2128 7221 UB AMSTERDAM  SUPPLÉMENTS A L'HISTOIRE P HIL OSOPHIQUE. TOME SECOND.   SUPPLÉMENTS A L'HISTOIRE PHILOSOPHIQUE E T POLITIQUE Des Etablijfements & du Commerce des Européens dans les deux Indes* TOME SECOND, A LA H A TE. M, DCC. L X X X I.   y T A B L E DES ï N D I C A T I O N S. LIVRE SEPTIEM E. jF Eut-on applaudir aux conquêtes des Efpagnols dans le Nouveau-Monde? Page i Exiravagances & cruautés qui marquent les premiers pas des Efpagnols dans VAmérique méridionale, 3 On donne aux Efpagnols la première notion du Pérou, 7 Trois Efpagnols entreprennent la conquête du Pérou, fans aucun fecours du Gouvernement, 10 Comment Pizarre, chef de V expêdiüon, fe rend maitre de VEmpire, 13 Suppl. Tome II. *  Vj T A B L E Origine, religion, gouvernement, mceurs & arts du Pérou, aCarrivée des Efpagnols, 19 Lafoumijjion du Pérou eftV époque des plus fanglantes divifions entre les conquérants, 30 Un vieux Prêtre fait enfin finir l'effu/ïon du fang Efpagnol, 35 Notions fur le Darien. Cette contrée étoit-elle digne de divifer les nations? 41 Etendue, climat,fol, fortifications, port,po. pulation, mceurs, commerce de Carthagene, 43 Caufes de Voübli ou efl tombée la Province da Sainte-Marthe, 48 Premiers événements dont le pays de Venezuela fut le thédtre, 50 Le cacao a toujours fixé les yeux de FEfpagns fur Venezuela, 52. La Province de Venezuela eft mife fous le joug du monopole. Profpérités de la compagnie, 56 La Cour de Madrid abandonne Cumana aux foins de Las Cafas. Travaux infruStueux de eet homme cèlebre pour rendre la contrée floriffante, 6<  DES I ND IC ATI O NS. vij Du fleuve Orénoque, 69 Quelle fut la condition des femmes fur les bords de VOrénoque, & quelle elle efl encore, Etat de la colome Efpagnole, formée fur les rives de VOrenoque, jj Courte defcription du nouveau Royaume de Grenade, y.^ Ce qua étê le nouveau Royaume de Grenade, ce qiïü eft, & ce qiCil peut devenir, 81 Singularités remarquables dans la Province de Quito, 85 Le pays de Quito efl très-peuplé, & pourquoi. Quels font les travaux de fes habitants, 89 Le quinquina vient de la Province de Quito. Confidérations fur ce remede, 91 DigreJJion fur la formation des montagnes,gs Organifation phyfique du Pérou propre, 102 En quoi different les montagnes, les plaines £5? les vallées du Pérou, 105 En quel ét at efl maintenant le Pérou, 114 Defcription des mines du Pérou, & fpéciale- tnent de celles de plat ine & de mercure ,125 a 2  viij T A B L E Renverfement & réédification de Lima. Mceurs de cette capitale du Pérou, 144 Les Efpagnols ont fubflitué la route du détroit de Magellan & du cap de Hom a celle de Panama, 156 Le Pérou eft il aujfi riche qu'il Vétoit autre- fois, 161 LIVRE H U I T I E M E. Les Européens ont-ils été en droit de fonder des colonies dans le Nouveau-Monde ? 163 Premières irruptions des Efpagnols dans le Chily, j67 Les Efpagnols ont été réduits a combattre continuellement dans le Chily. Maniere dont leurs ennemis font la guerre, 16y Etabliffements formés dans le Chily par les Efpagnols, ï?0 Fertilité du Chily, & fon état aSluel, 174 Commerce du Chily avec les Sauvages, avec Ie Pérou & avec le Paraguay, 176  DES ÏNDICATIÖNS. ix Les Efpagnols découvrent le Paraguay. Extravagance de leur conduite pendant un pech, 182 Ceux des Indiens qui ne veulent pas fubir le joug de VEfpagnefe refugient au Chaco ,185 Les Efpagnolsparviennent a fonder trots grandes Provinces. Ce qui efl propre èt chacune d'elles, 187 De la capitale du Paraguay & des difficultés que doivent furmonter les navigateurs pour y arriver, 190 Innovation heureufe qui doit améliorer le fort du Paraguay. 198 Principes fur lefquels les Jéfuites fonderent leurs miffions du Paraguay, 199 Examen des reproches faits aux Jéfuites touchant les miffions, 205 Les peuples étoient-ils plus heureux dans ces mijfions, & ont-ils regretté leurs légiflateurs? 210 Mefures préliminair es prifes par la Cour d'Efpagne pour le gouvernement de ces miffions? in *3  * TABLE Peuples qui habitent ÏAmérique Efpagnole; & premiéremem les Chapetons, 214 LesCréoles, Les Mét is, 2Ï$ Les Ne gr es, 217 Ancienne condition des Indiens, il avoit emprunté des fomrnes confidérables aux Velfers d'Ausbourg, alors les plus riches négociants de 1'Europe. Ce Prince leur offrit en payement la Province de Venezuela, & ils 1'accepterent comme un fief de la Caftille* On devoit croire que des marchands, qui devoient leur fortune a 1'achat & k la vente des produétions territoriales, établiroient des cultures dans leur domaine. On devoit croire que des Allemands élévés au milieu des mines feroient exploiter celles qui fe trouveroient fur la conceffion qui leur étoit faite. Ces efpérances D 2,  XIII. Le cacao s toujours iixeles yeus Sa SUPPLÉMENTS fürent entiérement trompées. Les Velfers n'embarquerent pour le Nouveau-Monde que quatre ou cinq cents de ces féroces foldats que leur patrie commencoit a vendre a quiconque vouloit & pouvoit payer leur fang. Ces vils ftipendiaires porterent au - dela des mers le goüt du brigandage qu'ils avoient contracté dans les différentes guerres oü ils avoient fervi. Sous la conduite de leurs chefs, Alfinger & Sailler, ils parcoururent un pays immenfe , mettant les fauvages a la torture, & leur déchirant le flanc pour les forcer a dire oü étoit leur or. Des Indiens, entrainés & chargés de vivres, qu'on mafïacroit a 1'inftant oü ils tomboient de fatigue, fuivoient cette troupe barbare. Heureufement la faim, la fatigue, les fleches empoifonnées délivrereht la terre de cet odieux fardeau. ■ Les Efpagnols fe remirent en pofleflion d'un fol dont les Velfers ne vouloient plus, & leur conduite ne fut guere différente de celle qui venoit de caufer tant d'horreur. Leur Commandant Carvajal paya, il eft vrai, de fa tête fes atrocités : mais ce chatiment ne rappella pas du tombeau les viétimes qu'on y avoit plongées. De leurs cendres fortirent avec le temps quelques produétions dont le cacao fut la plus importante. Le cacaoyer eft un arbre de grandeur moyenne , qui poufle ordinairement de fa racine cinq ou fix troncs. Son bois eft blanc, caflanc & lé-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 53 ger; fa racine rouflatre & un peu raboreufe. A mefure qu'il croit, il jetce des branches inclinées, qui ne s'étendenc pas au loin. Ses feuiiles font alternes, ovales, terminées en pointe. Les plus grandes onc huk a neuf pouces de longueur fur trois de largeur. Elles font toutes portées fur des pédicules courts, applatis & accompagnés a leur bafe de deux membranes ou ftipules. Les fleurs naiflènt par petits paquets le long des tiges & des branches. Leurcalice eft verdatre h cinq divilions profondes. Les cinq pétales qui compofent la corolle font petits, jaunes, renflés par le bas, prolongés en une laniere repliée en are, & élargie a fon extrémicé. Ils tienrent a une gaine formée par l'aflèmblage de dix filets dont cinq portent des étamines. Les cinq autres intermédiaires font plus longs & en forme de languette. Le piftil, placé dans le centre & furmonté d'un feul ftyle, devient une capfule ovoïde & prefque ligneufe, longue de fix a fept pouces, large de deux, inégaleafafurface, relevée de dix cötes, féparée intérieurement en cinq loges par des cloifons meinbraneufes. Les amandes qu'elle contient au nombre de trente & plus, font recouvertes d'une coque cafiante & enveloppées d'une pulpe blauchatre. Ces amandes font la bafe du chocolat, dont la bonté dépend de la parcie huileufe qu'elles contiennent, & conféquemment de leur parfaite D 3 de l'Efpagne? fur Venezuela,  54 SUPPLÉMENTS maturité. Oncueille lacapfule,lorfqu'aprèsavo"r paflë fucceflivement du verd au jaune, elle acquierc une couleur de mufc foncé. On la fend avec un couteau , & l'on en fépare toutes les amandes enveloppées de leur pulpe, que l'on entafle dans des efpeces de cuves pour les faire fermenter. Cette opération détruic le germe & enleve Phumidité furabondante des amandes que l'on expofe enfuite au foleil fur des claies pour achever la deflication. Le cacao ainfi préparé fe conferve aflez long-temps, pouvu qu'il foit dans un lieu fee : mais il n'ell pas avantageux de le garder, paree qu'il perd en vieilliffant une partie de fon huile & de fa vertu. Le cacaoyer vient aifément des graines que l'on feme dans des trous alignés, a la diflance de cinq ou fix pieds les uns des autres. Ces graines, qui doivent être très-fraiches, ne tardent pas a germer. L'arbre s'éleve aflez promptement, & commence a récompenfer les travaux du cultivateur au bout de deux ans. On fait chaque année deux récoltes qui font égales pour la qualité & pour 1'abondance. Cet arbre veut un terrein gras & humide, qui n'ait point été employé a une autre culture. Si 1'eau lui manque, il cefle de produire, fe deflèche, & périr. Un ombrage qui le garanthTe continuellement des ardeurs du foleil ne lui eft pas moins néceïïaire. Les champs des cacaoyers font encore fujets a être dévaftés  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 55" par les ouragans, fi l'on ne prend la précaution de les entourer d'une lifiere d'arbres plus robuftes, a 1'abri defquels ils puifient profpérer. Les foins qu'ils exigent d'ailleurs ne font ni pénibles, ni difpendieux. II fuffit d'arracher les herbes qui les priveroient de leur nourriture. Le cacaoyer eft cultivé avec fuccès dans plufieurs contrées du Nouveau-Monde. I! croit même naturellement dans quelques-unes. Cependant fon fruit n'efl: nulle part aufli abondant qu'a Venezuela. Nulle part, fi l'on en excepte Soconufco, il n'eft d'aufli bonne qualité. Mais, pendant deux fiecles, les travaux de Ia eolonie ne tournerent pas au profit de fa métropole. Le commerce national étoit tellement furchargé de droi»s, tellement embarraffé de formalités, que la Province trouvoit un grand avantage a recevoir des mains des Hollandois de Curacao toutes les marchandifes dont elle avoit befoin, & a leur donner en payement fa production que ces iufatigables voifins vendoient avec un bénéfice énorme a une partie de 1'Europe, mêine au peuple propriétaire du terrein oü elle étoit récoltée. Ces' liaifons interlopes étoient fi vive« & fi fuivies, que, depuis 1700 jufqu'a la fin de 1727, il ne fut expédié des ports d'Efpagne pour Venezuela, que cinq navires qui, fans exception, firent tous un voyage plus ou moins ruijieux. D 4  XfV. La Province de Venezuela eft mife fous le joug du monopole.Profpéritéi de la compagnie. 56 SUPPLÉMENT S Tel étoit 1'étac des chofes, lorfque quelques négociants de la Province de Guipufcoa jugerent, en 1728, qu'il leur feroit utile de feréunir pourentreprendre cette navigation. Le Gouvernement approuva & encouragea ces vues. Les principales conditions de 1'oétroi furent que la compagnie payeroit pour tout ce qo'elle voudroit envoyer, pour tout ce qu'elle puurroit recevoir, les impóts déja établis, &qu'èlle entretiendroit a fes fraix un nombre de garde-cótes fufiifant pour préferver le pays de la contrebande. II fe fit fuccefllvement quelques changements dans le régime de ce corps. On ne 1'avoit d'abord autorifé qu'a envoyer deux navires chaque année. La liberté d'en expédier autant qu'il lui conviendroit, lui fut accordé en 1734. Dans les premiers temps, la compagnie ne jouiflbit pas d'un privilege exclufif. Le Gouvernement le lui accorda, en 1742, pour le département de Caraque, & dix ans après pour celui de Maracaybo, deux territoires dont la réunion forme la Province de Venezuela qui occupe quatre cents milles fur la cóte. Jufqu'en 1744, les vaiflèaux, a leur retour du Nouveau-Monde , devoient tous dépofer leur cargaifon entiere dans la rade de Cadix. Après cette époque, leurs obligations fe réduifirent a y porter le cacao néceffaire a 1'approvifionnenient  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 57 de 1'Andaloufie & des contrées limitröphes. On confendt que le refte fut débarqué a Saint-Sébaftien, berceau de Ia compagnie. C'étoit dans cette ville que fe tenoit originairement Fafiemblée générale des intéreiTés. En i75i,on la transféra dans la capitale de 1'Empire, oü tous les deux ans elle eft préfidée par quelqu'un des membres les plus accrédités du Confeil des Indes. Les marchandifes étoient Iivrées a 1'acheteur qui en offroit un plus haut prix. Un mécontentement univerfel avertit la Cour qu'un petie nombre de riches aflbciés s'emparoient du ca.cao, regardé en Efpagne comme une denrée de première néceflité, & le vendoient enfuite touc ce qu'ils vouloienr. Ces murmures flrent régler, en 175a , que, fans fupprimerlesmagafinsécablis a Saint-Sébaftien, a Cadix & a Madrid, on en établiroit de nouveaux a la Corogne, a Alicante, a Barcelone, & que dans tous le cacao feroit diftribué en détail aux citoyens, aux prix fixé par le Miniflere. La compagnie obdnt, en 1753, que fes actions feroient réputées un bien immeuble, qu'oa pourroit les fubftituer a perpétuité, & en former ces majorats inaliénables & indivifibles qui flattent fi généralement la fierté Efpagnole. On ftatua, en 1761, que la compagnie avanceroit aux aflbciés qui le defireroient la \«leur D 5  53 SUPPLÉMENTS da feize aclions; que ces eiTets feroient mis en dépöt, & qu'on pourroit les vendre, 11 après un temps convenu le propriétaire ne les retiroit pas. Le but de cette fage difpofition étoit de fecourir ceux des intétefles qui auroient quelque embarras de leurs affaires, & de maintenir par des moyens honnêtes le crédit de 1'alTociation. Par des arrangements faits en 1776, les opérations de la compagnie doivent s'étendre a Cumana, a 1'Orénoque, a Ia Trinité, a la Marguerite. On n'a pas, il eft vrai, affervi ces contrées a fon monopole : mais les faveurs qu'elle a recues font équivalentes a un privilege exclufif. Pendant ces changements, les hommes libres & les efclaves fe multiplioient a Venezuela. Les fept cents cinquante-neuf plantations diftribuées dans foixante-une vallées fortoient de leur langueur, & il s'en formoit d'autres. Les anciennes cultures faifoient desprogrès,& l'on enétabliffoit de nouvelles. Les troupeaux avancoient de plus en plus dans Fintérieur des terres. C'étoit principalement dans le diftriét de Caraque que les améliorations étoient remarquables. La ville de ce nom comptoit vingt-quatre mille habitants, la plupart aifés. La Guayra qui fervoit a fa navigation, quoique ce ne fut qu'un mauvais mouillage entouré d'un petit nombre de cacane», devenoit peu-a-peu une peuplade con-  A L'HIST. PHILOSOPMIQUE. 59 fidérable, & même une afiez bonne rade par Ie moyen d'un grand mole conftruit avec intelligence. Puerto Cabello , enriérement abandonné, & cependanc un des meilleurs portsde 1'Amérique, voyoit s'élever trois cents maifons. EfTayons de démêler les caufes de cette finguliere profpérité fous le joug du monopole. La compagnie comprit de bonne heure qne fes fuccès feroient inféparables de ceux de Ia colonie, & elle avanca aux habitants jufqu'a 3,240,000 livres fans intérêt. La dette devoit être acquittée en denrées, & ceux qui manquoient k leurs engagements étoient traduits au tribunal du répréfentant du Roi, qui jugeoit feul fi les caufes du retard étoient ou n'étoient pas légitimes. Les magafins de Ia compagnie furent conftamment pourvus de tout ce qui pouvoit être utile au pays, conftamment ouverts a tout ce qu'il pouvoit livrer. De cette maniere, les travaux ne languirent jamais faute de moyens oupardéfaut de débouchés. La valeur de ce que Ia compagnie devoit vendre, la valeur de ce qu'elle devoit acheter, ne furent pas abandonnées h la rapacité de fes agents. Le Gouvernement de la Province fixa toujours le prix de ce qui arrivoit d'Europe; & une affemblée compofée des adminiftrateurs, des co-  6o MJPPLÉMENTS lons & des fadteurs décida toujours du prix des produéïions du fol. Ceux des habitants du Nouveau-Monde qui n'étoient pas contents de ce qui étoit réglé , eurent la liberté d'envoyer dans 1'ancien, pour leur propre compte, Ia fixieme partie de leurs récoltes, & d'en retirer le produit en marchandifes, mais toujours fur les navires de la compagnie. Par ces arrangement*, Ie cultivateur fut mieux récompenfé de fes fueurs qu'il ne 1'avoit été au temps du commerce interlope. Ce nouvel ordre de chofes ne fut réellement funefte qu'a un petit nombre d'hommes intriguants, aótifs & hardis , qui réuniflbient a vil prix dans leurs mains les produftions du pays pour les livrer a un prix beaucoup plus confidérable a des navigateurs étrangers du même caractere qu'eux. Le nouveau Royaume de Grenade, le Mexique, quelques ifles d'Amérique & les Canaries étoient dans 1'ufage de tirer de Venezuela une partie du cacao que leurs habitants confommoient. Ces colonies continuerent a jouir de leur droit fans gêne. Elles 1'exercerent même plus utilement, paree que la production qu'elles cherchoient a fe procurer devint plus abondante, & fut obtenue a meilleur marché. Autrefois Venezuela ne fourniffoit rien au commerce de la métropole. Depuis fon origine, la  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 6t compagnie lui a toujours livré des produótions dont la maflè s'eft accrue fucceffivement. Depuis 1748 jufqu'en 1753 , la compagnie porta tous lesans dans la colonie pour 3,197,327 livres en marchandifes. Tous les ans elle en retira 239,144 livres en argent; trente-fept mille quintaux de cacao, qu'elle vendu 5,332,000 livres; deux mille cinq cents quintaux de tabac qu'elle vendit 178,200 livres; cent cinquante-fept quintaux d'indigo qu'elle vendit 198,990 liv., vingt-deux mille cuirs en poil qu'elle vendit 356,400 liv.; du dividi qu'elle vendit 27,000 livres: de forte que fes retours monterent a 6,831,734 liv. Le bénéfice apparent fut donc de 3,634,407 livres. Nous difons apparent, paree que fur cette fomme les fraix & les droits confommerent 1,932,500 livres. La compagnie n'eut de gain réel que 1,701,897 livres. Toutes ces branches de commerce ont recu de 1'augmentation, excepté celle du dividi, qu'il a fallu abandonner, depuis qu'on a reconnu qu'il n'étoit pas propre a remplacer dans les teintures la galle d'Alep , comme on 1'avoit cru un peu légérement. L'extenfion auroit été plus confidérable, fi l'on eüt réufli a interrompre les liaisons interlopes. Mais malgré la vigilance de dix Mtiments croifeursavecquatre-vingt-fix canons, cent quatre-vingt-douze pierriers, cinq cents dix-huit hommes d'équipage; malgré douze pof-  6a SUPPLÉMENTS tes de dix ou douze foldats chacun établis fur la cóte; malgré la dépenfe annuelle de 1.400,000 liv.; la contrebande n'a pas été entiérement ex« tirpée, & c'efl: a Coro qu'elle fe fait principalement. La nation s'eft également bien trouvée de 1'établilTement de la compagnie. Elle ne lui paye le cacao que la moitié de ce que les Hollandois le lui vendoient. Le quintal, qu'on obtienc aujourd'hui en Efpagne pour cent foixante livres, en coütoit autrefois trois cents vingt. Les avantages que le Gouvernement retire de la création de la compagnie ne font pas moins fenfibles. Antérieurement a cette époque , les revenus de la Couronne a Venezuela n'y étoienc jamais fuffifants pour les dépenfes de fouveraineté. Depuis, elles ont beaucoup augmenté, & paree qu'on a conftruitla citadelle dePuerto Cabello, qui a coüté 1,620,000 livres, & paree qu'on eutretient dans le pays un plus grand nombre de troupes régulieres. Cependant, le fifc a un fuperflu qu'il fait refluer a Cumana, a la Marguerite, a la Trinité & fur 1'Orénoque. Ce n'eft pas tout. En Europe, les denrées de la colonie payent annuellement a 1'Etat plus de 1,600,000 livres, & la navigation qu'elles occafionnent lui forme quinze cents matelots, ou les lui tienc toujours en aétivité. Mais la compagnie même a-t-elle profpéré ?  