C 45ö 3 rêts. Depuis 1779 la Cour de Verfailles avoit ceflee de lui payer les fubfides ordinaires, fous prétexte des fraix de la guerre oü elle fe voyoit entraine'e. Le Roi de Suéde fit fi bien qu'on lui paya une grande partie des arrérages. Avant fon depart il toucha une fomme de 12 cent mille livres, Outre cela il y conclut un Traité , par Jequel la France lui cédoit a perpétuité 1'Ifie de St. Barthelemi (*), près de la Guadeloupe, a condiüon que Sa Majefté Suédoife lui accorderoit la liberté d'établir a Gothenburg un Entrepot pour fon Commerce du Nord. La France ftipula bien pofitivement, que du moment que Gothenburg ne feroit plus confidérée fous ce point de vue, St. Barthelemi lui reviendroit. Le 3 Aoüt Sa Majefté revint dans fa Capitale après une abfence de 10 mois. Pour celébrer fon heureux retour, les bourgeois de Stockholm confacrèrent a leurs fraix fur le Canal du Ritterholm un pont de pierre, au lieu de celui de bois qui s'y trouvoit auparavant, par 1'infcription fuivante: Guftave III. o. R. Salvo & Sofpite. — Ex Itinere Italico-Patrig; Reddito. — (.*■) Cette Ifle contient environ 7 a £00 habitans & £oduu beaucoup de Coton; elle eft fingulièrement bhn Jtuee pour faire un Coffimerce dc Contrebdnde,  £ 457 ) Hunc Pontem SeÊto Lapide Conftrnótum. — Lignei Loca Jam Ve- " tuftate Collabentis. — Fortunas Reduci & Lsetitiaï Publicae. — Dedicarunt Cives Holmenfes — D. III Aug. MDCCLXXXIV. Pendant le refte de 1'année, ainfi que pendant le courant de 1'année fuivante, le Roi s'appliqua avec la même activité qu'il avoit toujours fait a toutes les différentes parties de 1'adminiftration, & s'occupa deplus en plus a mettre fon Royaume en état de défenfe, a rendre refpedtables fes forces de mer & de terre , & a faire fleurir le Commerce. II établit une Compagnie des Indes (*) Occidentales, a laquelle 1'Ifle de St. Barthelemi,qui avoit été déclaré Port franc , fervit d'entrepöt; tous fes fujets furent invités d'y prendre part en qualité d'intéreffés. Au commencement de 1'année 1786 le Roi i7S6, jugea a propos, après un intervalle de 8 ans, de convoquer une ailemblée nationale. L'horrible Difette (f). qui dePuis 3 ans affligeoit le Royaume, & le dtfir de préfenter (*).Elle n'eut fa confiftance qu'en 1787. Les differens foufcrivans fbrmèrent un Capital de ÉS500 Ryxdl. (f) Cette Difette fut fi terrible qu'on trouva fiir lel grands chemins & dans les bois , furtout qn DalécarUe, quantité de perfonnes jnortes de faun. Ff 5  C45§ ) aux Etats le Prince Royal, qu'ils avoient va naitre & dont ils étoient parrains, furent les motifs qu'il allégua pour cette convocation. II vouloit les rendre témoins des progrès que ce jeune Prince avoit fait dans les élémens des différentes Sciences, auxquelles ij devoit un jour être initié. Dans le difeours qu'il fit a 1'ouverture (*) de cette Diette, (ou le même réglement fut obfervé qu'en 1778; y commence par faire un tableau de 1'état fioriffant & refpectable du Royaume par rapport a fon Commerce, a fa Marine, a fon Armée & a fes Fortereffes- il détaille enfuite les avantages dont a joui la nation depuis fon avénement au tróne, parmi lefquels ilmetau premier rang, celui de fe trouver un peuple indépendant & libre, & d'avoir conftamment jouï d'une paix non interrompue. „ Cependant, ajoute-t'il, la viciflitude, infé„ parablement attachée a la nature humaine, « n'a pu être écartée de notre fituation. Les „ productions de la terre, les premières de toutes les richeffes, nous ont été refufées s, pendant les trois dernières années, & cette „ difette n'a pas peu aggravé le poids de „ ma Couronne. En effet, mes chers fujets, » vos maux font les miens. Les foins que „ j'ai employé pour prévenir les fuites que C*) 7 Mai.  ( 459 ) ces années defaftreufes pouvoient entrainer; * les fecours confidérables que je me fuis ef', force' de donner fans ccfTe aux necefïïteux, "„ vous font déja connus par leurs effets.... „ Combien ne doit-il pas être intéreffant poür. „ vous même, de concourir avec moi dans l les mefures , qui vous mettront a portée de contribuer de votre cóté a éloigner de pa„ reilles craintes a 1'avenir. Enfuite il leur trouva &c. qu'il a procuré a la Suéde le re„ fpedt des nations étrangères, en entrctenant '„ une Armée, capable de la proteger, & une „ marine qui a déja affurée fon commerce; „ deux colomnes fur lesquelles repofent la paix, la confidération & la fureté d'un " Etat. " De la il paffe d fon fils le Prin- "e Royal: „ jeconfidère, dit-il, comme nu vrai „ bonheur:que le premier objet qui s'offre afa ' vue innocente; c'eft l'union d'un peuple libre '] d la verité, mais foumis néanmoins d dei " loix, conjointement avec un Roi, qui eft Hé " lui-mêmepar ces loix, mais qui eft en même temps revetu d'autorité. " U s'étendit enfuite fur les fentimens qu'on tachoit d'infpirer au Prince Royal, dans le cours de fon éducation pour le rendre digne d'être un jour a la tete d'une nation libre, il finit fon difeours par un détail des propofitions qu'il prérente a la Diette, ils font au nombre de quatre.  i°. De ne plus punir de mort TManticide, mais de prifon perpetuelle, avec la peine du fouêt une fois par an, au jour que le crime aura été commis. 2ü. De prévenir Ie partage des terres, en ftatuant qu'elles paiTeront deformais au fils ainé de la Familie, moyennant un appanage aux autres cnfans. 3P. D'autorifer le Roi a tirer de la banque un fond fuffifant pour établir un magazin de blés dans tel endroit qu'il fera jugé convenable, afin d'obvier a la trop grand cherté de cette denrée. 4C. D'autorifer le Roi a tirer de la banque un fond, néceffaire pour les fraix des diverfes mines, notamment de celles de cuivre a Fahlun^; qui exige beaucoup de depenfe pour 1'affurer contre les eaux; en depofant néanmoins a la banque une valeur en cuivre égale a celle qui en feroit tirée en efpèces. Cette Diette ne fe pafia point auffi tranquilement que la précédente; le Roi y rencontra beaucoup d'oppofition, & 1'influence d'un parti Anti-royalifie s'y fit vivement reffentir; Ia plupart de fes propofitions furent rejettées, on n'accorda que celles qui avoient pour objet le magazin de bieds; il fut refolu, qu'on affi, gncroit annuellement une fomme de cent rail»  le (*) écus, pendant un terme de fix ans pour établir des magazins publics en tels endroits que le Roi jugeroit convenable. Le Clergé s'oppofa a la peine du fouet pour 1'lnfanticide, & voulut ablblument qu'on continuat a punir de mort ce crime fi revoltant, , L'Ordre équeftre ne voulut point confenur h 1'article, qui avoit pour but de prévenir le partage des grandes terres. . Les Etats refufèrent le fond demande par le Roi pour améliorer 1'exploitation de la mine de Fahlun, donnant pour raifon, que le déperifiement de ces mines ne pouvant être attnbue qu'a une mauvaife direótion des InterelTes-, il falloit nommer une Commiffion pour examiner les manutentions intérieures de ces mines & en faire rapport (t)« ' ; A Dans la dernière Diette de les Impöts avoient été accordés fur lepied ordinaire fans limiter de temps fixe, au lieu que dans celle-a ils ne furent accordés que pour un terme de quatre années. rO Cette fomme fut tirée de la banque, vu que par fjv) Cette ïomm :i avoit été conftaté, que le rapport des Commiffaire. , . aveit é ^ cette fomme s'y tronvoit encore , .1 fat » „equ-enremettant les ?cc.nulfcéco. - * gg^ duiroit 3 pr. ct. d'intéret & 3 pr. Ct. poK ^r^'eslS^ recent de rendre compte Commiffion,  {#3) Les Etats donnèrent encore dans un autre article une preuve bien évidente du peu de préponderance du parti du Roi, puifqu'ils déclarèrent, que dans la fuite i!s ne reconnoitroient plus pour debtes de 1'Etat, celles qui auroient été contraclées psr la Couronne fans leur confentement. L'Ordre des Païfans ayant propofé de redtmer le droit de diftülation des Brandevins, Sa Majefté déclara, qu'elle y confentiroit pour la fatisfaSion de fes fidèles fujets, fi les Etats lui aiTuroient nne fomme annuelle de 18 tonnes d'or, outre un impót fur le cafié. Mais cette propofition fut rejettée & le droit reftk Regalien. Le Roi fit éclater fon mécontentement dans le difeours qu'il fic a la féparation de la Diette (*). „ Il feplaigm't: qu'une inquiette dé„ fiance, mal fondée en elle-même, peu mé„ ritée de la part de celui qui les a renda H„ bre a menacée de troubler 1'union & la „ concorde , que depuis 14 ans il a taché „ de maintenir de toutes les manières & avec tant de peine, même en oubliant fes Pro= * pres intéréts. La vérité, dit-il, triom- „ phera a la fin, quelques efforts qu'on faffe „ pour 1'obfcurcir". n cite 1'exemple de Guftave premier, ie Sauveur de fa Patrie: C*) Le 24 Juia,  ( 4*3 ) tl vit la vérité triompiier h la fin, & fon illuftre nom eft encore 1'objet de 1'admiration de la poftérité, quoique la jaloufie, „ 1'inte'rêt particulier, une ambition mal pla„ ce'e, la légèreté & 1'envie de dominer s'ef„ foreaflènt a 1'envi de flétrir fon règne fi digne „ d'e'loges, oui même s'il eut été polfible, n de lui ravir un fceptre, qu'il avoit afraché „ des mains de la tyrannie ". II en appclle au jugement de la poftérité par raport aux raifons qui ont excités cette défiance & par raport a fa propre conduite; „ c'eft elle, „ dit-il, qui me fera juftice & qui rendra té„ moignage a ma condefcendance exemplaire, „ a ma douceur, & a la confiance que j'ai taché de vous infpirer, tandis que je me fuis „ montré prét a tout ce qui pouvoit fervir a „ votre liberté & è votre fureté." II fi- „ nit ce difeours, rempli d'éloquence & de „ fentiment, en leur remettant la quatrième année du fubfide qu'ils lui ont accordés : • L Employés - les, dit-il, au foulagement de mes fujets, ils en ont befoin , vu la rigueur des temps: ce m'eft un plaifir bien fenfible de „ pouvoir y contribuer d'une manière fi effica„ ce." Enfuite il les congédia en faifant des vceux pour la continuation de la paix, pour la renaifiance de tèmps plus heureux, & pour qu'aucune circonftance ne 1'oblige de loDgues ■années a convoquer une nouvelle Diette.  ( 44 ) Feu de temps après la cloture de cette Diette il partit pour la Scanie, oü il fit la revue des troupes qu^formoient un Camp dans cette Province. Dela il fut vifiter les chantiers de Carlscrona & animer de nouveau par fa préfence les travaux de la marine. Vers la fin de 1'année le Roi mëna le Prince Royal a 1'Univerfité d'üpfal. II affifta cgnfiamment a tous les exercices publics & a la plupart des leeons particulières, que ce jeune Prince y recut pendant un féjour de fix femaines. Sa Majefté y jouit du plaifir de voir fon fils, qui a peine avoit atteint la huitième année de fonage, s'appliquer avec ardeura différentes études & faifir avec une facilité étonnante ce que les Profeflèurs lui expliquoient. Voulant le familiarifer de bonne heure avec un peuple qu'il devoit gouyerner un jour, & le former dès fon jeune age a la. connoiifance intérieure d'un Royaume, dontil étoit appellé i diriger 1'adminiflration; il 1'avoit déja mené dans quelques Provinces pour lui donner le plütót poffible, les connoiffances préliminaires & rélatives au bonheur de la Nation. Ce n'étoit pas une petite fatisfadtion pour. le Roi, de voir 1'héritier de fa Couronne donner les plus belles efpérances de confolider avec le temps une forme de gouvernement, qu'il avtfrt  ( 4*5 ) avoit étabii au péril de fa vie, & d'affermir une adminiftration dont 1'arrangement des différentes parties lui avoient couté un travail affidu. '.'Pendant les 14 années, qui s'étoient écoulées depuis la révolution, il étoit venu a bout, par fafagacité, fon aötivité & fes foins infatigables, d'améliorér toutes les branches relatives au bien être de fon Royaume. Le commerce, la navigation, la flotte, 1'armée, le cours de la juftice, la dïftribution des blés , rétabliffement des magafins, tout avoit pris une autre face. Sa fatisfa&ion a cet égard étoit un peu alterée par la cruelle famine qui defoloit le Royaume pour la feconde fois depuis fon Tègne-, par 1'infiuence que. le parti anti-Royalifte avoit eu a la derniere Diette; par le mécontentement & les murmures continuels , qui s'accroiffoient de plus en plus au fujet des diftillations. Ce mécontentement s'accrut au point que dans quelques provinces il éclata en revoltes ouvertes, on pilla des brafferies, on maffacra des Infpedteurs, des commis 8e des fuppots. de la juftice, on mit le feu 4 quelques maifons royales oü l'on braflbit. Les avantages & les prorits dont le Roi s'étoit flatté en s'apropriant exclufivement le droit de braffer du brandevin , n'ayant point repondus a fon attente par les diftillations clanG g  ( #6 ) deftines, qui avoient lieu de tout cóte' malgré la rigueur des recherches & la févérité des punitions, & par les continuelles incendies de fes brafferies , le firent enfin refoudre a fe defifter du droit Regalien, (que les Suédois nommoient hautement: uw, infratlion aux privilèges de la liberté que le Roi a garanti lui-même} ttipyennant la retribution annuelle d'un tonneau de fcigle pour chaque Hemman ou Ferme. Cependant, dans les grandes villes les brafferies fe continuerent encore pour le compte du Roi, plufieurs de ces maifons qui avoient fervies aux diftillations royales devenant deformais inutiles furent convertïes en magafins de blés. Aufii grand qu'avoit été le mécontentement, aufii grande fut la joye des habitans du royaume a cette nouvelle-, les payfans envoyèrent des députations qui arriverent en foule a Stokholm , pour témoigner au Roi leur fatisfaótion & leur recönnóiffance; cet adte lui regagna l'attachement de cette claffe de concitoyens & en particulier de ceux de la Dalecarlie, qui s'étoient diftingués depuis les temps les plus redulés par leur amóur pour les Rois, qu'ils regardent comme les foutiens & les défenfeurs de leur liberté. Je finirai 1'hiftoiré de ce Monarque par cellé d'un établifiement, qui ne peut que faire hoh-  C 4^7 > neur k fon amour pour les fciences & les belles lettres. C'eft 1'inftitution qu'il fit dans le cours de cette année d'une Académie pour 1'amélioration de la langue Suédoife 5 il lui donna la même forme que celle de 1'Académie Francoife fondée en 1635, mais il n'y admit que dix huit membres. Ainfi que la Poëfie &l'Eloquence fontdureffort de 1'Académie francoife, & qu'a chaque difeours Académique on doit y faire 1'éloge de Louis XIV & du Cardinal de Richelieu leurs fondateurs, de même ceux de 1'Académie Suédoife doivent avoir pour objet les éloges de Guftave Vafa & de Guftave Adolfe, & qui fans doute feront remplacés avec le temps par celui de leur illuftre fondateur. Le même jour Sa Majefté renouvella 1'Académie des inferiptions & belles lettres, fondée par feu la Reine fa mère, & qui commencoit a tomber en décadence; fes ftatuts furent règlés d'après ceux de 1'Académie des inferiptions & belles lettres de Paris fondée aufii par Louis XIV. De facon qu'en y joignant 1'Académie des Sciences établie en 1739» 11 fe trouve a&uellement a Stokholm trois différentes Académies. Puiffe Guftave III, règner encore pendant longues années avec cette modération, cette Gg a  f C 458 ) hnmaiiité & cette fagacite' qu'il a fait pafoitre conftamment depuis qu'il a repris un fceptre que 1'ariftocratie arracha des mains .de la Reine Ulrique Eléonore & de Fréderic I. ——. Puifiè-t'il ne jamais fuivre 1'exemple de quelques-uns de fes ancétre», & ne faire fervir fon pouvoir qu'au bonheur d'une Nation, a la queile il a rendu une liberté', dont il fe nomme te Rejtaurateur & le Defenfeur. On doit' è jufte titre admirer fon -activité prodigieufe & fon travail continuel dans tout ce qui concerne le bien être du Royaume, ainfi que. 1'humanité & la juftice qui paroiffent être conftamment le principe de fes actions. —— On le voit toutes les années. parcourir les Provinces , y e'couter les plaintes de chaque particulier, y veiller a 1'adminiftration de la juftice & en redrefier les abus, exercer iui-même fes troupes j en re'tablir la difcipline & foigner en même temps pour le bien être du Soldat, animer par fa préfence les travaux des chantiers & des fortifications , en un mot. faire tout ce qui depend de lui, pour rendre fes fujets heureux, & fes forces refpedtables, encourager les Arts & les Sciences, donner de 1'émulatiori aux fa-* vans & aux artiftes par fes propres produdtions (•) toujours remplies de fentiment & de gout* (*) Outrè fes beaux difeours fi remplis d'éloquence ifc d'énergie, le Roi a compofé quelques pieces-de théa-  ( 4 ij leurs Majeftés; croyant rémarquer que Struenfée étoit auffi peu agre'able a la jeune Reine, qu'il j: 1'étoit lui-même, il engagea le Roi & le mener avec lui lorfqu'il alloit voir fon époufe, & travailla ainli fans le vouloir k fa propre : perte. Toutchangea bientót de face: la Reine sap! pergut que la'confiance du Roi diminuoit de jour en jour pour Holk, & augmentoit pour Struenfée au point qu'il ne pouvoit plus s'en pafier & le confultoit même dans les affaires les plus importantes; elle ne put s'empêcher i auffi de rémarquer la conduite fiére & arrogan; te du premier & la conduite refpeótueufe & refervée du fecond envers elle. Struenfée nonfeulement fe tint dans les bornes du refpecl: vis-a-vis de la Reine, il fit même femblant d'être intérieurement navré de 1'obligation ou il fe trouvoit de la bleffer fi fouvent par fa ■ préfence. Cette conduite lui réuffit, la Reine interpreta favorablement cette referve & fa prévention contre lui diminua infenfiblement; elle s'accoutuma peu a peu a fa compagnie, & lui trouva de 1'efprit, des connoisfances & de la pénétration, Environ vers ce temps le Prince Royal fut X77o inoculé. La Reine en confiant cette opération a Struenfée, déclara, que s'il avoit le bonheur de réuffir, elle lui confieroit auffi 1'éducation  < 476 5 de ce jeune Prince; la réuffite fut des plus heureufes: Struenfée pour recompenfe fut nommé Confeiller (*) de conférence & Lecteur de leurs Majeftés avec un apointement de 1500 écus.' Ce nouveau pofte joint a 1'affiduité que demandoit 1'éducation du Prince Royal 1'obligeoit de fe trouver cofitinuellement a la Cour. " , Mt^fSfl el Pendant 1'inoculation Struenfée acheva de fe concilier la bienveillance de la Reine. Cette Princeife avoit le cceur d'une mère , elle aimoit tendrement fon fils; dès le moment qu'on lui cut communiqué un venin toujours dangereux fes inquiétudês furent continuelles. Elle hè permettoif a perlbnne de la remplacer dans les foir.s qu'elle lui rendoit; elle ne vouloit point que Struenfée quitta un inftant cet enfant cheri. Cela lui fournit 1'occafion de palfer quelquefois plufieurs heures de fuite en fa compagnie; fa converfation étoit inftrudtive & amufante: elle y trouva d'abord de la confolation, elle finit par y prendre plaifir. Leurs converfations devinrent' de plus en plus intinies & affidées. La Reine crüt avoir trouvée 1'homme qu'il lui falloit pour 1'exécution de fes projets, & il obtint enfin entièrement fa confiance. C*) C'eft en Dannemark le premier titre après celui de confeiller intime. ■■'  ( 477 > Struenfée avoit trop d'afcendant für TefpriS du Roi, pour ne pas être en état de donner de bons confeils a la Reine. II le favoit, & réfolut d'en profiter pour s'ouvrir par la un nouveau chemin a la fortune. Le Roi fut bientót gagné, il changea tout a fait de conduite envers fon Epoufe, & lui témoigna une confiance dont elle fut faire ufage. Le premier effet qui enrefulta fut 1'indiference du Roi pour Holk. Les Miniftres commencerent k prendre de 1'inquiétude; ils fe flattèrent cependant d'éloigner Struenfée, mais le Roi ne voulut pas les écouter, & enfin 1'intimité qu'ils commencerent a rémarquer entre Struenfée & la Reine, leur firent entrevoir la difficulté qu'ils trouveroient a réuffir. Sur ces entrefakcs la Cour partit pour Sleswig. Le Comte de Bernftorf, Holk, & Schimmelman accompagnerent Sa Majefté comme au précédent voyage. JVarnftat qui étoit du parti de Holk & Struenfée étoient aufii de la fuite. Ces deux partis oppofés paroifloient affez égaux ; mais la préfence de la jeune Reine, fit bientót pencher la balance. Struenfée lui confeilla de fortifier fon parti d'un homme, qui par fa foupleffe pourroit peut-être lui gagner les Miniftres ; c'étoit le Comte de Ram■ zau Afchberg, qui avoit été entrainé dans la  C 4?* ) chute du Comte de St Germain; le Roi s'étoït toujours plu dans fa fociete, il étoit ami de Struenfée, mais ne .1'étoit ni du Comte de Bernftorf, ni de la Ruffie. La Reine, ne pouvoit être tranquile ,• aufii lóngtemps qu'elle voyoit Holk k la Cour; Struenfée: deftinait fa place a fon autre ami Brandt, qui avoit été autrefois un des favo* ris du Roi.. A Ia follicitation de la Reine. Rantzau & Brandt furent rapellés & leur préfence changea bientót la face des affaires, ï Le Roi s'écartoit fouyent de la dignité de fon caraétère. Le Comte de Bernftorf qui feul auroit pu contribuer a lui faire tenir une conduite plus decente, perdoit journellement dc fon crédit; d'un autre cóté la Reine n'étoit pas toujours auffi prudente qu'elle auroit du 1'être: la bonté de fon cceur la rendoit trop . confiante, & fa vivacité 1'empêchoit fouvent de reflêchir, ce qui occafionna quelques démarches inconfequentes, dont mal heureufement on ne profïta que trop dans la fuite. Holk devenoit cependant de jour en jour plus indifferent au Roi, enfin les effbrts réunis de fes ennemis lui firent perdre entièrement la faveur de fon maitre; fa chute entraina celle de fon parti. Les changemens qui fe firent a la Cour d'abord après fon retour a Coppenhague en furent une preuve évidente. Les premières coups tom:  C 479 ) berent fur Mr. de Holk, & fa fceur Madame von der Lühe , grande maitreffe de la Reine, tous deux furent oblige's de refigner leurs emplois. Le Comte de HoIk fut remplace' par Brandt. Ces difgraces fervirent d'avertiflément au Comte de Bernftorf; la protection de la Ruffie fur laquelle il avoit compte' ne lui fervi: plus de rien; Struenfée dont 1'influence commencoit a s'étendre fur tout ce qui concernoit la Cour & le miniftère avoit entièrement changé fa facon de penfer du Roi. Après cet événement, la Cour fe rendit h Hirfchholm chateau de plaifance a 2 milles de Coppenhague; les feuls partifans de la Reine furent de ce voyage. Le Comte de Bernftorf ne pouvant plus fe diffimuler qu'on 1'avoit perdu dans 1'efprit du Roi, balangoit s'il attendroit tranquilement le coup qui le menacoit, ou bien s'il le previendroit en demandant a fe retirer. Sur que le jugement du public feroit en fa faveur, le premier parti lui parut plus digne de lui & plus compatible avec fon honneur. Le coup qu'il avoit prevu ne fe fit pas lóngtemps attendre. —1 Au moment qu'il alloit employer quelques heures au Bienêtre de fa Patrie, il regut une lettre du Roi qui lui annongoit la démiffion de fes charges ; fa première fenfation fut douloureufe; mais il fe remit bien vite: j'ai ma demijfion, dit - il%  ( ) «firn ton tranquile a un de fes domeftiqües feul temoin de ce moment cricique; puis il ajouta en levant au ciel des yeux mouiliés de larmes, Grand Dieu! Jauve ce Pais fon Roi. Ainfi tomba ce grand homme d'Etat, dans lequel le Dannemarc perdit un Miniftre rempli de bonnes vuës, aótif, laborieux & zèle' pour le bonheur de fon Pays & pour la gloire de fon Maitre. Après la chute du Comte de Bernftorf, per* fonne ne fut plus fur de fa deftine'e & l'on vit bientót que les craintes n'étoient pas mat fondées , la Pre'fidence au Collége de Guerre fut ote'e au Général Hauch & donnée au Comte de Rantzau. L'Admiral Comte de Larwig, 1'ainé Holk Préfident a la. chambre , le jeune Comte de Bernftorf (*,, deputé a la chambre d'accifeeurent léurdemiffion; le Comte de Tott (f) Mr. de Rofencrantz, fubirent peu de temps après le même fort. Le Comte deLarwig, dont Ia fille avoit époufée 1'ancien favori Holk , perdit fa place d'Amiral; elle fut donnée au Vice Amiral de Röm- ling (*) II elt aÉluellemënt miniftre des affaires étran. fières. , ( f") II eft mort 1'année 1786. (10 II eft entré au confeil a la révolution de 17843' & a dernandé fa demiflioa en 1788.  c- 4*i y üng. Le Comte de Rantzau, le Gé¬ néral Göhler & le Baron Schak-Ratlau , entrerent au Confeil d'Eiat, mais ce dernier n'y refta pas longtems ; ayant eu le courage de s'oppofer a plufieurs nouveautés; quoique fans relfource & fans efperance , il demanda fa demiffion & fe retira dans fes terres dont le produit lui fuffifoit a peine pour vivre. Le feul Comte de Schimmelman évita le fort commun a tous les miniftres; il dut ce bonheur a la précaution qu'il avoit pris de ne fe declarer d'aucun parti, & a la prudence qu'il eut de fe retirer a Hambourg & d'y refter pendant les moments les plus critiques; On ne nomma point de miniftre pour les affaires étrangères & on notifia aux miniftres étrangers qu'il falloit doresnavant s'adrelfer directement au Roi par écrit: c'étoit pour óter a celui de Ruffie tout moyen de cabaler. Ce motif ne lui échappa point, il fe plaignit avec beaucoup de hauteur Sc menaca publiquement de la part de fa Cour, a la quelle il depecha tout de fuite un courier. — Le Roi f avoit prevenu; Mr. de Warenftat, un de fes Généraux Adjudans, étoit déja parti pour don* ner connoiiTance a 1'Impératrice de ce changement de miniftère, les menaces du minifira n'eurent aucun effet, & la Cour de Ruffie ntf fe mela point de cette affaire. - H a  C 4*2 ) La Reine Douariere, établie.aFriedensbourg' avec fon Fils le Prince Fréderic, tranquileipectatrice de cet orage temoigna beaucoup de compafiion & de bonne volonté a tous ceux quï avoient été compris dans cette difgrace. En attcndant la jeune Reine jouiffoit de fon tfiomphe: elle étoit parvenue a fon but, le Roi avoit repris pour elle toute l'afiection qu'elle meritoit & donnoit fa confiance a Struenfée. La tranquilité dans laquelle ils vecurent depuis le moment de cette révolution fut fouvent animée par les plaifirs & leurs jours s'écouloient dans la plus grande douceur. —. Cependant rien ne fut negligé pour s'afiurer la continuation de cette heureufe fituation.Struenfée dont les vues ambitieufes n'alloient pas a moins qu'a s'emparer de toute 1'autorité Royale, comprit qu'il ne pourroit réufiir qu'autant qu'il viendroit a bout de réunir ce pouvoir dans un feul point, & ce point devoit être la perfonne du Roi. On le fequeftra des lors de toute fociété, par ce qu'il n'agiflbit jamais que par Timpulfion de ceux qui fe trouvoient autour de lui. Brandt eut la commiffion d'imaginer tout ce qu'il pouvoit pour lui faire perdre fon temps en toutes fortes d'amufemens. Cette facon de vivre, flattoit beaucoup trop 1'inclination du Roi pour ne pas s'y prêter. — Ce fut la préparation a une  C 4§3 > demarche la plus effentielle que Struenfée eut encore fait. On obtint du Roi qu'il ne travailleroit plus avec fes miniftres, & on 1'engagea a leur donner ordre de lui envoyer leur papiers, fur lefquels ils devoient deformais attendre fes réfolutions. L'année 1770 finit par un evenement remarquable qui changea entierement la forme du gouvernement & qui donna le pouvoir le plus abfolu a la jeune Reine & a fon miniftre. Le Confeil d'Etat fut diffous le 27 Nov. par un adte figné du Roi, & ,on établit a fa place une Commiffion de Conférence Jécrette, compofée des chefs des differens departemens, dont le pouvoir étoit tres limité. Cette commiffion n'ofoit s'affembler qu'a des temps marqués. On lui donna ample carrière pour les deliberations, mais on lui ota tout pouvoir de conclure; comme fes membres étoient fans titre, fans rang & fans émoluments, ils ne jouiffoient auffi d'aucune cönfidération & n'avoient aucune influence, & on pouvoit les diffoudre fans peine, lorfque le cas 1'exigeroit. La diffolution du Confeil d'Etat choqua extrêmement la Nobleffe. Ce Confeil avoit toujours été confideré comme le corps le plus illuftre de 1'Etat. A la fameufe révolution fous Hh 2  ( 4*4 > Fréderic III. on lui accorda une des prerogatives les plus diftingue'es, favoir: (en cas de minorité) la Regence du Royaume conjointement avec les tuteurs. Après le Roi il prétendoic le premier rang dans 1'Etat & fe comparoit au Senat de Suéde. II fe confideroit comme le feul corps qui avoit évité 1'influence humiliante du grand changement de 1660, & fe regardoit en quelque fagon comme reprefentante de la Nation & comme mediateur entre les loix & le pouvoir Royal, lui feul jouiffoit du droit de porter fentence contre un Noble. II n'eft donc pas étonnant que la Nobleffe Danoife étoit jaloufe de Tanden droit d'avoir féance a ce Confeil, elle en confidera la fuppreffion comme un infraction & un attentat a fes privileges; dès ce moment elle jura la perte de Struenfée, dont elle avoit regardée jufqu'ici la conduite d'un ceil affez tranquile ; les mêmes fentiments animerent le Comte de Rantzau, qui fe trouvant impliqué dans la caffation du Confeil d'Etat perdit toute confideTation & tout credit. Struenfée prit outre cela encore quelques mefures pour s'affurer Tautorité, il fut perfuader au Roi de lui remettre entierement le travail 'du cabinet: le Sécrétaire Panning dont c'étoit Toffice & qui eut ce pofte par Tinfluence de la Ruffie fut congé-  ( 4*5 ) dié, ainfi que Mr. de Warnftattqui s'étoitoublié dans quelques difeours imprudens. Les partifans des anciens miniftres furent peu a peu éloignés. Le Comte d'Alefelt, homme d'un mérite éminent, craint de la Cour, aimé du peuple, perdit fa place de Gouverneur de Coppenhague, & fut remplacé par le Collonel Surne de qui on n'avoit rien a craindre. Ainfi la forme du Gouvernement Danois fe trouva entierement changée, tout étoit conclu dire&ement par le Roi ou plutót par ceux qui s'étoient emparés de fa perfonne & qui jouiflbient par conféquent d'un pouvoir contre lequel rien ne pouvoit refifter. Une jeune Reine de 20 ans, un homme d'une naiflance obfcure & quelques jeunes gens auparavant fans cönfidération & fans credit avoient operés cette révolution dans 1'efpace de peu de mors. Le deftin du Dannemarc fe trouvoit ainfi tout entier entre les mains de Struenfée; mais il ne jouït pas lóngtemps de. ce pouvoir: —Un coup terrible le lui enleva au moment qu'il s'y attendoit le moins. Pendant fon Regne qui fut court & mêlé de beaucoup de troubles, fa conduite futinégale. Pour fatisfaire a fes vnës ambitieufes rien ne lui coutoit, il temoignoit du courage jufqu'a la temerité, & par'oiffbit ne craindre perfonne; — Mais-a peine comHh 3  ( 48^ ) mcnca t'il a tröuver de la réfiftance qu'il fit voir une foibleffe qui tenoit de la pufillanimité. II ne fe laiffa point intimider par les menaces du Cabinet de Ruffie, il favoit que la guerre avec les Turcs , le luxe qui regnoit a cette Cour, plufieurs troubles intérieurs lui faifoient defirer une paix conftante avec fes Voifins du Nord. II fut gagner le Miniftre de Suéde & celui de France. Si les arrangemens qu'il prit avec les Cours étrangères denotent des vuës faines & une bonne politique, les plans qu'il fcrma pour Tadminiftration intérieure ne prouverit pas moins d'habileté & un efprit de combinaifon capable de tout embraffer. Heureux fi fon ambition demefurée dans les commencemens, & fes craintes perpétuelles vers la fin, n'avoient pas offufqués des talens, qui, dans les circonftances oü fe trouvoit le Royaume par rapport a fon Monarque, auroient pu tourner au bonheur de .fa Patrie. II penfa d'abord a mettre un nouvel ordre dans les Finances. II crut qu'un feul College fuffi foit pour tout ce qui regarde cette partie de 1'adminiftration : il voulut que tous les ReycTiUs de la Couronne fe verfaffent dans une caiffe commune, afin que d'un coup d'ceii le Roi put exaftement jnger de Fétendue de fes fords. II projetta la dimination de plufieurs im-  ( 4^7 ) pots; le payement en argent comptant aulieu des redevances en nature. L'encouragement des travaux de la Campagne, 1'aboliflement des fabriques & manufaCtures qui ne s'accordoient ni avec le climat ni avec le terroir du pays, & !e retranchement de quantité de penfions inutiles. Strnenfée vouloit auffi reformer 1'adminiftration jufticielle, diminuer le nombre des procedures, abolir quelques Cours de Juftice, établir des principes furs afin que toute perfonne fut confiierée comme citoyen: il voulut arneViorer la marine fans 1'augmenter & faire des reformes confiderables dans les troupes de terre, entreprife dangereufe dans fa pofition. Son grand fyftême fut d'abaiffer la Nobleffe & de la tenir éloignee de la Capitale; fous prétexte qu'elle y depenfoit bientót fon Patrimoine aux depens des Provinces. II vouloie difperfer les Nobles & les releguer dans leurs terres. En les faifant valoir, dijoit - il , ils fe rendent utiles, aulieu que raïTemblés dans la capitale ils frondent le gouvernement, y font dangereux, & fe ruinent. II vouloit leur uter la prérogative d'obtenir des charges en vertu de leur .naiffance, & les mettre a cet égard de niveau avec tous les autres citoyena cn les faifant commencer par le moindre grade k ne les avancant que fuivant leur merite j Hh 4.  ( 4§8 ) — En abaiffant ainfi la Nobleffe il croyoit travailler a fa propre fureté; il ne previt point que ce corps toujours refpetfable fe voyant de plus en plus leze' dans fes privileges fe ligueroit pour le renverfer. Dans ie deffein d'améliorer 1'état des finances il fit adopter un nouveau plan d'économie pour la Cour & pour le Gouvernement; — Nombre de Courtifans furent congediés, & quantité de penfions furent retranchées. Le Grand Maréchal Comte de Moltke, quelques Dames & plufieurs Pages eurent leur demiffion: — le nombre de domeftiques tant de la maifon que de 1'Ecurie fut confiderablement diminué. — Les profits de la chancelerie entrerent dans la Caiffe Royale, les Colleges des Amiraités, des accifes, de commerce furent caffés, & en leur place on établit des Comrnifilons. Par un Ordre du Cabinet figné le 3 Avril 1771, on demit le Magiftrat de Coppenhague (*), & on élut a leur place deux Bourguemaitres. — L'affemblée des 32 fut demife par le mème decret. Les privileges des Miniftres Étrangers fouffrirent de grandes alterations. — La Garde a C=t') XI fat retabU en 1772.  ( 4*9 ) cheval fut congedie'e, ils furent remplace's pat 300 Dragons. ' Tant de reformes confide'rables priverent quantite' de gens de leur Etat & de leur fubfiftance, & firent par conféquenr. beaucoup de me'contens. II voulut abolir les corvées & afFermer les terres aux payfans pour leur propre compte, en commencant par les domaines du Roi, dans 1'efpoir que tous les terriens fuivroient cet exemple,mais la nobleffe lui fufcitatant'd'obftacles, qu'il n'y put réuffir & les payfans reftercnt attachés a la glebe. Struenfée renvoya le Secrétaire du Cabinet Schumacher: cette démarche revolta tout le Royaume. - Schumacher étoit reconnu pour une homme de probité & de talens il n'étoit point intriguant & paroiffoit content de fon état; on ne pouvoit concevoir les raifons qui avoient occafionnés cet aéte defpotique. Peu de perfonnes en ont été informées, les voici. Tous les ordres donnés pour les différens changemens, que Struenfée jugeoit a propos de faire, étoient toujours expédiés dans le cabinet du Roi, & déla on les envoyoit direftement au département aüquel ils apartenoient. Pour éviter toute repréfentaticn Struenfée vouloit que ces ordres reftaffent fecrêts jufqu'au dernier moment. Dans le commencement tout tranfpiroit & les ordres étoient déja puHh $  C 4PO ) blies avant même qu'ils fufient expédiés. Après bien des recherches on découvrit qu'un Commis a qui Schumacher avoit dorme' entière confiance, & qui 1'aidoit dans les expéditions qu'il ne pouvoit achever feul, étoit le traitre; il fut puni & chaflé, le Secrétaire eut fa demifiïon & il fut obligé de livrer tous fes papiers. Le rappel du Comte de St. Germain fit auffi partie du plan ceConomique de Struenfée. . On crut qu'il avoit defiein de le replacer dans le departement militaire, pour faire équilibre avec 1'autorité abfolue dont y jouiflbit le Comte de Rantzau; mais Struenfée avoit d'autres vues il s'imaginoit que le Comte de St. Germain aimeroit mieux renoncer a une partie de la penfion de 7C00 écus qu'il conferva lors-de fa demiffion, que de reveniren Dannemarc; il fut trompé dans fon attente, le Comte St. Germain revint a Coppenhague. On le eombla d'honneurs, mais on ne 1'employa point. U n'eut d'autre reflburce pour fe donner du reliëf que de fe concilier 1'amitié de celui quil'avoitrapeilé, &ilfutle feul Chevalier de 1'ordre dc l'Elephant qui lui fit la.Cour pendant fon1 adminiftration. Cette même armée 1771 1'ordre de Mathilde fut ififtkué au jour de naifiance du Roi ; perfonne n'en fut decore' que ceux qui jouif-  C 491 ) foient d'une faveur particuliere. Le Baron de Schimmelman, donna a cette occaiion une fuperbe fête dans fon Palais a laquelle la jeune Reine avoit affiftée avec fa fuite ordinaire (*). A peine la belle faifon fut-elle arrivée que la Cour partit pour Hi-fchholm, Brandt, le medécm Berger, & quelques perfonnes de confiance furent nommés pour 1'accompagner; ils étoient deftinés a être continuellement autour du Roi & a en éloigner tous ce,ux qui étoient fufpe&s, Ce Prince devenoit de jour en jour plus indifférent non-feulement pour les affaires, mais auffi pour tout ce qui concernoit fa Cour, il pafibit fon temps dans des amufemeris perpétuels, & fes facultés intelleftuelles paroiflbient baiffer de plus en plus. Monfieur & Madame de Göhler, Madam? de Schimmelman, la Dame d'honneur d'Euben, le Collonel Falkenfchiold compofoient la fociété ordinaire de la Reine. Struenfée partageok .fon temps entre les foins qu'il donnoit aux affaires , & ceux qu'il pren oit pour 1'éducation du Prince Royal. II placa fon frère air.é, qui s'étoit fait connoitre par un exellent traité fur les fortifications, au nouveau Collége des finances , & fon frère Cadet dans le militaire. A cetteocèafion 1'Adjudant GénéralFalkeafchioldj attaché a Struenfée obtint le Régiment du Roi.  ( 402 ) Sur ces entrefaites la Reine accoucha le y Juiilet d'une Princefie, qui fut tenue fur les fonds par Ia Reine Douariere; & fut nommée Louife Augufte. La jeune Reine n'ignoroit point les bruits injurieux que fes ennemis faifoient courir fur fon compte & qu'on prétendoit tirer leur origine de Friedensburg; elle sfy montra extrêmement fenfible, & chercha une amie a qui elle put ouvrir fon cceur, Mademoifeile Deuben, qui avoit acquife toute fa confiance, fut celle a qui elle s'adrelfa pour chercher de la confolation; celle-ei la raifura, elle lui fit envifager la complaifance qu'avoit eu la Reine Julie d'afiïfier au Batême de la Princefie Augufte, comme une marqué afiurée de fes bonnes intentions. — Elle parvint a la tranquilliler,mais ellene put lui öter la crainte qu'on fe ferviroit peut-être d'un pareil pre'texte pour faire paifer 1'autorité en d'autres mains. Elle mit Struenfée de la confidence; — il partagea fon chagrin & fes inquiétudes, & dirigea fa conduite en confe'quence. Cependant petit a petit les bruits ceflerent & avec eux le nuage, qui avoit troublé la ferenité de Hirfcholm, une parfaite fecurité en reprit la place & on cominua d'y vivre comme auparavanr. A cette époque le nouveau Miniftre d'Angleterre, ie Chevalier Keith arriva a Coppenhague.  ( 493 ) Struenfée aveuglé par fa fortune mais plus encore par une ambition, qui ne connoiiToit point de bornes, n'étoit pas content de règner; il vouloit règner avec éclat & tirer fon nom de 1'obfcuiité en le faifant infcrire fur le Regitre de la première nobleffe du Dannemarc. II fut annobli & obtint le diplome de Comte, (*) non content de cette élévation il lui fa'loit encore un titre qui répondit a la grande cönfidération dont il jouiffoit, comme on n'en connoiffoit aucun qui put exaclement exprimer ce qu'il étoit, on imagina celui de Confeiller intime du cabinet, & on 1'en revetit; le pouvoir illimité que le Roi y attacha fut auffi nouveau que le titre; il fut authorifé de coucher par écritCen telle forme qu'il le jugeroit apropos) les ordres qu'il recevroit de bouche, & de les envoyer aux différens départemens , munis du feeau du Cabinet fans qu'il fut befoin de la fignature du Roi; — le lendemain parut une ordonnance fignée de la propre main de Sa Majefté qui enjoignoit a tous les départemens de refpefter ces ordres. Le Miniftre donnoit au Roi a chaque famedi un extrait des ordres, qu'il avoit expédié pendant le courant de la femaine,ils rece- C*3) Quelque temps aprè* Ia même faveur fut accorda a Brandt.  t 494 ) voient par la la même fanc~r.ion que fi effeclivement Sa. Maj. les avoit figné. On doit plaindre un jeune Monarque dont la fituation ne lui permet pas de fentir les confe'quences d'une conduite auffi inufitée, mais on doit me'prirer un favori qui abufe a ce point de la confiance de fon maitre. II paroit au premier abord incor.cevable que Struenfée fe foit permis des démarches qui devoient enfin le perdre, tandis, que s'il avoit fu profiter des circonftances, il auroit pu jouir pendant longues années d'une autorité illimitée, mais cette autorité n'auroit pas du être attachée a fa perfonne, la fignature du Roi auroit du paroitre partout. Les privilèges de la Noblefie en particulier & de la Nation en général auroient du être refpectés; alors fous la protection d'une jeune Reine, qu'on aimoit, il fe feroit foutenu, & 1'ambition d'un parti qui vouloit s'emparer du gouvernement ne feroit pas facilement venu a bout de le renverfer; mais fon ambition le perdit, il ne put fupporter fon élévation, jamais content du point qu'il avoit atteint, il vouloit toujours monter plus haut, jufqu'a ce qu'enfin la Cataftrophe la plus terrible , mit fin a cette gloire momentanée & entraina dans fa chute une jeune Reine digne d'un meilleur fort. Struenfée avoit introduit une liberté de  ( 495 ) prefïe fans borncs, s'imaginant que ce feroit un moyen d'apprendre a connoitre les fentimens du public au fujet du gouvernement aótuel. II ne croyoit pas que fes ennemis en auroient abufés au point de faire paroitre Contre lui les fatires les plus atroces & les libelles les plus infames, on employa ce moyen pour le noircir au yeux de la nation, on aggravoit fes fautes, on faifoit rémarquer fon ca* raftère ambitieux, 1'abus qu'il faifoit de la confiance de fon maitre & on y faifoit revivre ces bruits injurieux pour la Reine dont j'ai parlé plus haut. Les chofes en vinrent au point que tout d'un coup la liberté de laprefle fut retirée; on promit des recompenfes a ceux qui decouvrifoient les auteurs de ces écrits , & on menaca de chatimens les plus rigoureux, ceux qui s'aviferoient d'écrire doresnavant la moindre chofe contre le Roi, la Reine ou leur Miniftre. Les écrivains furent intimidés , ils fe turent , mais trop tard , pour Struenfée; le coup étoit porté. Les efprits une fois aigris refterent animés , fes amis fe refroidirent, ceux qui lui refterent attachés devinrent mefians & timides; le peuple s'étoit accoutumé a meprifer fon autorité & fon nom. La voix publiquc étoit contre lui & dans ce moment critique il auroit plus que jamais eu befoia  ( 49$ ) d'un courage qui parat 1'abandonner a cette époque. On ne s'en appergut que trop a un événement qui eut lieu vers la fin d'Octobrc. Trois cent matelots arriverent de Norvége , pour être employés dans une expédition contre Alget. Suivant la coutume ordinaire, les matelots re tiroient aucune paye avant le moment de leur embarquement. Ceux-ci depuis fix feroaines de féjour a Coppenhague n'avoient encore rien recu de 1'amirauté. Sans travail & fans paye ces pauvres gens fe trouverent bientót reduits l la mendicité. Ni leur mifere , ni leurs plaintes ne pouvoient leur procurer du fecours. — Perfuadés a la fin qu'il n'avoient plus d'autre refiburce que celle d'une refolution defefperée, plufieurs d'entre eux allerent a Hirfchholm ou étoit la Cour; apres avoir fait ferment de revenir ou foulagés ou vengés. Ils fortirent de la ville avecun maintien menacant; on n'ofa point les arrêter. Le bruit de leur revolte les avoit devancé a Hirfeh-holm; Ie Roi & la Reine étoient a la chafie. Un Général Adjudant alla a la rencontre de ces matelots, s'informant des raifons de leur mecontentement. Nous voulons par^ ter a notre Père, repondirent-ils, il doit nous fcouter & nous aider. On fit avancer quelques Dragons: ce qui les irrita encore d'avantage. Ils  C 497 ) jtls firent paroltre des armes & avertitent qu'il répoufiëroient la force par la force. L'Officier tacha de les appaifer, leur paria avec douceur mais avec fermeté, & les engagea par ce moyen a expliquer leurs griefs. Leur explication fut courte & fiére. II les écouta avec patience, leur promit ce qu'ils démandoient & les perfuada enfuite de retourner en ville. On leur tint parole & la tranquilité fut rétablie. Cette conduite auroit meritée d'être applaudie, fi après avoir fuivi les régies de la prudence, on eut montré enfuite du courage & de la Juftice: La loi étoit fans doute trop fevère contre les matelots; mais ils étoient coupables de révolte. La loi ne fut pas changée. Le contre Amiral de Rühmor, qui devoit commandcr 1'Efcadre eut fa démisfion. Cette fagon d'agir fut aufii imprudente qu'injufte, puifque cet Officier avoit fait fon devoir. Les matelots en conclurent que la cour spprouvoit leur conduite, & cette idéé les cncouragea & de nouvelles violences. Le trarail du chantier cefla. Ils commirent toute forte de desordres, demanderent une amelioration de leur fort, & s'emporterent a des menaces en cas de refus. Cet evene¬ ment inquieta extrêmement la cour: Struenfée craignant que ee ne fut une etincelle quï li  C 498 ) allumeroit peut être un grand feu, fongea k 1'étouffer le plus promptement que poffible; — On ne fut d'autre moyen que de difperfer les mecontens & de divertir leurs idees par des plaifirs; A cet eflèt on conclut de leur donner une fête, qui fut celebrée a Fredriksberg, chateau du Roi a un demi-quart de lieue de Coppenh. avec une magnificence prodigieufe. —■ Les matelots après avoir jouï des plaifirs qu'on leur avoit procuré s'en retournerent plus tranquiles chez eux; enfuitte ils furent embar- qués ; Mais le nuage n'étoit pas diffipé; la nobleffe & une partie de la Bourgeoifie ayant été temoins de cette fcéne en tirerent un augure malheureux pour Struenfée; »Hk. On vit dès ce moment qu'il connoiffoit la crainte. Cette decouverte fut importante pour ceux qui avoient jurés fa perte, & des lors on travailla ferieufement & en fecret a le renverfer, ainfi que la jeune Reine fa protectrice; — Cependant tout fut arrangé avec prudence; On comprit qu'un feul faux pas pourroit tout faire manquer; en rendant Struenfée de plus en plus fufpeét, on s'étudia a gagner la confiance de la nation. Perfonne ne fut mis du fecret mais on tacha de découvrir qui d'entre les ennemis du parti regnant feroient les plus propres a être employés ; On éprouva le vieux Comte de Tott, le Comte d'Often, &  C 499 > i Ie Comte de Rantzau Afchberg; ce dernier fut choifi; on connoifibit fon efprit inquiet & i fon amoor pour les avantures, cependant on ■ craignoit fes irrefolutions naturelles & 1'inconftance de fon caraelière i —— mais on n'ignoroit pas qu'il avoit une vengeance perfonnel- i le a prendre; On s'étudia a le gagner & i on remarqua avec plaifir qu'il devenoit de plus en plusmécontentde la regence a&uelle. Quoij que les arrangemens qu'on prit fous main fusfent executés avec le plus grand fecret, il en ütranfpira quelque chofe; Struenfée en fut viveirnentallarmé ; un faux avis qu'on lui fitdonner i en même temps, qu'on en vouloit a fa vie, lui !I infpira la plus vive frayeur. II perdit abfolument la tête au point qu'il fe jetta aux pieds | de la Reine , lui temoigna toute fa reconnoisI fance, fon attachement, fa douleur & fes in] quietudes, la pria inftamment de lui permettre de fe retirer d'un pais & d'une cour oü il ne j fe voyoit entouré que d'ennemis, ou le mécont tentement général paroiflbit s'appefantir fur i lui, &oü la fin laplus deplorable le menagoit 1 de tout cóté. • II repréfenta tout aufii vi- I vemenU la Reine le danger qu'elle couroit elle ni même fi elle 1'obligeoit k refter, & s'obftinoita al le proteger contre des ennemis qui s'accrois- i foient i chaque inftant. « lui repréfenta j qu'elle n'auroit aucune protection a attendre de li a  C 500. ) ibn Epoux; fi fes ennemis triomphoient. «—* La reine rejetta fes propofitions avec le même feu. Reflés, dit elle a Struenfée, Ji vous, m'abandonnés dans ces circonftances vous me porterés a une atlion qui décidera de mon . bonheur ou. de ma pene. • Struenfée connoifibit fon courage; II obeït en tremblant ,■ & fut obligé de faire ferment que jamais il ne feroit plus pareille propofition. Le parti contraire obfervoit avec beaucoup de foin tout ce qui fe paflbit a Hirfchholm & profitoit de la moindre circon- ftance qui pouvoit tirer a confequence. • On y fit venir les 300 dragons commandés par Mr. de Numfen qui avoient remplacés la Garde a Cheval, & on mit des fentinelles par tout. Ceci fut quelque chofe de nouveau pour les Danois: Ils n'avoient jamais vu leur Rois gardés avec tant de précaution a Ia Campagne. Les matelots Norvegiens furent renvoyés en grande hate dans leur pais. On temoignoit de 1'amitié a des gens qu'on accabloit de mépris auparavant. On carefibit ceux qu'on craignoit & les plus petits moyens furent employés pour gagner la populace de la capitale. Dans cette perplexité Struenfée fe flattoitcependant que fon pouvoir & fa cönfidération  ( 501 ) perfonnelleferoient a Talmde tout attentat,auffl lóngtemps qu'il pourroit éloigner fes ennemis de toute communication avec le Roi: II connoiffait trop ce Prince pour ignorer qu'il n'ai"moit perfonne, & que fa faveur n'étoit que 1'effet de la crainte, ou del'empire qu'on avoit fu prendre fur fon efprit. II connoiffoit trop bien fa foibleffe pour ne pas être perfuadé, que rien n'étoit plus facile, que de changer dans un inftant fa facon de penfer, & le porter a des mefures violentes contre ceux même qu'il paroifloit affeétionner le plus. On prolongea tant qu'on put le féjour de la cour a Hirfchholm; les gens de confiance de la Reine & du Miniftre n'abandonnerent pas un inftant ]e Roi; , Le Comte Brandt furtout n'ofoit pas le quitter. Tranquile du cöte du Roi, Struenfée fe remit aux affaires; mais ce fardeau devint trop pefant pour fon efprit abattu par tant de chagrin. Il réfolut dele partager avec fon frere en le placant a la tête du departement des Finances dont il étoit déja membres mais ce projet ne put être executé. Plufieurs altérations fakes aux arrangemens de Police a Coppenhague, qu'il avoit voulu modeier fur celle de Paris, fourniffoient a fes ennemis des raifons pour le rendre odieux aux Bourgeois & au Peuple de cette Capitale. ' A quelques égards il n'auroit pu choffir un li 3  C$óa> meilleur modèle, mais il auroit du confidérer que ce qui e'toit convenable aux moeurs d'un peuple vif & qui aime les plaifirs, ne Tétoit pas pour les habitans phlegmatiques & tranquilles de Coppenhague; on ne manqua point de leur faire confidérer les nouveaux règlemens, moins fevères que les premiers, comme dangereux pour les bonnes mceurs & tendantes a corrompre la nation. Le peuple vit dès - lors ces nouveautés avec horreur, & de tout cóté on n'entendoit que murmures & plaintes. Cependant la faifon avancoit, & il n'étoit plus pofiible de refter a la Campagne, mais la Reine & Struenfée n'ofoient pas rentrer en ville , oü la Cour de Friedensbourg étoit déja revenue. Ils engagèrent le Roi a s'établir pour quelques jours a Friedriksberg , petit chateau aux portes de Coppenhague. Avant de rentrer dans un endroit oü tous leurs ennemis fe trouvoient rafiemblés, ils vouloient s'affurer de lajéuffite d'une grande entreprife, qui devoit beaucoup contribuer a leur fureté. II s'agiflbit de cafier le régiment des gardes a pied, des foldats duquel ils avoient des raifons trés fortes de fe défier. Tous Norvégiens, ils étoient •attachés par inftinct a leurs Rois; on avoit fous main fait repandre parmi eux le bruit que 'Pautorité & la perfonne de Sa Maj étoit en dan-  ( 503 ) > ger, pour s'en aflurer dans 1'occafion. La refolution de les caffer fut prife le 21 Nov. & expédiée deux jours après. On alTembla les Compagnies de ce refpeftable & beau Corps ; un Officier leur annonga , la volonté du Roi, qui caffoit le régiment mais incorporoit les foldats dans d'autres battaillons. j Un murmure général fe fit entendre de rang en rang, puis a grands cris ils demandèrent ou leur congé en bonne forme, ou l'éreétion d'un nouveau Corps auquel tous fans exception feroient aggregés. Envain leurs officiers voulurent-ils leur repréfenter la néceffité d'obéïr au Roi, envain employèrent-ils la perfuafion & les menaces, rien ne put calmer leur rage. Ils quittèrent leurs rangs a grands cris &fe debandèrent. Les gardes les plus voifines accoururent & voulurent les arrêter. A cette vue leur fureur redoubla, ils tirèrent leurs fabres, tpmbèrent fur ces gardes & firent main bafle fur tout ce qui faifoit réfiftance ; le fang ruiffeloit de toute part; 1'allarme & la frayeur devinrent générales; d'autres gardes plus éloignées arrivèrent; on fe battit de nouveau; un petit nombre de mécontens furent obligés de fe rendre; une compagnie s'échappa & courut vers la porte du Nord. Ils forcèrent la garde & marchcrcnt droit k Friedriksberg, les autres compagnies coururcnt au chdteau & s'y retranchèrent  ( 5°4 ) dans leur corps de garde. Le Gommandant envoya un exprès a Struenfée pour lui donner avis de cette révolte; a cette nouvelle la confternation fut extréme; le moment étoit critique, & rien que la douceur pouvoit rétablir le repos. Struenfée fit promptement expédier un ordre de Cabinet, par lequel il promit aux mécontens ce qu'ils demandoient ,&chargeaun officier de le leur porter. II les rencontra tout prés de Friedriksberg. D'abord qu'ils 1'appercurent, ils crièrent tumultueufement qu'ils venoient pour parler au Roi & lui demander juftice; en attendant ils avaneoient a grands pas, une garde fous les armes ne les effraya point. L'officier qui la commandoit voulut employer la force, mais tirant leurs fabres ils firent mine d'un air fier & réfolu de palfer outre; alors celui qui étoit porteur de 1'Órdre du Cabinet fe joignant a celui de la garde, employa le ton de la perfuafion. Enfin après leur avoir montré la fignature de la propre main du Roi, ils parvinrent a les faire retourner a Coppenhague, oü ils furent joindre leurs camarades au chateau, & leur firent part de ce qu'on avoit été obligé de leur promettre. Cette nouvelle releva leur courage, mais ne les contenta point, ils vouloient plus que des promefies, s'imaginant que fans un congé en fconne forme il n'y ayoit aucune fureté pouf  ( 5°5 > eux., Ils s'engagèrent réciproquement par les fermens les plus folemnels a mourir, plutót que de s'abandonner dans cette occafion. Ils favoient que trois regiments d'Infanterie & deux efcadrons étoient rangés autour du chateau mais rien n'étoit plus capable de les détourner de leur defièin. Ils ne permirent qu'a leurs propres officiers de les approcher. Les négotiations durerent pendant toute la journée & une partie de la nuit fuivante. Enfin a une heure du matin ils rendirent leurs armes & fe féparèrent, après avoir obtenu tout ce qu'ils défiroient. On leur donna a chacun un congé, figné de la propre main du Roi, trois écus, le préfent de leur pleine uniforme, & l'acquit entier de ce qu'ils devoient a la caifïe du régiment. Chacun s'en retourna chez lui & le refte de la nuit fe pafla tranquillement. Le lendemain a la pointe du jour environ quatre cent d'entr'eux partirenf, — VS uaverfèrent la ville en bon ordre , & dans toutes les ruës oh ils paflbient ils difoient. adieu d'un ton attendri a leurs concitoyens. Ce depart fit une grande impreffion fur le peuple, la foute s'attróupoit de tout cóté & s'augmento.t d.e moment en moment. Les bourgeois jettoienc de 1'argent aux foldats & les confoloient, les matelots auffi Norvégiens, couroient par toute. ia ville & commencoient a parler de vengeance,  < 506) les efprits s'echaufièrent, on n'entendoit de tout cóté que des cris, des juremens & des menaces. Le Général Major Gude, Commandant de la ville accompagné de plufieurs Officiers accourut & fit de fon mieux pour disperfer la populace, mais il fut jetté de fon cheval & trainé dans la boue. Plufieurs Officiers & Soldats furent maltraités & quelques-uns blesfés. Les Soldats congediés ne prirent aucune part a ces defordres & fortirent tranquilement de Ia ville. Après leur depart le trouble continua encore pendant toute la journée & ce ne fut que vers Ie foir que le calme fe rétablit entièrement. Cette terrible fcene rendit Struenfée encore plus craintif & plus irrefolu; fes terreurs étoient inexprimables - il eft vrai que fa fituation devenoit de plus en- plus critique, cependant avec du courage & de la réfolution il auroit peut être pu s'en tirer heureufement. Le Chevalier regnante & tous ceux de fon parti, il leur ordonne de le fuivre. L'importance de cet ordre terrible, le regard impofant de leur chef, lefang froid,leton fevère avec lequel il leur adreffe la parole, en impofa tellement a ces officiers , qu'aucun d'eux ne fongea a exiger 1'exhibition de cet ordre i fi quelqu'un 1'eut fait tout auroit echoué. Mais Köller fut auffi heureux qu'entreprenant. — H le rendit avec fa fuite au rendés-vous; — pendant ce temps le Collonel Eichftatt faifoit mettre fes dragons fous les armes & les rangeoit autour du chateau. On va enfuite a 1'appartement du Roi, on ouvre avec fracas les rideaux de fon lit, il s'éveüle en furfaut & paroit effrayé, on ne lui laiffa pas le temps de reprendre fes fens, on lui dit d'un ton terrible que fa perfonne & fon Royaume font dans le plus grand danger! — Om fuir? que faire: demanda le Roi, tout troublé, aidésmoi — confeillêsmoi? — fignés ceci, dit Rantzau; alors mon Roi, la familie Royale & toute la nation font fauve's. — Le Roi prend la plume mais la rejette lorfqu'il vit le nom de Mathilde. — Enfin on le perfuade, il figne, & Rantzau va exécuter 1'ordre que contient le decret fatal. Le Collonel Köller fut chargé de la commiffion d'arrlter Struenfée, il s'étoit déja ren-  C 512 ) du k fa chambre fans attendre 1'Ordre figné dn Roi. II laiffa les officiers qui 1'accompagnoient dans Pantichambre & entra feul dans 1'appartement oü couchoit le miniftre. Struenfe'e fe reveilla au bruit & reconnut Köller avec la plus grande frayeur. II lui demande en tremblant ce qu'il vient faire a une heure auffi indue. — ' Vous l'apprendrés dans un inftant, répondit le Collonel, levés vous au plus vue: puis il le prit par le Collet & le fecoua. avec violence. Struenfée perdit tout courage & cêda lachement a 1'effortd'un feul homme, on leconduifit avec fes amis a la Citadelle oü il fut mis dans un cachot. Si le malheureux Struenfée avoit eu plus de refolution, fi en refiftant a Köller il eut obligé les Officiers d'entrer dans fa chambre & qu'en leur prefence il eut demandé a voir Tordre du Roi, peut être que l'audacieux Köller auroit été la victime de fa temerité. Le Frère air.é de Struenfée,- le Comte de Brandt, le Général Göhler, & fon époufe, le Collonel Falkenfchiold, le Général Gude Commandant de la ville, le Baron de Bulouw, le Secretaire d'état Zöga & quelques autres adhérens de Struenfée furent tous emprifonnés les uns après les autres. Le Comte de Rantzau & le Collonel Eichfiatt fe rendirent- avec quelques Officiers a IV  parlement de la Reine. Elle fe reveille j cn■itendant du bruit dans fon antichambre ejle appelle fes femmes, & voit la paleur fur leurs vifages. La Reine effrayée fe leve & veut fa- ivoir la caufe de leur frayeur. Enfin une dv-; lui dit que le Comte de Rantzau eft dans fon antichambre & demande k lui parler de Ha part du Roi. Rantzau? de la part fa \Roif dk-eile, vite cours chez Struenfée; on lui notifie qu'il eft arreté. Je fuis trahit! s'écrie felle avec la plus vive douleur, # perdue d jamif* mais qu'ils entrent les traitres i Je fuis refignêe d tout; elle va a moitié habifc lée & avec intrepidité a leur rencontre. Rant2au lui fait la leóture de 1'Ordre figné du Roif elle Técoute avec fermere & fans 1'interompre , ayant cependant de la peine a le croire.elle , Wut Ure 1'ordre elle-même, Rantzau le lui doBm elle fe lit d'un bout a 1'autre fans marquer la moindre frayeur, puis s'ecrie; Je monnois d cet' i u fafon ffagir & les traims Roi. — Rantzau la prie de vouloir fe conformer a 1'Ordre qu'il lui 3 prefenté. Ordres, répondit-elle avec mépris, Ordres dont peut-être le Roi ne Jait rim tuh méme, & que fa perfidie.l.a plus howble a fans doute arrachéeJ fa 'foibUffe, non! d ds $areils Ordres me Reine n'obéd point, zau d'un ton fevere dit que la eommiflion m mmmit mem delai. "Avant ps Ï»P twlf  au Roi dït-elïe pareille commijjton ne fera point executie a ma perfonne, iaiffés-moi aller chez tui , je dois, je veux lui parler , k ces mots elle avanca quelques pas vers la porte, Rantzau la retient & s'impatiente, il change fes prieres en menaces. Miférable, s'écrie la Reine, eft ce ld te ton d'un fujet vis-d-yis de fa Reine? • Le fier Rantzau s'irrite, donne un coup-d'ceil fignificatif a fes Officiers; le plus hardi s'avance & veut la faifir, elle s'arrache de fes mairjs , appelle au fecours en Criant de toutes fes forces, perfonne ne vientj feule contre des gens arme's , fans défenfe; tranfportéc de colère, cette malheureufe Princefie court vers une fenëtre & dans fon defefpoir veut fe précipiter, on 1'arréte, on tache de Tentrainer, elle fe défend, enfin elle perd fes forqes & la connoiiTance, revenuë è elle & voyant qu'il n'y avoit plus moyen de refifter elle refolut de ceder z la circonftance. On lui donna le temps de s'habiller, enfuite Rantzau la conduifit a la voiture qui la mena au, .chateau de Cronenburg. La nouvelle de cette révolution s'étant répandue, la Reine Douariere & fon fils' le' Prince Frédéric pariirent a un Balcon & fe firent voir a la multitude aflemblée devant le chateau. -—. On eria Vive la Reine Julie,:. 0ye le Prime' Frfdêric'l iafadis qü'üh möV-  U'5> m filence regnoit dans le refte de la ville. A Midi le Roi. en habit de Gala accompagné du Prince Frédéric fut promene' en caroffe de ceremonie par les principales ruës de Coppenhague. Quelques perfonnes fe mirent en devoir de dételler les chevaux & de trainer la voiture; mais le Prince Fréderic fit figne que le Roi ne le vouloit pas. Pendant ce temps la Reine Julie donnoit audience & temoignoit combien elle étoit navrée qu'on avoit été obligé dc recourir a des moycns auffi violens & qui repugnoient ft fort a fa fa'fon de pen/er ; mais que le bien du Royaume LI 'la fureté de la perfonne du Roi Vavoient, exigêr Le foir toute la ville fut illuminée, & le dimanche fuivant, on rendit grace au ciel, de 1'heureufe révolution qui fauvoit 1'Etat & 1'Eglife , & dans le courant de la femaine le théatre retentit en vers & en profe des louanges de ceux qui avoient chargés la forme du Gouvernement. On recompenfa tous ceux qui avoient été employés. Le Comte de Rantzau fut nommé chevalier de 1'Ordre de 1'Elephant, & Général d'Infanterie; Köller eut 1'Oïdre de Dannebrog & le rang de Lt. Général, il fut ano-, bli fous ïe nom de Banner qu'une ancienne familie éteinte depuis lóngtemps avoit porté. Eichftatt devint Lt. Général enfuite Gouver^ Kk 2  C 516 ) fleur du Prince Royal, & chaque Officier fat avancé d'un grade. -— Le Sécrétaire du Cabinet Schumacher qui avoit été renvoyé fut rappel! é. Le Confeil d'Etat fut rétabli fous le nom de Êonfeil fecret du cabinet toutes les affaires du Royaume devoient s'y rapporter. Le Prince Frédéric en fut déclaré Préfident, le vienx Comte de Tott, le Baron de Schack Ratlou, qui s'étoït retiré dans fes terres (comme je 1'ai déja dit) le Comte d'Often,le Comte Rantzau, & le Général Eichftadt y eurent féance. La Conduite de Chevalier Keith, dans cette ©Ccafion fut digne des plus grands éloges, on lui rend encore è Coppenhague a cet égard toute la juftice qu'il mérite; il fe comporta avec dignité & avec prudence. —- Sa déclaration au Comte d'Often chargé des affaires étrangères, fut courte, mais énergique. II menaca de la part de fa Cour, de la vengeance la plus forte, fi l'on attentoit la moindre chofe contre la perfonne dela Reine-Mathilde, puis il envoya fur le champ un courier en Angleterre, ne paroiffant a la Cour que lorfque le cas Texigeoit abfolument. Struenfée fe comporta de la facon du monde la plus foible depuis le moment, ou il fut emprifohhé jufqu'a celui oü il expira fur un Éêhafiaüt dansles tourmemsd'une mort crueile;  Brandt au contraire garda toujours fa prefene© jd'efprit & fon courage, & jufqu'au dernier foupir il conferva une intrepidite', qui auroit probablement fauvée les malheureufes vidbimes jjde 1'ambition de fon ami, fi celui-ci 1'avoit eu jen partage. De ceux qui avoient été arretés plufieurs furent rel&chés, mais reeurent ordre de quitter la capitale & perdirent leurs emplois. II fut defendu a Madame Göhter de jamais reparoitre è la Cour. Son Epoux le Lt. Général Göhler, fut cafie & banni des Mes de Zélande & de Fionie, mais conferva une penfion de iooo i ^cus. Le Collonel Falkenfchiold fut enferrné pour toute fa vie dans la Citadelle de Munkholm a un demi écu par jour, pour avoir été 1'ami intime de Struenfée. Le frère de Struenfée fut relaché, fous condition de ne jamais parler, encore moins écrire au fujet de la. révolution. Le contre Admiral Hanfen , le Lt. Collonel Hefielberg, le Confeiller d'Etat Willebrandt & quantité d'autres furent bannis; mais conferverenc cependant des petites penfions. Telle eft 1'hiftoire, telle fut la fin d'un homme, qui né dans 1'obfcurité s'élèva au plus haut point de fortune & de bonheur, ou jamais mortel puifle atteindre, qui fut précipite' dans un abime de malheur par une ambition Kk 3  c si* 3 rans bornes & une conduite auffi peu mefiirée, que pufillanime & y entraina une jeune" Reine digne d'un meilleur fort, avec fes amis les plus intimes. («) je fuis, &c. (*) Outre ce que j'ai eu occafion d'apprendre les lieux, jaiftit ufage p0ur Ie contenu de cette lettre dun manufc ipt trouvé parmi les papiers d>un h qni fut enveloppé dans la difgrace de Struenfée & quï eft mortlannée 1782. Son nom eft connu dans la Ré- tait plus d „ne fols mentl0n de fes produ£lions Cependan CQm je trQuvê extrêffleme cueTe n?0"?" 3 i^0"' ° "VMCe fe™™ fait, 9»e je ne voudroas pas garantir: je n'en ai pris que ce «ne j ai hen de croire bien conftaté. Son manufcript compofé ongïnairement en francois i «te impnmé en Allemagne fous le titre fuivant •— Authenafcheund Höchftmerkwürdifche aufklarungen über die g.fch.chte des Grafen von Struenfée und Brandt 1 aas den, Franzöfifchen manufcript eines hohen unfe«ntea, 2um erftenmal überfezt und gedruckt _ Germamen 1788 , c'ert-a-dire : Eclairciffemens authentïques & trés remarquables fur 1 naredes Comtes de Struenfée & Brandt, c0ntenuS mdureflTUfC"Pt C°mp0fé Par Un iUu«-anonimes tradun en francs pour la première fois & imprimé en' Germanie 17SS. FIN.  L'auteur s'étoit flatté de joindre a cet ouvrage quelques vuës de la Suéde & du Dannemarc, deffinées par lui-même fur les lieux; Mais 1'Editeur des vuës rémarquables des Montagnes de la Suifle, qui s'eft chargé de les faire graver k Paris, n'a pu les faire exécuter a temps. Lorfqu'elles feront prettcs, on en avertira le Public, qui pourra fe les procurer chez le fusdit Editeur.   ERRATA. 18. LigHe 10. qu'un coup part, lifés, qu'un coup partït, 29. . . 7. leurs voiftós, . ... fes voif.ns 32. > . 19-fatiques, .... fatigues 5, , , <5. favorifent . . > • favonfe 9I. , . 27. ont couts, .... ontcoutés ui. . , 1. age agé Si. . . 7-Athéa, 1'Althé. ï?6. - • 6.troupeau, 1 . . . troupeaux *92. . . 7.Ces maifons, . . . Les maifons 209'.■ 2-«"KS ont> mursquiont 31ï. . - 17- ou quelqu'autre, . . de quelqu'autre lïbid, 1 21- a un quart de lieue eft, . . . . a un quart de lieue de cet endroit eft 333' ï • IS. I33Ï ....... 1337- 324. ' 4-6-7- "«es, tonneaux 418. , . 26. des deux partis, . . de deux partis 424. . . alanote .Ranneberg . . Runneberg. 4S9, . . 10, prouva &c. . . • prouva     0,207UB AMSTERDAM  V O Y A G E E N & U JE JD 'JE.   V O Y A G E E N S U E D E,_ CONTENANT UN ETAT DETAILLE DE SA POPULATION, DE SON AGRlCULTURE, DE SON COMMERCE , ET DE SES FINAKCES ; . S U I V I de l'Hiftoire Jbrègée de ce Royaume & de fes diffêrentes fonnes de gouvernement, depuis Gujlave I en 1553» jufqu'en 1786 inclufivement, fous le Règnc de Guftave III, q.c~luelhmcntfur te tróne , ET DE QUELQUES PARTICULARITÉS REL ATIV E S A L'HISTOIRE DU DANMEMAR C* Par un Officier Hollandois. _4 I. jt H ui r E, Chcz P. F. G O S SE, Librairc & Imprimeuf dc la Cour. M. D. CC. L X X X I X.   D E D I C A C E "Je dédie Pimpreffion de ces lettres au même^ami, k qui elles furent écrites; Je me flatte qu'il voudra bien les aggre'er comme un te'moignage de ma gratitude^ ö 3  fi D E D I C A C E: pour le plaifir que m'a procuré fa correfpondance , & pour fes queftions lumineufes qui ont dP rigées mes obfervations;  SOMMAIKE- DES 'L E T T M E Sc LETTRE PREMIÈRE, JCdée générale de ee voyage. ^— Defcripticn de Fahlun. • • PaS- z- LETTRE SECONDE. Mine du Kopparberg. Exploitation Ouvrages extérieurs. — Changement du minera* en cuivre brut I* LETTRE TROISIEME, ffljïoire de Ia mine du Kopparberg. —— Idee générale du Local de la Snéde. . . . 26 LETTRE QUATRIEME. Pajfage du Sund. — Helfmgburg. — Route d? Helfmgburg a Gotbenburg. — Proïinee de Ba/land. Halmjïad.' Heerberg. -— Labolm. — Kongsbacca. yncber^es. * 4-  VIï'2 SOMMARE Cbemins. — Pojlss — Province de Wejïrogotbie —- Golbenburg ■ . . 32 LETTRE CINQUIEME. pefcription de Gotbenburg. — Compagnie des Jndes. —— Commerce intérieur. —— Pêché du bareng. — Fauxbourg. — Vauxbalt. Parade. ^irmée.. — Troupes levées oit de garnifon. — Dejerteurs. — Troupes réparties ou nationaies. t . . ^ I< E T T R E SIXIEME. CataraSte de Trolhetta. — Edet. —~ Falkïöplng. —m Regiment da Cavalier ie de Wejlrogotbie. : . . . . 