VERZAMELING W. H. SURINGAR  CAUSES CELEBRES 'e t INTÉRESSANTES, A VZ t LES JUGEMENS QUI LES ONT DÉCIÓÉES. Rédigées de nouveau par M. Rl' c H ER , andrn Avocat au Parkmmfi^IlJJ^y. tome dix-s'e/^ïiémm ;|\ a amsterdam^ Gher Miche l R h e y0»  Et fe trouvent a Paris, cke% la veuve Savoie , rue S. Jacquesi "Le Clerc, Qnai dés Atfguftms. kumblot, rue Saint-Jacques. Cellot, Imprimeur, rue Dauphiuft La veuve Desaint , rue du Foin. DuRAND, neveu, rue Galande. -Nyon , r-ue du- Jardinet. Delalain , rue de la Comédie Frarsgoife Moutard , rue des Mathurins. JJailly, Quai des Auguflins,  TABLE DES CAUSES contennes-dans ce volume. Les Caufes nouvelles font marquées êuns étoih. 2"oire du proces de Roherz Comie d'Artois f page s Mljloire du proces dejeanne dArc ,. appelles lapucelle d'Orléans, 132 JAhéralitèimparfaiteparM. Ie Normand Evêque d'Evreux y au profit de fon C'Ier ge, 339* Mere eondamnée a pajer la rancon d& fon fils efclave T 3 f Proteftant qui retourne a la reiïgion eathoüque , pour faire annuller font manage, ^  IV T A B i F. *P^rc gui tfcca/ê d'adultère la femme de fon fis,, 4i4 *Femme qui défend fon honneur en mutv~ kuit celui qui vouloitl'attaquer > 44<5 fin de la tables CA-USE&  CAUSES CÉLÈBRES E T INTÉRESSANTES, Avec les jugements qui les ont dccidêcs. HISTOIRE DU PROCÉS DE ROBERT COMTE D'ARTOIS. L'histoire de ce procés eft d'autant plus ^intcreflante , qu'il a beaucoup inrlué fur cecte guerre cruelle qui dévafta le royaume pendant plus de n& ans, &c penfa le foumettre a 1'empire des Anglois. Je profiterai mème de 1'occafio» qu'il me fournit, pour entrer dans quelques détails fur la conteftation qui seleva entre Philippe de Valais■ & Tomé XVII, A  2 Hiftoire du proces Edouard III, roi d'Angleterre, aufa? jet de rinterptétation & de 1'execution de la loi falique. v Ce procés, oü il s'agifloit du droit a la couronne de France , & qui fut juge par la nation, peut bien entrer, pour mwlque chofe , dans les Caufes ceUbres. Louis VIU , roi de France, laifla , entr'autres enfants, Louis IX, qui lui fuccéda , & que ïéglife compte parmi les faints , &C Robert, qui fut comte d'Artois. Celui-ci fe croifa avec le roi fon frere , & fut tué dans une bataille, en Egypte, 1'an 115 P, après des prodi«es de valeur. Robert II, fon fils & fon Kenner, périt a la journée de Courtrai, en 1301. De fon mariage avec Amicit de Courtenay , il avoit eu un fils nomme Philippe, qui mourut avant fon père, d'une bleflure qu'il recut dans un combat, en Flandres. ■ Ce Philippe, qui avoit epoule manche de Bretagne , laifla , en mourant, quelques enfants en bas age, du nombre defquels fut Robert HL Ceft celui dont j'entreprends de donner l hifroire. Robert II, outre Philippe , avoit eu une fille, nommce Mathilde ou Mahaud, mariéè a Othon IV , appellé autreme.it Othelin, comte de Bourgogne. . blle  de Robert comte d'Artois. 3 furvécut a fonpère, & prétendic qu'elle devoit héricer du comté d'Arcois , a 1'exclufion de Robert 111, fon neven , enfant de Philippe. Elle fondoit fa prétention fur la coutume du pays ou la repréfentation n'a point lieu. La repréfentation, en terme de jurifprudence, eft 1'image préfente d'une perfonne qui n'eft plus ; c'eft a clire , que Ia perfonne que la loi place au lieu du défunr , exerce tous les droits qu'il exerceroit, s'il ctoic encore vivant. La maifon d'Arcois , telle qu'elle étoit alors , fervira a.donner. une idéé claire de cetre fiétion légale. Philippe , fils de Robert II, éroit more avant fon père, & avoit laufe pour héritier , Robert III, fon fils. Si la repréfentation eut eu lieu en Artois, lorfque Robert /ƒ mourut, Robert /ƒƒ, comme prfinanc la place de Philippe, fon père, Sc comme le repréfentant, auroic- concoura , avec AJathilde, fa tante , dans le partage de la fucceilion de fon aïeul, & auroit même eu , fur elle , tous les avantages que les males ont fur les filles ; enforte que le comté d'Arcois lui auroit apparrenu , paree que , repréfentant un male, il auroic eu tous les droits de celui qu'il repréfentoit. A ij'  a Hifloire du proces Mais la repréfentation na point lieu en ce pays ; enforte que , qiiand le fa s meurt avant fon père , les enfants du hls ne le repréfentent point, & ne iuccedent point aux biens de leur aieul; mais ces biens vont aux autres entants de eet aïeul, auquel ils fuccedent de leur chef, & écartent ceux qui ne pourroient venirqu'en repréfentantunautre enfant qui nexifte plus. En un mot, dans les provinces oü la repréfentation n'a pas Heu, le neveu n'herite point avec 1'oncle. Ainfi Mathilde devoit fuccéder a Robert II, * 1'exclufion de Robert III. .., Sou mari& elle, autonfes par cette coutume , demandètent a Phdippe-U- Bel , 1'inveftiture du comte d Artois. On forma oppofition a cette demande au „om des enfants de. »£ étoient encore en minonte Maïs Othon étoit alors fort puiffant a la Cour; il avoit fait au roi donation de fon duche de Bourgogne, au préjudice meme de fes propres enfants. La lol de la pro- vinceappuyée de la faveur lui obtin- rent donc 1'inveftiture qu'il demandoit. Cependantlagrace ne fut pas pura Sc fimple: le roi y ajouta la claufe que ce feroic fans préjudice du droit que les  de Robert comte dArtois. ƒ' enfants de Philippe prétendoient y avoir , & fur lequel ils avoient fondé leur oppofition. A peine Robert d'Artois fut-il parvenu a fa vingt-unième année , age auquel les nobles acquéroient alors la majorité, qu'il voulut faire valoir fes droits. 11 intenta action contre fa tante, devenue veuve , &c demanda que le comté d'Artois lui füt rendu. L'afFaire alloit fe juger au parlement, lorfque les parties choilirent Philippele-bel pour arbitre, & s'engagèrent par un déditde iooooo livres , d s'en tenir a fa décifion. Elle fut favorable a Mathilde. Par jugement prononcé par le roi, comme arbitre, le 3 octobre 1309, le comté d'Artois fut adjugé a cette princelTe , pour elle & fes héritiers a toujours. Robert y acquiefca; mais eet acquiefcement ne fut jamais fincère; il n'ofa réfifter a la décifion du roi, & cette crainte le retint, tant qu'il n'eut pas occafion de faire éclater le defir qu'il avoit d'être propriétaire de ce comté. La c&mtefje d'Artois avoit, pour principal miniftre , Thierri d'lréchon ou de Heriffon , prévöt d'Aire, & depuis évêque d'Arras. Le gouvernement de eet A iij  6 HiJIoire du proces eccléfiaftique devint infupportable a Ia noblelTe , qui fe fouleva. Une partie des feigneurs des plus puiflanst du Vermandois , de la Champagne Sc de la Picardie, fe eonfédérèrent pour foutenir les révoltés. il ne paroit pas que Robert ait pris ouvertement parti dans cette querelle; mais il fut foupconné de 1'avoir favorifée. Quoi qu'il en föit, Mathilde eut recou'rs au roi Louis Eudn , qui enjoignir a tous les feigneurs, de venir lui rendre raifon de ia hardielTe qu'ils avoient cue de prendre les armes fans fa permiffion. Ils comparurent, obtinrent leur grace , & le roi ordonna que 1'Artois feroit gouverné fuivant les loix & coutumes qui y étoient en ufage du tems de Saint Louis. Le calme fe rétablit, mais il ne fut pas de longue durée. Le roi mourut peu de tems après; la comtefTe ne corrigea aucun abus: elle peruit fon fils unique, & les Artéfiens reprirent les armes , aidés de leurs anciens confédérés. Robert ne garda plus de mefures ; il fe mit a la tête des troupes rebelles. II entra dans 1'Artois; Hefdin , Avenes , Arras même lui ouvrirent leurs porres. Les habitants de Saint-Omer ne furent  de Robert comte d'Artois. 7 pas fi faciles: ils demandèrent a fes dépiués , fi le roi l'avoit recu a comte. Ceux-ci ayant répondu qu'ils 1'ignoïöiehc: Adonc, répondirent ceux de la ville , nous ne fommes mie faifeurs de comi'es d'Artois ; mais file Roi reut recu a comte d'Artois , nous l'aimijfions autant qu'un autre. Louis Hutin , en mourant , laifla CUmence de Hongrie , fa femme, enceinte de cinq mois. Les grands du royaume réglèrentque Philippe, comte de Poitiers , frère du feu Roi, gouverneroit, enqualité de régent, jufquaux couches de la Reine; que fi elle mettoic une fille au monde , il feroit reconnu roi j que, fi c'étoit un prince , il continueroit d'être régent jufqu'a ce que fon neveu füt parvenu z fa vingt-quatrieme année ; les rois alors n'étoient majeurs qu'a. eet age. Clémence accoucha d'un fils qui fut nommé Jean , mais qui ne vécut que huit jours. Cette mort placa le régent fur le tröne. II eft connu , dans 1'hiftoire, fous le nom de Philippe V, ou Philippe-le- Leng. Pendant fa régence , il crut devoir tnettre ordre aux troubles de 1'Artois. II fit déclarer qu'il mettoit ce comté AL-  8 Hiftoire du proces dans fa main , comme en féqueftre , en actendant qu'on jugeat le procés entre la comtefïe & Robert. 11 chargea le connétable Gaucher de Chdtillon, d'engager la noblefle foulevce a mettre bas les armes. 11 ne fut point obéi ; Robert fut cité au parlement; il refufa de s'y rendre. Le régent eut recours a la force , & s'avanca a la tête d'une armée coniidérable , vers la frontière de Picardie. Robert ne fe fentit pas en état de réfifter, & confentit que 1'affaire fut mife en arbitrage , ou traitée par les voies ordinaires de la juftice. On convint, de part & d'autre , de choifir des arbirres, Sc que, s'ils ne pouvoient terminer le différent, il feroit décidé par la cour des pairs. Que , nonobftant tout ce qui avoit été fait par le palfé , on remettroit les chofes en Pétat ou elles étoient a la mort de Robert, comte d'Artois, père de Mathilde ; que le comté d'Artois feroic incelTamment mis en féqueftre entre les mains du comte de Valois & du comte d'Evreux, qui en recevroient les revenus ; que Robert d'Artois , qui avouoit être 1'auteur de la confédération , fe confticueroit prifonnier a Paris , mais  de Robert comte d'Artois. 9 a condition qu'on écouteroic les défenfes de cette noblefle, qui prétendoic n'avoir rien fait de contraire , ni au fervice de 1'état, ni au refpect dü a la majefté royale. Robert d'Artois tint fa parole ; il fe rendit a la prifon du Chatelet, d'oü il paiïa dans celle de Saint-Germaindes-Prés. On examina , de nouveau} fon. procés : mais le droit de Mathilde étoic h folidement établi par les loix du pays, que toute la faveur de Robert ne put faire pencher la balance de fon cóté. Par arrêt, rendu au parlement, au mois de mai 1318 , avec tout 1'appareil Sc toute Ia folemnité qu'exigeoient 1'importance de 1'afFaire & la naiffance des parties, 1'Artois fut adjugé, une feconde fois , a la comtelTe Mathilde, devenue belle-mère du roi. 11 fut ordonné que ledit Robert airr.at ladite comtejje comme fa chiere tante; & la comujfe , ledit Robert , comme fon bon neveu. Pour confoler Robert, Ie Roi lui fk époufer la fille de Charles , comte de Valois, fa coufine germaine, Sc fceur de Philippe de Fa leis, qui régna depuis fous le nom de Philippe VI. Robert d'Artois ratifia ce jugement par des lettres exprelfes a eet effet. Le comte A v  i o Hifloire du procés de Richemont , fon oncle , Ie comte de JSIamur , Philippe de Valois, fes beauxfrères , & tous les princes du fang s'engagèrent de faire obferver cette décifion , Sc d'agir même contre celle des deux parties qui voudroic Pattaquer. Le rè^ne de Philippe-lc-Long & celui de Charles-le-Bel, fon frère , fe pafsèrent , fans qu'on entendit parler de cette affaire. Mais 1'avénement de Philippe de Valois au tróne , réveilla, dans 1'efprit de Robert, fes anciennes idéés. En voici 1'occalion. Pkilippe-le-Bel laifla trois enfants males, qui montèrent, après lui, fucceflivement fur le tróne , felon 1'ordre de primogéniture, aucun d'eux n'ayant laifl~é de poftérité mafculine. Ces trois princes furent Louis Hutin, Philippe-leLong , Charles-le-Bel. Cedernier avoitépoufé trois femmes. II n'eut point d'enfants des deux premières. La troiiième, Jeanne d'Evreux, étoit enceinte , lorfque le roi mourut. Ainfi la France fut encore en fufpens, comme a la mort de Louis Hutin , Sc dans le doute fi la reine lui donneroit un fuccefleur. Philippe de Valois , petit-fils dePhilippi le Hardi, premier gr nee du fang,  de Rohert comte cPArtoïs. 11 coufin germain du feu roi, & héritier préfomptif de la couronne, fut nommé régent , jufqu'aux couches de la reine. Deux mois après, elle accoucha d'une fille, qui futnommée Blanche; ainfi la couronne appartenoit a Philippe. II y eut cependant des oppofitions de la part A'Edouard, roi d'Angleterre. En voici le prétexte. Edouardétoit fils Alfabelle de France, fceur du feu roi Charles JV, ou le Bel. Philippe de Valois , auquel la couronne étoit dévolue , fuivant nos loix, n'étoit que confin-germain de ce prince j il étoit fils de Charles, comte de Valois, frère de Ph'dippe-le-Bel. Ainfi, en ne'confultarit que la proximité du fang , la fuccefiion au trêne auroit appartenu au monarque Anglois. Mais la loi qui exclut les femmes de la couronne , s'oppofoit a fes vues. Edouard ne tenoit a la maifon de France, que par fa mère; Philippe, au contraire, tenoit , par les males , a la branche régnante. Mais , avant d'expliquer cette querelle , &'d'expofer qu'elle part y eut le comte d'Artois, mes lecteurs voudronrils bien me permettre une di^reffïors fur cette loi célèbre, qui conferve la A vj  ï ?. Hiftoire du procés couronne de France aux males de Ia maifon qui la poflede , a 1'exclufion des filles ? Cette prérogative eft tellement affe&ée au fexe mafculin , que , fi la nation avoit le malheur de voir tous les males de Ia familie régnante , fans poftérité mafculine , elle feroit obligée d'élire un fouverain d'une autre race. Les princeffes , dans quelque degré de proximité qu'elles puflent être , ne pourroient , ni y rien prétendre , ni même y afpirer de leur chef. Cette loi, qui eft regardée comme une des principales loix fendamentales de 1'empire Fran^ois , eft connue fous le nom de loi falique. Tout le monde en parle , beaucoup de nos plus fcavans écrivains en ont traité, & fon origine eft encore un problême, qui j peut-être , eft infoluble ; tant font épaifles les tcnèbres que la négligence & Tignorance ont répandues fur 1'hiftoire des premiers fiècles de la nation! Ecoutons d'abord M. le préfident de Montefquieu. II dit, dans fon livre de Pefprit des loix , liv. 18 , chap. 22, « que la loi falique (tit. 6z), veut que, j> lorfqu'un homme lailTe des enfants; » les males fuccèdent a la terre falique, » au préjudice des filles.  de Robert comte d'Artois. 13 » Pour ftjavoir , continue-t il , ce » que c'eft que les terres faliqués , il » faut chercher ce que c'étoir qu< s »> propriécés, ou 1'ufage des terres chez » les Francs, avant qu'ils fulfent fortis » de la Germanie. » M. Echard a très-bien prouvé que » le mot falique vient du mot fala , » qui fignifie maifon ; & qu'ainfi , la » rerre falique étoit la ie/re de maifon. » J'irai plus loin , dit M. Montef» , & j'examinerai ce que c'étoit w que la maifon, & la terre de la mai» fon, chez les Germains. » lis n'habitent point de villes , dit » Tacite; ils ne peuvent foufFrir que » leurs maifons fe touchent les unes » les autres ; chacun laiffe , au tour de » fa maifon, un petit terrein, ou efpace « qui eft enclos & ferrné (1). Tacite » parloit exaótement, car plufieurs loix » des codes barbares onc des difpofi» tions différentes contre ceux qui ren- (1) Nullas Germanorum populis urbes habitari fatis notum efl; ne pati quidem inter fejunctas fedes. Colunt difcteti ac diverfi, ut fom , ut campus, ut ntmus placuit. Vicos locant, non in noflrum morem , connexis & cchozrentibus adificiis; fuam quifque domum/patio cïrcumdat, fivè adverfus cafus ignis remedium ,fivè infcitid mdifccandi. Tacite , de mor, German. h, 16,  14 Hifloire du proces » verfoienc cette enceinte , & ceux qui » périétróient dans ia maifon même (i). » Nous fcavons, par Tacite 8c Ce/ar, ja que les'terres que les Germains cul» tivoient , ne leur écoient données » que pour un an ; après quoi ellesrede» venoient publiques. Ils n'avoient de ,5 patrimoine que la maifon & un mor» ceau de terce dans 1'enceinte autour » de la maifon (2). C'eft ce patrimoine n particulier qui appartenoit aux males. » En effec, pourquoi auroit il apparte» nu aux filles ? elles paffoient dans n une autre maifon. » La terre falique étoit donc cette ,? enceinte qui dépendoit de la maifon » du Germain j c'étoit la feule propriété » qu'il eut. Les Francs , après la con» quète , acquirent de nouvelles pro» priétés , & on continua a les appeller » des terres faliqués. » Lorfque les Francs vivoient dans » laGermanie, leurs biens étoient des » efclaves, des troupeaux , des che» vaux , des armes, &c. La maifon &c » la petite portion de terre qui y étoit (1) La loi des Allemands , ch. 10, & la loi des Bavarois, tit. 10 , §. 1 & 2. (2) Cette enceinte s'appellok curtis dans les chartes.  de Robert comte d'Artois. i f » joince , éloient naturellement don» nées aux enfanrs males qui devoient » y habiter. Mais , lorfqu'après la con« » quête , les Francs eurent acquis de » grandes terres , on trouva dur que les » filles & leurs enfanrs ne puflent y avoir » de part. 11 s'introduifit un ufage qui » permettoit au père de rappeller fa » fille & les enfants de fa fille. On fit. .» taire la loi; & il falloit bien que ces »fortes derappels fuflent communs, ,) puifqu'on en fit des formules (i). » Parmi ces formules , j'en trouve » une fingulière (2). Un aïeul rappelle jj fes petirs-enfants, pour fuccéder avec » fes fils & avec fes filles. Que devenoit w donc la loi falique ? il falloit que , » dans ces tems-la même , elle ne füt » pas obfervée jouquel'ufage continue! « de rappeller les filles eut fait regar» der leur capacité de fuccéder, comme jj le cas le plus extraordinaire. (ï)Voyez Marculfe ,liv. 2, form. 10 & 12; 1'appendice de Marculfe, form. 49, & les formules anciennes, appellées de Sirmond , form. 22. (2) Form. 55 , dans le recneil de Lindenhroch. Les citations de la note précédente & de celle-ci, fe troirvent dans le recneil de Baluie, tomeï.  16 Uiflolre du procés « La loifaliquen'ayantpointpourob» jet une certaine préférence d'un fexe » fur un autre, elle avoit encore moins » celui d'une perpétuité de familie , de »>nom , ou de tranfmiiïion de terre } » touc cela n'entroit point dans la tête s> des Germains. C'étoit une loi pure» ment économique , qui donnoit la » maifon & la terre dépendante de la » maifon , aux males qui devoient 1'ha» biter , & a qui, par conféquent, elle » convenoit le mieux. » 11 n'y a qu'a tranfcrire ici le titre » des aleux de la loi falique \ ce texte jj fi fameux, dont tant de gens ont » parlé, Sc que fi peu de gens ont lu. » i°. Si un homme meurt fansensj fants , fon père ou fa mère lui fuc» céderont. 2°. S'il n'a ni père, ni mère, » fon frère ou fa fceur lui fuccéderont. „ 30. S'il n'a ni frère ni fceur, la fceur » de fa mère lui fuccédera. 40. Si fa » mère n'a point de fceur , la fceur de sj fon père lui fuccédera. 5 °. Si fon m père n'a point de fceur , le plus pro» che parent par male lui fuccédera. » 6°. Aucune portion de la terre fali»> que ne pafferaaux femelles; mais elle ,) appartiendra aux males 3 c'eft-a-dire?  de Robert comte d'Artois. 17 » que les enfants males fuccéderont a » leur père (1). » II eft clair que les cinq premiers » articles concernent la fucceffion de » celui qui meurt fans enfants ; & le » fïxième , la fucceffion de celui qui a » des enfants* » Lorfqu'un homme mouroit fans » enfants , la loi vouloit qu'un des » deuxfexes n'eüt de préférence fur Pau» tre , que dans de certains cas. Dans » les deux premiers degrés de fuccef55 fion , les avantages des males & des » femelles étoient les mêmes; dans le » troifième & le quatrième, les femmes » avoient la préférence , & les males (1) Si quis homo mortuus fuerit, &filiosnort d'imiferit ,fi pater, aut mater fuperfuerint, ipfi in hcereditatern fuccedunt. 2. Si pater aut mater, non fuperfuerint, & fiatres vel forores reliquerit, ipfi hcereditatern obtineant. 3. Qubd fi nee ifti fuerint, forores patris in hcereditatern ejus fuccedant. '4. Si verb fratres patris non extiterint forores matris ejus hcereditatern fibi vindicent. ƒ. Si autem nulli horum fuerint, quicumque proximiores fuerint de paterna generatione , ipfi in hcereditatern fuccedant. 6. De terra verb falicd nulla portio hcereditatis mulieri veniat, fed ad virilem fexum tota terra, hcereditas perveniat. L. fal. §. 62. C'eft ce dernier article que Ton regarde comme la loi qui exclut a jamais les filles de la couronne de France.  18 Hifloire du procés » 1'avoient dans le cinquièrne. » Je trouve des femences de ces bi» zarreries dans Tacite. Les enfants des n fceurs , dit-il , font chéris de leur » oncle , comme de leur propre père ; » il y a des gens qui regardent ce lien » comme plus étroit & même plus « faint; ils le préfèrent quand ils recoi» vent des otages (i) j c'eft pour cela n que nos premiers hiftoriens nous » parient tant de 1'amour des rois de as France pour leur fceur & pour les en» fants de leur fceur (i). Que fi les w enfants des fceurs écoient regardés , » dans la maifon, comme les enfants » même , il étoit naturel que les en» fants regardaffent leur tante comme » leur propre mère. » La fceur de la. mère étoit préférée (1) Sororum filiis idem apud avanculum , qui epud patrem honor. Quidam faniliorem arSio' remque hunc nexum fanguinis arbitrantur , & in accipiendis obfidibus magis exigunt, tanquam ii & anitnum firmiiis, & domum latiüs teneant. Tacite de mor. Germ. n. 2.0. (2) Voyez, dans Grégoire de Tours, Jiv. 8,chap. 18 & 20; liv. 9, chap. 16 & 20 ; les fureurs de Gontran, lur les mauvais traitements faits a Ingunde , fa nièce , par Leuvigilde; & comme Childebert, fon frère, fit la guerre pour la venger.  de Robert comte d'Artois. ï 9 » h la fceur du père; cela s'explique par » d'autres rextes de la loi falique. Lorf» qu'une femme étoit veuve, elle tom» boit fous la tutelle des parents de fon » mari ; la loi préfétoit , pour cette 35 tutelle , les parents par femmes aux » parents par males (1). En effet, une » femme qui entroit dans une familie, 33 s'uniffant avec les perfonnes de fon » fexe, elle étoit plus liée avec les pa» rens par femmes , qu'avec les parents » par males. De plus, quand un homme »> en avoit tué un autre, & qu'il n'avoit 35 pas de quoi fatisfaire d la peine pé« 33 cuniaire qu'il avoit encourue , la loi -33 lui permettoit de céder fes biens, &C 33 les parents devoient fuppléerace qui 33 manquoit. Après le père, la mère &C J3 le frère, c'étoit la fceur de la mère 33 qui payoit (2) , comme fi ce lien 33 avoit qüelque chofe de plus tendre : » or, la parenté qui donne les charges , » devoit, de même, donner lesavan-, 33 tages. » La loi falique vouloit, qu'après la » fceur du père, le plus proche parenc >> par male eut la fucceffion j mais, s'il (1) Loi falique , lit. 46. (2) ibid. tit. 61 , §. ï.  lö Miftoire du -proces 5» étoit parent au-dela du cinquicme x degré, il ne fuccédoic pas. Ainfi une s> femme au cinquième degré auroit » fuccédé au préjudice d'un male du » fixième , & cela fe voit dans la loi n des Francs Ripuaires (i) , fidéle in» terprête de la loi falique , dans le » titre des aleux, ou elle fuit, pas a » pas , le même titre de la lói falique. » Si le père laifloit des enfants , la »> loi vouloitqueles filles fuflentexclues « de la fucceffion a la terre falique , &C 3» qu'elle appartint aux enfants males. » II me fera aifé de prouver que la j» loi falique n'exclut pas indiftinéte» ment les filles de la terre falique, j> mais , dans le cas feulement ou des » frères les exclueroient. Cela fe voit » dans la loi falique même, qui, après » avoir dit que les femmes ne pofféw deront rien de la terre falique, mais s5 feulement les males , s'interprête 8c s> fe reftreint elle-même j c'eft-a-dire, » dit-elle , que le fils fuccédera a 1'hé»> rédité du père. » 2°. Le texte de la loi falique eft »> éclairci par la loi des Francs-Ripuai- (i) Et deinceps , ufque ad quintum genucU' lum qui proximus fuerit in hcereditatern fuccedat. Tit. j6, §. 6.  de Robert comte d'Artois. z i « res , qui a aufil un titre des aleux, » (tit. 5 Saxons veut que le père & la mère >* laiffent leur hérédité a leur fils , &C » non pas a leurs filles j mais que , s'il » n'y a que des filles, elles aient toute » 1'hérédité (i). » 40. Nous avons deux anciennes » formules qui pofent le cas ou, fuivanc » la loi falique, les filles font exclues » par les males, c'eft lorfqu'elles conti courent avec leurs frères (2). j> 50. Une autre formule prouve que » la fille fuccédoit au préjudice du pe»> tit-fils (3) ; ellen'étoit donc exclue » que par le fils, (1) Tit. 7, §. itpater, aut mater defuntti filioi non filiet, hcereditatern. relinquunt. §. 4. Qui defun&us non filios, fed filias teliquerit, ad tas omnis hxreditaspertineat. (2) Dans Marculfe, liv. 2 , form. 12 ; & dans 1'appendice de Marculfe , form. 49. (3) Dans le recucil de Li/idcmbroch , formule 5$.  22 Hifloire du proces » 69. Si les filles , par la loi falique , m avoient été généralement exclues de M la fucceffion des terres, il feroit im,» poffible d'expliquer les hiftoires, les m formules & les chartes qui parient *> continuellement des terres & des ji biens des femmes de la première # race. » On a eu tort de dire que les terres m faliqués étoient des fiefs (i). i9. Ce » titre eft intitulé des aleux. a9. Dans i) les commencemens, les fiefs n'étoient » point héréditaires. 30. Si les terres » avoient été des fiefs, comment Mar„ culfe auroit-il traité d'impie la cou» tume qui excluoit les femmes d'y fuc>> céder ;puifque les males mêmes ne fuc» cédoient pas aux fiefs. 40. Les chartes. » que 1'oncite pourprouver que les ter» res faliqués étoient des fiefs, prouvent » feulement qu'elles étoient des terres w franches. 5 °.*Les fiefs ne furent établis » qu'après la conquête, & les ufages » faliqués exiftoientavantque lesFrarics „ partifTent de la Germanie. 6°. Ce ne » fut point la loi falique qui , en bor» nant la fucceffion des femmes 5 forma » 1'écablinemenc des fiefs; mais ce fut (1) Ducange, Pithou , &a  de Robert comte d'Artois. 2 5 » I'établifTement des fiefs qui mk des n limites a la fucceffion des femmes &C « aux difpofitions de la loi falique. » Après ce que nous venons de dire, J5 pu ne croiroit pas que la fucceffion 55 paternelle des males a la couronne de s> France , put venir de la loi falique, >i II eft pourtant indubitable qu'elle eu » vient, Je le prouve par les diyers co» des des loix barbares. La loi falique j5 (1) & la loi des Bourguignons (1) ne 33 donnèrent point aux filles le droic de » fuccéder a la terre avec leurs frères; » elles ne fuccédèrent pas non plus 4. »la couronne. La loi des Vifigoths, » au contraire (3) admit les filles (4)4 » fuccéder aux terres avec leurs frères} s> les femmes furent capables de fuceé» der i la couronne (5). Chez ces peu» pies, la difpofition de Ja loi civile » forma la loi politique. sj Ce ne fut pas la le feul cas oü la (1) Tit. 6a. (2) Tit. 1, §. 3 ; tit. 14, §. 1, & tit. ji. (3 Liv. 4, tit. 2, §. 1. (4) Les nations Germaines, dit Tacite, avoient des ufages communs } eiles en avoient aufli de particulier?, (!) La couronne, chez les Oftrogoths , pafia deux fois, par les femmes, aux males;  24 Hijloire du proces » loi politique , chez les Francs, céda » i la loi civile. Par la difpofition de ,i la loi falique, tous les frères fuccé» doientégalement a la terre, & c'étoit » aulfi la difpofition de la loi des Bonry guignons. Auffi, dans la monarchie » des Francs, & dans celle des Bourgui» gnons , tous les frères fuccédèrent-ils y a la couronne, i quelques violemens, » meurtres & ufurpations prés, chez 5> les Bourguignons ». La loi, comme on le voit, excluoit les iilles de la fucceffion a la terre falique , quij a leur exclufion, étoit dévolue aux males, & de la, M. le préfident de Montefquieu conclut, par analogie , comme on vient de le voir , que cette loi avoit été appliquée a la couronne, qui , de même que la terre falique , ne pouvoit tomber dans des mains féminines. Mais , aux termes même de la loi, tous les males y avoient 1'une par AmaUfunthe , dans la perfonne ÜAthaUrïc ; & 1'autre par Amalafrède , dans la perfonne de Ihéodorat. Ce n'eft pas que, chez eux , les femmes ne puffent règner par elles-mêmes ; AmaUfunthe , après la mort iïAthalarïc , régna , & régna même après 1'éle&ion de Théodat, & concurremment avec lui. Voyez les lettres d''Amalafunthe & de Théodat dans Cajfiodore, liv. 10. droit  de Robert comte d'Artois. 25 droir conjointement, fans aucuneprérogative deprimogéniture,/eü! ad virilemfexum tota terra h&reditas perveniat. Cette circonftance feule fuffit pour faire foupconner que M. de Montefquieu seft rrompé , en difanr que Ja terre falique n 'étoit autre chofe que ia maifon du père de familie , & le morceau de terre qui entouruit cette maifon. Commenr un tel héritage auroit-il pu fiire 1'objet d'un partage entre un nombre d'enfants qui , tous avoient droitd'en prendre une portion égale? Et que 1'on jette un coup-d'ceii fur la fuite des partages fubféquents qui devoient fe faire, a mefure que ces premiers partageants laiffoient leurs fucceffions aux entants males qui devenoient leurs héritiers. Auffi M. t'abbé de Mably a-t- il chetché a donner , au mot terre falique, une autre fignification. « Sous la première race, dit-il , 011 j» ne conuoilfoit que deux fortes de » biens : les bénéfices , qui étoient des » portions du domaine royal , dont »» le monarque donnoit, a fes favoris, » la jouiffance pendant leur vie 5 & les w aleux , qu'on diftinguoit en prop es » & en acquêis. Par acquêts,on ent nTomé XVII. R  26 Hiflolre du proces » doit ce que nous entendons encore » aujourd'hui; c'eft-a dire , des biens »> que le propriétaire avoit acquis; &, M par propres , les biens qu'on tenoit » de fes pères \ on les appelloit aulfi j> terres faliqués. De terra verb Jalica. » nullaportio h&reditatis mulieri vtniat, nfed ad virilem fexum tota terra hare' » ditas perveniat. Leg.fal. tit. 61. « Pour connoitre ce que la loi des » Francois faliens appelle terre falique, » il fuffit d'ouvrir la loi ripuaire. On » y lit, tit. 5 ciffvna, atque in omnibus amantiffimx „filia mes, (illi) ego vir magnificus (ille), ,» Omnibus non habemrincognitum qubd, „ficut lex falica continet de rebus meis , » de co quod mihi ex alode parentum » meorutn obyenit , apud germanos  de Robert comte d'Artois. zj ufilios meos, minimè in hareditate fuc~ » cedere. poteras. Proptered mihi prapa*> tuitplenijjima & integra voluntas , ut » hanc epijlolam h&reditoriam in tefieri , » & adfirmare rogarem, ut, fi mihi in. » hoe faculo fuperfles apparueris , in i> omnes res meas , tam quod ex alode y> parentum meorum, quhm ex meo con~ » traclu mihi obvenit, in pago (illo), in. " loco tui dicitur (ille), & in quibujeum» que pagis, aut territoriis, ubicumquè » habere videor, tam manfis , domibus, » tdificus, vineis, oleis ,fihis, campis, » pajcuis, aquis, aquarumve decur/ïbus, » quidquid dici aut nominari poteft , » quantumquede meoproprio mariens dl » rehquero , in omnium rerum mearum » hareditate apud germanes tuos , filhs » meos , fiuccedas , & aqualentia inter » vos exindè dividnre , vel exaquarefa» uatis. Et quod adpartem tuam exindè » recipis, quicquid exindè facere volueris, » liberam &firmiffimam in omnibus ha»beas poteftatemfaciendi. Si quis veih » &c. form. 40. » Ce n'eft pas tour, je placerai en»core ici une formule de Marculfe meme. Diuturna , fed impia , inter » nos confuetudo tenetur, ut de terra pa~ » ternd forores cumfratribus portionem B ij  X 8 Hiftoire du procés » non habeant. Sed ego , perpendens » hanc impietaum , ficut mihi a domino » aqualiter donati ejlisfilU , ito. & a me » fit is aqualiter diligendi, & de rebus » meis poft meum difcefum aqualiter » aratuletnini; idebque, per hanc epifto„ %m te , dulcijftma filia mea , contrk » germanos tuos , filios meos (illos), in » omni hareditate mea aqualem & legiti» mam ejfe confiituo h&redem, ut tam » de alode paterna, qudm de comparato, vel mancipüs , aut prafidio noftro , » velquodcumquemorientesreliquirimus, ,>aqua pat te , cumfillis meis , germanis » tuis , dividere vel exaquare debeas , Sr >> in nullo penitiis portionem minor cm , » qudmipfi, non accipies, fed omnia in» ter vos dividere vel exaquare aqualiter » debeatis. Si quis verb , &c. form. 11, „ Ce feroit trop me defier des lu» mières de mes le&eurs , continue „ M. 1'abbé de Mably , que de m'éten» dre en raifonnements , pour faire • voir que ces deux formules nous api» prenent que les terres faliqués n'c» toient que despropres, & que les pères » pouvoient , par un afte particulier ? » déroger a la coutume ou a la loi qui «tendoit les femmes a cette fucceffion.  de Robert comte d'Artois. 29 » Que deviennent donc tous les fyf»ê mes , ajoute-t-il, de plutieurs de » nos hiftoriens & de nos jurifconful» tes fur la nature des terres faliqués ? » Tout le monde fe fait un fyftême » de 1'hiftoire de France, pour s'épar» gner la peine de 1'étudier ».. Aux preuves alléguées parM. 1'abbé de Mably , pour établir que , dans les commencements de la monarchie , nos ancêtres ne connoifloient d'autres biens fonds , que les bénéfices & les aleux, foit propres, foit acquêts, j'en ajonterai une autre, tirce du même Marculfe, liv. 1 ,form. ïz. II paroit que, dans ce terns-la, comme 'a préfent , il n'étoit pas permis aux époux de s'avantager mutuellement, lorfqu'une fois i!s étoient unis. Mais quand ils n'avoient point d'enfants, ils pouvoient , avec 1'autorifation du prince , faire ce que l'article 270 de la coutume de Paris les autorife a faire aujourd'hui jfe donnermutuellement pendant la vie du furvivarit, la jouilTance de leurs biens , meubles & conquêts immeubles, feulement. Mais alors, ils pouvoient, avec la permiflion du Roi , comprendre , dans ce don mutuel j tous les biens qu'ils poffédoient, de Biij  3 O Hijioire du procés -quelque nature qu'ils fuffent. Voici Ja formule de cette permiffion .... Si aliquid pro amore dileclionis inter fe invicem donare decrevcrint, hoe noflra ferenitas in idipfis non renuit 'confirmare. lgitur venientes (ille) & (illa) in palatio noftro , pro eo quod fiüorum procreationem inter fe minimè habere -videatur, omnes res eorum inter fe, per manum nofiram , v'ifi funt condonafft. Dedit igitur p/adiclus vir (ille ), pér •manum noflram , jam dicla conjugifu* filli) , villas nuncupatas (lilas) ,ftas in yago (illo) , quod aut munere regio , aut de alode parentum , vel undecum*que adprxfens tenere videtur cum terris, 'domibus , &c. Similiter 3 in campenfanionem rerum , dsdit pr&dicla fcemina ^anthdiclo jugali fuo (illi) villas nuncu &  de Robert comte d'Artois. ,33 quod de fuccejjïone parentum nobis obve~ hit, ram de alode , quam de comparato , vel de quolibet attraclu ad nos nofcitur pervenijfe , & quicquid a die prafente nojlra ejl poffeffio , vel dominado, cum omnijure & merito , & omni re inexquifïtd quamquidem moriens dereHquero , in vefiram debeatis revocare poteflaiem & dominationem , cv faciatis exindè , jure proprietario s quod volueritis ; nullufque vos de hareditate mea. repudiare non debeat, nee facere pojjït, Jiipulatione fubnoxid. Obfervens d'abord que routes ces formules ne reconnoiifent, dans routes les fucceffions , que deux fortes de biens , les biens provenants de 1'hérédité des ancêtres, & ceux que le défunts'étoitprocurés pardesacquifitions. Les premiers s'appelloient indiftin&ement h&reditas aviatica , ou quod ex~ alode parentum obvenit: Et ces fortes de biens étoient gouvernés par la lot falique ; (iciit lex faliea continet. de eo quod mihi ex alode parentum meorum obvenit. 11 eft donc plus que vraifemblable que la terre falique étoit 1'fiéritage que Ion avoit recueilii de la fucV ceffion de fes aïeux les Francs-faliens & que cetoit geut cette raifon que ce& B y(  "5 4 Rifloire du proces biens étoient régis par la loi falique. Le mot alode étoit oppofé au mot beneficium. Les biens qu'il défignoit étoient francs & libres de toutes charges , comme ceux qui les avoient poflédés les premiers, & les avoient tranfmis a leurs defcendants ; les autres, au contraire , qui provenoient de la générofitédu prince , ou de quelqu'autre particulier , & qui, pour cela, s'appelloient beneficium , étoient foumis aux charges dont le donateur avoit jugé a propos de grever fon bienfait. Ce font ces bénéfices qui font 1'origine des fiefs, que nous voyons chargés de tant de droits & de tant de devoirs ridicules envers la terre principale de laquelle ils ont été démembrés a titre de bénéfice. II faut voir, fur eet objet, les notes de M. Bignon; omnia pradia, dit-ily fur le premier livre de Marculfe, cap. i , aut prepria erant, aut fifcalia. Propria, feu proprietates dicebantur qua nullius juri obnoxia erant ,fed optimo , maximo jure pqfiïdebantur •, idebque ad haredes tranfibant. Fifcalia verb beneficia , five fifci vocabantur , qua d rege , ut plurimum j pofieaque ah aliis ha concedehanmr9 ut certis legibus fervhUfme obnoxiaf  'de Robert comte d'Artois. 3 5 turn vita accipientis finirentur. Rursus proprium 3 feu proprietas duplex. Alia. quippe alode feu haereditas , proprium paternum aut maternum er at. Alia non a. parentibus accepta ,fed labore & parfimonid cujufque comparata , ex comparato aut ex conquifitu dicebatur. Je pourrois rapporter une foule d'autres autorités, qui prouvent que les anciens Francs , tant Saüens, que Ripuaires , ne connoiffoient abfolument , oatre les bénéfices, que deux fortes de biens; les propres Sc les acquêts. Mais il fuffit de renvoyer aux différentes notes de M.Bignon fur Marculfe. II s'appuie lui - même fur différents textes, Sc fur différents auteurs'qui les ont expliqués. La terre falique, dont il eft queftion dans Ia loi qui fait 1'objet de ces recherches , ne peut donc être abfolument autre chofe que 1'héritage recueilli dans la fucceffion paternelle, avitapof fejjio. C'étoit , en un mot , eet aleu franc de toute charge , de tout devoir Sc de toute reconnoiflance envers qui que ce foit. Mais quel rapport cette efpèce de bien a-t-elle avec le droit de porter la couronne de France, & de régner fur les Francois ? i°. Cette loi, cette sou* B vi  ~%6 Hiftoire, du procés tume qui exc'uoit les filles de la fucceffion paternelle, toute ancienne qu'elle étoit dés le tems de Marculfe , qui vivoit fous les rois de la première race.» étoit regardée comme une loi impie. Diuiuma , fed ïmfia inter nos confuetudo tenetur3 ut de terra paterna fororts cum fratribus portionem non habeant. Or la coutume qui fetme au fexe fém> nin tout accès a la couronne de France y. a toujours été regardée comme facrée, & n'a jamais éprouvé la moindre air fraótion» 2°. On a vu que la loi qui défendott aux filles de prétendre aucun partage dans la terre falique , étoit , pour .ainfi dire , illufoire puifqu'il étoit libre a tout particulier d'y appeller, a fa volonté , fes filles & même fes ba> tardes } a-t-on vu aucun roi de France temer , ni même imaginer qu'il put tenter de tranfmettre fa couronne a une de fes batardes , ni même a une de fes filles légitimes ? Certains rois ont quelquefois fait, de leur autorité, un ufage immodéré, & en ont étendu les a&es au dela de fes juftes limites. Mais aucun n'a cru pouvoir difpofer de fa couronne 3 qui eft dans la main de la loi. li s'ên falloit donc bien que  de Robert comte d'Artois. 37' cetce loi dérivat de celle qui réglok Ia terre falique. Celle -ci étoit regardée comme impie ; 1'autre , au con*traire , a toujours été facrée & inviolable. 30. 11 faudroit , pour que la loi a laquelle on atcribue la vertu de régies la couronne , put produire eet erTet que cette couronne Sc le droit de la porter , fuffent attachés a la propriété de quelque portion de terre falique y mais c'elt ce qu'on ne peut pas dire,. En effet, on ne voit point que Phara^ mond ait été élu , paree qu'il poffédoic tel hérkage, ou telle terre; il fut élu * paree qu'il fut jugé digne , par fa valeur , de commander i une nation qui n'étoit occupée que de conquêtes , Sc qui ne combattoit que pour. fe maintenir dans le pays ou elle vouloit fa fixer, Sc en étendre les limites. Pepin, chef de la feconde race , fut. proeïamé roi s paree qu'il s'étoit rendu digne de cette dignité par les fervices. qu'il avoit rendus a la nation. II n'avok aucun droit réfukant de telle. ou telle poiTeiiion. Enfin , Uugues-Cape-t, düquel defcend la familie augufte. qui nous gouverne aujourd'hui, nedut fa couronne. qu'au choixlibre des grands de la.na?  38 Hijloire du procés tion qui la lui déférèrent. Cette éleo tion n'eut point pour motif les pofteffïons que ce prince pouvoit avoir. 11 eft même certain que , quand la royaute auroit été afteétée a la propriété de quelque tetre , Hugues n'auroit pas pu s'en prévaloir, puifque la race des Carlovingkns n'étoit pas tout-a-fait éteinte par la mort de Louis le fainéant. Charles , duc de Lorraine, fon oncle, lui furvécut, & Hugues Capet, totalement étranger a cette familie, fut préféré par les Francpis. Si le dernier roi de la race jugé indigne par la nation de conferver le tróne , avoit des propriétés perfonnelles en terres, elles durent fuivre 1'ordre des fucceifions, & paffer aux parents qui y avoient droit a titre d'héritiers. La couronne n'étoit donc pas inhérente a ces pofleffions , puifqu'elle fut dépcsfée dans des mains qui leur étoient étrangères. Si la couronne eut été afteétée a une glèbe particulière, il n'eüt pas été permis d'en priver ceux qui étoient propriétaires de cette glèbe ; & elle n'auroit pu être éledtive , tant qu'il feroit refté des héritiers légitimes de la terre a laquelle cette éminente prérogative auroit été attachée. Le fceptre eft. donc indépendant des  de Robert comte d'Artois. 39 biens patrimoniaux de celui qui Ie tient dans fa main j le fceptre ne peut donc pas être foumis aux loix qui régiflent ces biens patrimoniaux. II eft vrai que le roi, en cette qualité, poflède des biens fonds ,qui s'appellent le domaine de la couronne. Mais ce n'eft pas la couronne qui eft attachée a ces biens, ce font ces biens qui font attachés a la couronne. Tellement que , fi la Trance avoit le malheur de voir finir 1'augufte maifon qui nous donne des loix , celui fur lequel tomberoit le choix de la nation , deviendroit, en fa qualité de Roi, ufufruitier de ces mêmes biens , quoiqu'il fut totalement étranger a la familie qu'un fort fatal nous auroit enlevée \ &C eet ufufruit fuivroit la couronne fur routes les têtes auxquelles la loi la tranfmettroit. II eft tellement vrai, d'ailleurs, que la couronne n'eft attachée a aucun domaine territorial, que les derniers rois de la feconde race n'en polfédoient aucun. « L'hérédité des fiefs », dit Tailleur de 1'efprit des loix, liv. 3 1 ,chap» 31, « & Tétabliffement général des » arrière-fiefs , éteignirent le gouver» uement politique, & formèrent le  40 Hifloire du procés » gouvernement féodal. Au lieu ds » cette multitude innombrable de vaf»> faux que les rois avoient eus , ils » n'en eurent plus que quelques uns , » dont les autres dépendirent. Les rois » n'eurent prefque plus d'autorité di» rede , un pouvoir qui devoit pafier » par tant d'autres pouvoirs Sc par de w fi grands pouvoirs, s'arrêta , ou fe » perdit avant d'arriver a fon terme. w De fi grands vaffaux n'obéirenr plus; » & ils fe fervirent même de leurs » arrière-vaffaux pour ne plus obéir. n Les rois, privés de leurs domaines , >> réduits aux villes de Rheims Sc de » Laon , reftèrent a leur merci. L'arbre » étendit ttop ioin fes branches , & la si tête fe fécha. Le royaurae fe trouva 3j fans domaine , comme eft aujour53 d'hui 1'empire. On donna la cous» ronne a un des plus puilfants vaffaux. i5 Les Normands ravageoient lë »»;royaume j ils venoient fur des efpèr 33 ces de radeaux , ou de petits bati»> ments , entroient par 1'embouchure » des rivières, les remontoient , Sz » dévaftoient les. pays des deux cotés. 33 Les villes d'Orléans Sc de Paris arrê» toient ces brigands; ils ne pouvoient s». avancer ni iur la Seine a ni fur la  de Robert comte dArtois. 4* » Loire. Hugues Capet , qui poffédoit » ces deux villes, tenoit dans fes mains » les deux ckfs des malheureux reftes » du royaume 5 on lui déféra une cou» ronne qu'il étoic feul en état de dé» fendre. C'eft ainfi que , depuis^on a « donné l'empire a la maifon qui tierat » immobiles les frontières. des Turcs. » L'empire étoit forti de la maifon » de Charlemagne , dans le tems que » 1'hérédité des fiefs ne s'établilloit que j» comme une condefcendance. Elle fut » même plus tard eu afage cnea les » Allemands, que chez les Francok, » cela fit que l'empire , confidéré k comme un fief, fut éleéfif. Au con» traire , qnand la couronne de France * fortit de la maifon de Charlemagne-, » les fiefs étoient réellement héréditai.» res dans ce royaume -y la couronne.,' » comme un grand fief, le fut auffi. » Du refte , on a grand tort de re'» jetter fur le moment de cette révo»• lutiüö tous les changements quï » écoienr arrivés & qui arrivèrent de» pius. Tour fe réduifk a deux événe» mencs; Ia familie régnarrre changea , » & la couronne fut unie a un grand » fief ». Ce n'eft donc point paree que leroi  41 Mifloire du proces pofsède certaines terres , qu'il eft roi $ il ne les pofsède , au contraire, que paree qu'il eft roi 5 & il y a lieu de croire que 1'on pourroit fe permettre de reprocher a M. de Montefquieu , un défaut d'exactitude dans fon expreffion : ce n'eft pas la couronne qui fut unie a un grand fief, mais le grand fief fut uni a la couronne j & cette union fe fit naturellement, & fans aucune délibération, aucun aóte qui 1'opérat. Le tróne étoit vacant, on y fit monter celui des grands qui, par fes talents militaires , & par fa puiflance féodale , étoit a même de rétabiir un état chancelant, & prêt a tomber , pour ainfi dire , en éclats. II étoit propriétaire des grands fiefs qui étoient dans fa main : c'étoit fon patrimoine qui étoit deftiné, foit .qu'il devmt Roi, foit qu'il reftat fujet, a paffer a fa poftérité. Son élévation a la dignité fuprême n'altéra point 1'ordre fucceffif; fes biens pattimoniaux reftèrent , comme ils 1'étoient, héréditaires dans fa familie; & fi fes fucceffeurs ont continué de les pofféder, ce n'eft pas paree qu'ils éroient rois de France; mais paree qu'ils étoient héritiers de Hugues Capet. - Revenons donc toujours a ce point:  de Robert comte d'Artois 43 la couronne n'eft point attachée aux terres qui appartiennent a la maifon royale ; mais les terres qui appartiennent a la maifon royale font attachées a la couronne. Le domaine du roi eft un acceffoire de la royauté, & la royauté n'eft pas un acceffoire du domaine. D'ailleurs, réfléchiffons-y bien: peuton imaginer que la fucceffion a une couronne puifle être réglée par les loix qui règlent les fucceffions des particuliers ? Ecoutons encore M. de Montefquieu, liv. z6 j chap. 16. « Ce n'eft pas pour » la familie régnante , dit-il, que 1'or-: » dre de fucceffion eft établi, mais par» ce qu'il eft de ï'intérêt de 1'état qu'il » y ait une familie régnante. La loi » qui régie Ia fucceffion des particu» liers eft une loi civile, qui a pour » objet Ï'intérêt des particuliers; celle » qui régie Ia fucceffion a la monarchie, » eft une loi politique , qui a pour » objet le bien & la confervation de » 1'état. » II fuit, de la, que Iorfque la loi » politique a établi, dans un état, un » ordre de fucceffion, & que eet ordre » vient a finir, il eft abfurde de récla»> uier la fucceffion, en vertu de la loi  44 Hiftoire du procés » civile de quelque peuple que ce fok. » Une föciété particuliere ne fait point » de loix pour une autre fociéré. Les *.* loix civiles des Romains ne font pas » plus applicables , que toutes autres » loix civiles; ils ne les ont point era» ployées eux-mêmes , lorfqu'ils ont »jugé les rois ; Sc les maximes par » iefquelles ils onr jugé les rois font fi >> abominables, qu'il ne faut point les » faire revivre. » II fuit encore de la que, Iorfque fa » loi politique a fait renoncer quelque n familie a la fucceffion, il eftabfurde » de vouloir employer les reftitutions » tirées de la loi civile. Les reftitucions >> font dans la loi , & peuvent être » bonnes contre ceux qui vivent dans » la loi; mais elles ne font pas bonnes » pour ceux qui ont été établis pour la >> loi, Sc qui vivent pour la loi. » II eft ridicule de prétendre déci» der des droits des royaumes , des » nations& del'univers .parfesmêmes » maximes fur Iefquelles on décide , .» entre parciculiers , d'un droit pour » une gouttière , pour me fervir de 1'ex» preflion de Cicéron ». Ne cherchons donc point , dans une loi rédigée pour les hérkages Sc les fu&r  de Robert comte d'Artois. 4$ ceflions des particüliers , Ia loi cjui règle le droir de fuccéder a la couronne de France. Cette règle qui paroïc n'avoir d'autre époque , que celle de la fondation de notre monarchie , s'eft tranfmife dage en age , fans avoir éprouvé la plus légère altérarion, C'eft la nation elle-même qui 1'a érablie, 8c qui 1'a toujours fcrupuleufement maintenue. Lorfque le cas d'élire eft arrivé, le fceptre a été déréré a un des grands du royaume , jugé digne , par fes qualités perfonnelles , 8c par d'autres circonftances , de le porter. On efpéra que ces qualités fe perpétueroient dans fa race , 8c 1'on voulut que le fceptre y fut héréditaire , comme elles. On avoit éprouvé , d'un autre cóté, les inconvénients funeftes du partage de ia couronne entre tous les enfants males du roi décédé. Outre les guerres fanglantes & continuelles qui réfulroient de ces partages , 8c des précentions de chaque co-partageaiit , on fit encore difparoure , en cette matière, les loix civiles qui règlent les fucceffions entre particüliers ; & 1'on appliqua, a ce cas , cette maxime li célèbre qui, dans tous les points, eft la bafe de  46 Hijloire du procés tout gouvernement réglé : falus populi fuprema lexejio. Pour donner a ce principe toute fon exécution , quant a la fucceffion au tróne , on en exclut les filles. Par la on prévint Pinconvénient de voir paffer le droit de gouverner la nation dans une familie étrangère a celle a qui elle avoit donné fa confiance , & a qui elle 1'avoit vouée a perpétuité. On fe conferva auffi le droit d'accorder la même confiance. a une autre maifon qu'on en jugeroit digne , fi on avoit le malheur de voir éteindre celle qui avoit merité cette glorieufe prérogative. Ce projet fi utile & fi fage n'auroit pas eu ion exécution , fi les filles , étant héritières , avoient pu , par droit fucceffif, attirer fur le tróne 1'époux étranger auquel elles auroient donné la main. Cette loi n'a point été écrite , paree qu'on a jugé qu'elle étoit eflentiellement attachée a la couronne même , donr on ne crut pas qu'un* femme put fupporter le poids. II eut fallu, pour Pen foulager, 1'autorifer a dépofer le pouvoir dans les mains d'un cpoux étranger a fa familie. Mais la nation n'a pas voulu fe voir obligée de donner fa confiance a une maifon dif-  de Robert comte d'Artois. 47 férente de celle qu'elle avoit élue. Si 1'on n'a pas écrit la loi qui donne 1'exclufion aux filles , on n'a pas écrit davantage celle qui a rendu la couronne héréditaire de male en male. Ce droit de fucceffion a été regardé comme une claufe fans laquelle le droit de régner ne pourroit être utile a la nation , dont la paix & la gloire forment une partie intégrante de ce droit. On crut qu'il étoit fuperflu d'écrire une règle qui entroit efTentiellement dans les motifs de PétablhTement de la royauté. 11 étoit néceflaire qu'il y eut un roi ; il étoit, par conféquenr, nécelfaire qu'on ne fut point expofé aux maux d'un interrègne inévitable pendant le tems qui s'écoule entre la mort d'un roi , & 1'élection de fon fuccelTeur. La loi qui exclut le fexe féminin du tróne fut nommée , Sc 1'a toujours été depuis , la loi falique , paree que ce font les Francs-faliens qui ont élevé le tróne fur lequel nos rois font affis, Sc qui, en 1'élevant , en ont fermé tout accès au fexe féminin. On n'appelle pas de même loi falique celle qui défère la couronne a Paine des males , a Pexclufiou djs puinés.  4% H'vflöire du proces Elle ne dok fon établilfement qu'1 1'expérience funeile des maux qu'a fait éprouver aux fujets la divifibilité de l'empire Francois. On vit d'ailleurs, que ces partages éteindroient infenfiblement le royaume, qui pouvoit , a Ja fin , fe trouver tellement divifé par les différences branches de defcendants de la tige principale , cjue chaque village auroic pu devenir une fouverainecé indépendante , Sc le corps de la nation fe feroit trouvé dilfous. Le roi d'Angleterre , en fontenant qu'il étoit appellé a la couronne de France du chef de fa mère , attaqnpk donc, par le fondement , la loi qui fo'itient cette couronne , Sc qui avoit ctéi:iviolablement obfervée depuis que la nation étoic foumife a des rois. Plufieursécrivains en ont rourni la preuve, en ratTemblant tous les cas oü un roi ne laiffant que des filles ., la couronne a palfé aux males eojlatéraux fans aucune réclamation de la pan de ces filles , ni de leurs mans. Cependant Edouari envoya a Paris des ambaffiideurs , qui pla'dèrent fa caufe h. la cour des pairs & dtvant tout le iaronnage ajfemblé en Parlement, lis n'avoient rien épargné pour féduire leurs  de Robert-comte d'Artois. 4^ leurs juges. Les plus magniflques préfencs, & les prornefTes les plus flatreufes avoient été mifes en ceuvre. Ils alléguèrenr, d'ailleurs , aux grands une raifon fpécieufe. Le roi d'Angleterre étoit éloigné , & plus le fouverain eft éloigné , difoient-üs, moins le vaflal eft dans la dépendance. Mais lor qu'ils répandirent , leurs incrigues tk leurs raiibns échouèrenc contre une règle d'autant plus inviolable , qu'on la regarde comme effentielle au bonheur & a la gloire de la nation. La couronne fut adjugée a Philippe de Valois. Edouard fe plaignic amèrement a fon parlement de 1'arrêt qui venoit d'être prononcé contre lui j raais il paroit que fes propres fujets ne trouvèrent pas fes raiions fufhTantes , pour autorifer fes plaintes. Voici quelles étoient fes raifons. «• II « ne s'agifloit pas , dit Rapin Thoyras, »célèbre hiftorien Anglois , entre » Edouard UI & Philippe de Valois , »> de fcavoir s'il y avoit une loi , qu'on ».appelloit falique, qui excluoit les » femmes de lafucceftionalacouronne. » Soit que cette loi fut réelle , ou que » c-e ne fut qu'une chimère , Edouard y> & Philippe avoient également intéTome XVII. G  5 o Hifloire du proces » rêt de la faire valoir , puifqu'elle » étoic l'uniqne fondement des préten» tions de l'iin & de 1'autre. Sans » cette loi , la couronne auroit incon» teftablement appartenu d Jeanne 3 » fille de Louis Hutin. Philippe-le-Long „ Sc Charles-le-Bel ny auroient pas » eu de droit, & , par confequent , » Ifabelle , leur fceur , n'auroit pas pu „ y prétendre. D'ailleurs , fi la loi » falique n'avoit pas eu lieu, Edouard „ n'auroit eu, lui-même , aucun droit » a la couronne , puifqu'il auroit été » précédé par les filles de Philippe-le» Long 8c de Charles-le-Bel: il n'avoit » donc garde de contefter 1'autorité de » cette loi ». Elle porte , difoit Edouard , que le plus prochain hoir male doit fuccéder y elle exclut les femmes a caufe de la foiblejje de leur fexe. Mais cette raifon n'a pas lieu pour les hommes iffus des femmes. II avouoit que fa mère , en qualité de femme , n'avoit perfonnellement aucun droit a la couronne. Mais il fourenoit qu'étant male , & par confequent hors du cas de 1'exclufion , le droit de proximité que cette princeffe lui donnoit, le rendoithabile l fuccéder en qualité de male. 11 étoit  de Robert comte d'Artois. y i plus proche des derniers rois morts, étant leur neveuj au lieu que Philippe de Valois n'étoit que leur coufin-germain. Philippe de Valois répondoit que," depuis le commencement de la monarchie , on n'avoit vu la couronne ni occupée , ni demandée par aucune femme 5 mais qu'il y avoit eu plufieurs reines a qui on avoit déféré la régence. Cè n'étoit donc pas a caufe de la foibleflè de leur fexe que Pentrée au tróne leur fut interdite; on ne les regarde pas comme incapables de gouverner, puifque la qualité de régente dépofe le pouvoir fuprême entre leurs mains. II y a donc une autre raifon, continuoit Philippe, qui exclut les filles de la fucceffion a Ia couronne. On n'a pas voulu que le fceptre palTat a un prince d'une autre nation, ou même d'une autre maifon, que celle a laquelle on avoit jugé devoir fe foumettre. La noblelTë Francoife , d'ailleurs , n'avoit pas entendu fe dépouillerelle-même du droit originaire qu'elle a a la couronne , ou a l'élecFion d'un roi, en cas d'extinction de la familie régnante. Jamais les fils des monarques étrangers, jamais ceux des filles de nos rois n'ont \C ij  5 £ Hifloire du proces été qualiriés princes du fang royal de France. Une mère ne peut tranfmettre a fon hls un droit qu'elle n'a pas, &c qu'elle ne peut jamais avoir. Cette proximité q.u' Edouard faifoit tant valoir , étant fondée fur celle de fa mère, elle ne pouvoit ajjavourer , partlceper, 72e fentir que chofe féminine, parconféquent exclufive du tróne. Si c'eft dans la loi falique écrite , c^x Edouardprétendoit puifer fon droit, il n'y trouvoit pas un appui plus folide; il y lifoit mëme fon exclufion littéralemen.t établie. Ad virilcm fexum coca h&reduas percineac ». Or n'étoit point » le roi Edouard du fexe mafculin ; v> mais bien Philippe, qui étoit le plus » prochain hoir male defcendu de St, v> Louis , en ligne mafculine ». Mais , quand on auroit admis fort fyftême fur le droit de proximité opéré par la defcendance d'une femme, fa prétention ne lui aurpit pas été plus favorable. II fe feroit trouvé précédé par les males ilfus en ligne directe féminine , defquels Ifabelle , fa mère, n'étoit que fceur , & par confequent, elle n'étoit que dans la ligne coilaté£ale. En erfet , lorfquil réclama Ia rér  de Robert comte d'Artois. 