VERZAMELING W. H. SURINGAB  CAUSES CELEBRES E T INTÉ RES S ANTÉ S , A F E C LES JUGEMENS QUI LES ONT DÉCIDÉES. Rédigées de nouveawpar M. Rl c H E R , ancien, Avocat au Parlement. y^^^^^G^"- T O M E DIX-H/èlf.£G5!-U»e A AMSTERDAM^ Chez Michei Rhey. i 7 8 i.  Et fe trouvtnt a Paris s che\ Le Clerc , Quai des Auguftins. Humblot , rue Saint-Jacques. Ceixot , Imprimeur, rue Dauphine. La veuve Disaint , rue du Foin. Durand , ncvtu , rue Galande» Nyon , rue du Jardinet. Moutard , rue des Mathurins; BAiLLY, rue Saint - Honoré, vis - a - vis Ia Barrière des Sergens. Savoie, rue Saint-Jacques;  CAUSES CÊLÈBRES E T INTÉRESSANTES, Avec les jugements qui les ont décidées. < Sgggggg * IMPOST EUR BIG A ME. Ctuy de Ferrè, feigneurdeChauvigny en Poitou , eut, de fon mariage avec Marïe Pech deux enfans; Claude Sc Jacaues de Verrè. Claude, Painé ,obtint , a 1'age de quatorze ans , une place d'enfeigne dans le régiment de Chanlcu. II quitta la maifon paternelle en 16 3 8 , pour fe rendre oii fon fervice 1'appelloit; & , depuis ce moment fes Tome XVIII. A  2 lmpojleur bigame'. parents n'eurent plus de fes nouvelles ; Sc ignorèrent abfolumenc ce qu'il étoit devenu. Dans eet inrervalle , Guy de Verre mourut \ fa veuve quitta Saumur , oü elle avoittoujours fait fa rélïdence avec fa familie , & fe retira dans fa terrede de Chauvigny avec Jacques, fon fecond nis. Le décès de fon mari 1'avoit fincèrement affligée , & avoit mis le comble au chagrin que lui caufoit 1'abfence de fon fils dont elle ignorok le fort. Les troubles de la fronde déchiroient aïors le royaume. Le commandant du chateau de Saumur étoit dans le parti du prince de Condé, & vouloit y attirer la ville. La cour envoya le régiment d'Harcourt pour faire le ficge de ce chateau , qui fe foumir. Pendant cette expédition , un des oflSciers de ce ré-r gimentprofita d'un jour de loifir , pour aller aChauvigny, qui eft dans le voifinage , &C prendre quelques moments de délaffement dans cette maifon. II fut recu par Jacques de Verre, qui trouva en lui une refTemblance parfaite avec ce fils ainé, dont fa mère pleuroit la perte depuis fi long-tems. En le lui préfentant , il lui communiqua fes  Impofleur higame. y idéés. Le defir de retrouver fon nis lui fit adopter comme une vérité ce qui ne lui avoit été préfenté que comme une conjecTrure. « Vous êtes mon fils, » s'écria-t-elle , vous êtes ce fils dont » 1'abfence m'a tant fait verfer de »> larmes, & caufé tant d'inquiétude »; II répondit d'abord foiblement qu'il ne 1'étoit pas. L'équivoque qu'il mit dans le ton de fa réponfe alluma 1'impatience de cette tendre mère , qui reprocha amèfemeuta ce jeune homme la dureté qu'il avoit de ne pas convenir qu'il étoit fon fils. « Enfin , lui dit - il, le »» trouble oü me jette la fcène que j'é« prouve ne. me permet pas de vous » faire a&uellement bien des ouver»> tures; accordez-moi, jufqu a. demain, >> le rems de reprendre mes fens ». II obtint ce délai , & ne manqua pas de fe trouver au rendez-vous. « Etes-vous » mon fils, s'écria-t-elle, auu*i tótqu'elle « 1'appercut ? Suis - je affez heureufe » pour le retrouver ? —. Je fuis votre fils aine , ce malheureux qui , pen» dant dix-huit ans , vous a tant caufé »d'inquiétudes. Je n'ofai hier vous « 1'avouer, & je n'ai renoncé a la ré» folution que j'avois prife de vous le v laiffer ignorer, que quand je n'ai A ij  '4 Itnpofieur higame, » plus eu lieu de douter que j'obtiens> drois le pardon que je vous de mande » agenoux J'appréhendois, d'ailleurs, 3> qu'en me declarant d'abord , le chanj> gement qu'une fi longue abfence a du j> apporter dans mes traits & dans toute »> ma perfonne , ne vous empêchat de » me reconnoitre , & ne me fit pafler v a vos yeux pour un importeur »> ■ Plus elle le confidéra , plus elle trouva de raifons pour le reconnoitre. C'efl lui , s'écria-t-elle , c'eft mon fils ainé. Elle le préfenta , en cetre qualité, a fa familie , a fes voifins ; elle les invita tous a. prendre part a fa joie, &c 4 la fêre qu'elle donna pour Lélébrer le retour d'une tête fichère.Tout le monde reconnut le nouveau venu pour 1'enfant de la maifon , tout le monde s'emprefla de prendte part a la joie de cette mère tendre , & perfonne n'ofa douter que ce ne fut Claude de Verri, fils ainé de madame de Chauvigny. On croyoit bien apperceyoir dans les traits, dans lamarche, dans 1'artitude, quelque chofe qui n'étoit pas du jeune hommequi avoit difparu, Mais, quand on le perdit de vue, il n'avoit que quatorze ans ; fes ttaits & fa contenance ft'étoient pas encore fixés afors. Dix-  Impofleur higame '. % huitans s'étoient'écoulés depuis; pen- 1 dant ce long efpace de tems , fes traits s'étoient formés , avoienr pris , par 1'accroifTement , des proportions différentes j les exercices militaires, joints a 1'ufage du monde , avoient mis, dans -fon allure & dans fon mairitien , plus de grace & p'us. de confiftance : mais , en rexaminant avec attention , on trouvoit que ce qu'il étoit, lors de fort départ , annoncoit qu'il deviendroic .tel qu'on levoyoit a&uellement. D'ailieurs la juftelfe & la précifion de fes réponfes écartoient tous les doutes qu'auroient pu infpirer les autres circonftances. 11 fut donC accueilli de touc le monde, & folemnellement reconnu pour Ie rils ainé de la maifon. Le fieür de Piedfelon , frère de la dame de Chauvigny , s'oppofa feul a cette reconnoilfance générale , & foutirit fermement a. fa fceur & au nouveau venu , qu'il n'étoit pointfon neven , Sc qu'il étoit un impofteur. Mais tout le monde prit cette réfiftance pour une fingularité de caraéxère , & une opiniatretéqui n'avoit d'autre fondement, que le plailir de contredire 1'opinion commune. Ainfi Claude de Verre' demeura en poueffion de la qualité de fil$ A iij  6 Impofteur higame. ainé de la maifon, & fut traité comme tel par tous les patents, tous les amis , &c tous les voifins de fa familie. II jouiffoit tranquillement des douceurs de cette reconnoiifance , lorfque le régiment d'Harcourt ent ordre de fe rendre en Normandie. Son devoir Parracha des bras de fa familie , pour fuivre la troupe a laquelle il étoit attaché. Mais il he. voulut pas avoir le chagrin de fe trouver, de nouveau, féparé de tout ce qu'il avoit de cher; il engagea Jacques, fon frère , & 1'accompagner : ils firent toute la campagne enfemble. Arrivé dans fa nouvelle garnifon , Clauie de Ver ré fe lia d'amitié avec le fleur de Davplé. Cegentilhomme avoit une fille , dont les charmes firent une vive imprefïion fur le coeur de fon nouvel ami. La demoifelle ne fur point infenfible a. la déclaration que lui fit fon amant. Elle confentit qu'il lademandat en mariage a. fon père, & promic d'apprendre avec fatisfaction le fuccès de cette propofition. Elle fut agréée , & 1'heureux de Verré, impatient de réalifer le bonheur dont il n'avoit encore que Pefpé-' rance , prit le parti d'accélérer fon ma-  Impofleur higame. 7 riage , & d 'écarter tous les obftacles qui pourroient en reiarder 1'accompliffement. S'il eneütdonné connoifTance a fa mère , elle n'eüt pas manqué de faire dépendre fon confentement du réfultat des informations dont elle auroit voula, fans doute , qu'il fut précédé. Pour éviter ces longueurs ? le fieur de Verre prit le parti de faire palier fa mère pour morte. Ce menfonge fut appuyé par le filence de Jacques fon frère. Le contrar de mariage fut rédigé en préfence & du confentement du fieur Dauplé , père de la future , &c du jeune frère du futur. Cet a&e fut fait, comme c'eft un ufage afTez commun en Normandie , fous fignature-privée , &C dépofé chez un Notaire , qui le rangea au nombre de fes minutes. II contenoit des avantages affez confidérable* au profit du mari : mais on y inféraune claufe alfez fingulière. Le futur s'obligeoit, en cas de féparation , a payer a. la demoifelle Dauplé une fomme a(Tez confidérable. II faut avouer qu'une pa-1 reille ftipulation n'étoit pas d'un fott bon augure. II paroit que le mariage fut célébré après une publication de bans , &c la A iv  8 Impofteur higame. difpenfe des deux autres : mais il ne «'en eft trouvé aucune tracé fur les regiftres publics; ce qui ne feroit pas une preuve qu'il n'avoitpas été célébré : on fcait ayecquelle ncgligence les regiftres baptiftères étoient tenus dans tout le .royaume, avant 1'ordonnance de 1667. Les deux époux ne jouirent pas longtems des douceurs de leur union. Le tégiment d'Harcourt fut commandé pour aller en Flandres s'oppofer aux progrès du prince de Condè , qui avoit les armes a la main contre fa patrie ; & le fieur de Verréfut obügé de quitterfa nouvelle_ époufe , pour fe rendre ou fon devoir Pappelloit. La campagne finie , il ne fongea pas iailerpafTer 1'hi ver avec fa femme ; il fe renclit a Chauvigny , oü il ramena fon frère. La mère eut donc encore la fatisiadtion de voir fa familie réunie , &c de, jouir de la préfence de fes deux fils : la bonne intelligence qu'elle voyoit régner entre eux mectoit lecomble a fii joie. L'ainé ne paroifïoit occupé que du foin de lui plaire , & de réparer , par fes attentions & fon refpecl;, les chagrins que la longueur de fon abfence lui avoir caufcs. Cependant il faifoit de fréquents  Impofleur higame. p voyages a Saumur. II y devint amoiireux d'une jeune perfonne, nommée Anne ^//örrf. Elle étoit belle , elle étoit riche , & fa naiflance étoit, a-peu-près, proportionnée acelle du fieur de Verré. Elle 1'aima, & eut, pour lui , des foiblefles dont les fuites devinrent embarraffantes. Le mariage étoit le feul moyen de réparer eet accident. Mais comment y recourir ? L'amant étoit dans les liens d'un engagement qui ne permertoit pas d'en contiaéter un fecond. II eft vrai que le premier étoit ignoré , & s'il eut été feul dépofitaire de fon fêcret , il Teut tenu enfeveli. Mais il étoit connu de fon frère , qui mème en auroit pu adminiftxer la preuve y &c ce frère auroit-il gardé le filence a. la vue dJun facrilège que fon propre honneur lui faifoit un devoir d'empeT eher ? Cet ernbarras fut levé par un bruit qui fe répandit tout d'un coup a Saumur , & qui fe communiqua jufqua Chauvigny , quele fleurde Verré avoit été marié , & que fa femme venoir de mourir. II confirma ce bruit, en faifant voir une iettre qui lui en apprenoiü lai nouvelle , prenant le grand deuil§C fsifaut paroitre $ i 1'extérieur s roos A w  10 Impofleur higame. les fignes d'une douleur fincère. Cependant il continuoit coujours de voir fecrettement la demoifelle Ailard, Sc 1'entretenoit dans 1'efpérance de s'unir a elle,dès que les régies de la bienféance le permettroient. 11 avoit faciiement obtenu le pardon de fa tendre mère , pour 1'outrage qu'il avoit fait une feconde fois a fon autorité en contractant un mariage a. fon infcu : il la mit dans la confidence des vues qu'il avoit fur fa nouvelle maitreiïe , Si obtint la permifiion de les effecruer. Le tems arrivé enfin ou rien ne s'oppofe plus aux defirs de la demoifelle Ailard. Le contrat de mariage fut paffé le 16 mars 165 3 ; la dame de Chauvigny , Sc Jacques de Verré le fignèrent , & la bénédi&ion nuptiale fut adminiftrée le même jour. L'aéte en fut régulièrement couché fur les regiftres , & figné des deux mêmes perfonnes. La dame de Chauvigny fembloit être au comble de fes fou'naits.Son fils ainé, en fe marianr , avoit quitté le fervice , & elle le voyoit fixé auprès d'elle , avec une époufe qui lui étoit agréable , Sc qui , par fes qualités Sc fes bonnes manié re s pour elle , pour fon époux , Sc pour fon beau-frère > faifoit la féliciti  Impofleur higame. 11 de la familie. Elle témolgna a fon fils & a. fa bm route l'affe&ion qu'elle leur porroit , en fe démettant , en faveur du premier , de tous fes biens , fous la réferve d'une penfion viagère, & de la légitime de fon fecond fils. La mère & Jes enfants couloient des jours heureux. L'union & la concorde règnoient au milieu d'eux ; la fage economie de Claude les entretenoit dans une aifance honnête ; il amélioroit, il augmentoit les biens; il embellifroit le chateau de Chauvigny •. il jouilfoit, fans partage, du cceur d'une femme belle & vermeide qu'il aimoit: il voyait croitre , fous fes yeux , deux enfants, fruits de fon hymen : il s'occupoit a les él ever dans la vertu, a leur infpirer le defir de marcher fur les traces de leur verrueufe mère , & fur les fiennes. Leur oncle jouiiroit des douceurs d'une fociéré fi agréable , & y contribuoit par 1'attachement refpectueux qu'il avoit pour fa mère , & la tendre amitié qu'il reffentoit pour fon frère, fa belle-fceur & fes neveux. Cette familie fortunée gouta ainfi toutes les doucenrs de la vie privèe , pendant cinq ans. Un foidatauxgardes parut alors dans le canton , alluma , A vj  tt Impoftair higame. dans cette maifon , le flambeau de la. difcorde , &c y fema toutes les horreurs, de la chicane. II annonce que celui qui fe difoit Claude de Verré , & qui en occupoit la place , étoit un impofteur j que ce nom &c certe place lui apparrenoienr, II racontoit qu'ayant: quitté Ia maifon paternelle en 1638 ,, pour aller jóindre le régiment dans lequel fon père lui avoit procuré une place, d'enfeigne , différenres aventures que fon gout pour les femmes & pour la diflipation lui avoient occafionnées „ avoient porté obltacle a fon avancement , & il s'éroit vu réduit, par fa faute , a fe faire iimple foldat dans le régiment des gardes francoifes. II avoit été fait prifonnier au fiège de Valenfciennes.en 16 j 6 , avec le maréchal dela Ferté. II n'avoit ofé y après une li longue abfence , reparoitre dans fa familie , il craignoit d'y recevoir les Juftes reproches que fon incouduite n'auroir pu manquer de lui atrirer , &c les marqués de méconrentement que fes parenrs lui auroienr fait éprouver. Avant de fe préfenter a leurs yeux , il avoit cru dëvoir s'informer de Pétat de Ia maifon paternelle. II étoit venu dans unbourgvoifin de Chauvigny, oü il  Impofleur higame. i J avoit appris qu'il avoit eu le malheur de perdre fon père, & qu'un importeur» profitant de fon abfence , Sc peut êtrede quelque conformité dans les traits r avoit ufurpé fa place Sc s'étoit fait reconnoitre pour le fils ainé de ia maifon» II prend enfin fur lui de fe préfenter a. la dame de Chauvigny y il a beau fa eonjurer de fe rappeller fes traits , Ier fon de fa voïx, fa démarche x, fes attitudes y ila beau lui faire obferver que s dans fa jeunelTe, il avoit eu une brülure au front, dont la cicatrfcé lui étoir toujours demeuré'e , & qu'il la confervoit encore ; en vain il lui rappelle mille circonftauces de fon enfance s dont il éroit impoffible a 1'ufurpateur de pariet ; Ia dame de Chauvigny ne le reconnur poinr. « Je n'ai jamais eu ,. dioj> elle, que deux enfants dans ma vie'j m je fuis fiïre que ceux qui vivent ici » avec mol font les mêmes que ceux » que j'ai mis nu monde- Ainli vous » êtes üri ïmpoïEéur ». Celui qui étoit en pofTeiiion de 1 '.'.rat que le fo!dat réclamoit ne manqua pas de fe joir.dre a Ia dame de Ch^uvïg'iy r d'accabler le foldat d'injures, & de Le menacerde le faire punir de la peine des importeurs s, s.11 ne renoucoit a fa prétemion. Jacques  14 Impofleur higame. de Verré tint le même langage •, &t Anne Allard , appuyée de trois témoignages qui , dans cette affaire , devoient ètre du plus grand póids , joignit fes cris a ceux de fa belle-mère, Sc aux menaces de fon mari. Le foldat ne fut pas éconduit par ce mauvais fuccès ; il crut qu'il pourroit obrenir en juftice ce qui lui avoit été refufé a Chauvigny. 11 rendit plainte devant le lieutenant criminel de Saumur. Après a voir expofé la manière dont il avoit été retu par fa mère , par fon frère, & par deux perfonnes a, lui inconnues qu'il y av oir trcuvées , il prit des conciufions directes contre 1'ufurpateur qui otcupoit fa place dans cette maifon, qui avoit ufurpé fon nom & fa qualité, pour s'emparcr des biens de fon père, &c fe faire dunner ceux de fa mère. Avant de prendre un parti dans une affaireauffi déücate , oül'honneur d'une familie honnête éio't compromis , ou 1'on vouloit ravir 1'ét.u a un hoinme qui en étoir er poffeffion depuis plufieurs années, qui sJétcit attiré 1'eftime & 1'amitié de tous les habitants du canton , le lieutenant crimineLcruf'devoir prendre des pricautions II fit d'abord arrèter Ie foiclat, öc Ie commit a la  Impofleur bigame. 15 garde d'un htiiflier qu'il chargea de lui en répondre. Puis il ordonna qu'en fa préfence , il feroit confronté a la dame de Chmvigny , afin qu'elle Pavouat, oa le défavouat juridiquement. Cette confrontation ne fervit qu'a mettre le juge dans de nouvelles per.plexités. La dame de Chauvigny ne put fe réfoudre ni a avouer, ni a défavoaer. « Mon fils ainé , dit-elle , avoit quitté » la maifon paternelle , a l age de qua» rorze ans , & j'avois été dix-huit ans » fans le revoir.Après eet efpacede tems . » deux hommes fe préfentent fuccef» iivement a moi , & me difent tous » les deux qu'ils font ce même fils, que » j'ai pleuré fi long-tems. Mais, s'ils fe » refTemblent par les traits du vifage , » ils font bien différents par les ma» nières & par le caraétère. » Si les mouvements du cceur ma» ternelétoient, comme on Pa dit tant » de fois , des interprêtes infaillibles » de la marernité , celui des deux coit » currents qui s'eft préfenté le premier » feroit bien certainement mon fils. » Quelle émorion ne m'a pas caufé fa » vne , & dans queile inquiétude n'ai» je pas été jufqu'au moment 011 il m'a » fait Paveu que je defirois li fort ? La  i6 Impofleur higame. » nature elle-même fembloit parler i » mon cceur , Sc je ne crois pas qu'il » foit poilible qu'elle ait un langage » plus expreffif , Sc plus perfuafif que « celui qu'elle me fit enrendre alors. » Elle n'a point varié depuis ; elle n'a » cefTé, au contraire , de faire, chaque »jour , dans mon ame, des impreflions » plus fortes. Eh ! que ce hls méritoit » bien , Sc mérite bien encote toute la » tendrelTe qu'il m'a infpirée ! 11 n'a «été occupé , depuis qu'il eft avec » moi, que du foin de me plaire; il » prévient tous mes defirs, Sc ne cher» che que mon bonheur. Je Fai rendu » propriétaire de tout mon bien; mais » il fe comporte comme s'il n'étoit que » mon adminiftrateur Sc mon économe. n Ce bien. fruflifie dans fes mains, fans » que fes épargnes influent fur Paifance » Sc les commodités qui forment une » grande partie de lafélicité domefti» que. Ses complaifances pour fa femme »>-en font le meüleur des maris , Sc les wfoins bien entendus qu'il donne a Pé» ducation de fes enfants 3 en font le » mei!leur des prres.. » L'homme qui eft' devant mes yeux,; « au contraire , pré ten d être mon nis■ » Mais commsnt veut-il entrer en pof-  Impofleur bigame. 17 fefïïon de cette place? C'eft en ren» dant contre moi , une plainte , c'elfc » en me traduifant devant le tribunal » ou 1'on nejuge que les criminels.Eft» ce donc ainfi que 'a nature parle eu » faveur d'une mère qu'on n'a pas vue » depuis dix huit ans, & a qui Ton fcait » que cette abfence a caufé les plus » vives alarmes &: les ciiagrins les plus » cuifants ? Duquel des deux les aótions »font-elles marquées au coin de la » nature? Quand mon fils (c'eft ainii » que je défïgne celui des deux qui mé-. » rite de 1'être) fe préfenta devant moi, » étoit il environné de 1'apparèil de la » juftice ; fon début ftft-il un procés jj criminei ? Le langage d'une refpec» tueufe tïmidité fut fon langage. Il » n'ofa , d'abord , dire ouvertemenc » qui il étoit j il craignit mon courroux, » 011 1'elfet qu'une furpnfe trop agréa» ble aureit pu faire fur ma fanré -y il » voulut donner a la réflexion le tems w d'appaifer macolère , ou de prévenic » les effets dangereux d'un plaifir trop » fu'bit & trop vif. » Celui-ci n'apporte d'autre titre, pout » fe dire mon fils , qu'une cicatrice , » caufée par une brülure. Cet accident » avoit effeétivement imprimé cette;  18 Impofleur higame. » marqué a mon fils ainé , dans fon » enfance. Mais cette circonftance eft» elle donc , pour lui , un titre fi in)> faillible qu'on foit forcé d'y déférer? »> Mon fils étoit-il le feul enfant qui n put attraper une brülure au front ? »> Et fi celui qui poftede ma tendrefle n'a » plus cette marqué, 1'age n'a-t-il pas r> pul'effacer? » Je confidère cependant, d'un autre » cóté , que le defir immodéré de re» voir mon fils a pu me tromper par la » plus pecite apparence de conformité, »&£ me faire regarder Pombre comme •> la réalité. Il eft poflible que j'aie pris » pour 1'infpiration de la nature ce qui » n'étoit que 1'efTervefcence de ma paf»> fion & de mon defir. En un mot la » place dont le mari A'Anne Allard » s'cft emparé dans mon cceur , &: » qu'il y occupe encore , il ne la doit » peut être qu'a Terreur & a 1'illufion » qui féduit une mère tendre qui, de» puis dix huit ans, foupiroit après fon » fils bien-aimé. Mais fi , dans la réalité, » ce n'eft qu'un aventurier, les fenti» mens qu'il m'a infpirés doivent céder n ala juftice :quand mcme mon devoir » ne feroit pas le plus fort dans mon » cceur, il ne doit pas proriter des fruits  Impofleur higame. ic> » de ma foiblelfe j il ne doit pas 0c7 » cuper une place que la nature & les » loix ont déférée au fils de la maifon ; »il ne doit pas conferver des biens « dont 1'erreur feule a dióté la dona« don ; fa reffemblance avec celui qui » eft réellement mon fils, n'eft pas ua » titre pour lui alfurerce qu'il aufurpé. » 11 eft vrai que le nouveau venu m'a » traduite en juftice , &c m'a forcée a »paroitre devant le juge crimjnel. » Mais , s'il eft mon fils , a t il pu voir j> tranquillemenr un ufurpateur pof» féder les bonnes graces de fa mère ? >> A-r-il pu ne pas envier des bienfaits, k qui n'ont été prodigués a un autre3 » que paree qu'on prenoit eet autre <» pour lui ? C'étoit a lui que les hon» neurs,larendrefie& les biensétoient » dus , & c'étoit un étranger qui les «recevoir. » Dans ce cahos d'idées & de faits » qui fe croifent , quel pnrti puis - je « prendre ? Tout ce que je peux faire, >> c'eft de facrifier mon inclination a » mon de voir & a la vérité , & de j» promettre de recevoir des mains dé » la juftice , celui des deux qu'elle af» furera être mon fils ». On ne put donc tirer aucune lumière  10 Impofleur bi'gatnel de cette confrontation , qui ne fit, afl contraire , qu'embarrafler lé jügè davantage , Scconfondre fes idees. Néan« moins, dans un interrogatoire circonftancié , il avoit tiré , de la dame de Chauvigny , des détails dont il fe promettoit bien de faire ufage dans la ■fuite de la procédure qu'il écoitobligé, & qu'il avoit réfolu de continaer , pour parvenir a la découverte de la vérité. II feut que le fieur de Piedj'Ion , ^frère de la dame dl Chauvigny , avoit conlfamment refufé de reconnoitre le mari d'Anne Allard pour fon neven , & 1'avoit toujonrs traité d'impofteur j 11 pen fa que cette pérfévérance , qui avoit réfifté au témoignage de la familie entière , aux fignes les plus éclatants & les plus durables de la tendrelfe maternelle, étoit fondée fur des raifons qui lui avoient paru irréfiftibles. Pour s'en inftruire , il confronta eet oncle avec le ioldat. II étoit alTuté qu'ils ne s'étoient pas encore vus. Le foldat n'eut pas plutót appercu Ie fieur de Piedfélon , qu'il fe précipita dans fes bras, 011 il fut recu avec tous les tranfports de la reconnoilTance la plus fincère, & ck la joie la plus vive.  Impofleur higame. 21 Leurs'larmes fe confondirent; les mots entre coupés & les exprelTïons les plus tendres furenr leur langage. Le juge, témoin de cette fcène, parvint enhn , a grande peine , a les féparer , pour les interroger chacun en particulier. Le foldar , après avoir fait voir la cicarrice qu'il avoit au front, articula des fairs pofitifs; il détailla, de lui-même , & fansattendre aucune des indications que différenres queftions faites par le juge auroient pu lui fournir, toutes les circonftances de la vie qu'il ayoic menée avec fes patents avant fon départ. 11 entra dans des pardcularités qui ne pouvoient être connues que d'une mère & de fon enfant j & en tout ce que la dame de Chauvigny avoit circonftancié , il fe trouva conforme avec elle • & fur les chofes dont elle n'avoit pas parlé, il ne .dit rien qui ne fütanaloguea ce qu'elle avoit déclaré. La lumière commencoit a luiredans 1'efprit du juge , quand il fe crur totalement éclairé par la défertion de tous les parents , qui, après avoir confidéré le fpldat de fang froid , fe rangèrent de fon parti , & embraflèrent 1'opinion du fieur de Piedfélon.  21 -Impofleur higame. Par cette révolution, le juge fé crut autorifé a ordonirer qu'il feroit informë contre le mari & Anne Allard , &-qué fon proces lui feroit fait 8c parfait , Comme a un importeur. On entendit, én témoignage , une grande partie des officiers du régiment d'Harcourt, qui atteftèrent unanimement que 1'accufé étoit Michel Feydy , fieur de la Lerauderie. D'un autre cóté , une foule d'autres témoins , qui avoient connu le foldat dans dirFérentes circonftances de fa vie, dépoferent qu'ils 1'avoient toujours connu fous le nom de Verré\ 8c lui avoient toujours vu la cicatrice qu'il avoit au front. Cette information foutenue de la reconnoilfance uniforme 8c conftante de toute Ia familie , décida le fort des deux contendants ; 8c par fentence du lieutenant criminel de Saumur du 11 mai 16^7 , «le foidat aux gardes fut »déciaré ctre véritablement Claude de » Verré, fils de Guy de Verré 8c de » Marle Peut ; il lui hit permis de fe » mettre en pofTeffion des biens de Guy » de Verré & Michel Feydy fut dé» claré atteint 8c convaincu du crime » d'impofcure 8c de fuppcfition ; & , » comme tel, condamné a être pendu ».  Impofleur higame. 23 Michel Feydy fe préferva, par la fuire, de 1'exécution de ce jngement. S'il avoir eu Tart de faire illufion aux autres , il ne pouvoit pas fe faire illufion a lui même. Lorfqu'il vit que le foldat ne fe rebutoit pas de la réliftance que la dame de Chauvigny lui oppofoit, &C que la juftice cherchoit férieufement a découvrir la vérité , il penfa bien que fon impofture alloit être mife au grand jour, & que , s'il attendoit 1'évènement de la procédure qui s'enramoit, il fubiroit la peine due aux impofteurs j c'eft a-dire , une mort ignominieufe. Pour prévenir eet événement, il prit le parti de difparoitre , & de dérober fa tete a la juftice. Pour rendre fon évafion plus füre & plus commode , il mit fa femme dans fon fecret, 8c Pengagea a la favotïfer, 11 l'affura toujours qu'il étoit le véritable Claude de Verré. «Mus, dit il , rien n'eft plus incer» tain que ce qui dépend du jugement » des hommes. J'ai pour ennemi mon » oncle de Piedfélon ; il protégé le >> foldat , &: qui fcait les moyens qu'il » pourra employer pour fatisfaire la » haine qu'il m'a roujours portée , Sc » que , ni mes foumiffions , ni la ré# gularité de ma conduite , ni mon  2.4 Impofleur bigame. » attachemenr pour ma familie , n'ont >> pu appaifer. Je rifque tout, fi je fou» tiens le combat face a face. Je mets » en compromis mon honneur, celui » de nos enfants , le vötre , & celui de » toute ma familie. Je mets en com» promisma forrune & la vótre. Enfin , » je cours les rifques, quoiqu'innocent, » de mourir , a vos yeux, fur un infame » gibet; & combien n'avons - nous pas » d'exemples d'innocents qui ont été M condmnés & exécutés ? » Le foldat , au contraire , qu'on » m'oppofe , ne rifque rien. Sans naif» fance, fans forrune, il n'a ni honneur, » ni femme., ni enfants , ni biens a » défendte. Qu'impoite la vie a un » homme qui fe voit condamné a une v éternelle mifère ? S'il fuccombe , enM cors une fois , il ne perd rien j s'il » réuffit, il acquiert une béatinide a » laquelle il n'auroit jamais du s'at» tendre. 11 va donc tout entreprendre, » &c tout rifquer, foit pour trom per , » foit pour corrompre la juftice. Mais » moi, je ne dois pas laiHer tout ce que » j'ai de plus précieux a la difcrétion de » 1'efTronterie , de 1'intrigne , de la w prévention & de Terreur. Favorifez » m'a fuite, il vous importe autant qua w moi  Impofleur bigame'. if ■n moi qu'elle foit affurée , & que j'é» chappe a une ignominie qui rejaü»> liroit fur vous , &C fur vos enfants. *> Mais, n'abandonnezpasmadéfenfe, »> n'abandonnez pas mes intéréts , ils w nous font communs a tous les deux. » Acceptez la procuration que je vas »» vous donner ; elle vous autorifera i » me défendre dans mon abfence : » mettez , dans cette défenfe, rout le f> zèle que doit vous infpirer votre at» tachement pour moi, que j'ofe dire » avoir bien mérité, votre proprehon»neur, & celui des malheureux gages » de notre amour. La juftice ne peut »> rien fur vous perfonnellement; vous »> pouvez la braver a eet égard. Quel » courage cette fécuriténe doit-elle pas *> vous infpirer , quand ce courage » aura pour but la défenfe de la vérite » & de tout ce que vous avez de plus i> cher » ? Ce difcours fit rimpreffion qu'il devoit faire fur un cceur fenfible 8c prévenu en faveur d'un mari qu'on chérifibit, & qui avoit toujours mérité d etre chéri de fa femme. Elle recut la procuration , prornit d'en faire ufage avec toute 1'ardeur dont elle étoit capable. Elle aida ce malheureux a ea- Tome XF1U% B  2.6 Impofleur bigame. lever tons les effets qui pourroient fortlager la rigueur de fon exil; il s'arracha de fes bras , difparut, & , depuis , jamais on n'a entendu parler de lui. Nous allons entrer dans un autre ordre de faits , qui ne paroitront peutetre pas moins intérelfants , que ceux que 1'on vient de lire. 11 eft facile de comprendre que la fentenee du 11 mai 1657 fournit matière a bien des conteftations par les droits divets auxquels elle donna ouverture. Avant de difcuter ces droits , il eft néceffaire de faire le tableau des prétentions refpec* tives des parties. En vertu de la fentenee , le foldat fe mie en poffeflion de la terre de Chauvigny, & de tous les biens qui avoient appartenu a fon père. Le premier ufage que fit Anne Allard, de la procuration que fon mari lui avoit laiffée , fut d'interjerter appel au parlement de la fentenee qui l'avoic condamné. Mais 1'incertitude des évènements la détermina a attaquer directement , & en fon nom , la dame de Chauvigny Sc Jacques de Verré. Le parlement étant faiti de 1'arTaire , elle préfenta a ce tribunal une requête, pat laquelle elle demanda quils eujfent a.  Impofleur bigame'. ij 'faire cefiir les pourfuites criminelles que ie foldat aux gardes faifoit contre fon mari j qu'ils la fijfent remettre en pofifeffion bjouijfance de la maifon de Chauvigny , & des autres biens qui lui ap■partenoient, & que , faute de le faire , ■ils fujfent condamnés folidairement a lui. Tendre & refikuer touzes les fommes & deniers , meubles & immeubles , argent a& obligations de fon mariage. s &c. a la. ■ïgaranür & ïndemnijer, tant en prin■ tip al, quaccejfoires, de toutes les dettes 'oii elle avoit pu entrer & sêtre cbligée ■avec fon mari, depuis fon mariage • tz faire une penjïon'de 200 Uvres de rente t -yiagère a. fes enfants j & que , dans le tas ou celui qu'elle avoit époufé ne fut ■pas vérkablement Jacques de Verré , 'pour le faux quils avoient figné-, fok dans le contrat & dans l'acle de fon mariage , le \6 mai 165 3 ,fok dans l'acle de démijfton que la dame de Chauvigny 4ivoit fake de tous fes biens a fon fils , le 7 Jeptembre 1653 , 'Us fuffent condamnés a luipayer folidairement , pour fes dommages & intéréts , la fomme de 40000 livres, ou ulle autre fomme que la cour arbitrerok, fans préjudice- de la faculté quelle Je réfervoit de fe pourvoir tontre eux criminellement. Bij  z8 Impofleur bigame. Anne Allard fe fit appuyer de fe'S; enfants. Elle leur fit demander d'êcre recus parties intervenantes ; que la fentenee du lieutenant criminel de Saumur fut mije au néant; que leur père fut déclaré le véritable Claude de Verré , fils de Guy de Verré & de Marie Petit j & qu'en confequence ils fuffent maintenus & gardés en la pojjejfwn des biens qui lui étoient échus par La fuccejjion de Guy de Verré , fon père ; que le foldat aux gardes ,foi-difant Claude de Verré de Chauvigny , fut condamné d leur Tendre & reftituer les fonds dont il s'étoit emparé , & les fruits qu'il avoit per* cus, en tous leurs dommages, intéréts & depens. Q&'Anne Allard , leur mère , fut déclarée femme légitime de leur père , & qu'eux-mêmes fujfent réputés enfants ligitimes de lui & de la demoifelle Allard:; fuffent autorifés a porter le nom & les armes de la maifon de Verré \ que la. propriété des biens' délaiffés a leur père par la dame de Chauvigny fa mère, fous le nom de Claude de Vené , fon fils ainé , leur fut adjugée j qu'en cenféquence , ils rentraffent en poffejfion & jouiffance de la maifon de Chauvigny , dont ils ayoient été chajfiés av<( leur,  Impojleur bigame. ^Ct] ltsere , depuis l'abfence de leur père. ■ Que Jacques de Verré, qui avoit re* ■connu leur père pour fon frère ainé , partageat , avec eux , la part & portion des biens qui lui étoient échus par la fuccefJion de Guy de Verré , & leur en laijjde toutes les prérogatives & tous les avantages. Enfin , que la dame de Chauvigny & lui fujfent condamnés folidairement en tous leurs dépens, dommages & intéréts: du refie que la fentenee du n mars 1657 fut anéantie. II n'eft point d'exemples d'une fituation pareille a celle ou fe trouvoient la dame de Chauvigny , Sc Jacques de 'yerrè. Cette mère tendre paffe dix-huic années de fa vie a pleurer la perte d'un de fes enfants. Au moment oü elle s'y attend le moins , fon fecond fils lui préfente un homme qu'il prend pour ce frère fi defiré. Elle fe laifTefurprendre par fa tendreffe , Sc 1'adopte.' Ses entrailles parienten fa faveur, Sc parient avec tant d'énergie , qu'elle prend leur langage pour celui de la nature. Ce nouveau venu devient Pobjet de toutes fes affections. Tont confpire a la confirmer , & a. Pentretenir dans cette douce erreur. Ce fils fi chéri mérite de1'être , a. tous égards. Bon fils , bon Biij  so Impofleur bigamel père, bon marï, bon frère , économe J. fage , aimable dans la fociété } fecourable pour les malheureux , charicable pour les pauvres , il fait le bonheur de tous ceux qui Pentourent , ou qui ont quelque relation avec lui. Jacques de Verré , par l'abfence de fon frère , fe trouve feul héritier de tous les biens de fa maifon, Une perfpecrive fi flatteufe eft effacée a fes yeux & dans fon cceur , par les droits du fang. II partage , avec fa mère , les chagrins de l'abfence d'un frère ainé. II croit le trouver dans un étranger qui fè. préfente a. lui. II oublie que le retour de fon frère va le réduire a la firnple portion de cadet; il le préfente a fa mère j il 1'adopte pour fon frère ; il 1'accompagnedans fes voyages; lors du premier mariage , il fe permet, pour ne pas le> facher, une complaifance répréhenfible... De retour dans la maifon paternelle , il donne les mains a un autre mariage > approuvé par fa mère , confond fes revenus avec ceux de fon frère, jouit des douceurs que ce frère répandoit dans i la maifon , voit croitre fes neveux avec plailir^ pour leur alTurer tous les biens de la familie , il s'abftient du mariage , &c s'eitkae trop hetireux. de-  Impofleur bigame. %f pouvoir vivre dans une familie ou il trouve une félicité qu'il chercheroic inutilement ailleurs. C'eft dans le tems oü 1'on goüte cesdouceurs , fans aucun melange j c'eft dans le tems oü 1'on s'en eft fait une douce habitude , Sc oü 1'on n'y voit d'autre terme que celui que la nature y doit apporter après un grand nombre d'années , que paroit fubitement un foldat aux gardes , qui s'empare de la maifon Sc de tout le bien de la familie,' chafTe la femme Sc les enfants du fis ainé , & fait condamner ce fils ainé a ctre pendu. II faut non-feulement plier fous les aéles d'hoftilité de ce nouveau venu 5 mais on veut rendre cette mère Sc ce frère fi tendres refponfables des rigueurs de ce foldat, dont ils étoienc les vicrimes eux mêmes. Ce tableau préfente , fans doute , des fituatious bien étonnantes & bien attendriiïantes. Mais on ne connoïr pas encore tous les traits dont il doit être compofé. Les contendants étoient ptèts a. fe livrer 1'afTaut fur les demandes refpectives que je viens d'expofer , lorfque 1'on vit tout acoup paroitre un nouveau combattant. C'eftla demoifelle Dauplé, B iv  Impofleur bigame. cette première femme dont Michel Feydy avoit porté le deuil. Elle avoit ignoré , ou ne s'étoit pas embarraiïce de fcavcir ce que fon mari étoit devenu ; ou peut-être en avoit-elle perdu la tracé , lorfqu'il quitta fon régiment, gour s'introduire dans la familie de , V erré. Quoi qu'il en foit, inftruite par la. renommee de la fingularité des évènernents qui formoient le procés dont Ie parlement étoit faifi, les noms des parTies lui rappellèrent celui de 1'homme qu'elle avoit époufq , & de fa familie. Elle fe fit inftruire du détail des faits , & ptéfenta fa requête , par laquelle .elle demanda d'Jtre recue portie intervenante au procés • elle interjetta appel de la fentenee qui condamnoit fon mart a mort , G' demanda que la dame de Chauvigny & Jacques de Verré lui payaffent, fur tous les bien'. de la fucceffion de Guy de Verré de Chauvigny, m'ne penfion de 500 livres par an , & les ar/érages qui lui étoient dus , depuis que fon mari 1'avoit abandonnée , jufqualors ; & par privilege exclufif a\ Anne Allard , qui fe difoit fa femme , Ttiéme a la dame de Chauvigny , une fomme de 1500 livres pour nourriture ,  Impofleur bigame. 33 teliments & équipages fournis a Jacques de Verré , pendant fept tnois quil avoit été ncmrri & entretenu en la maifon de fes père & mère en Normandie y enfin, tous les dommages & intéréts ^tantfouf* ferts y qua.foujfrir , pour raifon du fecond mariage avec Anne Allard 3 dans lequel elle foutenoit que la dame de Chauvigny avoit engagé Claude de 1 Verré fon mari ; fauf encore au procureur général du roi a prendre telles autres conclufions , que de droit contre la dame de Chauvigny , & Jacques de Verré , fon fils. Les frères de la dame de Chauvigny intervinrent dans le procés , pour foutenir le foldat aux gardes. :A 1'égard de Jacques de Verré, il obtint des lettres de refcifion tant eantre les acles par lefquels il avoit pa approuver les deux mariag.es avec ces deux femmes ,. que contre les différent es reconnoijfances quil avoit pu faire de Michel Feydy pour Claude de Verré fils ainé de Guy de Verré & de Marie Petit. II n'avoit, difoit-il , fait ces reeonnoilfances qu'a. ia perfuafion de famère & de fes oncles j & il demandoit Gönrre ces femmes , a être remis , par sappcrc a elles , dans le même état ou* " B f.  $4' Impofleur bigame. ü étoit avant 1'exiftence des acres dontr elles fe faifoient des titres.. Tel étoit Pécat de la procédure , qua .d la caufe fut pottée a 1'audience: de la tournelle criminelle; & Ponvoic que toutes les parties. fe réuniiloienc confre la dame de Chauvigny , comme la feule caufe des malheurs de tous, ceux qui fe plaignoient. Anne Allard plaida la première par le miniftère de M. Boumer. II lui paroitïoit bien diffkile de ne pas convenir que Phomme qu'elle avoit eu Is. malheur d'époufer n'étoit pas Claude de, Verré , mais qu'il étoit Michel Feydy,,. Elle avouoit qu'elle ne voyoit rien de; folide a oppofer aux preuves réfulrant: des informations , & qui établilfoient. ce fait. Elles paroilToient li convain» cantes , que toute la familie s'y étoit: rendue. La dame de Chauvigny , ellemême , &C Jacques de Verré qui, avoient tant de.raifons pour rejerter le foldat aux gardes, dont le cceur avoit,. d'ailleurs , parlé fi fort en faveur du*, condamné, avoient fait taire leurincli» nation 8c leurs intéréts, a la vue des preuves qu'on leur avoit adminiftrées. Mais- cette. efpèce d'aveu que Pémdsnce , quiparoit: fouir; des- fairs £  Impofleur bigame. ff avoit attaché a Anne Allard, la met dans*' une perplexité dont il lui eft bien difficile de fe titer.- En eftet ,■ fi elle réclame Michel Feydy pour fon mari 3 il faut qu'elle fe foumette a être la femme d'un hom me condamné au gibet , d'un hornme qu'on accufe, en outre, de s'être rendit■ coupable de bigamie ; qu'une autre femme réclame comme fon mari, fous prétexre d'un mariage antérieur a celui qu'elle a eu le malheur de contraóter. Si, au contraire, elle foutient qu'elle n'eft pas la femme légirime de Michel Feydy ,. elle facrifie 1'honneur de fes* enfants ; ils ne feront plus que les fruit» d'un adultère \ elle ne fera elle-même que la concubine d'un homme engagéf dans les liens d'un autre mariage. A quel choix eft-elle réduite ! II faut né-; ceffairement ou qu'elle foit la mère d'ènfants adultérins , ou qu'elle foit la femme d'un aventuriet', d'un impofteur , d'un fcélérat, condamné , pour.' fes crimes-, a périr par la main duf bourreau. Et qui eft-ce qui 1'a placée dans une alternative aufli cruelle ? De qui a-t-elle recu ce bigame , ce fcélérat pour' £oJi- mari ? G'e-ft-. deda main de la dame^ B vp  3 6 Impofleur higarnel de Chauvigny , c'eft de la main de Jacques de Verré, fon fils , qu'elle le. tienr. Ils lui ont fait croire qu'en Iepoufant, elle époufoit Claude de Verré, 1'ainé de fa maifon , fils de la dame de Chauvigny , & frère de Jacques de. Verré. Eüe a> cru-, d'après la nailTance qti'on lui certifioit , époufer un honnête homme , un homme capabfe defaire fon bonheur; & 1'hypocrifie de ce malheureux n'a fait qu'augmenter l'illufion qui: 1'avoit d'abord féduire,. Tout le tems qu'elle a vécu avec lui •s'eft écoulé dans lés douceurs de la vie. la plus heureufe. Elle voyoit croïtre fous fes yeux , les fruits de fon amout. pour 1'impofteur. Elle n'étoit occupéeque du foin de plaire a fon mari , de témoigner. fa- reconnoiffance pour fa. telle-mère & fon beau-frère , qui lui avoient doni^é un époux qui faifoit fonbonheur & le leur , & d'infpirer a. fes ■enfants le goüt pour les vertus , dont; leur père leur donnoit 1'exemple. Toute cette félicité n'étoit- quun? fonge ; & dans quelle amertume a-t-^ elle été fubitement pfongée a fon réveil? Elle eft tombée , avec fes enfants , dans. la honte & dansTopprobre , fans ap-gercevoir auciyje. i/Tue pour en forti*,;  Impofleur bigame. $7 tl: faut abfolument , ou qu'elle foit concubine, ou qu'elle foit femme d'un fcélérat juftement condamné a êtrependu. ■Cependant, comme il faut néceffairement qu'elle opte entre ces deux qualkés , 1'intérêt de fes enfants femble exiger qu'elle choifiiTe la dernière. lis auront pour père un homme flétri , il eft vrai^mais ils auront les honneurs, de la légkimité, êc les biens que cette. qualité leur défère. Ne pouvant, quelque parti qu'elle prenne leur tranfmettre les honneurs d'une nainance. fans tache , elle prend celui qui-, am moins , les tirera des horreurs de ladifetre; Elle a époufé un Homme pour hjé autre , il eft vrai ; mais elle étoit dansla bonne-foi; & if eft dè maxime que la bonne foi dun feul: des conjointsfuffit pour. rendre capable des effets ciyils , un mariage , qnoique nul en? lui même, pourvu qu'il ak-éré célébré-. en face d'églifè, fuivant le rite autorifé par la loi civile , & admis par lajurifprudence- des tribunaux féeuliers. Ainfi les enfants , quoiqnadultérins fuccèdenta leurs père & mère , fur lefondemenc.d'un. manage qui aprécédt:  3$ • Impofleur higame. leur naiffance , Sc qui etoit ignoré du", eonjoint libre. Les enfants d'un prêtte font même cenfés légitimes , Sc capables d'hériter de leurs père & mère , quand celle-ci eft dans une ignorance légirime Sc bien prouvée de 1'état dans lequel étoit celui qu'elle a époufé. Or , y a-t-il jamais eu benne-foi mieux établie Sc mieux caraótérifée, que celle qui a rendu Anne Allard r femme de Michel Feydy ? Elle eft établie fur la commune renommée , fur 1'opinion de tous les habitans du canton j qui font perfuadés que eet homme eft bien réellement Claude de Verrêr fils ainé de la dame de Chauvigny.Toute la familie , a 1'exception du fieur de Piedfélon , eft imbue de la même opinion. La dame de Chauvigny non feulement 1'a adoptée elle-même; mais c'eft ellequi, la ptemière, avec Jacques,. fon fecondfils, en a jetté les fondements , 1'a foutenue Sc accrédirée par la tendrelfe exceffive qu'elle a témoignée a ce nouveau venu , par les acres de générofité dont elle 1'a comblé. C'eft cette mère enfin qui Ta préfente a Anne Allard, pour en faire fon époux , qui a arrêté tous les articles du contrarie, mariage,;les a fait rédiger fousfe#  Impofleur higame: 39» yeux, Sc s'en eft rendue garante par fa> figaaoure , & par fon. affiftance a. la cé~ lébration du mariage. Jacques de Verrè a concouru , avee fa mère, a toutes fes démarches, les a autorifées & rarifiées,, en les fignant.. La bonne-foi d'Anne Allard eft donc évidemment établie. L'erreur qui plongée dans les malheurs dont elle fe plaint , eft donc 1'ouvrage de la dame de Chauvigny , & de fon fecond hlsC'eft donc aeux a réparer Pinjure Sc les maux qu'ils lui ont faits. Ils ne peuvenc donc éviter une condamnation folidaire en dommages & intéréts, proportionnéss a 1'outrage irréparable qu'ils ont fait a cette femme innocente. La dame de Chauvigny } dont M.. dei: Lojfendière , avocat", prit la dcfenfe„ foutint qu'on ne pouvoit lui imputernii dol, ni furprife. Elle avoit été trompéefans pouvoir s'en garantir. A la pre-r mière apparition de Michel Feydy, fon afpect lui fit une telle illufion , que le délai d'un jour qu'il lui demanda, pour. lui déclarer s'il étoit , ou s'il n'étoit pas fon fils , lui avoit, pour ainfi dire n plus caufé de peine, qu'elle ne reiTentic: de joie , quand.il lui déclara qu'il l'é>saic. Cette incerdcude fembloic lulauf  '40 Impofleur higame. noncer que fon fils étoit mort. C'eft donc a la nature qu'il faut imputer cette erreur. C'eft elle qui avoit formé les traits de ces deux individus, tellement femblables , que les yeux Sc le cceur même d'une mère y furent trompés. Tous les faits qui ont fuivi cette méprife , & qui en font dérivés , ne font donc pas des délits que la juftice ,doive punir. Les fignatures de cette 'mère tendre & de ce frère trompés fur 1'objet d'un amour fi louable , font donc 1 ouvrage de 1'ignorance ; Sc ce que produit 1'ignorance eft regardé comme nul Sc non avenu. Aucun pacte , aucun cóntrat n'eft légitime, s'il n'eft accompagné de la liberté la plus entière des contraftants. Or v quelle liberté peut avoir une perfonne qui eft dans Terreur, Sc qui croit faire- une ehofe , quand elle en fait une autre ? Qu'un homme , par exemple ,couche avecfa belle-foeur qu'il trouve , par hafard duns fon lit , Sc qu'il croit être fa femme, on ne peut pas lui reprocher Tincefte qu'il a eommis par ignorance ; il a cru faire un acte légitime ; il a même cru s'acquitter d'un devoir que lui impofoit le joüg du mariage ; fon erreur fait fon: exeufe ; & ,,loin de mériter d'êrre puni. ,  Impofleur hlgamé'. '41' il ne doit pas même être blamé. Ici , la dame de Chauvigny, en s'engageant avec Anne Allard , a cru s'engager pour fon fils. II s'eft trouvé , au contraire, qu'elle contractoit pour Michel Feydy , qui n'eft pas fon fils , qui n'eft qu'un aventurier, qui 1'a trompée par Textérieur de fa figure , par les vertus & par les qualités aimables dons il a feu imiter les apparences. Or, fi le conrrat dont on veut fe prévaloir aujourd'hui n'a pas été fait pour la per-: fonne qui en étoit 1'objet , il eft nul &C ne peut produire aucun effet. Mais , dir-on , la dame de Chauvigny a tonnu le premier mariage de Michel Feydy. Ainfi , en fuppofant qu'elle fut réellement dans Terreur fur la perfonne, & que les circonftances puiTent rendre cette erreur excufable , au moins elle s'eft rendue complice de la bigamie de celui qu'elle prenoir pour fon fils ; & par-la elle s'eft rendue refponfable des conditions du ferond mariage qu'elle pouvoit, & qu'elle devoir empêcher.En mariant fon fils, comme libre de tout Hen qui put mettre obftacle a cette nouvelle alliance, elle s'eft rendue refponfable des conditions. fous lefquelles elle fe faifoit, condi-  'J,t Impofleur bigame. tions que non - feulement elle aadoptées , mais qu'elle a dictees ellemême , qu'elle a ratifiées , Sc dont elle a garanti l'exécution par fa fignature ; Sc , ce fecond mariage couvrant Anne Allard Sc fes enfants , de honte 6c d'opprobre , c'eft acelle qui eft 1'auteur de ce mal a le réparer par des dommages & intéréts proportionnés aux inconvénients qui en réfultent pour ceux qui Péprouvent, & qui font innocents du crime dont tous les effets rejaillifTent fur eux. Certe objection eft féduifante , fans doute ; Sc elle 1'eft d'autant plus , que la dame de Chauvigny a toujours déclaré qu'elle avoir eu connoiffance du premier mariage de celui qu'elle croyoit être fon fils. Mais cette connoiffance ne lui eft venue qu'en même tems qu'elle a appris la mort de fa prétendue bru. L'impofteur lui fit voir une lettre qui atteftoit le décès de la demoifelle de Dauplé \ il prit le grand deuil , Sc fe comporta, en tout, comme un homme 'qui vient de perdre une époufe refpe&able Sc chérie. Ces preuves ne font pas juridiques , il eft vrai ; mais la dame de Chauvigny n'en fcavoit pas davantage. D'aiüeurs elle fe crut bien  Impofleur higame. 43 aurorifée a les regarder comme fuffi» fantes , par 1'exemple du prêrrequi maria la demoifelle Allard. II ne demanda d'autres preuves de la vidnité de celui avec qui il i'unifToit , que celles qui avoient trompé la dame de Chauvigny. Pouvoir-elle fe rendre plus difficile, que le miniftre du facrement, auquel il imporroit fi fort de ne pas être le miniftre d'un facrilège ? Au refte , quand il y auroit eu de Ia prccipiration dans ce fecond mariage , quand on n'auroit pas pris tout le tems requis pours'informer fcrupuleufement s'il n'y avoit pas quelque obftacle a cette union, a qui la demoifelle Allard pour.roit-elle s'en prendre ? La dame de Chauvigny »'avoit aucun motif qui 1'e.ngageat a. fouhaiter que 1'on abrégeat le tems des préliminaires. II luiimportoit peu que fon fils fur marié quelqués jours plntöt j ou quelques jours plus tard. Mais en étoit-il ainfi de la demoifelle Allard ? Les complaifancesr. prématurées qu'elle avoit eues pourfon amant ne lui permettoient aucun délaL Auffi fallur-il obtenir , en fa faveur, & fur fes inftances , la difpenfe des bans,. dont la publication auroit bien pu procurerlarévélation de Pexiftence a&uelle  '44 ïmpo/ïeur ligamë. de la demoifelle de Dauplé. Qu'ellfc s'en prenne donc a elle-même , fi elle a époufé un bigame , puifque c'étoit pour couvrir fa faute , &c fauver fon propre honneur , qu'elle a exigé , &c qu'on a eu la charité de confentir a. une précipitation qui a fait tout le mal dont elle veut rendre lesaurres refponfables. C'eft donc la demoifelle Allard ellemême qui eftauteurdes maux dont elle fe plaint , c'eft elle qui a commis la faute dont elle demande qu'on la dé« dommage. Les malheurs que 1'ignorance de la dame de Chauvigny a fait pleuvoir fur elle-même , les fuites funeftes de Terreur oü la nature & la bonté de fon cceur 1'ont fait tomber , ne fuffifent-ils donc pas , fans la charger des fautes réelles des autres ? Quant a la demoifelle de Dauplé, il eft difficile ds comprendre fur quel tirre elle fe fonde , pour demander que la dame de Chauvigny & Jacques de Verré fon fils, foient condamnés en 1500 liv. de provifion. La première n'a eu aucune part a fon mariage ; elle Tignoroir. Jacques de Verré y a affifté , il eft vrai,mais comme un témoin muet, par pure complaifance, & fans contracter aucun engagement perfonnel, Quel  Impofleur bigame. 47 recours veut-elle donc exercer contre deux perfonnes qui n'ont aucun rapport avec elle ? Sous quel prétexte veutelle qu'ils lui paient 1500 livres pour lanourriture Sc Pentrerien d'un homme qui leur eft étranger , dont ils ne 1'avoient pas chargée , Sc pour lequel ils ne lui avoient rien demandé ? Quant a la provilion que demandenc les enfants A'Annc Allard, cette demande n'eft pas mieux fondée. D'un eöté, ils ne peuvent la prétendre, fans accufer leur père de fuppofition. En effet , s'il eft véritublement celui dont il a pris le nom, en époufant leur mère, il eft propriétaire des biens fur lefquels ils demandent cette provifion , Sc la jouiftance lui en appartient. Ils ne peuvent Pen dépolféder qu'après le tems Sc les formalités prefcrites pour fe mettre en polTelfion des biens des abfents. Mais alors , ils feroient encore arrètés par la queftion de leur légitimité. Leur père , quel qu'il foit, eft bigame; ils font le fruit d'un mariage conttaété pendant que leur père étoit engagé dans les liens d'un autre encore fubfiftant. Ils font donc batards adultérins ; ainfi , a'ayant aucun droic a la propriété des  r+6 Impofleur bigame. biens de leur père , ils ne peuvent demander ni provilion ni envoi en poffeilion. S'ils conviennent, comme ils le font, •que leur père eft un impofteur , qu'il n'appartient aucunement a la familie de Verre , il n'en eft pas moins bigame. D'ailleurs , ne tenant a la dame de Chauvigny par aucun lien , lui étant abfolument étrangers , ils n'ont point de droit fur fes biens. Que Ton fuppofe, dans Anne Allard , toute la bonne-foi que 1'on voudra , il n'en réfultera jamais autre chofe en fa faveur, que la faculté de fe dire femme de Michel Feydy, ■8c de faire porrer a fes enfants le nom de Feydy. Mais quel droit en réfulterat-il pour eux fur les biens de Marie Petit, veuve de Guy de Verrit La demoifelle de Dauplé, première femme de Michel Feydy , avoit choifi. pour fon avocar M. YEfcaché, qui foutint que fa cliënte étoit feule époufe de Claude de Verré de Chauvigny. Ce titre lui étoit afturé par la dare certaine de fon mariage , qui éroit antérieura celui dAnne Allard. Ainfi toute autre alliance faite par fon mari ne pouvoit être que criminelie, Le mariage de fa rivale étoit donc nul, 5c elle ne pouvoit en  Impofleur bigame. 47 tirer aucun avantage , n'i fpirituel, ni civil : il étoit réprouvé par les loix cunoniques & par les loix de 1'état. Tous les avantages matrimoniaux lui étoient donc eflentiellement attribués au préjudice de la demoifelle Allard. Elle étoit donc feule en droit & de. xiger le rembourfement de fa dot ; & l'exécution de fes conventions mal rrimoniales. Si, d'ailleurs, Ia faveur des circonftances étoit un moyen qu'on püt ajouter a ceux que fournit la loi , laquelle des deux contendantes pourroit s'en prévaloir a plus jufte titre ? L'époux que Ia demoifelle de Dauplé s'eft choiii étoit libre ; Ie contrat qu'elle a forJ mé avec lui a établi un lien indiffoluble , un lien faint, avoué par la religion & par les loix de la fociété. II a acquis a celle qui s'y eft engasée des droits irrévocables , & qui ne peuvent e,tre obfcurcis que par le crime. En un mot fon mariage doit être protégé par toutes les loix dont il eft 1'ouvra-^e , & par les magiftratsquine fontétabTis que pour être les miniftres de la loi : leur pouvoir & leur devoir fe bornenr a mainrenir l'exécution de tout ce qu'elle a ordonraé, & a profcrire tout ce q u'elle profent.  '4& Impo/Jear bigame. Dans quelle circonftance , au Contraire, fe préfente la demoifelle Allard"* Suppofons-lui toute la bonne-foi pofiïble dans la démarche qu'elle a faite , en acceptant Claude de Verre pour fon époux. Elle a donné fa main a un homme qui ne pouvoit pas donner lalïenne. II 1'a trompée , fi 1'on veut , Sc les circonftances ne lui permettoient pas de s'alTurer de 1'état de 1'homme qu'ella époufoit (cat la bonne - foi ne peut faire un moyen en juftice, qu'autant qu'elle eft fondée fur une ignorance moralemenr invincible ). Cette erreur , cette ignorance invincible lui a-t elle donné des droits fur des obligations facrées Sc antérieures a celles qu'elle veut aujourd'hui faire valoir au préjudice des précédentes ? Le fimulacre de matiage qu'elle a contraété peut-il porter la plus légère atteinte aux droits qui réfultent d'un mariage réel , revêtu de tout ce qui en conftitue la fainteté Sc 1'indiffolubiliré ? Rien n'empêche , rien ne peut empêchet que la demoifelle de Dauplé ne foit l époufe légitime de Claude de Verré, tant qu'ils vivront tous les deux \ Sc rien ne peut lui enicver les droics attachés a fa qualité ineffacable.  ■Impofleur bigame. 4$ -inefTacable de femme légitime. ; La bonne-foi , dont la demoifelle Allard fe prévaut fi fort , lui eft donc inunie conti e la demoifelle de Dauplé. Peut-elle même Poppofer a qui quece foit ? Exifte-t-elle, cette bonne-foi ? At-elle,au moins, les caractères requis par les tribunaux , pour qu'elle puilTe excufer , a leurs yeux , 1'ignorance qu'on leur allègue ? Quelles précautions la demoifelle dllard a-t-elleprifespours'affurerde la liberté de celui qu'elle époufoit?Ellefcavoitqu'il étoit engagédans les hens d'un autre mariage. A t-elle pu fe détermineracroire cesliens rompus, fans avoir pris toutes les routes qui pouvoient la conduire a une certitude qui ■ne laiftat auam prétexte a un doute ? Elle s'en rapporre , fur un fait de cette importance , fur un fait duquel dépend ion honneur.&fa fortune, a une lettre attnbuée ï une perfonne qu'elle ne connoit pas, dont elle ne connoït pas 1'écriture. a une lettre qui n'a aucun caractère dauthenncité, & que rien negarantit du loupcon d'une fuppofirion frauduleufe. Elle prétend être a 1'abri de tout reproche de legére té , paree que celui dont elle fouhaitoit de devenir la femme,^ pris tout 1'appareil d'un homme Tome XFJ1I. Q  50 Impofleur bigamel nouvellement veuf. Eft-il néceiTaire de faire voir combien ce figne eft équivoque , & combien les inductions qu'elle en veut tirer font frivoles ? A-; t-elle donc cru que 1'on prendroir pour un rrait de prudence, la confiance qu'elle a donnée a une précaution que tout importeur peur prendre ft facilement ? La couleur d'un habit eft-elle donc un titre , un certificat qui puiftè établir un fait ? Au furplus , ce n'eft pas dans une fimple lettre , dont perfonne ne connoit ni 1'auteur ni 1'écrirure , que la preuve de 1'état de la demoifelle de Dauplé eft confignée \ elle rélide dans deux titres triomphants &c a 1'abri de toute critique, Le premier eft fon conttat de mariage paffé en préfence de fon père , de fes autres parents , & de Jacques de Verré lui-même ,qui alors reconnoifloit fon mari pour fon frère. II eft vrai que eet acte n'eft figné ni par la dame de Chauvigny , ni par aucune perfonne en fon nom. Mais, par. des raifons que 1'on ignore , Claude de Verré avoit afturé qu'elle étoit morte depuis long-tems ; fon frère ne 1'avoit pas contredit, Sc avoit même, par fon filence, en quelque forte, coaBrmé ce décès=  Impofleur bigame. 