62 LETTRE S E P T I E M E. Mariejladt. — Route de Mariejladt -a Orebrö. — Province de Nericie. —— Orebrö. •— Pro- vince de PVeftmanie. ^rhoga. Smed- by- — Province de Südermannie. —— Suder- . talie. — Cbdteau de Gripsbolm. — Trosballa. Kumla. — Fitz'ia, . . fa LETTRE H U I T I Ë M E, Stockholm. — Defcriptiott de cette Capitale. — . Chdteau. — Slrfenal. — Opera. — Comédie Francoife. — Comédie nationale. — Pavilion de la Reine Cbr-Jl;ne, -r Académie des Scien~  >£s h E T T R E S. Bt _ .y^//^ des machines. — Obfervatoire. — Académie de peiqture & de feulptttre. — ^r/$tf. • • S3 LETTRE NEUVIEME, i Qonünuation de ia defcription de Stockholm. —* Le Port> —* l'He de V^imirauté. — Galeres —« Garnifon. — Genre de vie. — ZePuis 1ue '}'cn6k travefS kS GranUS 00 !a Suéde, je n'ai pu trouver un inftant pouf vous donner de mes nouvelles •, au moindre féjour que je fais, j'employe tout roon tempS a voir, a examiner & a queftionner. Je note enfuite fur mon journal ee que j'ai apprisd'intéreffast. Je proflte d'un moment de loifir pour tou3 aeeufer la réception de votre lettre en datt A  i i S du ... , qlie vpus m'avez adreffëe a Cop= ' pènhague; je 1'ai recue a Stockholm par lavoye, de Mr. Ie Cbmte de R Je vous écris du fond de la Dotécarlie, berceau de Guftave Vafa, du milieu de ces braves Dalécarliens, qui fofis le* ordres, de ce grand-homme fécouerent le joug, (*) fous lequel leur patrie gérniflbic depuis environ deux cents ans. Après avoir pris ma route par Gothenburg, Falkiöping, Mariejladt, Orebrö, Arboga, {Q fuis arrivé è Stockholm, de ia jefuis montépi'us vers le Nord, j'ai vifite Upfal, je me fuis ar. rété pendant quelques jours a une terre dont le propriétaire m'a mené a cetté fameufe mine de Danemora, fi riche en fer de la première qtlalité. J'ai été voir Löffla, terre magnifique appartenante au Baron de Geer, oü j'ai paffe' un jour a confiderer lesdifférêntes opérations des forges qu'il y a établies. J'allai enfuite a la catarade du Dahl Elbe (ou rivière de Daht,) qUi apres s^tre partagé'e en deux bras , fe pré'cipite en ligne perpendiculaire a travers des rochers affreux, de plus dc £o pieds de baüteur. Ce fpeétacle eft magnifique par f0n écume, fon bruit & fa hauteur. De-la je fus a Gefit, port de mer dit £*~) En 1'annfe ijzj,  Ui Go\k-Botbni§ue , & après deux mois de couri fes, je vins a Fahhn. Quand j'aurai vu les mines de cuivre qui fe trouvent ici, je me propofe de parcourir celles d'argent a Sahla: de-la je partirai pour Nordkiöping , Carlfcrona , TJtadt, & faifant pinfi le tour de la Scanie, je me retrouverai a Helfmgbmrg, en y rentrant par le cóté oppofé a celui par lequel j'en fuis forti, cn commencant ma tournee dans ce Royaume. Par cc que je viens de vous dire, & d'après la connoiüance que vous avez de la carte da pays, vous voyez que je ne fuis pas allé a Stockholm par le chemin le plus court; comme mon deffein en venant en Suede, n'étoit pas de me borner a la Capitale, mais de voir tout ce que le pays contient de plus curieux, tantpar rapport aux mines, que par rapport aux ouvrages immenfes & prodigicux qu'on y conftruit en différens endroits, pour la facilitéidc . la navigation & du commerce intérieur , êc fur tout les travaux célébres de Carlfcrona, pour 1'arrangement de la flotte; je me fuis non feulemcnt écarté de la route ordinaire , mais je pris la réfolution de faire tout le tour d'un . pays fi intéreflant par fon local pittorefque, & par 1'adtivité, le génie, 1'hofpuaücé & la politefie de fes habitans. Vous ne fauriez vous imaginer, combien psu A 2  (43 ï? en coüte pour voyager dans ce Royaume; j'ai une voiture Ruffe aflèz légê're, & comme les chemins font excellens , quatre chevaux, (quoiqu'en général trés petits & fans apparence,) me trainent par tout; croiriez-vous bien que je ne donne pour chaque cheval que feize ïbus de Suéde, qui font envirbn quatre fous & ;demi de Hollande, par mille Suedois, (*> & le mille fait a peu prés deux lieues & demies communes de France. Je m'arrête dans tous les endroits qui me'ritent 1'attention des curieux, au contraire je vais jour & nuit1, lorfque je ne rencontre rien qui m'invite a fe'journer. Les nuits qui .font aótuellement ici auifi claires qu'en plein jour, donnent beaucoup de facilite' aux voyageurs pour avancer ; comme je ne fais par un pas fans avoir la plume, & fouvent le crayon a la main , je fuis en état de vous donner quelques deicriptions aifez exactes, mais le temps ne me permattant point d'écrire de longues lettres, j'attendrai mon retour en Danemarc , pour fatisfaire a votre défir ; je vous enverrai alors une relation détaillée de mon voyage. Je me contenterai maintenant de vous dire, que la Suéde n'eft qu'un roe continu de graait, fur lequel il y a plus ou moins de terre C*D On C9»pte 1$ mrUes & demi Su&iois m degrf.  (5) affez mal cultivée , quoique depuis quelques années, on encourage beaucoup 1'agriculture; le pays eft dénué d'habitans, & en certains endroits, on paffe des deferts de vingt a trente lieues, ou i'on n'appergoit que des pauvres huttes pofe'es fur la mousfe qui couvre les rochers; elles font ombrage'es par des fapins, dorst j'ai traverfe' des bois immenfes fans y trouver de la variation; j'en excepte cependant quelques provinces; la Sudcrmanie que j'ai parcourue d'un bout k 1'autre, ainfi que la partie méridionale de 1'Uplatide font bien cultivées. On dit que la Scanie eft ce qu'il y a de plus beau, c'eft ce qui me refte a voir, ainfi que i'Oftrogothie, dont on vante la culture. Le travail des mines, les ouvrages qui en dépendent, 1'arrangement des forges & la fagon d'y vivre, valent feules le voyage. J'ai trouvé auprès des mines de fer la fimplicité de 1'age d'or, & je puis vous affurer, que fi on n'y voit que des rochers , dont les entrailles font d'acier, les hommes qui les habitent, ont des coeurs qui n'en ont ni la dureté ni la trempe. Stockholm eft une ville trés intéreffante par rapport a fa fituation , & dont l'afpedt eft extrêmement pittorefque, on y vit comme dans toutes les capitales, le coftume de 1'habillement national, y eft plus exadt que dans d'autres villes , furtout pour les perfonnes qui frequentent I A 3  Fablun. ( 6 J Ia Cour. Le ton de la focie'te' y eft trés gai, Ja nobleffe & en général, ce qu'on y appelle la bonne compagnie, y eft bien élevée ,les gens de diftindtion, les négocians, lesperfonnes aifées y font bonne chère & font tous pre'venans póür les e'trangers; le commun n'y fait, (ainfi que dans tout lerefte de la Suéde) du pain qu'une, ou tout au plus deux fois par ari, il eft de feigle mélé avec de 1'avoine, il fe nomme KhikkeIroë ou Kakebroë, ij eft rond & plat, de la figure & de la grandeur d'une affiette ordinaire, trouée par Ie milieu: il n'a pas répaiflèur de la largeur du petit doigt, on en volt pendre enfilés par centaines aux plafonds des maifons de payfans. Ce pain quoiqu'excefiïvement dar, n'eft pas défagréable au goüt, on en préfente aux tables des perfonnes les plus diftinguées, avec du pain de froment trés bon & trés blanc. Dans les temps de difette & principalement dans le nord de la Dalêcarlie, on ajoute a la farine de feigle & d'avoine, de 1'écorce de bouleau bien macérée & pilée, ce qui rend ce pain'fi dur, qu'il faut avoir des dents DalécarJiennes pour pouvoir le macher. Je fuis arrivé a Fablun hier dimanche matin vers les fix heures; environ vingt-quatre heures après avoir quitté Gefle,; je n'ai vu dans toute cette traverfée,' que des bois & des rochers; jugez fi je fus charmé de*me trouvcr  (7 ) dans une viüe affez peuplée, puifqu'on y compte 7000 habitans. Après m'être un peu repofé, je fus préfenter ma lettre de recommandation a Monfr. Haldin, Fiscal des Mines, il me regut de la facon du monde la plus polie, m'oifrit fa table pour tout le temps de mon fe'jour, je 1'aeccptai fans complimens. Mr. Haldin, fon époufc, fon ftère, fecre'taire du Roi, chevalier de 1'ordre polaire, quelques officiers du régiment de Dalêcarlie & trois jeunes dames furent les convives que j'y trouvai, 1'ony parloit Frangois, a 1'exception des jeunes dames qui étoieht joïfës, & qui me parurent fort gaies & trés vives; ce qui me fit d'autant plus regretter de ne pouvoir jouïr de leur converfation. Après le diner Mr. Haldin avec quelques officiers ,mc propofèrent un tour de promenade dans la ville & aux environs. La plupart des habitans de Fablun font des mineurs & des forgerons, les maifons font baties en bois, comme dans tout le refb de la Suéde , il y en a quelqucs-unes de baties en pieires & en briques-; cclle du gouverneur de la province, du furintendant des mines , du fifcal des mines, & de deux ou trois autres principaux officiers des mines: la maifon de ville & deux grandes églifes font de même en pierrès, deux rues font pavées, le refte eft couvert de fchories de cuivre pilé 6c battu». A 4  jC § 5 'Après avoir parcouru la ville, nous fömes au Kopparberg oü font les mines, j'y vis les différentes entrees ou puits, au fond de deux grandes excavations, dont 1'une fe nomme la grande mine, & 1'autre qui eft plus petite, Louïfe Ulrique; de tous ces puits fortoit une épaiiTefumée, occafionnée par les feux de charbons de bois, allumés au fond des mines , opération qui fe fait tous les dimanches, pendant que les ouvriers n'y font pas, pour amollir le mmérai qu'on fépare outre cela du roe, en le faifant éclater tous les jours par le moyen de la poudre a canon. Notre promenade finie, nous' retournémes chez Mr. Haldin, oü ily avoit nombreufe comPagme, le the', les parties de jeu & le fouper fe fuccede'rent, il fut trés gai & la converfation fort ammée; ayant eu le bonheur de me trouver a cöte' d'une dame qui parloit trés bon Frangois, je paiTai une fojrée fort agréable Quoique trés fatigue', je me fuis levé trés matin, pour avoir leplaifirde vous écrire. A 1'inftant je compte retourner au Kopparberg ficué èun demi quart de lieue de la ville, pour y voir la mine de cuivre; mon intention eft d'y defcendre & d'y faire une petite promenade fouterrawe a plus de mille pieds fous terre fi J emends ce qu'on dit aux Antipodes, je vcus ^feraiPör, Je ne fuis pas defcendu dansT  mine de fer k Dannemora, quoiqu'elle n'eft pas fi profonde que celle-ci, paree que les fceaux dans lefquels on eft oblige' de fe placer, font un peu effrayans, & que je ne me fentpis pas de vocation pour voyager ainfi par les airs, d'autantplus que du haut de l'échafaudage, oü j'étois huche' au bord de 1'excavation, qui a un quart de lieue d'ouverture & trois a quatre cents pieds de profondeur, je pouvois voir diftindlement, ce qui fe paflbit au fond de la mine. Dans celle que je fuis fur le point d'aller vifiter, on defcend par des échelles, & je ne les crains pas: il eft vrai qu'elles ne font pas toutes auffi intéreffantes que celle de la tour de 'sGravefande peut 1'être quelquefois. Je vous prie de faire mille compïimens ace joli Ange, qui me rapella dans eet inftant 1'échelle de Jacob; j'efpère qu'elle fe porte bien , veut-elle toujours refter comme les anges ? c'eft dommage, il faudroit qu'elle fongeat férieufement a perpétuer une race de créatures auffi jolies qu'elle. Si dans ce tróu oü je compte m'abimer tout-a1'heure, je rencontre quelque Gnome, je le lui enverrai, ils font faits pour fervir les Sylphides; Anges & Sylphides, font a peu prés de même nature : mais j'oublie que j~ fuis a Fablun, qui dans ce moment n'eft pas le féjour des Anges ni des Sylphides, il reffemble plutót a un féjour de Cyclopes. Cette ville par fa fituaA S  .don au pied de la montagne; ou fe tfoüve 1'entree de la mine, eft fujette au défagrément detre fouvent remplie par la We, qui en defcend lorfqu'on y fait fubir au minerai la première opération du grillage; au moment oü je vous. écris, la fumée eft fi forte, quetoute la ville paroït enveloppée d'un brouïllard e'pais,& qui re'pand une odeur de fouffre infupportable. les habitans qui y fentaccoutumés, difent qu'elle les préferve de la piquüre des moucherons, donton rencontre, partoute la Suéde, unequantité innombrable, ils prétendent auffi que les maifons de bois, s'imprègnant de ces matiéres fulphureufes, en durent infiniment plus longtemps. Comme Monfr. Haldin m'attend pour me mener k\a mine, je fuis obligé de finir, ainfi ie me hdte de vous dire que je fuis &c.  C ii ) LETTRE SECONDE.. Helsingburg cs... SeptembrevM* le Matin. M . . - Tandis qu'une tempête terrible m'empêche de palier en Danemarc, & que probablement je me trouverai arrêfé ici au moins pour vingt quatre heures, je vais employer ce temps a vous écrire, j'efpcre que vous aurez reeu ma lettre de Fahlun, que je vous dépêchai un moment avant de partir pour le centre de la terre, voyage que j'ai heureufement exécute a la lueur de quelques fagots de coupeaux de bois de Sapin : Klaas Klim, fameux voyageur fous-terre, n'a pu voir quelque chofe de plus merveilleux. Pendant les quatre heures que j'errai dans les entrailles du Kopparberg, & que tantöt le long' de degrès, tantöt par le moyen d'échelles, je defcendois de galerie .én galerie, mon e'tonnement n'a fait que redoubler a chaque pas; d'abord je defcendis par un degre en Zig-zag, aflez commode dans une excavation de deux mille pas ,-peut-être de circonference, & de trois cents pieds de profondeur; Witte de Fablun.  C 12 5 parconféquent Vous jugez bien, quece fut a h clarté du Soleil. Parvenu au fond de cette excavatien, je vis dans un coin une hutte batie en bois, de üx a fept pieds de haut, k la porte de laquelle fe tenoient deux figures a moitié nues, noires comme de 1'encre: je les pris pour deux pages dePluton, elles tenoient chacune a la main un fagot de Sapin allumé. Dans cette hutte eft une des entrees de la mine fouterraine, la plus commode des quatre qui fe trouvent au fond de 1'excavation. Chaque entrée ou puits, porte le nom d'un Prince ou de quelque grand jSeigneur Suédois; au moment que je parus a'la porte de eet antre, onme préfenta,de même qu'amon domeftique, nn habillement tout noir, fait comme celui des Heiducs, je 1'endofTai; c'eft une précaution qu'on fait prendre aux curieux, pour conferver fcurs habits, qui fe gdteroient aux paiTages e'troits qu'on rencontre dans les galeries; ce lugubre attirail, joint a une priére que firent mes guides, pour demander la bénédidtion divine & fon affiftance pour nous faire reftortir heureufement du fond de la mine, intimiderent tellement mon domeftique, qui étoit un jeune Fnfon, qu'il ne vouloit ni mettre 1'habit de Scaramouche, ni encore moins defcendre les contes effrayans, qu'en defcendant le premier degre, mes guides nous avoient faits, de ro-  C 13 5 ctiers qui s'étoient de'tachés, d'eau qui foudain avoic rempli la mine, de vapeurs peftilentielles qui avoient e'touffe'es des ouvriers, d'e'chelons qui s'étoient cafle's, les prie'res, qu'il avoit vu faire k tous les ouvriers, qui s'apprètoiënt a defcendre fous terre, 1'avoient fi fort incimidé, qu'au moment de defcendre lui même, le cosur lui manqua, & ce ne fut 'qu'a force de lui reprocher fa poltronnerie, que .je parvins a le perfuader d'endofler le lugubre coftume, & pale comme la mort, il me fuivit. Pour abre'ger, je vous dirai que tantót a travers de corridors foutenus par des charpentes, tantót par delTous des voütes qui fe foutenoient elles mêmes, j'arrivai a des vaftes falies, dont la foible lumière des fagots ne pouvoient atteindre, ni a la hauteur, ni aux extrémite's. Dans quelques unes de ces falies, il y a des forges, oü 1'on raccommode & fabrique difierens outils dont on fe fert dans la mine; il y faifoit une chaleurfi exceffive, que ceux qui y travailloient, e'toient nuds comme la main, . n'ayant pas même la feuille de figuier. D'autres falies fervent de magazin, foit pour la poudre dont on fait 1'ufage que je vous indiquerai, foit pour des cordes & autres uftenfiles ne'cesfaires au travail qu'on y fait; les Communications a ces diflerentes falies, font les .corridors  C 14 ) dont j'ai déja parlé. Dans chaque galerie, on trouve de ces falies, les galeries fe communiquent par des degrés ou par des echelles; il y a même des trous qui vont en lignc perpendiculaire, fans interruption, depuis la fuperiicie extérieure jufqu'a la galerie la plus profonde: eiles fervent a donner de 1'air, & a defcendre des fardeaux, dans des tonneaux, par le moyen de poulies qui font dans un mouvement continuel durant le temps du travailj ce font des chevaux qui au haut de la montagne mettent ces poulies en mouvement; ces tonneaux font attachés a des chaines de'fer, les cordes étast fujettes, a être bientót rongées par les vapenrs vitrioliques & cuivreufes, qui s'élevent du fond des mines, les chaines de fer même n'y réfiftent point a la longue, & c'eft a caufe de cela, qu'on fe fert fouvent de cordes faïtes de poil de vache ou de foyesdecochon. C'eft auffi par cette raifon & afin d'éviter des malheurs, qu'il eft abfolument défendu aux ouvriers de monter ou defcendre dans les tonneaux, ils font obligés d'entrer & de fortir de la mine le long des echelles. Ces . trous dont je viens de parler, joints aux feux ' des forges fouterraines fe a d'autres caufes phyfiques, excitent jufques dans les galeries les plus profondes , des tirans d'air, qui en certams endroits font fi exceffifs, qu'ils reiTembJent  (k) i desvents de tempête. Ces tirans d'air y font &$> folument ne'eefTaires pour nettoyer &rendrerefpirable 1'air qui y circule,fi celan'étoiupoinr, 1'air y feroit fi peftilentiel, qui perfonne n'y pourroit vivre pendant un quart d'heure. Les corridors dont j'ai fait mentiori, font quelquefois hauts de cinq' a fix pieds & quelquefois s'abaiffent fi fort, qu'on eft obligé de s'accroupir pour y paffer. C'eft dans ces endroits fur tout, que les tirans d'air font les plus violens & même dangereux, par ce qu'il arrivé fouvent qu'en fortant d'un endroit, oü eft placée une forge dont la chaleur exceffive vous a mis tout en eau, un de ces tirans d'air qui toujours font d'un froid a glacer ) vous font geler la fueur fur le corps. Les voütes qui ne font pas foutenues par Ia eharpente, donnent en plufieurs endroits un fpedtacle fingnlier, par la quantitë de vitriol qui en dégoute & qui, en fe criftallifant, fofme des prifmes de figures différentes. Imaginez-voüs des pointes fakes de fucre candi, qui pendent par milliers du haut de ces voütes, longuesde huit, dix, doüze, vingt pieds du plus beau verd • 1'effet de la re'verberatioh de la lumière dans ces facettes , & fur le miiierai dont les parois font rcmplis, eft plusfacile a concevoir qu'a décrire. Dans une galérie a plus dé fept cents pieds  fous terre, on diflbut Ie vitrio!, &onlefaitfortir de la mine par le moyen d'un ouvrage hydraulique qui eft trés curieux. Des chevaux mettent en mouvement 1'eau d'unefource abondante qui fe trouve a cette profondeur, cette eau diflbut le vitsïol & enfuite le précipite par le moyen d'une auge, oü il y a du vieux fer ; dans une autre, cette ope'ration, & tout 1'ouvrage qu'elle demande, eft trés fingulière j vingt quatre chevaux qui doivent fe relever de fix en fix heures ainfi que les hommes, paree que ce travail va jour & nuit, logent dans cette galerie , ils y ont leurs e'cüries; leürs mangeoires font taillés dans le roe ; quand une fois ces animaux y font entrés, ils n'en fortent jamais qu'une fois par an pour une efpèce de revue; on les y fait entrer & fortir par le moyen de poulies & de fufpenfoirs, a travers les trous oü font les échelles, de la même facon qu'on hiffè chez-nous les chevaux dans les vaifleaux. La curiofité me fit defcendre jufqu'a la profondeur d'environ onze cents pieds fous terre, oü eft la derniére galerie, &oü fe fait la principale exploitation de cuivre. Malgré le froid exceffif que j'y reiTentis, je vis encore des hommes travailler tout nuds: le rude travail auquel ils font aflujettis pour hacher le roe , & en détacher les parties oü il fe trouve da  C-17 ) minerai, fait que tandis 'que les curieux bien habillés & bien couverts gelent de froid, eux 'malgré leur nudité font couverts de fueur; 1'obfcurité de ces fouterrains, les feux qu'on voit de diftance en diftance & qui repandent au loin une fombre lueur; ces gens nuds, noirs comme le minerai qu'ils manient, au milieu des etincelles qui fontpartis de leurs coups de marteau, le bruit épouvantable de leur travail & des rouës hydrauliques , joint aux horribles figures que de temps en temps je rencontrois la torche en main, me firent douter ft je n'étois reëllement pas defcendu au tartare; mais tout cela n'eft rien en comparaifon de ce qui m'arriva lorfque je fus parvenu a 1'endroit le plus profond, la fe trouve une efpèce de falie dont les voutes font foutenuës par des piliers taillés dans le roe & entourés de bancs de la même trempe; mes deux conducteurs me demanderent fi je ne voulois pas m'affeoir un inftant pour me délafTer, & entendre en même temps pour m'amufer une petite mufique dónt 1'effet me furprendroit, — qwlle efpè:e de mufique démandai-je? e'efi l'ètrange bruitmeréponiirent. ils que font les rocbers dans ces Jouterrains lorfqu'on les fait fauter pour faciliter le trawil de la hacbe. — Comme j'aime affez" ce qui eft extraordinaire , & que je compris que mes guides ne s'expoferoient a aucun dan«  C I* ) ger, j'y confentis a condition qu'ils refteroient auprès de moi ; ils m'en donnerent leur parole, d'autant plus que cette falie eft 1'unique endroit oü 1'on ne rifque rien, 1'un d'eux me quitta pour donnerfes ordres Screvintdans le moment fe rafleoir a cöté de nous, un quart d'heure après grelottant de froid & ennuyé d'attendre, je dis que fi cela duroit trop long-: temps, je renongois a Iamufique, jen'euspas achevé ma phrafe qu'un coup part, tel que je n'en entendis jamais de cette force; ce coup étoit accompagne' d'une lumière qui éclaira les fouterains pour un inftant auffi loin que ma vuë püt s'étendre, & foudain nous laifiadans la plus parfaite obfcurité, car la preffion de 1'air par ce coup terrible avoit éteint nos torches; cette obfcurité ne fut interrompuë que par de nouveaux coups qui partoient de droite & de gauche , accompagnés chaque fois d'éclats de lumière qui ne duroient qu'un inftant, les echos repetoient ces coups par des roule-mens épouvantables, les voutes fous les quelles nous étions craquoient, la terre & les bancs fur les-quels nous étions affis trembloient & fe remuoient, ajoutés a cela 1'idée de me trouver a onze cent trente fix pieds fous terre, la vuë de mes guides, demon domeftique & de moi même habillés de noir, que les tfclats de lumière occafionnés par la poudre  C 19 > me faifbient voir de temps en temps, enfin la chute des e'clats de rc-cher que cette poudre faifoit fauter & 1'odeur de la fumée, tout cela enfemble m'excufera, fi je vous avoue tout uniment que le peu de toupet que j'ai s'en dreffa. Cette mufique harraonieufe dura environ une demie heure, & nous laifïa tout a coup dans un filence parfait, qui joint a la profonde obfcurité & a 1'étouffement que je refientis par la fumée de la poudre avoit quelque chofe d'effrayant; cette operation fe repête tous les jours régulierement a midi, pendant le répas des ouvriers, aux-quels la falie oü je me trouvai & plufieurs niches creufées dans le roe fervent d'azile pour fe mettre hors d'atteinte des éclats. On eft d'autantplusobligéd'employer la poudre a cette exploitation, que le roe y eft trés dur, & que malgré cette précaution on n'y avance que peu de toifes par année, un de mes guides alla a tatons rallumer fon fagot pour nous éclairer dans la continuation de notre promenade, nous nous en rétournames par un autre chemin que celui par lequel nous étions venus, & qui étoit plus court environ de moitié; on me fit entrer dans une petite falie taillée dans le roe d'oü pendoient du haut de la voute quatre luftres avec des bouB 3  C 20 ) gies allumées, une table quarrée au milieu & des bancs garnis de couffins l'entouroient, une cloifon de bois revêtoit ie roe a cinq pieds de hauteur; cette falie fert au confeil des mines, lorfqu'il s'aflèmble, ce qui arrivé une couple de fois par an, a cöte' eft une cuifine & une cave taillée dans le roe, pour la commodite' de ceux qui compofent le confeil & pour celle des e'trangers qui veulent y diner; j'y trouvai une petite collation que Mr. Haldin y avoit fait porter ; je vous avouë qu'elle vint fort a propos. Vous ne pouvez vous imaginer quel effet fit fur moi la première vuë des rayons du foleil, & la première afpiration de 1'air extérieur d'autant plus qu'il faifoit une chaleur exceffive & le plus beau temps du monde, je fus fur le point de me trouver raai en fortant de ces antres profonds, oü la chaleur, les vents, le froid, rhumidité, la fecherefie fe fuccedent tour a tour a des points extraordinaires; après m'être repofé un inftant a 1'entrée de la hutte dont je vous ai parlé au commencement de cette lettre , je regagnai le haut de la montagne d'oü je fus a la maifon de l'infpe&eur , j'y retrouvai Mr. & Mai. Haldin avec quelques mefiieurs & quelques dames qui m'avoient accompagnées jufques  ïa; on m'y préfenta un livre dans lequel on me pria de placer mon nom, mon caracte're & quelque chofe en vers ou en profe en fouyenance-, j'y e'crivis fur le champ ceci: Si 1'afpeóT: merveillcux de ce noir fouterrain Rappelle de Pluton le tenèbreux Empire, De Venus a fon tour le pouvoir fouverain D'amour fait exciter 1'agréable délire. Par 1'agrément fi peu commun Ec la beauté des Dame* de Fablun. Ceci pafia pour un impromptu; je vous avouë cependant que je le fis a loifir; j'avois ouï parler a, Stokholm de cette coütume & je m'arrangeai en confequence d'autant plus volontiers que les dames avec qui je paflTai la journe'e chez Mr. Haldin , étoient extréme? ment jolies, vives & me parurent trés aimables; je me trouvai fi prodigieufement fatigué de ma promenade fouteraine, que ie fus directemGnt a mon auberge me coucher, après avoir cependant encore vifite' tous les ouvrages exterieurs & furtout le mechanifme des pompes, qui fait fortir jour & nuit les eaux de la mine qui fans cette précaution feroit bientöt inonde'e. TJne eau courante formée par un lac qui fe trouve fur la montagne, & qui eft conduite par un aqueduc met en mouvement une chainc B 3  ( « ) de cinq mille pieds de long; cette chaine eft ' compofe'e de barres de bois de fapin oü 1'on fait entrer le moins de fer que poffible ü caufe des vapeurs vitrioliques & cuivreufes, elle eft doublé & puife 1'eau du refervoir dans la qüelle la machine hydraulique (dont j'ai fait mention) Ia fait monter du fond de la mine; cette eau s'écoule enfuite par un fecond aque- t duc au bas de la montagne dans une riviere qui paffe par la ville. Le mechanifme pour 1'e'coulement des eaux eft a peu prés de même qu'a Dannemora oü eft la mine de fer, excepté que la rouë qui fait mouvoir le tout a quatre pieds de diametre deplus qu'a Dannemora.oü elle n'a que quarante quatre pieds de Diamètre; tandis que celle ci en a quarante huit, & qu'ici on a pratiqué une clochette qui fe fait entendre continuellemeut lorfque la machine eft en mouvement & qui ceffe dabord qu'il y a quelque chofe de detraque', c'eft le fxgnal qui avertit ceux qui font prépofe's a veiller a 1'entretien de cette machine hydraulique; ils font a deux & jour & nuit d'un bout de 1'année k 1'autre, un des deux doit fe trouver dans une efpècede gue'rite fabriqueé vers le milieu de la chaine & a portee d'entendre la clochette; c'eft lui auffi qui doit graiffer a tout moment les rouës , les poulies, les effieux &c. avec 1'aide de douze hommes, qüi fe relevenr.  ( n ) Quoiqu'on ne tire de cette mine que du cuivre elle renferme cependant tant de fer que le géometre de la mine ne fauroit faire aucun ufage de la bouflble pour dreffer les cartes de fes ouvrages. Après m'être répofé pendant une couple d'heures"& avoir diné encore chez M. Haldin, je fus voir les difie'rentes ope'rations par lesquelles le cuivre doit paffer avant que de minérai il de'vienne cuivre brut; elles fe réduifent aux fuivantes. i°. On le grille pour en faire fortir le fouffre & fe'parer la pierre brute, c'eft-a-dire qu'on place alternativement 1'une fur 1'autre, une couche de mine'raï & une couche de bois de Sapin, jufqu'a une hauteur déterminée, puis on met le feu au bois. Cette ope'ration fe fait fur la montagne même, & lorfque le vent donne fur la ville, elle y caufe une fumée, & une odeur infuportable a ceux qui n'y font pas accoutumés. 2°. On le pile au moyen de grands mar- teaux qu'une rouë mife en mouvement par 1'eau fait mouvoir. 3°. On le fond dans des fourneaux a re- verbere. 4°. On le grille pour la feconde fois pour en faire fortir toute matière héterogene & furtout le fouffre qui peut s'y trouver encore. B 4  C H > 5e. On Ie refond pour la ae. fois, puis on le fait couler après qu'on a laiiTé écou(Ier les fchories par un trou pratiqué au haut du fourneau, tandis que le metal qui refte au fond fort par un trou menage' dans la partie baiTe du fourneau dans des formes de fable, auxquelles on donne la figure de nos plus grandes briques, on s'en fert a batir des maifons, des murailles &c.; c'eft uneffai qu'on a fait depuis quelques années, mais on n'eft pas bien afïuré que les maifons baties de cette maniere peuvent refifter pendant longtemps a 1'intemperie de 1'air; on fait la même chofe a Danncmora avec la fchorie du fer. Lorsque le minerai eft reduit en gatea'ux de cuivre brut par les opérations que je viens de decrire; on 1'envoye a Jvefta bourg a qUatre nulles de Fablun, oüon 1'affine; la a force de 1'affiner on en tire quelquefois de 1'argent, & même, mais trés rarement, de Tor. J'ai vu une medaille d'argent frappée en me'moire de ce que le feu Roi, la Reine, & ie R0i actuel, alors Prince royal vinrent voir cette mine en 1758 ; On m'y montra un ducat fabriqué de eet or qui coutoit quatre fois fa valeur; on en tiré auffi par la volatilifation une belle couleur Touge en poudre. Je fuis oblige'definir, mon hote m'avcrtit  os) que le diner m'attend; la tempête dure encore avec la même violence, & depuis quatre heures , que je fuis occupé a fouiller dans mon journal & a vous écrire, elle n'eft pas du touc diminue'e, de mes fenêtres je vois le Sund furieufement agite', les vaiiïeaux dont j'en appergois un grand nombre a la rade vont haut & bas, fe panehent, a droit & a gauche , ce qui joint a la vuë d'Elfeneur, du chateau de Cronenburg & des cötes du Dannemarc forme un tableau magnifique ; mais d'une autre cóté le vent qui hurle & fait cliqueter les vitres de ma miférable auberge me donne 1'agréable perfpedive d'y refter encore longtemps avant d'ofer rifquer le paflage, d'autant plus qu'il eft trés dangereux, lorsque la mer eft agitée, le courant qui s'y précipite y amoncele des vagues dont la vuë feule fait trembler; adieu je fuis &c. B 5  C 35} LETTRE TROISIEME. Helsinbürg ce... Septembre 1785. après diné. M . . ; L a pluye qui eft venuë fe joindre au vent m'empêchant de me promener dans la Ville & dans fes environs, je vai continuer a vous donner encore quelques détails au fujet de la mine de cuivre de Fablun; On m'a communiqué un mémoire fur ce fujet dont je vous transcrirai les principaux articles: „ Cette mine eft la plus ancienne de toutes „ celles de cuivre qui fe trouvent en Suede; „ fes privileges dattent du 13. flecle, & lui' t, ont été accordés par les Rois WaUemar & „ Magnus Ladulos; depuis 1581. le gouver„ nement s'eft particulierement appliqué k » 1'encouragement de 1'exploitation des mines „ & a gratifié en particulier celles de Fablun „ de toutes fortes de franchifes, même du „ droit d'Azyle, pour des délits qui ne font „ par de la première efpèce. „ Elle s'exploite par une focieté ( Gewetk„fcbaft) formée de 1200 Aftions, cette fo„ cieté ou compagnie vend le minerai aufi-  ( n ) „ tót qu'it eft forti des entrailles de la terre „ aux entrepreneurs des forges, & elle eft „ oblige'e de payer a la couronne un einquie„ me de fon profit; les terres fituées aux environs, de la mine font oblige'es d'y four„ nir une certaine quantite' de charbons, fuiM vant la grandeur ou le produit de chaque „ terrain pour un prix fixé pas le Roi. w Le minerai qu'on tire des différentes mi„ nes du Kopparberg, n'eft pas également ri„ che, il y en a qui donne 20 a 30 pour cent n de cuivre, tandis que celui d'une autre „ efpèce ne donne qu'un a deux pour cent. „ Autrefois ces mines étoient beaucoup plus „ riches qu'elles ne le font actuellement, puis„ qu'au milieu du fiecle dernier elles fournif„ foient jufqu'a 20331 Schifp. de cuivre, au „ lieu qu'elles n'out fournies pendant le cou„ rant de ce fiecle, une année comportant „ l'autre, que 4 a 6 mille Schifp., cela vient „ en partie de ce qu'autrefois on dirigeoit „ mal les excavations, & que par la plufieurs voutes font tombées & ont remplies & cou„ vertes de décombres les veincs les plus ri„ ches qu'on n'a pas pu deblayer encore. „ Pendant quelques années 1'exportation du „ cuivre fut entierement de'fendue, enfin on „ la permit avec des reftrictions & pour une „ certaine quantite i on encouragea par des  ( 2* } j, fortes primes toutes les manufadlures inté-; „ rieures de cuivre & principalement les fa„ briques de laiton, afin de diminuer auffi „ d'une maniere plus utile 1'exportation du m cuivre non manufacturé. „ Cette mine occupe fouvertt dans fon in„ térieur jufqu'a 12 cent ouvriers ". Outre les mines de cuivre, de fer & d'ar"gent repandues dans ce royaume il fe trouve auffi une mine d'or a Adelfors enSmolande, on 1'exploite uniquement pour faire gagner de 1'argent a quelques ouvriers dans 1'efpoir qu'un jour elle rapportera plus qu'elle ne fait aftuellement, puis qu'a peine on peut en retirer les fraix. Celle d'Argent a Sahla eft d'un plus grand rapport, cependant elle n'égale pas celle de fer a Dannemora, qui eft le Perou de la Suéde, & qui eft d'un rapport beaucoup plus confiderable encore que la mine de cuivre; le principal négoce des Suédois eft fondé fur fes produits. Si dans ce royaume la terre n'étoft pas plus fertile dans fon intérieur qu'elle 1'eft a 1'extérieur, ies habitans n'en pourroient fubfifter. J'ai vu prefque toutes les Provinces; ee n'eft par tout que roe de deux efpeces de^ranit, rougedtre & gris, j'en excepte la mjlmanmë, la partie feptentriocale de la Sudermaniï, la  ( *9 ) meridionale de VUplande, l'OJlrogothie & $ Scank; cette dcrniere province femporte pour la fertilité aulli bien que pour la culture & lapopulation. Malgre' le nonibre de fes habitans elle ne confume par la moitié des bleds quüelle produit, ce qui lui donne la facilite' d'en faire commerce avec leurs voifins. Les provinces de Weftrogothïê, de Nericib', de Gafiricxe & de Dakcarlië, la partie feptentrionale de VUplande, la méridionale de la Sudermannië ne font que des rochers afFreux & des déferts immenfes ou des bois de Sapins de 30 a 40 lieuës de long infpirent la plus noire melancholie , une infinité d'endroits dans les montagnes portent des marqués non équivoques de quelque terrible révolution, que dans les temps antérieurs & des fiecles reculés la Suede a fubi, des rochers énormes entaiTés les uns fur les autres a une hauteur étonnante, & dans des efpaces confidérables reveillent 1'idée de la guerre des Titans, mais font en même temps une preuve incontefbble d'un bouleverfement génëral, dont plufieurs naturaliftes s'accordent k trouver des indices fur toute la furface de notre globe. Je crois que dans aucun pays au monde, il n'cn peut exifter autant- ni d'auffi hideux qu'en Suéde. II m'eft arrivé de voyager quelquefois pendant vingt- quatre heures de fuite a travers  C 30 ) des bois & des rochers, ou je n'ai a la lettre vu d'autre habitation que celle des Chiwgoors, Cce font des payfans maitres de pofte). Les Cbivcrgoors font établis a deux lieues, quelquefois a trois, fouvent méme a quatre de diftance les uns des autres, & n'ont outre leur cabane de bois qu'une couple de cabanes pour leur bétaii ou pour leur bied, & un quarré de terre fort petit pour y femer du houblon; ils ne connoiiTent que peu ou point de legumes, & ne mangent que du pain détrempe dans du lait ou dans de peau, & avec cela ils font gaïs & contents, ainfi que leurs femmes & leurs enfans. Ces gens font d'une bonhommie & d'une honnêtete' dont on voit peu d'exemple; malgré leur exceffive pauvrete' ' ils ne comprennent pas qu'il puiffe exifter un état plus heureux que le leur. Ils font robuftes & fains, furtout en üakcarlie, a un certain age, ordinairement après 40 ans ils laiflent croïtre leur barbe, ce qui joint a 1'idée de leur fimplicite' & frugalité leur donne un air refpeétable. La tempête qui commence a baiffer me fait efpérer que demain matin, je pourrai paffer è Eljeneur, pour aller diner a Droningaard, terre a deux milles de Coppenbague, appartenante a mes amis de C D'abord que je ferai un peu délafle de mes fatigues,  i Si > je me hajterai de vous envoyer les extraits de mes journeaux, & vpus ferai part de tout ce dont j'ai pu m'inftruire dans un voyage, que j'ai entrepris avec un vif inte'rêt, & pendant lequel j'ai joui d'une infinite' d'agre'mens. Je vai profiter du temps qui paroit vouloir fe calmer pour voir le local & les environs de Helfingburg, oü comme partout ailleurs je fuis &c.  C S2 ) LETTRE QUATRIEME. Drcninsaaiid ce . .. Septembre 1785. M . . . J^uiïï a&if & turbulent qu'a éte' mon genre de vie depuis quelques mois, auffi parfaite eft ma tranquilité adtuelle; je jouïs au fein de 1'amitie' de tout ce que la campagne peut offrir deplus agréable- Une nature belle & variée, un logement commode , une focie'te' gaye & fans gêne & un temps délicieux fait ici la bafe de mon bien ëtre, un bois magnifique oü bondiffent des Cerfs & des biches, rempli de promenades intëreiTantes, un grand lac, un vafte jardin a 1'Angloife, un hermitage, des bofquets garnis de belles fleurs, des ruifleaux qui fuyent, des cafcades qui murmurent, les vuës des cötes oppofées du lac, qui s'éle'vent en collines bien cultive'es oü paiiTent des nombreux troupeaux, couvertes de villages, de chateaux, de maifons de campagne offrent une variété continuelle de plaifirs champêtres qui m'ont bientót remis des fatiques de mon voyage. Votre correfpondance y ajoute un doublé plaifir,  (33 ) plaifir, les nou velles que vous me donne's de 'tout ce que j'ai laiffé de cher & d'intéreflant 'dans ma patrie me font pafier des momens bien agre'ables. Puifque vous fouhaitez que je continuë a vous faire part de ce que j'ai vu en Sue'de, je ferai de mon mieux pour vous fatisfaire. Afin de mittre quelqu'ordre dans mes réla"tions, je commencerai par mon entre'e a Helfmgburg première ville de Suéde oü 1'on abor'de en arrivant du Danemarc par Elfeneur; 'mon journal fera mon guide, je vous raconterai tout uniment ce que j'ai vü, & vous ferai part de ce que j'ai appris des Sue'dois mênies, au fujet da ce qui eft re'latif aux différens objets fur lefquels j'ai voulu m'inftruire. J'ai eu 1'avantage d'avoir e'te' muni d'excellentes addreffcs, & d'avoir trouve' des gens qui 'm'ont paru en état de me donner des idees juftes, & qui m'ont fournis quelques memoires trés détaille's. Je n'ai fans doute pas fejourné aflez lóngtemps dans ce royaume, pour me mettre au fait de bien des chofes dont j'aut rois pu mieux m'inftruire, fi j'y e'tois refte' plus lóngtemps. Je partis d'Elfeneur vendredi 6 May après avoir 'dinë chcz Mesfrs; Fenvoyk & Godin, riches negotians pour lesquels on m'avok donne' une lettre de recommandation & qui me C  C 34 ) procurerent les commodite's néceflaires pour palier le detroit qui fepare la Stude du Dannemarc; (*) ce detroit a environ un mille de largeur- entre Elfeneur & Helfingburg ; je fis le trajet en une demie heure, par le p'.us beau temps du monde. Rien de plus commode & de plus prompt que rembarquement a Elfeneur, & rien de plus incommode & de plus lent que le debarquement a Helfingburg, oü il n'y a point de quai & oü une voiture, toute demonte'e qu'elle eft, rifque toujours de fe brifer ou de tomber a la mer, pour peu qu'elle foit agite'e ou qu'il faffe du vent. On ne peut dépeindre le charmant coup d'oeil dont on jouit a mefure qu'on s'e'loigne des cótes du Danemarc; Elfeneur, le chateau de Cronenburg, les hauteurs couronnées de bois qui fe trouvent derrière ce chateau, font un eflet trés agréable, ajoute's-y la rade toujours couverte de vaiffeaus de toute efpèce & la cöte Danoife qui s'e'tend au loin charge'e de maifons de campagne , de villages & de bois. L'arrive'e a Helfingburg eft afiez intereflante, & quoique la cöte oü 1'on arrivé n'eft pas fi belle que celle que 1'on quitte, cependant elle fait plaifir par le pittorefque {*) Lq fund ou Oere-fund,  v( 35 5 de fes fituations. Une vieille tour refpe&able par fon antiquité, domine du haut d'une montagne la ville de Helfingburg, fitue'e entre elle & le Sund. Cette ville contient tout au plus douze cent habitans, dont une grandepartie vit du produit de la pêche & des travaux de la campagne; le grand paffage des deux royaumes & le voifinage de Ramlös, fameux pour fes eaux minerales, oü la plus grande partie de la nobleffe de' Scanie fe raüemble dans la faifon', qui commence a la mi-Juillet, rend cette ville affez floriffante, ainfi que quelques manufactures; un efcadron d'hufards y tient^garnifon. A fept heures du foir ma voiture e'tant remonte'e & pre'te, je me mis en route pour Gotbenburg, (*) oü j'arrivai le dimanche au foir vers les huk heures, précifement deux fois vingt-quatre heures après être parti de Helfingburg, allant nuit& jour, & ne m'arrëttant que dans quelques petites villes qui a peine en meritent le nom pour voir leur local & leur fituation, telles que Engelholm en Scanie, Labolm, Halmjladt, Falkenberg, Warberg, Kongsbacka, toutes dans la Hallande, province fitue'e le long de la mer du nord, oi ) On compte communement de Helfingburg a Go thenburg, 2i mille Suédoife, ou 50 lieues de Francs. C 2 Helfingjurg ■stils d'étape.  C 3 Gothenburg, vi 23 d'étap, vince qui s'étend vers le Nord-eft Ie long du grand Lac Wennern, n'eft presque compofée que de rochers & de bois, & reffemble beaucoup au Halland, dontr je vous ai fait la defcription. ^ J'arrivai k Gotbenburg, comme je vous ai dit deux fois vingt-quatre heures après être ' parti de Helfingburg a huit heures du foir. On m'arréte a la barrière, on me démande en Sue'dois : n'avez vous rien contre les ordres de Sa Majefté ? S'appercevant que je n'entendofe par la langue on me fit la même queftion enallemand, je répondis que non. Qui eft Monfieur? — Un officier hollandois qui voyage pour fon plaifir. — Monfieur n'a rien? — Non rien que fon bonnet de nuit & quelque peu de Iinge; puis pour ailurer le fait je donne un billet de fix daalders kooper munt (*) paffez Monfieur, je paffe un pont, j'arrive a une porte, un officier s'avance. Qui eft Mr.? d'oü vient Mr.? oü va Mr.? — Officier hollandois, de Coppenhague, a Stokholm, - Oü eft le paflèport Mr. — Le voila Mr. — bon Mr., on vous le renverra figné du CapiItaine de la grand-garde a votre auberge, fer- viteur mon Officier bon foir Mr.; puis fouëtte cocher a mon logement, oü je n'eus 00 Un daalder kooper munt, fait environ 3 fois d'hollande.  rien de plus preffé que de fouper & de me coucher. Comme j'e'cois fur le point de m'abandonner au fommeil, j'entendis tout a coup des clarinettes, des hautbois , des cors de chalfe, une trompette; je mets la tête a Ia fenêtre, j'envoye mon domeftique voir ce que c'eft: j'apprends que ce font les muficiens du regiment du comte de Saltzé, qui viennent fouhaiter la bienvenuë a l'officier hollandois, ce qui s'apelle en bon francois, mendier en mufique. Après avoir e'couté quelques marches militaires, je les congédiai en leur donnant pour boire è la fanté du Prince d'Orange, j'appris a cette occafion que lorfqu'un étranger arrivé a Gothenburg il eft d'ufage de lui donner une ferenade; depuis, je fuis paffe'par plufieurs villes de garnifon & eet honneur ne m'a plus été rendu, je m'en fuis confolé facilement pour 1'amour de mes daalders & de mes Plottes (*). La mufique partie, je me pre'parois a étendre fur un grabat fans rideaux des membres disloque's par un cahotage de quarante huit heures que j'effuyai dans mon char ruffe; lorsque j'entends frapper a ma porte. On ouvre; — paroit un héros a deux fois par jour couvert de plumes, de rofettes & de rubans, ayant 1'air d'un de ceux du temps de (_*) Une Plotte vaut enyiron un florin d'hollandï,  Hetiri quatre — mm Officier, me dit il en bon francois, voici votre pajjeport figné. . Eh mon ami par quelle avanture parle tu francois,—Je fuis Frangois grace a Dieu mon Capitaine, je veux voir le monde , je fers tour atour différentes Puiflances; quand je m'ennuye, je déferte & j'ai toujours du pain, ma taiile en eft garant, je fai en outre donner le coup de peigne, & fi mon fervice vous eft agréable, je prens la liberté de vous 1'offrir; je pris le pasfeport, le remerciai de fes offres & le congédiaï. En gagnant la porte a pas lents je m'appergus d'un certain arrangement de doigts. C'eft la coutume me dit il mon Capitainë pour. . Je t'entends mon ami! . . . voila Ah mon Capitainë! il faut abfolument que je me mette auffi une fois au fervice de la hollande, ces braves hollandois — ces genereux — bon foir mon Capitainë; puis d'une faut mon drole franchit les dëgre's quatre a quatre, je me couchai fur mon grabat, oü malgré la mufique descoufins je ne fus pas longtems a m'endormir. En attendant mon reveil, je finis en vous afiurant qu'eadormi auffi bien qu'éveille' je fuis &c.  C 47 > LETTRE CINQUIEME, Droningaard ce . . . Septembre 1785. M . . . "\^ous comprenés que je n'eus rien de plus prefie' le lendemain, que de voir une ville fi renomme'e par fon commerce, & qui après Stockholm eft la plus belle & la plus grande de tout le royaume. Elle eft fitue'e au bord de la Gothe, riviere qui fort du grand Lac PTennern ( * ), & qui fe jette a une grande lieue au deffous de la ville dans le Schaggeraclc. Un canal qui a communication avec la riviere la fepare en deux, & ' lui donne un petit air d'autant plus hollandois, que de beaux tilleuls, plantés le long de ce canal, ombragent agre'ablement deux rangées de maifons bien baties.parmilefquelles fe trouve celle de la Compagnie des Indes, qui eft affez vafte. Vous fave's qu'on y a e'tabli fous le règne précédent une Compagnie, qui a le trafic ex- (3q) Le Lac Wennern eft le plus grand de tous ceux de la Suéde; on lui donne 14 miljes de long & 7 mille* de large. Companie des In des.  Commerce intérieur. C 48 ) clufif aux Indes- Orientales; cette- compagnie fut établie en 175 f par uniiche negotiant de Stockholm, (Henri Koning) qui obtint pour lui & pour fa compagnie un oftroi de 15 ans qu'il fit renouveller pour 15 autres années en 1746; mais en 1753 cette compagnie, qui jufqu'alors avoit porte le nom de focïété particuliere de Koning & Comp. / prit celui de Gümpagnie Suédoife des Indes Orientales. En 17 62 fon octroi fut renouvelié pour 2o ans Ce ne fut qu'en i766 que la compagnie put en jouir. Les premières anne'es elle envoya des vaisfeaux aux Indes Orientales, fpécialement dans e Bengale;. elle: ne fait acluellement plus que le commerce de la Chine, elle y envoye un ou deux vaifieaux chaque année & en reedt pareillement un ou deux en retour. Ordinairement en Oftobre elle fait une vente publique, qui attire plufieurs marchands e'trangers. Les negotians de Gothenburg ont 1'avantage amfi que ccux de Stockholm , de pouvoir faire' circuler leurs marchandifes dans 1'intérieur du royaume , les premiers par les éclufes d Edet & de Trolhetta, qui leur ouvre le Lac Wennern, & les feconds par celles d'Arboga, qm leur ouvre 1'entrée du Lac Hielmar. Outre le commerce confidérable que cette com- * Pagnie procurea Gothenburg, cette ville pof-  C49 3 féde encor plufieurs autres branches de commerce trés riches , telles que la pêche du hareng, qu'elle ponede feule pour 1'exportation, Pendant plus d'un fiecle ce poifibn avoit para fuir les cötes de la Suéde. II y reparut vers 1'an 1740 en fi grande quantite', qn'aujourd'hui il fait un des articles les plus intérefiants de fon commerce. Les grands vaifleaux ne peuvent pas arriver jufqu'a la ville; ils font obligés de refter a la rade, dü on les decharge dans d'autres de moindre port, qui arrivent jufqu'au Fauxbourg, a peu prés auffi grand & auffi peuplé que la ville, & de-la par le moyen du canal dont j'ai parlé, les marchandifes font tranfportées a Gothenburg, jufques devant les magafms oü elles doivent être dépofées; dans ce même Fauxbourg, nommé Haga, il y aun chantier. Tout ce qui appartient a la marine marchande y demeure. Entre le Fauxbourg & la ville eft un Vauxhal!, qui n'eft qu'un grand verger, au milieu duquel on a élevé une loge de muficiens, qui en remplit prefque toute la capacité; tout autour règne un rang de cellules, oü 1'on peut s'affeoir & prendre des rafraichifiemens; les Gothenbourgeois font tout auffi fiers de leur Vauxhall, que les Anglois le font du leur, cependant la différence n'eft pas fufceptible de comparaifon. La Salie de Comédie, quoique petite, eft jcD Vauxhall.  Parade. Armée. Troupes evées. i i ■ ■ i i i i C 50 ) lie, la troupe eft aflez bonne, (me dlt-on) comme elle ne joue qu'en hyver, je n'ai pu en juger. Ayanf. re'ndu mes devoirs a Mr. Ie Comte de Saltze, commandant de la garnifon, qui me rectit avec beaucoup de politefle, je le fuivis a la parade; il me retint enfuite a diner. L'habillement nationalne convient pas au foldat, il met en évidénce le moindre defaut de taille ou de ftrutture; il ne peut aller qu'a des hommes fuéltes d'une taille bien proportionnée ; les panaches jeunes & bleues, les chapeaux ronds, les rubaris-en. rofette, les écharpes jaunes & bleues, les plumes .de même couleur donnent aux officiers & aux foldats un air théatral. La garnifon. n'eft compofée que du régiment de Saltze,-qui fait partie des troupes lévées. Vous favés que Tarmée eft compofée "de deux différentes efpèees de troupes : Troupes ïevées & Troupes natimaïes. Les Troupes Ïevées font toujours fur pied, ;lles font en garnifon, dans les villes fituées iu Sehaggerack, au Sund, a la Baltique, au ïolfe de Finlande, dans quelques fortereiïes ur les frontieres & en Pomeranie; la plupart ont compofées de deferteurs de toutes nations; >n y enróle de-force les vagaöonds, les domeciques qui ont une mauvaife conduite & les aprentifs qui cau'fent du défordre.  t 5i ) Ces troupes font divife'es en 9 regimens d'infanterie y compris les gardes a pied & 1'artillerie, un regiment d'hufards, & un corps de chevaux légers. Le regiment des gardes a pied eft compofé de deux bataillons, chaque battaillon de huit compagnies de mousquetai-, res & une de grenadiers ; elles font toutes de ico hommes, Donc: Le Regiment des gardes a pied sfbatt. 18 comp. . . • h. Le Regiment d'Artillerie 3 batt. chaque batt. 1000 h. . . 3000 Trois Regiments chacun de 1200 hommes 3°°° Quatre Regiments, chacun de 800 hommes .... 3200 Un corps de chaffeurs . . 400 .Un Regiment d'hufards 2 efquadr. .Chaque efquadr. 150 hommes . . 300 . Chevaux légers 4 comp. a ^cent hommes . « :r» • • 4°° 12700 h. Le régiment des gardes & celui d'Artillerie font habillés tous les deux ans; mais les au-* tres qui font lèvés ou de garnifon, ne le font que tous les trois ans. Cet habillement ,1b fait chaque fois par entreprife, aux fraix de la couronne, le foldat D a  Delerteurs. i ( 3 levé a pour toute paye 32 daalders füvermunt (*) ce n'eft pas un fou de Hollande par jour, il eft vrai qu'ils font logés 9 habillés & nourris; on leur donne outre cela une paire de fouliers par an. Les troupes en garnifon en Pomeranië ont un peu plus de folde. Comme il n'y a point de eartel entre la Suéde & le Dannemarc, ils cnrölent réciproquement leurs déferteurs. Dès que le fund eft gele', on prend des deux cötés toutes les précautions imaginables pour empêcher. cette défertion, mais malgré les foins. que 1'on prend, ils trouvent la plupart du. temps moyen de pafler. Auffi:ót que la glacé eft aflez forte, on fait fortir 3e tous les ports oü il y a garnifon tant eri Dannemarc qu'en Suéde des piquets qu'on pla:e le long des cótes de diftance en diftance ür la glacé. Ces piquets forment des vaftes. lemi cercles devant les endroits par oü le bldat peut s'échapper: Ils fortent vers la >rune & rentrent a 1'aube du jour. A 1'inftant [ue les portes font fermées on fait la vifite les quartiers de deux en deux heures, & lorf[U*il manque un homme, on tire un coup de ca- C*J Ön 'daaWer filvor munt, fijt environ 9 foas ia [Ollande,  (53 y canon; a ce fignal les piquets fe raprochent infenfiblement en diminuant leur circonference & enveloppent quelquefois le pauvre deferteur, qui fans rëmiffion eft condamne' a 1'efclavage; mais la plupart du temps & furtouc lorfque 1'obfcurité les favorifent ils paflent entre les piquets & s'échappent. II arrivé quelquefois aufli que les piquets de'fertent eux-mêmes avec-les bas-officiers qui les commandent. ; Les troupes 'nationales on Re'parties (Inge- ' 'daëïter') font divife'cs en 21 Regiments d'infan- ] terie plus oü moins forts, . . 230C0 h. 1 7 Regiments de Cavalerie . 7000 4 Regiments de Dragons . 3000 33000 bom. Ce font des terres appartcnantes ■ a la couronne, qui doivent fournir a 1'entreticn non feulement de ces troupes, mais encore d'une grande partie du clergé & des officiers civils. Ces terres (Hemman*) font divifées en Rotte*,■ chaque Rotte contribue fuivant ce qui lui eft affigné dans la répartition. Les meilleures de ces terres font charge'es de 1'entretien de la cavalerie ; celles d'une moindre qualité font affigne'es a 1'infanterie. Cinquante Dlr. Smt. de rente annuelle, font D 3 rroupes «Jar.onaes, ou Leparties.  ( 54 > ee qu'on appelle un Rustboll ou hemman chargé d'équipper & d'entretenir un Cavalier; 40 Dlr. Smt. de rente conftituent au contraire un (Haafte-hemman) ou terre chargée de 1'entretien d'un cheval;' d'autres hemmans font affecïés au payement de Ia Solde, & s'appellent Foerdels -hemman, & d'autres encore pour fervir de fupplement aux uns & aux autres & fe nomment FoerjnedUngs-hemmans. Elles doivent en general fournir & entretenir k chaque foldat une habitation compofée d'une chambre avec fon poële, d'une grange & düne étable, un petit bout de champ,p0Ur planter des choux & du houblon avec affez de foin & de paille pour nourrir une vache & une certaine quantite' de bois & de charbon: c'eft ce qu'on nomme une Boflelle. Outre cela le Soldat recoit encore annuellement une paye de 10 daalder Smt. oü ƒ 4 . IO ^ de hollande, i| daalder ,, pour un furtout & tous les trois ans une paire de fouliers & une paire de bas. Lorfque le befoin de 1'uniforme en exige le renouvellement, (*) ia couronne donne le drap & les fournitures;. mais la répartition paye la /agon. Si un foldatdevient bas officier, la Rotte oü il entre eft obligé de le remplacer. Cf) Ce qui n'arrive' que tous les 8 ou 9 ans.  css y Toute la répartition ayant pour but principal 1'encouragement de 1'agriculture, il eft or- i donne'a chaque poflefleur de bostelle. i°. D'en.bien cultiver les champs. 2°. De defricher annuetlement une certaine quantité de terre inculte, quand il s'en trouve aux environs de te Boftellepour. un 'falaire ftipule'. 3°. De cultiver s'il eft poffible un nombre. limité de perches de houblon. 4°. D'augmenter annueilement .les prairies quand cela peut fe faire. Tous les trois ans & a chaque renouvellcment de poflefleur, des inlpeOeurs examinent. Te'tat de la Boftelle, & on rabat des gages du poflefleur . les degats qu'il peut y avoir caufépar fa ne'gligence; quand le foldat ne trouve point, ■ de terres a défricher , il eft oblige' d'aider moyennant .un falaire fixe fon höte plutót qu'un. autre, dans fes travaux champêtres. Les Boftelles des officiers font plus ou, moins grands fuivant leurs differens grades. . Le Collonel a la fienne au centre de la répar-r tition & chaque Gapitaine avec fes officiers &; fes bas officiers dans fa compagnie. La paye d'un Collonel d'Infanteiie eft de i Coo daalders Smt. d'un Collonel de CavaleP 4 A  He 1500 : d'un Capitainë d'Infanterle 200; de Cavallerie 300. La paye du fimple Cavalier ou Dragon eft de 15, du Soldat 10 daalders Smt. Ces re'giments font en général 1'élite de la nation & font compofés de beaux hommes, parceque les Rottes qui doivent liyrer les recruës choififlent toujqurs des jeunes gens de belle taille robuftes & bien faits, & que d'ailleurs ils font a 1'aprobation des Collonels. Dans les diftri&s ou les Boftelles ne.font pas trop éloignées les unes des autres, on les raflemble tous les dimanches par compagnies entières pour être exerce'es par leurs officiers & bas officiers. Ils ne s'aflemblent par re'giments qu'une fois "par an au printemps, alors ils campent pendant trois femaines, chacun dans fon diftrict Tous les troisi ou quatre ans, plufieurs re'giments enfemble forment des camps dans une Province, eentre ordinairement de plufieurs diftricts ; le refte de 1'anne'e ces foldats cultivate.urs, qui ; font foldats pour la vie, ne s'occupent que de travaux champêtres. Les officiers & les bas officiers font obligés de vifiter fouvent les boftelles de leurs foldats pour voir fi tout y eft en ordre & fi chacun entretient bien fes ha-, bits, fes armes «5c tout fon atürail militaire.  (57 ) La Cavalerie n'a point de piqueurs; ce font les bas officiers qui en font les fonótions, &. qui font obligés d'apprendre a monter a cheval aux recrues de la compagnie; chaque cavalier quand il eft en e'tat, eft obligé de dreffer & d'exercer fon cheval. Outre les fept Regimens de Cavalerie dont j'ai parlé, il exifte un corps de Drabans a cheval, en garnifon a Stockholm, fort de 150 hommes, & dont chaque ma'nre a rang de Cornette, entretenu aux fraix de la repartition; ils fervent d'efcorte a la familie royale. En temps de guerre les repartitions font oblige'es de fournir certaines taxes , pour fourages, tranfports & vivres: la Couronne eft oblige'e de payer le furplus. C'eft a Charles XI, qu'on .doit 1'inftitutioa de la repartition Clndelnings-lVerht). Guflave Vofa ou premier, en avoit déjaeu 1'idée, air.fi que quelques-uns de fes fucceffeurs: mais Guftave Adolphe & la Reine Chriftine fa fille ayantdonnés,vendus ou hypothequés grand nombre des domaines de la Couronne a la principale nobleiTe pour la gagner ou la recompenfer, 1'ouvrage de la repartition devint impoffible. Enfin Charles XI réunit par différentes compenfations, la plus grande partie de ces domaines , & en forma les boftelles des officiers, ü y joignit plufieurs autres hemmans & rottes P 5  ( 5* > de repartition pour Ia Boftelle du foldat & en t697 tout Vlndelnings-Werket fut arrangé Un écnvain patriotique (*) pre'tend prouVer que cette repartition au lieu d'avancer les progrès de 1 agricultureynuit, „parceque ces terres d'habi" tation ou Boftellesfontpoffédéespar deSper„ fonnes qui ne les. regardent que comme au„ tant de degrés de leur avancement, & qui „ par conféquent ne cherchent fouvent qu'a „ en tirer tous les avantages.poffibles, quelque „ ruineuxd'ai!ieurs:qu'i!s puiffent être au fond „pourlaBoüelle." ILvoudroit, „qu'au lieu » de cette repartition, la Couronne put. ou „ voulut faire lever elle même ces différente* „ redevances, a la charge de fournir le nécef„ faire a 1'entretien des intéreffés." On repond a cela : » Que-le grand foin qu'on prend de veiller „ a 1'entretien de ces Boftelles rend les &büS:, „ fort difficiles; de plus que chaque 'foldat. „ etant terrien, fe confidère comme citoyen de „ fa-patne, & contribue avec d'autant plus de „ m*ik fa défenfe, outre que cette armee' » qUI Ja force te i'etat, n'étant fur pied „ m raftimblé en Corps, que fuivant rexigean-' „ ce des cas, ni même en régiment qu'une fois * Par 80' ne Coute a beaucoup pres, ce O'3 M. Faggot.  ( 59 ) j que «jouteroit fon entretien fur le pied des „ re'giments levés ou de garnifon, & que les avantages qui en réfultent contrebalancent „ fuffifamment le peu de mal qui en profluéroit „ pour 1'agriculture , d'autant plus qu'il en réfulte un grand biQ póur la population, „ puifque d'abord que le foldat a cultivé une „ affez grande e'tendue de terrain, il fe marie „ & fournit de nouveaux colons pour défri„ cher des nouvelles terres incultes. " . Le Corps de Génie eft divifé en fix brigades, qui ont leur réfidence ie. a Stockholm, 2e. a Gothenburg, 3e- a Carlscrona, 4e- en Scanie, 5". en Finlande, & 6e. cn Pomeranie ; chacun dans fon diftrict veille aux fortifications. Chaque brigade eft compofée d'un Coll. de Brigade. Matre des Logis. Lieut. Général. Capt. Mechanicien. Capt. pour.enfeigner. Lieut. Deffinatcur. • Lieut. Modeleur. Quelques Conducteurs. Tout le Corps eft commandé par deux Directeurs Généraux ; dont un pour la Suéde & 1'autre pour la Pomeranie, chacun de ces Directeurs Généraux a un Aide de Camp. Ün Profefleur attaché' au Corps de Genie, reüde a Stockholm.  ( 6o ) Afin que les Militaires après avol/pafiïs une partie de leur vie dans une a&ivité labo* rieufe, puiiTent jouïr d'une retraite honorable & tranquille, on a établi en tj.frt par la coa. tnbution des participans, une eaifie de penfion, dans laquelle, c#x qui veulent y participer, font obligés de payer annuellement fis pour cent de leurs appointemens: alors au bout de 25 ans de fervice, a compter de la 2oe. de leur dge, ils jouïfient leur vie durant de leur folde ordinaire, du moment qu'ils fe retirent. L'arrangement militaire, tel que je viens de vous déerire, eft admirable dans unpaïs, qui ne doit avoir des troupes que poUr fa défenfe. Le foldat terrienlui-méme, eft le défenfeur du terrain qu'il a défriché «Sc cultivé; 1'ennemi de fon païs 1'eft de fa perfonne, il a le même intérêt a la confervation du royaume dont il eft citoyen, que ceiui qui le gouverne, celui qui Ie commande & celui qui le paye, s'il fe bat pour fon Roi & pour fa patrie, il fe bat auffi pour fa familie & fes pofleffions. On n'a donc pü faire quelque chofe de mieux pour la Suéde, que d'établir cette repartition pmfque la conftitution de ce Royaume, fous quelque .ace qu'on 1'envifage, ne demande que des defenfeurs & jamais des conquérans. Mais je ne dois pas oublier qu'avant cette digreffion j'étois a Gothenburg; il eft temps ay revenir. r  C öi ) Cette ville n'a pour toute défenfe vers la par- < tie méridionale oü fe trouve le port qu'une muraille de pierres de taille, affife & cimentée fur le roe vif & entourée d'un large foffé dans lequel on 'a fait entrer les eaux de la riviere Molndal, qui fe jette dans la Gotbe; au refte toute la ville eft bdtie en partie fur deux róchers. L'entrée de fon port eft defendu par , un vaiflèau de Garde, & un bon fort nommé Elsbourg. Parmi les bonnes connoiflances que j'ai fait h Gothenburg, pendant les huit jours que je m'y fuis arreté , je ne dois point oublier Mr. de Lile, Conful de France, qui y réfide, ni Mr. Jelfiroom riche négotiant. Le premier furtout qui eft un homme inftruit, fort aimable «Sc trés poli, m'a procuré beaucoup d'agrémens; il a bien voulu prendre la peine de me faire voir tout ce qu'il y a de plus remarquable; & m'a mis au fait d'une infinité de chofes très-intéreflantes. Le fecond qui eft un commergant trés éclairé m'a donné la libre entrée de fa maifon, dont il fait parfaitement les honneurs. J'avois des lettres de mon ami de C pour 1'un & pour 1'autre. II eft temps de flnir celle-ci & de vous afturer que je fuis, &c. fothenurg.  ( 62 ) Trolhetta; i JLÜXTRE SIXIEME. Droningaard ce ... Dcfobre 1785. M . Je qüittai Gothenburg a porte ouvrante, W1 di... May & pris ma route direftement vers le nord, & tantöt cotoyant Ia riviere de Gothe le long d'une chaine de rochers dont l'afp» petite ville dc Wefirogothie fatigué & harafle a outrance; c'étoit une route de traverfe, j'y trouvai des chemins trés difficiles a travers des montagnes &des rochers les uns plus affreux que les autres, & dont les cahots continuels m'empêcherent de prendre le moindre repos dans ma voiture. Cette route fi fatigante me fit trouver Falkiöping moins affreux qu'il ne 1'eft en effct; de toutes les villes de la Sue'de, que j'ai vu c'en eft une des plus desagre'ables. Lnaginés - vous un grand cloaque fans pave', dans lequel on a alligné des baraques de bois, recouvertes de Gazon, ou de moufle,.dont les portes ont quatre pieds de haut. Le Chivsrhous ou auberge oü j'étois logé eft la maifon la moins mauvaife. Cet endroit porte le nom de ville, quoiqu'elle n'aye ni murailles ni portes. Un enclps de génévriers pourris 1'entoure •, mais ce qui lui donne le caradtére diftinctif de ville, c'eft qu'on eft ohligé de payer doublé pofte en fortant. Après avoir pris du laitage avec quelques Oeufs broués, feule nouriture que je pus y avoir, je m'étendis tout habillé enveloppé dans mon Schantz-hoper fufun lft ou plutöt un grabat; fatigué de ma courfe, je ne fus pas lóngtemps a m'endormir; mais vers les trois heures du matin, je fus reveille' par 1'horrible v  Regiment de Cavalerie de tVeflro- C 66 > bourdonnement d'une quantité effroyable de coufins, demouches &c. &c.; mon grabat n'éroit qu'un repaire d'infectes de toute efpèce ; nepouvant plus y tenir, je me le'vai &m'occupai a écrire jufqu'a 1'arrivée de mes chevaux qui me déiivrèrent bientöt de ce purgatoire. ■ Je pris la route te Mariejladt, fitué au grand Lac Wennern, oü j'arrivai a fept heures dü foir, & la je rentrai dans la grande route royale, que je quittai a Trolhetta pour voir 1'inténeur du pays; curiofité dont je me repentis par les défagrémens que me caufa cette route de traverfe. La route royale va de Gothenburg par Trolhetta a Wennersburg, de la ellecotoye le Lac Wennern .jufqu'a Marieftadt, elle mène enfuite par Orebrö & Arboga a Stockholm. Cette journée fut un peu moins rude que les prece'dentes; a quelques lieues au de-la de Falkiöping le terrain s'applanit, 1'ceil s'y promène avec plaifir au-deflus de plufieurs plaines bien cultivées, & de belles prairies fournies de betail. Quoique cette route foit encore un chemin de traverfe, elle eft cependant affez batuë & unie. Environ a 4 milles de Falkiöping en arnvant a un endroit nomme Khflret, oü. je devois changer de chevaux, j'appris qu'a une denue iieuë de lè, prés d'un village nomme'  ( *7 ) Bolum, campoit le régiment de Cavalerie de WejtrogotUe; je crus qu'il valoit bien la peine de me détourner un peu pour 1'allervoirj j'y arrivai vers les neuf heures du matin, & laifiant ma voiture avec mon domeftique fur le grand chemin, je m'acheminai feul a pied vers une grande plaine, oü je vis non-feulementle camp, ■mais auffi le régiment occupé a manceuvrer; j'étois en uniforme, j'avois un chapeau franc, mon épée fous le bras , en bottes, mais fans éperons •, apiès avoir été pendant un quart d'beure fpeétateur de leurs manoeuvres, je vis arriver au grand galop un officier qui s'arrêta auprès de moi: Serviteur Monfieur! qui eji Monfieur 1 Officier hollandois, qui voyage par curiofité & qui ayant appris Monfieur, que votre régiment campoit ici, eft venu le voir en paflant. Monfieur foubaite-t-il un cbevalp Je vous remercie Monfieur. — L'officier part, a fa canne je vis qu'il étoit Adjudant; un moment après il revient avec un autre officier, 1'adjudant me dit: c'eji Monfieur le Major. Je fis la révérence aMr. le Major, qui m'ofirit de même un cheval; n'ayant ni chapeau convenable ni éperons, je voulus m'excufer; il infifta, puis me conduifit au Colonel,' a qui il me préfenta. Je montai a cheval & fuivis le régiment dans toutes fes manoeuvres ; 1'exercice fini le Colonel m'invita a diner E 2  C 68 ) fcvee quelques officiers; je fus oblige' de m'excufer, par la raifon que j'avois 'envoye' un Voorboode, pour commander des chevaux a toutes les ftations, jufqu'a Mariejladt. Le Major m'accompagna k ma voiture & m'y vit entrer. Ce ne fut qu'a ce moment qu'il me demanda mon nom & mon grade. Je lui demandai fon nom k mon tour. II me dit qu'il fe nommoit le Baron de Clofet; il avoit e'te' trés lie', ajoutat-il, avec Monfieur de Haeften, dans le temps que celui - ci re'fida a Stockholm , en qualite' d'Envoye' Extraordinaire de Leurs Hautes Puiffances. Faites-moi la grace de me dire, dans quel fervice on poufferoit la politefie au point de faire un accueil auffi gracieux a un officier e'tranger, qu'on vefroit fe promener feul a un exercice. Ce qui me frappa le plus, fut, que toute cette poIitefTe fe fit fur mon fimple dire, que j'e'tois officier hollandois qui voyageoit par curiofué; Ehfeigne, Capitainë, Colonel, Général, tout eft e'gal pour des gens qui fe piquent de favoir vivre. Vous êtes fans doute curieux de connoitre ce regiment & d'en apprendre quelques particularités. II eft national ou reparti, fort ie mille hommes, divifés en huit Efquadrons, comme la pluspart de,s autres re'gimens de Cavalerie; ïes hommes font beaux, mais mal monte's;  ( 69 ) fi quoiqu'en général ils ne brilloient pointpar lcur.1 I manoeuvres, je leur vis cependant exécuter | aflèz bien quelques de'veloppemens de colonne I «Sc des changements dè front vu 1'e'tendue de I leur ligne. Leur grande attaque ne fut ni al| lignée ni vive. Dans la retraite üs rangent les 3 flanqueurs fur les flancs en deux lignes, oü ils reftent immobiles, continuellement cccupés a tirer & a recharger leurspiftolets, tandis que le régiment fe 'retire a travers cette have de flanqueurs; au reiie il n'eft pas poffible que ces troupes nationales puiffent exercer 'auffi bien que d'autres, puisqu'cxcepté les trois femaines qu'elles caropent, ils ne viennent jamais fous les armes & ne montent pas même une garde. Monfieur le Major «Sc moi nous étant i; mutuellement recommandés a notre bon fouve;l nir, je repris ma routé. Arnefure que j'avan; cai vers Mariejladt, le chemin s'applaniflbit, je vis des rochers moins hauts «Sc des précipii ces moins refpeét^ibles: enfin h une couple de | lieuës de la ville le terrein eft tout plat «Sc je i paflai par une des plus belles plaines que j'aye jamais vu, couverte d'un feigle fuperbe. Pendant toute cette journée, ainfi que pendant la précédente , j'aurois été obligé de faire le jeune le plus complet, fi le biflac que mes amis de C . . . . avoient bien fournis a mon départ du Dannemarc, n'y avoit heureufement E 3  C 70 ) fupplée. Dans toute cette route je ne trouvai que du Knikkebroë, du lait & quelquefois des ceufs; du vin non-feulement n'y exiftepoint, mais on ignore même cè que c'eft, par ei par la on trouve de la mauvaife bierre, que les payfans braffent eux-mêmes. Comme c'écoit le temps que les fraifes fauvages commencoient a mürir, je m'en fuis nourri en grande partie; les bois en font remplis, & quoique petites 'clles ont un parfum de'licieux. A toutes les ftations je rencontrai des enfans, qui pour une bagatelle alloientm'en cueillir despaniers pleins. ! Je fuis, &c. &c.  C 71 ) .««O—==—=&== !> LETTRE SEPTIEME. Droningaard «... OStobre 1783. M . . . 3£eriefiadt eft une aflèz jolie petite ville fitue'e comme je vous 1'ai déja dit au Lac • Wennern. Elle doit fon exiftence a Charles IX, il lui donna le nom de Mariejladt a 1'honneur de la Reine fon Epoufe, qui s'appelloit AnneMarie. Cette ville n'a rièn de remarquable que fa fituation, qui eft trés agre'able. J'y paffai une bonne nuit. —- J'en répartis le lendemain dans le courant de 1'après-dinée, après en avoir examiné le local a mon aife, je pris la route d'Orebrö Capitale de la Province de Nericie, qui en eft éloignée de n milles & oü j'arrivai entre quatre & cinq heures du matin. La traite de Marieftadt a Orebrö eft tres agre'able, outre qu'on refte fur le grand chemin royal, on n'y rencontre ni montagnes, ni rochers, & fi on paffe par des quartiers de'ferts, la beauté des bois de fapins, de bouE 4 VTarietadt vil ie té tape» Route de Marieftadt a Orebrö,  Province 'de Nericie. C 72 ) leaux & de chénes dédommagent de 1'ennuide ne rencontrer aucnne créature vivante. J'ai fait .quelquefois une pofte entière de 2 mille & dëmie fans voir perfonne. Les bois qui dans cette faifon commencent a developper toute leur fplendear joint a la beauté' des vues qu'offrent en plufieurs endroits des defcentes de collines, desLacs, des Rivieres,. m'ont engages plus d'une fois a mettre pied a terre pour en jouïr plus a mon aife. A quelques milles de Mariejladt, k un petit village nomme Hom, on quitte leterritoire de la Province de TVeflrögothie pour entrer dans celle de Nericie. Je fus obligé de m*y -arreter par 1'e'tonnante inte'grite' d'un commis qui fut refifter aux appas de quelques daalders filbere ™, pour avoir le pl£ifir de dépaque, termoncoffre&monporte-rmanreau. _Ce n'eft pas afiez d'être vifité avec ladermere ex?