procés, les fieurs de Saint-Antonin, gentilshommes de Provence, eurent quelques différends avec un autre gentilhomme de leur voifinage, nommé le chevalier de Cormis. Celui-ci difparut, fans qu'on fcüt ce qu'il étoit devenu; & le bruit courut qu'il avoit été aflafliné. Le procureur du roi a Aix fit informer. Liij  246 Hiftoire du Fils Un berger dépofa avoir ouï dire a un autre berger, qu'il avoit vü tirer un coup de fufil, duquel étoit tombé un homme dont on avoit jetté le corps dans un abyme. Les fieurs de Saint-Antonin furenr décrétés d'ajournement perfonnel; la méfintelligence qui étoit entr'eux 8c le fieur de Cormis y donna lieu. Ils fe préfentent, & produifent une lettre qu'ils difent avoir été écrite par le chevalier de Cormis, depuis qu'il avoit dif paru; 8c cette lettre annoncoit qu'il étoit dans les troupes de 1'empereur, du cóté de Bafle en Suifle. On s'infcrir en faux cóntre la lettre, & elle eft déclaréefaufle. Les juges d'Aix décrètent les fieurs de Saint-Antonin de prife-de-corps; ils fe rendent en prifon, 8c donnent une requête , par laquelle ils foutiennent que le chevalier de Cormis eft dans les troupes de 1'empereur, proche Bafle en Suifle; ils demandent quM leurs frais & dépens , la cour commette deux perfonnes de la connoiflance du fieur de Cormis, pour aller vérifier fon exiftence. Le parlement commit les fieurs Carnot & Gaffendy, tous deux d'une probité connue, pour aller fur les lieux. M. Rolland, inftruit de cette commiffion, 8c fcachant que les commif-  du fieur de Caille. 247 faires, pour fe rendre i Bafle, doivent paifer par Laufanne & par Vevay, presente, le 30 mars 1705 , une requête au parlement de Provence, par laquelle il demande qu'il plaife a la cour commettre pareillement les fieurs Carnot & Gaflendy, pour drefler leur procés-verbal , prendre telles inftruétions, & faire telles informations qu'ils jugeronta propos fur les faitsfuivants; fcavoir, fi lejils dufieurde Caille, appellé Rougon, a ete vu a Laufanne che^ le fieur de Caille fon pere ou d Vevay, che^ le fieur Second, ou U étoit en penfion en divers tems , pendant les années 1691,1692,1693,1694, 1695 ,jufquau x^février 1696 >&Jj* pendant fon féjour audit Laufanne & Vevay , il étudioit aux mathématiques ; fi on tenoit des regiftres mortucires audit Vevay en ladite année 1696, & fi les criginaux des procédures faites a Vevay & d Laufanne,produites au proces, font aux greffes ou chancclleries dtfdits lieux, pour, en jugeant le proces contre le foldat de marine, qui fe fuppofé fils du fieur de Caille , y avoir tel égard que de raifon. II femble que rien n'étoit plus fimple, & en même tems plus jufte que cette requête. Les principaux faits foutenus par M. Rolland dans tout le cours 1 T ut  248 Hiftbire du Fils du procés, y font énoncés & fonmis a la preuve demandée. II a abandonné pour ainfï dire, tout 1'avantage qu'il pouvoit efpérer des procédures faites en Suifle, & les fait dépendrede 1'examen, de la vcnfication Sc du rapport de deux perfonnes qu'il ne connoit point, mais en qui il eft fondé a reconnoitre une probité a toute épreuve, puifqu'ils ont ete choifis par les juges mêmes auxquels on les demande, pour vérifier un fait qui doit décider de la vie de deux gen ti'shommes de la province. La route des lieurs Carnot Sc Gaflendy eft de paifer par Laufanne Sc par Vevay, pour fe rendre a leur commiffion. II leur étoit aifé, en allant ou en revenant, de s'acquitter d'une autre qui n'étoit pas moins importante. Le jugement du procés ne ponvoit meme être retardé; il n'a été prononcé que quinze mois après. Qu'arriva-t-il? U fÜZ ordonné que la requête feroit communiquce au procureur-général & a la partie. Le procureurgeneral donna des conclufions conformes a la requête de M. Rolland, & le ioldat fit des efforts iucroyables, pour empecher que les juges ne fuivilfent les conclufions du miniftère public. M. Rolland remit la requête, avec les conclu-  du (leur de Caille. 249 fions, a M. d'Aigaille , rapporteur. Celui-ci la mit dans fa poche, éluda d'en faire le rapport jufqu'au retour dei fieurs Carnot & Galfendy, Sc finit par ne point la rapporter. Cependant le voyage de ces deux commiflaires ne fut pas infructueux \ fur leur rapport, fes fieurs de Saint-Antonin furent déchargés de 1'accufiition. II ne faut point de réflexions fur une pareille conduite ; Sc c'eft en parler bien modérément, que de ne la qüalifier que de déni de juftice. On ne fe contenta pas, au confeil, de faire valpir tous les moyens de forrne que l'on put imaginer, pour obtenir la caffation; on difcuta le fond avec beaucoup d'étendue. Je n'entrerai point ici clans cette difcuffion , qui fur répétée au patlement de Paris, auquel 1'aftaire fut renvoyée par arrêr du 11 juillet 1708. Cet arrêt « cafta celui du parlement » d'Aix du 14 juillet 1706, & tout ce » qui s'en étoit enfuivi, renvoya les 3> parties au parlement de Paris, pour y „ procéder a fins civiles, fans que Ia voie „ criminelle put être reprife contre le 33 foldat, pour raifon de routce qui con33 cernoit raccufation intentée contre 33 lui; le foldat condamné aux dépens j» de 1'inftance fuivie ou confeil; Sc poui L v  2? O Hifloire du Fils » faire droit fur les procédures extraorjs dinaires faites en exécution de 1'arrêt « du parlement d'Aix contre M. Rol» land, Antoine Audibert, Louis Rey, » &c. le tout fut renvoyé au parlement „ de Paris, pour y faire droit ainfi qu'il « appartiendroit». II faut faire une obfervation fur eet arrêt du confeil. Le foldat oppofoit aux moyens de caffation tirés du rond &*de la forme, que 1'arrêt d'Aix, en le déclarant fils du fieur de Caille, 1'avoit déchargé de 1'accufation intentée contre lui; qu'on ne pouvoit pas faire revivre cette accufation , ni renouveller un procés dans lequel il avoit déja couru rifque de la vie. Sur ce principe, il fontenoit qu'il n'étoit pas permis a un accufateur de fe pourvoir en caffation contre un arrêt rendu en faveur de l'accufé. Le confeil a décidé qu'un accufé qui a eu le bonheur d'être abfous par un arrêt,quelqu'irrégulierqu'il puiffe être, ne peut plus être condamné a aucune peine affliétive pour raifon de Ia même accufation ; & que tout ce que 1'accufateur peut efpérer, en faifant voir 1'injuftice & les nullités de 1'arrêt, c'eft de le faire caffer, de faire juger le proces a fins civiles, & faire condamner l'accufé  du fleurde Caille. i^X a des dommages & intéréts, des réparations, des reftitutions, des dépens, fans que Ton puilfe reprendre contre lui la voie extraordinaire, pour raifon de cette accufation. Voila les parties engagées de nouveau dans le même procés, & deyant un autre tribunal. L'arrêt du confeil avoit pu alléger un peu la défaveur que les imputations faites a M. Rolland, &c les accufations intentées contre lui , & adoptées parie parlement d'Aix, avoient répandue fur lui. Mais, pour anéantir abfolument la prévention qu'il avoit encore lieu de craindre de la part du tribunal fous les yeux duquel il alloit entrer en lice, il fit tous fes erforts pour prouver que, dans cette affaire, il n'avoit employé que les armes de la vérité, fans recounr ni a la fuggeftion, ni a la fubornation, ni au faux, ni a aucun de ces artifices que la probité ne peut jamais fe permettre. II avoit principalement quatre chefs d'accufation a détruire : Tempoifonnement, Taffaflinat, les faux commis, foit dans les révélations des témoins devant le curé de Rouflillon, foit dans les copies d'enrólemens délivrées par le cornLvj  Hiftoire du Fils mis du fieur Croizet, 8c ia fubornation des témoins. II s'attacha enfuite a prouver que, ii fes témoins n'avoient pas été corrompus, ceux de fon adverfaire étoient coupables de ce crime, 8c avoient fait de faufles dépofitions; que le fils du fieur de Caille avoit eu une éducation di°ne de fa naiflance, 8c qu'il en avoit profitéqu'il n'avoit point quitté la Suifle depuis qu'il s'y étoit refugié, & qu'il y étoit décédéle 15 février 1696;enfin, que le foldat, auquel le parlement d'Aix avoit adjugé le nom & les biens de ce fils du fieurde Caille, étoit véritablement Pierre Mège, fils d'un forcat de galères. b L'empoifonnement dont on accufe M. Rolland a été, dit-on, confommé pïr le miniftère des nommésSylvy, Cleron, Carbonnel, & Marius Audidert, qui font ces prétendus efpions apoftés par ce magiftrat, pour s'emparer de la confiance du foldat, & en abufer pour lui tendre tous les pièges dans lefquels fa fimplicité pourroit le faire tomber. Pour éclaircir ce fait, il faut reprendre les chofes de plus haut. Silvy étoit un homme employé dans les  da fieur de Caille. affaires du Roi 5 Cleron étoit un praticie-n; Carbonnel, un huilïier, & Marius Audibert, un chauderonnier. II paroit que le foldat méditoit, depuis long-tems, le projet d'üfurper le nom & les biens du fils du fieur de Caille : plufieurs témoins depofent lui avoir entendu dire, (lans le tems oü il prétendoit avoir été déguifé fous le nom de Pierre Mège, qu'on le verrok bientöt grand feigneur , & avec une belle épée a fon cóté. Mais il ne pouvoit pas feul faire réufiir ce projet, il lui falloit des émilfaires pour le próner, des praticiens pour le condwüre, & des gens en état de le faire fubfifter pendant le procés qu'il prévoyoit bien ne pouvoir éviter. Le nommé Amphoux, dit la Vïoleite, qui avoit été laquais chez le fieur de Caille père, & qui, depuiss'étoit fait menuifier a. Toulon , confentit a aider le foldat des connoüfances parricuüères qu'il avoit de 1'intérieur de la maifon de Caille, oü il avoir fervi, & de fes intrigues. C'étoit entrer dans la carrière oü Pimpofteur vouloit s'engager, d'une manière bien avantageufe, que d'y être introduit par un homme a qui fa qualité de domeftique devoit  2<}4 Hifloire du Fils avoir donné plus de lumières qua perfonne fur les détails dans lefquels il falloit entrer, pour foutenir cette affaire. Mais la Violette ne confentit a fe charger du róle qu'il devoit jouer, qu'autant qu'il participeroit a. la fortune qu'il alloit travailler a procurer au foldat. Le premier prix de la proteótion de eet ancien valet, fut le mariage du prérendu fils du fieur de Caille avec une belle-fceur qu'il avoit, fceur de fa femme, fille d'un cordonnier, & a. laquelle on prétendoit qu'il faifoit oublier la folitude du veuvage; ce qu'il y a de certain, c'eft que les bans furent publiés aBargemon, lieu de la naiffance de cette fille, & que M. Rolland en joignit une expédition au procés. Les chofes ainfi arrangées, la Violette fongea a fe procurer des coopérateurs, & engagea dans fon parti les quatre particuliers dont on vient de parler. On ignore queiles furent les conventions de leur complot; mais il eft certain qu'ils ont nourri le prifonnier pendant 8 ou i o mois, & n'ont épargné ni peines ni foins,pour le faire réuifir. L'enquête même du foldat prouve que Silvy le prónoit par-tout, atteftoit qu'il 1'avoit connu pour le fils du fieur de Caille. II mit le fieur Tetard fon beau-père, &  du fieur de Caille. 2^ ptofieurs habitans de Toulon , dans le complot; Cleron conduifoit la procédure , & Carbonnel faifoit les fignifications néceflaires. C'eft par leur miniftère que fut furpris a Aix 1'arrêt qui ordonna la tranftation du foldat, des prifons de Toulon dans celles d'Aix; tranftation qui fut exécutée avec tant de précipitation, qu'elle avoit 1'air d'un enlèvement. Voici le motif de eet empreffement. Le procés s'inftruifoit par le lieutenantcriminel de Toulon. Plufieurs témoins de difterens lieux étoient affignés a la requête de M. Rolland, pour dépofer & être enfuite confronrés. Les batteries du foldat, au contraire, n'étoient pas dreflees; il n'avoit encore eu ni Interns, ni la faculré de corrompre des témoins. 11 avoit donc tout a redouter des dépofitions & de la confrontation de ceux que fon adverfaire alloit faire entendie, & qui n'auroient pas manqué d'attefter qu'il étoit Pierre Mège, de le lui foutenir, & de 1'en convaincre en face. Le procés, par-la, étoit rini; le foldat étoit déclaré impofteur, & M. Rolland délivré d'une affaire oü fon honneur a été compromis, & fa fortune renverfée. Le danger étoit preftant pour l'im-  %)6 Hifloire du Fils pofteur & fes adhérens ; 1'arrêt du pardement d'Aix follicité, expédié, fignifié 8c exécuté en quatre jours par les foins des quatre hommes en queftion, le tira d'embarras, & fut la fource des procédures énormes qui ont fait durer cette affaire, malgré la chaleur avec laquelle elle a été fuivie, pendant treüre ans. Cependant les témoins affignés, 8c qui s'étoient rendus a Toulon, s'en rerournèrent; & leurs voyages, quoique inutiles, furent payés. M. Rolland fut obligé de fe rendre a Aix, pour fe plaindre de la furprife, & y obtint un arrêt qui ordonnoit que le procés feroit fait 8c parfait a l'accufé, par le lieutenantcriminel de Toulon, jufqu'a fentence définitive inclufivement. II faliut le transférer de nouveau a Toulon , 8c réaffigner les premiers témoins, enforte que ce feul incident coüta plus de mille livres a. M. Rolland, qui les dépenfa en pure perte, puifque ce délai donna le loifir a 1'impofteur de prendre fes mefures, pour éviter le coup dont il avoit penfé être écrafé. Les émiffaires en queftion, de leur cóté, n'épargnèrent rien pour faire retenir la procédure a Aix; ils offrirent, par  du fieur de Caille. 2^7 ; une requête, de configner la moitié des frais. Enfin toute la ville d'Aix fut témoin de la chaleur avec laquelle Cleron follicita, pour faire dépouiller les juges de Toulon. Il eft: vrai qu'ils ont abandonné dans la fuite les intéréts du folI dat \ il trouva d'autres proteóteurs plus opulens, & appuyés d'un plus grand crédit. On en a déja parlé, & l'on aura occafion d'en parler encore. C'eft cependant ces quatre hommes 1 que l'on accufe d'avoir été les inftruI mens de M. Rolland, pour empoifonI ner leur protégé, dans le tems même | qu'ils lui rendoient tous les fervices I dont on vient de parler. II ne faudroit ij que cette réflexion , pour mettre la ca- ■ lomnie dans tout fon jour. Mais voyons 1 ce qui y a donné lieu. Voici 1'accufation dans les tenues ï mêmes qui la contiennent : le defein ! d'empoifonnement a été concu d Ma• nofque, exécuté d Toulon, confommé en \ la perfonne du foldat de marine, & ■ rendu inutile par les contre-poifons qu'on I lui donna d propos. Pour prouver que le deftein avoit été I concu a Manofque , on citoit les 273e 1 &c 3 2 8e témoins de 1'enquête du foldat. J Le premier étoit une gueufe mendiante,  258 Hiftoire du Fils qui avoit été entendue deux fois. Dans fa première dépofition, elle ne parloit point de ce fait. Mais, dans la feconde, elle dépofe avoir ouï-dire a Madeleine d'Herbe , qu'elle avoit out- dire d la nommée Georgi, qu'elle avoit dit avoir entendu que M. Rolland difoit au fieur de Saint-Efiienne , qu'il falloit donner 1 jö écus , & faire empoifonner ledit prifonnier. Madeleine d'Herbe n'a point dépofé. La Georgi, de qui vient le premier ouï-dire 3 n'a pas non plus été entendue ; & la dépofante finit fa dépofition , en difant que la Georgi lui avoit foutenu qu'elle n'avoit rien dit de tout eela. L'autre témoin s'appelle Marguerite Pioulle, & dépofe que la femme d'un chirurgien de Manofque lui a dit que des mejfieurs 3 & autres gens de la ville de Manofque 3 fe promenant d un endroit nommé la plaine 3 obfervèrent que M. Rolland & le fieur de Saint-Efiienne, qui s'y promenoient auffi, leur entendirent dire qu'il falloit empoifonner le fuppofé, & plus n'a dit fcavoir. La femme de ce chirurgien, non plus que ces mejfieurs, qu'on ne nomme pas, n'onr point été entendus. Rapporter ces deux dépofitions , qui contiennent tout ce qui,\dans  du Jieur de Caille. xkcj la procédure, concerne ce prétenducomplot d'empoifonnement, c'eft faire voir qu'il n'y en a poinr de preuve. Mais fi le complot n'eft pas prouvé, 1'exécution 1'eft encore moins. Quelques témoins en parient par ouï dire. D'autres dépofent qu'ils ont vu le foldat malade; & , fans alléguer aucun motif, ils en attribuent la caufe au poifon. lis indiquent, en même tems, Durand médecin, & Icard apothicaire de Toulon, comme 1'ayant traité dans fa maladie. Le fait eft, qu'ils 1'avoient traité, mais qu'ils n'ont point été entendus. Ce n'eft pas que le fieur Serry ne les ait beaucoup follicités \ mais ne les ayant pas trouvés difpofés a compofer un témoignage conforme a fes idéés, il n'a pas ofé rifquer de les faire afligner. Mais ce qui démontre abfolument la calomnie fur ce point de fait, c'eft que le foldat, lors de fon indifpofition, demanda d'être transféré dans un lieu de la prifon, qui füt plus fain que celui oü il avoit d'abord été mis; &, pour 1'obtenir, il fe fit donner, par le médecin Durand qui 1'avoit traité, un certificat de fa maladie. Ce certificat, qui fut produit au procés, dans un tems non fufpea, dans un tems oü cette  l6o Hifloire du Fils affreufe calomnie n'avoit pas encore été imaginée , ne contient aucun indice de poifon. II porte uniquement que le Joldat de marine a eu la fièvre pendant trois öu quatre jours. Enfin ce n'eft que quatre ans après cette indifpofition, qu'on s'eft avifc de parler de ce prétendu attentat. Ce long filence ne fuffiroit-il pas pour démontrer la calomnie? Paffons a 1'accufation d'aftaifinat. On a vu plus haut que ce crime étoit encore attribué a Silvy, Cleron & Carbonnel, ces trois prétendus efpions placés auprès du foldat par M. Rolland. Mais, x °. quand leur attentat feroit juridiquement attefté , ce ne pourroit être que par le miniftère de faux témoins. Quel tems Öc quelle circonftance a-t-on choifi pour placer cette calomnie ? Celui précifément oü les prétendus aftaffins émployoient tous leurs foins, toute leur acrivité, & leur argent, pour rendre a celui qu'on leur impute d'avoir voulu alfafliner, le fervice le plus eflentiel qu'on lui püt rendre alors; fervice qui, encore un fois, 1'a fouftrait a la preuve de 1'impofture; preuve que M. Rolland alloit mettre fous les yeux du juge de Toulon. II n'eft dcnc pas poftible de croire que ces trois perfonnages aient  du fleur de Caille. 16 r pit fe rendre coupables de Pattentar qu'on leur impute. Mais il n'eft pas plus prouvé, qu'il n'eft vraifemblable On a rapporté plus haut, p. 16 5, la dépofition du conciërge, qui a donné lieu a cette imputation. Ce conciërge, d'abord, ne mérite aucune confiance par lui-meme. Il avoit été chaffé de la conciergerie de Toulon, s'étoit retiré a Lyon, oü il s'étoit fait patiffier; & il étoit foldat de milice au moment de fa dépofition. D'ailleurs, il ne dit pas qu'il ait rien vu de fes propres yeux qui foit relatif au prétendu aftaflinat; il ne dépofe que ce qu'il a entendu dire par le foldat lui-même, Sc il eft témoin unique. Enfin il n'y a eu aucun décret lancé contre les prétendus aflaflins; preuve bien claire que les juges d'Aix ont eux-mêmes reconnu Pillufion de ce fait. M. Rolland n'étoit donc coupable ni d'aflaffinat, ni d'empoifonnement. Mais voyons fur quoi étoit fondée 1'accufation dont on le chargeoit d'avoir féduit Silvy, Cleron & Carbonnel, Sc de les avoir placés comme efpions auprès du foldat. Une feule dépofition a donné lieu a tout ce fyftème d'accufation. Le 66e témoin du foldat dépofe avoir  %6l Hijloire du Fils entendu dire d Carbonnel qu'il avoit rccu cinquante mille francs } & qu'il ne s'en mêloit plus j ce qui parut ft ridicule aux auditeurs } que chacun s'en moqua. Chacun avoit bien raifon de s'en moquer. Perfonne ne fe perfuadera que M. Rolland ait fait la folie de donner cinquante-mille francs, pour tirer un huilfier du fervice du foldat. C'eft cependant fur de pareils ouïdircs que l'on fonde cette accufation \ fi l'on pouvoit y ajouter foi, il en faudroit conclure que M. Rolland auroit diftribué gratuitement des fommes immenfes. Ce magiftrat n'étoit donc point d'intelligence avec ces prétendus apoftés. Mais étoit-il faulfaire ? Le prétendu faux fur lequel on a le plus infifté concern e les révélations revues par le curé de Rouflïllon. II eft vrai que plufieurs témoins fe font plaint qu'on ne s'étoit pas conformé, dans la rédaclion de leurs révélations, a ce qu'ils avoient véritablement révélé. II eft encore vrai que, dans la minute dreftee par le curé, il y a des corrections faites d'une main étrangère. Mais il eft vrai aufti que ces irrégularités ne portent aucune atteinte a la •vériré.  du fleur de Caille. 2.63 II eft de principe que des révélations recues par un curé ne font que de firnpies indications, aivxquelles on n'ajoute aucune foi, fi 1'audition des témoins ne s'en eft enfuivie de Tautorité de la juftice féculière. C'eft a cette feule procédure que la foi eft due. Le curé, quant a cette foncrion, n'a aucun caraétère en juftice; fon miniftère fe borne a prendre les noms de ceux qui fe préfentent, 8c écrire, a mefure, qu'ils font dans le deffein 8c en état de dépofer fur les faits contenus au monitoire publié ; mais ils peuvent fe difpenfer de lui dire ce qu'ils fcavent, 8c il peut aulfi fe difpenfer d'écrire ce qu'ils veulent lui dire au-dela de leur nom 8c de leur foumiflion. Si le curé, conformément a 1'ufage qui s'eft mal-a-propos introduit, a écrit ce que les témoins ont juge a propos de lui dire, eet écrit n'eft qu'un fimple mémoire dont le commiflaire peut faire tel ufage qu'il juge a propos. II n'eft poinr tenu de le faire lire aux témoins; s'il le fait, c'eft tout au plus pour foulager leur mémoire ; mais cette leéhire n'ajoute aucun caractère a ces révélations ; elle ne leur donne aucune foi en juftice; 8c les témoins peuvent ajouter a ce qu'ils ont dit dans leur révéla-  2,64 Hijloire du Fils don, y changer, en retrancher ce qu'ils jugent a propos, fans que ni eux, ni le curé aient 'aucun* punicion a app?é- hender. On avoit donc tort de dire, pour Ia défenfe du foldat, que 1'audition des témoins qui ont fait leur révélation deyant le curé, eft un récolement judiciaire, & que la procédure eft alors compofée de deux parties. indivifibles; des révélations & du récolement. Loiu que la révélation fafte partie de la procédure, on ne la lit plus en jugeant le procés; & ft un témoin avoit fimplement dit, devant le commiftaire , qu'il s'en tenoit a fa révélation , il feroit réputé n'avoir fait aucune dépofition. II faut qu'un témoin , foit qu'il ait été en révélation, foit qu'il n'y ait pas été, raconte au commiftaire tout ce qu'il fcait, & que le commiflaire le fafte rédigerpar le grefrier. Ces révélations enfin ont fi peu 1'eftét d'une preuve juridique, qu'il n'eft pas permis de faire entendre les perfonnes qui y font dénommées & indiquées, mais feulement les révélans. En un mot, le curé qui les recoit ne fait même pas prêter ferment aux révélans, il fe contente de leur faire fimplement promettre qu'ils diront la vérité. II  du fieur de Caille. 265 11 eft inutile de difcuter davantage cette matière. Ce qui vient d'être dit i eft conforme au fentiment de tous les ! auteurs qui en ont parlé, a. la pratique Sc a la jurifprudence. II eft donc indifférent, pour la confiance due aux dépofitions , qu'elles foient, ou qu'elles ne foient pas conformes aux révélations. Mais une cir: conftance bien eftènrielle a obferver, c'eft qu'il n'y a pas un de ceux des té: moins qui fe font plaints de quelqu'in1 fidélité dans la rédaction des révélations , qui n'ait dépofé Sc attefté, fur la. : damnation de fon ame, qu'il reconnoif: foit l'accufé pour être le véritable Pierre I Mège. C'eft la le fait unique dont la i juftice cherchoit la preuve \ Sc ii n'y a, \ a eet égard, aucun changement, aucune rétractation. Refte a parler du faux imputé a M. \ Rolland, qui, dit-on, a fait des correciltions de fa main dans la minute des reI vélations. -i °. Ces correétions faites dans 1 une pièce qui n'a par elle-même, Sc ne Ipeut avoir aucune foi en juftice, font I aflez indiftcrentes. 