51 Mais, d'ailleurs j on crut pouvoir fe 'difpenfer de prendre des précautions pour éclaircir un fait dont la vérité n'étoit pas fort importante a connoirre; Cet homme étoit alors agé de trentedeux ans. Le confentement de fa mère n'étoit donc pas requis ; & comme on ne voyoit aucun intérêt qui put le déterminer a faire ce menionge ; que , d'ailleurs, il avoit un témoin , en préfence duquel il n'auroit pas eu la téméritéd'aiTurer ce fait; s'il eut été faux, on ne fit aucune réflexion , a cet égard , & 1'on s'en rapporta a fa déclaration. Voudroit-on objecler que cecontrat de mariage n'a pas été paffé pardevant notaire ? Aucune loi n'impofe la néceffité de cette formalité ; & 1'on eft dans Pufage • par toute la Normandie, de ne la pas obferver. Prefque tous les contrats de mariage s'y font fous fignature privée, & on ies dépofe enfuite chez le notaire du lieu , qui les met au nombre de fes minutes. Le foldat aux gardes avoit choifi ; pour fon défenfeur, M. Dugué. Dans: tous les acres de la caufe , dit-il, on a fait tous fes efforts pour rendre le fieur de Vzrre'défavorable. On luiareproché de s'être engagé dans le régiment des ei;  5.2 Impofleur bigame". gardes , & d'avoir toujours mené une vie diftolue. Mais ces reproches ne font rien a fa naiflance Sc a fon état. II a beau avoir été libertin , il a beau avoir été foldat aux gardes , il n'en eft pas naoins Claude de Verre , fils de Guy de Verré , Sc de Marle Petit. De même , Michel Feydy ne peut pas devenir Claude de Verré, paree qu'il a mené une vie fage , Sc n'a pas été foldat aux gardes. Au refte , il eft avoué & reconnu de toute la familie , & même du fieur de Picdfélon , qui avoir conftamment refuféde reconnoitre Michel Feydy pour fon neveu. Sa conduite aótuelle prouve bien que ce n'eft ni la prévention ni aucun motif d'intérêt qui ont été le mobile de fa réfiftance. La vie réglée , la vie honnêre Sc économe de 1'impofteur n'ont fait aucune impreftipn fur lui ; il a toujours perfifté dans fon opinion , nonobftant les fuffrages unanimes de toute la familie. Après plu— fieurs années dans cette perfévérance, que 1'on prenoit pour de 1'opiniatreté, un nouveau venu fe préfente. Ce nouveau venu eft un foldat aux gardes , un libertin , qui n'a d'autre titre que fa figure Sc fon manirien-, cet homme (i. ppiniatte \ ne point admettre de ne-  Impofleur higame. 5 3 venx , le reconnoit, lui tend les bras &c annonce atoute la familie que voila le véritable Verré, dont un autre avoit ufurpé la place ; & il le met fous fa proteótion. C'eft donc la force de la vériré qui a infpiré la conduire qu'il a tenue envers chacun des deux afpirants au nom & a la place de Claude de Vzrré. Enfin 1'état du foldat eft affuré par une nuée de témoins , & par un jugement folemnel. Quant aux deux femmes qui fou-* tiennent avoir époufé ce Claude de Verré, eelui a qui ce nom apparrenoit réellement, celui que je défends, difoit M. Dugué , eft bien leur ferviteur ; il les plaint beaucoup 5 il plaint les enfants qui font nés du fecorid mariage : mais la fe borne ce qu'il peut faire pour elles ,& pour ces petits infortunés; car , avec les meilleurs fentiments da monde , il lui eft impoflible de reconnoitre les premières pour fes femmes,' Sc les feconds pour fes enfants ; il n'a jamais engendré les uns ; il n'a jamais époufé les autres. II n'eft pas difpofé , d'ailleurs a céder fa place a Michel Feydy , quoique celui - ci Fait occupée pendant ejuelque tems. Jacques de Verré, qui avoit varié Ciij  54 Impofleur bigame. entre les deux contendants, qui s'étoit d'abord déclaré frère de celui qui fe trouvoit coupable de bigamie , & enfuite frère du foldat , avoua que Ia force de la vérité 1'obligeoit d'attribuec cette qualité au dernier venu. Sa pré' fence avoit diffipé 1'illufion d'une reffemblance quil'avoit jetté dans Terreur. Mais cette erreur étoit involontaire ; elle étoit un gage non équivoque de fa bonne-foi- S'il n'eüt point eu de frère, tous les droits de la familie de Verré, & la fuccellion de la dame de Chauvigny, fa mère, venoient fe réunirfur fa tête; il n'avoit point de co-partageants ; perfonne ne pouvoit prétendte fur lui le droit d'ainelTe , droit fi onéreux , Sc qui réduiloit fa fortune a une médiocrité qui approchoit de la difette. C'eft donc la bonne-foi qui Ta déterminé a Admettte , de fon propre mouvement, &c par la feule impuliion de la vérité & de Péquité , une fraterniré qui lui étoit li préjudiciable. C'eft ce même attachement pour Ia vérité qui le déterminé encore, nonfeulement k facrifier au nouveau venu 1'amitié &c les fentiments de tendreftè qu'il avoit voués a Michel Feydy , mais  Impofleur higame. ff 1 reconnoitre pour fon ainé, un homme qu'ilii'a jamais vu, & qui s'eft ptéfenté, a main armee , pour entrer dans la fa-, mille. Une bonne-foi aufii caractérifée , &C qui a pour bafe 1'amour de la vérité com* battu par 1'intérêt, doit donc le mettre a. 1'abri de routes les demandesformées contre lui. M. Poujjet de Montauban prit la parole , & plaida pour les enfants d''Anne Allard contre routes les patties. Autant, dit-il, leur état eft certain, amant leur fort eft déplorable. D'un cöté cet état eft attaqué par une femme qui fe dit la première époufé de leur père , & par leur aïeule qui défavoue ce père, & ne veut plus qu'il foit fon fils. ' D'un autre cöté , un foldat aux gardes , un homme qui leur eft inconnu, a ufurpé le nom de leur père , 8c entreprend d'en occuper la place , en les chaffant de la familie dans laquelle ils font nés. II s'eft emparé de fes biens , & veut le faire pafter pour un impofteur. Enfin le propre frère de leur père les défavoue , & favorife les deffeins & les complots de ce foldat aux gardes. C iv  J 6 Impofleur Bigame. Si leur père eft le mari de la demoifelle de Dauplé, comme elle vient exprès de Normandie pour le témoigner en juftice , il eft certain que 1'allianceque leur mère a contractée , n'eft point un mariage , & que le facrement, ne pcuvant être affis que fur un contrat légitime, il n'y a point de facremenr.. ) S'il n'eft pas fils de leur aïeule , il n'y a point de fucceffion pour eux ; fi leur oncle les défavoue , ils n'ont ni parenrs ni familie ; fi le foldar auxgardes prend la place de leur père, s'il s> maintient , il leur ravit 1'état Sc J'honneur de leur naitfance. Mais a quoi tous ces faits fe réduifenr-ils ? Leur aïeule a marié leuf père comme fon fils ainé, & fon prin-«pal héritier. Un impofteur a paru de-, puis, &c a publié qu'elle étoit dans l'erreur, qu'elle avoir pris pour fon filscelui qui ne 1'étoit pas. Elle a cru cet impofteur, elle 1'a adopté ; elle a défavoué fon véritable fils , Sc fes propres petits enfants. ■ Deux autres femmes s'empreffent de reclamet pour leur mari ce même fils que fa mère défavoue j mais , chofe fans exemple , chofe incroyable , elles' ne 1'avouent pour leur mari , elles ne  Impofleur higamê. 57 lui donnent cette qualité, qui les met en communauté avec lui , non-feulement de biens , mais d'honneur Sc de eonlidération , radïis maritalibus corrufcat uxor ; elles ne le réclament, disje , que pour le couvrir d'infamie , Sc avouer le crime & 1'infidélité qu'on lui impute. Placés au milieu de ces différents points de vue , au milieu de ces différents- intéréts , quelle doit être is conduite des enfants , quel parti doivent-ils prendre ? Doivent ils fe ranger ducoté de leur mère, & s'arm er contre leur père ? Ou doivent - ils époufer la querelle de celui-ci-contreleur mère Non. Si, ce qu'ils ne peuvent pas croire» 1'homme auquel ils doivent le jour n'eft pas de la familie dans laquelle il a été adopté , s'il eft impofteur , que leur mère, qu'il a trompée,en fafTe des plaiutes , qu'elle accufe la. fortune de fon malheur, elle aura trop fujet de le faire; ils ne s'y oppoferontpoint. Mais , pour ce qui les concerne 'y pourroient-ils fe permettre même le moindre accent du murmure contre leur père ? La moindre plainte ne feroitelle pas un crime ? Aulïï veulent - il? € v  58 Impofleur bigame. refpedterjufqu a fes fautes, Sc s'il a des torts , le filence le plus profond eft Ie feul parti qu'ils doivenr prendre, Sc qu'ils prendronr en effec; ils fe fouviendront toujours que , s'il ne leur a pas donné de bien , ils lui doivenc leur exiftence. Ils 1'honoreront dans fachüte , comme ils 1'euffent fait dans fonélévation ; dans fa dilgiace , comme dans l'opulence :• pauvre , malheureux , coupable, il leur fera toujours aufli cher , Sc ils le refpecteront comme s'il étoit riche , heureux Sc innocent. Ils vont faire face a toutes les parties,1 Sc en défendant leurs intéréts , ils défendront, en même tems , 1'honneur de leur père. MagcLleine de Daupléprétend 1'avoir époufé. Mais quelles font les preuves fur lefquelles elle appuie un acte de cette importance? D'abord , elle ne rapporte point de con-rat de mariage , ou du moins 1'écrit qu'elle décore de ce nom ne contient le nom d'aucun des parents \ Sc la principale chofe qu'annonce cet écrit, eft le projer d'une claufe , par laquelle la future veut ftipuler , a fon profit, une fomme conftdérable, en cas de fé-  Impofleur bigame. paration entre les deux époux. Mais cet écritaété fait fous fignature privée , &, quel que foit 1'ufage , en Normandie, fur cet objet, cet ufage ne peut pas exempter de la reconnoiftance des écritures privées. Cette formalité eft indifpenfable , & la füreté publique en impofe la néceflité, Quand un aótea été pafte pardevant noraire, 1'attefta«on de cet officier foutenue de celle d'un autre noraire, ou de deux témoins, eft un garant juridiquement fur de la vérité de la fignature, & qu'elle eft véïitablement 1'ouvrage de celui auquel on 1'attribue. Mais , quand un aéte eft pafte fous fignature privée , qui peut aflurer la juftice que la fignature appofée au bas de cet acte y a été véritablement infcrite par celui contre qui on en veut faire ufage ? Sans la précaution de la reconnoiftanceon verroif, tous les Jours , des demandes formées en juftice , fous prétexte d adres privés, contre des perfonnes qui, loin de les avoir fignés , n'en auroient jamais entendu parler. De-Ia eft venue la forrnafité mdif-penfable de faire afllgner ceux contre qui on veut faire ufage d'un acte fous> fignature privée ^ pour qu'ils aient h C v|  o Impofleur higame '. venir , en juftice , reconnoitre , ou contefter leurfiguature. S'ilsne défèrent pas a 1'aflignation , on regarde leur fiïence comme un aveu cjue les fignatures font émanées d'eux. Si -cette préfomption n'étoit pas admife, 8c fi on ne lui donnoit pas la même foree qua la vérité , il n'eft point de débiteur de mauvaife foiqui, ens'abftenant d'aller re- ' connoitre fon écriture., n'éludat les condamnations 8c les paiements les plus légitimes. Mais , encore une fois »• il faut une reconnoiftance , foit réelle foit ptéfumée. Or , 1'acte que la demoifelle Dauplé préfente ici comme fon contrat de ma-, riage, paroit figné de Claude de Verré. Mais rien ne garantit la vérité de cette fignature. Elle n'eft atteftée ni par aucun notaire, ni par aucun témoin. Perfonne n'a été afligné pour la reconnoitre. Ce prétendu acte ne peut donc faire aucune foi en juftice. D'ailleurs , loin que cette pièce annonce Palliance paifible d'un mari 8c d'une femme , il femble, au contraire, ■ctre 1'avanr-coureur d'une guerre qui doit éclater entr'eux. Magdeleine de Dauplé paroit n'avoir voulu faire un contrat de mariage , que dms la vue  Impofleur Bigame. 6t d'abandonner bientót celui auquel elle fe difpofoic de dunner fa main , Sc de tirer un avantage confidérable de cette rupture préméditée d'avance. A Pappui de ce prétendu acte , cette femme produit un prétendu certificat de fon mariage. Mais il ne paroit pas avoir été extrait des. regiftres de la parohTe : Sc, quand il enauroit 1'extérieur, il ne prouveroit rien contre Anne Allard Sc contre fes enfants- Ils n'ont pas été appellés lorfqu'on a compulfé le depót dans lequel ce prérendu acre étoit configné. Ils ignorent li ce dépot eft. légal , s'il eft en règle. Ils ignorent fi 1'extrait eft conforme a Poriginal quelle foi eft due a Pauteur , tant de cet original, que de cet extrait ? On ne peut donc pas s'en prévaloir contre, eux, tant qu'on ne les aura pas mis, dans la néceflité légale d'en admettre. 1'authenticité. Rien ne fupplée au défaut de. pièces. fi eflèntielles. Souvent , lorfque le contrat de mariage & Pacte de. célébration manquent, on fubftitue a cette. preuve, une longue pofteflion d'état, une longue cohabitation , ou des enfants dont Pexiftence appuie le mariage que Pon attaque, Elevés a Pombre^ dg  61 Impofleur bigame, 1'unïon qui les a fait naïtre, 1'état de légitimité dans lequel on les élève forme , en leur faveur , un titre qui repoufTe fouvent avec fuccès les coups que Ion veut porter a 1'honneur de leur naiffance. II en réfulte, en un.mot, une poifeffion d'état qu'il eft bien difficile de combattre avec fuccès. Mais aucune de ces circonftances ne fe rencontre en faveur de la demoifelle Dauplé. A peine a-t-clle pris la qualité d'époufe, que celui, de qui elle difoit la tenir 1'a quittée , pour ne la plus revoir. Ainfi elle ne peut fe prévaloirni de la cohabiration , ni de la poflêflion d'état. Point d'enfants qui autorifent Sc appuient fa réclamation. En un mot , elle n'a d'autre preuve de fon mariage s que fa propre aflertion , qui n'eft accompagnée d'aucune circonftance qui puifte y ajouter le moindre poids. Ce n'eft pas ainfi qu'dnne Allard fe préfente aux yeux de la juftice. Elle apporte tous les fïgnes, tous les caractères qui établiftent la certitude d'un véritable mariage. Elle tient a la main , un contrat folemnel , pfté devant notaires , figné de la dame de Chauvigny & deJacques- de Fcrrè > fon fecond fils, mère Sc  Impofleur bigame. 6$ frère de fon mari. Elle apporce Paétede célébration fait avec toutes les cérémonies ordinaires. Elle paroit , en outre , fuivie de plufieurs enfants , qui font autant de preuves vivantes de Ion mariage. C'eft fous les aufpices de cette union légitime qu'ils ont vu le jour ,. qu'ils ont été élevés Sc ont aequis la pofteftion publique des honneurs de la légitimité. Mais ce n'eft pas aftez, pour eux, d'avoir prouvé que leur père n'a poinr été le mari de deux femmes vivantes , qu'il n'a pas époufé la demoifelle de Dauplé, Sc qu'il eft le mari légitime & Anne Allard ; il faut encore qu'ils faflênt voir qu'il eft Claude de Verré, Sc que la certitude de fon état aflure celui de fes enfants. Or , qu'eft-il befoin , pour établir cette vérité , de chercher d'autres preuves , que ce qui s'eft pafte fous les. yeux de toute la province ? Le père de ees enfants a été reconnu , par la dame de Chauvigny , pour fon fils ainé, pour le premier enfanr qu'elle ait eu de fon mariage avec Guy de Verré, fon époux. Elle a déclaré qu'il étoit le même qui avoit quitté la maifon paternelle en léjSj pour fuivre ia profeflion des  $4 Impofleur bigame. armes. II fut d'abord enfeigne dans le régiment de Chanleu, II a eu , depuis, divers emplois ; <3c , pendant qu'il a porcé les armes, il ne s'eft paffe aucune action ou il n'ait donné des preuves de fon courage. Si, pendant tout ce tems , il n'a pas donné de fes nouvelles , il faut s'en prendre aux fonétions militaires dont il a toujours été occupé •, a la diflipation a. laquelle s'abandonnent ceux qui font attachés a cet état , dans les moments oü ils jouiffent de quelque liberté. Les combats , les exercices & les plaifirs partagent tout leut tems , fans laiffer d'intervalle. Le fouvenir de leur familie ne quitte pas ceux qui font bien nés ; jnais 1'ufage de la plume eft fi peu analogue a leurs occupations, il leur refte ü peu de moments pour en fake ufage, que, d'abord, ils remettent, de jour en |our, a écrire la lettre dont leur propre fentiment leur fait un devoir : le tems s'écoule, on fe familiarife, a la longue, avec les reproches que 1'on fe fait a foiBiême , & 1'on finit par ne plus fonger a s'acquitter d'un devoir qu'on avok regardé d'abord comme rigoureux. Au refte ce filence eft indifférent jdau§ la caufe j que ee fgit le foldat,  Impofleur bigame. . 6f que ce foit le père des enfants qui foit Claude de Verré , 1'un & 1'autre en eft également coupable , & 1'on n'en peut tirer aucune indnction en faveur de 1'un contre 1'autre. II en faut donc revenir aux faits qui font particuliers a chacun d'eux. Claude de Verré , après plufieurs années d'abfence , revient dans fa patrie , & fe préfente dans la maifon defa mère. 11 y entre , non comme le fils de la maifon , mais comme un officier que fes fonótions ont attiré dans le canton , & qui cherche a pafter les moments de loifir dont la difcipline militaire lui permet de difpofer, avec les perfonnes honnêtesdes environs. Voila" le prétexte qui 1'attire a Chauvigny. Mais la vraie raifon eft qu'il veut voir, par lui-même , les changements fur-venus dans la maifon paternelle ; pendant fon abfenee , il veut voir fi 1'onn'a pas difpofé de fa place & de fesbiens en faveur du frère cadet qu'il avoit laifte; il veut voir fi on le reconnoitra , s'il n'aura pas de conteftations a effuyer ; &, en cas qu'il foit forcéd'en venir a cette extrémité , contre quièc comment il fera obligé d'agir. 11 fe préfente donc comme un i»-j;  66 Impofleur bigame. connu; excufe fa démarche avec Ia po-< Iitefle que donne Féducation , & demande Ia permiffion de palTer des moments agréables avec une familie qui pourra lui procurer quelque délalTement des travaux d'un fiège qui peut devenir long & fatiguant. Maisa peine fon frère , auquel ilfe préfente le premier , a t il jetté les yeux fur lui , que, frappé de fes traits , il s'écrie ; vous êtes mon frère. II le conduit a la dame de Chauvigny , leur mère commune. La préfence de ce nouveau venu fait, fur elle , une impreffion auffi fubite, que celle qu'avoit éprouvée Jacques de Verré. <• Vous êtes » mon fils , s'écrie-t-elle a. fon tour : » votre filence, votre air de fang-froid » ne men impofent pas; il faut que » vous me 1'avouiiez ». II crut que la prudence ne lui permettoit pas encore de s'ouvrir. La vérité avoit infpiré ces premiers tranfports ; mais il pouvoit fe faire que la réflexion les rétractat. II ne voulut donc rien précipiter, & crut devoir prendre Ie tems de fe forjner un plan de coilduire, analogue aux évènements qu'il pouvoit prévoir, Sc aux effets qui pourraient réfulter de la  Impofleur higame. 6j réflexion qu'il donnoit, a fa familie,Ie loifir de faire. II profita lui-même du délai qu'il avoit demandé, pour fe mettre au faic des circonftances d'après lefquelles il devoit agir. II fe fit inftruire des fentiments de la dame de Chauvigny , &C de Jacques de Verré, fur l'abfence da fils ainé , des arrangements auxquels cette abfence avoit pu donner lieu ; s'il auroit des conteftations a effuyer pour recouvrer fon bien , &c contre qui il feroit obligé de les diriger; enfin fi les chofes n'étoient pas dans un tel érat , qu'après y avoir bien fongé, on ne crut qu'il étoit plus fage de revenir contre une reconnoiffance que I'onattribueroit a un mouvement indifcret, & a une erreur formée par ce premier mouvement. Mais il apprit qu'il n'étoit arrivé } dans la maifon , d'autre événement s' que la mort de fon père; que les biens n'avoient point changé de main ; que la mère & Ie fils les adminiftroient en fages économes; que l'abfence de 1'ainé étoit toujours un fujet de trifteffe , 8c qu'on ne ceffoit de foupirer après fon retour \ qu'il pouvoit s'attendre a la réception la plus flatteufe, & a re^  ^8 Impofleur bigame. JJrendre tous les droits de fa place ; que 1'on n'avoir pas regardée comme vacante , & que 1'on confervoit a celui a qui elle appartenoit, pour la lui remettre a fon retour. Da prés cesinftructions, il ne balanca plus a fe découvrir ; & fa déclararion fut accueillie comme on le lui avoit prédir. Mais , dira t-on , c'eft une reconnoiftance fubite ; & 1'on fcait combien les reconnoiftances fubites font trompeufes & fujettes a induire en erreur. Comment le cceur peut-il être un juge fidéle dans ces moments , au milieu du trouble qui 1'agite ? Doit-on , fur-tout, en croire 1'amour impérueux d'une mère, toujours exceifivedans fes tranfports, foit de tendrefte, foit de haine, foit d'alégrefte , foit d'abattement , foit de joie , foit de triftefte. lei, un examen réfléchi a bien eu Ie tems de reclifier Terreur du premier mouvement , s'il y en a eu. Quatre années fe font écoulces avant le mariage de Claude de Verre • il n'a ceffé , dans cet intervalle , d'être fous les yeux de fa mère, de fon frère , & de converfer avec eux. N'ont ils donc pas eu Ie loifir & la facilité, pendant un  Impofleur bigame. 6cj fi long efpace , d'ex-aminer fes traits fa démarche , fes attitudes , le fon de fa voix , fes difcours ? N'ont-ils pas pu découvrirs'il ne fe coupoit pas; s'il ne lui échappoit rien qui prouvat qu'il n'avoir pas pafïé fon enfance dans la familie de Verré} Aucun indice ne lui eft échappé qui put faire naitre le' moindre foupcon d'erreur. Après un féjour fi long dans la même maifon , après avoir , pendant fi long- tems , mangé a Ia même table , avoir pafte toutes les journées enfemble , avoir toujours eu des inrérêts com-' muns a régler ; en un mot, après une' épreuve fi conftanre , & que la juftice". elle-même , qui eft fi fcrupuleufe fur les précautions , n'auroit pas exigée , on confent a lui faire époufer une fille1 du canton, une fille d'une familie hon-' nête 8c fortable. En faveur de ce mariage , la dame de Chauvïony donne &c allure ion propre bien a fon fils ; elle fe repofe fur lui de fa fubfiftance , dont elle lui met toutes les reffburces enrre les mains ; elle recoit fa bru dans fa maifon; vit avec elle , voit avec joie, naitre & croitre les fruits de cette5 mrion : 8c 1'on dira qu'une conduite ' .que rien ne dément 3 qui eft le fruit  7© Impofleur bigame. d'une expérience qui a pafle par routes" les épreuves , d'une expérience qui a produit 1'affection la plus perfévérante & la plus méritée , n'a d'autre principe qu'une erreur! La raifon répugne a une tel Ie opinion. Et, qui oppofe-t-on a un homme qui réunit , en fa faveur, tant de preuves de la vérité de fon état ? Un inconnu , un foldat aux gardes , dont la vie eft une fuite d'écarts, de diffblutions & de débauches \ qui n'appone d'autre titre, pour fe faire adjuger la place qu'il réclame , que la cicatrice d'une bruiure qu'il a fur le front. Mais on a fait fentir plus haut combien cette marqué eft cquivoque. C'eft cependant a ce figne unique que toute la familie a donné fa eonfiance ; c'eft a. ce figne unique qu'on s'eft détetminé a expulfer 1'enfant de la maifon , pour lui fubftituer cet étranger indigne , a tous égards, d'occuper le rang qu'il veut ufurper dans la fociété. Combien n'a-t on pas vu , dans tous les tems , d'exemples de ces téméraires qui , avec des marqués & des fignes trompeurs, ont voulu s'introduire dans des families illuftres , &c ont réufli dans leurs entreprifes ?,  Impofleur bigame. 71 L'impofture parviendroit a refTufciter des morts, fi 1'on admettoit, une fois, comme figne certain de 1'état d'un homme, une marqué de brülure , ou Ia cicatrice d'une bïelTure; & combien, d'un autre cöté , de perfonnes viyanres ne fuppoferoit-on pas être defcendues dans le tombeau , pour occuper leur place dans le monde ? La dame de Chauvigny avoit d'abord reconnu fon fils a des marqués bien plus certaines Son cceur &fes entrailles le lui avoient aftiiré \ ik ils font prefque toujours , dans ces occafions , les interprètes fürs de la nature. Ce n'eft pas feulement par un mouvement fubit qu'ils lui ont annoncé la préfence de ce fils retrouvé ; ils n'ont cefle de parler en fa faveur. Ce n'eft pas par une illufion paflagère qu'ils Pont furprife, ils n'ont point varié pendant plufieurs années ; & peut-être tiennentils encore le même langage ? La foiblefte de fon caraótère , la facilité avec laquelle elle défère a Popinion des autres , latimidité naturelle a. fon fexe , ne lui ont pas permis de conferver fa propre opinion ; elle n'a ofé refuferfeule fon fuftrage au foldat, tandis qu'il avoit obtenu ceux du refte  72 Impofleur bio-ame. de la familie ; tk qui feair a quel prïx il les a obtenues ? Que lui importe de détacher une partie de la fortune a laquelle il alpire, pour cofiquérir 1'autre? Ce qui lui en reftera lui fera toujours un fort beaucoi'p plus heureux , que celui auquel il auroit jamais pu afpirer. '' « Mais écarrons , difoient les en>•> fants, une idee qui n'a peut-être que »> trop de 'fondement , mais qui ne s> pourroit être approfondie fans portet w une atteinre mortelle a 1'honneur de » perfonnes que la proximité du fang » nous rend cheres & refpectables. Ne •» les imitons pas; ces perfonnes veulent » nous arracher de la place que nous w tenons des mains de la nature & de » la loi civile , pour nous plonger dans » les horreurs de la batardife, de 1'in»> famie & de la mifère. Bornons-nous '« a. leur faire ouvrir les yeux fur leur w erreur , mais refpeclrons leur hon» neur , qui eft le nótre ». Enfin, pour dernier moyen , ils faifoient valoir la bonne-foi oü étoit leur mère , quand elle époufa celui qui leur avoit donné le jour. Je ne répèterai point les raifons qu'elle avoit fait valoir elle - même, pour établir cette bonne- foi. Mais ils fcutenoient qu'elle,  Impofleur bigame. 75 tjh-elle fuffiroit feule pour les rendre légitimes. Chez les Romains, quand une femme avoit été trompée fur la condition de fon mari; fi , par exemple , elle avoit époufé un efclave, croyant époufer un homme libre , non-feulement les loix la garantilToient de tout reproche, maiselles alfuroient 1'état de fes enfants. Ils portoient même li loin latrention fur ces fortes de mariages , Iqu'ils ont été jufqu'a déclarer lég:time une union inceftueufe , contractée de bonne foi enrre l'oncle & la nièce. L. -5 7 , ff. de rit. nupt. La pratique de ces loix a été adopcée dans notre jurifprudence. Ce recueil en fournit un exemple dans 1'affaire de Martin Gutrre, rapportée a la tête du premier volume. On fe rappelle qu'urt impofleur étoit parvenu a tromper toute la familie , & la femme même de Guerre, qui étoit abfent depuis quelques années. Le menfonge fut découvert, & le menteur condamné a mort. Mais les enfants qu'il avoit eus de la femme du véritable Martin Guerre furent déclarés légitimes. II en eft de même , quand une femme époufé, de bonne-foi3 un homme Tomé XVlll. D  74 Impofleur bigame. marié a une autre femme encore vM vante. La polygamie, dans ce cas , eft excufée par 1'ignorance, Sc le mari feul en porte la peine. Or, tel eft 1'état des enfants d'Anne Allard; tel eft 1'état de leur mère. Quand elle a époufé Claude de Verré, elle ignoroit le mariage dont Magdekine Dauplé vient aujourd'hui réclamer les effets : fa bonne-foi , a cet égatd , ne peut pas être révoquée en doute. Tout concoutoit , d'ailleurs , a. la tromper. La diftance des lieux ne lui permettoit pas d'être inftruire des évènements arrivés dans les régions oü ce prétendu mariage a été célébré. Le bruit de la mort de Magdeleine Dauplé s'étoit univerfellement répandu , Sc fut confirmé par le deuil qui en fut porté dans la familie de la dame de ChaLi vigny. Enfin, ce qui mit le comble a la fécuritéaveclaquelle la demoifelle Allard contrafta ce mariage , c'eft 1'agrément que Ia dame de Chauvigny donna aux recherches de fon fils. Letat des enfanrs c\ Anne Allard eft donc certain , Sc ne peut être «mtefté. Mais a qui ont • ils le droit de de' mander des fecours pour leur fubfiftance, fi ce n'eft a celle dont Terreur a  Impofleur higame. 75 produit leur naiflan.ce ? Seroient - ils venus au monde ; exifteroient-ils aujourd'hui, fi leur aïeule paternelle , la dame de Chauvigny , n'avoit confenti au mariage de leurs père Sc mère ? Si cette aventure eft, poureux, une fource intariftable de malheurs , quels reproches la dame de Chauvigny ne doitelle pas fe faire, elle dont leur exiftence Sc leur infortune eft 1'ouvrage ? Si leur père eft coupable; s'il eft le mari , a la fois , de deux femmes vivantes , la dame de Chauvigny ne doit-elle pas s'imputer ce crime? S'il n'eft pas en fon pouvoir de rendre Piunocence a ce père coupable , pourquoi ne feroit-elle pas obligée de foulager ces enfants , qui font le fruit de fon erreur, Sc d'une erreur qu'un peu de précaution auroit pu lui épargner ? Peut-elle , en un mot, leur refufer des aliments' On a beaucoup reproché a la demoifelle Allard d'avoir eu , avanr fon mariage , des complaifances qu'elle auroit dü rcferver pour 1'époux : d'oü Pon a voulu conclure que Ia conception, au moins du premier de ces enfants, ne pouvoit aucunement être attribuée a la dame de Chauvigny, dont on avoit eerDij  76 Impofleur bigame. tainement pas demandé le coiifentement, pour fe permettre des privautés dorqt les fuices ne pouvoient êcre réparéesque par le mariage. Or, dit on, la dame de Chauvigny eft-elle refponfable des foibleffès de la demoifelle Allard , & doit-elle de . aliments aux fruits de fon incontinence ? C'eft même a cette incontinence qu'il faut s'en prendre fi le mariage qu'on lui reproche n'a pas été précédé des formalités qui auroient pu manifefter la prétendue impofture du père de ces malheureux enfants. Cette obje&ion eft plus féduifante,' qu'elle n'eft folide. Les enfants ignorent ce qui s'eft pafte entre leurs père &C mère avant le mariage ; & quand les époques des époufailles &c de la naiffance du premier enfant les en inftruiroient , la dame de Chauvigny n'en feroir pas moins refponfable de leur naiflance , & des malheurs qui Pao» compagnent, Tous ceux qui ont connu leur père fcavent combien il étoit aimable, & combien il lui étoit facile de féduire le cceur d'une jeune fille. Mais qui eft>. ce qui 1'a mis a portée de faire ufage de fes talents féducteurs auprès de la de-  Impofleur bigame. 77 moifelle Allard} L'eut - el'e écouté ? Auroit il eu même accès dans la maifon de fon père . s'il n'eüt été qu'un aventurier inconnu dans le canton ? Mais il étoit le rils ainé de la dame a's Chauvigny , ou du moins elle , fon fecondfüs , & prefque toute fa families 1'avouoient pour tel , & le laifloient jouir de tous les droits & de toutes les prérogatives attachés a cette qualité, & toutes ces perfonnes lui donnoienr, fans réferve, les marqués d'amitié & de confiance qu'un parent aimable peut attendre d'une familie honnête. C'eft avec tous ces attributs qu'il s'eft {itéfenté , & qu'il a été accueilli dans a maifon du fieur Allard. Sa fille lui parut aimable; il lui dit qu'il 1'aimoit, & la fuite a bien prouvé qu'il ne la trompoit pas ; s'il lui parut alors le plus aimable des amants, il fut enfuite le plus aimable des matis. II fut donc écouté ; mais il ne le fut que de 1'aveu du fieur Allard, & paree qu'il annon^a que le mariage étoit 1'objet de fes foins. Sa propofition , qui étoit autorifée de 1'aveu exprès de la dame de Chauvigny , qui fit même la demande en règle, fut agréée par le père & par la fille. Celle-ci, aflurée d'une union P üj  78 Impofleur bigame. qui flattoit 11 fort fon cceur , laiffa peutêtre prendre trop tot des droits que le manage feul auroit dü autorifer. Mais eüt-elle eu cette foiblelfe , li fon amant n'eüt été avoué & préfente par la dame de Chauvigny elle-même , &C li cet aveu n'eüt offert , aux yeux du père & de la fille , une alliance fortable &C avantageufe ? Si donc il étoit vrai que la demoifelle Allard eut eu la foiblelfe qu'on lui reproche , qui en feroit coupable dans le principe ? Ne prendroit - elle pas fa fource dans la maternité que la dame de Chauvigny fe feroit fauflèment attribuée, & dans Terreur oü elle a induit tous ceux avec lefquels elle a vécu & ttaité ? Concluons donc que , s'il étoit vrai que lepère de ces malheureux enfants füt un importeur , la dame de Chauvigny feroit refponfable de tous les maux qui ont pu réfulter de cette inipofture. M. Talon , avocat général, qui porta la parole dans cette caufe, obferva que, quoiqne le véritable Claude de Ver ré füt reconnu de tous fes parents , & de prefque toute la province, Pimpofture 4e Michel Feydy^ avoit cependanc laiffé  Impofleur bigame. , 79 one impreffion qu'il étoit difficile d'effacer , puifqu'on entreprenoit encore aujodrd'hui de le juftifier. A 1'égard de la dame de Chauvigny \ la règle eft fans doute de condamner en des dommages Sc intérêrs tous ceux qui font complices de 1'impofture. Mais il ne paroit pas poflible d'accufer cette mère infortunée d'avoir voulu fe fuppofer un fils ainé. Dans la vérité , elle en avoit un •, & après la longue abfence de ce fils , elle a été abufée par la reffemblance que le hafard avoit établie entre lui Sc 1'impofteur. Ces reftemblances, dit-il, font rares, il eft vrai; mais enfin il s'en eft rencontré plufieurs , qui n'ont pas laifle de caufer bien des troubles dans les families. 11 en cita plufieurs exemples ; Sc entr'autres celui du faux Baudouin. En 12.15 , Bernard de Rains , hermite champenois , qui vivoit dans les bois de Glancon, entreprit de fe faire paffer pour Baudouin , neuvième comte de Flandres, Sc empereur de Conftantinople. Ce prince fut couronné empereur le 16 mai 1104. Le 15 avril 1205 , il fut attaqué , devant Andrinople, par Jeannice} roi des Bulgares , que lesGrecsav©ient appellé a leur fe3 D iv  8 o Impofleur bi gamel cours , pour chaner les' Francois rle Ia capitale Sc du tröne de 1'empire d'Orient. Baudouin fut battu , Sc 1'on fut plus d'un an fans fcavoir pollcivement s'il avoit été tué dans la bataille , ou iimplernent fait prifonnier. Ceux qui ont dit qu'il avoit été fait prifonnier, ajoutent que Joamüce , après 1'avoir tenu prés d'unan dans les fers , lui- fit couper les bras & les jambes, Sc fit jetter le tronc dans un précipice , ou il fut la proie des oifeaux, Sc mourut au bout de trois jours. II avoit lailTé , pour Iiéritière du comté de Flandres , Jeanne , fa fille ainée. Bertrand de Rains s'étoit in ft truit, dans le plus grand détail, de ce qui concernoit Mandouin -y Sc a 1 aide d'uil DeU de reiTemhlanrf-» cvpr ra nr; ■ - - -■«... v.^.^lllJv.Cj de beaucoup d'effronterie , & de 1'incertitude ou 1'on étoit fur la mort dc 1'empereur , il réuflit a tromper une partie de la noblelfe Sc du peuple de Flandres , qui le qualifioient déja comte & empereur , & lui rendoient les refpeds dus a ces dignités. Jeanne , fille du comte , 8c héritière de fes états, refufa conftamment de Je voir. Cependant elle envoya, fur les Heux , Jean de Mutelan , & Alben ,  Impofleur bigame. 8r tous deux bénédictins Sc grecs d'origine , pour avoir des inftructions certaines fur la more de fon père. Dès qu'elle en fut inftruite , elle pria Louis VIII, roi de France , de juger cette affaire, qui pouvoit avoit des fuites facheufes. Le roi fe rendit a Péronne , d'oü il manda au prétendu Baudouiu de venir le trouver. II fe préfenta , vêtu de pourpre, devant le roi , Sc le falua d'un air fier & majeftueux. Le roi lui fit. fur la généalogie des comtes de Flandres , plufieurs queftions , auxquelles il répondit avec beaucoup de jufteffe s ainfi qu'a plufieurs autres demandes fur plufieurs autres fujets. Il alloit fortir de cette épreuve a fon avantage, fi 1'évêque de Beauvais n'eüt fuggéré au roi de demander a cet homme : ie. En quel lieu il avoit rendu hommage a Philippe Augufte pour le comté de Flandres. , 2°. Par qui, & en quel lieu il avoit 'été fait chevalier ? j °. En quel lieu il avoit époufé Marguerite de Champagne ? Ces trois queftions imprévues déconcertèrent le fourbe, qui demanda Dv  8 2 Impofleur bigame. du tems pour y répondre. A cette dé~ faite , toute 1'aifembiée fut convaincue de l'impofture de lhermite. Le roi lui fit une réprimande ttès - aigre , & le chalTa de fa préfence. Bertrand de Rains s'enfuit en Bourgogne, oü il fe tint caché pendant quelque tems: il fut découvert par Errari deCartinac, gentilhommebourguignon, qui Parrêta , le ehargea de fers, & le mena a Lille, oü il fut pendu , après avoir été appliqué a la queftion , &C promené couvert de haillons dans toutes les villes de la Flandres & dn Hainault. M. 1 'avocat général fit atifli mention de 1'afPaire du gueux de Vernon , rapportée dans ce recueil , tome i. Les Juges de cette ville vouloient donner le fils d'un mendiant a Jeanne Vacherot, qui avoit eflêctivemenr perdu »n de fes enfants. Les juges & lepeuple, fur le fondement d'une cicatrice au vifage , s'accordoient a donner cet enfant a celle qui n'en étoit pas la mère ; &c , fans le fecours de 1'arrêt , cette femme eut été obligée de reconneitre pour fon fils un individu qui lui étoic lotalement étranger. 11 ne faut donc pas faire un crime a  Impofleur bigame. £3 Ceux qui fe laifient tromper par les apparences d'une reflemblance , ni les condamner comme complices de Timpofteur qui les a féduirs. Cemagiftrat paffa enfuite a' I'examen des deux mariages dans iefquels Michel Feydy s'étoic engagé. Le premier ne lui parut rien moins que régulier, Aucune des pièces rapportées par la demoifelle de Dauplé n'enprouvoit juridiquement 1'exiftence. Le contra: qui avoir précédé la célébration étoit iufpedt. 11 avoit eté rédigé fans le miniftère d'aucun notaire ; 8c lien , depuis , n'avoir afturé la vérité des fignatures qui y étoient appofées ; aucune des parties intérelfées ne les avoient reconnues. Le certificat de la publication de bans.le certificat de la célébration du mariage n'étoient pas plus authentiques, 5c n'étoient revêtus d'aucune des formes auxquelles feules la juftice a attaché fa confiance. Mais, il y a plus : 1'écrit, que 1'on qualifie comrai de mariage , contient une claufe bien propre a faire naitre des foupcons. Il y eft dit , qu'«/2 cas de féparation , la future prendra une fomme de deniers convenue. Cette prévoyance eft bien étonnante. Quand on rédige Dvj  $ 4 Impofleur higame. un contrat de mariage , on prévoit Ie cas de mort, paree qu'il eft inévirablej, on prévoit la furvenance d'enfants , paree que c'eft 1'effet naturel du mariage : mais on ne prévoit pas que le mari pourra abandonner fa femme ;. par conféquent on ne ftipule point de dédommagements pour un événement dont on n'a même pas 1'idée. Une précaution fi extraordinaire nedonneroitelle pas lieu de foupconner que le père de la demoifelle de Dauplé avoit quelque connoiftance , ou au moins quelque foupcon de Ia fourberie de celui qui fe préfentoit pour être fon gendre ? En effet , lorfque cet importeur fit Ia.; connoiftance de Ia demoifelle de Dauplé , il étoit au milieu de fa troupe , & accompagné de tous fes camarades , qui ne 1 avoient jamais connu que fous. le nom de Feydy. Ils ne purent, fans •étonnemenr, le voir, a. fon retour de Chauvigny , changer , tout d'un coup , ce nom en celui de Verré. Connoiffant fon extraction & Ie lieu de la. naiffance, ils furent, fans doute , furpris de lui entendre dire qu'il éroit d'une familie noble de Saumur , & principal héritier d'un fief confidérable. 11 prn foiu de les nietcre dans Ia con-  Impofleur bigame. 8 f fidence de fon aventure & de fes projets. Mais cette confidence n'a pu être faite a tous & Ia fois , ik tous ont pu ne pas avoir la même difcrétion après. qu'elle leur a éré faite; enforre qu'il eft plus que probable que le fecret de Feydy avoit tianfpiré dans le lieu , 8c étoit parvenu jufqu'auxoreilles du fieur de Dauplé. D'après les proteftations de 1'impofteur , il aura pu ne pas donner une foi entière au bruit fourd qui avoit circulé jufqua lui; il" aura pu fe livrer a unecertainefécurité fur le témoignage' de Jacques de Verré \ mais il aura toujours confervé une forte d'iquiétude 5 qui lui a fait prendre la précaution fingulière , énoncée dans le contrat de mariage , & qui fuffit pour qu'on puiffe lui reprocher de n'avoir pas eu cette bonne-foi qui fait excufer Terreur 6c les fautes qu'elle oecafionne». Quant au mariage & Anne Allard, il' paroit hors de doute qu'elle étoit dans la bonne-foi; fur-rout ayant pour garant de 1'état de celui qu'elle époufoit s la dame de Chauvigny 3 Jacques de Verré, &z prefque tous leurs parens , qui ont figne le contrat de mariage. Elle ne peut donc que mériter la compaffion de la jufticeo-  26 Impofleur higame. Pour Jacques de Fe/ré, ii n'y a pas lieu de douter qu'il étoit dans la bonnefoi , quil a été féduit par des apparences trompeufes ; & la foiblelfe qu'il a eue de fe laifler féduire , doit d'autant moins lui être imputée, qu'elle lui étoit commune avec fa mère , Sc avec prefque toute la familie. ^ D'ailleurs , peut-on imaginer qu'il ait cherché a fe donner , de gaieté de cceur, un frère ainé, &c qu'il ait choili un importeur , pour le revêtir de cette qualité qui lui enlevoit des prérogatives confidérables de plus d'une efpece? On ne peut fe déterminer a fe réduire a une fimple légitime de cadet, qui ne fcauroit être que fort médiocre , li Ton n'eft pas bien convaincu du droit de celui auquel on fait 1'abandon des prérogatives de 1'ainefte. Cette confidération doit être regardée comme un fur garant de la bonne - foi de Jacques de Verre, Sc le mertre a 1'abri de toutes les condamnations que 1'on demande k la juftice contre lui. A 1'égard de la dame de Chauvigny „' elle étoit dans la bonne foi, fans doute; mais c'eft elle qui a ■ réparé le mariage d'Anne Allard 3 c'eft elle qui 1'a ratifié ,  Impofleur bigame, 87 &, en quelque forte, légalifé par fa préfence, par fon confentement & par fa fignature. On peut dire , en un mot, qu'il eft fonouvrage, & que, fi elle n'y avoit pas coopéré , il n'auroit pas eu lieu. II paroit donc jufte qu'elle contribue a réparer, autant qu'il eft poffible , les dommages qu'en a fouffert celle qui en aété la viftime , Sc qu'elle aide a la fubfiftance des malheureux enfans qui en font provenus. En conféquence , il fut d'avis que , fur les appels, les parties fuftènt mifes hors de cour & de procés. Par ce hors de cour, le foldat aux gardes fe trouvoit aftermi dans la poffefiion du nom de de Verré, Sc de tous les droits qui y ctoient attachés. M. Talon conelut, en outre , a ce que la dot cYAnne Allard lui füt adjugée fur les biens de Michel Feydy , Sc fur ceux qui avoient compofé la communauté réfultanr de leus mariage , jufqu'au moment de la fentenee qui 1'avoit condamné a mort s fans aucuns dommages ni intéréts. - Par arrêt du 21 juin 1659 , fur les appels de Magdeleïne Dauplé Sc cYAnne Allard , qui fe difoient toutes deux femmes de Michel Feydy, Sc fur les demancies forrnées par la première au par-  SB Impojleur higame. lement, les parcies furenc mifes hors de cour Sc de proces. Les enfants provenus du mariage A'Anne Allard, attendu la bonne-foi de leur mère, furentdéclarés légitimes: en conféquence , tous les biens acquis par leur père, avec les meubles, réparations Sc améliorations faites aux maifons , chateaux Sc terres dont il avoit joui en verru de fon acte de partage avec Jacques de Verré, fous le nom de Claude de Verre , jufqu'a concurrence desconventionsmatrimonrales Sc de la garantie des dettes auxquelles elle avoit pu s'engager avec fon mari, lui furent adjugés a elle Sc a fes enfants „ par préférence a Claude de Verré Sc & tous autres créanciersr A 1'égard de la dame de Chauvigny, elle fut condamnée envers Anne Allard, en tous fes dommages Sc intéréts , liquides a 10.00 livres parifis , payables par préférence a. Claude de Verré , Sc aux dépens a cet égard. Jacques deVerré fut reftitué contre toutes les fignatures qu'il avoit données a 1'occauonde rimpofteur. Quant a la fentenee de rnort, attendu qu'elle étoit rendue j>ar contutnace, le parlement garda le filence fur  Impofleur bigame. 89 'eet objet , Sc ne pouvoit faire autrement; tout le monde fcait, que 1'appel de ces fortes de jugemens ne peut êtte recu qu'autant que 1'accufé fe préfente en perfonne. Ainfi Michel Feydy eft décédé dans les liens de la molt civile.,  5o •ENFANTS LÉGITIMÉS D'HENRY IV. Tout ce qui nous rappelle Ie fouJ venir de ce bon roi nous intérelle. On pardonne , avec attendriifement, a fa mémoire , des foibleües que 1'on repnxheamèrement a d'autres. Celles de ce grand homme n'eurent aucune influence fur le fort de fes peuples. Le gouvernement , fcus lui, ne fut point en proie aux caprices de fes maïtreffes & aux intrigues de leurs favoris. S'il ne feut pas réprimer les impulfions phyfiques du fon tempérament , jamais fon tempérament ne troubla fa raifon; jamais il ne l'engagea dans aucune démarche qui put porter atteinte au fyftême de bienfaifance que la grandeur & la bonté de fon ame lui avoient fait adopter , & dont jamais il ne s'écarta. Henri IVétoit tendre & paffionné auprès d'une maïtrelfe ; il payoit fes faveurs par des générofités ; mais les complaiftnces de Pamantn'empiétoient point fur la dignité &c fur les devoirs  Enfants Ughimés cTHenri ÏV. $1' du monarque. Une belle tète avoit le droit de lui plaire, mais jamais il ne lui accordoit celui de gouverner. La fameufe Gabrielle d'Eflrées eft ' celle de toutes fes favorites pour laqueile il tctnoigna le plus d'attachement, & qui le rixa leplus long tems. Elle avoit trouvé , dans Sully , un grand obftacle a. fon ambition; de-la naquirenr, entre la maitrefte & le miniftre, des querelles, dontle roi fut fouvenc ie témoin. Gabridle étoit naturellement d'un caractère doux. Cependant eile s'échappa, un jour, jufqu'a dire , en préfence du monarque , cpi'elle aimqit plu.ot mourir, que de vivre avec cette vergngne , de voir foutenir un valet contre elle qui portoit le titre de maürejje. Le roi lui répondit, fur le champ : pard. . . . madame , c'eft trop , & vois bien qu'on vous a drejJJe a ce badinage , pour ejjayer de me faire chaffer un ferviteur duquel je ne puis me pajfer. Mais , pard.. .. je n'en ferai rien : & afin que vous en tenie% votre cceur en repos, & nefaffie\ plus lacariatre contre ma volonté , je vous dklare que , fi j'étois réduit en cette nécejfité de perdre 1'un ou 1'autre , je me pajjerois mieux de dix maürejfes comme vous, que d'unfer-  91 Enfants Ughimés viteur comme lui. Quelle fermeté , quel atrachement pour le bien de fon royaume, dans un roi fur qui famour avoit tant de pouvoir ! Que ces anecdotes font de plaifir a recueillir , & qu'elles en doivent faire a la lecture ! Gabrhlle d'Eflrées étoit fille & 4ntoine d'Ejtrées , marquis de Cceuvres , & de Francoife Babou. Quand le roi en fit la connoiffance , elle avoit perdu fa rnère; mais elle étoit furveilléepar fon père , dont 1'attention fur la conduite de fa fille rendoit les entrevues des deux amants fort difficiles. Pour fe débarraffer d'un fut veillant fi incommode , Henri IV matia fa maïtrefle au fieur Damerval de Uancourt , gentilhomme de Picardie. II étoit veuf d'Anne Gouffie- , dont il avoit eu quatre enfanrs. Les mémoires de Sully nous préfentent cet homme comme ayant l'efprit aujji mal-fait que le corps, & ajoutent que Hertri feut em■pécher la confommavon de ce mariale. Madame de Liancout t accoucha, en juin 1594, d'un fils, dont le roifereconnut le père. II fut nommé Céfar; on lui donna la qualité de Monjieur, 8c on 1'appelloit Cefar Monfïeur. Auffi-tót après Ia naiffance de cet  cFHenri IV. 93 enfant , le mariage de fa mère fut attaqué pour raifon de 1'impuilfance du mari , &c déclaré nul par fentenee de 1'official d'Amiens du 14 décembre 1594. frater, turn matrimonïum in ter dïclos Damerval & d'Eftrées , contra, leges é' Jlatuta ecckfia attentatum , ab initio nullum , ideo qug. irritum declara.; vimus & declaramus. Le fieur de Liancourt , loin de s'oppofer rï l'exécution de cette fentenee , s'y foumit en époufant la demoifelle cYAutun. Mais il ne fut pas plus heureux dans .e troifième mariage , qu'il ne 1'avoit été dans le fecond. Sa nouvelle femme fe phignit a. 1'oflïcial de Paris, de 1'incapacité de fon mari; & , par fentenee du 28 février i-Soo, il fut dit qu'il n'y avoit jamais eu de mariage ; 3c les défenfes faires au fieur de LLncourt, par 1'ofh'cial d'Amiens , de fe remarier, furent réitérées par celui de Paris. Dicimus matrimonïum inter pradiclas panes contraclum , licht in fara ecclefid folemnifatum, nullum, irritum , & invalidum fuiffe & effe ; & ob ejus Kifrigiditatem & impotendam, quatenus de fado prpetffit , illud refcindimus, & eafem partes ad invicem feparamus ; eidtm aclricc alii nubere in domino per~  94 Enfants Ugltimis mhtentes : diclo autetn reo ne, in popterum , matrimonïum cum virgïne , aut alïd quavis muliere prafumat , diftriciè inhibemus. A peine Gabrielle d'Eftrées fut-elle affranchie de fon mariage , qu'elle pric le nom de marquife de Monceaux ; Sc Henri IV, dès le mois de janvier 1595 , légitima fon fils , qui n'étoit agé que de fept mois. Plufieurs de mes lecteurs ne ttouveront pas mauvais que je tranfcrive ici les lettres qui furent rédigées a cet effet : il eft curieux de connoitre les motifs qui fervirent de prétexte a cette faveur. D'ailleurs elles contiennent des claufes qui auront leur application au ptocès dont il s'agit ici. « Henri , par la grace de Dieu , roi » de France & de Navarre , a tous pré»> fents & a venir \ falut. Nous efti» mons pouvoir véritablement dire m avoir , autant que nul de nos prédé» ceffeurs , travaillé pour la conferva» tion, le bien &c le repos de cet état, » lequel, de défolé qu'il étoit, & prois cbe d'une quafi inévitable ruine , » quand il eft tombé entre nos mains , » 1'on a vu que nous 1'avons relevé , » &c , par la grace de Dieu, tantót ré-  Henri IV. 95 j» tabli en fon ancienne force Sc dii> gnité , n'ayanc a ce épargné , non» 1'eulemenc nocre labeur, mais notre »> fang Sc notre vie 3 que nous avons » fouvent prodigalement expofée aux » occafïons qui s'en fon: offertes , tant » que nuile efpèce de peine Sc de pé». ril ne nous a été inexpérimenté ; Sc w néanmoins avec tant de zèle & d'af» feétion en vers cette couronne, que » tout nous p été facile & fupportable. » Ce qui nous a fait efpérer que cette » vertu Sc force fera héréditaire a. tous » les nótres ; Sc toutce qui proviendra » de nous naitra Sc croïtra avec cette j> méme intention envers cet état. » C'eft pourquoi nous avons d'autanc » plus defiré avoir lignée, Sc en laifter » après nous a ce royaume \ Sc puifque » Dieu n'a pas encore permis que nous » en ayons en légitime mariage , pour »> êtte la reine notre époufé , depuis » dix ans, féparée de nous , nous avons » voulu, en artendant qu'il nous veuille » donner des enfants qui puiflènt lé» gitimement fuccéder a cette- cou» ronne, recherché d'en avoir d'ailleurs,' *t en quelque lieu d-gne Sc honorable, » qui foient obligés d'y fervir, comme # il s'en eft vu d'autres de cette qua-  9 6 Enfants légïtimis » licé , qui ont trés bien mérité de cet » état & y ont fait degrands & notables » fervices. Pour cette occafion , ayant » reconnu les grandes graces & per» fections , tant de Pefprit, que du n corps, qui fe trouvent enda perfonne » de notre chère & bien amée la dame » Gabrielle d'Eflrées , nous 1'avons , » depuis quelques années , recherchée u a cet effet, comme le fujet que nous » avons jugé & connu le plus digne de » notre amitié : ce que nous avons ef» timé pouvoir faire avec moins de *» fcrupule & charge de confcience , n que nous fcavons que le mariage » qu'elle avoit auparavant contraété « avec le fieur de Liancourt , étoit nul » & fans avoir jamais eu aucun effer , » comme il eft juftifié par le jugement » de la féparation & nullité dudit ma» riage qui s'en eft du depuis enfuivi. » Et s'étant ladite dame , après nos » longues pourfuites , & ce que nous y » avons apporté de notre autorité, con* » defiendue a nous , obéir & com» plaire } & ayant plu a. Dieu nous » donner, puis naguères, en elle un » fils , qui a jufqu a préfcnt porti le » nom de Céfar Monfieur , outre la >j charité naturelle & afte&ion pater» nelle  eTHenri IV. 97 » nelle que nous lui portons, tant pour « être exttait de nous , que pour les V fiugulières graces que Dieu & la na» ture lui ont départies en fa première » enfance, qui font efpérer qu'elles lui » augmenteronr avec lage , Sc pro» venaut de telle tige, qm produira, un » jour , beaucoup de fruit a cet état, >j nous avons réfolu , en 1'avouant Sc » reconnoiffanr notre fils naturel, lui » accotder Sc faire expédier nos lettres » de légidmarion ; cette grace lui étant » d autant plus néceffaire , que le dc» faut en fa progéniture 1'excluanc de s: toute prétention en la fucceftion » non feulement- de cette couronne Sc » de ce qui en dépend , mais auiïï de 55 celle de notre royaume de Navarre » Sc de tous nos autres biens Sc re» venus de notre autre patrimoine » tant échus , que ceux qui pourronc » écheoir ,il demeureroit en très-mau» vaife condition , s'il n'étoit, par la» dite légitimation , rendu capable de » recevoir rous les dons & bienfaits » qui lui feront faits , tant par nous , » que par autres , comme c'eft bien » notre intention de lui en départir au» tant qu'il en convient pour foutenir » 1'honneur & la dignité de la maifon Tomé XFUI, £  9 8 Enfants lêgitlmês » dont il eft iffu. Pour ces caufes, ayant; » fur ce que deftlis , eu Tavis des prin» ces de notre fang, Sc autres princes , » des officiers de la couronne, & autres 9i des principauxde notreconfeil,avons, » de notre certaine fcience , pleine puif» fance Sc autorité royale , avoué, dit Sc déclaré , avouons, difons & décla» rons , par ces préfer.tes , fignées de » notre main , ledit Cé/ar , notre fils « naturel , & icelui légitime Sc légi» timons , Sc de ce titre Sc honneurde » légitimation décoré Sc décorons par » cefdites préfentes : voulons Sc oc» troyons que dorénavant,en tous actes „ Sc honneurs , tant en jugement que » hors , il foit tenu , cenfé Sc réputé » légitime , Sc qu'il puiffe , quand il » fera en age, ou autre pour lui, pen» dant fa minorité , acquérir en ceftuy » notre royaume , tels biens, meubles m Sc immeubles^que bon lui femblera, » Sc d'iceux ordonner Sc difpofer, foit »par teftament, codicille Sc ordon» nance de dernière volonté, donation » faite entre-vifs, ou autrement, ainfi » qu'il lui plaira ; Sc qu'il puiffe ap» préhender Sc recueillir tous les dons , » bienfaits Sc gratifications qui lui » pourront être faites par nous Sc tous  'etHenri IV. 99 »»autres , dont nous 1avons rendu öc jj rendons capable par cefdites pré-i » fentes : enfemble de pon voir tenir » telles charges , états , dignirés &: 5> offices , defquels il pourra , tant par j5 nous, que nos fuccefleurs rois être » honoré , 1'ayant a ce habilité & dif» penfé , habilitons Sc difpenfons par » cefdites préfentes , fans que , de tout » ce que deffiis , il lui puilfè être fait, » mis ou donné aucun empêchemenr, » pour quelque caufe & occafion que >j ce foit; dérogeant, de notre grace » fpéciale , a toutes ordonnances qui 55 poutroient être a ce conrraires. Si » donnons en mandement a notre cour 5J de parlement & chambre des comptes » a Paris , faire lire , publier Sc enre»giftrer lefdites préfentes felon leur » forme & teneur, & du contenu en »icelles faire jouir & uferledit Ccjar » Monfieur pleinement Sc paifiblement, >» nonobftant comme delfus. Et afin que » ce foit chofe ferme Sc ftable a tou» jours, nous avons fair mettre nc tre « fcel a cefdites préfentes ; fauf, en » autres chofes , notre droit, Sc 1'autrui » en toutes. Donné a Paris , au mois » de janvier, 1'an de grace mil cinq » cents quatre-vingt - quinze , Sc de Ei;  ioo Enfants lêgitimes » notre règne , le fixième. Ainfi figni » Henri ; & fur le rtpli , par le ror , » Forget. Et a cóté vifa , Sc fcellces » fur lacs de foie rouge Sc verte , er> » cire verte du grand fcel ». Regifïrées , ouifurce, le procureur général du roi. A Paris, en parlement , ie troifieme jour de février , tan mil cinq cents quatre yïngt - quin^e. Signé, pu TlLLET. Par de nouvelles lettres parentes du 2,8 janvier 15 96 , enregiftrées au parlement le 19 mars fuivant, le roi voulant, d'un cóté, oclroyer a la dame. d'Eftrées toutes les marqués honorables, droits & érr.oluments qui ont accoutumé être donnés aux mhts ; & , de 1'autre , rendre Céfar Monfieur habi'.e afuccéder afa mère, il do ina a celle-ci la garde-, noble de tous les biens ,doni& gratifica* tions faits ou a faire a Céfar Monfieuri leur fis , foit par lui, foit pw les rois fes fuccejfeurs ; il le déclara ,^ du confentement de fa mère , habile a luifuc céder, & ordonna qu'elle feroit elle-même l'héritière de fon fils , en cas qu'il mourüt avant elle ,fans laiffer d'enfant. La marquife de Monceaux avoit accepté ees anaiigemauts par un aóte du  'cTHcnri IV. 101 l~6 février 15 96 ; qui fe trouve dans les regiftres du parlement. Elle accoucha , au mois de novembre 1596 , d'une fille , qui fut nommée Caiherine-Hentiette. Elle fut légiumée au mois de mars 15 97. Le roi donna aufti la garde noble de cette fille a fa rnère , mais fans rendre la fille habile a recueillir la fuccelfion matemelle , ou a y participer. Gahrielle d'Eftrées , marquife | de Monceaux , n'avoit aucun rang a la cour , n'étant revêtue d'aucune dignite qui lui en donnat Pentrée. Pour la. rendre capable de cet honneur , le roi lui donna le comté de Beaufon en Champagne , qui eft aujourd'hm le 'duché de Mommotency. 11 joignit , a ce comté , les terres & chatellenies de Soulainets, Larzicourt, Eftangde Hort, forêt de-ca & de-la de Hort ,8c la baronnie de Jaucourt. N'ayant fait qu'une terre de toutes ces feigneuries, il 1'érigea en duché-pairie en faveur de la marquife de Monceaux , « tant a caufe , >» eft-il dit dans 1'édit d'ére&ion du » mois de juillet 1597 , qu'il n'avoit » rien de fi proche qu'elle , &"qu^il n'y » avoit fortes de titres qu'il put lui «donner, dont elle ne fut, de fon  102 Enfants Ugïtimés » chef, bien digne & capable , foit » pour les rares perfedions que Dieu » avoit mifes en elle , Sc les preuves Sc »rémoignages qu'il avoit journellement » de Ia fincérité de fon affedion ... & » de fes bons comportements ; foit » paree que tout ce qu'elle devoir » avoir de biens Sc de grandeurs re« venoit 3 par droit de nature , a Céfar » Monfieur, qua caufe des rayons d'une » future vertu qui reluifoit en lui ». C'eft fur ces motifs que ce prince fe détermina a gratifier Gabrielte de ce duché , avec la prérogative de « tenir, » en fa perfonne , fes hoirs , fuccef»> feurs Sc ayans-caufe , rang , digniré 3» Sc féance dans tous les lieux oü les » ducs Sc pairs fe pourroient trouver , »> comme fi le duché de Beaufort avoit » été créé 8c érigé immédiatement » après l'éredion faite de la duché» pairie de Montmorency en i 5 51 ». 11 voulut , en outre, « qu'en quel» qu'évènement que ce füt, la duché« pairie de Beauforr ne put jamais être » reünie a la couronne ; paree que c'é» toit a cette condition expreffe que la » marquife de Monceaux avoit confenti » fon éredion ■ a quoi elle n'eüt ja» mais voulu entendre autrement: dé-  (THenri IV. 103 » rogeant, a cet effet, exprefTémenr, » tant a 1'écHt du mois de juillet 15 06", j> qui ordonnoit que les duchés-pairies »feroient déformais réunis a la cou» ronne , faute d'hoirs males , qu'a » celui de mai 1579 »> Cet édit fut enregiftré au parlement le 10 juillet Quoique Céfar Monfieur ne fut , en 1598, agé que de quatre ans , le roi &c la duchefle de Beaufort, faifirent une occafion favorable d'afTurer a cet enfant un mariage honorable , & alforti aux vues d'élévation qu'ils avoient fur lui. La ligue étoit prefque entièrement diffipée. Le duc de Mercceur , prince de Lorraine , en fourenoit encore les derniers débris, & fe tenoit cantonnédans la Bretagne. Son projet étoit de fe faire duc de cette Province; il feflattoit que le tems feroit naïtre quelque circonftance favorable a fes defleins. Dans certe vue , il éludoit toutes les propofitions d'accommodement que le roi lui faifoit faire , quelque avantageufes qu'elles fuffent a ce fujet révolté. Rebuté enfin de tant de remifes ,' voulant exterminer ce refte de la ligue, & chatier le duc , qui feul en maintenoit le fouvenir , le roi prit le parti E iv  104 Enfants Ugitimis de 1'aller attaquer a la tête d'une armee. I/approche de Henri le Grand , qui déja etoit a Angers , effraya le duc de Mercaeur. II fe crut perdu fans reffource , s'il n'obtenoit fon pardon par la voie de la négociation. Marie de Luxembourg , fa femme en porra les premières paroles. Elle s'adrelïa a la duchelTe de Beaufort, & lui propofa de marier Francoife de Lorraine, fa fille unique , & la plus riche héritière du royaume , avec Céfar Monfeur. Le roi , flatté de donner la paix h fes fujets , fans répandre de far.g , 8i de procurer a fon fils une alliance, au/li honorable &" aufii avantageufe } accorda , a cette condition , le pardon au duc de Mercaeur , & le fcella , par un édit fort avantageux a ce duc. donné a Angers au mois de mars i 598 , regiftré au parlement le z6 du même mois. En même tems , le mariage qui avoit occafionné l'ouverrure de la paix, fut arrêré, & le contrat en fut drelfé le 5 avril 1598 ,pardevantics notaires d'Angers. Les fiancailles futen t célébrées avec magnificence. Mais la bénédicHon nuptiale fut fufpendue jufqua ce que lage des époux permic de iadminiftrer.  