(ftitudea 1'cntre'e du royaume, il fm encore lubir pareille cérémonie lorfou'on par d une province al'autre. Celle ci'cependant 8 eft P3S fi r«fe que la première & ordfnaircment on s'en rachëtteen donnant de ouoi boire aux commis, & ceiuide Howafutle feul qui aft nS9mmmmt de foiJ dfoi to« le cours de mon voydge. Les JeotJans Lrm;rceRt dans loanute de marchandifes défendues , qu'il.  ( 73 ) font circuler dans Finterïeur du pais. On tache de troubler ce petit commerce par une vifitc exacte a la frontière de chaque province, & fi tous les commis étoient auffi confcientieux que celui de Hówa, les marchands n'auroient pas beau jeu. J'appris' en fuïte qu'il avoit cru faire un bon coup. Je ne fai fi ce fut a ma phyfiönomie ou a ma voiture, qu'il trouva un air de contrebande. Orebrö eft une ville affez grande, entièrement batië en bois, comme toutes les villes de Suéde, les maifons y font peintes en rouge brun & couvertes de gazon; ces gazons qui récouvrent les toits des g^andes maifons ainfi que des petites, rapellent les Jardins de Semiramis, d'autact plus que quelques unes font proprement fauchées & garnies de platte bandes de fleurs. Ces toits de gazon' fervent a diminuer les dangers du feu; c'eft a peu ' pres de même a la campagne, les maifons de payfans y font couvertes de moufiè au lieu de gazon, le chaume y eft profcrit , il eft trop cher & trop combuftible. Avant de placer le gazon ou la moufle on étend fur la charpente du toit des grands quarrés d'écorce de bouleau, pour empêcher la pluye d'y pénétrer. Dans tout Orebrö je n'ai vu qn'une feule maifon couverte de tuilés; c'eft un chateau antiquc bati en pierres de taille , fitué a un E 5 Drebrö.  C 74 > ec-in de cette ville, oü demeure le gouverneur de la province de Nericie-, le long de ce chateau paffe une petite riviere qui fe jette dans le Lac Hielmar, au hord duquel la ville eft fitue'e; fur cette riviere eft un beau pont de pierre, du haut duquel on jouït de la vuë d'une chute de la riviere, qui fe précipite dans toute fa largeur a quelques toifes du pont Du haut de la tour, j'eus une vuë charmante: le Lac, une belle plaine couverte de grains & de quantité de maifons de payfans , borne'e a 1'horifon par des hauteurs couronnées de bois, ce qui joint aux gazons, & aux par. terres des toits de la ville,. ferme un enfemble charmant. La population de cette plaine dedommage le voyageur des folitudes continuelles, qu'il a dü parcourir pour y arriver. II eft facheux que de pareilles perfpectives =e fe préfentent pas plus fouvent en Suéde; pour une lieuë de païs bien cultivée, & bien Peuplée, il s'en trouve pour le moins quatre <ïe defertes. Si dans plufieurs endroits le roe vif & le mauvais terrain ne permettent aucune culture, en revange j'en ai vü plufieurs qui n attendent que la main du laboureur, pour être d'un bon raport. Tout le pays par le quel Jai paffe' entre Marieftadt & Orebrö eft prèsqu'entierement couvert de bois. —- Mais.  C ns ) dans ces bois il y a des étendues de deux a trois lieues qui ne font point cultivees oü il ne croit d'autre herbe „ que celle que la nature y feme. Les environs de Marieftadt «Sc d'Orebrö font bien cultive's. A trois ou quatre lieuëü a la ronde il croit dufeigle,du froment, de 1'avoine & du lin. Jamais je ne vis de feigle «Sc plus haut «Sc plus fourni. j A 1'entour de quelques villages j'ai vu-de 'trés beaux pafcurages, ainfi qu'aux bords des rivferes, ce qui prouve que fi la Sué> avoit plus d'habitans , fon terrain pourroit être plus cultivé, malg.ré la quantite' enorme de rochers qu'elle contient. Je me refolus de refter toute la journe'e a Orebrö, tant pour me répofer que pour voir a mon aifc un endroit qui me plut beaucoup par fa propreté & par fa fituation. Mon deflein étoit d'en répartir le lendemam de mon arrivée; en conftquence mes chevaux étoient commandés; je me vis ^ oblige' d'y fejourner encore malgré moi: foit par raifon de fatigué'ou par d'autres caufes, je devins tout a coup fi malade que je ne fus pas en e'tat de partlr, heureufement que dans ma trifte «Sc miferable auberge, je trouvai un hote dont je refpefterai toujours la me'moire en faveur de fa complaifance «Sc des bons foins qu'il eutpour moi, ainfi que je n'oublierai jamais 1'horrible fouppe qu'il me fit apprêter: du jus  C 76 ) d'Oyegarnide raifins, de corrintes, de poivre ; d'ail, de pommes, fut le reftaurant qui devoitfelon lui meguerir, & qu'n m'accomoda avec un zèle dont je lui aurai toute ma vie de 1'obligation. Une bouteille de bon vin, -refte de ma proviiion de Droningaard fit une meilleur effet que le remede de mon aubergifte, une bonne rode que je me fis de ce vin, me remit au point que dans le courant de 1'après-dinée, je pus m'habiller & me promener. — De retour de ma promenade, me fentant-mieux je demandai de 1'eau pour faire du thé; au moment que je m'occupai a le préparer, j'en.- tends frapper a ma porte. La porte s'ou- vre, je vois un officier habillé a la Suédoife, écharpe bleue, plumet jsune, le petit ordre de 1'épée è la boutonniere. II vient a moi d'un air jovial; je me leve, il m'adreile laparole en bon francois. Mr.! apprenant qu'il y avoit ici un officier Hollandois malade, je n'a'i pas voulu manquer de venir vous offrir les fervices, que tous militair es 'fe doivent réciproquement. je repondis a cette civilité du mieux qu'il me fut poffible. : , Vous allés boire du thé Mr. je vois è la petite caiffe que c'eft rotre propre thé; un Hollandois n'en peut ayoir que de bon, permettés que je vous cherche compagnie qui aime le bon thé. II fort & un mo_ ment ipiès mon chevalier de 1'épée rentreavec  C 77 ) deux dames jeunes & vives. Je leur offre des chaifes, je veux procéder a 1'opération de la théjere; il m'interrorapt : // y 'fl tó bas une vieille dame en caroffe qui a la goute, & qui voudroit faire la connoiffance de Mr. VOfficier Hollandois & de fon thé, comment ferons nous cela ? Je fais un bon moyen Mr., dis-je, faifons tranfporter cette table a cöte' du caroffo, •nous y boirons tous enfemble. Auffi-töt dit, auffi-tót fait; mon domeftique prend la table, le chevalier le pot a thé & le pot a lait, les dames les taffes, moi la petite caiffe. Nous degringolons 1'efcalier en riant comme des fous, & dans un inftant nous voila en bas, affis autour de la table, en pleine ruë, a cóté du caroffe oü étoit la bonne dame quï ce manege divertiffait, puis nous primes du thé entourés de tous les badauts de la ville. En attendant on atteloit fix chevaux a la voiture & tout étant pret, Mr. le Lt. Collonel de Lejonanker pria les dames de fe remettre en caroffe avec une femme de chambre, tandis qu'il fe difpofoit a entrer dans fa chaife attelée de quatre chevaux, avec un homme que je fuppofai fon valet de chambre, j'appris qu'ils Venoient de Stockholm & qu'ils alloient a leurs terres; s'étant arrêtés au chiverhous,oüjelogeois pour changer de chevaux, le chiver apprit a Mr. le Lt. Collonel qu'un Officier Hol-  < 78 ) landois allant a Stockholm y logeoit, & y étoit arrêté par raifon de maladie. II fe fit d'abord montrer ma chambre, vint me faire le compliment dont je vous ai parlé, & m'offrir fes fervices pour la capitale. La bonne Dame en reconnoiffance du thé que je lui avois procuré, m'invita a venir paffer quelques jours a fa terre , ce que je ne jugeai pss a propos d'accepter, vu lalongueur du voyage que j'avois encor a faire. — Mais je profitai des reccmmandations qu'ils m'offrirent pour quelques - unes de leurs connoiflsnces a Stockholm. Vous pouvés juger par ce qui m'arriva en allant voir le régiment de Weftrogothie «Sc par la rencontre de ce Lieutenant-Collonel avec fa familie, de la politcffe & de 1'humeur joviale des Suedois, dont j'aurai occtfion de vous citer encore d'autres traits. Me trouvant infiniment mieux, «5c me fentant en état de continuer mon voyage, je me remis en route le lendemain de cette vifite , «Sc pour rr.enager encore un peu mafanté, je ne fis ce jour la que 7 mille «Sc demie «Sc fus coucher a Smedby, oü 1'on m'avoit dit que je trouverois une des meilleures auberges de la Suéde. En quit-tant Orebrö je paffai par une plaine de deux lieues d'étendue, trés peuplée «5c bien cultivée, au bout de laquelle je rentrai dans les bois «Sc n'en reffortis qu'a Fallingbro, premier  C 79 > endroit de la Wefttnannië, & qui n'eft qu'une grande maifon de pofte, j'y rencontrai le } vieux Comte de Scbeffer. II y paflbit avec fon époufe «Sc une grande fuite pour fe rendre dans fes terres. J'arrivai au moment qu'on étoit occupé a mettre des chevaux a fa voiture, «Sc jevoulus lui être prefente'. Je m'adreffai pour eet effet a un homme alTez gros «Sc d'une bonne phyfionomie qui me dit être Cuifinicr de fon Excellence •, comme un cuifinier eft un homme important, je crus ne pouvoir mieux m'adreffer pour le prier de faire 1'office de chambellan, ce qu'il m'accorda de bonne grace. Le Comte «Sc fon Epoufe me recurent de la facon la plus obligeante, «Sc me dirent trés poliment que s'ils euffent éte' a Stokholm, ils auroient faits de leur mieux pour m'y procurer de 1'agrément. Ils me demanderent oü j'allois loger, «Sc pour qui j'avois des lettres de recommandation, je leur nommai 1'auberge qu'on m'avoit indiquée, «Sc leur fis voir les adreffes de mes lettres. Ils m'avertirent que je ferois fort mal a ce logement; ils me donnerent une adreffe pour des gens qui ne tenoient pas auberge publique, mais oü ils m'aiïuroient que je ferois trés bien. Ce Seigneur a 1'air refpectable. Vous favés que 1'année paffee il de'manda a fe rétirer. ïl s'eft établi dans fes Province e Weftlanniè'.  Arboga C §0 ) terres , oü il veut ficir tranquilement fes jours lom du mende & des affaires, qu'il a dirige'es fi long temps par la fagacité de fes Confeils, avec lapprobation & la reconnoiffance du Roi & de toute h naüon, qui le regrettent beaucoup. II étcit fort airnéa caufe de fon attachement peur la Roi qui 1'honnoroit de fa confiance aiofi que par rapport è Ion aftivité pour tout ce qui concerr.e le bien & la prolperitë du röy„u, me. - li a e'té remplacé par le Comte de Creutz, ci-devant Ambafïadeur en FrancJe m'arrétai *, Arboga capitaie de laWeffimannie, réfidence du Gouverneur & de la régerce de la province, ville trés Iaide, compofée de rues étroiccs & de vilaines maifons de bois, la plupart fort baffes. Il n'y a que celle du Gouverneur qui foit batie en pierres. Cette ville eft fameufe par les éclufes confidérables, qui ouvrent la communication entre le Lac Hielmarn & le Lac Ma'crn; ce dernier s'étend jufqu'a Stokholm. Ma curiofité contentée, je me remis en route & j'arrivai de bonne heure a Smedby. Toute la Weftmannië eft trés belle, c'eft une des provinces les mieux cultivées & les pius peuplées; il eft vrai qu'en plufieurs endroits le roe vif fe fait voir a travers la terre, & cue les bois y dominént, cependant j'y ai vu des étendues  ( 8i ) ëténdues de terrain confide'rables, oü. toute efpèce de grain croic parfaitement bien, mais furtour le feigle. Les payians y font prefqu'habillës comme en Frïfe» grands chapeaux, culottes larges, iaqüette courte, le touc en noir avec des petits paremens rouges. D'Arboga, je fis encore 3 milles jufqu'i Smedby oü je paffai la nuit. : Smedby n'eft qu'une feule maifon entierement ; Éblée, fort vafte, batie en pierre, & fitue'e dans ;unc vallée charmante, oü 1'on jouït des plus bcaux points de vue; c'eft la plus belle & la meil: lcureauberge que j'ai trouve' dans toute la Suéde. Le lendemain, a une demie lieuëde Smedby, jc quitcai la Weftmannië, pour entrer dans la Sudermanmê , je paffai par quelques belles plai■ nes bien- cultivées , & je trouvai un affés beau pays jufqu'a Sudertalie, petite ville, fitue'e au bord du Lac Maler a quatre milles de Stokholm. Ici on rentre dans les rochers & 1'on ne trouve plus qu'un pais défert, aride & incuke jufqu'aux portes de la Capitale. Je me detournai d'une lieuë pour aller voir un chateau, QGripsholm) que le Roi poffède pres de la petite ville de Manfred. Ce chateau eft fort antique & fianqué de quatre tours. II eft renommé dans 1'hiftoire: ce fut la oü mourut en prifon le fameux Eric XIV, filS. F * Smedby. Province de Sudermannie. Sudertalia ChSreau de Grips* bolm.  ( 82 ) Troshalia. Kumla. de Guflave Vafa; fa fituation eft fort agre'able au bord d'un petit Lac qui a communication avec celui de Maler. La Cour y va paffer quelquefois une partie du printemps; le voyage fe fait alors par eau, dans des yachts extrêmement propres & trés orne's. Je vins coucher a Kumla, après avoir paffe . par la villotte de Troshalla, oüje fis une petite halte pour jouïr du fpeftacle magnifique d'une chute d'eau. Une rivière qui y paffe fait dans la diftance d'environ 334 cent pas plus de mille cafcades de 2, 3, 4, jufqu'a 6 pieds de hauteur, en fe précipitant avec une .rapidite' etonnante entre & par delfts des gros quartiers de rochers; un pont de fix arches qui fe trouve vers le miiieu de cette chute, offre aux voyageurs un fite commode, pour y jouïr d'un fpeclacle auffi agre'able que pittorefque. Kumla oü j'arrivai vers le foir, eft un petit bourg affés propre, il eft fitué fur une hauteur a 5 milles de Stockholm, 1'auberge y eft trés mauvaife, jeme confolai d'un fort maigre fouper par 1'efpoir de m'en de'dommager le lendemain. Ce repas fut un peu anime' par le combat que je fus obligé de livrer a un effain.de mouches, auffi redoutable que celui jui affaillit le pauvre Gulliver a Brodignaic. [e crois qu'il ne s'en trouvent dans aucun pays d'une telle grandeur & en fi grande quantite';  I leur bourdonnernent eft affreus, -r— Un gra| bat fans rideaux qui m'étoit deftine' me donna I mauvaife augure pour la nuit, cependant la | fatigué me procura quelques heures de fomI meil. I Je me remis en route k 4 heures du matin , i afin d'arriver de bonne heure a Stokhotm. J'allai dejeuner h Südertalie, qui eft, comme je vous 1'ai de'ja dit, a 4 milles de la Capitale; j'y changeai de chevaux, «Sc je fis mes adieux . au beau pays; on y rentre dans des rochers af,;freux, dont 1'afpecT; hideux infpire la melancholie la plus noire, le bon terrain, fa culture, fes beaux bleds, la population, tout s'éiclipfe; 1'on n'y voit plus que des rochers, & i.quels rochers! hauts, efcarpe's, incultes; du ] fapin, de la moufie, du genevrier font leurs | feuls ornemens, en un mot, on pafle par un ipays qui reflemble plutót a 1'approche du Tarlitare qu'a celle d'une Capitale. Par ci, par lè, l entre les rochers fe trouvent des tas e'normes jide pierres entaifées, des efpaces confide'rables ij de fapins coupés a deux pieds de terre «Sc des | morceaux de troncs a moitié brulés qui repré,j: fentent une devaftation affreufe , des miféraI bles cabanes de pdtres, «Sc des précipices qui : font fremir. Tel eft exaftement le tableau dont on jouït pendant les huit lieuës qui feparent Südertalie du pont flottant par defius lequal F 3  C 84 )- Fi;zia. on paffe, pour entrer a Stckholm. A moitie' chemin on change de chevaux dans 1'endroit le plus pittoresque que j'ai jamais vu; ce n'eft qu'un affemblage de trois ou quatre maifons: eet endroit s'appelle Fitzia, il eft fitué au bord d'un petit lac, auquel 1'arrangement des bois & des rochers correfpond d'une facon fi finguliere qu'on re peut rien voir de plus romantique. En été les habitans de Stokholm vien- ; nent y faire des parties & y manger du poiffon dont ce lac fourmille & qu'ils fe font un plaifir de pécher eux-mêmes. . . Mais avant que d'en- ' trer dans la Capitale de la Suéde, je veux finir eette lettre & vous affurer que je fuis, &c.  C 85 ) LETTRE HUITIEME. Ccpenhague ce . . . Novembre 1785. M . . . ,La gréle,_la tempête, la pluyc, la neige, la gelee, labriévité des jours nous ont obli: gés de troquer le féjour de la Campagne conitre celui de la ville, & nous voila étsblis a I Coppenhagae pour fix .mois. Les afiemblécs, les bals, les Concerts, le fpedtacle, les par; ities de jeu vont donc rcmplacer les p:rties de promenade, de navigation, de chaile & de pêche. La vifite des bib'liothcques, des Cabinets , des atteliers & des manufadtures fuccedera a la culture des fleurs, des arbres & des plantes. Chaque chofe a fon temps & chaque occupation fes agréments. & fon uulité. La Cumpagne oü 1'on jouït de la nature en beau & en grand, ainfi que d'une liberté fi analcgue a 1'état primitif de 1'homme, agrandit le ■ eerde de nos idees. Notre imagination s'éle^ ve du terrain que nous cukivons a eet infini oü tout ce que que notre ceil débüe peut apercevoir, nous ramene | ce grand être a qui nous tenons par une chaine dont les chainons, F 3  ( 85 ) Stokholm ville d'étape. i font bien plus fenfibles parmi les occupations champêtres, qu'au milieu du tourbillon des plaifirs, qui n'emouftènt que trop fouvent nos fenfations a eet égafd. A la ville on e'tudie les hommes, leurs connoiffances, leur induftrie & leurs mceurs; on voit en oppofition les faneftes effets des palïions, de'regle'es avec ceux des paffions reduites a de juftes bornes, ■ mais trève de philofophie. — Vous êtes impatient fans doute d'entrer avec moi a Stokholm. Dans ma derniere je fuis arrivé au pont flottant; il eft temps de le pafter. Je fus obligé d'y fubir une vifite aflez exacte pour voir li je n'avois rien contre les ordonnances du Roi. J'étois adrefle par le Comte de Scheffer dans le quartier hollandois QDutske Biïe") précifement au cóté de la ville, 1 oppofé a celui par lequel j'y entrai. Je la traverfai dans toute fa longueur, qui eft environ d'une lieuë; je fis mon entrée par un-grand Fauxbourg oïi les rochers & les maifons fe difputent la préeminence; d'abord je ne vis que des maifons ba« ties enbois, maisamefure que j'avancois > les Mtimens me parurent plus beaux, enfin les maifons de bois difparurent je n'en vis plus que de briques ou de pierre de taille, couvertes de tuiles, d'ardoifes ou de cuivre, feparées par des rues tirées au cordeau ik trés larges.  ( »7 ) Enfin j'arrivai au Diltske Bue, a la maifon I cü j'étois recommandé par le Comte de Schcf\ fer. Une grande hotefie belle & fort gracieufe ; me dit en mauvais allemand; que fon mari n'et tant pas au logis, elle ne favoit fi je pouvois ! y refter, en attendant elle me pria d'entrer. r. On cherche le mari; il arrivé : un petit homme laid comme un crapaud & qui m'avoit bien 1'air ;j de porter le toupet invifible, rrie regarde du bas en haut, puis me mefure du haut en bas: ' Ergcbener thiener, was will der Hcrr — lek wilt togieren. Ja? aber ten habe keiii ~ plats (*). Je lui témoignai combien j'en étois mortifie', d'autant plus que le Comte de Scheffer, m'avoit dit qüe je ferois chez des braves ; gens, der graaf Scheffcr ? — 'fa der gtaaf' Scheffer, — ach der gute man'. Er veis ja' i nicht9 ob ich plats habe (j); j'étois fur lé i point d'aller chercher fortune ailleurs lorfque • I je m'avifai da dire: der Koch von dcrii graaf' 1 hatte mir auch gefaagt fjf) . . . . a ce mot i de Koch le mari & la fenime fireht 1'un & l'auij tre une exclamation: der Koch ? ach unfer Serviteur trés humble, que veut Mr. — je veux j I lqger — Oui? mais je n'ai pas de place. r\~) Le Comte Scheffer? — Oui le Comte Scheffer,— • Ah 1'excellent homme! mais il ne peut lUvoir fi nou* avons de la place. Le Cuifinier du Comte m'avoit di't au0i. . . » F 4  : c.ss )j bejler freund der Koch! ja Imr ,-Jle Jollen, hier logieren (*), & a 1'inftant 1'on appelle valets, fervantes, palfreniers; 1'un prend mon portemanteau, un autre mon coffre, on me conduit en thriomphe a une grande & belle cbambre, enfin je fus trés bien logé & par la fuite trés content de mes hótes ; fi le Comte Scheffer favoit qu'au nom de fon Cuif nier tout s'ouvrit pour moi , tandis qu'au fien tout refta clos, il trouveroit ce refpect trés plaifant. Je conclus de la que Mr. le cuifinier & Mr. l'aubergifte s'entendoient aux depens de fon excellence. Le lendemain de mon arrivée mon premier foin fut d'aller voir Monfieur le Baron V. . . D. . . B. .'. notre miniftre. II voulut faire chercher mon bagage & me loger chez lui, ce qne je n'acceptai point, mais je pröfitai de 1'ofFre de fa ta'Me , pour le temps de mon féjour dans cette ville, lorfqueje n'étojs pas invité ailleurs. II en agit a mon égard avec une politefie peu commune. II me préfenta a tous les miniftres étrangers, pour la p:upart des quels j'avois des lettres de recommandatioi de ceux qui réfident a Coppenhague, enfuite il me fit voir tout ce que Stokholm renferme de plus curieux & me mena dans quelques fociétés particulières. (*~) Le Cuifinier? Eh notre meilleur ami 2e Cuifinier? Oui Monfieur fans doute vous logerés ici.  C sp; De toutes les lettres de récommandation dont je m'étois muni, celle pour Mr. IVahrendorf grand negotiant, me fut la plus utite. Sa fille a cpoufe'e le Comte de Rnfr.i grand Ecuyer de la reine-, outre les politefl.es que j'en reeus & les connoiflances particu'ieres qu'il me procura, il me donna des adreffes & des re'commandations pour toutes les mines, les forges, & plufieurs villes, oü j'avois deffein de m'arrêter; il me fit entre-amre faire ]a connoilTance de Mr. Grill & de fon aflbcié Pyll principaux mtcrefles & cxploiteurs de la fameufe mine de Dcmncmora; après mon départ de Stockholm j'ailai pafier quelques jours a leur terre. Tant de voyageurs ont d'ifïertés fur Torigine du nom de Stockholm, & i'hiftoire du petit baton ainfi que celle de la fondation de cette capitale font fi connues , que je ne vous ennuyerai point par une repetition inutile. Je ne connois' rien de plus pfttorefque que la vuë des differentes hauteurs fur lesquejlés la ville eft batie, C*) les rivier.es ou plutöt les petits bras de mer qui forment de ces hauteurs autant d'Ifles jointes par des port's flottans , la quantité de Vaifiêaux dbnt ces eaux font couvertes, 'les points de vuë dont on f4) Les maifons au bas de ces hauteurs font baties fur pilotis. F S  (9°y jouït du haut desquais, l'enfemble des maifons, des roes, des eaux, des arbres, fbrment le coup d'Oeil le plus extraordinaire & le plus fingulier. Vous faye's que la Mer Baltique & le Lac Maler syjolgnent par un Canal de i2 miies de long, forrné par Ia nature au miS f ;°C\ers & q«ü fait au centre de la ville le plus beau port qu'on pnjflê imaginer couvert du c6té de la taque d'une quanS mnombrable d'ines ou plutöt de rochels qu'ón «PPelle Smeren & qui rendent cette navigaion fouvent trés dangereufe, quoiqu'entre ceJlOes Ü l^6 affez ^ fond. pour les plus grand" vaiffeaux.de guerre, cependant le danger auqueUlsy f0nt expofésa fait tranfporter to «e lamnaute de guerre a Carlfcrona oü le porC eft vafte & fon entree commode. üne Le fregatte eft de garde devant les Scheeren mais en revange on conferve dans le port de Stockholm une flotte de cinquante galeres. Le Canal dont je viens de faire rn'ention fe. pare la ville en déux panies. La feptentrióutetNorderrnolm) eft fuue'e dans l'rjpiande & !aMe'ridionale(^rm,/;H) dans ia Südcrmanie. Le chateau qui eft trés grand & quarr-' domme toute la ville, il eft fuue'dans une Iile iurune hauteur au milieu du Canal. C'eft eet-  (9i > te Me qui s'appelle proprement Stockholm, & qui donne fon nom a toute la ville. Ce chateau eft moderne, Tanden fut détruit par une incendie & rebati dans les anne'es 1743. & fuivantes. C'eft un batiment aflez fingulier, trois rangs d'architedure le decorentf Tordre Yonique, le Cariatide, & le Corinthien. Ces trois ordres font pofe's fur un grand foubaffement brut, fait en forme de cavernes. II eft plus grand que celui de Coppenhague 5mais dans 1'interieur, il n'eft ni ü beau, ni fi magniriquement meublé. Je ne connois rien de fi intéreffant que 1'arfcnal, par raport h la quantite prodïgieufe de tropbées de toute efpèce dont il eft rempli; ceux dé la fameufe bataille de Nar va, remplilTent feuls une falie entiere; 1'dprit y eft d'abord frappé de 1'efpèce de gloire que Guftave Adolpfe, Charles Guftave, Charles XII, ont acquis a la nation en leur procurant tant de monumentsde leur bravoure, mais bientöt ce fentiment chimerique fait place a un autre plus reël. Le cceur faigne, en penfant que tous ces drapeaux, ces étendarts, ces tymbales , s'ils font autant de temoins de vicïoiies, le font en'même temps d'événements qui ont couts des tréfors que la Suéde ne recouvrera plus, & bien pis encore du fang & des hommes dont la perte ne fera jamais re- PArfena].  parée , & qui ont entrainés avec eus une dépopulation irréparable, fur tout les victoires de Charles XII. Malgré cela je n'ai pu y voir fans vénération la peau remplie du chevd que montoit Guftave Adolpfe lorfqu'il fut tué a la battaille de Lützen. J'y vis auffi , 1'habit, le chapeau, lesgants, le fabre, le ceinturen & les bottes qu'avoit Charles XII, ]0rfqu'un coup meurtrier foit de 1'ennemi foit d'autre part mit fin a fa héro'ique carrière; 1'étoffe de 1'habit eft fi mauvaife, que nous ne la trouverions maintenant pas afiez bonne pour un Carporal. Les taches de fang au gant de la main droite & au ceinturon prouvent qu'il porta cette main d'abord a la bleflure, puis a la garde de fon epée. Je vis dans eet arfenal un monument d'une autre efpèce & qui m'infpira un fentiment d'admiration bien différent : c'eft une chaloupe bdtie a Sardam des propres mains du Czar Pierre le Grand, prife par les Suédois lorfqu'elle étoit en chemin pour être tranfportee a Petersbourg. Ne trouvés-vous pas queTefpèce de héroïfmequi infpira ce Prince lorfqu'il fut dans les pays étrangers pour rafTcmbler des materiaux propres a civilifer un peuple.farouche, a la tête duquel il ne fe fentoit que pour lui faire prendre rang dans la clafic d'êtres raifonnables, eft d'un genre a mériter plus d'admiration, que celui  < 95 ) qui engage les foit-difant heros a faire des conquêtes, oü ils n'e'pargnent ni les tre'fors de leur pays, ni le fang de leurs fujets. J'éprouvai un fentiment de refpect en entrant dans une falie oü tous les Rois , depuis Guftave Vafa ou Premier, e'toient repréfente's en grandeur naturelle, arme's de pied en cap, chacun fuivant le coftume de fon temps, «Sc monté fur fon cheval favori, dont on a confervé & empaillé la peau. Cette cavalcade eft fingulière, «Sc d'autant plus intéreffante qu'on prétend que les vifages relTemblent, ayant tous éte' moulés fur les originaux , après leur mort. Vous vous rapellés fans doute d'en avoir vü une a peu prés pareille a la tour de Londres avec cette difference, que les chevaux font de bois & qu'ils ont e'té faits en hollande. On me montra dans un autre apartement les difFérentes pieces, — comme habits , felles, mords, «Sic. qui ont fervis aux divers couronnemens depuis des temps immemoriaux; de la vous concluërés a jufte titre que j'y vis quantite de gue'nilles & beaucoup d'antiquailles. Parmi toutes les Eglifes de Stockholm, ü n'y en a point de fi belle que la Cathedrale d'üpfal, dont je vous parlerai en Ton lieu, fi 1'on en excepte la chapelle du cha-  ; ( 94 ) teau qui eft grande & riche en marbre. . Elles font en general remplies de beaucoup de rnonuraents; les plus remarquables & ceux qui m'ont fait le plus de plaifir font celui de Defcartes dans 1'Eglife de Sr. Claire «Sc celui du célébre general Stemboek. Les Rois «Sc Ia familie royale font tous enterrés dans 1'Eglife des Chevaliers fituée dans rille des Chevaliers (Ridderhohn) un des quartiers de la ville. Guftave Vafa repofe dans la cathedrale d'Cpfal oü on lui a erigé un fuperbe monument. La maifon de 1'Opera eft un batiment niagnifique, tout neuf «Sc pour lequel rien n'a e'té épargne', on dit la troupe trés bonne; Je n'ai pu en juger , parcequ'on ne donne aucune repréfentation en éte', a mbins de quelqu'événement extraordinaire, j'en ai entendu chanter le premier Afteur au concert Public de Coppenhague. II fe nomme Kaften; c'eft un bel homme qui joint a une voix agre'able , du goüt & beaucoup de mufique il eft ne' en Suéde. J'ai afiW k la Comedië Francoife avec bien du plaifir. Le Roi fait beaucoup de dépenfe pour avoir des bons fujets: le premier Acleur fe nomme Monvel, vous ,e> connoftrés fans doute de réputation par difFerentes pieces qu'il a compofées, fa figure n'eft pas preVenante, mais fes talens  C 95 ) font oublier fa laideur. II eft en grande faveur auprès de Sa Majefte' qui 1'a nomme' fon lecteur. II a la permifiion de porter 1'habit de cour, j'y vis auffi notre ancienne M!!e Prevot: vous vous rapellere's fans doute de lui avoir vu jouer a la Hayc avec beaucoup d'aplaudisfement le premier röle dans le tragique, aufll bien que dans le comique; ici elle fait les röles de Meres, tandis que fon mari Mr. Baptifte joue du Violoncelle a l'Orcheftre. Si 1'on ne m'avoit pas averd que c'e'toit elie, je ne 1'aurois jamais rcconnuë tant elle eft devenuë graiïe & puiffante ; cependant lorfqu'on me 1'eut dit, je me remis fa phyfionnomie prefque perdue dans un abime de graiffe. Ils ont une fille qui raflemble les talens de la Mere pour la re'préfentation & ceux du Pere pour la mufique , auxquels elle joint une aptitude extraordinaire pour la danfe; c'eft bien domage que tout cela n'eft pas, releve' par un beau vifage, car malgré qu'elle eft bien faite elle eft un monftre de laideur. Peu de temps avant mon arrive'e Ml,e Baron, qui quita le the'atre de la Haye, il y a environ trois ans eut le malheur de tomber en voulant e'viter un caroffe , les chevaux la foulerent tellement qu'elle en mourut quelques jours après , malheur d'autant plus terrible, qu'elle ëtoit fur le point de faire une fortwne éclatante par des arran-  (96) gcmcns qu'elle avoit jprife avec un trés grand fcigneur. La Salie de la Comédie Francoife eft mauvaife, elle me rapella celle de notre cher Cafuariftraat. Le théatre national eft affez joli, on en dit les Acteurs bons, mais faute d'entendre la langue, je n'ai pu enjuger; la première Actrice eft une Danoife nommée WaU ter, filie d'un fimple matelot & élevée a Coppenhague dans la maifon d'un particulier; elle eft jolie & elle avoit nombre d'adorateurs; qu'elle fe plaifoit a tourmenter par fes caprices de different genre. On m'a raconte' une iinguliere anecdote a fon fujet. Elle ne fe trouvoit pas affez payée en raifon de fes talcns «Sc follicitoit une augmentation de penfion : un jour qu'elle en avoit parlée au Roi un peu plus vivement qu'a 1'ordinaire, il icpondit d'un ton trés fee , qu'il ne lui accorderoit jamais fa requête, & qu'elle devoit fe contenter de fa paye, telle qu'elle e'toit. ■ Eh bien je demande donc ma demijjioni ' ■ Vous n'aure's ni 1'un ni 1'autre. ■ . Oh alorsje m'échapperai & fortir-ai du pays, pour n y jamais plus' remettre les pieds. , C'eft ce que je voudrois bien voir , il n'eft pas fi aifé,de fortir de mon royaume quand je ne le veux pas. - Peu de temps après, malgré fes furveillans, elle trouva moyen d'e'chap- per  (97 ) per & h la derniere pofte elle e'crivit dans le ■Dagbok qui Mi fut prefente' par rinfpec~teur; Sire il eft bien 'plus aifê de fortir de vótre royaume que vous ne vous ' imaginé. Elle donna ordre d'envoyer ce Dag-bok au Roi •, cffecYLvement, pour la rarete' du faitonle luipre'fenta. Elle paffa en Dannemarc, vint excrcer fes talens a Cöppenhague oü elle étoit connuë,' &y fut trés goutée. Elle s'y feroit fixée;mais le Roi, après que fon premier depit fut paffe, lui fit des propofitions pour revenir. Au commencement elle fit la fiere, mais enfin après avoir obtenue la fomme demandëe, elle retourna a Stockholm , pour y jouïr de fon thriomphe & des applaudiflemens qui 1'attendoient. Outre ces trois fpectacles, il y en a encore un quatrieme, analogue a ceuxdes boulevards de Paris; on n'y jouë que des fcenes. détacbées, des petits Operas & des farces. II ne fubfifte qu'en e'te'; les A&eurs font tire's de la troupe Francoife , & ce font les feconds qui, y rempliflent les róles. C'eft a un coin de la ville, dans un grand Jardin, au milieu du quel eft un pavillon, oü fe donne ce fpectacle. Ce pavillon fut bati par la Reine Chriftine ;qui *>'y divertiflbit, dit-on, en fecret avec fes favoris, & comme originairement il a éte' confacré aux plaifirs, on ne veut point qu'il de-» genère de fa première inftitution. On y amuG  Academi desScien CCS. C 95 > fe le public deux fois par femaine aux jours de yacance du théatre. Le beau monde fe raffemble vers le foir dans ce Jardin pour y jouïr de la promenade, lorfqu'on eft fatigué on va fe repofer au pavillon oü pour fon argent on peut avoir des .'rafraichiflemens de toute efpèce , entendre chanter quelques airs ou voir jouer quelque fcene réjouïfiante. 3 Vous favés qu'il fe trouve en Suéde une ■ Academie des fciences qui réfide a Stockholm , elle fut fondée en i7S9, fi vous en connoiffés L>s mémoires , vous verrés qu'elle s'occupe beaucoup, de tout ce qui peut contribuer au bonheur de fa patrie, comme s'exprime 1'excellent tradufteur (*) de ces memoires, mais principalement de Tagriculture «Sc de ia mechanique', deux branches de fciences d'une néceffité abfolue dans.ce royaume. Le peu de progrès que Tagriculture y a faite pendant des fiécles oü des guerres continuelles en depeuplant le païs ont laifiës les habitans dans une efpèce de barbarie a eet égard , rend abfolument nécefiaires les foins que 1'on prend pour la remettre en vigueur; déja depuis quelques années on en voit naitre les plus heureux effets; plufieurs particuliers encouragés par les feUM V Kao"er Pr°fe famitierement avec tout le monde, il fréquente les aflemblées de la nobleffe & même celles de la bourgeoifie, il fait des vifites comme un fimple particulier, «Sc prétend dans ces occafions qu'on ne falTe pas plus de cérémonies avec lui qu'avec un autre. La Cour eft fort brillante » le Roi n'épargne rien pour la rendre telle; il paroit furtout aimer les grands fpedtacles. On fait aftuellement les apprets d'un opera dont il a donné le cannevas, fur lequel on a compofé une piece intitulée Guftave Vafa\ le célèbre Nauman maitre de chapelle de l'Eleóteur de Saxe en a compofé la mufique, & un peintre venu exprès d'Italie en peint les décorations. La Reine eft une grande «Sc belle femme; elle ale teint blanc, les yeux bleux, les cheveux blonds, en un mot, c'eft une beauté Danoife; elle ne reflemble en rien au Roi de Dannemarc fon frère. Comme elle ne voyoit perfonne pendant 1'abfence du Roi, je ne pus avoir 1'honneur de lui être préfenté, mais je la vis è la comédie entourée de toute fa cour en coftume national; plufieurs fois je Tal rencontrée a la promenade, elle n'étoit accompagnée que d'une feule Dame «Sc fuivie d'un Laquai, elle m'a parue tres affable «Sc elle eft fort aimée. Je fus prefenté au Prince Royal , enfant alors de 7 ans, extrêmement fluet, mais qui me parut  C 108 ) bien e'lèvé &-'avance' pour fon age; 1'habillement Sue'dois lui alloit a merveille. II m'adrefla la parole en franco's. Son Gouverneur Mr. le Baron de Sparr eft un.homme trés poli , & qui paffe pour avoir toutes les qualite's -requifes a 1'e'ducation d'un jeune Prince deftine' au tróne. L'on regrette beaucoup le petit Prince decedé Tannée derniere, il étoit plus robufte que celui - ci, maintenant le feul efpoir de la nation; le Duc de Südermannie n'ayant pas d'enfans, & le Prince Fréderik n'étant pas marie'. Je ne vis point ces deux frères du Roi, ils étoient en voyage dans 1'inte'rieur du pays. L'habit de Cour eft noir, rélève' avec du fatin couleur de feu pour les hommes & pour les Dames. Les jours de gala tout le monde eft en fatin blanc & couleur de feu; tous ceux qui ne vont pas a la. cour , ou qui n'y font pas prefente's portent la couleur qui leur plait; au refte aucune'dame a Stokholm porte l'habit national, excepté celles qui vont a la'Cour, c'eft-a-dire les Dames de la nobleffe oü celles qui y font prefente'es en vertu des emplois de leurs maris; toutes les autres font habillées a la Frangoife, ce coftume eftle même dans.toute la Suéde; il n'y a que les hommes qui partout :portent 1'habillement national, les femmes ne 1'ont point adep-  'c i sji tees, ou fi elles 1'ont adoptécs dans le coniti inencement, elles ne le portent abfolurnent plus I & fe moquent de Tordonnance. II y a quelques promenades publiques k Stok- p i holm, oü le beau monde fe ralTemble le foir d ; pour y jouir de la fraicheur; outre le jardin i de la Reine Chriftine, dont je vous aiparlé, ; 'il y en a un autre qui eft trés beau : de grandes alle'es de tilleuls forment des magnifiques berceaux, fous 1'ombre defquels une infinité de gens de toute efpèce vont & viennent fans diftinólion de rang; ils y favourent 1'agre'able | ödeur qu'exhalent les parterres de tous les '. genres de fleurs qui bordent ces alle'es; plufieurs I bofquets touffus offrent ure retraite a ceux qui ennuye's de la foule veulent jouïr d'un moment 1| de liberte' & y entendre le gazouilkment des i oifeaux, qui s'y trouvent en multitude. Ils y font les mêmes qu'èn Hollande, excepte' le rolfignol, qui ne paflè pas Ia Scanië, & qui même ne chante point dans'cette province aVec cette vigueur avec laquelle il chante dans les pays plus rhéridionaux. Au bout de la ville dans Tenceinte des Fauxbourgs eft une petite maifon de plaifance, appartenante au Roi; fa fituation eft extrémement agréable, elle eft aux bords d'un canal qui èondüit au lac Maler, & les bois dans lef- romenags pubkues.  ( no ) quels on a menagé des promenades charmantes & des points de vue intérefiants, procurent un agrément infini a ceux que le plaifir d'y jouïr de la belle nature y attire; eet endroit s'appelle Carisberg, & le Roi en permeÊ Tentrée indifféremment a tout le monde. Je ne dois pas oublier de vous parler d'un fuperbe Pare qui fe trouve aux portes de Stockholm, & qui procure aux habitans de cette ville 1'agrément d'une promenade fort intéreffante; il eft aux bords d'un des canaux des Scheeren. Entre les beaux arbres qui y croiffent on jouït de la vue de quantité de vaiffeaux entrants ou fortants du port, qui doivent doublet les pointes redoutables des Ifles qui compofent les Schéeren; plufieurs auberges y procurent au public la commodité de s'y repofer, on y trouve toute efpèce de rafraichiflemens, ceux-mémesquifouhaitent d'y paffer la journée peuvent y diner: Ce pare eft vafte; il eft planté d'arbres de toute efpèce, dont les racines cherchent leur nourriture' dans 1'entredeux des rochers. Dans i'enceinte de ce pare eft un pavillon, ou plutót une petite maifon de plaifance, dont le Roi a donBé 1'ufage a Mr. de Sprengporten, le même a tout au plus qu'un grand quart de U'euë de laree cependant lorfqu'il fait beaucoup de vent ou que le temps eft mauvais, cette petite navigation excite fouvent la mauvaife humeur des nmiftres étrangers & des autres perfonnes, lui font obligées d'aller une counle de fois paJ emame faire la cour a leurs Majeftés. L'on na dit qu'on alloit travailler a la conftruétion iun pont qui épargnera cette navigation, ou:rage d une trés grande entreprife, puifqu'i. audra faire des digues pour aux, tres profondes dans eet endroit & faire  C 113 5 faire fauter des rochers pour aplanir le chemin qui conduira a ce pont, &c. Ce chateau eft fort beau; outre plufieurs apartemens richement meublés, il renferme une belle bibliothe'que, un cabinet d'hiftoire naturelle, un de medailles antiques «Sc modemes , une colleftion d'antiquités trés pre'eieufe «Sc plufieurs bons originaux des meilleurs peintres Italiens, Flamans , Hollandois, «Sec. Le tout a e'té rafiemblé par feu la Reine - Mere , fceur du grand Frederic , Princefiè qui joignoit 1'e'levation de 1'ame, héréditaire dans la maifon de Brandebourg , au goüt des arts «Sc a 1'étude des fciences; elle a fait beaucoup de dépenfe pour fe procurer en différens genres des colleótions tres belles «Sc trés complettes. Cette PrinceiTe inftitua une Academie de belles lettres qui pendant fa vie tenoit fes féances a Drotningfcolm. Les Jardins font aflez bien arrangés, mais il y regnc un peu trop de regularité; ils font vaftes «Sc contiennent quantité de belles promenades , l'on y remarque furtout un quartier nommé Canton; tout y eft arrangé a la chinoife. Un grand pavijlon entouré d'une douzaine de petits, a 1'air d'une habitation de Mandarin ; il y a des Salles de jeu, de fouper, de danfe, de repos, H  ( K4) en un mot, chaque pavillon k fa deftihation. Dans un des petits fe trouve une forge complette avec un attelier & 'tout ce qui en depend; le feu Roi y venoit fouvent avec quelques uns de fes favoris , exercer le metier de Serrurier qu'il aimoit beaucoup, & dans lequel, on dit, qu'il excelloit. Tous ces pavillons , excepté celui dont je viens de faire mention, font meuble's de tout ce que la Chine a jamais 'produit de plus beau. Le Roi y donne quelquefois des fêtes & alors pages, valets de chambre, laquais tout eft habillé a la Chinoife. Ce qu'on'doit le plus admirer a Drotningholm; c'eft le contrafte lingulier des rochers les_ plus incultes qui 1'entourent, avec les beaux arbres & les belles fleurs qu'il renfermc. Je fuis, &c.  LETTRE DIXIEME. Coppenhagüe ce ... Novembre 1785; M . . . ']F ya ville de Stockholm renferme d'excellens j; jétabliflemens , «Sc qui font honneur a 1'humaniIf té: elle contient deux maifons d'orphelins, & une d'enfans trouvés; les deux premières torent fondees en 1732 «Sc 1755 aux depens 1 ,de la ville «Sc la troifieme en 1753 par les 1 francs-macons; une maifon deftine'e a 1'ino1 culation gratuite, deux autres pour les acj couchemens ; 1'une de ces deux fut fondée en | I774,parle medecin Ramflrom a fes propres depens ; la focicté patriotique penetrée des avan; tages qui peu vent en réfulter pour 1'Etat, fe i chargea peu après de fon entretien. Le Magiftrat a imité un fi bel exemple, il a fondé la feconde, on y recoit un certain nombre de fcmmes enceintes qui y font foigne'es «Sc nourries pendant tout le temps de leurs couches, on y a également foin des enfans nouveaux nes, fi les naeres font hors d'état de les nourrir elles - mémes. Outre ces établiffemens, il en H 2 ( 115 >  C n5 > exifte un autre dont les vues louables aurquelles on en doit la fondation, ne fauroit être affez appre'cie'es : je veux parler du College de Medecine que le gouvernement a établi en 169 8; ce college compofé d'un Préftdent de fix Affeffeurs, de trois Profeffeurs, de deux Adjoints, d'un Sindic & d'un Secretaire, réfide dans la capitale; quarante medecins fubordonnés a ce college font répartis dans differentes provinces oü ils font chargés de foigner les pauvres gratis ; ces medecins font gagés par 1'état , qui paye aulïi les medicamens «Sc en general tous les fraix que les differentes maladies peuvent occafionner: les fonds néceffaires è cette depenfe fe trouvent dans une légere retribution du public fur chaque Kanne de vin ou d'eau de vie, qui fe confume 6c fur chaque livre de caffé, qui paffe par la douanne; Je ne dois point paffer fous filence 1'établiffement formé en 1774, e" faveur de ceux chez qui des plaifirs illicites font fuivis d'un cruël répentir. Mr. Halman un des médecins de la Cour s'eft chargé de guerir gratis ces efpèces de maladies «5c trois Apothicaires fe font engagés a fournir les medicamens néceffaires, au prix qu'il les ont payés eux-mêmes. Outre ces differens établiffemens dont je viens de parler, Stockholm renferme encore des hopi-  I C "7 ) i ta»x pour des malades, & quelques maifons" | de charité. i' Les reflexions que vous faites au fujet de I 1'hofpitalité des Sue'dois ne fauroient être plus | juftes; ce païs a caufe de fon local, fafituaI tion, fon climat &c. n'eft pas fait pour deve1 nir le rendez-vous d'un grand nombre d'étrangers,ni lepaiTage de beaucoup de voyageurs; un curieux qui voyage en Suéde uniquement pour y voyager & pour connoitre le pays eft un phenomene, qui s'y voit trés rarement: ainfi comme vous le remarquez trés bien, on e*ft fort peu fujet en Suéde a être la dupe d'avanturiers ou d'efcroes, & la défiance n'a pu detruire 1'hofpitalité , qui parck être une vertu primitive de 1'homme. Ce qu'il y a furtout : d'agréable dans ce pays, c'eft qu'a 1'hofpitalité ; commune a toute la nation, les' gens de diftindtion ajoutent beaucoup de politefie, des manieres aifées «Sc un ton fort agréable. Quant a ce que vous dites: Que vous n'air. meriês pas a voyager dans un pays auffi defert i 6 auffi Jlérile, vous avés eh vérité la plus grande raifon du monde, rien de plus tédieux ni de plus défagréable a la longue que ces immenfesforets de fapins; au premier coup d'ceil la hauteur prodigieufe de ces arbres , mêiès de bouleaux d'une grofieur étonnante & la largeur des routes a travers ces énormes forê'.s , frapH 3  C "8 > pent l'imagination; mais & la longue, la monotonie de la même verdure & la foinude qui y regne infpirent 1'ennui & la melancholie; de temps en temps on fe fent un peu ranimé par des vuës extrêmement pittorefques, que la variété' des bois , des lacs, des rochers & des rivières procurent: mais, la plupart du temps ces vuës font ü fauvages & fi dépouillées de toute habitation , que l'on fe croit feul dans le monde, & cette variété même a jou te encore a la triftefie qu'on refient. Quoique ces forets, furtout celles de la Datecartie, abondent en betes fauves, je n'en ai cependant vu que fort peu; les Elans, les Ours, les Renards, fe tiennent dans les endroits les plus écaftés & les plus inacceffibles aux chafleurs qui leur font fouvent la guerre; j'y ai rencontré deux fois des renards a moitié blancs & quelques lievres de la même couleur; quelquefois auffi j'ai vu de loin des troupes de Cerfs & de biches paitre entre les triftes troncs des.fapins & fe nourrir de la moufie, feule verdure qui croit fur ces fteriles rochers. Je partis de Stokholm Vendredi— Juillet è * heures, après avoir préalablement diné eirez Mr. V. . . D. . . B. . . qui eut la poiicefle de me faire conduire dans fon équipage jusquej hors des barrières de )a ville, afin d'eVüer des formalités toujours ennuyantcs peur les Voyageurs.  C "9 5 Je fuscoucher a Upfal {Upfala) Capitale ( de 1' Uplande, réfidence du gouverneur de cette , province & célèbre univerfite'. Cette ville eft a 7 milles de diftance de Stokholm; je fis ce trajet a travers un pays bien cultive', & oü il croit les plus beaux grains, principalement de 1'orge & du fcigle; j'y arrivai a onze heures du foir, au moment qu'un Orage épouvantable commencoit a gronder, & que j'evitai heureufement en arrivant a temps a 1'auberge, oü je trouvai un bon lit &*un bon fouper,. graces aux foins de Mr. V. . • B. . . B. . . qui avoit eu 1'attention d'y envoyer un exprès afin que j'y fuffe bien traite'. Monfieur Mufchin Puskin, miniftre de Ruf» fie en Sue'de, que vous ave's eonnu a la Haye, Sc dont le nis a e'tudie' a Upfal, m'avoit donné des lettres de recommandation pour Mr. Menanderhielm , profefteur en aftronomie ; j'cn avois de Mr. Wahrendorf, de Mr. Grill & d'autres pour le profefteur Linnaus fils du ce'lèbrë Linnmis, pour Mr. Afzelius démonftra-teur en chimie Sc pour le bibliothecaire Mr. Viknius. En entrant a Upfal je ne pus me défendre d'un fentiment de plaifir, de me trouver dans un endroit oü le fameux Linnisus avoit rcfidé, & d'oü fcn favoir bothaniquc avoit répandu comme d'un centre,- fes rayons lumiH 4 Province P Uplanie. Jpfal.  C 1=0 ) neux fur la furface de la terre. Un petit fentiment patriotique s'en mela; je me rapellai avec complaifance, combien ma patrie avoit contribueë a perfecïionner le favoir de ce grand homme; je fentis la reconnoiffance que les Suédois en general & lüniverfité d'üpral en particulier doivent au fameux Boerhave fous lequel il fit une étude aprofondie de toutes les plantes & de tous les fimples qui croiffent en hollande; ainfi qu'a Mr. Clifibrd qui contribuafi généreufement a'lui procurer les occaiions & les aifances neceiTaires a cette étude; je me perfuadai que cette reconnoifiance préparoit d'avance un acceuil favorable a tout hollandois, qui arrivé a Upfal. Le lendemain de mon arrivée je n'eus rien de plus prefle' que d'envoyer mes lettres a leurs adreffes en faifant demander, a quelle heure il me feroit permis de faire ma révérence a ces Meffieurs. Le fils de Mr. Menanderhielm & Mr. Afzelius vinrent un moment après, le premier pour me dire que fon père étant indispofé avoit profité des vacances pour prendre les eaux minérales a Saterbron, dans les monfagnes de la Dalecarlie; qu'en fon abfence il yenoit s'offrirpour me rendre les fervices, que j'aurois pu attendre de lui. Mr. Afzelius fort poliment me dit auffi que je pouvois difpofer de fa psrfonne; jacceptai leurs oflres avec  ( 131 ) plaifir, ils commencerent par me mener b. la bibliotheque, après avoir envoyé un meiTage a Mr. Vilenius bibliothecaire avec rang de prcfefieur; celui-ci vint a ma rencontre, «Sc me 1 mena dans deux grandes Salles ou la bibliotheque eft depofee. II me dit qu'elle conlïftoit en 40 mille volumes, «Sc que la clafle la plus complette e'toit celle de la Philofophie; aux deux bouts de ces Salles font pofe'es les ftatues de Guftave Adolphe «Sc de Charles XI, principaux reftaurateurs «Sc protecteurs de cette Univerfite', qui fut fondée en 1478. Guftave .Vafa lui accorda plufieurs privilèges & y attacha des fonds, elle tomba en decadence fous les règnes fuivans, jufqu'a Guftave Adolphe qui la relèva & qui lui fit prefent de toutes les bibliotheques fruits de fes vi&oires, «Sc qu'il fit toujours épargner dans les villes que fes arme'es faccagerent; Charles XI lui accorda encore quelques be'néfices «Sc privileges. J'y vis un grand coffre rempli de manufcripts; il en renferme un qu'on eftime beaucoup ; c'eft le Code argentin, ainfi nommé ? paree qu'il eft e'crit en lettres argentéts fur duparchemirï-, il date duquatrième fièele; c'eft une tradudüon en langue Go:hique des quatre Evangeliftes par 1'Evêque Ulphihis; parmi ces manufcripts on conferve le journal du Roi Eric XIV, fils' de Gufiave Vafa ; ce maiheurcux H 5 Biblioleque.  C 122 ) - 'Prince qui rnourut en prifon au chateau de Gripshotm empoifonné par fon frere étoit fort fuperftitieux, même jufqu'a la demence; auffi voiton dans ce journal è la tête de chaque jour de la femaine quelques fignes du Zodiaque & pufieurs caraétères hiéroglyphiques. On me rnontra le premier livre qui fut imprimé £Q Suéde, 1'année I483; fon y conferve auffi une armoire faite a Ratisbonne, dont cette ville fit prefent a Guftave Adolphe, elle eft trés bien travaillée en marqueterie, vu le temps ou elle fut faite, elle renferme une belle Agathe artiftement peinte des deux cótés & plufieurs curiofités, plus dignes de la fachriftie d un convent, que d'une bibliotheque d'univerfite; telles que la bourfe de Judas, une des pieces d'argent qu'il recut pour trahir nötre Seigneur, des^pantoufles de la St. Vierge &ctémoignant au bibliothecaire ma furprife de' trouver de pareilles reliques dans un endroiï comme celui-ci, il m'avoua en riant que la chófe étoit effecnvement ridicule; mais dït-Ü comme elles ont été données avec 1'armoire on ne peut pas bien les feparer; il tira auffi d on petit tiroir de cette armoire un noyau cerife éyüidé, dans lequel étoit renfermé un Caroffe a fix chevaux, avec cocher, pöffiffdrf, laquais & deux perfonnages dans la voiture' ouvragè fait en ivuire par le fameux eér.éral'  C "3 ) Banér (*), cequi prouve que les grands talens de la guerre, ne font pas incompatiblcs avec ceux qui pcuvent amufer dans la folitude d'une vie privée. Un cabinet de medailles, monument complet de 1'hiftoirc de Suéde ornc ces Salles, & parmi plufieurs portraits, on y diftingue celui de 1'Archevêque Troile un des plus grands antagoniftes de Guftave Vafa. De la bibliotheque je fus a l'Obfervatoire; Mr. Profperin qui jouït du titre d'Obfervateur en a la dire&ion pendant 1'abfence de Mr. Menaderhielm; jamais obfervatoire ne peut être plus mal fourni que celui-ci. Une pendule de Graham, un quart de cercie, un telefcope grégorien & une lunettede Dolond de 20 pieds de longueur font les feuls inftrumens qu'on y trouve, fi l'on en excepte trois tubes de fer blancs, qui ont fervis a Meffieurs de Maupertuis, Celfius, Outhier &c. lorfqu'ils furent a Torneo pour faire la fameufe opération de la mefure des dégrés du Meridien , 61 qu'on conferve a leur mémoire. Je ne pus m'empêcher de voir avec intérêt ces inftrumens qui ont 20 a 30 pieds de long & quifervirent a ces grands hommes pour une opération auffi pénible qu'intéreffante. Mes deux condufteurs me menérent er.fuite £*) Nous prononcons Banier, 'Obfervatoire. Jar.lin botr.aaicue.  C 124 3 chez Mr. Linnaus (*), 4 qui je prsTemai ma Jettre; il me recut avec beaucoup de politeffe, me mena dans fon jardin, dontil me dit que .'arrangement étoit exaftement le même que du vivant de feu fon père. Je ne fuis pas affez connoiffeur pour juger jufqu'a quel dégré de perfeólion la colle&ion de plantes y eft pouffée, mais comme elles font encore toutes reftées du temps du fameux profeffeur, la collection n'en peut-être que trés précieufe! II faut infiniment de foin pour les conferver; & quantite' de plantes qui chez nous fuportent le grand air, demandent ici des ferres, & dans ce climat froid n'en fortent jamais. Ce jardin eft entierement arrangé a la hollandoife, entouré de tilleuls & divifé par des iayes fort proprement tondues: il eft environ une fois plus grand que le jardin bothanique, que vous avez a la Haye. Je ne vous dirai pas grand chofe du profeffeur Linnsus aétuel: il fut en Hollande il y a deux ans & vous pouvés 1'y avoir vu. II paffe pour n'avoir ni les talens, ni le genie de feu fon père, en revange , il a une fceur qui fe diftingue dans 1'étude de la bothanique ; elle a publiée quelquesunes de fes obfervatioris, qu'on eftime beaucoup. C*j II en mort dans fe courant de Ia même année.  ( 125 5 Pres du jardin bothanique eft le Cabinet d'hiftoire naturelle, qui eft en grand defordre & trés mal fourni. • On regrettoit beaucoup Mr. Bergman pro; feffeur en chimie qui eft mort 1'année derniere: c'étoit un favant du premier ordre & les Suédois fe glorifient d'avoir poffedés un homme de fon favoir; on me permit de voir fon cabinet qui exifte encore & qui eft trés curieux; Mr. le profeffeur Menancïerhielm jouït auffi d'une ; grande re'putation, j'ai fait enfuite fa connoifi fance a Saterbronn, oü il prenoit les eaux. Lorfque je fus a Upfal on y comptoit 7 a 8 cent e'tudians, parmi lefquels fe trouvoient beaucoup de Ruffes; le nombre des e'tudians y varie comme dans toutes les univerfite's du monde, & depend de la ce'lebrité des proli fefièurs, qui y font attachés. Vous favés qu'il y a trois univerfite's ei Suéde, dont celle-ci eft la principale; le deux autres font Abo dans la Finlande , S Lund dans la fcanie; cette derniere eft parti culièrement renommée pour 1'étude de la théo logië , comme j'y ai été, je vous en parlerc plus au long, lorfque mon journal m'y aui conduit. Si Upfal eft célèbre pour la fource oü l'o peut puifer le germe des fciences, elle n'ei Cabinet d'h.'ftoire naturelle. Cabinet de Chimie. 1 3 i a 1 A.ntiq\iir tés.  ( 125 ) pas moins fameufe pour les antiquite's qu'elle renferme dans fon enceinte, ou qui fe trouvent dans fes environs. Vous favés que dans les temps reculés cette ville fut la réfidence des Rois jufqu'au 13e. fiecle. On voit fur une petite hauteur dans un coin de la ville les reftes de 1'ancien palais, ces ruines qui n'ont pas la magnificence, encore moins 1'élégance de celles de la grèce, atteftent cependant que ce palais fut d'une circonference trés grande & que pour un temps & un pays alors également barbares, il doit avoir été fort beau dans le gout gothique. Une incendie acheva d'en dé* truire une grande partie au commencement ö> ce iiecle; on en a rebati un cóté en pierres; il fert de logement au gouverneur de Ia pro-' vince & contient des caves oü l'on a établi les prifons. La Cathedrale eft un batiment qui a tous égards mérite 1'attention des curieux ■ c'eft ]a plus belle églife de la Suéde: autrefois les Rois s'y faifoient couronner; maintenant ils ne le font plus; Ia Reine Ulrique Eleonore, fceur cadette de Charles XII fut la derniére qui y fubit cette cérémonie, & je prince Frederk & HeJJe fon époux fut le premier qui fe fit couronner a Stokholm. Parmi la quantite' de tombemix qui décorent cette églife on y remarque  ( 127 ) celui de Guftave Vafa ou Premier; il eft reprefente' couche' de fon long en habit a 1'antique; fes deux premières femmes font a fes cóte's (*); on y voit encore le tombeau du fameux chancelier Oxenftiern, celui de Catherine de Jageüon fille du Roi de Pologne, époufe i du Roi Jean III fils de Guftave Vafa. Les eendres d'Eric IX dit le Saint re'pofent dans une chaffe d'argent reprefentant la Cathedrale; elle eftplace'e au cóté droitdel'autel derrière une I grande grille de fer. II fut tué dans une ba|. taille qu'ii livra aux Danois tout prés d'üpfal en 1160. II fut d'abord enterre' a Gamte Up~ fala, dont je vais vous parler; enfuite on le tranfporta dans la Cathedrale d'üpfal oü II l'on de'pofa fes os dans cette chafle. On me 1 montra un vieux tronc d'arbre qui refiembloit plus a une mafliie qu'a une ftatue, cependant j on m'aflura que c'e'toit celle d'Odin, adoré enfuite fous le nom du Dieu Thor. Ce morceau de bois au haut duquel eft fculpte' quelque chofe, qui reffembte a un vifage, fut aporté ici après être tombé de la niche dans laquelle il étoit placé a la tour de 1'églife de Gamte Upfala. (*) Catherine, fille de Magnus Duc de Saxe Lauwenburg mère de 1'infortuné Eric XIV. Marguerite, démoifelle Saédoife de 1'üluftre maifon de leydahufwud.  Vieux: Upfal. ( IA* ) Je m'attendois a trouver quelque monument qui aiteftat la vénération que les Sue'dois ont pour feu le célébre profeffeur Linnasus, mais je fus trompé dans mon attente, je demandai a mon conducïeur, ou étoit le tombeau de ce grand homme; Le tombeau, me repon- dit-il; il n'en a point, on 1'a enterré quelque part dans cette églife, mais je ne fais pas 0Ü; la deffus il fe mit a chercher de tout cóté & moi avec lui; nous luwes toutes les infcriptions qui fe trouvoient fur le pavé. Enfin nous découvrimes une pierre a moitié cachée par un banc, fur laquelle étoit gravé: Hic facet Linnens Profeter, ÖV. (*) fans car„aere ^ ftmétif.fans infcription rélative, niplus ni moins qu'un fimple bourgeois. J'avoue que' j'en fus un peu fcandalifé: Par bonheur, dis-je, il s'eft érigé Iui-même un monument par fes ouvrages qui feront immortels & de plus de durée, que le marbre qu'on auroit employé a lui eléver une ftatue. Gamte.Upfata, ou Vieux- Upfal, car Gamle veut dire vieux, eft a une lieue  C 141 ) prend au lieu de brandevin, des vins de lïqueur. 1 ^près le diner mon hóte me mena voir la forge & m'expliqua en de'tail & avec la plus grande'patience tout ce qu'il me faifoit voir, fous le nom de forge (fralfe brük) on comprend tout 1'tnfemble des batimens qui fervent aux differentes ope'rations , par lesquelles le minerai doit paffer, jufqu'a ce qu'il foit reduit en ce qu'on nomme la Gueufe ou gateaux; on y comprend auffi les maifons des ouvriers, ainfi que celles oü demeurentles officiers des-forges; ces batimens forment un village dont les ruës font tirées au cordeau & borde'es de deux rangs de beaux arbres 5 ce qui rend le village d'Ofterby qui peut contenir environ 2 mille habitans , un endroit charmant & trés riant. Les maifons des ouvriers font petites mais propreS, ils y demeurent avec leurs femmes & enfans, celles des officiers font plus grandes & font baties aux extrêmités des ruës. La maifon feigneuriale eft hors du village a une demi portée de fufil, elle eft de bois, ainfi que toutes les autres, mais d'une grande apparance & fur un foubafiement depierre; une belle coupole en orne le corps de logis. Une aile contient les appartements pour les étrangers & 1'autre une trés jolie églife; quelque plaifir que j'eus a confiderer les différens ouvrages de eette for-  C 142 ) ge, il ne fut pas comparafale k celui que je reffentis en admirant Ia bonhomie, la candeur & 1'amitié avec laquelle Mr. Pyll, s'entretenoit avee ces bonnes gens, & la confiance qu'a leur tour ils paroiifoient avoir en lui. Lorfqu'il venoit a leurs atteliers, ce n'e'toit pas comme un maitre, qui alloitvifiter fes ouvriers, mais comme un père qui venoit voir fes enfans. Je revins de cette promenade 1'efprit & le cceur rempli de ce que j'avois vu. Après le thé je fus voir couler la gueufe, opération qui fè fait a des temps marqués, c'eït le metal feparé de toute matière heterogene qu'on fait fortir en fonte du four dans lequel on 1'a jetté; au bas de ce fourneau eft un trou qu'on ouvre & d'oü il fort comme un torrent de feu; on le recoit dans des formes faites defable, qui doivent être-extrêmement fèches ,^ parceque la moindre humidité les feroient éclater: avant de faire couler Ie metal, on en fait feparer la fchorië qui n'eft autre chofeque les parties grofiïeres & hetérogenes du fer qui s'élevcnt en écume bouillonante au deflus du métal liquide; un trou fabriqué au fourau-deflus de celui par lequel doit fortir la gueufe fert a laifler palfer cette fchorië qu'on recoit dans des formes oü elle aquiert la figure de briques «Sc fert enfuite a la batiffe des maifons. Vers les fept heures nous revinmes  C 142 1 fiU logis: Madame Pyl qui aime Ia mufique ayoit rafiemblée chez-elle quelques voifins qui exécuterent un petit.concert, tandis que ceux qui n'avoient pas 1'oreille muficale pafle'rent dans une falie a cóte',. dans laquelle un biljard leur procura de l'amufcment jufqu'a neuf heures qu'on fe mit a table-, a dix chacun fe redra. ... . ,' „ . Le lendemain de grand matin je fus avec le confeiller des mines , dont je vous ai parlé , voir un ouvrage dont l'infpedtion lui étoit confiée C'eft une muraille qu'on va faire en terre entre la mine de Danemora & un Lac qui fe trouve a un quart de lieuë de diftance, & d'ou fort 1'eau, qui donne Ie mouvement a Ia grande rouë; l'on craint que ce lac ne perêtre xin jour a travers les interftices des rochers & ne fubmerge entièrement la mine, fi on ne lui oppofe un obftacle invincible; pour eet eflët ón a creufé dans les rochers , & tantót par le. moyen de la poudre, tantöt par celui des outils on eft parvenu a faire une excavarion d'uneprofondeur étonnante ; c'eft dans cette excavatjon qu'on veut placer Ia muraille qui fera faite de fchorië pilée, mêlée avec de la chaux;. voici la facon dont on.conftruit ces murailles:. on pile la fchorië & on la mêle avec de la chaux; puis elle eft foulée entre des planches, qui font placées en forme de doublé cioifen.  C 144 ? a Ia hauteur & h Ia diftance delirée; quand cette compofition eft feche on ote les planches , & la muraille eft achevée. Le jardin de la maifon feigneuriale eft entouré d'une parerlle muraille; Mr. Pyl me dit qu'on avoit commence' a faire ces effais depuis quelques armees & qu>ii paroilloit que la fchorië de fer etoitplusproprea eet ouvrage que celle de cuivre. Jereftai encore ce jour la & une partie du lendemain a Ofterby; je m'occupai a revoir une fecondefois les opérations des forges, dont je pns une note auffi exafte qu'il me fut pof«ble; j'aurois acCepté avec plaifir 1'invitation de mes hotes pour m'arrêter encore quelques jours chez-euX fi je n'avois pas confideré le grand voyage qui me reftoit a faire pour voir Jes mines de cuivre è Fahlun, celle d'argent a Sahla , Carlscrona «Sc tout le refte de la Suéde ou je n'ayois pas encore été. A quelques milles d'Ofterby eft une fonderie de Canons, appartenantea Mr. Wahrendorfi elle en a fournie une grande quantite' a notre République pendant la dernière guerre; je vis a Stokholm un officier de notre artillerie qui y etoit en commiffion poux les examiner & Jes re ce voir. Je partis d'Ofterby le troifième jour de mon amvée, comblé de la part de mes hötes d'hon»  C i45 ) d'honnêtetés que je n'oublierai jamais; ils pouflerent 1'atcention au point de faire placer a mon infcu dans la Cave de ma voiture quelques bouteilles d'excellent vin & me fournirent plufieurs bonnes provifions, qui ne me permirent pas de m'appercevoir pendant les premiers jours de mon depart, de la trifte chère des auberges. Après avoir encore dir.e' avec mes oblïgeans hótes & quelques-uns de leurs voifins, geris trés aimables, ga'is & fort bien élèvés, je partis pour Löffta terre & forge appartenante au Baron de Geer, pour lequel j'avois une lettre de recommandation; malheureufement il ne s'y trouvait point, il étoit allé voir fon frère dans des terres, que celui-cï poflede aux environs de Stokholm. Mais il eft temps de finir: dans ma première je vous parlerai de Löffta, en attendant je fuis, &c.  C 146 ) LETTRE DOUZIEMR Copenhague ce . . . Decembre 1785. M . . . A x avant d'arriver a L'öffla, il me refte avous dire encore un mot au fujet de la mine de Danyiemora, que je vous ai de'crite dans ma préeédente» Vous n'ignorés pas que la nature a enrichi ce royaume d'une quantité incroyable de mines de fer; des rochers entiers tant en Suéde qu'en Lapponie en renferment de pur & d'abondant: la plus riche de toutes ces mines eft celle de Dannemora ; elle donne fouvent 60 i pour cent, tandis que les autres n'en donnent j au plus que 30: le fer qu'on en tire eft connu en Europe, fous le nom de fer d'Oeregrund (port de Mer de la Baltique au Nord de 1'Uplande) les Anglois y tirent la plus grande partie de ce fer dont ils font ufage pour leur acier , fi connu par fon élafticité, fa force & la beauté du poli qu'eux feuls favent y donner.  ( 147 ) Cette mine fut de'couverte en 1470, on en I yendoit alors le minerai brut fans avoir éti I fondu, aux negotians de Lubec, qui venoient ! le chercher dans leurs vaiffeaux. Ce ne fut | que fous le regne de Guftave Vafa que l'on li travailla a conftruire des forgejs & des martinets. L'ouvrage des mines de fer confifte en trois jopérations principales. i°. L'Exploïtation de la mine. 20. La fonte dans le grand fourneau, & g°. Le travail des forges. Ces travaux exigeans tous trois une grande 1 confommation de bois & de charbon, ne pourI xoient atteindre au but, ni fubfifter enfemble I dans la même contre'e, a moins qu'il ne s'y i trouve de grandes forets. Ceux qui exploi; tent la mine peuvent auffi faire fondre le minerai, pour le reduire en maffes ou gueufes, i mals il ne leur eft pas toujours permis de j faire forger ces maffes; pour obtenir cette per1 miffion , il faut pouvoir prouver qu'on peut retirer de fes propres forets la quantité de charbons néceffaire a ce travail. Les forges dont les proprie'taires ne font point exploiteurs font reftreintes a cert2?nes mines qu'on leur a affigne'es, & d'oü elles doi1 rent tirer les gueufes dont ils veulent former K 2  ( i48 ) des barres; la quantité qui leur eft permis de forger eft proportionne'e a celle des charbons qu'ils peuvent fe procurer. Ces gueufes.fonc des maffes ob'ongues d'une grandeur limitée; elles ne doivent pefer que:3 Schifp. (*) L'on prétend (f) que la mine de Dannemora livre^ jufqu'a 40,000 Schifp. de fer en barres par an, & s'il eft vrai que dans toute 1'e'tenduë de Ia Suéde les mines livrent 400,000 Schif fê de fer, cette mine en livre elle feule ia dixieme partie. II s'en exporte annuëllement 300,000, donc il en refte 100,000 pour les manufaótures interrieures; 566 Martinets ( Hammarts ) & 1007 atres, forgent & fourniffent cette quantité de fer. Le même auteur calcule, que le nombre d'hommes employés a 1'exploitation a la fonte & aux forges fe monte a 25500. GHJ Le Schifp. eft de differens poids; celui du minerai-, celui de fer de fonte, celui de viftuailles &c. different! II s'agit ici du Schifp. de fer de fonte, qui péfe- ffi . tif. fê. . (t) Le Senateur Comte de Stockenftrom dans un difcoürs Academique intitulé: Om Svenska Jairnbruks-naeringen.  C J49 ) favoir, 4000 Pour 1'exploitatiorj. 10800 Pour abattre couper, Sc charier le bois, & pour en faire des charbons. 2poo Pour fondre le minerai dans les fourneaux, en comptant 250 journe'cg ou 40 femaines propres a la fonte. 1800 Pour le tranfport du fer , de. fonte aux forges. 600 Pour le tranfport du fable, gravicr & bois ne'ceffaires. 4000 Pour tranfporter des charbons , qui montent a 1400,000 laft & qui demandent 1,260,000 cordes de bois. 24c o Pour forgcr le fer. 2560,0 J'arrivai vers minuit a Löffta qui eft a 5 milles plus au Nord qu'Ofterby; je fus deficendre a 1'auberge qu'on m'avoit dit être affez bonne. Je fus trés furpris lorfque I9 Chiver ou aubergifte m'adréffant la parole en ifrangois me dit: foyez te bien yenu Monfieur, Sc ajouta en me nommant par mon nom: K 3  C 150 ) eft' il pojfibte mon capitainë! comment D . I yenês vous dans ce pais - ci, que venés - vous faire fi prés du pote ? 1'ayant fixé un inftantj je le reconnus pour avoir e'te' maitre d'hotel chez Mr. de Geer, que vous ave's cönnu a la Have en qualite' d'Envoye' de Suéde; eet homme ayoit obtehu un pofte d'employé ou Sous-inipedteur dans les forges avec celui de maitre de pofte & d'aubergifte; en faveur de 1'ancienne connoiflance il me donna un affez bon fouper; le lendemain il me mena a l'intendant de Mr. de Geer, qui me dit que puifque j'étois muni d'une lettre de recommandation, j'aurois pu loger au chateau; qu'il étoit chargé de la part de fon maitre de loger & de nourrir pendant fon abfence, tous ceux qui feroient porteurs de pareilles lettres. C'eft une coutume générale en Suéde, principalement dans les pro vinces feptentrionales, que les feigneurs a chateaux & k terres ont des appartements deftinés aux voyageurs, qui leurs font adreffés , & qu'ils leur permettent même d'occuper lorfqu'ils font abfèrts; alors un intendant qu'on nomme (Verwalter') a foin d'eux & leur procure tout ce dont ils ont befoin pour la nourriture & pour le logement. Le foit-difant chateau de Löffta, eft une trés belle maifon, cependant elle n'a pas 1'ap-  ( i5* ) parence de la maifon feigneuriale d'Ofterby, mais fes jardins font beaucoup plus étendus & plus magnifiques : on doit y admirer comment 1'art a fu vaincre la nature, qui fous ce elimat glacé met fi fouvent en défaut les efforts des plus babiles jardiniers; les muriers, 1'athea, la clematite qui chez-nous croiffent en plein air & fuportent les hyvers les plus rudes, font relegués ici dans les orangeries pour 1'été, «Sc dans les ferres pour 1'hyver. Jamais les orangers n'y font expofés a 1'air: ils font remplacés par des lauriers, «Sc les uns & les autres ne font confervés en hyver qu'a 1'aide des fourneaux : les pêches «Sc les abricots font des fruits inconnus dans ce quartier; on met ces arbres en ferre pour avoir i le plaifir de jouïr de leur verdure; a Ofterby ils fleuriflent quelquefois, mais jamais a Löffta ; on a même de la peine a les conferver, malgré le feu qu'on fait continuellement dans ces ferres pendant tout 1'hyver. Ce jardin ou plutót cette campagne eft la plus. feptentrionale de toutes les campagnes de 1'Europe «Sc il i eft inconcevable qu'on trouve une verdure auffi agre'able «Sc des fieurs auffi belles, fous un ciel, ou pendant huk mois tout eft enfeveli dans la neige «Sc couvert de glacé. Le village ou forge qui y joint, eft le plus beau que j'aye vu en Suéde, cxcepté Ofterby .dont il n'a pas K 4  C w ) Süderfors. 