VERZAMELING W. H. SÜRINGAR  CAUSES CÉLÈBRES E T INTÉRESSANTES, A VE C LES JU GEMENS QUI LES ONT DÉCIDÉES. RMgées de nouveau par M. RlCHER, ancien Avocat au Parlement. TOME QUATRIÈMïT,' A AMSTERDAM. Chez Michel Rhey. Ï773-  Etfe trouve a Paris s che^ La veuve Savoie , rue S. Jacques, Saillant & Nyon , rue Saint-Jean-de- Beauvais. LeClerc, Quai des Auguftins. Guillyn, rue du Hurepoix. Cellot, Imprimeur, rue Dauphine.] La veuve Desaint , rue du Foin. Durand , neveu , rue Galande. Delalain , rue de la Gomédie Frangoife; Moutard , Quai des Auguftins. Bailly , Quai des Augnftins.  T A B L E DES PIECES Contenues dans ce quatrième volume. Les nouvelles Caufes font marquées d'une étoile. * ~F7e mme qui avoit deux ]C maris. page i * Tlomme itnpuijfant 3 qui fe punit Lui-même de ce vice. 17 * Prétendue forcière éprouvée par Veau. % j * Incejlueux puni. 68 La pojfejjion de Loudun 3 ou kiftoire dUrbain Grandier. 97 Hijioire de la Piv ar diere. 431  CAUSES  CAUSES CÉLEBRES E T ÏNTÉRESSANTES, * F E M M E QUI AFOIT DEUX MA RIS. —; 's'embarque, après trois fe~ mames de mariage. Treize ans fe paflent fans que perfonne entende parler de lui. r En 1648, un ami de Daubourg, appellé Bigeon, & qui s'éroic embarqué avec lui, revmt aux Sablês d'Olone. 11 Avec les jugements qui les out décidées. N nommé Daubourg, matelot des Sables d'Olone, époufe, en 1630, une jeune fille, & Tome IV, A  x Femme qiu avoit raconta ï la femme Daubourg que fon mari, après avoir éprouvé differents accidents fur raer , avoit enfin été pris par des corfaires , conduit a Alger Sc vendu comme efclave. Ennuyé des rigueurs de 1'efclavage, il s'en étoir déüvré en faifant profeffion de !a religion roufulmane, Sc s'étoit marié. L'habileté & l'intrépidité , continua Bigeon , qu'il montra dans plufieurs courfes de corfaires, oü il avoit été employé comme fubalterne, lui méritèrent d'ërre fait capitaine. 11 équipa un vaiffeau , Sc pric poar contre-maitre un Anglois renégat comme lui. Lorfqu'ils furent en pleine mer, eet Anglois pro* pofa a Daubourg de reiacher dans un port chrétien. Celui-ci n'y voulut jamais confentir ; ils prirent querelle ; 1'Anglois affomma Daubourg d'un coup de maflue, Sc le jetta a la met. _ Cette nouvelle hiftoire prit crédit dans la ville. Les parents de Daubourg, perfuadés qu'il étoit mort, partagèrent fes immeubles entre eux , & la communauté avec fa femme. Celle-ci fe crut veuve , comme les parents de Daubourg s'étoient cru herkiers , Sc contra&a un nouveau mariage avec un nommg Tixier,  Toures ces opérations étoient aDtuJnment nulles & contraires aux bonnes régies : c'eft ce que nous nous propofons d'établir, après avoir achevé le réci: de cette caufe. Quelqire temps après ce fecond manage , Tixier & fa prétendue femme fe font une donation mutuelle de touc ce que la coutume de Poitou leur permettoit de fe donner. Le bruit fe répandit peu après que Daubourg avott paru. Le curé, confulté par Tixier & fa femme , ne put leur donner les éclairciffements qu'il leur devoit j il les adrefla a un banquier en cour de Rome, qui leur dit, avec raifon , qu'ils devoient fe féparer, Sc la femme retourner avec fon premier mari. Tixier, fincèrement attaché a fa femme, ne put la voir pafler dans les bras d'un autre. Pour s'épargner la douleur de ce fpeóbacle, il s'embarqua dans un vaifieau qui partoit pour Venife, & périt fur mer. La femme , alTurée de cetre mort, intenta aclrion contre les héritiers de Tixier, pour obtenir la délivrance de la donation mutuelle ouverte a fon profit par le dccas de Tixier. A i  £ Femw f<*è avoit "' Les héritiers opposèrent a cetre demande , que la donation n'avoit eu d'autre motif que le lit conjugal : majs vque, le mariage fe trouvant nul dans fa fource , la caufe de la donation fe trouvoit anéantie, & par conféquent Ja donation même. Le juge des Sables d'Olone fe dér termina , par ce motif, a débouter la femme de fa prétention. L'appel de cette fentence fut porté 3U parlement de Paris. M. Bignon , depuis avocat-général, plaida pour la femme; & M. Brodeau, depuis confeiller au même parlement, défendit les héririers. M. Bignon fit valok la bonne foi de la femme; il foutint que Daubourg s'érant fait mahométan, & ayant époufé une mahométane , fon premier mariage avoit été dilfous. M. Talon , qui porta la parole comme avocat-général, foutint la validité du premier mariage , & la fit dépendre de la mauyaife foj de la femme. II dit que le récit de Bigeon impliquoit contradi&ion. Il ne pouvoit pas fe faire qu'il eüt vu jetter Daubourg a la mer, fans fcavoir précifément s'il avoit été ïi'oyé, oü s'il avoic cu le bonheur de-  deux mans. $ cfiapper aux fiors; paree que, s'il èuc été vrai qu'il eüt vii la rixe, il falloit qu'il fut für le vailleau même oü ellé s'étoit paffee, n'étant' pas poffible qu'il eüt pu la voir, sJi! eüt été fur uri autre navire. De ces- réflexions, il coiicluoit que la femme n'avoit pas pu croire le récit fur lequel elle avoit' fondé fori prétendu veuvage , & que par conféquent il n'y avoit pas de bonrie foi'dé fa part, ni de fecond mariage valable*. ment contraóté. Toutes les conventionï matrimoniales, comme le douaire, la communaute, le préciput, én un mot' tous les avantages ftipulés en fa faveur par le contrat, rtè pouvoient avoir lieu. II en étoit de même du don mmuer, qui ne peut être qu'une fuirë & unë dépendance d'uri mariage valablement contraécé. II étoit inütile^ difoit-ü, d'oppofer que , G eet aóVe ne valoit pas comme fait entr'e mari Sc femme, il valoit, au moins, comme donation faite entre étrangers. Dans I'exécution des con-' trats, il faut confidérer 1'intention des parties. Or celle de Tixier Sc de fa femme avoit été de fe donner comme ünis par le mariage; ne 1'étant poinr, leur intention n'avoit plus d'objet; SC A y  é ~ Femme qui avoit l'aóte ne pouvoit pas s'exécuter. Sur fes conclufions , intervint arrêj le 3 décembre 1648 :1a fentence fut confirmée ; &c cependant il fut permis a la femme de reprendre ce qu'elle avoit apporté en mariage a. Tixier. II eft bien furprenanc que M. Talon fe foit uniquement attaché a la mauvaife foi de la femme, pour établir la nullité du fecond mariage. Nous allons examiner cette queftion avec les deux autres qui ont été annoncées. C'eft une maxime confacrée par les loix & par la jurifprudence, que toute perfonne abfente, & dont la mort n'eft pas conftaïée d'une manière quine laifle lieu d aucun doute, doit être préfuméd. atteindre jufqu'au terme le plus reculé de la vie ordinaire des hommes; c'efta-di,re , jufqu'a cent ans. Cette préfomption eft fondée fur le texte de plufieurs loix Romanres, (1) & fur les principes de 1'humanité. Nous devons roujours fouhaiter la confervation de ïous les citoyens abfents, & ce veen doit être marqué par 1'efpérance conti- (1) L. 8 , ƒ. de ufu & ufuf. & reiiiu , &'c. £. 5 £ , ff. de ufufrutt. & quemadmod.. quis ut. (ruat. Et l. ij, cod. de facrofanft, Eccltf,  ttetix ma fis. 7 nuelle de lenr rerour , & par la préfomption qu'ils font vivants, tant que Ton ignore quel eft leur fort. Cette préfomption produit amant d'effet que la vérité même. S'il s'agit de partager une fucceffion a laquelle un abfent pourroit avoir part, on le fuppofe vivant, Sc on partage les biens comme s'il étoit préfent ; on admet même fes créanciers a recueillir, en dédu&ion de ce qu'il leur eft dü, les droits qui lui font échus pendant fon abfence. Nous allons rapporter Fhiftoire de quelques arrêts qui 1'ont ainfi jugé. II y avoit quatorze ans qu'un nommè Jérome Tiélement étoit abfent da royaume, lorfque fa rnère décéda. A vant de difparoitre , il avoit contradié quelques dettes. Ses créanciers y a la mort de fa mère, prétendirent qu'il étoit fon héritier pour un quart, avec fes frères & fcrurs, qui éroient au nombre de trois. Ceux-ci prétendirent qu'une abfence de quatorze ans, fans qu'on eüt eu aucune de fes nouvetles, devoit le faire préfumer mort j qu'ainü" il n'avoit pu recueillir la fucceffion de fa mère, Sc par conféquent fes créanciers n'avoient rien 3 y prétendre, A 4  * Femme qui avoit . Par fentence des requêres du pakis;: il fut ordonné que les Tiélemerit prouveroient que leur frère écoit mort avant fa mère. lis interjettèrent appel de ce jugemenr. La mère avoit fait un teftaraent par lequel elle avoit. difpofé de röuc fon bien. au profic des trois enfant^ qui étoient demeurés avec-elle,. L'arrêt adjugea aux créanciers de. Jéróme Tiélement la légitime qui lui appartenoit dans les biens de fa mère, en. dédu&ion de leurs. créances. Cet arrêt eft du 7 juillet 161%, Pierre Langlet, bourgeois de Reims emprunta plufieurs fommes confidérables de différents particuliers, pour. fpurenir. le commexce qu'il avoit en.trepris. Ses affaires ne tournèrent pas au gré de fes defirs : .il fut obligé, en. 1.65.0'-, de difparoitre, & de faire une e.fpèce de banqueroute, ne laiflant pour rout bien que ce qui peuvoit lui revenir de la fucceffion furure de fes pèrei 8c mère.. II paroir qu'il. paffia en Allemagne , 011 il prit le. parti des armes, Pendant fon abfence,. fon père déeéda , après avoir difpofé de tous fes. biens en faveur de Vaubourg-Caifie , fa femme. Elle mourut en 1669. Les créanciers de Pierre. Langlet préteji-..  'deux maris. 9 direrit que, dans Pincertitude oü 1'on étoit de fon fort, il devoic être préftimé vivant, & avoir par conféquent recueilli les fucceflioris de fes père &citière. Les parents collatéraux de Vaubourg-Caiffe foutinrent, au contraire , que" Langlet ayant été abfent dix-neuf ans, fans qnon eüt eu aucune de fes' nouvelles , devoit être réputé mort ; qu'ainfi fa mère étoir cenfée lui avoir fürvécu ; par conféquent il n'avoit pil hériter de fes biens, qui par-la avoienc néceflairemenr pa (Té aux collatéraux. Par fentence du préfidial de Reirris j du 25 juin 1669, les collatéraux'furent cöndamnés a abandonner aux créanciers de Langlet tous les droits fucceiïifs qui lui apparrenoient dans la fucceflion da fa mère; il fut cepèndant ordonné qu'ils donneroienr caution de les rapporter, en cas que les collatéraux vinlfent a prouver juridiquement que Langlet étoit mort avant fa mère. Cette fentence fut confirmée par arrêt du pari lement de"paris, du 13 février 1672. ■ On ne s'arrête point ici a détailier les moyens qui furent propofés de part & d'autre,: ils font expofés aü journal ë» p^lais , oü nous renvoyons ceux qvn - A- ji  jo Femme qui avoit feroient curieux, oa qui auroient be=» foin de les connoitre : on fe contentera de dire qu'ils dérivent tous des principes que 1'on vient d'établir. On trouve cependant, au journal des audiences, un arrêt qtii femble être en contradiction avec les deux dont on •vient de parler. Un jeune homme fur envoyé a Paris par fes parents, pour y demeurer chez un procureur. Peu de.temps après fon arrLvée dans cette capitale, il difparut, fans qu'on air jamais pu fcavoir ce qu'il étoit devenu.. Deux ans après fa difparition-, il s'éleva une queftion entre fes parents collatéraux 8c fa mère. Les parents préten» doient que la mère n'avoit point hérité des meubles & acquêcs de fon fils, attendu que , par une préfomption de droit, il devoit, tant qu'on n'auroic point de nouvelles certaines de fa mort, être réputé vivre jufqu'a Tage de cent ans y d'oü ils concluoient que ces biens devoient leut être délivrés par provi— fion , & a la charge de les remettre au jeune-homme, en cas qu'il revint. Leur prétention fut re/ettée par arrêt du 2 janvier 1654; ainfi la Cour jugea que la mère avoit hérité de fon fils a 1'inftanr que celui-ci avoit difparu.  deux mans. rir Ce jtigemenc pareut oppofé a ceux tlont on vient de parler. Mais les auteurs obfervent que la mère & les collatéraux difpurant pour une caufe purement lucrarive, lear intérêt étoit ab~ folumenr pareil; que, dans cette parité , on avoit du décider en faveur de la perfonnala plus favorable, qui étoit la mère, & lui accorder une partie desbiens de fon fils , pour foulager fa douleur , n'étant pas jufte qu'elle perdit a. la fois Ia perfonne & les biens. Dans le cas de Tiélement & de Langlet, au contraire, il n'y avoit point de mèr« a confoler, c etoient des créanciers qui vouloient conferver Ie peu de bien que leur débiteur avoit laifie , pour ne pas perdre la totalité de ce qui leur étoirf légitifnemerrt« dü. II eft certain en général que, quand' il n'y a point de confidérations particulières qui s'y oppofent , un abfenteft toujours préfumé vivre jufqu'a lage de cent ans , tant que Fon n'a point de' nouvelles certaines de fa mort. Les parents de Daubourg & fa femme avoient donc eu tort de partager fa fucceffion. IIs anroiem dü fe conformer a un ufage univerfellement ree® en pare il sas. Après un cerrain temgS5 A 6  i-i "Femme qui avoit d'abfence, comme de trois a quatre ans ou plus , les héritiers préfomptifs de 1'abfent obtiennent du juge la permiffion de partager fes biens ;.mais ce partage n'eft jamais que provifionnel, ou. plutot ce n'eft point un partage véritable, mais-une fimple adrmniftration qu'on leur confie , plutot que de laifler les biens a 1'abandon , ou a. la merci du premier occupanr. On ne leur donne les biens que paree qu'il eft plus jufte de les mettre dans leurs mains , que d en accorder la jouniance a des etrangers : mais c'eft toujours a la charge de les rendre, Sc même d'en reftituer les fruits, leur fait donner camion. Quant au fecond mariage de.la femme de Daubourg, fa validité ne dépen»- eoit pas de la bonne ou de la mauvaue fbi de la femme. . L'Empereur Conftantin , par une.loi 'inférée dans le code de Juftinien,/. 7 de repud. avoit décidé qu'une femme qui avoit été quatre ans fans avoir de. nouv'elles de fon mari abfent, pouvoit fe remarier, pour vu qu'elle- neut pas yécu en adultère avec celui qu'elle époufoit. Juftinien , par fa novelle 22, ejiap, 14,, ajouta.fix autres aunées aux.  deux- marir. F 3* quatre prefcrites parConftantin. Enfiny par la novelle 117, ch. 11, il défendit; ces feconds mariages, quelqae longue que füt 1'abfence, a moins qu'il n'y-eür des nouvelles certaines de la mort de 1'abfenr. Le droit canonique a adopté cette dernière décifion , fans que les inconvénients qui peuvent-en réfulter, aient* pu déterminer a en adoucir la rigueur. Nous lifons dans les décrétales, lib, 4-,. tic. 1, cap. 19, qu'un évêque confulta le pape Clément 111, fur la conduiteque devoient tenir quelques jeunes femmes dont leurs maris étoient abfents depuis plus de fept ans. Ellesavoient fait inutilement toutes les perquifuions poffibles pour en avoir des-' nouvelles. Trop jeunes & trop portées a 1'amour,.elles ne pouvoienc fe paffer de maris,.& demandoienr permiflion! de fe remarier. Le Pape répondit quecette permiffion ne pouvoit leur êrreaccordée , tanc qu'elles n'auroient pas' de nouvelles certaines de la mort de leurs époux. On aima mieux les expofer a vivre dans le crime, que de courir ' les rifques de profaner le facrement de mariage. Nous n'avons pas manqué d'adopteer  *4- Femme qui avott une jurifprudence fi conforme aux prirn. cipes da chtiftianifme, cpi nous apprend que Je fen du mariage ne ^ jamais etre rompu que par la more d'un des deux conjoints. Ce n'eft donc poinr la bonne ou la mauvaife foi de la femme qui rend ces feconds mariaees mils ou égmmes; c'eft le défaut de preuves de la mort de fon mari-. S'il arrivé que, fur des indices apparenrs du décès de fon époux , une femme contracte un fecond mariage , fc que Ion découvre enfuire que le bruic de fa mort eft faux, elle eft obligee de qiiitterauflwêtfon fecond mari „ & dI aller habiter avec le premier. Mais on peut demander quel fera le fort des enfants iffus de cette union intermediaire. Leur mère , lorfqu'elle eur a donné le jour, éroit dans les hens d un mariage réel; il femble , par conféquent, quils doivent leur exifrence a un adultère , & n'ont aucune' part a pretendre , ni dans la fucceffion de leurs pere & mère, ni dans les prérogatives attachées d la Ugmmtê de la naillance. Maïs c'eft une maxime confacrée par opimon de tous les auteurs, par les tow Komames & par la jurifprudence  deux maris. 15 des arrëts, qu'un mariage qui a les apparences de légitimicé , produit les . mêmes effets que s'il étoit totalemenc régulier. Les enftmts nés d'une telle union , ont acquis leur état en naiffant j. 1'opinion publique les a élevés au rang d'enfants légitimes : il n'eft pas jufte deles en faire tomber, lorfqu'une errenr y donr ils font innocents,. vient a fe découvrir r 1'humanité répugne a eettecruauté & la juftice a adopté pour maxime , que 1'état des enfants eft toujours favorable ; enforre qu'on ne les en privé jamais, que quand ils font le fruit d'une conjonétion illicite & fcandaleufe en même-temps. Mais on pourroit demander 6, Daubourg ayant abjuré la religion chrétienne, & s'étant marié avec une femme infidele, cette conduite n'a pas rompu fon mariage ? En premier lieu, il ne paroit pas que: Daubourg ait été accufé depuis fon retour, ni d'apotkfie, ni de mariage em Barbarie. U n'en eft fait mention que dans le faux rapport de Bigeon. Or un crime qui n'eft pas juridiquement prouvé, ne peut produire aucuns effets civils, 8c ne peut par conféquent diffoudre un Hen publiquement reconnu par. la fociété.  t6 Femme qui avoit, &c: D'ailleurs, lè mariage eft', de droït' divin , indhTölüble; &c les crimes des* hommes ne fcauroiènt porter aucune' at rein re a un etabiiflemeht & a un lien' qui eft 1ouvragé de la divinité même. SJil eft vrai que Daubourg fe foir maric' a Alger, ce n'eft pas un mariage qu'il a conrraété il a vécü dans 1 adultère % il a violé la foi de fon premier enga-gement ;;mais il'ne 1'a pas rompu.  17 *HOMME IMPUISSANT; Qui fe punic lui-même de ce yice. UN habitant d'un village voifin de la Fer-re en Picardie , époufe , a Fage de foixante-quatorze ans, une fille qui n'en avoi: que vingt. G'étoit fon troifième mariage , & aucune de fes deux premières femmes ne s'étoit apperc,ue qu'il füt homme. II avoit tou-»jours attribué certe difgrace a la malice de fes ennemis , qu'il accufoit de lui avoir noué l'aiguilktte. Pour prévenir eet accident, il réfolut de leur dérober la connohTance de fon troifième mariage. 11- ne fit point publier de bans , pafla fon contrat loin du lieu de fon domicile, fans y appelier aucun de fes parents, & recut la bénédiélion nuptiale au même endroit. IF étoit fort riche & fort avare; celle qu'il' époufoit étoit aflez bien partagée des dons de la, nature., mais,fort peude ceux de la fortune. II ftipulaen;fa.'fdr  l8 Homme impuijfant, veur que, pour tout droir de douaire &de comrnunauré , elle prendroit fur ia iucceffion , en cas qu'il décédat avant ene, une fomme de quinze cents livres , fes habits & joyaux, & u„ garni. Le bon vieillard ne fut pas plus heureux avec cette jeune femme, qu'il ne I avoit été avec les deux autres ; il fe trouva toujours avoir Caiguillette nouée. J-e malheur lui fit ouvrir les yeux fur ia difpropomon de fon mariage. II fe regarda comme le plus malheureux de tous les hommes : non - feulement il ne pouvoit gouter les douceurs donr il setoit flatté, & qtï'il avoit cependant acnerees pour un prix que fon avarice lui prefentoit comme exorbitant: mais Jl craignoit que fa femme ne mangear tout fon bien , ou ne le donnat a fes parents , qui étoient pauvres. II prit le parti de s'épargner le fpectacle de ces malheurs : le ï4 novembre 1627» jour de dimanche, il sesferma dans fa maifon, fe retira dans fon gremer, ou il atracha une corde a une poutre, & fe la mit au cou : mais ce gremer éranr trop bas, & n'ayant pu fe fufpendre i h corde s il fe LaüTa toL  qui fc punit lui-mème. Jp ber a genoux fur un tas d'orge , & s'é- tran§la' ., • H J Cet accident parvint aux oreilles du juge , qui fe tranfporta fur les lieux , fit drelfer procés- verbal, & informèr du fait. II paroit que la veuve ne pnt pas grande part a tous ces événemenis; elle fe remaria même quinze jours après la mort du bon-homme , fans toutefois négliger les droits qu'elle avoit a exercer fur fa fucceffion. Trois parties fe la difputoienr. Le marquis de la Vieuville , feigneur engagifte de la terre oü le fuicide avoh été commis, préteudost que ce ^ crime emportoit confifcation, & qu'a ce titre les biens du coupable devoient lui être adjugés. Le receveur du domaine foutenoit que cette confifcation devoit appartenir au Roi, au préjudice de 1'engagifte. Les héritiers difoient que le défunt ne s'étoit donné la mort que dans un accès de délire; qu'on ne devoit pas par conféquent le condamner comme fuicide ; & qu'ainfi n'y ayant point lieu a la confifcation , la fucceffion leur étoit dévolue. La veuve , fans s'embarralfer a laquelle de ces ttois parties la juftice  20 JiomméImpuifjdnt? donneroit gain de caufe,- deman'doiV quon lauronsat a reprendre les quinze cents hvres ftipulées par fon contrat de rnanage , fes> habks & joyaux avec ua nt garrii; rous fe réunifioient eonrre elle, & difoient que fon mariage n'étoit pas valable, atrendu la difparité dage, le deraut de publieation de bans & 1'impuiiTance du'défunt donrelle étoit convenue elle-même, puifqu'elle avoit avoue_dans fon interrogatoire que iamaïs-fon prétendu mariage n'avoit été confommé, On ajoutoit qu'elle s'étoitrendue indigne des libéralirés de fon man ^par la précipitation avec-laquella elle s eton jetrée dans les bras d un fecond epoux-, fans fe mettre en peine de defendre Ia mémoire du premier, contre 1'accufation en fuicide dont on Ia vouloit flétrir. > Elle répondoit que Ia difparité dage " a™" jamais été regardée commé un obftacle qui dut empêcher un mariage, m par conféquent comme un vice qui dut 1'annuller, lorfqu'-il'eft contraété, Ces fortes d'unions ne font profcrites-, ni par les loix canoniques, ni pat les loix civiles,t& font autorifées par-Pife.iage Ie plus conftant.  qui fe punlt lui-même. zi A 1'égard du défaut de puhlication de bans , il eft cercain que cette formalité n'eft pas elfentielle pour la validité du mariage, Sc que les majeurs peuvent 1'omettre, fans que 1'an puifie, tous ce prétexte, annuller leur union « c'eft un précepte de pure difcipline, dont on peut par conféquent obtenir difpenfe de ceux qui, fous 1'autorité des loix , ont la mauutention de la difcipline eccléfiaftique , c'eft-a-dire , des E.vêques. Or elle avoit obtenu cette difpenfe, ainfi que la permiflion de fe marier hors de fa paroifte Sc de celle de fon époux, L'aveu qu'elle avoit fait ne pouvoic non plus porter aucune atteinte a fon mariage. Le défaut de confommation peut bien être la preuve d'une impuiffance momentanée, mais non pas d'une impuiflancea.bfolue. Quand il feroit vrai d'ailleurs que le défunt eüt été véritablement impuilTant, elle n'en auroit pas moins en droit d'exercer fes conventions matrimoniales. Le mariage avoit été célébré en face d'églife, Sc ne pouvoit être anéanti que par un jugemenr. Un aóje public Sc revêtu de toures les formes extérieures, n'eft jamais anéanti  2.J. Homme impuijjant, de plein drok; il faur que la puiüance publique, fous 1'autorké de laquelle i! a été paffe, le détruife en le declarant nul. Quant a 1'indignké qu'on lui oppofoit, elle s'en lavoit, en difant qu'il eft, a la vérité, du devoir d'une veuve de défendre la mémoire de fon mari contre des accufarions fauffes, ou au moins douteufes ; mais que celle que 1'on avoit intentie contre le fien , étoit fondée fur un crime notoire, & qui ne pouvoit fe nier fans combattre 1 evidence même. Un mariage précipité eft encore, en certains cas, un motif pour priver la femme des libéralités que fon premier mari lui a fakes par fon contrat de mariage j mais ici ce qu'elle demandok n'étoit point une hbéralké : fon contrat de mariage, au contraire, lui faifoit un tort confidérable, puifqu'il bornok a quinze cents liv. toutes fes prétentions dans une communautc fort opulente. _ D'a;lleurs , quand on pourroit envifager cette claufe comme une libéralité , ne 1'avoit-eüe pas bien achetée par les complaifances qu'elle avoit  qui fe punit lui-même. 23 dü avoir pour le vieillard , & par les dégouts qu'il lui avoit fait fupporter ? Le marquis de la Vieuville & le fermier du domaine foutenoient que le fuicide étant conftant & juridiquement prouvé , la confifcation devoit être prononcée , 5c que les héritiers n'avoient rien a prétendre dans la fucceifion. Le fuicide eft mis au nombre des crimes qui fe pourfuivent après la mort du coupable Sc contre fa mémoire, & pour lequel on le condamne comme s'il étoit vivant. Le fermier du domaine prétendoit que le marquis de la Vieuville n'avoit aucun droit a la confifcation , le Roi ne lui ayant engagé que la terre, & non la juftice. Ür la confifcation appartient a celui qui a la juftice du territoire, Sc nullement au feigneur féodal. II y avoit eu , fur ces conteftations, plufieurs fentences rendues par les juges des lieux. L'appel en fut porté au parlement de Paris , qui , par arrêt du 6 mars 1630, déclara le défunt atteint & convaincu du crime de fuicide; en conféqnence fes biens acquis & confifqués au Roi. La veuve fut autorifée a fe faire payer des quinze cents liy.  «4 Homme impuïjfant, &c. portées en fon contra: de mariage, Sc a prendre fes habits avec un lir garni. II fut ordonné que les frais de juftice feroient prélevés, ainfi qu'une fomme de dix mille livres, donr les deux tiers appartiendroient aux héritiers du dé■funt , pat forme d'ceuvres pies, & 1'autre tiers employé au pain des pri— fonniers de la conciergerie du palais, PRÉTENDUM  * pré TE nd UE sorcière ÉPROUVÉE PAR L'EAU. UN nommé Beauvaler exercoit Ia juftice de Dinreville en Champagne , comme plus ancien praricien du liège , pour 1'abfence du juge. Quelqu'un lui dit qu'un certain Sébaftien Breton & Jeanne Simoni, fa femme, habitantsdeDinteville,étoientforciers. Sur le champ, fans attendre aucune plainte, ni aucune dénonciation , il fait informer d la requête du procureur fifcal, & entend quatre témoins. Les jours fuivants, il en entend neufautres, & fait mettre les deux prétendus forciers en prifon. Dans l'interro?aroire rm'il Uir fir fubir, ils dirent qu'ils ne fcavoient Ac quoi on vouloit leur parler,' & niêrent tous ïes rans qu on leur imputoit. La femme fur-tout aflura qu'elle ne reconnoifloit qu'un Dieu pour maitre, foutint qu'elle n'avoit jamais affifté d auTomc iv. q  2.6 Prétendue Sorciere ctuie afiêmbiée de forciers; Sc que foa mari, ni elle n'avoient , de leur vie , enforcelé, ni empoifonné hommes, ni animaux. Le procureur fifcal requit qu'avant que de procéder au récolement & a la confrontation des témoins , le mari 8c la femme futTent rafés par tout le corps; ^u'ils fufient enfuite conduits a la rivière, en eau de fuftifante profondeur, pour y être piongés, a 1'effet d'éprouver leur fortilège; 8c tout cela étoit, felon, lui, conforme a 1'ufage. Sur ce requifitoire du 15 juin 1594, le juge ordonne que Jeanne Simoni fera tondue & rafée, 8c enfuite plongée dans la rivière d'Aube; 8c , forrant de la rivière , entendue fur le fait de 1'accufation \ fauf i ordonner enfuite, contre le mari, ce que de raifon. II dreïTe un procés-verbal, portant que » le jugement a été prononcé a »j Jeanne Simoni, &: qu'elle a confenti ,5 a être rafée & baignée j qu'a l'inftant j) lui juge 1'auroit fait conduire , en fa 3> préfence , fur le bord de la rivière, » prés d'une fo(Te a. cóté du grand pont, ,5 affiftéede Poftel, procureur fifcal, 8c 55 de M. Nicolas Rouflel, curé3 8c de . » prefque tous les habitants de Dinte» ville Sc bourgs prochains.  éprouvé* par 1'eau. 2,7 y, Sul lc bord de la rivier, T£..,nria »> Simoni déclare qu'elle eft femme de 5> bien, non chargée de fortilège, & ne s> fcachant ce que c'étoit. Après leófcure 33 a elle faite de fes interrogatoires 8c 33 réponles, elle confenc a 1 'exécution dia 33 jugement interlocutoire. Elle eft déJ3 pouillée par ordonnance du juge, qui >3 lui fait lier les pieds & les mains , 8c » jetter a 1'eau , profonde en eet en33 droit de fept a buit pieds, & ce par 33 trois difFérentes fois, a chacune def33 quelles elle revenoit fur 1'eau fans fe >3 mouvoir. Chaque fois qu'on Ia retis3 roit, le juge 1'admónêtoit tout haut 3j de dire la vérité y elle perfiftoit tou3) jours dans fes réponfes > & foutenoit 33 qu'elle étoit femme de bien. II ne 33 paroilToit pas qu'elle eüt bu une feule » goutte d'eau. « Ce procés-verbal eft ügné du juge 8c du procureur fifcal. La procédure fe continue ; le maxi & la femme font interrogés de nouveau; celle-ci perfifte toujours dans fes réponfes. Elle fe met a genoux, prie Dieu, Jéfus-Chrift, la Vierge Marie, de faire paroïtre fon innocence, 8c déclare hautement que ceux qui avoient dépofé contre elle, au contraire, étoient damnés. B x  ï8 PrJ*^>te Sorcière Après le récolement & la confron: ratipn des témoins, le juge I'interpelle de déclarer fi elle eft marquée comme font ceux qui font entichés de forcellerie, & ordonne qu'elle fera dépouillée toute nue 8c viiitée par des femmes, pour voir h elle a la marqué de ceux qui préfident au fabbar. Quatre femmes font nommées pour faire cette vifite. Le procès-verbai porre » qu'après fer» ment par elles prêté, elles avoient vu 93 8t vifité ladite Simoni dépouillée de 33 fes vêtements & chemife ; qu'on lui 33 avoit trouvé une petite cicatrice fur 33 Ie corps, au-deiTbus de 1'épaule gauche, 33 de la largeur d'un fou, quarrée & en 33 facon de lofange; & un peu plus bas , » une petite tache blanche 8c ronde; j3 au périnée, une autre tache 8c cica33 trice comme d'une plaie recoufue, 33 laquelle elle avoit déclare lui avoir 33 été faite par un bceuf qui 1'avoit frap» pée de fes cornes lorfqu'elle étoit en33 fant; quant a. la marqué au-deffbus 3; de 1'épaule, que c'étoit fon fcing. Le juge trouva, dans toute cette procédure, la preuve évidente que la pauvre Simoni étoit une forciere; 8C par jugement du 7 juillet 1594, figné Rcnardy Jacquinot, le Grand'3 Charn-  êpröuvêe pdr 1'eau. 19 peau & Collin 3 elle fur déclarée atteinte Sc convaincue de crime de fortilège Sc malcfice : pour réparation de quoi elle eft condamnée a être pendue Sc étranglée, fon corps brulé & réduit en cendres; en dix écus d'amende envers le feigneur de Dinteville , & aux dépens du procés; le furplus de fes biens acquis Sc confifqués a qui il appartiendra. Sébaftien Breton, fon mari, eft banni pour dix ans de la terre Sc feigneurie de Dinteville, condamné en fix écus d'amende, & aux dépens faits a fon occafion, Sc fes biens confifqués. • Le chagrin Sc la violence des tourments avoient fait mourir Jeanne Simoni avant fon jugement. Rien ne fut capable d'arrêter le juge ; il le fit lire au cadavre, qu'il livra enfuite a 1'exécuteur. II le fir conduire au carrefour de Dinteville la corde au cou, le fit attacher a un poteau, & enfuite jetter au feu. Cette exécution fut faire en préfence de plufieurs notables de la paroifle & des environs; & particulièrement de Me Félix Simon , prêtre , chapelain de la chapelle de Dinteville. Le procés-verbal porte encore que la fentence fut fignifiée a Breton, qu'il déclara qu'il y acquiefijoir, Sc figna; en B5  3 o Prétendue Sorcière conféquence on lui fit commandement de fortk du lieu. Le même jugement fut fignifié a Jeart Breron & Jean Bertrand, tuteur des enfants des condamnés. lis interjettèrent appel de la procédure, fentence Sc exécution, Sc demandèrent permiffion de prendre les juges a partie; ce qui leur fut accordé. _ Les moyens d'appel confiftoient a dire qu'il n'y avoit point eu de dénonciareur; ce qui rendoit toute la procédure nulie 5 que 1 epreuve de 1'eau étoit une'forme réprouvée par la cour ; que Sébaftien Breton ayant interjetté appel de la fentence, eet appel auroit dü empêcher 1'exécution du jugement fur le corps de Jeanne Simoni. Ou'érant décédée avant la fentence rendue, elle n'avoit pas dü être exécutée, le crime de lèze-majefté au premier chef érant le feul qui fe pourfuive après la mort de 1'accufé; qu'enfin les juges ayant été pris a partie avant la prononciation Sc 1'exécution dn jugement, ils avoient les mains liées Sc ne pouvoient plus Les juges difoient pour leur défenfe que, quoiqu'il n'y eüt point eu de dénonciatear, 1'accufation ayoit pu être  éprouvéepar 1'eau. _ 31 poitrfuivie comme dans les crimes de lèze-majefté, en haine de 1'idolatrie des forciers qui renoncent a Dieu. Que la preuve par 1'eau froide avoit fuccédé a plulieurs autres épreuves qui étoient en ufage autrefois, & même aux eaux amères que, dans 1'ancienne loi, l'on faifoit boire aux femmes adultères. Que eet ufage étoit encote en vigueur dans la Champagne, oü la terre de Dinteville eft fuuée, dans 1'Anjou, dans le Maine.-On croyoit dans ces provinces que quand on jettoit a 1'eau un homme accufé de fortilège, s'il furnageoit, c'étoit une preuve qu'il avoit un pact 2 avec le démon. L'appd n'avoit pas du arrêter les juges dans leurs opérations, n'ayant été interjetté que par Jean Breton feul, fans que les accufés y euftent aucune part; ainfi il n'avoit pu produire aucun effet a leur égard. D'ailleurs Sébaftien Breton y avoit reuoncé; on ne pouvoit donc pas en faire un moyen en fa faveur. A l'égard de la procédure faite contre le cadavre de la femme, il n'y avoit aucune nullité a y oppofer. Le jugement ayant été prononcé au mari, c'eft comme s'il leut été a la femme même, B 4  32 Prétendue So rei ere puifqu'nn mari doit être regardé comme Ie airareur né du cadavre de fa femme. Quant d la peine prononcée, ceux qm layoient fub.e la méritoient, leur crime erant conftant par les dépofitions des remoms qui avoient articulé des fans particuliere, & atce(ré Je bruit public. Dailleurs les juges avoient cm reconnoirre les caractères du démon dans les cicarnces trouvées fur le corps de Jeanne Simoni. Onrépondoit que, fuivant 1'ordonnance d'Orléans, les procureurs des ieigneurs haurs jufticiers fonttenus davoir un dénonciateur, & obligés de Ie nommer, s'ijs en font requis. Si un procureur-fifcal étoit autonfé d oouriuivre crimineüemenr, fuivant fa fantame, qui il jugeroir d propos, perfonne ne feroit d 1'abri de la caromnie ■ ce feroit introduire dans le rovaume' Ja procédure de rinquifirion. \ La Pfeuve de la magie ne doit pas etre rejettée, il eft vrai; mais elle ne doit pas non plus être admife contre routes fortes de perfonnes indiftinctement; paree que les fairs fur lefquels ces accufations font fondées, font la pluparr du temps des contes fabriqués par la fuperftition ou par la vengeanee. ,  éprouvée par Peau. 53 La purfition de ce crime doit donc être fondée fur les. preuves les moins équivoques. Celles qui avoient été employées par les juges de Dinteville, loin de pouvoir ctre regardées comme juridiques, font contraires aux bonnes mceurs & a la piété. II n'eft pas permis, pour duffer les diables, d'ufer d'art diabolique, ni pour réprimer la magie, de faire une contre-magie telle que Pcpreuve ordonnée par le juge de Dinteville. L'épreuve des eaux de Jaloufie introduite par la loi de Moïfe, a été abrogée par celle de J. C. qui a détruit 1'empire des démons. M. Servin, qui porta la parole, en qualité d'avocat-général, dans cette affaire, rapporta plufieurs exemples d'épreuves qui avoient été en ufage dans les pays étrangers, mais qui ont toujours été répiouvées en France; Sc fit voir qu'il étoit nécefTaire que la cour fit un reglement qui profcrivit abfolument 1'immerfion au fond de 1'eau, comme pouvant faire périr 1'accufé , Sc n'étant d'aucun fecours pour la découverte de la vérité que Fon cherche. En eftet, rien n'eft plus contradictoire que cette prétendue preuve. Si B 5  34 . Prétendue Sorcière c'eft par art magique que ceux fur qui on en fait ufage fe foutiennentfur 1'eau, ils ne peuvenc pas choifir plus mal le moment d'employer eet art; puifquen fe préferyant du danger d'être noyés, ils acquièrent contre eux-mêmes une preuve qui doit infailliblement les cohduire au plus cruel fupplice. D'ailleurs, quand on fuppoferoit, pouraninftant, que la magie put avoir part a eet événement, comment pouvoit-on safturer qu'il n'étoit pas Fouvrage de la nature ? Pour être sur que ceux que Pon éprouvoir, ne-fe foutenoientpas fur Peau par Ia connoiffance qu'ils auroienr pu avoir de Part de nager^on leur attachoit la main droite au pied gauche, & le pied droit a la main gauche; mais cette précaution même les faifoit nécefTairement furnager. Ilfuffit, quand on veut fe foutenir fur la furface de Peau-renverfé fur le dos, de fe roidir Ie corps & les membres ; c'eft ce que produifoit la fnuation gênée dans laquelle étoient ceux que Pon éprouvoit ainfï. Quant ï la procédure, M. Servin obferva qu'elle étoit pleine de nullités & de barbarie. De tout remps, il a été défendu aux juges inférieurs de faire  êprouvêe par 1'eau. 35 exécuter un jugement portant condamnacion a mort ou a peine affhctive „ avant qu'il eüt été confirmé par le juge fouverain. Cet attentat étoit même puni de mort a Rome. Nous ne fuivons pas cette rigueur, il eft vrai; mais on les condamne en Tarnende \ fotivent même on les kterdit de leurs fonctions. Tous nos anciens auteurs font pleins d'arrêts qui Font ainfi jugé ; & quand le condamné ne fe rendroit pas lui-même appellant, le procureur du roi ou le procureur-fifcal eft tenu d'interjetter appel pour lui. Le commentareur de Guy-pape, fur laqueftion 84, rapporte un-arrêt du 25 mai 1596" rendu contre le procureur du roi de Beaucaire, par lequel, fur ce qu'il avoit fait exécuter une fentence de condamnation a mort contre un accufé qui ne s'étoit pas rendu appellant, le parlement fit un réglement portant que le miniftère public feroit tenu d'appeller au défaut du condamné \ 8c quand même le condamné ne voudroit pas appeller. II eft même défendu aux juges de mettre leur fentence a exécution quand Fappellant renonceroit a fon appel. Il y en a un arrêt dans Péléus en fes adions forenfes, liv. 8, adt. 35. Les loix roB 6  3j plufieurs circonftances, fok paree »j que le notaire s'étoit mal énoncé, fok » pour diminuer la confufion de quei» ques perfonnes, il eft bon d'ajouter »ici : premiérement, que lexpérience » fe fit plus modeftement qu'elle ne fe » faifoit autrefois; car au lieu que les » perfonnes que 1'on jettoit dans 1'eau » étoient-toujours totues nues, on leur  4^ Preundue Sorcière *>laüTa en cetre occa/ion Ia chemife« ce qui rend plus excufables, du cóté «de Ihonneteté, piufieurs perfonnes " Paris, dont le reflort comprend le „préfidiald'Auxerre, ies juges qui au-  4^ Prétendue Sorcière "tonfent ces forres dëpreuves, peD> " ^P^ive, continue le P. le Brun »n eft pas naturelle- elle eft Wrfti' -«eufe, capable de'confondre les fn «nocenrs avec les coupables : on J -tenteDJeu:eile eft défendue expref "fcnaencpar l'Eglife &Jes curéf^ -lautoriferotenr, mériteroien, iê?re mis en pemtence par leur évenue 3'^IS '! y * i-u d'efpérer •epreura. qui ont étéfi communes lT Volfinage d'Auxerre, ne feron "jamais renouveilées. „ Puifque ce procés nous a fourni i'occafion de parler de 1'épreuve par lëau recteurs de eur rracer ici I'hiftoire des i-a queftion préparatoire, dont les Romains fa,foient un ufage aflèz fre epreuves, qU1 eCoient CQ J denomination généria^ r)« „ vuW^c öcnenc3ue de purganons vujgaires, purgatio vu/garis. U v en avojc qnatre Pf^r0. y ,n ^ - -fv>.w uiuerentes : Je duel,  iprouvèe par 1'eau. 49 duel, 1'eau froide, 1'eau chaude 8c le fer arden t. Pour faire entendre ce que nous flvons a dire fur cette matière, il fauc reprendre les chofes d'un peu plus haur. Sous les rois de la première & de la feconde race, les différents cantons de la France éroient gouvernés par les loix connues fous le nom de loix barbares. La loi falique avoit fon diftriéb; la loi des Francs Ripuaires, celle des Bourguignons, &c. avoient chacune le leur. La plupart de ces loix admettoient Ia preuve négative ; c'eft-a-dire , que celui contre qui on formoit une demande ou une accufation, pouvoit, dans prefque tous les cas, fe juftifïer, en jurant, avec certain nombre de rémoins, qu'il n'avoit point fait ce qu'on lui imputoit. Nous voyons, par la loi des Ripuaires , titre 6, 7, 8, 11, 12 & 17, que le nombre des témoins qui devoient jurer, augmentoit felon Fimporlance de Ia chofe; il alloit quelquefois a foixante-douze. C'eft dans eet ufage qu'il faut chercher celui du combat. Tous ces peuples étoient élevés, 8c fa$S ceffe entretenus, dans 1'efprit militaire. Le fottdes Totne IF. C  5° Prétendue Sorcière armes étoit, poureux, Ja loi fuprême. Quand on/aifojc une demande, & quonvoyoit qu'elle alloit être injuftement.dudee par uu ferment, que refroit-il a un guerrier qui fe voyoit fur le point detreconfondu, qu'a demanderraifon du tort qu'on lui faifoif, & de 1 offre meme du parjure ? Cet efprit paroit clairemerit dans la loi des Ri & dans le capitulaire de Louis Ie dé' bonjnaue ajouté a la loi des Ripuaires de Jan S03 , art. 11. t ] Gondebaud, roi de Bourgogne, fut de tous les rois, celui qufautonfa lé plus 1 ufage du combat. Ce prince rend raifon de fa loi dans fa loi même : c'eft diMl, afin que nos fujers ne fafTent plus de ferment fur des faits, obfcurs, & ne fe parjurent point fur des faits certains. C'eft ainfi qu'iis'exprime dans la 01 des Bourguignons, ch. 4J. Les ecclefiaftiques fe récrièrent beaucoup contre cet ufage; ainfi, randis qu'ils declaroient imp.e la loi qui permettoit Ie combat, le roi des Bourguignons regardoit comme facrilège celle* qui étabfilfüit le ferment. La preuve par le combat fingulier avoit quelque raifon fondéefur iexpé-  éprouvée par 1'eau. 5 r ïience. Dans une nation uniquemenc guerrière , la poltronnerie fuppofe d'aurres vices : elle prouve qu'on a réfifté a 1'éducation qu'on a recuej & que 1'on n'a pas été fenfible a 1'honneur, ni conduic par les principes qui ont gouverné les autres hommes \ elle fait voir qu'on ne craint point leur mépris, Sc qu'on ne fait point de cas de leur eftime. Pour peu qu'on foit bien né, on n'y manquera pas ordinairement de I'adrelïè qui doit s'allier avec la force , ni de la force qui doit concourir avec le courage; paree que, faifant cas de 1'honneur, on fe fera toute fa vie exercé a. des chofes fans lefquelles on ne peut Pobtenir. De plus, dans une nation guerrière, oü la force Sc le courage font en honneur, les crimes véritablement odieux font ceux: qui naiffent de la fourberie, de la finelfe & de la rufe, c'eft-a-dire, de la poltronnerie. C'eft dans 1'ufage de ces combats judiciaires que 1'on trouve la fource des articles particuliers qui forment aujourd'hui notre point d'honneur. L'accufateur commencoit par déclarer devant le juge qu'un tel avoit commis une telle'aétion •, & celui-ci répondoit qu'il en avoit menti. Sur cela , le juge C 2  ft Prêtendue Sorcihe ordonnoir Ie duel. La maxime s erablfc que, lorfqu'on avoit recu un démenti, jj falloit fe batrre. Quand un homme avoit déclaré qu'il combattroit, il ne pouvoit plus s'eu départir j & , s'il le faifoit, il étoit condamné a une peine. Deïa fuivit cette régie que, quand un homme s'étoit engagé par fa parokj 1'honneur ne lui permettoit plus de la rétraóber. Les gentilshommes fe battoient enne eux a cheyal Sc avec leurs armes j Sc les vilains fe battoient a pied Sc avec Ie baton. Dela il fuivit que le baton étoit l'inftrument des outra<*es, paree qu'un homme qui en avoit été battu, avoit été traité comme un villain. Les gentilshommes, quand ils fe battoient, étoient toujours converts de leurs cafques; il n'y avoit que les vilains qui combattiifent a vifage découvert; ainfi il n'y avoit qu'eux qui puffent recevoir des coups fur la face. Un foufflet devint une injure qui devoit être layée par le fang; paree qu'un homme qui i'avoit recu, avoit été traité comme un vilain. Rien n'étoit plus contraire au bon fens, que le combat judiciaire. Cepen-  éprouvêe par Veaii. ^ 53 4ant cet ufage monftrueux fut réduit en principes, qui formèrent un corps de jurifprudence. Pour la bien connoure, il faut lire avec attention les réglements de faint Louis, qui fit de fi grands changements dans 1'ordre judiciaire; Défontaines, qui étoit contemporain de ce Prince; Beaumanoir, qui écrivoit après lui; les autres ont vécu depuis. II faut donc chercher 1'ancienne pratique dans les corrections qu'on en a faites. Voici les prineipaux traits de cette jurifprudence. Quand le demandeur ou 1'accufateur avoit fait fa demande ou fa plainte en jugement , & avok offert le duel; fi 1'appellé ou 1'accufé nioit le crime & acceptoit FofFre , le juge ordonnoit le duel; chacun jettoit par terre un gantelet que 1'autre levoir, & le duel étoit ainfi accepté. Ces gantelets ainfi jettés & levés, étoient appelles gages de bataille. Lorfqu'il y avoit plufieurs accufa» teurs , il falloit quils s'accordalTent, pour que 1'affaire fut pourfuivie par un feul; & s'ils ne pouvoiem convenir , le juge nommoit un d'entre eux qui pourfuivoit la querelle.  54 Prétendue Sorcière vilain ,1 devoit fe préfenter d pied f Cneval & avec les armes d'un gentilhomme on lui ótoit fon cheval l fes armes ; il reftoic en chemife, & étoi obhgede combattreencet é^tcon^ Publier trois bans. Par Pun , il étoit rettrDrrentsdes ^de" renrer par lautre, on avertiiïbit la Peupie de garder le filence; pa e 0f Êour;1 éC°itdifendu ^ donne du iecours a une des parties, fous de pflespe,nesJ&mêLce]Ie'de^ avoK feC°Urs'u»des^battant avoit ete vaincu. Les gens de juftice gardoient le pare enceinte dans laquelle fe faifoit le combat; & danc 1» ^ ^ dllUiL1ie ' • ' , s ie cas ou une des parties avoit parlé de paix, ils avoient grande atrention d Pétat aótuel oü elles ie trouvoient toutes les deux, dans ce nioment , pour qn elles fuiTent remifes ffiiL7rfimation'fiia **** .Quand les gages étoient recus pour cnme ou pour faux jugement, la paix «e pouvoit fe faire fans le confente-  éprouvée par 1'eau. 5-5 ment du feigneur ; & quand une des parties avoit été vaincue , il ne pouvoit plus y avoir de paix que de 1'aveu du Comre ou feigneur fupérieur. Mais, fi le crime étoit capital, 8c que le feigneur, corrompu par des prefents, confennt a la paix , il payoit une amende de foixante livres j 8c le droic qu il avoit de faire punir le malfaiteur, étoit dévolu au Comte. II y avoit bien des gens, comme les femmes, les vieülards , les eftropiés, qui n'étoient pas en état d'offnr le combat , ni de le recevoir. On permettoit, en connoiffance de caufe, de prendre un champion-; 8c, pour qu'il eut le plus grand intérêt a défendre fa partie, if avoit le poing coupé, s'il étoit vaincu. , Lorfque , dans un crime capital, le combat fe faifoit par champions , on mettoit les parties dans un lieu d'ou elles ne pouvoient voir la bataille : chacune d'elles étoit ceinte de la corde qui devoit fervir a fon fuppUce, fi fon champion -étoit vaincu. Si une femme appelloit quelquun fans nommer fon champion , on ne recevoit point les gages de bataille. H falloit encore qu'une femme fut autoC 4  PretenJue Sorcière «fee par fon baron, c'eM-dire < »ar,, poi]r ap ]ier! e? a aire, ion- autorite ell/^ ? 7 S> fans ce«e uronte, el e pouvoic être appellée I appellant ou Jannet moinsdeouiWanc ,PfeJle av°ienr.. de combat On ' 1 " y avou Poi^ donnerdanPr P0"»™ Por- onner dans Jes affaires de pudüIpq Wist nt" ~«te tt l Pr°eédure. quece,. cu h le temom étoit vain- FoVuituTf ldéqUe ,aparrie avo^ 5offonUpnroS tem01n>&^per- témoin ff0ilPZ$ la^eriurer ie fecond remoln> car n auroic , f par Ja dcpofiri0a de deux témoins.. Mais en arrerant Je fecond, Ja dépo<ï«on du premier devenoit inutiJe ? U fecond temoin étant ainfi reier- MaiTVanfjetoff^ * *ie cas 011 «j n y avoit poinc  éprouvêe par 1'eau. 57 de gages de bataille, on pouvoic produire d'autres témoins. La nature de la décifion par le combat étant de tetminer l'affaire pour touJours , Sc n'étant point compatible avec un nouveau jugement Sc de nouvelles poutfuites, Lappel a un tribunal fuperieur , pour faire réformer le jugement d'un autre , étoit inconnu en France. Ainfi, quand on croyoit avoir lieu de fe plaindre d'un jugement, on provoquoit au combat le juge qui 1'avoit rendu , Sc le fuccès de ce combat decidoit de la validité ou de Finvalidité du jugement. . II faut cependant remarquer que celui qui avoit appellé fon juge au combat, pouvoit perdre, par le combat , fon procés , Sc ne pouvoit pas le gagner. £n effet, la partie qui avoit un jugement pour elle , n'en devoit pas être privée par le fait d'autrui. 11 falloit donc que 1'appellant qui avoit vaincu fon juge, eombattk encore contre la partie-, non pas pour fcavoir fi le jugement étoit bon ou mauvais; il ne s'agitToit plus de ce jugement, puifque le combat 1'avoit anéanti ; mais poux beider fi la demande étoit légitime ow C %  5 8 Prétendue Sorcière non : & c'eft fur ce nouveau point que Ion combattoit. r H Cet ufage s'eft confervé en France jufqu apres Ie regne de Philippe-Ie-Bel ; &nos Roisonteu befoin de toute leur autorite, pourlabolir par des ordonnances reitérées. frlf éPreuves, Par Peau chaude ou Wie, ou par ie fer ardent, s'appel- dufeï;U^mentde ^ oui^Sent du fer, udtctum aqutfrigid* , judicium *qu« caUd* a judicium ferri candentis. Un 'es appelloit jugement , paree que lefuccès de Fépreuve décidoir a Lorfqu'on vouloit faire cette épreuve, on faifoit jeüner les accufés pendant trois jours, au bout defquels on les conduiiort a 1'églife. La ils fe profternojenr, & „n prêtre prononcoit fur eux des oraifons, pour implorer, en ieur faveur Ia miféricorde divine. On chantoit enfuite une mefTe folemnelle ' qui fe nommoit meje du jugement, dans laquelle ,1 y avoit des prières adaptées * Ia circonftar.ee, & qui tendoient routes a obrenir de Dieu qu'il révélat la venre que l'on cherchoit. Avant que d'adminiftrer la comam-  êprouvêe par Veait. <$Sf mon a ceux qui devoient pafier par 1'épreuve, le prètre les conjuroir, au nom du Père, du Fils, du S. Efprit, par Fhonneur quils avoient d'être chrétiens , par les faintes reliques qui étoient dans 1 'églife , par le baptême qui les avoit régénérés en Dieu, de ne* pas re.cevoir la communion s'ils étoient coupables du crime qu'on leur imputoit , s'ils y avoient confenti, ou s'ils en connoifloient 1'auteur. Si aucun d'eux ne répondoit, il leur adminiftroit FEnchaïiftie mais au lieu de la prière ordinaire , il leur fouhaitoit que le corps & Ie fang de N. S. J. C. fervk a leur juftification. Après la mefle , le prètre faifoit de 1'eau bénite nouvelle , marchoit enfuite au lieu ou 1'épreuve devoit fe faire , donnoit a chacun des accufés de 1'eau bénite a boire , Sc leur fouhaitoit que cette eau fervit a faire paroitre la vérité. Si 1'épreuve devoit fe faire par 1 eau froide, le prètre la conjuroit, & demandoit a Dieu qu'il daignat la bénir, & qu'il la fit fervir en ce jour a manifefter 1'innocence ou le crime de ceux qui étoient accufés d'adultère , de laran, de fortilège, &c. Que s'ils éroiene G 6  ?o Prltendue Sorcière wnocenrs J'eau.les recüt dans fon fei* • tr neds eroienrcoupabies^lleJes re- "ahce i que manquant du poids Se live™, ils devoien tperdreaïffi Ie poids de Jeur propre fubftance. P lojt ceux qm devoient être éprouvés on leur faiToic baifer L'évan4T 1' Ste on r *«u*b£ n e on les bou de la facon qu'on Ia deplus W Si Peau lesYupporroi g^nr coupablesj s'ils ai^ient a^ t0D°.'rlls £C01enr innocents. Plufieurs auteurs, fondés fur qUeJ "«ie, qm font confervés dans des abbayes,attnbuent 1 invention de eue «preuve au pape Eugène II, & cet I! DliJiemenr a r • trrres pour ob;ec, d'empêcher les accufesdecommettredespLure &d, profaner les auteis & ]P iliques dej M cette invennon eft due a ce pon- eft bi. t£l aU été fon ü «ft bien etrange que, pour pxévenix uu  eprouvee par 1'eau: &t> £arjure Sc la profanation des reliquesv Ü aic hafardé un facrilège,, Sc la PK*. fanation du-corps de J. C. qnis'adminiftroit aux accufés avanr 1'épreuve. L'épreuve par 1'eau chaude étoit précédée des-meines cérémonieson jettoit enfuite une pierre dans une chaudière d'eau bouillante, qu'il falloit que 1'accufé retirat fur le champ, ayant la main Sc le bras nuds. L'épreuve parle fer chaud confiftoit a faire toucher un fer ardent avec la main nue de 1'accufé. Après 1'une ou 1'autre de ces deux épreuves, on enveloppoit promptement la main dans- un fac, que le jugecachetoit de fon cachet. Si, trois joursaprès , il ne paroiifoit pas de marqué de cette brülure, on étoit déclaré innocent. Qui ne voit que , chez un peupieexercé a manier continuellement des armes , la peau rude Sc calleufe ne devoit pas recevoir alfez 1'impreflion du fer chaud ou de 1'eau bouillante v pour qu'il y parut trois jours après ? Et s'il y paroilToit, c'étoit une marqué que celui-qui faifoit l'épreuve étoit utt efféminé , qui par-la méritoit- d'être puni. Nos payfans , avec leurs mains calleufesmanient le fer chaud comme  6i Prêtendue Sorcière fis> veulent Et quanc aux ft les mains de kles qai travaillotent pouvorent rehfter au fer chaud. Les dames ne manquoient point de champions pour foucenir leur querelle par e combarjudrciarre^&^dans une nanon ou ilny avoit point de luxe , il n'y lThonT' d'itztmo7^- Ainii,rous le hommes , ou porroient les armes , ou travailloienr; routes les femmes, ou eroientnobles, ou travaillotent En general une femme accufée d a- düftere,neto.t condamnéea l'épreuve Par I eau bomiianre, que lorfq^l ne ft prefentoic point de champion pour ^He : mats quand aucun de fes parenrs ne voulou la défendre, elle étou par ceia meme convaincue. II paroJc par les jeünes, les exör- cifmes & les pnères qui précédoient ces epret] ,on ^ que D,eu faifoK des mitadJ ksfosquU en étoit requis,pour mamfefter 1 innocence ou le crime des accufes j auffi rrouve-r-on des rédements ecdefiaftiques qui les aurorifenc. Un conci e tenu a Nanres, en 85,5 , ap_ prouvelepreuveduferardent3ci.2r Elne dans le Rouffiiion, oü affiiteren.  éprouvêe par teau. 6$ 1'Archevèque de Tours & plufienrs autres Evêques , recommande l'épreuve de 1'eau froide. Les fouverains Pontifes s'élevèrent enfin contre ces ufages fuperftitieux. Innocent III, cap. 10, ex. de excejjib. prdat. déclare indigne d'approcher des autels , un Evêque qui a autorifé une épreuve par le fer ardent. Un décret du concile de Latran, tenu fous le même Pape , rapporté , cap. 9 , ex. de clerici vel monachi fecularib. negot. défend a tout eccléfiaftique de donner aucune bénédidion , ou de faire aucune confécration a 1'occafion de ces épreuves. Honoré III, cap. 3 , ex. de purgatione vulgarij ordonne de contraindre les templiers de renoncer a la purgation par le fer ardent, ayant été défendue depuis long-temps, comme contraire aux bonnes mceurs , puifqu'il femble que ceux qui en font ufage, veulent tenter Dieu. Mais il en fut de ces fuperftitions » comme de toutes celles qui om pns, racine chez le peupie : ce n'a été qu'avec beaucoup de peine qu'on eft venu a bout de les bannir entièrement. On a vu , dans 1'hiftoire du procés qui a donné lieu a cette explication, & dans  ƒ4 Prétendue Sorcière fes relations du père Je Brun , quWy a;ointes, qu'elles fe pratiquoienr encore dans des temps fort voifins- du TT vfj™ ^ • dePllis des fiècles, es eccleJïaftiques éclairés enfin par les umieres de la raiJbn , & retenus par 1 autorite des canons, ont refufé leur miniftere : mais le peupie, les juaes Keme sen paflbient, & ont tou ours continue d eprouver par 1'eau froide ceux qui étoient accufés de magie ou de fortilege. Les arrêts ont enfin, dégage notre fiècle de ces pratiques ridicules & aifurdes, La. mémoire de M. Servin , avocatgeneral, qui p-orCa Ja paroJe dans cette attaire fera toujours précieufe au barreau. II obtint de Henri IV, en 1589 1 agrement de la place d'avocat-eénéraL Ce prince faifoit difficulté de la lui accorder, fur ce qu'on lui avoit. dit que öervinn etoit pas bien fage. M. de Faye, qui quitroit la charge d'avocat-général pour devenir préfident, dit au RcÏÏ que, puifque les fages avoient perdu fon «at, il falJoit que les fous Ie rétablifJent. Aux connq^iTances qui fontnécefiaires a un jurifconfulte, M. Servin joignoit la fermeté du magiftrat a un atrachementinviolable, mais raifonné,  iprouvêe par Peau: 6f pour la perfonne du Souverain , pour fes véritables intéréts, ceux des fuj,ets, Sc les droits de Ia couronne. M. Servin expira , en v6vj', au* pieds de Louis XIII féant en fon lit de juftice r dans le moment même qn'ii prononcoit un difcours devant ce prince, au fujet de quelques édits burfauxqu'il avoit apportés pour faire enrégiftrer. M. Bouguier, qui étoit alorsconfeiller en la grand'chambre , & rémoin de cet accident ,■ compofa ces; deux vers latins a- cette occafion Servinum una dies pro libertate loqueniei»: Vidit, & opprejfa p*o hberme c-adentem. Nous joindrons ici un portrait fin* gulier que fait Pafquier , dans fes recherches , du fils de M. Servin. » Ce jeune-homme , dir-il, étoir ai* s> prodige en vivacité d'efprit, facile» compréhenfion , admirable mémoire,. agilité de corps, fouplefle de mem» bres, 8c aptitude a routes fortes de^ 35 fciences 8c exercices, arts métiers, » 8c fondions, 8c cependant inutde_a« toutes chofes bonnes 8c honnêtes. „ M. Servin le préfenta a M. de * Rofni, depuis duc de Sully, lorfqu'il u partit pour fon ambatTade d'Angle*-  66 Prétendue Sordère »%er a en faire un hommee bien » je dont il doucoitforc-non Jünl " fut homme de grand 'efpric 9 car a "de Ion inchnation naturelle, qui !e «portoit au mal, comme RofTré "Prouva dans tout le vova.e " 11 ,avoit to«tes les langues a com - mandement comme Ia natuSle j"f "9"au grec &ai'hébreu,cont;e^ » fanc tous les divers accenr* ■ » & -ifl-mnc j UiVCi:> accents , mines oc actions des peiiDies Ap« nr~ • » diverfesd^ F™ P 5 Pr°vinces uiveries de france, comme s'il eut érA ■ de chacune de ces provinces I f ! mTf. de théologie, d r£ "lofophie dephvfique^4^| P "qae^prechoKaumieux^antötTom -;nele"«»oIjqaes, tantot comme I» »h«guendtS} difoitfbrt bien la meVe » Prenoit des plans des villes & S «canons, qu>,l enrendoir anffi™fa lauter • ,ouo,t quafi de routes forres »dinltruments,entendoitbien la 1 "fique avoit Ia vojx fort agréabT » compofoit fort bien en verSS ouoit comedie & farfe, fcavoic ^ ^  éprouvée par 1'eau. 6y „de jeux, faifoit trés-bien tous les „ exercices darmes , étoit aflez bon „ homme de cheval , il n'y avoit quali métier méchanique dont il ne s aidat „ fort bien. . „ Mais il n'avoit nulle rehgion ; il „ étoit déloyal, cauteleux , menteur , „fanguinaire, lache, poltron pipeur, „ ivrogne, gourmand , fnand, berlan» dier^ putainer , runen , & mettant ,» tout fon foin d employee fon efpnc »> au mal. , „ II mourut a Londres, d un mal » peftilentiel, dans une taverne a demi » ivre, en plein bordel, jurant & blai„ phëmant le faint nom de Dieu. «  *lNCEStUEÜX EU NI LEs fairs de cetre caufe, & jes auer rmnsauxquelIeseliea'darShëf larendentforrimérefTante. * Le fieur Gauitnier de Bermondet' Leutenant-général au iiège prSdTal i* Lamefur M. Gaulrhier de Bermon ie fecorrd, Jean de Bermonder qaj va ouer k pnnapal róle «knrle procés • le BTrori' ^ E *ie tfaron de Duradour •; & je - , encore nommé ^ Jtt: •ppeller e Baron de Lang«t? Les fil es étoient Marguerite Su W, Léone & Francoifeg ' " Marguerite après Jla morc de & «ere, fut «ance.ea W , au lU  Iticejiueux punt, <6*9 Jean Singareau , chevalier de^Preffac, Elle recut en dot 3 5 00 liv. qui équivaa.droient aujourd'hu,i a plus de 40000 liv„ Au moyen de cette dot, elle renonca a toutes (uccefllons direótes Sc collatérales, échues Sc a écheoir. Léone fut mariée au Sr de la Mothe, avec la même dot, Sc fous les mêmes renonciations. Sufanne .époufa M. de Marignac , confeiller au Parlement de Bordeaux, Elle renonca aux fucceflions direcles feulement, fans faire aucune mention des fucceffions collatérales. 