A L/HIST. PHILOSOPHIQUE. 63 tout, dans les premiers temps, portoit a douter, li elle auroit jamais une exifïence heureufe. Quoique les colons eufTent le droit d'en être membres , ils refuferent d'abord de lui livrer leurs produétions. En Efpagne , oü une aflbciation comniercance étoit une nouveauté, on ne s'emprefTa guere de s'y faire infcrire, malgré 1'exemple qu'en avoient donné le Souverain, la Reine, 1'Infant Don Louis, & la Province du Guipufcoa. II fallut réduire a quinze cents le nombre des actions qu'il avoit étê réfolu de porter a trois mille; & le capital qui devoit être de fix millions fut réduit a trois. Ces contrariétés n'empêcherent pas qu'on ne fit aux intéreffés des répartitions contidérables, même dans les premiers ans. Les fommes en réferve fe trouverent pourtanc fuffifantes, en 1752, pour doublerles fonds primitifs, & pour les tripier, en 1766, avec un intérêt régulier de cinq pour cent, fans compter les dividendes extraordinaires. Au premier Janvier 1772, la compagnie, même en y comprenant la valeur des aélions qui s'étoit élevée a 9,000,000 livres, ne devoit que 15,198,618 livres 12 fols, & elle avoit 21,153,760 1. 4 f. C'étoit donc 5,955,141 liv. 12 fols qu'elle avoit de plus qu'elle ne devoit. Le mauvais efprit qui regne généralemenc dans les fociétés exclufives, n'a pas autant infecté «elle de Caraque que les autres. Des encrepri-  64 SUPPLÉMENTS fes folies ne 1'onc jamais jettée hors de fes mefures. Sa bonne foi 1'a préfervée de tout procés, de la conteflation même la plus légere. Pour ne pas expofer fon fort aux caprices de POcéan, au malheur des guerres, elle a fait conflamment aflurer fes cargaifons. Une fidélité inviolable a fuivi fes engagements. Enfin, dans une région oüla plupart des terres font fubftituées, & oü il y a peu de bons débouchés pour 1'argent, elle a obtenu a deux & demi pour cent tout celui que fes befoins demandoienc. Pour fe ménager la bienveillance de la nation, ^énéralement refufée par-tout au monopole, la compagnie a toujours voulu paroitre animée d'un efprit public. Dès 1735, elle fe chargea des atteliers de Placencia qui fourniffoient a peine huit mille fufils chaque année , & qui , fans compter quelques autres armes qu'on a commencé a y fabriquer, en donnent acïuellement quatorze mille quatre cents avec leurs platines qu'auparavant ü faïloit tirer de Liege. Quoique durant la courte guerre de 1762, la compagnie eüt vu tomber dans les mains des Anglois fix de fes navires richement chargés, elle ne laiffa pas de confacrer au Gouvernement tout ce qu'elle pouvoit avoir de crédit & de puifTance. Les bois de conflruétion périffoient dans la Navarre. II falloic les couper. II falloic pratiquer des routes pour les trainer fur les bords de la VidalToa. II falloic  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 65 falloic rendre cette riviere capricieufe propre a les porter a fon embouchure. II falloit les conduire enfuite a 1'important port du Ferrol. Depuis 1766, la compagnie exécute toutes ces chofes avec un grand avantage pour la marine militaire. Ce corps ne ceflè d'annoncer d'autres entreprifes utiles a la monarchie. II efl: douteux fi on lui laifièra le temps de les exécuter. Le parti que paroit avoir pris la Cour de Madrid, d'ouvrir tous fes ports du Nouveau-Monde a tous fes fujets de Tanden, doit faire préfumer que Ia Province de Venezuela cefiera, un peu plutót, un peu plus tard, d'être dans les liens du monopole. La difiblution de la compagnie fera-t-elle un bien, fera-t-elle un mal? Les bonnes ou mauvaifes combinaifons que fera le Miniftere Efpagnol réfoudront le problême. La cöte de Cumana fut découverte, en 1498, par Colomb. Ojéda, qui étoit embarqué avec ce grand navigateur, y aborda 1'année fuivante , & y fit même afièz paifiblement quelques échanges avec les fauvages. II parut plus commode aux aventuriers qui le fuivirent, de dépouiller ces hommes foibles de leur or ou de leurs perles ; & ce brigandage étoit aufli commun dans cette contrée que dans les autres parties de 1"Amérique, lorfque Las Cafas entreprit d'en arrêter le Cours. Suppl. Tome II. E xv. La Cour de Madrid abandonne Cumana aux foins de Las Cafas. Travaux inEructueuxde cet homme célebre Jour rendre la contrée ïöriffante.  66 SUPPLËMENTS Cet homme fi célebre dans les annales da Nouveau-Monde, avoit accompagné fon pere, a lepoque même de la découverte. La douceur & la fimplicité des Indiens le frapperent a tel point, qu'il fefit Eccléfiallique pour travaiilera leur converfion. Bientöc ce fut le foin qui 1'occupa le moins. Comme il étoit plus homme que Prêtre, il fut plus révolté des barbaries qu'on exercoit contre eux, que de leurs folies fuperliïtions. On le voyoit continuellement voler d'un hémifphere a 1'autre pour confoler des peuples chers a fon cceur , & pour adoucir leurs tyrans. L'inutilité de fes efforts lui fit enfin comprendre qu'il n'obtiendroit jamais rien dans les établifiements déja formés , & il fe propofa d'établir une colonie fur des fondements nouveaux. Ses colons devoient être tous cultivateurs, artifans ou miffionnaires. Perfonne ne pouvoit fe mêler parmi eux que de fon aveu. Un habit particulier, orné d'une croix, empêcheroit qu'on ne les prit pour être de la race de ces Efpagnols qui s'étoient rendus fi odieux par leurs barbaries. Avec ces efpeces de Chevaliers, il comptoit réuflir fans guerre, fans violence & fans efclavage, a civilifer les Indiens, h les convertir, a les accoutumer au travail, a leur faire exploiter des mines. II ne demandoit aucun fecoursau fifc dans les premiers temps, & il fe contentoit  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 67 pour la fuite du douzieme des cributs qu'il y feroit tót ou tard entrer. Les ambitieux qui gouvernent les Empires, confommenc les peuples comme une denrée, & traitenc toujours de chimérique tout ce qui tend a rendre les hommes meilleurs ou plus heureux. Telle fut d'abord 1'impreflion que fit, fur leMiniftere Efpagnol, Ie fyfteme de Las Cafas. Les refus ne le rebuterenc poinc, & il réuflit a fe faire affigner Cumana, poury réduire fa théorie en pratique. Ce génie ardent parcourt auffi-töt toutes les Provinces de la Caflille, pour y lever des hommes accoutumés au travail des champs, a celui des atteliers. Mais ces citoyens paifibles n'onc pas la même ardeur, pour s'expatrier, que des ibldats ou des matelots. A peine en peut-il déterminer deux cents a le fuivre. Avec eux, il fait voile pour 1'Amérique , & aborde a PortoRico en 1519, après une navigation aflèz heureufe. Quoique- Las Cafas n'eut quitté Ie nouvel hémifphere que depuis deux ans, a fon retour la face s'en trouvoit totalement changée. La deftruftion entiere des Indiens dans les ifles foumifes a 1'Efpagne, avoit infpiré la réfolution d'aller chercher dans Ie continent des efclaves, pour remplacer les infortunés que 1'oppreffion avoit fait périr. Cette barbarie lévolta 1'ame indépenE a  (58 SUPPLÉMENTS dame des fauvages. Dans leur reflèntimenr, ils maflacroient tous ceux de leurs raviflêurs que le hafard faifoit tomber dans leurs mains; & deux miffionnaires que des vues, vraifemblablement louables, avoienc conduits a Cumana, furent la viétime de ces juftes repréfailles. Ocampo partit fur le champ de Saint-Domingue pour aller punir un attentat commis contre le Ciel même, ainfi qu'on s'exprimoit; & après ayoir mis tout h feu & a fang, il y éleva une bourgade qu'il nomma Tolede. Ce fut dans ces foibles paliflades que Las Cafas fe vit réduit a placer le petit nombre de fes compagnons qui avoient réfilïé aux intempéries du climat, ou qu'on n'avoit pas réulïï a lui débaucher. Leur féjour n'y fut pas long. Les traits d'un ennemi implacablepercerent la plupart d'entre eux; & ceux que ces armes n'avoient pas acteints, furent forcés, en 1521, d'aller chercher ailleurs un afyle. Quelques Efpagnols fe font depuis établis h Cumana : mais cette population a toujours été fort bornée, & ne s'eft jamais éloignée des cöces. Pendant deux fiecles, la métropole n'eut pas des liaifons directes avec fa colonie. Ce n'efl que depuis peu qu'elle y envoye annuellement un ou deux petits navires, qui, en écbange des boiffons & des marchandifes d'Europe, recoivent du car cao & quelques autres produétions.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 69 Ce fut Colomb qui, le premier, découvrit, en 1498,1'Orenoque, dont les bords furent depuis appellés Guyane Efpagnole. Ce grand fleuve tire fa fource des Cordelieres, & ne fe jette dans 1'Océan, par quarante embouchures, qu'après avoir été groffi dans un cours immenfe par un nombre prodigieux de rivieres plus ou moins confidérables. Telle eft fon impétuofité , qu'il traverfe les plus fortes marées, & conferve la douceur de fes eaux douzelieües après être forti du vafte & profond canal qui 1'enchainoit. Cependant, farapidité n'eft pas toujours égale, par 1'efFec d'une fingularité très-remarquable. L'Orenoque, commencant a croïtre en Avril, monte continuellement pendant cinq mois, & refte Ie fixieme dans fon plus grand accroiflèmenr. En Oétobre, il commence a baiffer graduellement jufqu'au mois de Mars, qu'il paffe tout entier dans 1'état fixe de fa plus grande diminution. Cette alternative de variations eft réguliere, invariable même. , - Ce phénomene paroït beaucoup plus dépendre de la mer que de la terre. Durant les fix mois que le fleuve croit, 1'hémifphere du Nouveau-Monde n'ofFre, pour ainfi dire, que des mers & prefque point de terre a 1'aétion perpendiculaire des rayons du foleil. Durant les fix mois que le fleuve décroit, 1'Amérique ne préfente que fon grand continent a 1'aftrequi 1'éclaire. La mer E 2 XVI. Du fleuv» Orenoque,  7o SUPPLÉMENTS eft alors moins foumife a 1'influence aftive da foleil, ou du moins fa pente vers les cötesOrientales eft plus balancée, plus brifée par les terres. Elle doit donc laiflèr un plus libre cours aux fleuves, qui, n'étant point alors fi fort retenus par la mer, ne peuvent être groffis que par la fonte des neiges des Cordelieres ou par les pluies. C'eft peut-être auffi la faifon des pluies qui décide de l'accroifiement des eaux de 1'Orenoque. Mais pour bien faifir les caufes d'un phénomene fi fingulier,U faudroit étudier les rapports que peut avoir le cours de ce fleuve avec celui des Amazones par Rionegro, connoitre la fituation, & les mouvements de 1'un & de 1'autre. Peutêtre trouveroit-on, dans la différence de leur pofition, de leur fource & de leur embouchure, 1'origine d'une diverfité fi remarquable dans 1'état périodique de leurs eaux, Tout eft lié dans le fyftême du monde. Le cours des fleuves tient aux révolutions, foit journalieres, foit annuelles de la terre. Quand des hommes éclairés fe feront portés fur les bords de POrenoque, on faura, du moins on cherchera les raifons des phénomenes de fon cours. Mais ce ne fera pas fans difficulté. Ce fleuve n'eft pas aulfi navigable que le fait préfumer la maffe de fes eaux. Son lit eft embarralTé d'un grand nombre de rochers qui réduifent, par intervalle, le navigateur a porter fes bateaux & les denrées dont ils font chargés,  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 71 Avant 1'arrivée des Européëns, les peuples qui traverfent ou qui fréquentent ce fleuve voifin du brülant équateur, ne connoiflbient, ni vêtements, ni police, ni gouvernement. Libres fous le joug de la pauvreté, ils vivoient la plupart de chaffe, de pêche, de fruits fauvages. L'agriculture devoit être peu dechofe, oü l'on n'avoit qu'un Mton pour labourer la terre, & des haches de pierre pour abattre les arbres, qui, après avoir été brulés ou pourris, laiflbienc un terrein propre a former un champ. Les femmes étoient dans 1'opprelïion fur l'Orenoque, comme dans toutes les régions barbares. Tout entier a fes befoins, le fauvage ne s'occupe que de fa füreté & de fa fubfiftance. II n'eft follicité aux plaifirs de 1'amour que par le vceu de la nature qui veille a la perpétuité de 1'efpece. L'union des deux fexes, ordinairement fortuite, prendroit rarement quelque folidité, dans les forêts , fi Ia tendrefie paternelle & maternelle n'attachoit les époux a Ia confervation du fruit de leur union. Mais avant qu'un premier enfant puiflè fe fuffire a lui-même, il en nait d'autres auxquels on ne peut refufer les mêmes foins. II arrivé enfin le moment oü cette raifon fociale ceflè d'exifter : mais alors la force d'une longue habitude, la confolation de fe voir entouré d'une familie plus ou moins nombreufe , Pefpoir d'être fecouru dans fes derniers ans pax E 4 xvir. Quelle fut la qondition des femmes furlesbords de 1'Orenoque,& quelle elle eft encore.  7a SUPPLÉMENTS fa poftérité : tout öte la penfée & la volonté de fe féparer. Ce font les hommes qui retirent les plus grands avantages de cette co-habitation. Chez les peuples qui n'accordent leur eftimequ'a la force & au courage, la foibleffe eft toujours tyrannifée, pour prix de la protection qu'on lui accorde. Les femmes y vivent dans 1'opprobre. Les travaux, regardés comme abjects, font leur partage. Des mains , accoutumées a manier des armes ou la rame, fe croiroient avilies par des occupations fédentaires, par celles même de 1'agriculture. Les femmes font moins malheureufes parmi des peuples pafteurs, k qui une exiftence plus affurée permet de s'occuper un peu davantage du foin de la rendre agréable. Dans 1'aifance & le loifir dont ils jouiflent, ils peuvent fe faire une image de la beauté, apporter quelque choixdans 1'objet de leurs defirs, & ajouter a 1'idée du plaifir phyfique celle d'un fentiment plus noble. Les relations des deux fexes fe perfectionnent encore aulïï-töt que les terres commencent a être cultivées. La propriété qui n'exiftoit pas chez les peuples fauvages, qui étoit peu dechofechez les peuples pafteurs, commence a devenir importante chez les peuples agricoles. L'inégalité qui ne tarde pas a s'introduire dans les fortunes, en doit occafionner dans Ia confidération. Alors les nceuds du manage ne fe forment plus au ha-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 73 fard; Pon veut qu'ils foient afförtis. Pour être accepté, il faut plaire; & cette néceffité attire des égards aux femmes, & leur donne quelque dignité. Elles recoivent une nouvelle importance de la création des arts & du commerce. Alors les affaires fe multiplient, les rapports fe compliquent. Les hommes, que des relations plus écendues éloignent fouvent de leur attelier ou de leurs foyers, fe trouvent dans la néceffité d'afibcier a leurs talents la vigilance des femmes. Comme 1'habitude de la galanterie, du luxe, de la diffipation, ne les a pas encore dégoutées des occupations obfcures ou férieufes, elles fe livrent fans réferve & avec fuccès a des fonétions donc elles fe trouvent honorées. La retraite qu'exige ce genre de vie, leur rend chere & familiere Ia pratique de toutes les vertus domelh'ques. L autorité, le refpeét & 1'attachement de tout ce qui les entoure, font la récompenfe d'une conduite fi eftimable. Vient enfin le temps oü l'on eft dégoüté du travail par 1'accroiffèment des fortunes. Le foin principal eft de prévenir 1'ennui, de multiplier les amufements, d'étendre les jouifTances. A cette époque, les femmes font recherchées avec empreffèment, & pour les qualités aimables qu'elles tiennent de la nature, & pour celles qu'elles ont recues de 1'éducation. Leurs liaifons E 5  74 SUPPLEMENTS s'étendent. La vie retirée ne leur convient plus. II leur faut un róle plus éclatant. Jettées fur le théatre du monde , elles deviennent 1'ame de tous les plaifirs, & le mobile des affaires les plus importantes. Le bonheur fouverain eft de leur plaire, & la grande ambition d'en obtenir quelques préférences. Alors renaït entre les deux fexes la liberté de 1'état de nature, avec cette différence remarquable que, dans la cité, fouvent 1'époux tient moins a fa femme & la femme a fon époux, qu'au fond des forêts; que les enfants confiés en naiffant a des mercenaires ne font plus un lien; & que 1'inconftance qui n'auroit aucune fuite facheufe chez la plupart des peuples fauvages, influe fur la tranquillité domeftique & fur le bonheur chez les nations policées, oü elle eft un des principaux fymptömes d'une corruption générale & de l'extinction de toutes les affections honnêtes. La tyrannie , exercée contre les femmes fur les rives de 1'Orenoque encore plus que dans le refle du Nouveau-Monde, doit être une des principales caufes de la dépopulation de ces con* trées fi favorifées de la nature. Les meres y ont contraélé 1'habitude de faire périr les filles dont elles accouchent, en leur coupant de fi prés le cordon ombilical, que ces enfants meurent d'une hémorragie. Lechriftianifme même n'apasréuffi a déraciner cet ufage abominable. On a pour  A L'HISf. PHILOSOPHIQUE. 