5 j gence , Philippe de Bourgogne , né en 1325 , fils de Jeanne de France , fille de Philippe-le-Long , exiftoit. Quand il fe préfenta pour requérir la cou-> ronne , Charles - Ie-mauvais , duc de Bourgogne, né en 13 31 , fils de Jeanne de France, fille de Louis Er/tin , exiftoit. Us étoient , tous deux , fils de France , par leur mère \ Edouard , att contraire , n'étoit que neveu. D'ailleurs , ils étoient, tous deux', exfaits de père & de mère , & de droite lignée , & en ancêtres. Philippe de Bourgogne defcendoit , par fon père Eude's JF, de Robert de France , froifième fils du roi Robert. Charles le mauvais étoit petit-fils , par fon père, de Louis de France, comte d'Evreux , fils puiné du roi Philippe le Eardi. Ils étoient donc préférablesau monarque Anglois , qui ne tenoit a la maifon de France v que par fa mère. Ainfi on lui faifoit ce dilemme : oii la loi falique ne fouffre point d'intefprétation , ou elle admet celle que vons voulez lui donner. Si la loi falique ne fouffre point" d'interprétation , la couronne appartient inconteftablement a votre rival. Si vous voulez que 1'on adopre votre C iij  5 4 Hijïoirc du procés interprétation , les petits - fils des derniers rois doivent vous être préférés ; la couronne leur appartient. « Toutefois , ne eux , ne leur fuite, » ne demandent rien , fcachant que 55 ce feroit a tort Sc contre juftice. >3 Imitez leur exemple, Sc ne croyez j» pas que le royaume fouffrit qu'ils 53 laiilailënt pafler leur droit , s'ils en 53 avoient aucun ». Telles furent les raifons qui déterminèrent la nation a maintenir Philippe de Valois fur le tróne qui lui appartenoit. On fcait que Rapin Thoyras , dans fon hiftoire d'Angleterre , s'eft principalement occupé de décrier la nation Francoife & fes rois. II avoit cru , paria , fe venger de fa patrie , que la révocation de 1'édit de Nantes lui a fait abjurer. II n'a pas manqué cette occafion de fe livrer a fon humeur contre le rival du roi d'Angleterre , & contre fes juges. Si on Pen croit , les Francois n'avoient alors que des préjugés Sc des idéés confufes fur cette loi falique dont ils faifoienc tant de bruit. Ils ont prétendu que la repréfentation par femmes ne donnoit aucun droit a celui quPn'avoic pas d'autre motif pour  de Robert comte d'Artois. ? 5 öppuyer fa prétention. Ce n'eft pas ce motif qu''Edouard fit valoir , & il n'eft allégué dans aucune des pièces que Rymer a recueillies avec tant de foin &c tant d'exaftitude. Le procés n'eft donc pas jugé , continue Rap'm Thoyras , puifqu'il ne 1'a été que fur des moyens fuppofés , & que la partie condamnée s'étoit bien donné de garde d'alléguer ; & 1'on ne fcait pas ce qui auroit été décidé , fi la caufe eut été plaidée devant les états généraux de la nation. La quereile n'eft même pas encore terminée , puifque les monarques Anglois portent encore ie ritte de rois de France. II eft facile de faire voir que Ia mauvaife foi feule conduit ia plume de eet écrivain partial. i°. II ne faut que confulter les écrits des auteurs contemporains de Philippe de Valois , pour s'affurer qne la queftion étoit bien pofée &: bien entendue. « La proximité A'Edouard, » difent-ils , n'affavouroit que cliofe j> féminine. S'il avoit quelque droit » au royaume, ce n'étoit que par fa » mère , qui ne pouvoit lui donner » ce qu'elle n'avoit pas ; autremenc *> 1'acceiToire 1'emporteroit fur le ptinC iv  5 6 Hijloire du procés » cipal ; fi la mère cTicelui Edouard » lui eut pu donner droit a la couronne » de France , comme fceur, par plus » forte raifon , les comteifes d'Evreux » & d'Artois 1'euflent donné Iong-tems » pnr avant a leurs enfants , comme » filles des derniers rois ». z°. Rapin Thoyras cite lui même , d'après Rymer , des lettres , par Iefquelles Edouard mande aux feigneurs de Guienne , « que fon intention eft » d'employer tous les moyens poffiblss » pour recotn rer les droits & les hcrita» ges de fa mère ». II croyoit donc qnTfahelle étoit héritière de la couronne , & il ne pouvoit lui attribuer cette qua.ité que fur le droit de repréfentation qu'il lui actribuoit. En effet, fous quel prétexte auroitil pu imaginer avoir des droits a cette couronne 3 fi ce n'eft du chef de fi mère ; piïifque , du cöté patetnel , il n'avoit aucune arnnité avec la maifon de France ? Elle feule lui donnoit ce degré de proximité qu'il faifoit tant valoir. Or , ce degré de proximité, qui étoit la bafe de fon fyftême , ne pouvoit produire d'effet en fa faveur , qu'autant qu'il opéroit la repréfentation.  de lHobert comte d'Artois. 57 Richard IJ • fuccefTeur d'Edouard, 'confulta , fur cette queftion , le célèbre jurifconfulte Balde. Voici fa réponfe ï « Si , par une raifonnable coutume , Ia » fille dn monarque Francois ne fuccède » point au tróne , fon fils, a fcavoic » Monfeigneur le roi d'Angleterre,' » d'excellente mémoire , ne pouvoit » prétendre nul droit au royaume de » France ; d'autant qu'il ne peut y » avoir plus de vertu dans la chofe » caufée , qu'il n'en procédé de la puif» fance influente dans la caufe. Que li » pourtant la guerre n'a pas heureufe» ment fuccédé aux Francois t c'eft » vraifemblablementpourquelqUautre » raifon qui étoit, en 1'entendement » divin; non pas pour celle-la , qui effe » manifefte pour le droit du roi- de-* » France Peut-on faire a Balde le reproche que 1'on a fait aux Francois , de combattre une chimère. Mais cette chimère étoit la queftion même propofée-par la cour d'Angleterre. Edouard tiroit donc , de la repréfentation , lè moyen fur lequel il fondoir ïa prétention. Mais il déttuifoit 3 ou TOuloitdétrukeypar le fait , cette loi: falique. qu'il réclarnoit,. Elle privé les C- yi  5 8 Hiftoire du procés femmes de tout droit a la couronne, £c , pour parvenir a la couronne , il faifoit valoir le droit de fa mère. Auffi les auteurs Anglois qui ont écrit fur cette matière , ont-ils bien compris que la loi falique étoit un obftacle invincible aux vues d'Edouard. Mais voulant cependant colorer d'un air de juftice les démarches de leur roi, ils ont entrepris de prouver que cette loi étoit injufte. Rapin Thoyras a bien entendu que perfonne n'a le droit de critiquer les régies de gouvernement qu'une nation 2 cru qu'il étoit de fon avantage de s'impoferelle-même. Sans entrer dans la difcuffion du fond de cette loi , il a prétendu que , depuis Pharamond, jufqu'a la mort de Louis Hutin , c'eft-adire , pendant prés de neuf centsans , on n'a point mis cette loi en pratique; que nul acte public , que nul fait rapporté dans les hiftoires ne prouve inconteftablement que les Francois aient déféré a fon autorité; ou que , fi 1'on en produit quelcjues exemples , ils ne font ps de nature a pouvoir être tirés a conféquence^ Eft ce par mauvaife foi, eft-ce par ignorance que Rapin Thoyras a avance  de "Robert comte dïArtois. 5 9 un fait fi contraire a 1'hiftoire ? Parcourons-la rapidement cette hiftoire , 8c nous y trouverons la preuve la plus complette du refpeét cjue 1'on a rouj'outs eu, en France, pour la loi falique. Théodebalde , ou Thibauit , roi de Metz , meurt fans enfants en 553. Mais il laiffa deux fceurs , Ragintrude 8c Benoude , elles ne lui fuccèdent point ; paree que , dit Agathias, qui vivoit dans le fixième fiècle , 8c étoit, par confequent , contemporain , la loi du pays appelloit d la couronne Childebert & Clotaire , fes plus proche-s parents males. Cariben , roi de Paris , meurt en 567. II ne laiffb que trois filles , donc deux fe font religieufes , & 1'autre époufe Ethelbert , roi de Kent, dans la grande Bretagne. 11 ne vient pas •même dans la penfée cY Ethelbert que la princefTe , fa femme , ait aucun droit a la couronne de fon père , & il voit tranquillement palier cette fucceffion aux princes héritiers collatéraux. Grégoïre de Tours nous apprend , bib. 6, cap. 3 , que Chilperic I, roi de Soiffons , avoit perdu tous fes fils. II lui reftoit deux filles , Bafine 8c Rigunche. Dans cette circonftance , ChildeC vj  60 Hïjïoire du proces bert II lui érivoy.a des ambaffadèurs.'; auxquels ii répondit : « La more m'a » enlevé mes.rils; je n'ai plus crue des >» filles; Childebert, fils de mon frère, » eft doncpréfentement mon héritier ». Filii mei non remanferunt ; nee mihi nunc alius fupereji h&res nifi fraa is mei Sigiberti filius ; id eft, Childebertus rex. Quelque tems après , Chilperic ayant arrêté le mariage de Rigunthe, fa rille, avec Recarede, roi des Viftgoths , Chib dehert lui envoya encore des.amba(Tadeurs , pour le fommer de ne rieri déinembrer de la monarchie , en faveur de ce manage , ni même de rien donjier a -fa fille des tréfors , des biens de campagne j des équipages de chevaux.., de bêtes de labour , ni d'aucune des chofes qu'il tenoit de la fucceffion du xoi fon père. Le roi Chilperic le promit. II affiembla les grands du royaume , 8c fesfidèles , pour célébrer lès noces de la princeffe , fa fille. Lorfqu'il la livra aux ambafladeurs des Goths , il lui donna beaucoup de riches efters. Fredegonde , fa femme , y ajouta une femme immenfe d'argent, & quantité d'habirs, de manière que le roi crut qu'on le ciépouiiloit entiérement.  de Robert comte d'Artois. Sr La reine.s'érant appercue de 1 emotiotide fon mari, s'adrefia aux feigneurs Francois ,.& les- « pria de ne pas croise » que , dans ce qu'elle donnoir , il fe j> trouvat rien qui eüc appartenu au,. » tréfor royal toutce que vous voyez > » leur dir-elle , m'appainent. Le roi » mon époux , m'a fait. de grandes » largeffes , j'ai d'ailleurs faitdes épar» gnes fur le produir de mon travai! , » fur le revenu des maifons qui m'ont » écé concédées , & fur les tributs que «j'ai retirés de mes terres. Vous m'a»vez, vous-mëmes , fait beaucoup de » préfents ; telle eft la.fource de ces ri» cheffès que vous voyez devant vouss. »rlans qu'il'y ait rien qui provienne du » tréfor public (i*) d. (i) Tnterea legati regis Childeberti Parifibs-advenerunt, contcftantes Chilperico regi ut nihil' de civitatibus quas de rcgno patris fui tenebiu auferret; aut de thefauris ejus in aliquo filiam ■mantraret , ac non mancipia , non eques , non jug.i bouw, neque aliquid kujufce modi de kis auderet attingere Promittens verb Chii- pericus rex nihil de hts contingere , convocatis melioribus Francis, reliquifque fidelibus , nuptzas celebravit filia fuo.. Jraiitdque legatis Gothorum, magnos ei th'.fauros dedil. Sed & mater ejus immenfum pondus auri argeniique , fiveveftimentorumprotulit, hè,ut videns hcec rex, nihil.  6z Hijloire du procés J'ai rapporté eet exemple , pour faire voir avec quel foin on écarcoit les princeffes , non feulement de la couronne , mais du mobilier même qui pouvoit en dépendre. Le même auteur , Ub, 9 , cap. 2 , nous apprend encore que Gontran , roi d'Orléans & de Bourgogne , n'ayant point d'enfants males , fe contente de recommander fa fille Clotildc a ce même Childebert , fon neveu , qu'il reconnoiffoit pour fon héritier , tk. de lui faire promettre qu'elle ne feroit point troublée dans la jouiffance des biens qu'il lui laineroit par teftament. On peut encore ajouter 1'exemple de Judith , fille de Charles-le-Chauve. La couronne ne fut réclamée ni par elle , ni par Baudouin , fon fils , comte fibi remanfzjje putaret. Quem cernens regina commotum, converfa ad Francos, ha ah : Ne putetïs , 6 virï, quicquam Mc de thefauris anteriorum regum haberi : omnia enim que cernitis de mei proprietate oblata funt, quia mihi gloriofijji' mus rex multa larghus efl; & ego nonnulla de proprio congregavi labore , & de domibus mihi concejfis , tam de fruftibus, qudm de tribuiis, plurima reparavi. Sed & vos plerumque me muneribus veflris dhafiis ; de quïbus funt ijla qua nunc coram vide-is. Nam hk de thefauris publicis nihil habctur, Greg. Tur. lib. 6 , cap. 45.  de Robert comte d'Artois. $ de Flandres , quand les grands du royaume y placèrent Charles-le-Gros , fon coufïn. Enfin , que 1'on parcoure toute notre hiftoire fous les trois races de nos rois , on ne trouvera, jufqu'en 1316, aucun exemple de princefle qui ait prétendu fuccéder a fon père , ou pouvoir traufmettre ce droit a fes enfants. II eft donc inconteftable que le droit connu fous le nom de loi falique a été inviolablement obfervé dès la fondation de la monarchie ; s'eft confervé d'age en age dans la mémoire des Francois , &c n'a jamais été , dans la pratique , regardé comme fufceptible de la moindre équivoque. La mauvaife foi ou 1'ignorance ont donc conduit fur ce fait , la plume de Rapin Thoyras. 30. II eft conftaté par 1'hiftoire , qu'après Ia mort de Charles-le-Bel, le roi d'Angleterre envoya des ambaffadeurs en France } pour demander la régence. Mais les auteurs Anglois fe font accordés pour paffer ce fait fous filence. Ils difent fimplement qu'après les couches de la reine, on ne voulut pas entendre qu''Edouard envoyat demander la régence , en fon nom , 8t pour lui: que Philippe de Valois fayant  64 Hifloire du procss obrenue, il fe fit facrer dès que la reine" eut mis une fille au monde, fans même prendre la précaution d'affembler, une feconde fois , les grands de la nation qui n'avoienr pas penfé qu'en donnant la régence , c'étoit donner la couronne. Mais ces plaintes mêmes fuppofenc une première décifion. L'affaire avoit donc été propofée , examinée, difcutée & jugée; & c'eft ce que difent nos auteurs. « II y eut , dit Jean dé Montreuil, n une détermination tk jugement des » pets, des barons, des prélacs & au» tresfages du royaume de France, & de » tous les habitanrsdüdit royaume. Fi» nalementw, cefont les propres termes d'un auteur qui écrivoit fous Louis XI; » partiesouies en rout ce qu'ils voulü» rent alléguer d'une part & d'autre ; s> les princes, prélats, nobles gens des>r bonnes villes , $c autres notables » clercs , faifants & repréfentants ies » trois états généraux du royaume ,. n alfemblés pour ladite matière, dirent » & déclarèrent que , felon Dieu , rai» fon & juftice , a leurs avis , le droit » dudit Philippe de Valois étoit le» plus apparent pour paryenir a la cou? Msonne. »=.  de Rohert comte d'Artois. mage rendu a fa majefté par un monarque puinanr. Philippe étoit affis fur un tróne qire la magnificence avoit décoré de tous fes ornements. II étoit vêtu d'une longue robe de velours violet, femée de fleur3de-lys d'or ; fur fa tête étoit un diadême enrichi de diamants ; il tenoit un fceptre d'or a la main. Les rois de Bohème , de Navarre & de Majorque étoient debout aux deux cótes du monarque , avec le duc de Bourgogne 3 Ie duc de Bourbon , le duc de Lorraine , Ie comte de Flandres , le comte d'Alencon, le comte de Baumont-le-Roger, Robert d'Artois , le connétable, Gaucher de Chdtillon, le grand chambeUan , Jean de Melun , les maréchaux de France, Matthieu de Toie & Robert Bertrand, le garde des fceaux , Jean de Marigny, évêque de Beauvais , les évêques de Laon & de Senlis, les abbés de Cluny & de Corbie, plufieurs autres prélats, un grand nombre de feigneurs , & les principaux officiers de Ia couronne. Tous étoient revêtus des marqués de leur dignité , relevées avec la magnificence don: elles étoient fufcepcibles.  de "Robert comte d'Artois. 6<) Edouard fur comme ftupéfait k la vue d'un appareil auffi pompeux & d'un cortège auÖf augufte. Rien n'égala fa furprife, quand il vit des rois mêmes fervir comme d'ornemenrs au triomphe de fon rival. De retour dans fes états , la reine, fa femme, « lui demandoit, ditFroif' »[art, des nouvelles du roi , fon on» cle , tk de fon grand lignage de n France. II ne tariffoit point fur le 33 grand état& les honneurs qui étoient » en France, auxquels , difoit-il , de » faire ou de 1'entreprendre a faire , » nul autre pays ne s'accomparaige ». Lorfque le monarque Anglois fut arrivé au pied du trone , le grand' chambellan de France lui commanda d'oter fa couronne , fon épée , fes éperons, & de fe mettre a. genoux devant le roi , fur un carreau qui lui étoit préparé. Sa fierté fut émue a la propofition d'une cérémonie fi humLiiante , & qui le devenoit encore davantage par ia préfence des perfonnages illuftres qui alloient en être les témoins. Quand il eut pris 'la pofition qu'exigeoit le cérémonial, le chambellan lui dit : « Sire , vous devenez, comnae  70 Hifloire du proces » duc de Guyenne , homme-lige du n roi Monfeigneur , qui ci eft , & lui » promettez roi Sc loyaiyé gorter ». Ici Edouard, qui croyoic s'etre déja trop abaifle , penfa que ia dignité alloit être avilie , s'il le foumettoit a 1'hommage lige. Par eet hommage , le vaffal s'engage a prendre le .parti de fon feigneur envers Sc contre tous. Ligius, dit Ducange fur ce mot, is dicitur qui domino fuo , ratione feudi, vel fubjeclionis ,fidem omnem contra quemvis prdftat. Le monatque Anglois ptétendit donc qu'il ne devoit pas cette efpèce d'hommage. Sa réüftance occafionna une difcuflion fort longue qui fut terminée par la promefle qu'il fit de confulter fes archives, quand il feroit de retour dans fes états , Sc d'envoyer des lettres fcellées de fon grand fceau , dans Iefquelles il énonceroit difertement 1'efpèce d'hommage qui lui feroit tracé par les aétes relatifs qu'il trouveroit dans le tréfor de fes chartres. On fe contenta donc alors d'un hommage exprimé en termes généraux « Sire , »lui dit le chambellan , vous devene-^ » homme du roi de France, Monfei» gneur , de la Guyenne & de fes ap» partenances } que vous reconnpiiïea  de "Robert comte d'Artois. 71 «tenir de lui, comme pair de France, a felon la forme des paix faires entre » fes ptédécelfeurs &c les vötres , felon » ce que vous tk vos ancêtres avez » fait pour le même duché , a fes dé»> vanciers rois de France ». Ilrépondit: » Volre. S'il eft ainfi, reprit le vicomte » de Melun , le roi notre Sire vous re>> coit fauf fes proteftations & rete» nues. Le roi de France dit : voire , >y & baifa en la bouche ledit roi d'An* » gleterre , dont il tenoit les mains » entre les fiennes ». Le roi de France , peu content de la forme de 1'hommage qu Edouard lui avoit rendu a Amiens , en vouloit un plus précis , & qui déterminat la natute de la féodalité qui lui appartenoit fur la Guyenne , & jufqu'oü alloit la fupériorité qu'il avoit fur le monarque Anglois , fon vaffal. Edouard avoit promis de donner fatisfaótion fur ce point, mais il ne fe preffoit pas de tenir parole. Le duc de Bourbon , les comtes de Harcourt , de Tancarville & de Clermont furent envoyés avec d'autresfeigneurs, pour recevoir , en Angleterre , cette déclaration formelle Zc authentique. Plufieurs jurilconfultes Francois accompagnèrent ces ambaf-  72 Hi/Ioire du proces facteurs , afin d'examiner , avec Ie parlement qui étoit alors affemblé a Londres , les acres qui contenoient les hommages rendus antérieurement , par les rois d'Angletetre, pour les fiefs q-u'ils tenoienc de Ia couronne de France. Edouard éluda autant qu'il lui fut poffible. Vaincu enfin par les inftances réitérées des ambaffadeurs , il donna une déclaration , par laquelle le roi d'Angleterre fe reconnoit hommeUgc du roi de France, en qualité de duc de Guienne & de comte de Ponthreu & de Montreuil. Voici le texte de eet acte. Plufieurs de mes ledeurs ne feront pas fichés de le trouver ici. C'eft un monument précieux des droits de nos fouverains dans ces tems reculés (i). « Edouard , par la grace de Dieu, y roi d'Angleterre , feigneur d'Irlande >* & duc d'Aquitaine , a tous ceux » qui ces préfentes lettres verront ou « orront ( entendront Ure) , falut. Sca3i voir faifons que, comme nous faifions i( i) Deux auteurs nons ont confervé cette piece : Rymer, aB. publ. torn. 2 , ó* Froiflard , torn. l, cap. 23. J'ai préféré Rymer qui la rapporte en entier; 1'antre ne la donne ^qu'en forme de récit hiftorique. h  de Robert comte d'Artois. 73 » a Amiens hommage a excellent priu» ce , notre cher frère êc cofin Phelipe » roi de France , lors nous fut dit & » requis de par li, que nous recognoif» fions ledit hommage eftre lige, 8c » que nous, en faifant ledit hommage, » li promiffions exprellément foi 8c » loyauté porter , laquelle chofe nous » ne feifmes pas lors , pour ce que n nous n'ettions enformés ne certains » que ainfi le deuffions faire. Feifmes » aiidit roi de France hommage par » paroles générales, en difant que nous » entrions en fon hommage, par ainfi » comme nous 8c nos prédéceffeurs » ducs de Gyenne étoient jadis entrés » en 1'hommage des rois de France qui >>avoientétépourletems;&depuisencè » nbusfoyons bien informés & acerte» nés de la vérité, recognoiflanc par ces .» préfentes Iettres que ledit hommage y> que nous feifmes a Amiens au roi » de France, combien que nous le feifi » mes par paroles générales , fut, eft, »8c dok eftre entendu //ge ; 8c que » nous lui devons foi & loyauté por» ter comme duc d'Aquitaine & pier » de France , & comme comte de Pon» thieu & de Montreuil, & li promet» tons dorefnavant foi & loyauté porTomé XFIL D  74 Hifioire du proces » ter; & pour ce que au tems a venir „ de ce ne foit jamais contens [contef» tatioa), ne difcors a faire ledit hom» mage , nous promettons en bonne „ foi , pour nous & nos fuccelfeurs „ ducs de Gyenne qui feront pour le „ tems , que routes fois que nous èc „ nos fuccelfeurs ducs de Gyenne en„ treront en hommage du roi de France » & de fes fuccelfeurs qui feront pour „ le tems , 1'hommage fe fera par » cette manière. Le roi d'Angleterre, duc de Gyenne , tendra fes mams » entre les mains du roi de France , & » cil qui pariera pour le roi de France, » adrelTera ces paroles au roi a'Angie» terre, duc de Gyenne , & dira auiü : » Vous devenez homme lige du roi de „ France Monfeigneur , qui cl eft , j> comme duc de Gyenne & pier de s» Ftance; & li promettez foi & loyauté * potter; direz voire : & ledit rol & „ duc & les fuccelfeurs ducs de Gyen„nediront, voiu. Et lors le roi de „ France recevra le roi d'Angleterre & » duc audit hommage lige , a Ia.roi » & a la bouche , fauf fon droit & 1 au, „ trui. Et ainfi fera fait & renouvelle «routes les fois que 1'hommage le h fera. Et de ce nous baülerons, nous,  de Robert comte d'Artois. 7 5 » & nos fucceffeurs ducs de Gyenne, » faits lefdits hommages, lettres-pa» rentes fcellées de nos grands fceaux , .•> li le roi de France le requiert ; Sc » avecques ce , nous promettons en » bonne foi tenir Sc garder effect uel» lement les paix & accords fairs en» tre les rois de France , les rois d'An»gleterre Sc ducs de Gyenne, & tous » prédéceffeurs rois de France & ducs' » de Gyenne; & en cette rnanière fera » faite & feront renouvellées lefdites n lettres par lefdits rois Sc ducs , Sc » leurs fucceffeurs ducs de Gyenne Sc » comresdePonthieu Sc de Montreuil, » toutes les fois que le roi d'Angie» terre duc de Gyenne Sc fes fuccef» feurs entreront en 1'hommage du roi » de France & de fes fuccefleurs rois >> de France. En témoignage defquelles » chofes , nous, avec les lettres ou» vertes , avons fait mettre notte grand » fcel. Donné a Elebam le trentiefme » jour de Mars , 1'an de grace mil trois >» cents trente primer , Sc de notre » règne le quint ». Cette déclaration fut dépofée a Ia chancellerie de France & au tréfor des chartes , pour fervir dans la fuite de modèle , en cas qu'il furyïnt quelque conteftation. D ij  yi$ Hijloire du procés Après ces actes géminés & émanés de la propre bouche & de la propre maiu d'Edouard , pouvoit-il réclamer le droit de regeer fur une nation qui, d'après fes loix , avoit rejetté lesprétentions de ce prince ? Pouvoit-il revenir contre unjugement auquel il avoit acquiefcé , & qu'il avoit ratifié par les aftes les plus facrés , par les acces feuls capables de lier les rois? Que deviendroit laprétention d'un particulier qui youdr'oit réclamer contre des pièces auffi folemnelles ? Le pouvoir de mettre des armées fur pied difpenfe-t-il donc des devoirs qu'impofent la vérité &c la bonne foi ; & ceux qui font établis pour les protéger , acquièrent-ils paria le droit de les violer & de .les ou, trager ? 5°. Faut-il faire attention a 1'argu* ment que tirent les Anglois de ce qu'Edouard prit la qualité de roi de france , & de ce que fes fuccefiëurs ont continué de fe 1'attribuer, & d'en grofiïr la lifie faftueufe des qualirications dont ils fe décorent ? Suffit-jl donc , pour acquérir la propriété de quelque chofe que ce puifte être, de dire qu'on en eft propriétaire ? Et une manière fi commode d'exercer 1'ufur-  aè Robêrt 'comte d'Artois. ff pation , peut-elle être permife a aucun individu , a quelque rang qu'il foit élevé ? Enfin Philippe de Valois demeura pailible polfeffeur de la couronne & laquelle la loi 1'avoit appellé. Robert d'Artois, qui fe trouva au parlement ou 1'affaire fut difcütée & jugée , fefignala par fon zèle pour le mainnen de la loi falique dans toute fa pureté. Son rang, fa réputation , fon éloquence , la folidité de fes raifons contribuèrent beau' coup a foutenir la juftice de la caufe qu'il défendoit contre les brigues-, lés cabales & les fübornations que les Anglois mirent en pratique. Le nouveau roi fut recounoiflant de ce bon office. II crut flatter 1'ambition de fon bienfaireur, & lui faire oublier le comté d'Artois , en érigeant fa terre deBeaumont-le-Roger en pairie. Cette dignité lui donnoit, dans 1'état, unrang égal a celui qu'il auroit eu par la poffelfion du comté. Mais rien ne fut capable de lui oter le defir de recouvrer une province qui étoit 1'apanage de fa maifon. II ne pouvoit plus entrepreridre de faire valoir les titres fur lefquels il avoit voulu appuyer fa prétention penDii>  78 Hifloire du proces clanc les régnes précédents : ils avoient été profcrits deux fois, ou du moins jugés infufnfants par les arrêts les plus folemnels. Mais il efpéra profiter des circonflances. II compta que la recon«oiffance du zèle qu'il avoit témoigné pour foutenir la jufte prétention du loi j engageroit ce prince a faifir le plus léger prétexte pour ordonner la revifion du procés , Sc faire pencher la balance en fa faveur. Il falloit néceffairement procéJer en juftice réglée. Mais elle ne fe décermine a prononcer fur les propriétés, que d'après des titres authentiques. Robert n'en avoit point qui puffent être préfentés \ il n'étoit pas poffible de fuppléer a ce défaut autrement que par la fraude; il falloit, s'il vouloit Être écouté , fabriquer des titres Sc fuborner des témoins. Ceit le parti que 1'ambition & les mauvais c-onfeils déterminèrent ce prince a. embralfer. II ne connut pas d'abord toute la noirceur du projet clans lequel on 1'engageoit. 11 fe vit entouré d'un tiffu d'intrigues, dont on eut grand foin de lui dérober 1'origine ; & il ne vit la profondeur du précipice oti on le conduifoit , que quand il fut au bord. Mais, en le  de Robert comte d'Artois. 79 voyant , il ne fut point effrayé , & fa fierté naturelle lui fit prendre la réfolution de le franctiir. L'auteur & le- miuiftre des attentats de Robert d'Artois , fut une femme que Phiftoire nous repréfente comme une femme déshonorée par une conduite licencieufe , perdue de réputation , qui commettoit le crime avec la même facilué, que fon imagination le projetcoit. JeanneDivionétoit née d'une familie noble de Béthune. La voix publique Paccufoit d'avoir vécu dans un commerce criminel avec Thyerri d'Irechoh, évêque d'Arras , Sz en même tems miniftre de la comtefle Mahaud ou Mathilde , celle même a laquelle le comté d'Artois avoit été adjugé contre les prétentions de Robert. Thyerri d'Irechon avoit, par fon teftament, inftitué la comtefle fon exécutrice teftamentaire , & avoit fait quelques legs confidérables a la Divion. La princeflè jugea que des libéralités acquifes par un concubinage fcandaleux étoient ptofcrites par les bonnes mceurs & par les loix. Non - feulement elle refufa a cette femme la délivrance de fes legs , mais elle crut devoit eftacer les traces du D iv  8 O Hlfiolre du proces fcandale qu'elle avoit caufé , en fa chalfant de la province. Cette malheureufe animée du deur de venger 1'afFront qu'elle avoit recu , & de retrouver , a quelque prix que ce fut, la valeur des legs dont on la privoit, fe rendit a Paris, ou étoit i?o qu'elle avanceroit. Elle vouloit ,. fans doute , lui re>D v  &1 Hifloire du proces mettre les pièces qu'elle avoit fabrt» quées , ou qu'elle fe propofoit de fabriquer ; & faifant paffer ce facrifice comme une chofe qui, non- feulement préferveroit a 1'avenir Mahaud de tout trouble , mais qui lui affureroit, enr détruifant ces pieces , une pofieflion cjui pouvoit lui être ravie , elle efpéroit en tirer une ample récompeufe.. Jvlais ces efpérances furent trompéesa Arras , comme elles 1'avoient été a Paris. Ses offres furent rejettées avec mépris. II lui reltoit une relTburce; e'étoit de tenter directement 1'ambition de Robert d'Artois lui - même- Elle par•vint a fe faire préfenter a lui. Elle lui fit les mêmes ouvertures qu'elle avoit faites a la comteffe , fon époufe. II I'écouta ; & ces offres firent , fur fon cceur, 1'effet que cette intrigante s'en étoit promis ; fon ambition fe réveilla; &, fans y faire plus d'artention, il combla la Divion de careffes & de promeffes d'une récompenfe fupérieure a tout ce qu'elle pourroir efpérer. Elle fe rendit fecrètement a Arras 9 d'oü elle rapporta cette fatale pièce. Ce n'étoit autre chofe qu'une lettre , qu'elle fuppofoit écricë de la main du  de Robert comte dArtois. 0*5 défunt évêque d'Arras , & qu'il lui avoit confiée , pour la remettre , aufïitótqu'il feroit mort, au prince Robert. Celui auquel eet écrit étoit attribué paroiffoit demander pardon a ce prince de lui avoir caché , pendant toute fa vie, les droits qu'il avoit fur le comté d'Artois. II fe difoit dépofitaire des lettres qui en furent fakes ; dont les doublés enregiftrèes par devers la cour 9 furent par un de nos grands feigneurs jettles au feu j & après ce , fut plané (gratti) li regiflre de la cour. Les titres mentionnés dans cette prétendue lettte étoient, i°. le contrat de matiage entre Philippe d'Artois &C Planche de Bretagne , père & mère de Robert dont il s'agit ici. Par ce contrat de manage , Robert II d'Artois avoit remis ia propriété de fon romté a Philippe , fon 'fils , & a. fes hoirs. Ainfi cette donation confignée dans un acte auffi facré que 1'eft un contrat de mariage , avoit enlevé a Mahaud le droit de fuccéder a fon père , puifque , par eet acte , 1'hérédiré avoic été déférée a Philippe & a fes enfants. II ne s'agiffoit donc plus de repréfentation ; Robert venoit comme appellê a une fubftitudo» ; 6c les. jugemeius. D vt  §4 Hifloire da proces' auxquels fa tante devoit la jouhTanca du comté , tomboient a la repréfenta? don de ce titre. aQ.. Un autre titre annoncé par Ia prétendue lettre , étoit une ratification. de ce tranfport , faite pat le même Philippe , en faveur de Robert. 3°. Enfin des lettres-patentes données par Philippe -le - Hardi , roi de France , qui- confirmoient ces deux, acFas. A la vue de cette lettre , donc Roben d'Artois ne foupconnoit pas la fauffëté , il fe crut affuré du gain du. procés qu'il réfolut dés-lors d'entreprendre une. troifième fois. Le roi lui avoit même donné une parole qui le détermina a encamer certe affaire avec fécurité. II paroic que la DivL-n n'avoit pas imaginé cette prétendue donatioa de Robert IIau profit de Philippe Sc. de fes hoirs. On ne fijait qui en avoit donné 1'idée a Rob-ert III, mais il en avoit entretenu le roi , Sc ce monarque lui avoit promis que , fi 1'on pouvoit lui-faire, voir quelqiTacte qui eir prouvat 1'exiftence , il ne feroit aucune. difficulté d'en ordonner 1'exécution. Aiitorifé par cette parole , quand. Robert eut: la. prétendue lettre en fa. nolfcfilon j, ilannonca haucemcnt qu'il.  de Robert comte d'Artois. 8") étoit dans le deffein de renouveller fes pourfuites pour la refiitution du eomté d'Artois. Ces bruics parvinrent jtifqu^ la comteffe Mahaudqui eu fut alarmée. On lui apprit, en même tems , que fon neveu fondoit 1'attaque qu'il fe difpofoirde renouveller , fur des titres qui s'étoient trouvés a la mort de Thyerri d'Irechon. Ellefcavoit dequoi h Divion étoit capable ; elle fcavoit que cette intrigante avoit eu coute la confiance de 1'évêque d'Arras , jufqu'a la mort de ce prélat; &r elle concut facilement que cette citconftance lui avoit- fait naitre 1'idée de quelque fuppofition d'écrirs. La démarche même que la Divion avoit faite auptès d'elle , après avoir été rebutée par la comteffe de Beaumontlui paroiffoit une preuve de la réalité de fes craintes. Ces circonftanceS' combinées la déterminèrent a faire arrêter les fervanres de la Divion. Quoiqu'elle eut été chaflee de la province ,, 1'efpoir d'y rentrer avec éclat, a la faveur du ftratagême qu'elle avoit concu , la détermina a conferver fa maifon a Arras. Dès qu'elle fut infhuite de 1'emprifiannement de fes domeftiques , elle  86 Hifioin'du proces en porta fes plaintes a Robert , & lus fit entendre que fa maifon étant abandonnée , &c n'y ayant perfonne pour s'oppofer auxincurlions qu'on voudroic y faire , Mahaud ne manqueroit pas de s'emparer des titres qui y étoient en dépot. Le prince , toujours abufé , eut recours a Pautorité du roi, qui fit rendre la liberté a ces filles. Mais il n'étoit plus tems ; ce que la Divion avoit voulu prévenir par ce coup d'autorité , étoit arrivé. Pendant leur détention , la comteffe d'Artois avoit appris, de leur bouche , une partie des ftratagêmes de leur maitrefTe. Cependant Robert avoit formé fa demande, & le roi avoit nommé des commiffaires pour procéder a 1'enquêre. II paroit qu'il étoit fi affuré du fuccès de fa prétention , & qu'il faifoit tant de fond fur les pieces que la Divion avoit promis de faire venir d'Arras , qu'il crut devoit donner toute la pubücité poffible & a la demande & a la réponfe fur laquelle il comptoit. II choifit le moment que la cour étoit a Amiens , horfque Ie roi d'Angleterre s'y rendit, pour la cérémonie de la foi & hommage dont j'ai parlé. La haute  de Kolen comte d'Artois. B'j noblefle des deux états étoit raflerablée , & Robert faifit 1'inftant de la foleinnité , pour propofer au roi de lui accorder la permiflion de faire entendre fes témoïns au fujet de fes droits; fur le comté d'Artois, Le roi nom ma des commiffairespour procéder a cette enquête. Entre les témöins qui furent entendus , ou compte M. Robert de Mailly , abbé de faint-Martin-aux Bois , agé de 70 ans ; Guyot de Mailly , chevalier , fon frère j, Glles Famont, écuyer, agé de 63 ans j M. Robert de Maignonval, chevalier, agé de 65 ans,; M. Foui.,ues de Fienne% agé de 80 ans \ M. Gui de Gonnelier „ chevalier , agé de 75 ans. Ces fix témöins déposèrent Sr affirmèrent unanimement qn'effectivement ils avoienc entendu dire , il y avoit cinquante ans , que Panden comte d'Artois „ Robert II avoit cédé a Philippe, fon. fik- , la propriété du comté d'Artois pour lui & pour fes hoirs.. Robert étoit fon hoir le plus proche , puifqu'il étoit fon fils. Cette enquête conduifok donc évidemment a lui faire adjuger la propriété de cette province. Mais voici une dépofition bien plus détailiée & bien plus importante. C"efe  § 8 Hijloire du proces celle de Guillaumc de Malieval. II faïi?.^ pour en connokre tout le poids , reprendre les chofes de plus haut. Enguerrand de Marigny étoit parvenu au comble de la faveur fous Ie règne de Philippe-le-Bel, qui 1'admit dans fon confeil étroit , le fit fon chambellan , comte de Longueville , chatelain du Louvre , fur-intendant des finances, grand-maitre d'hötel de France , & fon principal miniftre , ou , comme difent les grandes chroniques de St- Denys ,fon coadjuteur au gouvernement du royaume. II fortoit d'une ancienne maifon de Normandie , dont le nom étoit Le Portier. Cette haute faveur ne manqua pas de lui attirer la haine des grands , qui ne fit que s'accrokre a mefure que Ma. rigny feut fe conferver dans les bonnes graces de fon fouverain. Louis X, fucceffeur de Philippe-le-Bel le mainrint dans les poftes qu'il avoit occupés fous fon prédéceffeur. Entre les ennemis de Marigny , le plus redoutable & le plus implacable étoit Charles comte de Valois , frère de Philippe-le-Bel. Sa naine avoit pour principe un avantage qu'un des protégés (YEnguerrand. de Marigny avorc:  de Robert cómte d'Artois. 89 temporté fur un de ceux du prince. Celui-ci fe contint tant que fon frère' fut fur le rrone ; mais , après fa mort, il prit le prétexte du bien public, pour faire périr fon ennemi. Quoique, fous le règne de Philippe, les peupleS euffent été écrafés par le poids des impóts , il laifTa les finances dans un tel défordre , qu'on ne trouva pas , dans les coffres 3 ce qui étoit nécelfaire pour foumir aux frais du facre de fon fucceffeur. « Ou font donc , dit un jour Louis X, en plein confeil, » ou font les décimes qu'on a levées » fur Ie clergé ? Que font devenus tant » de fubfides dont on a furchargé le » peuple ? Ou font ces richeues qu'ont » dü produire tant d'altérations faites » dans les monnoies ?. Marigny , re» prit le comte de Valois , a eu 1'admi» niftration de tous ces deniers, c'efta n lui d'en rendre compte ». Enguerrand affura qu'il étoit prêt de le faire , dès qu'il en auroit 1'ordre du roi. « Que ce foit donc maintenant, reprit » le comte de Valois : j'en fuis con» tent , repartit le miniftre. Je vous >> en ai donné , Mon'fieur , une grande » partie ; le refte a été employé a » payer les charges de 1'état & a faire  90 Hifloire du procés j> la guerre aux Flamands. Vous en » ave* mentl, s'écria le prince en fu" reur. C'eft vous-même, pardieu } Sire, «s'écria le fur-intendant ». Charhs init 1'épée a la main, Enguerrand fe mie en état de défenfe ; & ils en feroicnt venns aux dernières extrémités , fi les gens du confeil ne les euffent féparés. Le comte de Valois employa tout fon crédit pour avoir vengeance , & Marigny fut arrêté , cjuelques jours après , lorfqu'il entroit chez le roi. 11 fut enfermé dans la . tour du Louvre, dont il étoit chatelain , 8c de la jetté dans un des cachots du Temple, & enfuite mené au bois de Vincennes , pour entendre différents chefs d'accufation qui lui furent lus en préfence du roi accompagné de tous les grands de fa cour. « Lors , difent les grandes chro» niques , par le commandement du » comte de Valois, propofa maitre Jean n Banierre, contre ledit Marigny, les » raifons & les articles qui s'enfuivent. « D'abord il prit cette autorité : Non » nobis, Domine ,, non nobis , fed nomini » tuo daglorïam; c'eft-a-dire , non pas » a nous , Sire , non pas a nous, mais » aton nom donne gloire. II vint après » aux facrifices d''Abraham, 6c d'lfaac,  de Robert comte d'Ariois. 91 » fon fils; il allégua enfuite les exem»> pies des ferpents qui dévaftoient Ia „ terre du Poitou , au tems de Mon» feigneur St. Hilaue ; Sc appliqua 8C » comparagea les ferpents a Enguer» rand , 8c a fes parents & affins. De » la il defcendir au gouvernement, Sc » enfin recompta les cas Sc forfaits en » général ». Marigny étoit, entr'autres, accufe de beaucoup d'injuftices Sc de vexations exercées fur le peuple , de s'ëtre approprié des fommes immenfes ; d'avoir fait beaucoup d'affaires a fon profit avec divers particüliers; d'avoir entretenu correfpondance avec les Flamands, Sc recu d'eux beaucoup d'argent pour faire échouer les expéditions entreprifes contr'eux d'avoir eu l'infolence de faire placer fa ftatue fur 1'efcaher du palais , Sec. 11 avoit , fans doute , beaucoup de moyens folides de juftification de ces différents chefs d'accufation : mais , dit 1'auteur de la grande chronique de faint Denys , fi , ne lui fut , .en aucune manïere , aucttne audience donnée de foi défendre ; & il fut de reelief ramené au Temple, enferré en bons luns & anneauX difer , & gardé très-diligemmenu  9* ftifloire du procés Le roi connoifioit fon innocente" ï öc louhaitoit de Je fauver ; mais ce pnnce vivöir, li 1'on peut ainfi parler, ious l'empire du comte de Valois, fon oncle. 11 lui propofa d'exiler Marigny dans 1'ifle de Chypre , & de 1'y retenïr tant cjue 1'on jugeroit a propos. Le comte de Valois, qui voyoit bien luimeme que 1'innocence de fon ennemi ctoic trop fenfible , pour qu'il püt elperer de le faire condamner , étant d ailleurs trop acharné a fa perte pour je concenter d'un exil , demanda que le jugement fut fufpendu pendant quelques jours. II les employa a dre.Ter une batterie dont le fuccès donne une idee bien fingalière de 1'ignorance & de la barbarie de ce fiècle. Une troupe de témoins déposèrenr qw'Alips de Mons , femme d'Enguerrand, & la dame de Canteleu , fa fceur, avoient envouté le roi , Mejfire Charle's &autres aarons (t). (0 Le mot envouter vient dó mot de Ia baflelatinite invultuare , id eft, vultüs fi°urata expnmere. On faifoit en cire & en pe:it la repréfentation de la perfonne a qui 1'on en voulo-t , & 1'on exercoit fur cette figure toutes les opérations magiques que 1'on vouloit fmre palier fur la perfonne même.  de Robert comte d'Artois. 93 • Les deux accufées furent enfermées dans la tour du Louvre. Un nommé Jacques Lor „ qui paffoit pour un grand magicien , fut enfermé au Chatelet, il yfur étranglé , & 1'on répandir le bruit que , pour prévenir le fupplice du feu, auquel il ne pouvoit échapper , il s'éroit pendu. On fit voir au roi les images de cire , on lui perfuada que le magicien s'éroit exécuté lui-même ; il n en fallut pas davantage peut déterminer Louis X a déclarer qu'il ètoitfa. maïa de Marigny ; & Pabandonnoit au comte de Valois. Ce comte fit auffi töt affembler, au bois de Vincennes, quelques barons & quelques chevaliers , auxquels on fit la ledure des accufations dont on a parlé ; on produifit les images ; 011 n'oubüa rien pour perfuader que Marigny étoit Pauteur de ces pratiques félohnes , déloyales , déteftables. On lui refufa route audience ; on ne fuivit aucune forme judiciaire 3 & il fut déclaré atteiut & convaincu d'un horrible parricide , & de tous les autres crimes qu'on lui imputoit. Sa qualité Ainfi en lapiquant, ou en la biülant; ces nnpreffions fe faifoient fentir a ceux que l'jpn vent tounnenter.  94 Hifloire du procés de gentilhomme & de chevalier , les grands emplois don: il étoit revêtu , a'empêchèrent pas qu'il ne füc condanmé a être pendu. Cet 'arrêc fut exécuté le 30 avril r 315 » avant le point du jour, comme c'tcoit 1'ulage alors , & pour ne rien oublier de tout ce qui pouvoit couvrir d'infamie cet infortuné , fon corps fut attaché au gibst de Montfaucon , qui avoit été élevé par fes ordres , pour y expofer les corps des maifaiteürs après leur fupplice. Son innocence fut reconnue par Louis JTlui-naeme, qui, par fon teftamenc , fit un préfent confidérable a fes enfants, & fa mémoire fut réhabilitée. Pour revenir a la dépofition de Guillaumt de Malleval, dans 1'affaire de Robert d'Artois , il dit que le jour de 1'exécution i\'Enguerrand de Marigny , qu'on accufoit d'avoir altéré les regiftres du parlement , Louis X 1'envoya demander a ce miniftre ce qu'il favoit du comté d'Artois ; qu'il lui paria, li étant encore dans la charrette , Sc qu'Enguerrand lui répondit que ces lettres avoient étè faites , donc mattre Thyerri d'Irechon fcavoit bien pariet, & qu'il ne cuidok pas que ces  de Robert comte d Artok. 95 lettres on retrouvqfi. II ajoure qu'il réitéra fes demandes quand Marigny füB defcendu de la charretce , & mis dedans le gibet, qu'il en recu: les mèmes réponfes. Que quand Enguerrand de Maryoni fut arrêté a Vincennes , la comteife Mahaud lui demanda une reftitution de 40000 livres, & que ce miniftre lui dit, qu'i//ê merveilloitjort tja elle li étoit (i contraire , & qu'il ne cuiddt en nulle fin qu'elle li dufi rien de* mander , tout eujl-il lefdites 40000 liv. & qu'il l'avoit bien tant fervie qu'elle duji bien s'en fouffrir. Cette dépofition étoit de la plus grande importance ; elle venoit a 1'appui de la prétendue lettte A'Irechon , & faifoit entendre que les pieces dont il y étoit parlé avoient réellement exifté, que d'Irechon les connoiflbit bien , Sc que le grand feigneur qui avoit jetté au feu les doublés enregiftrés , & plané li regiftre de la cour, étoit Enguerrand de Marigny. II faut avouer que Pauteur de cette dépofition étoit ou bien hatdï, ou bien mal-adroit; mille témoins oculaires > qui avoient aflifté a la capture Sc au fupplice de cet infortuné miniftre , pouvoient démentie Guillaume de Malleval.  96 Hijloire du proces Ce n'étoit pas aflez d'avoir fait dépofer fur Pexiftence de ces titres; il falloit , au moins , produire les originaux mentionnés dans la lettre de d'Irechon. Mais la Divion n'étoit pas en état de les fournir ; elles n'exiftoienr pas. Robert fut enfin convaincu qu'il avoit été lejouet d'une intrigante; mais trop fier pour revenir fur fes pas , & pour avouer la facilité avec laquelle il avoit été trompé , il réfolut de continuerfes pourfuites. II accabla la Divion de reproches, Sc la menaca de la faire ardre. Elle le fléchit par fes foumiffions , & quand il fut appaifé , elle l'amena a confentir qu'elle fe chargeat du fuccès , par le moyen de faufles pièces qu'elle lui promit de lui fournir; & Pafhira qu'elles feroient li artiftement fabriquées , que le faux feroit imperceptible aux yeux les plus clairvoyants. Le comte, qui n'imaginoit rien de plus honteux que de fe dédire , confentit a tout. La femme de Robert d'Artois , animée du même efpric d'ambition que fon mari, eut un jour une explication trèsvive avec la reine fur ce fujet; & la comteffe rentrant chez elle , dit que ia reine i'ayoit courroucU & qu'il convenoit  de Robert comte d'Artois. 97 tonvenoit quelle eut des lettres , afin d'avoir cette comté d'Artois 3 & qu'elle feroit honnie ,fi elle ne 1'avoit pas. La Divion avoic commis un faux en fabriquant la lettre imputée a 1'évêque d'Arras , & on 1'avoit adopté. Elle avoit promis d'en commettre un fecond j on la fomma d'exécuter fa parole. La difficulté n'étoit pas de fabriquet ces lettres. II étoit aifé de fuppofer une écriture dont celui qu'on en diroit 1'auteur étoit mort depuis un grand nombre d'années. Mais il y avoit un autre obftacle a furmonter. Quand les titres furent compofés, il fut queftion d'y appofer les fceaux. Un ouvrier du palais fit de vaines tentatives pour les imiter; il fallut y renoncer. La Divion imagina d'en detacher de pieces originales avec un coutel chaud, & de les adapter a celles qu'on avoit fabriquées. A force d'expériences réitérées , une de fes fervantes & elle acquirent 1'adreffe néceffaire pour donner a la fraude une apparence de vérité , qui pouvoit tromper les premiers regards. Enfin elle remita Robert Sc afa femme les pièces qu'ils defiroient avec tant d'ardeur. Tome XVII. I  98 Hifloire du proces Le réfultat de 1'enquête étonna Mahaud, mais ne 1'abattit pas. Aflurée que c'étoit le fruic de la fubornation , elle entreprit d'en prouver la fauffeté. La mort arrêta tout d'un coup le fuccès de fes recherches ; elle mourut le 17 odobre 1319 , 5c le bruit fe répandit qu'elle avoit été enherbée ( empoifonnée.) Jeanne , fa fille ainee , veuve de Phïtippe-le-Long, continua les pourfuites commencées par fa mère-, 6c , en qualité de fon héritière , obtint la jouiffance provifionnelle de 1'Artois , mais en même tems , Robert fut admis a être ouï , d dlre & propofer ce qu'il femblera d faire contre cette princejfe, Elle éprouva le fort de fa mère •, un officier de fa bouche , qui avoit apparrenu a la comtefle Mahaud, lui donna un verre de vin clarey , dont elle mourut peu d'heures après , avec tous les fymptomes du poifon. Jeanne , fille ainée de cette princefle , & de Philippe-le-Long, fe préfenta , comme petite-fille de la comteffe Mahaud, Si fut recue, avec Eudês duc de Bourgogne , fon mari, a 1'hommage du comté d'Artois. Robert forma opppfuipn i cet aéte , & déclara quïl  de Robert comte d'Artois. 99 foutiendroit fon oppofuion par des titres auchentiques 6c concluants. La Divion avoit enfin mis la dernière main a la fabrication des lettres qui devoient être produites. Robert les fit voir au roi. Ce prince, les ayanc examinées , les lui rendit froidement , & lui confeilla de ne pas les mettre au jour. Robert infifta pour connoure les motifs du confeil que Ie monarque lui donnoit. Ceft , lui répondit Philippe de Valois , que cette entreprife ie peut que vous acquérir le nom de fauffaire* Le mot faujfaire échauffa Robert , qui perdit le refpect au point qu'il déclara clairement qu'il maintiendroit contre quiconque qu'il n'étoit pas un impofteur. Leroientenditle défi, & répondit : ces lettres font fau fes , je le fcais bien , & jeferaipunir les auteurs de ces fauffetés. Ce prince n'ayantpu obtenir, nipar remontrancés , ni par menaces , que Robert anéantït ces fatales pièces , lui permit enfin de les produire. Mais a peine eurent-elies vu le jour , que le tfW & la duchejfe de Bourgogne les attaquèrent par 1'infcription de faux , & demandèrent au roi qu'elles fuffent depofées en liea sur. Quelque defir £ ij  100 Uifloire du proces qu'il eut de garantir fa feur & fon beau-frère de la honte donc ils écoient menacés , le monarque ne crue pas pouvoir refufer cerce demande. Il effaya cependant encore de détourner Robert d'une déhnarche fi honteufe. II employa les follicicacions des princes du fang, pour 1'engager a renoncer a un projet qui ne pouvoit tourner qua fa pene. Ces démarches écanc encore inuciles , il fe vit enfin forcé de laifler produire les pièces. A la feule infpedtion , on fut rrappe des apparences de faulfeté qui avoient échappé a 1'arc des fabricaceurs, le ftyle , les fceaux , le parchemin , rout fourniflbit des foupepns contre ces acres; mais on ne pouvoit ftatuer fur ces foupepns , s'ils n'écoient juridiquernent convertis en certitude. Le roi fit un dernier effort pour arrèter les fuites de cette affaire , &c en prévenir 1'éclat. La Divion , qui étoit a Conches , dans lé chateau de Robert d'Artois , en attendant rifïue du procés, recut ordre de veinr a Paris, fous prétexte de donner des éclairciffements. Dés qu'elle fut arrivée , on i'enferma dans la prifon de Nefie. Elle y fubit interrogatoire devant le rol,  de Robert comte d'Artois. ioï Toute fon impudence tomba a 1'afpe& de fon fouverain; elle avoua 1'hiftoire des prétendus titres , a la follicltarion de qui la fabrication en avoit été entreprife \ par qui ils avoient été écrits , par qui ils avoient été fcellés , 8c a qui ils avoient été remis pour en faire ufage. Plufieurs de fes complices furent pareillement interrogés, 8c tous chargèrent le comte Robert, 8c la comteffe fa femme. Le roi , muni de ces inftructions» prit le comte a part, lui expofa tout ce qu'il fcavoit , & 1'avertit que , s'il ne fe défiftoit pas de fes prétentions, la preuve en feroit juridiquementconftatée. Ces exhortations furent fans effet ; le roi ne perdit point patience , il paria encore une fois a fon beau-frère , en préfence de plufieurs princes du fang, de plufieurs prélats ; la Divion 8c fes complices furent introduits a cette conférence. Ils répétèrent, en préfence du comte, tout ce qu'ils avoient dit dans leurs interrogatoires. L'un d'entr'enx , nommé Pierre de Sains , déclara qu'il avoit prié le comte Robert devant plufieurs perfonnes de fon confeil , de ne point faire ufage de ces lettres, qu'elles étoient faulfes, que E iij  ioz Hijloire du procés c'étoit lui-mème qui les avoir écrites, & que la Divion y avoir appliqué le fceau. Pour n'oublier rien de tour ce qui pouvoit convaincre Robert d'Artois que fa condamnation étoic inévitable , s'il n'abandonnoit fon projet:, on fit, en fa préfence, répéter par la Divion, J'opération qu'elle avoir faite pour fabriquer Ie faux , & tranfporter fur le champ des fceaux d'un titre a un autre. Rien ne put vaincre 1'opiniatreté de ce prince \ le roi fe vit contraint de lailter aller le cours de la procédure, lorfque toutes les formalités furent remplies , & les délais expirés, le parlement s'alfembla au Louvre le roi y féant affifté des pairs & des grands du royaume. Robert d'Artois ofa s'y trouver. Par arrêt du 13 mars 1330, rendu fur les conclufions du procureur général, les titres produits par Robert d'Artois , comte de Beaumont , pair de France , furent déclarés faux , & il fut ordonné qu'ils feroient cancellls & depiêcés (batonnés & lacérés ). Le procureur général demanda au prince s'il entendoit eHcore fe fervir de ces piècesCette queftion i'embarraffa ; il s'étoit, jufques-la , petfuadé qu'on noferoic jamais le condamner: mais ce qui ve-  de Robert comte d'Artois. iO$ nou de fepaffer lui fit craindre que 1'on n'allat encore plus loin. Avant que de répondre , il demanda le tems de délibérer avec fon confeil , & fe retira pour prendre cette délibération. II n'étoit pas poffible , après un arrêt qui venoit de déclarer fes tittes faux , qu'il s'opiniatrat a en faire ufage. 11 auroit, d'ailleurs, donné , contre lui , un moyen fans replique d'inculpation de complicité avec celle qui avoit fabriqué le faux. H rentra donc dans le parlement , & renonca authentiquement a ces lettres. On dreffa procèsverbal de ces déclarations ; les princes & autres grands qui y étoient préfents y apposèrent leurs fceaux , les lettres furent biffées & déchirées en préfence de Robert. La Divion fut reconduite en prifon , & il fut ordonné que fon procés lui feroit fait , ainfi qu'a fes complices. • II ne manquoit plus que quelques formes juriöiques , pour cotlvaincre Robert d'Artois qu'il étoit du nombre de ces complices , qu'il étoit même 1'inftigateur du crime. Les princes Sc les autres membres du parlement en étoient tellement perfuadés , qu'ils furent d'avis qu'on 1'arrêtat fut le Eiv  104 Hifloire du proces champ. Mais le roi, qui vouloit épuifer toutes les reffources de la clémence pour épargner a fon beau-frère une condamnation flétriflante, ne permir pas que 1'on délibérat régulièrement fur cet objet j 8c defira que toutes pourfuites contre le prince fulfent fufpeudues pendant quatre mois , ce qui futordonné. Ce délai fut employé en négociations pour ramener le coupable a fon devoir. Maisenvain on lui repréfenta que fon crime étant avéré , il ne pouvoit pré"venir autrement la condamnation 8c la punition qu'il avoit encoutues, qu'en demandant le patdon qu'on étoit pret de lui accorder. Ces ménagemenfs n'eurent d'autre effet que d'irriter fa fureur ; s'étant éloigné de la cour , il ne garda plus de mefures; il fit éclater fon reffentiment par les plaintes 8c les reproches les plus fanglants. II protefta hautement que , s'il avoit conttibué a placer Philippe de Falois fur le tróne , il alloit tout mettre en ceuvre pour 1'en faire romber. - La loi falique , difoit-il, qu'il avoit fait valoir avec tant de zèle , n'étoit qu'une chimère, dont on ne trouvoit de  'de Robert comte d'Artois. 