1.1 paroit que Francoife ne fut point mariée. v Le fieur de Bermonder, père, temoiSénéchal de Limofin, Sc , dans fa plainte, déclare qu'il défavoue le frère Sc la fceuc pour fes enfants , Sc qu'il les deshérite. L'accufé fut conftitué pnfonnier a Xaintes , Sc condamné a la queftion. Dans la force des tourments , il avoue que fa fceur a deux fois porté dans fon fein les fruits de leur incefte commun ; mais , dans 1'interrogatoire qu'il fubit le lendemain , il rérracfa cette déclaration , Sc dit qu'elle ne lui avojt été arrachée que par la violence de la douleur. Francoife fut interrogée , Sc convint qu'elle étoit accquchée, pour la feconde fois, des ceuvres de fon frère; 'mais elle refufa de figner cet interrogatoire. Jean de Bermondet trouva le moyen de fortir de prifon avant que 1'on procédat au jugement définitif. A peine fut-il en liberté, qu'il concinua de ravager les biens de fon père, qui, fuccombant enfin au chagrin, mourut de douleur. Par fon teftament, daté de 1566, époque de fa mort, il révoque la donation qu'il avoit faite au profit de fon  7^ Inceftueux punt. fecond fils, confirme 1'exhérédationdes deux «ujwbles ,.&inftitue Ie maïtre des requetesfon héritier en tous fes biens • & en cas qu'il .décède fans enfants, il lm fubftitue le baron de Langeat. M. de Bermonder, maïtre des requeres, fe -mit en poffeflion de la furceilion , & donna a fes deux frères les Poi tions gui leur étoient réfervées par le teftamenr du père. Jean acquiefce a ces arrangements & a fon exhérédation. II fe reconcdie même avec fes frères, & vit en bonne intelligence avec eux! On a prétendu que, fous Ie voile de' cette reconcdiation apparente, il avoit empoifonné fes deux frères puinés : mais ce fait paroit avoir été avancé fans d autre fondement que le préjugé dans lequel on étoit, qu'ü n'y a point dattentat dont il ne fut capable. Ce qu'il y a de certain , c'eft qu'on ne trouve, dans 1'hiftoire du procés, aucune tracé* de ce crime; il n'eft .énoncé dans aucun des memoires, que comme une fimple allegarion, fur laquelle il n'y a eu, ni inftrudion, ni pourfuire. Quoi qu'il en foit, Francoife, complice de 1'incefte de fon frère, mourut en 1569 , après avoir inftitué fon frère jnaitre des requêtes, fon héritier uni- verfel.  ïnceflueüx puni. 73 vérfel. 11 fe mit en polleffion de cette fucceffion. En 1570, les barons de Doradour & de Langeat décédèrent fans enfants, & fans avoir fait de teftament. Jean de Bermondet partagea leur fucceffion avec fon frère aïné , fans que leur foeur Sufanne, femme de M. de Marignac , s'y opposat , quoiqu'elle y eüt un intérêt marqué, puifqu'elle n'avoit renoncé, par fon contrat de mariage, qu'aux fucceffions direétes. M. de Bermondet, 1'aïné , décéda quelque temps après. II fe trouva un teftament daté du 18 février 1573, par lequel Jean , fon frère , étoit inftitué héritier. On foutint, dans la fuite, que celui-ci s'étoit introduit chez le malade , accompagné de plufieurs fatellites, qu'il 1'avoit voulu forcer a faire un teftament en fa faveur ; & que , n'ayant pu y réuffir, il avoit fabnqué celui qui paroifloit. Ce teftament , quel qu'il fut, eut fon exécution ; & Jean tranfigea avec fa fccur de Marignac, pour la portion qu'elle avoit a prétendre dans cette fucceffion collatérale. II époufa enfuite Marguerite de la Jomont. Marguerite , femme du fieur de SinTomc IK. D  74 Inceftueux puni. gareau, avoit obrenu, dés Ie vivantde fon père, de* Jettres de refcifion contre la renonciation portee en fon contrat de mariage, a toutes fucceilions, tant directes , que collatérales. Son frère , qui fe trouvoit , au moven de cette claufe , le feul héritier de fa familie , en avoit recueilli tous les biens. Elle réfolut de fe les faire reftituer, a quelque prix que ce fut, Sc fe dérermina a reprendre ia pourfuite de 1'incefte , prétendant que ce crime excluoit le coupable de toutes fucceffions. La procédure offroit donc deux objets a difcuter: au civil, la propriété des biens appartenant a la familie des Bermondet , Sc au criminel , l'inftruétion de 1'accufation en incefte. Le civil fut entam-é au parlement de Bordeaux : mais le grand nombre de parents & d'alliés que les parties avoient dans ce tribunal, fit évoquer le tout au parlement de Paris, oü la procédure criminelle fut recommencée. Singareau, pour écrafer fon beau-frère fous Ie poids des accufations, fit inftruire , en même-temps, du bris de prifon, dont on prétendoit qu'il s'étoic rendu coupable a Xaintes. II y joignit une plainte en violences exercées par  ïncejlutux puni. 1'accufé contre M. de Bermondet, M* des requêtes, en empoifonnement, Sc s'infcrivit en faux conrre le teftament de ce magiftrar. Au mois de novembre 1571?, intervint arrêt qui enjoignoit a Jean de Bermondet de fe rendre, dans fix femaines , prifonnier a la conciergerie, avec défenfes de vendre , aliéner, ni dégrader aucuns des biens provenant de la fucceffion de M. de Bermondet, maitre des requêtes ; Sc a qui que ce foit de les acherer , ni de contracter avec lui en aucune manière , & même a fes débiteurs de lui rien payer. 11 obéit a 1'arrêt , interjetta appel de toute la procédure contre lui faite par le lieutenant du Sénéchal de Limofin , comme nulle & abufive , par défaut de pouvoir Sc de jurifdiction , s'infcrivit en faux contre le teftament de fon père, qui le déshéritoit , Sc fe pourvut en requête civile contre 1'arrêt qui lui défendoit 1'aliénation des biens provenant de la fucceffion de fon frère. Singareau Sc fa femme attaquèrent, de leur cóté , le teftament attribué au makte des requêtes , comme faux & fuppofé. D 2.  "7$ Inceftueux puni. Les conteftadons, fur toutes ces demandes , furent appointées & jointes au proces criminef, 'pour être jugées par un feul & même arrêt. L'inftruction dura fix ans, pendant lefquels 1'accufé obtint quelques main-levées fur fes revenus & fur ceux de la fucceffion de fon frère. Cependant la dame Singareau étant tomBée malade en fon pays , fes fils pourfuivirent le procés contre leut 5nC!f'Jl 'les attagua comme coupables de 1'affaffinat commis en la perfonne d'un nommé Cerbier , qui étoit occupe a folliciter pour lui. Ils foutinrent que c'étoit lui-même qui s'étoit encore noirci de ce crime , & qu'il n'avoit eu d'autre but que'de fedéfaire d'eux's en les Enfant conduire fur 1'échaffaur. Quoi qu'il en foit, ils fe juftifièrent & furent déchargés de cette accufation , avec dommages, intéréts & dépens. Enfin intervint arrêt le dernier juillet 1585 , par lequel toute la'procédure faite a Xaintes fut déclarée bonne 8c valable, le teftament du fieur de Bermondet , père , confirmé ; celui du maitre des requêtes déclaré nul, & la requêre civile , obtenue par Jean de Bermondet, rejettée.  Inceftueux-puni. 77 Quant a lui , il fut déclare atreirrt & convaincu d'incefte avec fa fceur, exaófions & violences , en conféquence condamné a. avoir la tére tranchée en place de Grève ■, fes biens fitués en pays de confifcation , déclarés confifqués j Si Pon adjugea , fur ces mêmes biens , deux mille écus aux Singareau. li fut exécuté le même jour; 8s 1'Etoile , dans fon journal, rapporte qu'il foutint jufqu'a la mort qu'il étoit innocent de 1'incefte pour lequel on le faifoit' mourir, mais qu'il. reconnoifioit le jufte jugement de Dieu, quile punilToit pour avoir .été bien trois ans fans le prier , & fans dire feulement une patenótre. Aucun? des biens délailTés par le condamné , n'étoient fitués en pays ou la confifcation eüt lieu : ainfi la fucceffion fut dévolue a fes parents. En conféquence , la dame de Singareau fe met en podeiTión de la terre de SaintLaurent fur Gorre. Dela elle fe tranfporte a cellede la Quintaine, mais elle fa trouve occupée par la veuve de Jean de Bermonder. Elle fait aifigner cette veuve au parjlement de Paris, pour qu'elle ait a délaiirer cette terre. Par arrêt rendu E>5  78 Inceftueux puni. par forclufion, le l$ mars ,S%6 U veuve Bermondet fut condamnée l fe departir de tous les biens provenant de Ja fucceffion du mante des requêtes, avec reftitutmn des fruits qu'elle avoi percus. * u Sans entrer dans Ie détail inutile de toutes les procédures qui furent faites a cettes occafion , tant au Parlement, iuflit de dire que les pourfuires furent iufpendues pendant long-remps, a loc caiion des guerres civiles, & cui'elles iv fut paifible DoflèfTeiir Ai. & xonne. La mort ne laiffa pas aux fieur & dame de Smm»,,, i- r.s.'r n- . —6U1M« ïansraction de poutfuivre jufques dans le tombeau un trere qu ils avoient conduit fur 1'échaffaut: leurs fils fe chargèrent de ce foin. Lz veuve fe pourvut en requête civile contre 1 arret de l$M, & demanda que fes enfants fuffent maintenus dans ia jomfFance de tous les biens qui avoient appartenu i leur père , comme hermer de Francoife Allemand, la mere, de fes trois frères, & de francoife, fa fceur. Elle prétendoie que fon man, ayant eu ia propriété  Inceftueux puni _ ^ 79 de ces biens, les avoit tranfmis a fes enfants. Les Singareau foutenoient, au contraire , que leurs coufins ne pouvoient rien prétendre i ces biens, comme repréfentant leur" père , puifqu'il s'en étoit rendu indigne par fon incefte. lis ne pouvoient pas les réclamer de leur chef, puifqu'ils n'étoient pas nés lorfque les fucceflions avoient été ouvertes. Par arrêt du 16 juillet 1600 , la requête civile fut entérinée , les parties furent appointées fur le fonds, & la veuvè de Bermondet, comme tutrice de fes enfants, mife en poffeffion provifoire de tous les biens qui avoient appattenu au maitre' des requêtes. Quoique les plaidoyers dont on va lendre compre, aient été faits fur la detnande en entérinement de la requête civile, ils conriennent cependant les principes de la matière au fond; & il y a tout lieu de croire que la Cour fe dérermina, dans fon arrêt, fur les moyers qui y furent établis. Toute cette affaire fe réduifoit l deux queftions. Jean de Bermondet s'étoit-il rendu , jar fes crimes, incapable de recueillis D 4  So Inceftueux puni. les fucceffions de fes frères, & de Ie* tranfmettre a fes enfanrs ? Ses enfanrs. étoient-,ls capables de les recueillir de leur chef? Sur Ja première qiteftion , les Sin. gareau fourenoienr que leur oncle ayant «e non-feulement déshérité, mais défavoue par fon père, avoir perdu tous Je droits de parente, & par conféquent celui de recueillir aucune fucceffion. iuivanr eux, quand un père abdique »n de ies enfants, il le retranche de la familie & lerend étranger tous fes parents. Ils ajoutoienr que cette punition avoit ete admife en France , & y produifoit tous fes effets, fur-tout Jorfquel^ étcutfondée fur de grands crimes. Qr, quel crime plus énorme que 1 incefte entte un frère & une fceur > li elt reprouve par toutes les loix divines& humaines;il tache, il couvre dopprobre toute une familie ; & quoi de plusjufteque den retrancher celui qui en eft le fléau & Ia honte > La feconde raifon qui excluoir Jean de Bermondet des fucceffions de fes freres & fours, eft ^ n>étoit feulement accufé de tous les crimes qui lui avoient eté imputés, il en étoit conWncu des ayant. fon mariage. II avoit  Inceftueux puni. %P. a'voué a la queftion , & -cet-aveu avoit produit le même effet qu'une condarnnation. En macière de crimes atroces3c déteftables', tels que ceux de lèfemajeftê , de- parricide , d'incefte , la confeffion du-coupable équivaut au jugement. L.injamem ff,.de fuLlic. judic. L. iSus ff. de his qui not. -infam. L'atrocité de ces crimes fait que 1'on regarde le coupable comme mort civilement' dès hnftant de l'aecufarion -r.tk la eondamnation a un erTet rétroaétif, au< moment- oü- le crime a- été commis. ■ X. quafoumff. qui &d qüib. manumijf. X. Fu'riij ff', de his qui not. infam.: A cet ave* formel fe joignoit le < bris de pnfon , qui empêcha qu'on' ne pul juger Jean de-Bermondet dés\A6Yi ce qiu doic être regarde cornme Tane confeffi on pourroit dire mêmeau moment qu'il eft exécuté. Si 1'on interdit quelquefois a un accufé la faculté de vendre ou aliéner fes biens pendant 1'inftruótion du procés, ce n'eft pas qu'on le tegarde comme incapable de contrafter » cette défenfe meme efö  Inceftueux punil wie preuve qu'il ne left pas; on na prendroir pas ia peine de défendre una chofe qüi feroit nulle par die-même. ^•lon.croit devoir lui her les main» parune derenfe expreflc, c'eft afin qu'il aabufe pas de la tAea&qu'iladaliéner• pour priyer le-fifè de fa fucceffion. Maii cetre defenfé d'ahéner n'óte pas le pouvoir d acqucrir, & de recueillir les iuc~ ceiions qui pen vént. écheoi-n. H n'eft*point vrai, eomme on \% avance de-Ia partjes Singareau, qua Jean Bermonder ait empêché fon frère de refter. Le teftament quj s'elHrouvé, apres ia mort, étoit lexpreffion d'une voIonrei,bre,&quenen,„'aconrrain-. te. llufimrs des ppmcipaux-deda villa y-ont a/hfte comme témoins; .il a été, conhrmé par un. codicüle foulcrit de plul.eurs perfonnes notables, autres qua, ies premier témoins, St la Cour l'a déclare nul , ce n'eft que par un, vicé, de fonne. Les-loix Romaines veulent que 1 inftnution d héritier (oir concua. en termes dire<5b.& impérarifs.: celle qui. .étoi* contenue au teftament de M. de Bermondet , étoit par demandes & par réponfes. Ouant au» j.. i / ^. ~ .......na uu tonaamne «ane-vo^oit pas fa qU0j j^. Sr,  Inceftueux puni: X? clti pouvoit être appuyée. Le manage dont ils étoient le fruit, n'etoit pomt clandeftin 5 il a été précédé d'un contrat. Jean de Bermondet fe trouvoit Ie. feul male de fa familie; les parents de fon époufe tenoient un rang diltingue dans la bourgeoifie le manage avoit. été célébré en face d'éghfe , en prefence de leurs parents & amis; Aucune loi ne défend a un accule de eontraéter mariage. La loi 43 , §• \° » ff. de rïtu nupt. n'interdit cette union> qu'entre un Sénateut & une femme condamnée par un jugement public ;: mais- cette. défenfe n'avoit- pom mout que de conferver dans toute fa.pmete 1'éclat de la dignité fénatorienne. Encore cette loi eft-elle reftreinte aux femmes qui fonr condamnées, & nenveloppe. point celles qui font accufees fimplement. Tean de Bermondet, lors de ion. mariage , n'avoit elTuyé aucune condamnation. D'ailleurs .la dame de Bermondet n'étoitagée que de quatorze. ans, lorfqu'elle s'étoit manee. Elle avoit. donc pu ignorer, a cet age, accula^ tion intentée contre-celui qu'elle epou- foit. , , M. Servin, avocat-general, qm porta. ia parole.dans cette caufe, etablit que..  Inceftueux puni. Fabdication des-enfanrs n'eft point ccnfjue en France. Qu au furpkfs gj? étran " ? Bennw"?et Un a6te auffi effacéJ5 1 ' PUI^U'J1 fe c~«veroic avec ff f ,a|rC°^Clharion * feurpère avec fa familie, réconciliation prouvée pa« des lettres, par d« tranfaclions & par des partages. fó" pent fon frere amé k force d'excès & d ourrages, & qtul 1'eüt empoifonné! ï eft bien vrat que M. de Bermondet fut frotte, & nu'il recut des foufflets pendant qu'il faifok fon reftam(^ maïs es principaux témoins dépofent dans les dépo/itions * dans le^ confrontations , qUe ces foufidets furent donnés & ces frortements faits p" ordre deS medecins Qur salade d'un alToupiflJment qui é oï feTsinl '> ? ^ Cém0inS P-duits par les Singareau mêmes., atteftent qu'il P£a\ ouvert après fa mort, & trouvé exemp, de tout foupcon de poifon. P ^uantdl etatde Jean de Bermondet Klaltant de fon crime, il faut difti ™r* ««re Ié commencement d'un prSS ^el& le jugement. L'mfttES  Inceftueux puni 91 qui précède la condamnation , n'entame aucunement 1'état de 1'accufé j la fentence même rendue par les premiersjuges, le lauTe intacïe. 11 n'eft altéréque par 1'arrêt. Bermondet a donc recueilli fes fuccelfions qui lui font écfiues avant fa condamnation. On peut défendre fes enfanrs par la bonne foi de leur mère. U étoit poflible qu'elle feut que celui qu'elle époufoir, étoit accufé d'incefte % mais elle pouvoit prendre cette accufation pour une calomnie. 11 n'avoit pas été condamné-, & rien n'annoncoit qu'il dut être convaincu. Francoife, fa fceur, avoir refufé de figner fa confeffion; fon frère ne s'eft jamais démenti dans la proteftation qu'il fit contre 1'aveu qui lui étoit échappé dans les tourments ySc ce qui pouvoit portet le public a préfumer en faveur de leur innocencec'eft que Francoife eft roujours reftée en liberté, fans avoir jamais éprouvé aucune pourfuite de la part de la juftice. 11 n'y a nulle preuve du prétendu bris de prifon. Il paroir, au contraire, que Bermondet n'en étoit forti que Êarce qu'il avoit refufé de reconnoitre. l compétence du prévót des maréchaux, l'incefte n'étant pas un cas pré.** vé)taL.  9 \ &cefiueux puni. Tout fembloic donc concourir d mfttner Bermondet aux yeux de fa future epoufe.Aufurpbs, quand elle 1'auroit oup9onne d'mcefte5: aucune loi n'in^ rerdit e manage d ceux qui en font «üpables & nimprimela tache de barardife d leurs enfanrs. . Les Bermondet étoient donc lósC tirnes; & puifque ie èrg a éf, £ P*We de recueillir les fucceffions de les frères il a pu les tranfmettre a fes enrants, fur-toutétant nés avant fa condamnation. En conféquence, cemagiftrat eonclut confo,memenra 1'arrêt, qui fut pro. apneelea4 Marsitfoj.par lequel la ^our adjugea a Marguerite de la Jojnont, comme tutrice-des enfants &s henners de Jean de Bermonder, tous Jes hens, meubles & immeubles, terres & leignennes qui avoient appartenu d de Bfmondét, maïtre des requêtes • comme etant échus d Jean de Bermon5det, fon frere & fon héritier; & les Singareau furent condamné* 4-reftiruer les trmrs que leurs père & mère , & eux-memes ayoient percus depuis le deces de M. de Bermondet. Pour revenu d 1'incefte commis par i^an: de, Bermondet , &. a,la peine-  Inceftueux puni. 95 qu'il fubit pour raifon de ce crime, jpenifart, dans fa Colleclion de dèciftonsj &c. die que 1'auteur du Code pénal attefte qu'il n'y a point d'arrêt qui ait prononcé la peine de mort pour 1'incefte commis entre le frère 8c la fceur : au contraire, ajaure-r-il, Lange aiïure que la peine de mort eft r°u-~ ipurs prononcée dans ce dernier cas. » Apparemment, continue Denifart, «qu'il en connoït des exemples ; a » mon égard j'avoue quejen'en connois » aucun.» Si Denifart .avoit connu les fources, Sc avoit f911 y chercher, il auroit trouvé 1'arrêt de Bermondet ; Sc s'il eut été fait pour voir les vrais principes, il auroit feu que cet arrêt eft conforme a. la loi divine, a la raifon , '8c a la décifion de plufieurs jurifconfultes eftimés. Le Lévitique prononce expreflement la peine de mort contre le frère & la fceur qui s'abandonnent a ce défordre abominable. (1) (1) Qui acc'iptr'u fororem fuam fiüam pairis [ui , vel filiam matris fun , & vidtrit turpitudinem ejus , illaque confpexerit fratris 'ïgnominiam , nefariam rem opcrati funl: occidentur in confpeSu populi fui, tb qubd turpiiu-  54 Inceftueux punt. En effet, fi Ja police civile ne prê*oic fon bras pour réprimer cet inceite, h Ja crainte & la honte da fupplice n en prévenoient pas Ie cours, tf n'y auroit peut-êtrepas de crime plus commun. Les frères & lesfceurs font communement élevés dans Ia même maiion, & viventenfemble dans cette familianté qu'aurorife une naiffance commune, & I'habitude de fe voir fans cefle. Lom que les carerTes dun frère & dune fceur fcandalifent & caufent de I inqmérude aux pères & mères, on ne les prend que comme des preuves £ Inceftueux puni. ces, chaque race demeureroit ifolée dè ■toutes les autres; plus de communauté' d'intérêrs , plus de circulation de fortunes, plus de parente, plus d'union enrre les citoyens. C'eft donc avec raifon que 1'on n'a permis aux frères & aux fceurs d'autre affedbion ,d'autre familiarné,& d'autres carelTes , que celles de Tamme.; & qu'on a élevé enrr'euxune efpèce d'horreur pour tout ce qui peut paflêr les bornes de cette affeótion pure & facrée; horreur qui peut quelquefois avoir befoin d'être entretenue par la crainte d'un déshonneur irréparable , & d'un chatiment fanglant & ignomi! nieux. Ce font, fansdoute, ces motifs qui ont fait dire a plufieurs de nos do&eurs, que cette conjonótion eft défendue par le droit naturel. Voyez Cujas, ad Novell. 11 ; Covarruvias, ad tit. de Confanguïn. &• Aff.nit.cap. 6, §. 10, n. 14 6' 15 ; & Zoézius, ad eumd. tit. n.  97 LA POSSESSION DE LOUD UN, OU HISTOIRE D'URBAIN GRAND IER. Cette hiftoire peut donner matière a bien des réflexions de plus d'un genre. Je n'en ferai aucune qui ne forte du fond même de la chofe, Sc qui n'y foit totalement analogue : j'abandonnerai les autres au goüt & a la volonté du lecfeur. Je me réferve feulement la faculté de dire un mot, après mon récit, d'un auteur qui a voulu établirque le malheureuxGrandier étoit réellement magicien, &que, dans la prétendue polTeiTion des religieufes, il n'y avoit aucune fupercherie. Loudun eft une petite ville afiêz ancienne du haut Poitou , aux confins de 1'Anjou Sc de la Touraine, diocèfe de Tornt IF. E  98 Hiftoire Poitiers , métropole de Bordeaux Sc généralité de Tours. Le premier établiflèment d'Urfulines en France fe fit a Paris en 1614. Cet ordre fe répartdit infenfiblement dans Je royaume, & on lui fonda un couvent a Loudun en 1616. C'eft afiez le fort des établiflemens religieux de n'être pas riches dans leur principe, Sc tel fut celui des Urfulines de Loudun. Cette communauté fut , dès fa nailfance, compofée de filles de très-bonnes families , tant nobles que roturières; elles avoient pour fupérieure Jeanne de Belfiel, fille du feu marquis de Cofe, Sc parente de M. de Laubardemont, confeiller d'état, Sc depuis intendant de l ours. II fera , dans la fuite, beaucoup parlé de ce magiftrat. Parmi les religieufes, étoient une dame de Sazilli, parente du cardinal de Richelieu; deux dames de Barbefiers , fceurs , de la maifon de Nogaret; une dame de la Mothe , fille du marquis de la MotheBaracé en Anjou ; Sc enfin une dame d'Efcoubleau, de la même familie que Parchevêque qui occupoit alors le fiege de Bordeaux.Cependant a peine avoientfilles ce qu'il faut ftriclement pour fubfifter} elles furent même réduites a fe  dUrbain Gr andier. gt) loger dans une maifon particuliere, qui n'étoit pas fort étendue, qu'elles tenoient a loyer; &, fans le fecours des penfions des jeunes filles que , fuivant leur inftitut, elles fe chargeoient d'inftruire, cet établifTement fe feroit détruit de lui-même avant, pour ainfi dire, d'être formé. La maifon que ces religieufes occupoient appartenoit a un nommé Mouffaut du Frefne ; il avoit un frère prètre , qui fut le premier directeur fpiri— tuel des Urfulines de Loudun; & ces filles, fous la conduite de cet eccléfiaftique fage & éclairé, firent 1 edification de la ville. Elles n'eurent pas le bonheur de Ie conferver long-tems : fa mort fut 1'époque de cette célébrité fcandaleufe qu'elles acquirent dans toute la France, &c même dans toute 1'Europe. La comnaunauté étoit prévenue qu'il revenoit des efprits dans la maifon qu'elle occu^ poit; ce préjugé fit naitre Fidée a quelques jeunes religieufes, de concert avec quelques penfionnaires, de s'amufer en effrayant les autres, & leur faifant accroire que leur défunr directeur étoit un revenant. Pour eer effët , elles fe levoient la nuk, faifoient dans la maiEij  ïoo Hiftoire fon cette efpece de vacarme que les bonnes gens attribuent aux revenans. Ce jeu ayant réuffi au gré des actrices , eiles s'enhardirent a grimper jufques lur les toits , chofe afièz facile i Loudun par la manière dont les maifons lont conftrmtes ; elles entroient dans les gremers , pénétroienr jufques dans lejchambres des penfionnakes, enlevoient les jupes qu'elles avoient mifes fur leurs hts en fe couehant. Ces tours paroiiToientd'autant plus effrayans, que Ion croyok que le prétendu revenanc paüoit au travers des portes que 1'on ayoit grand foin de barricaderen dedans avant de fe mettre au lit 5 mais le lutin exoit aidé par une penfionnaire agée de feize a dix-fept ans , nommée Marie Aubin, qui étant dans le complot, fe levoit pour ouvrir doucement la porte, Sc augmentoit Ia frayeur de fes camarades par celle qu'elle feiguoit quand le fpeóf re entrok dansle dortoir oü elle 1'avoit introduit. Cette fille a vécu jufqu'a lage de prés de foixante-cinq ans, &c a toujours raconté de la même manière ce fait a fes anus, . 3£an Mignon , chanoine de la collégiale deSainte-Croix de Loudun, fut cfioifi pour fuccéder a Mouftiut dans  d'Urbain Gr andier. ïöl la diredtion desUrfulines. Cet homme, qui avoit les paflions vives, étoit virtdicatif & ambitieux; fes talens & fon goüt pour 1'intrigue lui facilitoient les moyens de fe fatisfaire ; il vouloit furtout fe procurer la réputation d'une haute piété, & fe faire regarder comme un faint. Quels fuccès ne peut pas efpérer dans fes projets un hypocrite adroit , & qui a la conftance de ne jamais quitter le mafque! Les vieilles religieufes lui firent part du fujet de. leurs frayeurs , & les jeunes le mirent dans la confidence de leurs amufemens. II autorifa ces jeux, en ne défendant pas aux unes de les continuer, & ne découvrant pas aux autres le tour qu'on leur faifoit. Cette tolérance n'étoit pas analogue avec la piété rigide dont Mignon faifoit parade j n'arrêtant pas le cours de ces déguifemens , qui ne peuvent que nourrir la fuperftition des efprits foibles , il protégeoit un menfonge toujours préjudiciable a la folidité du vrai culte. Cette conduite a fait foupconner depuis , que cet eccléfiaftique méditoit dès-lors les projets de vengeance qu'il a mis depuis en pratique, & qu'il fe propofa de tirer parti de ces exercices noéturnes pour  Hiftoire Cet Urbain Grandier étoit né i Roueres bourgvoifinde Sablé, pe! tite ville du bas Maine, ou fon n^re etounotatreropI.Onaditqt^i aP;o prsi%m^etiePierreGi-dierfo Fetre. Mais cette calomnie fut détruite un certihcat en ferme, délivré par ^tansdeSabtó.qui^XntC Urbain Grandier fit fes études a Bordeaux feus es Jtfuites, a.uquels fes talens mfptrèrent de famitiépour Uil LtrAre^de k Cure de Saint P erre du Marché de Loudun, qui étoit i leur prefentanon. II fut encore pourvu d une prebende dans la collégiale de S^teCroix Luniondeces deux bé«efices fur la tête d'un homme qui « etott pas de la province , PexpolÏÏ i envie de plufieurs ecdéfikques i] difoitlm-même^dans le cours de fe perfecutions que c'étoit a fes bénéfices bjenplusqu'afaperfonne, que fes enne'mis en vouloient. II étoit d'une taille avantageufe & bien proportionnée, il avoit 1'air noble  d'Urbain Grandier. 103 Sc agréable; il étoit, dans fes habits & dans tout fon extérieur, d'une proprete recherchée , fans que l'affeétation s'y fit remarquer; il avoit la converfation facile, élégante, Sc toujours foutenue par l'éradicion dont il avoit orné fon efprit; il eut Sc mérita la réputation de trés-bon prédicateur. On a de lui l'oraifon funebre de Scévole de SainteMarthe, imprimée dans les ceuvres de cet auteur célèbre : cette piece eft marquée au coin de 1'efprit, du bon gout, Sc quelquefois même du génie. Tant de fuccès dans le miniftère excitèrent contre lui des jaloux d'une autre efpèce que ceux dont on a déja parlé. Les religieux mendians avoient eu , jufques-la, la palme de la prédication a Loudun Sc dans les environs. Grandier ne s'étoit pas contenté de leur enlever une gloire fi utile a leurs intéréts , il avoit entrepris de les exclure du miniftère , en prêchant contre les confrairies, & annoncant que 1'office paroiffial eft le feul auquel les fidèles doivent affifter , & qu'ils ne doivent recevoir d'inftruétions que de leurs pafreurs; il s'attacha, fur-tout, a décrier un autel privilégié, que le pape avoit accordé aux Carmes; & dans les compaEiv  I04 Hiftoire gmes, il ne ceflbit de tourner leurs fermons en ndicule. En falloir-i! tant pour lm fa.re autant dennemis déclarés mnnautes qu, font j ^ d °™ envurons ? aux MalheUreufement,„onobftantI'écJat de fes tale„s G^dier donnoir prhl fe lm par fon caraétère & * £ mams. II étok, avec fes amisP d'un commercedouX&agréable;mi;aVc fe ennemls, ,1 étoit fier & hautain jnebranlable dans fes réfolntion, / ^ toux de fon rang, intrakabie fur fes nt rets. J repou(loit ]es *s les mjures avec une hauteur & Le roÏ deur qui, de fes adverfaires , lui faifok des ennemis irréconciliables dePokie?0'11 §3S"a' Cn ^ialité de i omen, un procés contre un prètre nommc Mounier, 3c üt exécuter fa £ tence ave tant de ri " Z pTers 9 Ut tr°Uvé dansfes P^Les Wons furent fixés fur Madeletne de Breu, mais ils n'étoient fondes e^ "mar1? ^ ent eux , jamais Grandier ne fa nommée &aeulamême difcrétion pour touS celles qui om eu des Iiaifons avec 1U1 fouquecesluifonsaientétébonnê e ' foit qu elles aient été cnminelles.iTvoi' oit queperfonnenepartageat avec fe 1 acharnement de fes ennemis. Le plus funeux de tous étoit TrinVuant, procureur du roi de Loudun. II «ottpere d'une fille fort jolie, que la  d Urbain Grandier. 107 chronique fcandaleufe placa au nombre de celles dont on difoit que Grandier avoit eu les bonnes graces. Elle tömba dans un état de langueur, qui la forca, pendant long-tems , a garder fa chambre. Elle eut, durant fa retraite , pour unique compagnie, une fille nommée Marthe Pelletier , dont la fortune étoit fort médiocre. On feut que cette Marthe Pelletier avoit fait baptifer & mis en nourrice un enfant dont elle fe difoit mère; mais on empoifonna la ehofe dans le public , 1'on prétendit que la vraie mère étoit la fille de Trinquant , a qui fon amie avoit vendu fon honnenr : & 1'on ne manquapas d'attribuer la paternité a Urbain Grandier, , Trinquant , Lnftruit des bruits qui couroient fur le compte de fa fille , prit: fur lui, en qualité de procureur du roi, de faire arrêter Marthe Pelletier , & de la faire interroger fur le compte de cet enfant. Elle foutint qu'elle en étoit la mère , & fit fa foumiffion de 1'élever de manière que la juftice n'auroit riet» a lui dire. Le public fe moqua cle cette procédure, ne démordit point de 1'idée qu'il avoit faifie d'abord; & Trinquant, qui fe vit 1'objet des railleries du peupie , ne refpira que vengeance contre E vj.  IoS Hiftoire Grandier qu'il perfifta * d mela caufedefon déshonneur & £S mortifacations qu'il épouvoit de la par des mauvais plaifansf eiaP*rt II étoit difficile qu'un f; grand nombre dennemis de toute conditiën & qui fefentoienrblefles par les endroit la perte d un homme qui n'avoit aucun JPpuidans le pays, & dont le créd fS bo^oita celui que peuvent donner e-a ens,& a confidLtion attaché Séfe11 üccupoit dansI^- Toute la clique s'aiTembla un jour che2Barot,&futgroffie M Juau avocat du roi, & intime ami du X- ce Menuau ;oignoit celui d'une paffion ioit, & qui difoit-on, favorifoit Grandier. Le réfukat de 1'aiTemblée fut q "e on ne neghgeroit rien pour perdre le chaflèr entiérement dc Loudun a ce bnf 7lèif démarchePour arriver de la 1 eT*" deUX miférabI« rie Ia he du peupie , nommés Chtrbon- contre Grandier, auprès du ptomoteur  d'Urbain Grandier. 109 de Poitiers. Us 1'accufèrenr d'avoir débauché des femmes & des filles, d'être un impie, de ne jamais dire fon breviaire, & d'avoir même abufé d'une femme dans 1'églife dont il étoit curé. Le promoteur ren dit plainte de ces faits pardevant 1'ofticial, qui commit Louis Chauvet, lieutenant civil, & l'archiprêtre de faint Marcel duLodunois s pour informer conjointement. 11 faut obferverque cette ordonnance de 1'official étoit abufive , en ce qu'il donnoit une commiifion a un juge royal: ce qui excédoit la fphère de fon pouvoir; les juges temporels ne font fubordonnés qua leurs fupéneurs dans 1'ordre civil. Mais Chauvet n'en fit point la difficulté , & agit en vertu de la commiifion de Pofficial. Cependant un certain Duthibaut s homme fort riche, & attaché a la conjuration formée contre Grandier , s'etant rencontré avec le marquis du Bellay, paria de cet eccléfiafttque dans les termes les moins mefurés. Le cure en fur inftruit; & un jour qu'il etoit en furplis, prêt ï entrer dans 1 ejhie de Sainte Croix pour y afiifter a 1 omce , il rencontraDuthibaut, & lm fit, avec la hauteur qui lui étoit ordinaire , des  HO Hiftoire reproches Wans de fes mauvais difcours Duthibaut étoitun de cesimportans de province, accoutumés & croire guils peuvent tout dire & tout faire impunement} la réprimande du curé echauffa lorgueil de ce perfonnage au Pomt que, fans égard pour les habits facerdotaux dlefiappa d'une canne qu ii tenoit a la mam. Grandier qui connoilfoit fes ennemis &Ieur credit, comprit bien qu'il n'auroit pas juflbce dans le pays, quoique le refped dü auculte religiën* füt compromis dans fon affaire. II prit le parti de s aller jetter aux pieds du Roi, qui daignalecouter, & qui, voulant * lontrage fait a un miniftre de la religion, revêtu des habits diflindifs de fon caraétere , füt vengé, renvoya Paffaire au parlement, pour être le procés fait & parfait a Duthibaut. Tandis que Grandier étoit occupé de ces demarches, finformation fe pourfuivoit contre lui, d Loudun , avec route la chaleur poffible. Elle fut compolee uniquement de ce qu'il y avoit devilecanadeda„s.Iepa?s,a4tSe de laquelie etoit le procureur du roi  d'Urbain Grandier. in L'information fake , on 1'envoya^a M. Chateignïer de la Rochepoiai 3 évèque de Poitiers. On avok eu foin de prévenir 1'efprit de ce prélat contre Urbain Grandier; on avok fur-tout beaucoup exagéré une entreprife que 1'on attribuoit a ce curé fur les droits épifcopaux j il avoit eu 1'audace , difoiton, de donner une difpenfe de bans pour un mariage qu'il avoit célébré dans fa paroifle. Cet attentat , dont il ne parok pas qu'il y eüt de preuves, réuni aux faits dépofés dans 1'informanon mife fous les yeux de 1'évêque , le détermina a rendre une ordonnance, portant que 1'accufé feroit amené'fans fcandaleèsprifons del'hotel épifcop al de Poitiers, Jipris & appréhendé pouvoit être i finon ajourne' en fon domicile d trois briefs jours par le premier appariteur prètre 3 ou clerc tonfuré 3 & d'abondant par le premier fergent royal fur ce requis 3 avec imploration du bras féculien Cette ordonnance étoit datée de DnTai, maifon de campagne des évêques de Pokiers, le 12. oófobre 1619. Granclier étoit a Paris, lorfque ce décret fur prononcé contre lui, & pourfuivoit au parlement fon affaire contre Duthibaut. Celui-ci fe défendoit par le  *** Hiftoire tableau des mceursfcandaleufes du curé f en, do»™itpour preuve le décrer quê fon eveque venoit de lancer contre lui. Sur la product ion de cette pièce, la cour ordonna qu avant faire droit, Grandier le retireroit pardevers le juge eccléilafnque,pourfelaver descrfme» qu'on ^;™P^;IiferenditdLoudun, & de-ia a Poitiers, dans 1'intention de fe xendre lui-même dans la prifon épif- pai un huiffier le 15 novembre. Gette prifon étoit fombre , obfcure & bumide,& Grandier y fut dctenu pendant deux mois, fans qu'on lui donnataucun fecours contre les rigueurs de Ia faifon. Ses ennemis le crurent tellenient perdu que 1'élu Barot engagea un de fes héritiers, nommé IfmaelBoua jetter un dévolut fur fes béné- Cependant les frais qu'exigeoit Ia pourfuite de ce procés devenoienr chique jour, plus coniidérables : elle fe faifoit a Poitiers, oü les témoins étoient obliges de ferendre, aux dépens des pourfuivanS,pour la dépofitito & la confrontation. Les conjurés commencoient a fe rebuter de tant de débourfés 381 ne pouvoient leur produire d'autre  d'Urbain Grandier. 113 avantageque le plaifir de la vengeance. Trinquant fit tant, par fes exhortanons & par fes menées, qu'il ranima leur zele expirant, & en obtint ui* contribution qui fournit les fonds necellaires pour conduire 1'entreprife a fa fin. Le principal chef d'accufation , qui portoit fur les faits de galanterie, ne put être prouvé : tout étoit vague , on ne nommoit aucune femme nl aucune fille comme 1'objet de la débauche de Grandier; aucun parent, aucun mari ne fe plaignoit, aucun témoin ne^depofoit d'un fait précis; on va meme Henrot voir la foi qui étoit due a la rédadion des dépofitions. L'ofhcial ne laifla pas de prononcer fon jugemenr , auquel il fe fit aififter , entr'autres , par un avocat nommé Richard} parent de Trinquant; & par fentence du 3 janvier 1630, Grandier fut condamné a ieüner au pain & a 1'eau, tous les vendredis, pendant trois mois, interdit de la mefie & de toutes fonótions eccléfiaftiques, dans le diocèfe de Poitiers , pendant cinq ans, & dans la ville de Loudun, pour toujours. II appella de cette fentence a 1 archevêque de Bordeaux , métropol itain de Poitiers. Ses ennemis ne pouvoient guère  *x4 Hiftoire fe flatter «ue la prévention qui ]eur avoit etc fi.Wable a Poitiers, pX fe communiquer a ia métropole, & y froduire les mêmes effets. Ils omrent q«e, nepouvantécrafer Grandier fous Je poids de Ia vérité, il fküoit au moins 1 epuifer par toutes les reffources de "a ch^ane Ils intenettèrent donc, de leur cote, un appel comme d 'abus de la ~-ence,fous ,e nom du pro! Grandier fit face de tous les cótés.H fit plaiderfa caufe au parlement: & le grand nombre de témoins qu'il Falloic entendre, détermina cette cour, Jour eviter les frais, de renvover 1'inftruction au prefidial de Poitiers. Elle fefit par Je lieutenant criminel de cette ville • qm obtint du métropolitain un monil toire que lon fulminaa Loudun. Les chofes alors changèrent bien de face Les témoins qui n'avoient été entendus qua Ia requete du promoteur, le procureur du roi les fit entendre'de niveau a Ia „enne. II fe trouva des contradidions dans les dépofitions de ceux qui voulurent perfifter; plufieurs autres avouerent ingénuement qu'ils avoient Kuisfedefifta, & déclaia, conjointe-  cTUrbain Grandier. 11 $ ment avec les témoins dont je viens de parler , que Trinquant les avoit follicités & engagés dans la démarche quils avoient fake. II y eut même preuve que, dans le cahier des informations faites a 1'officialké , on avoit inféré des declararions auxquelles les témoins n'avoient pas penfé. Deux prêtres, entre autres , nommés Méchin & Boulieau , fe plaicnirent de cette prévarication, & donnèrent leur défaveu par écnt. Celui de Boulieau n'a pu être retrouve j mais voici celui de Méchin-, il eft curieus. _ « Je, Gervais Méchin , prètre, vicaire „ de l'égüfe de faint Pierre du Marche „ de Loudun, certihe , par la prefente, „ écrite & fignée de ma mam pour la „ décharge de ma confcience, fur eer„ tain bruit qu'bn fait courir, qu'en „ 1'informationfaite par Gilles Bobert, „ archiprêtre, contre Urbain Grandier, M prètre , curé de faint Pierre; en laquelle information ledit Bobert me „ follkita de dépofer, que j'avois dit que „ i'avois trouvé ledit Grandier couche „ avec des femmes & fiües tout de leur » long , dans l'églife de faint Pierre , „ les portes étant fermées : item , que n plufieurs diverfes fois, a heures m» dues, de jour & de nüit, j'avois vu  ri£ Hiftoire » leditGrandier en fa diambre, & V£ " l^lq^s-unes defdites femrnes y fQl " m!dllllf^ladeuxourroisheuresaprès " "munt, & y faifoient e af r« " fouper par W fervantT'1 fe " Vuledic Grandier dans 1'ègl^e ie " P°rtesouve^s,&quelques femmes »yeranrencrées,illesfermoir.Nede » «tant que reis bruirs concinnent da- vantage ]e déclare, parcespréfentes ■ ^e jen'ai jamais vu,ni trouvéledit' " Grandier avec des femmes & des "filles dans Péglife, ^ portes ^ "fermees, mfeul avec feules • ai s r lor% ^parléa elles, elles étoient :"rte:mpre'Iesporresto«c vertes , &, pour ce j ft » Pofture, jes penfel'avoir aflez éclair i - Parmaconfrontation, que ledit Gran "dier etoitaifis,& les femmes afl£ " do^s les unes des autres: comme rn^i/efijrtvHentrerfe--es n filles dans la cfiambre dudit Gran"dier, de jour ni de nuit; bien eft »vrai que j'ai entendu aller & venir " du mo^eaufoirbien tard , mais ie "^puisdirequiceft-auiïïqVd col  d'Urbain Grandier. 117 „ choit toujoars un frère dudit Gran„ dier proche de fa chambte , & nai „ connoiffance que ni femmes ni falies „ y aienr fait porter leur fouper. Je „ n'ai non plus depofe ne lui avoir ja„ mais vu dire fon breviaire, paree que N ce feroit contre vérhé, d'autant que „ diverfesfois il m'a demandé le mien, „ lequel il prenoit, & difoit fes heures. „ Et femblablement déclare ne lm avoir „ jamais vu fermer les portes de 1 e„ glife, & qu'en tous les devis que je „ lui ai vu avoir avec des femmes, je „ n'ai jamais vu aucune chofe deshonw nète, non pas même qu'il leur tou„ cbit en aucunefacon, maisfeulement „ parloient enfemble : & que s il Je „ trouve en ma dépofuion quelque choje „' contraire a ce que dejfus , c'eft contre „ ma confeience , & ne m'en aete fait » lecture, pour ce que je ne l cufle Jigne. „ Ce que j'ai dit pour rendre temoi„ gna«re a la vérité. Fait le dernier jour „ d'odobre 16}o. Signé, Meschin ». Par fentence du préfidial de Poitiers, du z5 mai 16) 1, Grandier fur renvoye , quant a prefent, abfous de 1'accufation. Ce jugement abattit le courage des ennemis de Grandier j le dévolutaire le défifta , & k peine fit-on quelques de-  118 Hiftoire marches contre 1'accufé au fmVr A. I>ei qu ii avoit interjetté devant Je métropolitain. ■ M. d'Efcouhleau de Sourdis, arche- Yq-deBordeaux.vint^ansceternl la, vifiter fon abbaye de faint Jouin des Marnes qui n'eft qu'i trois lieues de Loudun. II profitadu voifin mieux exarmner 1'affaire qui lui ftoi devoJue parl'appel que Grandier avoL porte devant lui; & par fentence du " novembre 16} i, 1'appellant fut ren- ferdi^i? VC dffinitlvement de Pinterdicfion contre lui prononcée ; fauf a mages & interets, & reftitution des , L'aKhevêque de Bordeaux qui foit trement avoit reconnu les talens & Je, qualités brillantes de Grand er fqu ^I avoin aVOit-VUda"S ^dure quil avoit examinée lui-méïne , que louvrage d'une cabale acharnée a "a de permuter fes bénénces, & de s'éloifü leUn U °" a/*»kfiit contre lui une conjurationfipuijfante, qu'il  mais 1'exorcifte fe hata de le prévenir , en demandant au démon : quare ingrejjus es in corpus hujus puelU ? ( pourquoi es-tu entré dans le corps de cette fille ? ) Propter prefentiam tuam, ( a caufe de ta préfence. ) Le bailli offrit alors de croire a la poffeJlion, & de la cerrifiet par écrit , fi 1'ënergumène répondok a trois ou quatre quef-  d'Urbain Grandier. ifcy tions qui alloient être propofées par lui & par les officiers. Barré confentit a la propofition, mais le diable n'y confentit pas j les convulfions celsèrent tout a coup; & , comme il étoit tard , on ie retira. Le lendemain, z 5 novembre , les mêmes juges fe rendirent a la chapelle du couvent, oix Barré débuta par la célébration de la mede. Pendant le fervice , la fupérieure , agitée de grandes convulfions, s'écria d'elle-même: Grandier, Grandier, mauvais prètre. La mefie achevée , 1'exorcifte entra dans le chceur , ou, mettant le faint ciboire fur fa tête il dit, avec 1'air & le ton de la ferveur la plus ardente, qu'il prioit Dieu de le confondre , s'il avoit ufé d'aucune malfacon , fuggeftion , ni perfuajion envers les religieufes dans toute cette aclion. Le prieur des carmes fit les mêmes proteftations & les mêmes imprécations ; & ajouta, tant en fon nom qu'au nom de toute fa communauté, qu'/7 prioit que les malédiclions de Dathan & d'Abiron tombajfent fur eux , s'ils avoient pêche', cu commis quelque faute dans cette affaire. Barré s'étant enfuite approché de la fupérieure} fe difpofa a la communier^  16o Hiftoire mais elle en tra dans des convuifions telles qu'on ne lui en avoit pas encore vu de pareilles; elle voulut même arraclier le ciboire des mains du prètre. II vint enfin a bout de lui mertre 1'lioftie dans la bouche: a peine i'eut-elle recue qu'elle tira la langue, & parut vouloir la rejetter. L'exorcifte la repouffa avec fes doigts , fit défenfe au démon de la faire vomir, & fitavaler, a la poffédée, de 1'eau par trois fois. II demanda : per quod pacium ingreffus es in corpus hujus puelU ? (par quel pacfe es-tu entré dans le corps de cette fille ?) —aqua, (par de 1'eau. ) Un Ecofibis , nommé Stracan , principal du collége de Loudim , requit que le diable dit eau en langue écolfoife. La fupérieure répondit: nimia curiofitas, ( c'eft une trop grande curiofité.) Après 1'avoir répété , elle dit : Deus non volo. On s'écria que ce langage étoit bien incongru. Le démon fut fommé , de la part de Dieu , de parler plus congrument; mais les mêmes paroles, Deus non volo, furent répétées. Elle vouloit dire que Dieu ne le vouloit pas ; & la conftrudion latine exigeoit qu'elle dit: Deus non vult. L'exorcifte fe trouvant embarrafle, dit qu'il fembloit en effet qu'il y eut en cela une trop grande  d'Urbain Grandier. 161 curiofité. Vous apprendrez, par le rituel que vous tenez a. la main , dit le lieutenant civil, que la faculré de parler des langues étrangères eft une véritable marqué de poiTeffion; & que la connoiffance des chofes qui arrivent dans les pays éloignés, au moment même oü elles arrivent, en eft une autre. L'exorcifte repliqua que le diable fcavoit fort bien cette langue , mais qu'il ne vouloit pas la parler. Pour preuve qu'il fcait des chofes bien plus difficiles a connoitre que celle-la, fi vous voulez que je lui commande de dire préfentement vos péchés, il les dira. Cela ne me fera point de peine , dit le lieutenant civil. Sur quoi Barré fe tourne vers la fupérieure , comme pour 1'interroger; mais le bailli lui ayant remontré que cela n'étoit pas raifonnable, il s'en abftint, & dit qu'il n'en avoit pas eu le deftein, EnefFet, la fupérieure auroit pu imputer a ce magiftrat telle penfée , ou telle action fecrete qu'elle auroit voulu : il n'auxoit eu que la honte de 1'imputation , fans pouvoir fe juftifier ; & 1'on fcait que la malignité publique n'a pas befoin d'être alimentée par des preuves, il nelui faut qu'un prétexte,pour rendre 1'homme le plus honnête, ridicule ou même fufpect Sc odieux.  ï£2 Hiftoire Cependant les affiftans crurent que le ntuel ouvrant lavoie de connoitre la pofleffion par le don des langaes, on devoit prendre ce parti. Le bailli propofa la langue hébraïque , comme une langue morte, la plus ancienne de toutes les langues, & quele démon devoit fcavoir plus qu'aucune autre; ce qui fat fmvi d'un applaudiifement général. L exorcifte fe vit donc forcé de commander a la polfédée de dire de 1'eau en bébreu. Elle ne répondit pas ; mais on entendit qu'elle dit aifez bas ces paroles : ah ! je rente. Un Carme , qui etoit un peu éloigné, affirma qu'elle avoit dit^aquacq, 8c que c'étoit un mot bébreu, qui lignirïoit : effundi aquam, (j'ai répandu de 1'eau.) Mais tous ceux qui étoient plus prés atteitèrent qu'elle avoit dit : ah l je renie ■ &ie fous-prieitt desCarmes eut aifez d'équité pour blamer publiquement cereligieux. L'éneraumène fut encore travaillée par diverfes convulfions. Elle s'éleva de delfus fa couche ; fa tête fut auffi-tót foutenue par une religieufe, & fon corps par ceux qui étoient les plus proches. Ils^arteftèrent que, quoiqu'elle ne touchat fon lit que d'un pied , elle s'éroit aifez élevée pourporter fon bras proche  ctUrbaïn Grandier. 163 de la poutre du plancher. Quoique tout le monde eut les yeux attachés fur elle, cette circonftance ne fut appercue que d'un très-petit nombre de perfonnes, dont le témoignage n'étoit pas , dans cette affaire , a 1'abri des foupcons. Après ces convulfions , qui avoient dü 1'agiter confidérablement, elle ne parut pas plus émue, que fi elle eüt toujours été dans le repos le plus profond; fon teint mème n'avoit éprouvé aucune altération. La fcène finit par ces deux mots : judicia iniqua 3 ( jugemens iniques , ) qu'elle prononca de fon propre mouvement. Les exorciftes n'ignoroient pas que le bailli, & les officiers qui Faccompagnoient, drefloient des procés-verbaux exacts & circonftanciés de tout ce qui fe paftbit en leur préfence, aux yeux du public ; & les petites mortifications que le démon éprouvoit au fujet de fa 'fcience dans la langue latine, non-feulement n'accréditoient pas la poiTefiion, mais pouvoient, dans la fuite , caufer des chagrins cuifans aux exorciftes & aux exorcifées. Pour prévenir cet accident , on prit le parti de faire des exorcifmes clandeftins , dont le lieutenant criminel drefToit des procès-verbaror.  i&r Hiftoire Grandier en fut kiftruk, fcpréfenta fa requête a ce juge ; dans laquelle il lui remontra qu'il avoit dépofé en témoignage contre le fupplianr dans une fauffe accufation; qu'il lui avoit donné , dans plufieurs occafions, des marqués d'une indifpofinon décidée; qu'ils avoient actuellement des démèlés enfemUe- que 1 une des prétendues pofTédées étoit fa couhne germaine , & avoit été fa domeftique; que toutes ces confidérations & autres a déduire en tems & lieu ' auroient du le portet l ne s'ingérer dans aucune affaire qui concernac Ie fupphant; & qu'il le requérok de ne rien aire & de ne rien faire dans celle-ci. Cette requête fut %nifiée au lieutenant cnminel , dans le couvent même des IMulines , ou il étoit dans ce moment. h donna afte au fupplianr de fon dke & de fa declaration, & ajouta que, lorfquil feroit cité en juftice , il feroit ce qun verrolt être de raifon: ordonnant cependant que Ia requête füt mife au grefFe, pour en être délivré une groffe. % Le bailli & le lieutenant civil retourneren aux exorcifmes de 1'aptès-midi. ■Barre dit au lieutenant civil qu'il s'étonnoit de le voir foutenir Grandier s  d'Urbain Grandier. 16^ après avoir informé contre lui par les ordres de 1'évêque de Poitiers. Le magiftrat repliqua qu'il étoit encore tout prêt de le faire, s'il y avoit lieu; 6c que, dans la circonftance aótuelle , il ne cherchoit que la vérité. II s'adreffa enfuite au bailli, auquel il repréfentaque? defcendant de plufieurs perfonnes de ■ condition , dont quelques-unes avoient été élevées aux premières dignités de I'églife , 6c fe trouvant a la tête de tous ; les officiers de la ville, il devoit téinoigner moins de répugnance a croire la pofTelfion des religieufes , qui ferviroit fans doute a Ia gloire de Dieu, 6c i 1'avantage de la religion. Le bailli repliqua, d'un air froid, qu'il feroit toujours ce qu'il croyoit jufte. Ils montèrent enfuite dans la chambre de la fupérieure ,oü il y avoit une af femblée nombreufe. Barré entra, le faint ciboire a la main. La fupérieure, comme fi le diable fe füt mis en fureur a la vue de cet objet, eut des convulfions terribles. L'exorcifte lui demanda : per quod jaclum ingrefius es in corpus hujus puel- I Is. ? ( par quel pacfe es-tu entré dans le ; corps de cette rille ? ) La religieufe, qui devoit bien fcavoir cette lecon, répondit : aqud, ( par 1'eau.) — Quis finis  tG6 ffi/toire pacli ? (quel eft le but da pafte ?) Impurhas, ( 1'impureté.) Le bailli requit qu'on lui fit dire en grec, finis pacli. impurhas. Barré le lui propofa; mais elle fe tira d'aftaire , comme a 1'ordinaire, en difant: nimia curiofitas, ( vous êtes trop curieux.) Barré reprit la parole, en difant : quis attulit paclum ? ( qui a apporté le pafte ?) — Magus , ( un magicien.) Quale nomen magi, (quel eft le nom du magicien ? ) — Urbanus, ( Urbain.) —Quis Urbanus? Ejl-ne Urbanus papa ? ) quel eft cet Urbain ? Eft-ce le pape Urbain ? ) — Grandier. ) — Cujus qualitatis ? ( de quelle qualité eft-il ? ) — Curatus. Elle vouloit dire curé ; mais ce mot, qui n'eft pas latin , fit dire aux critiques que leprécepteurdu démon auroit duprendre garde de faire commettre des barbarifmes par fon écolière. Le bailli requit enfuite qu'on lui demandat fub quo epifcopo Me Grandier tonfuram accepijjet ? ( fous quel évêque ce Grandier avoit recu la tonfure ? ) Le diable répondit naïvement, nefcio, { je ne fcais. ) Barré dit qu'en effet c'étoit une chofe que le diable pouvoit ignorer. II lui fit encore une autre queftion , que le bailli avoit propofée. Sub quo epifcapo Cenomanenfi  d'Urbain Grandier. 167 natus eft Me Grandier ? ( fous quel évêque du Mans Grandier eft-il- né ?) Elle répéta , Cenomanenft 3 ( du Mans. ) Et quelques inftances qu'ont put lui faire, elle ne répondit jamais autre chofe. II n'en étoit pas de même des queftions que l'exorcifte faifoit de fon chef. Quis attulit, dit-il , aquam pacli ? ( qui a apporté 1'eau du pacte ?) — Magus , ( le magicien.) — Qua hord ? (a. quelle heure ? ) — Septimo., ( a fept heures.) — An matutina ? ( eft-ce a fept heures du matin ?) — Serb, (au foir.) — Quotnoio intravit ? (comment eft-il entré ?) — Janua (par la porte.) — Quisvid.it? ( qui Pa vu ? — Tres, ( rrois.) Barré confirma le témoignage du démon , & alfura que , foupant avec la fupérieure dans fa chambre , le dimanche après fa délivrance de la feconde pofTeffion , Mignon fon confeffeur , &C une religieufe qui étoit indifpofée , y foupant aufïï , la fupérieure leur avoit montré quelques gouttes d'eau qui étoient fur fon bras, fans qu'on eüt vu perfonne qui les y eüt mifes; qu'il lava promptement ce bras avec de Peau bénite , & fit quelques prières , pendant lefquelles les heures de la fupérieure furent arrachées deux fois de fes mains,  i68 ( Hiftoire & jettées a fes pieds , & qu'une main invifible lui donna un foiifflet. Mignon appuya cette hiftoire par des imprécations horribles; & , adrefTant la parole au faint facrement, qui étoit préfent, il le pria de le confondre, & de le perdre, s'il ne difoit pas la vérité. Lorfqu'il eut cefTé de parler , l'exorcifte demanda al'énergumène, fi elle entendoit ces mots latins : fub quo epijcopo natus ejfet. Elle jura qu'elle n'entendoit ni ces mots , ni le latin. L'affemblée étant prête a fe féparer, Barré promit que le lendemain il chafteroit le démon; &z exhorta tout le monde a la confeffion & a la communion, afin de fe rendre digne de contempler une fi grande merveilie. Une fcène auflï publique ne put pas être ignorée de Grandier. II préfenta, Ie lendemain 2onovembre, requête au bailli. Iiexpofaque les religieufes, malicieufement & par fuggeftion , continuoient de le nommer dans leurs convulfions, comme auteur de laprétendue poileffion ; qu'il n'avoit jamais vu ces ptétendues pofledées, & n'avoit jamais eu1 communication avec elles, non plus qu-'avec leurs prétendus démons; que , pour empêchet la fuggeftion dont il fe plaignoif;,  et Urbain Grandier. x6q piaignoit, il étoit abfolumentnécefiaire de les féqueftrer; qu'il n'étoit pas jufte : que Mignon & Barré, fes mortels ennemis , les gouvernafiênt, Sc paflaflent les jours & les nuits auprès d'elles; que ce procédé rendoit la fuggeftion vifible &: palpable ; que 1'honneur de Dieu y ! étoit intérelle, Sc celui du fupplianr, I qui, fans contredit, tenoit le premier rang parmi les eccléfiaftiques de Loudun ; pour lefquellel confidérations, il fupplioit d'ordonner que les prétendues pofledées fuflent féqueftrées & féparées I'une de 1'aurre ; qu'elles fuflent gouvernéespardesgens deglifenonfufpecb i au fupplianr, Sc aflïftées de médecins; ! Sc que le tout füt exécuté nonobftant oppofitions ouappellations quelconques, I Sc fans y préjudicier, a caufe de 1'importance de 1'affaire; Sc qu'en cas qu'on ne voulür pas ordonner le féqueftre, il proreftoir de fepourvoir comme de déni de juftice. Le bailli mir au bas de la requêre, qu'il en feroit fait raifon dans le jour. Le curé fut a peine forti, que les médecins qui avoient aflifté le bailli, par : fes ordres, a I'un des exorcifmes, eatrèrent pour faire leur rapport, qu: fut inféré dans les procès-verbaux. Uc»nceTomcir. H  170 Hiftoire noit: « qu'ils avoient vu la prieure agij) tée de mouvemens convulfifs ; mais 99 qu'une feule vifite ne fuflifoit pas, s> pour découvrir fi la caufe en étoit na39 turelle , ou furnaturelle, qu'ils defi99 roient de les voir & de les examiner 99 plus particuliérement , pour pouvoir j9 en juger avec certitude & en cons9 fcience; que, pour cet effet, ils re99 quéroient qu'il leur fut permis de 99 demeurer tous auprès des pofledées, S9 fans les quitter ni jour ni nuit, de les 99 traiter en préfence des autres religieu99 fes, & de quelques magiftrats, qu'elles 99 ne recuflent des alimens & des médit9 camens que par leurs mains, que per93 fonne ne les touchat, & ne leur par93 lat que fort haut, & qu'avec ces pré»9 cautions, ils promettoient de rappor93 ter fidélement ce qu'ils auroient obM fervé touchant la caufe de ces convul^ 99 fions », . Peut-onnepas refièntir de 1'émotion, quand on penfe que rien n'étoit plus cflentiel pour le bon ordre j, pour la fureté publique , & pour 1'honneur de la religion , que de ne laifler aucune équiyoque fur la. vérité de ces pofleflions; que , fi elles étoient réelles , toute épreuve étoit indifféirewe aux exorciftes  cTUrbain Grandier. ijx Sc aux exorciftes ; que leur honneur, la fureté de leur vie même exigeoienc qu'ils fe lavaflènr de tout foupcon de fraude & de calomnie! Cependant il eft impoftible d'obtenir aucune précaution qui puifte appaifer les juftes alarmes dont les gens fenfés & défintérefles, le public même, étoient agités. Ce rapport rédigé Sc hgné, le bailli crut que ce qu'il avoit de plus intéreffant a faire alors, étoit de fe rendre aux exorcifmes quialloientcommencer. 11 trouvaau couvent le lieutenant civil & l'aflèlTeur, Cervu Sc Gautïer,confeillers, avec le lieutenant Sc 1'affefleur de la prévóté. Dés qu'ils furent entrés dans la chapelle , le diable qui poffiédoit la fupérieure, manifefta fa préfence par des convulfions. Barré vint a bout, comme a 1'ordinaire, de la communie/ après bien des limagrées. Pendant la célébration de Ia mefte , le bailli appercut qu'un jeune homme nomme Dejfentiers, avoit le chapeau lur la tete; il lui commanda de fe decouvnr. Cette irrévérence annoncoit bien clairement que celui qui la commettoir n'étoit pas catholique; auffi Ie diable de la fupérieure, averti par i orore que le bailli avoit donné i haute Hi;  Iy^ Hiftoire voix, ne manqua-t-il pas d'avertir a fon tour qu'il y avoit des huguenots dans Pafiemblée. L'exorcifte lui en demanda le nombre ; deux , répondit la fupérieure. Mais il fut conftaté , fur le champ, que , ou fon diable ne fcavoit pas compter, ou qu'il ne connoilfoit pas tous les huguenots, car, outre Deftentiers , on y trouva Abraham Gautier , confeiller , avec fon frère , & quatre de fes foeurs, René Foumeau élu, & Pierre Angevin, procureur. L'exorcifte demanda encore a la fupérieure fi elle fcavoit le latin. Elle jura, comme le jour précédent, qu'elle ne le fcavoit pas. II lui ordonna de le jurer fur le faint ciboire. Monpère, dit-elle, vous me fakes fake de grands fermens ; je crains fort que Dieu ne m'en punijje. Ma fille , repliqua-t-il , il faut jurer pour la gloke de Dieu. Après qu'elle put fait fon ferment, il lui dit qu'on publioit cependant qu'elle interprétoit le catéchifme a fes écolières, elle dit que non , & qu'elle leur interprétoit feulemeut le pater & le credo. Lorfqu'elle fut retombée dans fes convulfions , l'exorcifte demanda au démon, en francois , qui 1'avoit introduit dans le corps de cette hile ? II ré-»  d'Urbain Grandier. 