'ePHenri IK i°5 Par le contrat de mariage , Céfar Monfieur fut comblé des bienfaits de fes père & mère- La ducheffe de Beaufort y déclara qu'elle tenoit Sc réputoic fon fils pour fon vrai Sc pri.ncipal heritier ; elle lui fit donation entre - vifs de la duché-pairie de Beaufort , avec toutes fes dependances , de la terre de Vaudeuil , pour lui Sc fes defcendants , en ligne direófce, en quelque degré qu'ils fuftent , les males Sc ainés toujours préférés. Henri, de fon coté , donne \Qéfar% fon fils naturel Sc légitime, le duchépairie de Vendöme & paysVenclomois, avec toutes fes dépendances , pour lui, fes enfants , Sc leurs defcendants en ligne directe ; les males préférés aux filles , Sc les ainés aux pu'inés, de deoré en degré. II 1'aurorife a retirer toutes les rentes , terres Sc feigneuries du duché de Vendóme , engagées , vendues Sc aliénées,de quelque nature qu'elles fulfent •, Sc en cas qu'il y en eut quelques-unes qu'on ne put retirer, paree que les poftefleurs prétendroient les avoir acquifes a perpétuiré , ou que le tems accotdé pour les retirer fut ex'piré, ou pour d'autres caufes que 1'on croiroit devoir adopter en juftice , le E v  10(5 Enfants lêgitimès roi s'oblige de payer le prix auqnel feroient eftimées ces terres ourences qui n'auroient pu être réunies, pour être employé ea acquifitions d'autres biens de même valeur & de même bonté. Le roi s'engagea , en outre , de donner, dans quatre ans , a fon fils , ou a madame de Beaufort, fa mère , la fomme de 500000 livres , donc 400000 livres pour retirer toutes les 'terres qui avoient été diftraites du duché de Vendöme , ou en acquérir d'autres de pareille valeur , pour y être réunies , & être propres a Céfar MonJieur, & aux flens, avec pareille fubftiturion. A cette claufe , le roi ajouta que Céfar , fon fils, ou fes enfants males venant a décéder fans poftérité, la fille qu'il avoit de madame la ducheffe de Beaufort, & les autres enfants qu'il pourroit avoir d'eile , fuccéderont , de plein droit, au duché de Vendöme Sc aux terres qui feronr acquifes de nouveau , dont fa majeftc leur fait donation , fous les mêmes claufes que ia piécédente. Après toutes ces donations on réitéra cette claufe: « déclarant fadice majeftë  'cVHenri IV. _ 107 »'& ladite dame ducheffe , avoir en» tendu faire lefdites donacions audic » fieur duc de Vendoms , a condirion » que , fi lui , fes enfants , & leurs » defcendants ( felon qu'il a été ex» prime ) venoient a défailiir , la fille » qu'ils ont , & autres enfants qu'ils # pourroientavoir, y fuccèdent; & les » aient de plein droit , en venu des s> préfentes ; les males & ainés, tóu» jours préférés, comme dit eft >>. Tout étant terminé par ce contrat de mariage entre le roi & le duc de Merccenr, le monarque quitta Angers , pour fe rendre a Nantes. A peine y fur-il arrivé , que , pour mettre a 1'abri de toute attaque Ie don qu'il venoit de faire a fon fils, du duché de Vendöme 3 il en revêrit l'aéte de lettres patentes, datées du 1 5 avril 155)8. Gabrielle a" Eflrées , en fa qualité de duchefle de Beaufort , pair.de France , & ayant la garde noble de la perfonne & des biens de Céfar Monfieur ,fils naturel & légitime du roi & d'elle , préfenta ces lettres au parlement , le 15 juin 1598. Mais cette cour jugea que 1'enregiftrement qu'on lui demandoit exigeoit la plus grande attention. Le duché de Vendöme appartenoit £ E vj  io8 Enfcnts légiümés Henri IV, a titre de patrimoine , Ss indépendamment de la couronne. Le don que ce prince en avoir faic a fon fils étoit une vérirable aliénation a perpétuité, Sc le parlementpenfoit que le patrimoine de ce prince avoit été réuni au domaine de la couronne par fon avènement au tróne; &c qu'ainfi il n'avoit pas la faculté de 1'aliéher. Cec 1 me conduit a une difgreffion fur 1'inaliénabilite du domaine de la couronne , qui pourra ne pas déplaire a mes lefteurs. J'ai déja pris quelquefois cette licence , & je n'en ai pas recu de reproches. Tout ce qui rend a inftruire les fujets fur le droit public de la nation , ne peut que leur être agréable. Je puiferai ce que je veux dire fur cec objet , dans 1'abrégé chronologique de i'hiftoire de France par M. le préfiden: Hénault- II enéclaircit les principes ,de la manière la plus lumineufe Sc la plus concife en même tems. Cefl: fous Philippe- le-Hardi , qui tègnoit dans le treizième fiècle , que Finaliénabilité du domaine a été bien connue. D'abord 1'apanage , tel que nous le concevons aujourd'hui , ne commenca a prendre toute fa force, que fous Philippe-le-Bel, fils Sc fuc-  J Henri IV. 109 ce fleur de Phiüpps-le-Hardi, Jufquesla , il avoit éprouvé bien des variations. Sous les deux premières races , les enfants des rois partageoient également la couronne entre eux. Sous le commei*cement de la troifième , l'inconvénient de ces partages fit prendre le pard de démembrer quelques portions de terres, dont le fils puiué auroit la propriété. Mais, a meiure que les vrais principes de la polinque s'éclairèrent, 1'ir*convénient du démembrement d'une partie du domaine de la couronne s'étant fait fentir davantage , les partages ou apanages , dont fapanagé pouvoit auparavant difpofer , comme de fon bien, devinrent uneefpèce defubltitution , & furent chargés de retour a h couronne , a djéfaus d'hoirs. C'eft-li que commencent véritablement les apanages, dont le ncm repréfentoit une forte de coneeffion , qui, fans rnorceler le domaine de la couronne ,. en fufpendoir feulement la jouiftauce , pour quelque tems , & pour quelque portion , mais fans toucher a la propriété. Cette loi fe trouve étabüe par un arrêt du parlement, rendu entre Charlts  110 Enfants légitimes ctAnjou , roi de Sicile, & Philippe-leHardi , fon neven, au fujet du comté de Poitiers. Charles prétendoit a ce comté , comme plus proche héritier d'Alphonfe , dernier décédé , lequel étoit fon frère; au lieu que Philippe n'étoit que fon neveu. Mais 1'arrêt prononca en faveur de Philippe ; fur ce principe que , toutes les fois que le roi faifoit don a un de fes puïnés de quelque héritage , &c que le donataire ou apanagifte mouroit fans héritiers , I 'héritage retoutnoit au donateur roi, ou a fon héritier a la couronne , fans que le frère de 1 apanagifte y put rien prétendre. Ainli voili les apanages reftreints aux hoirs de 1'apanagé. Mais , parmi ces hoirs, les femellesétoientcomprifes, ainfi que les males ; ce qui étoit dangereux , paree que les portions des apanages pouvoient , par mariage , pafter a des étrangers. Phi/ippe-lc-Bel remédia a ce dernier inconvénient. II ordonna , par fon codicille , dit du. T'riltt, que le comté de Poitou , qu'il avoit donné en apanage a fon fils punié, Monfieur , Philippe de France , qui fut roi , depuis , fous le nom de Philippele-Long , retourneroit ala couronne ,  cTHenri IV. III défaülant les hoirs males , par ou il excluoir les filles. Tel eft le dernier état de cette jurifprudence. Quant a 1'aliénation du domaine , proprement dite , c'eft une erreur de croire que ce n'eft que depuis Philippele-Hardl , Sc depuis que les principes fur les apanages ont pris ia ftabilité qu'ils ont aujourd'hui, que nos rois ont perdu la liberté d'aliéner leur domaine. Ce qui a pu introduire cette erreur , c'eft qu'en effet , ju'fqu'au règne de ce prince , nos rois fe font permis ces aliénations ; mais, pour 1'ordinaire , elles n'avoient que leurs enfants pour objet; Sc , li 1'on en trouve quelquesunes faites a des perfonnes étrangères h la familie royale, cela ne prouve pas que le domaine de la couronne foit aliénable. En effet, fï nous voyons que nes rois donnoient quelque portion de domaine a. leurs filles 3 il faut prendre garde li ces dons étoient détachés du domaine royal \ car , fi ce n'étoit que des démembremens des domainesparticuliers , cela ne prouve pas que 1'on püt entamer le domaine de la couronne. Louis k Déionnahe étoit fi m JE;nï-  in Enfants lègitimés fique Sc Ci libéral, qu'il donna, a plufieurs gentilshommes de fa cour , des terres & des feigneuries ; mais elles n'étoient pas , dans le principe , du domaine attaché a la couronne ; elks avoient autrefois appartenu a fon aïeul Sc a fon trifaïeul. Charles-le-Chauve en ufa de même ; mais les dons qu'il faifoit lui appartenoient en propriété , jure proprietario. De-la il faut conclure que les rois de la première & de la feconde race avoient un domaine particulier , dont ils étoient les maïtres s Sc que, quand on les voit difpofer de ces domaines , comme ont fait quelqnes nns de la troifième race , qui avoient auffi des domaines particuliers, il ne faut pas en conclure que le domaine royal fut aliénable.. Peur entendre cette diftinótion , il faut concevoir que nos rois avoient deux fortes de domaine , dont 1'un appartenoit a leur couronne , 8c 1'autre , iuivant 1'exprefiion de Dumoulin , a leur perfonne organique. Les domaines reftoient dans la main du prince , Sc, quand il mont'oit fur le tróne, ils ne fe confondoient point avec le domaine royal. Ce ne fut qu'en i 566 , que 1'ccdonnance de Moulins décida que le  (FHenri IF. 113 aomaine particulier du prince montant fur le tröne , feroit réuni , de droit, a la couronne, au bout de dix ans : ce qui prouve qu'auparavant, le monarque avoit des biens particuliers, dom il étoit propriétaire , abftraclion faite de fa qualité de roi. La propriété & la difpofition de ces biens lui appartenoient, comme celle des fujets leur apparciennenr. II y a , dit Pontanus , dans fon. commentaire fur la coutume de Blois 2 ( ce Pontanus vivoit en 1439 , 85 écrivoit fuivant 1'ufage qui avoit eu cours dans les fiècles prccécients , 8c qui étoit encore en vigueur dans le fien). «Il y a deux fortes de domaines; » 1'un de lacouronne, 1'autre du prince. »> Le domaine de la couronne eft ina»> liénable ; les rois n'en onc que la fim»> ple adminiftration , ainfi que les ma» ris , les pères , les préiars , ont la >> fimple& nue adminiftrarion des biens » de leurs femmes , de leurs enfants , » de leurs églifes. Ils n'en peuvent dif» pofet au pront des particuliers , a » titre de donation , ni autre, & font, » au contraire, obligés de leconferver » en fon entier , & de Ie tranfmettre, # fans aucune diminuuon.. i leurs fuc-  H4 Enfants léghimês »> cefleurs au royaume: mais, quant au » domaine du prince , qui advoient, » par acquifirion , ou par fucceffion , il » en eft tellement ie maïtre , qu'il en »peut faire & difpofer a fa volonté , » au profit de telle perfonne que bon » lui femble ». Dumoulin va plus loin , il dit que, quand même le roi auroit tenu fon domame particulier , confufémenc avec le patnmoine royal, & quand il auroit fouffert que les revenus de 1'un & de 1'autre euffent été recus , régis & adminiftrés par les mêmes officiers , eek n'en auroit pas opéré la réunion \ qui ne pouvoit fe faire tacitement , mais devoit fe faire expreffémenr Sc folemnellement par des aótes authentiques. On entend bien que tout cela étoit antérieur a 1'ordonnance de Moulins. II eft donc conftant que nos rois avoient des domaines particuliers , Sc que 1'aliénation libre qu'ils en faifoient ne prouve rien par rapport au domaine de la couronne. On peut oppofer , fans doute , des exemples d'aliénations , même du domaine de la couronne, au profit c!e particuliers. Mais les infracfions faites a  d'Henri IV. 115; üne loi ne la détruifenc pas 5 Sc la loi fondamentale de 1'état eft que le domaine eft inaliénable. En eftet, de quoi auroit - il fervi de réunir des domaines a la couronne fi ce n'étoit pour empêcher qu'ils ea fuflent jamais féparés ? Ainfi , la Normandie, conquife par Philippe-Augujte^ 1'Artoisacquisparfbn mariage;le duché de Bourgogne , échu par fuccefilon au roi Jean -y le comté de Touloufe, échu aux defcendants de Saint Louis par le manage de Phéritiere de ce comté avec Alphonfe , frère de Saint Louis ; le comté de Champagne , zcquis par 1'écfiange que fit Philippe-ie-Valois, avec la fille de Louis Hutin ; tous ces fiefs furent réunis au domaine , pour n'en être plus féparés, Sc pour cefter d'être difponibles. C'eft donc la réunion des fiefs au domaine de la couronne , qui opère leur inaliénabilité 3 paree que le domaine royal eftinaliénable, Sc le duché de France3 réuni a Ja couronne, en eft un bel exemple , lors de 1'élection de Hugues-Capct, Telle a été la doctrine de tous les tems. On appelioit patrimoine du prince , dit Giannone , dans fon hif-  116 Enfants léguimès: loire de Naples , les fonds qui lui api partenoient , & qui ne dépendoient point de la couronne , pour les diftinguer, tant du- patrimoine de fes fujets , que de celui du fifc , que 1'on nommoit facrum patrimonium. Mais, fans nous perdre dans 1'antiquité , tenons-nous-en a des pruive» plus modernes, qui prouvent la tradition & la chaine de ces principes. Pourquoi le parlement de Paris sop-pofa-t il fi foi tement a l'enregiftrement des lettres parentes que donna Henn IV ie i j avril 15 9o , & ie 51 décembre 1595, par lefquelles il déclaroit vouloir renir fon patrimoine fépuément tc diftincfement du domaine de la couronne ? C'eft que cette compagnie jugeoit que, du moment qu'il étoit réuni, il deveno'it inaliénable. Les revenus de 1'état étoient percus & diffipés par les ennemis de ce bon prince , &c il fe trouvoit dénué des fccours néceflaires pour les combattre. II vouloit fe mainrenir dans Ia facnlté d'aliéner fon patrimoine , pour fe procurer des reffources contre la difetre a laquelle il étoit rédnit. Mais , plus les bifoins preffants oü il étoit, dansce moment, fembloient être un motif légitime dj?  ferver le domaine Sc patrimoine de » notre couronne , 1'un des principaux » nerfs de notre état. ... Et paree que m les regies & maximes anciennes de i> l'union maine , font a aucuns aftez mal , 8i » autres peu connues 3 nous avons ejf»> timé très-nécelTaire de les faire re» cueillir , &c. ». Le roi ne comptoit donc pas faire une loi nouvelle. Auffi, dans les notes faites fur cette ordonnance , il eft dit: «< le domaine de la » couronne eft comme la dot du royau» me , donnée au roi a caufe de la » royauté , & par conféquent inau liénable, de même que la dot qu'une » femme a apportée il fon mari ». Voici donc les principes qui con» cement le domaine. Avant 1'ordonnance de 1^66 , tout ce qui n'y étoit pas réuni étoit difponible; mais , dès finftant de la réunion, il devenoit inaliénable ; & , depuis 1'ordonnance du domaine de 1566, les domaines libres de nos rois, adminiftrés par les receveurs publics , font devenus partie du domaine royal , au bout de dix ans de poffeftion , fans qu'il foit befoin d'aéte de réunion. Ea de re, dit Cujas, cum confulerer , refpondi nullam effe legem fpec'ialem qua id prohibuijjet ; fed hanc ejfe legem omnium regnorum, cum ïpjis rtgnis natum , & quafi jusgtntium. D'après ces régies , on voit quel étoit le motif de la réfiftance que faifoit ie  tl Henri IV. m leparlementa lenregiftrement du don en toute propriété , du duché de Vendöme , pat Henri IV > au profit de fon fik légitimé. J'ai déja dit que ce duché appartenoit au roi en particulier, & faifoit partie de fon patrimoine. II étoit monté fur le tröne Ie z aout 1589. Les lettres qui contenoient la donation qu'il vouloit faire étoient du 15 avril 1598. Les dix ans qui fout requis pour opérer la réunion de droit n'étoient donc pas expirés ; ainfi la réfiftance du parlement ne paroilfoit pas autorifée par la lettre de la loi. Mais 1'expérience n'avoit que trop appris combien il étoit contraire au bon ordre d'aliéner de grands fiefs. C'étoit ces aliénations &c ces conceifions en toute propriété , qui avoient formé, dans le fein du royaume , tant d'états indépendants , dont les fouverains , quoique valfaux de la couronne, avoient toujours eu les armes a la main contre leur roi, & avoient, cent fois, mis 1'état a deux doigts de fa perte. On peut donc penfer que les domaines , dont les rois peuvent difpofer pendant les dix premières années de leur avènement, ne font que des terres Tome XVIII. F  122 Enfants Ugitimès particulieres, Sc non pas des provinces entières. En effet, huit mois après que Henri J V fut monté fur le tröne; c'efta-dire , le i 3 avnl 15 90, il donna une déclaration , par laquelle il vouloic que « fon domaine , propre Sc patrio m monialj tant du royaume de Navarre, » que de la fouveraineté de Béarn , de » Domerzan , Pays-bas de Flandres , v que des duchés , comtés , vicomtés, » terres Sc feigneuries enciavées dans » le royaume, füt Sc demeuratdéfuni, » diftrait Sc féparé de celui de la mai» fon Sc couronne de France , fans y » pouvoir être compris ni mêlé , s'il «n'étoit par lui autrement ordonné , » ou que Dieu lui ayant fait la grace » de lui donner lignée, il y voulüt au» trement pourvoir. A cet effet , pour » ne changer 1'ordre Sc forme , ob« ferves en la conduite Si maniemenc » de fon domaine perfonnel, ildéclara » que fon intention étoit qu'il füt ma» nié Sc aimmiftré par perfonnes dif» tin&es , tout ainfi quil étoit aupa» ravant fon avènement a la cou» ronne ». Le pailement de Paris , qui s'étoit reriré a Tours , pour y défendre le véritable héritier oe la couronne contre  du Roi », Ce prince , perfuadé qu'il obtien•droit plus de 1'affecfion de fes fujets, que des coups d'autorité, qui, d'ailleurs aPétoient pas de fon goüt, écrivit, de fa main , a cöté de la lettre de cachet, ces propres mots : croye^ que , fiifant Paudience , les lieurs de Momigny , « chevaliet des deux ordres du rol, 5c »> de Monglat, premier maitre d'hótel, » ayant fait entendre a la cour que le » roi avoit commandé que le duc de » Fendome affiftat a la réception du » marquis de Rofny , a la dignité de » duc de Sully , & pair de France , ce » qui a été , depuis , confirmé par le as duc de Montb.-^on : la matière mife » en délibération , fur ce que ledit » fieur de yendome n'avoiratteintla^e » requispar Pordonnance, lettres pour » faire le ferment de pair , ni préfenté » requêce a cette fin , a été arrêté, oui, *> fur ce, les gens du roi, que le coms> mandement du roi , pour le contentew ment qu'il recevra de cet acle , fera » prèféré a toutes les formes nécejfaircs, >> & toujours obfervées. Et, ï Pinftant,  ctHenri IV. 129 v après qu'il a juré 8c promis bien 6c » fidèlement confeiller 6c fervir le roi, » en fes très-hautes , très-grandes 8c n importantes affaires , 6c fëant en la» dire cour , garder les ordonnances , » rendre la juftice aux pauvres comme »» aux riches, tenir les délibérations 8c » chofes fecrettes , 6c fe cornporter » comme un digne 6c vertueux pair de » France, vivre 6c mourir dans 1'obéif» fance du roi , a été recu j prenant » fon épée , monté aux hauts fièges , » 6c aftifté a 1'audience ». i'ig'ne , Dongois. Quand M. le duc de Vendöme eut atteint 1'age de quatorze ans 8c un mois , le mariage , qui avoit été arrèté entre lui 6c mademoifelle de Mercceur% dès le 5 avril 1598 , fut célébré au mois dejuiller 1608. Le duc de Vendame , comme on vient de le voir , avoit été élevé a la dignité de pair , 8c fa réception avoic été faite avec une diftinction qui ne s'accordoit pas aux autres pairs. Mais la prérogative qu'il avoit obtenue dans ce moment , ne lui affuroit pas le rang que le roi fon père lui deftinoit. C'eft pour Yy élever 6c 1'y fixer, que F v  230 Enfants légitimés h roi fit expédier la déclaration que voici. « Henri , &c. Ayant plu a Dieu , » avant 1'heureux mariage d'entrenous » & la reine, notre très-chère & très3} amée compagne , nous donner un S5 fils , ilTu de nous, & de feue notre 5> cbère coufine Gabridle d'Eftrées , » duchelfe de Beaufort , nous aurions , » pour bonnes , grandes & importan>> tes confidérations , icelui légitime ,v> par nos lettres-patentes , données il s> Paris au mois de janvier 1595, lef» quelles ont été vérifiées & regiftrées 33 ou befoin a été. Enfuite de quoi nous «aiuions fait don a notre dit fils , a »>perpétuité , pour lui & fes enfants, » hés en loyal mariage , du duché de » Vejsdóme, membres, appartenances 5> & dépendances d'icelui, qui eft une » des premières & plus anciennes » pairies de notre royaume , de 1'ancien » patrimoine & domaine de la branche » & maifon royale, dont nous fom>» mes iftus ; de laquelle, comme nous » avons voulu que lui & les fiens prif5: fent & portaftent , a 1'avenir, le nom 55 & les armes , & pofTedaftent ledit » du.ché , ainfi qu'il eft porté par nos » lettres de donation j aiüu aYons-nous  '> gïtimement débattus 8c conteftés par » aucuns princes, ni autres perfonnes, » de quelque qualité Sc conditioa »qu'elles foient , en ceftuy notre » royaume , après les princes de notre » fang , auxquels nous entendons que » lui 8c les-fiens déférent 8c cedent » comme les autres ; fcavoir faifons « que nous , defirant faire revivre le » nom & latigedes ducs de Vendöme, j> de laquelle nous fommes fortis, en » la perfonne de notredit fils le duc de. » Vendöme, la perpétuer en fa pofté» rité, 8c lui témoigner , de plus en » plus , notre paternelle affedtion >■> pour 1'efpérance que nous avons qu'il » fe rendra toujours plus utile au bien » de notre fervice , de celui de notre » trés cher amé bon fils, le dauphin , » comme de nos autres enfans, 6c de 35 notre royaume. A ces centjes , nous 53 avons, de notre propre mouvement, » ceïtaine fcience , pleine puiffance 6c ïvj  131 Enfants léguimls » autorité royale, dit , déclaré, difons » & déclarons , voulons & nous plak » que , dorefnavant notredit fils , le » duc de Vendome , & fefdits enfants , » qui naitront en loyal manage, aient, » tiennent & pofsèdent le premier rang » Sc la préféance , immédiatement » après les princes de notre fang, de>> vant tous les auttes princes Sc fei» gneurs de notredit royaume , en tous » lieux , acfes & endroits 3 tant miss litaires, qu'aux cérémonies publiques >> Sc privées , auxquelles on a accou» tumé , Sc fera requis de tenir rang, » nonobftant toutes autres déclarations » de prééminences , expédiées en fa»> veurde quelques perfonnes, Sc pour s» quelques caufes que ce foit, que ne « voulons empêcher 1'effet defdites » préfentes. Si donnons , Sec. Donné a » Patis,le quinzièmejour d'avril 16ic, s> St de notre règne le ving-unième. >> Regijlrées , ouï le procureur général » du roi, pour jouir, par l'impétrant & » fes enfants qui naüront en loyal mai> riage , du contenu en helle, felon leur »forme & teneur , fuivant l'arrêt de ce » jour. A Paris , en parlement , le 30 » avril i6io. Signé , Voisins». Tant de graces Sc tant de faveurs  d" Henri IV. 133 n'étoient point le fruit de la féduétioii de Gabridle d'Eftrées \ elle n'étoit plus. Elles prenoient leur origine dans la tendrelfe de Henri IV pour fon fils, auquel il avoit, de tout tems, donné des marqués du plus vif attachement. On fcait que , foit amour pour Ia mère, foit defir d'ouvrir au duc de Vendóme , le droit de monter fur le tróne , foit enfin 1'un & 1'autre motif, ce prince avoit fongé a époufer folemnellement la duchelfe de Beaufort. Elle fcavoit que fon amant avoit formé le dellein , depuis long-rems , de faire cafler fon mariage avec Marguerite de Valois. Cette princefie n'étoit pas éloignée de fe prêter anxintentions du roi; mais , elle n'auroit vu qu'avec répugnance , une particulière porter la couronne en fa place : elle temporifoit, efpérant que Pinconftance du roi , ou la mort de fa maitreffe , ou quelque autre circonftance, écarteroit Gabrielle du tröne oii elle afpiroir. Son attente ne fut pas vaine. La duchelfe de Beaufort ne voyoit que deux obftacles a fes efpérances ; & elle fe flattoit bien qu'ils céderoient a 1'afcendant qu'elle avoit fur le cceur du roi.  134 Enfants lèguimês II difoic qu'il ne fe marieroit qu'autant qu'il trouveroit une femme qui réuniroit fept qualités ; la beauté , la. fagejje , la douceur , l'efprit , la fécondlté, la richejje, & textraclion royale. Gabrielle fe flattoit, avec quelque fondement , de réunir les fix premières qualités , & comptoit affez fur la tendrelfe de fon amant, pour être perfuadée qu'il n'infifteroit pas avec elle fur la feptième. Ce premier obftacle ne I'arrêtoit donc pas dans fes projets d'ambition. } L'autre obftacle qui étoit la réfiftance dsMarguerite; elle comptoit bien, ou la vaincre a force d'adretfe & de follicitations , ou la rendre vaine , en obtenant de la cour de Rome , la diÜolution du mariage contre le gré de cette princefle. 11 paroit mème que le roi avoit enfin cédé aux inlinuations de fa maïtrefle , & qu'il avoit fait faire des démarches, tant auprès de la reine , qu'auprès du pape , qui , ne voyant pas ce projet de divorce avec plaifir , temporifoit, Sc attendoit tout du tems & des circonftances. Pendant toutes ces négociations =, Ie roi & la duchefle de Beaufort éto:.enta foHtainebleau. La folemnité de paques  d''Henri IK T35 approchoit ^ le roi vouloic la célébrer éloigné de tout fujet de fcandale. Il envoya la duchefte palier la quinzaine a. Paris. Elle y logea chez Zamet, fameux financier. Le jeudi-faiut , après avoir entendu ténèbres au petit faintAntoine , elle entra dans le jardin de Zamet , peur s'y promener. Elle fut, tout d'un coup j attaquée d'une apoplexie , accompagnce de convullïons li violentes, que fa bouche fut tournee prefque au derrière de la tête. Elle mourut, dans les convulfions, le famedi-faint , dix avril 1509; & ce vifage , orné de tant d'attiaits , n'offrit plus qu'une figure hideufe , fur laquelle il étoit impoflible de jetter les yeux fans horreur. Tel fut le tetme des projets ambitieux de cette célèbre favorite , qui avoit vu a fes pieds le plus grand roi du monde , a tous égards , & qui étoit prête a recevoir fa main , pour monter au tröne des Francois, & s'y affeoir a coté de lui. Cette mort affreulTe fut-elle la fuite d'une apoplexie naturelle , fut-elle la fuite du poifon? C'eft un problcme fur lequel 1'hiftoire ne nous a lailfé que des incertitudes, &c ne nous a permis  J}6 Enfants ügitimês que des conjeólures , qui ne peuvenc jamais fournir des lumières fuflifantes pour pénétrer jufqu'a la vérité. Marguerite , inftruite de cette mort, confenrit , fans peine , a la rupture de fon mariage : elle écrivit elle - même au roi & au pape. L'évêque de Modène, nonce en France , 1'archevêque d'Arles , & Ie cardinal de Joyeufe , furent nommés commilTaires. Le mariage, qui avoit duré vingt-huit années en apparence, fut annullé en 1599, pour caufes de parenté , de religion , d'affmité fpirituelle , de violence & de défaur de confentement de Fune des parties. L'alliance que le roi contracFa , 1'année fuivante, avec Marie de Mé~ dicis, n'alréra point fon attachement pour les enfants qu'il avoit eus de Gabrielle d'Eftrées, Ils étoient au nombre de trois , le duc de Vendöme, CatherineHenriette , & Alexandre , connu fous le nom de chevalier de Vendóme, & qui fut grand prieur de France. Henri s'occupa férieufement de leur fortune ; & , par lettres-patentes du 1 j mai 1599, enregiftrées le 13 juin fuivant, fans tirer a conféquence , « en fou» venance de la fingulière atnitié qu'il  et Henri IV. 137 >> avoit portée a défunte fa très-chère » coufine , la duchelfe de Beaufort, Sc » a caufe de la piété paternelle qu'il » devoit a fes très-chers enfants na» turels , par lui légitimés , Céfar, duc » de Vendöme , de Beaufort , d'Ef» tampes , pair de France, Alexandre , » & demoifelle Catherine - Henriette 3 » tous enfants ilfus de lui & de fa » très-chère défunte coufine , &c qui » 1'obligeoit d'avoir foin de les élever, » felon la grandeur & la dignité du lieu » dont ils font iflus j deux defquels , » Céfar & Cathlrine- Henriette avoient » fpécialement fuccédé a fa défunte , »> très-chère coufine , leur mère , &c de » fon exprèsconfentement»,ilnomma Z>£/2^ /e Sueur , pour gérer leur tutelle. Par d'autres lettres parentes , «h^itf mai 1599 , enregiftrées le 18 du même mois , il leur forma un confeil choili dans toutes les cours fouveraines , a Ia tête duquel il placa M. Forget , président a mortier au parlement de Paris. II leur fit accepter la fucceffion de leur mère, fous bénéfice d'inventaire : elle étoit chargéede plus de 1500000 livres de dettes. M. le duc de Vendöme devint donc ; par la mort de fa mère, polTeffeur des  Ï3§ Enfants legitimès avantages qui lui avoient été aiTurës par fon contrat de mariage avec mademoifelle de Afercaur , 8c par fes lettres de légitimation. 11 devint , en même tems , propriétaire du duché d'Eftampes, du marquifat de Monceaux , de la terre de Larzicourt, & de tout le , ïnobilier. A peine la France eut-elle éprouvé le malheur de perdre Henri IV} qUe la difcorde fe mit entre fes enfants naturels. Catherïne-Henriette vouloit attaquer Ie duc de Vendême ^ fon frère, tant pour la part qu'elle prétendoit devoir lui revenir dans la fucceifion de la duchelfe de Beaufort, leur mère, que pour lafor me d'en faire le partacre. Le duc de Vendóme s'en tenoit a fes lettres de légitimation , & a fon contrat de manage , & prétendoit qu'i titre d'ainé , il étoit propriétaire de tous les biens que fa mère avoit laiffés. « II ne s'agit point, entre nous , » difoit Catherine-Henriette , de droit » d'aineffe. Ce droit eft Pouvrage de » la loi • 8c 1'empire de la loi ne' s e» tend point fur les enfants donr elle » ne connoit pas , dont elle n'avoue pas »k naifFance. Dans 1'ordre naturel-.  'tt Henri IV. 139 » tous les enfants , quoique nés les uns » après les autres , font égaux \ c'eft la » loi civile qui aétabli les prérogatives »>civiles qui les diftinguent. Mais ces w prérogatives ne s'étendent point fur „ des naiffances qui font étrangères a » la fource d'oü elles dérivenr. Ni v vous, ni moi , continuoir-elle , ne « fommes enfants de la loi, dont vous » réclamez la proteóbion. Elle ne nous » connoit point , elle ne veut point » nous connoïtre : elle eft fourde a s> votre invocarion, Sc nous abandonne » a 1'égalité que nous tenons de la na» ture ». Ces prétentions refpeétives aUoient donner matière a un procés , capable de ru'iner le frère & la fceur , & qu'il eut été difticile de traiter , fans encrer dans des difcuffions défagréables. La maréchal , duc d'EJrrées , frère de Gabrielle , oncle , par conféquent, des deux contendants , & d'autres parents , les déterminèrent a en pafier par un accommodement. Six des plus célèbres avocats de ce tems ( 1 ) furent choifis , de part Sc (1) MM. Gilles Beaufan , Antoine Arnault, Francais Jaly , Picrre Mangum , Pierre de la Martelière, Si Augujle Galland.  14° Enfants légitimês d'autre, pour arbitres • & enfin } par tranfaction en forme de partage , du 17 janvier 1619 , M. Ie duc de Vendöme abandonna a fa fceur, Ia fomme de 164.6 52 livres , faifant moi dé de celle de 5 29 3 04 livres que ie roi devoit a la fucceffion de la duchefTe de Beaufort, pour les joyaux, bagues & meubles qu'il lui avoit plu de reténir , avec les intéréts qui étoient dus de cette fomme. Les immeubles furent enfuite pnrtagés , fuivant les coiitumes des lieux de leur fituarion , ik M. de Venaóme donna a fa fceur pour 3 90000 livres de terres feigneuriales; fcavoir 1». le comté de Bufencois , pour la fomme de 200000 livres; 20. la terre des Bordes , pour ioooóo livres5 30. l'engagement de Crécy , pour 90000 livres , a" conditionqu'enrembourfant 1 ! 0000 livres en un feul paieinent, & dans trois ans, il rentreroit dans ia propriété de la rerre des Bordes , qu'il en feroit de même pour le comté de Bufencois , en payant 20000 3 livres dans fix ans ; Sc qu'enfin il auroit la liberté indéfinie de retiter 1'engagement de Crécy , en rembourfant , en quelque tems quece fat, les 90000 livres.  'd'Henri IV. 141 Tout le furpius des biens fut déclaré appartenir a M. le duc de Vendöme, qni. refta chargé des detces de la fucceilion de la ducbelfe de Beaufort ,dont il étoit lui-même créancier de plus de jooooo livres. A peine cette affaire fe trouva-telle achevée , que le 1 9 janvier 1619, Catherine-Henriette époufa Charles de Lorraine , duc d'Elbeuf, auquel elle apporta en dot les biens que M. le duc de Vendöme lui avoit cédés par la tranfaétion du 17 du même mois, tranfaétion a laquelle M- le duc d'Elbeuf avoit afïifté , & qu'il avo'-t ratifiée, comme étant fur le point d'époufer Catherine-Henriette. M. de Vendöme s'occupa du foin de rentrer dans les biens qu'il avoit cédés a fa fceur , en lui rembourfant les fommesftipulées dans la tranfaétion. II lui paya d'abord les 90000 livres, qui étoient le prix convenu pour le domaine de Crécy ; fcavoir, 7 5 000 livres en argent , dont M. & madame d'Elbeuf lui donnèrenr quittance le 6 mai 1616 , & 15000 livres en une conltirution de rente au denier feize , que M. le duc d'Elbeuf vendu dés le 10 du même mois.  14* Enfants Ughimes ^ Le 11 avril 164 Les loix de 1'honnêteté 8c de la religion, qui font, de tous les tems . de tous les lieux , & dont le rang , quelqu'éminent qu'il puifle être, n'exempte perfonne , s'accordent a décider que rimpuiffance n'eft pas un moyen fuffifanr pour annuller un facrement, qui  161 Enfants légitimês n'a d'autre bafe que le confentemenB de ceux auxquels il eft adminiftré. Ce confentement, chez les Romains faifoit feul le mariage ; les canoniftes foutiennent encore qu'il eft formé par la feule volonté , & les théologiens difent que cette volonté eft la première peifedtion du mariage. Les autres actes qu'il autprife ne font donc que comme une fecon.ie perfeótion > qui n'eft pas effentielle a ce facrement. Si 1'on demande aux canoniftes quel fecours on peut accorder a une femme qui fe plaint de l'impuiffance de fon mari, ils avouent qu'il eft poflïble de les féparer, & de permettre a la femme d'cpoufer un autre homme. Mais ils n'en révèrent pas moins le facrement comme une oeuvre de Dieu, que toutes les pniftances , foit fpiritueiies , foit temporelles , doivent révérer. II feroit difficile de combattre cette vérité , qui a été adoptée par une congrégation decardinaux. A 1'occafion du juariage de Marie, archiducheftè d'Autriche, avec Sigïfmond, prince de Tranfilvanie , qui accufoit cette princefte d'impuiffance , le cardinal ÜOffat , dans fes lettres , dit qu'on ne pouvoit pas prononcer la nullité du mariage ,  ff Henri IV. f 15} rnais feulement féparer les époux par grace & par difpenfe. Ces vérirésune fois établies , voyons fi la prefcriprion, acquife par le laps de tems , doit fermer la bouclie a madame la ducheffe d'Elbeuf? II eft vrai qu'il y a plus de trente ans qu'elle a ligné la tranfaéHon de iéip. Mais il n'eft pas moins vrai que , quand elle donna cette fignature , elle étoit mineure. Née au mois de novembre 15 96, elle n'a atteint fa majorité qu'au mois de novembre 16 21. EUeauracinquante* cinq ans au mois de novembre prochain ; elle eft donc encore dans les trente ans depuis fa majorité. Quand il feroit vrai, comme M. de 'Vendöme le prétend, que ce n'eft pas feulement la prefcriprion de trente ans qiie madame. d'Elbeuf doit combattre; mais celle de dix ans , il lui eft facile de faire voir qu'il n'y pas eu un efpace de dix années de tems utile pour acquérir cette prefcriprion dont on s'arme contre elle. On convient d'abord qu'elle n'a acquis fa majorité qu'au mois de novembre 1624; & c'eft en \6i6 que M. de Vendême fut enfermé a Vincennes par ordre du roi.  i6"4 Enfants légitimês L'honneur ne permettoit certainement pas a fa fceur de protiter de cette détention , pour fufcirer un procés a M. de Vendome. Pouvoit-el!e ajouter a fon emprifonnement un nouveau motif de mortification ? Elle aimoir, d'ailleurs , trop fon fiére , pour faire valoir, dans cettecirconftance, fes prétentions contre lui. Ainfi, jufqu'en 1630 époque de Ia liberté de M.' de Vendöme , point de tems utile pour la prefcriprion ; & voila cjuatre années qu'il faut retrancher. Avant fa fortie de Vincennes , M. le duc & madame la ducheffe d'Elbeuf furent obligés de s'abfenterdu royaume, ou ils ne font renrrés qu'en 1643. Nonfeulement cette abfence les mit hors d'état d'agir ; mais ils eurent encere les mains hées par un autre obftacle; ce fut I'arrêt du parlement de Bordeaux qui prononca la confifcation de tous fes biens de M. d'Elbeuf. Voila donc encore treize années qu'il faut ajouter aux quatre précédentes j ce qui en fait dix-fept. Dans la même année 16^ , la maifon de Vemiöme retomba encore dans la difgrace. M. de Beaufort fut enfermé a Vincennes, Sc M. le duc de Ven-  ètHenri IV. itff dome forcé de s'abfenter du royaume. Ce nouvel accident öta encore a M. &C madame d'Elbeuf la faculté de faire valoir leurs droits , & ne ceffa qu'en 1649 ; ce qui fait encore fix ans d'inaction forcée , qu'il faut ajouter aux dixfept précédentes. Or la majorité de madame d'Flbeuf eft arrivée , comme on vient de le dire, en 1624 : elle a intenté fon aétion en 16 50. II s'eft donc écoulé vingt fix ans entre ces deux époques , fur lefquels il faur retrancher les vingt-trois dont on vient de faire le détail, On ne peut donc compter que trois années de liberté ; iln'y a donc aucune prefcriprion acquife. Mais , quand on voudroit foutenir que la prefcription a pu courir pendant ces tems de difgrace , celle dont M. de Vendöme a befoin ne feroit pas encore acquife. II prétend que dix ans lui ont fufti pour fe préferver de 1'attaquequi lui eft porrée aujourd'hui. Mais il n'a pu acquérirce privilege que par trente ans, contre la tranfaétion de 1619. Ce n'eft qu'au bout de ce terme que 1'on peut prefcrire contre des omififions & contre des recélés &z divertiffements ; & le terme ne commence  ï66 Enfants légitimês même a courir que du jour qu'ils ont été découverts. Or, dans cette tranfaétion en forme de partage, on n'a fait aucune mention des principaux biens de la fucceffion de madame la ducheffe de Beaufort. On n'y a point parlé des duchés de Beaufort Sc d'Eftampes , du marquifat de Monceaux , Sc de beaucoup d'effets mobiliers ; entr'autres, de refcriptions fur le roi, montant a 1800000 livres. Tous ces biens ont donc été recélés Sc divertis. M. le duc de Vendöme en a adminiftré la preuve lui même. Pour prévenir le procés aótuel , il fe tint, pat ordre de la reine, des conférences en préfence de M. le chancelier, de MM. les maréchaux d'Eftrées Sc de Grammonty Sc de quelques confeillers d'état. M. le duc cYElbeuf y ayant expofé qu'on n'avoit donné a madame cYElbeuf aucune part dans le duché d'Eftampes, M. de Montholon, 1'un des commilfaires choifi par M. le duc de Vendöme y foutint que ce duché n'avoit jamais fait partie des biens de madame la ducheffe de Beaufort, puifque M. le duc de Vendóme 1'avoit recu de Ja reine Marguerke. On demanda a voir le conr  'tT Henri IV. 167 trat: on fe retrancha toujours a dire qu'on n'étoit point obügé de ptouver ce fait, & que M. le duc cYElbeuf, au contraire, devoit juftifier fa demande , en rapportant les titres fur lefqnels elle étoit fondée. Madame cYElbeuf ne peut pas rapporter des titres qui n'ont jamais été en fa polfeffion, & que ceux qui les gardent ont tant d'intérêt de lui cacher. Mais elle a recouvré des pièces qui, fi elles ne forment pas une preuve juridique , fourniffent au moins une préfomption bien forte. Elle a les comptes qui lui ont été rendus par le Sueur , auquel Henri 7/^avoit co.nfié 1'adminiftration de fes biens , & de ceux de M. de Vendóme. Or , il y fait recette des revenus du duché d'Eftampes \ & dans 1'intitulé de cet article, il parle de cette terre , comme ayant été donnée par la reine , a madame la duchefte de Beaufort. Elle faifoit donc partie de la fucceflion de leur mère commune. On auroit donc dü , dans le partage de cette fucceftion , en faire raifon a madame d'Elbeuf. On trouve , dans ces comptes , la preuve que , dans le même partage, on lui a fouftrait le marquifat de Monr  168 Enfants légitimês ceaux. II n'en eft fait aucune mentio* dans la tranfaétion ; Sc le Sueur fe charge en recette & des fruits annuels de ce marquifar, & de la fomme de 300000 livres provenant de la vente qui en avoit été faite. II en eft de même du du hé de Beaufort , qui étoit conftamment une portion de la fuccelïïon de Gabrielle d'Eftrées. Elle 1'avoit recue du roi, qui 1'avoit érigé, pour elle , en duché ; Sc elle en porta le titre , & jouit, pendant toute fa vie , des prérogatives attachées a cette dignité Si ces terres & les effets mobiliers n'ont pas été, compris dans le partage, en forme de tranfaétion , de 1619 , ils ont donc été divertis & recélés. Cette tranfaétion contientbien d'autres articles de léfion, qu'il feroit trop long de dérailierici ; mais qui privoient madame Ia ducheife d'Elbeuf de fommes Sc de revenu* confidérables. Elle eft donc en droit de demander un nouveau partage. Or 1'action en partage ne s'éteint que par trente ans : c'eft une vérité a 1'abri de toute conteftation. II en eft une autre qui n'eft pas moins conftante: ces trente ans ne commencent a coutir que  ef Henri IV. 16c, que du jour de la majorité de celui qui demande partage, ouqui prétend avoir fouffert une léfion énorme dans celui dont il le plaint. Que M. de Fendöme ceffe donc de fe prévaloir du poids qu'a dij donner a cette tranfaétion la préfence des parents Sc desconfeilsquiy ont affifté. Ce font, fans doute , tous perfonnages recommandables , foit par le ur nailiaiice „ loit par les dignités dont ils font revêtus , foit par leur mérite perfonnel. Mais ces circonftances ne les ont pas mis a Pabri de la furprife qu'on a pu leur faire , en leur déguifant des fairs dont ils ne pouvoient avoir d'autre connoiftance , que ceile qu'on vouloic bien leur donner; & 1'on «'affecta de s'appuyer de leur préfence, que pour autorifer la furprife qu'on vouloit leur faire , Sc h fpo'iation qu'on vouloic exercer contre la mineure. Car il n'eft: pas poffible d'imaginer que , fi Pon eut mis fous leurs yeuxtous les titres , tous les papiers de la fucceftion de madame Ia duchefle de Beaufort, des biens fi confidérables euflent été négligés par tant de perfonnes aufti refpecfables. Mais il ne faur pas laifter échappet Une réflexion qui répond & tour, &c qui Tome Xyill. H  170 Enfants légitimês fappe, par le fondement, tout le fyftême de M. le duc de Vendöme. Les circonftances de fa na ifance le rende nt abfolument incapable de fuccéder. Frappé de cette incapacité, que rien ne peut elfacer , qui le repoufte perpétuellement toutes les fois qu'il veut potter la main fur des droits fucceflifs, peut-il fe prévaloir de la prefcription ? Peut-il invoquer cette manière d'acquérir , pour fe maintenir dans une poffeftion , dont les loix du royaume &C l'honnêteté publique le tieunent a jamais éloigné ? S'il eft vrai que le roi n'a pas la puiffance de conférer aux enfants adultérins , par fes lettres de légitimation , la capacité de fuccéder dans ce royaume , paree que fa volonté ne peut jamais contrarier l'honnêteté publique ; comment pourroit-il fe faire qu'un fimple partage, en forme de tranfaétion , ou tout autre contrat particulier , conférat cette faculté a M. le duc de Vendóme ? Toutes les objections deM. de Vendóme font donc écattées ; & la juftice de la demande de madame d'Elbeuf eik. mife dans toutfou jour Ce n'eft pas , difoit M. Batallle, qu'elle n'ak été véritabiemenc affligéa  "tTHenri IK 171 de s'être vue contrainte de donner k cette affaire tout 1'éclat qu'elle n'a pn éviter. Mais on ne doit pas lui en faire de reproches. Elle a fait , auprès de M. de Vendöme , toutes les démarches capables de 1'engager a fe prêter a touc ce qui pouvoit terminer certe conteftation dans le fecret de leur maifon. Elle ofe même dire qu'elle a été plus jaloufe de 1'honneur deM. de Vendóme,. qu'il ne 1'a été Iui-même , puifque 1'intérêt pécuniaire lui a fermé les yeuxfur les fuites inféparables d'une accion de cette nature. 11 eft donc bien injufte , lorfqu'il accufe madame cYElbeuf, fa fceur , de rroubler la cendre de fon père 8c de fon roi, de fouiller 1'honneur de fa vie,1 par des calomnies , d'entreprendre de eharger la mémoire de ce grand monarque de honte 8c d'infamie , de rernir fa gloire , 8c déchirer fa répütation aux yeux de fon peuple, dont il étoit adoré, 8c dont il a fait les délices. Pourquoi, par ces reproches, ajotitet-il encore a la douleur de la fiile du Grand Henri j elle en qui le fouvenir d'un père , fi refpeftable & fi tendre , eft gravé en traits ineftacables ? C'eft a lui que font dues les imputaH ij  Ij2 Enfants légitimês tions dont il accable une ice.ir qui Ie chérit , lui qui , par attachement pour des biens qui ne lui appartiennent pas , n'a point craint de mettre cette fceur dans la néceffité indifpenfable d'expofer au grand jour des faits qu'elle ne pouvoit ni taire , ni déguifer , fans fe voir enlever une fortune qu'elle tient de la loi, qu'elle tient du héros qui lui a donné le jour , Sc qu'elle eft dans 1'obligation de tranfmettre a fes enfants. M. Pucelle , avocat de M. de Vendom' , fe plaignit amèrement de la barbarie d'une fille qui, pour contenter fon avarice, n'épargne pas les cendres mêmes de celui de qui elle rient la naiffance. Elle Parrache , pour ainfi dire , du tombeau , oü il repofe depuis quarante ans , pour le reproduire avec infamie, Si couvert des crimes dont elle i'eft plu a le noircir aux yeux de fes fujets qui , ma'gré le nombre d'années écoulé depuis qu'ils l'ont perdu , pubüent fa gloire , Sc fes bienfaits, 5C pleurent fa mémoire. Car il ne faut pas le diflimuler. Préjendre que M. de Vendóme eft incapable de recueillir la fucceffion de la ducheffe de Beaufoi t, fa mère, a caufe  cP'Henri IV. 173 'd'une naiffance réprouvée avec horreur par toures ies loix civiics & canoniques ; combactre la validité de la fentenee , par laquelle 1'ofrLial d'Amiens a jugé qu il n'y avoit point eu de mariage entre M. de Liancourt Sc elle , SC l'attaquerquarante-cinq ans après qu'elle a été rendue ; foutenir que Paction en féparation , pour caufe d'impuiflfance , n'étoit pas recevable de la part d'une femme qui vivoit, a la face de Funivers, dans la débauche Sc dans la proftitution , réclamer ie fecours des loix Sc des magiftrats pour venger ces défordres ; cette conduite eftelle autre chofe qu'une déclaration de guerre contte fon père Sc contre fa mère ? N'eft ce pas pourfuivte , contre eux , un crime dont ils ont été juftifiés , Sc par 1'autorité de 1'églife, Sc par le jugement des cours fouveraines ? Si cette accufation eft toujours abominable dans la bouche d'un enfant, comment la qualifier dans celle de madame cYElbeuf contre fon père , quï étoit, d'ailleurs, le père de tout fon peuple , contre Henri-le-Grand enfin qui a , par fes travaux , par les dangers auxquels il a mille fois expofé fa vie , afluré le falut Sc la rranquillité Hiij  174 Enfants légitimês de fes fujets , attaqués de tous cötés par une foule d'ennemis de toutes les clalfes ? Quelle feroit la furprife & 1'indignation de ce prince, s'il voyoit aujourcf hui dans un tribunal, qui tant de fois a retenti des acclamations de fon peuple , au fouvenir des obligations que la Jrance doit a fon courage & a fa bienfaifance , d'un cöté fa falie , fa propre fille , confpirant contre fa répuration •& contre fa gloire ; & de 1'autre , fon fils , fuffifant a peine a le défendre des attentats parricides de fa fceur ? Ce tableau , que 1'on pourroit charger encore de rraits plus révoltants, ne fuffiroit-il pas pour faire rejetter , avec indiguation , uneprétention fi injufte ? Y eut-il jamais une occafion oü il füt plus néceffaire_d'armer les loix pour la vengeance de 1'injure faite au héros qui les a toutes défendues au péril de fa vie , mille fois expofée pour elles ; & jamais le parlement s'eft - il trouvé dans une circonftance plus favorable, pour témoigner fa reconnoiftance au monarque augufte , qui a foutenu la dignité , & confervé 1'autorité de ce fénat contre fes ennemis les plus redoutables &c les plus acharnés?  cT Henri IV. 175 A ces confidérations , triomphantes par elles-mèmes , ajoucons les raifons de droit, Sc il ne refte/a a madame cYElbeuf que la honte d'avoir payé les bienfaits de fon père ; Sc de quel père ! de 1'ingratitude la plus noire , Sc d'avoir entrepris de combattre les maximes les plus facrées de la jurifprudence. Reprenons les faits. M. le duc de Vendöme a eu Henri IV pour père ; & , pour mère , Gabrielle d'Eftrées , devenue , depuis , ducheftè de Beaufort. Il eft né, il eft vrai, au mois de juin 1594. Gabrielle d'Eftrées étoit alors mariée , en apparence , avec M. de Liancourt. Mais il n'eft pas moins certain que ce mariage ne fut jamais ni réel, ni obligatoire. II avoit, d'abord , été contraété fans liberré , de la part de la femme. Si elle eut été maïtreffe de fa main , ou elle ne 1'auroit donnée a perfonne \ ou elle ne 1'auroit pas donnée a M. de Liancourt. Mais elle neput réfïfter a 1'autorité d'un père, abfolu dans fes volontés, Sc qui peut-être fe füt porté aux dernières extrémités, s'il n'eüt trouvé ; dans fa fille , la foumiftion quÜl exigeoit. H iv  176 Enfants légitimês Eii fecond lieu , elle étoit parente, au troiflème degré , de la première femme de M. ue Liancourt; & 1'on feait que les canoniftes ont placé cet empèthement au nombre de ceux qui font diriinanrs. D'ailleurs un accident extraordinaire avoit rendu M. de Liancourt impuiftant, depuis fon premier mariage. 11 étoit abfolument incapable de contraóter aucune alliance de cette efpèce. L'autoricé qui avoit engagé Gabrielle d'Eftrées a fe prêter au prétendu maliage qui fut célebré entre elle &c M. de Liancourt, ayant celfé , elle profita de la liberté ou elle fe trouvoit, pour fe délivrer d'un lien , qu'elle n'avoit pris , & qu'elle n'avoit jamais porté que malgré elle. Elle prit, en conféquence , les voies juridiques & convenables pour obtenir fa féparation. Le procés fut inftruit fur les trois chefs dont on vient de parler. Cette inftruétion , faite dans toutes les régies , produifit la fentenee de 1'ofticial d'Amiens, du 14 décembre 1594 , qui pronon^a que M. de Liancourt &c Gabrielle d Eflrées n avoient jamais été tnariés enfemble. S'il n'y a pas eu de mariage , la foi  (tHenri IK 177 de la femme n 'étoit point engagée j elle ne devoit point fidélité a un homme a qui elle ne devoit rien. Elle ne s'eft donc pas rendu coupable d'un adultère , quand elle a eu des complaifances pour un autre , que pour M. de Liancourt. Madame cYElbeuf a bien prévu cette réponfe , Sc elle en a fenti toute la force. Elle a cru 1'éluder par une inculpation , qu'elle n'a pas ofé propofer ouvertement , mais qu'elle a infinuée avec beaucoup d'adrefte. Elle a fait entendre , dans les plaidoieries qui ont été faites pour elle , que la fentenee de 1'ofEcial d'Amiens avoit été rendue fous 1'impreffion de 1'autorité fouveraine , a laquelle cet eccléfiaftique n'avoit ofê réfifter ; mais que M. de Liancourt avoit protefté , Sc contre la fentenee , Sc contre le motif qui 1'avoit dictée. On a de la peine a réprimer les mouvements d'indignation qu'excite un tel outrage. Quel tableau de Henri IV on tracé d'un feul trait, pour le mettre fous les yeux des juges Sc du public, dont fa mémoire eft 1'idole! C'eft fa fille, fa propre rille,qui le repréfente comme abufant de fon autorité , pour la faire fervir a violer 1'honneur d'une femme Hv  iy§ Enfants légitimês mariée , a. fouiller le lit nuptial par un adultère j a mettre le comble a ces infamies , par un facrüège , en forcant la juftice a prononcer la nullité d'un mariage qui avoit été fanclifié par un facrement légitimement adminiftré. Ainli , infraéïion de toutes les loix , violence , adultère , facrilège , tout fe trouve cumulé , d'un feul mot , fur la tête de ce grand roi. Et , qui fe permet ces atroces calomnies ? C'eft la propre fille , une fille a laquelle il n'a jamais montré que de ia tendrefte , & qu'il a comblée de fa"veurs. Mais , qu.'nd elle ne feroit pas fa fille , quand il n'y auroir, entre elle Sc lui , d autre relation que celle de fouverain & de fujette; eft- il donc permis, toutes les loix divines & humaines ne défendent elles même pas d'attenter, par des calomnies , a 1'honneur des rois , eux contre qui les livres faints interdifent jufqu'a la penfée du murmure ? Et, quel eft le roi contre lequef on fe permet un pareil attentat ? C'eft Henri IV. On ne peur trop répéter ici ce nom chéri, qui a tant faitd'honneur a la France tk a 1'humanité entière. Mars madame ÜELbeuf ? en fe li-  (THenri IV. 17e) Vrarit a cette calomnie , n'a pas fait attention qu'elle fourniffoit des armes contre elle-même , &t donnoit a M. le duc de Vendöme des moyens de la convaincre de faulfeté. La fentenee de 1'official d'Amiens a été précédée & accompagnée de toutes les formes judiciaires. On ne peut 1'attaquer de ce cöté-la. II ya cinquante-feptans qu'elle a été rendue. Elle a donc palfé en force de chofe jugée. M. de Liancourt, qui étoit, feul capable de 1'attaquer, ne 1'a jamais fait j il 1'a au contraire, exécutée avec toute la bonne foi d'un plaideur, convaincu qu'il a été bien jugé. En effet , cette fentenee 1'ayant rendu maïtre de fa perfonne, il eut la témérité de paffer a un autre mariage. Mais il ne fur pas plus heureux dans celui-ci , qu'il ne 1'avoit été dans le fecond. Mademoifelle ti'Autun ne voulut pjs plus fe prêter au facrilège , dont il avoit voulu la rendre victime , que mademoifelle ü Eflrées ne 1'avoit voulu faire. Dés que mademoifelle d'Jutun eut découvert qu'elle étoit abufée , elle porta fes plaintes a PofHcial de Paris , qui déclara , comme avoit fait celui d'Amiens , qu'il n'y avoit jamais eu de mariage. H vj  180 Enfants légitimês Or les rnotifs de cette feconde fentenee étant les mêmes que ceux de la première, qui avoit été rendue cinq ans auparavant; d'un cöté , il n'eft pas poffible de douter de 1'impuiflance reprochée a M. de Liancourt ; de 1'autre , comme il ne pourroit pas être admis a attaquer la fentenee de 1'official d'Amiens , qu'il a exécutée par un troifième mariage , la ducheffe d'Elbeuf qui n'a pas les mêmes droits , que ceux que M. de Liancourt auroit pu prétendre , doit être payée de la même fin de non-recevoir qu'on lui oppoferoit a lui-même , s'il entreprenoit de revenir contre un jugement, auquel il a acquiefcé , fans réclamation. Nefoyons donc point furpris de la joie que témoignale roi, ala naiffance de M. le duc de Vendöme, & des foins qu'il prit de fon enfance , en le tenant toujours en fa préfence & a fes cötés. N'ayant pas d'enfants légitimês , il prit le plus grand foin de 1'éducatioa d'un fils qu'il fongeoit a faire héritier de fa couronne , en le légitimant par le mariage qu'il fe propofoit de toncraófcer avec la ducheffe de Beaufort.  cTHenri IV. 181 Pour préparer ces hautes deftinées , il le reconnut d'abord pour fon fils , le légitima, & le rendir capable de pofiéder toutes fortes de biens &c de dignités. Voulant prévenir les- évènements qui pourroient arrêter 1'effet du projet qu'il avoit formé de 1'élever au tróne , il voulut que cet enfant eut la capacité de fuccéder a fa mère. Ce qui fut ordonné par lettres-patentes du 28 janvier 1596. Quand le roi fit Gabrielle d'Eftrées ducheiTè de Beaufort, un des motifs qui Pengagea a cette démarche, exprimés dans 1'édit d'éreöion de ce duché , fut que , tout ce qu'elle devoit avoir de biens & de grandeurs , revenoit, par droit de nature , a Céfar Monfieur. Par le contrat de mariage entre M. de Vendóme Sc mademoifelle de Mercceur , auquel aflifta le roi , comme père , qu'il ratifia , & par lequel il combla fon fils de.nouveaux bienfaits, la ducheiTè de Beaufort, en vertu de la faculté que le roi avoit accordée a cet enfant, de fuccéder a fa mère, le déclara fon principal héritier; lui fit donation entre-vifs du duché de Beaufort , avec toutes fes dépendances, & de la terre de Vandeuil.  iSl Enfants légitimês A tant de bienfaits , il manquoit une illuftration qui tirat ce ptince de la claftè commune des fujets Le roi y pourvut. II lui conféra la dignité de pair , qui eft une des plus éminentes de la monarchie, par les fonclions auguftes qui y font attachées , & qu'exercent, en différentes circonftances , ceux qui en font revêtus ; enfin par le rang auquel elle les élève. Ce n'étoit pas encore afTez ; il voulut lui donner , dans 1'ordre de la pairie , une place diftinguée , Sc le placer entre les princes de fon fang Sc les autres pairs; ou plutót il voulut le décorer de la qualité de prince , Sc lui en donner le rang , tant dans fa cour, que dans les affèmblées 8c les cérémonies les plus folemnelles, après les princes de fon fang , Sc comme faifanr , en quelque forte , corps avec eux. A cet effet, il lui donna le duché de Vendóme, qui étoit 1'héritage de fes pères , & le patrimoine de fes ancêtres ; Sc 1'on a vu quel zèle il fit paroitre pour maintenir le bienfait dont il vouloit honorer fon fils. Enfin cet enfant avoit a peine atteint 1'age de quatre ans , que le roi fongea a lui affurer un mariage , afforti  ePffenri IV. 18$ au rang auquel il 1'élevoit. II jetta les yeux fur Francoife de Lorraine , fille unique de Philippe-Emmanuel de Lorraine , duc de Mercoeur , la plus riche héritière du royaume , & qui, par fa naiffance , pouvoit bien monter au rröne oü le roi fongeoit a faire parvenir fon fils. On a vu que , par le contrat de manage, M. de Vendóme étoit héritier de fa mère par anticipation, au moyen de la donation entre-vifs qu'elle lui avoit faite de tous fes biens. Êt il ne faut pas oublier d'obferver que M. le maréchal ÜEftrées, frère de la ducheffe de Beaufort , & tous fes autres parents, avoient donné leur confentement a toutes ces difpofitions. que tant de fufFrages fembloient devoir mettre a 1'abri de toute critique & de toute réclamation. La mort de la ducheffe de Beaufort priva peut-être fes enfants du droit de fuccéder a la couronne , que le roi penfoit a leur affurer,en époufant leur mère; mais elle ne diminua nullement fa ten*dreffepoureux. II pourvut a feurtutelle Sci 1'adminiftration de leurs biens en la mettant fous la direction d'un confeil compofé de perfonnes recommandables par leurs dignités &c par leurs lumières.  