105 tracé nulle part ; & la fucceffion au trone devoit être réglée paria loi civile comme les autres poffeffions de 1'état. C'étoit par la loi civile qu'on vouloit lui ravir le comté d'Artois ; pourquor Philippe ne feroit-il pas foumis a la même règle ? Les principes établis plus haut répondent i ces déclamations, & en font voir 1'illufion indecente. Cependant, poiir fe mettre a 1'abri des pourfuites qu'il fentoit bien , luimême , ne pouvoir plus éviter ; il fit embarquer fecrètemencfes équipages a Bordeaux , pour les faire palfer en Angleterre , & fe retira a Bruxelles , auprès du duc de Brabant. La comtelfe , fa femme , qui s'étoic réfugiée en Normandie , étoit exhortée par le roi a faire rentrer fon mari dans le devoir. Mais loin de fe prêter aux vues de ce monarque , fon frère, elle ne s'occupoit qu'a foulever les peuples contre lui, & a procurer 1'évafion aux plus coupables d'entre les fauffaires, & d'entre les complices de fon mari. II en avoit emmené plufieurs i Bruxelles ; il en avoit envoyé d'autres en différents pays , & fait mourir ceux dont la fermeté lui paj»iffoit équivoque. E v  ï OrS Hlfïoire du procés Mais il ne put les dérober tous aus recherches de la juftice. Jehanneite fer. vante de la Divion avoir , fuivant la; méthode que fa maïtreffe lui avoit enfeignée , fcellé les fauffes lettres de: eonfirmarion attribuées a Philippe-leBel. Elle fut arrêtée a Namur , d'ou elle comptoit aller joindre fon protecC-eur , & transférée a Paris. On arrêta encore Pierre TeJJbn , notaire qui avoit fourni la formule des lettres , & Jean d'Evreax, qui avoit écrit celles que Jehannette avoit fcellées. On arrêta encore, comme complice , un homme fur lequel le lecteurne fera pas faché que je m'arrête un inftant.C'étoit le frère Sageron, Dominicain. Lorfque Robert d'Artois préfenra la. pièce fabriquée comme une confirmation émanée de Philippe le-Bel , il déclara qu'il la tenoit d'un homme vêtu de noir. Cetre déclaration étoit ce qu'on a nommé depuis , une efcoborderie, qui avoit été préparée pour cqlorer le menfonge qu'elle renrermoit.. Voici le ftratagême ; il étoit plaifamment imaginé. La direclion d'inten* eion cjui a tant fait de bruit depuis quelque tems., n'étoit pas alorsconnue. Robert d'Artois s'accufaa ce reli-  de Rohert comte cTArtois. 107 gieux , dans le confeffional , de toute fon intrigue , & lui remit la prétendue confirmation fous prétexte de 1'en rendre dépofitaire , fous le fceau de la confeffion. La confeffion finie, le prince retira fon écrit des mains du religieux , qui alors n'étoit plus revêtu du caractère de confelfeur. Ainfi, dans Tintention de Robert d'Artois , Sageron ne pouvoit jamais convenir que cette pièce lui eut été remife par le prince \ il auroit trahi le fecret inviolable du tribunal de la pénitence , puifque c'étoit fur la foi de ce fecret que le dépot avoit été fait. 11 ne pouvoit donc dire que ce qui s'éroit paffé depuis la confeffion achevée , &■ tout fe réduifoit a convenir que c'étoit lui qui avoit remis la pièce au comte d'Artois , fans pouvoir dire comment elle lui étoit parvenue. Ce fyftême fuperftitieux étoit aufli celui du Dominicain , qui fe crut obligé de faire plutot une fauffe dépofition , que de révéler ce qu'il croyoit être un fecret de la confefiion. 11 fut traduit au tribunal de 1'évêque de Paris , qui le menaca de la queftion , s'il ne découvroit la vérité. Le Jacobin ne confentit a faire 1'aveu de tout ce qu'il E vj  108 Htjloire du proces fcavoit , que dans le cas oü les théolo* giens & les jurifconfultes décideroienc qu'il le pouvoit faire fans commettre un pêché mortel. La décifion unanime de ceux qui furent confultés leva les fcrupules de fa coufcience. L'évcque recut fa dépofition , qui manifefta Tartifice employé par Robert d'Artois. Quelques auteurs y entr'autres, 1'abbé Lenglet du Frefnoy , auteur d'un traité hiftoriqne de la confeffion , foutiennent que ceux qui donnèrent cette décifion , firent tomber ce religieux, dans Terreur ; mais Terreur , j'ofe le dire , eft cenainement du cóté de ces écrivain's. Le fecret de la confeffion qui prépare a recevoir le facremenc de la pénitence , eft: inviolable , fans. douce. Mais que doit-on entendre alors par confeffion ? C'eft la déclararion de rous fes péchés faite a un prêtre , pour en recevoir 1'abfolution , peccatorum accufatio , dit le catéchifme. du cencile de Trente , ad facramenti genus pertinens , eb fufcepta , ut veniam virtute clavium impetremus. La confeffion eft une des parties intégrantes du facrement de pénitence. Le récir de fes péchés fait a un prêtre , ne peut donc être regardé comme une confefr  de Robert comte d'Artois. 109 fion facrarnemelle , que dans le cas oü celui qui le fait, a pour unique but d'en obtenir 1'abfolution \ Sc c'eft a cetreconfeffionproprementdite,qu'eft dü le fecret le plus inviolable. Mais , quand racontant quelque traic de fa vie a un prêtre , loin de chercher a en obtenir 1'abfolution , on ne veut , comme le vouloit Robert d'Artois, que fe faire dc ce prêtre un inftrument pour tromper la juftice humaine , Sc fe procurer 1'impunité des crimes dont elle pourfuit la jufte vengeance , ce n'eft plusalors qu'une fupercherie condamnable, une profanation du facrement. Ce récit ne lie aucunement le prêtre. II ne peut pas même , dans ce cas, fe regarder comme confeffeur. II peut , tout au plus , fe croire tenu du fecret moral my mais il en eft difpenfé quand Ï'intérêt général de la fociété fe trouve compromis. II eft même tenu de le révéler , quand la confidence qui lui a été faite, n'eft qu'un ftratagême criminel s non - feulement pour couvrir un attentat public , mais pour en conduire l'exécution a fa fin , & en retirer touc le fruit qu'on s'en étoit promis C'eft ainfi qu'en pourfuivant 1'inftrucfion contre la Divion Sc fes com-;,  110 Hifloire du proces plices , les preuves fe cumuloient contre Robert d'Artois. Mais aucun acte de procédure ne fut dirigé contre lui pendant les quatre mois qui lui avoient été accordés. On eut 1'attention , au contraire , de 1'inftruire exaótement des découvertes que 1'on faifoit & de lui expofer les fuites inévitables auxquelles il devoit s'attendre , s'il n'en venoit au repentir Sc au défiftement que 1'on exigeoit de lui. Son opiniatreté lailfa expirer le délai fans qu'on put la fléchir. II étoit tems enfin de faire cefler le fcandale des loix bravées Sc de la majefté fouveraine méprifée ; il étoit tems de prévenir 1'efret des brigues que Robert tramoit a Bruxelles, contre 1'état. Le procureur général eut ordre de pourfuivre. Les pairs du royaume furent ajournés pour aififter au jugement. Voici la forme de cet ajournement : « Philippe , par la grace de Dieu , w roi de France , a notre amé Sc féal >> (un tel) pair de France. Comme » a la requête de notre procureur, nous " avons fait ajourner notre féal Robert n d'Artois , pour répondre pardevant » nous ou notre cour , fufnfamment » garnie de pairs , a certains articles  de Kolen comte faint Pol, lequel nous avons acheté & fait ti édifier de nos propres deniers , eft hoftel » folennel (magnifïque) , & de grandz efii batements , & ouquel avons, en plufieurs 3> plaifirs , acquis & reconvré , a 1'ayde de « Dieu, fanté de plufieurs grandz maladies ii que nous avons eües & fouffertes en notre ii corps ; pour Iefquelles chofes & autres ii qui a ce nous ont eufmeu , ayant audit ii hoftel amour , plaifance & finguliere affecii tion , avons voulu & ordenè de notre ii propre mouvement , certaine fcience , j) pleine puiffance & autorité royale , vouii lons & ordenons par la teneur de ces pré5) fentes , que notre hoftel deflufdit, tout j) ainfi comme il fe comporte, extent en long ii en ley (en long & en large) , en toutes fes j) parties , haut & bas , avec touz les jardins, 3) appartenances & appendances d'icelui ii quelconques , en quelconques , foit & ii demeure a touzjours perpétuelment, proii pre domaine 6c héritage de noftred^t  140 Hijloire du proces rien épargné de tout ce qui pouvoit Ie rendre commode Sc magnifique , fui- » dit royaume & de la couronne de France, »pour nous , nos fucceffeurs roys de » France: & lequel hoftel , les jardins & » toutes les appartenances & appendances "quelconques , en quelconque état qu'ils' 3> ioient, é:#On* ce que nous avons acqupf" té , (acquit) , accreu , acqueflerons Si ac3» croiftrons , nous adjoignons, aduniotss Sc " annexons au domaine du royaume &C de » ladite couronne , fanz que jamais a nul w jour, ils en foient, ou puiflent être disjoint, « divifé ou féparé , pour quelconques dons » ou ottroys que nous en facions ou puifïïons j> faire, feufta notre très-chere Staméecom» paigne , la royne , a noz enfantz , fe aus> cunsen avions , a nos très-chers frères on 3> a aucuns d'eux, ne autres quelconques de » notre fanc , ne auffi nozdiz fuccelfeurs , " pour quelconque autre caufe , foit pour « raifons de partages qui fe pourroient faire 3) entre noz hoirs ou fuccefleurs , ou d'af3» fleste de douaires, faiz ou a faire par nous , 3' ou nozdiz fucceffeurs , a roynes ou au3) tres fames de quelconque état ou condition 3> que elles foient, ne autrement en aucune 3> maniere ; lefquels dons ou ottroys , partages ou affiettes pour caufe de doüaires 3> ou autrement, fe faiz en étoient , com3> ment que ce feuft , nous dèf maintenant 3J pour lors, les canons, irritons Sc adnuilons 33 du tout, & décernons par ces mèmes let3> tres par noftre décret royal , eftre de nulle i) value, Sc voulons & detclairons, de noftiv  de Jeanne d'Are. 141 vant les idéés que 1'on avoic alors des commodités Sc du luxe. Elles étoient 3) autorité & puiffance royale , que doref-en3) avant ycelui noftre hoftel ne doye ou 3) puifTe eftre desjoint en aucune maniere 3> du domaine de ladiét e couronne de France ; j) Sc que ycelui, après le palais royal ( c'eft 3> celui oü fe tient aujourd'hui le parlement) 3> foit propre Sc fpécial hoftel de nous Sc de 3) nos luccetTeurs roys , du propre domaine 3) & héritage dudit royaume & de la couron3) ne de France, a [touzjours perpétuelment. 3) Et pour que ce feit ferme chofe & extable 3) fenz nul rappel, nous avons fait mettra 3> notre grand fcel a ces préfentes , fakes & 3» données en noftredit hoftel royal de faint Pol; 3) Van degrace 1364 , au mois dejuillet. Ainfi 3> fignées , par le Roi. OGIER. Collatio litterarum prefcriptarum cum originalifignato ut fupra, faRafuit in Camera. Comptorum Parifüs, de precepto deminorum , die tertid Septembris 1364, per me Joharrem Crete, &jne Garnerum. Voici la defcription que Saintfoix , dans fes EJfais hijloriques fur Paris, nous a donnés de cet hotel , que Charles V regardoit comme un monument digne de faire un des principaux ornements du domaine de la couronne. II ne s'eft permis aucune réflexion: je m'en abftiendrai pareillement. , a! L'hotel Saint Paul, dit-il , occupoit; 3> avec les jardins , tout le terrein entre la 3> rue Saint Antoine & la rivière , depuis. J3 les folies de la ville jufqu'a 1'églife de la *' paroifie Saint Paul j euforie que la Baftilie  14 2 Hifloire du proces encore bien éloignées du fafte qui rehauüe maintenanc nos palais ; & Ton j) & le couvent des Céleftins paroiiToient i) enclavés dans fon enceinte. Cet hotel , „ comme toutes les autres maifons royales 3, de ce tems - la , étoit accompagné "de „ groffes tours ; on trouvoit que ces tours j> donnoient au corps du Batiment un air de „ domination Sc de majefté. Les jardins „ n'étoient point plantés d'ifs & de tilieuls ; „ mais de pommiers, de poiriers , de vignes, „ de cérifiers. On y voyoit la lavande, le „ romarin , des pois, des feves, de longues 3, treilles & de belles tonnelles. C'eft d'une 3, treille qui faifoit une des principales beaust tés de ces jardins , 8c d'une cérifaie , que S) les rues de Beautreillis 8c de la Cérifaie ont 3, pris leurs noms. Les bafles-cours étoient 3, flanquées de colombiers , 8t remplies de 3, volailles , que les fermïers des terres & domai3> nes étoient renus de lui envoyer , & qu'on en„ graiffcit pour fa table & pour celle de fes c: trimmen faux. Les poutres Sc les folives des „ principaux appartements c'toient enrichies 3, de fleurs-de-lys d'étain doré. 11 y avoit 3» des barreaux de fer a toutes les fenètres, 3, avec un treillage de ril d'archal, pour empés> cher les pigeons de venir faire hurs ordures ndans les chambres. Les vitres peimes dc 3, différentes couleurs ck chargées d'armoi. 33 ries , de devifes & d'images de faints 3c de j> faintes , refTembloient aux vitres de nos n anciennes églifes. Les fiéges étoient des 3> efcabelles , des tormes 8c des bancs ; le roi 1, avoit deschaifes a bras , garnies de ciur  de Jeanne d'Arc. 143 y voyoic des précauiions économiques don: certains particüliers rougiroient aüjourd'hui. « rouge, avec ties franges de foie. On appeln loit les lits couches , quand ils avoient dis » ou douzepieds de long, fur autant de large; n & couchettes , quand ils n'avoient que fix j> pieds de long 8c fix de large. II a été long» tems d'ufage en France de retenir a couj> cher avec foi ceux qu'on afFectionnoit, 3» Charles V dinoit vers onze heitres , fous) poit a fept, & toute la cour étoit ordinais> rement couchée a neuf en hiver ck. a dix a> en été. La reine , durant le repas , dit >3 Chriftine de Pifan , par ancienne & raifon3) nable coutume , pour obvier d vagues paroles 3> & penfées , avoit un prud''homme au bout de la » table, qui fans ceffe difoit gef.es «5* meeurs d'au5> cun bon trèpaffé. 11 Le principal corps-de-logis de 1'hótel j) Saint Paul & la principale entrée, étoient 3> du cöté de la fivière , entre 1'églife Saint 3> Paul & les Céleftins. Dès 1'année 1^19, s) Francois / vendit quelques-uns des édifices sj qui compofoient ce palais , que Charles 3) VII, Louis XI, Charles V UI & Louis XII 3» avoient abandonné pour aller habiter » celui des Tournelles. Le tout fut vendu , 3) en 1551, a différents particüliers , qui 3) cominencèrent a batir ck a percer les rues 3> que nous yoyons fur le vatte terrein qu'il 3» occupoit 3». L'hotel des Tournelles étoit vis-a- vis 1'hötel Saint-Paul. « Son enceinte , dit le sj même auteur, avec le pare & les jardins,  144 Hifloire Ju procés La reine étoit logee a i'hötel Barlette , qu'elle avoit acquis de Montagu, grand maitre d'hötel. On le nommoit Ie petit féjour de la Royne. C'eft ainfi que 1'on defignoit les maifons particulières oü les grands fe retiroient , pour fe procurer une liberté qui leur manquoit dans leur palais (i). 3) s'étendoit depuis ia rue des Eeoüts, jufqu'a 3j la porte St. Antoine , & renfërmoit tout ce jj terrein oii 1'on a bati , depuis , les rues 3> des Tournelles , Jean Beaufire , des Mini3? mes , du Foin , St. Gilles , St. Pierre , s> des douze Portes, 8c le commencement 3) de la rue St. Louis , jufqu'a la rue St. 3> Anaftafe 3>. (i) Cette maifon avoit donné fon nom a la partie de la'vieille rue duTemple , depuis les Blancs-manteaux, jufqu'a la porte de la ville. C'étoit la que fe terminoit 1'ancienne enceinte de Paris tracée fous Philippe- Augufle. On voit encore , au coin de la rue des Francs-bourgeois , une tourelle qui n'étoit éloignée que de trente pas de 1'ancien hotel Barbette- Cet hotel avoit appartenu , en 1298 a Etienne Barbette , voyer de Paris , maitre de la monnoye & prévot des marcbands. En 1306 ,1a populace de Paris , dans nne'fédition excitée au iujet des monnoyes, pilla Phétel Barbttte. Plilippe-le bel , qui demeu-oit au Temple y fut lui-même attaqué On a percé les deux nouvelles rues Barbette 8c des Trois pavilloris, fur leterC'étcic  de Jeanne cVAre. 145 G'étoit donc a. la portee du palais de Saint Paul & de 1'hótel Barbette , que 1'on cherchoit une maifon oü 1'on put mettre les affaftlns en embufcade» Les précautions que 1'on étoit obligé de prendre , pour ne pas faire tranfpirer le fecret , ne permirenc pas de rrouverpromptement ce que Ion defiïoit. Enfin , au mois de Novembre 1407, on arrêta une maifon appellée 1'hótel Notre-Dame, fituée entre la rue des Rofiers& celle des Francs-bourgeois (i)„ rein qu'occupoit l'ancien hotel Barbette , dont il ne fübfifte plus qu'une porte , d'une conftruétion élégante , quoique chargée d'ornemems. On y voit, fur ie chapiteau, 1'écu de France, femé de fleurs-de-lys fans nombre, furmonté d'un heaume ou cafque, au-deffus duquel eft une grande fleur-delys ■? avec deux lions pour fupport. C'eft 1'empreinte d'une monnoie frappée fous Charles VI, appellée ècus au heaume : ce qui prouve que , malgré la rédu&ion des fleursde-lys au nombre de trois, on n'avoit pas encore tont-a-fait abandonné l'ancien ufage de les employer quelquefois fans nombre. Mém. de littérature. Dijertation de M. Bonamy. (0 On voit encore , dit M. Bonamy ; dans 1'ouvrage cité plus haut , une partie de \a fa^ade de cette maifon. Il y a deux niches en faillie appliquées fur la muraille, Tome XVU. Q  146^ Hifioire du procés Les affaiïins, au nombre de dix huit, s'y renfermèrent. A leur têce écoic un certain Raoul d'Oclonvi/ie , gentilhomme normand. II écoir atcacbé depuis long-tems a la maifon de Bourgogne : il avoit même obtenu , a la follicitation du dernier duc, des lettres de grace pour un crime dont 1'hiftoire ne nous a point inftruits. Pendant que ces fcélérats étoient ainli apoftés, pour attendre leur proie, fans que rien qui put faire foupgonner ces abominables préparatifs , fut parvenu a celui qui en étoit lobjet , on travailloic a réconcilier les deux ennemis. Le duc de Berry les engagea , le dimanche , zo novembre , a fe trouver aux Auguftins. Ils jurèrent , fur la fainte hoftie , qu'ils regurent tous les deux , une réunion fincère. Ils fe rendirent de la a 1'hótel de Nefle , oü un grand repas les attendoit. Ils fe jurè- rent une amitié inviolable , fignèrent un acte de confraternjté , en recevant, en même-tems, 1'ordre de chevalerie, fe quittèrent en fe renouvellant les dans 1'une defquelles eft une image de la Vierge. Cette niche eft d'une conftru&ion gntique, ornée d'une fleur-de-lys , pofée fur le fpmmet,  de Jeanne tFArc. 147 proteftations de 1'amitié la plas inviolable. Deux jours après, ils fe trouvèrent au confeil; & en préfence du roi & de route la cour , ils fe donnèrent les témoignages de la plus fincère & de la plus inviolable réconciliation. Ils prirent les épices & burent le vin ehfemble. Le duc d'Orléans invita fon coufin a diner, pour leMimanché fuivant, il 1'accepta , & ils fe quittèrent en ■ s'embraflant. Le lendemain de cette dernière entrevue , le duc d'Orléans patfa une patde de la journée a 1'hótel Saint Pau'. De la il fe rendit a 1'hótel Barbette, La royne , dit Monftrelet, gifok d'un enfant , & n'avoit point accompli les jours de fa purification. Cet enfant étoit mort 24 heures après fa naiffance. Le duc d'Orléans foupa avec fa belle-fceur. II étoit environ huit heures du foir '" lorfque Schds de Courte-Heufe fe fit annoncet de la part du roi , dont il étoit valet-de-chambre. Monfeigneur, dit-il, le roi vous mande que fans délai vous venier devers lui, & qu'il a d parler d vous haftivement, & pour chofe' qui grandement touche d lui & d vous. II fait auflï-tót fceller fa rhulé , Sc Gij  148 Hiftoire du proces part pour fe rendre a 1'hótel Sc. Paul; accompagné de deux écuyers, montés fur le même cheval , & précédé de quelques valets de pied qui portoient des flambeaux. II ne marchoit ordinairement qu'accompagné de fix cents gentilshommes ; ce jout - la il avoit négligé de fe faire efcorcer ; & ceux qui 1'épioient en étoient inftruits. 11 étoit fans chaperon , vhu d'une houpclande de. damas noir fourrée de marce^; & s'ébattant avec fon gant , ilchantoit. Le chemin qu'il devoit tenir le conduifoit nécelfairement devant le repaire des alfaifins. Hs étoient ranges devant une maifon au-deflus de 1'hótel JSlocre-Dame. Le cheval qui portoit les deux écuyers , effrayé a la vue de ces inconnus , prit le mors aux dents, & ne s'atrêta qu'a 1'entrée de la rue Sr. Antoine. Le duc fut , dans 1'inftant, entouré des fcélérats qui 1'attendoient , ils 1'attaquèrent en criant a mort. Jefuis le duc d'Orléans, dit-il, en éievant la voix. C'efl lui que nous Aitendons, reprit un des coupe-jatters j en même tems , d'un coup de hache qu'il tenoit , ü lui abattit la mam gauche. Le duc tenoit h bnde de 1 autre  de Jeanne dArc. 149 ttiain : les coups d'épée ék de maflue qu'il recut de toutes parts , la perte de fon fang qui couloit a Hots , lui otèrent toutes fes forces Sc le renversèrent par terre. Il eut le courage de fe relever fur fes genoux , & de parer les coups avec fon bras; mais cette foible défenfe ne le garantit pas long-tems ; un coup de maflue atmée de pointes de fer lui fracaffa le bras au deflbus du coude. Qu'ejl-ceci ? D'oh vient ceci ? s'écrioit-il *de tems en tems. Enfin il romba étendu fur le pavé , Sc deux: Opups qu'il recut a la tête , lui firent fauter la cervelle, Sc le privèrent tota-, lement de la vie. Alors un hommei dont le vifage étoit enveloppé d'un. chaperon vermeil , fortit de 1'hètel Notre-Dame, armé d'une maflue, dont il donna un coup au prince, en difant 5 Eteigney tout , allens-nous-en , il ejl mort. Qui étoit cet homme ? Les écrivains du fiècle ne le nomment pas; mais quelles préfomptions n'a-t-on pas droit de fe permettre? 11 ne faut pas oublier de faire men* tion de Pattachement Sc de la bravoure que témoigna un des valets de pied du malheureux duc d'Orléans. Tous avoient pris la fuite avec leurs flamG iij  150 Hifloïre du procés beaux , a 1'exception d'un nomms Jacob. Quand il vit fon maitre renverfé , il. fe jetta fur lui , comme pour lui faire un rempart de fon corps. II fut percé de mille coups , & expira , en criant : ffa/o , Monfeigneur , mon maitre. Ces détails furent dépofés par les, habitants des maifons voifines, témoins oculaires de ce qui s'étoit pafTé , 8c que la frayeur empê'.ha de donner du fecours au prince. Dans 1'interrogatoire qu'on leur fit fubir, une femme dépofa qu'elle avoit crié au meurtre , mais qu'un de ces fcélérats 1'avoit effrayée , en lui difant d'un ton menacant: taifev-vaus , mauvaije femme , taif?-vous. Les affaffins , pour favorifer leur fuite , & donner de 1'occupation aux voifins , qui auroient pu s'y oppofer , mirent le feu a la maifon qui leur avoit fervi de retraite ; & pour arrêter ceux qui auroient pu les pourfuivre , en fe retirant , ils jonchè.ent le chemin de chauffes trapes. Tout étoit confommé , lorfque les deux écuyers que leur cheval avoit emportés , & les domeftiques qui étoient reftés a 1'hötel Barbette accoururent. Ils tranfportèrent Ie corps de leur  de Jeanne d'Arc. 15 r maitre dans 1'hótel du maréchal de Rieux, fitué vis a vis 1'endroit oü s'étoir. commis le crime. Dès la pointe du jour , les princes du fang s'affemblcrent a 1'hótel d'Anjou, rue de la Tixeranderie. Le duc de Bourgogne s'y trouva; ils allèrent tous viliter le cadavre qu'on avoit tranfporté dans Péglife des Blancs-manteaux. Onques mais , difoit le duc de Bourgogne , on ne perpétra , en ce royaume, jï mauvais ni Ji traitre meurtre. On chargea Tignonville s prévót de Paris , de faire les informations. Ou foupconna d'abord le feigneur de Cany. On croyoit qu'il avoit voulu venger fon honneur outragé par la vie licencieufe que fa femme avoit menée avec le duc a'Orléans. lis n'avoienr , dans leurs amours , gardé aucune précaution. 11 en étoit même venu un fils que le duc d'Orléans avoua publiquement , & fit élever avec fes enfants. C'eft le fameux comte de Dunois. La duchejfe d'Orléans étant au lit de la mort , fit venir fes enfants , pour les exhorter a pourfuivre la vengeance de Paffallinat de leur père. Dunois les accompagna. On me 1'a emblé (dérobé) , dit la ducheffe en Ie regardant, il n'y G iv  IJ 2 , Hifïoire du proces a nul de fes enfants qui foit fibien taillé d venger la mort de fon père, qu'il efl+ Ce n'étoit donc pas fans fondement que 1'on jetta les premiers foupcons de la mort du duc fur le feigneur de Cany. Mais il en fut lavé , quand on feut qu'il étoit abfent de Paris depuis plus d'un an. Le prince défunt fut inhumé aux Céleftins, fuivant fes dernières volontes. Les quatre coins du drap mortuairefurent portés par 'te roi de Sicile , les. ducs de Berry, de Bourbon , 8c de Bourgogne. Ce dernier montroit un extérieur plus affligé que les autres. Le prévót de Paris } chargé d'aller & la découverte des coupables , apprit enfin quun des affafOns s'étoit réfugié dans 1'hbtel de Bourgogne. Il demanda un ordre du roi, pour être autorifé a faire des perquifitions dans les hotels des princes du fang. Le duc. perdit alors la tramontane. Toute 1'effronterie dont il s'étoitarmé , qui étoit digne du plus grand fcélérat, 1'aban» donna alors. Déconcerté par le rapport que fit le prévot de Paris. au. confeil affemblé , pale & tremblant, il tira le roi de Sicile & le duc de Berry dans un coin de la falie , & leur dit que le diable l'avoit teatl & furpris..  de Jeanne tl'Are* tjj Si cm 1'eut arrêté fur eer aveu, que de maux on auroit épargnés a la France ! Mais , tandis qu'on délibéroit, il prend }a fuite, palTe a Saint-Maixence». dont il fait rompre le pont 3 précau-r tion qui arrêta les partifans du duc d'Or~: léans , qui couroient après lui , aut nombre d'environ cent-vingfc hommes d'armes. II arriva enfin dans fon cha->: reau de Bapaume, oü il étoit en fureté.'Mais ce qu'il- y a- d'étonnant'j, c'eflf qu'on fcavoit que fes complices étoient retirés dans 1'hotel d'Artois , les portes de la ville étoienc ffermées; tous lesquaniers écoienr garnis de corps-degarde. Cependant ils fe fauvèrent tous»Je ne m'étendrai point fur les dé-tails des faits qui rendirenr le duc de' Bourgogne , après cet affaflinar, maitre^ de Paris , de la France- & de la per-.fonne du roi. Ce monarque manquoic: & de tête &C de force pour punir le' coupable. te duc de Bourgogne"daigna> cependant fe faire donner des lettres; d'abolition. Il parut enfuite a la cour s, oü il ofa faire, trophée de fan; crime.II aflembla tous les grands du royaumes, en préfence defquels' Jean Petir9 dos*teur de Sorbonne ,-non-feulement-eri1*tregrit dc j iiftifie* la. mottdiv dut fön-  t 5 4 Hifloire du proces léans , mais écablit la doctrine de 1'ho*micide. Ce plaidoyer nous a écé confervé tout entier par Enguerrand de Monftrelet (i), auteur prefque contemporain. L'orateur , dès le commencement de fon difcours , déclare qu'il s'étoic chargé de la dcfenfe du duc, y étant obligé par ferment, depuis trois ans , & paree qu étant petitement binéficié, le prince lui avoit donné bonne & groffe penfton , dont il avoit trouvé fes dépens ; & trouveroit encore , s'il iui plaifoit de fa gr ace. On peut juger de la fincérité d'un orateur qui avoue luir même que 1'avarice feule 1'a infpiré. Son difcours contenoit trois parties , rédigées comme les trois propofitions d'un fdlogifme. La majeure rouloit principalenient fur huir vérités sc'eft ainfi que 1'aüteur nommoit huic afferdons monflrueufes qui compo-' foient cette première partie. On va le copier ici , en le purgeant néanmoins des termes anciens , qui ne font plus entendus de bien des lecTeurs , & 1'on fera étonné qu'il fe foit ttouvé un doéteur de la faculté de théologie affez. liardi & affez ennemi du genre humain, pour débiter cette monftrueufe doc(i) Monft. chron. vol. i, cliap. 39..  de Jeanne d'Arc. 15 5 trine dans une' affemblée auffi augufte. On fera encore plus étonné c]u'il l'ait fait impunément. « 1?. Tout fujet, vaffal , qui par » envie , fraude , fortilège & mauvaife >> voie , machine contre le falut'cor53 porei de fon roi & fouverain fei» gneur , pour lui ravir & fouftraire » fa très-haute & très-noble feigneu» rie , il pêche fi griévement, & com» met fi horrible crime , comme crime >> de lèze-majefté royale au premier » degré , &c par conféquent il eft digne » de doublé mort, c'eft a fcavoir, pre» miére & feconde. » 20. Quoique , au cas deiTus dit ,' » tout fujet vaffal foit digne de doublé 3j mort, & qu'il commette fi horrible. >> mal , qu'on ne le pourroit trop puj> nir ; routefois en ce cas , un cheva3> lier eft plus a punir qu'un fimple fujer, » un baron 3 qu'un fimple chevalier -y » un comte , qu'un baron ; & un duc, »qu'un comte ; le coufin du roi, » qu'un autre qui n'eft pas de la fa» mille, le frère du roi, qu'un coufin^ n le fils du roi , que le frère. » 30. Au cas deffus dit , en Iadite » première vérité, il eft permis achacun » fujet, fans artendre aucun ordre oa G v|  tifó' Hiftoire du procés » mandement, felon les loix moralë » naturelle Sc divine, de tuer ou faire. » tuerce traitre déloyal Sc tyran , Sc il s> n'eft pas feulement permis , mais ho-»» norable Sc méritoire , même quand » il eft. de fi grande puiffance , que: w juftice ne peut être. faite par le fou^ » verain. » 40. Au cas deflüs dit, il eft plus » méritoire , honorable Sc permis » qu'icelui tyran foit tué par un des » parents du roi , que par un étranger i> qui ne feroit point du fang du roi ; jj Sc par un duc , que par un comte ; Sc » par un baron, que par un fimple che» valier ; & par un fimple chevalier, # que par un fimple homme. » 5°. Au cas d'alliances , ferments »> & promeffes , Sc de confédération » faite de chevalier a un, autre , . en ï> quelque manière que ce foit, ou peut « être , s'il advient qu'on ne puilfe les » garder Sc tenir fans préjudicier a fon a> prince , a fes enfants Sc a 1'état , 3> nul n'eft tenu de les garder ; au con» traire , les renir Sc les garder en tel » cas , feroit agir contre les loix. mo» » rale , naturelle Sc divine. » 6'p. Au cas deffus dit, s'il arrivé: n que lefdites alliances ou confisdéra-  de Jeanne d'Arc.- tfft W tions tournent au préjudice de Kuis »» des promectants , de fon époufe ou. » de fes enfants ,il n'eft point tenu de. » le garder. » 7 °. Au cas deffus dit, il eft per»> mis a.chaque fujet., il eft même ho~ « norahle & méritoire de tuer le tyran » traitre & déloyal a fon fouverain »feigneur , par rufes & embüches ; il » eft même licite de déguifer le defteini » qu'on en a concu. » 8°. Tout fujèt & vaffal qui , de. » propos délibéré machinent contre: sa la fanté de leur roi & fouverain fei— » gneur ,, pour ie faire mourir en lan» gueur par le deur d'avoir fa cou*» ronne &i feigneurie qui fair confa-^ » crer(i), oud plus proprement parler,.. »► fait exercerépées , dagues , fabres ou: »couteaux , verges d'or ou anneaux ,., » & dédier au nom des diables , par » fortilège , faifant invocation de ca—» ractères , forcelleries , charmes , fu» perftitions & malérices , tk après les »ficher dans le corps d'un homme >• mort ou dépendu dugibet , & après. » mettre en la bouche dudit mort/, &C: (i) Tout ce qui üiit eft Ie détail des forti— leges que 1'on rnettoit alors en ufage pour: rendre malade ou faire mourir quelqu'nn..  15 cï HiJIoire da procés „ laifler par 1'efpace de plufieurs jours » en graude abomination Sc horreur » pour parfaire lefdits maléfices ; & en « outre porrer fur foi un drap lié ou » coufu de poils déshonnêtes 5 Sc » plein de la poudre d'aucun des os» d'icelui more dépendu. Celui ou. » ceux qui le font ne commettent pas; » feulement un crime de lèzemajefté, » au premier degré , mais font traitres» Sc déloyaux a Dieu leur créateur , Sc » a leur roi ; Sc comme idolatres Sc » corrupteurs , fanlfaires-de la foi ca» tholique , font dignes de doublé » mort ; c'eft a fcavoir , première Sc » feconde , principalement quand lef» dites forcelleries , fuperftitions Sc maléfices fortilfent leur effet en la » perfonne du roi; par le moyen Sc >> méchanceté defdits machinants ». Jean Pech paffa enfuite a la mineure de fon argument, Sc entra dans un détail circonftancié, pour prouver que le duc d'Orléans s'étoit rendu coupable envers le roi Sc 1'état de tous ces etimes * ce qu'il prétendit prouver par douze raifons , en Chonneur } difoit-il , des dou\e Apótres , d'oü il tira fa conféquence que le duc de Bourgogne , a aon-feulementété en droit , mais qu'il  de Jeanne dAre. 159 a été obligé de faire aifalfiner le duc d'Orléans , comme il 1'a fait ; & que le roi devoit avoir le duc de Bourgogne & fon fait pour agréable , & avec ce le devoit guerdonner & rémunèrer en trois ehofes 3 en amour, en honneurs & en richeffes, a l'exemple des rémunérations qui furent fakes d Monfeigneur Saint Michel , l'archange , pour avoir tué le diable , & au vaillant homme Phinées qui tua Zambri, C'eft ainfi que ce malbeureux abufoit , d'une manière abfurde , des faints livres mêmes , pour canonifer une maxime abominable , qui répugne a la religion , a 1'humanité & a toutes les loix de la fociété , qui a néanmoins é té , dans la fuite, enfeignée dans des livres théologiques , même contte la perfonne facrée des rois & mife plufieurs fois en pratique. Quelqu'acharné que fut cet abominable logicien contre la mémoire du duc d'Orléans^ il ne fit cependant nulle mention de fes prétendus amours avec la duohejfe de Bourgogne; quoique quelques auteurs aient voulu les faire regarder comme la véritable caufe de 1'affaffinat de ce prince. Voici ce qu'ils eu. raconcent. Le. duc d'Orléans avoit „  %6o Hlftoire du proces dans fon cabinet, plufieurs portraits-; de femmes , Sc il fe vantoit. qu'il n'y avoit placé que celles qu'il avoit aimées,, Sc qui avoient eu des complaifancespour fa paflïon. Le duc de Bourgogne cue averti qu'on y voyoic leportrait de la fienne , il vaulut s'alfurer du fait; & le duc d'Orléans , foit par vanité foit par indifcrétion , le laitfa entree dans le lieu ou étoit ce recueil de portraits ; il y vit de fes propres yeux fon déshonneur. Le duc d'Orléans ne s'éroit pas botné a cette indifcrétion ; il avoit compofé une chanfon amoureufe fur la duchejje de Bourgogne ,. dans laquelle il faifoit 1'éloge de 1'éclat que fes cheveux noirsdonnoienr a la blancheut de fa peau ,. Sc célébroit le bonheur dont les bontés de la ducheiTe 1'avoient: comblé. 11 eut la hardielfe de la chan-. ter dans un feftin ,.en préfence de fon mari. On parloit auffi d'un bal mafqué oü ces amants rrompèrent tous les yeux , a la faveur d'une tapifferie. Leur ardeur ne fut même pas réprimée par la préfence du duc de Bourgogne , qui . éroit a ce bal;. Ces outrages joints a leur rivalité au fujet du gouvernement, Sr ata. kfine qu'elle. avoit- allumée entre les  ie Jeanne iJrc. t6i deux princes, portèrent le duc de Bourgogne a conimettre le lache aflaffinat dont fa mémoire fera ternie a jamais. Si Jean Petit ne fit pas mentiondes foibleffes de la duchejje de Bourgogne , c'eft qu'il fervoit d'avocat a fon man * dont il ne vouloit pas révéler la,honte. D'ailleurs, on n'avoit pas encore misen maxime qu'il fut permis de prévemr ou de réparer la perre de fon honneur par un aflaffinat ; tk 1'imagination de ce doóteur , toute fertile qu'elle étoic en aborainarions > n'avoit pas été jtlf- qnes-i* t Quoi qu'il en foit, eetce hombleharangue fut écoutée avec un grand filence & une patience dont 1'orateur fuc redevable a Ia feule crainte que l'on> avoit du duc de.Bourgogne. Quand iL cut celfé de parler , il invita le duc de Bourgogne a avouer tout ce qu'il venoit de dire , le prince fit cet aveu fur Is champ, & ajouta qu'il fe réfervok a. dire au roi des chofes encore plus importantes. Dés qu'il eut fini, le dauphin fe retira en filence , & neL croyant pas en fureté a Paris, fe refugia a Melun avec la reine & les autres, princes de France & plufieurs, £ev, giieurs. de la cour..  161 Hiftoire da procés Cette retraite précipitée ne laifla pas de chagriner le duc de Bourgogne ; mais il s'en prévalut pour fe bien mettre dans i'efprit du roi, & perfuader au 'public qu'il étoit rentré dans fes bonnes graces. 11 fit même óter les principales dignités de 1'érat aux créatures du duc d'Orléans , pour en revêtir les Hennes. Après avoir ainfi mis fes ennemis en fuite, être demeuré maitre de Paris 8c de la cour, y avoir fortifié fon parti, il alia en Flandres faire la guerre aux Liégeois, qui ne vouloient pas reconnonre Jean de Bavière , frère de fa femme, pour leur évêque. La reine ne fut pas plutöc informée du départ de ce prince , qu'elle revint a Paris , accompagnée du dauphin ; elle fe fit fuivre par la veuve du duc d'Orléans, avec fon fils , pour demander juftice du meurtre de fon époux , 8c le juftifier des accufations atroces que Jean Pech avoit intentées contre lui , pour légitimer 1'aflaflinat commis en fa perfonne , & flétrir fa mémoire. Le parlement fut aflemblé au Louvre; rous les princes & feigneurs s'y trouvèrent. Cerifï, Bénédicfin , abbé de St. Denys , paria pour la ducbefle  de Jeanne d'Are. 163 avec beaucoup d'éloquence ; il combattit fortemenc les horribles maximes de Jean Petit , réfuta les calomnies donc cet infolenc oraceur avoit voulu noircir le duc d'Orléans , fic une vive peincure de la noirceur de raffaffinat commis en la perfonne d'un prince du fang , frère unique du roi, il fic fentir enfin combien 1'audace avec laquelle le duc de Bourgogne avoit déclaré & foutenu fon forfaic , rendoic ce prince formidablefi 1'on n'arrètoic une ambition fi peu mefurée 8c foutenue d'une audace auffi incrépide. Ce difcours remplic d'indignacion cous les aififtants concre le duc 8c fon apologifte. L'abbé de St. Den'is n'avoit pas caractère pour prendre des conclufions en juïlice réglée. Coufinot , avocat au parlement , chargé de cecce fonction, die que , laiflanc au procureur général a donner fes conclufions pour les peines afflidtives, il fe contenceroit de demander des facisfaétions civiles. Il conclut donc a ce que le duc de Bourgogne , après avoir été arrêté par ordre - du roi , fut conduic au chateau du Louvre , & que la , en préfence du roi & de M. le Dauphin , a genoux , faas ceinture 8c nue tête , il avouat fon  164 HiJIoire du procés crime Sc les motifs qui le lui avoient fait commettre , rétractat toutes lej calomnies dont il avoit chargé le duc d'Orléans , Sc demandat pardon a genoux a madame Ia duchejfe Sc a M. le duc d'Orléans , fon fils ; que , du Louvre , il fut conduit a 1'hötel de St. Paul, pour y faire les mèmes foumiffions ; que de la il füt menéa 1'endroit ou le meurtre avoit été commis ; qu'en ce lieu il fit de nouveau la confeffion de fon crime ; qu'il y demeurat a genoux, tandis que les prèttes qui y feroient appellés réciteroient les fept pfeaumes , les liranies des faints Sc les oraifon» qui les fuivent s Sc qu'il demandat encore pardon a la duchejfe Sc au duc d'Orléans; que la formule de cette amende honorable füt mife par écrit par ordre du roi , qu'elle fut envoyée dans les principales villes du royaume y lue & publiée a fon de trotnpe , que tous les hotels du duc de Bourgogne fuffene rafés , qu'on y plantat des eroix , qu'on y attachat un tableau contenant le récit du crime , que la maifon oü les affaffins s'étoient mis en embufcade, füt abattue; que 1'on conftruifrt, en la même place, une chapelle ; qu'on y fondat un chapitre aux  de Jeanne et Are. 165 dépens du criminel , afin de faire prier Dieu a perpétuité pour le repos de 1'ame du duc d'Orléans ; que le coupable fut obligé d'en fonder un autre a Orléans , Sc deux autres a Rome Sc a Jérufalem; qu'il payat un million-d'or pour la fondation de quelques hbpitaux &pout faire des aumones, qu'en attendant 1'exécution de 1'arrêt , le roi mit en fa main tous les domaines du duc de Bourgogne Sc le retint en prifon ; que le duc allat enfuite au-dela de la mer pour vingt ans , Sc qu'a fon retour , il fut toujours éloigné de cent lieues de la perfonne du roi Sc des enfants de France , Sc condamné en tous les dépens du procés. Coufinot demanda enfuite la joncHon du procureur général pour requérir & prendre fes conclufions , fuivant 1'ufage en matières criminelles. Ce difcours fini , le dauphin qui préfidoit a 1'affemblée , fit recueillir les voix , Sc prononca 1'arrêt en ces termes , ou a-peu-près : « Après ce »> que nous Sc les princes du fang royal » ici préfents nos oncles avons enten0 du pour la juftification du ducd'Or» léans , notre oncle , U ne nous refte » aucun doute contre 1'honneur de fa  16o Hifloire du procés » mémoire , 8c nous le tenons pourin» nocent de tour ce qui s'eft avancé » contre fa réputation : & quant a ce » que vous defirez de plus , ajouta-til en adrelfant la parole au duc & a la duchejfe d'Orléans , « il fera fuffifam» ment pourvu en juftice ». On fit rapporter les lettres d'abolition accordées par le roi au duc de Bourgogne ; & , après les formalités requifes , elles furent déclarées nulles ; * & il fut dit que 1'impétrant étoit atteint Sc convaincu, par fa propre confeffion , de raffaffinat commis en la perfonne du duc d'Orléans , & ennemi de 1'état, en conféquence il fut enjoint a tous les fujets du roi de courre fus. . Cependanr le duc de Bourgogne remporte une viétoire compléte fur les Liégeois , place foir beau-frère fur le liège épifcopal de leur ville , 8c fe rrouv? incontinent auprès de Paris, a la rète de fon armée. La reine en fort promprement avec le dauphin. Le duc y entre comme en rtïomphe, aux acclamations de joie des Parifiens , dont il avoit feu fe procurer 8c fe conferver les bonnes graces , par Pcppofition intéreffée qu'il ayoit toujours fait paroitre contre les impöts.  de Jeanne d'Arc. i6j Ce fuccès ne 1'empêchoit pas de fencir que , fi fon crime ne lui avoir rien fait perdre de 1'affection de la populace , il le rendoit méprifable & odieux a tous les gens de bien ; que la bauteur de fon procédé pouvoit lui fufciter des ennemis dans toute TEurope. Ces réfiexions lui firent prendre le parti de tetminer cette affaire par une réconciliation avec la maifon d'Orléans, 11 devoit s'attendte a voir la duchejfe douairière combattre ce projet de toutes fes forces ; c'étoit pour lui une partie redoutable par fon efprit, par fon adreffe & par Panimofité qu'elle montroit dans la pourfuite d'une vengeance qu'on ne pouvoit lui refufer dès qu'elle deviendroit poffible; mais elle fuccomba au chagrin &c a la douleur de voir triompher le meurtrier de fon mari. Elle laifloit Charles duc d'Orléans, fon fils ainé, agé de quinze a feize ans, &deux autres princes en bas age, L'ainé, peu capable de foutenir fes intéréts contre un fi puiffant ennemi & de s'oppofer aux intentions de la cour qui cherchoit a finir cette affaire , confenrit a un accommodement. L'efprit ambitieux du duc deBourgo-  168 Hifioirc da procés gne ne put pas le contenir dans les termes du traité auquel il avoit confenti ; il vouloirgouverner , & voyoit au-deffus de lui la reine , le dauphin & Is duc d'Orléans* II regarda les deux demiers comme incapables de lui réfifter par la foiblefle de leur age. La reine n'étoit qu une femme ; il fuflifoit , pour la mettre fans défenfe, de détacherd'elle les autres princes & les grands qui étoient dans fon parti. II parvint même a lui faire oter 1'éducation du dauphin , fon fils , & obtint qu'on la lui confiat. Le duc de Bourgogne trouva , dans Ie duc d'Orléans , un adverfaire plus xedoutable qu'il n'avoit penfé. Ce jeune prince parvint a fe mettre a la tête d'un parti puiffant, & capable de balancer celui du meurrrier de fon père. Ces deux factions avoient , tour-a-rour , 1'avantage 1'une fur 1'autre ; celle qui fe trouvoit dominante , faifoit conduire au gibet , affaffiner , brüler ceux de ia fa&ion contraire; perfonne ne pouvoit s'affurer d'un jour de vie. On violoit, on pilloit, on incendioit , on fe bartoit dans les rues , dans les églifes , dans les maifons , a la campagne; on ne voyoit par tout que feu, fang Sc prnage. Le  de Jeanne dyArc. 169 'Le duc d'Orléans profita d'un moment de fuperiorité, pour faire rendre, par le roi, une ordonnance , oü com inencant par ie narré de 1'affaffikt da duc aörleans, ii déclaroit celui deBourgogne Pauteur de tous les troubles amvcs depuis i cette occafion , défo-benTant , rébeile , ennemi de 1'état pnve de toutes les graces qu'il lui avoit faites, & convoquoit 1'arrièreT P,°ut' marcher ™ Plutór contre lui, arm de le contraindre a rentrer dans fon devoir. Cet acle de rigueur de ia part du roi, intimida le duc de Bourgogne t qui fe retira en Flandres avec fes troupes- Dès qu'on fut délivré de fon armée, leducd Orleans reprit Ie deffein d'avoir enfin raifon de la mort de fon père < &■ de 1 apologie de Jean Pent , more en,.*n' rforc 'epentant, dit - on , des maximes funeftes qu'il avoit mifes au, ' ff"' L»! t' Prefernt,a »"e ^te a een en-et, & 1 umverfite députa vers Ie roi pour deponeer la doctrine du docceur. Le roi chargea Ghard de Montaigu evequedeParis^efejoindrea/^ Pallet, inquifiteurde la foi en France avec tel nombre de doéburs de ik*ivedite qu'ils jugeroienti propos, potu Tomé XFIl, H  170 Hiflolre du proch procéder juridiquement a 1'examen & au jugement de ces propofitions. Le roi , dans ces lettres , ne nomme ni le duc de Bourgogne , ni Jean Pech. II parle feulement de quelques erreurs 8c héréües contratres a la foi & aux bonnes mceurs , & a la confervation de 1'état, qui fe font répandues , depuis quelques années , dans fon royaume , 8c ont même pénétré plus avant. L'écrit de Jean Peth étoit trop étendu , pour qu'une affemblée fi nombreufe put entteprendre de le difcuter en détail. On chargea le fameux Jean Gerfon , chancelier de 1'univerfité , d'en faire Vextrait. II le réduifit én fept ptopofitions très-fidèlement tirées de la juftification du duc de Bourgogne , compofée par Jean Peth. « i v. Chaque tyran doit & peut » être louablement 8c par mérite tué » de quelconque valfal 8c fujet, par » quelque manicre , même par embu» ches & par flatteries ou adulations, » nonobftant tout ferment ou traités w faits avec lui, fans attendre la fen„ tence. ou mandement de juge quel» conque. » Michel, fans aucun commande» ment ni de Dieu , ni d'autre , étant  de Jeanne dArc. IyT » feulement oouffi d'amour naturel » mz Luafir de mort étemelie, & " J »cei Iadesncheaèsfpiricuellwau^ » qu'il en peut recevoir. » aucun commandement de Dieu £ »Zaminae fin poi„t idoiacre. ; que lon pUce ici deux obfervation?- pas que Pktnées avoit tué Zambri ^ aucun commandement de Dieu /mal fans aucun commandement de Movrl eft que , lom d'avoir dit que Zambri netoitpas idoldtre , il avoit dit tout h en padant de Zambri y de convoüife l dj deleclauon charnelle de l'amour dfune dame Paunne, que , parce ^Jk% s d n adoroit les idoles H 7 * idolessbc. ' 1 ad°ra ks ■>> 4°. Moyfe , fans commandement «quelconque ou autorité, tua 1'Eg'p' » 5 9- ne pécha point en for » qu'il vouloit adoreriW. .d^^^W^^ ■' ±1 ij  I72 Hifioiredu procés » 7°. Tenues les fois qüon fait une » bonne aófcion , quoiqu'on ait juré de „ ne la pas faire , ce n eft point un par- jure , mats le contraire du parjure ». Cette affaire partagea long-temps les 'juges commis pour la terminer. Les partifans du duc de Bourgogne , afin d'éluder une décifion qu'ils prévoyoienu bien ne pouvoir pas êtte favotable a ce prince , diftmguèrent entre la quei„on de fait & la queftion de droit. Tout le monde fut d'accord pour le droit, ceft-a-dire que perfonne n oia foutenir que ces propofinons ne tulient Pas condamnables ; mais ils vouloient que 1'on s'aflïuat fi elles étoient veritablement de Jean Petit. Pour lever cette difficulté, on entendit en témoignage deux maitres-esarcs qui déposèrent avec ferment cc en préfence de notaires que , s erant SI dans la maifon de Jean Peut quelque tems après qu'il eut prononce. fon fecrétaire leur avoit difte , & en même temps 1 environ douze autres perfonnes , cette opologie ; & qu s f'avoient écrite aulli fidèlement qu ils ;™r nu - aue Jean Petit Ku-meme avoient pu , que j<- . _ s'étoit fouvent trouve avec eux , lori-  de Jeanne d?Arc. .17*3 qu'ils ccrivoient , 8c avoir témoigné que fon fecrétaire leur didrpit jufte; qu'ils étoient perfuadés en leur conficience que ce qu'ils avoient écrit étoit 1'ouvrage de Jean Petit , a 1'éxception de quelques noms de grands feigneurs qui avoient été effacés. L'un des rémoins indiqua óü ctoft fa copie , offfic de la faire venir Sc d'e la remettre entre-les mains de 1'évêque. Un autre déclara qu'il ignoroit OU étoit la fienne ; mais, fur la lecture qu'on lui fit d'une copie de 1'ouvrage', il affura qu'elle étoit pareille a celle qu'il en avoit prife. On ramaffa tout ce que 1'on putdécouvrir d'exemplaires •de cette pièce, qui furent tous trouvés conformes , a la réferve de quelques variétés qui n'altéroienr point le fens. Enfin , après un examen bien férieux de la queftion de fait & de celle de droit, le plaidoyer de Jean Petit fut condamné au feu , par fentence de 1'évêque de Paris du 23 février 1414 , 8c le z6, le livre fut brulé publique* ment. Peu de tems après cette exécution } le roi adrelfa des lettres aux parlements , pouf leur enjoindre de faire infcrire cette fentence dans leurs regifH iij  -i 74 Hifloire du procés tres. Elle ne fut néanmoins enregiftrée a Paris que le 14 de juin 1416. Ces enregiftrements lui donnèrent toute 1'authenticité dont elle étoit fufceptible , & en firent une loi de 1'état , a laquelie aucune puiifance ne peut plus toucher. Le duc de Bourgogne ne laiffa pas d'en interjetter appel au fiège apoftolique. Cette condamnation étoit affurément aufïï réguliere 6c aufli folemnelle qu'elle étoit jufte. Cependant les efprits étoient alors tellement aveuglés , les principes les plus inviolabies & les plus elfentiels a la furecé publique &a ce'le des particüliers étoient tellement obfcurcis par le délire qui étoit une iliite néceffnire' des troubles , que ce .jugement trouva des oppofitions en France , Sc même dans 1'univerfité de Paris, qui 1'avoit follicité, & fur 1'avis de qui il avoit été prononcé. Le roi envoya des ordres exprès a ce corps de ponrfuivre les contredifanrs , & de ne députer au concile de Confiance , qui éroit alors aflemblé , que des gens qui ne fulfent point fufpects dans cette affaire. II rcitéra cette condamnation par un édit du 27 décembre 1414» qui contient une réfutation raifonnée  de Jeanne JArc, 1J$ de toute 1'apoiogie de Jean Peth. Lé roi repréfenta que , de ce pernicieux écrit j comme d'une fource empoilonnée , on avoit vu fortir & ie repandre par tout le royaume mille défordres , d'horribles fédicions , tk des guerres plus que civiles j que, « depuis ce » tems-la on n'avoit vu par-tout que » 1'image de la mort. On a refufé ,' » dit-il , le baptême aux enfants , la » prière aux malades , la confeflicri » aux mourants , 1'aumone aux pau5> vres , la fépulture aux morts. Nul »> age , nul fexe n'eft en füreté , on n'a » plus aucun égard aux liaifons du fang, » on viole les lieux les plus facrés &C » les plus inviolables , & on n'entend » retentir par-tout que cetEe voix èfr » froyable de la difcorde : Vos patri a yalidas in vifcera vertite viresi » Tout le monde , continue -1 - il j »> peut juger par la, des raifons que t> nous avons eues d'exterminer cette w doctrine de notre royaume, &c nous » la déhoncons a tout 1'univets } afin » qu'elle en foit bannie. C'eft le tems; » de- le faire , a préfent que les juges » font affis , & que le concile général » eft afiemblé. Le duc de Bourgogne eft Hiv  lyó Hïfloire du proces » notre chair Sc notre fang \ mais nous jj appartïnt-il de plas prés encore , » nous ne favoriferons jamais ni lui , » ni même nos propres enfanrs au pré» judice de la foi Sc du falut des ames. »Achor fut lapidé , Sc la colère de r Dieu fe retira de deffus le peuple » d'Ifraël. Abfdon fut tranfpercé , Sc s> la paix fut rendue au royaume de » Juda. Salomon fit mourir Joab par » ordre de David fon père , Sec. » On n'entrera point ici dans le détail de toutes les manoeuvres qui furent mifes en ufage par le duc de Bourgogne V. fes partifans, pour empêcher le concile de prendre connoilfance de cette affaire. II fuffit d'obferver que ce prince *ut alfez de crédit pour obtenir que , dans la condamnation prononcée a Co.nftance , ni lui, ni Jean Petit, ne "fuffent nommés ni direótement ni indireclement. On y avoit cependant fait brüler vifs Jean Hus Sc Jéróme de Prague qui n'avoient rien moins prêché que des affaflinats. La faveur alia même li loin , que le roi de France , fes ambaffadeurs Sc 1'univerhté , ne purent , malgré les inftances les plus vrves, obrenir que les propofitions dénoncées fuffent condamnées en détail. On fe  de Jeanne dArc. 177 conrenta , le 4 juillet 1415 , le même jour & dans la même fefiïon oü Jean Hus fut condamné , de prononcer le jugementque voici. <« Le concile ayann » appris qu'on a publié quelques pro» pofitions erronées dans la foi & dans » les mceurs , fcandaleufes a plufieurs » égards , 8c capables de bouleverfer. >> les états , & entr'autres celle-ci : IL » efi permis & même méritoire d tout » vaffal & fujet , de tuer un tyran par » embüches , & par flatteries & adula55 tions , non-objlant toute promejfe & *> confédération jurée avec lui , & fans » attendre la fentence & l'ordre d'aucun. M Iuge ; Ie concile donc , pour extirpec » cette erreur, déclare & définit, après » une müre délibération , que cette » doélrineefthérétique, fcandaleufe„' » féditieufe, 8c qu'elle ne peut tendre » qu'a autorifer les fourberies , les » menfonges , les trahifons & les par» jures. Ourre cela le concile déclarer » hérétiques tous ceux qui foutiendront » opiniatrement cette doctrine , 8c en» tend que , comme tels , ils foient: >> poutfuivis 8c punk felon les loix de » 1'églife >k ; Tout le monde fcait a préfent comHeu les doóleurs du régicide om fak * • K x'  178 Hifïoire du proces d'efforts pour prouver que leurs maximes étoient conformes a 1'efprit Sc a la lettre de ee décret; Sc tout le monde a vu avec quelle force Sc quel fuccès. le miniftère public a mis leurs fubterfuges au grand jour. Les pères du concile pouvoienr bien fe lailfer aller a des. égards politiques > mais ils ne pouvoient pas adopter , encore moins cajionifer une doctrine réprouvée par 1'humanité & par la loi divine. Cependant la France Sc 1'Angjeterre fe menacoient continuellement de re prendre les armes. L'Angleterre étoit alors gouvemée par Henri V, le plus danoereux enne mi que la France eut eu depuis EdouardIII. C'étoit un jeune prince dans la vigueur de lage , ambitieux , politique, entreprenant, & qui avoit concu , plus férieufement qu 'aucun de fes prédéceffeurs , le deffein de fe faire roi de France. II defcend en Normandie en 141 $ , avec unearmée de cinquanre mille hommes. II prend' Harfleur Sc s'avauce fans obftacle dans un pays dévafté par les factions. Cette invafion réunit cependant tous les partis contre 1'ennemi commun. Le Bourguignon même, quoiqu'il tranac dléj)a ieerètement avec FAnglois * en-  de Jeanne cCArc. jjcy voya quelques troupes au fecours do la patrie. Le connétable d'Jlbret fe trouva a la tête de foixante mille combattants , avec lefquels il perdit la fameufe bataille d'Azincourt. Le dauphin , qui fut depuis Ie roi Charles VII, agé alors de feize ans » tachoic de ramalfer les débris de ca défaftre. Ifabeau de Baviïre , fa mère, avoit a la fois la paflion de s'enrichir, de gouverner & d'avoir des amants.' Ce qu'elle avoit pris a 1'état 8c a fon mari , étoit en dépot en plufieurs en-' droits , & fur^tout en plufieurs églifes. Le comte d''Armagnac , connétable Sc fur-intendant des finances , autorifé des ordres qu'il fe fit donner par le dauphin, déterra ces tréfors, Sc d'aecord avec 1'héritier préfomptif de la couronne , s'en fervit dans le prelfane befoin ou étoit 1'état. Outrée de depir „ elle quitta Paris , pour fe retirer ai Vincennes , ou elle ne laitfoir; pass d'avoir une cour brillante ; plufïeurs< feigneurs y étoient forc affidus Sc le* dames très-libres. A cette mortification qu'elle recut de fon fils , le roi en joignir une pluss eruelle. Un foir , en rencrsnc chez lai seiiie? il uow$ h feigneur" d'e Bois~  jSq Hijiolre du procés Bourdon qui en revenoit. 11' le fit arrê* ter fur le champ. On lui donna la queftion , & , fur fes aveux , coufu dans un fac , on le jetta dans la Seine , avec cette infcription : iaifer pafer la juftice du roi. On envoya incontinent la reine prifonnière a Blois , & de la- a Tours. . ... Accoutumée a gouverner , & a düpofer des richeffcs & des places les, plus importantes de 1'état, a fe voir entourée d'une cour d'amants & e courtifans , elle ne put foutenir Fhumiliation & la folitude d'une prifon.. Le duc de Bourgogne feul pouvoit lui: rendre tout ce qu'elle avoit perdu: mais il étoit bien dur d'implorer ion fecours, & bien incertain de 1'obtemr. 11 y avoit enrr'eux une haine réciproque & trop fondée. Le duc étoit le meurttier d'un prince que la reine, avoit tendrement , & peut-être trop, tendrement aimé ; elle 1'avoittoujouts détefté , &c toujours pourfuivi. Toutes. ces confidérations cédèrenc au defir de fe voir encore a la tête de 1'état, & de. fe venger tant du dauphin , fon hls „ que du connétable. _ Le duc , de fon cóté, vit du premier coup ü'ceii , tous les avantages.  