VERZAMELING >V. H. SURINGAB  CAUSES CÉLÈBRES E T INTÉRESSANTE S, A FE C LES JUGEMEN^I QUI LES ONT M:CffiïÈE^^ai| Rédigées de nouveau par M. i^j£r'&%^~~$' TthfUji. Avocat au Parleik*jtt^~éi!i?<^^/> TOME SEIZIÈMÏ^ A AMSTERDAM^ Chez Michii Rhey. 1779.  Et fe trouvent a Paris 3 ch&i La veuve Savoie , rue S. Jacques» Le Clerc, Quai des Auguftins. Humblot , ruc Saint-Jacques. Cellot, Imprimeur, rue Dauphint; La veuve Desaint , rue du Foiu. DuRAND, neveu, rue Galande. Nyon, rue du Jardinet. Delalain , rue de la Comédie Fran^oifgj Moutard, rue des Mathurine. ÏUiuy, Qua» des Auguftins»  TABLE DES CAUSES contenues dans ce volume. Les Caufes nouvelles font marquées Jutte étoile. *r KrsosssssB tardive; page % * Enfant néaprès l'abfenu du mari , i 3 & de ce qu'elle offcoic  Grofefle tardlve. 9 d'en payer les dépens jufqua ce jour. El'e demanda , par la mê'me requête, qu'il fut ordonnéque les parents pater«els & matemels de I'enfant pofthunie de fon mari , s'aflembleroient a 1'effet de lui nommer un tuteur. La fentence du juge d'Hably, du i z aoüt 1750 , ordonna cette aflemblee. Elle fut confirmée a Rochefort, ou fiège le premier juge d'appel, par fentence du 11 novembre 1751. L'appel de ce jugement fut porte a Montfort, ou , par fentence du 3 mars 1755 , les deux premières furent infiimées, en ce qu'elles attribuoient la qualité de fille légitime de Charles Marcille a un enfant dont fa veuve étoit accouchée douze mois moms fix jours après fa mort. II fut fait défenfes i la veuve de donner a eet enfant la qualité de fille & hétitière de Charles Marcille , & ordonné qu'elle feroit rayée de tous les regiftres & ades ou elle poui-roit avoir été confignée. ^ L'appel de cette fentence fut defere su parlement de Paris, & feu M. Rouffelet fut chargé de la défenfe des héritiers. f Notre droit francois eft conligne dans les ordonnances de nos £*is? & dans  io Grojjitfe tardhe. les coutumes qui régifTent chaque province. Mais combien y a-r il de nutièresfur lefquelles les ordonnances Sc les coutumes font abfolumentmuettes? Elles gardenc lê plus profond filence fur la plupart des contrats , fur les reftitutions, fur 1'exhérédation , &c. Faut-il donc abandonner a la fan-taille des juges les décifions des conteftations qui s elèvent journellement fur ces objets ? Faut-il les terminer par les conlidérations & par les convenances ? Ce feroir placer 1'arbirraire au lieu delajul'ticejceferoitlivrer les plaideurs aux vues perfonnelles Sc aux pafli ons de ceux qui ne font, par état, que les interprères de laloi, ou, pour mieux dire, dont toures les fonclions fe bor»ent a appliquer la loi aux cas foumis a leur décilion. Dans cette difette de décifions natio* nales, il a été nécelTaire de recourir ai un corps de loix qui connnt des difpofitions fages fur ces matières ; & c'ëft au droit romain que nous avons du recourir. Auffirien n'eft plus conftant, entre tous nos jurifconfultes , que Fantorité que le droit romain doit avoiren France , même dans les coutumes ou 1'on a le moins cherché a s'y confor»ier. II fait le droit commun, Sc dok  Grojfejfe tardlve. H fervir de kft pour tour ce que Ja coutume du lieus ou les autres coutumes qui pourroient fervir a 1'interpréter, n'ont pas décidé. Ubi ad fubortas Hun & quaftiones nihil piovinciali lege eauturn eji , forenfem femper jurifprudentia. romana• facit paginam ; ad eamque perpetub , quafi ad facram anchoratn , certiffimamque in expediendis cöntroverfiis ■ femitam decurritur , cum fit cervffima quadam velut amujfis adinternofemdum quid aquius meliusque. Ce font les paroles de Mornac, fur la loi f , cod. de vetere jure enucl. Cet illuftre auteur avoit déja dit, fur la loi 9 ,ff. de juftic. & jure , que 3 dans les conteftations qui s'élevoient, on confidéroit d'abord la coutume du lieu; a fon défaut, la coutume voifine , ou 1'efprit général du droit coutumier de la province; & il ajoute que , fi 1'un & 1'autre fe taifenr, fur la matière en queftion, il faut recourir au droit romain. Sin minus t nihïlque noftra kge municipali, autyicina , ad contreverfam quaftionem deci~ datur \ tuin ad jus romanum & commune confugimus. Au refte, Mornac n'aVoit pas pris ces décifions fur lui - même. 11 étoie fondé fut l«s ordonnances de nos roisi A vj  12 Groffeffe tardlve: M. delaurière, dans une de fes notes; fur le chapitre 22 du livre fecond des étabhflements de Saint-Louis > obferve que, «« fous le règne de ce prince , il » n'y avoit pas d'autre droit écrit que » celui de Juféinien, & les ordonnan» ces de nos rois. Mais , outre que ces » ordonnanceséroienten peritnembre, » elles entroient peu dans ie détail des » affaires des particuliers; enforre que, » quand les cas qui fe préfenroient n'éwtoient pas décidés par le droit ra»> main, on avoit recoursala conrumej »» ce qui nous marqué que le droit ro» main étoit alors , en France , comme » le droit commun ». Voici Ie texte qui a donné lieu a cette note : Quand kn n'ufe pas du droit efcrit, len doit avoir neon a la eoujlume du pais & de la ter re; & couftume paffe droit, & eft tenue par droit, felon droit efcrit, en la digefte de leg. & fenatusconf. & long. confuer. en la lei de quibus caufis, oii il eft efcrit de ceve matere , & en code quas fit longa eonfuetudo, en la première loi, oh il eft. efcrit de cette matere. On voit, par ce texte, que Ié droit romain étoit véritablement le droit commun du royaume, & meme qu'il ne  Grojfejfe tardlve. j 3 «doit aux coutumes que paree qu'il s'y étoit, en quelque .forte , foumis lui-même par les loix citées dans le paflage que je viens de tranferire. Et Louis X, dans fon ordonnance du 17 mai 171 5 , art. l9, Veut que le droit romain ne cède a la coutume, que quand la coutume eft bien prouvée» Vilumusjlari juri communi} tiifi Hli qui eonjuetudinem allegaverint, Mam probent. Ce feroit ici 1'occafion de faire voisr 1'excellence du droit romain, dele juf«fier des reproches qu'on s'eft permis de Unfaire dans ces derniers tems , du mépris même avec lequel on s'eft permis d'en parler, fans le connokre, Sc fans chercher a le connoure; du peu de eas qu'en font nos piétendus jurifconfultes d'aufourd'hui , dont la plupart ne font pas menie i portée de le lire dans le texte. On pomroit faire voit que eet abandon de 1 etude du droic romain eft la fource de la décadence du barreau , qui ne fournit plus ni de véritables jurifconfultes, ni de véritables orateurs. Mais une difcuflion de cette nature m'emmeneroit trop lorra de mon fujet , & ne feroit peut-êtte pas du goüt de bien des leóïeurs»  14 Grofeffe tardive. J'obferverai feulement quejes ma* tières oü le droit romain paroit mériter le plus d'autorité parmi nous , font celles qui, quoique d'une nature a exiger des réglements généraux pour teut le royaume, ne fe trouvent cependant réclées , ni par aucune difpofition de coutume, ni par aucune ordonnance de nos rois. On doit préfumer que , Ci les coutumes & le légiilateur fouveraiu ont omis de s'expliquer particuhèrement fur ces objets , c'eft qu'ils ont ju^éque les loix romainescontenoienr, i eet égürd , des décifions artez claires & alTezBéquitabIes, pourqu'on dut s'en contenrer. Or il n'y a peut-ëtre point de conititution plus eHentielie, plus importante, & qui dut erre plus uniforme & plus univerfelle que celle qui fixeroit 1'état des enfants, & qui, dans le cas oü il peut s'élever du doute , défioneroit le père qu'on doit leur attribuer. 11 eft impoffible de laiirer un enfant dans rincertitude , s'il eft fik dn mari de fa mère , ou s'il eftle fruit d'une foiblelfe que fa mère fe lera permife dans les premiers tems de fon veuvage. L'ordre des fucceffions , qdi ne peuvent pas refter dans un ctat toe  Groffeffe tardive. i j •ertain , ne le permet pas. L'ordre civil exige auffi que I'enfant connoiiTe Ia place qu'il doit occuper dans la foeiété, s'il a une familie, ou s'il n'en a pas , les droits qu'il peut réclamer , les prétentions qu'il doit abandonner, &c. Cependant nos coutumes & nos ordonnances font abfolument muettes fur une queftion qui , par fa nature , peutfepréfenter très-fouvent, & dont, en effet, nos tribunaux ont retenti plufieurs fois. Le droit romain 1'a prévue & décidée. C'eft donc dans ie droit romain qu'il faut puifer les régies propres a la décider. C'eft mcme d'après fon autorité qu'il faut la décider. Cherchons les loix qui en ont parlé. La loi des douze tables portelt que 1 enfant né d'une veuve , dix mois après la mort de fon mari, étoit cenfé légnime. Si qui ei in decem menfibus proximis poft humus naius efcit, juftus efto. Godefroy paraphrafe ainfi cette lol: Si films patri, poft mortem ejus , intro, decem menfes proximos a mort'e natus ex uxore erit \ juftus eifüius eft*. D'ou il réfultoir que ce fils , en cette qualité , étoit admis a la fucceffion paternelle. Cette décifion fe conferva pendant tout le tems de la république. Nous  j6 Groffeffe tardive. en avons la preuve dans la fameufe loi Gallus 19, ff.de liter. & pofthum. htredlb. exhtb. dont voici le texte: Gallus fic po[fe inftitui pofihumos nepotes induxil; fifilius meus , vivo me, monetur, tune, ff quis mikt ex co nepos , Jive qu£ neptis, pojl mortem meam , m decem menfibus proximis , quibus fiUus meus moreretur, natus, nata erit, htredes fumo. Cette loi eft tirée desouvtages de Scevola , dont Ciceron a dit , quelque part, qu'il étoit le plus éloquent des jurifconfultes , & le plas grand jurifconfuke de tous les hommes eioquens. « fut aflaffiné, Tan de Rome }ji , par la faótion de Marius. a 1 cgard de Gallus, auteur de la formule, il étoit contemporain & arai de Ciceron; ils exercèrent la quefture enfemble. 11 eft cerrain que 3 du tems de Cuêronfxxn enfant né dans les dix mois de la mort du man de fa mere , étoit réputélégitime.//2 decem men/tbus proximis natus, hétres efto. 11 parorc même que 1'on . regardoit ordinairement la durée de la groflefle comme devant ètre de dix mois. . . Mater ancillas juBet, Qu'oniam jam decumus menfis aiventat propi , Aüam aliorsian ire , &-c Plaat, in Trucul. a6L *, fe- 4»  Grojjeffe tardive. 17 Le même poëte dit ailleurs: lila quam comprefferat , Decumo poft menfe exaBo fik peperit filiunï'. Ciftell. ach 1 , fc. 3. Virgile étoit dans la même opinion. II dit, dans fa quatrième églogue , Matri longa decem tulerunt faftidia menfes. Ov'ide prétend même qUune des raifons qui engagea Romulus a. fixer fon année a dix mois , c'eft que les femmes portent leur fruit pendant cec efpace de tems : Tempora digereret dm conditor urb'is, in anno Conftituit menfes quinque bis effe fuo. Scilicei arma magis, quam fidera, Romttle,noraft Curaque finitimos vincere major erat. Eft tarnen 6- ratio , Ctefar , quiz moverit 'Mum j, Erroremque fuum quo tueatur habet Qiiod fatis eft utero matris dam prodeat infans » Hoe anno ftatuit temporis effe fatis. Faft. lib. i, v. 27; Numa reconnut, eri partie. Terreur de fon prédécefleür, & chercha a la réformer, en ajoutant deux mois aux dix dont Romulus avoit compofé fon année. Mais il s'en falloit bien qu'il eüt atteint le but qu'il s'étoit propofé. Les mois écoient beauconp  "i'g Groftfejfe tardive. plus courrs que les notres, qui font folaires; au lieu que ceux des romains éroient lunaires ; & c'eft cette différence qui les a déterminés a fixer le tems de la groiTelTe a dix mois , tandis que nous 1'avons reftreint a neuf. Le changemeut fait au calendrier par Jules-Céfar, ne changea point Texpreffion fur la durée de la gtolTelTe : quoique les mois eulTeut cté augmentés de plufieurs jours, on continua toujours de parler de dix mois. Nous en avons la preuve dans une loi du digefte tirée des oeuvres cXUlpien , qui vivoic fous 1'empereur Alexandre Séière. Poft decem menfes mortis natus , non admittêtur ad legitimam k&reditatem. L, 3 , §. 11, ff. de fuis & legitim. h&red, Voila cè qui fe paiï'a , lur cêt objet, jufqu'au règne de Juftinien. Cet empereur a même accordé aux enfants nés avant Pexpiration des dix mois , tous les droits de la légitimité. Un homme s'étoit exprimé en ces termes, dans fon téftament : Si filius, vel filia intro.'decem menfium fpatium, po(l mortem meam, éditi fuerint, haredes funto; ou en ces termes : Filius, vel filia , qui intra decem menfes proximos mortis mea nafcentur , hare-  Grofefe tardive. 19 'des funto. Le légiftateur approuve cette difpofition. Ex neutra iiujufmodi verkor urn dijpofuione , dit-il, ruptum fieri teflamentumvidetur, L. 4, c. de pofihum. h&red. ïnflit. Le même empereur a fait quelques réglements fur eet öbjet , dans fa novelle 39; & l'on a agité la quèftieh de fc;avoir s'jl n'avoit pas innové , & s'il n'avoit pas accordé la légitimité aux enfants nés plus de dix mois après la mort du mari de leur -mète. Pour entendre les difpofitions de cette novelle , il fautfe rappeller que, dans les premiers tems de la république, les femmes étoient obligées de porter le deuil de leürs maris pendant dix mois j & , pendant ce tems, il leur étoit déféndti de fe marreis fcras peine d'infamie & de la 'perte de leurs gains nuptiaux. Quoique ce tems ne fut que de dix mois, on Tappelloit cependant 1'année du deuil, annus luclus , paree que Romulus , qui fut auteur de ce réglement, avoit fixé 1'année, comme nous 1'avons dit, a dix mois. Ovide nous eft encore garant dece fait. Après les vers que L'on vient de lire, il ajoute 3 Per totidem menfes ii funere conjugls uxor Sujiinet in vidud trijlia figna domo;  iO GroJfeJTe tardive. Et cette dénomination ne fut pöint changée, quoique Num. <^üt étendu la durce de I'an a douze mois. Le motif de cette prohibition étoit la fmte d"e 1'opiniun qu'on avoit embraflee. que la groflefle ne pouvoit pas durer plus de dix mois, tk l'on craigno:t qu'une femme, en fe maiiant dansles dix premiers mois de fon veuyage , ne cóuriït les rifques de donner a fon fecond mari , un enfant qui appartiendroit au défunt. Les loix nous fournilfent elles-mêmes la preuve que tel étoit l'objet d'un réglement fi rigoureux 8c fi fage en même tems. La preuve que ce n'étoit pas précifément le refpecT: dü a la mémoire d'un mari qui retenoit fa femme tn viduité pendant eet efpace de tems , c'eft que Ie deuil de la mort d'un père tk d'un enfantn'emprchoient pas la femme de célébrerdes noces & de fe marier.On fait cependant jufqu'a quel point les Romains portoient le refpect filial. Outre cette confidération, il y avoit des hommes dont Ia veuve étoit difpenfée de porter Ie deuil: tels étoient ceux qni avoient été déclarés ennemis de 1'étaf; ceux qui s'étoient rendus coupables d'une rebellion; cenx qui ayoient été  Groffeffe tardlve. lx pendus, & ceux que les reproches de leur confience., plutoc que 1'ennui de la vie, avoit déterminés a fe tuer euxmêmes. Gepeauahr, quoique la veuve de ces malhtureux fut dilpenfée d'en porter le deuil, elle n'étoit pas moins ob.igée , lous peine d'infamie, de garder le célibat pendant dix mois. Ec ceux qui époufoient une femme qui n'avoit pas dix mois de veuvage , etoient frappés de la même peine. Mais li elle accoucheit avant i'expiration des dix mois , elle étoit libre, enfuite, de fe marier a fon gré. Les termes de la loi font précieux; & ceux qui font curieux de la connoïcre dans le texte même, ne feront point fachés qu'on leur en épargne ici la recherche. Liberorum & parentum luclus impedimento nuptiis non eft. §. i. Etft talisfit markus quem 3 more majorum , lugeri non oportet , non pofte eam nuptum intra legitimum tempus collocari. Pr&tor enim ad id tempus fe retulit quo vir ehtgeretur, qui fiolet elugeri, propier turba" tionem fqnguinis, §.2. Pomponius eam qua intra legitimum lempus. partum ediderit, putat ftatim poffe.nuptiis fe collocare; quod verum puto. §. 3. Non fo~ lint autem lugeri, ut Neraüus au, hof-  IX GmfteJJe tardive. tes, vel pc duellionis damnati, vêcfuf^'pendiqfi } nee qui manus fibi ïntulerunt, non radio vit loit le faire pafier pour un pofthume, avouoit qu'il étoit le fruit de fon libertinage. Mais, de ce que 1'empereur conclud que I'enfant eft illégitime, paree qu'il eft né a la fin du onzième mois, s'enfuit-il qu'il eut raifonné autrement, fi Paccouchement s'étoit fait au commencement de ce onzième mois ? II prend Ie fait tel qu'il eft, ne fuppofe rien au - dela des circonftances qui le conftituent, & fe détermine d'après ces circonftances. tias celebrantes, eo qubd forti fufpicio fuerit nc qua pjextiterit Jufpicionis mali&na caiA «d fecundum maritum , e0 aubd volociter ad Jecundas nuptias feftinavit; quomodo „on hic Ubi caufa non per/ufpicionem eft folam , fed hol %f0Jnr7atl° naniWa & '^ubitata prcebita. ejt deliBo , omnium impii£imus ijle partus , in. noxiam eamrelinquemus ? " Bij  i$ 'Groffeffe tardive. Auffi la fanction de cette novelle ne' , porte aucune dérogation aux loix antérieures; elle parle, en général, d'un accouchement fait dans un tems oü il n'eft plus poffible de douter que I'enfant n'eft pas du mari qui vient de décéder. Or les loix ont fixé ce tems a dix mois. La preuve que 1'intention de 1'empereurn'étoit pas decomprendre, dans cette novelle, d'autres casque celui qui en étoit 1'objet, c'eft le titre qu'il a fait mettre a la tête de ce cbapitre. 11 eft concu tout fimplement en ces termes: De mullere qua peperit undecimo menfe. Codefroy, dans une note fur cette fuffcription, dit : Undè hinc colligas partum undecimi menfis defunilo ilhghimum effe, haredemque ei non fuccedere , fed prafumi alterius ejfe, quam defuncli. On a tiré , de cette novelle, une authentique , placée après la première loi du titre de fecundis nuptus, au code. La voici: Eifdem pcenis fubjicitur etiam qua parit intra tempus luclüs, modi indubitatum ft fobolem hanc ex defunilo non exifttre. Or la loi qui prccède cette authentique, & i laquelle fdle fe réfère, contient le détail des peines auxquelles fontfujettes les femmes qui fe remarient dans 1'an du demi  Grcjfejfe tardivé* Jufinien, fuivant 1'auteur de cette au-* thentique, n'a donc eu intention quö d etendre les peines prononce'es contré ces femmes a celles qui, fans fe remarier , prévariquent dans le même ef» pacedetems. Du tems deSaint-louis^ le terme étoit encore bien plus court que celui qui avoit été fixé par les loix romaines. II étoit réduit a trente-neuf femaines & un jour, qui ne font que neuf mois deux jours , a compter ces mois pour 30 jours chacun. alen dok *> favoir , dit Beaumanoir , qui vivoit « fous ce prince , & après, que tuit » chil qui neffent après cheque mariage > » eft defeures, en tant que trente & neuf »fepmaines & un jour font paffés, puis »la mort do mari, font h aft art: car "fizipe ne puet porter enfant plus de » trente-neuffepmaines & un jour; par f> quoi il appert que il fu concus ,puifque » //' baron fu mors ; pour che efl-ilprouvè » baf art par l'aparance dou long tans. PafTons au fentiment des interprètes & des do&eurs. Tout le monde connoic iavenération des médecins de tous les tems pour Hippocrate; & les découvertes faites en médecine, depuis C,m fiècTle, ne lui ont point enlevé la qualité de prince de la médecine. Les légiflateurg. Biij  3 O Groffeffe tardive. iiême ont rendu une efpèce d'hom.nage a fes décifions, en les adoptant » paree qu'elles étoient émanées de lui.. Septimo menfe nafci perfectum partum jam receptum eft propter autoritate m docliffimi viri Hippocraiis. L. 12, ff. deftatu homin. Je vais expofer 1'opinion de ce grand homme, d'après 1'explication qu'en a donnée M.^ Eouvaru Ce médecin , fi juftement célèbre , publia différents écrics a 1'occafion d'une prétendue grofTeffe tardive, fur laquelle iLavoit été confulté. 11 y montra la* connoifTance la plus profonde des principes de fon art, & des opinions desauteurs qui ont écrit fur la médecine. «Hippocrate, die il , met une difw tinction entre le part de dix & celui »> de onze mois; & elle roule , non »fur la durée d'une groffefle, mais „ fur le nombre des mois, foit entiers, „ foit rompus, oü elle peut s'étendre.. » Si une groffeffe , par exemple , com» mence dans les dix derniers jours » d'un mois, il compte cette fraction » pour un moisj a quoi ajoutant les »> neuf mois pleins qui fuivent, c'eft „ ce qu'il appelle une groffeffe de dix » mois. Mais fi elle commence par les » cinq derniers jours du premier mois,x  Grof effe tardivé. 3 1 » & qu'elle finifTe par les cinq premiers js du dernier, alors , en comptant les j> neuf mois pleins compris entre ces >■> deux petites fraótions , cela fera , » fuivant Hippocrate, une groflefle de » onze mois. » 11 rëfulté, de-la , que le part de » onze mois ne comprend pas plus de » tems, que celui de dix; & que 1'urt sj & 1'autre ont également quarante f> femaines , 2.S0 jours; ou , ce qui eft j£> la même cliofe , neuf mois & dix » jours. C'eft ce qu'il s'agitde dc'mon» trer par le texte même de l'auteur. » Dans fon livre de fe tiineftri partu i » il dit: /es enfants qui naijfent danS » l'efpace de quarante femaines , s'apn pel/ent parts de dix mois. » Et au livre de oclime/i/i pdftii'. Lé » part de dix rr.Qis & celui de omre mois » naiffent dans le cours de quarante feit maines. Au même endroit vers !a fin, » il ajoute : De tout ce que je viens dé p dire , il s'en (uit que plufeurs femmes » concoivent aux environs de la pleine » lune , & même par-dela ; enforts que »fouvent deux cents quatre-ringt jours " (font quarante femaines ) fem» blent s'étendre jufqu'au onzième mois: » car quand une femme a concu au-delè Biv  Groffeffe tardlve. }> de la plein e lune, tout eet efpace de » tems doit néceffairement gagner le on» \ième mois, pour que la grof effe alt » le plus long ter me qu'elle puiffe avoir.. " Au livre de naturd pueri: i'enfant *> cherchant une nourriture plus abonsj dante , que celle qu'il a , romp , a s> coup de pied, fes enveloppes, &, deli« vréde cttte chaine ,fe montre au jour-y jj ce qui, pour le plus long terme , ar» rive djns l'efpace de dix mois. » Plus bas, Hippocrate ajoute : Au p> refte les femmes qui croient avoir portM » plus de dix mois ( car je les aifouvent >■> entendu le dire ) fe font trompées de »la maniere que je vals expliquer. » Lorfque leur matrice s*efi engorgée de afluduofte's, leur ventre, ce qui arrivé » jouvent y fegonfle, & prenddu volume : i) albrs elles croient être grof es. » De tous ces paflfages railemblés ,con» tinue M. Bouvan , il y a deux confé« quencés i tirer; Pune que, felon Hip» pocrate, le part de i o mois, & celui » de onze mois n'ont que le même „ nombre de jours & de femaines ; & » Pautre qu'il n'y a pas de grofTefTe « dont la durée excède dix mois: en» core faut-il emendre que c»;s dix. s» mois ne valent que neuf mois cpmc » plets, & dix jours de plus..  Groffeffe tardive. $ $ » S'il pouvoic refter quelque diffi» culté, voiciencore nn paflage d'Hip» pocrace , dans fon livre de carnibus » & que Gallen , dans fon commen» taire, fur le fecond livre des épidé» mies i rapporce tout entier: L'enfant » vient au monde dans le terme de neuf » mois dix jours, & il eft viable. Ce. » terme renferme }fans refle , un nombre » de femaines. Les quarante femaines* » quil contieni font deux-cents-quatre* 3* vingt jours ». M. Bouvart examine enfuite I'opinion A'Ariftete fur cette matière , Sc ^rapporte un palfage de ce philofophe „ qui fe trouve B/ft. animal. lib. 7 , cap 4,. Le voici: Pendant que les autres ani— maux ont une manière particuliere & (imple de faire leurs pet'us, & ils nont quun feul terme pour cela, Pefpèce humaine en a plufieurs ; car Faccouchement fefait au huitieme au neuvième mois j, & y pour le plus long terme, au dixVeme„ Malgri cela, quelquesfemmes atuignent jufquau onzième mois. II eft incroyable 3, dit M".. Bouvart ^ jufqu'a quel point on- a abufé de ce paflage. Tousles auteurs qui ont voulvü e'n tirer avantage ont fait dire \ ArijiotegueJa grofleffe n'avoit Point de t&rraiu  34 Groffeffe tardive. limité. Maisü s'en faut bien qu'il air admisun terme illimité, puifqu'il le fixe , comme on voit , d'une manière afTez précife. II ne 1'a regardé comme variable &c incertain, que dans l'efpace compris entre le feptième mois , ik la fin du dixième , ou le commencement du onzième.. Outre cela , dit M. Bouvart, on lui fait étendre la groffefie jufqu'aonze mois révolus, ce qu'il n'a jamais entendu faire. Pour le prouver, ce fcavant médecin fait voir que le texte pree d'Ariftote, dont on a abufé pour rirer cette conféquence , ne fignifie litréralement autre chofe que quclques femmes prennent fur le onfieme mois ,. ou: anticipent quelque chofe fur le onzième mois. Refte a fcavoir, continue M. Bovart, fi Ariftote a entendu , de même qa'Hippocrate, des fra&ions. de mois , pour des mois complets. Dans ce cas., il fe trouveroit parfaitement d accord avec lui. Quand, au refte,. ilnel'auroit pas fait,.au moins eft-il. très-certain qu'il borne, au commencement du onzième mois, la plus longue étenduequepuifle.avoir lagrollefle. «Quant a Galien, dit encore M. Bèuvart ,.oh! ne fcauroit doiuer qu'if  Groffeffe tardive. 35 si n'ait exaótement penfé comme Hipfypocrate. Dans fon livre defcetuumfory> matione , il fe plaint d'im médecin » qu'il ne nomme pas , qui s'ingère de » raifonner fur la matière en queftion , i> fans avoir e'tudie' Hippocrate, & fans »l'avcir compris ; Sc dit, parlant du foetus: En effet, ni peur la formatlon ,. ni pour le mouvement, ni pour la naiffance, il ny a. pas de termes précis; mais , en tout, la chofe fe paffe ainfi «^'Hippocrate, & d'autres auteurs trèsgraves l'ont écrit après lui. « Sur cela , continue m. Bouvart ,'■ »il nous refte deux chofes a faire ob» ferver ; 1'une que, quand Gallen dit ss qu'il n'y a pas de terme précis pour la' »nailTance, il Teutend dans le même' » fens qu'Ariftote , puifque, fur la dujj rée de la groflefle , il adopte le fen-" » timent cVHippocrate ; Sc 1'autre que: » Gallen ne pouvoit pas igïiorer ce qu'a » écrit Hippocrate , ptüfqu'il a com-39 menté fes ouvrages». Depuis Hippocrate ( fi on excepte' Ariftote Sc Gallen) jufqu'a Avicene ce qui comptend un efpace de plus de; quinze fiècles , nous n'avons , continue; töujours M. Bouyart 3 aücun auteur deB~vj,-  3^ Grojfejfc tardive. médecine qui ait écrit fur la du ree dela grolTeffe. 11 cherche, enfuite, d'ou 1'opinioiv des grofTefTes prolongées a pu prendre fon origine. II trouve qu'elle vienc d'abord de Pline, puis A'Aulugelle ,. enfuite A'Avicenne, de Cardan , Sc enfin de Schenkius qui, fubfidiairemenr,, a beaucoup contribué a perpétuer jufqu'a nous le parti de cette faulfe doctrine. On ne peut fjavoir a quoi s'en re-nir fur ces principaux auteurs , fans examiner ce qu'ils ont dit, & ce qu'ils, ent été. Leleéteur ne fèra pas faché de fuivre avec moi, les recherches de M. Bouvart fur ces auteurs : fon érudition eft ihtére&ynte -, Sc fa critique eft éclairée par la juftefte de fes vues. Pline, qui eft du premier fiècle , SC qui a vécu fous les empereurs Vefpajien Sc. Tite, dit, liv. 7, chap. 5 , queles hommes, naiflent au feptième , au hujtième, jufqu'au commencement du. dixième Sc dü onzième mois; que Veff tilik accoucha de Suillus Rufus au onzième mois; & que , feion Majfurius , l'e; préteur Pqpyrius reconnut , pourhyrkier légitime, un part de treize;  Groffeffe tardive. 37 moisjparee que, ajoute Pline, il nm paroijjoit pas que la groffeffe eüt un tems limité. Suivant toute apparence , cette fauffè allégation avoit été tirée cVAriff tote, dont on avoit mal pris le fens. On a obfervé plus hai-it que eet auteur ne regarde le tems de 1'enfantemenc comme illimité, que depuis le feptième. jufqu'au onzième commencant. D'ail>leurs, Pline ne rapporte le jugement de Papyrius, que fur la relatioii de Maffurius; Sc fans Pline , nous n'aurions point enten du parler de ce jugement qui n'exifta p'eut-être jamais ; & qui, quand il exifteroit, ne mériteroit d'être regardé que comme un décret particulier , qui n'auroit pu tenir lieu de loi générale; Ceux qui s'appuyent fur 1'autorité de Pline, a ce fujet, n'ont jamais fait attention a. ce qu'il étoit. S'il a paffe pour un des plus fcavants hommes de fon tems, 011 ne lui fera aucune injuftice en le regardant, fur-rout en ce qui concerne la phyfique , comme le père de Terreur & du menfonge. Ce même Pline, dont on s'autorife, dit trésférieufemenf, lib. %, cap. y6, que Ten a vu des pluies de lalt, defang, de chair ^ de/cr): de. laine.3. & de briques cukes^.  Groffeffe tardive. Lib. 7 , cap. 4 : /e changement des femelles en maks, n'eft point une chofe fabukufe. Nous avonsvu, dans les annales ,fous le confulat de Licinius Craffus, & de Q. CraiTus Longmus, qu'une fille de Gaffiuus , a la vue de fes parents,, devint garcon. J'ai vu , moi même , en Jftique, Cofficius , citoytn de Thysdrus , qui avoit été changé en mak, le jour de fes nóces. Lib; io, 66-: J'ai' appris , de plufiews perfonnes , qu'il naifoit un ferpent de la moc'.le de l'épine d'un homme. Ibid. , cap 6j : La Sala-manire eft fi froide, que, fansfe brüler , elk éteint k feu s de même que le fait la glacé. Ibid, cap. 69 : les taupes ont l'ouie plus fine , lorfjuelles font fous terre , quelque denfe & fourd quefoit eet élément ; on dit quel'es enten*dent ce que vous dites d'elles-, & s'enfuient. Lib. i , cap. ioy.il croit, dans' lamer rouge , des eliviers , & desarbnffcaux verds. Qu'il foit maincenant permis de de*mander pourquoi, fur le feul témoi-" gnage de Pline, on croiroit plutót un prodige d'une grofleffe de treize mois , qu'a touslesrécitsabfurdes & fabuleux dont fes ouvrages fontremphs, & dont on n'a préfenté qu'un fort petu uomb red'exemples ?•'  Groffejjè tardlve. 39 'Aulugelle, qui vers 1'an 130 de Jefus - Chrift , vivoit a Achcnes , eft après Pline , le plus cité par les prote&eurs des longues groftefles. Aw livre troifième de fes nuits attiques , ehap. 16, il nomme Varron comme alfuranr que l'homme peut nattre dans le onzième mois ; & cela , fur le témoi— gnage cX'Arlflote. Mais on a vu que oelui-ci n'a parlé que du onzième mois commencant.D'oü il s'enfuitque Varron n'a rien die qui puifTe faire tort aux collatéraux de Charles Marcille ; puifque, dans la caufe, il s'agit. d'un port de onze mois & 23 jours. AulugelU ajoute , de plus, qu'il eft avoué par Varron , que les anciens Eomains n'cnt point admis ces raretés monjlrueufes: Qualification quiprouve, d'une.manière indubitable|,que Varron n'étoit pas partifan des groflefles pro— longces. Varron dit encore qu'ils avoient fixé le termede 1'enfantement au neuvième , ou au dixlème mois, & 9ue> Pafjé cela , ils ne reconnolffent plus de parts ligitimes. Enfuite Aulugelle dit avoir lu le récit d'une chofe qui s?étoit paifée a Rome. Une femme de bonnes mceurs, & d'une conduite nenfufpecle, étoit accouchée dans le onfième mois de la mort: de fpn mari73& om  40 Groffeffe tardive. lui avoit inteniè un procés , comme fi ïenfant tut été du fait d'un autre , vit que les decemvirs , dans la loi des XII tables , avoient borné la durce de la groffeffe a. dix mois, & ne permettoient pas qu'elle s'étendic jufque dans le onyfème. Mais l'empereur Adrien , ayant pris connoijjance de l'affaire, avoit décidé que Fon pouvoit auffiaccoucher dans le onrfeme mois. Adrien dit,. dans co décrèt, qu'il juge ainfi, après avoir pris les avis des philofophes & des mldecins. Si l'on fair attention aux termes d:'Aulugelle, on fe perfuadera aifément qu'il n'eft queftion que du commencement du onzième mois ,& que la doctrine d'Ariftote n'étant point contredite en cela, puifqu'il admet le comrnencement du onzième mois, lesmédecins & les philofophes qu'Adrien, confulta purent très-légitimement décider conformément au fentiment d'un homme dont 1'autorité étoit alors du plus grand poids après Hippocrate, Si, d'ailleurs , il fe füt agi du milieu ou de la fin du onzième mois, la chofe méritoit bien la- peine cyïAulugella s'expiiquar d'une manière plus précife j ce qu'il n'auroit pas manqué de faire. ^ Enfin, en fuppofanc même,.ce qui.  Groffeffe tardive. 41 n'eft rien moins qu'apparent, qu'il fatlut entendre le milieu ou la fin du onzième mois , le décret èH Adrien ne pourroit ètre regardé que comme un jugement de faveur , un jugement arbitraire qui , en cette qualité , ne ponvoit pas porter atteinte a la loi. Nous pouvons dire auifi qu'il n'eft nullement certain que ce décret ait exifté; &c fans Piine &c Au-lugelle 3 nous ne pourrions trouver aucune tracé ni de celui de Papyrius, ni de celui è'Adrien. Aucun des deux ne fe trouve ni dans les livres de Juflinien , ni dans aucun autre recueil des loix romaines. Paffons maintenant a Ayicenne j continue toujours M. Bouvart.Ce médecin Arabe naquit vers la fin du dixième fiècle , 6c mourut en 1056.*. La phyfique qui étoit encore fott lom de naure, ne lui fut pas plus connue qu'a Pline. Les ouvrages d'Avicenne contiennent, de 1'aveu des meilleurs. juges, trés - peu de bonnes chofes noyées dans une mer de verbiages; & l'on n'y trouve rien qui prouve qu'il eür jamais bien obfervé la nature. 11 a mérité , a bien peu de frais , 1'honneur d'être regardé comme 1'ua des anciens protedeurs des accouche-  42 Groffeffe tardive. ments tardifs. Tour ce qu'on a de lui, furce fujet, eft renfermé danscecourt paflage, que Ton trouve dans une édition tres-rare de quelques-uns de fes traités , laquelle eft intitulée : Avi~ cenn& peripatetici philofophi opera. Venet. I 508. Lib. 90. de animalibus , cap. 5 , pag. 44. Col. prim. in medio, 011 lit: ó' jam dtxit unajidelis qubd una mulitr peperit, pojl 14 menfem, unum paerum; 6 inceperunt nafci denies , & henïvixit. Sur quoi il faut d'abord remarquet que tous les auteurs qui fe font appuyés de ce paflage , 1'ont altére : au lieu de dixit unajidelis , ils ont mis, dixit mihi ttnusfidelis. Enforte que , felon cette vertion, c'eft un homme qui paile direétement a A icenne \ & dans I'édition dont on vient de parler , c'eft une femme, £c encore une femme cmi a répandu le fait, fans s'adrefler a Avïctnni\ cq qui ore a fes paroies le poids qu'elles pouvöient avoir. D'ailleurs, que flgnifie una fidelis?' 11 y en a qui traduifent une perfonne digne de foi. Mais cela ne veut-il pas plutót dire une mufulmane ? Car mufulman fignifie fidele ou vrai croyanc par excellence ; les mahométans ont adopté cette défignation , qui leur eft  Groffeffe tardive. 45 propre; & Avicenne étoit mahométan. Quoiqit'ilen foit, c'eft une femme qui arépandu ce fait, SCquila répanduvaguement dans le public apparemment. Cette femme lêrenoitaifurément d'une autre. Quand on feroit sur que cette dernière étoit cellequi fe difok mère du part de quatorze mois, quel degré de certitude pourroit avoir une telle hiftoire, qui eft fuppofée avoir paffé par trois ou qnatre bouches , avant d'arriver jufqua nous? Pour peu qu'on réfléchiffe, peut-on imaginer qu'un fait des plus incroyables, aufli légèrement préfenté par un mauvais auteur, ait été aecueilli au point d'être une des principales bafes du fyftême des longues groiTefles ? Le fameux paflage de Cardan , dont s'appuyent les fedYateurs de cette doctrine , n'a pas plus d'anthenticité , que celui iYAvicenne» On le troUVê Cónttd* dkentium medicorum , lib. 1 v , pag. 345, col. t , édit. Lugd. 166$. Après avoir cité Pline & Avicenne Cardan dit: mais le conciliateur rapportequ'il étoit né a. on\e mois; & mon pè:e ( Fado Cardan) fe vantoit d'être vénu a trei^e. Ainfi , c'eft Jérome Cardan qui tenoit le fait de fon père-  44 Grojfejfe tardlve. Fado ; & de qui le tenoit celui-ci ? De fa propre mère , apparemmenc 3 qui pouvoit trés bien setre trompée fur Ia date de fagrofiêfle, ou qui peutctrè s'étoit trouvée dans la néceffité d'en impofer a fon mari. En fuppofant, ce qui eft affez difficile, que Jérome Cardan n'ait point menti, voila 1'interprétation Ia plus naturelle que l'on pui.Te donner a ce fabuleux récit. Mais oferoit-on ajouter foi a un auteur dont les ouvrages font remplis , fur routes matières, de beaucoup plus d'abfurdités, que Pline n'en a jamais débité fur 1'hiftoire naturelle? A la page 888 du traité cité plus haut, contrad. 3°., après avoir dit que les plantes ont une dme , qu'elles ont du fentiment , qu'elles font des animaux ; quc,fuivant Théophrafte , la vlgne a une faculté olfauive , paree qu'elle recoit l'impreffion de toutes les odeurs , & qu'elle évite le chou & le laurier , comme f elle étoit bleffée de l'odeur de ces plantes; il ajoute que , le médecin confdérani ce qui concernefes devoirs , doit fcavoir conferver nos facultés , & connoüre par quels moyens on le peut faire ; que , f elles font entretenues par un allment qui ne leur convienne pas, l'homme tombern  Grojfejfe tardive. 45, malade comme un animal ; Sc que le médecin aura raifon de dire que les planres ont du fentiment. Pag. 889 , contrad. 31 , Cardan rapporte que , felon Théophrafre , les fouris font engendrées par la putréfaction; que, felon Pierre d'Apóne , autre proteéteur des longues groiTefles , des ferpens naijfent, dans les tombeaux, des cheveux des femmes , & qu enfuite ets animaux fe muldplient par la copulation. Puis , a la page fuivante , il répète que les fouris nament du limon , de même que les vers, & finit par conclure que la raifon dicle ces véritis; car il y a des animaux fi imparfaits quils ne peu~ vent être produits par la femence. Tom. 3, de rerum varietate , pag." 2-4-0 , cap. 62., col. 3 : J'ai appris qu'un hommefautoit, d'une tour tres élevée, de la manière fuivante. 11 entroit debout. dans un tonneau ouvert par fa partie fupérieure. II tenoit, dans fa main , une piqué j il commanda qu'on jettdt en bas le tonneau. A l'injlant ou fa piqué entra en terre, il fauta du tonneau fur la terre, fans fe faire aucun mal. Notre auteur adopte fi bien ce fait, qu'enfuite il en donne 1'explication phyfique a fa manière.  4(> Grojfejfe tardive. Ibid, pag. 27 8, cap. 71, il rapporte qu'il a vu , dans un champ , 1200 /v'erres tomhees du cïel, dont une pejoit 1 20 livres , & une autre, 60. Comment.in lib. Hippocr. de feptimeftri partu, Bafil. 1568, pag. 66\: J'ai appris de per/onnes dignes defoi , que les femmes qui ont encendu , dans leur ventre, les cris de leurs enfants , en font mortes ; ce qui n'eft pas dénue, de vraifemblance. Cardan, obferve M. Bouvart, ne devoit - il pas fcavoir que le foetus nage dans Peau, qu'il ne refpire point, & , par conféquent, ne peut poufieraucuns cris ? On trouve, dans les ouvrages de Cardan , des chapitres entiets fut la chiromancie , les forciers , la magie , les poffëdés, c'eft-a-dire les polfédós de fon tems; fans compter qu'il donnoit a plein dans Faftrologie judiciaire , & qu'il traite toutes ces ma-, tières le plus férieuiement du monde. Heft ducommencementdu feizième fiècle. Qui veut en fcavoir davantage , peut lire fa vie écrite par lui-mème , oü il n'a point eu de honte de fe peindre tel qu'il étoit. On croit qu'il n'y avoit jamais eu de manage .entte  Grojfeffe tardlve. Atf fon père & fa mère \ ce que Cardan n'avoue pas •, mais ii ne rougit point de dire qu'il devoit fa naillance au peu de fuccès qu'eut un remède que fa mère , grolfe de lui, prit dans le deffcin de détruire fon fruit. Sans compter le déréglement du cceur, dit toujours M. Bouvart, eft-ce poufTer alfez loin celui de 1'elprir , que de tranfmettre a la poftérité un faitauffi afFreux,' êc dont nous n'aurions pas la moindre connoiffance , s'il nJeut pris le foin de nous le faire palTer ? Sa vie eft une fuite conftante d'actions qui caraótérifent 1'inconftanee même & la légéreté. Erranr , fans cefle , d'un endroit a 1'autte , & ne pouvanttenir nulle part, il paffa toute fa vie dans une agitation de corps &C d'efprit, qui le fit, a jufte titre , regarder comme fou. Quelquefois , cependant , il paroiffoit nbforbc par la plus profonde rêverie , & , le plus fouvent, il couroit les rues avec un air égaré. Son plaifir étoit de quereller Sc d'injurier tout le monde. S'il lui arrivoit d'être fans fouffrir , il fe mordoit & fe tirailloit douloureufement pour éviter, difoit-il,un plus grand mal. La fuperftition & la foiblefle d'efprit.  48 Grojfejfe tardive: qui en eft la bafe, ne furent pas fes moindres défauts. Schenkïus n'étoit point de cette trempe. Mais il paroit, pat fon recueil d'obfervations, que c'étoit un homme fans difcernement, crédule a 1'excès , & fujet, comme tous lesefprits bornés, afe laiifer frappet par le merveilleux. Auffi, dit M. Bouvart, la compilation dont nous allons parler pent-elle palTer pour un très-riche recueil de contes de vieilles. Pour prouver que Schenkïus n'a pas plus de droit a la confiance qu'aucun des auteurs dont nous venons de parler, nous citerons quelques morceaux de fa compilation. Elle porte > pour titre , Objervationes medica , autore Joanne Schenkio, Francof 1609. Pag. 15 8 &fuiv. on trouve plufieurs hiftoires de femmes obfédées du démon, guéries, difent les auteurs de ces obfervations 3 par la combinaifon des fecours de la médecine , & de ceux de leglife. Pierre d'Jpóne , fous le nom de concilïateur, qui eft le titre de fes ouvrages , y eft cité comme 1'un des opérateurs de ces belles guérifons. Pag. 575, col. 1 : on voit une hiitoire de Montuus, concue en ces termest  Grojfejfe tardive* ^ fhe'S : Je connois un hermaphrodtte quon croyoit être du fexe féminïn , & quon avoit mar'tè a un homme dont il eut pluJteursfis & plufieurs files, Cela n'em* péchoit pas qu'il n'abusdt des fervantes^. 6' ne leur ft des enfants. Ibid. On trouve un chapitre tout entier de vingt-cinq paflages de différents auteurs , qui rapportent que des femmes ont été fubitement changées en hommes ; mais le changement •d'hommes en femmes eft plus rare. Schenkitts ne cite qu'un exemple de -celui ci: mais, par malheur, il eft tiré du pccte AuvLone : Nee fatis antiquum qubd campano in Benevent» Uaus Epheborum virgo repente fuit. _ Quon n'imagine pas que Schenkius ait recueilli routes ces belles métamorphofes dans Ia vue d'amufer les curieux imbécilles. II les croyoit fi bien que > fur 1'explication des caufes, & de la manière dont elles s'opéroient, il rettvoie férieufement a. Galoettus, a Cardan, a Vierus, ï Marcelle Donat, au tres. Par les exemples aufïi nombreux que frappants que nous venons de TomeXFL ' G  5 o 'Grojjejfe tardive. donner , continue M. Bouvart, de 'ia. erédulité -foit réelie, tfoit affectie de nos doótes extravagants, Pline , Avicenne, Cardan & Schenkius, on mefure aifément le degré d'eftime quon doit avoir pour leurs fentiments fur ies accouchements tardifs. Mais Fon eft, en même - tems , étonné qu'ils aient pu devenir atbitres dans 1'une des plus importantes queftions qui puiffent intéreffer 1'ordre public. Une chofe qui doit furprendre encore bien davantage , c'eft que , dans Je ttès-grand nombre d'auteurs éclairés quiÖrejettent ce fyftême , il ne s'en foit pas trouvé un feul qui alt penfé k démafquer, comme 1'a fait M. Bouvart, 1'origine de 1'erreur , en f aifant connoitre les ceuvriers par leurs propres ceuvres. ; Un certain nombre de mcdecins, éblouis par la célébrité des noms de Pline , cXAulugelle , d'Avicenne de Cardan, & de Schenkius , fe font foumis , avec un refpeét fervile , & fans examen , k leurs décifions; & la plupart n'héfitent pas k dire : « Nous » fentons de la répugnance a croire aux groffeffes prolongées, mais Pline, » Avicenne , Cardan , & Schenkius en  Groffeffe tardive. » ont rourni des exeinples , & nous » y foufcrivons ». Cependant , en mê-me-tems que ces fervües imitateurs (c'eft toujoiars M. Bouvart qui parle ) ontperpétué 1'opinion erronée jufqu'anous, il s'eft trouvé un grand nombre de médecins du premier ordre qui ont conftamment fecoué le joug de Terreur, & fait valoir le fentimenc du premier mairre , Hippocrate. Le fcavant medecin , que j'ai copic jufqu'ici, pour mettre fes leéfceurs en état de juger de quel cöté eft le boa droit, fait une efpcce de parallele raifonné des opinions de i'un & del'autre parti. Je ne le fuivrai pas dans ces recherches , & dans les difcudlons auffi folides qu'ingénieufes qu'il emploie pour demontier la vcrité de fon opinion. Je me conrenterai de copier le morceau par lequel il termine ce parallele. En même tems qu'il fera connoitre la fagacité avec laquelle ce célèbre médecin pénètre jufqu a la véri.té , on y reconnoitra avec quelles précautions on doit adopter les faits qui paroiftent le mieux avérés, &combien on doit être fobre a admettre les conféquences qui paroiffènt en réfuiter. Voici le morceaa tout entier: Cij  jz Grojfejfe tardive. « Wagner &z Hei ft er. Il s'agit d'une *» diflertation ou thèfe , fur un part de s5 treize mois, foutenue par le pre•» mier de ces deux auteurs , & d'un >j fupplément a la diflertation , fait par 35 le fecond. i3 Au mois d'aout 1719, une fille m de trente ans époufe un homme de » prefque cinquante-neuf, qui meurt »fubitetnent au mois de décembre. 33 Aufli-tót après, la veuve déclare a fon médecin qu'elle eft grofle. II lui » prend une pene; le médecin la traite. » Au mois d'avril 1710 , elle dit fentk 30 remuer fon enfant; fon 'ventte grof?> fit. Au mois de feptembre, elle croit »qu'elle va accoucher , & demeure » dans le même état jufqu'aux premiers 33 jours de 1711, oü elle accouche d'un » enfant foible , 5c qui avoit les fu»tures du crane déjointes. Ce fait ij excite des murmures. La faculté » d'Helmftad eft confultée , & déclare » qu'il eft clair comme le jour , fole ,1 meridtano clarïus , que I'enfant eft wlégitime. >> Plulieurs années après que la thèfe 53 de Wagner eft foutenue, Heifter eft »appellé a WolfFembntel , lieu d$ w lafcine. La ci^riofiré le porre , dit-  Groffeffe tardive. y, «il, a voir la veuve du libraire ( de »Frehagius). Mais Mei/her, qui étoit »garcon de boutique de celui-ci , &c «qui, depuis fa mort, avoit continué » de régir le commerce fous la veuve , » 1'avoit époufée. C'étoit, dit Hei/ter„ »un fort honnête homme , & bien >•> fanié. II avoit été témoin de tout ce «qui s'ctoit paffe. Heifier, finement , «ace qu'ii prétend, entre en conver« fation avec Meifner , en lui deman-fc-dant s'il avoit rapporté beaucoup de « hvres de ia foire de Leipfick/ Enfin ,-. »il lui demande ce qu'eft deveuu 1'en» fant de treize mois; s'il vit; coin»ment il fe potte ? Meifner fait veuir *> renfants qui étoit une fille de fept ans. »De 11 Heifier, fouriant, & faifant de » petites feintesffuiridens, & quafdubi»tans, lui demande fi réeliement eet en» fan; eft de Freitagius. Meifner 1'affure, » fur fon Dieu ,&furce qu'il y a de plus »facré, qUe le fait eft vrai; que ia» veuve n'avoir pas quitté fa boutique • » qu'elle étoit chafte, de bonnes ïnceurs;»qu'elle n'avoit recu aucun homme, »que fon médecin ; qu'il ne lui avoit » vu lm Meifner , Pour compagnie x »que fa mère & fes amies ; èc que »quoiqu'on I'eüt foupconné "d'ayoir.'  