75 garant Ie Jéfuite Gumilla, qui, averti que 1'une de les néophytes venoit de commettre un pareil affaffinat, alla la trouver pour lui reprocher fon crime dans les termes les plus énergiques. Cette femme écouta le mifllonnaire fans s'émouvoir. Quand il eut fini, elle lui demanda la permiflion de lui répondre; ce qu'elle fic en ces termes: „ Plüt a Dieu, Pere, plüt a Dieu, qu'au mo„ ment oü ma mere me mit au monde, elle eüt eu affez d'amour & de compaffion pour „ épargner a fon enfant tout ce quej'ai enduré, „ tout ce que j'endurerai jufqu'a la fin de mes „ jours. Si ma mere m'eüt étouffée lorfque je „ naquis , je ferois morte; mais je n'aurois pas „ fenti la mort, & j'aurois échappé a la plus „ malheureufe des conditions. Combien j'ai fouf„ fert, & qui fait ce qui me refte a fouffrir! „ Repréfente-toi, Pere, les peines qui font réfervées a une Indienne parmi ces Indiens. Ils „ nous accompagnent dans les champs avec leur „ are & leurs fleches : nous y allons, nous, „ chargées d'un enfant que nous portons dans „ une corbeille, & d'un autre qui pend a nos mamelles. Ils vont tuer un oifeau ou pren„ dre un poifibn : nous bêchons la terre, nous; „ & après avoir fupporté toute la fatigue de la „ culture, nous fupportons toute celle de la moif„ fons. Ils reviennent le foir fans aucunfardeau: 3, nous, nous leur apporcons des racines pour  76 SUPPLÉMENTS „ leur nourriture & du maïs pour leur boif„ l'on. De retour chez eux, ils vont s'entre„ tenir avec leurs amis : nous , nous allons „ chercher du bois & de 1'eau pour prépa„ parer leur fouper. Ont - ils mangé, ils s'en„ dorment : nous, nous paflons la plus grande „ partie de la nuit a moudre le maïs, & a leur „ faire la chica. Et quelle efl: la récompenfe de „ nos veilles ? Ils boivent, & quand ils font „ ivres, ils nous trainent par les cheveux, & „ nous foulent aux pieds. „ Ah! Pere, plüt a Dieu quemamerem'eüe „ étouffée en naiflant! Tu fais toi-même fi nos „ plaintes font juftes. Ce que je te dis, tu le „ vois tous les jours : mais notre plus grand ,, malheur, tu ne faurois le connoitre. Ilefltrifte „ pour la pauvre Indienne de fervir fon mari „ comme une efclave, aux champs accabléede „ fueurs, & au logis privée de repos. Cependant „ il efl: plus affreux encore de le voir au bout „ de vingt ans prendre une autre femme plus „ jeune qui n'a point de jugement. II s'attache ,, a elle. Elle frappe nos enfants. Elle nous „ commande. Elle nous traite comme fes fer„ vantes ; & au moindre murmure qui nous „ échapperoit, une branche d'arbre levée „ Ah! Pere, comment veux - tu que nous fup„ portions cet état ? Qu'a de mieux a faire une „ Indienne que de fouftraire fon enfant a une  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 77 „ fervitude mille fois pire que la mort? Plut „ a Dieu, Pere; je le répete, que ma mere „ m'eüc afTez aimée pour m'enterrer lorfque je „ naquis! Mon cceur n'auroic pas tant a fouf„ frir, ni mes yeux a pleurer ". Les Efpagnols, qui ne pouvoient s'occuper de toutes les régions qu'ils découvroient, perdirent de vue 1'Orenoque. Ce ne fut qu'en 1535 qu'ils entreprirent de le remonter. N'y ayant pas trouvé les mines qu'ils cherchoient, ils le mépriferent. Cependant le peu d'Européens qu'on y avoit jecté fe livrerent a la culture du tabac avec tant d'ardeur, qu'ils en livroient tous les ans quelques cargaifons aux batiments étrangers qui fe préfentoient pour 1'acheter. Cette liaifon interlope fut profcrite par la métropole, & des corfaires entreprenants pillerent deux fois cet établiflèment fans force. Ces défaflxes le firent oublier. On s'en refTouvint en 1753. Le Chef d'efcadre, Nicolas de Yturiaga, y fut envoyé. Cet homme fage établit un gouvernement régulier dans la colonie qui s'étoit formée infenfiblement dans cette partie du Nouveau-Monde. En 1771, on voyoit fur les rives de 1'Orenoque treize villages qui réunilToient quatre mille deux cents dix-neuf Efpagnols, métis, muiacres ou negres; quatre cents trente-une propriétés; douze mille huit cents cinquante-quatre bceufs, muiets ou chevaux. xv;n. Etat Je Ia colonie Efpagnole , formée fur les rives de l'Orencque.  78 SUPPLÉMENTS A la même époque, les Indiens qu'on avoi£ réufll a détacher de la vie fauvage étoient répartis dans quarante-neuf hameaux. Les cinq qui avoient été fous la direction des Jéfuites comptoient quatorze cents vingt-fix habitants, trois cents quarante-quatre propriétés, douze mille trente têtes de bétail. Lesonzequi font fous la direction des Cordeliers comptoientdix-neuf cents trente-quatre habitants , trois cents cinq propriétés, neuf cents cinquante têtes de bétail. Les onze qui font fous la direction des Capucins Aragonois, comptoient deux mille deux cents onze habitants, quatre cents foixante-dix propriétés, cinq cents fept têtes de bétail. Les vingt-deux qui font fous la direction des Capucins de Catalogne, comptoient fix mille huit cents trente habitants,quinze cents quatre-vingtdouze propriétés, quarante-fix mille têtes de bétail. C'étoiten tout foixante-deux peuplades, feize mille fix cents vingt habitants, trois mille cent quarante-deux propriétés, foixante-douze mille trois cents quarante-une têtes de bétail. Jufqu'a ces derniers temps, les Hollandois de Curacao trafiquoient feuls avec cet établiflèment. Ils fournifibient a fes befoins, & on les payoit avec du tabac, des cuirs & des troupeaux. C'étoit a Saint-Thomas, chef-lieu de la  A L'HIST. PHÏLOSOPHÏQUE. 79 colonie, que fe concluoient tous les marchés. Les noirs & les Européens faifoient les leurs cux-mêmes : mais c'étoient les miffionnaires feuls qui traitoient pour leurs néophytes. Le même ordre de chofes fubfifte encore, quoique depuis quelques années la concurrence des navires Efpagnols ait commencé a écarter les navires interlopes. II efl: doux d'efpérer que ces valles & fertiles contrées fortiront enfin de 1'obfcurité oü elles font plongées, & que les femences qu'on y a jettées produiront, un peu plutöt, un peu plus tard, des fruits abondants. Entre la vie fauvage & 1'état de fociété, c'efl un défert immenfe a traverfer : mais de 1'enfance de la civilifation a la vigueur du commerce, il n'y a que des pas a faire. Le temps, qui accroit les forces, abrege les diftances. Le fruit qu'on retireroit du travail de ces peuplades nouvelles, en leur procurant des commodités, donneroit des richeffes a 1'Efpagne. Derrière les cötes très-étendues dont nous venons de parler, & dans 1'intérieur des terres,0 eft ce que les Efpagnols appellent le nouveau n Royaume de Grenade. II a une étendue prodi- * gieufe. Son climat eft plus ou moins humide, plus ou moins froid, plus ou moins chaud, plus ou moins tempéré, felon la direéh'on des branches des Cordelieres qui en coupent les difFé- XIX. OHrte defiption du )uveau ïyaume 1 Grenade.  8o SUPPLÉMENTS rentes parties. Peu de ces rnontagnes font fufceptibles de culture: mais la plupart des plaines, la plupart des vallées qui les féparent, offrent un fol fertile. Même avant la conquête, le pays étoit fort peu habité. Au milieu des fauvages qui le parcouroient, s'étoit cependant formée une nation qui avoit une Religion, un gouvernement, une culture; & qui, quoiqu'inférieure aux Mexicains & aux Péruviens, s'étoit élevée beaucoup audelïus de tous les autres peuples de 1'Amérique. Ni 1'hilïoire, ni la tradition ne nous apprennent comment avoit'été créé cet Etat : mais on doic croire qu'il a exifté, quoiqu'il ne refte aucune tracé de fa civilifation. Ce Royaume, s'il eft permis de fe fervir de cette expreffion, fe nommoit Bogota. Benalcazar, qui commandoit aQuito, 1'attaquaen 1526* du cöté du Sud, & Quefada, qui avoit débarquéa Sainre-Marthe, 1'attaqua du cöté du Nord. Des hommes unis entre eux, accoutumés a combattre enfemble, conduits par un chef abfolu : ces hommes devoient faire , & firent en eftec quelque réfifrance; mais il fallut enfin céder a la valeur, aux armes, & a la difcipline de 1'Europe. Les deux Capitaines Efpagnols eurent Ia gloire, puilqu'on veut que c'en foit une, d'ajouter une grande poflèffion a celles dont leurs Souverains s'étoient laifles furcharger dans cet autre  A L'HÏST. PHLLOSOPHIQUÊ. 8r autre hémifphere. Avec le temps, les Provinces plus ou moins éloignées de ce centre, fe foumirenten partie. Nous difonsen partie, paree que 1'organifation du pays eft telle, qu'il ne fut jamais pofllble d'en fubjuguer tous les habitants, &que ceux d'entreeux qui avoient regu des fers les brifoient aufli-töt qu'ils avoient le courage de le bien vouloir. II n'eft pas même fans quelque vraifemblance que la pluparc auroient pris cette détermination, fi on les eüt aftujettis a ces travaux deftruóteurs qui ont caufé tant de ravages dans-les autres parties du Nouveau-Monde. Quelques Ecrivains ont parlé avec un enthoufiafme prefque fans exemple des richefles qui fortirent d'abord du nouveau Royaume. II les: font monter au póint d'étonner les imaginations le plus avides du merveilleux. Jamais peut-être 1 on ne poüfia fi Ioin 1'exagération. Si la réalité \ eüt feulement approché des fables, cette grande profpérité feroit, confignée dans des regiftres publiés , ainfi que celles de toutes les colonies véritablement intérefiantes. D'autres monuments en auroient perpétué le fouvenir. Dans aucun temps, ces tréfors n'exifterent donc que fous la plume d'un petit nombre d'Auteurs naturellement crédules, ou qui fe laiflbient entrainer par 1'efpoir d'ajouter a 1'éclat dont déja brilloit leur patrie.' Le nouveau Royaume fournit aujourd'hui l'é« Suppl. Tomé IL F XX. -e qu'a été e nouveau loyaume le Grenale, ce qu'il '■& , & ce [u'il peut tevenir.  &a SUPPLÉMENTS meraude, pierre précieufe tranfparente, de couleur verte, & qui n'a guere plus de dureté que le cryftal de roche. Quelques contrées de 1'Europe, (kc.pag. 1271. Page 272, après ces mots, d'oü les Incas, lifez : les avoient tirées. La Nouvelle-Grenade ne tarda pas a remplir le vuide. Cette région nous cnvoye maintenanc moins de ces pierreries, foit qu'elles foient devenues plus rares, foit que la mode en ait diminué dans nos climats. Mais 1'or qui en vient efl: plus abondant; & ce font les Provinces du Popayan & du Choco qui le fourniffent. On 1'obtient fans de grands dangers & fans des dépenfes confidérables. Ce précieux métal, qu'ailleurs il faut arracher aux entrailles des montagnes ou des abymes, fe trouve prefque a la fuperficie de la terre. II eft mêlé avec elle, mais des lavages plus ou moins fouvent répécés 1'en féparent aflèz aifément. Les noirs, qui ne font jamais employés dans les mines qui ont de la profondeur, paree que 1'expérience a démontré que les fraïcheurs les y faifoient périr très-rapidement, les noirs font chargés feuls de ces travaux pénibles. L'ufage efr que ces efclaves rendent a leurs maitres une quantité d'or déterminée. Ce qu'ils en peuvent ramafler de plus leur appartient, ainfi que ce ■ qu'ils en trouvent dans les jours confacrés au repos par la religion, mais fous la condition for-  A L'HIST. PIIILOSOPHIQUE. 83 melle de pourvoir a leur nourricure durant ces fêtes. Par ces arrangemen-ts, les plus laborieux, les pluséconomes, les plus heureux d'encre eux lont en état, un peu plutót, un peu plus tard, d'acheter leur liberté. Alors ils levent leurs yc-üx jufqu'aux Efpagnols. Alors ils mêlent leur fang avec celui de ces conquérants fuperbes. La Cour de Madrid étoit mé^ontente qu'une région, dont on lui exaltoit fans ceflè les avautages naturels, lui envoyat fi peu d'objets, & lui envoyoitfipeu dechacun. L'éloignement oü étoit ce vafte pays de 1'autorité établie a Lima pour gouverner toute 1'Amérique méridionale, devoit être une des principales caufes de cette inaétion. Une furveillance plus immédiate pouvoit lui communiquer plus de mouvement & un mouvement plus régulier. On la lui do ma. La Vice-Royauté du Pérou fur coupée en deux. Celle qu'en 1718, on établit dans la Nouvelle-Grenade , fut formée fur la mer du Nord de tout 1'efpace qui s*écend depuis les frontieres du M. xique jufqu'a I'Orenoque, & fur la mer du Sud de celui qui commence a Veragua , & qui finic a Tumbès. Dans 1'intérieur des terres , le Quito y fut encore incorporé. Cette innovatie n, quoique fage, quoiquenécefiaire, ne produific pas d'abord le grand bien qu'on s'en étoit promis. II faut beaucoup de temps pour former de bons adminifirateurs. II en fauc F 2  84 SUPPLÉMENTS peut-être davantage pout établir 1'ordre & pour , rappeller au travail des générations énervées par deux fiecles de fainéantife & de libertinage. La révolution a cependant commencé a s'opérer; & PEfpagne en recire déja quelque fruit. La moitié de 1'or que ramafle la colonie paflbit en fraude h 1'étranger; & c'étoit principalement par les rivieres d'Atrato & de la Hache. On s'eft rendu maitre de leur cours par des forts placés convenablement. Malgré ces précautions, il fe fera de la contrebande tout le temps que les Efpagnols & leurs voifins auront intérêt a s'y livrer : mais elle fera moindre qu'elle ne 1'étoit. Les ports de la métropole enverront plus de marchandifes, & recevront plus de métaux. La communication entre une Province & une autre Province, entre une ville & une autre ville, entre une bourgade même & une autre bourgade, étoit difficile ou impraticable. Tout voyageur étoit plus ou moins expofé a être pillé, a être maftacré par les Indiens indépendants. Ces ennemis, autrefois implacables, cedent peu-apeu aux invitations des miffionnaires qui ont le courage de les aller chercher, & aux témoignages de bienveillance qui ont enfin remplacé les férocités fi généralement pratiquées dans !e Nouveau-Monde. Si cet efprit de douceur fe perpétue, les fauvages de cette contrée pourront être un jour tous civilifés & tous fédentaires.