184 Enfants légitimês Certe tutelle dura jufqu'en 1619 ï époque oü Catherine-Henriette fut recherchée par M. le duc d'Elbeuf, qui cependant, avant le mariage , voulut fcavoir en quoi confiftoit Lr fortune de cette princelfe. J'ai rapporté plus haut comment le proces , prêt a s'élever entre le frère & la fceur, fut terminé par la tranfaétion de 1619, paffée fous 1'autorité de tous les parents , 8c acceptée par M. le duc d'Elbeufluimême , dont le mariage étoit arrêté. II fut fait mention , dans cet aófe , de tous les biens qui s'étoient trouvés a la mort de la ducheffe de Beaufort , aucun article ne fut oublié ; 8c 1'on défie de citer la plus petite portion de terre qui n'y foit mentionnée. On y exprima la fource d'oü provenoient tous les héritages qui compofoient cette fucceffion , 8c 1'on rappella tous les aótes émanés, tant du roi , que de la ducheffe de Beaufort , qui établiffoient les droits particuliers 5c refpectifs du frère 6c de la fceur ; 5c 1'on peut dire que cette tranfaétion eft le fruit de 1'examen le plus férieux, des difcuflions les plus profondes 5c du calcul le plus exaét. Peut-être mème que , s'il étoit queftion aujourd'hui de la difcuter de  JHenri IV. igj nouveau , on découvriroir que madame d'Elbeuf y a plus été favorifée s qu'elle n'avoit lieu de 1'efpérer. On a vu que M. & madame d'Elbeuf ont tellement regardé cet acte comme irréfragable, qu'ils ont ufé en propriétaires incommutables des biens qui leur avoient été concédés. Ils en ont vendu une trés-grande partie ; &C les acquéreurs ont traité , avec la plus parfaite fécurité,fur la foi de ce partage. En un mot il a eu , de leur part, pendant trente-deux ans j la plus entière exécution. Cette conduite ne répond-elle pas a 1'imputation de violence que madame d'Elbeuf prétend lui avoir été faite pour la fignature de cet acte ? D'ailleurs , faut-il donc recourir a la violence , pour faire figner un acte rédigé fous 1'impreffion de la juftice & ds 1'équité , & ou les droits des contradans font expofés dans le plus gtand jour ? Au furplus , peut-on fe plaindre de la contrainte , quand on n'en articule aucun fair , 8c qu'on n'en rapporte aucune preuve ? M. & madame d'Elbeuf ont bien fenti que ces fins de non - recevoir  l8fj ^ Enfants légitimês étoient infurmontables. Ils ont eu recours a un autre moyen ; c'eft celui d'outrager la mémoire de Henri-leGrand&c de la ducheffe de Beaufort, en attaquant la naiffance de M. de Vzndóme. t II convient que les enfants adultérins font chargés de toute la malédiction de 1'écriture; que les canons autorifent a peine a leur laiffer des aliments. II pourroitcependant faire voir que cette rigueur n'a pas toujours été obfervée. II pourroit même citer des enfants adultérins qui ont fuccédé au tróne de leur père. Tel fut Théabulde, fils de Théodebert, qui vivoit au commencement du fixième fiècle. Grégoire de Tcurs, liv. 3 , chap. 21 & 22. de fon hiftoire, après avoir dit que Théodebert, allant a Beziers , pour reprendrè plufieurs villes & plufieurs chlteaux, dont les Goths s'étoient emparés,ajoute que, quand ce prince approchadu cha> teau de Cabrières , en Languedoc , il y envoya des dépurés pour .avertir les Jiabitants de ce chateau que , s'ils ne fe foumettojent, il alloit mettre le feti par tout, & emmener tous ceux qui y demeuroient, en captivicé.  d'Henri IV. 187 La dame de ce chateau fe nommoit Dentérie. C'étoit une femme fort adroite, & fort entendue. Elle envoya . . : " ' r- -----i- n etoit point cians I intention de lui relifter , qu'on le reconnoiftoit pour fouverain , & qu'il pouvoit oifpofer , a fon gré , de tout ce qu'il trouveroit dans le chateau. 11 y entra tranquillement ; & tout étant foumis, il ne fit aucun mal: mais ayant trouvé la dame a fon gré , il en devint amoureux , & en difpofa. Gothi verb , cum poft, Chlodovei mor:em, multa de his qua Uk acquifierat , invafiffent. . . Theodobertus ufque adBkerrenfem civitatem abiens,... ad caftrum nomine Caprarium legatos mktk } dlcens , nijï fe ïllifübdant s om- nem Locum illum incendio concremandum, eofque qui ibidem reftdent, captivandos. Erat autem ibidem tune matrona Deuterina nomine , utiïis valdï atque fapiens , cujus vir ad Biternas urbem concefferat. Qua mifit nuncios ad regem, dicens nullus tibi , domine piijftme , reJiftere poteft. Cognofcimus domïnum noftrum : veni, & quod fuerit beneplacitum in oculis tuis , facito. Theodobertus autem ad caftrum veniens t cum  i88 Enfants légitimês pace ingreffus efl , fubditumque fibi cernens popu.um , nihil inibi male gejjit. Deuteria verb ad occurfum ejus venit. At ille Jpeciofam eam cernens , amorc ejus capitur , fuoque eam copulavit (Iraio. Or , il faut remarquer que Thiodehert étoit marié avec Wifigardc, fille d'un certain roi. Theodoricus amem filin fuo Theodobarto Wifigardem , cujujdam regis fiiiam , defponfaverat. Voila donc un doublé adultère. The'odebeit étoit marié ; Deutérie étoit mariée. lbid. ca*. 20. Les deux amants vécurentfept ans dans l'.idultère. li en vint un fils, nom mé Théobaide , qui , tout batard adultérin qu'il étoit , fuccéda a fon pète , au royaume d'Auftrafie. Si 1'on vouloit fouil'er tous les monuments de notre hiftoire , on y trouveroit plufieurs exemples de pareilles fucceftions déférées a des batards adultérins , fans aucune difliculté. Mais ces re.herches font inutilesa la caufe, puifque la naiffance de M. de Vendóme eft égale i celle de madame d'Elbeuf. Plufieurs ïaifons fans réplique éta« blifle nt cette vente. I. La fentenee de l'official d'A-  d'Henri IV. 189 miens a juge , en propres termes , qu'il n'y a jamais eu ue mariage entre la ducheffe ae Beaufort & ie licur de Liancourt , ab initio nullum, & ideb irritum declaravimus & declaramus. Si ce mariage étoit nul dans le principe j il n'y en a donc jamais eu : madame de Beaufort n'a donc jamais été la femme de M. de Liancourt: elle n'a donc point commis d'adultère , lorfqu'eile a donné la naiffance a M. de Vendóme. En erfer il eft univerfellemeut recu que 1'impuiffance qui exifte au moment de la bénédiction du mariage , eft un empêcbement dirimant , qui non-feulement annulle le mariage , mais empêche qu'il ne fe forme. Cette doctrine tft fondée fur 1'ellence des chofes. Un homme qui ne peut atteindre au but effent iel du mariage , ne peut contracter un engagement qu'il eft incapable de rempiir. Auffi les tribunaux ont-ils toujours jugé que , fi un mari accufe fa femme d'adultère, & que, de 1'autre cóté, la femme fe plaigne de 1'impuiffance de fon mari , il faut préalablernent jugerla queftion d'tmpuiffance ? Si l'hoffime eft vcrirablement impuiffaat, il n'a pas droit de fe plaindre des  ipo Enfants légitimês mceurs d'une femme dont il n'eft pas le mari. La femme , de fon coté , n'eft point adultère , puifque ce crime n'eft que la violation de Ia foi conjugale ; Sc la foi conjugale n'eft due qu'a la perfonne avec laquelle on eft lié par ie nceud du mariage. Madame de Beaufort n'ayant jamais été mariée avec le iieur de Liancourt, elle n'a donc pas commis un adultère ; la naiffance de M. le duc de Vendöme n'eft donc pas plus adultérine , que celle de madame d'Elbeuf II. D'ailleurs la fentenee de FofEcial d'Amiens, qui a jugé qu'il n'y avoit jamais eu de mariage entre madame de Beaufort Sc le fieur de Liancourt, a été confirmée par les arrêts de vérification des lettres de légitimation , expédiées en faveur de M. le duc de Vendame. Les véritables circonftances de fa naiffance n'ont point été diffimulées ; Sc c'eft fur la connoiffance que 1'official d'Amiens en a eue , qu'il a prononcé fon jugement; & ce jugement a été vu Sc inféré dans les arrêts. Enforte que c'eft une queftion irrévocablement jugée par des arrêts folemnels Sc irrévocables. III. Plus on y réfléchit, plus il fe  efffenri IV. 191 préfente de moyens pour établir Pinjuftice de la demande de madame d'Elbeuf. II y a cinquante-fept ans que M. le duc de Vendóme eft en poffeflion de fon état. Cette poffeflion a été confirmée par fon contrat de mariage de 1598, & par les lettres de 15 95), qui régloient 1'adminiftration des biens du frère &c de la fceur ; & enfin par la tranfaétion paffee en 161 p , approuvée par madame d'Elbeuf , & ratifiée par une foule d'aétes qui lontfuiyie. IV. II y a plus. Si la fentenee de l'oGj ficial d'Amiens doit demeurer fans effet , il s'enfuivra que madame de Beaufort n'aura jamais ceffé d'être la femme du fieur de Liancourt ; & par une feconde conféquence , qui n'eft pas moins néceftaire que la première , fi la naiftance de M. le duc de Vendöme eft adultérine . celle de madame la ducheffe d'Elbeuf ne le fera pas moins , puifqu'elle aura été concue «Sc fera née pendant le mariage de fa mère avec le fieur de Liancourt. Ces deux enfants feroient donc également le fruit d'une naiffance adultérine. V. Ajoutons ici une dernière confidération, qui ne laiffe aucune efpèce de reffource a madame la ducheffe dElbeuf,  ie;i Enfants légitimês Lorfqu'eile eft née , Henri IV étoit encore dans 1'alliance de la reine Marguerice. Cette alliance , apès avoit duré vingr-'huit ans , fut annullée en 1599 , par les commiffai.es du pape , qui prononcèrent , comme avoit fait 1'ofticial d'Amiens , que le mariage étoit nul. Or fi , en adopcantle fyftême de madame cYElL-euf, ce jug°ment na pas eu un effet rétroacf if , elle fera ifïue d'une conjonótion adultérine , puifque fon père, au moment de fa conception, étoit engagé dans les liens d'un mariage fubfiftant. II faut donc qu'elle opte : ou elle eft Ie fruit d'un fimple concubinage ; alors fon frère eft dans le même cas : ou fi la naiffance de ce frère eft adultérine , la fienne 1'eft auffi. Si la fentenee , qui a délivré madame de Beaufort du lien qui 1'attachoit au fieur de Liancourt , a eu un effet rétroaótif , le frère & la fceur fe trouvent dans la même circonftance, & font nés d'une mère qui étoit & avoit toujours été libre. Si elle ne veut pas accorder cet effet rétroaclif au jugement qui a rompuce lien , elle ne peut pas prérendre que la fentenee qui a rendu la liberté a fon père . ait eu un effet différent. Alors , étant nés, 1'un  ei'Henri IV. 193 1'un Sc 1'autre , d'un père attaché a une autre femme qu'a leur mère , fa naiffance fera adultérine, auffi bien que celle de fon frère. C'eft ainfi qu'en mettant au jour un fyftême qu'elle n'avoir pas bien réfléchi, madame? d'Elbeuf court les rifques de couvrir de honte fon augufte père , fa mère , fon frère Sc elle-même. Refte a examiner la prétendue Iéfiort faite a madame d'Elbeuf par 1'acte du 17 janvier \6\y. Elle prétend qu'on a omis d'y faire mention des terres de Beaufort , d'Etampes , Sc autres ; qu'on n'y a point parlé des fommes mobiliaires mentionnéesdans les comptes , & qu'elle fait monter a plus de deux millions. Si elle a été long-tems, dit elle , fans réclamer contre ces injuftices , c'eft que fon mari & elle étoient trop généreux pour accronre les difgtaces de M. de Vendöme par un procés fi facheux Sc fi difficile. La fortune , d'ailleurs , les ayant chaftes du royaume, a leur tour , les a mis dans Fimpuiffance abfolue d'agir ; enforte qu'il ne peut y avoir de prefcriprion j pas même celle de dix ans. M. de Vendóme , difoit fon défenfeur , fouhaiteroit bien fincèrement Tome XV1U, \  i> obligés d'êtrefobres & retenus , lori* qu'il s'agit des adions de leurs fou» verains , lefouels ne font pas obhges » d'en rendre compte a autre qu'a Dieu » feul. Car , encore que la loidu decawloaue & les préceptes de 1'cglife » foient également écrits pour toutes » fortes de perfonnes, il eft vrai, pour«tant, que 1'on ne defire pas , en la „ perfonne des grands , ces perfectums » angéliques, mais qu'elles convieuneut  JHenri IF. 119 » a leur dignité Sc a leur condition ; „ paree que la facilité d'être furpris , la » complaifance publique qui canonife » leurs imperfeótions , les rend , en » quelque facon , excufables *, mais » du moins les conftitue dans ce degré » d'honneur , que toutes lorres de » mauvaifes penfées Sc de difcours ïn«jurieux contre leur conduite , ne » peuvent être entendus dans le public. » Ainfi le roi Henri-h-Grand, dans » la force de fon age , Sc le milieu de » fes conquêtes , dans la condition a » laquelle étoit réduite la familie » royale , ayant aimé la ducheiTè de Beaufort, Sc eu d'elle trois enfants »> naturels , nous ne rravaillons pas 3> pour juftifier leur confeience , paree «> qu'ils en ont rendu compte dans un »> aurre tribunal : mais nous eftimons 33 que le roi , ayant fait légitimer les »> trois enfants , Sc leur ayant procuré » de grands biens, par les gratifications » qu'il a faites a leur mère, il eft étrange » que le jugement du roi foit contefté; » Sc que, pour partager la fucceftion de j> madame de Beaufort s fes enfants » cinquante ans après fa mort , révo» quent en doute; fcavoir , fi elle a étc » doublement adultère j fi fon mariage liv.  200 Enfants légitimês » a été légitimement diftolu , & fï elUf » a été en état d'en pouvoir demander » la dilTohuion. » Le tems eft un grand remède aux i> queftions de cette qualité , dans lef» quelles , lorfque les families s'éta» bliffent , que les mariages fe con» tradent , &c que les enfants naiftent » dans la bonne-foi , 1'intérêt du pu» blic foutient 1'état & la condition des » hommes qui font en poftelfion de » leur filiation. » Cette longue fuite d'années , qui » óbfcurcit la connoiffance des chofes ». anciennes , doit ferv'r d'excufe , de ■x décharge 8c de juftification , paree » que peu de gens feroient en fureré , »s'il étoit loifible , après un ft Jong » tems , de leur faire rendre compte » des fecrets de leur naiffance & de »> 1'origine de leurs families »» Ce magiftrat , entrant enfuite dans 1'examen du fond de 1'affaire , obfervoit que, fi , abftradion faite de k qualité des perfonnes & du laps de tems, on 1'examinoit fuivant les régies du droit commun , 6c fuivant les maximes communément revues , il demeureroit pour conftant que le prince a le pouvoir, en France , de légitimer  dHenri IV. 201 les enfants naturels. Mais aulïi cette légitimation fe borne a les rendre capables depolféder toutes fortes de charges , d'ofnces Sc de bénéfices \ de recevoir toutes fortes de donations , de legs Sc de gratifications. Mais jamais elle ne leur donne la faculté de fuccéder ab inteftat , ni en pays de droit écrit, ni en pays de droit coutumier. Cette faculté peut cependant leur être accordée du confentement des héritiers préfomptifs des père Sc mère des enfants naturels. Alors, c'eft en vertu de ce confentement qu'ils héritent, Sc non pas en vertu de la grace du prince. ' La qualité d'héritier eft 1'effet du mariage légitimé par le facrement, Sc li , ' des lettres de légitimation , portant la faculté de fuccéder , étoient enregiftrées fans le confentement des héritiers, elles ne feroient pas foutenables. D'après ces régies , examinons quel elVJ 1'état des parties qui conteftent. Aucune d'elks n'a eu de lettres qui les rende capables de fuccéder i la duché fte de Beaufort : le roi les- a-feuleme nt déckrés capables de recevoir tous les dons , toutes les gratifications qui po urroient leur être faites. 1 v  202 Enfants légitimês" II eft bien vrai qu'il y a eu des lettres vérifiées au parlement, qui ont donné a madame la ducheffe de Beaufort la capacité de. fuccéder a fes enfants, même d'en avoir la garde ; il eftbien vrai qu'après fa mort , ils ont pris la qualité d'héritiers par bénéfice d'invenftaire j que le roi leur a nommé un tuteur , leur a même établi un confeil , compofé de petfonnes éminentes. en dignité.. Mais tous ces adres n'ont pas été capables ds leur donner le ritre & la qualité d'héritiers > qualité qui ne s'acquiert point , que la feule légitimité peut donner , quine peut dériver ni de 1'identité , ni de 1'équipollence , ni d'aucune préfomption.. Ainfi ces enfants n'ayant point été hélitiers de madame la duchefTe cipe, 1'indilïolubilité du mariage. La dignité de ce facrement confifte clans le confentement des parties Sc dans la bénédiction du prêtre. Cette fainte cérémonie change ce qui n'étoit qu'un contrat civil , en une uniora myftérieufe qui figure celle du fils de Dieu avec fon églife. Mais, outre le lien fpirituel qui réfultede 1'adminiftration du facrement,. il faut , pour qu'il y ait une uniort parfaite, qu'il fe rencontre fin He»  JHenri IV. "207 naturel & phyfique , qui unifle les corps , ou au moins puifTe les unir ; autrement, un des prineipaux objets du facrement n'exifte pas ; il n'y a point de contrat fur lequel le facrement ait pu être appliqué; Sc fi , dans ce cas , la fentenee de 1'ofticial déclare un mariage nul, pour raifon de ce vice , il déclare que cette nullité a exifté, ab initio ; e'eft-a-dire , qu'il n'y a jamais eu de facremenr. Ces vérités ont d'autant plus de poids dans 1'efpèce préfente , qu'iï n'eft pas polïible , après einquante ans , de revenir contre un jugement „. fur 1'autorité duquel eft fondée la foi publique qui conftitue 1'état de 1'une Sc de 1'autre des parties. Par ces. raifons, M. Talon eftims qu'il y avoit lieu de mettre les parties hors dé cour Sc de procés ; Sc , pat arrêt du 13 juin 16$ 1, le duc & laduchefle d'Elbeuf furent déclarés nca? secevables dans leurs demandes*  4ö8 «:——É^g@ÉgË ^ * CARDINAL MARIÉ- Tou t , dans cette caufe , eft digne de la curiofiré du lecteur; les faits qui y donnèrent lieu, Sc les moyens qu'on fit valoir. Odet de Coligni, connu fous le nom de cardinal de Chatillon , naquit a Chatillon-fur-Loing , le 10 juillet 1515.II étoit fils de Gafpard de Coligni Sc de Louife de Montmorenci. II eut trois frères j Pierre , Gafpard, c'eft le fameux amiral de Coligni , & Francois. On le deftina , dès fa tendre jeunefle, a 1'état eccléfiaftique. Le6 mars 1530, il fut pourvu dn prieuré de Beaune , Sc le 16 aoüt fuivant , il obtint celui du Frenai. II fut fait cardinal le 4 novembre 15.3 3. Le 21 avril 15 3 4 , il fut nommé adminiftrateur de 1'archevêché de Touloufe , vacant par Ia mort de Gabrïtl de Grammont. Le 6 feptembre fuivant , il fut ordonné diacre. Peu après il aftifta au conclave , oü Paul III fut nommé pape. Par un bref de ce pontife, il lui fut ordonné de  'Cardinal marié. 209 retourner en France , « comme lui »pouvan: être utile & fervir au faintwfiège apoftolique , davantage qu'ii » n'eüt fait au confiftoire de Rome ». L'évêché de Beauvais étant venu * vaquer, le cardinal de Chatillon en fut pourvu , fur la nomination du roi, par des bulles du 20 ocFobre 1535- ^ ?tlt pofteifion de ce nouveau benefice , Bc prêta ferment entte les mains du roi , le 13 janvier 15 36 , n'étant alors agé que de vingt ans. La qualité de pair étant attachée a l'évêché de Beauvais , le cardinal de Chatillon fe fit recevoir au parlement, & fiégea , en cette qualité , au lit de juftice , tenu le 10 décembre 1538. Quoiqu'évêque de Beauvais , il conferva toujours 1'archevêché de Touloufe , & le roi lui donna , en 1537, 1'abbaye de faint Lucien. En 15 48 , il fit les fonétions de pair, tant au couronnement de Catherine de Mèdicis , qu'au lit de juftice tenu par Henri II. Peu après , il obtint 1'abbaye de Fontaine-Jean. En 1549, il fe rendit a Rome, & affifta au conclave oü Jules III fut élu pape. Le nouveau pontife renvoya  210 Cardinal marié. 1'archevêque de Touloufe en France; après Pavoir comblé de graces & de faveurs. A fon arrivée , il fut pourvu des abbayes de faint-Jean-lès-Sens , & de faintGermer; en 1551 & 1552,11 aflifta aux lits de juftice , qui furent tenus ces années- la. Peu après , le roi lui ayant donné les abbayes de Kimperlai & de fainrBenigne a Dijon , il fe démit , en faveur du cardinal Antoine Sanguin , de 1'archevêché deTouloufe Sc de 1'abbaye de Vauluifant dont il avoit été précé-. demment pourvu. Le 1 ? juillet 15 59 , il aflifta , en qualité de pair , évêque de Beauvais, a 1'inhumation du cceur du roi. Entan 1'archevêché de Touloufe Sc 1'abbaye de Vauluifant, dont il s'étoit défait en faveur du cardinal Sanguin , étant devenus vacants par le décès de ce prélat , le cardinal de Chatillon s'en mit , de nouveau , en pofteffion. Le pape&le roi fe réunirentinutilement, pour le forcer a céder 1'archevèché de Touloufe au cardinal & Armagnac ; il fc,ut é'uder leurs ordres & leurs efforts, Sc trouva le fecret de fe maintenir dans la polfeftion de fon archevcché Sc de  Cardinal marié, ï 11 fon évêché. Non-feulement il rendit inutiles les builes du pape , accordées au cardinal d''Armagnac, mais il lc,ut engager le roi a approuver le regrès qu'il jetta fur 1'archevêché de Touloufe & fur 1'abbaye de Vauluifanr; ii en obtint même une feconde nomination , en tant que befoin feroit. 11 confentit cependant que le fpirituel du diocèfe de Touloufe füt adminiftré pour lui, par le cardinal d''Armagnac. J'ai cru devoir entrer dans ces détails , pour faite le tableau de la poffeflion d'état dont ce cardinal avoit joui, jufqu'au moment de la cataftrophe dont j'ai a. rendre compte. Elle commenca a Pépoque du fameux colloque de Poifli. C'eft ainfi que 1'on nomma une alfemblée tenue dans cette ville^' entre quelques prélats de France Sc quelques miniftres proteftants, qui s'y rendirent au nombre de quatorze , fous la foi d'un fauf-conduit qui leur futaccordé. L'objet de cette affemblée qui ne produifit aucun effet, étoit de rétablir la paix dans 1'églife , Sc de faire cefter les troubles qui, fous prétexte de religion, défoloient le royau-. me. Avant 1'ouYerrure de la conférence, ■  ïi2 Cardinal marié. les prêtres firent une proceffion , St communièrent tous , excepté le cardinal de Chatillon , & cinq évêques qui fuivirent fon exemple. II feroitétrangera monfujet d'enrrer dans le détail de ce qui fe paffa a cette aflemblée. J'obferverai feulement que Théodore de Bè^e , célèbre miniftre proteftant , y paria pour ceux de fa communion , & y paria avec beaucoup de fermeté & de véhémence. On ignore fi c'eft a fes raifonnements, fi c'eft au caprice ou aux circonftances qu'il faut attribuer le changement du cardinal de Chatillon. Peut être les préjugés de 1'éducation y eurent-ils quelque part : prefque tous fes parents faifoient profellion du proteftantifme. Quoi qu'il en foit, fort peu de tems après lecolloque de Poifli , le cardinal de Chatillon fe lia avec les huguenots, qui formèrent déformais fa principale compagnie. II quitta même 1'habit eccléfiaftique , & ne donna plus les cures de fes diocèfes qu'a des proteftants. Enfin il embrafta publiquemenr leur culte , fit la fcène , fuivant leur rit , dans fa maifon épifcopale a Beauvais , & fe déclara patriarche de la religion téformée eu France.  Cardinal marié. 2.13 Le pape Pie IV ne tarda pas a être inftruit de la conduite du cardinal, & du fcandale qu'elle caufoit dans 1'églife: il en fit informer ; & il. réfulta de cette information que 1'accufé avoit dit & foutenu , entr'autres , que 1'églife , jufqu'au tems des novateurs, avoit été dans 1'erreur. Inter alia dixiffe & pertinaciter tenuijfe ecclejïam, ufque ad hoe tempora h&reticorum & hugonotorum , erravife. II fut prouvé qu'il protégeoic & défendoit ceux de cette fedte , 8c que, pourrépandre davantage l'héréfie, il placoit , dans la chaire de vérité , ceux qui la profeflbient, & qu'il avoit été même jufqu'a prendre les armes pour la défendre. Deffendere ,favere & protegere ac tueri curavit, & quamplurimos hujufmodi peftifera fecia, viros pfeudo-theologos in reÉlores & concionatores, -quihus alios feducere ac inficere poffet , familiariter retinuerit ; arma fumpferït , ac alia gravijjima h&refurrt manifeflantïa , devoverit . . • Nee non panes diclorum hugonotorum 3 conventiculaque & fectas fovijje, fecutum effe , tutatum fuijfe & laudajj'e ; abjeclifque cardinalii habitu & injtgniis, quibus indignum fe reddiderat, ad hugonotos hare' tkos ipfos declinajfe , eorumque fectam  214 Cardinal marié. exprejjè profejfum fuifft , feque i'lorum extrc'uüs doctorem fuijfe , & adhuc exiftere. En conféquence , le pape , par fa bulle du 3 i mars 15 6 3, le déclara hérétique , excommunié , huguenot, fchifniatique, & blafphémateur , apoftat a la religion de la fainte églife romaine, infraóteur de la foi , & parjure \ 8c par fuite , il fut dépouillé du cardinalat, 8c du privilege clérical, privé de l'évêché de Beauvais, de tous fes bénéfices8c offices , honneurs, dignités 6c prélatures , & déclaré indigne d'en pofféder a 1'avenir : tous fes biens , droits Sc jurifdi&ions furent déclarés faifis, enjoint aux fidèles de s'emparer de fa perfonne, pour le livrer aux miniftres de la juftice, afin qu'ils lui faffenc fubir les peines dues a fes crimes. Ipfum Odetum h&reticum , excommunicatum, hugonotum,fchifmaticum & blafphemum, ac a fide cathoücd apojiatam ac tranffugam , fidei faclorem & perjurum pronunciamus, judicamus ac declaramus; & proptcred eum ab omni cardinalatüs commodo & honorc , ac privïlegio , edam clericali, a. die commijjorum criminum hujufmodi , ipfo jure depofitum , dieuout eedefte Bduacenfis aiminijlratione,  Cardinal marié. 215 ec heneficih & officiis > honoribus , dignitatibus ac pr&laturis privatam , & ad Ma inhabilem & perpetub incapacem , ac ejus bona , jura & jurifdictiones publicïmus : depojitumque & privatum & inhabilem ejfeclum, ac velut talem , ht.reticum , fchifmaticum , & blafphemum , ac infruciuojnm palmit.em ab ecclefid recifum, ulterius légitime puniendum fore , decernimus ; ejufque perfonam a. Chrifti fidelibus , capiendam & detinendam , cmni meliori modo, & ad juflitu miniftrorum manus , ut pcenas debitas maleficiis luere pojjit , tradendum & detinendum , omni meliori modo & Jtgura quibus pojfumus & debemus, expofcimus. Ce jugement, prononcé par le pape, a. la tête de vingt-trois cardinaux, n'euc pas Peffet qu'il auroit pu s'en promettre. Le condamné, foir pour braver lacour de Rome , foit pour ne pas perdre les places dont on vouloit le dépouiller , dès qu'il en eut connoiftance , reprit les habits de fon état, & aftifta , au mois d'aoüt 166}, en qualité de pair de France , évêque de Beauvais , au lit de juftice que tint Charles IX, au parlement de Rouen j pour publier fa majorité. Cependant, il fongeoit , dèslers i  2i6 Cardinal marié. i fe marier. La ducheffe de Savoye ; fille de Francais I , & de Claudine de France , & femme de Philibert , duc de Savoye , avoit, auprès d'elle , une demoifelle nommée Ifabelle de Hautevii/e, dont les attraits avoient féduit le cceur du cardinal de Chatillon. Elle étoit fille d'un gentilhomme de fort ancienne nobleffe en Normandie , nommé Samfon , & de Marguerite de Loré. Ses père & mère 1'avoient placée auprès de la ducheffe de Savoye dés 1'age de quinze ans ; elle atteignoit alors fa vingtième année. Elle avoit été élevée dans la religion proteftante , & continuoit d'en faire profeffion. Si le cardinal de Chatillon étoit épris des charmes de mademoifelle de Hauteville , elle ne paroiffoit pas infenfible a fa tendteffe , & bien des gens ne croyoientpas leut conduite a 1'abri de tout reproche. Déterminé enfin a époufer cette demoifelle , il en fit la demande , en forme, a madame de Savoye, qui ap» prouva hautementce mariage, tant de vive voix , que par écrit. Le confentement de la princeffe fut accompagné de celui de tous les plus prqches parems des deux parties; & le jour  Cardinal marié. 217 jour de la rédaétion du contrat & de la célébration du mariage fut fixé au premier décembre 15 64. Ce jour-la, par acte palfé a Chatillon fur-Loing , le cardinal tranfigea avec fes frères , fur des objets qui font étrangers a la caufe. Le contrat de mariage fut fait le même jour, & au même lieu, & les claufes qui y furent confignées furent foumifes a la coutume de Montargis qui régit Chatillon-fur Loing. Le cardinal prit la qualité de comte de Beauvais fimplement ; c'eft le titte de l'évêché dont il vouloit au moins conferver les revenus , & qui eft une comté-pairie. Par le contrat de mariage , il fut dit que les deux époux feroient communs en biens ; que le furvivant , art cas quil n'y eut point d'enfahts , auroit la propriété de tous les meubles Sc acquêts, & jouiroit de 1'autre moitié en ufufruit. Le douaire , en cas que le mari vhit a prédécéder , devoit être confus dans I'avantage de furvie dont on vient de parlef. II étoit dit enfuite que « les parties » ne pouvanc, pour de certaines caufes » de préfent, paftèr ces traités & ac- Tome XVUI. K.  218 Cardinal marié. » cords en formeplus folemnelle, elles « avoient avifé de rédiger ces articles 3 j> fignés de leur feing , Sc fcellés de i> leur fceau , pour faire foi a la pofté» rité de leurs conventionsj &afin que» » quand , par la mort de 1'un d'eux , »> viendroit la dilfolution de leur ma» riage , il füt tenu avoir été légitime-: » ment fait ». Ce contrat fut figné par le cardinal., par fes deux frères , par Ifabelle de Hauteville, par fes père Sc mère ; SC enfin par leurs amis, qui tous y mirenc le fceau de leurs armes. Tout étant conclu , Odet de Coligni ; cardinal-diacre de la fainte églife romaine, archevêque de Touloufe, e'vêque & comte de Beauvais , titulaire de tre'qe abbayes & de deux prieure's , vêtu des habits & ornements de fa dignité, époufa publiquement mademoifelle de Haute' ville. Pierre Melet, miniftre de lareligion prétendue réformée , recut la foi mutuelle des parties , affifté d'un grand nombre d'autres miniftres, & en préfence des frères du cardinal, des père Sc mère de mademoifelle de Hauteville , Sc d'une quantité étonnante de perfonnes de la plus haute diftinction.  Cardinal marié. 219 Le mari étoit alors agé de quaranteneuf ans, quatre mois 8c vingt un jours, 8c mademoifelle de Hauteville , de yingt ans , deux mois & trois jours , étant née le 28 feptembre 1543. Au refte les noces furent célébrées avec la plus grande magnificence. Après fon mariage , le cardinal de. Chatillon quitra , une feconde fois , les marqués extérieures de 1'état ecc'éfiaftique , voulat qu'on ne 1'appellat déformais que le comte de Beauvais , Sc vécut publiquement en homme marié. il s'artacha, fans retour , au prince de Condé, qui étoit a la tête des Huguenots : il combattit contre les troupes du roi, a Ia bataille de faint-Denis , le 10 novembre 15 6"S. Le 15 décembre fuivant, le roi envoya ordre au parlement de faire Ie procés aceux desrébelles qui avoient pris les armes. En conféquence , M. Bourdin procureur généraï , rendit plainte contre le prince de Condé , 8c y comprit Ie cardinal de Chatillon. Gelui-ci fut accufé de rébellion , de félonie , de crime de Ièfe-majefté diyine & humaine au premier chef. Sur 1'iriformatïon faite a la requête du mimftère public, le cardinal de Chatillon Ki;  2 20 Cardinal maric. fut décrécé par un arrêt du 14 décent bre 1568 , qu'il eft bon de tranfcrire ici. « Vu par la cour , toutes les cham» bres aftemblées , les informations » faites, a la requête du procureur gé*> néral du roi, a 1'encontre du cardinal » de Chatillon , pair de France , évêque » & comte de Beauvais , conclufions » dudit procureur général du roi , &C „ tout confidéré ; la cour ordonne que » ledit cardinal fera pris au corps Sc » amené prifonnier , fous bonne Scfure » garde , ès prifons de la conciergerie » du palais , pour efter a droit. Et s'il » ne peut être pris au corps , fera ajour„ né a trois briefs jours , a fon de« trompe & public , en la cour, fur M peine de bannittement de ce royau» me , confifcation de fes biens , &C » d'être atteint Sc convaincu des cas a *, lui impofés ; répondre audit pro» cureur général aux fins & conclufions »qu'il veut contre lui prendre ; 8c » procéder , en outre, comme de rai>, fon , Sc d'être déchu du poffeftbire de » fes bénéfices. Et feront tous Sc un » chacun fes biens meubles faifis , Sc a » 1'inftant vendus au plus offrant Sc y dernier enchérilTeur, & fes biens pa-.  Cardinal marié. "5 ï, trimoniaux & revenus de fon tern» porei faiiis & mis dans les mams du » roi & commiflaires y etabhs; cc les „ deniers qui proviendront des meu» bles & revenus des immeubles &c „ temporels , feront mis ès mams des » receveurs ordinaires du rol , iur les » lieux , pour être employés aux ïiecei» fités de la guerre contre les rebelles » qui portent les armes contre le rol. » Ordonne la cour que l'exécution de » fon préfent arrêt fera faite en la plus » prochaine ville , bourgou bourgade , w parle premier des juges royaux , leurs ,>lieutenants,huifliers, chacun d'eux m fur ce requis , par vertu de 1'extrait „ d'icelui. bigné, deThou, du Drac ». Le cardinal fe donna bien de garde 'de fe foumettre a cet arrêt; il fcayoit qu'il n'étoit que trop facile d'acquenr la preuve de fa révolte , Sc que la pur.ition qu'il méritoit lui étoit affurée , s'il fe trouvoit entre les mains de la juftice. 11 prit le parti de fortir du royaame , fe déguifa en matelot, & pafla en Angletetre.il emmena fa femme , & laiffa fes bénéfices, dont le revenu montoit a 3 70000 livres, fomme énorme dans ces tems la. Sa fuite occaftonna, contre lui, une K üj  222 Cardinal marié. procédure parcontumace: voici Parrèï rendu fur cette procédure , le 11 mars ï) Beauvais, ajourné a trois briefs jours » par ordonnance de ladite cour , 8c » défaillant ; la demande 8c profit def» dits défauts , relations 8c exploits , » informations faites contre ledit dés> faillant , avec tout ce qui a été mis » 8c produit patdevers ladite cour , s» a été dit que les défauts ont été bien » 6c duement obtenus; au moyen , 6c » par vertu d'iceux , ladite cour a ad» jugé 8c adjuge audit procureur gé»néral tel profit; c'eft a fcavoir, pour 3) le regard du cas privilégié ; qu'elle » Pa déclare 6c déclare rébelle 8c cri»mnel de lèfe-majefté au premier »>chef, Pa privé 8c privé de tous hon» neurs, états, offices 6c dignités qu'il  Cardinal marié. 223 »> tient du roi, enfemble de la dignité » de pairie, fruits 8c pofTeffions de tous »fes bénéfices , Pa condamné en la » fomme de 200000 livres parilis d'a» mende envers le roi; & pour le re» CTard du délit commun , 1'a rendu 8c » le rend a fon fupérieur , pour lui » faire & parfairefon procés, ainfi que » de raifon ». Signé, Malon, Prononcé a la barre de la cour le dix-neuvième jour de mars 1569. Mais quels éroient ces fupétieurs qui avoient le droit de lui faire fon procés pour le délit commun ? Cette queftion fut décidée par un autre arrêt du 17 du même mois. « La cour , pour maintenir la li» berté de 1'églife gallicane , qui a » toujours été défendue par le roi, &C » fes prédécefTeurs rois très-chrétiens, au » vu 8c au feu des faints-pères , papes » de Rome, qui , pour le tems , ont » été ; a arrêté qu'elle a entendu 8c » entend que le fupérieur auquel mef3, Jire Odet de Coligni, cardinal de Chan tillony évéque de Beauvais , eft rendu, » pour lui faire fon procés fur le délit » commun , par arrêt de ladite cour, »conclu & donné Je onzième de ce » mois , eft; 1'archevêque de Reims, K iv  224 Cardinal mar ie. » fupérieur métropolitain , duquel 1 e») vêché de Beauvais eft fuffragant,pour, » par ledit archevêque de Reims , ap» pellés fes autres fuffragans évêques , »> s'ils fe ttouvent en nombre , finon » par les évêques circonvoifins , être » a-t le procés audir cardinal , évêque ■» de Beauvais , fur le délit commun , » felon les décrets Sc conftitutions ca» noniques; fans que ledit cardinal de » Chatillon, évêque de Beauvais, puiflë ■» être traité & tiré hors de ce royaume; » & a ordonné & ordonne la cour que, « de ce en fera fait regiftre , afin qu'il » foit connu &entendu par tous, même •» par la poftériré , que la cour a toujours » voulu garder &conferver la liberté de 1'églife gallicane , & fauf, en toutes ■» chofes , 1'honneur Sc révérence de .» notte faint-père le pape Sc fiège apof?> tolique. Signé, de Thou, du Drac ». Je n'ai trouvé aucun monument qui annonce que la jurifdidtion eccléfiaftique ait fait aucune pourfuite contre xe cardinal, coupable de lèfe-majefté humaine au premier chef, & fauteur public d'héréfie. Le parlement ne fut pas auffi indifférent. Voici 1'arrêt qu'il prononca. « La cour , ouï Ie procureur général  Cardinal marié. 225 » du roi , ce requérant 3 a ordonné » Sc ordonne , en exécurion de 1'arrêt j» donné a. rencontre cxOdet de Coligniy » cardinal de Chatillon , prononcé le 3» 19 de ce mois que fes armoiries » » en quelque lieu qu'elles foientmifes « & appofées , feront arrachées Sc ótées » en la préfence des juges ordinaires „ des lieux, dont ils feront leurs procès» verbaux, qu'ils enverront incontinent » pardevers le greffier eriminel de la» dite cour pour y ëtre enregiftrés; Sc » fera l'exécution du préfent arrêt faite » par vertu de Pextrait d'icelui- Signéy » DE ThOO , DU drac »V Énfin , par arrêt du 5 avril' fuivant , Ie parlement difpofa 'des revenus de l'évêché de Beauvais.« Vu, par la cour, »la requête a elle préfentce par les » doyen „ chanoines Sc chapitte de » Beauvais , par laquelle y pour les » caufes y contenues , & attendu que , m fuivant les lettres-patentes du trei» zième novembre dernier , après les: » économes commis au régime & gou» vernement du revenu de l'évêché de » Beauvais ,.les fuppliantsauroient fait » adminiftxer les facrements de con*» firmation , de tonfurecléricale , pro- motion des ordres inférieurs , conKv  n6 Cardinal marié. » fécration des autels par le miniftère w de 1'évêque de Brion; & auili que x » par arrêt, prono-ncé le dix neuvième » mars dernier, le cardinal de Chatillon » auroit été déclaré criminel de lèfe» majefté, Sc privé des fruits Sc poifef» foire de tous fes, bénéfices , ils -re» quéroient les autorifer en ladite ad- miniftration , tant pour le paffe, que » pour 1'avenir , le fiège vacant ; &c j> outre , mandé a tous juges de leur » donner aide Sc confort en ladite adj> miniftration : ouï fur ce le procureur 3* général du roi, Sc tout coniïdéré , la v cour a autorifé Sc autorife les fup» pliantsen ladite adminiftration , tant » pour le palfé , que pour 1'avenir , » pendant le fiège vacant ; Sc enjoint a » tous juges de leur donner aide & cony> fort en ladite adminiftration , fur *> peine d'amende arbitraire. Signé 3 » de Thou , du Drac, » Prononcé le cinquième d'avril tr 15 6<) ». Les arrêts que je viens de copier fe trouvent dans les preuves des libertés de 1'églife gallicane , chap. 7-, n°. 54 ; Sc le rédaéleura eu principalement en vue , en les rapportant , d'appuyer le quauièmeartkle de ces.mêmes. libertés,.  Cardinal marié. 227 - coftcn en ces termes : « les papes ne » peuvent rien commander ni ordon» ner, foit en général ou en particulier, » de ce qui concerne les chofes tem» porelles , és pays & terres de 1'obéif» fance & fouveraineté du roi très-chré» tien ; & s'ils y commamdent ou fta» tuent quelque chofe , les fujets du » roi , encore qu'ils fuffenr clercs, ne » font tenus leur obéir, pourceregard ». II eft bon de faire encore ici une autre obfervation. Le cardinal de Chatillon étoit , en qualité d'évêque de Beauvais , pair de France; cependanc il fut décrété êi jugé définitivement, fans que les pairs aient été ni préfents, ni même convoqués. Mais cet exemple peut-il être tiré a conféquence contre les droits de la pairie ? II y a apparence que ce cardinal n'éroitpas véritablement pair, & que, fi, en certaines occafions , on lm en avoit laiffé faire les fonéfcions, c'étoit par tolérance, & dans 1'efpoir qu'il acquerroit réellement, un jour , ie droit de les exercer. 11 n'étoit pair qu'a caufe de l'évêché de Beauvais, Mais pouvoit - on regarder comme véritablementévêque de Beauvais y un homme qui avoit obtenu ce benefice a lage de vingt ans , trois K vj  2z8 Cardinal marié. mois & dix jours , un homme qui jamais n'avoit été élevé au facerdoce , & n'avoit jamais été facré évêque ? Si la qualité de pair eft uniquement attachée a. celle d'évêque de Beauvais > celui qui n'eft ni prètre ni évêque >. peutil être comte & pair.de Beauvais ?. 11 faifoit , d'ailleurs , profeflion ouvertede lareligion prétendueréformée, & s'étoit marié publiquement.Cesdeux circonftances fuffifoient feules pour le dépouiller de fa dignité » quand il auroit eu les qualités requifes pour la poftéder. On pouvoit donc , tout au plus , le regarder comme pair laïque d'une pairie eccléfiaftique. Quelles pouvoient être les prérogatives d'une pairie de certe efpèce ? Les autres pairs devoient-ils s'intérefter beaucoup a con.ferver au cardinal de Chatillon les droits d'une dignité qu'il polfédoit a de tels titres? Pendant qu'on le traitoit en France avec cette rigueur , Elifabeth , qui rcgnoit alors en A^gleterre, n'épargnoit rien potu 1 ti faire oublier fa difgrace. 11 fongeoit m me a fixer fon féjour dans cette terre étrangèxe , lorfqu'il y éprouva un défagrément qui le fit foitper a. en fortir. Cf  Cardinal marié. 2*g> II étoit recu a la cour avec la diftinction due a un homme de fa naiffance; mais la reine n'y afïignoit aucun ranga fa femme. Celle-ci s'en plaignit hautement. C'étoit, difoit-elle , faire injure a la femme d'un comte de Beauvais , d'un pair de France , a Iaquelle on devoit , en Angletterre , les hour neurs dont les ducheffes jouiffent en France. Son mari en paria a la reine , qui promit de faire examiner les prétentions de mademoifelle de Hautevdle: Mais cette princeffe balancanc u elle devoit ou ne devoit pas reconnoitre un tel mariage , ou du moins, fi les titres du mari étoient de nature a pouvoir donner un rang a fa femme , celle-ci réitéra fes plaintes & fit parler a Ia reine. Son mari ne voyoit pas tran» quillemenr le déplaifir que fa femme reffenroit. II appuya Ia, demande de la comteffe de Beauvais par de nouvelles. foliicitations plus vives que les précédentes. Enfin Elïfabeth , preflee par les irn» portutfités du comte & de la comteffe , dit un jour au comte : vous ave% raifou „ M, le Cardinal, je veux vous rendre juftice. Je vais faire eenre a monfrère le-  % 3 o Cardinal marié. tol de France, pour quil m'informe des honneurs quil accorde , dans Ja cour , aux femmes des cardinaux, Ce ridicule , Jecté fur la conduite de ce prélat apoftat, le mortifia plus que toutes les difgraces qu'il avoit éprouvées pendant fa vie. 11 crut devoir quitter une cour oü il avoit tecu un tel affronr, &c fit folliciter, auprès du roi , la permifiion de revenir en France. Son frère èc fa fceur , qui, depuis long-tems , cherchoient a le raccommoder avec fon fouverain , lui firent entendre qu'il pouvoit revenir. II partit, avec fa femme , le 14 février 1571. IIn'étoit qu'a quatre lieues de Cantotbéty, lorfqu'il fut atteint du ■plus predant befoin de manger. II s'arrêta a Hampton , fe mit a table avec mademoifelle de Hauteville. Après qu'il eut mangé avec avidité, Vuillïn , fon valet-de-chambre , lui fervit des pommes pour fon deffert. II en mangea plufieurs , &c n'avoit pas achevé la dernière , qu'il tomba mort aux yeux d'Ifabelle de Hauteville. Le valet-de-chambre fut arrêté , quelque tems après , a. la Roebelle, oü il fut pendu , comme efpion. Dans fon teftament de mort, il avoua qu'il avoit été 1'auteur de la  • Cardinal marié. 231 moi't de fon maitre,, ayant empoifonné Ia dernière porome qu'il avoit mangée a, Hampton. Je ne fcais pas quel motif avoit engagé ce malheureux a commettre ce crime. M. de Thou , en parlant de ce cardinal , dit qu'il avoit 1'efprit élevé , le jugement fort fain, qu'il étoit plein de courage , de grandeur & d'équité. Rabelais lui avoit dédié les deux derniers livres de fon t antagruel. Dans fon épitre , après s'ètre plaint des perfécutions de fesennemis, qui avoient verniet Finquiéter fous prétexte d'héréfies , inférées dans fon livre \ il remercie le cardinal de lui avoir procuré la protection du roi \ & lui déclare que, s'il continue fcn ouvrage , que ces tracafferies lui avoient fait interrompre , ce n'eft qn'a la follicitation & par les ordres de ce puiftant proteóteur. « Pour moi s » dit-il y le roi vous avoit oéFroyé pri> » vilège & particulière protecFion con? » tre les calomniareurs. Cetuy évan« gile , depuis, m'avez , de votre bé» nignité-, réitéré a Paris», .. C'eft la 3» caufe , monfeigneur , pourquoi pré» fentement j hors de toute intimida» tion., je mets la pliune au vent, ef»-pérantque, gar bénigne faveur,, me  13 2 Cardinal marié. * » ferez, contre les calomniateurs,com» me un fecond Hercules gaulois en » fcavoir , prudence Sc éloquence., en » vertu , puiffance & autorité. . .. Au 5) furplus , vous promettant que ceux » qui, par mot, feront rencontrés con» gratulants de ces joyeux écrits , tous »je adjurerai vous en fcavoir gré total, » uniquement vous en remercier , Sc » prier notre feigneur pour conferva» tion 8c accroiflement de cette votre » grandeur; a moi rien ne attribuer , j> fors humble fubjeérion & obéiflTance » volontaire a vos bons commande>> ments. Car , par votre exhorration sj tant honorable , m'avez donné ÖC » courage 5c invention; 5c fans vous r » m'étoit le cceur failli, Sc reftoit de » mes efprits animaux »- Cette épïtre eft datée du 28 janvier T5 52. , 5c fait voir que le cardinal deChatillon jouiftbit alors de la plus haute faveur. On voit, en même tems , le cas qu'en faifoit Rabelais% qui , certainemenc, fe connoiftbit en hommes. On voit, enfin, que le cardinal tenoir un rang trés - diftingué a la cour de Henri II. Rabelais adrefte fon épirre a. vès-illudre prince , & révé'endijfime monjeigneur Odetcardinal de Chatil-  Cardinal marié. 2^3 Ion y&c dans Ie corps de la lettre, il le cjualifie toujours prince très-illuflre. Quoi qu'il en foit, 1'amiral de Coligni , frère du cardinal, prit la qualité d'héritier beneficiaire de fon frère ; il fit faire inventaire du mobilier de la fucceflion , dont la valeur monta a 120C00 livres. Francois de Coligni d'' Andelot, autre frère du cardinal, ne prit point de qualité. Ifabellede Hauteville fe préfenta, pour réclamer les droits qu'elle pouvoit prétendre , en qualité de veuve , & en vertu de fon contrat mariage. L'amiral tranfigea avecelle, par acte paffe devant notaire a Chatillon-fur-Loing , le 23 avril 15 72. Dans 1'intitulé de cet acte , elle ne prit point la qualité de veuve ; elle y eft fimplement défignée fous le nom de dame lfabelle de Hauteville , dame de Lore. En voici les principales claufes. « Pour raifon de la part que madame » de Loré difoit & prérendoit lui ap» partenir, ès biens, meubles & im» meubles , noms , raifons , actions, » dettes & créances demeurées nar le » trépas du défunt feigneur , cardinal » de Chatillon ; & pour éviter les dif» férends qui pourroient naïtrea ce fu-  134 Cardinal marié. » jet, nourrir paix & amitié entr'eux \ » elle avoit ttanfigé avec 1'amiral de Co» ligni qui , pour tout ce que deflus, »lui avoit fait bailler Ja fornme de « 19572 liv. 9 fois , j den. a quoi fe n montoit la moitié des meubles, noms, sa raiforis & aétions } appartenant a la » fucceiïion , fans , en ce , comprendre » les frais de l'exécution teftamentaire , m & autres frais , tant pour la confec» tion d'inventaire des immeubles , » qu'autres dettes & frais compris en » certain état, figné de la main des » parties , dont 1'amiral fe chargeoit » d'acquitter la dame de Lore', Sc qu'elle *> avoit recu cette fomme, tant en ar»>gent , qu'en meubles de la même »> fucceffion, fuivant 1'appréciation qu'ils » en avoient faite entt'ëux,en la forme » contenue en 1'état fufdit, s'en étoit » déclarée contente, & en avoit donné j» quittance a 1'amiral , ainfi que de » toutes les autres parts , portions 8c » autres droits qu'elle pouvoit préren» dre aux mêmes biens , foit meubles » ou immeubles , dettes & crédits , » quelque part qu'ils fuffent fitués & >» trouvés ». La dame de Loré étoit , en outre , chargée d'entrer pour moitié dans le  Cardinal marié. 235 païement des dettes du cardinal qui fe manifefteroient paria fuite , autres que celles que 1'amiral avoit acquittées; Sc , au cas qu'il payat, 1'acquitter ck garantir des paiements qu'il pourroit avoir faits. En fecond lieu , qu'au cas qu'il füt exclu par des héritiers purs & lïmples, de la fuccellion du cardinal, madame de Lorélui reftitueroitles 19572!. 9 fol. 3 den. qu'il venoit de lui payer j pourquoi elle obligeoit tous fes biens , préfents & a venir , Sc notamment fa terre de Loré. Enfin 1'amiral de Coligni s'obligeoit de faire a. la dame de Loré dans les dettes appartenant a la fuccefifion du cardinal, & qu'il pourroit recouvrer, telle part & portion, qu'elle en feroit contente , comme elle 1'avoit été des meubles de la fuccellion. Ainfi la veuve du cardinal de Chatillon, a 1'age de vingt-huit ans, pourvue d'attraits capables de la faire rechercher , fe trouvoit a la tête d'une forrune fort honnête. Outre ce qu'elle venoit de recueillir de la fucceffion du cardinal , elle avoir une quantité de vaiflelle d'argent, de bagues , de bijoux , Sc autres meubles précieux , qui pouvoient valoir 50000 livres. Elle étoit , encore , propriétaire de da  236" Cardinal marié. terre de Loré , & d'autres biens patrimonianx , fans compter les bienfaits de la ducheffe de Savoie. Deux frères parurent , a la fois , ëpris de fes charmes. L'ainé étoit Jean Titan de Grejj'ai , & 1'autre Urbain Titon de Sacê. II eft incertain fi c'étoit la perfonne de la veuve du cardinal qu'ils aimoient, ou fi c'étoit fa fomme. La fuite de cette hiftoite pourra donner la folution de ce problême. Quant a madame de Loré, elle aimoit également les deux frères, & ne fcavoir même lecjtiel avoit la préférence dans fon cceur. Elle vouloit époufer ; mais ne pouvant les époufer tous les deux , il falloit fe décicler pour 1'un, a 1'exclufion de 1'autre. Elle balanca longtems fur le choix \ mais enfin , tout bien confidéré , elle fe décida pour M. de Sacé , qui étoit le plus jeune; elle Jugea que quelques années de moins n'étoient pas indifférentes en mariage. Dés qu'elle eut pris fon parti, elle ne tarda pas a annoncer elle-même cette heureufe nouvelle a celui dont elle avoit réfolu de faire le bonheur. Ceue déclaration fut recue , de la part de celui qu'elle regardoit, avec les tranfports de joie que 1'on peut imaginer.  Cardinal marié. 237 L'autre , au contraire, témoigna beaucoup de chagrin, & parut vouloir difputer , a fon rival, la faveur qui lui étoit promife. Pour elle , elle fe promettoit les jours les plus heureux, en vivaut avec deux fières qui lui étoient également chers. L'union qui les attachoit 1'un i 1'autre, lui faifoit efpérer qu'ils pafferoient leur vie enfemble avec elle ; qu'elle goüteroit les plaifirs de 1'amour avec fon mari; & ceux de 1'amitié avec fon beau frère. Rien n'égaloit 1'impatience avec laquelle elle defiroit de fe voir au comble de fes vceux : mais cet empreffement n'étoit pas égal de la part de fes amants; c'étoit, tous les jours , quelque nouveau prétexte , quelque nouvelle défaite , pour éloigner la conclufion du manage. Ses defirs & fon honneur déterminèrent enfin madame de Loré a s'expliquer nettement. Elle déclara aux deux frères qu'il falloit ou celTer leurs vifites & leurs pourfuites, ou terminer Falliance projenée.Ne pouvanrplus différer , les deux frères lui déclarèrent qu'ils étoient prêts d'exécuter fes voiontés, quand elle l'ordonneroit; mais  ifS Cardinal marié. que, vu les troubles donc la capitale étoic défolée , il ne feroit pas prudent d'y célébrer un mariage qui, atcendu le culte qu'ils profeflbienr tous les trois , ne pouvoit être contracfé fuivant le rit romain ; qu'ainfi il feroit plus fage de fe retirer dans le fond de quelque province, ou 1'on feroit moins expoféaux regards critiques & a 1 animadverfion des ennemis de la reügion réformée. Madame de Loré goüta ces raifons , &c la ville de Romorantin fut choifie pour leur retraite : c'eft une petite ville éloignée de Paris de quarante lieues. Elle fit tranfporter, avec elle, fon mobilier, fon argenterie , & fes bfoux. Les deux premiers jours du voyage fe pafterent fort joyeufement. On ne s'entretenoit que de la félicité dont on alloit jouir dans une retraite ou tien ne troubleroit les plaifirs tranquilles de leur fociété. Tandis qu'on fe repaiftbit de ces images agréables , une troupe de vo~ leurs tombe fubitement fur la voiture, & enlève tout ce beau mobilier , toute cette argenterie , toutes ces belles bagues, tous ces joyaux , qui ne Iailfoient pas d'entrer pour beaucoup dans le bonheur que 1'on. fe promettoit de trou-  Cardinal marik. 239 I ver a. Romorantin. La dame fe confela cependanc de cette perte , par 1'efpoir de fe voir inceflamment unie a M. : T'uon. Ce qu'elle avoit perdu n'étoit , a proprement parler , qu'un fuperflu :■ qui pouvoit fournir quelques agréments & quelques commodités j mais j donr, a la rigueur, on pouvoit fe pafI fer , fur-rout quand on avoit un revenu avec lequel on pourroit parvenir 1 a réparer une partie de cette perte. On arrivé enfin a Romorantin , en j! fe repaiffant de ces motifs de confola• rion. On fe couche tranquillement. Madame de Loré paffe doucement la nuit dans les btas du fommeil. A fon réveil , fon premier foin eft de s'informer de la fanté des deux frères, s'ils font levés , & de les faire avertir qu'ils peuvent entrer dans fa chambre & lui faire une vifite, avant qu'elle fe léve. La perfonne qu'elle avoit chargée de fa commiillon revient lui apprendre que les deux frères font partis , & ont emporté ce que les voleurs avoient négligé de prendre. Alors le voile tombe de deffus les yeux de madame de Loré \ elle apprit que, fi les Titon avoient été amoureux,  240 Cardinal marié. ce n'étoit pas de fes beaux yeux, mais de ceux de fa caffette. Elle ne douta pas qu'ils ne fulïent les machinateurs du premier vol qui lui avoit été fait dans la route , & les agents perfonnels de celui qui venoit d'être fait a Romorantin. Elle rendit plainte , &c fe permit la déclamation la plus vive contre ces perfides voleurs- Elle expofa Pamour Sc 1'attachement qu'elle avoit eu pour eux; elle leur reprocha le facrifice qu'elle étoit prête a faire de toute fa forrune , pour les rendre heureux; & tout cela avoit été payé par un vol, exécuté fur le grand chemih , Sc dans une auberge. Tout annoncoit qu'ils en étoient les auteurs, les feuls auteurs. Mais , comme elle n'apporta , pour preuve de fon accufation , que des préfomptions qui n'étoient pas des indices nécetfaires , qu'aucun témoin n'avoit dépofe d'aucun fait qui put induire même a foupconner que les Titon euffent part au vol dont elle fe plaignoit, par arrêt du 18 aout i 578 , ils furent déchargés de 1'accufation. Se voyant privée de toute relfource pour recouvrer fes effets , elle fongea a mettre un autre moyen en pratique , pour  Cardinal marié. 241 pour réparer le torr que fa fortune avoit. fouffert par cet échec. Elle obtint, Ie 30 feptembre 1581, des lettres de refcifion contre les aétes qu'elle avoit paffes avec la maifon de Coligni,: lé 1 7 novembre fuivant elle en demanda 1'entérinement aux requêtes du palais, contre Francais de Coligni d'Andeloc t le plus jeune des frères du cardinal; & par fentenee , rendue par défaur , faute de défendre , du 19 décembre fuivant, fes lettres furent entérinées , & elle fut reftituée contre les actes dont elle fe plaignoit. Les fureurs de Ia ligue ne lui permirent pas de mettre ce jugement a exécution ; elle fut obligée de s'expatrier , & d'attendre un moment plus favorable. Henri IV étant enfin parvenu a fe voir paifible poffèfféur de fa couronne , s'occupa du foin de rendre Ia tranquillité a fes fujets. Dans cette vue 5 il donna le fameux éditdeNantes du mojs d'avrü 1598, regiftré au parlement de Paris lè 23 février fuivant. Par le premier article, le légiflateur ordonna que « Ia mémoire de » toutes chofes paffées d'une part &: » d'autre , depuis le commencement Torne XVIII, L  242. Cardinal marié. » du mois de mars 1585, julqu'a fon » avènemenc a la couronne , &c duranc » les autres rroubles précédents, a 1'oc» cafion d'iceux , demeureroit éteinte, » comme de chofes alfoupies & non »> avenues ». Outre cet édit , le roi avoit fait rédiger des articles , qu'il n'avoit pas jUgé a. ptopos d'inférer dans 1'édir 3 mais qu'il delFina a être également eniegifttés.Par 1'article trente, « il impofa » filence a fes procureurs généraux fur „ les mariages des prêtres & des per» fonnes religieufes , ci-devant con„ tradés, Sc voulut Sc entendit que , » pour plufieurs bonnes confidérations, » ils n'en fulfent recherchés ni inquié- » tés ». . La promulgation de ces loix rappella madame de Loré en France , avec une foule d'autresproteftants , auxquels les guerres civiles avoient fait prendre le parti de la fuite De retour dans le royaume, fon premier foin fut de fuivre , contre la fucceflion du cardinal de Chatillon , l'exécution de la fentenee qu'elle avoit obtenue aux requêtes du palais, Sc demanda, par une requête du 3 mat 1602, que ce jugement füt déclaré commun  Cardinal marié. jj,, ^MarguerhedAUli, veuve dtFral tutnce de leurs enfants mineurs , avec &avec Charles de Coligni d>Anddot iienner du feu cardinal. ' Après différentes procédures , ï'afL b ede ledit du parlement de Paris. Alors madame de Loré demanda, dans ce nouveau tribunal, que madame de ^oligm , comme tutricede fes enfants Wiers du cardinal de Chatillon ] ^ tenue de reconnoitre la validité dé fon manage avecié feu cardinal £n^do^aire. °ndS ' *»» d* érat^orff aI!°Vtre Plaidée dan"et etat, ioilque madame de Loré en clian gea entierementlaface. EUefeficdL" Wr des lettres de refcifion contre lel conclufions queile avoit cidevan pd! fes & demanda fimplement ïfS admife a POarfuivre l'exécution de Z convennonsmatrimonia;eS5domefeS JnrTHfute"fifPuró^ Indien: e. paria pour madame 6 Li/  244 Cardinal marié. Loré , & voici les qualités qu'il lui donna. « Je parle , dit-il, pour trèsw haute & ttès puiflante dame , ma,> dame Ifabelle de Hauteville, dame de » Loré , veuve de trés - haut 8c ttès» puiuant feigneur , meftire Oda ue » Coligni , quand il vivoit , comte de » Beauvais , pair de France ». 11 foutint que fa demande n'étoit pas fufceptible de difficulté ; i°. paree que le mari de fa cliënte n'avoit jamais recu Fordre de la prêtrife y z°. paree qu'il n'étoit pas même diacre ; 30. quand on fuppoferoit qu'il eut été diacre , Sc que le mariage füt interdit aux diacres par quelques décrets de 1'égiife, jl ne s'enfuivroit pas qu'on düt annuller celui dont il s'agit; 40. enfin , par Partiele trente des articles fecrets^, donnés a Nantes, les mariages desprê-. tres mêmes font autorifés. Quant a. la validité du mariage , M. le comte de Beauvais ayant recu feulement lacérémonie du ibudiaconat,cette circonftance n'a pu Pannuller. C'eft un fait quele pape Urbainll eft le premier qui ait mis le fous-diaconat au nombre des ordres facrés ; il eft le premier qui 'ait petmis a. ceux qui en font revêtus de fervir a 1'aucel. Avant lui, 1'égUfe  "CarJinal marié. 