de Jeanne dArc. 181 qu'il retireroit d'avoir entre fes mains la femme de.fon roi, une princeffè qui avoit tenu fi long-temps les rênes du gouvernement, & qui avoit tanc de créatures. En un mot il faifit cette cccifion d'établir fon autorité fur de nouveaux défaftres. II étoit occupé a faire le fiége de Corbeil , quand il recut la lettre par laquelle la reine 1'invitoit a venir la délivrer. 11 quitta tout „ vole avec 800 hommes a 1'abbaye de. Marmoutier, qu cette princeffè s'étoit rendue , fous prétexte d'entendre la meffe. Des trois furveiliants qui la gardoient, deux font chargés de fers , le troifième prend la fuite , & va fe noyer dans la Loire. Le duc de Bourgogne enlève la reine J fe réconcilie avec elle , & fe 1'attache par les mêmes nceuds qui lui avoient autrefois rendu le duc d'Orléans fi ener*. Elle étoit , il eft vrai , au-dela du terme de 1'age oü le commun des. femmes font, par leurs charmes, en état de conquérir & de captiver les cceurs ; mais, quoiqu'agée de quarantefix ans , elle avoit confervé tous les attraits qui, chez la plupart des autres, font eftacés long-tems avant cet age.. Ce qui donnoit encore , aux yeux du  i8ï Hiftoire du procés duc , un nouveau luftre aux appas de cette princeffè , c'eft la cour nombreufe dont elle fe vit environnée dès que le bruit de fa délivrance fut répandu , Sc le nombre de partifans puifiants qui , joints k ceux du duc de Bourgogne , le mirent enfin en état de triompher de fes ennemis. Arrivée a Chartres, la reine prit la qualité de régente du royaume , en vertu des lettres patentes que le^ roi lui avoit accordées en i 403 ; Sc qu'elle fuppofoitirrévocables. Le premier acte d'autorité qu'elle fit , fut de cafler le parlement de Paris. Cette compagnie toujours attachée aux intéréts de fes fouverains Sc de 1'état , n'étoit pas ptopre a favorifer les defieins de ces deux nouveaux alliés , de ces deux ennemis de la paix Sc des loix. Elle fit fabriquer un fceau , oü elle étoit repréfentée comme une femme défolée qui, tendant les bras , imploroit du fecours. Autour de la figure , on lifoit: Ifabelle, par la grace de Dieut reine de France. Sur le revers, oü étoit fon éculfon , parti de France Sc de Bavière , étoit certe infcription -..Sceaw des caufes fouveraines & des appellations goor le roL  de Jeanne dArc. Elle fic expédier des lettres-parentes, qui faifoiérit défenfe d obéir au roi &c ïu dauphin , comme n'étant pas libres* L'intitulé de ces lettres éroit : Ifabeüe , par la grace de Dieu , reine de France y ayani, ^o«r l'empêchement de Monfeigneur le roi , le gouvernement & l'adminiflration de ce royaume , par toerol irrévocable d nous fur ce fait par mondit feigneur & fon confeil. Jean de Morvilliers fut fon garde des; fceaux; el!e i'envoya réfider a Amiens , pour fceller rous les aótes publics- donr on auroic befoin dans les bailiiaaes d'Amiens , de Tournai , de Vermandois & deSenlis; elle inftitua un nouveau parlement , dont elle fixa le fiègea Amiens , pour cous ces bailliages leur défendanc de s'adreffer déformais au parlement de Paris , qu'elle cafToit, auffi-bien que la cbambre des comptes& autres tribunaux. Mais fa nouvelle commiffion n'acquit pas un grand crédit ; hi confiance demeura toujours, aux tribunaux qui; étoient en poffeffion de- juger la nation, On ne parviendra jamais a rendre folides ces corps, éphémères ,. qui femblables l tin ras de poufïière amaffé par 1'a rempête, eft , en un ïnft'antdifïïpé pas le calmei.  184 Hiflolre du proces Henri V, qui , après la bataille id'Azincourt , avoit repaffé en Angleterre pour y réparer fon armee ravagée par une dylfenterie conragieufe , débarque une feconde fois en Normandie. II avance du cöté de Paris , tandis que la reine Sc le duc ae Bourgogne y font une entree triomphante au milieu du carnage. On laiffa a la commiflion d'Amiens Ierelfortqui lui avoit été donné. On rétablit les féances du parlement de Paris , que les troubles Sc les maifacres avoient fufpendues pendant un tems confidérable ; mais prefque tous les membres attachés au parti du dauphin avoient été maffacrés , ou avoient eu Ie bonheur de s'échapper a la fuite de ce prince. La reine Sc le duc chafsèrent Ie refte , Sc compc-sèrent cette compagnie de leurs créatures. La gloire dont jouiffoit le duc de Bourgogne , au milieu de fes affreux triomphes Sc les cns de joie de les partifans, qui tetentilfoient de toutes parts. n'étouffoit point, dans fon cceur ceux que le fang du duc d'Orléans y élevoient fans celfe. S'il ne pouvoit perdre la mémoire de ce crime , il vouloit. au moins que les formes juridiques. lèn- kvaffent aux yeux des hommes»  de Jeanne d'Arc. i#j L'univcrfité , qui avoit provoqué Sc fourni les motifs de fa condamnation , lui parut feule capable de 1'anéantir. 'On vit ce corps , dans Paris , faire une proceffion générale , pour rendre graces a Dieu de tout ce qui s'étoit paffé, des maffiacres , des facrilèges qui avoient précédé Sc accompagné le rerour de ia reine Sc du duc dans ia capitale. Au retour de cette proceffion , un des grands vicaites de 1'évêque de Paris, inalade a Saint - Omer , au nom de 1'évêque, Sc comme ayant pouvoir de lui, revonua , en préfence du recteur, de tous les membres Sc fuppöts de Tuniverfité , la fentence de 1413. II fit cette révocation en chaire , & y joignit, pour réparer 1'honneur du duc, un éloge de ce prince , qu'il appella le véritable .champion , l'appui & le dé/enfeur de la couronne. Le duc ne crut pas fon autorité bien affermie, tant qu'il refleroit dans Paris des partifans du feu duc d''Armagnac, qui avoit été maffacré. II en fit arrêter tant qu'il s'en trouva , & en remplit les prifons. La populace ne regarda pas la perte de la liberté comme une punition fuffifante; elle voulut fervir, malgré lui, le duc de BourgogneSc le  186 Hifloire du proces carnage recommenca. II donna lieu l u» événement fingutieE. Le bourreau étoit un des chefs deces fa&ieiu. 11 marchoit dans les rues , vètu d'une robe de damas doublée de martre. 11 fe faifoit amener les prifonniers , Sc les égorgeoit de fa main , en executant lui-même les arrêts fanguinaires qu'il prononcoit. Le duc de Bourgogne trouva enfin le moyen de fe rendre le maitre des factieux. Son parlement leur fit rapidement leur procés , Sc les condamna a morr. On en noya plufieurs , d autres furent décapités. Le bourreau fut du nombre de ces derniers , Sc deftine le premier a fouffrir le fupplice. Son valer fut obligé de faire cetre exécution , & c'étoit la première de cette efpèce qui lui eut été confiée. Son maitre , avant que de fervir de fui et au coup d'effai de fon apprenti., lui donna, fur 1'échafaud , une lecon de 1'art qu'il alloic exercer ; elle eut fon effet , Sc 1'adreffe du gar^n répondit aux bons prcceptes du maitre dont la tête fut tranchée fort adroitement. Cependant le roi d'Angleterre profitoit de la guerre civile qui dévoroie la France , pour avancer fes conquetes. Toutes les troupes , ainfi que toutes  de Jeanne cPArc. 187 les provinces Francoifes étoient parragées entre les deux faétions , celle du dauphin , & celle du duc de Bourgogne. Aucun de ces deux princes ne vouloit employer fes forces pour repouffer J'ennemi commun. Chacun craignoit que fon rival ne profkar de cette diverfion pour étendre les limites de fa domination. Trois fois le duc de Bourgogne tenta la paix avec le dauphin; mais les miniftres & les favoris de celui-cil'en détournèrent toujours. La perte totale de 1'état ne leur paroiffok rien , pourvu qu'ils fatisfiifent leur ambition , leur haine & leur avarice. Nous n'avons que trop d'exemples de ce crime de lèze-majeïté au premier chef, paree qu'il n'a jamais été punk Celui des miniftres du dauphin qui avoit le plus de part a fa confiance, Sc le plus d'empire fur fon efprit, étoic Tangui du Chatel. II détermina fon maitre a ménager une enrrevue avec le duc de Bourgogne fur le pont de Montereau. Les deux princes y arrivent, accompagnés chacun de dix chevaliers. Du Chatel'y aflaffina le duc de Bourgogne aux yeux du dauphin. II eft incertain fi ce prince avoit eu part ace projet: mais tl eft conftant qu'il n'eij  188 Hiftoire du proces défapprouva pas 1'exécucion ; il continua toujours de protéger ralfaflin , Sc de fe gouverner par fes confeils. Je n'entrerai.point ici dans le détail des circonftances qui accompagnèrent te crime ; j'en parlerai dans 1'explication de la procédure que 1'on fe permit de faire contre le dauphin , pour le condamner & 1'exclure du tróne. Ce n'eft pas que cette procédure nous ait confervé les véritables détails de cet événement; les témoins qui parlèrent étoient trop prévenus , Sc trop interelfés pour dire la vérité. EUes font rapportées d'fteremment par une foule d'hiftoriens , tant anciens que modernes ; mais tous ceux qui les ont écrites, nous les ont préfentées de la manière dont ils étoient affectés. Les uns en ont chargé le dauphin ; les autres 1'ont juftific ; mais tous ne fe font appuyés que fur des conjectures. Ceux qui defireront être inftruits a fond des circonftances Sc des opinions des différents auteurs qui ont traité ce point d'hiftoire , peuvent lire la differtation qui fe trouve, a ce fujet, dnns les eftais hiftoriques fur Paris , par Saint-Foiw . CZet écrivain rapporte Sc balance ce qui fe trouve dans nos anciens auteurs iur  de Jeanne d'Arc. 189 cec événement, Sc a fait ufage de foute fa.fagacitéj pour établir que Charles dauphin de France n'avoit point comploté 1'aflaffinat du duc de Bourgogne , Sc qu'il fut commis fans qu'il en füc prévenu. II ne Ie blama pas , il eft vrai, Sc prorégeatoujours ceux quis'en étoient rendus coupables. Mais jettons uncoup d'ceil fur le caraélère Sc fur Ja conduite du duc de Bourgogne, Sc 1'on jugeraque, s'il n'étoit pas permis de l'afiaulner, il étoit bien permis de ne pas le regretter. On peut juger fon caraétère d'après les démarches qu'il avoit faites , pour infpirer au duc d'Orléans toute la fécurité poffible fur leur réconciliation , gelui öter jufqu'a 1'idée même du piès?e qui lui étoit préparé. Le mafque de k fincérité , les proteftations les plus arden tes , lemenfonge couvert de toutes les circonftances que la perfidie fecourue par 1'adreffe peuvent inventer, Ie facrilège, la profanation de nos plus auguftes myftères; de toutes les reffources , en un mot, que 1'enfer peut inventer , aucune ne fut épargnée pour parvenir a ce lache afiailïnat. Eft - il commis ? Celui qui en eft 1'auteur , qui 1'a yu commettre fous fes yeux , Sc-  190 Hifloire du proces qui a donné le dernier coup , réufïitj, par 1'extérieur d'une douleur fincère , a écarrer , de lui, tous les foupcons. Elt-il convaincu ? II fait faire fon apologie , & la fonde fur des menfonges démentis par des faits publiés , & fur les maximes d'une morale exécrable. II léve enfin le mafque , & fait la guerre a fon roi & a fa patrie \ il ne marche que le feu & le fer a la main, pille, brüle , mafiacre par-tout oü il paffe. 11 eft impoflible de lire , fans frémir , les détails de ces horreurs , que 1'hiftoire nous a tranfmis. Jean fans peur, non content de devafter le royaume , veut faire périr route la maifon royale , & tous ceux qui étoient attachés a la mémoire du duc d'Orléans. Un honnête bourgeois , nommé Michel LaïÜïer , changeur , découvreune confpiration , qui devoit s'exécuter le vendredi fainr 1415. Le projet des conjurés étoit d egorger , fans diftinétion , tous les partifans de la maifon d'Orléans ; de renfermer le roi , la reine & le chancelierde. charger de chaïnes le duc de Berri, 8C le roi de Sicile, de les rafer ; en eer ctat de les promener dans Paris fur deuxbeeufs, & de les maifacrer, ainfi  de Jeanne d'Arc. 191 que tous les princes & feigneurs que 1'on pourroir arrêter , fans épargner même 1'infortuné monarque. Ne pouvant venir a bouc de réduire la nation Francoife aux feuls partifans de fes attentats , ne pouvant faire périr la maifon royale , il prend le parti de livrer le royaume a 1'ennemi. II fe rend a Calais , oü le roi d'Angleterre 1'attendoit, & paffa avec lui 1'affreux traité que 1'on va lire : « Jean , duc de Bourgogne , petit>► fils de France , premier pair du » royaume , déclare qu'ayant jufqu'a» lors méconnu la juftice des droits du » roi d'Angleterre , & de fes nobles » progéniteurs , au royaume Sc cou» ronne de France, il a tenu le parti >» de fon adverfaire , en croyanr bien » faire. Mais que , mieux informé , il » tiendra dorefnavant le parci dudit » roi d'Angleterre &c de fes hoirs , qui " de droit eft , Sc feront légitimes rois » de France. Qu'il reconnoit de lui » faire , en certe qualité y hommage ; >» comme a fon légitime fouverain. » Qu'aulïï-tot qua 1'aide de Dieu , de » Notre Dame & de Monfieur Saint wGeorge , ledit roi d'Angleterre aura » fair la conquêce d'une partie notable  ro.2. Hifloire du proces » du royaume de France , il s'acquitte„ ra des devoirs qu'un valfal eft obligé » de rendre a fon feigneur , qu'i/ era» ployera toutes hs voies & manieres vfecretes qu'il pour ra imaginer , pour » que ted'u roi d'Angleterre foit mis en » poffejfion rlelie dudit royaume de » France. Que tour le tems que ledit » roi d'Angleterre fera la guerre pour » s'en emparer , lui , de fon cote , » combattra , de toute fa puilfance , » les ennemis défignés par A. B. C D. » Sc tous ceux de leurs fujets & adhé» rents qui font défobéilfants au roi » d'Angleterre. Qu'il protefte d'avance contre tous traités qu'il pourroit » figner par la fuite , dans lefquels il » pourroit patoitre favorable au rol » Charles Sc au dauphin , fon fils , dé» clarant que de femblables conven» tions font de nulle valeur , cv feront » drejjïcs uniquemint pour les mieux » tromper & les p.erdre l'un & 1'autre ». 11 promet d'accomplirces abominations «< par la foi de fon corps , & en parole » de prince », Peu de temps après ce traité , le duc de Bourgogne fe rend a Va'enciennes, ou étoit le dauphin , vient a bout de le feduire, & de le mettre clans fes intéréts,  'de Jeanne dArc. 193 intéréts. II venoit de jurer fa mine, & d'y travailler par toutes les voies & manières poffibles. « L'ceil le plus per-cant » , dit un de nos hiftonens , « pourroir a peine » difcerner les traces de fa politique » ténébreufe. On n'y découvre qu'un » mélange effrayant d'horreurs & de » perfidies entalfées les unes fur les au» tres. U vend, d'un cöté , fon fan*, » fon honneur , fa patrie aux Anglois« de 1'autre, il féduit le dauphin dont » j médite Ia perte j il fe fait un |eiI » de trahit les devoirs les plus fainrs ; » la fidélité a fon fouverain , les droits » de la nature , les nceuds de I'amitié 1 » Ia religion des ferments , rien n'eft " fc™ Pour ]»i- En le jugeant fur Ia » iimple expofition de tant de forfaits » reunis , il paroit qu'il n'avoit d'autre »projer que d'exterminer Ia maifon» royale, & de fe fervir, pour y parve» nir j, de 1'autorité du dauphin , de Ia' » crédulkédefes alliés , des armes de » Henn roi d'Angletrre, & d'employer » tantot Ia force ouverte, tantót les plus » noires intrigues , pour renverfer le » trone, déchirer la monarchie, &, dans » Ie bouleverfement général de 1'état , Tx>me XFII, j 7-  194 Hifioire du proces ^ _ „ faifir cc qu'il pourroit des debris » de ce grand naufrage U eft donc poffible que , quoique cet aflaffinat ait été commis en préfence du dauphin , ce prince n'y ait eu aucune part. « Son cara&ère » , dit 1'auteur que je viens de citer , « toute » fa conduite avant & après cet evene. » ment, pourroient former un prejuge „ favorable a fon innocence. il n'avoit „ jamais laiflé échapper , jufqu alors , „aucun indice de perfidie ou de M cruauté ; il n'en donna pas davantage » dans la fuite. U eft peu probable que* „dans ce feul inftant defavie, il ie „ foit montré perfide & cruel i mais il y, avoit une malheureufe faciiite qui „ lui tenoit lieu de tous ces detauts , „ en ce qu'elle lui faifoit toujours w adopter les fentiments & les paffions „ de ceux dont il étoit obfede. „ La plupart de ceux qui 1 accompagnerend cette: fatale entrevue „avoient été attachés au duc dOr* léans; ils avoient la mort dece prince „ & des injures perfonnelles a venget: 1 tous baïifoient le duc de Bourgogne „ Qu'ils aient projetté cet horrible „anentat de 1'aveu ou a 1 infiju du „dauphin; qu'ils 1'aieni execute en fa  de Jeanne d'Arc. ,o, »préfence , U rnnn •„ J95 » avoient d Ja rreZT^T ^ »Ies afiuroicdeï^ «du règne de ce n i r hlftou"e «prefque fous fes veuv r, 5?u** » ia force danêter ou / • 9°1? efic » trages fait7? deP.un"ceS ou"gc» raus a Ion autorité A„ r on aura toujoursTl„r ~ » cher d'avoir uj^r >> aflaffins du £ h°J1°? ie« »» faveur qui L* d'une » lui». uP^ons de/a formés contre Les partifans du <^!e lieu même 0 fc^W commis. II y refta nJ„r mei rCre s etoir Pouilié de tonlï Ufieuri^ures, dé. prefque touTL ha™"?""' & dö Montreaule * Jïï£ * cercmome. Ainfi £,ic ce * ^UClI»e avouvécuquarante-fiuitans H ^ ans après JaiFaffinatqu'navo ' D°U2e « la perfonne du l 20aa!] eprouva Ie même forr d°,leaas > 4 ^Jesauteursdececteacfionn'eurcr  ! oö Hcfloire du proces ,,our objet, que d'exercer leut ven. ieanceperfonnelle,fansportetleurvue plus lom , üs tVent fatisfaits. Mais f is efpérètent mettre fin en meme tems , aux malheurs qui défoloient la france , Hs furent bien trompes dans leu efpoir. Ce erime a replongja dans de nouveaux malheurs , au moms aufli funeftes que les precXents. La reine comprit que la mort d mi prince qui lui étoit fi attaché & 1 qui elle tégnok en quelque fot e Sok lui ravir toute fon autorite, file ik teprenoit fon tang a la cour Inftruite combien il étoit hvre afes c " elle croyoit déja fe voir dans Bpö ft rappelU qu, fon fils lui avoit enlevé fes trefors , i^iUvo«contribuéala pette de fon q &■ ^P fa liberté. Tous ces Sft "lÏ» - £ a-indinado» Philippe le bon , iucceueui u areauduché de Bourgogne devint P .nnemi néceffaite du rf«pk" H et e^i' -us deux, de concert, Sent de pourfuivre a toute ou, trance leur ennenu commun,  de Jeanne d'Arc. 197 Le 7 janvier 1419 , ils publièrenr, au nom du roi, une déclaration parfaquelle il étoit défendu a toutes les villes du royaume d'obéir a Charles de Ponthieu , foi-difant dauphin de France , & de Ie recevoir dans leurs murs , lui èc fes adhérents. II étoit enjoint a tous les Francois de lui faire une guerre xnortelle , & on promettoir de leur envoyer depuiifants fecours. On figna, enfuite , un traité d'union entre le roi, le nouveau duc de Bourgogne & les principales villes de France contre le dauphin & fes complices; on chargea Ie duc de traiter avec 1'Angleterre,, & on lui donna , a cet effec, les pon, voirs les plus amples. Pour faciliter l'intelligence de eertams faits dont il fera , dans Ia fuite indifpenfable de faire mention , il eft néceffaire de détailier ia ikuation de k France , par rapport aux provinces foumifes a chacun des quatre partis qui k déchiroient. Les Anglois , outre leur ancien do~ maine , qui comprenoit Calais , le eomté de Guines ou Ia Guyenne Angloife , oü font les territoires de Bordeaux , de Bourg , de Blaye , de Dax & de Bayonne , poffédoient, a titre de I iij  198 Hifloire du proces conquêre , prefque toute la Normandie , le Vexin Francois & Ponroife. lis menacoient même Paris , & faifoient des courfes jufqu'aux portes de cette ville. Les royaliftes , ou plutoc ceux qui fuivoient les ordres de la reine , occupoient la Picardie , la Champagne , Fine de France , Chartres , plufieurs places dans 1'Orléanois & la Beauce , prefque tout le Gatinois, Cóne fur la Loire ; le Pont Saint-Efprit, Beziers en Languedoc & Paris. Le duc de Bourgogne , maitre des 'deux provinces de ce nom , de la Flandres & de 1'Artois, ne faifoit, par fon union avec la reine , & par fes liaifons avec les Parifiens , qu'un parti avec les royaliftes. Le refte du royaume obéiffoit au dauphin ; 1'Orléanois , toutes les provinces de la Loire , le Lyonnois & fes ■annexes , le Languedoc , la Guyenne Francoife , le Dauphiné , le Poitou 8c le Berri. II occupoit encore , en Picardie , Clermont , Crépy en Laonnois , '3e Crétois dans le Ponthieu , SaintValery , Guife , Rue , Gamache &: Monragu. En Champagne , ChateauThierry , Vitry , Saint-Dizier & Alibaudiere. En Brie, Meaux^en Bour-  de Jeanne dArc. 199 gogne , Sens & Auxerre ; dans rille de France } Melun, Montereau , Compiegne , Soiflbns , Crépy 5 Pierre-Ponc & le Chareau d'Orfay. Le Bourbonnois & toutes les provinces de la maifon de Bourbon reconnoiffoienc fon autorité , aufli bien que celle de la maifon d'Anjon. La Provence n'étoit pas encore réunie a la monarchie , mais elle étoit dévouée au dauphin. Le dut de Bretagne étoit neutre \ mais tous fes vceux étoient tournés du cöcé de 1'héritier préfomptif de la couronne. Le dauphin & le duc de Bourgogne négocioient , chacun de fon cöté , la paix avec le roi d'Angleterre. Les offres que fit faire., le dauphin furpaffoient de beaucoup les efpérances de l'Anglois , & le traité étoit pret a fe conclure , lorfque le duc de Bourgogne fit échouer toutes les négociations. II fit dire au roi d'Angleterre que, le dauphin s'étant dégradé lui-mêine de fa naiffance , par 1'affaflinat hotrible qu'il avoit commis fur le pont de Montereau , le roi & la reine le défavouoient pour leur fils qu'ils ne vouloient d'autre héririère que Madame Catherine de France, leur fille unique , &c qu'ils la lui offroient en mariage I iv  ioo Hifloire du proces avec le royaume en dor. L'offre d'une couronne telle que celle de France » accompagnée de la main d'une belle princeife dont il étoit déja amoureux, pouvoit-elle balancer avec celles du 'dauphin , qui fe bornoient a. aifurer a l'Anglois la polfeflion des conquétes qu'il avoit faites 3 des provinces qui , depuis long-tems , étoient reftées fous Ia domination Angloife j & de quelques autres en très-petit nombre qu'on y ajoutoir ? La négociation fut bientót ouverte, «k 1'on travailla avec ardeur a drelfer les articles du contrat de manage , qui devoit , en même tems, contenir un rraité de paix. Poiwr préparer la révolution que 1'on méditoit , on publia , le 17 janvier 14.19, une déclaration fous le nom du roi , qui renouvelloit les défenfes d'obéir au dauphin , le chargeoit de la mort du feu duc de Bowgogne, ordonhoit a tous les Francois de le pourfuivre a main armée , & le déclaroit indigne de fuccéder a la couronne. Un acre de cette importance , fait par un roi en démence , fans le concours de la nation , du parlement ni des principaux officiers du royaume , portoit  de Jeanne dyArc. 201 ies cara&ères de nullité fi évidents , qu'il ne fit aucune impreilion fur les efprits. 11 ne fut applaudi que par les parrifans outrés du duc de Bourgogne 8c par ces efprits furieux qui étabfiffent leur fortune 8c leur puiifance fur l'anéantiffement des loix 8c le bouieverfement de 1'état. On ne peut atrrf. buer qüa 1'efprit de facrion au goüt que 1'habitude avoit fait prendre pour le brigandage & pour le meurtrela perfévérance de ceux qui,„ après un: pareil acte , demeurèrent. attachés, au. parti de la reine.- Le 10 du mois de février de f*i même année (1) , le dauphin rendir.: une déclaration qui ttansféroic a Poitiers , le parlement & la chambre des; comptes. 11 y évoqtia toutes lescaufes & ordonna qu'on y gardat 5 en tout ,. le ftyle & la forme ordinaire, On mie: aux premiers röles.les affaires des provinces de Berry, d'Auvergn© 8c dei Poitou ,-plus a portée du nouveau parlement , plus en état de 1'occuper d'abord , & d etre promptemenr. expéi- (1) I/année, je 1'ai déja dit, commencölv alors au jour de. Paques, & finiflbit ,. parconfequent , avec le mois dé février ,. o»; le&premiers jours du mois de raars.  1O2 IKfio ire du proces diées. Ilnxaanffi le confeil d'étac dans la même ville. Les plus honnêtes gens de ces trois corps, tous ceux qui préférèrent 1'honneur de la monarchie a leur propre forcune , quirtèrent Paris &: fe rendirenc oü leur devoir les appelloit. Le toi n'étoit qu'une vaine idole que Ia reine Sc les Bourguignons faifoient mouvoir au gré de leur fureur. II eft donccertain que ces trois tribunaux réfidoient véritablement a Poitiers ,Sc que 1'ombre qui en refta a Paris , ia'étoit qu'un fantome animé par la tyrannie Sc par 1'injuftice. Le dauphin fit encore un autre acte de fouveraineté. Le parlement établi aTouloufe en 1301 par Phiuppe-leBel, avoit été cafle depuis, en punition d'une fédition des peuples de cette ville. Charles leur rendit ce tribunal , avec les mêmes prérogatives Sc les mêmes fon&ions dont il jouiffoit avant fa difgcace. L'édit eft du 10 mars 1419- ,17, Cependant la reine Sc le duc de Bourgogne travailloient, de concert, afaire paffer la France fous une puiffance étrangère. La cour étoit a Troyes. Le roi d'Angleterre y envoya des ambaf-  de Jeanne dJArc. 20S fadeurs , qui yconcercèrenr une déclaration du roi , connue ious le nom de paix de Troyes. Elle contenoit plufieurs articles dont voici les principaux. I. Que Charles de Valois, ci-devant dauphin , comme coupable de la more du feu duc de Bourgogne , étoit indigne & incapable de fuccéder jamais a la couronne , a 1'eftet de quoi le roi fon père 1'exhérédoit. II. Que Henri, roi d'Angleterre , épouferoit Madame Catherine , fille du roi : qu'en vertu de ce mariage, Henri fuccéderoit a la couronne de France; que dés a préfent le roi Tap-, pelleroit dans tous les acfes publics , fon fils & fon héritier. III. Que le roi , pendant fa vie , porreroit roujours le nom de roi ÖC jouiroit de tous lesrevenus duroyaume; que la reine pareillemenc jouiroit de fes droits & penfions; qu'ils demeu-, reroient a Paris ; ou dans telle autre grande ville du royaume qu'il leur plairoit ; que le roi d'Angleterre leur rendroit 1'amour , le refpeét & 1'obéiffance qu'un fils vertueux doit a fon père & a fa mère ; qu'on ne pourroit leur donnet que des domeftiques Fran-, Sois. I vj  204' Hiflbire du procés IV. Que, dès a préfenr, le roi Henri feroit régent du royaume , pour le gouverner au nom du. roi , ou en fon propre nom , comme régent , mais. avec le confeil , & fans pouvoir établir de nouvelles impotitions que felon les> loix & pour le bien de 1'état. V. Qu'il emploieroit toutes fes for'ces , pour ramener a 1'obéiifance du. roi les provinces & les villes occupées. par les rébelles. VI. Qu'il conferveroir, dans leur 'entier , les droits &c les privileges du. parlement & du royaume. VU. Qu'il y auroit une paix générale &: perpétuelle entre les deux couronnes. Qu'après la mort du roi, elle-s. feroient unies fur la tête du roi d'Angleterre fans confufion ni dépendance r chaque royaume. confervant fes loix&£ fes coutumes. VIII. Que ie roi Henri, en prenant pofleffion de Ia couronne , y réuniroit la Normandie , fes autres conquêtes, & toutes celles qu'il aura faites fut Charles de Valois. IX. Qa'aucun des deux rois, ni le duc de Bourgogne ne pourront faire ni paix ni trève avec Charles de Valois , que d'un commun confentement Sc  'ete Teanne et Are. 2öf encore du confentement des trois état*du royaume , & du parlement d'An>gleterre. X. Que fi, dans le cours de Iaguerre3 on prend prifonnier queiqu'un des complices du meurtre de Montereau, on ne pourra le relacher que du confentement du duc ds Bourgogne. XI. Que tous les alliés des deux roisferoient invités d'entrer dans ce traité,, 8c y feroient admis , pourvu qu'ils en donnaflent. leur déclaration dans huit mois. II ne faut pas un grand effort d'attention pour. appercevoir les nullités dont ce traité étoit rempli. II ponoit avec lui 1'empreinte du dol & de la furprife. Le roi .de France , qui y traitoit directement , étoit formellemenc déclaré incapable de contraccer & de gouverner, puifqu'on lui nommoit ua régent, pour fuppléer a fon incapacité, 8c qu'on autorifoit le régent , fous cette qualité ,.a gouverner en fon propre nom. II y avoit en effet vingt-neuf ans que le malheureux Charles FI étoit prefque totalement privé de 1'ufage de la raifon..Mais ,.quand il a'auroit pas été en démence , dépendoit-ii don: d; lui de dégrader 1'héritier pré-  206 Hiftoire du proces fomptif de la couronne , fans lui avoir fait fon procés , fans 1'avoir convaincu du crime qu'on lui imputoit; en un mot, fans 1'avoir fait condamner juridiquement ? Ces précautions pnles , le crime prouvé & 1'arrêt d'exheredarion prononcé , pouvoit-on daruire a loi falique , qui exclut abfolument le fexe de la fucceffion ï la couronne ? Le dauphin légitimement déclare incapable , fon droit ne paffoit-il pas au duc d'Orléans, premier prmce du lang, &c ainfi fucceffivement a tous les princes : au duc de Bourgogne lui-meme auteur de ce traité ? On peut fe rappeller ce que j'ai dit a ce fujet dans 1'hiftoire du comte cfJnois. Le roi d'Angleterre examina cet afte dont fes ambaffadeurs lui remirent une copie. Tl y fit changer 1'artic e qui lui affuroit la couronne en vertu de ion manage avec Catherine de France. Cette princeffè avoit eu pour fceur ainee la (eüeduchefe d'Orléans , qui avoit uailie une fille , i laquelle r7rl roitappartenu.fi, en fuivant 1 ordre ordinaire des fucceffions , 1 exclufion du dauphin edt pu laiffer monter les filles fur le tróne ; & quand la repréfentation n'auroit pas eu lieu , c eu-  ie Jeanne dTArc. 207 a-direquand la nièce n'auroit pas du être préférée a la tante , la femme du duc de Bourgogne lui même étoit fosur ainée de la princefTe Catherine , & Ia couronne lui auroit appartenu A li 1'exhérédation du dauphin &c 1'abolition de la loi falique euffent été valables. L'Anglois qui ne vouloit pas que 1'on put , dans la fuite, faire valoir contre lui ces diftinctions , fit inférer, dans le traité , qu'après Ia mort du roi de France , il lui fuccederoit, non-feulement comme ayant époufé la princeffè , mais par fes prepres dreits ; ainfi , en cas qu'il devinr veuf , & qu'il n'eut point d'enfants , il devoit demeurer roi de France & tranfmettre la couronne afes héritiers. Cette précaurion ne rendoit pas fon droit plus folide. En effet, quand on auroit remonté jufqu'au tems de Philippe de Valeis, oü la querelle commenca entre la France & 1'Angleterre, touchant la fucceffion des ma'les & des femelles , Henri , dont le père avoit ufurpé le tróne fur la branche ainée d'Angleterre , n'auroit aucun droit a la couronne de France , même en fuppofant les faux principes de la fucceffion des filles a cette couronne.  20S Hiftoire du proces Quoi qu'il en foit , ce traité figaé des? parties , füt revêtu de toutes les tormes extérieures qui conftituent la lok L'alfemblée qui réfidoit a Paris , fous le nom de parlement, 1'enregiftra fans réfiftance. ■ . Cependant le: dauphin n'étoit pas déshérité dansdes formes , il falloit lui faire fon procés. Après que le roi d'An, oleterre eut époufé Catherine de France, qu'il eut afluré les envitons de Paris par la prife de Melun , qui tenoit pour 1'héritier légitime •, il fit, avec le reu Charles & les deux reines , fon entree dans la. capitale , oü il fut recu aux acclamations du peuple , comme le maitre aétuel du royaume, & 1'hermex préfomptif de la couronne._ Le procés que 1'on méditoit contre le dauphin , ne pouvoit fe faire que fous le prétexte de 1'affaffinat commis a Montereau ; & le duc de Bourgogne, pouvoit feul, avec fa familie , fe ren. dre pattie , comme pourfmvant la vengeance.de la mort de fon père. 11 avoit fait venir a Paris la duchefle la mère & les deux princefles fes fceurs , pour inter venir avec lui dans ce procés. II fe ren dit , avec elles , tous vetus «n grand deuil 5 Fep: jours après la concluficn de la paix entre fon fils & le duc de Bourgogne. Son corps fut tranfporté., par eau , a Saint-Denys , en un petit bateau , n'ayant pour tout convoi, que quatre perfonnes. Pas un évêque ne fe préfenta pour faire fes obsèques. Ce fut 1'abbé qui en fit la cérémonie, fans qu'il s'y trouvac aucune perfonne de confidération, Pour revenir aux événements qui occafiönnèrent 1'apparition de la pucellc, Ie duc de Betfort, foi-difant régent du royaume, poufla la guerre a toute outrance. Le roi eut d'abord quelques avantages ; mais la bataille que fon armée perdit fous les murs de Vesneuil fut un coup terrible pour le parti de ce prince. Ce qu'il avoit de meilleares troupes périt en cette malheureufe journée ; 1'argent lui manquoit au point qu'il n'étoit pas en état d'entretenir fa table , même avec la médiocrité d'un fimple bourgeois. II étoit fans reflburce du cóté de fes fujets. Dans la confiiernation oüils,  de Jeanhe d'Arc. 22$ étoient, il y eut eu du danger a propofer denouvelles levées dargent j èc la moindre violence étoit capable de les dérerminer a fuivre le mauvais exemple des révoltés. On étoit venu a bout de mettre le duc de Bretagne. dans le parti de Charles VII, mais les Anglois le forcèrent bientöt, paria victoirej de garder au moins la neutralité. ' _ Enfin le duc de Betfortaprès avoir bien affermi le parti de fon pupille dans les provinces d'en-deea la Loire, réfolut de forcer le paffage de cette rivière, &c d'aller faire la conquête des pays d'au-dela , qui obéilfoienc encore au roi. Les Anglois étoient dé/a maitres de ia Charité fur Loire ; mais ce paffage éroit trop éloigné de Paris ; d'ailleurs le duc de Betfort jugea que la prudence ne lui permettoit pas de s'engager dans le pays ennemi, laiffant Orléans derrière lui. II réfolut donc de faire le fiège de cette importante place „ dont la feule prife jetteroit la confterJiation par-tout, &c lui rendroit le refte facile^ La ville étoit trop érenrfue pour crue les Anglois- la Pufienr, inveftir etc ei*-  2zf5 Hiftoire du procés tier. Ils ne formèrent pas autrement le fiège , qu'en élevant, de diftance en diftance , un grand nombre de petits forts bien terraffés & bien palifl'adés. La garnifon étoit nombreufe , bien aguerrie , bien difbiplinée , & commandée par rout ce qu'il .y avoit de plus habiles généraux dans le parti du roi. Les bourgeois étoient décerminés a périr, plutót que de livrer une place fi importante au fervice de leur prince. Les femmes mêmes aidoient aux-tra,-vaux , portoient les pierres néceffaires pour les élever, les feux d'attifices pour les lancer fur les ennemis ; & plufieurs fe mêloient avec les troupes , & cqmbattoient. Les fprties fréquentes étoient prefque toujours utiies aux afliégés. Les Anglois, fatigués par des|combats fi répétés , & par la rigueur de la faifon , prirent le parti de fe tenir fur la défenfive , d'attendre que les afliégés fe laflaffent a la longue , & que la difette les obligeat a fe rendre. Les Orléanois trouvèrent plufieurs fois le moyen de faire entrer des vivres. Le capital étoit de ravitailler fans cefle ia ville afliégée , & de ne la laifler niauquer de rien •> le roi, qui étoit a  de Jeanne dArc. 227 Chïnon , s'occupoit uniquement de préparer de nouveaux convois, tanc de vivres , que de munitions dé guerre. Les magafins étoient a Blois , & 1'on attendoit 1'occafion de les faire pafler a Orléans. Cependant la place , malgré ia ferme réfolution des braves gens qui Ia défendoient, ne pouvoit tenir encore long-tems. Les paffages pour les convois devenoient, de jour en jour, plus difficiles. Les Anglois, depuis que la faifon leur avoit permis de remuer plus aifément la terre , avoient achevé leur circonvallarion , & joint leurs forts les uns aux autres par de doublés folfés qu'il falloit combler pour faire paifer les charois. Les chofes étoient réduites a un point , qu'on délibéra dans lê confeil du roi , fi, non-feulement il n'abandonneroit pas 1'Orléanois , mais encore le Berri & la Touraine , pour fe retirer a 1'extrémité du royaume , y ramalfer fes forcés , afin de défendre 1'Auvergne , le Languedoc , le Lyon1101S & le Dauphiné par le fecours de Louis d'Jn/ou , fon beau-frère , qui pourroit aifément le foutenir avec, les K v|  2 2.8 Hiftoire du proces milices de fon comté de Provence,t\ jointes a celles du duc de Savoye & du. comte d''Armagnac. Mais on détourna le roi de ce deffein , en lui repréfentant que c'étoit trop aifément quitter la partie ; qne eette fuite feroit un torr irréparable at fa réputation ; que , dans cet éloigne* ment, il ne feroit plus en état de profiter de la bonne intention de la plupart de la noblefle du royaume , qui „ fe voyant abandonnée de lui , 1'abandonneroit auffr a fon malheur, & fe livreroit entiérement aux Anglois. On fait honneur a la belle Agnès Serel^ demoifelle de Touraine , maitreffe du. roi, d'avoir beaucoup contribué a. 1'encourager en cette occafion. Tout le monde fcait la tournure qu'elle prit , pour empêcher fon amant de quitter. fa couronne qu'il perdott infailliblement par cette démarche. « On m'a » prédir , lui dir-elle , que je ferois « aimée par le plus grand roi de 1'Eu» rope. Le parti que v>us prenez défère » infailliblement cette qualité au rot » d'Angleterre. Trouvez donc bon , ,» Sire-, que je 1'aille. trouver & que » j'accornplilfema-deftinée ». La cf-ainte de perdre une. maitrelTe Ct chérie^  de Jeanne cFArc. 229 rendit au roi fon courage. II pric la réfolution de défendre fon royaume-. Salnt-Gelats nous a confervé un quatrain fait a ce fujet , par Francois L Le voici, il s'adreffe & Agnès > dont il avoit un portrait fous les yeux : Plus de louange & d'honneur tu mérite ; La caufe étant de France recouvrer, Quece que peut, dedansuncloitreouvrer Clofe nonain , ou bien dévot hermite. II fut donc réfolu qu'on défendroit Ie refte du royaume pié a pié 5 & que, fi Orléans étoit emporté , on tacheroit de couvrir le Berri & la Touraine. C'eft dans cette conjoncFure , lorfque le royaume étoit prés de périr , que parut un phénomène, qui feroit mis au nombre des fables de la nation , s'il n'en étoit parlé que dans les écrivains de ces tems barbares, ott la fuperftition offufquoit la vérité , 8c en tenoit lieu , s'il n'etit éclaté auxt yeux de toute 1'Europe , & s'il n'étoit imiverfellement attefté & dépofé dans des monuments fi authentiques , qu'il eft impoffiblé de le contefter. Jeanne d'Arc, furnommée ia pucelle dOrléans , naquit.au plus tard , en> ,14,121x a Domremy, gros hameau &E  2.30 Hiftoire du proces laMeufe , diocèfe deToul. Cehameau étoit du Barois , frontière de Champagne Sc de Lorraine , aflez prés Sc audeffus de Vaucouleurs , petite ville fur la même rivièie. Son père, Jacques cVArc , & fa mère , Ifabelle Romée, étoient des payfans vivants affez a leur aife , & dans la crainte de Dieu. Ils avoient cinq enfants qu'ils faifoient fubfifter de quelques arpents de terre,. qu'ils cultivoient eux-mêmes. ^ ^ Jeanne n'appri.t ni a lire ni a écrire. Elle fut dévote dès fon enfance , SC faifoit 1'aumóne , autant que fes facuités le lui permettoient ; du refte elle étoit avantageufement partagée du cóté de la taille & de la beauté. A ces avantages, elle joignoit une fanté robufte , fortihée encore par les travaux agreftes , Sc affranchie des infirmités périodiques de fon fexe. Quoique tous les villages des environs fuffent voués aux Anglois & aux Bourguignons , tous les habitants de Domremy , a 1'exception d'un feul , étoient zélés partifans du roi. Lapucelle écoutoit attentivement tous les récits des événements militaires qui défoloient la France j & , comme ces récits étoient toujours dans la bouche des  de Jeanne d'Arc. 231 partifans de la maifon de France , fon imagination s echauffoit en faveur de ce parti, tellement qu'elle étoit agitée d'une peine extreme, lotfqu'on racontoh , devant elle , les défaftres du royaume , & la perfécution que fouffroit Charles VIL Enfin , comme lï elle eut été infpirée , elle imagina qu'elle pouvoitfecourir fon fouverain, Sc le délivrer des ufurpateurs , du moins y contribuer. Ses parents , qu'elle entretenoit fans cette de ces idéés , craignirent qu'elle ne fe joignït d quelques gens d'armes , pour les fuivre a la guerre. Un jour qu'il en paffe une troupe a Domremy, ils 1'emmenèrent a Neuchateau en Lorraine , ou ils reftèrent environ quinze jours. La il lui arriva une aventure affez lingulière. Un jeune homme épris de fa beauté & de fa fageffe 9' voulut la forcer de l epoufer. II Ia fit afïigner devant 1'official de Toul, Sc demanda qu'elle fütcondamnée d'exécuter une promeffe verbale qu'elle lui avoit faite , difoit-il , de le prendre pour mari j fur quoi ayant été prifb a ion ferment, elle affura qu'elle n'avoit jamais penfé au mariage , Sc fut reuvoyée de la demande.  zyz Hijlolre du procés Dans les converfations qu'elle avoft avec fes compagnes , tantot elle afluroit qu'une jeune fille du pays irok fecourir le fang royal opprimé , &c conduiroit le dauphin a Reims pour y être facré ; tantót elle affuroit que les Francois , afliftés de Dieu , feroient quelqu'aótion d'éclat , bX que le dauphin refteroit paifible poflefleur da royaume qui lui appartenoit. Enfin , venanr a fe déclarer ouvertement, elle dit qu'elle fouhaitoit-qu'on la eonduifit en France , pour rendre fervice au dauphin \ &c que la peine que lui caufoit ce retardement, lui éroit aufli pénible que 1'on afluroit qu'étoit le travail de Fenfantement. Comme elle parloir continuellement de ces merveilles, qui devoienr s'opérer en faveur du roi; on regarda tous fes difcours comme autanr de rêveries qui lui venoienr fous Ie beau mai ; c'étoit un arbre fous lequel les jeunes oens du village alloient fe divertir, W qui, fuivant la tradition du pays, avoit autrefois été habité par les fées.. Enfin., vers ie milieu du mois de rnai 1428 , elle obtint d'un de fes encles de la conduite a Vaucouleurs , ©ü elle fe préfenta a Baudricourt, gpur  de Jeanne d'Arc. 233 'verneur de la ville pourle roi. Elle "lui déclara qu'elle venoit a lui par une efpèce d'infpiration , pour le prier de la faire conduire en France. Elle Favertir, en même tems , de faire fcavoir . auroi de ne point attaquerfts ennemis; paree que , vers la mi-carême , Dieu lui enverroit un fecours , qui lui procureroit la paifible poifeffion de fon royaume, & qu'elle le conduiroit ellemême a Rheims , pour y être facréj malgré tous les Anglois. Eaudncourt, la prit pour une folie, & Ja renvoya chez fes parents. II faut, difoit-elle , a 1'hotefie chez qui elle logeoit, que je fois conduite au roi , vers la micarême, quand j'y devrois aller a pied. Elle ajouroit qu'elle ai-meroit cependant mieux refter a filer auprès de fa mère , que d'entreprendre un tel voyage, paree que ce n'étoit pas fa condïtion que d'aller a 1'armée; mais qu'elle étoit conttainte d'obéir a Dieu. Elle alia, un jour , avèc fon oncle ; en pélérinage a Saint-Nicolas , prés de Nancy. Le duc Charles de Lerraine, qui en avoit entendu parler , la voulut voir j c'étoit vers les fêtes de la pen teeöte 1428. II 1'intetrogea fur les bruits. qui courcient a feu fujet. Elle avoua  j 3 4 Hijïoire du procés qu'elle vouloic aller fecourir le dauphin j c'eft ainfi qu'elle nommoit Charles VU , paree qu'il n'étoit pas encore facré. Elle fupplia le duc de commander a René d'Anjou , fon gendre, de la conduire vers M. le dauphin Charles, & qu elle prieroit Dieu pour fa Fanté. II étoit adtueilement malade. II lui demanda ce qu'elle penfoit de fa maladie ; elle lui répondit ingénuement qu'il ne guériroit pas , s'il ne changeoic *de conduite énver's la duchelfe , fa femme , avec laqnelle il vivoit fort mal, quoique ce füt une princeffè trèsvertueufe. Le duc la congédia , & lui donna quatre francs , qu'elle confia , fur le champ , a fon oncle , qui la remit entre les mains de fes parents. Enfin Baudricourt, après 1'avoir refufée une feconde fois , fe détermina a 1'envoyer au roi: voici a quelle occafion. Lorfqu'elle fe préfenta a lui pout la troifième fois , elle lui dit que le famedi n février, veille du premier dimanche de carême , le roi avoit fait une perte confidérable devant Orléans. Elle parloit de la fameufe jonrnée des harengs , dont il étoit impoffible qu'elie eut eu connoiffance par une voie naturelle. Lorfque Ie  de Jeanne d'Arc. 23 $ bruit public euc porte d Vaucouleurs la nouvelle de ce défaftre , Baudrieourt regarda Jeanne d'Arc comme une fille infpirée , & la laitfa partir. Les habitants de Vaucouleurs firent la dépenfe de 1 equipage de cette fille,' lui füurnirent un babillement d'bomme complet & un cheval. Baudrieourt lui donna une épée , & la fit accompagner de Bertrand de Polengi 8c de Jean de IMovelempont , fuivis chacun de deux domeltiques. Elle partit fans prendre congé de fes parents ; elle craignoit qu'ils ne s'oppofaflént a fon voyage ; mais elle leur fit écrire pour leur demander pardon. Afin d'éviter les places ennemies , elle prit beaucoup de détours; fit, en février, plus de 150 lieues en onze jours , & arriva , fans aucun accident, a Fierbois en Touraine. Ses conducteurs , dans les premiers jours de leur marche , la regardèrenr comme une folie , & balancèrent fi , pour s'en débarrafler , ils ne la jetteroient pas dans une carrière. Mais enfin , édifiés de fa piété 8c de fa cha?rité, ils réfolurent de lui obéir en tour. Elle s arreta d Fierbois , d'ou elle envoya au roi, qui étoit a Chinon, les lettres de Baudrieourt. Sa répiua-  236 Hiftoire du proc\s tion avoit dévancé fon arrivée. Cependant le confeil délibéra long-tems fur le parti qu'il y avoit a prendre. On craignoit que cette fille ne fut qn'une vifionnaire, ou qu'elle n'eut étéfubornée par les ennemis , dont on ne vouloit pas être le jouer. Après deux jours entiets de délibération, elle fut mandée. Le comte de Vendóme la préfenta, le foir , au roi. La falie oü il 1'attendoit' étoit éclairée d'un grand nombre de flambeaux \ il affecta de _ ne mettre aucune marqué de diftin&ion dans fes habits , & de fe tenir confondu dans Ia foule. Quoiqu'elle ne 1'eüt jamais vu , elle le démêla , Sc s'alla jetter a fes pieds i on eut beau lux dite qu'elle fe trompoit , elle perfifta toujours a dire qu'elle favoit bien que c'étoit au dauphin qu'elle parloit. Elle lui dit : «< Gentil dauphin , j'ai nom Jeanne » la pucelle , le roi du ciel m'a envoyée » pour vous fecourir, s'il vous plait me « donner des gens de guerre', pargrace » divine Sc force d'armes , je ferai »lever le fiège d'Orléans, & vous » meneraifacreraRheims, malgré tous » vos ennemis. C'eft ce que le roi du » ciel m'a commandé de vous dire ,  de Jeanne d'Are. 237 « tk que fa volonté eft que les Anglois » fe retirent en leur pays & vous laif» fent paifible en voke royaume , w comme étant le vtai, unique & légi»> time héritier : que fi vous en faites » offre a Dieu, il vous le rendra beau»> coup plus gtand & floriiïant que vos » prédécefléurs n'en ont joui, & pren»dra mal aux Anglois , s'ils ne fe » retirent». Elle laifla tout le monde en admiration de la manière dont elle avoit connu le roi , & de la confiance avec Jaquelle parloit une fille de dix-huit ans, élevée dans un village , fans aucune connoiflance du monde. Peutetre fut-on ttop émerveillé qu'elle eut diftingué le monarque, quoiqu'elle ne 1'eut jamais vu. Sa figure étoit gravée fur la monnoie qui avoit cours dans les provinces qui lui étoient foumifes. D'ailleurs éroit-il impoflible qu'elle eut vu quelqu'un de fes portraits ? Quoi qu'il en foit , on dépêcha un homme de confiance fur les lieux, pour s'informer de la vie & de la conduite de cette fille & de celle de fes parents ; on n'en rapporta que des louanges & des chofes favorables, Cependant tout le confeil s'oppofa  238 Hiftoire du procés a ce qu'on la mit a la tête des troupes; on difoit que ce feroit apprêter a rire a toute 1'Europe , & fèrvir de rifée aux Anglois que de fe laiiTer commander par une jeune payfanne , ammée feulemenr d'un genre de fanatifme qui n'avoit pas d'exemple. Le roi, pour n'avoir rien a fe reprocher , la fit examiner par Regnaut de Chartres , archevêque de Rheims & chancelier de France. On y joignit Chrijlophe de Harcourc, évêque deCaftres , confefïeur du roi , Guillaume Charpentier , évêque de Poitiers, Nfc°~ las le Grand, évêque de Senlis, 1'évêque de Montpellier , & plufieurs docteurs de théologie- On 1'interrogea en préfence du duc d'Alencon , prince du fang , fur fa foi , fur fa rejigion , depuisquandelle avoitforméfon projet ; on lui demanda poutquoi elle avoit changé 1'habit de fon fexe, & par quels movens elle prétendoit faire réuffir fes delfeins Elle rcpondit a tout avec autant de fimplicité, que de modeftie &C de prudence. Ces examens , & plufieurs autres ; qui tous lui furent favorablesfirent croire qu'il n'étoit pas impoffible que Dieu eut jetté les yeux fur une fimple  de Jeanne d'Arc. ajg bergère pour exécucer quelque grand deiTein. On en fic Je rapport au roi ; mais on ne déterminoir rien fur le parti que 1'on avoit a prendre. Un jour elle tira le roi a 1'écart , & lui déclara une pnère mentale qu'il avoit faite a la Vierge , & dont il n'avoit donné connoifiance a perfonne. On dit que quand les Anglois eurent formé le fiège d'Orléans , le roi fe trouva une nuic dans des agitations qui lui ótèrent enrieremenc le fommeil. II fe Jeva , fe protrerna & pria fecrétement la Sainte Vierge , d'obtenir pour lui du fecours de fon fils, s'il étoit le vérirable hériner de la couronne ; ou s'il ne 1'étoic pas, de lui infpirer ce qu'il auroit a faire, & mcme de le recirer du monde, s'il etoit uéceffaire. Le récic de ce fait, qu'elle fit au roi , la fic regarder , par ce prince , comme une fille infpirée. Elle le prefla de la mettre a portée de Ie fervir paree que , difoit-elle , fa miflion n'etant que d'un an , il étoit nécelfaire qu'il fut facré a Rheims dans cet efpace de tems. Le bruit de cet événement pénétra jufques dans Orléans. Le comte de Dunois, fruit des amours du duc d'Or-  240 Hiftoire du proces Hans &c de la dame de Cany , qui défendoit la place , envoya a Chinon, pour fcavoir la vérité. Le feigneur de Villars , fénéchal de Beaucaire , &C Jamet de Tilley , qui, dans la fuite , devint bailli du Vermandois , furenc ceux qu'il choifit pour cette députation. Le récit qu'ils firent a leut retour de ce qu'ils avoient vu ranima beau-, coup le courage des Orléanois. On voulut s'aflurer a la cour, nonfeulement fi Jeanne d'Jrc étoit fille , mais fi elle étoit effecVivement pucelle. La reine de Sicile , belle-mère de Charles Vil, fut cbargée , avec les dames de Gaucoun & de Fienes , de faire" faire cet examen en leur préfence : « fut icelle pucelle », porte un des écrits du tems, « a baillé a la royne de Sicile » (Yoland d'Arragon) , mère de la » royne , notre fouveraine dame , &C » a certaines dames étant avec elles , „ dont étoient les dames de Gaucoun » & de Fienes ; pat Iefquelles icelle » pucelle fut vifitée ès parties fecrètes „ de fon corps. Et après qu'elles eurent vu & regardé tout ce qui requis étoit „ en ce cas , ladite dame dit au roi » qu'elle & fes dames trouvoient que w c'étoit une vraic & encière pucelle , >» en  de Jeanne d'Are, 24I ». en Iaquelle ne paroiffoit aucune cor» ruption ou violence ». On ne s'en tint pas a ces précautions: qn la cpnduifitd Poitiers, oü le roi le traniporta exprès, pour la faire exa«wner de nouveau par le parlement, hiie Jogea chez I'avocat général , dont 1 epoule lui donna pour compagnie des hlles & des femmes de pféré. Quoiqu elles fuffent uniquement oceupees a examiner fi elle ne fe ciém-nti- la#t la liberté de dire & de faire tout ce qu'elle vouloin, fa conduite fiStf g£ & ^ Converfati°» cdi- Cependant le parlement & Ie chanceher étoient d'avis que fon ne s'a . «rat point a toutes ces idéés : l'on craignoit que cette fille lie füt une ftW». * Idnïeprétoitl ctteT fi?.V,enifVaisfuccèsdon cette complaifance feroit fuivie , ne jenat fur le parti dl! roi ^ v j^g qui pourroit avoir des frites funeftes. . Enfin elle fut encore examinée & W^togée en plein confeil ;& condufion , on lui dit que , fidL vouloit prouver fa miffion, i falloit ^^^^^  2 4 i Hiftoire du procés firmat ce qu'elle difoit. « Je ne luis „ point envoyée , dit-elle , pour faire „ des fignes a Poitiers , mais au fiège „ d'Orléans & a Rheims , ou je ferai » voir a tout le monde des fignes cer»> tains de ma miffion ». Elle réitéra les quatre promefles qu'elle avoit déja faites. i'. De faire lever, vers 1'afcenfion , le fiège d'Orléans. z°. De conduire füremenc le roi a Rheims , pour y être facré & couronné. 30. Qu'avant fept ans , Paris fe foumettroit a 1'obéilTance du roi. ^-.Enfin , que les Anglois feroienc entierement chaffés du royaume ; c'eft fur quot elle n'a jamais varié. ' Tous ces interrogatoires & ces mouvements d'incertitude durèrent environ un mois depuis fon arrivée. Le roi , a 1'inftigation de fon confeil , prit enfin la réfolution d'en ceunr le hafard. On fit a la Pucelle une maifon , dont 1'intendance fut confiée au fieur Dolon , 1'un des plus fages gentilshommes du royaume ; on lui donna des officiers , des écuyers & un aumónier, nommé Jean Pafquerd, &c. Ses frères eurent la liberté de 1'accompagner. Elle refufa une trés belle épee , que ie roi voulut lui donner, & le fuppba  de Jeanne dArc. 24, den envoyer prendre une qui étoit enterree derrière Ie grand autel de taime Cnhtrmt de Fierbois. Elle ne iaMcat jamais vue, & perfonne , di- loit-on, ne lui en avoit donné con- nodlance. Le; fleur Dolon lui fit fake des_ armes défenfives; & elle vouluc -ou u étendard £g ^ tilt0 t tolV°u"porter devant elle roi ku confia environ fix rniile reX7B/,a fC de^Uds ^ rendua BIois , Ie 18 ou]e io mars cfl ' acco;nPag»^ de Renaut de ^^".archevêque de Rheims £ de Gaucourcl, grand maitre de Ia mai ^ du roi. Hieyfitquelqurftfour Pendant Jequel on prépam un S convoi de vivrpc „ » grano gïois P°Ur Ctre env°yée a^An+ Jesus , Maria, -ƒ- » intrede Talb0ti!U w^ Lij  244 Hiftoire du proces „ mas fire d'Efclavcs, qui vous dites » lieutenant dudic duc de Betjort , v> faites raifon au roi du ciel , rendez » les chofes de toutes les bonnes « villes que vous avez pnfes & violées » en France. La pucelle eü. ici venue de » par Dieu , pour réclamer le fang « royal. EUe eft toute prêre de faire » paix , fi vous lui voulez faire raifon : » par ainfi que France vous mettez;uj » &c payerez ce que vous 1'avez tenue. » Et entre vous archiers, compaignons » de guerre s;entils, & autres qui.