173 pondit que c'étoit Urbain Grandier, & que ce Grandier étoit curé de Saint Pierre du Marché. Le bailli ordonna £ l'exorcifte de lui demander ou étoit, dans ce moment, ceprérendu magicien? On ne pouvoit pas refufer de faire la queftion ; elle étoit du nombre de celles que le rituel prefent. Le diable répondit , fans héfiter, qu'il étoit dans la falie du chdteau. « Cela fe trouvera faux , dit » hautement le bailli; avant de venir » ici, je lui ai ordonné d'aller dans une » certaine maifon , ou il fe trouvera » infailliblement. J'ai voulu me fervir » de cette épreuve , pour parvenir a la » connoiftance de la vérité ; le féqueftre :> étant un moyen difficile a pratiquer )j envers des religieufes. Que fi Gran» dier a été aujourd'hui au chateau , ce 55 qui eft fort poiTible , il y a certaine35 ment long-tems qu'il n'y eft plus Et, pour leprouver, il ordonna h Barré de nommer un des religieux préfens , pour aller, conjointement avec Charles Chauvet, aftefTeur au bailliage , Ifmact Boulieau , prètre , & Pierre Thibault, commis du greffe , vérifier le fait. Barré nomina le fupérieur des Carmes. Cet événement fut uncoup defoudre H iij  *74 Hiftoire pour l'exorcifte & k pofledée. Celle-d garda un morne fdence, dont ni exorcifmes, m pnères ne purent Ia tirer. Au bout d'une demi heure, Barré propoia de faire apporter Ia fceur Claire au cnceur, difant qu'un diable exciteroit l dutre. Le bailli s'y oppofa, paree que cette confufion pourroit faciliter Ie inoyen de fuggérer quelque chofedfe lupeneure , touchant le fait dont il s agifloit alors, & qu'il fklloit au moins attendre le retour des commiffaires, toette remontrance n'eut aucun effet. On prefenta la fceur Claire, nonobftant les proteftations des magiftrats qui, ne pouvant fupporter la vue de cette fupercnene, fe retirèrent. Les députés , de retour, rapportèrent que Grandier avoit été au chateau dire adieu k M. d'Armagnac, gouverneur , qm partoit pour la campagne mais qu'il en étoit forti fur le chrmp • qu'ils 1'avoient trouvé dans la maifon de Charles Maurat, oüle bailli lui avoit ordqnne de paffer Ie refte de la journée; qu il y etoit accompagné du pere Véret confeffeur des religieufes de Gaine , de Mathunn Rouffeau, de Nicolas Benoit chanoines, & de Coutis , médecin ! qui atteftèrent qu'il y avoit plus de'  d'Urbain Grandier. deux heures qu'ils y étoient enfemble. Après ce récit, la fupérieure fut reprife de quelques convulfions, pendant lefqnelles un Carme s'avifa de lui demander oü étoit le bailli. Elle répondit qu'il fe promenoit dans 1'églife de fainte Croix avec Grandier. 11 fut conftaté que , dans ce moment, le bailli tenoit 1'audience > & qu'il n'avoit pas vu Grandier depuis fa fortie du couvent. La feule préfence des officiers occafionnoit au démon toutes ces mortifications. II fitt réfolu de les prévenir dans la fuite, en faifant dire par les religieufes , qu'elles ne vouloient plus être exorcifées en préfence du bailli , ni d'aucune des perfonnes par qui il fe faifoit allifter. Grandier, inftruit de cette réfolution, remontra au bailli, dans une requête , que la prétendue pofiellion n'avoit été inventée que pour flétrir fa réputation , & le rendre odieux & inu~ tile a 1'églife de Dieu; que fes ennemis avoient employé tout leur crédit, 84 mis en oeuvre toutes fortes d'artifices , pour en impofer aü public; que n'ayant pu réuffir, ils avoient convoqué , de toutes parts, des perfonnes affidées a Hiv  *7* Hiftoire eur dévotion , pour fe prévaïoir de leurs temoignages; que ces pratiques etoiem trcs-préjudiciables a la religion , au public, &a lui fupplianr, donc le nom ero.rconfidérable i Loudun , par le, »n«; qu'il y «ccupoir dans 1'ordre hierarchique ; & qu'i] étoit neanmoins horriD.ement déchiré, calömmé & diffame. Quetanr impoffible d'éclaircir cerreaffatre & de parvenir d la connoilfance de la vérité par de telles pranques, il continuoit a requerir le féqneftre des prétendues po/fiédées , & qu elles fu/fent tirées des mains de Mignon , Barré, Granger , & de leurs adherens , pour être mifes entre les mams d eccléfiaftiques approuvés parle réverendiffime évêque de Poitiers de médecins, & de telles autres perfonnes qu il plairoit au bailli de nommer, afin quehnnocence du fuppliant put être manifefee & reconnne; demandant que le fequeftre fut ordonné , nonobftant oppofitions ou appellations quelconques.Le bailli mit encore au bis de Ia requête, qu'il en feroit fait raifon dans le jour. Rien n'étoit fi jufte , rien n'étoit fi équitaole que la demande de Grandier. Cependanrle bailli n'ofaprendje fur lui  A Urbain Grandier. 177 d'y déférer. Les religieufes s'y étoient oppofées , & il croyoit qu'elles dépendoient uniquement de la jurifdichon ecdéfiafttque , & craignoit, en paftant outre , de révolter 1'évêque de Poitiers Sc le clergé , Sc que fa procédure ne fut déclarée nulle. Dans cet embarras, il trut devoir coi> voquer une aifemblée générale des habitans de la ville, afin d'avifer £ ce qu'il y avoit a faire pour le bien public. Le réfultat fur qu'on écriroit a 1'évêque de Poitiers & au procureur général, qu'on leur enverroit les procès-verbaux qui avoient été drefïcs, Sc qu'on les fupplieroit d'arrêter , par leur autorite Sc par leur prudence , le cours de ces pernicieufes intrigues. Le procureur general répondit que , cette affaire étant purementeccléfiaftique, le parlement n'en> pouvoit prendre connoifiance. L'éveque ne fit point de réponfe. Mais ce prélat eut plus de complaifance- pour les ennemis de Grandier, Dcconcertés par le mauvais fuecès de leurs derniers exorcifmes , ils lui demandèrent de nommer des eccléfiaftiques pour affifter, de fa part, a ceux qui fe fetoient déformais. Par une ordonnance du 28 novembre 1732,1! nomina H v  * O Hftntra Bafile, doven rlpc j. ^ j v..aiiumci ue v_,nam~ Fgny & Demourans , doyen de ceux deTnouars, 1'un & Pautre parens d parties fecretes de Grandier, qui avoient intngue pour les faire choifir. 11 leur «ok ordonné de dreffer procès-verbaux üe ce qu iis verroient, & Barré fut connrme dans la fonction d'exorcifte. Les deux nouveaux commiifaires ne tarderenr pas a fe rendre a Loudun. ««^w, aumènier de la reine, y arriva dans le meme term. Cette princeffe lui avoit ordonné d'examiner cette affaire alond, afin de la mettre en état de teer Ion jugement fur un événement fofémentP" S>inftruire 3ue con" Les exorcifmes, qui avoient été ml cerrompus par les accidens dont on a parie, & qm empêchèrent Barré de temt a paro e qu'il avoit donnée de chafftrWiable, furent repris le premier Le bailli&le lieutenant civil, dont ies proces-verbaux avoient été répandus par-tout, craignirent que Marefcot, gagne, ou feduit par Ia cabale, ne prévint la cour contre la vérité qu'ils eontenoient Ils crurent donc devoir, nonobffant les proteftations qui avotent été  d'Urbain Grandier. 179 faites.de ne les plus laiffer entrer , fe rendre au couvent. lis fe firent accompagner de leur affeffeur , du lieutenant de la prévóté, & du greffier. On les fit long-tems attendre a la porte. Vint enfin une religieufe , qui leur dit qu'ils n'entreroient pas } qu'ils^ étoient fufpecls , quils avoient publii que la pojfejjïon n'étoit qu'une feinte & une impoflure. Le bailli, ne croyant pas devoir difputer avec cette fille , lui ordonna de faire venjr Barré. 11 parut un peu de tems après, revêtu de fes habits facerdotaux, &c accompagné de Marefcot. Le bailli fe plaignit de ce qu'on avoit refufé la porte aux officiers de juftice, ce qui étoit contraire aux ordres de 1'évêque de Poitiets lui-même. « Je » n'empèche pas que vous n'entriez , „ reprit Barré. — Nous fommes venus » dans cette intention , & pour vous „ prier de faire au prétendu démon » deux ou trois queftions qu'on vous „ propofera , conformément a ce qui » eft prefcrit dans le rituel. Voiis ne re» fuferez pas de faire cette épreuve en » préfence de 1'aumbnier de la reine , „ qui eft venu iei de fa part, puifque c'eft le véritable moyen de faire éva» nouir tout foupcon de fuggeftion §£ H vj  l80 Hiftoire » d'impofture. Je le ferai s'il me i» plair. ~ II eft de votre devoir de le » faire, li vous procédez fincèremenr » puifque ce feroit outrager Dieu, que » de lui donner gloire par un faux rfu" "de 5 *i faire tort i la religiën, que » d auronfer la vérité par des fourbes , » des illufions. — Je fois homme de » bien • je fcais le devoir d'exorcifte: je » m en acquitterai. Pour vous , vous » devez vous fouvenir que la dernière » tois que vous avez affifté aux exorcif»mes, vous êtes fortis , en donnant » des marqués de reffentiment». Les magiftrats , quelques inftances qu'ils puffent faire, ne purent rien gagner fur lm; ils prirent le parti de fe retirer, en lm faifant des défenfes expreifes de faire aucune queftion qui püt tendre a diftamerperfonne, de quelque qualité que ce fut, fous peine d'être traité comme feditieux , & perturbateur du repos public. II repartit quV/ ne recoanoijfoit point leur jurifdïciion. On ignore te quife paffa au couvent ce jour-la, 1 abfence des magiftrats ne leur ayant pas permis d'en dreffer procés-verbal Les mefures que Pon avoit prifes pour contmuer les exorcifmes tranquil&menta & fans contradicteurs incom.  d" Urbain Grandier. 1S1 modes, furent dérangées par 1'arrivée de 1'archevêque de Bordeaux a fon abbaye de faint Jouin. Il envoya fon médecin a Loudun , avec ordre de voir les polTédées , de bien examiner leurs mouvemens convulfifs , & lui donna une lerrre de recommandation pour Mi les menaces, Sc même la difcipline , » pour arracher 1'aveu de la fourberie. j> Si on voyoit quelques marqués fur55 naturelles , comme de répondre aux 55 penfées des exorciftes qu'ils auroient 53 communiquées fecrétement a leurs 55 compagnons, que la poffédée devinat 55 plufieurs chofes qui fe pafleroient a la 55 fois, au moment qu'on lui parleroit, 95 en différens endroits éloignés, ou non ssfufpects; qu'elle fit un difcours de 95 huit ou dix paroles réguliérement 55 conftruites en diverfes langues qu'elle 55 n'auroit point apprifes ; que les pieds 55 & les mains liées , & couchée fur un 55 matelat pofé a terre , fans que per35 fonne s'approchat d'elle , elle s'élevit >5 en 1'air, lans aucun point d'appui 3 55 pendant un tems coniidérable : en 55 tous ces cas on en viendroit aux exor99 cifmes , Sc on feroit tous fes eftorts 55 pour avoir un figne vifible Sc non fuf95 peet de la fortie du démon. Qu'aucun 55 autre prètre , s'il n'étoit appellé par 33 les trois eommiflaires , d'un accord 95 unanime , ne s'immifceroit, £ peine j> d'excommunkation , de parler ni de  184 Hiftoire » toucher a la poffédée j & afin de fer» nier la bouche aux libertins & aux » inerédules , & de prévenir toutes les » objeétions que la malignité pourroit » enfantér, le bailli Sc le lieutenant » cnminel feuls font priés d'aflifter aux " exorcifmes , & de figner les procès» verbaux qui en feront drefles par les » exorciftescommis, qui prendront pour :» leur greffier le prieur de fabbaye de » faint Jouin. Etattendu 1'indigence du » couvent des Urfulines , qui ne peu" vent pas fournir aux frais qui feront n occafionnés , foit pour le tranfport ■» des filles, foit pour les vacations des » médecins, pour les dépenfes des exorr> ciftes Sc des femmes qu'il faudra em» ployer pour le fervice des malades, » le prélat ordonné que la dépenfe en :»> foit faite a fes frais. II donne , par la » même ordonnance , une délégation a » Barré a prendre fur le fermier de 1'ab■» baye de faint Jouin, pour toutes les » fommes dont il aura befoin. Et, en « cas que les pères PEfcaye & Gau ne *> puiffentpas exécuter leur commiffion, » d eft ordonné a leurs fupérieurs d'en » fournir deux autres de pareilmérite, ■>•> s'il fe peut ». Cette ordonnance mit fubitemenr  d Urbain' Grandier. i 8 5 les diables en fuite ; la pofleffion celfa , Barré fe retira a Chinon , les deux doyens retourneren: affifter a leurs offices , Sc les religieufes demeurèrenr en repos dans leur couvent. Grandier, de fon coté, crut devoir prendre la precaution de faire dépofer au grefte la copie de cette ordonnance, qui avoit été fignifiée au bailli, avec la requête fut laquelle elle avoit été obtenue , Sc la lettre que 1'archëvéque avoit ecnte k ce magiftrat. Le dépot fut fait le zi mats 1633. ^ , Le mauvais fucccs de la poflelhon indifpofa d'abord tous les efprits contre les Urfulines de Loudun. Leurs penfionnaires les abandonnèrent , on n'envoya plus les jeunes filles de la ville a leur école , elles devinrent la fable univerfelle , leurs pareus mêmes eurent honte de leur appartenir , la plupart les abandonnèrent, Sc n'en voulurent plus entendte parler. Elles s'en prenoient a Mignon , auquel elles reprochoient de les avoir abufées; & , au lieu de cette abondance de biens temporels Sc fpiritnels dont il les avoit flattées , de n'avoit attiré fur elles que Fopprobre & la mifère. Ce chanoine n'avoit pas befoin de  ^ Hiftoire «s aigadlon r exater fa haine & fa fureiIr- Lom d'avoir fatisfait uZ vengeance qui lui avoit tant coL de g^e,dans Jefpnt des gens de bien que la rep tation d>un h^nte bar-' bare qul fe ;c,uoit des chofes les plus Wes pour conduite au bücherun Une difgrace n'eft pas canable de re -onfdepIusponrli/rreL-rl S p o;ets de vengeance. Le hafard Ie ferrit au-dela de fes efpérances. i-s ferterdTes de 1'inténeur duroyaume pns qu elles n etoient^tiies qu'd pret tfger Iesrebelhons fréquente* des reii gtonnaires, & a ^intemr le 70uvt «eurs de province dans findépiów queiestroublesdesguerrescS^ XIII, & la plupart de fes prédéceffeu ^tpalfé Une partie de leurs ré™ i a^eger des vnles dans le exur dfieurs  d Urbain. Grandier. 187 états. Le cardinal de Richelieu n'oublia pas d'envelopper la citadelle de Loudun dans cette profcription j outre les raifons générales qui ranimoient, il étoit occupé alors de 1'aggrandiffement de la ville a laquelle il avoit donné fon nom , & vouloit 1'embellir aux dépens de la première. M. de Laubardemont, confeiller d'état, fut chargé de cette démolition. C'étoit , entre les créatures du miniftre , le plus attaché a fes intéréts, le plus dévoué a fes ordres, èc celui qui entroit le mieux dans fes vues. II s'étoit déja diftingué dans plufieurs commiffions, & joua un desprincipaux róles dans celle qui condamna MM. de Cinq-Mars & deThou. Arrivé a Loudun , il ne manqua pas de fe lier avec Memin de Silly , qui étoit toujours en grande relation avec le cardinal. On fentretint beaucoup de la poffeflion des religieufes, il fut piqué de 1'affront que 1'on avoit fait a la fupérieure fa parente , & prit .la réfolution d'en tirer vengeance. Memin, qui s'étoit rangé au nombre des ennemis de Grandier, préfenta a Laubardemont les chefs de la clique. On imagina que le moyen le plus fïir pour perdre 1'ennemi commun , étoit d'intérelfer le cardinal  1§8 Hifioire perionnellement a fa mine. Voici les monfsparlefquelson réfolut d anel lavengeance. AJf jne;,mère écoic alors dans Ie fort ia difgrace dn rOI fon fils : toute rela«on avec elle, ou avec quelqu'un des *ens, étoit un crime impardonnab e aux yeux du cardinal. Cette princeffe avoir auprèsd'elle une femme Sommee Hamon nee a Loudun parmi Je petir Peupie Elle avoit paifé une grar!de Pame de fa vie dans cette ville & v avoit acquis, a jufte titre , la répura'on de femme d'efprit. Elle avoit été -cemre, fort liée avec Grandiw q J «oit fon curé Me eut un jour oc£- l«on de parler a la reinej elle plutbeau«oupa cette pnnceife , qui fe 1 attacha. Pendant une a'm A\r„^' j.. • , •i . -"5i.av.cs uu caraina , d parut une fatyrefanglante contre lui ol a ^ ZWM. On faifoit parler dans ce Iibelle,unecordonniePre5 1Z & fuppofoit le miniftre arao- reux, & fouspretexte qu'il n'avoit rien de cachepour elle, on lui faifoit révéJer plufieurs pretendues anecdotes fecretes de la vie privée & publique 'dn  d'Urbain Grandier. 189 Ce grand homme,, dont le czai Pierre le Grand difoit qu'il auroit voulu pouvoit lui donner la moitié de fes etats, pour apprendre de lui a gouverner 1'autre, étoit intraitable en matiere de libelles publiés contre lui. 11 n'avoit pas fait la réflexion qu'un célebre politique a faite depuis. Dans la monarchie, dit-il , on défend les écrits fatyriques , mais on en fait plutbt un fujet de police que de crime. Ils peuvent amufer la malianité générale , confoler les mecontens , diminuer 1'envie contre les places , donner au peupie la patience de /-...cc-., ss 1» fairp rire de les lout- lUlUUli. , ^ frances. . . Laubardemont , qui connoifloit le foible de fon mairre, imagina donc d'attribuer a Grandier la cordonmere de Loudun ; & , pour aggraver fon crime , on ajouta que le curé étoit en relation fuivie avec une des créatures de la reinemère, & que c'étoit par elle qu'il avoit appris les particulantés du miniftère inférées dansce libelle. L'ancienne haifon entre Grandier & la Hamon rendoit cette inculpation vraifemblable. Pour mettre le comble a 1'animofité que 1'on vouloit infpirer au mimftre, il tut arrêté qu'on lui rappelleroit encore que,  '90 , Hiftoire que de cette ville. ccctenaftiII n'en fallur pas tant pour allumer le caradère vindicatif du cardinTon %it que cette paffion eft une tache kla Les difgraces que la pofleffion avoir de Bordeaux n'avoient point fait quit «ra Mignonle delfein de perdre Gran xetcer fecretement les religieufes dans art de contrefaire les convuhW & ^esexercices répétés leur avoient acquÏ «evantM. de Laubardemont, qui en fut content, & fe chargea COn ^ure,fansobftacle,le ftfaragerneTi a„r pfuclns <3lli> comme tous les plaindre de Grandier, fe charo-èrent de - re c ino je gerent de «oit lefameuxpère Jofepk leur confrère,  d'Urbain Grandier. 191 &C tout le monde fcait le crédit qu'il avoit fur 1'efprit du cardinal. Ils lui écrivirent, & lui perfuadèrent que le curé étoit 1'auteur du libelle qui avoit tant caufé de chagrin au miniftre; & que la Hamon, avec laquelle il étoit toujours en relation , lui en avoit fourni les raatériaux. Cette prétendue découverte mit le cardinal dans les difpofitions oü 1'on fouhaitoit que M. de Laubardemont le trouvat en arrivant a Paris. II s'y rendit aufli-tbt après la démolition de la citadelle, dont il avoit été chargé. II attefta au miniftre que Grandier étoit magicien; qu'il avoit vu , par lui-même, les effets de la pofleffion dont les pauvres religieufes de Loudun étoient affligées par fon fait. Richelieu faifit 1'occafion d'envelopper fa vengeance perfonnelle dans la punition d'un crime auffi atroce. Pendant labfence du commiflaire , les démons, chafles par 1'ordonnance de 1'archevêque de Bordeaux , reparurent avec un nouyel éclat, &c accompagnés d'un grand nombre d'autres. Outre la fupérieure, & la fceur Claire, cinq autres religieufes furent pofledées, iix oblédées, öc trois maienciees. i-es démons ne bornèrent pas leurs incur-  191 Hiftoire iions au couvent: la pofleffion s'étendit fur fix filles féculieres, deux autres furent obfédées, & deux maléficiées. Toutes étoient les pénitentes de Mignon. La contagion gagna jufqu'a Chinon , ou deux filles très-dévotes , dirigées par Barré , fervirent d'afyle chacune i un démon. Cependant M. 'de Laubardemontfut chargé d'une commiffion du confeil, qui 1'autorifoit a faire le procés a Grandier & afes complices, tant furie fait de la magie & de la pofleffion, que fur les autres faits qui pourroient lui être *mputés, jufqu'a fentence dérinitive exciuüvement, nonobftant oppofition , appellation ou récufation quelconque pour lefquelles, & fans préjudice d'icelles, ne fera différé; avec pouvoir de faire arrêter &conftituer ledit Grandier & fes complices prifonniers en lieu de füreté; avec injoncfion a tous prévots des maréchaux , & autres fujets , de donner main-forte a 1'exécution des ordonnances du commiflaire. Armé d'un pouvoir li extraordinaire & fi redoutable , M. de Laubardemont arnva a Loudun, Ie 6 décembre 16 3 3, a buit heures du foir, & defcendit dans' une maifon qui appartenoit a Paul Aubin ,  d'Urbain Grandier. 193 Auhin , huiffier des ordres du Roi. L'heure & la pofition de la niaifon, qui étoit dans un fauxbourg , tintent cette arrivée fecrete. Les conjurés feuls en furent informés , & fe rendirent •auprès du commiflaire, pour concerter les mefures qu'il y avoit a prendre. Dès le lendemain, Guillaume Aubin, fieur cle la Grange , lieutenant du prévót, eut ordre d'arrêter Grandier le furiendemain , de grand matin. Cet officier , qui n'étoit point du complot, fit fecrétement donner avis a Grandier de 1'ordre dont il étoit chargé. Celui-ci le fit remercier de fa générofité , & lui fit dire que, fe confiant fur fon innocence &c furlamiféricordede Dieu, il ne s'évaderoit point. II fut arrêté , avant le jour , lorfqu'il alloit a matines. Tous fes ennemis furent préfens a cette caprure ; outre qu'ils vouloient fe repaitre du plaifir de voir 1'humiliation de leur ennemi, ils étoient bien aifes de veiller fur la conduite de la Grange, dont les difpofitions leut étoient fufpectes. Le fceau du Roi fat, au même inftant, appofé fur toutes les portes des chambres & des armoires de Grandier , qui fut conduit & enfermé au chateau d'An- :gers. II y fut détenu pendant plus de Tomé IV. \  194 Hiftoire quatre mois, & s'y occupa a compofer des prières & des méditations. Le manufcrit oü il les avoit confignées fut produit au procés. Ce n'étoit certainementpas 1'ouvrage d'un magicien; 1'auteur n'y refpiroit que 1'amour de Dieu, le repentir des fautes qu'il avoir réellement commifes, & fa rélignation aux volontés du Tout-PuilTant. D'ailleurs , fon confelfeur, Pierre Bacher 3 chanoine , qui 1'avoit communie dans fa prifon , lui donna le témoignage le plus avantageux. Mais ce n'étoit pas des motifs de juftifacation que le juge cherchoit; il avoit bien d'autres vues. On fut d'abord étonné que la commiffion donnée a M. de Laubardemont s'étendit fur des faits dont Grandier avoit été autrefois accufé, dont il s'étoit juftifié , &c dont il avoit été juridiquement décharge. Mais on fut bien plus furpris encore, quand on vit emprifonner un prètre , fans qu'il y eüt aucune plainte juridiquement rendue contre lui, & par conféquent fans information préalable. Mais on ne fcavoit pas que I'objet de cette rigueur étoit de faire regarder ce coup comme parti de la .main du Roi même, ou du moins de celle de fon miniftre , d'intimider  d'Urbain Grandier. 195 par-la les amis du curé , enhardir fes ennemis Sc ceux qu'on pourroit leur affocier par la fuite, Sc enfin donner plus de fécurité aux religieufes , pour repréfenrer les rêles dont elles étoient chargées. On procéda a 1'inventaire des livres & des papiers du prifonnier. On trouva , dit-on, deux feuilles manufcrites de vers francois fort licentieux. Mais ils n'ont jamais été mis au jour , Sc jamais 1'on n'a feu s'ils étoient écrits de fa main, & encore moins s'il les avoit compofés. On trouva encore un traité contre le céiibat des prêtres , écrit de fa main , Sc dont il a avoué être 1'auteur. Le médecin Seguin , qui, comme on verra dans la fuite , n'étoit pas ami de Grandier , dit, dans une lettre inférée dans le Mercure Francois , tome 20 , « que ce livrer donne foupcon que Gran5' dier étoit marié. Notezqu'il eft adreflé » a fa pluschcre concubine , le nom de » laquelle par-tout eft fupprimé , aufli » bien qu'au titre Je ne puis » vous diflimuler , continue-t-il, que » ce traité m'a femblé très-bien fait, 5' bien fuivi, jufqu'a la conclufion qui si cloche véritablement , Sc qui décou» vre le venin. II n'y a rien qui tende a  i g6 Hiftoire >-> la magie , & femble plutot que 1'on »> en pourroit induire le contraire ». Cette conclufion, dont fe plaint Seguin, étoit ces deux mauvais vers qui tinififoient 1'ouvrage : • • Si ton gentil efprit prend bien cette fcien ce . Tu mettras en repos ta bonne confcience. On ne fe contenta pas de faifir ces deux pièces , tous les papiers & les fentences d'abfolution, qui pouvoient fer'vir de défenfes a 1'accufé , furent enlevés. Jeanne Eftièvre, fa mère, s'oppofa en vain a cette injuftice; elle ne fut point écourée. Les informations fe firent enfuite avec une précipitation qui n'a point ■d'exemple ; la fuggeftion & la fubornation des témoins étoit fi évidente & fi groffière, que Fourmer , avocat, qui avoit été nommé procureur du roi de la commiffion, abdiqua cette fonction , dès qu'il feut que Richard, procureur, fon beau-père, étoit allé a minuit, dans •une maifdn-, pour induire deux femmes a dépofer faux contre Grandier. Je ne ferai point le récit des démarches & des procédures qui furent fakes par la mère & le frère de Grandier, confeiller au bailiiage de Loudun, pour  et Urbain Grandier. icjj parvenir a. faire voir a M. de Laubardemont: qu'il étoit récufable , tant paree qu'il étoit parent de la fupérieure , que paree qu'il vivoit fans ceffe avec les en1 nemis de 1'accufé , & qu'il témoignoit, | dans toutes fes démarches, la partialité | la moins équivoque ; rien ne put l'en1 gager , je ne dis pas afe défifter, mais I a mettre plus de ménagement dans fa I conduite : il ufoit, dans toute fonétenI due, du pouvoir porté par fa commif1 fion , qui, dans tous les cas, 1'autori1 foit a fermer les oreilles a toute recu1 fation. II déchiroit même les reliëfs li d'appel qui lui étoient fignifiés, & faiI foit des défenfes aux huiffiers , fous I peine de punition exemplaire , de drefi| fer & de fignifier de pateils ades. II ne | faifoir point difficulté d'entendre les | témoins en préfence des ennemis de I 1'accufé , de défendre la rédadion des dépofitions qui tendoient a fa décharge, | & de renvoyer les témoins avec menace , afin d'effrayer ceux qui devoient * être entendus après eux, & de leur faire j connoitre la tournure qu'on fouhaitoit ; qu'ils donnaffent a leur témoignage. La jurifdidion eccléfiaftique n'étoit I pas plus favorable a 1'accufé, que celle du commiffaire. L'évêque de Poitiers, Iiij  i98 Hiftoire fans avoir égard a 1'ordonnance de fon iupéneur, en donna une route différente , qui annulloit les précautions pnfes par 1'archevêque , pour découvrir la venté. On voulut en vain interjetter appel comme d'abus de cette entreprife del'inférieurfur 1'autorité du fupérieur: il ne fut pas poffible de faire entendre la voix du perfécuté. On publia un monitoire , dans lequel, contre toute régie , 1'accufé étoit expreffément nommé; on y expofoit les crimes dont on cherchoit la révélation , avec des termes Sc des images fi fales ' que les oreilles les moins chaftes en étoient choquées : Sc la publication en fut confiée a ce mêmeMounier, contre lequel Grandier avoit plaidé autrefois. En vain demanda-t-on, par différentes requêtes, que ce monitoire füt dépofé au greffe, & que copie en füt délivrée _a 1'accufé; on répondit qu'il n'y avoit pas heu, quant a préfent, a faire droit fur ces requêtes; Sc 1'évêque nomma , pour fon vice-gérant, ce même Demourant , qu'il avoit précédemment erabli exorcifte. Le commiifaire & ce vice-gérant fe rranfportèrent a Angers, le i février *^i4 > pour y inrerroger Grandier.  dUrbain Grandier. 199 pendant fes fept jours que dura cet mterrogatoire , 1'accufé ne tomba dans aucune contradidion, & ne fit aucun aveu dont on put tirer avantage contre lui II avoua feulement , avec ïngenuité , qu'il étoit 1'auteur du traite contre le célibat des prêtres , qui avoit été trouvé dans fon cabinet. D'Angers, M. de Laubardemont ie rendit ï Paris , oü il féjourna prés de deux mois. Cette abfence alarma es coniurés , qui craignirent que le parlement ne prit connoilTance de cette affaire & ne ronapit toutes leurs mefures. Granger fut député pour hater fon retour • il le ramena, mum d'un nouvel arret du confeil , qui calfoit toute procédure tendante a faifir de cette affaire le parlement, auquel toute connoilfance en étoit interdite , ainli qu a tous autres juges. Devenu, par ce nouvel arret, 1 arbitre fouverain du fort de Grandier, M de Laubardemont le fit transterer a Loudun , & lui affigna pour pnfon une maifon qui appartenoit a Mignon , occupée parun fergent nomme Bontems , qui avoit été clerc de Trinquant , & avoit dépofé dans la première acculation intentée contre Grandier. Ce ne I iv  Hiftoire fat pas fans raifon que Pon préféra ce tems coioit ,our & „uit ce que difoit 8c Wlepnfonnier; les reiigieuS en étoient ^ftruites d propos ,& Ï7rap diables I'eulfent deviné. Toutes chofes ainfi difpofées, on fon- ventquelle n'avoit encore pu obtenn. On commenca par exécuter , en Sem' f/^^-^e Grandier avou demande avec tant d'inftance. Les religteufes polfédées étoient au nombre bfrï * j^8 d,ans des maifons haZ 5!/^ed0Mes ^dées a la cüque La fupérieure, entte autres, avec deux de fes religieufes, futplacée che2 e fieur de la Fille, avocat & confeil de a communauté. La fceur de Méminne la quittoit point, fur-tout pendant les exorcifmes, & hfi fouffloiili Porei le ce qu elle apprenoit de Grandier, par ! femme Bontems, qui alloit & ven0k ^ceue,& avec fipeude précaution qu il n y avoit prefque perfonne qui ué s en appergüt. 4 En vain Grandier demanda qu'on ordonnatun autre féqueftre,que le"  d' Urbain Grandier. 201. I religieufes fuflent toutes féparées, afin I qu'elles ne puffent conférer eniemble , I &c s'encourager mutuellement; qu'elles I fufient gouvernées par des perfonnes non fufpeóTres, & fuflent quelques mois • fans avoir communication , ni avec les ennemis de Grandier, ni avec les fauj teurs de la pofleffion ; qu'elles fufTent 1 enfin aftiftées de médecins renommcs i & d'une probité reconnue. Les chofes I reftèrent dans i'état oü elles étoient. On | appella , il eft vrai, des médecins ; l mais on n'eut garde de choifir ceux qui I avoient de la réputation dans les grandes i villes voiiines; on fit venir ceux des :, villages : 1'un , qui n'avoit ni grades, na ; lettres, avoit été obligé de quitter Sau- II mur, pour fe retirer au village de Eontevrault; un autre vivoit a Chinon, fans faire aucun exercice de fon état; un autre n'avoit fait aucune étude de la ; médecine , & avoit paffe fa jeunefle i dans une boutique de marchand ; deux i' autres enfin , dont le nom étoit abfoluI ment ignoré , mais qui avoient le mé— i rite d'être pareus des ennemis de Grandier. On leur aflocia, il eft vrai, Daniël . Roger, médecin de Loudun , qui avoic . quelque réputation ; mais fa voir ne pouvoit prévaloir fur celles de tant d'i-: gnorans, 1 "w  202 Hiftoire L'apothicaire, auquel on confia la préparacion des médicamens , étoit Pierre Adam, coufïn germain de Mignon. II avoit été entendu en témoignage dans la première information faite contre Grandier. 11 avoit, dans fa dépofition , donné atteinte a 1'honneur d'une demoifelle de Loudun , pour charger ce curé du crime d'impureté. La calomnie de ce témoin avoit été prouvée , & par arrêt du parlemenr, du i o mars i ó 3 3 , il fat condamné a uneamende honorable. Ce jugement, qui étoit tout récent, qui prouvoit de plus en plus que la feule calomnie étoit armee contre Grandier, & que cet apothicaire ne méritoit aucune confiance , n'empêcha pas que le choix du commilfaire ne tombat fur lui ; c'étoit même, a fes yeux , un titre de préférence. II fut conftaté que les remèdes qu'd préparoit étoient plus propres a exciter lesconvulfions , qua les appaifer, & qu'il donnoit, par exemple, du crocus metallorum , pour du crocus marlis. On choifit enfin, pour chirurgien, un nom mé Manouri, neveu de Mémin, &beau-frère d'une religieufe. On verra' par la fuite, que ce choix n'étoit pas 1'effet du hafard.  cl''Urbain Grandier. 203 Ce fut en vain que Grandier fit voir, par différentes requêtes , que toutes ces perfonnes annoncoient la partialité du commiflaire , & qu'il avoit des motifs de récufation des plus équitables & des mieux juftifiés ; fes requêtes n étoient ni répondues , ni mifes au greffe, contre la parole qui en avoit été donnée. Le 13 avril , & jours fuivans , on procéda aux récolement & confrontations. Grandier, dans un mémoire,' propofa a M. de Laubardemont, d'employer , pour découvrir la vérité , 1'artifice innocent qu'avoit employé faint Athanafe au concile deTyr. Une femme 1'avoit accufé, devant les pères de cette aflemblée, del'avoir violée, nonobftant le veeu de virginité qu'elle avoit fait. Elle entraau concile, pour formerpubliquement fon accufation. Un prètre, nommé Timothée, qui avoit concèrté, avec le faint prélat, ce qu'il devoit faire, prit la parole , & s'adreflant a certe femme, lui dit : " quoi! vous préten,i dez que je vous ai déshonorée ? Oui, >» reprit-elle , étendant la main vers » Timothée , & le montrant du doigt, „ oui, c'eft vous-même qui m'avez fait „ eer outrage, ajoutant les circonftances » du tems 8c du lieu p. On éclata de 1 vj  2-04 Hiftoire nre fur fa méprife ; fon crime Sc V'mnocence du faint, qu'elle ofoit attaquer furent mamfeftés. De même, difoit' on, fi 1'on vouloit préfenter aux religieufes, avec Grandier, trois ou quatre pretres qu'elles n'euffent jamais vus , de la meme taille i peü prés, du même poü , Sc vetos de même , la méprife , qui n-auroir pu manquer d'arriver , auroit mamfefté la vérité, & fait connoïrre 1 innocence de 1'accufé, que les prétendues polTédées n'avoient jamais vu. II faut avouer néanmoins que ce feroit compromettre trop légérement la vérite, fi 1'on établiifok un jugement fur une pareille épreuve, deftituée de toute autre circonftance. Un juge de la conlervation de Lyon, a été condamné par arret du i7 avnl i7oi , pour avoir ailis un jugement fur un femblable artibce, dans une affaire eriminelie: & le lieutenant criminel de Lufignan éprouva une pareille condamnation , par arrêt du z5 ocfobre i698. Mais M. de Laubardemont ne courut point les rifqnes de cette épreuve. Si elle eüt réuffi , comme Grandier le prévoyoit, il en feroit au moins réfulté un préjugé dans I eiprit du peupie, qui n'étoit déja que txop favorable i 1'accufé j & il faut  d'Urbain Grandier. 20> avoner que ce préjugé auroit touche de bien prés a la vérité. M. de Laubardemont fit recommeneer les exorcifmes, mais cette fon&ion ne fut pas confiée aux miniftres que 1'archevêque de Bordeaux avoit nommés. L'évêque de Poitiers, fans faire aucune attention a 1 ordonnance de fon fupérieur, nomma fon théologal, & le. père La&ance, Récollet. On condamna hautement le choix. du premier, qui avoit rendu, contre Grandier , la fentence infirmée . par 1'archevêque de Bordeaux, & qui ne pouvoit hu pardonner ce fuccès. On connoitra bientótle cara&ère du fecond. Pour comble d'irrégularité , on les logea dans la maifon de Nicolas Mouffaut, oü des religieufes furent mifes en féqueftre , pendant quelque tems , avec eux , & ils avoient des entretiens, particuliers & cont'muels avec Mémin & Menuaiu Les exorcifmes commencèrent le i 5 avril. Le père La&ance , qui s'appercut que le démon de la fupérieure avoit une provifion de latin fort bornée , craignit de fe voir expofé aux défagrémens qu'ayoit éprouvés Barré : il lui ordonna donc de répondre en francois 3  Hiftoire quoiqii'il interrogeat fouvent en latin. Si on lm objedoit que Ie diable ne devoit ignorer aucune langue, il répondoit, tantot, que U pacle avoit été ainfi Jan ; tantot, qu'ily. a des diables plus > les diables avoient promis , ils n'a*> voient elfayé que ceux qui, avec un » peu d'adreffe , pouvoient le plus faci- > lement en impofer au peupie ; qu'on » n'avoit pas vifité les jupes de la fupé- > rieure , pour vérifier s'il n'y avoit pas » quelqu'inftrumentcaché, paree qu'on » avoit compté qu'elle auroit les mains » liées , lorlque les plaies feroient fai:» tes, non pas a la peau feulement t Kij  Ho Hiftoire r> mais dans la chair ; qu'au contraire, « les mains avoient été libres & cachées >■> a. la vue des affiftans, au moment oü » elle fut blelfée; que les plaies ne fe 3> trouvoient ni aux endroits indiqués , » ni de la grandeur promife; qu'elles 33 avoient été faites au moyen d'un petit »3 canif ou d'une lancette ; que les in33 cilions étoient beaucoup plus grandes 33 aux habits, que dans la peau ; ce qui » faifoit connoitre qu'elles avoient été 33 faites de dehors en dedans , &c non 33 de dedans en dehors ; que les habits 53 ne furent point vifités après que les 33 plaies eurent été faites, paree qu'il >3 auroit fallu mettre la fille enchemife, 33 ce que la bienféance ne permettoit 33 pas ; ainfi rien n'empêchoit de croire 33 qu'après 1'opératiön , la même main »s qui 1'avoit faite, avoit pu cacher 1'infi 93 trument dans les habits, en un en93 droit préparé ; que , fi les diables 9-3 avoient forti au moment que les plaies 93 avoient été faites , ce n'étoit pas par »3 la vertu de 1'exorcifme , puifque 1'é93 xorcifte ne leur en avoit fait aucun >3 commandement; qu'ils n'avoient pas s3 fait trois trous a la robe , comme ils 93 avoient fait au corps-de-jupe & a. la » chemife, quoiqu'ils 1'euflent promis,  d'Urbain Grandier. lil » paree que 1'une des incifions s'étojt » faire au défaur de la robe , qui s'é„ tok rrouvée entr'ouverte par - de- " Vant A - , 1- J Grandier , de fon cote, pubha, dans des fins & conclufions abfolutoircs qu'il fit fignifier , a peu prés les mêmes obfervations ; a quoi il ajouta que « fi » la fupérieure n'eüt point gémi , les » médecins ne 1'auroient pas dépouillée, » & auroient foufferr qu'on la liat, ne » s'imaginant pas que les plaies euflent » été déja faites ; qu'alors l'exorcifte « auroit commandé aux trois démons » de fortir, & de faire les fignes qu'ils „avoienr promis; que la fupérieure » auroit fait les plus étranges contor» fions, & , après une longue convul» fion , elle auroir été délivrée , & les » plaies fe feroient trouvées fur fon » corps: mais que ce gémiflement, qui » lui étoit échappé malgré elle , avoit » déconcerté toutes les mefures , en » mettant les médecins dans le cas d'en » chercher la caufe , fans donner le » tems. d'achever la fcène comme elle » avok été projettée. Les plaies ayant » été découvertes, par la perquifition „ qu'ils en firent, avant 1'exorcifme qui » devoit opérer la fortie des démons, Küj  ^2 Hifioire » pourqnoi, continue-t-il, ont-üs choifi criant, qUOique ce]Jes p a ia fupérieure de cacher un fer & de cacher du feu, pour s'en faire une ont is choih ie coté gauche, plutöt " Ve ie fl™ ou ie „ei?? C eft fi » n auroit pu fe blefler au fron \u au " T ' fans,exP^r fon acfionlux IS dron ? C eft qu'il étoit plus aifé i la j "fupeneure d'étendre la,Lin droite " d,°nt dle fe fervoit> ^ ie coté Zl' -hè que de la rédéchir fur ll Sé :&^&^.^efur " afin que cerrp r.^n-„.. ö v .ir j. Kunuie , OU e IIP Hr> "nneuraaffez long-rems , luildlkat - le moyen decacher aux y'eux des W "tateursle fet dont elle" fe tl Jot "Pourquoi les bouts de fes doigts 0nt" * ff** fanglans? C'eft qu'ds ont mae fer qui a fait les plaies : & ce »feretanttrès-Petit,ilaLim;offibÏÏ  dUrbaln Grandier. 22% I de ne pas les potter fur 1'endroit ou „ il étoit enfanglanté.Pourquoi , enfan, „ces plaies ont-elles été fi legeres , „ qu'elles ont a peine pafte la première 5, peau , tandis que les démons ont acI coutumé de rompre & de dcchirer E les démoniaques , quand ils Ie reti„ rent? C'eft que la fupérieure ne lenaii„ foit pas afiéz elle-même , pour le » faire des plaies profondes & dange- 5> reufes ». . ,, Toutes ces obfervations , qui demon, troient la fupercherie dont le public avoit été témoin , n'empêcha point M. de Laubardemont de drefler fon procesverbal de 1'expulfion des trois demons Afmodée, Grefil & Araan , par trois plaies faites au-deflbus de la région du cceur de la fceur Jeanne des Anges } Sc 1'on ne craignit pas de joindre ce procés-verbal aux pièces de convidion que • 1'on emplovoit contre 1'accufé. Le père Landance effaya, le lendemain , de rétablir 1'honneur de la poffeffion , i laquelie le gémiflement deplacé de la fupérieure avoit porte un nouvel echec. Il demanda a Balaam , 1'un des quatre démons qui n'avoient pas défemparé du corps de la iuperieure , pourquoi Afmodée & fes deux K. iv  124 Hiftoire compagnons étoient forris avant qu'on ^enconjurk &pendantqueIevV4 &es mams de 1'énergumene étoient caches aux yeux du peupie ? C'eft ditZ?°U"a'™<«rpW'*rs dan,\Vincréduiue Lepere, reprenant la parole: O" cc quils avoient fujet de s'offenfer "dupeudeeivilité&decourtoifie de " ?S fT,ns > V" n'avoient pas eu » egard a leurs mérites & d la ^alité » de leurs perfonnes. Mais ü la plupart » de cesgens-ü eulfent recherché leurs «confaences peut-être eulfent-ils " trouve ^ ^ caufe de leurs mécon» tentemens venoit de cette part & » qu ils devoient plutót s'irriter contre " e«x-memespar une bonne pénitence » £ "on pas apporter des yeux curieux,' » & une confcience vicieufe , pours'en » retourner incrédules ». Ainfi, il étoit indifférent que les machines preparees réuffilTent, ou ne réuf- h fent pas En cas de fuccès, c'étoient dsmIracJes üpQn pu ffance que Dieu donne i fes miniftres Si; la chofe tournoit autrement, Inrehgion des fpectateurs en étoit la cauie ; fe demon étoit autorifé i dé/obeir, pour punir les incrédules, & les enduren dans leur incrédulité  d'Urbain Grandier. 2.2? On avoit publié que fix hommes forts 8c robuftes ne pourroienuempêcher les pofledées de faire leurs contorfions. Duncan entreprit d'en faire feul 1'expérience. II faifit, avec une de fes mains, la main droite de la fupérieure ; elle s'efforca de lui faire lacher prife , lorfque l'exorcifte eut ordonné au démon d'opérer les convullions : mais elle ne put venir a bout de faire fes contorfions autrement qu'avec la jambe 8c le bras gauche. On lui ordonna de les faire pareillement avec les membres du coté droit. Je ne le puls , dit-elle enfin, car il me tient le bras. Laijfe^-lui le bras , dit l'exorcifte a Duncan; car comment fe feront les contorfions , fi vous la tene^ ? Si c'efl un démon, repliquaDuncan d'une voix fort élevée , // doit être plus fort que mot. Quelque bon philofophe que vous foye\ , c eft mal argumenter, repartit aigrement le père Lactance; car un démon hors du corps ejl plus fort que vous ; mals étant dans un corps foible , tel queft celui-ci, il n'eft pas néceffaire au'il foit ft fort que vous ; car fes aclions naturelles font proportionnèes auxforces du corps qu'il pojjede. « Ce bon père, dit Duncan , dans le livre oü il a configné cette hiftoire, K v  Hiftoire " pf fe fouvenoit pas d'avoir iu dans "Jevangdeciuelesdémoniaquesrom»poienr iescordes«Scies chames dont "ilsetoient hés (i),&que le rituel " 311 nombre des marqués de pof"fdïïon ies tours de force quefonr les -poflcdes, force qui excède celles qui ' font naturenes a leur age & a lL »etat. Fzresfuprd ataüs & conditionis ""«urim ojtendere. II ajoute que le "lendemain, il fit ]a même chofe d la »WAgnès & qu'on le pria de ne " Im Wr Ia main , paree - que la fupérieure s'étoit plaint qu'il "lavoitblefféeenla tenant trop fort " ? <ïue cnofes fe pafsèrent en pré" dLï commandeur de la Porte , » de M. ae Laubardemont, & de plu" fimrs Perfonnes de condition „ Le meme auteur rapporte que Ia première fois qu'il vit la fupéeuref il occafionna un peu de confufion au déH Prefi • L'exorcifte lui demanda quel etoit le „om de ce médecin de Saumur; ilfe trompa deux fois, en (i) Multis enim temporibus arriphbat Mum Jpf?-r„ r ■ t u^u"iur a aa.rn.onio m aeje ta, dit iaint Luc VITT ™ Q %■  d'Urbain Grandier. 227 1'appellant d'abord Benoit, & demiheure après , Texier , qui étoient les noms de deux autres médecins de Saumur, dont la fupérieure avoit entendu parler; ils avoient traité fa mète dans la maladie dont elle étoit morte; mais elle ne les connoifloit que de nom. Aorès ces deux bévues, on eut beau interroger Grefd, il ne voulut plus courir les rifques de deviner. II ne fe palfa rien de remarquable , depuis le 20 mai jufqu'au 1 3 juin , qui fut un jour célebre par un mirale éclatant qu opéra un des démons de la fupérieure : elle vomit un tuyau de plume , de la longueur d'un doigt. Ce prodige fut fuivi d'un autre du même genre; le 8 juillet , elle vomit encore un bouton de foie. Le commiffaire ne manqua pas de recueillir précieufement ces merveilles, & d'en orner fon procés-verbal. L'évêque de Poitiers fe rendit a Loudun , le 16 dudit mois de juillet. II déclara, en arrivant, qu'il n'étoit pas venm pour prendre connoijfance de la pojfefJion , mais pour la faire croire d ceux qui en doutoient encore , & póur y dècouvrïf des écoles de magie j tant Hhommes que de femmes. 11 nexorcifa pas laï-mcm^ Kvj  228 Hijlóire illaifTa cette fonftion au père Laftance qui 1 exercoit fous fes yeux, & permit quelexorcifte fuppofit, comme „nftant , que Grandier étoit maaiden ■ quoique ce füt la chofe qui étoit en queinon. Infnnan A;r^.:i ... u i > . r . ■> o - j au aiaDie , mfringo ornnc paclum , Jive d domino tuo Luafero, J?ve d magiftro tuo Granden°{)Q romps tout pafte fait, foit par Lucifer ton fouverain , foit par Orandier ton maitre). II ne fut plus, dès-lors, permis de «louter de la poffeffion , fans courir rif que d etre déclaré complice de Grandier; 8c dansle fait, ceux qui avoient encore Ie courage de s'expliquer, étoient regardes 8c traités comme des evcom- mumes; on necommuniquoitplus avec eux. r Levendredi, z3 juin, on donna au public un fpeftacle auffi finguber que fcandaleux. On mit Grandier fur Ia fceneavec les religieufes qu'on Paccuioit d avoir livrées au démon. On Pamen a de fa prifon , dans 1'églife de Sainte Croix. Le commiffaire lui exhiba en préfence de 1'évêque, & du peuplê affemble quatre paftes, dont trois avoient ete remis par les polfédées , i ddferentesfois^anslesprécédens exor-  d'Urbain Grandier. 229 cifmes , & dont elles avoient attefté que Grandier étoit 1'auteur. On avoit promis folemnellement qu'un de ces paftes tomberoit de la voute de 1'églife, & 1'on fut bien furpris de le voir tomber de deffous la coëffure de la fupérieure. De ces quatre paftes, un, entre autres, qui avoit été rendu par Léviatan , avoit été compofé de la chair du coeur d'un enfant, prife en un fabat tenu a Orléans en 16 31 , mêlé avec de la cendre d'une hoftie brülée , d'duta. fpermate Granderii , par lequel ce démon avoit déclaré être entré au corps de la fupérieure. Un autre , compofé de graines d'oranges & de grenades , avoit été rendu par Afmodée , qui poffcdoit la fceur Agnès. Grandier 1'avoit fait avec Afmodée, & quantité d'autres diables, pour empêcher que Béhérit ne tint la parole qu'il avoit donnée , de tenir la calotte du commiilaire fufpendue en Pair pendant un mlferere. L'accufé , fans témoigner aucune furpnfe, ni aucune émotion , dit qu'il ne fcavoit ce qu'on vouloit lui dire, en lui parlant de padr.es; qu'il n'en avoit jamais fait , & que , s'il y a dans le monde quelque chofe qu'on appelle pafte diabolique , il ignore Part de les faire. On dreüa  z3° Hifloire Les pofledées, au nombre d'onze o„ GrSSr energ«^ènes, en voyant de toie 1'J ,f?moIS;^nt beaucoup TJ ' - ,aPfelIerent leur maitre & pais ong--tems, étoient R f£?'J* J in .dit, qu étant prètre & p£ 1 devoit contnbuer d ia -loire dT n ' en exorcifant les poiTédS fit 2j*' qm etoit Préfent,luien vod^t? «°it, «jiandier recnr ^öï.  d Urbain Grandier. 231 ment de M. de Poitiers , & recu fabénédiétion, profterné a fes pieds pour les baifer. II commenca les exorcifmes par la fceur Catherine ; mais les hurlemens des autres polTédées ne lui permirent pas de continuer. Après avoir inutilement elfayé d'en exorcifer d'autres*, il s'adreffa a la fupérieure, & lui dit qu'il vouloit 1'interroger en grec. Ah ! que tu es fin , dit-elle , tufcais bien que c'eft une des premières conditions du pacle fait entre toi & nous, de ne répondre point en grec. O ! pulcha illufto , egregia. evafto ! dit-il ( oh ! la belle défaite ! ) On lui permit cependant d'exorcifer en grec, pourvu qu'il écrivit d'abord ce qu'il voudroit dire j & la fupérieure alla jufqu'a offrir de répondre en telle langue qu'il voudroit. Mais on n'eut garde de lailfer faire cette épreuve, Toutes les poffédées fe mirent a la fois a crier , & a faire des contorfions horribles, lui reprochèrent les maux qu'elles enduroient , & offrirenr de lui rompre le cou , fi on vouloit les lailfer faire. On leur défendit d'en venir la , & 1'on employa la force pour arrêter les effets de la rage dont elles fesnbloient aidméés.  Hiftoire Cependant Grandier ne marqua au ^ «ouble, aucune é.notion T re-' gardant fixément les polTédées', ii prol teftdtdefon innocence, & prioi ° iZTv^PI°teamr' S^^ant en- t;reat°t;inerau;dém°-dej- faire n 5 OU du moi"s de lui ca au' rermf5lleviiïbieau front, en ^^^^^ de Dien fïW 9-r *? ,P r_k' la gloire , ^eu tiu mamreftép «r i' • , =&^«= ue 1 egl!Je aux rufes du démnr, „ • effeciivement romp '%?r. ?'* ™' toient d'aucune Lféau!!^ A! "c pasfemblantdefentendTe ^fit  d'Urbain Grandier. Z33 Les exorciftes , après avoir impofé filence aux diables , firent apporter du feu dans un réchaut, & 1'on brula tous les pacfes les uns après les autres. Pendant cette cérémonie , les pofledées recommencèrent les hurlemens, qu'elles n'interrompoienr que pour accabler Grandier des injures les plus atroces. Elles 1'accufoient de fcandale, d'endurciflement de cceur, d'avoir renonce a Dieu , a la foi ; elles indiquoient les jours , les heures , les momens ou il avoit eu communication avec les démons , & ou il avoit fait des pades avec eux. Le tout étoit accompagné de grimaces & de poftures fi horribles , qu'il étoit difficile d'en fupporter la vue. Le feul Grandier ne perdit pas contenance, & dit, avec une fermeté admirable, qu'il renoncoit a. fatan & a tous les diables; qu'il ne les reconnoiffoit point, & les craignoit encore moins; que, malgré eux , il étoit chrétien , & de plus, perfonne facrée; qu'il mettoit toute fa confiance en Dieu & en JefusChrift ; qu'il s'avouoit grand pécheur , mais qu'il défioit ceux qui 1'accufoient de tant d'abominations , d'en rapporter aucune preuve pertinente & authen-  234 Hiftoire "que. Un témoin oculaire de cette fcè ne, qui en a érrir U ,, lce Z' 1 T neCnt k reIati°" en détail j ^uyouiDie gue ^ d fc « expnmece quitombafous les fen » esyeux&lesoreiilesrecui^ lW "Feffion de tant de Ws, 1> ] ™ »|efl;amai$ rienva de femblable • & "? ?OI"s q«e d'être aeeoutumé Vde , n ^^^ent aux démons, il n> berte contre l'étonnemenr&l'horreur » que, cette action produifoit,,. Le feu! noid. & chanta les hymnes delVo-IJ?» Slereftedupeuple:oneÏd!tlS tranqmlute ht naitreaune des poffédées itStó ^* vo7oitBej2S entre lui & le pere Tranquille , Capu- kL ■« ' a,?U111 lmP°feriilence Jura que c'étoit la le mot du «nier Z • Cecte répartie n'échappa pas aux rri  cTUrbain Grandier. 2.3? Poitiers refufé de commander aux démons de faire une marqué au front de Grandier , paree que, dit ce prélat:, il ne faut pas expofer l'autorite' de l'égüfe aux rufes des démons , qui pouvoient avoir contraclé, fur ce Ju]et, quelque pacle avec Grandier. Comment fe faitil, difoient-ils, que Dieu puifle contraindre le démon a tour dire, paria force infinie qu'il a fur tout 1'enfer , & que cependant on craigne de compromettre cette même force contre un pafte fait entre le diable & un magicien ? Ou bien , fi 1'on ne peut pas contefter cette force a Dieu, il faut a» moins convenir , d'après la combinaifon de ces deux' propofitions , que Dieu n'a pas remis a 1'églife le pouvoir de commander aux démons; ce qui eft un blafphème. Or cette contradiftion , ajoutoient-ils , fe rencontre dans prefque tous les ades de cette prétendiie poffeffion. On y voit que c'eft tantót Dieu qui eft le plus fort, & tantót que ce font les démons. Ils réfiftent, quand il leur plaït, a 1'autorité de 1'églife ; c'efta-dire , a celle de Dieu même ; & les pacfes qu'ils font avec les magiciens , enlèvent a Dieu le pouvoir qu'il a fur e^x : & ce qu'il y a de remarquable ,  M* Hiftoire oifoient encore les critiques, c'eft due JepouvoxrdeDieunefe^rou'veendl faut que pour les chofes qui paflent \>dreflè ou la fcience des pofféoe TmZ feiflbns ces raifonneqr/incJm^s &reprenons la narration. Après que le démon eut fait la dé- Ie po/fcdees voulurent fe jetter fur Grandier , ofFnrent de le déchirer , de W voir fes marqués, & de 1'ét angler , quoiqu'il füt leur makte. « Je * "fe, leur dit-il.nivotre man-re 3 » que vous me reconnoiffez pour vorre -maitre vous offriez de m'érraneler Ces paroles parurent exciter Ia ra% de' ces fiiles qui lui jettèrent leurs tn- bUs qut fi defirrent eux-mêmes. Cette mauvaife plaifanterie anima tellemene la fureur de ces poifédées, que, fi Ies fpecfateurs n'avoient pas été plu forts quele diable, Grandier auroif infail £ blement pen ce jour-U par leurs main On eut peine die faire efquiver,pou Ie recondmre dans fa prifon. P Ouelques jours après cette terrible W, ou exorcifa de nouveau la fu^!  d'Urbaln Grandier. tyy rieure. Son diable s'avifa de menacer d'enlever , le lendemain , jufqu'a a voCite de 1'églife , le premier incredule qui refuferoit de croire la poüefiion. L'abbé Quillet (i) , qui étoit prefent, ne dit motj mais il fomma, le lendemain , le diable de tenir fa parole , & procefta qu'il fe moquoitde lui-Le diable , qui ne s'attendoit pas a. être pns (A Claude Quillet étoit né k Chinon. II exerca d'abord la chirurgie. S'étant retire en Italië , pour la raifon rapportee dansi le texte, le maréclml d'Eftrées , ambafladeur de France 4 Rome, le prit pour fon fecretaire. Ce tut In cette ville qu'il compofa fa Calhpedie , poëme latin en quatre chants , fous le titre . Calvidii Laf* Callïpadia ,five de pulchr* prolis habend* radone. II cacha , autant qu d put, le nom de 1'auteur , paree qu'd y avoit lance plufieurs vers fatyriques contre le cardmal fiazarin. Ce miniftre le découvnt, & ne s'envengea qu'en lui donnant une abbaye. Apprenei, lui dit-il, i ménager davantage vos amis. L'abbé Qmllet, péaétré: de[«coanoif. fance, donna une nouvelle edition de fon poëmè a Paris , fubftitua 1'éloge a a fatyre , Lladédia au cardinal. n*°«rutafc™« 1661 ?gé de cinquante-neuf ans. 11 avoit compofé plufieurs ouvrages, qui n ont pas été imprimés. II lègua, en mourant, ous S Fpiers a Ménage, avec: cuiq cents ecu. pour les faire imprimer. Menage pnt 1 urgent , & ne fit rien imprimer.  J38 Hiftoire ju mot, fut déconcerté. M. de Laubardemont lacba un décret contre ce réTZl\qmptk kW'&feretira Les diables avoient beau recevoir tous les jours des humiliations noll pofer füence. Rien n'étoit épargné pour autonfer a perte de Grandier, queK »voit;areej fes fcandales les pils indéeens étoient mis en pratique. Le der^et Jourdejui„ ,une des polTédées que 1 on exorcifoit dans 1'églife de No-' tee pour dire que Grandier avoit fait un fortilege pour faire coneevoir des «onftres i plufieurs femmes de la ville & exprima ce prétendu fortilège dans des termes que IWteté ne perme pas d eenre. L'exorcifte , fuppofant que le diable avoit dit la vérité,&C 1? l uPOUVOU nen entreprendre pas^ "econcevo Pas quel avantage il en auroit pu reti rer,fur-tout dans 1'état oü il étoit 1 contenta de lui demander pourouoi ce Wege n'avoit produit aucun effet. La poffedee ne répondit que par un torrent de paroles déshonnêtes , fales & m-  cTUrbain Grandier. i^g pures, qui ne formoient aucun fens , Sc qui étoient affaifonnées des blafphêmes les plus horribles. Tant d'horreurs Sc tant de fcandales excitèrent enfin 1'indignation pubkque, Sc 1'on commencoit a murmurer tout haut, quand on vit afficher une ordonnance de M. de Laubardemont, du 1 juillet it>34, portant défenfes d toutes perfonnes, de quelque qualité & condition qu'elles fuffent, de médire , ni autrement entreprendre de parler contre les religieufes, & autres perfonnes de Loudun j affiigées des malins efprits 3 leurs exorciftes , ni ceux qui les affifient ,füit au lieu ou elles font exorcifées , ou ailleurs , en quelque facon ou manière que ce foit, d peine de dix mille livres d'amende, & autre plus grande fomme , & punition exemplaire ,Ji le cas y échet. Perfonne, après une telle ordonnance , n'ofant plus entreprendre la juftification de Grandier, la cabale ne garda plus de ménagement, Sc ne craignant plus les difcours importuns des critiques , fe permit toutes les impertinences & toutes les abfurdités qu'elle put imaginer. On n'ofoit même pas trouver a redire aux parties de campagne que faifoient certains exorciftes, tête a tête,  avec fcsjolies pofledées qui leur étoient . 11 arnva cependant, le lendemain menedecetteordonnance,unévénn ent d ou la cntique n'auroit pas man- ' T ? tIrrerblen des conféquences fi elle eut ofé parler. U WcbSfot -»duitea^ exorcifée. Elle déclasa pubLU(£ qu elle avoit dit, depuis quinze jours netoit que calomnies &impoCs qu elle n avoit rien fait qui ne lui Xe «e fuggéré par le père Laétance Par Mignon & par certains Carrn^e ^a%^oit,ondécouvrii^ï Une telle déclaration pouvoit, malgre toute l autorité don? Ia polfeffion etoitappuyée, avoir des fuite! facheïï inésPOnfe -oient été dénoin- mes. On follicita ia fceur de fe rétracf er enpublic, & d'imputer fon In^t «on a une rufe du démon. Quand on Wnperfuadée^onla reprodu fit Te <*on,& auroit p„s Ia foite, fi Demourans^lun des exorciftes, ne feut aria fceur Agnès, enhardie par cet exemple,  d'Urbain Grandier. t^i :exemple , fit les mêmes proteftations , &c pria les afliftans de la tirer de 1'horirible captivité, fous le poids de laquelle iclle gémiffoit. On la forca de recevoir la communion , quoiqu'elle proreftat .qu'elle étoit bien éloignée d'être dans il'état requis pour une fi fainte action. • C'eft votre diable, lui difoit l'exorcifte, ,qui vous donne cette répugnance. Enfin „ ices deux malheureufes, voyant qu'elles in'avoient point de fecours a efpérer , ,dirent qu'elles s'attendoient bien a être extraordinairement maltraitées dans leur couvent, pour avoir révélé un fecret de cette importance; mais qu'elles étoient bourrelées par leur confcience, & forcées de rendre gloire a Dieu & a la vérité , quoi qu'il put leur en arriver. La Nogaret, femme féculière , protefta auffi un jour, pendant qu'on travailloit a. fon exorcifme, qu'elle avoit accufé un innocenr, qu'elle en demanidoit pardon a. Dieuj & fe tournant, tantót du coté de 1'évêque, tantót du icoté du commiflaire, elle leur dit qu'elle faifoit cette confeffion pour la décharge de fa confcience. Le commiffaire ne fit qu'en rire. L'évêque & les exorciftes cerrifièrent que c'étoit un artifice du diable , pour entretenir les incrédules Tvme IK L  Ma Hiftoire dans leur endurciffement. Ainfi, quand le diable paiioit a la décharge de Grandier , il mentoit; & quand il chargeoit cet accufé , il difoit vrai; 8cc'étoit 1'autonté de M. de Laubardemont qui donnoit les lumières requifes pour difcerner le vrai d'avec le faux. Enfin, on en vmt au point que les mots Grandier & magicien étoient fynonymes dans la Douche des fuppóts de la pofleffion , qui difoient que 1'un des démons qui pofledoient la fceur Claire, étoit Grandier des Dominations. On fongea enfin a former la commiffion pour juger Grandier. Les lettrespatentes qui nommoient les juges pour aflïfter^M. de Laubardemont, furent expédiées, Ces juges étoient les fieurs Rouatin , Richard & Chevalier , confeillers au préfidial de Poitiers; Houmain, lieutenant criminel au préfidial d'Orléans; Cottereau , préfident; Pequineau , lieutenant paaiculier; & Bur. ges, confeiller au préfidial de Tours ; Texier , lieutenant général au fiége royal de Saint-Maixant .$ Dreux , lieutenant génétal, & la Barre, lieutenant particulier au fiége royal de Chatelleraud; êc Riverain , lieutenant général au fiége royal de Beaufort. Les fonftions  cPUrbain Grandier. 143 cTavocat du Roi de la commiflion furent attribuées au fieur Conjiant, qui 1 avoit un pareil office au préfidial de i Poitiers, & qui s'abftint de la commif1 fion. Le fieur Dénican, confeiller a la Flèche, fut nommé procureur du roi. La compétence que les lettres leur attribuoient, étoit de faire le procés a Grandier jufqu'a fentence déiinitive , avec pouvoir de la faire exécuter , nonobftant oppofitions , ou appellations quelconques , & fans qu'elles puiflent i óccafionner aucun obftacle a 1'exécution. Cependant le zèle & le goüt de Barré ., pour les exorcifmes , n'ayant pu lui procurer d'emploi a la feconde poifeilion de Loudun ; il s'en dédommagea , en exorcifant deux de fes dévotes a Ghinon. On penfe bien qu'elles ne manquèrent pas d'attribuer a Grandier 1'ehrrée du démon dans leurs corps. Le lieutenant général du bailliage de cette ville , dreffoit des procés-verbaux de ces exorcifmes, dont 011 fit ufage contre 1'accufé; mais on n'eut aucun égard a ceux qui avoient été drefies , avant 1'arrivée de M. de Laubardemont, par le bailli, le lieutenant général, Sc les autres juges de Loudun. Ou chercha au contraire a rendre le Lij  2-'4 Hiftoire bailli fufpeér de complicité avec Grandier , afin d'atténuer la foi que le public avoit pu donner aux procédures de ce magiftrat, &c que tout le monde avoit lues. On lui tendit d'abord, pour le perdre, un piège , dont fa prudence le garantit. Une gueufe mendiante remit a fa porte une lettre , qu'elle dit avoir recue d'un homme qui paffoit & cheval dans la rue, & qui 1'avoit chargée de la porter a. fon adreffé. Par cette lettre, qui étoit fans fignature , on hiipropolbit de faire immanquablement évader Grandier de fa prifon ; il fuffifoit, lui difoit-on , qu'il défignat précifément, & de manière qu'il ne put y avoir auc,une. m.