2^. Pour peu qu'on, | veuille les confidérer avec attention, 1 on reconnoitra facilement que celui qui t en eft 1'auteur, n'a eu aucune intention Tome III. M  266 Hifloïre du Fils de préjudicier au foldat, ni diredte- ment, ni indirectement. Elles fe réduifent a quelques correc- tions d'ortographe ou de grammaire, & a quelques changemens de dates. A 1'égard des premières, on a changé le mot ilen celui de elle, paree que ce qui précédoit avoit rapport a une femme. Du mot et, on a fait eft, qu'exigeoit la fuite naturelle du récit du révélant. Au lieu de coup, on a mis col. Du mot libel Ier, qui n'avoit aucun fens, on afait //bérer qui convenoit au difcours. Voila donc ce qu'on appellé des crimes capitaux dans une pièce inutile. A 1'égard des changemens de dates, il eft certain que non-feulemend'accufé n'en pouvoit fouffrir aucun préjudice, mais qu'ils étoient contraires aux véritables intéréts de M. Rolland. Au lieu de 14 & 25 ans qui fe,trouvent en chiffres dans la révélation, ou le témoin dit qu'il connoit Pierre Mège depuis ce tems, on a mis 10 & 21 ansjce qui rapproche de quatre ans 1'époque de cette connoiftance. Cependant il eft eertain que les témoins qui dépofoient reconnoitre dans le foldat le même individu qu'ils avoient toujours connu pour Pierre Mège, étoienc favorables a M,  du /zeur de Caille. 267 Rolland a mefure que cette connoif! fance étoit ancienne 5 & en abrégeant la i durée,ce magiftrat avoitopéré contre lui1 même, & en faveur de fon adverfaire. Dans un autre endroit, le curé avoit ! écrit que le témoin connoiftbit Pierre ' Mège depuis 17 d x 8 ans, Sc l'on a mis 1 17 d 18 ans ; ce qui certainement étoit : conforme a 1'intention de celui qui ré• véloit. Mais le correcteur, en interpréI tant cette intention, pouvoit adopter 1 le terme le plus reculé, au lieu du plus rapproché, & mettre 27 d 28 ans;Sc en abrégeant de dix ans, Ie tems de cette connoiftance, il n'a fait tort qua M. Rolland. II eft inutile d'entrer, a. ce fujet, dans . un plus grand détail; il eft certain que ces petits changemens n'ont porté aucun préjudice i l'accufé, Sc que, par conféquent, il n'a pas droit de s'en plaindre, encore moins de s'en faire un prétexte pour calomnier M. Rolland. On accufe enfuite ce magiftrat d'avoir < emprunté la main d'un commis du com< : miffaire général des galères, pour commettre des faux d'une autre efpèce. Ils i font de deux fortes j faux dans les dates j 1 faux dans des additions de mots. Quant aux faux dans les dates, on a Mij  2Ó8 Hijïoire du Fils fenlement voulu infinuer qu'ils étoient confignés dans les extraits délivrés par le commis; on n'a pas ofé porter 1'accufation jufqu'a foutenir que les minutes euffent été altérées; & ces dates, dans les expéditions délivrées par le commiffaire lui-même, fe font trouvées les mêmes, que celles qui étoient dans 1'expédition du commis. II eft vrai que, relativement a lage de l'accufé, elles fe croifent& fe contredifent; mais 1'énonciation de 1'age, dans tin engagement, dépend de la déclaration du foldat-, qui fe dit plus ou moins vieux, fuivant qu'il croit avoir intérêt de le faire; &c 1'officier qui rédige 1'enrólement, écrit ce qu'on lui dit a eet egard; enforte que ce fait eft abfolument : indifférent, & ne peut prouver que le i foldat, qui auroit fait divers enrolemens : en divers tems, & qui, dans tous auroit : varié fur fon age, n'eft pas la même per- ■ fonne, fi d'ailleurs toutes les autres qua- ■ lirpQ énnnrées dans ces enrolemens con- • i c , •' ' j ii:Jjt. i ' :. . qui 1 ont vu, fors de tous ces enrole- inens , ont reconnu & dépofé que c'eft i la même perfonne. Or ici, plufieurs té- pjoins pat dit que Pierre Mège, enrêlé i  du fieur de Caille. 169 en 1676, 1683, 1691 & i69)9eft le meme qu'ils ont reconnu en la perfonne de l'accufé. . 11 n'avoue cependant que celui de ï 69 5 ■ mais celui-la même prouve qu'il eft 1'auteur de tous les autres: il y prend la meme qualité, le même nom, & ïndique la même demeure, que dans ceu* de 1676 & 1683. II ajoute, dans celui de 1695 \ qu'il afervi fur les galères cv dans la mïlïce de Provence J li faut donc qu'il ait faitf Tun & 1'autre fervice; c'eft lui qui 1'a déclaré. 11 eft vrai qu'en avouant- fón fervice dans la milice, il nie celui fur les galères, & prétend qu'il n'a fait cette déclaration que pour mieux fouteuir le déguifement fous lequel il s'étoit caché, en ufurpant le nom de Mège. Mais, en avouant qu'il avoit etc foMat de milice, il fe cöupoit, pmfque, dans fon fyftême, le véritable Mège ne 1'a jamais été,.& que c'eft lui prétendu fils du fieur de Caille qui a fervi dans cette troupe fous le nom fuppofé de Pierre Mège. II indiquoit la route qui conduifoit ï la preuve que Pierre Mège, & Timpofteur qui ufurpoit le nom de Caille,étoient le même individu. Quant aux variations qui fe trouvent dans ces enrolemens concernant 1'age Müj  2,70 Hifloire du Fits de Pierre Mège, c'eft un point fur lequel il n'a jamais été d'accord avec luimême. Dans fon abjuration, il ne fe donne que 23 ans; & dans Pinterrogatoire qu'il a fubi a Toulon deux mois après , il s'en donne 25 ou 16.11 ne faut donc pas s'étonner fi, dans i'enrólement de 1676, & dans celui de 1683, il ne s'eft donné que 20 ans; dans celui de 1691 , 11; & enfin 25 dans celui de 1695. Ces variations, dont il eft luimême Pauteur, ne peuvent donc être reprochées a perfonne, Sc'prouvent au contraire, de plus en plus>, que le foldat n'eft qu'un impofteur. Quant aux mots, c'eft le même, inféiés dans les extraits d'enrólemënt, il eft bien clair que le commis n'a pas eu intention de faire croire qu'ils fuflent compris dans le corps des originaux. Les enrolemens font couchés dans les regiftres, fuivant les dates ou ils avoient été faits; & ceux de Mège étoient confondus avec d'autres qui avoient été infcrits pendant 1'efpace de tems qui s'étoit écoulé entre la date de chacun des fiens. Ces mots, c'eft le même, infcrits dans le regiftre n'auroient donc fait aucun fens, puifque, par 1'ordre des infcriptions, ils auroient été relaüfs au  du fieur de Caille. 271 precedent qui n'avoit aucun rapport a. Pierre Mège, dont il falloit aller chercher 1'enrölement antérieur a plufieurs paaes.au-defTus. Qu'eft-il donc arrivé? Le°copifte, qui étoit inftruit du motif qui faifoit rechercher ces enrolemens, èc qui, en les rapprochant, jugea, par les fio-nalemens qu'ils contenoient, qu il y avoit identité de perfonne, crut pouvoir en dire fon avis; mais il ne fongea nullement, & ne put fonger a faire un faux. M. Rolland n'étoit donc m empoifonneur, ni affaflin, ni fautfaire. Mais au moins étoit-il de mauvaife foi, & fcavoit-il que le foldat qu'il pourbuvoit comme importeur, füt véritabiement fon neveu? Cette imputation n'eft fondée que fur deux hiftoriettes rapportées plus haiit, pag. 170,171- Mais rien n'eft plus facile que d'en laver M. Rol- ^Vhótetfe que l'on a dir avoir entendu la converfation entre monfieur & madame Rolland, n'avoit point alors dspofé en juftice; elle afoutenu pubhquement que c'étoit une fable, & 1'a meme dépofé depuis dans une enquête faite après 1'arrêt du parlement d'Aix. Quant au colloque fuppofé entre Miv  272 Hifloire du Fils madame Rolland & le foldat, il eft raconté dans un des mémoires imprimés pour eet importeur, oü l'on ne cite d'autre autorité, pour appuyer cette hiftoire, que la dépofition du 2 2ze témoin de fon enquête. Ce témoin eft la femme d'un boulanger ; écoutons-Ia parler. A dit avoir entendu dire d Urfule Ponce, que la tante du fieur de Caille l'étant allé voir dans la prifon , ledit de Caille la reconnut, & lui dit: eh bien, ma tante, ne me connoijfei-vous pas? Elle répondit que c'étoit un impofleur : & ledit de Caille lui dit: ne vous fouvene^-vous pas qu'étant a la maifon de mon père, a fon abfence, vous fües un jour cuire un petit pourceau, & fcachmt que mon pere entroit dans fa maifon, yous le cachates? Alors fa tante répondit, yous êtes un impofleur, ce n'étoit pas un pourceau ; c'étoit un agneau. Plufieurs raifons démontrent la fauffetéde cette dépofition. i°. Le témoin parie par ouï-dire, & dépofe qu'elle tient cette hiftoire de la nommée Urfule Ponce. Cette Urfufe Ponce eft le 19 3' témoin de 1'enquête du foldat; fa dépofition contient des détails beaucoup moins intéreffans que celui-ci, dont elle ne dit pas un mot, ni direétement, ni indi-  du fieur de Caille. 273 recrement. 20. Le foldat eft convenu dans fon interrogatoire, que jamais il n'avoit vu madame Rolland. Comment a-t-ü donc pu la reconnoitre, quand il 1'a vue dans la prifon ? & comment 1'hiftoire du pourceau, ou de 1'agneau, a-t-elle pu fe pafter entre deux perfonnes qui ne s'étoient jamais vues ? 3° II eft de fait que la dame Rolland n'eft jamais entrée dans les prifons d'Aix : aufli 1'avocat, qui avoit fait ïmprimer ce colloque dans fon mémoire, en avoit-il transféré le lieu dans le palais meme, contre la lettre de la depolition, afin de toucher davantage le public , & de pouvoir le prendre, pour ainfidire, a témoin d'un fait qui ne pouvoit pas manquer d'exciter fa lenlibilité, & de gagner fa faveur. Et c eft pour donner un air de vraifemblance a cette converfation ridicule, qu'il a ajoute cette circonftance, qui n'eft pas dans la dépofition, que le fieur de Caille pere ne pouvoir fouffrir 1'odeur de la chair de pourceau. Refte a parler, pour la juftification de M. Rolland, de la fubornation de témoins qui lui eft imputée. Les details dans lefquels on pourroit entrer ici, a ce fujet, feroient fuperfius; d faudroic Mv  274 Hifloire du Fils encore en parler, en examinant 1'enquête du foldat, & les répétitions feroient inévitables. Qu'il fuflife de laver ici les deux témoins qui ont été décrétés par 1'arrêt du parlement d'Aix 5 fcavoir, Louis Rey, 8c Antoine Audibert. L'imputation faite au premier n'a d'autre fondement que les dépofitions de deux témoins entendus a la requête du foldat, le 2 5 8e 8c le 3 3 8e, qui font deux gueufes mendiantes. La première dépofe avoir ouï dire d Ifabeau Darbes, que Louis Rey avoit recu deux charges de bied, pour dénier M. de Caille. La feconde, qu'elle a entendu dire d 1'enfant de Louis Rey, qu'on avoit donné d fon père deux charges de bied pour l'obliger d nier que le prifonnier fut le véritable Jils du fieur de Caille, & que fon père avoit dit qu'il efiimoit mieux deux amis qu'un. Quant a Thiftoire du coin de terre donné a ce Louis Rey par M. Rolland , il n'y en a aucune rrace dans Ia procédure, 8c il paroit que ce n'eft autre chofe qu'un trait de I'imagination de 1'avocat du foldat. Au furplus, il eft bien certain que ces deux dépofitions font fort éloignées d'établir la preuve d'une fuborna^ tion. i°, Ifabeau Darbes, a qui le pre-^  du fieur de Caille. 275 mier témoin prétend avoir oüi dire le fait, n'a point dépofé. 2.0. Aucun des deux témoins ne nomme M. Rolland. 30. Benoi't Laurent, 31 ie témoin de 1'enquête du foldat, a dépofé qu'ayant interrogé Louis Rey fur le brult qu'on faifoit courir qu'il avoit recu deux charges de bied, ledit Rey a toujours niécefait , & qu'il lui dit que , quand il fut d Toulon, il Je feroit mis en prifon avec le prifonnier , s'il l'eüt pu reconnoure pour lefils du fieur de Caille. Cette déclaration dépofée par un témoin du foldat lui-même, & qui la tient de la propre houche de celui qui 1'a faite, ne détruit-elle pas les ouifdires des deux autres témoins, qui ne parient que d'après des tiercés perfonnes ? Pour ce qui concerne Antoine Audibert, des témoins, dit-on, ont dit qu'd avoit recu zo piftoles de M. Rolland, &c c'eft d'Audibert lui-même qu'ils le tiennent. Mais, i°. peut-on croire que ce témoin eut été affez fou pour avouer fon crime publiquement? Un faux témoignage eft-il donc une action dont on fafle parade? z°. Nul témoin ne dit avoir entendu M. Rolland promettre , ni 1'avoir vu rien donner a eet Audibert; ce n'eft qu'un fimple propos, que ceux M vj  2J6 Hijloire du Fils qui le rapportent difent tenir du prétendu coupable lui-même, qui 1'a nié dans fa propre dépofition; il eft le 5 3* témoin de 1'enquête du foldat. 30. Ceci parok décifif. Qu'a-t-il dit dans fa dépofition, qui fafte un fi cruel préjudice au foldat ? La voici: ily a quin^e ou fiei^e ans que je n'ai vu le fils du fieur de Caille ; je ne reconnois point le prifonnier pour être ce fils ; je ne peux dire qui il eft. Plus de 250 témoins ont parlé de même. Cette dépofition valoit-elle donc 20 piftoles ? Si ce témoin avoit été corrompu a prix dargent, ne lui auroit-on pas fait dépofer des circonftances particulières fur la différence des traits, de Pair & de la figure du fils du fieur de Caille ? Ne lui auroit-on pas au moins fait dire décifivement que le foldat eft un impofteur? Encore une fois, peur-on croire que l'on ait acheté une dépofition qui ne dit rien, & qui eft conforme a 250 autres ? Et y avoit-il lieu a prononcer un décret de prife-de-corps contre ces deux témoins ? Terminons ce que nous avons adire, quant a préfenr, de la fubornation imputée a M. Rolland, par quelques réflexions générales; je pourrai avoir lieu, dans la luite, de revenu fur certains  du fieur de Caille. 277 details. Si cette imputation étoit véritable , & telle qu'on 1'a dénoncée a la juftice & au public, M. Rolland auroit dépenfé, pour eet objet feul, plus de cent mille écus; & pour quoi faire? Pour fauver a fa femme environ vingt mille écus, qu'elle avoit laftfé fubfifter en nature , & fans toucher aux capitaux, D'ailleurs , comment prouve-t-on cette fubornation générale? Rapporte-t-on quelque acte, quelque fait public qui donne attteinte a quelques-unes des dépofitions arguées de faux? Le foldat peut-il dire que les rémoins entendus a Marfeille aient été fubornés, lui qui a puifé toute fon hiftoire dans leurs révélations? II n'allègue rien contre ceux qui ont été entendus a Toulon ; ils ont cependant été récolés & confrontés, ils font décififs contre lui, & il laifte leurs dépofitions intaeftes. Toute fa fureur fe borne donc contre les témoins de Joucas & de Roufiillon;on vient de voir corrtbien elle eft peu fondée. M. Rolland juftifé des crimes qui lui avoient été imputés, &c qui 1'avoient rendu fi défavorable aux yeux de fes juges & du public, le flambeau de la vérité va paroitre fans aucun obftacle 3  278 Hifloire du Fils & fon adverfaire va feul être un objet d'indignation. Cet adverfaire prérend qu'il eft le fils du fieur de Caille, & que, s'il a vécu quelque tems fous le nom de Pierre Mège, ce n'eft que par fuppofition. Cependant il eft très-vrai qu'il eft le véritable Pierre Mège: & quand il ne le feroit pas, il ne pourroit être le fils du fieur de Caille, puifque celui-ci nonfeulement fcavoit lire & écrfre, mais avoit eu une éducation digne de fa naiffance, en avoit profité, & eft mort en Suifle, avant que 1'impofteur eüt ufurpé fon nom. II faut d'abord fuivre Pierre Mège depuis fa naiflance, jufqu'a 1'abjuration qu'il fit en 1699, fous le nom du fieur de Caille, & prouver que c'eft toujours le même individu, & qu'il n'y a, dans Ie cours de fa vie, aucun efpace qui4ait pu donner le tems a perfonne de fe revêtir de fon nom. Francois Mège, natif de Joucas, petite ville de Provence, au diocèfe d'Apt, étoit cardeurde filofelle & cabaretier. II époufaMarie Gardiolle, & eut, de ce mariage, fept enfans, quatre garcons & erois filles; les garcons étoient Jean,  du fieur de Caille. 279 Alexandre ,'Pierre, Sc Francois: les filles étoient Madeleine, Anne & Chrétienne. Ils faifoient tous profeffion de la religion proteftante. Jean, 1'ainé des enfans, étoit cardeur, aufii-bien que fon père, Sc apprit fon métier a Pierre fon troifième frère, qui eft le prétendu Caille. Le père, par arrêt rendu en la chambre de 1'édit du parlement de Grenoble en 1671, fut conduit k Marfeille, Sc mis , comme forc,at, fur la galère la Fidelle. Sa familie quitta Joucas, Sc alla s'établir a Marfeille, pour être a portée de fecourir le galérien. Une partie de fes enfans logeoit avec lui fur la galère, oü il étoit enchainé, & oü il avoit établi une forte de taverne. Ces faits font atteftés par 28 témoins, qui tous dépofent de v'ifu3 Sc afturent,yüf la damnatlon de leur ame, que le prifonnier, auquel ils ont été confrontés avant de dépofer, eft le même Pierre Mège qu'ils ont vu, dans fa jeunefte, carder de la filofelle a Joucas, Sc accompagner fon père fur la galère la Fidelle. II ne faut pas oublier de remarquer que ce Pierre Mège étoit né en Ce fait eft attefté par dix témoins ocu-  2.0*0 Hiftoire du Fils laires, du nombre de ceux dont on vient de parler. La galère, fur laquelle le père de notre importeur étoit forcat, ayant été commandée en 1676 pour faire la campagne de Mefline, Pierre Mège fuivit ïbn père, Sc s'enróla, en qualité de foldat , fur la meme galère. Sept témoins dépofent de ce fait de vifu , Sc ont reconnu le prifonnier pour le même foldat qu'ils ont vu & fréquente k Mefline. Au nombre de ces témoins eft le fieur Brunode Valbelle,chevalier de Malthe, connu fous le nom de chevalier de Monfuron, capitaine de la galère même fur laquelle fervoient Francois Sc Pierre Mège, père Sc fils, 1'un comme fonjar, Sc 1'autre comme foldat. On va bientót parler plus amplement de fa dépofition. Un autre témoin du même fait, eft le nommé Marin, écrivain fur la même galère. Ce dernier affirme , d la damnatlon de Jon ame y que le foldat qu'il vient de voir d fon ferment, & qu'il n'avoit pas vu depuis 1682 s eft le même Pierre Me ge, fils de Francois , foldat ou marinier de rame , cardeur de filofelle, qui tomboit alors du mal caduc , & dont il a parlé ci-deffus.  du fieur de Caille. 281 De retour a Marfeille, & étant toujours foldat, il fit, le 13 mars 1679, abjuration de la religion P. R. entre les mains du pere Roffignol, jéfuite, dans 1'églife des jéfuites a Marfeille, en pré^ fence de Charbonnier, confifeur, dont il étoit valet. Ce fait a été dépofé par Charbonnier lui-même, qui a reconnu le prifonnier pour être le même Pierre Mège dont il a parlé. II faut obferver ici un fait effentiel. Le foldat, dans 1'hiftoire qu'il a racontée de lui-même comme fils du Sr de Caille , eft convenu qu'il avoit fervi dans la bourique d'un confifeur; & effectivement, alaconfrontation, il reconnut Charbonnier ; convint qu'il avoit été a fes gages pour racler & peler des oranges, puifer de 1'eau, &c. Mais il s'appercut que, par eet aveu, il fe coupoit lui-même, puifque le tems ou il avoit fervi chez ce confifeur fe rapportoit a 1'époque de 1'abjuration du mois de mars 1679 , tandis qu'il avoit toujours foutenu qu'il ne s'étoit évadé de la maifon paternelle qu'en 1690, & qu'ïl n'avoit pris le nom de Pierre Mège, que quelque tems après. Pour réparer cette indifcrétion, le foldat ajouta que ce n'étoit que depuis neuf ans, après avoir quitté le fieur de  28x Hifloire du Fils Caille fon père, qu'il avoir fait les foiictions de garcon confifeur; il foutint au furplus qu'il n'avoit point fait 1'abjuration dont on parloit. Mais voici la preuve que cette abjuration avoit été faite par le prifonnier lui-même, fous le nom de Pierre Mège, en 1679. i° L'acFe en a été produit au procés. 2.0. Le chevalier de Monfuron dépofe que « quand le Roi lui conféra le 53 commandement de la galère la Fidelle' 3> en la place du fieur d'Efpagnet, qui 35 la commandoit au combat de Pass lerme, le même foldat qui fe dit d pré33 fent fils du fieur de Caille , étoit déjd 33 foldat fur la même galère la Fidelle . .. 33 au tems de cette campagne , avec fon33 père Francois Mège, fur la même galère 33 forcat. Et depuis , lui qui dépofe fe 33 fouvient que, dans le détachement 33 des troupes que S. M. tira des galères, 35 pour aller en Ponant en 1690, ou 35 environ, le même Pierre Mège, qui 33 fe dit fils du fieur de Caille a préfent, s3 fut commandé, & partit avec le déta33 chement; & étant a Rochefort, il en 33 fut congédié, paree qu'il tomboit du »» mal caduc. Et, après quelque tems, 33 le même foldat, qui s'étoit mis dans  du fleur de Caille. Z83 » la milice de Marfeille , fut de nou55 veau propofé au dépofant pour 1'en33 roler en qualité de foldat; & fe fou)> vient, lui qui dépofe , avoir eu de la » peine a le recevoir, paree que 1'inconj> vénient du mal caduc faifoit obftacle; » mais, fur 1'alfertion que le foldat fai33 foit d'être guéri, & de ne tomber „ plus, fit réfoudre le dépofant a le re» cevoir , & fit ledit foldat 1'enrble» ment accoutumé, toujours fous le nom »3 de Pierre Mège du lieu de Joucas. Et 35 les galères ayant été commandées pour 331'expédition & le fiége de Barcelone, 33 ayant couché aux ifles & refté deux 33 ou trois jours, le même Pierre Mège 33 tomba du mal caduc, & fut dela con33 gédié pour infirmité. Se fouvient que 33 le même Pierre Mège a fait une abju33 radon, il y a long-tems, entre les „mains du pere Rojfignol, jefuite, & 33 mejfre Laurens, prêtre de la miffion > 33 a prefent aux églifes de Barbarie 3 que 33 le dépofant figna de fa propre main s 33 ne pouvant Je fouvenir du tems prefxe 33 de cette abjuradon, &c. » Cet officier finit fa dépofition , en atteftant que le prifonnier, qu'il a examiné deux fois , eft le même que le Pierre Mège dont il a parlé; & le reconnok d'autant plus  2,84 Hijloire du Fils fürement, qu'il 1'a fait meurt fouvent a la chaine 3 pour des manquemens qu'il avoit faits au fervice s pour lefquels il, étoit nèceffaire qu'il reftdt long-tems a. la chaine, pour donner exemple aux, autres. ~ . Cette abjuration eft donc conftante r 8c Pierre Mège, dans 1'acte qui en fut. rédigé, après avoir déclare qu'il ne fija-. voit figner, fe dit agé de dix-huit ans j ce qui revient a 1'époque de fa naiflance, que les témoins qui en ont parlé, ont indiquée en 1661. Cette première abjuration lui avoit procuré des générofltés de la part des bonnes ames ; 8c ces générofltés lui donnèrent du gout pour ces fortes de démarches. S'étant trouvé a Apt, en 1681 , il en fit une feconde le 26 décembre, dans Péglife cathédrale. Elle fut recue par un notaire nommé Boyer, que Mège ne figna point, ne fcachant pas écrire, & dans laquelle il fe déclare agé de vingt ans. Cette feconde abjuration eft prouvée par Pacte qui en eft rapporté au procés, par le témoignage du notaire Boyer, qui attefte que le foldat ejl le même Pierre Mège qu'il a fait abjurer a Apt en i marié au Martigues avec Honorade » Venelie en 168 6. Et ledit foldat a nié » ledit contrat de mariage, & la procu- . » ration fufdite, accordant d'avoir pajfé „la reconnoijjance 'en 1694 fous une „faujfe qualité de mari d'Honorade Ve„ nel/e, quoiquil nefut qu'un marifup„ pcfé, feignant alors de l'être, pour ca„ cher fon nom & fa qualité. Et s'étant „ féparés , le dépofant a foutenu, a la „ damnation de fon ame , que ce foldat „ étoit le véritable Pierre Mège, marié „en i626 avec Honorade Venelle , & le „ même dont il a parlé dans toute fa dé„ pofition , &c. „. On vient de voir , par la dépofition du chevalier deMonfuron, que Pierre Mège, foldat fur la Fidelle, fut congédié a Rochefort. Ce fait eft encore attefté par plufieurs autres témoins, qui tous reconnoijfent le prifonnier, pour être le même Pierre Mège qui pajfa au Ponant.  2.88 Hifioire du Fils De retour du Ponant a Marfeille, il s'enróle le 7 mai 1691 , fur la galère la Belle. Ce fait eft prouvé par plufieurs témoins, qui atteftent également que le prifonnier eft le même qui avoit fait eet engagement. On a parlé, dès le commencement de cette hiftoire, p. 113, d'une rente qui appartenoit a Honorade Venelie, & dont Pierre Mège avoit recu des arrérages fur fes propres quittances. Le prifonnier eft convenu d'avoir donné de ces quittances, dans le tems qu'il avoit pris le mafque de Pierre Mège, pour cacfier le fils du fieur de Caille. Ce fait eft un de ceux qu'il importe le plus d'éclaircir; il confond 1'impofteur par fes propres aveux. II convient qu'il a recu cette petite rente , pendant deux années, & qu'il en a donné quittance, en qualité de Pierre Mège, mari d'Honorade Venelie. Or il eft cerrain qu'il y a cinq quittances produites au procés, données par Pierre Mège au débiteur de la rente. Elles font des années 1693, 1694, 1695 , 1696, & 1697. Le foldat n'avouoit que les deux dernières ; paree que, s'il eüt avoué les trois précédentes, leurs dates n'auroient pas quadré avec 1 epoque de fon arrivée a Marfeille, qu'il  du fieur de Caille. 