j4 Grojfejjé tardlve. » des habitudes avec la veuve, il juroit » & prenoit Dieu a témoin que ces » foupcons étoient fans fondement, » & que la veuve s'étoit toujours com» portée très-fagement; que les patents .» du défunt, gens mal ineentionnés , « avoient voulu intenter un procés , » & déférer la chofe au prince ; mais » qu'après y avoir réfléchi , ils avoient w abandonné une fucceffion opulente » qui eüt bien pu leur être adjugée. « Ce n'eft pas tout; la veuve Fret» taglus époufe Meifner. Elle a , de « lui , un enfant qu'elle porte treize » mois , puis un autre encore, qu'elle » porte autant de tems. Enfin elle de~ » vient encote groffe , & périr, cette »fois, d'une fauffe couche , au cin» quième mois de fa groffeffe. _ » Helfercke, comme témoin ocu« laire , de la première groffeffe , Bur» khard, médecin du duc Auguftc » Guillaumt de Brunfvick Sc de Lu» nebourg. . » Le précis exaét qu'on vient de lire » ne peut que faire admirer , dans » Beifïer , cette fimplicité nationale „ qui le caradtérifoit; qualité auffi efti» mable , que peu commune ; mats » qui , fi elle eft d'un grand prwc  Gfofjeffe tardive. 5 5 sedans lamorale , peut devenk, dan-s ss la recherche des chofes phyfiques , » une fource d'erreur & d egarement, si Si l honnête homme, dans le comJ5 merce de la fociété, doit bannk de 35 fon cceur les foupcons qui peuvent » s'y élever fur la conduite d'autrui, » le phyhcien , de fon cêté , ne dok 55 jamais faire un pas fans être armé 53 de ce doute phylofophique , que jj Defcartes eut la gloire d'infpirer a fa » poftérité , &c dont il ne feut pas »3 toujouts faire 1'utile ufage qu'il avoit 33 fi bien indiqué. Le phyfïcien ne dok 53 jamais rien admettte de contraire a 53 1'ordre de la nature, que fur-^des 5) preuves équivalentes a une démonfw tration. » Fondés fur ces principes , continue M. Bouvart} qu'il nous foit » permis d'obferver que Heijierfe con55 tente , pour preuve de la réalité da 35 part de treize mois , de la déclara33 tion, des ferments de Meifner, 8c » du témoignage du médecin Burkhard. *> Mais celui-ci pouvoit-il, fur la date 33 de la première groffefTe , avoir d'au» tre notion , que-la déclaration de la » veuve Freitagius , qüi , de même » que bien d'autres femmes, pouvoit C iv  <§6 Grojfejfe tardive. as s'être crue groffe quatre mois avanif» de l'être en effet ? Quant a Meifner, « n'eft-il pas vifible qu'il allure ce qu'il 3> ne peut fcavoir, lorfqu'il jure , fur » fon Dien , que le fait concernant la 3> grofleffe de treize mois eft vrai, &£ » que la veuve, depuis la mort de fon" mari, n'a vu d'autte-homme que » fon médecin ? » Avant donc de croire un fait aufll 3> étrange qu'une gro(Te(fe de treize » mois, un phyficien raifonnable doit »> commencer par s'interroger lui-mê3> me j& fe demander file fait ne peut 3> pas s'interpréter d'une manière natu>> relle ? i> Commencons par préfumer une: M liaifon de fentiments entre la fem» de Freilagius & Meifner. La jëunefte 3J de Tun & de 1'autre, la döuce ha»bitude de vivre fous le même toit, » 1'age déja avancé du mari font autant 33 de circonftances qui favorifent cette 33 idée. Le manage contraété fubfé33 quemment enn e ces deux jëui es $> perfonnes, ne peut que laconfirmer. » Suppofons, d'une autre part, que j9 la veuve, au (li-tot après la mort de 33 fon mari , fe foit crue groffé, fans. r>dêtre,& que, quelques mois après,.  Groffeffe tardive, 57 » elle le foit devenue , pour s'être li» vrée prématurément au goüt qu'elle » avoit pour Meifner, dont elle des> voit faire fon époux. L'opinion s) qu'elle avoit d'être groffe diés la mort » de fon mari, étoit une raifon pour 55 différer la célébration du mariage. $> convenu entre Meifner & elle. L'acjs couchement, pat 1'événement, fe « trouvant trop tardif de quatre mois3 » elle a profité, comme elle le devoit, » de la déclaration qu'elle avoit faite 55 a Burchard, fon médecin, & foutenu » qu'elle avoit été groffe pendant treize » mois. Hcifter fait bien une partie de si 1'objeótion que nous faifous ici ; & » il croit y avoir répondu , en conve-» nant que , cette ptemière fois , elle' »3 pouvoit avoir des raifons pour don» ner le change, tk foutenir fon pre» mier dire. Mais que dira-t-on, ajou~s3 te-t il , des deux autres groffeffes >> depuis fon mariage avec Meifner ?' » li ne repZoit plus alors aucun iniérct s3 de tromptr. Eft-il poffible que Heifer' »-ne 1'ait pas appercu, eet interêt ? 11 s5 étoit auffi réel ,., que jamais.' N'y' >f avoit il pas eu des murmures-, n'a-y> voit-on pas accufé Mcifmr de vivres> dans la plus grande intiffiité avec la.' Gv>  j8 Grojfejfe tardive. » veuve de Freitagius ? Les héritiers » de celui-ei n'avoient-ils pas voulu » attaquer la vérité du pofthume ? n Croit-on que la décifion de la fa« culté d'Helmftad eüt fermé entièrey> ment la bouche aux intéreflés ? II » falloit leur impofer filence; & il n'y » avoit pas de meilleur moyen de le n faire , que de donner, a l'avenir , » aux grofleffes de la femme Meijner, « l'apparence de groflefles de treize -3 mois. 35 On ne fcauroit difconvenir que j3 cette explication ne foit de Ia plus 35 grande fimplicité. Néceflairement >> liée a Pordre pbyfique, elle n'a rien 3» que de très-conforme a l'ordre mo» ral; & fi la décence n'y eft pas ri33 goureufement confervée, au moins >> ne s'y trouve-t elle point bleflee graj» vement. lei tout fe concilie avec la 33 raifon ; & , dans le fyftême de Watt gner & de Heifer, tout la choque , w tout la révolte ; & il n'y a rien qui ne » contrarie les obfervations de tous les » fiècles, & le fentiment des plus fa3» ges écrivains, & des obfervateurs 33 les plus éclairés.. Faudra-t-il donc » que , par refpect pour un anatomifte » de grande réputation, & pour font  Groffeffe tardlve. sjy 57 eieve, nous nous foumettions aveu- / 3s glément a croire plutot un prodige j 3> (mais que difons-nous un prodige! » oui,.& un prodige trois fois répétédans sj la même perfonne ) par préférence 55 a une chofe tres-naturelle , très-pof35 fible , & qui fe trouve parfaitemenc 33 d'accord avec les principes de la phy» fique & de la raifon ? Quoi la femme » de Meifner aura porté trois enfants 33 confécutivement pendant treize mois 33 après la mort de fon premier mari-?' 33 II vaudroit amant dire , en véri» té, que le foleil a rétrogradé trois» fois» ou que les fleuves font, trois » fois , remontes vers leur fource.. 53 Cela fuppofe un bouleverfemenr » dans 1'ordre de la nature , dont la: 53 raifon eft violemment offenfée , & » a l'idée duquel il eft impoffibie de » fe prèrer M. Bouvart laifTe, enfuite , aux j,u~ rifconfultes , le foin d'expofer les opinions des doéleurs en jurifprudence 3 & la jurifprudence même. Jefuivrai,, dans eet examen ,, le mémoire de M.-1 Rouffelet. On fe rappelle que PZ/Vzeartribue au prcteaiPapyrius un décret qui accorde la légttimité i un enfant né l treize C v]  Co Grojfejfe tardive. mois. Mais Cujas, dans fon expofition des novelles, novelle J9,prétend que le paflage de. Pline fur cecte naiflance tardive, eftcorrompu; & qu'il aiu, dans les anciens manufcrits, dix mois, au lieu de tteize. Mais quand la lecon commune feroit la vraie, M. Bouvart nous a fait voir le cas que l'on doit faire du témoignage de Pline, fur unfait de cette nature., D'ailleurs Alciat établit un principe que l'on ne doit jamais perdre de vue. « La loi, dit il , ne fe règle point fur » les faits qui arrivent rarement. II eft 3> poffible, dans 1'ordre de la nature , » qu'une femme porte fon fruit pen» dant onze mois, comme le difent >> Arijlote &C Varron (i); mais le léj-> giflateur ne s'arrête point a des ph'é« nomènes qui font fi rares , qu'on s> peut les ranger dans la claffe des s> chofes impoflibles [z)». C'eft auffi. (1) On a vu qv'Ari/lote a dit feulemenfqu'il j avoit des femmes dcnt la groffeffe attei^noit le onzième mois; & M. Bouvart nous a fait obferver qu'il faudroit fcavoir ft Ariftetettas comptoit pas les mois, comme les comptoit Hippocrate. Quant a Varron , n'ayant parlé que d'après Hippocrate, ces d#ux opinions n'en font qu'une. (2) Lex ad ca m'mime aptatur que wi,  Grojfejfe tardive. dies que Barthöle , fur Ia loi Gallus, ff ... de lib er. 6fpofih: 29 , jugeoit d'une confultation du magjftrat Gehtilis , oü ii étoit dit qu'il arrivé rarenjent, a la vér rité, mais enfin qu'il artive quelquefois , qu'une femme accouche a 12. ou 13 mois. Le droit, fuivant lui, n'admet point ces poffibilités ; il faur les laiffer aux phyficiens. Nos gloffateurs ont paru plus touchés ■ de ce qu''Aulugelle rapporte du décret & Adrien ; mais plufieurs ontremarqué qu'on ne devoit nullement le regarder comme autorité, puifqu'il ne fe trouve dans aucun recueil de loix. Le feul point fur lequel ils ne font pas d'accord, confifte-a fcavoir s'il ne faut pas ajöuter deux jours aux dix mois , ou s'il falloit s'en tenir au terme frxé par la loi. Accurfe eft le premier qui ait parlé de ces deux jours de grace. 11 a cependant varié : fur la loi Gallus , il ne fait qu'expofer que , fuivant quelques phyficiens , la groffeffe va a deux jours eentinguKt. Poffibile eft, per rerum naturam ,, mylïerem geftare undecim menfes perpetuos, quod Arifloteles & Marc'ms Varro tradiderunt; 6> tarnen legiftator ïd minus folitum impejfibïh:refpuit. Parergon, juris, lib. 10, cap. 21,.  r6i Grof effe tardive. au-dela des dix mois. Sur la loi li ,' ff. deftatu hominum , il ne donne que les dix mois; mais fur la novelle 39-, il dit que la femme peut porcer pendanc dix mois & deux jours , & pas davaiir tage. Nam per decem menfes & duos dies poteft portare mater filium inventre , & non plus. Les nores marginales fur ces décifions A'Accurfe renvoient au traité de Menochius, de arb'urariis judiciis, Lb. 2, cent. 1 , cafu 89 , depuis le n°. 41 jufqu'au 5 5. Menochius y rapporte les opinions des différents auteurs, & dé.-* cide que les termes de la loi ab intefi tate font trop clairs, pour qu'on puiffe s'en écarter. Cependant il imagine un tempérament qui pou'rroit , qirelque,fois, faire admettre la prorogation des deux jours du onzième mois. H propofe de cemper les dix mois du jour de la conception, qui, felon lui, ne s'opère pas daas 1'initant, ni même auffi -tót après les approches du mari. D'oü il conclud que , fi le mari a eu tine maladie qui 1'ait privé, pendant quelque tems avant fa mort , de la puifïance générative, la veuve a'aura pas dix mois pour faire accorder la !égitimité au pofthume. iMais s'il étoir.  Grojfejfe tardlve. 6? Ttiort fubitement , enforte qu'il fut poffible de préfumer que, ce jour-la, ou la veille, il pouvoitdevenir père , riens n'empêche qu'on n'admetcele pofthume au bout de dix mois & deux jours. Ain.ll la loi des dix mois eft la loi générale -y Sc l'on ne peur en proroger le terme, fi ce n'eft dans le cas de la mort fubite du mari. Ce fyftême , contraire a la loi ab' iatcflato , ne peut pas être admis en France. Suivant notre jurifprudence, tant que le mari eft vivant, on lui fuppofe la faculté de devenir père, parceque nous fuivons, i la lettre, la régiepater is ejl quem jujla nuptU demonstrant. Auffi les inrerprètes Francais n'ont-ils point adopté cette diftinction d'une mort-précédce. d'une maladie,au: d'une mort fubite. Cujas dit par-tout que, fuivant la loi des douze tables, & autres loixromaines,. même fuivant la novelle 39 , I'enfant venu dans le onzième mois n'eft pas cenfé légitime. 11 couyient que le décret d:'Adrien y eft contraire.. Mais, outre que, comme 011 1'a obfervé , ce décret eft fort apochryphe.' eet auteur obferve qu'il peut fe fouteair j, fi on 1'entend du. commencemeut  £4 Groffeffe tardive. v du onzième mois. Quod ita poteft de-fendi, partu edito fub initium undecimi menfis. Cujac. jul. paul. ree. fint. lib. 4, tit. 9 } de div. tem i. prefcri. cap. 19 ; Sc novell. expof. fur la novelle 39; idem Ragueau, commentnia addec. jufl. lib. 6 ad leg. -alt. Cod. de poft. hured. Godefroy fe déclare , par-tout, pour la rigueur de la loi, notammenc fur la novelle 39. 11 eft vrai que, fur cette novelle , il patle d'une prétendue décifion d'avocats au parlement de Paris, qui fe feroit abfolumentécartée de cette règle \ Sc c'étoit un des grands moyens de la veuve Marcille. Mais je 1'examinerai en parlant de la .jurifprudence des arrêts. II ne faut pas omettre ce que dit Carranya, de partu. Après avoir dcc.dé qu'il n'y a pas un jour a ajouter a ia loi des dix mois , il rapporte , a la fin duchapitre 15 , le fentiment de quelques auteurs. Peiumatus , de homin. vrocreat. pofe Tefpèce d'une femme dont les mceursont toujours été honnêtes , dont la chafteté eft k 1' 'preuve , & qui jouit de la réputation la plus intacte : honeflis rnoribus , & prabata prudentia , de qua nemo ambigit. Cette femme déclare fa grofleffe après Ia  Groffeffe tardive. 6$ mort de fon mari, & 1'on en voit les. progrès, & uterus magis in dies attollitur. II décide que I'enfant d'une telle femme , quand même elle accoucheroit au onzième , douzième, même au quatotziême mois, doit être regardé comme légirime. C'eft , dit-il , une raifon de nature, qua praponi de-, bet cuicumque, quamvïs frequent! ,/i/pputationi. II faudroit avoir, pour difcuter cette opinion, toutes les circonftances qui ont pu déterminer Perumatus a la propofer. Mais, au furplus, Carran^a s'en moque , avec raifon. Une femme ne peut-elie pas employer des artifices, pour ajufter une groffeiTe , & la faire paroïtre a tel degré qu'elle jugeroit a propos ? II y en a d'autres qui ont penfé que, lorfque 1'accouchement pafföit le dixième mois, jufqu'an douzième, Si parde'a , la queftion de légkimité devenoit une queftion de fait , qui tombok a 1'arbitrage du juge. Mais Carranya. oppofe les textes des loix, & necomprend pas, dit-il, comment on peur les concilier avec des jugements arbieraires. Paffons a. ceux de nos auteurs qui  66 Groffeffe tardive. ont écrit en francois, & a Ia jurifprudence des arrèts. On a vu que les obfervacions dAulugelle, jointes aux textes qui viennent d'être rapporcés, avoient fourni la matiére des diflertations des docteurs dom on vient de parler. Nos jurifconfultes modernes ont trouvé un fond nouveau dans une confultation ou jugement arbitral des avocats au parlement de Paris, dont parle Godefroy , en fes notes fur la novelle 39. Cet auteur , après avoir rappellé k tirade ordinaire dAriflote , Varron Pline 3c Aulugelle, fans en rien conclure , dit qu'il a appris que des avocats de Paris avoient, par une fentence arbitrale, déclare légitime un enfant né dans le quatorzième mois de la groffeffe de fa mère. Audio apud Parijlenfes, arbitrio docliffimorumvirorunz, & inter eos Chappearum domini admiffam fuijfe viduam qu3 vent qui foufflat , fingulièrement a. » Touloufe , & pays de droit écrit, »on les vettoit incontinent efpandre » & abbattre ». On concoit bien que la jurifprudence , en pateil cas ne pcunoit  ^roFeJJe tardlve. y$ ponrroit pas être particuliere au droit écrit ; eiie ne peut qu'être uniforme dans les queftions d'état. M. d'Bxpilli, en fon huitième plaidoyer, dit que « la prétendue fen» tence arbitrale , rapportée par Gode« ffoy , felon fon avis, n'a ni jour , » ni chandelle , & n'en déplaifè a qui » Ta jugé. Auffi ledit Godefroy s'en » moque , dans Tavis qu'il donne en»-faite de ne la pas facilementytirer en » exemple, Une femme fcait bien fe » cacher; par quöi c'eft un jugement » bien hardi, contraire a routes les » loix , & que nul tribunal n'-approu» vera jamais. Nous avons , dit-il en» core, fait ce:te digxeflion avec urv » peu de bile, patce que c'eft fe mov quer du monde de donner tant de » tems & tant de loifir aux femmes » de pourvoir a leurs plaifirs après la « mort de leurs maris".. Du refte, M. d'Expilli'tknt fortement pour la loi des dix mois. Quantité d'autres auteurs fe contentent de rapporter hiftoriquement, ou de citer une partie de ce qui vient d'être dit, avec les arrêts qu'ils ont cru pouvoir convenir a la queftion. Mais Domarfembk vouloir énerver Tome XVI. n  74 Grejjejjt tardive. le principe , &c en faire dépendre lap.plication , des circonftances particulières. Soa fyftème mérite une difcuffion, danslaquelleje ne crois pas devoir entrer, avant 1'expofition de toutce qu'on a pu trouvec de pofltif en cette matière. La veuve Marcille avoit fair valoir, pour fa défenfe , quelques arrêts, mais qui n'avoient pas d'application a h queftion. Bouthiuer , en fa fomme rurale 5 Ik- i 5 tic. 95 , en rapporte un de 1375- Une femme étoit accouchée au chef de on^e mois , depuis le département de fon mari. Le mari étoit , dit-on , allépar-dela la mer, Sc vécut encore quatorze ans, depuis fon départ. La nouvelle de fa mort arrivée , fa fceur voulut contefter la légitimité de I'enfant, Sc demander la fucceffion de fon frcre. Mais la veuve répondir que , d un coté , fa maternité étoit ccrtaine ; & de 1'autre coté j que I'enfant étoit né pendant le mariage. Ces deux propofitions ne pouvoient être niées; & la conféquence qui en réfultoit namrellement étoit la légitimité de I'enfant. Elle difoit qu'une femme pouvoit perter on^e mois par cours naturel; mais elle ajoiuoit qu'en fuppofant  Grof effe tarlïvt jU %u'il y ait plus de onze mois, fi étoitUfoQible que fon mari étoit revenu en recelé parierd elle comme éi fan époufe &s'il ne s'étoit apparu , ce avoit été pour jes dettes, qudrrété ne fut de fes créanciers ; car , pour ce, feroit-ilpa • n. L'arret prononca la légitimité, L'annot»-tèur laan remarque que ia circonftance de Ia vie du mari peut feule juftirier h ■contrariete qui paroït fe trouver entre eet arret & la novelle 39: Potuil fe. ere te reverd ad uxorem faam \ fetnper pr&fumhur pro matrimonio. C'eft donc la régie pater eft quem nuptia demonf tram qU, a déterminé ce jugement. _ La jurifprudence qui accorde la jépnmite è tout enfant concu pendant e manage etoit invariablement établie , lors d'un autre arrêt cité P?r Ja veuve.M^//e:iIeftdü zaoöt i^. Un marchand de Lyon , attaqué a une paralylie, avoit été chercher da lecours aux eaux de Barbotan en Gaf cogne. II y avoit dix mois neuf joürs* Jjuil etoit parti de chez lui, quand 6 fenuneaccoucha.il n'avoit point io*m quandlil eufap. pris Iaccouehemenr, il en féiicita fa femme, par des letttes qui furent rap! ponees. De retour dans fa maifon5 Pii Dij  j6 Cro(feJp tardlve. vécut quatre mois avec fa femme , 'fans fe plaindre , &fans défavouer I'enfant. Mais la femme , la veille de la mui t .de fon mari, avoit déclare, pardevant notaires, que I'enfant n'étoit pas de lui , &c qu'il ne pouvoit prétendre afa fucceffion. Le mari, de fon coté, avoit pafié procuration a fes héritiers collatcraux,pour les autorifer a pourfuivre 1'accufation en adultère contre fa femme. Mais il fuffifoit que I'enfant fut venu au monde pendant la vie du mari , & qu'il ^ été avoué, dans le tems, par le père , pour que cette efpèce neut aucun rapport a celle-ci. Je rapporterai cette caufe , en détail , après celle qui m'occupe actuellement. Mais noslivres nous fourniffenr deux arrêts qui ont un rapport plus dired a 1'efpèce. Le premier eft du 6 feptembre 16 5 3 ; & fe trouve encore au journal des audiences. Un mari étant , la nuit du x au 3 férrier 1624, coucbé avec fa femme , tomba, tout d'un coup , dans une défaillance, dont il mourut 104 fuivant., fans avoir , un feul inftant, repris fes fens. La femme accoucha , d'une fille, le premier janvier 1615 , onze mois moinsquatre jours après la mort de fou mari.  GroJJéJfe tardlve. 77 Une des premières confidérationspour la légichnité étoit, felo'n Tarrècfte , la bonne &pieufe éducatioirquela mère avoit recue. Dès fa premièrejeuneffè, elle avoit été mife au cou-' vent de Saint-Sauveur d'Angers, & y< étoit demeurée jufqu'a 1'age de 25 ou 2 » cès de trente ans , jugé après grande >> & folemnelle plaidoirie , par ap» pointement en droit , Sc forma une 33 queftion que 1'arrêtifte dit être fort » célèbre Sc fort difBcile ». Enfin Tap» ret déclara I'enfant légitime. Div  So Groffejjè tardlve. Je crois devoir encore copier ici ce que M. Bouvart, dans la confultation dom j'ai parlé, a dit de eet arrêt, qu'il prétend ne devoir faire aucun préjugé fur la queftion. « On expofa , dit-il, pour la mère, » qu'au neuvième mois de fa groffefte, » elle fentit des douleurs pour accou*> cher, & que , fi fon accouchement 3' fut retardé de deux mois par dela , » le fexe de I'enfant & fa foiblefle , » le chagrin de Ia mère, 8c Iavieillelfe » du mari en avoient été caufe. » Mais toutes ces prétendues caufes » de retardement , loin d'avoir Teffet » qu'on leur attribue, en ont un tout* » a-faitoppofé: elles tendent toujours » a faire avancer l'accouchement, au » lieu de le retarder ». Qu'il me foit permis de metrre ici, fous les yeux de mes lecteurs, les raifonnementsdeM. Bouvart, fur cette matière , en fupprimant néanmoinsquelques détails anatomiques , qui pourroient paroitre déplacés , a bien des égards, dans un ouvrage dont l'anatomie n'eft pas 1'objet. Mais le point de droit que je traite ici eft tellement intéreffant pour les mceurs , pour 1'état des citoyens, 8c pour 1'état en général, que  Grojfejfe tardive. &i je me crois obligé de ramaffer tous les matériaux qui peuvent être a ma portee , pour fournir des armes aux défenfeurs des families , dans lefquelles la dcbauche , ou une foibleiïe crinnnelle entreprendra d'introduire des enfants que l'on veut décorer de la légitimité, quoiqu'ils ne foient que le fruit du crime. Or, les raifonnements de M. Bouvart m'ont paru fi lumineus & fi convaincants, que , mis fous les yeux de mes le&eurs auxquels fa brochure n'eft pas parvenue , ils pourront mettre un frein a ces fcandaleufes conteftations dans lefquelles une femme coupable veut mettre fur ie compte dela -nature, & couvrir du voile nuptial, la honte de la faute, Sc le larcin qu'elle veut faire, foit a fes enfants légirimes , foit a. la familie de fon mari. M. J5oKva«cömmence par attaquer ce raifonnement bannal , que 1'ont trouve dans les écrits de tous les partifans des longues groffefles, « Si la nature , difeht-ils , peut , » en avancant le part de deux mois n produire des enfants viables a fept j1 w> elle peut auffi, enretardant d'autant, » prodmce des enfants viables a onzü mois. Dv  8 z- Grojfejfe tardive, » Cet argument, dit M. Bouvart; » eft le plus vicieux cjue l'on puifTe. » faire : il manque de vérité dans le » fait, & de jufteflè dans la confé» quence. » Premièrement, en accordant mê» me qu'il y a des patts de fept mois » qui font viables, on peut nier har33 diment qu'ils foient naturels. Beau» coup d'auteurs les regardent tous » &c avec raifon , comme des avortons ^ » comme des part.s toujours avancés » par des caufes étrangères au cours » ordinaire de la nature; & c'eO ce » que dit Dolceus dans fon encyclops» die médicale. Le tems fixé pour lasi n.ifjance del homme par prefque tous » les médecins , eft la fin du neuvïème 33 mois de grojfejfe, chofe dont la vé33 rité s'obferve toujours, que le foetus 33 foit vivant . ou mort. Et cet auteur » ajoute que le foetus ne vient préma35 tutément qua l'occafion du chagrin 33 de la mere,fes inquiétudes ,faf ayeur, w fa colere ,. fon mauvais régime , un 33 changement d'air défavantageux , des » veilles , des jatigues , la foiblefe da. 33 jcetus. i3 II eft Ci vrat, continue Mi Bouvart 3 » que. ces enfants doivent a de pareil»  Grojfejfe tardive. 83 » les caufes la précocité de leur-: naifs> fance , qu'ils viennenttöus au tóonde }> petits , délicats ou malades ; que n prefque tous meurent en naiffant, » & que, fi quelques-uns peuvent fur- < » vivre aux premiers momencs de leur ?> naifiance , ils s'élèvent, pour ne ja?> mais mener une longue vie. En un 33 mot," des enfants qui ont une naif?> fance fi prématürée, a peine , fur » dix, y en a-t-il un qui parvienne a » 1'age de puberté, felon le témoignage33 de prefque tous les accoucheurs. » il ne faut donc point placer les 33 parts prématurés dans Tordre natu53 rel; & , par conféquent , de leur » exemple, il n'y a aucune conféquence » a tirer des parts que l'on fuppole re•3 tardés ». '3 On fcait une trés grande quantké» de caufes qui peuventavancer ie tems-. 33 de 1'accouchement , mais on n'en 33 connoit aucune qui puifie le retary> der (i). C'eft ce qu'il eft néceffake:- Nous exceptons , bien entendu }, 35 celles qui mettent plutot obftacle a 1'ac33 couchement, qu'elles ne prolongent la.. 3) groffeffe: comme la mauvaife conforma3> tion de la mère, celle.du fcstus, fon trog, ?> gros volume, &c» D vj  ?4 Groffeffe tardlve. n d'expliquer ici d'une manière detail » lée, afin de faire connoitre que les » caufes auxquelles les anciens , Sc , » deouis eux, quelques modernes , ont » attribué les prolongements de grof» fefl'es, font précifément celles qui » font avancer Taccouchement. Telles >> font la foiblefle , ou le grand age du » père , la difpolition phtifique du *> foetus ou de la mère, la continuation » du flux menftruel pendant la grof« feiTe , une maladie quelconque , le » chagfin de la mère, & autres ; car » il peur y en avoir a 1'infini. Or, pour »> comprendre comment ces caufes peu» vent agir, il faut fcavoir de quelle » manière le commerce de la circula» tion des liqueurs eft entrerenu , de » la mère au foetus, & du foetus a la » mère >>. C eft le placenta qui eft I'organe par lequel fe fait ce commerce de circulation -y Sc M. Bouvart explique, de la manière la plus claire Sc la plus fatisfaifante , la méchanique de ce travail de la nature. D'après la théorie qu'il développe , &qui eft conforme aux vrais principes, on concoit qu'il n'eft pas poflible d'imaginer des caufes capables de rendre-  Grojfejfe tardive. 85Htie groffeffe plus durable , qu'elle ne 1'eft naturellement. 11 n'eft qu'un cas , que M. Bouvart explique , qui peur rerarder Paccouchement; encore ce retardement n'eft-il pas bien eonfidéra-ble; & il en réfulte- des accidents trèsgraves qui eaufent prefqu'infailiiblement la rftbrfc de la mère , quelqu'a-dreffe , & quelque légérecé que 1'accoucheur puiffe employer. II n'en elrpas de même des caufesqui peuvenr accélérer le moment de1'accouchement, & le déterminer. Ib fuftit qu'il s'opère un dérangemenr refpectif entre les organes qui entretiennent la circulation de la. mère au foetus. Et ce dérangemenr peur provenir de « quelques degrés de plas en de 33 moins de foree ou de foiblefle dans r, la circulation de la mère ou de Pens> fant, del'inégalitédela nutrition de 33 1'une ou de 1'autre ; de Pexcès de >^ farce ou de fanté de Pua fur Pautre; » de routes les paffions de Pame que » peut éprouver la mère: quefcait on ? 33 Toute caufe capable d'altérer la y> fanté, le fera aufli de déranger la » patfaite harmonie des deux organes » qui font le lieu du comr&erce de eis-  ;JJ Grojfejfe tardlve^ 55 culation , établi entre la mère &C » 1'enfanr. 35 Ainfi, attribuer a quelque mala55 die de la mère ou du fcetus , 1'accou» chement tardif dont on fuppofe la » poffibilité, c'eft la même chofe que » (i l'on difoitque lesftuits d'un arbre 33 y demeurent plus long tems atta» chés , quand ces fruits, ou 1'arbre 33 même, fontmalades \ pendantqu'on 35 voit, au contraire , que tout arbre 35 qui fouffre porte toujours des fruits 53 précoces , & qui fe détachent avant » d'avoir atteint le terme ordinaire. II » en eft de même , lorfque le fruit eft 33 nialade, par exemple de la piqüre » d'un infeóte. On le voit murir &c fe 33 détacher long tems avant les autres 33 fruits du même arbre >». La jufteffe de cette comparaifon a étéétablie par M. Bouvart, lorfqu'il a expliqué le méchanifme de la correfpondance nuttitive entre la mère Sc I'enfant. 11 a fait voir que celle qui s'établit entre 1'arbre & le fruit s'opère. par les mêmes principes , & fe conduiu. par la même marche. « Ce que nous avancons ici par rapj) port aux groflefles , continue M.  Groffeffe tardlve., 87 xr Bouvart, eft une véritéqui, fi elle: " n'e^ pas généralement avouée par. » tous les médecins, eft , au moins w fëntie par tous, fans exception d'au» cuh. La preuve eft que jamais on-. »> n'èn vit un feu! qui , traitant une » femme groffe de telle maladie , oh » de telle indifpofition que ce foit , » n'ait toujours dirigé la curation de »» manière a pourvoir a ce qu'elle n'ae» couchat point prématurément. »On n'en a, au contraire , jamais » vu aqui, dans lacrainre d'unaccou» chement tardif,, il foit venu dans» 1'efprie d'employer une méthode ca> » pabled'en hater le moment ; excepté » dans le cas d'un travail décidé, qui « n avance point alTez, & qui met & " la mère Sc I'enfant dans le danger >s certain de perdre la vie. » Si les accouchements tardifséroiene »auffi peu rares, que veuient le per» fuader ceux qui les foutiennenr_, les . » médecins, fur tout ceux qui don« neut dans cette ppinion, auroienc » lai.fi les occafions d'obferver a quelles» marqués on pourroit connoitre qu'un » accouchement fera tardif;.&, depuis, » que Ja médecine exifte, & qu'on a. » dccric des fignes diagnoftics Sc pro-  S8 Grojfejfe tardlve. » noftics de chaque maladie , on aurois » une defcription com plette de ces fi» gnes. II eft cependant vrai qu'aucun » auteur, jufqu'ici, n'en a fait men„ tion. Par eonféquent il n'eft pas dou» teux qu'on ne fut en droit d'accufer » d'ignorance , ou de charlatannene >, celui qui s'ingéreroit de vouloir faire »des pronoftics fur cette matière, Sc » prédire , fur des apparences chime» riques, qu'une groffeffe fera de lon» gue durée. » Toute cette théorie, continue M. » Bouvart, eft fondée fur des principes » de la plus grande Gmplicité , Sc fur » des faits qui font avoués de tout le » monde. L'expérience n'étabiit pas i, moins que la preuve des naiffances » fuppofées tardtves eft moralemenr » impoffible a établir. „ Cette vérité fe déduit très-natu» rellement de 1'incertitude de Pinf» tant de 1'impvégnation , Sc de celle » des fignes de la groffeffe ». Ceux qui, dans 1'afFaire qui avoit engagé M. Bouvart a écrire fur cette matière , convenoient qu'il échappoit, a notre connoiffance , beaucoup de longues groffcffes « par le peu de certitude , Sc par » k variété fréquente des %nes & des  Grojfejfe tardive. » accidents qui, tantot annoncent clai» rement ia groffeffe , Sc tantot la coujj vrent d'un voile impénétable , dans» les premiers mois de la conception 'r n Sc enfin, paree que ces fignes ne pa» roiffent quelquefdis pas du tout » ils ajoutoient: « on a vu des femmes , J3 avec tous les fignes d'une groifefle »3 imaginaire , avoir les mammelles. » tuméfiées , Sc , vers le cinquième » mois d'une fuppreffion de 1'écoule33 ment ordinaire, rendre affez abon,3 damment de lak; d'autres, dans une 33 vraie groffeffe, en être dépourvues■»>. L'aveu de ces faits ruine le fyftême de ceux a qui 1'expérience &c la vérité 1'atrachent, & qui cependant foutiennent la réalité des groffeffes tardives. « N'eft-il pas évident, d'abord, dit » M. Bouvart, qu'il fera toujours im* » poffible de conftater la durée d'une » groffeffe , toutes les fois que 1'oa 33 n'aura pas la date précife de 1'impré33 gnation? Nous convenonscependanr» qu'il y a de telles circonftances, quoi33 que peu communes ( Sc ce cas arrivé 33 fi muiier prmgnans jemel tantum com»prejfa eft) oü une femme peut fca33 voir le moment de la conception.sj Mais qu'fn réfuke-t-il ? Que cette-  90 Grojjejje tardlve. as connoiflance la conduit roujours a » fcavoir clairement que le terme de la 3> groffelfe ( pourvu qu'il ne foit rac» courci par aucun accident) fera de sj neuf mois , quelques jours de plus, » ou de moins. » Mais il s'en faut bien que la chofe » fe paffe toujours ainfi. Dans la plu» part des cas, ia répétition enveloppe >3 du nuage le plus épais, 1'inftant de 3> la conceprion.Si, a cette caufe d'obf35 curité , vient encore fe joindre celle 35 qui dépend de 1'incertitude des fi» gnes de la groffeffe, il feratrès-pofïi» bie qu'il en réfulte une groffefle de » plufieurs mois ; même d'une demi» année , & au dela. Car une femme 33 peut avoir, pour toute autte caufe 33 qu'une grofleife, une fupprefïion qui 3» dure quatre , fix , huit mois , Sc 35 même au-dela. Elle peut, dans ces » citconftances , devenir groffe, accou»cher neuf mois après , & croire , » contre toute raifon , avoir porté fon 35 enfant dix huit ou vingt mois; d'au33 tant qu'une fimple fupprefïion caufe » fouvent des fymptomes qui repré» fentent ceux de la grollefTe , au point 33 de faire ülulion aux perfonnes les « plus expérimentées. Sages-femmes-,  Gropffe tardive. 91 5, accoucheurs , médecins, il n'y en a 53 peut-être point, s'ils ont vieilli dans 35 Pexercice de leur art, aqui il ne foit 55 quelquefois arrivé de s'y trom per. „ Combien de femmes dirigces paf »les perfonnes les plus éclairées, ont ,5 vécu, pendant huit a neuf mois , » dans Popinion d'être groffes, qui , » après avoir fait difpofer tout 1'appa» reil deleuraccouchementjonttrouvé » la folution de Pénigmedans le retour » de 1'évacuation qui avoit été fuf» pendue ? 35 Les faufTes groffeffes fontd'autane ,3 plus fakes pour tromper, que , parmi y> les fignes que tout le monde con» nok , fe rencontre auffi celui qui » femble annoncer la préfence d'un » enfant; fcavoir , le mouvement &c » les fecouffes. Ces fecouiïes font non» feulement fenfibles a la femme ré» putée groffe ; mais encore aux per» fonnes qui , pour les fentir, appli33 quent leur main fur fon ventre (i),. (i) M. Bouvart, qui écrivoit en 176* fournitici des moyens qui juftifient, de plus en plus , 1'arrêt readu le 30 juillet 1767 , par le parlement de Paris, en faveur de la. dame Lencret de Mantes. On voit, dans 1'ef»gèce de cet arrêt, une fille en. qui s'annon-r  ? 2 Grojfejfe tardive. » De tels faits fuffiferii feuls pour » donner 1'explication de toutes ces » grofTeffes prolongées qu'on nous ob» jecte., pourvu qu'on ne veuille pas t cent tous les fymptomes d'une groffeffe naiffante: cette groffeffe paroit faire tous les progrès que fait la nature jufqu'au moment de la délivrance. Elle difparoit, a pen prés , au bout du terme ordinaire. Cependanr cette fille n'a point .éré groffe , & n'a point accouche. Les juges de Mantes, induitsen erreur par les chirur«iens & les fages-femmes de leurville, ia condamnent aux peines prononcées contre les malheureufes qui détruifent leur fruit. Le parlement éclairé par les lumières de la faculté de médecine , & de 1'école de chirurgie de Paris, la déclara innocente. La dame Lencret avoit, fans le fcavoir, un fuffrage qu'elle ne connoiffoit pas ; & ce fuffrage éroit d'un grand poids ; c'étoit celui de M. Bouvart, qui 1'avoit don-' né dans 1'ouvrage dont je viens de copier des paffages ; & Pautorité de ce fuffrage étoit d'autant plus confidérable , qu'fl étoit uniquement le fruit des connoiffances de cet habile médecin ; & qu'il n'avoit point été provoqué par 1'accident de la dame Lencret, qui n'eft arrivé que deux ans après. C'efl ce qui m'a déterminé a copier ici des lambeaux de cette précieufe brochure , qui n'eft entre les inains que de quelques gens de Tart. L'arrêt dela dame Lencret fe trouve, avec fes circonftances , au tome \\ du journal des caufes célèbres.  Grojfejfe tardive. 93 fermer les yeux de deflein prémé» dité ». J'ai peut-être perdu , un peu trop long cems de wuê, Parrêt du 6 feptembre 16c 3, en 1'interrompant par des ob* fervatiohs qui paroifienc y être étrangères. Mais je me fuis 1'aifle entrainer a la facisfaclion de configner ici les moyens lumineux d'un homme aulli éclairc que M. Bouvart , qui joint, a. un difcernimentsür, & a 1'art de raifonner ave- la plus grande précifión , & la plus grande juft-elfe, les iumières que peut procurer une théorie acqiufe par 1'étnde & par la réflexion, jointe a. la pratique que la coniiance de la capitale tient fans ceffe en exercice. je reviens a cet arrêt , & aux téflexions qu'il a fourni direófement a M. Bouvart. II a fait voir que les caufes que l'on invoquoit pour établir la poifibilité phyfique du retardement de 1'accouchement, étoient propres., au contraire, a 1'avancer. « Onallégua encoreaux juges , dit» il, un principe trés faux-, fcavoir que n la naiffance des hommes n'a point de »i tems limité , comme celle des ani,) maux : les uns, difoit-on , naiffent a » fep: mois; les autres a dix, a onze.  94 Grojfejje tardive. ij A douze mois , la naiffance eft enj> core poffible; Sc, pour appuyer cecte x doctrine,-on citoic Arijloie , Galjen, :> Pline, Plutarqut., Averroe\, Alben 35 le grand, Rioian, du Laurens, Ponst tanus, Schenkius. ij D'une part, ia bonne idee qui fut »> donnée de la fagefle de la mère, &c, «del'autre, les autorites dont nous 35 parions , déterminèrent les juges. 53 Mais , des auteurs que nous venons >3 de nonuil er, une partie étoient de 33 viedles idoles qu'eucenfoit lacrédu» lité publique ; & 1'autre n'étoit que » 1'écho de leur voix. Quelques-uns » auffi étoient mal entendus, & on 33 leur attribuoit une opinion qu'ils » n'avoient pas. On a fait voir , plus » haut, parexemple,que, ni Ariftote, 33 ni Gallen n'ont pas donné a la grofsi feffe plus d'étendue que le commen*> cement du onzième mois ». Quant aux autres auteurs dont on vient de lire lesnoms, les uns, comme on 1'a déja vu , ont été appréciés par M. Bouvart, qui a fait voir que leur fuffrage ne méritoit aucune attention ; les autres , comme Dulaurens & Rioian , n'ont fait que répéter les menfonges des anciens, & n'ont eu d'opinion que la leur, « A 1'é-  Grojfejfe tardive. uniquemem ronde fur ce cue , de »» At/', hr.ojcph. il ,dir que i'opinion sj de Tim', e étoit /e /w* o ' e s: / oner io i\e moh Cette autorité n'c-ft» elie pas bien compétente , pour pou» voir fei vir de bafe a un jugement fur :j une queftion de ia plus grande irhr » portance ? » Daignerons-nous , continue M. j) Bouvait, parler é'Alben le Grand} m Dans le petit recueil de fecrets don:j nés en fon nom, Lyon ij^i , /wgr, »ï 3 5 , il eft dit qu'il arrivé aquelques 55 femmes d'accoucher dans le dixième 9 » /e onzième mois , & même quelquefois » p/aj rarü'. fout le monde fcair ce que » c'eft quece pitoyablerecueil, & quel 35 fond on doit faire fur une pareille 53 autorité». De toutes ces réflexions , & ces obfervations, M. Bouvart conclut que la religion des juges qui rendirént 1'arrêt dont il s'agit ici fut furprife par les fauftes ailégatjorfs qui furent faires, & par I'infufEfance des autorités dont on fe fervit. PalTons aux réflexions de M. Rouffelet fur le même arrêt. D'abordj dit-il^'  $6 Graffetfe tardive.. c'étoit une loi fixe & invariable chez les Romains, acom meneer dès les premiers tems de la républiqite , jufqu'au dernier état du droir romain, de rejetter I'enfant au - dela des dix mois. Queiques inrerprèces ont feulemenr cru pouvoir ajouter deux jours; mais ils ont été contredits par tous ceux qui ont cru devoir refpaóter le texte des loix. Ce n'en. pas qu'on ne fit, chez les Romains, les mémes raifonnements 3 que ceux que l'on emploie pour foutenir un terme plus ireculé, que celui qui avoit été fixé par les loix Une de leurs plus illuftres families avoit recu fonfurnom de ce qu'un de fes auteurs, pour avoir été porté onze mois, fut appellé Gracchus a. gerendo. On citoit des jugementsdepréteurs , des décrets d'empereurs ; on oppofoit le fecret des opérations de la nature; & cependanr, ces fages légiflateurs , nes maitres &c nos oracles , n'en font pas moins demeurés inflexibles fur 1'obfervation de la règle générale j foit qu'ils aient été perfuadés , comme ils paroiffent le déclarer , du peu de fondement, & même de 1'impombilité des prodiges qu'on leur racontoit j foit qu'ils aient penfé  Grojfejfe tardive. yy •penfé qu'il valoir-mieux le régler d'après le cours ordinaire de la nature rifquer de fe tromper fur des événements aufti rares, que d'accorder aux veuves la faculté de donner , aux familles dans lefquelles le mariage les a introduites, des héritiers illégitimes, au gté de leur débauclie. Ce qu'il y a de certain, parmi nous eft qu'aucun de nos auteurs n'a traité ia queftion , fans avoir pris , pour fon texte, la loi des dix mois : & il eft évident qu'elle faifoit le principe de la conteftation qui a produit i'arrêr de 1653, la première qui fe foitportée en juftice fur la légitimité d'un pofthume né fe onzième mois après la mort du mari de fa mère. Cette conteftation , qui avoit , pour but, d'arracherune exception a ia règle générale, n'eütpas été auffi difficile , fi l'on n'eut pas regardé Ia règle comme certaine. On peut même tirer,des circonftauces qui paroiffent avoir déterminé le jugement, la conféquence qu'il n'eft exa&ement qu'une exception a cette règle. Or excepcio firmat regulam. Examinons-Ies donc , ces circonftances. II y en avoit qui patoiffoient avoir pu retarder le cours de ia nature , Sc Tomé XFL p'  e>8 Grojfejfe tardlve. qui étoient capabies de faire Ia plus grande impreflion , après une déclaration de groffefle faite dix-neuf jours après la mort du mari; ajoutons-y les précautions prifes pour s'affurer de 1'événement de cette gtoffeffe , comme une garde nommée d'office ; la preuve des douleurs furvenues a la veuve au terme naturel de 1'accouchement; un travail de fix jours ; I'enfant retourne dans fon fiège; un accouchement forcé; c'étoit-la, difoitM.2?o«/J«/«,lesfeuls faits qui aient pu déterminer le jugement. , Car, pour les autres circonftances , telles que la bonne éducation de la femme dans un couvent jufqu'a ^fon mariage , fa retraite dans le meme couvent aufü-tbt après la mort de ion mari , la reconnoiffance de la légitimité de I'enfant pat les parents paternels & par la feeur même du defunt, qui kt été fon héritière ,} défaut d'enfants , elles n'ont fervi que de confidération , &c ont feulement pu fortifier les conféquences que 1 on trroit des premières. Seules, elles n euffent pu produire aucun erfet; paree cue , comme le remarque d'Expdh , il'endroit cité plus haut, les amhees  Grojfejfe tardlve. 9» des femmes, fur ces fortes dematières, font impénétrables ; d'ou il conclue qu' plus de trois mois après la _ mort de fon mari , quand elle fournk des répliques aux défenfes des héritiers qui combattoient le téftament ? Etoit-elle encore dans l'ignorance, le 21 décembre , qui eüt été le huitièsne mois de  Grojfejfe tardive. 103 fa grolTeffe , lorfqu'elle pric 1'appointeraenE en droit , toujours au fujet du téftament ? Enfin anroit - eile eu une groffeffe de douze mois fix jours , fans en avoir rien feu par aucune autre voie, que par fon accouchement ? Elle a même perfifté , pendant deux mois après cet accouchement, a foutenir fa conteftationau fujet de la validité du téftament ; conteffation qui étoit diamétralement oppofée , foit a l'exiftence , foit a 1'efpérance d'un enfant légitime. Voici une dernière circonftance qui mérite une attention particulière. Le téftament n'étoit figné que d'un des deux témoins inftrumentaires \ le fecond n'avoit pu faire qu'une marqué. La veuve Marcille avoit foutenu que ce défaut de fignarure étoit fuppléé par celle de 1'exécuteur teftamentaiie. Le notaire avoit énoncé que cet executeur refhmentaire avoit figné avec lui , mais il n'avoit pas dit qu'il eüt été pré* fent, lorfque le téftament avoit été dicté. Cependant, comme elle fondoit quelqu'efpérance fur ce moyen , elle n'eut garde de le déttuire paria déclaration d'une groffeffe poftérieure. Elle réfervoit ce moyen fubfidiaire , en cas que Ie premier lui manquat. Tout fuc E iv  ic>4 Grojfejfe tardive.mis en balance, lors de l'accoucne^ ment. On comprit que, fi l'on voulüit tirer parti de la naiflance du pofthume, il falioit intenter une nouvelle action qui détruiroit la première, & rerarderoit la jouiflance d'un legs opuhnt y que d'aiüeurs le téftament, fi l'on pouvoit le faireratifier, donnoitala veuve la propriété de tous les biens; au lieu qu'en faifant paroïtre un pofthume cette propriété pafïoit fur fa tête. II étoit donc plus prudent d'épuifer le premier moyen, qui ne portoit aucun obftacle au fecond. Mais cette combinaifon manquoit de juftefle, puifque le filence fur 1'accouchement, & fur i'exiftence d'un enfant, décéloitla fraude & la cupidité. Car fi I'enfant étoit légitime, en taifant fa naiflance, elle lui raviflbit fon état , lui voloit fon bien , & fe deshonoroit elle-même , en avouant 1'illégitimité du fruit qu'elle avoit mis au monde. Il y a donc tout lieu de ctoire que , fans les vices du téftament, cet enfant n'autoit jamais paru fous le nom de Marcille. Voici un autre arrêt rendu en la grand'chambre, le 28 juillet 1704, qui achève l'établiflement des principes que l'on vient de déduire 3 & doit  Groffejfe tardive, 205 rrtener a la décifion de l'affaire qui m'occupe. Le nommé Pierre-Jofeph Geoffroi, marchand a Lyon, avoit vécus longtems , dans une parfaite union avec Francoife Lombard , fa femme, fans avoir eu d'enfants; il difparut, tout d'un coup, aucommencemenc de 1'an-. née 1703. Au mois de novembre de la même année, un créancier de ce Geoffroi dènonca , au lieutenant criminel de Lyou, qu'il avoit appris que, le 16 févrieC précédent, ce particulier s'étoit noyé dans le Rhone. Le lieutenant criminel * fur cette dénonciation , fit faire une information d'office, fans être requis par aucune partie , pas même par le miniftère public, llentendit quatre témoins qui déposèrent que, le jour même oü ce marchand avoit difparu , en portanc une charge d'un bateau a moulin , il écoit tombé dans le rhone , & s'y étoit noyé , fans qu'il eüt été poffible de le fecourir. Cependant la femme accoucba , le 4 mars 1704 , d'un garcon. Francoifer Defgranges , mère de Geoffroi , préfenta fa requête au lieutenant général E v  ioS Grojfejfe tardive. de Lyon, pour faire prononcer Villëgitimicé de I'enfant, comme né douze mois , fix jours , après la mort du mari , douze jours feulement de plus que dans notre efpèce. La femme mit en fait, pat fes défenfes, que ion mari avoit paru a Lyon fur la fin du mois de mai, ou au commencement de juin; ce qui réduifoit ia grotfeffe a neuf mois. Pour détruire ce nouveau fait ; Francoife Defgranges fit entendre de nouveaux témoins. Le jour de fame Jof pk (i) , ils avoient trouvé le cadavre d'un homme noyé, ayant le vifage fi défiguré , qu'ils ne Tavoient pil reconnoïtre : ils avoient cependant reconnu fes bas, fa culotte & fa vefte , Sc une clef qu'il avoit dans fa poche qui ouvrit la porte de fa maifon. lis difoient, encore, que fa communaute lui avoit fait chanter un fervice au mois de mars, auquel fa veuve avou aflifté. Sentence du 31 juin 1704» qul (La fête de ce faint eft célébrée aRome, te 19mars, & a Paris le 20 avril. J'ignore a quelle date on la cèlébre a Lyon. Ainli je ne peux fixer le jour oü ce cadavre tut trcuvè dans le rhone».  GroJJeJfe tardive. 