24 j ne connoiffoit d'autre ordre , qne Celui de la prêrrife r Sc 1'on nommoit eeu)S qui en étoient revêtus , cantót prétres tantöt évêques. Les diacres , 8c les dutres ecciéfiaftiques deftinés au feryice de 1'églife , n'approchoienc point du fanéhiaire, & éroienr-eompris fous le nom générique de dei es. Ce n'eft que par la fuite qu'on les a diftingués paf les noms des différentes fonétions pout lefquelles on les a inftimés. - En effet , ie fous-diaconat n'eft pas d'inftitution clivine, & ne donne pas la grace fan&ifiante. On ne 1'a donc jamais regardé comme facrement , Sc, dans le fait, il n'en eft pas km, , Les diptiques , c'eft a-dire , les regiftres publics de 1'églife des premiers liècles, ne parient point de 1'inftitutiott des prêtres ; mais ils nous ont tranfmis 1'époque 8c 1'hiftoire de l'inftitution des diacres , fans qu'on y trouve un feul paftage , un feul mot, qui puiffe faire foupconner qu'il y eut alors des fousdiacres , ni aucuns de ces autres miniftres fubalternes , que 1'on voit aóhiellement aider les diacres dans leurs fonctions a, 1'autel 6c dans les autres cérémonies de 1'églife. Le concile d'Ancyre , tenu en 314 ; L iij  1^6 Cardinal mariê. porte, canon ier. que les diacres qüi auront protefté , a leur ordination , qu'ils fe réfervent la faculté de fe marier , s'ils fe font mariés enfuite , ne demeureront pas moins dans le miniftère, puifque 1'évêque le leurapermis. Mais j s'ils n'ont rien dit , dans leur ordination , continue le canon , ils feront privés du miniftère \ Sc encore , aujourd'hui , parmi nous , les diacres & les autres miniftres ne font que tacitement le vceu de continence , en ne ïépondant rien a la déclaration que 1'évêque leur fait. II ne s'agit point-la, comme 1'on voit, des fous-diacres. Le troüième canon du concile de Nicée a pour objet de pourvoir a la pureté des ecciéfiaftiques, Sc s'exprime en ces termes :« le grand concile dé» fend généralement que, ni évêque , •> ni prêtre , ni diacre , ni aucun autre »> clerc, ne puiffe avoir de (emxne/bus » introdu'ue , introductam habcre must lierem , fi ce n'eft la mcre , la fceur , »> la tante, & les autres perfonnes qui »font hors de tout foupcon ». On nommoit femmesfous-introduites, principalement a Antioche , celles que les ecciéfiaftiques tenoientdans leurs maifons ,par u.11 ufage que 1'églife condam-  Cardinal marié. 1^7 noir. Paree que, quoique ce fur fous prétexte de charité Sc d'amitié fpirituelle, les conféquences en étoient trop dangereufes , ne füt - ce que pour le fcandale. Le concile d'Elvire avoit déja fait la même ordonnance. On vöuloit, a Nicée, aller plus loifl, & faire une loi générale , qui défendit a ceux qui étoient dans les ordres facrés , c'eft-a-dire , comme 1'explique Socrate , aux évêques , aux prêtres Sc aux diacres , d'habiter avec les femmes qu'ils avoient époufées étant laïques. Alors le confefleur Paphnuce , évêque dans la Thébaïde , fe Ieva, Sc dit j a taute voix , dans 1'aflemblée , qu'il ne falloit point impofer un jong fi pefant aux cleres facrés; que le lit nuptial eft eft honorable, Sc le mariage fans tache ; que cet exces de rigueur nuiroit plutóc a 1'églife j que tous ne pouvoient pa» fupporter une continence fi parfaite, Sc que la chafteté conjugale en feroit peutêtre moins gardée ; qu'il fuffifoit que celui qui étoit une fois ordonné clerc n'eüt plus la liberté de fe marier, fuivant 1'ancienne tradition de 1'églife; mais qu'il ne falloit pas le féparer de la femme qu'il avoit époufée étant encore laïque. Liv  Cardinal marié Ainfi parloit Saint Paphnuce, quoique lui-mcme eür gardé Ja virginitc : car »1 avoit ete nourn, dés 1'enfancs dans un monaftère ; & d étoit célèbre par Ion auftère chafteté. Le concile fuivit fon avis , & 1'on «e fit point fur ce fujet , de loi jouvelle-c'eft a dire ue ch cglife conferva la liberté de fuivre fes uiages. En effet la difcipline «étoit pas uniforme fur ce point. Socrate, qui rap. porte ce fait, attefte qu'en Theffalie on excornmunioit un clerc qui habitoit avec fa femme , quoiqu'il 1'eüt époufée avant fon ordination, & que la même coutume s obfetvoit en Macédoine & en Grece : qu'eile étoit pareillement obfervee en Oriënt , mais fans que Perfonne pas même les évêques , y fut obhge par aucune loi 5 enforte que plufieurs évêques avoient eu des enfants de leurs femmes légitimês pendant leur épifcopat. ^ Mais faint Vróme Sc/aint Epiphane plus anciens que Socrate , nous apprennent plus diftinórement la différence de ces ufages. Saint Jéróme dit que les églifes d Oriënt , d'Egypte öc de Rome pre-  Cardinal marié. 249 noient pour clercs des perfonnes qui avoient vécu dans la contmence, & que,, quand ils avoient des femmes-, ils ceffoient d'être leurs maris. Voila les trois grands patriarchats s Rome , Alexandrie & Antioche ; car ce dernier étoit celui d'Orient. - Saint Epiphane dit que 1'églife exduoit rigoureufement des ordres , les bigames , quoiqu'ils n'eulfent époufé' la feconde femme qu'après la mort de la première ; que celui même qui n'avoit été marié qu'une fois n'étoit point admis aux ordres, s'il ne s'en abftenoit,, pnncipalementdans les lieux oü les canons étoienr ftriétement obfervés; car il ayoue qu'en certains endroits , il j avoit des perfonnes engagées dans les ordres qui ufoient du mariage.- Cet ufage, ajoute-t-il, n'eft pas conforme ê ia- règle , mais a la foiblelfe des hommes qui fe relachent felon 1'occafion , &.a caufe de Ia multitude des fidèles , pour laquelle on manqueroit de miniftres»- On peut donc dire que le céübar des clercs étoit plus généralement oblerve alors ,. qu'il ne 1'eft a préfenr pmfque la Grcce & tout 1'Orienr s'é» tont relachés depuis plufieurs iiècles,. L. y  2) o Cardinal marié. Mais il fuffifoit que 1'ufage n'en fut pas, univerfel, pour empêcher le concile de Nicée d'en faire une loi univerfelle.. Car , en ces tems la , an ne faifoit pas, des canons pour introduire de nouvelles pratiques qui pouvoient être mat obfetvées. , mais pour connrmer les ufages qui étoient de tradition apoftolique. Tous ces monuments fbnt foi que , non-feulement ceux,qui étoient revêtus du fous-diaconac pouvoient fe marier, mais ils prouvent même que ce grade eccléfiaftique étoit alors inconnu. En 721, on commen^a a. faire ufage, dans 1'églife , de cette fonótion. Un concile de Rome, tenu cette année-ü,. prononca anathême contre les prêtres, Sc les diacres qui fe marioient. Les. fous-diacres qui fe permettoient le mariage 11e furent cependant pas envoloppés dans cet anathême. Vrbain II, qui vivoit dans le onzième fiècle , & qui, pat une conftitution expreflè , foumit les fous-diacres: au célibat , fans cependant les ranger au nombre de ceux qui étoient revêtus d'ordres facrés , voulut feulement qu'on les regardat comme initiés dans, les ordres facrés».  Cardinal marié. 2 5 i Lors donc que M. le comte de Beauvais a contraóté mariage , il ne pouvoit pas être , Sc n'étoit pas, en effet, repouffé par un empêchement diamant.- Mais , allons plus loin , Sc fuppofons que M. le comte de Beauvais ait recu le diaconat , comment eüt-il été inhabile au mariage , puifque dans la primitive églife, cet ordre n'étoit pas un ordre facré ? Les diacres n'avoient alors d'autres fonétions , que celles de prêcher, d'expliquer 1'évangile , Sc de baptifer es l'abfence des évêques Sc des prêtres. Ces faits font atteftés par Thiodoret,* liv. .1 5 , chap. 39 ; Nicéphore , liv. 14,, chap. 20; faiat Hilaire , fur le pfeaume 4j }Sc Puul, diacre , chap. 1 o.- Aétuellementmême , on ne regarde' pas le diaconar comme un ordre facré parfait. Le facerdoce , au contraire , a toujours été un ordre facré parfait; cependant il n'étoit pas autrefois regardé comme un empêchement dirimant du mariage. Les prêtres pouvoient fe marier; Sc ce n'eft pas cette doétnne qui a divifé 1'églife grecque de 1'églife latine y elles feroient bientót réuniesmême' §n confervaut chacune leurs ufages a  252 Cardinal marié. cet égard , fi leur croyance ne differoït pas fut des objets plüs effende-Is. Mais , allous plus loi», & fuppofons que quelques eonftitnrions cano«iques , ou quelques décrets de 1'églife aient défendu aux diacres Sc aux fousdiacres de fe marier • ces règlemenrs auroient prononcé la dégradation des ordres Sc ia perte des bénéfices ; maisjamais ils n'ont prononcé la nullité des; mariages. M. le comte- de Beauvais a donc pu fe marier , fans blefler les loix fondamentales de 1'églife , fans choqUer les canons des premiers fiècles , & fans. violer les inftitucions vraiment apofroliques. Son mariage eft donc valide aux yeux de 1'églife qui, tout au plus,, a pu le-priver de-la faculté d'exercer fes fondions , le-dépofer , comme on paploit autre fois , de fes ordres, Sc le priver «!e fes bénéfices. Mais les ecciéfiaftiques ont-ils donc le droit exclufifdë faire des règlemenrs fur un contrat eivil, dont les effets font uniquement fubordonnés aux loix de 1'état , qui feul a pu les écablir , &. peut feul lesrègler Sc les protéger. Voyons donc , relativement aux loix civi'les , dans queiie* circonftaacesM*  Cardinal mane. 2 f 3" Ie comte de Beauvais a contracFé fora mariage. L'édit de Nantes fut donné , comme on fa dit , au mois d'avril 159-8 , & enregiftré au parlement le 23; Février 1599. Le roi , par cet édit, a> impofé filence a fes procureurs généraux fur les mariages contraélés par les prêtres Sc par les perfonnes engagées dans les ordres religieux ; & a- voulu par plufieurs bonnes confidérarions , qu'ils n'en fiüTent recherchés ni moleftés. Orle mariage du comte de Beauvais a été céiébré fe premier décembre 1564. : il étoit donc antérieur a l'édit de Nantes; il doit donc , aux termes; de cet édit, avoir-fon exécution. Outre ces moyens du fond , il elF J dans certe affaire , des fins de nonrecevoir qui font infurmontables. Ceux: qui réfiftenr aujourd'hui aux demandes: de mafdame la comteffe de Beauvais font hériciers purs Sc fimples deceuxqui©nt fignê le contrar de mariage Sc affifté a la célébrarion dont il a été füivLO'r il eft- de principe que 1'héricier eft; tenu des faits de celui dont il a recueilli la-fuccellion» Ainfi meffieurs de Chatillon 3 comme héritiers de leur oncle, ne peuventêtre écoutés. Ils font. inciifpenfablejnenf obligés de remplir. oncle, ne peuventêtre écoutés. Ils font.  1 comme il 1'étoir contre leur père. Mais il exifte un obftacle a cette exécution pure & fimple du contrat de mariage ; c'eft 1'acte du i j avril i 572. Rappellons - nous les 'claufes du contrat de mariage de la comteffe de Beauvais. II y eft dit, qu'en cas qu'il n'y ait point d'enfanrs le furvivant aura le droit de prendre tous les meubles & acquêts, pour en avoir la moitié a titre de propriété , &c la jouiffance de 1'autre moitié en ufufruit feulement. Et en cas que M. le comte de Beauvais vint aprédécéder, le douaire de fa veuve devoit être confus dans «ette donation.- L'actedu2$ avril 15 71, au contraire, n'accorde a la comteffe , au profit de laquelle 1'avantage defurvie s'eft trouvé ouvert , que la fomme de 19572 liv. «> fois 1 deniers toumois , a laquelle, eft - il dit dans cet acte , fe montoir la moitié des meubles , noms, raifonsSi actions appartenants a la fucceftion du cardinal. Cette. fomme lui fut payée , une  Cardinal mariè. 25$ portion en meubles de la fucceflion , fuivant l'appréciation qui en fut faite entre les parties ; & 1'autre portion, ere argent; mais a. la cbarge 3 i. qu'elle entreroit, pour moitié , dans le paiement des dettes du cardinal qui fe manifefteroient par la fuite , autres , a la vérité, que celles, que 1'amiral avoit acquittées 2.°. que , s'il arrivoit que 1'amiral füt exelus par les héritiers purs & fimples du cardinal y fa veuve reftitueroit a 1'amiral les- 19572 liv. qu'il venoit de tui payer; pour quoi elle^obligeoit tous fes biens préfents &avenir, & notamment fa terre de Loré.. Or , fi i'on compare les claufes du contrat de mariage avec 1'aéte du 23 avril 1572 , on trouve une léfiom énorme. En effet, les meubles du feu comte de Beauvais , & fes titres de créance fur différents particuliers , formoient „ a fon décès, une fomme de 120000 liv.. Ce fait eft juftifié par 1'inventaire qui fut fait a fon décès , & que 1'avocac tenoita la main , en plaidant. Ainfi , aux termes de fon contrat la comteffe de Beauvais pouvoit prétendre la propriété incommutable d& 60.000 üv. & fufufruit-dn iefte»-  2 J 6 Cardinal marié. Pour cette fomme , elle n'a recu que les 19571 livres énoncées dans l'acle du 23 avril 1572 ; encore ne les a-telle recues que pour la moitié des meubles , uoms, raifons & aérions qui appartenoient a Ia fucceflion du feu comte de Beauvais. D'après cet aéte, il reviendroit donc encore a fa veuve une fomme de 40427 livres. 10 fois , 9 deniers , pour parfaire les 60000 liv. qui lui revenoient en propriété , d'après fon contrat de mariage ; & en outre, 1'ufufruir des foixante autres mille livres. La lélion qu'elle afoufferte eft donc énorme, & plus que fuflifante pour opérer la reftitution entre majeurs, a laquelle ils ont droit de recourir, pour peu quele tort qu'on leur fait, entame la moitié de ce qui leur appartienr. La veuve du cardinal de Chatillon avoit au/li obrenu des lettres de refcifion conrre la demande qu'elle avoir formée pour obtenir 1'afliette de fon dbuaire ; c'eft-a dire , qu'on lui aftignat des biens fonds pour en aflurer le paiement. Elle prétendoit que cette demande avoit été formée, de fa part, dans le tems qu'elle ignoroit les claufes de fon contrat de mariage, & que le-  Cardinal marié. 257 lucces de cette demande lui cauferoit une léfion énorme. j ■ En effet fon contrat de mariage lui donnoit, comme on 1'a dit, la propriété incommutable de la moitie de tous les meubles Sc acquêts qui fe font I trouvés dans la fucceflion de fon mari, Sc la jouiffance, en ufufruit feulement, de 1'autre moitié. On fe rappelle encore que 1'inventaire fait après le décès de M. le comte de Beauvais tl porté ces meubles Sc acquets a. 120000 liv. \ ainfi madame de Beauvais étoit propriétaire , fur cette fomme , de 60000 livres. Le douaire dont elle demandoit l'afliette , ne pouvoit s'entendre que du douaire coutumier; paree que n'ayant pas fon contrat de mariage en main, & ignorant ce qui y avoit été ftipulé , relativement a fon douaire , elle ne pouvoit que s'en rapporter a la coutume. Or le douaire coutumier eft accordé a Ia veuve , tant fur les héritages que fon mari poffédoir au jour des épott-failles & bénédiéKon nuptiale, que fur ceux qui lui adviennent en ligne directe , pendant le mariage. Mais, dans 1'efpèce aótuelle a il eft  2 5 8 Cardinal marié. conftant que le feu comte de Beauvais, a 1'épocme de fon contrat de manage , ne poftédoit aucun hérirage ; il avoit abandonné tout fon patrimoine a fes frères ; 8c. d;puis ce tems-la , il n'avoit recueilli , par fucceffion , ni autrement , aucun fonds. _ Etant donc abfolument dénué des biens que la coutume a exclulivement grevés du douaire de la femme , 8c celle - ci n'ayant d'autre titre que certe loi, pour en obtenir un , fon droit devenoit caduc par la loi même qui auroit pu 1'autorifer a 1'exercer. D'ailleurs, quand le comte de Beauvais auroit laiffe des biens , de nature a pouvoir afteoir un douaire , fa veuve n'auroit, en qualité de douairière, qu'un fïmple droit d'ufufrtiit fur la moitié feulement de ces biens. Mad ame de Beauvais fe trouve , par le fait, dans une circonftance bien différente. Son contrat de mariage , loirj de lui accorder un douaire, lui interdit toute prétention a cet égard. Mais elle eft bien dédommagée de cette privation par la donation ftipulée dans fon contrat de mariage , qui la rend propriétaire d'un mobilier & d'acquêts confidéiables. Si elle n'avoit que la loi, ou  Cardinal marie. 259 les claufes ordinaires de fon contrat de mariage , pour garant de fon douaire, il feroit caduc , puifqu'il ne fe trouve point de biens de la nature de ceux qui y font exclulivement affettés. Mais, au lieu de ce gain de furvie , elle eft propriétaire de la moitié des biens qui en font grevés , & elle a 1'ufufruit du refte. La demande qu'elle a formée, a fin tL'affietce de Jon douaire , lui cauferoit donc , li elle n'étoir pas écoutée lorfqu'eile en demande la réformation , une léfion énorme , puifque cette léfion feroit du tout au tout. Elle obtiendroit un douaire, qui ne feroit qu'un vain nom , puifqu'il n'exifte rien fur quoi elle puiffe le faire valoir 5 8c , pour obtenir ce droit illufoire , elle perdroit une propriété & un ufufruit confidérables. Mais 1'énormité de cette léfion n'eft pas le feul motif qui autorife la comteffe de Beauvais a demander que la juftice 1'en relève. II faut en dccouvrir la caufe , & cette caufe eft la fraude 8c la violence. Aufli-tótaprès Ia mort du cardinal, 1'amiral fon frère , s'empara , fur Ie champ , de tous les meubles, titres 84  160 Cardinal marié. papiers de la fuccellion. Quelque tems après , madame la comtelfe de Beauvais fur enlevée par les fïeurs Titon de Crajfai &c de Sacê , qui la dépouillèrent , non-feulement de fes effers y mais de fes titres & papiers , au nombre defquels éroit le contrat de mariage, qui fait le titre des droits de cette veuve. Privée de ce titre, elle n'a pu les connoitre , elle n'a pu les faire valoir , & cette ignorance 1'a induite h faire les acres que 1'on a voulu , & h former les demandes qu'elle a cru autoriléet par le droir commun , auquei fon conrrat de mariage avoit cependant dérogé en fa faveur. Elle 1'a enfin recouvré , ce contrat de mariage; mais elle doit cette découverte au plus heureux hafard (i). L'erreur eft donc la caufe de la demande en affiette de douaire. Or l'erreur étant une caufe de reftitution , il eft évident que madame la comtelfe de Beauvais doit réuftïr dans les demandes en reftitution qu'elle a formées. M. du Moulin , petit neveu du célèbre Charles du Moulin y plaida contre (i) On n'expliquoit point quel étoit ce hafard , qui avoit opéré cette découverte.  Cardin al m arU. z6t la veuve du cardinal. Voici les qualités .qu'il donna aux parties; elles torment un contrafte fingulier. « Je parle , dit-il , pour trés haute »& trés - puillante dame , madame » Maiguerite d'Jilly, veuve de meilire » Francais , comte de Coligni, fieur » de Chatillon , au nom & comme tu» trice des enfants mineurs d elle & du >s feu fieur de Coligni qui étoit hé»> ritier de feu melfire Odet de Coligni, *>.cardinal-diacre de la fainre églifero.» maine } dit de Chatillon , du titte » de faint Adrien, archevêque de Tou» loufe , évêque & comte de Beauvais , » pair de France , abbé des abbayes de n faint-Lucien-de- Beauvais , faint-Ger» mer, Fontaine-Jean , faint-Jean-les>j Sens , Vauluifant , faint- Benigne , » Kimperlai , faint - Euverte , faint» Epore , faint-Benou-fur-Loire , Fer» rieres, Cenches & Belle-Perches , &C « prieur des prieurés de faint-Etiennev de-Eeaune êc du Frenai. » Contre Ifabelle de Hauteville , » dame de Loré, fe difanx veuve du »> cardinal de Chatillon »• II conclut , « a ce qn'il plüt k Ia » cour, évoquant le principal , & y « faifant dtoit, attenduque ledit mets  261 Cardinal marié. »> lire Odet de Coligni a été ordonnè » diacre le 6 feptembre 1534 s qu'il » étoit , a fon décès , cardinal diacre » de la fainteéglife romaine, du titre » de faint-Adrien, archevêque, &c. dé» clarer nul 8c de nul effet les contrats » de mariage 8c mariage prétendus ac» cordés 8c faits entre ledit défunt car» dinal de Chatillon , 8c la demoifelle » de Hauteville de Loré, 8c dire qu'il » n'y a jamais eu de mariage. Déclarer, » entantquedebefoin, l'inflancecom» mencée a la requête de la dame de »> Loré , le 17 novembre 15 81 , 8c » qu'elle a reffufcitée au mois de mai » 1602 , périmée , 8c 1'action que la n dame de Loré prétend exercer contre » les héritiers du feu cardinal de Cha» tillon , prefcrite ; par conféquent, » elle-même non recevable danstoutes »fes demandes , avec dépens ». Cette caufe , dit-il , préfente , fans doute , des faits tellemtnt excraordinaires, qu'ils font prefque incroyables. Cependant, quant au droit, elle eft fort limple Le cardinal de Chatillon , archevêque de Touloufe , évêque de Beauvais, a t il pu époufer la dame de Loré \ 1'a-t-il , en effet, époufée ? Voila toute la queftion } voila, du  Cardinal marié. 263 moins , celle a laquelle les autres font fubordonnées. S'il n'y a pas eu de mariage , ou fi celui qu'on prétend avoir été célébré, eft nul , la dame de Loré n'eft point veuve ; & cc mme cette qualité eft la bafe de fes prétenticns , cette bafe ne fubfiftant point, fes prétentions s'anéantiflent. L'état de M. de Coligni pouvoit-il être compatible avec le manage ? II étoit diacre , évêque 3 archevêque &C cardinal. C'eft de la tradition des apötres que nous vienr la néceffïté du célibat des prêtres. Saint Clément, en fa feconde'épnre , dit qu'il tient cette maxime de faint Pierre même , & il feroit impoffible deprouver que le mariage des prêtres ait été toléré , foit dans 1'églife latine , foit dans 1'églife grecque , pendant les fix premiers fiècles. Une foule de conciles attefte cette vérité; en tr'autrescelui d, Trente, auquel affifta, difoit M. tiu Moulin le cardinal de Chatillon, oü il eut place parmi les pères qui compofoient cette aftemblée. D'ailleurs les prêtres font confacrés au fervice de Dieu ; & il faut bien fe garder de croire que , par leur confécration, ils foient fimplement dévoués.  Z64 Cardinal marié. Ils ont recu, au contraire , un caractère facré , qui les tient féparés du refte des hommes ; caractère qui ne s'efface jamais , dans quelque circcnftance que fe trouve celui qui en eft revêtu. Ainfi , en fuppofant que le cardinal de Chatillon fe füt réellement marié , ce mariage feroit abfolument nul , étant profcrit par la difcipline de 1'é- Madame de Loré implore , en fa faveur, Partiele 11 des arricles fecretsde l'édit de Nantes , par lequeHe roi a défendu a fes procureurs généraux de rechercher le; mariages ci-devant contraétés par les prêtres & par les perfonnes religieufes. Mais cet article n'a point d'apphcation i 1'efpèce. II parle des prêtres & des perfonnes religieufes , fans rien dire des évêques & des cardinaux. Or M. de Coligni étoit archevêque de Touloufe , il étoit évêque de Beauvais , il étoit cardinal enfin ; il étoit univerfellement reconnu pour tel, il en faifoic toutes les fonöions, & en portoit 1'habit. Sa prétendue veuve ne peut donc pas invoquer une loi dont la faveur ne s'étend pas fur elle. Mais, dans le fait , le cardinal de Chatillon  Chatillonivoit-Ü contradté mariale & que les preuves rapporte-t-on de ce wéte^ndumanage ? On n'entrera poin ici dans Ie detad de celJes qui font requifes pour erabhr la vérité de cet acte;! fuffitdemettrefousiesyeuxdelaiuf: nee celle dont Ia prétendue veuve appme fa qualué, pour prouver qu'elle na jamais.ece niariée. .'Elle ne rapporte qu'une lettre, qui luiaeteecntepar Pierre Melkt lt niftrede la rekgion réformée. Voicice que contient cette lettre i Melkt lui marqué qu'il a recu beauccup de biens de Pf^Po«*,& quilJrefioitX me Uude tous ceux & avoieL aJjL j ™jfire Odet de Coligni. Un tel téffloignage0, un tel certificat "Ion veut, peut-il founfira la une preuve fuffifante , pour afTeoi un manage, fur-tout n'étant fouteTdC ChïifJ°nc vrai 5ue Ie cardi»^ * rait, il n en a mnrr,fli c Cm™)?1'1) °^WtIap0fo5£nd -lt£ & k tóSitiErii^ de ce prétendu manage, & par conféquew TVw»* ^77//. 1 consequent  ZM Cardinal marié. la validité du prétendu contrat du premier décembre^^^atonqmen rélulteroit au pcofat de la dame dc Loré . feroit toujours prelcrite. Que réclame-t-elle? des meubles & "TlfSé lacoutumedeParisna point établi de prefcriprion particuhere au fmet des aéYions mobihaires mais fon filence eft fuffifamment fupplee par £ droit romain, qui fixe la pre tap, eoutume , tous nerita0cs prefcrivent par une pofleflion de dix Lnées avec titre , bonne-foi, & lans "ouble Or,U feroit ridicule d'exrger «raulu long efpace de tems pour la ^faiptionL meubles, cuorum^Us Vli rolfeffio , pour la prefcription " En appUquant ces principes a la caufe eft évident que la prefcriprion h repouffe 1'afticn de madame * r^r1/ eft invincible. Ui4i,i»»».«'i,,s7i,8t'*n  Cardinal marié. 267 ce tems , elle a gardé le filence jufqu'au 30 feptembre 1 581 : ce qui forme un laps de tems de plus de neuf ans. II y a donc eu d'abord une prefcription dé trois années, qui a même été plus que doublée. Elle ne peut pas oppofer, contre cette prefcription , un exploit qu'elle a fait donner le 12 mai i6oz. D'un coté, la prefcription de trois ans, étoit doublement acquife dés 15 81 3 a plus forte raifon I ctoit-elle en 1602 ? D'un autre cóté , tout le monde fcait que , quand on a lailfé palier trois ans fans fuivre une aétion intentée elle eft prefcrite , 1'on ne peut plus faire ufage de 1'exploit qui l'a introduiten c'eft ce qu'on appelle péremption d'inftance. Or, c'eft le cas oü fe trouve 1'aétion que pourfuit aujourd'hui madame de Loré. Elle avoit gardé le filence depuis 15 8 1, jufq u'en 1602 : fon aétion étoit donc périmée , & beaucoup au-dela. _ Ainfi la prefcription & la péremption d'inftance fe réunilfent pour écarter les prétentions de la foi - difante veuve du cardinal de Chatillon. M. l'Avocat général Servin prit Mij  2 68 Cardinal marié. alors la parole , Sc die que la folution des diflicultés qui fe préfentoient dé-, pendoit d'une queftion d'état qu'il falloit d'abord éclaircir; paree que c'eft de fa décilion que dépend celle de fcavoir fi la demande de la foi-difante veuve doit être admife , ou fi elle doit être rejettée. Ifabelle de Hauteville prétend être veuve d'Odet de Coligni; Sc en cette qualité, elle demande l'exécution des conventions ftipulées entre elle Sc fon prétendu mari, par le contrat du premier décembre 15 64 , pafté en préfence , Sc du confentement des frères mêmes de celui avec lequel elle contradtoit. Elleajoute qu'elle along-tems ignorc la teneur de ces conventions, paree que l'acle pafte fous fignature-privée étoit entre les mains de perfonnes puiffantes qui le recéloient, Sc de qui elle n'auroit pu avoir raifon , attendu leur crédit, auquel il étoit impoftible de ré-, fifter. Cette ignorance 1'a induite aformer des demandes beaucoup inférieures k fes véritables droits. Elle a cru devoir adopter les claufes que Ia coutume de Pari§ foumitaceux qui n'ont point faig  Cardinal marié, %6y rde contrat de mariage } tandis qu'elle en avoit un qui lui donnoit des droits bien fupérieurs a ceux que cette coutume lui auroit déférés, fi elle avoit été réduite a fe foumettre aux feules regies fixées par Ie droit municipaL Mais ce9 demandes étant le fruit d'une erreur , qu'on ne peut lui imputer , puifqu'elle ne provient que du fait d'autrui 3 elle prétend qu'elles doivent être regardées comme non - avenues , & qu'on doic la confidérer comme n'ayant formé que celles que fon contrat de mariage 1'autorife a former, D'un autre cóté, la dame de Chatillon prétend qu'Ifabelle de Hauteville eft non-recevable , tant paree que fon action eft prefcrite, que paree qu'elle % laifie acquérir la péremption d'inftance! contr'elle. Quant au fond, elle foutient qu'il n'a pu exifter de mariage entre le cardinal de Chatillon &c la demoifelle de Hauteville. II faut convenir que Odetde Coligni fut promu au cardinalat par le pape Clément VII , fous le titre de cardinaldiacre. Paul III, fuccefleur de Clément, lui donna un indult , daté du 8 novembre 1534, qui prouve que ce cafr; M lij  irjo Cardinal marié. dinal avoit aflifté a fon éleétion , & qui lui permet de retourner en France , comme pouvanty être plus utile au flège apofiollque , qu'il n'eüt été en demeurant nu conjïfloire de Rome. Cet indult eft rapporti en bonne forme , 8c Fon y voit qu'Odet de Coligni y eft qualirié cardinal-diacre. II eft notoire que , depuis ce tems 3 il a été promu a l'évêché de Beauvais , qu'il en a eu les provifions , 8c qu'eu conféquence , il a eu féance au parlement , en qualité de pair , qualité qui ne pouvoit dériver que de celle d'évêque, comte de Beauvais. On fgait que, dans les grandes maifons , quand il y a plufieurs enfants , on en confacre ordinairement un a 1'églife , 8c on le déterminé , quand il eft pourvu de bénéfices , a abdiquer fa porrion héréditaire en faveur de fes frères , qui font deftinés a. perpétuer la familie 8c a en foutenir 1'éclat. Odet de Coligni s'eft conformé a cet ufage ; 8c , par acFe de i $ 44 , paffe entre lui 8c fes frères, Gafpard 8c Francais , il a fait, a leur profit , ceffion 8c abandon , tant des fuccelfions a venir de fes père 8z mère , que de celle de Pierre de Coligni } fon frère ainé.  Cardinal marié. ijl II y a plus: le 17 mai 15 5 9 , le cardinal remic, & donna a fes frères, les biens meubles , Sc autres effets compris en la donation qui lui avoit été faite par Louife de Montmorenci 3 fa mère , en 15 44. Tous ces faits fourniftenr, au moins, une préfomption bien forte qu'Odet de Coligni s'étoit voué itrévocablement a. 1'état eccléfiaftique.,. & qu'il avoit pris le parti de ne tirer fa fubfiftance , Sc le revenu néceffaire pour foutenir fon rang , que du produit des bénéfices dont il étoit revêru. jMais ce n'eft pas tout : outre qu'il eft prouvé parl'indult du pape PaulIII, qu'Odet de Coligni avoit été fait cardinal de 1'églife romaine, avec le titre de diacre ; il eft de nototiété publique que ce cardinal, connu fous le nom de cardinal de Chatillon, a occupé un rang, Sc a pris féance entre les évêques Sc les pairs de France , comme évêque & comte de Beauvais. Ce fait, d'ailleuts 3 eft conftaté par les regiftres du parlement. s II eft donc certain que , s'il n'a pas été facré , il a pafte , dans 1'opinion générale , pour 1 avoir été ; Sc quand on parle ici de 1'opinion générale , Miv  ^72> Cardinal marié. ce n'eft pas feulement de celle da peuple , mais de celle du parleme, t «neme, qui ne lui eüc pas permis de prendre place dans cette compagnie , «n qualité de pair eccléfiaftique. Cet e dignité eft excluhVement & cflentiellement réfervée aux évêques. Mais quand , par indulgence , ou pour d'autres confidérations particulières , on auroit fouftert qu'il eut joui de cet honnearj dans l'efpétancs'qu'il acquerroit, dans peu , Ie caraétère qui en fait Ia bafe, auroit-il pu le conferver aufti long-rems, & aufti tranquillement qu'il l'a confervé , s'il n'eüt été prêtre , ous'il neut fait acte de prêtre ? En effet, ou il Pa été réellement, ou il s'eft fait palier pour tel. S'il s'eft dit prêtre, ou s'il a feint de Pêtte , il en faut juger comme d'un certain grec dont parle Nkolas I , écrivant aux Bulgares_, chap. 14 de fon épitre. Ce grec avoit fuppofé qu'il étoit prêtre: on 1'avoit cru ; &, fur cette croyance, il avoit exercé toutes les fonétions du facerdoce. Les Bulgares avoient décidé que tous les aétes qu'il avoit faits comme tel, étoient nuls, Sc 1'avoient même condamné aperdre le nez Sc leg  Cardinal marié. oreïlles. Le pape , au contraire , jugea qu'il falloit regarder tous ces aétes comme aufïi bons Sc aufïi efficaces que, fi celui de qui ils étoient émanés , eüt cu le caraófère requis pour les exercer. M. Servin établit ici, pour régie, que, quand un laïque a eu le fecret de fe faire paffer pour prêtre , ou pour évêque , s'il a fait quelques aéles attachés au facerdoce ou a 1'épifcopat, il a cerrainement commis un faux j mais ce faux le regarde perfonnellement Sc ne doit pas fe communiquer aux acles émanés de lui. On doit, au contraire,, fuppofer qu'il étoit ce qu'il paroilfoic être y Sc cette fiótion eft néceffaire , pour prévenir le fcandale , Sc ne pas effrayer les confciences de ceux qui ont été les témoins , ou les objets de ces acfes, qui lJont vu porter Phabit de cardinal, prendre féance comme évêque & pair , dans un lieu ou cette féance ne s'accorde jamais qua des évêques facrés. Or fi 1'on doit réputer légitimês les aétes qu'il a faits comme prêtre , Sc leur donner le même effet , que s'il 1'eüt véritablement été, on doit pareillement admettre la fiöion qu n 1'a été M v  274 ( Cardinal marié. quand il a fiégé , Sc quand il a jugé dans un tribunal, ou il ne pouvoit être admis qu'autant qu'il étoit , ou quÜl étoit réputé être évêque , & , a plus forte raifon , prêtre. Toute fiétion légale , comme celle-ci. doit imiter la réalité ; c'eft une des maximes fondamentales de notre droit. Par conféquent Odetde Coligni étant réputé prêtre , & tout ce qu'il a fait en cette qualité étant réputé valable , on doit aulü le regarder comme incapable de tous aétes interdits a ceux qui font revêtus du facerdoce Sc de 1 epifcopat : il doit même être cenfé avoir été perfuadé,. lui-même , de cette incapacité ; paree que , tant qu'il a été réputé prêtre , Sc. tant qu'il s'eft donné pour tel, tant qu'il en fait les fonctions , & tant qu'il en a recu les revenus; en un mot, tant que les ridèles ont été induits , par fa propre conduite , a lui accorder une place éminente dans le clergé , on ne peut pas croire qu'il voulüt fe rendre coupable d'un fchifme , ni même d'un fcandale , encohabitant avec une femme feus.introduite , pour entreorendre enfuite de la faire appelier fa femme ou fon époufé, contre la doctrine qu'il avoit toujours pratiquée , Sc que fes  Cardinal marié. 275 confrères , prêtres Sc évêques comme lui, n'ont jamais ceffé de maintenir Sc de pratiquer. Ainfi , en febornanta déclarerqu'il n'y a point eu de mariage avec la con-. cubine , c'eft la tournure la plus favo-i rable que 1'on puiffe donner a une affaire de cette nature , vu le fcandale qu'a caufé la conduite d'un pair de France, d'un évêque , d'un cardinal enfin. Ce n'eft pas que 1'on put juri-; diquement lui faire fon procés , pour raifon de fon changement de religion ; les édits de pacification , qui étoienc alors en vigueur j impofoient filence fur cet objet. Mais il n'en eft pas moins vrai qu'il avoit été promu è la dignité de cardinal , qu'il avoit recu , ou étoit réputé avoir recu 1'ordre de la prêtrife , Sc que c'eft en cette qualité qu'il percevoit les revenus immenfes attachés aux bénéfices dont il avoit été pourvu. II exercoit les fonéFions de ces ordres; au moins il jouiftbit des profits Sc des honneurs extérieurs qui y étoient attachés. 11 regardoit donc alors 1'ordre de la prêtrife comme un facrement 'y ou il faut le regarder lui-même comme coupable de la plus noire hypocrifie, M vj  2j6 Cardinal mari!, Sc comme un brigand, qui polTédois des biens & percevoit des revenus qu'il fcavoir bien ne pas lui apparcenir. On ne pourroic alors lui imputer ce crime , fans le mettre au rang de ces importeurs Sc de ces fauftaires qui , fe difanr prêtres , & feignant une qualité qu'ils n'ont point, s'ingèrenc de célébi er Sc de confacrer , fans avoir eu 1'impolirion des mains Sc 1'ordinarion , comme J. O, fes apótres, & les pères qui cornpofoient le concile de INicée l'ont ordonné. C'eit donc la moindre punition qu'oi? puiftè lui infliger, fi c'en eft une, que de juger qu'il n'a pas eu la liberté de fe marier, & de lui épargner celles queméritent les impofteurs & les fauftaires. dont on vient de parler. Or, on ne peut trop le répéter , il eft certain que le cardinal de Chatillon s'eft dit prêtre, Sc que le parlement ai préfumé qu'il avoit tecu la confécration épifcopale ; autrement il ne luL auroit certainemeut pas accordé une place entre les pairs , place exclufivementréfervée a un fujet véritablement revêtu de 1'épifcopat. Le cardinal de Chatillon a fait plus j il étoit tellem ent perfuadé lui-même quil avoit toutes  Cardinal marié, 2yf lés qualités requifes pour ocruper fa place, & s'y maintenir , qu'il a foutenu hautementuneconteftation, pouc Ia prérogative de fa pairie, Mais , fuppofons qu'il ne füt que diacre, & qu'il n'a pas afpiré a être regardé comme élevé a un ordre fupérieur ; il n'en eft pas moins vrai qu'il ne pouvoit fe marier , & qu'il en étoit empêché pat les décrets ecciéfiaftiques; qui étoient. en vigueur dans 1'églife y. dont il étoit membre, au tems oü il a été fait cardinal , diacre & évêque quand il a été décoré du titre de pair.,, & a pris féance parmi les pairs. Or , il y a ici deux faits qu'on ne doit pas perdre de vue ; 1'un eft qu'ii ctoit diacre , puifque ce n'eft qu'en cette qualité qu'il étoit cardinal j 1'autre qu'il étoit évêque , puifque ce n'eft que comme tel que le parlementl'avoit admis au rang des pairs ; 6c qu'ainfi il auroit été fait évêque, fans avoir été or— donné prêtre. Mais il eft conftant que , dés le temsde Grégoire de Tours , qui vivoit dansIe fixième fïècle , fi on pouvoit élever a Pépifcopat , ou au facerdoce , ure fiomme marié ; il ceffbir, dés Ie mo-r ment, d'être regardé comme mariév  *7§ Cardinal maric. II fait cette obfervation a 1'occafion de 1'hiftoire de faint Urbice , évêque de Clermont en Auvergne } qu'il raconte , liy. i , chap.. j9. Le premier évêque d'Auvergné ; dit-il, après Stremonius , füt Urbice , qui étoit fénateur. Sa femme & lui fe convertirent a la religion chrétienne. Suivant la coutume obfervéedans l'églifey la femme quirta la compagnie de fon mari, quand il fut prêtre , & vécut dans la piété. Quce juxtd. confuetudinem ecclefiajlicam , remota d confortio fa~ cerdotis, religiofê vivebat. Ils n'étoient occupés , 1'un & 1'autre , que de la prière , des charités &c des bonnes ceuvres. Pendant qu'ils étoient ainfi livrés a la piété , 1'ennemi du genre humain, qui ne ceftede fairela guerreauxfaints, s'adrefta a la femme, lui infpiraledefir de Ia compagnie de fon mari, Pouffée par fa paflion , elle va, la nuk , a la maifon épifcopale ; elle frappe a la porte , en difant : « prêtre , jufqu'a »quelle heure dormirez-vous donc ? Juf» qu a quand votre porte fera-t-elle » fermée ? Pourquoi méprifez - vous *» votre époufé? Pourquoi fermez-vous » I'oreille au précgpte de faint Paul ï  Cardinal marie. l j$ w Revenez 1'un a 1'autre, dit-il, crainte » que Satan ne vous tente. Je reviens » a vous; ce n'eft pas a un étranger; » c'eft mon bien queSje demande >>. Ces difcours , & plufieurs autres, qui durèrentaflez longtems, relachèrentl'auftère vertu du faint prêtre. II admet fa femme dans fon lit , & , après avoir fatisfait la paffion qui 1'avoit engagée a. faire cette démarche, il la renvoya. Pvevenu a lui-même , & pénétré de douleur pour la faute qu'il venoit de commettre, pour en faire pénitence , il fe retira dans un monaftère de fon diocèfe , Sc ne revint dans la ville épifcopale qu'après avoir lavé fon pêché dans les larmes , accompagnces de gémiftements» Cet oubli de fes devoirs donna naiffance a une fille , qui paffa fa vie dans. 1'état religieux (i). (i) Apud Arvenos, poft Sfremomum epiftspum przdicatoremque , primus epifcopus Urbicus fuk , ex fenatoribus converfus , uxarem halens ,quce , juxta confijetudinem ecclefwfticam, remota a confortio facerdotis, religiofè vivebat. Vacabant ambo orationi, eleemofynis> atque optribus bonis. Ciirnque htec agerent , 'tivor'mimici, qui femper eft cumulus fanSlitativ eommovetur in fceminam , quam in concupifcendam viri fuccendens , novam Evam fecit. Navt. faccenfa muiieralibidineppena peccati tenebris  2§0 Cardinal marié. On peut objeéter, il eft vrai , qtser le célibac des ecciéfiaftiques eft de droit pofitif, Sc qu. cet ufage eft , par conféquent, fujec a variation. On pent même fonder cette objection fur des faits. Gelafe de Cyfïque , qui nous a confervé les aétes du concile de Nicée , rapporte que quelques membres de cette affemblée propofèrent un canon,, porrant défenfe a tous ecciéfiaftiques évêques , prêtres , diacres ou fous-diacres d'habiter avec leurs femmes. Mai* Paphnucius s'éleva contre cette propofi- pergit ad domum eccleficz per tenelras noltis. Ciunque obfcrata omnia repe-Jfet, pulfare fores ccclefce domus capit, ac voces hujufmodi dare ; qrioufque , facerdos , dormïs ? Quoufque oftia cLuifa non referas ? Cur conjugem fpernis ? Cur , obduratis auribus, Pauli pracepta non audis i Scripfu enim : revcrtimini ad alte~ rutrum , ne tentet vos Satanas. Ecce ego ad tefevertor, nee ad exrraneum, fed ad proprium vas recurro. Hac &his fimilia dik cla* mand , tandem facerdotis tepefcit religio. Jubet eam cubiculointromitti , ufufque concubitu ejus ± dijcedere jubet. Dehinc tardiüs ad fe reverfus, St de perperrato fcelere condolens , aSlums poenitemiam , dicecefs fua. monafterium expetit. Ibï que cum genitu ac Lachrymis qua commiferat ^ diluens, adwbem proprtam eft reverfus. . . Natit eff, ex hoe conceptajilia, qiuz in relitione per* manjïtr  Cardinal marié. 28* tion 5 Sc ce n'étoit pas 1'intérêt perfonnel qui lui infpiroit fon oppofition ; il n'étoit point marié , & , dés fon enfance , il avok pafte toute fa vie dans un monaftère. II repréfenta qu'un mari qui s'abftenoit de toute autre femme , que de la lienne , obfervoit une continence bien louable , Sc qu'au refte , on ne devoit point féparer ceux que Dieu avoit joints. Cette léflexion fit rejetter le canon propofé. Mais on a mis en queftion fi le difcours de Paphnucïus regarde les évêques Sc les prêtres mariés , tantavant, qu'après Pordination. Le plus grand nombre des fcavanspenfe qu'il n'aentendu parler que de ceux qui étoient engagés dans le mariage , avant leur ordination ; Sc , en effet, les expreffions de Gelafe de Cyjïque femblent conduire a cette opinion; Sc voici une obfervation qui autorife cette facon de penfer. Peu de tems après le concile de Micée, il s'en tint un provincial a Arles. Ceux qui compofèrent ce derniec avoient encore la rnémoire toute récente de ce qui s'étoit pafte a Nicée, Sc connoiffoient 1'efpiit qui avcit animé les pères de ce concile général. Ils firent  2 8 2, Cardinal marié. un canon concu en ces termes : ajfuml alia uem ad faceidotium in vinculo conjugii conjlitutum , niji fuent pramijja converfio , non oportet. Comment doit - on prendre ces expreiïions ? Doit-on les êntendre fuivant le fens des pères, qui deférèrent a 1'avis de Paphnucius , en abandonnant au libre arbitre des prêtres de s'abftenir de leurs femmes , ou d'en ufer ; ou en leur impofant la nécefficé d'une tigoureufe abftinence , eam ha~ leas, quafi uxorèm non habeas ? Salvien , qui vivoit environ un fiècle après le concile de Nicée , & qui avoit toujours obfervé la continence , quoique marié , fe réctioit cependant contre ceux qui défendoient de faire ufage du mariage. Dum licita non faciunt, difoit-il, illicita committunt. 11 ajoute enfuite : vos qui opus honefli matrimonü reliquifiis , a. fcelere abjlinete. Peccata interdixit Deus , non matrimortia. Non efl ita converfio , fed averfio. Cette dernière phrafe explique affez clairement ce qu'on doit entendre par le mot converfio , employé dans le canon du concile d'Arles, qui fut tenu du vivant même de Salvien. Eu effet , les pères du concile de  Cardinal marié. 283 Nicée ont bien inter dit a tous les membres du clergé d'avoir, avec eux , une femme etrangère , ou fousintroduite. Mais il y a bien de la difterence entre une femme mariée &c une femme fousintroduite. L'une eft de la maifon tk eft légitime , 1'autre eft étrangère & illégitime. Ainfi, quand le concile de Nicée a parlé des femmes introduites , il a eu pour objet de défendre aux clercs la fornication Sc 1'adultère, mais non pas le mariage. Les empereurs Honorius tk Théodofe, dans une loi, publiée fous leur nom en 14Z0 , ont adopté cette difcipline. On voit, par cette loi, que les ecciéfiaftiques prenoient , avec eux, des femmes étrangères, qu'ils appelloient leurs fceurs (1). Pour arrêter un ufage aulfi (1) Les Païens qui , fans fe marier, vivoient avec des concubines, qu'ils entretenoient dans leurs maifons , pour couvrir la honte de leur libertinage , les faifoient pafier pour leurs fceurs: Mais ce déguifement ne fut pas long-tems fans être appercu par la fatyre, qui s'en fit une fource d'épigrammes. Fratrcm te vocat, & foror vocatur: Cur vos nomina nequitiora tangunt ?, Mart. Lib. 1, Epigr. 4. 'Quare non habeat , Fabulle, qu&rh  2.84 Cardinal mariè. fcandaleux , ces princes ont défendu a tout clerc d'avoir chez lui aucune fem-; Uxorem Themifon ? Habet forores. ld. Lib. 12 , Epigr. 20. Ce déguifement fut adopté par ceux des membres du clergéqui, voulant conferver i honneur du célibat, ne vouloient cependant pas ie loumettre a une continence rigoureule. Les larans amoureux qu'ils pouvoient fe permettre exigeoient des précautions genances , & les meuires les mieux concertees pouvoient échouer contre des accidents imprévus. On imagina de cacher , lpus les dehors de la piété même , les déiordres auxquels on vouloic s'abandonner lans contrainte. On vit alors des filles & des veuves qui , lous pretexte de fe vouerau célibat, renonCoient pubhquement au mariage , pour faire profeffion publique de chafteté. Se croyant, par ce vosu folemnel, k 1'abri de tout foupjon, e'les alloient demeurerchez des ecciéfiaftiques , qui les appelloient agapètes ; c'efta-dire, hnn-aimées; ce qui, dans leur in» tention , ne devoit s'entendre que de 1'attachement qui lie ceux que la piété & la charité raffemblent. Les diaconeffes , qui faifoient profeffion de chafteté, & auxquelles leur état en faifoit même un devoir ftride, fe mirent auffi dans 1'ulage de prendre avec elles des agapètes ou des bien aimès. Pour donner a ces unions une apparence de tout défintéreflement charnel, les clercs nurenca donner aleurs agapètes lenom de  Cardinal metriê. 28me, autre que fa mère, fa fceur ou fa fille} paree que la loi naturelle ne per- fceurs , tk les diaconeües appellèrent les leurs frères. Ces affociations ne pouvoient manquer de devenir lcandaleufes, & elles le devinrent en effet. Agapetas ampliüs quterunt , difoit faint Jéróme, quant Chriftum. Les chofes furent enfin pouflees au point,' que 1'on n'entendit, dans 1'églife, qu'un cri contre cet abus, de la part des pères , des eonciles & des iégiflateurs. « Qui eft-ce qui » a introduit parmiles ecciéfiaftiques, secrie " faint Jéróme, dans fon épitre a Euftochius , w de cuftodidvirginali; qui eft-ce qui a intro» duit parmi les ecciéfiaftiques, la pefte des » agapètesï D'oü eft venu ce nouveau nom , » donné a des époufes avec qui 1'on n'eft pas v marié ; ou plutöt d'oü eft venue cette nou» veile efpèce de concubine ? Mais pourquoi wménager les termes? D'oü viennent ces » proftituées , qui ne font cependant attaJ> chees qua un homme a la fois , oui demeu» rent avec lui dans la même maifon, dans la w même chambre, & couchent fouvent dans » le même lit ? On nous reproche d'être » foupconneux , paree que nous témoignons » de 1 inquiétude fur ces fortes d'affociations. * Un fi ere méprife fa fceur , paree qu'elle » s'eft vouée au célibat; une fceur quitte fon « fi ere pour la même raifon ; mais elle re» cherche un frère étranger. Et, fous pré» texte de fe concerter, pour procurer aux « autres une confolation fpirituelle , ils fe ■» procurent a eux-mêmes une conionétion » charnelle v. Mais il faut yoir le texte. Undb  5,86 Cardinal marié., met pas de foupgonner aucun com- merce criminel avec des perfonnes qui in eccclefiaftieis agapetarum pejlis introih ? Undè ,fine nuptïis, aliud.nomen uxonim? Irnè undè novum concubïnanim genus ? Plus inferam. Undè meretrices unïvim f Eddem domo , uno cublculo , fapè uno tenentur & le&ule. Et fufpitiofos nos vacant, fialiquid excimemus. Frater ferorem virginem deferit ; ccelibem fpernït vlrgo germanum , fratrem quarit extraneum ; & cum in eodem propofito effe fc fimulent , quarunt aliorum fpirituale folatium , ut domi habeant carnale commercium. Les empereurs tonnèrent contre cet abus comme on le voit par la loi qui a donné oc- I cafion a cette note , 6c dont le texe eftrapporté dans la note fuivante. Juftinien , entr'autres, par fa novelle 133 l | chap. 2.9, défend a tout prêtre , diacre , j fous-diacre ou autre faifant partie du clergé, d'avoir, chez lui, aucune femme, fous quelque prétexte que ce foit, excepté fon époufé légitime, s'il elt marié , fa mère , fa fceur , fa rille , ou toute autre parente , en fi proche degré, qu'il ne puiffe y avoir de fcandale.. tLt li, apres avoir ete avern par 1 cvc4u& vu par le clergé de fon cglife , il ne renvoie pas j la perfonne qui caufe le fcandale , 1'évêque j doit le chaffer du clergé; & le livrer aux of- j ficiers municipaux de la ville. A 1'égard des évêques, il leur eft défendu d'avoir , dans leur maifon , aucune femme , quelle qu'elle j foit ; fous peine d'être dépouillé^ de la 1 dignité èpifcopale , étant indigne même du I facerdoce. Epifcopatu projiciatur , ipfi enimfe ojlendit indignum fiicerdotio.  Cardinal marié. 2%f nous tiennent par des Hens auffi facrés. II leur eft auffi permis , par la même loi , de garder, avec eux , les femmes qu'ils avoient époufées avant d'êrre entrés dans Ie clergé (i). A Fcgard des diaconefTes, il leur eft défendu, par le chapitre 30 de la même novelle, d avoir aucun homme dans leur maifon , fous quelque prétexte que ce foit; & celle qui, après avoir été avertie par le prêtre auquel elle eft fubordonnée , n'obtempérera pas fera privée de toute fon&ion de fon miniftère , & de tout émolument de fa place;elle fera renfermée , pour le refte de fes jours, dans un couvent; fes biens feront acquis a fes enfants , fi elle en a, a la charge de payer fa penfion ; ou, fi elle n'en a pas , ils feront confifqués , moitié au profit du couvent oü elle fera réclufe-, Si. 1'autre moitié au profit de 1'églife a laquelle elle étoit attachée- Ces règlemens firent enfin cefler 1'ufage fcandaleux de ces fortes de frères, de fceurs ëc d'agapètes. (1) Eam qui probabilem fizculo difciplinam 'agit, decolorari conjortio fororiaj appellationis non decet. Quicumque igitur, cujufcumque gra* dus facerdotio , ulciuntur , vel cUricatüs honore cenfentur, exf anearüm jibi mullerum interdicla confortia cognofcant . hic eis tantum facultate conceffa, ut matres ,filia.i, atque germanas intro, domorum fepta contineant. In hts enim nihil favi crimini* exiftimari fixdus natwaU permittu. lilas etiam non relinqui caftitans hortatur affeclio , qua, anü fa^rdotrnm marlterym ,le-  2.88 Cardinal marié. II réfulte, de tout ceci , d'aborcT, que 1'on recevoit , dans le clergé, indiftinébement, ceux qui étoient mariés, comme ceux qui ne 1'étoient pas. Nous voyons même que les légiflateurs s'occupoient du fort des femmes des prêtres. Par une loi de Théoiofe &c dz Valentinien, donnée en 43 4 , & qui fe trouve au code de Juflinien , L. io,i« epifcop. & clcric. &c dans le code Théodojïen, L.unic. de bon. cleric. & monach. ces princes ont mis les femmes des prêtres , des diacres & des fous-diacres, au nombre des héritiers de leurs maris , quand ils décéderoient fans avoir tefté. Elles font préférées aux églifes ou aux monaftères, auxquels ces biens paffoient, faute de teftament ou d'héritiers du fang. Leurs enfants étoient auffi , par préférence, appelles a leur fucceflion. Si quïs epifcopus aut presbiter , aut diaconus , aut diaconiffa , aut fubdiaconus , vel cujuslibet altcrius loei clericus aut monachus , aut muiier qua folitaria viu ded'ua efi, nullo condlto gitimum meruere conjugium. Ntque enim clericis incompetenter adjunfltz funt, qux dignos facerdodo viros fud converfatione ficerunt. L. 19 , cod. de epifcop. & cleric, teflamtnto  Cardinal marié. 2§p teftamento decejferit , nee ei parentes u'triujque fexüs , vel llberi, vel Jiqui agnationls , cognationifve jure junguntur , vel uxor extiterit, bona qua ad eum pertinuerint , facro - fancis, ecclefa , vei monafterio cui fuerat deflinatus , omnifariam focientur , &c. Les femmes & les enfants des ecciéfiaftiques font affranchis , par la loi ï o, cod. Theodof. de epJfc. ecclef & cleric. des impóts & autres charges dont ie clergé étoit exempt. Ce qui eft confirmé par la loi 14 du même titre. II eft donc évident que 1'ordre & le mariage ne font pas effcntiellement incomparibles , puifqu'on ne faifoit pas de difEculté d'ordonner ceux qui étoient mariés, & qu'on ne leur faifoir pas un crime d'habiter avec leurs femmes,; au contraire , les textes qui viennent d'être rapportés en contiennent l'autorifation expreffè. Voici encore une preuve que ces deux facrements n'étoient pas ihcom» patibles. Les perfonnes mariées^pouvoient être promues aux ordres ; mai» celles qui étoient dans les ordres pouvoient-elles fe marier ? Ecoutons Juf* tinien , dans fa novelle 6 , chap. »„ Après avoir défendu d'admettre a 1'état Tome XVIII. N  2Q0 Cardinal marié. eccléfiaftique ceux qui avoient époufé deux femmes, ou qui étoient aftuellernent mariés en fecondes noces > ou qui avoient époufé une veuve , ou une femme répudiée par fon mari ;il ajoute que, fi un prêtre , un diacre ou un fous diacre fe marie, ou prend une concubine , foit publiquement, foitfecrétement, il eft , a 1'inftant, déchu de fon ordre , & placé dans la clafte des fnnples particuliers. Si auttm aliquis pr&sbyter aut diaconus , aut fubdiaconus poftea ducat uxorem , aut concubinam, au: palam, aut occulte, faero flatim cadat ordine , & deïnceps idiotaftt. Le mot poftea (dans la fuite} doit-il donner a entendre que ceux qui fe marioientauparavant, quoique décorés de ces ordres , le pouvoient faire légitimement & impunémenr, ou la prolnbition eftelle uniquement relative a 1'avenir , fans aucun rapport au pafte ? Mai's , avant d'examiner cette queftion ] obfervons que 1'empereur Léon , dans fa foixante-dix-neuvième novelle, trouve fort mauvais que Juftinien ait réduit a 1'état laïque des perfonnes qui ctoient dans les ordres facrés. << Ce qui » a été une fois dédic au Seigneur, ditw il, ne peut plus ceffer de l'être. Sx  Cardinal marié. 2 91 » cette règle eft vraie par rapport aux «chofes données pour fon culte , elle » dok 1 'être, a plus forte raifon, pour » les hommes qui lui fontconfacrés par «les faints ordres qu'ils ont recus ; » quand même il arriveroit, ce qui n'eft »que trop ordinaire , que fe laiftant ** aller a quelque pêché, ils méritaffent » d'être dégradés d'un état, qu'ils n'a» voientembrafle que dans laréfolution » d'y vivre avec honnêteté. Nous fom» mes donc bien éloignés d'approuver » 1'opinion d'un ancien légiflateur, qui » a déclaré que tout prêtre , diacre ou » fous diacre qui fe mariera après fon »ordination,doitêtre totalement chaffé » du clergé , 6c remis au nombre des »laïques. Nous annullons cette loi, Sc » ordonnons que ceux qui tomberont « dans cette faute , foient dégradés de » 1'ordre qu'ils avoient recu avant leur » mariage ; & , fans qu'il foit befoin »> de les chafler du clergé , ils feront » affez punis , fi on les relègue dans un » ordre oü Pufage du mariage n'eft pas » défendu »(1). (1) Q/i« femel deo dedicata funt , ca deln~ ceps auferrï non oportere fanokum eft j idaue non _ foluin m donarih , VCrhm multb etiam magis in hommbus , qui per facrum crdlnem Nij  2,92 Cardinal marié. On peut j au refte, obferver que ces loix n'annullent pas les mariages contraébés par les clercs; on les déclare dégradés j mais on laiffe fubfifter leurs mariages; enforte qu'il femble que c'eft plutot le mariage qui porte atteintea 1'ordre, que 1'ordre n'en porte au rai« riage. Cette obfervation eft confirmée par la difcipline que les conciles mêmes ont établie. Le concile de Néocéfarée , tenu en 3 1 5 , cap. 1 , s'exprime ainfi: presbyter fi uxorem duxerit , ah ordinc fuo illum deponi debere. Qubdfifornica. tus fuerit , vel adulterium commiferit , extra, ecclejiam abjici, & ad pcenitendam ïnter laicos redigi oportct. Difl. 28 , cap. 9. divinte majtftati conftcrm funt , ebfervandum (ft; tametfi, ut multïfunt hominum Upfus , è (latu in quem , tanquam honeftè vi8:iri , allec~lt erunt, peccatum , dorninio in ipfos fufcepto , ex* turbet. Non approbantesigüur veteris legijlatoris propofttum, qui facerdotem , diaconum aut hypodiaconum , fi, poft ajfumptum ordinem mii. lien in matrimonïum junguntur, omninb a clericali habitu difcedere , atque ad profanam vitam reverti vult. lïlud decretum irritum jacimus; ac verb ftatuimus ut ab ordine quem anti nuptias obünuerint , folum recedentes , fatis pcenarum luere videantur , & nequdquam clericali habitu, alioqut ecclefm minifterio , cujus quidem ufui Ülicitus non eft , judicio priventur.  Cardinal marié. 293 Pour revenir a la novelle de Jufiinien^ | le mot antea. dont il s'eft; fervi annoneeI r- il qu'en défendant a ceux qui avoient 1 été promus aux ordres de fe marier , il 1 aboliffoit une pratique qui eut fubfifte jufqu'a Pépoque de fa loi ? Si 1'on confuke faint Paul , & fi l'o« S s'en tient au texte , il nous apprendra que « 1'efprit de Dieu dit expreftemenc » que, dans le tems a venir , quel» ques-ulis abandonneront la foi , ent » fuivant des efprits d'erreurs & des» « doctrines diaboliques , enfeignées 1 » par des impofteurs pleins d'liypo1 >r crifie , dont la confcience eft nokcie e » de crimes , qui interdiront le^ ma-, » riage , &c obligerontde s'abftenir des » viandes que Dieu a créées pour être » recues avec aétions degraces par ceux • » qui connoiffènt la vérité (i) ». Comment faint Paul auroit-il prof; crit le mariage des prêtres, lui qui, (1) Spiritus autem manifeflè dicit quia in no .: viffimis temporibus difcedent quidam a fide 3 at' tendentes fpiritibus etroris, & èoürinis damo1 niorum ; in hypocrifi loquentium mendacium , & cautcriatam habentes fuam confcienuam ; pro-:, - hibentium nubere , alflinere d cibis quos Deus 1: creavit ad percipiendum cum gratiarum attione 1 fidelibus & iis qui cognovsrunt veritatem. Ad Timot. 1 , cap. 4 , v. 1 &feq- N iij li  294 Cardinal marié. dans le chapicre précédent , dit que 1'évêque doit n'avoir été liéqu'avec une femme ; qu'il doit gouverner fagement fa maifon; & s'il a des enfants, les tenit dans la foumiflion & les élever dans la chafteté. Oportet epifcopum unius uxoris virum .... filios habentem fubdïtos , cum omni cajiitate. II donne le même précepte aux diacres. Diaconi fint unius uxoris *>iri ; quifiliis fuis bene pr&fint , & fuis domibus. Mais il ne faut pas croire que, par le paffage précédent, 1'apótre a voulti dire que c'étoit un crime de ne pas fe marier. II a condamné 1'opinion de certains hérétiques, qui prétendoient que le mariage étoit une chofe abominable; il a, au conttaire, enfeigné que c'étoit un rernede falutaire contre 1'ardeur du tempérament. Dïco non nuptis & vi~ duts , bonum eft i/lis ,fific permaneanf, ficut & ego. Qubd fi non Je continent, nubant: melihs eft enim nubere , quam ur:. Ad Cor. i , cap. 7 , v. 6 , 7. 11 réfulte donc uniquement de la dodrine de faint Paul, que 1'épifcopat, le facerdoce &c le diaconat ne font pas efTentiellement incompatibles , puifqu'il prefcrit des régies de conduite aux évêques avec leurs femmes & avec  Vardinal marié. 295 leurs enfants, fans néanmoinsleur enjoindre la continence. Mais il ne s'explique pas fur la queftion que j'examiue ici; fcavoir, ficeux qui étoient promus aux ordres pouvoient eontracter mariage après leur ordination. II ne feroit pas abfurde , mais il feroit peut-être téméraire de penfer qu'il ne Pa pas improuvé. 11 admet aux fonttions du faint miniftère ceux qui font mariés , fans diftinguer le tems oü ils ont contraóté leur mariage. Son filence profond , a cet égatd , ne pourroit-il pas induire a croire que 1'époque de la célébration du matiage étoit indifférente , foit qu'elle précédat , foit qu'elle fuivit 1'ordination? On peut même faire ici une féflexion , qui pourroit ne pas être in-; différente. Vous venons de voir que Papótre donne aux évêques &c aux diacres les mêmes régies de conduite avec leurs femmes & leurs enfants,fans expliquer dans quel tems ils ont pu prendre femme & avoir des enfants ; ainfi , point de précepte , a cet égard , ni pour les uns, ni pour les autres. Ils ont donc, fil'on veut.s'attacher a la lettre même de ce texte , une liberté indérinie a cet Niv  20.6* Cardinal marié. égard. Nous voyons , d'un autre coré, que le concile d'Ancyre, tenu en 315, permet aux diacres de fe marier, même après leur ordination , en prenant la ' précaution de déclarer quand ils la rec,oivent qu'ils ne peuvent pas fe vouer au célibat, & qu'ils entendent fe marier. Or faint Paul,qui avoit parlé le même langage aux évêques & aux diacres , Sc qui les avoit mis dans la même claftè , relativement au mariage, eut entendu qu'ils n'en pourroient plu's eontracter après leur ordination, lecon«ile eüt-il pris fur lui de permettre ce que 1'apórte auroir défendu ? 