289 | qu'il a fixée au commencement de 169 5« j Mais, fi ce n'eft pas le prétendu de 1 Caille qui a donné les quittances de I 1693, 1694 & 1695, ^ e^ évident j qu'elles ont été données par le véritable 1 Pierre Mège : & alors il eft convaincu 1 de menionge, quand il dit que le véri| table Pierre Mège éroitdifparu en 1690 , 3 &c que fa femme, fa mère, fon frère & | fes fceurs n'en avoient point entendu j parler depuis ce tems-la. II y a plus : le foldat manque encore j davantage de jugement, en ne voulant I pas avouer que c'eft lui-même qui eft I auteur de la quittance de 169 5. Êlle eft j datéedu 29 feptembre,c'eft-a-dire, huit j mois après le tems qu'il dit avoir com1 mencé a habiter avec Honorade Vej neile. Parconféquent, fi cette quittance I n'a pas été donnée par le prifonnier, i mais par le véritable mari, il s'enfuit I que celui-ci habitoit avec fa femme, j tandis que 1'impofteur couchoit avec 1 elle, & fe faifoit pafter pour fon mari. Mais s'il reftoit encore quelque doute S que ces quittances aientété données par l la même perfonne, & que cette pera fonne foit Pierre Mège, mari d'Horio1 rade Venelie, il ne faur qu'entendre sj parler le débiteur de la rente, celui Tome 111. N  zgo Hifloire du Fils même qui a repréfenté les quittances *. c'eft le 45e témoin de 1'enquête de M. Rolland, «En 1691, lui qui dépofe au)> roit payé cette penfion ou rente de „ 11 livres 5 fois 9 deniers a la nommée 3> Jeanne Venelie, procuratrice de Pierre u Mège fon beau-frère; & en vertu de j; la même procuration , le dépofant „paya, en 1691, a. la même Jeanne 3> Venelie. Mais les cinq années fuinvantes 1693, 16943 I(»95 1696, 33 1(397, /#i £/ mari Pierre Mège ; a joui non-feule» ment d'elle par concubinage contin nuel, mais exigé fes rentes, joui de » fes biens & de fon travail, comme un »> véritable époux. . . . Ne pouvant pas » affurer fi ledit foldat eft fuppofé ou ne 351'eft pas, &c 33. On a voulu tirer parti, en faveur du foldat, de la dernière partie de cette dépofition. Mais, quoique le témoin ignore fi le foldat qui lui a été confronté eft Pierre Mège, ou ne 1'eft pas, il n'en eft pas moins vrai que c'eft la même perfonne qui a donné la procuration pour toucher en 1691 & 1692 , & qui a donné les cinq quittances confécutives dont il s'agit. Pour couvrir les contradiótions fous le poids defquelles il eft accablé, il n'a pas craint de fe couvrir lui-même d'infamie, & d'avoir 1'impudence de dire, a la face de la juftice même, qu'il a vécudans un concubinage continuel, qu'il a commis des faux, qu'il eft coupable de fuppofition de nom & de perfonne ; enforte que, d'après fes propres aveux, il ne pouvoit pas gagner fon procés fans être digne de mort; en le déclarant fils du fieur de Caille, c'étoit le déclarer fauffaire, impofteur, & voleur. Nij  2^1 Hifloire du Fils .Mais 1'affaire de M. Rolland n'eft pas de preuver que le foldat eft un importeur , foit qu'on le regarde comme fils du fieur de Caille, foit qu'on le regarde comme Pierre Mège \ il feroit même le premier a le fecourir, fi, étant de Caille, il étoit pourfuiyi pour raifon desinfamies dont il fe couyre lui-même. Son intérêt fe borne a prouver que celui qui, en fe les attribuant, les impute au fieur de Caille , eft un importeur. Or ce qui décide ici, ce font les dates. Si le fiddat a donné des quittances pendant les années 1693 I^94-t ü ment, en difant qu'il n'eft arrivé a Marfeille qu'en 1695, après la miliee congédiée. S'il a pafte une procuration a Jeanne Venelie , fa belle-fceur, pardevant les notaires de Marfeille , le premier oótobre 1691 , que devienr le roman qu'il a compofé fur fes aventures a Turin, en Piémont &c a Nice ? Ou placera-t-il déformais cette converfation fahuleufe avec M. de Cafinat, ce prétendu pafte-porr, eet engagement dans la miliee de Provence, cette apparition du baflin d'argent ? Voila a quoi il a dit qu'il étoit occupé pendant 1'année 1691 &' les fuivantes. Et on lui prouve que, pendant ce tems\k, il faifoit des actes a Marfeille, Y  du (leur de Caille. 2,9 3 donnoit des quittances, 8c y difpofoit du bien d'Honorade Venelie. Mais achevons 1'hiftoire de la vie de Pierre Mège. Le 11 février 1694., il s'enróla dans la miliee de Provence; eet enrólement fe fir a Marfeille, & fut produit au procés. Le fait d'ailleurs eft attefté par plufieurs témoins qui déclarent, en même tems, que le prifonnier eft le même Pierre Mège qu'ils ont vu foldat de miliee. Cette date, 8c le lieu de 1'enrólement, portent encore un cruel échec a 1'hiftoire du prérendu Caille, qui n'eft arrivé a Marfeille qu'en 1695. Le 3 o janvier 1695, il eft congédié de la miliee; le 5 mars fuivant, il s'enrole fur la galère la Fidelle, 8c prend, dans eet adte, la qualité de mari d'Honorade Venelie. Ces faits font prouvés par pièces authentiques. Le 5 décembre 1697, il eft congédié de la compagnie de la galère la Fidelle, & s'enrble fur les vailfeaux a Toulon ; 8c c'eft a cette époque qu'il s'eft dit ouvertement fits du fieur de Caille, 8c que la procédure a commencé. Dans les rems intermédiaires, Pierre Mège a été cardeur de filofelle, valet d'un confiturier, charlatan , recors de fergent, 8c gueux mendiant. II avoue Nüj  a-94 Hifioire du Fils une parrie de ces métiers; Sc tous les témoins qui en dépofent,ajoutent qu'ils connoiftbient, depuis long-tems, celui qu'ils ont vu les exercer, pour Pierre Mège , Sc que c'eft le même que le prifonnier auquel ils ont été confrontés. Si je ne craignois de rebuter le lecteur par un trop grand nombre de détails, il feroit aifé de lui prouver que le roman imaginé par le prifonnier Sc par fon défenfeur eft en contradiéfcion avec les pièces les plus authentiques qui en prouvent la fauffeté, avec les ëvénemens publics confignés dans 1'hiftoire, Sc dans les archives de la Provence , avec les dépofitions des témoins dont il argumente en fa faveur, & enfin avec lui-même. Mais je ne peux me refufer a une obfervation bien importante. On a vu que Pierre Mège s'étoit enrólé cinq fois; chacun de ces enrolemens contient un fignalement; & tous ces fignalemens le défignent comme ayant les cheveux noirs & longs, le vifage maigre & brun, la voix grêle, la taille déliée, Sc étant haut de cinq pieds cinq a fix pouces. Ces enrolemens concernent donc tous la même perfonne, qui y eft toujours nommée Pierre Mège, du lieu de Joucas. Plufieurs témoins d'ailleurs  du fieur de Caille. 29? ont dépofé que Pindividu qu'ils ont toujours. connu fous le nom de Pierre Mège, avoit, outre les traits dépeints dans ces fignalemens, & qu'ils repetent, le nez camard, les yeux petits, & la tête ronde. Or tous ces traits réunis formoient exactement le portrait du prifonnier j il ne falloit, pour s'en convaincre, que jetter un coup-d'ceil fur fa perfonne, & 1'entendre parler. II n'avoit au furplus aucune défeótuofité extérieure dans la taille. Enfin le prifonnier ne fcavoit rien de ce qu'il étoit impoifible que le fils du fieur de Caille ignorat. On avu plus haut, p. 15 6, qu'il ignoroit tous les détails qui concernoient la familie , & le propre fils même du fieur de Caille, dont il vouloit jouer le perfonnage. A ce tableau fingulier, ajoutons ici quelques traits qui manifeftent de plus en plus fon impofture, & le peu de foin qu'il avoit pris de s'inftruire de particularités eflentielles, & fur lefquelles il devoit bien s'attendre qu'il feroit examiné. Le ioe témoin de 1'enquête de M. Rolland étoit un avocat nommé Baudiny. Dans fa confrontation avec le prifonnier, il lui demande, en préfence Niv  iy6 Hijloire du Fils de M. d'Aiguille, rapporteur, s'il faut monter ou defcendre, pour entrer au collége de Manofque. Un collége eft un lieu pubhc, dont il eft impoffible que les habitans d'une petite ville ne connoillentpas 1'extérieur. D'ailleurs, quoique le prifonnier fourint qu'il n'avoit Jamais pu apprendre a lire & k écrire, d convenoir cependant qu'il avoit fréquenté ce collége dans fa jeuneffe. II repond que, pour entrer au collége de Manofque, ilfaut defcendre deux ou trois marches; &c il eft conftant que, de tout tems, on y eft entré de plain-pied, fans monter ni defcendre. Le même témoin lui demande, toujours en préfence du rapporteur, / le temple de Manofque eft au premier, ou au fecond étage, Le fils du fieur de Caille ayant été élevé dans la R. P. R. avoit du fréquenter le temple ; auffi le prifonnier n'ofa-t-il prétexter fon ignorance; il répondit que, pour entrer dans le temple, ilfaut monter fur des galeries de bois, ou il y a des marches , & qu'il y a des monarques peints avec Calvin. Cependant il eft certain qu'on entroit de plain-pied dans le temple de Manofque , & qu'il n'y avoit aucune peinture ; on fcait même qu'il n'y en a  du fleur de Caille. 297 jamais dans les temples des huguenots. Le témoin lui demande enfin s'il connoit les deux filles du fieur Loth de Manofque. Le prifonnier répond qu'il avoit été amoureux d'une des filles du fieur Loth 3 & que le fieur de Caille fort père en avoit été fort irrité. Cependant il eft conftant que ce fieur Loth n'a jamais eu d'autre enfant qu'un garcon, &c n'a poinr eu de filles. II fut interrogé, devant le parlement d'Aix, la veille de 1'arrêt, & dit que le temple de Laufanne s'appelloit S. Gré* goire; que le fieur de Caille fon père 1'avoit envoyé a Genève avec un précepteur nommé Duchefne) qui( avoit logé che^ le miniflre Bocquière 3 & que celui qui lui avoit adminifiré la cène s'appelloit Dambrun. 11 eft prouvé, par des certificats en bonne forme, tirés de Laufanne & de Genève, que dans la première ville, il n'y a que deux temples 3 dont l'un s'appelle Notre-Dame 3 & 1'autre S. Francois ; qu'il n'y a jamais eu de temple nommé S. Grégoire ; que dans 1'autre, il n'y a jamais eu de minifire nommé Dambrun & Bocquière. Le 5e témoin de 1'enquête de M. Rolland parie d'une manccuve aflez plaifante &c bien grofliérement irnaginée. Nv  2.98 Hijloire du Fils Elle dépofe que le bruit de cette affaire lui fit naïtre la curiofité de voir le perfonnage. Étant entree dans la prifon, elle le trouva occupé a apprendre a écrire : le vicaire de Seine lui fervoit de maïtre, & lui faifoit épeller les lettres de 1'alphabet. Ayant demandé au foldat comraent étoit faite la dame d'Eiminy fa parente, qui alloit fouvent a. Manofque dans la maifon du fieur de Caille, le foldat ne lui répondit rien. Mais s'étant approché d'un homme inconnu a la dépofante, avec lequel il conféra} il revint la joindre , & lui dit qu'il connoijfoit la dame d'Eiminy, qu'elle étoit blanche, & qu'elle le faifoit battre par fon père. La dépofante lui demanda commtnt étoit fait le mari de la dame d'Eiminy ; alors il fit V extravagant, <§• fe plaignit qu'on l'interrogeoit trop ; ce qui défabufa la dépofante du doute oü elle avoit été, & ne put croire que ce foldat fut le fils du fietn- de Caille, comme il dit; au contraire croit que c'eft le plus grand impofleur du monde» Or les témoins 9 & 87 de 1'enquête du prifonnier lui-même, nous apprennent que ce particulier qu'il confultoit avant de répondre, étoit un nommé Jacques Lai£i3 cuifinier, originaire & babitant  du fieur de Caille. 199 de Manofque, qui, fur une accufation de crime de rapt, fut mis dans les prifons d'Aix, lorfque le foldat y fut transféré de Toulon ; & que c'étoit lui qui lui apprenoit a connoitre toutes les perfonnes de Manofque qui venoient le vifiter. C'eft la Violette qui avoit gagné eet interprète. Mais il arrivoit quelquefois que fon truchement ne pouvoit lui donner de lumières, fur-tout quand on lui parloit de la Suiife, ou il falloit abfolument qu'il convint avoir demeuré plufieurs années. 11 ufoit alors d'un autre moyen, pour fe tirer d'aftaire. Le 5 5e témoin de M. Rolland, veuve d'un refugié, qui avoit pafte quelque tems a Laufanne avec fon mari, y avoit beaucoup fréquente la maifon du fieur de Caille, & étoit revenue en France, ou elle avoit abjuré, demande au loldar, en préfence du commiffaire-rapporteur, s'il connoiftoit elle qui dépofe, difant que, s'il étoit le véritable fils du fieur de Caille, il ne pouvoit la méconnoitre j & le prifonnier a répondit ne la connoure pas , pour ne l'avoir jamais vue y qu'elle étoit hugucnote enragée, & que lui étoit meilleur de Caille, qu'elle n'étoit cAr«ie/J72e.Ladépofanteinfifta, & requii Nvj  300 Hijloire du Fils le prifonnier de déclarer le nom de la rue ou habitoit fon père d Laufanne. II dit qu'elle dépofante avoit été pratiquée Sc préparée par M. Rolland, & un fien domeftique; qu'elle n'avoit qu'd dépofer ce qu'elle trouveroit bon, qu'il ne vouloit pas lui répondre. II eft donc prouvé, par le détail de la vie de Pierre Mège, par le rapport de ceux qui ont vécu avec lui, par la conformité des traits du vifage Sc de la taille, que le prifonnier eft ce même Pierre Mège. II eft prouvé d'ailleurs, que ce foldat ignore ce qu'il eft impollible que le fils du fieur de Caille eüt ignoré. Allons plus loin : prouvons qu'il n'y avoit nulle analogie entre lui Sc le fils du fieur de Caille. Commencons par le portrait de celui-ci. Tous ceux qui 1'ont connu perfonnellement, atteftent qu'il étoit de petite taille, qu'il avoit les genouxplus gros 1'un que l'autre,cagneux, tournés en dedans, &: fe touchant 1'un 1'autre, lorfqu'il marchoit; les jambes un peu tormes & les pieds mal tournés: la tête longue, le front élevé , de manière que le chapeau avoit peine a tenir &c a prendre fa forme, & qu'il le portoit par derrière, d la faint Rock : les cheveux chatain-clair : le nez mince Sc  du fieur de Caille. 3.01 aquilin: les yeux bleus & bien fendus: I le teint blanc & beaucoup de vermilI Ion fur les joues. En un mot il étoit, : quant a la figure, ce qu'on appellé beau ; garcon. Que l'on compare ce portrait avec celui du prifonnier, qui vient d'être I tracé, p. 294, & l'on fera convaincu 1 qu'il eft impollible de confondre ces deux i individus. D'ailleurs le médecin & le chirurgien, qui firent la vifite du prifoni nier par ordre du parlement de Paris, , lui trouvèrent deux difformités occultes qui fe rencontrent rarement, & qu'il n'auroit pas manqué de faire valoir i comme cara&ériftiques, s'il eüt véritablement été fils du fieur de Caille. Ses deux mamelles n'étoient élevées, audeftus des hanches, que de trois doigts; &c il ne lui paroiftbit qu'une moitié trés- imparfaite de ce qui diiüngue les deux fexes ; tefliculus unus & vulde attritus. Les experts ajoutoient même que, quant au refte, il n'étoit pas plus favorifé de la nature. Or, on le demande, ces défauts auroient-ils échappé a quatre nourrices ; & ardentes, comme elles paroiftbient 1'être, a faire reftituer a leur élève fon rang & fon bien, auroientelles négligé de le faire reconnoïtre a  302 Hijloire du Fils des marqués fi peu équivoques ? Ces vices de conformation étoient donc propres au prifonnier, n'-appartenoient nut lement au fils du fieur de Caille, & c'eft a eux qu'il faut rapporter la caufe de la voix grêle & du défaut de barbe que l'on remarquoit dans le foldat. Après avoir établi les cara&ères phyfiques qui différencioient le fils du fieur de Caille, & celui qui vouloit fe revêtir de fa perfonne, paftbns aux diftinctions morales que la naiflance, 1'éducation & les circonftances de la vie avoient mifes ent-r'eux. Le prifonnier, dans fon abjuration du 10 avril 1699, s'eft donné 23 ans. Dans fes réponfes a. Toulon, du 22 juin. fuivant, il s'en eft donné 25 ou 2(5"; ce qui reporte fa naiflance ou a 1'année 1676, ou a 1'année 1674/: 8c dans fes mémoires imprimés, il dit qu'il eftné en 1670. Mais il eft prouvé par écrit, qu'aucune de ces époques ne peut être celle de la naiflance du fils du fieuc de Caille. On fcait qu'avant 1'ordonnance de 1667, ü n'y avoit, dans le royaume, aucun regiftre baptiftaire & mortuaire qui fut en règle. En conféquence de cette loi, qui en ordonnoit le dépot entre les mains du juge royal,  du fieur de Caille. 303 ceux qui, depuis, ont été tenus a Manofque , ont été portés au grefte de Forcalquier. M. Rolland en a tiré & produit les extraitsbaptiftaires& mortuaires des enfans du fieur de Caille, nés depuis 1667; celui d'Ifaac ne s'y erl pas trouvé. Or, fi le foldat étoit eet Ifaac, & que fa naiflance fut, comme il 1'a toujours dit, poftérieure a i&6y, fon adte baptiftaire fe feroit trouvé dans ces regiftres, & il n'eüt pas manqué de le produire ; il eft donc évident qu'Ifaac de Caille eft né avant 1667, & que le foldat ignoroit jufqu'a lage de celui dont il vouloit jouer le róle. Mais voici la preuve que cette naiffance doit être fixée au 19 novembre 1664. Le fieur Bourdin, aïeul maternel de la dame de Caille, avoit conftitué a fa petite-fille tous fes biens en dot, avec réferve d'ufufruit, a la charge par lui de loger &c nourrir les mariés. Ce fieur Bourdin étoit en même tems grand* oncle du fieur de Caille, auquel il donnoit fa petite-fille en mariage :. la mère du fieur de Caille étoit fille de la fceur du fieur Bourdin. 11 faut encore remar^ quer que le fieur de Caille «appelloit alors de Rougon, fon père ayant porté  304 Hijloire du Fils Ie nom «le Caille tant qu'il a vécu, & le petit-fils s'appelloit cYAntreverges de Rougon. Après la mort de Païeul, le fils prit Ie nom de Caille, Sc le petit-fils celui de Rougon. Le fieur Bourdin, qui logeoit & nourrifloit fa petite-fille & fon petit-neveu, mari & femme, étoit regardé comme chef de la maifon, Sc en faifoit les fonetions. II tenoit entr'autres un livre journal des événemens qui arrivoient dans fa familie. Or, dans ce livre journal, fe trouvoit Partiele quifuit: le 19 novembre 1664, d neuf heures du matin , eft né un petitfils d mon neveu de Rougon. Et a la marge de eet article, étoient écrits ces mots, Naijfance du petit Ifaac. Pat une lettre du 3 décembre 1664, le fieur Bourdin mandoit au fieur d'Efparon fon ami: Dieu nous a donné un beau-fils, au jugement de tout le monde 3& qui témoigne grande vigueur; je le prie que ce foit pour fa gloire & pour le fervice de fes parens & amis, entre lefquels je vous mets des plus confidérables. La mère a eu l'accouchement fort heureux, &c. On ne peut pas douter de la fincérité de ces deux pièces; celui qui les avoit écrites etoit mort plus de vingt ans avant que le procés prit naiflance; & des experts  du fieur de Caille. 305 avoient vérifié qu'elles étoient de fa main. Voici encore une preuve de cette naiflance, émanée d'une main étrangère. C'eft: 1'extrait du livre de Maurin, apothicaire de Manofque, dont le titre eft: compte pour M. Bourdin, de ce que j'ai fourni pour le fils de M. de Rougon, Jon petit-fils, ès années 166$ , 1666 & 1667, tiré du livre de raijon de ma boutique. On lit enfuite le détail des remèdes fournis, & qui font de ceux qui ne fe donnent qu'a des enfans nourris a. la mamelle. Enfin le plus grand nombre des témoins des enquêtes refpeétives font a-peu-près d'accord pour fixer la naiflance du fieur de Caille fils, aux; environs de 1664, puifqu'ils lui donnent , quand il fortit du royaume, en 168 5, ciix-neuf, vingt a vingt-un ans. Toutes ces preuves font légales. Il n'y avoit point a Manofque de regiftres baptiftaires pour 1'année 1664 : il étoit prouvé que le miniftre Bernard, dépoïitaire de ceux des proteftans, avoit diffipé, perdu ou emporté tous les papiers du confiftoire de cette ville, lors de fon évafion du royaume après la révocation de 1'édit de Nantes. Or 1'ordonnance de 1667, tit. 20, art. 14, établit que,  306 Hijloire du Fils quand il n'y a point dë regiftres de bapteme, ou qu'ils font perdus, Vage des enfans peut être prouvé par témoins , ou par les livres domefiques des pères & mères décédés. Quant a 1'éducation qu'avoit recue le fils du fieur de Caille, on a vu que Ie prifonnier qui en vouloit jouer le róle, ne fcavoit point écrire. Or on rapportoit quatre pièces qui prouvoienr que le fieur de Caille fils fcavoit, non-feulement figner fon nom, mais écrire. Le zz janvier 1675), il avoit figné les articles du mariage de Louis Duchefne fon précepteur, avec une femme-dechambre de la dame du Lignon fatante. Le 5 mars fuivant, il avoit figné leur contrat de mariage. Le premier février 168(3", il avoit écrit une lettre datée de Laufanne a un fieur Funel, homme d'aftaires de la maifon de Caille, par laquelle il lui déclaroit que c'étoit en vain qu'on le follicitoit de changer de religion, qu il vouloit mounr dans celle oü il étoit né; Sc il finiffbit ainfi -.j'avois oublié de vous donner un confeil d'ami, c'efi de n'envoyer plus des porteurs fuborneurs, car ils joueroient ici fort mal leur róle, & la moindre récompenfe qu'ils pourroient attendre, ce feroit d'ayoir les  du fieur de Caille. 307 itrivières bien ferré. Profite\ de l'avis, & n'abufeï? pas de ma difcrétion, qui m'a obligêde ne communiquer pas votre lettre. II faut remarquer que ce Funel, auquel cette lettre étoit écrite, mourut en 16 8 9, dix ans avant 1'abjuration du foldat a Toulon, dans laquelle, pour la première fois, il s'eft dit fils du fieur de Caille, & que Funel 1'avoit endoflee de fa main en ces termes: lettre de M. de Rougon. Le même jour premier février 1686, le fieur de Caille fils avoit écrit une autre lettre a Perier, notaire & fetmier de Rougon. Toutes ces pièces avoient été vérifiées en juftice. Non-feulement il fijavoit écrire, mais il avoit fait des études en règle, & en avoit profité. Plufieurs des témoins, entendus a la requête du prifonnier luimême , atteftent que le fils du fieur de Caille a fait fes humanités au collége de Manofque, dans lefquelles il a été conduit par quatre précepteurs fucceflivement; ft;avoir, Duchefne, Clément, Guirard & Galle, auxquels on donnoit 3 00 livres d'appointemens; qu'il faifoit des thêmes & traduifoit le latin. Le même fait eft attefté par une foule de témoins, dont les uns difent avoir fait leurs études avec lui; & les autres, 1'avoir  308 Hijloire du Fils entretenu fur les matières qu'on lui enfeignoit, & dont il parloit comme un liomme inftruit, & qui avoit fait ufage de fes talens. II eft bon de remarqüer que tous ceux qui ont dépofé de ces faits dans 1'une & 1'autre enquête, font des perfonnes capabies par état de s'y connoitre 5 ce font des prêtres ; ce font des gentilshommes, des avocats, des marchands, de bons bourgeois. Après avoir fait fes humanités a Manofque, fon père 1'envoie, aveeGuirard fon précepteur, faire fa rhétorique Sc fa phiiofophie a Genève. 11 s'infcrit, de fa propre main, fur les regiftres de ces deux claftès. Ces faits font atteftés par des certificats bien en règle des profefleurs fous lefquels le fieur de Caille avoit étudié dans cette ville, par des extraits de leurs livres, certifiés par le réfident pour le Roi, Sc par un témoin oculaire. II eft encore prouvé, par les quittances d'un maïtre de mathématiques, qu'il travailla a Genève a s'inftruire dans cette fcience. Le fils du fieur de Caille fut occupé de ces différens exercices jufqu'en 16% 5., qu'il fe refugia en Snifte avec fon père. Retiré dans ce pays, Sc déterminé a faire, pour fa religion, le facrifice de  du fleur de Caille. 