épnfe , le lieu ou elle étoit. On Pinvkoit a faire tenir fa réponfe a Chinon, a 1'hótel du Cheval blanc , ou on 1'attendoit. Le bailli envoya cet écrit a M. de Laubardemont, $c lui fit enten-r dre qu'il prenoit cette précaution , afin que fi, par feinte, ou aiitrement , il arnvoit qu'on fit quelque violence i la maifon oü le prifonnier étoit dérenu , on ne püt ni la lui impurer , ni 1'en foupconner, Quelque tems après , jugeant que la précaution qu'il avoit prife , avoit rompu les mefures de cette intrigue, il re»  d'Urbain Grandier. 245 demanda cette lettre , fous fon récépiffé ; on la lui refufa; il demanda au moins qu'on lui en donnar une copie collationnée, afin qu'il put en pourfuivre les auteurs en juftice. On fut encore fourd a cette demande. N'ayant pu le furprendre par cette voie, les pofledées de Chinon 1'accusèrent de magie; mais ii étoit d'uie probité fi reconnue , &C d'une piété fi bien avérée, que ce coup porta a faux. On ne s'en tint pas la , on Voulut i'attaquer dans fes prochesparens.Ê/i/a^cr/i Blanchard étoit une des féculières poffédées; elle logeoit en la maifon de la veuve Barot, fceur du beau-frère de Mignon , & alliée de prefque tous les conjurés. Elle dit un jour , en préfence de trois des commiflaires , qu'une demoifelle, proche parente du bailli, étoit forcière, & qu'une de fes amies particulières lui avoit apporté , de fa part , un pacle compofé , a peu prés , comme ceux dont on a déja parlé. Mais cette accufation caufa tant de fcandale & de murmure dans Loudun , qu'on prit le parti d'obliger le démon a fe dédire le lendemain , & de lui ordonner de garder le filence far tous les autres officiers de ia ville , qu'il avoit réfolu d'accufer de tenir école de magie. L iij  H6 Hiftoire Cependant le bailli étoit fi odieus aux auteurs de la pofleffion , qu'ils fe penmrent de 1'attaquer encore dans la Perfonne de fa femme. Elle affiftoit un jour a un des exorcifmes , ou Pévêque «on prefent. Une polfédée 1'accufa d «re magicienne ; vous aveX , lui ditelle , en lm adreffiantla parole , Wo„e' «n pafte dans cette églife. Certe dame ne perdit point la tramontane; elle adrefla, jur 1 heure même , fes prières l Dieu j haute voix, fit desimprécations contre les diables & contre les magiciens , & lomma les exorciftes de faire voir la vente, ou la fauffeté de cette accufation, en forcant le diable de rapporter ce pafte, comme ils en avoient le pouvoir, & comme ils prétendoient en avoir fait rapporter plufieurs autres. Mais toutes les conjurations qu'ils purent faire a ce fujet furent inutiles f il P y eut point de pafte rapporté; & la mm, qm furvint} fépara palTemblée> Les commilfaires s'alfemblèrent enhn,le ij juillet, au couvent de< Carmes , ou ils établirent leurs féances & nommerent pour rapporteurs, Houmain & Texier. Les difcours & les démarches de ces, commffiaires, ne laifsèrentplus lieu de  eTUrbain Grandier. 147 3 douter que la perte de Grandier n'étoit i pas lebutunique qu'ils fe propofoient; qu'ils vouloient en outre établir cetre maxime : que le diable duement exorcife I e/? contraint de dire la vérité. Chaque < particulier comprit le danger oü une • pareille doftrine pouvoit l'expofer ; &, i tous effrayés du péril commun, s'affemi blèrent a l'hótel-de-ville, le 8 aoüt 16 5 4, ' au fon de la cloche 5 ils écrivirent au l Roi une lettre qui mérite attention, Sc dont voici la fubftance. Ils expofoient a fa majefté, que « dans ' »les exorcifmes des religieufes Sc des » féculières qui fe difent polTédées , les » exorciftes pouffent l'abus de leur mi„ niftère jufqu'a faire des queftions qui » tendent a diffamer les meilleures fa„ milles de la ville ; que M. de Lau» bardemont, fur la foi des accufations » de ces pofledées , s'étoit tranfporté » avec éclar dans la mailon a une ae» moifelle , Sc y avoir fair perquifition » pour y trouver des livres de magie , » fauflement indiqués; qu'on avoit ar« rêté des demoifelles dans l'églife , Sc » qu'après avoir fermé les porres , on » les avoit dépouillées, pour trouver » fur elles des paftes magiques, dont on » les accufoit d'être dépofiraires. Qu'oa L iv  *48. „. Hiftoire - , uucue, dans lequei on dlAnt t* verhé; cue J>n„ » ment raifonnable ■ fi°t > \ ? JUge" » Xés de la Z7 & ET"1? VéTi' * desfdences l S dem^firaüons »P?roleSj non comme du père du men- magutrat, avoit arrêté une fille " des meillenresmaifons de la ville »1 avoit «tenue deux jours en 5 »P"vee, dans la maifon d'un cenril » homme veuf & n, l>„ • ^ , , P ï Jelus-Cfinft liu-mêine , par fe* •;P°t«s, par les pères de 1'églffe & -Parlafaeulté 4e forbonne, ['£.  d'Urbain Grandier. 249 :» fendent d'admettre les démons a dire L & publier des chofes véritables 8c né« ceflaires a croire, qui interdifenr aux s> chrériens route familiarité 8c tout ;» commerce avec eux. Que fi une telle ;» doctrine fe rrouve autorifée , tous les ;» gens de bien étant en but aux traits i» du démon, courent rifque de devenir I» les viftimes de fa malice, ou plutót i j> de celle des polTédées, qui font des }> profanations horribles en préfence du » laint-facrement, 8c fe jouent de la » crédulité du peupie. En conféquence, j> ils fupplient fa majefté que 1'ouvrage ;« en queftion foit examiné 8c cenfuré I jj par la forbonne 3 8c qu'il leur foir pern mis d'inrerjetter appel comme d'abus 153 au parlement, ou devant tel autte 93 juge qu'il plaira au Roi de nommer, 33 de toutes interrogations tendantes st 33 diffamation , faites par les exorciftes , ; 33 & de rout ce qui a fuivi ». M. de Laubardemont, 8c toute la commiffion , furent extrêmement irrités de cetre alTemblée , & de ce qui en étoit réfulté. lis n'osèrent cependant tien entreprendre contre ceux qui avoient délibéré; en s'adreffant au Roi, ils s'étoient mis fous fa fauve-garde. On fe contenta de rendre un arrêt, daté du L v  a)0 Hiftoire mois d'aoüt itfJ4, par le , , «public de la commiffion , Pafte d'af" £embIee, comme nul, & fajt contre »1 autorite des commies, fur des " ,aitS Wmwm, injurieux, tendant «aunefedmon populaire, contre les » tormes ordinaires, ^ pratiques & " monoP°J«- II eft ordonné que ia mi«nute de cet afte fera apportée au " Srefte i pour être communiquée au " P^^urgénéral, & être ordonné ce » quil appartiendra. Défenfe au bailli, »auxechevins,& a tous autres, de " convoquer aucune aflemblée, pour y " dellbfer f«r des chofes qui concer" f™ le P°«voir de la commiffion, ni » de faire aucune entreprife contre fon » autorite, a peine de 20000 livres d'a» mende, &d!e plus grande peine, s'il » 7 echet : fauf aux habitans , & autres "perfonnes, i fe pourvoir devant les " commi^res, pour raifon des plain» tes quils voudroienr faire contre les » exorciftes , & autres circonftances Sc >' dependances. Ordonné en outre qu'il »lera plus amplement informé des » propos injurieux & féditieux tenus "tant dans I'affemblée, qu'ailleurs » pour, I mformationrapportée & com!  d Urbain Grandier. ^ i$i „ muniquée au procureur généïal , y „être fait droit ». Cet atret fut lu, publié & affiché a fon de trompe , 8c fianifié aux bailli 8c échevins. °Deux jours après la publication de cet arrêt, Grandier préfenta une nouvelle requête a fes juges, par laquelle il demandoit qu'on ordonnat une feconde vilite ; mais qu'elle füt faite par des médecins &c chirurgiens intelhgens, & d'une probité reconnue : ce fera , difoit-il, comme une pièrre de touche , qui fera connoitre la vérité. Il remontroit que de jeunes médecins devillage ne devoient pas être les arbitres d'une affaire de cette importance ; fur-touc étant notoire qu'ils logeoient chez fes ennemis déclarés , qu'ils commumquoient tous les jours avec eux, 8c avec les religieufes. II s'éleva contre le choix qu'on avoit fait duchirurgienManoun; que fa tête tremblante, fans doute , difoit-il, par le défaut de cervelle, ne lui permettoit pas d'avoir la vue r;ffez füre pour pouvoir opérer dans une affaire de cette importance. Il cita ce que rapporte Pigrai, chirurgien d'Henn III, au chap. X de fon épitome de medecine & de chirurgie , que quatorze hommes, qu'on accufoit de fortilege , Lvj  t ) Hiftoire ayant été condamnésa mort par les juges des lieux, après avoir été viiïtés en leur préfence , furent néanmoins renvoyés abfous par le parlement féant a Tours, fur une nouvelle vifite faite par 1'auteur, affifté de trois médecins du Roi, qui ne trouvèrent ni marqué, niapparence qu'il y en eut eu. Cette requête refta fans réponfe. Tant de procédures irrégulières, tant de dénis de juftice, le refus perfévérant de lui communiquer les pièces qu'on employoit contre lui, & de jetter même les yeux fur celles qui lui étoient favorables, le convainquirent enfin que fa perte étoit inévitable , 8c même que les circonftances 1'avoient prefque rendue néceffaire. II falloit, ou le condamner comme magicien , ou expofer un couvent de religieufes, plufieurs religieux, plufieurs eccléfiaftiques , 8c quantité de perfonnes confidérables, aux peines que méritoit la plus atroce de toutes les calomniesSc la plus noire , mais la plus mal ourdie de toutes les machinations. II voyoit évidemment d'ailleurs , qu'il avoit pour parties 1'évêque de Poitiers, & M. de Laubardemont, qui étoient appuyés de toute 1'autorité du cardinal trompé.  dUrbain Grandier. ifj II crue cependant devoir faire un dernier effort, pour rappeller fes jnges aux fentimens de 1'équité. II leur adrefla un difcours , fous le titre de fins & concluftons abfolutoires , dans le préambule duquel il paraphrafa, avec beaucoup d'énergie , le pfeaume 82 , fur le devoir des juges. Toute fon éloquencefut inutile ; il eut, pour toute réponfe , une fentence de 1'évêque, en forme de décret, datée de fa maifon de DifTai , le 1 o aoüt 16 3 4, portant, que les religieufes Vrfulines de Loudun ó' les filles feculïeres étoient véritabltmcnt travaillées des démons , & poffédées par les malins efprits. Elle fut fignifiée a 1'accufé , avec 1'avis de quatre docleurs de forbonne, qui avoient décidé de même. Le mémoire fur lequel ils avoient donné leut décilion, portoit que les religieufes avoient été enlevées de terre a. la hauteur de deux pieds; & qu'étant couchées tout de leur long par terre , elles s'étoient relevées fans le fecours ni de leurs pieds, ni de leurs mains,, 8c fans plier le corps. Ces prodiges s'étoient apparemment opérés en fecretj car on n'en trouve le récit nulle part. On voit bien que la fupérieure a eflayé, plufieurs fois de faire croire qu'elle  a>4 ; Hiftoire uuoiia nen de ce qm pouvoit oer ^aer le peupie que Ü fetd int êttE wie "d11 Jes faifoit ao-ir. ^lïr^ les ment II?? detenmJnè^ leur jugemen .IIS font tlr5s de ptf _/ ,?* 1Ulfontau procés de Grandier c'eft meines. Je n ai pas cru devoir les fnnf pS'rvu aap»«* q«e pour éviter les répétitio„sÖ fe? F fait entrerdans laLration:; 1 1. Comme Ia poffeffion des reli " glsufe,s ürfuline» eft le fondement » ?ute la procédure de M. de Lmlr » demont, & Je f -et du #j£g™r -nftrtntcontrelejcurédePIodS ü  et Urbain Grandkr. £$f | „ a été néceflaire d'y établir une vérité, „ eu des témoignages reis que 1'on peut » defirer en cette matière. „ II. A cette fin , M. de Poitiers , I, „ après avoir affifté a la pluparr des exor'f „ cifmes , & figné les procès-verbaux » qui en ont été faits , a déclare , par „ la fentence ou décret du mois d'aout , „ qu'il tenoit lefdites religieufes pour „ pofledées, & comme telles, & fujetes „ l fa jurifdidion , il leur avoit donne „ des perfonnes capables pour les exor„ cifer. Cet avis a été fuivi de celui de „ quatre dccfeurs de forbonne ; mais » avec cette différence, que le motif de » M. de Poitiers, dans le jugement „ qu'il a fait des pofledées , n'a été au„ ere que le jugement qu'il a fait par » kii-même de tout ce qui s'eft paffé ; „ au lieu que MM. de forbonne, pour „ n'y avoir pas été préfens, n,'ont pu » décider cette queftion que fut la f«i „ de ceux qui leur en onr fait le rap„ port; a fcavoit, &c. Les quatre exor» ciftes , qui font le père La&ance, Re„ collet, les pères Elifée &Tranquille, „ Capucins , avec un Carme , en ont „ auffi donné leur atteftation. Le père „Ronceau, refteur des Jéfuites, le » prieur des Jacobins de Tours, & Révol,  Hiftoire «doóteur de forbonne, en ont entre"tenu les peupie, dans la chafiede «vente Les médecins de Poit ers » Niort, Fon tenai, Loudun, TbouÏÏ' -Chinon, Mirebeau & FontevrS »apresavolr obfervé les mouvemens' »-&: agitations de ces filles, les G" « eftimees furnaturelles, & 'procéder * d,Une Caufe °* la fubtüité dekur aï »nenapu ,tre e -r t Ij faut avemr ici le lefteur "£ medeclns de Poitiers, de Niorr& £ Fontenai, dontii eft ici fait mention n avoient po nt été cbWc ,nnon > «iffion , de lianen f ' ^rlacomnofT„■> dont il a été convaincu. Or ces preu„ ves font de deux fortes : les unes, qui „ confiftent en la dépofition des té„ moins , font ordinaires & fujetes aux „ reproches de fait & de droit; les au» tres , qui font tirées des procès-ver„ baux des exorciftes , & des vifites m faites en conféquence fur la perfonne „ de 1'accufé, font extraordinaires, aufli « bien que la matière dont il s'agit, a „ laquelle elles font toutes particulières, „ & beaucoup plus ajfurées que les pren mier es, paree qu'elles font de notoriétê  *>8 Hiftoire " defak> met en éviuence ia vé« »me que nous cherchons des chofes " lenlibles. -Quant i la preuve par témoins, » elle refulte de deux informaticus La "première eft compofée de foixante « témoins, non-valablement récufés " qui aepofent des adultères, inceftes' " facnleges & autres im^ ^ «mifes par 1'accufé , même és lieux les -plus fecretsdefon églife , comme "dans lafacrifne, proehe du faint"facrement a tous jours, i routes » que , de 1 eglife dont il étoit curé Sc » ou, par fon exemple, il devoit faire » naitre, dans ie cceurdefes paroiffiens, "un amourpour la vertu , il en faifci "unheudepbiiir, &un b.. . ou_ » vert a toutes fes concubines. II eft » vrai que, par fentence du préfidial " de Poitiers, il avoit été renvoyé juf» qu z nouveau mandement, d'une ac» cufation qui avoit été formée contre »ces meines faits; mais, outre oue " Cftte fe"tence «'«oir pas définitive il paroiftoit quantité de récidives qui ' " le rendoient encore plus. coupable. " Entre les témoins de cette accufation, »»il y en a cmq fort confidérables: fca-  d'Urbain Grandier. 2^ I voir, trois femmes, dont la première (> dit qu'un jour , après avoir recu la L, communion de 1'accufé , qui la reU garda fixement pendant cette aélion, » elle fut incontinent furprife d'un ,> violent amour pour lui, qui comi» menca par un petit friffon par tous „ fes membres. L'autre dit, qu'ayant i» été arrêtée par lui dans la rue , il lui |„ ferra la main , & qu'incontinent elle » fut auffi éprife d'une forte paffion ;„ pour lui. L'autre dit qu'après 1'avoir Uregardé a la porte de 1'églife des i „ Carmes, oü il entroit avec la procef„ fion , elle fentit de très-grandes émo„ tions , & eut des mouvemens tels , „ qu'elle eüt volontiers defiré coucher „ avec lui ; quoiqu'auparavant le mo» ment auquel , après avoir été anüi „ confidérées, elles furent éprifes de „ fon amour, elles n'euffent point eu „ de particulières inclinations pour lui, „ étant d'ailleurs fort vertueufes, & en r> très-bonne réputation ». Que de réflexions les critiques faifoient fur cet article ! Ils prétendoient que le témoignage de ces trois femmes ne pouvoit être d'aucun poids en juftice réglée, paree que non aud'uur proprium  a6o Hiftoire alkgans turpitudintm. D'ailleurs , a)ou~ toient-ils , ce feroir un grand malheur d etre un bel homme , comme étoit Grandier, s'il étoit défendu a ceux que a nature a ainfi favorifés, d'infpirer de 1'amour aux femmes qui les regardent ilxement, fous peine d etreréputés magiaens, &, comme tels , condamnés a etre brulés vifs. Combien de femmes qui jounfent, a jufte titre , de la réputation la plus intacfe , avoueroient, fi elles vouloient dire la vérité , qu'elles ont recu de pareilles impreffions a la vue d'un homme que fa beauté les a iolhcitées de confidérer , quoiqu'elles 1 eulfent appercu plufieurs autres fois , lans y faire attention! Combien , ajoutoient-ils , en pourroir-on citet qui pour un feul coup-d'ceil, fe font précipitées dans les défordres les plus fcandaleux, après avoir été des modèles de Ja vertu & de la fidélité conjugales! S'eft. on avifé, pour cela , de condamner comme magiciens, & de faire brüler comme tels les objets de leur amour ? On trouvoit bien étrange d'ailleurs que l'évêque de Poitiers eüt prononcé iur la polfeffion des religieufes, fans avoir pris les précautions traeées dans  d'Urbain Grandier. ia fentence .du iz novembre i6$i , rendue par 1'archevêque de Bordeaux fon fupérieur, dicfées par la juftice & par la prudence& auxquelles il ne pouvoit fe difpenfer de fe foumettre, fans attentat contre 1'autorité hiérarchique. On difoit encore que le préfidial de Poitiers n'avoit prononcc , il eft vrai, Tabfolution de Grandier qu'avec cette reftriótion , quant d préjent ; mais , outre que cette manière de prononcer eft inufitée, & que Ton ne peut pas trop en appercevoir le motif , s'il y avoit lieu de pourfuivre de nouveau 1'accufation , on ne le pouvoit faire que devant le tri'bunal qui en étoit faili; d'autant plus que la compétence de la commiffion confignée dans les lettrespatentes qui 1'avoient créée , fe bornoit aux faits nouvellement imputés a Grandier. Le jugement de 1'archevêque de Bordeaux d'ailleurs avoit prononcé une abfolution déiinitive; & le public étoit bien furpris de voir qu'il n'en fut fait aucune mention dans ces motifs. « IV. Les deux autres témoins ref55 tant des cinq qui ont été annoncés 3? dans Partiele précédent, font un avo9» cat Sz un macon, dont le premier déj3 pofe avoir yu lire a 1'accufé des livres  2o"x Hiftoire " fAgrippa (ï) ; l'autre que , travail- • lant a réparer le cabinet d etude de , i1) Sf' Jir'PPa étoit "é a Colocrne, eh I4«6, d une familie affez honnêtef Après avoir effuyé toutes les révohitions de la lortune , il mourut dans 1'hópital de Grenoble en 1535. H fut une preuve qu'avec beaucoup d eiprit, on peut être très-malheureux quand on en abufe. II fut du nombre de : ces ecnvains qui attribuent toutes leurs intortunes a leurs jaloux & a leurs ennemis f qui ne penfent jamais que leur caraftèrê & leur mconduite en font la fource. II compoia un traité de vanitate fcïentïarum, qui U ht mettre en prifon dans les Pays-Bas. C'eft le meme paradoxe que M. Rouffeau de Geneve a foutenu depuis avec beaucoup d'éloqnence. II compofa un traité de Uphilofovhie geuite, qui fit dire qu'il étoit forcier. Paul Jove au qn'Agrippa avoit toujours a fa fuite I un diable, fous la figure d'un chien noir • qu un jour le démon ayant étranelé un de' les (Wciples , le magicien lui ordonna d'entrer dans le cadavre , & de lui faire traverfer cinq a fix fois la place de Louvain, afin que le peupie pm cette mort pour une apoplexie naturelle. II fit encore un difcours L'fe ctlleace des femmes au-deffus des hommes. Enfin ona de lui une differtation fur le pêché oriei"ft, dans laquelle il foutient que la chüte de nos premiers parens ne provient pas de la pomme_, mais d'un commerce charnel II y a une edinon de fes oeuvres faite a Lyon lans date , & en caraöères italiques ; elle eft' lort rare ; mais la contrefaöion qui en a été feite en 3 vol. in-B°. 1'eft beaucoup moins.  d'Urbain Grandi&r. 163 » Grandier, il vit un livre fur fa table , v> ouvert a 1'endroit d'un chapitte qui » traitoit des moyens de fe faire aimer |,> des femmes. II eft vrai que le preL mier s'eft aucunement rétracfé a la L confrontation, & a dit qu'il croit que » les livres d'Agrippa dont il avoit en:« tendu parler , font de vanïtate fcienL tiarum. Mais cette explication eft fort 3> fufpede , paree que 1'avocat s'étoit »3 retiré de Loudun , & ne voulut fubir 33 la confrontation , qu'après y avoir été !>3 forcé >3. i Que de réflexions les critiques firent fur cet article! Le leéleur les appercoit toutes. « V. La feconde information con33 tient la dépofition de quatorze reli(33 gieufes, dont il y en a huit pofledées, '. 33 & de fix féculières, qu'on dit aufli : 33 être pofledées. 11 feroit impoflible de 33 rapporter par 1'abrégé ce qui eft con33 tenu dans toutes ces dépofitions, paree s3 qu'il n'y a mot qui ne mérite cenfi33 détation. 11 eft feulement è remar33 quer que toutes ces religieufes , tant 3> libres que travaillées , aufli bien que 93 les féculières, ont eu un amour fort s» déréglé pour 1'accufé; l'ont vu , de >3 jour & de uuit, dans le couvent, le»  264 Hiftoire * folliciter d'amour pendant I'efpace de « quatre mois; ont été travaillées de " quantité de vifions , dont elles ont » dit avoir une bonne connoiflance , » paree que la plupart de ces accidens * lf™ {ont a™vés lorfqu'elles étoient * de°out, & qu'elles vaquoient a l'o» raifon. Difent, en outte, avoir été » happees par quelque chofe qui n'é» tolt point connu d'elles , & qui laif»» foit par leurs corps des marqués fi » vifiblès, que les médecins & chirur" giens les ont pu facilement reconnoi» tre i & en faire leur rapport. Que tous n ces défordres qui leur font arrivés, ont » eu leur commencement par 1'appari» non d'unnomméle prieurMouffaut, » qui avoit éré autrefois leur confelleur, » pms par un bouquet de rofes , que la >» mère prieure trquva au milieu de fon » efcalier, & trois épines noires , qui * furent mifes en la main de ladite * pneure un foir après 1'oraifon. Difent » aufli que la mère prieure s'imagina » un jour qu'il y avoit, dans fa cham» bre, des pommes dont elle eut envie v de manger les pépins , dont a 1'infv tant, aufli bien qu'après avoir fenti » les rofes, & recu les trois épines noi» xes dans fa main, elle fut troublée de « » telle  d'Urbain Grandier. i6< telle forte, qu'elle ne parloit plus que » de Grandier, qu'elle difoit être 1'objet b de toutes fes affecfions, Sc lequel , t) ainfi que toutes les autres religieufes, 55 elle a vu fouvent approcher de fon 83 lit, comme elle lui a déclare lorfqu'elle 33 lui a été confrontée , lui ayant fouteü nu , comme fept ou huit autres , que »3 c'étoit lui-même qui s'étoit fouvent ^3 préfenté a elles; oü il ne faut pas ou^biier'que toutes ces religieufes, en iss rendant leurs dépofitions, a la pro53 nonciation du mot Grandier, étoient 33 lurprifes de troubles Sc de convul.55 fions; Sc a la confrontation , oü les iM médecins ont été préfens pour recon,33 noitre ce qui fe pafferoit de remaris5 quable, elles ont été trcs-violernment |53 agitées, aulfi bien que toutes les au33 tres féculières , qui fe clifoient auffi 35 palïïonnées d'amour pour 1'accufé 33. Les critiques. étoient bien étonnés de voir que 1'on donnat du poids en juftice a la dépofition des religieufes , Sc que les magiftrats , a. 1'exemple de ces filles , prilfent pour des preuves ce qui 1 étoit en queftion ; fa voir , la nature Sc :1a Imcérité de leurs contorfions. D'ailleurs , ajoutoient-ils , dans 1'état 011 : étoit le procés , elles étoient deveTome IF. M  266 Hiftoire nues parties dans 1'afFaire; elles ne pouvoient donc dépofer dans leur propre caufe. On a déja obfervé que les chofes étoient venues a. un point qu'il falloit, ou que Grandier füt déclaré magicien, ou qu'elles fuflent condamnées ellesmêmes , comme coupables de la calomnie la plus atroce, & de la machination la plus noire qui ait jamais été imaginée. Mais , ajoutoient les critiques, outre 1'abfurdité de leurs dépofitions, la faufleté en étoit démontrée. II étoit fi faux qu'elles euflent vu Grandier avant la fcène du 15 juin , qu'il avoit foutenu expreflcment dans une requête juridique , qu'elles ne le connoitroient pas , fi on vouloit le faire paroïtre devant elles avec les précautions requifes. On entroit dans beaucoup d'antres dérails qu'il feroit trop long. d'expofer ici, & que le leaeur atteutif peut appercevoir aifément, e VI. Or, outre les accidents dont » les bonnes religieufes ont été travad„ léés , il n'en eft point de plus étrange » quece qui eft arrivé a la mère prieure, » & a la fceur Claire de Sazilli, La pre» mière, le lendemain après avoir rendu fa dépofition , lorfque le fleur de »Laubardemont recevoit celle d'une  ttUrbain Grandier. iSy » autre religieufe, fe mit en chemife , » nue tête , avec une corde au cou, Sc „ un cierge a la main , & demeura en „ cet état 1'efpace de deux heures, au » milieu de la cour, oü il pleuvoit en » abondance ; & lorfque la porte du » parloir fut ouverte , elle s'y jetta , fe w mit a genoux devant le lieur de Lau» bardemont, lui déclarant qu'elle ve«itnoit pour fatisfaire a 1'offenfe qu'elle » avoit commife en accufantl'innocent » Grandier 5 puis s'étant retirée , elle » attacha la corde a un arbre dans le » jardin , oü elle fe füt étranglée, fans „ que les autres foeurs y accoururent. » Les critiques ne pouvoient retenir les cris d'indignation , a ia lecfure de cet article ; fur-tout quand il$ fe rappelloient les déclarations faites & réitérées antérieurement par deux autres religieufes , & par la Nogaret. lis ne comprenoient pas comment on pouvoit méprifer aifez le public pour lui donnet de pareils faits pour des preuves de poifellion. « VII.Etlafeconde (la fceur Claire) « fe trouva fi fort tentée de coucher „ avec fon grand ami , qu'elle difoit >i être ledit Grandier, qu'un jour, s'é» tant approchée pour recevoir la fainte M ij  268 Hiftoire ' » communion, elle fe leva foudain, &c » monta dans fa chambre , oü ayant ?• été fiüvie par quelqu'une des foeurs , \ » elle fut vue » prête l commettre des | facnlèges , des' impiétés & des impuretés qu'il n'eft pas poiTible de fe déterminer a décrire., quoique les auteurs \ de Pextrait que 1'on copie ici, n'aient pas craint de les détailier. Les critiques penfoient bien que ces ; abominations étoient effeélivement Pet fet de I'infpiration du démon ; mais ils ne penfoient pas qu'il fallüt recourir a | la magie pour trouver la caufe des grands crimes, & qu'il fallüt brüler cebii auquel le coupable imputera le maléfice qu'il prétend être la caufe efE- : _:„.-^_ \ r r ■ i •. - .. „ . wcnte qu rorrait ctonr ii vent ie dilcub per. lis ajoutoient que la déclaration de la même fceur Claire, rapportie ci- sieiius, pag. 140, expiiquoit cette énigme. Pourquoi, d'ailleurs , ajoutoientils , puifque c'eft une maxime dans le fyftême d"e la pofleffion , que le diable duement exorgifé eft contraint de dire la. verhef ne 1'a-t-on pas contraint de déclarer, au moment des amendes hono* tables des religieufes & des autres pofifédées, ce que 1'on devoit croire , ou ie ce qui venpitd'être dit a la décharge  \ctUrbain Grancïief. _ i6y de Grandier ,. ou de ce qui avoit été dit précédemment contre lui ? lis djfoient enfin que, ne pouvant prouver la pofleffion par des faits furnaturels dans 1'ordre phyfique, qu'il n'étoit pas au pouvoir humain de produire , on avoit recours aux ades extraordinaires dans 1'ordre moral; ades qui dépendent de la volonté de ceux qui font aflez déterminés pour fe les permettre. « VIII. Et a cette iin, eft.aufli conli„ dérable que Grandier avoit recherché, 53 après le décès dudit prieur Mouflaut, 33 d'être confeifeur des religieufes, 2c ■ 53 qu'une de fes plus intimes amies avoit 33 eu de grandes querelles a démêler 33 avec la fupérieure )3. Ce fait n'eft nullement prouvé. Dail; leurs, difoient les critiques , quand il feroit vrai, faut-il en faire un motif pour condamner un homme au feu ? « IX. Quant aux féculières, la dépo33 fition d'Elifabeth Blanchard , fuivie ,3 &: confirmée par celle de Sufanne 35 Hammon, n'eft pas une des moins 53 confrdérablés ; car elle dépofe avoir 35 éréconnue charnellernentparl'accu^, 55 lequel, un jour , après avoir couché 53 avec elle , lui dit que, fi elle vouloit 33 aller au fabat, il la feroit princefle 5» des magiciens 53. M iij  *7° . Hiftoire Neft-il pas bien étonnant, difoit-on que des ;uges aient puentendre, de lang-froid.de r»»>;n^. j< /- •' : K-,;„i> a ■! r-"^«« ueponnons ? £.1 nel eft-u Dasenmr» j„...._L_ i -v^»v u^vauiage qu i!q i en aienr fait . — "luinsae ieurs ooi- St? 31em °fé botter au « X. Voiü pour ce qui eft de la preuve »par témoins, qui confifte dans ces » deux ïnformarinnc i~c„i - quelles par un cahier apart, onajouta " la depolition du fieur RW jL " Chinon qui dépofe, entr'autres chokes , qimn jom- av.,ni. , , ,, «pour exorcifer les religieufes, & re» connu que Ie diable qui travailioit Ia «merepneure, s'appelloit Afiarot, il -Imconimanda de fortir, & , p^r «figiiedefafome^efrapperceltu » qu il difoit etre 1'auteur du rnaléfice " qui etoit ledit Grandier, ce qu'Afta«rot lui promit. Et de vrai , dans le » temsqud devoit exécuter cette pro" meffe > Grandier s'abfenta des com» pagmesj & s'étant fait excufer fur le "Papier du ponctuage des chanoines "*e falnce Cr°« , pour maladie , ce " mot maladie avoit été effacé de fa " mam?a!nfi qu'il eft apparu par le rapport dudit papier. Ez lorfque, fur Ia  J'Urbain Grandier. 271 ]„fellette,on 1'interrogea fur le fme* „de certe abfence, ü fe trouva fort |„ confus, & ne feut que répondre * Ichangea plufieurs fois de couleur, „quoique,clans toutes lesautres pro„ cédures , il eut été fort refolu Les critiques fe permirent encore bien des raifonnemens fur cet atticle. lis ne pouvoient pas concevoir comment Barré, qui avoit été un des exor- ciftes, qui avoit donné les preuyes les ! moins équivoques d'une partialitetu• r. ™mme on le veria dans Lfmt;,liu^ondamné&pumcoimne auteur de la prétendue pofeffi°n d, Chinon , comment ce Barre , dis-je , avoit puètre entendu en temoignage dans certe affaire. D'ailleurs difoir-on, bourquoi ce fait, qui étoit fort ancien, puifqu'il étoit du tems que cet hypocrite exorcifoitaLoudun, ne fetrouvet-il dans aucun des proces-verbaux qui furent faits alors ? D'ailleurs , ileft mal controuvé;comment a-t-on qu'une fimpleraturepafTee for le mot m^die , eft de la main de Grandier, plutot que de celle/un de fes ennemis de Barré lui-même? Grandier d ailleurs n'avoit pas intérêt de rayer ce mot qui indiquoit une caufe honnete de M 1 M ïv  Hiftoire a?t q"'0n '"'""P^choit. Si Gra„. "aarent quentre routes 1p* ™ »' trouvées Vnr 7- marqués » I enauJe » J r perfonne > «Hes de epaule & du fecrerum leur font f„f - lorfqu'on 1'avoit fondé danst; Z' » J n en étoit point forri d. r 6 ' » qu'Afmodée déVI^ÜS?' 11 'ft vrai  STTrh/iln Grandier. 273 caufe de la difficuhé de les pouvoir Li reconnoüre , il n en fut trouvc que b deux qui fuflent fufpeds auxdits me- » deeins ». .''','•'•'« Je lailTe a penfer combien les critiques témoignèrent de furprife & d'indignation, quand ils apprirent que le témoignage du diable étoit admis en juftieeD, Sc que 1'on ne put pas même vérifier en entier le fait qu'il avoit attefté; que 1'on prenoit pour motif de condamnation au plus cruel fupplice , une fimple fufpicion de médecins de villas-e , Sc qui ne fondent même leur r._r..:„;„,, „„^ fnr rp nue le fentiment d'un homme que 1'on piqué elt plus obtus dans un endroit que dans un autre. C'eft , difoient-ils, prétendre que 1'autorité armée de la force doit fubjuguer la raifon. i« Xll. La feconde preuve eft la cica» trice du pouce de la main droite. Caf „ le z 5 du mois d'avril, le même Al„ modée ayant rapporté un pafte dun » petit morceau de papier temt de quel* ques gouttes de fang, il déclara, apres „ beaucoup de réfiftance , que le lang rt qui proiifoit fur ce papier étoit forti » du pouce de la main droite de fort „ maitre } ce que le fienr de LaubardeM v  274 Hiftoire " ayant enrendu, il fe tranfporta' «mcontment dans la prifon avec les " m^deci"s, auxqueis ayant fait recon» noitre une petite coupure qui fe trouva » au meme endroit que le diable avoit »dcclare,il interrogea le blelfé fur le » ^jet de lachte blelfure , qui fit ré" Pfnfe ^ «e s'en étoit pas avifé & "nyavottpas pris garde ,& qu'il fal» loit que cela fe forfait en attachant «quelque epingle, n'ayant point de "memoireque cela fut arrivé autre»ment.CeDendantles médecins, après "ladite vi ite, le z7 du même mL «rendent leur rapport, par lequel ils' "jugent la blelfure n'avoir point ét! " ™ Tl P« »n couteau, ouquelque " *UtT,e ^ftrument tranchant, & ql'ü «en étoit forti du fang-dont 1'accufé « ayant etc averti par la lecfure qui lui "enfutfa^,^!^ k ^ » rois il ne temoignoit avoir eu aucune «connoiüance de cette coupure, il fcf " hfta fort contre cet avis, & dit que, "depuis ladite vifite, il avoit rappellé » fa mcmoire,& qu'il s'étoit fouTenu »quun de fes gardes lui avoit donné ""n couteau, dont il s'étoit fait ladite «blelfure en coupant du pain, deux " henies avant ledit Laubardemont  dl/rbain Grandier. 27? » entrat dans fa prifon 5 Sc une autre » fois il dit que la coupure fe fit le jour » devant j en quoi il y a contradiótion. » Et outre, fit tous fes efforts pour faire » croire audit fieur de Laubardemont „ qu'il n'en étoit point forti de fang , » paree qu'il y avoit bien pris garde, Sc „ que le rapport defdits médecins étoit » faux a cet égard. Enfuite de quoi , le » 2, o dudit mois^, le fieur de Laubarde„ mont lui ayant encore réitéré fes ïn» terrogatoires fur ce même fujet, ii » fit réponfe qu'il croyoit s'être fait la» dite coupure le jour de devant que » ledit fieur de Laubardemont allat dans „ la prifon , Sc qu'ii n'en étoit point » forti de fang ». J'ai déja parlé de cette avanture, pag. 108. Quand les critiques la virent au nombre des preuves qui déterminèrent les juges a faire jetter Grandier dans un bucher ardenr , ils perdirent patience ; Sc je me garderai bien de rapporter leurs rérlexions. Tels furent les motifs qui produifirent le terrible jugement que 1'on va lire. Avons déclare & décUrons ledit Urbain Grandier duement atteint & conyaincu du crime de magie 3 maléfice A* r„„ „„ J „v. ivi La nature fe révolte au fimple récit de ces horreurs, & la plume m'eft tornbee plufieurs fois des mains, en les écrivant. Cependant Grandier , fur Jequel elles s exercoient, ne lailfa, dans le fort des douleursles plus aiguës, échaooer aucune parole de murmure, ni même de plainte contre fes ennemis; il eut la torce , pendant les tourmens , de proponeer une prière a Dieu , dont Ia ferveur toucha fi fort le lieutenant du Fevot, qu'il Pécrivit. M. de Laubardemont lui fit défenfe de la faire voir a perlonne. L'infortuné Grandier foutint toujours qu'il n'étoit ni magicien ni facnlege. II avoua que la foibieffe fiumaine lui avoit fait commettre des pecnéscharnels; mais, dir.il, je m'en imsconfe/Te, & j'en ai fait pénitence >es mges le prefsèrent de s'expliquer pms clairement. II les pria de le difpenfer de nommer perfonne , & de Ipscifier des péchés, dont il crovoit que fon repentir, fes prières & le faéremenr  dUrbain Grandier. 283 de pénitence lui avoient mérité le pardon. II protefta feulement que , loin d'avoir connu Elifabeth Blanchard de la manière dont elle 1'avoit déclare , il la vit, pour la première fois de fa vie, quand elle lui fut confrontée. Après cette déclarauoh , il renonca plufieurs fois de fuite au diable & a fes pompes. Quand on l'eut tiré de la queftion , il s'évanouit encore une fois : le lieutenant du prévót le fit revenir par le fecours d'un peu de vin qu'il lui mit dans la bouche. On le porta dans la chambre du confeil, oü il fut étendu fur de la paille, auprès du feu. Il demanda , pour confefleur, un religieux Auguftin , qm fe trouva fous fes yeux; on le lui refufa. II demanda le père Grillau, Cordelier; on le lui refufa encore , nonobftant fes inftances réitérées. On le remit, malgré lui, entre les mains des pères Tranquille & Claude , Capucins. II aima mieux fe confelfer a Dieu , que de donner fa confiance a fes plus cruels ennemis. Pendant trois ou quatre heures qu'il demeura dans la chambre du confeil, il ne fut vu que par ie greftier, par fes confeffeurs, & par M. de Laubardemont , qui employa inutilement  2-84 Hiftoire plus de deux heures a le folliciter de iigner un écrit qu'il lui préfenta. Sur les quatre a cinq heures du foir, les bourreauxle mirent fur une civière, pour 1'emporter. En fortant, il déclara au lieutenant criminel qu'il avoit tout dit, & qu'ü n'avoit plus rien fur fa confcience, Ne voule^-vous pas, lui dit ce juge , que je faffe prier Dieu pour vous ? Vous m'obligere\ de le faire, & je vous enfupplie. II tenoit d ia main une torche, qu'il baifa en fortant du palais. II regardoit tout le monde modeftement, mais d'un vifage affuré , Sc fe recommandoit aux prières de ceux qu'il reconnoilfoit. Dés qu'il fut forti; on lui lut encore fon jugement; on leconduifit, dans un tombereau , devant 1'églife de faint Pierre-du-Marché , oü M. de Laubardemont le fit defcendre, pour qu'il fe mit a genoux pendant qu'on lui lifoit encore fon arrêt. Mais ne pouvant fe fervir de fes jambes qui avoient été broyées, il tomba rudement fur le ventte. II attendit patiemment, & fans aucun figne d'aigreur, qu'on vintle relever, & demanda le fecours des prières de ceux qui 1'environnoient. Le père Grillau, qu'il avoit demandé pour con-  d Urbain Grandier. . 20 ? fefleur , s'approcha de lui, 1'embrafla en pleurant, & lui dit: Monfieur 3fouvenei-vous que Notre-Seigneur JefusChrifi a mond d Dieu fon père par les tourmens &par la croix. Vous hes habile homme 3 ne vous perdei pas. Je vous apporte la bénédiclion de votre mère ; elle. & moi prions Dieu qu'il vous faffe miféricorde , & qu'il vous recoive dans fon paradis. Ces paroles,qui étoient la première confolation qu'il eüt recue depuis long-tems, ranimèrent fon courage, Sc rcpandirent la joie fur fon yifage. Serve.\ de fils d ma mère, lui répondit-il j priei Dieu pour .moi , recommande^-moi aux prières de vos religieux ; je m'en vas avec la confolation de rnourir innocent • j'efpère que Dieu me fera miféricorde, & me recevra dans fon paradis. Cette édifiante converfation fut interrompue par les boutades des archers, qui, de 1'ordre de leurs fupérieurs Sc. des confefleurs, poufsèrent leCordeher dans 1'églife. On ne vouloit pas , difoient les critiques , que le public fut témoin de 1'état de la confcience du patiënt. , . * II fut conduit de-la devant 1 eglile des Urfulines, & enfin au lieu de fon fupplice. Sur le chemin , il appetcut  286 . Hiftoire MouiTaut, Dufrefne & fa femme: il leur dit qu'// moaro/V leur ferviteur 3 & gil les prioit de lui pardonner. Lorfquil fut arrivé auprès du bücher, il pria es religieus qui 1'accompagnoient, de lm donner lebaifer de paix. Le lieutenant du prévot vouiut lui demander pardon ; vous ne m'ave^ point offenfe\ lui dit-il, vous n'ave^fau que ce que Votre charge vous obligeoit de faire. René Bermer, curé du bourg de Troismoutiers, qui avoit été au nombre de fes ennemis, le pria auffi de lui pardonHer; & lui demanda s'ilne pardonnoit pas a tous fes ennemis, même a ceux qui avoient dépofé contre lui; & s'il ne vouloit pas qu'il dit une meffe pour le repos de Ton ame. Je pardonne d mes ennemis répondit-il, tout de même que je defire que Dieu me pardonne : au refte, vous m'obligerez en priant L>ieu pour moi, & en vous fouvenanc de moi auprès de 1'autel. . La place étoit fi remplie de peupie accouru de toutes les provinces du royaume, & même des pays étranaers cjue les arcbers, malgré tous leurs eflorts purent i peine venir i bout de faire lailfer un efpaceiibre aux perfonnes Jont ie miniftère étoit néceffaire au iuppüce.  d Urbain Grandier. 287 Les mémoires du tems ont recueilli deux faits qui parurent finguliers, & qui donnèrent matière a bien des raifonnemens aufli peu fondés , & peutêtre aufli peu fenfés les uns que les autres. Une troupe de pigeons vint voltiger autour du bücher, & , quoique chafles par le mouvement des hallebardes des archers, & par les cris du peupie , ils revinrent a plufieurs fois. On vit aufli une grofle mouche , de celles qu'on appelle bourdons , voltiger autour de la tête de Grandier. Un reliaieux, qui avoit oui' dire que Befyebut, en hébreu , fignifie le dieu des mouches 3 afliira que c'étoit le diable qui guettoit 1'ame du patiënt au paflage , pour l'emporter en enfer. ( Le bourreau , après avoir place le patiënt de manière qu'il tournoit le dos 11'églife de fainte Croix , le mit fur un cercle de fer attaché i un poteau. Les religieux exorcifèrent 1'air & le bois du bucher, & demandèrent aGrandier s'd he vouloit pas fe reconnoitre. Je n'ai flus rien d dire, répondit-il, & j'efpere etre en ce jour avec mon Dieu. Le gretfier lui lut fon arrêt pour la quatricme fois , & lui demanda s'il perfiftoit dans ce qu'il avoit dit a la queftion. J'y  ^88 Hiftoire Per/ijle, reprit-il3 je n'ai plus rien d dire; tout ce que j'ai dit efi véritable. Un des rehgieux impofa fdenceau o-refher, & lui dit qu'il faifoit trop parler Ie condamné. Le lieutenant du prévót avoit promis deux chofes i Grandier, furlefqueües ii avoit compté, & qui avoient beaucoup adouci , dans fon imagination , 1 horreur de fon fupplice. La première , qu il auroit quelque tems pour parler au peupie; l'autre, qu'il feroit étranglé avant qu'on tak le feu au bücher. Mais les exorciftes trouvèrent moyen d'éluder I effet de ces promeifes. Lorfqu'il parut vouloir fe difpofer i parler, ils lui ietterent une ii grande quantité d'eau bénite au vifage, qu'ils lui ét-oufferent ia parole. Quand il voulut ouvrir la touche une feconde fois , il y en eut un qui lalla baifer au vifage, & qui le lerra fi fort qu'il lui órala faculté d'arnculer un feul fon. II reconnut 1'artifice , & dit: voild un baifer de Judas Cette parole les irrita fi fort, qu'ils fe mirent a lui frapper le vifage a grands coups diine crolx de fer, fous prétexte de la lui faire baifer. Ils avoient préparé cet mftrument d'avance, paree qu'ils avoient été témoins de la promeffe du ' lieutenant  d'Urbain Grandier. 289 lieutenant du prévöt. II jugea bien qu'il s'efforceroit inutilement de parler, & ne feroit que multiplier fes fouffrances: il fe contenta de demander un \falve regina 8c un ave Maria; 8c les yeux levés au ciel , il fe recommanda a Dieu & a la fainte Vierge. Les exorciftes ne fe rebutèrent point; ils revinrent a la charge, & lui demandèrent encore s'il ne vouloit pas fe reconnoïtre. J'ai tout dit, mes pères, réponditil, j'ai tout dit; j'efpère en Dieu, Hf \en fa m féricorde. Pour empêcher 1'efFet de la fecondc promefle, on avoit fait tant de nceuds a la corde qui devoit 1'étrangler, qu'elle fe trouva beaucoup ttop courte pour cet ufage. Le bourreau fe vit donc forcé de mettre le feu au bücher, fans avoir pu faire mourir le patiënt auparavant. I Eft-ce la ce qu'on m'avoit promis ? s'éI cria ce malheureux par trois fois \ en prononcant ces paroles , il prit luimême la corde, 8c voulut fe 1'accommoder autour du col. Le père Lacfance prit auill-tot une torche de paille allumée, 8c la porta au vifage de Grandier , en lui difant: Ne veux-tu pas te reconI nottre , malheureux , & renoncer au diable ? H eft tems, tu n'as plus qu'un moTome IV. N  2-9 o Hijloire ment d yivre. Je ne connois point le diable , j'y renonce , & d toutes fes pompes ; & je prie Dieu qu'il me faffe miféricorde. Alors, fans-attendre 1'ordre du lieutenant du prévót, ce religieux furieuxfit publiquement 1'office de bourreau , en mettant le feu au bücher, fous les yeux du patiënt, Grandier, qui conferva fon fang-froid jufqu'a la fin , lui dit d'un ton tranquille ; ah ! père Lactance , père Laclance 9 ou eft la charitê? Ce n'eft pas ld ce qu'on m avoit promls y* ily a un Dieu au ciel qui fera ton juge & le mien ; je t'afftgne d comparoure devant lui, dans le mois. Puis s'adreffant a Dieu , il prononca ces paroles ; Deus meus } ad te vigilo , miferere mei , Deus. Les exorciftes lui jettèrent au -vifage tout ce qu'ils avoient d'eau beiiite; ils craignoient, difoit-on, que le peupie n'entendit fes dernières paroles, & n'en füt édifié, On cria au bourreau qu'il 1'étranglat; mais il n'en put venir | bout, la corde ne pouvant plus fervir ; d'ailleurs il fut arrêté par la flamme qui gagnoit; le patiënt y tomba, Sc fut jbrülé tout vif. Je fupplie que 1'on me permette de. me féliciter ici d'être quitte enfin d'un fécit qui a bien coüté a ma fenfibilité.  d'Urbain Grandier. 291 Cette atroce exécution ne mit fin ni a la poficflion , ni aux exorcifmes. Plufieurs raifons occafionnèrent la prorogation de ce fcandale. Les démons n'avoient point été chaifés du vivant de Grandier. Si on les eut vu difparoitre tout d'un coup après fa mort, fans le miniftère des exorciftes, ii eüt été difficile de perfuader que la poiiéiiion n'avoit pas été machinée uniquement pour faire périr ce curé. Les religieufes d'ailleurs y trouvoient une abondante fource de richefles ; les exorciftes faifoient des quêtes pout elles, & les perfonnes crédules penfoient être obügées en confcience d'aflifter ces malheureufes victimes de la magie. L'ufage s'établit même infenfiblement d'exiger de tout curieux qui arrivoit a Loudun , pour voir les prodiges quis'yopéroient, des préfens pour le couvent des Urfulines. Enfin les exorciftes eux-mêmes y trouvoient leur compte : le Roi avoit afligné 4000 livres par an pour leur entretien & pour les frais de 1'exorcifme. Cependant il furvint un événement qui ne laiifaaccufé de ce crime comme Grandier , 1'avoit été, il fe croiroit perdu fans ref1 fource , quelque crédit, quelques amis & quelque réputation qu'il eut. Cette ; déclaration frappa 1'efprit du lieutenant ; civil d'une telle épouvante, qu'il en ; perdit 1'efprit , & demeura imbécille tout le refte de fes jours. Je ne m'arrêterai point a continuer le journal des exorcifmes qui fuivirenr la mort de Grandier. Le ledeur ne pourI roit que fe rebuter des abfurdités qu'on | ne craignit pas de mettre fous les yeux 1 du public , & des impiétés dont les ; perfonnes véritablement pieufes furent fcandalifées ; je me contenterai de rap< porter quelques fcènes que je croirai pouvoir 1'amufer, ou 1'étonner. Nüj  294 Hiftoire Les exorciftes annoncèrent qi^e Ie diable n'ayant plus de ménagement ï garder avec Grandier, qui, par fon iupphce, etoit devenu irrévocablement leur proie il ne feroit pas difficulté de rapporter la copie du contrat qu'ils avoient palfe enfemble. Elle fut effecnvement rapportée, imprimée & affichee, afm que tout le monde fut p'einement convaincu de la réaliré de la pofieïïion. En voici la teneur: «« Mon* lieur &maïtre Lucifer, je vous recon? "°ls Pour mon dieu, & vous promets » de vous fervir pendant que je vivrai. » Je renonce a un autre Dieu Sc £ Jé- " ,79. nh & autres faints & fabites, » & a 1 eghfe apoftoiique & romaine , » esc a tous les facremens d'icelle & £ » toutes les prières & oraifons qu'on " P°urr°lr ^ Pour moi , & vous pro» mets de faire tout le mal que je pour" !f' &/amrer d faire du mal le plus " de Pannes que je pourrai: & re» nonce i crème & a baptême , & £ » tous les mérites de Jéfus-Chrift Sc de » les faints. Et au cas que je manque £ »» vous fervir & adorer, & faire hom» mage trois fois le jour, je vous donne » ma vie , comme étant £ vous. La mi" nuu & aux enfcrs, en un coin de la  et Urbain Grandier. 29? a terre } au cabinet de Lucifer, fignée du « fang du magicien ». Les curieux furent bien aifes d'apprendre ce qui avoit été ignoré jufqu'aïors ; que les efprits malins font logés commodément dans fenfer , qu'ils y ont un cabir ?t pour dépofer leurs titres, &c que le cemmerce enrre ces fubftances fpirituelies &: les hommes , eft afluré par des écrirs; ils efpèrent qu'on apprendra quelque jour par quelle voie ces écrits font réciproquement coaófifs , &C quel eft le tribunal établi pour prononcer fur les claufes qui peuvent occafiom net des conteftations. Mais ils trouvoient , d'aptès le contrat qu'on vient de lire , que 1'on avoit eu grand tort de regarder Grandier comme un homme de bon fens. Il fe donnoit tout entier au démon, il confentoita fa damnation éternelle , & renoncoit a tout ce qui pouvoit 1'en garantir; & le diable n'étoit tenu envers lui d'aucun dédommagement. Si les démons , ajoutoient-ils , adoptent la forme de nos engagemens, ils doivent auilï en admettre les principes , & f^avoir que tout contrat qui n'engage qu'une des deux parties fans caufe, eft nul. Cette pofteflion, & la terrible catafN iv  a9 Hiftoire trophe qu'elle avoit occalionnée, devi„«r lobjet des converfations & dé la cu que «u Roi, amva d Loudun le 9 ma i*! 5 - II fe renditanffi-tót au couvent des Urfulines, & Pon exorcifa, en fa pr ! doit.Cedcmonlafecouad'abordenavant &enaiTiere,&lafitbattrecommeun «jrwaa avec une li gtande vitelfe, Z iesdems craquoient, & qne fon 'f rendoic un bruit W. Son V1fa J devmt htdeux fa langue prodigfeuf . & sècfe°W'i £ue & Pendante, üvide meur t f T P°1M«*ue ,e défau* d'^meurIa faifoit paroftre toute velue fans reipiration etant toujours égale La re ^.fuivaatl-ordredel-ea^r fo profterna pour adorer le faint facre' ment enfuite elle portaun pied paü derrière de la tête, jufqu'au W erÏ nez. tnhn, apres beaucoup de iimi. reelle la religieufe revint d elle, & dit aMonfieur qu'elle fe fouvenoir de ct tames chofes qui s'étoient faites & qu elle avoit entendu les" réponS quï «ment forties de fa bonchi, commt £un autre les eut proférées.  d'Urbain Grandier. iqy Monlieur fe rendit le lendemain a i fainte Croix : on lui donna Elifabeth I Blanchard en fpectacle , & ce fut avec i une hoftie que cette créature fit fes tours ; de pafïe-pafTe en préfence du prince. L'exorcifte la commnnia, mais le démon , qui vouloit profaner le corps du , Sauveur, empêcha 1'énergumène d'ai valer 1'hoftie. L'exorcifte lui ordonna • de préferver les efpèces de 1'humi1 dité de la falive. La fille fut renverfée i en forme d'arc, de manière qu'elle ne i touchoit au pavé que de la pointe des : pieds & du bout du nez. Il fembloit i qu'elle vouloit pofer fa fainte hoftie a i terre ; mais l'exorcifte, par fes défenfes i réitérées, empêcha cette profanation. iLa poffédée fe releva, ayant 1'hoftie fur :fes lévres , agitée comme une feuille d'arbre par le vent, cx paffant d'une 1 ièvre a l'autre. Belzebut eut ordre de ; monter au vifage ; on vit alors un battement de la gorge, qui s'enfla extraori dinairement, & la rendit dure comme i du bois. Après avoir fait paroitre différens diables les uns après les autres y Aftarot eut fon tour. A fon arrivée , on remarqua au-deffus de 1'aiftelle gauche une groffe tumeur , avec un battemenc précipité , qui étonna tous les affiftans » N v  298 Hiftoire Sc même le médecin du prince. Le démon ayant quitté cet endroit , faifit Pénergumène au vifage, & laiffa tomber Phoftie fur la patène ; elle étoit toute sèche ; les lèvres mêmes étoient tellement deiféchées, qu'elles fe peloient. L'exorcifte toucha du doigt les bords de Phoftie, fans la pouvoir lever, pour faire voir qu'aucune humidité ne 1'avoit retenue fur les levres II effuya enfuite les dents de la pofiedée , & appliqua la fainte hoftie au milieu d'une des dents Supérieures, a laquelle elle ne touchoit que par un point de fa circonférence, de manière qu'elle étoit fufpendue perpendiculairen! ent , & qu'une moitié étoit en dedans, & l'autre moitié en dehors de la bouche; elle refta ainfi fort long-tems , nonobftant les agitations terribles du corps, les contorfions étranges de Ia bouche , & un fouffle véhément que faifoit Aftarot pour la rejetter. Enfin l'exorcifte ordonna a la pofledée d avaler les efpèces , & pria le médecin de Monfieur de vifiter lui-même fa bouche. II porta les doigts jufqu'au gofier , & ne trouva Tien, On donna de 1'eau a boire a 1'énergumène, on vifita fa bouche, & Pon ne trouva encore rien. Enfin Aftarot  d Urbain Grandier. zgg I eut ordre de rapporter 1'hoftie ; elle : parut fur le champ a 1'extrêmité de la langue. Cette épreuve fut réitéré deux fois. J'ai promis de ne point faire de réflexions , je n'en ferai pas même fur une fcène aufli fcandaleufe. Le leéteur ne trouveroit pas bon que 1'on fixat plus long-tems fon attention fur des profanations d'autant plus effrayantes, qu'elles étoient autorilées parun magiftrat armé d'un pouvoir fans bornes. Je ne m'arrêterai point non plus davantage a décrire les tours de force que firent , lé lendemain , deux religieufes, dans 1'églife des TJtfulines, en préfence de Monlieur. Tout étonnans qu'ils pouI voient paroitre alors , on en a vu de ! plus furprenans fur les théatres de la foire y Sc faint Auguftin, liv. 14, chap. Z4 de la cité de Dieu, en fapporte de bien plus étranges , dont il dit avoir été témoinoculaire.Mais ce père ajoute qu'il ne faut pas les attribuer aune caufe furnaturelle , qu'ils ne font que le fruit des efforts Sc du long exercice de ceux qui les mettent en pratique. J'en parlerai plus au long dans la fuite. Enfin le prince donna un certificat, par lequel il atteftoit, « qu'ayant, penN vj  300 Hiftoire » dant deux jours, affifté aux exorcif» mes qui fe font faits ès églifes des » Urfulines & de fainte Croix de Lou» dun , fur les perfonnes des fceurs » Jeanne des Anges , Anne de Sainte» Agnès, Claire de Sazilli, religieufes » Urfulines, Sc d'Elifabeth Blanchard, " filIe féculière, il avoit vu & remarqué » plufieurs actions & mouvemens étran» ges, Sc furpaffant les forces naturelles; » nommément a la communion d'Eli« fabeth Blanchard „. Monfieur décrit enfuite la fcène dont je viensde parler, & ajoute, « qu'ayant encore defiré d'a» voir un iigne parfait de la poffeffion » de ces filles, il avoit concerté fecre» ment, & a voix baffe , avec le père » Tranquille , Capucin , de commany> der au démon Sabulon, qui poifédoit "actuellernent la fceur Claire, qu'il « allat baifer la main droite du père w Ehfée fon exorcifte, le démon a ponc» tuellement obéi; ce qui nous a fait » croirecertainement, ajoute leprince, » que ce que les religieux , travaillant " actuellernent aux exorcifmes defdites » filles, nous ont dit de leur poffeifion » eft véritable, n'y ayant point d'appa» rence que tels mouvemens Sc connoif» fance des chofes fecretes pulfent être  d'Urbain Grandier. 302 n attribuées aux forces humaines 1*. Cette atteftation eft du 11 mai 1635. Ce prince nequitta pas Loudun, fans avoit fait, au couvent des Urfuiines , de grandes générofités , qui furent aecrues par celles que tous les feigneurs de fa fuite crurent devoir faire a fon exemple, pour lui faire leur cour. 11 fut imité des perfonnes opulentes de toutes les provinces.C etoitla moded'envoyer des préfens aux religieufes de Loudun 3 qui fe virent tout d'un coup dans 1'opulence. M. de Laubardemonr , de fon coté, fit ufage de fon autorité , pour les loger plus au large & plus commodément qu'elles ne 1'étoient. Les. Calviniftes pofiedoient, dans la ville, un collége fpatieux & fort commode : il le fit adjuger, par le confeil ,,aux Urfuiines , qui s'en mirent en pofieflion , & qui, depuis, ontaugmenté confidérablement ce terrein par des acquifitions qu'elles fe trouvèrent en état cle faire fur le champ; enforte que 1'on prétend que ce couvent eft un des plus beaux &c des plus opulens de 1'ordre. Cependant la prieure , donr fept diables s'étoient emparés d'abord, étoit encore tourmentée par quatre , qu'on nommoit Léviatan , Behemor, Balaam  '30i Hiftoire 6c Ifaacarum: Afmodée, Aman & Crefdc avoient été expuifés. Léviatan fut le premier qu'on attaqua; mais il réfifta pendant plufieurs mois ; il fe retranchoit fucceilivement dans toutes les inclinations naturelies & dans les racines dïmperfe&ion. Ii fortit enfan , & choifit pour fon évafion, finftant ou la poffédée, ayant les mains iibres , etoit couchée , la face contre terre, aux pieds de l'exorcifte; &laiifa pour marqué de fa fortie, une bleiïiirê en forme de cröix tracée fur le front ou 1'on voyoit que les deux premières peaux étoient ouvertes. On attaqua enfuite Balaam, qui ne at pas moins de réfiftance que le précédent. Mais la poifédée, pendant un voyage que le père Jofeph, Capucin , ht lecretementa Loudun , s'étoit mife lous la protection particulière de faint Joleph. Ce faint ordonna enfin a Balaam oe fortir, & de laifler aufli un fiane de fortie. II grava , fur la main gauche de la religieufe , le mot JOSEPH , en grofles lettres romaines. T„,„. ij . t evenemens miraculeux étoient foigneufement conftatés par des proces-verbaux du procureur du roi & autres magiftrats de la commifiWlIs  d'Urbain Grandier. 303 appellèrent quelques chirurgiens, pour vifiter la gravure qui étoit fur la main de la fupérieure. Us eurent 1'impéritie d'y trouver de 1'inflammation , & de déclarer qu'ils foupconnoient que ce n'étoit pas 1'ouvrage d'un efprit \ d'autant qu'il étoit facile de faire une pareille impreifion avec de 1'eau forte , ou quelqu'autre compoiition. Ce rapport fut fupprimc. On appella d'autres chirurgiens , qui ne manquèrent pas de voir le merveilleux que les exorciftes &c les officiers y voyoient, & ajoutèfent: « qu'il étoit arrivé une chofe fort re» marquable a ce nom de Jofeph écrit » par Balaam j c'eft qu'après avoir été , » pendant quinze jours, fort bien mar» qué fur la main de la fupérieure, fans ij qu'il y intetvmt aucune inflammation » ni fuppuration , le démon Ifaacarum, 35 en fa fureur , 1'avoit mordue telle55 ment qu'il étoit venu grand mal a la 55 main a 1'endroie de cette écrirure ; » qu'après une tumeur enflammée , il j5 s'y étoit formé une croute , qui avoit 55 entièrement emporté & aboli le nom 55 de Jofeph , lequel ne fe voyoit plus 55 & demeura dix ou douze jours fans 55 paroitre : après quoi , la croute étant 55 féchée & tombée , les mêmes carac-  304 Hiftoire w tères que devant s'étoïem formés pen » a peu, & étoient revenus contre toute » apparence , fe montrant auffi beaux » que jamais; ce qui naturellement ne » fe pouvoit faire, fuivant le rapport » des chirurgiens , dont il a été fait " l&lr-Et.Ie Procés-verbal aioute que « Behemot interrogé fur cela , dit qu'£ Ia venté naturellement ces caradères » ne pouvoient revenir, mais que Dieu «avoit contraint Ifaacarum , qui, nar » la morfure, avoit gaté cenom, dele » remettre en fon premier état». La pauvre fupérieure fe trouvoit ainiï delmee de deux démons; mais il lui en reftoit encore deux autres, qui paroiffoient tenaces. On attaqua Ifaacarum. II avoit déclaré qull ne quitteroit pnie qua Saumur, dans lachapelledes Arddhers; & Béhémot avoit affuré qu on ne viendroit a bout de 1 expulfer qu'au tombeau de faint Francois de balies a Annecy, dans les états de Savoie. Ces déclarations étoient embarraüantes : ces voyages étoient W & penibles & les démons ne s'étoiem " charges de voiturer par les airs ni h religieufe, ni fon exorcifte. Un rêv~ leva toutes ces difficultés. La religieufe Vit en fonge faint Jofeph, qui dé-  etVrhain Grandier. 