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 85 Malgré la bonté connue d'une grande partie du territoire, plufieurs des Provinces qui forment le nouveau Royaume tiroient leur fubfiftance de 1'Europe ou de 1'Amérique Septentrionale. On s'eft vu enfin en état de profcrire les farines étrangeres dans toute 1'étendue de la vice-Royauté, d'en fournir même a Cuba. Lorfque les moyens ne manqueront plus, les cultures particulieres au Nouveau-Monde feront établies furlescötes: mais la difficulté, la cherté des tranfports ne permettront guere a 1'intérieur du pays d'en pouffer les récoltes au-dela de la confommation locale. Le voeu des peuples qui 1'habitent fe borne généralement a 1'extenfion des mines. Tout annonce qu'elles font comme innombrables dans le nouveau Royaume. La qualité du fol les indique. Les tremblements de terre prefque journaliers en tirent leur origine. C'eft de leur fein que doit couler tout 1'or qu'entraïnent habituellement les rivieres; & c'étoic d'elles qu'étoit forti celui que les Efpagnols, a leur arrivée dans le Nouveau-Monde, arracherent, fur les cötes, en fi grande quantité aux fauvages. A Mariquita, a Mufo, a Pampelune, a Tacayma, a Canaverales, ce ne font pas de fimples conjedtures. Les grandes mines qui s'y trouvent vont être ouvertes, & l'on efpere qu'elles ne feront pas moins abondantes que celles de la vallée de Neyva, qu'on exploite avec tant de F 3  86 SUPPLEMENTS XXI. Singularité remarquahles dans 1 Province d Quito. fuccès depuis quélque temps. Ces nouvelles richeflès iront fe réunir a celles du Choco & du Popayan dans Santa-Fé de Bogota, capitale de la vice-Royauté. La ville eft fituée au pied d'un mont fourcilleux & froid, a 1'encrée d'une vafte & fuperbe plaine. En 1774, elle avoit dix-fept cents foixante-dix maifons, trois mille deux cents quarante-fix families, & feize mille deux cents trente-trois habitants. La population y duit augmenter, puifque c'eft le fiege du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnoies, 1'entrepöt du commerce, puifqu'enfin c't ft la réfidence d'un Archevêque dont la jurifdidtion immédiate s'étend fur trente & une bourgades Efpagnoles qu'on appelle villes, fur cent quatre-vingt quinze peuplades d'Indiens anciennement afTujettis, fur vingr-huit miffions établies dans des temps modernes, & qui, comme métropolitain, a aufli une forte d'infpeftion fur les diocefes de Quito, de Panama, de Caraque, de Sainte-Marthe & de Carthagene. C'eft par cette derniere place, quoique éloignée de cent üeues, & par la riviere de Ia Magdelaine, que Santa-Fé entretient fa commutiication avec 1'Europe. La même route fert pour Quito. Cette Province a une étendue immenfe : mais la plus grande partie de ce vafte efpace eft reml pliede forêts, de marais, de déferts oü l'on ne  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 87 rencontre que de loin en loin quelques fauvages errants. II n'y a proprement d'occupé, de gouverné par les Efpagnols, qu'une vallée de quatre-vingts lieues de long & de quinze de large, ' formée par deux branches des Cordelieres. C'eft un des plus beaux pays du monde. Même au centre de la Zone Torride , le printemps eft perpétuel. La nature a réuni fous la ligne, qui couvre tant de mers & fi peu de terre, tout ce qui pouvoit tempérer les ardeurs de 1'aftre bienfaifant qui féconde tout: 1'élévation du globe dans cette fommité de fa fphere; le voifinage des montagnes d'une hauteur, d'une écendue prodigieufes, & toujours couvertes de neige ; des vents continuels qui rafraichiffènt les campagnes toute 1'année, en interrompant 1'aótivité des rayons perpendiculaires de la chaleur. Cependant, après une matinée généralement délicieufe, des vapeurs commencent a s'élever vers une heure ou deux. L'air fe couvre de fombres nuées qui fe convertiflènt en orages. Tout luit alors, tout paroït embrafé du feu des éclairs. Le tonnerre fait retentir les monts avec un fracas horrible. De temps en temps d'affreux tremblements s'y joignent. Quelquefois la pluie ou le foleil font conftants quinze jours de fuite; & a cette époque, la confternation eft univerfelle. L'excès del'humidité ruine lesfemences, & lafécherefie enfante des maladies dangereufes. F 4  88 SUPPLÉMENTS Mais fi l'on excepte ces contre-temps infinirnent rares, le climat eft un des plus fains. L'air y' eft fi pur, qu'on n'y connoic pas ces infeéles dégoütants qui affligent 1'Amérique prefque entiere. Quoique le libertinage & la négligence y rendent les maladies vénériennes prefque générales , on s'en reffent très-peu. Ceux qui ont hé, rité de cette contagion , ou qui 1'ont contractie eux-mêmes, vieilliflênt également fansdanger & fans incommodité. L'humidité & 1'aclion du foleil étant continuelles & toujours fuffifantes pour développer& pour fortifier les germes, 1'habitant a fans cefie fous les yeux 1'agréable tableau des trois belles faifons de 1'année. A mefure que 1'herbefe deflêche , il en revient d'autre; & 1'émail des prairies eft a peine tombé qu'on le voit renaitre. Les arbres font fans cefie couverts de feuilles vertes & ornées de fleurs odoriférantes; fans cefie chargés de fruits dont la couleur, la forme & la beauté varient par tous les degrés de développement qui vont de la naiflance a la maturité. Les grains s'élevent dans les mêmes progreffions d'une fécondité toujours renaifiante. On voit d'un coup d'oeil germer les femences nouvelles; d'autres grandir & fe hérifier d epis; d'autres jaunir; d'autres enfin tomber fous la faucille du moiflbnneur. Toute 1'année fe pafte a femer & a recueillir dans 1'enceinte du même horifon. Cette variété conf-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. So tante tient uniquement a la diverfité des expofitions. Aufli eiï-ce la partie du continent Américain la plus peuplée. On voit dix ou douze mille habitants a Saint-Michel d'Ibarra. Dix-huit ou vingt mille aOtabalo. Dix a douze mille a Latacunga. Dix-huit a vingt mille h Riobamba. Huit a dix mille a Hambato. Vingt-cinq a trente mille a Cuenga. Dix mille aLoxa, &fix mille a Zaruma. Les campagnes n'offrentpas moins d'hommes que les villes. La populacion feroit certainement moins conildérable , 11, comme en tant d'autres iieux, elle avoit été enterrée dans les mines. Des écrits fans nombre ont blamé les habitants de cette contrée d'avoir laiffé tomber celles qui furent ouvertes au temps de laconquête, & d'avoir négligé celles qui ont été découvertes fucceiïivement. Le reproche paroït mal-fondé a des gens éclairés qui ont vu les chofes de très-près. Ils penfent généralement que les mines de ce diftriét nefont pas afïèz abondantes pour foutenir les fraix qu'il faudroit faire pour les exploiter. Nous ne nous permettrons pas de prononcer fur cette conteiïation. Cependant, pour peu qu'on réfléchiflê fur la paffion que les Efpagnols montrerent dans tous les temps pour un genre de richeffe, qui, fans aucun travail de leur part, ne coücoit que lefangde leurs efclaves, on préfumera qull n'y F 5 XXII. Le pays de Quito eft très-peuplé, & pourquoi. Quels font les travaux de fes habitants.  oo S U P P L É M E N T S a qu'une emiere impoiïibilité fondée fur des expériences répétées, qui aic pu lesdéterminer a fe refufer a leur penchant naturel & aux preflances follicitations de leur métropole. Dansle pays de Quito, lesmanufaéturesexercent les bras qu'énervent ailleurs les mines. On y fabrique beaucoup de chapeaux, beaucoup de toiles de coton , beaucoup de draps grolïiers. Avec le produit de ce qu'en confommoient les differentes contrées de 1'Amérique Méridionale, il payoit les vins, les eaux-de-vie, les huiles qu'il ne lui fut jamais permis de demander a fon fol; le poiffon fee & falé qui lui venoit des cötes; le favon fait avec de la graifïè de chevre, que lui fourniiïbient Piura & Truxülo; le fer en nature ou travaillé qu'exigeoient fa culture & fes atteliers; le peu qu'il lui étoit poffible de confommer des marchandifes de notre hémifphere. Ces reflources ont bien diminué depuis qu'il s'eft établi des fabriques du même genre dans les Provinces voifines, fur-tout depuis que le meilleur marché des toileries & des lainages de 1'Europe en a finguliérement étendu 1'ufage. Aufli le pays eft-il tombé dans la plus extréme mifere. Jamais il n'en fortira par fes denrées. Cen'eft pas que fes campagnes ne foient généralement couvertes de cannes a fucre, de toutes fortes de grains, de fruits délicieux, de nombreux troupeaux. Difficilement nommeroic-on un fol aufli  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 91 fertile, & donc 1'exploitation ne fut pas plus chere : mais rien de ce qu'il fournit ne peut alimenter les marché* étrangers. II faut que ces richefTes naturefles foient confommécs fur le même terrein qui les a produites. Le quinquina eft la feule production qui jufqu'ici ait pu être exportée. L'arbre qui donne ce précieux remede poufTe une tige droite, & s'éleve beaucoup lorfqu'on 1'abandonne a lui-même. Son tronc & fes branches font proportionnés a fa hauteur. Les feuilles oppofées, réunies a leur bafe par ure membrane ou ftipule intermédiaire , font ovales ,é!argies par le bas, aiguës a leur fommet, très-üfles & d'un beau verd. De 1'aifTelle des feuille fupérieures, plus petites, fortent des bouquets de lleurs lèmblables, au premier afpeét, a celles de la lavande. Leur court calice a cinq divifions. La corolle forme un tube allongé, bleuÉlcre endehors , rouge a 1'intérieur, rempli de cinq étamines, évafë par le haut, & divifé en cinq lobes finement dentelés. Elle eft portée fur le piftil, qui, furmonté d'un ftyle, occupe le fond du calice , & devient avec lui un fruit fee, tronqué fupérieurement, partagé dans fa longueur en deux demi-coques remplies de femences, bordées d'un feuillet membreux. Cet arbre croit fur la pente des montagnes. Sa feule partie précieufe eft fon écoree, connue par XXIII. Le quinquina vient ie la Province de Quito. Conïderations'ur ce renede.  02 SUPPLÉMENTS fa vertu fébrifuge, & a laquelle on ne donne d'autre préparation que de la faire fécher. La plus épaifTe a été préférée, jufqu'a ce que des analyfes & des expériences réitérées ayent démontré que 1'écorce rnince avoit plus de vertu. Les habitants diftinguent trois efpecesou plutót trois variétés de quinquina. Le jaune & le rouge qui font également eftimés, & ne different que par 1'intenfité de leur couleur; le blanc qui eft peu recherché a caufe de fa vertu trèsinférieure. On le reconnoit a fa feuille moins lifïè & plus ronde, a fa fleur plus blanche, a fa graine plus grofïè, & a fon écorce blanche a 1'extérieur. L'écorce de la bonne efpece eft ordinairement brune, caflante & rude a fa furface, avec des brifures. Sur les bords du Maragnon, le pays de Jaën fournit beaucoup de quinquina blanc: mais on crut long-temps que le jaune & le rouge ne fe trouvoient que fur le territoire de Loxa, ville fondée,en 1546, par leCapitaine Alonzo de Mercadillo. Le plus eftimé étoit celui qui croiffoit a deux lieues de cette place, fur la montagne de Cajanuma; & il n'y a pas plus de cinquante ans que les négociants cherchoient a prouver par des certificats que l'écorce qu'ils vendoient venoit de ce lieu renommé. En voulant multiplier les récoltes, on détruifit les arbres anciens, & on ne laifla pas aux nouveaux le temps de prendre toute  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 93 ïeur croifiance; de forte que les plus forts onc maintenanc a peine trois toifes de hauteur. Cette difette fit multiplier les recherches. Enfin, on retrouva le même arbre a Riobamba, a Cuenca, dans le voifinage de Loxa, & plus récemment k Bogota dans le nouveau Royaume. Le quinquina fut connu aRome, &c. pag. 166. Page 267, après ces mots, fuccès complet, lifez : Les nouvelles découvertes ont été plus efficaces que 1'autorité pour empêcher la falfification. Aufli 1'ufagedu remedeeft-il devenu de plus en plus général, fur-tout en Angleterre. C'eft une opinion généralement regue que les naturels du pays connurent fort anciennement le quinquina, & qu'ils recouroient a fa vertu contre les fievres intermittentes. On le faifoit fimplement infufer dans l'eau , & l'on donnoit la liqueur a boire au malade, fans le mare. M. Jofeph de Juflïeu leur enfeigna a en tirer 1'extrait, dont 1'ufage eft bien préférable a celui de l'écorce en nature. Ce Botanifte, le plus habile de ceux que leur pafiion pour les progrès de 1'hiftoire naturelle ayent conduits dans les pofleflions Efpagnoles du Nouveau-Monde, avoit,un zele bien plus étendu. II parcourut la plupart des montagnes de 1'Amérique Méridionale avec des fatigues incroyables, & il fe difpolbit a enrichir 1'Europe des grandes découvertes qu'il avoit faites, lorf-  94 SUPPLÉMENTS que fes papiers lui furenc volés. Une mémoire! excellente pouvoit remédier en partie a cette infortune. Cette rtflource lui fut encore ötée. Au Pérou . on eut un befoin preflant d'un Médecin & d'un Ingénieur. M. de Juffieu avoit les connoiffances que demandent ces deux profeffions, & radminifiration du pays en txigea 1'empioi. Les nouveaux travaux furent accompagnés de tant de contradiclion, de dégoüts & d'ingratitude que cet excellent homme n'y put réfifter. Son efprit étoit entiérement aliéné, lorfqu'en 1771, on 1'embarqua fans fortune pour une patrie qu'il avoit quittée depuis trente-lix ans. Ni le Gouvernement qui 1'avoit envoyé dansl'autre hémifphere, ni celui qui 1'y avoit retenu ne daignerent s'occuper de fa deftinée. Elle auroit écé affreufe, fans la tendrefTe d'un frere, aufli refpe&é pour la vertu que célebre par fes lumieres. Les dignes neveux de M. Bernard de Juffieu ont hérité des lollicitudes de leur onclepour 1'infortuné voyageur mort en 1779. PüifTe cette conduite d'une familie illuftre dans les fciences fervir de modele a tous ceux qui, pour leur bonheur ou pour leur malheur, cultivent les Lettres. M. Jofeph de Juffieu, qui avoit trouvé les peuples dociles. aux inftruétions qu'il leur donnoit fur le quinquina, voulut leur perfuader encore de perfectionner, par des foins fuivis, &  A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. 95 la cochenille fylveftre que le pays même fourniHbic h leurs manufactures, & la cannelle grofliere qu'ils tiroient de Quixos &deMacas: mais fes confeils n'ont rien produit jufqu'ici, foit que ces produclions fe foient refufées a toure amélioration, foit qu'on n'ait fait aucun elforcpour les y amener. La derniere conjecture paroïcra la plus vraifemblable a ceux qui auront une jufte idéé des maitres du pays. Pius généralemenr encore que les autres Efpagnols Américains, ils vivent dans une oifiveté dont rien ne les fait fortir, dans des débauches qu'aucun motif ne peut interrompre. Ces moeurs font plus particuliérement les mceurs des hommes que la naiffance, les emplois ou la fortune ont fixés dans la ville de Quito, capitale de la Province, & très-agréablement batie fur le penchant de la célebre montagne de Pichincha. Cinquante mille mécis, Indiens ou negres, exités par ces exemples féduifants, infeftent aufli ce féjour de leurs vices, & y pouffent en particulier la paflion pour 1'eau-de-vie de fucre, & pour le jeu a des excès inconnus dans les autres grandes cités du Nouveau-Monde. Mais pour diftraire notre imagïnacion de tant de tableaux défolants qui nous ontpeut-êcre trop occupés, perdons un moment de vue ces campagnes enfanglantées, & entrons dans le Pérou ,en fixanc d'abord nos regards fur ces monts XXXIV. Digreffion fur la formation des montagnes.  o6 SUPPLÉMENTS effrayants, ou de favants & courageux Aftro* nomes allerent mefurer la figure de la terre. Li* vrons-nous aux fentiments qu'ils éprouverent fans doute, & que doit éprouver le voyageur inftruit ou ignorant, par-tout oü la nature lui offre un pareil fpectacle. Ofons même nous permettre quelques conjeclures générales fur la formation des montagnes. A 1'afpeét de ces malfes énormes qui s'élevent h des hauteurs prodigieufes au-defius de 1'humble furface du globe, oü les hommes ont prefque tous établi leurdemeure; de ces mafles, ici couronnées d'impénétrables & antiques forêts qui n'ont jamais retenti du bruit de la coignée, la, ne préfentant qu'une furface aride & dépouillée; dans une contrée, d'une rnajefté filencieufe & tranquille, qui arrête la nuée dans fon cours, & qui brife 1'impétuofité des vents; dans une autre, éloignant le voyageur de leurs fommets par des remparts de glacé, du centre defquels la flamme s'élance en tourbillons, ou effrayant celui qui les franchit par des abymes obfcurs & muets creufés a fes cótés; plufieurs donnant ilfue a des torrents impétueux qui defcendent avec fracas de leurs flancs entr'ouverts, a des rivieres, a des fleuves, a des fontaines, a des fources bouillantes; toutes promenant leurs ombres rafraichiflantes fur les plaines qui les entourent, & leur prêtant un abri fugceflif contre les  A L'HIST. PIlILOSOPIÏIQÜE. 97 les ardeurs du foleil, du moment oü cet aftre dore leur cime, en fe levant, jufqu'au moment oü il fecouche. A cet afpecT:, dis-je, tout homme s'arrête avec étonnement, & le fcrutateuf de la nature tombe dans la médicatiom II fe demande qui eft-ce qui a donné naiïTance, la au Véfuve, a 1'Etna, a 1'Apennin; ici aux Cordelieres? Ces monts font-ils aufli vieux ! que le monde ? ont-ils été produits en un inftant ? ou la molécule pierreufe qu'on en détache eft-elle plus ancienne qu'eux? Seroientïls les os d'un fquelette dont les autres fubftances terreftres feroient les chairs? Sont-ils iïblés, ou fe tiennent-ils par un grand tronc commun dont ils font autant de rameaux, & qui leur ferc de fondement a eux-mêmes & de bafe a tout ce qui le couvre ? Si j'en crois celui-ci : „ Un immenfe réfer9, voir d'eaux occupoit le centre de la terre„ 5, L'enveloppe qui les contenoit fe brifa. Les „ cataracles du ciel s'ouvrirent. Tout fut fubj, mergé , fe confondit, fe délaya. Le cahos i, de la fable fe renouvella, & fon débrouille* » ment ne commenca qu*au moment oü la pré* cipitation des différentes matieres s'exécutant ?, felon les loix de la pefanteur auxquelles elles j, obéiflbient fucceffivement; les couches de ce 5, limon hétérogene s'entalferent les unes fur les 5, autres, & montrerent leurs pointes au-defTuü Suppl. tome IL Q  93 SUPPLÉMENTS „ de la furface des eaux, qui allerent fe creu„ fer un lit dans les plaines "'. Selon cet autre : „ On tencera vainemenc avec „ ces caufes 1'explication du phénomene, fans „ 1'intervention & 1'approche d'une comete qu'il „ appelle des valles régions de 1'efpace oü elles „ fe perdent. La colonne d'eaux qui 1'accompa„ gnoic fe joignit h celles qui. fortirent de 1'aby„ me fouterrein, & qui defcendirent de 1'athmof„ phere. La preflion de la comete les fit mon„ ter au-defius des montagnes les plus hautes; „ car elles exiftoient déja; & ce fut du limon „ de ce déluge qu'elles fe reproduifirent ". Ces hommes ne vous débitent que des rêves, me dit un troifieme, & il ajoute : „ Regardez „ autour de vous, & vous verrez les montagnes „ naitre de 1'élément même qui les détruit. C'eil „ le feu qui durcit les couches molles de Ia ter„ re; c'eft lui qui, dans fon expanfion favori„ rifée par 1'air & parl'eau, les bombe, & poufle „ leurs fommets dans la nue; c'eft lui qui les „ creve & qui creufe leurs vaftes chaudieres. „ Toute montagne eft un volcan qui fe prépare „ ou qui a cefie ". Les cris de ce dernier font interrompus par un perfonnage éloquent. II parle; je 1'écoute, &le charme de fon difcours me laifie a peine la • liberté de juger fon opinion. II dit: „ Au com„ mencement il n'y ayoit point de montagnes. ■  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 99 ,, Les eaux couvroient la face uniforme de la „ terre; mais elles n'étoienc pas en repos. L'ac„ tion du fatellite qui nous accompagne les agi„ toit jufque dans leur plus grande profondeur „ du mouvement de flux & de reflux que nous „ leur voyons. A chaque ofcillation, elles en„ traïnoienc avec elles une ponion de fédiment „ qu'elles dépoferenc fur une précédente. C'efl: „ de ces dépots continués pendant une longue „ fuite de fiecles que les couches de la terre fe „ font formées; & les maflès énormes qui vous „ étonnent font le réfultat de ces couches accu„ mulées. Le temps n'eft rien pour la nature ; „ & la canfe la plus légere qui agit fans inter„ ruption, eft capable des plus grands effets. „ L'aclion imperceptible & continue des eaux „ a formé les montagnes; 1'acu'on plus imper„ ceptible & non moins continue d'une vapeur „ qui les mouille & d'un fouffle qui les feche, „ les abat de jour en jour, & les réduira au ni„ veau des plaines. Alors les eaux fe répandront „ encore uniformément fur la furface égale de „ la terre. Alors le premier phénomene fe re„ nouvellera; & qui fait combien de fois les „ montagnes ont été détruites & reproduites"? A ces mots, 1'obfervateur Lehmann fourit, & me préfentant le livre du Légiflateur des Hébreux & lefien, il me dit:,, Refpeéte celui-ci, „ & daigne jetter les yeux fur celui-la". LehG 2  ioo SUPPLÉMENTS mann a expofé, dans le troifieme volume de fon Are des mines, fes idéés fur la formation des couches de la terre & la produétion des montagnes. II marche d'après des obfervations conftantes & réitérées qu'il a faites lui-même avec une fagacité peu commune & un travail dont on concoit a peine Popiniatreté. Elles erobraflènt depuis les frontieres de la Pologne jufqu'au bord du Rhin. L'analogie qui les rend applicablés a beaucoup d'autres contrées en recommande la connoiffiince aux hommes ftudieüx de 1'hiftoire naturelle; & quoiqu'il attribue la formation des couches de la terre au déluge, les faitsdont il s'appuie n'en font pas moins certains, & fes découvertes moins ïntérelïantes. II diftingue trois fortes de montagnes. Les anti-diluviennes , ou primitives, les poft-diluviennes & les modernes. Les premières, variées dans leur élévation, font les plus hautes. Rarement ifolées, elles forment des chaines. Leur pente eft brufque. Des montagnes poft diluviennes ou a couches les environnent de toutes parts. La confiftance en eft plus homogene; les tranches moins diverfes; leurs bancs toujours perpendiculairs & plus épais. Leurs racines defcendent a une profondeur dont le terme eft encore ignoré. Les mines qu'elles renferment font a filons. Les poft-diluviennes font a couches. Les couches différentes en font formées de dif-  A L'HIST. PHELOSOPHIQUE. i.oi férentes fubftances. La derniere, ou celle de Ia bafe, eft toujours de charbon de terre. La première , ou celle du fommet, fournit toujours des fontaines falantes. Elles ne manquent jamais d'aboutir aux montagnes a filon. Demandez-leur du cuivre, du plomb, du mercure, du fer, de 1'argenc même, mais en feuille & capillacé; elles vous en fourniront. Mais elles tromperoient votre avidité, fi vous vous promettiez d'y trouver de 1'or. Elles font 1'ouvrage d'un déluge. Les modernes, produites par le feu, par 1'eau, par une infinité d'accidents divers & récents, ne montrent dans leur intérieur que des couches brifées, un mélange confus de toutes fortes de fubftance, tous les caracleres du bouleverfement & du défordre. C'eft en vain que la nature avoit recélé les métaux précieux dans ces malles les plus dures & les plus compac"tes. Notre cupidité les a brifées. Encore fi nous pouvions dire des hommes employés a ces effroyables travaux, ce que nous en lifons dans Cafliodore.,, Ils entrent dans les „ mines indigents; ils en fortent opulents. Ils „ jouifient d'une richefle qu'on n'ofe leur enle„ ver. II font les feuls dont la fortune ne foit „ fouillée ni par la rapine, ni par la bafiefie ". Européens, méditez ce que cet Ecrivain judicieux ajoute. „ Acquérir de 1'or en immolant „ des hommes; c'eft un forfait. L'aller chercher G 3  loi SUPPLÉMENTS xxv. Organifation phyfique du Pérou propre. „ a travers les périls de la mer; c'eft une folie. „ En amalfer par la corruption & les vices; c'eft une lacheté. Les feuls lucres qui foient „ juftes, qui foient honnêtes,fe font fans bleflèr „ perfonne; & l'on ne poffede fans remords „ que ce qui n'a point été arraché a la profpé„ rité d'autrui". Et vous, vous, pour avoir de 1'or, vous avez franchi les mers. Pour avoir de 1'or, vous avez envahi les contrées. Pour avoir de 1'or, vous en avez maflacré la plus grande partie des habitants. Pour avoir de 1'or, vous avez précipité dansles entrailles de la terre ceux que vos poignards avoient épargnés. Pour avoir de 1'or, vous avez introduit fur la terre le commerce infame de Phomme & 1'efclavage. Pour avoir de 1'or, vous renouvellez tous les jours les mêmes crimes. Puifle la chimère de Lazzaro Moro fe réalifer, & les feux fouterreins enflammer a la fois toutes ces montagnes dont vous avez fait autant de cachots oü 1'innocence expire depuis plufieurs fiecles. La malédiction tomberoit d'abord fur lesCordelieres ou Andes, qui coupent 1'Amérique prefqu'entiere dans falongueur, & dont les differents rameaux s'étendent irréguliérement |dans fa largeur. C'eft fur-tout fous la ligne & au Pérou que ces célebres montagnes impofent par leur majefté. A travers les maflès énormes de neige  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 103 qui couvrent les plus confidérables, on démêle aifément qu'elles furent autrefois volcans. Les tourbillons de fumée & de flamme qui fortent encore de quelques-unes ne permettent pas le moindre doute fur ces éruptions. Chimboraco, la plus élevée, & qui a prés de trois mille deux cents vingt toifes au-deflus du niveau de la mer, furpaflede plus d'un tiers le pic deTénériffe, la plus haute montagnede Panden hémifphere. Le Pichincha & le Caracon, qui ont principalement fervi de théatre aux obfervations entreprifes pour la figure de la terre, n'en ont que deux mille quatre cents trente, & deux mille quatre cents foixante-dix; & c'eft-lh cependant que les voyageurs les plus intrépides ont été forcés de s'arrêter. La neige permanente a toujours rendu inacceffibles les fommets qui avoient plus d'élévation. Une plaine, qui a depuis trente jufqu'a cinquante lieues de largeur, & mille neuf cents quarante-neuf toifes au-deflus de 1'océan, fert de bafe a ces é'tonnantes montagnes. Des lacs plus ou moins confidérables, occupent une partie de ce vafte efpace. Celui de Titi-Caca, qui recoic dix ou douze grandes rivieres & beaucoup de petites, a foixante-dix toifes de profondeur, & quatre-vingts lieues de circonférence. De fon fein s'éleve une ifle oü les inftituteurs du Pérou prétendirenc avoir recu la naiflance. lis la de- G 4  io4 SUPPLÉMENTS voient, difoient-ils, au foleil qui leur avoit prefcric d'établir fon culte, de tirer les hommes de la barbarie, & de leur donner des loix bienfaifantes. Cette fable rendit ce lieu vénérable, & Pon y éleva un des plus augufies temples qui fuflent dans 1'Empire. Des pélerins y accouroienc en foule des Provinces avec des offrandes d'or, d'argent & de pierreries. C'eft, dans le pays, une tradition généralement recue, qu'a 1'arrivée des Efpagnols, les Prêtres & les peuples jetterent tant de richeflès dans les eaux, comme cela venoit de fe pratiquer a Cufco, dans un autre lac , fix lieues au Sud de cette célebre capitale. De la plupart des lacs fortent des torrents qui, avec le temps, ont creufé des gorges d'une profondeur effrayante. A leur fommet font ordinairement les mines, dans un terrein généralement aride. C'efl:~un peu plus bas que le bied croit, que les troupeaux paiflènt. Dans le fond font cultivés le fucre, les fruits & le maïs. La cóte d'une longueur immenfe, & depuis huit jufqu'a vingt lieues de largeur, qui s'étend de la plaine dont nous venons de parler a la mer, & que nous connoiflbns fous le nom de vallées, n'eft qu'un amas de fables. La folitude & une éternelle flérilité fembloientdevoirêtre le partage de ce fol ingrat. La nature varie, & varie d'une maniere trèsremarquable, dans ce terrein fi inégal. Leslieux  A L'HISTi PHILOSOPHIQUE. 105 les plus exhaufles font éternellement couverts d< neige. Viennent enfuite des rochers & des fable: nuds. Au-deffous, on commence a voir quelque: mouflès. Plus bas efl: 1'icho, plante que l'on brü le, aflèz femblable au jonc, & qui devient plus longue & plus forte a mefure qu'on defcend. Des arbres fe montrent enfin, au nombre de trois ef peces particulieres a ces montagnes, & qui touj tes annoncent par leur ftruclure & par leur feuillage la rigueur du climat oü ils font nés. Leplus utile de ces arbres efl: le caflis. II efl: pefant, il a de la confiftance, il eft de durée ; & ces avan.' tages le font deftiner aux travaux des mines. Ce§ grands végétaux ne fe retrouvent plus fous un ciel plusdoux, & ils ne font remplacésquepat un petit nombre d'autres d'une qualité différente. II n'y en auroit même d'aucuné efpece dans les valléés, fi l'on n'y en avoit porté qui fe font naturalifés. Dans cette région, l'air a une influence rnarquée fur le tempérament des habitants. Ceux des contrées les plus élevées, font expofés a 1'afthme, aux pleuréfies, aux fluxions de poitrine & aux rhumatifmes. Ces maladies dangereufes pour tous les individus qu'elles attaquent, font communément mortelles pour quiconque a contracté des maladies vénériennes, ou fe livre aux liqueurs fortes; & c'eft malheureufement 1'état ordinaire de ceux qui font nés ou que 1'avarice a conduics dans ces climats. G 5 t 1 xxvr; En quoi different les montagnes, les plaines & les vallées du Pérou.  ia6 STJPPLÉMENTS Ces calamités n'affligent pas les moncagnes inférieures: mais elles font remplacées par d'autres fiéaux encore plus funeftes. Les fievres putrides & intermictentes, inconnues dans les pays dont on vient de parler, y font habituelles. On les gagne fi aifément, que les voyageurs craindroient d'approcher des lieux qui en font infeélés. Elles font fouvent fi malignes, qu'il n'échapperoit pas un feul homme a leur venin, fi les habitants n'abandonnoient leurs bourgades pour y retourner, lorfqu'une nouvelle faifon les a purifiés. II n'en étoit pas ainfi au temps des Incas. Mais depuis que les Efpagnols ont introduit les cannesa fucre dans les gorges étroites de ces montagnes oü 1'air circule difficilement, il s'éleve des terres humectées que cette culture exige, des vapeurs infecles qui, échauffées par les rayons d'un foleil brülant deviennent mortelles. Les fievres tiercés & intermittentes ne font guere moins communes, guere moins opiniatres dans les vallées que dans les gorges des montagnes : mais elles y font infiniment moins dangereufes. Les fuites n'en font communément funefies que dans les campagnes oü les fecours manquent , oü les précautions font négligées. Une maladie générale dans cette partie du Nouveau-Monde, c'efl: la petite - vérole qui y fut portée en 1588. Elle n'y eft pas habituelle  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 107 comme en Europe : mais elle y caufe par intervalle des ravages inexprimables. Elie attaque ïndifféremment les blancs, les noirs, les Indiens, les races mêlées. Elle eft égalemeni meurtriere dans tous les climats. II faut beaucoup efpérer de la pratique de 1'inoculation introduite depuis deux ans a Lima, & qui fans doute fera bientöt générale. II 'eft un autre fléau auquel 1'efprit humain ne trouvera jamais de remede. Les tremblements de terre , fi rare, &c. page 195. Page 197, après ces mois, courage d'y remédier, lifez : La diverfité des afpeéts fous lefquels les volcans fe font préfentés a un de nos obfervateurs les plus infatigables & les plus intelligents, lui a défigné différentes époques, féparées les unes des autres par des intervalles de temps fi confidérables, que la formation première de notre demeure en eft renvoyée a une ancienneté dont 1'imagination s'effraye. A la première de ces époques, les volcans jettent de leurs fommets du feu, de la fumée, des cendres, & verfent de leurs flancs entr'ouverts des torrents de lave. A la feconde, ils font éteints, ils le font tous, & ne préfentent qu'une vafte chaudiere. A la troifieme , l'air, lapluie, les vents, lefroid, la chaux ont détruit la chaudiere ou le crater, & il ne refte qu'un monticule. A la quatrieme,  io8 SUPPLÉMENTS ce monticule, dépouillé de fon enveloppe, mee a découverc une efpece de culot, qui, miné par le temps, ne laiflè plus que la place oü la montagne & le volcan ont exifté, & cet état efl: une cinquieme époque. Du centre de cette place s'étendent au loin des chauffées de lave; & ces chauflees, ou entieres, ou brifées, ou réduites a des fragments ifolés, font encore autant d'autres époques, entre chacune defquelles vous pouvez intercaller tantd'années, tant de fiecles, tant de milliers de fiecles qu'il vous plaira. Ce qu'il y a de certain, c'efl: qu'une de ces époques, quelle que foit celle que l'on choififfe,n'eft point liée dans la mémoire des hommes a celle qui lui fuccede dans la nature. Et le principe que de rien, il ne fe fait rien, & la deftruétion des êtres qui, fe réfolvant en d'autres, nous démontreqüe rien ne fe réduit a rien, femblent nous annoncer une éternité qui a précédé, une éternité qui fuivra, & la co-exiftence du grand architedte avec fon merveilleux ouvrage. Le climat offre des fingularités très-remarquables dans le haut Pérou. On y éprouve Ie même jour, quelquefois a Ia même heure, & toujours dans un efpace très-borné, la température des Zones les plus oppofées. Ceux qui s'y rendent des vallées, font percés en arrivant d'un froid rigoureux., dont, ni le feu, ni 1'action, ni les vêtements ne peuvent les garantir;  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 109 mais dont Pimpreffion cefie d'être défagréable, après un féjour d'un mois ou de trois femaines. Les fymptömes du mal de mer tourmentent les voyageurs qui y paroifïènt pour la première fois, avec plus ou moins de violence, felon qu'ils en auroient eu a fouftnr fur 1'Océan. Cependant, quelle qu'en foit la raifon, on n'eft pas expofé h cet accident par-tout; & aucun des Aftronomes qui mefurerent la flgure de la terre fur les montagnes de Quito, n'en fut attaqué. Dans les vallées, on efl; autant ou plus étonrié. Quoique trés-prés de 1'équateur , ce pays Jouit d'une délicieufe température. Les quatre faifons de 1'année y font fenfibles, fans qu'aucune puiffe paffèr pour incommode. Celle de 1'hyver eft la plus marquée. On en a cherché la caufe dans les vents du pole auftral, qui portent Pimpreffion des neiges & des glacés d'oü ils ont paffé. Ils ne Ia confervent en partie que paree qu'ils foufflent fous le voile d'un brouillaed épais qui couvrent alors la terre. A Ia vérité, ces vapeurs groffieres ne s'élevent réguliérement que vers le Midi : mais il eft rare qu'elles fe diflipent. Le ciei demeure communément afiez couvert, pour que ces rayons, qui quelquefois fe montrent, ne puiflenc adoucirle froid que très-légérement. Quelle que foit Ia raifon d'un hyver fi confianc fous la Zone Tornde, il eft certain qu'il ne  iio SUPPLÉMENTS pleut jamais, ou qu'il nepleuc que tous les deus ou trois ans dans le bas Pérou. La phyfique a fait les plus grands efforts pour trouver la caufe d'un phénomene fi extraordinaire. Ne pourroicon pas 1'attribuer au vend du Sud-Oueft qui y tegne la plus grande partie de 1'année, & ïi la hauteur prodigieufe des montagnes dont la cime eft couverte de glacés perpétuelles ? Le pays fitué entre deux, continuellement refroidi d'un cöté, continuellement échauffé de 1'autre, conferve une température fi égale, que les nuages qui s'élevent ne peuvent jamais fe condenfer au point de fe réfoudre en eaux formelles. II faudroit pourtant des pluies, & des pluies journalieres , pour communiquer quelque fertilité aux cötes qui s'étendent depuis Tombés jufqu'a Lima, c'eft-a dire dans un efpace de deux cents foixante-quatre lieues. Les fables en font fi généralement arides, qu'on n'y voit pas même une herbe, excepté dans les parties qu'il eft pofiible d'arrofer, & cette facilité n'eft pas ordinaire. II n'y a pas une fource dans le bas Pérou; les rivieres n'y font pas communes; & celles qu'on y voit n'ont la plupart de 1'eau que fix ou fept mois de 1'année. Ce font des torrents qui fortent des lacs, plus ou moins grands, formés dans les Cordelieres, qui ne parcourent qu'un court efpace, & qui tariflenc durant 1'été. Du temps des Incas, ces précieufes eaux étoienc  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. m recueillies avec foin, & par le fecours de divers canaux, irépandues fur une afTez grande fuperflcie qu'elles fertilifoient. Les Efpagnols ont profité de ces travaux. Leurs bourgades & leurs villes ont remplacé les cabanes des Indiens, qui, peut-être par cette raifon, font en moindre nombre dans le bas Pérou que fur les montagnes. Les vallées qui, de la capitale de 1'Empire, conduifent au Chily, ont une grande reflèmblance avec celles dont on vient de parler; cependant en quelques endroits elles fe refufent moins obftinément a la culture. Malgré les défordres de fon organifation phylïfique, la région qui nous occupe avoit vu fe former dans fon fein un Empire floriffant. On ne fauroit guere révoquer en doute, &c. Page 197, après ces mots, d'abord plus d'atrocités , lifez : que ceux du Mexique. La métropole tarda plus long-temps a donner un freina leur férocité, nourrie continuellement par les guerres civiles, longues & cruelles qui fuivirent la conquête. II s'établit depuis un fyftême d'oppreffion