êtes „ devant la ville d'Orléans, allez vous» en en votre pays, de par Dieu ; & fi * ainfi ne le faites, attendez des nou„ velles de la pucelle , qui vous ira » voir briévement , a vos bien grands „ dommages. Roi d'Angleterre, fi ainfi »ne le faites , en quelque beu que je » attindrai vos gens en France je les „ feraiallerveuillentaunonyeuillentj » 8c s'ils ne veuillent obéir, je les » ferai tous occire. Je fins envoyée de » par Dieu , le roi du ciel, pour vous » bonter de route France ; & fi veu» ient obéir, je les prendrai a merci; » ge n'ayez point en votre opinion , » car vous ne tiendrez point le royaume » de France. Dieu, le roi du ciel, fils  de Jeanne d'Arc. 241 53 de Saince Marie, ains le tiendra le 3» roi Charles vrai liéritier ; car Dieu » le roi dü ciel le veut , & lui eft ré» véle par La pucelle, lequel entrera a »Paris eu bonne compagnie. Si ne » voulez croire les nouvelles de par » Dieu &c la pucelle , Sc quelque lieu » que vous trouverons , nous férirons » dedans, & y feronsunfs grand ahai, » qne encore a il mille ans que en » France ne fut fi grand. Si vous ne «faites raifon, Sc croyez-fermemenc » que le roi du ciel envoyera plus de »> force a la pucelle que vous ne lui » fauriez mener de tous affauts a elle » Sc a fes bons gendarmes ; & aux » horrions verra-t-on qui aura meilleur » droit de Dieu du ciel. Vous , duc » de Bejfort, la pucelle vousprie Sc vous » requiertque vousne vous faffiezmie » décruire. Si vous ne lui faites raifon, » encore pourrez venir en fa compa» gnie, oü que les Francois feront le » plus bel effet que oncques fut fait par » la cluétienté. Et faites réponfe , fi » vous voulez faire paix en la cité » d'Orléans; & fi ainfi ne le faites, de »vos biens grands dommages vous « fouvienne briefvement. Efcrit ce w famedi femaiue fainte ». L ii|  246 Hiftoire du proces Cette lettre , qui, comme 011 voit , fe reiTenroir beaucoup de 1'éducation ruftique de celle qui 1'avoit dictee, fut recue avec tout le mépris que les Anglois croyoienr devoir a une payfanne infoiente; ilsretinrent mêmeje hérault qui la remit. Mais il fut rendu fur la menace que fit faire le comte de Dunois que , fi on ne le renvoyoit fain &c fauf, il feroit mourir tous les officiers Anglois qui étoient auprès de lui pour traiter de la rancon des prifonniers. Avant de quitter Blois , la pucelle obligea les généraux qui devoient 1'aecompagner , de fe confeffer & de recevoir la communion j& en conféquence, elle leur promit le fecours du ciel. L'on fera furpris quand on connoïtra les noms de ces généraux dont la conduite étoit dirigée par les impreflions d'une jeune payfanne. C'étoit le maréchal de Sainte Sèvere , dit de BouJJac, Gilles de Laval, feigneur deRetr, qui, la même année , fut fait maréchal de france ; les fieuis de Gaucoun , la fiyre, Pothon de Saintrailles, Ambrcife de Loré, 1'amiral Culan , & beaucoup d'autres dont les noms tiennent une place diftinguce parmi ceux des bons capitaines. Elle engagea les eccléfiafti-  de Jeanne dArc. 147 ques de Blois a fe meters a la tête du convoi \ ils marchoient fous fa bannière , fur laquelle elle avoit fait peindre Jéfus-Chrift en croix , Sc cette bannière étoit portée par fon aumonier. On ne fuivra point ici cette fille furprenante dans les exploits militaires qui la' conduifirent au but qu'elle s'étoit propofé. On dira feulement que le convoi qu'elle avoit commandé entra dans Orléans, fans que les Anglois ofafient même Fattaquer , quoiqu'ils fulfent fupérieurs en forces; qu'avant fon arrivée , cent ou deux cents Anglois mettoient en fuite mille hommes des troupes du roi, mais que 3 depuis qu'elle avoit paru , quatre ou cinq cents Francois attaquoient Sc bartoient prefque toute I'armée d'Angleterre , 5c qu'en buit jours eHt forca les ennemis de lever le fiège. Après avoir abandonné leurs lignes , ils fe rangèrent en bataille dans la plaine ; m.ns n'ofant rifquer le üxccès d'une action , ils fe retirèrent entiéremenl. Jeanne d'Arc commanda toutes les attaques des afliégés , recut des blelfures \ en urt mot elle fervit de commandant & de modèle aux plus braves généraux. L iv  248 Hiftoire du procés Voici comment s'exprimoit, a ce fujet, Je duc de Betfoi t, dans une lettre envoyée en Angleterre. « Toutes cho» fes réuiïiflbient ici pour vous jufqu'au "tems du fiège d'Orléans enrrepris, » Dieu fcait par quel avis , auquel « tems: après Je malheur arrivé a mon » couftn de Salisbury , que Dieu ab» folve , il a été frappé par la main de » Dieu , ainfi que je me le perfuade, sj un coup terrible fur vos gens , qui * éroient alfemblés en grand nombre » au même lieu d'Orléans ;reverscaufé, »en grande partie 3 ainjfi que je le » reconnois , par la fille & funefte » croyance en la crainte fuperftitieufe » qu'ils ont concue , d'une femme , » vrai difciple de Satan , formée du » ümon de l'enfer, appellée la pucelle, » laqueües'eft fervie d'enehantements » & de fortilèges. Ce revers 8c cette » défaite', non-feulement ont fait pcrir 3» ici une grande partie de vos troupes, » mais , en même tems, découragé ce » qui reftoit , de la manière la plus « étonnante ; & de plus ont excité vos »> ennemis afe raflembler en plus grand » nombre , 8cc. ». Elle alia fur le champ a Loches , oü étoit le roi, pour lui rendre compte de  de Jeanne d'Arc. 249 ce qui s'étoit paffe a Orléans , depuis fon arrivée. Elle fe jétta a fes pieds , 8c lui dit: « Gentil dauphin , voila le fiège » d'Orléans levé , qui eft la première » chofe- dont j'ai eu commandement; » de la-part du roi du ciel pour le bien» de votre fervice : refte maintenant » a vous mener a Rheims en toute 3' füreté pour y être facré & couronné» » Ne faites aucun doute que vous n'y » foyez très-bien recu , 8c qu'après ceta » vos affaires n'aillent toujours profpé-' » ranr, & que tout ce que j'ai eu ordre». » de la part du roi du ciel, dé vous direr » & affurer, n'arrive en rerns & lieu ». La pucelle recut du roi & de toute-' la cour 1'accueil auquel elle devoit s'atvtendre j'mais la propofition de conduire ce prince a Rheims , forma de nouvelles difEcultés» 11 y avoit plus de70 lieues a faire dans un pays occupé' par les ennemis; outre trois grands. fleuves ,1a Loire, la Seine 8c la Marne j il y avoit d'autres rivières a paffer ; il: falloit faire- autant de fièges qu'il y avoit de villes depuis Loclies jufqu'a Rheims , & celui de Rheims même,, qui étoit occupé par les ennemis j mais ce qui mettoit fe comble a cesdifEcultés , c'eft que 1'on manquoit: d'argento L. v.  y^O Hiftoire Jü procés Notre héroïne trancha toutes les objections qu'on lui oppofa , en alléguant les ordres du ciel. Le duc d'Alencon fut nommé , pour commander ,. avec elle, les troupes qui devoient conduite Ie moftarque a Rheims ; elles confiftoienc en cinq mille hommes de cavalerie , & fix mille hommes de pied. Gergeon fut emporte d'affaut en deux jours; onze cents Anglois y périrent; 8c la pucelle , qui étoit montée la première, penfa être tuée d'un gros cailtou , qui fe brifa a fes pieds. Mauny & Beaugency furent foumis après une légère réfiftance. Les Anglois voulurent arrêter des progrès fi rapides. lis donnèrent bataille auprès de Patay , a cinq lieues nord-öuefï: d'Orléans ; ils furent mis en déroute , &c perdirent plus dequatre mille hommes tant tués que prifotmiers. Après cette viótoire , les généraux vouloient marcher vers la Normandie ; ia pucelle feule s'y oppofa, & la réfoiution ayant été prife de marcher a Rheims , le roi partit de Gien le 19 juin 1419 , a la tête d'une armée de douze mille hommes , accompagné de trois princes du fang •, fcavoir le comte d'Alencon , les comtes de Bour-  de Jeanne d'Arc. ift Son Clermonc,8c de Clermont Vendómet avec les feigneurs de Chabannes , les maréchaux de BouJJaut 8c de Ret% , 1'amiral de Culant, le comte de Dunois, les feigneurs de Laval 8c de Lohèac 9 fon frère , les lieurs de la Trimouille de Prie , Pothon de Saintrailles , la Hyre, 8c beaucoup d'autres. La pucelle' étoit toujours a la tête des troupes avec fon étendard , 8c leur faifoit faire les plus grandes journées qu'il étoit polïïble. Atrivés a Auxerre , la pucelle 8t plufieurs généraux furent d'avis de profiter de la rrarcheur des troupes pour faire le fiège de cette ville, dont laprife' auroit intimidé les autres, qui fe feroient rendues fans réfiftance. Maïsles habitants écartèrent ce coup, enfaifant préfent de deux mille écus d'or au fieur de la Trimouille, principal favori du roi, qni fit entendre a ce prince: foible que , cette ville tenant pour le duc de Bourgogne, il falloit le ménager,; Padoucir & le gagner; 8c que d'ailleurs ce fiège retarderoit le facre; leshabitants promirent de donner des vivres a toute 1'armée 8c même des bateaux pour pafler la rivière. On laifia donc Auxerre, pour gagner L vj  25 2 Hiftoire du proces * Sc. Florentm , qui fe rendit fur Ie champ. On s'approcba de Troyes, qui fe prépara a une vigoureufe défenfe. L'armée du roi manquoic enciéremenc de pain , & fuc concraince de vivre avec des fèves, donc elle n'avoic même pas fa fuffifance , a beaucoup prés. Ces. concre-cems divisèrent le confeil fur le parci qu'on avoic a prendre ; les uns vouloienc qu!on paffac outre , fans s'arrêcer au fiège ; d'aurres précendoienc qu'il ne fallaiic pas donner cet exemple a Ghalons & a Rheims , qui ne manqueroienc pas de fe conformer a la capitale de la province. La pucelle, qui n'avoirpoinc écé appellée au confeil, y encra dans le tems que 1'on délibéroic; tic s'adreffant au roi, elle dit : « Gentil dauphin, ne te" nez plus de fi longs confeils ; meccez *> la main a 1'ceuvre , & commandez » que 1'on afliège cetce ville : en mon j> Dieu , je vous affu're que , dans rrois » jours , vous y encrerez par amour » ou par force, & que la Bourgogne fe » crouvera bien éconnée ». lienaud de Charcres , archtvêque de Rheims 8c chaneelier qui n'aimoit pas les dangers de la guerre, & qui avoic opiné rortement contre 1'entreprife du fiège ,  ie Jeanne cïAre: 253 lui dit : « Jeanne , on attendroit bien » encore huit jours , ii.l'on étoit affuré >> que ce que vous dit-es réufsit. N'en » doutez point, dit-elie d'un grand fens » froid \ que 1'on me fuive Sc mette la » main a Fceuvre ; car Dieu veut que » Pon s'emploie foi-même ». Sans attendre de réponfe, elle monte a cheval , defcend dans le fofié de la ville , crie qu'on lui appoite du bois:, des fagots , des claies & des échelles. Toutes les troupes fe mirent en mouvement., fe rangèrent fous fes ordres Sc montèrent a 1'atTaut. Les habitants demandèrenta capituler, fe foumirent.; Sc la reddition de toutes les autres villes fuivit celle de Troyes.. Toutes ces merveüles attiroient a Jeanne a" Are les plus grands éloges de la part du roi Sc des courtifans : « En »nom de Dieu, difoit-elle , mon » feigneur a un livre 3 auquel pas un » clerc , tant foit-il parfait en clérica» ture, ne fcauroit lire ». Jamais ellene s'attribua la gloire d'aucune action, elle rapportoit tout au roi du ciel. La pucelle qui connoitToit 1'indolence naturelle du- roi , ne voulut pas lui donner le tems de refpirer , Sc fans le lailTer coucher dans Troyes, elle le fk marcher droit a Chalous , dont les  2 5 4 Hiftoire du procés habitants fortirent au-devant de luf & lui préfentèrent les clefs de ia ville •. après quoi on s'achemina vers Rheims.' Charles , qui n'avoit point d'arrillerie, craignoit la réfiftance de cette ville. Jeanne 1'exhorta a avancer fans aucune crainre , Sc 1'affura qne les bourgeois▼lendroient au-devant de lui. L événement juftifia la prédiccion ; le roi fit fon entrée dans Rheims t le dimanche 7 juillet 1429. Après la cérémonie du facre,. Jeanne fe jetta aux pieds du monarque , & lui dit : « Gentil roi , je rends graces ^ » Dieu qu'il lui a plu fi heureufement » Sc en fi peu de tems accomplir ce » qu'il m'avoic commandé de vous dire » Sc alfurer de fa part, fcavoit que » vous énez Ie feul vrai & Jégicime » roi de France ; que je ferois lever le » fiège d'Orléans, & vous amenerois » en toute fureté a Rheims , malgré» rous vos ennemis , pour y être facré »Sc coutonné., ainfi que vous avez » été; & ne dourez point que ci-après » vos affaires ne profpèrent toujours de >» bien en mieux , & que les chofes que » je vous ai prédites n'adviennent *au tems que Dieu 1'a ordonné. » Voila ma miflïon faite ». Ede voulur, enfuite, quitte? Ie roi  'de Jeanne d'Jrc.. x\% èc 1'armée : « Je voudrois bien , difoic» elle , retoumera mes parents & viyre. » avec eux en ma première condition « champêtre , car les traces de la guerre » m'ennuyent ». Le roi & fon confeil s'y opposèrent; elle étoit néceffaire , a-urant pour donner de la confiance aux. foldars , que pour infpirer de la terreur aux ennemis qui ne pouvoient foutenir fa préfence. Mais regardant fa miflion comme finie , elle fe borna déformais. a obéir, fans fe mêler de donner aucunconfeil aux généraux ; promettant toujours néanmoins le fuccès le plus complet. Le roi vint enfuite a Saint Denys , après avoir recu , fans tirer 1'épée , les elefs de routes' les villes qui fe trouvèrent fur fon paffage. On fit quelques tentatives fur Paris. La pucdle , roujours a la tête des combattants , & excitanr a livrer 1'affaut, fut bleffée a la cuiffe d'un coup d'arbalête , mais fa bleffure fut guérie en einq jours. L'armée étoit trop foible pour enlever de force une fi grande ville \ on feretita a la Chapelle, d'oü 1'on gagna SaintDenys. La pucelle y offrit fes armes a Dieu , dans 1'églife de 1'abbaye, pour le remercier de 1'avoir tirée du danger,  Hiftoire du precis Charles ayanr. eu avis que LagnyTuc Marne vouioic fe foumertre , il s'y rendit, 8c la pucelle le. fuiyic Voici comme on raconte un miracle ,qujelle fic, dit-on,. dans cecte ville. On porca a. 1'églife , un enfant mort né , qu'on avoic gardé trois jours ,.& qui donneit déja quelques fignes decorruption. Les filles de la ville qui accompagnoienc le convoi , prièrent Jeanne de fe joindre a elles pour impiorer la miféricorde de Dieu, 8c le prier de rendre la vie a cet enfanc, afin qu'il puc recevoir le bapteme. Après quelques prières 3 1'enfant bailla plufieurs fois, fic quelques momvemencs , la couleur lui revint; enfin il fuc baptifé 8c mouruc peu.de tems après. Charles quitta Lagny, pour aller en Berry. La réfiftance que la ville de la Charité-fur-Loire oppofa aux troupes du roi, avoit penfé les décourager, & leur faire abandonner le fiège. La pucelle tint bon, 8c emporta la ville d'aflaut. Le roi avoit accordé une trève au duc de Bourgogne , qui en profita pour fe difpofer a conduite plus vivement les opérations de la guerre ; il fuborna mème le fieur Guichard de Bournel 3 a  de Jeanne -  de Jeanne d'Arc. z6i bre 1430 qu'elle fut mife entre les mains de fes juges, ou du moins de ceux qui ufurpèreiat cette qualité pour anouvir la paffion de fes ennemis. L'univerfiré de Paris , dés le 2 i du même mois , écrivit au roi d'Angleterre , auquel elle atcribuok la qualité Sc les droits de véritable fouverain de la France , pour I'engager a faire punir cette rille des fgrvices qu'elle avoic r.endus au prince légitimecontre 1'ufurpateur. La prifonnière fut transférée a Rouen ; Sc le 3 janvier 1431 , on fit expédier :des lercres du roi d'Angleterre , qui commetcoient 1'évêque de Beauvais pour faire le procés a la puulle, Cer évêque, nomméP/erreCauchon, avoic été chalTé de fon liège par les habitants mêmes de fon diocèfe, dont il s'étoit attiré la haine Sc le mépris par la baffelTe de fes intrigues , par la corruprion de fes mceurs , Sc par fes exactions. II alia trainer fa bonte Sc fon ignominie a la 'fuite de la cour d'Angleterre. II languiifoit dans 1'obfcurité , Sc ne chtrchoit qu'a en fortiir par quelque commiffion qui put le rendre ucile aux ennemis de 1'état , dont la faveur tét-oit fon unique relfource.  x6i Hifloire du proces On eiu beaucoup de peine a trouver des adjoints a ce prélat dans le jugement donr il s'étoit chargé , & qu'il avoit follicité avec tant d'ardeur. Plufieurs eccléfiaftiques, fur lefquels on avoit jetté les yeux, & quirefusèrent, pensèrent payer de la vie 1'indignation que ces refus causcrent au prélat; quelques-uns furent obligés d'abandonner la ville de Rouen. Un fait , qui fe trouve a la fin des informations faites dans cette ville , lors de la revifion du procés, caraóbérife les difpofitions dans Iefquelles révêque de Beauvais s'étoit chargé de cette affaire. II envoya un bourgeois de Rouen , nommé Moreau, dans le pays de la pucelle, pour faire des informations fur les déportements de certe fille. II ne trouva aucuns rémoignages de déporrements, & ne rapporta que des dépofitions très-favorables a la juftification de 1'accufée. L'évcque en fut tellement irrité , que Moreau ne recut du prélat, pour tout payement de fon voyage & de fes travaux , que les injures les plus groffières. Le procés fut entamé le mercredi 21 février 1412. Quelques auteurs ayant répandu des nuages fur 1'époque de Ia  de Jeanne dAre. 16"$ mort cie Jeanne d'Arc, Sc prétendu qu'elle étoit échappée au fupplice Sc avoit furvécu i. Pentrée de Charles Vil dans Paris , on va la fuivre ici , jour par jour, Sc laconduire au bücher, ou elle termina fa carrière a la face de tous ceux qui étoient alors dans la ville de Rouen. Elle comparut donc devant fes juges Ie 11 février. Elle demanda d'abord qu'il y eut autant d'eccléfiaftiques du parti du roi, qu'il y en avoit du parti Anglois ; qu'elle füt transférée aux prifons de 1'églife , puifqu'elle devoit être jugéepardes eccléfiaftiques; qu'on lui ótar les fers qu'elle avoit aux pieds, & que n'étant que dans fa dix neuvième année, Sc par conféquent mineure, on lui donnat un confeil. Toutes ces demandes lui furent refufées. Enfin , on lui fit prêter ferment de dire vérité , ce qu'elle fit, mais fous la réferve de ne rien révéler des chofes fecrettes qu'elle avoit dites au roi , fur Iefquelles rien ne feroir capable de luiarracher la plus légère indifcrétion ; en quoi elle a conftamment tenu parole. Dans la même féance , 1'évêque de Beauvais lui défendit de s'évader des  zÓ4 Hifloire du proces prifous ; elle répondit avec fermeté qu'elle ne fe croyoit point obligée d'obéir ; & que , fi elle s'évadoit, perfonne ne pourroit la blamer. Lelendemain u février, on 1'interrogea fur le motif qui 1'avoit déterminée a fe rendre auprès du roi; elle fit entendre que c'étoit par infpiration. On lui préfenta la lettre qu'elle avoit écrire aux Anglois aufli-tót après fon arrivée a Blois. Quoiqu'il y eut prés de dix mois qu'elle 1'eüt écrite, elle reconnuc , a la iefture qu'on lui en fit , qu'elle avoit été falfifiée en plufieurs endroits. Par exemple , après ces mors: Faites raifon au roi du ciel, au lieu de lire : rende\ les chofes de toutes les bonnes villes , &c. on lifoit : rende? a la pucelle, qui efl ici envoyèe par Dieu , le roi du ciel, les chofes , &c. Elle fbutint qu'elle n'avoit point parlé de rien rendre a la pucelle , ni de la miffion qu'elle avoit recue de Dieu. Après ces mots: Roi d'Angleterre ,fi ainfi ne le faites , on ajoutoit ceux-ci , entre deux parenthèfes, jefuis chiefde guerre. Elle affiura que !a parenthèfe avoit été aioutée, & qu'elle avoit écrit de fuite : fi ainfi ne le faites , & en quelque lieu que js attindrai, öc. Enfin, on avoit encore  > de Jeanne On lui demanda fi" fainte Catherine & fainte Marguerite avoient des boucles d'oreilles, des bagues. Vous rnen ave £ fris une, dir-e'le a 1'évêque de Beauvais ; rende? - la moi. Si ces fiintes avoient des cheyeux, fi elles étoient  de Jeanne cTArc. 277 mies ou habillées. « Penfez-vous, dit» elle , que Dieu n'aic pas de quoi les » vêtir » ? On la queftionna fur fon étendard 8c fur les croix qu'elle rnetroit a fes lettres avant & après les mots Jefus % Maria. Quand elle eutrépondu fur les autres articles , avec beaucoup de modeftie 8c de retenue , elle dit , fur le dernier , que des eccléfiaftiques lui avoient appris cette pieufe pratique. Pour la faire tomber dans des contradiélions, on affectoit de lui faire perdre de vue 1'objet principal , pour 1'y ramener , quand on croyoit que fa mémoire pouvoit être égarée. Ön lui demandoit fi, dans fon enfance, ellealloit fréquemment fe promener , li elle s'étoit battue comme les enfants de fon age j fi elle s'étoit fait peindre, 8cc. Elle conclut enfin fon interrogaroi&e par demander d'être conduite au pape , comme juge fupérieur de tous les procés eccléfiaftiques ; ce n'étoit pas la première fois qu'elle avoit imploré Ie fecours du faint fiège $ 8c 1'évêque de Beauvais n'étoit pas affez inftruit de nos maximes pour fcavoir que les fujets du roine peuvent paSjO/w^o medicix  27 8: Hïfloire du proces fe donner le pape pour juge. II craigïioitdone de perdre fa proie, s'il fe voyoit" obligé de déférer a eer appel. Pour lui extorquer un défiftement, on lui denrra , pour compagnie,. un nommé Loifeleur , qui feignit d'être prifonnier avec elle. II u'oublia aucun artifice r aucun fophifme pour la perter a révoquer fon appel ; mais elle ne voulut jamais s'en déinler. Enfin il n'eft point de pièges que 1'on n'ait tendus a cette héroïne infortunée , pour lui extorquer des aveux ou des contradicrions qui puiTent fournir prétexte a une condamnation. Sans celfe on cherchoit a furprendre fon ignorance & fa fimplicité j demandes captieufes j;coujours les mêmes ,. quoique propofées fous des formes différentes j pafïages fubits d'un objet a 1'autre; queftions imprévues , faites en meme tems , fur divers fujets , qui n'avoient enti'eux aucune connexité \ fuppofitions d'aveux ; enfin , tous les détours , routes les feintes que 1'on peut imaginer pour tromper 1'innocence Sc eftrayer le crime ; toutes pratiques réprouvées par 1'humanité Sc 1'équité naturelle. Les interrogatoires finis furent communiquésau promoteur du procés, qui.  de Jeanne d'Arc. 279 en tira 70 arxicles j dont il forma autant de chefs d'accufation contre la pucelle. Le dimanche des.Rameaux 25 mars, elle demanda inftamment qu'on' lui accordat la faculté d'entendre la melfe y on ne vouluc lui permettre de s'acquitter de ce devoir , qu'a condition qu'elle prendroit un habit de femme. Sur le refus qu'élle ficdes'expofer a de. nouvelles infultes, on lui dit de fe confulter pour le jour de Piqués : la vue du danger la foutint dans fa réfolution. Le mardi faint , lè promoteur fit,, a la pucelle , la lecture des 70 articles qu'il difoit avoir extraits des inter.rogatoires. Elle les réfura f un après Pautre , & foutint que , de toutes les ponfes qu'on lui imputoit, il n'y enavoit pas une qui fut véritable ; que. par-tout on avoit altéré le fens de ce qu'elle avoit dit ; &c que fort fouvent on avoit fubftitué 1'arEtmative a la négative. Cette lecture & ces débats durèrent deux jours au bout defquels le promoteur donna fes conclufions , qui tendoient a ce que cette fille füt -de'claréeforciïre, devinerejfe ,faujfe prophéte, invoiatrice de démons , tonjuratrhe,  2&0 Hiftoire du proces fuperftitieufe , remplie & entier ement adonnée a la magie , fentant mal de la foi catholique, facrilège , idoldtre, apcftate de la foi , blafphêmant le nom de Dieu & fes faints , fcandaleuje , fe'ditieufe } troublant la paix & tempcchant, cxcitant la guerre , cruelle , defirant l'ejfufion du fang humain , 'mutant a l'efpandre , ayant du tout abandonné & dépouillé la pudeur & décence du fexe féminin y pris l' habillement des hommes armés , fans aucune honte ni vergogne , abandonné & méprifé la loi de Dieu % de nature , é> la difcipüne eccléfiafiique devant Dieu & les hommes , féduifant les princes & les peuples ; ayant confenti qu'on l'adordt & lui baifdt les mains & les vêtements, au grand mépris & in~ jure de l'honneurb du culie du a. Dieu. Demande qu'elle fut déclarée hérctique , ou a tout le moins , grandement fufpecl'e d'héréfe , & punis légitimement, felon les conflitutions divints & canoniques, Le dernier jour de mars , 1'évêque de Beauvais ineerrogea encore fa prifonnière , & 1'exhorra , fur-tout, a fe foumetrre a 1 eglife militanre ; elle y confentit, pourvu qu'on n'exigeat pas d'elle qu'elle révoquat ce qu'elle avok fait, difoit-eJle , par infpiration di^.  de Jeanne cTAre. 28 ï vine j & qu'on ne 1'obligeat pas a\ dé> favouer les apparitions qu'elle ptétendoit avoir eues. Le 2 avril, feconde fête de Paques, les juges s'affemblèrent, pour extraire du procés quelques arricles , a 1'effet de les envoyer a la Sorbonne , afin qu'elle les qualifiat. On en rédigea douze qui, le jeudi , furenr remis au promoteur , & envoyés, de la part de la faculté, a leur deftination. Cependant la Pucelletomba. malade. Le cardinal de Vinchejler & le comte de Warwik, gouverneur du chateau de Rouen , chargèrent Guillaume de la. Chambre &c Guillaume Desjardins , médecins , de l'alier vifiter dans la tour du chateau , de prendre foin de fa fanté; & fur-tout de bien prendre garde qu'elle ne mourut de fa more naturelle. On leur défendit de la fair* faignër, dans la crainte qu'elle ne profitac de 1'ouverture de fa veine , pour fe procurer la mort. Le roi d'Angleterre , difoit-on , ne voudroit pas , pour toutes chofes , qu'elle mourut dans fon lit ; il 1'avoit achetée trop chèrement pour qu'il ne füt pas le maitre d'en difpofer j il la vouloit faire bruler.  28 2; Hiftoire du proces La maladie de cette victime de IW vengeance , n'empêcha pas 1'évêque de Beauvais de Pallet voir dans faprifon le 18 avril. Le point qui paroifloic anèfter le plus ce prélat, étoit celui des^ révélations que la pucelle foutenoit toujours avoir eues en faveur du roi de France contre lüfurpateur de fa couronne Sc de fes érats* ïl iraportoic beaucoup aux Anglois que ces révélations fulfent ignorées du public , on du moins qu'elles ne prifïènt pas croyance ; 1'alarme qu'elies auroient caufée auroit entrainé la ruine du parti. Le prélat employa donc, dans cette vilite , tous fes efforts pout furprendre a 1'accufée une rétradbation fur ce chef d'accufation fes attaques n'eurent aucun fuccès, Le i mai, Pévèque de Beauvais fe iranfporra encore au chateau avec lesjuges qui compofoient Ia commiflion. La pucelle ayant été amenée devant cette alfemblée , on lui paria de fe foumettte a 1'égüfe militante -y elle répondit qu'elle y étoit foumife en tout ce qui regardoit ia foi ; mais que , pour ce qu'elle avoic fait au fervico du roi, elle s'en rapportoit a Dieu feul j Sc demanda d'ètre conduite au  de Jeanne et Are, 283 pape , pour lui répondre de fes actions» L'évêque empêcha que cet acte d'?.ppel fat inferit dans le procés verbal d'interrogatoire. Jk.'vous êcrive? bien,.. dit-elle , ce qui fait contre moi , & ne voulei pas qu'on écrive ce qui fait pour moi. Elle demanda qu'on lui permie d'écrire aux feigneurs de la cour du roi fon maitre ; 8c qu'on mit au nombre de fes juges, des eccléfiaftiques du parti de Charles ; on ne daigna pas 1'écouter. Pour la ttoüième fois , elle rrrrcrjcira appel' au pape, Sc dfcmandii d'y être conduite ; mais ce nouvel appel eut Ie fort des deux précédents;. on ne permit pas quIT en füt fait mention dans le procés-verbal. Un Auguftin , nom mé frère Tfarn^ hert de la Pierre, avertit cette fiUe de s'en rapporter au concile de Balie , qui fe tenoit pour lors» Elle étoit fi peu inftruite , qu'elle ignoroit ce quec'étoit que ce concile général. Ce religieux lui répondit que c'étoit Paffe mblée de toute l'églifè univerfelle 5 & que, dans ce concile ,. il n'y avoit pas; moins de gens de fon parti que du partiAnglois, Oh !' s'écria-t-elle , puijqtien ce lieu font aucuns de notre parti 'Jé  ■284 Hiftoire du procés veux bien me rendre & foumettre dtl eoncile de Bafls. L'évêque de Beauvais , qui par cette foumifljon au jugement de^ 1'églife affemblce , craignoic de voir échapper fa proie , ne put retenir fa coière & fon impatience. Taife?vous de par le diable, dit-il au Frère Ifambert ; il recommanda fort au gref fier de bien fe garder d'infcrire fur fes regiftres cet appel au concile ; & le reiigieux fut menacé , par les Anglois , d'être jetté dans la Seine , s'il n'étoit plus circonfpeét a 1'avenir. Le comte de Ligny, le même qui avoit vendu la pucelle aux Anglois 3 la fut voir au chateau de Rouen , accompagné de 1'évêque de Térouane, chancelierdu roi d'Angleterre, & qui, comme le précédent, étoit de la maifon de Luxembourg \ les comtes de Warwick Sc de Staffort les accompagnoienn Ligny lui dit qu'il venoit pour traiter de fa rancon. Je n'en crois rien , dit cette fille ; je fens bien que c'ejl une raillerie, car vous n'en ave? ni la volonté ni le pouvoir. Ce qu'elle répéta plufieurs fois. Jefcais bien , continuat-elle,^«e ces Anglois me feront mourir, croyant qu'après ma mort ils gagner ont le royaume de France; mais feroient-ils  de Jeanne d'Arc. 285 cent mille godons plus qu'ils ne font d préfent, ils n'auront pas ce royaume. Cerce prédiction , qu'elle ne celfoit de répéter en routes occafions, irrita tellement le comte de Staffort, qu'il 1'auroit frappée de fon épée , s'il n'eüt été retenu par le comte de Warwick. Le 9 mai 1'évêque de Beauvais fe rendit a la prifon , oü il menaca la pucelle de la queftion 3 fi elle ne changeoit pas de fyftême il en fit même ccaler , a fes yeux, tout 1'appareil. Elle répondit que , fi la douleur lui arrachoit quelque chofe de contraire a ce qu'elle avoit dépofé , elle ne manqneroit pas de fe rétracter dés qu'elle feroit hors de la gêne ; §c le 11 on arrêta que 1'on ne courroit point les rifques d'une épreuve fi rude , de peur qu'elle ne tombat malade , & qu'une mort naturelle ne la dérobatau fupplice auquel on la deftinoir. Le 1 9 on communiqua aux juges les qualifications que la faculté de théologie avoit appofées aux douze articles qu'on lui avoit envoyés. Ces qualifications étoient conformes aux vues de i'évêque de Beauvais & de fon promoteur. La faculté de droit y qui avoic été pareillement confultée , répondit  i26 Hiftoire du procés d'une manière beaucoup moins pafiionnée que la Sorbonne ; elle foumic fa cenfure au pape Sc au faint fiège ; mais la décifion des uns Sc des autres fuppofoir toujours la vétké des propoficions qu'on lui avoit envoyées. L'évèque de Beauvais, après avoir fait tous fesefforts pour porter lapucelle a fe foumettre a la cenfure de la faculté de théologie , Sc a reconnoicre les erreurs qui y étoient condamnées , la fit conduire , le 24 mai, au cimetière de 1'abbaye de Saint Ouen. Elle fit placée fur un écbaraud , &: un prédicateur, nommé Guillaume Erard , prononca un fermon rempli des calomnies les plus atroces 6c des injures les plus groluères contre le roi de France. Cejl d toi , Jeanne , que je parle t s'écrioit-il, & te dis que ton toieft hérétique & fchifmatique. La pucelle eut Ie courage d'interrompre ce déclamateur, en difant a haute voix : Révérence garaée, je vous ofe bien dire & jurer fur peine de ma vie , que mon roi eft le plus noble chrézien de tous les chrétiens, & qui aime mieux la foi & l'églife , & n'eft point tel que vous le dites. Après le fermon , la pucelle déclara qu'elle fe foumettok a Rome & a  de Jeanne d'Arc. iSj notre faint père le pape j mais cette déclaration étant tout a la fois & un appel au juge fupérieur , & une preuve qu'elle n'étoit pas hérétique , on refufa , comme on avoit toujours fait, de 1'infcrire fur le procés-verbal. Eile répéta qu'elle ne chargeoit perfonne de ces fairs, mais qu'elle s'en rapportoit a Dieu &z au pape ; fa perfévérance fut inuriie ; il lui fut impoffible de déterminer ies juges a tléférer a fon appel.' Au contraire , pour la forcer a s'en déhfter , 1'évêque de Beauvais annonca qu'il alloit prononcer la fentence. La pucelle commeuca pour lors, difenr les acfes du procés , a uarler; elle dit que, puilque les gens d'églife n'approuvoient pas fes apparitions & révélationa, elle ne les vouloit pas fourenir. Les mêmes actes fuppofent enfuite qu'elle ligna une rétraétarion fort longue & forr détaillée. Cette prétendue rétraétarion , telle qu'elle fe trouve dans le nrocès rédigé par 1'évêque de Beauvais & fon promoteur , eft une pièce méditée par des théologiens , & telle a peu prés qu'on 1'auroit pu exiger d'un Jean IJus , d'un Jèróme de Prague, d'un Luther ou d'un Calvin. Mais voici le fait tel qu'il fe palfa \  2.88 Hiftoire du proces il eft configné dans la dépofition de Jean Mafflen , curé de Saint Candide de Rouen , a qni le foin de la pucelle avoit été confié dans la prifon , qui même lui lut , fur 1'échafaud , la rétractation relle qu'elle avoit été réellement faite , & fut entendu lors de la revifion du procés. Pendant qu'on follickok cette fille , pour avoir fa rétradtation , 8c qu'on la menacoit du feu , fi elle n'y confentoit, un eccléfiaftique Anglois, docreur du cardinal de Wincheflcr , accufa 1'évêque de Beauvais de vouloic la favorifer; & voicr la raifon de cette faveur que 1'on imputok au plus cruel de fes ennemis. Dans le tems que les eccléfiaftiques avoient la pofleiïion exclufive de juger les hérériques , 8c dans les pays ou 1'lnquifition leur a confïrvé ce beau privilège , le feu eft la peine de ce crime : mais on a 1'hurmmité de n'y condamner que ceux qui perfiftent dans leur héréfiequand ils fe rétractent, ils font abfous ; on fe contente de leur impofer une prifon perpétuelle ; mais on ne fe détermine a prononcer le dernier fupplice contre les opiniatres , qu'après beaucoup d'exhortations pour les engager a. une rétractation.  de Jeanne d'Arc. 289 rétractation. La pucelle n'avoit été déférée au tribunal de 1'évêque de Beauvais que fous prérexre d'héréfie. II faifoit donc le devoir de fa charge , en la follicitant a donner une abjuration. Cette abjuration la fauvoic du bucher • &_c'écoit le lieu ou les Anglois fouhai! toiênt le plus ardemment de la voir ; ils regardoient donc comme trop favorablea leur ennemie,quiconque'n'enfreignoit pas toutes les régies qui pouvoient la garantir du feu. Cependant levêque de Beauvais regarda comme une infulte atroce 1'imputation qu'on lui avoit faite de témoigner quelque faveur a une héroïne qui n'étoit dans les fers que pour avoir dcfendu les droits dü vcrkable fouverain, fon maitre légitime & celui de fon juge , contre les entreprifes de l'ufurpateilr. Cette querelle appaifée , 1'évêque rnenaca la pucelle de la faire brüler, h elle ne fignoit la rétractation qu'on lui préfenroit. Ces menaces furent faites avec tant d'inhumanité , & les fpedateurs en étoient tellement indigncs , ^ que la populace alfaillit le prélat a coups de pierres, Notre héTome XVIL N -  zoo Hiftoire du proces rome elle-même en fut effrayée, au point qu'elle figna. Mais il s'en faut bien que cet acte füt tel qu'on 1'a inféré dans la procédure. II étoit écrit fur un fort petit papier , &C ne contenoit pas plus de huit Hgnes. 11 y étoit dit en fubftance que la pucelle promettoit de ne fe plus habiller en homme , de ne plus faire tondre fes cheveux en rond, a la manière des gens de guerre de ce tems-la, de ne plus porter les armes, & autres chofes aiüti peu importantes. Au moyen de cette rétractation , on borna alors fa peine a une prifon perpétuelle , au pain de douleur & * l'eau dangoifc, fuivant le ftyle de 1'inquifition , & des cloitres , quand on y condamne un malheureux a paifer le refte de fes jours dans un cachor; & elle quitta 1'habillement d'homme pour reprendre celui de fon fexe. On la ramena au chateau les tets *ux pieds. Les ennemis étoient bien éloi-nés d'être fatisfaits de ce jugement i leur fureur ne pouvoit «re. affouvie que par la mort de cette fille. On ne pouvoit plus Vf condamner qu'en la declarant relapfe dans la pre, tendue héréfie qu'elle avoit abjuree.  de Jeanne dArc. 291 Les Anglois vouloient exterminer les juges qui n avoient pas , difoientils, gagné 1'argent que le roi d'Anglererre leur avoit donné. Le comte de Warwick en fit de vifs reproches a1'évêque & aux do&eurs qui avoiene affifté au jugement. II leur déclara que les intéréts du roi foufFroient urt dommage manifefte, de ce qu'ils permettoienr que cette malheureufe évirat le fupplice. Ne vous embarrajje-? pas ,. reprit 1'un deux , nous let rauraperons bien. Voici en effet le piège qu'on lui tendit. On lui avoit promis de la débarralfer des fers qu'elle avoit aux pieds & de Is mettre dans une prifon eccléfiaftique : on ne lui tint parole fur aucurr de ces deux chefs ; ce qui la porta * croire qu'elle n'étoit pas obligée , non plus , de tenir les promefies qu'elle avoit faites, &• fur-tout celle de ne plus raire ufage des habits d'homme. On ne fe contenta pas de lui donner ce pretexte pour retomber dans le prérendu crime qu'on lui imputoit. Elle reftacouchée jufqu'au 18 mai • voulanc ie lever , ce jour-li , elle demanda ,aU.X Ans'°1S 1ui la g^oient , qu'on lui otat les chaines dont on lui avoi t Nij  2,91 Hiftoire du proces lié le corps , & qu'on lui donnat des habits de femme, lis lui préfeiitèrent ceux qu'elle avoit .toujours portés pendant qu'elle étoit a la guerre , fans que fgs inftances puifent les déterminer a lui en donner d'autres. Elle fut donc obligée de fe revêtir encore en homme, c'étoit ou 1'évêque de Beauvais 1'attendoit. Plufieurs témoins furentdans 1'inftant , introduits dans la prifon , pour conftater cette prétendue tranfgrelfion. Sur leurs dépofitions , les juges accoururent a la prifon. On dreua procés-verbal de 1'état oü fe trouvoir 1'accufée. Un des juges, iiommêAndre Marquerie , dit qu'il falloit lmdemander pourquoi elle avoit repris les habits d'homme. Cette obfervarion , qui tendoit k découvrir la vérité , penfa lui couter Ia vie. Quelques autres juges, bonteux de prêter leur miniftère a des injuftices fi barbares , fe retirèrent. 1'évêque de Beauvais , auteur du itrataaême qui lui avoic réuflfi, ne putconcenir la joie qu'il en relfentit, & dit, €n fortant, aux Anglois qm étoient préfents '. Farwel , Farwel (adieu) , faites bonne chere , il en èft fait. ^ ^ Dés le lendemain , 29 mal , 1'eyeque de Beauvais aiTembla fon confeil,  de Jeanne dArc. 293 ©ü elle fut déclarée relapfe, & le même jout , on la fomma de fe trouver le iendemain 30 mai , veille de la fêteDieu , a huit heures du matin, aa vieil: marché de Rouen. Mais dès fept heures , 1'évêque de Beauvais fe rendit a la prifon , 8C annonca lui-même a cette fille , que cè jour-la, elle feroit livréea la juftice féal' lière. Elle fut enfuite, de 1'ordonrtance de 1'évêque, confefFée &c communiée; par Frère Martin Ladvenu , de 1'ordre de St. Dominique & 1'ün des affeffeurs du préiat. On ne voit que contradiction dans tout le cours de cette affaire»' On permet a la pucelle de communiery le jour qu'on va la bruler cömme héréi ique; 8c Jean Ma(jleu, curé de SaintCandide, qui la conduiioit ordinairement devanr les juges , a dépofé qu'il lui avoit permis, plufieurs fois , de s'arrêter devant la chapelle du chateau , pour y faire fa prière. Truand , lui die Jean Benediciü , promoteur , quand il en fut inftruic, qui te fait fi hardi d'ap~ procher cette p..... excommuniée , de l'églife , fans licence ? Je te ferai mettre en telle tour, que tu ne verras ni lune ni foleil, d'ici d un mois , fi tu lef ais: plus,. N iij  2,94 Hiftoire du procés Après que Jeanne a"Arc eiu fait fes dévotions, on lui fit lecture de fa fentence , & on la conduifit au vieil marché a accompagnée du même religieus qui 1'affifta jufqu'au dernier foupir, & de Jean MaJJieu. Elle étoit vêtue d'un habit de femme \ fa tête étoit couverte d'une mitre , fur laquelle étoient écrits ces mots : hérétique , relapfe, apoftace, idolarre. Elle étoit efcortée par centvingt hommes d'armes. Arrivée au lieu de fon fupplice, on Ia fic monter fur un échafaud , pour la donner en fpectaele au peuple. L'évêque de Beauvais prononca la fentence qui étoit conforme aux conclufions du promoteur , & qui avoit été arrêcée tout d'une votx. A ce jugement opinèjent les évêques de Coutances & de Lizieux \ le chapitre de 1'églife cathédrale de Rouen , feize doéteurs & fix tanc licenciés que bacheliers en théologie féculiers & réguliers , &c onze avocats de Rouen. A peine le promoteur eut-il achevé la prononciation de ce jugement, que le. doéleur Midy pric la parole , tk fit un fort long fermon , qu'il tetmina ainfi : Jeanne, l'égüfe ne peut plus vous défendrc & vous abandonné au bras fé-  de Jeanne d'Arc. 295 culier. A ces mots, la pucelle fe profterna fur 1'échafaud, fit fes prières a Dieu & a tous les faints \ elle pria Jean MafJieu de lui procurer une croix ; un An« glois , qui étoit préfent , en fit une avec un baton qu'il tenoit \ elle la prit, la baifa dévotement , &c la mie contre fon fein. On lui apporta enfuite la croix de Féglife , qu'elle baifa avec une grande effufion de larmes. Enfin elle defcendit de 1'échafaud , toujours accompagnée de Martin Ladvenu , qui 1'exhortoit a la mort. L'évêque de Beauvais & quelques chanoines de Rouen s'avancèrent auprès d'elle, pour lui parler ; & comme le bourreau alloit s'en faifir , elle dit tout haut a\ 1'évêque : qu'il étoit caufe de fa mort > qu'il lui avoit promis de la mettre entre les mains de 1'églife , & que , loin c/# tenir fa promeffe , il l'avoit livrée a fes plus cruels ennemis. Le bourreau s'en faifit anfli-tót, fans qu'il intervint aucune fentence du juge féculier; le bailli de Rouen dit feulement : mene^-la , mener-la. L'évêque de Beauvais , lorfqu'on la mit dans le bücher , ne put fe difpenfer de mêlee fes larmes avec celles de tous les fpectateurs, tant Anglois que Francois , qui» N iv  2 o 6 Hiftoire du proces gémiflbieac hautement du fupplice cruel que Ion faifoit fouffrir a cette innocente victime de la paflion des iriiniftres du roi d'Angleterre. Eu face du bücher, étoit expofé a la vue de cette victime innocente , un tableau , fur lequel on lifoit cette infcription : Jeanne , qui s'ejl fait nommcr la pucelle , menterejfe , pernicieufe , abufereffe de peuples , devinerejj'e , fuperfl'uieufe , blajphêmerejje de Dieu , préfomptueufe , malcréante de la foi de Jéfus - Chrifl , meurderejfe , idolatre , cruelle , dijfolue , invocatrice du diable , apoflate , fchifmatique , hérécique. Si 1'on en croit les actes du tems , ce qui étonna le plus , ce fur que lg bourreau ne put jamais parvenir a brüler le coeur de cette fille, & qu'on fnc contraint de le jetter entier dans la livière avec les cendres du refte de fon corps. Au refte les Anglois étoient tetlesnent perfuadés de 1'iniquité de ce jugement , que dix jours après , ils adreffèrent a 1'empereur & a toutes les puiffances de 1'Europe , une apologie de leur conduite envers cette héroïne, dont le courage , les grandes actions & les yertus avoient pénétré par-tout.  de Jeanne dyArc. icjj Lüniverfité chercha aufli a fe juftifier. par des iettres auprès du pape & des cardinaux. L'évêque de Beauvais luimême , contre qui toute la ville de Rouen , & les Anglois étoient révoltés, craignit le reffentiment du pape dont il avoit méprifé 1'autorité en refufant de déférer a l'appel que la pucelle avoit interjetté devant le faint fiège. 11 fe fic délivrer le 12 juin 1412 , des lettres de garantie du roi d'Angleterre , tant contre le fouverain pontife , que conv tte le concile général de Balie. On remarqua que les principaux minifhes de la condamnation de cette héroïne périrent miférablement. Deftlvet, qui avoit fait les fonctions de promoteur, dans cette affaire , languit' quelque rems dans la. plus profonde misère & dans le plus grand mépris ;. il fur enfin trouvé mort dans un co-\omh\eï.. Nicelas Mldy , qui avoit fait" la prédication , le jour de 1'exccution fut attaqué , peu de jours après , de la lèpre , & en mourut. Enfin , Pierre Cauchon , évêque de Beauvais, ne put jamais retourner dans fon diocèfe ,; dont les peuples lui refusèrent opiniatrément l'entrée. Les Anglois lui firent' obtenir ,.en 143 2 ^i'évêché de Lizieux,,  298 Hi(loire du p ro ces dont il jouit jufqu'au 18 décembre 1442. > qu'il mourut fubitemenc dans. le tems qu'on le rafoit. Quant a la pucelle , on ne peut puifer dans une fource moins équivoque v pour connoitre fon caractère , que dans. le procés de revifion qui fut fait quelque tems après fa mort , Sc dont je parlerai dans la fuite. Quelques-uns. des témoins entendus lors de cette nouvelle procédure , avoient été fes. plus cruels ennemis » & même fes juges. On ne peut donc répandre aucun foupcpn fur le bien qu'ils en rapportent. Prefque tous s'accordent a'. faire 1'éloge de fa piété , de fa réfignation a la volonté de Dieu , de fa douceur dans les fouffrances, de fa pureté & de 1'attachement qu'elle conferva pour fa virginité. On rapporte même que, dans la prifon , elle donna un foufflet a un tailleur qui, de 1'ordre de la duchelfe de Betfort , lui préfenta une robe de femme , & avoit est, en même tems , la témérité de vouloir lui toutherle fein. Elle entendoit la meffe tous les jours qu'elle n' n étoit point détournée par des occupacious miliraiies. Elleaffembloit, tous les foirs jjes religieux qui-  de Jeanne dAre. ±§ n> m la> faifant apgareilier de fes pia/es*  3 oo Hiftoire du proces >■> & que d'elie approchoit fouvenres 55 fois, èc ainii qu'il fut fort jeune & en 5> la bonne puiflanee , toutes fois onc35 ques , pour quelque veue ou attou» ciiement qu'il eut vers ladïtt pucelle js ne s'efmuft fon corps, a nu! charnel » defir vers elle ; ne pareillement ne .» faifoit nul autre quelconque de fes » gens ou efcuyers \ ainfi qu'il parle , » ieur a ouï dire &c relarer par plufieurs » fois. Dict encore plus., qu'il. a ouï » dire a plufieurs femmes, que ladite » pucelle ont vue , par. plufieurs fois 55 nue & fcue de fes fecrets \ & oncques 5> n'avoir eu la fecrerre maladie des as femmes, & que jamais nul n'en put a> rien connoitre , appercevoir par fes 55 habillements , ne autrement ». Quant a la vie civile, fes mceurs étoient d'une fimplicité furprenante ; mais elle n'étoit plus reconnoifiable dés qu'il s'agiflbir de guerre; elle perdoit alors cet air modefte & réfervé qubne laquittoit jamais en toute autre occafion. Le comte de Dunois lui apprit un jour que Fakof s capitaine Anglois , devoit incefiamment fe rendre au camp devant Orléans , avec un convoi de vivres pour les affiégearus : Batard, batard ? 5ecna-t-elle?  de Jeanne drArc. 30'E en nom de Dieu , je te commande que tu me le faffe fcavoir ; car s'il paffe fans que jt le fcache , je te promets- que je te ferai Ster la-tête. Le comte de Dunois fentit que cette menace n'étoit que 1'effet d'un enthoufiafme excité parle defir qu'elle avoit de batrre Falcof-y aufli lui répondir-il avec modération-, que de ce elle ne fe doutdt, car il lui feroit bien f avoir. Ses talents Sc fes lumières fe bornoient abfolument aux expéditions militaires. Ses réfblutions étoient toujours juftes , & elle montroir une fermeté inébranlable dans 1 exécution ; elle animoir, par fes exhortations Sc par fon exemple , le courage du foldat, qui marchoit fous fes ordres avec plus de confiance, qu'il ne faifoit fous les généraux; Le fuccès d'une action fembloit-il douteux ? elle en paroiflbk. toujours fure , recommandoit d'agir. avec courage , d'efpérer en Dieu ; Sc jamais fes promefïes nontété fanseffeto., Cette apparition de la pucelle a beaucoup exercé les critiques. On rrouve dans les différents auteurs qui ont rabfonné fur eer événement, trois opi>nions ; les uns ont prétendu qu'elle étoit forcière ■ d'autres ont donné dans  3-ches cefsèrent encore par un voyage que le cardinal d'E/louteville fut ob'igé de faire a Rome. Les parents de la défunte prirent alors le parti de s'adrefferau roi, pourobrenir du pape Calixte IJl , des commiffaires qui travaillaffent férieufement &c fans interruption a cette revifion. Ce fecond procés, tel qu'il nous eft  de Jeanne JArc. 307 refté mamifcric , fe rapporce a ueuf articles différents. I, Les fuppliques faites au fouverain pontife , & Ia bulle donnée en con-, féquence par le pape Caiixte 111, datée du troifième des Ides ; c'eft a dire , le onzième juin 145 5- Cette bulle établit une commiflion compofée de Jean Juvehal des Urfïns , archevêque de Rheims, Guillaume Chartier, évêque de Paris , & Richard Olivier, évêque de Coutances. L'acceptation de Ia bulle par les commiflaires , qni permettenc de faire aftigner toutes les perfonnes qui pourroient avoir travaillé dans ce procés , ou qui auroient connoifl'ance des procédures. II. Les produétïons des anciennes procédures, & autres pièces qui onc lervi a la condamnation de la pucelle* On y a joint plufieurs autres titres. On y établit les officiers qui doivent trar vaijler , & 1'on y rappelle les informations préparatoires du cardinal d'£/?o«* tevïlle. Ilï. On fit aftigner Guillaume de Bollande , fucceffeur de Cauchon a 1'évèché de Beauvais , & les héritiers de ce dernier. On fit pareillement dfigner le promoteur de Bauvais fucr  308 Hiftoire du proces celfeur de Deflivet. Les héritïers de 1'évêque firent déclarer par Pun d'enrr'eux , muni d'une procuration a cet effét , qu'ils ne prenoient aucune pare a routes les procédures faites contre la pucelle par leur parent; mais le promo* reurrefufa de comparoitre , & decompromettre la dïgnité de fa place, en convenant que fon prédécefleur s'étoit rrompé on avoit agi par paflion. Simott Capaut, promoteur de la nouvelle commiflion , obligea les notaires apoftoliques, qui avoient fervi de GrefKers, a repréfenter le procés dont la revifion étoit foumife aux nouveaux commiffaires. IV. Les griefs propofés au nombre de cent, par les héririers de la pucelle,, & fur lefquels les témoins doivent être inrerrogés. V. Ce chef contient les dépofition» des témoins. On en entendit jufqu'a cent douze , de tout age & de toutes conditions , du pays oü elle avoit pris naiffance , d'Orléans , de Rouen , de Paris , les officiers les plus diffingués de 1'armée , les eccléfiaftiques qui 1'avoient afiiftée a la mort, & même celui qui avoit fervi de greftier pour le procés de condamnation. A la tête des témoins étoient le duc d'Alenccn y  de Jeanne d''Are. 309 prince,du fang, Ie comte Üe Dunois, de Gaucoun , grand-maitre de France, Jacques de Chabannes , de Mailly , évêque d' Avrauches, Sc plufieurs autres prélats. Comme cet article de la procédure eftle plus important, puifque c'eft la bafe de la juftification de cette fille , il eft elfentiel de s'y arrêter un moment, & de mettre fou3 les yeux du leéteur 1'analyfe des dépofitions de ceux qui ont été préfents au premier procés , &C qui même y out donné leur miniftère. Guillaume Manchon , chanoine de Notre-Dame d'Andely, curé de SaintNicolas, le Paincteur de Rouen, notaire en la cour archiépifcopale de Ia même ville , Sc premier greffier du procés de condamnation , depuis le commencement jufqu'a Ia fin , dépofe qu'un nommé Nico/as Loyfeleur, prêtre , qui étoit fort attaché a Cauchon , évêque de Beauvais , d'accord avec ce prélat, fgignir d'être du pays de la pucelle ; Sc , fous prétexte de 1'en.tretenir de fa familie , s'jnfinua dans fa confiance , & la détermina même a Ie' choifir pour fon confefleur. On avoit pratiqué une ouverture' au rour qui partageoit la chambre dans laquelle elle étoit, d'avec une autre , qui en  31 o Hijloire du proces étoit voifme ; Sc dans le tems qu'elle fe confelfoit a ce Loyfeleur , le notaire étoit pofté dans 1'autre chambre auprès de cette ouverture, pour entendre &c écrirefa confeffion ; & pour que rien ne füt oublié, le confeueur rapporroit lui-même tout ce qu'elle lui avoit confié dans les entretiens les plus fecrets ; on tenoit un mémoire exaéb de toutes ces découvertes , dont 011 profitoit dans les interrogatoires , pour la faire tomber dans des contradidtions par les queftions captieufes que 1'on étoit en état de lui faire. Lorfqu'il tenoit la plu me pendant les interrogatoires , 1'évêque de Beauvais , & les autres juges , l'avertuToient en latin , de chahger le fens des réponfes de 1'accufée , quand elles alloienc a fa juftification. On avoit fait plus: 1'évêque de Beauvais avoit placé deux hommes , dont Manchon croit que Loyfeleur en étoit un \ a une fenêtre prés du lieu oü étoient les juges , laquelle écoit cachée par une ferge , pour empêcher que la pucelle ne les appercüt. lis écrivoient les interrogatoires & les réponfes ; mais fupprimoient ce qui pouvoit contribuer a la juftification de cewe innocente, Sc  de Jeanne d1 Are. 311 ne manquoient jamais de donner une tournure défavorable aux articles qu'ils rédigeoient. Quand cn comparoit , enfuite, ce qu'il avoic écrit avec 1'ouvrage de ces deux efpions, 1'évêque de Beauvais fe mettoit en colère contre lui; Sc lorfque , parun nouvel interrogatoire , on vouloit vérifier lequel des deux écrirs étoit conforme a la vérité , il fe trouvoit toujours que c'étoit le lien. Au furplus , quand cette fille faifoit quelque réponfe qui déplaifoit aux juges , comme donnant de erop grandes lumières pour fa juftification , on lui défendoit abfolument d'en faire mention fur fon regiftre. Des trois perfonnes qui avoient confeillé a la pucelle de s'en rapporter au pape & au concile général , 1'un nommé Jean de Fonté, qui avoit été nommé lieutenant de 1'évêque de Beauvais, pour le jugement, fut obligé de fortir de Rouen, oü il n'ofa plus fa montrer depuis ; & les deux autres , Frère Ifambert de la Pierre Sc Martin Ladvenu , auroient perdu la vie , li Jean Magijlri } vicaire de 1'inquifiteur, n'avoit menacé d'abandonner le procés, en cas qu'on leur fit la moindre peine ; mais depuis on défendit a qui que ce  312 Hijloïre du procés fut , d'aller voir la pucelle , SC de lui parler , fans une permiflioh expxefle de 1'évêque de Beauvais. Le refte de la dépofition de ce greffier eft , ou peu important, ou ne contient qu'une partie des faas rapportés plus hairt. Fi ére Ifambtrt de la Vlerre , Auguftin du couvent de Rouen , fait, dans fa dépofition , 1'hiftoire de 1'appel interjettc par la pucelle , au p?pe & au ■concile général , de la même manière qu'elle a été racontée avant le récit de fa mort. II ajoute que 5 quand elle eut repris 1'habit d'homme , après fon abjuration , elle s'en excufa en fa préfence , Sc en préfence de plufieurs perfonnes , fur ce que les Anglois lui avoient voulu faire violence , dans le tems qu'elle étoit vêtue en femme ; Sc en eftet , dit il, « il la vit éplourée , fon is viaire (vifage) plein de larmes , dé» fig'uré Si outragé en telle forte qu'il » en eut pitié & compaflion ». Et cuand on la dé :lara relapfe, eüe répondit publiquem nt : « Si vous , Mef» fte.irs de 1'églife , m'euffiez menée >,• Sc gardée en vos pnfons , par avati>j ture ne me füc-ilpas ainfi ». En eftet, dans  de Jeanne dJrCt Xir ponufousiagardedesfoIdalsAnao" 11 «rtifae , comme ayant aflïfW S ^reI^ution;que]e^^» q<" 7 étoit aufli préfent » teaient livrée au bourrm„ r fcntM.ee de ca il?, r*"SMtre dcvoir, £,,C„ ,| 8 ', CnoB>/«» «o« Tome XFII. ~ lleu  ,14 Hiftoire ia proces .oü il falloit l'enfermer , & prefque £ous avoient opiné pour les prifon. eccléfiaftiques , mais 1'éveque répondit .uil den feroit pas cela , de paour de defplaire aux Anglois. i*>. Le ,our ou'elle fut déclarée héretique , leveoue fe lailfa aller aux plus grands tranlvoAs de joie d'avoir trouvé un pretexte Lur la condamner. II avoit entendu Sire i cette infortutiee que le motif qui lui avoit fait reprendre fon habu d'homme , étoit qu'après fon abjuration & nnonciation , on l'avou tounnentée violentemcnt en la prifon moleftee , Uttue & dc(houiéeh & rnilour £Angkterre l'avoit forcée. Il ajouta Wétant preteifubirle fupplice elle ^i^dkfl^ae de Beauvais:*^/ \ée a garder aux prifons de l eghfe , jc ne futfe pas ici. . II attefte pareillement que le ,uge fécuüer ne prononca aucune efpece de Pierement contr'elle. , )UgQÏÏntalafacon dont elle fut executée void ce qu'il en dit. «LebourTreau 9 après ia combuftion quafi Ifl^ni&ure. après nones difoit „1 n'avoit tant craint a faire : ?e,é uüond'aucuncrunmel, comme  de Jeanne dArc. %\t » il avoit en Ia combuftion de la pucelle » pour plufieurs caufes: premièremenr' » pour Ie grand bruit Sc renom d'icelle \ * ^condement , pour ia cruelle ma' >>merede la lier & afficher ; car les » Anglois firent faire un haut échafaud » de piatre; Sc ainfi que rapportoit le" dlc «ecuteur, il ne Ia pouvoit bon" nement ne faciiement expédier na «attemdrei elle; de quoiil étoit forc » mary, & avoit grant compaffion de » la forme Sc cruelle manière par Ia»quelIeon Ia faifoit monrir,,. Ge témoin certifie enfuite que , uif<]" au moment oü elle expira ], on Ven. tendit mvoquer 1'aide des faints & iaintes du paradis. <\d?A *a£ieU » Cmé de Saint-Cand de de Rouen dont on a parlé plus raut, depofe que 1'évêque de Beauvais temoigua, dans toute 1'inftruction du Proces , ia plus grande partialité. En voiauntraK qu'il rapporte. II arriva p ufieurs fois au dépofant de conduite la pucelle d[l lieu de fa prifon au lieu 2 feJen°"> jurifdidion. La chapelie du chateau fe trouvoit fur lear pafLe? & il Permettoit que cette fille 'arrêtór pour faire faf prière : « pourquoi iceS « depofant f«t de ce pfifi^ fois £ O ij *  ie Jeanne d'Are. » prins par le promoteur, en lui difant, ».Truant, qui te fait fi hardi de laifler ,> approcher cette p .... excommuniée » de 1'églife , fans licence? Je te ferai » mettre en tour que tu ne verras lune » ne foleil d'ici a un mois , fi tu le fais » plus. Et quand ledit promoteur apyi percut que ledit dépofant n'obéiffoit » point, fe mit-, par plufieurs fois , au» devant de 1'huis de la chapelle , entre p iceux dépofant & Jehanne , pour empêchcr qu'elle ne fit fon oraifon de» vant ladite chapelle >•■ 11 lui arriva un jour de s'ouvnr fur ce qüil penfoit de ce procés , en difant, qu'iine voyoit que bien en cette fille, L'évêque de Beauvais 1'ayant appns, Jui dit, ou dftgardét bien de méprendre, cu on lui feroit boire une fois plus que Je raifon. II ajoute qu'on ne voulut jamais lui donner d'autre confeil que Loyfeleur , qui étoit plutöt difpofé a ia tromper qua la conduire. II rapporte enfuite que , quand elle eut repris les habits de femme , on mif celui d'homme dans un fac , on Ja remenaa fa prifon, fous la garde ue cinq foldats , dont trois étoient dans la plwmbte, & deux a la porte en dehors.  > Jeanne d'Are. 317 *« ^t fcait de certain celui qui parle , >• que de nmt elle étoit couchée, fer» ree par les jambes de deux paires de » rer a chames , & actachée moult >>etroitement düne chaine traverfant " Par Pleds de fou lic , tenant a une » groiïe plece de bois , de la Iongueur »de cinq ou fix piedsaclef, pourauoi » ne pouvoit mouvoir de la place. Ec » quand vint le dimanche ma tin enfin» vant qu'il étoit jour de ia Trinité ,: "quelle fe dut lever, comme elle «rapporte & dit a celui qui parle , » demanda iiceux Anglois, fes garl «des.deferez-rnoi.fi me leverai 5 Sc «h.bits de femme, que avoit fur elle » & viderent le fac oü quel étoit 1'habit »d homme; & ledit habit jettèrenc »^rele,en lui difant, liève-toi £ »mucerentJ'habitdefemmeauditfac: dt^^ueitdifoic'eIiefevêtic de Ihabit d'homme , qu'ils lui » avoient baiUc, en difant: Meifieuts » vous fcavez qu'il ni'eft défendu; far* "fiaute ;e ne Ie prendrai point ; & »neanmoms„eIuien voulurent bail» Ier d autre En tant qu'en ce déb c >>demoura;ufquesai'biuredemidï: «■* h«^lement, poUr „eceffité £ O iij  3 18 Hifloife du proces » corps , fut contrainte de iflït dehors » Sc prendre ledit habit ; ck après » qu'elle füt retournée , ne lui en vou»» lurent point baiiler d'autre , non» obftant quelque fupplication ou rey> quête qu'elle en fit». Elle fut cependant , fous ce prétexte y condamnée Sc brülée comme relapfe. Enfin ce térnoin ne la quitta point jufqu'au dernier. foupir , Sc 1'entendit prononcer , en expirant s le nom de Jesus. Tels font les témoignages de ceux qui avoient affifté a fa mort, Sc avoient «té témoins de la première procédure ; als fuffifoient bien pour en conftater I'irrégulariré Sc finjuftice. Ces dépofitions font appuyées de celles d'une fotile de témoins. qui la conduifent depuis fa naiffance , jufqu'au moment de fa prife , Sc qui metrent 1'innocence de fa vie dans le plus grand jour. VI. Cet article contient la publication des informations , & les productions des parents de la pucelle. VII. Les conclufions du promoteur de ce nouveau procés. VIII. La production de huit traités ou opufcules, faits par divers tkéolo-  de Jeanne dArc. 319 giens , dont le premier eft , a ce qu'ois eroic, du célèbre Gerfon* IX. Enfin ce chef eft compofé de Is fenrence de revifion-. Cette fentence v qu'il feroit trop long de plaeer ici, St trop ennuyeux de lire y contient d'abord 1'abrégé des faits qui réfultent d& la nouvelle information a la juftification & a la gloire de la pucelle. Elle? pafte enfuite a 1'examen de la première procédure , qui , dit-elle , n'a pas été raifonnable , « mais totalemenc cap-' »> tieufe r fraudulente Sc dcteftable j » pour les queftions que 1'on a propo-. » fées a ladite défunéte fiautes & ar» dues aux quelles ung grant dodteurr » a grant peine y eut bien fiju donnet; v> réponfe , mefme auifi que plufieurs? » grants perfonnages ont répondu qu'il *>étoit merveilleufement difficile is t> répondre aux queftions qu'on lui » propofoit plus a fa dampnatiort » qua fa falvation *. En conféquence v ces interrogatoires font calfésj annulés Sc condamnés au feu. Le procés & la fentence de condamnation furent déclarés pleins de fraudes 3 cavillarions*' iniquicés , contraires au droit, a la juftice , & remplis d'erreurs Sc d'abus manifeftes. La prétendue récraétatiotir. Oiv  3 20 Hiftoire du proces qu'on lui avoit excorquée , & tont ce qui avoit fuivi fut caflé , annullé, détrun. La pucelle, fes frères & parents furent déclarés n'avoir contraclé aucune «acne d'infamie a 1'occafion de toute cette procédure ainfi annullée. II fut ordonné que ce jugement nouveau feroit publié en deux endroits de la ville de Rouen , 1'un le même jour , k Ia place & cimetière de Saint Ouen , ou il feroit fait une proceffion générale 8c un fermon folemnel; i'autre , avec pareille cérémonie , le lendemain au vieil marché, « eu la place, en la»» quelle ladite pucelle fut cruellemenc » & horriblement briilée & furfoquéej » 8c après la folempnelle prédication, «feront plantées 8c affichées croix » dignes 8c honnêres , en fouvenance « 8c perpétuelle mémoire de ladite pu~ v> celle défunéte 8c tous autres trépalfés, » tant en cette dite ville de Rouen , » qu'en autres lieux de ce royaume , li » ou nous verrons qu'ilferaconvenable » 8c expediënt , pour donner figne , » mémoire 8c certification notabie de » 1'exécution 8c intimation de noftre » fentence , &c. ». Cette fentence eft du 7 juillet 145(5". Rouen, ou cette héroïne avoit fouf-.  de Jeanne d'Arc. 321 fert Ia mort Ia plus injufte , la plus cruelle & la plus iguominieufe , Sc Orléans, qui avoit été le théatre de fon triomphe, "qu'elle avoic préfervé de J'invafion des ennemis , qu'elle avoit confervé pour fon roi } & donc elle a rendu le nom célèbre , fe hatè-: rent d'exécuter la fentence, & lui élevèrent chacnne un monument. A' Rouen , fur la place même ou elle avoic expiré dans les ftatnmes , fa ftatue fuc érigée dans une niche , fous un dóme foutenu par quatre piliers , au deffus d'une belle fontaine. Le tems avoic altéré Sc défiguré ces ouvrages , mais les habitants de cette ville, héritiers de la reconnoilfance de leurs pères pour celle qui avoit alfuré la couronne au légitime fouverain , ont réparé fes ravages :?& il ne leur a pas moins fallu que la maia du célèbre Paul Ambroife Slodq, pour tranfmetrre a la poftérité le témoignage de leurs fentiments, par la nouvelle ftatue de la pucelle, qui tienc aujourd'hui lieu de celle que la vétufté alloit faire difparoitre. _ A Orléans , on fit ériger, fur la partie du pont la plus proche de Ia ville, un groupe en bronze, repréfentant une Notre Dame de pitié entre le roi Char* O v,  322 Hiftoire du procés les VU Sc la pucelle , tous deux z ge* noux Sc armés de toutes pièces, a 1'exception de leurs calques, qui font a leurs pieds. Ce pont a été détruit, on lui en a fubftitué un autre , remarquable par fon élégance Sc fa hardielfe ; on n'a épargné ni la dépenfe , ni le goüt pour faire répondre les avenues de ce nouvel ouvrage a fa beauté ; Sc le monument de la pucelle , qui étoit refté dans un coin obfcür de 1'hótel de ■ville , a été replacé fur le pont, lorf gucrite de Thérouane , femme de Jean P'ds-Mcteieau^ snen.fïère r. fecrétaire &■ vf  324 Hiftoire du procés < » du roi , & fille unique de M. de » Thérouanne , confeiller en la cour de » parlement a Paris , & de demoifelle » Marguerite de Bengars , native d'Or» léans , a laquelle damoifelle de Bonx> gars ce chapeau étoit demeuré , par » ancienne fucceffion héréditaire &C »> roujours defcendante jufqu'a elle par » alliance de la familie & maifon , en »laquelle fut recue & logée ladite » pucelle, lorfqu'ellte arriva a Orléans, » pour en chafier de devant la ville & » hors du royaume de France les An» glois } & ainfi foigneufement gardé ■» Fefpace de deux cents ans , & laifié » par hérédité de parents aux enfants, » fous ce nom ; pour titre mémorable *» de 1'anriquité de leur maifon , juf» qu'a ce qu'enfin il m'a été donné & » mis entre les mains par celle qui ; i> dans cerang de fucceffion, 1'a pofFér » dé , 8cc. ». Symphorien Guyon , dans fon hiftoire d'Orléans , part. II, page ix6 ; nous apprend que Louis XI ne fut pas encore fatisfait de toutes les réparations qui avoient été faites i la mémoire de la pucelle, du vivant de Charles VII, fon père. II obtint, du pape Ple II, yws Fan , de nouveaux cora-  de Jeanne dArc. 32 j miflaires , pour informer une feconde fois de la vie de la pucelle; Sc ce foin fut confié a deux célèbres jurifconfultes. On apprit que deux des juges qui avoient_ opiné a la fentence- de condamnation , étoient encore vivanrs r le roi les fit arrêter ; leur procés leur fut juridiquement fait; & après qu'ils eurent avoué que la pucelle étoit innocente, & que, par confequent, fa condamnation avoit été injufte, ils furent pums de la même peine qu'ils avoient fait fouffrir a cette fille ; on exhuma les offements de deux autres , qui étoient décédés , Sc on les brüla. Les biens de tous ces maiheureux furent confifqués , & employés a batir une egbfe^ au lieu même oü la pucelle avoit été exécutée; & , pour le repos de fon ame, on y fonda une meife qui devoit être célébrée a perpétuiré. Charles VU avoit récompenfé la pucelle Sc fa familie, dés avant fa morr. II 1'avok anoblie par lettres-patentes du xcj décembre 1429 , regifirées en la chambre des comptes , le 16 janvier fuivant, elle , fon père, fa mère , Jacques , Jean & Pierre fes frères avec toute leur poftérité mafculine Sc féminine , Sc leur donna le nom d'e  "ii6 Hiftoire du procés du Lys , au lieu de celui d'Arc ou Day , fous lequel ils étoient connus. II donna , pour armes, a cette familie d'azur a. une épée d'argent poféeeu pal, c'eft-a-dire, dans toute fa longueur , la pointe en hauc, croifée & pommettc'e d'or ,. accolée de chaque cóté d'une fleur-de-lys d'or furmontée d'une couronne pareillemenr d'or.. Tout dans les armoiries & dans le nom avoit pour objet d'élever un monument des fervices rendus a 1'état par la pucelle, Son épée avoir fauvè\la couronne & les lys des mains des Anglois qui vouloient les ufurper. Son épée portoit la couronne ,.& les fleurs de lys 1'accompagnoient, & formoientle nom même de fa familie.- Les lettres d'anobliuement accordoient aux femelles, comme aux males , la faculté de tranfmettre la noblefte a leurs enfants & a toute leur poftérité. Cette faveur dicfée par la. reconnoiftance-, pouvoit multiplier les nobles a 1'infini , & donner, par des alliances , a des families dévouées a une éternelle obfcurité, des privileges toujours très-onéreux au peuple. Cette faveur a cependant été lailfée aux femmes jufqu'a la fin du fiècle der*;  de Jeanne d'Arc. 327nier. En 1688 , Eude - le - maitre , ïffu par fa mère , d'une familie de Jeanne d'Arc , fit enregiftrer fes. lemes d'anobiiffement, en vertu de fa généalogie authentiquemenr prouvée. Mais , fix ans après , cette prérogative fut fupprimée par arrêt de parlemenr,„ & le pouvoir de tranfmettre la noblefle. fut reftreint aux feuls males. . Le foin que 1'on a pris , dans le recit de la procédure , de fuivre cette héroïne jour par jour , & de rapporter les dépofitions des témGins qui ont afïïfté a fa mort :, prouve évidemment qu'elle mourut dans les tourmens le 3 0 mai 1431. Cependant M. Poiluche, de la fociété littéraire d'Orléans, publia , il y a quelques années 5 un ouvrage fous ie titre de prolléme hiftorique fur la pucelle d'Orléans. 11 y examine s'il eft bien vrai que la vérirable pucelle ait été brulée k Rouen par les Anglois.. Sans entrer dans la difcuftion de tous les moyens de doute qu'il propofe , il fuffit de fe rappeller avec quels foins elle fut gardée depuis le moment de fa caprure^on en. trouve. le détail dans les actes mêmes du procés. Conftituée prifonnière au chateau de Rouen , oir , lui cient les pieds liés avec de grofies  328 Hiftoire du proces chaines , Sc avec une doublé on lui enveloppe le corps pendant la nuit ; elie eft , en outre , continuellemenc veillée par plufieurs gardes : a-t-elle pu s'échapper de fa prifon ? L'a-t-elle pu faire enallant au fupplice ? Le jour même qu'elle y eft conduite , on la confefle , Sc on lui adminiftre le faint, facrement, avant que d'y aller. Le P. Ladvenu , Dominicain lui rend ce dernier devoir, Sc 1'accompagne enfuite a 1'échafaud , avec le fieur Jean MaJJiiu, au milieu , dit ce deniier , de plus de 800 hommes de guerre ayant haches & glaivcs. On 1'entendit même dans le bücher , parler jufqu'a la mort , Sc invoquer le nom de Jefus. L'évêque de Beauvais fe trouve au lieu de Fexécution , Sc y eftuye , en face , les reproclies de cette héroïne , quelques inftants avant qu'elle füt livrée aux Hammes. Enfin peut-on defirer un témoignage plus authentique de fa mórt , que celui de Charles VII, lui-même , dans les lettres qu'il donna le 15 février 1449 pour la revifion du procés? Trois fairs arrivés, peu de rems après, ont pu donner lieu a ce prétendu pro-; blême. Symphorien Guyon , dans foa  de Jeanne d'Arc. hiftoire d'Orléans , fapporte , d'aorès un manufcrit de Ia ville de Metz, que le 20 mai 1436, il parut a Metz une fille qui fe donuuit pour être la pucelle d'Orléans. Les deux frères Plerre &c Jean , qui la reconnurent, I'emmenèrent, après qu'on leur eut fait quelques préfents. Elle alia enfuite a Bocquelon , a Arlon , a Marnelle , tk s'attachaenfuiteala comteffe ieLuxembourg. Elle quitta cette Dame , pour fe rendre a Cologne avec le comte de Wirnemhourg. Elle s'y comporta avec tant de^fcandale, que 1'inquifition la fit arrêter & lui auroit fait fon procés , fi le crédit de fon amant n'avoit arrêté le coup. Elle revint en Lorraine ou elle eut le talent de fe faire époufer par un feigneur de la maifon des Harmolfes. Elle eut la témérité d'aller fous ce ritte, a Otléans. Sa reffemblance avec Jeanne d'Arc trompa Ia reccnnoiffance des habitants de cette ville , qui, fans autre garant que fa parole, la recürent comme leur libératrice ; & en cette qualité , lui firent des préfents. D'Orléans elle auroit pu venir eu Cour rendre fes hommages a Charles VII3 mais elle craignk que ce priuce  Hiftoire du proces Sc les feigneurs qui avoient accompagné Jeanne d'Arc dans fes exploits , ne fulfent pas aufli crédules que les Orléanois. II y a bien , dans cette «venture } quelques traits qui ponrroient donner des foupcons, fi 1'autorité dün fimple manufcrit étoit capable de balancer celle d'une procédure en forme , Sc du rémoignage d'un roi qui parle en légiflatenr , & d'après la foi publique. Mais fuppofons la vériré des faits contenus dans ce manufcrit. La reconnoiffance des deux frères pourroit bien occafionner quelque difficulté , fi 1'on ignoroit combien la parfaite reflemblance de deux hommes peut faire élever de doutes, Sc caufer d'embarras ; nous en avons la preuve dans 1'hiltoire de Martin Guerre, dont toute la familie Sc la femme même furent trompées par un importeur. Au mois d'oótobre 1440 , les gens d'armes amenèrenta Paris une prétendue pucelle , qui avoit couru les armées. En paflant par Orléans , on la fit voir au peuple , qui fut encore trompé par la reflemblance, Sc par ie delir de ténioigner fa reconnoilfance a- fon illuftre libératrice. Pendant la route d'O-»-  de Jeanne dArc. 331 léans a Paris , cetce confiance avec laquelle. elle s'étoit préfentée dans cetre première ville, 1'abandonna & ee fut malgré elle qu on 1'obligea de fe montrer dans la capitale. On 1'expofa en public fur la table de marbre qui étoic aux pieds du grand efcalier du palais. La, on lui fit différentes queftions qui l'embarrafsèrent au point qu'elle fut contrainte d'avouer la vérité. Elle convint qu'elle n'étoit pas vierge, mais ■veuve d'un chevalier de qui elle avoit eu deux garcons ; que , fous 1'habit d'homme,,eIle étoir allée a Rome, pour fe faire abfoudre de ce que, par malheur & par accident, elle avoit frappé fa mère; que, dans cette capitale du monde chrétien , elle s'étoit battue en duel contre deux hommes qu'elle avoit tués , pour défendre la caufe du pape Eugene IV ,. que les fadfieux , qui étoient reftés a Balie ,, après la dilfolution du concile , en 1458 , a.vcient voulu rejetcer du faint fiège en 1439 > pour y placee 1'anti-pape Fe'lix V« Cette prétendue pucelle quitta Paris,'. pendant 1'hiver, &c difparut.. Enfin un dernier fait fe trouve rap* poné par Symphorien Guyon , dans fon> aiftoire d'Orléans , part,.11* II eft tiré  33* Hiftoire du proces d'un manufcrit de la bibliotheque du roi , intitulé HardieJJes de plufieurs rois & empereurs , dont le P. Labbe Jéfuite, a donné un extrait, au tome II de fon mélange curieux. Ce fait arriva en 1441. II parut une femme fi refTemblante a la pucelle, que le bruit fe répandit que cette héroïne étoit relfufcitée. Charles VII voulut s'inftruire, parluimême , de la vérité ; il ordonna qu'on la lui amenat. II s'étoit bleue , depuis quelque rems, a un pied , 8c fe trouvoic obligé , pour lors , de porcer une forte de botte , ce qui le rendoit fort aifé a diftinguer parmi fes courtifans. Ceux qui tramoient cette intrigue 8c qui avoient intérêt de faite paffer cette aventurière pour Jeanne d'Arc , la prévinrent fur cette marqué. Le roi fe repofoit alors fous la treille d'un jardin; il ordonna a 1'un de fes gentilshommes, d'aller a la rencontre de la pucelle , & de lui parler comme s'il eut été le roi ; mais ne trouvant pas, dans cet officier, 1'indice qu'on lui avoit donné , elle marcha droit au prince, qui, ne faifant pas artention a la marqué par oü 1'on pouvoit facilement le connoitre, ne laiffa pas d'être éconné. Mais la fur-.  de Jeanne d'Arc. 333 prife ne fut pas longue : pucelle , ma mie, lui dit-it, foyer la tres-bien revenue , au nom de Dieu qui fcait le fecret qui eft entre mei & vous : ce feul moe 1'abamt & la déconcerta. Elle fe jetta aux genoux de ce prince , lui demanda pardon , & avoua toute i'impofture , dont les auteurs furent très-févérement punis. II eft impoffible , je Pai déja dit j de douter que Jeanne d''Are füt une héroïne a laquelle la France eft peutêtte redevable de n'avoir pas fubi le joug de 1'Angleterre. Mais fon apparition fut-elle un miracle , fut-elle naturelle , fut-elle un jeu de la politique ? C'eft un problème hiftorique qu'il ne parol't pas- poftible de réfoudre. Voici ce qu'en dit du Haillau, hiftoriographe de France, fous Charles IX. Je copierai fon langage naïf & énergique. « Le miracle de cette fille » , ditil , dans fon ouvrage intitulé de 1'état & fuccès des affaires de France , liv. 1 ' page 1386' fuiv. de l'édition de 1 61 9 , « foit que ce füt un miracle compofé, » apofté ou véritable , eileva les cceurs » des feigneurs , du peuple & du roi, w qui les avoient perdus, Telle eft la » force de la religion , cV bien fouvent.  334 Hi(loire du proces n de la fuperftition. Car les uns difent » que cefte Jeanne étoit la garfe de » Jean baftard d'Orléans; les autres }> du fieur de Baudrieourt , les autres » de Pothon ; lefquels étant fins & ad» vifez , & voyant le roi fi eftonné > » qu'il ne fcavoit plus que faire, ni que » dire , & ie peuple , pour les conti»> nuelles guerres', tant abattu, qu'il ne » pouvoit relever fon cceur ni fon efpé» rance, s'advisèrent de fe fervir d'un »> miracle compofé d'une faufle reli» gion , cpii eft'la chofe du monde qui •> plus ellève & anime les cceurs , & » qui plas fait croire aux hommes > » mefmement aux fimples ., ce qui » n'efi: pas. Et le peuple étoit fort pro» pre a recevoir telles fuperftitions. » Ceux qui croient que c'étoit une » pucelle envoyée de Dieu , ne font » pas damnés , ne le font pas ceux qui » ne le croient point. Plufieurs efti» ment ceft article dernier eftre une » héréfie ; mais nous ne voulons point » trébucher en elle , ni trop en 1'autre i> créance. » Adonc ces feigneurs , par 1'efpace » de quelques jours , 1'inftruifirent de »tout ce qu'elle devoit refpondre » aux demandes qui, par le roi tc  de Jeanne dArc. 335 » eux lui feroient faites en la préfence n du roi ( car ils devoient eux-mêmes » faire les interrogatoires). Afin qu'elle j5 peuft recognoitre le roi , lorfqu'elle » feroit menée vers luy (lequel elle » n'avoit jamais veu), ils lui faifoienr » tous les jours voir , par plufieurs » fois , fon portrait. Le jour défigné , »3 auquel elle devoit venir vers lui , en » fa chambre , & eux ayant drelfé » cette partie , ils ne faillirent de s'y »trouver. Etant entrée , les premiers » qui lui demandèrent ce qu'elle vou» loit , furent le baftard d'Onéans &c »5 Baudrieourt, lefquelslui demandant » ce qu'elle demandoit, elle refpondit « qu'elle vouloit parler au roi. lis lui » préfentèrent un des autres feigneurs » qui étoient la , lui difant que c'étoit » le roi. Mais elle inftruire de tout ce » qui lui feroit faid & dicl, Sc de ce w qu'elle deyoit faire Sc dire, dit que n ce n'étoit pas le roi, Sc qu'il étoit »» caché en la ruelle du liét (la oü de m vrai il eftoit) , & allant 1'y ttouver , » lui dit ce qui a été dicl ci-deflus. « Cette invention de religion feinte t> Sc fimulée profita tant ace royaume, v> qu'elle releva les courages perdus Sc » abattus du défefpoir. Enfin elle fuc  33^ Hi(loire du procés ,> prinfé par les Anglois devant Comm piègne , & menée a Rouen , la oü » fon procés lui étant faict, elle fut » bruflée. » Qaelques-uns ont trouvé , conti» nue du Haillau , que ie die cela, &c » que j'ofte a nos Francois une opinion » qu'ils ont fi longuement eue d'une » chofe fainéte & d'un miracle, pour »»la vouloir maintenant convertir en » fable : mais je 1'ai voulu dire, paree » qu'il a été découvert par le tems qui » defcouvre routes chofes ; & puis ce » n'eft chofe fi importante qu'on la » doive croire comme article de foy ». Gabriel Naudc , chap. 3 des coups d'e'tat, page 128 , eft du même avis. « Les Anglois , dit-il, devenus maif» tres de la France, il fut néceffaire3 »j fous Charles Vil , d'avoir recours a » quelque coup d'état , pour les en >> chafler. Ce fut doncques i celui de >» Jeanne la pucelle, lequel eft avoué m pour tel par Jufie-Lipfe, en fes poli» tiques, & par quelques autres hifto» riens étrangers , mais particuliére» ment par deux des nbtres; fcavoir y> du Bellay Langey , en fon art triili* » taire, & par Haillau, pour ne citer ici  de Jeanne d'Arc'. 3 -57 » Ki'beaucoup d'aucres écrivains de » moindre cónfidératiön ». Qile Jeanne £Arc füj. • ^elle „f ie fót pas, c'eft uumyftere impeiietrable, dVptès Pbpihiorï mirt! rai.f?n"enient d« tous les anatomiftes. Ainfi tout ce qui peut réfulter des vifites qu'elle a fubies, c'eft ZT> P°UV°iC pas Prouver qu'elle ne ^toit pas. Qu'elle füt, avant de paroitre a la cour, la makreffe du cornte de Dunois on dQ Baudrieourt* ceft une;cböfo que les faits contra 'es par 1 hiftoire , rendent bien ne,r vrailemblabie• Ou auroient-ife" ^ auro.ent-ilsfeduit cette petitepayfa]°e nee & coufinée dans u„ village fort eloigne da pays ou ils' faifo£„t £ guerre ? IS . Q™} ¥il €n foit, que fon appa« : réte°mlueA,apoI;^"e-u^^ airete menagee par la Providence il eftcertainquec efta fa bravoure Vla confiance qu'elle infpira aux ^ a du roi & a l effroirdontfaprérence &:tits„r^^ Si r'piT- U v a c°uronne. , C61t 1» Politique qui Jui a .* vkbir5^3 mai" > iebafarafir .  3 3 8 Hiftoire du proces, &c. tagême , & 1'on peut dire qu'ils fe cönnoinbient bien eu caracrères. D'ou purent-ils fcavoir , d'ailleurs, qu'il exiftoit dansle royaume, une payfanne óbfcure de la trempe de Jeanne d'Arc ?  339 ■LWERALITÉ 1MPARFAITE M. LE NORMAND, ÉVÊQ_UE D'ÉVREUX, AUPROFITDE SONCLERG* ƒ'ai eu occafion de patier de la polliafattGn , dans Ia Caufe de JJJeu (O. Celle que Ton va lire me fournira M. Jean le Normand3 évem.e d'Evreux, avoit formé une riche bibliotneque dont il vouloit faire préfent au clerg de fon diocèfe. A cet effet fi\P"b'^Je mandement fuivanc.' « JEAN LE NORMAND J- , » du faint fiege apoftolique , évêque -dEvreux.confeiller da roi enT (0 Voyez tome VI, p. a7T & 2g2 Pi;  3^0 Libéralilé imparfaite. » confeüs , a tous chapitres , abbés ,' » prieurs Sc cijrés de notre diocèfe , „ fajut & bénédidion. ^ » Depui? notre avénement a 1'epif„ copat , notre principale Sc unique „ occupation a toujours été.de travail» Ier , fans relache s a la fandification » Sc a 1'inftrudion de nos diocéfains, » Nous n'avons rien négligé pour leur » procurer & faciiiter tous les fecours t> que nous avons jugé les plus nécelTai>> res pour former des. prê.tres Sc. des 3, pafteurs capables de les inftruire & tf de les édiher.Nous avons remarqué, » avec plaifir, les bons effets de notre „ follicitude paftorale. Après que nous » avons établi un cours de philofo» phie &de théologie dans notre ville >t épifccpale ,v il. manquoit encore , M pour remplir nos . d?'ftein,$., Sc nos >> de'firs , de, donner &-de, laiffer, des. ,i foutces dans'lVrquellesJes.eccléhaf-, „tiques doivent püife.r. Sc s'atfermir if eux-mèmes, en in.ftruifant. les autres, „ C'eft ce qui nous a déternün.é.a faire „Je préfent de notre b|b}io$s#ug K notre' diocèfe., fojjs la .diredjon ,> 1'admniiftrationde la chainttf,? dioee„ faine. Perfonne n'ignore les dépen»fes, les trayaux ,& noare apphcauun  Libèrahte imparfaite. 3 4 ï » concinuelle, pour farmer & compo» Ier cette bibliothèque de tous les * fivres choMïs & les plus utües a la » fanclification & a i'inuruction de » tous ceux qui defirent apprendre leut » religion Sc leurs devoirs. Ce font ces » juftes motifs qui nous ont portés i » laiffer ce riche monument a nos » diocéfains , pour leur donner des » preuves fenfibles de notre tendreffe '■» paternelle. Mais s defirant que touc >s le diocèfe foit témoin de ce que nous » voulons bien faire en fa faveur , 8c » qu'il premie, avec nous , & avec la » chambre diocéfaine , les rhoyens né» cefhires , pour conferver a la pofté» rité ce précieux dépot, pour 1 » meneer, &enthoifir Remplacement, » nous avons arrêté qu'il fêra tenu mie » affemblée diocéfaine , danslagrande » falie de notre palais épifcopal , le » mardi dix-néuvième jour du mois » de mai de la préfenté année, neuf » heures du roarin , pour conférer avec » Mefïïeurs les députés , & eonfom» uier ce g'raiid óuvragé , felon nos » defirs & 1'utdité de notre diocèfe. » Pourquöi nous prions tous chapiy> trés , abbés , prieurs Sc curés de » notre diocèfe d'envóyer des députés t P iij  3 41 Libéralitè imparfaite. » ou perfonnes chargées de leurs pora» voirs ou procurations , pour délibé» rer fur cette affaire 8c autres qui « pourroient concernerle diocèfe. Re» quérons Meflieurs les doyens ruraux « qu'ils aient a notifier ces préfentes.; » & a affembler Meflieurs les. curés , » chacun dans leur doyenné , pour » qu'ils leur donnent , ou a chacun ij d'eux , leurs pouvoirs Sc leur procur » rations en bonne forme , aux fins de » fe trouver , ledit jour , dix-neuvièj> me du mois de mai prochain, a la» dite affemblée. Donné a Evreux , » en notre palais épifcopal , le 28 »>avril 1733.. SJgnJ JEAN , évêque » d'Evreux. » Et plus bas , par Monfeigneur,, » Moyaux »>. Ce mandement fut envoyé i tous ceux qu'il concernoit, avec le modèle de procuration qui devoit donner aux députés le caradère néceffaire pour confommer 1'opération. Ils devoient être autorités a approuver Sc recevoir-, en leur nom , Sc au nom de tout le diocèfe , le grand Sc le magnifique préfent que le prélat vouloit bien lui faire. Le fondé de procuration devoit, en outre, être autorifé a délibérer Sc  Liheralitè imparfaiie. 3 43 arrêter , avec Paflemblée , tout ce qui eonviendroit pour la récepüon d'un préfent li précieux , de fon entretien augmentation , emplacement , & généralement fur tout ce qui pourroit etre propofé pour rendre cet érabliffement folide & permanent. L'Evêque n'eut pas la fatisfaclion de voir fon ouvrage accompli. 11 fut furpris, par la mort, le 7 mai 1733, fans= avoir eu Ie tems de faire aucune difpofition concernant fes affaires. Le chapitre de la cathédrale d'Evreux fe crut autorifé , par les adres qui avoient préeédé la mort de M. Ie' Normand, a s'emparer de fa biblio-; thèque , aü nom du diocèfe, fauf f recourir , en tems & lieu , aux formalités requifes pour aïTurer fexécuticm de la volonté que le prélat avoit lï clairement manifeftée pat les a&es dont on vient de parler.- L'évêque d'Evreux avoit laiffé , potlt béritière , Manche le Normand , fc. nièce , veuve du fieur Alleaume , tré-1 forier de France ; elle avoit acceptc fa fucceffion par bénéfice d'invenraire , & \ pour avoir délivrance de Ia bibliotbèque , elle fit aflïgner , aux requêces du palais , a Rouen , les doven, P iv  344 Libéralité imparfaite. chanoines 8c chapitre d'Evreux , & protefta . en cas de refus, ou de retarde- me-m ï ^e tous dépens , don>rnages. &c intéréts. M. de Rochechouart, qm fuccéda il M. le Normand, a 1'évêché d'Evreux , incervint dans la conteftation , pour Jes intéréts de fon diocèfe ; 8c , par fentence , rendue par détaut , le 12 juil Iet 1734, le chapitre fut condamné a faire délivrance de la bibliothèque en queftion , a payer les frais de garde , -depuis le 20 juillec 1733 , aux dommages & intéréts occafionnés par le dépéritfemeut arrivé a la bibliothèque, ck aux dépens. M. de Rochechouart 8c fon clergé interjettèrent appel de cette fentence, .au parlement de Rouen , ou la caufe fut folemnellemenc plaidée en la grand'chambre. M. de la Genette fut chargé de la défenfe du prélat, 8c M. Janjfe de celle du chapitre. Le zèle qui avoit porté M. le Normand a faire au clergé de fon diocèfe le préfent de fa bibliothèque , animoic également M, de Rochechouart , difok fon défenfeur , 8c Ie faifoit parokre , a la tête de fon chapitre , pour atfurer a  Libéralitè imparfaite. 545 fon diocèfe , ce riche monument de Ja piété de fon prédécelfeur. Ce n'eft point a titre gratuit , ce n'eft point a titte de donation entre vifs , ni a titre de donation a caufe de mort , que le prélat & le chapitre réclament cet objet. C'eft a titre de pollicitatioïi. La! poll iel tatio'n eft établiè par le droit co'mmu'n 5' éll'é dok donc avoir lieu dans toutes les' cóütumés qui ne la prohïbén't pas ex'preiïément. II avoit, difoit-il' , a combattre , dans cette" caufe', un' advérfaife plus diffidle ZpXntiè , qu'é'les moyens des parties. C'eft le préjugé qüi iiêi Sc crok avec nous. Enfant de 1'habitude , fruit mallïeureüx de 1'ignoraricé , il préviént 1'èfprït, il RaVeugié , il' lè captive. Les mngiftrars féuls' foht exempts de ces dangereufes imp'réffibnsl Plac'és' au-déftus dés 'autres rVónv més , doüés de Iümïèrès nipérréures , leurs' yeux ne font féduits que par lé vrai. . £e puBlic; accóut'umé a ne" vói'f, dans fufage.'.que deux manières dé difpofet de fon bieri a titre gratuit, par donanon entre-vifs , ou par di%dflfibn £ caufe de mort', rië connölt' poïni' la polhcitatibn j & ceux' qtif en'aft'f eaP v  34^ Libéralitè imparfaitt. tendu parler , & qui en ont quelque idéé , la regardent comme une pratique inventie par les jurifconfultes Romains , mais qui eft contraire a nos ufages , a notre droit municipal , 8c prolcrit par l'ordonnance de 173 t, qui impofe filence au droit romain, quand les décifiöns de ce droit ne font pas d'accord avec nos coutumes & nos ordonnances. II eft vrai que les loix roma'mes fè taifent, quand les notres s'expliquenc. Mais les loix romaines ont conferve tout leur empire fur les objers qui ont échappé a la légiflation francoife , ou fur lefquels elle s'en eft rapportée au droit écrit. Et cette caufe roule fur une des matières qui font reftées fous l'empire de ce droit. C'eft ce qu'il paroit facile d'établir. La pollicitation eft fondée nu les principes, du droit des gens , 8c même du droit naturel \ elle eft donc de tous les tems & de tous les'pays. H faut donc chercher les regies dans. le corps de loix oü ces principes fe trouvent étabiis & développés. Aufli nos plus célèbres jurifconfultes 1'ont-ils célébrée j 8c elle a été adoptée par les arrcts du parlement de Paris , dont la coutume necontioit cependai.t>I comme  Libéralitè imparfaite. 3 47 celle de Normandie , d'autre manière . de difpofer a titre gratuit, que la donation entre-vifs , & les difpofitions teftamentaires. On entend par pollicitation une promelfe faite en faveur de la république , fans cependant avoir fait aucune convention avec elle : pac7um cjï duorum confenfus atque conyenüo : polhcitatio verb , oferentis- folius promifCum. L. 3.,^ de polluit. L'auteur d'une poliicitation formoir,. avec la république , un engagement li légitime & fi irrévocable , qu'il ne pouvoit différer un certain rems a accomplir fa promelfe , fans être tenir des intéréts. Sipollicitus quis fuerit relpublics. opus fe faclurum , vel peeuniamdaturum , in ufuras non conveniatur fed fi moram coeperit facere , ufurét as-cedunt. L. 1 ,.Eod. Mais il falloit que la promelfe fut: fondée fur une jufte caufe. Sin verb' fine caufd promiferit, non erit obllgatus. Ibid. §. Jv 0.n.mettoit, parexempIes. au nombre des caufes légitimes, unepromelfe faite au peuple pour lui térnoigner fa reconnoilfanced'une dignité a laquelle il avoit élevé le-donateur ^ ou a laquelle il. 1'avoit défigné. Si quiPvj  348 Libéralitè imparfaite. dem ob honorem promiferit decretum fibi , vel decemendum , vel ob aliam ju/lam 'caufam , tenebitur ex pohicttatione. Ibid. On me: encore au nombre des juftes caufes, les promefTes faites pour réparer les malheurs publics, comme les ravages d'un incendie , d'un tremblement de terre, ckc. Propter ineendlum , vel terra motum , vel aliquam ruinam qu£ reipublicn. contingit ,fi quis .. promiferit, tenetur. X. 4, Eod. Ob eafunv quem chha-s pajfet tjï , fi quis pramifefit fè quid fachumm , etfi non inchocve~ rit, omm mod'O' tenetur. L. 7 , Eod. Mais le Éêfawt de caufe ne décharjgeoit pas le pollicitant de fon obligation , s'il avoit fait quelque démarche pour mettre fa promefle i exécution. Si fine aaufd promiferh , ecsperit tarnen facere , obligatus eft qui ecepk. L. 1, Eo-d. §.2. ïl faf&foic même que la république-, ou un particulier , fur la foi de la promelfe , eut eommoutè Fouvr-age , a fes dépens , pourr obi'iger le-pollicitant , quoique la poMkkation k'efte d'a'Uitre cauife- qn\ine EbéraHtté «ratuice. Qui non ex- eau/a pemrtiam reipublica poüïce-mut, liberalitatem perficere non. cegumur. Sed fi. columnas  Libéralitè imparfaite. 249 Citicnjlbuspromifijli, & opus cd ratione fumptibus civhatis, vel privatcrum , irtchoatum ejl, deferi quod gejlum efl non oportet. lbid. §. 5. Enfin , lorfque la tradkion étoit faite , il n'y avoit plus lieu a la répétition ; & fi le public fe trouvoit dépoffédé , il étoic alors autorifé a recourir a la revendkarion. Si quis, cum ex polliciiatione tradiderat rem municipibus^ vindicare velit y repellendus eft a. petitione. JEquijJimum ejl enim htijufmodi voluntates in civitate collatas poenitcntid' non revocari. Sed etfi defierint municipcs pojjidere y dicendum erit aclionem eis concedendam. Z. 3, §. 1 , Eod. Entre !es exempies que la loi a jugé a propos de nous donner des caufes. tttiles a la patrie x qui obligent le pollieiteur, «rjuoique fa promelfe n'ait pas encere eommencé d'êrte exécutée, elles'efi bomée aux ravages-caufés. par un incendie , on par un trembienaent die: serre qai fomt- les ftóaux les plus. fréquents, en. ksLïe;. Mai» ellle n'excliat pas ks autres cas , ou 1'uciliré & la néceffité de la patrie peuvent- donner lieu a L'spplkanon de la. même sè^e~ Aufli le CQumientateuiJ ajoute 1 &■ oh-  3"5'o Libéralitè imparfaite. fmilcm caufam , ou pour quelqu'autre caufe que ce foit.. Qr y a-t-il une caufe plus utile Sc plus néceftaire , que celle qui fait 1'objer de la promeffe de 1'évêque d'Evreux? Elie eft au-deftus de routes les autres caufes qui peuvent être utiles a la république. G'eft un tréfor dans lequel les pafteurs des ames du diocèfe puiferoat la parole dont ils doivent nourrir les ames confiées a leur follicitude. Toutes les fources d'ou découlent cette divine parole font réunies dans la bibliothèque de feu M. U Normand; les rextes facrés , les conciles,, les ouvrages des pères-, les commentareurs, en un mot , tous les matériaux néceffaires pour 1'inftruction & i'édihcation des ouailles. Un pareil préfent peut faire changer toute la face d'un diocèfe , en y répandant le fruit de la fcience que les ft^avants eccléfiaftiques y difpenferonr. Rappellons-nous ces tems de ténèbres, ou les eccléfiaftiques connoiflbient a peine les titres des livres facrés, qü ignorant jufqu'a la langue de 1'écriture , ils pouvoient a peine infttuite les peupks des vérités. fondamemales de  Libéralitè imparfaite. 3 5 r la.religion, Sc faifoient confilter toute la piété dans des opinions & des pratiques fuper-ftitieufes, qui ontoccafionné tant d'abus dont nous voyons encore des traces déplorables. Jettons les yeux fur la plupart de nos campagnes, abandonnées a des prêtresignorants , incapables de développer les fophifmes de 1'erreur., de .ram ener, par de folides raifonnements puifés dans la rradition Sc dans les- pères-, ceux de leurs habitants qui ont eu le malheur.d'être.abreuvés du poifon de 1'héréfie. Quels fecours le diocèfe d'Evreux ne. trouvera-t-ii pas dans le prér fent de.fon évêque. contre ces maux Sc plufieurs autres qui défolent 1'églife ? Un. amphithéatre , deftiné, chez les Romains ,aux jeux profanes du paganifme , venoit d'être détruit, un cir toyen , plutót animé de la vanité , que de 1'amour du bien public, prometr toit de le faire reconftruiie ; la caufe de cette promelfe étoit une jufte caufe., qui rendoit la promeffe irrévocable. Le feu du ciel tomboit fur un temple , terraifoit & pulvérifoit le dieu foudroyant j un ciroyen zélé pour le culte ridicule de cette divinité , qui n'avoit pu. fe préferver elle-même des  3 ? 1 Libéralitè imparfaite. armes que 1'aveugle ftupidité dés hommes lui mettoit dans la main, promerroie de réparer ce défaftre \ c'étoit une jufte caufe de pollicitation , & le polüciteuc étoit ifrévocablement engagé- 11 ne fiuit affurément que comparer ces ob/ets avec celui qui avoit animé 1'évêque d'Evreux , pour fe décider a fortiori en faveur du dernier. II ne fauc pas de réflexions fur ce parallèle , pour faire pencher la balance pour letabliffement promis par le pieux prélat, & dont i'avide cupidité de fon hérittière veut priver la religion & 1'églife; car c'eft Ia caufe de ces deux obiers facrés que 1'on défend iet. D'ailleurs fi la- pollicitation la moins favorable, celle qui n'avoit póuf buc que 1'ornement d'u'iie vi'lle , deVênoit obligatöWe' , dés que PönVrage' éroi't ë&mm&nié J céflle-xï eft ëiicbre revêtue dece ea'ractér'e, & doït, pa"f coriféquerïf", jouir de la» même' faveur. i/évêqtfe d'E'Méiïk établit', d'nns fa villé épifcopata, un'coüïs'd'é philofo1phie & un eöur'S de théologie'. II dït , dans fon mandement, que; pOilra'ccohiplir fon delfeirt'cVfes defirs , il cröyöit devbiï laifier aux- ecdéfiaftiqües chargés.  Libéralitè imparfaite. 3,5$: des inftructions qu'il avoic établies.,. des fources pour les puifer f& pour s'afferrn-ir eux-mêmes j en .inftruifant les fidèles. C'eft dans certe vue ., pleant. Quand on a remonte'a Ia fource de la pollicitation , aux motifs qui en ont infpiré 1'étabJilTement & les régies on ne peut qu'être pénécré de refpeób pour les loix qui Ia foutiennent. EUe eft, en eftet , fondée fur Ie droit naturel. L'inftant de notre naiG-  Libéralitè imparfaite. 3 ff fance nous rend débiteurs envers notre patrie. Dans- cet inftant menie, eli'e nous affigne un rang dans la fociété , die nous affigne des propriétés , Sc elle eft armee des loix & du glaive pour 'défendre notre exiftence civile Sc phyfique. Les fentiments que tant dè bienfaits nous infpirent font une efpèce 'de piété Sc de religion y ainfi , quand nous lui promettons quelque chofe , c'eft moins une libéralitè a laquelle nous nous engageons qu'une dette que nous reconnoifibns , Sc que nous nous faifons un devoir d'acquitter. Ce qui rend le droit romain fi digne de notre'vénérati-oü', c'eft 'que le pre>mier mobile de fes loix eft l-'amour de la patrie. Tl s'y dévelöppè , & 1'on y lic tous les devoirs du citoyen érigés eh principe & appnyés de la- fancrion de la loi. Telle eft la principale raifon qui a fait adopter ce droit comme le droit cemmun de la nation. On ne voit nulle part le bien public plus en recommandation , que dans le corps du droit romain ; c'eft la qu'on en. trouve 1'efprif Si 1'a pratiqne. La pollicitation tiranr fon origine d'une fource fi pure & fi refpectable , doic être foutenue de toute 1'aiitorité.  3 f 6 Libéralitè imparfaite. des tribunaux. Aufli Ja jurifprudence des parlements 1'a-t-elle mife fous fa protecfion. Nous avons Je célèbre arrct du 10 janvier 1607 , prononcé en robes rouges , par M. le préfident de Ihou, le mardi loavril fuivant , qui ordonna que les béririers de U. Amict. évêque d'Auxerre,achevereient Ie banment d'un collége, que ce prélat avoit commencé fur fon propre fonds , & qu'il avoit même lailTé imparfair , stilet long-tems avant fa mort , pour donner lieu de croire qu'il n'avoit pas perfévéré dans fon defTein. Nul écrit ne prouvoir cette obligation , & la feule deftmanon du batiment fut le motif de 1'arrêt. Ici il y a un mahdemêlit du prélat bien authentique , foufcrit par fon fecrétaire , annoncé & diftribué avec eclat , dans tout Ie diocèfe. ^ Dans 1'arrêt d'Amict , il s'aeiffoit d'un fonds , d'un immeuble , dont 1'aliénation étoit fujettea plufieurs formalités. Ici , il ne s'agit que d'un meuble. Dans Ie premier cas , 1'évêque d'Auxerre avoic fait un reftamenc, qui donnoic lieu de préfumer qu'il avoft changé de volontc, puifqu'il n'y avoit  Libéralitè imparfaite. 3 $7 fait aucune mention de fon collége,, Ici, point de préfomption de varia» tion dans les idéés du fondateur ; il n'a point fait de teftament. Une mort inattendue & fubite 1'a privé de la fatisfaction d'affurer fes volontés par un teftament j Sc toutes fes démarches, tous fes préparatifs annoncoient qu'il étoit uniquement occupé de fon projer.' Comment préfumer qu'il en avoit changé , après :1a convocation générale qu'il avoit faire de tous les principaux membres du clergé de fön diocèfe j après les préparatifs qu'il faifoit luimême , pour; la) tenue.de 1'alfemblée qu'il avoit convoquéeMliafpiroit après ce jour folemnel , Su le. regardoic comme• le plus beau de.fa-vie, Gette difpofition en faveur du diocèfe d'Evreux , eft , d'ailleurs;, d'autant plms fayorable., que 1'églife;, dins fes beaux.jauts, héritoic des évêques , a Pexelufioii.des. parèncs; Cet ufage , fcndé fur 1'équité •> quand 1'éyèque ne laifi.oit-.une fucceffion,que. paree qu'il avoit joui dés. revenus attachés a fa pcélature, n'éxifte plus. Mais peut-on mieux-faire que de s'en rapprocher, quand i'Dccafion s'en préfente ? On doit ici d'autant moms s'en-éloigner,  3yS Libéralitè imparfaite, que M. 1 évêque d'Evreux n'avoit aucun patrimoine, & que la bibliothèque, qui eft 1'objet de fa libéralitè , a été formée des revenus de 1'églife. Nous avons 1'arrêt prononcé en la grand'chambre, le 13 juillet i6^7 , qui a jugé que la fimple pollicitation n'avoit pas befoin d'acceptation , quand IjoLivrage promis avoit été commencé. li s'agiftoic d'une fondation faite par le fieur Lonon , pour 1'établilfemenr d'une niiffipn; Quelques conteftations, elevées a ce fu?et, le portèrent a révoquer ia donation. Mais M. 1'avocat général fit voir que cette libéralitè , rc-gardant le bien public , devoit être exécutée par forme de pollicitation. Enfin , nous avons le célèbre arrêt rendu dans la caufe de Dieu, qui fe trouve au tome 6 de ce recneil. A tant d'autorités , on peut joindre celle des auteurs les plus accrédités , qui ont foutenu !a doótrine de la pollicitation. II fuffit, dit Dnmoulin , fur Je titre de verborum obügadonibus , que la pollicitation foit faite dans une vue religieufe , ou pour un établiftemenr néceflaire au bien public. Rïcard, en rapportant 1'arrêt qu'on vient de citer, eft du même fentiment.  Libéralitè imp ar faite. 359. ■En vain oppofe t-on que 1'ordonnance & la coutume , en ne permetrant que deux manières de difpofer de fon bien a titre gratuit, excluent la pollicitation. Mais ces loix ne regardeuc que les actes oü concourent les volontés de deux con.tractants j & la pollicitation n'eft que l'expreliïon de ia volonté d'un feul, qui s'oblige en faveur du public. D'ailleurs , la pollicitation n'eft pas un titre parement gratuit , puifque le pollicitant ne fait autre chofe , que de s'acquitter d'une dette naturelle. Elle a, pour objet, la caufe publique, étayée d'une loi toujours fubfiftante. Au.refte, la difpofition par la yoie de la pollicitation fera toujours fubordonnée aux réglements prefcrirs par la coutume , quant a la quotké du bien donné ; & 1'on ne doit pas craindre qu'une loi , qui a pour bafe 1'équité même , porte le trouble dans 1'éconorriie des fucceftions j & jamais le pbüvoir de donner , par cette voie , n'excédera les bornes qui reftreignent les générofités qui peuvent fe faire en faveur des particüliers. La patrie , qui eft toujours 1'objet des libéralités qui forrnenc les pollickations , ue fera  y6o Libéralitè imparfaite. pas plus- favotablement craitée, que les particüliers , qui ne tiennent fouvent les libéralités qu'ils recueillent , que du caprice de leur bienfaiteur. Au furplus , il eft facile , par un fimple parallèle , de faire évanouir l'objeérion tirée de la- difpofition de la coutume. Elle ne reconnok d'autre teftament, que celui qui eft olographe, ou celui qui eft folemnel. II eft'cependant certain que le teftament militaire, introduit par le droit ccrir,. a lieu parmi nous. Pöurquoi Padrtlettonsnous , nonobftant le filehce dö Ia coutume ?■ G'eft qu'il eft fondé fur Iedroit naturel , & fur' le- droit des gens, qui confacrent la'deTnièle völonté d'un homme de guerre, quoique I'acte qui 1'exprime ne-foit pas revèru des formes introduites-parli loi, pour en conftater la réalité. Par la même raifon , la volonté da pollicitant döit etre refpedfée, M. Thouard , avocat1 au parlement de Normandie , défénfénr de 1'héritière de feu M. le Normatid, répondit que les parties ad verfes, .convenant què le mandement dont ils1 faifoientuo titrè' ne pouvoit valoir, ni comme' donation entre-vifs , ni comme teftament'; cet' aveu  Libéralitè imparfaite. ->6i avett fuffifoit pour la décifion de ia caufe. En effét , hors les cas de tradition , 1'ordonnance du mois de février Ï731 n'a admis que ces deux voies pour difpofer de fon bien i titre gratuit j & avant , on n'en connoilfoit point■ d autre dans la province de Normandie. Après une loi fi formelle , préccdée dans la province , d'un ufage confor- me/r?.U1 ^mais Varié> 11 n'eft Pas poiiibledintroduireunetroifièmevoie pour faire de pareilles difpofitions : & cette innovation feroit d'autant plus dangereufe , qu'elle renverferoit tout d un coup , les articles de la coutume de Normandie qui réglent le tems, Ja manie, e & jufqu'a quelle quotité on peut difpofer de fes biens a titre Rratuit. ° Le parlement de Normandie avoit de,a rejectc c rte nouvelle doctrine par un arret folemnel du , 3 mars 1 7,.~' rendu entre 1'héritier du fieur Amheaurne, cure de Ia paroilfe de Saint-EIoi de Rouen & Ie tréforier de la même paroilfe. L henriet fut déchargé de 1'entrenen d'une Iampe que Ibn prétendo.t que cure avoit eu intentioh dè donner a 1 éghfe. Tornt XF1L q  ^6% Libéralitè imparfaite. Mais, quand il feroit vrai que la pollicitarion füt admife parmi nous , on n'en trouveroit aucun caractère. Le mandement , qui fait 1'unique titre du chapitre , fe divife en deux parties ; dans la première , le prélat énonce les motifs qui 1'ont déterminé a affembler le clergé de fon diocèfe ; la feconde contient la convocation de cette affemblée. Les chapitres , abbés , prieurs &c curés du diocèfe font priés d'enyoycr des députés, ou perfonnes chargées de leurs pouvoirs & procuration? , pour délibérer fur cette affaire & autres qui pourroient concerner le diocèfe. Les doyens ruraux font requis de nonher ce mandement, & d'affembler chacun les curés de leur doyenné , pour qu'ils leur donnent, ou a quelqu'un deux , leurs ppuvoirs & procurations en bonne forme , afin de fe trouver, le 19 mal, l ladite affemblée. Quelqu'effort que 1'on fafle , on ne trouvera , dans ces expreffions , ni donation , ni pollicitation obligatoire. Qn y voit uniquemen: un mandement émané de 1'autorité épifcopaje , pour affembler le clergé, afin dedéliberer lur la donation que le prélat vouloit lui  Libéralitè imparfaite. 363 faire de fa bibliothèque , & fl)r ]es eonditions qu'il avoit en vue depropofer a d'affembïée , pour" qu'elle les acceptat , fi elle le jugeoit a propos. Pour trouver , dans cette première partie , une pollicitation obligatoire , 11 faudroic fuppoiér que 1'évêque d'Evreux auroit fait ijne donation de fa bibhotnèque, en difant qu'il vouloic prendre des mefures, pour parvenir ï cette aonation. Jamais on ne doit faire valmr les actes au-deld de 1'intentiou evidente de ceux cui en font les auteurs. Quoique 1'évêque d'Evreux ait dn dans fon mandement qu'il a figne qu il etou déterminé a faire préfent dé ia bibliothèque , & d laiffer ce riche monument i fes diocéfains : il eft pourrant certain qu'il n'a pas voulu ' par ces expreffiens , faire une donation ^ uelle , ou une promelTe tellement obligatoire, que dès-lors i! cefiat d'être propnétaire de fa bibliothèque, & qjue les diocéfains pufiént avoir une action contre lui , pour 1'obiigér a s'en défai- qu ilfut néceffaire , ni datteudre i'afl iemb;ce indiqüée au 10 mai, ni de conférer a deffus A> . 1* ulüus , ni daccepter la prcfenc, m de régler les eonditions  if54 Libéralitè imparfaite. qu'il vouloic impofet aux donataires, Loin que 1'évêque ait eu cette idee, »l eft évident qu'il n'a pas voulu que ia donation füt par faite . qu'après que tout cela auroit été fait. Jufques la ce n'étoit qu'un fimple projet, revocable ad nutum , tant qu'il n'étoit pas porte plus loin. . II feroit fuperflu de prendre les mefures néceffaires pour donner une forme fclemnelle a un afce , fi les fimples tentatives étoient fuffifantes; & la prudence elle même feroit inutile , k 1 on donnoit ï ces projets qui commencent aéclorre , le même effet, que lorlqu'ils font conduits a leur perredfcion. Ne voit-on pas , qu'afin que le contrat de donation fut parfait, fuivanr. les intentions du prélat , il ajoate , a fon mandement, des modèles imptlmés des procurations & des pouvoirs dont doivent être munis les deputes a raflemblée. Suivant l'expreflion de ces modèles , qui paroiflent avoir étejedieés par M. le Nrmand lui-meme: l Rien n'eft plus avantageux & plus » honorabb au diocèfe , tant pour 1 etat » eccléfiaftique , que pour 1'etat laique, y» que d'accepter le préfent que M. ƒ« » Normand veut bien faite 4s W oi*  Libéralitè, imparfaite. y6f » bliothèque a fon diocèfe j a 1'efteÈ * de qtioi nous avons ftommé & prié " M de fe tranfporter en la ville » d'Evreux , &c. pour approuver & » recevoir, en notre nom , & au nom » de cour le diocèfe, le grand & magni» fique préfent que le fieur le Normand » veut bien lui faire, &c. & avons » autorifé M de délibérer & arrêrer » avec 1'aflemblée , fur tout ce qu'il *) conviendra faire pour la récepriois » d'un fi précieux préfent , de for» s> entretien , augmentation , emplacei> ment, & généralement de tout ce » qui pourroit êtrepropofé pour rendre >>cet établiflement folide & perma» nent, &c. ». On ne voit ici qu'un deffein formel de la part du prélat, de donner fa bibliothèque , d'en paffer un contrat en faveur de fon diocèfe, de convoquer une affemblée dans cette vue. Mais ce deffein , quelque déterminé qu il füt dans fon efprir , n'étoit qu'un deffein dont il préparoit 1'exécution ; ce n'eft done pas un deffein confommé ; ce n'eft , encore une fois , qu'un deffein qui eft dans la voie de rexécution; Ce ne peut donc pas être une pollicitation obligatoire , en fupS. Q »)  3 66 Libéralitè imparfaite. pofant que les pollicitations foient recues parmi nous. Jamais acte qui n'eft que projetté , ébauché , en un mot qui n'eft pas accompli, ne fut obligatoire. Les loix Romaines même ne clonnent pas cette vertu a toutes les pollicitations. Nous en avons la preuve dans les propres loix qui ont cté citées. Non femper autem obligari qui pollicitus eft fciendum eft* Q«i non ex caufd pecuniam reipubliC£ pollicentuT, liberalitatem perficere non ccguntur y &c. L. i , ff", de poUicit. On a diftingué trois fortes de pollicitations. La première dont il eft parlé dans les loix i ., j., 4 , 9 , i i & 14, eft celle qui avoit pour objet de parvcnira quelque dignité dans larépublique. Ce n'eft pasalors une prometTe, c'eft le paiement d'une dette. Si la charge eft accordée , la pollicitation eft obligatoire. Elle celfe de 1'être dès que la république refufe la dignité , ou que celui qui la brigue décède avant que de 1'avoir obrenue. La loi 11 y eft formelle. Si quis ob honorem vel facerdotium pecuniam promiferit , & , antequam honorem , vel magiftratum ineat, decedet, non op\ ortere hitredes ejus conveniri in pecuniam quam is , ob  Libéralitè imparfaite. 367 honorem vel magiflratum promiferat j principaübus conjlitudonibtts caveiur ± nifi forte ab eo, vel ab ipf 'a republïcd , eo vivo , opus fueric inchoatum. La feconde efpèce de pollicitation regarde Pornement de la ville ; & , comme c'eft une pure libéralitè, ellè n'eft obligatoire , que lorfqu'elle a ett tin commencement d'exécution. II ert eft parlé dans les loix 1,3,6, 3 , 0 , 13 Sc 14. Elle confifte dans Ia promefte d'un édifice public agréé par la république , qui a eu un commencement d'exécution ; fi , par exemple , on a jetté les fondements, fi on a préparé les lieux , fi la deftination de Pemplacement a été arrêtée. Sifundamenta jeceiit , fi locum purgaverit , fi locus illi petenti deftinatus eft. L. 1 , §. 3 , depollicit. Mais cependant cette pollicitation, toute obligatoire qu'elle eft , eft réducrible, fuivant les loix 9 Sc 14 , a la cinquième partie des biens du donateur, tant par rapport a lui, qu'a fes héririers étrangers ; & a Ia dixième par rapport a fes enfants. Si quis , ob honotem , opus fie faclurum in civitate aliqud promifierit, atque inchoaverit, & priufquam perficeret decefterit, h&res ejus extraneus quidem necefiè haQ iv  368 Libéralitè imparfaite. bet aut perficere id s aut partem quintam patrimonii relicli fibï ab eo qui id opus inftituerat y fi ith noliet, civitati in qua. id opusfieri cceptum eft dare. Is autem qui in numero liberorum eft , fi hares extitit } non quinta part is , fied decimA concedendA adficitur. L. 14, ff.de pollLa loi xz comieiit a peu pres la même difpofition. Enfin la troifième efpèce de pollicitation eft celle dont il eft parlé dans les loix 4 & 7. Elle concerne les chofe» qui font, pour la république, d'une grande utilité , & , en quelque forte , néceftaires , comme Ia promeffe de réparer une ruine caufée par un ineendie, ou par un tremblement de terre» Cependant cette pollicitation eft encore affujettie a êtreiéduite a la fixième partie. Or Ie mandement de M. L Normand ne peut être placé dans aucune de ces trois clafTes dé pollicications. Elles devoient , fuivant les loix romaines , êtreparfaitespar elles-mêmes , & contenir les eonditions fous Iefquelles elles étoient faites. Mais le mandement dont il s'agit n'eft qu'un acte préparatoire d'un contrat de donation qui feul devoit opérer cette donation,.  Libéralitè imparfaite'. ï6W & en aflurer les eonditions. Et quelqu'efforr que 1'on faffe , pour donner £ cette pièce le caradère de la pollicitation , il eft impoffible d'y en eiicreyoir aucune tracé. Prémièremenr, on ne voit pas cemment on pourroit dire que le prélac devoit, par-U, s'acquitter d'une dettey puiiqu'il étoit certainenient libre de ne pas contrader cet engagement. Il ne devoit,. a fon diocèfe , tant qu'il a vecu , que la follicitudé paftorale ; Sc certainement il a rempli ce devoir -v mais il n'avoit aucune dette pécuniaire a payer. Secondement , quelqu'avantageufe que fut la promeiTe qu'il avoit faite è ion clerge il n'y avoit point de rradition ; la bibliothèque eft toujours reftee dans les mains du prélat, & a fa difpontion. Ex nudd pollickaüone nulla pollichatio nafekur. Troifièmement, aucun déferdre ^ aucune^calamité n'a pu déterminer Iff prélat a promettre de la réparer : le diocèfe na été affligé d'aucun malneur public. Oü eft donc cette troili'ème efpèce de' Fllicitatioudont on parle ? Quand'om loutient. que te mandement- éraw 9ffir  37° Libéralitè imparfaite. gatoire , paree qu'il a été fuivi d'exécution j quand on veut prouver ce fair, paree que le prélat a établi une chaire de philofophie 8c une chaire de théologie dans la ville d'Evreux , vingt ans avant de penfer a donner la bibliothèque j c'eft avancer une abfurdir.é , c'eft foutenir qu'on a commencé a exécuter un defleirj vingt ans avant de l'avoic formé. II eft donc certain que, fous quelque face. qu'on examine le mandement de 1'évêque d'Evreux , le chapir tre ne peut s.'en faire un titre. Ce n'eft point une donation teftamentaire , ce n'eft point. une donation entre-vifs s puifqu'il n'eft revêru d'aucune- des. formalitcs effentielles aces deux actes Sc 1'on vient de démontrer que. ce n'eft point une pollicitation. Si 1'on fe déterminoit a regardée cette pièce , comme une pollicitation ^ on aboliroit , en faveur, des eccléfiaftiques ,.toures les formalitcs des dona? tions 8c des teftaments. Tout aóle. dans lcquel on voudroic rrouver une libéralitè én faveur de 1'églife, quelqu'informe qu'il put être y feroit une. pollicitation qui exigeroit le dépouille.ment des. humus & la mine d'une familie.  Libéralitè imparfaite. 371 • APrès cela > il parolt fuperflu de repondre aux arrêts qui out été oppofés» Pour ne rien négliger, on diranéanmoins que par 1'arrêt d'Amiot, rapporté par Montholon ? il fut ordonné que le batiment dont il s'agifïbit , demeureroit a la ville , pour fervir de collége , & qu'elle feroit tenue d'en-, tretemr des précepteurs & des régentsr' & de fatisfaire aux charges portées paria tranfaéHon. II y avoit déja eu des. exercices dans Ie collége 5 il y avoic une tranfaclion qu'il s'agkToit d'exécuter j & ce n'étoit point une pollicitation , quoique M. Bouguicr mette la. pollicitation au nombre des motifs quï ont fait rendre 1'arrêt, A 1'égard de celui qui eft rapporrépar Ricard,. il ne s'agiffoit d'aucune.pollicitation. Lonen n'avoit pu difpofer de la rente donnée par le roi, pour 11 n autre objet , que celui qui étoit indiqué par les lettres-patentes il n'avoit pas promis de donner une chofe: qui lui apparrenoit. Comment donc ctoit-ce une pollicitation , puifqu'il; setoit engagé de fuivre une deftinatiom faite par le prince ? Le troifième arrêt qui eft celui de la aaufe de Dieu}. n'a point eu la poUV Qvj; '  yjz Libéralitè imparfaite. citation pour motif , puifque c'eft fexécution d'un legs contenu dans un teftament que le parlement aordonnc.