1'étendue ; il ne confifte qu'en une ruè', tres longue a la vérité & bordée des deux cótés de tres beaux platanes; toutes les maifons y font, 'comme a Ofterby, occupés par les forgerons & par les employés, directeurs, éeri-vains, infpeöeurs & autres employés aux forges. L'Eglife que je fus voir eft jolie & fort proprement arrangée: fur 1'autel eft une affez bonne copie d'un tableau de Rubens. J'allaj voir a Löffta une repetition des différentes opérations, que le fer doit fubir, avant d'être transformé en barres & j'appris que le fer s'y travailloit ainfi qu'a Ofterby a la maniere des Wallons, tandis que dans la plupart des autres forges il fe travaille a 1'AIlemande: L'on prétend que le fer fondu a 1'allemande eft de moindre qualité, mais que i'aufe en revange eft plus cher; leg deux forges d'Ofterby & de Löffta font peupfées de forgerons defcendans d'nne colonie Wallonne qui vint s'y établir il y a quelques centaine d'années.. Après avoir. pris congé du chiver, qui en faveur de notre ancienne connoiffance m'écorcha d'importarjce & prouva que s'i! aimoit les hollandois, comme il me dit en faire profeffion, il aimoit encore plus leur ar»fnt. Je partis pour Süderfors terre appartenante auffi aMefficurs Grill & Pyil ,■ cn pafijnt un long pont de bois pour y entrjr, je fus frgppé  C 153 ) de 1'effet pittorefque d'une petite cataracte forme'e par le Dahl-Elbe ou riviere Dahl9 car Elbe veut dire riviere en langue Sue'doife. A cette terre eft e'tabiie une forge oü le 1 fer qu'on y travaille fe tire de la mine de Dannemora ainfi qu'a Ofterby & a Löffta; Mais 1'opération du changement du minerai en metal n'eft pas ici la feule: le grand travail dont on s'occupe a cette forge eft celui de la fabrique des Ancres. On les y forge de pieces rapporte'es , fondues oü com1 pofées de barres & par confequent moins caffantes que celles qu'on forge dans d'autres pais, oü les ancres ne contiennent que du fer forge'. J'en vis plufieurs qui e'toien? deftine'es pour Amfterdam, & j'avoue que cette idee ajouta de 1'intérêt a ma curioflté; tant il eft vrai, que nous portons toujours avec nous un certain amour pour la patrie, qui paroit inne' a tout individu de 1'efpèce humaine. Le village entierement habite' par des forgerons eft affez joli; cependant il n'eft pas fi propre que les deux premiers: au haut de la maifon du feigneur, qui eft grande, commode & meublée avec goüt, il y a une petite tour en coupole d'cü l'on joüit d'une vuë charmante; cette maifon eft de bois comme toutes celles qui font dans ces quartiers; le fils de Monfr. Grill, y paffe une partie de ï'e'te avec fon épou-  Province deGaftri cie. Gefle ville d"t tape. Cataracte d'Elfearfleby. C 15-4) fe, ils me firent 1'un & 1'autre un accueil des plus gracieux. J'arrivai a cette forge par un chemin de traverfe abominable; fabriqué dans les rochers oü ma voiture fouffrit beaucoup. De Süderfors je fus a Gefle ville fitue'e au - GolfeBothnique, oü il y a untrès bon port; elle eft la capitale de la Gaflricie & la re'fidence du - gouverneur de cette province; pour y arriver on eft obligé de pafler le Dahl dans un grand bac, environ a 2 lieues de Ia ville. Une de« mie lieue plus haut auprès d'un petit village nomme Elfearflcby, cette riviere fait une chute fuperbe Sc bien autrement pittorefque qiie celle de Trolhetta dont je vous ai parlé. Vous en trouverés une defcription trés jufte & fort exacte dans le voyage de Mr. Wraxhall; ce furent la les bornes de fa courfe; c'eft ce que je ne lui pardonne point; il n'auroit pas du quitter la Suéde fans voir la mine de cuivre a Tahlun, Sc les travaux de Carlscrona; quoiqu'il en foit, comme il a trés bien décrit cette catarafte, je vous renvoye a fon ouvrage, de même que pour i'impreffion qu'elle fait reifentir a ceux qui en aprochect; je vous envoye •le deffein que j'en ai fait: vous y verrés que la riviere s'étant partagée en deux bras , forme une ifle, qui n'eft autre chofe qu'un grand rocher, fur lequel croiffent des fapins d'une  C 155 ) hauteur prodigieufe; cette ifle partageant la riviere lui fait faire deux immenfes cabrioles , dont lés eaüx fe réuniffent pour aller tomber toutes énferable a quelques lieues de Gefle dans le gölfe Bothique; 1'une des deu£ chutes qui tombe a pic de la hauteur d'environ 50 pieds, produit un fpedtacle difficile k décrire; 1'autre eft moins perpendiculaire, mais précipite fes eaux de rocher en rocher par mille cafcades les unes plus belles que les autres; il s'e'leve de cette catara&e une e'cume fi 'pr°aiSieufe «Sc a une telle hauteur qu'oii 1'apercoit a la diftance d'une lieue ; au milieu de la chute, qui fe précipite perpendiculairement,'paroit un roe noir comme de Tencre, d'oü s'éleve un jeune fapin, qui au* gmertte le pittorefque «Sc la fingularité de cette vuë. On prend beaucoup de faumon dans eet endroit, furtout a riflé qui fepare la riviere en deux; les pêcheurs ne peuvent jamais y arriver qu'au peril de leur vie, comme ils n'y peuvent pafler par le bas de lacataratte» parceque 1'agitation de 1'eau y rend toute navigation impoffible, ils font obligés d'y aller par le haut, «Sc lorfque malheurcufement ils approchent trop pres du courant rapiJe qui va au piécipice, rien ne peut les fauver,  C 15^ ) biteau & tout ce qu'il contient eft englouti & brifé contre les rochers. Cette rivière eft la plus grande de toute la Suéde ; elle prend fa fource dans les montagnes de la Norvege & apres avoir paffee dans toute la longueur de la Dalccarlië, arrofe'c un coin de la Wefimannii, puis avoir fervie de bornes entre la GaftricU & VUplande elle fe jette, comme jeviens de Je dire, nonloin de Gefle dans le Golfe Bothnique. Je n'avois pris aucune lettre de recomman-' dation pour Gefle, n'ayant deffein de m'y arrêter, que le temps néceffaire pour voirle local d'une ville, qu'on m'avoit affuré, ne renfcrmer * rien qui mérite la curiofité d'un voyageur, & a cette occafion j'eus encore une nouvelle preuve de 1'hofpitalité & de la politeffe de meflïeurs les Suédois. J'y arrivai pendant la nuit; le lendemain en déjeunant je regus Ja vifite d'un Officier du Régiment national a la repartition de la province, qui me dit; qu'ayant appris qu'un Officier Hollandois étoit arrivé , il venoit lui offrir fes fervices au cas qu'il put lui être utile; je lui témoignai ma reconnoiffance & les acceptai avec plaifir; il me mena par tout, me fit parcourir toute la ville en me faifant remarquer ce qu'elle contient de plus curieux; il me conduifit a un magazin d?  ( 157 ) barres de fer, depót d'an commerce trés confidérable, que cette ville fait avec l'angleterre, xmfuite il me procura la connoiiTance d'une des .premières maifons oü je fus invité a diner & a fouper. Gefle eft fitué a un petit golfe de celui de Bothnië, &'par le moyen d'un Canal -trés large & tres profond, les vaiffeaux entrent jüfques dans la ville , oü fe trouve auffi le chander; elle porte encore les marqués d'un inrcendië, qui cn détruifit les deux tiers en 1778; ijufqu'ici on n'a pas trouvé encore 1'argent néceffaire pour la rebdtir; la petite riviere é'Hazund traverfe la ville & rend le canal navigeable. J'appris que j'étois a moitié chemin d'Helfingburg a Tortièo & j'avouë que je balantjai ' fi je n'irois pas voir le foleil decrire un Cercle "autour de ma-perfonne; ia bonté des chemins .qu'on me vanta, le bonmarché, 1'hofpitalité, la fecurité, le jour continuel, avec cela le -plaifir de dire : j'ai vu le foleil a minuit fur 1'horifon, me faifoient pancher a y aller, d'au- • tant plus que j'étois für d'y trouver bonne • compagnie ; un Comte Italien & quelques anglois dont j'avois fait la connoiiTance a Cop- ' pcnhague avoient paffes a Gefle quelques jours avant moi pour y aller; on m'offroit une bonne recommandation.' D'an autre cóté en allant  C 158 ) a Tornéo j'avois a paffer des deferts & des bois inrïaiment plas longs & plus ennuyants que ceux que j'avois déja parcouru; il failoit de plus reconcer a voir Ia mine de cuivre & celle d'argent & ne pas aller a Carlscrona, parceque le temps ne me 1'auroit pas permis &cela pour ne voir que Ie bordfupérieur du foleil rafer pendant une heure Thorifon avant de s'en détacber entierement; encore falloit-ii pour bien jouïr de ce fpeclacle, gagner la cime d'une haute montagne a 18 milles de diitance aa nord de Tornéo & prendre enfuite le plus court chemin pour revenix en Dannemarc avant la mauvaife faifon; arrangement qui ne «'accordoit aucunemcnt avec mon projet de faire le tour de la Suéde, pour y voir les chofes les plus remarquables. Je renoncai donc a ce voyage, & en confequence je partis pour Fahfun. Ayant faitce trajet précifement en 24 heures, j'y arrivai le lendemain de mon depart, de grand matin , après avoir traversé un bois de fapins auffi antique que le monde. Ces arbres font ■ d'une hauteur prodigieufe & croiiTent au mi.lieu d'une énorme quantite' de rochers. Depuis Gefle jufqu'a Fahlun les forêts ne fiaiflent pas, par ci par la on trouve quelques chetives maifons, dont les habitans n'ont d'autre fociété que celle de leurs femmes & de leurs en-  ( 159 ) fans; pour toute nonrriture ils ont le Knike* bro'é oir Kakebrcë, le fromage, le lait Sc 1'eau; malgré cette diette ils font robuftes Sc on y voit beaucoup de vieillards. Apeu de diftance de Gefle, je me trouvai déja dans la Dalecarlië , dont Fahlun eft la capitale. On diftingue les Dalecarliens en Dalecarliens noirs, & Dalecarliens gris ; on appelle auffi quelquefois les premiers, Dalecarliens de fer, par la raifon que leurs fouliers comme ceux de nos Weftphaliens font garnis de clous de fer; ils habitent la partie feptentrionale & la plus montagneufe de la province; comme leur population eft trop nombreufe en proportion de la fterilité des rochers qu'ils habitent, on les voit arriver par troupes dans les provinces qui font plus cultive'es; ils viennent y chercher du travail Sc de la nourriture, furtout dans la faifon des recoltes, Sc comme ils vivent avec une extréme fobrie'té, ils remportent fouvent dans leur pays une épargne fruit de leur labeur Sc de leur économie. • En géne'ral les Dalecarliens font aclifs, laborieux & braves, bons foldats, attachés a leurs anciennes coutumes Sc conftitution: ils font jaloux de leurs droits & ne fouffrent pas tranquilement 1'oppreffion. Dans les lettres que je vous écrivis de Fahlun & de Province de Da lecarlie.  |( ï€o ) Helfingburg, je vous ai fait urie defcription de la ville & de la fameufe mine du Kopparberg, ainfi pour e'viter une inutile repétition je ne vous en parlerai point dans celle-ci, je fauterai tout d'un coup a mon depart de Fahlun , & ce fera par la que je commencerai la lettre fuivante: en attendant je fuis, &c. EETTRF  C I6i ) LETTRE TREIZIEME. Coppenhague ce .. . Decembre 1785. M . . . jjfe partis de Fahlun mercredi . Juillet a 5 heures du foir, dans le defiein d'aller coucher a Avena éloigne' de 7 milles de cette ville ; mais je trouvai des chemins fi rudes 8c fi efcarpés dans les montagnes, & j'avois de fi mauvais chevaux qu'il me fut impofiïble d'avancer. Un autre malheur fe joignit encore a celui-ci, les païfans par tout occnpés aux recoltes e'toient trés ne'gligens a obéïr aux réglemens de pofte, & malgré le courier qui me devancoit, j'avois la plus grande peine a obtenir les chevaux néceffaires, a la fin ils me manquerent tout a fait, & je fus obligé de im'arrêter dans une petite ville nommée Sater, |oü j'arrivai a deux heures après minuit: tout le monde y dormoit, & il y regnoit la plus parfaite tranquilité. Mes poftillons me mehérent dans une cour attenantc une alTez grande maifon, batie de bois & de mouffe: c'étoit ! 1'auberge; la porte de la maifon étoit ouverL  te, maïs perfbnne n'y paroifToit malgré nos cris & nos appels; enfin j'entre & comms je ne trouvai aucune porte fermée; de porte en potte j'arrive a une chambre oü je vis un homme & une femme en chemife, couchés fur un grabat, fans autre vetement ni couverture. Au bruit que je fis en entrant, Ia femme fe reveilla en furfaut & voyant un étranger elle appelle fon mari & faute par terre, paroifiant fortétoonée; jelui adrefiai la parole en allemand, elle me répondk dans un langage inintelligible pour moi; je jugeai a fon ton & a fon air qu'elle m'honoroit de quelques injures Dalecarliennes; fa grofle bedaine, fes cheveux pendants, fa chemife tiès courte me donnerent un petit fpectacle qui me fit rire, cela augmenta fa bile & je vis le moment oü fi j'avois porté perruque, j'aurois rifqué de chanterla complainte de Cafiagne; enfin après la première bourafque nous parvimmes a nous entendre; elle s'apaifa, prit une efpèce de jupe, qu'elle paffa en ma préfence, non fans déranger fa petite chemife ni fans expofer a ma vuë une partie de fes charmes ; pendant toute cette fcène Ie mari fe tourna une fois vers moi, ouvrit les yeux, puis les referma tranquilement, fe retourna de 1'autre cöte' & fe remit a ronfler tout comme fi de rienn'étoit, ces portes ouvertes Sc la fecurité de eet homme vous prouvenr,  C i6"3 ) combien peu ces gens craignent les voleurï^ & combien peu il arrivé qu'on s'y aproprie le bien d'autrui. Au refte, furtout au nord de Stokholm, foit dans les villes foit dans la campagne, perfonne n'y ferme fes portes pendant la nuit: c'eft ce que je remarquai pour la première fois a Ofterby, oü la porte de la maifon & celles de toutes les chambres refterent ouvertes , pendant que tout le monde y étoit enfeveli dans un profond fommeil; lorfque j'en témoignai ma furprife, on me dit que jamais on n'entendoit parler de vol & que par confequent il étoit inutile de s'impofer une pareille géne. Ce qui vous paroitraextraordinaire, c'eft que fi on vole quelquefois en Suéde r c'eft dans les villes de garnifon, oü fe trouvent les régimens levés compofés la plupart de deferteurs & de toutes fortes de gens fans aveu, qui aü lieu d'empêcher le desordre le commettent euxmêmes. Mais revenons k mon auberge; j'appris que la mauvaife humeur de cette femme avoit été occafionnée par 1'heure induë a laquelle j'étois venu troubler fon fommeil, d'autant plus qu'elle étoit feule au logis; valets & fervantes étoient a la campagne, occupés a faire la recolte du foin, a laquelle on travaille dans ce pays nuit Sc jour fans rélache, jufqu'a ce qu'elle fuit achevée, en quoi ils font favorifés par la clarté des L 3  miits, furtout dans cette partie de .ia Suéde oü je me trouvois. Ayant .fait ma paix .avec l'Iioteffè & m'étant fait entendre. par...fignes auffi bien qu'il me futpolfible, elle me mena a une petite chambre, oü elle me montra un grabat •dont 1'apparence ne me fit augurer'rien de bon pour la compagnie qui m'y attendoit; — de crainte d'accident après avoir fait apporter de 1'eau pour du thé, j'étendis par terre un matelat dont graces a mesamis de C. . . je m'étois mum en partantde Droningaard, furlequel une couple d'heures de bon fommeil me firent grand plaifir. Je ne dois pas oublier de vous dire, qu'environ a moitié chemin de Fahlun a Sater, j'ai* lai vifiter un endroit, fameux par 1'azylequ'y trouva Guftave Vafa chez un Curé (*), après avoir été trahi par un G-entilhomme dalecarlien nommé Peterfon dont la femme le fauva & 1'empêcha de tomber entre les mains du perfide Chriftierne. „ Cette Dame pleine de généh rofité, dit un auteur eélèbre ( f ) touchée de » compaffion & peut-être même engagée par » des motifs plus preffans, lui decouvrit les C*) EnI'année 1520. Ct) L'abbé Vertot Hift. des reyolutions de Suéde, torn. x pag. 113,  C 165 ) ,,'mauvais defféins de fon mari; elle le fit for„ tir la nuit de fa maifon, & 1'ayant remis » entre les mains d'un domeftique & de „ deux Dalecarliens qui lui refterent fidèles, „ elle le fit conduire chez un Curé de fes „ amis, qui le cacha dans fon églife. Par cette „ fuite & le fecrêt que garda le domeftique „ ainfi que les deux Dalecarliens, les Danois n perdirent les traces de Guftave ". Cet endroit fe nomme Ornas, il eft entièrement ifolé dans les montagnes & les bois, au bord d'un petit lac; je le trouvai fi intéreffant par rapport a ce qu'il fervit d'azyle a un grand Roi & par fa fituation pitoresque , que j'en pris deux deifeins , 1'un de 1'endroit vu aune certaine diftance, & 1'autre de la maifon même oü Guftave refta caché & qui en ce temps la fervoit d'églife; elle fert actuellement de campagne a un officier desmines de Fahlun. Cette maifon eft de bois &■' domine par deflus toutes les autres , fa ftraóture eft trés fingulière & baroque, 1'efcalier eft en dehors. II faut fe détourner d'une demie lieuë de la grande route pour y arriver, & paffer un chemin affreux a travers des rochers terribles. . On a confacré dans cette maifon la mémoire de cet événement par une répiefentation du héros qui y trouva fa füretéi L 3  ( i66 ) dans une grande falie, au fecond étage, on a élève' une efpèce de thröne, au-deffus duquel eft un dais de foye bleuë a fleurs de lis d'or; fous ce dais eft placé la figure de Guftave de grandeur naturelle armée de pied en cap, & couverte des mêmes armes dont il étoit revêtu a fonarrivée a Ornas, la figure du domeftique qui 1'accompagna fe trouve a cóté de lui aufli armée de pied en cap, a la porte font placés les deux fidèles Dalecarliens gris, habillés a-la mode du pays avec des longues barbes; ils font armés de terribles fabres, tenants chacun une arbalette a la main, & portants fur le cóté un carquois rempli de flêches, tout le contour de la chambre eft orné de differentes armes antiques dont Guftave fe fervit en differentes occafions, «5c dont il fit prefent au Curé, ainfi que plufieurs petits meubles qui lui ont appartenus, entre autres fa montre dont tout 1'ouvrage eft d'un cuivre trés groflïer; le tout enfemble eft, dans le fond, une vraye repréfentation de Kermejfe, qui cependant infpire du refpect, lorfqu'on penfe a toutes les circonftances de 1'évènement dont elle rapelle la mémoixe, «Sc au grand Prince qui en fait le fujet. Après avoir dormi quelques heures, j'obtins enfin des chevaux, pour me rendre a Avejla, mais j'y arrivai ce jour la tout auffi peu que le précédent; étant a quelques lieuës au de.'a  C 16*7 ) de Sater, j'appris que j'étois fort prés de Saterbron , eaux minérales dont on m'avoit parlé a Upfal; fachant que le profeffeur Menanderhielm pour qui j'avois une lettre de recommendation y étoit, je m'y rendis aullitót & j'arrivai a une efpèce de hameau formé de petites maifons de bois, baties comme celles des fïmplespayfans, c'eft-a-dire de troncs de fapins pofés horifontalement les uns au-deiTus des autres, dont les interftices font remplis de mouffe : a peine ma voiture fut elle entrée dans un grand quarré formé par plufieurs de ces maifons, que dans un inftant elle fut entourée de nombre de curieux qui vinrer.t voir quel perfonnage elle renfermoit; j'en fortis & je fus acceuilli de la facon la plus honnête; on me demanda ce que je venois faire & qui j'étois. Apprenant qu'un Profeffeur en medécine d'Upfal avoit la diredtion de tout ce qui regarde le logement & la nourriture, je fus le voir & lui demandai un logement pour la nuit; il me fit auffitót afligner une de ces petites maifons de bois qui fe trouvoit heureufement vacante: elle étoit compofée de deux chambres fort propres pour moi, & un cabinet pour mon domeftique; un petit lit fans rideaux, quatre chaifes, une table, un miroir ,un bureau a layettes en compofoient tous les meubles-, a peine en eu-je pris pofleffion que je vis entrer chez moi un feigneur decoré d'un h 4  C 169 ) ordre, quimeditétre le grand veneur de Sa Majefté le Baron d'Öxenftiêrn. il fejfpil les honneurs de cet endroit comme je 1'appris dans la fuite; 11 vint me fouhaiter la bienvenuë, me demanda fi je venois prendre les eaux, je dis que non; j'ajoutai que j'étois venu par fimple cunoiité.& en partie pour remettre une lettre a Mr. Menanderhielm. U me répli très obhgeamment qu'on ne me laiffèroit partir quaprés avoir paffe une couple de jours avec la compagnie, puis il m'offritfes ièrvices pour me procurer la connoiiTance de Mr. Menanderhielm & du refte de la fociété. Comme a mon arrivée tout le monde avoit déja diné, on me fit fervir dans ma chambre; au deffert Mr. le grand veneur revint pour me mener a la promenade des buveurs, qui confifte dans une grande allée de tilleuls, d'Ormes & de peuphers, bordée des deux cótés de belles prairies couvertes de troupeaux, au dela desquelles des bois de fapin fervent de perfpecTive- au commencement de 1'allée eft lafource minerale elle eft renfermée dans un jolx fallon; nous trouvames dans cette allée quantite' de promeneurs; ils fe plaignoient de différens maux & tous avoient un air de fanté qui paroiiToit n'avoir oefom d'aucun regime: Monfieur le Baron me prefenta a toute la fociété & en particulier a Mt, Menanderhielm dont la compagnie comri-  C 169 ) bua a me rendre le féjour de Saterbron trés agre'able. Après nous être promenés jufqu'a 6 heures tant dans cette allee que dans les environs qui font orne's de jolies promenades, nous fümes interompus par le fon d'une cloche,, c'eft (medit-on) le fignal pour la priere, auffköt tout le monde fe rendit a un batiment compofé d'une feule falie, ou un miniftre nous attendoit dans une petite chaire élèvée a la hauteur de quatre pieds, chacun s'aftit indifferemment pèle mèle fur des bancs, qui remplifföient la falie. Après un cantique, le miniftre prononcaun petit difcours,qui ne dura que quelques minutes, il fit enfuite une priere, après laquelle on chanta encore un cantique. Ce fervice fini, on retourna a la promenade jufqu'a 7 heures, qu'un nouveau fon de cloche avertit qu'on alloit fouper; trois maifonnettes de bois peu diftantes les unes des autres fe-rvoient de refectoire; chacun fclon fes moyens choififlbit celle qui lui convenoit le mieux; l'on payoit plus a la première qu'a la ftconde & plus a celle-ci qu'a la dernière. Je foupai a la première entre Mr. le grand Veneur & le Prof. Menanderhielm, tous deux parloient francois, p'ufieurs Dames fort gayes & fort vives y foupoient auffi, mais au defaut d'entendre la langue je ne pus jouir de leut converfation, L 5  C 170 ) Ce feroit pêcher contre la loi, que d'y boire du Vin, mais en qualité d'étranger, ie Profeffeur directeur m'en exempta. A huit heures le même Profeffeur avertit que le temps deftiné a la refedtion étant expiré, il falloit fe lever ; chacun fe retira de fon cöte' pour jouïr encore de la belle promenade & de la belle foirée. A neuf heures la cloche rapella aux buveurs qu'il étoit temps de fe coucher, s'ils vouloiert prendre avec fuccès la dofe d'eau qui les attendoit le lendemain matin : comme j'étois fatigué je me conformai avec d'autant plus de plaifir a la regie, que tout paroiffoit d'une propreté extreme, j'en tirai bon augure pour mon repos, je ne fus pas trompé dans men attente, & je jouïs du fommeil le plus paifible que j'aye cu pendant mon voyage. A quatre heures dn matin le fon de la cloche'me reveilla: on m'avoit prevenu d'avance que c'étoit le fignal qui avertifibit les pauvres gens & les payfans de fe rendre a la fource, car il ne leur eft pas permis de fe meier avec des gens comme il faut. Ceux qui viennent dans cet endroit pour recouvrer leur fanté, doivent faire enforte d'avoir pris leur portion d'eau a cinq heures, ' alors la cloche les avertit de partir & annonce' en même temps aux autres que 1'heure du beau monde a fonnée, dans cet inftant chacun fort dc fa cabane, les Dames en deshabillé galant,  les hommes en chenille, on fe demande réci* proquement des nouvelles de la nuit, de la fanté , &c. &c. Apres cc ce're'moniel l'on fe met a boire fuivant 1'ordre prefcrit; le Profesfeur y eft prefent, afin de veiller a cc que chacun prenne la dofe ordonnée; ayant fatisfait a 1'ordonnance on retourne chez-foi, ou bien l'on fe promene feul ou en compagnie fuivant 1'occafion; une heure après lorfque les eaux font fuppofées avoir fait leur effët, on de'jeune chacun dans fa cabane ou dans celle de fon voifin oü de fa voifine felon les circonftances. On n'entend plus la cloche qu'a midi qui eft 1'heure du diner; le repas eft frugal & Mr. le Profeffeur y fait a peu prés le role du medécin de Barataria. J'y reftai tout le lendemain du jour de mon arrivée ; j'avois fi bien dormi que je voulus encore jouir d'une nuit pareille dans la crainte de n'en pas retrouver de fitót, d'autant plus que j'y jouiffois de bonne compagnie, & que j'avois fait la découverte de deux dames dont 1'une parloit un peu francois & 1'autre bon allemand, ce qui contribua beaucoup a me faire paffer mon temps agre'ablement; je m'y amufai parfaitement bien; je ne puis affez me louer des politeffes, que je recus & qui furent couronne'es le lendemain par le trait fuivant: j'étois allé a 5 heures du matin a la fontaine pour prendre  ( I?2 ) congé de Ia compagnie & pour prier en même temps le profeffeur de 5 me faire donner le compte de ma depenfe : II n'y en a point a donner, me dit-il: ajoutant qu'on étoit trop flatté qu'un étranger eut bien voulu poffer un jour avec des malades■ On me preffa beaucoup de refter encore jufqu'au lendemain, mais voulant continuer mon voyage, je n'acceptai point leur gracieufe invitation, & je partis penetré de reconnoiffance pour une facon d'agir auffi polie que peu commune. , La maniere de vivre a ces eaux, telle que je viens de vous Ia decrire , eft extrêmement uniforme; on y fait un jour précifement ce qu'on y fait les fuivans & l'on n'y jouït d^aucune diverfité ; on. n'y connoit ni jeu, ni fpeclacles, 0n n'y trouve ni efcrocs ni fripons ni dupes, chacun y va pour retahlir fa fanté fans enrichir fa bóurfe, 0U bien pour prendre des préfervatifs contre les maladies futures. On vit a peu prés de la même facon a toutes les eaux minerales en Suéde, j'en exceptele feul Medevi, cü une troupe de commediens fe rend lorfque la fceur du Roi ou quelqu'autre perfonne de la familie royale s'y trouve. L'unique amufement dont on jouït a Sciterbronn eft la danfe, que Mr. le Profeffeur ordonne comme un remede propre a 1'efficacité.  ( 173 ) des eaux,, mais afin que ce remede n'éehauffe pas trop le fang, il ne le permet qu'une fois par femaine; le dimanche a l'iflue du diner on pre'pare la falie qui a fervie d'Eglife le matin & 1'orcheftre remplace la chaire; la danfe n'ofe durer que jufqu'a 7 heures du foir. Parmi les geris qui n'ont point de campagne il s'en trouvent plufieurs qui vont jouir aux eaux d'un air fain & de la bonne compagnie qu'ils font toujours fürs d'y rencontrer. Dans chaque province il y a pour le moins un ou deux endroits qui renferment des eaux minerales. Quand tout le monde a quitté les eaux, les batimens tant publics que particuliers fe ferment, le Profeffeur en prend les clefs, Sc tout refte abandonné a foi-même jufqu'a 1'année fuivante, quelques femaines avant 1'arrivée des buveurs le Profeffeur va examiner fi rien n'a befoin de reparation, il amene pour cet effet avec lui un nombre fuffifant d'ouvriers pour tout reparer, nettoyer & mettre en état d'être habité, & comme cela fe fait aux depens de la Province, 1'agrément & 1'avantage en font d'autant plus grands pour le public. Je partis de Saterbronn entre cinq & fix heures du matin. Avefta n'étant éloigné que de quelques milles j'y arrivai de bonne heure Ave Ma.  ( i?4 ) Wellmannie. d2ns la matinee: j'empioyai toute la journée a voir la maniere dont on affice le cuivre: cette opération , qui eft trés curieure & trés longue, merite d'être examinée, ainfi que la maniere dont, par la volatilifation, on en tire une trés belle couleur rouge; je ne vous en ferai point de defcription , par la raifon que vous n'ave's qu'a ouvrir 1'Encyclopedié fi vous voule's en connoitre les de'tails. Ma curiofite' contente'e a Avefta, je partis pour Sahla oü eft la mine d'argent; la je me retrouvai dans la Weftmannië; chemin faifant je penfai avoir un malheur terrible; a un endroit oü je changeai de chevaux, eftunedefcente affëz rapide, au bas de laquelle pafte un bras de la riviere Dahl, fur lequel eft un pont flotant; mes chevaux e'tants prets, le poftillon qui devoit fervir de cocher, s'e'tant placé fur le fiége, je m'appereus qu'il avoit trop bu ; & ne voulant pas dependre d'un homme a qui le brandevin otoit toute faculté intelectuelle, je fis prendre les renes a mon domeftique, je ne fai comment elles lui échapperent ; les chevaux du timon ne fentant pas plutót qu'ils n'étoient plus retenus, qu'ils s'emporterent & s'embrouillerent avec ceux de la volée, dont le poftillon qui étoit un enfant de ioan ans fut jetté par terre, alors tous- les quatre prirent le  C 175 ) mord aux dents & defcendirent la montagne avec une viteffe a laquelle je ne puis penfer fans fremir, je vis le moment oü j'allois être precipité dans la riviere, heureufement les chevaux qui fans doute par habitude connoilToient ce chemin, prirent adroitement le tournant, arriverent au pont, & le pafferent comme 1'ëclair en tenant exa&ement fon milieu. I/eau qui par le mouvement & la pefanteur de la voiture le couvroit, les bonds & les chocs occafionnés par les troncs de fapin dont ces ponts flottans font compofés, la frêle barrière qui regne- le long de ces ponts, augmentoient ma frayeur. Une montée affez roide fur la rive oppofêe modera heureufement 1'ardeur des chevaux, qui peu a peu fe ralentirent , an point que mon domeftique ayant adroitement refaifi les re'nes parvint enfin a arrêter leur fougue. Je fautai en mêms temps hors de ma voiture & a 1'aide du cocher que la frayeur avoit degrife', nous parvimmes a remettre tout en ordre & nous eumes un moment apres,. le plaifir de voir accourir le petit poftillon qui en fut quitte pour une légere contufion. Jamais je n'ai defcendu une montagne ni paffe' une riviere avec une viteffe aufii prodigieufe, & jamais aufii je n'ai effuyé de plus grand danger. Sahla eft une affez grande ville, batie en ^ I Sahla ou Sahla- berg.  Mine d'aigent. bois, elle eft laide & fale, cependaat toutes les ruës y fout tirées au cordeau & aboutifFent a la grande place, qui eft exadtement au milieu; 1'herbe croit dans ces ruës en celle quantite', que tous les foirs avant la fermeture des portes, on y fait entrer des troupeau de vaches, qui y paiflent 'pendant la nuit Cette ville eft celébre, par le féjour qu'y fit la familie royale en xTï0 , durant une ternble pefte qui ravagea Stockholm & y emporta au de la de 20,000 hommes. A un quart de lieuë for une petite montagne eft la fameufe mine d'argent. ' On y depeend par un trou qui n'a pas plus de dix pieds de diametre: ce trou eft diredtement a la fuperficie de la terre & il n'y a point de grande excavation comme a Dannemora & a Fahlun, je defcendis par le moyen de quelques echelles a la profondeur decinquante pieds, jufqu'a une des premières galleries,mais le froi'dexceffif que j'y reflentis me fit renoncer au deffeïn de defcendre plus bas , d'autant plus , que j'aurois du y faire mon entree par le moyen de fceaux, facon de voyager pour laquelle je ne me fentois aucun gout: tout ce qui regarde le mechanifme qu'on employé, pour faire fortir les eaux &pour y faire defcendre les fceaux, eft Je même qu'a Fahlun & k Dannemora; excepte' qu'ici deux grandesrouës  ( 177 ) font mouvoir les pompes, & que dans ces endroits ce n'eft qu'une feule roue qui met tout en mouvement. Ces rouës ont ici 44 p. de diam. celle de Fahlun qui eft la plus grande en a 48, & celle de Dannemora 44. Cette mine eft la plus ancienne & la principale de celles dargent en Suéde; elle exiftoit déja en 1188, & rendit pendant tout le I4e. fiècle "24,000 marcs d'argent par année; dans la durée du ige. fiècle, elle diminua jufqu'a 20,000, enfin fous le regne de Charles X, elle ne fournit plus que 2000 & aujourd'hui elle en donne moins, puifque le minerai tel qu'il eft, calculéexadtement fournit 2 lots d'argent pur par quintal. La principale gallerie , d'ou l'on tiroit le minerai. le plus pur, s'eft entierement écroulée, & jufqu'ici on n'eft pas encore parvenu a creufer fous ces decombres; on travaille cependant encore a forcc, & l'on fait des nouveaux puits, pour arriver petpendicu-lairement fur le fillon principal, qui donnolt . un minerai ft riche; ce iillon s'étend du Nord eft au Sud-oucft. Autre fois on étoit obligé de faire venir d'Angleterre le plomb neceffaire pour la fonte, mais a préfent la mine en fournit affez elle - même pour cette operation. A une demie lieue de la mine eft la forge i | c'eft un grand bourg, habité par des forge* fa tc e . :M «ft e' J :  rons, & oü demeurent auffi tous ceux qüi font employés en qualité d'infpeóteurs, directeurs &c. A cette forge on retire 1'argent du minerai exploité dans la mine, par les procédés fui- ■ vans. i°. On pile la mine ou minerai, pour en écarter ce qui n'eft que pierre, on la lave enfuite dans une cuve (Schlemher cl) par deffus laquelle on étend une toile groffière (Buldan.) 2°. A cette maffe lavée on fait fubir une efpèce de calcination dans un fourneau voute', on donne a la maffe affez de force pour J'unir & pour en former un feul corps fans en produire la fufion. 3°. Cette opération faite, on ajoutc a la maffe calcinée. Varcanne (Roth-Jlein,) cette arcanne a la proprièté d'attirer a elle 1'argent & le plomb contenus dans la maffe, tandis que le fouffre s'évapore: on laiffe fondre le tout enfembïe, puis on le fait couler. 4°. On leve les Scories qui contiennent du fer, & le plomb uni a 1'argent fort du fourneau, en fufion, par 1'ouverture qu'on ya pratiquée a cet effet. $°. Cette maffe (Werkbly) ayant enfin éte' affinée fur 1'atre ou fourneau d'affinage  i *79 3 (Tryb-herd) on 1'envoye en gateau? a 1'hótel des monoyes a Stockholm, . Cette mine fut exploitée autrefois au profit de la couronne, mais en 1682 elle en ceda la proprièté a une fociete' repartie en 200 parts % c'eft aux fraix de cette fociete', que fe font : aujpurd'hui toutes les operations de 1'exploitation & de la fonte. Je paffai un jour entier a confiderer les differentes manoeuvres, qu'on employé, tant pour exploiter le minerai, que pour le travailler dans les forges , ce qui me procura deux mauvaifes nuits, que je paffai tout habillé fur mon : matelas, n'ófant pas m'étendre fur le grabat, 1 dont 1'afpect étoit de mauvaife augure. Je i{\ fus trés mal dans cette ville par rapport a la I nourriture, & fi une lettre de recommenda| tion, que j'avais pour Monfr. Berendfon di] reóteur de la mine ne m'avoit procurée, outre toutes les politeffes dont ce galant homme me combla , un bon diné & un bon foupé, je ;\ crois que" j'y ferois mort d'inanition, car le II premier foir dc mon arrivée , ayant demandé quelque chofe avant de me coucher, on me donna du Knikkebroë avee 'du lait, dont je fus ! obligé de me contênter après n'avoir rien man| gé de toute la journée. On me fit voir dans une falie de la maifon ii de 1'Infpefteur, comme une curiofité, deux M .9  ( i8o ) fceaux dans lesquels les Rois 'Charles X & Charles XI defcendirent au fond de la mine: on y confervoir. auffi les trois fceaux dans lesquels le Roi actuel, étant Prince Royal, vifita cette mine avec les Princes fes freres, de même que les habïts dont ils fe fervirent, qui font faits de foye noire, dans le goat de ceux des mineurs. Sahla fut le terme de ma courfe minerale , que je commencai après avoir quitté Upfal, par la mine de Dannemora & qui me fit parcourirun efpace de 60 milles; c'eft auffi par la que je finirai cette lettre, en vous' aflurant que je fuis, &c.  C 181 3 LETTRE QUATORZIEME. Coppenhague ce .. .Janvier 178^, M . . - J"e comptois rétourner a Stockholm, dont je n'e'tois e'loigne' h Sahla que de 9 a 10 milles, mais ayant appris , que je pouvois abreger beaucoup mon chemin pour Carlscrona , en y allant dire&ement, fans repafler par la capitale, oü j'avois vu tout ce qu'elle contient de plus curieux, je refolus de ne pas y retourner; on m'avertit cependant que ce chemin étoit plus rude que celui que je trouverais en palTant par Stockholm, a caufe d'une chdinë de montagnes & d'un pays trés defert, que je ferois obligé de pafler: cette difficulté m'arreta d'autant moins qu'on me dit: que fi le paffage de ces Montagnes étoit difficile , j'en ferois deéommagé par les vuës pittorefques dont j'y jouïrois; en conféquence je me mis en route pour Enkiuping, qui fut ma première ftation. A quatre milles de Sahla , je rentrai dans VUplande M 3  (tti) Enkiöping. Wefteras. & quittai la Weftmannië, belle province bien cultivée, contenant des grandes plaines trés fertiles en bonne herbe & en beau bied. Enkiöping eft une ville affez mauvaife «Sc qui ne vaut pas même Sahla; 1'herbe y croit en telle quantite dans les ruës, que tous les foirs , vaches, moutons, cochons, oyes, &c. y viennent de la campagne, & aulieu d'entrer dans les e'tables ils y broutent pendant toute la nuit. Cette ville eft renommee pour fon antiquité: avant Odin, elle e'toit une des re'fidences des Rois, entre lesquels le pays étoit partagé. Une couple d'heures me fuffirent pour voir ce que cette ville a de rémarquable; ce qui m'en fit le plus de plaifir c'eft fa fituation agre'able au bord du Lac Maler, «Sc qui eft en même temps avantageufe pour fon commerce dans 1'interieur du pays; de la je fus a Wefteras, ou je rentrai dans la Weftmannië. Wefteras, ou Ar of en, Refidence d'un Eveque «Sc du Gouverneur de la province eft une ville trés ancienne; elle eft fitue'e a 1'embouchure de la riviere Swartd, qui après avoir partagée cette ville en deux, fe jette dans le Lac Maler. L'étymologie de fon nom eft Weftra-aros; Ar veut dire riviere ou Lac, Os, embouchure & Weftra eft rélatif a Upfala qu'on nomme quelquefois Oefter - aros.  C 133 ) La Cathedrale eft rémarquable par fa belle tour, & par différens tombeaux, entre-autres celjui du Roi Eric XIV (*) & de quantité d'Eveques. Cette ville fera a jamais celebre dans les annales de la Suéde, parceque ce fut dans fon enceinte que le royaume fut rendu héréditaire, d'éledtif qu'il étoit auparavant.(t> L'on m'avoit prevenu qu'a quelques lieués de Wejler-ras le Roi poffedoit un chateau nommé Stromsholm auprès duquel étoient fes haras, comme j'étois curieux de,les voir je quitai la route ordinaire; je fus contraint de prendre un mauvais chemin de traverre peur y parvenir. Ma peine fut trés mal payée, puifque je n'y trouvai point les beaux Etalons, qu'on m'avoit tant vanté, j'y vis feize chevaux entiers, dont deux efpagnols, un tartare & un cheval Danois étoient les meilleurs; les jumens n'y étoient pas, on les avoit envoyées au paturage a quelques lieuës de la, avec leurs poulains; je me propofai de les aller voir. Le chateau vrai fimulacre d'antiquite' me parut fi delabré a 1'extérieur, que je ne le jugeai r *■) Eric XIV, après avoir reilé emprifonné pendant 8 "ans a Gripsholm, prit enfin en 1577 de la cigue par ordre du Roi Jean fon frère. (-O La couronne de Suéde fut declarée en 1544 héréditaire en faveur de tous les defcendans males de Öuftave Vafa. M 4 Stromsholm.  C J84 ) Kongsor. pas valoir la peine d'y entrer, d'autant plus que j j'apris que le Roi n'y venoit jamais, que pour y prendre tout au plus un diner, lorfqu'il venoit voir fes harras. Ma curiofité contente'e, I je repris la grande route & j'arrivaï le foir a Kiöping (*) accueilü d'un orage épouvantable, les coups de tonnerre & les édairs fe fuccedoient avec une telle rapidite', qu'il y avoit de quoi infpirer de l'efFroi aux plus intrepides; la réfonnance des rochers & la repétition des echos au milieu des^'montagnes , joint a une abondance de gre'le & de pluye qui penfa me noyer dans ma voiture, après en avoir cafle' les deux glacés du devant, rendoient cet orage encore plus refpectable. Ce fut le quatrieme orage que j'effuyai en quatre jours, mais aucun ne fut auffi violent que celui-ci. La pluye m'empêcha de parcourir» la ville qui au refte ne me parut guere meriter 1'attention d'un Voyagcur. Elle eft fitue'e a 1'extrêmite' occidentale du Lac Mater. A deux milles de Kiöping, je vis-KongsÖr c'eft-a-dire village du Roi oh fe trouvoient les jumens du haras; elles paifföient dans d'excellens paturages le long du canal qui méne du Lac Maler a Arboga; je pofledois une re- C* J Kiöping veut dire marcTié.  'eommendation d'un fous-écuyer, infpecTeur du harras a Strümsholm, pour celui qui a la direcTion des jumens & des poulains. II me conduifit dans toutes les prairies , je n'y remarquai rien d'extraordinaire; les jumens étoient Suédoifes & du harras même; quelques unes étoient affez jolies mais petites; je ne pus juger des poulains , a cauib de leur grande jeuneffc. Je n'ai point vu de beaux chevaux en Suéde, ils font generalement petits, mais forts & robuftes , furtout dans les provinces feptentionales: j'ai rémarqué qu'ils font fujets aux éparvins, malgré qu'on m'eut affuré le contraire. Après avoir confideré les jumens & leur poulains, je traverfai le Canal dans un bac & j'arrivai a la même pofte ou j'avois paffe' en allant a Stockholm, dont je me trouvai alors a.la diftance de quatre milles: j'y croifai du Nord au Sud la même route que j'avois faite de d'Oueft a 1'Eft; le Canal fait une partie de la communieation entre le Lac Maler & ce lui de Hielmarn , par le moyen des éclufes d'Arboga. Dans le courant de 1'après-dinée je paffai le Lac Hielmarn , dans un grand bateau, oü l'on m'embarqua avec ma voiture; un calme parfait nous obligea d'aller a la rame, il fallut M 5 Hielmarn.  Suderiiannië. ( -1B6 } plus de quatre heures pour faire ce trajet (*}; la chaleur étoit exceffive, deux rameurs & quatre rameufes faifoient la manoeuvre, les hommes prefque nuds, & leurs peu de vêtemens troués comme un crible, les femmes en chemife & en jupon court, pas le moindre petit foufle pour temperer la chaleur du foleil. Refugié fous la cappe de ma voiture, je conffderai avec plaifir les beaux points de vuë, que m'offrirent differentes ifles, quantite de vaiiTeaux qm faifoient voile, les cótes oppofées, les cimes de plufieurs montagnes couvertes de fa« pin, dont les têtes s elévoient a une hauteur prodigieufe & qui me faifoient défirer d'autant plus le moment du debarquement, que je voyois en perfpecTive des bois dont 1'ombre & la fraicheur devoient me procurer une joüüTance agre'able, dans la terrible chaleur qui m'accabioit. En m'embarquant fur le Lac Hielmarn, j'avois quitté la Weftmannië & en debarquant je mis pied a terre dans la Sudermannië, oü je ne refiai pas lóngtemps , j'atteignis bientót la chaine de montagnes qui fepare cette province de l'Oftrogothië. Vers le foir j'arrivai a un petit village nommé Malmör, oü je changeai de chevaux; ce '(*) A cet endroit il a environ 2 lieues de large.  village compofé d'une douzaine de cabanes eft au pied d'uné montagne, nommée Malmdr laka (Montagne de Malmar;) le paffage de cette montagne eft dangereux, a caufe des montées & defcentes rapides, borde'es de precipices effroyables & heriffées de rochers éfcarpés. On m'avertit du mauvais chemin qui m'y attendoit, & l'on*me confeilla de faire tin detour pour 1'éviter: ce detour faifant un bbjet de quatre milles, je refolus de rifquer le paffage, en prenant la précaution de me faire fuivre par quelques païfans qui vinrent avec moi en chariót. La montée quoique affez haute ne fut rien, mais la difficultë m'attendoit a la defcente, j'arrivai au haut de la 'montagne entre onze heures & minuit; le foleil balffoit de'ja fous 1'horifon au point de donner une couple d'heures de nuit trés obfcure, il eft vrai qu'il faifoit clair de lune, mais fa foiblc lumière pergoit a peine a travers 1'epaiffeur de 1'e'norme bois de fapin dans lequel je voyageois; j'avois gagne' le haut de la montagne a pied, & ce trajet avoit dure trois heures, la roideur de la montée obligeoit fouvent mes payfansde fë mettre tous a l'ouvrage.pour aider les chevaux a faire parvenir la voiture au haut. Enfin arrivés ala Cime il fallut fe repofer & faire reprendre haleine a hommes & a betes ; —. je m'écois muni de brandevin & de Knikkebicë,  < 188 5 ce qui fit revenir le courage a ceux qui commencoient a parler de me planter lè & de s'en retourner chez-eux, la promefle du partage d'une plotte oü deux daalders filver munt contribua k ranimer leur bonne volante. Après nous être'un peu repofe's nous reprimes notre marche, Smous fumes prefqu'autant de temps k defcendre que nous en avions employe's a monter, les chemins excefiivement étroits obligeoient les payfans de marcher les uns le long du pre'cipice en foutenant la voiture avec leurs e'paules , & les autres a tenir les chevaux pour les empêcher d'aller trop vite, a quoi ils e'toient trés enclins, paree que la voiture quoiqu'elle fut enrayée , leur donnoit a tout moment contre les jambes. Après beaucoup de peine de fatigué & de crainte, nous arrivames heureufement k 1'endroit de la montagne oü le chemin devient plus facile, plus large & moins pe'rilleux, & oü pour nous confoler de nos travaux & des desagre'mens d'une obfcurité', en quelques endroits fi grande, qu'on ne voyoitpas plus les yeux ouverts que ferme's, nous vimes le foleil fe lever, monter fur 1'horifon dans toute fa gloire & nous annoncer du beau temps pour toute la journe'e. Je veux bien vous avouer que durant le paffage du Malmar bakaje ne fus pas trop a mon  ahe; 1'obfcurité profonde, un pays defert éloigné de toute habitation, cent fois fur le point 'de Yoir fracaffer ma voiture contre les rochers, ou de 1'entendre rouler dans les pre'cipiccs, ne rendoit pas ma fituation agre'able; joignés a cela 1'idée de me trouver a la merci de mes deux poftillons, & de fix païfans, qui auroient pu me voler, & me maffacrer, fans que jamais perfonne en eut pu avoir connoiiTance, & vous croire's fans peine que je fus charmé de 1'apparition du foleil, qui me fit apercevoir un pays. plus uni, affez bien cultivé & les tours de Nordkiöping en perfpe&ive. Je congediai mes payfans , trés contens de ne pas m'être laiffé intimider au point de faire le detour, & plus encore de pouvoir me paffer d'eux. Un chemin magnifique a travers de belles plaines bien cultivées faifant partie du chemin royal de Stokholm a Nord-kiöping me mena a cette dernière ville, oü je trouvai heureufement une affez bonne auberge; après m'y être un peu repofé des fatigues de la nuit, je fus Temettre une lettre que j'avois pour Mr. Shaf negotiant, qui me recut avec beaucoup de cordialité & m'offrit fa maifon pendant mon féjour couvert de velours rouge, garni de plaques d'argent, fur les quelles font grave'es plufieurs inferiptions; ce coffre eft placé dans une petite chapelle affez propre, oü les curieux & les devots peuvent fe fatisfaire. Je mourois d'envie d'aller prendre infpection du diner qui m'attendoit & je fus charmé, lorf> qu'enfin la revuë de ces antiquités fi refpectables fut finie. Une aimable Suédoife femme du Confeiller, qui m'avoit invité & qui parloit trés bon allemand, fit les honneurs de la table & cette jolie moderne m'intéreffa plus que toutes les ftatues antiques & mutile'es, les vielles mazures & les faintes reliques dont je m'étois occupé pendant toute la matinée. Après le diner nous fumes nous promener; nous arrivames aü même endroit ou je m'étois fi bien endormi; quoique le foleil n'y donnoit plus 1'éclat d'un beau matin, le fpeótacle n'en fut pas moins intéreffant; quantite' de vaiffeaux qui faifoient voile fur un lac dont les bornes fe perdent dans 1'horifon, des coteaux, des montagnes couronnées de bois, quelques villages, 1'ifle fur la cóte occidentale occupoient agréablement la vuë: mais ce qui me rendit ce tableau encore plus intéreffant, c'eft un phenomene bien pjus fmgulier que celui dont je vous ai parlé au fujet de 1'ifle qui paroit & qui difparoit-,  C 199 ) on me raconta que trés fouvent par le plus beau temps du monde, le lac s'agitoit d'une facon fi extraordinaire & que les vagues en devenoient fi impetueufes, qu'aucun vaiffeau ne pouvoit y naviger fans danger & cela fans aucune caufe apparante. On a cherché pendant trés lóngtemps a decouvrir la caufe phyr fique d'un effet auffi fmgulier; après bien des recherches on eft parvenu a favoir qne ce lac a communication avec celui de Conftance en Suiffe; par des obfervations fuivies & reiterees on a trouve' qu'au même jour oü les eaux d.ti lac Wettern étoient agitées fans aucune caufe apparante , une tempête avoit troublée celles du lac de Conftance & vice verfe lorfqu'une tempête troubloit & agitoit le lac Wettern, celui de Conftance étoit a fon tour agité fans caufe apparante ; des obfervations encore plus particulières avoient contribuées a verifier cette communication entre autres 1'apparition de quelques plantes originaires du Lac de Conftance dans celui de Wettern & viceverfa, &c. Je n'en dirai pas davantage fur cet article, paree que j'ai beaucoup de peine a ajouter foi, a 1'exiftence d'un phénomene,dont on paroit trés allure' a Wadftena. 11 faudroit polleder les preuves les plus convainquantes pour fe le perfuader. Une chofe cependant eft vraïe & riconnuë: c'eft que ce lac eft trés dangereux N 4  C 2pO ) pour la navigation par' la violence avec laquelle fes vagues font fouvent agitées & dont le mouvement fubit annonce toujours la tenbpête. Après la promenade nous retournames chez notre hóte, oü fonaimableEpoufe nous verfadu thé. Je m'étois arrangé pour partïr vers le foir» afin de profiterde Iafrdicheur, ayant encore 40 milles a parcourir avant d'arriver a Carlscrona ; l'on m'avoit dit que je ne verrois chemin faifant que deux villes , Ekesjo & Wexiö, qui ne valoient pas la peine de s'y arrêter ; en confequence je refolus d'aller d'une traite nuit & jour jufqu'a Carlscrona , dont j'efpère vous parler dans la lettre fuivante.  'i 201 ) lettre quin.ziëme. Copënhague ce . . . Janvier 1785, m ... ; £| ■Je partis de Wadftenaa fix heures du foir, d'autant plus content de Taccueil que j'y recus, qu'il avoit e'te' purement gratuit,- fans- en'être iedevable a une lettre de recornmandation: 1'apparition d'un étranger qui voyage uniqucjnent pour fon plaifir & qui n'a d'autre motif que la curiofité, eft unphénomene fi rare en Suéde, principalement dans le quartier oü eft fitué Wadftena, que de mémoire d'homme on ne fe rappelloit rien de pareil; & mon arrivée dans cette ville fera fans- doute notée dans fes Annales. Après une courfe continuelle de deux nuits & un jour j'arrivai a Carlscrona Vendredi matin a 10 heures. Je ne vous dirai pas grand chofe de cette route: je traverfai dans toute fa longueur la Smolande, province trés montagneufe; je me trouvai continaellement dans des forêts, pa^ N 5 Provinc( de Smolande.  mi des rochers aux' bords de précipices; je vis peu d'habitation & encore moins de culture; dans les forêts je remarquai en plufieurs endroits des monceaux de pierres, qui me parurent rafiemblés par mains d'homme; quelques antiquaires Suédois prétendent y trouver des indices que ce pais, maintenant couvert par d'immenfes forêts, fut autrefois plus peuplé & mieux cultivé: on doit en conclure, fi cette aflertion eft vraye, que Ia population y aconfidérablement diminuée, puifque dans toute 1'étenduë de la Smolande, je vis une prodigieufe quantité de ces monceaux parmi les bois , qui couvrent-les trois quarts de cette province. ■Ony trouve quelques mines, entre autre une d'Or a Adelfors, qui par le peu qu'elle rend n'entre en ligne de compte, que par 1'efpérance des Suédois, qu'en continuant a 1'exploiter, ils y trouveront un jour une veine qui les dédomagera du travail & des fommes qu'elle leur coute actuellement: comme on m'avoit prévenu,que cette mine ne méritoit pas 1'attention d'un voyageur, je ne voulus point perdre mon temps a 1'aller voir. Les Smoiandois paffent pour être les defcendans les moins abatardis des anciens Goths; chacun fe marie dans fa paroifle ou du moins dans la province , & depuis un temps immémorial aucun habitant d'une autre province n'eft vecu  t 203 ) S'y établir • auffi les habitans de celle-ci ont la réputation d'être les plus grands & les 'plus robuftes de toute la Suéde. Wexïo affez jolie petite ville & dont le marché & la grande rue font bordéS' de tilleuls eft la réfidence du Gouverneur de la Smolande & d'un Evêque; ayant eu le malheur de caffer un brancard de ma voiture environ a une demie lieuë dé cet endroit, je fus obligé de m'y arrêter malgré moi pendant 'quelques heures. Je languiffbis d'arriver a CaHscronct, & 1'impatience fe joignant a 1'ennui, j'y paffai mon temps defagréablement, enfin le brancard raccomodé , je repris ma route. Carlscrona eft la Capitale de la province de Blekingen & la réfidence du Gouverneur, elle eft fitue'e au bord de la Mer Baltique & batiefurun grand rocher qui forme un ifie: Charles XI. qui en eft le fondateur, 1'honora de fon nom & lui accorda le droitd'étape; pour y arriver, on doit pafler deux autres Kies, que trois grands ponts joignent a la terre ferme: fur ces deux illes font deux fauxbourgs , affez grands, mais fales & mal batis ; ne contenants que des gens du commun; II n'en eft pas de même de la ville, elle eft affez bien batiequoique la plupart des maifons , foient de bois; plufieurs ont trois étages ornés de fculptures Wexio. Provï-ice de B'e. klMg. Carlfbrona villt d'étape.  t 204 ) & de colonnades, & fi proprement peintes"; .qu'eUes préfentent l'afpedt le plus agre'able; on travaille beaucoup a fon embelliffement & on n'épargne rien pour la rendre avec le temps une des plus belles villes de la Suéde.. Une Églife qu'on conftruit a une de fes extrêmités yers le chantier 'conmbuëra beaucoup' ï 'fon ornement, de même'que la place dont elle fera le centre: cette place eft trés grande & fuivant le plan, elle fera bordée de plufieurs belles maifons, on étoit encore occupé a 1'applanir, &. pendant le féjour que'je fis' a Cartscrona j'entendis a tout inftant: les explofions de la poudre, dont on fe ftrt pour faire fauter les quartiers de rocher, qui la rendent inégale;" la même opération fe faifoit dans differentes ruës oü le roe eievë en beaucoup d'endroits des pointes auffi defagréables a la vuë, qu'incommodes aux piétons & dün abord impoffible pour les voitures j peu de rues y font pavées, on marche fur le roe vif, ce qui rend la promenade trés fatiguante. Les habitans de Carlfcrona pretendent que le Bieking eft la plus belle province de touc le royaume: je ne fuis pas tout a fait du méme avis; 1'abord du cóté de la Smolande eft trés montagneüx, il eft vrai que du cóté de la Scanie le pays s'aplanit , devient fertile & qu'il eft couvert d'arbres fuperbes entre autres  C 205 ) Öe chénes; j'y vis auffi quelques belles terres |: apartenantes a différens feigneurs, d'oü s'élevent des maifons, qui a une certaine diftance paroiflent autant de chateaux ; ces maifons : pour la plus grande partie baties en bois ,ont une magnifique apparance. Cette province n'entre-, tient point de Soldats, mais elle doit fournir un régiment de Marine. La milice Marine répartie fur differentes terres, monte en Suéde è environ 13000 hommes, dont il n'y en a ordinairement que mille d'employés en temps de paix & hors du temps des exercices; la Guarnifon de Carlfcrona eft forte d'environ 16 cent hommes divifés en trois compagnies. Je m'étois muni de deux lettres de recommandation , 1'une pour Mr. Pylgardt riche negotiant qui étoit degoré du titre de Patron des Mines, & 1'aütre pour le contre admiral Chapman,' directeur du chantier, Tun & 1'autre m'accueillirent de la fagon du monde la plus gracieufe: témoignant au dernier que j'étois venu en partie pour voir tout ce qui eft rélarif aux ouvrages fi rénommés du chantier & du nouveau Dok, il me promit de m'cn procurer : la vuë dans le plus grand detail le lendemain : matin •, en attendant il me perrait d'en examiner les plans faits par lui-même. Le ContreAdmiral Chapman eft une homme auffi refpectable par fes qualités perfonilelles, que par la  ( 205 ) capacitë k laquelle il doit fa fortune; II eft trés eftimé, & les Suédois en font un cas extraordinaire, furtout par rapport a fon habileté en fait de conftru&ion de navires. II a inventé une nouvelle coupe & on prétend que tous les vaifleaux batis d'après fon raodele , font infiniment meilleurs voiliers que les autres. II a écrit un ouvrage fur la marine qu'on eftime beaucoup. Le lendemain i! eut Tattention de m'envoyer un officier, qui avoit fervi cbez nous fous Mr. Dedel; celui-ci ne pouvoit affez felouerdefon ancien Capitainë, dont il vantoit le cara&ère & la capacité. L'officier qui avec la permiffion de 1'Admiral Nort-Anker, me mena au Chantier & au port de Stockholm avoit auffi fervi cbez les hollandois: il avoit fait un voyage avec le Zephir fous les ordres de Mr. van Oyen. Ce fut une attention polie de ces deux chefs,de me procurer des guides , qui avoient 1'un & 1'autre faits leur apprentiflage dans notre république & qui parloient hollandois. II me mena au Port qui eft vafte, fort commode & entouré de chantiers; les vaifleaux qui ne font point employés y font amarrés aux deux cötés d'un long pont, ce qui donne Tagrément de pouvoir fe promener a travers de toute la flotte. J'y comptai 28 tant Vaifleaux de ligne que Fregattes, parmi lesquels je vis  C m ) tm Vaifleau de 100 pieces, un de 95, un de 84, deux de 74 & plufieurs de 6"o a 50 pieces. Toute la flotte confiftoit alors, y compris S vaifleaux qu'on e'quipoit, en 37 vaifleaux de ligne & 9 Fregattes. J'y vis 9 vaifleaux conftruits dans le cours de quatre anne'es. Cinq de ces neuf e'toient entierement acheve's, & c'étoient ceux qu'on e'quipoit, les quatre autres étoient lancés h 1'eau, mais fans agrèts. Plufieurs étoient aux chantiers ou commencés ou déja en Squelette. On me fit rémarquer un de ces vaifleaux dont toutes les pieces étant préparées d'avance , avoit été conftruit en fix fémaines. Le plan du rénouvellement de la flotte fut concu il y a 4 ans; on a employé une partie de 1782 a préparer & travailler les matériaux, & en 1783 on a commencé a b&tir. On eft d'intention de continuer a conftruire quatre vaifleaux par an , jufqu'a ce que la flotte foit rémife dans un état refpectabie. Pour fubvenir aux fraix qu'entrainera Texécution de ce plan, le Roi a fufpendu la moitié des ouvrages du nouveau Dok, jufqu'au temps oü la flotte fera dans Tétat qu'on la defire. Je vis en détail tout ce qui a rapport aux chantiers, moh conducteur eut la complaifance de m'en faire rémarquer les differentes parties. II y règne Tordre le plus parfait.  . De la nous fumes au nouveau Dole i je m'en e'tois forme' une grande idee , d'apres tout ce que j'en avois oui dire, mais j'avoue, que ce que je vis furpafia mon attente. C'eft un ouvrage digoe des anciens Romains : on y travaille depuis 29 ans & il faudra bien du temps ercor avant qu'il foit acheve'. A 1'entre'e de ce Dok eft un balBn creufe' dans le roe d'environ 50 pie's de profondeur, & fi grand qu'il peut fervir a quatre vaifleaux de -guerre pour être chargés ou déchargés a la fois le long de fes quais, qui font maeonnés en pierres de taille. De ce baffin chaque Vaifleau poura entrer dans fa loge par le moyen de grandes éclufes & de canaux de communication. Vingt de ces loges font deftinées pour des Vaifleaux de ligne & dix pour des Fregattes. Une de ces loges eft entièrement achevée avec fon Canal & fon éclufe, le fond en eft ereufé dans le roe, & maconné en pierre de taille qui font jointes & cimentées par de la Pouzzolane, efpèce de ciment qu'on fait venir a grands fraix d'Italie. Ce fond préfente la figure d'une quille de vaifleau. Dans toute la longueur de la loge de chaque cóté on a fabriqué deux dégrès de pierre; ils fervent a fixer les poutres & les échaffaudages, lorfque le vaifleau eft a fee & qu'il doit être reparé. Les murs qui foutiennent le toit font de pierre  -C 909 > de taille auffi maconnés avec de la Pouzelanc. Ces murs ont pour le moins 20 pieds d'épaifleur jufqu'a la hauteur oü ils doivent être de niveau avec le pont fuperieur du vaifleau , feparent les loges. A cette hauteur elles ferment des platte - formes, qui communiquent avec 1'interieur de la loge par le moyen de grandes fenêtres conftruïtes en portiques. Ces piatte-formes doivent fervir a placer l'arti!lerie (de chaque Vaifleau) qu'on fera entrer ou fortir par ces fenetres , qui peuvent être fermees ou ouvertes fuivant les circonftances. Le toit eft de charpente couvert extérieurement dé grandes plaques de fer & conftruit de facon h pouvoir fervir de point d'appui a diffe'rens leviers qu'on doit employer a la charge ou la décharge du navire. L'Eclufe de communication eft faite avec tant d'art qu'une petite force de deux pieds d'eau la levé & la fait tourner a fleur d'eau; lorfque le Canal & la logé ont Teau néceflaire, le Vaifleau y entre. Quand on veut les remettre a fee, on ouvre une communication au fond de la loge par le moyen d'une machine faite expres pour cette opération, & on laifle écouler 1'eau dans un bafiin plus bas que la loge taillé auffi dans le roe, d'oü par le moyen d'un moulin a vent ón la fait rentrer dans le baffin dont je vous ai parlé plus haut. Ön étoit occupé a travailler O  C 210 ) a la feconde loge. La première peut fervir d'échantillon de la magnificence de tout Touvrage: lorfqu'il fera acbevé, les loges formeront un vafle demi-cercle, mais il n'eft pas apparant qu'il vienne jamais a fa perfeótion: les fommes immenfes qu'on eft obligé d'y employer feront caufe, peut être, qu'au lieu de 1'acbever, on s'apliquera plutöt a perfe&ionner Tanden Dok, qui fera alors d'autant d'utilité, que Ie nouveau, quoique les vaifleaux n'y puiflent pas être conferve's fous des toits ou dans des loges. II eft trés proble'matique: fi les vaifleaux conferve's de cette facon durent plus lóngtemps que les autres. En fuppofant même, que les • vaifleaux a couvert des injures du temps foient moins fujets a fe gater, que ceux qui reftent expofés a Pair, il s'agit de favoir fi les millions qu'on employé a la conftrucTion de ces loges, éclufes, bafiins, canaux, &c. & la reparation que tout cela exige, peuvent être compenfés par Teconomie qu'on y trouvera en y placant les vaifleaux. Celui qui a donné Tidée de ce nouveau Dok auquel on mit la première main fous le règne du feu Roi, fe nomme Thunberg vieillard trés agé, dont je vous ai parlé a Toccafion de la falie des machines a Stokholm. II a un fils qui pafle pour être auffi habile que fon père.  