107 avoit déclaré I'enfant illégitime. Sur l'appel, Francoife Lombar 1 demanda la nullité de ia procédure, Sc la légitimité de I'enfant. Mais elle prit, en mêrne-tems , des conclufions fubfidiaires, par lefquelles elle demanda, en cas de difficulté, a être admife a prouver queplulieurs perfonnes avoient vu fon mari fur la fin de mai, ou au commencement de juin, tant dans la ville de Lyon , que dansles fauxbourgs de la Croix rouge. En conféquence , on fourenoir d'abord , dans le droit, que, dans le casmême ou il feroit conftantque le mari fe fut noyé le t6 février, il n'en falloit pas moins préfumer, pour 1'honneur du mariage, que I'enfant ers étoit provenu; que cette préfomption étoit fondée fur la poffibilité prouvée par des exemples d'accouchements au douzième , Sc même au treizième mois : Sc l'on produifoit des certificats d'un médecin & d'un chirurgie» de Lyon, qui atteff oient qu'une femme de cette ville étoit accouchée a dixbuit Sc a vingt-trois mois. On prétendoit enfin qu'il y avoit des arrêts quï avoient déclaré légitimes des enfants nés a onze , douze, treize Sc quaE vj  108 GrojJ'ejfe tardive. torze mois, comme a quatre Sc a cincj mois après le mariage. Ces derniers accpuchements , difoit-on, n'étoient pas moins extraordinaires , que les premiers. Mais Francoife Lombart comptoit apparemmentbien peu fur ces moyens, Sc le fort de la conteftation rouloit fur fa nullité des preuves de Francoife Defgranges , Sc fur la juftice qu'il y avoit d'admettre celle que la veuve demandoit a faire. Quant z Francoife Defgranges, elle. invoquoit, fur la queftion de droit ,. le texte des loix romaines. Elle y ajout'olt le fait particulier du filence de la veuve, foit fur le retour de fon mari, foit fur fa grolfeffe , dont elle ne paria qu'après fon accouchement. Au furplus , elle faifoït valoir , tant qu'il lui étoit poffible, la preuve qu'elle prétendoit avoir acquife de la mort de fon fils , au zé février. . Mais il faut s'arrêter plus parucuhement au plaidoyer de M. Ie Nain , avocat-général , qui portoit la parole dans cette affaire. 11 examina, d'abord li, après dix mois , on pouvoit réputer les enfants légitimes. Dans cette queftion, dit-ü, qui dépend qnuère»  Grojfejfe tardive. 109* ment de la nature Sc de fes opérations il eft bien difficile de fe régler par des loix, & fur-tout par des loix étrangères. Quoique les loix romaines , ajouta-t-il , foient regardées, dans plufieurs provinces du royaume , enrrautres dans le Lyonnois, comme la loi municipale du pays, cependant cette autorité du droit romain n'étant fondée que fur un ufage , il ne feroit pas raifonnable de la faire prévaloir aux régies de la nature , qui ne recoic Ia loi de perfonne , & qui, aucon^ traire , foumeE tout le monde a fen. pouvoir. Les loix peuvent bien régler, continua-t-il, ce qui dépend de la volonté des hommes qui j après les avoir créées, fe font fait une première loi de s'y affujettir. Mais elles n'ont jamais pu étendre leur autorité fur les mouvements & les refforts de la nature, a qui feule appartientle droit de donner un tems a la naiffance de 1'homme. En effet, ajoutoit encoreM. leNain, comment feroit - il poffible aux loix d'établir une règle certaine & uniforme , pour un tems que Ia nature , elle-même , n'a pu fixer , Sc auque! tout fon pouvoir n'a pu encore donnés I  iio Grojfejfe tardlve. de juftes hornes, puifque nous voyons , tous les jours , différents accidents avancer ou retarder 1'accouchement des femmes ? Qu'il me foit permis, avanr d'aller plus loin, de faire quelques réflexions fur cette doctrine que M. le Nain établit comme la bafe des conclufions qu'il va prendre. 11 cherche d'abord a atténuer Pautori té que la néceffité , 1'ufage & nos légiflateurs onr accordée aux loix romaines dans le royaume, & même dans les pays oü Pon ne connoit point d'autre code, pour régler le fond des conteftations qui s'y éièvent. J'ai parlé des loix qui ont donne, en France , la force légiflative au droit romain. Je pourrois faire voir que fon autorité , dans les Gaules , étoit antérieure aux coutumes qui , fur les matières dont elles parient, en ont pris la place. Je pourrois faire voir qu'il a toujours régi les pays oü il eft encore la loi municipale. Je me contenteraï~de citer Partiele 16 de 1'édit donné a Piftes (i) par Charles le Chauve , en (i) On ignore ou eft le Hen qui fe nommoitalors Piftes. Les uns penfent que ceft  Grojfejfe tardlve, , ui %6^'.ln Md terra, in qua. judicia fecundum legem retnanam terminantur , fecundim ipfam legem judicetur; & in Ma terra in qua , &c. Je me contenterai , enfin , de renvoyer au livre vingt-huic de 1'efprit des loix , oü M. de Montefquieu a trairé cette matière avec 1'crudition qu'exigeoit un ouvrage tel que le fien , & la profodeur qui caraftérife fon génie. Qu'il refte donc pour conftant que les loix romaines font, dans les pays de droit écrit, la loi territoriale; qu'elles le font encore , dans les pays coutumiers mem es , quand la coutume 5C les ordonnances font muettes. La loi, ajoute M. le Nam 3 ne peut étendre fon autorité fur les mouvements & les relforts de la nature :. c'eft a elle feule qu'il appartient de donner un tems a la naiffance de Phamme» Mais jamais les loix n'ont cherche a empiéter fur les droits de la nature; c'eft une abfurdiré dont les régiflateurs n'ont jamais été capabies. Uniquement occupés d'établir & de maintenir 1'ordre entre les citoyens qui compofentc les états fubordonnés a leur pouvoir,, Poifilj d'autres Piftres, proche le p©ru cle> Lurche en ISormandie,  ii2 Groffeffe tardive. ils fe font occupcs du foin de régler & de protéger les propriétés; &, comme la tranquillité publique, la sureté des polfeffions & 1'ordre des families dependent, en très-grande panie 3 des mceurs, ils fe font attachés, au moins aux extérieures; ils ont pris le foin de les régler , & de les diriger vers la pureté. Les opérations de la nature influent fur bien des parties de Tadminiftratkm légiflative. On s'eft bien dotiné de garde, alors, de former le projet infenfé de vouloir la foumettre a des loix dont 1'empire fe borne a la morale & a la politique. On Ta confultée , au contraire, & Ton a adopté , dans le civil, la règle que les obfervations ont fotcé de reconnoitre pour la règle qu'elle s'étoit prefcrite dans le phyfique. C'eft ainfi que, comme il arrivé quelquefois que Thomme vit cent ans , on a cru devoir profiter de ce terme, pour préferver les biens d'un abfeht de la rapacité de fes héritiers préfomptifs , qui pourroient profiter de fonabfence^ pour s-'en emparer fans obftacle , les diffiper avant qu'il fut mort, & ne lui buffer aucune reffource pour les reconvrer. On a voulu encore conferver Ia  Grojjëjje tardive. 11 5 ptireté da facrement de mariage , prévenir les profanations qui fe commectroient tous les jours, par des fecondes noces anticipées, & célébrées du vivant du premier époux abfenr. Ces motifs ont déretminé la loi a déclarer qu'un abfent dont on n'auroit pas de nouvelles , du décès duquel on ne rapporteroit pas la preuve légale, feroit réputé vivre jufqu'a ce qu'il eut atteintl'age de cent ans. Mais la loi civile a-t-elle voulu, par cette difpofition , étendre fon autorité fur celles de la nature ? A-t elle voulu lui impofer la nécellité de prolonger la vie des abfents jufqu'a cent ans ? Elle les a confultées , au contraire, & ne s'eft déterminée qued'après elles. La nature accordece terme aquelques individus j le légiflateur a cru qu'il ne feroit rien qui choquat fa marche , en établiiTani une fiótion fondée fur fes propres opérations ; & il a concilie la sureté des propriétés , le maintien des bonnes mceurs & de la loi divine, avec k marche de la nature. 11 en eft de même de la loi des dix mois au fujet de 1'accouchement des femmes. Les jurifconfultes , frappés des abus qui pourroiem naitr>e, fi 1'ou.  ii4 GroJJefe tardive. admettoic un terme indéfini pour les a'ccouchements 3 ont cru qu'il falloit le fixer, Sc ne pas laiffer aux femmes laliberté d'introduire des héritiers dans les families , au gré de leur intérêt Sc de leurs plaifirs. Mais ils n'ont pas pris fur eux de fixer ce terme d'après leur fantaifie , ni même d'après leurs propres lumières. Us ont confulté 1'expérience , qui leur a appris que la nature délivre ordiiïdirement la mère au bout de neuf mois. lis ont confulté ceux qui, par état „ fuivent les opérations de la narure , en épient la marche, en recherchent les caufes Sc les effets; & d'après ces connoiffances acquifes , ils ont prononcé qu'une femme feroit réputée ne pas porter fon fruit au-dela de dix mois, quelques jours plus,quelques jours moins. Mais ils n'ont pas ordonné a. la nature de fournettre fes opérations au réglement qu'ils ont puifé chez elle: c'eft elle , au contraire ? qui le leur a didé; c'eft d'après la lol qu'elle s'eft impofée, Sc qu'elle manifefte pat fa marche , qu'ils ont étabh la leur. M. le Nain ajoute, enfin , que tout le pouvoir de la nature n'a pu encore donner de juftes bornes aux groffeffes,  Groffeffe tardive. 115 puifque, dit il, nous voyons , tous les jours , différents accidents avancer ou retarder 1'accouchement des femmes. La réponfea cette affertipnfe trouve dans les paffagesque j'aicopiés d'après M. Bouvart; je n'en dirai pas davan- M. 1'avocat général vient enfin a Pefpèce qui lui avoit fait naitre ces réflexions. « Cependant, dit-il, comme „ le terme de dix mois eft le plus long » terme de la groffefTe des femmes qui » n'ont point d'accidents exttaordinai» res, on ne peut, dans ces matières , » qui font toutes conje&urales, établir » de règle plus süre, que celle-ci j » c'eft-a-dire , de déclarer illégitimes » tous les enfants nés dans le onzième » mois après la mort de leur père; a » moins qué des circonftances parncusj lières ne formaffent des préfompdons » très-violentes en faveur de la veuve , ,s & ne donnaffent lieu de eroire que » fa groffeffe a été plus longue, que » les groffeffes ordinaires ». 11 donne , enfuite , pour exemple de ces circonftances, celles qui fe rencontrent dans 1'arrêt de 165 3 , dont je viens de parler. Et, après les avoir détaillées, il remarque qu'il « y auroit  nS Groffeffe tardive. » le plus grand inconvénient a recon»> nokre pour légitimes rous les enfans » qui nakroient après le dixième & le »> onzième mois, fans qu'il fe trouvar, » dans le fait, des circonftances femn blables, ou du moins aulïï fortes , 33 que celles qui viennent d'être rap33 portées ». L'application de ce principe a l'affaire dans laquel'e il portoit la parol* eft que « Francoife Lombart n'alléguanr, ij en fa faveur, aucun de ces accidents » extraordinaires qui ne fe doivent ni 33 fuppléer, ni préfumer , on peut dire » qu'il n'y auroir pas de diffïculté a 33 déclarer illégitime I'enfant dont elle » eft accouchée le 14 mars 1704, s'il » étoit prouvé juridiquement que fon » mari fut mort le 26 février 1703 ». M. Ie Nain s'attache , enconféquence , a faire voir 1'infuffifance des preuves faites a Lyon , Sc la nécefiité d'admettre la veuve a faire la preuve qu'elle demandoit. L'arrêt rendu conformément aux conclufions de ce magiftrat, renvoya les parties par-devant le lieutenantgénéral de Macon , pour faire la preuve de leurs faits. L'arcêtifte couclud, de ce jugemenr»,  Grojfejfe tardlve. i17 que la cour a préjugé qu'un enfant , né dans le treizième mois, après la snort du mari, ne peut pas être déclaré légitime ; autrement il auroit été inütile d'approfondir le fait de fcavoir li Geoffroi étoit mort le 16 févner 1703. Paflons au fentiment de Domatl qui femble avoir voulu compofer avec la loi, & la faire plierious les confidérations. Cet auteur jouit d'une grande confidérationdans les tnbunaux, parl'ouvrage très-bien con<:u & trés bien rédigé, mais dangereux , qa'il a publié. 11 a rangé , dans leur ordre naturel, celles des loix romaines dont il a cru que la connoiffance pouvoit fuffire pour décider les cas qui ne peuvent 1'être que par ces loix, & il les a traduites. Mais il a autorifé a fe difpenfer d'érudier le droit dans le droit même , ceux qui ne font attirés dans la carrière de la jurifprudence que par 1'efpoir d'un lucre prompt & facile. On en voit même qui ofent s'y préfenter fans avoir aucune notion , ou ayant, tout au plus, une notion trés-légere de la langue originale des loix. Comment fe tireronDilsd'une queftion qui ne peut être dé-  i iS Grojfejfe tardive. cidée que par le droit romain ? Comment difcuteront-iis une loi dont ils n'entendent pas le texte ? Nous avons Domat, difent-ils. Mais qui les aflurera que Domct a toujours bien traduir \ ou'il a toujours vu le véritable fens de la loi; qu'entre celles qu'il a cru pouvoir fe difpenfer d'employer, il n'en eft pas qui pourroient donner , a celles dont il a fait ufage , un fens différent de celui qu'il a adopté. Lorfqu'il a médité fon ouvrage , il s'eft fait un fyftême de légiflation , qu'il a cru, fans doute, être celui des légiflateurs romains , il a tout rapporté a ce fyftême , & la hcence qu'il s'eft donnée de paffer fous filence les loix qu'il a cru n'être pas néceffaires , ï'a autorifé a fupprimer celles qui ne cadroient pas avec ce fyftême : ainfi , dans combien de contre-fens n'a t-ilpas pu tomber? Cet ouvrage cependant ( car il faut lui rendre juftice ) n'eft dangereux que dans la main des ignorants , dans la main de ces foi-difants junfconfultes qui, de 1'étude d'un procureur, oü ils ont employé lagele pluspropre pour s'inftruire , acompofer des avenir êc des inventaires de produclion, paffent,  Groffeffe tardive. 119 d'un plein faut, dans le barreati. Mais cet ouvrage eft utile pour ceux qui, ayant confacré leurs veilles a 1'étude des loix, ne s'en fervent que comme d'une efpèce de répertoire qui remet , pour aiufi dire , leur mémoire fur la voie , & les conduit , fans beaucoup de techerches _, a la fource oü ils doivent puifer. Ils examinent alors la loi, en recourant au dépot même oü elle eft confignée dans toute fa pureté , &C jugent du cas que, dans ia circonftance oü ils fe trouvent, ils doivent faire de 1'interprétation èc de 1'avis de Domat. Quoi qu'il en foit, voyons ce que dit cet aureur a 1'occafion des groffeffes tardives. II en parle dans la feconde partie de fes loix civiles, liv. 2 , tit. 1, feót. 2 ,.nomb. 5 : il établit, pour règle , « qu'il faut mettre au rang des » enfants qui ne fontpas légitimes ceux r> qui nailfent fi peu de tems après le » mariage de leur mère , que le mari » puilfe juftement prétendre n'en être » pas le père; & ceux auffi quinaiflent w li long tems après la mort du mari, » qu'on doive juger qu'ils n'ont été m concus qu'après cette mort». II appuie fa règle, ainfi compofée,,  iio Grojfejfe tardlve. 'fur trois !oix, dont il rarpporte le texte en note: ainfi ceux qui ne font pas en état d'entendre, ou qui, entraïnés par la foi qu'ils croient devoir a Domat, négligent de lire Ie texte, penfent qu'ils en ont la traducnon dans cette règle qui femble en être puifée. Mais, on va voir qu'au lieu de traduire , il a fubftitué fon opinion a la véritable difpofition de la loi. Voici les textes qui paroiffent lui avoir fourni fa règle. De eo qui centeJirno oclogefmo Jecundo die natus ejl f Hippocraies fcripft, &divus Pias pontificibus rejcripjit jujlo tempore videri na.tum. L. $ , §. uit. ff. de fuis & legit. h&red. Septimo menfe nafci perfectum partum jam receptum eft , propter autoritatem doclijftmi viri Hippocratis. Et ideb credendum eft eum qui exjuftis nuptiis , feptimo menfe , natus eft, juftum filium effe. L.ix,ff- de ftatu hom. Poft decem menfes mortis natus, non admittitur ad legitimam hareditatem. L. 3 , §. penult. de fuis & legïtim. h&red. Domatche, enfuite, la novelle ji. 11 dit, enfuite, dans une note, qu'il n'a pas mis, dans cet article, le tems précis marqué par les textesquiy fontcitée, paree que , tant pour la naiffance prématurée.  Grojfejfe tardive. i2r rnaturée , que pour celie qui feroit tardive, « il poürroit fe renContrer 3» des circonftances qui feroiem douter 33 de la certirude de la règle du tems 33 néceffaire pour une naiflance lé"i:.i» me. Et il ne paroit pas même de » principes naturels qui puiflent dé» montrer qu'il faut qu'un enfant att »j été concu cent quatre-vingt-deux » jours avant fa naiflance, pou'r être a » un jufte terme, & qu'un enfant né » un peu moins de tems après le ma»3 riage, ne fut pas légitime. Et il n'en *> paroit pas non plus qui démontren; w qu'une naiflance ne peut être retar» dée au-deia du dixième mois. Car4' »> pour la naiflance avancée., qaand on » auroit des expériences d'enfanrs cer3» tainement concusa un certain jour; » nés enfuite au cent - quatre - v'inpts> deuxi.ème jour., &qui euflbn vecu » Iong-tems; & d'aiitres expérictn.es »> d'enfants d'un ou de deux :jov,vi » moins qui n'euffent pu vivre, on ne » poürroit pas en conciufe cu s> terme de cent-quattc • vingt» dia-* w jours fut fi précifémeni nécefiaire, » q^^tabfjiumentimponiblequ,':^ * enfant vécut., s*H lui manquok v.t\ s>jour de ce terme. Er.ï'jJ a«ivoié Jams KFL j  in Grojfejfe tardlve. » même qu'un. enfant qui feroit cer» tainement concu environ cinq mois » feulement avant fa naiffance , ne « laifsat pas de vivre plufieurs an» nées , ce que des perfonnes très« dignes de foi difent avoir vu, on » ne regarderoit poinr cet événement M comme impofiible a. la nature , mais M comme naturel, quoique fmgulier ». Tous les raifonnements Sc toutes les confidérations dont Domat cherche a autorifer le motif qui 1'a déterminé a fubftituer fon opinion a la loi, viennent échouer contre cette maxime (VA'clat: lex ad ea mlnlmè aptatur y qua rarb contingunt. Quand il feroit poffible , continue ce judicieux commentateur s que la nature , dans quelques circonftances rares & particuhères , dérangeat fa marche ordinaire , & tarnen legljlator id minus infollium , ceu impojfiblle refpuh. Domat nous allure qu'il ne paroit pas qu'il y ait des principes naturels qui puiflent démontrer qu'il faut qu'un enfant ait été concu cent-quatre-vingtdeux jours avant fa naiflance. Qui Ie lui a dit? A t il fait une étude patticulière de la nature ; a-t-il fvdvi fa marche j a-t il fait des obfervations Sc des  Grojfejfe tardive. j'ij réflexions aftez sures , pour pouvoir affirmer que ce principe n'exifte pas ? Le légiflateur , plus prudent & plus modefte que Domat, a confulté les gens de Part, &c s'en eft rapporté a leurs lumières; &, par 1'aveu qu'il en a fait , il a donné 1'exemple aux jurifconfultes de ne pas s'en rapporter a leurs propres opinious , fur des matières qui ne font pas de leur compérence. Septimo menfe nafci perfectum partum receptum ejt, prop ter aucloritatem doclijftmi viri Hippocratis. Je 1'ai dit, &c je ne crois pas rrop le répéter , quand il s'agit du maintien de 1'ordre focial, de la confervation des propriétés , & de prévenir les crimes 8i la débauche, fi la loi eft forcée de s'en rapporter a la nature pour fixer des époques , elle ne doit rien Iaifler a 1'arbitraire, aux conjeótures , aux confidérations; elle doit établirun terme , & choifir celui que la nature lui indique par la conftance uniforme de fes opérations. Si on laiffoit la liberté de croire qu'elle fe permet quelques écarts, & de tirer avantage de ces prétendues variations, le vice ne manqueroit jamais de les invoquer ; elles feroient même un appat pour ceux qui auroienc F ij  114 Grojfejfe tardive. de 1'inclination a s'y livrer, & ii n'y auroit plus rien de certain dans ianaif-, fance des citoyens. Après avoir ainli fubftitué fon opinion a la loi, au fujet des naiflances précoces, voici ce que Domat dit fur ies naiflances tardives : » Et pour la naif»> fance dans le onzième mois après la j> mort du mari, on fcait qu'il y a des >j exemples anciens £c nouveaux d'en» fants jugés légitimes , quoique nés » bien plus long tems de dix mois après » la mort de leur père. De forte qu'il » ne femble pas qu'on puiffe régler les s> juftes termes de la durée d'une grof» feffe, pour faire juger qu'un enfanc » foit illégirime, s'il eft né quelques » jours plutot, ou plus tard; & qu'on » doive faire dépendre une queftion 3> de cette importance d'une règle qui » entreprenne de rixer letems des opé>j rations de la nature, & fur-tout de 3» celles que les combinaifons de diffé» rentes caufes diverfifient, 5c oü il ne »> paroit pas poffible de marquer les 3t bornes précifes de ce que la nature >3 peut , ou ne peut pas. « Mais il femble , ajoute Domat ; 3> que, dans les cas particuüers 3 oü il » eft queftion de fcavoir fi un enfant  Grojfèjfe tardive. tit 's»eft légitime, ou s'il ne 1'eft pas, Ie » doute venanc de ce que fa naiffahcé » eft ou erop avancée, ou trop retardée, 53 on doit joindre aux régies communes 33 qui réfulrent des textes cités fur ces » articles , pour ce qui regardé le tems 33 de la groffeffe , la confidération des 33 circonftances particulières , pour dé» cider fagement une queftion d'une » aufli grande conféquence , éc oü il » s'agic , tout enfemble , de 1'honneur » d'une mère , de 1'état de I'enfant , » & du repos des families intéreflées a » l'une & a Tautre ». Je crois avoir d'avance répondu t\ cet auteur, qui fait tous fes efförts pour mettre fes conjedures a la place de la loi. Mais écoutons les réflexions que M. RouJJelet lui a oppofées. Domat, dit-il, fi on en croit la veuve Marcille, décide qu'en tout tems, au bout de 1'année , plus Ioin encore , I'enfant doit être admis a la fucceflion y a moins qu'il n'y ait des circonftances qui prouvent la mauvaife conduite de la^ mère; enforte qu'a moins qu'il n'y ait eu des preuves juridiques d'un mauvais commerce, ou même qu'on ne 1'ait prife fur le fait, elle aura un F iij  ji6 Grojfejfe tardive. tems indéfini pour donnerd.es héritiers è fon mari. Avant de pafler a la rcponfe de M. Roujfelet , qu'il me foit permis de faire ici une réflexion qui prouve , de plus en plus, combien il feroit abfurde & dangereux de s'écarter de la loi. 11 eft conftant, & je 1'ai prouvé par plufieurs exemples répandus dans ce recueil , que I'enfant'd'une femme condamnéepour adultère, eft répute légitime , quoiqu'il y ait lieu de prefumer qu'il a été concu dans le tems ou la mère a commis le crime qui a operc ia condamnation. La règle pater_ is eft quem nupüa demon (trant, fourmt:, en fa faveut , la ptéfomption qu'il eft provenu des ceuvres du man , plutot que de celles du galant. Or, li Ion admet les grofleftes tardives, quand même tout ce qu'exige DomatyoiM la condamnation d'une veuve qui accouche au- dela du terme , fe rencontretoit , quand il y auroit des circonitances qui prouveroient le déreglement de fa conduite , quand il y auroit des preuves juridiques d'un mauvais commerce , quand on 1'auroit meme prife fur le fait, on n'en feroit pas plus  Grojfejfe tardlve. 117 avancé, & elle feroit toujours en état de foutenit la légitimité de fon enfant. Suppofons qu'on l'ait furprife confommant le crime, dans le troifième mois de fon veuvage, 8c qu'elle accouche un an après la mort de fon mari, on lui dira : «Vous ne pouvez, » pas attribuer cet enfant a votre mari, 55 puifqu'il eft venu au monde dans le sj terme ordinaire de la naiffance des » hommes , a compter du jour oü l'on j> vous a furprife abandonnée au cris> me ». Mais , fi la doctrine de Domat étoit admife, qu'auroit-on a lui répondre , fi elle difoit : « j'étois e.nceinte des »oeuvres de mon mari , lorfqu'il eft: jj mort. Je ne fuis accouchée qu'un an »3 après , il eft vrai; mais la jurifpru» dence a établi qu'on peut regarder 33 comme poffible un part d'un an. Le 33 mien eft donc régulier, & l'on ne 33 peut me ptouver que je n'étois pas » groffe lorfque mon mari eft mort. II 33 eft vrai que j'ai commis une faute , »je ne peux pas Ie nier, puifque vous » en avez la preuve , mais mon enfant 3.' n'eft point le fruit de cette faute; je » le portois dans mes entrailles, lorf>j que je Tai commife: 8c , puifque, Fiv  'si8 Grojjliff. tardive. «ci'un coté. u.° verre aveu , une grof»> feHe pent êt/e prplorigée jufqu» »douze mo'v. que de 1'autre, la ïcgle »pater is eft quem nupt'u demon,! ant »impofe ia riéceffitéd'attribueraw mari s; u ,r les enfants dont il'eft poffible s> de le croire père, le miendoit prosi titer de cet avantage , & jouir des -.. ' oirj de 11 iégitimité, puifque 1'efr. pace .i.-. tems pendant lequel je Tai •> porti n'eft point contraire aux loix » de la nature. »j Si j etois accouchce au bout de wneuf mois de ven vage, continueroit» elie , öc què vous m'eufliez furprife » en faute, le lendemaih de la mort »de mon mari, balanceroit-on a ac»> corder la légitimité a mon enfant ? »Or» puifqu'il eft poffible que j'aie »porté mon fiuit pendant un an , «comme pendant neuf mois, pourt> quoi ne vonlez-vous pas que je pro» fire d'une poffibilité que la nature a » établie , & que la jurifprudence a » adoptée. Si je mérite d'être punie x pour la faute que j'ai commife , que »> l'on me punifle ; mais que l'on ne » puniifepas mon enfant qui , par 1'é»> poque de fa conception, avoit acquis »les droits de la légitimité ».  Grojfejfe tardive. izj> II eft donc évident que , fi Ton admettoit une fois Ia poflibilité des groffefles prolongées, les veuves auroient, pendant long-tem?, la liberté-de fe livrer a leurs penchants, Sc de donner au fruir de leur débauche , la fucceffion de leur mari. Ilfera mêmeinutile d'examiner leur conduite, Sc d'épier leurs aótions; que leur conduite foit réfervée, ou qu'elle foit fcandaleufe 3 on pourra prolonger, en leur faveur 3 tant qu'on voudra , la règle pater is ejl, &c. Telles font les conféquences dangereufes qui réfultent du fyftême de Domat, Sc de tous ceux qui protègent les accouchements tardifs. Mais revenons aux moyens que M. Rouffelet a oppofés k Domat. II eft vrai, dit-il, que cet auteur ne s'exprime pas, furies principes, avec toute la juftefTe ou la précifion qii'on auroit dü attendre de lui. On feroit bien voir, s'il en étoit queftion , que la loï qui ne répute un enfant viable qu'au cent-quatre vingt-deuxième jour , eH inviolablement obfervée parmi nous j Sc qne I'enfant qui nanroit bien conformé avant ee terme, pendant Je fecond mariage, feroit donné au premier F v  ïïjo Grojfejfe tardive. mari. On le défieroit de rapporter d'autre exemple, ancien ou moderne , d'enfant jugélégitime après le dixième mois, que celui de 1'arrêt de 1653. Domat devoit faire attention que cette légitimité n'avoit été admife qu'avec bien de la peine, & fur la preuve d'accidents que l'on croyoit avoir pu délanger le cours de la nature. II falloit donc pofer la règle des dix mois comme certaine , & fpécifier que les feules circonftances qui pouvoient former exception , étoient celles qui autoient prouvé un dérangement dans la nature, capable de retarder fes opérations. C'eft ce qu'on a cru voir dans 1'efpèce de 1'arrêt de 1(353. Au furplus , Domat établit, pour principe, qu'il faut mettre au rang des enfants qui ne font pas légitimes , ceux qui naiffent fi long tems après la mort du mari, qu'il y a lieu de juger qu'ils n'ont été congus qu'après fa mort. II y a donc un tems oü l'on doit juger ainfi. Ce tems ne paffera pas celui de onze mois. Domat n'agite la queftion que pour la naiffance dans le onzième mois y il ne s'agiroit même que de  GroJJeffè tardive. 131 quelques jours au - dela du dixième mois. On ne peut pas, dit-il, régler les juftes termes de la grofiefle a quelques jours de plus ou de moins. Mais fi Domat opine que, pour Ia naiflance dans le onzième mois,, il faille confulter les circonftances , il veut toujours que cette confidération foit fubordonnée aux régies communes. D'oü il luit que cet auteur veut que ces circonftances foient telles, qu'elles puiflent induire une exception a la règle commune qu'on ne doit jamais perdre de vue. Le défaut de preuves de la mauvaife conduite d'une femme , dit M. lïoujfe/et, n'eft point une circonftance capable de déterminer. Comment ne viendroit-elle pas a bout d'en dérober la connoiflance , quand des raifons d'inrérêt ( ce motif peut être encore plus puiflant fur elle que Phonneur 8c la réputation) viennent encore animer fon adrefle naturelle a cduvrir fes infidélités? L'amour, ou le libertinage iaiflent quelquelois échapper des indifcrétions. Mais 1'intérêt marche toujours de fang-froid & avec prévoyance & précaution. Ou feroit la règle commune, cette loi appellée, par-tout, la F vj  J3* Grojfejfe tardive. loi de la nature, fi, pout la pouvoir faire exécuter, il falloit ptouver une publicité de défordres, qui ne dok prefque jamais fe rencontrer ? Ainfi , fuivant l'efprit de Domat 0 1 les circonftances particulières . feules capabies de mériter la confidération du }up;e , ne feroient que celles qui donneroient lieu,de préfumer que la lè^ïe commune a pu manqner, & que latemaie, nonobftant la prorogation s du terme ordinaire , eft reftée enceinïe du fait de fon mari. On eft bien éloigné , ajoutoit M. Boufelet, d'en trouver ici de cette efpèce. La première chofe qu'une femme de bonne foi, & bien ccrraine que fon fruit provenoit de fon man , eüt faite, étoit de déclaier fa groffeffe aufli-tot qu'elle avoit pu s'en appercevoïr. Non - feulement la veuve Marcille ne 1'a point fait pendant qu'elle a été enceinte j mais elle a toujours pêtfifté a föutenir une demande en délivrance de legs univerfel, qui ne pouvoit jamais fe conciher avec une groffeffe dont le défunt mari eet été 1'aureur; & cette grofleffe a fim par tin accouchement naturel & fans Kxidènt*  Grof effe tardive. ïj? Aux raifonnements employés par M. Rouffelet, il aajouté nne confultation de M. f'ujos, célèbre accoucheur. Ce chirurgien, uniquement livré a la partie des accoucbements , joignoit , auxconnoiffances les plus rares en cette matière , une expérience de plus de foixante années. Confulté dans 1'affaire préfente, il a décidé bien expreffément que I'enfant ne pouvoit être attnbué au défunt mari. Coinme on ne peut trop ramaffer de lumietes fur une queftion auffi importante , ie vais tranfcrire ici cette confultation. « On n'a pon* d'exemple qu'un en» fant né un an. ap-es le décès du marl h & préfenté p^r la v^uve comme fait „ du maii défunt, ait tJ. reconnu 8C j> adopté comme enfant léuitime. » 11 n'y a qu'un cas oü m. enfant » conc^u puiffe refter plufieurs a»nees » dans le corps de la mère : c'eft lo*C » qu'il n'eft pas enfeimé dans la ma»trice; que, del'ovaire, il eft tombé » dans lacapacité du ventre; qu'il s'eft » nourri pendant un certain tems , &C » qu a la fin , ne ponvant fortir d'un » lieu qui ne lui fournit aucune iffue , »il y meurt, & peut refter plufieuïs  134 Grojfejfe tardlve. »annces dans le ventre de Ia mère »> comme un corps étranger. Mais aufli » ces faits ne donnent connoiifance de » leur réaiité , qu'après la mort de la i» mère, dont ils deviennent caufe tót » ou tard. n Dans le cas préfent , I'enfant eft » venu dans fon terme de maturité ; 8c j> c'eft par les voies ordinaires: la mère s> fe porte bien, 8c I'enfant promet de » vivre muni des foins ordinaire?- On »doit donc conclure que cet enfant >» n'ayant pu être retardé dan>.les pro« grès de fon accroiflemenr par aucune » caufe légitime , il a f-'u naitre dans » le tems limité par ia nature , qui »eft celui de neu-Hunes, Sc de neuf » mois révolus. »Que fi o"a vu aes enfants poufler » plus loi' leur féjour dans la matrice, „ c'efl; »'ans le cas d'une grande maladie „ 0» auroit pu avoir la mère dans fa , groffeffe, a qui l'on auroit fait de •» grandes évacuations du coté du fang, >j qui auroit été long-tems a fe rétablir, »& dont I'enfant retardé dans fon ac» croiftement, Sc lamatricedansfa dila» tation, auroit exigé un plus long tems »» pour parvenir a fa maturité , Sc obtee> nir toutes fes dimenfions. Quoique  Groffeffe tardive. IJJ » ces cas foient rares, on- les a vu ar» river : mais ces délais de naiflance y, n'ont jamais paffé le dixième mois. »Ils n'ont pris que huit . dix , oiï » quinze jours par-dela les neuf mois ». Enfin, par arrêt du 29 juillet 1758 y la fentence de Montfort-PAmauri fut confirmée; & I'enfant déclaré batard»  IJS *£ NFANT NÉ DIX MOIS NEUF JOURS après Pabfence dn mari. "Voici Ia caufe dont j'ai prornis, dans le récit de la précédenre , de rapporter les cuvonflauces. On verra, de plus en plus, que, quoiqu'au premier coup d'ced, elles paroiffent avoir quelqu'anaiogie enfemole, Tune ne peut cependant pas inflaer fur le jugement de ï'autre. 3t an Pehrce , marchand a Lyon , avoit époufé Marguetite Berard. Cette uaioii fut pailible 8c tranquille, pendant quiuze ans, 8c donna naiffance a une fille. Le père fit attaqué d'une paralyfre, contre laquelle il alla chemher du fecours aux eaux de Baibotan , en Gafco-  Jfnfant néaprh laïfence ,&c. 137 gne.Il parrir, acheval , le 8 rnai 1(547. Pendant fon abfence, la petite fille fut attaquée de la petite vérole , ÖC móutüt. _ La femme ne fcavoit point écrire ; elle eut recours a deux de fes amis, pour entretenir la correfpondance entre fon mari & elle. lis inftruifoient Pe.'orce de tout ce qui fe paffoit dans fa maifon, de la conduite de fa femme en un mot de tout ce qui pouvoit 1'intéreffer pendant fon abfence. Ces deux hommes lui apprirent la mort de fa fille, lui donnèrent avis que fa femme étoit enceinte , & lui proneftiquèrent même qu'elle poürroit accouchtr fur la fin de janvier, ou vers le 15 février 1648. Si elle fut accouchée a la fin de janvier , fa groffeffe auroit duré plufieurs jours moins de neuf mois , a compter du départ de fon mari: ainfi elle auroit anticipé fur le dixième mois , a partir de Ia même époque, fi elle n'eut accouché que vers le 15 février. Au furplus , ces deux fecrétaires ne parloienr jamais, dans leurs lettres , de cette femme , fans faire 1'éloge de fa fageffe , dë fon affiduité , & des foins'qu'elle prenoit de fon commerce)'  13 S Enfant nè &c de fon ménage , & promettoient de lui donner , & a I'enfant que l'on attendoit } tous les fecours qui dépendroient d'eux & de leurs femmes. Le mari répondoit, a ces témoignages d'amitié , par les remerciments Jes plus affe&ueux. II marquoit que la naiffance de I'enfant dont fa femme étoit enceinte, le confoloit de la perte de fa fille • qu'il attendoit cet événement avec la plus grande impatience , Sc n'éprouvoit d'autre déplaifir , que de fe voiréloigné d'une époufe fi chérie, a laquelle il étoit bien perfuadé que fon abfence ne caufoit pas moins de chagrin. Du refte , profitant des offres obligeantes qu'ils lui faifoient, il les prioit de ne rien ménager pour la confoler, & pour la coafervation de la mère Sc de I'enfant. Cependant , ne recevant pas de nouvelles de Paccouchement, il conc^ut quelques inquiétudes. Elles tiroient principalementleur fource des avis que lui avoient donné fes deux amis , en fixant le terme de Penfantement a. la fin de janvier, ou, au plus tard , au 15 février. Voyant ce terme paflé , il écrivit a fa femme , le dernier février .1648 , qu'il n'étoit pas fatisfait de  après Vabfence du marl. 13 9 n'avoir point reen de nouyelles de fa délivrance • qu'il ne pouvoit fe trom» per en fon calcul; que cela troubloit fes efprits , & donnoit occafion au monde de parler. Mais il avoit, difoit-, il, trop bonne opinion d'elle, & fcavoit qu'elle n'avoit jamais eu la volontc de faire brèche a fon honneur; ce qui faifoit qu'il efpéroit bientót de recevoir une nouvelle joie • que, paria , fon affection augmentera , & qu'il demeurera jufqu'au tombeau, fon plus affeócionné. Enfin I'enfant tant defiré vint au monde, le 17 mars , dix mois neuf jours après le départ du mati \ il en fut inftruit; revint, dans fa maifon , le 27 juin fuivant, & l'on ne voit pas qu'il lui foit échappé aucune plainte , point de difpute, point d'aigreur. Le le lit nuptial recoit les deux époux , Sc leur tranquillité n'eft troublée que par la rechute du mari, qui, pour furcroit de malheur , perdit 1'ufage de la parole , & mourut enfin , le 6 novembre, laiffantfa femme enceinte d'une fille , dont elle accoucha le 12 février 1749, feptmois quinze jours depuis le retour de fon mari, & deux mois fix jours après fa mort. Ainfi, au jour de fon  140 Ènfanl nè décès, elle étoit gtofle de quatre mois neuf jours, & elle ne le diffimuloit pas. Cependant les héritiers préfomptifs du mari, fruftrés de lafucceffion qui ailoit leur être enlevée par cet enfant né pendant fon abfence , & par celui dont elle étoit enceinte, firent leurs efforts auprès de lui, pour lui perfiader que fa femme avoit trahi fa foi; que cerrainement I'enfant né pendant qu'il étoit en Bourgogne } avo t été concu depuis fon dépatt, & ne pouvoit être que le fruit des affiduités d'un jeune homme dans fa maifon , pendant qu'il avoit été abfent. On voit, par une lettre datée du Z9 feptembre 1748, écrite a. ce malheuteux mari, par un de ces collatéraux, qu'on ne cherchoit pas a appaifer les foupcons qu'on lui avoit infpirés , ni a fe comporter, avec fa femme, en homme qui eüt pardonné. « J'ai un » fenfible déplaifir , lui écrivoit il, de n votre mécontentement. Vous avez » feu que les avis que je vous avois » baillés font trop véritables; nous en » fouffrons tous avec vous, & voyons » aufli votte deifein , en ce rencontte. ■■> Car vous ne pouvezpas moins faire,  cipres F abfence du mari. 14V » qne de la féparer de votre maifon Sc jj compagnie , puifque fes actions font » infupporrables, comme tour ie tr.on» de voic, fur-tout ce que nous avons « appris de ceux qui font revenus de » vos quartiers. Néanmoins, je vous » exhorte a prendre patience , & a 35 fouffrir le tou: fans inquiétude , &C » vous remettre au cours de la juftice, j> & ne fouffrir pas après qu'elle re» vienne dans votre maifon ; & " moyennant ce , vous ferez excufé » devant Dieu ik les hommes, ik vo« » tre honneur ne feia point engagé ; « ce que je me promets de votre conf-, j> tance ». La femme prétendoit que cette let-»' tre étoit le comble de la rufe & de la méchanceté, de la part de celui qui 1'avoit écrite. II feint de fcavoir que Pelorce eft mécontent; mais c'eft pour lui donner du mccontentemenr qu'il veut lui perfuader qu'il en a: & il tire les motifs de 1'aigreur qu'il veut lui infpirer, du bruit qui fe répand parrout de l'inconduite de fa femme. Depuis fon retour, il vit paifiblement avec elle , & on lui confeille de la chaffer de fa maifon. L'auteur de la iettre regatde même cette expulnori  141 Enfant né qu'il defire , comme confommée J quoique le mari n'en ait jamais eu la penfée. Cette femme n'eft point fottie de la maifon maritale , & n'eft poinc dans le cas d'en fortir , puifqu'elle n'a épróuvé aucun mauvais traitement , aucune parole défagréable de la part de fon mari, & qu'elley étoit encore, lors de fon décès. On lui mande de fe remettre au cours de la juftice ; &C jamais il n'y a eu ni demande , ni plainte , ni accufation. Pour prouver que le mari étoit inftruit des dépottements de fa femme , on rapportoit des lettres , des billets fans date, fans adrefle, & fans nom , envoyés , difoit-on , par le mari a un oncle , a. un religieux, a un coufin. Par-tout il fe plaignoit de la mauvaife conduite de fa femme; il prioit que , fans rien flatter , on lui fit le&ure d'une lettre qu'il envoyoit , qu'ou 1'exhortat a faire pénitence pendant la vie de fon mari, qui ne pouvoit pas être fort longue. U prie fon coufin de la pourfuivre en juftice, promettant de pafler procuration i cet eftet. II marqué qu'il faut repréfenter qu'il a toujours été malade depuis le mois de mars 1647 ; que depuis le 1 du même  après l'abfence du mari. 14$ inois, il n'a rien fait qui puiffè autorifer fa femme a fe dire enceinte de lui; qu'il a été abfent de chez lui pendant plus d'un an ; que pendant cette abfence, elle a fait un batard , & eft groiTe d'un autte. Ces déclarations font répétées dans une procuration paffée prefqu'au dernier moment de fa vie, pourautorifer a. pourfuivre la répudiation qu'il faifoit de fa femme, a caufe del'adultère qu'elle avoit commis. Enfin , on ajoutoit une lettre qu'il avoit écrite a fa femme , par laquelle il lui marquoit que le tems de fon accouchement étoit ce qui lefaifoiit afurer de fa malverfation , qui eft, difoit-il , reconnue par des preuves littérales. Je tnétonne , ajoutoit-il , que la loi de Dieu , & le devoir du mariage ne vous ent point retenue dans > votre devoir , principalement quand je confdere que vous ave\ vécu , pendant quin^e ans, avec honneur , & dans la dévotion , Vexercice & la pratique continuelle des facrements. Pour apprécier la valeur de routes ces paperaffes , qui furent trouvées fous les fcellés appofés après la mort de Pelorce, & décrites dans 1'inven»  144 Enfant ni taire qui fut fait enfuite , rappellonsnous que, qnand il apprit que fa femme étoit enceinte , & que fon accouchement poürroit arriver au commencement du dixième mois , a darer du jour qu'il étoit parri de chez lui, il ne témoigna aucun étonnement , & attendit ce terme fans aucun foup^on , & fans témoigncr d'autre affedtion , que 1'inquiétude que lui faifoit éprouver lefuccèsde 1'accouchement. II fcavoir donc bien alots qu'il avoit pu devenir père , le jour même de fon depart. Et ii falloit, en effet, que fa fanté ne fut pas délabrée au point de ne pouvoir vaquer aux fonctions maritales , puifqu'il entreprit, & fit fon voyage a cheval. II n'eft donc pas vrai, comme on prétendoit qu'il 1'avoit écrit dans ces papiers dont on vient de parler , qu'il n'eüt pas vu fa femme depuis le x mars D'ailleurs quel avanrage pouvoiton tirer de chiffons de cette efpèce? Ces letttes , ces billets avoient-ils été remis a leur deftination , ou font-ils reftés comme de fimples projets entre les mains de leur auteur ? Dans le premier cas , outre qu'ils font abfolument informes, &t ne peu- ytai'f  après C abfence du marl. 14» vent, par eux-mêmes , infpirer aucune confiance, la jurifprudence ne permet ,pas d'en faire aucun ufage; & cette jurifprudence elf fondée fur des motifs bien refpe&ables. Tout Ie monde connoit ce fameux paffage de Cicéron , oït ii reprochea Marc-Jntoined'zYoitlu en plein fénat , des lettres qu'il lui avoit écrirês fous le fceau de la confiance: Liueras quas me mififfe diceret, recitavit homo humanitatis expers , & vit* communis ignarus^Quis enim unquam, quipaululum modb bonorum con~ fuetudinem nofcet ; liueras ad fe ab amico miffas, offenfione aliqua interpo^ fitd , in medium protuüt, paldmqus rechavit ? Quid hoe efl aliud^ quam tollere è vha viu focietatem ? Tollere amicorum colloquia abfentium. Quam multajocafolent effe in epiftolis, qua, prolatafi fint, inepta videantur? Quam multaferia, neque tarnen ullomodo divulganda. En effet, une lettre n'eft, i propre-mentparler, qu'une converfation entre celui qui écrit, & celui a qui il écrit. Les confidences que l'on fe permet dans 1'un & 1'autre cas , font; pour ainfi dire, fous la protedfion de Jaconfiance , qai ne peut jamais être Tome XFI. g  $4$ Jê.nfant né violée fans crime. C'eft un des fondejnencs de la foeiabilité. Ces maximes ont toujours été confacrées pat les tribunaux. Le journal des audiences nous fournit, fur cet objet, un arrêt célèbre, rendu en la cour des aides de Paris, le 9 mars 1645. Si donc ces lettres, ces billets avoient été remis a leur deftination, ceux qui les produifoient en juftice nepouvoient les tenir que de ceux i qui ils avoient iété écrits; & dèslors, la connoiifance que l'on en avoit n'étant qu'un abus de confiance, on ne pouvoit y avoic aucun égard. lis méritoient encore bien moins '/d'attention , s'ils avoient été trouvés fous les fcellés., Le défunt animé , foit par les lettres qu'on lui écrivoit , foit par les difcours qu'on lui tenoit contre fa femme , avoit écrit ces brouillons dans un premier mouvement decolère que la réflexion avoit bientot appaifée. ■Jl fe rappelloit ce qui s'étoit paffe entre fa femme & lui, dans le fecret dij. lit nuptial; il fe rappelloit la conduite jhonnête & irréprochable qu'elle avoit toujours tenue, & qui avoit mérité fa confiance tk. fon attachement. II fenEoic finjuftice a laquelle il avoit été  après tabfence du mari. t pret de fe livrer, jettoit fon griffonnage au rebut , continuoit de vivre avec fa femme, & de la bien traiter. Ce que ces papiers contenoient nctoit donc pas 1'expreffion de fes propres fentiments; c'étoit Ie fruit d'une colère faóbice & fuggérée, que Ia vérité, la raifon & la juftice anéantiffent fur le champ. Gr peut-on donner k ces chiffons plus de poids qu'il ne leur en avoit donné lui-même. II les avoit condamnés au liéant j perfonne n'a Ie droit de leur rendre 1'exiftence, A 1'égard de la lettre par laquelle on foutient que le mari a reproché a fa femme elle - même le prétendu adultère qu'il 1'accufoit d'avoir commis, par quelle voiea-t-elle palfé dans les mams de ceux qui Ia produifent ? Si Ia femme 1'a recue , elle a été la maureffe d'en difpofer. Ne fcachanc ni lire, ni écrire, qui croira qu'après s'en être fait faire la Iedture, elle aura confervé foigneufement un écrit plein d'injures & d'infamies, pour en faire une pièce d'inventaire après Ie décès de fon mari, & fournir k fes ennemis des témoignages contr'el|e ? Mais, dira-t-on , il l'a bien écrire j #nais il ne l'a pas envoyée. Les termes Gij  l4S Enfant "é dans lefqnels elle eft concue annon«nt qu'elle a été écrite pendant 1'abfence du mari, car elle n'eft pas datee, Pourquoi ne 1'a-t il pas envoyée, pourquoi 1'a-t-il confervée fi foigneufement ? S'il l'a envoyée , s'il lui a irait fcavoir qu'il la regardoit comme une infame, convaincue d'adultère, comment, a fon retour, lui a-t-il temoiené toute fa tendrefle , en vivant avec llle clans la même maifon , mangeant l la même table, & couchant dans le mêmelit? Sont-ce lalesavant-coureurs d'une accufarion capitale ? Ne font-ce pas, au contraire, les fignM d mie affeétion qui n'a jamais etc alteree; öc quand il y auroit eu quelques nuages, n'opéreroientdls pas une reconciliation complete ? . Enfin , quoique tous ces papiers „'aient aucun caraétère qui en affure la vérité,quoiqu'ilsn'aient point paffe par 1'épreuve de la verificauon, fa» Lfonsles véritables, fuppofons qu ils ïont tousémanés de la main a laquelle on les attribue, \U ne ptouveroient rien , tant paree qu'ils font en contra, didion avecd'autresécnts q« pas conteftés, que paree que la juftice Fiepeut pas ptêter 1'oreüle a leut tq.  ttprïs f abfence du marl. La loi, il eft vrai, veut que, quand il eft conftancque le mari a, par quelque maladie, perdu la faculté d'engendrer , fi fa femme vient a accoucher , I'enfant doit être réputé batard. Mihi videtur , cjuod & Sc&vola probat , c'eft Vlplen qui parle, f conftat ma~ rltum aliquamdih cum uxore non conculuiffe , infirmitate intervenlente , vel alia caufd • vel fi ed valetudine pater" familias fu'tt, ut ijenerare non poffu , hunc qui in domo natus eft, licht vïcinis fcientibus , filium non effe. L. 6, ff. de hls quifui, vel allen. jur. funt. Mais il'faut, pour priver I'enfant de la légitimité , que I impuiffance du mari foic bien prouvée. Si conftat. Or, dans 1'efpècé préfente, il s'en faut bien que 1'impuifTance du mari foit prouvée \ le contraire eft même inconteftablement établi. S'il eüt été affligé de cette infirmité, commenc auroit-il répondu, quand on lui appric la grofTeffe de fa femme? Quiconque eft fenfible a Phonneur & a 1'outrage qu'il regoit d'une femme chérie, fent bien ce qu'il auroit répondu. Mais ne cherchons pas quelle auroic dü être fa réponfe \ voyons quelle eft «elle qu'il a faite effe&ivement. II n'a G iij  150 Enfant né point douté que la grofleue ne füe véritable •, il a regardé I'enfant qui en devoit nakre comme un fruit légitime de 1'amour conjugal. II a regardé cet événement comme un dédommagement que le ciel lui envoyoit, de la perre de I'enfant qui venoit de mourir. Sur l'efpérance qu'on lui donne que 1'accouchement fe fera vers le 15 février , il calcule , & trpuve que ce terme cadroit avec le tems de fon èépart, & avec les connoiifances particulières qu'il pouvoit avoir de ce qui s'étoit paffe entte fa femme & lui. Cela eft fi vrai, qu'il n'a concu les fcrupules qu'il exprime dans fa lettre du dernier février KS48 , que ïur le fondement que le tems de fon abfence étoit fuffifant pour produire fon enfant au monde ; ce font les propres expreffions de fa lettre. Commenr concilier cette reconnoiffance avec la déclaration qu'on lui attribue , de n'avoir point eu de commerce avec fa femme , depuis Ie r mars 1647 ? Quand on lui parle d'un accouchement qui doit fe faire au^ 15 février, il adopte I'enfant; & néanmoins, fi on en croitfa prétendiie déclaration, la grofleiTe auroit duré onze  aprïs fabfiiifi du marl, i 5* i] mois Sc demi. Cependant, il convienty dans fa lettre , que l'époque de föni départ pouvok être celui de la concepgion, Sc il ne veut pas reeonnoitre pour' légitime uil part qui n'a que dix mois Sc quelques jours. Pourquoi s'eft - il mcmtré fi patiënt d'un coté, Sc (i difficiie de l-'aucre ? C'eft qu'il parloit „ d'abord, d'après fes propres fentiments; & qu'il n'a parlé , enfuite que? d'après ceux qui lui avoient été fug-* gérés par d'avides collatérauxy • Aufiïla- loi a-t-elle pris des précatik t-ions contre les faufles opinions qu&' des maris peuvent concevoir au fujet de la légitimité de leuts enfants. Noit ferenduin Julianus alt; dit la loi citéeplus haut , eumqulcum uxore fud moratus , nolle fiüum agnofcere quafi norifuum. La crainte des effets d'une paftiors aveugle, & d'une fuggeftion intérellée ^ a été portée li loin , que la loi n'a-pas plus donné de confiance , a eer> égard, a la mère , qu'elle n'en ai donné au père. On connoït la mère; d'un enfant, Sc on eft certain de maternité : le père , au contraire , ne-fe connoït que par Pöpinïen. Matef feitpat&r exïjllmau- Cependant" oïê  $ 51 Enfant ni n'admet , de la part de la mère , m déclaration, niconfeffion, ni ferment, qui puilfe porter atteinte a la légitimité de I'enfant qu'elle a mis au monde. Voici la difpofition de la loi a ce fujet. Une femme a été tépudiée étant groffe. Elle eft accouchée d'un fils •> &c, pendant 1'abfence de fon mari , elle l'a fait infcrire, fur les regiftres publics , comme batatd. On a demandé fi cet enfant étoit fous lapuilfance paternelle., puiflance qui n'appartient qu'au père légitime fur fes propres enfants; & ü , la mère étant venue a mourir , fon fils a eu befoin de Paurorifation du mart pour recueillir la fucceflion de fa mère. Le jurifconfulte répond que cette déclaration d'une mère infpirée par 1'affront de la répudiation qu'elle vient d'éprouver, ne peut porter aucun préjudice a fon enfant, ne peut lui arraoher la qualité de légitime , ni faire naitre le moindre foupcon fur fa naiffance. 