- Enfin les pollicitations font oppofées a nos mceurs , a la forme de notre gouvernement ; les eccléfiaftiques ne peuvent profiter des privileges 8c de la faveur accordés a la république en général. Le droit romain n'a aucune autorité dans les matiéres réglées par nosordonnances 8c parnoscoutumes. Elles ont réglé , avec beaucoup d'attention, la manière de difpofer de fes biens a titre gratuit ; 8c les loix qu'elles ont prefcrites font inviolables. M. Chevalier , avocat général, après avoir balancé les moyens refpeétifs des parties , fe détermina en faveur de 1'béritière de 1'évêque d'Evreux ; mais il penfa que le chapitre n'étoit point blamable d'avoir fait fes efforrs pour obtenir 1'exécution de la volonté pré' fumée de ce prélat ; il avoit, avant d'entamet la contcftation ,. confulté les plus célèbres jurifconfultes du royaume , 8c leur avoit expofé la queftion 8c les motifs qui pouvoient la rendre douteufe , avec une franchife qui caract-'nfcit la bonne foi avec laquelle il vouloir agir. D'aiileurs, dans  Libéralitè imparfaite. ijy cette ^ démarche , il avoic été móins animé de fon intérêt particulier , que de Ï'intérêt public. Enfin? M\. leNormand''avoit, en quelque manière , induit le chapitre enerreur par les termes de fon mandement.. Ge n'eft donc pas le chapitre , ajouta-r-il , que 1'on doit punir de ce que le prélat n'a pas reyêtu fa. donation des. formes néceffaires pour lui procurer fon exécution ;. & ce magiftrat conclur pour la réforme de la fentence , en ce qu'elle condam. nou le chapitre aux. frais de garde 8c aux intéréts-, Par arrêt rendu au parlement de Normandie , le 31 mars 172 5 , la fentence du njuillet précédent fut infirmée , 8c , fans avoir égard a la demande du chapitre & de M. de Rothe. chouan',. nouvel évêque d'Evreux, en défivrance de la bibliothèque en queftion , la cour Padjugea a. 1'héritièrc defeu M. le Normand; le chapitre condamné aux frais de garde , & aux dépens du jour de la demande ; 8c: M. de Rochechouart aux dépens dus jour de fon intervention,.  374 * MÈRE CONDAMNÉE A PAYER LA RANCON D £ SON FILS ES-C L AVE, L e fieur de Buffcul de Saint-Cernin afpiroit a faire fes vceux dans lordre de Malthe ; pour y parvenir , il «t'embarqua fur un vaifleau de Ia religiën , afin de faire fes. caravannes. Ce vaifieau fut attaque par un corfaire. d'Alger ; 1'équipage après la plus vive réfiftance , fut obligé de fe rendre.. Le fieur de Saint Cernin fut condait. a AUTer & vendu a un Turc , nommé Cardin d'Jferiq. Ce barbare traitoit. fon efi.lave avec une rigueur qui alloit jufqu'a la cruaucé. Le jeune homme, pouifé au déféfpoir, voül'ant fe dclivrer d'une dominarion qui devenoit, ie jour en jour, plus infupportable, fe.  t Mère conlamnee d , &c. 37e precipira d'un troifième étage; II ne fe «ua pas , mais il fe rompit les deux jambes. Un marehand Arménien , nommé Georges Sanis , fut touché de compaffion de 1'étac crueloü ce jeune gentilhomme fe crouvoit réduit. 11 le tira. des mains du féroce Cardin , moyennant une rancon de 800 piaftres , qui rcviennent, i peu-près , a 2400 livres. ïl le fit panfer , le fic babilier , & r après fa guérifon , le mena a Tunis. Le fieur d'e Saini-Cernin pria fon. nouveau patron de ne pas 1'expofar, en, le vendant dans cepays, a une feconde eaptivifé j. il le pria de le ramener ea France , avec promeflé delui remboucier tous fes frais. Sanis y- confentit,. & 1'efclave lui fit une objigation dè 3000 livres , tant pour rancon. don nee: au patron , que pour les frais'du voyage», I/Arméhien , de fon cóté, s'ënoatrea, a conduire fon captif a Lyon , avec gar rantie de tour péril, autre que la mort naturelle. Le fieur de Saint-Ctrnin bien convaincu que les 3000 livres auxquelles i!' s'éroit d'abord obligé n'étoient- pas fuffifantes pour indemnifer fon bienfaiteur de toutes fes dépenfes.„ lui fit encore, pendant 1*  3 76" Mère condamnée k payer route , trois promeffes montant a Soa livres. Arrivés a Lycm , Ie fieur de SaintCernin mena fon Arménien a Macon t ©ïi réfidoic fa mère. Elle les recut avec de grandes démonftrations de joie, 8c quoiqu'elle eut laiflé fon fils deux ans dans 1'efclavage •„. fans faire aucune démarche pour le délivrer, elle lui donna toutes les marqués de tendreffe qu'un fils pouvoit attendre d'une mère en pareiile circonftance. Elle téinoigna a l'Arménien toute la reconnoiffance qui éroit düe a fes fervices. Mais tout cela fe bornoit aux dehors; quand il fut queftion de la rancon 8c des frais, la dame de Seint-Cernin déclara que fa fortune ne lui permerroit pas d'y contr'buer en la moindre chofe ; mais qu'elle étoit prête a rendre compte i fon fils de la fucceffion dé fon père. L'Arménien la fit affigner au bailliage de Macon , pour la faire condam> ner a lui payer le contenu aux obligarions de fon. fils , & le bailliage de Macon la condamua , en fa qualité de tutrice feulement, a. payer la fomme de 3000 livres- George: Sareis interjettai appel de-  la rancon de fon fi[$. 3 77 cette fentence a laquelle il reprochoit deux gtiefs. 1 ?. Elle n'avoit pas étendu Ja condamnation fur la totalité de la fomme qu'il demandoit, qui lui étoit due. i°. La mère n'étant condamnée que comme tutrice , l'Arménien ne pouvoit pas 1'obliger de fuppléer a ce qui manqueroit a fon payement , fi la fortune du fils n'étoit pas fuffifante pour former cette fomme. Sur 1'appel , le fils intervint, Sr poufla 1'ingratitude jufqu'a fe faire dehvrer des lettres de refcifion contre les engagemenrs qu'il avoit pris avec ion bienfaiteur i il fic , en outre, intervenir 1'ordre de Malche , prétendant quil etoit tenu de fa rancon dans Je cas uu elle feroit due. On difoit, pour la dame de SaintCermn , qu'on ne pouvoit Pobliger au paiemenr de la rancon de fon fils ; quand les fans racontés par l'Arménien feroient vrais, il n'y avoit aucune ioi qui lm imposat cette obJigation, ioufe la peine qui étoit autrefois prononcee contre les pères Sc mères qui neghgeoient ou refufoient de tirer Jeurs enfanrs de la eaptrvité-, étoit la taculte qu'avoient les, enfants de les exnereder, Amfi ils. en étoient quittes  378 Mère condamnèe d payer pour renoncer a leurs fuccefllons. De mème , il n'y a aucune loi qui oblige les pères & mères a dorer & a mariér leurs filles. Mais fi elles fe mariene après avoir acteint 1'agé de 25 ans, ouli, comme parle la novelle 115, in corpus fuum peccaverinl ; la négligence des pères n'eft pnnie que par 1'impuifl'ance oü la loi les réduit de ne pouvoir les exhéréder pour ce fujet. Ainfi rien n'autoriferoir la condamnation qui feroit prononcée contre cette mère , en fon nom. Qu'on la condamne comme tutrïce , elle eft toute ptête de rendre le bien de fon fils , a qui la juftice lui ordonnera de le re-, mettre. D'ailleurs , quand elle auroit Ia volonté de payer de fes propres deniers , la pauvreté y mettroit un obfiacle invincible. Je fuis , difoit-elle , comme une mère qui feroit fur le bord d'un fleuve , & qui verroir, fur 1'antre bord , fon fils expofé a la fureur d'une béte féroce ; le fleuve qui les fépareroit 1'empêcheroit de le feconrir, &e rendroit tous fes fouhaits inutües. Ainfi la fortune s'oppofe abfolument au defir qu'elle pourroit avoir de payer la rancon de fon fils.  la rancon de fon fils, 379 Le fieur de Buffeul de Saint Cern'm obferva que quatre circonftances env pêchoienr que la juftice put avoir égard aux promeffes dont l'Arménien lui demandoit le paiement. l°. La qualité des perfonnes qui avoient con« rraété. z°. Le lieu oü ces obligations avoient été paflées. 30. Les termes dans lefquels elles étoient con^ues. 40. Enfin , le prérexte dont on s'étoit fervi pour les arracher d'un captif. QueHes étoient les perfonnes qui contradtoient ? C'étoit un tyran visa-vis de fon efclave. Or un efclave, en général , ne peut s'obliger ; toutes les loix lui en interdifent ia faculté. Il le peut encore bien moins vis-a-vis de fon maitre , qui tient liées toutes fes facultés civiles» Dans quel lieu ces obügations ontelles été faites ? A Tunis , ou le fieur de Saint-Cernin n'avoit aucune liberté , oü il ne cherchoit qu'a fe délivrer de 1'efclavage. Or la liberté eft comme 1'ame qui donne la vie aux contrats ; il n'y a point de contrats , quand ce n'eft pas la liberté qui les a infpirés., & qui a préfidé a leur rédaction. Ainfi le fieur de Saint-Cernin n'étant pas libre dans le tems oü il a écrit les acles.  380 Mère condamnèe d payer dont on lui demande le paiement "y n'a pu s'obliger. lis font donc nuls. Ces écrit^ font motivés pourle rembourfemenr de la rancon que l'Arménien prétend avoir pay.e. Mais oü eft la preuve qu'il ait donné la fomme ftipulée ? L'auroit il donnée i Cardin d'Iferiq, fans en tirer une reconnoilfance? George Sareis ne peut donc étabür ni fa demande, ni fa qualité de libérateur, qui eft cependant la prétendue caufe de Pobligacion dont il pourfuit le paiement. Un homme qui a eu le malheur de tomber dans l'efclavage peut tentet toutes fortes de moyens pour recouvret fa liberté. Le code de Juflinien , dans le titre , Ne chi ifiianum mancipiutn hitreticus habeat, contient des loix qui permettent a f'efclave de fecouer le joug de fon tyran , toutes les fois que fon adreffe lui en fournit l'occalion r ou que la fortune la lui préfence ; 8c la loi 1 , cod. de latind libertate tollendd, veut quel'efclave maltraité, ou abandonné par fon maitre , devienne libre» Le fieur de Saint-C rnin eft tombé entre les mains des Turcs ; oü eft Ia loi, oü eft la raifon , oü eft 1'ufage qui  la rancon de fon fils. 381 autorife 1'efclavage qu'ils font fubir aux chrétiens donc la violence fenle les rend rnalcf.es. Sanis, qui fe dit Arménien , &c qui eft peuc-êcre Turc , n'ayanc pu trouver a le vendre a Tunis, la Providence Pa conduit en France, qui eft le pays de la liberté, oü 1'efclavage eft inconnu , & ne peut produire aucune aélion. M. de la Moignon , fils du premier préfident de ce nom , plaidant pour Georges Sareis , dit que la conteftation fur laquelle la cour avoit a prononcer , étoic extraordinaire dans toutes fes parties. On voyoit , d'abord une mère qui , après avoir été affez infenfible pour lailler fon fils , pendant deux ans , dans 1'efclavage , fembloic êcre fachée de fon recour , par la réfiftance qu'elle oppofoic a Pacquit d'une dette auffi favorable , d'une dette qui feule *voit retiré ce fils de 1'efclavage le plu* cruel. Mais il paroiffoic encore plus étrange 4e voir ce meme fils poufièr Pingracitude jufqu'a fe joindre a elie } & confpirer avec elle , pour fruftrer fon libéraceur des fommes qu'd avoic réelleWient débourfées pour lui rendre 1*.  38^ Mèrecondarnnce d payer liberté , la vie mème , & le reftituer a fa patrie & a fa familie. Quant a la mère, il n'y a pas , dans le droit romain , de loi précife, il eft vrai , qui oblige les pères & mères a racheter leurs enfants de 1'efclavage. Mais 1'avis de tous les jurifconfultes impofe cette néceflité a toutes les perfonnes qui font unies enfemble par les liens du fang & -de la nature. En eftet la loi 11 , ff. foiut. matrim. décide que , quand le mati eft obligé , pour raifon du divorce , de reftituer la dot a fa femme , il peut déduire ce qu'il a débourfé pour ia rancon de quelqu'un des proches de la femme répudiée. Sed etfi markus ex dote expendit , ut d latronïbus redimeret necejfarias mulïeri perfonas , vel ut muller vinculis vindieet de necejfariis fuis aliquem , reputatur ei id quod expenfum ejl ,five pars dotis fit, pro ed parte ,five tota dos fit, cclio dotis evanefcit. Dans la novelle 115, entre les caufes qui autorifent les enfants a exhéréder leurs parents , eft expreffément comprife la négligence , ou le réfus de délivrer leurs enfants de 1'efcla/age. Si per negligentiam , vel contemptum liberos fiuos parentes non  la rancon de jon fils. 383 .redimerunc. 11 falloit donc qu'il y eut une loi qui ne nous a pas été confervée, puifqu'une caufe légitime d'exhérédation ne peut être fondée que fur une contravention a quelque loi. En France, la jurifprudence a établi la même caufe , ou du moins a foumis les pères a ce de voir. II y en a un arrêt du 4 juin t6ij 3 rapporté au journal des audiences , qui a condanmé un père, en fon propre & privé nom , a payer la rancon de fon fils. La rédemption des captifs a paru , de tout tems , fi favorable, que Dieu même en a fait une loi par la bouche du prophêre Ifaïe , XL1I , 7 ; & ia novelle 1 20 , chap. 9 veut que 1'on vende même les vafes facrés, & même les biens fonds appartenant aux églifes , & même aux villes , pour y parvenir. Comment , 'après cela , voudroit-on qu'une mère, que la nature attaché fi fortement a fon fils , put impunément le lailfer gêmir dans la captivité ? Si elle eft affez dénaturée pour le faire , la juftice doit venir au .fecours de la nature. . Qaanr au fils , qui veut faire enthénner fes lettres de refcifion , il argumente de fa minorité ! Mais c'eft une  384 Mèrecondamnèe a payer maxime qai réfulte de toutes les loix écrites fur cette matière , que minor non rcjiituitur tanquam minor, fed tanquhm Ltfus. Or peut-011 regarder comme une léfion , une obligarion par laquelle un mineur promet le prix de fa liberté a celui qui en a fait les avances , pour le tirer des mains des barbares qui lui faifoient fubir 1'efclavage le plus rigoureux & le plus cruel ? Mais il y a plus, les loixrefufoient aux mineurs route aótion contre les actes qui avoient pour objet la liberté d'autrui. Adverfüs Ubertatem minori d putore fubveniri impojftbile efl. L 9 , 6 , J. de min. Or fi la liberté donnée par un mineur a fon propre efclave eft irrévocable , nonobftant le dommage qu'il en fouffre , & nonobftant la vigilance fcrupuleufe des loix pour garantir les mineurs de la plus légere atteinte dans leur fortune ; a plus forre raifon , ne doit-on pas écouter celui qui réclame contre les moyens par lefquels il eft parvsuu a obteiiir fa propre liberté, Mais , d'ailleurs , le fieur de SaintCernin s'eft rendu coupable de la plus horrible ingratitude : qu'il fe rappelle la poficion d'oü GeorgeSartis 1'a riré. II écoie  . (f rancon de fon fils. 38c «01c 1 efclave .d'un barbare , dci 1 acroce Wité 1'avoit réduit au défefpoir II avoic preféré Ia mort au fort Suileprouvoir-rnais Ie möyen qu'il avoic choifi pour fe débarraffer de la vie , ne pouvoit que la lui rendre plus infupportable encore. II s'éroit eftroFe de la rmnière la plus cruelle & " avoit d autre efpoir que de voir nS^T t d°Ukrc ' ^ «X n «oit pas homme a faire de Ia dé- Penfe en paafemencs. Que fair Sar- dece malheureux , Je tire d'entre les £**de fon bourreau, I, fait L . fff a fes frais &c le 1'honneur. Ii croie efclave chez les ennemis de fa nation ; on ne lui avoic point demande de rancon , on ne lui avoit fait ftguer aucun engagementj on s'étoit contenté., pour s'alïurer de fon retour , d'une promefle verbale , s'il n'obtenoit pas ce qu'on 1'envoyoic demander. loin de 1'obtenir, il prouve que Ï'intérêt public exige qu'on rejette la demande donc il eft chargé. II obtientle refus qu'il follicitoic, mais il fcait qu'il eft Ui par fa parole; il réfifte aux folhcitatious du fénat qui veut le retenir ; il erainc de voir fes'enfants , fa femme, auxquels il auroit donné Je chagnn de s'arracher dé leurs bras. II conno.lTou la férocité de la.nation a laquelle il alloit fe livrer; rien ne 1'arrete, fa promelfe 1'appelle, il court k une mort certaine qu'il s'attend de voir précéder des fupplices les plus cruels. r Qu'eüt fait Ie beur de Saint-Cernin li Cardm d'Iferiq 1'eüt envoyé, non pas pour negocier un traité de paix, ou trauer d'un échange qu'il eut cru deiavantageux a fa paCrie ; mais feulement pour chercher fa rancon , a Ia charge de retourner prendre fes fers » Qu'euc-il fait, Ci Georges Sarris, ayanS R ii]  3 90 Mère condctmnèe a payer en lui la même confiance, Teut envoyé fur fa parole, chercher la fomme qu'il avoic avancée pour Ie tirer d'efclavage? On ne le voic que erop , 11 n'auroit cercainemenc pas juftifié la confiance que 1'on a par-touc dans la parole d'un genrilhemme Francois. H auroic prétendu , au concraire , que fon débarquement dans fa patrie auroit fuffi feul j pour lui rendre une liberté acquife par le parjure, acquife par une voie , que les loix de 1'honneur , fi refpectées dans cecce patrie , réprouverit fi hautement. S'il veut qu'on le croie genrilhomme, ou du moins animé des fenciments qui doivent caraétérifer ceux qui font décorés de ce titre ; s'il ne peut , ou s'il croit ne pas devoir acquitter fa rancon , qu'il retourne a Alger, fe remettre entre les mains de Cardin d'ifcriq , & qu'il obtienne , de ce premier maitre , ce qu'il a recu , de fon libérateur , pour fa rancon. Voila ce que les loix ftricfes de 1'honneur , qui fe réuniffenr aux loix civiles pour rendre fon engagement d'une obligacion irréfifüble , lui prefcrivenr. Mais il fe retourne de tous les cótés,  la rancon de fon fils. 391 pour fe débarrafler d'une dette fi légirime. II veut en charger 1'ordre de Malthe. Mais, d'abord, il n'eft pas chevalier \ Sc , quand il le feroit, 1'Ordrene feroit pas tenu de fa rancon. Brodeau fur Lcuet, lettre C, n?. 8 , parle d'un arrêt, qui juge que les chevaliers de Malthe ont dtoit de demander leur légitime , pour payer leur rancon , fur les fucceflions de leurs pères Sc mères, quoiqu'ils aient fait leurs vceux avant que ces fucceflions fulfent ouverres. Mais cet auteur met en principe que jamais 1'Ordre n'eft: tenu de cette rancon. M.Bignon, avocat général, fit voir,' par toutes les circonftances du fait , que la rancon du fieur de Saint-Cernin avoit réellemenr été payée par George Sareis ; & ce fair étoit d'autant plus certain, que jamais le fieur de SaintCernin n'avoit fait aucune proteftation,1' foit a Alger , foit a Tunis , foit en France. Ce magiftrat conclut a ce que la mère füt condamnée a la reftituer en fon propre Sc privé nom. Par arrêt du 7 février 1664 5 la mère Sc le fils furent condamnés folidairement a payer le contenu és obligations Sc biliets , fans dépens , ni Riv  3 9 i Mère condamnèe d 3 &c. dommages & intéréts , fauf le recours de la mère contre fon fils , ainfi qu'elle avifera ; & le procureur du roi de Maeon fut chargé de faire exécuter cet arrêt.  *PRÖ TE S TANT QUI RETOÜRNE, A LA- RELIGION C AT BO LIQUEZ POUR FAIRE ANNUL-LER SON MARIAGE* Ï\Iarquis-e Dumas,Sc Ifiaac Benen*;, fon mari , marchand a Chatelleraut ' étoient de la religion prétendue réformée. La femme étoit reftée veuve , Sc chargée d'un fils, nommé Francois Berton , qu'ils avoient élevé dans les principes de l'erreur dont ils faifoienc profeffiom- Dans la méme ville-r étoit un pro^ cureur , nommé André Dieulefit , de la religion cathofique , dans laquelle $ avoit élevé une fille unique qu'il avoic nommée Anne' Dieulefit. Le jeune.Berton devint amoureux de' R v  394 Proteftant qui retourne cetce fille \ il infpira les mêmes fentimenrs afa maitrefle ; mais, ne voulant pas vivre dans la honte du concubinage , elle exigea que fon amant 1'époufar. Mais il n'étoit pas facile d'obtenir , pour ce mariage , le confentement des parents refpeétifs. On connoit, par mille traits célèbres de fanatifme , combien les proteftancs font attachés a leur culte erroné , Sc combien ils ont en horreur route alliance avec les fujets catholiques. II ne falloit donc pas compter fur le confentement de la mère de Berton. II y avoit même une circonftance qui auroit pu , abftraction faite de toute autre confidération , détourner cette femme de donner fon confentement au mariage de fon fils. Les deux families étoient a-peu prés, du même rang; la fortune étoit aufli, a-peu prés, égale , & , s'il y avoit quelque différence , elle étoit toute a l'avantage de la fi^le. Mais le jeune homme n'avoit que dix-fept ans, Sc Anne Dieulefit en avoit trente. II eft rare que des mariag', s aufli mal affbrtis , quant a lage , foient long-tems heureux, Sc qu' un homme qui eft encore dans toute la foKe de fon tempétament , refte  a la religion cathtlique. 395 attaché a une femme affligée de tous les accidents de la vieilleffe. D'un autre cóté , on ne devoit pas efpérer que le fieur Dieulefit confentit que fa fille devint 1 epoufe d'un ptoteflant. Peut - être même devoit - 011 craindre qu'il ne s'oppofat a une alliance qui pouvoit, par la fuite , caufer des défagréments a fa fille , quand 1'age Itii auroit fait perdre les agréments, qui, dans le moment, lui attachoient fi fort le jeune Berton. Pour lever ces obftacles , autant qu'il étoit poffible , les deux amants prirent ie parti de quitter la maifon paternelle, & de fe retirer au village de Colommiers , diocèfe de Poitiers. La, Berton fit abjuration de la religion. proteftante; il levoit, par cette démarche , un des obftacles qui auroient pu empêcher le confentement du fieur Dieulefit; il fit ceffer Péloignement que fa maitreffe avoit de former allianca avec un huguenot. Elle lui témoigna même fa reconnoifiance pour cette démarche , en fouffrant que fon amant anticipat fur le manage , & ufat des droits qui doivent être réfervés at 1'époux. Berton, par fon abjuration , ent Rvj  396 Protejlant qui retoume encore 1'avantage de fe rendre favorables les pafteurs de 1'églife catholique , qui lui donnèrent toutes les facilités qui dépendoient d'eux , pour le rnaintenir dans la religion qu'il venoic d'embraflèr , en 1'attachant a une familie catholique. Le 10 juin 1659 , les vicaires généraux de Poitiers lui accordèrent des difpenfes de bans, Sc le mariage fut célébré le 3 juillet fuivant. Le fieur Dieulefit avoit rendu plainte, Sc fait informer de 1'enlèvement de fa fille, dés qu'elle avoit difparu de fa. maifon; mais il ne paroit pas qu'il ait donné aucune fuite a cette procédure. A 1'égard de Marquifie Dumas , mèra de Francois Berton , elle rendit plainte , le tz juillet, devant le juge de Chatelleraut , en fubornation de fon fils, obtint permiffiou d'informer, avec défenfe & Dieulefit , père , & a toute autre perfonne , de retirer Berton dans leur maifon , a peine de mille livres d'amende , a rous prêtres Sc curés de pafler outre a la célébration du mariage , fur les peines portées par 3'ordonnance, de faire publier Sc afiicher ces défenfes aux paroilfes & lieux  a, la religion catholique. 397 publics : ce qui fut exécuté, avec fignification , tant au curé de Colommiers,. qu'au (leur Dieulefit , Sc a fa fille , au domicile du père. Le lendemain 1'information fut faite: ii fut prouvé que Francois Berton &c Anne Dieulefit avoient commencé ab illicnis , Sc que le mariage avoit été confommé avant la célébration.. Anne Dieulefit fut interrogée, Sc convint qu'elle avoit époufé Francois Berton après qu'il avoit eu abjuré la religion proteftante. Sur cet aveu,, Marquife Dumas demanda que fon fils fut tenu de retourner chez elle, ou,, en tout cas, qu'il füt mis en féqueftre chez un parent, avec défenfes a lui Sc. a Anne Dieulefit de fe fréquenter. Berton, de fon cóté , voulant refter avec fa femme , continua d'habiter avec elle; ils eurent même deux enfants; 1'une nommée Anne Berton,, baptifée Ie 4 mars \66o; Sc 1'autre ,-. nommée Marie , baptifée Je 14 janvier \ 66\. II fit affigner fa mère en reddition de compte de la fucceffion de fon père, attendu que le mariage, dont il foutenoit la validité\ 1'avoit émancipé Sc lui avoit acquis ie droit de jouir de fes revenus par lui-même.  3 9 § Vroteflant qui retourne Sur cette demande intervint fentence au bailliage de Chatelleraut , qui ordonna que la mère feroit tenue de rendre le compte qui lui étoit demande par fon fils; que, par provifion, les biens provenant de la fucceffion de feu Berton , père , feroient faifis a la requête du fils, & même que les fcellés feroient appofés chez la veuve Berton , a 1'effetde faire inventaire , &C de confrater les effets dont cette fucceffion étoit compofée. II y eut un appel au parlement de toute la procédure faite a Chatelleraut; & la mère de Francois Berton interjetta, en même-tems, appel comme d'abus de la célébration du mariage célébré entre fon fils & Anne Dieulefit. Elle demanda, par une requête préfentée a la cour, le 4 mai 1660 , qu'il lui füt permis , en continuant 1'information faite a fa requête devant le lieutenant erimlnet de Chatelleraut , de faire informer de la vie , moeurs Sc déportements d'André Dieulefit, procureur en la même ville, & cX Anne Dieulefit , fa fille; du rapt commis en la perfonne de Francois Berton , fon fils, pardevant Ie Heutenant criminel de Poitiers>ou de Loudun y même d'ob-  d la religion catholique. 3 99 tenir monitoire , avec défenfes a Dieulefit & a fa fille , fur peine de ia vie , de recevoir, ni rerirer fon fils , Sc fouf. frir qu'ils fe hantent, fe fréquentent ni habitent enfemble, fur les mêmes peines ; qu'il füt ordonné a Berton de retourner en la maifon de fa mère , Sc qu'il y rut même contraint par corps; a elle permis de le mettre en lieu de füreté. Elle demanda, en outre, qu'il füt fait défenfes au Heutenant général de Chatelleraut de connoitre, a 1'avenir , du différend d'entre les parties pour raifon du rapt, mariage , compre, fcellé & autres chofes quelconques qui en dépendoient , ni d'attenter a la perfonne Sc aux biens de MarquifeDumos : & a tous huilïiers Sc fergents de mettre z exécution les fentences dont étoit appel , a peine de tous dépens , dommages & intéréts. Berton fils, après fon mariage, avoit réfifté a tous les alfauts que fa mère lui avoit portés , pour le féparer d'avec fa femme ; il avoit même , comme on 1'a vu , fait, contr'elle ,une fortie vigoureufe , en demandant qu'elle lui rendït compte, & fe fatfant autorifer a faire mettre les fcellés chez elle. Mais on le vit, tout d un coup, changer de  4©o Proteflant qui retourne fyftême St de conduite.- Lc premier avril 1661 y moins de deux ans après fon mariage , moins de trois mois après Ia naiffance de fa feconde fille, il quirta fa femme , Sc lui fit fignifier un acte dans lequel il foutenoit qu'il avoit été féduit par Dieulefit Sc fa fille; il déclaroit 'qu'il n'entendoit plus demeurer avec elle , fans le confentement de fa mère , qu'il étoit dans 1'intention de fe pourvoir contre fon prétendu mariage, défavouoit toutes les procédures faites fous fon nom , approuvoit toutes celles de fa mère & fe joignoit a elle. Sa femme, par une requête du 12 avril 1661 , demanda a la cour qu'il lui fut permis d'informer de la féduction exercée envers fon mari , tant pour lui faire abjurer la religion catholique qu'il avoit embraffée , que pour Pengager a quitter fon époufé. Cette information fut autorifée par anêt; Sc par un autre arrêt, elle fut jointe aux appels pendants ea la cour, pour , en jugeant, y avoir tel égard que de raifon. Francois Berton ,. de fon coté , demanda , par une requête du 16 juillet 1661 , d'être recu intervenant' dans la caufe d'appel; qu'il lui fut fait droit fur le crime de rapt commis en fa per-  a la, religion catholique. 401 fonne , par le fieur Dieulefit Sc fa fille, Sc qu'ils fuflent condamnés en telle amende Sc en telle réparacion qu'il plairoit a la cour ordonner. La caufe, en cet état, fut portée & 1'audience. La feule qualité de Marquifie . Dumas, difoit-elle , fuffit pour faire connoitre Ï'intérêt qu'elle a dans cette affaire. C'eft une mère juftement indignée du rapt commis en ia perfonne de fon fils, & qui implore le fecours & 1'autorité des loix contre un attentat qui les viole toutes» Le rapt étoit cerrain, par confequent le mariage nul & abufif, puifqu'il avoit été célébré au préjudice de 1'oppofition de Ia mère. Ce rapt étoit Ie fruit de Ia fraude de Dieulefit père , & de la proftitution cVAnne Dieulefit, fa fille. Qui avoiton ainfi féduit ? Un jeune enfant agé de 17 ans, enlevé des bras de fa mère. On s'étoit d'abord afuiré de fes fens par Pappat d'une jouiflance criminelle; les fens féduits, Pefprit ne tardapas a ctre corrompu , Sc a iivrer la perfonne du malheureux enfant dont on s'étoit emparé par toutes les voies propres a conquérir un coeur fans expérience. Devenu ainfi 1'efclave de la paffioa '  402 Proteflant qui retourne qu'on lui avoit infpirée , on le conduit dans une maifon de campagne; Ja , on lui faic franchir tous les empêchements légitimes qui s'oppofoient a fon mariage , & on lui fait époufer une fille agée de 30 ans. Mais ce mariage , outre la difproporrion d'age , qui feule fuffiroit pout ctablir la fédudtion, étoit nul d'une nullité radicale. Le curé de la paroilfie de Colommiers n'étoit le propre pafteur ni de 1'une ni de 1'autre des parties. Leur prétendue union n'ayant pas été confacrée par le propre pafteur, étoit donc contraire 0 toutes nos loix civiles &c canoniques , qui exigent, comme une formalité efientielle, fa préfence 011 fon confentement. L'ordonnance n'exige pas avec moins de rigueur , que les mariages des mineurs foient précédés de la publication d'un ban , au moins; que la difpenfe des deux autres foit demandée par les principaux parents, & qu'elle ne foit accordée que pour une caufe urgente & légitime ; & tout mariage qui n'eft pas revêtu de ces formes, qui a été contraófé clandeftinement avec un mineur, eft radicalemeut nul. Le changement de religion de Fran-  d la religion catholique. 403 cois Berton, n'a pu fervir de prétexfe pourobrenir la difpenfe des trois baris, ni porter atteinte a la difpofition de 1'ordonnance. Cette prétendue abju« ration n'a point fouftrait un fiis de familie a 1'obéiifance des loix & aux devoirs de la nature ; & 1'on n'a pu s'en faire un prétexte pour fuborner un enfant, & priver une mère , a laquelle on n'a aucun reproche a faire en cette qualité , du droit & de 1'autorité que lui donne ce nom refpecbable. L'écriture dit s a la vérité , que Ia grace nous affranchit de la loi de la mort, & de la fervitude du pêché j mais il n'eft point dit que cette grace nous mette au-deftus des loix, ni qu'elle nous affranchifle de la puifiance paternelle : au contraire, Dieu étant également 1'auteur de la grace & de la nature , & 1'autöriré paternelle étant fondée fur la nature, il eft impoifible que ce qui eft fouverainement jufte dans 1'une , ne foit pas aufli fouverainement jufte dans 1'autre , & qu'ainfi un fils, étant indifpenfablement obligé, dans 1'ordre de la nature , c'eft-a-dire , dans les principes du droit & de 1'équité naturelle, de fe foumettre al'autorité de fes père & mère, &c de deman-  404 Protejlani qui retourne der leur confentemenc dans une occafion auffi importante que celle d'un mariage, il dok en être de même dans i'ordre de la grace ; c'eft-a-dire, dans les maximes de la religion chrétienne. Les païens , qui ne connoiffoient point d'autre dieu que la nature , portoient la vcnération due aux pères & mères , jufqu'a une efpèce de culte; & lorfque la grace eft venue confirmer Sc autorifer les impreflions de la nature , elle nous a fait une loi fi impérieufe de ce refpeót 3 qu'il n'eft rien de plus inviolable , ni de plus faint. Cependant, on veut ici oppofer la grace a la nature , 8c , en oppofant ainfi deux chofes inféparables, on veut, fous prétexte d'un zèle mal entendu , facrifier la loi de la grace, & les droits du fang a un fcrupule fuperftitieux de confcience. C'eft une mère qui fe plaint que 1'on a fuborné fon fils , &c qui demande 1'exécution de 1'ordonnance qui annulle , fans diftinótion., tout mariage conrracté par un mineur fans le confentement de fon père , ou de fa mère. Francois Berton vint a 1'appui de fa mère. II fortoit k peine, dit-il, de la puberté, lorfqu'il connut Anne Diealt-  a la religion catholique. 405 fit. II ne faut que faire 'attencion a leur age , pour juger qui des deux eft coupable du crime de rapt. Non-feulement il avoic été féduic 3 mais on avoic employé Ia violence, pourle meccre dans les üens donton vouloic le charger. On 1'avoic d'abord enfermé dans le chateau de Cqlommiers , Sc , pour dérober la connoiflance du lieu.de fa retraite a fa mère Sc a fa familie, on 1'avoic mené, de nuit, a Vauguioc & en d'autres endroirs. ^Mais ce rapt n'étoit pas I'ouvrage cl'Anne Dieulefit feule ; fon père en écoic complice ; c'écoic lui qui avoic conduit toute la manoeuvre & toute la marche. Or le rapt Sc Ia féduction étant certains , il ne pouvoit y avoir de mariage effeótif. Ce facrement ne confifte pas dans une union crimineile Sc clandefrine , par 011 Anne Dieulefit elle-même avoue qu'elle a commencé. II confifte dans Ie confentement légitime des parties , fanctifié par la bénédiétion du propre pafteur , précédée & accompagnée de toutes les cérémonies preficntes par 1'églife & par 1'état. Le confentement légitime des deux parties eft comme la matière Sc le fondement  40 5 Protcjlant qui retöurnc principal , & les cérémonies requifes lont comme la forme qui caracrérife cette union. Un mineur n'a point, a proprement parler , de confentement a lui ; il eft fubordonné a celui de fes père & mère, ou de ceux de fes parents fous la puiffance defquels la loi 1'a mis comme dans un afyle alfuré contre la foiblefle de fon age, contre fon inexpérience , contre les impreftions étrangères Sc conrre la fougue de fes propres paftions. Ainfi, quand il contracle un mariage contre cette autorité , a laquelle la nature Sc les loix l'ont foumis, il n'y a point de confentement rcel, puifque celui qui paroït le donner, donne ce qui n'eft pas a fa difpofition. S'il n'y a pas de co .fentement, la bénédiftion que 1'on furprend ne produit aucun eftet, puifqu'elle ne porte fur rien. Elle ne peut bénir qu'un confentement ; Sc s'il n'y a pas de confentement , elle ne bénit rien. Si on perdoit une fois de vue ces maximes , on verroit bientbt le crime élevé fur 1'autel ; on verroit bientbt 1'incontinence fouiller les myftères de la religion ; & le lien le plus faint qui axifte dans la fpciécé, deyiendroif foit-  d la religion catholique. 407 rent, ou le fruit de la débauche d'une fille j ou laiécompenfe d'un fédu&eur. Ces principes ne font pas mêrna effieurés par les circonftances dont Anne Dieulefit pourroit fe prévaioir. Elle a dit, dans fon inrerrogatoire, que, fi elle recevoir, cfiez elle , Berton. a route heure , c'eft fqu'il témoignoit vouloir changer de religion , qu'il y venoit pour fe faire inftruire , Sc que ce n'étoit qu'après avoir abjuré la religion prétendue réformée , qu'il avoit concu de 1'amour pour elle. Mais le fruit de ces pieufes vifites , de cesconverfations fur laconcroverfe, de ces entretiens qui avoient pour objet la conrerfion Sc le fialut du jeune profélyte , a été le concubinage auquel s'eft abandonnée cette fage convertlfifieufie. Et dans quel lieu 1'acte d'abjuration a t-il été fait ? Dans le lieu même ou 1'on a dépofé Berton , après fon enlèvemenr , Sc dans le tems même de cet enièvement, &: après que la prédicante eut aflaifonaé fes enfei»nements de 1'appat de fes faveurs. Cette prétendue converfion n'eft donc pas le fruit des arguments d'Anne Dieulefit; il n'y a donc point eu d'abjuration finccre de 1'erreur j c'eft le réfultat de la  408 Protejlant qui retourne féducbion opérée par les charmes impudiques de cette fille. Le prétexte dont elle veut fe prévaloir eft donc ime impiété. Francois Berton n'a jamais changé de religion , fon cceur a toujours défavoué Ia fignature qu'on a exrorquée de fa main ; & on 1'a extorquée , pour confommer la féduction , en parvenant au manage clandeftin auquel on 1'a fait confentir. Par cette feinre , on eft parvenu a furprendre les vicaires généraux du diocèfe de Poitiers , & a obtenir d'eux une difpenfe. Mais , dit-on, Francois Berton eft un re laps , un apoftat, qui a profefle , deux an* entiers , la religion catholique , 8c eft enfuite retourné a fes erreurs, nonobftant fon abjuration. 11 s'eft , par cette conduite, foumis aux peines prononcées par la déclaration du roi , enregiftrée le 7 juin 1663 , contre les reiaps. Mais quel avantage peut-011 tirerde cette circonftance ? Quand Francois Berton auroit eu le malheur de violer cette loi, que s'enfuivroit-il en faveur de Dieulefit 8c de fa fille ? L'un en feroiti.1 moins un fuborneur , & 1'autre en feroit-elle moins une féduétrice ? En feroienr-ils l'un 8c 1'autre moins coupa- bles  a la religion catholique. 409 bles du crime de rapt, gUï eftprouvé ? Au contraire , puifque le changement de_ religion & le prétendu manage , qui en a été le motif, font les effets d'une même caufe, & ql]e Francois Berton n'a fait , dans fes démarches que ce que Dieulefit & fa fillel'ont W de faire; s'il y a quelque crime, ils en font feuls coupables. D'ailleurs , il fe»; . fans dout£ confidcrer la déclaration en queftion comme une loi , a laquelle tous les fujets du roi doivent Ie plus grand refpecl , & Ja plus entière foumiffion. Mais Francois Berton n'a rien a redouter de fes difpofitions. Elle n'a été pubiiée que dans le mois de juillet 16-63 & c'eft en 1661 qu'il a quitté ie malque de catholicité dont la féducfion l'avo-'t revêtu. On ne peut pas foutenir que cette loi foit d'une nature différente des autres loix péna„ ne concernent que 1'avenir & n'ont aucun effet rétroaétif pour lê pafie. Le crime eft une contravention a la I01 ; il faut donc, pour qu'ime aótion foit criminelle, que la loi qui ia derend 1'ait précédée. Peccatum effe non putatur, non exifiente lege. Berton pourroit donc , fans avoir Tomé XFIL S  410 Frotejlant qui rctourne rien a craindre de i'applicacion de cette loi , avouet qu'il a fait 1'abjuration qu'on lui reproche. Mais, dans le fait , on 1'avoit fotcé de figner 1 afte d'abjuration , afin de furprendre plus facilement une difpenfe de bans } &c , comme cette prétendue abjuration confiftoit uniquement dans une fignarute appofée au bas d'un aéfce tout drefié & qu'au fond ce n'étoit point faétion d'une volonté libre , ni le figne d'une réfolution déterminée avec connoilfancc de caufe de prefeier la religion catholique ï la religion prétendue réformée comme cette demarche ctoit un pur effet de la violence de Dieulefit & de fa fille, & du pouvoir qu ils avoient ufurpé fur 1'efprit & fur les fens d'un enfant de 17 ans; comme il s'étoit dégagé de leurs mains eiwiron vin^t mois après la celebration du mariage & a toujours continue 1 exercice de la religion prétendue réformée, qui eft celle dans laquelle il a ete eleye , dont fa mère & tous fes patents font profeffion - comme tout cela s eft tan Lux ans avant l'époque de ladeclaration du roi, dans un tems ou le palface de 1'une i 1'autre religion , qui n'eft point réprouvé par 1'edit de Nan-  ,a religion catholique. 411 tes écok permis ; toutes ces circonftances écartent une loi qui n'étoit pas encore établie ; & 1'on ne peut pas dire que Berton y ait contrevenu. ; -^a's > d'ailleurs, on ne peut trop Ie répéter , c'étoit un enfant qui ne pourroit être fujet a la rigueur de cette déclaration ; il u'a rien fait de fon propre mouvement; il n'a commis d'autre crime , que de s'être lailfé féduire dans un age capable de féducrion. Si quelqu un méritoit ici une peine , ce feroit ?'Tlt1^ fa fiJIe ' <3ui ont abufé de ia rotblefie d'un enfant, pour lui faire iigner des acres contraires a fes intéréts <& a fa croyance. L'empereur JuflinUn, dans fa novelle 5 1 , m proem. infin. nous apprend que pcena parjurii , fi qua omninb ejl pcena, contrè. eum qui jusjurandum exhit convertenda. Sans Dieulefit & fa fille Francois Berton n'auroit rien fait d' ce qu'on Jui impute ; c'eft Ie crime de f'e"l puifque cette réfiftance provient S v  418 Protefiant qui retourne d'une caufe qui n'eft pas légitime » on ne doit y avoir aucun égard r & le mariage en queftion étant débarrafle de cet empêchement il doit être maintenu. ( . M. Talon, avocat general , porta Ia parole dans cette caufe , & dit que le mariage de Francois Berton avec Anne Dieulefit, n'étoit pas , dans. fon principe , conforme a toutes les régies etabnes fur cette matière. C'étoit une majeure qui avoit contradté avec un mineur de dix-fept ans , mineur qui étoit fous la tutelle de fa mère. L ïntention oü il paroïc qu'il étoit de changer de religion n'eft pas un mout qui 1'autorifat a fecouer le joug de 1'autotité maternelle. . , Mais il faut convenir que 1 autorite de la mère n'a pas tant de force que celle du père. D\iiileurs les circonftances de cette affaire exigent qu'on la juge plutót ex aquo & bono t que iui.vant la rigueur.. La loi qui exige le confentement des pères Sc mères pour le mariage de ,eurs enfanrs ,. doit , fans doute, etre Wcutée.. Mais ce n'eft point KJ le cas oü cette loi puiffe recevoir quelqu atteinte. Le mariage en queftion seit  d la religion catholique 419 fait feus les yeux de la veuve Berton ; elle n'a pu ignorer que fon fils avoic difparu avec Anne Dieulefit. Elle n'a pu ignorer que le fieur Dieulefit avoic rendu plainte du rapt qu'il prérendok avoir été commis envers fa fille. Cependanr elle a gardé le filence pendant plus de deux mois , a compter du jour de 1'abjuration de fon fils j ce filence eft une efpèce d'acquiefcement. Car li elle eut regardé la conduite de fon fils comme criminelle , n'aurok-elle pas arréte le défordre dès fon principe ? Cette abjuration a-t-elle pu fe faire , fans qu'elle en eut connoiffance ? A-ton pu obtenir la difpenfe des bans £ fecrètement qu'elle n'en eut pas entendu parler? Enfin toutes les circonftances de la conduite de fon fils réunies annoncent qu'elle étoit néceflakement inftruite de tout ce qui fe paflbic. Elle ne s'eft oppofée arien; elle a donc confenti a tout ; elle eft donc , en quelque forte , complice des- défordres qu'elle reproche a fon- fils. Et quand a-t-elle fait échte? le zèle qui paroit l'animer aujourd'hui ? C'eft aprèsavoir fouftert toutes, les, atteintes porties a 1,'autorité qu'elle réclame ; c'eftc après avoir donné Ie tems & 1'unio» S v|  4io Protejlant quiretourne qu'elle veut rompre aujourd'hui , d* fe fortifiér , & de produire des fruits qu'elle .veut aujourd'hui reléguer dans la clafte des bacards. Ce prétendu zèle , loin de merker la faveur de la juftice , -feroit donc plutot expofé a fon animadverfion. Quant a Francois Berton , fi fa converfion n'a pas été fincère , il s'eft donc »*oué de la religion & de la fainteté de nos myftères. En ce cas, il feroit impoftible de fouffrir une profimarion de cette efpèce ; il faudroit lui faire fon procés , & le condamner fuivant la rigueur des loix. S'il a toujours confervé les mêmes fentiments dans le cteur S s'il n'a pas changé de religion , quoiquil ait abdiqué, a l'extérieur , celle dans laquelle il a été élevé , ceux qui font profeffion de la religion prétendue réformée condamneroient euxmêmes une pareille diffimulation , qui fe fait un jeu des deux religions a la Ón prétend éluder la déclaration de 166} ï fous prétexte qu'elle n'étoit pas publiée lorfque Berton a abjuré la r« ligion catholique , qu'il avoit embraffce. II eft vrai qu'avant cette déclaration , on ne puniflbit pas les relapsj  d la religion catholique. 421 majs ils nJétoient pas moins puilfables; & cette impunité n'avoit d'autre bafe qu'un mauvais ufage que la déclaration de 1665 a rectifié. II y avoit, dans 1'édit de Nantes , un anicle qui accordoit l'amniftie a ceux qui avoient abjuré la religion catholique , pour embralfer le proteftantifme , foit qu:i!s fuffent reiigieux , foit qu'ils fuffent féculiers. Cetteamniftiefuppofoit donc que c'étoit un crime ; on ne donne point d'amniftie pour les actions innocentes. Cependant cet article , qui n'étoit relatif qu'au paffe, & ne concernoit que ceux qui, a 1'époque de cet édit, étoient dans le cas de 1'apoftafie , a été étendu, depuis , a tous ceux qui ont commis ce crime. Quoique la juftice fermar les yeux i ce défordre , ceux qui s'en rendoient coupables n'étoient pas moins puniffables, ëc ia déclaration n'a fait que remettre dans la main de la juftice des armes qu'elle n'auroit jamais du dépofer» C'eft donc en vain que Berton prétend annuller fon mariage par fon apoftalie ; un crime réel ne fut jamais un moyen pour fe fouftraire a des engagemencs. légitimes. On argumente encore de 1'ordon-  4io Proteftant qui retourne nance de 1639 , qui annulle tout mariage de fris defamille mineur, fait fans le confentement de fes père Sc mère. On ne peut, fans doute , maintenir trop rigoureufemsnc 1'exécution de cette loi ; mais il n'eft pas jufte qu'elle ferve de ptétexte pour qu'une mère Sc fon fils titent avantage de leur perfidie Sc de leur impiété, contre une femme, contre la religion Sc contre Dieu. Ce n'eft point donner atteinte a la loi, que de ne point 1'employer dans le cas oü on voudroit 1'employer pour commettre un crime. C'eft même protéger Berton que de 1'empêcher de lirer parti de cette ordonnance , puifqu'on lui épargne , par la , la peine qu'il faudroit lui inniger pour avoir abufé de la ïeligion. Sur ces raifons, ce magiftrat conclut a ce que la Cour mit les appellations , Sc ce dont étoit appel au néant, qu'évoquant le principal , les Parties fuffent nifes hors de cour Sc de procés. Quant a Pappel comme d'abus du mariage qu'il füt enjoint a Francois Berton de reconnoitre Anne Dien* lefit pour fa femme, & de la traiter maritalement , Sc que Berton füt CQiidamné , en ourre , en quatre cents.  a la religion catholique. 4.2$ livres parilis pour le pain des pauvres prifonniers de la conciergerie. Ses conclufions furenc adoptées par arrêt dia 50 juillet 1664.  424 *P ERE QUI ACCU SE D'ADULTÈRE LA FEMME DE SON FILS. j4.ntowe Gayot, curé d'Arnac, au^ diocèfe de Limoges , avoic une nièce, nomméeCharlotte Gaucher. Dès qu'elle put fe palier des pecics foins maternels, le fieur Gayot crut devoir décharger fa fceur des dépenfes qu'exige 1'entretien d'un enfant. II prit la petite Charlotte chez lui, promit de fournir tout ce qui feroit néceflaire a 1'entretien Sc a 1'éducation de cette enfant, Sc même de la marier en tems Sc lieu. Charlotte devint grande; elle devint gentille. L'oncle étoit encore dans lage oü lecceur n'eft pas infenfible aux traits de 1'amour. II ne vit pas impunément croitre les appas de fa nièce ; il ne prit point de précautions contre 1'impref-, fion qu'ils firent fur lui. Loin de fe  Tere quiaccufecCadult, &c. 41 <$ mettre en garde contre lui - même , il travailla a féduire celle dont la vertu étoit fous fa fauve - garde, Sc il ne réuilit que trop bien. II étoit a craindre que leur commerce n'eüt des fuites qui manifeftaffent ce qui fe pafloit entre Tonele Sc la nièce. Un enfant qui feroit venu révéler ce myftère auroit été un accident funefte pour Tun Sc pour Tautre , mais fur - tout pour Tonele. Pour jouir , fans réferve, Sc avec fécurité, des plaifirs inceftueux , le curé fongea a les mettre a Tombre d'un autre crime : Tadultère lui parut propre a remplir fes vues. II propofa au nommé Georges Guillemet de lui donner fa nièce Charlotte en mariage , Sc pour dot un emploi qui lui donneroit les moyens de fe procurer une vie aifée. Mais 1'exercice de cet emploi Tappelloit en Normandie , Sc devoit Ty retenir tant qu'il en feroit revêtu. D'un autre cóté, la principalecondition du mariageétoif que Charlotte refceroit a Arnac , dans le presbytère de fon oncle, pour continuer d'y tenir les rènes de fon ménage. Comment auroit il pus'en paffer? Peu propre aux détails intérieurs & minutieux d'une maifon, il fe verroit en  42.6 Père qui aceufe cCadultère proie au pillage des domeftiques qui Ie tromperoient a leur gré, tandis qu'il feroit occupé des travaux que lui impofoit !a follicitude paftorale. C'étoit Ï'intérêt de Guillemet lui-même, s'il époufoir Charlo:te. Elle étoit feule héribère de fon oncle,qui, d'ailleurs, prendroit toutes les mefures néceffaires , pour lui affuter la tranfmiffion direéte de fa fucceffion, au moment de fa mort. Ainfi les économies qu'elle feroit tourneroient a fon profic , par confequent au profit de fon mari Sc des enfants qui pourroient naitre de leur mariage. Ces raifons parurent convaincantes a Guillemet. 11 époufa la nièce, la laifia chez fononcle, & partit pour la Normandie , oü il alia exercer les fonclions de fon emploi. II laifla fa femme enceinte; Sc ceux qui, par la date de 1'accouchement , voulurent combiner 1'époque de la conception avec celle du mariage , trouvèrent que la dame Guillemet avoit concu avant que d'être femme. Mais cette réflexion , qui n'étoit venue qu'a quelques perfonnes méchantes , ne fit aucune fenfation dans le public. Rien, d'ailleurs, n'empêchoit de croire que cet enfant pré-  la femme de fon fils. 41J eoce ne füt le fruit des complaifances anticipées d&Charlotte pour celui qu'elle avoit époufé depuis. Ainfi tout fe palfa tranquillement. L'enfant fut baptifé fous le nom de Guillemet ; il fut même préfenté au baptême par Jean Guillemet, père du mari. Cet événement ne mit donc aucun trouble dans le ménage du curé; il continua de jouir paifiblement des pla'ïfirs incc-ftueux anxquels il étoit accoutumé avec fa nièce. Mais un accident vint troublerfa quiétude.Il y avoit deux ans que le mari étoit abfent; il étoit notoire que, depuis fon départ du pays , il n'y étoit pas revenu; il étoit notoire que fa femme n'avoit pas quitté la paroiife d'Arnac : cependant elle étoit enceinte. Jufques-fa , on avoit fermé les yeux fur la vie fcandaleufè de Tonele avec fa nièce. Si Ton avoit parlé des propos libres qui leur échappoientreipeétivemenr, même en compagnie , des libertés indécentes qu'ils fe permertoient en public } on ne Tavoit fait qu'avec une cerraine réferve, qui n'avoit pas été jufqu'a Tefclandre. Mais cette groffefle fit celfer toutes les confiderations qui avo'ent arrêté les clameurs du fcandale. Enfin Jean  428 Père qui accufe cTadultère Guillemet crue devoir prendre la défenfe de 1'honneur de fon fils. II rendir plainte, devant le lieurenant criminel du Dorat, de la vie impudique que menoit le curé d'Arnac, avec fa propre nièce, bru du plaignant. Ce juge fe rranfporta fur les lieux, informa , &C décréra le curé de prife de corps. Le mari éroic une pièce de réferve, tk c'éroir bien la le moment d'en faire ufage. ïl arriva fort a propos, au moment oü le décret alloit être mis a exécution. II y a apparence qu'on 1'avoit prévenu fur la groffefle de fa femme , & qu'il s'étoic mis en route, pour venir luimême réclamer une paternité que les circonftances n'auroient pas permis de lui attribuer. Quoi qu'il en foit , dès qu'il fut arrivé , il défavoua juridiquement la démarche de fon père , réclama les droits qui lui appartenoient en qualité de mari, & foutint qu'il avoit feul le pouvoir de fe plaindre de 1'adultère de fa femme; que Ie filence qu'ilgardoir, fur cet objet , devoit être refpeété de tout le monde, qu'il étoit meme en droit de pourfuivre ceux qui portoient atteinte a fon honneur par des démarches auiïï téméraires : qu'au  la femme de fon fils. 429 furplns , fa femme étoit une femme d'honneur , incapable de vivre dans un adultère inceftueux; que 1'enfant, qui avoic fervi de prétexte a la procédure indécence & irrégulière qui fe pourfuivoir, écoic de lui; qu'il n'avoit poinc de compte a rendre du tems ni du lieu oü il avoic habité avec fa femme. Le juge du Dorat fe crue les mains tellemenr liées par cette déclaration yqu'il ne fe contenta pas de déclarer Jean Guillemet non-recevable dans fa plainte, il renvoya le curé abfous. Jean Guil emet, qui penfoit que fon honneur étoit attaché a celui de fon fils, Sc qui ne vouloit pas que Topprobre dont fon fils fe couvroit, rejaillit fur lui, rendit plainte devant 1'ofncial de Guéret, dans laquelle il accufa le curé d'Arnac de fréquentet les cabarets, de blafphémer Ie faint nom do Dieu , Sc de vivre dans un adultère inceftueux avec fa nièce , bru du plaignant. Le fieur Penot, promoteur de 1'évêque de Limoges en 1'officialité de Gueret, fe joignit a Jean Guillemet. L'official recut la plainte , fit une information. furlaquelleil décréta le curé d'ajournement perfonnel. L'accuféfubit iuterrogatoire > interjecta . enfuite,  43 O Père qui accuji d adultère appel comme d'abus de route la procédure faite a 1'officialité , & intima le promoteur. Jean Guillemet, père , inrerjetta pareillement appel de la fentence d'abfolution rendue par le beutenant criminel du Dorat, en faveur du curé d'Arnac. Georges Guillemet, & Charlotte Gaucher , fa femme, préfentèrent, de leur cöré, une requête au parlement, par laquelle ils demandèrent a être regus parties intervenantes dans la caufe, que la procédure criminelle faite devant rofficial de Gueret füt déclarée abufive, avec défenfes de les troubler dans leur mariage. La caufe, en cet état, fut portée a l'audience. Le curé foutenoit que 1'accufarion intentée contre lui étoit une pure calomnie, que les faits de débauche qu'on lui imputoit étoient faux; qu'il n'y avoit, d'ailleurs, point d'adultère a pourfuivre , lorfque le mari ne fe plaignoit pas. Enfin , difoit-il, la procédure de 1'official eft abufive. II n'a pu , ni du connoitre du fait en queftion , puifque 1'accufation avoit d'abord été portée devant lejuge royal, qui non feulement en avoit pris connoiffance, mais qui avoit jugé définitivement , & renvoyé 1'accufé abfous.  