30? , clara que fon intention étoit que fa ; délivrance s'opérat a Loudun même. ! On penfa bien que la volonté du faint auroit fon exécution préférablement a : celle du diable, &c 1'on reprit les exoe1 cifmes avec fécurité , après avoir inféré ! le fonge dans les procès-verbaux. On profita de ces exorcifmes pour tirer du diable bien des fecrets impor: tans. On lui demanda , par exemple , quelle étoit la voie la plus füre pour retourner a Dieu, quand on s'en eft écarté ? C'eft , répondit-il , l'amour de Dieu ; & ft j'avois la liberté comme 1'homme, ajouta-t-il,j'emploierois toutes mes farces, par la vertu de cet amour3 a produire des ceuvres pour lui Jatisfaïre. On lui demanda quel eft le plus fort des Hens qui tiennent 1'homme attaché a la créature ? II répondit que c'eft le plaifir des fens 3 précédé par l'oubli de Dieu ; & que les foucis de la vie3 les j craintes & la peine qu'on a dfe capüver i font lts moyens dont les démons fe fervent pour produire cet oubli dans 1'efprit des hommes. Quel eft le moyen , lui demanda-t-on, que l'enfer emploie avec le plus defuccès pour perdre les hommes ? Je perds beaucoup de gens par la ïu- bricité. Je me fuis acquis beaucoup de  306 Hiftoire crédit auprhs de Lucifer, par la chutc de Macaire le jeune (i), en le vifuant dans fon defert , & l'attaquant par le moyen du foulier d'une femme , & d'un moHchoir parfumé, lequel je mis dans fon chemin. Je fis crottre , durant trois jours , le goüt du pêché par ce mouchoir parfumé, lequel il voyoit & fentoit fouvent. Mais il fe releva , & fit, par pénitence, unefofè, ou ils'enterra jufqu'au cou, ne lui reftant que la tête au dehors , pour regarder le ciel. Ifaacarum ajouta, qu'Alumette, autre démon dont Elifabeth Delacroix étoit pofledée , attrapa Martinien (i) d peu prés de la même (i)IIyaeudeux faints Macaires; folitaires tous les deux. L'ancien étoit du quatnème fiecle , & paffa foixante ans dans un monaftère de la montagne de Siéte dans la Lybie. 11 y mourut agé de quatre-vingt ans. Le fecond, que 1'on nomme Macaire le jeune, étoit aufS du quatrieme fiecle. II étoit d'Alexandrie, & avoit plus de cinq mille moines fous fa direftion. Les Ariens le perfécutèrent, & le firent exiler dans une ifle oü il n'y avoit pas un feul chrétien ; mais il en convertit tous les habitans par fes miracles. II mourut en 1394 ou 1395. (2) Saint Martinien , & fes compagnons , matyrs du cinquieme fiecle, dans le tems de ia perfécution de Genferic , qui commenca en 457. Plufieurs cataftrophes les condui-  d'Urbain Grandier. 307 : manière , par une courtifanne qu'il lui envoya. La fortie de ce diable fut précédée de blafphêmes qu'il eft impoftible de : lire , & encore plus d'écrire fans horreur. L'exorcifte le forca enfin a. en faire réparation j après quoi il s'écria : // va fortir. II lui commanda enfuite de mai nifefter fa fortie par 1'infcription du : nom de Marie fur la main de la fupérieure. Alors la fupérieure pouffa des cris & des hurlemens terribles , leva le bras gauche, & 1'on vit le mot Maria écrit fur fa main. Deux témoins atteftèrent qu'ils avoient vu fortir , avec ! impétuofité, une efpèce de vapeur a 1'endroit ou ce nom étoit écrit; & tous les affiftans le baisèrent avec refpecf; Ainfi fut chaifé Ifaacarum. Béhémot reftoit encore. Il avoit promis d'enlever la religieufe , & de la tenir fufpendue en 1'air pendant un firent en Mauritanië, oü ils convertircnt a la religion catholique un grand nombre d'Ariens. Capfur, roi de ce pays-la, le fit : fcavoir a Genferic , qui lui confeilla de les 1 faire attacher par les pieds a des chevaux indomptés , qui les trainant dans des ronces j & des buiffons , miffent leurs corps en piè> 1 ces j ce qui fut exécuté.  3°8 Hiftoire miferere. Mais elle obtint, par fes prières , & par 1'interceflion de faint Jofeph , que le nom de Jéfus füt aullï gravé fur fa main. Le fouhait de cette pieufe fille fut exaucé , fans que les exorciftes s'en mêlaflent; & par un ordre direct du ciel, le démon ajouta ce figne a celui qu'il avoit promis. Après cet événement, on donna quelque relache aux pofledées ; on fe contenta d'exorcifer de tems en tems : maïs quelques-uns de ces exorcifmes furent accompagnés d'accidens défagtéables pour les exorciftes. Le comte du Lude, curieux de voir cette pofleffion , fe rendit a Loudun. Après avoir bien examiné les convuiiions & les contorfions des pofledées , il déclara aux exorciftes qu'il étoit convaincu de la vénté de lapofleflion. II ajouta que fes ancêtres lui avoient tranfmis une boite pleine de reliques; qu'il les croyoir vraies, mais que fa vénération feroit bien plus aifurée , fi le démon lui certifioit cette vérité; ce qu'il ne manquexoit pas de faire par les expreflions de la douleur qu'il éprouveroit, fi on les lui appliquoit. Les exorciftes lui afliirèrent qu'il ne pouvoit pas les mettre a une épreuve moins équivoque. Ils les prirent  dUrbain Grandier. 30$ «!e fa main , & les appliquèrent fur le corps de la fupérieure , après lui avoir ifair un figne qu'elle entendir bien , SC jqui n'échappa pas au comte. Elle fe mie a faire des cris & des contorfions épouvantables; elle s'agita , comme fi elle eüt été dévorée par un feuinvifible. Au fort de ces accès, on lui ota le reliquaire , & , a 1'inftant, elle parut aufii : tranquille qu'elle 1'étoit avant que les Ireliques 1'eulfent touchée. L'exorcifte fe tourna alors vers le comre , & lui dir : je ne crois pas , Monfieur , que vous doutiei maintenant de la vérité de vos re- , Jiqucs. Je n'en doute non plus que de la vérité de la pojjejfton. L'exorcifte & les fpeótateurs témoignèrent avoir fort grande envie de voir ces précieufes ; reliques; la boste fut ouverte, & 1'exor. cifte n'y trouva que de la plume &c du ; poil. Ah , Monfieur ) dit-il , pourquoi vous êtes - vous moqué de nous ? —— : Pourquoi , mon père , vous moque^-vouS de Dieu & du monde ? La Duchefle d'AiguiÜon , nièce du cardinal de Richelieu , étoit alors k Richelieu. Elle voulut aller voir les merveilles de Loudun. Elle étoit acgompagnée de Ia demoifelle de Ram-  3i° Hiftoire bouiller (i), du marquis de Brézé , du marqms de Faure , d'un abbé, d'un aumomer; de Cerifantes , gouverneur du marquis de Faure , & fils du médecin Duncan. L'aumönier cfoyöit la pofFeJlion véritable, l'abbé la regardoit comme une fourberie ; & les difputes lur cette matière ne tariüoient point. Le principal motif qui déterminoit la roi de l'aumönier, étoit la facilité avec laquelle les poüedés reprochoient a des etrangers qui venoient de fort lom & dont elles n'avoient jamais entendu parler, des péchés qu'ils avoient eftecFivementcommis. Voici comment 1 abbe expliquoit ce prétendu prodi toujours eu le jugement fort libre..... „ Saint Jofeph , lui étant apparu , pofa „ fa main fur le coté oü avoit toujours „ été la principale fource de fon mal , n Sc lui avoit fait une oncHon d'hiule , „ou de quelqu'autre liqueur :1e heu m oü cette onttion nu nu p peu humide, Sc, en ce meme initant, ii. >' :. .ro.mw finérie . comme si ene b ciuu t>—- - ' ,, elle leur avoit témoigne par ces paroles qu'elle avoit proférées : je fuis „ guériej mon bon ange & faint Jofeph „font venus, & celui-ci m'a ointe au ,, cóté; je n'ai plus de mal. L'exorcifte „ avant oui' parler d'ondion , lui de„ manda fi elle fentoit quelque chofe. „ Elle répondit qu'elle fentoit un peu „ d'humidité; Sc ayant pris fa chermfe, O iv 55  «elle UfTuyafur Pheure, fans faire ^^afan" • condamnée imTm^' ^ aV01t » abandonn/e vant7r" ""5?* ' & ccs ayant ete mandé vini- " aU Collve«, fans avoir rien apprilde . vers lui, revetue de fon babit de re» We, qui luiraconta, enfourW » es merveiiles de la g^dfeHg «etonnementfutngrand%u'iïïmei" ' 11 prononca ces paroles • Je -changement eft grand; Wfois k » toute-pu^ance de Dieu peu tut £ Le médeanFantonaraconté lachofe men autrement. II aiahfépar écrk que " ^Uand 11 vit la fupérieure après fa pre' » tendue gnérifon f elJe étoit^u même" »*pourlanevre; qu'elle étoit £ ge- tenir ? *ri?u'?Ue »eP°"voit fe & " tenir' 9" e."e fut relevée par deux »j autres reli^ieufec Rr „ » V l. » man-W A? ' ■ W après avoir »marche deux ou trois pas , elle s'ex"cufa flir un refte de foibleffe i l "lettafurunlit, ö« lui ayant tké le "Pouls,i lui dit qu'elle Sttfi "baenguéne qu'eiJe n>eót ^J™*  el'Urbain Grandier. r>ii ].» fe remettre au lit; mais que , puik i „ qu'elle étoit perfuaclée de fa guérifon, ■ 3> cela vouloit dire qu'elle n'avoit plus » befoi» de médecin, & qu'il alloit fe s» retirer :• ce qu'il fit promptement & 39 fort a propos pour lui; car , en def„ cenda-nt le degré, il entendit une voix,, „ qu'il crut être celle de Mémin , qui » cria aux religieux qui étoient dans la j> chambre: que ne i'arrétie\-yous donc? ,j C'étoit-, cosnme on 1'apprit depuis , 5> pour lui faire figner de gré ou de force „ 1'arteftation que le chirurgien Ma,> nouri, & 1'imbécille Gouin, aporhi3* caire v avoient déja fignée. Mais il ,s n'avoit garde d'attefter un miracle „ dont-ii n'avoit vu aucune preuve; au ai conrraire ». Pendant tous ces prodiges, Behémot tenoir toujours bon, il avoit même été utile a la fupérieure , puifque, quoiqu'elle eüt été attaquée d'une vraie pleuréfie , il avoit empêché le fang de fe corrompre; mais il ne vouloit abandonner fon gitequ'au tombeail de faint Francois de Salles, comme il 1'avoit promis. Enfin on compofa avec lui : l'exorcifte & 1'exorcifée firent vceu d'al•ler enfemble au tombeau de ce faint, après la délivrance de la fupérieure. LeX O ¥  32i Hiftoire démon fut content; il fortit Ie i c octobre i 6) 7. Pour figne de fa fortie, il grava fur Ia main de la religieufe le nom de faint Francois de Salles, & ne repnt plus. Le voyagepromis fe fit; on noubliapas de porter la chemife impregnee du baume miraculeux qui avoit opcre la guérifon de la religieufe , & elle fit beaucoup de prodiges fur la route. On n'en a pas de procés-verbaux; lerins ^ ?ZT k$ deuX Pé Le père Tranquille, Capucin, le plus liluftredes exorciftes qui vivoient alors mourut en 1^8. Ses dermers momens turent aceompagnés de douleurs infupportables , dont il exprimoit les excès par des cris &des burlemens fi épouvantables, que Pon ne put empêcher les voiiins du couvent de les entendre. Le bruit s'en répandit dans la ville, & la ' chofe devmt fi publique , qu'il n'étoit pas poflible de Ia nier. Les Capucins composerent & publièrent la relation de cette mort. Ilréfuite, de cet écrit que ces douleurs, ces expreffions de fureur, &les blafphèmes qui fortoient de ia bouche pendant fon agonie, étoient I ouvrage o une troupe de démons qui s étoient emparés de fon corps, pour le  d'Urbain Grandier. 32,3 faire mourir, & qui y réuflirent enfin ; mais fon ame leur échappa. On grava cette épitaphe fur fa tombe: cigit {'humMe père Tranquille de Saint-Remy 3 pré-* dicateur capucin. Les démons nepouvant plus fupporter fon courage en fon emploi d'exorcifle, l'ont fait mourir par leurs yexations, d ce portés par les magiciens, le dernier mai 163 8. Je laiffe aux thèologiens le foin de nous apprendre fi nous pouvons croire que Dieu permette au démon d'attenter fur la vie d'un prédeftiné \ car la relation nous alfure que le père Tranquille en étoit un. Cette mort fit perdre a la pofleflion tout fon éclat. Les féculières pofledées alloient a 1'exorcifme a des heures fixes , comme on va a la promenade. Lorfque ceux qui les rencontroient leur demandoient fi elles étoient encore pofledées ? Oui, Dieu merci, difoient-elles. Si on demandoit aux dévotes qui ne man- quoient jamais d'aififter a cette ceremonie , fi elles étoient pofledées ? Nous ne fommes pas fi heureufes , difoient-elles , Dieu .ne nous a pas affe^ aimêes pour cela. Mais ce qui acheva la fin de cette machine, fut Ia fuppreifion de 400» livres aflignées annuellement pour les Ovj  32.4, Hiftoire feu de la pofleffion. Les pères Laétance' tere^ fVP^ Pafjeur tiere lepere Jofeph, étoient morts : les duehefle d'Aiguilion avoir raeoncé i £ cour fon voyage de Loudun, &c avoir prouvequ'dèroitimpoflibledéformSs nation, & Ion craigmt que la mort affreufedu prérendumagiden ne ré- c^0T/r,esefP"^^on innocent ceflon detre au moins un problême. Mignon étoit bien aife de voirfimt «ne inmgueilaqudle il n'avoit .2 «en agagner, & qui pouvoit nlï hu devenir funefte, fi elle duroit aifez Pour que les cireonftances vinflen ? changer,&qUe le gouvernement ^ ZÈn * A^T* *l'dks avoie'* S & des dange" que la fupéneme avoit courus , en fégn £ makdie. Leur fortune étoitfaite,e S b afpiroient qu'a en jouir tranquSe! ment On ne mena donc Pl„s j f™ vent les poffédées aux exofcifnieS °ï lonceflaennnpeudpeudelesymener fous pretexte qu'elles ne feroient pS «xorcifeesqu en particulier. P  dtUrbain Grandier. 32? Ce qui arriva d'ailleurs a la pofleffion de Chinon, avertit qu'il étoir grand tems de terminer eelle de Loudun. Il faut reprendre les chofes un peu pluskant. J'ai dit, pag. 243 , que Barre, ne pouvant plus exorcifer a Loudun , exercoit, de fon autorité privée , cette foncfion fur deux de fes dévotes, a. Chinon. Mais fes travaux n'étant pas accrédités par une cabale nombreufe &c ptdflanté, n'avoient pas 1'éclat que fon ambition eüt defiré. D'ailleurs, lom d'étre ioutenu par la cour, le Roi n'en avoit pas une idéé favorable. Les évêques de Nhnes &: de Chartres , s'étant trouvés a Bourgueuil, petite vilie d'Anjou j avec le cardinal de Lyon & 1'cvêque d'Angers, furent curieux de voir la pofleflïon de Loudun. Ces deux prélats proposèrent au diable une énigme a deviner , dont ils étoient convenus, &c qu'ils n'avoient communiquée a perfonne. Après bien des exorcifmes faits en leur préfence, auxquels le diable fit le rétif, il déclara enfin qu'on ne le contraindroit jamais a dire en public ce qu'on lui demandoit; mais qu'il le diroir en particulier. Les évêques , qui ne vouloient ni réjouir , ni inftruire le public, & qui ne cherchoient que la  3^, Hiftoire vérité , le prirent au mot. Mals il ne *Ut pas plus habile d'une facon que de 1 autre. Enfin le diable , pour fe tirer d affaire , dit que ce n'étoit pas lui qui avoit enrendu le fecret, mais un de fes camarades , qui £étoit retiré. Les évêque*, qui avoient réfolu de démafquer Barre , firent femblant de fe conteiiter de cette defaite. Ils auroient bien voulu conrondre aufli les exorciftes de Loudun ■ mais il n'étoit pas poflible d'élever des doutes fur une pofleffion qui avoit ete declarée véritable par une fentence de 1'evêque de Poitiers , nar un jugement des commiffaires du confeil «cparlefupplice effrayant du malheureux Grandier. II n'en étoit pas ainfi de celle deChinon; aucune cour eccléhaftique ni féculière n'avoit prononcé ■en la faveur. Les quatre prélats réunis a Bourgueuil au mois de novembre i 6za, manderent Barré, & lui ordonnèrent d amener avec lui les filles qu'il exorc'ioit ordinairement. Ils furent obéis : mais leur préfence fit une telle imprefiUon fur ces malheureufes, qu'elles n'oserent proférer une feule parole Le cardinal de Lyon eut beau leur faire des queftions, elles reftèrent ablblu-  d'Urbain Grandier. 327 ment muettes. On demanda a Barté pourquoi elles ne répondoient pas. 11 \ faut néceffairement, dit-il, qu'ily ait un pacle de filence contraclè entre les démons qui les pofsédent, & les magiciens. On lui repliqua qu'il devoit rompte ce pa&e , en qualité d'exorcifte qui travailloit au nom & de 1'autorite de l'ée VOlIS ai vonluW »^mr cette lettreparle fieur évêque de "Nimes, que je vous envoie exprès  et Urbain Grandier. 329 '» afin de conférer avec vous fur Ie fujet n de ce défordre, Sc vous exhorte d'in- „ ter le cours, felon qu'il vous fera pay> reillement fc,avoir être mon intentiorr, jj dont vous le croirez. Ce qui fait que, sj me remettant fur lui, je ne vous la 33 ferai plus expreiie; Sc pne Dieu , 33 Monfieur 1'archevêque de- Tours, de 33 vous avoir en fa fainte garde. Ecrite 33 a Saint-Germain-en-Laye, le 19 dé33 cembre 1S34 35_ L'archevêque de Tours éluda ces ordres , en repréfentant qu'on avoit befoin d'une fomme confidérable d'argent pour rinftruótion d'un tel procés. Ce qu'il avoit prévu arriva ; on n'envoya point de fonds , Sc Barré continua tranquillement fes exorcifmes. A ces exercices , il ajouta de frequentes prédications , dans lefquelles il déclamoit d'enthoulialme qu 11 paiia pour un laint dans 1'efprit du petit peupie : fon hypocrifie féduifit même des gens de confi-, dération. D'ailleurs , I'autorité de M. de Laubardemont vint a fon fecours , Sc le fauva d'un pas bien dangereux. II avoit eu quelque différend avec un nommé  33° Hiftoire Santerre curé de faint Louaud , & dees de Barre 1 'accusèrent de magie La fincruelie de Grandier lerfraya°: elle avoit eu le même principe & £ même caufe Santerre s'enfuit i Paris , fe nii, fous la proteétion du Parlement & pourfmvir vivement Barré & fes éner gumenes Laffaire fut renvoyledevjntl official de Ja cathédra/e, 1 dec^aundécret contre Barré oe lamt Louaud revint a Chinon avec Sn^T ayant 6" iTfairL C°mm^r, avant de e faire exécuter, au lieutenantgéné- jon ami Barre en futaverti. II fit mettre iespoffiédées en füreté dans le cS au M Se S ? ^ P°UrVUt Parde-" M de Laubardemont , qui étoit alors p endant de la province. Cefui-ci ren! dit une ordonnance, Je i c mars irTr fe pour,01 r ailleurs que pardevant fid Paul ion larPo/reffio"- Cependan fe Ier rel?"' flrUr D^«» . «m25 H • °" > fe tranfPorta, accompagnc d un greffier & de trois archers chezlespoifédées. II fomma les parens  d Urbain Grandier. 331 Ae cp< filles de les repréfenter fur le 1 r . _ J- : \\ lor ot-ilr>irprnir < cnamp, raute ae quui u i<-o »..^w.»~— dès le lendemain. Barré préfenta une ; feconde requête a 1'intendant, qui or, donna , fur ce oui le procureur général ' de la commiffion , que le jugement rendu : lei^du moisferoit exécutéfelon faforme \ & teneur, & défenfes faites d Bonneau, ; & d tous autres , d'y contrevenir , fur peine de mille livres d'amende. On n'ofa 1 enfreindre cette otdonnance , les exor: cifmes allèrent toujours leur train; mais : il paroit qu'on ne paria plus de San1 terre. ^ , Cette impunité fir croirea Barre qu ii 1 pouvoit tout ofer contre fes ennemis. ! Mais les chofes furent poulfées fi loin , : qu'il fuccomba a la fin. Une de fes pof! fédées, nommée Beloquin y entreprïr la : perte d'un prètre nommé Giloire. Elle ; entra , un jour , de très-grand matin , i dans 1'églife de faint Jacques, dont ; Barré étoit curé, & répandit quelques gouttes de fang de poulet fur la nappe \ qui couvroit le mairre autel. Le curé fut le premier qui appercur cette tache ; toutes fes perquifitions ne purent lui apprendre d'oü elle provenoir. Enfin il interrogea le diable de la Beloquin. 11 lui répondit que Giloire s'étoit, par magie,  W Hiftoire introduit dans 1'églife, avant qu'elle fut ouverte, & que la nUe qu'il p^lJedoirv 1 avoit violée fur Pantel mêm^. Jn S montaa la10urce de cette atroce aectuS reufe avoit elle-même fait la tache trou vceparBarré, avec le fang d'un LX quelle avoit tué la yeiile. Le pSèf verbal de ce fait fut envoyé t ChT vcque de Tours, dans le diocèfe duqueï fe trouve la ville de Chinon. La fcéïé WWP^CefCOUp beauté luperchene auffi abonnnable. Elk on- rér7,'r; P- ,Ig'Ui nmèreffient d'une ^tennon qui lui ^oir caufëg , «^« de certains magicien, EHefe 1 J Tomis > £our recevoir du préJat, pnncipal miniftre de 1'églife leg fecours donc elle avoit befoin contr'e lel dy trouver ie pafteur titulaire : mais fon abfence 1'obligea de »»ad4fl-«t» Auteur, qui l'ecoutapainb ement lm Promit demployer/fon foulZl ment tous les moyens qui feroient^ fon pouvoir. II fit en même tem" aS Peller deux hommes forts Sc robufteï ' q^ Ja tintent pendant que deux tel'  d'Urbain Gr andiet. 333 femmes la vifitoient. Elle accoucha d'une boule de plomb , Sc fut guérie a. il'inftant même. Le coadjuteur fit conduire la précendue poffédée dans les prifons de Chinon , fit informer contre elle Sc contre toute la cabale de cette : poffeifion , Sc fit appelier des juges de : Richelieu pour procéder au jugement j de cette affaire , conjointement avec : ceux de Chinon. Mais elle fut appaifée . par le crédit & 1'autorité des perfonnes intéreffées. Barré en fut quitte pour : perdre fa cure Sc fa prébende, & être relégué dans la ville du Mans , oü il fe 1 tint caché, le refte de fa vie, dans un 1 couvent de moines ; fes exorcifées fui; rent enfermées, pour le refte de leurs 'jours , entre quatremurailles. Les pofleiïions prenoient crédit dans n tous les coins du royaume. Le fuccès de celle de Loudun fit croire que c'étoit ; un moyen fur Sc adopté , foit pour fe v venger de fes ennemis, foit pour s'enrichir par les charités qu'elles faifoient couler en abondance. Une certaine Jeanne de Ruéde , du village de Blaft, §*roche Tournon, s'avifa de publier qu'elle étoit poffédée par quatre démons qu'elle nommoit Eel\ebut, Barrabas , Guilmon Sc Carmin, qui lui avoient été  334 , Hiftoire envoyés par un magicien Sc une magicienne du pays. Elle fut conduite, pour etre exorcifée, dans la chapelle de Notre-Dame de Roquefort, fameufe par un grand nombre de miracles. Mazann, devenu depuis cardinal & premier miniftre du royaume , étoit alors vicelegat d'Avignon, d'oü cette chapelle relevoit. II ufa de 1'autorité féculière dont il étoit revêtu , fit défenfes aux exorciftes de continuer, & aux pofledées d'avoir des convulfions. Les diables obéirent fur le champ , Sc il n'en fut plus queftion. La contagion s'étendit jufqu'a Nimes; mais elle fut arrêtée par un eccléfiaftique, aufli nommé Santerre, promoteur dece diocèfe. II envoyaplufieurs queftions a 1'univerfité de Montpellier qui répondit : qu'on n'a pas befoin dii fecours du diable pour plier fon corps de manière que la tête touche la plante des pieds; pour remuer la tête de manière qu'elle frappe alternativement contre le dos & contre la poitrine, puifque les bateieurs, fans être ni magiciens, ni poflédés , font des mouvemens, Sc prennent des pofitions bien plus extraordinaire*; que legonflement iubit de lagorge, de Ia langue, Sc le  d'Urbain Grandier. 33? 1 changement de couleur du vifage, peu! vent s'opérer par différentes manières i de gouverher fa refpiration ; que le dé, faut de fentiment, en certains endroits 1 du corps , que 1'on peut pincer & piquer I fans y exciter de douleur, ou fans que ; le patiënt en témoigne, eft tout naturel j il n'eft point rare de voir des gens dont le fentiment eft abfolument obtus en ceitaines parties du corps , entourées d'autres parties trés - fenfibles ; d'ail. leurs, il fe trouve des gens capables de prendre aftez fur eux pour ne témoigner a 1'extérieur aucune fenfation de la douleur la plus aiguc', tels que ceux qui fe faifoient fuftiger devant 1'autel de \ Diane, jufqu'a la mort, fans froncer le : fourcil, & ce jeune Lacédémonien qui i fe laiffa ronger le foie par un renard qu'il avoit volé , fans paroïtre le fentir; qu'il eft tout naturel qu'un homme puifte , a un fignal qui lui eft donné , refter tout i coup immobile au milieu : Sc pendant les plus fortes agitations : qu'il ne faut point recourir a des caufes magiques pour expliquer comment un homme contrefait le cri de certains animaux, & le chant de certains oifeaux ; cela fe voit exécuter tous les jouts par des gens quine font rien moins  336 Hiftoire que forciers. II s'en trouwe même qui torment des paroles dans 1'eftomac , de manière que 1'on croiroit entendre une voix qui vient d'ailleurs que de la perionne qui la forme. Ce prétendu promge eft même fi peu particulier aux pofledées de Loudun , ou de Mmes , que ceux qm, par Pexercice, ont acqms cette faculté, font défignés par des mots recus depuis long-tems dans la langue engaftronymes , ou cngaflrilogues : la faculté de fixer fes regards fur te meme objer fans fourciller, peut s acquenr parl'ufage : répondre en francois a quelques queftions faites en fort peu de mots latins, & roulant toujours a peu pres fur les mêmes objets, eft la preuve d'une intelligence trèsdufpeéte entre I exorcifte & 1'exorcifée. S'il étoit prouve que 1'énergumène n'eüt jamais appris le latin , & quelle fit, eu cette langue, de fort longues réponfes a de fort longues queftions, il faudroit artribuerce prodige A une caufe furnarureüe; ii laudroit artribuer a une caufe pareille le vomiflèment de chofes que 1 on n auroit pas avalées, mais rien n'eft ü facile que de rendre ce qu'on a avalé, lur-tour fi c'eft une chofe difficile a digerer : enfin, il n'eft point étonnant de  d'Urbain Grandier. 337 voir des piquures affez profondes fans effufion de fang; il arrivé fouvent que les chirurgiens n'en peuvent obtenic avec leurs lancettes. L'offici'al de Nimes , armé de cette confultation , employa fon autorité pour mettre fin aux poffeffions qui s'introduifoient dans fon diocéfe , & en vint promptement & facilement a bout. Ainfi fut défarmé 1'efprit de vengeance qui avoit appellé les démons a fon fecours, & qui alloit, fur leurs témoignages , livrer a la mort tous ceux fur lefquels il auroit jugé a propos de s'exercer. Enfin les pofieifions & les pofledées furent entièrement oubliées, même a Loudun. La fupérieure feule continua 1 de faire voir les noms miraculeufement : écrits fur fa main. Les filles de la reine, I paffant un jour par cette ville, eurent la curiolité d'aller voir cette prétendue imerveille. Bon , dirent-elles, en voyant i les lettres, n'efl-ce que cela ? Tous nos , galans , fans aucune magie que celle de l'amour portent nos noms écrits de la. même manière fur leurs bras. Ménage (1) rapporte qu'il a ouï-dire (1) Gilles Menage naquit a Angers , en 1613 , d'une familie fort honnête. Il exerca . TomelF, P  p8 ^ _ mftoire k la fupérieure que, quand elle fut délivrée des démons qui la tourmentoient, un ange grava fur fa main Jesus , Maria , Joseph, Francois de Sales ; 8c elle lui montra, dit-il, fa main , fur laquelle ces mots étoient effedivement jgravés, mais fort légèrement, & comme ces croix qu'on voit aux bras des pélerins de la terre fainte. Elle ma dit, pourfuit Ménage, que 1'ange grava premièrement , au haut du delfus de fa d'abcrd ia profeffion d'avocat fucceffivement dans fa patrie, a Paris , & aux grands jours de Poitiers. II embraffa enfuite 1'état eccléfiaftique, & obtint des bénéfices qui le ihirem en état de fe livrer fans diftraftion au gout qu'il avoit pour les lettres, II avoit une très-vafte érudition, foutenue d'une prodigieufe mémoire., & un certain génie pour la poéfie itaiianne. II fit auffj beaucoup de vers médiocres en latin 8f en francois. Sa requête des dictionnaires , fatyre affez plaifante contre celui de 1'académie francoife , lui ferma 1'entrée_ de cette compagnie. C'efi juftement, difoit le parafite Montmaur , a caufe de cette ptece qu'il faut condamner Menage a être de l'académie, comme on condamné un. homme qui p. déshonorè une fille, a l'époufcr. II mourut en 1692 , agé de foixant&dix-neuf ans. Ses principaux ouvrages roulent fur les étymologies de la langue francoife & italienne, Tout le monde connoit fon Menagiana, d'ou ^'ai tiré ce que je rapport? dans Je texte,  d'Urbain Grandier. 339 main , le nom de Francois de Sales , Sc que ce mot fe baifla pour faire place a celui de Marie, &c a celui deJosEPH, lorfque 1'anee voulut les graver: & qu'ils 1 fe baifsèrent enfuite tous trois pour donner la première place a celui de Jesus. Voici comment Monconys (1) parle de ces caractères merveilleux, dans fes voyages , rom. 1 , pag. 14 & fuiv. édit. de 1605. « J'allai voir la fupérieure des « poffédées de Loudun , autrefois pof3J fédée , &c j'eus la patience de 1'atten»3 dre dans le parloir plus d'une groffe 33 demi-heure. Ce retardement me fit 33 foupconner quelque artifice ; c'eft 3» pourquoi je la priai de me montrer les »3 caraétères que le démon qui la poffé.3 doit hd avoit marqués fur la main , 33 lorfqu'on 1'exorcifoit j ce qu'elle fit, 33 & tirant le gant qu'elle avoit a la main j» gauche , j'y vis en lettres de couleur (1) Balthafar Monconys étoit fils du lieutenant criminel de Lyon. II voyagea dans i'orient pour y chercker les traces de la philofophie de Mercure Trifmégifte 8c de Zoroaftre. N'ayant pas trouvé ce qu'il cherchoit, il revint en France , & mourut a Lyon en 1665. Ses voyages font plus utiles aux fcavans qu'aux géographes. P ij  34° Hiftoire „ de fang, fur le dos, Jefus , Maria , >> JofePh > # de Sales. Elle me dit » toutes les méchancetés du prètre Gran» dier, qui avoit- été brülé po^r avoir \ >, donné le maléfice au couvent; &c » comme un magiftrat de la yille , de : » qui il débauchoit la femme, s'en étoit „ plakt a elle , «Se que , de concert, ils » I'av.oienr dénoncé , nonobfrant les m fortes inclinations quece malheureux »? h\ c^o'i% par fes fortilèges ,' dont la » miféricorde de Dieu la préfervoit. » cnnn je pris congé d elle, & aupara» vant, je fouhaitai de reyoir fa main, » qu'elle me donna fort civilement au » travers de la grille. Alors la confidéj? rant bien, je lui fis remarquer que le 1 » rouge aes lettres n etoit pms h ver„ meil que quand elle étoit venue.j &, »3 .comme il me fembloit que ces lettres 33 s'écailloient, & que toute la peau de >3 la main fembloit s'élever , comme fi » c'eüt été une pellicule d'eau d'empois jsdefféchéej avec le bout de 1'ongle, 53 j'emportai , par un léger attouche- » ment, ia jambe de 1 M , dont elle fut ?3fort furprifes quoique la place reftat j» auffi belle que les autres endroits de 53 la main. 'Je fus fiitisfait de cela. Je 33 pris congé cTelle& partis de Loudun, n fe  ctUrhain Grandier. 341 Ce miracle difparut enfin , quand la I hiain de certe religieufe deflecliée 8c I ridée par la vieiileffe, ne rut plus prö1 pre a recevoir & conferver l'impreifion I des drogues dont on fe fervoit pour 1 tracer ces lettres. Cette bonne religieufe dit alors que Dieu , a fa prière , avoit ; permis qu'elles s'effacaffent, afin de la délivrer des curieux importuns , qui venoient fouvent la diftraire de fes "' acfes de piété. II paroit cependant que cette humble Urfuline afpiroir aux honneurs de la : eanonifation, &t qu'au miracle que les accidens de lavieilleiTe nepermettoient plus de perpétuer, elle en avoit voulu fubftituerun autre. Quelques magiftrats ont attefté , dans un procés - verbal, drefle fur 'e fimple récit de cette religieufe , qu'un foir elle avoir entendu : une voix plaintive, d'abord dans le dortoir , enfuite a la porte de fa chambre ; qu'après plufieurs gémilTemens elle avoit I vu entrér un grand cadavre tout en feu, : qu'elle crut fortir du purgatoire pour : pafier en paradis, ou peut-être demani der le fecours de quelques mefles pour fon foulagement. Elle prit aufli-tbt de I 1'eau benite qu'elle jetta fur le fpeótre , i pour 1'obliger a fe retirer. Cette eau fit ' r ' P iij  342 Hiftoire Je même bruit que lorfqu'il en tombe ter r°UgeJ1 en iaiillt furfa main f lur fon Vlfage plufieurs goutes, qui ment autant de brülures , dont elle comptoit bien que les cicatrices lui refteroient tout le tems de fa vie. Une penfionnaire , après avoir regarde ces marqués attentivement, dit qu'elles avoient été faites avec de VAerie aux gueux (i), dont il fe trouvoit beaucoup dans Ie jardin du couvent; & il n'en fut plus queftion. Elle eifava plufieurs autres miracles , qui ne lui réuflirenr pas mieux. On 1'oublia enfin , & elle mourut dans 1'obfcunté , fans qu'on ait . (0 Les naniraliftes la nomment clématlte' Ses fleurs font * quatre feuilles, rarement i tinq. Elles font fans calice; mais elles poufJent, du milieu de leurs feuilles, un piftile qm devient, dans la fuite , un fruit cÉêvelu* Ce fruit eft comme une tète arrondie , ccmpofee de plufieurs fémences , termbée par «ne queue femblable a une petite plume Cette pknte eft tres- vivace , & pour 1'ordiimre farmenteufe. La plupart des efpèces de cegenre font très-acres; appliquées fur la peau elles 1 ulcerent, &y excitent des vefnes. Les gueux s'en frottent pour faire paroitre des plaies fur leur corps , & tromper la chante des bonnes ames ; c'eft ce qui lui a oonne le nom vulgaire fous lequel elle eft connue.  d'Urbain Grandier. 34J fongé a la décorer de 1'auréole , qui paroiflbit être le principal objet de fon ambition. On ignore quel a été le fort des autres religieufes polTédées \ mais on fcait que la plupart des auteurs & fauteurs de la pofTeffion, & des témoins qui ont dépofé contre Grandier, ont péri miférablement. J'ai parlé de la mort du père Laclance, & du père Tranquille. Voici ce qu'on lit dans Patin (1), lettre 37 , (1) Gul Patin naquit a Houdart, petite yille du Beauvoifis , en 1601. II exerca la medecine a Paris , & fut 1'ennemi le plus determiné de 1'antimoine. II avoit dreffé un gros regiftre de ceux qu'il prétendoit avoir ete les viSimes de ce rem è de : il nommoit ce regiftte le mart- rologe de Vantimoine. La querelle s echauffa , & devint a la fin fi dangereufe , que le parement ordonna que la faculté décideroit au plutöt fur les dangers & 1'utilité dc 1'antimoine. Quatre-vingt-douze dofteurs furent d'avis de mettre le vin émétique au nombre des purgatifs. Patin en fut inconfolable. II mourut en 1672 , regardé comme fcavant médecin , & bon littérateur. II avoit, dit-on , le vifage de Cicéron , & la tournure d'efprit de Rablais. 11 a fait quelques ouvrages de médecine. Quant a fes lettres, il faut les lire avec défiance ; la plupart de les anecdotes font ou fauffes , ou mal rendues ; il y déchire impitoyablement fes amis & fes ennemis. P IV  344 Hiftoire daree de Pari-; lP j' , „u „ , ns le .1L decembre rtcji Le 9 ae ce mois, a neuf heures dii ;°Jeurs : le qu'on fit obLea les " bo^geoisdeforrirdeieursmaS s ui cuucne lm ]e carreau èV "uniaquaisdeieurparrifutarr: 'iS «autres s'enfuire.nt. Ce hlW» ' 35 Je Jpm^o^ • • elle «nourut Ie endemaw matw, fans rien dire ? t0":, ? a ete enfin reconnu : on a "^quil étoit hls d'unmattre des rentes, nommé Laubardemont qui "condamnaamort, e„ ^ M^Cf f^unürbainGr X :&;efibrüler tout vif, fous omtre - quil avoit envoyé le diable dans Je ;;cornsdesreligieufesdeLoudun,a"qu " °" f/lf™ apprendre * danfer, aWd* "perfuader aux fots qu'elles étouen "demomaques. Ne voila-t-il pa U]"~ ^pamtiondivinedans la familie de ce "malbeureux juge, pour expier , en "qaelquefa?0.nJamLcruelk&'im-P^oyable de ce pauvre prètre. dont "le fang ene vengeance,,. -Le chirurgien Manouri revenoit 1 dix heures da foir, de rifiter un  cTUrbain Grandier. 34? 1 lade. II étoit accompagné d'un autre homme , & de font frater , qui porcoit 1 unelanterne devant eux. Ils palfoient I dans une rue nommée le Grand-Paye', entre les murs du jardin des Cordeliers 8c le chateau: Manouri s'écria tout d'un coup : ah .' voila Grandier; que meveuxtu ? Il fut, en même tems, faifi d'un tremblementoccafionné par une frayeur dont fes deux compagnons ne purens jamais le faire revenir. II vécut encore quelques jours, toujours dans Ie même - état, & toujours parlant a Grandier. Les écrivains qui ont parlé de cette étonnante cataftrophe , rapportent encore quelques traits de la fin malheureufe des artifans ou inftrumens de la pofiêffion. Mais il eft tems de terminer tous ces détails , auxquels certains lecteurs trouveront peut-être que je me fois trop livré. Les préjugés font grands fur cette matière, de la part de ceux même que les lumières d'une faine philofophie auroient du en dégager. Les eftbrts des plus grands génies, 8c les faits propres a faire revenir, n'ont encore pu guénr les hommes entièrement. L'on a vu des fcavans du premier ordre , diftingués par la profondeur de leurs connoifP v  34^ Hiftoire fances, & la folidicé de leur jugement j être auffi crédules que des enfans fur ce chapitre. Quelques-uns ont même été jufqu'a confacrer leurs veilles , a ramaffer tout ce qui pouvoit autorifer leur credulité, fans examiner les chofes d'aüez prés; ils s. en rapportent au témoignage de gens prévenus , qui ne les avoient pas examinées autremenc qu eux. Si toutes fottes d examens , de témoignages, de dépofitions , de fignatures , &c. fuffifoient pour réalifer ce que les hommes auroient intérêt de faire croire, combien de faux miracles & d'ceuvres de ténébres auroient, dans tous les tems, mérité detre crus ? Quand' il a ete de I'intérêt de la religion & de. letat d'approfondir les chofes, 1'on a tout difcuté avec exa&Ltude • on a examiné juridiquement les témoignages on a pefé les fignatures & les approbations ; alors la lumière & le grand jour ont tout fait évanouir. E>eux faits éclatans ferviront de preuve. Le premier nous eft raeonté par Sanders, (i) , üv. i , du fchifme drAngle( 0 Nicolas Sanders , oü Sanders , naquit a2 0d'da']S le Coraté deSurrei.en Angletens,, au. drocife de Winthefter Je  d'Urbain Grandier. 347 terre , & par le Grand (1), hiftoire da divorce deHenri VIII, liv. 1. Ces deux auteurs nous rapportent le procés & la condamnation cVEli^abeth Barthon , ■connue alors fous le nom de la religieufe de Kent, ou de la fainte file de n'entrera! point clans le détail de la vie & des écrits de ce zélé défenfeur de la vraie rekgion ; je dirai feulement que Grégoire XIII, I'ayant envoyé en Irlande , en qualité de nonce , pour engager les catholiques a ne point quitter les armes , ils furent défaits ; & Sanders , craignant d'être pris par les Anglois , erra du tems dans les torêts, oü il mourut de faim & de mifere, en 1583. ïl compofa un très-grand nombre d'öuvrages pour la défenfe de la foi. Celui dont il s'agit ki eft intitulé: de o.igine ac progreffu fchif matis anelkani. 11 a été traduit en frangoi* par plufieurs perfonnes. v (1) Joachirn le Grand naquit a Saint-Lo en Normandie , en 1653. Ba auffi donné un grand nombre d'öuvrages , tant théologiques que politiques, Après être forti de 1'oratoire, ïl fut fucceffivement fécrétaire d'ambaffade a Lisbonne & a Madrid. L'ouvrage dont il s'agit ici eft intitulé : hiftoire du divorce deHenri V1H, rei d'Angleteire,de Catherine d'Ar~fagon: la dé feu] e dc Sanderus , & la réfutation des deux premiers livres de 1'hiftoire de la réformatian de M. Barnet, & les preuves. Cet ou-' vrage eft fort eftimê, & mérite de 1'etre.L'auteur moartit a Paris, en 1733, agé fe quatre-vingt ansr P vj  348 Hifloife pantin Après des convulfions fréquente*, effets d'une maladie de fon fexe qui lm tournoient la bouche, & lui tor' ctoient plufieurs membres, elle contracta par 1'habitude, la facilité de faire plufieurs contorfions qui paroif- R°le,nCaAtïIS deS forces ^turelles. Richard Mafter fon curé, i qui elle avoit confié ce qui fe paffoit en elle , lm confeilla de tirerparti de fes talens! Au miheu des accès qui la prenoient, ou qu elle fe procuroit, elle accompagneer fes poftures de fentences pieufes & de maximes dévotes contre la corrupnonduficcle & contre les opinions nouvefies qui faifoient tant de bruit dans.1 Europe. Elle fe vantoit d'être favonfee de vifions furprenanres. Plufieurs Anglois, & même des plus quaüfies, employèrent les preftiges de la beate, pour décrier le gouvernement, & fur-tout le divorce de Henri VIII avec Catherine d'Arragon. Ce prince fat arreterEhfabeth Barrhon, avec plu- M ecCerUX,qui k Produifoient en public & faifoient fervir fes artifices a leurs fins. Le parlement de i 5 34 exa, mina 1 affaire , & découvrit une conjuration qui atfira i cette fille , & a plufieurs de fes complices, un jugement  Grandier. 24-0 de mort. Le curé finit fes jours en prijfon , & Anne de Boulen obtmt le pardon de ceux qui n'avoient été que féduits. Le fecond fait eft pofteneur de cm, quante-quatre années. Une religieufe Portugaife, de 1'ordre des Dommi■ cains ^nommée Maric de la Vifuatïon > k' j.. —,,„onr 1'Annnnciade a prieuie uu luuw-h. ~- , Lisbonne , fe fit une grande réputation , de fainteté , par la prétendue ïmpref- fion des ftvgmates de iNotre-oeigncui. Louis de Grenade , célèbre par fon éloquence , & par fes ouvrages qu'on lit toujours avec édification , fut le premier & le plus ardent apologifte de cette prétendue fainte de fon ordre. Etienne de Lufignan , Jacobin , fit un livre, qui fut imprimé a Paris, & dedie a la reine , oü les vernis & les mtracles de cette religieufe furent mis dans leur plus beau jour. , Elle auroit continue de joiur de Ia réputation briilante dont elle étoit en poffeftion depuis plufieurs années , fi , par malheur pour elle , elle n'eut cabalé, fous main , pour le patti de dom Antoine, prieur de Crato, que le peupie vouloit mettre fur le trone de Portugal, après la mort du cardinal dom Henn.  310 Hiftoire PWippe II.roid'Efpagne.rtteitem. Wm afTez impanemment une domi- que Maria de la Vifitation feroit deféRe a laKj^ Ce tribunal formidaole examina foigneufement la conduite de cette fille f qui fot We P-%es quelle employoit pour faire ciixix rp es-Parmi Killes dcmtelk setoit fervie pour fé- dmre feS comp otes, elle av5r foi vent paru le vifage refplendiifant. Les ^f^^agiroieur par les o:dres dan Roi défaant & févère, vouW foavoir de quel artifice dié fe ?an7Ei?eT Produ— effetfurpref " &!f Ieur avoua que , quand elle >ouloit donner cette fcène , eUe rem! plidondecbarbonsallumésunrlcW t f9? le ™*r réde- ch,ifoit la lumiere fur fon vifage, qui devenoitparee moyen toutbrilLnt. Le proces ou ce fait eft rapporté, fe rem£  dl/rbain Grandier. 3>x Mais voici des faits bien plus furprenans encore , & que perfonne ne revo_ .^-,;romKlnKlpinent en doute ; IUUCLLI Vl da d'ocèfe de Calame en » Numidie, etoit maitre de fe rendre - uifenfible; & il avoit cette complai» ance pour ceux qui le prioiemde " 'eur donne' cet étonnant fpeóbacle. " ™u„|on de fentiment Paf. oa nl 7 m°menS ' 13 "'a™k pa, plas de refpirarion qu'une per- "fonnemorte.Ildifoitnéanmoinsque, » quand on parloithaut auprès de lui »d entendon comme la voix de per-  dUrbain Grandier. Vs \ j, fonnes placées dans un grand éloigne » ment». , Ce récit de faint Auguftin eft appuyc par plufieurs exemples que rapporte Léonard le Coq , qui a commenté 1'ouvrage de la cité de Dieu. Si 1'évêque d'Hippone avoit été moins éclairé , il auroit imputé au miniftère des démons i ce qu'il n'attribue qua des-caufes pureij ment naturelles. ( f Notre fiècie vient de fournir un evenement , qui a beaucoup de rapport a 1 celui que nous raconte ce grand faint. Malgré la dïftance des tems & des lieux, ils s'appuieront mutuellement, & fe prèteront une garantie réciproque. 11 eft raconté par M. Cheyne, dans fon traité : de la maladie angloife , imprimé a Londres, i/2-80. 1733. «= M. lecolonelTownshend, frère de » milord TWnshend d'aujourd'hui , » après avoir été tourmenté de la gra» veile pendant plufieurs années , vint » enfin a mourir a Bath , bains fameux » en Angleterre. II y fut vifité, pendant n environ une femaine avant fa mort, „ par MM. Cheyne 8c Baynard, méde» eins. Le jour même de fa mort , le » colonel envoyacherchercesdeux doc» teurs, de grand matin : ils le ttou-  354 Hiftoire » verent avec toute la liberté de fon " fpntifa §arde » & plufieurs de fes » domeftiques , étoient autour de lui. » U dit a M. Cheyne & a fon confrère » qud les avoit fait venir pour qu'ils * lui rendiifent raifon d'une fenfation " extraordinaire qu'il avoit obfervée » depuis quelque tems , en Iui-mème : « c etoit qu'en fe tenant tranquille . il " Pouvoit mourir lorfqu'il vouloit • & » qu enfuite , par un effort, ou de q'iel» qu autre manière qu'il n'expliquoic " Ivf,' , Poavoit revivre de nouveau. " .MaIgre fon extréme foiblelfe, il vou» lut abfolument en faire 1'expérience » en préfence de ces Mellieurs. Ils lui "taterent le poulx j ils le trouvèrent * diitinct, quoique petit & foibie : fon » cceur battoit a 1'ordinaire. Le malade »fe mit alors fur le dos, & demeura » quelque tems fans mouvement. Pen» dant ce tems, M. Cheyne lui tatoit le » poulx , le doóteur Bavnard avoit la » main fur fon cceur, & un apothicaire » tenoit un miroir fur fa bouche. On " ™c Peu a Peu fon poulx diminuer « & bientót on ne put le trouver du » tout. Le cceur celfa aufli entiérement »de battre , & 1'on n'appercut, fur le y> miroir, aucun veilige de refpiration,  d'Urhain Grandier. ^% « Enfin on ne trouvoir, en toute fa „ perfonne , aucun fymptome de vie. » Cet état duraenviron demi-heure, &c 1'on appréhenda que le colonel ne fut „ mort en effet, & neut poufie 1'expé„ rience trop loin.Les médecins étoient „ prêts de quitter , lorfqu'on s'appercut „ de -quelques mouvemens ; &c enfin „onfentit le poulx & le battement » de cceur qui revenoient par degrés. „ Le malade commenca i refpirer doUp cemenr & a parlerquoique forr bas. „ Enfin, il fe trouva bientbt dans le » même état ou il étoit avant 1'expé» rience. II agit encore, pendant tout „ le refte du jour , avec beaucoup de „ préfence d'efprit, & mourut tout de „ bon vers les cinq ou fix heures du sa foir. „ Voila un exemple récent d'une ex,5 tafe bien atteftée , qui pourra , dit 531'auteuffpxendre plus croyables celles 53 que 1'on trouve en certaines hiftoires 5 j 33 & les dépouiller, en même rems, de 33 ce qu'on leur attribue de furnatu- 5' rel 53. V» Je ne finirois pas fi , pour etabhrqu il n'y a prefque pas de pofleffion qui puifle foutenir l'épreuve d'un examen régulier & impardal, je voulois faire lerécit  BI6 Hiftoire de routes celles dont Ia fourberie a été tiecouvette. Je me contenterai d'en Kcleur deUX' P°Urrent amufet (üne brochure, ïntitulée : difcours ventablefur lefak de Marthe Broffier aParis che^ Parijen , imprimeur ordinaire du Roi3 i5o9,nous apprend qtien cette année même, la fille d'un n/leran de Romorentin en Sologne agce de ving-deux ans , fut attamiéè d une maladie extraordinaire, cnufut deelaree etre une poffeffion du démon. Les exorcifmes furent employés fans fucces Les effets de la poffeffion devinrent de plus en plus merveilleux. Le bruit s'en répandit dans tont Ie royau«ie ; on promenoit Marthe Broffier de ville en vdle; les Capucins lui fervoient de guides. Par-tout on emplovoit les conjurations, mais inutilement. On pubhoit mille prodiges de cette énerL mene. Elle entendoit, difoit-on, différentes iangues & fur-tout le latin & t anglois 5 elle decouvroit l'intérieur des confaences, & les fecrets du cceurelle ctoit quelquefois élevée a quatre pieos oe terre; elle difcernoit les vraies rehques des fauffes ; tout ce qui avoit Ztns C°nfacréredo«bloitfes Con-  et Urbain Grandier. Elle fut conduite a. Angers , pour y être efficacement exorcifée. M. Miron, iévêque de cette ville (i), n'étoit pas homme a croire fans examen. 11 refufa I (i) Charles Miron , fils de Mare Miron i premier médecin de Henri III, étoit d'une familie noble , qui a produit plufieurs perifonnes illuftres dans la robe. Henri III le inomma a 1'évêché d'Angers en 1588. Le cha! pitre interjetta appel comme d'abus de 1'ob:tention des bulles , 1'impétrant nétant agé que de dix-huit ans : le chapitre fuccomba , & 1'évêque ayant pris poffeffion le 14 avril '11589, futfacré a Tours le 11 avril 15 91 , lètant agé de vingt-un ans. II prononca l'o„ raifon funèbre de Henri IV , qui fut trèsigoutée.Rebuté des différends qu'il avoit avec ion chapitre , au fujet de la jurifdiöion épifcopale , dont ces chanoines fe prétendoient éxempts , il fe démit de fon évêché en faveur de GuillaumeFouquet de la Varenne , qui kü remit trois abbayes qu'il poffédoit. M. I Miron fe retira a Paris. Le cardinal de Richelieu , inquiet du crédit que le mérite de cet ' ex-évêque lui avoit acqilis , & lui confervoit a la cour , le fit nommer de nouveau évêque I d'Angers , après la mort de Guillaume Foul| quet, arrivée au mois de juin 1621 ; &il en prit une feconde fois poffeiTion le 23 avril 1622. Louis XIII le transféra,au mois de décembre 1626 , a 1'archevêché de Lyon , 1 6ü il mourut le ó aoüt 1628. Quoiqu'ü ne füt agé. que de foixante-deux 'a foixantel trois ans , il étoit le doyen des prélats du | rpyaume.  3? 8 Hiftoire -d'exorcifer, fans être affuré auparavant de I etat de cette prétendue poffédée. II la fit retenir dans une maifon, oii elle étoit nourrie par fon ordre. On mettoit, a 1'infcu de cette fille, del eau benite dans fa boiffon ; 1'eau benite ne faifoit pas , fur elle , plus d'impreifion que 1'eau commune. Quelques jours après , l'évèque fait venir la poffédée ■ on apporte un benitier, dans lequel il n'y avoit que de 1'eau toute fimple; Marthe, qui la jugea benite , tombe pat terre , fe débat, & fait fes grimaces accoutumées. L'évèque dit qu'il avoit un motceau de la vtaie croix, & 1'offre a baifer a la poffédée : a 1'afpecf d'une telle relique , les agitarions deviennent plus violentes. Qu'on m'apporte mon grand livre d'exorcifmes, dit le prélat; on apporte un Virgile : le pontife, prenant la contenance d'un homme qui va parler d'autorité, prononca d'un ton grave : arma virum que cano. A ces mots , les convulfions redoublent , Sc deviennent d'une violence extreme. L'impofture ainfi découverte, l'évèque d'Angers chaifa cette malheureufe . & lui défendit de reparoitre dans fon diocèfe. L'ofiicial d'Orléans fit de pareilles  dUrbain Grandier. 3^9 épreuves. Entre autres, il fe fit apporter un gros Defpautère, relié avec des ais Sc des fermoirs de cuivre, ce qui donnoit a ce livre un air antique Sc vénérable. On 1'ouvre , & on le donne a lire a 1'énergumène, Elle tombe fut ce paffee : Nexo y xui xum vult. Texo 3 xuit j inde que textum. Des paroles fi énergiques renversèrenc Marthe Eroffier par terre, oü elle fe roula & s'agita a fon ordinaire. Un autre jour , quelques eccléfiaftiques du diocèfe d'Orléans eftayèrent de chafler le démon par la fumigation, qui eft une efpèce d'exorcifme. On lie la démoniaque dans une chaife, on place prés d'elle des herbes Sc des drogues d'une odeur défagréable , auxquelles on met le feu; on lui porte enfuite la caftblette fous le nez. Après de grands mouvemens de pieds, Sc diverfes contorfions excitées par 1'acreté Sc la puanteur de la fumée , elle fe mit a crier : pardonne^-moi, je n'cnpuïs plus y j'ètouffe , qu'on me larjfe , le diable s'en e(l allé. L'official d'Orléans , qui viti bien que cette fille, ou avoit 1'imaginasion blefTée, ou ctoit coupable d'une  $6o Hiftoire impofture puniffable , fe contenta de defendre les exorcifmes a tout prètre du diocèfe, fous peine de fufpenfion d divinis. Les Capucins furent mortifiés de ce jugement; mais ils ne lachèrent pas pnfe. La poffédée fut conduite a Paris. On aiTembla les médecins ■ l'évèque de cette capitale, & l'abbé de fainte Géneviève, affiftèrentai'examen. Les médecins firent leur rapport : uri petit nombre fut pour la poffeffion • mais un des plus fcavans & des plus' expérimentés, nommé Marefcot, fit fur la polTédée des épreuves qui mirent en evidencelafaulfeté de la poffeffion. Le diable fut muet & confus , & le grand nombre des médecins prononca, par la bouche de Marefcot leur ancien : nihil d\ dxmone , multa ficla „ d morbo' pauca. ( Le démon n'a aucune part a tout ceci ; on peut attribuer quelque chofe aux difpofitions du corps de cette fille ; le refte n'eft qu'artifice.) Le parlement prit connoiffance de cette affaire ; & par arrêt rendu , la ©Tandchambre & la tournelle .affemblées, Marthe Broffier, avec fesfceurs, &leur père , qui étoit un marchand de drap ruiné , fut renvoyée dans le lieu de fa naiffance, avec défenfe d'en fortir. La  cTUrbain Grandier. 361 La relation n'en dit pas davantage. Mais les lettres du cardinal d'Offat (1), (1) Arnaud d'OfTat, né a Caffagnabère , ; petit village prés d'Auch, de parens pauvres , fe trouva fans père , fans mère & fans bien , a 1'age de neuf ans. II fut élevé avec le fei■ gneur de fon village, qu'il devanca fi fort dans le cours de fes études, qu'il devint fon précepteur. Ayant fait fon droit fous Cujas , il fuivit le barreau de Paris avec diftin&ion. ; Les protecfeurs qu'il s'acquit par fon mérite, : lui procurèrent une charge de confeiller au préfidial de Melun. Paul de Foix, archevêque de Touloufe , nommé par Henri III k 1 1'ambaffade de Rome, choifit d'Offat pour 1 fécrétaire de fon ambaffade. Après la mort de ce prélat, arrivée en 1584, d'Offat fut chargé 1 en chef des affaires de France. Henri IV dut ! a fes foins fon abfolütion , & fa réconcilia; tion avec la cour de Rome. Ses fervices furent récompenfés par 1'évêché de Rennes , & par le chapeau de cardinal en 1599; enfin , par 1'évêché de Bayeux en 1601. II mourut ; a Rome en 1604, agé de foixante-fept ans. ; Le cardinal d'Offat avoit une pénétration prodigieufe; il prenoit fon parti avec tant de difcernement que , dans toutes les affaires & les négociations dont il fut chargé, il eft impoffible de lui imputer une fauffe dé1 marche : il feut allier , dans un degré émi: nent, la politique avec la probité; les grands lemplois avec le défintéreffement; les digni::tés avec la modeftie. Nous avons de lui un ;;grand nombre de lettres, qui paffent, avec iraifon, pour un chef-d'ceuvre de politique. Tonu IV. Q  3 6 z Hijloire nous apprennent la fuite de cette affaire. Marthe Broffier, échappée de la maifon paternelle, trouva un protecteur dans l'abbé de Sairit-Martin , frère d'un évêque de Clermont, de la maifon deRendan , qui eft une branche de celle de la Rochefoucault. Soit que ce füt de ces hommes dont la dévotion a plus de chaleur que de lumière, foit qu'il füt animé d'un refte fanatique de la ligue, cet abbé conduifit la prétendue poffédée en Auvergne , oü il paroït qu'il avoit deffein de la faire exorcifer de nouveau. Le parlement de Paris trouva mauvais qu'on cherchat, paf cet enlèvement , a éluder fon arrêt. II en donna un fecond contre l'abbé de Saint-Martin , & contre l'évèque de Clermont. L'Auvergne étoit dans le telfort de cette cour: les deux frères ne fe crurent pas affez fotts pour lutter contre elle; ils firent partir la démoniaque pour Rome, oü ils avoient des amis & du On y voit un homme fage , profond, mefuré, décidé dans fes principes & dans fon langage. La meilieure édition eft celle d'Amèlot de la Houffaye , a Paris 1698, in-40. tk in-i 2 cinq volumes. Celle d'oü eft tiré ce que je vas rapporter, eft la lettre au Pi.oi, du msr» credi 19 avril 1600, liv. 6, lettre 52,  d'Urbain Grandier. 3 63 crédit. L'abbé la mena d'abord a Avignon , ou il jugea qu'il n'avoit plus rien a craindre ni du parlement, ni de la cour, qui vouloit voir finirle trouble que caufoit cette prétendue poffeffion. Le cardinal cTOiïat , qui étoit a Rome , fut informé de cette équipée. Rien ne lui paroiifoit indifferent dans les conjonótures délicates oü fe trouvoient les intéréts du roi Henri IV fon maitre ; „il follicitoit alors la caffation de fon mariage avec la reine Marguerite , pout en contraéber un autre avec Marie deMédicis. Le cardinal priaM. deSillery (1), ambafladeur a Rome, ^ (1) Nicolas Brulart, feigneur de Sillery ; d'une familie illuftre dans 1 epée & dans la robe , arriya a la dignité de chancelier, après avoir paffe par tous les degrés de la magif. trature. II fut plenipotentiaire aVervins , & ambaffadeur a Rome, pour 1'afFaire dont iL eft parlé dans le texte. Le fuccès qu'il y obtint lui attira toute la faveur de Henri IV. Ce crédit diminua, & fe perdit même tout a. fait fous la régence de la Reine , qui hü donna ordre enfin de fe retirer dans fa terre de^ Sillery. Cette difgrace lui futfi fenfible, qu'il ne pouvoit contenir fes lamentations. II mourut au mois d'oftobre 1684, agé de quatre-vingt ans. C'étoit un homme fin , délié , toujours fur fes gardes , avide d'honneurs & de richeffes; Q ^  364 Hijloire de fe joindre a lui, & de prévenir le pape fur Farrivée de l'abbé de SaintMartin, avant que 1'on tint conliftoire. Ce cardinal j. dont le mérite avoit forcé tous les obftacles de la naiflance la plus obfcure , étoit un de ces habiles miniftres qui fe font informer de tout, Sc qui ne négligent rien. 11 fcavoit qu'en matière de négociations, les plus grandes difficultés font quelquefois caufées par des incidens, qui ne parohTent d'abord que des minuties méprifables. On lui avoit mandé de France que le père Sirmond (i), Sc un autre Jéfuite Frai;- (i) Jacques Sinnond , né a Riom en 1559, fils d'un juge de cette ville , fe diftingua, parmi les Jéfuites , par fon érudition. II fut, pendant feize ans, fécrétaire du général Aquavïva. II profita de fon féjour- a Rome , pour cultiver fon goüt pour les fciences. II fut protégé par les cardinaux d'Offat & Barberin, qui étoient fes amis. De retour en France , il fut confeffeur de Louis XIII. II remplit long-tems ce pofte avec 1'eftime du public. 11 avoit les vertus d'un religieux & les qualités d'un citoyen. Pendant qu'il fut a Rome, il s'employa fort utilement pour fa patrie. On a , de lui, un grand nombre d'écrits , qui prouvent une connoiffance confommée de rafatiquité eccléfiaftique. Le ftyle en eft pur & agréable ; ils font prefnue tous en latin. Ha fait d'excellentes notes  d Urbain Grandier. 36$ cois , qui étoient a Rome,' ne manqueroient pas d'appuyer l'abbé de Saint- 1 Martin &c 1'évêque de Clermont, en reconnoiüance des obligations que la fociété avoit a leur maifon , qui lui avoit fondé un collége. Le cardinal d'Oilat fit venir chez lui le père Sirmond, 8c lui repréfenta adroitement toutes les fuites que pourroit avoir cette* entreprife. II lui expofa que « la con» duite de l'abbé étoit un attentat conn tre la juftice & Pautorité du Roi -y que « les jugemens des cours fouveraines » devoient être refpectés. D'ailleurs , » que les Jéfuites feroient tort a leuis n affaires , s'ils appuyoient les préten- i j>tions, & favorifoient 1'entêtement de l'abbé de S. Martin ; que la poflef» fion de cette fille n'intéreüoit en rien » la religion catholique j que , comme » il étoit certain en général qu'il y a eu » Sc qu'il y a au monde des démonia- fur les conciles de France, fur les capitulaires de Charles le Chauve , & fur le code Théodoften. Cette colleaion eft imprimée a Paris, chez Cramoifi, 1629, trois vol. in-fol. Pour la completter , il faut y joindre le fupplément de la Lande, Paris 1666, in-fol. & celui de Odefpun, Paris 1646 , infol. &c.  3& Hiftoire » ques, & que Ja pui£rance de Ies " °feraeft en We} auffi, quand il eft >■ queftion d'un particulier, s'il eft dé * momaque ou non , il y faifoit fi obf» cur pour les fraudes qui s'y commet" ?nï,'L& P°Ur la ""militude des effets " 7 \hu™eilt mélancolique avec ceux " «UQ1Aable5que,dedix qu'on préten- * dolt etre re,s'> «. peine s'en trouvoit-il » un vrai; & ]e pllls fouvent les méde_ » cms ne s'accordoient-pointentreeux, » non plus que les théologiens, & au» tres gens fcavans „. Le père Sirmond, qui étoit auffi raiionnable que fcavant, & dont la modeftie egaloit les lumières, goüta parfaitement les raifons du cardinal, & lui promit que ni lui, ni fes confrères , ne le meleroient de cette affaire. On paria de la part du cardinal d'Offat, a Pabbé de Saint-Martin, qui fit mettte la pofiedee dans une communauté; & H finit la poffeffion. En yoici une plus récente , que M. le cardinal de Luynes , archevêque de J>ens, & alors évêque de Bayeux , a terminee fans exorcifmes , après avoir examine & approfondi la vérité. II eft bon avant tout, de faire connoitre les perionnages qui ont repréfenté dans cette fcène.  d'Urbain Grandier. 