C 311 ) Ce même Thunberg a la direótion des ouvrat ges & des éclufes qu'on conftruit le long de la Gothe. LlA.ncien Dok fut commencé en I7I5> *"ur *eS P'ans ^e l*Ingenïeur Polheim t5c acheve' en 1724; e'eft un efpèce de canal de 350 p. de long fur prés de 30 p. de profondeur , entierement creufe' dans le roe; il eft fitue' entre le port & le nouveau Dok, il communiqué d'un cóté aux chantiers & au port, & de 1'autre k la mer, par deux canaux affez grands pour que les vaifleaux de guerre du premier rang puiffent y entrer ou fortir. Ces canaux font fermés par des éclufes confidérables. Devant celle qui ouvre la communication a la mer on place un batard d'eau mouvant dont la conftruftion eft fort ingénieufe, & qui la protégé contre les efforts d'une haute mer. Lorfqu'on y a fait entrer un vaifleau, & que pour le radouber on veut le mettre a fee, on ferme les éclufes , on y P^ce le batard d'eau, &par le moyen d'une immenfe pompe, mife en mouvement par plufieurs hommes ou par quelques chevaux, le Dok eft mis a fee en 12 heures. On admire a jufte titre les merveilleux ouvrage que nous autres Hollandois favons exécuter en fait de digues , d'éclufes, de canaux, de moulins; cependant lorfqu'on confidere que 9> 2  tout ceci a étë travaillé dans le roe vif, ou fera oblige' d'avouer que nos ouvrages ne font rien en comparaifon de ces travaux, qui peut être n'ont pas leurs pareils en Europe. i Je fuis perfuadé que fi vous e'tie's a même de voir non feulement ces loges, ces baffins, ces canaux, ces éclufes, ce batard - d'eau, mais aufii toutes les differentes machines employees pour diriger les pierres, les bois & tous les matériaux néceflaires a ce prodïgieux ouvrage, vous conviendriés avec moi, que le génie d'une nation chez laquelle on ofe former unepareiiJeentreprife, & y travailler avec autant de fuccè.s, doit être induftrieux, a&jfj laborieux & inventif. L'entrée du port de Carlscrona eft facilc k caufe de fa grande profondeur. Cent vaifleaux de ligne peuvent y trou ver une retraite. I] eft defendu par deux chateaux trés forts & bien garnis d'artillerie dont les feux fe croifcnt. Ces forts Kongsholm (ifle du roi) & Drotnings-kiar (rocher de la reine) font tous deux fitués fur des rochers dans la mer, & couleroient a fond tout navire qui entreprendrojt de pafier fans leur permifiïon. Je vis a la Rade une petite Efcadre de fix vaifleaux de 6~o'a 70 pieces, & trois frégattës armées, prêtes a mettre a la voile. Cette  C 213 ) eïcadre exereoit les raifonnements des politiques; les uns croyoient qu'elle étoit deftinée pour le fervice de rimpératrice de Ruffie, d'autres prétendoient qu'elle feroit k la folde de la Hollande. Tous ces raifonnements furent mis en defaut, püïfqü'il parut qu'elle n'étoit deftinée qu'a manceuvrer en prefence du Roi. On employé les mariniers de la garnifon de Carlscrona aux differens travaux du chantier^, lorfqu'ils ne font pas obligés de fe trouver fur les vaiffeaux. La plupart des officiers font des gens experts & doivent naiurellement Têcre, puifque, s'ils veulent avoir de Tavancement & jouïr de quelque confidération, ils font obligés de s'expatrier & d'aller fervir pendant quelque temps chez 1'étranger, principalement chez les puiflances qui font en guerre: excellente règle fans doute, qui doit contribuer k procurer a Tétat des bons officiers de haut bord. Je fejournai plufieurs jours a Carlscrona au milieu d'une fociété trés agre'able que je trouvai chez Mr. Vylgardt dont 1'Epoufe eft fort aimable, ainfi que dans quelques autres maifons ou il voulut bien m'introduire. On y tient bonne table; la fociété y eft fur un ton aïfë, tous les gens de diftinction & les officiers y parient francois. J'y fis la connoiffanO 3  Runneby. C 214 ) ee du Collonel de Marine dont je vous ai parlé au fujet de 1'ifle floctante; c'étoit un homme inftruit, fenfé & d'une grande politeffe, qui' avoit vu toutes les cours de l'Europe. Je quittai Carlscrona enchanté de la ville, de fes habitans & de tous les ouvrages que j'y avois admiré. A trois milles de Ik, jem'arretai k un grand bourg nommé Runneby, endroit qui me parut trés floriffant, fitué dans le Blekinge (a moitié chemin de Carlscrona k Carlsham,) célèbre pour fon marché. A une demie lieuë de cet endroit la petite rivière d'Aune forme une CataraÊte affez finguliere, a travers des rochers qui ne prefentent que devaftation & ruines. L'Eau fe précipite entre deux énormes fragmens de roes , qui parpiflent n'avoir faits autrefois qu'une feule maffe, & qui font maintenant diftantes 1'une de 1'autre de 20 a 50 pieds. Ils font exaflement parallelles & paroiffent avoir 40 a 50 pieds de hauteur, 1'un eft autant convexe dans la partie intérieure que 1'autre eft concave; au-defius de ces deux pierres repofe une troifième non moins grande que les deux autres. Le chemin paffe par deffus & forme en cet endroit un pont effrayant par fa fituation & par le bruit terrible occaftonné par les efforts de la rivière qui fe précipite entre oes trois maffes. Au bas de la cataracTe  ( ) fe trouvent d'immenfes roes autour desquels 1'eau a en quelques endroits jufqu'a 40 pieds de profondeur. Je faillis y perir; en defcendant avec beaucoup de peine & de rifques, & voulant fauter d'une pierre fur 1'autre pour chercher un point de vuë propre a delïïner cette chute fi pittorefque, j'eus le malheur de tomber, & fans mon guide qui en me faififTant me donna le temps de m'accrocher a une pointe de rocher, j'aurois glifle dans le précipice, & m'y ferois noyé, ou bien le torrent m'auroit indubitablement fracaflë contre les pierres. Cet endroit remarquable pour les quartiers de rochers , dont les feparations font cxactcment marque'es par les cóte's concaves & convexes, porte le caradtère non equivoque d'un tremblement de terre ou quelqn'autre caufe formidable qui y a fait le plus affreux ravage. Cette rivière qui n'eft pas confide'rable fe jette prés de Runneby dans la Baltique. A un quart de lieuë eft une fource minerale ou le beau monde de Carserona & la nobleffe du Blekinge fe raffemble , les uns pour leur fanté, les autres pour leur amufement; lorsque j'y arrivai, la faifon étant finie il n'y avoit plus perfonne; je me fis annoncer au medécin qui y demeure pendant tout l'e'té Sc qui doit en avoir foin •, je le priai de me faire voir le falloa, ce qu'il m'accorda trés gracieufement O 4  Carls-^ ham ville d'étape. Province de Scaniè. ( Hè i sores m'avoir pre'alablement fait falue.r d'une batterie de fix petites pieces de canon, honneur qu'il fait aux e'trangers, qui viennent vifiter cet endroit; il me fit voir la fource, les bains, la douche, la falie de danfe, celle de la promenade; enfuite il me pria de renvoyer la petite cariole, que j'avois loué a Runneby, & me ramena dans une tres jolie barque de trait, propre & élégante, le long dün canal formé par Y'Aune, qui après s'être debaraffée de tous les rochers, devient trés navigable "jufqu'a fon embouchure. J'arrivai Ie même foir a CarUham, petite ville d'étape, fitué** encore dans le Bleking, & bon port de mer de la Baltique; elle poffede un chantier, qui ainfi que le port eft defendu par un fort bati fur un rocher en pleine mer. Cette ville fait un grand commerce avec 1'étranger; elle exporte beaucoup de fer. Elle eft trés mal batie ; au milieu de quelque rues fe trouvent des quartiers de roe, fi hauts & fi e'levés, qu'ils interceptent aux habitans d'une maifon la vue de celle qui lui eft oppofée. Le lendemain je fus coucher a Chriftianftadt ou j'entrai dans Ia Seanïê ; avant d'y arriver je paffai par un petit hameau ruiné & fort pauvre, nomme' Henbrohult, qui malgré fon e'tat de mifère me parut intéreffant, parceque ce fut la ou naquit le célèbre Linnaus, fon  C 917 ) Père y exerca le miniftère évangelïque pendant 40 ans; ce fut dans fon jardin, oü il avoit raffemblé une colledtion complette de plantes indigenes, que fon fils acquit le premier goüt de la Bothanique. Chriflianfladt eft une forterefle fituée fur la petite rivière Helga, qui après avoir fourni de T'eau aux foffés des fortifications fe jette dans ün lac qui communiqué a la Baltique. Une troupe d'efclaves étoient occupés a travailler au pont & aux remparts; ce font des deferteurs ou des gens a qui l'on fait grace de la vie. Ces malheureux font enchaines deux a deux , outre cela ils font attachés a une longue chaine lorsqu'on les condult a 1'ouvrage & lorfqu'on les ramene a leurs cachóts ; un feul gardien ou deux tout au plus, armés d'un béton, marche derrière eux & lesconduit comme un troupeau de bêtes; on leur donne pour leur entrétien 5 fois de Suéde par jour. Cette ville renferme une manufadtnre de 1 gands renommee pour la beauté des peaux & pour la fineffe de 1'ouvrage. Elle fut fondée en 1614, par Chriftian IV, Roi de Dannemarc qui lui donna fon nom, c'eft un quarré long bien fortifié, elle a foutenue differens fièges durant les guerres entre les Suédois & les Danois; & a été fouvent prire 6 réprife pat les differens. partis; c'eft une O 5 Cbrif-  ( > place de garnifon; en confequence j'y fubis toutes les ceremonies d'ufage; j'y vis une partie du régiment du Roi, fort de mille hommes; il eft du nombre des troupes Ïevées. La Scanië prefente un tout autre afpecl que le refte de la Suéde, on n'y voit pas 1'aparence de rochers ni de montagnes; d'agréables collines couvertes de grains de toute efpèce, d'excellens paturages oü paiflent de nombreux troupeaux, quantite' de belles maifons de plaifance baties en pierre de taille ou en brique, joint a la population & a 1'activité de la campagne, dans une faifon oü chacun cherche a cueillir les fruics de fa labeur, prefente au voyageur un tableau d'autant plus intéreffant, qtfil n'a pas encore eu le temps d'oubiier les rochers, les precipices, les deferts, les forets incujtes, par oii il a é^ obligé de paffer avant d'arriver jufqu'ici. -Aucune province ne renferme tant de villes fi bien baties; toutes les maifons y font de charpente dont les interftices font maconnés en brique. (comme en Dannemarc) II n'y a que les gens richcs qui ont les leurs entierement en brique, ou en pierre de taille. Dans la campagne on ce voit aucune maifon de bois, le fqueiette feul en eft de charpente, comme dans le villes: mais au lieu de briques, les interfaces y font remplis de terre glaife detr.ra-  C 219 ) pée, fouvent couverte de chaux, dont la blancheur leur donne un grand air de propreté. Les toits au Heu de mouffe ou de gazon, comme dans le refte du royaume font couverts de chaume chez le payfart , & de tuil es ou d'ardoifes chez la nobleffe & les gens aife's. "Comme cette Province eft trés peuple'e & trés cultive'e, on n'y trouve aucune forêt. Aux environs des maifons de campagne, dont le nombre eft trés -grand, & dans les terres feigneuriales, il y a des Bois ou des Parcs d'agrément, plantes d'arbres dont la hauteur & 1'épaifleur denotent la bonté du terrain. Les grands chemins & les avenues des villes font bordés en grande partie de faules dont on er> courage extrêmement la culture, comme 1'arbre le plus utile au cultivateur & au payfan. Les principales produftions de la Scani'é font le froment, le feigle, 1'orge, le bied farrazin, & les Pois; les pommes de terre n'y font pas plus cultivées que dans le refte de la Suéde, oü l'on n'en voit en général que trés peu. Les payfans des provinces les plus fertiles fe nourriffent en hyver de pois & de choux. Les habitans de la Scanië nourriffent auffi beaucoup d'abeilles, chofe rare dans les provinces feptentrionalcs. On y recueille une fi grande quantité de grains que malgré fa population , elle ne peut en confommer la moitié, & le commerce  C 220 y qu'elle en fait dans 1'intérieur du Royaume lui a acquis Je titre de Grenier de la Suéde.' Le climat de cette province, dont le terrain s'abaiffe infenfiblement vers la Baltique, eft beaucoup plus doux que celui du refte de la Suéde; les glacés & les neiges s'y fondent plutót, & la verdure commence a y paroitre, lorfque par tout ailleurs les boutons des arbres font encore dans 1'engourdifiement. On y cultive les mêmes fruits que dans la Fionie '&c la Sélande, avec lesquelles cette Province a une analogie parfaite : toutes les efpèces d'arbres de haute Futaye y croiflent & y font fuperbes. On voit beaucoup de fapins vers le nord aux confins de la Smolande oü le pays eft haut; mais^a mefure qu'on avance vers leSund, les Sapins, les Pins, les Genevriers difparoiiïent & font place aux Hetres, aux Che'nes, aux Peupliers, aux Frenes, aux Onnes, &c. qui par leur ombrage magnifique , & leur verdure yarie'e ne permettent par de regretter la monotonie des arbres toujours verds. Le roffignol chante* dans les campagnes & dans les bofquets, fi ce n'eft avec la même force, du moins avec la même variété, que dans les promenades riantes des environs de la Haye: 1'herbe y forme les plus beaux paturages, dont on tire parti pour engraifler quantite' de bceurs, objets d'un commerce confiderable. Ces pa-  mrages contribuent auffi a produire des chevaux d'une taille plus e'leve'e que dans le refte du royaume. Stokholm s'y fournit en chevaux de caroffe & la Cavallerie en chevaux de remonte : on pretend cependant affez ge'néraiement que les chevaux y perdent en force ce qu'ils y gagnent en grandeur. Au printemps les cigognes vienrient y perpetucr leur efpèce, elles paroiffent connoitre les boi on y fait rémarquer un pilier, dans la rotondité duquel fut mure' dans les temps „ du Catholicisme, un moine pour caufe d'a„ dultcre; il y fut enferme' de bout; vis-a-vis „ de fon vifage on avoit pratique' un trou qu'on y voi: encore, par lequel on lui faifoit avaler des ceufs & de 1'eau pour prolon„ ger fes fouffrances. Son Crane qui exifte encore au haut de ce trou fert de te'moin a Ia verite' de 1'hiftoire". Voila ce quegraveme'nt vóus conté le margaillier. II eft trés apparent que ce foi difant Crane, qui eöectivement eft extrêmement poli au toucher, foit le refte d'un ancien benitier. Wraxhall en parle auffi dans l'hittoire de fes voyages; mais il ne paroit point mettre Vhiftoire en doute. Je montai a la tour de cette Églife, oü. 1'air caime & la purete' de 1'atmofphere me permit de jou'ir d'une vuë fuperbe. D'un ccte' s'offre le tableau magnifique d'un pays peuple' & bien cultive', de 1'autre celui du detroit ou Ie paffage continuel d'un nombre de vaifleaux de toute grandeur & de toute nation, donne une aclivi-  ( 2^9 ) té intéreflante, tandis qu'a 1'horifon, Coppenhague avec toutes fes tours pointues fait un charmant point de perfpeótive. A la maifon de ville, trés joü batiment, eft une grande chambre nommée la falie de Canut. Une confrérie qui porte ce nom s'y raffcmble, elle datte fon inftitution depuis Canut IV dit le faint, qui veeut dans 1'onzieme fiècle, quantite de perfonnes de diftinclion des deux fexes font membres de cette confrérie. Cette falie eft ornée des portraits de plufieurs Rois 6? Reines de Suéde & de Dannemarc, qui y ont été infcrits & qui ont hpnorés ces aifembiées de leutprefence; on y montre auiïï differens, prelens que ces fouverains y ont faits, entre autres trois bocaux de vermeil d'une grandeur demefurée & bien fculpté.cs; le plus grand des trois fut donné par Frederic II Roi de Dan? nemarc. Parmi quelques manufadlures qu'on tache d'encourager dans cette ville, il en eft une de gants qui non-feulement eft rivale de celle de Chriftians-ftadt, mais qui la furpaffe pour la beauté St la finefle de 1'cuvrage •, le debit de ces gants eft prodigieux, malgré leur exceffive cherté. On fait y preparer les peaux de mouton, qu'on y employé, ê\leur donner un tel degré de fineffe , qu'on ne peut s'en former d'ide'e-, qu'apres les avoir vu; c'eft une des ph# P 3  Lund. ( 230 5 grandes ïnarchandifes de contrebande en Dannemarc. Du cóte de la terre ferme la ville eft entoure'e de remparts, debaftions & de bons fofles; de celui de la mer elle eft defenduë par un fort quarré mum d'un doublé rempart & de deux fofles; le rempart intérieur a quatre oreillons de pierre, qui dans les anciens temps furent fans doute de grande défenfe: un detachement d'Infanterie garde 1'enceinte intérieure au milieu de laquelle eft un chateau trés de'Jabré oü font les prifons de la ville & de toute la province; 1'enceinte extérieure eft gardée par un detachement d'artillerie. En fortant de Malmoë je quïttai le rivage que j'avois cottoyé depuis Chriftianftadt pour aller a Lund, qui eft a quelques milles plus avant dans les terres. Cette ville n'eft pas grande, mais elle eft remarquable pour 1'univerfité, qui y fut fondée en 16 65 par Charles IX. On y étudie principalement dans la théologie. II y a un obfervatoire , un théatre anatomique & un jardin Bothanique; le premier ne vaut pas même celui d'Upfal, qui comme je vous Ksu dit eft peu de chofe; je n'ai pas vu le fecond; le jardin Bothanique eft trés petit; au fond de ce jardin eft une grande falie deftinée pour des Orangers, je n'en vis pas un feul ,  ( H$ ) elle étoit occupe'e, par des femmes qui filoient de la foye pour une petite manufaéture qu'on . y a établie. La Cathédrale eft grande, mais elle ne ren* ferme rien qui mérite de 1'attention. On y voit plufieurs reftes de la fuperftition du Catholicisme. Au milieu du Chceur s'éleve une Colomne de 20 pieds de haut, furmontée d'un St. Laurent tenant a la main 1'inftrument de fon martyre, en bronzev dans la faeriftie, entre autres reliques, on conferve une chemife de la St. Vierge, qui par rapport & fa longueur pourroit fervir de robe de chambre au plus grand grenadier prufiien & plufieurs habits de Prêtres & anciens ornemens d'autel. Au deflbus de cette Églife, il y en a une autre, fouteraine, qui eft vraiment unecuriofité par toutes les antiquités qu'on y voit; elle \ eftfoutenuë par plufieurs rangs de piliers, entre lesquels font quantite' de tombeaux d'anciens Evêques; on m'y fit rémarquer un puits, au fond duquel eft une fource qui par des canaux fouterains fournit de 1'eau a toutes les • maifons de la ville, ce puits eft entouré d'un mur ahauteur d'appui bèti en quarré, de groffes pierres de tailles; fur un des cötés on a reprefenté en bas reliëf un gros Pou enchainé qui faifit un mouton par la gorge & tache de 1'étrangler. On me dit que c'eft un emblême P 4  Landscrona. ( 232 ) de Chrêtien ou Chrifticrne II & fon grand ennemi Guftave Vafa: vous comprene's que le Pou repréfente Chriftierne. On'me montra auffi deux portes de fer qui communiquoient autrefois a une gallerie fouteraine, qui defcendoit jufqu'a Dalby petite ville a un mile de 'Lund; on pretend que cetté 'Églife & cette gallerie fouteraine fervirent--uans les temps de perfecution, de refuge aux Catholiques. Les'habitans de Lund vivent en partie de 1'Univerfité & en partie des travaux de la campagne, qui font la principale branche de leur fubiiftance,puifque 1'Univerfité fournit tout au plus 3 a 4 cent étudians. Cette ville eut pour moï un degré d'intérêt de plus que tout ce qu'elle renferme pouvoit ^nfpirer, puifqu'elle me rapella encore Ie Profeffeur Linna3us5.ee fut dans fon enceinte qu il etudia les premiers e'lémens d'une fcience qm le rendirent fi célèbre & ce. fu£ fnr fes remparts devalifés qu'il cueillit les plantes nel ceflaires a la compofition de fa Flora Lundenfts. De Lund je fus a Lands-crona, ville fort sneienne, fitue'e comme Malmoë au bord du Sund. Le feu Roi a commencé d'y batir une nouvelle ville tout a cöte' de 1'ancienne & 0n continue a y bédr fur'le même plan; les ruês en feront tire'es au Cordeau & bordées de  ( 233 )' 'grandes & de belles maifons dont quelques-* unes font déja acheve'es. On accordc quelques privileges aux étrangers de toute religion qui veulént les habiter, mais de plus grandes encore a ceux qui veulent y bdtir eux mêmes. On e'toit occupe' a la conftruction d'une Églife, dont 1'architeéture a en juger par les plans qu'on me fit voir, fera trés belle & bien entèndue; elle doit faire lc centre de la nouvelle ville, & on n'y épargne rien pour tout ce qui peut fervir a fon embeliflement. Tout a cöte' de la place oü Ton batit l'égüfe eft un fupcrbe bitiment qui fert de cafernes a la garnifon, & vis-a-vis de ces cafernes on voit un magnifique bópital fonde' par la defunte Reine, ce qu'une infcription en lettres d'or fur le frontispice indïque. A une petite diftance dans la mer, on conftruit une forterefie en partie fur le roe qui s'élève a la fuperficie, & en partie fur pilotis: comme le fondy eft bon, on vcudroit y e'tablir un port que cette forterefie eft deftine'e a de'fendre. Si cette entreprife réuflït,elle pourra donner de Tombrage & faire tort aux Danois, tant par les vaifleaux qui viendront y hyverner, que par unc partie de la flotte qui y fejournera; mais on confidère en Dannemarc ces projets comme aflez chimériques, a caufe des courans qui viennent de la mer du Nord, oa P c  C 2H > qui fortent de la Baltique fuivant la direcuon des vents: ces courans paifent conftamment a la cóte d'Elfeneur & contribuent a entretenir la profondeur requife le long de la Zélande, tandis qu'a la cóte de la Scanië 1'eau par fon peu de courant depofe toujours du vafe & rendra a jamais 1'abord de la Suéde & en particulier de Lqnds-crona difficile & dangereux. Malgré ces inconvéniens, la nouvelle ville avec fa fortereffe eft encore un de ces ouvrages qui fournit une preuve du génie vafte & entreprenant des Suédois; genie auquel on pourroit donner Plus d'effor s'il étoit foutenu par des tréfors proporüonnés aux differentes entreprifes qu'il produit, lefquelles ont cependant cela de bon, que Pargent qu'elles coütent refte dans le pays, & qu une infinité de gens y trouvent leur fubfiftance. A Lands-crona eft en garnifon le Regiment deMr. de Sprengporten, Lt. Général, Commandeur de 1'Ordr.e de 1'Epée & Envoyé (*) Extraordinaire a la Cour de Dannemarc. Ce Regiment paffe pour être le meilieur de Parmée, tant pour la .beauté des hommes que pour 1'exactitude de la difcipiine, c eft dommage qu'il n'eft que de 800 hommes; il eft du nombre des troupes Ïevées. •r/itss" 3 ''^ n°mir'é Afflbaffadenr - même Cour  De cette ville je me rendis enfin k Helfingbourg, qui n'en eft e'loigné que de 3 milles , par un chemin trés agre'able-, le long de plufieurs collines bien cultive'es , ou je jouïflois en plein de la vue du Sund .qui en cet endroit, n'a qu'un demi mille de largeur, & me permettoit de voir diftincbement les cötes du Dannemarc , oü la quantite' de maifons de plaifance, de villages, de chateaux, de parcs ofirent un tableau extrêmement riant: L'ifle de Hween, qui s'élève en colline entre les deux cötes, ajoute a cette vue un fite trés pittorefque. Cette ifie qui a environ un mille de tour, eft 1'ancienne demeure & domaine du fameux Ticho-Brahé, dont 1'hiftoire , les malheurs & le favoir font trop connus pour vous en faire une ïnutile répétition-, on n'y voit plus que quelques mafures du chateau d'Uriannebourg, dont les deux tours fervoient d'obfervatoires, & au fond desquel'es il avoit pratique' un obfcrvatoire fouterrain. Je rentrai a Helfingburg par la partie oriëntale, tandis que j'en etois forti par la partie occidentale, en commeneant ma tournee en Suéde. Une tempête qui m'empêcha de pafler le detroit, me donna le loifir dc vous écrire les deux Lettres, oü je vous ai fait une defcription detail-  ( 235 5 lée de la mine de cuivre a Fahlun. Après que le vent fe fut un peu calmé, j'allaime prome-. ner dans la ville & dans fes environs. Je fus voir 1'endroit cü font les eaux mine'rales a-ua demi mille de diftance, nomme' Ramlös, qui après celles de Medevi font les plus renomme'es en Suéde: toute la noblefle de Scanië, dont le nombre eft fort grand, ainfi que les perfornes les plus diftinguées & les plus riches de cette province s'y rafiemblent dans le courant du mois de Jüillet pour y jouïr de la beautédela faifon, ainfi que de 1'agrément & de la liberté qui y règne. C'eft ordinairement un Seigneur des plus qualifiés qui en fait les honneurs & qui en dirige les plaifirs. La politefle des Suédois envers les étrangers , la beauté' des envirors , la falubrité de 1'air, la gaïeté qu'on y refpire y attirent beaucoup de Danois; les jours de bal furtout, qui font toujours le dimanche; la nobleffe de Coppenhague , les miniftres étrangers & quantite' d'autres perfonnes y accourent en foule. Un village, tout atterant 1'endroit cü eft la fource, fournit des logemens que rsffluence du monde & 1'argent qu'on y depenfe a permis de rendre paffablement bons , outre qu'on peut trouver a Helfingburg des maifons dans lefquelles on eft fort bien Jo.'é. Lorfque j'y fus, il n'y avoit plus perfonne;  ( 237 ) j'entrai dans la falie de danfe, qui eft grande & trés joliment décorée avec beaucoup de fimplicite' & de gotit; au bout de cette falie eft une chambre adoffée contre un rocher d'ou fort la fource, qui s'e'lance dans un grand baffin, autour duquel les buveurs fe raflemblent: lorfqu'il fait mauvais temps la falie de danfe fert k prendre 1'exercice néceffaire a ceux qui boivent les eaux. Au pied de la tour, fituée fur la montagne qui domine Helfingburg, on jouït d'une vue fuperbe; le Sund, 1'entree du Cattegat ou Schaggerak, les cötes du Dannemark, Elfeneur, le chateau de Croneburg, & tout le pays qui s'élève en Amphithéatre de 1'autre cóté, joint a la grande quantité de vaiffeaux, qui font a la rade d'Elfeneur, ou qui paflent & rcpaflent continuellement, forment un tableau d'un grand genre. Au pied de cette montagne, dans la viHe même, une fource qui s'élève a 15 ou 16pieds de hauteur, comme une fontaine , décore le Jardin d'un particulier. Cette fource coule nuit & jour & fournit d'un bout de 1'année a 1'autre fuffifamment d'eau a la ville pour les befoins de tous fes habitans. Ainfi finit mon voyage de Suéde; voyage que j'ai fait avec d'autant plus d'agrément, que  ( a38 ) la fécherefle qui a caufée cette année tant de mal aux biens de la terre, me procura, a quelques orages prés, un beau temps continuel. En prenant congé de ce Royaume, je prendrai en même temps congé de vous pour cette fois; dans la Lettre fuivante j'efpère de vous rendre compte de mon retour en Dannemarc. Je fuis, &c.  LETTRE DIX-SEPTIEME. Coppenhagüe ce .. .Janvier 1785. M . . . "jf^e temps me 1'ayant permis, je m'embarquai pour pafler en Dannemarc. Pendant que j'étois balotté fur les vagues encore fort agitées par la tempête du jour & de la nuit précédente, & que le frêle batiment dans lequel je me trouvois, s'élevoit tantót vers les nuës, pour defcendre enfuite vers 1'abime ; appuyé contre ma voiture, entouré d'objets oü la nature s'exprimoit en grands cara&ères, je contemplai avec admiration dans le lointain, le contrafte de 1'Océan encore courroucé mais brillant, avec un Ciel noir & orageux, qui fembloit cependant vouloir céder a 1'influence du foleil, qui montoit de 1'autre cóté fur 1'horifon dans tout 1'appareil de fa gloire. Mon ame fut montée a ce ton oü en oubliant le refte du monde, on ne s'occupe que d'un feul objet; infenfiblement je tombai dans une profon-  ( MO D de rêverie; je parconrus les différens degrés de bonheur & de malheur que j'avois effbyé dans le monde; je paffai en revue tant d'efpèces d'événemens dont j'avois éte' temoin, & je ne trouvai rien de plus reffemblant a la variété & a 1'inconftance de la vie humaine, qu'une merorageufe, dont les vagues s'entrechoquent mutuellement avec une rapidité prodigieufe, & fe détruifent fans ceffe les unes les autres; a mefure que j'approchai des' coreS' du Dannemarc, le chdteau de Cronenburg s'offroit plus diftinctement a ma vue & entretenoit ma rêverie ; ce chateau antique bati de grandes pierres quarrées & grifes, entouré de tours, de remparts, de fortifications hériffés de canons, m'infpiroient un refpeél fombre & melancholique, a quoi contribuoit le fouvenir de cette Reine infortunée qui ypaffa quatre-mois & demi, continueilement agitée par la crainte 1'efpérance, la douleur & le défefpoir. Je fis encore quelques rérledtions fur 1'inconftance des événemens, en penfant que pèu d'années après une autre Reine fe retira du monde, en quitta les vanités, & yint fe corfiner dans un autre chateau ( * ), non loin de eelui-ci; elle y paffe fa vie au milieu d'une petite Cour, compofée de trois Dames d'honneur, trois Gentilshommes, une grande Maitreffe & un grand C*3 Le Chateau de Friedensburg. Maitre>  Maitre(*) dans une parfaite tranquillité;elle s'y occupe a des actes decharité&dedevotion,&y rëfléchit fur les viciffitudes de toutes les efpèces de grandeur. Retire'e a Friedensburg, ' depuis que le Prince Royal remplaga fon Oncle le Prince-Fre'deric dans la préfidence du Confeil d'Etat, elle ne fe méle abfolument plus de rien. Cette tranquillitén'eft-elle pas quelque fois troublée, lorfque du haut des collines de Friedensburg elle apperc'oit de loin ces tours qui lui rapellent la cataftrophe de la nuit du 17 au 18 Janvier 177 2,qui fut fuivie de tant de fee neseruelles pour tous les cceurs honnêtes du Dannemarc en ge'ne'ral & pour ceux de la familie Royale en particulier. Qu'on fe reprefente une jeune Reine, aimable, franche, bienfaifante, ne'e pour être heureufe ; mais deplacée & entraine'e par la fataüté des circonftances & la vivacité peut être de fon caraótere, a des démarches dont elle ne confidera pas affez les funeftes confequences, éveillée brufquement dans fon premier fommeil après les plaifirs & les fatigues d'une brillante fête, arrachée au tooment qu'elle s'y attendoit le moins du milieu de tout ce qu'elle avoit de plus cher; entraine'e de la fagon la plus violente par le Comte de Rantzau a la té te de quelqües offi- (.*) Mr. <3e IMoItke, Chevslier del'ördre del'EfcphiiRfc Q " ■  ( 242 > ciers vers un caroffe è fix chevaux, dans lequel fe placa, a cóté d'elle, le Capitainë de Cavalerie de Caftenfchiold- 1'épée nue a la main, tan- < dis qu'un officier de moindre rang & une de' fes femmes de chambre fe placerent vis-a-vis ; amenée enfuite a Cronenburg fous Tefcorte de 24 dragons, fuivie d'un fecond caroffe a fix chevaux oü l'on avoit placée la Princeffe Louife Jugufte, agée de fix mois avec fa garde & une Dame. La Reine J.... peut ellepenferfansagitation au fond de fa retraite, a cette nuit memorable oü elle eut befoin de tous les efforts de fon courage, pour furmonter les difficultés qui fe rencontroient a chaque pas? 1'obftination du valet de chambre du Roi, qui refufoit de donner les dés de fa chambre a coucher, le cceur trop fenfible & peu ferme du Comte de Rantzau, 1'amour du Roi pour fon époufe, dont on connoiffoit Pafcendant fur fon efprit; 1'attachement de nombre de courtifans pour la jeune Reine, 1'amitié que le Roi temoignoit au Comte de Struenfée, & les fentimens enfin de fon propre cceur, joint au trouble inféparable d'une pareille.revolution , étoient autant d'obftacles qu'il falloit furmonter. .11 eft vrai qu'elle eut la fatisfacTion de voir fon fijs unique è la téte d'un Confeil qui prit les rénes du gouvernement, mais qu'il en dut couter a fon cceur généreux & compatiffant dc fe veir  C 243 )* obligée de recourir k des moyens aufii violens que fanguinaires. Je fus tire' de ma rêverie par le bruit de la rade. Plus de trois cent navires tant de guerre que marchands, des quatre parties du monde, s'y trouvoient a Pancre, les uns y attendoient un vent favorable, les autres y étoient venus chercher un azyle contre la tempête: les paviüons Francois, Rufles, Suédois, Ame'ricains, Hollandois, &c. y flottoient au gré des vents; les cris des matelóts, le bruit de differentes manoeuvres, le mouvement de quantite'de chaloupes a la rame ou a la voile, la foule agiflante au port d'Elfeneur, faifoient une fcène d'aótivité difficile k déciire. J'en jouïs d'autant plus lóngtemps que le vent contraire i'nous obligeoit de louvoyér; nous fumes contraints de croifer, fous plus d'une direótlon, h travers de cette flotte. Un vaifleau Anglois, fous le bord duquel nous paflames, me rapella cette fregatte que le Roi d'Angleterre envoya a fon infortunée fceur, fur laquelle elle fut iobligée d'attendre pendant vingt-quatre heures un vent favorable., en compagnie du Chevalier de Keith, de fon grand maitre & fa grande •maitrefle Mr. & M^d de Holjïein. Je me la repréfentai, jettant des regards defefperés vers ' ce trifte chéteau , oü elle venoit de fe feparer, pcut-êtrepour toujours, de cet enfant fi cher h Q 2  i -44 | fon cceur, idéé qui a tout inftant renouvelloic fes fanglots; tournant enfuite fes yeux mouiV lés de larmes.vers Coppenhague, oü fumoit encore le fang de deux hommes, dont 1'un avoit une conneclion fi intime avec fa deftine'e, & qui renfermoit 1'ainé de fes enfans, auquel elle n'avoit pas feulement eu la confolation de.dire le dernier adieu, faifant voile enfin vers le lieü de fa nouvelle demeure, avec 1'obligation d'abandonner pour jamais un pais, oü fa belle ame & fes excellentes qualités naturelles lui promettoient un heureux fort, oü elle avoit au contraire trouve' la fource empoifonnée de tous fes chagrins , & oü elle laifibit des objets propres a reveiller continuellement les regrêts les plus amers. Mon arrivée k Elfeneur termina ces reflexions, je ne penfai plus qu'a debarquer, ce que je fis heureufement; je fus obligé d'attendre pendant plus de quatre heures avant de pouvoir obtenir des chevaux, j'aurois du attendre bien plus lóngtemps fans les foins obligeans de Mrs. Fenwyk & Godin, a qui j'étois adrefie'. II eft étonnant que dans une Ville oü fe fait le grand pafiage entre le Dannemarc & la Suéde on n'établifiê point de meilléurs regiemens de pofte, qui y font fi mauvais ou fi mal exe-  C 245 > eutés que fouvent des e'trangers ont e'ce' oblige's d'y attendre pendant 24 heures. Le Chateau de Cronenburg m'avoit trop intereflë du milieu du Sund, pour ne pas défircr de voir de prés un endroit qui reftera toujours fameux 'dans 1'hiftoirc, par le fe'jour de 1'illuftre Princefie qui y fut detenue. Mr. Fenwyk eut la complaifance de m'y accompagner. Une allée de tilleuls fepare ce chateau d'Elfeneur. On nous en permit 1'entrée après quelques cérémonies d'ufage; 1'Officier de garde en ayant fait demander la permiffion au gouverneur, Génë'ral-Major de Beffel, nous fit conduire au chètelain par un bas-officier. Je demandai avec emprefiement a voir les apartemens qu'avoit occupée la Reine; on fatisfit tout de fuite k ma curiofité & il me parut qu'on étoit affez accoutumé a cette demande. Ce logement, qui eft celui du Gouverneur, confifte en quelques chambres trés fimples & üniment meublées, cependant affez commodes. Je ne puis vous décrire 1'efpèce de fentiment que j'éprouvai en y entrant; Hr me fembla voir le tranfport auquel on dit qu'elle s'abandonna k fon entrée dans ces chambres; il me fembla entendre fes fanglots, & les reproches dont elle accabla ceux qui avoient ufés de violence pour 1'y conduire, fes proteftations contre 1'injuftice d'un pareil attentat, & fes demandes réïtérées &c Q. 3  C 245 ) vaines de parler a fon augufte époux. J'avois peine a rn'arracher de cet endroit, tant il eft vrai que 1'infortune dans un fexe different, fürtout dans une grande jcuneffe & dans un rang fi élèvé, touche plus nos cceurs que le malheur ordinaire; je parcourus le refte du chateau avec affez d'indifference, cependant je remarquai plufieurs tableaux reprefentants les guerres de Chre'tien V, peints par Carl van Manderen, (*) peintre hollandois, & ie portrait de 1'Admiral Tromp par le même. Je me promenai fur les remparts, j'entrai dans les immenfes fouterrains qui fervent de Cafemattes. J'admirai une batterie a fleur d'eau qu'on avoit nouvellement conftruite fur une avance e'lève'e dans le Sund, avec laquelle on pre'tend atteindre la cöte oppofée. Cette batterie doit refifter aux efforts terribles, & reïtere's de TOce'an, & il paroit que les entrepreneurs ne font pas inquiets fur le fort de leur ouvrage. Des remparts on jouit d'une vuë trés ëtendue: le Sund avec toute la beauté de fes cö- (*) Carl van Manderen naquit k Harlem vers la fin du 16 fiècle, il fut nommé Peintre de la Cour de Fréderic III Roï de Dannemarc/ II fit un portrait de ce Prince que Vondel a célébré par douze beaux vers Le Père de Carl van Manderen étoit auffi peintre & qui plus eft Poè'te.  C 247 ) tes & FacTivité de fa navigation; la majefté de 1'Oce'an, dont 1'horifon immenfë & a perte de vue contrafte fingulierement avec les montagnes de la Suéde, quidominent dans le lointain par deffus le Sund ; le terrible Cattegat 1'effroi des meilleurs navigateurs & les redoutables Kollen (chaines de rochers) qu'on» voit en perfpeclïve & qui préfentent un afpecT noir & hideux a travers ia blancheur de 1'écume formée par les vagues qui s'y brifent, offrent un tableau vafte, digne du pinceau d'un Vernet ; fa main habile, pour animer 1'intérêt d'unpareil tableau, pourroit y repréfenter les flottes holiandoifes qui couvrirent fi fouvent ces parages. Les vicToires d'un Obdam qui fauva le Royaume fous Frederic III, la Campagne glorieufe d'un de Ruyter fous le règne du même Roi en 1659, qui lui valut le prefent d'une chaine d'Or avec une medaille & des lettres de noblefle ; les lauriers que cueillit Tromp fur les cötés de la Scanie en faveur de Chrétien V qui le décora de 1'ordre de 1'Elephant, &c. Mes chevaux étant p.rêts, je pris la route de Droningaard oü mes amis jouiflbient encore du plaifir de la campagne, & oü je languiffois de me retrouver. Mon imagination avoit été tcllement afiecTée par la vue du chateau de Cronenburg, que tout ce -qui avoit quelque Q 4  C ms ) rapport a la Reine Mathilde continuoit h m'irtterefler. Je fus _ bientót fur le chemin qu'elle avoit tenue pendant la fatale nuit & cette chauffée fi magnifique d'aüleurs, m'en parut de moitié moins belle. Bientót je paffai le long du chéteau de Hirfchlom a mi-chemin de Coppenhague, fitué dans un charmant vallon au pied d'une colline. Le Roi lui en fit prefent: elle y arrangeoit de fréquentes parties qü elle s'affranchiffoit entierement de 1'e'tiquette & de la géne attachée a fon rang; ce fut de cet endroit qn'on prétendit tirer des preuves convaincantes de 1'accufation qu'on lui intenta, fa grande jeunefle, fon penchant au plaifir, la bonté de fon coeur, fa facilité a fe laifler entrainer & la diflbnance de fon mariage, furent autant d'écueils qui contribuërent a fa perte; un peu plus de prudence de la part de la Reine, & moins d'ambition de la pare de Struënfée eut prevenu cette funefie cataftrophe & 1'infortnnée Mathilde feroit reftée tranquillement a Coppenhague: elle auroit continuée a y regner fur les cceurs de fes fujets, elle auroit eu la fatisfactipn de voir cet enfant, dont la feparation lui fut fi douloureufe, devenir une Princefle charmante, lui reflemblerpar la beauté de fes traits, par la gaïeté de fon humeur, ainfi que par 1'excellence de fon car^ere & faire honneur par fon efprit & fes  < 249 ) tfrlens h 1'éducation qu'elle a recue; elle auroit e'té te'moin des grandes efpérances que donne aftuellement fon nis le Prince - Royal, qui pour la figure reflemble beaucoup au Roi fon Père, a Üexception que fes fourcils, qu'il a fort épais ,& fes cheveux font prefque blancs.: II a 1'air penfif & fe'rieux , parle trés peu en public; il porte toujours runiforme & paroit afiedionner beaucoup le militaire, dont il a fait augmenter la paye & qu'il fe plait a.exercer fréquemment. Ceux qui 1'approcbent de prés s'accordent a dire qu'il ipoffède les qualite's les plus émmentes, • & qu'il donne 1'efpoir le plus fondé de pofleder un jour au plus haut degré la fcience fi complique'e de bien gouverner. II paroit n'avoir d'autre ambition que qelle de rendre heureufe cette nation qui d'une volonte' trés libre a donnée a fes ayeux & k leur poftérite' tous les droits du Monarque le plus abfolu (* ). A peine fut - il déclare' Majeur, en 1'anne'e i^84j qu'il changea entierement la face du miniftère ; il forma un nouveau confeil dont il prit la préfidence& congedia 1'ancien, oü avoit prefide' jufqu'ici le Prince Fre'deric fon Oncle demi-frère du Roi & fils-unique de la Reine j La fa?on dont il s'y prit merite bien que je vous en détaille les circonftances. En i6Cp fous Frederic III. Q 5  C 250 3 ■ Ayant atteint au 28 Janvier 1'age de 16 ans accomplis, trois ans au-dela de 1'e'poque fixée en Dannemarc pour la majorité des Rois, il fut confirmé (»; peu de temps après: cette cérémonie fe fit le 28 Mars de la même année, dans la chapelle du chateau ■ en préfence des miniftres étrangers, de la noblefle, des différens chefs de départemens ■■ & des perfonnes les plus qualifiées qui y furent invitées. Ce ieune Prince répondit pendant trois heures confécutives avec toute la" préfence d'efprit, la fagacité & MtelT^,T,diffe'rentes queftions «B fit Mr. Baft-holm, premier Chapelain de la Cour, au fujet cela réligion dont il alloit être recu membre. Après cet acte folemnel, il fut déclaré majeur. Le r4 fut fixé pour lui faire prendre féance au Confeil, dont il devoi> deformais être le Chef; le Prince-Fréderic, qui en avoit étépréfident jufqu'ici, n'en pouvoitplus cccuperque la feconde place. On voulut 1'augmenter de quelques membres, avant que le Prince-Royal en prit la préfidence. Mr. Guü berg, autrefoisprécepteur du Prince Fréderic, puis Secrétaire du Cabinet, enfin Miniftre d'Etat y fut admis; ainfi que Mr. de Rofencrcne, Miniftre des Affaires Etrangères; & Monfr! Stehman, Miniftre des Finances; Mr. Sporon, Sous-Gouverneur du Prince-Royal, fut nomme'Secrétaire du Cabinet, A 1'occafion du 28 Jan- (*) C'eü-a-dire, re;u memWe de PÉglife.  ( =5i ) vier on avoit déja nomme' kuit nouveaux Cordons bleus, entre autres Mr. Mokke , GrandMaitre de la Reine J..,., & pn avoit augmenté quelques penfions. Enfin le grand' jour oü tout devoit prendrè une nouvelle face ayant, paru; le Prince-Royal prit le moment oü les gardes étanc .oeeuyées a fe relever, une partie de la gatnifon fe trouvoit ibüs les armes, il- fit dire que perfonne neut h quitter fon pofte, avant d'en recevoir 1'órdre de fa part. Le Confeil étoit aflemblé, & perfonne ne fe doutoit de ce qui alloit arriver. Le Prince-Royal, un moment avant d'y venir, entre, un papier a la main, dans la chambre du Roi fon père, oü il trouva le Prince-Fréde--~~ ric, qui ne s'attendoit a rien moins qu'a cette apparition: s'adreifant d'un ton refpe&uêux, mais ferme, a Sa Majefté; il lui dit: que les Loix 1'appellants déformais a gouverner fous lui a 1'aide d'un Confeil, il vouloit que ce Confeil ne fut compofé que de perfonnes a qui il pouvoit donner toute fa confiance; qu'en conféquence il avoit projetté un changement, parmi les membres compofants le Confeil - actuei, & qu'a cet éffet il avoit drefle un mémoire, dont il demandoit la permiffion de faire la lecture, efpérant que Sa Majefté 1'honoreroit enfuite de fon approbation & de fa fignature. D'abord il reacontra quelques obftacles, on  i -5-) effaya de 1'intimider, mais Ta fermeté Perftporta ; il lut fon papie? & le Roi figna. MunT-de cette .fignature, il fe préfecta a la chambre dü Confeil, s'avance d'un air módefie & alTuré, & prononce un difcours e;air & coneis: il témoigne a tous les membres, en particulier" si fon Oncle , fareconnoiffanae' pour lesfoins qu'ils-ont pris d'une adminiftration, .qui lui revient maintenant de droit, vu la trifte fituatiori du Roi fon père, &Jeur notifie en même temps qu'il a nomme' un nouveau Confeil, dont il a exclu quelques - uns des.membres actueLs, Meffieurs de Rofencrone , - Gulberg, Steh» man & Moltke; cependant il les alTure de fa protecTion & leur promet des penfions ou des équivalens pour les charges qu'ils vont perdre: il prie le Prince-Eréderic de continuer a honorer le Confeil de fa préfence & de 1'affifter de fes avis. Un coup de foudre inattendu n'aur roit pas e'tê plus atterrant;- déja depuis lóngtemps on avoit foupgonné qu'il fe préparoit quelque révolution, mais on ne Ia croyoit pas fi prochaine, & on efpéro.it qu'un afcendant de plufieurs années auroit paré, ou du moins differé le coup. Le Prince-Royal paffe enfuite a la garde du Chateau, s'adreffe aux Officiers des gardes a pied & a cheval, qu'il v trouve affemblés pour Pordre; il leur notitie que dorésnavant ils ne le recevront que ck*  lui feul, leur défendant, fous peine de la vie, d'efl refpecler d'autres, puis il leur fit prêter ferment. De-tè il va a 1'appartement de la Reine J...., lui fait part de ce qu'il vient d'exécuter, 1'affure dans les termes les plus foumis & les plus refpectueux , qu'il ne manquera jamais aux égards dus a fon rang, ni au reipecT: qu'il doit a fa perfonne; il ajoute, qu'il fera. charmé de lui voir occuper h la continue les mêmes appartemens du Chateau, qu'elle a habitée jufqu'ici; que cependant fi elle préfère de fe retirer, elle eft maitrefle de choifir tel Chateau, ou tel endroit qui lui agrée le plus, & lui infmue en mê»e temps avec beaucoup de ménagement , que dorésnavant toutes les affaires fe raporteront uniquement a lui & a fon Confeil, & qu'aucune fignature quelconque ne fera plus refpectée que celle du Roi fon père, contrefignée de la fienne. Après cette vifite il fait appeller le Gouverneur de la Ville, Prince de Bevern, le Commandant de la Citadelle, tous les Chefs des différens departemens, les Commandans des quatorze battaillons en garnifon a Coppenhague, le Colonel des Bourgeois & 1'Officier de police; il leur fignifie, que c'eft de lui feul que chacun recevra déformais fes ordres, & qu'aucun de ceux qu'on donnera par écrit  ( 254 ) feront de valeur, s'ils ne font munis de fa contrefignature. . Ce même jouril fit fignifiera Mr.de Schack, Grand - Maitre de la Cour, & a Mr. Jacobi, LecTeur du Roi, que leurs places 'étoient vacantes; le foin particulier de la perfonne de Sa Majefté leur avoient été confiées , & ils devoient en répondre ; ils furent remplacés par quatre Chambellans, attachés directement au Roi, & chargés de veiller continuellement a fa füreté, h fa fanté & a fes amufements. Monfieur de Schack fut nommé Grand-Maitre de Cérémonie, ernploi qui ne donne aucune occupation a la Cour, & qui lui óta les entrées chez leRoi; peu de temps après il fe retira dans fes terres, il fut remplacé dans le pofte de Grand - Maitre par Mr. de Numfen, Directeur de la chambre des péages a Elfeneur; homme généralement eftimé, dont la mère a été Gouvernante du Prince - Royal dans fa première enfance, qui a fréquente'plufieurs Cours étrangères, grand Protefteur des Sciences & des beaux Arts, pofledant du goüt, de lapolitefle & 1'efprit du monde. En même temps Mr. Sporon regüt fa demiffion dans fa qualite' de Secrétaire du Cabinet, dont il avoit a peine eu le temps de recevoir les complimens. On envoya unexprès au Comte de Bernftorf,  C *55ï qui réfidoit h fes terres, pour lui notifier qu'il i yenoit d'être nomme' au pofte de Miniftre dès ; Affaires Etrangères, vacante par la démiffïon du Comte de Rofencrone, qui en perdantfa place au Confeil, dut quitter auffi celle de Miniftre ; Mr. Schack-Ratlau fut chargé d'en preni dre foin ad interim. j Mr. de Rofencrone partit peu de jours après pour fes terres, fituées en Jütlande, qui font i eonfidérables, & qui lui donnent de grands i revenus; il y jouït d'une penfion de 2500 écus. Iflu d'une nobleffê nouvellement crée, il fut ii employé autrefois dans les miflïons étrangères. Durant fon adminiftration il s'eft acquis la réputation d'honnête-homme: fon carattère doux & affable l'ont fait regretter [dans la fociété, : & de ceux qui avoient babituellement affaire avec lui. Le Comte de Schimmelman, fils du fameus Schimmelman, rempla?a Mr. S*e/wrcan, qui dut quitter le Confeil & le pofte de miniftre de fi. ! nances; on lui donna pour le dédommager le Baillage de Hadersleben. Mr. Stehman a dü fafortune a facapacité; il eft laborieux, grand travailleur & bon calculateur; mais un miniftre ne doit pas fe bomer a ces qualltés, il doit avoir un génie créateur & des vues éten- : dues, furtout lorfqu'il s'agit de rétabiir la caif-  'C *5'6 3 fe dans un pays, 0Ü les reffources ne font pal toujours proportionnées aux befoins & aux létabliffemens qu'on projette. Mr. Gulberg, en quittant le Miniftère &uj Confeil, eft refté attaché' au Prince-Fréderic en qualite de Grand-Maitre de fa maifon; pofté dontil fut revétu, peu de mois avant cet événement, avec une penfion de 2000 e'cus, auxgneis on en a ajoute' encor 350Q j en qualité ,de Miniftrc,pour fa retraite. Il eft d'extra&on bourgeoife, fon père fut Miniftre du St. Evangile en Norve'ge, il e'tudia lui-même en théologie & defervit une églife a Rotfchild, qu'il quitta pour devenir Précepteur duPrinee-Fréderic, jm depuis la trop fameufe revolution de r772 l a toujours poulfé, jufqu'a ce qu'enfin il par- rltZl l ^^«^etermina fa chute. Tout le monde s'accorde a lui recbnnoitredj g andes qualités : fon caraclère de bonté " d hamanue-1 ont fait aimer ge'néralement, 1 eft laboneux&infatigable au travail, il paroi fQ pas „mer ce qu'on nomme vulgairement les' Piaifirs; je ne 1'ai jamais vu au fpeftae e , «at. On lm reproehe d'avoir trop prod,W f Penfions in point même que la caiife7 mais  ( 257 ) mais on ajoute en même temps que ni lui, ni perfonne de fa familie en a jamais profké & qu'il fort de fon pofte tout auffi peu riche qu'il y eft entre', temoignage d'autant moins fufpeót qu'il lui a e'té rendu par fes cnnemis même au moment de fon infortune. II a e'poufe' en fecondes noces la fceur de fa première femme, toutes deux filles d'un meunier de Friedensburg ; & il jouïlToit de 1'entière confiance de la Reine J. . . ., ainfi que de celle du Prince Frederic. Le Gouverneur du Prince Royal, le Général Eichftatt, qui après avoir quitte'le Confeil fut nomme' grand Chambellan du Royaume, prit fa demiffion du pofte de Collonel des gardes a cheval, pour fe retirer dans fes terres , oü il vit tranquilement, e'loigné des affaires & ne s'occupant au milieu des travaux champêtres que du bonheur de fes vaffaux. II commanda les dragons qui furent employés a la revolution de 1772. Le bruit de la demarche du Priace Royal fe repandit bientót dans le pubic, quantite' de gens s'attrouperent devant le cliateau, témoignants leur impatience de voir le nouveau Regent. II parut enfin en uniforme de général. Mille acclamations des plus vives £e fircnt entendre de tout cóié par un peuple, qui a toujours efperé de voir renaitre en lui fon Ayeul R  C 258 ) Frederick V, furnornmé le père du peuple. Le Prince Royal fe promena enfuite a pied accompagné de fon Maréchal le Baron de Bulau & fuivi d'un feul coureur, par les principales rucs de Coppenhague & d'une foule prodigieufe, qui ne ceffoit de'lui donner des marqués de fon attachement. La conduite perfonnelle de ce jeune Prince a cette revolption, lui fait fans doute honneur par la modération & par la fermete' qu'il témoigna lorfqu'on voulut eiTayer de le detourner de fon delTein; ainfi que par 1'humanité dont il fit preuve envers ceux qui perdirent leurs emplois, & qu'il dedomagea plus ou moins par des penfions, des Baillages ou d'autres pofies qui en les éloignans des affaires & de la Capitale , leur Jaiffoit cependant de Ia confidération & les mettoit a leur aife. Si le peupie temoigna de la joye, lorfqu'il apprit que ceux qui avoient eu jufqu'ici tant de part au gouvernement, n'y auroit plus Ia moindreinfluence, ce n'étoit point parcequ'i] etoit mecontent de leur adminiftration, puifque généralement on s'eil réuni a dire: que cette adminiftration avoit été douce & moderée, qu'on y avoit encouragé les arts & les fciences, & qu'on s'étoit principalement etudié a rendre la nation heureufe en maintenant la paix au dehors & la tranquilité au dedans; mais la mé-  snoire de la cataftrophe fanglante de 17 7 s; arrivée fous ce même miniftère, au milieu d'un peuple qui n'eft rien moins que fanguinaire > & qui trouva le fupplice trop cruel pour la faute, jointe a la reminifcence d'une Reine infortünée, dont le trifte fort intéreffera toujours une nation, qui la voit revivre dans les traits d'une jeune Princeffe, belle &aimable, qu'elle idolatre, contribua fans doute beaucoup au contentement général, d'autant plus que le parti anglois ne manqua point de profiter de cette difpofition favorable, pour s'afiurer des efprits. Le Confeil aduel, oü, fous la préfidence du Prince Royal, toutes les affaires font rapportées après avoir paflees par les diifércns departemens, eft compofé, outre le Prince Fréderic qui y conferve toujours une place, des cinq miniftres fuivans: Le Comte de Bernflorf, Miniftre des affaires étrangères, Préfident de la Chancellerie Allemande, neveu de ce fameux Comte de Bernftorf, dont le nom, a jamais mémorable dans les annales du Dannemarc , rappellera a la poftérité le beau règne de FrêdericV. II joint k beaucoup de capacité une connoiffance approfondie des différentes Cours de 1'Europe qu'il a fréquente', il eft intègre, laborieux, adtif, infatigable au travail, en dépit d'une fanté qui paroit chancellante. C'eft  C 2rTo ) pour la feconde fois qu'il fe trouve chargé öii même departement. Entraïné en 1771 (fous le miniftère de Struenfée) dans la difgrace de fon onele, il fut rappellé en 1773 , fous celui du Prince Fréderic. II fut obligé de fe retirer en 1780, peu de temps après qu'il eut figné a fa Campagne conjointement avec les miniftres de Ruffie &.de Suéde , le fameus traité de la Neutralité armée. Le fecret penehant qu'on lui connoifibit pour 1'Angleterre, fit craindre a la Ruffie que les armemens, ftipulés par ce traité, ne feroient pas prefle's en Dannemarc avec cette vigueur que 1'Impératrice défiroit; en conféquence elle exigea fa retraite. Les circonftances ne permettoient point de refufer cette marqué de condefcendance a une Cour , qu'on avoit de fortes raifons de ménager. Le Comte de Bernftorf fut facrifié, mais le regretr qu'on lui en témoigna, prouva bien que c'étoit a contre- cceur. II refta tranquillement dans fes terres jufqu'a la révolution de 1784, que le Prince Royal le rappella a ia fatisfacTion de toute la nation. Le Baron de Rofeticrantz, Préfident du College de 1'amirauté; il eut autrefois avant 3'adminiftranon de Struenfée, & pendant les voyages du Roi la direcTion du departement de la guerre; depuis ce temps il a vecu loin des affaires; c'eft un homme d'un efprit tranfcesdant, doué d'une grande connoiiTance du mon-  C *fa ) ij ne, d'une politeffe aifée & en toute facon fait i| pour vivre a la Cour. Le Baron de Schack Ratlau, Patron de 1'U> | niverfité, de Coppenhague. II s'eft générale* | ment fait eftimer de toute la nation par la con1 duite noble & généreufe qu'il tint au commence1 ment de 1'adminiftration de Struenfée. CeSeigneur 1 fe diftingue par fon efprit, fes connoiffances & fon goüt pour la littérature & les beaux arts (*). . Monfieur de Huth, Général en chef de 1'arI tillerie & préfident du Col'ège de guerre, qui . ^ p^ge de. 75 ans, conferve encore toute la vigueur d'un homme de 40. II s'eft élevé , par fon mérite & par fa capacité. Né en Heffe, il y a fait fon apprentiffage, & après avoir fervi cTans plufieurs gnerres il eft paffé au fervice du Dannemarc, en qualité de Lieutenant-Gollonei, fous le miniftère du Comte de St. Germain. C'eft ün homme extrêmement uni, trés eftimé . non-feulement dans fon métier, mais aufii pour fon caraftere moral & pour fon imégrité. Monfieur de' Stompe, P.éndent de la chany cellerie Danoife, eft trés eftimé pour fa capacité & 1'excellence de fon caraftère. Les quatre premiers de ces cinq Miniftres font Chevaliers de 1'Grdre de 1'Eléphant; Monfieur de Stampe 1'eft de celui de Dannebrog. (;*) Ces deux derniers Seigneurs ont quittes !e ConfeÜ vers la fin de Unnée 178S. . R 2  Le Comte de Schimmelman, Chevalier de 1'ON dre de Dannebrog, Miniftre des' finances & de commerce, n'a pas encore féanceau Confeil ( * ) , fon application & fon aftivité font efpérer qu'un jour il égalera fon père, dont Ia réputation diirera auffi lóngtemps que le Dannsmarc, & a la mémoire duquel le Corps des ne'gotians projette d'élever une ftatue, qui feraplace'e devant Ia bourfe. On m'en fit voir le modèle exe'cute' par un Italien, nomme' Rofei. I] eft repréfente' en habit de Chevalier, autour de lui font différens attributs de commerce pour marquer que c'eft k fa protecTion & è fes talens qu'on doit 1'accroiffement de cette branche de richefie & de bien-être. Le Prince Royal non content de pre'fider s ce Confeil, fait de fon mieux pour acque'rir les connoiffances néceffaires, afin de fe mettre en e'tat de gouverner un jour par lui-même II va journellement chez les miniftres & chez les différens chefs de departemens, p0ur fe mettre au fait de tout ce qui a rapport a 1'adminiitration. J Mais j'oublie que je fuis toujours fur le chenun qui mène d'Elfeneur a Droningaard- il eft temps de m'en tirer & de vous notifier mon arnvée a cette magnifique Campagne, oü je retrouvai mes amis bien portants. Je fuis, &c.  C 2S3 ) LETTRE DIX-HUITIEME. Cofpenhague ce . . . Février 1786, M . . . j/^près avoir parcouru avec vous le local de la Suéde, & vous avoir donné une defcription générale du pays & de fes habitans, vous fouhaités que je vous faffë connoitre un peu plus particulièrement une nation, dont vous vous êtes formé une haute idéé, & vous voudriés furtout apprendre quelle eft la différence ou 1'analogie, qui exifte entre elle 8c la nation Danoife. Le détroit du Sund fépare ces deux nations, dont Torigine eft certainement la même, qui viyent h peu prés fous le même climat, parient la même langue & qui ont cependant entre elles des contraftes marqués, foit rélativement au pays, ou aux hommes qui 1'habitent. En Dannemarc tout eft colline, terre franche, mais pierreufe, des bois de petite étendue & des plaines a perte de vue, des petits lacs, point de rivières; les hommes portent des habits longs & rouges. En Suéde au contraire on ne voit que montagnes, rochers, R 4  ( 2fJ4 ) srallons, forêts, lacs immenfes & grandes rl» tyières; les habits font courts & bleus. ;.Le Suédois d'une taille fuelte & bien prife eft vif, laborieux, gaï & fe lie aifément. ' Le Banois moins deliédans fa figure eft plus lent, aime le repos, ne travail Ie pas avec la même activité, fon humeur plus flegmatique eft tournee au ferieux , fon caracTère froid eft conftant, furcout en amitié, mais il ne fe livre pas fi vite. Quelques Savans du pais prétendent que jufque dans ie n & ise. fiècle les Suédois ont été d'une taille beaucoup au deffus de celle qu'ils ont actuellement; on trouve confi- gr.és, a ce fujet, dans les mémoires de leur Académie, les faits lüivants: „ Le 23 Juillet 1754, en creufant dans le „ Cimetière de Tanden Cloicre Wreta, on „ trouva a 2' aunes de profondeur, plufieurs „ Caifles faites de pierre, qui contenoient {> des ofiemens humains d'une grandeur deme^ furée. En creufant encore jufqu'a la „ profondeur de 4 aunes, on trouva dans du fable blanc trés ên un fquelette parfaite„ ment bien confervé de la longueur environ „ de 8 pieds. Lorfqu'on pofa les fondemens st de la Tour de Lingkiöping, on deterra deux „ fquelettes environ de la même grandeur, 1'un k, defqueis portoit au Crane la marqué d'ung' m profonde blefture." ? • - •• •  Les os qui repofent dans le cercueil de" ), -pierre du Roi Inge' Haljlanjfons, dans I'églifè is,, de Wreta, ont a peu pres les mêmes di„ menfionsj & Thiftoire dit, que les Rois Sten"„ kilfon & fes neveux Ragwald Knaphöfding étoient plus grands que lui. —: Ils veeurent „ dans le commencement du i4e. fiècle. | „ Lorfqu'on creufe profondement dans les „ anciens Cimetières, on trouve fouvent des K fquelettes de cette taille (*)•" Le dialecte des langues Suédoifes & Danoifes, dans le fond le méme, fe reflent'dela différence de caraclère entre ces deux nations: Tune & 1'autre prononce en chantant, mais le Suédois chante plus vite, termine beaucoup de mots par des voyelles & principalement par des a, en quelques provinces, Boka un livre, Hefta un c'neval, Baka une montagne, & relèvë' promptemerit Ia dernière fyllabe, après avoir baiffë 1'avant dernière, au licu que le Danois a une prononciation lente, un peu gutturale, beaucoup de ter'minaifonsenconfonhes, Book, Heft, Baken, de7 forte que deux Suédois parlans entre eux infpirent de la gaïeté, tandis que deux Danois dans leur (*) Memoires de 1'Acad. des Sciences de Suéde, Tom, XXVII. pag. 334. Tom. XXVIII. pag. 274. , Le fameux Cajanus qui s'eft fait voir pour de 1'argent & qui eft mort en Hollande , étoit Suédois,. il naquit en Oftrobothnie; on prétend qu'il avoit au dela de 8 pieds en hauteur. Ceux qui J'ont vu ont pu fe former l'idéè d'un ancien Goth. , . : ■ r 5  ( aS6\) accent lugubrei donnent de la mélancolie k tous ceux qui n'entendent pas leur langue. Les Danoifes & les Suédoifes font les unes & les autres belles, aimables& bien élevées, généralement blondes, elles ont le teint delicat, lesyeux bleus,de beaux che^eux; mais les Suédoifes ont le regard. plus animé, la phyfionomie plus expreffive, la taille plus légère, elles font bienfaites & vives j les Danoifes font fujettes a prendre de Tembonpoint & font plus langoureufes. Je crois les premières plus enclines a 1'amour, & celles-ci plus fufceptibles de tendreffe & d'attachement. En Dannemarc les bourgeoifes & les femmes du commun aiment beaucoup la parure & facrifient tout a leurs ajuftemens, qui ordinairement font bigarrés de plufieurs couleurs oü le rouge domine. En Suéde les femmes de tout état fortent toujours voilées, les payfannes mêmes lorfqu'elies travaillent aux champs, portent un voile de crêpe noire, ufage néceffaire pour garantir les yeux de 1'éclat de la neige durant leurs longs byvers, & de la reverbération du Soleil parmi les rochers pendant les lorigs jours de leurs étés. La nation Suédoife eft moins éloignée de fa première origine que ne le font les habitans du Dannemarc; nombre d'étrangers viennent s'établir parmi ceux-ci, foit par une fuite de la nature de leur gouvernement, foit par celle de leurs poflefilonsj ces étrangers s'y natura-  C 26-7 ) iifent a ia Campagne & dans les villes, quantite' de families nobles & roturieres, beaucoup de perfonnes employees dans le politique & dans le militaire, nombre d'artifans, même quelques artiftes font e'trangers, mais furtout Allemands , au lieu qu'en Suéde a Texception de peu de families, tout eft Suédois ou d'Ori- e gine Suédoife, Par 1'article 10 de la nouvelle conftitutionrenouvellée de 1'ancienne, „ Au„ cun étranger de quelque condition ou rang „ qu'il foit (Prince même) ne peut être >, employé dans la politique, le civil ou le „ militaire, & ne peut jouïr d'aucun pofte, » excepté a la Cour du Roi". Les deux nations aiment les Sciences & les belles Lettres & s'y font diftinguées. Les Suédois comptent plufieurs Savans, qui non feulement ont tenus & qui tiennent encore un rarig diftingué chez-eux; mais qui ont acquis en même temps 1'admiration & 1'eftime de toute 1'Europe 3 qui ne connoit un Linnseus, un Bergman , un Celfius , un Menanderhielm , un Wargentin , un de Geer, le Reaumur de la Suéde, & le Savant Hiftoriographe Lagerbring (*). Les Danois en revenge peuvent fe glorifier dün Tycho-Brahé, d'un Roemer, 'd'un Gafpard Bartholin, d'un Simon Pauli, d'un Wormius, dün Holberg & plufieurs au;- £ * ) ïl eft mort en 178S,  < 258 ) tres: qu'il me foit permis d'ajouter a ce Catar logue quatre Savans, qui font aftuellement en- . qore 1'ornement de Coppenhague, autant par leur merite, que. par leur favoir: Mr. de Kratzenftein,. RecTeur de lUniverfité & Profeffeur en Phyfique expe'rimentale; leChambel'an de • Suhm le Profeffeur en Théologie de Tres- f*) Voici 1'extrait d'une Lettre, qui m'a été écrite de Coppenhague en date du 17 Févr. 1789, par 1'eftima- ble & favant Profeffeur dé Trefcouw. „ C'eft a Mr. Ie Chambellan de Suhm, que l'on dok ce qui eft le plus .éxa£l, par rapport a 1'hiftoire du Dannemarc» Ce Savant pofféde la connoiiTance des „ anciennes langues en perfeftion, & une affiduité irf- „ croyable pour les recherches hiftoriques. II a publia XIVvolumes in4tofur 1'hiftoire, principalement celle du Nord, dont le contenu eft le fuivant: 1. Sar l'Or ,, rigine des Nations en général, Copp. 1769. 2. Sur l'Origine des Nations du Nord, Copp. 1770. -3. Sur l'Odiit &" la Mythologie des Nations du Nord, Copp. 1771. „ 4—5. Sar l'Emigration des Nations du Nord, Copp. 1772'. „ &"I773. 6 9. Hiftoire Critique du Dannemarc, IVvol. 1774—81. 10--13. Hiftoire du Dannemarc ,. avec de.s s, Tables in Folio. 14. ColleSion des pièces Hiftoriques, „ concernantes l'Hiftoire du Dannemarc. C'eft grand dommage que ces ouvrages ne font pas . „ encore traduits. Comme Mr. de Sahmne s'etendpoint „ a 1'hiftoire de Norvége , nous avons recüs 1'hiftoïre. de ce pays d'un autre hiftoriographe, auffi refpeftable que Mr. de Suhm, qui s'appellc Schionning , en 3 vo- „ lumes in 4M. Comme il étoit Norvégien & trés pro- . „ fond dans 1'hiftoire, dont il a donné-^des preuves convainquantes dans la nouvelle Edition de 1'hiftoire de „ Snarro en Latin, & dans fon ouvrage fur Vanciennt Géographie de Norvége; il n'y a rien de plus accompli . „ que cet ouvrage; mais il majiqueune traduiten, Soa  ( *«9 ) cauw, & Ie Profeffeur en Chirurgie KaU* fchen. La grande partie de Ia nobleffe Suédoife,T ainfi que de la Danoife, après avoir recue chez elle une excellente e'ducation préliminaire, voyage & vifite les pays étrangers. En y étudiant les loix, les habitans & les mceurs qui les caraétérifent, ils acquièrent des nouvelles connoiffancns, dont ils reviennent enrichir leur pays. Les uns & les autres fe diftinguent par une politeffe aifée & prévenante, cependant quelque gracieux que foit 1'accueil que font aux e'trangers les Seigneurs Danois, ils ne poffédent point ce degré d'hofpitalité, refte des temps primitifs , & dont fe piqué la nobleffe Suédoife. Le Régiment Royal Suédois au fervice de France, donne la facilité a quelques jeunes gens de s'expatrier pour quelque tems. Ceux qui font deftinés au militaire & principalement a la marine, font obligés d'aller fervir chez quelque Puiffance.étrangère, s'ils veulent obte- Hiftoire de Norvége eft imprimée a Soroe, 1771—8r. Pour fuppléer un peu au manquement d'une traduftion „ de ces ouvrages confidérables, Mrs. Gehhardilk Chris„ iiahï ont publiés un ouvrage, ou plutöt deux ouvra' „ ges, fur 1'Hiftoire de Dannemarc, de la Norvége & „ desDuchés de Sleswig & de Boljlein, en plufieurs vo,4 hmes in 4W & 8vo, oü ils ont confultés les ouvrages „ de Mr. de SabiB * Schionning.".  ( 27° 5 Bir de favaneement chez eux; par eette maxi= me, cenx qui ont de Tarnbition & ils en ont généralement tous, acquièrent'le dëfir de s'inftruire, & d'être un jour utiles a leur Patrie. Le Militaire Danois ne va guère fervir dans les pays étrangers, a Texception des officiers de marine, a qui on fait tous les avantages poffibles pour les engager a fervir quelque, tems hors de leur pays; quantité en profitent, & il y en a toujours quelques -uns au fervice particulièrement de 1'Angleterre &c de la Ruffie, quelques uns pour apprendre leur metier fervent dans la marine marchande. Le Roi de Sue'de envoye de tems en temps quelques jeunes artiftes a Rome & a Paris, pour y e'tudier les chefs d'ceuvre antiques & modernes; la plupart ont réuffi, & le Sculpteur.Sergel, dont je^vous ai parle', apaffémême en Italiëpour exceller dans fon art. Cependant Commè les arts ne jouïffent pas en Suéde des mêmes encouragements qu'en Dannemarc , ils n'y ont pas encore faits autant de progrès, malgré 1'aptitude naturelle des Suédois pour y réuffir. Les Danois ont un Peintre d'hiftoire (*), dont la compofitlon peut être mife en paralelle avec celle d'un JVeJl ou d'un Pierre. La Cour lui donne une penfion an- C* } Le Profeffeur Abelgaard; fon frère eft Profefteus' en Hippiatrique a Coppenhague.  ( 271 ) nuelle de iooo écus, pour lequel il s'eft engagé a livrer toutes les années, au jour de naiffance du Roi, un tableau, repréfentant quelque époque mémorable de 1'hiftoire du Dannemarc. II en peindra 22, a meftire que ces tableaux font achevés oh les place dans la fuperbe falie des Chevaliers , dont le deffein & Texécution font dus a un architecte Francois, nommé Desjardins. Le Roi a permis a un Peintre en portraits (*), qui excelle dans les reffemblances, d'établir fon attelier dans une 'grande falie du Chateau. Comme il garde une copie de chaque portrait, cette falie eft tapiffee, de ceux d'une quantite' de perfonnes, de tout rang & des deux fexes, jen'ai rien vu de plus frappant. Un étranger peut y prendre une connoiiTance préliminaire (d'après les principes de Lavatcr) des différens membres de la fociété de Coppenhague. Le Prince Royal fait voyager acluelternent un Peintre en païfage (t)» dans les contrées les plus pitto-' refques de la Norvége, du Dannemarc & de la Jütlande; ce jeune homme qui a etudié fon art dans les montagnes de la Suiffe & aux environs de Rome, & qui peint avec beaucoup de chaleur, eft chargé de faire une fuite de C*) Juel. £t) Pauliflen.  C 272 ) tableaux cara&ériftiques des vues les plus fail* lantes qu'il rencontrera dans fa tournee. Ces tableaux ferviront d'ornement a une falie du Chateau. Le Profeffeur Höyer, Secrétaire de Tacadémie de Peinture (*), de Sculpture & d'ArchitecTure , eft un Peintre du premier genre en Miniature; il brille par 1'élégance de fa compofition & la délicateffe de fon pingeau. Le Graveur Preifler fe rend célèbre dans fon art, on doit admirer fon intelligence & 1'expreffion de fon burin (f). Deux Sculpteurs & Statuaires, les Profeffeurs de JViedefelt & Stanley fe diftinguent, le premier par 1'exacTitude de , fes contours, & le fecond par la richeffe & le feu de fes compofitions; 1'un & Tautre fe font perfectionnés le goüt parmi les antiquités de de la Grèce & de 1'ancienne Rome en Italië, & parmi les beaux ouvrages modernes en France. La Cour leur donne continuellement de 1'oüvrage, &c ne veut point voir leurs talens fans occupation. On fait rendre juftiee a Coppenhague a un violon nommé Letnm, qui a paffe plufieurs années en Italië; des perfonnes qui 1'ont entend u a Rome , m'ont affurés qu'il y étoit infiniment gouté, Tous C*3 Prince Royal eft préfident de cette Académie. Ct3 Son fiis J. G. Preifler, difciple du fameux Wille., marche a grands pas a la perfeftion de fon art.  ( 273 ) Tous les Artiftes dont je viens de faire merition font nés Danois & font fans doute honneur a la nation par leurs talens, qu'ils ont cultivés dans les établiflemens dus a la munificence dn gouvernement; qui leur fournit enfuite les fecours néceflaires pour fe perfecTionner dans les pays étrangers. Quantite' d'artifans excellent en Suéde dans differentes manufadtures, fabriques & metiers ; ils y réuffiroient encore mieux, s'ils n'avoient pas continuellement mille obflacles 1 combattre; leurs ouvrages de marqueterie, leur facon de preparer les cuirs , leurs fuperbes manufaftures de gants, leurs fourneaux économiques & plufieurs autres ouvrages prouvent leur induftrie & leur aftivité; quelques manufacTures en Dannemarc 1'emportent par 'deflus les leurs, entre autres celles des draps, des foyeries, des toiles peintes & des chaj peaux. Le payfan Suédois, vigoureux, 'acTif & laborleux travaille pour lui & pour fa familie, I après qu'il a decompté la dime & les redevances ; s'il eft obligé a quelques Corvées, furtout a celles de la pofte & des voiturages publiés il s'en confole en penfant que malgré fa pauvreté, il eft membre d'un corpsqui eft le 4e. ordre de i'Etat, ayant fa voix dans le gouverneS  < 274 ) nacnt. Cette idéé leur donne une énergie de cara&ère qu'ils n'ont point en Dannemarc. Au contraire le payfan dans un état peu different de 1'efclavage, attaché a la Glebe, y travaille pour fon Seigneur & fe trouve fujet a des corvees exceffivement onereufes, ce qui le rend le plus malheureux de tous les êtres. Cet état de fervitude joint a 1'indolence qui lui paroit affez naturelle, lui donne un air humilié que fon voifln au-déla du Sund n'a point. Jufques ici perfonne n'a fuivi encore 1'exemple du feu Comte de Bernftorf, (qui a donné la liberté 3 tous fes payfans, il y a quelques années) malgré /les produits quadruples des terres, & la richeffe . aciuelle de ces mêmes payfans, qui, avant cette époque, étoient tout auffi miferables que les autres. Pour éternifer la mémoire de leur bienfaiteur, ils ont érigés 1'année derniere a fon honneur un magnifique monument de marbre de Norvége, exécuté par le Profeffeur en Sculpture Wiedefelt. Une infeription en lettres d'or y transmettra le nom de Bernftorf a la poftérité. On a placé le monument dans une de ces terres libe..rées(*),a unclieuede Coppenhague,au bord du grand chemin royal qui mène a Elfeneur. Malgré 1'animofité &lajaloufie quirègne entre C*) Gienthof.  ( 275 ) ces deux nations (*), on airae beaucoup en Daiv nemarc les ouvriers Suédois, tant pour les ouvrages des manufadtures, que pour les metiers & les travaux de 1'agriculture; on les trouve intelligens, adroits, infatigables , & les Danois qui font a la tête de quelque entreprife, leur rendent la juftice de les preferer a leur compatriötes; j'en ai vu moi-même la différence. Une petite Colonie de Scaniens au' nombre de 40 h. 50 s'étoit établie a la terre de mon ami de C pour y travailler au defrichement qu'il y exécute , le triplê de Danois y travailloit de leur cóté. Je remarqual que les ouvrages les plus rudes , ceux qui demandent le plus d'attention, ainfi que ceux qu'on étoit quelquefois obligé d'abandonner a Tintelligence de Touvrier, étoient deftinés aux Suédois par I'Infpe&eur natif du Holftein. II en étoit de même des ouvrages de la moifibn , le fermier auffi Holfteinois preferoit toujours les Suédois. Je vis arriver la même cbofe a 1'exploitation . des bois; le forêtier Danois lui-même, n'employoit, que le moins poffible, (*) Cette haine nationale a été oblèrvée déja dans les temps les plusanciens ; leurs guerres continuelles ont entrenues cette ayerfion , & elle s'entretient encore tous les jours par la jaloufle de Commerce., de Navigation, de pêche & d'autres caufcs , ekcitées par les intéréts communs a deux nations fi voifines. Sa  ( ) des gens de fa nation, & je m'afiurai qu'ils avoient raifon. Un Suédois faifoit quelquefois lui feul autant d'ouvrage que trois Danois. Ce qui me furprit encore c'eft que lorfque la cloche du foir annongoit la ceffation du travail, les premiers fe rendoient aux huttes de terre & de mouflb qui leur fervoient 'd'habitation avec leurs femmes & leurs enfans, oü pour fe repofer de leurs travaux, ils danfoient au fon d'un violon qu'ils avoient avec eux, ou bien aux chants de leurs femmes & de leurs filles. Ce bal fe repetoit tous les foirs , lorsque le temps le permettoit, tandis que les ouvriers Danois fatigués alloient boire du brandevin & fe. coucher. A une fêce champêtre que donna mon ami de C. . . . les Scaniens ne voulurent jamais fe mêler avec les autres : ils s'ifolerent dans un coin de la campagne oü ils fe divertirent a leur maniere. La mufique & la danfe Danoife étoient trop langoureufe pour eux. Ils préferoient leur mufique vive & leurs pas redoublés. Au printemps quantite' de Suédois viennent chercher de 1'ouvrage dans 1'ifle de Zélande, oü ils jouïflent d'un plus grand journalier que chez-eux. Ils y vivent fobrement & avec beaucoup d'économie, & s'en retournent aux aproches de 1'hyver emportants le fruit de leurs épargnes. On voit ainfi arriver des troupes d'hom-  C £77 ) mes, mais encore plus de femmes, principalement lorfque le bruit s'eft repandu chez-eux de quelque grande entreprife a la cóte oppofée. Que ce peuple aótif & laborieux fo't guerrier & bon Soldat, c'eft ce dont vous ne pouvés douter. Sans parler des differentes guerres que les Suédois ont foutenus chez-eux, oü chez leurs voifins dans les fiecles antérieurs, celles fous leurs Rois Charles IX, Guftave Adolfe, Charles XI, Charles XII, prouvent qu'ils font braves, & qu'ils font toujours prêtsaie facrifier pour la gloire 8c pour le falut de 1'Etat. Heureux! lorfqu'ils font gouvemés par des Rois qui favent diriger leur adtivité & leur amour pour la Patric, Vers 1'agriculture, lc commerce & les manufaftures, & qui n'employent la bra: voure naturelle de leurs fujets, qu'a de'feödre 1'Etat en le leur faifant envifager comme une poffeffion commune, fans jamais fonger a fe mêler dans des guerres écrangères & encore moins a faire des conquêces. Les pertes qu'a fouffert le Royaume & en hommes & en efpèces, dans les guerres même les plus glorieufes doit fervir de leeon aux fucceffeurs de ces héros, qui fe font acquis un nom immortel dans les faftes de Mars & de B'ilone, mais qui ont marqués en traits dc fang , dans les ar.nales de la Suéde, des époS 3  C 278 ) ques de dépopulation & d'apauvrifiement a jamais irréparables, fi une bonne économie Sc une adminiftration pacifique n'y raniment de plus en plus les branches de population & de commerce. Un célèbre écrivain Suédois (*) en parlant du tort que les guerres font a la population de fon pais cite le trait fuivant : „ Pendant Ia derniere guerre, Ia Compagnie „ d'Infanterie repartie fur la paroiffe Skellefld „ en Weftro-Bothnïê, forte de 128 hommes, „ a été renouvellée entierement deux fois „ dans une même année ". Un Roi de Suéde (f ) le plus grand Capitainë de fon fiecle , • célèbre par la gloire qu'il acquit aux armes Suédoifes, malgré les vicloires qui 1'immortaliferent, confideroit un conquerant comme le fleau de fon pays. „ Quelqu'un louoit un jour en fa prefence „ les grands progrés qu'il avoit fait en Alle„ magne & foutenoit que fa valeur, fes grands >, defleins & fes exploits étoient des merveilles " de la P">vidence = que fans lui ja maifon „ d'Autriche prenoit le chemin de la Monar.' » chie univerfelle, & que c'étoit fait de la „ Réligion proteftante; qu'il paroiflbit bien „ par les miracles de fa vie, que Die» 1'avoit C O Mr. P. Högftröm remarques fnrla population 1-55 CtO Guflave-Adolfe. '  ( 279 ) I fait naïtre pour le falut des hommes; que „ la grandeur de fon courage incomparable „ étoit un effet vifible de fa divine bonté: „ Dites plutót, repartit le Roi, que c'eft une ., marqué de fa colère. Si 'la guerre que je "„ fais eft un remède, il eft plus ihfupörtable "„.que vos maux. . . . C'eft une tnatque de Vl'amour de Dieu quand il ne donne aux Rois,* que des ames ordinaires. . . . L'humcur '„ ambitieufed'unfouverain^fapajftonexcejftve "„ pour la gloire lui faifant oublier te repos, „ l'oblige néceffairement a l'ótcr d fes fujets... ; "„ c'eft un torrent qui defole les lieux par oü il " paffe & portam fes armes auffi kin que fes " efpérances, il remplit le monde de terreur, „ de miferes & de confufion " (*). Par rapport au CaraCÏere guerrier des Danois, voici ce qu'en dit un de leur propres hiftoriens. (t). „ Les Danois ne font plus ces hommes fanguinaires & féroces tels qu'étoient leurs an1' cétres qui avoient home de mourir duns "„ lears lits; Cependant la nation n'a point perdu fon ancienne bravoure: elle en a don',' r.