11 eft donc conftant que , jufqu'en 315, les diacres , au moins, avoient la liberté de fe marier. Quant aux prêtres , le monument fe plus pofitif qui fe rencontre dans 1'antiquité , eft le quatrième canon du concile de Gangre , dans 1'Afie mineure , tenu. dans le quatrième fiècle.'Il mérite quelqu'artention. II prononceer. 4, anathême contre ceux qui ctoient de- V»ir fe féparer d'un prêtre marié, Sc rie pouvoir prendre aucune part aux facrifices qu'il orfre. Le texte original de ce concile eft cerh en grec Voici comment Gratiën a  Cardinal marié. ,ic}j dij?, i8',can. 15, 1'a traduit en latin. Si quis dixerit preesbyterum conjugatum , tanqudm occafione nuptiarum , qucd offerre non debeat , & ab ejus obiatione ideb fe abfiinet , anathema fit, D'autres Font traduit ainfi : fi quis de presbytero , qui uxorem duxit , contendat non opportere, eo facra celebrante9 eblationi communicare, fit anathema. Voici la verfion la plus littérale. SI quisfecer nat fe d prees bytero qui uxorem, duxit, tanquetmnon oporteat, Mo liturgïam peragente f de obiatione perciperev anathema fit, Denys le Petit, qui vivoit vers commencement du fixième fiècle a auffi inféréce canon dans fa coliecHon, & 1'a traduit ainfi :- quicumque decernit a presbytero qui uxorem habuit, &c. Mais cette traduction n'eft pas conforme au texte , & 1'on va voir pourquoi Denys h Petit s'en eft écarté. Dès le tems de ce eompilateur, 1'églife d'Occidenr n'admetteit plus, dans le clérgé ,. aucune perfonne acruellernent mariée;, a plus forte raifon nefouffroit-elle pas que ceux qui avoient recules ordres fe mariaftentB Denys le Petit, qui étoit fort attaché a-l'églife de. Rome} (ilétoir abbé d'mv N-v.  2o8 Cardinal marié. monaftère de cetce ville ) & vouloit tout rapprocher de la difcipline de 1 'églife a laquelle il tenoit par des noeuds fi étroits, crut devoir , par fa traducVion, couper pied aux indu&ions qui pourxoient réfulter du texte du concile rendu litcéralement. En effet, les mots uxorem duxit, ne déhgnent aucun tems , Sc peuvent s'appliquer au mariage contraóté avant , comme a celui qui eft contraóté depuis 1'ordination. On eft même autorifé a croire que le fcrupule , condamné par le concile , ne regardoit que les prêtres qui s'étoient mariés après avoir été élevés au facerdoce , puifque faint Paul avoit autorifé les évêques mêmes i garder leurs femmes après leur promotion* a 1'épifcopat. En traduifant, au contraire, comme 'Denys le Petit , uxorem habuit , le canon ne peut plus être relatif qu 'a ceux qui étoient mariés avant leur ordination. Aufti cette traduétion a_ t-elle été adoptée par ceux qui ont craint que le véritable fens du canon n'aurorifat les hérétiquesa condamner la pratique, actuelle de 1'églife ; car aucun catholique ïnftrait ne peut s'empêcher de convenic que le célibat cjesprêtres ne tient point  Cardinal marié. tyc) a. la fql; 1'églife latine eft même fi éloignéé de regarder cesunions comme des aétes hérétiques , que nous admectons Jes prêtres Gercs dans nos temples a. la célébration des faints myftères, quoiqu'ils foient mariés, Sc qu'ils aient des enfants. Après cette diftertation deM. Servlny' a. laquelle je me fuis permis d'inférer quelques recherches Sc quelques réftexions , ce magiftrat ajoutoit que le mariage a été établi pour ceux qui ont befoin d'u»aide, Sc le célibat pour ceux qui ont la force, d'accomplir le vceu de chafteté & de...continence. Et ce vceu, quoiqu'il ne foit pas. expreffément émis, Sc qu'il ne réfults que du filence.que gardent les ordinants , lorfque 1'évêque , avant l'onétion Sc 1'impofition des mains , leur déclare que , par le fait de 1'ordination , ils fe vouent au célibat j ce vceu , dis-je , eft la feule raifon pour laquelle le prêtre, le diacre Sc le fous-diacre ne peuvent fe marier; car ces ordres ne rendeht pas celui qui y eft promu , incapable du mariage; il n'en eft empêché que par un vceu prcfumé , & par conftitution ou coutume eccléfiaftique. De la quelques auteurs ont tiré la Nvj  300 Cardinal marié. -cenféquence que les prêtres , diacres ou-fous-diacres , font, de droit divin y ■exclus du mariage , paree que le devoir d'accomplir des voeux faits a Dieu , eft de droit divin ; d'oii ils concluent encore que ceux qui quittent la religion catholique , pour embrafter 1'héréfie , :aie font pas -reievés de leur vceu, quoijqu'ils fe prétendent affranchis des loix de 1'églife ; 1 obligation contraétée pat un. vceu n'eft pas de droit pofitif & hu--, main; encore une fois, elle eft de droit, 'divin.. t II eft vrai , difoit M. Servitt , ques'il falloit approfondir davantage cette matière , on trouveroit que les papes, xnêmes n'ont pas été d'accord. Paf exemple , lés, Bulgares; avoient de-*-mandé a Uicolas I fi 1'on devoit rémobgner de la confidération, Sc fourqir. h: fuhiiftance.a un prêtre qui avoit une.femme.,.ou s'il falloit. le chaftèr , at^ tendu que.les. prêttes font obligés aia continence. II répondit que , « quoiqu'e a» ceprêrre fut fortrépréhenfrble , ce: s> pendantil faut imiternatre-Seignenrj V qubfaitluire fon folëil pour. les mé-» chanrs- ,eomme pour les bons. Vous ». ne devez donc. pas rejexter ce prêtre: »• de; vatte; compagnie. ,, ptv.fque XQ.  . Cardinal marié. 3 0 r » fié retrancha pas Judas du collége » apoftolique, quoiqu'il leconnütpour . » un traïtre &c pour un menteur. Au - 35 refte, ajoutoit ce pape , vous n'ètes n que des laïques , & il ne vous con- . « vient point d'examiner la conduite - » des prêtres & de la jüger j & vous » devez vous en rappotter: , en tout * : »>■ a la décifion des évêques , " ƒƒ, au rapport, de Platine, difoic que , fi on avoit eu de bonnes raifons pour défendre aux prêtres de fe mariera: il y en avoit encore de meilleures pour; le leur permettre (2).. Ulric , évéque d'Ausbourg , dans fune lettre au pzpe.Nico'qs I, donne.a entendre qaece fut Grègpire le Grand (l)Confulendum decérntHs utrhmprtzsbytet'ïtm ■ habenum uxorem■ debeatis fujlentare- & horio-> rare, an d vobis ptv/icere ? Ad quod refpon— demus : quomam.Ucèt ipfi'valdè. fintreprehenfibiles, vos. tdrtuvi Dcum cinvenit im'üari , qui fplem fdum orïri facirfuper bcnos £> malos; 'Di~ -jicere vera eum- a vobis ideb 'non debètü, qubmam mc Judam. Itvmiaus, cum effet "mendax drfcipulus r'de numero--apofloiaritm- cjecit. Verum. de prasbyteris rvobis qui laïci efiis , nee judi^candum efl ,.nec dLeorum vitd quidpi.-i inveftigandum rfed'epifc'oporumjudicio , quidquidejfy p-tr cmnia refervandum. Dift. vj ,.cap, 17; (2.) Magnd rationefublatefactrdoübusnupicgg3 major e re^it^end»,.  302 Cardinal marié. qui , le premier , défendit aux prêtres de fe marier ; mais que ce faint pape ayantapprisquefa défenfe donnoitlieu a Ia dcbauche des prêtres, Sc a fexpofition des enfants , il la révoqua. II fautavouer , en effet que , fi Ia fainreté duminiftere eccléfiaftique fem» ble exiger que ceux qui en font chargés vivent dans la continence , la loi que 1'églife a cru devoir faire i cet égard , Sc la déférence des princes remporels,' qui 1'ontappuyée de leur autorité, font la fource de bien des adultères, de bien des faciilèges , de bien des homicides anticipés, Sec. C'eft ce qui faifoit direa Cerfon , au concile de Conftance ,~ '*< qu'il étoit inutile Sc dangereux de 3* prononcer des fentences générales » d'excommunication contre les prêtres » fornicateurs , paree qu'il faudroit les »> excommunier prefque tous. D'ail* « leurs , ajoutoit il , puifqu'on tolère » ces concubines, eft-il furprenant que » les prêtres foient concubinaires , Sc » ne vaut-il pas mieux qu'ils aillent » chez des courtifanes de profeffion , « que de débaucher les femmes Sc les » filles de leurs paroiffiens» ? Ces dérèglemens fcandaleux onc donné matière a bien des réflexions ,  Cardinal marié. 303 'ét beaucoup cl'auteurs ont eflayé de prouver que les inconvénlens fcandaleux qui réfultent du célibat des clercs, font plus préjudiciables aux mceurs $C a la fainteté du miniftère eccléfiaftique , qu'il n'eft honoré par la pureté dont on voudroit qu'il füt accompagné ; & plus on fait de cette pureté un devoia rigoureux, dont rien ne peut légitimer 1'infraction , plus les crimes qui fe commettent en ce genre font remarqués par le public , plus le fcandale qu'ils occafionnent eft général , plus les pré-; cautions que 1'on prend pour en dérober la connoiftance font criminelles Sc funeftes. Voici le remède que propofenr ces. 'auteurs pour arrêter les maux qui dérivent du célibat eccléfiaftique. II eft de fói dans 1'églife catbolique J difent ils , que Ie mariage eft un facrement j Sc que ce facrement, ainfi que tous les autres , confère la grace. Pourquoi fermer un de ces canaux de la grace aux diacres, aux fous-diacres Sc aux prêres ? Pourquoi tous les enfants de 1'églife ne participent- ils pas a tous fes dons ? Pourquoi les fept facrements, inftitués pour leur fan&ification , ne font-üs pas communs a. tous les fidéle*?  304 Cardinal marié. C'eft d'après ces principes & cescon> fidérations, que Charles /Xchargea fes envoyés au concile de Trente , de demander entr'autres que le mariage fut permis aux ecciéfiaftiques , comme il 1'étoit dans la primkive eglife ; & ces demaudes avoient été arrêtées dans le confeil de ce prince par 1'avis de la reine , fa mère , des princes de fon fang , de plufieurs prélats , parmi lefquels il y en avoit de eardinaux , le cardinal de Bourbon & celui de Lorraine,, le chancelier de Lhêf'it.il 7 &c. Pour revenir a 1'efpèce de la caufe r ee n'eft poinr d'apTes ce qui s'eft pafte dans les fiècles précédens, que 1'on dok juger la démarche du cardinal de Cha~ tillon ; c'eft d'après 1'opinion , dans laquelle on doit préfumer qu'il a vécu tant qu'il a fait profeffion de 1'état eccléfiaftique. Or cette opinion préfumée étoit conforme a la difcipline de 1'églife catholique , qui imerdit- abfolument le mariage aux fous-diacres , aux diacres, aux prêtres & aux évêques. Le cardinal.deChatillonhoit-'il engagédans quelqu'un de Ges ordres ? C'eft un fait qu'il n'eft pas néceffaire d'approfondir ici; il étoit en pofleffion de cet état >; ü en ayok toutes les prérogatives, tous>  Cardinal marié. 305 les honneurs , & en percevoit tous les revenus. _ ( , D'ailleurs , tout annonce qu'il etoit réellement engagé dans les ordres. il eft de règle qu'un cardinal , lorfqu'il eft promu a cette dignité, doit fe faire ordonner , dans un certain tems marqué , s'il n'eft difpenfé parle pape , qui accorde cette grace pour un tems plus ■ ou moins long , fuivant la caufe qui .1'occafionne. Or on ne voit point que Jz cardinal de Chatillon ait obtenu une pareille difpenfe, quoiqu'il ait exercé toutes les fonéflons attachées au cardinalat. II a voté dans le conclave oü le pape Paul III fut élu ; il s'eft trouvé plufieurs fois au confiftoire. Or le pape & le facré collége auroient-ils fouftetc qu'il remplit ces fon&ions fous leurs yeux , s'il n'eüt rempli Pobligation oü il étoit de fe faire adminiftrer les ordres facrés ? II eft bien vrai que 1'on a vu plufieurs cardinaux conferver long - tems • cette dignité fans avoir recu aucun des ordres facrés : car le cardinalat n'eft - pas un ordre , il n'eft point d'inftitution ■ divine , c'eft une dignité établie dans . 1'églife pour le régime & pour la police. Mais ceux qui 1'ont ainu confervée 2  306 Cardinal marié. fans fe faire ordonner , étoient fpécia- lemenr difpenfés a cet effer. II y a donc tont lieu de préfumer que le cardinal de Chaiillon étoit dans les ordres facrés. Mais on n'eft pas réduit a la préfomption : il y a preuve par écrit qu'il étoit au moins diacre ; Sc cette preuve eft adminiftrée par le témoignage du pape lui-même , Sc par le titre fous lequel il étoit cardinal. Ce titre étoit une diaconie , qui ne pouvoit être poflédée que par un diacre. II eft donccertain qu'il étoit in facris,' quand il s'eft permis d'habiter publiquement avec la Demoifelle de Loré, Sc de la qualifier fa femme. II eft encore certain qu'il n'avoit pas eu de difpenfe a cet effet; Sc étoit-il dans Ie cas d'en obtenir ? II eft quelquefois arrivé, fans doute,' que , pour conferver une maifon illuft-re , prête a s'éteindre par le défaut de males , les papes ont permis aux religieux même de fortir de leur monaf-. tére. L'Hiftoire nous en fournit un exemple célèbre dans la perfonne de CaJimir I , roi de Pologne. II étoit fils de Micislas II, mort en 1034, qui laiffa  Cardinal marié. 307 Cafimir fon feul héritier. Riskhe , fa veuve , fe chargea de la régence de fon fils. Elle étoit Allemande , fille de Rheinfroi, palatin du Rhin , Sc nièce de Pempereur Othon III. Elle donna toutes les places du gouvernement aux officiers de fanation. LesPolonois, irrités de ce qu'on leur préféroir des étrangers , fe révoltèrent. La reine fe réfugia en Saxe , oü elle emporta tous les tréfors du royaume. Elle fit paffer fecrètement fon fils en France , fous le nom de Charles. 11 fit fes études a Paris, Sc fe fit moine , de 1'ordre de Cluni , dans le monaftère de faint-Benigne a Dijon , Sc y prit 1'ordre du diaconar. Sept ans après, les Polonois, défolés de 1'anarchie dans laquelle ils vivoient depuis la mort de Micislas, décousr vrirent la rettaite de Cajïmir. Ils le follicitèrent de venir prendre la cou« ronne de fes pères ; mais les vceux quï le lioient a 1'état monaftique qu'il avoit embraffé , Sc le diaconat qui lui avoit été conféré, s'oppofoient aux defirs de fes fujets. Ils s'adrefsèrent au pape Benott IX^ qui, moyennant un tribut , appellé le denier de faint Pierre , permit a Caftmir de paffer , du cloïtre, fur le tróne de  3°8 Cardinal marié. Pologne, & de fe marier. II époufa Maue, SWeÜUandomir, duc de Ruffie. II gouverna les Polonois pendant dixhuit ans, a leurfatisfaöion. II eur plufieurs enfants , & eut pour fucceffeur Boleslas-le-Hardi , fon fils ainé. Lorfquil fe montroit en public , il portoit j r r la manière des diacres , pardellus fes habits ; le pape , en lui accordant fa difpenfe, lui en avoit fait une loi. Remtre II, troifième fils de Sancho, roi d'Aragon, fut offert, en 1094, par ion père , a 1'abbaye de faint-Pons de Tomières , dans le voifinage du comté de Touloufe. II fit profeffion , & fut promu au facerdoce. II ya des écrivains qui prétendent qu'il futïfucceffivement abbé de Sahagun & évêque de Burgos, de Pampelune & de Balbaftro. Quoi qu'il en foit, fes frères étant morts en 113 4 , & fon père n'ayant pas laiifé de poftérité , les Aragonois élurent Remire pour fuccéder a fon père , après quarante ans de profeffion religieufe. Quand il eut été couronne , les grands du royaume 1'obligèrent de fe marier. U époufa Agnls , fceur de Guillaume , comte de Potiers , & de Raymend , comte d'Antioche. Il en eut Pétromlle,  Cardinal marié. 309 qui règna vingc cinq ans fur les Aragonois. Mais ces exemples font forr rares; Sc d'ailleurs ne peuvent pas être rirés a conféquence pour le cardinal de Chatillon. Sa maifon eft afturémenc une des plus illuftres du royaume; mais quand elle auroir été menacée de fa fin, fa confervation, toute utile qu'elle peut être, n'eft pas d'une nécelfité fi preftanre , qu'il faille , pour 1'obtenir, violer toutes les loix de la difciplinede 1'églife. Elles cedent, fans doute , a la néceffité de fauver 1'érat, & de le préferver de 1'anarchie & des guerres civiles: mais elles ne doivent pas être facrifiées a la confervation d'une maifon, dont 1'état peut j a la rigueur, fe paffer. II y a plus, la maifon de Coligni n'ér. toit pas menacée de fa ruine ; le cardinal avoit deux frères &c beaucoup de neveux. Pour foutenir la validité d'une alliance auffi irrégulière , oü toutes les loix canoniques ont été violées, la prétendue veuve oppofe que les articles du mariage qu'elle réclame ont été arrêtés en préfence des frères du cardinal. Peu importe la manière dont le pré-;  3 i O Cardinal marié. tendu contrat de mariage a été rédigé; c'eft du mariage même qu'il s'agit. Quand le cardinal n'auroitpas été dans les circonftances oü il fe trou voit; quand 1'état dont il étoit revêtu n'auroit pas été un obftacle a. fon mariage } la clandeftinité qui a accompagné la prétendue célébration fuffiroit pout la rendre nulle. Mais , dir on , Odet de Coligni avoit abandonné la religion catholique,pour profelfer la prétend ue réformée. Or , ceux qui profeffènt celle ci n'obfervent pas les céiémonies auxquelles les catholiques font foumis. Que le cardinal de Chatillon fe foit cru , par fon apoftafïe , aftranchi des cérémonies de 1'églife ; qu'il ait cru pouvoir , ou même devoir fe pafter de la bénédiéfion nuptiale adminiftrée par un prêtre ; au moins falloir il obierver quelque cérémonie publique , qui donnat de 1'authenticité a ce mariage- Mais , loin que celui dont il s'agit ait été accompagné d'aucune folemnité, il y a , au contraire , dans les articles arrêtés fous fignature-privée, en 15 64, une claufe qui porte expreffément que, «xie pouvant les parties, pour certaines  Cardinal marié. 311 i »> caufes, de préfent paffer le traité &C | » accord en forme plus folemnelle, I » ont avifé cependant de rédiger ces fi » articles , fignés de leur feing , &C | » foelies de leurs fceaux, pour faire foi I j> a la poftérité defdites conventions ». Et il eft encore ftipulé que « quand, U » par la morr de 1'un , adviendra la I » diftolution du mariage, il fera tenu » avoir été légitimement fait ». Or, dira-t on , que le mariage , pour n'avoir pas été célébré avec les folemnités tequifes par les loix du royaume, ne foit pas jugé légitime, fi 1'on veut j au moins le contrat civil doit être reregardé comme valable , &c produire fes effets. Mais un contrat de mariage ne peut produire d'effets qu'au tant qu'il y a un mariage réel & effeébif. Jufques la , ce n'eft qu'un projet qui peut être réfilié a volonté. Or , il n'y a poinr de mariage , tant qu'il n'en aété queftion qu'en préfence de perfonnes laïques , &c que le miniftère eccléfiaftique n'y eft pas intervenu. D'ailleurs , on ne rapporre aucune ]j preuve fufEfante du prétendu mariage I que 1'on veut faire valoir ici. Tous nos rois , a commencer par Charlernagnc ,  312 Cardinal marié. ont exigé la preuve de la publicité de la cérémonie du mariage \ Sc tous les francois font fujets a ces loix , quelque religion qu'ils profelfenr. Mais voyons , dans le fait , com-* ment ce prétendu mariage a été contraóté , Sc quelles font les véritables circonftances qui Pont accompagné. Le cardinal de Chatillon appartenoit a une maifon , dans laquelle il y avoit beaucoup de protefiants: les miniftres de Ia leligion prétendueréforméeregardoient comme un coup de partie de s'affocier un prélat qui tenoit un rang auffi diftingué dans 1'églife catholique. Ils réuflïrent a 1'attircr dans leur croyance; mais ils ne crurent pas que l'honnêteté publique leur permït de Padmettre dans leurs affemblées , tant qu'il ne donneroitpas,au moins, les apparences de légitimité au commerce qu'il entretenoit avec la demoifelle de Hauteville, quam non tam habebat, quam habebutur ab illd. Pour concilier ces deux chofes , il prit le parti de couvrir du voile apparent d'un mariage quelconque la cohabitation qu'il vouloit continuer avec cette perfonne. Mais on ne rapporte aucun acte public qui prouve que ce prétendu  "Cardinal marié. 313 I prétendu manage ait été folemnifé , même fuivant les formes pratiquées I par ceux de Ia communion dans laI quelle la demoifelle de Hauteville avoit été élevée , & dans laquelle le cardii nal s'étoit laiffé entraïner. Le feul écrit que 1'on préfente a Ia 1 juftice , eft cette miffive dont on a | parlé plufieurs fois , par laquelle le miniftre , Pierre Melet, mande a Ia pret tendue veuve qu'il a recu beaucoup de ! biens de fon cher epcux & d'elle ,8c par apoftille , il ajoute , quil ne refte | plus que lui ( Melet) de\tous ceux qui * avoient ajjïfté a la confirmation du mariage de mejjire Odet de Coligni & i d'elle. 6 Mais cet écrit peut-il être regardé :| comme jutidique ? Peut-il mériter Ia I foi de Ia juftice ? Celui de qui il émane ,1 evoue qu'il a de grandes obligations ar i| celle a qui il écrit; il n'a point été afjj %né pour dépofer; il n'a poim dépofé r| fous la foi du ferment, 8c 1'on ne •| pourroit plus lui faire remplir cette forsl-malité; on ne pourroit plus avoir} en I lui, une foi entière , fon écrir gêneroit ikoujours la dépofition qu'il pourroit ïfaire. C'eft donc avec jufte raifon que ma/ Tornt XVIII. ' Q I ï '  3 14 Cardinal marié. dame de Chatillon , comme tutrice de fes enfants , foutient que le mariage dont la demoifelle de Hauteville fe prévaut , eft un acre clandeftin , fait fans aucune des folemnités requifes pour les mariages , tk qu'il eft, par conféquent nul; car ce font les folemnités extérieures qui forment le mariage , 8c non pas la conjonótion charnelle ; tk toute union pour laquelle elles n'ont pas été employees , ne peut être regardée que comme une fornication. II eft vrai qu'avant 1'Ordonnance de Blois, quelques auteurs doutoient fi un matiage clandeftin devoit être regardé comme nul , ou s'il devoit être maintenu. 11 n'étoit pas légitime , difoientils ; mais il étoit ratum , attendu 1'engagement que lesparties avoient fecrètement 8c mutuellement contra&é. ^ Mais Claude d'Efpence ,cé\hhxe théolowien , au chapitre i 3 de fon traité de°s mariages clandeftins, cite pluGeurs fcavants théologiens qui ont appuyé le fèntiinent de Francois Commeau qui , en fon commentaire de Nuptiis , dit que « les mariages non publiquemenr, \> mais clandeftinement traités tk con» fommés par copulation charnelle , ne » doivent être appelles mariages , 8c  Cardinal marié. 315 n ne fe pourroit dire d'iceux : ce que » Dieu a conjoint, que 1'homme ne le » fepare point». II eft vrai que certains auteurs ont prétendu que le pape Evarifte , qui "vivoitau commencement du fecond iiècle de 1'églife , eft le premier qui ait prononcé la nullité des mariages fecrets. Mais 1°. tous les critiques les plus liabiles prétendent & prouvent que les lettres attribuées a ce pontife font fuppofées. 20. Celle dans laquelle on prétend trouver cette prohibition, eft rapportée par Gratiën , cauf. 3 o, quejl. 5, cap. 1. 11 eft important d'en rapporter le texte. Aliter legidrnum non fit conjuglum, nijï ab his qui fuper fceminam dominationem habere videntur, & a quibus cuftoditur , uxorpetatur , & aparentibus & propinquioribus fponfetur , & legibus docetur ; &fuo temporefacerdotaliter , utmos ejl\ cumprecibus , & oblationibus d facerdott benedkatur, & d paranymvhis , ut confuetudo docet, cujlodita , & fociata , k proximis congruo tempore petita legi'bus detur, acfolemniter accipiatury & bidub,' vel triduo orationibus vacent , & caflL tatem cujiodiant. ha peraca legitlma O ij  316 Cardinal marié. fcitote ejje connubia; aliter verb pret' fumpta non conjugia , fed adulteria , vel contubernia , vel ftupra , aut fornicaliones potius quatn Iegitima connubia, ejj'e , non dubitate. Or Graden a Juge a propos de tronqtier cerce prétendue lettre d'Evarifle, dans laquelle , après ces mots : aliter legitimum non fit coa/ugium, on lit ceuxci : ficut a patribus accepimus , & è fanclis apofiolis , eorumque fuccejforihus tradaurn invenimus, Ainfi , quand Evarijie feroit véritablement auteur de cette prétendue lettre , il ne feroit pas auteur de la règle dont il parle , puifqu'il ne fait , fuivant fes propres expreffions , que prefcrire l'exécution d'une loi qui avoit été établie , dit-il lui-même, par les aporres, Sc tranfmife par leurs fucceffeurs, Ce reglement apoftolique a été expretfément adppté par les Ordonnances de nos rois , par lesconftitutions de 1'églife catholique, Sc fpécialement de 1'églife Gallicane , Sc par plufieurs Arrêts , qui ont déclaré nuls les mariages clandeftinement contraétés. On pourroit peut-être objeéter qu'avant les règlemenrs , arrêtés par les pères, alfemblés aTrente, le mariage,  Cardinal marié. 317 ctuoique clandeftinement contraóté , étoit réputé , inforo confcienticc , ctre cependant la matière du facrement. Or les hommes ïïe peuvent apporter aucun changement ni a, la forme , ni a la matière d'un facrement; paree que c'eft J. C. lui-mème qui a établi ces deux chofes. C'eft donc une rtovation dans une chofe qui, par fa nature y eft immuable, que de déclarer nuls des mariages qui étoient , il n'y a pas longtems , regardés comme légitimês ; c'eft accufer 1'églife d'avoir erré , ou > au moins , varié; ce qui eft impoflible, d'après les promeftès qui lui ont été faites par le Sauveur du monde. Cette objeótion fuppofe que les pères , aftemblés a Trente s ont fait un règlement nouveau , en condamnant les mariages clandeftins. Mais ils n'ont fait que renouveller Tanden droit établi par 1'églife univerfelle; enforte que ce n'eft point un droit nouveau qu'ils ont formé ; c'eft Fancien qu'ils ont rappellé & mis en vigueur 7 car il eft certain , encore une fois , que les mariages clandeftins ont toujours été prohibés dans 1'églife catholique, & qu'elle a toujours prononcé diverfes peines contre ceux qui les contraótoient; èc lï Oüj  yiB Cardinal mar ie. on les a appelles rata matrimonia , c etoit feulement quoad.vinculum animorum, pour dire que les efprits étoient liés Sc obligés. Mais ces mariages n'ont jamais été admis comme légitimês au for extérieur , Sc comme capables de produire des effets civils, foit pour le douaire que la femme prend fur les biens du mari, foit pour les fruits de Ia dot qui , en j certaines occafions, appartiennent aak *nari , foit pour la communauté des; biens , Sec. Au furplus , voici une conlidération '\ qui, ïelon M. Servin, étoit d un grand poids dans la caufe ; c'eft que le pape-: avoit, le 26janvier 1564- ratifié les j décifions qui avoient été arrêtées a"j Trente. Or cette ratification étoit ahfl térieure au prétendu traité de mariage dont il s'agit ici, qui eft du mois de dé- j cembre fuivant; Sc il n'eft pas poffible de préfumer qu'elle füt inconnue au| cardinal de Chatillon, qui jouoit alors* un fi grand rèle dans 1'églife Sc dans1 1'état. Enfin la feule qualité que la demoi-* felle de Hauteville s'attribue , Sc fous laquelle feule elle fonde fes préten-j tions, eft revoltante , &-fufEroir pour*  Cardinal mariè. 3f<) la faire rejetterfans autre examen. Qut peut entendre fans fcandale une femme fe préfenter en une audience publique,; pour y réclamer des droits , en qualité de veuve d'un cardinal, évêque & pair> Peut on imaginer que la cobabitation d'un tel perfonnage avec une femme foit autre chofe qu'un concubinage ? Après avoir établi que la demoifelle de Hauteville n'avoit point la qualité de veuve du catdinal de Chatillon , M. Servin examina quel devoit être le fort des lettres de refcifion qu'elle avoit ob* tenues contre le traité de t^ii Par ces premières lettres , qui font de 1581, elle ne fe difok pas veuve d'un cardinal , mais fa donataire. Mais elle eft reftée , pendant long-tems , dans 1'inaótion , & a donné lieu de croke qu'elle s'eft jugée elle-i même au tribunal de fa confcience, Sc qu'elle a regardé fa demande comme mal-fondée. En forte qu'elle a laifte périr cette inftance 5 & cette péremption mérite beaucoup d'attention dans cette caufe. Outre que la demoifelle de Hautel ville a donné lieu de croke , par urt filence de neuf années , qu'elle étoit fatisfaite de 1'aóte qu'elle a attaqué de-;' Oiv  $20 Cardinal marié. puis, on peut ajouter que cette traniaftion lui accordoit plus qu'une femme de fa forte ne pouvoit efpérer; & que, fi elle eüt confervé le profit qu'elle avoit riré de fa cohabitation avec le cardinal, elle eüt pu vivre fort honorablement. Cependant elle fe plaint, & dit que cette tranfaftion eft le fruit de la violence. Mais on répond a cette imputation ; «ndifant que 1'amiral de Coligni, frère du cardinal, n'a jamais, été foupconné d'avarice ; & fes ennemis n'ont jamais, mis ce vice au nombre des reproches qu'il lui ont faits. En effet, s'il eüt été attaché k fes intéréts pécuniaires, il n'auroit pas foufctit un tel acte. Quand il feroit vrai, d'ailleurs , qu'il «utufc de violence , quand il feroit vrai qu'il eüt retenu Pafte qui contient les articles du contrat du prétendu ma-, liage, elle a attendu trop tard pour s'en plaindre. Mais quels font donc les faits. de violence dont elle fe plaint? Eli» n'en articule aucun , & ne dit point comment 1'écrit dont elle réclame l'exécution a pafte dans les mains de 1'amiral & eft revenu dans les fiennes» L'explication & la preuve de ces détails (om cependant nécefTaires dans les ac-  Cardinal marié. 32r Itl'ons intentées pour raifon du doL 11 n'eft pas poffible de croire qu'elle ke fait jamais défaifie de ce papier , a ijmoins qu'elle ne 1'ait confié a Titon ou a Sacê } qu'elle a accufés de 1'avoir en-, jlevée , & d'avoir pillé fes biens. Mais on ne dit point que , ni 1'amiral de il Coligni , ni la dame de Chatillon , nï fes enfants , qu'elle défend comme tutrice , aient eu aucune liaifon , aucune intelligence avec les Titon ; & la différence des qualités , qui met tant de diftance entre ces perfonnes, ne permet pas de préfumer qu'il y ait euA entr'eux, aucune fréquentation, Mais , dit-elle , j'ai étéarrêtée dan3 mes pourfuitss , par la craintedu crédit de 1'amiral de Coligni. Cette excufe n'eft pas admiflible dans un royaume tel que la France, oü la voie , pour obtenir juftice, eft toujours ouverte , fous 1'autorité du roi , foit aux tribunaux ordinaires , foit au •parlement , foit au confeil. Et cette ,voie étoit ouverte , même du tems de i'amiral , qui n'auroit pas voulu fe perli roettre d'opprïmer la demoifelle de '< Hauteville ; il auroit eraitit qite les : plaintes qu'elle en auroit pu porter meuffentaltérél'eftime du prince & de O v  322. €ardinal mariê. la cour , qu'il étoit fi jaloux de conferver , 8c qu'il n'auroit pas voulu petdre par une aétion tyrannique 8c injufte. Cette objection tirée du crédit de 1'amiral, eft donc fans aucune force , foit que 1'on confidère ce qu'il étoit alors- , foit que 1'on confidère 1'état du royaume , 8c la condition des perfonnes qui avoient le pouvoir de juger Igs grands comme les petits. Au furplus, il eft notoire que , dans le tems desttoubles mêmes, dans les caufes oü 1'amiral a été pattie , on lui a toujours rendu juftice , fans acception de perfonnes ; il a gagné celles qui étoient bonnes, & a perdu celles qu'il devoit perdre. Si donc la prétendue veuve du cardinal fe füt préfentée en juftice , elle y eüt été accueillie 8c y eüt triomphé , li elle eüt été recevable 8c bien fondée. On étoit même en pleine paix en 157-, tems oü elle autoit pu protefter , 8c rnettre en caufe toutes fortes de perfonnes indifteremment ,8cinvoquerle droit public. Difons-le , le véritable motif de fon filence étoit la honte. Elle n'ofoit pas encore fe préfenter en public, comme la nuve d'un cardinal -} elle craignoit  Cardinal mariè. 3*3 que ce qu'elle auroit appellé fon mariage , neut été appellé , par le public , concubinage. Mais pendant les trente années qui fe font écoulées depuis fon accord avec 1'amiral de Coligni , elle s'eft familiarifée avec cette idéé , elle a cru qu'après ce laps ^ de tems , on ne feroit plus attention a la nature de fon union avec le cardinal. ^ Au furplus , parmi les pièces qui avoient été communiquées au mir.iftère public 5 il s'en trouvoit une qut fourniftbit contre elle un argument, fans replique. C'eft une déclaration. qu'elle fit , dans le procés qu'elle interna contre les Titon , que la valeur des meubles qui lui avoient été volés montoit a 50000 livres. Or ces meubles ne pouvoient venir que du cu> dinal; car on ne voit pas que fa naiffance & fa forrune 1'euffent mife è portée d'avoir , par elle-même , un mobilier aufti confidérable. II eft vrai qu'elle prétendoit que le procés qu'elle eut a foutenir contre les Titon avoit poifr objet, non-feulement les biens qui lui avoient été donnés par le comte de Beauvais , fon mari , mais ceux qui lui venoient d'ailleurs : qu'elle avoit été fpoliée d'une partie Ovj  5 2.4 Cardinal marie: confidérable de ce qui lui appartenoit J 6 que cette fpoliation étoit 1'objet des lettres de refcifion qu'elle avoit obtenues en 15 81 , trois ans après fon procés avec les Titon. Cette replique, qui n'eft appuyée fur aucune preuve , confifte en un fair auquel la vraifemblance ne permet pas. de donner croyance. Voici une objecfion dans laquelle notte prétendue veuve paroit avoir beaucoup de confiance. La dame de Chatillon, dit-elle , fa partie adverfe „ fait profeffion publique de la religion. proteftante. Elle ne peut donc pas invoquer, en fa faveur, les conftitutions ecciéfiaftiques, qui ne permettent pas; aux cardinaux. de fe marier. Ces conftitutions ne peuventêtre invoquées qua par ceux qui y font foumis par leur atrachement a la religion romaine. La réponfe a cette objection eft fimple & facile. La dame de Chatillon „ qui défend fes enfants , n'eft pas feule partie dans cette caufe;. le fieur d'An* delot eft joint avec elle , & le fieur d'Andelot eft catholique.. Dira-T-on qu'il eft fils de. Bun des frères du cardinal , & que ce frère étoit de la religion proteftante % lorfque  Cardinal marié. 31 ? les articles du prétendu mariage, qut font la matiète du procés , ont été arrêtés ? •& Cette objeéïion eft' fans fondement. La loi 20 , au code de hereticïs & manicheis , femble, il eft vrai , favorifer ce fyftême. Sa/i orthodoxi intro, facra fepta habentes ergajïeria , utuntur priyilegiis ; non item h a.comraéler  Religieufe mariêe. 54$ an fecond mariage. Je ne peux donc pas , continue ce père de léglife , me déterminer a. décider que ces unions ne font pas des mariages. Qudpropter non pejjum quidem dicere d propojlto meliors lapjus ,ft nupferint, fazmïnas adulteria ejfe , non conjugia..Cauf. 2.7 , queft. 1 ,, C. 41. L'expérience fit enfin connoitre que,, d'un coté , l'inconftance des religieux qui abdiquoient trop facilement leur état , de 1'autre, la légèreté avec la>quelle les fupérieurs chalfoient les fujets qui ne leut convenoient pas , quoiqu'attachés a 1'ordre depuis long tems y. occafionnoient beaucoup de troubles dans les families & dans la fociété en général. Cette confidération détermina Grégoire IX , qui vivoit vers le commencement du treizième fiècle , a~ donner la fameufe décrétale , par laquelle il en joint a tous les fupérieurs de monaftères de faire une recherche exacte de. tous les religieux fortis , de leur propre mouvement , ou qui ont. éré expulfés de leurs couvents , & de les y faire réinrégrer. S'ils continuent de mener une vie fcandaleufe, ce pape autorifé les fupérieurs a les tenir fé^queftrés dans le. même monaftère , ff;  3)0 Religieufe mariie. eelafe peut fans fcandale ; autrement il leur ordonne de les envoyer dans un autre monaftère du même ordre , pour y faire pénitence , 8c y être fournis de cout ce qui eft néceftaire a la vie (i). Cette décrérale éprouva beaucoup de contradiction?, beaucoup d'interprétations , de la part des fupérieurs réguliers, qui fe voyoient arracher , avec chagrin , la.faculté de fe défaire des fujets qui ne leur convenoient pas. Mais leurs eftorts furent vains; & , depuis cette époque, toutes les loix canoniques ont prononcé 1'irrévocabilité des vceux. Les loix civiles de tous les pays catholiques en ont adopté les difpolitions : en forte que , quand un religieux a prononcé légalement fes vceux, . _ (i) Abbates, feu priores , fugitivos fuos & ejeftofde ordine fuo requirant follicitiannuatim.Qui, fi in monafleriis fuis recipi pojfunt , fecundum ordinem regularem , abbates feu priores eorum,monitione pravid, per cenfuram ecclefiafticam compellantur ad receptionem ipforum , falvd ordinis difciplind. Quöd fi hoe regularis ordo non patilur , auRoritate nofird provideant ut apudeadem monafleria in loei f contpetentibus, Jï abfque gravi fcandalo fieri poterit ; alioquin in aliis rdigiofis domibus ejufdem ordinis, ad' agendum ibipemitentiam ; talièus vitce necejfaria± miniftrentur. Cap. 24, extra ,,de regul.  Religieufe mariee. q •«1 ïl eft irrévocablement lié a 1'ordre , 5c 1'ordre lui eft pareillement lié. On comprend facilement que cette difcipline une fois établie, celle qui. admit Pincomparibüité du mariage avec les vceux en religion, s'étabiit en même tems; elle en étoit une fuite néceftaire. II feroit fupernu de rapporter ici les■ canons & les loix qui ont rangé la profeffion religieufe légitimement émife ,. au nombre des empèchements du mariage. C'eft, d'ailleurs , un point de droic fi univerfellement recu , qu'il ne peut. jamais , dans les états catholiques 3. éprouver la plus légere difhculté, Cet engagement étant donc devenu; irrévocable , &c ayant formé un lien1 indiiïoluble entre le particulier qui le conrraétoir , & le corps qui 1'adoptoit s. on crut devoir prendre des précautions, , pour s'affurer , d'un cöré , qu'il y avoit liberté de la part du fujet qui fe foumettoit a un joüg dont il devoit refter chargé toute fa vie , & de 1'autre, que ce fujet con.venoit a la communauté qui: le recevoir, & n'étoit point d'un caraclère qui put troubler 1'ordre &■ lai paix de ia maifon..  3 51 Religieufe mariée.- On jetta d'abord les yeux fur lage ; Sc 1'on crut qu'il ne falloit pas fouffrir qu'un engagement de cette importance puc être contraóté avant le tems ou 1'on eft capable de connoïtre 1'importance de la démarche a laquelle on fe déterminoir. Saint Léon , qui vivoit dans le cinquième fiècle, règle que les filles ne pourroient prendre le voile facré, qu'après avoir perfévéré dans la virginité, jufqu'a lage de quarante ans. Ut monacha non acciperet velaminis capitis bene-diclionem nijiprobata fuerit in virgini-tate annis quadraginta.- Si 1'on en croit le recueil de Gratiën; la difcipline a beaucoup varié fur ce point. Mais la plupatt des palfages dont il a compofé la queftion première de la caufe zo, font apocryphes. Voici les plus remarquables. II en eft un tiré de faint Grégoire , hb. 3 , epifl. x , c^ui défend de confier la place d'abbefte è, une perfonne trop jeune ; & d'ad* mettre a la profeffion d'autres vierges , que celles qui ont vécu dans le célibat pendant foixante ans. Juvenculas fieri abbatiffas vehementiffime prohibemus* Nullam igitur fraternitas tua , nijïfexagenariam yirginem 3 cujus yita hot atqut-  Religieufe mariêe. 353 mores exegerint, velari permittas.Q. 1, C. 20 , cap. i 2. Le canon fuivant, que Granen dit avoir tiré du troifième concile de Carthage , reftreint cet age a. quarante ans. Sanciimoniales ante annum quadragejtmum non velentur. Mais ce pafiage ne fe trouve ni dans le troifième , ni dans aucun des concilesdeCarthage. En voïci un qui eft véritable ment tiré de ce concile. 11 reftreint lage auquelil eft permis de faire profeffion , a vingt- cinq ans. Placuit ut ante viginti quinque anncs atatis nee diaconi ordinentur , nee virgines confecrentur, Ibid. ean. 14. Enfin en voici un attribué a un pape Pie, & qui ne fe trouve point dans les décrets dece pontife. II fixe pareillement lage des vceux a vingt-cinq ans. Virgines nou velentur ante viginti qtii-uguc annos. Quoi qu'il en foit de la vérité de ces canons , voici quelque chofe de plus pofitif. On vient de voir que faint Léon avoit fixé a quarante ans 1'age ou les filles pouvoient prendre le voile. Cegtand pape, qulfcavoit que le concours de la volonté du prince eft néceffaire pour l'exécution des ftatuts ecciéfiaftiques qui., ont rapport a la dif-  3 54 Religieufe mariéë. cipline , engagea les empereurs Léon Sc Mjjorien a revêtir fon règlement du fceau de leur autorité , pat une loi folemnelle. Les mocifs éclairés & religieux , le ftyle élevé de cette loi , tout en eft remarquable. Ces princes font révoltés entr'autres de la barbarie de ces parents, qsi facrifient leurs filles , en les formant defe faire religieufes, a la haine injufte dont ils fe font laifle prévenir , & a la prédilection en faveur des autras enfants. En conféquence } ils veulent que 1'entrée du cloïtre foit abfolument fermée a toute fille qui nair a pas atteint fa quarantième année. Cette loi, que fa longueur ne me permet pas de copier ici, fe trouve a la fuite du code Théodofien , dans un recueil de novelles de plufieurs empereurs. Elle eft carmois d'oétobre 458. Le concile de SarragofTe , en 380, Sc celui d'Agde , en 506 , contiennent le même reglement. La fagefle & la juftice de ces loix eft précifément ce qui en a empcché l'exécution. Les monaftères feroient demeurés défe-rts , ou du moins ils n'auroient été habités que par des perfonnes qu'un choix libre Sc bien réfléchi T  Religieufe mariée. 355 Sc une vocation bien déterminée, par une piété folide, y auroient appelles. Saint Bajïle., qui vivoit dans le quatrième fiècle , jugeoit que 1'on pouvoit faire profeffion a lage oü la raifon eft parvenue a. fa maturité. Or cet ?.ge eft celui de feize a dix-fept ans. La vocation n'eft pas équivoque; fur tout quand le fujet a été éprouvé & bien examiné. Profeffion es ai eo tempore judicamus , quo Mas rationis complementurn habuerit. Non enim pueriles voces omninb in kis folas effe exiflimare oportet ; fed eam qtidt fuprd fexdecim , vel feptemdecim annos nata fuerit, rationifque compos 3' & diii examinata probataque perfeveraverit. Le concile in Trullo, tenu a Conftantinople en 692, règla que les vceux pouvoient fe faire a dix ans ; laiflant, au refte, alapruclence de 1'évêque d'abréger , ou de prolonger ce tems. La raifon pour laquelle les pères de ce concile ont cru devoir permettre les vceux a un age plus tendre , que faint Bafile ne 1'avoit fixé , eft qu'on ne peut fe prefler de couvrir de la bénédiéhoii ceux qui font fur le point de livrer des. combats pour Dieu. Nos (latiilmus benediclionem gratis, ei qui certamina 7fe-  3 5 6 Religieufe mariée. (undhm Deum , aggreffums eft , veluti quoddam fignaculum imprimentes , hint turn ad non dia cunclandurn & tergiverfandum inductntes , vel pottus etiam ad boni eleclïonem & confthutionem incitantes. Can. 40. Si on en croit faint Jmbroife, Iib. 1, de Virginibus , 1'age propre a faire des' vceux , eft 1'age ou la loi a décidé que ia puberté rendoit propre au mariage ; enforre qu'une fille peut prononcer des vceux a douze ans , & un garcon a quatorze. II paroit que 1'églife romaine adopta enfin ce point de difcipline ; Sc c'eft Ie droit commun des décrétales , comme on peut le voir par les chapitres 8 , 11 & iz. Extra. , de Regularibus : avec cette reftrittion néanmoins que , dans les ordres remarquables par leur aufterité, les vceux nermnvnipntïrr» noncés avant dix buit ans. Cap. 6, extra, eod Cette raifon détermina queloues fondateurs ou réformateuts d'ordres a fixer un agé, plus avancé que celui qui 1'avoit été par le droit commun. Par les anciens ftatuts des chartreux , il ne Teur eft permis d'admettre perfonne avant vingt ans. Putros ,J?ve adolefcen-  Religieufe mariée. 357 tes non recipimus , difentils , fed viros qui., juxtd praceptum domini per manum Moyfi , viginti ad minus annorum , ad bella facra pojjint procedere. Odon , légat du faint-fiège, en Angle.terre , en 1x38 , affembia tous les abbés de 1'ordre de faint Bcnou , qui étoient dans ce royaume , & leur propofa plufieurs ftatuts , dont le premier étoit de n'admettre perfonne a la profeffion , avant 1'age de vingt ans \ & un concile , tenu a Paris au commencement du treizième fiècle , fixa cet age a dix buit ans. Cette matière fut trop controverfée au concile de Trente. La congrégation, chargée de préparer les canons de la réforme, en avoit rédigé un qui défendoit d'admettre perfonne a. la profeffion avant 1'age de dix huitans. Mais tous les généraux d'ordre s'y oppofèrent , en difant qu'il n'étoit pas jufte d'empècher 1'entrée en religion a des perfonnes que leur age mettoit en état de connoitre les obligations attachées aux vceux: que", dans le tems que les connoiffances & la réflexion étoient moins précoces, 1'églife avoit fixé cet age a feize ans; & qu'il convenoit plutöt a préfent d'avancer ce tems, que de le reculer.  3 5 8 Religieufe mariée. Pallavicin , dans fon hiiftoire de ce concile , nous apprend que Barthelemi des Manyrs , archevêque de Prague, Sc Pierre Guerrero, archevêque de Grenade, fejoignirent aux généraux, donc ils Foutinrent la prétention avec chaleur. Le premier repréfenta qu'on ne voyoit guerede bons religieux, que ceux qui avoient embraffé cet état dans un age tendre , Sc avant d'avoir geüté les douceurs de 1'indépendance. Le fecond allégua une raifon aftez fingulicre. II eft décidé, dit il , que le mariage non confommé eft diffuus par le vceu folemnel en religion. Or, s'il prenoit envie a une fille qui s'eft mariée a douze ans, de fe faire religieufe avant la confommation de fon mariage, il faudroit donc que celui qui 1'auroit époufée attendit a fe marier , qu'elle eüt atteint 1'age de dix-huit ans. Cet inconvénient parut fi grand , qu'on fe détermina a ne rien changer a 1'ufage de faire profeffion a feize ans. Ainfi , pour évitet un inconvénient qui n'arrive prefque jamais , on autorifa unepratique qui ouvroit la porte a tant d'engagements téméraires , Sc qu'on a été obligé de réformer depuis.  Religieufe mariée. 3 5 9 L'article 19 de Tordonnance, dreflée 1 Orléans , en 1560, fur les remontrances des états-généraux, faifoit défenfe aux parents.& aux tuteurs de permettre a leurs enfants ou pupilles , de faire profeffion dans 1'état religieux avant vingt ans pour les filles, & vingtcinq ans pour les males. Ce tems fut abrégé par 1'ordonnance de Blois > qui ramena les chofes au taux fixé par le concile de Trente , a feize ans accomplis. Enfin l'édit du mois de mars 1768 a reculé cet age jufqu'a vingt un ans pour les hommes , & dix-huit pour les filles. Mais ce n'eft pas alfez que la vi&ime qui s'offre , 8c dont on va confommer le facrifice , ait atteint 1'age requis, pourl'accomplir; il fautqu'eüeapporce 1 1'autel oü fa liberté , fa volonté même vont être immolées , un corps capable de foutenir les auftérités auxquelles elle fe voue , tk une ame préparée a les endurer fans murmure tk fans regret. C'eft pour s'aflurer de ces difpofitions que, dés les premiers fiècles oü les ordres religieux fe font formés , Ton a fagement établi que la profeffion feroit précédée d'un tems d epreuves j  360 Religieufe mariée. & cette épreuve eft autant pour 1'afpirant, que pour Ia communauté , dans laquelle il veut s'engager.Son caraclère, fes mceurs ., fes inclinations, font-elles compatibles avec larègle? Son Tempérament en pourra t il foutenir les rigueurs ? Tels font les objets fur lefquels il eft néceftaire que le fujet qui fe préfente s'effaye lui-même , & foit effayé par ceux qui doivent 1'aggréger parmi eux. II paroïr , par les ouvrages de faint Bqfile , & par d'autres monumenrs des premiers (iècles de 1'églife , que la durée de ce tems étoit autrefois arbitraire. Dans les déferts de 1'Egypte , on le prolongeoit jufqu'a trois ans. Juftinien avoit adoptéce terme , dans fa novelle 5 , cap. 1. Accedentes , dit-il, ad vaam monafticamper triennium in vefle kïca maneant, divina addlfcentes eloquia^ & at reverendijftmi eorum abbates requlrant eos undè eis defiderium vita (ingularis accejferit, cv difcentes ab ets qu d nulla maligna occafio ad hoe eos adduxir3 habeant inter eos qui adhuc docentur & monentur, & experimento percipiant eorum tolerantiam & honejlaiem. Non enim facilis eft viu mutatio ; fed cum anima fit labore. Mais,  Religieufe mariée. 361 Mais , comme ce noviciat n'avoit d'autre objer , d'un cocé , que de !aire connoitre , par expérience au novice, ies details de la régie qu'il vouioitembraifer , & ies pratiques auxquclles il devoit fe foumettre; Sc de 1'aurte, d'inftruire les religieux des difpofirions, Sr de ce qu'ils devoient attendre1 du novice , on ne crut pas qu'il füt de 1'effence de la profeffion. Eu conféquence, 1'ufage univerfel adopta , peu-a peu , a cet égard, la règle de faint Bencru t qui n'a jamais exigé plus d'un an de pro■bation. C'eft ce qui fait dire par innocent III} que le noviciat d'un an a été ctabli , tant en faveur du novice , qu'en faveur du monaftère; d'oü il con« dut que, d'un confentement refpecfif, on peut y déroger, & que les vceux, dans ce cas , quoique prononrés avant 1'année de probation , n'en feront pas moins valides. Car, dit-il, il eft bien des chofes qui font défendue:,, m„is qui ne laiftènt pas de fubfifter quand elles font faites. Mais } ajouce-t-il, il ne faut pas, que les abbés admettent •touc le monde iudifteremmenta laprofefficn, avant 1'année du noviciat (1). (r) Lick tempus prakitwnis i fauHis patriTome XyiV, Q  362 Religieufe mariée. 11 étoit donc a la difcrétion des abbés d'abréger le tems du noviciat; Sc ils fe lailfoient fléchir, foit par prières , foit par d'autres confidérarions humaines j Sc de la une foule de maux, foit pour les communautés, foit pour les fujets qui étoient ainfi admis fans avoir été éprouvés. Les frères prêcheurs portèrent 1'abus jufqu'a n'exiger aucun noviciar. Les papes Innocent IVSc Boniface VIII s'élevèrent contre ce relachement : ces ijrèglements fe trouvent in-6°. de regul. Mais ils reftètent fans effet; ce qui hu fit indultum , non foltim infavorem converfi, fed etiam monafterii, ut & Me afperitales iftius,, & Mud mores illius valeat experiri tarnen , ante tempus probationis regulariter prtzfinitum , is qui converti defiderat , habhum recipit, & profejfionem emittit, abbattperfe, vel per alïum, profejfionem recipiaite monafticam , & monachalem habhum concedente uterque renunciare videtur ei quod pro fe nofcitur introduftum : idebque obligatur ,per profejfionem emiffam pariter & acceptam , ad obfervantiam regularem , & verè monachus eft cenfendus : quia multa fierï prohibentur, quce,fi fatiafuerint, obtinent firmitatem. Prohibendum eftautim abbatibus , ne paffim an:è tempus probationis quoslibetad profejfionem reci* piant; & fi, contra formam prafcriptam, quofiibet indtfcreie receperint, animadverfione funt debitd corrigendi, cum in fubfidium fragditatis humanct fpacium probationis fit regulariter inftituium. Cap. 16, extra, de regular.  Religieufe mariée. 363 détermina les pères,aftembiés a Trente a porter leur attention fur cette pauie de la difcipline. La congrégation , rhargée des règlemenrs de difcipline , avoit fixé le noviciat a deux ans : mais les réclamations des généranx d'ordre le firent reftreindre a une année , ik on déclara nulle toute profeffion qui feroit faite avant 1'année de probation entièrement expirée. ProJeJJio anteafaila Ju nulla, nullatnqueinducat obligjtionem ad alicujus regula , vel rekgionis , vel ordinis obfervationem , aut ad alios qucjcumque ejfeclus. Seff. 25 , cap. 1, de regular. Ce reglement a été univerfellement adopté; & il n'eft plus de profeffion valable, fi elle n'a. été prétédée d'un noviciat d'un an. Mais cette épreuve, qui eft peut-être trop courte pour s'afïurer des difpofitions du fujet , fur-tout dans un age auffi peu avancé que celui oü les profeffions étoient permifes avant 1768 & même celui oü elles le font aujourd'hui , doit réunir au moins deux conditions effentielles : la continuité du tems , & l'exaétitude aux exercices. Un noviciat interrompu , ou paft dans le relachement, ne remplit poiné  3 6*4 Religieufe manie* 1'objet de 1'inftitution de ce tems d'épreuve. La communauté ne peut être affurée des mceurs, de la foumiilion , de la capacité du candidat, fi elle ne le voit que par intervalles , Sc ne lui fait fentir qu'imparfaitement le poids du jong qu'il entreprend de porter. L'afpirarit ne peut connoïtre 1'étendue de fes forces, ni le fardeau des devoirs qu'il veut embrafter , s'il n'eft pas exact a s'acquitter de tous les exercices prefcrits, ou s'il les interrompt; s'il rnète le relachement du fiècle a la rigueur de la difcipline religieufe ; fi le noviciat enfin, au lieu d'être un fcrieux eifat de 1'état de pénitence > auquel il afpire , eft un tems de repos & de diffipation ; fi enfin il eft partagé entre Dieu & le monde. Aufii toutes les régies anciennes recommandent aux fupérieurs de refferrer plus que .jamais , pendant le tems du noviciat, les liens de la règlë ; de faire fentir toute fon auftérité ; afin qu'e-n ayant éprouvé toutes lés rigueurs , on foit dans lecas d'y mefurer fes forces , Sc de juger fi elles pourront y fuffire f &c de s'y fouftraire avant de s'y être roue; ou que 1'on n'y trouve plus rien de difiiciié ou d'eftrayant, lorfqu'il ne  Religieufe mariée. 36"f fera plus poffible de retourner en arrière. Enfin , la validité des vceux en religion n'a lieu qu'autant que celui qui les prononcé y eft dérerminé par un' choix libre, & dont rien n'ait contraint la détermination. Ce font ces conditions qui rendent légal le lien indifloluble qui attaché le reiisieux a fon-ordre , & le féqueftre pour jamais, de la fociété civile. , ,t Qu'il me foit permis de placer ici quelques réflexions , qui furent proporées a la grand'chambre du parlement de Paris, & confignées dans un mérhoire , imprimé &c publié , lors d'un arrêt , rendu ala fin de 1769 , qui annulla des vceux fur la réclamatiou de celui qui les avoit prononeés. « La vie religieufe , difoit on , con» fidérée en elle-même, mérite aftiiré» ment tous les éloges & toute la fa» veur poffible. II ne peut y avoir une meilleure méthode d'arriver a la per>> feftion & au bonheur , que de fuif » le tumulte du monde , fe réduire au » fimple néceffaire , fe débarraffer du « fuperflu , renoncer aux plaifirs des » fens qui peuvent dégrader la-raifon, » s'affbcier a des hommes vertueux qui Q»j  3 66" Religieu/è mariée. » tendent au même but, & qui foient >» en état de men::er le chemin. » Mais , s'il étoit petmis d'oppofer » la raifon aux préjugés , on prouveroit » aifément que , comme il ne faut pas » empêcher ni troubler ceux qui veit» lent profefter ce genre de vie , il ne » faut, non plus , apporter aucun em» pêchement aceux qui veulent le quit»ter. Quelque réfolution que nous »avons faited'y refter, il ne fauroit y *> avoir aucun motif raifonnable de » nous forcer a la perfévérance. » Si c'eft pour nousmêmes que nous » 1'avons embrafte , nous devons refter » maïtres d'en changer dès qu'il ceffe » de nous plaire. » Si c'eft pour Dieu, nous ceffons de » lui convenir , dès que nous fommes ». las de porter fo'n jong. Son fervice & » fa gloire nedemandent que deshom» mes de bonne volonté (i). (i) Si 1'on a laiffé étnblir 1'irrévocabilité des vceux , fi les loix civiles font adoptée ^ c'eft qu'on les a regardés comme un contrat formé entre Dieu & celui qui fe voue a lui ; & 1'on eft parti dti principe qui établit 1'irrévocabilité des contrats. Mais ils peuvent être anéantis par la volonté refpecYive des contradans. Celle du religieux qui réclame eft bien manifefte. Celle de Dien n'eft pas  Religieufe mariée. _ 367 » L'intérêt des families ne doit êtfe >y ici d'aucune confidération. II n'entre » pour rien dans la profeffion reli» gieufe. Ce n'eft ni avec elles } ni » pour 1'amour d'elles que 1'on con» traóte. Elles ri'ont donc rien a voir » dans ce contrat , & ne peuvent en » empêcher la réfiliation. » L'intérêt des fociétés religieufes » n'eft pas plus légitime ; il eft de » 1'effence de toute fociété, de pouvoir » fe réfoudre par le changement d'une » des deux volontés , quand 1'un des » affbciés n'emporte rien qui appar» tienne a 1'autre. Cette faculté eft en» core plus néceftaire aux fociétés im» portantes. II ne fcauroit y en avoir de » bien compofées & d'heureufes, qu'au» tant qu'il eft permis aux corps de re» trancher les membres vicieux ; & ré» ciproquement aux membres de fe re» tirer. C'eft 1'efprit de faint-Auguflin ; » 8c ce doit être celui de tous les corps » qui fuivent fa règle (i). » On he veut pas néanmoins atta- moins certaine,puifqu'il eft conftant qu'il rejette toute offrandequi ne vient pas du cceur & d'une volonté libre. (i)' Etiamfi ipfe non abceferit , devejlrdfociciate projiciatur. lieg. f. Aug. C. 6. Q iv  36*3 Religieufe mariée, » quer le fyftême afhiel des vceux mo3> naftiques, ni le defpotifme qui en» réfuke. Mais, puifquil? font deve» nus une affaire capkale , c'eft*bien la » moindrechofe que les conditions né55 ceffaires a leur validité , s'obferveni " en toute rigueur. »Etre riputé mort dans 1'opinion » des hommes , n'avoir plus de droit » fur la terre, n'avoir pas une action a j5foi, pas un moment dont on puiffe *» difpofer ; appartenir, fans efpérance 53 de manumiflion , a un être de raifon , » ï un corps , dunt la puiffance peut »j tomber en mauvaifes mains ; paffer »> fa vie avec des caractères , fouvent v mal affortis; fe laiffèr gouverner par 35 desgensqui, quelquefois , ne con» noiffent. ni I'objet, ni les hornes de » leur pouvoir -y avoir non-feulement » autour de foi des- murs oü 1'on eft >♦ grrdé; mais , a cöté de foi, des ca" chots qui ne font Jamais éclakés de *t la lumière publique : une telle exifj! tence fait frémir la nature qui nous » a faits libres , & ne fe concilie guère y> avec le chriftianifme , qui ne veut » point d'efclaves. f+ Les loix n'ont point entouré ce » précipice d'un affez grand nombre  Religieufe mariée. 369 >» de précautions. C'eft un eruel oubli » qu'elles permettent a des mineurs » de courir de fi grands hafards , & « qu'elles aienc laiflé , jufqu'a préfent, « irrévocables , a leur égard , des ens> gagements d'une fi médiocre impor» tance pour la religion , & d'une fi » grande importance pour le bonheur » de ceux qui ies contracte-nt. II a toii' »jours paru abfürde qu'on put dif» pofer de fa perfonne dans un age ou » elles ne permettent pas de difpofer »fans retour , d'un feul pouce des> terre , & qu'un enfant , qui ne peut' » pas vivre quelque tems avec fon père »>& famère, put s'engager ,-pour tou-, » jours, a vivre fous la loi d'un étranger. » La minorité eft comme le noviciat w de la vie humaine. II n'eft pas jufte » d'en abréger le tems , pour 1'affaire » du monde la plus férieufe. A cet age-, »> la raifon n'eft encore que dans fon » crépufcule j la volonté n'a point acs> quis fa force &-fa fermeté. On ne fe » connoit point foi - même ; on n'eft » point en état de connoitre le poids wde 1'engagement-a la vie religieufe 3* » d'en connoitre les devoirs, les défa» gréments , les peines , les périls Sc ies ecueüs. JN y eut-il donc que de ia1 Q.v  37° Religieufe mariée. » témeriré dans le facrifice qu'on a fait » de fa liberté , encore ne faudroir-il » pas être inexorable a la voix du re» pentir-, fur-tout après 1'expérience du, » malheur.. » Paree qu'un adolefcent fe fera mis, » de lui- même, dans un piège, ce n'eft s» pas une raifon de. 1'y lailfer : paree » qu'il fe fera chargé d'un fardeau trop » lourd , ce n'eft pas une raifon de le » lailfer accablé, Son age eft , au con» traire , une raifon de le prendre cn »pitié, & de lui tendre une main fe» courable. » Cette commifération eft d'autant' » plus jufte , que le défaut de précauw tions contre les furprifes tk les im* >»prefTions de violence auxqneües cet » age eft expofé par fon inexpérience Si » fa fragilité , a donné, dans cette ma■iy tière , ouverture aux plusgrands abuS. » Nous n'avons point recu , dans no« a mceurs , 1'abdication qui étoit ufitée » chezlesGrecs&chez lesRbmairs(i),, « encore moins le droit de vie Sc de » mort qu'avoient les pères fur leurs ; » enfants, dans les premiers tems de »la répubiique. Un père ne peut pas (i) Quir.