11 fuffit, pour mettre cette légitimité a 1'abri de toute attaque, que Fe mariage & 1'accouchement de la mère fotent conftants (i). Tous les (i) Muiier gravida repudiata, fii'mm enixa cbfente marito , ut fpwium in aiïis profeffa efi, Quafmmep anis in potejiate patris fit, m*W  après V abfence du mari. i j 3 ferments que poürra faire le père , pour autorifer fon défaveu , routes les déclarations qu'il pourra arracher a la mère, pour qu'elle fe déclare caupable du crime qu'il lui impute, rien ne portera préjudice k 1'étac de 1'enfant (1). Que devient, d'après ces loix, fondces fur la juftice & fur Ia raifon , la prétendue réclamation du père? Que devient cet écrit ïnforme, qui contient une déclaration que I'enfant né pendant 1'abfence du mari > & celui dont elle 'mteftati mortod, juffü. ejus kcereditatem adirefojfit, nee obfit profeffio a rnatre iratd faila t Refpondit verhaü locum fuperfore. L. 29 £ de probat. M Si vicinis, vel alüs fcientibus, uxorem liberorum procreandorum. causd domi habuifti 3 &• ex matrimonio filia fufcepta eft ; quamvis neque nuptiales tabulce , neque ad natam filiam pertinentes, faSx funt, non ideired minus ventas matrimonii, aut fufcepta: filia fuam habet poteftatem. L. 9 , cod. de nuptiis. (1) Jusjurandum partui neque prodeft , neque nocet. Matris igitur jusjurandum partui non pjoficiat ; nee nacebit, fi maf er delulerh , & junetur ex eo pmgnans wn effe. L, 3 , §. 3 3 in fin. ff. de jurejurando. Alteri nee prodeft', nee nocet jusjurandum inter alios faélum. N'c partui igitur nocebit. L. 1 , U praatmio , ff. fi mul. ventris nomja» G *  f 5 4 Enfant né étoit pours lors enceinte , étoient le fruit d'un adultère ? Outre que la loi préferve , comme on vient de le voir, 1'étar des enfants. des atteintes qu'on cherche a lui porter avec cet écrit, il eft marqué au coin de la violence, ou de la furprife. - II faut obferver, d'un cóté, que la femme ne fcait ni lire , ni écrire, 8c qu'elle peut, tout au plus , former imparfaitement quelques lettres qui repréfentent une fignature a peine ébiuchée. De 1'autre cöté , il faut fe rappeller que le mari étoit muet. On ne peut donc pas préfumer que ce foit lui qui ait exigc ia fignature de fa. femme , puifqa'ü ne pouvok pas exprimer fa volonte. Mais fuppofons qu'il ait pu, par des fignes , faire entendre a fa femme qu'il fouhaitoit qu'elle fignat 1'écrit qu'on lui préfentoit, & qu'elle eüt eu cette défétence pour fes volontés, ne pouvoit-on pas la tromper fur ce qui étoit contenu dans l'aéle, 6c lui faire croire qu'elle fignoit un écrit qui lui étoit ayantageux, & qui lui afliuoit, de plus en plus, fa dot &c fes gains jiuptiaux? Auffi la femme foutenokeile que c'étoit ainfi que l'on avoiifurpris fa fignature»  après V abfence da marl. fe ^ N'en avons-nous pas vu un exemple fameux, difoic M. Gaulüer, qui plaidoit pour la veuve , en la caufe dela Doraty de Lyon ? Elle étoit liée,, par un mariage fecret, a un homme qui, par 1'empire de 1'amour qu'elle: avoit pour lui, la tenoit foumife a; routes fes volontés. Toutes les fois> qu'elle mettoit un enfant au monde,, ©n exigeoit d'elle une déclaration par écrit, que ces enfants étoient le fruit: de la proftitution. Mais ces confeflions; d'un crime dont elle n'étoit point cou— pable, ne firent aucune impreffion fur-" 1'efprit des juges, qui prononcèrent en» faveur de la légitimité de I'enfant. Cette femme étoit cependant moins: favorable , que celle dont il s'agit icL La première fir elle-même ces décla-Kitions y elles étoient écrites de fa. main; celle-ci a figné ce que d'autress avoient écrit, qu'elle ne pouvoir pas; lire , & après avoir été trompée pas: ceux qui trompoient fon. mari. lui— méme.. Mais on n'avoit pas borné la hs' furprifes faites au mari pour le désho-norer , déshonorer fa femme , & ravir a fes enfants les droits & les honneurs! de, la légitimité;; ©n lal % fait faire um 0 v|  j , 6 Enfant ni téftament. Sernblable , difoient lescoïlatéraux, a ce muet dont la douleur Sc la crainte délièrent la langue pour crier au fecours de fon père, au moment oü un aftaffln 1'alloit poignarder , cet époux iufortuné, accablé de douleur , agonifant, privé de 1'uiage de la parole, eft ranimé par les outragesgéminés qu'il a recus de fa femme , reprend fes forces , & diéte , par fignes , un teftamenr dans lequel il explique la honte dont fa femme la couvert , déclare fes enfants batardsadultérins, & appelle fes eollateraux i fa fucceflion. Mais, dans toute la France , on ne connoït, en général , qne deux manières de refter: ou le teftateur eenr fon téftament lui même, ou il ledi&e a un officier public; &alors ils'appelle nuncuvatif, paree que c'eft le teftateur qui a prononcé, de fa propre bouche , les difpofitions qu'il contient. _ Ici le malade ne pouvoit fe fervir ni de fa main, ni de fa langue ; la paralyfie lui avoit totalement enleve Ia facuité de faire ufage ni de 1'une , m del'autre. Mais cerobftacte appole par la nature, n'arrête point 1'avide mechauceté des coüatiraux. Ils trouve»;  Bprès rabfence du man. r $7 tin notaire affez irebéciile, ou affez facile a corrompre, pour dreffer un téftament de cinq pages de minute , qus eontient quarante articles de legs différents , & une inftitution d'héritiers. avec des conditions , des divifions % des défenfes d'aliéner , difpenfe de faire inventaire ; Sc je ne fcais combien d'auttes claufes qu'il eft impoftible d'exprimer par fignes , & fur lefquelles un homme qui auroit 1'ufage libre de la parole , mais qui irauroic pas 1'habitude de parler d'affaires s, auroit bien de ia peine a fe faire entendre. Les collatétaux étoient méme dautant plus mal adroits dans la manière dont ils foutenoient Ia validité de ce téftament, que , pour établïr Pimpuiffance de Pelorce, Sc prouver qu'il n'avoit pu être le père de I'enfant pofihume, ils 1'avoient pelnt comme un; tronc immobile, dont la tête appefantie ne fe tournoit ni d'un coté, ni d'ua p.utre: quand elle ven Sc qu'il le fok a an terme plus précocey & qui doit faire naturellement penfer qu'il eft plus.foible. Auffi Galiien taxe-t-il d'erreur Topinion de ceux qui refufent de reconnoitre comme viable I'enfant qui voit le jour dans Ie huitième mois. Ii multum errant qui menfem oclavum pro> kgitimo , & naturali pariendi termin& non agnofcunt. Mais adoptons le fyftême erroné descollatéraux. Qui leur avoit dit que la: naiffance de I'enfant étoit arrivée fept mois & quinze jours depuis fa concepsion ? Le mari eft revenu chez lui ie-'  '1^4 Enfant ne 17 juin 1748, il eft mort le 6 novembre fuivant. Mais fi 1'époque de la conception de I'enfant eft au 11 ou 1 2 juillet 1748, cequi eft trés-poffible, la groffeffe n'aura duré , alors , que fept mois jufte ; Sc 1'objettion , toute ridicule qu'elle eft , n'aura plus lieu. Comptant peu fur leurs moyens , les collatéraux ont voulu appeller k leur fecours le témoignage des médecins Sc des fages-femmesi lis ont fait vifirer I'enfant pofthume, fe flattant qu'il feroit défcfaré né a neuf mois; Sc que , par conféquent , jl feroit conftaté que la femme étoit-enceinte de deux mois , au retour de fon mari, après une abfence de plus d'une année. Mais le procés-verbal a déclaré que I'enfant étoit né k fept mois , Sc qud ce terme étoit auffi accompli, que celui de neuf. Ces reffources leur ayant manqué, ils fe retournèrent , Sc tentèrent d'acheter , par argent, une déclaration de la femme contre fon honneur. Mais elle a réfifté k cet appas , & a conftamment rejetté les offres les plus éblouiffantes. En vain lui a-t-on repréfenté qu'elle auroit la propriété de la fomtne confidérable qu'on lui offroit j au lieu  epris 1'abfence dn marl, i6f qu'en foutenant, & faifant prononcer la légitimité de fes enfants, ils empor» teroient toute la fucceuïon , a. laquelle elle n'auroit aucune part. L'intérêt de la vérité, la juftice êC la tendrelfe maternelle 1'ont emporté ; elle a réfifté a routes les offres donr. en a pu la tenter; elle a eiïuyé avec la conftance qu'infpire une bonne confcience , routes les avances qu'on lui a fait éptouver depuis le moment oü elle eft devenue veuve , jufqu'a fon accouchement. Au furplus, fur quel fondement pour» foit-on attaquer régulièrement la légitimité de ces enfants? Ce ne poürroit être que fur une accufation d'adultère intentie contre la mère ; & jamais il n'a été rendu plainte contr'elle de ce crime; le mari, loin de pouvoir tranfmettre cette aétion , avoit perdu luirnême, le droit de Pexetcer. Lorfqu'iJ eft rentré dans fa maifon , après avoir été en pafcpgne chercher du fecours contre fa maladie, non-feulement ila confervé fa femme dans fa maifon , mais il l'a admife dans fon lit & $ fa table , mais il l'a accueillie comme fan mari tendre , qui retrouve une fpo.ufe chérie ? après une longue ab-  jiJiJ Enfant né fence. Or cette conduite lui enlevoit, fans retour , la faculté d'attaquer fa femme comme adultère. Quand il Ten auroitfoupconnée, le pardon étoit accordé , & ce pardon a effacé tout ce qui avoit préeédé. L'enfant né pendant 1'abfeuce du mari étoit donc irrévocablement légitimépar cette conduite. Le pofthume 1 eroit pareillemenr par celle que le mari avoit tenue depuis fa conception , & par le filence qu'il avoit gardé lorfqu'ils'étoitappercu que fa femme étoit encore enceinte. La loi tk la jurifprudence vont encore plus •loin : car fi le mari, après avoir expulfé fa femme, après l'a voir accufée régulièrement, lui accorde 1'entrée dans fa maifon , il éteint 1'accufation , & ne peut plus la pourfuivre. Paulns refi pondit eum qui , poft crimen adulterii intentatum , eandern uxorem reduxit , defthïjfe videri : & ideb , ex eadem lege, pofted accufandi ei jus non fuperejfe. L. 4 , §• i , $■ ad leS- iul-d? adult- Si le mari s'étoit öté a lui-même la faculté de pourfuivre fa femme, comment pouvoit il la tranfmettre a un autre ? Cette procuration qu'il a donnée , pour 1'accufer & la pourfuivre pour crime d'adultère , eft donc une  Après Vabfence du mart. tjg dans la carrière amoureufe , Ie ren*dirent bientöt redoutable aux mères & aux maris; & fa réputation s etablif fi bien, que les plus honnctes gens de la ville de Braine crurent devoir en avertirlefrère de la Salie, alors prieur.Ce religieux 3 dont la piété , la fa-gefle & la douceur faifoient la félické' de ceux qui lui étoient fubordonnés fe conte-nta d'avertir le frère Bruneau des bruits qui couroient fur fon compK-des plaintes qui éclatoient de tous H vj  iiSc*. Jugements les cötés, Sc de 1'exhorrer a changeer de conduite. Le fruit de cette exhortation fut de déterminer le religieuxa. borner fes.occupations amoureufes entre trois fceurs dpmiciliées a Braine. Quoique ce cornmerce füt moins éclatant, que les exploits qui 1'avoient précédé, il ne lailfa pas de produjee un. efiet bien fcandaleux. Une de ces trois fceurs porta bientöt des marqués de fon attachement pour le frère B uneau. Une groflelfe indifercte annonca, par fon progrès vifible , la honte dela maïtrefle , Sc le dércglement de fon amant. On a dit qu'alors le frère Bruneau prit. des mefures pour faire difraxoitre lefcandaleux témoignage de fon inconti-nence ; qu-e ces mefures furent inutiles j. qu'il eut , malgré lui , les honneurs de la paternité , Sc que , pour que la chofe ne füt point équivoque , I'enfant fut porté ,. a fon adrelfe , dans 1'abbaye. Le fcandale étoit certainement a fon comble j Sc , malgré Pextrême indulgence du prieur, le P. Bruneau ne pouvoit manquer de recevoir la jufte récompenfe de fes exploits, s'il n'eüt e.U;vauprès du général de 1'ordre , un arai; tout puilfant, qui fcjut lui fauvejrc  cSau.fir.duxi i 8'r fercliatiment qu'il avoit fi bien merité». I e frère Lucas étoit alors abbé géneral de 1 orare de Prémónrré \ le frère Vinay , qui lui foccéda, étoit fon fearétaire. Le frère Lucas étoit vieux , &c avoit une confiance fans bornes en fon fecrétaire. Le frère Vinay fe fervit utilement, pour fon ami Bruneau , de. cette confiance du général. II fgut nonfeulement empêcher que les plainres qui fe faifoient entendre, de toutes, parts , contre le frère Bruneau , ne. parvinfïènt jufqu'au général, mais if réuflir a perfoader a ce vieillard que: ce religieux étoit un homme intelligent & capable de régir le tempore!. d'une maifon. En conféquence , il lui fit donner la place de procureur de Pabbaye de Saint - André en Auver-gne. Le danger auquel il avoit écHappé',, ne lui fit point oublier fes anciennes babitudes. Soncceur étoit refté a Braine,, &ilfit tous fes efForts pour s'en rapprocher. Maisil fallut pafTer quatre ans a S. André, au bout defquels tout ceque. put obtenir le crédit du frère Vinay % fon ami , fut de le faire procureur de. I'abbaye duMont Saint-Martin,, a. dixv fept lieues. de Braine*.  ïSi fugemtnts II profitade ce rapprochement, pouir aller fréquemment faire fa cour a fon ancien prieur. II ne demandoitpas luiHiêrne a rentrer dans la maifon; mais^ il employoir les follicitations de tous ceux qui avoient quelque crédit fur 1'efptit du frère de la Salie, Après une réliftance de quatre années, fur les affurances réitérées d'un changement total dans les mceurs du frère Bruneau, cédant, d'aiileurs, a la fauffe confidération de la modeftie d'un religieux qui préféroit de vivre fimple particulier dans la maifon oü fes vceux Pattachoienc , a. la place de procureur dans une autre, il crut qu'un tel fujet ne pouvoit qu'être fort attaché a fes devoirs & a fes engagements , &c coufentit a fon retour. Pendant un an , ni le prieur} ni les religieux , n'eurent fujet de fe repentir de voir le frère Bruneau parmi eux , doux , affable, poli, cherchant a obliger tout le monde , attentif a fes devoirs, il parut un homme totalement changé , & eut d'autant moins de: peine a fe faire aimer de fes confrères, qu'ils étoient tout nouvellement réfi'dants dans la maifon , & n'étoient' inftuiits de. fa conduite paffee que par  cTauftraux. i- S j-; les récirs qui leur en avoient été faits ; & 1'impreffion en étoit effacée par la fatufaclion de fa conduite actuelle. Ce fut dans ces circonftances que le frère de la Salie , prieur , mourur. Le frère Bruneau fe trouva Tanden de ceux qui compofoient la maifon. Tous les religieux , féduits par les mceurs , paria conduite réguliere, & les maniéres honnêtes & affables qu'il avoit affeótées depuis fon retour, fe réunirent pour le mettre a leur tête, & lui déférer la dignité de prieur. Arrivé au point oü il en vouloit venir, il dépofa le mafque , & fe montra tel qu'il. étoit , & tel qu'il avoit toujours été: tel, en un mot, difoit M. Gervaife, qu'il eft devenu 1'ennemi, le fléau , le tyran de fes confrères; tel qu'il a rendu , pour eux, la maifon de Braine un féjour de honte par fa conduite dans 1'extérieur , de douleur & de défefpoir par fon gouvernement dans 1'intérieur. Ce feroit une chofe bien- injufte , ajoutoitdl, qued'exiger des religieux, qu'ils donnaftènt des preuves,autres que leur déclaration unanime, de ce qu'ils reprochent a leur prieur. Comment piQuvexla. dureté defon gouvernement:  j#4' Jugememr dans 1'intctieur de la maifon , autre-'ment que par les plaintes mêmes de1 eeux qui font dans le cas d'éprouverr cette dureté? D'ailleurs, elle fe manifefte par une infinité de traits qui peuvent ne paroïtre que peu de chofe a des yeux indifferents , & qui , renouvellés fans cefle , font le fupplice des infortunés deftinés a en être perpéruellement les objets. Le prieur a , pour eux , un mépris infultant ; toute fa bienveillance , 1'honneur de fes bonnes graces, toute fa confiance eft pour le portier de la maifon, ou le vieux frère organifte, qui fait, auprès de lui, les fon&ions d'efpion ■> & qui, flatteur bas &c rampant, n'ouvre la bouche que pour accufer quelque religieux, ou pour crier a la merveille quand le prieur dit un mot. Lorfque M. le prieur eft a la maifon , & il y eft le plus rarement qu'il peut, fi un religieux eft obligéde lui parler, il a la moirification de trouver ou le portier, ou le vieux frère organifte aflis familièrement a coté du prieur , qui, couché mollement fur un vafte fauteuil, daigne a peine tourner la tête , pour répondre fèchement au religieux , qu'il laifle derrière.lui, deboutSc-nue-tête,,  ctauftraux'. i S 5 tandis que le portier & 1'organ.ifte, a Pexemple de leur maitre, ne daignenu ni faluer , ni fe lever. Ces traits font fans doute , fort indifférents pour ceux qui ne les éprouvent pas. Mais quel eft 1'homme alfez peu fenfibie, pour n'être pas touché, & même indigné d'un orgueil auffi révoltant dans un homme qui , au fond , eft 1'égal, qui eft le frère de ceux qu'il infulte. 11 eft leur fupérieur, fans doute, & il a droit, en cette qualité, a des déférences refpeétueufes de leur part; mais il n'a aucun droit fur eux, que quand ils font en faute; & lors même qu'il eft dans la néceffité de corriger ou de chatier, il le doit faire uniquement comme miniftre de la règle , dont le maintien lui eft confié, & ne pas aggraver la rigueur qu'elle a prefcrite par des li-auteurs & des, infultes qu'elle réprouve. Cette conduite feroit repréhenlible , & feroit réprimée dans un fupérieur temporel; a plus forte raifon doit-elle 1'être dans un religieux , dont par 1'état qu'il a embraffè, & les vceux qu'il a faits , fbumihté la-douceur, & la modeftie font l'apanage. Si 1'ö'n di.nv.nde a ce fupérieur hau^ uin, la permiiiiou de fqrtir, le plus-  i 85 Jugemènts fouvent elle eft refuféeavec une dureté outrageanre \ & jamais n'eft accordée , fans avoir; été précédée d'une morale fèche oi infultante , & toujours comme une grace que l'on n'accorde que par un excès de bonté, Souvent le religieux qui l'a obtenue , plus humilié des reproe hes dont elle eft accompagnée , qu'il ne 1'auroit été du rehis , dédaigne d'en profiter. Mais malheur a ceux qui, en ayant fait ufage , rentrent un quart d'heure au-deladu tems qui leur avoit été prefcrit ; ils font attendus par un orage de reproches , de menaces &c d'injures qu'il faut ef* fuyer. L'infultante hauteur que chacurt éprouve en particulier , rous 1'éprouvent en général dans les moments oü la nécefliré des exercices communs force le prieur a fe trouver avec eux. Tin defpote environné d'efclaves leur fait fentir , avec moins de hauteur, 1'immenfe difproportion qui fe trouve entr'eux& lui. Des regards dédaigneux & févères fe faxent alternativement fur chacun des aififtants • des apoftrophes dures & groflières les déconcertent ; des réponfes fèches & impolies les terraflent. Voila 1'image du caracfire  clauflrauxs 187 injufte, dur & alcier du prieur, & de 1'état des religieux dont les fuffrages1'ont mis a leur tète. Ce n'eft pas dans les ftatuts de fon ordre, que ce prieur a pris la règle de fa conduite. Ils veulent qu'un prieur veille avec foin, a la conduite des ames qui lui font confiées , qu'il gouverne avec prudenee & difcrétion , qu'il foit doux & poli dans fes propos, réglé & modefte dans fes rnceurs. AnU marum curam ftrenue gerat, ad regimen prudens fit & difcreius , Juavis in converfatione , in moribus grayis & madeftus. Eft-ce la le modèle que le prieur de Braine s'eftpropofé, lui qui u-lcèce le cceur de fes religieux a tous les inftants du jour ; lui qui ne cefie de les traiter avec mépris , avec hauteur; lui qui ne leurparle que pour les menacer, pour les injurier, & leur faire cprouver fes emportements lui enfin qui leur rendfon joug infupportable , & les devoirs de leur état odieux ? II n'a donné que trop de preuves. extérieures de fon caraclrère dur & vindicatif. Onl'a vu travailler avec fureur a la punition d'un religieux qui avoir eu le malheur de s'écarter de fon devoir, I'erfrayer par le fpectacle des fers.  ïS>8 'Jugements des cadenats, des verrouils, des prifons , le forcer a fe fauver a la vue de ces afïreux préparatifs, le pourfuivre , avec un acharnement dans difTérentes maifons étrangères oü cet infortuné cherchoit un refuge contre le terrible chatiment dont il étoit menacé. On a vu ce cruel defpote fuivre pat-tont 1'objet de fa fureurr, le faire aller, comme prifonnier, de chez les Picpuces de Vailly , chez les Cordeliers de la Garde , Sc Py retenir, fans lui laiffer d'autre efpérance de retour dans fa maifon de profeflion , que la mort de fon petfécuteur. N'a-t-il pas pourfuivi, avec la même fureur , un autre religieux de Braine , nommé Ckarron, fur lequel il déploya toute Pétendue de fon génie fécond dans Part de faire des malheuseux ? II y a fix cents ans quela maifon de Braine exifte; on n'y avoit jamais connu la néceflité d'avoir une prifon. Mais le frère Bruneau, qui croit que les chatiments font un moyen plus facile pour mainrenir la difcipline , que 1'exemple , 1'infmuation , Phonneur &C Ja piété , a fait conftruire une prifon. 31 la fit conftruire pour le frère Charron, & , pour la faire mieux répondre a fes  claujlraux. 189 ShCèations , il n'oublia rien de tout ce qui en pouvoir faire un lieu d'horreur : huinidité , mauvais air , murs cpais , barreaux, verrouils , cadenats , porte de ferr, tout, fous fa direction , contribua a faire, de ce lieu , le féjour de 1'horreur & du défefpoir. L'infortuné qui, le premier , y fur enfermé , quoiqu'il n'y eüt été qu'un an , détefta un ordre dans lequel on étoit expofé a des traitementsfihumiliants fi cruelsj. il crut que le facrifice qu'il avoit fait de fa liberté n'autorifoit pas ceux qui avoient droir de legouverner a le garrotter ? a le plonger dans les ténèbres, a le priver des principes de la vie , en le précipitant dans une caverne putréfiante. II avoir cru , en s'engageant , trouver des pères dans fes fupérierrts. Ceux avec qui j'ai contracté, dit-il , manquent a leurs engagements ; ils manquent même aux loix de 1'humariïté : je ne fuis donc plus lié: il apoftafia. Digne fruit d'une févérité fans bornes , comme fans jugement. Concevra-t-on que cet homme, qui punit, avec tant de rigueur, les fauies les plus légères, & les moindres écarrs contre les devoirs de la conti«nence , eft ce même homme qui a  t<-}0 Jugements fcandalifé touce la ville de Braine, donc la vie déréglée eft demeurée impunie , & qui a brave le cri public ? Que c'eft ce même homme qui, autrefois, vivoit dans le crime avec les trois fceurs , dont Pune envoya, au couvent, a fon adrefle, le produit de fon incontinence. II eft vrai que 1'extrême indulgence que le frère Bruneau éprouva de Ia part de fes fupérieurs, n'eft pas un titre qui autorife a exiger , de lui , Ia même grace; le crime doit toujours êcte puni. Mais eft-ce la qualité du coupable qui imprime a Paction la qualité de crime? Ce qui eft crime pour un fimple religieux , ne Peft-il donc pas pour un fupérieur qui doit 1'exemple ? II faut que l'on aille jufqu'a foutenir la négative de cette ctrange queftion, fi Pon veutépargner au frère Bruneau la honte du reproche qu'il eft aufti indulgent pour lui, qu'il eft inexorable pour les autres. II eft notoire dans toute la ville de Braine que la maifon & la compagnie d'une jeune femme de cette ville occupent tout le tems qu'il n'eft pas indifpenfablement obligé de facrifier aux occupations de fa place. II eft en-  clauftraux. IgI core notoire qu'il eft d etiquette, dans cette maifon , qu'auffi-tót que M. Ie prieur y entre , le mari a la difcrétion de fe retirer , & de fortir, ou de paffer dans une autre falie, pour y répondre a ceux qui peuvent avoir affaire a lui. On en plaifante, on en rit; ou met, dans la ville , des affiches qui ne laiffent ignorer ni le nom que Pont donne au mari, ni ceux par lefquels la malignité défigne & la femme Sc le prieur; & ces pafquinades fe répètent iouvent. Quoique la fociété religieufe exj°e des attentions mutuelles , des égards réciproques entre le fupérieur & 1'inféneur; quoique la régularité de la difciphne raonaftiqueprefcrive, a Pun Sc a 1 autre, une égale décence , une égale retentie dans les mceurs; enfin, quoique Pon puitfè , d'après les régies de a vie civile, &, en particulier, d'après les ftatuts de Pordre de Prémontré , loutenir qu'un fupérieur doit 1'exemPje de routes les vertus , Sc qu'il a d'autant plus de devoirs a remplir qu'il eft plusélevé; on fcait trop combien le relachement a gagné fur les principes, pour exiger que la conduite du prieur de Braine, tant dans Pinté-  -ï9j, Jugements rieur , que dans 1'extérieur de la maifon , foit jugée fur ces régies antiques faites dans les tems oü la ferveur de la dévotion , & une piété fans melange fermoient 1'entrée du cloïtre a tout ce qui tenoit a la mondanité. Cette ngidité eft tombée en défuétude, & un religieux de ce fiècle diftère plus d un religieux du premier fiècle du mon*chifme, que 1'homme le plus mondain ne diffère aujourd'hui d'un des reheieux aéfuels. Ainfi on n'exige , de lui, dans 1'intérieur de la maifon , quece que la bienféance ne permet pas a un fupérieur de refufer a fes reliaieux, qui font fes frères. On n exige de lui 3 dans 1'extérieur , que ce que la décence exige d'un homme qui doit non-feulement fe refpeder, mais auih concilier du refpeét a fon ordre & a ceux qui font fous fa conduite. C'eft ainfi que les religieux de Braine s'expliquèrent fur le compte de leur prieur , dans la requete qu Us préfentèrent a leur général, le 2z mal 1?«La douceur, difoient-ils, lui eft „ inconnue, & il pouffe a 1'excès la le» vérité , prefque toujours fondeeiut v des rapports fouvent faux, ou bien  claitfjtraax. 193 jj fur uue humeur noire & boudeufe , » dont le fujet nous eft inconnu. Sa. » févéritébrille , fur-tout, dans lesinf» rants oü il peut nous prouver un rev tard d'un quart d'heure fur une ré» crcation , ou quelques jours de nos » vacances. Alors, livré aux foupcons, » fa groflièreté lui fuggère les termes » les plus injurieux Nous ne pré- » tendons pas exiger , d'un fupérieur, » un excès de politeffe ; nous fcavons » tout ce que nous lui devons. Choift » pour nous gouvemer , il n'eft pas* » obligé de s'égaler a nous , & peut , » par conféquent, a la rigueur , fe difn penfer defe familiarifer.Maiscepen» dant, il faut convenir qu'il y a des )j circonftances oü il poürroit mettre »un peu de politeffe en ufage \ il » poürroit, quand on va lui parler , » quitter les converfations particulières j> ayec un fimple frère, pour recevoir « fes confrères avec quelques marqués 55 de politeftè ,autant cependant qu'elle npeut être ufitée par un prieur. Nous u ne hafardons point de mettre ici le h terme d'amitié, &c. ». Par rapport a 1'extérieur de la maifon , les religieux expofent qu'ils ont la fatisfaórion d'eacettdre le public Tome XVU l  Jugements 2 de leur conduite; mais qu is ont, * \ rems la mortification Tarent qu'ils ne veulent point falu * nous tanons , v..ntis a » routes ces anciennetes, & venons ce qui fe paffe fous nos yeux». Ces relijieux , enfuite , mettent en (£ leur prieur eft abfolument de- de A,„nr fait connoiflance  datijïidux. » chement a une jojie femme eft fca»» dalei*. i° Ha, chez elle, des affi" duues Prefque tous les jours. Tl »7 va diner fcfouper, &ne rentre,' »au p utoc.qu'i dix heures du foir »4 ;Il refta avec elle, les deux fo- »«««(.0dernières,tête.a.rête,dan5 » un peut carnet, randis que lemari «alacomplarW de tenir compa" fle a d5s ^«ngers dans une cham»bre voifine $KU a fait plufieurS » fPeclalement un a i'abbaye de Char»creu UlpafraIe.oiir »dres & Us trois jours précédents. "Lordre de la marche, quand il leuf -arnve de faire de ces fortes de paï» g». eft de faire fortir ladamePde >> ville, avant le départ du prieur, de » la faire palfer dun cóté,&de Palier »Joindre d'un autre; mais ils revien»»enr toujours enfemble, paree qu',Is «ne reviennent que de nuit,^ J „TKt " emP^he cependant pas »que la chofe ne fe fcache , &„e v ferve de matière ï la fatyre. $?f JJ (i) Les fociétés font. cher l« t> c Ui  196 Jugements » lui fournit un cheval de Ia maifon1 » dont aucun de nous n'a le droit de „ fe fervir; ce qui fait que nous fom„ mes obligés d'en louer pour nos plus ,» petits voyages. 70. II lui donne des „ collations dans 1'abbatiale, oüle peu„ ple alfemblé la voit entrer , & s'en „ égaie par des ris , dont il n'eft pas „ diflicile de deviner fur qui porte Via» décence. Un jour qu'il donnoit une „ de ces collations , un de nous, ref* peótable par la place qu'il occupe , M& par fa.piété, paftant indifteremv ment auprès de la fenêtre , le prieur, „ les yeux hagards &c courroucés , la „ ferma brufquement. On l'a vu , dans » ce même endroit, affis, avec cette „ femme , fur un lit de gazon. 8°. II „ a d'autant plus de torc de fe her in„ timement avec cette femme , qu'il » l'a lui-même condamnée , comme » étant de mauvaifes mceurs. 90. Enfin » il caufe un fi grand fcandale dans la „ ville , qu'on dit qu'il fut affiche au * pilier de la halle , le jour de la/o» ciécé dernière». ' Tel eft le précis de la requete que les religieux préfentèrent a leur général, le 22 mai 1756» en le %Phant de remédier au mal qui les accabloit,  clauflraux. ip7 Sc en'declarant qu'ils ne vouloient plus aSfolument être fous le pouvoir d'un homme qui étoit dépourvu des qualités requifes dans la place qu'il occupoir.« Nous nous foumettrons una» nimement, difoient-ils ; mais i un » homme dont la conduite foit irré» prochable , qui fcaura faire confifter » fon bonheur dans celui de fes reli» gieux, & qui , ennemi des crimes » Sc des vices du frère Bumau, fcaura, » de concert avec la facon de vivre de » fa communauté , réparer les fcan» dales que caufe un homme fans con» duite ». Sept religieux avoient %né cette requête; & fi la fignature du huitième ne s'y trouva pas , ce n'eft pas, comme on la du, un défaut d'adhéfion , de ™ patt , a la réfolucion de fes confrères j tl avoit, au contraire, été un des plus ardenrs pour 1'exécution du projet; mais il étoit alors malade ; & 1 on avoit remarqué que , depuis quelque tems , le prieur lui tenoit une fidelle compagnie. Des attentions fi pen ordumres , de la part du prieur , farem juger qu'elles étoient le prix dê Ia reyelation du deflein de préfentcr la requete , Sc qu'il étoit inutile de de-  19S Jugements mander 1'exécutiori de fa parole a vn homme qui paroifloit avoir eu la haffelle de 1'oublier, dans 1'efpérance de quelques avantages particuliers. Au furplus, n'étoit-ce pas adez des plaintes de fept religieux , a la têce defquels on voyoit le fous-prieur , le procureur, le dépenfier? Et ces plaintes n'étoient - elles pas affez graves, pour opérer la dépofuion follicitée par les viclimes de 1'humeur altiète & tyrannique d'un fupérieur injufte j que la dépravation de fes mceurs feule rendoit indigne de fa place ? Y a-t-il quelqu'un qui, a la leclure des faits qu'on -vient d'expofer, foit tenté de douter de la juftice de cette dépofition ? ne doit-011 pas plutót être étonné, non de ce qu'elle a été demandée , mais de ce qu'elle a été demandée fitatd? En effer , il y avoit fi long-tems que les religieux gémilfoient fous le jong de leur prieur , qu'il fembloit avoir acquis, par voie de prefcription , le droit odieux de les tourmenter. On ceffera d'être furpris de ce long filence , quand on en cennoitra les motifs. D'abord on fentcombien il en coüte a ceux qui font gouvernés par les fêrï-J  claufttaux. j ^ timents de Phonneur, de fe charger du róle de délareurs. D'ailJeurs, quel fera, fur-tout dans Pétat religieux s Pinféneur qui ofera êrre le délateur de fon fupérieur? La préfomption eft toujours en faveur de Pun contre Pautre. Sous pretexte du maintien de Ia fubordination , Ia voix du foible eft toujours étouffée; & il eft peu d'inférieurs qui ne puiflent dire , comme dans PEccléfiafte, vidifubfole, in loco judicii , impietatcm , CV, in loco \uftitU , iniquitatem. ^ Un fupérieur méchant a long-tems a jotiir des avantages de Pimpunité : les viéhmes de fes caprices ent iongtems a gémir dans le hlence. Chacun de ceux qui fouffrent fe croit trop foi. ble pour élever utilement & impunément la voix. Mais, quand les mauvais traitements ont indifpofé tout le monde, quand il s'élève un cri général, on peut alors le regarder comme la voix de Ia vérité , paree qu'il n'eft pas k prefumer que tout le monde fe réumfle contre un feul homme, fi tout le monde n'eft pas mécontent. Mais , de ce degré de mécöntentement & de murmure, Hy a encore loin a la demande en dépofition. Cette liv  2oo Jugements demande eft une aófion declat, qui déshonore celui contre qui elle eft formée. On convient qu'il mérite ce déshonneur : mais ceux- qui font fenfibles a la honte , ont de la répugnance a Jè lui faire elfuyer. On patiënte, on temporife , on efpère quelque changement. C'eft ce que les religieux de Braine «xpofent dans leur requête : « Depuis j> plufieurs années, difent-ils , alfervis 53 a toute la dureté du defpotifme de » notre prieur , nous fouhaitons de » nous dégaget de notre fervitude. Le » fiience que nous avans gardé jufqu'a » préfent, n'ayant jamais eu d'autre » motif, que ia trifte efpérance de la 3> voir alléger, fervira a vous prouver 3> que, nous trouvant d\in fentiment »unanime, on ne doit pas regarder »> notre démarche comme ce que nous »3 appellons , en religion , moineries » ou boutades déraifonnées ». Une autre raifon plus importante encore du long & pénible lilence des religieux, c'eft la proteótion déclarée dont la dame de Braine honoroit Ic frère Buneau. Les grands font faciles a gagner , a féduire , a tromper, Trop clevés, pour daigner entrer dans de^  claujlraux. l0t details qui concernenc leurs inférieurs • trop accoutumés 1 être flattés, cour* croire qu'ils puiflent fe tromper ils ne voient que par les yeux de ceux qui les entourent, ne penfent, & ne feuten t que d'après les impreflions qu'on leur donne. Ainfi, gagner ceux qui les approchent & que le genre de leur iervice met a portée de les voir tête-dtete careifer leurs valets , faire la cour aux femmes-de-chambre ; fe rendre unie par de petits fervices, flatter ramper ; ce font des moyens sms dê penetrer ,ufqu'au cceur des grands. Ce font aufli ces moyens utilement mis en ufage par le prieur de Braine qui des les premiers tems de fon inftalla' tionala place de prieur, lui affiuant la proteélion de la dame du lieu : lui donnerentla hardiefie d'afficher indécemment & le defpotifme dans fa maiion , & la conduite la plus Jibre audehors. Chargé, par cette dame, de faire faire des plantanons, de préfider a des ré_ parations dans fon chateau , & de Pavet des ouvriers.il s'habitua a coJorer , de ce prétexre , les vifites fréqnentes & journalières qu'il rendoit 3 * quil a continué de rendre, même I v  2óz Jttgetnents pendant 1'inftrucrion du procés acluel, avec plus de hardieffe , & plus d'indécence que jamais , a la femme d'un homme attaché a la dame du lieu. On dit froidement que le prieur a des affaires avec le mari. Ala bonne-heure : mais il faut croire qu'il en a auffi dé trés - importantes avec. la femme. 11 paffe des journées encières tête-a tête , avec elle, Sc chez elle ; il y dme & y foupe, ne rentre que fort tard dans la nuit; fait feul des voyages de quatte a cinq jours avec elle; il la régale dans la maifon abbariale ; il lui fournit un cheval, aux dépens de 1'abbaye, & le nourrit pour le fervice feul de cette femme, dans 1'écurie du couvent. Le mari eft fans doute informé de 1'importance des affaires que le prieur traite avec fa femme , Sc du fecret qu'elles exigent ; fecret auquel il ne lui eft pas plus permis de participer , qu'a toute autre perfonne II leut laifle, par fon éloignement, toute la liberté de leurs conférences , &. a la fcrupuleufe difcrétion de ne jamais les interlompre. Quoi qu'il en-foit, les religieux Ji'eurent pas plu tót pris la réfolution de préfenter leur requête au général,  clauflraux. 20-j pour demander la dépofition de leur prieur , qu'ils crurent devoir informer la dame du lieu du parti qu'ils avoient pris. Ils ne cherchèrenr pas a la prévenir en leur faveur, ils lui demandèrerst feulement d'éconter la juftice ; ou plu» tót de refter dans le filence , & de garder la neutralité entre leur prieur Sc eux. Ils lui difoient, dans cette lettre; en parlant du prieur: «< perfonne , juf» qu'ici, vu les bontés que vous avez » pour lui, Madame , n'a ofé vous re» préfenter fon indignité, ni même » vous en a fait naitre le moindre » foupcon t mais , pour nous , Ma» dame , nous fommes néceffités de » prendre cette liberté ; & , dans la « crainte de ne pas obtenir de V. A. » toute la confiance que nous méritons, » nous atteftons, pour garants de tout » ce que nous avangons, toutes les per» fonnes qui le connoiftent, Sc qui » voudroient dire le vrai; car il s'eft » attiré la haine & le mépris des per» fonnes même les plus refpeétables. " Nous fupplions V. A. d'examiner » fi un tel caraétère, & des qualirésfi » contrairesan gouvernement, ne nous » rendent pas la vie la plus malbeuI vj  Z04 Jugement s » reufe; & fi une communauté qui fe » fait gioire de vivre fuivant toutes les « régies de fes devoirs , doit refter mi0 férable pour un fujet indigne d'en » être le dief. » Le reipect infini que nous avons >» pour V. A. nous a fait garder le fi» lence fi long-tems; ce même fiience, » loin de diminiier les raifons de nous » plamdre, n'a fait que les augmenter, » & rendre notre fervitude plus in« fuppottabie: elle tft poulfte aujour»j d'hui a un point que nous ne pcu» vons plus y cc lifter, & que nous » fommes obligés d'écrire a notre géué»> ral. Nous fentons tous une peine in» finïe d'en venir a cette extrêmité j 3> mais, &c. ». La réponfe de cette dame jetta les religieux dans une furprife, & dans «ne ronfternarion d'autant plus grande, qu'ils avoient moins lieu de J'attendre. la yoici: elle eft datée de Paris , le 14 mai 1756. «t J'ai reen votre lettre, Meffieurs, » datée du 10 de ce mois , qui rn'a » fait d'autant plus de furprife , que, » depuis grand nombre d'années , que » je vois votre prieur, je n'ai rien re» connu dans fes mceurs qui puifie aa-  dauftraux. 20j » lonkt les termes dont vous vous » fervez pour noircir fa réputation, » & me rendre fa facon de vivre fuf» pecte. J'ai des preuves erop certaines » de fa régularité, & de celle qu'il a » mife dans la maifon , pour que je » ne lui rende pas toute la juftice qui " lui eft due , & que je ne lui accorde » pas ma protedion dans toutes les » occafions ou je pourrai. Dans les » noms de ceux qui fe déclarent con~ » tre M. Buneau , j'ai été furprife de » voir,a leur tête, lefous prieur, que » j avois compté pour un religieux » lage, pieux & prudent, exempt de » toute cabale. Je ne puis attribuer » cela qu'a fon bon coeur , ou a la • » fédudfion. J'ai affez bonne opiniora » de fa religion, pour ne pas croire » qu il fe rétraótera, & qu'il abandon » nera un mauvais parti, qui ne peut » lui raire honneur , ni, en général » a tout fon ordre. A 1'égard des autres' » je ne peux parler deux, ne les con» noilfant pas affez, i 1'exception ce*» Pendant, du procureur, quej'avois \ » Kifqu'apréfent, pris pour un homme » doux, ékfimplement occupé de fon »emploi&du détail dela maifon, »Voila, Mefli-urs, ce que je puis  2 c fi-töt nos opérations finies , nous ne » ferons plus les makres de vous pro» curer les avantages de nos confeils , j> attendu que le général fe rendra ici, » pour prononeer le jugement Après ce difcóurs,- les deux commiffaires donnèrent ordre aux religieux de fe préfenter, 1'un après l'autre3 pour fubir interrogatoireo Pour peu que l'on foit initié dans la connoiffance des régies juridiques , régies qui ónt leur bafe dans 1'équité „ qui doivent conduire les démarches des juges qui veulent arriver a la vérue , on fent qu'il ne tenoit qu'aux religieux de faire tomber, d'un mot, Ie difcours du frère Richard, & de rendre fa commiffion inurile. « Eft - il » queftion d'autre chofe 3 auroient» ils pu lui derriander, que de la reK iij  Xl% Jugements » quêre préfentée le 21 mai dernier»? Ce prétendu commiflaire n'auroit pas pu difconvenir qu'il n'étoit pas queftion d'autre chofe. « Eh! bien , au» roit-on aiouté, qu'eff-il befoin de » nous faire fubir interrogatoire ? Qui , i> de 1'accufateur ou de 1'accufé doit w être interrogé ? La requête vous in» dique qui eft 1'accufé. Tout ce que » vous pouvez nous demander, c'eft »> les noms des témoins que nous prési tendons produire. Nous les avons » déja déclarés a notre général • nous »> avons même eu la complaifance de jj nous prêrer aux interrogaroires qu'il sj a jugé a propos de nous faire fubir; » & celui que vous exigez aujourd'hui j» eft ridicule & fruftratoire >j. Tout étoit terminé, par ce raifonnement, fi les teligieux euflent eu Ia fermeté de le propofer, & de refufer de fubir interrogatoire. Mais, foit par ignorance , foit par opinion de la probité des commiftaires , foit par foiblelfa, ils fe prêtèrenr puérilement a la manoeuvre concertée pour les perdre. Ils fe préfentèrent donc , pour fubir un troifième interrogatoire ;& 1'accufé n'en avoit pas encore fubi un feul. On vient de voir que c'eft au frère le Molne que l'on imputoit d'être le  clauflraux, zi$ moteur de ce qu'on appelloituneconfpiration contre le prieur, & que c'étoit lui qu'on regardoit comme Pauteur 6c rédacteur de la requête. Le premier foin des commiffaires fut donc de travailler a vérifier le fait. ïl y avoit un difcours préparé pour cet objef; & le frère Richard avoit eu foin de tempérer les menaces les plus effrayantes par les promeiïes les plus artificieufes. La requête , difoit - il:,. étoit un tiffa de calomnïes atroces. Celui qui en étoit Pauteur avoit commis un crime qui ne pouvoit être expié que par les peines les plus févères. Se radoucilfant enfuite , cet orateur partial difoit au patiënt qu'il venoit d'effrayer: « Nous fommes bien per» fuadés que vous n'êtes pas Pauteur >s d'un libelle auffi affreux, & qu'on » vous a furpris votre fignature. Mais » ce n'eft pas affez de ne pas en être « Pauteur; c'eft êtreaufli criminel que » Pauteur même de ne pas lerévéler >v Ainfi, par un renverfement monftrueux de routes les régies, on ne dit pas feulement de Ia procédure , mais de la raifon & de 1'équité, ce n'étoient pas les faits articulés dans la plaintequi formoientle corps de délit fur lequel on; Kiv  224 Jugements avoit a ftatuer, c'étoit la plainte ellemêmequi formoitce corps dedélit. La gtavité des faits qui y étoient expofés n'étoit pas 1'objet de 1'information que l'on croyoit devoit faire. On rammencoit, fans autre examen , par les fuppofer faux, öc l'on regardoit cette faufleté comme conftante; d'oü l'on concluoit que la requête étoit calomnieufe , qu'il falloit , fans autre examen , regarder Paecufé comme innocent , & punir le calomniateur de la peinequ'auroit méritée 1'accufé, fi l'on eut dirigé la procédure contre lui, & qu'on Teut trouvé coupable. Le defporifme le plus arbitraire & Ie plus outré n'a pas une marche différente, quand il veut faire périr 1'innocent perfécuté par le coupable. Au refte les difcours artificieux des prétendus commifTaires parvinrent a ébranler ces timides religieux. Ils avouèrent même Ie nom de 1'auteur & du rédacteur de la requête. Mais ces inrègtes commiffaires furent bien trompés dans leurefpoir, quands ils apprirent que , non-feulement le frère U Moine n'étoit pas 1'auteur de la requête, mais que le projet en avoit été formé , concerté & exécuté a fon infgu; qu'il ne 1'avoit fignée que comme contraint par  claujlraux. 22$ les reproches que lui faifoient fes confrères de ne prendre aucune part ni a leur malheureux fort, ni a 1'honneur de la maifon. En un mot il n'avoit donné fa fignature , que comme un témoignage qu'il n'avoit cru pouvoir' refufer a la vériré, au bien de la maifon , & a I'fionneur de 1'ordre. Quoiqu'il foitconftaté par le témoignage invariable des religieux que lê Frère^ le Molne n'a eu d'autre part a la requête, que de 1'avoir fignée après blf" des follicitations, quand elle eut eté rédigée, on ne cefia pas de foutenir, &I'on foutenoit encore au parlement, que ie frère le Moine en étoit auteur , & qu'il étoit 1'inftigateur de toute cette affaire. Cependant , difoit M. Gervaïfe, il auroit bien pufe faire que les réponfes des religieux etuTent été rédigées tout autrement qu'ils ne les avoienr fmes ; & les prétendus commiffaires avoient pns des précaurions pour être les mairres abfolus de cette rédacrion. Le général avoit fouhaité que foii fecrétaire fut le greffier de la commiffion. Mais ies commiffaires jugèrent qu'il avoit trop de lumières & trop de probité pour remplir leur objet. lis fe K v  n6 Jugements firent donnar, pourfcribe, un hommequi fcavoit écrire, mais qui ne fcavoit qu'écrire , un Flamand docile , qui ne mettoit par écrit que ce que 1'un des deux commiffaires lui dicroit.. Pour empêcher le répondant d'entendre ce qu'on diótoit au. fcribe , 1'autre commiffaire occupoit toute 1'attention du répondant par fes menaces Sc par fes cris. Quand'la dépofition étoit rédigée,, on la préfentoit a, figner ; mais on ne lifoit au répondant que ce qu'on jugeoita propos; &on luifaifoit approuver, par fa fignature, le contraire de ce qu'il avoit dit. Pour s'emparer , par Ia voie de la terreur, de 1'ame de ces victimes dévouées i fe voir facrifier a 1'intérêt de Pennend, on ne manquoit pas de fe conformer a la formule prefcrite par la règle. On leur demandoit leur age.. L'un répondoit qu'il avoit trente ans ,. 