309 toute fa fortune & de toute fes efpérances, il réfoiut de fe mettre en état de fuppléer, par fon travail, aux pertes que fon attachement pour fes erreurs lui avoit caufées. Les mathématiques lui parurent 1'occupation la plus honnête & la plus analogue a fa naiflance. II s'y livra avec une telle ardeur, que la délicateffe de fon tempérament ne pouvant foutenir 1'afliduité du travail auquel il s'abandonna, U s'exténua,& contra&a la maladie qui le conduifit enfin au tombeau. On a rapporté plus haut, p. 137 & fuiv. les preuves dont M. Rolland faifoit ufage pour établir que le fieur de Caille fils, depuis fon évafion, n'avoit pas quitté la Suiffe, & qu'il y étoit mort le 15 février 1696, trois ans avant 1'abjuration que l'on prétendoit qu'il avoit faite a Toulon. On penfe bien que ces pièces éprouvèrent, de la part du prifonnier, les attaques les plus vives. Parcourons fes principales obje&ions. La première étoit tirée de 1'ordonnance de 166j, qui, a 1'art. 7 du tit. 20, porte que les preuves de. l'dge y du mariage , & du tems du décès 3 feront recues par des regiftres en bonne forme, qui  310 Hifloire du Fils feront foi & preuve en juftice. Mais Partiele 14 du même titre répond i cette objection. II y eft dit que, Ji les regiftres font perdus , ou s'il n'y en a jamais eu, la preuve en fera recue , tant par titres , que par témoins; & qu'en 1'un& 1'autre cas, les baptêmes, mariages & fépultures pourront être juftiftés , tant par les regiftres & papiers domeftiques des per es & mêres décédés, que par témoins. Or n'y ayant point de regiftre mortuaire a Vevay, on fuppléoit a ce défaut par le certificat du magiftrat de la ville, par les déclarations du père & de toute la familie, par les dépofitions de 40 témoins dignes de foi, par le fuffrage d'une nation entière; enfin par des lettres écrites en tems non fufpect. On infiftoit pour le foldat, en difant qu'il y avoit un regiftre mortuaire a Vevay ; & pour le prouver, on rapportoit un certificat du magiftrat de la ville de Morges, fituée dans le même canton de Berne, daté du 7 octobre 1700, portant qu'il fe tient des regiftres mortuaires dans la ville de Morges, & ailleurs. Mais on répondoit a ce certificat, par un autre que le magiftrat du même lieu avoit délivré poftérieurement a M. Rolland. Le voici: « Nous Banderet & Confeil  du fleur de Caille. 311 „ de la ville de Morges, Sec. craignanr li „ qu'on ne veuille faire valoir un certij: )j fieat que nous avons donné le 7 octo,. j> bre dernier, pour une preuve d'un ] » ufage conftant defdirs regiftres dans i „ les lieux de 1'obéiftance de nos fou„ verains feigneurs de Berne, déclarons I 11 que ce n'a pas été notre intention ; Sc » afin de lever toute équivoque Sc finif„ tre interprétation de notre précédent I » certificat, Sc donner un entier éclair\ » ciflement a. la vérité, a laquelle aéte )j ne doit être refufé, nous certifions a ■ „ tous que ledit certificat ne doit être »entendu que pour ladite ville de 33 Morges, Sc nullement pour aucun 33 autre lieu; n'y ayant même qu'environ 33 trois ans fcavoir des i''an 1(397,, que 33 l'on tient dans cette ville un regiftre 33 mortuaire } & jamais auparavant 3 ne 33 pouvant même attefter pour la pra33 tique des autres lieux, auxquels ceux 33 qui defirent quelque chofe pourront 33 s'adrefler. Donné a Morges fous notre 33 fceau Sc fignature, Sec ». La légalifation eft enfuite. Ce n'eft donc que depuis 1(397 °lu'il fe "ent Qes regiftl'es mortuaires dans la ville de Morges, Sc les magiftrats de cette ville n'ont point entendu pariet de ce qui fe paftbit a  312 Hifloire du Fils Vevay. Or le fils du fieur de Caille eft décédéle 15 février 1696, & ce n'eft pas a. Morges, mais a Vevay qu'il eft décédé. On ne peut donc tirer aucun avantage du certificat du 7 oótobre 1700. Mais voici quelque chofe de plus précis : c'eft une atteftation de la ville de Vevay même. « Nous, &c. atteftons » qu'erreébivement ce n'eft point la couj> mme audit Vevay, ni dans les autres „ lieux de ce pays, de tenir des regiftres „mortuairesj & que, lorfqu'il s'agit 53 d'avoir des certificats du décès de *> quelqu'un, ils ne fe donnent qu'en la „ manière qui a été accordée au fieur de 3> Caille touchant le décès & enfevelif33 fement de fon fils audit Vevay, dont 33 on a encore la mémoire toute récente. 33 En foi de quoi les préfentes font mu33 mes^ du grand fcel de nos armes, & 33 fignées, &c 33. Ce certificat eft légalifé par le confeil fouverain de la république de Berne, & par M. de Puyfieux, qui certifie qu'il a été expédié par 1'ordre des fouverains de Berne a fa réquifition. TJne autre objedion confiftoit a dire qu'il étoit prouvé au procés que Ie fieur de Caille avoit déclaré, dès 169) , que fon  du fieur de Caille. o j 2 fon fils étoit mort. Donc, difoit-on, le Jan de la mort de cc fils 3 que l'on a vouiu Jixer depuis en 1696, a été concertéaprès coup. On appuyoit cette objeétion fur le témoignage des 7 9,1 j 4 & 2«, j e témoins de 1 enquête du foldat. t II eft bon d'examiner ici ces dépofitions. Cette difcuftion fervira a fixer 1'idee que l'on doit fe faire des témoins que ce prifonnier a fait entendre en fa faveur. Le 79e témoin eft un bourgeois de Manofque, qui dit, « qu'étant allé voir, » eii 1695 > u" oncle i trois lieues de » Geneve, il auroit vu un homme bor» gne, agé de 5 o a 60 ans, qui fe difoit * officier dans les rroupes de miliee de „Genève, & qui difoit s'appeller de " ,fe',& être de la même familie i » & dans Ie difcours le dépofant fe fou„ vient que fon oncle demanda a eet » officier, dit Caille, en quel état, & " 3f r le fiIs du fieur de CailIe de P Manofque; & que ledit Caille répon» dit qu'il y avoit quelque tems qu'il b etoit mort tout innocent; & n'en«tendit plus depuis parler de cette »■> familie „. Cette première dépofition n'eft done gu un oui-dire d'un homme qui caufoit; Tome III, 5  qiA Hiftoire du Fils avecl'oncle du dépofant, homme qui difoit s'appeller Caille, que le tcmoin ne connohfoit point j & on peut ajouter qui n'a jamais exifté, puifqu'il n y avoit, du coté de la SubTe, aucune perfonne de la familie de Caille qui en portat le nom. , . i Le 154e témoin eft Antome Mornet, cuifmier, ci-devant foldat dont le fobriquet eft la Déroute. 11 dépofe « qiul „ y a onze ans, étant entole dans le reM eiment Royal, il fut commande d un „ détachement de la garnifon d Humn„ aUe, pour porter & efcorter des bleds „ que S. M. échangeoit contre du nz, M avec les Suiftes : & étant, dans cette „ expédition, lui qui dépofe entre dans „ le lieu de Laufanne en Suifle a la luite ,, de fix charrettes deftinées pour ceheu, la & f e promenant a la place dudit „ Laufanne, il fut reconnu par le iiomtné Jufty, domeftique du fieur de Caille, » auquel il 1'auroit préfenté; que le heur s, de Caille le retint chez lui pendant „ les huit jours que le détachement refta „ a Laufanne j pendant lequel fejour „ le dépofant fréquentoit fouvent avec le fils du fieur de Caille, qui f^oiU „ foit mécontent du traitement du heur „ fon père, ne faifant pas difficulte de  du fieur de Caille. 31^ s> dire que, quoi que fon père fit pour »Pempêcher, il vouloit revenir en » France, n'étant pas volontiers huguej> not. Que trois années après, il fut 33 commandé pour venir faire recrue a 33 Grenoble, & repalfant par Laufanne, >3 il n'auroit pas manqué d'aller faluer 33 le fieur de Caille, lui auroit demande 33 des nouvelles de fon fils, a quoi ledit 33 fieur de Caille auroit répondu qu'il 33 étoit mort, ce qui fit peine au dépo33 fant: &, comme lui qui dépofe mar>j quoit du chagrin de ce jeune gentil33 homme , quelques domeftiques lui 33 firent entendre qu'il n'étoit pas mort; 33 qu'on le fuppofoit ainfi, paree qu'il 33 s'étoit fauvé par le miniftère d'une 33 fervante qui le fit fauter par la fenêtre 33 a Genève, ou il avoit été mené pour „ changer d'air, Sc ou on le tenoit ren13 fermé. Et, depuis cette occafion, n'a 33 plus entendu parler de cette familie >s. Voila une dépofition bien circonftanciée Sc bien artiftement adaptée au fyftême de 1'impofteur. Elle contient le fondement & la caufe de fes aventures fabuleufes. Mais malheureufement il eft prouvé par écrit que la Déroute eft un menteur. Deux certificats produits par M. Rolland, 1'un, des magiftrats de O ij  316 Hijloire du ■ Fils Laufanne,du 17mai 1705; 1'autre, des officiers d'Huningue, du 18 avril 1707, atteftent qu'il n'a jamais été envoyé de bied d'Huningue d Laufanne j qu'en aucun tems il n'y a été échangé de ri^ avec du bied, & qu'on n'a jamais envoyé aucune efcorte de la garnifon d'Huningue d Laufanne , pour quoi que ce puijfe être. Le troifième témoin étoit un prêtre, curé de Rougon. Ce n'eft pas lui qui parie dans fa dépofition; il fait parler un certain Claude Perrier qui avoit quitté les troupes, & qui, pour lors, étoit a. Nimes. Voici comment ce Perrier s'énonce par la bouche du prêtre, qui répete les mots qu'il lui a entendu dire : « J'étois ami avec un fergent qui 33 fervoit chez nous, qui étoit de Savoie, 33 & qui demanda congé au capitaine 33 pour aller chez lui; & 1'ayant obtenu, 33 me demanda s'il pouvoit faire quel33 que chofe pour moi dans ce pays-la.; & 33 m'ayant répondu qu'il paftoit a Lau— 33 fanne, quand je lui demandai, faites33 moi un plaifir, lui dis-je, informez33 vous fi M. de Caille & fa familie y 33 font: c'étoit notre gentilhomme qui 33 eft forti du royaume pour le fait de 3» la religion ; il eft allé a Laufanne, ?! c'eft un très-honnête homme. Je vous  du fieur de Caille. 317 » réponds, me dit ce fergent, que je vous J3 en donnerai*des nouvelles a mon re» tour, ce qu'il fit. Lorfqu'il fut de re» tour, il me dit: M. de Caille fe porte » bien, mais il paroiffoit affligé, paree " qu'on difoit que fon fils étoit mort: 35 mais en cela , je fcais qu'il'y a du myf33 tére. Et plus n'a dit fcavoir 33. On voit clairement que ces derniers mots font le principal objet de la dépofition, & que ce n'eft que pour eux qu'on a dépofé de ce ouï-dire du ouï-dire d'un ouï-dire. Le prêtre dit qu'il a entendu dire au foldat que le foldat 1'avoit entendu dire a un fergent, & le fergenc a quelqu'autre qui n'eft point nommé , qu'il y avoit du myftère dans le bruit qui couroit de la mort du fils du fieur de Caille. Mais ce n'eft pas affez d'avoir montré le ridicule de cette dépofition, il faut faire connoïtre le témoin. Ce curé de Rougon, nommé Taxil, fut furpris un jour en flagrant délit avec une de fes paroifliennes, femme de ,e même Perrier, fur la foi duquel il a fait la dépofition que l'on vient de lire; Sc ce fut le mari lui-même quile furprit. Ce mari ne trouva pas 1'avenrure a fon gré; il fit du bruit, Sc vouloit même couper ie,  gi8 Hijloire du Fils mal par la racine, en ótanr au pauvre curé la faculté de commettre déformais des adultères: l'on ne vint a bout de 1'appaifer qu'<\ force de prières, de fupplications &c d'offres. Heureufement il n'étoit pas riche, & une promeffe de 400 livres le calma. Mais il fallut la libelier comme le mari le jugea a propos ; enforte qu'il fut expreftement ftipulé dans eet a«5te que le curé s'obligeoit de payer les 400 livres en queftion,pour dédommager celui au profit duquelil s'engtgeoitj de ce qu'il 1'avoit pris fur le fait avec fa femme. Le débiteur ne fut pas exact a 1'échéance; & le créancier, bien convaincu que rien n'étoit plus légitime que cette dette, fit enregiftrer la promefie au greffe de Caftellane, pour en pourfuivre le paiement \ M. Rolland s'en étoit fait délivrer une expédirion en forme, qui fut produite au procés. Ce curé, d'ailleurs, avoit donné, contre le fieur Tardivy, les preuves de la haine la plus acharnée. On en rapportera quelques traits dans la fuite. Apprécions donc ces trois dépofitions, dont on a tant fait de bruit, & defquelles on a voulu faire réfulter que le fieur de Caille père avoit voulu faire pafier fon fils pour mort, dès 1693.  du fieur de Caille. 319 C'eft un bourgeois de Manofque, qui a entendu dire a fon oncle, en 169 5, par un officier qu'il ne connoit point, que le fils du fieur de Caille étoit mort imbécille. C'eft un cuifmier jadis foldat, qui dit avoir vu autrefois a Laufanne le fieur de Caille & fon fils, en efcortant, d'Huningue en cette ville, des charrettes de bied qui n'ont jamais exifté. Enfin c'eft un curé convaincu par fa propre reconnoiffance d'avoir été furpris en adultère avec une de fes paroiffiennes, & qui rapporte le ouï-dire du ouï-dire d'un ouï-dire. On trouve encore, dans 1'enquête du foldat, une dépofition fur le même fait, de laquelle on a beaucoup argumenté en fa faveur. II faut la rapporter Sc 1'examiner; elle fervira a faire connoitre la confiance que l'on doit accorder aux témoins favorables au foldat, a ceux même que leur état femble mettre au-deftus de la fédudion. Cette dépofition eft celle d'une dame de Saint-Juhers, veuve d'un gentilhomme Provencal. Elle commence par prévenir qu'elle eft amie de madame Rolland; qu'elle ne dépofe que pour la décharge de fa confcience; qu'elle a confultéfes confejfeurs , deux pères de l'OmO iv  3*o Hifloire du Fils toire, unfupérieur, le prédicsteur de la , paroiffe, cherchant quelque directeur qui put l'empecher de déclarer ce qu'elle fcavoit. ^ Elle ajoute qu'elle n'y a point'été portee Par la follicitation de la dame de Pudoubierfa nièce.-Aptès ce préambule mal-adroit, qui annonce qu'elle fentoit elle-meme combien elle pouvoit être fufpede & qu'elle veut écarter les motifs de fufpicion, elle entre en matière, & dit qu'étant d Grenoble en 1'année 1697, oh elle féjourna environ une année, d la pourfuite d'un proces, étant logée dans l* même maifon oh habitoit madame de Rolland, qu'elle voyoit très-fouvent, 'il arriva qu'un jour , parlant de la familie du fieur de Caille, elle, qui dépofe, auroit demandé d ladite dame de Rolland pourquoi elle n'avoit pas fait venir fon neveu en France; d quoi ladite dame de Rolland répondit qu'elle avoit fait ce qu'elle avoit pu, & même qu'elle leur auroit envoyé de 1'argent, & que fon neveu feroit venu; mais que fon père 1'avoit empêche, ce qui avoit obligé fan neveu d fe fauver, & qu'on avoit envoyé après lui. Et ajouta ladite dame de Rolland, que, voyant qu'elle ne pouvoit avoir fon neveu, elle auroit fait ce qu'elle avoit pu pour avoir fa nièce} pour la marier d  du fleur de Caille. 321 1 Grenoble 3 & lui donner fon bien. Cette dépofition eft un tiflu de colij lufion, de faufletés, & de contradiction. J II faut fcavoir d'abord que la dame de 1 Saint-Juhers étoit effeótivement a GreI noble en 1697, a la pourfuite d'un proI cès qu'elle perdit fur les conclufions des ] gens du roi; ainfi elle avoit lieu de préI fumer que M. Rolland ne lui avoit pas I été favorable. Elle étoit, d'ailleurs , I tante de la dame de Puiloubier, dont 1 elle parie dans fa dépofition. Celle-ci 1 avoit également perdu un procés au parI lement de Grenoble, & elle imputoic I cette perte a M. Rolland, auquel elle 1 avoit en conféquence voué une haine j! implacable. Elle lui déclara même une I guerre ouverte. Elle écrivoit des lettres | violentes , contre ce magiftrat, aux daI mes de 1'Efcot & d'Argëncon, dans lefI quelles, après des plaintes amères fur I les mauvais fervices qu'elle prétend qu'il ! lui a rendus, elle ajoute qu'elle fera j gloire de foutenir le foldat, & qu'elle i lui aidera en toute occafion. Elle a bien I tenu parole : je rendrai compte, dans la . fuite, des manoeuvres qu'elle amifes en 1 pratique, pour lui procure| des témoins ! & des lumières fur les détails dont la ; connoiifance lui étoit néceflaire. Ce| Oy  322 Hiftoire du Fils lettres coururent toute la ville de Grenoble ; & la dame de Puiloubier en a montré les réponfes a. différentes perfonnes d'Aix. Après cette explication, il eft aifé d'appercevoir le motif qui a déterminé la dame de Saint-Juhers a. déclarer qu'elle n'agiftoit point par 1'infpiration de fa nièce, Sc feulement par le réfultat des confultations qu'elle avoit demandées a. fix perfonnes différentes. Ellecomptoit, d'ailleurs, écarter par la le reproche que M. Rolland avoit propofé contre elle, avant qu'elle dépofat. II faut fe rappeller enfuite la lettre écrite par le fieur de Caille père, a. la dame Rolland, le zofévrier 1696, dont j'ai parlé plus baut, pag. 139, par laquelle il lui apprend la mort de fon fils. D'après ces obfervations, peut-on imaginer que madame Rolland, qui a fait lire au curé de fa paroiffe la lettre qui lui apprend la mort de fon neveu, qui vient d'en quitter le deuil, qui a reen les vifites de toute la ville, al'occafion de cette mort, ait dit que ce même neveu n'eft pas décédé, & qu'il a pris la fuite ; que madame Rolland iansxaifon,. fans uuüté s Sc par manier©  du fieur de Caille. 3x3 de converfation, fe foit accufée a une plaideufe venant de Provence, d'avoir fait une fuppofition publique, d'en avoir impofé a toute une ville oii elle tient un rang confidérable ? Telles font cependant les fuppofitions qu'il faut adopter pour ajouter foi au témoignage de la dame de Saint-Jubers. Mais examinons la dépofition en ellemême. Le père avoit empêché fon fils de revenir , ce qui avoit oblige' ce fils d fe , fauver. Cette prérendue converfation eft de 1697, & le foldat placoit 1'époque de fon évafion de la maifon paternelle en 1690. Cependant, en liiant la dépofition, il femble que cette fuite vient d'arriver, & que l'on eft même encore a la pourfuire du fuyard. Mais il y a plus: la dépofante fait dire a madame Rolland que, voyant qu'elle ne pouvoit avoir fon neveu, elle avoit fait ce qu'elle avoit pu pour avoir . fa niece, la maner d Grenoble, & lui donner fon bien. Si le neveu qui, felon la dépofition, tenoit la première place dans le cceur de madame Rolland, s'étoit enfui de chez fon père, elle devoit > être dans 1'efpérance prefque certaine 1 de le revoir, & de pouvoir lui donner i fon bien préférablement a fa nièce3  314 Hifloire du Fils qu'elle ne vouloit marier qu'au défaut de fon neveu : & li elle avoit engagé ce neveu a repafler en France, 1'auroit-elle, dès qu'elle a appris fon retour, pourfuivi comme un importeur ? On objecFoit enfin, contre les preuves du féjour & de la mort du fils du fieur de Caille en Suifle, que les procédures qui y ont été faites pour conftater 1'un & 1'autre point, ne font pas dans les formes établies par les ordonnances du royaume ; qu'elles ne peuvent faire foi en juftice, &c qu'on n'y doit avoir aucun égard. Si cette objection prenoit faveur dans les tribunaux, il feroit impoflible de conf tater judiciairemenr aucun fait arrivé en pays étranger; les naiflances,les morts êc les mariages des Francois que des circonftances font naitre, fe marier ou mourir hors de leur patrie, feroient toujours incertains aux yeux de nos magiftrats, &4es propriétés qui dépendroient de ces événemens ne poiurroient jamais être réglées. Les précautions prifes par nos ordonnances pour vérifier les fairs dont la preuve eft néceflaire, font fans doute fort fages, & conduifent prefque toujours au but qu'elles fe font propofé, Mais enfin, fi les moyens qu'elles ont  du fieur de Caille. 32^ tracés font fürs, eft-il impoflible d'arrtver au même point fans les fuivre ftrictement?Quoique 1'ordonnance de 1670 ne foit pas la règle des proces criminels chez nos voifins; quoique celle de 1667 ne foit pas chez eux le guide de la procédure civile, entend-on beaucoup parler de jugemens injuftes prononcés par leurs tribunaux ? Ce feroit d'ailleurs infulter a toutes les puiflances, que de leur témoigner qu'on ne peut ajouter foi en juftice a aucun des faits qu'elles atteftent. Tout nous invite donc, &C nous force même a nous en rapporter, pour les chofes dont on eft obligé de conftater la vérité en pays étranger, aux formalités qui y font ufitées; & le feul examen que nous puillions nous permettre a eet égard, fe réduit a connoirre fi elles ont été véritablement obfervées. Tel eft en effet 1'ufage conftant Sc univerfel parmi nous. Or on ne faifoit aucun reproche a la forme des procédures faites en Suiife ; elles étoient d'ailleurs cimentées par les légalifation's Sc les certificats de notre ambafladeur; elles méritent donc autant de foi, que fi elles euflent été faites en France. D'ailleurs M. Rolland, par fa requête du 30 mars 1705, dont on s  326 Hifi oir e du Fils parlé pag. 147, avoit ouverc aux juges un moyen bien fimple & bien fur, pour lever trous les doutes qui pouvoient les inquiéter fur eet objet; & s'il n'a pas été mis en pratique, le rapporteur doit fe 1'imputer, & M. Rolland a droit de s'en plaindre, & d'en conclure qu'on avoit réfolu de fermer toutes les voies a 1'éyideiice, & de lui faire perdre fon procés. II faut cependant avouer que, malgré tous les éclairciffemens que l'on vient de lire, il refte encore un louche dans cette affaire, & que l'on ne peut s'empêcher d'avoir de 1'inquiétude fur le jugement qui va être prononcé a Paris. En effet, fi les différences morales & phyfiques, que l'on prétendoit établir entre le véritable Caille & celui que l'on vouloit faire condamner comme importeur, éroient fi confidérables, comment fe fait-il qu'un nombre h" prodigieux de témoins, qui dépofent de vifu,{Q foient trompés; que les nourrices mêmes n'aient pas été a 1'abri de 1'erreur, malgré les détails circonftanciés dont elles appuient leurs témoignages ? Comment fe perfuadera-t-on que Ie hls d'un forcat de galères, fans appui,fans fortune, fans talens, dont  du fleurde Caille. 327 k vie eft un tiftu de crimes & d'occupations les plus abjectes , qui parok même n'avoir pas pris la précaution de s'inftruire de circonftances qu'il eft impoffible que 1'enfant de la maifon ignore : comment, dis-je, un tel homme a-t il pu fe concilier la faveur publique, féduire ou corrompre un fi. grand nombre de témoins ? C'eft ce qu'il faut développer. II y avoit long-tems que Pierre Mège rouloit dans fa tête le deftein de prendre le nom & les biens du fils du Sr de Caille. Plufieurs témoins dépofent qu'il. annoncoit bien des années auparavant, qu'on le verrok un jour grand feigneur, & qu'il promettoit a fa femme de la faire grande dame. Mais il n'avoit point de connoiftances a Manofque , 011 il n'avoit jamais été, & il fentoit 1'impoifibilité de réuflir, s'il ne trouvoit le moyen de pratiquer des témoins dans cette ville, oü toute la familie du fieur de Caille avoit fait fa réfidence jufqu'au moment de fon évafion. Pierre Mège trouve dans Marfeille une fervante qui étoit de Manofque,. & qui y avoit une aifez nombreufe parenré, unpère, un frère, une tante &C un oncle. II lui fit part de fon deftein 2>  3^8 Mijïoïre du Fils lui promit une récompenfe, s'il réuffiffoit, & concerta fes démarches avec elle. Elle lui donna une lettre pour fa tante a Manofque. Cette tante le logea, & s'eft donnée, dans la fuite, pour une des nourrices du fils du fieur de Caille. Voyez fa dépofition plus haut, pag. 2o(5". II demeura trois jours dans cette maifon, coucha avec le frère de celle qui lui avoit donné la lettre, gagna toute la familie, & s'afiura ainfi, en cas de befoin, de quatre témoins oculaires de la ville même, dont,toute la familie dans laquelle i! vouloit entree étoit originaire, & oü elle avoit toujours fait fa' réfidence. Ces quatre perfonnages ont effectivement dépofé ; & le père & ie frère de ia fervante de Marfeille ont attefté que le foldat aborda d Manofque avec une lettre de leur file & fceur, qu'il féjourna che% eux pendant trois ioitrs. On préfume aifément que, pendant ce féjour a Manofque, il n'oublia pas d'examiner 1'extérieur de la maifon oü le fieur de Caille avoit demeuré; il en rendit un affez bon compte dans fon interrogatoire ; mais, pour 1'intérieur, il n'en avoit aucune connoilfance, & en paria toujours comme un homme giü n'y étoit jamais entré,  du fleur de Caille. 