plus pefant & plus fuivi que dans les autres contrées du Nouveau - Monde moins éloignées de 1'Europe. Un découragement univerfel étoit la fuite nécefTaire de cette conduite abominable. Aufli les naturels du pays fe dégoüterent-ils de 1'état focial & des fatigues qu'il entraine. Ils perféve-  lis SUPPLÉMENTS rent dans ces difpofitions flcheufes, & ne fes donneroient même aucun foin pour faire naïtre des fubfiftances, s'ils n'y étoient contraints paf le Gouvernement. Leur conduite fe reffent de cette violence. Les habitants d'une communauté, hommes, femmes, enfants, fe réuniffent tous pour labourer, pour enfemencer un champ. Ces travaux, interrompus a chaque moment par des danfes &par des feftins, fe font au fon de divers inftruments. La même négligence, les mêmes plaiiirs accompagnent la récolte du maïs & des autres grains. Ces peuples ne montrent pas plus d'ardeur pour fe procurer des vêtements. Inutilement on a tenté d'infpirer un meilleur efprit, tin efprit plus convenable au bien de 1'Empire. L'autorité a été impuiffante contre les ufages que fa tyrannie avoit fait naitre, que fes injuftices en* tretenoienc. Les Péruviens, tous les Péruviens fans excep* don, font un exemple de ce profond , &c4 page 203. Page 204, après ces mots, pour travailler, lifez : Le vuide qui s'étoit fait dans la popuhtion du Pérou, & 1'inerde de ce qui y étoit refté d'hommes, déterminerent les conquérants a 1'introdudion d'une race étrangere: mais ce fupplément imaginé par un raffinement de la barbarie Européenne, fut plus nuifible a 1'Afri" que qu'utile au pays de ces Incas. L'avarice ne retira  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 113 retira pas de ces nouveaux efclaves tous les avantages qu'elle s'en étoit promis. Le Gouvernement, par-tout occupé a mettre des taxes fur les vertus & fur les vices, fur 1'induftrié & fur la pareflè, fur les bons & fur les mauvais proIets , fur la liberté de commettre des vexauons & fur la facilité a s'y fouftraire : le Gouvernement fit un monopole de ce vil commerce. II falluc recevoir les noirs d'une main rivale ou ennemie, les faire arriver a leur deftinacion par des climats mal-fains & des mers im men fes, foutenir la dépenfe de plufieurs entrepots fort chers, Cependant cette efpece d'hommes fe multiplia beaucoup plus au Pérou qu'au Mexique. Les Efpagnols s'y trouvent auffi en bien plus grand nombre; & voici pourquoi. Au temps des premières conquêtes, lorfque les émigrations étoient les plus fréquentés, le pays des Incas avoit une plus grande réputat'ion de richefTe que la Nouvelle-Efpagne; & il en fortit en effet plus de tréfors pendant un demifiecle. La paflion de les partager devoit y attirer, & y attira réellemenc un plus grand nombre de Caftillans. Quoiqu'ils y fuffent tous ou prefque tous paffes avec 1'efpoir de venir jouir un jour dans leur patrie de la fortune qu'ils auroient faite, ils fe fixerenc la plupart dans la Colonie. La douceur du climat & Ia bonté des denrées les y attachoient. Ils comptoient d'ailSuppl. Tome IL H  XXVIII. En quel état eft maintenant le Pérou. 114 SUPPLÉMENTS leurs fur une grande indépendance dans une région fi éloignée de la métropole. II faut voir a quel degré de profpérité s'eft élevé le Pérou, par les travaux réunis de tant de races diflerentes. La cöte immenfe qui s'étend depuis Panama jufqu'a Tombés, & qui, en 1718, fut détachée du Pérou pour être incorporée au nouveau Royaume, eft une des plus miférables régions du globe. Des marais vaftes & nombreux en occupent une grande partie. Ce qu'ils ne couvrent pas eft inondé durant plus de fix mois chaque année par des pluies qui tombent en torrents. Du fein de ces eaux croupiffantes & mal-faines s'élevent des forêts aufli anciennes que le monde, & tellement embraffées de lianes, que I'homme le plus fort ou le plus intrépide ne fauroit y pénétrer. Des brouillards épais & fréquents jettent un voile obfcur fur ces hideufes campagnes. Aucune des produétions de Tanden hémifphere ne fauroit croitre dans ce fol ingrat, & celles même du nouveau n'y profperent guere. Aufli n'y voiton qu'un très-petit nombre de fauvages la plupart errants, &fi peu d'Efpagnois, qu'on pourroit prefque dire qu'il n'y en a point. La cöte eft heureufement terminée par le golfe de Guayaquil, oü la nature eft moins dégradée. Ce fleuve vit s'élever, en 1533, la feconde ville que les Efpagnols batirent dans le Pérou.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 115 Les Indiens ne laifferent pas fubfifter long-temps ce monument érigé contrt leur liberté : mais il fut rétabli quatre ans après par Orellana. Ce ne fur plus dans la baie de Charopte, qui avoit été • d'abord choifie, qu'on le placa. La croupe d'une montagne éloignée de la riviere de cinq a fix cents toifes, fut préférée. Les befoins du commerce déterminerent dans la fuite les négociants a former leurs habitations fur la rive même. L'efpace qui les féparoit dè leur première demeure a été occupé fucceflivement; & aujourd nui les deux quartiers font entiérement réunis. Dans la ville baffe & dans la ville haute, les maifons font généralement en bois. Autrefois, toutes étoienc couvertes de chaume. II difparoit peu-a-peu par les ordres du Gouvernement, qui a cru ce réglement néceflaire pour prévenir les accidents du feu fi ordinaires dans ces climats. Guayaquil étoit naguere un lieu abfolument ouvert. II efl: maintenant fous la proteftion de trois forts gardés feulement par fes habitants. Ce font de grofies poutres difpofées en palifiades. Sur ce fol toujours humide & fubmergé une grande partie de 1'année, du bois que 1'eau ne pourrit jamais, efl: préférable aux ouvrages en terre ou en pierre les mieux entendus. C'eft une particularité aujourd'hui connue, que fur la cöte de Gunyaquil, aufli-bien que fur celle de Guatimala, &c. page 230. H 2  u6 SUPPLÉMENTS Page 231, après ces mots, oula foie, lifez: Ce n'eft guere qu'un objet de curiofité : mais Guayaquil, &c. Page 232, après ces mots, qui lui manquant , lifez : lui viennent du Chily & de Gua; timala. Cette ville eft Fentrepöt néceffaire de tout le commerce que le bas Pérou, Panama & Ie Mexique veulent faire avec le pays de Quito. Toutes les marchandifes que ces contrées échangent, patiënt par les mains de fes négociants. Les plus gros des navires s'arrêtent a 1'ifle de Puna, a fix ou fept lieues de la place. Les autres peuvent remonter trente-cinq lieues dans le fleuve jufqu'a Caracol. Malgré tant de moyens de s'élever, &c. Page 233, après ces mots, heureux dans Poifiveté, lifez : & dans la mollefle. En quittant le territoire de Guayaquil, on entre dans les vallées du Pérou. Elles occupent quatre cents lieues d'une cöte , femées d'un grand nombre de mauvaifes rades parmi lefquelles un heureux hafard a placé un ou deux afl'ez bons ports. Dans tout ce vafte efpace, il n'y a pas la tracé d'un feul chemin; & il faut la parcourir fur des mules pendant la nuit, paree que la réverbération du foleil en rend les fables impraticables durant le jour. A des diftances de trente ou quarante lieues, on trouve les petites  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 117 villes de Piura, de Peyta, de Santa, de Pifco, de Nafca, d'Ica, de Moquequa, d'Arica, & dans 1'intervalle un petit nombre de hameaux ou de bourgades. II n'y a dans toute cette étendue que trois villes dignes de ce nom : Truxillo, qui a neuf mille habitants; Arequipa, qui en a quarante mille, & Lima, qui en a cinquante-quatre mille. Ces divers établiffements ont été formés par-tout oü il y avoit quelque veine de terre végétale, & par-tout oü les eaux pouvoient fercilifer un limon naturellement aride. Le paysoffre les fruics propres a ce climat, & la plupart de ceux de 1'Europe. La culture du maïs, du piment & du coton qui s'y trouvoit établie, ne fut pas abandonnée; & on y porta celle du froment, de 1'orge, du manioc, des pommes de terre, du fucre, de 1'olivier & de la vigne. La chevre y a beaucoup réufli; mais la brebis a dégénéré, & fa toifon efl: extrêmement groffiere. Dans toutes les vallées, il n'y a qu'une mine; & c'efl: celle de Huantajaha. Dans le haut Pérou, a cent vingt lieues de la mer, efl: Cufco, batie par le premier des Incas, dans un terrein fort inégal & fur le penchant de plufieurs collines. Ce ne fut d'abord qu'une foible bourgade qui, avec le temps', devint une cité confidérable qu'on divifa en autant de quartiers qu'il y avoit de nations incorporées a 1'Empire. Chaque peuple avoit la libercé de fuivre fes anciens H 3  ii$ SUPPLÉMENTS ufages: mais tous devoient adorer 1'aftre brillant qui fécorde le globe. Aucun édifice n'avoit de la majefté, de 1'agrément, des eommodités, paree qu'on ignoroit les premiers principes de 1'architeéture. Le temple du foleil lui-même ne pouvoit être diftingué des autres batiments publics ou particuliers que par fon étendue & par 1'abondance des métaux prodigués pour fon ornement. Au Nord de cette capitale étoit une efpece de citadel le , élevée avec beaucoup de foin, de travaü & de dépenfe. Les Efpagnols parierent longtemps de ce monument de 1'induftrie Péruvienne avec une admiration qui fubjugua 1'Europe entiere. Des gens éclairés ont vu ces ruines, & le merveilleux a difparu. On s'eft enfin convaincu que cette fortification n'avoit guere d'autre fupériorité fur les autres ouvrages du même genre érigés dans le pays, que d'avoir été conftruite avec des pierres plus confidérables. A quatre lieues de la ville étoient les maifons de campagne des Grands & des Incas, dans la falubre & délicieufe vallée d'Yucai. C'eft-la qu'on alloit rétablir fa fanté, ou fe délaftèrdes fatigues du gouvernement. Après la conquête, la place ne conferva guere que fon nom. Ce furent d'autres édifices, d'autres habitants , d'autres occupations, d'autres moeurs, d'autres préjugés, une autre religion. Ainfi cette facalité qui bouleverfe Ia terre, les  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 119 rners, les Empires, les nations; qui jetce fucceflivement fur tous les points du globe la lumiere des arts & les ténebres de 1'ignorance; qui tranfporte les hommes & les opinions, comme les vents & les courants pouflènt les productions marines fur les cötes : cette impénétrable & bizarre deftinée vouluc que des Européens avec tout le cortege de nos crimes, que des Moines, avec tous les préjugés de leur croyance, vinflent régner & dormir dans ces murs oü les vertueux Incas faifoient depuis fi long-temps le bonheur des hommes, & oü le foleil étoit II folemnellement adoré. Qui peut donc prévoir quelle race & quel culte s'éleveront un jour fur les débris de nos Royaumes & de nos autels ? Cufco compte fous fes nouveaux maitres vingtiix mille habitants. Au milieu des montagnes fe voyent encore quelques autres villes : Chupuifaca ou la Plata qui a treize mille ames; Potofi, vingt-cinq mille; Oropefa, dix-fept mille; la Paz, vingt mille ; Guancavelica, huit mille; Huamanga, dixhuit mille cinq cents. Mais, qu'on le remarque bien , aucune de ces villes ne fut élevée dans les contrées qui offroient, &c. page 209. Page au, après ces mots, cidre inférieur, lifez : Toutes les cultures établies dans 1'Empire avoient uniquement pour but les premiers beH 4  12» SUPPLÉMENTS foins. II n'y avoit pour Ia volupté que Ia feule coca. C'eft un arbrifleau qui fe ramifie beaucoup, & ne s'éleve guere au-deflus de trois ou quatre pieds. Ses feuilles font alternes, ovales, entieres, marquées dans leur longueur de trois nervures, dont deux font peu apparentes. Les fleurs ramaflees en bouquets le long des tiges, fonc petites, compofées d'un calice a cinq divifions, de cinq pétales garnis h leur bafe d'une écaille. Le piftil entouré de dix étamines, & furmonté de trois ftyles, fe changeen une petite baie rougeatre, oblongue, qui, en fe féchant, devient triangulaire , & contient un noyau rempli d'une feule amande. La feuille de la coca faifoit les délices des Péruviens, Ils la machoient après 1'avoir mêlée avec une terre d'un gris blanc & de nature favonneufe, qu'ils nommoient locera. C'étoit, dans leur opinion, un des plus falutaires reftaurants qu'ils puflènt prendre. Leur goüt pour la coca a 11 péu varié, que fi elle venoit a manquer a ceux d'entre eux qui font enterrés dans les mines , ils ceflèroient de travailler, quelques rigueurs qu'on put employer pour les y contraindre. Les conquérants ne s'accomoderent, ni de la nourriture, ni des boiflbns du peuple vaincu. Ils naturaliferent librement & avec fuccès tous les grains, tous les fruits, tous les quadrupedes de Tanden hémifphere dans le nouveau. La métro-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. iai pole, qui s'étoit propofée de fournir a fa colonie des vins, des builes, d s eaux-de-vie, voulut d'abord interdire la culture de la vigne & de 1'olivier: mais on ne tarda pasa comprendre qu'il feroit impoffibie de faire paflèr réguliérement au Pérou des objets fujets a tant d'accidencs & d'un fi gros volume; & il fut permis de les y multiplier autant que le climat & les befoins le comporteroient. Après avoir pourvu a une fubfiftance, &c. Page 213, après ces mots, jufqu'a douze, lifez : Puis dépérit & finic vers quinze. Page 214, après ces mots, difpenfe de boire, lifez : Du temps des Incas, les peuples montroienc un grand attachement pour ces animaux utiles, & cette bienveillance s'eft perpétuée. Avant de les employer aux travaux pour lefquels ils font propres, les Péruviens aflèmblent leur parents, leurs voifins. Aufli-töt que 1'afTemblée eft formée, commencent des danfes & des feftins qui durent deux jours & deux nuits. De temps en temps, les convives vont rendre vifice aux lamas & aux pacos, leur tiennent des difcours pleins de fentiment, & leur prodiguent toutes les tendreflès qu'on feroit a la perfonne la plus chérie. On commence enfuite a s'en fervir: mais fans les dépouiller des rubans & des bandelettes dont on avoit paré leur tête. Parmi les lamas, il y a une efpece, &c. HS  rftfl SUPPLÉMENTS Page 217, après ces mots, qu'elles produifent, lifez : Tous ces animaux n'ont pas une laine égale. Celle du lama & du paco, qui font domeftïques, eft fort inférieure a celle du guanaco, & fur-tout a celle de la vigogne. On trouve même une grande différence dans la laine du même animal. Celle du dos eft communémenc d'un blond clair & de qualicé médiocre; fous le ventre, elle eft blanche & fine; blanche & groffiere dans les cuifies. Son prix, en Efpagne, eft depuis quatre jufqu'a neuf francs la livre pefant, felon fa qualité. Ces toifons étoient utilement employées au Pérou , avant que 1'Empire eüt fubi un joug étranger. Cufco en fabriquoit, pour 1'ufage, &c. Page 217, après ces mots, défend de montrer, lifez : La fierté & les habitudes des conquérants, qui leur rendoient généralement incommodes ou méprifables tous les ufages établis dans les contrées qui fervoient de théatre a leur avarice ou a leur fureur, ne leur permirent pas d'adopter 1'habillement des Péruviens. Ils demanderent a 1'Europe tout ce qu'elle poffédoit de plus fini, de plus magnifique en toiles & en étoffes. Avec le temps, les tréfors qu'on avoit d'abord pillés s'épuiferent, & il ne fut plus poffible d'en obtenir de nouveaux qu'en faifane de grandes avances, & en fe livrant h des  A L'HIST. PIIILOSOPHIQUE. 