üL declam. a6o , & Ayod. Nclr-~  Religieufe mariée. 371' dire a fon fils : je te rente pour l'an venir , tu n'es plus a moi \fors de ma » maifon , & neparois plus en ma pré»fence. Mais nous avons une manière » plus terrible Sc plus aifée de faire » perdre aux enfants les droits de fa»■ mille , en les forcant a fe faire re»ligieux. » 11 falloit , pour Pabdkation , un » infigne forfait, tel que ceux que nous » punilfons par 1'exhérédation ; & ce » chatiment ne pouvoit fe déférer par >> les pères, qu'après enavoirobtenu per» miffion des magiftrats , en grande » connoiffance de caufe, &c fur affigna» tion a cri public. Nous, au contraire, » nous n'auons befoin ni de caufe , ni' w de cérémonie judiciaire. Si nous réuf» fiffons bien a effacer les veftiges de' » la violence , voila un enfant perdu » fans reffource. Nous lui ótons tout »ce qu'il a , & 1'efpérance de jamais ' » rien avoir. Nous gagnons , contre >» lui , tout 1'eftet de Pabdkation; nous ■ »lui rendons fa condition encore pire, »& le précipitons dans un bien plus' » grand malheur. » Car enfin Pabdiqué ne perdoit qlie ' w fon père Sc fa familie ; il gardoit »> encore fa patrie Sc fa liberté, 5c pou- Qvj  37-2 Religieufe mariée. » voit aller oü bon lui fembloir; me* » me afpirer aux différents états , &c » aux grades de la vie civile. » Un rejigieux , au contraire , perd w tout , familie , patrie , liberté. C'eft » déformais un être nul a notre égard. » Sa perfonne eft fondue dans 1'ordre » » tk il n'a plus d'exiftence propre tk » féparée :.il ne peut plus rien rer »larivement a 1'ordre. , c'eft un être * purement paffif } qui ne pourra plus »> dormir , boire & manger qu'au gré w d'autrui, expofé a faire éternellement » le contraire de ce. qu'iL defire , & a. »' fouffrir les plus durs traitements , s'il M héüte : état mille fois plus trifte,,que » Je fupplice de la mort, oui ne dure. » qu'un inftant. » Nous privons, d'un même coup.;. >»la patrie d'un citoyen ; &c, s'il ob» ferve fes vceux ,. nous étouffbns, le. >» germe de. fa poftérité. S'il ne les.ob» ferve pas , nous le réduifons. a ne * produire que des rejettons furrifs.^ » & d'infames rebuts de la fociété : y genre d'attentat rout-a fait inconnu s» dans le paganifme. » 11 n'y a rien de fi facile a comj» mettre que cet abus. Nous ne con-s> dnifons un en£uu ni aux évêques^  Religieufe mariée. 373* '». ni aux pafteurs , ni aux magiftrats*, » pour examiner li c'eft lui-même qui» veut fe retirer du monde j ou fi ce s> n'eft pas fon père qui veut s'en dé» faire. Nous'ne prenons point,comme t> autrefois, permiflion du prince. Cela 55 s'exécute dans un bois , & la religion, 5> qui dèvroit n'ètre que Ie port du w falut, n'eft alors , par la mécbanceté » des parents , & par la lacheté des» fupérieurs, qu'un récep'tacle de prof« crits. 55 S'il eft aifé de perdre les hommes, » doit-il être fi difficile de les fauver ?' » La moindfe ouverture ne doit - elle » pas plutót fufEre pour les lailfer ren55 trer dans 1'érat oü la providence les » avoit fait naitre ? » Le défaut dè volbnté eft un désvices , & peut-être même , régulièrejnent parlant, le feul'vice qui infeété effèntiellemenr les vceux en religion., « Soir que nous difpofions , foit que >> nous contraéfions , difoit 1'Ecrivain »que je viens de citer,, c'eft bien Ia» >5 moindre chofe que ce que nous fai-m fons, fans y être obliêés, ne produife » d'obligarion & d'effet' contre nous Hqa'autant cue la difpofition ou lap «-promeffe nous appartiennent & ont.  3174 Religieufe mariée. » leur ruine dans norre arne. Plus elles « font imporrantes, plus elles doivent >f être intimes, libres& volontaires. »II ne doit donc rien y avoir , au w monde , de fi volontaire , que le re»-noncement a fa volonté j rien de fi » libre , que le facrifice de fa liberté ; as rien de fi perfonnel , que 1'abdica» tion de fa petfonne. " En général, tous les aétes extérieurs » émanent de notre volonté; mais tous »l n'y font pas concus : quelques - uns >> dérivent d'une volonté étrangère , &c » ne font , pour ainfi dire , que palfer » par la nötre. » Ceux même qui ont leur principe » au-dedans de nous , n'y font pas tous »• concus de la même maniète. Les uns » fe fonr avec connoilfance & par » choix , les autres par ignorance ou » par erreur. Les uns procèdent de 1'in»■ clination naturelle qui nous y portoit; » les autres nabTent de la nécelfité im>rpofée par les circonftances. » On ne fait rien , on ne dit rien » qu'on ne le veuille bien ; & cepen» dant il y a une infiniré de chofes » qu'on n'auroit point dites, ou qu'on » n'autoit point faites , fi 1'on avoit feu »' tout ce qu'il importoit de fcavoir s -  Religieufe mariée. 375 t$ón fi 1'on avoit pu fuivre fon propre » mouvement. » 11 n'v a proprement de volontaitej» & de libre , ni par conféquent d'o>» bligatoire 5c de valable , que ce que >rl'on fait fciemment , de plein gré, >* & fans mélange d'aucune répugnance,-. » ni d'aucune impreffion étrangère. » On appellé. involontaire tout aöe » qui, fous une apparence de volonté , >t cache une volonté contraire. Tels font >vceux qu'on nous fait faire aveuglé» ment, par de fau'ftes perfuafions, ou' » de frauduleufes diffimulations , 5c w ceux que nous faifons avec connoif» fance , par une nécelïïté contraire a, » notre penchant. Réclamer contre de » tels aétes , ce n'eft pas changer de vo— >y lonté , c'eft perfévérer dans 1'anm ciennne. » lis font nuls, de plein droit , de- « vant Dieu, quifcrute les mceurs, 5c» qui voit, a découvert, d'oü procèdent £ w rous nos mouvements-; ils font raê» me indignes de lui , inutiles a fa « gloire , & contraires a fa volonté, li » ce font des vceux qui s'adreftent a< «lui. » Ils ne font pas d'une nullité Is-f » prompte devant les hommes , aux - ti  Jyö Religieufe mariée. » yeux de qui les fubftances fpiritaellefs » font couvertes d'un nuage prefqu'im» pénétrabie , & qui'ne peuvent avoir «connoilfance des difpofitions inté» rieures de la volonté , que par des w fignes extérieurs. » Mais , quand une fois il eft certain » qu'ils procèdent moins de la propre »> volonté , que des caufes dont elle »étoit environnéej'autotité publique, >> dans tous les tribunaux du monde , r> y applique le remèdede la reftitution » en entier. Loin 'de prêter fecours a » ceux qui voudroients'en procurer 1'e«xécution , elle s'inrerpofe & fe joint » a la partie fouffrante, pour empêdicr » qu'ils n'aient effet , ou pour faire »» ceffer celui qu'ils ont eu. C'eft prow téger la véritable volonté , que d'av> néantir ce qui n'en a que 1'apparenca. >? C'eft fatisfaire- au premier devoir de » 1'humanité, que de guérir les plaias s> faites i la condition humaine par «1'imprudence , le dol & la méchan»ceté. C'eft faire un acte de religion , » que d'öter, de devant Dieu, des fase cririces qu'il réprouve : & , comme «il ne fcauroit y avoir d'état aaréable »a fes yeux , que celui auquel il nous. svappeile , c'eft entrer dans fes vues».  Religieufe mariée. 377 » que de rendre , a chacun , fa voca» tion. » Sa volonté n'eft point difricile a » connoitre; il la déclare aftez par les » talens , 5c les inclinations qu'il nous » donne. » La notre fecennoitinfailliblement » par les mêmes indices. Tout autre » figne eft équivoque , & n'a de valeur » que fuivant les circonftances. » Quand donc on veut s'affiirer fi » des vceux, ou quelqu'autre acte, font » volontaires , on commence par con» fidérer quelles font les inclinations » nautrelles de la perfonne ; ce qui fe *> découvre par les aétes ordinaires Sc whabituels qui ont précédé. On con>» fidère , enfuite , quelle eft fa pofition » actuelle au moment d'agir , &c. »» La caufe qui avoit fait naitre les réflexions que 1'on vient de lire , étoit celle d'un déferteur qui, pour éluderla peine de mort prononcée contre ceux qui fe rendent coupables de défertion, s'étoit jetté dans 1'ordre dePrêmontré, & y avoit fait fes vceux. Après leur émiffion, la familie follicira & obtint fon congé ; & il demanda a être refr titué conrre un engagement , que fa crainte de la mort. feule lui avoit attaché.  378 Religieufe mariée. « Un acte n'eft cenfé volontaire & » libre , qu'autant que la volonté étoit » dans fon état naturel , dégagée de » toute circonflance facheufe qui put » lui faire la loi ». Si vis fcire an velim, »fac ut pojfitn nolle. Seneq.Ce que Ton » fait dans un état de crife & de péril » eft préfumé diété par la circonflance. j> Cette préfomption eft autotifée par » une loi expreffe en matière de vceux ; » & les canons ne demandent au ré» clamant d'autre preuve , fïnon qu'il » étoit dans un état violent, & qu'il y » avoit, pour lui , du danger a ne les » pas faire. C'eft a ceux qui s'oppofent » a fa fortie, de faire voir que ce n'eft »pas cette néceffité qui 1'a déterminé, 3» & qu'iln'a fuivi que fa propre inclina» tion. Le refcript du pape Alexandre >3 III y eft formel. » Ce refcript fut donné en 11 80 , i » 1'occafion d'une femme de qualité , » qu'un mari jaloux avoit livrée a fes » fatellites , pour la poignarder dans » un bois , & qui n'avoit flechi leur fé>3 roei ré qu'en fe foumettant a prendre »le voile dans un monaftère. Depuis , » elle avoit quitté le couvent, malgré s> fa profeffion ; & on vouloit la forcer »» a y ïeniiQr. Faites-la rentrer , die le  Religieufe mariée. 379 >> pape , s'il eft bien prouve que ce n'eft » point la craïnte de la mort qui 1'a fait » entrer(i). D'oü il luit néceffairement (1) Perlatum eft ad audientiam noftram qubd , ciun quidam nobilis & potens M. uxorem fuam fufpetlam haberet, milites fui, ejus pret* cepto , eam ad quamdam fylvam ducentes, evaginalo gladio, occidere voluerunt: fed tarnen , pietate duSli, fub tali conditione pepercerunt ei* dem qubd , in monajlerio de Calabns , habitum fufciperet monachalem. ( Quo audito , maritus ejus , quia refervata erat ad vitam , gravè plurimiim tulit, fed tarnen pojimodüm acquievit : ficque fatlum ejl qubd duos epijcopos Ctefar Aytguftenfem & Teaufonenfem , ut eam benedicerent,. & Mi velum imponeren!, ad monaflerium ipfum adduxit. Epifcopi verb mijji a viro ut ei velum imponeren t, quia juyenis erat,& ftlium parvulum ha. bebat, mutationem vitte fute fufpectam habentess feorfüm convenerunt ; eandemque rem patcfaciens qubd mortis timore monaflerium intrabat r propofuit & qubd indé quandocumque pojfet , exiret. Sed alter epifcoporum , ut viri tyrannidi fatisfacere videretur mulieriyelum imponereJimulavit. Tandem , viro de medio fub'ato , pra* difla muiier de monajlerio exiens , alium maritum accepit, quos Galla Garitanenfis epifcopus, ad injlantiam fororum , vinculo excommunica-tionis adflrinxit, ( ignerans penitus quomodo res procejjijjet; quoniam utique fententiam venerabilis fratris nojlri Terragonenfis archiepifcopi poftea confirmavit. Nos igitur de prudemid 6» ho*neflate vcftrd , confidentes , caufam ipfarn experientia veftra duximus committendam , &fine-  y8ö Religieufe mariée. » que, s'il n'y a point d'autre morif » bien prouve , la crainte de la mort >»-doit palTer pour le motif certain»-. On entroir, enfuite, dans les détails de la vie du réclamant , & des circonftances qui avoient fuivi fa défertion , pour établir que certe crainte avoit été 1'unique motif qui- lui avoit arraohé fa profeffion. Je ne donnerai ni effet , ni approbatien a ce qui fera fait par principe de crainte (i), difoit autrefofs ,1e préteur a Rome j & ce décret étoit écrit en lettres d*or fur des tables d'airain , toujours préfenres^aux regards du publicNotre religion, dont les décrets font 'debito terminand&m ). Idebque mandamus qtiatenus prirdiflam mnlierem & virum , recepto facramcnto , qubd veflro debeantflare mandato ab excommunicationis viuculo abfolvatis. I'einde tam mulierem , qudm prïoriffam & monïalet prafcrip-i monajlitii anti vftrjm prafentiam convocantes , fi legitimhprobatum. fue.ru nontimore mortis prndlciam mulierem- Mielonen* intraffe, aut quod fecit, poflmodhm ra turn habuijfe, ipfam ad monaflerium redi.e , & habhum depofi-um reajfumere ccnfu-d ecc/efi.iflicd cornpellatis. Cap. i , extra, de hts qua vi met. ve s-aiif. fiunt. (i) Ait prator : quod metiis caufd gcjlum, e-rit, ratum non hthetur. L. i f. Quod met.oauf. gcft, err  Religieufe mariée. 381 beaucoup plus faints que celui du préteur , nous apprend que Dieu n'accepte de facnficesque ceux qui fontparfaitement volontaires ; elle n'admec point les cU&inftipns des jurifconfultes. Quel que foit le fujet de la crainte , ne füt» ce qu'un mal léger , dès que , fans elle , on ne fe feroit pas déterminé , on n'eft point lié devant Dieu , &z on ne doit pas fêtre devant les hommes. Tout le monde n'a pas la même fermeté d'ame : il y a des perfonnes foibles', qui fuccqmbent aux moindres impreflions. Un léger péril fait, aleur égard , le même effet , qu'un plus prand , i 1'égard des perfonnes courageufes, 8c fufïït pour vleier ce qu'elles font. Que fera ce donc , fi c'eft le péril de la mort ? La profeftion religieufe, difent tous nos auteurs , notamment I'aureur des loix ecciéfiaftiques, part. 3, art. 10, ja0. 10 , faite par ce motif, eft nulle dans fon principe. Rien n'eft fi terrible pour les ames ordinaires , fur-tout pour les jeunesgens. 11 eft bien naturel que , ne faifant que d'entrer dans la carrière de cette vie , ils cherchent a n'en pas fortir fitot. Pour s'y mainteair, ils pro-  382 Religieufe mariée. mettent tout ce que 1'on veut, & faififfent tous les expédients qui fe préfentent. 11 n'y a que deux manières d'éviter la peine prononcée contre la déferrion j 1'une de fait , en fuyant Sc en fe cachant: 1'autre de droit, en obtenant la xémiffion du délit. La crainte va d'abord au fait, & ne fonge guè"e au droit , paree qu'il pourroit arriver qu'on füt mort avant d'avoir obtenu la grace de la vie. C'eft ainfi qu'avoit procédé le déferteur dont il s'agit ici. II avoit commencé par chercher fon falut dans la fuite Si dans la retraite , en attendant qu'il le trouvat dans le congé du régiment ou dans les lettres du prince. II préféra le couvenfca la maifon paternelle , comme une retraite plus fecrette Sc plus füre. Fruftré de la grace & du congé qu'il efpéroir , il aima mieux franchir le pas de la profeffion , que de roder dans le monde , aux rifques d'être découvert ou trahi. Ses vceux étoient donc radicalement nuls, comme involontaires , & , prononcés uniquement par la crainte de la mort. Ils étoient hors de fon intention , & feulement dans fes rellources Sc dans fes  Religieufe mariée. 383 moyens. Réduits a leur véritable objet, ce n'étoit que le vceu de ne pas mourir par le eernier fupplice 5 dont on punit les déferteurs. Ils étoient donc abfolument inutiles pour tout autre effet; & c'étoit le comble de 1'injuftice de vouloir en profiter contre I'intention de celui qui les avoit prononcés , pour le retenir en ferviiude , après le péril paffé. Puifque je me fuis engagé dans la difcuflion de cette caufe, dont les prinpipes & les conféquences qui en réfulrent m'ont paru fi intéreflants , que j'ai été s fans m'en appercevoir , entrainé par 1'attrait de 1'approfondir, je fupplie le lecteur de trouver bon que je lui mette fous les yeux les moyens qui furenr oppofés a ceux que 1'on vient de lire. Ils furent recueillis , en fubftance , dans une confultation , fignée de MM. Cellier , de Lambon , Boude-} Gerbier & Tronchet. En s'engageant dans les troupes , difoient-ils, le foldat vend , pour ainfi dire , fa perfonne a la parrie , il s'oblige de la fervir pendant le tems convenu , même au péril de fa vie ; il fe foumet pleinement a l'exacfitude & a larigueur de la difcipline militaire j il  384 Religieufe mariée. contradle 1'obligation de 1'obéiffance la plus endère j il fait vceu de ne plus connoitre que la volonté de fon commandant. Un pareil engagement ne fotme t il pas un obftacle invincible z tout autre ? Pcut-on admettre qu'il puiffe dépendre du foldat de rompre des liens fi importants a la füreté de la patrie ? L'état religieux eft incornpatible avec le fervice militaire. Le foldat ne peut pas avoir la liberté de contracter une obligation inconciliable avec la première qu'il a contraétée , & qui fubfifte. S'il ne peut pas s'y fouftraire , comment concevoir que les vceux qu'il feroit puffent ctre valides t Voila les idees qui fe préfentent d'abord a 1'efprit. Mais il eft jufte de les approfondir, & de voir fi elles font conformes aux principes. L'engagement du foldat eft , fans doute , précieux a la patrie : il doit ctre invariable; & il importe a la ftireté Sc au falut de la patrie de le confidérer comme tel. Mais enfin , c'eft un engagement humain; Sc fa nature n'érant point déterminée par des régies parriculières , on fe trouve obligé de recourir aux régies générales. Nous  Religieufe mariée. 38? Nous nous devons entièrementi Ia patrie : perfonne n'a droit de fe fouftraire ace devoir facré. Dans Ie cas de néceffité , toute perfonne commandée doir prendre les armes. Dans le premier age de Ja monarchie , Ia nation entière marchoit au combat ; nous avons encore un refte de cet ufage , dans la convocation du ban & de 1'arrière ban. Ce devoir général eft remplacé , depuis long tems , par des troupes foudoyées qui fe forme.nc par les engagements volontaires. Cec engagement eft un véritable contrac 'entre le prince & le foldat. Le prince s'oblige de nourrir & entrerenir le foldat ; ceiui-ci s'oblige de combattre pour Je prince, & d'expofer fa vie pour fon fervice. Lé prince agit fccontraétepar fes officiers . qui n'ont droit dWager que paree qu'a cet égard, ils fonc chatf ges de fon pouvoir. Cet engagement eft borné entre Ie prince & le foldat; les officiers intermédiaires ne faifant qu'exercer les droits & 1'autorité du prince. Le contrat eft donc puremenr relatif entre Ie prince & lui. Tout tiers y eft donc etranger , & ne peut en demander ni Ia diflolution ni i'exécution, Terne XFUI. R  ?M Religieufe mariée. " Ce contrat, comme rout autre contrat humain , peut être diifous, oupar le confentement tacite , ou par la volonté exprefie. Par le confentement tacite j ce qui arriveroit, fi le tems porté en l'enga«rement s'étoit écoulé , fans qu'on eut donné ordre a 1'engagé de joindre le drapeau. Le contrat feroit alors refrardécomme non-avenu; le roi n'auroir. point été feryi ; mais il n'auroit ni nourri, ni entretenu le foldat ; & il paroit que l'obligation qui réfultoit de 1'engagement fetoit éteinte après l'expiration du tems pendant lequel 1'enpagement devoit durer. Par la volonté expreffe; quand le foldat obtient fon congé, cet aéle étant, de la part du roi, une véritablerenoneiation au droit qui réfultoit de 1'engagement. . L'intérêt de 1'état a exige que I'inexécution ou la violation de ce contrat, de la part du foldat, foit punie rigoureufement. L'inexécution des autres contrats produit feulement des dommages Sc intéréts au profit de celui des eontraótants qui a fouftert du préjudice 'mp-ïéfution au contrac, a i-tuutm. 1'autre s'eft tefufé. Ici, le foldat qui  Religieufe mariée. 387 -rnanque a fes devoirs eft punï corporellement, 8c s'il déferte , il encourt la peine de mort. Elle eft ptononcée pat les loix miktaires reconnues dans le royaume. Ce délit, dans le cas oii il fe commet, fournit encore une preuve que le contrat qui réfulte de 1'engagement eflf foorné entre le roi & Ie foldat. C'eft le roi feul qui a intéret de fe plaindre de Ia défertion, & qui a droit d'en tirer •vengeance, Si le déferteur eft dénoncé .par les Officiers & condamné par Ie confeil de guerre; fi , k leur défaut, il eft pourfuivi par le miniftère public , les uns Sc les autres ne font que ftipuler les droits & Ia vengeance du prince. Dans un état monarchique , 1'état & Ia patrie réfident dans la petfonne du roi: 1'mtérêr de 1'état & le fien font les memes, ils font inféparables. Ainfi dans le cas de la défertion , le roi feul eft. intérefle } c'eft avec lui feul que le ioldat a contraété. Si donc le roi juge a propos, ou de fermer les yeux fur la défertion , ou d accorder un congé , pour effacer le delit , ou de faire grace , fi Ia condamnation eft intervenue , c'eft toujours lui leul qm y eft intérefie. R ii  588 Religieufe mariée. De ces vérités, il réfulte que tous les engagements du foldat font pureroent relatifs au roi, & que les incaparités qui peuvent 1'aftêcter ne font point abfolues , mais feulement relatives au roi. Le foldat ne peut point légitimement fe fouftraire a fon fervice. Si, dans le fait, il s'y fouftrait, ce nepeuêtre que par la défertion; 8c fi , dans cet état de défertion , il fait des vceux en religion, ces vceux , valides ou non valides, ne le préfervent nullementde la peine qu'il a méritée ; il fera enleve du fond du monaftère , 8c hvré a la mort. II en eft de même d'un alfaflin , que la profeffion , ni même la promotion aux ordres facrés, ne roet pas a I'abri du fupplice. Si, par la fuite , il eft découvert 8c convaincu , il fubira juftement le fupplice dfi a fon crime. On voit , par-la , que le roi , ieul intérene i la défertion , ne 1'eft point dansTémilïion des vceux , puifqu elle ne le privé ni de la vengeance ni du fruit qui réfulte des exemples de fevérité. . . Ce n'eft pas , continuoient ces jimiconfultes, par la profeffion en religion que le foldat fe fouftrait a fon engagement 8c devient coupable ; c'eft par la  Religieufe mariés. 389 défertion. La profeffion ne peut jamais 4 en effet , être faite par le foldat, qu'il n'ait commencé par déferterSc encourir la peine de mort. Ce n'eft donc pas la profeffion qui intérefté le roi, mais la défertion. Que le déferteur fe foit fait religieux, qu'il foit entré dans le facerdoce , qu'il ait recu le facrement de mariage, cesengagements refpeéfabies ri'effacenr point le crime3c n'exemptent point de la peine encourue. Si 1'on pouvoit dire que la profeffion en religion fouftrait le déferteur au fervice miliraire , ou a la peine dont fa défertion doit être punie, il y auroit quelque prétexre, pour foutenir que le foldat étoit incapable de faire profeffion. Mais comme , d'un cöté , la profeffion eft néceffairement poftérieure a Ia défertion, & que , d'un autre coté , cette profeffion ne s'oppofe point a la punition du déferteur , on ne peut pas trouver , dans 1'engagement du foldat 3 une incapacité abfolue a 1'émiffion des vceux : on ne voit point une relation néceftaire entre le premier engagement du déferteur, & des vceux qu'il a faits pendant fa défertion. On peut objecter , ajoutoient les mêmes jurifconfultes , que c'eft fouRii;  390 Religieufe mariée. jours en vertu , & par uneconféquence néceffaire de 1'engagement , que le prince a droit d'arracher du monaftère , le déferteur: que cet engagement a , par conféquent, donné au roi , fur ia perfonne du foldat , un droit qui a privé le foldat de la faculté de difpofer de fa perfonne. On peut même ajouter que Ie roi eft le maitre de faire grace de la mort au déferteur , & d'exiger de lui le fervice militaire. Ce déferteur étoit donc incapable d'embraffer un état incompatible avec le fervice militaire. II eft très-vrai , répondoient ceux qui s'étoient fait cette objeétion', que le roi peut remettre au déferteur la mort qu'il a métitée , & exiger de lui qu'il retourne fous le drapeau. Maisce droit eft encoreindépendant de la validité ou invalidité des vceux. Dans nos mceurs , la profeffion religieufe eft incompatible avec les fonctions militaires. Mais cette incompatibilité n'eft pas dans la nature des chofes. Pendant plufieurs fiècles , les religieux ont dü porter , &c ont porté les armes j ils n'en font point difpenfés par la loi divine, leur exemption n'eft due qu'au refpeét de nos princes pour la religion. 11 dépendroit donc entière-  Religiën fe mariée* 39 i ment du roi de faire remplir , par le déferteur qui auroit fait des vceux ert religion , Ie tems de fon engagement y & même celui qui y auroit été ajouté pat forme de punition , & de le renvoyer enfuite dans lecloitre oüiiauroie fait profeffion. Autre chofe eft de s'engager avec le prince; autre chofe eft de s'engager a Dieu. L'engagement avec le prince' étant le premier contraóté , empêche , êc doit empêcher l'exécution du fecond, tant que le drjit du prince y eft intérene. Mais , des que fon droit eft rèmpli , le fecond engagement doit être exécuté. ïl a donc pu être contraóté , &c le premier engagement n'y formoic point un obftacle invincible , puifque , n'empêchant point 1'exercice des droirs du roi, on peut dire qu'il lui eft indifférent. II peut bien fe faire que l'engagement du foldat forme un empêchement a 1'émiffion des vceux. Mais quelle eft Ia nature de cet empêchement ? Eft-il prohibitif ? eft-il dirimant? S'il n'eft que prohibitif , il peut foumettre le foldat a. quelques peines ; fnais il n'annulie pas fes vceux de plein droit : s'il eft dirimant , fes vceux font abfolument nuls. R iv  391 ( Religieufe mariée. Mais n'eft - ii pas de principe que rempêchement dirimant ne s'établit nipar raifonnements, ni par arguments a pari , & qu'il eft abfolument néceffaire qu'il fóit établi par une loi formelle ? Or , oü eft Ia loi qui prononcé la nullité des vceux faits par le foldat, cui 1'en déclare décbargé , ainfi que 1'ordre qui 1'a recu ? Cette loi n'exifte jjoint en France. S'il n'y a point de loi, il n'y a ni incapacité abfolue , ni nullité radicale : il n'y a point de nullité fi elle n'eft prononcée par une loi. On objeófera peut-être les défenfes qui fe trouvent dans un capitulaire de '805. Mais il fuftït de les lire, pour fe convaincre qu'elles ne peuvent point aujourd'hui recevoir d'applkation. Ces défenfes, confignées dans un capitulaire 1'avoit acquife ? Un peu de réflexion fur la nature de 1'engagement qui réfulte des vceux  Religieufe mariée. 417 en religion , & fur la nature de 1'Etrefuprême avec lequel on s'engage , fournit facilement la réponfe a cette queftion. Un foldat déferteur eft , tant qu'il perfifte dans fa défertion , en état de rébellion contre fon fouverain Sc contre la nation , auxquels il a voué toute fa perfonne , 5c fa vie même. Or un homme qui commet aófuellement un crime auffi énorme, qui y perfifte, 5c qui fait une démarche qui annonce 1'efprit de la perfévérance la plus décidée, eft-il en état d'oftrir des facrifices a la juftice divine, Sc peut-elle les accepter, lorfque les chofes offertes, loin d'appartenir a celui qui Jes offre , ont été ravies au véritable propriétaire , 8c lorfque ce prétendu facrifice n'eft qu'une fraude de plus 6c un artifice, pourpouvoirfe maintenir impunément dans la révolte dont on eft coupable ? Lés fimples lumières de la raifon fuffifent pour faire appercevoir 1'abfurdité impie de cette propofition. Elle eft d'ailleurs réprouvée en mille endroits de 1'écriture , tant par les faits qui y font rapportés , que par les maximes qui y font répandues , & ont été infpirées SC dicties par la diyinité même. Sv  418 Religieufe mariée. Mais examinons ie concours des circonftances; &, de eer examen , qui fe fair d'un coupd'ccil , il réfulte que la prétendue offrande dont il s'agit ici eft une impiété caraótérifée. Celui qui a proféré la formule des vceux n'a pu le faire ;. il n'a pu accomplir les cérémonies qui accompagnent cette démarche , que paree que, dans ce moment même , il commettoit le crime dont il vouloit élndér lapunition. L'engagement particulier qu'il avoit contraóté avec le roi Sc avec la nation, lui faifoit un devoir de la plus ftrióte obligation de ne pas s'éloigner du drapeau; Sc cette obligation eft prefcrite par toutes les loix divines Sc humaines* Or , s'il eut rempli ce devoir indifpenfable , 1'auroit-on vu , a plufieurs lieues de J'endroit ou le gouvernement avoit fixé la réfidence de fon régiment, 8l oü chaque foldat qui lecompofe devoit remplir les fonótions du fervice militaire ; 1'auroit on vu , dis-je , revêtu des habirs religieux, occupé a pfononcer la formule d'une profeffion religieufe ? Ce n'eft donc que par Ia continuité du crime dont il s'eft rendu coupab'e, qu'il faira Dieu une offrande de ce qui ne lui appartient plus. Et  Religieufe mariée. 419 1'on veut que Dieu recoive ce monftrueux facrifice ! Si Dieu ne 1'a pas recu , fi Dieu n'a pas pu le recevoir , il eft donc nul, & n'a pu produire aucuns eftets ; ou s'il en a produit, c'a été de charger le déferteur d'un crime de plus. 11 ne s'agit donc pas de l'intérêt du Roi; il ne s'agit plus d'examiner fi ces prétendus vceux lui font perdre quelque chofe , ou s'ils laiffènt fes dtoits hors d'atteinte. Quel que foit fon privilege, quelque ufage qu'on en veuille faire , il ne peut empêcher que le déferteur ne foit coupable d'un ctime qui le rendoit effenriellement indigne & incapable de faire a Dieu la prétendue offrande dont fes lèvres ont prononcé la formule , & que le vceu qui a paru réfulter de fes paroles ne foit , par conféquent, radicalement nul. Ces réflexions fournifTent la réponfe a une objeétion qui avoit été faite de la part de ceux qui foutenoient la validité des vceux du foldat. Quand deux engagements , difoiton , font tellement incompatibles , qu'il n'y ait abfolumenr aucun cas oü ils puiflent fubfifter enfemble , le Svj  420 Religieufe mariée. premier doic annuller le fecond. Celui qui eft légitimement engagé pour une chofe , eft lié a cet égard ; il ne peut plus difpofer d'une volonté qu'il a une fois abdiquée» Mais , quand 1'incompatibilité ne réfulte que de l'intérêt de Ia perfonne avec laquelle on avoit préeédemment contracté , elle n'empêche ni la validité , ni la perfeétion du fecond engagement. II fe rencontre bien un obftacle relatif a la perfonne avec qui vous aviez d'abord contraóté; elle peut demander l'exécution de 1'aéte que vous aviez pafte avec elle ; mais cet acte demeure fans effet, li celui qui peut le faire valoir garde le filence. Ainfi, par exemple , vous me vendez une maifon que vous aviez précédemment vendue a un autre , Sc vous me diffimulez le premier engagement que vous aviez pris avec 1'aequéreur. S'il yeut ufer de fon droit, il empêchera l'exécution de lavente que vous m'avez faite, Sc je n'aurai que des dommages &c intéréts a vous demander , avec ia reftitution du prix que vous avez frecju. Mais , s'il gatde le filence, ou s'il vous rem et 1'obligation que vous avez contraétée avec lui, pouvez-vous propofer a la juftice qu'elle vous libète de  Religieufe mariée. 421 celle par laquelle vous.étiez lié avec moi, fous prétexte que celle - ci étoit nulledans le fait, par 1'exiftence de Ia précédente ? Ou 11e peut faire I'application cette efpèce a celle dont il s'agit ici, fans confondre la nature des différents contrats , & fans fournir une preuve de plus du danger des erreurs auxquelles on s'expofe , en comparant les actes de la juftice divine avec les aétes de la juftice humaine. Les contrats que font les hommes" entr'eux n'ont , pour objet, qu'un inrérêt temporel quelconque. Vous ne me vendez votre maifon , que paree que vous préférez 1'argent que je vous en donne a la propriété de cet héritage. Mais fi vous me vendez un effet dont vous aviez abdiqué la propriété , par une vente précédente5vous me trompez, vous troublez les arrangements que je m'étois propofés par cette acquifition , &c m'en faites manquer d'autres que j'aurois pu faire , li j'avois gardé 1'argent que vous avez recu. Ainfi il eft jufte que , non - feulement vous me rendiez mon argent, mais que vous me dédommagiez des défavantages qui ontréfulté, a mon préjudice , de Paéte  4ï2 Religieufe mariée. frauduleux que vous vous êtes permis de paffer avec moi. 11 eft vrai que je ne peux exigercette reftitution que dans le cas oü le premier acquéreur vowdroit faire valoir la vente que vous lui avez faite. Mais, s'il garde le filence, ou s'il vous remet expreffément 1'obligation que vous avez contraótée avec lui, je n'ai rien a vous demander , puifque celle pat laquelle vous vous éciez lié avec moi eft accomplie dans tous fes points. Vous gardez mon argent, & votte maifon me refte. Dans le cas contraire , le ftellionat que vous avez commis me donne , contre vous , 1'aór.ion en reftitution du prix de la maifon que vous avez re^u , & en répérition des dommages &: intéréts que j'ai pu fouffrir de la fraude que vous avez commife envers mol. Mais , quand un homme voue a Dieu fa perfonne , fa liberté , fa volonté , il ne recoit , en échange , rien de réel; il acquiert 1'efpérance^ de parvenir au bonheur éternel plus fürement que ceux qui ne font pas ces abnégations. Mais , fi la juftice divine ne croit pas devoir réalifer ces efpérances , at-il des dommages & intéréts a lui de-  Religieufe mariée. 423 mander? C'eft a lui, fans doute, quil doit s'en prendre , s'il ne recoir pas le pri'x des facrifices qu'il a faits. En fe dépouillant de fa liberté morale Sc phyfique, de fon exiftence civile, Sc de tout ce que 1'homme a de plus précieux, comme habitant de la terre, & comme m,emb.re, de la fociété , il ne s'eft pas dépouillé de fon libre arbitre , que rien ne peut nous ravir , & qui eft un attribut eflentiel a 1'ame. Or, s'il fait un mauvais ufage de ce don fi précieux , duqueldépendent tous les mérites qui nousconduifent a la vie éternelle, tous les facrifices qu'il a faits d'ailleurs , toutes les 'privations extérieures auxquelles il s'eft voué , feronr perdues pour lui, fans aucun recours , fans aucun dédommagement. Les engagements que les hommes forment entr'eux n'ont donc aucun point de comparaifon avec ceux qu'ils fe propofent de faire avec Dieu. D'ailleurs , pourquoi la juftice humaine accorde-r-elle des dédommagements a celui qui a été trompé ? C'eft qu'il a été trompé ; c'eft paree qu'on lui a fait croire que 1'objet qu'il acquéroit appartenoit au vendeur, Sc que  414 Religieufe mariée. ce vendeur pouvoit difpofer de fa propriété a fon gré. Car , s'il eüt été accjuéreur de mauvaife foi ; fi 1'on pouvoit prouver qu'il fcavoit , en acquérant , que fon vendeurn'étoit pas propriétaire; s'il a tiré , de cette fraude, un parti avantageux, le contrat eft nul dans fon principe, & 1'acquéreur fera puni fuivant les circonftances. ©ans le cas des vceux dont il s'agit ici, peut-on imaginet que Dieu ait accepté le don d'une liberté qu'il fcavoit ne pas appartenir a celui qui la lui ofroit, qu'il fcavoit bien avoir été aliénée au roi & a la patrie ? S'il n'a pas agréé le vceu , il n'y a donc pas eu de vceu , il n'y a pas eu de contrat, paree qu'un contrat ne fe forme que par le concours des volontés de ceux qui traitent enfemble. Ce prétendu vceu n'a donc pu produire aucuns effets. Rien n'annonce, a la vérité, fi Dieu rend le contrat fynallagmatique , en acceptant 1'oftrande , Sc agréant les conditions qui en font le motif. Rien n'annonce pareillement , dans le cours ordinaire des chofes , fi celui qui fait ces oftrandes a la pureté requife , pour qu'elles foient agréables a Dieu, qui ne recoit rien d'impur. Alors, comme le mal ne fe préfume point, on  Religieufe mariée. 425 fuppofe que la viöime eft en état de s'offrir , & que Dieu fagrée ; & les loix humaines regardent ce contrat comme parfait & indiflbluble entre celui qui offre, & la divinité que 1'on fuppofe avoir agréé. Mais, quand il eft évident que celui qui s'offre eft coupable d'un crime , & que fon offrande n'a pour objet que de dérober la punition de ce crime a la juftice humaine , il eft évident que Dieu réprouve une telle offrande , qu'il ne donne point fon confentement au contrat que 1'on veut faire avec lui, a. ce prix. II n'y a donc ni contrat , ni prétexte, pour le foutenir irrcvocable. Mais , dit-on , le roi a , depuis 1'émiffion des vceux , rendu au religieux la liberté qu'il lui avoit engagée. Cette faveur, qui n'a été accordée qu'aux follicitations , & peut-être a des moyens encore plus puiftants , n'a rien changé aux circonftances. Le fujet, pour lequel on a obtenu cette gtace , n'en étoit pas moins en état de rebellion , quand il a fait la cérémonie de fa prérendue profeffion \ &c ce crime le rendoit indigne & incapable de la faire. II a offert ce qui , au moment oü il 1'offroit, n'étoit pas a lui j & 1'Etre-fuprême , au quel  42.6 Religieufe mariée. cette facrilège offrande fe faifoit, fcavoit que celui qui la lui adreffoit difpofoit du bien d'autrui ; & n'avoit même d'autre motif que de fe procutet un moyen de perfévérer dans fa coupable rébellion, & d'en éluderla peine temporelle. Enfin , il n'eft pas vrai qu'il n'y ait point de loi qui interdife au foldat déferteur la faculté de prononcer des vceux en religion. II y a des loix qui défendent la défertion, puifqu'il y a des loix qui prononcent la mort contre le déferteur , pour cela feul qu'il eft déferteur. Elles ne défendent pas explicitement, il eft vrai, au foldat déferteur de faire des vceux en religion; mais elles lui défendent implicitement de faire tout ce qui ne fe peut faire que pendant la défertion , & en conféquence de la défertion. Défendre a un foldat, fous peine de mort, de quitter fon régiment , c'eft lui défendre d'être par tout oü n'eft pas fon régiment, & parconféquent de prendre fa nourrirure , de dormir hors du lieu oü fa qualité de foldat a dü le tenir attaché ; c'eft lui défendre d'êrre dans un couvent, a. plufieurs lieues du camp & de Ia garnifon , fur - tout pout y faire ferment de violer , pour toujours , le  Relioieufe mariée. 427 contrat qu'il a formé avec le roi , & d'abdiquer a jamais la difcipline militaire , pour ne plus fuivre que la difcipline monaftique. Ainfi dire que 1'on ne condamné pas le foldat précifcment pour avoir fait des vceux, mais pour avoir déferté, c'eft abandonner la chofe , pour difputer fur les mots. Sans doute , le déferteur n'eft pas puni pofitivement pour avoir fait des vceux , mais paree qu'il n'étoit pas dans Pendroit oü un devoir indifpenfable 1'attachoit, &c qu'au lieu d'être dans un monaftère a faire des vceux , il auroit dü ctre fous fon drapeau & fous lesarmes. En un mot, la défenfe de déferter interdit abfolument toute aétion qui ne peut fe faire, par un foldat, qu'aurant qu'il eft en état de défertion. Or 3 il eft impoffible d'imaginer qu'il puiffe faire des vceux, après un an de noviciat, fans avoir déferté , fans avoir perfcvéré, & fans perfévérer encore dans fa défertion & dans fa révolte. Enfin , par arrêt du 1 9 décembre 1769 , 1'émiffion & 1'admiffion des vceux du foldat furent déclarées nulles. 11 fut fait défenfes a tous fupérieurs des maifons religieufes de recevoir au no-  42§ Religieuje mariée. viciat, & d'admettre a la profeffion aucune perfonne engagée dans les troupes du roi. La liberté Ia plus entière doit donc toujouts accompagner 1'émiffion des vceux , Sc fans cette circonflance , ils font abfolument nuls. La caufe donc je vaL rendre compte en eft une nouvelle preuve. Le (leur Dantail avoit eu, d'un premier mariage , deux filles, Louifi &C Henriette. La première étoit ornée de tous les charmes des graces Sc de la beauté. A ces avantages , Péducation, Sc un efprit facile & pénétrant avoient ajouté tous les talens que la forrune de fon père , qui étoit confidérable, avoient pu lui procurer 11 n'eft point fait mention de la beauté de Hemiette ; il paroit qu'elle étoit confondue avec toutes les perfonnes du fexe, qui ne fixent ni en bien ni en mal Pattention du public. Auffi ne courut - elle point d'aventures , Sc ne fut elle point expofée aux révolutions qui agitèrent la vie de fa fceur. Le fleur Dantail , devenu veuf-*, époufa , en fecondes noces , Adrienne de Valmo'in, Elle avoit un rils, qui devint paffiounément amoureux de  Religieufe mariée. 429 Louife Dantail. II eut, pour rival , le fieur de Pradelle , lieutenant au régiment des gardes. Celui-ci neput voir, fans jaloufie , un jeune homme qui , demeurant dans la même maifon que fa maitreffe , avoit fur lui Pavantage de la voir a toutes les heures du jour, de pouvoir Pentretenir fans ceffe de fa paffion. On fcait Peffet que produifent fur un cceur, encore neuf, les complaifances affidues & les élogescontinuels d'un jeune amant. Mais comment mettre obftacle aux progrès d'un homme, qui n'avoit d'autre domicile que celui de fa maitrefie, & qui pouvoit , fans gêne, lui parler a fon gré , fous les. yeux mêmes du père & de la belle-mère de la demoifelle ? Un enlèvement fut le moyen dont le fieur de Pradelle crut devoir faire ufage. 11 en forma les préparatifs j on ne fcait fi fa mahrefle avoit donné fon confentement a cette entreprife; mais ces prcparatifs furent découverts par les yeux penetrants de fon rival , qui rompir les mefures que 1'on fe difpofoit a prendre, pour mettre ce projet a exécution. La fureur s'empara du cceur de Pamant qui avoit manqué fon coup ; les  43 o Religieufe mariée. deux rivaux (e défièrenc mutuellement, & fe donnèrent rendez vous pour fe batcre en duel. Les parents de la demoifelle en furent avertis a tems , Sc prirent les précautions néceifaires pour prévenir le combat. La dame Dantail, effrayée du danger que couroit un fils chéri, fit toutce qu'elle put pour le guérir de fa pailion. Elle lui repréfenta les dangers qu'il courroit en époufant une fille , dont les charmes lui donneroient néceffairement un grand nombre de rivaux; qu'il s'expofoic k fe voir tourmenté, pendant t#ute fa vie , par les fureurs de la jaloufie; que fon honneur Sc fa vie même feroient fans celfe expofés , fur - tout avec une perfonne qui avoit eu 1'art d'amufer deux amants a la fois. L'amour avoit poulfé des racines fi firofondes dans le cceur de ce jeune lomme , que toutes ces remontrances ne produifirent aucun effet. La mère cependant étoit abfolument déterminé© a empêcher ce mariage. Elle n'imagina point de moyen plus fur que de forcer fa belle fille a fe faire religieufe. La première propofition qui lui en fut faite éprouva un refus qui annoncoit la détetmination la plus abfolue de ne pas obéir.  Religieufe mariée. 431 . Pour vaincre cette réfiftance, la dame Dantail mit fon mari dans fes intéréts, & lui perfuada que fon repos & 1'honneur de fa familie exigeoient qu'il retirat fa fille du monde; que les charmes dont elleétoitpourvueoccafionneroient fans celle des rixes , qui ne pouvoient manquer d'avoir des fuites funeftes : qu'il paroiffbit d'ailleurs que la demoifelle Dantail n'étoit pas infenfible aux traits de Pamour ; que, fans cefie expofée aux difcours féduifants de tous ceux qui la verroient, il étoit prefqu'impolfible qu'elie ne fuccombar. Ainfi la beauté , qui eft ordinairement une fource de complaifances & de félicité pour celles qui en font ornées , devint, pour lademoifelle Dantail, une fource d'humiliations, de chagtins &deperfécutions.* Son père lui déclara pofitivement3 & d'un ron a faire entendre qu'il vouloit être obéi, qu'elle choifit entre un couvent ou elle feroit des vceux, & les Magdelonnettes. oü elle feroit enfermée le refte de fes jours avec les malheureufes que Pon y chatie pour leurs débauches. Cette menace , que la demoifelle Dantail avoit tout lieu de craindre de voir mettre i exécution , fit fon effet.  431 Religieufe mariée. Elle entra , en qualité de novice , au couvent de Sainte ■ Cla'tre , fauxbourg faint Marceaü. II paroit qu'on avoit établi, pour médiatrice entre elle ik fes parents, une dame du Frefne , dont la commiiiïon étoit principalement de déterminer la victime au facrifice qu'on lui préparoir. Elle vint a. bout d'engager la demoifelle Dantail a vaincre fa répugmce. « Vous ferez caufe , lui difoit uu jour * le P. Cauffin , que cette fille fera » damnée » en la conttaignant d'em» bralfer un état , auquel elle n'eft » point appellée , & pour lequel elle » témoigne tant d'averfion. II vaut » mieux , répondit la dame du Frefne , y> qu'elle foit damnée dans un couvent, » que de fouffrir qu'elle foit dans le y, monde la caufe de la damrfation d'une v> infinité de perfonnes , auxquels fa >> beauté ne manquera pas d'infpirer »> des defirs criminels ». Ces paroles , qui n'auroient jamais du fortir d'une bouche chrétienne , annoncent bien clairement que rien ne pouvoit détourner laréfolutionquel'on avoit prife de lier la demoifelle Dantail par des vceux en religion. Enfin les perfécutions 1'ayant fuivie jufques  Religieufe mariée. 433 jufques dans Pafyle oü elle s'étoit retirée , cette infortunée fe détermina a. prononcer des vceux. Avant la prife ci'habit, il y eut quelques débats entre les parents de la demoifelle Dantail, & la communautéa laquelle elle devoit fe lier. Les parents ne vouloient donner que 6000 livrei pour la dot, & les religieufes en exigeoient davantage. Voici une lettre que la demoifelle Dantail écrivit a la dame du Frefne 3 chargée de cette négcciation. n Ceft * jufte raifon que je vous puis » nommer ma vraie mère fpirituelle » ecant aiïurée que vous m'avez extrê» mement aidée i embralTer mon bien » & fuirmon malheur, qui feroit bien » grand, & quafi inévitable , li je re» tournois au monde; ce que je ne de» lire pas faire. » Vous Pêtes auffi pour Je temporel » puifque vous n'épargnez nullement » vos peines , qui font d'autant plus »> grandes , que vous avez a traireravec » des gens qui ne font pas fufceptibles » de raifon. _>>Gen'eft pas, madame, quejene » kache que £000 livres eft u„e dot m luffilante pour 1'ordinaire de celles  434 Religieufe mariée. » qui entrent en religion , & qui ne m font point incommodées : mais moi „ qui me la fens , & qui la fuis li bien >> en effet , que toutes les religieufes w s'en appercoivent , cela me fait dou» ter que je ne ferai pas recue, comme » on me le fait fentir 5 en difant que » 1'on ne me préfentera point a la com„ munauté. C'eft ce qui m'oblige a fup» plier mon père d'avoir égard a fa fille , m qui ne pour ra faire les jonclions de la » religion ; que ,par confe'quenc, il fau» dra difpenfer de beaucoup de chofes ». On voit y par ces expreffions, a quel noviciat la demoifelle Da mail fe difpofoit. Elle aura befoind'être difpenfée de beaucoup de fonctions de la vie religieufe : quelle probation , quelle épreuve pouvoit-elle donc faire? Comment connoitra-t-elle les rigueurs de Ia règle a laquelle elle va vouer le refte de fes jours , fi elle en élude la pratique ? Quoi qu'il en foit, il paroit que 1'on s'accorda enfin fur le prix que méritoient les indulgences qu'exigeoit la viétime que 1'on vouloit immoier. Elle prit le voile, fit fon noviciat, & ptonon^a enfin les vceux. La cérémonie fe fit avec toute la pompe qui accompagne ordinairemenc ces fortes de facrifices. « Sa  Religieufe mariée. 435 » profeffion ,difoit un des avocats qui » plaidèrenc dans cette caufe , fut pu» bIlque Sc volontaire,dans une grande » affemblée, en la préfence d'un grand » prince, après avoir entendu les éloges » de la vie religieufe par une des bou» ches les plus éloquentes du royaume : » on y voit un père fondre en larmes " » tout le monde compatit a la douleur » du père, & admira Ie courage de la » fille qui faifoic éclater une joie toute *> divine ». Cette profeffion fe fit en 1 63 5 , & quoi qu'on en dife, elle ne fut pas'aufli volontaire qu'on 1'annoncoit. II paroit que la profeffion fut précédée & fffivie de proreftations fignifiées au P. Favier cordeher , fupérieur Sc confeffieur de Ia communauté. Quelques années fe paflerent, fans aucun mouvement, ni de Ia part de Ia religieufe , ni de la part de fa familie, relativementa fes vceux; mais il furvint| dans cette familie, des troubles dont il eft néceflaire de rendre compte. Henriette Dantail, fceur cadette de celle dont on vient de parler , avoit époufé un fieur Nico/as le Vacher • Sc elle avoit été mariée par fon père comme feule Sc unique héritière. TH  43 6 Religieufe mariée. Le fieur le Vacher crut remarquer que la feconde femme de fon beau - père abufoir de i'afcendant quelle avoit pris fur 1'efprit de ce vieillard, pour diffiper fon bien , U le tourhér a fon profit. Ii s'appercut entr'autres, qu'on avoit fait difparoïtre trois effets , montant enfemble a la valeur de 2.8000 livres. Pour arrêter cette diffipation , il crut devoir faire interdire fon beau - père , dont, difoit il, la vue étoit aufti foible que 1'efprit ; 8c comme 011 couroit , ajoutoit-il , a grands pas, a la mine totale de ce vieillard , Sc qu'on ne pouvoit trop promptement y mettre un obftacle efficace , tl eüt recours a la procédure la plus prompte. Au mois de février 1642 , il préfente fa requête en interdiétion; au mois d'avrililobtient fentenee, qui lui adjuge fes conclufions. Mais, au mois de mai fuivant 3 cette fentenee fut infirmée par un arrêt, qui rétablit le fieur Dantail dans tous fes droits. 11 paroit cependant que cet arrêt fut pafte de concert, 8c que le gendre fe prêta a prévenir un jugement contradictoire qui ne lui auroit pas été favorable > Sc qui, dans la main de fon beau-père, eüt été une arme qui auroit pu lui potter de grands préjudices. Mais  Religieufe mariée. 437 Ie coup étoit porté, & jamais le vieiblard ne pardonna a fon gendre 1'affront qu'il avoit voulu lui faite, Retournons au couvent , & voyons ce qu'y faifoit la demoifelle Dantail. Tous les devoits de fon état lui étoient a charge; la fubordination lui éroit infupportable : fon humeur faifoit reculef les religieufes qui vouloient lui parler, &c , comme elles le difoienr elles-mêmes, il falloit méditer quatre jours une parole avant que de la hafarder : encore ces précautions ne prévenoient-elles p?s les brufqueries que 1'on avoit voulu éviter. Elle n'avoit de moments paifibles qué ceux qu'elle pafloit au parloir avec le fieur Coufturier, dont elle avoit, on ne feait a quelle occafion , fait la connoiffance. 11 étoit le confident de fes chagrins; elle lui racontoitles perfécutions & les violences qu'elle avoit éprouvées avant fon entrée dans le monaftère pendant fon noviciat, les précautions qu'elle avoitprifes contre l'engagemenÉ qu'on lui avoit fait contraöer ; elle lui faifoit pan de la conduite qu'elle tenoit avec les religieufes. 11 la confoloit, lui eonfeilloit de montrer toujours de l'é» loignement pour les fers dont on 1'aTüj  43 8 Religieufe mariée. voit chargée , & dans lefquels on Ia retenoit, & de ne rien faire dont on püt induire qu'elle avoit ratifié 1'efclavage dans lequel elle gémilfoit. II lui faifoit efpérer qu'elle recouvreroit fa liberté , &c 1'exhortoit a attendre patiemment qu'il fe préfentat un moment favorable pour faire éclater fa réclamation. On voulut, dans ce tems-la , mettre 1'höpital de Lagny fousla diredtion d'une communauté de cordelières.La demoifelle Dantail obtint la fupétiorité de ce nouvel établilfement. Les religieufes du couvent oü elle étoit favorifèrent ce choix: il les débarralföit d'un fujet qui, par fon humeur & fa répugnance pour les exercices clauftraux , leur devenoit chaque jour plus incommode. De fon coté, elle fe vit, avec joie, dans une place qui, 1'établiffant maïtrelTe de fes compagnes , 1'autotifoit i fe difpenfer de beaucoup de détails gênants & défagréables de la règle. Avant de partir pour ce nouvel établilfement , elle eut foin de protefter de nouveau , par des acres publics , qu'il ne pourroit lui faire préjudice , être tiré a conféquence , ni regardé comme une nouvelle ratification de fes vohix j contre lefquels elle fe réfervoic  Religieufe mariée. 439 Ia faculté de fe pourvoir en tems Sc lietu On vouloit que la communauté qui s'établiffbit a Lagny fut exempte de la jürifdiclbion de M. 1'archevêque de Paris y Sc foumife a celle des cordeliers, fupérieurs nés des religieufes deSainteClaire. Le prélat défendit fes droits. Le fieur k Facher , beau-frère de la demoifelle Dantail, avoit toujours Pceil attentif fur la conduite de fa bellefoeur. II n'ignoroit pas que ce n'étoit point de fon gré qu'elle avoit embraffé la vie religieufe ; il étoit inftruit des moyens qu'on avoit mis en ufage pout forcer fa réfiftance.Les aétes de proteftation qu'elle avoit faits avant Sc après 1'émiffion de fes vceux ; celui qu'elle avoit réitéré enpartant pour Lagny, ne lui étoient point inconnus, D'ailleurs, la liaifon de la religieufe avec le fieur Coujlurkr Palarmoit d'autant plus , qu'il fcavoit que ce jeunehomme , qui fe defflnoit a. la magiftrature , avoit quelque connoiffance des loix , Sc étoit, par fes liaifons , a portée de s'inftruire a fond de la jurifprudence qui concerne les vceux en religion. 11 ne douroit pas que les charmes de fa belle-fceur n'euffent fait impreffion fur fon cceur , 6c qu'un homme , aimable* Tiv  440 _ Religieufe mariée. par Itii-même , dont la fortune répondoit a celle que recouvreroit la demoifelle Dantail, en rentrant dans le fiècle, ne fütpayé de retour. Si cet événement arnvoit, fa femme , qu'il avoitépoufée cemme unique hcritière, feroit obligée de partager également , avec fa fceur , une fortune qu'il avoit cru lui être réfervée tout entière. II croyoit que les deux amants n'attendoient que le décès du keur Dantail, pour faire éclaterleur projer, & fe pourvoiren nullité contra des vceux qui s'oppofoient a 1'accomplilfement de leurs defirs. Latranflation de fa belle-fceur a Lagny mettoit le comble a fes alarmes; N'étant plus gênée par aucune fupéneure, étant fupérieure elle - même , elle n'avoit plus de permiffions a demander a perfonne pour entretenir le fieur CouJIuritr. L'enrrée du parloir lui étoit ouverte quand il le jugeoit a propos; la fupérieure recevoitfes vifitesfans contrainte, & les prolongeoir tant que les devoirs indifpenfables de fon état ne la forcoient pas de les interrompre. Ils n'avoientd'autres mefures a garder, que celles qui étoient néceffaires pour prévenir le fcandale , & óter a leur Kaifon toute apparence de libertinage.  Religieufe mariée, 441 lés fcavoient bien que , s'ils euffènt donné , a cet égard , lieu au plus léger foupcon , toutes leurs mefures auroient été rompues ; toute entrevue , toute cotrefpondance leur eüt été interdite , Sc la religieufe eüt été renfermée , Sc tellementreflerrée, qu'elle auroit perdu toute relation avec ['extérieur du couvent. Cependant le fieur le Vacher feut répandre des couleurs défavorables fuc les fréquentes vifites du fieur Ccujlurier,, qui étoit obligé , pour fe procurer le plaifir de voir la fceur Dantail, de faire le voyage de Paris a Lagny , qui en eft éloigné de fix lieues ; il fit fes efforts pour donner a ces démarches les cou?leurs du vice. Outre cette circonflance , il feut fe prévaloir d'une autre. Ilfitentendreque la fceur Dantail étoit caufe de la divïfion quialloit éclater entre M. 1'archevêque de Paris Sc les cordeliers. La vi-gilance de ce prélat , difoit-il, éclairée de celle des ecciéfiaftiques- qu'il auroit chargés de gouverner fous lui- le nouvel établilfement, ala tête duquelon avoic placé fa belle-fceur, auroit gêné legoüc qu'elle avoit pour 1'indépendance. Om fijait, au contraire , que les cordeliers'  441 Religieufe mariée. ne font pas auftères & qu'ils fe corrtenrent d'une difcipline facile, pourvuque le fcandale foit éludé. C'eft ainfi que cet homme avide fe permettoit de compromettre 1'honneur d'un ordre y wtile a 1'églife pour 1'inftruction des tidèles & I'adminiftration des facrements.. C'eft fous ces prétextes que le fieur le Vacher follicita & obtint un ordre qui fit fortir fa belle - fceur de Lagny , Sc la replaca dans le monaftère oü elle avoit fait profeffion.. Toutceci fe paffoit dans le tems même que le fieur le Vacher pourfuivoit fon beau-père en interdi&ion, la religieufe crut que Ie moment étoit favorable pour fecouer le joug qu'elle portoit avec tanr de répugnance depuis fept ans. Elle ne dbuta pas que fon père & fa belle - mère , irrités des procédés injurieux du fieur le Vacher , ne repriffent enfin, pour elle , les fentiments qu'elle n'avoit pas mérité de perdre, & qu'ils ne convinffent juridiquement qu'ilsTavoient contrainre a prononceer les vceux qui avoient autorifé fa fceur a prendre la qualité de feule héritière delen père. Illie: ne fe trompa pas dans fes con>  Religieufe mariée. 44$ jeccures. lis lui promirenc tous les fecours qui dépendroient d'eux dans l'entreprife qu'elle leur dit avoir réfolu de former pour faire anéantirfes vceux, &£ fe procurer la liberté d'époufer le fieur Coufturier, dont 1'alliance luiconvenoit a tous égards ,-. & auquel elle étoit attachée par les fentiments de la reconnoiffance qu'elle lui devoit pour les con« folafions qu'elle en avoit recues dans le cours de fes chagrins. Ils firent plus: dès qu'elle fe fut mife en règle , pour obtenir un refcrit de cour de Rome, elle fortit du couventv Sc ils la recurent dans leur maifon. Le refcrit follicité arriva : il étoit! adrelfé, pour être fulminé , a 1'official de Paris , &• prononcoit la nullité des vceux , fous dirférentes conditions: Ia première, que 1'impétrante rentreroic dans fon couvent, & y reprendroit 1'ha-bit pendant 1'inftance, qui devoit s'inftruire pardevant 1'official, contradictoirement avec le promoteur , fur 1'admillion du refcrir. La feconde condition étoit , que' tous ceux qui avoient intérêt a s'oppofer la difTolution des^ vceux , feroient mis en caufe.- Ces perfonnes intétefféesétoient les parents & les religieufes.T vj  444 Religieufe mariée. Par une autre claufe exprelTe , Timpétraute étoit relevée du laps des cinq ans qui s étoient écoulés , & au dela , depuis 1'émillion des vceux jufqu'a la réclamatipn. Le ref:ric fut préfenté a ï'officialité; lepere ceux auxquels il feroit contihuellement expofé , s'il perfiftoit dans Tintention de. 1'époufer a Ia face d'un rival fürieux, &:. qui paroiffoit avoir la préférence dans le cceur de la demoifelle Dantail', lui avoient fait prendre larèfölution irrévocable de réduire une fille qui lui paroilToitfi dangereufe, a l'impo/hbilité de fe marier, Son fils ne pouvoit foutenit, fans fureur, i'idée de voir paffer fa maitreffe dans les bras d'un autre homme.. LeSra^ Pradelle , qui avoit des pré»en«dons , fondées fur des promeffes vraiès cu faulfes, mais dont il fe vantoir, étoit réfolu de tout entreprendre pour n'être. pas témoindu triomphe de fon rival. Dans cette perplexitc', elle ne vit: d'autre. moyen pour empêcher les mal?-  Religieufe mariée. 445; fieurs dGnt cui étoit menacé, que d'enfermer . pour toujours, dans un clottre, des appas qui pouvoient faire naitre des accidents fi funeft'es. Pour y réuilïr , elle engagea fon mari. a faire entter, fut-ie champ, fa fille dans un couvent. 