329 On préfume encore aifément que, pendant ces trois jours, il fit connoiflance avec les perfonnes qui fréquentoient la maifon oü il logeoit, qu'il les fondoit, les mettoit dans fa confidence, &c les intéreffoit pour lui, fuivant que fes hótes l'avertiffoient qu'il pouvoir s'ouvrir. C'eft par ce moyen qu'il fe procura, de proche en proche, & de relation en relation, cette foule de payfans de Manofque & des environs, qui ont dépofé pour lui, & qui ont excité des acclamations publiques en fa faveur, quand il parut dans cette ville avec M, d'Aiguille, rapporteur. C'eft encore pendant ce féjour qu'il apprir que la Violette, ayant été longtems domeftique du fieur de Caille, pourroit lui donner, fur cette familie, des inftruéFions qu'il ne trouveroit pas ailleurs. II prit donc le parti de 1'aller trouver. Mais il étoit alors dans les entraves de 1'engagement qu'il avoit contradFé, en 1695, fur la galère la Fidelle; & il ne pouvoit exécuter fon projet, fans fe rendre coupable du crime de défertion. Pour fe dégager, il eut recours a un ftratagême qui lui avoit fo,u* Vent réuffi: ce fut de faire femblant êe tomber du mal caduc, & fon congé lui  330 Hiftoire du Fils fut donné au mois de décembre 1697. Des raifons que l'on ignore le retinrent a Marfeille jufqu'au mois de mars 1698; ce fut dans eet intervalle qu'il fervit de recors a un luüflier, pour faire payer la capitation. Arrivé a Toulon, il alla loger chez la Violette. J'ai dit, d'après le foldat lui-même, au commencement de cette hiftoire, pag. 129, qu'il étoit logé chez le nommé Molard a Toulon, quand le hafard lui fit faire la connoiftance de ce la Violette. II eft important de faire connoitre ici la fauffeté de cette hiftoire. Cette connoiffance nous conduira a la découverte des manoeuvres pratiquées par le foldat &C fon complice, pour fe procurer des témoins. La Molard, 11e témoin de 1'enquête du foldat, dépofe au mois de novembre 1700, que depuis le mois de décembre 1 <5~99 , elle avoit logé le prifonnier chez elle, par billets des confuls de Toulon, jufqu'au mois de mars 1700; &que, 1'ayant entendu un jour fe plaindre & fe lamenter qu'il étoit huguenot comme un chlen, elle lui propofa de voir des gens qui puflent tranquillifer fa confcience; ce que le foldat ayant accepté, elle le mena au convent des pères jé-  du fieur de Caille. 3 3 r fuites, oü il fut inftruit, après quoi il abjura. Je ne m'arrêterai point aux détails qui prouvent que cette dépofition eft en contradiction avec 1'hiftoire racontée par 1'impofteur lui-même dans fon interrogatoire. Deux points en démon* trent la faufteté. La Molard dépofe qu'elle a logé chez elle le foldat depuis le mois de décembre 1699, jufqu'au mois de mars fuivant. Mais il étoit prifonnier a Toulon dès le mois de juin 1699 , & n'eft pas forti des prifons, tant de Toulon, que d'Aix, jufqu'a 1'arrêt de 1706. Elle ajoute que, pendant que le foldat logeoit chez elle, elle lui fit faire abjuration. Mais cette abjuration étoit faite dès le mois d'avrU 1699. 11 eft donc faux que-1'impofteur ait demeuré chez la Molard, 8c que ce foit chez cette femme qu'il ait fait la connoiftance de la Violette. Il eft même prouvé au procés, par une déclararion qu'il a produite lui-même, qu'il logeoit a Toulon, chez la Violette, dès le mois de mars 1698. Or 1'affaire n'ayant éclaté qu'en mars 1699, ils eurent un an a. concerter leurs mefure<=, 8c a faire leurs conventions. Dela ces bans publiés entre le prétendu Caille 8c la belle-fceur  332. Hiftoire du Fils de la Violette, aufli-töt après Pinterrogatoire fubi a Toulon. Dela un nombre confidérable de témoins réfidents a Toulon & originaires de Manofque, qui ont dépofé pour le foldat. Dela enfin Ia précaurion prudemment concertée d'ouvrir la fcène a Toulon, oü le,fils du fieur de Caille n'avoit jamais paru , & oü, par conféquent, il étoit plus facile de tromper leshabitans, qua Manofque, pays natal de ce fils, oü les honnêtes gens n'auroient pas manqué de démafquer Pimpofteur. Tandis que la Violette prónoit partout le prétendu fils du fieur de Caille, & certifioit la vérité de ce qu'il difoit avec eet air de fécurité qu'il tiroit de fa qualité d'ancien domeftique de la maifon , les agens que le foldat avoit laiifés a Manofque, agiffoient utilement pour faire jouer la machine. Le frère de cette fervante de Marfeille, avec lequel le foldat avoit couché trois nuits a Manofque, informé de 1'animofité de la dame de Puiloubier contre le fieur Rolland, entra chez elle en qualité de laquais. II eft Ie 3 3 témoin de Pinformation du foldat, & nous apprend luimeme, dans fa dépofition, que pendant qu'il étoit au fervice de cette dame,il  du fleur de Caille. 3^3 fréquentoit le prétendu fils du fieur de Caille en prifon. II n'étoit donc pas difficile a 1'impofteur de faire introduire, par ce canal, rous les témoins de Manofque chez Pennende jurée de fa partie adverfe, & même dans les prifons, &c de concerter enfemble les hiftoires qu'ils ont compofées. A ces précautions, la Violette en ajouta une autre qui produifit un grand effet. II jetta les yeux, pour faire alligner les témoins a la requête du foldat, fur un fergent nommé Méyére. Cet homme étoit hardi, entreprenant & adroit. II avoit d'abord été hermite, s'étoit enfuite jetté dans les troupes, s'étoit marié, & enfin s'étoit fait ferment. On lui promit une fortune, s'il vouloit fervir utilement 1'impofteur; &C dès qu'il entra en exercice, on commenca par lui-faire les générofltés dont il a été parlé plus haut, pag. 231. Voki le manége par lequel ce rufé prévaricateur trompoit les témoins qu'il ne pouvoit féduire. En leur remettant leur afiignation, il entroit en converfation avec eux, & leur riroit adroitement tout ce qu'ils fcavoient du fieur de Caille , ou de fa familie : il les devan£oit enfuite, rappor wit au prifonnier le  334 Hiftoire du Fils nom des témoins affignés, &c ce qu'il leur avoit entendu dire. On prenoit foin, lorfqu'ils arrivoient pour dépofer , de les faire entrer en prifon voir le prifonnier qui les' appelloit par leur nom, leur demandoit s'ils le reconnoiftbient; &, pour leur prouver qu'ils devoient le reconnoitre , il leur racontoit, comme pour leur en rafraichir la mémoire, les faits que Méyére lui avoit rapportés d'après eüx. Si Méyére rencontroit des témoins qui n'euffent aucune connoiffimce des faits dont il fouhaitoit qu'ils dépofalfent, il effiayoit de les fuborner; &c s'il n'y ïéuffiffoit pas, il fe joignoit aux autres émiftaires, pour les empècher de dépofer. Cet artifice eft développé par le 5 8e témoin de 1'enquête de M. Rolland. Écoutons-la: « Quoique j'aie ab33 juré la R. P. R. néanmoins j'allai de»3 meurer hors du royaume, au lieu de 33 Laufanne en Suifte, il y a treize ans 33 & plus, & y ai demeuré environ trois 33 ans, pendant lequel tems & féjour 53 j'ai fréquenté dans Laufanne la mai55 fon du heur de Caille, oü j'ai été em33 ployée aux leffives &c aux befognes de 33 monfexe,auxquelles j'étoisobligée de » gagner ma vie: öc me fouviens d'y  du fieur de Caille. 33^ I avoir vu le fieur de Caille père le % fieur fon fils, qui étoit tout autre que » le prifonnier que je viens de voir » mon ferment, ne pouvant reconnoï» tre, en la perfonne dudit prifonnier, » aucune marqué ni reflemblance au fils » du fieur de Caille que j'ai vu a Laui> fanne; & j'ai remarqué que le prifon„nier eft un certain Pierre Mège, fils „ d'un forcat, dont la mère a été enfe„ velie ces'jours panes z Marfeille, qui „ a trois fceurs, & que j'ai connu & vu „ a Marfeille il y a quatorze ans ( cette „dépofition eft du 30 avril 1701 ), „ pendant que je demeurois proche les „ grands carmes, vis-a-vis des deux „fours, dans une maifon dont je ne „ me fouviens pas du nom du maitre. Et depuis le 16 novembre „ pap, j'ai étéajfgnée d Manofque par „ le nommé Méyére, pour venir dépofer „ d la requête d'un prifonnier qui fe dit „fis du fieur de Caille; & fatisfaifant „ aux ordres de la juftice, je me fuis , „ audit tems, rendue en cette ville ; & „ d'abordje fus abordéepar ledit Méyére, „ & d'autres femmes qui venoient, comme „ moi, pour dépofer; & fumes toutes cn„femble conduites par lui d la prifon, » pour y voir le fufdit prifonnier. Et  336 ^ Hiftoire du Fils » après y avoir été deux fois différente** ' „ mcycre me aemanaaji j avois reconnu 'yy ledit prifonnier ; d quoi je repartis que " le prifonnier m'avoit véritablement de» mandé ft j ene le connoijfois pas; qu'il » étoit celui que j'avois vu d Laufanne , «fils auditfieur de Caille, qui fe plaignoit . >> des mauvais traitemens de fon père. » Mais je n'ai pu le reconnoitre. Et ledit * Me'yére me conduift enfuite che^ un «favetier, d la place des Precheurs , oü . «je trouvai un prêtre ( on verra bientót » quel pouvoit être ce prêtre); lefquels « tous enfemble me firent connoüre de r> prendre bien garde de dire rien contre » la vérité; que le commiffaire me feroit » maltraiter, fi je ne dépofois la vérité; >y que ce prifonnier étoit le véritable fils » du fieur de Caille. Je leur répondis » toujours que j'avois une confeience } & » que je ne pouvois le reconnoitre pour » tel. Et après Jefdites perfonnes m'ojfri» rent une pièce de trente fois par cha» rité'3 pour êviter qu'il ne m'arrivdt maly » & me perfuadèrent de m'en retourner > » ce que je fis. Et depuis m'étant mife en » fervice pour fervante chez le nommé «Caumon, capitaine darmes du fieur >» de Forville, j'aurois été pareillement «affignée en témoin par exploit, a la m requête  du fleur de Caille. 337 »» requête de la dame Rolland Sc con{ „ forts. A quoi fatisfaifant, continue le I p rédacteur de la dépofition, elle auroit t „ remis fur le bureau les deux exploits I « qui lui ont été faits en divers tems I » par les deux diverfes parties, & re— 4 » connu enfuite que ledit prifonnier I „ étoit le même Pierre Mège dont elle dj » a parlé ci-deflus, bien loin d'être le \ » véritable fils du fieur de Caille; Sc a I » repris la copie de 1'exploit fait a la reI »quête de la dame Rolland, au bas I „ duquel elle a été taxée; & laiffé celui 1 j> qui lui a été fait d la requête du prifon.' 1 „ nier, dont nous avons chargé notre I "greffier. Dit en outre la dépofante Ij n qu'elle fe fouvient d'avoir nourri une tj » fille du fieur de Caille a Manofque li „ il y a. environ vingt ans, pendant huit j »3 mois domeftique dans la maifon j 1 „après quoi la fille ayant été fevrée, 1 „ elle fe feroit retirée ciiez fon mari, if »> Sec ». Cette dépofition n'a pas befoin de l| réflexions j il ne faut que la lire, pour dj ctre convaincu que les témoignages facj vorables au foldat ne font que le fruit 4 de la manoeuvre. Et ce qui met les faits il qu'elle contient a 1'abri de toute fufpio| cion, c'eft eet exploit donné par Méyére Tome III. P  n^S Hiftoire du Fils a ce témoin, que le commiflaire a remis a la garde du grefrier, & qui a été produit au procés. On voir préfentement. le motif qui ehgageoit les émhTaires du foldat a ne pas fourfrir qu'aucun des témoins affignés a. fa requête parut en dépofition, fans avoir conféré avec le prifonnier. Au moyen des précautions que Méyére prenoit toujours d'avance, 1'impofteur appelloit par fon nom chaque témoin qui venoit le vifiter, lui parloit de fa familie, lui racontoit les particularités que Méyére en avoit tirées, en donnant laflignation. Ces bonnes gens étoient tout étonnés, aufli-bien que ceux qui fe trouvoient a. ces converfations, & difoient ingénument: il faut bien que ce foit lefils 4e M. Caille, ou un forcier. D'ailleurs, par un ftratagême, dont je vas bientót rendre compte, on avoit trouvé le moyen d'intéreffer leur confcience au fuccès de 1'entreprife du foldat; enforte que, quand ils arrivoient devant le commiffaire pour dépofer, perfuadés, d'un cbté, qu'ils agüfoient pour Dieu & pour la religion, préveïius de 1'autre, par ce qu'ils venoient d'entendre, il leur étoit prefqu'impoffible de dire autre chofe, que ce qu'on  du Jieur de Caille. 339 vouloit qu'ils diffent \ & c'eft ainfi que l'on a excroqué les dépofitions que l'on a pu fe difpenfer d'acheter. Les effets que ce genre de fubornation a produits, donnent lieu a une réflexion qui, ce femble, n'auroit pas du échapper aux premiers juges, qui avoient le procés fous les yeux. Le prétendu fils du fieur de Caille, dans les interrogatoires qu'il a fubis, & dans les confrontations qui lui ont été faites, ignore fon propre nom, celui- de fon père & de fa mère, leur age, comment étoit conftruit 1'intérieur de la maifon oü il étoit né, oü il avoit été élevé, la pofition du collége oü il avoit fait fes études, celle du temple oü il avoit appris & pratiqué le culte dans lequel il avoit été élevé ; les voifins qu'il avoit eus a Laufanne, pendant les cinq ans qu'il devoit, fuivant lui-même, y avoir féjourné jle nom de la rue, les perfonnes qu'il avoit fréquentées, & qui avoient fréquente chez fon père, &c. &c. Eton le voit fe fouvenir de cent bagatelles qui fe font paftëes a Manofque pendant 1'enfance du fils du fieur de Caille: il détaille le nom, les facultés, le nombre des enfans de quelques families de payfans, de gens de journée, de favetiers Pij  340 Hiftoire du Fils de la ville de Manofque ; il détaille mille bagatelles qui feroient échappées de la mémoire de tout autre homme. En un mot il fcait ce qui s'eft pafte entre lui & des gens de la lie du peuple avant ió 8 5 , & il ignore tout ce qui lui eft arrivé depuis 1685. Il ne faut que préfenter cette bifarrerie, pour faire fentir 1'eftet qu'elle auroit dü produire dans 1'efprit des juges. A cette réflexion, joignons-en une autre, qui n'eft pas moins frappante que la précédente, & qui démontre de plus en plus-la fuggeftion. C'eft que le foldat répondit prefque toujours jufte a ceux de fes propres témoins qui lui ont été confrontés ; au lieu qu'il ne répondit prefque jamais jufte a ceux de M- Rolland, paree qu'il n'ayoit pas été préparé i leur égard. Je pourrois en rapporter une foule d'exemples; mais il fufhra que le lecteur fe rappelle la confrontation de M° Baudiny, avocat, rapportée cideftiis , pag. 295, Enfin, quand il auroit quelquefois rencontré jufte avec quelques-uns de ces témoins ,1e 15 7e de fa propre enquêre nous en donne la raifen, Après, dit-il, qu'il fe fut répandu un bruir dans Mar pofque que le fils du fieur de Caille  du Jieur de Caille. 34Ï étoit revenu dans le pays, 011 ne parloit, dans les compagnies, que de eet événement, & chacun racontoit les particularités qu'il fcavoit de ce fils, &C faifoit tout ce qu'il pouvoit pour fe le rappeller; & ce peut être, ajoute-t-il, par cette voie qu'il avoit appris les particularités qu'il débita an témoin, qui cependant foutint toujours qu'il n'étoit point le fils du fieur de Caille, qu'il avoit connu perfonnellemenr, avant fon départ pour la Suiife. Tels furent les complots formés 8c exécutés par les émilfaires que, de proche en proche, 1'impofteur fe procura lui-même. Mais un heureux hafard lui en fournit d'autres qui lui concilièrent la faveur publique, & rendirent, pour ainfi dire, nécelfaire le triomphe éclatant qu'il obtint en Provence. Le fieur Tardivy avoit eu, de la fucceffion du fieur de Caille, les terres de Rougon & de Caille. II n'avoit pas approuvé la vie fcandaleufe du curé de Rougon; & cette délicatelfe lui avoit fait, de eet eccléfiaftique, un ennemi implacable. La terre de Caille étoit habitée par deux autres eccléfiaftiques, oncle & neveu -y 1'oncle ayoit réfigné le prieuré de Piij  342 Hiftoire du Fils Caille a fon neveu, & ils vivoienr ensemble. Hs avoient efpéré que la retraite du fieur de Caille leur procureroit la jouiffance de certains droirs feigneuriaux qu'ils convoitoient depuis longtems. Mais le fieur Tardivy ne leur parat pas d'humeur a les leur abandonner. Pour 1 ecarter de eet héritage, ou du moins le traverfer, ils fufcitèrent contre lui le fieur Muges, qui s'oppofa a fon droit, fous prétexte d'un prétendu fidéi-commis. II intenta, a ce fujet, un procés au fieur Tardivy; mais il fut débouté de fa demande, par arrêt du parlement d'Aix du 30 juin 1690, &e les dépens, auxquels il avoit été condamné, furent liquidés, a i'amiable,a 900 livres. Ce jugement le rendit furieux contre le fieur Tardivy, auquel il donna des preuves de fa haine, en embralfant le parti de 1'impofteur. II n'attendit pas le jugement qui permettoit au foldat de faire preuve de fon état; dès que le fieur Muges feut qu'il avoit fait abjurarion a Toulon fous le nom de Caille, il 1'alla trouver, & fit, en fa faveur,-une déclaration anticipée. II eft vrai qu'il fe rérraéfca bientót, & témoigna fon repentir au fieur de Caille père, par une  du fieur de Caille. 343 lettre qu'il lui adrelfa a Laufanne \ elle fut produite au procés. Les prieurs de Caille n'imitèrent pas fon exemple. lis ne cefferent de harceler : le fieur Tardivy dans fa poffeffion. lis faifoient, dan,? la terre de Caille, des dégradations; ils s'attribuoienr des droits ' feigneuriaux; enfin il fe vit contramt : de leur intenter un procés qu'ils perdirent. Après ce nouvel échec, ils ne garderent plus de mefures; & jugeant que le prétendu hls du neur ae umc Fuuvulï feul les débarralfer d'un feigneur qui leur étoit fi odieux, ils fe joignirent au curé de Rougon, qui étoit déja en commerce régie avec le foldat \ leurs lettres ■ refpectives furent produires au procés. Ces conjurés trouvèrent, dans le vil! lage de Rougon, des difpofitions favorables pour groffir leur parti. Le fieur Tardivy avoit expulfé, d'une de fes terres, un nomméBernard, qui en étoit fermier. Ce Bertiard étoit de la familie la plus nombrenfe ïe la plus confidérable - du canton. La vengeance le jetta d'abord dans les intéréts du foldat, oü il attira avec lui fa femme, fes fils, fes filles, fes crendres , & tous leurs parens. Bernard avoir un rils prêtre \ réfidant a Aix, qui  344 Hiftoire du Fils ie joignit a fa familie. C'étoit lm qui, de fon aveu, héhergeoh (c'eft fon expreffion) cheic lui d Aix, les témoins qui y alloient dépofer: il eft le 118e de 1'enquête du foldat. H y avoit encore a Aix un favetiex nommé Pierre Audibert, "originaire de Rougon, qui avoit époufé une Bernard, & qui avoit lui-même une nombreufe familie dans ce village, qu'il mit auffi dans le parti. II logeoit, a Aix, place des Prêcheurs , contre la prifon. Cette circonftance fit qu'on le chargea d'apprêter a manger au foldat;& l'on a vu, par la dépofition qui vient d'être tranfcrite, que c'étoit chez lui que le prêtre Bernard attendoit les témoins pour les fuborner. On peut juger combien toute cette clique fournit de témoins favora- ' bles , & combien leur troupe fut °T0flïe par les parens Sc les alliés que la Violette avoit, tant a Toulon qua Manofque ; un frère, des beaux-frères, une femme, un frère & une fceur de fa femme, & la femme de fon frère. Joignez a tout cela les témoins trompés par les manoeuvres de Méyére, & vous comprendrez facilement comment le foldat ramafta une armée de témoins. Les prêtres qui avoient pris le parti  du fieur de Caille. 34^ de eet impofteur, ne fe bornèrent pas a le fervir de leurs intrigues & de leurs dépofitions ; ils tirèrent parti de leur miniftère. Le curé de Rougon & les prieurs de Caille ne montoient en chaire que pour exciter leurs paroilfiens a aller dépofer contre le fieur Tardivy; ils leur mettoient devant les yeux la bonté, la douceur, la probité du fieur de Caille père; ils leur rappelloient les douceurs dont ils avoient joui pendant qu'ils 1'avoient eu pour feigneur. Ils leur promettoient le même bonheur, s'ils pouvoient avoir fon prétendu fils pour fuccefteur. On vint a bout de faire recommander le foldat aux prières publiques, dans prefque toute la province ; on faifoit prêcher que c'étoit ici une affaire de religion; que la caufe du foldat étois celle de Dieu même; que les huguenots vouloient le faire périr en haine de 1'abjuration qu'il avoit faite. On faifoit mettre, aux portes des églifes, des affiches contenant les mêmes déclamations. C'eft par ces pratiques fcandaleufes que l'on vint a bout de former des parus & des cabales qui pensèrent occafioiiner une fermenration auffi forte, que fi la religion eur véritablement été compromife dans cette affaire. Pv  346 Hiftoire du Fils On voulut employer les mêmes minceuvres a Paris. Voici la copie d'un libelle qui fut envoyé dans toutes les facrifties, & affiché aux portes des églifes, avant 1'arrêt du confeil qui admit la requête de M. Rolland. «Monsieur, » Vous êtes prié de faire prier Dieu » dans votre églife pour monfieur de „Caille, gentilhomme de Provence, M défavoué par fon père, pour avoir » embrafle la religion catholique, après » avoir été reconnu par dix mille, té» moins oculaires & non fufpecfts, dans „ le lieu de fa naiffance. II a été déclare >3 le véritable fils de monfieur de Caille , 33 par arrêt du parlement d'Aix du 14 33 juillet dernier. Monfieur Rolland, fa 33 partie, s'eft pourvu contre eet arrêt au 33 confeil. Ses moyens de caflation font si fi frivoles, que quelques-uns des prin33 cipaux juges l'ont avoué. Cependant ss les huguenots font une brigue fi ter3J rible, monfieur Rolland a de fi puif33 fans proteefteurs, & il a tellement pré3» venu les efprirs, qu'il n'y a rien que 35 Pinnoeent, qui n'a pour lui que fon 33 bon droit, ne doive craindre. Ayez 33 donc, s'il vous plait, monfieur, Ia  du (leur de Caille. 347 » bonté de faire prier Dieu qu'il éclairs A les juges, qu'il empêche que cette in» jufte prévention ne paffe jufque dans 3j- leurs efprits, & qu'il leur fafle con33 noitre Sc foutenir la vérité. On efpère 33 que vous ferez d'autant plus cette j> grace a ce gentilhomme, que c'eft? ici >» une affaire de religion, & la caufe de 33 Dieu même ,■>. L'impofteur, pour faire de fa caufe, autant qu'il étoit poihble, la caufe de Dieu, & mettre, dans fon parti, les gens de bien & les communautés religieufes, fait un teftament, par lequel il inftitue fes héritiers les Dominicains de la ville d'Aix, a condition qu'ils pourfuivent le procés; & en cas qu'ils refufent, il inftitue les Chartreux de la même ville, fous la même condition,, A leur refus, if inftitue, toujours aux mêmes charges, les höpitaux de Ia Charité, de la Providence, Sc 1'Höpital-général de la ville d'Aix, & fait un legs particulier de 8000 livres a celui qu'il' nommera a: 1'oreille du prieur des Jacobins. II avoit efpéré que ce teftament, qu'il pouvoit révoqirer ai fon gré, mettroït dans fes intéréts ces différentes cornfnunaïités Sc tous ceux qui leur étoienr Pv)  34$ Hiftoire du Fils attachés : il avoit efpéré en outre fe procurer des fonds pour foutenir un procés qui devenoit tous les jours difpendieux de plus en plus, & dont il craignoit que'les frais n'excédaffent enfin les forces de fes protedfceurs. Ce projet ne lui réuffit pas. Le hafard, qui avoit fi bien fervi l'impofteur jufqu'a ce moment, pourvut encore a eet embarras. Quand on vit a Toulon quel'affaire devenoit férieufe, 8c prenoit même une rournure favorable au foldat, on s'informa quelle pouvoit être la fortune qu'il obtiendroit, s'il parvenoit a fe faire déclarer hls du fieur de Caille. On feut que cette fortune étoit trés-confidérable, & qu*a 1'avantage de fe la faire adjuger, il joindroit celui d'être un des gentilshommes les plus diftingués de la province. Ces découvertes excitèrent la cupidité & 1'ambition de deux bourgeois de Toulon, qui avoient chacun une fille a marier; 1'un étoit le fieur Serry, médecin de la marine; & 1'autre, le fieur Garnier, confeiller au fiége de la même ville. Ils fe mirent a la tête de cette affaire, 8c y engagèrent tous leurs parens & leurs amis. Leurs filles fe prêtèrent a 1'intrigue ; ces deux rivales  du fieur de Caille. 