367 11 y avoit a Evrecy , petit bourg^ en Normandie , voifin de Caën , un prètre , nommé Jean Heurtin , qui vouloit abfolument faire des faints ou des faintes. Dans ce lieu, étoit une fille imbécille, nommée Marie Létoc , a laquelle cet eccléfiaftique prétendoit que Ie ciel avoit accordé le don de prophétie : en conféquence, le fieur Heurtin lui deftina une place dans le calendrier. Cet homme étoit d'une conduite réguhère, avoit un air compofé, un maintien modefte , une figure revenante , & parloit fans ceiTe le langage de la dévotion. Ces qualités extérieures fonr bien propres a prévenir ceux qui s'arrêtent toujours a la furface des chofes; aufli acquirent-elles des profclytes au fieur Heurtin, entre autres , deux gentils: hommes du voifinage , MM. de L, & | V. La dévote d'Evrecy fut pour eux , fur la parole de leur direcf eur, une fille ; toute miraculeufe . On les vit, fur une prédiftion de cette imbecüle , palier toute une nuit dans 1'attente d'un prodige qui devoit venir d'en haur, & qui ne vint point. Le jour parur , que 1'on étoit encore dans 1'attente. La curiofite avoir attiré beaucoup de fpecfateurs. M. de V. qui ne pouvoit fe réfoudre a Q iv  36% Hiftoire pas ajouter foi aux prédiéfions de ia lainte, trouva tout d'un couple motif qui avoit empêché 1'exécution de celle-ci. Fousvene^, s'écria-t-il, qu'il fe fera trouve iei quelques chiens de Janrade" ^ aUr0ntfait mana^r le mi- L'illufion de la prétendue fainteté de cette fille fut enfin déeouverte, & lefieur Heurtin, qui n'en vouloit pas demordre,futinterdit. V Outre cette fainte, il s'étoit encore déclare panegu-ifte d'un prétendu martyr quil nommoit Abraham Walfride Un jour , au milieu d'un dïner qu'il donnoit a plufieurs perfonnes qui 1'étoient venuvoir, il fe mit a rêver quelque momens, & fortant enfuite de fa rêverie comme d'une extafe : « Evrecy * s'écna-t-il, tu n'es maintenant qu'un * Pet.U b°Ufg5 mais «» jour la ville de » Caen fera moins confidérable que »toi „Cette exclamation prophétique caufa de 1'étonnement auxconvives. Onlepria de s'expliquer; dl le fit en peu de mots j après quoi la compagnie jardin « C eft peu de chofe, dit-il', «Meffieurs, que ce petit jardin, mais " >ele Prefere a royaume „. On lui  d'Urbain Grandier. ^6c) demanda la raifon d'une telle préférence : « C'eft ici, dit-il, que fut mar„ tyrifé le bienheureux Abraham Wal„ fride : jugez combien un lieu arrofé » d'un fang fi précieux me doit être „ cher & refpeótable ». On lui demanda quelle preuve il avoit que fon jardin eüt étéle théatre du martyre de ce grand faint: « Je n'en puis douter , dit M. » Heurtin , la fainte fille me L'a fait „ connoïtre (il parloit de Made Létoc ), „ & Dieu ku-meme a aaigne me ie ic- n veler ». TTn anrrp iour. une demoifelle du canton, accompagnée d'un gentilhomme de fon voifinage , alla rendre vifite a M. Heurtin, qui étoit pour lors avec M. de V. fon ami. On s'achemina vers le lieu oü avoit été inhumé Abraham Walfride. Chemin faifanr, le fieur Heurtin & M. de V. relevoient le mérite du faint, & affuroient que fon tombeau exhaloit une odeur merveilleufe. On fe baifte , on applique le nez a une ouverture que le peupie avoit faite , a force d'en enlever de Ia terre, que M. Heurtin donnoit comme un excellent fébrifuge. « Ehbien! dit-il a la demoi„ felle, qui s'étoit confeffée a lui depub « peu, que dites-vous de cette odeur»?  370 Hiftoire Ellecraignüdele mortifier, enavouant la veme, & s'excufa fur un refte de rhume. M. de V. flaira de nouveau, & protefta qu'il n'avoit, de fa vie , rien lenti de pareil, & qu'ü étoit tout embaume. Le tour de flairervint au ©enti homme qui accompagnoit la demoiielle; mais il ne trouva qu'une odeur de terre remuée, & un peu humide. M. de V. fronca le fourcil, fe facha , « mit ce gentilhomme au nombre des incrédules « H n'eft pas donn, , ^ » Ie monde de croire, dit M. Heurtin Wuntondévot; & il faut que 1'ame « ioit dans certaines difpofitions pour «jomr d'une telle faveur». Voici encore un autre vifionnaire de la meme clique; c'eftle fieur Marcine , Eudure (i). Un feul trait caractérifera cet enthouftafte. II difoit un jour , en préfence du grand prévót de Caën, qu'il avoit vu la grofe Angélique paffer, comme une aiguille, au travers du (i) Les Eudifles font une efpèce de concélebre Menen Mézerai. Elle a' quelque Rnn T" drDSh Normandie!1 La Roqne, dans fa Vle de Mézerai, rapporte nef0-P-a^ ^Pe°dee  dUrbain Grandier. yjl nou d'une ferrure. « Quoi, reprit le „prévbt, vous avez vu paffer cette ,, aroffe fille pat le trou d'une ferrure ? M Oui, repliqua 1'Eudifte d'un ton mal » affiiré. Vous 1'avez vu, reprir l'autre , „ de ce ron dont il déconcertoit les cri„ minels qui mentoient. L'Eudifte ne ,, puty temt; je ne 1'ai pasyu. , dit-ll, „ Monfieur, mais je 1'ai oui-dire a des >, perfonnes , & c'eft comme fi je 1 avois 33 vu moi-même ». A ces vifionnaires, joignons un üeur Charpentier , qui difoit avoir vu ie diable fous une figure terrible. Outre les cornes dont on a prefque toujours foin de le pater, il ayoit un ceil de poule & un ceil de perdrix. 11 poufloit hors de fa gueule une langue toute de feu , &c d'une énorme longueur. Certe langde formoit une figure fpirale j elle s'avancoitfurunfens,& rentrmr fur le fens oppofé , comme une vrille. L'interdiótion du fieur Heurtin etoit regardée par fes arnis comme un aifront & une injuftice criante , qm rendoit ce bon ecclèfiaftique inutde i tant d'ames dévotes. L'occaiion de Ie remettre en fon&ions fe prefenta ,8c tut faifie. La cure de Landes, au diocefe de Bayeux, vint a vaquer. M. de Qvj  37* Hiftoire T ^^.Pwrön, la lui donna. Sa gm7& lui étoient les plus zéle & 1« plus aveugles partifanS$e « vifiORt Ils avoient quatre filles. Au mois de Le CU5 f d une §roire fiè^e. de hu t lePrem«r qui, au bout ï ?mt Jol\rs> s'appercut qu'il y avoit de 1 extraordinaire dans ceae maladie Cette decouverte fiat confirmée par unê vifion L'enfant raconta a fa mère & au fieur Heumn quelle avoit vu un ieune Wme vêtude blanc,qui dit qu elle auroit beaucoup a fouffrir d^pnères11 ff ^ ^ defèll f 'o f""011' J" exor^es pet teTlie ^ ^ ^ ^ cetre Fon I r ' ^ " 3VOir vu dans la maifon de fon pere que des aétes de piété & qmn avoit entendu que des dtfcou^ de devonon fe mit d blafphêmer I profeter des fermens exécrables /man Suerderefpecfdfonpère,/^^ ?eatfeIeS^^^S On penfe bien que le curé ne s'avifa pade faire donner le fouet ^ I'enfan £ eut recours i un remède qui étoit ^en plus defongout^exoLfa La  et Urbain Grandier. 373 chofe fit du bruit \ les curés voifins accoururent, Sc quelques-uns d'entre eux partagèrent les fatigues du fieur Heurtin. Un jour, la petite Claudine avoit annoncé que le diable qui la poiTédoit, Sc qui fe nommoit Crevecceur, fortiroit précifément le jour de faint Louis. Le fieur Heurtin n'en douta pas; il 1'annoncaaupróne, & invitafes paroilfiens a fe trouver, ce jour-la, a 1'églife. Plufieurs perfonnes, tant du clergé que de la nobleile , furent invitées a la cérémonie; on avoit préparé un grand diner. Le diable fortit en effet. Le fieur Heurtin en rendit graces par une mefle folemnelle. Dans fon enthoufiafme , il dit, en quittant les vêtemens facerdotaux, a un de fes confrères: » mon ami, 35 je viens de réuffirala petite Claudine; 35 on verra que je réufïirai de même au 55 bienheureux Walfride , Sc on fera 55 forcé de reconnoitte 1'efprit qui fai55 foit parler la bonne fille d'Evrecy 5». Cependant le diable entra de nouveau dans le corps de la petite fille; elle fut reprife d'accès femblables a ceux qui avoient précédé fa prétendue guérifon. Je dis prétendue, car les domeftiques de la maifon afluroient qu'ils  374 Hiftoire n'avoient remarqué aucun changement, fi ce n'eft a 1'églife, oü elle étoit plus tranquille. Dans le même tems, la feconde fille de M. de L. tomba dans une langueur & dans un dérangement d'eftomach, qui ne lui permettoit de garder aucune nourriture. Le fieur Heurtin devina fnr le champ la caufe de la maladie. Auifitöt que cet oracle eut parlé , cette fille fut faifie de fureurs qui furpaflbient celles de fa fceur, fur-tout quand il s'agiffoit d'acfes de religion. Quelques jours après, 1'aïnée fut attaquée comme fes fceurs; & les diables fe répandirent dans toute la paroilfe. Les deux fceurs qui tenoient 1'école , la fervante du curé , la fille du maréchal, la fervante de bafie-cour du chateau , fervirent de repaire a autant de diables. Le curé crut en voir par-tout; il ne parloit d'autre chofe. Entroit-il dans une maifon , pour voir unmalade, fon premier foin éroit de faire des fignes de croix fur la tête , fur la poitrine, fur les pieds, & aux quatre coins du lit de celui qu'il venoit vifiter. Une jeune veuve de la paroifle le pna un jour de venir voir un petit gar$on qu'elle avoit, qui étoit très-mal.  cT Urbain Grandier. 3 7<$ Le fieur Heurtin débiira , en en trant, ipar faire fes fignes de croix. La mère lui demanda la raifon de cette nouivelle cérémonie dans les viiites des mailades. Le curé lui répondit gravement: « ma chère demoifelle, nous avons des 5? remèdes plus erïicaces que ceux des jj médecins. L'efprit de ténèbres a la plus }■> grande part aux maladies des hom» mes ; vous verrez , dans la fuite , » pourquoi j'en agis ainii =>. L'enfant mourut peu d'inftans après. Cette mère, affligée de la perre de ■ fon fils, eut encore la douleur d'ap1 prendre que M. de L. avoit fait a Caën une tentative qui ne tendoit a rien : moins qu'a la déshonorer, elle & fa familie. Elle avoit une fceur mariée dans ] cette ville : Heurtin eut une révélation I qui lui avoit appris que le paóte qui 1 occafrpnnoit les poffeffions dont fa pa'roiffe étoit affligée , étoit caché dans le , grenier du beau-frère de notie veuve , entre deux poutres. Il perfuadaa M. de L. qu'il arrêteroit le mal dans fa fource, s'il pouvoit avoir ce pacfe , par lequel on découvriroit le magicien. Ce bon gentilhomme obtint de M. de Vaftan , pour lors intendant de Caën, des archers de la maréchaulfée, qui, fous  yjG Hiftoire prétexte d'un foupcon de quelques marchandifes de contrebande, allèrent faire perquifition dans la maifon indiquée. Le pacle ne fe trouva point. Le curé ne perdit point tête : il dit qu'on 1'avoit enlevé pendant la nuit; & que cette nuit même, étantcouché, il avoit fenti qu'on lui avoit foufflé dans 1'oreille. Cependant les diables de Landes s'accréditoient d'une étrange facon : on n'entendoit que cris , qu'hurlemens , que blafphêmes. On voyoit ces filles tomber évanouies, faire des grimaces horribles, tenir dans 1'églife les poftures les plus indécentes, les difcours les plus impies. M. de Luynes, qui pour lors étoit a Paris, en fut informé. II chargea fes grands-vicaires de donner toute leur attention a cet événement. Dix curés du voifinage furent nommés pour faire des exorcifmes , & drefièr des procès-verbaux; mais ils ne s'accordèrent point entre eux; &, après dix ou douze jours de travail , ils fe féparèrent, fans avoir fait autre chofe que de beaucoup tourmenter les pauvres énergumènes; & M. de Creuly , fupérieur des Eudiftes de Caën , prononca gravement qu'ils étoient tous des ignorans qui ne fcavoient pas leur métier.  d'Urbain Grandier. 377 II fut nommé pour exorcifer, «Sc fe rendit a Landes , accompagné d'autres Eudiftes bien déterminés a chaffer le diable. On fe mir vivement a fes rroufles ; mais, plus on le harceloir , plus il faifoit le mutin. On vouloit fur-tout le fotcet a déclarer s'il y avoit un pad e , tc en quel lieu il s'étoit fait. Le curé Heurtin n'en doutoit point ; mais il falloit le faire dire par le diable : quoiqu'il foit reconnu pour le père du menfonge, on étoit pourtant difpofé a. le croire fur fa parole. Il n'en parloit pas avec la précifion que 1'on auroit founaité ; tantbt il difoit qu'il avoit été fait dans une petite maifon a Saint-Nicolas tantbt c'étoit a Saint-Jean. II difoit bien qu'il y avoit trois complices ; mais n'ayant pas autant de crédit qu'eh avoient eu ceux de Loudun , il n'ofoit hafarder les noms. Cette feconde tentative des exorciftes dura prés d'un mois. On faifoir rrèsfouventcommunier les pofledées, malgré elles; on leur ouvroir la bouche a force, & lorfque le prêrre rrouvoir le momenr favorable , il introduifoit promprement 1'hoftie. Les mémoires du tems atteftent que des perfonnes  378 Hiftoire dignes de foi ont vu Ja fille ainée de M.deL. la craclier & la rejetter. Le fieur Heurtin, qui voyoit tout Ie monde révolté contre une pareille prolanation, n'en étoit que plus opinikre , öc loutenoitque les fréquentes commumons étoient nécelfaires pour mortifier Ie demon. Le fieur de Creuly, de fon cóté, comptoit toujours fortir victorieux de ies combats. Le démon lui avoit même fait entendre qu'il fottiroit fans faute h veille de la Toulfaints. On fit; a cet effet, les mêmes préparatifs que Ie jour de lainc Louis: on crut le diable forti • mais pendant 1'allégrelfe qu'infpir.it unfplendide diner, le diable reparur, Le fieur de Creuly fut déconcerté, & forcé dequitter prife , après avoir fait bien des reproches a fon ennemi , & lui avoir dit force injures. , M- l'évèque de Bayeux fongea enfin a terminer ces fcènes, qui commencoient a fcandalifer. Mais , connoiifant Ie caracf ère des fanatiques fuperftitieux, u crut devoir prendre des mefures propres a les confondre, afin de prévenir leurs cris, ou du moins de les rendre mutiles. II fit tous fes efforts pour perluader au père & a la mère de féparer  cTUrbain Grandier. 379 : leurs filles; il offrit de les faire recevoir chacune dans une communauté. M. de L. parut aifez gouter la propofition ; mais fon époulé protefta que jamais 1 elle ne fouffriroit que fes filles fortiftent de chez elle ; & elle fut inébranlable. Ou auroit-elle pu trouver un directeur rel que M. Heurtin ? Le prélat, qui fcavoit de quel ceil le public regardoit cette polfeflion, fut fort étonné de voir une femme, qui d'ailleurs pafloit avec juftice pour avoir de 1'efprit, donner fi facilement , &c perfévérer avec tant d'opiniatreté dans les rêveries d'un prètre qu'il avoit luimême traité de vifionnaire en plein fynode, & qu'il avoit interdit au fujet de la fainte d'Evrecy. II ne voulut cependant pas heurter de front un entètement, dont on pouvoit attribuer la fource aux fentimens maternels. Avant de faire venir 1'autorité publique au fecours de la vérité, contre les droits maternels , ce fage prélat crut qu'il étoit de fa prudence & de fa juftice de mettre tout en ceuvre pour découvrir a cette dame 1'illufion de fes préjugés, & la convaincre que tout le fcandale qu'ils occafionnoient ne pouvoit être arrêté que par autorité. On va  380 Hiftoire voir que fa complaifance Sc fa patience furent portées jufques oü elles pouvoient atteindre. M. 1'évêque de Bayeux prit donc le parti de faire conduite a Caën les prétendues poffédées, Sc de leur faire fubir un nouvel examen en préfence des docteurs en théologie & en médecine, Sc des fupérieurs de différentes communautés. Le rituel du diocèfe, qui indique les fignes d'une véritable poffeffion , fut confulté; on n'en trouva aucun dans les poffédées. Les médecins voyoient, a la vérité, des filles qui, dans leurs' convulfions , paroiffoient infenïibles : mais ils fe gardèrent bien d'attribuer « cet état a 1'impreffion du diable, Sc prirent une voie bien ftmple pour juftifier leur incrédulité. Celle des poffédées qui fe faifoit le plus remarquer, étoit la fervante de baffe-cour. C'eft a elle auffi que les médecins s'attachèrent davantage ; elle avoit d'ailleurs plus de forces pour fourenir la violence des remèdes. On la piquoir, on lui brüloit la peau, fans qu'elle donnat aucun figne de fentiment. Un chirurgien s'avifa de lui iniinuer dans les narines de 1'efprit de fel  cTUrbain Grandier. 381 i ammoniac, qui fit un effet auquel M. s, At> T.. ne s'artendoient pas. Les larmes eoulèrent d'abord des yeux de cette fervante • elle fe reveüla tout j. Rr fp inir a oroferer les m- remens les plus grofliers , & a accabler des épithctes les pms uun >« ««.«~—, & le chinu-gien qui lui avoit fait manquer fa convulfion. Elle tomba encore, quelques momens après, en fyncope , en préfence des mêmes perfonnes. Un attendit qu'elle parüt abfolument denuée de tout fentiment: le meme chirurgen s'apprêta alors a lui adminiftrer le même remède ; elle le vit, quitta la convulfion, jura qu'elle vouloit retoiirner a Landes, & fe tirer des mains des médecins & des chirurgiens, qu'elle traita comme elle avoit fait la première fois. Toute la bande quitta Cacn , & s'en retourna comme elle étoit venue. M. de L. ne perdit pas encore courage. II entendit parler du fieur Charpentier, celui qui avoit vu le diable fous une figure fi hideufe & fi effrayante. II avoit une gtande réputation au fujet des obfelfions & pofleüions du malin efprit. M. de L. pria M. l'évèque de Bayeux de lui écrire. La complailance de ce prélat neBoit pas encore a boutf  38*. Hiftoire il invita Charpentier a fe rendre £ Lan d'habiles médecins quels étoient les » remèdes les plus fpécifiques contre ce 3) mal y ils m'ont alTuré que le plus 3> eflïcace 8c le plus prompt étoit de 33 donner promptement & fortement 33 la difcipline au moment que les 33 convulfions commencent , 8c voila 33 deux bonnes fceurs que j'ai chargées 3» de vous rendre ce bon office. Si 33 vos convulfions vous reprennent, ma 33 fceur 1'infirmière aura foin de les aver30 tir fur le champ; 8c je veux que, »3 fans perdre un moment , elles quit33 tent toute autre occupation pour vous as délivrer d'un mal fi étrange; & je 33 compte affez fur leur charité , pour 33 être fure qu'elles n'épargneront rien 33 pour votre guérifon », Cette ordonnance fit un tel effet, que 1'on n'eut pas befoin de recourir au remède même, ïa guérifon fut fubite 8c complette. Je ne finirois pas , fi je voulois compiler toutes les hiftoires de pofleffion , qui n'ont du leur exiftence qu'a. la fuperftition, au fanatifme , a 1'intérêt, ou a d'autres paflions. Contentons-nous d'adopter le fentiment du père Calmet, dans fa diflertation fur les obfeffions & pofleifions du démon, Jl ya, dit ce  ctUrbain Grandier. 387 » célebre commentateur , plufieurs ca»> raétères douteux & équivoques dans » les obfeffions du démon, & il y en a » beaucoup moins de réelles que 1'on 33 ne s'imagine. Nous n'entreprendrons 33 la défenfe d'aucune autre que de celles 33 qui font clairement marquées dans 331'écriture , ou qui fe trouvent dans 33 1'hiftoire , avec des circonftances fi 33 füres &c fi extraordinaires , que 1'on 33 ne puifle raifonnablement les attri33 buer ni a la maladie , ni a 1'imagina33 tion , ni a la fupercherie de ceux qui 3» contrefont les pofledés , ou de ceux 33 qui les fuppofent par des motifs d'in33 téret ou d'amour- propre. Nous ne »» fommes les défenfeurs ni de la vaine 33 fuperftition des peuples , ni du pré33 tendu pouvoir exclufif du démon , »> ni des faux miracles , ni de la fotte 33 crédulité des ignorans >3. II y a eu fans doute des pofiedés; il peut encore s'en trouver. II y en a eu un grand nombre du tems de JéfusChrift. L'évangile en fait foi. Saint Luc, IX, 38 , nous apprend que, le lendemain de la transfiguration, « un liomme 33 aborda Jéfus-Chrift, en criant: maï33 tre , regardez mon fils en pitié , je jj vous en fupplie, car je n'ai que ce  388 Hiftoire „ feul enfant. L'efprit malin fe- faiilt 55 de lui, lui fait, tout d'un coup, jetter as de grands cris, le renverfe par terre, „ Ie fait écumer, &c a peine le quitte33 t-il après 1'avoir tout brifé. J'avois 3, prié vos difciples de le chafler; mais 33 ils n'ont pu. Alors Jéfus dit ... . 33 amenez ici votre fils ; &, comme 33 1'enfant s'approchoit , le démon le 33 jetta contre terre, & 1'agita par de 53 grandes convulfions. Mais Jéfus ayant ,j parlé avec menaces a l'efprit impur , ,) guérit 1'enfant, & le rendit a 'fon s> père s>. Le même évangélifte rapporte ailleurs ( VIII, 17,) « qu'il vint , au33 devant de Jéfus, un homme qui, » depuis long-tems , étoit poifédé des 33 démons, qui ne portoit point d'ha33 bit, qui n'habitoit point les maifons , s3 mais les fépulchres. Aufli-tót qu'il >3 eut appetcu Jéfus, il jetta un grand S3 cri, fe vint profterner a fes pieds, >s & lui dit : Jéfus, fils du Dieu trèsf » haut, qu'y a-t-il entte vous & moi ? 53 Je vous prie de ne me point tourj* menter ; car il commandoit a l'efprit s3 impur de fortir de cet homme qu'il 55 poiTédoit depuis long-tems , & quoii3 ou'on le gardat lié de chaines , & les * fers aux pieds, il roropoit tous fes  et Urbain Grandier. 389 i> Hens , & étoit emporté par le démon 3J dans les déferts. Jéfus lui demanda , 33 quel eft ton nom ? II lui dit : je m'ap33 pelle Legios , paree que plufieurs dé3) mons étoient entrésdans cet homme; 33 &c ces démons le fupplioient qu'il ne 3) leur commandat point de s'en aller 33 dans 1'abime. Mais, comme il y avoit 33 la un grand troupeau de pourceaux , 33 qui paiffoient fur une montagne, ils 33 le fupplioient qu'il leur permit d'y en33 trer; ce qu'il leur accorda. Les démons 33 donc fortant de cet homme, &c. » Les autres évangéliftes parient de quantité d'autres poifeffions auxquelles le Sauveur mit fin par le feul commandement qu'il faifoit aux démons de fottir. II eft donc de foi qu'il y a eu des poifédés en grand nombre, pendant que Jéfus-Chrift a été fur la terre. On ne peut pas non plus refufer de croire qu'il y en a eu depuis. La confiance due aux récits de ces lumières de 1'églife , qu'elle a décorés de la qualité de fes pères , ne permet pas d'en douter. Sainc Jéróme entte autres (liv. 3 , lett. 8 , ) parlant a fainte Euftoquie du voyage de fainte Paule dans la terre fainte , dit qu'elle alla vifiter la ville de Sébafte , eu de Samarie. « C'eft en ce lieu, dit-il,  39° Hiftoire »que repofent les os des prophètes » Abdias & Elifée , & oü fur enfeveli n faint Jean-Baptifte. Eile y fut furprife » & ef&ayée d'une multitude de pro« diges dont elle fut témoin; car elle y » entendoit les cris & les tourmens des » démons; &elle voyoit aux fépulchres «des hommes qui heurloient comme » des loups, qui aboyoient comme des » chiens, qui imitoient les ruguTemens » des lions, qui liffloient comme des 3> ferpens, qui mugiffoient comme des 3> taureaux : d'autres faifant un cercle » avec la tête , la remuoient avec une » rapidité incroyable ; quelques-uns , « courbant le corps en are par derrière, J5 touchqient la terre de leur front. On »y voyoit des femmes fufpendues en « l'air , les pieds en haut, dont les vê>5 temens ne tomboient point fur leur 35 vifage >5. Saint Paulin , dans fon troilieme difcours fur la fête de fiünt Felix de Nole ; faint Hilaire, dans fa lettre a 1'empereur Conftance, & faint Chryfoftome , dans fon homélïe fur la deuxieme épitre aux Corinthiens, rapportent des faits a peu prés femblables* Mais , outre que ces poiTeflions font atteftees par des écrivains auxquels on ne peut, fans témérité , refufer la  d'Urbain Grandier. 391 croyance la plus entière, elles fontmarquées a des caradères qu'il eft impoflible de ne pas attribuer a des caufes furnaturelles. On ne voyoit pas d'ailleurs que les exorcifmes n'euflent d'aurre eftet que de procurer aux malheureux pofledés des contorfions qui ferviflenr de fpedacle & de pafle-tems aux afliftans, ni que les exorciftes annoncaflent, comme faifoient ceux de Loudun , qu'avant de faire forrir le diable , ils alloienr régaler les afliftans du fpedacle des convulfions, ce qui eft arrivé a Loudun : voyez pag. Z17. On ne croyoit point enfin que 1'églife, exercant par fes miniftres le pouvoir qu'elle a recu de Dieu, fur obligée de capituler avec les démons, & qu'il dépendit d'eux de fortir rel jour & a relle heure. Ils obeiffoient fur le champ a fes ordres; ou 1'on regardoit leur réfiftance comme la preuve que le miniftre n'étoit pas digne d'exercer le miniftère. Mais a Loudun, on n'a vu qu'une fuite de fcènes maladroiremenr préparées, de fcandales inouis, & de facrilèges qui fembloient concertés entreles exorciftes & les exorcifées. Et il me femble qu'il n'eft point de ledeur imparrial qui ne juge que, fi ces religieufes avoient été foumifes a & Riv  Hiftoire ia ;unfcrI&on immédiate & ^ M. de Sourdis alors archevêque de Bordeaux ou du eoadjureur de tours * deJLuy«es , évêque de Bayeux lesFetendus diables gi Jes pfi^ auroit bienrótété diffip^&pX- -r~, i • ^i, 5 ea 174° 3 un ouvraffe * w8a, &c. dans. * d iln epargne m les faux raifonnemens 2alité mCnarS ?°Ur étaU«'k jaiite de cette poffeffion, & Pénnhé du fupphce de Grandier. q II dit modeftement, dans fa préface • qaefon ivre eft « un modèle^fS « %equon peut faire des régies ( de *h crmque),qui pourra fe^de «guide en d autres occafions j&, ce qui »eft mfiniment plus utile que de lïe » Par pure curionté,onfeLmera^ " ?C fe defen,dre des impreffions fédui- fintes que les auteurs dangereux fÏÏ" vent/«ployer avec tant diti&e &  cPUrbain Grandier. 393 Je n'emploierai pas beaucoup de tems pour mettre le leóteur en état de juger des lumières & de 1'impartialité de ce maitre en fait de critique. 11 ne faut que jetter les yeux fur quelques-uns des Erincipaux raifonnemens qui forment l bafe de fon fyftême. i°. II allègue , pour preuve de la réalité de la pofleffion , « la converfion de » plufieurs perfonnes, qui furent telle33 ment frappées de ce qu'elles y voyoient, » qu'elles fe convertirent , & fe jettè» rent dans différens couvens ; entre »> autres, un avocar mort Capucin, dont >j on a la vie imprimée; & le fameux 3) M. de Keriolet, confeiller au parle33 ment de Bretagne , qui eft mort prê33 tre, après avoir vendu fa charge , 33 fait de fa maifon un hópital, & em33 brafle la pénitence la plus terrible; Sc 33 qui étoit, avant cela, 1'impie le plus 33 déterminé de fon fiècle. Sa vie, ajoute 33 M. de la Menardaye , eft imprimée , 33 &c fuffit pour confondre 1'impofj3 tute ». Je n'ai point lu les vies de ces deux convertis, & j'ignore le degré de foi que mérirent ceux qui les ont écrites'. Mais , en prenant pour guide le modéls de critique & -les régies que cet auteur Rv  394 Hiftoire nous donne, on peut lui démontrer que les convulfions occafionnées par l'attouchement du tombeau ou de la terre du tombeau de M. Paris , font miraculeufes. S'il ne veut pas convénir de ce fait, comme il y a bien de Papparence, il faudra qu'il convienne que fes regies ne font pas toujours un modèle a fuivre. Je ne raifonnerai point; je lui rappellerai fimplement un fait connn de tout le monde , & qui étóit récent quand il a compofé fon examen. M. Car ré de Montgeron étoit plongé dans 1'incrédulité , Sc dans les déréglemens qui la font naïtre. II alla, le 7 feptembre 173 1 , aufameux tombeau, pour examiner , avec les yeux de la plus févère critique, les miracles qui s'y opéroient. Mais il s'y fentit, dit-il lui-même dans un de fes ouvra<*es, tout d'un coup frappé Sc terraffé&par mdle traits de lumière qui 1'éclairèrent. D'incrédule, il devint tout a coup chrétien fervent; Sc de détraéfeur du fameux diacre, il devint fon apotre. II fe livra, depuis ce moment, au fanatifme des convulfions ; Sc après en avoir été d'abord le confeifeur, il en devint le martyr. II ramaffa tout ce qu'il put trouver pour établir la vérité des miracles Sc des  ttUrbain Grandier. 39? convulfions, en compofa un fort gros livre, qu'il préfenta lui-même au Roi. II fut enfermé \ & loin de rien faire pour adoucir fa captivité , elle ne fit que donner des alimens a fon fanatifme, qui lui mérita d'être refiërré de plus en plus. II mourut enfin, en 1750, dans la citadelle de Valence. Qui peut affurer que , fi cet ardent convuifionifte eut confervé fa liberté , il n'eut pas juftifié la vérité de fon opinion par des facrifices & par des aufterités aufli capables de convaincre M. de la Menardaye, que 1'ont été fon avocat de Loudun & fon M. de Keriolet ? Y a-t-il opinion religieufe , fi abfurde qu'elle foit, dont on ne put foutenir la vérité par les régies de critique que nous donne cet auteur ? z°. « II eft abfurde de croire qu'un » couvent de filles tout entier, que plu55 fieurs eccléfiaftiques conftitués en dijj gnité, & plufieuts religieux, avec les 3> premiers de la ville, qu'un confeiller 3> d'état, un miniftre , treize juges , 53 qu'il nous afliire avoir été choifis par33 mi ce qu'il y avoit de plus habile dans 33 les différens tribunaux du pays , avec 33 tous les médecins appelles, & tous »les exorciftes, de quelque état qu'ils R vj  3Qö Hiftoire » fuffent , eccléfiaftiques ou religieus j » il eft abfurde , dis-je, d'imputer a un » fi grand nombre d'hommes refpecta» bles un complot auilï noir , auili ab« furde, fans efpoir d'en titer aucun » avantage , qui étoit condamné par »leur confcience, 8c qui ne pouvoit » que les couvrir de honte». Quoi! ce maitre en fait de critique a lu aifez peu, ou a fi peu profité de fes lecfures, qu'il ne fe rappelle aucun complot plus étonnant encore que celuila ? Qu'il confulte l'hiftoire du genre humain, il en trouvera de pareils a chaque page. Qui lui a dit d'ailleurs que les ennemis de Grandier n'étoient pouifés par aucun motif d'intérêt ? N'at-il pas vu que les uns étoient excités par l'efprit de vengeance , les autres intimidés par 1'autorité, & les autres enfin gagnés par Tappas des profits pécimiaires ? Quelle certitude a-t-il d'ailleurs que les juges choifis pour former Ia commiilion, fuifent les plus habiles du pays. Aucun écrivain contemporain , que je fgache , ne leur a rendu ce témoignage; 8c M. de la Menardaye vient, cent ans après leur mort, leur donner des certificats de capacitél  d Urbain Grandier. 397 30. «■ Grandier étoit un fcélérat qui, » quand il n'auroit pas été magicien , » auroit mérité le feu pour fes adultères » perpétuels , Sc les facrilèges d'impu» rete par lui commis dans fa propte » églife ». On ne peut difconvenir que Grandier n'eüt donné lieu , foit par des imprudences, foit autrement, a la réputation qu'il avoit d etre plus galant qu'il ne conyient a un homme de fon état , qui ne peut être ni trop' réfervé , ni trop fcrupuleux fur ce qui concerne la chafteté. II doit en être un modèle aux yeux du public, Sc fin-fout aux yeux de fes paroiffiens , quand il a 1'honneur d'être pafteur. Mais des bruits fondés fur quelque indifcrétion équivoque , peut-être uniquement fur la jaloufie d'un mari, ou Tinquiétude d'un père , qui croient s'appercevoir que le pafteur infpire a fa femme , ou a fa fille, d'auttes feminiens que ceux de la piété; méritent-ils donc que 1'on brhle celui qui en eft Pobjet, fouvent innocemment ? II n'eft point rare de voir des dévotes plus attachées a leur direcfeur qu'elles ne devroient 1'être , Sc fans que ce directeur y contribue autrement que par les graces de fa figure 6c de fon efpriu  398 Hiftoire Quoi qu'il en foit, s'il y a du fcandale , c'eft au fupérieur eccléfiaftique a en examiner la fource, & a y apporter le remède que les circonftances peuvent infpirer & fa fageftè & a fa prudence. Quant a Grandier, on lui imputa d'avoir pouiTé la galanterie jufqu'aux derniers exces de 1'impureté. Mais on a vu qu'il a été lavé de cette accufation par jugement du préfidial de Poitiers , & de 1'archevêque de Bordeaux, fupérieur eccléfiaftique. On a même vu que ce prélat étoit tellement eonvaincu que cette accufation n'avoit d'autre fondement que la haine armée de la calomnie, qu'il donna a cet eccléfiaftique le confeil de s'éloigner d'un lieu ou il s'etoit formé contre lui une li dales hornbles, par fes outrages en-  d'Urbain Grandier. 399 „ vers les magiftrats , par les artifices » de fa chicane , par fes violences, qui n y avoient tellement mis le ttouble &c » la divifion , qu'il ne fe trouvoit per„ fonne de neutre fur fon fujet, ayant » fcufe faire de zélés partifans des uns, >, 6c poulfiant a bout tous les autres , » afin d'être foutenu par les premiers , „ & de récufer les feconds. Par-la , il » avoit ttouvé le fecret de mener fans fin tous les procés qu'on auroit pu » lui intenter , 6c de rebuter tous les v. tribunaux du pays. II ne falloit donc » pas moins qu'une autorité fupérieure, » comme celle des commiiTaires or» donnés par le Roi, pour mettte fin a » wnt de méchancetés , tant de crimes » 6c de fcandales ». Ce raifonnement me paroit fans réplique. Toute la fuite de cette hiftoire a fait voir combien les amis de Grandier étoient puiflans, 6c qu'il avoit furtout un cara&ère propre a la féducHon infinuante. D'ailleurs , on peut certainement compter fur la véracité des témoins entendus par les commiiTaires -y fur-tout après la déclaration faire par Grandier a la queftion, qu'il avoit vu Elifabeth Blanchard, pour la première fois , au moment oü elle lui fut confrontée.  4co Hiftoire M. de la Menardaye s'échauife fur cet obiet & met en oeuvre toutes les regies de fa cntiqae, & tout le poids de fes raifonnemens, pour écrafer ceux qui oient ne pas penfer comme lui. ^opions fes propres expreïfions : on ne pourroit y toucher, fans leur faire tort. "Pourquoi dit-il, les juges de » Grandier ne lui ont-ils point fair fon P proces pour des débauches fi notoires > " ^ eIt? , qu'ils n'en ont point ». trouve depreuvesconvaincantes.Vous » ne fongez donc pas, écrivains défen" feurs d'un telfcélérat, quevous faites » rei ces.ugesplus équitabies que vous » ne voulez. Quoi! foixante , ou qua»tre-ymgt dépofitions, dont ii y en » avoit du moins vingt-une bien arti* culees & bien foutenues , ne leur ont » point para des preuves fufEfantes > »Is avoient donc Ia confcience bien " Plu^ delicate que vous ne Ie dites » Or fi ces juges ont fait, de la ma»ge lobjetjPrincipal de ce procés, » Sc le fu;et de la condamnation , c'eft » donc que , felon vous-même il y " *V01t dfs freu^s plus convaincantes P fur ce chef que fur l'autre. Non re»prenez-vous; c'eft tout le contraire. p Un n a vu a Loudun qu'une miférabl^  d'Urbain Grandier. spr >t comédie dépourvue de toute vraifems) blance. 53 Hé bien ! je demande maintenant9' 3-5 a la face du ciel & de la terre, qu'on 55 me dife pourquoi les juges fe font 55 détetminés au chef de la magie plu55 tot qu'a. l'autre chef? Une feule rai» fon , qui ne foir point démentie par 35 le bon fens. Mais le réfugié , & fon >3 écho (i), n'ont point de téponfe. Ils 35 n'ont pas même prévu la queftion 35 tant ils avoient de jugement. Ainff* 53 que ces deux écrivains reftent éternel53 lement couverts de la honte qu'ils » méritent 55. Mais, M. de Ia Menardaye , que voulez-vous que Ton vous réponde ? Vous alTurez qu'il n'y a point de réplique a vous faire \ &c vous êtes dans une telle colère, qu'il ne paroït pas poftible de fe faire écouter de vous. Je ne fuis point 1'apologifte des deux auteurs qui vous échaufïenr fi fort la bile : mais il me femble que , fi j'étois a leur place , (1) M. de la Menardaye parle ici de 1'auteur de Vhïjioire des diables de Loudun , &c. imprimée , pour la feconde fois , a Amfterdam 1716 ; & de M. Gayot de Pitaval, qui a raconté cette hiftoire , a fa manière , dans Je rome 2 de fon recueil.  40i Hiftoire «Sc que je püiTe parvenir a me faire en- tendre, je vous dirois : i°. Vous apportez pour preuve ee qui eft en queftion. Vous prétendez que les vingt-une dépofitions que vous aifuxez être bien articulées & bien foutenues , formoient la preuve complette des débauches facrilèges de Grandier. Mais vos connoiffances profondes en fait de critique , «Sc la promelfe que vous nous aviez faite de nous donner des lecons fur cet art, auroient bien du. vous déterminer a nous mettre ces dépofitions fous les yeux , «Sc a les difcuter, pour nous en prouyer la véracité. Car je vous avouerai que le peu de connoiifance que j en ai me les rend fort fufpeétes. Ce font, pour la plupart, des filles «Sc des femmes qui dépofent de leur propre turpitude ; «Sc , inftruit comme vous 1'êtes, ou comme vous devez 1'être, vous fcavez bien qu'en juftice , non audhur propriam allegans turpitudinem. Et vous voyez fans doute fur quels motifs eft appuyé un axiome fi décent «Sc fi équitable. Vous auriez, entre auttes s calmé nos inquiétudes fur Ia déclaration que fit Grandier , a la queftion , au fujet d'Elifabeth Blanchard , 1'un des principaux de ces té-  d'Urbain Grandier. 403 moins , & fur le jugement qui condamna Tapothicaire Adam, dont j'ai parlé, pag. zoz. Si vous voulez un peu reprendre votre fang-froid , & m'écouter fans parrialiré, vous conviendrez que , ranr que vous ne m'aurez pas prouvé que ces deux témoins font dignes de foi, je n'en peux guère ajouter a une informarion dont ils n'ont pas été rejettés. Si vous ne convenez pas de cette vérité , je vous palferai, 11 cela vous fait plaifir, vos ralens en critique j mais je vous en croirai fort peu en juftice &c en jurifprudence. z°. Je vous dirois qu'il étoit aflez difficile de reprendre une accufarion , fur laquelle M, 1'archevêque de Bordeaux avoir ftatué définitivement par une fentence d'abfolution. On n'auroit pu alléguer d'autte prétexte que de nouvelles preuves furvenues; mais la feconde inftrucfion a laquelle ce prétexte auroit donné lieu , n'auroit pu fe faire fans le concours du métropolitain qui étoit faifi de 1'affaire. L'évèque de Poitiers ne pouvoit plus s'en meier \ 1'examen du délit commun , quant a cet objet, étant dévolu a fon fupérieur. Or, il paroit que la facon de penfer de ce prélat, n'étoit pas conforme aux  4^4 Hiftoire vues que 1'on avoit fur Grandier. 3 °./ J'ajouterois que, fi 1'on eut abandonne la magie pour ne s'occuper que des dcbauches de 1'accufé, les religieufes & les exorciftes étoient minés plus de penfions, plus d'aumónes. Les cnoies d'ailleurs avoient été pouffées trop lom pour qu'il füt poffible de recuier; il y avoit même du danger. Les magiftrats de Loudun, voyant condamner Grandier pour un autre motif que pour la magie, auroientpeut-êtrevoulu examiner de trop prés des polfelïions qui avoient tant caufé de fcandale, & h fort compromis Pétat 8c 1'honneur de tant d'honnêtes gens ; & peut-être que les puillances, qui s'étoient crues intéreifees a la perte de Grandier, étant iatisfaites, fe feroient peu fouciées de le donner de nouveaux mouvemens pour foutenir quelques Urfulines quelques Jacobins , quelques Capucins , &c. r II eft vrai, car il faut tout dire , que vous avez trouvé, dans Yexcrau du regiftre de la commiffion, imprimé a Paris en i ■> Gervais Méchin & Martin Bouliau, » prêtres , au pied de laquelle eft Tacfte » a eux oétroyé par ledit fieur évêque , j> de ce qu'ils ont reconnu «Sc déclare 3> avoir été féduits & contrahits par » plufieurs perfonnes d'autorité en la>3 dite ville de Loudun , de révoquer j> le rémoignage par eux rendu aux prejj mières charges contre ledit Grandier , j3 «Sc de ce qu'ils ont foutenu ledit té>■> moignage premier être véritable. Et j3 a ladite requête eft attaché le modèle »de la déclaration rendue par ledit 5> Méchin, révocatoire de fondit té5> moignage, écrite de la main de René » Grandier, frère dudit accufé , ainfi » qu'il i'a reconnu au procés ». A 1'occafion de cette pièce , vous ne manquez pas , M. de la Menardaye , de remarquer judicieufement, «Sc avec la modération qui vous eft ordinaire , qu'elle nous découvre une impofture  40 6 Hiftoire du réfugié, qui eft des pluscomplettes; des plus indignes , & des plus pernicieufes a fa caufe. II Ta placée , ajoutez-vous, au mieux, pour abufer Sc féduire ceux qui feroient fi fimples que de le croire fur fa parole. Vous faites enfuite ufage de votre talent dans Tart de la critique, pour nous découvrir les penfées fecretes de cet auteur , Sc les raifonnemens qu'il a faits en lui-même pour induire fes lecfeurs en erreur. Mais , fans examiner fi M. l'évèque de Poitiers étoit compétent pour répondre la requête en queftion, j'aurois bien fouhaité que vous eufliez fait ufage de ce même talent pour nous apprendre auifi a quelle marqué on peut connoitre Ie moment oü 1'on doit ajouter foi a «n homme qui fe contredit trois fois fur le même fait. Vous prétendez que la première rétradfation de Méchin étoit le fruit des menaces Sc du ctédit des amis de Grandier. Mais ce curé avoit-il pour amis un évêque qui peut vexer ou enrichir a fon gré un fimple prètre , qui n'eft que vicaire dans une paroiffe, Sc qui certainement afpire a un bénéhce ? Avoit-il pour protecteur un confeiller d'état, armé de tout le pouvoir fuprême pour exercer la ven-  dUrbain Grandier. 407 geance d'un miniftre irrité Sc tout-puiffanr ? Vous faites beaucoup valoir la circonftance que le modèle de la première rétra&ation de Méchin étoit écrit de la main du frère de Grandier. Mais les régies de la critique dont vous êtes profefteur , empêchent-elles de foupconner que ce Méchin, voyant fon évêque déclaré contre fon curé , voyant que ce curé étoit dans une difgrace qui le menacoit d'une perte prechaine, fe foit prêté aux vues des ennemis qui étoient achatnés contre ce curé ? Mais les chofes ayant changé de face, & les précautions que prenoit M. 1'archevêque de Bordeaux pour découvrir la vérité , étant prêtes a la mettre dans tout fon jour, n'a-t-il pas pu arriver que ce vicaire ait craint les fuites d'un témoignage qui pouvoit Fexpofer al'animofité & aux pourfuites de fon curé; Sc que, voulant le rétraóter , il fe foit adreiTé au frère même de Grandier , tant pour 1'intéwHer a fa réconciliation avec lui, que pour lui donner le modèle d'un aéfe que, par état, il étoit préfumé pouvoir mieux rédiger qu'un autre ; il éroit au nombre des juges de Loudun ? J'aurois fouhaité , encore une fois, M. de la Menardaye , que vous  408 Hiftoire nous eufliez donné la folution de tou» ces doutes. Car on ne peut pas s'attendre que vous conveniez qu'ils font fondez, vous qui dites formellement, pag. 58 de votre ouvrage, que, quoique vous procédiez fuivant les régies plus de baladins, plus de femmes tourrnentées par les vapeurs ; car j'ai oublié de dire que M. de la Menardaye range encore cette maladie au nombre de celles qui n'ont que la polTeffion pour principe. Au refte, rien n'embarraffe M. de la Menardaye. Les difticultés les plus ardues ne font que Lui fournir 1'occafion de nous donner des lecons furl'art de la critique. II fe propofe , page x$6, une objecf ion qui auroit donné bien a penfer a tout autre qu'a lui. « L'auteur 35 de 1'hiftoire des diables de Loudun , 33 dit-il, fait par deux fois interroger 33 les pofledées fur les endroits oü étoit 33 Grandier alors : fur cela cet auteur 33 dit qu'elles répondent faux. Mais 33 ne peut on pas conjeéturer que c'eft 33 lui-même qui en impofe ici? Car tout 33 ce qu'on peut attendre d'un menteur 33 aufli impudent ,5 c'eft qu'il dira le 33 contraire de ce qui eft , dans une oc33 cafion décilïve comme celle-ci. 33 Ne vous preflez pas tant de déci33 der , reprend M. de la Menardaye 5 33 vous pourriez vous trom per. QuoiS üj  414 Hiftoire » qu'un écrivain foit reconnu pour un » importeur , cependant les régies de la » critique n'exigent pas qu'on faccufe » de menfonge aufli-tót qu'il avancera » quelque chofe qui fera contre notie y attente, lorfqu'on peut tiouver les » véritables raifons de ce qu'il avance. " Ec comment fe pourroir-il faire " que ce qu'il avance-la füt véritable ? " Q«oi ! vous n'en voyez pas en- » core la raifon ? Mais a quoi » fervent donc les exorcifmes, fi le dé» mon peut répondre tantót vrai, & 3' tantót faux ? Us fervent a mani- » fefter la prudence , la piété , & la » drciture desuns, & lavaine curiofité p ou la duplicité des autres. Ils fervent » a mettre au jour , lorfque le démon » énonce le faux , les mauvaifes difpo» fitions de ceux qui ne manquent pas , » a la première réponfe fauife , de j' compterpour rien toutce qu'ils ont vu » précédemment de vrai & de décifif. 3' Ils fervent ainfi a les convaincre d'une » odieufe duplicité.'Aulieu que ladroi>• ture de cceur & la jufteife d'efprit fait » penfer aux fidèles que , fi le démon » s'eft une fois manifefté d'une manière n convaincante , fur-tout en répondant »j aux commandemens intérieurs , ou  d Urbain Grandier. 4 t 5; » parlant une langue inconnue a. la per» fonne vexée, on doit être convaincu j> fans retour de la réalité de la polTef« fion; Sc toutes les illufions Sc men53 fonges qu'il fait enfuite, font inutiles }■> pour prouver que les exorciftes font s5 dans l'erreur. Ainfi il n'eft pas éton» nant que le père du menfonge ré33 pon de le faux , pour tromper ceux 33 qui 1'interrogent mal-a-propos, Sc lui 33 font des queftions inutiles , fur-tout 33 lorfqu'il a donné précédemment des 33 preuves fuffifanres de fa préfence. Ce 33 feroit s'abufer que de lui en deman33 der d'autres , 011 de plus éclatantes , 33 a quoi le pouvoir de 1'églife ne l'o33 blige pas , Sc c'eft ce qui trompe fou33 vent les curieux dans ces occafions. Il 33 eft vrai que Dieu force quelquefois 33 le démon de fe manifefter par des 33 marqués fi éclatantes , que perfonne 3' n'ofe les contredire Mais ce 33 font des graces-fingulières pour con33 fondre les incrédules, Sc 1'on ne doit j' point en faire une règle. II faut s'en 33 tenir aux preuves qui font marquées 33 dans les rituels de 1'églife , toujours 33 conduite par le Saint-Efprit. Ainfi il 33 eft très-poifible que 1'anonyme, fans »» être plus honnête homme pour cela t S iv  41 f. # Hiftoire » n'ait dit ici rien que de vrai, & que » vous vous foyez trompé „. Cette folution eft affurément tréslumineufe , & nous apprend parfaitement bien a diftinguer les faits que nous devons croire dans un écrivain , d'avec ceux que nous devons rejetter. Elle nous apprend auffi a bien connoïtre , dans les poifeffions , quand le diable dn la venté , & quand il reprend fon caracfère de menteur. Et c'eft d'après des regies auffi certaines , que cet auteur affure pofitivement ( page 16z ) qu'on doit regarder comme une preuve de la réalité de la poffeffion la démarche que fir Ia fupérieure de faire amende honorable fous une gouttière , la corde au cou , & de vouloir fe pendre enfuite; paree que ces chofes n'arnvoient pas dans le tems oü l'efprit de ces religieufes étoit tranquille; mais toujours au milieu des exorcifmes. Mais copions encore Ia preuve qu'il donne de fa propofition. On ne peut fe laffer de copier un auteur fi lumineux. « L'ennemi le plus cruel, dit-il, » auroit-il jamais pu rien controuver de » plus noir que les crimes dont elles fe «chargent elles-mêmes. Elles s'accu» fent de porter, contre un prètre inno-  dïlrbain Grandier. 417 » cenr , un faux témoignage qui le fait » périr dans le fupplice du feu , & de » fe jouer publiquement de Dieu & de u la religion. Quelles horreurs ! Si Ia » confcience leur reprochoit li violem» ment ces iniquités , comment ont33 elles pu les commettre fi perfévéram33 ment, & reünie fans ceiïe le crime 33 & le repentir? Mais avec qui s'enten33 doient-elles, pour faire de pareilles >3 déclarations ? Affurément ce n'étoit 33 pas avec leurs exorciftes » ni avec M. 33 de Laubardemont, & les officiers de 33 la commiffion ; non plus qu'avec. les 33 gens du roi, & les autres honnêtes 33 gens de la ville qui s'intéreffoient 33 pour leur couvent. Avec qui donc y 33 encore une fois ? A qui leurs décla33 rations pouvoient-elles faire plaifir , 3J finoh aux incrédules , pour leur don33 ner le change, cSc les aveugler encore 33 davantage, & a ceux qui auroient été 3J bien fachés de voir la vérité ? Preuve 33 admirable de la réalité de cette pof33 feffion! 33 Cette preuve eft admirable , fans doute ; & il fiuit être bien endurct dans 1'aveuglement pour ne pas s'y rendre. J'aurois defiré cependant que „ pour plus d'éclairciirement feulemtnt 9 S v  4-1 o tlifioire M. de la Menardaye nous eüt expliqué pourquoi la fceur Claire. *r rm»l„;L,. autres dont j'ai parlé, pag. 3i6, après avoir allure qu'elles n'étoient point pofledées , tk invoqué le vrai Dieu créateur du ciel & de la terre , tinrent la parole qu'elles donnèrent de ne plus reparoirre aux exorcifmes , quoiqu'elles eulfent fait ces déclarations , & même pris la fuite au milieu de la cérémonie, & fans que le diable, qui les faifoit ainfi parler, ait été chalfé depuis. k Avant de fink , je copierai encore ici une lettre que M. de la Menardave a fait imprimer au nombre de fes preuves. Ceux qui n'ont pas lu fon ouvrage, & qui ne la connoilfentpas , Ja trouveront iingulière. lettre de M. de la Court, prètre, w|l fionnaire apofiolique dans la Cochinchine , d M. Winslow , docleur en médecine de Paris , de l'académie des, feiences , &c. «Monsieur, » Je ne puis enfin refufer a votre » einpreffement d'avoir par écrit le dé» tail de ce qui s'efl pafte au fujet du » Co^hinchinois poffédé , dont j'ai eu  dllrbain Grandier. 419" »> 1'honneur de vous parler. J'avois ce,■> pendant réfolu de ne le donner a pern ionne , & je 1'ai même refufé aux ,j inftances preffantes de plufieurs de ft mes amis. Nous fommes dans un 53 tems fi critique , que ce qui devroit 33 fervir a notre édification, a- un eflêt >3 tout conttaire , tant l'efprit d'incré35 dulité eft devenu a la mode : mais ce 35 que j'ai refufé a d'autres , je le dois »5 a votre piété, & aux bontés dont vous 55 m'honorez. Voici donc le fait, dans 35 fes principales circonftances , tel que 33 je 1'ai vu de mes propres yeux. 35 L'an 17 3 3 , environ vers le mois 33 de mai, ou juin, étant dans la pro33 vince deChum, royaume deCochin35 chine, dans 1'églife d'un bourg qu'on 35 appelle Kechu , diftant a une demi33 lieue enviton de la capitale de la pro55 vince, Ton m'amenaun jeune homme 35 de dix-huit a dix-neuf ans , chrétien , 55 habitant d'un village qu'on nomme 35 Dodo, fitué dans la même province, 53 & éioigné de 1'églife oü j'étois de fept >3 a huit lieues environ. Sa mère , 8c 35 quelques-uns de fes parens r avec le 33 catéchifte du lieu, & quelques autres »5 chrétiens, étoient fes condnéteurs , » «3c me dixent qu'il étoit poffédé du S vj  420 Hifioin n démon , m'aifurant qu'ils avoient été » obligés d'employer toutes leurs forces » pour le conduire , Sc qua mefure » qu'ils approchoient de mon églife , » fes réfiftances redoubloient; qu'arri» vés enfin au perk hópital qui eft voifin » de 1'églife , ils avoient été obligés de «•1'y laiifer , ne pouvant, avec tous *> leurs efforts , le faire paifer outre. Un « peu incrédule, je pourrois même dire, 35 a ma confufion , trop pour lors ( a 33 caufe de mon peu d'expérience dans 33 ces fortes de chofes , dont je n'avois » jamais vu d'exemple , Sc dont néan3> moins j'entendois parler fouvent aux » chtétiens), je queftionnai , pour fca>3 voir s'il n'y auroit pas de la fimplicité » ou de la malice dans leur fait. Voici » ce qu'ils me répondirent: un mois 33 auparavant, ce jeune homme , après 53 avoir communie', on le vit fortir de 331'églif^, Sc il difparut du village pen33 dant trois femaines environ , fans 33 qu'on feut ce qu'il étoit devenu. Un 33 de fes concitoyens le trouva enfin , 35 lorfqu'il y penfoit le moins , proche 33 d'une montagne, extrêmement agité, 33 Sc répétant fans ceffe : je fuis Judas , 33j'ai vendu Jefus-Chrift. S'il voyóitune 35 pierre, il la prenoit en main , difant  dUrbain Grandier. 42T » que c'étoit pour calTer la tête a Judas, 5> S'il trouvoit un baton, c'étoit pour » alTommer Judas ; un couteau , pour ,3 Téventrer , &c. Ils ajoutèrent que ce j> concitoyen étant allé cherchet du 5> monde , on 1'avoit conduit a 1'églife » de fon village , oü le catéchifte ayant » aflemblé les chrétiens , ils fe mirent » tous en prières pour lui, Sc que, plus » ils prioient , plus il étoit agité de 33 contorfions Sc de mouvemens convul33 fifs -y & qu'enfin , trois jours s'étant 33 paffes en prières inutilement, ils s'é33 toient réfolus de me 1'amener , pour 33 lui faire les prières de 1'églife. » Sur cet expofé, après quelques dif> 33 ficultés, je me tranfportai dans 1'hó33 pital oü étoit ce jeune bomme , bien. 33 réfolu de ne riencroire, a moins que 33 je ne vifle des marqués au-deflüs des 33 efforts de la nature; & au premier 33 abord , je 1'ihterrogeai en latin, dont 33 je fcavois bien qu'il ne pouvoit avoir 33 aucune teinture. Etendu qu'il étoit 33 a terre, bavant extraordinairement , 33 & s'agitant avec force, il fe leva aufli33 tot fur fon féant, Sc me répondit 33 très-diftinétement t ego nefcio loqtd 33 latine. Ma furprife fut fi grande que, }j tout troublé j je me retiraiépouvanté^  4" Hiftoire s> fans avoir le courage de I'interrotrer » davantage , dans la crainte oü j'étois » que, n'étant point inflxuit fur ces 33 fortes d'énergumènes, le démon ne » m'embarraiTat. Je recourus a mes li» vres; & n'y trouvant rien qui püt me » donner aucune lumière pour la con» duite que j'aurois a tenir, je men *> tins a mon rimel. Après avoir balancé » long-tems fi je Pentreprendrois , je 33 m'y réfolus a la fin , dans la crainte 3> de manquer a une occafion que Ia 3> Providence faifoit peut-être naitre , «pour faire éclarer la grandeur & la 3> vérité de notre fainte religion , qui 33 donne le pouvoir è fes miniftres fur 33 les démons , qui font fi redoutés par 33 ces peuples gentils , qu'ils les adorent >3 & leur facrifient pour qu'ils ne leur 33 nuifenr pas. Après les préparations 33 mdiquées par le rituel, je Penvoyai 53 chercher, pour le conduire dans 1'é33 ghfe oü il s'étoit fait un grand con33 cours de peuples chrétiens & gentils. » Inutilement s'efforca-t-on , on ne put » le faire mouvoir de fa place ; il jet»^ toit des hurlemens horribles. J'v fia » donc avec mon fnrplis & mon étole , s» que je lui attachai au col; & , air » grand étonnement de tout le monde,  (V Urbain Grandier. 423 'n ïl me fuivit doux comme un agneau ; « mais a peine fut-il dans 1'églife, qu'il » commenca a s'agiter extraordinairej5 ment. » Je commencai par de nouveaux n commandemens probatifs , obfer33 vant toujours de lui parler latin, 33 que le jeune homme ignoroit; &C 33 ayant, entte autres, commandé au 33 démon de le jetter par terre fur le 33 champ, je fus obéi dans le moment. 33 Mais il le renverfoit avec une fi grande 33 violence, tous fes membres tendus &c 33 roides comme une barre , qu'on au33 roit cru, parle bruit, que c'étoit plun tot une poutre , qu'tm homme qui 33 tomboit. 33 Lorfque je lui préfentois le cruci33 fix, c'étoit des grimaces & des cris 33 terribles. Sa poitrine s'élevoit en s'en33 riant de plus de quatre doigts , & ii 33 écumoit avec une rage qui épouvan33 toit tout le monde. Ayant demandé 33 au démon combien ils étoient; il me 33 répondit douze , fans jamais varier 3= dans la fuite des exorcifmes. Sur 1'ih33 terrogation que je lui fis, pourquoi33 ils étoient entrés, il ne me répondit 33 jamais qu'en me difant qu'il étoit un 33 Judas, qu'il avoit trahi fon maitre ;  424 Hiftoire » & toutes les fois qu'il répétoit ces » paroles, c'étoit avec des redouble« mens de rage extraordinaires. Lorf» que j'en vins aux commandemans » expullifs, il fe moqua de moi, en >■> me difant : tiens , voila que je fors j 53 & crachant, compte , me difoit-il , 35 en voila un ; & recrachant, en voila. j5 deux , continuant jufqu'a douze , & 55 reculant, a mefure, quatre pieds vers » la porte : la , il embraffa les pieds 35 d'un chrétien avec tant de force , que 33 ce chrétien ne put s'en débarraifer ; 35 &, en le ferrant, il difoit: c'eft ici 53 mon bon ami; & , après 1'avoit ré33 pété plufieurs fois, il commenca, 33 devant tout Ie monde, le narré de fa 33 vie paffee , & auroit découvert tout 33 ce qu'il avoit fait de plus fecret, fi. 33 je ne lui euffe impofé filence. Ce qui 33 effraya tellement tous les afllftans , 35 qu'ils s'enfuirent tous hors de 1'églife y 33 & que pas un depuis n'ofa affifter aux 33 exorcifmes. Malgré la curiofité qu'ils 55 avoient, ils fe contentoient de fe 33 tenir en dehors aux portes tk aux fe35 nêtres , & a peine pouvois-je avoir »5 u» clerc. 53 Après huit ou dix jours d'exorcif» mes inutiles, laffe & confus même  dUrbain Grandier. 425 h devant les chrétiens de ne rien avan3, eer , je Penvoyai a deux autres mif33 flonnaires qui étoient dans la même 33 province : 1'un étoit un Jéfuite , & 3j l'autre un Francifcain , qui, s'étant „ afTurés comme moi par des iignes cer33 tains qu'il étoit véritablement polTé33 dé j me le renvoyèrent, refufant 33 conftamment de s'en charger. 33 Je commencai a comprendre qu'il 53 falloit difpofer 1'énergumène par k 3, confeition & la pénitence ; & malgrê ,5 qu'il füt intraitable , je m'y attachai, 55 bien réfolu de ne palier a aucun com55 mandement expulfif qu'il ne füt ré55 concilié avec Dieu. La difficulté fut 55 trés-grande , car le démon lui faifoit 55 oublier jufqu'au figne de la croix \ &C 55 ce n'étoit qu'a force de commande55 mens réitérés que j'en pouvois tirer 55 quelque chofe. Je fus plus de huit 53 jours a lui faire faire une confeffion 55 générale , tenant des féances de trois 55 & quatre heures. Enfin, je crus êtte 33 obligé de lui commander de dire pu55 bliquement, avant de communier, 33 pourquoi il avoit été faifi du démon. 33 Voici ce qu'il dit: le R. P. Philippe , 35 ( c'eft le Francifcain dont j'ai déja )3 parlé ) j étant venu dans notre églife ,  4*6 Hiftoire » pour y adminiflrer ma mère, m'ebli»gea malgré moi, de me confefTer, » «Sc de faire ma première communion. «Par honte, je cachai plufieurs pé» ches, «5c fus le lendemain a la fainte » table en cet état. Auffi-tót que j'eus » recu le corps de Notre-Seigneur fur b la langue , je me fentis comme faifi » «Sc tranfporté hors de moi-mème : je » fpras de Péglife , «Sc je fus jufqu'au » milieu du jour fans pouvoir avaler la » fainte hoftie, ne fcachant pas même ce qu'elle eft devenue , ni fi je Pai » avalée, ou non. C'eft ainfi que Dieu » m'a pnni. Prenez exemple'de moi. »11 dit ces paroles avec tant de dou» leur, que tout le monde fondit en » lannes ; «Sc , un moment après , il » communia avec aifez de tranquillité • « car depuis qu'il eut recu 1'abfolution ' »il avoit des intervalles d'une paix « profonde, «Sc des fentimens dé piété « «Sc de pénitence qui étonnoient tout » le monde. »Je recommencai les exorcifmes » expulfifs , comme auparavant, «Sc je r les continuai pendant plus d'un mois, » fans avancer autre chofe , finon que » les bons momens d'intervalle deve» noient plus fréquens , «Sc étoient plus  (f Urbain Grandier. 427 35 Iongs. LaiTé, je le dis a ma honte, &c 55 fatigué d'une fi longue réfiftance , 55 craignant même que les bonnes im»preffions qu'avoient fait aux aflif33 tans les premières obéiifances a mes 55 commandemens ne diminuaffent, je 55 pris la réfolution de faire un dernier 33 effort 5 ce fut d'imiter 1'exemple de 33 M. l'évèque de Tripolis dans une pa35 reille occafion. 55 Je m'avifai donc, dzns un exor33 cifme, de commander au démon, en 33 latin, de le tranfporter au plancher 33 de 1'églife , les pieds premiers &c la )i tête en bas. Auifi-tbt fon corps devint 33 roide , &, comme s'il eüt été impo55 tent de tous fes membres, il fut trai30 né du milieu de 1'églife a une coion33 ne , & la , les pieds joints, & le dos 35 collé a la colonne , fans s'aider de fes 35 mains , il fur tranfporté en un clin35 d'ceil au plancher, comme un poids 33 qui feroit attiré d'enhaut avec viteiTe, 33 fans qu'il parüt qu'il agit. Sufpendu 33 au plancher , les pieds collés , la tête 35 en bas, je fis avouer au démon,com35 me je me 1'étois propofé pour le con33 fondre, 1'humilier & 1'obliger a quit»5 ter prife, la fauifeté de la religion » païenne. Je lui fis confefTer qu'il étok  418 Hiftoire » un trompeur; &, en même tems , fe » I obhgeaid'avouer Iafaintetédenotre »rehgion, le pouvoir du Dieu que » nous adorons , & de fes miniftres , » Sec. Je le tins plus d'une demi-heure » en 1'air; Sc n'ayant pas eu aifez de » conftance pout 1'y tenir plus long" tems>taat j'étois effrayé moi-même » de ce que je voyois, je lui ordonnai » de Ie rendre * mes pieds , fans lui » faire mal. II me le jetta fur le champ, » comme un paquet de linge fale, fans " 'incommoder ; &, depuis ce temps" ia >.™on énergumème , quoique pas « entietementdélivré, fut de beaucoup » foulage , & chaque jour fes vexations » dimmuoient. Mais fur-tout, lorfque « j'etois a la maifon, il paroilfoit ii rai» fonnable qu'on 1'auroit- cru entière» ment hbre; il étoit même le premier » a me dire qu'il fe croyoit entière» ment délivré. Cependant, lorfque le » befoin des chrétiens m'appelloit ail» leurs , pendant mon abfence, il étoit *> de tems en tems vexé; & communé» ment on connoifloit mon retour pro» cham par fes manières plus rranquil» les & fes difcours. J'étois même für » de le trouver toujours le premier a la » porte pour m'accueillir. II reftal'efpace  d Urbain Grandier. 