11 n'eut pas de peine a y confentir, ledanger étoit imminent.. Mais ce n'étoit pas alfez, il falloit lier,, pour jamais, la victime. D'un coté elle dit expieffément, Sc prouva par les fairs , a fa beUe fille , qu'elle devoit s'attendre a ne jamais rentrer dans la maifon paternelle, Sc que les traitements les plus rigoureux feroient déformais fon partage. D'un autre cóté , elle avoit profité de 1'efprit complaifant de fon mari, Ï)our le faire entrer dans fes vues ; elle ui avoit infpiré la crainte qu'elle avoit concue elle-même des malheurs que les, charmes de fa fille pouvoientoccafionner dans le monde. Il 1'avoit menacéé' de mort, deprifon Sc d'infamie. Qu'elle meure , difoit - il, qu'elle fe damne pourvu qu'elle foit religieufe.Telle fur,. en fubftance , la déclaration juridique. de la dame Dantail. Le fieur Dantail fit , a p°u prés, le; tnêrne técit que fa femme , Sc convint:  446" Religieufe mariée. que c'étoit la violence 8c les menaces dont il avoit ufé qui avoient précipité fa fille dans le cloitre, pour lequel elle avoit toujours témoigné 1'averfion la plus décidée. II termine foninterrogatoire par cette déclaration formelle ; « qu'après avoir confulté des do&eurs » de Sorbonne Sc cafuiftes, defquels il » a pris 1'avis par écrit, il ne veut pas, » en lage oü il eft, continuer fes vio» lences envers fa fille, reconnoiftant » l'averfion qu'elle a toujours eue pour » la religion , partant, confent qu'elle » fe pourvoie par les voies ordinaires Les faits avoués par le mari Sc par la: femme furent confirrnés dans une enquête , compofée de plufieurs témoins, qui détaillèrent des circonftances que les fieur Sc dame Dantail n'avoient cru que devoir indiquer : ils auroient eu honte de lesdévelupper eux-mêmes. Aux termes du refcric, il falloit en-' core connoitre la facon de penfer des religieufes. Outre roflicial, le refcrit avoit été adrefte au provincial des cordeliers , comme fupérieur immédiat de la communauté oü les vceux' avoient été prononcés. Le provincial avoit fubdélégué le P. Belin , qui, ert' cette qualité le iï novembre 164,1 r  Religieufe mariée. 447 fe tranfportaau couvent pour dénoncer la procédure a I'abbeffe , &t la fomma de déclarer fi elle entendoit intetvenir Sc empêcher rentérinement du refcrit. Le procés-verbal qu'il rcdigea nous> apprend que I'abbeffe répondit , pour elle & pour fes religieufes : « Qu'elles » ne vouloient s'oppofet ni empêcher -v j» ne fcavoient au vrai fi elle avoit été j» forcée; que plufieurs de la commu» nauté ne la vouloient recevoir; qu'elle » étoit froide en fes exercices , & que « fouvent elle difoit qu'elle faifoit de » néceffité vettu \ qu'elle & le couvenc » ne feroient guere contents de la reit» prendre , quand elle fe feroit pré» fentée , s'eftimant plus heureufe d'ê»■ tre déchargée du foin d'une telle re~ »ligieufe ». A cette déclaration3 fi claire & fi dé-cifive par elle-même , on joignoit une lettre , écrite par I'abbeffe, en réponfe a une autre que la demoifelle Dantail lui avoit écrite après fa fortie du couvent. Cette religieufe étoit maitrefle des novices lorfque la demoifelle Dantail entra dans le couvent 5 & étoit abbefle quand elle en fortit. Voici comment elle s'exptimoir: « Vous dites que ce n'eft pas d'au*-  44 § Religieufe mariée. n jourd'hui que vous reconnoiftlz mon » ftyle ruftique & oflênfantjque je vous » ai tenu d;.s rigueurs dans mes charges » de noviciat & de fupérieure , & qu'il » n'apparcientqu'a moia tenirdes per» fonnes en captivicé; que j'ai de fales » &c vilaines penfées ; que je vous ai » écrit une lettre de médifance. Vous » m'accufez de vous avoit traitée avec « rigueur. Hélas! ma bonne fceur , ce » n'eft pas ce qui me fait trembler ; » mais bien au contraire, d'ctre févc» remeiit reprife au jugement de Dieu « de vous avoir donné trop de liberté, » traitée trop doucement. Un efprit li» bertin , inconftant, vain & dcréglé » comme le vötre devoit être conduic » d'une autre facon. Si nous avions a en » conduire une de même que vous-, » nous y fommes apprifes a nos dépens. » Mais le bon Dieu nous en veuiüe bien » garder: une feule perfonne nous don» noit plus de peine que toutes les af» faires du monaftère. II falloit mé» diter quatre jours une parole devanr » que vous la dire , encore vous met» tiez-vous dans des boutades étranges »&des vanteriesinfupportables.Quelle »> pette faifons nous en votre per}* fonne?. Notre eommunuuté s'eftime'  Iteligieufe mariée. 449 »> fort heureufe d'en être déchargée , fi » ce n'étoit que vous voulufliez changer » de vie & de facons de faire ». II paroit donc qu'il n'y avoit plus de contradicreur légitime qui traverfat Ia réclamation de la demoifelle Dantail. Son père étoit encore vivant alors ; il étoit fa feule partie légitime, elle 1'a mis en caufe . il a été interrogé ; il a reconnu la vérité , il 1'a avouée, fans autre impulfion que le repentir ; il eft convenu de la violence qu'il s'eft permife pour forcer fa fille a fubir le facrifice qu'il exigeoit d'elie. Adrienne de Valmonn , fon époufé, Sc belle-mère de la demoifelle Dan.) 'ta.il, délivrée de la terreur panique qui avoit dirigé fes démarches, qui avoit été motrice Sc témoin de tout ce qui s'étoit paffe , a été entendue ; elle a découvert les refforts les plus caché's d'une aétion qui étoit 1'ouvrage de fa volonré & de fa paftion. Elle a reconnu que 1'averfion de fa belle - fille pour !a vie religieufe ne pouvoit lui être cachée, puifqu'elle avoit été inftruite des différentes proteftations contre fa prife d'habit, contre la profeffion Sc contre Ia tranflation a Lagny. Tous ces acres d'ailleurs avoient été vus Sc rapportés*.  450 Religieufe mariée. Les religieufes, comme on vient de le voir , ne prenoient aucun intérêt a 1'ifïue de cette affaire , 5c , loin de fouhaiter de garder leur religieufe, elles defiroient s au contraire , de s'en voir débarraflées. On pouvoit donc penfer qu'il n'y avoit plus de légitime contradidteur qui put s'oppofer a Fentérinement du refcrit ; mais le fieur le Vacher , beaufrère de la réclamante, intervint, & préfenta requête , par laquelle il demanda que fa belle-fceur fut déboutée de fa demande. Le fieur Dantail père s'éleva contre 1'entreprife de fon gendre. II prétendit que cette dématche étoit un attentac contre 1'autoritc paternelle \ atrentat d'autant plus ridicule & d'autant plus téméraire , que cet homme n'étoit entré dans fa familie , par fon mariage, que depuis un an , qu'il ignoroit tout ce qui s'étoit paffé , puifque ces évènements avoient précédé fon mariage de plus de cinq ans . Que cet homme, auflitöt qu'il eut contract? 1'alliance qui fervoit de prétexte a fon oppofition avoit, par les prétentions les plus outrageantes , mis le ttouble dans la familie ou il étoit entré \ il avoit voulu faire interdire fon  Religieufe mariée. 451 beau-père. Débouté de cecce indecente prétention , il vouloit au rnoins , dans une conteftation fi favorable pour la réclamante, partager la puifiance du père de familie, Sc même fe 1'attribuer tout a fait , en enlevant a celui qui en étoit revêtu la foi qui lui étoit due touchant les évènements qui arrivent dans fa maifon , Sc lui interdire la faculté de portet fon jugement fur cesévènements. Ces confidérations , que les loix , les bonnes mceurs Sc le bon ordre autorifent , peuvenr-elles être mifes en balance avec le motif qui fait agir le fieur le Vacher ? Sous prétexte qu'on a donné a fa femme , quand il 1'a époufée , la qualité d'unique héritière du fieur Dantail , il veut profiter d'une erreur qui étoit le fruit de la violence , pour envabir route la fortune de fon beau père. 11 n'a pas réuffi dans la tentative qu'il a rifquée de s'en rendre 1'unique Sc le fouverain adminiftrateur, il veut, au moins, s'aflurer 1'efpoirde larecueillir en totalité ; Sc dans ce point de vue , il veut que 1'on réalife des vceux chi— mériques, Sc que 1'on retienne fa bellefceur dans un efclavage dont les rigueurs font hors de toute expreffion r quand la perfonne qui s'y eft fournife  4 51 Religieufe mariée* ne Pa fait que par contrainte , & continue de porrer des chaines qui la tiennent dans une fervitude que fon goüt Sc fa volontén'ont jamaisceiTé de détefter. Les vceux auxquels ce barbare veut que Pon donne de la réalité font eflentiellement nuls ; la perfonne de qui on les a arrachés par force n'a donc perdii aucun des droits de cité ; elle n'a jamais perdu la faculté de recueillir fa part dans la fucceflion paternelle. L'avidité de fon beau-ftère le rend donc coupable de la barbarie la plus atroce Sc de 1'injuftice la plus révoltante. Eftil poffible que de pareils motifspuiflènt ctte écoutés dans aucun tiibunal ? Ne font-ils pas faits , au contraire , pour être rejettés avec mépris Sc avec indignation ? L'oificial joignit cet incident au fond. Le fieur le Vacher interjetta appel comme d'abusde ce jugement, Sc nonobftant eer appel , intervint fentenee définitive , qui déclara la profeflion nulle, Sc rendit Louife Dantail au fiècle. Cette Sentence fut a peine rendue, que Pon entendit publier un ban dans 1'églife de Sainte- Opportune , entre le fieur Francois Couflurier & la demoifelle Louife Dantail. Ce ban avoit été  Religieufe mariée. 4^3 précédé d'un contra: de mariage , fait du confentement, &c fous les yeux du fieur Dantail père , qui affigna a fa fille une dotaprendrefurtousfes biens. Le fieur le Vacher fit figniner un acte d'oppofition au curé de Sainre-Opportune qui, appuyé du confent ment du père de la fille , déclara qu'on avoit obtenu difpenfe pour fe marier , même pendant 1'avant, & pour la publication des deux derniers bans; que pour lui, il avoit donné pcmilfion d'époufer dans une autre paroiffe. Pareille oppofidon fut fignifiée au grand-vicaire , qui ne fit point de réponfe. On la fignifia au fcelleur de 1'archevêché; mais toutes ces fignifications n'eurent aucun effer ; le mariage fut célébré. On ne crut pas que 1'oppofition d'un beau-frère dütprévaloirfur le confentenent du père , qui non-feulement toléroit ce mariage , mais avoit témoigné le defirer; & au bout de neufmois exadement, cette jeune époufé accou» cha d'un fils. Elle n'étoit pas encore au terme des perfécutions qu'elle étoit deftiuée a. cprouver. Le fieur le Vacher interjetta appel comme d'abus de l'exécution du refcrit, de la fentenee qui 1'avoit enté-  4^4 Religieufe mariée. riné , & de la célébration du manage. Le refcrit eftabuuf, difoit il, en ce que la ré.lamation contre les vceux n'a été faite que long tems après les cinq ans. Le texte du concile de Trente y eft précis. « Nul régulier , y eft-il dir , »feff. 15 , cap. 19 , qui prétendra ctre » entré par force ou par crainte, en re» ligion , ou qui dira même qu'il a fait » profeffion avant 1'age requis, ou quebj » qu'autre chofe femblable , ou qui » voudra quitter 1'habit, pour quelque « caufe que ce foit, ou s'en aller avec »1'habit fans la permiflion des fupé» rieurs , ne fera aucunement écouté , s> s'il n'allègue ces chofes dans les cinq » premières années du jour de fa pro» feffion ; & li encore alors il n'a dé» duit fes prétendues raifons devant »> fon fupérieur, & Pordinaire , & non » autrement. Si, avant les démarches »> dont on vient de parler , il a quitté » 1'habit, il ne fera , fous aucun pré>» texte, recu a alléguer fes raifons ; » mais il fera contraint de retourner a. » fon monaftère , & fera puni comme » apoftat , fans pouvoir cependant fe » prévaloir d'aucun privilège de fon » ordre (i) ». (i) Qukumtpic rceularis prattndit ft per vim  Religieufe mariée. 45 j Ces canons ont été adoptés en France, pour la trancjuülité des families qui pourroient a tout inftant, être troublées par les réclamations inattendues de religieux ou de religieufes , qui viendroient, au bout d'un long tems,demander a rentrer dans des fucceflions échuesck partagées pendant qu'ils étoient dans le cloitre , & fur la foi de l'abdication folemnelle qu'ils avoient faite de tous les droits de la vie civile. Si 1'on accueilloit ces réclamations après un long efpace de tems , oü aller chercher des biens qui auroient été divifés & fous divifés par des partages entre différentes branches d'héritiers, qui auroient été aifujettis a des dots, a des douaites , qui auroient été aliénés , hypothéqués , &c. &c. ?j & metum ingreffum ejfe religionem ; aut etiam dicat anti tztatem debitam profejfum fuijfe , aut quidfim'ih, velitque habitum dimittere qudcumque de caufd , aut etiam cum habitu difcedere finelicentidfuperiorum , non audiatur , nifi intra quinquennium tantum a die profefllonis, & tune non aliter, niji caufas quas pratenderit, deduxerit cordm fuperiote fuo, & ordinario. Qvbdfi antea habitum fponte di'r iferit, nulla teniis ad allegandum quamcumqve caufam admit. tatur; fed ad monaflerium rtdire cogatur , fi» tanquam apoflata puniatur. Interim verb nullo privilegio fux religionis juvetur. Concil. Trid. Seff. 25, cap. 19.  456 Religieufe mariée. C'eft pour prévenir ces troubles que 1'ordonnance du 15 janvier 1629,are. 9 , porre que , routes perfonnes qui, après i'an de probarion , auront pris 1 habir de religieux profes . de quelque ordre que cefoit . & demeuré cinq ans dans le monaftère oü ils Pauront pris , ou autre du même ordre , feront cenfés Sc réputés profès; Sc partant incapables de difpofer de leurs biens, fuccéder a leurs parents ni recevoir aucune do* nation. Ainfi, quand on fe préfente après les cinq ans pour réclamer contre 1'émilfion des vceux , on eft déclaré nonrecevable. Cette jurifprudence eft prouvée par plufieurs arrêts rapportés par Fevret, traité de l'abus , Üy. 4 , chap. Pour prévenir cette fin de non - recevoir , il eft affez d'ufage de faire inférer , dans le bref, une claufe qui relève du laps des cinq ans. Mais, dit le même auteur , n0. 25 :« Telle claufe »j eft annullée Sc rejettée comme abu» five, attendulacontraventionau con>> cile & a la police univerfelle du » royaume, autorifées par les fynodes » provinciaux Sc préjugés des cours fou•* veraines , rapportés par Me Julien Brode au 3  Religieufe mariée. 4^7 » Brodeau , lét, C. nomb. 8 dés arrêts » de M. Louet ». Le même jurifconfulce nous apprend que cette fin de non-recevoir eft accueillie , lors même qu'il fe trouve quelque vice dans la profeffion : fi , par exemple, elle a été faite avant 1 age, ou fi elle a été forcée. La perféyérance du fejour dans le couvent, la perfévérance a porrer 1'habit, & a fuivre toutes les pratiques de la regie pendant plus de cinq ans , couvre les défauts.qui pourroient fe tfouver.dans 1'émiifiou des vceux; le filence du profes les anéantit. Si enim proclamare voluit, cur tamdih. Xacuit ? Can. 1, ex. de frigid. & makfic. Fevret, ibid. n»t 25 , rapporte un arrêt remarquable. Gabrielle de SaintBelln , religieufe a Palangis , n'avoic fait que cinq mois de noviciat, & avoic pafte le refte de 1'année en la maifon de fon père. Elle rentre dans le monaftère, 'fait fes vceux , & , pendant cinq ans remplit toutes les fonctions de religieufe. Ce tems expiré, elle obtient un bref du pape , .qui annulle fes vceux , & la relève du laps de tems. Ses parents appellent comme d'abus; & , par arrêt du parlement de Paris , rendu le Tome XVUI. y  4? 8 Religieufe manee. xx mai 1647 , ü &t dit Y avoIt abus. A En voici un autre rendu par le merrie parlement, qui n'eft pas moins remarquable. Une demoifelle de Pienne avoit fait profeftion en religion a lage de douze ans fix mois , contre fon gre. Ces faits de violence étoient juridiquement conftatés par 1'information , qui fut faite lors de 1'entétinement du bref de cour de Rome, qui la relevoit de fes vceux. Mais elle ne 1'avoit obtenu que plufieurs années après 1'expiration du terme fixé par le concile. •-• Perfonne ne s'étant ©ppofé a la fulm'mation de fon bref, elle fe crut libre , 8c contra&a mariage. Devenue veuve, elle pourfuivit, contte les héritiers de fon mari , l'exécution de fon contrat de mariage , 8c le paiement des avantages matrimoniaux ftipulés en fa faveur. Les hétitiers du man qui, ayant ete jufques-la fans intérêt , avoient gardé le filence, foutintent que cette femme étoit non-recevable dans fa demande , attendu fa qualité de religieufe , contre laquelle elle n'avoit point reclame dans le tems prefcrit par les loix cano«iques 8c par la jurifprudence. En con-  Religieufe mariée. j^t^ féquence , ils interjettèrent appel comme d'abus de la fulmination du refcrit. Par arrêt du 3 1 mars 162,6, la femme fut déboutée de fes demandes , & obtint fimplement unepenüon alimentaire. II fut donc jugé que des vices aufïi effentiels que Ie défaut d age & Ia violence bien conffatée 3 avoient été couverts par le fdence de la religieufe , pendant un fi long efpace de tems. Coaclio ,Jt qmfuerit in vod emijjione , & perfeverantia fubfequentis temporis penitus profugatur. Cap. 7 , extra. Qui clerc. vel voventes matrimonïum contrah. poff. _ Je ne tranfcrirai pas d'autres arrêts de différents parlements rapportés par Ie même auteur, qui ont jugé , conformément a ces principes. ■Fevret examine enfuite fi des actes de proteftation faits en fecret 3 pardevant un officier quelconque , peuvent interrompre la prefcription decinq ans établie par le concile de Trente. II difcutecettequeftion , a1'occafion d'un arrêt rendu au parlement de Dijon , le 23 mars 1657. Jeanne Jacquinet, fille de Jean Jacquinet de Panffjière , prit 1'habit de religieufe du vivant de fes père & mèrea  4r5o Religieufe mariée. dans le couvent'de faint - Julien, diocèfe d'Aucun. Après 1'année complette du noviciat, elle fit profeffion entre les mains de la fupérieure , au mois de novembre 1649. < _ Quelques mois avant 1'expiration des cinq ans, elle va a Autun , avec lapermiffion de la fupérieure , & , par aéte pafTé devant un notaire apoftohque , elle déclare qu'elle n'avoit jamais eu 1'intenrion de fe vouer i la vie religieufe ; que fa volonté avoit été forcee, & qu'elle étoit dans la réfolution de la quitter. Cet aéte fait Sc figné , elle retoume a fon couvent, y reprend fes exercices ordinaires, Sc atcend la mort de fon père pour donner fuite a fa proteftation. L'évènement qu'elle attendoit arriva vincrt-un mois après 1'expiration des cinq ans , depuis 1'émiffion des vceux. Elle obtint alors un refcrit de Rome , qui fut adreffé a 1'évêque d'Autun Sc aü fupérieur régulier du monaftère ou Jeanne Jacqumet avoit fait profeffion. Elle fit affigner fa mère , pour voir entériner le refcrit, Celle-ci demanda que fa fille füt tenue d'articuler les faits (ie violence qu'elle prétendoit avoir etc employés,, pour la forcer a fe faire re-  Religieufe mariée. 461 ligïeufe. : ce qui fut ordonné par {'official , & trois jours après , fentenee définitive 3 qui ordonna que le refcrit de Rome feroit exécuté & fulminé feJon ia forme Sc teneur ; la religieufe fut difpenfée de fes vceux 6c rétablie dans 1'état féculier. Le mère interjetta appel comme d'abus de cette fentenee , 6c fonda fon appel principalement fur ce que la réclamation de la religieufe n'avoit été faite qu'après les cinq ans , expirés da jour de fa profeffion. Cette réclamation, difoit - elle , ne peut être faite qu'entre les mains de celui qui a droit d'accorder la difpenfe : or, ce droir appartient au pape exclufivement. Pour fatisfaire au concile , c'eft au fouverain pontife qu'il faut propofer la fupplique de réclamation , laquelle doircontenir les motifs qui 1'autorifent ; 6c ces motifs doivent être prouvés devant les juges délégués par le pape. [L'acte pafte patdevant le notaire apoftolique , portant que Jeanne Jacquinet entendoit réclamer contre fes vceux , quoique daté avant 1'expiration des cinq ans , ne peut produite aucun effet. II annonce bien un deftein formé V iij  462. Religieufe mariée. de réclamer; mais il n'opère pas la réclamation , qui devoit, non pas être en projet, mais être réalifée , & adreflee i la perfonne qui , feule, la pouvoit recevoir. Le tems de cinq ans , continuoit-on , a été fixé par le concile , afin que 1'état des families ne füt pas toujours en fufpens , & que ceux qui croiroient pouvoir abdiquer 1'état religieux fe pourvuftent dans letems prefcrit, étant bien informés que le terme eft irrémifliblejnent fatal. S'il fuffifoit de faire un adte pardevant notaire , pour établir qu'on a réclamé dans les cinq ans , ce feroit un moyen bien facile d'éluder la difpofition du concile ; ce feroit autorifer la fraude & expofer les families a des jévolutions continuelles & toujours imprcvues. Sous prétexte de ces acres clandeftins , les parents feroient toujours dans Pincettitude de la ftabilité des vceux des religieux profes. Dans les families oü fe trouveroit un tel fujet , nul établiffement ne pourroit fe faire , fans qu'on eüt lieu d'appréhender de le voir renverfer ; nul contrat de mariage ne feroit alfuré dans fes claufes. On verroit ceux qui, long - tems après les cinq ans expirés , feroient reftés tran-  Religieufe mariée. 463 quilles dans le monaftère & fous 1'habit religieux , faifant même exaéfement les foncfions de la règle, après la more de leurs pères & mères , obtenir des refcrits de cour de Rome^ les faire valoir Sc rentrer dans tous les droits du fiècle, fous prétexte d'une proteftation fecrette faite dans le tems utile. Cependant, fur 1'appel comme d'abus, les parties furent mifes hors de cour Sc de procés. « II eft bien raifonnable , dit Fe» vret , de déférer avec refpeéfc aux » chofes fouverainemenc jugées : mais » en telles affaires qui vont a l'intérêt « public des families , par lefquelles » 1'état fubfifte, Sc oü il s'agit de L'ijir: sj terprétation du concile Sc d'une loi » générale dans le royaume , il impor» teroit de donner tels arrêts, confuhis »» claffibus ySc jufques a ce que cela foit, 3» l'intérêt public doit toujours être con» fidéré ». Le fecond moyen d'abus confiftoit en ce que , contre le texte du concile, Louife Dantail ne s'étoit pas remile dans le couvent, Sc n'avoit pas repris 1'habit religieux quand elle follicitafon bref, & pendant la pourfuite de 1'entérinement. II veut même que 1'on Viv  464 Religieufe mariée. traite comme apoftats ceux qui ne fe conformeront pas a ce reglement. En effet, une réclamation contre des vceux , ne les annulle pas aux yeux de la loi civile qui , quand ils font proxioncés luivant les formalités qu'elle a étabiies ou adoptées , les regarde aujourd'hui comme an lien indifloluble, i\ on ne fait voir a fes miniftres que ces vceux fout infectés , dans le principe ,d'une nullité radicale. Mais cettenullité, quand le religieux la propofé , doit être difcutée en juftice : les faits d'oü on la fait dériver fonr-ils vrais , 6c s'ils font vrais, fontils de nature a annuller la profelliqn 8c a lui enlever tous fes effets ? Cette difcuffion appartient aux feuls juges compétens; eux feuls la peuvent examiner; eux feuls peuvent prononcer «n conféquence , 6c décider fi la profeffion eft celle que la loi 1'exige , pour opérer la mort civile du réclamant, ou s'il doit être rendu a la patrie 5c a la liberté civile. Le religieux ou la religieufe qui, avant que la juftice ait prononcé fur fon fort, fe dépouille de 1'habit religieux , porte donc lui - même un jugement qu'il ne lui appartient pas depro.  Religieufe mariée. 465 «oneer ; il fe rend juge dans fa propre caufe. 11 fait plus; il s'expofe afe rendre coupable d'une apoftafie puniflable , li fa profeffion n'eft pas déclarée nulle. Dans ce cas , il n'a jamais ceflé d'être religieux; il n'a donc pas dü en quitter 1'habit , ni abandonner les pratiques de la règle a laquelle il eft irrévocablement lié , au moins par la loi civile. Les confidérations que j'ai expofées plus haut, en parlant du religieux foldat font, fans doute, d'un grand poids: mais elles cedent a la rigueur de la loi , Sc peut-être y auroit-il fouvent de 1'inconvénient a écouter trop favorablement ces confidérations. Tout contrat eft , fans doute , irrévocable , tant que tous les contractants ne fe prêtent pas expreffément a la révocation. Mais auffi leur confentement a été manifefté, par des fignes certains Sc non équivoques : on eft affuré qu'ils fe font liés refpectivement, Sc que leurs confentements refpectifs , peuvent feuls rompre ce lien. Celui qui prononcé des vceux en religion , dans un ordre , oü une communauté admife légalement en France , eft réputé contracrer avec Dieu. On eft bienafluré, par tous les fignes ex-  466 Religieufe mariée. térieurs , que le religieux a , pour Ie moment, 1'intention de s'engager. II a prononcé les paroles qui annoncent cette intention , & qui, en même tems, formenc fengagement ; il les a projioncées a la face du public , témoiu de fes ferments. Ces ferments ont été recus par le fupérieur &c paria communauté entière. Ori regarde ce fupérieur Sc cette commnnauté comme chargés de la procuration de 1'être fuptêrne, qui a la vérité ne fe manifefte pas , mais qui eft réellement préfent a la cérémonie. La préfomption que Dieu accepte tacitement ce facririce , fe tiré de ce que ceux qu'on fuppofe chargés de le repréfenter en cette parrie , ont éprouvé , pendant un an , le fujet qui fe dévoue,& qu'ils ont jugé, puifqu'ils 1'ont admis , qu'il avoit les qualités requifes pour être agréable a Dieu. Mais , au fond , on n'a aucune certitude du confentement de la divinité, qui ne fe contente pas des fignes extérieurs auxquels les hommes font forcés de s'en rapporter , Sc ne fe décide , fi Ion peut parlerainfi , que par Tintêrieur, qu'il connou feul. Maisen fuppofant que le facrifice,  Religieufe mariée. 46J au moment oü il fe fait, foit agréable a Dieu , ne peut - il pas cefTer de 1'être par le changement qui peut furvenir dans les affeótions du religieux? S'il celfe d'aimer fon état Sc les devoirs qui y font attachés j s'il fe repent de 1'engagement qu'il a contraóté, Dieu , qui ris veut que des attachements libres , Sc détefte les attachements forcés , retire 1'acceptation qu'il avoit donnée , 6c ne regarde plus le religieux comme attaché a lui; c'eft la volonté libre qu'il veut, «3c il détefte toute contrainte; il s'en eft formellement expliqué dans plufieurs paffages de Pévangile. D'après ces véritésr, furlefquelles on ne peut , fans impiété , concevoir le plus léger doute , il femble qu'un re* ligieux qui fe dégoüte de fon état , &C qui, par ce feul fait , rompt le paóte qu'il avoit formé avec Dieu , devroit recouvrer fa liberté , puifque 1'efclavage dans lequel on le retient n'a plus d'obiet. Mais la loi civile, ayant admis fabnégation qui réfulte des vceux prononcés fuivant la forme qu'elle a prefcrite , n'a pas cru devoir fe prêter a. 1'inconftance des religieux , Sc leur rendre , fur leur feule réclamation , les droits V v)  4Ó8 Religieufe mariée.' qu'ils avoienr abdiqués de fon aveu.' Une profeffion légalement émife retranche du nombre des citoyens celui qui 1'a faite. II eft mott civilement \ il eft dépouillé , par le feul fait, de touc ce qu'il poflsde ; toutes fes pofleffions actuelles , de quelque nature qu'elles foient , paflent a fes héritiers , qui en deviennent propriétaires , & peuvent en difpofer a leur gré. Tout efpoir de recueillir aucune fucceflion lui eft abfolument interdic \ il eft dépouillé de la faculté de faire aucun acte , foit pour acquérir , foit pour donner , foit pour recevoir : en un mot, il eft abfolument retranché de toute la fociété, 8c de fa familie même; elle ne peiu plus le compter au nombre de fes membres , «Sc régie tous les évènements qui furvienneur 8c tous les biens qu'elle poffède , comme fi le religieux n'exiftois plus 8c n'avoit jamais exifté. Or, ft la mort du religieux étoit iivcertaine , s'il dépendoit du caprice de celui qui 1'a fubie j de la faire ceffer X fon gré, foit plutöt, foit plus tard, toute opération fetoit interdite dans fa familie. Quel parti pourroit- elle prendre en effer, dans Pincertitude du changement ou de la perfévérauce d'un hom-  Religieufe mariée. 469 me , qu'elle ne peut actuellement compter pour rien , mais qui pourroit, a tout inftanr, reprendre ion rang, 5c faire anéantir tous les acïes , tous les arrangemeuts faits dans la fuppolition qu'il n'exiftoit pas. II faudroit de deux chofes 1'une ; 011 opérer comme file religieux n'étoit pas au monde , aux rifques -d'être obiigs d'annuller toutes les opérations qui auroient été faites pendant qu'on le comptoit au nombre des religieux , ou mettre en féqueftre les biens qui lui appattiendroient, s'il n'étoit pas religieux, qu'il pourroit réclamer, s'il abdiquoit cette qualité , 5c les y lailfer jufqu'a fa réclamation, ou jufqu'a £a mort naturelle. Quels inconvénients ne naitroient pas de 1'une ou de 1'autre de ces opérations ? On ne verroir que ttoubles 5c inquiétudes dans les families. C'elt pour prévenir ces maux , que Ia loi, après avoir attaché la mort civile a la profeffion religieufe, 1'a déclarée irrévocable, fi celui qui réclame fa liberté ne prouve juridiquement que les formes établies par la loi elle-même , n'ont pas été obfervées ; formes dont 1'objet eft de conftater que le re-  470 Religieufe mariée. ligieux a prononcé fes vceux en grande connoiftance de caufe , tanc de fa part, que de la part de la communauté , qui a cru , après un ou deux ans d'épreuve , qu'il étoit digne d'être admis au facrifice , Sc capable d'en fupporter le fardeau, d'en remplir les devoirs ; Sc enfin qu'il avoit été entièrement libre , Sc n'avoit été ni contraint par la violence , ni induit par rufe , ni entrainc par la crainte ou par des raifons purement temporelles. Mais, encore une fois, c'eft aux miniftres de la loi a juger fi les précautions qu'elle a étabiies ont été fuivies ou négligées. Ce jugement ne peut être confié a celui qui eft intéreflé a foutenir qu'elles n'ont pas été obfervées , Sc qu'il doit, en conféquence , recouvrer 1'ufage d'une liberté qu'il dit n'avoir jamais perdue. 11 n'a donc pas du préjuger fa propre caufe; il a du conferver 1'état auquel il étoit lié par la loi, jufqu'a ce que fes miniftres déclarafTent que ce lien étoit nul a fes yeux, Sc que celui qui le portoir pouvoit le rompre. II y a donc abus , a cet égard , dans la fentenee de 1'official , qui a écouté la réclamation d'une religieufe fortie  Religieufe mariée. 471 de fon couvent, & dépouillée des habits de 1'état qu'elle avoit embraffé. D'ailleurs , c'eft une claufe exprelfe du refcrit de cour de Rome , auquel 1'official n'avoit pu fe difpenfer de fe conform er. II y avoit encore , dans le refcrit , une claufe irritante, qui ordonnoit que, lors de la procédure qui devoit précéder 1'entérinement , on mït en caufe ceux qui pouvoient y avoir intérêt , vocatis qui vocandi. II falloit appeiler les religieufes , qui avoient un intérêt fenfible ou a retenir parmi elles un fujet qui s'étoit , par un ferment folemnel, lié a. leur communauté ; ou a demander fon expulfion , s'il y avoit quelque vice radical dans la profeffion ; êc fi la religieufe leur étoit a charge foit par fon humeur , foit par fa réfiftance aux loix de la régie & de 1'obéiffance ; foit enfin par tel moyen qu'elles auroient voulu alléguer. Ce moyen d'abus ne paroit pas avoir le même poids que le précédent. Les religieufes ne furent peut-êtrepas mifes juridiquement en caufe : mais leurs réponfes , confignées dans 1'interrogatoire du 12 mars 1642 , prouvent , eomme on 1'a déja fait rsmarqüer ,  47 2, Religieufe mariée. qu'elles fe regardoient comme n'ayant aucun intérêc dans la caufe , Sc que même , fi elles y en avoient pris quelqu'un , 9'auroit été pour la reftitution au fiècle d'une camarade qui leur étoit a charge ,& dont elles ne demandoient pas mieux que de fe voir débarraffées. Le moyen d'abus précédent n'eft peut-être pas aufti frappant , qu'il le paroit au premier coup-d'ceil. L'auftérité des régies exige , fans doute , que le religieux ou la religieufe qui réclame foit, pendant 1'inftance , foumife a Ia pratique de fa règle. On en a dit les raifons. Mais n'eft-il pas des cas oü 1'on peut relacher cette fevérité i Et eft-il toujours jufte Sc humain de laiffer le réclamant fous les ordres de fupérieurs qu'il veutquitter , «Sc qui ne peuvent jamais regarder cette encreprife de bon ceil ? II falloit appelier le père de la fille. II le fur. II falloit enfin appeller Ie fieur le Vacher Sc fa femme. Elle étoit héritière de Ia mère morte , Sc avoit été mariée comme unique héritière. Elle avoit donc , en cette qualité, l'intérêt le plus matqué a prendre part a la difcuffion des vceux de fa fceur. Cet intérêt étoit  Religieufe mariée. 473 encore plus preffant par une circonftance confidérable. Une dame Brigard avoit fair, au fieur Dantail , donation d'une maifon , fituée place royale a Paris, a la charge de fubftiruticn au profit des enfants du donataire. Cette maifon forme un effet d'une valeur trés» confidérable. Or , quand le fieur le Vacher s'eft marié , il 1'a fait, en partie t dans 1'efpérance que la totalité de cette maifon appartiendroit un jour a fa femme , comme demeurant feule appellée a la fubltitution par la mort civile de fa fatir. Le fieur le Vacher étoit donc partie néceffaire dans la caufe, & étoit du nombre de ceux que le bref de cour de Rome avoit ordonné d'y mettre : vocatis qui vocandi* Eft-il bien vrai que fes intéréts pécuniaires lui donnoient le droit de retenir fa belle - fceur dans une cióture perpétuelle , fous prétexte d'un vceu qui pouvoit être nul ? Enfin , le principal moyen d'abus concerne le fond. Le bref a été fulminé, fous prétexte que la profeflion étoit 1'effet de la violence. Mais oü eft la preuve que 1'on a exercé quelque violence pour déterminer la fceur Dantail i s'enfermer elle - même dans un rao-.  474 Religieufe mariée. naftère ? Lorfqu'eile prononca fes vceux a la face de Dieu & des hommes, rémoigna r-elle la plus legére répugnance ? Ne montra-t-elle pas , pendant toute la cérémonie, la rélignation la plus entière & la plus édifiante ? N'exifte-t-il pas de fes lettres, qui annoncent laréïolution ou elle étoit de fe vouet k Dieu? Son interrogatoire fournit encore de nouvelles preuves que fa liberté n'a éprouvé aucune contrainte. On lui demande fi elle n'a pas , dans le monaftère , fatisfait a toutes les pratiques de la régie ? Elle répond , qu'elle avoit fait comme les autres religieufes , &c qu'elle ne leur avoit jamais rien fait paroïtre de la violence qu'elle fouffroit. On lui demande fi elle n'a pas renouvelléfes vceux. Elleconfeffe qu'elle les a renouvellés par deux fois. Cesaveux ne paroiflent pas auffi ecucluanrs que le fieur le Vacher le prétendoit. Le premier caracrérife une perfonne fage , qui fcait fe prêter aux circonftances , ne veut point , pat des éclats inutiles & fcandaleux , manifeiter 1'averfion qu'elle a pour fon état aéhiel , £c attend en filence Poccafion favorable  Religieufe mariée. 475 pour brifer les fers dont elle eftchargée. L'autre aveu n'a pas plus de poids que le premier. Le renouvellement des vceux eft une cérémonie qui fe pratique tous les ans , a certains tems , dans cenaines communautés. Mais cette pratique n'ajoute rien a 1'engagement contracté par la profeffion ; ceux qui s'en difpenfent nefont pas moins liés , que ceux qui s'y foumettenr , quand le premier acre eft régulier ; & ceux qui s'y foumettent ne font que fe prêter a une cérémonie pieufe, mais qui n'a d'autre effet que 1'édirication des affiftants , Sc ne refferre point les premiers nceuds , qui confervent toujours leur nature , Sc font ou indiflolubles ou tévocables, fuivant les circonftances dans lefquelles ils ont été prononcés. Quant au fond de la queftion , le lieur le Vacher convenoit que la violence ne peut compatir avec le vceu Sc 1'offrande volontaire ; mais qu'il faut que cette violence s'exerce par de mauvais traitements , par des menaces de nature a faire craindre pour la vie , Sc non par de fimples tracafferies. Per cruciatum corporis , & capitales minas pertlmefcendo , & non folis jaclationibus. Or , difoit-il , il n'eft queftion, dans  47 6 Religieufe mariée. la caufe, que de défagréments éprouves dans la maifon paternelle , par la fceur Dantail. Elle ne peut donc pas fe prévaloir de violences , capables de contraindre la volonté. Etablillons ici les principes. Suivant la difcip ine conltante de 1'églife , fondée fur la raifon & fur la nature des chofes, 1'état religieux demande, nonfeulement une vocation bien caraélérifée , mais que ceux qui 1'embraffent jouilfent de la plus entiète liberté. Quod quis non diligit nee optat, profeclb non diiigit; quod autem non diligit , faeilè contemnit. Nullum quippe bonum , nifi voluntarium. Id circö dominus non fevendam in via virgatn , per quam violen* tia ulli inferatur , pr&cepit. Quapropter éonfultius agetur , fi piis fuafionibus contemptum rnundi, & amorem Dei pradicando, quam violentiam inferendo , ad ccelefiem amorem ilium accenderitis. Can. 4 , quafl. 3 , cauf. zo. Ainfi la crainte griève eft contraire k la profeftion. Alexandre 111 déclare nulle la profeffion d'une femme , qui ne s'étoit jettée dans un monaftère que pour éviter la mort dont elle n'auroic pu fe garantir qu'en promettant de fe faire religieufe. Ce jugement eft con-  Religieufe mariée. 477 figné dans le chap. 1 , extra de hls qui vi metüfve cauf.fiunt. 11 a été rapporcé plas haut. Le feul refpect paternel, & une révérence domeftique ne feroient pas , étantifolés de toute autre circonflance, des caufes fuffifantes de réclamation , a moins qu'ils ne fuffent accompagnc's de la crainte de mauvais traitements , de reproches , de menaces & de marqués continuelles d'indignation. Alors la profeffion eft, en quelque forte , involontaire ; & c'eft le cas d'appliquer la régie de droit: Veile non credhur, qui cbfequitur imperio pat ris , vel domini. L. 4 , ff. de diverfi Reg. juris. Des prières même, & des remontrances continuelles tk preffantes ,quoi« qu'il n'y ait point de traitements auftères, altèrent & bleffent même grièvement la liberté, fi néceffaire pour la légitimité d'une profeffion religieufe. Des prières de cette efpèce produifenc une violence incommode & facheufe , & déterminent a agir contre fon gré. Or, de quelle nature peut être une profeffion , dictee par tout autre motif, que par le defir de fe donner a Dieu ? Le vceu eft nul en foi, dès qu'il eft excité par des vues humaines.  47 8 Religieufe mariée. Mais ici , ce ne font pas feulement des prières 8c des remontrances continuelles & importunes qui ont déterminé le facrifice cuntre lequel la demoifelle Dantail réclame. Son père s'eft avoué coupable de la violence qu'il a exercée pour forcer fa fille a entree dans un couvent, 8c a y refter ; il a détaillé tous les faits, toutes les vexations 8c toutes les menaces qu'il s'eft permifes , 8c a ajouté : « Qu'après avoir » confulté des doéteurs de forbonne 8C » cafuiftes, defquels il a pris l'avis par » écrit , il ne veut pas , en 1'age oü il >> eft, continuer fes violences envers fa » fille, reconnoiffant 1'averfion qu'elle » a toujours eue pour la religion. Par» tant, confent quelle fe pourvoie par » les voies de droit ». Par fon teftament , il a déclaré , « qu'il veut 8c entend que le contrat de » mariage de fa fille , avec le fieur » Coufturier , pour ce qu'il apromis de » fa dot, a prendre fur tous fes biens , » forte fon plein 8c entier effet ; pro» teftant que tout ce qu'il a fait en cette » aftion du matiage 8c de 1'entérine» ment de fon retciit pardevant 1'of» ficial de Paris, a été dans le pur fenm timent de la vérité 8c pour la dé-  Religieufe mariée. 479. « charge de fa confcience. Ce qui fait >> qu'il cominande abfolumenc, par 1'aum roriré de la puiffance paternelle , a » Henriette Dantail, fa rille ainée, de » vivre en paix & en amitié avec fa >» fceur & fon beau-frère , fur peine de j> défobéiftance ». Ce qu'il avoit configné dans le fecret de fon teftament , il le répeta en public , au dernier moment de fa vie , en recevant le viatique , & prenant a témoin Dieu qu'il alloit tecevoir & le miniftre qui alloit le lui adminiftrer , de la vérité de fon aftertion. Le fieur le Vacher , fon gendre & fa femme , étoient a genoux devant Ie lit du moribond qui , leur donnant fa bénédiction, répéta , plufieurs fois , que ce qu'il avoit dit devant lofiicial étoit véritable. Ces faits embarraftbient,fans doute, le fieur le Vacher. Voici comme il y répondoit. Je vais copier les propres paroles de M. Gaultier, qui défendoitla religieufe. Le leéteur verra un échantillon du ftyle de cet avocat , dont Boileau a rendu le nom célèbre. « Quelleindignité, difoit-il, quelle »ingratitude eft la vótre ? C'eft peu » que votre beau-père ait été autrefeis  480 Religieufe mariée. » accufé , par vous, d'une efpèce de » démence, puifque, dans 1'imbécillité, » il fauvoic fon innocence. Mais , a » préfent, vous le rendez infidèle Sc » parjure ; vous portez le coup morrel » jufque dans leplus profond de 1'ame, » pour le faire remourir plus cruellement après fa mort ; vous le fait es »> paffer pour un impofleur envers Dieu » 8c les hommes , qui, par uneimpiété » horrible , a rendu fa foi & fa conf» cience , par cette efpèce de dérifion , » le jouet de fa colère 8c de fa fureur. »Tout cela ne touche point notre » partie adverfe. II n'eft point du tout « perfuadé, par ces vaines apparences » d'autorité, 8c ne prétend pas que tout „ cela puift'e faire impreffion dans 1'el» prit des juges. Un père , dit - il, ne „ peut être témoin entre fes enfants ; 5» la nature corrompt fes fentiments par » foibleffe 8c par amour. » Ce père défunt a fait des aéles oü » il n'a prêté que fon nom ; &c la feule » obfeflion des perfonnes qui le pofté» doient a fait tout le myftère. » II ne pouvoit être témoin , puif» qu'il éroit partie , & que fon gendre » 1'avoit intimé fur 1'appel comme d'a- »bü$. ■ . Point  Religieufe mariséi 48 ï w Point de foi en fon témoignage , * paree qu'il étoit prévenu de cette t» forte paffion de haine & de vengeance >» contre fon gendre. » Enfin un père , dans un grand age , » agonifant, dans les nuages épais des » troubles de 1'ame , n'avoit pu démê» Jer la vérité du menfonge j & la foi » de cette dernière action eft fufpecre, » par le feul rapport du curé de Saintei> Opportune. » H n'eft pas pofiibie que la vérité fe » rencontre oü il y a rant deconttadic» tion. Comme père, il faut Ie recufer, >> paree qu'il étoit touché de la tendrefte » des fentiments de la nature ; il eft » ennemi mortel de fes enfants; il eft » animé de fureur & de vengeance » contre fon gendre ; c'eft lui qui a >> fait tout le mal, comme paitie; il n'a » point été capable de rien faire s que » par les fentiments d'autrui. Accordez » toutes ces contrariétés , qui dé» mentent Sc détruifent des faits fi op>» pofés 1'un a 1'autte. » Je penfe , continuoitM. Gauhier r » que, pour eri eonvaincre 1'impofture , » nous pouvons prendre le même avani » tage , dont ce fage romain Emiiius t* Scaurus , étant accufé de Iacheté 24 Tome XFIil. X  482 Religieufe mariée. f> de trahifon fe fervit pour fe juftifier. „ JEmilium Scaurum, merccde corruptum tf populum prodidijje Varius Sucroncnjis » ait : jEmilius Scaurus negat. Vtri » credetis , nominato tantum accufatore » & reo } Populus. accufationem repuUt. » Varius dit que Scaurus s'eft laiile *> corrorapre par argent pout trahir le » peuple romain. Scaurus le nie & af» fure que cela n'eft pas : lequel des » deux voulez-vous croire ? Ce fut aflez 5> d'avoir nommé 1'accufateur 8c 1'ac» cufé , pour porter le peuple, a 1'inf?> tant , par un commun fuffrage, a re« jetter 1'accufarion. o L'application n'eft pas difficile de » former la décifion de la controverfe , » par la difference des perfonnes qui » foutiennent 1'aftirmative ou la néga» tive. Une fille appellé fon père en »jugement fur la force & la violence » de fa profeffion: il délibère; il con» fuite; il fe réfout par 1'avis des fages » 8c par fa propre confeience; il eft in» terrogé par ferment ; il reconnoïr la » vérité de ce qui s'eft paffé; il en rènd m le témoignage public en juftice ; il » confirme cet adte judiciaire par la loi » domeftique de fon teftament , 8c de» puis encore, a 1'extrémité de fa vie ,  Religieufe mariée. 483 » dépouillé de routes les paflions, > vient que par 1'innocence ou le re» pentir , il attefte la vérité & la mf» tice de ce qu'il a fait. » Le Vicher, fon gendre prefère » un lacfie intérêt i tous fes fentiments » d'honneur & de piété,, condamné fa » mémoire, le déshonore&ledément. » Permettez moi, meflieurs , con» tinuoit M. Gaultier, que je vous » fafte la même demande : utri ere>> ditis ? Lequel des deux mérite votre *> créance ? je ne doute point de votre .» réponfe , que nous allons entendre » par votre arrêt en notre faveur. .. » Je ne vous préfente point un en» fant pour calmer ce grand orage , & » détourner, par fes cris qui percent les ' » nues , ces tourbillons enflammés qui » menacent fa tête ; au contraire, c'eft wee même enfant qui joint la faveur » de foninnocence 1 celle de fa mère, »« & appellé fon fecours , pour lui con» ferver le titre de fa naiffance. C'eft » fa mère , qui fe foutient elle-même , m paree que ce n'eft point une fille va' » gabonde qui a brifé fes fers , pour * eourir aveugléraenr dans la licence U X ij  484 Religieufe mariée. „ le libertinage; mais qui, des braste » fon père , a paffe dans ceux d'un » époux j Sc fous cetre conduite , fon ,i vaiifeau ne craint point la tempête. » Leomidas , fils de Cleombratus , » étant accufé , fe fauva dans le tem„ ple d'airain de Minerve. Le peuple » étant retenu pat le refpeét de la fain» teté du lieu , qui devoit être un » afyle de füreté , Theano , fa mère , » fe fit place au travers de la foule de » cette multitude, Sc ayant caché fous » fa robe une pierre, elle la mit au bas » de la porte du temple , en préfence » de rout le monde, comme une mar» que Sc un figne muet de la condam» nation quelle prononcoitd'enfermer «fon fils dans le temple ; Sc, comme „ li elle eüt donné le fignal, les portes, »> a l'inftant , furent murées , pour le » faire périr par la faim. » Ici , le même exemple a eu fon » eflet contraire. Cette fille , contre la „ violence & la force , a cherc é fon »> afyle dans le temple de la déeffe du „ Confeil Sc de la Juftice j dn 1'en a » voulu tirer comme une criminelle , n qui n'y pouvoit trouver ni fa füreté „ ni fon falut. Mais le père s'eft fait „ paftage, 8c a, le premier , oté la  Religieufe mariée. 485 ii pierre de la porte , pour marquer le » chemin de la liberté qui lui devoic » être rendue ; & , en rompant fes pre» mières chaines , il 1'a attachée par des » liens d'honneur , dont les nceuds fa» crés ont été facrifiés par la bénédic« tion de 1'églife. » Jugez , meflienrs, de notre con» duite Sc de nos fentiments. L'églife » a dü ptononcet le jugement en cette » caufe : nous avons été contrahits de » faire appeller notre père comme une n partie adverfe; Sc , par une noble 8c » généreufe confiance , nous 1'avons » rendu rémoin dans fon propre in» térêt. Que s'il s'eft trouvé convaincu » par la force de la vérité , fi fa propre » fcience Sc fa confcience lui a valu » mille témoins, il n'y a ni foiblelfe, ni » corruprion, ni grace ; feulement un » jufte repentir a eftacé le refte honteux » de fa colère injufte. ■n En cette aétion , nous devions rai» fonnablement efpérer le fecours Sc » 1'afliftance de notre fceur Sc de notre » beau-frère. La première y étoit obligée »» par fa connoiftance j le fecond nous » devoit aveuglément cette reconnoif» fance , fi toute fa vifion n'eut été de » l'or Sc de 1'argent. Ces objets de coiXiij  486 Religieufe mariée. » ruption 1'on: rendu également en» nemi du père Sc de la fille. 11 ne veut » plus connoitre 1'un , pour rendre 1'au» tre miférable ; Sc , comme il voic » qu'en cette qualité de père , il fera » témoin itréprochable , il a voulu , par » 1'exemple de ce roi de Macédoine , » entre Perfats Sc De metrlus, nous ap3> prendre qu'un père eft toujours mi» férable de fe rendre juge ou témoin >* entre fes enfants, & qu'il ne peut ni » ne doit le faire, Sedeo, inqu'u , mifer* » rimus pater inter duasfilios , aut conV flicli aut admiffi criminis labem inter » eos inventurus. » II eft vrai que ce roi s'eftimoit mal>•> heureux dans le trifte événement du » difterend dontilfe rendoit juge, puif» qu'il devoit trouver ou 1'un de fes enj> fants criminel, ou 1'autre calomnia« teur. >» Mais ou en fera 1'application ? Ce » n'eft point ici un père qui aic écê »juge ; il eft appellé devant les juges ; » il doit le fecours a !a juftice fur 1'é» claircidement des faits dont il peut » dire , & quorum pars magna fut; Sc v> toute la certitude de ce qui eft con» tefté eft en lat - même. 11 doit a '1'une de fes filles la réparation du *  Religieufe mariée. 487 sc mal qu'il lui a fait; &c fon aiiiée , fcs» duite par f011 mari, veut que, paree » qu'il a été une fois injufteöc violent » envers fa fceur, il fe foit toujours , » & lui laifle recueillir le fruit 8c le » profit de cette injuftice. » Ainfi féparons la harangue d'un »> roi père & juge , pour en emprunter » 65c appliquer feulement les dernières » paroles , afin d'en faire les reproches » fanglans a ce gendre dénaturé. Vivo » 6* fpirante me , h&reditatem meam .& »fpe & cupiditate improbd. crevifti ; nee » patrem , nee fratrem potes pati, nihil » cari, nihil fancli eft in animo ; vicem w pecunia tantum infatiabilis amor fuc» cejjït. Moi vivant & refpirant encore " le doux air de la vie, vous dévorez, » par une efpérance iujufle 6c un defir » criminel, les biens de ma fucceflion: >> vous ne pouvez fouffrir ni votte père » ni votre fceur; rien ne vous eft cher, » rien ne vous eft faint, rien ne vous » eft précieux ; 8c le feul amour de Por » 5c de 1'argentvous tient lieu de tout; » c'eft votre idole 5c votre fouverain » bien. » Quelle paflion arégné dans 1'efprit » du père , pour le rendre incapable » d'être témoin ? Eft-ce 1'amour 5c la Xiv  488 Religieufe mariée. » tendrefte pour fa fille ? Eft-ce la haine » Sc la vengeance contre fon gendre ? » Eft-ce une pure foiblelfe qui s'eft abam » donnée aux fentimens d'autrui ? « Eft-ce obligation ? Eft-ce devoir ? » Eft-ce fatisfacf ion ? L'amour pour la » religieufe a- t-il produit 1'averfion » conttece gendre ? Ou bien eft-ce la » haine contre celui qui a fait renaitre as l'amour pour elle ? Qui étoient ces » perfonnes étrangères qui avoient in» térêt de lui infpirer 1'une ou 1'autre ii de ces palfions ? N'étoit - ce pas un 5> fentiment digne d'un bon père , que » de partager égalemeut fon affection »> entre fes deux filles ? Falloit - il en y opprimer 1'une , pour perfuader qu'il »> ne haïffoit point 1'autre, Sc pour ne » point redonner la liberté a fa fille, a. » qui il 1'avoit ótée? Devoit-il lui-mê» me perdre la fienne, Sc demeurer ef n clave Sc interdit dans fa familie ? » Dira-t on qu'il fe foit laiffë poffé>> der par foiblelfe , puifqu'il a eu la as la force de réfifter aux defleins in3» juftes, violens Sc injurieux de fon » gendre ? » S'il a rendu témoignage en juftice , *> eft ce corruption ? S'il a fait une difm pofition par teftament , qui com-  Religieufe mariée. 489 » mande a fon gendre & a fa fille d'ap» prouver ce qu'il a fait pour le chan» gement de condition de leur fceur , » fur peine de défobéiiïance, eft-ce fu» reur animéede 1'efprit de vengeance? » S'il a perfévéré, en mourant, & de la » même bouche qu'il a donné fa bé» nédietion, il a prononcé les dernières » paroles d'une loi fainte & inviolable » de 1'union & de la paix entre fes en» fants , n'eft-ce pas 1'efprit de Dieu. » qui les adicfées ? Votre devoir, votre » honneur & votre confcience vous » marquent la néceftité d'y fatisfaire , » Sc d'effacer ces reftes honteux d'une a> contradiclion inutile. . ,. » Quand vous avez dit que le tén moignage d'un homme mouranr ne »> paftbit point pour véritable, fi d'ail» leurs on n'en avoir la preuve, felon la >> loi 3, ft. de Senacufconfulto Sillaniano. » Si quis moriens dixijjet a fervo. vim » mortis illatam fibi, non ejfe credendum » domino ,Jt moriens hoe dixit, nijipo» tuerlt probati. Si un maitre , au mo» ment de fa mort , a chargé un ef»> claye d'avoir voulu attenter a fa vie, n fa plainte, de quelqueautorité qu'elle » foit , ne le rendra pas coupable , s'il » n'y a. des conyiétions plus fortes. II  490 Religieufe mariée. » faut pourtant apptendre la différence » remarquée en la loi Paulus, §. i , au » même titre , entre un maitre & un » père, que , fi c'eft; une fille qui, fur n les lettres de fon père, air formé 1'ac» cufation capitale contre fes efclaves » ou fes affranchis ,1e jurifconfulte Pan» lus répond que 1'on doit 1'écouter &c la » traiter favorablement, quia non fuum » judicium ,/èd paternum fecuta eft , par » la feule raifon qu'en accufant , elle » ne fait que prêter fon devoir officieux » a cette autorité-première de la nature. » Mais quand la parole du père fe » confirme par la foi des témoins, dont »la qualité éloigne le reproche , quand » on voit un P. CauJJin au nombre de » ceux qui ont dépofé , & que c'eft lui » qui établit le fondement de la preuve, » de la force & de la violence ; eft-ce » aflezde nous dire qu'il le faut com« parer a cet illuftre romain , Crajfus, » qui, cum vehementijfimum teftimonii »fulmen injeciffet, impetu gr avis, exitu »> vanus fu'u ? Et, puifque vous avez >» emprunté les termes de Valere-Mam xime , achevez fon hiftoire, dont il a j» rapporté Pexemple, pour montrer ce » que valut lafaveur du peuple ,affemï> blé dans Rome, a Marcellus , contre  Religieufe mariée. 491 » lequel la force & vigoureufe élo» quence de ce grand homme qui ré» gentoic 1'efprit des juges, ne fuc qu'un » éclac de connerre, qui, par fon bruit, » porte la frayeur& I'cpouvante, mais » dont le coup fe diffipe dans 1'air, s'é» vanouit &C ne fait point de mal. » II n'en elf pas ainfi de ce foible enj> nemi; ce n'eft pas le vainqueur de » Syracufe ; il eft fans mérite & fans » faveur, & nous fommes devant vous, j» qui ne fuivez jamais ces mouvements 35 impétueux de 1'inconftance & de la » légèreté. C'eft ici qu'il faut que la 33 force & la dignité d'un témoin fi » puilfant le confonde par un autre » exemple que nous tirerons de fon » même auteur, pour le combattre par » fes mêmes armes, Publius Serv'dius » Ifauricus, confularis, cenforius , trium» phalis , loco teftls conftitit. Judices » reum , vlx audlcis c&teris teflibus , » damnarunt. Valuit enim apud eos mm » amplitudo viri , turn gravis neglecla » dignitatis ejus indignatio ; eumque qui » vznerari tales viros nefciret, in quod» visfacinus incurfurum crediderunt. Un 33 leul homme en vaut plus que mille „ » & le feul Serv'dius , paffant du con»» fulat & du triomphe 3 au tribunal d©  49 i Religieufe mariée. » la juftice , pour fervir de témoin ; >» fon nom & faréputation imprimèrent »» tant de refpect, Sc firent tant d'eftbrt » fur lefprit des juges, que, fur le cré» dit de fa parole , ils prononcèrent j> 1'arrêt de condamnation ». Je voulois terminer ici cet échantillon de 1'éloquence de M. Gaulticr. Mais la fingularité de ce qui fuit m'a engagé a 1'offrir a l'amufement de mes leéteurs. « Enfin, meflieurs , tout patle pour » nous Sc pour la juftice de notte caufe; » & la vérité s'eft expliquée par tant de » bouches pures , faintes Sc innocentes, » que la lumière a diflïpé toutes les té» nèbres de la malice & de 1'envie. La » voix du ciel , la voix du fiècle, la » voix de 1'églife Sc la voix de la nature » fe font fait entendre en notre fa« veur. L'autorité s'eft jointe a la raifon \ wlafainteté des myftères Sc 1'honneur » du mariage ont pris fon parti; la U» berté d'une mère opprimée, la vie & » le falut d'un enfant pret a égorger , » ont ému la pitié des cceurs les plus » barbares.Qui peut s'oppofer a tant de » forces réunies enfembie, Sc quel en» nemi plus fort nous peut difputet la » victoire ?  Religieufe mariée. 49$ »> Vous , meflieurs , qui portez eri » vos mains le deftin inévitable de notrö » bonheuf ou de notre ruine , qui nè »> yerfez pas les douces ou les malignes »influences de biens Sc de maux par » un fort aveugle , mais par un efprit » de difcernemenr , du mérite ou de » 1'indignité de ceux qui fe préfentent » aux pieds de nos autels ; ne vous »lai(fez pas fléchir aux mouvemenrs » injuftes d'un lache intérêt qui anime » la fureur d'un efprit opiniatre , lequel » n'a, pour toute mefure de fa conduite, J* que leplus ou le moins du bien qui » lui doit revenir , en nous chaifanr dö » la maifon paternelle , comme fi fa fa» risfaétion particuliere faifoit ia loi da » bien public. » Effacez donc, meflieufs, cesvains »> prétextes du repos Sc de la füreté des » families. Celui qui feul nous pou» voit donner la paix , cette divinité » vifible , ce dieu tutélaire «Sc domef« tique a lui - même travaillé a ce fainc » ouvrage , d'une main faluraire «5c » bienfaifante. Ne changez rien, mef» fieurs , de 1'établiffement qu'il a fait » durant fa vie Sc confirmé a 1'henre de » fa mort. Retrancheza cet efprit avare » qui jerte le trouble «Sc la diffenfion ,  494 Religieufe mariée. >, fes defirs injuftes & fes efpérances' ,> criminelles. II aura plus qu'il ne mé» rite , Sc nous n'aurons que ce qui j> nous appartient. Un pauvre père , 5> chargé de 1'horreur de fon crime , sj d'une violence facrilège, s'eft juftifié >> devant Dieu Sc les hommes; Sc, par » une facisfaction publique, a réparé fa » faute. Rendez-lui fon innocence , SC n ne déshonorez pas fa mémoire. Une » fille n'a brifé fes fers que par la main ■» puiffante de la juftice ; Sc, en la dé„ livrant, lapiété victorieufea triomphé » de la honte & de 1'infamie. Affiuez» lui fon état, fa condition Sc fa liberté. » Cet enfant , qu'un oncle barbare >5 foule aux pieds dans la boue SC »la fange , comme une produétion de » 1'ordure du pêché , eft femblable a j> ces perles précieufes; il eft engendre » de la rofée du ciel par la bénédidfion » de 1'églife , qui chaffè tout ce qu'il y „ a d'impur & de terreftre , diftbut le » mélange de ces vapeurs , qui ne fer»vent jamais qu'a, la génération des « chofes plus groffières Sc corrompues. » Ce font les cris innocents de cet en>> fant qui percent les nues , écartent j> 1'orage, & forcerontla juftice , qui eft » aveugle , Sc non pas infenfible, alui  Religieufe mariée. 49$ » conferver le titre légitime de fa naifi> fance ». avocat-général Briquet porta Ia parole dans cette caufe. II examina les conféquences qui pouvoient réfulter du jugement qui alloit intervenir. II balanca , avec l'impartialité la plus fcrupuleufe , les raifons qu'on avoit fait valoir de part & d'autre , & conclut enfin en faveur de la fenrence de l'official qui entérinoit Ie refcrit, «3c en faveur du mariage qui avoit fuivi cette fentenee. Mais le parlemeut dé Paris crut devoir s'attacher a la rigueur des régies. Les proteftations n'avoient pas été faires fuivant les formes requifes; &, contre ce qui eft prefcrit par les canons , la rèligieufe n'avoit gardé ni la cióture, ni 1'habit de fon ordre : enforte que , par Arrêt du 21 Février 1645 , il Fut dit qu'il y avoit abus dans la Sentence de 1'Official ; en conféquence la réclamation fut déclarée nulle , l'exécution des vceux ordonnée , le mariage nul, «3c 1'enfant illégitime. Louife Dantailfe pourvut en requête civile, dont le Jugement fut renvoyé, par Arrêt du Confeil, au Parlement de Metz, oü cette requête fut entérinée ,  4,96 Religieufe mariée. la fentenee de 1'official coniïrméê, les vceux déciarés nuls & le mariage bon & valable. Fin du Tornt dix-huit. T A B L E DES PIECES Contenues dans ce dix - huitième / volume. Les Caufes nouvclles font marquées d'une ttoile. * j. mp o steur Bigame ^ p. T * Enfants légitimês a"Henri IV 89 * Cardinal marié, 208 * Religieufe mariée, 337