1'autre trente-cinq ans. Les commiffaires, a ces réponfes j .fe récrioienr,, comme de concert, a'/ëc un air d'attendriffement, levantau ciel des yeux. qui paroiffoient pénétrés de compaffion : « Comment vous n'avez que cet » age -li ! Que vous êtes a plaindre *fe di'avoix peut-être a paffer quarante,.  dauftraux. zty » ou cinquante ans dans une prifon ! » Car vous ne devez pas douter que ce >» ne foit li la punition de vos calom» nies contre votre prieur».Et, tout de fuite, affeótant de ne pas s'appercevoir de Pimpreffion terrible qu'une telle déclaration failoit fur 1'infortuné a quielle s'adreffoit, ils reprenoient avec: le même air d'arcendriffement : « une «prifon de cinquante ans! Quel état: » affreux! Quelle vie horrible vous vous» préparez , fi vous ne prenez le parti yr de vous défifter de votre infame re-r » quête ! ». La réponfe invariable des religieus étoit que cette requête ne contenoie rien que de vrai.- Les commiffaires,, qui fentoient tout 1'effet que produifoie" ia perfpeótive d'une prifon perpétuelle,, reprenoienf , avec vivacité : « Quoi y, r> vous ofez préfenter comme vrais des» fairs aufli abominables , que ceux" »: que vous imputez- a votre prieur ï' >y L'incefte , ie poifon , i'homicide; » d'un enfant » ? La replique des religieux fut umpië & uniforme : « Nous dem andons la' » deftitution de notre prieur, fur deux 35 motifs. L'un fa^conduite düre ,-ins» iufte-&- defpoticjue avec nous 7X'autre  i%% Jugements » fa conduite fcandaleufe au dehor&. »» Le ptemier de ces deux motifs eft w prouvc par i'unanimité de nos plainn tes. Nous ne prérendons point invo» querle témoignaged'étrangers, pour »» prouver ces fdts, nous en fommes , » malheureufement, lesjuftes témoins w Sc les victimes. 33 A I'égard de 1'autre motif, qui i» concerne la conduite fcandaleufe de 53 notre prieur, il faut diftinguer les » faits préfents & aftuels, qui font a* n la connoiftance de tout le monde, « qui révoltent tout le monde, qui »» fonrafficher des placatds auxpilliers 3» des halles, & qui nous attirent la »rifée publique , quoique tout Ie $> monde s'accorde a dire que le prieur » eft le feul, dans la maifon , auquel »> onpuiffereprocher du dérangement: 33 il faut diftinguer ces faits adcuels & j> préfents , des faits anciens. Si nous s> avons parlé, dans notre requête, de »> ces faits anciens , ce n'eft que paree j> que les nouveaux rappellent, fans i3 cefle , le fouvenir des anciens ; &c »j que tous réunis, forment une chaine » de défordres qui embraife route la 8> vie du prieur , & préfente une fuite s> de fcaadales qui n'a été interrom-  claujlraux. 225? >> pue que par un moment d'hypo» crifie ». Cesraifonnements éroient preifants*, Sc ne pouvoientêtre éludés que par des fophifmes. C'eft auffi aquoi s'attachort la fertile faufleté des commiflaires. Ils prenoient toujours, pour bafe de leurs repliques, la calomnie dont ilsprérendoient que la requête étoit tiflue ; Sc mettoient ainfi en fait Sc en preuve cequiétoiten queftion. «Scavez-vous , » difoient ils , quelles font les peines si des calomniateurs ? Les mêmes que » fubiroit 1'accufé , s'il étoit convaincu s) des crimes qu'on lui impute. C'eft » la peine du feu, de la roue, que les 3» ordonnances font fubir pour les crij> mes dont vousparlez dans votre rejj quête : Sc, peur vous donner une j> preuve de 1'exaébirude fcrupuleufe m dans ce que nous faifons ici, jetrez 34 les yeux fur ce traité des matières j> criminelfces , Sc voyez-y quelles font j> les peines des calomniateurs. D'ail» leurs, ajoutoit le frère Richard, avec m un air défintérelfé, je peux vous cer» tifier , moi , qu'il n'y a qu'un an » que l'on a fait périr , a Paris , par » le fupplice de la roue , un calom^ » niareur, pour avoir formé une accu-  2 5 o Jugements » fation qui n'étoit pas plus grave que »celle que contient votre requête* M Ainfi, faites attention que le feu ou « la roue feroient, en juftice réglée.,, » la peine que vous méritetiez en per» fiftant dans votre accufation , fi vous » ne pouvez la prouver». En vain les religieux obfervoient que les rermes de leur requête annon* coient fuflifaminent qu'ils n'avoient pas prétendu s'impofer 1'obligation de prouver , par eux - mêmes, les fairs anciens de la conduite du prieur, mais feulement les faits nouveaux. 11 n'étoit pas efteótivement poflibre de fe meprendre a ces termes de la requête s Mais le tout efl trop ancien pour vous It rappeller , & vous gdter les oreilles.... Nous nous taifons fur tout es ces anciennctès 3 & revenons d ce quife paffe fous nos yeux. « Point de diftindtion , repliquoient » les commiffaires. II faut prouver le i) tour, ou fubir la peine des calom» niateurs. Votre requête comprend »■ tous les tems elle ne forme qu'un » feul corps de fairs. D'ailleurs , le » rerme en atteftant, dont vous vou3>> êtes.fervis, vous affujettit a Tobligar s*>tiamdé ptouver perfonnellement »>•  daufiraux*. 2 je Les religieux reprenoient: » Qu'en» tendez-vous par prouver perjonnel» lement ? Eft-il dans 1'ordre des cho» fes que la perfonnalité du plaignant « puiflè s'étendre plus loin que la >j plainte même ? Voulez - vous que » nous avancions que nous avons été »s nous - mêmes témoins des faits ? » Mais , de la manière dont vous en« vifagez les faits aótuels, il eft clair » que vous n'auriez aucun égard a. » nctre témoignage.D'ailleurs , ne fe~ j>> roit-il pas abfurde que nous nous » fufiions impofé 1'obligation de prouj> ver perfonnellement des faits donc » il eft phyfiquement impoffible que. j> nous ayons été les témoins, puifque ;>> nous ne fommes pas de la ville de s> Braine; Sc que, quand ces faits font ?> arrivés , aucun de nous n'étoit reli» gieux ? « Eh .voila , reprenoient les deux » commiffaires , d'un air triomphanr ,. s> voila ce qui vous conftitue calomnia>> teurs; voila ce qui vous foumet a tou*■> tes les peines des calomniateurs. Oui «les ftatuts de notre ordre font trop» indulgents , quand ils ne prononcent " qu'une prifon perpétuelle , pour un i* crime, auffi. atroce.. La. roue ., lefem  i 3 2 Jugements » ne font Hen de trop pour de parells j> crimes; Sc peut-etre, ajoutoient-ils, » eft ce ainfi que vous expierezle votre, » fi la chofe fe porte en juftice fécu» lière ». En vain les religieux répondoient : «< Nos ftatuts ne font pas affez injuffes, » pour exiger de nous 1'impoffible. » Toute 1'obligation qu'ils nous impo» fent, quand , fur un oui-dire, nous » imputons une faute a quelqu'un , » c'eft de nommer celui de qui nous » tenons ie fait: Nullus aliquem de « auditu accufet, nifi autorem nominet, dit lechap. 10 deladiftineh 3 , n°. 57. n Nullus contra aliquem aliquid ex au» ditu proponat, nifi dixerit a quo hoe » audierit, porte 1'art. 11 o de la dift. 4 y » chap. 16. » Nous avons déja indiqué a notre >» général, dans les interrogatoires qu'il s> nous a fait fubir, & nous vous indi» quons encore qui fonr ceux de qui » nous tenons les faits anciens de la » conduite du prieur; ils étoient fes » contemporains , ils demeuroient ici; s» ils ont été témoins de ce qui fe pafm foit alors". faites-les venir , interro» gez-les; voila ce que nous attendions » de notre général; voila ce qu'il nou*  claujQrauX. ijj » avoit promis. Faites appeller ces té« moins incliqués , au lieu de nous » harceler par des interrogatoires qui n ne peuvent contenir que ce que nous h avons déja dit». 35 C'eft-la, répondoienr les commif33 faires avec fureur, ce que vous n'obsi tiendrez point. Vous vous rendez , sj vous-mêmes , accufateurs de ces faits 33 anciens, & vous les prouverez vous» mêmes , ou vous ferez condamnés >> comme calomniateurs, punis comme »> tels , Sc , au moins, renfermés pour as toute votre vie dans une prifon » perpétuelle, fi vous ne les prouvez » point »r 11 n'eft pas fort facile de comprendre comment on vouloitque ces inrortunés donnaflent ces preuves.Ils n'avoient pas caradère pour appeller ces témoins, Sc en obtenir des dépofitions juridiques» Quand ils auroient pu fe procurer des réponfes par écrit, conformes a la vérité qu'ils auroient avancée, on comprend facilement que ces écrits , qui n'auroient eu aucune authentieke, auroient été réprouvés par les commiffaires , qui les auroient taxés de certifieats mendiés, Sc d'en faire un nouveau crime, Sc a ceux qui les auroient  2.34 Jugements envoyés, & a ceux qui les auroient obtenus. D'ailleurs > il étoit fi facile de les intercepter! Ainfi, après les menaces efFrayantes des commiffaires, quelle refTource reftoit il a de pauvres religieux qui fe voyoient auffi inhumainement ccrafés fous les pieds de 1'iuiquité? La confternation , la douleur , &c Tabattement les livroienr, fans défenfe , a tout ce qu'on vouloit exiger d'eux. Le frère Richard employoit utilement cet inftant. « Hé quoi , difoit-il » au malheureux qu'il venoit de ter» raffèr, ferez-vous affez ennemi de » vous-même , pour vous voir précipi» ter dans une prifon perpétuelle s a » votre age ? Vous pouvez évirer ce » fupplice; défiftez-vous , & fiez vous >» z nous ; la peine fera légere; car en» fin il en faut une , pour 1'exemple \ »remettez-vous a la miféricorde de »» M. le général , a notre intercefïion , » & aux bontés de M votre prieur ». De fix religieux , les uns eurent Ia Conftance de tenir ferme contre les attaques de ce premier interrogatoire \ d'autres cédèrent aux menaces de la corde , de la roue , du feu. Pendre , louer, brüler vif} ou périr dans les  tlaufiraux. 235 horreurs d'une prifon perpétuelle , telles étoient les perfpectives que ces charitables commiffaires préfentoient alternativement aux répondants ; 1'un parloit de la roue, 1'autre fe récrioit fur la douceur du fupplice , & fuböituoit celui du feu. Le fous prieur, 1'un des plaignants, homme véritablement eftimable paE fa candeur, par la pureté de fes mceurs, & par une folidepiété, fortit d'avec les commiffaites tellement intimidé , tellement tremblant , que les forces lui manquèrent, & qu'il fut très-longrems, fans pouvoir reprendrefes fens. Le tour du frère le Moine vint enfin. 11 fe préfenta devant les commiffaires en homme refpeétueux & ferme. II elfuya , d'abord , ainfi que fes confrè* res , toutes les tracafferies poflibles pour la révélation de 1'auteur & da rédacteur de la requête. Mais ces commiffaires , qui lui avoient hautement & indécemment imputé cet ouvrage , daignèrent s'abaiffer jufqu'a lui demander ce que les précédents interrogatoires leur avoient déja fait connoitre. « Si vous fcavez, leur dit le » frère le Moine, qui effc cet auteur, il »eft inutile de me le demander  13 6 Jugements » d'ailleurs, demande-t-on a un plai» gnant qui a écé le rédacteur de fa »> plainte ? Mais , fi vous ignorez qui » a rédigé la requête, vous ne le fijaus> rez point de moi; j'ai promis d'en » taire le nom , & je ne f$ais point » manquer a une parole donnée. Au » furplus , je ne vois point que le'nom » de 1'auteur foit nécelfaire a 1'éclair» ciflement des faits de la requête. » Quelle horrible requête ! s'écriè» rent les deux commiffaires. Que! » amas de calomnies ! Vous ignorez , » apparemmentj les peines que la loi » prononce contre les calomniateurs ». Et tout de fuite, le frère Rkhard, d'un ton mielleux , & comme touché de la rigueur des fupplices qui attendoient le répondant, raconta la lugubre hiftoire de ce malheureux qui avoit été roué a Paris , pour fait de calomnie. Le frère le Moine écoutoit, d'un air affez indifférent , la lamentable hiftoire de ce roué. L'abbé de Villers-Cotterets , qui voyoit que ce conté ne prenoit pas, fe leva , en difant au frère le Moine: « Tenez , tenez, lifez cet article de » ce livre, & tremblez des peines qui » vous font préparées, fi vous peififtez » dans vos calomnies ».  clauflraux. 137 Sur le refus de lire Partiele , voila les deux commiffaires qui fe relaient, . pour,avec le ton de la fureur, accabler Ie frère le Moine de menaces : 1'un parle de pendre , 1'autre de rouer > 1'autre de brüler vif. « Meffieurs , leur dit le frère le « Moine, avant que de me livrer an 39 feü , ou a la roue, vous me permet»trez de m'expliquer ». Alors les deux commiffaires s'affeyent, & écoutent. « Tous les fupplices dont vous me » parlez, pourfuivit-il, font faits, de » votre aveu , pour les calomniateurs ; » je veux bien le croire. Mais, avant » que de m'en menacer avec tant de » fiel, il faut me faire voir que je fuis j> dans le cas; & je ne vois pas d'oü » vous pouvez préfumer que je fuis » coupable de calomnie, puifque vous w ne m'ayez point interrogé , &z que ••» vous ignorez ce que je peux dire a » 1'occafion de la requête , qui eft 1'u» nique objet de votre miffion ». La fageffe de cette obfervation , exprimée avec toute la circonfpedlion qu'exigeoient les circonftances , parut calmer 1'impétuolïté des commiifaires. Alors cornmenca 1'interrogatoire, quj  «3 8 Jugements fe borna abfolument aux faits anciens qui cóncerncVient le prieur. « Sur cette partie de la vie de ce m religieux, rcpondit le frère ie Moine, » je ne peux alléguer que des ouï-dire, » paree que je n'étois alors ni religieux, » ni même habitant de Braine : mais je » peux,» & je vais exécuter ce que les » ftatuts de notre ordre, qui font votre » loi, comme la mienne , me prefcri» vent a cet égard >•. Et, de fuite , il nomma , conformément aux ftatuts qu'il venoit d'invoquer , ceux qui lui avoient appris ces faits. On écrivit, ou du moins il faut préfumer qu'on écrivit le nom de ceux dont il invoquoit le témoignage. a A 1'égard de la partie de la requête qui contenoit le tableau de la vie actuelle du prieur, rant extérieure , qu'intérieure , on obferva la difcrétion laplus abfolue. C'étoit cependant cet article qui formoit le corps de la dénonciation , &quifondoit la demande en deftitution. Cependant, pour éluderle reproche que l'on auroit pu faire aux commiffaires de n'avoit fait aucune queftion relative a la vie aduelle du prieur, les commilfaires demandèrent s'il afliftoit  tlauftraux. 239 aux offices. Le frère le Moine répondir qu'il y affiftoir. « Mais, lui clic-on, a» t-il de mauvaifes facons pour vous ? » — Véritablement je ne peux pas me » plaindre qu'il m'ait dit perfonnelle» ment rien de défobligeant ; mais n j'effuie, comme tous mes confrères , » les airs de hauteur& de mépris qu'il » a pour tout le monde , a 1'exception » du vieux frère organifte ». On écrivit que le frère le Moine n'avoit point de reprochea faire au prieur, par rapport a fon affiftance aux offices , ni par rapport alui perfonnellement, attendu qu'il n'avoit rien . fait qui put le mortiher. A peine cet interrogatoire étoit-il fini , que le bruit fe répandir dans 1'abbaye que le frère le Moine venoit de figner fa condamnation, qu'il reconnoilfoit qu'zï n'avoitpoint dfeplaindre du prieur, Ce bruit parvint jufqu'au frère le Moine, qui répondit qu'il pouvoit fe faire que les commiffaires euïTent fait rédiger fa réponfe autrement qu'il ne 1'avoit faite; que cela fe véririeroit au técollement, oü on lui feroit lecture de fa dépofition ; qu'au furplus , en fuppofanr fa réponfe telle qu'on la rap-  240 Jugements portoit, elle prouvoirqu'en fe joignant a fes confrères, il n'avoit été excité par aucune indifpolïtion perfonnelle contre le prieur, mais par le feul intérêt de la vérité, & par 1'honneur de la maifon. Une procédure auffi partiale & auffi irrégulière , que celle que fuivoient les commiffaires, répandoit le trouble, la confufion & les alarmesdans la maifon. Mais cette inquiétude ne pénétroit pas dans 1'appartement du prieur. La gaietéy régnoit, & s'y faifoit entendre .par de grands éclats de rire, qui annoncpient la fécuritéde cet accufé , tk même le triomphe dont il étoit affuré. Les religieux qui s'étoient défiftés gémiifoiént de leur foibleffe ; mais ceux qui, jufqu'alors, avoient perfifté n'ofoient répondre de leur fermeté. Combattus, d'un coté, par 1'honneur, de 1'autre cóté, par la certitude de fuccomber fous le poids de la proteétion qui foutenoit un homme que l'impunité alloit rendre leur tyran, & tyran contre lequel ils n'auroient plus de reffource; inftruits du projet des commiffaires qui ne vouloient point de milieu entre le défiftement abfolu de la  elaujfraux. x^ h requête, Sc la néceflité de fe porter acculateur de 1'ancienne conduite du pneur; effrayés de 1'injufte opinidtreté des commiflaues , k rejetter abfolurnent le temoignage des religieux fur les fairs de la conduite actuelle du pneur, ieul ob/et de Ja plainte , & £ exiger qu'ils prouvafient perfonnellement des faits dont il étoit p^yiTaiieJ mentimpolliblequ'ilseufiuu la preuve perfonnelle, puifqu'au tems ou ces fa«s étoient arrivés, iis n'étoient ni hnbitants de Braine, ni religieux; ces infortunes , deftitués de confeils , „e icavoiem m ce qu'ils avoient a faire m ce qu'jJs avoient a dire. lis crail gnoient également & de fe défifter, K de perfeverer. Dans ce flux & reflux d'agitarions jls eurent la fimplicité de croire que keende a pair ^ ^ ^ ^_ pable de determiner les commiffaires a leur rendre la rranquilliré. Trois religieux furent deputés auxcommiffaires pour^offrir un défiftement abfolu de la requête ; mais , fous la condition que toute Ja procédure feroir anéantie, & qu il ne feroit plus parlé de rien. Ce! traité de paix , qLfi prouvoit la  242 Jugements propofoient, fut regardé, par les deux commiflaires, comme une preuve de la défaite des religieux. L'audace d'un ennemi croïc, a proportion de 1'opinion qu'il a de la foiblelle de fon adverfaire : « Non, .Meffieurs , dit Ie » F. Richard ■, orateur ordinaire du » commiffariat1, non , il n'y a de con» dition recevable , que celle de fe » défifter de toute la requête , & de » vous foumettre a toutes les peines 5> qui vous feront impofées: peines ce„ pendant qui, a la faveur de notre » indulgence , & a la charité qui nous s, potte a vous fauver du précipice , »feront moins grandes , que celies ai que vous auroit attirées la perfévéjt rance dans votre crime ». « Eh bien , Mellieuts , dit le F. h » Moine a fes confrères , vous voyez » ce que vous devez artendre de vos » pieux & charitables commiflaires. » Je ne vous demande point de m'i»miter ; mais je vous déclare que » 1'honneur m'eft plus cher que la vie, „ & que, quand je devrois la perdre » dans le fond d'un cachot, par le fer » ou par le feu , par tel fupplice qu'il s> plaira a ceux qui abufent de leur. m autorité, de me faire fouffrir, rien  claujlraux, 2^ »ftemeferarétracterce que j'ai ftW " c°^e vrai. Je hè vous dis pas Lg »;ela,efait pOUr vous faire plaifir • »nfn ne me 1 'auroit. fair rftiöh fi la' » venteen eüt été bleflee,, Dès cet inftant, Ie F. )e Moine fe renferma dans fa chambre , & ne fe freres ia moindre réfleiion qui te„dfc Ceux qui n'avoientpas donné Jeur défiftement dans le premier interro- cnoc , ils cederent aux nouveiles menaces & donnèrent enfin ce défifte.ment fi defiré; & je F. le Moine en fut inftruit par une démarche qu'il fefic Un devoir & un piaifir de publier. faire?1* A °pérations des commiflarticle important des défiftements étoient connues au cWteau de Braine ' pour ainfi dire , dans 1'inftant n mé 01 elles fepafioienc; 1'un des commif. fairesfortoit.fc la nouvelle voloir paHe moyen d'un envoyé qui étoit | -Dès que le dernier des religieux Plaignants fe fllt défifté, u,, gewit Lij  244 Jugements homme fe donna la peine d'aller trouver le F. le Moine, & 1'en avertit, ajoutant qu'il ne reftoit plus que lui. « Comment , dit le F. le Moine , >> peut-il fe faire qu'étant dans ma *> chambre a portée de fcavoir ce qui j> fe paffe, j'ignore un événement dont » on eft déja informé au chateau ? 3» — De quelque manière que cela » foit, on le fcait, & je neviens vous s» en apptendre la nouvelle , que pour » vous engager a forrir de cette maui> vaife affaire : car enfin, quelle raifon » auriez-vous de ne pas faire ce qu'ont » fait vos confrères ? Je vous en 3> fais le juge ; je ne- vous demande 3> que la grace de m'entendre ». Le F. le Moine fit enfuite le détail de 1'affaire, lui rendireompte du défiftement offert j & des conditions impofées par les commiffaires de fubir telles peines que le général voudroit infliger. "Vous » m'avez toujours, Monfieur , donné >► des marqués de votre eftime, ajouv ta-t-il; je vous en demande encore » une; peut-être fera-ce la dernièrede » ma vie, Dites - moi , que feriezs> vous, fi vous étiez a ma place ? & >> je vous protefte, foi d'homme d'hono neur , de me conformer a ce que  elaujlrux. » vous me direz ,,. Ce gentilhomme jetta un regard fur le F. le Moine, & lortit lans répondre. Enfin le F. le Moine fut appeljé pour lubirle dernier interrogatoire; il efiuya, fanssebranler, les menaces ordinaire* de lapotence,.de Ia roue & du feu, qui font la fin des calomniateurs tels que ceux qui n'ont que des oui-dire a 1'appui de leurs dénonciateurs.Et, par un contrafie fingulier en meme tems que les comnnTaires lui reprochoient de n'a voir que des oui-dire d alléguer fur la conduite ancieime du prieur, en même tems qu'ils declaroient qu'une accufation foiidée lur des oui-dire eft une calomnie, ils vouloient Ie forcerd prendre la qualité daccufateur;c'eft-d-dire5fuivant leur angage, a prendre la qualité de ca- Jommateur; &5parconféquentd fe mettre dans Ie cas des fupplices defti»es , fuivant eux , aux calomniateurs. «Permettez-moi, Meffieurs , de " vous obferver , leur dit le F le »Mome qUe vos idéés ne font'pas » fort cla.res fur ce qu'on doit enten» dre par le mot accufateur. La fonc » non d'accufateur ne peut appartenir » qu a deux fortes de perfonnes ; ou d L iij  14^ . Jugements » la partie civile , ou a la partie pum blique. La partie civile eft celui cjui » fe plaint perfonnellemenr d'un cri» me , d'un délit qui le met dans le » cas de demander des intéréts civils , 55 pour réparation du dommage qu'il 55 a fouftert. La partie publique eft M. » le procureur-général, ou fes fubfti» tuts, dans les tribunaux laïques; Sc » c'eft le promoteur dans les tribunaux >> eccléfiaftiques. » II n'y a même , a proprement par» Ier , pour toute forre de crime , de »» véritable accufateur , que la partie 35 publique, puifque 1'ihtérêt du par» ticulier qui fe plaint eft toujours « borné a obtenir une réparation ci» vilei, oc que la partie publique feule » a le droit. de requérir la punition. » Or je vous demande, d'après ces »> principes, comment vous pouvez in» lifter a. exiger que je me rende accu»» fateur du prieur , pour les faits de fa W conduite ancienne? Je n'ai, dans ces f» faits, aucun intérêt perfonnel, je ne ; 13-fuis.,& cet égard, quefimple dénon>• ciateur; & de quoi? Du bruit public. » Sur quoi fe trouve-t-il fondé , ce 35 bruit public ? Sur des difcours , fur »»j fam'iA caufam dar£. : » Totu ce que vous ppuvez donc .» exigerdemoi, a.cet égard, c eft de » vous dite conformément d nos fta- » tuts, de qui je tiens ces difcours, I» fur lefquels je fonde ma dénoncia- » tion;Je vous ai nommé mes auteurs; » je fuis prètd vous répéter leurs noms. »> Faites-les appeller; qu'ils dépofenr. » Si vous étiez en -droit, de m'aflu.»> jettir d prendre la qualité d'accufa- » teur, ce ne poürroit être, tout au plus, que fur les deux parties de » notre requête, dans lefquelles nous » avons renfermé nos plaintes; quoi»>que,furce fujet encore , nous ne »foyons quefimples dénonciareurs , »& non parties civiles. Car deman» dons-nous des dommages & inté» rêts ? Avons - nous d'autre intérêt « que la régularité , & 1'honneur de » 1 ordre ? « Notre dénonciation, contre notre » pneur a deux parties; fa conduite , » au dehors , eft fcandaleufe ; fa con" dmte , au dedans, eft infupportable. » Voila ce que nous avons entendu » prouver, puifque nos plaintes ■ par L iv  24^ Jugements » rapport an dehors, ne portent qu* • » fur le fcandale de fa vie a&uelle. » II n'eft point fcandaleux aujour» d'hui, paree qu'il a , autrefois, fui» vant le bruit public, erttretenu cora» merce avec les trois fceurs, a la fois , a> paree qu'il a rendu mère 1'une de s> ces trois fceurs , paree que I'enfant a » été apporté ici a fon adreffe, paree. » que eet enfant eft mort miférable-' » ment. Mais il eft fcandaleux par Ia >> conduite qu'il mène aótuellement : 3J & cette conduite acmelle, rappel» lant ce qui s'eft paffe, porte le fcan» dale a fon combte. Voila les objets » dont je me déclare dénonciateur ». «' Votre requête, direnr les com-> » miflaires , ne peut point fe divifer. » II faut vous porter pour accufateut , >> des fairs anciens de la conduite de » votre prieur, ou vous défifter de Ia »» totalité de votre requête >».- « Mais, Meflieurs, reprit Ie frère »le Moine , fentez-vous combien Ia >» loi que vous prétendez m'impofer » eft horrible & injufte ? Vous voulez y> dénaturer la dénonciation d'un bruit » public , Sc la convertir en accufation Mcapitale; & , tout de fuite , vous » décidez qu'une accufation, qui n'eft  clouflraux. *> fondce que fur des ouï-dire, eft une » calomnie. Vous fcavez, & mes con»frères vous J'onc dit avant moi , » que , nar rapport aux fairs de Ia » conduite ancienne du prieur, nous «n avons, & nous ne pouvons avoir «que des ouï-dire, puifquWan de « nous n'étoit alors religieux. Cepen« dant vous voulez me forcer i me » porter pour accufateur de ces mêmes » faits, fur lefquels je vous déclare » que je n'ai que des ouï-dire. Vous « voulez donc me regarder comme » calommateur ; la conféquence eft » neceffaire. » D'un coté, vous ne parfez pas 5 « feulement des faits de la conduite » actuelle du prieur, dont mes confrè» res & moi avons une connoiffance » perfonnelle. Queréfultera-t-ilde \ï> » Que, paree que je n'aurai pas fait Ia « preuve des faits de la conduite an» cietfne du prieur, preuve que je n'ai » jamais, enrendu faire, & que je ne " Peuxpas faire perfonnellement, que * loas n-^gea que paree que vous " *f?vf* ^elle m'eft impoffible , il » refultera de la, fuivant votre facora » de raifonner , que le prieur eft trés- * swoecat , & que fe fc» aacafon*-  i ^ o Jugernents yt niateur. II réfultera, de la, que Ie „ prieur n'eft point coupable des déforyy dres a&uels qu'on lui impute, paree » qu'on n'a point la preuve perfonnelle « d'anciens défordres, dont la preuve >> remonte a plus de vingt ans. Eft-i! » rien de plus déraifonnabie Sc de plus »injufte »? ci Point de milieu, dirent les com« milTaires; accufateur fur le tout, s> ou calomniateur fur le tout ». « Eh bien, Meflieurs, reprit le F. le „ Moine, plutbt que d'encourir 1'in» fame qualification de calomniateur , s> je confens de prendre , fur le tout, „ telle qualité que vous exigerez; mais », fous la condition que , par rapport » aux faits anciens, dont je vous ré» pète que je n'ai point de connoifi, fance perfonnelle, je ne me foumets „ a autre chofe qu'a la déclaration des » noms de ceux de qui je les tiens. Ce „ font des religieux contemporains qui » exiftoient ici, lorfque les faits font » arrivés.Faites les appeller, entendez}> les, Sc confrontez les moi ». C'eft ainfi que fe paffa ce fecond interrogatoire qui, peut-être , ne fut pas redigé comme il avoit été fait; car il ne fut* pas permis au F- ie Moine de  dauftrauxl 251 lire fes réponfes ; & ii avoit tout lieu de croire , difoit fon défenfeur, que 1'infidélité de la rédaction avoit parfaitement répondu a la pafnon qui animoit les deux commiffaires. Quoi qu'il en foit, fi Vinfidéfité défigura fes réponfes , il ofoit invoquer, contre ia fuppofition , le témoignage du fens commrin; & écoir perfuadé qu'il n'y avoit perfonne qui ne convnit que „ ne pouvant répondre aurrement, | fes réponfes ne furent. pas écrites telles qu'il les a rapportées dans fa déren fe s il falloit qu'elles euffent été altérées dans la rédaction. Le F. k Moine allojt fe retirer. « Tout n'eft pas fini lui dirent les » commiffaires. Votre prieur a donné m un mémeire; le voici, il faut y ré» pondre ». Ce mémoire avoit efFecTivement été fourni par le prieur, au général, lors de fa vifire , au mois de mai précédent. C'étoit toute la réponfe qu'il avoit cru pouvoir oppofer a la requête&C l'on va voir combien il étoit peu en état de fe défendre fur les faits flont il étoit accufé. Le reproche que faifoit le prieur au I. ie Moins t étoit de s'être rendu in-j L vj  % e x Jugements dépendant dans 1'exercice de fes fotictions de procureur. Voila tout fon crime, Sc c'en étoit un grand aux yeux des commiffaires, grands partifans de 1'obéiffance paffive Sc fans réferve ,. qu'ils exigeoient. Au furplus quels étoient les caractè*res de cette indépendance reprochée. au F. le Moine?' Les voici. i °. Le F. le Meine, difoit le prieur,, a fait faire des réparations confidérables dans, les fermes qui dépendent de Pabbaye, fans m'eu avertir; &, pour cela', il a fait abattre plus de trois cents chcnes.. 2°. 11 a recu 5 5 00 livres d'une ven te de deux maifons fituées dans la ville de Rheims.. 11 n'a point fait emploi de cette fómme; Sc , par B. , l'abbaye fe trouve priv.ce de 2.75 de rente.. Sans s'atrêter a faire remarquer la. noirceur de cette imputation qui formoit un chef d'accufation iufamante 5 fans s'attacher a faire obferver la mal"adrelfe de la récrimination , & com» bien étoit puérile le moyen. par lequel. ©n vouloit faire perdre de vue 1'objet de la requête, on fe hatera d'examinet \e fond de l'accufation. On a déja dit que le premier foifi  claujïraux,. du F. le Moine , quand il entra dans Ia place de procureur, avoit été de faire travailler aux réparations urgenres donc avoient befoin 1'églife Ja maifon , Sc les biens de campagne; que ces réparations étoient un objr-r de plus de 40000 livres, qu'il avoit faites fans incommoder la maifon; qu'il avoit même trouvé Ie fecretcfaméliorer les revenus.; de faeon que, quoiqu'en entrantdansra place, il eüt trouvé 1'abbaye endectee , quoiqu'il eüt fait des dépenfes confidérabies en réparations, il étoit du, acette même abbaye, plusde dixrept.a dix huit mille livres,, au tems du procés. Ce tableau de Ia maifon ne prefente pas un état de fpoliation. ^Pour faire routes ces réparations, il n etoit pas naturel d'acheter des bois , tandis que les furaies de 1'abbaye en pouvoient fournir une affez grande quantité.. Le mémofre porroit que Ie F. Ie Moine avoit fait abattre trois cents, chenes & plus, Les commiflaires Jut demandèrent d'un air dénntéreffé , s'il etoit vrai qu'iL en eüt fait abattre cette quant iteL « On ne m'aceufe point , dit-if ■ « d'en avoir vendu ; on doit donc con* » venir crue tout ce qui a été abattn-a  lj4 Jugements „ été employé , & l'a été pour le bie* „ de la maifon. Or , quel reproche „ précend-on fonder fur la quantité , » quand l'emploi qui en a été fait „ prouve que cette quantité étoit né» ceflaire? Au furplus, déterminer pré»cifément cette quantité, c'eft une » chofe qui ne m'eft pas poffible- J'ai „ fait abattre au fur & a mefure que les „beioins exigeoient des réparations » qu'il falloit faire tanrot ici , tantót aux biens de campagne. 11 ne,m'eft » pas poffible de me rappelier quelles » ont été toutes ces réparations , dans ,5 Ie cours de neuf ans 5 ni, par con» féquent ce qu'il a fallu de bois, pour >> les faire , mais toutes ces réparations j, exiftent, il eft aifé de les vérifier, » ainfi que la quantité d'arbres qu'il a » fallu pour les faire. Voila précifément » ce que f en ai fait abattre ». « Ce n'eft pas de cela dont il s'agir, » reprirent les commiflaires \ nous vou» lons fcavoir fi vous en avez fait abat„ tre la quantité énoncée dans le mé» moiré de votre prieur m Le F. le Moine, ne voyant pas le piège qu'on lui tendoit, répondit qu'il ne croyoit pas, autant que la mémoire pouvoit lui fouruir, qu'il en eut fait ■ abattre plus que la moitié de cette  tlaujlraux, z(e, quantité. « Au refte , ajouta-til, je «n'en ai point gardé notes , ne les » ayant fait abattre qua proportion des » befoins ». c< C'eft-a-dire, reprirent les com>» miffaires , que vous n'avez fait abat» tre que la moitié de ce qui eft énon» cé dans le mémoire de votre prieur. »Voila un fait qui coinbat, mais qui » ne détruit point celui du mémoire» » Or vous ne pouvez donner, a votre » aftertion , une vérité juridique fur »celle du mémoire, fi vous nel'ap» puyez fur la religion du ferment »». Le F. Ie Moine répondir qu'il ne croyoit pas que Ie ferment füt néceffaire fur un fait de cette efpèce; ajoutant cependant que, fi on le jugeoit tel , il ne refuferoit point de \g faireSc il le fit effecfivement fur la déclaration trés affirmative des deux commiffaires , qu'il étoit indifpenfablement néceffaire.Onvavoir, dansun inftanr, « quoi étoit deftiné ce ferment, ainfi iurpris. On pafTa, enfuite, a 1'examen des 5 500 livres, prixde la vente des deux maifons de Rheims, que leprienrimputok au procureur d'avoir difïïpées. Voici le fair. Deux an5 avant que le F. Ie Moins  Jugements füt chargé des fonétions de procureur; le prieur , de concert avec celui qui exet$oit alots ces fonótions, fe fit autorifer, par le général, pour vendre ces deux maifons. La vente fut faite rnoyennant la fomme de 5 500 livres dont I'acquéreur fe chargea de faire la rente pendant quatre ans, a raifon de ijt livres, avec liberté a I'acquéreur de rembourfer le capital, au bout des quatte ans, ou de continuer la rente. Le prieur de Braine ne daigna pas feulement confulter les religieux, fur ce contrat; ils n'en eurent connoiffarcce qu'au moment oü on leur préfenta i'a&e , pour le figner. A 1'expiratïon des quatre années , I'acquéreur fit fignifieE Ie rembourfement, qu'il ne fut pas poffible de refufer. Le F. le Moine fut forcé de recevoir cette fomme , Sc la re$ut au vu & au feu dë toute la communauté , Sc du prieur même; « Pourquoi, dirent les commiffaires , » n'avez vous pas fait un emploi de » cette fomme, en acquifitions de biens » fonds » ? Car voila le crime. « 11 eft étonnant que vous me faffiez »une pareille queftion , répondit le }» procureur, en s'adreffant au F.ü^r  èlauflraaxl ity Gekard, vous qui, comme procureur »> général de 1'ordre, fcavez mieux que »perfonne , que , depuis 1'édir de " 1749 > les gens de main-morte ne » peuvent plus acquérir de fonds? Je * yous ai > piufieurs fois , écric a ce fu« jet; & vos réponfes fur 1'impoffibi» lité de placer, ne m'ont pas laifté » ignorer ce que vous affeófez aujour» d'hui de ne plus fcayoir ». « Mais quel ufage avez-vous donc M fait de cette fomme? — Je 1'ai portée » en recette fur mes regiftres ; & , » après 1'avoirgardéeplus de deux ans, » je m'en fuis fervi pour ladépenfe de » la maifon , pour faire des avances » aux fermiers, 6c faciliter leurs ex» ploitations. C'eft ce que je fuis en » état de juftifier par leurs arrêtés de « compte , & les billets que j'ai d'eux, «qui excèdent, plus de trois fois, » cette fomme de 5 500 ». Le F. Rhhard, qui fe voyoit, a regret, forcé de renoncer i 1'imputation de cette fomme, voulut faire un crime de ce qu on ne 1'avoit point placée dans 1 emptunt du clergé. « M. votre prieur » nous affure qu'il vous en a averti. » II eft vrai qu'il m'en a parlé ; » mais cet avis me fut donné fi tard *  a 5 8 Jugements » que , quatre jours après , il devint *» inutile , paree que 1'emprunr fe » trouva rempli; de forte que j'ai crü » qu'il ne convenoit point de harceler » les fermiers , pour la rentree d'une » fomme que l'on ne poürroit enfuite >> placer. Au furplus, s'il y a quelqu'un » k qui l'on doive faire un crime de » ce que 1'abbaye fe trouve privée » d'un revenu de 175 livres, 1'impu» tation ne doit pas tomber fur moi, » mais fur ceux qui, fans raifon, fans » néceflité , fans objet légitime , &C » fans confulter leurs confrères , ont -» fait la vente des deux maifons de » Rheims ». « Nous fcavons , dirent alors les »> deux commiffaires, d'un ton affec» tueux, nous fcavons que vous êtes » un honnête homme; & de plus que a M. votre prieur ne vous a jamais re» gardé que comme tel. Mais n'eft il » pisétonnant que , ne vous ayant rien » fait, ni rien d't qui put vous caufer » la moindre peine , vous vous opi» niacriez a ne point vous défifter de » vos plaintes contre lui » ? Le F. le Moine répondit que les offres qui avoient été faites , la veille j, d'un défiftement abfolu, a la charge  claufiraux. 259 \ oe l'anéantifferrjent de totue procédure, & d'un fincère rerour de Ja paix, . croient une preuve qu'il n'agifloit poinc par opmiatreté; qu'il ratifioit ces offres ; mais que , fi elles n'étoient point acceptées, ce n'étoit point fur lui que devoit tomber le reproche d'opiniatreté , Sc moins encore celui de paftialité. A peine Ie F. le Moine étoit-il forti 3 de cet interrogatoire, que l'on fit entrerunreligieux, nommé Tardan , que I'efpérance de mieux faire fes affaires . avec le prieur , avoit détaché de fes confrères. Sc le nommé Man/art, ce vieux organifte dont on a parlé. Ces deux hommes, qui n'avoient jamais Leu, dans ia maifon, d'autre relation , quecelle du réfedroire & de 1'églife , qui, peut-être, n'avoient pas vu un feul des arbres que le F. le Moine avoit fait abattre, firent le ferment qu'il jen avóit été abattu trois cents , comme le prieur 1'avoit dit dans fon mémoire. Le R le Moine fut mandé , le lendemain , par les commiffaires, qui lui reprochèrent qu'il avoit fait, la veille, un faux ferment, au fujet des chênes. Le F. le Moine fe contenta de répondre que , fans examiner fi des gens qui  xdo Jugements n'avoient jamais eu de part a Ia régie de la maifon étoient mieux informés que lui, de la quantité des arbres abattus ; ni fi un ferment iitis-décifoire , tel que celui qu'on avoit exigé de lui, pouvoit être anéanti par le ferment de deux autres perfonnes; il fe bornoit a dire que, le ferment étant rafflirance d'un fait, d'après la connoiflance qu'on en a, on ne pouvoit le taxer d'avoir fait un faux ferment , qu'en faifant voir qu'il avoit, ou même qu'il devoit avoir une connoiflance différente de celle d'après laquelle il avoit affirmé : ce qui étoit de toute impoflibilité , même quand on prouveroit (ceque l'on ne faifoit pas) par 1'exhibition d'un nombre de pieds d'arbres , que la connoiflance , d'après laquelle il avoit affirmé, étoit mal fondée. Cette chicane avoit pour but d'an-' noncer au F. le Moine que fa perte étoit réfolue, s'il ne fe défiftoit pas , Sc que l'on em'ploieroit toutes fortes de moyens pour arriver a ce but. II ne laifïa pas ignoier aux commiffaires qu'il voyoit leur plan; mais il leur déclara qu'inébranlable dans le parti de la vérité qu'il avoit embraffée , il ne s'en défifteroit que pour le bien de la pai* ,  claujlraux, & aux conditions d'un anéantifiement ablolu de toute procédure, & de tout oubh de part Sc d'autre. Ce n'étoit point ce"qu'on exigeoit. Un vouloit qu'il fe rendït a la mifé«corde du général, ai'interceffion des commiflaires, & aux bontés de fon pneur. On vouloitque, non-feulemeuc le pneur tnompUt, mais qu'il trainat iesFeicnemis caPtifs accacl^s i fon char. Ünfin les commiflaires indiquèrent un chapitre, oü ils déclarèrent , en pteience des religieux aflembiés, que leur commiffion étoit fmie : que le gencral viendroic, le lendemain, rendre ion jugement fur les dépofitions des religieux; Sc qu'enfin ils fe déportoienr de leur commiffion limitée a la ronéhon de faire fubir les interrogatoires. ° Le général arrira erTeftivemenr, Ie ,am> l9 aoüt 1756. Le F. u'. Moine hi préfenta une requête, par laquelleen lui expofant les manou* vres pratiquees par les commiflaires pour extorquer le défiftement des religieux & combien cette procédure étoit infuffifante pour afleoir un jugement , il le fuppha de faire entendre les témoins indiqués, tant par les interrp.  2^2, Jugement! gatoires fnbis au mois de mal precedent , que par les interrogatoires faits par les commiffaires , & que les hx religieux qui s'étoient déiiftés fultent entendus, Sc lui ruiten t confrontés , pour conftater le fait qu'il articuloit qu ils n'avoient donné leur défiftement que par crainte , fur les menaces que les commiffaires leur avoient faites des tourments les plus affreux, tels que la corde , la roue & le feu; Sc leur declarant que la peine la plus douce a' laquelle ils duitent s'attendte , s'ils ne le j défiftoient pas, étoit une prifon perpétuelle, dom rien ne poürroit les faire fortir. ,r • Cette requête fut prefentee au général en préfence des commiffaires Sc du prieur. Le général la parcourur des I yeux, d'un air diftrait, & la remit , difant qu'il n'étoit pas venu pour interrooer , mais pour juger. Toute 1 aiïiltance , quicomprir, par les expreiiions du général , ce qu'elle contenoit, en paria avec le dernier mépris , & fe récria qu'elle étoit inutile, Sc ne valoit pas la peine d'être lue. Nelentes audire 'auod auditum damnare non pojfent , difoit Tertullien, en parlant des perfecuteurs du Chriftianifme.  claujlrattx. On fit entendre au général qu'il n'y avoit plus qu'un moyen de vaincre la fermeté du F. le Moine j que ce moyen etoit de le tracafter fur fes comptes | que, fenfible a 1'honneur , il céderoic plutot a la crainte de fe voir maltraiter fur cet article, qu'a toutes autres confi. derations. Ils pouvoient bien ne pas fe trompet; mais c'eft des opérations qui ie firent fur cet objet, qu'il tira des moyens de démafquer la noirceur du projet concerté contre lui. ! cjm0" volllu 1l,e s'affurer de la fidehre de la régie du F. le Moine, on le leroit contenté de partir du dernier arrêté de compte, fait par le P« le général dans Jes vifires anteneures; enforte qu'il ne paroi/foit pas qu'on put légitimement m meme fenfément, propofer de remonter au-dela du dernier arrêté Ce pendant le général fe prêta a cette ma«ceuvre , auffi' offenfante pour lui quelle etoit injufte pour 1'accufé. On pamt donc,pour cec examen, du m0-  4^4 Jugemcnts ment oü le F. U Moine avoit été nom* mé procureur. Le prieur avoit fes vues. II fcavoit que , pour des raifons qu'il avoit approuvées dans le tems , on avoit omis , dans ces comptes anciens , d'enoncer la totalitéde la dépenfe de deuxobjets. Le premier concernoit les Irais d un procés que 1'abbaye avoir foutenu 8c Lrdu contre un fermier qui avoit eu la méchanceté d'abattre fa grange , la veille dela moilfon.afin de faire condamner la maifon en des dommages & intéréts, qu'il avoit effeaivement eu le bonheur d'obtenir en la juftice de SoilTons. Le fecond objet de depenfe concernoit la conftruétion de deux caves , pour raifon defquelles le procureur S-avoit porté en dépenfe, que 600 livres , quoique , dans le fait, elles euffentcoüté plus de 3000 livres. Le prieur prétendoit que, pour rempürce qui manquoit dans 1 enonciation de ces dépenfes , il avoit fallu fupprimer fur la recette. Le procureur convint que 1 imputation du prieur étoit fondee fur les aPparences: Mais il ajouta qu'aide ParJ* penfionêc pat les préfents qud re"  daujlraax. joit de fa familie, Favoit mis en état dentaire & regulière qu'il avoit . jours menee depuis qu'il étoit en reVon; quil avoit emPiGyé, auX de'fenfes en queftion , ce pécule & quelques autres fecours accidentels que , par rapport au procés , dubS « l eut entrepris qae fur I'S^es «eiüeuts: avocats de Soi/fons, n'a iuccomber & fe trouver obli^ée r?* payer des frais & des dommes £ les con eils qui 1'avoient dérerminé *<£^;*fak'Pu tranqS;^ 11 crut devolr Supporter perfonnelle gent une faute qffil devoh peuS re" s ïmputer. * cre a Quantauxcaves5 il y avoit ne„r M ?™>" lui, & don™ntqf' > ^.LU n av°it, auparavant oref Temc XFI,  "tèé Jugements « Au furplus , MefTieurs, ajouta-t>> il, comme la critique que j'éprouve „ femble conrenit un reproche de fri„ponnerie, il y a un moyen fimple » de vérifier fi la dépenfe a été pnfe „ fur les revenus ordinaires de la mai» fon ; c'eft de confronter la recette » des années antérieures avec celle des ,» années oü j'ai fait ces dépenfes. Ce ?> que vous trouyerez en recette qui » excédera celles oü les dépenfes ont » été faites, doit être la mefure de ce » qu'il en a coüté a la maifon, pour ces „ objets. Mais s'il n'y a point d'exce» dant, vous conviendrez que , loin „de mériter des reproches fur les ,> omiffions dont on me fait un crime, » un peu moins de prévention 'feroit y> convenirquemageftion mérite quel» qu'éloge ». Et dans le fait, la recette a toujours été la même. « Eh! mon Dieu, dirent les com»> miffaires, en affedant un air de bon,> té, on ne vous a jamais foupconne >> de malyerfation ; on ne vous en » foupconne pas encore; on ne trouve, „ en tout cela , qu'un défaut d'exacbtude. Mais nous rendons juftice a „ votre probité ; & certainement M. » votre ptieur fe joint a nous. Ces  thujïraux. t6j ««nteftations.fivous vouliez , fe. «roientbientócfinies^lnetienrqu'a "obftunez a refufer un défiAe^nU f ƒ r°u* vos confrères ont donné » ? ,Le f\/tf Moint appercut Je piè*e quon Jmtendoit par ce difcourSP ö& ««garantie par ia réponfe fage óuU étoient toujours ies mêmes, qu'on le, ^foitny portoient aucune «tefnte mais auffi qu'ils ne lui feroient r én' relacher de fa réfolution. On palfa Jes jours fuivants ï J'exa- r^^endeferegiftresD'heureenbeS, on Je fa foit appeller; & ij troiJvoi tou ours le général, Jes cornmiffaires regi ties Oncherchoit, on furetoit onepIuchoit,on interr(«coit^pm• ^eur;onluifaifoicdesöobjjF°- des conteflanons, qui, toujours fa termmoientpar Ja protefktio'n «oitperfuadéqu'ilétoitbonnêteW %>S£*? ^oirpas reful & 165 c^nnifaireS avoient q^W M ij  2,(58 Jugements honte de mettre a exécution le parti qu'ils avoient pris. Us fcavoient que le F. le Moine jouiffoit, dans le public & dans fon ordre , de la réputation d'homme d'honneur , incapable m de . dire, nide faire riencontre les régies du devoir le plus auftère. C etoit cependant cet homme qu'il falloit condamner 6c punir , pour alfurer Ie triomphe du prieur. Mais comment le^condamner , comment le punir, s'il ne savouoit luvroême coupable par un de. fiftement dont la condition eut été de fe remettre a lamiféricorde du général, a l'interceifion des commilfaires , 6c aux bontés de fon prieur ? C'étoit la formule de ce honteux déliftement que l'on exigeoit. C'étoit s'avouer coupable , & fournir matière a une punition , ou nu moins a une humiiiation quelconque. . . Le f -le Mo'ine ' convalncu clue lef commiffaires n'étoient point gens a écouter la voix de la juftice que fa ruine étoit jurée,prit le para de re, mettre entre les mains du general Lareent qui appftttenoit a la maifon , & qui lui reftoit de fa recette , deduóhon fake de fa dépenfe , jufqu'au xx aout; ce qui formoit un objet, tant en as*  tiatiftraïïx. z c9 gent, quen biliers, de plus de i 8000 livres. Cette remjfe fut faite en préfence des commiffaires & du prieur. Cela fait, il repréfenra au général qu'il ne fe diffimuioit pas qu'on vouloit le perdre, & le fupplja de ne point trouver mauvais qu'il fe pourvüt, Vous k pouvez, dit le général, je ne vous empeche point de vouspourvoir ou bon vous fembkra. Le F. ie Moine > dès Je même jour, profita de cette permiiïion, & fe retira «ians ie fein de fa familie. (Cette retraite, qui ne fut connue du gencral & des commiflaires, que le lendemain, annoncoit que 1'intention du J? k Maïae ü'émit pas de fe Iaiffer ccrafer, fans faire, au moins, entendre la vo!X a des juges fupérieürs. Avant de rendre compte du jueefnent qui füt rendu , il eft bon do laire 1 eXp0fé de quelques faits , qui s etoienr paffés è 1'infcu du F. k Moine & dont il „e fut inftruic > , f> retraite. r Dans le cours des interrogatoires , ie K k Jufie, religieux de la maifon de Branie, prieur-curé de Cerfeuil ie trouva a 1'abbaye. Quelques religieux i avoient cue au nombre de ceux % qui M iij  ijo Jugements ils avoient entendu raconter des faits de la conduite ancienne du prieur. Les commitTaires n'auroient pas pu, fans mettte leur partialité dans un trop grand jour , le difpenfer de 1'interroger fur ces faits. Le F. le Jufle répondit qa'il n'avoit point de connoijjdnce certalne de la vérhé de ces faits. Sur le champ , les commiflaires firent écrire; « Le P. le Jujle , curé de Cerfeuil, a » répondu nen avoir point de connoif» fance ». Le F. le Jufe , s'appercevant de la mauvaife foi,déclara qu'il nefigneroit pas, fi l'on n'ajoutoit le mot certaine. Les commiflaires , après s'être épuifés en fophifmes , après avoir long-tems diflerté fur 1'inutilité du mot, & avoir taxé de vaine délicatefle le refus du F. le Jufle de figner 3 fi le mot n'étoit pas dans fa dépofition, furent obligés de fe rendre a cette vaine délicatefle , & de faire ajouter , ce mot prétendu inutile, en interligne , au-deflus de celui connoiffance. On ne croit pas .avoir befoin de faire fentir 1'énorme diftérence entre dire que l'on n'a pas connoiflance d'une chofe, & dire que l'on n'en a pas de connoijfancc certaine. Les commiflaires  clauftraux. 