42.9 » environ de cinq mois dans mon égli» fe ; & au bout de ce tems, il fe trou» va enfin délivré imperceptiblement; » & c'eft aujourd'hui le meilleur chré» tien peut-être qu'il y ait en Cochin»> chine. ,3 Je n'en aurois peut-être jamais parlé ,5 en France, fi le petit Cochinchinois, »s que j'avois amené avec moi pendant » mon féjour a Rome, ne i'eut raconté » dans notie féminaire d'une manière » aflez peu intelligible , a caufe de fon » peu de facilité a parler francois; ce qui 3. obligeanosMeffieursdeme contrain» dre de leur en faire un récit plus jufte. »> M- l'abbé Bourgine, qui eft revenu 33 cette année de Cochinchine , & qui 3> a appris le fait des chrétiens, peut 33 rendre témoignage a. la vérité de ce 33 que je viens de vous avancer, pour .ssvotre propre fatisfaétion & la plus «grande gloire de Dieu , auquel je 33 vous prie de me recommander; ayant 331'honneur d'être , &c. » A Paris , «15 noyembrc 1758 ». Je fuis peifuadé que M. de la Menardaye a fait imprimer cette lettre fur 1'original même qu'on lui a communiqué ; qu'il étoit bien certain qu'elle eft  43° m Hiftoire , &c. de la main du miffionnaire dont elle porte le nom; en un mot, qu'avant de la donner au public, il apris toutes les voies quidépendoientde lui pours'aiTurer de la vérité de cet écrit. Mais il paroit qu'il veut 1'ériger en preuve de k pofleflion de Loudun ; Sc il permettia de lui dire que la conféquence n'eft rien moins que jufte. En fuppofant que tous les faits qu'elle connent font exacts, que le miffionnaire n'a été aveuglé par aucune prévention, ni par aucune paffion , qu'il fj'a été trompé par aucune fupercherie , il en réfulteroit que Dieu peut encore permettre des poiTeffions, comme il en a permis autrefois ; Sc c'eft une vérité qu'aucun chrétien ne fcauroit contefter. Mais la vérité d'une'pofleffion , qui par les phénomènes furnaturels' qu'elle préfente , a les caraétères requis pour fubjuguer notre croyance , ne conclut rien en faveur d'une autre , dans laquelle on n'appercoit que de k fraude, Sc un deflèin conftanc, de la part des aéfeurs, de tromper les fpectatetirs, ou de les contraindre a garder le filence fur les fupercheries qu'ils découvrent.  HISTOIRE DE LA PIVARDIÈRE. LA fmgularité des faits & des circonftances qui forment le tillu de cette affaire , lont rendue fi fameufe , qu'elle afait, pendant long-tems , 1'objet de 1'attention de la capitale. Elle a excité la curiofité de tout le royaume : chacun a pris parti, & a raifonné felon qu'il étoit affecfé ; les idéés ont varié a mefure que les événemens fe font développés , & que la vérité s'eft infenfiblementfait appercevoir. II eft inutile de cherchér a mettre de 1'intérêt dans cette caufe ; elle en a fuffifamment par elle-même : la difficulté confifte a développer les faits. Ils ont été recueillis par plus d'un auteur; mais je les ai ttouvés par-tout fi compliqués , que 1'attention qu'il faut apporter pour en préfenter a fon imagination le vrai tableau , leur óte une partie de ce qu'ils peuvent avoir d'intéreffant par eux- 431  432 . Hijloirt mêmes. Serai-je aflez heureuxpour que ma narration échappe a cet inconvément ? Si je ne réuffis pas, je fupplie Ie ledeur de me fcavoit au moins quelque gré de mon travail, & des efforts que je vas faire pour lui procurer une ledure qui ne lui déplaife pas. Louis de Ia Pivardière étoit un gentilhomme de Touraine, dont la noblelTe remonte fort loin ; mais fa fortune n'étoit pas, a beaucoup prés, fuffifante pour foutenir le luftre de fa naiffance : cadet de ttois frères, il trouva a peine, dans fa fucceffion patetnelle , le ftride néceffiaire pour fa fubfiftance. Afin de fe diftinguer de fes deux aïnés, au nom de la Pivardière qui leut étoit commun a tous les ttois , il joignit celui de du Bouchet. II crut devoir chercher , dans Ie mariage , un fupplément a fa fortune. Il n'étoit pas d'une figure qui püt le faire prétendre a infpirer un amour aveuoie a quelque riche douairière ; fa taille étoit médiocre; il n'avoit rien dans fes traits ni dans fa phifionomie qui le diftmguat. Mais fa naiifance pouvoit 1'autorifer a afpirer a. une alliance qui Ie tiratau moins de la mifère. D'ailleurs, ii avoit le caradère fort fociable, 8c aimoit  de la Pivardière. a*>~> aimoit le pkifir. II jetta les yeux fur Francoife-Marguerite Chauvelin , fille de Francois Chauvelin ,, hevalier feigneur de Nerbonne, & de Marie Lécuyer. Elle étoit veuve de Chatles de M!iIOJu > gentilhomme d'une maifon aufli diftinguée par fon ancienneté, que par fes fervices, & par fes alliances. S°" ™a" ? en Ia ^dfant veuve, 1'avoit auffi laiffiee chargée de cinq enfans, quatre garcons & une fille. Les quatre garcons moururent fans poftérité : la hiie a epoufé, en 1688 , Charles-PhiIippe Segmer, feigneur du Pieffis. Elle n'avoit d'autre bien que la terre de Nerbonne , qu'elle avoit recueillie dans la fucceffion de fon père. Ses traits étoient peu réguliers ; mais un air afièz agreabie , un maintien honnête & enjoue en même tems faifoient difparoïtre ce defaut. Elle aimoit la fociété, & faiioit tres-bien les honneurs chez elle L'humeur de la Pivardière lui piut: elle 1 epoufa. r * Devenu , par ce mariage , feigneur de Nerbonne, la convocation de 1'arnere-ban, en 1588,1'obligea de fervir en cette qualité. II eft d propos d'obferver que ce cUteau eft fitué dans la paroifte de Jeu en Berry , diocèfe de i ome 1F, X  434 Hiftoire Bourges. Cette paroifTe , quant a Ia jurifdiéHon, eft du reflbrt da préfidial de Chatillon-fur-Indre; mais il paroitque 1 Nerbonne relève de la juftice de Lucé , baronnie dans le Maine. Lucé relève du duché de Saint-Aignan en Berry, êc Saint-Aignan , du préfidial de Blois. Le fervice de Tarrière-ban forca la Pivardière de s'abfenter de tems en tems , pendant quelques années. Mais on fcait que ce fervice eft onéreux aux feigneurs de fief qui le doivent : il fe fait entièrement a leurs dépens ; &c la pofition ou fe trouvoit notre gentilhomme, ne lui permettoit pas de fournir a. la dépenfe qu'il exige. Pour fe décharger d'un poids qui 1'accabloit, ïl fongea a fe procurer , dans les troupes réglées , un pofte qui püt le mettre a portée de reiever fa familie. Pour le folliciter , il fe rendit a Paris au commencement de 16j1; & fe fit délivrer en même tems des lettres d'état(i), (1) Ce font des lettres du grand fceau ; accordées par le Roi a ceux qui font en ambaffade s qui fervent aftuellement dans les firmées , ou qui font abfens pour quelque caufe publique. Elles portent mandement 3ux juges de furfeoir , pendant le tems qui y gft porté, 1'inftruclion & le jugement des  de la Pivardière. A"<% pour arrêter les pourfuices de fes créan¬ ciers. II obtintune nlare j • , . r >-""ituc uans Je regiment de dragons commandé par le comte de Sainre - Hermine, & les lettres d'état qu'il follicitoit. II fe rendit a la fuite de fa troupe , foit è. 1'armee , foit dans les places frontières. II ecnvoit de tems en tems a fa femme, & venoic même quelquefois lui rendre' vilïte. La chapelle du chateau de Nerbonne eft engée en prieuré; & cette feigneune eft chargée, envers le prieur , d'un gros 8c de quelques rentes en bied. Ce ctetean eft Gsaéi un quart de lieue de Jabbaye de Miferay , occupée par des chanoines réguliers de faint Augnftin. 1 procés oü les impétrans ont un Intérêt perlonnel. Le parlement, ni aucune autre cour ne peut juger au préjudice de ces lettres' Larnde 4 du titre T de 1'ordonnance de I6&9, rait défenfes a tous juges de natter outre al'inftrudion & jugement des caufes & proces, au préjudice de la fignification. des lettres d'état; & aux parties de continuer leurs pourluites , ni de s'aider des jugeniens qui pourroient être intervenus nonobitant cette fignification; a peine de nullité, caffation de procédure, & de tous dépens doimnages & intéréts. Ti/  43 & Hiftoire Ils n'y font ordinairement que deux ou trois religieux; ils recoivent compagnie chez eux , régalent les gentilshommes des environs, qui les régalent a. leur tour. En i <5"8 5, Silvain-Francois Charoft, religieux de cet ordre , fut pourvu du prieuré de cette abbaye. II étoit fils du feu fieur de Charoft, préfïdent Sc lieutenant général de Chatillon-fur-Indre, Sc de Madeleine de Bongueret , nièce de M. le comte de Bongueret , confeiller d'état, Sc fceur unique du fieur de Bongueret, doyen de Notre-Dame de Paris. Le voifïnage forma une liaifon entre ce prieur, qui étoit d'une fociété aimable , & les fieur & dame de la Pivar-i diere. L'églife de 1'abbaye eft beaucoup plus prés de Nerbonne que l'églife pa- $ ryiiïiale de Jeu; ce qui engageoit le feigneur , la dame du chateau , Sc leurs domeftiques , a entendre plus fouvent la meffe a 1'abbaye qu'a la paroiffe. Enfin la liaifon devint telle , que la cha-* pelle de Nerbonne étant venue a vaquer, le fieur de la Pivardière y nomma fon ami ie prieur de Miferay. Cette Cjrconftanee fut une nouvelle occafion de fe voir plus fouvent j ce chapelain  de la Pivardière. /\yj etant tenu d'acquitter une mefle au chateau tous les famedis de 1'année. Tant que la Pivardière fut réfident chez lui, lesfréquentes vifites du prieur de Miferay ne lui furent point fufpectes; il les attribuoit a 1'amitié dont ils étoient liés , & ne foupconna nullement fa femme d'y avoir aucune part. Mais quand il feut que fon abfence ne les avoit point ralenties , il en congut de 1'inquiétude , & ne la cacha même pas dans plufieurs voyages qu'il fit a Nerbonne. Sa femme , de fon coté, prit quelques foupcons fur la conduite dé fon mari, qui ne paroifïbit chez lui que rarement, pour fort peu de tems, 8c toujours pour enïporter ce qu'il y avoit dargent a la maifon. Ses inquiétudes furent réalifées par une lettre qu'elle reent au mois de jailIet i697) dans laquelle Vignan , procureur au parlement de Paris, luimandoit qu'un Capucin d'Auxerre lui avoit écrit qu'on étoit fort en peine de fcavoir oü etoit la Pivardière; 8c qu'une femme d'Auxerre lui avoit demandé oü elle poutroit lui faire tenir des hardes qu'ellè avoit a lui envoyer. Cette lettre fit naitre de grandes  438 Hiftoire alarmes dans le cceur de la dame de la Pivardière. Son mari lui avoit toujours écrit, jufqu'au tems même ou elle avoit recu ce fatal avis , comme s'il eüt -été a 1'armée, & uniquement occupé du deiir de faire fortune pour foulager fa familie , dont il la prioit d'avoir foin. Mais jamais elle n'avoit entendu parler de fon féjour a Auxerre, & encore moins qu'il y eüt dans cette ville-la iine femme aifez liée avec lui, pour etre inquiete du lieu oü il étoit, & pour ayoir des hardes a lui faire rënir. Elle conclut, de toutes ces circonftances cómbinées, que cet époux infidelle ne venoit jamais la voir que pour lui .enlever fa fubfiftance, Sc confommer, avec une rivale, 1'argent qu'il emportoit de chez lui. La dame de la Pivardière étoit encore tout occupée de cette nouvelle qu'elle venoit de recevoir, Sc des rérlexions auxquelles elle avoit donné lieu, lorfque fon mari fe mit en chemin pour Net bonne. II fe ttouva, le matin du 15 aoüt 1697, auBourdieux, village diftant de fept lieues de fa maifon. Le nommé Francois Marfau , macon du village de Jeu , 1'y rencontra, Sc lui témoigna fa furprife de ce qu'il s'arrê-  de la Pivardière. 439 tolt dans ce lieu, Sc n'alloit pas defcendrechez lui. La Pivardière , échauffé plus que jamais des idees de fa jaloufie , répondit qu'*7 vouloit attendre qu'il füt plus tard , & n'arriver d Nerbonne que fur le fair , pour y trouver Ar prieur de Miferay ; & qu'il auroit fa vie , ou que le prieur auroit la ficnne. Ces patoles furent rapportées , a cinq heures du foir, a la dame de la Pivardière, Sc au prieur. 11 arriva effectivement, le même jour 15 aout, après le foleil couché. II trouva fa femme a table avec le prieur, & quelques gentilshommes du voifinage , & leurs femmes. La chapelle du chateau de Nerbonne eft dédiée fous Finvocation de raflbmption de la vierde, dont l'églife fait la fête le 15 aoüt. Le' Prieur de Miferay avoit dit une meiïe folemnelle, Sc célébré 1'ofBce del'aprèsmidi; la dame du chateau 1'avoit retenu a fouper, avec ceux de fes voifins que la dévotion avoit attirés a la fête. Les convives étoient, entre auttes, les fieur Sc dame de Préville , les fieur & dame de Langé, la dame Dumée Sc fon fils, Sc le fieur Dupin. Tout le monde fe leva a 1'arrivée du maitre du logis : le prieur fembla aifecTiv  44° . Hiftoire ter de lui témoigner plus d'amitié & Plus de joie de fon heureux retour que les autres. Sa femme feule ne fe leva point, Sc montra une froideur reburante. EJl-ce ainfi, lui dit une des conVives, qu'une femme doit recevoir fon man quelle n'a vu depuis long-tems? Il répondit : je fuis fon mari a il efl vrai mats je ne fuis pas fan amU II ne dit nen de plus, & fe mit £ rable> Ce débutentre les deux époux, jetta dans le maintien & dans l'efprit des convives, un férieux qui mit bien tot tin au louper. Le fieur de Prévilie invita la Pivardière l diner cliez lui deux jours après; il Je promit, Sc tout le monde fe retira fur les dix heures Sc demie du foir. Les deux époux reftésfeuls, la femme garda un morne filence. Le mari lui demanda la caufe de fa froideur & d° ion mépris:va, lui dit-elle d'un ton amme pat Ia colère, va demander d la femme qui te pofsède depuis Peu, le motif de mon mdignation. Plus il fit d'efiW pour lui perfuader qu'il n'étoit point infidelle, plus elle s'opiniatra ï le croire Dans peu, dit-elle enfin , tu Jcauras fi on fait un pareil cutrage d une femme comme moi. Après ces mots,  de la Pivardière. aai elle fe retira dans la chambre ou couchoient fes enfans , & s'y enferma. Le fieur de la Pivardière entra dans celle qu'il habitoit ordinairement avee fa femme; & depuis cet inftant, il difparut. m Tous fes voifins, inftruits de fon arnvée, furent ctonnés d'une abfence auffi fubite. Lafurprife augmentaquand on feut que fon cheval , fes piflolets , jes bottes & fon manteau étoient chez lui. La dame de la Pivardière avoit deux jeunes filles a fon fervice , 1'une nommee CatherineLemoine3 agée de quinze ans, ëc f autre Marguerite Mercier , agée de dix-fept ans. On queftionnoit ces hlles fur le départ de leur maitre; on croyoit appercevoir, dans leurs réponfes , des réticenees qui annoncoient un myftère criminel. Cette idéé une fois faifie du public , on examine de plus prés les circonftances- On fait attention que la porte du chateau elf rompue ; quatre perfonnes dirent avoir entendu tirer un coup de fufil la nuit; du 15 au i chambre haute; qu'elle fut éveillée la » nuit par un grand bruit, & par unè » voix lamentable qui difoit 1 ah mon » Dieu ! ayej pltïe' de moi j qu'ayant *> voulu fortir au bruit, elle trouva la: * porte fermée a la clef; qu'elle avoit Tv);  444 Hiftoire » vu le lendemain, furie plancher de » la chamore oü fon pere avoit couché » plufieurs marqués de fang; & qu'elle' » avoit vu auffi fa mère, quelques jours » apres, laver au ruiffeau du lin^e » trempé de fang „. On peut juger quelles impreffions fit fur tous les eipnts un récit auffi circonftancié par la bouche dkn enfant , qu'on préfume toujours etre L'organe de la naïveté <5c delafincenté; fur-tout lorfque 1'on faiioit attention que la mère de cet enfant etoit en fuite avec celle de fes fervanres qui avoit toujours eu le plus de part i les bonnes graces & afa confiance, & qui etoit fa filleule. L'information fut continuée les 14 & xc, du même mois de feptembre! trrand nombre de témoins confirmèrent de pms en plus 1'alfaffinat. Le prieur de Miferay, dont il n'avoit été nullement queftion jufqu'alors, fut chargé ainfi que deux de fes valets, qui ïV voient accompagné, le 15 , au chateau de Nerbonne pour préparer le feftin, & faire le fervice a tabie„ a Marguerite Mercier , d'un amre cote, accufée Par plufieurs- témoins d'avoir anifte l 1'alfaffinat, fut arrêtée i Romorantm au commencement d'oc-  de la Pivardière. 4Af toKre. Voici, mot pour mor, les déciations qu'elle fit dans fes premiers interrogatoires.« Que fa maitrefiè, voyant » fon mari endormi, éloigna tous ceux « qui pouvoient lui donner de 1'om» brage; qu'elle envoya fon fils aïné » du premier lit coucher chez le fieur » de Préville; qu'une fille, qui gardoit » les beftiaux , fut envoyée coucher >' dans un endroit éloigné du corps de » logis.; qu'il n'y eut pas jufqu'a un » enfant de neuf ans qui ne lui fut fuf» peófe, qu'elle la mena elle-même « dans une chambre haute, ou elle « n'avoit /amais couché, &c que , la « voyant endormie, elle 1'enferma a » clef, &C defcendit en bas avec elle & » l'autre fervante; qu'enfin onze heures « de nuit, (qui étoit le tems fatal def» tiné pour ce cruel affaflinat), étant 3» paffées , la dame de la Pivardière s'é» tant appercue que le prieur de Mi« feray étoit dans la cour avec fes deux » valets., dont 1'un , qui étoit le cuifiV » nier , étoit armé d'un fufil, & l'autre » drun fabre; comme apparemment elle. » n'avoit pas affez de confiance a Caü tlierine Lemoine, elle envoya cette »> fille chercher des ceufs dans la mé» tairie voifine : que la dame de k,  446 Hiftoire * Pl™'dière joignit le prieur & fes. «valets; que fuivant fofo d -«"«ffeidle allumaune chandelle " f*°? h culfl»e , & Jes conduifit fans "bruit: au on ouvrit la-portejque le «cuifinier tira le ridèau du fl & «quapntremarquéque le fieur de la «Pivardière roit coucfié d'une manière «quiletqitdifficiledetirerfurlui il «niontafurunplaeetpoutfe donner hifil dans a tete r que le malheureux « bleflcdu coup,fe jetta au milieu^ "la pace, ie vifage couvert de fan.; 'f11 ^r^^P^ursreprifes » en particulier, fans les pouvoir fi"! «chu-.q.ae j valet leperca de pL " SSUrs coT ^ fabre; qu'étanteffrayée ; ,deS cns ^Pouvantables de fonmaitre "le voyant baigné dans fon fang eïe ""e put s'empêcher de pouüfr d« » foupirs ; mais qu'elle fut menacée dn » ^mefort,fi elle fe plaignoi?pl„J »long-temsö f 5 fait°T ferTte raPP°rte ls fe r , dans prefque tous fes interro^a- £r?'aVr IeS„ffi^meS ^onftancl feexemple.elle dit encore aihWs'  de la Pivardière. 4,47«que lefdits deux hommes , ladite » dame , & elle répondante , entté* » dans ladite chambre , le cuifinier dij » prieur de Miferay fut au lit, pour » voir s'd dormoit; lequel 1'ayant trous> vé tout endormi, le découvrit, Sc » leva lerideau du coté de la cheminée, « montafur un petit efcabeau qu'ilporta « du coté du lit dont il avoit levé le » rideau , & lui donna un coup de fufil » dans le coté droit , duquel coup le » fieur de la Pivardière , étant levé du » ht , auroit dit a fa femme : petite: 'n femme, donnet-mol la vie, donrie^» moi la vie , prene^ pour mon or & mom » argent ; laquelle lui dit : non , non ,. » il n'y a point de vie pour vous. Ce fait » fe jettèrent tous trois fur lui, & le » mirent fur le lit, ayant óté la couëtte » ( le lit de plumes ), le matelas , Ie » chevet, couvermre & les draps , &c sï lui donnèrent trois ou quatre coups y> de fabre dans le coté gauche \ Sc voyant* 55 ladite dame, qu'il grouilloit encore , » elle prit elle-même le fabre, & lui » enfonca dans le coté gauche, dont ^elle 1'acheva. Ce que voyant, ladite y répondante cria au meurtre ; Sc ladite » dame , pour rempêcher de crier , dit * auxdits deux hommes unettez-lui une.  44°* Hiftoire » femette dans la'bouche pour Pempé" fher de crier i a quoi lefdits deux «hommes repondirent, qu'il n'étoit » pas befoin de lui mettre des ferviettes " dans !a bouche, de crainte de Ia faire «mourir, voyant qu'elle n'avoit pas « beaucoup de fanté ». Elle ajoute ailleurs cc que, peu de » tems apres, les valets du prieur em* porterent le corps, fans qu'elle ait pu " Javoir ce qu'ils en firent: que, penM d2»c Jeur abfence, la dame de la Pi« vardiere apporta de la cendre elle" mtm<:> & fit frotter le planchet » pour oterles marqués dn fang; qu'elle " fit P°rter,a la cave le lit & les draps "trempésdefang; qu'on èta , de la - pillade la paille qui en étoit teinte, » & qu on Ia remplit d'une pailie demi- ' » battue; que les valets du prieur re« toumerent a Nerbonne deux heures " 5T n? ******* & que la dame » de la Pivardière les régaia , & but & » mangea avec eux; & qyzprès ce re, » pas, ils ie retirèrent »- Cette fille avoit toujours mé crae le pneur de Miferay eüt été préLt X laflaffinat; mais elle le charjea enfin dans une circonftance oü il e?toit biënnale de ne pas ajouter foi l & dé-  de la Pivardière. 449 •claration. Elle tomba dans une maladie qui la mit dans un danger evident. Elle appella un confefieur, auquel elle recommanda de faire fcavoir au fieur Jaquemont, vice-gérenr (1) deBourges, que le prieur de Miferay avoit tué le fieur de la Pivardière. Et, prête a recevoir le viatique, elle demande a parler aux juges. Elle leur déclare « qu'elle » avoit déguifé Ia vérité a 1'égard de ce » religieux ; qu'il avoit été préfent a « raffailinat, & avoit lui-même atraché « la vie au fieur de la Pivardière par un 33 dernier coup », Pendant qu'on travailloit z fupprimer les traces de raflafllnat, deux perfonnes entrèrent fubitement dans la chambre ou le crime avoit été confommé. La première fut Catherine Lemoine , qui a dit, en différens interrogatoires : « qu'étant defcendue dans » la cour, la dame de la Pivardière ( (1) Le vice-gérent eft un eccléfiaftique etabli pour fuppléer 1'official en cas d'abfence , maladie, récufation, ou autre empêchement légitime. C'eft , a proprement parler , le lieutenant de 1'ofHcial. II eft d'ufage , dans les grands dioeëfes , d'en établir dans les villes confidérables éloignées du fiège epifcopal. L'archevêque de Bourges en avoit ainfi établi un a Chatillon-fur-Indre.  4? O Hiftoire tf ijouvale cuifinier &le valer du prieur * de Miferay, & dit : allez, un par le » folTc, «5c l'autre, entrez par la cham» bre , «Sc envoya la répondante cher» cher des ceufs pour faire maneer » auxdits hommes. Elle en atia querir » chez Francois Hibert, métayer de la « grande métairie • elle apporta des » ceufs au chateau; qu'ayant voulu conw noitre le motif du coup de fufil qu'elle » avoit entendu , elle entra dans la » chambre , «Sc ttouva qu on achevoit « de poignarder le fieur de la Pivar» diere. Qu'elle dit aux deux hommes • » prenez le corps avc-c Tes habits , & » allez entereer le tout, fans nommer » le lieu , «Sc le forrirent du chateau • » «Sr après elle envoya la répondante w chez le nommé Pinceau, querir du " pain , «Sc trouva , a fon retour, les b deux hommes qui mangeoient; qu'aj' prés ils s'en aUèrent». L'autre perfonne qui entra avec cette Wie, etoit le nommé Francois Hvbert, chez lequel elle avoit été chercher des ceufs , lequel a dépofé « qu'attiré au » bruit du coup de fufil , fiüvi des » cris du fieur de la Pivardière, lequel »> ü croyoit attaqué par des voleurs , il » Tint pour lui porter fecems j ayant  de la Pivardière. s> enfoncé la porte qu'il avoit trouvée » fermée, fi-tót qu'il parut , la dame 33 de la Pivardière lui fauta a la gorge ; 33 & il auroit couru rifque d'être malss traité, s'il n'avoit juré un fecret in33 violable 33. Trente témoins entendus, tous voifins , Sc la plupart amis de la dame de la Pivardière , déposèrent du fait de l'affaffinat, Sc a peu prés des mêmes circonftances. Pendanr lachaleur de la procédure; huit archers furent chargés d'enlever tous les meubles du chateau de Nerbonne. Le juge ne crut pas devoir s'y tranfporter lui-même, fcachant qu'il n'y trouveroit perfonne, les préparatifs de 1'informarion ayant mis toot le monde en fuite. 11 lui patut fuffifant d'y envoyer des huiffiers pour faifir Sc annoter les effets qui pourroient s'y trouver, & lui faire le rapport des lieux. Ce rapport ne fut chargé d'aucun in* dice qui parut exiger un tranfport. Mais huit jours après la defcente des huiffiers , Sc quarante-deux jours après Yé* poque de raiTaffinat, ce juge ayant appris,parles dépofitions de quelques témoins, que 1'on appercevoit des traces de fang en certains endroits, dit  M2 Hifioire fim autre formaüré , il déeX ' £ «oit d autant plus mal concertée &dautant pJus noi ^ee «an etoit vivant; en confequencT efie demandoit qu'il plüt i la courTrel voverpar-devanti lieuten^ g^Sl" Ja vie du fieur de la Pivardière fon «r. i.lie obtmt un arrêt conforme le , ï %tembre. II ya lieil de penlÏÏque!  de la Pivardière. 4.^3. ii elle eut déclare a la cour qu'elle étoit aétuellemenrdans les Hens d'un décret de prife de corps , fa requête n'auroit pas été répondue fi favorablement. Quoi qu'il en foit, cet arrêt donna lieu a une circonftance iingulière, Sc qui ne contribua pas peu a compliq'uer la procédure qui fut fuivie pendant tout le cours de cette affaire. On informoit a Chatillon-fur-Indre de 1'affaflïnat du fieur de la Pivardière ; 8c tandis que 1'on y cumnloit les preuves de ce crime , on en cumuloit d'autres a Romorancin , qui tendoient a juftifier que 1'affafiiné étoit vivant, Sc même que perfonne n'avoit jamais attenté a fa vie. J'ai rapporté les preuves du crime ; mettons le lecfeur a portée de les balancet avec celles que 1'on oppofoit pour la juftification des accufés. Voici comment on racontoit 1'hiftoire du feur de Ia Pivardière. 11 avoit quitté Ie fervice, on ne fcait trop pourquoi, dés 1605. II n'ofa apprendre cette nouvelle a fa femme , a kquelle il prétexta toujouts les devoits de fon emploi pour fe tenir abfent de fa maifon , oü il ne faifoit que quelques apparitions momentanées. Cette  4? 4 Hiftoire conduite, difoit-on, étoit fondée fin? öeux moffs. Ii étoit tourmenté par «yalqufie que lui avoient infpirce les affiduites du prieur de Miferav auprès de fa femme , 8c les complkifances dont elle lui avoit para ufer envers ce religieux. Mais il avoit honte d'être jafoux; & aimoit mieux diffiper fes chagnns par une vie errante 8c vaga-, tonde , que de fe donner en fpectacle par des éclats qui n'aboutiifent qu'i couvnr de ridicule celui qui a la foiblelie de le les permettre. D'ailleurs , ii fes créanciers , auxjuels il avoit fait fignifier des lettres d etat venoient a découvrir qu'il n'étoit plus au fervice, ce qu'ils n'auroienc pa igncrer s'ils Peuffent vu faire fa féiidence chez lui , ils n'auroient pas manque del'alfailHr, & de fe veneer des delais que fes lettres d'état leur avoient fait éprouver. Dans le cours de fes voyages , il arriva , un jour d'été fur le foir, a Auxerre. « alla ie promener fur le rempart, & sapprocha d'une troupe de jeunes filles qui s amuloient enfemble. Une d'entre elles fixa Ion attention , 8c fes charmes hrent fur le cceur de la Pivardière une proronde imprefhon. II apprit qu'elle  de la Pivardière. 45* y étoit fille d'un nommé Pillard, que fa mère tenoit aoberge ; & que fon père, qui étoit mort depuis peu , avoit laiffé une charge d'huiflier vacante. Ces circonftances firent concevoir a notie voyageur 1'efpéranee d'une conquête facile. Pour s'afTurer que le bruit de fon nouvel attachement n'iroit pas jufqu'a fa femme , il fupprima le nom de la Pivardière , & fe fit appeller firnplement du Bouchet. II fe logea chez, fa maitrefiè, & y prit fa nourriture. Ii eut le talent d'infpirer la paffion dont il étoit lui-même atteint; mais fes progrès n'allètent point au-dela du cceur de la belle, qui 1'aflura que le mariage étoit la feule voie qui put la détêrminer a lui accorder plus que ce cceur. Une vertu a qui 1'amour ne pouvoit dérober une feule foibleiïe , jointe a tous les charmes extérieurs , aux agréinens de l'efprit Sc du cataétère , firent perdre tête a notre amoureux, qui fe détermina a devenir bigame. II recut la charge a'hiiiilier en dot, fe fit recevoir, Sc en exerca les fonófcions. II goüta, dans fon nouveau ménage, toutes les douceurs que lui pouvoient laifler les remords Sc 1'inquiétude dont il étoit impoflible qu'il ne fut pas  416r Hiftoire agité. Sa nouvelle époufe devint mère au bout de neuf mois, & feut, par les quahtes de fon ame , rendre folide un attachement que la jouiffance auroit pu rompre, s'il neüt été entretenu que par les charmes qui 1'avoient fait naitre. Pour procurer a l'objet de fon amour toute Paxfance qui pouvoit dépendre de lui , il faifoit tous les ans un voya^e a Nerbonne; &, fous prétexte de fe foutenir dans le fervice, auquel il feianoit toujours d'être attaché, il tiroit, de fa ventable femme, le plus dargent qu'il pouvoit & le portoit a la feconde, que ces fuppiémens rendoient de plus en plus contente de 1'alliance qu'elle avoit contractie. Cette félicité dura quatre ans , pendans lefquels la Pillard donna naif. iance a quatre enfans. Mais n'ayant d autre fondement que le crime , el'e ne fut pas de longue durée. La dame j;,. , J±¥'11U1C1C rut ïmtruite de 1'mfideJite de fon mari de Ia manière dont je 1'ai raconté, & toutes les parties conviennentque les chofes fe pafsèrenc a Nerbonne le 15 aoüt ié97) comme je 1 ai rapporté, jufqu'au moment oü les deux époux fe féparèrent pour fe coucher.  de la Pivardière. a.Kj coucher, Mais voici comment ceux qui vouloient laver la dame de la Pivardière de l'affaffinat de fon mari, racontoient le furplus. Après une altercation aifez vive entre Ie man &c la femme , au fujet des infidehtes refpectives qu'ils fe reprochèrent, le mari fe retira dans la chambre qui lm avoit été préparée. A peine y fut-il entré , que Catherine Lemoine le joignit, & lui dit en confidence qu'il couroit nfque d'être arrêté , s'il reftoit dans Ie chateau. La Pivardière , qui fe fentoit coupable de bigamie, qui avoit reconnu, par les difcours de fa femme, qu'elle étoit fur Ia voie pour découvrir ce crime, & qui jugeok, par la colère ou elle étoit, qu'elle pouvoit bien avoir pris la réfolution de le perdre, crut devoir profiter de 1'avis , & fe déterxnina a partir avant quatre heures du matin. Voulant fe fouftraire au danger par la promptitude de fa fuite, il laiifa Ie cheval qu'il avoit amené. Ce cheval "uu "oueux, ne pouvoit marcher: il avoit même été obligé de le trainer par labnde. Obligé d aller & pied, il ne voulut point fe charger de ce qui pouvoit i'einbarraifer; il laiifa fon manrean ;. fes bottines, fes piftolets, Sc ne pric Tomé IF. y  458 Hiftoire que fon fufil, Telle eft la raifon toute naturelle pour laquelle on trouva, dans k chateau, tous ces effets après fon déparr. Sur le bruit de fon affaffinat, & fur les pourfüites auxquelles ce bruit donna lieu contre fa femme , on le fuivit a la pifte ; & 1'on trouva que le 16 aoüt, lendemain de ce prétendu affaffinat, il avoit paffe par le Bourdieux; qu'il logea , le 17, a Chateauroux dans l'hótellerie des Trois-Marchands; que , le 1 8, il coucha a Iffoudun, dans Phötellerie de la Cloche. La on perdit fa tracé, Mais i'avis qui avoit été donné a la dame de la Pivardière , quelques jours avant 1'arrivée de fon mari a Nerbonne , fit préfumer qu'il auroit bien pu fe retirer a Auxerre. On le chercha dans certe vilie, & 1'on apprit qu'il y étoit marié, fous le nom de duBouchet, avec la nommée Pillard; qu'il y exercoit les foncfions d'huiffier. Inftruit qu'on ie fuit de la part de fa femme légitime , il prend la fuite ; on le joint a Flavigny • on le reconnoït poureelui qu'on cherche, on lui parle, I on lui apprend que fa femme eft accufée de i'avoir affaffiué , Sc que les juges de | Chatillon lui font fon proces pour rai-  de la Pivardière. Aeme les différents qui guoient. de Chatillon , voyant que ces deux Wies ioutenoient opiniatrémentquecet n Ia Pivardière , cï qu elles motivoient leur refus de le reconnoicre requit qu'il demeurat en F fon ,&fütécroué, afin qü'on pu cclaircirp us faeiiement & pllls füL ment la venté. Mais il refufa de fe prê!!' ' CJ r^fPke' & f°"it promptenient de CMtiilon, a la ftveur du lieutenant genera! de Romorantin, & avec le fecours des archers. Les juges de Chatillon regardèrent aMerSerJaPafré ramme ^arrentat a leur junfdi&on & a leur autorité. Us envoyerent les informations & leurs ral. Ce magiftrat jugea que les officiers deRomorantinavoientexcédéleur pouvoir, & qmly avoit, dans leur conduite non-feulemenr de 1'irrégularité niais des acles d'une violencereprouvee par les loix. II prit le fait & Lfe des uiges deChariIJnn *, . * i . . 3 vuuuL arret, **7f*vm.i6fr£m lequel la com  de la Pivardière. 465 fit défenfes au lieutenant général de Romorantin de palier outre, & de faire aucunes procédures ; & aux parties de pourfuivre ailleurs qu'au parlement; fans néanmoins arrêter le cours de 1'inftruction du procés pendant au bailliage de Chatillon , pour raifon de 1'alfaffinat du fieur de la Pivardière. II fut, en outre, ordonné que le lieutenant général de Romorantin, & le prévót des maréchaux de Chatillon , feroient ajournés a comparoir en perfonne en la cour , pour être ouïs & interrogés fur les faits refultant des procés - verbaux rédigés par les juges de Chatillon les 19 & 10 '. janvier précédents. Cependant le vice-gérent de Bourges avoit continué fa procédure , fans obftacle, contre le prieur de Miferay qui étoit abfent; & par fentence du premier février 1698 , rendue par contumace , il avoit déclare ce religieux ' atleint & convaincu d'avoir , depuis plufieurs années , entretenu avec fcandale un mauvais commerce avec la femme du sieur de la Pivardière ; & le condamna en conféquence en toutes les peines canoniques ordonnées contre les eccléfiaftiques déclarés coupables de ce crime. Vv  4^ Hiftoire M. le procureur général, inflmit que ce pneur etoit a Paris occupé afolliciter & a chercher des protetfeurs, le rit cond^e dans les prifons de Chatillon, oü le juge du lieu lui ht mettre aux pieds des fers du poids de quarante livres , & le fit garder par des archers. r Pour faifir le motif qui avoit diriaé Ia conduite de M. fe procureur général jtge faut paspc-rdre de vue qu'il fe talfeit a la fois deux procédures qui avoient iurle même objet, chacmie un but diametralement oppofé. D3ns iune on entreprenoit d'établir que Ie iieur de la Pivardière avoit été aifadiné par fa femme & par Ie prieur de Mïleray : dans l'autre au contraire , on vouloit prouver que ce même la Pivardière etoit vivant, & qu'on n'avoit Jamais attente i fa perfonne. La première etoit la fuite d'une plainte rendue par Ie miniftère public oonr nifi^ ce Cf rr: ma 1 L autre au contraire, n'étoit appuyee que fur 1'arrêt du i 8 feptembre ff?7' Jïrpns ala religion de la cour , ito un faux cnoncé, par une femme decretee de pnfe de corps, qui, fuivant toutes les loix cnminelles, & la  de la Pivardière. a6j jurifprudence laplus conftante, ne pouvoit être écoutée en juftice fans être en état, c'eft-a-dire , fans être conftituée pnfonnière. Depuis quand eft-il permis aux accufés décrétés de fe cacher de faire faire des informations par d'autres juges que ceux qui inftruifent le procès-criminel ? Depuis quand eft-il permis a ces juges apoftés par la rufe &c par la chicane , d'entrer a main-armée dans des prifons érrangères a leur terntoire , pour y interroger des accufés pourfuivis par le juge du lieu ? Et 1'on vent qu'une pateille procédure anéanriflè une pourfuite criminelle , qui a pour objet un des crimes les plus atroces que 1'humanité dépravée ait jamais pu imaginer! II n'étoit donc pas poflible que M. le procureur général laiftat fubfifter une procédure aufli moiaftrueufe, qui , fi on ne Peut arrêtée dans fon cours , auroit pu conduire des innocens au fupplice, & laver des coupables. On fe rappelle la dépofition des deux fervantes dans 1'information faite par les officiers de Chatillon. On fe rappelle cet aveu fi précis & fi énergique que fit Marguerite Mercier étant aux portes de la mort. Tant que la féducV vj  4^ Hiftoire non n'a point eu prife fur ces filles * elles ontperiifté. Mais on n'a pas craint de les engager, a force de menaces &• de promeires , dans une.variation qui les rend coupables de faux témoienaae; elles ont varié a la confrontation. & U eft de principe, 8c 1'ordonnance de i67oy tit. 15, art. 11, en a fait une I01, que les témoins qui , depuis leur recolement , rétradent leurs dépofinons, ou les changent dans des circonftances eifentielles, doivent être pourfuivis &punis comme faux témoins. Ainii il ne leur eft plus permis de varier a la confrontation, qui ne fe fait qu'après la dépofition & le récolemenr. En eifet, on a aifujetti les juges a faire recoler le témoin, c'eft - d - dire , a lui faire reiire fa dépofition , après lui avoir de nouveau fait prêter ferment de dire vérité, afin-qu'il puiftè s'affurer en refléclairant fur cette dépofition , fi fa memoire 1'a bien fervi, s'il ne lui eft point échappé quelqu'erreur dans les circonftances ou dans les principaux faits. I peut alors y changer, y ajouter a ia volonté , ou plutot fuivant que fa memoire lui rappeile la vérité ( 1 ). (1) Cette liberté n'eft cependant pas mdefinie. Les témoins ne peuvent pas fe dé-  de la Pivardière. A.6q Mais quiconque a prêté deux fermens a Ia face de la juftice, fur le même objet, ne peut plus changer impunément. Par le moyen du réeolement, il a engagé fon témoignage a la juftice , & fa rétraclation ne peut être confidérée que comme 1'effet d'une fubornation. Or, la peine de mort eft la punitiort prononcée par les ordonnances contre les faux témoins , & 1'on n'a pas craint d'engager, par la fubornation, ces deux malheureufes fervantes a s'expofer a cette peine, en fe rétraclant a la confrontation. Cette fubornation réfulte évidemment des circonftances. Le lieutenant général de Chatillon étoit frère du prieur de Miferay, & c'eft le motif qui i'a déterminé a s'abftenir de 1'inftruc- partir enentiellement de ce qu'ils ónt dit,lans s'expofer au foupt;on du crime de faux , fur-tout fi le juge les a examinés , s'ils ont ftgné leur dépofition , ou s'ils ne donnent pas une bonne raifon de leur variation, Ainfi les juges doivent bien prendre garde a la manière dont le témoin corrige fa première dépofition, & a la Caufe qu'il allegue des changemens qu'il y fait. Tefles qui advapis fidem fuam teflat'wnis vaciüant, audier.di non funt. L, 2 ', ff. de teftibus.  470 Hiftoire non du procés ; mais il ne s eft pas abftenu d employer tous les moyens que fon credit, appuyé des détours de la chicane, pourroient lui fournir, pour epargner d fon frère & d fes complices Ia peine que mérite le crime atroce qu ils ont commis. On comprend aifément que fa place de lieutenant général le rend maïtre de f inten^r des. Prifons. C'eft lui qui a donnelernploidegeolier a un de fes anaens domeftiques. La prifon dans laquelle les deux fervantes étoient détenues, ne confifte qu'en deux chambres. Le prieur de Miferay en occupoit «ne; 1 autre étoit occupée parlegeoher, les deux prifonnières, Sc le ?ère de Marguerite Mercier, qui étoit auffi Pnfonnier. Elles étoient donc entourées de gens perfonnellement intérelfés ou devoties a ceux qui étoient intérelfés d iauver le prieur Sc fes complices . Mais examinons 1'eflence de cette vanation en elle-même , & 1'on verra vériréV1' fn"6 aUCUnS atteinre * ia vente. Ces filles n'ont pas nié Paifaffi- nat; la Mercier a perfifté a afïurer qu'il «ou reel3 elle a feulement rétracféla dedaranon qu'elle avoit faite , d Parole de la mort, au fujet du prieur;  de la Pivardière. Ayt elle a dit que c'eft fauffement qu'elle a déclare qu'il y füt préfenr. Ainfi le fond de fa dépofition fubfifte toujours : le fieur de la Pivardière eft mort. L'autre fervante, qui avoit dépofé qu'elle avoit vu donner les derniers coups a fon maïtre , a dit a la confrontation qu'elle n'avoit point vu fon maïtte mort. Ces dépofitions fontconformes, elles s'amalgamentmême, pour ainfi dire, dans les circonftances les plus minutieufes. Les conrradicfions qui fontfurvenues depuis, ne tombentque fur les points de la variation ; 8c cette variation n'a pour objet que la décharge du prieur de Miferay; elle n'a aucun rapport au fait principal de 1'accufation , ] qui eft 1'alfaffinat du fieur de la Pivari dière. Mais voici encore une remarqne bien i: importante. Ces malheureufes fervanü ces ont perfifté, pendant fix mois, dans ileur dépofition & dans ce qu'elles ; avoient déclaré dans leur premier ini terrogatoire. A peine au contraire euirent-elles laché leur rétractation , que lies remords de leur confcience les agiïtèrent, 8c ne leur laifsèrenr point de irelache qu'elles n'euflênt de nouveau  47^ Hiftoire appJlei le vice-gérent, fe jettèrent l s etoientdédites, c'eft qu'on le avoi intimidcesj qu elles proteftoient de la ventedeleur déclaration ; qu'elles la ipunendroient au prieur même, fi G„ vouW leur faire la grace de les coS fionter une feconde fois. On fait venir 'es juges ;. la confrontation qu'elles avoient demandée avec tant darden fut faite;& elles foutinrent au priel iinat, & qu il en étoit complice. 1 por acnever de mettre la vérité dans tour fon ;our, refte adilfiper les 4preffions qu'a pu faire fappariüon de cet homme que le juge de Romorantin apromenédans tout le pays & p" lente comme le vrai la Pivardière ^" out^^a^eL^.^-eeft r^ ^ mcui ue ia Pivardière , il raat remarquer que, quand celui dont on veutvenger la mort exifteroit réelie*ent, fa reprcfentation, dans Pétat ^;leSchpfes,ne.po|rroitpasSÏ La preuve de cette prétendue exifitence du fieur de la Pivardière eft uu  de la Pivardière. 47^ fait juftificafif en leur faveur. En termes de jurifprudence , un fait juftificatif s'entend dun fait propofé par un accufé, pour juftifier fon innocence, & prouver pat conféquent la fauffeté de fon accufation. Or 1 intérêt de 1'ordre général, &c la füreté de chaque citoyen en particulier, ont confacré deux principes également importans en matiète criminelle. ; Heft jufte, d'un cóté, qu'un accufé ait la liberté de manifefter fon inno-cence ; mais d'ailleurs , il eft de la plus grande importance, pour le bien général , que le crime foit pourfuivi, & que les coupables foient punis. Ces deux objets , effentielsa. la tranquillité publique & a la juftice due a tout particulier, fe trouvent remplispar la rigueur de l'inftrudtion, & par 1'admiffion des faits juftificatifs. L'inftruetion tend a découvrir la réaliré du crime ; & les faits juftificatifs tendent a prouver que 1'accufé n'eft pas le coupable. Mais Ia procédure qui a pour objet la juftification dei'accufé, ne doit pas marcher a cóté de celle qui mène a la découverte du crime. Si cet accufé avoit la liberté de faire d'abord une procé-  474 Hifioire dure contraire au ritte de i'accufation •, ddlt£^oit arrêtée a tout inftant• 4 pourrou, par la fubornation, S bhr es preuves & même les fair e £ nr, en es croifant d chaque pas & feroit^ D'aiileurs , il eft de 1'intérêt de 1'ac- £ d I re "necon»e-procédïre. L'effet de l accufation dont il eft cWé UC 11 5» «unie , tant qu'on procédé a cette mftruction, de 1'engager dans la fulter de 1'inftruótion même. . C eft Pourquoi la preuve des faits jufti Ws ne doit être admife qu'après la;uftice a épuifé tous les mo/ens que fes recherches ont pu lui fournir pour arnverdla découverre de la vérité II fiut que la dernière main ait été mife fwaProcedure} &q«eletribunalairem- on 1„; L f " r§er 11 les fairs dont on lui demande a faire la preuve, pour- rotent faire changer la face des chofe , & procurer a 1'accufé fa jufcfication L ordonnance de i67o, tic. 28, art. 1  de la Pivardière. 47 féparer d'avec lui; qu'il eft revenu a 33 la fin d'aoüt, & qu'il 1'a toujours vu 33 travailler en fa qualiré d'huiifier au 33 bailliage d'Auxerre *. Nicolas Torinon , controleur des exploits a Auxerre, dit que « Louis du Bouchet de la Pii» vardière, fergent, lui a appotté plu-  4°"° Hiftoire » fieurs exploits a conrróler , Sc que le "dernier, du 19 feptembre , eft de» meuré au controle, faure de paie« ment, ilgné du Bouchet feulement, « huijjier royal d Juxcrre,,. Le quatrième eft un acte du 11 octobre. On dit qu'il eft pafte' par le fieur de la Pivardière devant les notaires de flavigny, prés Auxerre. Par cet acfe , il paroit qu un particulier s'eft préfenré devant les notaires de ce lieu, lequel a declaré « ètre Louis de la Pivardière »lieur du Boucbet, Sc feigneur de' » IVerbonne; qu'il a appris que fes en» nemis faifoient courir le bruit que » ia. femme 1'avoit fait tuer la nuit du » 15 auió" aoüt, fous prétexte qu'il y » etoit arrivé le 11 nWir ,,„ r^;. j » cheval, & qu'il en étoit parti la nuit » fuivante, & d pied, pour fe rendre en » diligence oh fes affaires l'appelloient». Et a la fin de cet acte , il autorife fa femme a prendre les juges de Chatillon a partie. a cet acte, on peut joindre une lettre qu'on fuppofe écrite par le fieur de fa Pivardière a fa femme : elle eft datée de Metz, du 1 o octobre. ii lui mande " qu'il eft dans le dernier chagrin d'ap» prendre une mauvaife nouvelle; que » s il  de la Pivardière. 481 h s}1 avoit Fu obtenir fon cone? de » deux mois , de fon colonel, il auroit » employé ce tems pour aller mettre » ordre aux mauvaifes affaires qu'on lui » veut faire; 8c s'il croyoit que 1'affaire «paffat outre, il viendroit y mettre «ordre, qu'elle n'a qu'a lui mander, f & adreffer fes lettres d Metz „. La fixième &c dernière pièce font les proces-verbaux faits par le lieutenant géneral de Romorantin , au mois de janvier 165,8 , par lefquels il paroït que plus de deux cents perfonnes ont reconnu celui nnVin lo.,- «•.'/■_._•. 1 r 1 ,, 1 f-icicncoit, pour : Ie fieur de la Pivardière; que fes fceurs, fefisieufesa Vnl<=nr-P l'„uu„/r.. 1. v ^ i auucue, ï ont icertifie ; que la petite fille du fieur de la Pivardierp 1'-, r*^~ r , ----- *- ^uumi pour ion ipere; que les perfonnes qui foupoient > 11 , u 1 arnvee, ont ligné qu elles le reconnoiffoient. Examinons tous ces aétes rnmW. :entre eux ; & cet examen va anéantir ««-umrauences que Ion en veuttirer. IJans la declaration faite par ce prétendu la Pivardière, i Flavigny mès , „ il-Jlu idiion cie ce qu il a ait. If dit qu'etant arrivé ï Nerbonne i15 aout au foir , il étoit parti la nuit Jivante d pied, p0Ux fe rendre ea lome IV, 2£  48* Hiftoire diligence oCi fes affaires 1'appeIIoient. Mais'ces affaires preffantes aai le forcoient de partir fans lui laifter le tems de dormir , étoient furvenues bien inbitement : quand il arriva , il „e parut pas fi preffé; le fieur de Préville ion arm le prie d'aller diner chez lui deux jours après 5 il accepte la partie lans aucune difficuité , & fans alléguer les preffantes affaires. . -D'ailleurs, c'eft un officier qui revient d'un voyage de plus de cent lieues: d revenoit de Metz , lieu de fa gatnifon. Or, eft-il croyable qu'il ne rentre chez lm que pour en fortir trois heures apres fans fe procurer le repos d'une nuit ? Mais il y a plus : comment accorderce départ précipité, & forcé par des affaires ni-efTa rion de 1 hote de 1'Ecu dChatillon? Cet homme dit que le fieur de la Pivardière eft arrivé dans fon auberge le 15 d/aout au foir. Or, en partant de cette auberge le 14 d dix heures du matin , au hen de ne partir que leij, comme on dit qu il a fait , il auroit pu prendre deux jours de repos dans fa propre maifon ; ce qut étoit bien plus naturel que de les paffer dans un cabaret d deux pas de chez lui»  de la Pivardière. 482 Suiyonsles démarches qu'on lui fait taire. II arnve donc a Nerbonne le 1« aout accablé d'affaires qui exigentla plus grande diligence. II n'y a perfonne qui nimagme qu'il va prendre Ia pofte. Poinr du tout; pour aller en diligence , il laiife fon cheval d 1'écurie , & part i pied. r II ne nous apprend point le lieu oü fes grandes affaires 1'appelloient fi promptement; mais nous allons le fcavoir de Ia bouche de ce même hóte de 1'Ecu. Après 1 avoir logé dans fon auberge le 13 & Ie 14 > rl le retrouve le 1 ff & le 17 a Chareauroux, k 1'hótellerie des Trois-Marchands. C'eft donc i Chateauroux que des affaires de conféquence appelloient a Pivardière. Comment y paffe-t-il fon ; xl y joue a ia bouife avec le téimoin 1'hóte des Trois-Marchands & un foldat : ils vont enfuite boire tous les quatre enfemble. Failoit-il donc oafler la nuit fans fe coucher, & partir want le jour, pour aller jouera la boullex boire avec deux cabaretiers & „n noldat, a fi peu de diftance de chez Le dimanche18, cemême hótellier Ff- tcupa Cha«Hon, étant fur fa porte löitpaffer ce même Ia Pivardière avec Xij  4^4 Hiftoire un fiulJ fur fon épaule, pour fe rendre a Ifioudun , eü il paroit qu'il a féjourns le i p. Quand il ën partir le lendemain , il dit qu'il alloit prendre le chemin de Bourges. Ici on le perd de vue pour quelque tems 5 mais on a dé fes nouvelles a Auxerre. On ne nous dit point gom ment il f eft arrivé ; mais le frère du prieur de Miferay aflemble un grand nombre d'babitans de cette ville , qui fignent un procés - verbal drefle par deux notaires. Ce procés-verbal nous apprend qu'il exifte un du Bouchet de la Pivardière, mari d'Elifabeth Pillard, qui fait depuis long-tems les Wtions de fergent; que ce fergent s'étant abfenté , pendant quelques mois , de la ville , y eft revenu a la fin d'aoüt, & qu'il eft parti précifément la veille du procésverbal , c'eft-a-dire, le 6 ocfobre. Voila certainement un nouvel homine. On ne fe flatterapas de nous faire aecrqire que celui que nous voyons officier de dragons le 15 aoüt, 8c qui ï'eft encore le 1 o oétobre , foit le même que celui qui eft fergent a Auxerre le 7 4u même mois. §uivons notre fantöme jufqu'au bout,  de la Pivardière. 48 £ II étoit a Auxerre le 6 oótobre au foir ; il n'en eft parti que le 7 au matin; il voyage a pied, & le 1 o il eft a Metz, a foixante-dix lieues de-la. Mais ce n'eft plus un fergent, un fabricateur d'exploits judiciaires; c'eft un officier de dragons en fonctions. 11 eft naturel de penfer que fes voyages fent terminés : il écrit même a fa femme qu'il eft retenu a fon régiment , en garnifon a. Metz , par les ordres de fon colonel, & qu'il y attendra de fes nouvelles , pour la venir fecourir, s'il en eft befoin. Cependant, on ne fcait par quel enchantement, douze jours après, c'efta-dire le 21 odobre, il fe trouve a Flavigny, prés d'Auxerre, d'ou il envoie pouvoir a fa femme de prendre les juges de Chatillon a partie, & de les pourfuivre comme prévaricateurs dans leurs foncfions. II ne pouvoit, fi 1'on en croit fa lettre du 1 o octobre , quitter fon régiment. Mais il pouvoit bien eiwoyer de Metz une procnration qu'il a crue néceifaire pour fuppléer a fa préfence. Cependanr rien ne peur réfifter a la fantailie qui lui prend de faire dreffer fa procuration ailleurs qua Metz. Ni les ordres de fon colonel, ni les rigueurs  a.86 zr:/}. ■ f , .... **ijLoire de la ddcipüne militaire: rien ne P« J «e;il quitte fes fondioL £?'*H a ioixante-dix lieiles faire rfdlW een* dans le pl„s „,„ j . " e» « cJoignant tout d'un coup de foïante ^ ^de iavilfeoó i^i/^^ va attendre fes lettres > ecnrq«" fer^"6 ^^IP35' fi™vouloitéWIer les contradictions & les abfurdités qui fe rencontrent dans ces actes S SLlr Une Partie de défcnfe? Sr n *ie£v,ens d'en développer ftffit pour etabhr que cespièces nefont ToV^K Uhar deseff^ qu'elle fai pour deroner fon crime a la venaeance quelepubhceftendroitd'attendre Cette accufee ne trouvera pas plus  de la Pivardière. 487 de reffources dans les procès-verbaux dreftès paf le lieutenant général de Romorantin. II paroit, au premier afpect, qu'ils doivent avoir plus de poids que les aétes dont je viens de parler ; ils font appuyés de 1'autorité & de la préfence d'un juge. Mais 1'arrêt du 27 janvier iffoS , non - feulemenr leur a oré toute la faveur qu'ils pouvoient tirer de cette circonftance; il a jerté, fur le juge qui en eft auteur, un foupcon de par. tialité, qui altète beaucoup la foi due a ces ades. La cour, en lui ordonnant devenir rendre compte de fa conduite, ne 1'a certainement pas cru a 1'abri de tout reproche. En eftet, pefons bien ces procèsverbaux , & 1'on appercevra facilement qu'ils ne font d'aucun poids. Ce qui frappe le plus au premier coup-d'oeil , c'eft ce grand nombre de témoins qui ont été entendus. Quoi ! dit-on , deux cents perfonnes ne doivent - elles pas préyaloir a deux fervantes qui même ont varié ? On voit d'abord tout le foible de ce raifonnement. Ignore-t-on donc avec quelle facilité le peupie donne dans une erreur qu'on lui préfente ? II n'éroir pas diflïcile au lieutenant général de RomoXiv  488 V:n:.. 1 . ■x-i'-uuire ranrin. m,i il r . . > ^« vuuxoic ïervir les art-ua. «ai» va. Au fond Tl. peUt'€tre H rent cme JffS^M c«™ «diffé- ounefutpa^p- S^"0"^ rant qu'ils le ^ • ' & en afl"- «pioche d 2ire & J * T? eU,aUCUn Dans Romorantin, qui anrn;, r dementir Ie Wen™^' • , C ofe  de la Pivardière. 489 homme qui avoit beaucoup de rapport avec le fieur de la Pivardière. La plupart ont cependant dit depuis qu'il n'étoit ni li gros, ni fi grand; que , quand on le leur préfentoit, il ne les regardoit pas, Sc tenoit toujours la vue baiffée; qu'au refte , il y avoit une grande reffemblance entre cet homme & le fieur de la Pivardière qu'ils avoient connu. Mais quand ces témoins fe feroienttrompés; quand ils auroient été perfiiadés , par 1'illufion de quelques traits , que celui qu'ils voyoient étoit le véritable la Pivardière, pourroit-on, après les preuves qui exiftent de fa mort, ne pasfoupconnerau moins qu'ils font dans Terreur ? Eft-ce la première fois qu'on a vu des impofteurs, appuyés des fuffrages fincères du public, ufurper le nom, les biens Sc la place de gens morts, ou abfens ? N'a-t-on pas vu le faux Martin Guère tromper, pendant trois ans, par une reffemblance frappante, toute une ville, toute une familie, la femme rnême de celui qu'il repréfentoit ? Cet importeur ne pouffa-t-il pas la témérité jufqu'a foutenir en perfonnefon impofture devant le parlement de Touloufe, fans pouvoir être autrement convaincn X v  400 JRiffnir» que par Ie retour du véritable Guère A r-,-.w« uiioe oe la tëte: & cet «eniple a fans doute rendu Je prétendu la Pivardière plus circonfpe6t.il a bien mais il a fui foigneufement la préfence des juges qm pourfuivoient le crime oont il vouloit détruire la preuve. S'il a hafarde de fe préfenter a Chatillon ce n eft qu au milieu d'une troupe d'ar' chers commandés par leur prévót, parent de hm-des accufés ,& dont la conhgne etoit principalement de favonler fa retraite. Mais dit-on , les dépofitions de ces Paylans fontappuyées de la reconnoifiance des gentilshommes & des curés de ces parodies. C'eft précifément ce qui les rend plus fufpeétes. Le peupie accoutume a fni^ro lQ„ : ,£ r ,5 " ""preuions de ceux qui le dominent, & a craindre le relfennment des perfonnes qui ont des droits fur lui s'eft lailfé féduire pour dire ou figner des fairs qu'H ignorPoif5 & qui d ai leurs lui étoient in&Krens Les gentilshommes, les curés de Lucé de Jeu, & des lieux ëireorivoifihs, pour menager la familie des Charofts, qu par les charges & les bénéhces qu'ils' pofiedent, font devenus très-puiffans •  de la Pivardière. 491 étant d'ailleurs en liaifon étroite avec le prieur de Miferay qui les regale fouvent , ont foutenu cette reconnoifiance dans leurs parodies; Sc leurs fuffrages ont fubjugué ceux du peupie. Les déclarations des perfonnes qui ont aflifté au fouper du 15 aoüt 1697 ,. ne font pas d'un plus grand poids. Outre les raifons qui leur étoient communes avec ceux dont on vient de parler , ils étoient en liaifon intime avec le prieur &la dame: 1'abbaye étoic Ie rendez-vous ordinaire des parties de plaifir. La recoimoiflance ne demandoit pas moins, de leur part, qu'une atteftation en faveur du prieur de Miferay; Pouvoient-ils refufer un nfenfonge offi| cieux ^ pour fauver un homme dont le f rétablifiement étoit li utile i leurs plaii firs ? La bonne opinion que 1'on doit avoir de la piété de Tabbede de Valencé, & des deux religieufes, fceurs du fieur de Ia Pivardière, ne met pas leur dépofition a. Tabri de tout foupcon. II n'étoit pas difiScile de leur perfiuder qu'elles i ne devoient pas refufer leur témoïgnage !| pour fauver la vie a plufieurs perfonnes,, :|pour empècher la honte Sc la rnine I d'une familie honnête, On mit auffi era Xvj, ■  m c . , Hiftoire ks plus eerra,„s de laffiffinat de fo «'■" quon W mettoi, r„ f"e°* Hiftoire On ne peut pas oppofer au prieur de Miferay fon abfence; il eft prifonnier! Mais il n en eft pas plus recevable dans fa prife a partie. II eft certain que le caradere refpecfable d'un juge ne doit pas le garantir de la pourfuite des fujets qui ne connoiffentfon autorité que par feperfecütion. S'il étoit permis * un magiftrat de refter fur fon tribunal & d y prononcer des jugemens contre ceux dontilfeferoudéciaré la partie, fes pifticiables ne feroient gouvernés que par fes caprices & fes paffions, & les fe!" ^ ^ ^ f— Mais auffi n'eft-il pas jufte qu'il foit cxpofe auxpourfuites de tous ceuxauxquels il naccorde pas des jugemens conformes a leurs fantaifies. S'il étoit obhge a chaque conteftation terminée par fes fentences, de defcendre de fon tribunal pour rendre compte des motifs qui les ont dicfées , &pour les juftifier, fa dignite ne feroit plus qu'une fource intariüable de onfp<: è n^,a . :i /\ • ±1 feroit certain que tous les jugemens qu'il prononceroit feroient pour lui autant de motifs de procés qu'il auroit a foutenir. II ne doit donc être, & i] n'eft effec-  de la Pivardière. 439 tivement permis a perfonne de prendre, de fapropre autorité, fes juges a partie. Tous les régiemens exigent que celui qui vent s'engager dans cette démarche, préfente a la cour, dans le reflort de laquelle eft le juge qu'il vent pourfuiyre, une requête contenanten détail les imputations dont il croit pouvoir charger cet officier; que, par cette requête, il demande permiilion d'intenter fon action en prife a partie; & cette permiflïon ne s'accorde qu'après avoir bien examiné li les raifons font aifez graves pour mériter que le juge attaqué foit puni, en cas que les faits articulés foient prouvés. Or, le prieur de Miferay n'a donné aucune requête , n'a obtenu aucun arrêt qui 1'autorife a dépouiller des magiftrats de leur qualité, pour les transformer en plaideurs. II s'eft contenté de fe rendre appellant de leur fentence, & de les intimer fur fon appel. Loin que cette conduite foit rétru- lière, elle eftpuniflable : c'eft unatten- tat au refpecf dü a la magiftrature. La procédure de la dame de la Pivardière paroit moins irrégulière. Elle s'eft mife en état dennis \e rnmtmpnrAmeni- de cette affaire. C'eft fur une requête  500 Hiftoire prefentce i la cour qu'elle a obtenft i arret qui lui permet d'intimer & de prendre a partie qui bon lui femblera. Mais fans examiner fi cette requête *ft redigee dans l'efprit qui auroit du ladider fielle n'eft pas captieufe & propre a furprendre la religiën de Ia cour, les officiers de Chatillon déclarerent qu'ils ne vouloient point fe préval™ d'un défaut de procédure pour duder la juftice , & qu'ils ne vouloient chercher leur juftification que dans 1'éclairciffement de la vérité. Le premier reproche qu'on leur fait eit tirc de leur mcompétence. Leur iufufication a cet égard eft bien facile. Le brult publid leur a appris que le crime avoit ete commis dans la paroiffe de Jeu , qm eft de leur refTort. Ils s'y tranfi portent; ils informent. Hs avoient droit de ie faire. . L ordonnance de iffyoveut que les juges fupeneurs puiffent informer des Cnmpc rnmiT,^ J 1 rc , „„„ UtUJi le reuor(; - fubalternes en cas que ceux-ci aient negligé de le faire dans les vingt-quatre heures après Ie crime commis. Les officiers de Carillon, inftruits qu'aucun juge n avoit fait de mouvement pour parvenu- a la vindicf e d'un crime aufli  de la Pivardière. eöf grave, qui, depuis trois femaines, faifoit tant de bruit, pouvoient-ils refter dans 1'inacfion ? II leur revient de toutes parts que les coupables & leurs complices font tranquillement leur réfidence dans leur reifort, n'étoient-ils pas obligés de les pourfuivre, quand même le crime auroit été commis ailleurs ? Qui oferafoutenir qu'un jugenepeut pas pourfuivre des malfaiteurs qu'il fcait être dans les limites de fa jurifdiction , fous prétexte qu'ils ont délinqué liorsde fon territoire? Ce feroit ouvrir une porte affurée a tous les coupables , pour fe procurerl'impunité. Aufli toutes nos loix accordent la compétencea tout juge royal pour arrêter tout criminel qu'il trouve fous fa main , & lui faire fon procés, en quelque endroit que 1'action fe foit paflee. II eft vrai que fi-tót que 1'accufé demande fon renvoi, ou que le juge du lieu oü le délit a été commis le réclame , celui que 1'ordre public avoit excité a faire les premières diligences , eft obligé de renvoyer 1'accufé avec fon procés devant le tribunal qui en doit connoitre. Mais toute la procédure faite jufqu'alors eft régulière, & fert a 1'inftruétion qui fe continue.  