349 alloient même vifiter le foldat en prifon, & lui envoyoient publiquement des bouquets. Pour les ménager toutes les deux, quand Tune le venoit voir, il fe paroit du bouquet qu'elle lui avoit envoyé, & marquoit du mépris pour 1'autre. Pour 1'affifter, & lui fournir les moyens de faire fa preuve, elles fe défaifoient de leurs croix, de leurs boucles de diamans, & de leurs autres ornemens. , , Le fieur Garnier, qui avoit ete un des juges, lors de la fentence rendue a Toulon, fe tranfporta a Aix, oü il fit un long féjour pour compofer, avec l'abbé Lardeirat, un fort gros mémoire. Mais, outre que cette pièce, qui ne contenoit que des injures , au lieu de moyens, ne fut pas du goüt de laclique y le foldat feut que le fieur Gatnier n'étoit pas, a beaucoup prés, auffi riche que le fieur Serry. Or, dans les circonftances oü il fe trouvoit, il lui falloit ,autre chofe qu'un fimple agent, & un auteur de libelles j il lui falloit un homme qui püf'fournir auxfrais,& faire réuffir la dépenfe par la protecYion. Serry réumffoit ces deux points , il étoit a fon aife, & allié des principaux membres du parlement.  35 o Hiftoire du Fils Si la rivalité eüt continué entre les deux concurrens, elle auroit pu les écarter tous les deux. Pour éloigner abfolpment le fieur Garnier, le foldat préfenta une requête au parlement, par laquelle il défavoua le libelle qu'il avoit compofé, 8c déclara ne vouloir d'autre défenfeur, ni d'autre faclum que celui qui fera fait par Me Silvain, qui étoit 1'avocat choifi par le fieur Serry. Le fieur Garnier & fa fille fe retirèrent, & le champ refta libre au premier. On a vu plus ha'ut comment il vint a bout du fuccès. Le foldat fe débarrafta auifi de Silvy, Carbonnel 8c Cleron, qui, dans les circonftances oü il fe trouvoit, ne pouvoient plus que lui être a charge. Les chofes ainfi arrangées, on prit les mefures néceffaires pour tirer tout Ie parti poilible des témoins féduits & corrompus. II femble qu'on vouloit les multiplier , en multipliant leurs dépofitions. La Violette, après avoir dépofé a Aix, va dépofer a Toulon; les prieurs de Caille, après avoir pareillement dépofé a. Aix , vont réitérer leurs témoignages a Manofque & a Rougon j ils fe joignent au curé de ce lieu pour aller a Manofque foulever la populace par leurs exemples, Plufieurs des Bernard & des Audibert  du Jieur de Caille. 35 T fe joignent a eux, & vont renouveller leurs dépofitions a Manofque. Chacun d'eux fe met a. la tête des témoins qui devoient êtte entendus en différens endroits. On divife les fauffes nourrices en deux bandes ; on deftine les unes pour Aix, & l'on conferve celle que l'impofteur étoit allé trouver a Manofque , pour cette ville, afin d'animer le peuple par fon exemple. L'ancien prieur de Caille eft deftiné pour Rougon; & le curé de Rougon, pour Manofque : on n'eut garde de le faire entendre dans fa paroifte, oü fon adultère ne 1'avoit pas mis en odeur de fainteté. Mais a Manofque, oü il n'étoit pas connu, fa qualité de prêtre pouvoit en impofer au public. Il y arrivé a la tête de la cabale des paroiffès de Caille &c de Rougon , qui fe joint a celle de' Manofque. Tous ces témoins réunis forment une efpèce de fédition, &c brülent, dans un grand feu, un fantome vêtu de haillons noirs, en crianr, de toutes leurs forces , que c'étoit M. Rolland qu'ils brüloient. Ils mirent dés affiches a tous les carrefours & aux portes des' églifes, dans lefquelles ils déclaroient que celui qu'ils appelloient M. de Caille, étoit fous la proteétioa  3=>i Hiftoire du Fils de la religion & du Roi, Sc ajoutoient mille imprécations contre M. Rolland. Ils infultèrent un jour ce magiftrat fi cruellement en préfence du rapporteur, qui s 'étoit tranfporté fur les lieux pour faire 1'enquête, que craignant qu'ils ne le déchiraffent, il envoya a fon fecours un huiifier& un archer. On avoit choifi Manofque préférablement a tout autre lieu, pour y exciter ces troubles, paree qu'il fembloit que le témoignage de la multitude de cette ville devoit être d'un grand poids. Elle avoit été témoin de la naiffance & de 1'éducation du fils du fieur de Caille pendant plus de vingt ans. Et la preuve que telle étoit 1'intention de la cabale, c'eft qu'il ne peut pas y avoir d'autre raifon qui ait pu déterminer a faire venir a grands frais, dans cette ville, plufieurs témoins de Rougon avec leur curé a leur tête, & le prieur de Caille, qui avoit déja dépofé a Aix, tandis que, aufti-tót après leur dépofition a Manofque, le rapporteur eft requis de fe tranfporter a Rougon. En eftet, la procédure nous apprend que les témoins de Rougon 8c de Caille ont dépofé a Manofque devant M. d'Aiguille, commiftaire, le 4 mars 1702, Sc jours fuivans; &que le même commif-  du fieur de Caille. 3^3 faire fe trouve dans 1'auditoire de Rougon le 1 o du même mois de la même année. Cette chaleur, avec laquelle on pourfuivoit la confection des enquêtes, entretenoit celle qu'on avoit infpirée aux témoins: &, pour ne leur lailfer aucun moment de relache, & écarter quiconque auroit voulu entreprendre de leur ouvrir les yeux, Lardeirat fut toujours a la fuite du commiflaire, a Aix, a Toulon, a Manofque, a Rougon. II n'avoit point de fille a marier \ ainfi on ne 1'avoit pas enveloppé dans la difgrace du fieur Garnier \ &c, comme il étoit aélif, on 1'avoit mis au nombre des principaux émilfaires. II fe tenoit toujours a la porte de 1'auditoire oü les témoins venoient dépofer; & on lui a entendu dire plufieurs fois tout haut ; fouvene\-vous de bien dire d M. le rapporteur ce qu'on vous a dit. Nonobftant toutes ces précautions & toutes ces manoeuvres, 1'enquête de l'impofteur ne fe trouva pas auffi complete que fes émilfaires fe 1'étoient promis. Entre les témoins de Manofque , quarante-cinq affiirent que le foldat eft fils du fieur de Caille, quatre-vingt-fix difent qu'ils ne le reconnoilfent pas\ Sc  374 Hiftoire du Fils deux gentilshomines déclarent pofitivement qu'il eft un importeur. A Rougon, treize affirment qu'il eft fils du fieur de Caille, & trente-cinq ne peuvent le reconnoitre. A Caille, quatre témoins dépofent exprefiement en fa faveur, dix ne le reconnoiftènf pas. Au total, des 3 94 témoins entendus a fa requête, 110 alfurent qu'il eft fils du fieur de Caille, ou croient qu'il 1'eft. Deux affirment qu'il eft un impofleur. Cinq atteftent qu'il n'eft pas Pierre Mège, qu'ils déclarent n:'avoir point vu depuis 1 6 d 1 8 ans. Cinq ont ouï dire qu'iLn'eft pas Pierre Mege. Quatre difent qu'ils ont connu un Mège, & que le le fioldat ne 1'eft pas. Et en tout, plus de 250 ne Pont point reconnu pour être le fils du fieur de Caille. Entre ceux qui lui ont été favorables, plufieurs, au nombre de dix-huit, étoient des mendiants de profeffion; d'autres, au nombre de fix, étoient mal famés; & parmi ceux-ci étoit un Captain défroqué, pourfuivi par les refigieux de fon ordre : d'autres enfin, au nombre de dix-neuf, avoient été repris de juftice. Prefque tous les autres étoient con-  du Jïeuï de Cqille. 3 ? £ vaincus, par leur propre dépofition, d'être de faux témoins. J'en ai déja difcuté quelques-uns ; je.me bornerai ici a 1'examen des prétendues nourrices \ c'eft peut-être le feul point qui laiife encore quelque doute dans 1'efpnt du leéteur fur la naiflance du foldat. J'ai parlé plus haut du livre journal du fieur Bourdin, aïeul Sc grand-oncle des fieur & dame de Caille. Outre les naiflances de fes arrière-petits enfans, il y avoit écrit, par ordre, les noms de leur nourrices, le jour qu'il les arrêtoit, Sc le prix qu'il leur donnoit. Or on trouve que fon petit-fils en avoit eu cinq fucceflivement; fcavoir, Garant, arrêtée le 19 oótobre 1664, un mois avant la naijjance de mon petit fils. Louife Grecque, le 17 décembre fuivant ; Savanne, le premier juin 1665 ; la fille de Claude, le 14 feptembre; & le 2 avril 1666, la nommée Efiienne. Cet extrait confirme, d'un coté , Pépoque de la naiflance du fils du fieur de Caille au 19 novembre 1664; Sc de 1'autre, il prouve la fauflêté des dépofitions des prétendues nourrices, rapportées plus haut, Sc dont il n'eft fait aucune mention dans ce regiftre. Mais ces dépofitions contiennent  3<|c$ Hiftoire du Fils elles-mèrnes la preuve de leur faufïêté. Louife Moureae, jze témoin, dépofe que fa mère avoir donné le premier lait an fils du fieur de Caille, & qu'elle a été nourrie avec lui les dix a onze premières années de fa vie. Le premier de ces deux faits eft démenti par le journal du fieur Bourdin ; 1'autre eft contrarié pat les prétendues nourrices fubféquentes, dont j'ai rapporté les dépofitions , pag. 195 & fuiv. qui difent que eet enfant a pafte fucceffivement dans leurs mains, tant avant qu'après fon fevrage. La Mourette ajoute qu'elle n'a qu'un an plus que le fils du fieur de Caille, & qu'au moment de fa dépofition , elle n'a que 3 2 ou 3 3 ans; & cette dépofition eft de 1701 : d'oü il fuivroit qu'elle feroit née en i<5"(3"8 ou 1669, age qui quadreroit avec celui que l'impofteur vouloit fe donner, en foutenant qu'il étoit né en 1670. Mais ces combinaifons fe trouvent renverfées par 1'extrait baptiftaire en forme de cette fille , qui nous apprend qu'elle eft née en 1 (5"5 9. Aiiifi, de quelque coté qu'elle fe retourne, elle ne peut avoir été la fceur de lait du fils du fieur de Caille, ni avoir été élevée avec lui. Eft-il né en ï<5"7o, comme le prétendoit 1'impof-  du fieurde Caille. 3^7 teur ? Elle avoit onze ans plus que lui. Efrril né en 1664, comme le prouve le journal du fieur Bourdin ? Elle étoit plus agée que lui de cinq ans. Enfin, . eft-il né en 1661 , qui eft Pépoque de la naiflance de Pierre Mège ? Elle ne pouvoit pas encore être fa fceur de lait; elle étoit née deux ans auparavant lui. Ce point de fait détruit toute fa dépofition , qui ne peut plus être qu'un tiftu de menfonges. De toutes les dépofitions faites en faveur du foldat, celle d'Efpri e Martine peut être regardée comme la plus confidérable, comme la plus propre e prévenir pour la fincérite de fes prétentions, & en même tems i exciter Pindignation contre M. Rolland, qui paroit avoir voulu enlever a fon adverfaire , par la voie de la féducHon, un témoin auffi décifif. Mais on changera bien de fentimenr, en apprenant que cette terrible dépofition n'a pour bafe que trois menfonges démontrés. Elle dit, en 1701 , qu'elle a nourri pendant on\e mois, & fevré le fis du fieur de Caille il y a 30 ans, & qu'elle en a 47. Mais étant né le 19 novembre 1664, il auroit eu 37 ans, au moment de la dépofition ; ainfi fa prétendue nourrice  35 8 Hiftoire du Fils Fauroit aüaite & fevré n'étant agée que de dix ans. Cette abfurdité démontre \a ff u^et^ du récit. Veut-on s'en tenir a lage de x3 ans que l'impofteur s'eft donné le 10 avril 1699, lors de fon abjuration a Toulon ? II n'avoit donc, au moment de la dépofition que x 5 ans: & s'il y avoit 3 o ans qu'Efprite Martine 1'avoit nourri & fevré, elle 1'avoit donc nourri & fevré cinq ans avant qu'il fut au monde. Second menfonge. Elle reconnoit Ie foldat pour fils du fieur de Caille , a la marqué d'une plaie qu'il a eue au °enou, &c qui fut panfée par le fieur Gandevez, médecin. Ce fieur Gandevez eft Ie 9oe témoin de 1'euquête du foldat; & il a affirmé n'avoir jamais ni panfé m conduit aucune plaie au fils du fieur de Caille. Troifième menfonge. Elle dit que M. Rolland étant che^ le maire de Manofque d lafaint Michel qui précéda le mois de janvier 1701, tems oü elle dépofoit, ce maire l'envoya querir avant fa dépofition ; qu'on voulut la faire parler, qu'on lui promu de la récompenfer, mais qu'elle s'efl crue oèligée de rendre témoignage d la vérité. Mais peut-on, apres Ia lecFure de cette dépofition.  du Jieur de Caille. 359 réfifter a 1'indignation la plus vive, a la vue d'un acte que M. Rolland avoit pafte pardevant notaires, Sc d'un certificat en forme, qui prouvoient 1'un 8c 1'autre que ce magiftrat faifoit les fonctions d'avocat-général a la chambre des vacations de Grenoble, avant, après 8c dans le tems même que cette femme dit que lui 8c le maire de Manofque 1'envoyèrent chercher pour la fuborner; qu'il ne partit pour la Provence qua la fin d'octobre 1700, & qu'il palfa par Valence ? Et, ce qui met le comble a la noirceur de cette femme, c'eft que l'alibi du prétendu complice de M. Rolland eft également prouvé. Des aófces authentiques juftifient que le fieur Brunet, maire de Manofque, étoit a Paris plus de trois mois avant la S. Miihel 1701, & qu'il n'en eft revenu qu'environ un an après. Loin donc que le témoignage de cette malheureufe foit favorable au foldat , il ne fait que le convaincre d'impofture & de fubornation. Je ne m'arrêterai point a difcuter les autres prétendues nourrices ; on peut, par les deux dont il vient d'être fait mention, juger des autres. Je prie feulement le leéteur de faire attention  grjo Hiftoire du Fils qu'aucune de celles qui ont été entendues en témoignage n'eft employée fur le livre du fieur Bourdin, quoiqu'il eüt foin de les infcrire fucceflivement jour par jour, a mefure qu'elles entroient chez lui. Des volumes entiers ne fuffiroient pas pour détailler toutes les preuves qui démontrent que non-feulement les témoins qui ont voulu être favorables a l'impofteur étoient de faux témoins, mais que la plupart d'entr'eux, ayant mal concerté leurs dépofitions, prouvoient, les uns que le foldat ne pouvoit pas être le fils du fieur de Caille; les autres , qu'il étoit véritablement Pierre Mège: & je crois en avoir aftez dit, pour que le leéteur demeure convaincu de ces deux vérités. S'il reftoit quelque doute, la conduite d'Honorade Venelie, ?ëmrns de Pierre Mège, Sc les raifons qu'elle employa pour prouver que c'étoit fon mari qu'on avoit métamorphofé en fils du fieur de Caille, n'en laifteroient plus fubfifter aucun. Elle eft reftée dans le filence, tant -que fon mari n'a point attaqué fon état. Si elle fe fut préfentée pour appuyer fa demande, elle devenoir complice de fon  du fieur de Caille. 361 fon crime. Si elle s'étoit jointe a ceux qui 1'accufoient d'impolture, elle affuroit fon fupplicè. Elle attendoit donc, dans un filence douloureux, le fuccès de la téméraire entreprife de fon époux. Le triomphe que, contre toute attente , il a obtenu en Provence, n'a produit d'autre effet fur elle, que de calmer fes alarmes fur le fort d'un importeur, auquel elle ne pouvoit pas ne point prendre le plus vif intérêt. On ne 1'a point vue demander a. fon mari qu'il lui fit part des biens d'une familie quï n'étoit pas la fienne ; n'ayant pas voulu tremper dans fon impofture, elle n'a pas voulu en profiter. Quitte de fes premières frayeurs, elle Fauroit même laiffé difcuter, avec fes parties adverfes, la validité de fon arrêt. Mais le premier crime 1'a conduit a. un autre qui frappoit direcFement fur fa véritable époufe, 8c qui étoit le prix des follicitations qui avoient procuré le fuccès de 1'impofture. La transformation de Mège, cardeur de foie, fils d'un forcat de galère, en de Caille, fils d'un riche gentilhomme, étoit 1'ouvrage de Madeleine Serry ; 8c elle n'avoit travaillé que pour partager les dépouilles 8c fe décorer du nom d'une familie diftinguée. Elle craignoit Tomé III. Q  Hiftoire du Fils que 1 époufe légitime , donc elle alloit prendre la place, ne vint mettre un obftacle a la bigamie dont fon protégé alloit fe rendre coupable, & a i'adultère cpii faifoit 1'objet de tous fes voeux. Dela cette précipitation avec laquelle elle confomma fciemment le crime qu'elle ofa voüer par la profanation d'un des plus auguftes de nos facremens. # • Honorade Venelie, inftruire que le nouveau forfait de fon mari ne lui laiffoit d'autre qualité que celle de concubine de Pierre Mège, ne put fupporter cette honte, dont elle devoit être garantie par une cohabitation_ de vingt années, autorifée par un mariage légitime. EUe confulta des perfonnes éclairées, qui lui remcntrèrent qu'elle devoit être plus touchée du défordre dans lequel fon mari s'étoit plongé, que de fon prcpre intérêt ; que ft elle avoit droit de réclamer fon état, & de juftifier fa conduite paflee, en prouvant qu'elle n'avoit jamais vécu dans le concubinage, elle étoit encore plus obligée d'empêcher la fuite d'un adultère continuel; adultère d'autant plus affreux, qu'il n'eft fondé que fur 1'apparence d'unfacremeut,& qua 1'infidélité doae  du fleur de Caille. 363 elle fe plaignoit, fe joignoient la profanation & le faerilège; & qu'elle fe rendroit elle-même coupable du crime de fon mari, fi elle ne faifoit tout ce qui étoit en elle, pour en arrêter le cours. On ajoutoit que Madeleine Serry vivoit peut-être de bonne foi dans la débauche; qu'en lui faifant connoitre fon erreur, on pourroit lui faire rompre 1'habitude criminelle oü la fourbene de Pierre Mège 1'avoit engagée. Mais ceux qui donnoient ces avis ne conuoiffoient pas cette fille, & la fuite a bien fait voir qu'elle n'écoutoit pas plus 1'intérêt de fa réputation, que les mouvemens de fa confcience. Honorade Venelie fit a Aix, &c auprès du confeil du roi, les demarches dont j'ai rendu compte plus haut. Après 1'arrêt de caffation du parlement de Provence, celui de Paris la recut appellante comme d'abus de la célébration du prétendu mariage de Madeleine Serry, & joignit eet appel a 1'inflance pendante entre les fieurs Rolland & Tardivy, & ie foldat de marine. Cependant ni 1'arrêt du confeil qui avoit caffé celui d'Aix, ni un arrêt du parlement de Paris du 28 juillet 1711, qui ordonna que, dans le cours du  364 Hifloire du Fils procés, le foldat de marine ne pren* droit point la qualité de fils du fieur de Caille, mais celle de fe précendantfils de Cail'e; ni Pappel comme d'abus interjetté par Honorade Venelie, rien n'a pu donner d'alarmes a Madeleine Serry fur fa vertu & fur fon honneur; elle n'a point ceilé de cohabiter avec Pierre Mège; & par-la, elle fe privé a jamais de 1'excufe qu'elle auroit pu alléguer, en prétextant une erreur de bonne foi. Quand ön poarroit. fuppofer qu'il n'y eut encore que des doutes, ils auroient dü, fuivant toutes les régies de la pudeur & de 1'houneur, la déterminer a interrompre au moins une cohabitation qui pouvoit être criminelle ; il n'eft pas befoin d'une grande délicateife, pour fe garantir des rifques de vivre dans un libertinage continuel. Quant a Honorade Venelie, il n'y a pas un pas dans toure fa conduite, qui annonce la mauvaife foi; & l'on ne peut lui imputer d'autre motif de fa démarche, que le defir de conferver fon honneur. Elle eft femme légitime de Pierre Mège, & ne veut pas être autre chofe. Son mari ne peut ètre ni le fils du fieur de Caille, ni 1'époux de Madeleine Serry, fans qu'elle ait été fdem-  du fieur de Caille. ^6^ ment fa concubine publique pendant plufieurs années. C'eft une tache dont elle n'a jamais été fouillée; & fon honneur lui impofe la néceffité de faire éclater fa pureté aux yeux de la juftice & du public. Elle ne peut remplir ce devoir qu'en prouvant que le foldat, qui fe dit de Caille, eft le même Pierre Mège qu'elle a légitimement époufé. Pour acquérir cette preuve, elle ctabliftoit trois faits qui étoient conftants entre les parties : i°. Honorade Venelie eft femme de Pierre Mège, fils de Francois Mège Sc de Marie Gardiole, du lieu de Joucas. Ce premier fait n'eft point contefté, Sc ne peut 1'être; il eft fondé fur un conrrat Sc fur une célébration de mariage de 1'année \6i6, Sc fur dix autres preuves littérales rapportées en bonne Forme. z°. L'appellante comme d'abus eft la véritable Honorade Venelie, femme de Pierre Mège ; c'eft elle qu'il a cpoufée en i6%6. Le foldat en convient encore. 3°. Honorade Venelie a habité avec Pierre Mège, depuis la célébration de leur mariage, dans la maifon de Marie  366 Hiftoire du Fils Gardiole, mère de Pierre Mège, lequel a pafte des a&es a 1'occafion de la dot &c du bien d'Honorade Venelie. De ces trois vérités, il réfulte qu'il y a un Pierre Mège, fils de Francois, & que ce n'eft ni un nom en Fair, ni une perfonne fuppofée. II en réfulte que ce Pterre Mège a été marié en i6$6 avec Honorade Venelie; que 1'appellante eft celle qu'il a époufée, & par conféquent qu'elle n'eft point une aventurière. II en réfulte enfin qu'elle a titre & pofleflion de fon état : fes titres font un contrat & une célébration de mariage : fa pofleflion eft fondée fur une cohabitation publique, fur les acFesque fon mari a pafles fucceflivement a 1'occafion de fa dot, & ou, dans des tems non fufpecFs, il a pris la qualité de mari d'FIonorade Venelie. _ Faifons préfentement quelques queftions au foldat. Ce Pierre Mège, qui n'eft point un fantóme, qui a époufé Honorade Venelie, qui a babité avec elle, qui a pafle des acFes en qualité de fon mari; qu'eft-il devenu? Eft-il mort, eft-il vivant? Oü habite-t-il ? Le foldat répond qu'il n'en fcait rien. Mais, pour ne pas refter court fur une queftion fi importante, il ajoute que ce Pierre  du fieur de Caille. 367 Mège, qu'on lui demande avec tant de curiofité, eft difparu en 1690; & il ne va pas plus loin j il fent bien que, pour peu qu'il s'avancat, il donneroit prile fur lui, & que,'fans y penfer, il montreroit celui que l'on cherche. Pour lui prouver que c'eft lui-meme qui eft ce Pierre Mège qu'il veut cacher fous le mafque du fils du fieur de Caille, on répere les preuves que j'ai rapportées plus haut, que c'eft le même individu qui a fait les trois abjuranons dont le foldat prétend qu'une feule hu appartient; que c'eft le même individu qui a contradé les cinq enrolemens, dont il veut appliquer les quatre premiers au fantome qu'il appellé le véritable Pierre Mège; que c'eft le meme individu, enfin, qui a pafte tous les ades que l'on produit fous le nom de mari d'Honorade Venelie. Continuons les interrogatoires , & demandons au foldat : N'auriez-vous jamais ccunu Honorade Venelie, la femme de eet homme que vous dites être difparu ? N'auriez-vous point bu , mangé, couché avec elle dans fa maifon, a fa table, dans fon lit, en prefence de Marie Gardiole, mère de Pierre Mège, fous les yeux & en préQiv  3 68 Hiftoire du Fils ience des trois fceurs de ce Mège? N'avez-vous jamais porté fon nom, ni fait des ades, donné des procurations & des quittances pour recevoir le bien d'Honorade Venelie? Er n'auriez-vous point palle ces ades & ces quittances en qualité de man ? Ne lui auriez-vous point donne a elle-même une reconnoilfance dotale d'une fomme de i oo livres en execution d'une claufe de fon contrat de mariage? Ne vous feriez-vous jamais enrole fous le nom de Pierre Mège, du lieu de Joucas , mari d'Honorade Venetië ? N'auriez-vous point été connu lous cenom dans les troupes ? Ne feroitce point vous qui allates un jour a RoufWlon,avec le nommé Mefnil, beaufrere de Pierre Mège, au milieu de fa ramille, pour exiger des droits que vous pretendiez être dus a Marie Gardiolle ? N'y parütes-vous point comme fils de Mane Gardiolle, & comme beau-frère de Mefnil ? Ne feroit-ce pas vous qui, ious pretexte de ces droits, fïtes une infulte au prieur dans le tems même qu'il etoit revêtu des habits facerdotaux? N'eft-ce pas a vous qu'on donna deux louis pour arrêter vocre fureur & empêcher vos violences ? Tout le monde ne vous reconnut-il pas a votre voix, a  du Jïeur de Caille. 