la femme de fon fils. 43 1 Puifqu'il étoit pleinement juftifié par un jugemenc régulier, on n'avoit pas pu le traduire une feconde fois en juftice pour le même fait, non bis in idem; & cette accufation réitérée nonobftant un jugement d'abfolution , un jugement qui avoit prononcé que 1'accufé étoit innocent, ne pouvoit être que calomnieufe. Georges Guillemet & fa femme prétendoient, comme le curé , que 1'accufation étoit calomnieufe; qu'en tout cas ceux qui 1'avoient intentie n'en avoient pas le droit j que le mari feul pouvoit fe plaindre de 1'adultère commis par fa femme ; que perfonne n'avoit le droit de pourfuivre un crime qui le concernoit lui feul, qu'il pouvoit pardonner par fon filence , même après en avoir commencé les pourfuites, & encore après avoir obtenu une condamnation , quelque folemnelle qu'elle put être. Mais fi Guillemet fe joignoit a fa femme & au curé, pour repoufler Paccufation injufte qui fervoit de prétexte aux perfécutions que 1'on exercoit contr'eux, ce n'étoit point par une complaifance coupable, c'étoit paree qu'il ie croyoic obligé de rendre hommage  432. Père qui accufe d'adultère a la vérité , & de foutenir les droits de 1'irinocence. La calomnie qui fervoit de prétexte a Taction que Fon fuivoir contre Tonele de fa femme, étoit Toutrage le plus fanglant que Ton püt faire a un mari ; fur-rout, s'il n'a pas lieu de fe plaindre des mceurs de fa femme II en demanderoit la vengeance la plus éclatante , fi tout autre que fon père s'écoit rendu coupable de cette calomnie. Mais il lui fuffit d'inftruire la juftice êc le public que fa femme eft innocente ; fon père fera affez puni, par une juftification éclatante, de Tindifcrétion qu'un zèle mal entendu lui a fait commettre. Safemmeeft devenue enceinte, & a mis un enfant au monde pendant fon abfence ; de la on a conclu que c'étoit le fruit d'un commerce inceftueux. Mais fi fon père , avant de fe livreraux éclars fcandaleuxqu'il s'eft permis , eut fait part a fon fils de fes inquiétudes , & lui efit communiqué fes foupcons, le fils , reconnoiffant de la tendre follicitude d'un père attentif aux intéréts & a Thonneur de fon en,fant, lui auroit révélé le fecret d'un voyaj;e que Ie defir irréfifiible de voir une femme qu'il aime lui avoit fait entreprendre  la femme de fon fils. 433 entreprendre, mais que ie befoin de conferver fon emploi lui avoic fait faire clandeftinemenc. Jean Guillemet foutint que la mauvaife conduite de fa bru étoic fi notoire , que Péclat du fcandale ne lui avoit pas petmis de garder le filence plus long-cems; quemalheureufemenc ce fcandale étoic la fuice de faics prefque publks, Sc que 1'oncle Sc la nièce ne prenoient nulie précaucion pour en dérober la connoifiance au public. On ne pariera poinc de ces difcours réciproques qu'ils fe permetroient, Sc qui annoncoienc unefamiliarité qu'un mari Sc une femme bien nés prennent ia précaucion de modérer, quand ils font en préfence de témoins. Mais cecte indecente familiaricé ne fe bornoic pas aux difcours libres , qui alarmenc la pudeur; on les voyoic en violer cous les drons par les fignes, & même par les accouchemencs que des époux fcrupuleux Sc rerenus par les devoirs de la pieré ne fe permettent pas dans Ie tete-a-tete. II étoit notoire qu'un feui lit leur fervoit a tous les deux. Si, le matin, on vouloicparler au curé, on le trouvoit levé dans fa chambre, & les habits de la nièce dépofés fur un fiège Tome XflL T  4 3 4. Père qül accufe £ adultère auprès du lk, annoncoient qu'elle y étoit encore , & que les rideaux feuls la déroboient a la vue. S'ils étoienc levés, tous les deux, quoique la nièce füt hors de la chambre , on remarquoit facilement dans le lir , qu'on laifiok découvert , la tracé de deux perfonnes qui y avoient pafte la nuit. La décence Sc la pudeur ne permettent pas de dérailler les autres fignes qui ne laifloient aucun doute fur la fréquentation criminelle Sc habkuelle de 1'oncle avec la nièce. C'eft dans ces circonftances , 8c après que le mari avoit été abfent pendant deux ans , que Charlotte Gaucher eft devenue enceinte , & eft accouchéë. Jufques-la Jean Guillemet avoit gémi en fecret des défordres de fa bru ; il s'étoit flatté que fes remontrances exciteroient enfin des remords, que le curé lentreroit dans les devoirs de fon état, foit par la crainte de fes fupérieurs , foit par un retour fur lui-même. Mais a-r-il pu garder le filence , lorfqu'il a vu fa bru mettre au monde un enfant qui n'étoit pas 1'ouvrage de fon fils , Sc lui donner , a lui-même , le fils du curé pour héritier ? Dès les premiers tems de la fonda-  la femme de fon fils. 43 5 «on de Rome, le mari fut établi juge de fa femme coupable d'adultère , & fut autonféi la punir lui-même, après en avoir délibéré avec fes parents. II f avoir 4 ce fujet, un texte précis dans la loi des douze tables, & 1'on en atrribuoit la difpofition a Romulus. Cette puiflance abfolue fut tempérée dans la fuite. Le mari fut obligé de deferer fa femme au juge qui, fLir les preuves qui lui étoient adminiftrées , prononcoit la condamnation. S'il la tuou de fa propre main , il étoit enveloppe dans la loi que Lucius Cornelius. ó^etabhtpendantfa diétature, après avoir vaincu Marius & Mïthrïdate. ille eft connue fous le nom de loi Cor. neha de Skaras. Elle prononcoit Ia peine de mort contre tout aftaftin ' lans aucune exception, & fans acception de perfonnes. Et qui hominem occideru , punitur , non habka dijjerentil cujus conduionis hominem interemit f' 1J §: 2 > ff ad hg- Corn. de Sic. Le man cjui cuoit fa femme n'étoit point excepté. Mais ülpien nous apFend que cette exception fut introduite dans la fuite. Si markus in adulteno deprehenfam ( uxorem ) occidat ' qua ignojcitur ei, dicendum ejl non tanT ij  436 Père qui accufe d'adultère turn mariti, fied etiam uxoris Jervos liberandos, fi jufium delortm exequenti domino non reftiterunt. L. 3 , §. j jff. de Senatufconf. Silan. On ne laiflbit cependant pas cette actton impunie. Si 1'homme étoit d'un état abject, on 1'appliquoit aux travaux; s'il étoit d'une condition plus relevée, on Pexiloit. Imperator Marius Antoninis & Commodus filius refcripfierunt: fi amritus uxorem inadulterio deprehenfiam impetu traclüs doloris interfiecerit , non utique legis Cornelidt, de Sicariis pxnam excipiet. Nam & D. Pius in héte verba reficripfit Apollonio: & qui uxorem fuam in adulterio deprehenfiam occidifie Je non negat , ultimum fiupplicium remitti poteft, cum fit difficillimum jufiumdolorem temper are \ & quia plus fecerit, qudm quia vindicare fe non debuerit, puniendus fit. Sujficiet igitur, fi humilis loei fit, in opus perpetuum eum tradi: fi qui honefiior, in infiulam relegari. L. 3 8 , §. 8, ff. de leg. Jul. de adult. Si le njari fe contentoit de tuet le complice de fa femme , il en étoit quitte pout fubir 1'exil. Sedfi , . . . inconfuito dolore adulterum peremit , quamvis homicidiurn perpetratum fit , tarnen quia & nox & dolor juflus faclum  la femme de fon fils. 437 ejus relevant , potefi in cxilium dari. L. 4 , cod. ad leg. Jul. de adult. Mais il n'étoit pas permis au mari de tuer toutes fortes de perfonnes , quoiqu'il les furprit en adultère avec fa femme. La loi n'avoit livré a fa vengeance que ceux qui faifoient le métier infame exprimé par le mot leno ; les comédiens de profelfion, ceux qui montoient fur le théatre pour chanter , ou pour danfer; ceux qui avoient fubi un jugement infamant dont ils n'avoient pas été relevés , 1'affranchi du mari ou de quelqu'un foit de fa familie , foit de celle de fa femme; enfin un efclave. Et aufli-tót que le mari avoit trempé fes mains dans le fang d'un adultère de cette efpèce, il falloit qu'il fit, fur le champ , divorce avecfafemme. Et, encore , pour qu'il put comrnertre cet aflaffinat, il falloit qu'il prït les coupables en flagrant délit, dans fa propre maifon, & non pas dans la maifon d'un autre. Manto quoque adulterum uxoris fu& occidere permittitur ; fed non quemlibet, ut patri. Nam hdc lege cavetur ut liceat viro deprehenfum domi fu éprouva  4<,0 Femme eeiui cYAbailard. Se voyant ainfi hors de combar, il prend Ja fuite , & fon fang jaitfiffant fur les murs & fur les arbres qui fe trouvent fur fon paffage, lailfe des traces de la précaurion dont la vertueufe Marie-Louife Corpel avoit fait ufage pout fauver fon honneur,& celui de Martin Quain, fon époux. Cet heureux mari, de retour de fes voyages , rrouva fa ehafte moitié encore toute agitée de ce qui venoit de fe paffer. II fut convaincu de Ia vérité des fiits qu'elle lui raconta , pat le piftolet d'e Jean Gobinot , donr elle s'éroit em paree après fa fuite , 8c qui étoit un témoin muet de la violence qu'on avoit voulu lui faire, & par Ie fang qui prouvoit qu'elle avoit fait ufage du feul moyen qui lui reftoit pour fe préferver de ilnfamie 8c désatcaques fous Iefquelles tliealloicinfailliblementfuccomber. Les officiers de 1'a juftice de Pars ne firent aucune pourfuite au fujet des deux attentats commis dans fon terriroire ; ils les regardèrent, fans dotite, comme étant hors de leur compétence ; c'étoit, d'un cóté , un viol , & de 1'autre , une mutilation que les loix placent dans la clafle des affaffinats*  qui dèfend fon honneur. 451 Enfin , le 20 mai , deux jours après la fcène que Ton vienr de décrire , Jean Gobinot, aflifté de fon père, requic le bailli de Pont fur-Seine , de fe rranfporter chez lui, pour y recevoir fa plainte. Le juge déféra a cette réquifition , & la plainte fut rendue. Mais il faut ici reprendre les faits , & les préfenter fous les couleurs que leur a données Jean Gobinot & fon père. 11 faut mettre fous les yeux du lecteur le véritable portrait de notre héroïne , raconter Thiftoire de fes amours avec Jean Gobinot , & développer les caufes de la funefte cataftrophe qui les a terminées. Marie-Louife Corpel paroiïfoit agée d'environ 45 a 50 ans. Sa taille étoit au-delTous du médiocre ; fcn teint étoit très-bafanné , fes yeux petits Sc enfoncés, & les traits du vifage entièrement erfacés. Telle fut la beauté cruelle qui enflamma le cceur d'un jeune homme agé de 23 a 24 ans. Elle travailloir, un des derniers jours du mois d'avrü 1728., dans la grange que fon mari & Hilaire Gobinot polfédoient en commun. Jean Gobinot y entra dans le même deffein. Comme  452 Femme leurs actions n'avoient rien de criminel, ils ne cherchoienr point a les cacher ; les portes étoient & reftèrent ouvertes. Cependant Martin Quain, qui iurvinr , fut trés - fcandalifé de trouver fa femme tête a-tête avec un jeune homme. Soit que 1'expérience lui eut appris qu'il ne devoit pas beaucoup compter fur la vertu de fa femme , foit que Gobinot eut la réputation d'être redourable aux maris du village, Quain fe livra aux eranfports de la jaloufie , & imagina des faits que n'avoient point vus ceux qui alloient & venoient dans la cour. N'écoutant que fa fureur , il faifit Gobinot a la gorge , & aidé de Claudt Quain , fon fils , ils alloient 1'étrangler, s'il n'avoit recu un prompt fecours. Telle eft la première aventure , bien différente , comme Ton voit , de celle que Quain avoit racontée. Si elle étoit telle , difoit-il , pourquoi Gobinot eftil refté tranquille , & n'a-t-il pas rendu plainte des mauvais traitements qu'il avoit éprouvés ? Son filence n'annonee-t-il pas qu'il les regardoit comme la jufte punition des entreprifes qu'il avoit tentées contre Thonneur de Quain? Car celui ci ayouoit qu'il avoit,  qui défendfon honneur. 453 dans cette circonftance , maltraité fon adverfaire \ il ne pouvoit le nier , la preuve en écoit confignée au procés. Gobinot expliquoic fon inaction par les bornes étroites de fa fortune. Ses facultés , difoit-il, ne lui permettoienc point d'entreprendre un procés criminel , dont il n'auroit pu foutenir la dépenfe. Mais, ajoute-t-il, s'il eüc donné lieu a la jufte vengeance d'un mari outragé : s'il eut entrepris de violer Marie-Louife Corpel, le mari feroitil tefté dans 1'inaction , Sc n'auroit-il pas employé les pourfuites les plus rigoureufes contre 1'auteur d'un attentat auquel il paroiftbit fi fenfible } Quoi qu'il en foit, la jaloufie de Quain ne cefla de le tourmenter, Sc fa vengeance n'étoit pas fatisfaite. 11 forma le projer de punir Gobinot par 1'endroit même qu'il s'imaginoit caufer fon déshonneur ; Sc , par un rafinement de cruauté, il voulut que ce füt la main même de fa femme qui exécutat fon affreux projet. II crut qu'il feroit plus facile a une femme de faire fans eftbrt , Sc par conféquent , fans édat , 1'amputation qu'il méditoit j ou peut-être voulut-il la punir ellemême, en la forcant de porter un fer  454 Femme homicide fur 1'homme pour qui elle avoic eu des foibleftes. II prévic que le crime qu'il méditoit ne pouvoic manquer d'avoir des fuices pour lui. Pour en dérober la connoiffance a la juftice s il ne borna pas le projec de fa vengeance a la mutilacion de fon ennemi; il réfoluc de lui èrer la vie, & d'enfouir fon cadavre dans la cave , oü il bt creufer une fofte defrinée a recevoir la malheureufe victime qu'il dévouoic a fa furieufe jaloufie. Les chofes ainfi difpofées, il ne fuc plus queftion que d'éxécuter le deffein concerté. Pour atrirer la victime avec fuccès dans le piège qu'on lui cendoit, Quain pare eftèctivemenc, le lundi de la Pentecóte , pour le voyage dont il eft parlé plus haut. Après avoir diné z Mery , il revient a Pars, entre fecrètement chez lui, & s'y tient caché , en attendant le fuccès de 1'opération qu'il avoit confiée a fa femme. Elle invite Gobinot, fur les neuf heures du foir, a s'aller promener avec elle , dans le jardin de Ion mari, fous prérexte qu'elle avoit des fecrets de la plus grande importance" a lui commuuiquer. II y entre avec elle, &  qui dêfendfon honneur. 455 cette femme lui déclare qu'elle brüle , pour lui, du plus violent amour; elle accompagne cette déclaration des difcours les plus tendres , les plus lubriques & les plus propres a infpirer des defirs a un jeune homme; mais toutes ces agaceries ne la rendoient pas plus aimable , & la nature , chez Gobinot, répugnoit aux attrairs furannés & flécris de cette impudique créature. Les difcours ne produifant pas 1'effet qu'elle en attendoit , elle eut recours aux attoucheraents , & , dans ie tems que ce jeune homme croyoit qu'elle ne fortgeoit qua le carefler , elle fit ufage d'un inftrumenc extrêmement tranchant , qu'elle avoit preparé , & , comme dit Claudien in Eutrop. liv. 1 : Unoque fub iclu Er.ipit officium patris, nomenque mariti. Martin Quain , averti de ce qui venoit d'arriver par les cris de la malheureufe vi&ime de fa jaloufie, fort de 1'embufcade oü il étoit caché, fe jette fur fa proie, la faifit; & veut 1'enrrainer dans fa maifon , pour achever le facrifice que fa femme avoit commencé , & 1'enterrer enfuite dans Ia fofle qu'il lui avoit deftinée. Mais ,  45 6 Femme quoique Gobinot perdit tour fon fang, il eut encore la force d'échapper aux dernières fureurs de fes affaffms, Sc laifla , entre les mains de Quain, les lambeaux de fon habit; qui fe déchira par les efforts qu'ils firent de part Sc d'autre. Les premiers foins de fes père Sc mère furent de fecourir leur fils-, qui perdoit tout fon fang. Leurs peines ne furent pas infrudueufes •, a force de dépenfes, Sc en vendam leurs meubles les plus néceffaires , ils parvinrent a faire cicatrifer une plaie que 1'on avoit crue d'abord incurable. Mais, en guériffantleur fils , ils fe réduifirent , ainfi que lui , a un état qui touche a celui de la mendicité ; état dont fa foiblefle ne lui permettoit pas 1'efpoir de pouvoir fe tirer. Le juge de Pont-fur-Seiue étant arrivé chez Gobinot, comme on 1'a dit plus haut, recut la plainte que lui rendirent le père & le fils. Sur cette plainre , le juge ordonna que le bleffé feroit vifité par des chirurgiens qui en drefferoient procés-verbal, Sc qu'il en feroit informé. Quain Sc fa femme prirent la fuite. Sur 1'information , ils furent décrétés de prife de corps. Le procés  v $ui dèfendfon honneur. 4^7 procés - verbal des chirurgiens conftara 1'amputation dont on avoit rendu plainte , & qu'elle avoic été totale a un travers de doigt prés. Tout cela fut executéles 20 & 21 mai 172S. Le 22 intervint fentence , qui adiugea a Gobinot une proviiion de 195 livres, Le; procureur du roi intervint, & obtint, le 31 mai , permiffion d'informer par addinon ; ce qui fut fait le 5 juin. Nouvelle vifire le 7 , f„ivie d'une nouvelle provifion de 180 livres, adiugee le.9. . ' - Le 31 mai , on avoit fait perquifition de Quain & de fa femme, le 18 juin, ils furent affignés d cri public, 011 établit garnifon dans leur mailon leurs effets furent fajfis en vertu de la fentence de provifion; ils finent vendus les 22,25 & 3° juin. Cependant le procureur du roi obtint Ie 21 juin, une nouvelle permiffion dinformerparaddition; |e 22 l'i„. formation fut faite. Nouvelle permiffion obtenue le 28 , & nouvelle Information le 30 juin. Pendant le feu de cette procédure, Quain & fa femme obcinre.it , le 10 JU.n 1728 un arrêt qui Jes recilt ap_ pellants de la procédure , & ordonna lome XVII. y  458 Femme que les informations feroient apportées au greffe de la cour. Cet arrêt fut fignifié , le 12 , au greffier. Il ne fatisfit point a 1'arrêt; on en obtint un autre, le 30 juin , qui déclara encourue Tarnende dont cet officier avoit été menacé par le premier , Sc prononca fon interdict-ion. Quain Sc fa femme offrirent, le 7 juillet , les 180 livres de la feconde provifion. Ces offres furent refufées , a moins qu'on n'y ajoutat 105 livres 15 fois, pour les frais de la procédure faire pour parvenir a Tadjudication de cette provifion ; les 180 livres furent dépofées chez un notaire, a Pont-fur-Seine. Mais ce dépot tfarlêta pas les pourfuites. Le 1 o juin, la juftice avoit fait une defcente dans la cave de Quain , Sc s'étoit fait accompagner de deux macons , qui conftatèrent, par un procèsverbal, qu'il y avoit, dans cette cave, une foffe nouvellemenc creufée , &c capable de contenir un homme. Enfin Quain Sc fa femme fe conftituèrent prifonniers le 28 juillet. Le 29, ils furent interrogés. La femme con'vint de Tamputation donteüeetoit accufce ; mais foutint que c'étoit a fon  qui défend fon honneur. 4 5 ë corps défendant ; que fon mari étoic ablenc , & n'étoit rentré chez lui oue long-tems après la fuite de laggrelfeur.' Le procureur du roi fic encore faire plufieurs additions d'information. II' Obtint même un monitoire , dont le réaggrave fut publié le 20 octobre. Les •révélams furent entendus. Enfin , après de nouveaux interrogatoires , après les récollements Sc confrontations, intervinc fentence, le 18 janvier 1729 , qui déclara Quain Sc fa femme atteinrs Sc cqnvaincus , fcavoir , la femme d'avoir , de deflein prémédicé , fait 1'amputation donc elle étoit accufée ; & le mari d'avoir été complice de l'aétion ; bannit la femme pendant fepc ans , le mari pendant cinq , &c les'condamna folidairement, Sc par corps , en 1 200 livres d'incérêcs civils & aux dépens. Quain Sc fa femme interjettèrenr appel de cette fentence. M Prévoft , chargé de la défenfe' des appeliants , dit que la véritable dffcirffibn de cette affaire étoit bien moins longue que la procédure. I! n'y avoit aucun témoin du fait pnncipal. Toutes les charges confiftenc! en ouï-dire , Sc en faits récités par Vij  460 Femme Gobinot , la femme Quain , & fon mari, après elle, dans leurs interrogatoires. Mais il y a une grande différence entre les récits de Gobinot, &c ceux de Quain &C fa femme. Ce qui fort de la bouche d'un accufateur ne fait pas preuve contre 1'accufé, mais peut faire preuve contre 1'accufateur lui-même. Mus ce qui eft dit par un accufé fait preuve a fa décharge , quand il n'y a pas , d'ailleurs , d'autre preuve contre lui. Ici , Gobinot a accufé la femme Quain de 1'avoir attiré, & de lui avoir, par fes carefles , tendu le piége dans lequel il eft tombé. Mais il n'y a aucune preuve de ce fait , qui eft démenti, d'ailleurs, par le piftolet dont il s'étoit précautionné , pour appuyer la violence qu'il méditoit. D'un autre cóté , la femme Quain foutient qu'elle ne s'eft laifte aller a 1'extrémité qu'elle avoue, quafon corps défendant, 8c pour prévenir la violence dont elle étoit menacée par le piftolet qui eft refté fur le lieu. La preuve que Gobinot étoit armé d'un piftolet , ré' fuite de la dépofition d'un témoin , qui dit qu'il a entendu Gobinot avouer  quidifendfonkonneur. 461 qu'il étoit allé vers cette femme , Ie piftolet a la main , & que cet aveu fut fait a Pinftant mcme de fon retour du lieu oü le fait s'étoit pafte. Que 1'on examine , tant que 1'on voudra , Pimmenfe procédure faite en première inftance , on n'y trouvera rien autre chofe , que ce qui vient d'être dit. D'après cela , il faut difcuter I'affaire quant a la forme , & quant au fond. La procédure eft nulle & incompétente. Les juges de Pont-fur-Seine n'étoient pas juges du lieu oü le délit s'étoit commis. II y a un juge i. Pars , & Pon a prétendu que Gobinot avoit rendu plainte devant ce juge.' Mais , foit qu'il eut méprifé les faits qui en étoient Pobjet, feit que Gobinot père & fils n'euffent pas trouve dans la juftice de Pars les facilités auxquelles ils s'attendoient , ils fe pre-; rent aux foins du tribunal dePont-furSeine. Les officiers qui le compofent appuyèrent leur compétence fur Partiele t du titre premier de Pordonnance de 167ff qui porte que « les baillis » & fénéchaux ne pourront prévenic Viij  462 Femme » les juges fubalternes & non royaux 35 de leur re flor r , s'ils ont informé Sc >> décrété dans les 24 heures , après ■» le crime commis ». D'oü il fuit que quand le juge feigneurial a laifle palfer 24 heures fans informer , le bailli 011 ïehecHal peut prévenir. Mais cet article ne s'enrend que des baillis Sc fénéchaux qui ont une province pour reifort, Sc auxquels les cas royaux font réfervés. II ne regarde point les baillis d'une fimple chatellenie , telle que Pont-fur-Seine. D'ailleurs cet article ne s'applique qu'a ces crimes qui inrérelTent la fociété , Sc dont la pourfuite fe fait d'office , a la requête du miniftère public ; Sc non pas a des délits qui ne fepouifuivent que quand il y a partie civile. En effet, on ne peut pas dire qu'il dépendra d'une partie , en laiffant écouler 24 heures , fans avoir recours au juge du lieu oü le délit a été commis , d'en attribuer la connoiffance au juge du bailliage royal. En un mot , qui dit prévenir, dit agir d'office par le miniftère public; Sc non pas être choili par la partie , ou avoir déterminé le choix de la par-  qui défendfon honneur. 46*3 tie parun tranfport fait a fon domicile. Mais non - feulement la procédure eft incompétente , elle eft infectée d'une nullité elfentielle. Lorfque les témoins ont été confrontés aux accufés , & les accufés les uns aux autres, les accufés nJontpoint été interpellés de dire fi le contenu aux dépofitions & aux interrogatoires étoit véritable. « Après que 1'accufé » , dit 1'article i 8 du titre 15 des récollemenrs confrontations de Pordonnance da 1670 , « Après que 1'accufé aura fourni » fes reproches , ou déclaré qu'il n'en » veut point fournir, leef ure lui fera » faite de la dépofition 6c du récolle» ment du témoin, avec interpellation » de déclarer s'ils contiennent vérité , «*&c. ». Quoique 1'article ne fafte pas mention des interrogatoires , il eft évident que Pintennon de la loi eft de les y comprendre. Plufieurs arrêts 1'onc ainfi jugé , en faifant des injonctions aux juges qui avoient négligé cette formalité. Entr'autres , les arrêts des 3 Octobre 1678 , pour le juge de Marney, 16 Novembre de la même année, pour le juge de Sceaux , & 15 Février 1681 , pour le juge-maire de Brenouille. Viv  4&4 Femme Paflons aux moyens du fond. Le véritable crime a punir eft Pattentac commis a main armée par Gobinot ftlr la femme de Quain Cg cette femme a fait , elle ne Pa fait qu afon corps défendant. Telle eft fa déclaration ; & comme ij n'y a point d autre preuve que c'eft elle qui eft auteur de Pamputacion dont Gobinot ie plaint, que fon propre aveu, il faut ie prendre tel qu'il eft. Or cet aveu eft : qu'elle a défarmé" celui qui 1'attaquoit, Se qui 1'attaquoit a main armée. II y a preuve complette da vioUntrepris , puifque le piftolet eft refte , & qu'un témoin a dépolë que Gobinot avoit dit lui-mcme quïl s'étoit muni de cette arme, pourfavoxifer le crime qu'il étoit déterminé i commettre. Jamais attentat ne fur plus ■punuTabJe , & jamais preuve ne fut plus complette , puifque les témoignages & les indices concourent a la foriner. U n'y a donc eu , de la part de Ia femme , qu'ime défenfe légitime , qui exclut toute idéé de crime. II eft du droit naturel de fe défendre ; la force eft permife pour repouffer la force. Is qui aggreforem, vel quemcumque alium in dubio vit£ difcri  qui dêfcnd fon honneur. 46 J mine conjlitutus occiderit • nullam ob id faclum calumniam metuere debet» L. 2, Cod. ad leg. Corn. de Sicar. Si quis percufforem ad fe venientem gladia repulera, non ut homicida tenetur, quia. defenfor propri* falutis in nullo peccaffe videtur. L. 3 , eod. Adverfüs periculum naturalis ratio permittit fe defendere. L* 3 , ff. ad leg, Aquil. Si , pour dcfendre fa vie, il eft per-? mis de tuer Paggrefleur en toute forre de cas , a plus forte raifon le peuton faire pour la défenfe de la pndeuc attaquée par la brutalité. Cette vérité eft établie par les lok , par une foule d'exemples , & eft gravée dans tous les cceurs honnêtes. La crainte d'un attentat tel que celui que Gobinot vouloit commettre , eft plus grande que celle de la more même. C'eft la loi qui parle ainfi 1 Si dederit ne jluprum patiatur vir aut muiier, hoe ediclum locum habet ; cum vir is bonis ijle metus major quam mortis ejfe debet. L. 8 , §. 2 , ff. Quod metus eaufd. L edit dont il s'agit dans cette loi eft concri en ces termes : ait Praetor 9 Quod metus caufd geflum erit ,, ratumnon habebo. Les auteurs- qui ont le mieux conmt ¥ v  466 Femme les fentïments de 1'honneur ont penfe qu'un outrage fait a 1'union conjugale autorife la même dcfenfe, que s'il falloit défendre fa vie même ; & ceux. qui fe rendent coupables de cet attentat, font aufli odieux que les affaftins,, qu'il eft permis de ruer, Sunt enim quadam qw vh& dtquiparantur , ut exiftimatio , pudor virginitatis , fides matrimonii.... adverfüs qua qui faciunt, ii hcmicidiis meliores non videntur, dit Grotius , de jure belli & pacis ,. lib. 1 y, c. x , §. 5 , n. 7. . On ne peut douter , dir encore cet auteur, lib. 1 , c. 2, §. 7, qu'il ne foit permis de tuer pour conlerver fa pudeur ; c'eft un fentiment commun confacré par la loi divine , que la pudeur eft aufli. précieufe que la viePro pudicitia idem liceai ( occidere ) controverfam vix habet ; clan non tantum; communis tfilimaiio , fed & lex divina pudicitiam vlta exaquet. Le jurifconfulte Paul,. au livre de fe fentences,. tit. 2J., décide que celui qui tue un homme qui entreprend de commettre un viol, n'eft-pas plus lujet a la peine , que celui qui tue un voleur & un aflafhn. Qui latronem cadem ftbi inj'erentem vel alium, quemcumque Jluprum inferen.-  qui défendfon konneur. 467 tem occiderh , punire non placuit. Alius enim vitam , alius pudorem publlco facir. nore defendit. Les loix romaines ont adopté ces fentiments. On y trouve une difpofition expreffe , qui porte que celui quï tue un homme qui entreprend de commettre un viol , ne peut être condamné. Divus Hadrianus reficripfit eum qui jluprum fibi velfuis per vim inferentem occid.it, dimittendum. L. 1, §.4, Cod. ad leg. Corn. de fic. Les pères & les docteurs de 1'églife ont reconnu la juftice de ces loix. Saint Auguftin autorife le voyageur a tuer ïe yoleur , pour éviter d'en être affaftiné ; il autorife pareillement & tuer quiconque entreprend de commettre un viol, foit avant , foit après 1'aétion. Voici les termes de ce faint docteur. Lex dat poteflatem vel viatori ut latronem , ne ab ipfo occidatur, vel cuipiam viro aut fcemina , ut violenter Jibi flupratorem irruentem, ante aut poft illatumftuprum, fi pojfiu , interimat. De liber. arbitr. I. 1. L'hiftoire^ nous fournir plufieurs exemples oü ces loix ont été mifes en iifage. Marius dit que Caius Lufcius ion neveu, avoic été légitirnernent tue y vi  46 8 Femme par un fimple foldar , lors d'un attentat qu'il entreprir de commettre contre la pudeur. Florus rapporte que 1'époufe d'Orgiagonte porta a fon mari ia tête de celui qui 1'avoir voulu déshonorer ; exemple. , dit 1'hiftorien , a jamais mémorable , memorabïli excmplo. Grégoire de Tours nous apprend' e^xAmalon fut égorgé de fa propte épée , par celle qu'il avoit voulu violer, & que le roi Childebert la déchargea de route accufation. S'il eft permis d'öter la vie a ceux. qui font coupables de ces violences. , il 1'eft , a plus forte raifon, de les punir par Pendroit par ou ils ont voulu pécher. Ce genre de défenfe eft analogue a 1'attaque ; il ne privé pas le coupable de Ia vie , mais il met déformais la fociété a 1'abri de attentats de ce corrupteur. Si Marit-Lomfe Corpel eft innocente 'du crime qu'on lui impute, ou plutór, fi 1'aótion qu'on lui reproche, & qu'elle avoue , n'eft pas un crime , a plus» forte raifon fon mari eft-il innocent. II n'étoit pas préfent a 1'action , il n'étoit même pas dans le lieu ou elle s'eft paffee. Nul témoin, nulle indication ne peut même faire foupconner  qui dêfendfon honneur. 469 qu'il füt dans le village. Le mari & la femme , dans les interrogatoires fur lefquels ils ont été confrontés , ont attefté 1'abfence du mari. Si le mari , difoit M. Prévofi , a dit aux uns qu'il étoit arrivé fur les onze heures du foir du mardi aux autres, qu'il étoit arrivé le lendemain, c'eft qu'a fon arrivée, la ' nuit étant fort avancée,& ayant trouvé fa femme dansPémotionoücet événement 1'avoit mife , il rencontra bientöt le jour, fans s'être couché \ enforteque la nuit & le matin du mercredi furent , pour lui, la. même chofe. II offroit même de prouver qu'il n'étoit. arrivé du voyage qu'il avoit fait a cinq Keues de chez lui , que. bien avanr dans la nuit; c'eft-a-dire , ou a 1'exnémité du mardi. 1 8 mai, ou au commencement du lendemain mercredi 19. Car , dans cette faifon , le milieu de la nuit eft fi prés du jour , que s dans la. campagne ,. on a de la peine a les diftinguer. Mais , quand' le mari auroit été préfent a cett-e. action , quand. luimême en auroit été 1'auteur , il lui auroit été permis de tuer , a plus forte raifon de chatier le corrupteur de fa femme. La loi lui donne, nou-teulet  47° Femme ment Ie droït de défendre I'honneuE du fit naptiai par le fer, mais de le venget quand il a éré outragé. In primes markum genialis tori vindicem effe epportet. L. jo, Cod. ad kg. M. de adulter. (i). Et quel genre de défenfe peut être interdit contre un fcélérat qui entre^ prend de ravir 1'honneur d'une femme Sc d'un mari , Ie piftolet a la main > Qui fe difpofe a órer la vie a la victime qu'il deftine a affouvir fa luxure, fi elle ne confent pas a être I'inftrument de fes coupables plaifirs ? Contre un homme que le feul deffein qu'il a concu rend coupable,. tout - a. - la-fois , & d'homicide & d'adultère , avant même qu'il ait commis le crime ? Jdm mcechatus eft in cordefuo. Matthhu F~, i$r S'il écoit même poffible de fupp'ofer que le mari eut donné a fa femme le confeil de recourir au genre de défenfe dont elle a fait ufage , pourroit-on Ie regarder comme coupable, lui qui, dans rous les fens , ne pourroit être regardé que comme 1'oftenfé. Falloitïl qu'd atcendit que fon hjnneiir lui füt totalement ravi , pUj.r le venger , Voyez les loix rapportées dans lar caufe précédeute..  qui défendfon honneur. 47S Iorfqu'il pouvoit prévenir l'affronr ? N'étoit-il pas fufnfamment avetti de prendre des précautions contre une récidive , par l'iufulte que fa femme avoic recue dés le mois d'avril précédent ? La loi permet a 1'époux d'ordonnet a fes enfants de tuer 1'adultère. Gr etc— ckus rquem Numerius in aduherio noclti deprehenfum interfecit.... quod légitime: faclum eft , nullam pcenam meretur.. Idem filiis ejus qui patri paruerunt ,pr&p~ tandum eft. L. 4 , Cod. ad leg. Jui. de adult. Qu'y a-c-il donc qu'un mari ne püt fuggérer a fa femme , pour fauver: fon honneur, s'il peuc commander a> fes enfants de tuer ceux qui voudroient y potter atteinte ? • Mais ces réflexions font fuperflues '7. rien n'annonce que le mari ait confeilléfa femme ; Sc la femme, elle-mème paroic n'avoit été confeillée que par l'occaficn. Le couteau qui. lui a confervé fon honneur n'eft point 1'indice d'un deffein prémédité ; ore f$ait queles payfans font toujours armés de couteaux , Si que s'ils ne font pas magnvv fiques , ils ont foin qu'ils foient toujours bien tranchants. Quant a la.foileque 1'on prétend, avoit été nouvelle.»  472 Femme ment faite dans la eave de Quain, c'eft une fuppofition calomnieufe , ajuftée au deftein.de faire palfer les accufés comme coupables d'un artentat prémédité. Quain & fa femme furent décrétés le zo mai. Ils abandonnèrenr, des-lors , leur maifon , qui fut occupée par une garnifon : la perquilïtion du 30 mai conftate juridiquement leur abfence. Or c'eft le 16 juin qu'on s'eft avifé de dire que k terre de la cave ayok été remuée. Mais a-t-il donc été difficile , pendant tin li long-tems, de fouiller la terre de cette cave , qui' tient même a la chambre de la maifon 2 D'ailleurs , a quoi bon cette folfe? Vouloit-on en induire que Quain &c fa femme avoient conjuré d'affaftiiier Gobinot 5 Mais, fi tel étoit leur delfein, aquoi bon le mutilerauparavant ? Ne devoiencdls pas penfer que 1'éclat qui devoit néceftairement fuivre cette opération , empêcheroit qu'ils n'exécutalfent leur projet ? Vouloient-ils feulement enfouir les débris de certe mu, t-ilacion ? Mais il n'y a pas d'apparence qu'd füt néceftaire de préparer, a cet effet, une folfe de fix pieds de long. Après tout, quoique cette circonii-  qui défendfon honneur. 473, tance füt incapable de faire aucune impreffion , Quain & fa femme offroient de prouver que , quand ils étoient fortis de chez eux , il n'y avoit, dans leur cave , aucune tracé ni de folfe , ni de terre remuée ; &C qu'ainfi, quand les juges de Pont-furSeine auroient trouvé cette prétendue foffe , le 16 juin , il ne s'enfuivroic pas que ce füt 1'ouvrage des acdufés y il s'enfuivroit , au contraire , que c'eft une calomnie de plus , préparée après coup. Gobinot comptoit beaucoup fur la dépofition d'une petite fille , agée de 1 z ans , qui a attefté avoir enrendu Quain teprocher a fa femme qu'elle étoit caufe du mal que lui occafionnoit cette affaire , & que la femme lui avoit répondu : pourquoi me 1'as - tn commandé ? Mais c'eft un témoin unrque ; c'eft une petite fille agée de iz ans; Sc Partiele z du titre 6 de 1'ordonnance de 16-]Q dit que , « les enfants de l'un w & de 1'autre fexe, quoiqu'au-deffóus. » de 1'age de puberté, pourront être » recus a dépofer , fauf, en jugeant % a d'avoir par les juges, tel égard que  474 Femme » de raifon , a Ia néceflité & foliditi » de leur témoiguage >>. D'ailleurs cecce petite fille a été reprochée , comme étant la fille d'un des commilfaires prépofés a la faifie des effets des accufés, faite a la requête de Gobinot; &c ce font ces commilTaires qui ont donné vogue a la folfe creufée. La mère de cette petite fille a dit , d'ailleurs , lorfqu'on la conduifoit^ pour dépofer , qu'en lui donnant cinquante fois , pour avoir une jupe, on lui feroir dire tout ce qu'on voudroir. Enfin , quand il feroit vrai que le mari eut donné cet ordre a fa femme , il avoit droit de Ie faire , fuivant 1'expreffion rapportée plus fiaut : Quod legitiml faclum efl 3 nullam pxn&m merult. II eft donc évident, difoit M. Prèvofi , en finiffant , que les juges qui ont rendu la fentence dont eft appel , en accablant ceux qui étoient opprimés, ont protégé le crime de ces accufateurs y que Gobinot père s'eft rendu complice des injuftices de fon fils , en fe rendant, avec lui , accufateur de ceux en vers qui ce fils étoit coupable ; que Quain  qui défend fon honneur. 47 5 Sz fa femme ont fouffert des dommages conlidérables. Leur maifon a été abandonnée , leur bien fitifi & diiïipé , cinq enfants délailfés , leur honneur attaqué par les calomnies les plus outrageances ; depuis prés d'un an, ils gémiffent dans les horreurs des prifons. Tels font les maux fous le poids defquels on les a accablés ; & c'eft a les réparer que femble fe réduire aujourd'hui tout 1'objet du procés. En conféquence Quain öc fa femme demandoient que la fentence füt mife au néant, la procédure déclarée nulle ; qu'ils fulfent déchargés de 1'accufation , que leurs écrous faflent rayés , mainlevée leur für faire des faiftes de leurs effets -j que Gobinot père & fils fulfent condamnés folidairement , & par corps , a les leur reftituer fuivanr leur jufte valeur, ainfi que les deux provifions qu'ils avoient recues ; qu'ils fuffent condamnés , en outre , auffi folidairement , en 6000 livres de dommages 6V intérêrs, & en tous les dépens; qu'il füt ordonné que le procés feroit fair & parfait a. Gobinot père & fils tant au fujet de 1'atcentat commis contre la femme Quain, le 18 mai 1718 > & même de celui qui avoit écé commis  47$ Femme au mois d'avril précédent , que de Ia calomnie qui a formé 1'accufation , & notamment de la fuppomion de la toffe faite dans la cave des accufés : lans préjudice de fe pourvoir en prifè a partie contre les juges qui avoient rendu Ia fentence dont étoit appel. , V hlut avouer que ces conclufions étoient b.en rigoureufes , ck qu'il y avoit bien de la préfomption , de la part de Quain , de demander des dommages & intéréts a- Gobinot après Ia perte que fa femme lui avoit fait cprouver. r Voia comment M. Ie Pre ft re de la Motte répondit aux demandes & aux moyens de Quain. Quant a l'incompétence du |uge qui * lnftruic |f Procés , & prononcé la ientence , il eft certain q„'aux termes de 1 orde-nuance , tout juge eft compétent pour recevoir une plainte, & n'eft point obhgé de renvoyer le procés a un autre tribunal , fi 1'accufé ne Ie demande , ou fi Ie juge qui en doit connoitre ne le revendique. Or on ne voit point ici que le juge de Pars ait fait aucune demarche pour faire valoir fa comnerence ; d'un autre cóté , il re paro.t pas que les accufés aient requis Jeur renvoi devant lui.  qui d'efendfon honneur. 477 En fecond lieu , il eft de principe qne les juges royaux peuvent ufer de prévention fur les ofticiers des juftices feigneuiiales , Sc fur - tout en matière criminelle. L'exception portée par 1'article ■} du titre premier de 1'ordonnance de 1670 , dont on a parlé ,-confirme cette règle générale , puifqu'elle ne fait ceder la prévention que dans un feul cas; c'eft lorfque les juges fubalternes & non royaux ont informé Scdécrécé dans ks vingr quarre heures. Enfin la juftice roya'e de Pont furSeine n'eft pas une fimple chatellenie, comme ii femble qu'on a voulu 1'infinuer , c'eft un bailliage dont le reffort n'eft pas , a la vérité , bien étendu ; mais ayant été créé a 1'inftar des autres bailhagts 5c fénéchauifées , fes prérogatives font égales ; les officiers de ce fiège tiennent des aflifes les appels de leurs fentences font portés direclement au parlement j Sc ils ont droit de connoitre du délit commmi dans Pétendue des juftxes fubalternes qui leut font fubordonnées. Le fecond moyen de nullité , pat lequel on attaque cette fentence n'eft pas mieux fondé que le premier. Si Von examine la procédure , on verra  47 8 Femme que toutes les interpellations prefcrites par 1'ordonnance ont été obl'eryées. Les accufés ont déclaré , a la fin de chacun de leurs interrogatoires , que les réponfes étoient véritables. Lorfqu'ils ont été confrontés aux témoins , on les a interpellés de déclarer s'ils les connoiflbient, & s'ils avoient des reproches a fournir contr'eux. II n'étoit pas néceffaire de les fommer de déclarer fi le contenu aux dépofitions étoit vcritable , paree que 1'ordonnance n'exige point cette formalité , Sc qu'il n'y a point de contredits en matière criminelle ; c'eft au témoin, & non pas a 1'accufé , que cette_ interpellation doit être faite. L'article 18 du titre 15 de 1'ordonnance de 1670, ne contient point une difpofition contraire ; il y eft dit, a la vérité , que leóture fera faite a 1'accufé de la dépofition & du récollement du témoin , avec interpellation de déclarer s'ils contiennent vérité. Mais ces derniers mots ne fignifient autre chofe , finon qu'on lira a 1'accufé non-feulement la dépofition Sc le récollement; mais 1'interpellation faite au témoin de déclarer fi les faits contenus en fa dépofition fout véritables. II n'eft pas  qui défend fon honneur. 479 poffible , ajoutoit M. le Pref re de la Motte, d'interpréter cet article autrement , puifqu'on lit, immédiatement après les tèrmes qui viennenc d'êcre rapportés: & fi [accufé ejf celui dont il ti entendu parler dans fes dépofitions & récollement; d'oü il fuit nécelTairemenc que 1'interpellation dont il y eft parlé eft uniquement relative au témoin. Arrêtons-nous un moment fur cet article , auquel les deux parties ont donné un fens différent. Ceux qui n'ont qu'une légère idéé de la marche de la procédure criminelle , ne feront pas fachés de connoitre les précautions que la loi a prifes pour découvrir la vérité , foit a charge , foit a décharge de 1'accufé. Pour parvenir a cette découverte , on a eftimé en France qu'il falloit que Paccufé &C 1'accufateur ignoraffent abfolument les dépofitions des témoins, afin que ni les uns ni les autres, inftruits de ce qu'ont dit les témoins, ne puiffent prendre des mefures pour les fuborner, 8c les engager a fe rétraéfer, ou du moins a pallier, au récollement, leurs dépofitions de manière qu'elles préfentent un fens différent de celui qu'elles offroient d'abord , lorfque la  4%° Femme vérité les a diétées. L'accufé , d'ailleurs , que 1'on ne manque jamais d'interroger fur les faits dont 1'information a procuréla découverce , pourroit préparer fes réponfes , Sc les concerter d'avance avec ces dépo!itions , enforre que , par des circonftances. controuvées Sc adaptées aux faits fur lefquels il prévoiroic qu'on 1'interrogeroir , il donneroit a ceux qui Ie c'hargent une face toute différente de celle qu'ils ont dans la vérité. Au lieu que , n'étanr pas préparé fur les queftions qui lui font faites, le vrai fort de fti bouche malgré lui ; ou s'il cherchea le déguifer , n'ayant pas eu le tems de méditer fon menfonge , on 1'appercoit fans peine. Après les informations , les récollements Sc les interrogatoires ,'on confronte l'accufé avec chaque témoin féparément , Sc 1'on prend encore des précautions conne les fauifetés que l'accufé pourroit fe permertre dans cette partie de 1'inftruction. Lorfque le témoin & l'accufé font en préfence , après qu'ils ont prêté ferment de dire la vérité , le juge leur demande s'ils fe connoiffent ; car un des principaux objecs de la confronta- tiou  ^ui Jijend fon honneur. 491 hor. eft que Je temoin f hg ' «ft I individu contre lequel ij a dépofé iur roursiUft témoin oculaire, & fi' par fa dépofition, il eft dit qu'il a vil ïaccuie. II n'eft pas moins important, Pout ïfccule , qu'ü fonnorl!e , /ft Je ^mom qjna été entendu contre lui. II eftrofliblequ'.l ne ie connoifie pas de ™e mais au moins eft-il important ïï^ï? '1 ^ft, afin qu'il puifte le reprochcr, & expl-quer au juge le «legre de confiance .qu'il mérite. A cec effet on In i l'accufé, les premiers amcles de la dépofition du témoin ; ceft a-dire fon nom , fon W , fa qualue, fa demeure, ce qu'il a dit fur m£reme> &•ailiance avec V*™fé. Mais onsabft.ent encore de donner, * 'accufé , aucune connoiffance de ce qui efi conte.u, dans le ccrps de la déTofition II faut qu',1 déclare aupara. vant s ,1 a des reproches a proLfer contre le rem,.;,,. i», _>:i . " .T. . ia. r . "'en a, u dott fc. founur f„r |e éhamp ; 'ün düic mcmelavemr qu'il n'y 4'plus recu fsiremendu ,a La f.aefTe de certe prc'caution s'.ippercoitdab,rd. II faut que lts motifs lome AA//. %  491 Femme de récufation rombent fur la perfonne même de l'accufé, & foient mdépeiv dants de la faveur ou de la défaveuc qui peut réfulter, pour l'accufé , de la dépofition qu il va entendre ; & 1'on .fent que, fi on attw-ndob qu'ü eüt comnoilfaiKe de cette dépofition, avant de prendre fon parti fur la récufatior., il ne balanceren pa , pour la rendre inutile , a récufer le témoin par des motifs quelconques , & ajonter de nouveaux menfonges a ceux dont il a déja chargé la procédure , pour dcguifei la vérité de 1'accufation. Au lieu que , dans fineertitude oü il eft encore fur la nature de la dépofition , ignorant fi elle lui eft favorable ou autrement, il craint de fe pri ver, par des reproches fuppofés, d'une dépofition qui pourroit lui être avantageufe, . Lorfqne ces formalités font remplies , voici ce que prefcrit 1'article en queftion : ft Après que l'accufé aura » fourni fes reproches , ou dcclare qu jl ln'en veur point foumir , lecture lui „ fera faite de la dépofition & du » récollement du témoin , avec ïnter» pellation de décWer s'ils contien„ nent vérité , & fi l'accufé eft celui ,» dont il a entendu parler dans fes » dépuficions & réeollemeuts  qui dèfendfon honneur. 493 II eft certain que cet article n'eft gas rédigé d'une manière fort claire. Si 1'on sattache a la confinuftion de la phrafe , il paroït que c'eft i l'accufé que doit fe faire l'interpeilacion de déclarer fi la dépofition tk le récollement contiennenr vérité. Si 1'on fair attention a ce qui fuit , on pourra penfet que c'eft au témoin qu'elle doit être faite , puifqu'en ïnrerpellant de déclarer fi la dépofition ck le récollement contiennent verite , 011 doit, en même tems, interpeller de déclarer ii l'accufé eft celui dont il a enrendu parler dans la dépofition & dans fon récollement. En un mot , 1'ordonnance ne prefcrit qu'une feule interpellation fur deux faits différents, dont l'„n ne peut convenir qu'au témoin , & pautre peut convenir, &■ au témoin ck a l'accufé dou il femble qu'on eft en droit de conclure qu'elle a eu intention de faire interpeller le témoin feulement. C'eft d'après ce principe, que I'anreur qui a ajoute des notes a celles de Barnier penfe que , quoiaue 1'arricle , p.ir les termes qui précédent c( ux ou' il eft mennon de l'interpellaribn . femble lappnquera l'accufé, elle doit ceperi- X ij  494 Femme dam s'entertdre du témoin , fuivant ceux qui le lifent après. Mais a quoi bon interpeller le témoin de dédarer fi fa dépofition & fon récollement contre ment vérité ? l'un &c 1'aucre ont été faits fous la foi du ferment qu'il a prêté a la juftice avant le récit d'aucun faic; l'un & 1 autre font terminés par une nouvelle alfertion qu'ils contiemient vérité , & •par la fignature qu'il y a appofée , pour garantir la fincérité de fon rédt , Sc l'en rendre refponfable aux yeux de la juftice, a laquelle il donne , par li; ie droit de le punir , s'il lui en a im•pafé. 11 n'en eft'pas de même de l'accufé'; tout ce qui a été fait jufqu'au moment de la confrontation , a été fait contre lui. On a même peis toutes les précautions pofiiblës pour lui céler lés charges qui s'accumuloient contre lui , & de quelles bbuches forcoiént les dépofitions qui pouvoient le conduire au fupplice. Au moment oü il paroit devanr les cérribins , pour leur être confronté , Ie voile qu'on avoic eu fi fgrand foin de tenir tendu entre lui 5c la procédure , fe déchire ; tl n'y a pltls fcien de caché pour lui t ou n'avoit  qui défendfon honneur. 49$ travaiüé que pour le convaincre ; or» ne va plus rravailler que pour le juftifier. C'eft dans cette vue qu'on lui li" les dépofitions & les confrontarionst qui Tont chargé , afin qu'il les connoifte , & que , les connoiflant , i| puiifie les combattre , les téfuter & lep dérruire , s'il y a lieu. Cc£ pour cet eftet, qu'on doit 1'interpelier de déclarer fi la dépofition Sc le récollement donr il vient d'en» tendre la lecture contiennent vérité. Cette interpellation lui ouvre la bouche, qui jufqu'alors avoit été fermée pour fa défenfe , Sc 1'autorife a diicul ter tout ce gui peut manifefter fon innocence, 11 y a donc lieu de penfer que l'intention des rédacteurs de 1'ordonnance & été que le juge fit deux interpellations ; l'une au témoin , pour qu'il déclare ft* l'accufé qu'il a devant les yeux , eft la perfonne même dont il a voulu parler dans fa dépofition & dans fon récolle-> ment.^ L'autre interpellation doit fe faire a l'accufé , pour qu'il déclare fi les faits contenus dans la dépofition font vrais , & déduife les raifons qu'il peut lui oppofer , s'i! prétend qu'elle foit faufle. Mais, pour plus de fureté , Xüj  49^ Femme il eft prudent d Interpeller Se faccuie & le témoin , fur Ia vérité de la dépot*, non & du récollement. Par certe précaution , on eft fur de remplir Ie veen de 1'ordonnance , quel qu'il ait été , Sc ^ c'eft le confeil que donne M. JoaJJe y dans fon commentaire fur cette or- Au reft-, il feroit peut-être trop rlgottreux de déclarer nulle une procédure» fous précexte que cette interpellation auroit été faite a PaccuféjOu au témoin feulement Un juge ne doit pas êtrepuni pour avoir mal entendu une loi qui eft: lédigée d'une maniere équivoque. C'eft donc avec raifon que M. le Preftre de la Motte foutenoic qu'il n'y avoit point de nullité dans la confron-. ta"tion dont il s'agit ici» Les nullités reprochces a la procédure ainfi écartées, il ne s'agit plus que d'examiner fi Quain Sc fa femme 'étoient en effet coupables d'un aftafïïnat ptémédité. Le crime , difoit Ie défenfeur de Gobinot, eft affez caraétérifé par les circonftances du fait rapportées plus fcaut , prouvées par les informations» & notoires dans tous les lieux circonvoifms du village de Pars. Cette foffe  qui dèfend fon honneur. 4gy préparée , ces carefTes affectées de Marie-Louife Corpef, la préeipitar.on &C Ta fureur avec laquelle Martin Quain fe jerta fur Gobinot, aufli rcVc après la cruelle opération qu'il venoit d'éprouver, ne permettent pas de dauter que ce ne foit un affallinat prémédité. Cependant , fi 1'on en croit Quain & fa femme , quelqu'autrage que Jein Gobinot ait recu dans cette occafion , c'eft lui feul que 1'on doit regarder comme coupable \ c'eft a lui que 1'on doit faire le pfocès , c'eft lui qui doit être condamné aux peines les plus rigoureufes. Pour foutenir une propoficiort aufli bifarre, on fuppofeque, dans le fecond attentat que Pon impute a Gobinot j il employoit la force & la violenc©' pour fatisfaire la brutalité de fes defirs ; Sc pour aggraver le délit & excufer les voies de fait qui ont été employees , an ajoute une circonftance »■ dont le bnt eft de faire croire que la femme Quain a été forcée d'en venir a cette extrémité j fans quoi c'en étoic fait de fon honneur & de celui de fora mari. Cette cireonftance eft que Jean Ünot aborda la femme qu'il vouloic X iv  49$ Femme tendre complice de fa Jubricité, I© piftolet & Ia main , & que, s'imaginant 1'avoir déterminée a lui accorder ce qu" il exigeoit d'elle , il fe débarrafla de fon piftolet, & le piaea dans un trou du miir voifin ; qu'alors cette femme , a 1'aide d'un petit couteau qu'elle tira de fa poche , le mit hors d'état de confommer le viol qu'il avoit entrepris. Telle étoit Ia défenfe de Ia femme perfonneüement. Nous verrons quelle etoit celle du mari. _ Non-feulement les faits que 1'on vient de lire font fiux & démentis par les témoins, mais ils heurtent Ia vraifemblance. D'abord Jean Gobinot aborde , ditoa, fa maitrelfe , Ie piftolet a la main ; & cette femme n'eft point eftfayée l 1'afpect d'une arme fi redoutable ; elle ne j'ette même aucun cri ; elle fcavoit cependant qu'elle auroit pu fe faire entendre par les perfonnes qui étoient dans fa maifon, & dans celle de Jean Quain , fon beau-frère. En fecond lieu , quand on veut fe rendre maitre d'une perfonne , pour lui faire violence , la première précssution que 1'on prend , eft de fe faifir  qui défendfon honneur, 499 de fes bras , de manière qu'elle n'en puifie pas faire ufage, pour fa défenfe. Cependant la femme Quain avoit les deux bras libres 3 puifqu'eile tira fon couteau de fa poche , 1'ouvrit, & fic 1'opération qu'elle méditoic. II falloic donc que Gobinot n'éprouvar aucune réfiftance , puifqu'il n'ufoit d'aucune violence ; il ne faifoit, au contraire , que céder aux importunités , & aux careftes lafcives de cette femme. Enfin , on prétend que Gobinot mie fon piftolet dans la crevafle d'un mur, voifin , fans doute , de lendroit oü il avcit joint celle dont il vouloit faire Ia conquête. Mais, pour le placer ainfi, il pouvoit donc la quitter ; s'il pouvoit la quitter, elle 11e réfiftoic donc pas. Mais nen-feulement elle ne réfiftoit pas, elle confentoir; autremenE Gobinot 1'ayant laifiee en liberlé , pouE placer fon piftolet, elle auroit pris la fuite , & fe feroit dérobée a fes entreprifes. D'ailleurs , efb-il croyable que , fe voyant traiter fi cruellemenü s il n'ait pas repris fon piftolet, pourfe venger de 1'outrage qu'il avoic recu? Orï k demande \ quelle feroit, dans eette arconftance ? Ie premier moavemens  focy Femme d'un homme qui auroic un piftolet ai .fa difpofition ?. II n'eft donc pas poffible de croire que Gobinot füt armé quand ii entra: dans le jardin oü étoit cette femme; il n'eft. pas poffible. de croire qu'il ait ufé de la moindre violence. Ainfi , toutes les autorités employées pour établir qu'il eft permis a une femme de faire périr celui. qui. veut lui ravir fon honneur , portenc a faux , paree qu'il n'y a eu, de la pare de Gobinot, ui viol , ni deffein criminel. Refte i examiner fi Quain , fon, mari, a écé plus heureux dans le choix des moyens qu'il a propofés pour prouver qu'il n'avoic eu aucune part aucrime de fa femme. II feutienc qu'il écoit, dans ce moment , forc éloigné de fa maifon , Sc qu'il n'y rentra que long-rems après 1'action dont il s'agit. II ajoute que lesf loix lui permettoient de tuer le coquin qui vouloit déshonorer fa femme ;.a plus forte raifon avoit-il le droic de le chacier. II ne feroic pas même coupable quand il auroit confeillé a fa ïemme d'ufèr. du genre de défenfe qu'elle avoit employé. Le mari pentcommarider a feseufauts.de tueiradui^-  qui défendfon honneur. r tere 5 pourquoi ne lui fera - t-il pas; permis de fuggérer a fa femme des. moyens peur défendre fon honneur ?.' La fofle que 1'on füppofe, ajoute-til j qu'il avoit préparée dans fa cave r eft une fraude , qui avoit pour ©bjec d'aggraver le crime qu'on lui imputoir j\ Sc il eft trés poffible que 1'on ait faifi le tems de fon abfence , pour fouiller la terre & donner a Paérion de MarieLouife Corpel 1'apparence d'un affaflinat prémédiré. Tel eft le raifonnement de Quain^ Mais ce qu'il nie eft prouvé au procés j. ce qu'il fuppofe n'eft pas vraifemblable ; Sc les maximes dont il s'appuie ibnr contraires a toutes les loix. H eft prouvé que Quain n'étoit pointr abfent de fa maifon , lors de l'atten>rat commis par fa femme. Dans fes premiers interrogatoires , il n'a jamais voulu dire le lieu oü il étoit dans ce moment. Entin-, après y avoir bien. réfléchi, il a dit qu'il étoit alors au; village de Plancy , d'oü il étoit revenu, le même jour, fur les dix a onze heures du fbir. Mais fa femme , ou plus ingénue , ou moins clairvoyante fur les conféquences d'une déclaration' fidelle 2. avoua j. dès le premier interrogatoires,,  foz Femme que fon mari étoit dans Ia maifon.; lorfqu'elle avoit mutilé Gobinot. D'un autre cóté , plufieurs témoins ont dér pofé qu'il n'étoit revenu chez lui , que le lendemain matin. C'eft pour fauver toutes ces variations qu'il a imaginé la polfibilité oü i'on eft , dit-il , de confondre , au ■mois de mai, le Jour expirant, avec le jour qui le fuit. La nuit, dit-il, eft ii prés du jour , que 1'on a peine a en faire le difcernement. Enforte qu'il voudroirinfinuer que le 18 mai, a dix fieures du foir , paree qu'il y avoit une heure que le jour étoit expiré , il' croyoit être au matin du lendemain. II ne faut qu'expofer cette défaite , pour en faire fentir le ridicule , & 1'abfucdité. D'ailleurs Ia circonftance du pan de I'habit de Gobinot déchiré lorfque Quain fe jetta fur lui , pour Parrêter,. les dépofitions des témoins qui avoient attefté avoir enrendu Marie Corpel faire des reproches a fon mari , de ce qu'il lui avoic commandé d'en venir aux extrémités auxquelles elle sVtoic portée, tout anuonee la compiicité de ce mari avec une évidence a laquelle il eft impolfible.de férefufer.  qui dlfendfon honneur. 503 Mais fi cette multitude de preuves n'èft point encore fuffifante pour établir juridiquement cette vérité , du moins . difoir M. le Preflre de la Motie , feroit on obligé de fe rendre i telle qui réfulte du rapport des experts qui ont vifité la cave de Quain , en préfence des officiers du bailliage de Pont fur-Seine. . Pour efquivcr les conféquences qui réfultent de la toffe qui y fut irouvée , Quain Sc ia femme foutiennent qu'ils n'y ont eu aucune part , & qu'elle fut apparemment pratiquée en leur abfence. lis ne craignent même pas d'infinuer que les archers ne Pont creufée que de Pordre des premiers juges. Mais , fi cela eft , Gobinot eft donc aufli coupable de cette noirceur ; Sc quel auroit été 1'objet d'un complot fi odieux ? C'étoit pour préparer un jugement portant condamnation pécuniaire & un banniftement a tems, pour un crime confirmé par tant d'autres circonftances , & qui méritoit les peines les plus rigoureufes. On fent combien ces conféquences, qui réfultent néceftairemenr de la calomnieufe défaite des accufés, font abfurdes Sc incroyables 3 le parti qu'ont  , Gobinot n'a-pas été tué ; il eft même guéri. Quelle-guérifon ! La plaie eft cicatrifée ; mais, encore une fois , quelle guérifon ! D'ailleurs , paree que ce malheureux n'eft pas expiré fous les coups du mari & de Ia femme , ces aflaflins en fontüs moins coupables ? C'eft la volonté,  qui dijend fon honneur. 507 & non 1'événement , que 1'on confidère dans les actions des accufés. In jnaitfidis voiuntasfpeclatur, non exitus. L. 14 , ff- ad leg. Corriel. de ficarüs. Quand même ils n'auroienc eu d'autre delfein , que celui qui a été exécuté» les loix s'éléveroient contr'eux avec autanr de rigueur , que s'ils avoient commis un homicide. Confiitutum efi ne Jpado rus fier ent \ eos au tem qui hoe crimine arguerertur} Cornelia legispcend teneri. L. 4 , §. 2 ,ff. eod. On fcak quel fut le fupplice de ceux qui mutilèrent Ie izmeu*. Abailard. lis fubkenc non-feulement la peine du talion-, mais on leur creva les yeux. Cette peine parut alors trop rigoureufe ; mais elle leroic aujourd'hui au-deffous de ce crime , que 1'on puniroic de mort. Ce'n'eft pas , difoit M. le Prejlre de la Motte , en finiftant, que Gobinot demande Ie fang de ces malheureux qui lui onr prefque arraché Ia vie j fon objec , en développant toute 1'cnormiré de leur crime, eft uniquement de prouver que la fentence contientdes diipofirions beaucoup moins févères que celles qui font prononcées par les loix, & il fait grace au coupable, en  508 Femme qui defend, &c. fe bornant a demander qu'elle foii confirmée. Par auêt du 1729 » la fentence fur infirmée; Marie-Lou/fi Corpel fur condamnée a être détenue pendant cinq ans a 1'hópital général , Sc en 600 livres d'intérêts civils envers Gobinot , Sc Quain fut mis hors de cour. C.et Arrêt intervinr peu de jours avant la naiffance de M. le Dauphin, père du roi régnanr. En confidération de cet heureux événement, la femme Quain fut mife en liberté , & les 600 livres furent payées des deniers de charité. Fin du Tornt dix-feptième*