5" o 2 Hiftoire Or les officiers de Chatillon fcavoient que ceux qm pouvoient dépofer , que ceux qui avoient connoifiance du crime que ceux qu'on foupconnoit de 1'avoir commis étoient tous dans la paroiffe de Jeu. N ont-ils pas eu Ie droit, n'ontils pas meme été obligés d'infotmer > On ne peut contefter que Ia paroifTe de Jeu ne foit du reffort de Chatillon les preuves les moins équivoques en avoient eté fournies au procés. La difficulte etoit de fcavoir fi le chateau de Nerbonne , qui eft dans la paroifTe de Jeu, eft auffi dans la meme iurifdiction. ; On convient qu'il peut y avoir, dans mie meme paroifTe , des terres qui dépendent de différens feigneurs. Mais le leigneur principal & fon juge font toujours prefumés avoir toute la paroifTe dans leur juftice , tant que Ton ne prouve pas le contraire. Or les juges de Chatillon , ayant dans leur reflort la juftice du principal hel de Jeu , ne font pas obligés de démeler les teneur» & les dépendances des difierens feigneurs. Ils fcavent en general que Ia paroiffe de Jeu eft de leur reffort 5 de-li , ils font en droit de conclure que tout ce qui eft enclavé dans  de la Pivardière. jo? les limites de cette paroifTe eft auffi de leur telfort. Si le feigneur de Lucé prétend que Nerbonne relève de lui, il doit produire fes titres : mais jufque's-la les officiers de Chatillon font bien fondés a connoitre des affaires des feigneurs de Nerbonne. Mais non-feulement la préfomption eft en faveur de ces officiers ; ils ont en outre la poffeffion par le fait même des accufés. La dame de la Pivardière , dés le tems de fon premier mariage , fit adreffer au préfidial de Chatillon \ des lettres de refcifion qu'elle s'étoit fvit délivrer contre un contrat de vente qu'elle avoit paffé fous 1'autorifation de fon mari; de quelques morceaux de terre dépendant de la feigneutie de Nerbonne. Le fieur de la Pivardière lui-même a eu recours a ce préfidial pour faire mettte a exécution une fentence rendue par fon chatelain de NeAonne. Au refte, quand on fuppoferoit que Nerbonne relève de Lucé , quelle excufe les officiers de cette juftice peuvent-ils alléguer pour jüftifierl'inaaion dans laquelle ils font demeurés pendant prés de deux mois , nonobftant le fcandale que caufoit un crime aufli  '?ö4 Hiftoire notoire & auffi atroce ? Leur négliaence' ou plutot leur intelligence avec les aceufés ne rnérite-t-elle pas au moins qu on les pnve d'un droit dont ils ont negligé de faire ufage dans une occafion qui exigeoit toute 1'acfivité de leur miniftère ? Non, la cour ne renverra jamais devant de tels juges, fufiènt-ils compérens 1'mftruótion d'un procés dont ils ont fait tout ce qui étoit en eux pour iaiffer penr des preuves qui ne peuvent etre recueiilies avec trop de diligence : mille evénemens naturels, ou amenés par la fraude , pouvant les fouftraire aux recherches de Ia juftice. Elle confirmera fon arrêt du 27 janvier 169% , quiarenvoyé cette inftruction pardevant les juges de Chatillon , qui pont commencée avec zèle, coutinuée par ordre de la cour, & qui la continueront ayec la juftice & 1'impartialité dont le bien public & leur honneur leur font un devoir indifpenfable. Le fecond moyen fur lequel les accufés fondent leur prife a partie, eftun arrêr du mois de mai i ■ 11 elf donc évident que ces imputanons, lom de pouvotr noircir ceux que 1 on en veutcharger ne font quejuftl ~~ -u. ^ucgnte. mies n ont d'autre Wque d'écarter des juges que fon W»d autres que les liaifqns-Sintert & d amane rendront plus complailans, & moms atrennfs , cherch£ ^ venre au travers des fuppoffiions fous lefquelles on tache de 1'obfcurcir Le quatnème & dernier moyen de Pnfeapame, eft fexiftence acfuelle du heur de la Pivardière. On a vu q e cette exxftence eft au moins probléX tique & que Ie perfonnage que 1'on a chargé du róle dela Pivardière ft vL ^eTent/ulPf d'impofture. Mais ce * eft pas Ki le keu d'examiner ce fait I  de la Pivardière.- ^ i ^ fond-, il s'agit uniquement de juftifier la conduite des officiers de Chatillon. Quand il feroit vrai que 1'alfaffinat. en queftion n'a pas été commis , que" la Pivardière feroit réellement vivant, &c que perfonne n'a jamais attenté a fa vie, la procédure de ces magiftrats n'en feroit ni moins jufte , ni moins régulière. Ils font inftruits des diviiions qui, depuis long-tems, exiftent entre le mari &c la femme. Tout le monde en avoit connoiffance , & en parloit dans le canton. On attribuoit les abfences de la Pivardière aux mauvaifes facons de fa femme , & a des liaifons qui compromerroient fon honneur , fur lefquelles il ne vouloit pas faire d'éclat, mais dont il ne pouvoit foutenir le fpedacle. Les voifins publièrent 1'aflafiinat qu'ils ont appris des fervantes préfentes. Un bruit fondé fur le rapport de témoins oculaires , ne fuffit-il pas pour rendre plainte & informer ? Les témoins qu'on enrend les confirment; n'y a-t-il pas lieu de décréter ? Les chofes étoient dans cet état, lorfqu'après une plaidoierie de quinze audiences , intervint, le 23 juillet 1^98 un arrêt, pat lequel il fur dit » qu'il » y avoit abus- dans la procédure du.  1*6 Hiftoire »vice-gérent deBouiges, en ce que, " ^Uand 11 a confronté quelques témoins -aupneur de Miferay, ü „e ]eur a " P°lnt fait flater , en les faifant pa" r°ltre en Préf^ce de eet aceafé, qu'il » etoit la même perfonne dont ils «avoient paric dans leurs dépofitions » & recoWns (^„.Le défiut de la meme formahtéfit prononcer lanullité des confrontations faites par Ie juge de Chatillon-fur-Indre. En conféquence il fit ordonné « que les témoins , ainfi « que Catherine & Marguerite xMer» cier accufees , feroient de nouveaa " conf™«es au prieur de Miferay » aux dépens du lieutenant particulier de Chatillon; que les témoins enten» dus par le juge de Lucé, autres néan- . (0 Cette formalité eft de Ia plus mar do nnportance Depuis Ie moment de lS? fonnementde 1 accufé , jufqu'a celui dHa cpnfronrat ]es t.mo.>s 1 « u de Ia "T' .qUe 16 P^onnierP, & S q iu s ont chargé par leur dépofition , ne fok a fait Ia capture fe fo,t trompé , & aft arr|té m homme pour un autre feit rZ a>  de la Pivardière. <$iy » moins que ceux qui avoient été ré« colés dans leurs dépofitions , & vala» blement confrontés devant le juge de » Chatillon , feroient récolés en leurs j> dépofitions, &, ii befoin étoit, con» frontés auxdits accufés ; le tout parj> devant le lieutenant criminel de jj Chartres ,*commis a cet effet. Que le n procés feroit fait & parfait tant a » Marguerite de Chauvelin, femme de » la Pivardière , qua fes deux fervan» tes , au prieur de Miferay , & a Rer» gnaud fon valet, pat ledit juge de j' Chartres , a la requête du procureur » du Roi au même iiège , jufqu'a fen5» tence définitive inclufivement; fauf » 1'exécution, en cas d'appeL A cet 5' effet, il fut dit que 1'archevêque de s> Bourges feroit tenu de nommer ua 35 autre official, pour procéder de nou.s' veau aux confrontations déclarées abu» fives , & a f'inftruétion entière du 3' procés a 1'égard du prieur de Miferay , V fuivant les régies établies peur la pro3' cédure criminelle concernant les eccléfiaftiques accufés. En conféquence 33 il fut ordonné que les informations Sc 33 autres procédures faites, tant au fiège >3 de Chatillon que par le juge de Lucé., » feroient portées augreffe de Chartres»  5fi8 Hiftoire " & fis pnfonniers transférés , fous * bonne & füre garde, dans les prifons » de Chartres. Les requêtes préfentées » par le prieur de Miferay, la femme " pa: r91™"*1^ - Regnaud, i » 1 effet de vérifier les fignatures & écri% * turcs du prétendu la Pivardière , fu» rent renvoyées pardevant le juge de « Chartres, pour, en jugeant le procés, » y faire droit s'il y échet, fuivant 1'or» donnance- Quant a 1'appel interjetté „par Ie procureur général, de la procé» dure faite par le lieutenant criminel »de Romorantin, elle fut déclarée » nulle ; en conféquence le prétendu la » Pivardière fut débouté de fon inter» vention Sc de fes demandes; il fut » ordonné que les fers mis aux pieds » du prieur de Miferay lui feroient ótés. sr Sur la prife a partie des juges de Cha» tillon, & fur les autres demandes , » les parties furent mifes hors de cour' » Faifant droit fur les concluiions du « procureur général, ilfut ordonné que » Louis du Bouchet, fe difant de" la » Pivardière , feroit pris au corps, & » mene prifonnier ès prifons de Char» tres pour répondre aux concluiions « que le procureur du Roi en ce fiè^e voudra prendre contre lui.  de la Pivardière. 5" 19 yy II fur enjoint au lieutenant parti» culier de Chatillon , quand il procéjj deroit a la confrontation des témoins r> aux accufés, Sc des accufés les uns aux *j autres , de leur faire déclarer li 1'acj> cufé préfent eft celui dont ils ont en» tendu parler dans leurs dépofitions &: „ interrogatoires ; & lorfqu'il recevra i » des déclarations faites par les accufés,. » de leur en faire, faire lecfure. II lui '» fut fait défenfes d'interpeller les té- i s» moins pendant la confrontation , s'il 3» n'en eft requis par les accufés ; d'iri- ; „ terroger les accufés lors de la confron- ; „ tation, & de procéder au récolement I „ & confrontation fur les déclarations •»> des accufés , qu'au préalable il n'y ait 1 „ un jugement qui 1'ordonné; défenfes, 35 enprocédant a Paudition des témoins, » de les interroger ; avec injonétion , 33 lorfqu'il prendra un grefïier, autre que 33 celui de la jurifdiéfion ordinaire , de 33 lui faireprêter ferment, fuivant 1'or33 donnance 33. Rien de plus fage que les rcglemenscontenus dans cet arrêt. Tant que le juge n'eft oceupé que de la recherche Sc de la preuve des faits qui doivent : éclairer fon jugement, fa foncfiqn fe borne a examiner d'un ceil attentif tout  !>20 Etjloire ee qui fe paffe , tour ce qui fe dit, & l en faire rediger fcrupuleufement le récit par Ie_ grefïier. Le témoin qui dépofe doit avoir la liberté de parler de tout ce qui! fcait, fans qu'il puiffe être indult , par aucune queftion , a dire ni plus, ni moins : une feule interrognon un feul mot, de la part du juge peut lui donner des impreflions capabies de Ie dererminer a altéter la vérité 11 peut cramdre de ne pas fe conformex alelpnt dont il s'appercevra qu'eft anime un juge qu'il redoute. II peut entrevoir que ce juge eft mftruit, par d'autres dépofitions, de faits qu'il croira nette r« «uuiogues a ceux qu'il eft difpofé i raconter. La frayeur s'emparera de lui il aura peur d'être foupconné de faux" temo>gnage j & le moindre inconvénientauipn nniiT* ^ir.,u__ n i , i. r~"^ ^uilci , eit quü altereraia naiveté qui eft lecaracfère de Ia vente : d y fubftituera un récit entorufie & equivoque , qui ne fera que loofcurcir; peut-être même fe déterminera-t-il a lui fubftituer le menfonge, &c. &c. Quant aux grefEers, il n'eft pas permis d en confier les foncf ions i ^autres qua ceux qui pofsèdent 1'oifice auquel elles lont attacbées. Le grefïier eft , fi  de la Pivardière. 721* 1'on veut, le clerc du juge ; c'eft celui qui rédige le réfultat des fonéfions de xe juge : celui-ci peut même prétendre que c'eft lui qui préfide a cette redaction , qu'il doit la guider & 1'éclairer de fes lumières. Mais il n'en eft pas moins vrai que le grefïier eft, en quelque forte , le cenfeur du juge \ qu'il ne doit prêter fon miniftère qu'a la vérité , &C le refufer conftamment pour tout ce qui n'y feroit pas conforme, ou même qui pourroit rendre a 1'altérer. On ne doit préfumer d'aucun juge qu'il eft prévaricareur : mais il eft certain qu'il s'én rencontre, & 1'expérience ne 1'a que trop prouvé. La chofe eft poflible , & cela fuffit pour que la prudence ne laifte pas au magiftrat le choix de celui que la loi lui donne pour cenfeur : c'eft d'elle-même qu'il doit le tenir : & il eft intéreffé a fe foumerrre a cette règle; elle contribue a le préferver de tout foupcon d'iniidélité. II eft cependant des cas qui empêchent le grefïier en titre dexercer fes fonétions. II eft malade, abfent , ou. dans des circonftances qui pourroient le faire foupconner de partialité. Le juge alots commet une autre perfonne  Hifioïrt pourlefuppléer. Mais il eft néceffairê que ce paraculier , qui eft inconnu l la juftice s'engage avec elle, par un ferment folemnel, de fe conformer aux regies qu'elle a établies pour arriver £ la decouverte de la vérité. Tant cm'il' n'a pas prêtéce ferment, il n'a aucun caraétere qui puiftè forcer la confiance due a tout officier public en foncfions : fes aéfes qu'd rédige ne font que des aétes pnves , qui n'ont aucune foi en juftice, & font par conféquent nuls. Cependant ce même individu, qualifie dans 1'arrêt que 1'on vient de lire, de prétendu la Pivardière, que ce même jugement a décrété de prife de corps & auquel il a ordonné que fon procés fut fait, obtint, du Roi, un faufconduit, qu'il n'eft pas indifférent de cop-ier ici. r «De par le Roi. » Sur ce qui a été reprcfentc i fa ma» jefte, par un placet donné fous le nom » de Louis de la Pivardière , fieur du » Bouchet , ci-devant lieutenant au ré» giment de Sainte-Hermine, qu'a 1'oc» cafion de fon abfence , dame Mar"guerite de Chauvelin fon époufe *> ayant été accufée & pourfuivie poinr  de la Pivardière. t r ■ . ».r~ , vt2Ili 5 oc par la pré» fence juftiher Iïnnocence de fa femS tee. A quoi fa majefté ayant aucune-ment egard a accordé Sc accorde «audn Louis de Ia Pivardière, fieur " dl1 BotlcIiet, fauf-conduit de fa per» lonne pour trois mois, pendant lef» q"els, au cas qu'il ferepréfente, elle "lapris, comme elle leprend&met "fous fa protedion & fauve-garde " fpeciale par ces préfentes. Mande & " °rdoJine Pour cette fin fa maiefté a ö -»«>w* , ics ueurenans eé» neraux en fes provinces , gouverneurs "particuliers de vUks &c Places «marnes, écbevins & magiftrats, & » ous autres fes officiers q°u'rl appar» tiendra, de laift er pader , allü & » vemr & fejourner fürement «Sc fibre- « ment ledit fieur du Bouchet, clürant "ledit tems de trois mois, fans per- " "üfe & GCf & qaelque prételte " ^ Prètre, il foit attentéd fa "Perfonne, ni qu'il.foit inquiété en *> aucune mamère. Défend très-expref-  de la Pivardière. 4,1$ « fément fa majefté a tous juges , préj) vots des maréchaux , vice-baillifs »» vice-fénéchaux , leurs lieutenans, &C ii tous autres officiers de robe-courte, ii d'attenter a fa perfonne;comme auffi „ a tous huiiliérs, fergens & archers de »> mettre a exécution aucuns décrets, „ fentences, jugemens & arrêts de con- » damnation contre ledit du Ixmciiet , >» de quelques cours & juges qu'ils » foient, Sc autres , même de la cour » de parlement de Paris, &c pourquel- >> que fujet que ce puifle être; & a tous „ géoliers & gardes de prifons de le re- » cevoir eldites prilons; ie tout aurant » Ie tems de trois mois; apeine, contre »3 les contrevenans , de mille livres ») d'amende , & d'interdidion de leurs s> charges. Car tel eft notre plaifir. Donm né aVerfailles le z6aoüt i 698. Signe'% s» Louis. Et plus bas , le Tellier >■>. Armé d'un fauf-conduit auffi ample» &: qui fut renouvellé plufieurs fois pendant le cours du procés , 1'impétrant fe conftitua volontairement prifonnier au fort-l'évêque a Paris le premier feptembre 1698. Voici fon écrou : « Le fieut 33 Louis de la Pivardière , écuyer, fieur 33 du Bouchet, s'eft écroué & rendu vo» lojuairement aux prifons royales de  $2.6 Hiftoire «céans furPavis qu'il a eu que, to » arret du parlement de Paris, du n «pillet de la préïente année, il a été « decerne décret de prife de corps, i la " req««e de M. le procureur général « contre Louis du Bouchet, ft difant «de la Pivardière, dans Ia préïuppofi« tion que lui, fieur de la Pivardière »» s etant repréfenté pardevant le lieute* w nant cnmmel de Romorantin & " 3U1jS'eft fait reco™°ïtre pour mari » de dame Marguerite de Chauvelin „etoit une perfonne qui fe fuppofoit „ etre lui fieur de la Pivardière , mari - de ladite Marguerite de Chauvelin : „& attendu que c'eft lui fieur de la » I ivardiere qui s'eft repréfenté parde» vant ledlt jugey o{t y a ^, ^ * ledit fieur Ap U d;„„..j:v r- . 111.e ie conlti- p tuepnlonmer volontairement, 4 pef» Jet de iuftifier qu'il eft véritablement » Louis de la Pivardière, écuyer , fieur « du Bouchet, mari de dame Margue»nte de Chauvelin, fans approuver " iedit arret, & aux proteftations de fe « pourvoir contre icelui en tems & lieu » ainfi & par les voies qu'il avifera bon »» etre & fans déroger au fauf-conduic » que e Roi a eu la bonté de lui accor*» der le 2.6aoüt dernier, & pourlequej  de la Viv ar diere, ^ij H s'eft fouffigné fur le préfent écrouf „ Sïgné, Louis de la Pivardière dm as Bouchet 33. J'ai tranfcrit ces deux piècesen entier, pour préfenter a 1'imagination du lecteur la fécürité avec laquelle le prétendu importeur fe mettoit entre les mains de la juftice ; la fécürité même avec laquelle il s'étoit préfeuté au pied du tróne , en aflurant au fouverain luimême qu'il étoit celui dont on prétendoit qu'il vouloit uiurper le nom. Mais ce qu'il y avoit encore de plus favorable pour la juftification du fait qu'il avancoit, c'eft que le fauf-conduit, que je viens de copier, étoit 1'ouvrage de cette même femme que la Pivardière avoit époufée a Auxerre, quoiqu'il füt déja marié a. Nerbonne. J'ai déja dit que cette feconde femme avoit déterminé fon perfide époux a s'aller faire reconnoitre dans le pays. Cette démarche n'ayant pas eu le fuccès qu'elle avoit efpéré , & fon fatal mariage étant un obftacle a Pacfe généreux qu'elle vouloit faire , elle réfolut de lever cet obftacle même. Elle s'alla jetter aux genoux de Louis XIV, qui, touché des chatmes &c des graces de cette belle fuppliante , la fit relever , 1'écouta favorablement, lui  *28 Hiftoire dit avec un air d'intérêt: une fille fahi comme vous mérheroit un meilleur fort & lui accorda en admirant fa gêné! deJirè. Iefaüf-COnduit ^ Fon vient La première démarche que fit la Pivardière , après s'être conftirué prifonf?XZ fobtenir, le io décembre 8, des lettres en forme de requête cmle (i) contre 1'arrêt du z5 juillet de la meme année. men?^Un juëe^ Peut rétracierlejn.ement qu ,1 a „ne fois prononcé : fi „uanrf taire reihfier les femences des juges inferieurs efl rappel devant le fupériel' aux tnbanaux fouverains , oA peut, en e tams cas . recnnr f 4 u j /, '~ . '«fs les circonfiahces ^SSS ployerceremède fontbornées, & ne dön ■ nent pas toujours la faculté de'fe pïaiSe dune nnuftce échappée aux lumières de a cour qm a été troinpée. Poury fuppléer on a ,mrodllIt }* requête civile , par laquelle celu, qu. a été léfé par un arrêtf & Z n'a pas d autre voie pour 1'attaquer, revient con re cet arrêt, & mst ^ ■ ' ^ |m 1 ont rendu , en état de le révoquer^ï Pendant  de la Pivardière. £29 _ Pendant l'inftruction de la requête civile , a laquelle ia dame de la Pivardière , le prieur de Miferay & fes deux valets avoient adhéré , les parties obtinrent un arrêt du confeil, qui attribua au parlement la connoifTance des chefs d'accufation que 1'arrêt du 2 3 juillet 1698 avoit renvoyés pardevant le lieutenant criminel de Chartres. Mais comme il ne doit pas être permis a des partkuliers de revenir contre des jugemens rc-ndus par des cours fouveraines , & auxquels ils ont été parties , il faut recourir a 1'autorité royale, & obtenir des lettres : en petite chancellerie , qui autorifent les juges a revoir leur arrêt, a 1'annuller ,fi : les défauts qu'on lui reproche font prouvés ; : & a remettre les parties dans 1'état oü elles f ^0ient avant la prononciation de cet arrêt. De forte que, par ce moyen, les parties" 1 efiuient trois proces fur le même objet. Le 1 premier qui a donné matière a 1'arrêt contre j lequel on fe pourvoit; le fecond , pour difcuter les moyens de requête civile , & voir I s'ils font fondés ; '& le troifième, pour faire | juger de nouveau la queftion qui avoit été i décidée par 1'arrêt annullé. Je n'entrerai point dans le détail des : moyens qui peuvent opérer la révocation d'un arrêt attaqué par la requête civile : ils : font écrits dans tous nos livres ; & ce que 'je viens de dire fuffit pour mettre au fait i ceux qui n'ant pas intérêt d'approfondir davantage cette matière. Tome 1F. Z  530 Hiftoire Sur ces entrefaites , le fieur Bonnet, lieutenant particulier deChatillon,mourut: ce qui obligea fa familie, pour 1'honneur de fa memoire, a demander qu'il füt mis hors de cour. 11 étoit morrinfohvable ; enforte que fes parties adverfes n'avoient point intérêt a s'oppofer a cette demande , qui fut accordée par arrêt; enforte que le fieur Morin, procureur du Roi, refta feul en caufe fur la prife a partie. En conféquence de cette attribution, le fieur de la Pivardière obtint un arrêt le 13 février 1699, qui ordonna qu'avant de prononcer fur la requête civile, il feroit informé a la requête de M. le procureur général de fon exiftence ou de fa fuppofition ; qu'il feroit inceffamment interrogé , & qu'il feroit procédé par experts a la reconnoiffance de fes écritures & fignatures. Cet arrêt requit donc trois fortes de preuves: 1 °. celles qui réfulteroient des déclarations de la Pivardière dans les interrogatoires qui étoient ordonnés. II feroit fuperflu & ennuyeux d'entrer dans le détail de toutes ces réponfes , c'eft une véritable hiftoire de la yie privée du fieur de la Pivardière. Il fuffitde dire que tout ce que linuo»  de la Pivardière. «531 cente fubtilité des juges a éré capable d'inventer pour parvenir a un éclairciffement, foit par des demandes embarraflantes, foit par des queftions fur des faits fecrets, a été exaétement employé. La dame de la Pivardière, interrogée féparémentfurles mêmes faits; & après les précautions poffibles pour intercepter toute communication entre eux , a répondu de la même manière. En un mot, leurs réponfes ont toujours été précifes & uniformes. Le fecond genre de preuve, eft 1'information. Celle qui a été faire én la cour eft compofée de vingr-fept témoins. Ils forment trois dalles : les uns font inutiles ; les autres font reprochables ; & les derniers fonr ceux fur le témoignage defquels on peut fe repofer. On regarde comme rcmoins inutiles ceux qui ne parient que par ouï-dire. Les lumières qui réfultent des ouï-dire ne font pas, a beaucoup prés , fuffifantes dans une affaite de la natute de celle-ci. Ceux de ia fecondeclaflê font pareillement a rejetter. II fuffit d'en caracfórifer deux , par lefquelles on peut juger de tous les autres. L'un a été condamné aux galères; & cependaat c'eft le même Zij  532 Hiftoire que les juges de Chatillon avoient choifï pour faire les exploits & les fignifications , quoiqu'ü füt dans les hens de la contumace qu'il n'avoit pas purgée. Ainfi, quoiqu'il dife ne pas reconnoïtre le fieur de la Pivardière, fa dépofition ne mérite aucun égard. « Si nous avions » été inftruits de ce fait, dit M. d'Aguefleau, alors avocat général, & qui portoit la parole pour le miniftère public (1), « nous n'aurions pas recu fon „ témoignage. La Juftice qui demande » leclaircilïement de la vérité , le'de» mande par la bouche de gens qui ne » font point flétris. Ceux qui le font , » lui fontfufpects ; & même nous fom„ mes furpris de la conduite de Me Bon„ net. II eft mort: quoiqu'en fouffre fa „ mémoire , nous foinmes obligés de »> repréfenter qu'il eft blamable de s'être „ fervi du miniftère d'un fergent dont i> il ne pouvoit ignorer 1'infamie & 1'ins3 capacité, puifque lui-même 1'avoit j3 condamné aux galères ; condamnaï5 tion dont il n'y ayoit point d'appel. (i) Je ne fera! point ici i'éloge de M. Ie chancelier d'Agueffeau ; fon nom feul en eft un, ïl fe trouve d'ailleurs par-tout; & il a fait Ia matière de plufieurs difcours acadé»  de la Pivardière. 533 ft On nous a rapporté le jugement; ce j> qui nous a auffi-tót déterminés a re3> jetter la dépofirion 33. On doit encore mettre au nombre des témoins dont le témoignage doit étre rejetté, le prieur des Auguftins. Il dir que celui qui prétend aujourd'hui être ie véritable la Pivirdière , n'eft pas le même qu'il a connu fous ce nom-la. Ce témoin a été reproché , a caufe de fes grandes liaifons avec la familie du feu fieur Bonner. II reftoir dix-huit témoins qui ne méritoient aucun reproche, & dont les dépofitions étoient précifes : tous atteftoient qu'ils reconnoilfoient le prifonnier pour être le véritable la Pivardière ; & motivoient leur reconnoiffance par des détails auxquels il étoit impoflïble de ne pas ajoutet foi. « Au 33 lieu de dix-huir rémoins , difoir M. 33 d'Aguelfeau, nous en aurions trouvé 33 bien d'aurres , fi nous 1'avions jugé 33 néceffaire a réclairciffement de la vé33 riré. Ce ne font pas les témoignages 33 qui nous ont manqué : car que pou33 voit-on defirer après ceux de trois 33 cents perfonnes qui reconnurent le 33 fieur de la Pivardière lors de la pro» cédure du juge de Romorantin >3 ? Z iij  ?34 Hiftoire La dernière preuve exigée par far. experts y ont travaillé : & cnacu'P felon larègle^faitfo^rappot Z: «meenaère entre les caradères tracés ^fiei^ ^Pivardière avantïS cufanon,& dans un tems non fufpeét, & ceux quil a tracés depuis dans les drfoens ecnts qu'il a envoyés du lieu terV?C?r do"ble tantót avec «ne feule. Mais les expert's ont remarken ue cette diiférence fe trouve paledlement dans les piècesdecompaSion , qm font toutes pièces authentiques, comme contrat de mariage, acfes tQ fo1 & hommage , aveux & dénombremens. Ainfi on ne doit pas s'arrêter a cette dirference; fur-tout quand il v ^u., ullc parraite conformité entre les ecnts que 1'on compare les uns aux autres. A ces preuves de I'identité des deux perfonnages, M. d'Aguelfeau ajoutoic des prefomptions qui leut donnoienr une nouvelle force. « II eft difficile de  ■ de la Pivardière. _ ?3? „ croire, difoit-il, que celui qui fe pré„ fente foit un importeur. Le peu de ,, tems qui s'eft écoulé entre 1'accufation d'afïaffinat & fa demande a fin de reconnoiilance, la difficulté d'im,, pofer a toute une province; tout cela 33 parle en fa faveur. ,3 Les importeurs travaillent long,3 rems a apprendre leur róle ; ils n'en,3 fantent 1'impofture qu'après 1'avoir 33 nourrie plufieurs années dans leur 33 feiiv, afin qu'elle puifTe fe foutenir ,, lorfqu'ils la feront éclorre. Ainfi un „ homme qui fe montre & qui fe pro,3 duir, fans qu'il paroifTe qu'il ait éte ,, plus d'un mois a fe préparer , ne peut 33 pas être un faux perfonnage. ,, D'ailleurs, ce n'eft point pour re,3 cueillir une fucceffion avantageufe , 33 & pour fe mettre a la place d'un 33 homme riche , ni par un autre inté33 rèt que celui qui veut être reconnu ,3 s'eft'repréfenté. L'intérêt, qui efHe 3> mobile de tous les importeurs , n'a33 nime point les démarches de cet 33 homme qui fe donne pour le fieur de 33 la Pivardière ; il plaide^au contraire 33 contre fon propre inrérêt. II ne peut 33 pas vous dire qu'il eft le véritable la 33 Pivardière, qu'il ne ptenne la qualité Z iv  11/ . mjhire » de man d'une fernme accuf, » dukere, & gu'il ne foit C"lee f 3" » Pour fe montreTlÏÏ " "d ?M • "font forrement ; qui -memoire des hom£™B ^ 1» » en meme rpmci i l , nt> °c "&uuM,itpél,ünfflj;;jnr  de la Pivardière. 5:37 ,3 préfente une perfonne qui dit qu'il eft ,> celui-la même ; repréfentation qui „ diffipe 1'incerrirude & le doure qu'il » a intérêt de ne pas détruire; repré» fentation qu'il ne fair qu'aux dépens j! de fa vie , ou du moins de fon hon33 neur ; repréfentation confirmée par 33 un interrogatoire exact & fidéle ( M. J5 de la Briffe, procureur général, a fug33 créré plus de fix cents faits fur lefquels ,3 on a interrogé le fieur de la Pivar33 dière, qui y a répondu avec beaucoup 33 de juftefiè ); repréfentation foutenne „ par des témoignages graves & authen33 tiques, & par une vérificarion d'écri33 tures, qui achève de mettre le der33 nier fceau a fa reconnoiflance 33. II éroir donc impoffible de ne pas rei connoitre le fieur de la Pivardière dans le perfonnage qui fe préfentoit. Ceux que 1'ón avoit pourfuivis comme coupables d'un aflaffinat étoient donc innocens. Cependant, il faut 1'avouer, il y avoir eu matière a préjuger le crime donr ils étoient accufés; il y avoit eu d'ailleurs lieu d'entreprendre leur juftificarion. D'un coté , la dame de la Pivardière foupconnée d'intrigue & de rnanvais commerce ; le mari qui s'eft éclipfé , Z v  53», Hi(loire des temoms qui difent avoir entendu voIX morante; deux fervantes oui ra- contentlesarconftances de lalfXat" des ^raps pJeins de ^ ^ Jj-, D'un autre cóte rf^ ■ mort , la rerracration des fervantes • même'/ ^«ftdierqu'il étoit celuila meme dont ou pourfuivoit 1'alfaffinat' tournat, pouvoient jetter dans i'erreur Ily avoit autant de danger de crolre 13. Pivardière aff» flï»,i , fe 3lU "OIef rapporrées; la «JES de celles donr les accufé, d'unTPart & les accufateurs de l'autre ^ cfWnrife prévaloir, demanddtte IS UC aFProfondie davantage 9& Ces réfferions font f apoWe de W attaqué par la requête We? d^Sèbre e:01tTP°mhk de forrir Knebres rePandues de toutes parts,  de la Pivardière. ^39 que celui qui prétendoit être la Pivardière fut décrété; afin qu'étant dans les mains de la juftice, elle fut a portée d'employer toutes les voies qui pouvoient faire forrir la vérité des différentes circonftances que fa préfence pouvoit faire naitre. Les preuves que 1'ona cberchées avec tant de foin, pour lefquelles on s'eft 1 donné tant de mouvemens , font ac• 1 quifes. « Il fe peut faire cependant , ; » difoit M. d'Aguefleau , que nous j >■> foyons encore trompés : mais fi nous { 35 le fommes , c'eft par les régies ; c'eft 33 la force des preuves qui nous jette is dans Terreur j c'eft la juftice même 33 qui nous trompe. La Providence qul33 met des hornes a l'efprit des hommes r 33 permet fouvent que leurs propres con3» noiflances les abufeilt. Quand nous 33 ne ferons féduits que par cet ordre 33 toujours fixe & immuable des chofes 33 humaines , ,nous aurons de quoi nous 33 confoler. Si celui que nous croyons a33 préfent le véritable de la Pivardière , 33 eft un impofteur , nous pouvons dire 33 que nous n'avons rien négligé pour jr découvrirrimpofture : fi nous fommes 39 trompés , nous avons tour mis ent s> ufage pour découvrir la vérité , SC Z vj  H° Hiftoire «nous mettre ri'abri de 1'erreur „. étédiïf ««feplainta dictepar l'eqmté Ja 4 aeprendrelafeuJevoieqael'onvovoc ouvertepour arriver a la vérité 2 que les parties demandoient, & 1 devoit detruxre Ie précédent , n'étoit Fsmomsnéceiraire,&neme'rtoitp les ;uges en contradicfion avec eux- memes. «C'eft, difoit encore M.d I »gue£Tea, c'eft un effet de la juftice " J ^^^reproche contre es ml' " garats■ Rien ne marqué mieuxqu5s -agt^ntfansprévention que la facilnï "qu ils ont i rétracf er leurs jugement " " fave-^e 1'innocence. Vouf ugez " avez. Tnfl-P ^„ r 1 ? uu* „ w,,müon oes hommes " de n en ar,°lr 'amais rr°P ! P^s trifte "^ore celle des juges, LtVmSes " felsen t die de fouftraire la on"^ffance de la vérité ! Si ia prem ère "fois vouS prononc;ates contre Ie W «delaP1Vardlèrecomme un im££ " f',Sl volIS P^noncez aujourd'hui en "fafaveur votte juftice eft toujöu's ^éeT-T^15165 ^fontcC "gfs & Ies circonftances font vos "«ecifïons: & il eft toujours vrai dc  de la Pivardière. 541 s5 dire que vous ayez eu raifon de les y> rendre telles qu'elles ont été for3> méés jj. Voila cependant un arrêt folemnellement rendu qui fubfifte , Sc qui ordonné que les prétendus auteuts d'un affaffinat qui n'a pas été commis , feront pourfuivis comme coupables 5 Sc celui qui fe prétend la Pivardière , Sc qui 1'eft en effet, déclaré importeur. Et telle eft la rigueur des tormes, fi effen-_ tielles d'ailleurs a la fureté des citoyens Sc de leurs poffeffions, que Terreur démontrée n'eft pas fuffifante pour aurorifer les juges a le rétracf er, fi la requête civile n'eft pas fondée fur les moyens autorifés par la loi. Examinons donc fuccincfement ceux que les parties avoient ptopofés. Us étoient au nombre de quatre ; mais tous n'étoient pas dignes d'être écoutés; je ne parlerai ici que de ceux qui avoient quelque poids. Par le premier, on imputoit a 1'arrêt d'avoir confirmé une procédure irrégulière. II enjoignoit aux officiers de Chatillon d'obferver a Tavenir les ordonnancesj il leur marquoit les vices de leur procédure , Sc leur prefcrit une loi i cet égard : Sc cependant il ne  / V Hijtoire Ja déclare pas nulle. II j a donc conrra»«c dansla difpoficion de cec arrêr Ptufqu fi «H1firme Me £d > c eft L conhrmer Tae de ne pas Pan- H faut; ayouercependanr qa'il nV a - yoaiid Ia cour a enjoint aux ia^es de Chatillon dobferverafavem fefot donnances5& qu>e]ie ■ J £ parties devant le ,W de rff onVIIa o • ' ö üe ^"artres qn eile a commis pour 1 mftruction du Proces on ne peut pas dire S| procédure défeccWPijr ' 9 a S aVOCat av™ plaidé pour hu. Cep-V danrona voulu qu'il nLiftac p^ ^onlideré comms mort. So/avocat  de la Pivardière* f4j pour un homme imaginaire. II ne faifoit donc au procés aucun perfonnage réel; il n'y étoit donc pas partie. On mettoit néant au bas de toutes les requêtes qu'il préfentoit a M. le procureur général. Puilqu'on n'inftruifoit point le procés avec lui, comme avec le véritable la Pivardière, n'eft-il pas évident qu'il n'étoit point en caufe, & que , par conféquent, 1'arrêt du 23 juillet 1698 eft , relativement a lui, un arrêt par défaut ? Car on ne peut pas dire qu'il ait le caractère d'un arrêt contradicfoirement prononcé avec le Jieur de la Pivardière ; puifque 1'inftrucfion n'a. été faite qu'avec le foi-difant la Pivardière , & qu'on a procédé comme fi le. véritable étoit mort. D'ailleurs , peut-on exécuter contre lui un arrêt qui ne lui a pas été fignifié ? S'avifera-t-on de le fignifier a préfent ? Quelle qualité lui donnera-t-on ? L'appellera-t-on le faux la Pivardière ? On ne peut donc pas 1'exécuter contre le véritable. L'appellera-t-on le véritable ? On recomioitra donc qu'il n'a point été affaifiné ; & la fignification fera alors en contradiction avec 1'arrêt fignifié.. M. d'Aguefleau reconnut auffi , par les mêmes raifons j que ce moyen étok  $44 Hifloire un moyen d'oppoiltion , plutot qu'un moven de requête civile ; Sc qu'a bien examiner les chofes , la requête civile étoit. inutile; la voie de loppofition lumfoit. « Cependant, continuoit ce macuf» trat, nous ne pouvons nous empê» cher de dire que , du moment que nous n'avons rien a defirer pour la » reconnoiffance du fieur de la Pivar» dière , que nous n'avons rien a oppen 3= fer a la certitude de fa repréfentation, » c'eft une conféquence néceffaire que »les lettres en requête civile foient 33 admifes. 33 Nous rétracbns fans confufion ce « que nous avons fait. Tel eft le carac33 tére de la juftice : la févérité de notre -33 miniftère a demandé que nous nous 33 portaffions appellans de la procédure 33 faite pardevant le heutenant général 3' de Romorantin. Comme nous agif33 fons fans prévenrion, nous donnons 33 volontiers les mains i la juftification 33 des accufés; nous ne cherchons point 33 a les trouver coupables, nous fommes » ra vis de les trouver innocens. » La pourfuite des crimes qui nous ii eft mnfiró -i J -r, , a u duum autorite ceife P que nous avons faite ; Sc ce n'a été  de la Pivardière. 5^ j> 'que 1'appréhenfion d'admettre a Ia » preuve des fairs juftificatifs , avant » 1'inftruótion du procés , que nous « avons interjetté cet appel. A préfent 33 que la vérité oft éclaircie , nous n'em33 pêchons pas que le fieur de la Pivar33 dière n'obtienne 1'enthérinement de 33 fes lettres. 33 Mais ce bienfait s'étendra-t-il fur js tous les autres accufés ? II feroit dif33 ficile &c même inurile de les en prijs ver. II naittoit de-la une grande eon33 trariété : de la Pivardière ne feroit 33 vivant que pour lui, &c non pour les »3 autres. 3» Le corps de délit ne peut fe divi33 fer j le bénéfice de la reconnoiffance 33 doit être réciproque. L'exiftence du 33 fieur de la Pivardière intéreffe infi33 niment les accufés. Car fur quoi a33 t-on informé? Sur fon affaffinat. Sur 33 quoi votre arrêt a-t-il été rendu ? Sur 33 une prife a partie formée fur une 33 accufation d'afla.ffinat. Contre qui a33 t-il été rendu ? contre des perfon33 nes accufées d'avoir affaflïné le fieur 33 de la Pivardière. II fe repréfenté , il 33 eft reconnu : donc cette reconnoif33 fance fait leur juftification ; & ils ne 33 peuvent être pleinemenr juftifiés que  ^6 Hiftoire «par une rétraclation d'arrêt a leur 33 égard. » Si les juges de Chatillon avoient 33 dit qu'il y avoit un alTaffinat com33 mis , fans défigner qu'il avoit été 33 commis en la perfonne du fieur de la 33 Pivardière, alors ce feroit le cas de 33 divifer les lettres ; il n'y auroit que 3? le fieur de la Pivardière qui en put' 33 obtenir 1'enthérinement : les autres 33 demeureroient toujours accufés. 33II peut fe faire, nous le difons 33 encore une fois, & nous 1'avons déja 33 infinué, il peut fe faite que celui que 33 la force des preuves nous engage a 33 reconnoltre pour le fieur de la Pivar33 dière , ne foit pourtant pas le vériJ3 table. Il peut fe faire , quand même 33 il feroit le véritable , que les accufés 33 ne fuflent pas abfolument iimo33 eens (i). (i) S. M. 1'avocat général entrevoyoit qu'il étoit poffible que le fieur de la Pivardière fut vivant, & que cependant ceux qu'on accufoit de 1'avoir affarfiné futTent coupables, c'eft que les juges de Romorantin avoient fait cotirir le bruit que c'étoit fon valet qu'on avoit pris pour lui, & qu'on avoit tué. Que c'eft la raifon pour laquelle la dame de la Pivardière & le prieur de Miferay ne s'étoient pas défendus d'abord ;  de la Pivardière. 5" 47 » Mais ce qui nous paroït , quant 1 53 préfent, eft que 1'accufation ayant 33 eu pour objet unique l'aftfoflinat du 33 fieur de la Pivardière, & le fieur de 33 la Pivardière étant reconnu , il n'y a 33 pas moyen de divifer le benefice des 33 lettres, dans un cas ou l'acfion eft in33 divifible. Le fieur de la Pivardière 33 eft exiftant : donc ceux qu'on accufé >3 de 1'avoir alfa/fine font innocens a 33 cet egard. S'ils font innocens , donc 33 ils doivent être rèmis au même état 33 oü ils étoient avant 1'arrêt qui les pré33 jugea coupables >3. Sur les concluiions de ce grand 8c ^ célèbre magiftrat, intervint arrêt le n, juillet 1699, après une plaidoierie de quatre audiences , par lequel « il fut 33 donné acfe au fieur de la Pivardière 33 de la reconnoiflance de fa perfonne j iis étoient perfuadés qu'ils étoient coupables de 1'aflaffinat de la Pivardière , & penioient que toute défenfe feroit fuperflue contre 1'évidence des preuves. Mais quand ils fcurent que le fieur de la Pivardière étoit vivant, ils changèrent de batterie. Cette calomnie étoit détruite par la preuve que , non-feulement le fieur de la Pivardière n'avoit point amené de valet a Nerbonne „ mais qu'il n'en avoit jamais eu a fon fervice » depuis qu'il étoit ètabli a Auxerre.  54s ; Hiftoire » en conféquence la cour enthérina les « lettres en forme de requête civile, Sc » remit toutes les parties au même état » qu'elles étoient avant 1'arrêt du 13 «juillet 165,8. Ce faifant, il fut or» donne que le fieur vGe la Pivardière » feroit élatgi, & mis hors des prifons, » a quoi faire les greffiers & géoliers » defdites prifons feroient contrain ts par » corps; quoi faifant, déchargés. Tous « dépens réfervés ». • Un arrêt qui enthérine une requête civile , ne peut rien déeider fur le fond de 1'affaire ; il ne peut produire d'autre effet que de rétablir les chofes dans le même état exactement oü elles étoient avant 1'arrêt attaqué par la requête civile. Telle eft la raifon pour laquelle le fieur de la Pivardière fut, de tous les prifonniers, le feul élar M n'a donc couvert 1'irrégularité de fa conduite par aucun prétexte. II faudroit des volumes, fi 1'on vouloit détailier tous les vices dont la conduite du procureur du Roi, &c du lieutenant particulier, eft infeófcée. Contentons-nous d'en indiquer les traits les plus frappans. En commencant par Breton , treffier, il eft certain qu'outre qu'if n'y avoit pas de raifon de le fubroger, pour cette affaire, aux fonótions du grefïier titulaire du tribunal, lapofitionacfuelle dans laquelle il fe trouvoit relativement au prieur de Miferay & £ fa familie , devoit le portet a s'abftenir d'une commiffion que rien ne le forcoit d'accepter. Mais Ie juge avoit befoin d'un  de la Pivardière. 557 homme qui entrat dans fes vues, Sc qui füt perfonnellement intéreffé a fe prê-ter a la vengeance qu'il vouloit exercer. Le grefïier titulaire n'avoit pas les qualités, n'étoit pas dans les difpofitions que les fieurs Bonnet & Morin cherchoient. Bteton étoit 1'homme qu'il leur falloit, & il les a fervis comme ils le fouhaitoient. Lorfque le prieur fut confronté , a Chatillon , aux deux fervantes, elles défa vouèrent les dépofitions par lefquelles elles avoient affirmé l'affaffinat de la Pivardière; elles ont foutenu , a la face de Tofiicial & du lieutenant particulier Bonnet, que leuts menaces feules les avoient engagées a dépofer cette fauf- > feté, &c que Ie greffier écrivoit fouvent autre chofe que ce qu'elles difoient. Mais elles parloient alors en trem- • blant; on en vetra bientot la raifon. , Quand Catherine Lemoine fut interrogée en la cour, le 21 janvier 1700, elle' déclara que , depuis le 15 aoüt 1697 , jufqu'au moment oü elle fut conftituée prifonnière a Chatillon, elle a dit partout que le fieur de la Pivardière n'étoit pas mort, & qu'il s'en étoit allé la nuit. II eft vrai, ajoute-t-elle , que , , depuis qu'elle a été prifonnière , elle a Aaiij  fcavoir que la Pivardière n'étoit pas mort; mais qu'il n'a fair écrire cette déclaration qu'une feule fois, & qu'il faut que le cahier qui la contenoit ait été jetté au feu , puifque jamais on ne le lui a repréfenté depuis. Elle a foutenu que toutes les circonftances qu'elle avoit détaillées du prétendu aflaffinat étoient une ficfion que les juges lui avoient fuggérée. Que , quand on lui repréfenta le fieur de la Pivardière dans la prifon , le ttouble oü elle étoit, les obfeilions continuelles dont elle étoit tourmentée , ne lui permirent pas de le reconnoitre ; d'autant  de la Pivardière. ^9 plus que fes longues Sc fréquentes abfences ne 1'avoient mife a portee de le voir qu'une feule fois. Que d'ailleurs Bonnet étoit venu dés le matin la menacer de la faire pendre , fi elle le rec:>nnoiffoit. Que la déclaration qu'elle fit après cette confrontation, lui fut encote extorquée par 1'ordre que donnèrent Bonnet Sc le vice-gérent de Ia mettre dans lescachots, Sc par les menaces du geolier & delageolière : qu'ils lui ont fait des préfens , 1'ont priée de ne point parler de leurs follicitations ; Sc que cependant elle craignoit qu'ils ne 1 empoifonnalfent avec les préfens qu'ils lui offroient. . . Enfin elle a déclaré qu'elle n'a été follicitce ni par le prieur , ni par aucune perfonne de fa part. Marguerite Mercier, dans fes interrogatoires des 20 janvier Sc 16 avril 1700, déclare la même chofe , avec quelques circonftances de plus. Elle dit que Bonnet & Morin étoient allés dans la prifon dès le matin du jour ou 1'on devoit la confronter avec la Pivardière, 1'avoient menacée de la faire pendre ; Sc que le greffier Breton lui dit qu'il lui couperoit les doigts fur la table avec un couteau qu'il tenoit a la main , fi A a iv  5&> Hiftoire elle ne difoit pas quela Pivardière qu'on alloit lm reprefenter étoit un homme liippofe. Elle charge en outre le. vice-gérent de lui avoir fait des menaces, de 1'avoir fait mettre dans les cachots, & d'a- difoitmPeChé gU'°n U'éCriv" teciu'elle Ces déclarations font appuyées des dépofitions de témoins dedifférensages, de difFerentes qualités , de différens «tats & tous fans reproche , au nombre de plus de dix-huit, qui atteftent qu ayant parle aux fervantes avant leur empnfonnement, elles leur ont touJ,°"rsIa Plvardière n'avoit point ere affaifine ; qu'il s'en étoit allé la nuit du 15 au 16 aoüt; qu'il ne s'étoit rien paffe d extraordinaire dans le chateau de Nerbonne; que fa femme, le prieur cc fes valets étoient innocens. Tous ces temoinsaccompagnoient ces dépofitions de circonftances uniformes , & quiconcouroient a la démonftration des faits qu'ils racontoient. Deux autres témoins certifient que ces filles , depuis leur fortie de Chatillon , depuis qu'elles n ont plus été fous la dépendance des juges de ce tnbunal, ont toujours dit hautement ce qu'elles ont déclaré dans  de la Pivardière. 561 les interrogatoires qu'elles ont fubi devant MM. de Sarron & le Nain, confeillers-commiifaires de la cour. Seize autres témoins dépofent, tant comme le fcachant par eux-mémes, que comme 1'ayant appris de ces deux fervantes , du geclier, de la geolière & de leurs enfans, que les officiers de Chatillon ont menacé ces malheureufes filles de la potence , fi elles reconnoiffoient le fieut de la Pivardière ; que le fieur Bonnet & 1'official ont refufé de faire écrire la déclaration de la Lemoine , quand elle a dit qu'il n'y avoit point eu d'affaffiuar , & qu'ils Tont même fait mettre auffi-tbt dans un cachot ; qu'on a vu Bonnet parler aux deux fervantes entre les deux guichets de la prifon ; que les deux juges n'ont pas fouffert qu'on écrivïr les dépofitions qui rendoienr a la décharge de 1'accufé, onr menacé les témoins , & ont voulu les forcer de dire qu'ils avoienr vu porter le cadavre de la Pivardière dans un puits \ qu'ils ont promis un habit a. un des témoins pour le féduire : les nommés Pennin & Anne Marteau , ont déT pofé que ces juges les avoient menacés de la prifon , pour s'être plaints de ce qu'on avoit écrit autrement qu'ils n'a*Aa v  5^2 Hiftoire vcuent dépofé, & qu'on leur avoir artihcieufementfurpris des déclarations qui tendoient a prouver le prétendu adultere entre la dame de la Pivardière & le prieur de Miferay. Les deux juges & le procureur du Kqi ne font pas lesfeuls quifoientconvamcus de prévarication; ils avoient communiqué leur efprit a leurs fubalternes, & a tous les fuppbts dont ils ont employé le miniftère. t II eft prouvé que le grefEer Breton « n a ceife d'intimider les fervantes par menaces & par juremens, 8c d'avoir ecnt tout autrement que les témoins ne difoient, quand ils ne parloient pas d Ia charge des accufés. Dix témoins chargent les trois archers qui ont fait les emprifonnemens, d avoir folhcité , menacé, bami les fervantes, pour les engager a dépofer & ioutemr que leur maïtre avoit été aiTafhne pat fa femme & par les valets du prieur. Ces archers font eux-mêmes couvenus, dans leurs interrogatoires, que Marguerite Mercier avoit déclaré en leur préfence, avant d'être conftituee prifonnière , que fon maïtre n'avoit point été afTaftiné ; qu'il n'y avoit aucune tracé de fang dans le chateau de  de la Pivardière. 5" 6^3 Nerbonne quand üs y firent leur exéCution le 16 feptembre 1607, & qu'il ne s'y en trouva que le 27 du même mois. JeanChenu, 1'un de ces archers, avoue qu'il y a aótuellement fentence contre lui, qui le condamné aux galères; & quoiqu'il convienne que cette fentence eft par conrumace , il ajoute qu'il ne s'eft jamais abfenté , & que les officiers de Chatillon n'ont jamais ceifé de 1'employer. Enfin quatorze témoins dépofent que le geolier, la geolière & leur fille n'ont pas ceifé, tant qu'ils ont eu les fervantes a leur garde, d'employer , pour les. corrompre, tous les moyens qui peu~ vent conduire a la féduélion & a la fubornation : fiatteries , promeftes, préfens , menaces , mauvais traitemens y rien n'a été épargné» II feroit trop long d'entrer dans un plus grand détail des preuves qui mettent au jour la prévarication des juges de Chatillon & de leurs fuppbts. II fuffit d'obferver que les témoins qui ont parlé en faveur des officiers de Chatillon ,, font tous de la même ville, font tous complices de la machination, ou parans & amis , foit des auteurs, foit des complices : &c qu'au contraire il n'y en * A a vj  5^4 Hiftoire aucun de ceux qui font étrangers a cette ville qui n'aient dépofé en'faveur de 1'innocence des accufes. Enfin toute 1'adrefTe des accufés, tous les fubterfuges par oii, dans leurs interrogatoires, ils ont voulu fe fouftraire a la vérité , toute la préfence d'efprit avec laquelle ils ont travaillé leurs réponfes , n'ont pas empêché qu'ils ne fe chargeaffent eux-mêmes, & qu'ils ne fe chargea/Tentmutuellement dans leurs réponfes. Cette affaire , qui avoit occupé le public pendant quatre ans , fur laquelle les pré/ugés 8c les intéréts avoient varié plufieurs fois , fut enfin terminée par arrêt du 14 juin 1701 , au rapport de M. de Sarron. « Marguerite Mercier » fut condamnée a faire amende hono» rable, nuds pieds , la corde au col , 35 tenant en fes mains une torche ar33 dente du poids de deux livres, au33 devant de la principale porte deCha33 tillon-fur-Indre ; & la , étant a ge33 noux , dire & déclarer a. haute & in33 telhgible voix, que méchamment, 8c 33 comme mal avifée , elle a fait les 33 fauffes déclarations mentionnées au 33 procés, dont elle fe repenr, & de33 mande pardon a Dieu, au Roi & a la  de la Pivardière. j6<$ n Juftice : ce fait, batrue&fufügée mie » de verges par les carrefours & lieux » accourumés de ladite ville de Cha>• tillon; & a 1'un d'iceux flétrie d'un » fer chaud marqué d'une fleur de lys » fur 1'épaule dextre ; bannie a perpé» tuité du reflort dn parlement , avec jj injondKon de garder fon ban, fous 35 les peines portées pat les loix : fes 33 biens fitués en pays de confifcation „ 33 confifqués au profit de qui il appar33 tiendra; fur iceux, & autres non fu35 jets a. confifcation, préalablementptis 33 Ia fomme de 50 livres d'amende en33 vers le Roi. Faifant droit fur les ap33 pellations comme d'abus , la cour 35 déclare la procédure du vice-gérent 33 de Bourges nulle & abufive r en ce 33 que le nom de la femme de laPivar33 diére eft compris dans la fentence du 33 premier février 1697, par laquelle le 33 prieur de Miferay avoit été déclare 33 convaincu d'adultère. La procédure 33 faite par le lieutenant général de Ro33 morantin déclarée nulle ; & cepen35 dant la Pivardière , fa femme , le 33 prieur de Miferay, Rcgnaut & Mer33 cier fes valets , déchargés de Taccu33 fation contte eux intentie; ordonné 33 que les écrous faits de leurs perfonnes  566 Hiftoire » feront _ rayés j & fur le furplus de » toutes-les autres demandes & requê» tes , toutes les parties mifes hors de 35 COUr 33. Cet arrêt mit fin aux inquiétudes & aux perfécutions dont la dame de la Pivardière avoit été la proie pendant quatre années; mais il ne lui rendit point la confiance de fon mari, qui, toujours atteint de fes foupcons de jaloufie, ne voulut jamais retourner avec elle. II obtint du duc de la Feuillade , dont il étoit parent par fa mère qui étoit une d'Aubuftbn , un emploi qui lui coüta Ia vie dans un combat qu'il livra, étant a la tête d'une brigade, a des contrebandiers qu'il vouloit arrêter. Sa femme ne lui furvécut pas long-tems , elle fut trouvée morte dans fon lit, après s'être couchée en bonne fanté. Une de leurs filles fut recue religieufe a Saint-Cyr. Le prieur de Miferay, après le jugement de fon procés, rompit tout commerce avec la dame de la Pivardière , & eft mort fort agé dans fon prieuré. La feconde femme du fieur de la Pivardière, après avoir perdu les enfans qu'elle avoit eus de ce faux mari % a contraóté fucceflivement deux mariages légitimes.  de la Pivardière. Vqici une hiftoire aifez intéreflante & qui a beaucoup de rapport a eelie du fieur de la Pivardière. C'eft Charondas (i) qui nous la fournir dans fes décifions du droit francois „ réponfes i , rom. i. En 1554, un mari prit de 1'ombrage des familiarités qu'il remarqua entre un eccléfiaftique & fa femme. II témoigna un jour d celle-ci fa facon de penfer. Elle ne gouta pas la réprimende; la querelle s'échauffa, & le mari en vint aux coups. La femme, apiès en avoir recu bon nombre , & ne pouvant appaifer la fureur de fon mari excitée par fa conduite, & aigrie par fes réponfes, prit le parti de la fuite. Le mari fe cour cha, & dormit tranquillement le refte de la nuit. Le lendemain, les voifins qui avoient entendu les cris de la femme au milieu de la nuit, eurieux de connoitte la caufe (1) Charondas , ou Louis le Charon , 11aquit a Paris, ou il exerca la profeffion d avocat. On ne fcait aucun détail de fa vie. II mourut en 1617, agé de cjnatre-vingt ans. llalaifle divers ouvrages de jurifprudence & de belles-letrres. II eft quelquefois cité aa barreau; mais il eft peu connu dans la litterator e>  $6S Hiftoire de ce vacarme, entrèrent dans la maifon, êc furent frappés de deux circonftances : ils remarquèrent des traces de fang fur le carreau, & du feu allumé dans le four. La femme ayant été quelques jours fans reparoitre, on jugeaqué fon mari 1'avoit alfommée, & qu'il avoit brülé le cadavre dans fon four. Le juge royal, inftruit des bruits qui couroient, fait arrêter le mari. On 1'interroge: il avoue qu'il a battu fa femme; qu'elle ne s'eft dérobée a fa colère que par la fuite, & a cherché un afyle chez feccléliaftique dont les afliduités avoient fait naitre fes foupcons; que la tracé du fang qu'on avoit remarqué chez lui venoit d'un faignement de nez occafionné par un coup de poing qu'il lui avoit donné par mégarde au vifage. Sur cette déclaration, on va faire perquifition chez feccléliaftique ; la femme ne s'v ttouve point. feccléliaftique interrogé, répond qu'il ne fcait oü elle eft; &, fur les indices, le mari eft condamné a la queftion. La crainte des douleurs lui arracha 1'aveu qu'il avoit tué fa femme, & fait brüler fon corps dans le four. II fut condamné a mort. Le parlement auquel fappel fut dé-  de la Pivardière. féré, trouva de grandes difficultés dans cette affaire. Les indices étoient fans doute très-forrs. On entend une femme crier au milieu de la nuit, comme fi on 1'affommoit; on trouve, dés le matin , des traces de fang , un four allumé ; 1'on cherche la femme , elle ne paroit point \ 1'accufé , fans y être excité par les tourmens , avoue qu'il eft coupable du crime qu'on lui impute : en faut-ü davantage pour mettre le dernier fceaa a fa convicf ion ? Mais, d'un autre coté , les faftes de 1'hiftoire & de la jurifprudence offrent mille exemples d'indices encore plus frappans , qui ont fait pétir des innocens. Le récit de 1'accufé , dans fon premier interrogatoire , n'eft point dénué de vtaifemblance, & paroit tout aufli bien lié avec la difparition de la femme, que les conjecfures que 1'on tire des faits apparens, pour la croire morte. • On ne doit s'arrêtet ni a la déclaration de l'eccléfïaftique , ni a la perquilition faite chez" lui. 11 n'avoit garde , vu fon état, d'avouer qu'il eut donné afyle dans fa maifon, au milieu de la nuit, a une femme qui avoit fui les mauvais traitemens de fon mari, occafionnés par le comrnerce criminel qu'ü  po Hiftoire foupgonnoit entre eux : Sc s'il lui avoit efteétivement donné retraite , il avoit pris les mefures néceiïaftes pour lafouftraire a des recherches dont le fuccès 1 auroit convaincu de fon crime. Quant i la confeifion de 1'accufé 3 1 humamté permet-elle d'ajouter foi i une dedararion extorquée par les douleurs bombies de la queftion ? On pourroit encore citer mille exemples de parades foibleffes furprifes par Pappareil des^ tourmens i des accufés innocens. hl a adleurs il eüt été coupable , feroit« refte dans fa maifon ? Y auroit-il dormi tranquillement le refte de Ia nuit ? EnBa il n'y avoit point de corps de delit qui dépofat contre lui. Quelque puiffans que paruifent les indices , ils diiparoiffoient, dés que 1'on ne repréfentoit ni le corps , ni aucun des reftes qui auroient néceifairement échappé aux Hammes. Ce défaut de repréfentation du corps de délit laiife donc toujours lieu de foupgonner au moins que la femme a pris la fuite. Le parlement étoit pret d'employer la dermère reifource a laquelle on a recours dans ces perplexités; on alloit condamner ie pauvre mari 4 la queftion , quand on amena la femme- devant les  de la Pivardière. de parler aujourd'hui dans le tribunal » qui repréfenté la majefté du parle» ment, &c auquel feulil appattient de » faire des régiemens, ils demandent » a la cour qu'il lui plaife de prêtet le *> fecours d'une autorité folemnelle a un tt ufage que la raifon feule a établi. »Et pour mieux marquer encore »» combien 1'honneur des juges inféji rieurs lui eft précieux, ils lui propo>» fentde renouveller, par ceréglement, » les défenfes qu'elle a fi fouvent faites » a tous les plaideurs de fe fervir ja» mais d'aucunes exprefiionsinjurieufes, » capables de blelferla dignité des juges » qui auront la difgrace d'être pris a r> partie. Qu'ils fe contentent de jouir » de la liberté que 1'ordre public leur »> accorde de faire defcendre leur juge » de fon tribunal, & de le rendre égal » a eux, en 1'obligeant a devenit leur t» partie: mais qu'ils refpeótent toujours n le  de la Pivardière. $77 fl-le cara&ère, dans le tems même qu'ils «-croient avoir lieu defe plaindre de la 33-perfonne ; & qu'ils n'oublient jamais* j> que celui qu'ils attaquent a été autre33 fois leur juge. toujours digne de rèf33 peét par 1'honneur qu'il a de porter ce 33 nom , quand même il auroit été aflez33 malheureux pour en abufer ». Sur fes concluiions, fut rendu arrêt en cetre forme :« La cour, faifant droit ,33 fur les concluiions du procureur gé33 néral du Roi, fait défenfes a routes 33 perfonnes, de quelque état & qualité 33 qu'elles foient, de prendre a partie 33 aucuns juges , ni les faire intimer en 33 leur propre & privé nom fur 1'appel 33 des jugemens par eux rendus, fans en 33 avoir obtenu auparavantlapermiffion 33 expreflement par arrêt de la cour ; & 33 peine de nullité des procédures , Sc 33 de telle amende qu'il conviendra. En33 joint a tous ceux qui croiront devoir 33 prendre des juges a partie , de fe 33Contenter d'expliquer limplement, 33 & avec une modération convenable , 33 les faits Sc les moyens qu'ils eftime33 ront néceiTaires a la dccifion de leur 33 caufe, fans fe fervir de termes inju33 rieux Sc conttaires a 1'honneur 8c a la » digmté des juges, a peine de punition Tomc ir. B b  578 Hiftoire ; &c. 53 exemplaire. Ordonné que ie préferit » arrêt fera envoyé aux bailliages & fé« néchauflees du reflbrt, pour y être lu j> &c publié. Enjoint aux fubftituts du is procureur général du Roi d'y tenir la is main, Sc d'en certifier la cour dans is un mois. Fait en parlement, le 4 juin is 1690. SignéDongois 33. Fin du quatriemc tornt.