36c) votre figure, a votre taille, a votre démarche, Sec. pour Pierre Mège, fils de Marie Gardiolle, mari d'Honorade Venelie , Se beau-frère de Mefnil ? Ces faits font arrivés en 1696, fix ans après le tems oü vous prétendez que Pierre Mège a difparu fans retour. Le foldat convient que perfonne ne s'eft appercu qu'il n'étoit qu'un Pierre Mège fuppofé , Se répond que tous ces faits font véritables, qu'il en eft 1'auteur, qu'il a vécu , agi, contraóté, difpofé fous le nom Se dans la qualité 'de Pierre Mège, fils de Marie Gardiolle, Sc mari d'Honorade Venelie. Mais vous étiez donc fon mari. Non , dit-il, je n'étois alors qu'une perfonne fuppofée. Le véritable mari étoit difparu , Se j'avois pris fa place. Vous ne craigniez donc point que ce mari dont vous aviez pris la place, que vous repréfentiez dans toutes les actions qui n'appartenoient qu'a lui feul, ne revint, Se ne vous trouvat en pofleflion de fa femme Se de fon bien ? N'appréhendiez-vous point la févérité de la juftice ? Aucun des voifins, des parens de Pierre Mège n'a-t-il murmuré ? Comment les débiteurs vous ont-ils paye fans y regarder a deux fois ? Comment  370 Hiftoire du Fils tout le monde a-r-il pu s*y méprendre, êc eomment avez-vous fafciné les yeux de tout le monde? Ces queftions 'fans doute font importunes; elles font fa- cheufes, & vous n'y faites aucune ré- ponfe. . Ainfï vous venez, avec une effrontene qui n'a pas d'exemple, vous prélenter d la face de la juftice , fous les noms odieux & les titres criminels de voleur, de fauiTaire & d'adultère public; ce n'eft meme qu'en prouvant que vous etes coupable de tous ces crimes, que vous pouvez lui arracher le jugement que vous lui demandez. Vous prétendez fur ces fuppofitions outrées, en alléguant en l'air une difparition chimenque du mari véritable, faire pa(Ter votre femme pour votre concubine, votre mère & vos fceurs pour les complices de votre débauche & de la fienne, vos parens & vos alliés pour les fauteurs de cette prétendue fuppofinon de nom & de perfonne! Vous prétendez qu'on s'en rapporrera uniquement a la paroie d'un homme qui «e peut être cru qu'a mefure qu'il eft un plus grand fcélérat! Des titres authentiques. une nnflp/Tïrm A'U„r j. . 1 «-«.«li. iiuiric , UI1C leconnoilfance unanime doivent, felon  du fkur de Caille. 371 vous, être anéantis par une fable extravagante, fcandaleufe, qui n'a aucun fondement , aucune vraifemblance ! Vous prétendez qua la faveur de cette fable , votre femme ceftera d'être votre femme j que vous aurez, de fon vivant, la bberté d'en époufer une autre, de lui enlever fon état, de la couvrir d'opprobre, pour vous donner la facnlté de vivre dans le crime, dans un adultère public & perpétuel! C'eft trop pour elle d'aycir un fcélérat pour mari, elle a intérêt a ne pas être confondue dans les crimes dont vous faites parade. Vous pouvez en avoir befoin pour en couvrir quelqu'autre \ mais pour eile, elle a fuivi en tout les loix de Phonneur & de Ia religion; &c elle ne défavouera point 1'innocence de fes mceurs, pour y fubftituer des crimes qu'elle n'a point commis, & contribuer, par une connivence horrible, a donner aux votres un fuccès qui ne lui laifteroit que Ia honte , qu* ne lui laifteroit que des remords. Demandons enfin au foldat ce qu'il penfoit, ce qu'il méditoit, a quoi il vouloit parvenir dans le tems qu'il menoit une vie qu'il dépeint lui-même avec des couleurs fi affreufes. II répond qu'il fe préparok a devenk Qy)  37 * . Hiftoire du Fils catholique; que, décrompé des erreurs de la rehgion proteftante, il fongeoit a faire une abjuration, & qu'il a pafte neuf années a s'y préparer, & a s'en menager 1'occafion. Mais s'il étoit ce qu'il prétend être, que ne fe préfentoit-il a vifage découvert, en arrivant en France? L'é & pautre ae 16S i , faites par Pierre Mège ; & il eft demontré qu'elles font toutes les trois Fouvrage du même individu. II ne falloit donc fe difpofer ni par les faux til par les vols, ni par les adultères, pour ctre admis a abjurer les erreurs de Calvin qu'il avoit déja abjurées deux fois n racilemenr. En un mot, il étoit démontré au pro-  du fleur de Caille. 373 ces que tout ce que Pierre Mège avoit fait, appartenoit au foldat; & que tout ce que le foldat avoit fait, appartenoit a Pierre Mège. Pierre Mège & le foldat n'étoient donc qu'un ; 1'identité étoit abfolue. Le foldat étoit donc le mari d'Honorade Venelie. Le mariage qu'il avoit contraété avec Madeleine Serry, étoit donc nul & abuiif. Enfin, par arrêt du parlement de Paris du 17 mars 1712, «la cour désa clara que le foldat de marine n'étoit 3' point Ifaac le Brun de Caftellane, fils 33 légitime de Scipion le Brun de Caftel33 lane, fieur de Caille & de Rougon, & 33 de Judith le Gouche; lui fit défenfes 3> d'en prendre a 1'avemr la qualité, &c 33 de troublër les fieur & dame Rolland 33 & Tardivy dans la poffeifion & jouif3' fance des biens délaiffés par lefdits » Scipion le Brun & Judith le Gouche, »? a peine de mille livres d'amende. Or3' donna que ladite qualité feroit rayée, » par le greffier de la cour, dans toutes » les procédures de Pinftance dans lef3' quelles ledit foldat de marine fe trou» veroit 1'avoir prife, & que mention 33 feroit faite du préfent arrêt, tant fur » les minutes, que fur les expéditions jj des aétes publics, dans lefquels ledit  374 Hiftoire du Fils n foldat de marine avoit fait employer jj ladite qualité : a Peffet de quoi les dé„ pofitaires defdites minutes, & ceux „ qui fe trouveront avoir lefdites expé„ ditions en leur pofleflion, feront te» nus, a la première fommation, de les « repréfenter pardevant le plus prochain 33 juge royal des lieux oü ils font demeu33 rans, chacun a leur égard, pour être 33 ladite mention faite en fa préfence , 3J par le greflier du fiège. 33 Ledit foldat de marine condamné 33 a rendre & reftituer auxdits Rolland 33 & Tardivy les fruirs & revenus par 33 lui percus des biens dudit Scipion le 33 Brun de Caftellane «Sr de Judith le 33 Gouche, fuivant I'eftimation qui en ss fera faite par experts, dont les parties ss conviendront pardevant Ie juge royal 33 de Marfeille , autrement nommés 33 d'ofhce ; même a leur rembourfer, 33 fuivant I'eftimation qui fera faite par 33 les mêmes experts , la valeur des dé33 gradations & détériorations qui feront 33juftifiées être furvenues èfdits biens , 33 pendant que le foldat de marine en a aa eu la jouiftance, & aux dommages 8c 33 intéréts defdits Rolland & Tardivy-, j3 fuivant la taxe qui en fera faite en la jj manière accoutumée.  du fleur de Caille. 37$ 35 La procédure criminelle faite a Aix j3 contre le fieur Rolland, déclarée 35 nulle. 33 Déclare nul Sc abufif le mariage célébré le 7 aoüt 1706 entre Pierre 33 Mège, fous le nom d'André le Brun de Caftellane, ci-devant Ifaac, fieur de Caille & de Rougon ; & Made,, leine Serry, fille de Jofeph Serry, & ,, d'Anne de Villeneuve fa femme; or,3 donne que, fur tous les aétes, dans lefquels ledit Pierre Mège a pris, fous 33 le nom de Brun de Caftellane , fieur 33 de Caille, la qualité de mari de la55 dite Madeleine Serry, mention fera 33 faite du préfent arrêt; a 1'eftet de quoi 33 les dépofitaires defdits aétes feront 33 tenus, a Ia première fommation, de 33 les repréfenter, chacun a leur égard, ss pardevant le plus prochain juge royal 33 du lieu de leur dornicile. >3 A maintenu & gardé Honorade 33 Venelie dans fon état de femme lé35 gitime dudit Pierre Mège ; a déclaré 55 la procédure faite a Aix contre elle, 35 nulle, & fair défenfes d'attenter a fa 33 perfonne. Ordonne que ladite Ve33 nelle demeurera féparée de biens Sc 33 d'habiration d'avec ledit Pierre Mège, 33 foldat de marine, fon mari; condamné  376 Hiftoire du Fils j5 ledit Pierre Mège a. lui rendre & ref„ tituer les fommes qu'il fe trouvera „ avoir revues faifant partie des deniers » dotaux de ladite Venelie, fuivant la 35 liquidation qui en fera faite en la maas nière accoutumée. 55 Ledit foldat de marine condamné 35 en tous les dépens envers toutes les 33 parties , chacune a leur égard, faits 35 a Toulon, au parlement d'Aix & en ss la cour. 35 Faifant droit fur les conclufions du 33 procureur du roi, ordonne que ledit 33 Pierre Mège fera pris au corps, 8c 33 mené dans les prifons de la concier55 gerie du palais, pour être ouï & inss terrogé pardevant le confeillèr-rap35 porteur, fur les faits réfultant du pross cès concernant le crime de bigamie , ss 8c répondre aux conclufions que le 33 procureur-général voudra prendre con3srrelui;& a eet eftet, que le contrat ss de mariage du 27 mars i6%6, 1'acFe 33 de célébration de mariage d'entre le35 dit Pierre Mège & ladite Honorade 33 Venelie, du 10 avril fuivanr, la pro33 curation paifée par ledit Pierre a Jac35 quesCoulet, notaire, le 13 juin 1 (387, 33 le contrat de rente pafle en vertu de 33 ladite procuration, par ledit Coulet,  du jieur de Caille. yj-j n le premier aout audit an 1(587; la 33 prccuration paftce par ledit Mège le 33 premier oftobre 1691, a Jeanne Ve33 nelle ; la quittance donnée en confé33 quence par ladite Jeanne Venelie, le 33 11 defdits mois 8c an , pardevant 33 Chaufte , notaire ; les quittances fous 33 fignature privée, des 29 feptembre >3 i(S~9 3 , 6 novembre 1(394, 19 feP~ 33 tembre 169 5 , premier oótobre 1696, 33 & 20 novembre 1 (397; la reconnoif>3 fance donnce par ledit Pierre Mège, 33 pardevant ledit Coulet, notaire , au 33 profit de ladite Honorade Venelie, 33 le 18 décembre 1694; les enquêtes 33 faites a la requête des fieurs Rolland 33 & Tardivy, a Toulon & au parlement 33 d'Aix contre le foldat de marine, 8c 33 Pacte de célébration de mariage d'en35 tre ledit Pierre Mège, fous le nom 33 d'André Ie Brun de Caftellane, fieur 55 de Caille, & Madeleine Serry, du 7 35 aout 170(3, feront tirés des produc33 tions des parties, & dépofés au greffe 33 de la cour , pour fervir a 1'inftruclion 33 du procés. 33 Au furplus, tous les décrets lancés 35 par le parlement d'Aix contre différens 33 particuliers, a 1'occafion de cette af35 faire, déclarés nulsss.  378 Hiftoire du Fils Cet arrêt eft conforme aux conclufions de M. d'Agueffeau, alors procureur-général, & depuis élevé a la dignité de chancelier de France. On fcait de quel poids étoit le fuffrage de ce grand homme. L'arrêt du confeil, en caffant celui d'Aix, avoit civilifé tout ce qu'il y avoit de criminel dans cette affaire, & avoit défendu de reprendre la voie extraordinaire contre le foldat, pour raifon des accufations intentées contre lui, tant a Toulon, qu'a Aix. Sur la foi de cet arrêt, il ne croyoit pas que l'on put attenter de nouveau a fa liberté; il ne fongea pas au crime de bigamie , dont perfonne n'avoit encore rendu plainte, & dont il fut queftion, pour la première fois, dans les conclufions de M. d'Agueffeau qui, fuivant la loi en matière criminelle, font fecretes jufqu'après le jugement. Vivant dans cette fécurité, il ne fongea point a s'évader. II fut arrêté, & conftitué prifonnier. Cependant Madeleine Serry, qui n'avoit point été partie au procés, demanda d'être recue oppofante a l'arrêt rendu contre le foldat. La caufe fut appointée , & eft reftée indécife jufqu'a préfent. Ce retardement épargna au  du fleur de Caille. 379 foldat le fupplice dont il étoit menacé; on crut, avant de le pourfuivre comme bigame, devoir attendre 1'événement de 1'oppofition de Madeleine Serry y mais la mort, en terminant, dans la prifon, la carrière de ce malheureux, 1'enleva a la juftice des hommes;  38o L E S I E U R D'ARC ON VILLE JUST1FIÉ. JEAN DU MOULIN, avocat au parJ lement, eut, de Serrette Chaudiflon fa femme , deux enfans ; le fameux Charles du Moulin 8c Ferri du Moulin, qui embrafsèrent tous les deux la profeffion de leur père. Le premier eft connu comme 1'oracle 8c la lumière du droit coutumier. N'ayant aucun deffein de fe marier, il voulut procurer a fon frère un établiffement opulent, 8c lui donna la feigneurie de Mignaud en Beauce. Ferri époufa en 1537 Marguerite Maillard, rille du lieutenant-criminel de Paris, fceur d'un confeiller au parlement , nièce d'une demoifelle de Boiftaillé, laquelle étoit veuve de M. de Beliesbat, gendre de M. le chancelier de 1'Hopital.  Le fieur d'Arconville jujlifié. 3S1 Enrre autres claufes du contrat de mariage, on ftipula un douaire de deux cents livres de rente, qui pourroit être racheté moyennanr trois mille livres, en cas qu'il ne vint point d'enfants; mais oui, s'il en venoit, leur feroit propre. Charles du Moulin aflifta a ce contrat de mariage, 8c le figna. II fe maria luimême en 15 3 8 avec Louife de Beldon, fille de Jean de Beldon, fecretaire du roi, 8c greftier des préfentations du parlement. II voulut faire annuller la donation qu'il avoit paffee au profit de fon frère, 8c prit, a cet effet, des lettres de refcifion. 11 perdit fa caufe aux requêtes du palais ; mais, fur 1'appel en la grand'chambre, il fat ordonné qu'il rentreroit dans la terre de Mignaud, fans cependant préjudicier au douaire qui étoit afligné a fa belle-fceur fur cette feigneurie. Le motif de la première partie de ce jugement eft fondé fur ce que, quand au moment oü l'on fait une donation, on n'a point d'enfants légitimes, fi dans la fuite on vient a en avoir, ïeur naiflance ancantit de droit la donation. On a puifé cette règle dans 1'humanité. L'amitié, ou d'autres vues nous déter-  382 Le fieur d'Arconville minent quelquefois a nous dépouiller de notre propre .bien : mais il arrivé prefque toujours, que 1'amour que l'on a pour fes enfants, ou les vues que 1'ambition nous donne pour leur établiflement, 1'emportent fur toute autre confidération. Lors donc qu'un homme, au moment qu'il pafle un acte de donation, eft fans enfants, il ignore quels auroient été fes fentimens s'il en eut eu, &c ne fcait pas s'il leur eüt préféré la perfonne qui eft 1'objet de fa libéralité. II eft donc jufte de lui rendre la liberté de fuivre 1'impreflïon d'un fentiment qu'il ne pouvoit conuoitre. II rentre dans tous fes droits a 1'égard de l'effet donné j il eft le maïtre, ou de le reprendre, ou de confirmer la donation, qui devient alors irrévocable. Quant a la feconde partie du jugement, par lequel on conferva a Ia bellefceur de Charles du Moulin fon douaire fur la terre de.Mignaud, il eft aflez düficile d'en pénétrer Ie motif. La révocation d'une donation pour caufe de furvenance d'enfants, a toujours été entière; c'eft-a-dire, que le donateur a toujours repris 1'eftet donné, tel qu'il étoit lotfqu'il 1'a donné, &c débarrafle de toutes les charges qu'il y ayoit im-  juflifiL 383 pofées lui-même a 1'occafi 011 de la donation, & de toutes celles que le donataire auroit pu y impofer tandis qu'il 1'a eu entre les mains. Cette jurifprudence, qui étoit conftante, a été confacrée par 1'ordonnance de 17 31, art. 42 , qui porte que « les biens compris dans ■> la donation révoquée de plein droit, » rentreront dans le patrimoine du do33 nateur, libres de toutes charges Sc 33 hypotheques du chef du donataire , .3 fans qu'ils puiftent demeurer affecFés, „même fubfidiairement, a la reftitution »3 de la dot de la femme dudit dona33 taire, reprifes, douaire ou autres con33 ventions matrimoniales ; ce qui aura 33 lieu, quand même la donation auroit 33 été faite en faveur dü mariage du do33 nataire, Sc inférée dans le contrat, Sc 33 que le donateur fe feroit obligé, 33 comme caution, par ladite donation, 33 a 1'exécution du contrat de mariage ». Ainfi tout ce que l'on peut dire pour juftilier cettte difpofuion de l'arrêt, c'eft que la cour fut déterminée par quelque circonftance particuliere qui a échappé a ceux qui 1'ont rédigé depuis. Quoi qu'il en foit, les deux frères, Charles Sc Ferri du Moulin, plaidèrent  384 Le fieur d'Arconville encore long-tems au fujet de 1'exécution de cet arrêt. Mais enfin ils tranfigèrent en 1543 , & vécurent toujours depuis en bonne intelligence. Ferri laifla une fille pour unique héritière. II paroit que la fuccefiion des père & mère de cette fille n'étoit pas en trop bon ordre. Son tuteür voulut conferver a fa pupille ce qui pourroit. en refter après les dettes payées, & en même tems mettre a 1'abri des créanciers les deux cents livres de rente qui formoient le douaire de la mère. Pour conciher toutes ces vues, il crutne pouvoir mieux faire que d'attribuer a fa mineure la qualité d'héritière par bénéfice d'inventaire. Pour mettre ceux des lecleurs qui ne font pas au fait de ces matières , en état d'enrendre les faits que nous avons a raconter, il eft néceflaire d'en tracer ici les principes. Le douaire donné a la femme par le contrat de mariage, ou réglé par la coutume, eft deftiné a lui aflurer, en cas qu'elle furvive a fon mari, une fubfiftance honnête & fufhfante pour la mettre en. étata avec fes autres biens, de foutenir avec décence le rang que ce mari lui a laifle en mourant. II eft en outre  juftifil ^ outre deftine a afturer Ia fublïftance des enfans, qui font toujours en droit de Ie reprendre dans les biens qui y font affeótés, foit qu'ils aient été vendus pendant le mariage, foit qu'ils aient été hypothéqués a des dettes contradées pofte» rieurement a la bénédiction nuptiale. Mais ils ne peuvent jamais en jouir qu'après le décès de leurs père Sc mère. Si la mère meurt la première, la jouiffance leur en appartient aufli-tót après le décès du père : mais fi c'eft Ia mère qui furvit, ils n'en jouiflent qu'après fa mort, paree que Pulufruit lui en appartient tant qu'elle vit. Ils en ont néanmoins tellement la propriété, qu'ils en peuvent difpofer dès-lors, & que, s'ils venoient a mourir avant leur mère, ils le tranfmettroient a leurs héritiers. Mais les enfans ne peuvent recueillir le douaire, qu'ils n'aient renoncé a la fuccefïïon de leur père; c'eft une maxime, que nul ne peut être héritier 5c dou airier tout enfemble; enforte qu'en acceptant la fucceffion , ils s'excluent pour jamais du douaire. Us ont intérêt de fe rendre douairiers plutót qu'héritiers, quand la fucceflion de leur père eft chargée d'une quantité de dettes affez confidérable pour Tomé UI. R  38 f5 Le fieur d'Arconville abforber toute fa fucceffion, ou du moins pour entamer la portion affectée au douaire. Par exemple, un homme , en mourant, laiiTe pour vingt-quatre mille francs de bien ,, dont fix - mille forment le douaire de fa femme & de fes enfans ; mais il doit vingt-mille francs. Si fes enfans acceptent fa fucceffion , ils feront tenus de payer la totalité des vingt-mille francs, paree qu'un héritier eft chargé de payer toutes les dettes du défunt; ainfi il ne leur reftera de bon que quatre-mille livres, au lieu des lix qui forment le douaire. Si au contraire ils renoncent a. la fucceffion, ils deviennent alors eux-mêmes créanciers pour raifon de leur douaire ; & , comme il tire fa fource du contrat de mariage même, leur créance a la même date que ce contrat; ils marchent, par conféquent, avant tous les créanciers dont la date eft poftérieure au mariage; £c par ce moyen ils auront les fix-mille Jivres qui compofent le douaire. La qualité d'héritier en général, eft, comme on vient de le dire, incomparible avec celle de douanier : mais celleci ne peut-elle pas fe conciiier avec celle d'héritier par bénéfice d'inventaire ? JJkéntm qui preud la précaution da  juftifiL 387 « accepter que fous le benefice d'invenraire, empêche que les effets du défunt ne fe confondent avec les fiens; enforte qu'il n'eft tenu d'acquitter les dettes de la fucceffion, qu'au prorata des biens dont elle eft compofée, fans êtreobligé, comme 1'héritier pur & fimple, de payer les créanciers a fes propres dépens, lorfi que 1'hérédité n'eft pas fuffilante pour les remplir. Mais il ne peut pas pour cela prétendre au douaire, duquel on eft exclus dés que l'on eft revêtu de la qualité d'héritier, quelque condition que l'on ait appofée a Pacceptation que l'on en a faite. En effet, endevenanthéritier, on devient en même tems propriétaire des biens qui forment "1'hérédité que Pon accepte; &, en demandant le douaire, on fe déclare créancier de cette même hérédité : or il eft contre la nature des chofes que l'on foit créancier d'une fucceffion dont on eft propriétaire , paree que l'on ne peut pas fe devoir a foimême. _ La fille de Ferri du Moulin étant héritière par benefice d'inventaire de fes père & mère, n'étoit tenue i la vérité de payer la totalité de leurs dettes, qu'autant que la fucceffion pourroit fournir; mais elle ne pouvoit pas exiger le Rij  388 Le fieur d'Arconville douaire; & comme la terre de Mignaud n'étoit chargée des deux cents livres de rente, que pour raifon de ce douaire, dès qu'il n'avoit plus lieu, Charles du Moulin, ou fes héritiers, fe trouvoient hbérés de cette charge. Les chofes étoient en cet état, lorfque le fieur d'Arconville, jeune gentilhomme , allié de M. le chancelier de 1'Hopital, époufa 1'héritière de Ferri du Moulin. La connoilfance qu'il prit de Fétat des fucceilions de fes beau-père Sc belle-mère, lui fit comprendre que la qualité d'héritière par bénéfice d'inventaire , que l'on avoit fait prendre a fa femme, lui étoit onéreufe. Leurs dettes payées, il reftoit beaucoup moins de bien que les deux-cents livres de rente de douaire qu'elle ne pouvoit plus exiger comme héririère. On lui confeilla de profiter de la minorité de fa femme, Sc de prendre des lettres de refcifion contre cette qualité d'héritière. Ces lettres remettoient les chofes dans l'état oü elles étoient a 1'inftant de la mort de Ferri du Moulin & de fa femme, détruifoient la qualité d'héritière prife par leur fille, & la mettoient a portée de renoncer a. la fucceffion, pour s'en tenir m douaire.  jufliflc. 389 Charles du Moulin étoit mort fur ces entrefaites, & avoit laifïe une fille unique, mariée a un fieur Bobie, avocat au parlement, Sc bailli de Coulommiers, II paroit qu'il étoit d'un caraótère fort fingulier, vivant mal avec fa femme, la maltraitant même fouvent au point dl fcandalifer fes voifins. Le fieur d'Arconville ayant obtenu fes lettres de refcifion, 1'alla voir, le pria de ne point trouver fon procédé mauvais , Sc 1'affura qu'au furplus il n'entendoit point plaider , mais qu'il confentoit de s'en rapporter a 1'arbifi trage de quelques perfonnes d'honneur: ce que Bobie accepta. Le fieur d'Arconville avoit deux terres; Arconville fituée en Beauce, & la Chatre fituée en Brie. Au mois d'aout 1570, il donne Arconville a ferme, Sc établit fa réfidence alaChatre. Aucommencement de 15 71 , il va prendre des arrangemens avec fon fermier ; il va de la a. Vigner, maifon de campagne de M. le chancelier de 1'Hopital, Sc enfuite chez le fieur de Bellesbat, gendre de ce magiftrat, qui demeuroit dans le même canton. Bobie avoit, dans le même tems, recju 4800 livres pour le rembourfement Riij  39° Le fieur d'Arconville d'une *ente appartenant a fa femme, II laifla cette fomme dans fa maifon, fans prendre Ia précaution d'en dérober Ia connoiftance k fes domeftiques. II avoit pour laquais un Gafcon qu'il ne connoiflbit point, & qu'il avoit pris chez lui fans être recommandé de perfonne. Le clerc de Bobie lui apprit que, depuis qu'il avoit recu le rembourfement de 4800 livres, le Gafcon fe levoit toutes les nuits, rodoit dans la maifon, & fe remettoit dans fon lit tout m rranfi de froid. II ne tint aucun compte de cet avis. Un famedi du mois de janvier 1571, Bobie parie d'aller a Coulommiers, change trois fois d'avis , & part enfin, laiffant dans fa maifon fa femme, deux enfans, 1'un agé de huit ans, & 1'autre de vingt-deux mois, fon laquais, & une fervante. La nuk même de fon départ, la mère, les deux enfans & la fervante furent affaftinés. Un nommé Pouffemotte, procureur en la cour, & voifin de Bobie, qui demeuroit auprès des Auguftins , entendit quelque bruit; mais ignorant le départ de Bobie, il dit de bonne foi k fes gens que c'étoit querelle demari a femme, qui s'appaiferoit d'ellemême fans qu'on s'en mêlat.  juftifié. 391 Le dimanche Sc le lundi fe paflent fans que la porte de la maifon s'ouvre, Sc fans qu'on s'appercoive qu'il y eüt aucun mouvement. Les voifins en prennent enfin de 1'inquiétude, Sc avertiffent le lieutenant-criminel. 