27/1 la fentoient bien , cette différence: ils fcavoient bien qu'elle eft la même qui exifte entre le néant & 1'être. N'avoir point connoiflance eft un pur néant; n'avoir point de connoiflance certaine, c'eft fcavoir , mais fans certitude détaillée. Le F. le Jufle fcavoit , mais comme tous les religieux plaignants , ce que le cri public imputoit au prieur. Sa dépofition le rendoit donc aufli coupable qu'eux ; il falloit donc aufli en faire une des vidimes du triomphe du prieur. Mais il ne demandoitpöinc fa deftitution; & cette demande étoic le crime des religieux de Braine. Si l'on eüt voulu connoïtre& conftatet la vérité, on auroit interrogé 1'or-v ganifte, le F. Manfan, contemporaiu du prieur, & le témoin de fes anciens exploits. Sondévouement marqué pour le prieur ne 1'auroit peut-être pas porté a commettre un parjure; & il falloit bien que l'on craignit qu'il ne déposat ia vérité, quoiqu'il 1'eüt déja trahie au fujet des chênes abattus. Pourquoi n'interrogea-t-on pas Ie F. Morbaix, prieur de Chartreuve, contemporain du prieur de Braine, & témoin de la vie , tant aauelle , que paflee du F. Buneau ? 11 étoit a 1'abM iv  *72 Jugemênts baye de Braine au tems des interroga,^ toires. Les religieux 1'avoient cité ; ainfi que le F. Manfan. Mais on fuyoit la lumière. Cependant le départdu F. le Moine fit craindre que 1'affaire ne füt portee en juftice réglée , &t que la partialité n'y parut trop a découvert. Les commiffaires , quoiqu'ils fe fuffent déportc's de leurs fonctions depuis pliüieurs jours, cbfrrchèrent a fe donnêr un air d'exactitude, en allant, par la ville, quéter des témoignages étrangers en faveur du prieur. Ils fe gardèrent bien d'interroger les témoins indiqués par les religieux; on ne s'adrelfa qua ceux qui furent indiqués par le prieur; & fur quoi les interrogeoit-on ? On leur demandoit fi M. Buneau , prieur de Vabhaye de Braine , étoit un honnete homme} Mais étoit - ce de cela qu'il étoit queftion ? Ne fcait - en pas qu'un malheureux relachement dans les mccurs & dans les idéés ne permet pas de refufer la qualité dhonnete homme a quiconque n'eft point notoiremenr un fripon, & que l'on conferve la qualité d'honnéte homme, quoique l'on foit livré a des vices que la religion condamne avec févérité, & que  clauftraux, 273 la clécence & i'honnèteté publique profcrivent ? L'honnete homme, aujourd'hui dit un auteur célèbre, eft celui qui ne tue point, & qui ne vole point fur le grand chemin. Auffi Je fleur Morand• notaire & greffier d Braine, a qui les commiflaires demandèrent fi le fieur Buneau étoit- un honnete homme, leun répondit de manière d leur faire fentir que ce n'étoit pas ld ce qu'il falloit lui demander. Oui, Mejfeurs , die - il M. le prieur de 1'abbaye eft un honnêtl homme ; & tous ces Mejfeurs , en parlant des religieux , font auffi de trishonnetes gens. Les commiflaires ne prenant Ia dépofition que des perfonnes qui leur itoient indiquees par le prieur, on penfe bien qu'il n'indiqua que les perfonnes qui étoient inftruites de Ja proredtion qui le foutenoit, & qui croyoient devoir la redouter, ou la Wenager ; en conféquence ils ne s'adrefsèrenr pas d ceux qui n'auroient pas craint de dire la vérité, & qui au. roient cru devoir la dire. On fe garda bien, parexemple, d'interrogeri'une de ces trois fceurs, avec qui le prieur avoit été autrefois en relation ; elle £tou cependant encore vivante. •Mv  474 Jtigtments On alla, par forme de viiite feulemenr, pour ne pas trop s'engager , chez le fieur Renaud, do&eur de Sorbonne, bénéficier , réfidant a Braine. On lui demanda , comme aux autres » fi le fieur Buneau étoit un honnête homme. Cet eccléfiaftique, qui con«oilfoit la valeur des termes, & qui ne vouloit fe prêrer a aucune équivoque , paree qu'il ne craignoit point les proreéfions du prieur , commenca fa réponfe de manière a faire juger qu'il alloit dire tout ce qu'il fcavoit fur la conduite de Chonnête homme dont on lui parloit. Mais a peine eut-il parlé , que les commiffaires craignant d'être obligés d'écrire ce que le fieur Renaud alloit raconter , ou de fe déshonorer , s'ils ne le faifoient pas , 1'interrompirent, & lui parlèrent de toute autre chofe. Enfin le général prononga fa fentence , le 13 aoüt 17 5 6 , le jour même que furent faites les enquêtes dont on vient de parler. Le F. le Moine fut déclaré calomniateur , diffamateur, JpO' liateur des Hens de fa maifon, & vlolateur de la foi du ferment. En conféquence , il fut condamné a faire une efpèce d'amende honorabie, a genoux.  clauflraux. zyt nue tere, & a demander pardon, a une prifon de trois ans, puni, pendant quarante jours, de la peine de tres-grieve coulpe ( peine que les ftatuts même n'ont pas ofé exprimer, & dont la partie la moins cruelle eft la dégradation la plus humiliante del'humanité) a être enfermé , dans les prifons de Braine, pendant riois ans; deftitué enfuite du droit de demeurer dans la maifon oü il avoit fait profeflion &c vceu de ftabilité; envoyé dans la maifon de Beauport, au fond de la Bretagne , a cent cinquante lieues de fa familie , pour y vivre , pendant dix ans, comme le dernier des prêtres • déclaré inhabile a pofleder aucun office' clauftral, ou bénéflce, & privé , le refte de fes jours , de route voix active & paflive dans fon ordre. Le contenu de cette fentence parvint au F, le Moine dans fa rettaite. II s'attendoitbien aêtrecondamné, mais il ne s'attendoit pas que la fureur de fes perfécuteurs put aller fi loin. 11 interjetta appel comme d'abus de ce jugement. Mais le parlement étant alors dans 1'inadion , il ne lui fut pas poffible de relever fon appel avant le mois de mai 1757 ; Sc le IQ juin fuiM vj  Xj6 Jugements vant, il fit afligner le général, pour procéder au parlement. Le fdence que le général garda, pendant prés de fix mois, annoncoit au F. le Moine qu'il n'éprouveroit, de la part de ce fupérieur , aucune réfiftance ïur 1'infirmation de la fentence. Le F. le Moine obtint, en conféquence, le z décembre 1757, arrêt par défaut faute de comparoir , par lequel le parlement 3 en déclarant qu'il y avoit abus dans la fentence , déchargea 1'accufé des condamnations ptononcées contre lui , & de toutes les imputations dont il avoit été chargé; otdonna qu'il feroit réinrégré en fa maifon profeffe de Saint-Yves de Braine, & dans le droit d'y demeurer le refte de fes jours , conformément a fes vceux , avec injonction aux fupërieurs &c religieux de 1'y recevoir } & concorder avec lui en frères; a la charge par lui d'y vivre & de s'y comporter fuivant la règle de 1'ordre : il fut rétabli dans le droit de voix aótive & paffive dans fon ordre , & dans la procurc conventuelie de la maifon, fi bon lui fembloit, avec défenfes de 1'y troubler: ilfutordonné que 1'arrêt feroit infcrit furlesregiftres capitulaires de la maifon  claujlraux. ijf générale de Prémonrré , & de la maifon de Braine, en 1'affemblée capitulairement convoquée a ce fujet; a ce faire les dépofuaires des regiftres contraints* Cet arrêt fut fignifié, le 16 du même mois de décembre , au général , alors réfidant a Paris en la maifon abbatiale de Prémontré , Sc le ij du même mois , a la communauté de Braine capitulaitement alfemblée , le prieur étant a la tête. Le procés-yerbal qui en fut drefle , attefte que tous unanimement, &z même le prieur, déclaré» rent qu'i/jacceptoient l'arrêt y&ojfroient de Je confcrmer d ce qui étoit porte' par ïarrêt, qui fut, fur le champ , infcrir fur le regiftre des délibérations capitulaires par 1'un des deux notaires a qui recut ce regiftre de la main même du prieur, comme il eft attefté par le même procés-verbal. Ces détails , qui paroilfent minuH tieux , auront, comme on le verra a une application importante dans 1'affaire. Dans 1'intervalle de la fignification faite au général , Sc de celle qui fut faite a la maifon de Braine, c'eft-adire , le zi décembre , le général jmourut, a cinq heures du matin.  >a7^ Jugttnents On doit préfumer qu'étant au lit de Ia mort, Ie général ne s'étoit occupé de rien moins que du foin de charger un huiffier de former oppofition a 1'arrêt qui lui avoit été fignifié le 16 ; cependant, le lendemain même de fon décès, on fit fignifier , au procureur^du F. le Moine s une oppofition a 1'arrêt fignifié le icT. Le F. Richard, ce même commiffaire qui s'étoit comporté a Braine , d'une manière fi impartiale , fit fignifier, le 23 , par le miniffère du même huiffier qui avoit fait la fignification du 11 au nom d'un homme mort le 11 a cinq heures du matin , que ce même homme etoit décédé : mais 011 euc grand foin de taire le jour du décès. En conféquence, dans une fignificarion faite le 24 , au nom du F. le Moine , on taxa de fauxl'oppofition du 21, comme faite au nom d un homme décédé la veille. Ainfi tout étoit bon aux perfécuteurs du F. le Moine, quand il s'agiffoit de fatisfaire leur haine. En voici encore une preuve. Quoique le prieur de Braine, & toute Ia communauté , eüt «511 folemnellement, fens réferve, Sc fans pro-  claujïraux. ïjty ceftation, Ia fignification de 1'arrêt , quoique cet arrêt eüt été infcrit, d'ui» confentement unanime, furie regiftre capitulaire ; quoique ce regiftre eüt été remis au notaire par Ie prieur Iuimême, cependant ce même prieur, défavouant une acceptation aufli folem< nelle, forma oppofition a 1'arrêt , 6c la fit fignifier par 1'huifïier qui avoit fait les précédentes; fcavoir le iz , au nom du général, décédé le 21 a cinq heures du matin ; & le 23 , au nom du F. Richard , pour annoncer cette mort. Dans cet exploit du prieur , on décidoitque l'appel n'étoit que dévolutif, & non fufpenfif; en conféquence , tpjoique ce religieux n'eüt aucun caraétère a cet eftét, il fomma le F. le Moine d'exécuter la fentence prononcée contre lui par le général, a peine d'y Itre contraint par les voies de droit. Le F. le Moine , qui ne voyoit pas quelles pouvoient être ces voies de droit auxquelles pouvoit recourir un religieux dont 1'autorité fe bornoit au gouvernement d'une maifon particuliète de 1'ordre, craignit, avec raifon , que ce ne fuflent des voies de violence. En conféquence, il fe jetta, de nou-  2 8cs Jugement s Veau , dans les bras da parlement , & le fupplia de le mettre fous fa protection , Sc fous fa fkuve-garde. II obtint cette faveur , ou plutoe cette juftice, par arrêt du 31 janvier 1758, qui ordonna 1'exécution de celui da 2 décembre 1757, & ordonna qu'en vertu de cet arrêt, les prieur Sc religieux de la maifon de Braine feroient tenusd'y recevoir lef Je Moine, comme étant fa maifon de ftabilité , le F. le Moine kant fous la proteclion & fauve-garde de la cour. En vertu de cet arrêt, il fe rendir a Braine , & fut rec/u dans 1'abbaye , fuivant le procés-verbal du 1 5 février r 75 ^ , par fes confrères , comme fujet utile & néceffaire, poury vivre & concorder avec eux, ayant voix aclive & paffïve, confentant qu'il fut réhabilité ; comme de fait , autant qu'il de'pcndoie d'eux, ils le réhabilitoient au nombre de leurs confrères , lui laiffant le libre exercice de la procure conventuelle , s'il fugeoit & propos d'en continuer les foncüons. Depuis cette époque , le F. le Moine n'eft point forti de fa maifon. Pénétré de Pobligation de fes engagements , foumis a. touces les mbulations qui ré»  cldüjltdüxs iti fultent de la règle qu'il a embralTée , quand on n'en porte pas la rigueur audeia des bornes pofées par 1'bumanité & par la juftice, il fouftrit, avec réftgnation , toutes les tracalTeries dtï prieur. La longue vacance de 1'abbaye de Prémontré laiflant 1'ordre fans général, le F. k Moine (e trouva dans 1'impuiffauce de pourfuivre fon appel. II ne voulut pas profiter, a la lettre, de toutes les difpofitions des arrêts qu'il avoit obtenus. Préfervé par ces jugetnents , Sc par la proteclion de Ia cour , des chatiments prononcés contre lui , il erut devoir fe foumeitre a la fubordination qui maintient le bonordre dans les communautés rehgieufes. II s'abftint fingulièrement des fonctions de la procure conventuelle , qu'il éroit autorifé a reprenclre. Déshonoré par Ja qualification de [poliateur des biens de fa maifon , il n'a point été jaloux de fe mêler d'une partie qui n'auroirpas manqué de fournir aux déclamations de fes advetfaires. II voulut vivre comme un fimple religieux , comme ie dernier religieux de fa maifon. Mais fa modération même fut Is  i8i Jugements principe des mauvais procédés cjue le prieur eut pour lui. II lui refufa d'abord la clef de fa chambre ; pour 1'avoir, il fallur des fommations, il fallut la convocacion d'un chapitre, oü le prieur ne remit la clef qu'en difant: Je vous la rends, mais vous pouve^ être ajfuré que, dans peu , je vous ferai fubir toutes les peines portées contre vous dans la fentence de feu M. le général. Cette réponfe fut conftatée par un procés-verbal du 14 février 175 8 ; & l'on va voir , dans un moment, que ce n'eft pas le feul trait de mépris que ce religieux fe foit permis contre les arrêts du parlement. Malgré ces arrêts, le F. le Moine n'avoit pu encore obtenir fes habits de chceur, pour affifter aux offices. II fallut encorelaconvocationd'unchapitre, a ce fujet; &, par la même occafion , Ie F. le Moine demanda au prieur la permiffion de fe préfenter a la communion pafchale, avec fes confrères : 1'un & 1'autte articles furent refufés. Quelques jours après, c'eft-a-dire , le 2.5 mars 1758 , le prieur convoqua , lui-même , un chapitre, & y fit appelier le F. le Moine j c'étoit pour y  clauftraux. 2.83 lire une lettre du nouveau général, en réponfe a celle que Ie prieur lui avoic écrite au fujet de la demande du F. le Moine. Par cette lettte, le nouveau général mandoit au prieur : « Vous » avez eu raifon, Monfieur, de dire » au P. le Moine que vous n'aviez au» cun pouvoirde le releverde 1'excom» munication qu'il a encourue ; répé» tez-le lui, de ma part, Sc dites-lui t> que fies infiolentes fignifications n'a» boutiront a rien ; faites-lui leófcure » de ma lettre en plein chapitre; dé» fendez-lui de fortir de fa maifon. » Quand je ferai dans mes droits , je » fcaurai récompenfer les bons , & » punir les méchants &c les rébelles ». Eft-on rébelle, paree qu'on implore le bras féculier contre une oppreffion aufli injufre qu'accablante ? Et les fignifications des arrêts font-elles des fignifications infolentes , paree qu'elles maintiennent, dans fes droits, un religieux qui a mérité de les conferver par la pureté de fes mceurs, la régularité de fa conduite, par fon attachement a fes devoirs, & par 1'exaótirude fcrupuleufe de fa geftion? Le religieux qui a écrit cette lettre étoit-il donc attaqué du vettige des prétentions ul-  2*4 Jugemehts tramontaines, qai metcent 'fous lei pieds de la puiflanee fpirituelle & les rois , & leurs cours fouveraines ? Mais on ne fera plus furpris, ni de ces menaces , ni du ton fur lequel elles étoient faites , quand on fcaura que le nouveau général étoit ce même F. de Vinay, procureur général de 1'ordre , 1 un des deux commiflaires de I'infi. trucfion faite a Braine. Tels étoient les faits fur Iefquels fe F. le Moine fondoit fon appel comme d'abus. Ses adverfaires lui' donnoienr un grand avantage fur eux : ils n'c~ foient produire l'inftrudion fur laquelle étoit intervenu le jugement dont il fe plaignoit. La réguiarité eft perdue, difoient ils ; il n'y a plus de fubordination , fi le fupérieur eft oblio-é de repréfenter les informations fur lefquelles il fe décermine. Pourquot donc, répondoit le F. le Moine, faites-vous des informations, fi vous vous croyez difpenfé de les montrer? Que necondamnez-vous fans entendre? Cette marche feroit plus fimple^ék plus conforme au pouvoir ïllimité d'un defpote, que vous afleef ez. Mais vous faites des informations ; tous fentez donc que vous ne pouvez  (.laujlraux.. . Juger fans en faire ? Mais la même nécefïité qui vous oblige a en faire , ne vous oblige-t-elle pas a les faire régulières , & a juliifaer qu'elles le font ? Autrement il yaudroit autaut n'en. point faire, que de les faire mal; il yaudroit autant condamner quelqu'un fans i'entendre, que de le condamner fans 1'avoir convaincu qu'il mérite la condamnation. Vous prétendez n'être pas tenu de communiquer vos in.'ormations! Mais }e plus grand fcélératj un malheureux noiixi de crimes , & dévoué a la rpue, entend la lecture des dépofitions qui le chargent; il eft coiifroncé aux témoins; il peut les reprocher; il peut combattre leur témoignage. II n'efl point jugé par un feul homme , il a la yoie de l'appel; il peut propofer fes faits juftificatifs. Toutes ces formalités font de droit naturel, oü 1'ordonnance les a puifées. Or aucune n'a été obfervée a mon égard. Vous abufez de votre qualité de fupérieur. Sans doute, vous êtes au deffus de votte religieux; mais la loi eft au deffus de vous. Vous ne devez point de compte a votre inférieur, quand vous le dépouillez de ce qu'il a da  Jugements plus cher au monde! Vous le devez ; du moins , a la loi, aux dépofitaires de la loi; vous le devez a l'humanité. On vous taxe d'avoir violé toutes les loix , d'avoir fair un abus revoltant de votre autorité, d'avoir voilé, fous le nom d'informations Sc de jugement, 1'aótè de defpotifmele plus caraótérifé &C le plus barbare. Juftifiez-vous. Si je me juftifie , dites-vous , la régularhé fera perdue. Non, la régularité ne fera point perdue , mais la plus cruelle irlégularitéfera confondue; & en refufant de montrer votre procédure , vous craignez moins pour la régularité, que pour votre caufe. Ainfi , vous flottez entre deux écueils; en voulant éviter 1'un , vous tombez dans 1'autre. Incidlt in Scyllam, fi vult vitare Charibdim. 11 n'y a point de jugement, s'il n'y a point de procédure: le jugement eft nul, fi la procédure eft nulle. Optez entre ces deux «xtrémités. Pour vous tirer de ce péril, vous ofez dire que vous êtes affranchi des loix ! Eft ce un prêtre , eft-ce un religieux, eft-ce un citoyen, eft-ce un fujet du roi qui tient ce langage ? Cet aftreux fyftême pafte 1'épongefur routes  clauflraux. 287 les loix, pour y fubftituer une volonté qui n'aura plus d'autre règle , que fes caprices. Mais ramenons 1'abbé de Prémontré a lui-même. On n'ignore pas jufqu'oü a été Ie déliredes prétentions ultramontaines ,' fur 1'indépendance des miniftres de 1'aurel: nos livres font pleins de monuments de cette ambitieufe dodtrine, dont la raifon, le développement des principes évangéliques Sc la force de ï'autorité temporelle ont eu tant de peine a arrêtet le cours & les effets. Mais il faut rendre a 1'ordre de Prémontré la juftice qu'il eft un de ceux oü Ia contagion de ce fyftême erroné a trouvé le moins d'accès. Ses ftatuts refpirent par - tout la foumiffion aux loix publiques. On n'en citera , pour preuve, que deux articles du chapitre 7 de la diftinetion 2, de abbate deponendo. Article premier. Si alicujus pralati delicia tam fint enormia , ut depofitionem mèreantur, nee ab iis fe purgare queat, dominus Prmmonfratenfs }vel ejus vicarii , juxta ordinis privilegia ( jusis ORDINE IN OMNIBUS STRICTE SERVATO ) adejus depofitionem procedunt. Article troifième. Depqfitus , JUR1S  x 8 8 Jugements ORD1NE NON SERVATO , poft appellationem , antè omnia refiituatur. Voila donc le général de Prémonrré, lui • niême, affujetti, par la Iqi fupérieure de fon ordre, a 1'obfer^atioa exacte des régies prefcrites par les loix , juris ordine ftricle fiervato. Comment donc ofoit-on afficher 1'indépendance de ces mêmes loix, dont les ftatuts enjoignentfi pofitivement 1'obfervation ? Dans le jugement que l'on examine ici, ne voit - on pas que, même en en bravant les loix, on y a affeóté de s'appuyer fur leur fuffrage ? On y déclare les faits avancés contre le prieur, inadmijftbks a preuve, ainfi quil eft porté par les ordonnances. On pré.tend écarter les plaintes du F. k Moine par deux fins dg non - recevoir. Mais les fins de non-recevoir ne font admiffibles ni dans les appels comme d'abus , ni en matière criminelle, ni en matière d'état. Peut - on , par la fin de non recevoir , forcer un homme a exécuter un jugement radicalement nul ? Jugement qui le condamne comme un criminel aux peines les plus dures 5c les plus infamantes, qui renyerfe totalement fon  cUuJtrauxi tSf fon état , Sc qui le livre, pour toute fa vie, a la honte de i'ignominie ? Au furplus, examinons ces prétendues fins de non-recevoïr. Elles font fondées, la première, fur une lettte écrite , par le F. le Moine , au prieur de Braine, quelques jours après le jugement. La feconde , fur lafuppolitiort qu un religieux n'a point le droit defe? poutvoir en juftice. Voici ce qui a donné lieu a la lettre dont on vouloit fe faire une arma? eontre le F. le Moine. Le prieur de Braine Sc fes protecteurs ne pouvoient fe confoler d'avoir vu rous leurs efforts, toutes leurs manoeuvres échouer contre la fermeté d© ce religieux. Ou 1'avoit condamné mais les auteurs de ce jugement ne fe didimuloient pas qu'il feroit leur honte, quand la forme Sc le fond feroient mis fous les yeux de juge» exempts de paffion. Ils n'ignoroienc pas que le F. le Moine étoit inftruic de ce jugement, Sc qu'il en avoit été pénétré. Ilsjugèrent que, dans ces prémiers moments d'abattement Sc da confternation, une trahifon habile-: ment ménagée poürroit 1'engager "$, Tornt XVU N  29a Jugements quelque démarche imprudente, donc on feroit ufage contre lui. Pour 1'exécution de ce projet , on choifit le F. Laumant, procureur de 1'abbaye de Prémontré, On fcavoit quele F. le Moine avoit confiance en lui; on fcavoit que cet infortuné s'étoit retiré dans les environs de Ham. Le F. Laumant, après avoir pris des inftructions a Braine, fe rendit a Ham, & defcendit chez le prieur curé d'Eppeville, ordre de Prémontré. Dès le lendemain , 4 feptembre '1756, c'eft-a-dire , dix jours après la fentence , le prieur d'Eppeville fe rendit au lieu que le F. le Moine avoit choili pour afyle. II lui fit entendre , d'un ton qui ne paroiifoit animé que par 1'intérêt le plus pur , qu'il avoit a lui dire des chofes de la plus grande importance pour fon affaire; que le F, Laumant Patten doit a Ham, pour lui parler a ce fujet; qu'il 1'invitoit &C le prioit même de s'y rendre, pour s'expliquer avec lui. Le F. le Moine rejetta d'abord la propofition. L'expérience lui avoit infpiré le preflentiment que c'étoit un piège qu'on lui tendpit. Mais fa fa-.  clauflraux', x $ «rulle , pénétrée de fa fituation , Sc s'imaginanc, d'après les difcours du prieur d'Eppeville, que le procureur de ia maifon de Prémontré, qui avoit toujours fait pr^reflion d'être 1'ami du F. le Moine, ne lui auroit point fait porrer de parole , fans être avoué du général , fe .joignit au prieur d'Eppeville, pour engager le F. le Moine a aller a Ham s'expliquet avec le F. Laumant, 11 céda enfin a tant d'inflances , mais plutót pour prouver fes difpofitions a. Ja paix, que dans i'efpcrance de iobtenir. II parrit avec le prieur d'Eppeviile. Le F. Laumant parut s'attendfir a Ia yus du F. le Moine. Celui-ei attendit inutilement que Parure s'ouvnt fur les propofitions dont il étoit chargé. Les propos du F. Laumant n'eurent d'autre fujet , que la facheufe fituation ou Ie F. le Moine fe trouvoit réduit. « Eh! bien, lui dit celui-ci , con» noiffez-vous, pour me tirer de cette » fituation , une voie meilleiire & plus » lionorable, que celle de l'appel que » j'ai interjetté de 1'injufte jugement ?> que l'on a rendu contre moi ? Ah ! i> P. le Moine , s'écria le F. Laumant, m eft-il poflible que vous vous portie? Nij  s"9 £ Jugements » k une pareille exrrêmité contre 1'or» dre? Ce qui s'y pafte, doit-il être » connu des féculiers? Ne fcavez- vous m pas de quelle facon l'on penfe, &c » faut-il que vous appreniez au pu» blic qu'H a raifon? Vous avez k vous » plaindre, je n'en difconviens pas ; » mais, pour prouver k la juftice qua ï> vous avez raifon , que ne faudra-t-il » pas lui révéler ? Vótre cceur ne fai» gnera-t-il pas des coups que vous i> allez portet » ? «Oui, dit le F. le Moine; mais p enfin on m'écrafe ; dois-je me laifw fer écrafer ? Ne mériterois - je pa* ff ma Condamnation , fi j'étois aftez >> infiime pour y acquiefcer » ? fi 1 out peut s'arranger , reprit le » F. Laumant; & je fuis perfuadé que >> le moindre regret que vous témoi!»gnerez a votre prieur, anéantiroic j» la condamnation. Je ne dis pas que *> vous alliez vous jetter a fes pieds ; >> mais une lettre peut vous fauver le f* défagrément de'lui faire, en face 3 un aveu hutniliant. Défarmé par cette # lettre, il fe piquera lui-même d'ob- tenir , de M. le général, 1'anéantifp fement de la fentence >>. Qn zfaaia point de o&ine i croir$  clkufirauxi a 9 j ^üë le F. /e A/ow rejetta , avec iiiiiignacion , une pareille propofitior). « Faites-y vos réflexions , reprit le F. >> Laumant; & foyez perfuadé que je » vous parle en ami} & en hómme »> inftruit. Vous êtes, dites vous, la vici> time de la protection & de 1'aurorité : » mais faites attention a la pofition oü » vous êtes. L'abferice du parlement » ne vous permet pas de lui faire en>> rendre vos plaintes; de retour, vou»> dra-t-il les entendre ? On affure que » la juftice n'a aucun droit d'infpeótion » fur nous; que ce qui fe pafl'e dans » 1'mcérieur denos cfoïtres eft a 1'abri » de fa critique. Mais, en fuppofant ♦> que le parlement ait le droit d'écou-»> ter vos plaintes, combien de tems » fera-t-il encore éloigné ? Dans 1'in« tervalle, vous êtes un fugitif que » M. le général peut réclamer par-tout. w La même autorité qui vous a déja » frappé s peut vous atteindre encore » au lieu oü vqns êtes. On peut vous »enlever, & vous forcer au filence » pour toute votre vie. Vous fentez »> ce que l'on peut faire , &c quelle au» tonté l'on peutemployer. Une prifon » perpétuelle ne vous fait - elle pas * «embler ? Car fugitif & difcole , fi Niij  '4 JugMSnts » l'on fe faifit de vons, ne croyez, pas » que l'on s'en cienne a 1'exécucion de w la fentence ». Une prifon perpétuelle! un fupplice qui ne finira qu'avec la vie! il faut être religieux, pour fentir toutel 'étendue d'une pareille menace (i). (i) J'ai cru devoir conferver ici une note qui fe trouve dans le mémoire de M. Gervaife- II l'a copiée toute entière d'un paflage d'un excellent ouvrage , qui parut en 1740, fous le titre éüHifloire du droit public eccléfiaftique froncois. Cc paflage fe trouve, tome 1 5 diffhrtation 5 , n. 8. Ces tribunaux monaftiques , dit cet auteur , ne peuvent condamner a la mort ; mais, quand la faute eft cnpttale, ou, ce qui revient au même, contre 1'honneur ck les intéréts de 1'ordre , ils fuppléent a ce pouvoir qui leur manque , par les rigueurs exceffives d'une prifon perpétuelle. Un cachot obfcur & profond , du pain & de 1'eau pour toute nourriture , de mauvais traitements fouvent réitérés, uns privation abfolue de toute conrolation , de tout fecours, fans aucun exercice de religion ; c'eft ainfi qu'on punit la réfiftance ft des ordres fouvent injuftes , une faute de fragilité II n'y a pas long-tems , continue le même auteur , qu'un Bénédiftin , titulaire d'un bénéfke fitué dans le diocèfe de Tours , avoit trouvé moyen de s'en mettre en poffeflïon , & d'y réfider. On trouva celui de 1'enleyer: il fut couduit a Marmoutier ; 01»  clauflrauxi 2.91' Ces réflexions épouvantèrent , &C éroienc , en efïet, bien capabies d'épouyanter le F. le Moine , d'autant l'enferma dans un cachot , au fond d'une cave profonde , fans autre lit que la terre ; un pain & une cruche d'eau qu'on lui donnoit toutes les femaines , étoient toute fa nourriture ; c'eft ce qu'ils appellent Yeau d,unstoijJ'e & !e pain de tribulation. Ce religieux avoit des anijs; quelque fecret qu'eüt été Penlèvement, on en avoit eu des indices affez fort'3. L'intendant de Tours re$ut otdre de fe le faire repréfenter vif 011 mort. Le prieur protefta qu'il ne fcavoit ce qu'il étoit devenu. Enfin , après bien des recherches , on troava fon cachot, on Pen retira plus qu'a demi-mort, Le cardinal de Coaflin, continue toujours le même auteur ,. évêque d'Orléan*, en-; tendit, par hafard , chez les capucins , les gémiffements d'un de leurs prifonniers. II fe fervit de toute fon autorité , pour faire tirer, en fa préfence , ce malheureux de fa prifon. C'étoit une efpèce de citerne , ou de puits , dont 1'ouverture étoit fermée par une groffe pierre. Jamais fpeftacle ne fut plus touchaat. Cet infortuné éroit nu, fes habits étant tombés en pourriture ; fa barbe & fes cheveux étoient chargés d'un verd femblable a celui qui fe forme fur les murailles huinides. Son crime étoit d'avoir, dans un mouvement de colère , pris fon gardien par la barbe. N'eft-il pas naturel de penfer , ajoute encore cet auteur , que plufisurs de ces malN iv  ■i9*> Tugèments plus que le F. Laumant laiiïoit entre» voir que le général avoir réellement cone-u le deffein dont on affeétoit de »e préfenter que la poiTibilité. henreux ont recours au défefpoir , pour abréger leur misère. L'obfcuriré du cloitra dérobe au public ces fcènes tragiques ; mais elles n'en font pas moins réelles. Je fgais siïrement que, dans une communauté de '. . . . , peu diftame de Paris , un religieus prifonnier ayant obtenu d'être faigné , r'ouvrit fa veine, & laifla couler tout fon fang ; & je fcais aufli qu'on ne 1'avoit enfermé , que pour le contraindre a faire certaine démarche qu'il avoit raifon de refufer. Ces inhumanités , ces injuftices , dit toujours notre auteur , font le fruit des exenvptions de la jurifdi&ion ordinaire. Ne falloitil pas , du moins , régler que ces tribunaux fecrets ne puffent prononcer , fans que 1'évêque, ou le juge royal priffent connoiffance de la qualité du:crime , de fespreuves & des dcfenfes du criminel ? Ces exemptions, qui livrent fouvent les religieux a. la vengeance de leurs parties , ne font-elles pas manifeftement injuftes ? Ceffent-ils d'être fujets , & n'ont-ils pas droit a ia protection du fouverain ? Pourquoi donc les aban« donner de la forte , leur óter les moyens de faire connoitre leur imiocence , & modérer leur chatiment ? convient il même a la puiflance fouveraine , que la juflice s'exerce clandeftinement, & fans fa participation ? La profeflion religieufe anéantit-elle tous les droits 4e i'humajiité & de la foeiété l  clauflrauxi 297 te filence & k douleiir du F. le Moine affutèrenr les deux religieux que leurs coups avoienr porré. « Je vofe » cequi vous cient, lui dit le F. Laaft mam; vous ne pouvez pas vous ré»> loudre a écrire d votre prieur : eh *> bien, je vais écrire , moi-même , » a lettre , & vous la copierez. A » 1'egard de 1'effet, fiez-vous d moi , »il ne peuc être qu'avantageux pour » vous, en vous rendanr la paix que » vous avez perdue. Moi même, je» cnrai d votre prieur, pour 1'engager » a ce qu'il doit faire par honneur , *> & par probitê ». ^ Dès cet inftantle F. le Moine, fubjugué par la crainte & par I'efpérance, ne fut plus qu'un inftrument purement paflir entre les mains du F. Laumant, qui lui fit copier tout ce qu'il voulut! 11 comptoit qu'on venoi: lui apporter Ja paix, 011 venoit pour lui enfoncer le poignard dans ie cceur. La lettre , loin de produire 1'effet dont on 1'avoic «arte, ne fut qu'un triomphe de plus pour fon ennemi; & , d peine lui futelle parvenue, qu'il courut k montrer a tout le monde , en dtfant : il n'a qu a plaider a pré/ent, voila de quoi le faire fangler de la bonne jacon : Voil\ N «  498 Jugements un aveu bien poft if defa calomnie comrd moi. Telle étoit 1'hiftoire de cette fatale lettre, dont oh fe faifoit un moyen de fin de non-recevoir. Mais une première réflexion , qui faitévanouir ce moyen, c'eft qu'il n'y a point de fin de non-recevoir en matière d'abus. « L'abus , dit Fevret, » liv. 1, chap. 2 , a la fin , ne fe couvre » jamais : car regardant les droits du » roi, de fatemporalité, 011 dn public, » on n'y peut déroger ni directement , » ni indireótement, ni empêchet 1'ef» fet de l'appel par aucune claufe ou » pactions , foit expreffes , ou tacites. » M. le procureur général étant partie » nécelfaire, on ne peut terminer les » appels comme d'abus par la voie » compromiffoire, non plus que par » des expédients pris entre les parties »» En eftet, le F. le Moine auroit eu beau fe reconnoitre coupable, tous les aveux qu'il auroit pu faire n'auroienc pas empêché que Ie jugement prononcé contre lui ne fut abufif; que l'on n'eüc violé , pour y parvenu, toutes les loix de 1'équité , & toutes les régies de la procédure tracées par les ordonnances fin royaume. Or il eft de néceflité ab-  claujlraux. iyy folue Je réprimer de tels abus d'autorité, qui foumetcroient les fujets du roi a un defpotifme qu'il n'exerce pas lui même. II ya plus, c'eft enfreindre fes loix; c'eft lui réfifter en face; c'eft: bouleverfer 1'ordre public, c'eft mettre les fujets auxquels il doit protedtion fous le glaive de 1'injuftice & de la vengeance. •Une feconde réflexion, c'eft qu'il eft contraire a toutes les régies de la vie civile , dont la confiance fait une des principales bafes , de mettre au jour des lettres écrites fous le fceau du fecret. Un des traits que Ckéron , dans fa feconde Philippique , regardé comme le plus capable de rendre MareAntoïne odieux, eft le reproche qu'il lui fait d'avoir divulgué fes Iettres» « Cet homme, dic-il, qui fe fert con» tre moi des lettres qu'il s'eft vanté » que je lui avois écrites, ne peut être » envifagé que comme un homme « dépouillé de tout fentiment d'hu» manité , & qui n'a pas même les » premières idéés des loix de la fo» ciété » : At etiam liueras, quas me fibï mijïjfe dicerec, recitavit homo & humartitatis expers i & viu communis ignarus. N vj  |oo Jugêmenti La juftice, dans ces occationi, quï ne croic pas devoir faire ufage de ce qui avoic été écrit fous le fceau de la confiance & du fecret, fait refermer la lettre, & oublie ce qu'elle contienr. Cette jurifprudence , infpirée par la juftice Sc par les loix de la fociété , eft •tteftée par tous les auteurs, 8c nom-; «nément parun arrêt du 9 mars 1645 ïapporté au journal des audiences. Mais fi c'eft une trahifon que de .violet le fecret d'une lettre, fi cette sction peut être comparée a celle d'urt lomme qui fe fert des armes d'un autre pour 1'aftaffiner, que faut-il penfer du procédé de celui qui a recu uner lettre qui lui étoit adreflee , & la reiiiet entre les mains d'un tiers, pour en faire ufage contre celui qui l'a ecrite ? On n'ofe caractérifer la conduite de celui qui livre la lettre, & Ja conduite de celui qui s'en fert. C'eft encore bien autre chofe danf les circonftances actuelles. Cette lettre, comme on l'a vu, eft le fruit d'une trahifon, On s'eft fervi de la voix de l'amitié,pour tromper le F. le Moine. Eh .' qui n'auroit pas été rrompé comme lui, dans la pofition oü il «toit ? Le même homme qui brave,  clauflraax. $of fes ménaces d'un ennemi , n'eft pas aflez fort , pour fe défendre contre une trahifon oü l'on joint aux careffes , a 1'intérêt que femble diófcer 1'amitié, le tableau de malheurs & de peines capabies d ebranler un homme conftanr. Cette lettre, dont les ennemis du F. le Moine attendoient un fi grand fuccès, que ie général préfentoit avec complaifance, comme 1'apologie de fon protégé , comme une réponfe a toutes les imputations , même aux placards que l'on affichoir fans cefle dans la ville de Braine ; cette lettre1 n'eft donc , a proprement parler, que leur ouvrage; on l'a fubtilifée , par une trahifon , au F. le Moine; une autre trahifon l'a faic pafler dans les mains du général. Ceft en effrayant cet infortuné pa£ les images les plus terribles, c'eft en lui préfentant 1'affreufe idéé d'une prifon perpétuelle , c'eft dans 1'aflurance on tire 1'abfurde canféquence que 1'accès des tribunaux du prince eft interdit a rout religieux , & qu'il n'a pas le droit de porter aux juges fupérieurs la connoiffance des iniquités dont on veut le rendre la vicfime. Tel eft 1'abfurde raifonnement avec lequel on vouloit réduire le F. le Moins a la mallieureufe néceflité de gémir , toute fa vie , fous le poids desinjuftices de fes fupérieurs. Mais 1'obéiflance que promet un religieux n'eft point une abdication du fens commun , ne contient pas levrjeu d'une obéilfance aveugle & ftupide. Un religieux , par fa profeflion, ne devient pas , entre les mains de fes fupérieurs, un automate dont les refforts ne doivent fe monter qu'au gré de leurs caprices, & de leurs volontés raifonnables ou dépravées. Si cela étoit, quel homme "poürroit , fans frémir, en confidérer les conféquences ? On n'a jamais parlé que d'un monftre , le vieux de la Montagne , ou le roi des aflaflins , qui ait fondé fon autorité füt cette déteftable maxime»  'jf*4 Jugements Nul fouverain., en confentant que les corps monaftiques s 'établiflent dans fes etacsj n'a renonce, ni pu renoncet ,aux droits fiicrés 8c inaiicnables de la police univerfelle que lui donne fa couronne fur tout ce qui fait partie de fes états. Sion admettoit la propolitioa contraire, on poürroit dire qu'il y a amant de rois , qu'il peut y avoit de maifons religieufes. Abfurdité fi revoltante , qu'elle formeroit feule la preuve du droit d'infpe&ion qui appartient au fouverain fur toutes les communautés régulières , & de la néceflité de la proteótion qu'il accorde a tous ceux qui habitent ces maifons , ainfi qua fes autres fujets. ^ En effet , le vceu d'obéilfance que l'on prononce en entrant en religion , ne contient, & ne peut contenir un renoncement aux lumières de la raifon; il n'emporte point le facrifice de ce préfent fublime, par lequel 1'homme eft I'image de la Divinité. Ce vceu n'eft point une abdication du droit de défendre fon honneur & fa vie contre les trames de 1'injuftice, contre les violences de Poppreflïon. On peut dir® plus ; un engagement fondé fur de pareils facrifices feroit nul, & mên^  tlaüftrauX. 5°S '«rïmirtel ; & il n'eft pas plus permis de faire un tel vceu , que defe donnet la mort. Pour connoitre 1'étendue du vceïl d'obéilfance que font les religieux de 1'ordre de Prémontré , il ne faut que confulrer leurs ftatuts, dift. i , chap. 17 , n°. 75. Le religieux promet une obé'iffance parfaite en Jefus-Chrift, & fuivant 1 evangile de Jefus - Chnft. Obedientiam perfectum in Chriflo , fecundum evangelium Chrifti; & comme on ne peut lui demander que ce qu'il a promis , on ne peut exiger de lui d'obéiftance quautant que ce qucut lui demande eft conforme a 1'efpric du chriftianifme, aux principes facrés & effentiellement raifonnables de 1'evangile, des dogmes, 5c de la morale de Jefus-Chrift. Voila ce que renferme le vceu dobéiffance. L'éyangile en eft la règle. Or 1'évangile ne nous a pas été donné pour éteindre , en nous , les lumières de ia raifon « ni pour nous prefcrire de nous laifler déshonorer, dégrader, anéantir. Les maximes contraires , que 1'am■bition 5c le defir de dommer prétendent ériger en vertus religieufes fous le nom de fimplicité, d'humilité ehrc*  30(> lugements ■tienne , d'obéiffance méritoire, penvent devemr des maximes dépravées auffi oppofees d 1'efprit de Ja reiigion \ qu elles pourroient être funeftes dJ'érat! . t-n vain prétendroit-on que Ie fiipén?ur eft feul tenu de 1'équité de VI conduite qu'il ne doit répondre qu'd Dien de 1 injuftice , de I'irrégulariré , da Peu de raifon de fes ordres; & q„J I inferieur n'a que le pani de 1'obeiflance. Que deviendroient nos loix ? Que deyiendroient nos fouverains ? Que deviendroient Ia raifon , 1'équité, Iarelig,o,i même, fi elle fervoit de pretexre a des propofitions auffi abfurdes , & qui pourroient avoir desfuites auffi funeftes, qui, dans ie fein d'une monarchie fage, introduiroir le defpotiimele plus armee.' Auffi ne font elles pas admifes parrm nows; auffi vivons- nous dans Ie principe que le fouverain devant fa protecfion indiftinélement d tous fes rujets, tous, dans queiqu'état qu'ils loient , ont Je droit de réclamer cette prorediion contre les abus. la violence « 1 oppreilion. Défenfeur des loix de a rellen, & des régies qui régiffent les differents cotps qui font dans fes «acs, touc fouverain a droit de répri-  clauftraux. 3°7 mer;&: touc inférieur, de quelque qualité qu'il foit, a droit d'invoquer fon autorité. Les fupérieurs des ordres monafhques ont, il eft vrai, fur leurs inférieurs, une autorité correclionnelle. Mais que fauc-il entendre par certe expreffion ? La raifon dit que cette autorité, femblable, dans fa nature, a celle des pères fur leurs enfants, doit 1'imiter dans fes effets. Voila, malgré 1'orgueil & le defir du defpotifme, les juftes bolnes de 1'étendue du pouvoir dont le fouverain confie 1'exercice aux fupérieurs des ordres réguliers. Ainfi , quand ils franchuTent ces bordes facrées , fixées par la raifon & par .leur devoir, quand ils oublient que la plus jufte févérité d'un père raifonnable eft toujours tempérée par la tendreffe, ils fe mettent dans le cas de ces pères furieux, des mains defquels on arrache les enfants dont ils font les tyrans & les bourreaux , au lieu d'être leurs proteéfeurs & leurs nmis. . Si l'on eüt voulu en croire 1'abbé de Prémontré , le jugement dont le F. le Moine fe plaignoit , ne fortoit point des bornes de l'antorité correclionnelle ; 6c c'étoit la fon principal, Sc  *0'* 'fugefnehtè «cme fon unique moyen. Admetton* Jalüppofition qu'il n'avoir point faau-de a de ce qu'il pouvoit ;?mai r0-rtfait au-deüde f ^ Suffic-il donc de n'avoir pas fai( *o« le mal poffible, pour jlfierfc ™al quel on a fairinjuftemem ? Eft-iJ fms lu™*« . quelqu'un revêtu du P°uvoir d'être légitimement injufte Jen qui ce pouvoir ne ceffie qu'a tel Jegre dmjuftu-e? C'eft foutenir l'£ fimiative quede dire, comme fcifoic iegenerai:;cle;ugementn'eftqneco «re&onnel; donc vous êtes non-recei iï 2 VOUS en Plai"dre ». M*« la correftion fuppofe un délif i Qacletoucelui du F. ie Moine? Dira t-on que ce délit réfultoit de l'innl cence du prieur de Braine? De IafaufB ?ej Plalnt« Portées contre lui ? Farou donc cette prétendue innocence f vent elle été prouvée? Par oü avoit! «1 eteprouvé que les plaintes portéeS contre lut éto.entfaufles ? Quels inteï rogatoires avoit - il ffibis? Q„eI. J moins avoit-on fair entendre > Óü eend" \ vPa,^Ui avoie"^étéenl ^ndus?