123 travaux d'une utilité douteufe. Alors les profufions diminuerent. Les anciennes fabriques de coton, que l'oppreffion avoit réduites a prefque rien, reprirent quelque vigueur. II s'en éleva d'un autre genre; & leur nombre a augmenté fuccefllvement. Avec la laine de vigogne, on fabrique, dans plufieurs Provinces, des bas, des mouchoirs, des écharpes. Cette laine, mêlée avec la laine extrêmeméntdégénéréedes moutons venusd'Europe, fert a faire des tapis & des draps pafiables. Cette derniere feule eft convertie en ferges & en d'autres étoffes groffieres. Les manufaétures de luxe font établies a Arequipa, a Cufco & a Lima. De ces trois grandes villes partent tous les bijoux & tous les diamants, toute la vaiffelle des particuliers, & toute 1'argenterie des EgÜfes. Ces ouvrages font grolïïérement travaillés & mêlés de beaucoup de cuivre. On ne retrouve guere plus de gout & de perfeftion dans les galons, dans les broderies, dans les dentelles qui fortent des mêmes atteliers. D'autres mains s'exercent a dorer les cuirs, a faire avec du bois & de 1'ivoire des morceaux de marqueterie & de fcuipture, a tracer quelques figures fur des marbres trouvés depuis peua Cuenca, ou fur des coiles de lin venues de Panden hémifphere. Ces productions d'un art imparfait fervent a la décoration des maifons, des  i24 SUPPLÉMÈNTS palais, des temples. Le defïïn n'en efl pas abfolument mauvais; mais les couleurs manquent de vérité , & ne font pas durables. Cette induftrie appartient prefqu'exclufivement aux Indiens fixésa Cufco, & moins opprimés, moins abrutisfur ce théatre de leur première gloire que dans tout le refte de 1'Empire. Si ces / méricains, a qui la nature a refufé 1'efprit d'invention, mais qui favent imiter, avoient eu d'excellents modeles & des maitres habiles, ils feroient devenus du moins de bons copiftes. On porta a Rome, fur la fin du fiecle dernier, des ouvrages d'un Peintre Péruvien, nommé Michel de Saint-Jacques, oü les connoifleurs trouverent du génie. Ici, j'entends des murmures. On me dit quel intérêt veux-tu que je prenne a ces vains détails dont tu m'importunes depuis fi long-temps? Parle-moi de 1'or, de 1'argent du Pérou. Dans cette région fi reculée du Nouveau - Monde, jamais jen ai vu, jamais je ne verrai que [es mét aux. Qui que tu fois qui m'interpelles ainfi, hommeavare, homme fansgoüt, qui,tranfporté au Mexique & au Pérou, n'étudierois ni les mceurs, ni les ufages, qui ne daignerois pas jetter un coup d'oeil fur les fleuves, fur les montagnes, fur les forêts, fur les campagnes, fur la diverfité des climats, fur les poiflbns & fur les infeéïes; mais qui demanderois oü font les mines d'or? oü font les atteliers oü l'on travaille 1'or;  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 125 je vois que tu es entré dans Ia leclure de mon ouvrage , comme les féroces Européens dans ces riches & malheureufes contrées; je vois que tu étoisdigne de lesy accompagner, paree que tu avois la même ame qu'eux. Hé bien, defcends dans ces mines; trouves - y la mort a cöté de ceux qui les exploitent pour toi; & fi tu en remontes, connois du moins la fource criminelle de ces funefies tréfors que tu ambitionnes ; puiflètu ne les pofleder a 1'avenir fans éprouver le remords! Que 1'orchangede couleur, & que tes yeux ne le voyent que teint de fang. On trouve dans le pays des Incas, des mines de cuivre, d'étain, de foufre, de bitume qui font généralement négligées. L'extrême befoin a procuré quelque attention a celles de fel. On y taille ce fofiile en pierres proportionnées a la force des lamas & des pacos deftinés a les difiribuer dans toutes les Provinces de 1'Empire éloignées de 1'Océan. Ce fel eft de couleur violette, & a des veines comme le jafpe. II n'eft vendu, ni au poids, ni a la mefure, mais en pierres dont le volume eft a-peu-près égal. Une nouvelle matiere a été découverte depuis peu dans ces régions: c'eft la platine, ainfi appellée du mot Efpagnol plata, dont on a fait le diminutifplatina, ou petit argent. C'eft une fubftance métalliquequijufqu'icin'a été apporcée du Nouveau-Monde dans Tanden, XXX. Defcription des mines du Pérou , & fpécialement de celles de platine & de mercure»  i2Ö SUPPLÉMEKTS que fous la forme de petits graviers anguleux, triangulaires & fort irréguliers, comme de la groffe limaille de fer. Sa couleur eft d'un blanc moyen, entre la blancheur de 1'argent & celle du fer, ayant un peu le gras du plomb. M. Ulloa eft le premier qui ait parlé de la platine, dans la relation qu'il publia en 1748,d'un long voyage qu'il venoit de faire au Pérou. II apprit a 1'Europe que cette fubltance extraordinaire , & qu'on doit regarder comme un huitieme métal, venoit des mines d'or de 1'Amérique, & fe trouvoit en particulier dans celles du nouveau Royaume. L'année fuivante, Wood, métallurgifte Anglois, en apporta quelques échantillons de la Jamaïque dans la Grande-Bretagne. II les avoit recus huk ouneuf ans auparavant de Carthagene, & les avoit foumis, avant perfonne, a des expériences. De très-habiles chymiftes fe font occupés depuis d'expériences & de recherches fur la platine; en Angleterre, M. Lewis; en Suede, M. Scheffer ; en Prufle, M. Margraff; enfin en France, MM. Macquer, Beaumé, de Buffon , de Morveau, de Sickengen, de Milly. Les travaux réunis de ces différents chymiftes ont tellement avancé nos connoifiances fur cet objet, qu'on ne craint pas de dire, qu'il eft peu de fubftanccs métalliques qui nous foient aujourd'hui  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 127 mieux connues que Ia platine. Celle qui nous arrivé en France n'eft jamais abfolumenc pure. Elle eft communément mêlée avec une quantité afiez confidérable d'un pecic fable noir, aufli attirable a 1'aimantque le meilleur fer, mais qui eft indiffoluble dans les acides, & qui le fond avec beaucoup de difficulcé. Enfin, on y remarque quelquefois des parcelles d'or très-fines. Ce mélange, a-peu-près conftant, de la platine brute avec 1'or & avec Ie fer, avoit fait foupconner qu'elle pouvoit bien n'être autre chofe qu'un alliage de ces deux métaux; & en effet, en fondant enfemble de 1'or & du fer, ou mieux encore de 1'or & du fable magnétique, femblable a celui qui fe trouve mêlé avec la platine, on obtient un alliage qui a quelques rapports apparents avec cette fubftance métallique: mais un examen plus approfondi femble avoir détruit cette opinion, & les expériences de MM. Macquer & Beaumé , & fur-tout celles de M. le Baron de Sickengen, paroiffent avoir démontré , que Ia platine eft un métal particulier, qui n'eft formé de la combinaifon d'aucun autre , & qui a des qualités qui lui font propres. Le peu de connoiflances que les Chymiftes ont eues jufqu'ici de Phiftoire naturelle de la platine, & la petite quantité qu'ils en ont eue en leur pofieflion, ne leur a pas permis d'y appliquer encore en grand les travanx de la métallurgie:  128 SUPPLÉMENTS mais les méthodes qu'ils ont données, & celles fur-tout dont on eft redevable a M. le Baron de Sickengen, font fuffifantes pour l'exaéb'tude chymique. II ne refte plus qu'a les rendre plus fimples &• moins difpendieufes. La première opération a faire fur la platine, confifte a en féparer 1'or, le fer & le fable magnétique, avec lequel elle efl: unie. Pour remplir cet objet, on la diffout a 1'aide d'un peu de chaleur dans une eau régale, formée d'a-peuprès parties égales d'acide nitreux & d'acide marin. Le fable qui eft indiffoluble, refte au fond du vafe oü l'on opere; & en tranfvafant la liqueur, on a une diflölution qui contientdel'or, du fer & de la platine. Pour opérer d'abord la féparation de 1'or, on ajoute a la diffolution une petite portion de vitriol de fer. Aufli-töt 1'or fe précipite, mais il n'en eft pas de même de la platine, qui continue a demeurer unie au diflblvant. Enfin, pour fe débarrafièr du fer, on verfe goutte a goutte dans la même liqueur, de 1'alkali qui a été préalablement calciné avec du fang de boeuf. Auffi-töt le fer fe précipite fous la couleur de bleu de Pruffe, & il ne refte plus dans la diffolution que de la platine parfaitement pure, combinée avec Feau régale. La platine ainfi purifiée, il ne s'agit plus que de la féparer de fon diflblvant, & c'eft a quoi ön parvient par 1'addicion du fel ammoniac. Ce fel  A L'HIST. PHILOSOPHIQUË. 109 fel précipite la platine fous couleur jaune, & ce précipité traité a grand feu j fe ramollit & fe fond même; & en le forgeanc fous le marteau, on en obcient de la platine très-pure & très-malléable* II paroit, d'après ce qu'on a pu recueillir du mémoire de M. le Baron de Sickengen * qui a été communiqué a 1'Académie des Sciences, mais qui n'a point encore écé publié, que la platine brute, traitée feule & chauffée a grand feu fe ramollit affez pour pouvoir être forgée & mife en barreaux; & cette cireonftance indique tout naturellement la marche qu'il y auroit a fuivre pour la traiter dans les travaux en grand» Le métal qu'on obtient par ces différents procédés b eft a-peu-près de la même pefanteur fpéciflque que 1'or; il eft d'une couleur qui tient le milieu entre celle du fer & de 1'argent; il eft fufceptible de fe forger, de s'étendre en James minces, de fe filer; mais il n'eft pas a beaucoup prés auffi duftile que 1'or, & le fil qu'on en ob*tient n'eft pas, a diametre égal, en état de fupporterun poids auffi fort fans fe rompre. DifTous dans de 1'eau régale* ön peut, en le précipitanr, lui faire prendre une infinité de couleurs difféfentes; & M. le Comte de Mil'y eft rtarvenu h Varier tellement ces précipités, qu'il a fait exé» cuter ün tableau dans lequel il n'entroit prefquê üniquement que de la platinéi L'or eft fufceptible de s'allief av'eé tous les Suppl. Tome IL I  i3o SUPPLÉMENTS métaux , & la platine a comme lui cette propriété : mais lorfqu'elle entre dans 1'alliage dans une trop grande proportion, elle le rend cafiant. AÜiée avec le cuivre jaune, elle forme un métal dur & compaéte, fufceptible de prendre le plus beau poli, qui ne fe ternit point a 1'air, & qui feroit en conféquence très-propre a faire des miroirs de télefcope. II ne paroït pas que le mercure ait aucune aétion fur la platine. M. Levis avoit propofé en conféquence 1'amalgame avec le mercure, comme un moyen proprea la féparer d'avec 1'or, auquel elle pouvoit avoir été unie : mais ce moyen a été regardépar les Chymiftes modernes comme incertain & fautif; & il exifte aujourd'hui des méthodes plus fures. Telles font celles dont on a parlé au commencement de cet article. Ce nouveau métal préfente des propriétés infiniment intérefTantes pour la fociété. II n'eft attaquable par aucun acide llmple, ni par aucun dilïblvant connu, fi ce n'eft par 1'eau régale; il n'eft point fufceptible de fe ternir a 1'air, ni de s'y couvrir de rouille; il réunit a la fixité de 1'or & a la propriété qu'il a d etreindeftruétible, une dureté prefque égale a celle du fer, une infufibilité'beaucoup plus grande. Enfin, on ne peut fe refufer de conclure, en confidérant tous les avantages de la platine, que ce métal mérite au moins, par fa fupériorité fur tous les autres,  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 131 de partager Ie ticre de roi des métaux , que 1'or a obcenu depuis fi long-temps. II feroit a defirer fans doute qu'un métal auffi précieux put devenir commun, & qu'on put 1'employer pour les uftenfilcs de cuifine, dans les arts & dans les laboratoires de chymie. II ,, réuniroit tous les avantages des vaiffeaux de verre , de porcelaine & de grès, fans en avoir la fragilité. Un préjugé du Miniftere Efpagnol, & qui a été long-temps celui de tous les Chymiftes , nous privé de cet avantage. On s'eft perfuadé que la platine pouvoit s'allier avec 1'or, de maniere a ne pouvoir en être féparée par aucun moyen, & en conféquence on a cru devoir interdire 1'extraclion & le tranfport d'une fubftance qui pouvoit fournir des armes dangereufes a la cupidité. Mais aujourd'hui qu'on connoit des moyens auffi fimples & auffi faciles de féparer 1'or d'avec la platine, que de féparer 1'argenc davec 1'or; aujourd'hui que les Chymiftes nous ont appris que lorfque ces deux métaux font difibus dans 1'eau régale, on peut précipiter 1'or par 1'addition du vitriol de mars, ou la platine par 1'addition du fel ammoniac, & que dans les deux cas, ces deux métaux font parfaitement féparés; enfin, aujourd'hui que ceux qui gouvernent les nations ont des moyens faciles pour s'éclairer en confultant les académies, on. ne peut douter que le Gouvernement Efpagnol I 2  132 SUPPLÉMENTS ne s'empreflè de tirer parti d'une richefle dont il paroit jufqu'ici qu'il eft le feul profeftèur, & dont il peut faire un ufage utile pour fa nation & pour la fociété toute entiere. Hors une feule, la nature n'a point formé des mines d'or & d'argent dans ce qu'on appelle les vallées du Pérou. Les groftès mafièa de cesprécieux métaux qui s'y rencontrent quelquefois, y ont été tranfportées par des embrafements fouterreins, des volcans, des tremblements de terre; par les révolutions que l'Amémérique a efluyées, efTuye encore tous les jours. Ces maflës détachées s'offrent auffi de temps en temps ailleurs. Vers 1'an 1730, on trouva, nonloin de la ville de la Paz, un morceau d'or qui pefoit quatre-vingt-dix marcs. C'étoit un compofé de fix différentes efpeces de ce précieux métal, depuis dix-fept jufqu'a vingt-trois karats & demi. On ne voit que peu de mines & de bas-aloi dans les monticules voifins de la mer. C'eft feulement dans les lieux très-froids & très-élevés qu'elles font riches & multipliées. Sans avoir des monnoies, les Péruviens connoiflbient 1'emploi de 1'or & de 1'argent qu'ils réduifoient en bijoux, ou même en vafes. Les torrents & les rivieres leur fourniflbient le premier de ces métaux : mais pour fe procurer le fecond, il falloic plus de travail & plus d'induftrie. Le plus fouvent on ouvroit la terre, mais  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 133 jamais fi profondémenc que les travailleurs ne puflènt jetcer eux-mêmes le minerai fur lesbords de la foflè qu'ils avoient creufée, ou du moins 1'y faire arriver en le tranfmettant de main en main. Quelquefois auffi on percoit le flanc des montagnes, & l'on fuivoit, dans un efpace toujours très-peu étendu, les differentes veines que la fortune pouvoit offrir. C'étoit par le moyen du feu qu'étoient fondus les métaux , qu'ils étoient dégagés des matieres étrangeres qui s'y trouvoient mêlées. Des fourneaux, oü un courant d'air rempliflbit la fondion du foufflet, entiérerement inconnu dans ces régions, fervoient a cette opération difficile. Porco, peuéloigné du lieu oü un desLieutenants de Pizarre fonda , en 1539, la ville de la Plata, Porco étoit de toutes les mines que les Incas faifoient travailler, la plus abondante & la plus connue. Ce fut auffi la première que les Efpagnols exploiterent après la conquête. Une infinité d'autres ne tarderent pas a fuivre. Toutes, fans exception, toutes fe trouverent d'une exploitation très-difpendieufe. La nature les a placées dans des contrées privées d'eau, de bois, de vivres, de tous les foutiens de Ia vie, qu'il faut faire arriver avec de grands fraix a travers des déferts immenfes. Ces difficultés ont été furmontées, le font encore, avec plus ou moins de fuccès. I 3  i34 SUPPLÉMENT S Plufieurs mines qui eurent de la réputation ont été abandonnées fucceffivemenc. Leur produic, quoique égal a celui des premiers temps, ne fuffifoit plus pour foutenir les dépenfes qu'il falloic faire pour 1'obtenir. Cette révolution eft réfervée a beaucoup d'autres. On a été forcé de renoncer a des mines qui avoient donné de faulïès efpérances. De ce nombre a été celle d'Ucantaya, découverte en 1703, foixante lieues au Sud-Eft de Cufco. Ce n'étoic qu'une croüte d'argent prefque maffif, qui rendit d'abord beaucoup , mais qui fuc bientót épuifée. Des mines très-riches ont été négligées, paree que les eaux s'en étoient emparées. La difpofition du terrein, qui, du fommet des Cordelieres, va toujours en pente jufqu'a la mer du Sud, a dü rendre cesévénements plus communs au Pérou qu'ailleurs. Le mal s'eft trouvé quelquefois fans remede; d'autres fois on 1'a réparé; le plus fouventil s'eft perpétué, faute de moyens, d'activité ou d'intelligence. On s'attacha d'abord de préférence aux mines d'or. Les gens fages ne tarderent pas a fe décider pour celles d'argent, généralement plus fuivies, plus égales, & par conféquent moins trompeufes. Plufieurs des premières font cependant encore exploitées. Des fuccès affez fuivis font regarder celles de Lucixaca, d'Araca, de  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 135 Suches, de Caracaua, de Fipoani, de Cachabamba comme les plus riches. Entre celles d'argent, qui, de nos jours, ont le plus de réputation , il faut placer celle de Huantajaha, exploitée depuis quarante ou cinquante ans, a deux lieues de la mer, prés de la rade d'Iqueyque. En creufant cinq a lix pieds dans la plaine, on trouve fouvent des malles détachées qu'on ne prendroit d'abord que pour un mélange confus de gravier & de fable, & qui a 1'épreuve rendent en argent les deux tiers de leur pefanteur. Quelquefois il y en a de fi confidérables, qu'en 1749 on en renvoya deux a la Cour d'Efpagne, 1'une de cent foixante-quinze livres, & 1'autre de trois cents foixante-quinze. Dans les montagnes, le métal efl: en filon & de deux efpeces. Celle que dans la contrée on nomme tarra, fe coupe comme le roe, & prend la route de Limaoü elle eft travaillée. Elle donne leplus fouvent une, deux, trois, quatre & jufqu'a cinq parties d'argent pour une de pierre. L'autre eft purifiée par le moyen du feu dans le pays même. Si cinq de fes quintaux ne produifent pas un mare d'argent, elle eft jettée dans les décombres. Ce mépris vient de 1'exceflive cherté des vivres, de 1'obligation de tirer l'eau potable de quatorze lieues, de la néceflité d'aller moudre le minerai k une diftance très-confidérable. A trente lieues Nord-Eft d'Arequipa, eft CaylI 4  336 SUPPLÉMENTS lorna. Ses mines furent découvertes très-anciennement; on ne cefla jamais de les exploiter, & leur abondance eft toujours la même. Celles du Potofi furent trouvées en 1545. Un Indien, nommé Hualpa,pag. 2.23. Page 224, après ces mots, établi dans le voifinage , lifez : Cette connoifiance échauffa rapidement les efprits. Plufieurs mines furent auffi-töt ouvertes dans une montagne qui a la forme d'un cöne, une lieue de circonférence, cinq a fix cents toifes d'élévation, & la couleur d'un rouge obfcur. Avec le temps, une montagne moins conlidérable, & qui fort de la première , fut également & aulïï heureufement fouillée. Les tréfors qu'on tiroit de 1'une & de 1'autre furent 1'origine d'une des plus grandes & des plus Opulentes cités du Nouveau-Monde. Dans aucune contrée du globe, la nature n'of-frit jamais a 1'avidité humaine d'aufli riches mines que celles du Potofi. Indépendamment de ce qui ne fut pas enregiftré, & qui s'écoula en fraude, le quint du gouvernement, depuis 1545 jufqu'en 1564, monta a 36,450,000 livres chaque année. Mais cette prodigieufe abondance de métaux ne tarda pas a diminuer. Depuis 1564 jufqu'en 1685, k 1u'nt armuel ne f"uc ^ de 15,187,489 liv. 4 fols. Depuis 1585 jufqu'en 1624, de 12,149,994 liv. 12 f. Depuis 1624 jufqu'en 1633, de 6,07^,^7 liv. 6. f. Depuis  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 137 eette derniere époque, le produit de ces mines a li fenliblement diminué, qu'en 1763 le quint du Roi ne pafla pas 1,364,682 liv. 12 fols. Dans les premiers temps, chaque quintal de minerai donnoit cinquante livres d'argent. Cinquante quintaux de minerai ne produifent plus que deux livres d'argent. C'efl: un, au-lieu de douze cents cinquante. Pour