11 envoie un commiifaire qui , accompagné de plufieurs notables témoins, fait ouvrir la porre. II trouve les quatre cadavres baignés dans leur fang, les buffets forcés Sc ouverts, cependant toute 1'argerlterie s'y trouva \ mais on ne déccuvrit ni or ni argent monnoyé. Nul endroit ne fut oublié dans la perquifition : on trouva au fond des commodités quelques bagues, quelques chandelles, Sc le manteau du Gafcon. Le mercredi fuivant, une femme de la campagne déclare qu'elle a vu le Gafcon dans la maifon de Mignaud, appartenant a Bobie du chef de fa femme, comme héritière de Charles du Moulin. Bobie arrivé enfin le jeudi; Sc au lieu de faire pourfuivre fon valet, que l'on fcavoit être le meurtrier, & qui s'évada, il rendit plainte contre le fieur d'Arconville. Son motif étoit que celui-ci avoit un intérêt fenfible a la mort de fa belle-fceur Sc de fes enfans, contre lefquels Riy  . ^e fieur d'Arconville il fe difpofoit a plaider en conféquence des lettres de refcifion qu'il avoit obteJiues au nom de fa femme. Sur cette plainte, le fieur d'Arconville tut décrété de prife-de-corps, & Tanchon, lieutenant-criminel de robe-courte , fut commis pour exécuter ce décret. Cependant le fieur d'Arconville, inftmit par la renommee du malheur arrivé , fe met en chemin pour venir a Paris fe joindre a Bobie, afin de pourfuivre la vengeance du crime; il avoit jneme eu la précaution de prendre chez lui 400 livres pour fournir aux frais de Ia pourfuite. Tanchon Ie rencontra au villam Ac la Queue en Brie , le fit faifir, lier 6c garotter fur un cheval, & conduire ï Paris. Les archers, qui Paccompagnoienr, "difoient en chemin que c'étoit certainement lui qui étoit 1'afiommeur. Tanchon envoya enfuite a la Chatre, oü il fit arrêret la dame d'Arconville & tous fes domeftiques j ils furent amenés a Paris dans des charrettes; 8c les archers difoient pareillement, a tous les paffans, que c'étoit la femme de 1'afiommeur. Ils furent mis au cachot en différentes prifons; leurs biens meubles 8c immeubles faifis, ainfi que les 400 liy.  jujlifiè. 393 qui étoient dans Ia poche du fieur d'Arconville , Sc dont Tanchon s'étoit emparé. Un confeiller au préfidial, nommé Valencon, fut commis pour aller fur les lieux faire des informations touchant les vie Sc mceurs du fleur d'Arconville. Ses recherches ne lui apprirent rien qui ne fut a 1'avantage de l'accufé. Le mari fut interrogé le lendemain de fon emprifonnement. Il fe défendit de 1'accufation, en juftifiantque,lors du crime commis, il étoit dans le cours des voyages dont on a parlé plus haut. La femme fut interrogée de fon coté, Sc fes réponfes fe trouvèrent abfolument conformes a celles de fon mari. Le lieutenant-criminel, après les avoir renus fix femaines en prifon, fait fortir Ia femme & les domeftiques , Sc met le mari fous la garde du commiffaire Grenouleaux. lis interjettèrent appel au parlement du décret de prïfe-de-corps prononcé contr'eux, de leur emprifonnement, Sc de la faifie de leurs biens. Ils dénoncèrent cet appel a Bobie, Sc le fommèrent de foutenir contr'eux Ia validité Sc Ia juftice des jugemens qu'ils attaRv  394 Le ficur £ Arconville quoient; en un mot, comme on parie au palais, ils le firenrintimer: mais il ne voulut point fe rendre partie civile; c'eft-a-dire, qu'il fe contenta d'être accufateur, fans vouloir fe charger de Ia pourfuite du procés, qu'il abandonna d M. le Procureur-général. II préfenta feulement une requête incidente, pour demander que tous les meubles, ayant appartenu a fa femme & a fes enfans, lui fuflent adjugés. Le fieur d'Arconville, accompagné du commiflaire Grenouleaux fon gardien, alla trouver le fameux Pafquier (i), (i) Etienne Pafquier naquit a Paris en lyiS. II fut rec;u avocat au parlement, & plaida avec un fuccès diftingué. II devint confeiller en cette cour ; & Henri III, pour récompenfer fon mérite , le gratifia de la charge d'avocat-général en la chambre des comptes, qu'il exerca avec une intégrité qui n'eft pas commune. II la remit, peu de tems après , a fon fils ainé, & mourut a Paris , en fe fennant les yeux lui-même, le 31 aoüt 1615, agé de 87 ans, & fut inhumé dans 1'églife de faint Severin. Il étoit naturellement bienfiüfant & honnête ; fa converfation étoit agréable & facile; fes moeurs étoient douces , & fon tempérament enjoué. II paroit qu'il étoit ferme & outré dans fes opinions. Chargé de plaider la caufe de 1'Uni,verfité contre les Jéfuites, quand ils voulu-  jujlifie. 39| pour le charger de fa défenfe. Pendant qu'il faifoit le récit de fon affaire, Pafquier le regarda fixement, & chercha a rent être aggrégés a ce corps, il concut contr'eux une haine qui lui fit adopter les contes les plus ridicules & les plus abfurdes qui fe débitoient contre cette fociété naiffante. Le P. Garaffe voulut venger fon corps; mais il 'n'avoit ni le fang-froid , ni les talens néceffaires pour combattre avec fuccès un adverfaire qui jouiifoit d'une réputation fi bien méritée. Ses Recherches fur la France , en dix livres , eft un ouvrage immortel, ou l'on trouve 1'utile & Pagrèame. Quoique le ftyle ait Vieilli, il ne laiffe pas de plaïrè, paree que 1'auteur avoit de t'imaginatiÖn : il faut cependant fe précautionner contre fes éloges & fes fatyies, qui font quelquefois Alarqüées au coin d'une prévention outrée. On trouve dans fes ceuvres des épitres qui comiennent des anecdotes curieufes fur notre hiftoire. II y a auffi des poéfies latir.es & fran<;oifes. Les premières ne font pas fans mérite ; les autres font très-foibles. On a joint a celles-ci, deux recueils de pièces en vers ; 1'un intitulé la. Puce des Grands jottrs de Foitiers, & 1'autre, la Main. Pafquier, étant aux Grands jours de Poitiers en 1569, alla rendre vifite a la fameufe Catherine des Roches: il appercut une puce fur le fein de cette fcavante: il fit des vers a cette occafion : tout le parnafle francois 'éi latin voulut prendre part a cette rare découverte; & toutes les perfonnes les plus diftinguées dans la robe & dans 1'èpée exercèrent leurs mufes fur ce fujet. La Main dg Rvj  39^ Le fleur d'Arconville démêler dans fes regards, dans fes geftes^ & dans fon maintien, s'il difoit Ia vérité. II lui trouva 1'anurance d'un Pafquier eft un recueil de prés de 150 pièces de vers en fon honneur, fur ce qu'étant aux Grands jours de Troyes en Champagne, 1'an 1 583, & ayant fait faire fon portrait, le peintre oublia de lui faire des mains. Les auteurs de toutes ces pièces ne font pas moins qualifiés, que ceux qui avoient travaillé fur la puce, & témoignent en quelle confidération étoit Pafquier parmi tout ce qu'il y avoit de §ens de mérite & de qualité dans le royaume. es ceuvres ont été recueillies dans une édition faite a Trévoiix en 1723 , en 2 volumes in-fol. On n'y a pas mis fon catèchïfme des Jéfuites. Quelle que foit la raifon de cette iuppreflion, elle ne fait pas de tort a Pafquier qui , pour écrire cet ouvrage, n'a trempé fa plume que dans le fiel, & n'a pas toujours, a beaucoup prés , été infphé par Je bon goüt. Catherine des Roches, dont je viens de parler, a 1'occafllon de la puce, étoit de Poitiers. Elle eft fouvent louée dans les écrits des gens de lettres qui vivoient vers 1'an 1580. Elle étoit fille de N. Fredenot, & de Madeleine Neveu. Celle-ci , qui avoit une grande connoiftance des langues {k des fciences, donna le même goüt a fa fille, qui fut confidérée, auflï bien qu'elle, comme une des mufes de la France. Elles compofèrent divers ouvrages en vers & en profe. Pour nepas quitter fa mère, Catherine refufa plufieurs partis confidérables qui fe préfentèrent  juflifié. . 397 homme innocent. 11 n'y avoit point de charges teftimoniales contre lui: tout dépendoit des conjectures. M. Briffon (i) fut le défenfeur de Bobie; les pour fon établiffement. Elles difoient qu'il n'étoit pas au pouvoir même de la mort de les féparer. Elles furent effe&ivement emportées par la pefte qui défola Poitiers en 1587. Je ne connois point leurs ouvrages , & j'ignore s'ils ont été imprimés. (1) Barnabé Briffon étoit fils de Francois, lieutenant-général au fiège de Fontenai-leComte en Poitou , oü fes aïeuls avoient occupé la même place. II parut avec éclat dans le barreau du parlement de Paris. Henri III, charmé de fon érudition & de fon éloquence , le fit fon avocat-général, puis confeiller d'état, & enfin préfident a mortier en 1580. On rapporte même que ce Monarque difoit qu'il n'y avoit aucun prince dans le monde qui put fe vanter de pofleder un homme aufli fcavant que Briflon. II s'en fervit en plufieurs négociations , & lui confia l'ambaffade d'Angleterre. Ce Prince le chargea de recueühr fes propres ordonnances , & celles de fes prédécefleurs; ce qu'il exécuta en très-peu de tems , & avec une facilité furprenante. 11 s'occupa encore d'autres ouvrages, qui ont pour titres: Dc verborum qua. ad jus pcrrinent fignifi-, catione. De formulis & folemnibus populi Romani verbis. De regio Perfarum principatu, &c. II promettoit d'en publier de plus confidéra-i bles, lorfqu'il mourut par une cataftrophe indigne, comme dit Mézerai, d'un fi dofte  39S Le fleur d'Arconville juges & le public entier, qui prit beaucoup de part a cette caufe, étoient prévenus contre Pafquier & contre le fieur d'Arconville. & fi excellent homme; mais ordinaire, ajoute-t-il, a ceux qui penfent nager entre deux eaux. II étoit refié a Paris, dans le tems que cette ville, révoltée contre fon fouverain etoit affiégêe par 1'armée de Henri le Grand , & que ceux des membres du parlement qui étoient attachés a leur devoir, tenoient leurs féances a Tours. Achilles de Harlai, premierprefident5itort prifonnier a la baftille La ligue, pour remplacer ce grand homme -  juflifié. 4^1 voir-on, après le défaftre aftreux de fa familie, le priver encore des biens de fes enfans, pour en revêtir des collatéraux ? Les deux arrêts de 16 5 5 & de 1751 ont été tracés fur 1'ordre ordinaire des fucceilions , paree que le débat n'étoit qu'entre collatéraux qui ne méritent pas plus de faveur les uns que les autres. Pour celui de 1619 , il fut infpiré par les loix romaines, dont la règle ne paroït ni fort jufte ni fort fure. Mais, dans cette queftion, il faut diftinguer fi la conteftation s'eft élevée a l'occafion d'un legs, ou a 1'occafion d'une fucceffion. On vient de voir les cas oü les fucceilions la peuvent faire agirer. Elle peut 1'être relativement a un legs, quand le teftateur & le légataire périftent enfemble du même accident, Si le légataire eft mort le premier, il eft certain que le legs ne peut pas avoir lieu en fa faveur, & que, fi le teftateur ne difpofe pas, par un autre teftament, des biens dont ce legs étoit compofé, ils rentrent dans fa fucceffion, au profit des héritiers du fang. Si au contraire le légataire furvit au teftateur, le legs a repofé fur fa tête, & pafte a fes héritiers, au préjudice de ceux de ce teftateur.  £^11 Le fieur d'Arconville En matière de fucceffion, on préfume bien quelquefois que, de deux perfonhes péries dans le même naufrage, 1'une eft morte avant 1'autre; au lieu qu'en matière de legs, jamais on ne fait cette fiction. Un fait fuppofé ne peut jamais fervir de bafe a un jugement. La loi, toute puiffante qu'elle eft, n'a pas la faculté de changer la vérité, ni de faire que ce qui eft, ne foit pas. Tout ce qu'elle peut faire eft que, quand il y a impoffibilité de fcavoir comment une chofe s'eft paftee, elle crée une fidion, 8c fe determine comme fi la chofe étoit arrivée de telle ou telle facon. Ce n'eft pas qu'elle préfume le fait; mais, dans le doute, elle favorife celui qui mérite le plus de 1 etre : & encore ne fait-elle ufage de cette fi&ion qu'en s'affiijettiffant a deux précautions. La première eft, qu'elle ne s'y détermine que dans un cas de néceffité abfolue, & quand il n'y a pas d'autre voie pour fortir d'affaire. La feconde eft, qu'elle feint toujours au profit de la caufe la plus favorable, fans s'embarraffer d'aucune autre perquifition; paree que c'eft 1'équité qui doit toujours , au défaut du droit, déférer les fucceffions.  juftifié. 42.3 C'eft de la première de ces précautions , que nait la diftinéHon établie, en cette matière, entre 1'hérédité & les legs. Un père & un fils ont péri dans le même naufrage; la loi &c le fang les établiflant héritiers néceflaires 1'un de 1'autre, il eft indifpenfable de feindre que 1'un a furvécu a 1'autre, afin de régler a qui appartiendra leur fucceffion , qui ne peut pas demeurer vacante. Or, comme il eft impoffible de parvenir a la découverte du fait, il faut s'en tenir a la pure difpofition du droit, qui veut que le fils foit héritier de fon père. C'eft cette difpofition qui eft la fource de toutes les fictions auxquelles on a recours en cette matière : Sc toutes les loix romaines qui ont ptéfumé la furvie entre deux petfonnes mortes enfemble par le même accident, fuppofent toujours que c'eft père ou mère & enfans qui font morts enfemble ; &C il ne s'en trouve aucune qui foit entre étrangers. 11 n'en eft pas de même des legs. Il eft bien néceflaire qu'un homme ait des héritiers, mais il n'eft pas' néceflaire qu'il ait des légataires. C'eft pourquoi, fi le teftateur & le légataire meurent en même tems, & dans un même accident j  434 Le (leur d'Arconville comme le légataire ,ne peilt pas venir dire qu'il a furvécu, & qu'ainfi il a gagné le legs; comme fes héritiers, d'ailleurs, ne peuvent pas juftifier qu'il le leur a tranfmis par fa furvie, ce legs demeure caduc. En effet, a 1'inftant même de la mort, la loi, fans laiffer la. fucceffion vacante pendant le plus petit intervalle, la dépofe fur Ia tête de I'héritier du fang 5 il n'a aucune démarche a faire, aucune demande a former, il tient la fucceffion dans fa main. C'eft ce qui eft exprimé avec précifion par cette règle du droit coutumier: le mort faijit le yif. Le légataire, au contraire, ne recoit, du teftament, que le droit de demander la délivrance de ce qui lui a été légué; & c'eft a I'héritier qu'il doit la demander, paree qu'encore une fois, tous les effets qui compofent la fucceffion font dans la main de cet héritier, & n'en peuvent être retirés que par fa volonté, ou par un jugement Fondé^ fur un titre légal. Or quand le légataire fe préfente pour recueillir, il faut que, non-feulement il prouve Ia validité du teftament, mais que lui, ou fes héritiers, prouvent le prédécès du teftateur : & cette obligation dérive de la règle générale, qui veut que tout  juflifiè. 4M demandeur fafle 'les preuves néceflaires pour établir fa prétention ; & faute de ces preuves bien établies, il eft exclus. L'héritier, au contraire, n'a point de demande a former; c'eft la loi ellemême qui 1'a revetu de fa qualité, &C qui 1'a armé de tous les droits qui en font 1'appui. En un mot, ou il s'agit de la difpofition de la loi, ou il s'agit de la difpofition de 1'homme. Quand il eft queftion de droits déférés par Ia loi, comme d'hérédité, & que, par 1'incertitude du fait, on ne fcait a qui elle doit appartenir, il fiiut bien que la loi fe détermine alors par quelque fiétion, pour régler a qui elle déférera la grace qu'elle eft obligée de faire; & cette netton nait toujours de la faveur du fang, ou de quelqu'autre circonftance» Mais quand il s'agit de la difpofition de Thomme, comme d'un legs, il n'eft ppint alors néceflaire de recourir a la fiétion, paree qu'au défaut de cette difpofition de 1'homme, qui demeure caduque,on fait fervir celle de la loi; & dans ce cas, la loi ne pourroit employer de fiction que contre elle-même, s'écarteroit de la route qu'elle s'eft tracée, détruiroit les droits du fang ; ceux  £fiG Le fieur unes, ou il commandoit un régiment de cavalerie dans 1'armée Francoife. II avoit un fils qui commandoit auffi dans celle de Condé, au fervice d'Efpaene. Le pere & le fils éprouvèrent un mime lort, & furent tués dans le combat. Le même jour, une fille de ce gentilhomme fit profeffion religieufe dans la province. On fcait que les vceux en religion enlèvent la vie civile a la perfonne qui les fait, dans 1'inftant même ou elle les prononce, & que fa fucceffion palleafes héritiers exiftants alors de la meme manière que fi elle décédoit reeüement. Or on demandoit qui des trois étoit prefumé avoir furvécu les deux autres. Lous les avocats qui affiitoient a la coniultation, étoient d'accord que la fille devoit être réputée morte civilement avant le decès de fes frères, par deux railons. La première eft, quel'heure de la profeffion étoit certaine; elle avoit ete faite a midi; le combat au contraire n avoit commencé qu'a cette heure-H. La leconde raifon eft, que k mort de Ia Mie avoit été volontaire, & confommee en un moment: celles du père & du hls ayant été violentes, il pouvoit fe  juftifie. ■ 431 faire qu'ils euftent furvécu quelque tems a leurs bleffures. Quant a la queftion concernant Ie père & le fils, les avis furent partagés. Un des opinants foutint que le fils s'étant trouvé dans 1'armée qui avoit été défaite, il y avoit eu certainement plus de morts. Les deux autres prétendirent que cette circonftance n'étoit pas fuffifante pour détetminer a donner atteinte a la règle générale \ paree que la vi&oire ne s'aequiert qu'en combattant de part &C d'autre, & que les combattans qui compofent les deux armées, rencontrent la mort en même tems. II y a, il eft vrai, cette difterence entr'eux, qu'il fe trouve ordinairement plus de tués dans 1'armée vaincue, que dans 1'armée viétorieufe ; ce qui ne fait rien pour 1'heure des morts, de part & d'autre. Au contraire, il arrivé fouvent que ceux qui ont été tués dans 1'armée défaite, l'ont été depuis leur déroute, & dans uni tems ou les viftorieux ne couroient plus aucun danger. Enforte que, dit Ricard, par ces raifons, nous primes la réfolution qu'il en falloit demeurer 4. la règle, & que  432. Le fleur imétk d enfans qui ne font pas coupables des erreurs des pères & des rnères;préfë_ rablement a celui des héritiers collaps, qui ne difpiltent Profit pecuniaire, & ne peuvent réuffir fans plonger des enfans innocens dans lignonume&dans la misère. II aiouta cependant que d'Oudet méritoit d'être Puni pour avoir retenu avec lui Marie David, apres le retour de fon mari, f av°„r c?no^ de vivre fciemmen avec elle dans 1'adultère. Ses conclufions furent adoptées : Sc Par arret du 13 juin Itfj toit jamais au mariage de fon fils, & que celui-ci n'eüt pas le don de continence, il fe trouveroit dans une fituation bien dangereufe. Sur quoi Me de Héricourt, dans fes loix eccléfiaftiques, part. 3 , chap. 5 , art. 2 , n. 73 , dit que les Peres du concile de Trente avoient d'abord formé le deftein de déclarer nuls ces mariages. Enfiute ils ont cru ne devoir pas donner atteinte a un ufage établi depuis plufieurs fiècles; & ils fe font contentés, en déclarant ces mariages fnnplement illicites, de condamner Terreur des hérétiques luthériens & calviniftes , qui foutenoient qu'ils étoient nuls de droit naturel & divin; & qu'il dépendoit des pères & mères des enfans de les confirmer , ou de les infirmer, fuivant leur volonté. C'eft la le fens, ajoute-t-il, qu'il faut donner au décret du concile. Car il n'eft pas poflible que cette afTemblée ait voulu anathématifer ceux qui fouüendroient que les  dêclarè Ugitime. 449 La feconde femme, qui avoit aufli interjetté appel du premier & du troifième mariages de Pierre Labbé, fe mariages des enfans de familie, fans le confentement de leurs pères, font nuls, quoiqu'il y eüt une loi qui les annullat; attendu qu'un pareil anathême tomberoit fur toute 1'églife grecque, qui a mis, de tout tems , le défaut de confentement des parens au nombre des empêchemens dirimans; fur les empereurs chrétiens, qui ont défendu ces mariages fous peine de nullité; & fur 1'églife latine, qui a fuivi, pendant plus de douze fiecles, ce qui étoit prefcrit fur ce fujet par les loix romaines. Ainfi, ajoute cet auteur, 1'églife & les, princes fouverains peuvent encore, fans bleffer cette décifion, mettre le défaut de confentement des pères, mères ou tuteurs, au nom-; bre des empêchemens dirimans pour let mariages contraétés par les enfans de familie. Or les loix de France ont ufé de ce pouvoir par les loix citées dans le texte, a 1'occafion de la défenfe d'Armand Labbé, appellant comme d'abus des mariages de fon fils. Louis de Hèricourt, avocat au parlement; dont je viens de parler, étoit iflii d'une familie de Picardie, qui a tiré fon nom de la terre de Hèricourt, dans le comté de SaintPaul. L'auteur du mobiliaire de Picardie fait remonter cette familie jufqu'a Baudouin , feigneur de Hèricourt & de Blengiel, qui vivoit en 1380. Antoine & Jean de Hèricourt, chevaliers de Malte, furent tués a 1'expédition de Zoura en 1552, & ont été mis  45° Enfant adultérin défifta de eer appel. Elle comprit que n'ayant, en faveur du Hen, d'autres Tnoyens a alléguer que ceux de la première femme, s'ils étoient valables, ils ne pouvoient 1'être qu'en faveur du premier mariage \ & que, s'ils validoient cette union, ils annulloient nécelfairemenr la fienne. Quant a la troifième femme, elle fou-tenoit que fon beau-père éroit non- au nombre des martyrs de leur ordre. Louis , dont il s'agit ici, étoit petit-fils de Julien, feigneur d'Hédouville, qui a donné au public rhiftoire de I'académie de Soiffons, & quelques autres ouvrages. Né a Soiffons en 1687, il fut recu avocat en 1712. II fut choifi, 1'année fuivante, pour travailter au journal des fr.avans; fes extraits ne font pas un des moindres ornemens de cet ouvrage périodique. Ses loix eccléfiafliques, &c. publiées. d'abord en 1719, & réimprimées depuis , un grand nombre de fois, lui ont acquis , par la clarté , 1'ordre , 1'érudition & la profondeur de jugement qui y regnent, la réputation qu'il méritoit. On a encore de lui, un traité de la ventc des inimeubles p-ar décret: un abrégé de la difcipline de Péglife du P. Thomaffin, & un grand nombre de confultations fur toutes fortes de matières. II mourut en 1753. A Fétendue prodigieufe de fes lumières & de fes connoiffances , il joignoit la modeftie la plus fincère, & un déuntéreffement qui a peu d'exempies.  declaré lègitime. 451 recevable a attaquer fon mariage: ayanc recu chez lui, avec bonté,-& y ayant logé & entretenu fon fils, fa bru & fes petits-enfans, il avoit ratifié ce mariage par un confentement qu'il ne pouvoit plus révoquer. C'eft une maxime conftante, parmi nous, qu'un père qui a donné des preuves certaines d'un retour - fincère vers un fils qui 1'avoit grièvement offenfé, ne peut plus le punir pour la même faute. J'aurai peut-être occafion, par Ia fuite, de développer cette maxime. Mais , quand le père n'auroir pas donné des preuves de fon approbation pour ce mariage, il ne feroit pas plus en droit d'en pourfuivre la nullité. Jeanne Moreau, quand elle contrada ce mariage, étoit dans la bonne foi j elle ignoroit totalement les engagemens précédemment contradés par Pierre Labbé fon mari, & cette bonne foi lui acquiert inconteftablement la qualité de veuve de ce même mari; Sc a fes enfans, celle d'enfans légitimes. . Cette vérité eft fondée fur les loix civiles & canoniques , & fur la jurifprudence. Les loix romaines, ;:prês avoir déclaré nuls tous les effets d'un mariage contradé contre les loix, après J  4^1 Enfant adultèrin avoir même adjugé au hfc les avantages pécuniaires qui en peuvent réfulter, exceptent nommément ceux dont les contraclans ignoroient abfolument les empêchemens (i). Et ces loix ont été adoptées par le droit canon. (i) Qui contra legum prxcepta, vel contra . mandata , conflitutionesque principum nuptias forti contraxerit, nihil ex eodem matrimonio , five ante nuptias donatum, five deinceps, quoquomodb datum fuerit, confequatur: idque to~ turn quod ab alterius liberalitate in alterum procejfit. ut indigno, indignceve fublatum ,fifco v'mdicari fancimus. Exceptis tam fxminis, qudm vlris qui aut errore acerrimo, non affèólato, infimulatove, neque ex vili caufd dccepti funt, aut atatis lubrico lapfi. Quos tarnen ita demum legis noftra laqueis eximi placuit, fi aut errore comperto, aut ubi ad legitimos pervenerunt annos, cor.junBionem hujufmodi, fine ulla procrajlinatione , dirimerint. L. 4, cod. de incejl. & inutil. nupt. Divus Marcus & Lucius imperatores Flavict Tertulla, per menforem liberw.m ita refcripferunt : movemur