< enfreindre 1'obédience, qui eft 1$ » nerf principal de leur profeflion ,' » toutefois , en cas de fédition ou tu^ Xtiithe , tk grand fcandale, ils y peu» vent ay(?.irrecours, par la réquifition » de 1'i'mnitfition de 1'aidedu bras .» féculier; & pareillement a la cour » de parlement s quand il y a abus clair & & evident var contravention aux or* 'dohhances »;i'v««*', arrêts &jugements » de ladite cour ouftatuts ^e hur re'»formation3 Pau % faints $anons con' » ciliaires & decre% Ufluds le roi ft conjcrvatw enfenlcy^™^  «io Jugementi Cet article, en autorifant l'appel comme d'abus des religieux contre les jugementsoüil fe trouve des contraventions suxfaints décrers, ou auxordonnances, aux arrêts &c réglements de la cour, ou aux ftatuts de leur ordre , admer-il la frivole diftincHon du jugement correctionnel , ou non cotrecfionnelPlls'en faut bien; il fuppofe même le contraire. En effet, comme les religieux font cenfés ne pouvoir rendre que des jugements correcfionnels, il s'enfuit que c'eft précifément contre le jugement corredfionnel, que cet article accorde ie fecours de l'appel comme d'abus. Rien n'étoit donc plus mal imaginé que la fin de non-recevoir fondée fur ce qu'un jugement correclionnel ne peur pas être abnfif, qu'il eft même inattaquable , irréformable. Mais comment, d'ailieurs, ofoiton préfentercomme 1'exercice del'aurorite correctionnelle d'un père fur fes enfants , le jugement dont fe plaignoit le F. le Moine? Jugement oü il fembloit qu'on eüt voulu s'étourdirfurl'injuftice, par 1'excès même oü on 1'avoit portee: jugement dont il femble que la fureur eüt di&é les difpofitions, qui  claujlraux. ju renverfoit totalemenr 1'état d'un religieux , qui détruifoit, fans relfource, fon état monaftique, qui rompoit les conditions elfentielles de fon engagement, qui le déshonoroit, le couvroit de honte, qui lerendoit infame dans fon ordre & dans le public, qui le livroit aux horreurs d'une prifon de trois ans, & a. rout ce qu'un ennerni implacable peut inventet de plus propre a rendre avec énergie le fens de cette expreffion myftérieufe, la peine de irès - grieve coulpe. Obfcurité terrible qui ne mettoit point de bornes au fupplice du malheureux qui devoit en être l'objet. Si cet infortuné eüt trouvé , dans la force de fon tempérament, de quoi ïéfilfer a des tourments renouvellés journellement pendant trois ans , on 1'envoyoit a cent-cinquante lieues de fa patrie, fous un ciel étranger, fur le bord de la mer, dans un air dont on comptoit que 1'erret produiroit ce que les tourments n'auroient pu faire. S'il n'eüt pas fuccombé , fes jours ne devoient plus être qu'une chaine d'opprobres & d'humiliations : il devoit être le dernier des religieux j il étoic privé de toute voix délibérative; il ne pouvoit plus afpirer 3 aucun office de  5 ï £ Jugements 1'ordre , il en écoit déclaré incapable. On ne lui laiiïbit, pour partage, que le mépris & 1'infamie, & pour reffource, que la morr. Si c'eft la comme un père punic, fa tendreife eft plus cruelle, que la févérité même de la juftice. L'abbé de Prémontré, pour prouver que le religieux n'eft pas recevable a appeller comme d'abus d'un jugement de corredion , citoit un arrêt du 5 aoüt 170?., rapporté au journal des audiences. Mais quelle énorme difterence entre la caufe du F. le Moine, êc felle qui fut jugée par cet arrêt. LeP, Lamy, prieur des Jacobins de Moulins , avoit fixé, par fes galanteïies , 1'attention du promoteur de cette ville, qui avoit rendu plainte, & demande qu'il en fut informé. L'information faite, 1'ofricial 1'envoya au provincial des Jacobins, qui, de fon coté* entendit deux fois tous les teligieux du couvent de Moulins. Le P. Lamy avoit été , lui-même, cité & entendu pendant trois féances. En conféquence le provincial avoit, par fa fentence, déclaré le P. Lamy convaincu d'avoir fréquente des femmes; &, pour pu* jnition , 1'avoit dépofé du prieuré ,  clduflraua, j i, f rivë de voix a&ive pendant un an & demi, & de paffive, pour quatre ans, avec défenfes d'allera Moulins pendant ces quatre années. Ce jugement n'excédoit réeliement pas les bornes du pouvoir correófcionnel; 8c le provincial ne pouvoit être taxé d'avoir négligé aucune des précautions qui pouvoient 1'inftruire de la vérité, & 1'en affurer, puifqu'il avoit fait de nombreufes informations , & que 1'accufé avoit eu tout le tems & tous les moyens de fe défendre. II n'eft donc pas éfönnant que cet accufé réelletnentcoupable , & juftement accufé , ait été déclaré non-recevable dans fon appel comme d'abus. II en eüt été de même, fi le prieur de Braine, qui fe trouvoit dans le même cas que ie prieur des Jacobins, eüt efiuyé la même condamnation , il auroit fubi fon jupement, 8c auroit été non-recevable a en appeller. Mais n'éroit-il pas indécent d'oppo* fercer exemple au F. ie Moine, lui qui n'avoit jamais été dans Ie cas d'effuyer 1'ombre d'urt reproche , ni quant a fes mceurs , ni quant d fa probité ; lui que l'on avoit jugé fans avoir fait la moindre information, quoiqu'il eüt, Tome XVI. q '  j 14 Jugements fans celTe , demandé que Ton en fit j lui que l'on avoit eondamné , fans avoir voulu 1'entendre ; lui contre qui fon avoit yiolé les loix publiques, la loi de fon ordre , Sc même les principes du droit naturel; lui contre qui fon avoit prononcé fans raifon, fans fujet, contre toutes les régies, & fous les qualifications les plus infamantes , non pas une punition palfagère , comme celle du prieur des Jacobins , mais les peines les plus terribles que l'on puille prononcer contre un fcclérat, d qui, li l'on n'öte pas la vie , on la laiffe comme un fardeau éternel d'infamie, de mépris Sc de défefpoir ? Encore une fois , quelle différence, tant fur la forme, que fur le fond, entre ces deux jugements ! Un fupérieur qui fonde fon defpotifme , ou , ce qui revient au même , le pouvoir d'être injufte } fur la maxime qu'un religieux eft mort au monde, n'infulte-t-il pas Sc les loix de 1'humanité, & celles du prince ? Viole-ton le tombeau des morts , déshonore* t on leur cendre? Un religieux eft mort au monde; mais eft ce une raifon de l'alTaffiner, ou de le faire périr a petit feu ? N'eft-ril qu'un ver de terre ,  dauflraux. ejue fon fupérieur pui (Te aiféinent écra- Ier? Eivl ce fupérieur qu'eft - ij donc lui-meme? Expliquons certe maxime , qui dit qu un religieux eft mort au monde Un homme quitte Ia fociété civile pour entrerdans une fociété qu'il croi' plus parfaire: mais cette fociété, qu'il aadoptee, eft dans 1'état; elle n'a été admife & n'eft confervée que ious ia condinon d'être fubordonuée aux loix de letat._ En quittant la fociété civile , le religieux abdique 1'état tivitfmais ? en entrant dans la fociété réeuhere , abdique-t-il la qualité d'homme,> & es droits de l'humanité? Renonce' t-il a etre homme d'honneur & de pro bi te ? 11 ne peut plus vivre indépendant « xommercer, efter en jugement pour .affaires purement civiles, refter, trant rnettre fes biens i fa famiJje. 'Mds * li.n'a P,us c« droits du citoven il i toujours ceux de 1'lmmanité: fin^ulièrement celui de fe défendre; droit facre que nous tenons de la nature 8c qui ne peut, par conféquenr, s'alié^ner (i); il a celui de réchrmer contre (0 Efi cum nonfiripta ,fidnalalex, quam O ij  31 (» Jugements 1'opprefïion; il ne poürroit y renonce* fans abjurer la qualicé d'liomme. 11 tient toujours a 1'honneur, aux devoirs de la loi naturelle, a la réputation d'hcnnête homme; il tient même a fa familie fous ces différents rapports; Sc réciproquement fa familie tient encore a lui fous ces mêmes rapports; de forte que 1'infamie d'un jugement qui le déshonore rejaillit fur fa familie même. On doit juger, par la , s'il dépend d'un fupérieur de fe jouer de 1'honneur d'un religieux, & s'il peut arbitrairement Sc impunément le lui ravir par une condamnation infamante. Le fort de chaque religieux en particulier feroit plus a plaindre, que celui du dernier des malheureux , fi l'on admettoit, en faveur des fupérieurs des ordres monaftiques , 1'hypothcfe d'un pouvoir arbitraire Sc abfolument iudépendant de tout recours aux loix non didicimus , aceepimut, legimus ; verum ex tiaturd ipfd arnpuimus, kaufimus exprefïmus ; ad quam non doBi ,fed faiii ; non injlituti , fed imbuti fuimus , ut (l vita noftra in aliquas ïnfidias , fi in vim , fi in tela aut latronum ,' dut inimicorum incidijfet, omnis honefla ratio ejfel expediendx falutis. Cic. pro Milön.  claujlraux. j 17 du prince. En ce cas , chaque fupérieur feroit lui-même, non pas un prince, non pas un monarque, qui , par 1'effence de fon pouvoir, eft lui-même foumis aux loix qu'il dióèe; mais il feroit un defpote , ou plutot un vér *■ ritable tyran. Heureufement les chofes ne font pas ainfi. Les libertés de 1'églife gallicane , les arrêts des cours , la juftice , le droit naturel , tout s'élève contre laprétentiön de Pabbé' de Prémontré , qui fe trouvoit encore profcrite par les ftatuts mêmes de fon ordre. Ils atteftent le dtoit qu'ont les religieux de fe plaindre, quand ils en ont un jufte fujet. Ils atteftent que les fupérieurs toajeurs ne peuvent, fans injuftice, refufer de faire droit fur leurs plaintes de procéder fuivant les loix publiques : ftriclb feivato juris ordine. ■ lis vont plus loin , ils ordonnent de recourir a 1'autorité du bras fé'culier, quand celle de 1'ordre eft impuiffante contre ceux qui la bravent : Ad eos coercendos opponet adhibere brachium feculare, dit Partiele 48 de la diftind. 3 , chap. 9 des ftatuts-. 1 Voila donc le recours a 1'autorité du prince tracé dans les ftatuts mêmes;. O iij  gi8 Jugements & s'il paroit que ces ftatuts marquént quelqu'éloignement pour la jurik'icrion féculière, il eft vifible que ce n'eft que dans le cas oü 1'inférieur n'a pas d'abord eu recours aux fupérieurs; ce qui eft exprimé par le terme impropre : jurijdiction de 1'ordre. Voici les termes des ftatuts : Quicumque fubditorum, prater mifsd ordinis jurifdiciione, ad extraordinariam ,Jivè ecclefiajlicam , Jive la'icalem s jurifdiciionem confugerint j . . . infra triduüm rejïpifcant. II eft donc certain , d'après les ftatuts mêmes, qu'on peut fe pourvoir devant les juges du prince , quand on a fait, auprès des juges de fon ordre , les démarches néceflaires pour obtenir •juftice , fans pouvoir y parvenir. II ne feroit pas difficile d'en trouver des exemples , même dans 1'ordre de Prémontré. Le F. le Moine, en fe pourvoyant contte Ie jugement du zj aoüt 17 5 cT, n'avoit donc fait que ce qu'il avoit droit de faire. II ne s'agifioit donc plus que d'établir les moyens d'abus. M. Gervaife diftingua ces moyens en trois parties. 1S. La juftice & la régularité de la plainte portee par les fept religieus de  cïaufiraux. 31 *> Pabbaye de Braine contre leur prieur. i°. Les nullités & les abus dont la procédure faite par les fupérieurs étoic infectie. 30. L'irrégularité, 1'injuftice & 1'abfurdité des chefs de la condamnation prononcée contre le F. le Moine. I. Les ftatuts de 1'ordre de Prémontré même nous apprennent que non feulement les religieux onr droit de fe plaindre, quand les fupérieurs en fourniffenr le fujet ; mais qu'ils font même obligés enconfcience dele faire, s'üs veulent évifer de mettre leur ame en danger, & de s'expofer a 1'animèdverfion de 1'ordre. En conféquencb, il eft enjoint a chacun d'eux , de la part de Dieu , de la part de 1'abbé de Prémontré , de la part du chapitre général, de dire fidêlement & fineèrement, fans être retenu par aucun morif ni de haine , ni de crainte , tout ce qu'on fcait être repréhenfible dans la conduite de fes fupérieurs 3 des religieux , & pour le bien de la maifon. De prdato , de converfis ac de totius ccclejiéi ftatu, quicquid cccufatione vel emendatione dignum cognoverint, fingulifincerè , fideliter & candidè deporiant; & nullatenus amore velodio^ Oiv  '3 zo Jugements vel timore cujufquam ver'uatem fupprimant, ne cum gravi anlmaium periculo, etiam gravem incurtant ordlnis animadverfwnem. Statucs , art. 98 , chap. 15, dift. 4, chap. des vifiteuts. Suivant 1'arc. 103 , on doit, entre autres chofes, déclarer fi le fupérieur recherche trop fes commodités , s'il eft trop mondain, s'il s'abfente du monaftère fans juftes caufes,s'ilcourt trop , s'il donne bon exemple par fon aifiduité a 1'églife, par fon exactitude a obferver 1'abftinence & les autres preceptes de la régularité, s'il fait obferver les ftatuts, s'il entretient ou laiffe corrompre la difcipline. Suivant 1'arc. 1 04 , li le fupérieur vit bien avec fes religieux, s'il entretient la paix & la concorde , ou s'il y a des troubles , & qui en eft la caufe. II eft enjoint, non feulement aux religieux, mais aux frères convers, de découvrir fidèlement tout ce qui fe fait contre les régies. H& & fimiles & interrogationes & inquijitiones a fingulis patribus, ac etiam a converfis omnl Jludio ac fagacitate fiant. Art. 107. Si les inférieurs font fondés a fe plaindre, 5c doivent même en confcience le faire quaud ils connoiflent  clauftraux. jif quelque chofe de repréhenfible , fok dans le gouvernement, foit dans la conduite de leurs fupérieurs , le tit. 7 de la dift. 2 des mêmes ftatuts de abbate deponendo , prouve que la dignité la plus relevée dans 1'ordre n'eft pas a 1'abri de ces plaintes. Si les défordres d'un abbé, porte ce chapitre 7, font tels qu'il foit dans le cas de la dépofition , & qu'il ne puiife fe juftifier des imputations, le général, après lui avoir fait fon procés, doit le deftituer. Dominus Pramonjlratenjis , vel ejus vicarii , juxtk ordinis privilegia y jut is ordine in omnibus Jlricie obfervato , ad ejus dcpojieionem procedant. S'il n'étoit pas permis a des religieux d'accufer leur abbé, Sc de dire ce qu'ils fcaventde repréhenfible fur fon compte, comment feroit il poffible de connoitre les caufes d'une dépofition, Sc d'y procéder ? Mais les ftatuts de 1'ordre ne fe bornentpasa prononcer la dépofition des abbés qui vivenr malelle eft également ordonnée contre ceux qui net font pas affez bons pour faire le bien , état fn:royen , que les ftatuts reivienc par le. mot inuülité, Inutiles quoaue ab- QV5  | 11 Jugements batts 3 pr&via cognitionc caufit , depo- nantur. Les ftatuts tracent enfuite, d'après les régies les plus pures de 1'évangile , le tableau des fupérieurs. C'eft, difentils, par la pureté de leur vie, & par le fecours des vertus les plus fublimes qu'ils doivent foutenir le poids de la dignité paftorale. Onus pafiorale angelïc'is etiam humeris formidandum. lis 'd nvent, fut-tout, éviter tout ce qui peutoccafionnerdu fcandale , & même tout ce qui n'eft pas conforme aux régies de, la dccence. lis doivent être doux, ils doivent être modelles , fans opiniatreté , fans amour propre ; ils doivent s'étudiera rendre leur gouvernement agréable, & fe perfuader que, s'il n'eft pas agréable , il eft nécelfairement dur & infupportable. Imprimis mites Jlnt & humiles corde , qu& pracipua funt fuperioris infignia .... <& fuum fuave reddam imperium, quod aujleritas durum facit & importabile. Ils doivent veillet avec d'autant plus de foin fur eux-mèmes , que les ftatuts les déclarent dignes d'autant de morts, qu'ils donnent de mauvais exemples. Confiderantes qubd tot mortibus digni fint , quot ad fiubditos perditionis exempla tranfmicta/it.  claufiraux. j i $ Ces vernis, dont on fait Ie cortège de la dignité abbatiale , font, a p'us forte raifon , requifes dans les fupérieurs d'un ordre moins relevé, tels que les prieurs. L'énumération qu'en font les ftatuts préfente , il eft vraf» un tableau dont il n'eft pas aifé de trouver des copies fidèles; mais, au moins , malgré le relachement des moeurs, il eft certain que , fi un fupérieur n'eft pas un modèle de fainteté , il ne doit pas être un modèle de réprobation ; que , s'il n'eft pas un exempla de vertu, il ne doit pas choquer par des vices fcandaleux ; que, fi les ftatuts autorifent a demandet la dépofition d'un abbé qui vit mal , même qui ne vit pas bien , qui eftinutile , ils autorifent, a plus forte raifon, des religieux a fe plaindre , & a demander la deftitution d'un prieur qui , non feulement fe trouve dans ce cas , mais dont la vie eft un fcandale continuel pour fes religieux, & pour le public. Si l'on fait attention au fond de la plainte des religieux de Braine, on verra qu'il y eft queftion des faits les plus graves; qu'il ne leur étoit ni permis, ni même poffible de diffimuler; donc, par conféquent, ils ont pu, ils O vj  314 Jugements ont du fe plaindre. Le prieur les déshonoroit par une conduitefcandaleufe'-} il les défefpéroit par un gouvernement dur & infuppoi'table. Le fcandale de fa conduite actuelle rappelloit le fcan dale de fa conduite paffee. Pour le palfé, ce n'étoit, a la vérité, qu'un bruit public. Les religieux n'en pouvoient pas parler auttement, puilV qu'aucun d'eux n'exilloit alors dans. la maifon. Quant au préfent , on articulok une hubitudeavec une femme dont le commerce & les charmes fufiifoient pour rendre cette habitude fufpeéte. On articuloit des repas répécés , des voyagts fc andaleux , des promenades au loin r tête-a-tète, & de nuit, des fituations critiques ; tous faits qui , fi un Lu' ue en étoit coupable, formeroient de violentes préfomptionsd'un défordre confommé. Comment les qv.alifier , lorfque c'eft un prêtre , un religieux, un fupérieur de maifon a qui on les im.pure ? Les faits anciens roulent fur le reproche d'un commerce avec trois fceurs, fur une déclaration. de grolfefle, fur ua enfant porté a 1'abbaye , a 1'adrefle du ï. Buneau, enfant mort mifcrable*  cfauftraux'. 3*5 ment, depuis, dans un village voifin de Braine. Les faits préfents font atteftés par la déclaration uniforme des fept religieux , juftifiés par des libelles- affiches aux piliers des halles. S'il n'y avoit point , dans tous ces faits , matière a. dénonciation de la part des religieux , dans quel cas des religieux feront-ils donc en dreit de fe plaindre ? Quelles extrêmitésattendront ils? Un pas plus loin , le juge féculier agira. Aux faits de déréglements & de fcandale, qu'on joigne le rableau de la conduite du prieur dans 1'intérieur de l'a maifon , fes mauvaifes humeurs, fes mépris pour fes confrères, fes groffiéretés, fon gouvernement dur & infupportable ; affiirément- on conviendra que jamais on n'a eu plus de droit de déférer un homme au fupérieur général. Par leur requête , les religieux ne fe foumettoient pas a la preuve des faits anciens ; ils n'avoient entendu prouver que le fcandale que la conduite du prieur occafionnoit dans la •ville, & la dureté du gouvernement intérieur. Mais, 11'eüt-il été queftion, que des faits anciens, la dénonciatio^.  Jugements tien edt pas été moins bien fondée. Aux termes des ftatuts, dift. 3 , c. S, de lapfu carnis , le bruit public ,fama , fuffit, non feulement pour autotifer , mais pour nécefliter la dénonciation , quand il s'agit de fautes de la nature de celles qui font reprochées au prieur de Braine. Si quifpiam , dit Part. 41 , de lapfu carnis ,fuerit infamatus, frater qui cum eo ejl, vel cui hoe innotuerit , tam citb ac feri poteft , hoe abbati fgnificet, & abbas de rei veritate ftatim inquirat. Voila une injonétion bien précife a tout religieux inftruit du défordre de fon confrère, d'en donner connoiflance su fupérieur le plutöt qu'il lui fera poflible, tam citb ac feri potefl. Que doit-il arriver d'après cette dénonciation ? Si 1'accufé, fur Pinformation que le fupérieur eft tenu de faire, n'eft pas convaincu , Ia feule habitude qui a occafionné le fcandale , fuffit pour faire prononcer lacondamnation : cette habitude feule eft un crime. Si, inquifitione facld , de lapfu convinci non pof ft, comperiatur tarnen , fufpecld converfatione, vet alid ratione , culpabili infamia caufam dediffe, pro enatifcan» dalipce-ne grayioris culp& fubdatun  claujlraux. 3 27 Dans toutes les occafions, les mots infamatus 8c infamia n'expriment que le bruit public, qui devient pteuve fuffifante contre 1'accufé. Qui de pr&diclis criminibus (lapfu carnis )fud culpa graviter fuerint infamati , & tarnen de faclo convinci non pofiunt, viginti diebus pcena grayioris cuipa fubdantur r & ad triennium incarcerentur. Si la néceflité de conferver Ia pure té y la févérité des mceurs , fait punir le fcandale occafionné par unfimple bruit répandu, quoique l'on n'ait pas pu convaincre 1'accufé , il s'enfuit que la dénonciation fondée fur ces motifs eft légitime; il s'enfuit que , quoique le dénonciateur , qui eft obligé de faire Ja dénonciation tam citb ac feri potefi, ne foit pas en état de prouver le fait auttement que par le bruit public, ne doit craindre aucune imputation. 11 fuffit que 1'accufé foit infamatus 3 le dénonciateur eft a 1'abri du reproche Sc de Ia peine. Ainfi , un dénonciateut qui n'auroic pour garant de fa dénonciation , que le bruit public, quand ce bruit public fe trouveroit être fans fondement, 8c qui fe verroit condamné aux peines que les ftatuts prononceat contre les cris  Jugements minels les plus coupables , qui fe verrolt condamné comme calomniateur , comme ditfimateur, feroit, fans doute, bien fondé a fe pourvoir par l'appel comme d'abus contre ce jugement , qui feroit abfolument contraire aux ftatuts , qui auroient autorifé fa dénonciation. Les religieux qui avoient porté leurs plaintes contre le prieur de Braine, étoient dans an cas bien différent. Ils dénoncoient un bruit fondé fur des faits anciens; ils dénoncoient un défordre actuel , des libelles affichés, un fcandale énorme. Rien n'étoit plus aifé que de saffurer de la réalité d'un bruit fondé fur les faits anciens; ils citoient leurs garanrs. L'uniformité de leurs dénonciarions atteftoit les faits préfents. Leur plainte étoit donc légitime Sc fondée fur des motifs fuffifants: le devoir 1'avoit didée, elle étoit faite régulièrement; le fupérieur général devoit 1'écouter , devoit informer ; &r, quand même 1'information n'auroit produit aucune pteuve pofitive contre le prieur, aux termes des ftatuts , les religieux ne devuienc fubir aacu;ie ftaine.  claujlraux. 319 Cependant qu'eft-il arrivé ? On n'a fait nulles informations , & l'on a rendu, contre le F. le Moine, une fentence qui le condamne comme calomniateur, diffamateur; on le punit pour avoir fait ce que les ftatuts lui enjoignent de faire. Le premier coup d'ceil que préfents la fentence,offre donc, en même tems, & 1'injuftice la plus criante , & l'abus le plus caraétérifé. Mais cet abus n'eft pas le feul que l'on ait droit de reprocher a cette fentence. Ce que les adverfaires du F. le Moine qualifioient de procédure , n'étoit pas même un fantóme de procédure ; c'étoit un amas monftrueux de traits de paflion , d'irrégularités , 8c de caprices. I h S'il eft d'une pratique conftante j & fi cette pratique eft fondée fur un droit indubitable 3 que l'appel comme d'abus eft reen des ordonnances , des mandements des évêques , des bulles & des brefs du pape , des conclufions capitulaires des chapitres , de celles des communautés religieufes, de leurs régies , de leurs ftatuts , quand il s'y trouve quelque chofe qui eft oppofé k nos loix, aux libertés de 1'églife galll-  330 Jugements cane; ceft-a-dire, aux anciens canons 4 aux anciens décrets, aux droits, franchifes, concordats, édits, ordonnances Sc arrêts du parlement; brtf, dit Partiele 70 des libertés, contre ce qui *ft non fculemcrit du droit commun i divin , ou naturel: mais aujji des prérogatives de ce royaüme ,• & de téglifé d'icelui, il eft hors de doute que la fentence rendue par le général de Prémontré , le 23 aoftt 1756, choquant toutes les loix , étoit dans le cas d'être attaquée par la voie de l'appel comme dJabus. Les moyens d'abus fe préfentoient en foule j les nullités éclatoient de toutes parts dans la prétendne procédure fuivie par le général Sc pat fes commiffaires, & dans la fentence définitive. Enforre que l'on ne fe bornoit pas i pppofer a cette fentence d'avoir excédé le pouvoir dont le fouverain' tolère 1'exercice aux fupérieurs des ordres monaftiques ; mais en lui reproche autant d'attentats contre les ordonnances da royaume , Sc les ftatuts de 1'ordre de Prémontré , autant de nullités, qu'il y a d'a&es de procédure , êc de chefs dans la fentence. Le devoir des cours fouveraines ,  elaujlraux, j j i en procédant au jugement des procés criminels, eft, avant tout, d'examiner la procédure, de 1'annuller , 11 elle n'eft point réguliere , & de la faire recommencer par un autre juge, aux dépens de celui qui a fait la première. Cette règle eft fondée fur 1'importance des matières criminelles , oü il s'agit de ce que les hommes ont de plus cher, 1'honneur ou la vie. Or les juges ne peuvent apporter rrop de circonfpection dans 1'inftruótion d'une procédure qui tend a priver uncitoyen de 1'un , ou de 1'autre. « En la juftice, dit Airault dans fa » Pratique /udiciaire, la formalité y eft » fi néceflaire, qu'on n'y fcauroit fe » dévoyer tant foit pen, y lailferomet» » tre la moindre forme & folemnité >> requife, que tout 1'aóte ne vïnt in» continenta perdre lenom & furnom » de juftice , prendre & emprunter »celui de force & machination , » voire même celui de cruauté ou de » tytannie toute pure ». Airault avoit d'avance qualifié la procédure & !e jugement contre lequel réclamoit le F. le Moine. Cette procédure Sc ce jugement n'étoient eftectivement que force & machination „  jj'i Jugements cruaute'& tyrannie toute pure. On l'a fra par le récit du fait, il faut le faire voic par la difpofitien des loix. Les religieux, en portant plainte aa général de Ia conduite de leur prieur , ne demandoient point qu'on lui fit fon ptocès ; ils demandoient feulement fa deftitatióïii Ainfi le général étoit le maitre de v'érifier la vérké des fairs énoncés dans la requête , ou par la voie d'une information fecrete , ou par une procédure criminelle. Toute inflruetion criminelle eft comprife p>r cette définition : Aëeiifdtoris officium eft in~ ferre crimina , defenforis diuere , teftis dice-e qua fcictt, qu&jlo'is unum quetnquam eorum continere. Cette définition eft fondée fut la nature même de fa chofe , plus encore que fur les difpolïtions d-.i l'ordonnance. Cela pofé , fi l'on rapproche I'ordotinance criminelle de la procédure du général & des commiflaires, on eft: effrayé de la'contradidtion continuelle que l'on trouve entre 1'un & 1'autre. Les ftatuts mêmes de 1'ordre, fi chers aux religieux, & qu'ils affeéfentde regarder comme leur urtique ordonnance , n'onr pas été plus refpeclés. Quels font les premiers pas de I«  tlauftraux'. j 3 £ procédure criminelle? Sur la plainte ; on décrète, on inrerroge 1'accufé, on entend les témoins adminiftrés par la partie plaigiftnre, ou par le miniftère public; on les récolle, on les confronte: voila ce que prefcrit Pordonnance criminelle. Dans la procédure faite par le général & par fes commiffaires, on n'avoit fait fubir aucun interrogatoire au prieur; on n'avoit entendu aucun téfmoin; onne les avoit donc nirécollés, ni confrontés. Cependant ie F. le Moine fe trouva condamné comme calomniateur, comme diffamateur. En falloit-il dayantage pour faire prononcer Ia nullité de la fentence, pour la faire déclarer abufive ? Ce premier point de vue annonce que ni le général, ni fes commiffaires n'avoient fait ce qu'ils devoient faire : le' détail de leurs procédures établira qu'ils ont fair précifément le contraire. D'abord le général fait comparoïtre devant lui les religieux plaignants ; il leur fait fubir interrogatoire-, après avoir pris d'eux le fermenr de dire vérité. On ne dira point que cette procé«?  £jj 4 Jugements .dure étoït abufive, elle étoit fuperflue j mais elle ne contient rien qui foit contraire a 1'efprit de 1'ordonnance. Ce premier interrogatoire peut même ctte regardé comme une précaution fage , & dont Pobjetn'étoit que deconftater plus particulièrementles faits de la requête , de les circonftancier, de les développer, 8c d'indiquer les témoins ,dont les dépofitions devoient en attefter la vérité. Ce n'étoit cependant point li Ie bur . Pour connoitre 1'ëtendue de l'abus qu'on en a fait, il faut en revenir aux régies. Le défiftement, en matière criminelle, n'eft pas, au fond, différent du défiftement en matière civile. Ce n'eft jamais, dans I'une & dans 1'autre action , que 1'abandon d'un droit: en matière criminelle, fur-tout, ce n'eft que 1'abandon du droit de demander des réparations civiles , & une précaution pour n'être point tenu des frais*  3 5 Jugements Mais ce défiftement n'éteint pas I'action criminelle: & le miniftère public, avec qui l'on ne tranfige point , n'en pourfuic pas moins 1'accufé pour la vindióte publique. Le défiftement de la partie publique ne met donc pas Ie coupable a 1'abri de Ia peine; mais feulement a 1'abri des dommages 8c intéréts envers la partie civile. On peur, a ce fujet, confulter le commentaire furie titre 3 de 1'ordonnance de 169*. Le défiftement des religieux n'étoit donc, dans Ie fait, autre chofe , que 1'abandon dela demande qu'ils avoient formée de la deftitution de leur prieur; & fi la plainte s'étoit inftruite en règle , ü quelqu'un avoit été chargé de 1'honneur Sc de la vindióte de 1'ordre , il eft certain que le défiftement n'auroit point mis d'obftacles a fes pourfuites. Ce n'eft pas Ia le point ds vue fous lequel le général & les commiffaires avoient envifagé ce défiftement. Ils 1'avoient regardé comme une rétradfcation des faits avancés par les religieux dans leur requête. Mais ils s'étoient livrés a une erreur bien groffière; & le F. le Moine affuroit qu'il n'y avoit aucun des religieux qui ne füt prêt d'attefter que ce n'étoit pas la le lens  ilauftraux*, $ % j 'im'il entendoit donner a fon défifte-ment; & qu'ils avoient feulement entendu renoncer a la demande de la •deftitution de leur prieur. Le F. le Moine, plus ferme & plas inftruit que fes confrères , ne crut pas 'que leur exemple dut être une loi pour lui. Egalement incapable d'avancer le faux , & de reculer, après avoir dit Ia vérité , il fut inébranlable , inacceflible & aux carefTes & aux menaces ; &C de fes réponfes, réfultoit la preuv» d'une foule d'abus. i°. Sur la violence qu'on lui avoit faiteffuyer, pour 1'obliger a prendre la qualité d'accufateur des faits anciens de la conduite du prieur, quoiqu'il eüt perpétuellement déclaré qu'il n'étoit que dénonciateur du fcandale que caufoit le fouvenir de ces faits anciens, rapprochés des nouveaux. 20. Sur le défaut d'interrogatoire ; relativement aux faits de la conduite, du prieur. ■ 3°. Sur Ie défaut d'information ; &c fur le refus d'entendre les témoins qu'il offroit d'adminiftrer pour établir la preuve des faits svticulés dans fa requête. II tiroit enfin un moyen d'abus patr-;  *3*54 Jugements riculier du refus que lui fit Ie général de recevoir la requête qu'il lui préfenta, pour obcenir permiffion de faire la preuve des fairs de menaces & de violences employees par les commiffaires , pour arracher le défiftement de fes confrères, & pour obcenir qu'il füt confronté avec eux, Venons enfin a Ia fentence qui avoit mis le comble a tant d'injuftices, & a tant d'irrégularités, par une injuftiee plus criante encore. Cette fentence lecondamnoit comme calomniateur & diffamateur, comme fpoliateur des biens de fa maifon , comme violateur de la foi du ferment. Chacune de ces qualifïcations exige des réflexions particuliètes. III. Une dénonciation , une accufation , confldérées en elles-mêmes s «e peuvent être qualifiées de calomnies ; & l'on ne peut condamner perfonne comme calomniateur , i moins que la dénonciation ou 1'accufation, deftituée, non feulement de róute preuve , de toute vraifemblancev de toute préfomLpnon , n'ait été vifiblement dictie par un principe de méehanceté , & par le defir de perdre un innocent. Ce n'eft que daas ©e cas que  'elaujfraux. 3f$ h juftice fevit; paree qu'elle ne punic que la perverfité de 1'intention , Sc qu'elle ne la trouve point dans l'a&ioii d'un homme que l'erreur a pu féduire, ou qu'un zèle , peur être imprudent, a pu conduire au dela de la vérire.^ Quelle diftance entre ce cas oü la juftice punir, & celui oü fe trouvoit le F. le Moine! Car enfin , tranquille, heureux dans fa place, n'en ambitionnant point d'autre , par conféquent fans aucune vue d'intérêt perfonnel, s'il a joint fa voix a celle de fes confrères , il eft conftanr qu'il n'a confulté que 1'honneur de fon ordre, & 1'amour de la vérité. On le condamne comme calomniateur, comme diffamateut ; fur quel fondement? Eft-ce fur 1'autorité dn défiftement de fes confrères ? Mais , on l'a déja dit, ce défiftement n'étoit point une rétra&ation. On ne pouvoit donc pas en conclure que les faits articulés dans la requête n'étoient pas vrais ; &c quand on auroit pu en tirer cette conféquence, ce n'auroit pas été vis-a-vis du F. le Moine, mais , tout au plus, vis-a-vis de ceux dont le défiftement 1'autorifoit: a 1'égard du F»  6*5 <» Jugements le Moine , les chofes étoient reftécs entières. Les faits n'écoient pas vrais par la raifon que ia requête a été lignée par lept religieux; inais c'eft paree qu'ils étoient vrais qu'elle avoic étéfignéepar les fept religieux. Or on ne voit pas que la diminution du nombre des plaignants ait changé la juftice des plaintes, ou la vérité des faits. Si le F. le Moine eüt préfenté feul la requête, auroit-on ofé le condamner comme calomniateur, comme diffamateur , uniquement paree qu'il auroic été feul ? Non , fans doute ; ou il auroit fallu jetter au feu les ftatuts de 1'ordre, qui non feulement autorifent, mais enjoignent, a chaque religieux en particulier de dénoncer au fupérieur, tam citb ac fieri patefi, les fcandales qui peuvent s'élever dans 1'ordre, Cmgulièrementlapfu carnis, dift. 3 , chap. 8, n°. 41; dift. 4, chap. 16, n°. 109.' Pour condamner quelqu'un comme calomniateur } il faut, au moins , être certain de la calomnie. Or comment parvenir a cette certitude, li ce n'eft: par des informations ? Mais on n'en m aucune fur la requête des religieux*  clauftraux'. 3 57 Ce n'eft que par Paudmond.es témoins cue Pon peut acquérir cette certitude; onn'enentendit, & on n'en voulut entendre aucun. On n'interroge meme pas 1'accufé; il n'y eut, par confequenl:, nirécollement, ni confrontation. Amh, k 1'exception des irrégulantes , des abns , des injuftices de route efpece eui avoient été commifes, les choies , lors de Pinftruétion au parlement , étoient encore au même point ou elles étoient , quand fa requête fut pre- Or que penfer d'un juge qui , fur la fimple lefture d'une plainte , rendroit un jugement qui condamneroit le plaignantaux peines les plus feveres comme calomniateur, comme diftaHiateur? Ne regarderoit-on pas ce juge comme le plus infenfé, ou le plus inique de tous les hommes? Et balanceroit-on a regarder fon jugement, comme un jugement radicalement nul ? Ce tableau eft , trait pour trait, celui du F. le Moine, & du juge qui 1 avoit condamné. La requête ne fut fuivie d'aucüne inftruótion; 1'accufe ne fut point interrogé 5 aucun témoin ne fut entendu; il n'y eut ni récollement, ni confrontation , & 1'accufateur ie  3 5 8 Jugements trouvacondamné comme calomniateur, comme diffamateur. Et c'eft danslefein d'unordre religieux, oü l'on fait profeffien de la pratique de toutes les vertus religieufes que s'eft paflë cette fcène , dont 1'injuftice n'eft pas concevable. Paffons au fecond chef de la fentence. Le f'Je Moine fut condamné comme fpoliateur des biens de fa maifon. Avant que de faire voir , au fond, 1» fauiïeté de 1'imputation , il faut prouver l'abus qui a été commis, en adoptantunerécrimination de 1'accufé contre 1'accufateur. Le prieur, après avoir eu Ia communication de la requête, fe fentant dans Pimpuiffance d'y répondre, & regardant le F. le Moine comme Pauteur de cette requête, imagine , de concert avec le général, de faire tomber fur le F. le Moine, lui-même, les coups qu'il penfe que celui-ci veut lui portee. II préfente, a cet effet, un mémoire, 'dans lequel il 'accufé fon adverfaire d'avoir mal géré , &c même d'avoir fpolié les biens de Ia maifon. Cette importante accufation avoit pour prétexre que certaines dépenfes «'avoient pas été portées en totalité  clauftrauü. $ $ 9 dans les comptes du frère le Moine. Cette démarche eft bien ce que les loix entendent par récrimination , qui eft la contr'accufation que forme un accufé , en fe rendant dénonciateur d'un autre crime contre celui qui 1'ac cufe. 11 eft de principe que la récrimination n'eft point admife en matière criminelle , a moins que 1'objet de la récrimination ne foit un délit plus grave que celui qui fait le fujet de 1'accufation ; & , dans ce cas , on inftruit concurremment fur les deux crimes. En effet , fi la récrimination étoit admife, il n'y a point de coupable qui ne tachat, par une accufation faufle, ou véritable, de fe mettre a couvert de celle qui auroit été formée contre lui, & qui ne parvint, par ce moyen, a éluder , ou du moins a retarder fon jugement. Mais les loix veulent que 1'accufé, avant de pouvoir de venir accufateur , fe juftifie lui-même; & difent, d'aptès une règle di&ée par le bon fens, que le crime d'un autre n'eft point la juftification de celui qui nous eft imputé. Les Romains avoient confacré, pat  •3^® Jugements leurs loix , une maxime fi précieufe a* bon ordre: Neganda eji accufatis , qui nonfuasfuorumqueinjurias exequuntur , licentU criminandi, prihfqitam fe cri* mine quo premuntur, exuerint. Z. io tod. qui accuf. pof. vel non. Le général & les commiflaires devoient donc, avant tout , terminer laflaire de k requête 5 fauf, après avoir fait droit fur cet article, Juris crdine Jiricïh obfervato, ainfi qu'il eft: prefcrit par les ftatuts de 1'ordre , a «xaminer le mérite du mémoire fourni contre le F. le Moine. En admertant ce mémoire concurremment avec la requête , on a manifefté la paflion, & la fureur dont on étoit pofledé de ce que le F. le Moine refufoit de fe défifter de fa requête. Si une procédure auffi injufte n'eft point nulle, fi elle ne porte point le caractère de l'abus le plus criant & le plus repréhenfible, a quoi pourra-ron jamais appliquer 1'imputation de l'abus ? Si le général & les commiflaires crurent qu'en flétriffant le F. le Moine par les miputations les plus honteufes , ils juftifieroient le prieur, ils fe trompèrent. Ils condamnèrent 1'innocent, fans  claujlraax'. ^Gt fans Juftifier le coupable. Le F. le Moine auroit eu beau fpolier la maifon , cela n'auroit pas empêché que le ptieur ne füt coupable du fcandale que caufoient fes habirudes avec une femme de la ville , cela n auroit pas empêcbé que la hauteur, la dureté & 1'infolence de fon gouvernement ne le tendit infupportable a ceux qui lui étoient fubordonnés. Au refte, on a prouvé que , a 1'époque de 1'inftruótion qui fe faifoit au parlement , 1'accufation étoit encoTe entière contre le prieur; peu de mots fufiiront pour prouver 1'innocence du F. Ie Moine. Le crime de fpoliation qu'on lui imputoit étoit fondé fur ce qu'il n'avoit point porté, en plein , fur fes regiftres, la dépenfe des frais d'un procés, Sc de la conftruétion de deux caves. Le F. Ie Moine ne cherchoit point a fe prévaloir de la fin de non-recevoir qui réfultoit de ce que les comptes oü l'on prétendoit trouver la preuve de fa mauvaife geftion avoient été arrêtés par le général lui-même , trois ans auparavanr. Ils n'éroienr, par conféquenr plus dans le cas de 1'examen. TomeXri. Q  ■ Jugements II répondoit donc a lobjection en elle» même. N'étoit-ce pas la la plus abfurde de toutes les chicanes, la plus injufte de toutes les imputations , que d'accufer un homme d'être fpoliateur des biens d'une maifon , paree qu'il n'a point porté, en plein, dans fon compte , la dépenfe de deux articles ? Comment qualifieroit-on donc celui qui ne porteroit point en recette des articles que l'on prouveroit qu'il auroit recus ? II n'y a point de comptable qui n'ait Ia libetté de ne point porter en dépenfe ce qu'il a dépenfé, quoiqu'il ne puiffe omettre ce qu'il a recu, Mais rien n'eft plus abfurde, 8c c'eft Ie renverfement de toutes les idéés , que de le qualifier fpoliateur , paree qu'il n'a point porté en plein toute fa dépenfe. On pouvoit, il eft vrai, objeéter qu'un religieux , qui eft cenfé n'avoir rien , n'eft pas préfumé pouvoir faire une omiflion de dépenfe , fans faire , en même tems , une omiflion de recette. Ce feroit donc fut la préfomprion , &c non fur la preuve d'une omiflion dfö recette , que l'on avoit condamné le F. ie Moine comme fpoliateur. II  daujiraux'. 3 rembre 1760. Le F. le Moine choifit, pour fa demeure , Ia maifon du Mont Saint-Martin, prés de Bouin en Picardie, a quatre lieues de fa familie j & M. le procureur général lui fit dunt ner fon obédience. Qvi  37* P E R E DÉSA VOUÉ PAR SA FILLE. JeAü GarisÈre naquit au village de Lefcun dans le Béarn , au mois d'avril 1688. La fuccellion de fes père & mère pouvoit former un capita! de 8000 livres , fortune confidérable alors pour un payfan Béarnois. II fut marié fort jeune-, avec Marguerke Cóndure, dont il eut deux iïlles. Sa femme étoit enceinte de la troilième , lorfque, dans une rixe qu'il eut avec elle, il lui donna un foufflet. Sou beau-frère, nommé Condure, qui faifoit fes études pour embraffer 1'état eccléliaftique , fut préfent a cette fcène. Pour venger fa fceur, il donna a Garisère plulieurs coups de baton. Celuiei , foit qu'il regardat ce mauvais trair  Père défavoué par fa fitte, j 7 f. cement comme un affront dont il ne pouvoit fupporter la confufion , fok qu'il craignïc le relfentiment de fa femme foutenue par un champion dont une trifte expérience lui avok fait connoitre la force &c la violence, prit le parti d'abandonner fa maifon & fa femme.. Ceci fe palfa en 1711 ; il étoit alors agé de vingt-trois ans. 11 fe retire en Efpagne, fe rend a Sanagolfe , fe met au fervice des vivandiers de Parmée efpagnole. Conduifant u» jour des beftiaux au magafin , il en laüfa égarer quelques-uns. Sa négligence fut punie par la prifon. Dès qu'il eut recouvié fa liberté , il. s'enróla en qualité de foldat, & fervk enCatalogne. 11 s'attira plulieurs chati-. ments, de la part de fon capitaine, qui lui donna , un jour , entr'autres , un coup de canne fi violent, qu'il le priva, pour route fa vie, de 1'ufage libre de fa main droite. Ces mauvais traitements Ie déterminèrent a déferter. II palfa dans le Languedoc; & employa plufieurs années a errer dans dirférens cantons de cette proviuce , tirant fa fubfiftance lantót du travail de fes mains, tantöt  174 Père défavoue' des aumones qu'il pouvoit fe procurer; en mendiant. II prit enfin le parti de fe rapprocher de Lefcun , vers la fin de 1'année |7J J« Pendant fon abfence, qui avoit eté de zz ans , il étoit arrivé degrands changements dans fa familie. Sa femme étoit morte; fa feconde & fa troifième fille avoient fubi le même fort. L'ainée, Cathcrinc Garisèrc, s'étoit matiée; fon mari & elle s'étoient emparés des biens de Garisère, & avoient contraété 1'habitude de s'en regarder comme propriétaires incommutables ; la longue abfence du père de la femme , dont on n'avoit eu aucune nouvelle , depuis fon évafion , avoit fait penfer qu'il étoit mort. II étoit facheux de renoncer a 1'habitude d'une propriéré dont on avoit joui tranquillemenr pendant plufieurs années, & qu'on avoit cru ne devoir quitter qua la mort. Auifi le premier mouvement de Catherine Garhère & de fon mari, fut de refufer de reconnoitrele perfonnage qui fe préfenta fous le nom de Jean Garisère; le mari de cette femme le menara même de le maltraiter, s'il perfifloit a prendre cette qualité.  patfafilk. 375 On ne pouvoit pas convaincre Cathtrïne d'impofture dans cette dénégation. Elle étoit, quand fon père s'abfenta, dans la plus grande enfance: ainfi il ne lui étoit refté, dans la mémoire , aucune tracé de fes traits ni de fa figure. Son mari- étoit dans le même cas. Mais le curé & les jurats du lieu déclarèrent qu'ils le reconnoiffoient pour le véritable fils de Pierrc Garislre , & derrie Montagnon \ ils lui en. donnèrent même un certificat. Ces atteflations n'ébranlèrent point 1'incrédulité de cette femme. Le réclamant prit le patti de préfenter une requête au parlement de Pau , par, laquelle il demanda d'être réintégré dans la poffeffion de fes biens , avec défenfes de 1'y troubler , & d'attenter *faperfonne; que fa fille Sc fongendre fulfenr tenus de lui rendre compte de leur jouilfance , & cependant qu'il lui fut adjugé une penfion , telle que la cour la voudroir arbitter. - La fille & fon mari fe préfentèrent fur cette demande , & confentirent de reconnoitre le nouveau venu , pour Jean Garsïre, fous quatre conditions. La première, que les nommés Couhapê,  57<» Père défavoué & Souvie , fes oncles, affirmeroient; avec ferment, qu'ils le reconnoifloient pour le véritable Garisère. La feconde, s'il faifoit un feing parei 1 a celui qu'il fit au bas de fon contrat de mafiage. La troifième , s'il parloit le langage du pays , comme les autres habitants de Lefcun. La quatrième , s'il avoit deux doigts dechaque pied joints pat une pellicule, comme 1'étoient ceux de Garisère. On plaida d'abord fur la provifion. On prétendit que les loix qui avoient été faires en faveur des enfants, auxquels on accorde des provifions, lorfqu'on leur contefte leur état, ne s'appliquoient point aux pères, a qui on difpute la paterniré. Mais, dès que 1'efprk de la loi qui a introduit les piovifions s'applique aux pères , comme aux enfants , il eft inconteftable qu'elle milite en faveur des uns, comme en faveur des autres. Or c'eft 1'humaniré qui a dicté cette loi. Les uns & les autres font dans le même degté de proximité. L'équké même parle beaucoup plus haut en faveur des pères, qu'en faveur des en-  par fa file. 377 Fants. C'eft fur leur propre bien, qu'on accorde des provifions aux pères j ' au lieu que les enfants n'ont, fur ce même bien , que des efpérances , que la mort du père peut feule réalifer. Auffi le prétendu Garisère obtint-il une provifion de cinquanre livres. Pendant le cours de 1'inftance, outre les témoignages de reconnoiifance qu'il avoit déja , il s'en procura un d'une efpèce fingulière. U exiftoit une fceur de Garisère, nommée Marie. Elle paffe un acte avec le nouveau venu, qu'elle reconnoit pour fon frère. Dans cet a<5te , elle énonce qu'elle quitta la maifon paternelle en 1714-5 époque de la mort de fa mère, & qu'elle n'a jamais rien rec,u, de fa légitime , ni dans la fucceffion paternelle , ni dans la fucceflion maternelle. Ennemie des procés , dit-elle , elle prie fon frère de les régler amiablement. 11 confent a la propofition , mais il avoue naïvement qu'il ignore la valeur des biens qui doivent fupporter ces légitimes, qu'il ignore également les dettes dont ils font grevés. La fceur n'en eft pas plus inftruite que lui j & , dans cette ignorante  37s Père défavoué commune, ils ont recours , 1'un 8c 1'autre, a cinq de leurs plus proches parents. Ges experts eftiment que ces biens pouvoient valoir, au tems du décès du père commun , 7400 livres. Mais, comme ils déclarent qu'ils ne font pas inftruits des dettes, ils difent qu'il ne faut pas mefurer la quotité de la légitime a la valeur intrinsèque des biens. La fceur , qui eft de bonne compofnion , y confent, & fa légitime eft évaluée a 450 livres, payables en fonds de terre indiqués par les cinq parents , fi le frère n'aime mieux payer en argent. Les intéréts font réduits a 3 5 o livres , payables dans trois mois. Cet acte foutniffoit au prétendu Garisère, fix témoins de plus , de la juftice de fa téclamation ; une fceur 8e cinq parents, auxquels on peut joindre celle d'un frère qu'il avoit , & qu'il trouva vivant. Pour établir que le nouveau venu etoit véritablement Jean Garisère, on obfervoir d'abord qu'il étoit conftant, entre les parties, qu'il y avoit eu un Jean Garisère , marié avec Marguerite Condure. On convenoit , de part 8C d'autre, de la caufe de fon abfence,  par fa fille, 17'J de fon voyageen Efpagne ; on ««• venok qu'il y avoit vingt - deux ans Lil avoit abandonné ion bien fa Sifon* fa famülej qu'il devoit etre agédequarante-cinqans ouenvi on, que, depuis fa fome.J » avoit pas V-hezIm^quon ne devoit P s le préfumer mort , puifque la loi ne permet cette préfomption qu apres; cent ans du jour de la naiflance de 1 abfent s'il n'y a une preuve certaine de ia mort. Ici, il n'y ena point. Orlapaternké réclamee par le nou veau venu,nelui étoit difputee par aucun concurrent ; on ne la voyoit point flotter entte deux contendants. Ainfi, s'il étoit vrai que 1 on dut préfumer que levérkableGamèr* vivoit encore, & fi l'on n'en voyoit point d'autre, que celui qui fe prefentoit pourquoi balancer a le reconnoitre ? On ne voit point ici deux Marun Guerre -y on n'eft point obhge d exercer fon difcernement , pour diftinguer 1'impofteurd'avec celui qui eft le veritable père. ■ , D'ailleurs, s'il reftoit quelque doute , ne ferok-U pas diflipé par le temoiraage du curé, des jurats , des voifins, de fon frère même, & enfin  3** Père dêfavoaé des plusproches parents? Quel intérêt ft i". a £ndre ee témoignace, qui fnn ,1' o 1 onE connu avant cerni^Pirl,'&Je0.mpaiéaa31 traits a vLif F"end êtfele qu'on avud fparonre, eft Je feuI th?e • puifTe le rdtablir dans fes droits. Lei regiftres bapt.ftères , les aótes de ma- «age, & tous les autres monument! qu>l peut invoquer, prouvenr bien qu un tel perfonnage a exifté s & * dlfparupnaisilsneprouvent pas qu'ils appartiennent i celui qui veut fe les appliquer. Cette preuve eft iWrage de la mémoire & de ia bonne-foi de ceux qui 1 ont connu • c'eft par fon fecours umquement qu'il peut revendiquer les droits & 1'exiftence civile qu il avoit abandonnés. Sur la mémoire de qui peut-on compterle plus, dans ces forteS ?e circonftances, fi ce n'eft fur celie des anus , des proches parents, de ceux enfin qui ont eu les habitudes les plus intimes avec laperfbnne qui réclame J>n «at? Or qui font ici ceux qui dépofent en faveur de Garisère} C'eft la laar, ce font fes parents, ce font  par fa fille. jïi' fes intïmes anus. II y a donc une certitude telle qu'il eft impoflible de s'en procurer une autre, que le réclamant eft véritablement le Jean Garisère qui s'étoit abfenté en 17 11. Voyons cependant fi les conditions ' auxquelles fa fille attaché fa reconnoiffance donneront plus delumières , que celles qui font déja acquifes, & fi la juftice a befoin de leur accomplifle-. ment, pour fixer fa décifion. - La première condition a été accomplie, puifque Couhapé &: Seuvie ont foufcrit un certificat en faveur du reclamant. La feconde condition eft injufte & impoflible. On veut que Garisère fafle aujourd'hui un feing pareil a celui qu'il appofa au bas de fon contrat de mariage. Mais il a recu un coup fut la main droire, qui lui en a prefqu'enlevé 1'ufage, & qui l'a totalement privé de la faculté d'écrire. H n'eft pas befoin de procès-verbaux de chirurgiens ; pour juger de 1'état de cette main. On voit que les doigts néceflaires pour tenir ,la plume, font tellement contraclés, qu'il lui eft impoflible de les rapprocher fuffifamment pour la faifir, 11 auroit pufans doute, s'il en eüt  $8i Père défavouê eu befoin, s'exerccr Sc parvenir a écrire ^ foit avec les autres doigrs de la même main, foit avec la main gauche. Mais Je genre de vie qu'il avoit embrafïe lui rendoit 1'ufagede 1'écritureabfolument fuperfk; & il ne s'eft pas donné la peine de chercher a 1'acquérir une fer conde fois. D'ailleurs, quand il n'auroit éprouvé aucun accident qui 1'eut privé de la faculté d'écrire , qu'exige t-on de lui • aujourd'hui ? Une fignature femblable acelle qu'il fit en fe marianr. Mais, s'il n'a pas eu, dans fes voyages, occafiond'exercer fa main a 1'écriture, n'eftil pas poffible que, pendant un fi long efpace de tems , il en ait tellement perdu 1'habitude, qu'il n'en puifle plus faire ufage ? Ou s'il a confervé , dans fa mémoire, la fignre des lettres qu'il étoit habitué a tracer, auroit-il la même difpofition dans la main , la même manière de tenir Sc de conduire la plume qu'il a maniée fi rarement ? Combien de variations ne remarquet-on pas dans diftérentes fignatures du même homme, appofées dans le même inftant ? La fille de Garisère exige donc, de fon pèie , une épreuve impoflible , fous quelque point de vut qu'on fexamine.  