é des preuves dans les guerres même " les plus malheureufes; les mauvais fuccès qu'elle a eu par terre ont été répara*} Arkenhóltz. (j-_) Le Baron de Holberg, S 4  ( 28o ) „ rés en méme temps par des vidtoires na„ vales ". La langue Suédoife eft dans le fond la même que la Norwegienne & la Danoife: la différence n'eft que dans le dialedte & dans la prononciation, puifque les habitans des trois Royaumes s'entendent a 1'exception de quelques peu de mots. Elles font originaires de 1'ancienne langue de Scandinavië, on y rencontre quantite' de mots Anglois., Frifons, & plat-Allemand. On pre'tend que ces langues par leur richefie & leur énergie font tres favorables a la poëfie que les Danois furtout aiment beaucoup. Dans les temps du paganifme, les Suédois fe fervoient de caradteres particuïiers, que l'on nommoit runor ou runtr. On gravoit ces caradteres fur des pierres runiques, érigées auprés des tombeaux des anciens héros payens, ainfi que fur des batons qui fervoient de calendriers, & qui font encore en ufage dans les provinces feptentrionales. ' Plufieurs favans prétendent que ce fut Odin, qui intreduifit ces caradtères dans ie nord. On croit communement qu'ils ont été pris des monnoyes & des . rnonumens des anciens Anglo,Saxons & Francs. La plupart de ceux que j'ai vu, ne confiftcient qu'en traits informes, bbliques, perpendïculaires, horifontaux. J'ai rencontré dans ie  C 2S1 ) cours de mon voyage quantite' de ces monumens, qui ne font qu'un amas de pierres placées circulairement autour d'une autre pierre, qui les domine quelquefois par fa grandeur. Autant que la partie diftinguée de la nation. Suédoife eft eclairée, autant le commun, furtout a la campagne , eft fuperftitieux & attaché' a mille petites coutumes bizarres , reftes de la fuperftition du catholicifme & peut-être du paganifme. On y croit beauceup a la forcellerie, on gue'rit des fievres & autres maladies par des-conjurations ou par des paroles magiques-, quelques payfans s'imaginent, Iorsqu'une maladie aflige leur bétail, qu'en enterrant un membre de la béte mor'te dans le champ de fon voifin, il y tranfplante la maladie, & fe procure par ce moyen la gucriton de fes troupeaux. Plufieurs font perfuade's que la réuffite ou non reüffite de leur moiffon dêpend d'une petite cérémonie faite ou omife. Les mariages font accompagnés de mille pratiques miftérieufes , il en eft de même des couches, des batemes & des enterremens. Dans les montagnes ils croyent a un Génie bien ou malfaifant, fuivant les circonftances, qui habite fous terre, & qu'ils craignent d'irriter par 1'omiffion de quelques cérémonies a fon honneur. Les Suédois bdtiflènt généralement leurs maiS 5  ( aSa ) fons en bois, excepté a Stokholm & en Scanie. Celles des payfans font faites de troncs de Sapins équarris ou tels que la nature les a produits, pofés horifontalement les uns fur les autres, dont les bouts s'ajuftent & s'afermisTent ordinairement fans clous, avec de fimples fiches de bois, & dont les interftices font remplis de moufle; on y a menagé quelques trous qui fervent de fenétres. Le toit eft une légère charpente couverte d'écorccs de bouleau, pardefius lesqueües on pofe du gazon. Le poileeft ordinairement circulaire, maflonné en briques, haut environ de quatre pieds, & applati de facon a pouvoir s'y coucher ; a' cóté du poile eft la chéminée, dont le tuyau qui s'élève au deflus du tolt, fe ferme extérieurement par Ie moyen d'une jjlanche quarrée, attachée a un long béton on tient une corde pour pouvoir 1'oovrir ou Ja fermer è volonté; dans Ia chéminée eft une pince de fer oü l'on place un long coupeau de ftpin ailumé, qui fert de Iuminaire, Ces maifons dans lesqueües on entre par une petite porte a peine de quatre pieds de haut, font compofées ordinairement de deux piéces: une efpèce de yeftibule & une chambre commune, oü fe trouvent dvs Hts pour toute la familie, les Bnp* au deiTus des autres a peu prés comme en Wefrphalie. Les granges & les étables font  ( ) entiércment féparées. Les maifons de payfans qui font maifons de pofte, doivent contenir une feconde chambre deftine'e aux voyageurs, oü fe trouve un lit, ou plutót* un grabat, une table & quelques chaifes; on la nomme la chambre des Étrangers, & on 1'entretient proprement-, comme je voyageois en été, j'en trouvai toujours le planchet couvert de branches de fapin haché cn petits morceaux, coutume générale par toute la Sué-e, (même dans plufieurs bonnes maifons) qui comribue a la fraicheur & repand une odeur balfamique tiès agre'able. On prend foin de garnir aufii le plafond, le poile, les fcrétres, &c. de branches de bouleau pour y attircr les mouqhes, dont la Suéde fourmüle a un point prodigieux. Dans la Smolande, & dans les montagnes de la Dalécarlie, les payfans batifïent leurs maifons encore plus fimplement, ils n'y pratiquent qu'une feule fénêtre, ou plutót un grand trou a la partie du toit expofée au midi; ce trou ou cette fénêtre leur feit d'horloge; quand les rayons du foleil donnent fur une armoire, qui fe trouve a cóté de cette fénêtre, on déjeüne, mais lorfqu'ils éclairent le poile, qui eft vis-a-vis, ils dinent. Dans ces maifons H n'y a qu'un feul lit deftiné au Chef de la familie, qui y couche avec fa femme; tout Ie refte  C 2S4 5 dort fur des bancs placés le long des cloifons intérieures, fur leEquels on étend de la Paille ou des peaux de mouton, & quelque- fois, mais rarement, des lits. Les maifons des particuüers dans les villes & a la campagne font bdties de poutres & de planches; ]a piupart font de de ^ & même de quatre étages. II s'en trouvent qui ont grande apparence; dans les villes elles font Ia plupart peintes en rouge-brun & couvertes de gazon; les toits de quelques-unes font couverts de petits morceaux de bois, coupes en forme d'ardoifes; on en voit auffi couvertes de tuiles. A Gothenburg, è Carlscrona, a Fahlun, les maifons font trés proprement peintes dans Je goüt de celles de Sardam; d'autres imitent fi bien Ia pierre de taille , qu au premier abord on les prendroit pour telles. C'eft furtout a la campagne que ces maifons font belles; plufieurs ont 1'aoparence de cbéteaux & en ont intérieurement la magnificence. Comme Ja nobleffe aime a vivre dans fes terres, & que plufieurs gentilshommes y Téfident même d'un bout de 1'année a 1'autre i!s tacbent de s'y rendre leurs habitations auffi commodes & auffi agre<£bles ayn eft poffibIa Jai vu de ces maifons qui en peu d'heures peuvent être demontées & trariportécs a v0Ion té.  C 285 > Je m'amufe fouvent a Coppenhague è voir batir, dans une grande place deftine'e a cet ufage, des maifons pour la Norvége ou pour TIslande: on commande aux entrepreneurs le nombre d'appartemens , la hauteur , la longueur, la largeur, en un mot telle qu'on la défire, on fait accord pour le prix; enfuite les pièccs fe travaillent, du bois qui a été conditionné, on les ajufte, on monte la maifon, on examine fi tout fe rapporte, enfuite on la demonte, on marqué & on numérote les diflérentes parties , on les embarque & la maifon vogue vers le lieu de fa deftination. J'en ai vu fabriquer ainfi de trés grandes & a la conftruction defquelles on n'avoit pas employé le moindre morceau de fer. Dans la Scanie, oü Ton fe fert tout auffi peu de maifons de bois qu'en Dannemarc, on préfère les briques d'Hollande a celles du pays, par la raifon que les premières étant mieux cuites & moins poreufes, prennent auffi moins d'humidité & donnent par conféquent plus de féchereffe aux babitations auxquelles elles fervent. Efpérant d'avoir fatisfait a votre défir, je fuis, &c.  LETTRE DIX-NEüVIEMË. Ccppenhagüe ce .. .Janvier 17SÖ. M . . . ~\ ons voulez que je vous rende compte de Te'tat de ï'agricuiture en Suéde & en Dannemarc, & vous me demandez fi les produits du terrair» peuvent fuffire a nourrir le rorabre de fes habirans. Sans entrer dans une difcufibn détai'e'3 h cet égard, fe me contenterai pour le moment de vous dire , que fi l'on ne faifoit venir aiinuellement une grande qusntité de grams de 1'étranger, on rifqueroit fouvent de voir des • famines en Suéde; au lieu qu'en Dannemarc, la confommation en laifie toujours affés de refte, pour en faire un objet de commerce. 11 n'y a peut-être point de pays, oü l'on travailie tant a améliorer la maniPulation des terres qu'en Suéde : le gouvernement s'en occupe avec chaleur, & en fait un point efientiel de fon adminiftration; il encourage par des privileges, des primes, des exemptions de  C 287 ) taxes, ceux qui veulent de'fricher des nouveaux terrains, & ceux quf parviennent a améliorer les terres déja défrichées. La fociété patriotique en particulier, s'occupe principalement de cette branche elTentielle de bien-être dans tout pays, mais qui le deviendroit particulièrement en Suéde, oü Tabondance & la perfecTion des produits indigènes augmentants, faciliteroient la réuffite des projets qu'on y forme continuellement, en faveur de la population. Du moment qu'on pourra y faire valoir les terres, en raifon de leur qualité & . de leur étendue, ce royaume trouvera dans fon fein une fource abondante pour la nourriture, & pour 1'établiflement d'un plus grand nombre d'habitans, fans être obligé de recourir a 1'étranger. Pour vous former une idee jufte de 1'état acTuel de la population & de 1'agriculture en Suéde, je vais vous ;donner un précis des peincs qu'on prend a cet égard, & des fuccès dont elles ont été couronnées. Le gouvernement a compris, que la connoiiTance préliminaire du degré de population & de 1'étendue du local, eft abfolument naceffaire, lorfqu'on veut faire des arrangemens utiles a Tagriculture & a 1'économie intérieur re-, parcequ'ils font labafe fur laquelle on doit travailler, & le point d'oü il faut partir. En  ( 288 ) conféqnence il a étabii un col'ège, chargé de rediger les rapports, que d'après les regiftres des paröifies & du magiftrat de chaque ville, les gouverneurs des provinces, font obligés de faire annuellement de 1'état adtuel de la population, & de la mortalité dans leur provinces refpedtives. Chaque gouverneur eft obügé d'y ajouter un plan pour 1'augmentation de la population , & 1'amélioration de 1'économie rurale pour fa province. Outre ce collége, il en exifte un autre fous fe nom de comptoir d'arpertsge, deftiné a prend're une connoiffance exatte de la: fuperficie du royaume, & de la nature de fes différens teiroirs. Ce coi ège eft compofé dun directeur, d'un infpedteur, de cinq ingénieurs, d'un fecrétaire & de cent feize arpenteurs' qui font en même tems diredteurs & repartis dans les differentes provinces du royaume. Les fonctions de ce collége font de lever des caftes topographiques & géométriques (*), 0u font marquées les grandeurs & :a nature des différentes propriétés, fur lesqueües on puiffe faire (*) A l'avènement da Roi au tröne en on Ini préfenta 7206 CarteS-Topographiqaes, «nt de Ia Sué O) Eduard F. Runneberg, Mémoires de 1'Académie de Snéde , pag. 26!» Tom. XXIX. Q) Mémoires de Cantzler. (t) Mémoires de 1'Académie des Sciences, Tom.' XXXIX, pag. 261. ($) Ibidem, Tom. XXX. pag. 3, Ta  C 293 ) Lè gouvernement n'étant pas maitre d'attirer les étrangers , ni d'augmenter a fon gré les naiffances au dela de Tordre naturel, s'eft occupe' déja depuis longtems, de tout ce qui lui a paru propre a augmenter la population. II a généralement favorifé toutes les fociétés, & les particuliers appliqués a la confervation de ceux, qui fans des fecours étrangers , rifquoient de périr, ou de devenir inutiles a 1'état. Dans cette intention, il a formé 1'établiffement du collége de médecine, dont je vous ai parlé, a 1'cccafion de Stockholm, ainfi. que quelques autres fondations établies dans cette ville, & dont j'ai fait mention. C'eft dans la même intention, qu'en 1773, le Roi fit une ordocnance, par laquelle tous les payfans & les habitans de la Campagne, ouvriers, artifans, pêcheurs, qui ne jouïflent pas du droit de bourgeoifie , foldats, cavaliers, dragons-, matelots, ainfi que leurs femmes, font libres de certaines capitations, d'abord qu'ils ont quatre enfans ou plus. Par ces régiemens, & quelques autres, on eft parvenu a empêcher en grande partie les émigrations,. & a augmenter la population. L'augmentation de 500,000 habitans, dans 1'efpace de 30 ans (*), qu'0n prétend pou- (*} Depnis 1751 juTqn'en 1781.  C 393 > voir prouver par les regiftres, en eft une preuve inconteftable. Quelque peine cependant qu'on fe donne en Suéde, pour augmenter la population, on n'y réuffira jamais, que jufqu'a un certain degré, fi l'on ne parvient pas & améliorer 1'agriculture, a augmenter le produit des terres, a perfectionner les produdlions, qui. doivent fournir les matières premières aux manufadtures, & fi l'on n'encourage, de toute'faeon quelconque , Tétabliüement des étrangers. Un Savant économifte Suédois (*), dans un mémoire préfenté a 1'Académie en 1750, s'exprime au fujet de la proportion, qui fe trouve entre les produits du local, & le nombre des habitans de fon pays , de la manière fuivante : „ La Suéde n'a pas 3 millions d'habitansv „ j'ai trouvé qu'elle contient ,' y compris la Finlande& les Hes, 9000 mille quarrés: „ j'en ai défalqué 5000 pour montagnes, ro„ ehers, lacs, rivières, marais & grands che„ mins , refte a 4000 milles quarrés de ter„ res, fufceptibles de culture. Otez en 2500 „ pour les prairies, vergers, jardins, &c. il „ refte encore 1500 milles quarrés terres la„ bourées. — Sion enfemence les deux tie-rs, „ & qu'on en laifie un en ftiche, ü en refte (*j Erich Solander. T 3  C 294 ) » 1000 pouT enfémencer, & fi dans un mille „ qüarré on fême 24000 tonneaux, cela fera ,, 24 millions de tonneaux de femence. Si en „ général on ne compte que 5 pour 1, cela v rapporte 120 millions de tonneaux de fe„ mence. Si on retranche une femence pour „ reffêmer, une femence pour 1'entretien du be'tail, il refte encor 80 millions de femen„, ce; plus exaétement 73. Cela fuffit a 1'entreden de 20 millions d'hommes, comme „ en France. Si on croit que ce calcul eft „ exage'ré, j'en rabats la moitié; fi on trouve „ que c'eft encore trop, j'en rabats encore la moitié, & je me natte qu'on m'accordera „ du moins de 1'entretien pour 5 millions d'ha„ bitans. Si l'on confidère maintenant que la v Suéde ne peut pas même fournir a 1'entre« tien de a millions & demi d'habitans, & „ qu'on doit a grande perte faire venir annuel„ lement des grains de Tétranger, on doit en „ conclure que 1'agriculture a fait chez nous u très"peu de progrès." Un autre Savant(*), dans un mémoire pajreïl, s'exprime a peu prés de même, a 1'exception qu'il compte 2000 milles quarrés de moins. Puifque fuivant ce calcul, la Suéde pour- f*y Menander.  ( 295 ) roit fournir des grains k trois fois autant d'habitans qu'elle «ontient, & que dans le fait, oneft obligé d'en faire venir de 1'étranger,- il eft clairque 1'agriculture doit y rencontrer des grands obftacles, parmi lesquels jc compte la rigueur d'un climat, oü les hyvers fontfi longs & fi rudes, la courte durée entre les femailles & les récoltes, la chaleur excefiïve des étés, qui donnant alors un accroiflement accéléréaux végétaux, les rend trop fenfibles au moindre changement fubit de Tatmofphère-, les étésfecs, dont les courtes nuitsne procurent pas aux plantes a moitié brulées, la fraïcheur néceffaire pour les ranimer; joignés y encore, que les terres couvertes de neiges pendant fept mois de 1'année, ne peuvent être füffifamment préparées, d'autant moins que le terrain y eft en général difucile k travailler, par fa nature compaóte, forte, & pierreufe, de forte qu'a portions égales, la Suéde demande plus de bras pour 1'agriculture, que tout autre pays, & dans le fait elle en poflede moins. A tous ces obftacles, il faut encore ajouter la difperfion des habitans, fur une furface de pays trop grande, & trop peu proportionnée a leur nombre, qui leur óte la faeulté de pouvoir s'entr'aider mutuellement, 9 & le petit nombre de villes, qui les privé des T 4  C 296 ) moycns de vendre les produits de leur travaux. Tous ces obftacles doivent naturellement beaucoup iniluer, fur les progrès de 1'agriculture, & mettre fouvent en défaut les primes, les privilèges, les exemptions de taxe, les diftindtions, qu'on attaché au cultivateur le plus induftrieux, le plus habile, ou le plus heureux. Un Suédois qui a pris beaucoup de peine pour étudier les effets du climat fur la nature du terroir, & fur 1'induftrie des habitans dans fon pays, affure: „ qu'un nom„ bred'hommes & de jours- donnés, ne pro„ duit en Suéde quele tiers de ceque le même „ nombre d'hommes produiroit ailleurs, avec „ une égale dépenfe de jours & d'argent ". Je fuis acTuellement témoin des funeftes effets, que peut produireun été trop fee a Jafuite d'un rude hyver; la moifTon ayant entièrement manquée par le froid rigoureux, la chaleur exceffive & le peu de pluies, la Scanie & la Finlande n'ont pu fournir la quantite de grains accoutumée. II s'en eft fuivi une famine, qui obligé un grand nombre de fes habitans, de venfr chercher en Danemarc, une nourriture qu» C*3 Liüecrantz.  leur patrie leur rëfufe. Je les vois arriver paï proceffions, dans la faifon acïuelle (époque lordinaire de leur retour chez-eux ) pour s'enËager, par tout oü ils trouvent de 1'ouvrage. (Ces émigrations ne pquvent qu'influer beaucoup fur la population, puisqu'il y en a toujours plufieurs, qui dans ces occafions s'établiffentchezl'étranger, & font perdus a jamais pour leur patrie. Un des premiers moyens, pour furmonter autant qu'il eft poffible, les différens obftacles, qui s'oppofent h 1'agriculture, c'eft 1'emploi de tous les bras qu on poffede, & 1'atterition la plus fcrupuleufe, k ne jamais détourner le cultivateur de fon ouri vrage. L'établiffement des boftelles, & Tabolition de plufieurs jours de fête, contribuent fans doute, a rendre a la terre, quantité de ij mains qui lui étoient inutiles, mais on en gagneroit encore beaucoup, fi on libéroit le payfan des corvées de pofte & de voiturage pu'\ blic. Un membre de la fociété patriotique, tres ■ eftimé par fon favoir & fon zèle, (*; calculc que les corvées de poftes feules, caufent a l'a; griculture une pene de siócoo journées d'ou- r*) Mr. Modeer, Sécrétaire de la fociété patriotique. T 5  vrages, h faire pour un valet, & deux chevaux Ce calcul au refte eft beaueoup trop modéré, puifqu il ne prend pour bafe que 300 endroits de relais, & qu'il y en a inMm,m d. tage. A tqus les obftacles dont je vous ai fait 1'énumeration, & qui profluent en grande partie du cbmat & du manque de bras, fe joint encore 1'ignorance, ou plutót le préjuge' des payfans. Parmi le grand nombre de fujets fur lesquels il s'étend, je ne nommerai que le Swdmndet, comme un des plus dangereux. On nomme Swediandet, ]a coütume également tymeufe pour les forêts, & poUr 1'agriculture, debruler tous les arbres & arbriifeaux qui fe trouvent fur les champs qu'on veut enfemencer, pratique qui a caufe, & qui caufe encore aujourd'hui des ravages énormes, par les forêts auxquelles on a malheureufement mis le feu. Outre les cataftrophes qui en réfultent, cette maniere de defricher ne vaut abfolument Tien, elle donne un engrais momentané, & fouvent trop cru: elle laüTe la terre trop compafte nelapérétre pas aiTcz de fels, d'huiJes, fcdemauères propres k la végétation, de facon quau bout de deux ou trois ans, elles lont entièrement épuifées, & redeviennentincultes Malgré tout ce qu'on a pu faire, pour difluader les payfans de cette coütu-  ( 299 ^ me, malgré les peines qu'on a ftatuées, la plupart s'abftinent, a refter attachés a ce qu'ils ont vu faire a leurs peres, & ne changent point de méthode, tant il eft vrai que les payfans font partout efclaves de leurs préjugés. C'eft ce que j'ai éprouvé plus d'une fois en hollande, & c'eft ce que j'éprouye encore tous les jours en Dannemarc. Quelques économiftes Suédois, prétendent que la diftillation (*) du brandevin, confume des grains qu'on pourroit employer plus utilement a la nourriture des habitans, cette quantite' eft limitée par une ordonnance du Roi datée de 1776, a 300000 tonneaux. D'autres économiftes ont répondu, que comme la plus petite quantité de grains importée de 1'étranger, montoit a 400,000 tonneaux, & qu'on avoit été obligé d'en faire venir jufqu'è 500,000 par an, le grain qu'on pourroit épargner par la défenfe de la diftillation, ne dédommageroit point de la perte qu'on feroit, fi on étoit obligé de faire venit le brandevin des pays étrangers. Je ne vous dirai pas grand chofe par rapport a 1'agriculture, & a la population du Danemarc. Tant d'excellens auteurs ont traité C*) Cette diftillation a été déckfée K.ègale par une ördonnanee da R»i «ie. 1776.  4 > cette matière a fond, qu'il ne me refte rien h vous aprendre fur cet article. Je me contenterai de rémarquer, que toute • proportioh gardee ce royaume eft infiniment plus peuple' & mieux cultivé que Ia Suéde puifque fur une étendue de 850 milles geographiques carrés, que contiennent la Zélande, la Fionie, & le Jutland, qui conftituent proprement le Dannemarc, fe compte un million d'habitans, & 168 villes; que les grains qu'elle produit, non feulement fuffifent a la confommation, mais qu'il en refte encore aflèz pour faire un objet de commerce avec Tétranger. Plufieurs caufes concourent a ces heureus efiets. Le pays, qui eft prefqu'entièrement entourré d'eau, n'eft pas haut. Son point le plus élèvé, n'eft pas 300 pieds au deiTus de Ia fuperficie de la mer, ce qui joint a un moindre degré d'élévation du póle, rend fon climat, infiniment plus doux, fes, hyvers moins longs, & fes étés moins brulants qu'en Suéde: outre cela le gouvernement y encourage extrêmement la population, & réuffit a y attirer une infinité d'étrangers qui s'y établiffent, & qui s'y naturalifent. On a vu des colonies entières venir y defricher des terrains, auparavant incultes, inhabités & ne rapportans rien; 1'Ile d'Amaclc, oü deux cents families hollandoifes du Waterland en Nord - hollande  ( 3öi ) *inrents'établir en i$i6 fous Chrétien IV.&le Jutland, oü en Tannée 1760, environ trois cents families fe font établies, dans des landes ftériles & incultes.en font une preuve. La première de ces colonies eftaugmente'e au point, qu'on y compte aftuellement 800 families: elle a reuffi a convertir cette ile , qui n'étoit qu'un marais, en une continuite' de jardins & de belles prairies, & fournitaduellement a60,000habitans que contient Copenhague, tous les légumes & une grande partie du lait qu'elle confomme. Les Amackois ont trouvés moyen d'y fonder auffi un bourg confide'rable, habité par des pêcheurs qui fourniffent une abondance de toute efpèces de poiffons de mer, au marché de cette ville. Le plus grand nombre des fermiers font étrangers, la plupart du Holftein-, les terres défrichées & cultivées fous leur direcTion, Ie 'font infiniment mieux, que celles qui font dirigées ou travaillées par les naturels. Les terres pourroient rapporter infini'ment plus, fi la pareffe des payfans, 1'efpèce d'efclavage dans lequel ils gemiffent, & le droit de chafie du Roi, ne contribuoient a retarder ou a rendre inutiles, les travaux de la campagne. Le terrain entremêlé d'une pro"digieufe quantite' de pierres, dont quelques tines font d'une grandeur énorme, eft difficile  C 3°2 ) a labourer; il faut auparavant Ie défalayer & le nettoyer de ces pierres, ce qui demande un ouvrage, d'autant plus difficile, que ce n'eft qu'k force de bras qu'elles peuvent être enlevées & tranfportées par charroi, on eft même obligé d'en faire éclater un grand nombre, par le moyen de la poudre a canon, pour les rendre plus maniables. La plupart des payfans aiment mieux perdre le terrain couvert par ces énormes pierres, que de fe donner la peine de les enlever: ils fe contentent d'en labourer les contours, Je plus prés qu'il leur eft poffible — II faut connoitre le pays pour pouvoir juger de la quantite' de terrain fufceptible de culture, perdu par cette négligence. Les bétes fauves & le gros gibier, qui ravagans par troupeaux les champs couverts du Plus beau blé, trompent I'efpoir du moiffonneur, eft un fleau cruel pour 1'agriculture contre lequel le pauvre payfan n'a que peu ou point de reffources: fi en défendant fon champ enfemencé, il a le malheur de tuer un cerf, une biche, ou un chevreuil, il eft condamné fans pitié è 1'efclavage. Le jeune Prince qui fe trouve acluellement a la tête du gouvernement, fera fans doute bientót des régiemens plus favorables a 1'agriculture : fon cceur • compatiffant, fera touché des plaintes réiterées du pauvre laboureur, qui voit détruire dans  ( 303 ) un inftant le fruit d'un travail de plufieurs mois ; il renfermera fes cerfs dans le magnifique pare du Roi, (de 4 milles Dannoifes de circonfe'rence,) a une lieue de la cspitale; ils y remplaceront les chevaux de la cavalerie, qui ufurpent deS prairies deftinées originairement a ces animaux fauvages, & il réalifera le projet, formé depuis lóngtemps , d'abattre quelques bois royaux , & de les couvertir en prairies a 1'ufage de la cavalerie. H donnera fans doute auffi la liberté aux payfans (*), il comprendra, que celui qui travaille pour lui-même, pour fa familie, & pour fa poftérité, y met bien plus d'énergie, d'adtivité & d'induftrie, que celui qui doit travaiüer pour un autre. Le monument de marbre placé fur le grand chemin royal, qui mène de Coppenhague a Friedensburg, élevé fous fon adminiftration, h feu Mr. de Bernftorf, lui prouve continuellement, que la liberté donne le reflbrt fi néceflaire, pour f *) Rien ne m'a caufé plus de fatisfaftion que d'apprendre.qu'enfin les païfans de la Couronne ont été déclarés libres vers la fin de 1'année 1788. Le Prince Royal, en fuivant l infpiration de fon coeur bienfaifant, a fatisfaic aux voeux de la nation. II faut efpérer que fclufieur» propriétaires qu'un intérêt trés mal calculé a empêcbé jufqu'icide fuivre 1'exemple de Mr. de Bernfcorf, fe conformeront enfin a celui que leur donne un jeune Prince , deftiné a devenir un jour leur Roi.  < 3^4 J faire fleurir 1'agriculture, & la richeffe aftuelle de ces terres, qui influent fans doute fur celle du pays, 1'engagera a fuivre un fi bel exernple, & a effedtuer un projet, qu'ont déja formes quelques-uns de fes ancêtres. Dans Tefpoir d'avoir réuffi a vous donnerune ide'e du degré de la population, & de 1'état de ces deux royaumes, fi voifins & fi différens j'ai 1'honneur de me dire'^ &c. jLETTRl  C 305 > LETTRE VINGTIEME. Coppenhague ce .. . Février 1786. M . . . !§ï Tart ne p»ut parvenir en Suéde a tirer de la fuperficie de 'la terre tout le parti qu'on parok s'en promettre, la nature y a-fupplée, en y faifant croitre d'immenfes forêts, qui fem'pïent inépuifables , & dont les produdtions font recherchées par toute 1'Europe. Les planches, les poutres, le goudron, la poix, la potsffe, &c. &c. paffent en quantite' dans les pays étrangers. De plus, cette terre fi ingrate au dehors; renferrhe dans fes entrailles des richefies, dont les Suédois favent tirer grand parti; le fer, " cette matière première, dont toute 1'Europe a befoin, s'y trouve en abondance; des veines pures de ce métal fi utile & même fi néceflaire, ie prefente a bien des endroits, prefque a la fuperficie de la terre. La Dalecarlie, le Warmeland, la Weftmannië, 1'Oftrogothie, 1'üplande, la Lapponie, font les provinces qui en fourniflent le plus, & furtout 1'Uplande paf V  C306} Sa mine de Dannemora, dont je vous ai fait la defcription, & qui k, jufte titre peut fe nommer le Perou de^la Suéde; le cuivre, 1'argent, for même, le plomb, 1'alun, le vitriol, le falpêtre, font autant de produdtions que 1'infatigable ouvrier fait tirer, outre le fer, du fein de ces montagnes incultes. Les produits des mines de fer font 1'objet le plus confidérable du commerce de ce royaume, tant en gateaux qu'en barres & en fer ouvrage'; on compte qu'elles en livrent a 1'étranger 300,000 fchifp. par an, pour lefquels ils reeoivent a raifon de $\ écus le fchifp. la fomme d'environ 1,934,750 écus de banque, dont la couronne percoit une fomme d'environ 1,700,000 daald. fmt. Les mines de cuivre, qui font les plus riches, après celles de fer, rapportent en exportation annuelle pour la fomme d'environ 308000 écus de banque en cuivre fimple, affiné, ou converti en laiton; la couronne en percoit a titre de dixme a peu prés 900 fchifp. par an. Les mines d'argent, dont celles de Sahla rapporte plus elle feule que les fix autres, qui fe trouvent auffi dans le royaume, rapportent a titre de dixme, a la couronne, environ 300 marcs. La rnine d'or ne donne qu'environ la valeur  C 3°7 > 4e mille ducats," qui rentrent dans les fraix de Texploitation, & qui font joints a 8000 daald. fmt., que le gouvernement fupple'e annuelle» ment, deforte qu'è peine ruffit-elle aux dépenfes qu'elle exige. Les mines ne livrent pas affez de plomb pour en faire un objet de commerce d'exportation, puifque tout celui qu'on y trouve eft employé pour les fontes, & qu'on eft obligé d'en faire venir encore d'Angleterre 960 fchifp, par an. Les fabriques d'Alun réuffiffent de mieux en mieux, & on en exporte pour au dela de 30,000 écus de banque. Le montant de 1'exportation des planches & autres produdtions des forêts monte annuellement environ a 387580 écus de banque. Outres ces branches confidérables d'exportation , que les Suédois tiennent des bienfaits de la nature , & qui font des produdtions de leurs montagnes, de leurs rochers & de leurs forêts, ils en cherchent encore une au fond de la mer, qui baignent leurs cótes occidentales: je veux parler de la pêche du hareng; ce poiffon, qui avoit entièrement ditparu de leurs cótes, y eft revenu vers 1'année 1740 en telle quantité, qu'ils ' en exportent annuellement environ 160,000 tonneaux, h 16 daald. frmt. la tonne. Aucun pays n'eft fitué plus arantageufement V a  C 308 1 pour le commerce que la Suéde; la mer du Nord & la mer Baltique, qui baignent fes cötes, lui ouvrent un chemin pour tranfporter dans les différentes contrées de 1'Europe, ainfi; qu'aux deux Indes, lefurplus de fes produdtions: en échange de celles qui lui manquent. La quantité & 1'étendue des lacs, ainfi que; le nombre des rivières qur arrofent ce royaume , facilitent extrêmement le commerce dans; 1'intérieur du'pays, & le faciliteront encore; d'avantage, lorfque toutes les Communications; qu'on projette depuis fi lóngtemps, feront une fois achevées. La compagnie des Indes décharge fes vaifleaux è Gothenburg, & fait arriver fes msrchandifes jufqu'a Stockholm, par le moyen des Communications déja établies; elle! évite par la le péage du Sund (*) & ies rochers fi dangereux de la Baltique. C*? CfJérZ\ dU Sund' qui fe We a Elfeneur & ■ pour la défenfe duqud Ie chateau de Cronenbürg fut bi , ti en 1427 , par Eric VII, rapporte annuellement environ 400,000 Ryxdl. au Dannemarc. Les Anglois les Hollandois, les Francois, les Suédois, les Efpagnols les Portugais, les Napclitains & la ville de Hambourg payent pour le droit des marchandifes, dont le nom ne fe trouve point furie tarif, 1 pour cent; au lieu que toutes les autres puiffances payent if pour cent. Outre cette taxe, chaque navire paye 4 Ryxdl. d'efpèce s'il eft chargé, & 2 Ryxdl. s'il ne 1'eft pas, ce qui fait une fomme d'environ 24coo Ryxdl. ; puifqu'on compte qu'il paffe annuellement 4000 vaifleaux , ge qui  ( 3°P ) Vous favés qu'il n'y a pas fort lóngtemps que la Sue'de eft comptée au nombre des puiffances commercantes: ce ne fut que vers le milieu du 17e. fiècle qu'elle commenca a proliter des avantages, qu'elle devoit naturellement fe promettre de fa fituation, de 1'induftrie de fes habitans & de 1'efpèce de fes productions; en'162-6 quelques négotians formèrent une compagnie du Sud, d'autres s'afibcièrent en 1641 pour commercer en Afrique. y batirent Caftet Cdrjo , & la même anne'e .on fit un traite' de commerce avee le Portugal ; en 3647 on établit une fociété pour i'exportation dugoudron; en 1648 Helmftatt commenca a équiper quelques vaifleaux pour la pêche; la nobleffe même s'intéreffa a 1'équipement & a la cargaifon de plufieurs navires; en 1667 la ville de Gothenburg établit une pêche de harengs.' - - - ; Les longues guerres fous Charles XII firent languir de fi beaux commencemens, & plu-r fieurs compagnies furentdiffoutes. Le commerce fe releva fous Fredëric I; mais ce ne fut que fait S,ooo fur les rcgitres & qu'il eft probablc que la .moitié n'en eft pas chargée en y allant, mais que tous le font en revenant. Cette fomme eft payée en titre de contribution, pour fubvenir aux frais & dépenfes de 1'entretien des foux, fcouées & autres fignaux maritimes , qui font néceffawes dans le Cattegat & au détroit du Sund. V 3  fous la règne d'Adolphe Fredefie que le gouvernement prit veritablement a cceur la protectitmdu commerce & de la navigation, & a cette époque on vit paroitre plufieurs regiemens & ordonnances tendantes a encourager les particuliers a 1'exportation des produótions indigènes & a 1'importation de quelques produótions étrangères. La Compagnie des Indes fut érigéeen 1731; la pêche du harang fe rétablit en 1740; une Compagnie du. Levant fe forma en 1771; en 1774 quelques particuliers s'affocierent pour la pêche de la baleine, & obtinrent des privileges (*); en 1775 on établit un Port franc a Marftrand, dont les négotians de Gothenburg profiterent bientót pour faire entrer toutes fortes de marchandifes étrangères qu'ils déclarerent a.l'arrivée de tranfit, & qu'iis trouverent enfuite moyen d'introduire en contrebande, foit en Suéde même, foit en Dannemarc ou en Norvége, foit enfin en Angleterre & en Ecofie. "Vers le milieu du 14e. fiècle les Suédois ne pofledoient que 5 ou 6 vaifleaux; les villes Anfeatiques faifoient tout leur commerce. La ville de Lübek 1'abforba enfuite pour la pius grande partie, enfin vers le 17e. fiècle les An- (*} Cette Compagnie n'a pu fe foutenïr par Ia concurence des Danois.  ( 3" ) glois & les Hollandois s'en emparerent entierement. En 1734 parut le célèbre ptacard des produftions, qui defendoit aux étrangers d'introduire dans fes ports d'autres denrées que celles du cru de leur pays , & de tranfporter ces marchandifes d'un port a un autre; on encouragea en même temps la navigation, qui depuis cette époque fit des progrès fi rapides, que la Suéde, qui ne poffedoit alors qu'environ 300 navires de commerce tant grands que petits, en comptoit en 1764 environ 8000, & qu'aujourd'hui elle en a affez non feulement pour faire par elle même tout fon commerce, mais auffi pour en fournir a d'autres nations qui en manquent, principalement aux Efpagnols dont elle fait une partie du cabotage. Pour encourager les négotians a étendre leur commerce on avoit déja établi dès 1704 un Comptoir d'affurance de mer: ce comptoir forme un fond de 30 tonneaux d'or diftribué en 1000 Aótions de 300x3 Daler frmt. & fait face a toutes les affurances. La Compagnie de plongeurs feul établiffcment de ce genre qu'on connoiffe en Europe, & qui merite par la que je vous en faffe un petit detail fe forma en 1734 & fut oftroyée par des lettres patentes du Roi & des Etats. Elle entretientle long des cötes du Royaume des gens qui a la première nouvelle d'un nauV 4  ( 312 ) frage accourent a 1'endroit oü il s'eft fait, & fauvent tout ce qu'ils peuvent, tant du navire que de fa cargaifon: la Compagnie en avertit enfuite les propriétaires, & les affureurs dans quelque lieu qu'ils puiffent fe trouver; lorfque ceux-ci lui ont fait favoir leur volonté, elle difpofe des effets fauve's, & leur en rend compte, après avoir prélevés fur le produit de ces effets, ou fur les effets même, les droits qui lui reviennent; ces droits font fujets a de grandes variations, fuivant les difterentes circonftances, qui accompagnent le naufrage, par ex: lorfqu'un navire a éciioué fur la cóte, qu'il a été remis a fiot par les gens du pays & amené dans un port, la compagnie le fait vifiter pour conftater fon état & le reparer, alors elle en retire un droit de 10 pr. Cent; mais fi les marchandifes du navire échoué étoient avariées, & qu'il falut les retirer du vaifleau, & les porter enfuite a la première ville ou les vendre fur les lieux oü + eft arrivé le naufrage, alors la compagnie en qontribuant un quart' des fraix, recouvre un quart du produit de la vente des marchandifes avariées; les 4 reviennent aux propriétaires; enfin la compagnie retire le f du produit de la vente des marchandifes avaries , lorfque cellesci ont été pechées du fond de mer par le moyen de Ja cjoche ou d'autres machines &c dans ce  C 213 ) cas. elle contribue également au quart des fraix. Des Cent- vingt & quatre villes que contient la Suéde, il n'y en a que 38 qui commercent avec 1'étranger, elles en ont le droit exclufif & par cette raifon on les nommé villes d'étape, ( fi:apcl irader).* Stockholm & Gothenburg qui. font du nombre de ces villes abforbcnt ce commerce prefqu'en entier; puifqu'on compte que la première y eft intéreflee pour ï% & la feconde: pour \%, donc les 36 autres enfemble pour L'importation des marchandifes étrangères n'eft pas reglée dans la même proportion: Stockholm en recoit la £ & Gothenburg le % \ donc il en refte i pour les autres. Pour cc qui coi'cerne le.commerce intérieur, il eft lib're pour toutes les villes & pour tous les particüliers, il eft'permis a chacun d'acheter les marchandifes en gros aux villes d'étape, & de les revendre en detail dans 1'intéricur du Royaume. Si les Suédois par leur a&ivité & leur induftrie ont feu prcfuer des dons de la nature pour s'établir un commerce d'cxportation tresconfidérable & qui le deviendra de plus en plus, pourvu que la concurence de la Rullie pour le fer n'y mette ebftacle, ils ont auffi fans tout leur poffible pour fe procurer par 1'art, V S  ( f*4>. nne fource de commerce encore plus étendue; en établiffant plufieurs fabriques & manufadtures dans toutes les pfbvinces; mais le même obftacle qui nuit a leur agriculture (k climat) nuit auffi a ces differens établiffemens, les matières premières y manquent ou ne font point du méme aloi, que celles qui* viennent des pays étrangers & qu'il faut fe procurer è grands fraix; toutes les primes que le gouvernement a accordé n'ont pu vaincre leur infufifance, & les loix établies pour la protecrion des manufadtures, font peut être beaucoup de tort a 1'état par la quantité de marchandifes de contrebande qu'attire leur imperfedtion. Depuis 17 s s les Etats du Royaume ont accordés a différentes reprifes des grandes fommes foit pour 1'encouragement de quantité de manufadtures & de fabriques, foit pour fubvenir aux fraix confidérables qu'txigeoient leur foutien; malgré cela elles ont depéries a mefure qu'on les a privées des primes & d'autres fecours pecuniaires; fuivant un calcul exsdt on a compté que dans 1'efpace de 37 ans la nation a fupplée aux befoins des manufadtures une fomme de 117 tonnes d'or. Un des particüliers qui s'eft le plus diftingué dans les efforts pour rétabliflement & la perfedtion des manufadtures en Suéde eft un negotiant nommé Jonas Aelfiroemer, qui en  ( 3*5") établit de toutes les efpèces & a fes fraix a Ailingfos dans la Weftro-Gothie. II fitvenir en 1715 des brebis & des beliers d'Angleterre, d'Efpagne & d'AUemagne pour améliorer les laines fines deftinées aux fabriques de draps; il a eu la fatisfadtion de réuffir pour un temps, mais les fraix que demandent le renouvellement continuel de ces animaux étrangers, dont la rage s'abatardit fous un climat, qui ne leur eft pas propre rencheriflent fi prodigieufement les draps du pays ou les laifie dans une imperfedtion fi grande, qu'elles ne peuvent fuporter la concurence des draps étrangers & favorifent par confequent le commerce de contrebande, qui eft une fuite naturelle de la cherté ou de 1'imperfedtion de celles du pays; auffi. voit-on en Suéde tous les gens de condition & ceux qui font a leur aife, habillés de drap d'Angleterre & d'autres étofies étrangères, quientrentdans le royaume, malgré les defenfes feveres &; les vifites les plus exadtes. Oncomptoit en 1774» 1ue de 18600 manufadtures- établies en Suéde, depuis 1738 & qui ont coutées a 1'état 10,273,917-Daal. frmt. il n'en reftoit plus que 9000; en 1762 Stokholm feule contenoit 1260 metiers en foyeries & en 1776 il ne s'en trouva plus 400.  C 31o Oü voit par un . rapport fait au Collége de Commerce, par Mr. Faxe commiffaire de ce Bureau, qu'il y avoit en 1762 a Stokholm 2157 metiers de toute efpèce & 8007 ouvriers & qu'il ne s'en trouva plus en 1767 que 1063 . metiers & 4290 ouvriers. ^ Le feul avantage qu'elles ont pü procurer, c'eft une augmentation de population, mais qui malbeureufement a été momentanée. Plufieurs étrangers attirés par 1'efpoir du gain & par les divers privilèges qu'on' leur accordoit, font venus-fe mettre a la têie de quelques manufadtures & fabriques ou bien. s'y font engage's en qualité d'ouvriers; mais ces meines étrangers n'y ayant pas trouvés leur compte & plufieurs de leurs entreprifes ayant manquées, ontabandonnés un pays dont le climat fi peu fait pour leur conftitution leur devint mfuportable, du moment que 1'efpérance de leur fortune s'évanouït. On prétend que le nombre des mar.ufccturcs eft augmentée de nouveau depuis i77$ , mais il eft a craindre que ce n'eft qu'unc lueur paffagèrequi s'éteindra bien vke, ?c climat desavantagcux a 1'amélioration des msticres premières, prefente de trop grands obftacles riour fe flatter de pouvoir jamais les furmonter; voici comment s'exprime k cet égard un écrr-  C 3*7 ) vain du pays; (*)„ on ne pourra jamais étas, blir quelque chofe de ftable & d'avanta„ geux, par raport aux manufadtures ayant „ d'avoir remedie' a trois fources d'imperfec„ tion& d'infufTifance: 19. a la variation du } fyftème économique, 20. au Commerce „ clandeftin, 30. a l'imperfedtion de la fabri„ cation, & furtout a celle de 1'apprêt des „ couleurs de prefque toutes les étoffes; 40. „ aux monopoles qui jufqu'en 1772 ont été „ fouvent accordés, fans avoir eu égard ni a 1'entendement des requérans ni a la nature des fabriques en queftion ni erfin a kur em„ placement "• On devroit bien plutót s'appliquer en Suéde a multiplier les fabriques fondées fur les produits naturels, mais principalement celles de cuivre & furtout celles de fer ouvragé (f) en quoi le climat s'y accorde avec 1'indultrie des habitans, & dont on trouvera toujours un débit affuré dans l'étranger; les Suédois rcuffiffent auffi dans la préparation des pelleteries & des peaux de toute efpèce; particulièrement celles des rennes & des élans dans les provinces feptentrionalcs, & celles des moutons dans r*) Kryger, mémolre fur fimperfeaion des fabriques. Ct)J'appeUe fer ouvragé, Acier, Canon, boulets, Ancres, cloux, marmittes.  C 318 > ie midi du royaume, témoin les manufa&ureï de gands de Chrijlanftadt & furtout de Malmoë (Klippings-h'andskar) connus fous lenora de gands de Scanie. II faut avouër que c'eft bien dommage que 1'induftrie nationale ne puilfe s'y exercer fur un meilleur fond. Si les Suédois avoient le bonheur de poffeder chez eux toutes les matières premières, leur adreffe & leur aétivité en tireroient bon parti. J'entrai en Suéde avec 1'idée de n'y rencontrer dans la circulation que du cuivre & du papier, mais je fus bien furpris d'y trouver beaucoup d'argent monoyé & infiniment plus qu'en Dannemarc , oü l'on prétend que la demarche du gouvernement fous le règne du Roi actuel en 1773, en prenant poffeffion de la banque, a empéché non - feulement la réalifation d'environ quatre millions de Ryxdl. en papier monoyé, qui fe trouvoient alors dans la circulation; mais qu'au contraire Ia maffe en a bien augmentée (*) depuis cette époque. (*} A l'établiffement de 1» banque fous Chrétien VI en 1736, ie Roi s'engagea folemnellement tant pour lui que pour fes fucceffeurs , de ne jamais s'ingerer en aucune mamère, foit en temps de guerre, foit en temps de pa,x, m même dans une néceffité preflante, ou dans dautres circonftances, des affaires de Ia banque, tant direaement qu'indireflement, & de Iaiffer aux direfleurs & aux commifiaires pleine liberté de difpofer des fonds & dM.cffcu, qui leur feroier* confiés par les iiuéreffés.  < 3*9 > La mauvaife adminiftration des Finances en I Soe'de & nommement le grand abus qu'on fit I des emprunts k la banque, multiplia fi fort la quantité de papier qu'en 1769 la maffe des billets en circulation fut eftimée a 500 ton! neaux d'or; a chaque diette on formoit des l nouveaux plans pour le rétabliffement des fi! nances & le maintien du crédit, mais chaque : fois on manqua le but qu'on s'étoit propofé. Enfin dans la Diette de 1769 on adopta un plan, qu'on crut propre k réalifer avec le temps 1'énorme quantité de papier, qui obruoit le le royaume, & k remettre les efpèces en circulation; un des articles de ce plan étoit un emprunt de 3 millions d'écus courans d'hollande, k 5 & f pr. cent d'intérét. Le Roi & fon miniftère fe font également occupés depuis la révolution de 177a, a exé: cuter le projet intéreffant du rétabliffement des ; finances; c'eft pour cet effet que Sa Majefté n'a pas feulement levé h refte des 3 millions ff écus, que les Etats de 1769 avoient autorifés le gouvernement a emprunter pour 1'exécution de ce plan, mais elle negotia encore en Hollande un nouveau capital de 2 millions de florins d'hollande. Voici les priEcipaux points du plan que le Roi fe propofa de fuivre, pour remettre les efpèces en circulation dans fon royaume:  C 320 ) 1°. II réfolut de commencer dès rarinée 1777 a payer en efpèces une partie des appointemens de tous les officiers, tant civils que militaires. — Ce qui a été exécuté. 20. De retirer les billets de banque & de ne lailTer dans la circulation que ceux de ico Daald. & au deiTus. 3°. De faire payer par la banque, a quiconque le demandera, des plotes ou platl- \ nes de cuivre pour des gros billets, & de la monoyé de cuivre pour les petits. 4Ö. De ne plus charger 1'exportation des plotes de cuivre d'autres droits que de ceux du cuivre ordinaire. 50. Les nouveaux billets de banque ne feront point faits en monnoye de cuivre , mais en Ryxdl. ou écus de banque, & le moindre fera aio Ryxdl. En 1776 la maffe des billets de banque elr-' I eulans fe montoient encore a la valeur de fix . millions de Ryxdl., & on fe fiattoit que la réalifation pourroit en être operée moyennant I 200 tonneaux d'or, ou 3,330,000 écus de banque en monnoyes d'argent ou plottes de cuivre. On prétend que cette réalifation ne s'effectue point aufii promptement qu'on 1'avoit efpéré, cependant elle avance & tous les jours il fe  < 321 ) 1 fe re'pand plus d'efpèces dans le public; mais Jon ne parviendra a y réufiïr entierement que I peu a peu & a mefure que la balance du ComI merce deviendra plus favorable pour la Sue'de, | qu'elle n'a e'te' jufqu'a préient; feul moyen I pour faire entrer dans cet état i'or & 1'argent, I dont il eft dépourvu (*). La Banque a été érigée en 1668 fous le rëIgne de Charles XI, qui lui donna, ainfi que : fes fuccefieurs, les plus fortes aflurances de la maintenir & d'en lahTer 1'adminiftration aux ; députés des Etats; elle eft regie par un Commiffaire de la banque & par trois députés de chaque ordre, ce qui fait en tout dix directeurs. Tous les revenus de 1'Etat pafient par cette banque, & le cuivre brut, appartenant a la i Couronne, y eft également livré. Elle confi: fte en une banque de change & une banque d'emprunt. A la Diette de 1778, vu le long intervalle qui (depuis la nouvelle forme de gouvernement) s'écoule d'une de ces aflemblées a 1'au• tre, on établit une Commifiion, qui tous les trois ans au mois d'Octobre regoit les rap; ports de la diredtion , &. travaille pendant : deux mois conjointcment avec elle a tout ce , qui peut contribuer a donner plus de confiftan- {>") Ce projet eft attrifaué a Mr. le Secrétaire d'Etat I jle Liljenerantz.  C 522 > ce & k augmenter le crédit de la banque. Cette Commiffion eft formée de 14 Revifeurs, dont 12 font choifis parmi les trois claffes de la Nobleffe, 6 parmi le Clergé, & 6 parmi la Bourgeoifie. En 1783, peu de temps après le départ du Roi pour malie, la Banque remit de nouveau des billets en circulation pour la fomme de 150 Ryxdl., alléguant pour raifon : La faillite de quelques maifons de commerce dans 1'étranger, le hauffement du change par le manque de papier, qui fans cette précaution feroit caufe de la fortie des efpèces. La Banque fe flatta de faire baifièr le change par cette opération; mais cet effet ne fut qu'inftantané; 1'exceffive importation dugrain, tant pour la confommation que pour la diftillation du brandevin, & la diminution de 1'exportation du fer fit bientót rehaufler le change. Les revenus de la Couronne de Suéde font formés par différens Impóts & différentes Taxes, tant fixes qu'extraordinaires Ïevées fur les terres, fur les perfonnes & fur toutes leurs poflefiions quelconques, ainfi que fur les produits des Douanes, des Mines & du papier timbre'. La valeur du numéraire ayant confidérablement baiflee dans 1'efpace environ d'un fiècle, & le taux de prefque toutes les redevances  ( 3*3 > payées en efpèces étant refte'es le même; les revenus de la Couronne font beaucoup moindres qu'ils n'étoient alors. Sous le règne de Charles XI en 1696, les rentes fixes de la Couronne, ainfi que les dé-, penfès pour 1'entretien de radminiftration, furent réglées définitivement. II étoit alors indifférent d'être payé en nature ou en argent comptant, puifqu'un tonneau de grains, un écu de banque & deux dlrs. frmt. étoient équivalens; mais les denrées ayant peu a peu augmentées de prix, au point que le tonneau de grains vaut adtuellement 13 dlr. frmt., & la monnoye étant tellement diminuée de valeur qu'il faut 6 dlr. frmt. pour faire un écu de banque, 1'ancienne proportion ne fubflfte plus, puifqu'aujourd'hui le tonneau de grains eft équivalent a 2g écus de banque , & qu'alors il ne 1'étoit qu'a 1 écu. Par la même raifon, ceux qui payoient alors 10 tonneaux de grains, en nature fe trouvoient en égalité avec ceux qui payoient 10 écus eö efpèces, & ne le font plus adtuellement. En 1715 , fous le règne de Charles XII, le tonneau de grains fut taxé a 2* dlr. frmt., tandis que 1'écu de banque conferva quant aux impóts fon ancien prix de 2 dlr. frmt., quoique fa valeur réelle fut déja montée a 3 dlr. frmt X» 2  C 3*4 5 Dela il eft arrivé que le poflefleur actuel d'une terre taxée en 1696 a payer une rente de 20 dlr. frmt. ou 10 écus de banque, pour 1'acqu.it de laquelle il lui falloit lotaxes de grains, ne paye aujourd'hui que 22i dlr. frmt., ou la valeur d'environ i| taxes de grains , pendant que fon vóifin eft obligé de payer pour un Hemman ou terre de la même qualité 10 taxes de grains en nature a la valeur de 120 dlr. frmt. II en eft de même de toutes les autres taxes en nature qui furent alors évaluées felon le prix du numeraire. Plufieurs taxes pécuniaires ayant été changées en Denrées aux régiemens de taxation fous Charles XI, pour foulager ceux qui ne fe trouvoient pas en état de payer en efpèces , on proportionna ces denrées a la valeur des monnoyes de ce temps-la. Par exemple : dans quelques diftricïs on eft obligé de livrer deux cordes de bois, (Stafrum) ou 18 tonneaux de charbon, tandisrque d'autres payent encore Tanden taux, qui ne fait pas la moitié de cette valeur. En Hieraldic , Province de Nortlande, on s'engagea de payer a la place d'une taxe ( nommée Mantah -penningar, ou Impót perfonnel fubftitué a une taxe fur les moulins) * d'écu, valant alors g oere frmt. — On paye encore aujourd'hui 8 oere frmt., quoique le dit f d'écus vaille attueilement 38 oere frmt.  X 325 ) Les MantaU-penningar rapportent au moins 730,000 dlr. frmt. par an. Cette fomme qui feroit d'après les taux primitifs 365,000 e'eus de banque, ne fait plus a pre'fent que 257,647 e'cus. Ce peu d'exemples prouyent, que les revenus fixes de la Couronne de Suéde ont confidérablement diminués, tant par 1'altération des monnoyes réelles, que par la multiplication de fes monnoyes repréfentatives. La valeur intrinféque des monnoyes ayant donc baiffée d'environ deux tiers depuis 1'arrangement de 1696, les revenus ou rentes de la Couronne ont dü diminuer dans la même proportion. Cependant les befoins du royaume étant toujours les mêmes , pour ne pas dïre plus grands, les Etats fe trouvent dans 1'obligation d'y fuppléer d'une diette a 1'autre par des contributions extraordinaires, des emprnnts, &c. <5?c. Ces contributions extraordinaires fe lèvent fur les biens fonds ou 1'agriculture, fur les Mines, furie Commerce, fur la Main• d'ceuvre, fur les perfonnes, chacun fuivant fon état, fon emploi & fes reffources, & enfin fur les Cabarets, ou l'on débite 1'eau de vie en détail. Voici un tableau des revenus de la Couronne de Suéde, tels qu'il étoient en 1'année I77x> a favénement du Roi au thröne, X 3  i ft* > Tableau des revenus de la Couronne de Suéde, tant ordinaires qu'extraordinaires (*). Daler frmt. Rentes ordinaires, ordimrie Raentan. 2133997 Dixmes de blé, Afrods-oth Kronotion- de Spanmohmedel 295037 Fermes , Arrende Medel 70837 RentesV^omeW^Mantalspenningar. 73000® Deniers pour 1'entretien des Senechauf- fées, Lagmans-och Haeradshoef- dings raentan. . . . : i4o3o| Deniers pour 1'exemption de 1'entretien du Militaire, Knek-refrihets medel 2545 Droits fur les fours a cuire de la chaux en Gothlande, Kalkugns- fe 'fcfi 381 Deniers de Convocation, Utfkrifnings penningar. s6o2$ Entretien des Matelots, Botsmaens penningar f ^ g Deniers pour 1'exercice des metiers," Handwaerks-maens-gjoernings-oeren. 679, Quote part des droits de Judicature Kronans andel af Sakoeren. . . 23620 Impóts fur du bois vendu. Kronof kogs foer faetgnings medel. . . 225 C*} Cantzler* 344422©  C 327 ) Daler frmt. Tranfport 3444220 f Papier timbré & recognition. ( Char- tae Jtgillatae Af gift og recognition. 231090 I Rentes Ïevées pour le Regiment de Varmie & Nerike 3000 Contributions extraordinaires. . . 2400000 j Dixmes & taxes fur les forges de fer, Tionde och Hammarfkatts joems medlen. Dixmes de 1'alun, Rentes du cuivre, & grande douane de mer, In och wgoende flora fjoetullen. ..... 2066074 Dixmes de la fabrique de fouffre, Swaefvelbruks tionde a Dylta. . 1705 Péages & Accifes generales, general Landtulls och accife middel . . 800239 Dixmes du cuivre de Ryddarhytte & Liusneberg, Koppar afgift. . . 1800 Douane du cuivre d'Aveftad. . . . 20000 Dixmes des mines d'Argent & braflage, Tionde Silfver Myntareloen og Slagfkatt 300° Timbre de Controle, Controlt ftaempcl Afgift, fur 1'or 1'argent & i'étaim 3° 8? 99742I5 X 4  C 328 ) Daler frmt, , Tranfport 0074.21c Impöt fur le bétail a Stokholm, Bof- 6 kaps penningar., Pofies, Poflmedei, . . . [ 3ï?f*° Deniers pour 1'entretien des fanaux, Fyrings och Bok-Afgifter. . . 200I(J —- des Pilotes, Lotspenningar. . 1^68 Accifes fur les confommations. . . 300000 Contributions de la Chambre de revi- fion. Obfervations medel. . . 3232 Impóts fur la cargaifon des vaifleaux de la Compagnie des Indes Orientales. . ; Tonds de Medécine." * ' 3J°° • 540.0 Epargnes des Vacances, Général Foerrods, Caffe och Vacance medel. /-«.. . . * • • . 300000 Contributions pour 1'entretien & les reparations du Chateau de Stok- Fond d'amortiflement' (Riksgialds' 3?? fonds. Contribution accordée depuis V772 5°57 fous le titre de Begrafenis och Kroeningshielp A ■ /• > r" • ■ • 200000® Ainfi qu une Contribution de 4 Oere frmt, partête fous le nom de Mantals Krefne. - • "* • 2000000 ƒ 12104624 Dlrs.frmt.  ( 320 ) A quoi il faut ajouter les contributions accorde'es fous le nom de don gratuit, & qui different fuivant les befoins momentanés de 1'état. Le Reglement que le Roi a fait par rapport aux brafleries de brandevin en les de'clarant regales, augmentera confide'rablement les revenus de la Couronne, puifqu'on compte qu'au lieu de 14 tonnes d'or, qu'elles raportoient en impots , elles en raporteront 28 comme regales. A la Diette de 1778 les Etats augmenterent les revenus particüliers du Roi d'un furplus de 100 mille Ecus par an. Je veux auffi vous faire part d'une petite Comparaifon entre les depenfes de la Couronne dans les trois anne'es 1696-1768 & 1773 (*). Dis. frmt. Dis. frmt. Dis. frmt- Entretien de la^ 1 - "1 Cour. 57,6,09<3 1,658,445 2,S04,73; Le Sénat & I'adminiftration 552,357 1635,034 1,828614 Etatcivil 320,903 ,482,808 514,063 Etat militaire | I 2295,111 i>Ao. 1696 3,204,4È5 £>Ao. 1768 3,757,619 , Ao. 1773 Marine 681,498 1 1,456,656 | 1,812,151 f Etat extraordinaire pour 1'établiffemens & autres arrangemens 63,941 7,S73,ï54 t. 569,496 J 'J ■ J 4489,906 16310023 1158667S Tout ce que je vous ai dit au fujet de l'Agricrlture, de la population, du Commerce, ) Cantzler. X 5  ( 330 ) de 1'état des finances, ainfi que des revenus de la Couronne, doivent vous avoir donna* une idee générale des reflburces de ce Royaume, &fans doute vous en tirerés la confequence, qu'il lui faut un Roi pacifique, qui tourne toutes fes vues du cóté de 1'amélior^ tion des differentes branches d'adminiftration que je vous ai detaillé. Malheur a la Suéde fi elle eft jamais gouvernée par un Monarque, dont 1'efprit ambitieus voudroit abufer du pouvoir, que la revolution de 1772 a donnée a Guftave III, elle retomberoit alors dans une fituation plus terrible, que celle oü fe trouva le royaume a la mort de Charles XII, fituation dont les fuites, s'y font fentir encore. — Mais il eft temps de finir une lettre qui vous aura peut être ennuyée par les Calculs qu'elle renferme. Je fuis &c.  ( 33i ) LETTRE VINGTet UNIEME. Coppenhague ce.. .Fevrisr M . . . J"e n'entreprendrai point de vous faire une hiftoire fuivie de la Suéde, encore moins d'entrer dans les détails de la vie privée de fes Rois, ni des différentes guerres que 1'ambition de fes Souverains, ou la défenfe du pais ont ! fait naitre durant les dcrniers fiècles. Mon : deffein eft uniquement de vous tracer un tableau des différentes formes du gouvernement, qui ont eu lieu dans un pais, oü 1'attrait d'une autorité fans partage du cóté des Rois, 1'ambition la foif de regner le défir de s'enrichir du cóté de la nobleffe, & 1'amour de la liberté fi naturelle au peuple, ont excités des ! fréquentes révolutions. Je m'imagine que ce fera le meilleur moyen pour répondre aux \ queftions que vous me faites. Vous rerrés 1'intérêt particulier abufer plus d'une fois en : Suéde, ainfi que chez-nous, du mot te Liberté,  ( 332 ) & fous le mafque trompeur d'un faux patriotifme facrifier tout a la paffion de dominer ou de s'enrichir ; une puiffance étrangère faire les plas grands efforts pour bouleverfer la conftitution, fe replier tantöt vers un parti, tantót vers un autre, femer la zizanie par les intrigues & la corruption, pour fe rendre maitre du gouvernement & le faire fervir a la réuffite de fes pro jets. Defcendans de ces petrples, qui détruifirent 1'empire Romain & inondèrent la furface de 1'Europe, les Suédois ont conferve's a quelques égards toute 1'énergie de leurs ancêtres. Sous un climat rude, dans leurs montagnes incultes, ils connoiflbient peu ]'a- ! griculture; leurs vaftes forêts & leurs grands lacs leur fourniflbient une nourriture abondante; leur genre de vie, peu fubordonné, les rendoient enclins a 1'indépendance; les Dalé- : carliens furtout, habitans d'une province plus i feptentrionale & plus fauvage que les autres, i fembloient avoir auffi plus de fermeté dans le caraclère: jaloux de leur droits, ne pou- • vant fouffrir la moindre oppreffion, toujours prêts a fe foulever, ils ont plus d'une fois changés la Conftitution du Royaume. Le gouvernement féodal n'a jamais été connu parmi eux; ce ne fut qu'en 814 que le Roi Anun ayant fait abattre quantité de forêts, il cn partagea le terrain entre plufieurs de fes fu-  ( 3S3 ) Iets, h condition: que lorfqu'ils en feroient requis, ils le fuiveroient a la guerre, ou paLeroient un certain tribut; c'eft 1'origine des payfans de la Couronne & des terres nommées kronohemmans. Les nobles n'eurent des vafïaux que lorfque ces efpèces de liefs furent lalie'nés. Les payfans n'y furent jamais dans 1 efclavage; il n'y eut d'efclaves que les prifonnlers de guerre, ceux qui avoient eommis certains :rimes, & ceux qui fe vendoient eux-mêmes; Eette derniere efpèce d'efclavage fut déja dé|fendu par Birgis Jarl vers le milieu du XIII . fiècle, en 1'année 13 35- Magnus Ladulos abolit toute efpèce d'efclavage en 1'anree iS3ó*- Dans les temps les plus reculés le pouvoir ne fut jamais confié a un feul homme, & lorfqu'un Roi s'eft rendu defpotique , ce fut toujours par ufurpation. La fouveraineté réfidoit (dans les Etats - Généraux , auxquels chaque claffe de citoyens avoit droit d'être admile. iLes payfans les pluspauvres y envoyoient leurs répréfentants, comme les nobles les plus nches. Dans 1'intervalle de ces affemblecs un Sénat gouvernoit le Royaume. Le Roi, ou proprement le premier Magiflrat, étoit élu par la nation aflemblée; il , iouïfioit d'un pouvoir trés borné. — H «e pouJ voit faire ni la paix ni la guerre , & encore  C 334 ) moins léver des troupes ou de Targent, fans le confentement du Sénat ou des Etats-Généraux; „ il ne lui étoit permis ni de faire bl„ tir de nouvelles fortereffes, ni de donner „ les gouvernemens des chateaux, qu'a des „ Suédois d'origine, ni de faire entrer des „ troupes étrangères." ( * ). Quelque fatisfaifant qu'un gouvernement pareilpuilfe être pour chaque individu, qui compofé la nation, il eft néanmoins fujet a de grands inconvéniens ; 1'hiftoire de ce pays le prouve: le défbrdre, la confufion & ''anarchie en réfultèrent plus d'une fois. Le Royaume étant ékiïif fut expofé h des guerres civiles, qui lui furent trés funeftes; les Nobles, afpirans tous a la Couronne & s'excluants mutuellement, appelloient des étrangers a leur fecours. Ce furent eux qui contribuèrent le plus a y appelier Marguérite de Waldemar, enfuite Chrétien en 1452. La Religion Chrétienne s'étant établie en Suéde vers la fin du IX*. fiècle, les écléfiaftiques y prirent peu a peu cet afcendant, qu'ils furent fe proeurer par tout, par les grands biens qu'ils acquerirent. Leur orgeuil & leur efprit de domination exciterent les plus grands troubles. Ce furent les Evéques & particulierement 1'archevéque d'üpfal Guftave Trolle, C*) L'Abbc Vertst.  ( 335 5 qui fit palier la Couronne en 1519 a Chrétien ou Chriftierne II, monjlre affamé de fang de Carnage (#). Marguerite de Waldemar, cette fameufe Semiramis du Nord, qui fous le prétexte fpécieux de maintenir leur liberté, impofa aux Suédois un joug plus dur que celui dont ils vouloient fe délivrer, réunit les trois Couronnes de Dannemark, de Norvége & de Suéde , par le traité de Calmar en 1397, & fit proprement de ce dernier Royaume une province Danoife. Les Dalecarliens ne pouvant fuppofter 1'infraftion de leurs privileges, & peu faits pour fubir le joug d'une domination étrangère fe fouleverent & donnerent le fignal d'une revolte générale. Eric XIII fuccefleur de x440> Marguerite fut detroné. Peu de tems après Chrétien I voulant faire valoir le traité de Calmar , s'empara de la Suéde & la gouverna avec un fceptre de fer. II fut depofé deux fois mais enfin retabli. Chrétien oü Chriftierne II furnommé le Ti- I5i3. ran monta fur le thröne. II n'eft que trop connu dans 1'hiftoire par fes cruautés & par le fameux mafiacre de Stokholm, oü perit tout ce qu'il y avoit d? plus illuftre en Suéde. Les Dalecarliens eurent encore la gloire de deli- (*) Arckenholtz. — Cantzler.  Guftave I. 1523. [*} Mémoires d'ArckenhoIcz, C 33*5 ) vrer leur pais de la terrible oppreffion fous laquelle il gemiffoit, & ayant a leur té te le célèbre Guftave Vafa oü Guftave I, ils rendirent a la Suéde fon ancienne liberté & la détacherent pour jamais de 1'union de Calmar. „ Chriftierne fut un exemple terrible de la „ juftice divine, qui doit faire trembler les „ mauvais rois; non feulement il perdit la » Suéde, mais encore le Dannemark & la >, Norvége, & pafTa le refte de fes Jours dans „ une obfcure prifon, n'ayant pour tout do„ meftique qu'un nain qui le fervoit (»). Guftave fut declaré adminiftrateur en\c2I & roi en 1523. Les Sue-dojs reg2rdent ce Pnnce comme leur père & leur libérateur &reconnoifTants des fervices qu'il leur avoit' rendus, ils déclarerent le royaume héréditaire pour lui & pour fa poftérité. Dés ce moment tout prit une autre face La fouveraineté refidoit bien encore chez les' Etats généraux compofés des quatre ordres ainfi que dans le Sénat; mais 1'influence que Guftave y avoit acquis par fes fervices, reunifiöit tout le pouvoir fur fa perfonne, & il regnoit dans lefond aufïï abfolument que s'il étoit né fur le thróne. Tous  C 337 2 Tous fes fujets fe felicitant d'être gouvernês par un Prince: „ plus humain que fevère, „ a&if,laborieux,infatigabIe, intrépide; quand „ il s'agifibit du bien de la patrie, aimant la „ juftice par deflus tout, & la rendant fans „ diftindion de perfonne , 1'appelloient le „ père de la patrie. " (*) En fe rapellant ces tems, oü la diflenfion des Nobles, 1'avidité & 1'orgueil du Clerge', ainfi que 1'ambition & la cruauté de quelques Rois , s'entrechoquoient continuelleraent, ils favouroient avec delice leur fituation prefente , fans s'imaginer qu'une autorite' fonde'e aétuellement fur 1'amour & la reconnoilfance, pour-roit amcner avec Ie tems une autorité defpo-, tique, fous laquelle le royaume feroit auffi malheureux, qu'il 1'étoit peu dans ce moment. Ce fut peut-ëtre autant la politique, que tout autre motif, qui engagea Guftave a introduire la Réligion Lutherienne dans fes états. II avoit éprouvé 1'efprit dominant & le pouvoir exceffif du Clergé Romain, & il n'avoit rien de pareil a redouter des Eccléfiaftiques Lutheriens, d'ailleurs en ajoutant leS biens trés confiderables des premiers aux Domaines de la Couronne, il augmentoit les revenus de 1'état & fe formoit des nouvelles reflburces. Ét) Mémoires oVArkenholtz. Y  C 338 ) Ces mèmes Dalecarliens qui lui avoient ouverts le chemin au tróne, ne fupporterent pas fi aifement que le refte de la Suéde, la grande autorité qu'il avoit acquis. II fe revolterent fix fois; foupconnant qu'il vouloit retrancher quelques-uns de leur privileges, ils fe fouleverent &ne mirent les armes bas que lorfqu'ils s'appercurent que leurs craintes étoientmal fondées. En 1528 ils fe revolterent encore; attachés a leur anciens prejugés & coutumes, mais furtout a la réligion de leurs ancêtres, ils ne purent fupporter 1'introduction des nouveaux dogmes; ik s'ils n'eufïentété abandonnés de leurs chefs, ils , n'auroient,peut-être facrifié leurs oppinions qu'avec leurs vies. Un autre foulevement eut lieu par raport a 1'habillement nationnal, que non feulement ils ne vouloient pas quitter, mais qu'ils prétendoient voir porter a Guftave Vafa ainfi qu'a toute fa cour, avec promefle de le conferver inviolablement, fans jamais adopter dans la fuite ni habillement ni coutumes étrangères. Guftave traita conftamment ces icflexibles montagnards avec bonté & avec tendreffe; fe rapellant toujours qu'il leur devoit la Couronne, & ce ne fut que lorsqu'il ne lui reftoit plus d'autre reflburce, qu'il agit contre eux a main armée; il les gagna cependant peu a peu fibien, que vers la fin de fon long règne ce furent de tous fes fujets ceux qui lui témoignerent le  C 339 ) plus d'attachement; de facon, que lorfque fon fils.Eric monta fur le tróne, il fe vit k la tête d'un peuple uni, heureux, & content; il trouva des fujets , qui après avoir goutés les douceurs de la paix fous Ie gouvernement de fon père, fe rapelloient les horreurs des guerres civiles fous les regnes précédens, & qui en étoient d'autant mieux difpoiés a la foumiffion & a la tranquiüté. La reformation avoit entièrement tari la fource des troubles, occafionnés par la hauteur & Tambition des préIéts Catholiques •, la plupart des anciens nobles, qui fomentoient continuellement des nouvelles révolutions. avoient péris dans le maflacre de Stokholm,' ou pendant le cours des guerres civiles; les droits des Rois de Dannemark fur la Suéde, n'exiftoient plus & Facie qui rendoit le royaume héréditaire annuloit le traité de Calmar; enfin le trefor ayant acquis une richefiè immenfe par la fuppreflion des monaftères & autres confequences de la reformation, fut non feulement en état de foutenir pour la première fois la dignité royale, mais on y trouva de quoi fournir a tous les befoins aétuels du Royaume. Le peuple fe fentant heureux, fe croyoit libre; cependant Guftave avoit fi bien e'tabli 1'autorité arbitraire, qu'il ne paroifibit pas apparent que la Suéde put jamais recouvrer fon Y 3  SricXlV 1560.' Jean 1569. Sigismund.Ï592. ('34° ) ' aficienne liberté', fl fes fucceffeurs favoient profiter de 1'état dans lequel il Iaifla fön royaume. Le Roi Eric ne put profiter de ces avantages fon efprit cruel & fon caradtère ombrageux jufqu'a 1'alie'nation le firent déclarer incapable de règner. Son frère Jean qui lui fucceda, après 1'avoir trainé de prifon en prifon, le fit enfin empoifonner au chateau de Gripsholm. Ce fut fous le règne d'Eric XIV, que les dignite's de Comte & de Baron furent cre'es. Le règne de Jean fut affez tranquile a quelques troubles de réligipn prés; fon Epoufe Catherïne de Jagelion fille du Roi de Pologne, Princeife Catholique Romaine, trés bigöte, tacha de faire rentrer la Suéde dans le giron de 1'églife ; 1'ancienne réligion n'étoitpastellement éteinte qu'elle n'eut encore un grand parti; la reine tacha d'en. profiter, de même que de 1'afcendaht qu'elle pofledoit fur 1'efprit de fort époux; mais fes projets échouerent, le Roi Jean mourut en 1592, Son fils Sigismund Roi de Pologne quoique Catholique lui fucceda, en vertu de l'arffoerening ( acte de fuccefiion ) après avoir promis de ne jamais porter la moindre atteinte a la Réligion Lutherienne, qui dans une diette tenue ü Upfal en 1593 fut déclarée Ja feule avouée & indépendante. Après quelques trou-  C 341 > I bles qu'il appaifa heureufement, il s'en retourI na en Pologne & ne voulut plus revenir en I Sue'de, ni permettre que fon fils fut élèvé I dans la Re'ligion Lutherienne, ce qui fut canfe que les e'tats le déclarerent déchu de tous.fes 1 droits fur la Couronne, & fa poftérité inhaJj bile a y fueceder. , Charles Ducde $udermanie fon frère admini- c j: ftrateur du royaumè pendant 1'abfence du Roi, I monta fur le tröne a fa place. On étendit fous fon règne le droit de fucceffion jufqu'aux Alles non. mariées au defaut des males. II fut continuellement en guerre avec le roi detröne', & avec les partifans ruifes de Wladislas de Pologne fon fils. En 1610 Chrétien IV roi de Dannemark 1'ataqua & lui enleva Calmar. II mourut en 5 ' 1611. La nation lui reprocha d'avoir facrifié a fon ambition environ 80000 Suédois, & fait périr 144 perfonnes par la main du Boureau. Guftave Adolfe fon fils lui fucceda. II commen$a fon règne par 1'établiflement d'un nouvel ordre de Diette, dont un des articles portoit; „ qu'a 1'avenir on ne prendroit en deli„ béracion d'autres matières, que celles que „ le roivoudroit bien y propofer. " (*) La nobleffe fut partagée en trois claffes: les Sei- (_*") Cantzler. Y 3 harles IX. 1600. Guftave Adolfe 1611.  