parfafilU. 3?J Elle exige , enfuite, que fon père parle le même langage qu'il parloit lorfqu'il eft forti de Lefcun j & cette idéé lui eft venue de 1'efpèce d'embarras avec lequel il s'exprime en jargo» de fon pays. Mais il étoit jeune, quand il a quitté fa patrie \ dans les courfes vagabondes qu'il a faites depuis , il n'a rencontré perfonne avec lequel il put parler ce jargon. Pour fe faire entendre en Efpagne, il a été obligé de fubftituer, aux expreffions qui lui étoient familières , celles de la langue du pays ou il vivoit. II a paffé dans dirférentes provinces de ce royaume , ou il pêchoit pas de porter les armes. II faut le renvoyer a une de fes requêtes , dans laquelle il dit que le coup dont fon capitaine Ie frappa le mit hors d'état de gagner fa vie. S'il ne pouvoit pas manier les outils néceflaires pour gagner fa vie , comment auroit-il pu manier un moufquet? Cette objection , il faut 1'avouer 3 étoit plus ingénieufe , que folide En effet, il paroit conftant que i'incomRy  394 Père dêfavouê modité dont fe plaignoit ie réclamant J fe bornoit a ne pouvoir joindre les doigts néceflaires pour écrire ; mais elle ri'empêchoit pas qu'il ne put tenir un moufquet, & Ie tirer. D'ailleurs, on n'avoit pas dit, dans. fon hiftoite, qu'il eüt été foldat, ayant Ia main eftropiée ; mais on a dit qu'il étoit foldat, lorfque fon capitaine le battit fi cruellement, qu'il lui eftropia la main droite. Cet accident fut la caufe de fa défertion: il a ceffé d'être foldat, dès qu'il a été eftropié. II ne demanda pas fon congé, paree qu'il ne 1'aiiroit pas obtenu , n'ayant pas cefle d'être en état de fervir ; & cette dé-marche auroit pu lui attirer de nouVeaux outrages. Ce fut pour les prévenir, & pour prévenir ceux que 1'humeur violente de ce capitaine auroit pu lui faire éprouver dans d'autres circonftances, que ce malheureux prit le parti de s'en préferver par la fuire. Mais revenons aux moyens de Catherine Garisère. Etienne , dit elle, après avoir parlé de fes infitmités , raconre qu'il paila d'Efpa gne, dans le Languedoc. II fe fait jardinier a CarcaiTone , mendiant a Tcukule..Si l'on en croi; fon récit t  par fa finei 39$ ilapaflepar toutes les épreuves dela misère. Ce conté offce une feconde contradidion. „ Comment fe pentol qu un homme dénué de tout fecours, fans reffource „out s'en ptocurer , perfevere obftinement dans cet état d'mdigence, brij qu'il lui eft fifadle d'en fomrï Le. Lvinces duLanguedoc &duBeam Lnt-elles donc fi éloignees 1 une de 1'autre ? Qui croira que c eft (ransere qui parle ainfi? Garisère , pere dune . fille unique , propriétaire fff*"' viron 8ooo livres en fonds de terie , & en maifon, s'arrête tranqiul ement dans une province fi yoifine de la fienne y éprouve la faim & la foif, 7 fouffre , par une vie tourmentee des befoins les pfas vifs & les plus pref■ fants , toutes les horreurs d une more tourours préfente; tandis qu il peut fans contrainte Sc fans obftacle , couler des fouts heureux dans le fem de la familie, qu'il a, pour ainfi dire, fous les yeux , 8c fous la main. Non ce n'eft point la G^r^c eft: rmvagabond digne de fa misère, era» ne rifque rien, enetfayant eneimprfture qui pent lui procurec un i&Pfc  Père dêfavoué D'ailleurs , il faut croire , fur fa parole , tous les faics que rap; orte cet impofteur. Oü eft la preuve qu'il s'eft enrölé en Efpagne - Oü eft fon congé ? S'il a déferté , oü eft le procés verbal des recherches qu'on a faites de fa perfonne? Ou font, au moins, les certificats des officiers fous lefquels il a fervi, des camarades avec lefquels il a vécu ' foit dans les garnifons, foit fous les tentes ? Mais ce n'eft pas feulement par des contradiöions oviEtienne fe défend ; il a recours aux menfonges, fans même s'occuper du foin d'en choifir dont la preuve foit difficile a acquérir. II dit, dans une de fes requêtes, que Ie curé qui avoit figné fon ceitificat, eft le même qui lui avoit admiriiftré la bénédiétion nuptiale a Lefcun. Cette a légation etoit né.effaire , pour donner quelque poids a un certificar q ii t par lui même , ne peur produire aucun eftet en juftice. Si le curé qui a marié Garisère Je reconnoit dans la perfonne du réclamant, cela peut, au moins, palfer pour une lettre de recommandation. Mais malheureufemei.tle fait tft notoirement faux. Vous 1'aytz rétraué, il eft vrai.  par fa fille. 397 C'eft , dites-vous , une erreur du praticien quia rédigé ia requête. Ne peuten donc , ajoutez-vous , corriger une erreur de fait, fans encourir le blame de 1'impofture? Mettra-t-on fur le compte de la partie les erreurs de fait qui échappent a fon défenfenr ? Une foule de loix la garantiffent de ces fortes de fautes (1). II faut, d'abord, oppofer loix a loix. Celles que vous citez ne font pas dans 1'efpèce qui nous occupe ici. La première deces loix déclare qu'un écrit mal rédigé, dans lequel on n'a pas obfervé les formes ufitées , ne prejudicie point a 1'état des enfants r our, ou contre qui ii a été rédigé. Mais ce texte n'autorife pas un impofteur a varier fur les faits effentieis de fon hiftoire. La feconde loi ne veut pas que i'erreur du copifte porte aucune arteinte aux convencions arrêtées par 1'acte (1)' Imperator Titus Anloninus refcripfit non leediflatum liberorum ob lenorem inflrumenti mali concepü L 8 , ff. de flat. hom. Si librarius , in tranferibenais flipulationis ver, is erraffel, nihil nocere quominiis & reus & fidejufjbr teneaiur. L. 92, , ff. de reg.jur. Errores eorurn qui deftd.ria , id ejl, preces fcribünt veritati przjudicium affkrre non poffs manifefium ejl. L. a, cod. de error. advocat.  Père défavoué qu'il a mat tranfcrir. Cette difpofitioti ne confacre pas lés vatiations & les menfonges d'un impofteur. La troifième enfin ne vent pas que Ia vérité fouffre des erreurs commifes pareeuxqui rédigentlesrequêtes. Mais elle ne les autorife pas a faire des menfonges infidieux, & capabies d'induire les juges a commettre des injuftices. Mais voici une Joi précife, qui renJ Ie cliënt refponfable perfonnellement des faits articulés , en fa préfence , par fon avócat, Sc qui veut qu'ils foient réputés avoir été avancés par Ie cliënt lui-même, Ea qu& advocati, pr&fentiius kis quorum caujk aguntur, allegdnt y perindè habenda funt, ac Jïab ipjis do~ minis iuium proferantur. L. i, cod» de error. advoc. Ce n'eft cerrainement pas le défenfeur cYEtienne qui avoit pris fur lui de dire que le curé qui avoit donné le eertificat étoit le même individu qui avoit adminiftré le facrement de mariage a Garisère. Ce fait n'avoit pu lui être adminiftré que par Etienne luimême, puifque c'éroit de fut feul que l'on pouvoit tenir les faits fut lefquels il appuyoit fa réctamatïon» C'eft; donc Etienne lui-même qui &  par fa file.. 599 fait lemenfonge; & c'eft lui qui 1> rctrafté , quand ü a vu la dérnonftradon de ce menfonge.. ^ Or , dans les niatières d'état, eft-it permis de varier fur les circonftances eflentielles? II n'en eft point qui foic plus importante a un père , auquel on contefte cette qualité, que celles qu* regardent fon mariage. Pater is eft auem jufia nupria de-~ monftrant. Cette démonftration , qui n'eft fouvencque erop équivoque, eflr cependant toujours infaillible pour affurer cette qualité.. v Vous êtes, dites-vous, le pere de Catherine Garisère , paree que vousêtes le mari de Marguerite Condure „ fa mère. On vous croirr, vous pareiffez, un honnête homme. La eandeur tant vantée de votre phyfionomie arrache ,. en votre faveur , des hommages de crédulité. Erranr, foldat , déferteur T mendiant ; que de titres pour mérites La confiance publique !' Mais tépondes a une demande toute fimple.. ^ De qui avez-vous recu la Béncdiction nuptiale ? Vous dites que c'eft du fieur Soler , qui étoit alors curé de Lefcun. Ie vous replïque que le fieur Soler n'étoit pas, a Lefcun , quand le?  400 Père défa ouê fieur Garisère s'eft marié. Vous ajoutez que vous vous êtes trompé. Comment po avez-vous faire une pareille méprife* Comment le fouvemr de votre manage , cet acte ie plus intereflant de votre vie, qui doit fervir de bafe i Ia demande que vous formez , a t-il pu iornr de votre mémoire ? Vous vous deconcertez dès la première queftion; Ie premier pas que vous faites eft un raux pis marqué par une chüte; & vous croyez que i'aveu forcé de votre erreur lurnt po ir faire difparonre 1'arrifice &. pour en erfacer Popprobre. Vous vous crompez une feconde fois, & plus groffièrement que la première. Ui homme foupccmné feulement detredansi'habitudede mentir, doiti être cru, quand il affirmé, ou quand il me ? On nefcait quel parti prendre : mais ie plus sur eft de ne le pas croire du tout. Son carafbère répand des doutes fur les vérités les plus connues , quand dies partent de fa bouche. f S'il étoit permis aux impofteurs de reparer, par des rérraéfations, fes fauffetes qu'ils auroient avancées, ils pourroient donc compofer, k Ieur „ré l htfto.re de leur vie, yraffiembler des circonftances décin ves, les employer  par fa fille. 401 avec fuccès, & n'y renoncer que quand ie vice en feroit découvert. Mais fuppofons, pour un moment, qa'Eiienne n'eft point 1'auteur de cette faufle allégation; aqui faudra-t-il donc. 1'imputer? Sera-ce aux perfonnes qui n'ont pris aucun intérêt a fon fort ? Non fans doute. Ce faux récit ne peut donc venir que de ceux qui, prenant Etienne pour Garisère , fe font attendris fur fes malheurs , & lui ont accordé leurs foins & leurs fuffrages. Ce font ces certificateurs obligeants qui, fur 1'affemblage de quelques faits, dontils ne peuventêtreni juges, ni témoins , s'erigent témérairement en difpenfateurs des biens d'une familie dont i'hiftoire eft totalement inconnue- Concluons donc que, fi ce fait vient d'Etienne, c'eft un fourbe mal avifé ; s'il vient de fes proteóteurs , ils font trop mal inftruits, pour accréditer leur frivole atteftation. II. Dans un menteur, on eft auto-rifé a prendre tout} jufqu'a fon filence, pour des menfonges. Ce qntrienne apprend de fa perfonne , fans ambiguité , c'eft cu'il veut devenir Garisère. Tout ie refte de fa vie, tel qu'il le rap-  '401 Père défavoué porte, eft un abrégé fï court, une analyfe fi imparfaire , environnée de tant d'erreurs & de contradictions, quon dècouvre aifément le motif qui Tengage a fe renfermer dans des bornesfi étroites , & a fe couvrir de ténèbres. Dans la première requête qu'il a préfentée, il a dit qu'il avoit quitté Lefcun depuis environ vingt-trois ans: Ja caufe de fon déparc n'y eft point énoncée. Dans la feconde requête , il a fait une légère mention des coups de baton; mais certe énonciation , fiite comme en paffant, ne fupplée point au filence obfervé, fur cetobjet, dans la première. Dans la première requête, il ne parle point de fes occupations en Efpagne : dans la feconde, il dit qu'il étoit foldat, mais il ne rapporte point fon enrólement. Dans la feconde , il dit qu'il pafïa d'Efpagne , dans le Languedoc; il n'en avoit pas parlé dans la première. Enfin , Ie i4aout, il fe bornea dire qu'il eft parti de Lefcun , paffe en Efpagne, & revenu dans fa patrie. Le 11 feptembre , mieux inftruit des aventures de celui qu'il veut reprófenter, il ajoute qu'il étoit foldat  par fa fille. 4° 5 en Efpagne ; qu'il a pafte dans le Laneuedoc , pour fe rendre enfuite a Leicun. Ce fupplément a une hiftoite il féche , fiappauvrie ne la rendrani plus comp'.ette , ni plus eroyable. . Le premier récit qu'il a fair de ia vie eft donc un dénuement de circonittncesfi entier, que tout annonce combien 1'impofteur en redoute 1'examen. Pour couvrir 1'ignorance ablolue dans laquelle il eft des événements de la vie de Garisère, & pour fe derober a ces queftions preftantes par lefquel es on peut fi facilement confondre les impofteurs, ils'avife d'un prétexteque 1'impudence feule pouvoit lui infpirer. Ne demandez point, dit-il, ce que je faifois a Lefcun avant mon départ, a quoi je m'occupois en Efpagne , quelles font les villes oü j'ai le plus féjourné ; quelles perfonnes j'y ai vues; en quel rems je fuis forti de ce royaume; pourquoi je me fuis arrêté dans le Languedoc; la durée du féjour que j'y ai fait; quel motif m'a ramene dans ma patrie ; inutilement vous m'mterrogerez. Je vous ai dit, dans ma requête du i i feptembre , que je manque de mémoire 6c d'efprit; que 1 ex-  404 Père dêfavoui trême misère dans laquelle J'ai vécu m a hut tout oublier. Je fuis Garisère ; contentez-vous de cela je n en dirai pas davancage. Vous me cbicanez fur le moindre mot: j'ai refolu de garder déformais un profond iilence. Si vous m'en faites encore un cnme je le juftifiërai par la lethargie generale dans laquelle mes infortunes ont jette les facultés de mon ame. Vous avez raifon, Etienne; il vauc mieux fe taire, que de parler de ce qu on ignore; mais il n'eft jamais permis d ignorer la feule chofe que Ion doit fcavoir. On fgait qu'il eft des maladies capa. bles d effacer les traces formées dans le cerveau; des fièvres affez violentes pour faire perdre au malade jufqu'au iouyemr de fon propre nom. Mais ia il n'eft queftion que d'indigence, de difette dargent, de privation des Commodités de la vie, en un mot, d une fituation facheufe , qui bien loin de raire perdre la mémoire d'une fortune heureufe dont ou auroit joui, ne fert qu'ala retracer plus fortement, par la com^araifon de 1'état prefent, avec 1'état pauc. Si 1'imagination a  par fa fille. 405 quelque vivacité dans les tableaux qu'elle nous offre, c'eft fur-tout dans ces parallèles. On vient de voir les contradictions groffières dans lefquelles cet impofteur eft tombé; 011 vient de voir 1'infructueufe poliiique de Ion filehce : refte a examiuer fa conduite. 1IS. II arrivé a Lefcun dans le mois de juin; il differe jufqu'aü mois d'. out a préfenret fa requête. Ce père, a qui l'on refufe 1'entrée de fa propre maifon, garde , pendant trois mois , un profond lilence, tandis que , felon lui, les habitahts de ce lieu , s'unilTent en fa faveur , que celle' qu'il appelle fa fille , confent de le reconnoïtre pour fon père , au moindre fignal; qu'elle ne lui impofe que les conditions les plus fimples que la bonne foi la plus cpurée puifle infpirer. Scayez - vous écrire ? Parlez-vous Béarnois ? Avezvous deux doigts unis a chaque pied ? Ces moyens de découvrir la vérité o'ntils quelque chofe de fi pénible qu'il faille un terme fi long pour les employer ? Mais ce tems fe paife a imaginer des excufes pour l'impuilfance ou l'on eft de s'en fervir. Que fait Etienne pour entretenir  4©tf Père défavouc ceux qu'il a féduits, dans 1'erreur dons il les abufe ? 11 leur promet de partager, avec eux, les dépouilles qu'il veut enlever a celle qu'il appelie fa fille. II fait un traité, par lequel il promet de payer , a fa prétendue fceur , la fomme de 800 livres dan; trois mois. II faut obferver, en paftant , que cette prétendue fceur , qui le reconnoit fi parfaitement, avec laquelle il traité fi cordialement, fi honnèrement, njavoit que fix ans , lorfque Garisère partit de Lefcun ; & cependant les traits de ce même frère , qu'elle n'a pas vu , depuis cet age, qui a été vingt-deux ans abfent, fe retracent fi fidèlement dans fa mémoire , qu'elle le reconnoit fans héfiter. Jufques-la, le titre de Garisère n'eft point acheté trop chèrement. Mais cet ade précipité ne donnet-il pas lieu de croire que ce n'eft pas le feul quEtienne a pafte pour fe faire des fecfateurs? Et que devient alors le certificat produit avec tant de confiance? Comment Parfranchir des foupcons qu'il infpire ? Vouloir faire palier un traite fait avec une fceur , fur des droits obfcurs de légitime , pour la marqué infaillible d'une reconnoüTance certaine, c'eft  par fa file. 407 fe«procurer un témoin important , a prix d'argent. Après avoir confidéré Etienne en luimême , il faut le confronter avec 1'original qu'il veut copier. Jean Garisère naquit en 1688. Il auroit donc été agé, au moment de la conteftation , de quarante-cinq ans. Mais 1'impofteur ne paroit pas avoir plus de trente-cinq ans? Auroit-il trouvé l'art de rajeunir dans 1'affreufe misère dont il a toujours été accablé ? Ce tems, qui n'a refpecfé, felon lui, ni fa mémoire , ni fon efprir, auroit-il plus épargné les traits de fon vifage, Sc la fraicheurde fon teint ? Garisère fcavoit lire. Etienne, preffé fur cet article , répond qu'il ne fcait lire que des mots qui lui font familiers; Sc cette étonnante réponfe eft confignée dans une requête II faut avouer qu'il n'eft pas facile d'en pénétrer le fens. Qui peur déchiffrer trois mots, peut en déchiffrer mille. Tous les termes de la langue font compolés des mêmes lettres. II n'y a pas deux alphabets en France. Qu'il dife donc quels font ces mots, auxquels il a trouvé a. propos d'accorder la préférence.  408 Père de'favoué Garisère fcavoit éciire. Sa fignature, appofée d'une main ferme & exercée au bas de fon contrat de mariage, en eft une preuve. Ii avoit même des connoilTances plus étendues que n'en ont ordinairement les laboureurs qui fe renferment dans leur état. 11 faifoit le commerce des gra-ins , qu'il alloit vendre en Efpagne. Un fieur de la Clede, médecin , a fait afligner Catherine Garisère comme poffèdant les biens de fon père , a lui payer deux billets foufcrits par ce même père, & motivés pour valeur recue en marchandifes. Garisère fcavoit donc écrire, il avoit donc les connoiflances néceffaires pour faire un commerce. Pourquoi, entre tous les habitants de Lefcun , qui ont figné le cettificat produit par Etienne, ne trouve-t-on pas le nom du fieur de la Clede , qui , par fa profeflion , par Ie rang diftingué qu'il tient dans le pays, par les relations qu'il avoit eues avec Garisère , auroit pu , dans cette occafion , dépofer plus probablement que tout autre ? Que dit, a cela, 1'impofteur? II dit qu'il ne fcait plus écrire, & impute cette privation au coup qu*il a recu au bras. Mais cette aventure, qui a, toutau-plus,  par fa fille. 409 au-plus, dérangé Ia fouplefle de fes doigts, ne lui a enlevé que le pouvoir d'écrire: fi fes doigts reprenoient leur premier état, il écriroit encore. Le défaut d'outils n'empêche pas qu'un artifan ne fcache toujours fon métier. Etienne fcait donc écrire , quoiqu'il n'écrive pas : & s'il fc:aic écrire , comment ofe-t- il hafarder de dire qu'il ne fijait pas lire ? Mais , dit-on, Etienne eft un imbécille, un homme trop fimple , pour imaginer de jouer le róle d'autrui, Sc pour le foutenir. Cette propofition engage a trois fuppofitions , fans lefquelles elle demeure ifolée , Sc tombe faute d'appui. Premièrement, il faut fuppoferque le véritable Garisère étoit un homme dépourvu de fens Sc de raifon. En fecond lieu, qu'Etienne a donné des marqués de ftupidité qui lui affurent, pour toujouts, lecaracfcre d'imbécille. En troifième lieu , que Pimbécillité 'une fois établie, on jouit de 1'avantage d'être cru fur fa parole. Toutes les parties, tous les traits de la copie doivent la rendre conforme a 1'original j la relfeniblaiice doit être fi Tome Xris S  4iO Père défavoué parfaire, qu'ils foienc, pour ainfi dire, confondus 1'un avec 1'autre. Si Garisère fcavoit conduire fes affaires, s'il avoit du difcernernent dans fes projets, de 1'économie dans 1'adminiftration de fes biens , comment ofe-t on lui comparer Etienne; lui a qui on accorde a peine le trifte fecotirs d'un inftintt languiffant? On a vu qu'il faifoit un commerce qui s'étendoit jufques dans les pays ctrangers; & l'on a rapporto, par écrit, la preuve de fon négoce &c de fon in-, duftrie. La feule preuve que l'on rapporte de la prétendue ftupidité de Garisère eft tirée du motif que l'on piéte a fon départ de Lefcun. II recoir, dit-on , des coups de baton de fon beau-frère, qui venge un foufflet juftement appliqué a fa foeut. Eft-ce une raifon pour quitter fapatrje, & ppurfe condamner a une efpèce d'exil? On va donc mettre au nombre des imbécilles tous ceux qui manquent de courage , & qui ont pout maxime qu'il vaat mieux vivre un jour de plus, que mille ans dans 1'hiftoire. On a bien dit que le courage eft un don , queDieu n'accorde pas a tout le monde ; mais jamais on n'a regardé h poltionerie comme une bêtife im-  par fa fille. 4n pénctrable aux premiers principes du iang commun. Mais fuppoions que Garisère füt im imbécille, öc que fa fuke doit être re> gardée comme un de ces événements que la raifon condamne. Voyons ü Etienne eftce bonlfraëlite fans dol & fans fraude, fimple dans fa conduite , & fincère dans fes difcours. Rappellons nous la courte hiftoire qu'il fait de fa vie. II paffe en Efpagne , entre au fervice des vivandiers, s'enrole, déferte, pénètre dans différentes contrées du Languedoc ; jardinier a Carcaflone , mendianc k Touloufe , il trouve, par-tout , des reflburces qui I'empêchent de fuccomber fous le poids de la misère. II parole a Lefcun avec un vifage frais & vermei!; il fe dit Garisère , foit qu'il le foit, foit qu'il ne ie foit pas. Voit -on, en tout cela , le caraótère d'un imbécilie ? ou plutot n'y voit on pas nu impofteur ingénieur, qui , fous le voile de l'imbécillité, fcait cacher fon irapofture ? Comment répond-il aux queftions qu'on lui fait ? De la même manière qu'ont répondu les impofteurs les plus rufés. S ij  4Ti Père dèfavoue S'il ne fcait pas lire , c'eft qu'il a perdu l'ufage de la lefture. S'il n'écrit plus , c'eft qu'il a éré bltfle a la main. Le Biarnois eft devenu , pour lui , un jargon inufité \ fon fcjour dans les provincesoü l'on parle un langage différent , eft la caufe de cet oubli. S'il n'a plus les doigts du pied uuis, c'eft qu'il les a fait féparer. Oü eft la cicattice qui doit attefter cette féparation? Le tems l'a effacée. Enfin Etienne pare tous les coups qu'on lui porte. S'il ne le fait pas micux, ce n'eft pas fa faute ; il ne faut pas exiger 1'impofiible : mais on voit qu'il eft doué de tout le bon fens qui éclaire les impofteurs , & qu'il ccnnoït toutes les rufes qui peuvent pallier fon impofture. Mais fuppofous, pour un moment, aue tont ce qu'Etienne a dit & fait jufqu'ici eft le fruit de fa naïveté , vrai caractère de l'innocence. Oü eft la preuve que cette ftupidité apparente neprend pas fa fource dans une malice étudiée ? L'hiftoire nousfournit plufieurs exempies de ces prétendus imbécilles qui pnc fait réufik les plus grandes entre-.  par fa fille. 4* 3 prifes. Ne fercic-ce pas trop avilir un des traits les plus éclatants de l'hïftoire , que de rappeller ici la conduite de ce fameux Brutus, qui, pour chaffer Tarquin , foutint , pendant plufieurs années , le role d'imbéciïïe , j!c parvint, par ce ftratagême , a la gloire de fonder la république romaine fur les débris de la monarchie ? ci Si, comme la vérité , dit Mon» taigne, Ie menfonge n'avoit qu'un „ vifage , nous ferions en meiileurs » termes: car nous prendrions pour » certain 1'oppofé de ce que diroit le » menteur : mais le revers de la vérité » a cent mille figures, & un champ » indéfini ». II faut donc, en prouvant qu''Etienne eft un ftupide, prouver, en même tems, que Garisère 1'étoit aulli. Mais , avec cette preuve , on ne fera pas plus avancé : car 011 prétend que 1'imbécillité une fois étabiie , cn jouit de 1'avantage d'être cru fur fa parole. Ce feroit trop abufer de la complaifance des lecteurs,que de s'arrêter a réfuter cette propofition. Mais tout extraordinaire qu'elle eft, elle devient néceffaire au fyftême cV Etienne \ il S üj  4*4 Père défavcité tombe , s'il abandonne ce paradoxe, Ainfi conrinuons de le fuivre dans le detail de fes impoftures. II eft forcé de convenir qu'il ne fcait pas parler Béarnois; & fa raifon eft toute prête , paree qu'elle eft toute umple j c'eft qu'il J'a oublie. iVlais, fuivant le calcul de 1'impofteur lui-même, il avoit vingt - trois ans, quand il quitta Lefcun. II parloit a.ors Ie langage de fon pays ; il n'en connoifloit point, il n'en parloir point d'autre, II étoit dans cet age, oü i'accent nechange plus ; paree que les organes de la parole accoutumés a cerraines mflexions & a certains fons, les prononcent invariablemenr. Pour excufer fon ignorance, i! prétend que fon fé/our en Efpagne lui a fait contraéter 1'habitude d'une langue étrangère, qui lui a enlevé i'ufage de fon premier jargon. On lui a fait des queftions en Efpagnol, il n'y a ooint répondu. Muetpourle Béarn , & fourd pour 1'Efpagne; que ne répétoit-il encore qu'il manquoit d'efprit & de mémoire ? Quant a cette opération qu'il dit avoir fait faire, pour féparer les deux doigts de fon pied , comment fe fait-  par fa fille. ïl qu'il n'en refte aucune cicatrice ? D'ailleurs , un homme dans le fein de la misère a-t-il jamais fongé a corriger ces jeux de la nature, fur-tout quand il n'en eft pas incommodé , 8c qu'ils ne font pas vifibles? Le frère de Garisère marche t-il moins bien , quoiqu'il porte la même marqué ? Lui eftil jamais venu a 1'efprit de la faire difparoitre par une opérationchirurgicale ? Mais, dit 1'impofteur , c'eft moi qui vous ai sppris cette fingularité dans ma eonftruétion, fans 1'aveu fpontané que j'en ai fait, vous n'en auriez aucune connoilfance; & vous ne pouvez pas divifer ma déclaration ; il faut, ou 1'admettre dans toutes fes parties , ou la rejetcer dans toutes fes parties. Vous abufez , Etienne , de la maxime qui ne permet pas de»'divifer une déclaration en matière civile , quand elle eft compofée de deux parties dont 1'une eft favorable a celui qui la fait , & 1'autre défavorable. Mais quand^toutes les parties de cette déclaration font favorables a fon auteur, & quand il eft manifefte qu'elles font toutes fauffes, on doit la rejetter dans fa totalité. Vous avez feu que le frère de Garisère a deux doigts du pied attachés S iv  '4i 6 Père dêfavoui jpar une pellicule; & peut-être lui avezvous , vous-même , tiré 1'aveu de cette circonftance par quelque queftion captieufe. Soit que Garisère eut le même figne diftinctif, foit qu'il ne 1'eüt pas, vous avez jugé qu'il étoit de 1'intérêt de votre impofture d'avancer que vous étiez autrefois conformé de même , afin de vous prévaloir d'une marqué caraófériftique attachée a la familie ou vous voulez ufurper une place. Mais vous ne pouvez pas montrer cette marqué , que vous n'avez pas. Un autré menfonge a foutenu le premier. Vous 1'avez, dites-vous , fait incifer. Ou eft la cicatrice que cette incifion a dü laiffer ? Le tems l'a effacée : mais vous voyez bien que ceci eft une défaite' ajuftéeau foutien d'un menfonge, que votre propolition en contient trois, & que ce font trois men fon ges qui naiffent 1'un de 1'autre, & que vous avez befoin de tous les trois. Si l'on me demande une fomme que l'on dit m'avoirprêtée , & qu'il n'exifte aucune tracé de ce pret, je peux repo uffer la demande, en le niant. Mais ma franchife m'en fait faire 1'aveu; & j'ajoute, en même tems , que j'ai reftitué la fomme que l'on me demande>  par fa fille. 417 t)n ne peut pas alors divifet ma déclaration. J'avoue un fait qu'il ne tenoit qa'k moi de nier, fans courir aucun rifque d'être convaincu de menfonge } Sc mon intérêt fembloit devoir me conduire a tirer avantage d'une circonftance qui faifoit tomber la demande fans aucune difcuflion. On ne préfume point, en un mot, qu'une confeffion faite en matière civile foit accompagnée de dol, & que celui qui a été d'afTez bonne foi pour convenk d'une dette qu'il pouvoit nier eft d'affez mauvaife foi pour fuppofer uft paiement qu'il n'auroit pas fait. Enfin les auteurs difent qu'il faut examiner fi la confeflion contient d&s chofes connexes , ou des cbofes féparées. On entend par chofes connexes , des fairs tellement lié's enfemble, qu'on ne peut les féparer. Q_a aliud fecundarium : & fi aprimo incipilur, ifludejl fattum feparatum: fiverb d fecundo, tune Mud per ft non conjlat ; namfolutioprafupponit pe' fe debitum. Boerius^, «iécif. 243 , h. j.  par fa fille. 4\9 eft la fuite d'une incifion faite expres. Sion 1'eüt montrée plutót, la fraicheur auroit décelé la fraude ; & .l'on n'a eu 1'affurance d'ofFrir de Ia montrer,que quand elle a été confolidée par le tems, & qu'elle a eu acquis un air de vétufté. Mais que cette cicatrice ait toute la. réalité qu'on peut lui fuppofer, cela ne rapprochera pas Etienne de Garisère. On prouvera feulement qu Etienne a une cicatrice au pied; mais on ne prouvera pas que cette cicatrice provienne d'une peau qui uniffoit les doigts. Mais , difoit Catherine Garisère ,' je vais plus loin encore, & je confens que votre cicatrice ait 1'origine que vous lui donnez; qu'en réfulte-t-il > C'eft que vous avez pent être un feul trait de reffemblance avec mon père ; mais cela fait-il que vous le foyiez ? Iï fautluirelfembleren tout, fi vous voulez qu'on vous confonde avec lui : iï faut lire , écrire, parler Béarnois Sc Efpagnol. Etienne n'eft donc pas Garisère; il eft même prefqu'impoflible de trouver deux hommes aufli différents , aufli oppofés, que ces deux individus. Nulle conformïté dans les talents, dans le langage , dans le caraétère , dans les  '4i« Père défavouê événements, dans 1'age, dans les traits. La fille de Garisère n'eft donc point obligée , pour refufer la qualité de père a Etienne , de faire des recherches fur la deftinée de ce père. Sa réponfe , & cet égard , n'a qu'un mot. J'ignore le dejlin d'une t.'tefi chere. Si je n'avois , difoit elle , d'autre moyen pour me le rappeller, que la relfemblance que vous prétendez avoir avec lui, je pourrois 1'oublier fans remords. D'après ces réflexions, quel avantage Etienne peut-il tirer du certificat qu'il rapporte? Perfonne n'ignore combien ces pièces font peu eftimées en juftice. Comme elles font Pouvragede la complaifance, elles font toujours produites fans fuccès. « Nous avons coutume , » dit Mornac, de prendre des certifi»> cats dans des circonftances qui fe » préfentent tous les jours ; mais ces » témoignages ne font d'aucune ïm» portance en juftice , ou l'on exige » que les témoins dépofent pat leur » bouche. On n'entend pas même en >> témoignage ceux qui ont donné ces » fortes d'atreftations & telle eft la »jurifprudence du parlement, paree  var fa fille. 421 » qu'elles onï écé mendiées, & que » leur fuffrage' a été corrompu par » 1'amitié « ( 1 ). On n'acquiert le droit d'être cru en juftice, &. on n'y a de caractère qu'k la faveur dü ferment. C'eft une efpèce de caurion que l'on donne de fa propre perfonne , pour la certitude des faits que l'on attefte. Le titre de curé, celui de jurats ne fiipplée point au ferment. C'eft la difpoiuion du droit canonique ( 2 ). ' Mais , abftraótion fiite de ces confidérarions , pour que le certificat rapporté par Etienne put mériter quelque attention , il faudroit établir qu'en matière d'érat, on peut être sdmis k Ia preuve teftimoniale , fans avoir, au moins, un commencemènt de preuvê (1) Ex qua & hoe ajfumere folemus in quotidiinis experimentis , tedimonia fcilicet, qute alias , idiomaüfmo mfiro dicimus certiffcats Millius effe momentï in judiclh , turn prafentia opus fit: quin immb nee audiuntur unquam pojlea in inquïfitionibus. Soletqueita judicare fenatus , obfufpeBum in eo quafi amicorum minifierium. Mornac, inleg, 17, "§. 7, ff, de receptis qui arbitr. (2.) Nullius teflimomum, quantumcumqut religiofus exiftat, nifijuratus depofuerit, in alterius pmjudicium debet cudi. Cap. commis a cet effet, il fera procédé par deux experts jurés, dont les parties conviendront , ou qui feront nommés d'office par M. lecommiffaire,après qu'ils auront prêté ferment, a la vérification des bleffures ou dillocation que le foi-difant Garisère prétend avoir au bras droit, dans laquelle ils déclareront fi elles font fuffifantes pout empêcher qu'il ne puiffe fe fervir de fes doigts pour écrire. II  par fa ple. ^ 11 eft en joint aux experts de donner leurs avis fur la prétendue féparation des doigts des pieds, &, autant que faire fe pourra, fur la quantité & an«ienneté des cicatrices , fi aucunes y a. Au furplus, il eft permis a Cath&rine Garisère de prouver, par - devant la horde, notaire, a cet effee commis, le fait qu'elle aarticulé; fcavoir, qu'avant 1'inftance , le foi-difant Garüèrezpzm aux environs de Lefcun, & les premiers jours de fon arrivée, dans Ie lieu , en qualité de mendiant, &: fous ïenom Etienne; & ce , pour fervir a telles fins , que de raifon , pour le tout rapporté , être fait droir aux parties , ainfi qu'il appartiendra. Cependant la cour adjuge au prétendu Garisère 15 livres de provifion , outre les frais du préfent arrêt; les auttes dépens réfervés. Cer arrêt, qui mettoit Garisère en état de rendre a la vérité tout fon jour, effraya fa fille & fon gendre. Ils prévirent qu'ils alloient feprécipiter dans un abïme de frais, & qu'ils feroient obligés, après avoir confommé leur ruïne, de reconnoitre un père dont la jufte vengeance ne leur laifleroit lome XP7. T  ij 4 Pere dèfiavoué par fa fille. aucune reffource , puifque le proces injurieux qu'ils auroient foutenu contre lui, auroit armé jfon bras du foiidre de 1'exhérédation.  4}* 'MER E QUI FEUT A TTRIBU ER SA MATERNITÉ A UNE AUTRE FEMME. Catherine Cartel , native de Lyon, avoit époufé Henri Pré, fieur; de Machard. Son mari, peu de tems avant de mourir , 1'avoit accufée, en la fénéchaulfée de Lyon, des'êtreprof. tituée a fon valet. Le décès du fieur Machard mit fin a ce proces, qui n'euc pas d'autre fuite. ^ Devenue veuve, elle eut un procés a foutenir en la jurifdi&ioii de Trévoux, contre les héritiers de fon mari. Elle implora la protecrion du fieur Defplaces, prévót de la monnoie de cette ville. Pour lui témoigner fa reconnoiifance des fervices qu'il lui avoic Tij  43 6 Mère qui veut attriluer rendus , elle le pria de lui confiec Anne Defplaces, fa fille , lui promettant d'avoir, pour elle , toutes les attentions d'une mère, & de la pourvoir honuêtement a Lyon, oü il étoit beaucoup plus facile de trouver un parti avantageux, que dans une petite ville comme Trévoux. Le fieur Defplaces confentit a mettre fa fille entre les mains de la veuve Machard; il étoit veuf, fes occupations ne lui laiffoient pas le tems de veiller fur la conduite d'une fille que la prudence ne permettoit pas d'abandonner k elle même. Elle partit donc pour Lyon, avec fa nouvelle directrice. La veuve Machard avoit un coufin germain , nommé Georges Cartel. II fit connoiffance de la jeune Defplaces , & ils concurent de Pamour 1'un pour 1'autre. On ignore par quelle raifon la veuve Machard prit leur mariage fi fort a coeur : mais elle prit fur elle de le faire contracter contre le gré des parents refpeótifs des parties , dont le mécontentement alla jufqu'a le, exhéréder. Pour les dédommager de la perte qui réfultoitdeces exhérédations, elle fit, en leur faveur, un téftament, par  fa mater n'ué, &c. 457" lequel elle les inftituoit fes héritiers ,' & leur fit une donation entre-vifs , de 2000 livres: peu après elle révoqua fon téftament , Sc obtint des lettres de refcifion contre fa donation. La veuve Machard vint, quelque tems après, a Paris. Elle fut accompagnée , dans fon voyage , par Anne Defplaces, devenue femme Cartel; Sc après quelque féjour dans cette ca* pitale , elle époufa Guillaume Gireuft , fils d'un vigneron de la paroiife de Tillers en Normandie. Dans fon jeune age, il avoit été laquais du comte de JFiefque , étoit devenu fon valet de chambre , enfuite écuyer de la comtelTe de Fiefque. Par ces différents degrés , il étoit arrivé a la qualité de gentilhomme , Sc de feigneur d'Afi premont. La dame d'Afremont avoit fait le voyage de Lyon a Paris dans la compagnie d'un nommé Pierre Rigal, apprentif chirurgien. En 1657, il larencontra , par hafard , fur le quai des Auguftins. Quoiqu'il y eüt long - tems qu'il ne Peut vue , il la reconnut, Sc lui demauda des nouvelles de I'enfant dont elle lui avoit dit qu'elle étoit enceinte pendant Ia route qu'ils avoient Tiij  438 Mhe qui veut attribuer faite enfemble. Elle lui dit d'abord qu'il fe trompoit, & la prenoit pour une autre. II infifta, & voulut la convaincre qu'il ne fe méprenoit pas , en lui rappellant certaines circonftances affez remarquables , pour qu'elles ne fuffent pas échappées de fa mémoire. Pour toute réponfe, elle lui donna un démenti & un ioufflet. Rlgal alla rendre plainte au bailliage du palais de 1'infulte qu'il avoit recue, & fe rendit, en même tems, dénonciateur de deux crimes qu'il imputa a la dame d'Afprcmont. Le hafard, ditil , les avoit réunis dans la même voiture, pour faire le voyage de Lyon a Paris. Quand elle eut appris quelle étoit fa ptofeftion , elle crut devoir lui confier fon état, & lui demander fon fecours pour le projet qu'elle méditoit. Elle lui dit donc qu'elle avoit eu a Lyon s une foibleffe pour un homme qui 1'avoit féduite fous l'efpoir du mariage; que cet homme 1'avoie abandonnée aufti-töt qu'il avoit eu triomphé d'elle : que dès qu'elle s'étoit apper^ue des fuites de fa funefte crédulité , elle avoit cru devoir dérober fa honte a fes parents & a fes connoiffances, & avoit pris le parti de s'alleï  fa maternhè, &c. 430 cacfier a Paris, & d'y faire fes couches, fi elle étoit obligée d'en venir la. Mais qu'elle croyoit qu'un homme de fon état devoit avoir des fecrets pour arrêter le cours d'une groffeffe ; Sc elle Ie priade lui aider a prévenir les dangers d'un accouchement. Tel étoit le premier crime qu'il dénonga a la juftice crime dont il avoit eu horreur, & au-quel il avoit conftamment refufé de fe prêter , nonobftant les inftances les plus vives, Sc les promeffes les plus jflatteufes. Le fecond ctime étoit une fupprefïion de part. L'accufée , difoit Rigal, étoit accouchée, le 2S aoüt 1654, dans? la maifon de Maric Marfaut, fage-3 femme , d'une fille dont Anne Defplaces , femme Car tel s avoit été marreine. Comme celle-ci , au moment de cette groffelfe, venoit d'époufer le coufin germain de la veuve Machard , elle fe trouva , par cette alliance , intéreffée dans un fecret qui regardok 1'honneur de la familie, Sc engagée a fecourir fa parente. Le parrein avoit été Antoine Hermeton , maitre ferrurier , mari de la fage-femme. Or cet enfant, dont 1'exiftence étoit confta-: Tiv  44° Mère qui veut attrihuer tée par Pextrait baptiftère, qu'on rap4 portoit, ne paroilfoit point. Sur cette plainte, il y eut une inforrnation , dans laquelle on entendit en témoignage la fage-femme, fon mari, Anne Defplaces , Rigal , ëc Jacques Jouhert. Cette information étoit concluante contre la dame a"Afpremont ; qui fe trouvoit expofée aux pourfuites. les plus rigoureufes, de la part de Fa juftice. Mais fon mari conjura cet orage, en rendant plainte lui-même contre Anne Defplaces , & fui imputant le crime de fuppreffion de part dont RU gal avoit accufé fa femme* Po«r appuyer cette accufation , il rendit une autre plainte au chatelec contre tous les. témoins qui avoient dépofé au bailliage du palais. II mit en fait que Rigal , fous le nom duquel on avoit dénoncé fa femme au bailiï du palais comme coupable d'avoir vou-; lu faire périr fon fruit dans fes entrailles , comme coupable de fupprefïion de part, & qui avoit dépofé de ces deux faits dans 1'information faite au bailliage , que Rigal, dis je, étoit un fantóme qui n'avoit jamais exifté. Voici le noeud de cette inttigue." Parmi les confeillers au parlement de  fa maternké, &c. '4411 Dombes, étoit le fieur de Roehefort. Pendant le féjour que la dame d'Afpremont, alors veuve Machard, avoit fait a Dombes, a la fuite de fon procés , il étoit devenu amoureux d'elle i & lui avoit rendu de grands fervices dans fon affaire. Mais n'ayanr pu dfctenir les faveurs qu'il avoit efpérées pour récompenfe de fes fervices , fon amour s'étoit tourné en haine , & il avoit juré de perdre une femme dont il n'avoit pu cotrompre la vertil, _ Pour réuffir dans fon projet, il imagina le ftratagême le plus crue! , &C le plus perfide. II engagea un nommé Henii Jouhert, de Dombes", père de Jacques Jouhert dont le nom fe trouve au nombre des témoins entendus aa bailliage du palais, è prendre le norm de Rigal, a fe fuppofer apprenrif chirurgien, & a faire, fous ce mafque, la dénonciation qui avoir été recue $C pouifuivie au bailliage du palais., Ce n'étoir pas affez: d'avoir fuppofe un dénonciateur , il falloit que cette dénonciation füt appuyée par des témoins. "Une fage-femme, & fon marf^ étoient bien des témoins compétentsdans une pareille affairev oü il s'agi£fóït de fjavok fi une femme étoit a©r  Mère qui veut attrïbuer couchée , ou ne 1 etoit pas. Aufli fu£ rent-ils entendus. Onfit entendre aufli Anne Defplaces ; mais fon témoignage pouvoit n'avoir pas grand poids , ayant cpoufé Georges Cartel, coufin germain de celle que l'on vouloit faire condamner. Par la même raifon, il n'auroit pas été prudent de faire entendre Georges Cartel lui-même. Que fair-il } II prend le nom de Jacques Joubcn ± fils de Henri, & va, fous ce mafque , faire la dépofition qui avoit été concertée entre les conjurés, & infpirée par le fieur de Rochefort, qui étoit 1'ame de toute cette abominable ma-, «oeuvre. Sur cette plainte, le fieur dAfpremont obtint permiflion d'informer.' Nombre de témoins furent entendus;: öc les faits articulés furent juridiquement établis. Tous les témoins qui avoient été entendus au bailliage du. palais furent décrétés de prife de corps,. & arrêtés. Georges Cartel & Henri Joubert furent condamnés au fouet, k Ja marqué , & aux galères ï perpétuité. La fage-femme fut condamnée a être admoneftée en la chambre criminelle , & aux dépens, dommages &C iutérêts de. la dame d'Afpremont.L'e£%  fa materna', &c. '445 ïèt de cette fentence fut arrêté par l'appel au parlement. La dénonciation en fupprefïion de parr imputée a la dame d'A/premont , étant prouvée calomnieufe , elle fe treuvoit lavée de ce crime, Mais il falloit éclaircir la queftion de fcavoir qui en étoit coupable ; Sc le fieur d'AfpremontviètQndoit que c'étoit Anne Defplaces elle-même, femme de Georges Cartel, qui , au bailliage du palais, avoit joué le röle de Jacques Joubert. II avoit même , comme on l'a vu, rendu plainte de ce fait; Sc } fur fa plainte , Anne Defplaces avoit été décrétée de prife de corps °y Sc c'eft la raifon pour laquelle on ne 1'avoit pas* enveloppée dans la fentence prononcée contre les témoins entendus au bail» liage. L'effet de ce décret de prife de corps fut encore arrêté pat l'appel interjetté par Anne Defplaces , Sc par tin arrêt de défenfes qui lui. fut accordé. Elle préfenta requête en évocatioft du principal; Sc la caufe , en cet état, fut portée a 1'audience» M. le VayerdeBoutigny fe cbargea de la défenfe d:Anne Defplaces, femme de Georges Cartel. II s'agifïoit de la difpure de deux femmes fur la naiffance d'un T v|  444 Mère qui veut attfiluir enfant. Mais elles ne difpuroientpas i comme celles dont j'ai parlé, dans lesv volumes précédents, a qui feroit la mère , mais a qui parviendroita rejetter ce nom fur fa partie adverfe. L'une des. deuxfemmes eft pourtantcertainement Ja mère , & 1'autre la marreine. Au fond, la dénonciation faite par Ia femme d'Afpremonr n'eft qu'une pure récrimination d'une accufée , qui meme a été convaincue, par une in*formation juridique , du crime qu'elle ïmpute a fon adverfaire. Cette vérité fe prouve par les circonftances qui ont précédé , fuivi & accompagné la pre*, cédure. Nous avons vu que Henri Pré fieur de Machard, premier mari de Caihc^ rine Cartel , 1'avoit accufée en pleine. audience, de s'être preftituée a un valer, qu'il 1'avoir pourfuivie. pour raifon de eer adultère , & que fes pourfuites n'avoient été arrêtées que par fon décès. Or , dans le doute de fcavoir laquelle des deux femmes s'eft proftltuée, qui en peut-on le plus. vraifemblablement accufer, ou celle: qui n'a jamais donné occafion de foup(jpnnerifa.conduite , ou celle qui aétéc cradï.ije: en jliftice Par-fonpropre. anari^  fa maternué, &cl- '4$tf pour raifon d'un adultère dont elle ne s'eft pas juftifiée. C'eft un axiome er* morale qu'une perfonne une fois reconnue pour mécfiante ,, eft toujours, préfumée méchante dans le même genre deméchanceté. Qui femel malus,, femper pr&fumitui malus in eodem genera mali.. Oh peut donc , d'après cette règle ï préfumer que Catherine Cartel, après avoir vécu dans la débauche , fous les; yeux.même de fon mari; après avoir gardé li peu de ménagement qu'elle 1'avoit forcé a faire éclater fon propre; déshonneur en juftice, n'a pas été plus retenue dans fa viduité; dans uw état oü elle ne dépendoit plus que de fes paflions qui, dés le tems qu'elle étoit foumife a 1'autorité maritale, dèsJe tems, qu'elle étoit dépofiraire de 1'honneur de