C 342 ) gneurs Comtes & Barons; les chevaliers defcendans des fénateurs , & les fimples géntilshommes. Le Duc de Sudermanie, Nericie & Warnië ainfi que le Duc d'Oftrogothie'&Dalétans morts, il réunit ces apanages a !a Coüronne & affermit par-Ia de plus en plus le bon ordre dans le royaume. Pendant ces arrangemens.politiques, il fut obligé de foutenir une guerre contre la Pologne» le Dannemarc & la Ruffie. II fut entrain é dans la famèufe guerre de 30 ans, dont vous Gonnoifies 1'hiftoire, ainfi que les tnotifs. Le Roi de France qui vouloit abaiffer Ia maifon d'Autriche, s'engagea a lui payer un fubfide- de 400 milles écus pendant toute la guerre. Cette guerre1, dont le prétexte fut la réligion, donna grande réputatiön aux armes de Suéde. Guftave barit le fameux Tilli, prés de Leipfic, en 1631, & le Général Wallenftein a Lützen en 1632; cette viftoire lui couta la vie au moment qu'il fe cróyoit peutêtre prés d'acquérir la Couronne impériale. Tous les hiftoriens s'accordent a faire 1'éloge de ce Roi guerrier, ils lui reconnoiflent tant de qualités qui conftituent le Héros & le grandhomme, que je ne me permettrai qu'une firnple réflexion; c'eft qu'il eft facheux, qu'il n'a pas employé fes grands talens uniquement au  C 343 ) véritable bonheur de fon peuple, au lieu de faire fon principal objet de la gloire de fes armes. Un auteur de" réputation (#), après avoir fait 1'e'Ioge de Guftave Adolphe, s'exprime ainfi : „ Le grand proxeüeur de la liberté en Alle„ magne auroit-il voulu être defpotique dans „ fon pays?" Cet auteur me permettra de faire une demande a mon tour: Etoit-ce réellement td liberté de 1'Allemagne, ou le défir d'acquêrir de la gloire qui le porta a fe declarer fon protefteur? Etoit-ce la liberté de fon pays qu'il avoit en vue, en dêfendant aux Diettes toute propofition qui ne venoit point de fa part? Chriftine, fa fille unique, lui fucceda; elle düt promettre de règner felon ïa forme du gouvernement, que le grand Chancelier d'Oxenftiern avoit compofé' par ordre de Guftave Adolfe, & qui fut confirmé par la Diette de 1634. Cependant la guerre fut continue'e en Allemagne avec une fortune fouvent chancelante. Les troupes Suédoifes, après la malheureufe journée de Nortlingue, remportèrent des avantages confidérables en 1636 prés de Wildflok, fous la conduite de Guftave Banér contre C*} Sheridan, edit, angl. y 4 Chriftine 1632. (  C 344 ) les Saxons; en 1642 prés de Leipftc, & en 1645- prés de.Zankowitz, fous le Général Terftenfon contre les Impériaux. Les fuccès accélerèrent les négotiations au point, que la fameufe paix de Weftphalie fut enfin concluë en 1648. La paix que la Suéde avoit concluë peu auparavant en 1645 avec le Dannemarc ne fut pas moins glorieufe. La Reine Chr'iftine abdiqua h 1'age de 27 ans, en fe réfervant un revenu trés confidérable. Elle quitta la Suéde, fit profefiion de la Réligion Catholique a Infpruk, & mourut en 1689 a Rome, „ admirée au dehors & fon „ peu regrettée de fes anciens fujeis (*). us lui reprochèrent ainfi qua fon prédéceflbur Guftave Adolphe, Ia diffipation des biens de la Couronne. Pour gagncr ou récompenfer la principale noblefie, ces deux Souverains leur avoient donnés, vendus ou hypothequés , un grand nombre des domaines de la Couronne. La Reine Chriftine en particulier ceda quelques biens royaux pour amortir des prétention?, pour environ un million & demi de Ryxdl. Eilene confirma pas feulement le privilège accorde' par fon >père a la noblefie, qui exemptoit leurs réfidences de tous les impöts de la Couronne; [ce qui méeontcnta extrême- C*) Cantzler.  C 345 ) inent les ordres inférieurs, puiique cette cxemption augmentoit leur charge;] mais elle sjouta encore a leur mécontentement,. en ordonnant, qu'aucunnon-nobleouroturier (Wanboerdig) n'entreroit en concurence avec la nobleffe dans la collation des charges. Le mot Wanbardig fut enfin expliqué en 1550 par' homme de mauvaife conduite & fans mérite. Charles Gujlave, fils de Jean Cafimir, Duc ( de Deux-Ponts, & de Catherine, fille ainée de Charles JX, fut défigné par la Reine Chriftine pour fon fuccefleur. Cependant il n'obtint la Couronne que par l'éle&'ion des Etats, qui prétendirent être rentrés dans leurs anciens droits, après l'extin&ion dp la poftérité mafculine de Guftave Vafa. Charles Guftave fut obligé de foutenir plufieurs guerres. Jean Cafimir, Roi de Pologne, (fils cadet de Sigismond) nonobftant que fon père avoit été déchu de la Couronne de Suéde pour lui & pour fes dtlfcendans cn 1700, prétendit y avoir des droits & voulut les faire valoir. Charles Guftave lui livra plufieurs batailles, entre autres celle de Warfovie (*>, qui dura trois jours, & qui lui auroit prefque alTuré la Conquêtë de toute la Pologne. Le Roi de Dannemarc, Fréderic III, lui ayant enfuite déclaré la guerre (t) i » pafla par defnü") 1656. o IharlesX  Charles XI i6f5o. C 34* ) fus les glacés du Belt avec fon armée, & le forca de lui céder a toute perpétuité par le traité de Rotfehitd, Ia Scanië, h Hallande, le Bleking, & le Bohus-leen^, quoiqu'il fut obligé de faire face è la Ruffie, a la Pologne, . al'Empereur&auBrandebourg; il déclara de nouveau la guerre au Dannemarc, & mit le fiége devant Coppenhague, d'oü il fut repouffé avec grande perte. II mourut en 1660 h Gothenbourg, ou il s etoit rendu pour affifter a la Diette qu'il y avoit convoquée. On le foupconna d'avoir voulu s'y emparer de la fouveraineté. Entrainé dans des guerres cbntinuelles ce prince n'a rien fait d'important en faveur de 1 adminiftration intérieure & ceconomique du Royaume. . Charles lui fuccèda a 1'age de cinq ans; fon pere avoit nommé pour fes tuteurs ; la Reine Douairière, (f) fon oncle Adolfe Jean généraiifiime de 1'armée, & quatre grands officiers de la Couronne ; mais les Etats ne refpefterent point cette difpofition ; ils exclurent lefrère du feu Roi, le remplacerent par un cinquième grand officier de la Couronne, & ordonnerent que toutes les affaires de 1'état fe regleroient de concert avec les fenateurs, que la Rdne • C O Princefle de Dannemarck.  C 347 ') Mcre prtfidcroit au Sénat, qu'elle y auroit deux voix & enfin qu'il n'y auroit jamais de Prince revêtu d'une des cinq grandes charges (* \ Sous cette nouvelle adminiftration la bonne intelligence avec les Puiffances vóifines futretablie. Le traitéd'élivaen i66oaffurala paix avec VEmpereur, 1'Elefteur de Brandenbourg, & le Roi de Pologne,qui défilWde toutes fes prétentions fur la Suéde. La paix de Coppenhague (f) mit fin a la guerre avec le Dannemarck on fit une 'échange de 1'ifle de Bornholm, contre quelques biens héréditaires de peu d'importance, enfin la paix de Cardis' (%) reconcilia la Suéde avec la Ruffie ; on fe rendit réciproquement tout ce 'qu'on avoit conquis. Sous cette même adminiftration , la nobleffe fle la Scanie & des autres provinces conquifes fut -admifc parmi la noblefie Suédoife, a laquelle les droits feigneuriaux furent affurés. Les debtes de la Couronne qui a la mort du feu Roi montoient a 16 millions 30 milles Diers fmt, furent portées jufqu'a 20 millions 376000 Dlers fmt; les forterefies furent mal en- (*•) Ces cinq grandes charges font : le Grand juge (&'**^leFeldmarechal C Riksmark) 1'Adm.ral (Lars Kou) feChanceUer & le grand Treforier, Riks (Scbamm*** teren)- (_\) 1660. c%) 1661.  C S4* 3 txetenues & les nobles toujours favorifés au prejudice des ordres inférieurs, c'eft pourquoi leRoi ayant a fa majorité (*) decharge' fes tuteurs de toute refponfabilité quelconque, ordonna dans la fuite de revoir leur adminiftration. Charles XI conclut a la Haye une alliance avec 1'Angleterre & la Hollande, (f; p0Ur s'oppofer aux entreprifes de Louis XIV, & fut auffi engagé par la d'accepter la paix d'Aix la Chapelle (f). II s'attira une guerre (§) avec 1'Empereur, le Brandenbourg, plufieurs Princes d'Allemagne, la Hollande, & le Dannemarck. Les Suédois perdirent labataillede Fehrbellen, (*#) & leur flotte fut toujours maltraittée 'par la Hollandoife & la Danoife, mais par contre ils battirent les Danois par terre prés de Halmfladt, (ff) prés de Lund (ft) & près de Carlscrona (§§). Rebuté enfin des viciffitudes de la guerre, ïl fit la paix en 1679 & renonca a 1'alliance e'troite, qui avoit fubfifté jufques la entre la France & la Suéde. II conclut en revange avec C*) I6?2. Cf) 16C8. Cf; 1074. C**) I67y. Ctf) 1676. 16 Aont. Cft3 4 xbre de la même année. CM) 14 JuiUet 1677.  C S49 ) Ia Hollande un traité de Commerce (•) & de défenfe reciproque pour le maintien des traités de paix de Weftphalie & de Nimegue. Depuis ce tems il ne s'occupa que de 1'adminiftration du Royaume. Lorfque Charles XI prit les rènes du gouvernement , ü fit ferment de refpefter les ioix de la Suéde, tarft par raport a ce qu'il devoit aux Etats , que par raport a fes devoirs envers les moindres fujets du Royaume, pour la confervation de leurs droits, privileges & propriétés, & en cas qu'il feroit néceflaire de faire quelques changemens en faveur de la fureté, la défenfe, ou les befoins du Royaume, de ne jamais agir par lui-même, ou par d'autres fans 1'avis du Sénat ou fans la connoiffance & la concurence des Etats. „ Qui fe feroit imaginé que deux ans après „ avoir donné cette affurance a fes fujets „ Charler XI feroit devenu le Prince le plus despotique de tous ceux qui ont portés la Couronne de Suéde." (t> Les grands privileges attachés aux nobles , 1'exemption des taxes, & la polTefiion des anciens domaines de la Couronne dont ils jouiffoient, exciterent la jaloufie des trois ordres (*) 1681.' (_ \ ■) Sheridan edit. angl.  C 350 ) inférieurs , au point que pour abaiffer celui de la nobleffe, ils déclarerent „ que le Roi n'é„ toit tenu a aucune forme de gouvernement;; „ mais fimplement au maintien des lotx, que „ le Sénat pouvoit dire fon avis a la requifl„ tion du Roi; mais que Sa Majefté décidoit de }, fa pleine autorité & qu'elle n'étoit refpon„ fable qu'a Dieu feul de fes actions ". (*) Quoique cette déclaration rendit Charles XI Souverain en effet; le mot de Souverainetê ne fut cependant employé que dans le Reces de 16*93. Depuis ce tems les Senateurs n'eurent plus que le titre de Confeillers du Roi, & 'la reduction ou la reunion des domaines de la Couronne, fi longtems defirée, ne rencontra plus d'obftacles, leRoi donna urt decret qui portoit : que toutes les terres demembrées de la Couronne depuis 1'anne'e 1609 , y feroient reünies. Ce fut un coup terrible pour la nobleffe, puisqu'une grande partie d'entre elle fut reduite a la dernière pauvreté-, car les compenfations qui furent accordées étoient fort peu proportionnées a ce qu'ils devoient reftituer, & a ce qu'ils en avoient réellement payés. C'eft en partie de ces domaines que le roi forma l'indelnings-werket ou repartition de 1'ar- C*) Cantzler,  mée & de plufieurs autres charges civiles & écléfiaftiques. Aprés cette redudtion d'environ 80,000 Hemmans (terres ou fiefs.) qu'il y a en Suéde, il s'en trouva environ 30,000 appartenans a la Couronne ( Kr'ono -Hemman') qui font divifés en ipurts Krono - Hemmans) terres fans la moindre charge & (Krono-fkatte hemman) terres, chargées de certaines redevances; 4500 de ces purts Krono - hemmans livrerent les Boftelles ou terres d'habitation de differens officiers tant de 1'Etat militaire que du civil & du Clergé. Charles XI mourut en 1697 agé de 42 ans. , Sous le règne de ce Roi fouverain abfolu jufqu'au defpotisme, le commerce fe reta„ blit, les manufadtures profpererent, 1'agri„ culture fut encouragée, les Arts& les Scien„ ces firent de grands progres, & les finances „ fe retablirent. (*) M paya 90 tonne d'or en dette & l'on trouva au trefor un million , 849000 Dlr!s f"? en argent comptant outre une fomme confidérable dans la caiffe par„ ticulière (f). „ Si le Royaume jouit fous fon adminiftra„ tion de tant d'avantages elle les acheta bien ( * ■) Shéridan Edit. Angloife. C13 Cantzler.  Charles Xli 1697. un C*) Shcridan , Edit. Angl. Ct) Nordberg, Hiftoire de Charles XII. ( 352 ) >, cher par la ruine de la moitié de fes habi„ tans. Charles liquida il eft vrai une grande „ partie des dettes pabiiqucs, & laiifa un ri» che trefor a fon Succefleur, mais les moyens „ employés a cet cffet repugnent a 1'honneur » & k 1'humanité; la réfiftance qu'on voulut « y oppofer fut vaiae; Pefprit de la nation „ étoit divifé, Ie defpotisme fermément étai> bii & Charies XII en montant fur le thróne „ fucceda au pouvoir abfolu que fon prédecef„ feur avoit ü bien établi. " (*) . L'Archevequg d'Upfal devoit couronner le nouveau Roi; mais au moment qu'ilalloit exercer ledroitattachéafa charge, Charles fe couronna lui-même, en regardant fièrement le Prélat. Cette adtion, joirte au caradtère d'obftination qu'on lui cpnnoifib.lt, ne fit rien augurer de bon pour fon règne. Le peule fut effrayé, Iorfqu'au moment qu'il monta a cheval pour fe rendre a 1'églife, il vit tomber la Couronne. Ce Prince qui femble n'avoir jugé de Ja force de fon royaume, que par fon étendue fur la Carte Géographique, fuivant 1'exprefiion d'un de fes hiftoriens (f), fuc un brave foldat & un habile Général; mais la poftérité ne lui sccordera jamais les qualités qui caraótérifent  ( 353 ) : un grand Monarque & encore moins un bon Roi. S'il mérica le titre de Héros, ce ne fut que dans les champs de Mars. II entendit iparfaitement 1'art de faire la guerre, mais trés lipeu celui de rendre fes fujets heureux. Touites fes vicïoires n'acquirent qu'une vaine gloire a fa perfonne & a fes armées, fans produire le moindre avantage, ni a fon royaume, ni a fes fujets. Aulieu de profiter de 1'autorité que la nation avoit donnée a fon père, pour confolider i les beaux établiffemens &c les progrès que le i commerce & 1'agriculture avoient faits fous ifon règne , & employer le tréfor qu'il avoit |j trouve fi bien fourni au bonheur de fes fujets; il perdit les plus belles provinces du royaume (*), depeupla fon pais, abima le comI merce, détruifit fon armée & fes flottes, & d*rangea les finances au point, „ qu'on fut „ obligé de fe cottifer pour trouver une fom„ me de 398000 Dlrs. frmt., deftinée a faire „ une nouvelle levée de troupes, avec laquel„ le le Comte Stenbock pafia en Pomeranie, & d'avoir recours a la fameufe monnoye de „ détreife Myn-teeken (f), dont la fomme to- (]*) La Livonie, la Pomeranie, & la plus grande partie de la Finlande. £t} En hollandois Nootmunt. z  C 354 ) „ tale mife en circulation futtrouvée a la mort „ de Charles XII, de 37 millions Dlrs. „ frmt.(*)." Sa mort fut un véritable délivrance pour un Royaume, épuifé d'hommes & d'argent, & affoibli au point qu'il s'en reffent encore. Arrivés a une époque, ou fous prétexte de rendre la liberté a la Nation, une Ariftocratie des plus tiranniques s'établit fur les ruines d'un defpotifme, qui avoit tout facrifié a la gloire; vous me permettrés de finir ici ma Lettre, & de vous afiurer que je fuis, &c. C*3 Cantzler.  < 3o6 5 LETTRE VING Ti et DEUXIEME. M . . / ]La Princeffe Ulrique Eléonore, Sceurcadette de Charles XII, Epoufe de Fréderic, Prince héréditaire de Heffe-Caffel, fut d'abord reconnue Reine, è condition de renoncer d la Souverainetè pour elle pour fes defcendans, & de figner un acte par lequel elle reconnoiffoit a la nation affemblée ie droit d'êUtiioni Les Etats la firent proclamer Rol de Suêde\ elle & aucun autre ( Sweriges Rikes Konung, hon och ingenannan) (•)le 21 Février 1720. Les Sénateurs reprirent leur ancien titre de Sénateurs du Royaume, le Sénat devint plus puüTant que jamais & ne redonnut que les Etats pour fe» fupérieurs; la nobleffe reprit tous fes droits, & fa diftindtion en trois claffes ceffa. . La paix fut fucceffiverrjent concluë avec 1'Angleterre (t), le Dannemarc (*), 1'Eledteur de Brandenbourg (§) & la Ruffie (•*) i celje? Cantzler. (tl 1719. L D i7«1721. z £ Ulriqua Eléonor  Fréderic ] X-J2.Q, C 356 > ci gararitit la nouvelle forme de gouvernement en faveur des belles provinces .qui lui reftèrent. En 1720 la' Reine céda la Couronne au Prince *fon Epoux, & ne fe méla plus des affaires du gouvernement. Elle ve'cut jufqu'en i74r, aime'e & refpe&ée de toute la nation. . Fréderic I. fut obligé d'embraffer la Réligion Luthérienne & de figner fon aflurance royale, c'eft-a-dire, la promeffe de fe foumettre au régies du gouvernement, telles que les avoit acceptées fon époufe Ulrique Eléonore, enfuite il fut elu , puis proclamé Roi de Suéde. Les Etats non contents d'avoir abolis entièrementl'autorité royale dans la Diette de 1720, ajoutèrent encore quelques articles a la forme du gouvernement, & donna de nouveaux privileges a la nobleffe, ainfi qu'au Clergé dans la Diette de 1723. .Les articles les plus efllntiels de l'Adte, qui fut paffé a la Diette de 1720 , furent les fuivans.; $. La puiffance fuprême doit réfider a perpétuité dans les états affem.blés, compofés de quatre ordres, de la Nobleffe, du Cierge, de la Bourgeoifie & des payfans immédiats de Ja Couronne. Chacune de ces quatre claffes de citoyens y envoyent fes repréfentans. Les Etats s'affembleront, convoqués ounon, tous ks trois ans, pour revoir comment le Sé-  C 357 ) nat,les Colléges & les autres départemens fe font acquités de 1'exe'cution des Loix commife a leur foins; & pour prendre les réfolutions néceifaires au bien être & k la gloire du royaume. Aucun Prince ne montera fur le thróne de Suéde avant 1'age de 21 ans accomplis. Les Etats nommeront les gouverneurs deftinés a 1'éducation de la familie royale, & leur fubftitueront des nouveaux toutes les fois qu'ils le trouveront a propos. Les Etats auront feuls la puiffance légiflative, & aucune ordonnance faite par le Roi, de concert avec le Sénat dans Pentre - deux des diettes, aura force de Loi; a moins que les Etats n'y donnent leur approbation. Les Etats fe refervent le droit de faire la guerre, mais en cas d'invafion ou de troubles intérieurs, le Roi de concert avec le Sénat, peut prendre les mefures requifes pour oppofer la force a la force, fans attendre 1'aflemblée des Etats , qui cependant fera convoquée fans délai. Le Roi peut faire battre monnoye, maisc'efc aux Etats a en règler le pied. Le Roi ne fortira du Royaume fous quelque prétexte que ce foit fans le confenternent des Etats. En cas de vacature dans le Sénat les etats Z 3  ( SS* )' preTenteront au Roi un Foerflag pour la plaee vacante, & Sa Majefté ne pourra fe difpenfer de choifir un d'entre les trois Candidats, qui y feront propofés & qui doivent être nés fujets Suédois. En cas de maladie ou abfence du Roi le Sénat figne les expéditions, qui ne foufirent aucun délai. Toutes les charges fuperieures dans le militaire, depuis le Feldmaréchal jufqu'au Colonel inclufivement, feront conferées par le Roi. :" Les Etats afiemblés en diette redrefleront les griefs de ceux quiaurontété préjudicie'spar quelque reglement, avis , ou décifion du Sénat. Les anciens privileges des Etats feront facrés k perpétuité, mais il ne fera donne k 1'avenir aucun nouveau privilège qui regarde un ordre entier fans le confentement de tous. §. Les principaux'articles, qu'on ajouta pendant la Diète de 1723 font les fuivans : §. Le Roi de concert avec le Sénat peut anticifer fur le:terme de trois ans fixé pour la convocation des Etats. Si le Roi eft abfent malade ou mort le Sénat en corps les convoque ainfi que dans les cas ou le bien de la patrie & la Hbertê des états font en danger.  ( SS9 ) Si,nileRoi, nile Sénat neconvoquent les Etats au terme prefcrit dans les cas fusdits, les Etats déclarent nul tout ce qui fe fera fait dans cet intervalle au dedans & au dehors, & ils ordonnent au Gouverneur de Stokholm & aux gouverneurs des provinces d'en donner avis, afin que les Etats s'affemblent d'eux-mêmes au tems & au lieu prefcrit. Si le Tróne devient vacant, les Etats s'affembleront quand même ils n'auroient pas étés convoqués, a Stokholm trente jours après la mort du Roi, pour proceder a une nouvelle élettion. Les différens individus qui forment les Etats, doivent s'obliger par ferment: de ne rien propofer ni agrêer, ni exécuter qui tende d quelque changement dans la forme du gouvernement. Ce que les Etats concluront au préjudice de la liberté & de 1'indépendance de la Nation, eft déclaré invalide & de nulle valeur. Le Sénat & le Roi feront refponfables de la conduite qu'ils ont tenus pendant 1'entrediètte. II y aura uu Committê fecret pour les affaires qui ne pouront être difcutées in plenis; il fera compofé des trois premiers ordres, & les payfans en feront exclus. Ce Commité fecret fera chargé' d'arranger Z 4  ( Z$o ) tout ce que le Ptena lui remet, & il eft abfolument defendu aux membres de cé collége de conferer avec des miniftres étrangers. Les Etats font les Loix, mais le Roi les figne & les fait expedier fous fon nom; au defaut du Roi le Sénat doit les figner, afin que tout foit promptement expédie'. Chaque ordre a fon fuffrage k donner pour les affaires qui regardent la nation en général; & la plnraJité de ces quatre fuffrages décide en • tout ce qui ne regarde pas les privileges bien ttcquis d'un ordre en particulier, dans quel cas il faut 1'unanimifé de tous les quatre ordres. 5. Rien ne pouvoit étre plus formidable que le pouvoir du commité fecrét ft plus contraire a la liberté puisqu'elle reüniflbit le pouvoir legifiatif judicia) & exécutif (*).- A la feparation de la diète le pouvoir exécutif étoit partagé entre le Roi & ]c Sénat, de facon que le Roi n'en pofiedoit que la 'plus petite partie; il y jouiffoit de deux voix & lorfqu'il y avoit égalité d'opinion fon avis prévaloit. Le Sénat avoit Ie pouvoir de s'alfembler auffi fouvent qu'il ie jugeroit a propos, rriém'e fans' le confentement du Roi & fans que fa prefence y fut requife, pour debattre les affidr^ C*3 Sheridan Edit. Ang!oife, An. i74?.  C ) I les plus importantes. On y lifoit les depêches des miniftres étrangers & on ne lui laif| fuit autre chofe a faire que de figner des refoluji tions fouvent prifes fans fon confenteraent. Le Roi ne pouvoit non feulement léver des l troupes ni équiper des fiottes, il n'étoit pas I; même le maitre de nommer ceux qui compoI foient fa cour; il devoit auffi dependre de cfiaque diette pour les revenus necelfaires a fa propre dépenfe. Ainfi après undefpotisme des plus complets. I exercé fous deux règhes confécutifs; la Suéde redevint libre , fi l'on peut appeller libre un pais, ou une clafie de citoytns a une fupériorité fi marquée fur celles qui lui font inférieu1 res ,de facon que toutes fes volontés font chanI gè'es en Loix. C'étoit le cas en Suéde durant la diette dont nous venons de faire mention. 1 L'ordre des Bourgeois & celui des païfans s'oppoferent fortement a la ratiflcation des privüèges qui furent adjMnts a la 'nobleffe; cependant malgré qu'ils en eurent celle-ci trouverent moyen de les faire paffcr. Les païfans en particulier furent fi méeontents dc cette préponderance de la noblefie & des privilèges exceffifs qu'ils s'étoient arro?és; qu'ils propofèrent d'augmenter le pouvoir Royal & de retablir le gouvernement dans la [ même forme qu'il avoit été du tems des anZ 5  C Sol ) ciens Rois; non feulement on ne voulut point les écouter, mais on fit un reglement (qu'on ajouta aux nouveaux articles) pour prévenir dans la fuite pareilles propofltions. Ceux qui avoient été les moteurs de cette révolution, & qui avoient arrangés les articles de la nouvelle forme de gouvernement, aveuglés par leur intérêt particulier, s'étourdirent fur les fuites qui pourroient refulter du mécontentement des ordres inférieurs & de rabaiifement de 1'autorité Royale. Un Prince qui fe trouve bleffé dans fes droits, & qui Veut devenir Yhomme d'un peuple opprelfé par une arïftocratie dure & orgueilleufe, pour peu qu'il poflede de la popularité & de 1'éloquence & qu'il foit entreprenant, eft bien prés de réprendre 1'autorité dont il a été depouillé. Le nom de Roi ne fut plus a cette époque qu'un vain fantóme. La Suéde ne laiifa a fon fouverain que les honneurs de la repréfentatlon & 1'éclat extérieur dont on le decoroit aux jours de cérémonie. Les regiemens de cette diette avoient tellement limités les revenus du Roi, & ia difpofition des.biens de la Couronne, que les Etats s'imaginerent n'avoir rien a craindre d'un Prince qu'ils cruren£ &voil prive, de toutg ref_ lource. Trois ans après a la diette de 17 26, on  ( 3^3 ) icommenga déja a s'appercevoir de l'exiftenes de deux partis, qui depuis ont fubfiftés fans interruption fous différentes formes. Le fiftême du Cabinet de Verfailles a été depuis longues années d'employer les négotiations feerettes & la corruptibilité pourfe rendre maitre des différentes Cours, dont elle a befoin pour faire réuffir fes projets. Le gouvernement de Suéde n'eut pas plutót changé de face , que le miniftère Francois fit tous fes efibrts pour s'y former un parti, par le moyen duquel il fut en état de gouverner ce Royaume comme une de fes propres provinces. Les defauts de ce nouveau gouvernement lui procurerent les occafions les plus favorables d'employer la corruption. Ce moyen réulïït ft bien qu'en peu de tems il fe rendit maitré d'un parti confidérable. Ce parti fut connu fous le nom de Chapeaux ; il vouloit rompre avec la Ruffie (fous pretexte de recouvrir des domaines poffedés par cette puiflance) pour fe lier d'autant plus étroitement avec la France. Le parti oppofé fut celui des Bonnets compofé de ceux qui avoient contribués a établir la nouvelle forme de gouvernement; leur objet étoit la paix & 1'aftermifiement du bonheur de la nation. Ils adopterent le fiftême d'upe' étroite alliance avec la Ruffie & ne vouïpïent aucune liaifon avec la France.  C 3*4 ) L'infiuence du Cabinet de Verfailles fit petit h petit des progrès fi confidérables qu'a ]a diette de 1783, (qui contre t0We conmme dura onze mois) les chapeaux eurent une majorité fi decidée que l'adminiftcation pacifi. que des Bonnets, qui avoient gouvernés jufqu ici, fut entièrement renverfée. Une rupture avec la Ruffie en'fut ]a fifite Cette guerre malheureufe depuis le commencement jufqu'a la fin couta une belle armée & la pene de la Finlande. Le Comte deLewenhaupt fut Ia malheureufe viétime d'un proiet temeraire & mal concu. Voilaquenes furent les frites de l'influence francoife dans les diettes Suédoifes qui commen9a a s'y faire remarquer dès la diette de 172*. Depuis que le gouvernement Francois s etoitemparé de celui de Suéde on ne garda Plus de mefures avec la Cour; non content d'impofer des continuelles reftriótions a 1'autorité ^ale n mit ie Roi dans le cas de n W Plus m volonté ni propriété perfonnelle. 375r. r«deric I. deceda le 25 Mars nsi a„é 75 anS, Adolphe Fredéric lui fucceda " Ala diette de i75s les états préfenterent une fingulière addrefie au Roi. El,e por 0i ?ue par le n< article de 1'ordonnance de x 7 T ^ états avoient le droit de vifiter les bijot  C 3^5 ) I & les biens meubles appartenans k la Couron) ne auffi bien que ceux du tréfor royal; qu'en i confe'quence, ils étoient d'intention d'exami1 ner les diamans donnés a la Reine a 1'occafion de fon mariage avec le Roi. Ils fouhaiitoient favoir quand il conviendroit a leurs jmajeftés qu'ils nommafient une députation pour les comparer a 1'inventaire qu'ils en avoient pris. Ces pierreries furent préfentées a Sa Majefté par 1'Ambafladeur Suédois Comte de Teffin, avant fon d»part de Berlin, comme un préfent 1 fait a fa perfonne; en confe'quence la Reine 1 refufa d'en laifler prendre infpedtion , ajoutant qu'elle vouloit, après que ces pierreries auroient été féparées des fiennes propres qu'elles fuffent rendues aux Etats; bar, difoit-elle, ' après cette indignité il feroit au deffous de moi de les garder. Cette réponfe lui attira une réprimande des plus féveres. Les Etats fe plaignirent au Roi, que la Reine témoignoit du mépris non-feulem'ent pour eux, mais auffi pour le Sénat & pour les officiers de la Couronne , par une conduite fondée fur le caprice, fans confidération pour la dignité de ces perfonnes. La Reine, dirent-ils, eft venul : dans le Royaume pour être la Compagne de Votre Majefté, mais non pour augmenter votre autorité. Enfin après une longue déduftibn  C $66 ) des gfiefs qu'ils avoient contre elle, ils finirent par dire: „ Les Etats ne défirent aucua „ changement dans les fentimens de Votre „ Majefté envers la Reine votre épou'fe; mais „ ils fouhaitent que la Reine change de fenti„ ments envers le Royaume. " Le Roi fit une longue apologie de la conduite de la Reine & rejetta les exprefiïons (qui avoient fi fort choqués les Etats ) fur fon igno* rance dans la langue du pais; il ajouta qu'ayant polfédée ces pierreries depuis 10 ans, fans qu'il y eut jamais été queftion d'en prendre infpedtion, elle la confidéroit comme une marqué de défiance trés injurieufe a fon honneur, & finit pardéclarer, qu'elle ne pouvoit contidérer des diamans qui lui avoient été donnés que comme lui appartenants. Les Etats n'en voulurent pas demordre. Malgré toutes les proteftations de Sa Majefté, 1'infpedtion fut faite. Un article qui fe trouve dans une feconde remontrance, que bien hum-> btemem ils firent a ce fujet au Roi contient ces paroles ironiques : Les Etats prient votre Majefté de refter maitre a fa Cour & Roi dans fon Royaume, & prions avec humilitê que toute cor* refpondance fur cette matière ceffe (»)* C*} Sheridan, £d2t. AngJi  C 3*7 5 Après cette facon d'agir auffi mortifiante pour leurMajeftés, les Etats cominnèrent a les traiter de la facon du monde la plus humiliante. Le Roi croyoit qu'il étoit du moins le maitre de choifir ceux qui devoient approcher le plus intimement de fa perfonne & de celle de fes enfans, & en confe'quence il avoit donné un Sous - gouverneur au Prince royal; mais ce privilège parut encore trop grand, les Etats déclarèrent cette place inutile & cafierent le Sous-gouverneur, accompagnant cette réfolution d'une Lettre injurieufe & iroöique, qu'ils envoyèrent au Roi. Non contents de cela, ils lui envoyèrent un Ordre, (en forme de très-humble Requête) de renvoyer Mr. Dal in, Gouverneur du Prince royal, fans rien alléguer k fa charge & de nommer a fa place le Sénateur Comte de Scheffer. Le Roi ne voulut d'abord pas y acquiefcer , alléguant: que par le 3e. article de la forme du gouvernement, le droit de choifir un gouverneur au Prince royal appartenoit k lui feul; mais nonobftant toutes fes proteftations, il fut obligé -de céder, & le Comte de Scheffer prit poffeflïon de fon nouveau pofte; les Etats nommèrent encore quelques autres perfonnes pour être dorénevant attachés au Prince royal. Ce qui arriva peu de tems après mit le comtte a tout. On fit faire un efpèce de Sceau,  ( 3*§ ) fur lèqüel fut gravé la fignature du Rol, & qui fut depofé au Sénat, pour s'en fervir dans certaihes occafions oü cette fignature étoit requife, afin de donner la vaüdhé néceffaire aux réfolutions qu'on prendroient a Pinfcu, oü même contre la volonté de Sa Majefté. Ainfi les Chapeaux a l'inftigation de la France dépouillèrenc la Couronne de tous fes droits & privileges conftitutionnels , fous le prétexte fpécieux d'aflurer la liberté d'une nation, qu'ils réduifoient eux-mêmes a 1'efclavage. Qui fe feroit jamais imaginé que les chefs de ce même parti, foutenus encore par la France, auroient peu d'années après embrafies un fiftême oppofé & fe feroient retournés du cóté du Roi? tant il eft vrai qu'en fait de politique, lorfque 1'mtérêt s'en mêle, tous moyens font égaux. L'autorité royale nepouvoit être relevée que par un a£te de vigueur, produit par les forces combinées d'un Souverain attaqué dans fes droits, & de cette partie de la nation lêfée dans fes privileges & opprimée par les Nobles ■ mais ceux-ci avoient pns tant de précautions,' qu ils étoient bien fürs de faire manquer tout ce qu'on óferoit entreprendre. Cependant les mécontens firent parvenir fe* crettement au Comte de Brahé & au Baron de Hom, Maréchal de la Cour, un plan de ré- volu-  C 3*9 3 ?olution en faveur du Roi & du rétablifTement de 1'ancienne conftitution; il s'agifibit de gagner entièrement la garnifon & les matelots de Stockholm, qu'on avoit lieu de croire bien difpofe's , d'ailleurs on étoit für du peuple. La confpiration fut découverte au moment de 1'exe'cution. Les Comtes de Brahé, le Baron de Horn & plufieurs autres perfonnes furent arrêtées; les traitemens les plus barbares & les tourmens les plus cruels furent employe's pour connoitre toutes les circonftances & pour favoir le nom des complices. Brahé & Horn furent decapités. Lefyftême du Cabinet de Verfailles ne permettoit pöint 1'agrandiffement de la Ruffie, afin de refter toujours maitre dans le Nord; fur ce principe il avoit engagé la Suéde a conclure un Traité en 1740 avec les Turcs ; le miniftère Francois auroit bien voulu entrainer les Danois dans cette alliance, mais ceux-ci, (dont lafituation rélative étoit bien changée vis-a-vis de la Suéde,) ne vouloient pas fe brouiller avec la Rusfie, dont il pouvoient tirer dans Toccafion des fecours bien plus efientiels que de toute autre puiflance. L'Angleterre par des raifons politiques, mais encore plus par des raifons de commerce, ne pouvoit voir fans jaloufie le grand Empire de la Aa 1  C §70 ) France en Suéde; elle fit paffêr fecrettement quelques fecours en argent au parti du Roi, qui avoit fait fous main des demarches pour demander fon appui. Depuis plufieurs années toute correfpondance entre 1'Angleterre & la Suéde avoit ceflee, au point qu'il ne réfidoit même plus da miniftre Anglois a Stockholm. L'influence du '.parti Francois ayant opéré le refus d'un nouveau miniftre pendant la guerre avec la Ruffie, fous prétexte de 1'étroite alliance de la Suéde avec la France, & de celle de 1'Anglcterre avec le Roi de Pruffe: on établit une correfpondance fecrette par le moyen de celui qui réfidoit a Coppenhague. Depuis la Diette orageufe de 1756", les Chapeaux, par leurs violens procédés, avoient perdus la confiance de la nation, & a mefure que leur crédit baiflbit, les Bonnets voyoient infenfiblement augmenter le leur. Le mauvais fuccès de la guerre contre le Roi de Pruffe, dans laquelle la Suéde avoit été entrainée par le parti des Chapeaux, le manque d'argent, occafionné par les grandes & inutiles dépenfes de Parmée; la fuppreffion des fubfides que la France s'étoit engagée de payer, ouvrirent enfin les yeux d'une nation aveuglée, depuis fi lóngtemps fur fes vrais intéréts, & les foutiens en argent que 1'Angleterre avoit fait paffer fous mains aux Bonnets par Sr. John.  C 371 ) Goodricke, fon miniftre a Coppenhague, leur avoient déja confidérahjement fait gagner du terrain a la Diette de 1762. A cette époque les arrerages des fubfides düs par la France montoient a environ onze millions de livres. La Cour de Verfailles, au lieu de fatisfaire aux demandes réitérées de ces arrerages, pro* pofa la conclufion d'un nouveau Traité pour dix ans; par lequel la Suéde s'engageroit pendant ce tems a donner une efcadre de dix vaiffeaux de ligne & frégattes, & la France en revange payeroit un million & demi de livres par an. Une propofition de cette nature allarma beaucoup 1'Angleterre, puifque la conclufion du Traité auroit mis une grande partie des forces maritimes de la Suéde entre les mains de la France. Elle réuffit a faire échouer cette négotiation. La Suéde répondit, qu'elle ne pouvoit écouter aucune propofition avant 1'entier payement des arrérages; la France n'y voulant pas confentir ne donna aucune réponfe. On admit enfin Sr. Goodricke, dont nous avons parlé ci-defius, en qualité d'Envoyé Extraordinaire de la part de 1'Angleterre. II arriva a Stockholm en Avril 1764- II n'auroit pas été aifé de détruire un fiftême de gouvernement, établi depuis 28 ans fur' Aas  C 372 ) des fondemens qui paroiflbient folides, fi les fubfides qui devoient en faire le principal foutlen n'avoient pas manqués. L'impoliïbilité dans laquelle la France fe trouvoit d'acquitter les arrérages qu'elle devoit, le de'fordre des finances en Sue'de que le payement de cette dette pouvoit rétablir, & la dèsunion qui règnoit parmi les Etats, donnèrent efpoir aux Anglois de renverfer entièrement les projets de la France. L'état critiqne dans laquelle fe trouvoit le royaume, obligé rent le Sénat de convoquer une Diette extraordinaire pour le commencement de 1'année 1765. Le nouveau miniftre d'Angleterre & celui de Ruffie travaiilèrent fi bien, malgré les intrigues de la France & 1'argent qu'elle répandit encore a cette occafion, qu'a la Diette, les Bonnets fe trouvèrent compofer la majeure partie des Etats. Après quelques débats il fut décidé; que 1'alliance avec la France avoit été du plus grand préjudice a la Suéde, en 1'engageant a des dépenfès excelfives, qui étoient montées a trois fois au delè des fommes que comportoient les fubfides qu'on en avoit tiré, & qui mettoient le gouvernement dans le plus grand embarras ; d'autant plus, que non-feulement la France différoit de payer les douze millions d'arrérages, qu'elle devoit légitime-  C 373 ) ment en vertu du Traité; mais que par différentes chicanes elle étoit parvenue a réduire cette dette jufqu'a la fomme de 7 millions, qui ( fuppofant que la France les psyatun jour) ne pourroient pas 1'indemnifer des fraix, que i leur occafionneroit une rupture avec 1'Angleterre , inévitable, fi le Traité pour les vaifleaux j avoit lieu. On conclut erfin par affurer, que la Suéde poffédoit par elle-même affez de reffources pour fe tirer de 1'embarras du moment, fans aucune affiftance étrangère ; pourvu que le ! gouvernement ne contractat aucun nouvel engagement, & ne s'engageat dans aucune guerre pendant quelques années. Les chefs de ce parti furent avertis fous main, qu'un des principaux du parti des Chapeaux avoit engagé 1'Ambaffadeur de France dans un Traité avec la Reine, par lequel on garantiroit la Souveraineté au Roi , pourvu que Falliance avec la France fut confervée. Les miniftres d'Angleterre & de Ruffie, auxquels s'étoit joint celui de Berlin , fe voyant abandonnês par la Gour, furent obligés a leur tour de changer de batterie , ils s'attachèrent au Sénat & travaillèrent a y gagner toute 1'influence que le Cabinet de Verfailles y avoit eu, & que dans leur premier plan ils vouloient faire obtenir a la Cour. Aa 3  ( 374 ) D'un autre cöte' la France pour calmer les plai.nt.es de la nation au fujet des arrerages offrit de payer la fomme de 12 millions en 8 ans ce que le Se'nat jugea a propos d'accepter vu le trifte état des finances. Les chapeaux qui jufqu'ici avoient travaille's d'une facon fi violente a 1'abaifiement de 1'autorité royale voyant leur crédit tombé fe reconcilierent avec la Cour, & firent caufe commune avec elle & la France; par cette conduite ils gagnerent une majorité confidérable dans 1'ordre de la noblefie; en attendant 1'Ambafiadeur de France, n'épargna ni peines ni argent pour détacher les trois autres ordres de 1'Angleterre & de la Ruffie. Le commite' fecrét, oü les Bonnets avoient la fuperiorité, empêcha (pour contrecarrer ce plan de corruption) qu'on n'envoyat un Miniftre a Verfailles, il cafia quelques fenateurs devoués a la France fous prétexte qu'ils avoient abufés de la corfiance des états, c'étoit précifement ce que défiroient les miniftres d'Angleterre & de Ruffie. Les états gagnés par les intrigues & 1'argent de la France ne voulurent point approuver cette réfolution; mais cafia a fon tour le commite fecret, & rétablit les fenateurs. Les Bonnets cependant prirent fi bien leurs mefures, que le lendemain le clergé & les deux  ( 375 ) prdres inférieurs déclarerent nulles les refolutions du jour précédent; le commité fecret fut retabli & les fenateurs demis. ! Dans cette continuelle fludtuation, cauféepar les jintrigues 6c 1'argent de la France & les négctiations des miniftres d'Angleterre & de Ruffie, les Bonnets crurent que rien ne feroit plus avanta!geux a la Suéde, qu'un fimple traité d'allianjce entre elle & 1'Angleterre, pour éviter de idonner de 1'ombrage a la France. Malgré les i obftacles qu'ils rencontrerent ; ils par vinrent a faire figner en Février 1766 ce !traité, dont le principal article fut: que les fujets des deux nations jouïroient réciproquement dans leur royaume, ports, & havres, de tous les avantages & immunités que toute nation la plus favorifée. La France en parut fi mécontente, qu'elle prit le prétexte de ce traité pour refufer le payement des fubfides fur le pied qu'il avoit été ftipulé. Après la demiffion des fenateurs , la Cour i rompit ouvertement avee Us Bonnets, & ne : cacha plus fes liaifons avec la France, dont toutes les demarches ne parurent plus tendre j qu'a augmenter le pouvoir du Roi. Les chapeaux repandirent dans le public une longue énumeration des desordres dus a la nouvelle adminiftration, dont la conclufion étoit; que Aa 4  ( 37* ) la feule autorite' Royale pouvoit reme'dier aux abus & empêcher la Suéde de devenir une province de la Ruffie, On s'appergut bientót de 1'effet de ces infinuations : le murmure éclata de tout cóté, & une confpiration en faveur de la Cour en fut lafuite; trop de précipitation la fit échouer, elle fut découverte avant fa maturité. Les Bonnets employerent a cette occalion la même forme de juftice qui avoit eu lieu en 1756, mais ils en agirent avec plus de modération; le chef nommé Hofman avec deux de fes complices furent condamnés a être decapités. Les chapeaux oubliants ce qu'ils avojent fait euxmêmes quelques anrjées auparavant appellerent la Cour de juftice nommée pour les juger un odieux tribunal d'inquifition. Les Bonnets dort 1'intention étoit au commencement de cette Diette de faire augmenter 1'autorité royale, autant que cela pouvoit s'accorder avec la conftitution fondamentale du Royaume, voyants que la Cour s'étoit entièrement livre'e a la France & voulant détachcr tout a fait la Suéde des entraves de cette puiffance, crurent que pour y parvenir il étoit neceffaire de diminuer encore plus le pouvoir d.u Roi. Jufqu'ici Sa Majefté, en cas de vacature d'une place de fenateur, avoit eu le droit de  I 377 5 choifir une perfonne d'entre trois, qui lui étoient prefentée par les Etats. Les Bonnets firent paffer une loi qui fiatuoit que dorenavant, en cas de vacature au Sénat, on prefenteroit trois fois de fuite un feul Candidat, & fi le Roi le refufoit chaque fois, alors les états étoient en droit de le nommer eux-mémes; en confe'quence de cette nouvelle loi, le Baron de Duben ayant été rejetté trois fois, les écats le nommerent fenateur fans autre cérémonie; le Roi refufa d'en figner la patente & la reine ne voulut pas permettre que felon 1'ufage le nouveau fenateur lui baifat la main. Peu de tems après le Roi fic une démarche plus vigoureufe. II rejetta trois perfonnes qui lui furent prefentées pour le pofte de Secrétaire d'état & en nomma une quatrieme de fa propre autorité, action direftement contraire a la dernière forme de gouvernement. Ceci prouya qu'il étoit foutenu & fut un prélude de ce qui arriva peu de tems après. Cependant fi la Ruffie & 1'Angleterre eurent authorifés leurs miniftres a offrir des fubfides , il y a apparence que le parti Frangois auroit été complettement renverfé; mais ils fe flattoient de triompher fans cet expediënt; par la mejoiité (*) du parti oppofé^a celui des (■iyfc feize Sénateurs qui campofoient le Sónat, ■ doW tenoient au fyftè.rne de 1'Angleterre & dela Kuffi.e, Aa 5  C 378 ) chapeaux, par les mefures que le Sénat avoit pris pour diminuer 1'influence du cabinet de Verfailles pendant 1'entre-Diette, & enfin par les ibins du Commité fecret. Les fonds pour la depenfe publique jufqu'a 1'année 1770, étoient trouvés, fans avoir befoin des fubfides de la France. La fin de cette Diette fut marquée par le mariage du Prince Royal avec la Princefle de Dannemarc. Ce mariage fe fit fous les aufpices des Bonnets. A peine la Diette fut elle feparée que le parti de la Cour, mit tout en oeuvre pour troubler & divifer radminiftration & pour engager le Sénat a convoquer une autre Diette. La France offrit le payement de 4 millions & demi a condition que la Suéde renouvelleroitle traité de 1738. & fes émiffaires repandus dans différentes provinces afiuroient a tout le monde & principalernentaux païfans, que fi on obtenoit des fubfides de la France toutes les taxes nouvellement impofées feroient Ïevées. Les Chapeaux s'imaginoient que ce bruit exciteroit tant de clameur, qu'on feroit obligé de convoquer une Diette extraordinaire. En attendant on travailloit a 1'alliance defenfive avec 1'Angleterre; mais les négotiations avaneoient lentement, le miniftère Anglois ne  C 379 ) vouloit pas entendre parler de fubfides & quelque enclins que fuftent les Bonnets a conclure fans cette condition, ils n'oferent palfer outre, fans avoir de quoi prefenter a la nation une indemnifation des fubfides qu'ils perdroient du cóté de la France, s'ils contradtoient des liaifons plus intimes avec 1'Angleterre. Les Suédois demandoient 50 mille t§ Sterlin. Enfin le parti de la Cour voyant que tout ce qu'il faifoit pour obtenir la Convocation d'ure Diette extraordinaire étoit inutile, crut avoir trouve' un moyen immanquable de réuffite. II engagea le Roi a faire fcmblant de vouloir ahdiquer; dans le même tems le Prince Royal ht un voyage par les provinces, oü fa populante lui gagna 1'atfedtion de tout le monde. II fut engager plufieurs Gouverneurs de provinces, plufieurs Négotians, Marchands, &c. a prefenter des adreffes par lesquelles ils fe plaignoient des desordres, qui regnoient dans 1'admimftration intérieure, dans le commerce &c. & par lesquelles ils prouvoient la neceffité de convoquer les Etats. Sur ces entrefaites il arrlva deux evenemens favorables aux Chapeaux, 1'un fut la mort du Comte Lowenhielm ennemi juré de la France, &quifetrouvoitèla tête de 1'adminiftration & 1'autre fut laguerreentre laRufiie&la Porte. LeRoi encouragé par les promeflè» quon  ( 3»o ) lui fit, refolut de ne pas diflèrer plus longtems a mettre en exécution le plan d'une abdication fimulée; en confequence, après avoir refufé de ligner un acte, qui lui fut préfenté par le Sénat, il lui écrivit une lettre, ( *) par laquelle il demandoit la Convocation d'une Diette extraordinaire pour remédier aux desordre de 1'adminiitration & des finances, ainfi que du dechet du Commerce, de 1'agriculture, des forges &c. dont fes fujets fe plaignoient dans les differentes adrefles prefentées au Prince Royal, il finiflbit fa lettre par dire: „ Si contre toute attente le Sénat refufe ma „ propofition, je me vois forcé de déclarer ,, qu'en ce cas je renonce au fardeau du gou„ vernement, que les gemiflemens de tant de „ malheureux taxes au dela de leur pouvoir, „ & 1'état déplorable du Royaume me rendent » infupor-table; me refervant lorfque mes fidè„ les Confeillers auront affemblés les états, de », leur faire part des raifons qui m'ont enga„ gés a me demettre du gouvernement; en at„ tendant je defends trés pofitivement, qu'on „ fe ferve de mon nom dans aucune refbJution „ du Sénat " ; (Signê) ADOLFE FRÉDERIC. (*) Le 12 Xbre 176S.  C 381 ) Sa Majefté fixa au Sénat le terme de deux fois vingt-quatre heures pour y repondre. Au bout de quinze jours n'ayant pas encore obtenu de reponfe, le Roi fe prefenta au Sénat & demanda fur le champ une reponfe pofitive. Le Sénat demanda un repit de quelques jours, alleguant, que le tems avoit été trop court pour examiner toutes les raifons pour & contreune Diette extraordinaire. Par raport è Partiele de Pabdication, ils erperoient, direntils, que Sa Majefté defifteroit d'une refolution fi contraire aux loix & a 1'afiurarce royale de Sa Majefté elle-même. Le Roi repliqua que confiderant cette reponfe comme un refus, dès ce moment il ne fe meleroit plus de 1'adminiftration. A peine fut-il entré au chateau qu'il envoya le Prince Royal en grande pompe au college de la chancellerie, pour exiger au nom de Sa Majefté, qu'on lui remit 1'empreinte de fa fignature; mais on la lui refufa. Le Prince Royal fe prefenta enfuite fucceflïvement aux autres Colléges, y déclara que le Roi fon père avoit abdiqué, & remit a tous les membres une copie imprimée des raifons qui engageoit Sa Majefté a cette demarche. Quatre députés vinrert fupplier le Roi de la part du Sénat de défifter de fa refolution;  C 3§2 ) mais il parut inébranlable. Une fèeonde députation lui fit entrevoir que s'il fe refolvoit a reprendre les rènes du gouvernement on agréroit fa propofition. Le Roi repondit que du moment que la Diette feroit la convocation, 1'Abdication feroit nulle. Les Chapeaux voyant que leurs antagoniftes commencoient a plier engagerent tous les Colléges de 1'adminiftration refidants k Stokholm de faire caufe commune avec le Roi. Le jour après 1'abdication le Sénat ayant demandé les avis des différens colléges fur la conduite è tenir dans les circonftances prefentes par raport a radminiftration; ils repondirent que puisque par les loix fondamentales du royaume, la Suéde ne pouvoit étre gouvernée fans Roi tout aufii peu que fans Sénat, tout devoit refter dans l'ina&ivité jufqu'a la convocation des Etats. Le refus d'obéir au Sénat fans la concurencs des états que firent tous ceux qui étoient chargés de la partie exécutive du gouvernement rendit cette déclaration necefiaire, enfin le Sénat fut obligé de prendre la refolution fiuvante. „ Que puifque tous les Colléges avoient dé„ clarés ne vouloir pas obeïr aux ordres du „ Sénat jufqu'a 1'afiemblée des Etats, que le „ collége des finances refufoit de donner de  C 3S3 ) L 1'argent & que le Général Ferfen, ainfi que u le Collonel Elrrenswarcl commandans les L deux régimens en garnifon a Stokholm, L avoient déclarés ne pouvoir plus repondre de robeiifance de leurs Soldats, le Sénat fe „ trouvoit obligé de convoquer une Diette pour le 19 Avril fuivant". Cette convocation dérangea les mefures de la Ruffie & de 1'Angleterre. Dès ce moment toute négotiation au fujet du traité celfoit; le Sénat n'ofant plus agir fans la participation des Etats. Les intrigues & 1'argent de la France avoient encore contribués a faire reuffir le feul moyen qui leur reftoit pour renverfer le nouveau fiftême , établi a la dernière Diette, en faveur de ces deux puilfances. D'abord que la refolution de convoquer la Diette fut prife, le Roi retourna au Sénat, oü il te'moigna fa fatisfaciion, de ce qu'on avoit enfin eu égard a fon defir & k celui de toute la nation, protefta de 1'innocenCe de fes vues & aflura, que rien ne lui tenoit tant a cceur que le falut & le bien être du royaume. La conduite hardie des Chapeaux k cette occafion prouva, que leurs chefs étoient furs d'être foutenus efficacement par la France a la Diette qui alloit «'ouvrir. L'ambafiadeur de  (s§4 y de cette puiflance a Conftantinople avoit pro* mis pofitivement a la Porte : qu'il fe feroit une diverfion en leur faveur dans le Nord; en confequence la France faifoit de fon mieux pour exciter une guerre entre la Suéde & la Ruffie. Elle rapelloit a la première fes engagemens avec les Turcs & n'épargnoit ni foins ni depenfes pour recouvrer fon ancicnne influence, auffi bien que pour mcttre en exécution le plan qu'elle s'étoit formée de changer a la nouvelle Diette la forme du gouvernement Suédois. Elle effaya (mais envain) de détacher le Dannemarc de la Ruffie & de 1'Angleterre. On fit courir le bruit, que dans peu le miniftre de France auroit a fa difpofition une fomme de 12 millions, dont 10 étoient déja depofés dans quatre differentes maifons a Amfterdam, pour employer en fubfides, en préfents, &c.' On engagea en même tems plufieurs négotians Suédois, k une foufcription confidérable en faveur du parti Francois. Des mefures auffi aftives fembloient préfager 1'entier rétabliffement du fiftême Francais, & le bouleverfement total des Bonnets. La Ruffie étoit trop intérefiëe aux événemens de la future Diette, & trop bien informée des machinations de la France pour ne pas les contrarier vigoureufement. 1'An-  ( Ui) L'Anglëterre avoit autorifée fon miniftre h. Stockholm, d'affifter les Bonnets de tout fon pouvoir pour gagner la majorite' de la Diette. Le Dannemarc fit caufe commune avec ces deux puiffances, '& foutint le parti des Bonnets avec la même vigueur que la Ruffie. y Les Chapeaux cependant avoient un avantage confidérable fur leufs compétiteurs, dans lés intrigues pour les êlecTions par la quantité d'argent que leur fournilïbit le miniftre de France. Le Général Ferfen, élu Maréchal de la Diette, ainfi que tous les membres nommés pour le Committé fecrèt, étoient dévoués a cette puiflance. Heureufement pour les Bonnets que les Chapeaux étoient divifes & formoient deux partis, les uns vouloient rendre le Roi abfolu & les autres ne vbuloient'qüe fupplanter leurs antagoniftes, fans rien changer è la conttitution. Les premiers étoient connus fous le nom de parti de la Cour ou-Royalifte, & les derniers fous celui de vieux Chapeaux, a la tête defquels fe trouvoit lè Collonel Pecklinij homme trés habile & qui avoit toujours eu beaucoup d'influence dans les differentes Diettes. Invariable dans fa fagon de- penfer, il n'adhéroit h aucun parti, qu'autant que ce parti adoptoit les principes dont il ne fe departoit jamals. B b  Le premier a£te de deipotifme qu'exerca ie | Comité' fecrèt fut de cafier les Sénateurs , que 1'influerjce dela Ruffie &de 1'Angleterre avoient placés au'Sénat. r Toutes les opérations de cette Diette n'abou- tirent qu'a déclarer: que le feul but; auqijeijvtfoient les Anglois étant 1'Empire de la Mer & 1'augmentation de leur Gpmmerce ( qu'ils. vouloient agrandir aux depends des autres nations). La Suéde ne pouvoit les confidérer comme leur voulant du bien; d'ailleurs, quoique 1'intérêt de la Suéde fut de vivre en bonne intelligence avec fes voiüns, il ne lui convenoit cependant nullement d'entrer en alliance avec aucun d'eux; mais qu'elle reconnoiflblt la France & la Porte pour fes alliés naturels (*), ainfi que 1'Efpagne & 1'Autriche, comme étant amis de la France. Voila tout ce que le miniftère Fran* cois put obtenir, malgré 1'argent qu'elle avoit (*) Voici les propres paroles de Cahtzler: „Les. Chapeaux fe tenoient perfuadés que la Livönie & la „ Finlande étant de toutes les provinces perdues, cel„ les qu'il importele plus a la Suéde de pófféder , il fav»t „ faifir, difent-ils, le premier moment favorable pour les re„ cupérer, ilfaut donc cultiver Yamitié de la France Sn. re„ chercher 1'appui de la Porte, la France pour les fubfides , „ & la Porte, paree qu'en cas d'une guerre avec la Ruffie, elle peut faire des diverfions utiles. Le feul „ & 1« véritable & 1'immuable ami de la Suéde, celui „ qui par fes propres intéréts eü engagé a la foutenir„ c'eft Ia France."  prodigué. Le Collonel Pecklin & fon parti prirent foin d'empêcher une rupture avec la I Ruffie, que le Cabinet de Verfailles t&choit d'effecr.uer, & ils mirent obftacle au pouvoir, que i la France vouloit faire obtenir au Roi & au i Sénat, qui confiftoit a expédier toutes les afLfaires, de contradter des alliances, de déclarer i la guerre dans les entre Diettes, fans être oblij gés de convoquer les Etats. Si ce plan avoit réuffi, la France étoit mai:l trelTe de toutes les forces militaires de la Sué]i de, qui auroient alors été employées a faire la 1 guerre a la Ruffie, d'oü feroit réfultée cette :; diverfion tant défire'e en faveur des Turcs. On promit cependant au miniftère Francois, i que le royaume feroit mis en état de défenfe I & qu'on armeroit d*abord que la Diette feroit I féparée, pourvu qu'il fit payer les arrerages | des fubfides, afin d'avoir 1'argent néceflaire | pour une pareille dépenfe, & on affura la Por| te, que fi la fituation adtuelle de la Suéde ne I permettoit pas une diverfion pour le moment, 1'intention cependant étoit de profiter de la première occafion pour reffedtuer. La France vit donc écbouer pour cette fois 1 fon projet de bouleverfer la conftitution & d'exciter une guerre dans le Nord, malgré fes I .intrigues & fes louis. Cette Puiflance avoit tachée jufqu'icid'opérer Bb 2  ( 385 3 une révolution, en y employant les membres des Etats mêmes pour y réuffir; ils avoient prodigue's des fommes immenfes, mais ces moyens ne re'pondirent point a leur attente. II ne paroifloit pas impoffible d'efiectuer une révolution par un coup-d'éclat, yu le caractère hafdi & courageux de la nation. Si le Roi avoit eu le ge'nie plus entreprenant; mais naturellement doux & pacifique.; il e'toit peu fait pour une entreprife de cette nature. Orne' de toutes les qualite's qui caracïérifent 1'homme aimable dans la fociété', & doué des vertus qui font Ie bonheur d'une vie privée, Adolphe - Fréderic ne pofledoit point cette efpèce d'ambition, qui mêne aux grandes entreprifes; fes fentimens patcrnels n'auroient pas foufferts la moindre demarche, qui auroit pu entrainer la ruine de fa familie fi elle avoit été fans fiaccès. Ce ne fut qu'avec beaucoup dè peine qu'on parvint a 1'engager a cette abdication fimulée, dont j'ai parlé plus haut, & il ne s'y laifia perfuader que lorfqu'on lui en eut garanti le fuccès. ■ A mefure qu'il avancoit en age il ne défiroit que la tranquillité & le repos. La France avoit donc peu d'efpoir de faire naitre une révolution par Ia force ouverte pendant la vie du Roi. Le parti de Ia Cour fe promettoit beaucoup  ( 3^9 ) d'un voyage que le Prince royal fit a cette époque en France; on fuppofoit que 1'héritier de la Couronne l'-ayant entreprïs a la requifuipn expreffe du Duc de Choifeul, ils prendroient enfemble des mefures plus efficaces pour 1'agrandilTement de 1'autorité royale. Telle étoit la fituation de la Suéde, lorfque la mort du Roi (*) donna tout-a-coup une nouvelle face aux affaires de ce Royaume. — Le Prince Royal étoit a Paris au moment du de-G cès du Roi fon père. Le titre de Roi ajoutant de 1'énergie a fes négotiations , il obtint d'abord un fubfide d'un million & demi de livres par an, outre lapromeffe de, 1'argent réceffaire au foutien de fon parti dans la prochaine Diette. Suivant la dernière forme de gouvernement les Etats devoient s'aflembler 30 jours après la mort du feu Roi; mais a eaufe de 1'abfence de fon fucccffeur le Sénat ne convoqua la Diette qu'au mois de Juin fuivant. Ce delai fut trés favorable aux Bonnets ; ils travaillèrent fi bien & furent tellement fecondés par les miniftres de Ruffie & d'Angleterre, qu'après les éleétions il parut que dans les trois ordres inférieurs la grande majorké étoit pour eux. Février 1771. Eb S uflavelll. 1771-  C 390 ) Le nouveau. Roi e'crivit au Sénat dans les termes les plus gracieux, & les aflura qu'il n'avoit d'autre intention que de gouverner fuivant les Loix. II arriva a Stockholm vers la fin de Mai de la même année. A la veille d'une Epoque intérefiante pour la Suéde, je me réferve a vous en faire un détail dans la Lettre fuivante. Je fuis, &c.  C 391 ? LETTRE VINGTet TROISIEME. M . . . {^Jfuftave III avoit environ 25 ans lorfqu'il fut proclamé Roi de Suéde. Voici le portrait qu'a fait de ce Prince, peu de temps après la révolution, un homme qui a eu occafion de le connoitre de prés (*), & qui peut-être ne lui a pas rendu toute la juftice qu'il mérite: „ IL paroiffoit avoir hérité de la Reine Douai„ riere fa mère, feeur du Roi de Prune, 1'ef„ prit & 1'habileté de fon Oncle; & du Roi fon père , cette bonté de cceur qui rendra tou„ jours la mémoire de Fréderic Adolphe chè- re aux Suédois. Les talens qui 1'auroient „ diftingués dans toute condition, mais parti„ culièrementadapcésal'élévation de fon rang, o s'étoient perfedtionnés par une éducation la ., plus foignée & la mieux calculée a des cir» (*) Sheridan, Edlt. Angt.  C 39* 2 w conftances, oü probablementil devoit fe trou,, ver un jour. A beaucoup d'e'loquence il joignoit „ les manières les plus infinuantes. II capti„ voit les cceurs de ceux même qui ne le vo- yoient qu'en public, & il emportoit 1'admi- ration des perfonnes qui 1'approchoient de „ prés, par 1'e'tendue de fes connoiffances & „ la profondeur de fon jugement: Perfonne n n'avoit connu jufqu'ici 1'efprit hardi & en„ treprenant, qui 1'a ft fort diftingué dans la „ fuite. Qui auroit ofe' fe flatter, qu'en tra- vaillant pour fes propres intéréts, il n'au„ roit point perdu de vue le bonheur de fon „ peuple? que fa conduite auroit toujours été M fubordonnée a la prudence ? & que fa vie » feroit marquée par une modération auffi w eftimable qu'elle eft rare? II ne cherchoit point les plaiiirs , mais il '„ ne les haiffoit pas; au milieu de la plus forw te application du Cabinet, il confervoit la „ gaieté & 1'aifance du grand monde, il cul„ tiva toujours avec le même fuccès 1'art de „ gouverner & de plaire, & il s'entendoit ff également a gagner l'affedtion, ainfi que le » refpeci; de fes futurs fujets. „ Sous 1'apparence du patriótisme le plus 1, desintereffé il cachoit une ambition auffi 9) grande que fes talens, &fous le masqué du n zèle le plus ardent pour le bonheur de fes  „ fujets il couvroit des deffeins fur leur Ü- „ berté. (*) . , Tels étoient les talens & telle etoit 1 am„ bition d'un Prince deftiné a monter fur un "„ tróne oü il ne pouvoit difpofer de rien, qui ! fe trouvoit dans un gouvernement populaire " foumis aux caprices d'un Sénat & aux loix „ diftées par un miniftre étranger. Polfedant *, toutes les qualités néceffaires pour gouverg ner les autres , il n'ofoit pas même avoir L une volonté a lui. Adoré du peuple il n'é"„ toit leur Roi que de nom, obligé de fe con" tenter de 1'extérieur brillant de la royauté 'l qu'il méprifoit, il voyoit en d,'autres mains „ le pouvoir qui étoit 1'objet le plus ardent „ de fes défirs. Rien ne pouvoit furpaffer „ les marqués de joye du peuple a fon ar„ rivée a Stockholm, que 1'affabilité avec la„ quelle il re?ut indifféremment tous ceux qui 1'aprocherent. Jamais conduite ne fut mieux „ calculée pour étendre jufqulux bornes les „ plus reculées de fon royaume le bruit de fa ',> popularité. II afluroit tout le monde que „ fon deflein étoit d'extirper la corruption & de faire naitre 1'union. II déclara ne vou"„ loit être d'aucun parti que de celui de la na- (*) Jufqu'ici eette afiertïon paroit peu fcndée, & P» Ces fentiraens qu'il fait paroitre & par fes aftions. Bb s  C 394 ) tion & promit d'avoir une obéiflanc» impli„ cite a toutes les réfolutions de la Diette. " Peu de tems après 1'arrivée du Roi, la France qui n'avoit julqu'ici envoyée en Suéde, qu'un Miniftre du lecond ordre, y envoya un Ambaffadeur. (*) Cependant a la Diette les Bonnéts eurent Ia majorité dans les trois ordres inférieurs, & ils étoient entièrement maitres du Commité fecrêt; 1'ordre de la nobleffe feule tenoit pour les Chapeaux mais n'étoient rien moins que devoués au Roi. Quelques amis qui lui étoient perfonnellemenc attachés, 1'encourageoient a fuivre les mouvemens fecrêts de fon ambition & lui promirent le facrifice de leurs perfonnes & de leurs vies dans tout ce qu'il voudroit entreprendre, mais le nombre de ces amis étoit fi petit qu'a peine compofoient-ils le tiers de la Diette , la fituation du Roi étoit d'ailleurs délicate; a peine monté fur le tróne il ne connoiffoit pas encore toute l'affe&ion de fes fujets & il ignoroit la difpofition de 1'armée. Les différentes parties de fon plan n'étant pas encore bien digerées, il étoit obligé d'agir avec beaucoup de circonfpection. II ne lui fuffifoit pas que le gros de la nation murmurat, il lui falloit C * 3 Mr. de Vergennes,  C 39$ > fon indignation contre le gouvernement adtuel ; pour qu'ils devinfiènt une partie adtive en fa: veur de leur fouverain; s'il tentoit quelqu'eni treprife, ilvouloit pourbafe de fa prop re fureté i Vattachement de fes fujets. Le Roi voyoit tous les rifques d'une conduite pre'cipitée, mais d'un autre cóté il fen: toit auffi que de trop longs délais pouroient ; devenir dangereux.. par la grande influence de i la Ruffie & de 1'Angleterre. Dans ces circonI ftances il tint une conduite, qui fait honneur a fonjugement, a fa prudence & a fa penétration, conduite qui trompa tous les partis & qui le fit parvenir infenfiblement "a fon but. II fit de fon mieux pour mettre la Diette dans un Etat d'inadtivité par les obftacles & les delais , qu'il favo'it faire naitre adroitement aux différentes réfolutions que les Etats vouloient prendre contre fes intéréts. Ses amis furent fort habilement augmenter la mesintelligence, qui regnoit déja entre la noblefie & les trois autres ordres & empêcherent par la qu'on ne vint a des conclufions contraires aux vues du Roi. Les deux principaux fujets de debats dans Ja Diette étoient, le reglement de 1'affurance Royale & la eaffation du Sénat. Par rapport au prémier article la noblefie vouloit qu'elle fut t'elle que 1'avoit fignée le  ( 39* ) feu Roi en 1751. Les trois ordres inférieurs prétendoient qu'on y fit mention des nouvelles loix crées depuis cette époque & chacun s'obftinoit dans fon avis. Suivant la forme du gouvernement tout ce qui avoit été refolu par trois ordres devoit pafier en loi, lorfqu'il ne s'agifioit point des privileges d'un des quatre ordres, mais les nobles e'luderent cette ordonnance en prouvant, que plufieurs articles qu'on vouloit ajouter a 1'affurance Royale, étoient autant d'infraftions a leurs privileges, & parconféquent exigoient un confentement unanime. Le Roi en refufant de figner cette aflurance fans la concurrence des Nobles, faifoit trainer les affaires en longueur, & gagnoit du temps pour la réuffite de fes projets; d'autres difficultés qui fe joignirent a celle-ci furent caufe qne la Diette devint parfaitement inaótlve & que toutes fes opération furent fufpendues pendant hnit mois, au bout desquels 1'afiaire de 1'aflurance fut enfin règ'ée par la modération de quelques Chefs des Chapeaux; le Roi figna en proteftant qu'il ne défiroit que la réunion des differens partis & le bitn du Royaume. Cependant ce delai avoit été affez long pour • faire connoitre au peup'e les defauts du gouvernement, ainfi que i'ir.fbence des puiflances étrangères, & pour mettre en avant la fagefle,'  C 397 ) k desintéreffement & le Patriotifme da Roi, qui avoit fi fouvent, difoit-il, offert fa médiation pour terminer les difputes continuelles dé la Diette. Sa Majefté eut auffi tout le temps de prendre fecrettement certaines mefures préparatoirs & néceffaires au coup qu'il méditoit. Le parti du Roi n'avoit en attendant rien e'pargné pour exciter de plus en plus la jaloufie qui fubfiftoit entre les differens ordres, & pour effeCtuer s'il étoit poffible une rupture ouverte entre eux; quelques émiffaires fe repandirent par tout le royaume pour exciter le mecontement parmi les habitans, les détacher de la Conftitution & les engager a une revolte. L'affairé de 1'affurance Royale étant linie; il fallut encore un grand mois pour terminer celle du Sénat. Le Committé fecret accufa les fenateurs d'avoir abufés de la conftance des États-, en conféquence les trois ordres inferieurs conclurent qu'il falloit les depofer tous, on trouva moyen de gagner le confentement del'ordre des Nobles, & la refolution paffa unanimement. Cette adtion violente opérée par des intrigues des Bonnets & 1'animofité des trois ordres inférieurs contre celui de la Nobleffe, accelera la révolution. La demiffion entiere du Sénat fut une a&ion  ( 398 ) violente & contraire a la faine politique; il auroit fuffi de s'y aflurer la majorité; les Bonnets commirent une grande faute, en re'duifant les Chapeaux au défefpoir, dans un temps oü ils ne pouvoient ignorer qu'on méditoit un changement dans la Conftitution ; mais tel fut 1'aveuglement d'un parti, qui fier des fuccès & infpirés par la haine contre leurs antagoniftes, ne penfoient qu'a les chafier de 1'adminiftration pour s'en rendre les maitres, & attirer a eux les honneurs, les dignités, les poftes lucratifs, & qui ne penfant chacun qu'a leur intérët particulier, oublièrent qu'ils avoient une Conftitution a conferver. Conduite qui en héta le bouleverfinient & les écrafa eux-mémes fous fes ruines. . Le parti de la Cour contribua beaucoup au triomphe complet des Bonnets; il étoit bien aife de voir l'adminifiration pour un temps entre leurs mains, efpérant que 1'abahTement, dans lequel fe trouveroient les Chapeaux, changeroit la facon 'de penfer de ceux d'entr'eux qui s'étoient déclarés zèlés défenfeurs de la Conftitution prefente, & que fe voyant exclus de tout pouvoir, charges & dignités, outre la perfpeélive d'être opprimés & mal traités par un parti, dont ils firent en 1755 monter les chefs fur 1'échaffaud; ils fe retourneroient vers le Roi & contribueroient a faire réuffir le plan qu'il s'etoit formé.  C 399 ) L'effet répondit a leur attente; la crainté que les Chapeaux eurent pour eux-merries leur i firent oublier a leur tour 1'inte'rêt de la Conjftitution; le plus grand nombre firent fecrette. ; ment affurer le Roi, qu'ilSle-Tóütièndroient dans ;tout ce qu'il voud-roit entreprendre, tsndisque i ceux qui s'e'toient déclarés publiqucment avec 1c plus de chaleur contre le réwbliflement de 1'autorité royale ,' quittèrent Stockholm & fe retirèrent dans leurs terres. Du nombre de ees derniers étoit le Général Comte de Ferfen, un des Chefs les i plus habiles du parti des Chapeaux, & quoij que zèlé partifan de la France, il s'étoit toujours declaré ardent defenfeur de la conftitution préfente; 1'abfence de ce Seigneur qui étoit en même temps Collonel des Gardes, fut une circonftance des plus favorables pour le Roi. Après la depofition du Sénat, il s'agiflbit d'en créer un autre; fuivant les formes préfcrittes le Roi pouvoit trainer cette nomination en longueur, & employer ce temps a faire naitre mille circonftances pour prolonger la Diette, fufpendre fes opérations & la rendre inaótive. II en profita pour raffembler un Corps d'en-viron 150 Officiers comrhandés par le 'Lieutenant Collonel de Sprengporten, fous prétexte  ( 4°° ) 4'exercice, mais dans le deflein de feles atta» eher. II gagna bientót leur confiance, au point,qu'ils témoignerent le zèle le plus ardent pour fes intéréts. Dans le même temps furvint une difette de blés par tout le royaume. Le parti de la Cour prit beaucoup de peine pour accréditer parmi le peuple 1'opinion , que la défenfe des blés étrangers (faite par les Ecats ,) & Ie peu de foin , qu'ils prirent dé lêur en procurer, en étoit la caufe. Dans le fond cette accufation étoit pen fondée, puifqu'ils avoientpris d'excellentes mefures pour Ie foulagement du peuple, en envoyant une quantité de blés confidérable aux Gouverneurs des différentes Provinces,avec ordre de les diftribuer chacun dans fondifirict; mais ces Gouverneurs furent gagnés; ils retinrent fous differens prétextes, dans les magazins, des blés deftinés a foulager la mifere générale. Rien ne fut mieux imaginé pour irriter ie peuple contre le gouvernement; Ie fuccès y repondit; les murmures les plaintes éclaterent de tout cóté & le mécontemenc devint général. De cette facon non feulement on préparoit la nation a un changement, mais on le. lui faifoitdéfirer. Rien ne fut épargné pour profiter de ces difpofitions & pour exciter une revolte ;  ( 401 ) volte-, différentes perfonnes fe repandirent dans les provinces & exhorterent le peuple d'aller a Stokholm, expofer leurs griefs au pied du thröne; on fit Ia même chofe a Stokholm. Jufqu'ici le parti du Roi avoit agi en fecret, mais enfin il leva le mafque. On repandit dans tous les endroits publiés de la capitale des libelles contre le gouvernement par oü l'on excitoit les habitans a la revolte: les Bonnets prirent 1'allarme & voulurent s'adrefier au Committe' fecrêt, afin de prendre les mefures néceflaires pour fe pre'cautionner contre toute furprife; mais le marêchal dela Diette entièrement devoue' au Roi refufa d'en faire la Conyocation, & retarda ainfi une demarche qui ^uroit du fe faire avec la plus grande celêrite'. Lorfqu'enfin le Committe s'aflembla, il envoya ordre aux Regiments è'Uplande & de Sudermanie, de fe tenir prêts a marcher. Le Collonel de Sprengporten dont les Bonnets fe défioient eut ordre de partir immédiatement pour la Finlande, fous prétexte, d'y empêc.her une rebellion, le Général Rudbeck Gouverneur de Stokholm , en qui le Sénat ( déja rétabli) avoit une entière confiance, fut depêche'vers la Scanie, Gothenburg & Carlscrona, pour tranquiliferles ■ efprits &pour efpionnerles démarches des émiffaires de la Cour. Le Général Pecklin le plus babile & le plus hardi des Chefs du parti dsS C e  C 403 ) Bonnets, fut chargé du foin de prendre telles mefures , qu'il jugeroit les plus néceffaires a la füreté de la Capitale pendant 1'abfence du Gouverneur. , Toutes ces précautions allarmerent le parti du Roi; lui feul parut tranquile, il fe croyoit fur de la plus grande partie de la garnifon de Stocholm, & s'imaginoit n'avoir rien a craindre pour fa perfonne, Cependant pour faire réuffir 1'entreprife projettée, il falloit s'aifurer auffi des regiments de, Province. Les frères du Roi, fous différens prétextes, firent plufieurs tournées dans la Scanie & 1'Oftrogothie, oü ils gagnerent la plus grande partie des troupes. II étoit néceflaire de trouver un prétexte pour les raffembler. Les Princes n'avoient aucun droit legaf de les commander; 1'obéiffance des officiers auroit été confiderée comme crime de haute trahifon. II falloit donc un moyen qui put les juftifier vis-a-vis des Etats, d'avoir obéi k d'autres ordres. Voici ce qu'on imagina. A un jour fixé, le Commandant de Chriftianftadt ■nommé Hellicius, (») publia un manifefte C*) ÏI y avoit déja lóngtemps que Hellicius ftois du fecrêt. II avoit I'efprit entreprenant & une ambïtion demefurée. Dans 1'efpoir de faire ft fortune, ils'attacha au Roi dont il gagna la confiance, & fBt un des prin#*paajt inflrumeng de j3 réyolution.  ( 402 ) contre les Etats, dans lequel il fe plaignk de la mifère du peuple, de la cherte' de tout ce qui e'toit ne'ceflaire a la vie, de la multiplication des taxes &c, en attribuant tout a l*influence e'trangère & a la corruption qui fègnoit dans la Diette; lorfqu'il crut que le manifefte eut produit 1'effet defire', il excita la garnifon a fe revolter, fit fermer les portes de Ia forterefie & la mit en état de défenfe; il en donna enfuite, fous main , avis au Prince Charles, qui fous le prétexte fpecieux d'appaifer cette revolte, engagea les officiers des environs k rafiembler leur monde, & a fe mettre fous fes ordres; deforte que tout d'un coup, il parut & la têce de cinq Re'giments. Cumme ces troupes ignoroient parfaitement ce qui fe paflbit a Stokholm, il ne fut pas difficile de leur faire accroire, qu'on vouloit renverfer la conftitution , abölir la Royauté & établir un gouvernement ariftocratique fous la proteótion de la Ruffie, contre laquelle les Suédois avoient eu dé tout temps une antipathie innée. Sur ces entrefaites le général Rudbeck en fai.fant la tournee dont j'ai parlé ,arriva a Chriftianftadt, oü trouvant les portes fermées, il courut en pofte a Stokholm pour avertir les Etats de ce qui fe pafibit; fur ce rapport on envoya ordrë aux Regimèns d'Uplande & de CC 2  ( 4°4 5 Suderrnsnie de marcher vers la Capitale, & la Cavalerie bourgeoife patrouilla jour & nuit par les rues; deux Regimens de Cavallerie furent. envoye's pour inveftir Chriftianftadt; tandis que le Sénat fupplia Sa Majefté de ne pas quitter la villé & envoya des Couriers aux Princes fes frères avec ordre de revenir fur le champ. Le Roi affedta beaucoup de furprife' a la nouvelle de la revolte, il fit femblant d'approuver les mefures prifes par.le Sénat, pour appaifer la rebellion & pour la fureté des Etats. Comme il n'y avoit tout au plus que cinq ou fix perfonnes dans tout Ie Royaume qui fuffent du fecret, on fut entierement la dupe de cette diflimulation. Sa Maj.accompagna la Cavallerie bourgeoife dans fes patrouilles : il vouloit veiller lui-méme, difoit-il, -d la fureté de la Capitale; mais en attendant il tachoit de gagner les Bourgeois, ce qui lui réuffit au point qu'au moment decifif ils fe déclarerent pour lui. II n'ofa rien entreprendre avant d'avoir recu des avis de fon frère Charles; enfin deux jours après, arriva une lettre par laquelle ce Prince luiapprit, qu'il fetrouvoit a latête de cinq re'giments. II envoya fur Ie champ cette lettre au Sénat avec Paflurance, que ces troupes ne feroient employees qu'a étouffer la revolte de  < 4^5 ) Chriftianftadt, appuyant la requête du Prince pour être authorife' & continue' dans le commandement; mais le Sénat n'y . eut aucun' égard & nomma un des fenateurs pour le remplacer. Le moment décifif étoit enfin arrivé, un plus long delai auroit pu devenir funefte au Roi. . Tandis que fes émiffaires s'occupoient dans .les différens quartiers de la ville a gagner "les Soldats de la garnifon,; le Roi raffembla de fon cóté tous les officiers, qu'il favoit lui être devoués ; & s'en fit accompagner par les principales rues, caufant indiferemment avec tous ceux qu'il rencontroit. On donna d'abord avis au Sénat de la fermentation qui fe manifeftoit partout, mais les uns fe repofoient fur les précautions déja prifes.Sc ne pouvoient s'imaginer qu'on oferoir. entreprendre la moindre chofe; ta'ndis que les autres qui formoient la plus grande partie intimidés paria popularité du Roi, & par 1'affection que de tout cóté on témoignoit a fa perfonne, craignoient que fi l'on faifoit la moindre démarche pour 1'arrêter, ou qu'on fit publier quelque réfolution contre lui , on accelèreroit la revolution au lieu de la prévenir. II fut donc réfolu d'attendre 1'arrivée des Régimens qu'on avoit fait venir, & qui n'étoient plus qu'a une journée de la Capital^. Cc 3  C 4oö ) Mais la même raifon qui empêchait le Sénat d'agir, obligea le Roi de preffer 1'exécution de fon plan. 1772, Ce fut dans la matinée.du 19 Aout, le troifième jour après 1'arrive'e du Général Rudbeck, que Sa Majefté fe refolut de périr ou de reprendre par la force un pouvoir dont les Etats avoient abufés pendant fi lohgtems. Avant 10 heures il fut a cheval , entouré d'un nombre confidérablé"d'officiers qui lui étoient devoués; il commenca par vifiter le Pare d'Artillerie. La il fit appelier le Lieutenant Général Comte de Heffenftein, C*) 'e nomma Commandant de la garnifon & lui demanda fon ferment; mais celui-ci lui dt: qu'ayant déja prêté ferment d Sa Majefté, il étoit inutile d'en prêter un fecond; puis mettant fon épée aux pieds du Roi, il fe conftitua prifonnier. II fut enfermé dans la Bibliothéque du Chateau. En paflant a travers les rues, Sa Majefié ■redoubla de politeiTe & de familiarité invers tous ceux qu'il rencontroit; a fon retour au chateau, il trouva les deux gardes occupées a fe relever, il en fit entrer les officiers au Corps de garde, & leur adreffant la paroit avec cette éloqnence qui lui eft fi natu- (*3 H étoit fils naturel du feu Roi ; c'eft le même qui aftuellement eft gouverneur-général de la Pomeranie Suédoife.  < 4°7 > relle; il leur dit i que fa vie étoit en cianger, :il leur peignit dans les termes les plus énergiques le trifte état du Royaume, 1'efclavage fous laquelle la nation gémiflbit par 1'influence de 1'argent étranger, la diffenfion qui regnoit dans les états, qui avoit prolongée la Diette pendant 14 mois , & la mifere du peuple; il les affura, n'avoir d'autre but que de remedier a ces defordres, banir la corruption, retablir la liberté & faire revivre 1'ancien luftre du nom Suédois, terni depuis lóngtemps par une venalité honteufe. Puis les aflurant dans les termes les plus forts , qu'il renoncoit pour toujours a un pouvoir abfolu ou a ce que les Suédois appellent fouveraineté, il conclut par ces mots: „ Je fuis obligé de défendre ma „ propre liberté & celle de mon Royaume „ contre 1'Ariftocratie, qui règne fi defpoti„ quement. Voulez-vous m'être fidèles comme „ vos ancêtres le furent a Guftave Vafa & a „ Guftave Adolphe ? en ce cas je rifquerai ma „ vie pour votre bicn-être & pour celui de „ ma patrie." Les officiers, la pluspart jeunes gens & attachés au Roi, lui prêterent d'abord le ferment de fidélité & promirent de le fuivre partout oü il voudroit les mêner. II n'y en eut que trois qui refufèrent. Un d'eux nommé Cederftroom, Capitainë aux Gardes, allégua: „ Qu'ayant prêté ferment de fidélité Cc 4  C 403 ) „ aux Etats, il ne pouvoit faire celui que Sa „ Majefté exigeoit de lui." Le Roi le regardant fixement, lui dit: Pen/és d ce que vous faites. „ J'y al bien penfé, (répondit Ceder„ ftroom) & ce que je penfe aujourd'hui, je „ le penferai encore demain. Si j'étois capa„ ble de fauffer le ferment que j'ai fait aux „ Etats, je ferois auffi en état d'être infidèle „ a celui que je prêterois a Votre Majefté." Le Roi alors lui demanda fon épée, craignant cependant 1'impreffion que 'la conduite réfolue de Cederftroom pourroit faire fur les autres officiers il lui dit d'un ton plus doux: Que pour lui prouver fa conftance & la bonne opinion qu'il avoit de lui, il lui rendroit fon épée fans exiger de ferment, pourvu qu'il voulut feulement 1'accompagner. Mais Cederftroom, d'un ton ferme, lui répondit: „ Que Sa Majefté „ nepouvantpas feconfier en lui ce jour-la, il „ prioit trés-humblementd'êtredifpenfédetout „ fervice ". H fut envoyé aux Arrêts. Le Roi, fuivi de tous les officiers voulut s'adrefler enfuite aux foldats, mais ceux-cifemblerent irreTolus & inquiets. Sa Majefté furpris, s'arrêta & parut héfiter. Ce moment fut critique. Un Sergeant décida de la réuflïte, en s'écrknt: Tout ira bien, vivc Guftave r Le Roi répondit immédiatement: En ce cas j'en cours les rifque. Puis s'avan?ant vers-  les troupes, il leur fit a peu prés le même difcours qu'aux officiers & avec le même fuccès. — Les foldats répondirent par des acclamations. Une feule voix cria non, mais on n'y fit pas attention. Les officiers firent fur le Champ affembler, par ordre de Sa Majefté, le régiment des gardes & celui d'artillerie. En auendant le parti du Roi, faifoit courir le bruit qu'il avoit été arrêté. A cette nouvelle ia populace courut en foule' au Chateau & témoigna par les plus vives acclamations la fatisfaétion de le voir en liberté. Les Sénateurs affemblés dans la chambre du Confeil, entendant le bruit & voyant par les fenêtres ce qui fe paflbit, defcendirent pour en apprendre la raifon; trentefix grenadiers, la bajonetteauboutdufufil les firent retrograder dans la falie d'oü ils étoient fortis, & les y en fermerent a clef; de'a on les fit palier dans différens apartements , d'oüils ne fortirent que trois jours après, le Roine jugeant pas a propos qu'ils affiftaffent a la nouvelle affemblée des Etats •, cependant ils ne manquèrent de rien; il leur fut permis de fe procurer dans leurs arrêts toutes les commodités néceffaires; le Roi eut même 1'attention de faire affurera leurs époufes &a leurs families, qu'il ne leur arriveroit aucun mal & Cc 5  C 4i° ) qu'ils en feroient quittes pour une détentioq de peu de jours; — il tint parole. Le Roi remonta a cheval, fuivi de tous les officiers , 1'épée a la main, d'un détachement de foldats & d'une grande quantité de populace. A mefure qu'il arrivoit aux différents quartiers, oü étoit poftée une partie de la garnifon , il leur faifoit prèter !e ferment de fidélité'. II répétoit partout qu'il n'avoit d'autre deffein que de les défendre & fauver le pays ; ajoutant: que s'ils n'avoient point de confiance en lui, il défifioit de fon entreprife & fe demettoit de la Couronne. Chacun fe jettoit a genoux & le frpplioit les larmes aux yeux de ne point les abandonner. Dans 1'efpace d'une heure Ie Roi fe rendit mairre de tout le militaire de Stockholm. II fic diflxibuer des cartouches aux foldats, fit placer du canon a toutes les avenues, ponts, &c., & pcrfonne n'öfa fortir de la ville fans un paffe-port figné de fa main. II fit en rr.ême temps diftribuer un manifefte, oü 51 exhortok les bourgeois Óctous les habitans a la tranquillité, & depécha un officier auxrégimens d'Uplande & de Sudermanie, quin'étoient qu'i une petite diftance de Stockholm, avec ordre de retourner dans leurs quartiers, & au Commandant de venir dans la Capitale. On obéitfans  C 411 ) Ja moindre diflkulté, paree que perfonne n'öfant fortir de la ville, officiers & foldats e'toiént dans une parfaite ignoranee de ce qui s'y paffoit, & que 1'ordre qu'il recurent étoit dans la forme ordinaire, contrefigné par le Sécrétaire d'Etat; mais ces mêmes Régimens, fur qui les Etats avoient le plus comptés, ayant été bientót informés de la révolution, demandèrent de prêter le ferment de fidélité a Sa Majefté. „ Ainfi le Roi qui s'étoit lèvé le matin, „ le Prince le plus limité de 1'Europe fe ',,"rèndit dans 1'efpace de deux heures, non „ moins abfolu a Stockholm, que le Monars, que Francois 1'eft a Verfailles, ou le grand „ Seigneur a Conftantinople (*). Le peuple „ vit avec la plus grande fatisfadlion le pou„ voir d'une Ariftocratie, dont il avoit éprou„ vé toute 1'infolence transféré entre les mains „ d'un Roi, qui poflëdoit leur amour & leur „ attachement" (t)- Le Roi continua a vifiter les différens quartiers de la ville, fa fuite devenoit d'inftant en inftant plus nombreufe, chacun s'eropreffoit d'attacher autour du bras gauche un mouchoïr Cette afiertion pouvoit être vraïe pour le moment. (f3 Sheridan, Edit. Angloife.  ( 412 ) blanc, fignal que Sa Majefté avoit donné pour reconnoitre fes amis. II recut enfuite les fermens du Magiftrat & des différens Colléges, & patrouilla lui-même pendant toute la nuit, tandis que la garnifon refta fous les armes. Le Roi réfolut de faire prêter ferment a tout le peuple en corps, précaution qu'il ne crut pas inutile, vu le caradtère rétigieux de Ia nation. —- La publication en ayant été faite, des milliers de perfonnes, s'affémblèrent deux jours après Ia révolution, dans une trés grande place. Le Roi y parut a cheval, 1'épée è la main. II fic un difeours trés pathétique: (d'une voix fi claire & fi diftindte que perfonne n'en perdit une fyllabe) il déciara, qu'il n'avoit d'autre intention que de rendre la tranquillité a fa Patrie par 1'abolition d'un gouvernement Ariftocratique, de faire fenaitre la liberté & remettre en vigueur les anciennes loix, telles qu'elles étoient avant 1'année 1680. renonce, dit-il, o toute idéé de pouvoir „ abfolu ou Souverainetê, mettant ma princi„ pate gloire de me regarder comme le premier „ Citoyen d'un peuple véritablement libre. " U fut interrompu par des vives acclamations. L'éloquence dont le difeours du Roi étoit accompagné, le rang de citoyen dans lequel il fe rangeoit lui-même, legrand, le beau mot de  C 4r3 ) iibertê, fi flatteur pour un peuple, qui fe fent opprimé, les belles phrafes de renoncement a la Souverainelé, de bonheur du peuple, prononce'es dans la langue du pays, qu'aucun Roi de Suéde n'avoit plus parlé depuis Charles XII, arracha des larmes de joye a la multitude affemblée. Dans le même tems des hérauts proclamèrent dans tous les quartiers de la ville une affemblée des Etats pour le lendemain, declarant traitres a la patrie tous les membres de la Diette qui n'y comparoitroicnt point. Sa Majefté y parut dans tout 1'éclat de la Royauté entouré de fes gardes, tenant en main Je fceptre d'argent de Guftave Adolphe. Son harangue fut énergique. Après avoir fait une peinture, (peut-être exagérée) dumalheureux état de la natioH, occafionnée par les excès d'un parti qui avoit voulu tout facrifier a fon intérêt & a fon ambition; il reprocha aux Etats leur honteufe cupidité & la bafiefie d'une conduite- mefurée fur la quantité d'or étranger avec lequel on pnyoit leur perfidie. Si quelqu'un, dit-il, 6fe me démentir, qu'il fe leve & qu'il parle. Perfonne n'ayant répondu, foit par conviction, foit par crainte ; il ordonna au Sécrétaire de faire la ledture de la nouvelle forme de gouvernement, qu'il fouméttoit, dit-il, a 1'approbation des Etats.  C 4T4 > Ce nouveau reglement confiftoit en 57 articles ; je ne ferai mention ici que de cinq. i°. Le Roi eft maitre de convoquer les Etats & de les faire féparer toutefois qu'il le jugera a propos. 20. Sa Majefté feule a la difpofition de 1'armée, de la flotte , des finances & de tous les emplois civils & militaires. 3°. Dans le cas d'une invafion & dans touté néceffitépreflame, le Roi peut impofer des taxes, fans attendre 1'aflemblée des Etats. 4°. II n'eft permis de délibérer dans les Diettes fur aucun fujet, que fur ceux qui font propofés par le Roi. 50. Le Roi ne fera point de guerre offènfive fans le confentement des Etats. Lorfque tous les articles eurent été lus, Sa Majefté demanda, fi les Etats vouloient 1'approuver? On répondit par une acciamation générale : Ces mêmes Bönnets qui peu de jours auparavant étoient fi fiers, qui faifoient la loi au Royaume, qui parloient d'arrêter le Roi, fe montrèrent a cette occafion d'une foumifiion aufii baffe que leur conduite avoit été orgueilleufe. Le Maréchal de la Diette & les orateurs des quatre Ordres fignèrent la nouvelle forme du gouvernement, puis les Etats prêtèrent au Roi un ferment, dont Sa Majefté avoit dictée eliemême la formule. — Enfuite il déclara toutes  ( 415 ) les places des Se'nateurs vacantes, ajoutant, que dans peu de jours il en nommeroit d'autres. Cette fcène extraordinaire finit d'une facon non moins fingulière. Tout-a-coup le Roi tira de fa pocheun petit livre depfeaumes, & après avoir öte' la Couronne il entonna le Tedeum, Tous les membres de l'aflèmblée joignirent trés devótement leurs voix a la fienne, & la falie rétentit d'adtions de graces, qui certainement ne purent monter au ciel, fi la fincérité devoit les y porter. Le lendemain le Roi remit en liberté' ceux qui avoient été arrêtés, après qu'ils eurentprêtés ferment de fidélité, excepté le Général Pecklin ( *). Le Comte de Hefienftein écrivit au Roi pour lui demander fa demiffion: . . . Après avoir déduit a Sa Majefté les raifons qui 1'ont obligé a lui défobéir, il finit ainfi fa Lettre: ■ ' 9I Vous ave's outragé mon cceur, un mos „ m'eut fait voler a vos cótés, il y a eu „ un complot contre votre perfonne, & vous „ ne me le dites point? je ne 1'ai appris que „ hier au foir dans la Lettre dont vous m'ho- norates; vous ne me donnés d'autre motif -C*D II fut relaché le 12 Février de 1'année fuivante, & garda fon régiment, mais peu de temps aprè* il denacda fa demiffion,  (4iO „ que de rétablir la Conftitution de Guftave „ Adolphe. Au temps pre'fent ce pourroit „ être celle de Charles XI, cela me fit pren,, dre le parti que j'ai pris; il ne me refte plus „ qu'un fecond, qui eft de remettre mes em„ plois; la plume me tombe des mains. " ~ Cependant quelque temps après il fe raccommoda avec le Roi & lui prêta le ferment. Tous ceux qui avoient contribuês a faire réuffir la révolution furent ge'nêreufement recompenfés, mais perfbnne ne fut puni. Plufieurs Bonnets obtinrent des poftes de confiance & lucratifs, & Sa Majefté en donna même a quelques-uns de ceux quia la Diette de 1755 avoient le plus févis contre 1'autorité royale. Parmi les Sénateurs qui formèrent le nouveau Sénat, le Roi en plaga de tous les partis. Le Capitainë Hellicius, qui avoit été le premier mobile de la Tévolution, par fa conduite a Chriftianftadt, reeut (avec le rang de Collonel) le furnomde Guftafs-Schildt, c'eft-a-dire, Bouclier de Guftave.- il fut anobli avec permisfion de porter dans fes armoiries un Bouclier, au milieu duquel eft un G. Le Collonel de Sprengporten fut crée Commandeur de 1'Ordre de 1'Epée, a la tête de S Re'giments d'Infanterie & d'un Régiment de Dragons, avec lefquels il arriva de Finlande peu de jours après la révolution. II y avoit été  C 4^ ) «ét'é envoyé par les Etats, & au lieu d'appaifer ïes troubles, comme portoient fes ordres, il travailla fi bien en faveur du Roi qu'il parvint a raffembler ces troupes dans Pintention de foutenir la re'volution; des vents contraires i'empëchèrent d'arriver a temps; heureufement il trouva tout achevé. Lorfque Sa Majefté apprit fon arrirée , il alla a fa rencontre & lui préfentant le grand Cordon jaune: Acceptês Monfieur,' lui dit - il, ce gage de ma recon'noiffance, vous l'avés bien mérité. Quelques jours apr-ès il lè ncmma Lieut. Général & Chef des ■Gardes-.' Le Roi fit enfuite publier une proclamation, ïëndante a abolir les noms odieux qu'on avoit employé jufqu'ici pour defigner les differens partis , qui avoient pendant fi ldngtems portés le trouble & Te défordre dans le Royaume. Le 'Rói vouloit qu'il n'y eut déformais qu'un feul parti: celui du véritable patriotifme, & qué chacun réunit tous fes effbrts pour le bonheur & le bien-être de la patrie. zi Dimanche 23, toute la familie Royale affi•ftaau Te Deum ,qui fut chanté dans la Cathédra- Je. On n'y pria que pour Leurs Majeftés & pour la familie Royale. Pour la première fois on ne fit aucune mèntioh des Etats y nï du Sénat. Les Princes Charles & Fréderic, êc quèlDd  ( 41» ) ques Généraux affidés, prirent dans les provinces, au nom du Roi, le ferment de fidélité des Troupes, des Colléges, &c, & dans peu de jours la nouvelle Conftitution fut reconnue par tout le Royaume. A leur retour dans la Capitale le Prince Charles (*) fut décoré du titre de Duc de Sudermanie, & le Prince Fréderic de celui d'Oiirogothie. Ainfi s'acheva une révolution, qui rendit au Roi tout le pouvoir qu'on avoit óté a fes ancêtres, & qui bouleverfa une Conftitution établie en 1720 d'abord après la mort de Charles XII, pour protéger, difoit-on alors, la liberté de la nation contre le defpotifme des Rois. Charles XII avoit fans doute abufé de fon pouvoir; il ne 1'employa que pour afiouvir fon ambition deméfurée, & la confe'quence en fut qu'il ruina fon Royaume. Sous prétexte d'abolir le defpotifme, le Sénat, foutenu de toute la Nobleffe, profitant du mécontentement de la nation, fit fibien: que les Etats bornèrent 1'autorité Royale au point,que le Roi ne devintalafinqu'un perfonnage de repréfentation. Pen a peu la fureur des deux partis , acharnés a fe fuplanter & a fe détruire, produüït une C*3 H fe maria vers Ia fin de 1773 avec une Prin» ceffc de Holilein-Eatin.  anarchie complette. La nation fe fentit enfin opprimée par une Ariftocratie, dont 1'adminiftration tirannique eft toujours plus infupportable au peuple que le defpotifme d'un Roi & furtout d'un Roi conque'rant, dont iladmire les grandes a<3ions& dontil croit partager la gloire, ce qui dans la re'alité étoit le cas des Suédois qui, malgré ce qu'ils en ont quelquefois foufferts, ont toujours été attachés a leurs Rois, les confidérant comme les défenfeurs de leur liberté. La plus grande partie de la nation fe fentant opprimée par la plus petite fur laquelle s'accumuloient les dignités, les honneurs, les privileges , croyant qu'on vouloit abolir entièrement la Royauté, & s'imaginant que la perfonne même d'un Roi,qu'ils adoroient a caufe de fa popularité, étoit en danger; il n'eft pas étonnant que cette révolution fe foit faite avec tant de facilité & fans effufion de fang, auffi bien dans les Provinces que dans la Capitale & fous le même prétexte que celle de 17 2ö, favoir celui de la liberté. Peu après que les Etats eurent ratifie' la nouvelle forme de gouvernement, ils fe raflemblèrent pour former une adreffe de remerciment a Sa Majefté, par laquelle ils lui témoignèrent leur gratitude pour avoir délivré le Royaume (aurifque de fa vie ) de 1'état d'anarchie & de confufion dans laquelle il fe trouvoit. Dd a  ( 42° ) L'Ordre des Nobles réfolut de faire frapper' une médaille" en mémoire de cet événement. Les trois autres Ordres demandèrent la faveur de pouvoir y contribuer.- Le 9 Sept. le Roi anhonga la féparation de la Diette & une nouvelle aiTemblée pour 1'année 1778. Sa Majefté fit notifier 1'heureufe réuffite de cette révolution a toutes les Cours. Le Baron de Lieven, Lieut. aux gardes Suédoifes & en même temps officier dans le régiment Royal Suédois en France, fut chargé d'en porter la nouvelle a Verfailles, ce qui lui valut, de la part de Sa Majefté TrèsChrétienne, le brevet de Collonel. Lorfque la Diette fut féparée, le Roi fongea a établir une adminiftration fixe & a féparer les différens departemens, de facon que tout fe rapportat directement a lui. Le Sénateur Comte ülrich de Scheffer devint préfident de la Chancellerie, & il eut dans la fuite le departement des affaires étrangères. Sa Majefté prit fort a cceur 1'adminiftration de la Juftice. La torture, coutume barbare & honteufe pour 1'humanité, dónt on avoit fait un fi horrible ufage a Ja révolution manquée de 1755, fut entièrement abolie. Le Chancelierde Juftice Liijenftrale (*),fut chargé de rechercher & C * ) Magiflrat qui fait en Suéde les fonflions d'Ayc«at-Fiscal ou Procureür-Général.  ( 421 ) de corrigerles abus, qui avoient journellement lieu dans les Cours provinciales. Toutes les prévarications & lenteurs furent punies févèrement, fans exception de perfonnes. Les finances furent en particulier un objet dont le Roi s'occupa beaucoup. II établit une Commiffion pour règler les revenus & les dépenfes publiques, & fit travailler a un plan pour réahfer 1'énorme quantité de papier & ranimer la cicculation du numeraire. II envoya du bied dans toutes les provinces & en permit la libre imporcation pour diminuer la cruelle difette qui règnoit dans tout le Royaume. Pour la même raifon il défendit la diftiilation du brandevin, préférant de faire venir cette liqueur de 1'étranger, a la confommatkm des grains que cette diltillation exigeoit. Mais la branche a laquelle il s'appliqua le plus fut celle du militaire. II envoya des Ingénieurs pour examiner les forterefles & les places frontières en Suéde & en Finlande. Le Roi fe defioit trop du parti anti-Royalifie, qui malgré fon écrafement fubfiftoit toujours, pour ne pas fe tenir en garde contre cette puiflance qui avoit garantie 1'ancienne conftitution, malgré les difpofitions pacifiques dont elle 1'avpit aflurée (*). (*) La Ruffie garantitla forme du gouvernement 1'an- Pd 3  C 422 ) Au commencement de Novemfare Sa Majefté fuivant la coutume des anciens Rois partit pour recevoir 1'hommage des différentes provinces de fon Royaume accompagné du Duc d'Oftrogothie, après avoir confié le foin de la Capitale au Duc de Sudermanie. Dans cette tournee il viftta les chantiers de Carlscrona, les éclufes de Trolhetta, les fortifications' des places frontières, les magazins & fit la revue des troupes. II s'informoit exaftement de tout ce qui avoit quelque relation avec 1'adminiftration intérieure des provinces, écoutoit toutes les plaintes, parlant indiféremment avec la plus grande familiarité a tout le monde, & témoignant continuellement la fatisfaclion la plus vive de fe voir maintenant a la tête d'un peuple libre. II fut regu partout avec des grandes acclamations & les témoignages de la joye la plus fincère. On croyoit voir en lui un fecond Gujlava Vafa, & on comparoit 1'oppreffion de 1'ariftocratie, dont il les avoit delivré, k la tjrannie d'un Chriftierne. Sa Majefté de retour a Stokholm a la fin de Decembre, y trouva la Reine Douarière fa mère, qui étoit en Allemagne au moment de Ia révolution. 1'Entrevue fut fans doute intéreflante. Au milieu de la fatisfadtion qu'elle éprouva, de revoir fon fik revetu de 1'autorité fouveraine, fans qu'il en eut couté une goute de fang5 cette PrincefTe fe rapclia  ( 423 ) Fans doute la malheureufe réulïïte d'un plan formé 16 ans auparavant, oü elle fe comporta avec tant de courage, (*) & qui conduifit fur I'échaftaut après les tourmens les plus cruels fes plus fidèles & plus zelés fcrviteurs. —1 Les habitans de la Capitale voulurent célèbrer par des rejouiffances publiques 1'heureux retour de leur Monarque , mais il le leur defendit; il leur témoigna qu'il verroit avec plaifir dans ce tems de difette employer 1'argent deftiné pour des fêtes, au foulagement de tant de malheureux que renfermoit la capitale : Sa Majefté leur donna 1'exemple par toutes les peines qu'il prit pour diminuer la mifere. H «ra quantité de grains des magazins de la Couronne, & les fit diftribuer dans la Capitale & dans les provinces en y ajoutant des fecours en argent. Le Roi confacra les fix années d'entre - Diette a affermir la nouvelle conftitution. II fe voua h 1'adminiftration avec une adtivité inconcevable. 11 fit quantité de nouvelles ordonnances pour encourager le commerce & 1'agriculture, ainfi que les fabriques & les manufadtures , & s'attacha particulièrement a la recherche des moyens propres pour prevenir (*)Elle offrit d'accompagner le Roi a cheval, s'il avoit voulu fortir du Chateau & payer de fa perfonne, dans le moment le plus critique. Mem. d'un Gentdhemr me Suédois, pag. 160. Dd 4  C 4?4 ) les famines & les difettes, auquel ce Royaume eft malheureufement fi fouvent expofé. -t773- Ii établit a Stokholm, ainfi qu'a Gothenburg des atteliers publics oü tous les pauvres en travaillant pouvoient trouver leur fubfiftances. Ces atteliers furent fournis de matières premières propres a quelques manufactures, & Sa Majefté eut la fatisfaction de voir déja a la fin de 1773. 1200 perfonnes occupées dans celui de fa Réfidence (*). jj facilita de plus en plus 1'entrée & 1'importation des grains, défendit fevèrement aux particüliers d'en faire des magafins, & prevint tout monopole a cet égard. Malgré tous les foins qu'il prit pour procurer a la nation 1'abondance du néeefiaire, il ne put empêcher le mécontentement & le murmure qui éclata en quelques provinces d'une facon affez violente. Le peuple & principalement les païfans ne pouvoient fupporter la défenfe de diftiller eux -même une iiqueur a laquelle ils étoient fi fort attachés & qu'ils étoient obligés de fe procurer maintenant a un prix fort chèr puisqu'elle venoit des pais étrangers; pendant les trois premières années le Roi refta ferme dans fa refolution, & fut plus ' C*3 Mr. Edonard Ranneberg Secrétaire de ïa Bourgeozfie de Stokholm, qne j-ai ea OCcaCon de citer ,n fujet delapopuiaüonCPage 290fuc nommé Bireftesr Je cette maifon.  ( 4*5 ) d'une fois obligé d'envoyer des troupes pour. reprimer des émeutes a cette occafion; ce ne fut qu'en 1775, qu'il donna la permiffion de \recommencer les diftillations dans le Royaume; mais en les declarant régales, il voulut les affermer au profit de la Couronne. Comme il ne fe préfenta pas affez de fermiers, il refolut de faire braffer le brandevin pour fon compte. II fit acheter tous les uftenciles, qui avoient fervis autrefois dans les brafferies particuliércs, & ftatua des peines rigoureufes contre ceux qui transgrefïeroient les defenfes contre la diftillation. L'entréc des brandevins de France , & d'autres pais fut defendue &on commenea a vendre au profit de la Couronne. Les pa'ffans envoyèrent de tout cóté des députations au Roi pour reclamer 1'ancienne coutumg de brafier cuxmême la quantité néceffaire a leurs befoins, mais Sa Majefté n'y eut point d'égard & le mécontentement s'accrut au point,que même a Stokholm, on fut obligé de placer des gardes aux brafferies Royales, pour empêcher toute violence; les habitans du Royaume & principalement ceux de la Campagne, ne vouloier.t pas être gènés dans la confommation d'une bqueur, qui par 1'habitude leur eft devenue fi néceffaire; ils comprenoient que la quantité de Brandevin feroit deformais reglée fur celle des grains, Ils leur revenoit plus cher & n/e* Dd g  ( 426 ) pouvoient avoir autant, que Iorfqu'ils lc diftilloient eux - mêmes. Le Roi prit des ibins particüliers de tout ce qui regarde le Commerce, & 1'encouragea autant qu'il fut en fon pouvoir. Pour en faciliter les progrès, il créa un Collége fous le nom d'Expédition du Commerce, oü toute les affaires de negoce & de finance devoient être reglées. Le Confeiller de Commerce JVeflerman, en fut nommé Prefident, avec le titre de Secrétaire d'état pour le Commerce. Le Roi l'ermoblit& lui, donna le nom de Liliencrantz. La petite ville de Marflrand, fitue'e a la mer du Nord fut déclarée Port Franc, &'on établit a Stokholm un bureau de difcompte pour faciliter la circulation des efpèces, & toutes les opérations du Commerce. ( *) Ce qui continua d'occuper le Roi avec le plus d'intérêt, ce fut la partie militaire tant de mer que de terre; Sa Majefté prit la refolution de renouveller entiérement la flotte, qu'il avoit trouve' dans un état delabré, & qu'il réufiit a mettre dans peu d'années fur un pied trés refpeftable. II changea les régiemens de la marine , leva un nouveau Corps de Matelots, les forma par des continuels exercices fous Ja direétion & les ordres de 1'Amiral mangel, a qui la direclion de la flotte & de C*31 Quelques années après le Roi en établit tin parer & Ootnenburg,  (4=7 y toutes fes dependances fut confiée en chef, tandis que celle des chantiers fut donne'e a 1'Adtniral Ter Smeden. Jufqu'ici ces deux departcmens avoient été jcombinés fous un collége d'Amirauté, auquel i toutes les différentes parties de la marine fe jrapportoient, & qui decidoit fouvent en dernier reffort. — Le Roi ordonna que dorefnaIvant les deux chefs, qu'il venoit de nommer ne s'adrefferoient i&k lui, & ne laiffa au Collége , que le foin de faire pourvcir h tout ce qui étoit jugé néceffaire pour ia flotte ou pour les chantiers; il lui laiffa auffi la prérogative de former une nomination aux I places vacantes. Ce Collége eft compofé de deux Amiraux i & de quelques officiers du premier rang. Pour faciliter les travaux en faveur de la | marine guerière & marchande, il fut defendu ! dans tous les chantiers du Royaume d'y batir i pour 1'étranger. ! L'Armée de terre qui fe reffentoit auffi bien que la marine, de la mauvaife adminiftration des temps Ariftocraüques avoit befoin d'une grande reforme. Le Roi corrtmenea par donner des nouvelles armes a tous les Regimens, les fournit de manteaux, & leur procura des tentes; enfuite fous 1'infpeftion du Feldmaréchal Comte de Heffenftein, il leur fit appren-  C 428 ) dre un nouvel exercice , & dans différens Camps qui furent formés, il fe plut a les faire manceuvrer lui-même dans toutes les pariies de la tactique adoptée généralement en Europe. Depuis longues armées les places militaires avoient été venaies; le Roi comprit qu'on pouvoit être riche & trés mauvais officier, que cet abus laifibit le mérite dans i'oubli, décourageoit ceux qui fe fentoient du talent, & rabaiffoit un Etat dont 1'honneur & la capacité doivent être la bafe. - Cependant il foumic fon idéé a 1'armée même, & il eut la fatisfaclion de voir que fa propofition fut recue avec une approbation générale; les avancemens ne fe firent donc plus que par rang d'ancienneté, s'il fe trouvoit foutenu par la capacité requife. Sa Majefté s'attacha non feulement a rétablir la difcipline, & le bon ordre dans fon Armee , mais il foigna auffi pour le bien être préfent & futur des differens individus qui la compofoient. II hauffa la paye des officiers , & fit des regiemens, pour qu'après un certain temps de fervice , les bas officiers & les Soldats euffent du pain affuré peur tear vieilleffe. Pour être plus a même de faire exécuter fes ordres arec premptkude, le Roi transfers, a  i 439 5 Stockholm le College d'Amirauté, qui avoit jufqu'ici réfidé a Carlscrona. II cafia 1'ancien Confeil de guerre, & en cre'a un autre fous le ture de Collége de guerre Ce nouveau Collége fat compofé du Général en Chef de 1'Artillerie , du QuarticrMaitre-Général, du Direéteur des Fortifica■tións, & de quelques Officiers de .l'Etat-Major, & fut obligé de réfider auffi a Stockholm. Les fortifications des villes de Chriftianftadt, Malmoë, Landscrona, & des ForterelTes tant de la F.nlande que du cóté de la Norvége, furent mifes en état de défenfe & pourvue d'artillerie, qui depuis longues années netoit pas fortie des magafins. Le Roi fit des fréquens voyages dans les provinces du Roy aume,s'y faifant rendre a chaque fois un compte exaft de 1'état des fabriques & des manufaclures, ainfi que de la poUce intérieure, foutenant chacun dans fes droits &priviiègesspuniflant rigoureufementtout acte d'injuftice bien prouvé. Dans une de ces tournees le Baron de H.. • Gouverneur de la Nericie, fut accufé de malverfation-, Mr. de Liliencrantz recut ordre d en prerdre des informations; & le délit ayant été prouvé le Baron de H...• fat demi de fa charge. On n'eut égard ni a la faveur, dont jufqu'ici il avoit joui auprès du Roi, ni des liaifons d'amitié qu'il avoit eu avec Mr. de Luien-  C 430 ) cfantz. Le même fort échut aü Sénechal & au Tréforier de la Dalêcarlie; convaincus de prévarication, quoiqu'attachés aux plus illuftres families du royaume, ils furent caffés. Plufieurs exemples de cette nature rendirent les Juges plus circonfpccTs, plus incorruptibles & plus attentifs a une adminiftration impartiale de la Juftice. Mais ce qui achera d'en impofer a tous les tribunaux, ce fut la fenten« ce prononcée contre une des premières Cours de Juftice, celle d'Oftrogothie, re'fidente a Jenköping. Ayant e'te' accufée de plufieurs aftes d'injuftice, le Roi nomma outre Mr. de Liliencrantz une Commiffion de deux Sénateurs & d'un Sécrétaire pour examiner les chefs d'accufation; enfuite 1'affaire fut portée devant le Sénat a Stockholm, oü les différens membres accufés furent obligés de comparoitre & obtinrent la permiflion de fe défendre. Leur caufe y fut plaidée publiquement en préfence du Roi, qui ouvrit la première féance par un trés beau difeours, qu'il finit par ces mots .< „ Je vous ai „ délivré d'une oppreffion oü tout jufqu'a la „ Juftice étoit venal. J'ai fait des régiemens „ pour que les droits du moindre de mes fu„ jets fuflent refpeclés; ces Loix fe trouvent „ enfreintes. Je dois a la poftérité un grand v exemple de Juftice. " N'ayant pu fe juftifler: quatre membres  ( 43i ) rent cafle's & quelques autres fufpendus de leurs foncbions pendant plufieurs mois. Ces adtes de Juftice, joint a fa grande popularité, étoient caufe que fon arrivée infpiroit la plus vive joye aux habitans des provinces; id'autant plus qu'il abolit les corvées de pofte, l auxquels les payfans devoient fe foumettre, lorfque le Roi ou quelqu'un de la familie Royale voyageoit. — II s'obligea pour lui & pour fa familie a payer le prix des chevaux & du voiturage fur le même pied qu'un fimple particulier. En travaülant fans relache a tout ce qui tendoit k perfeótionner les différentes branches- de 1'adminiftration, il n'oublia point ce qui pouvoit avancer 1'Agriculture & augmenter la Population. II fit écrire aux miriiftres de Suéde, I réfidans aux différentes Cours de 1'Europe, de s'informer le plus exadtement que poffible de la quantité de Suédois qui fe trouvoient dans les pays étrangers, ainfi que des raifons qui les avoient engagés a quitter leur pays natal^teur faifant promettre des avantages & des établiffemens en cas qu'ils vouluffent revenir. Si cette déclaration fit peu d'effet pour le retour de ces émigrans.elle contribua du moins adonner des lumiè- i res fur la caufe du depeuplement d'un pays, oü rien ne doit être négligé pour 'fixer les habitans. Le Roi fit affigner la ville XEckelJluna,  C ) pas loin de Stockholm , a une petite Co* lonie, qui.-attirée par les avantages qu'ori lui promit, quitta Solingen dans le Duché de Berg pour venir en Suéde, Ils y établirent une fabrique -d'épées, de fabres, de. bajonettes. Outre 1'augmentation de population, cette Cor lonie procura encore 1'avöntage de pouvoir conferver .dar/s le pays les grandes fommes qui paffbiént annuellement dans 1'étranger pour 1'achat de ces armes. Une fociété de citoyens., zèlés pour le bierl public, ayant a leur tête le Duc de Südermanie, fe réunit par Pehcoura'gement & fous' la proteclion fpéciale^e Sa Majefté. Elle prit le titre de Sociêté Patriotique,'.'& pour. devife Pró Patria. La population, 1'agriculture, le foulagement des ne'ceffiteux & tout ce qui tient h 1'ceconomie intérieure fut de fon reffbrt. Sa Majefté en travaillant avec ur-c affiduité étonnante a tout Ce qui pouvoit cöhtribuer aü bien-être de fon Royaume & au bonheur de fes fujets , ne s'attacha pas moins h ce qui pouvoit augmenter les connoiffances & le favoir d'une nation a qui la nature accorda eh général les dons d'un génie pénétrant & aétifi II s'employa avec le zèle le plus vif a 1'avancement des Sciences, des Arts & des belles Lettres. —. li commenga par procurer a la nation une belle verfion de la Bible. — Une SoCiété  C 423 ) clété d'Fxcléfiaftiques, fous la préfidence de 1'Archevêque d'üpfal, a laquelle fe joignirerit quelques Profeffeurs en langue Oriëntale, en Droit, en Bothanique, & Mr. Wargentin (*), Secretaire de 1'Académie, y travailla avec le plus grand fuccès. Quelques gens de lettres furent chargés du foin d'améliorer les livres élémentaires, employés en Suéde a l'éducation de la, jeuneffe & d'en faire des nouveau*. ■— II affiftoit fouvent aux alTemblées de 1'Académie des Sciences, & leur envoyoit fous un nom emprunté des queftions a réfoudre, ayant pour but ou 1'examen de quelque nouvelle découverte, ou une propofition rélative au bonheur de fon peuple. Le Roi fit fervir fon refpedtpour lesManes de fes ancêtres aux progrès des Arts. II confacra un monument a la mémoire du Chef de fa familie. Gujlave Ehrichfon ou Vafa. Une ftatue pedeftre repréfentant ce grand Prince fut placée le 13 Xbre 1773 Levant 1'hötel de la ' Nobleffe. Le même jour le Roi, k la tête de la garnifon de Stockholm, lui rendit les honneurs militaires & 1'inaugura par trois decharges de moufquetterie & de plufieurs batteries de canon. Sur un cóté du pied .d'eftal oh voit les ' armes de Vafa , urt Gerbc. Sur .1'autre eft gra"vee cette infeription: Guftayo Erici, P atria (*) II eft stoit en 17S6. Le .  C 434 ) Libertatis, Religionss Vindici, ex Nobili cive \ optima Rege Post Bina Sacula po/uit ordol Equeftris. — A peine cette ce're'monie fut-ellej acheve'e que la refolution fut prife de rendre lej même hommage a Guftave Adolphe. II étoit bien jufte d'éternifer la mémoire d'un Prince qu'on avoit pris pour modèle dans la forme du gouvernement établi en 1772. Un Artifte (*),, dont la main habile étoit digne de repréfenter \ des héros qui firent 1'admiration de leur fiècle (|), fut chargé de 1'exécution de ces deux ftatues. II ne fe borna point a éternifer le nom de grands Princes, il voulut aufii tranfmettre a la poftérité ceux de Savans illuftres. Xa Medaille frappée après la mort du Profefieur Linnteus en eft une preuve. Le Roi en donna lui-mêine 1'idée: d'un cóté paroit le Bufte de ce Savant, & de 1'autre la Déefle Cybele dans une attitude larmoyante, entourée des divers attributs du règne animal, végétal & minéral, avec ces mots: Deam lutïus angit amijjl & dans 1'exergue : Poft obitum, d. X January 1778. Rege Jübente. La Bourfe , la Maifon d'Opéra (§), le Palals du Duc de Sudermanie,celui de la Princefle Albertine,, (*~) Le fameux 1'Archevêqne, vid. pag. ioo. La ftatue de Guftave Adolphe fut placée en 17S6, elle couta 300 milles Dlrs. frmt. C t) C'eft-a-dïre: La douleur de ce qu'elle a perdu angoifle la Déefle. C§D BUe couta 400,000 Dlr. &mi,  ( 435 ) la Maifon deftinée aux Bals&Concerts publiês,la belle place de Guftave Adolphe, un magnifique Pont de pierre, bati fous fon règne, &c. offrirent a des Artiftes de tout genre 1'occafion la plus favorable pour exercer leur talens & deployer leur goüt, en même temps qu'ils contribuèrent a 1'ornement de la Capitale. Pour fe delafler du travail du Cabinet, le Roi recherchoit les plaifirs de la fociété. II fréquentoit les aflemblées de la Nobleffe & celles de la Bourgeoifie, & y portoit tout ce qu'il faut pour fe rendre aimable; il n'étoit pas permis de faire plus d'attention a fa perfonne qu'a celle de tout autre particulier. Caufant indifféremment avec tout le monde, il oublioit & tachoit de faire oublier aux autres le rang de la Royauté fi incommode, lorfqu'on veut jouïr des agrémens de la fociété. Joignant a une imagination vive, un efprit inventif, il imaginoit a tout moment des fêtes oü la magnificence, le bon goüt & la galanterie fe difputoient la préeminence. *« Outre les repréfentations fplendides d'un Opéra national,(dont il fourniffoit trés fouvent les fujets, encompofoit leCanevas & quelquefois même les paroles) il donnoit a fa Cour des Speftacles, des Ballets, des Caroufels ,des Tournois, oü rien n'étoitépargné pour les rendre brillants. Le premier grand fpeétacle en ce genre fut exécuté a Eck^ Ee 2  ( 43ó > holmfund en 1775, avec une pompe & uó appareil extraordinaire. Ce fut un Tournois , firivi d'un CarouiTel. Le Roi, fous le titre d'un Chevalier étranger, y foutenoit cette caufe fingulière: „ Que 1'amour eft plus vif & plus durable de part & d'autre dans le cceur de „ ceux qui ont lóngtemps tardés a reconnoitre t, fes loix." Sa Majefté remporta la victoire au Tournois, & fon Ecuyer le Major Monck, gagna leprix du Carouffel (*). L'année fuivante pareil fpectacle fut répeté k Stockholm dans !a place de Guftave Adolphe, vis-a-vis du Chateau, en prefence d'un concours prodigieux de monde'; & dans la fuite il y eut prefque toutes les années des Caroufiels plus ou moins magnifiques, & variés par rapport au coftume des Chevaliers qui compofoient les Cadrilles, & aux differens fujets qu'on y repréfentoit. Si le Roi aimoit a faire circuler ainfi 1'argent, en contribuant a 1'agrement de la Cour & de la ville, en exercant les artiftes & enfaifant gagner de 1'argent aux ouvriers; ilfongea d'un autre cóté, a reprimer le luxe, qui s'étoit introduit peu a peu a un point excefiif dans tout le Royaume, mais, furtout dans la capitale; — malgré tous les regiemens & toutes les ordonnacces émanées de temps en temps, rien ne pouvoit diminuer les depen- C*~) Ce fpeSade couta aa dela de 400,000 Dlr, kp.m.  ( 437 ) fes occafionnées par Je gout de la parure — Déja depuis lóngtemps ilmeditoit 1'adoption d'un coftume nationnal. H crut qu'un habillement fimple, uni&fans ornement mettroit obftacle au changement continuel que des modes étrangères jloccafionnoienta chaque inftant. — II fournit fon lidée a la Société Patriotique. Sous un nom emprunté il lui envoya des 1'année 1774 une medaille d'or de la valeur de 30 Ducats pour i celui qui repondroit le mieux a la queftion: fi pourmettre un frein a la folie des modes, „ ainfi qu'a la contrcbande, il ne feroit point „ utile d'introduire en Suéde uri habillement „ national, convenable au Climat différent „ de celui des autres nations ". Ce ne fut qu'au commencement de 1'annéq '1778, qu'il en fit la propofition au Sénat, eüe y fut approuvée, & peu de jours après parut ; une lettre circulaire adreffée a tous les gouverneurs de provinces & fignée du Roi, écrite 1 d'un ftyle le plus moderé, dont jamais Monarque s'eft fervi envers fes fujets. II commence par rendre compte de tout ce : qu'il a fait pour reprimer 1'excès effréné du Luxe, qui depuis 20 ans, dit-il, d fait tant dc 1 progrès, il fe plaintdela contrebande excefiïve I qu'elle entraine a fa fuite, ainfi que de la perte des j fommes confidérables qui fortent du Royaume Ee 3  C 438 ) pour des modes étrangères; il détaille enfuite les effets, qui doivent refulter d'un habillement national deftitué de tout ornement étranger, tant pour 1'encouragement des fabriques que pour empêcher 1'introdudtion des marchandifes prohibées. „ Afin donc d'arracher une fois pour tou„ tes, dit-il, la nation a tout Luxe étran„ ger, a tout amour pour la parure, nous ,, avons cru que 1'unique moyen étoit d'intro„ duire un habillement nationnal, entière„ ment diftinct de celui des étrangers, & „ qui reunifiant la decence avec la fimplicité „ tende a 1'accroiflement des fabriques, déja p établiés en Suéde ou qui pourront s'y établir dans la fuite. " II finit par dire ; que ne fe croyant pas permis de contraindre fes fujets par une ordonnance, il ne veut que leur en donner 1'exemple & déclare : qu'en confe'quence il paroitra au 8 Avril prochain avec toute fa Cour & le Sénat, dans cette nouvelle forme d'habillement qu'il fera auffi adopter a toute fon armée. Tous les hommes indiftinclement depuis le premier Senateur , jufqu'au moindre Payfan adopterent le nouveau coftume , le trouvant moins gênant & moins couteux; mais ce ne fut pas la même chofe par rapport au beau fexe, Cet habillement leur faifoit perdre tant  C 435 ) d'avantages, qu'elles eurent beaucoup de peine a s'y refoudre, & fi elles 1'adopterent, la plupart furent bientót s'en affranchir. Infenfiblement le temps fixé par le Roi 1778. pour la Convocation d'une Diette approchoit: Sa Majefté jouifibit de la fatisfaétion de voir le Royaume dans une fituation plus avantageufe que lors de fon avènement au thróne. 1 L'adminiftration étoit bien reglée , 1'armée de terre fe trouvoit en bon état; la marine commencoit a devenir refpedtable, la tranquilité paroifibit règner au dedans & la paix au deihors,le commerce fleuriflbit & pour comble de bonheur la Reine fe trouvait enceinte pour la première fois depuis fept années de mariage, & donnoit enfin 1'efpoir de voir naitre un héritier de la Couronne. A tous ces avantages, on pouvoit ajouter celui d'être en bonne intelligence avec les puiflances voifines. L'année précédente le Roi avoit fait une vifitea 1'Impératrice de Ruffie, pour s'aflu\ rer en perfonne des bonnes difpofitions de cette cour. Avant de partir le Roi déclara a tous les Colléges „ que par amour pour fes fujets & dans la vue d'afiurer le bonheur & l la tranquilité du Royaume, il avoit refolu „ de 1'avis du Sénat de rendre une v.fite am!M cale a 1'Impératrice de Ruffie ". L'Impératrice lui fit un accueil des plus duEe 4  C 44» > tingués & les fêtes les p!as brillantes fe fuccédèrent pour lui rendre le féjour de fa Capitale agre'able. — Le Roi revint a Stockholm vers le mois d'Aoüt dans un fuperbe Jagt, dont Sa Majefté Impériale lui avoit fait préfent. Outre ce Jagt on évalua a environ quatre cent mille roubles les divers préfents que cette Souveraine donna h fon illuftre hóte & a la fuite qui 1'accompagnoit. Enfin arriva 1'époque cü devoit s'aifembier la Diette. Le Roi en preiTa la Convocation; la Reine approchoit de fon terme, & Sa Majefté vouloit qu'elle accouchat pendant la tenue de la Diette, afin que les Etats puffent être parreins d'un enfant qui naitroit fous leurs yeux. 1'AlTemblée générale fut annoncée pour le 19 Sepcembre avec les cérémoniés accoutumées. Tout fut règlé pour cette Diette, fuivant 1'ordonnance donnée par Gufiave Adolphe en 1'année 1617. En confe'quence le Roi envoya le baton de Maréchal C*) au Général - Major Baron de Saltze; il lui fut porte en grande pompe par les Comtes de Brahé & de Löwenhaupt, dans les équipages du Roi & accompagnés de fa livrée. En le lui pre'fentant le Comte de (*} Cefatla premièie fois depuis le règne ce Guftave Adolphe, que le Roi avoit nommé le Chef de raflemfeiëe nationale.  C 441 > Brahé lui dit de la pare de Sa Majefté J „ Por„ tés-le a 1'ancienne manière Suédoife, c'eft' „ a-dire', pour 1'union du Roi & des Etats, „ pour le foutien des Loix & de la Liberté, „ & pour l'affermiflement de cette Conftitution, „ qui fait la flus grande force du Royaume, „ & fous laquelle 1'Ordre équeftre & la No„ blefle peuvent s'acquérir un nom immortel." Le Roi nomina auffi les Orateurs ou Préfiden$ 1 des trois autres Ordres (*). Le 30 8bre le Roi fit 1'ouverture de la Diette par un difeours , dans lequel après avoir fait le plus beau tableau de la fituation a&uelle du Royaume, il dit: „ Que „ malgré les dépenfes confidérables & les be„ foins urgens des fix dernières années, une „ prudente économie lui avoit permis de remettre le Royaume en bon état de défenfe , „ & de lui rendre fon ancienne fplendeur; il , „ ajoute, que ce n'eft point pour demander „ des fecours ou des fubfides, dont graces a „ la bonté fuprême il n'a pas befoin, qu'il a „ convoqué les Etats , mais uniquement pour „ fe réjouir avec eux de la fituation heureufe „ de la Patrie, pour les voir affemblés au temps „ de la délivrance de fon Epoufe, & enfin cn „ vertu de la déclaration qu'il en fit lui-même (*) Jufqu-ici chaque Ordre avoit nommé fon Orateur, mais ils en remirent ctix-mêmes la nomination au Koi, Ee 5  C 442 ) „ a la dernière féparation des Etats." II les prie de vouloir être parrains de 1'enfant auquel il efpère que la Reine va donner le jour, & il finit par dire: „ Si le ciel m'accor„ de un héritier de ma Couronne, puiffe-t'ü „ être digne de monter un jour fur le tróne de „ Guftave Erichfon (Vafa) & de Guftave A- „ dolphe S'il devoit jamais oublier, » que le premier devoir d'un Roi Suédois eji „ d'aimer & d'honorer un peuple libre, je re« s> garderois comme' une faveur du ciel qu'il „ le retirat a lui Je ferois inconfola- „ ble fi ma pofte'rité devoit Publier un jour après ma mort, que lorfque la Providence ,, 1'a mife a la tête d'un grand Royaume, elle „ lui a donnée en même temps des fujets ti* „ bres & généreux, dont la profpérite' & le bonheur font confiés a fes mains." Deux jours après 1'ouverture de la Diette la Reine accoucha d'un Prince; ce fut le premier héritier immédiat de la Couronne, qui naquit en Suéde depuis Charles XII; fa naiffance fut célébrée avec beaucoup d'éclat. On lui choifit pour nourrice une jeune payfanne de la Dalécarlie, Province dont les habitans fe font diA tingue's de tout temps par la force de leur corps & par 1'énergie de leur cara&ère. L'Archevêque d'üpfal le baptifa dans la Chapelle du Chateau, en prefence d'une députatipn des  C 443 ) quatre Ordres des Etats fes parreins, qui lui donnèrent le nom de Guftave Adolphe. Parmi quantité de marqués de joye que donnèrent les Suédois de la naiffance d'un héritier de la Couronne, quelques perfonnes fe diftinguèrent par la permiffion qu'ils demandèrent au Roi d'ouvrir fous fa prote&ion une foufcription par tout le Royaume pour 1'établiffement d'une nouvelle maifon d'éducation. Sa Majefté répondit: „ Que comme elle étoit d'intention „ de faire élever fon fits avec toute la follici„ iudepoffible, & avec toute la tendreffe d'un Vère, afin qu'étant monté fur le tróne de fes g ancêtres, il méritat 1'amour de fon peuple, elle n'a pu voir qu'avec fatisfaction & piai„ fir.que fes fidèles fujets veuillent témoigner " leur vive joye d'une manière fi digne d'eux, Z en préparant d'avance au Prinqe Royal un " heureux règne fur un peuple obéifiant & "„ généreux." Sa Majefté accorde donc &c. " Le Corps des Drabans envoya a cette occafion un préfent de 10 mille Dlrs. kpr. m. a la maifon des Enfans trouvés , fondée par les Francs-Maeons de cette Capitale. Les officiers aux gardes fondèrent une maifon d'éducation pour des jeunes militaires. Ces traits de bienfaifances pour célébrer un heureux événement, font bien plus d'honneur a une nation que 1'éredtion de froids monumens  C 444 D de marbre; qui ne parient qu'a 1'imagination; fans être d'aucunc utilite'. Les Etats firent pre'fent au Prince nouveau ne', leurfilleul, de 300,000 écus ou 18 tonnes d'or. Sa Majefté n'en accepta que les deux tiers, défirant que le 6* tonnes d'or reftantes fuflent deftinées a foulager dans la répartition des impóts, la clafie la plus pauvre de fes fujets. On accorda auffi au Roi dans cette Diette un don gratuit de 600 mille écus, ou 36 tonnes d'or, payab'esen 7 ans, dont 300 mille pour augmenter les revenus particüliers de Sa Majefté, 100 mille pour les fraix du baptême du Prince Royal & du mariage du Duc de Sudermanie, 100 mille en forme de préfent a Ia Reine, & ipo mille pour le Douaire de la Duchefle de Sudermanie. Cette fomme devoit être levée en Suéde & en Finlande, par Ie moyen d'une capitation de 4 efcalins. On continua au furplusles fubfides ordinaires pour un temps illimité. Ï779- La cloture de cette Diette fe fit le 26 Janvier. Sa Majefté, avec fon éloquence ordinaire, témoigna aux Etats, combien il fe trouvoit flatté de fe voir dans le cours de ce fiècle le premier Roi qui aye pu congédier des Etats libres, fans les voir opprimés ou fans être Pfprimes par- eux'. i\ fe nomme non-feule-  < 445 ) Went te Fondateur, mais auffi te Promoten? 6 \ïe Défenfeur de leur Liberté & des Loix. lil les remercia dans les termes les plus vifs, Les .fentimens d'amour & d'attachement qu'ils lui ont temoigne's, ainfi qu'a la Reine & a 1'hérijtier qu'elle lui a donnée pendant leur féance. til finit fon difeours en difant: „ Qu'il ne lui L refte d'autre vceu que de voir cet Enfant L mériter le nom de Guftave Adolphe, en remL pliflant fans cefle les devoirs qu'un nom fi L illuftre lui impofe." Une des réfolutions les plus remarquables de de cette Diette & qui fera toujours honneur au règne fous lequel elle a été prife; eft celle Iqui permet le libre exercice de réligion aux étrangers qui font établis ou qui s'établiront en Suéde, fous les reftrittions qui ont lieu dans tous les pays ou la même tolérance eft établie. La Cour de Rome envoya dans le courant de 1'annéefuivante, un Prélat chargé d'aider I a faire de concert avec le gouvernement un arrangement pour 1'exercice de la réligion Catholique. Le Comte Axel Ferfen, qui s'étoit demis depuis quelque temps de fa charge (*). de Senateur : fe diftingua dans cette Diette par une propofition tendante a de nouvelles inftru&ions pour C*) U demanda fa demiffion en qualité de SénateBf ' l'annêe 1773-  C440 Ia commiffion des revifeurs de la banque 3 elld rencontra d'abord beaucoup de difficultés, Ia plupart des membres crurent que ces inftructions trop limitées mettroient des entraves k 1'autorité royale, & borneroient le pouvoir dit Roi: mais ie Comte Ferfen plaida fa caufe avec tant de chaleur, & il futalleguer de fi bonnes raifons, qu'elles entrainerent a Ia fin ceux qui 11'avoient" pas été de fon avis & la propofition fut approuvée unanimement. Peu après la féparation de la Diette, les payfans repréfentans, étants revenus chez eux avec la nouvelle que le Roi, n'avoit pas eu égard aux Requetes qu'ils lui avoient prefentées pour recouvrer la permifiïon de brafler du brandevin chacun dans fa familie; les murmures éclaterent de tout cóté, principalement en Dalecarlie & dans la Smolande, oü l'on commit beaucoup de violences. Ces émeutes furent fomentées, & foutenues par quantité de libelles. II parut entre autres un écrit qu'on ofa inferer dans les papiers publics, & dont 1'auteur nommé Haldin, fe nommoit. La perfonne du Roi y étoit attaquée de la facon la plus indecente i la Cour de juftice le condamna aufii bien que 1'Editeur & 1'Imprimeur a quelques femaines de prifon au pain & a 1'eau, mais le Sénat ayant pris connoiiTance de cette affaire il fut condamné a perdre la tête. Lorfqu'on prefenta  IC 44? ) cette ftntence a Sa Majefté, il fit grace au coupable non feulement de la mort, mais aufii de la punition de 1'emprifonnement, ainfi qu'a 1'éditeur & a l'imprimeur. Ces gens ld , ditil , ont profités de la liberté de la preffe; il fit grace de la mort dans une pareille occafion, a un officier, mais il le fit mettre en même temps au pain & a 1'eau pour avoir mal parlé du Roi fon père. Cette magnanimité, dont le Roi donna fi fouvent des preuves depuis fon avenement au thróne ,lui gagna de plus en plus les cceurs de fes fujets; enclin a la clémence, il fait prefque toujours grace ou adoucit de beaucoup les peines infligées & ne fe montre inéxorable que lorfqu'il s'agit de punir 1'injuftice, ou bien lorfque les privileges des citoyens de quelque clafie qu'ils puiffent être font lezés. La guerre ayant éclatée entre la France, 1'A- *78°» mérique & 1'Angleterre, le Roi de Suéde, a la requifition du corps des négotians, refolut d'accorder des convois aux vaifleaux marchands ; précauticn d'autant plus néceffaire, que quelques unes des parties belligerantes enievoient les vaifleaux des puiffances neutres, fous prétexte que la Cargaifon'étoit deftinée ou appartenoit a leurs ennemis; la Cour de Stokholm s'en étoit déja plainte a celle d'Angleterre, reclamant les traités de 1661 & 1666. Mais celle-ci repon-  C 44§ ) dit par un article (*) de ces mêmes traités par laquelle elle elïaya de juftifier fa conduite. Onne-voulut point- reconnoitre cet article en Suéde, & l'on prétendit qu'il y avoit été-inferé après coup. Le Roi tacha d'engager le Dannemarc & !aRuffie, a joindre leurs forces aux fiennes pour faire refpectef leurs pavillons ; ces puiffances y accederent quant a la Baltique, & a cette partie de la mer du nord, qui baigne les cótes de leurs Royaumes'. La Suéde fut la feule, qui envoya des Convöis dans toutes les mers frequentées par les Vaiffeaux de fes commercans (f). Uneefcadrede 8 vaifleaux de guerre & 4 fregattes, fut équipée avec beaucoup de Gelerité' a Carlscrona, & fit bientót voile, fous les ordres du Contre-Amiral de Gerdten vers la mer du nord. Cette escadre fut fuivie d'autres vaifleaux deftinés pour la Mediterranée. Pour trouver une partie des fraix néceflaires a cet armément, i'im- C*) Voici cet article: fi Iicfïis bona in Confcéderati Navigio repériantur, quod ad hofiem pertinet, prcedse folummodo cedat, quod vero ad Confoederatum, ilico reftituatur. C'eft-a-dire: Si des cbofes appartesantes d Vennemifont trouve es dans le vaijeau dun Allié, la propriété de l'ennemi efl feule de bonne prife, &> ce qui Mppartient d l'Allié doit être immédiatement rejlitué. C t ) La Suéde livra pendant cette guerre une grande quantité de canon'de fer, d'afuts de fer , d'ancres ds voiles, &c. a 1'Amérique, ainfi qu'a la Hollande. '  '(. 449 3 I'impörtation des marchandifes étrangères fdt ehargée d'une augmentation de 5 pr. ct. En même temps parut une ordonnance par laquelle Sa Majefté' de'fendoit a fes fujets de profiter de la guerre pour faire un Commerce de contrebande dans les pays étrangers, mais leur permettoit la continnation d'un commerce libre, allure'par les traités aux puifiances neütres, leur prorriettant en ce cas 1'influence de la proteótion, qu'il étoit refolu de donner au commerce de fon Royaume. Cependant 1'Angleterre continuant h. enlerer tous les vaifleaux fans diftincïion de pavillon, 1'Impératrice de Ruffie après plufieurs vaines repréfentations fe joignit a la Suéde, pour engager toutes les puifiances neutres h former une conféderation tendante h la protection du commerce & & la liberté de la navigation, nonfeulement dans la Baltique, mais dans toutes les mers de 1'Europe & des deux Indes. Cette conféderation fut fignée entre la Ruffie, la Suéde & le Dannemarc le 9 Juin, de cette même année, a la Campagne du Comte de Bernftorf prés de Coppenhague. — C'eft cette fameufe neutralité armée fi belle dans fes motifs, & de fi peu de * confequence dans fes effets. La Ruffie y fournit 20 vaifleaux de ligne & frégattes : la Suéde & le Dannemarc chacun F f  C 45° > 16 vaifleaux & frégattes; — dans la fuite, la j Hollande, la Pruffe, 1'Empereur & le Roi de Naples s'y joignirent. De toutes ces puiffances la Sue'de fut celle qui agit avec le plus de vigueur, & qui fatisfit le plus energiquement au but de cette confe'de'ration; auffi le collége de commerce offrit au Roi, en reconnoif* fanee de la proteétion accorde'e, une taxe d'un demi écu par laft de chacun de leurs vaifleaux, pendant fix mois, ce qui produifit un fomme confidérable. i7gx. Le Roi paffa une grande partie de 1'été de 1'année fuivanté a Aix la Chapelle, dont on lui avoit ordonné les eaux, pour le rétabliffement de fa fanté, qui depuis quelque temps paroiffoit trés chancellante, les fatigues qu'il avoit efluyé dans les différens voyages, qu'il faifoit continuellement dans les provinces tant par mer que par terre, joint a l'activité avec laquelle il travailloit dans le cabinet avoient alterés fon temperament. Le féjour d'Aïx & de Spa le remirent effectivement. Au retour il prit fa route par la Hollande, & revint a Stokholm a la fin d'O&obre. 1782. A peine le Prince Royal eut-il été mis entre la main des hommes & fon éducation, confiée a Mr. le Senateur Baron de Sparre , que la Reine fe trouva encore enceinte. Elle acsoucha heureufement d'un Prince au mois  C 451 5 d'Aoüt; il fut nommé Charles Guftave Due de Smolande; cet heureux événement contribua a confoler la familie Royale de la perte, qu'ils avoient fait quelques femaines auparavant de la Reine Douariere, Princeffe qui poffedoit les qualite's les plus eminentes & qui fe diftingua par Ia magnanimité de fon caraótère, par 1'éle'vation de fon ame & par fon amour pour les fciences & les beaux arts. La joye occafionne'e par la nailTance d'un jeune Prince | qui par fa beauté' & la force de fa conftitution donnoit les plus belles efpe'rances, ne fut pas de longue durée, il mourut fept mois après avoir vu le jour. Le commencement de cette anne'e fut de ^83. nouveau marquée par une émeute dans la Dalecarlie, dont les habitans pouvoient moins fupporter que ceux des autres provinces la défencede brafler. Ils confide'roient cette prohibition comme une infraótion a leurs privileges^, & fouffroient reëllement par la cherté & la petite quantite' de brandevin, dont ils étoient obligés de fe contenter. Cette efpèce de revolte fut affez ferieüfe, on fut obligé d'envoyer un corps de troupes pour les mettre a la raifon, les principaux chefs furent faifis & punis, mais ori J ne put detruire avec eux le mecontement généi tal que ce droit devenu Regalien excitoit dang j tdut le Royaume. Ff 3  Cette année fut remarquable par 1'entre* vue, qu'eut Sa Majefté Suédoife avec 1'Inv» pérarrice de Ruffie a Frédericksham petite ville & port de la Baltique, fur les confins de la Finlande Ruffe & Suédoife. Les projets de rimpératrice par rapport a la Crimée & a la navigation de la mer noire démandoit qu'elle s'alTurat du cóté de la Suéde, d'un Monarque dont les, forces maritimes devenoient refpectables , & dont 1'armée de terre étoit en bon état. Elle redoutoit un voifin qui guidé par fon ambition , ou par 1'influence du Cabinet de Verfailles (avec lequel elle connoiffoitfes liaifons intimcs), auroit pu lui fufciter des obftacles , en faifant une invafion dans une province, qu'il n'auroit peut-être pas été faché de reconquerir. Le Roipartit pour la Finlande au commencement de Juin pour y faire la revue des troupes de ce Duché. II eut le malheur de fe cafler le bras en tombant de fon cheval, qui s'effraya du feu d'une décharge a un exercice qu'il commandoit lui-même. Cet accident retarda de quelques jours 1'entrevue que Sa Majefté Czarienne lui avoit fait propofer; elle s'effectua cependant le 29. Les trois jours que LL. MM. y paflerent enfemble furent marqués par des fêtes continuelles. 1'Impératrice avoit fait élèver a Fredriksham un Palais de bois riche-  C 453 ) ment orne' & meublé, contenant un trèsbeau théatre oü une troupe Frangoife, qu'elle avoit amene'e donnoient tous les foirs des repréfentatlons. Le Roi fit a 1'Impératrice les promefles les plus pofitives d'une exacte neutralité. Le 4 Juillet le Roi revint a Stockholm, entièrement guéri de Ia fraéture de fon bras. La bourgeoifie de cette Capitale, pour témoigner la joye qu'elle reflentoit de 1'heureux retour & de la guérifon de fon Monarque, confacra une fomme de 4 mille Ryxdl. pour entrenir a perpétuité a 1'Hopital Royal quelques lits, oü l'on guérit gratis les fraótures des bras & des jambes de ceux qui veulent s'y faire tranfporter. Ces lits furent nommés Lits de Loutais, en mémoire du Camp de Loulais, oii 1'accident étoit arrivé. Dans les différens voyages que le Roi avoit fait en Finlande, il s'étoit appergu que la diftribution du gouvernement de cette Province en 4 diftricts n'étoit point en proportion avec fa grande étendue, & qu'une feule Cour de Juftice établiea Abo, n'étoit pas fuffifante pour le nombre de fes habitans, qui, vu 1'éloignement oü plufieurs d'entr'eux fe trouvoient de cette ville, leur caufoient quelquefois des fraix exorbitans pour s'y tranfporter & donnoit lieu a quantité d'abus. ïl réfolut de diyifer la Finlande en fix GouverneFf 3.  ( 45^ > mens & d'e'tablir une feconde Cour de Juftice a Vafa. Cette cére'monie fe fit avec beaucoup d'apparat a Stockholm. Le Roi & la Reine y parurent avec tout 1'éclat de la Royauté, accompagne's de la familie Royale & d'une Cour brillante. Le difeours que le Roi y prononca y après en avoir inftallé les membres, fut éloquent & énergique: je n'en rapporterai que quelques traits , „ Lorfqu'a 1'exemple de „ mes ancêtres, dit-il, & fuivant les Loix de » 1'Etat, j'ai parcouru le Royaume après mon facre; mon principal foin a été de foulager le peuple des Provinces que j'ai traverfées. s> — L'exacte adminiftration de la Juftice a „ principalement fixé mon attention. — Le „ Juge inique & corrompu n'a pas été épar„ gné. ig Que la balance refte toujours égale „ entre vos mains, & que 1'orphelin pauvre Sc * perfécuté trouve des proteéteurs en vous „ contre le riche injufte & puiflant. Protégés t> furtout cette clafie de Concitoyens, fi peu „ refpeftée & cependant fi refpeélab'e, qui nourrit & qui défend 1'Etat. — Conferve's SJ avec foin les droits de la Noblefie, mais ne „ fouffrés pas qu'elle opprime le peuple." — Vers la fin d'Aoüt Sa Majefté déclara au Sénat, que par 1'avis de fes Me'decins il étoit réfolu de pafler 1'hyver fous un climat plus doux que celui de la Suéde, & qu'en confé-:  C 455" ) : quence il étoit d'intention de partir bientót : pour 1'Italie, oü on lui avoit confeillé de preni dre les bains de Pife, pour achever entière! ment la guérifbn de fon bras, auquel il reffentoit fouvent des grandes douleurs. Avant fon depart il prelTa avec beaucoup d'aótivité 1'armement d'une petite efcadre d'obfervation, qui s'équippoit a Carlscrona; elle fut prête au mois de Septembre. Dans le commencement d'Oótobre Sa Majefté fe mit en route. Pour fubvenir aux fraix de I ce voyage, le Roi négotia une fomme confidé'i rable, hypothequée fur les revenus des braffeI ries Royales de Brandevin. Quelques femaines après le depart du Roi, il la Banque remit, tout d'un coup, dans la dril culation pour 150 mille Ryxdl. en papier (*). Sa Majefté ayant paffe' tout 1'hyver & le prin•I temps d'enfuite en Italië, d'abord a Pife oü I il fit ufage des bains , puis a Rome, Naples, j| Florence, Genes, Venife, &c. arriva a Paris 1! au commencement du mois de Juin 1784; il 1784. I y refta jufquIaJa fin de Juillet. La Cour & la ville s'empreffèrent de fëter cet ancien allié de i la France. — S'il y paffa fon temps en plaifirs I & en fpedtacles, il ne négligea point fes inté- C*) Voyez pag. 234 oü font (jléduites les raifons qu'aJr | légua la Banque, Ff 4  C 474 3 nombreux, on y comptoit les'premiers membres de 1'Etat & les Miniftres. Les Adherens de la Reine Douarière partageoient avec elle k Friedensbourg la tranquilité & Ia folitude de la retraite. Quelques jeunes gens qui croyoient voir dans la jeuneffe, Ia beauté, & les agrémens de la - Reine Mathilde, fa future reconciliation avec Ie Roi, paroiffoient s'attacher a elle, mais étant fans reffources, fans cönfidération, & fans cette expérience fi néceffaire dans les intrigues de Cour, la jeune Reine ne pouvoit leur donner fa confiance; elle s'étoit formée tout un autre plan , plus propre k parvenir a fes fins. Cette Princeffe étoit d'un cara&ère aftif & decidé; elle fe feritoit humiliée du röle peu intéreffant auquel elle fe trouvoit reduite, & comprenoit que le feul moyen pour recouvrer Ta cönfidération due k fon rang, étoit de regagner la confiance du Roi; elle connoiffoit affez la carte pour être perfuadée, qu'il lui feroit impofiiblederéuffir auffi lóngtemps que le Comte de Holk refteroit en faveur; la perte de ce favori fut donc refolue. Elle commenca par employer tous fes foins & tous fes talens pour plaire au Roi; plufieurs circonftances fe réunirent en fa faveur. Le Comte de Holk, craignant de perdre fon afcendant fur le Roi faifoit de fon mieux pour fomenter 1'éloignement qai ayoit lieu entre