peu que cette dégradation augmente, on fera forcé de renoncer a cette fource de richeflès, II eft même vraifemblable que cet événement feroit déja arrivé, fi, au Potofi, la mine n'étoit fi tendre, fi les eaux n'étoient fi favorablement difpofées pour la moudre, que les dépenfes y font infinimenc moindres que par-tout ailleurs. Mais pendant que les mines du Potofi voyoient s'éclipfer graduellement leur éclat, s'élevoient non loin d'elles a une grande réputation celles d'Oruro. Leur profpérité augroentoit même , lorfque les eaux s'emparerent des plus abondantes. Au temps ou nous écrivons, on n'a pas encore réufll a les faigner, & tant de tréfors reftent toujours fubmergés. Les mines de Popo, les plus importantes de celles qui ont échappé a ce grand défaftre, ne font éloignées que de douze lieues de la ville de San-Philippe de Auftria de Gruro, batie dans ce canton autrefois fi célebre. Nul accident ne troubla jamais les travaux I S  i33 SUPPLÉMENT? efaucun des mineurs établis a 1'Ouefi: de la Plata, dans le diflrict de Carangas. Cependant ceux que le hafard avoit attirés a Turco furent conftammentles plus heureux, paree que cette montagne leur offrit toujours un minerai incorporé ou comme fondu dans la pierre, & par conféquent plus riche que tous les autres. Dans le diocefede la Paz, & afTez prés de Ia petite ville de Puno, Jofeph Salcedo découvrit, vers Fan 1660, la mine de Layca-Cota. Elle étoit fi abondante qu'on coupoit fouvent Fargent au cifeau. La profpérité, qui rabaiffè les petites ames, avoit tellement élevé celle du propriétaire de tant de richeflès, qu'il permettoit a tous les Efpagnols qui venoient chercher fortune dans cette partie du Nouveau-Monde, de travailler quelques jours a leur profit, fans pefer & fans mefurer le don qu'il leur faifoit. Cette générofité attira autour de lui une multitude d'aventuriers. Leur avidité leur mit les armes a la main. Ils fe chargerent; & leur bienfaiteur, qui n'avoit rien négligé pour prévenir ou pour étouffer leurs divifions fanglantes , fut pendu comme en étant 1'auteur. De pareils traits feroient capables d'affoiblir dans les ames le penchant a la bienfaifance, & mon cceur a répugné a rapporter celui-ci. Pendant que Salcedo étoit en prifon, 1'eau gagna fa mine. La fuperftition fit imaginer que  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 139 c'étoit en punition de Pattentac commis contre lui. On refpecla long-temps cette idéé de la vengeance célefte. Mais enfin, en 1740, Diego de Baena & quelques autres hommes entreprenants s'aflbcierent, pour détourner les. fources qui avoient noyé tant de tréfors. L'ouvrage étoit aflèz avancé en 1754, pour qu'on en retmk déja quelque utilité. Nous ignorons ce qui efl: arrivé depuis cette époque. Toutes les mines ,du Pérou étoient originairement exploitées par le moyen du feu. Dans la plupart, on lui fubftitua en 1571 le mercure. Ce puiflant agent fe trouve en deux Etats différents dans le fein de la terre. S'il y efl: tout pur & fous la forme fluide qui lui eft propre, on le nomme mercure vier ge, paree qu'il n'a point éprouvé l'adion du feu pour être tiré de la mine. S'il y eft combiné avec le foufre, il forme une fubftance d'un rouge plus Ou moins vif, qu'on nomme cinnabre. Jufqu'a la mine de mercure vierge, &c. Page 226, après ces mots, fueur très-abondante, lifez : C'eft dans ces fouterreins qu'eft le mercure, dans une efpece d'argilleou dans des pierres. Quelquefois même, ou voit couler cette fubftance en forme de pluies, & fuinter fi copieufement, &c. Ibid, après ces mots, alkali fixe, lifez : La Hongrie, 1'Efclavonie, la Bohème, laCarinthie  14° SUPPLÉMENTS le Frioul & la Normandie fourniffent a 1'Europt cecte derniere efpece de mercure. Ce qu'il en fauc a TEfpagne pour le Mexique fort de fa mine d'Almaden, déja célebre du temps des Romains: mais le Pérou a trouvé dans fon fein même, a Guanca-Velica, de quoi pourvoir a tous fes befoins. Cette mine étoit, dit-on, connue des anciens Péruviens qui s'en fervoient uniquement pour peindre leur vifage. On 1'oublia dans le cahos oü la conquête plongea cette région infortunée. Elle fut retrouvée en 1556, felon quelques hiftoriens, & en 1564 felon d'autres : mais PedroFernandez Velafco fut le premier qui, en 1571, imagina de la faire fervir a 1'exploitation des autres mines. Le Gouvernement s'en réferva la propriété. Dans la crainte même que les droits qu'il mettoit fur le mercure ne fuflènt fraudés, il défendit d'ouvrir, fous quelque prétexte que ce fut, d'autres mines du même genre. La mine de Guanca - Velica a éprouvé plufieurs révolutions. Au temps oü nous écrivons, fa circonférence eft de cent quatre-vingts vares, fon diametre de foixante, & fa profondeur de cinq cents treize. Elle a quatre ouvertures, toutes au fommet de la montagne, un petit nombre d'arcboutants deftinés a foutenir les terres, & trois foupiraux qui donnent de 1'air ou fervent a 1'écoulement des eaux. Elle eft exploitée par  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 141 quelques aflbciés, la plupart fans fortune, aux* quels le Souverain fait les avances dont ils ont befoin, & qui lui livrent le mercure a un prix convenu. Les hommes employés a ces travaux, éprouvoient autrefois aflèz généralement des mouvements convulfifs. Cette calamité eft maintenant beaucoup moins commune; foit paree que le mercure que le minerai contenoit a diminué de plus de moitié, foit qu'on ait imaginé quelques précautions qui avoient été d'abord négligées. Ceux qui ont foin des fourneaux font prefque les feuls expofés aujourd'hui a ce malheur; & encore leur guérifon eft-elle affez facile. II n'y a qu'a les faire pafïèr dans un climat chaud, qu'a les occuper a la culture des terres. Le mercure qui Meelok leurs membres fort par la tranfpiration» La ftérilité de Guanca Velica & des terres limicrophes eft remarquable. Aucun arbre fruitier n'a pu y être naturalifé. De toutes les efpeces de bied qu'on a femées, 1'orge feul a germé; & encore n'eft - il jamais parvenu a former du grain. II n'y a que la pomme de terre qui aic profpéré. L'air n'eft pas plus falubre que le fol n'eft fertile. Les enfants, nouvellement nés, périfïent par le tetanos encore plus fouvent que dans le refte du Nouveau- Monde. Ceux qui ont échappé a ce danger , font attaqués a trois ou quatre mois d'une toux violente, & meurent la plupart dans  142 SUPPLÉMENTS des convulfions, a moins qu'on n'ait 1'attentïöri de les tranfporter fous un ciel plus doux. Cette précaution néceflaire pour les Indiens, pour les métis, 1'eft beaucoup plus pour les Efpagnols qui font moins robuftes. La rigueur extréme du climat, les vapeurs fulfureufes qui couvrenc 1'horifon , le tempérament généralement vicié des peres & des meres, doivent être les caufes principales d'une fi grande calamité. II y avoit long-temps que les monts très-élevés de Guanca-Velica occupoient les hommes avides derichefies, lorfqu'ils font venus intérefièr la phyfique. Les Aftronomes, envoyés en 1735 au Pérou pour mefurer les degrés du méridien , parcoururent un efpace de quatre - vingt-dix lieues, en commencant un peu au Nord de 1'équateur jufqu'au Midi de la ville de Cuenca, & n'appergurent aucun figne qui leur donnat lieu de croire que ces montagnes les plus hautes de 1'univers euffènt été jamais couvertes par 1'Océan. Les bancs de coquillage qu'on découvrit quelque temps après au Chily, ne prouvoient pas le contraire, paree qu'ils étoient fur des hauteurs qui n'avoient que cinquante toifes. Mais depuis que Guanca-Velica a offert des coquilles en nature & des coquilles pétrifiées, les unes & les autres en trés-grand nombre, c'eft une néceffité de revenir fur fes pas, & d'abandonner toutes  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 145 les conféquences qu'on avoit tirées de ce phénomene. Ce n'eft pas a Guanca-Velica que le mercure eft livré au public. Le Gouvernement 1'envoye dans les Provinces ou font les mines. Les dépots font au nombre de douze. En 1763, GuancaVelica en confomma lui-même cent quarantedeux quintaux ;Tauja, deux cents quarante-fept; Pafco, fept cents vingt-neuf; Truxillo, cent trente-un; Cufco, treize; la Plata, trois cents foixante-neuf; la Paz, trente; Caylloma, trois cents foixante-quatorze; Carangas, cent cinquante ; Oruro, douze cents foixante-quacre; Potofi, mille fept cents quatre-vingt-douze. Ce qui fut en tout cinq mille deux cents quarante-un quintaux. Quoique la qualité du minerai décide de Ia plus grande ou de la moindre confommation du mercure, on penfe généralement dans 1'autrehémifphere, oü la métallurgie eft très-imparfaite, que, dans 1'enfemble, la confommation du mercure eft égale a Ia quantité d'argent qu'on tire des mines. Dans cette fuppofition, les douze dépots qui, depuis 1759 jufqu'en 1763, livrerent, année commune, cinq mille trois cents quatre quintaux dix-huit livres de mercure, devoient recevoir cinq mille trois cents quatre quintaux dixhuit livres d'argent. Cependant il ne leur en fut porté que deux mille deux cents cinquante. Ce  XXXI. Renverfement & réé«ttficationde Lima. Mceurs de cette capitale du Pé- ÏOU, 144 SUPPLEMENTS furent donc deux mille fept cents cinquante-quatre quintaux dix-huit livres qui furent détournés pour frauder les droits. Lima a toujours vu couler dans fon fein la plus grande partie de ces richeffès , qu'elles ayent ou n'ayenc pas échappé a la vigilance du fifc. Cetce capitale, Mtie en 1535, par Francois Pizarre, & devenue depuis fi célebre, eft fituée a deux lieues de la mer, dans une plaine délicieufe. Sa vue fe promene d'un cöté fur un Océan tranquille, & de 1'autre s'étend jufqu'aux Cordelieres. Son territoire n'eft qu'un amas de pierres a fulïl que la mer y a fans doute entaffées avec les fiecles , mais couverte d'un pied de terre que les eaux defource qu'on y trouve par-tout en creufant, ont dü y amener des montagnes. Des cannesafucre, des oliviers fans nombre * quelques vignes, des prairies artificielles, des paturages pleins de fel qui donnent aux viandes un goüt exquis, de menus grains deftinés a la nour» riture des volailles qui font parfaites, des arbres fruitiers de toutes les efpeces, quelques autres cultures couvrent ces campagnes fortunées. L'orge & le froment y profpérerent long-temps smais un tremblement de terre y fit, il y a plus d'un fiecle, une fi grande révolution , que les femences pourrifibient fans germer. Ce ne futqu'apxès quarante ans de ftérilité que le fol redevinc tout ce qu'il avoit été. Lima, ainfi que les autres villes  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 145 villes des vallées, doic principalemenc fes fubfiftances aux fueurs des noirs. Ce n'eft guere que dans Pintèrieur du pays que les champs font exploités par les Indiens. Avant 1'arrivée des Efpagnols, toutes les conftruétions fe faifoient au Pérou fans aucuns fondements. Les murs des maifons particulieres & des édifices publics étoienc également jettés fur la fuperficie de la terre, avec quelques matériaux qu'ils fuflènt élevés. L'expérience avoit appris k ces peuples ,que, dans la région qu'ils habitoient, c'étoit 1'unique maniere de fe loger folidement» Leurs conquérants, qui méprifoient fouverainement ce qui s'écartoit de leurs ufages, & qui portoient par-tout les pratiques de PEurope, fans examiner fi elles convenoient aux contrées qu'ils envahiflbient, leurs conquérants s'éloignerent en particulier a Lima de la maniere de b&tir qu'ils trouvoient généralement établie. Aufli lorfque les naturels du pays virent ouvrir de profondes tranchées, & employer Ie ciment, direntils que leurs tyrans creufoient des tombeaux pour s'enterrer; & c'étoit peut-être une confolation au malheur du vaincu, de prévoir que Ia terre elle-même le vengeroic un jour de fes dévaftateurs. La prédiétion s'eft accömplie. La capitale du Pérou, renverfée en détail par onze tremblements de terre, fut enfin détruite par le douzie- Suppl Tome IL K  i46 SUPPLÉMENTS me. Le 28 Oftobre 1746, a dix heures & demie du foir, tous ou prefque tous les édiflces, grands & petits, s'écroulerent en trois minutes. Sous ces décombres furent écrafées treize cents perfonnes. Un nombre infiniment plus confidérable furent mutilées; & la plupart périrent dans des tourments horribles. Callao, qui fert de port a Lima, fut égale* ment bouleverfé; & ce fut le moindre de fes malheurs. La mer qui avoit reculé d'horreur au moment de cette terrible cataftrophe, revint bientöt affaillir de fes vagues impétueufes 1'efpace qu'elle avoit abandonné. Le peu de maifons & de fortifications qui avoient échappé, devinrent fa proie. De quatre mille habitants que comptoit cette rade célebre, il n'y en eut que deux cents de fauvés. Elle avoic alors vingt-trois navires. Dix-neuf furent engloutis, & les autres jettés bien avant dans les terres par 1'Océan irrité. Le ravage s'étendit fur toute la cöte. Le peu qu'il y avoit de batiments dans fes mauvais pons furent fracafTés. Les villes des vallées fouffrirent généralement quelques dommages; plufieurs même furent totalement bouleverfées. Dans les montagnes, quatre ou cinq volcans vomirentdes colonnes d'eau fi prodigieufes, que le pays en fut inondé. Les efprits tombés depuis long- temps, comme en léthargie, furent réveillés par cette funefte  A L'HIST. PHILOSOPMIQUE. 147 eataflrophe; & ce fut Lima qui donna 1'exemple de ce changement. II-falloic déblayer d'immenfes décombres entalfés les uns fur les autres. II falloic retirer les richeffes immenfes enterrées fous ces ruines. II falloic aller chercher a Guayaquil, & plus loin encore, tout ce qui étoic néceffaire pourd'innombrables conftruétions. II falloic avec des matériaux raflèmblés de tant de contrées élever une cité fupérieure a celle qui avoit été dé* truite. Ces prodiges, qu'on ne devoit pas attendre d'un peuple oifif & efféminé, s'exécuterent très-rapidemenr» Le befoin donna de 1'adivité, de 1'émulation, de l'induflxie. Lima, quoique peut-être moins riche, eftaduellement plus agréable quelorfqu'en 1682, fes murs offrirenta 1'enïrée du Vice-Roi, Duc de Palata, desrues paVées d'argent. II efl auffi plus folidement bati; & voici pourquoi. La vanité d'avoir des palais aveügla long-temps les habitants de la capitale du Pérou fur les dangers auxquels cette folie oftentatiort les expofoit» Inutilement, la cerre engloutit, a diverfes époques, ces maflès énormes; l'inftrudtion ne fut jamais affez forte pour les corriger. La derniere cataftrophe leur a ouvert les yeux. Ils fe font foumis a la néceffité, & óm enfin fuivi 1'exemple des autres Efpagnols fixés dans les vallées. Les maifons font actuellemeht fort balles, & K %  i48 SUPPLÉMENTS n'ont la plupart qu'un rez-de-chauflee. Elles ont pour mur des poceaux placés de diftance en diftance. Ces intervalles font remplis par des cannes affez femblables aux nötres, mais qui n'ont point de cavité, qui font très-folides, qui pourriflènc difficilement, & qui font enduites d'une terre glaife. Ces finguliers édifices font couronnés par un toit de boisentiérement plat, recouvert auffi de terre glaife, précaution fuffifante dans un climat oü il ne pleut jamais. Un ofier de grande réfiftance, que dans le pays on nomme chaglas, lie lesdifférentes parties decesbatiments les unes aux autres, & les unit toutes aux fondements. Avec cette conftrucïion , les maifons entieres fe prêtent aifément aux mouvements qui leur foric communiqués par les tremblements de terre. Elles peuvent bien être endommagées par ces mouvements convulfifs de la nature; mais il eft difficile qu'elles foient renverfées. Cependant ces batiments ne manquent pas a'apparence. L'attention qu'on a d'en peindre en pierres de taille les murailles & les corniches ne laiffe pas foupconner la qualité des matériaux dont ils font formés. On leur trouve même un air de grandeur & de folidité auquel il ne feroit pas naturel de s'attendre. Le vice de conftruftion eft encore mieux fauvé dans l'intérieur des maifons oü tous les ornements font peints aufli d'une maniere plus ou moins élé-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 149 gante. Dans les édifices publics, on s'eft un peu écarté de la méthode ordinaire. Plufieurs 1 ont dix pieds d'élévation en brique cuite au fo( leil; quelques Eglifes même ont en pierre une ; hauteur pareille. Le refte de ces monumenrs eft 1 en bois peint ou doré; ainfi que les colonnes, les frifes & les ftatues qui les décorent. Les rues de Lima font larges, paralleles, & fe 1 coupent a angles droits. Des eaux tirées de la ri- > viere de Rimac qui baigne fes murs, les lavent, | les rafraichiftènt continuellement. Ce qui n'eft pas 1 employé a cet ufage falutaire, eft heureufemenc [ diftribué pour la commodité des cicoyens, pourr ; 1'agrément des jardins, pour la fertilité des cam- , pagnes. Les fléaux de Ia nature qui ont ranimé a un ; certain point les travaux a Lima, ont eu moins 1 d'influence fur les moeurs. La fuperftition qui regne fur toute 1'étendue de la domination Efpagnole, tient au Pérou deux : fceptres dans fes mains; 1'un d'or pour la nation ufurpatrice & triomphante; 1'autre de fer pour fes habitants efclaves & dépouillés. Le fcapulaire & le rofaire font toutes les marqués de religion que les Moines exigent des Efpagnols Péruviens. > C'eft fur la forme & la couleur de ces efpeces de talifmans, que le peuple & les grands fondent la profpérité de leurs entreprifes, le fuccès de leurs intrigues amoureufes, 1'efpérance de leur falut. K 3  i5o SUPPLÉMENTS L'habit monacal faic au dernier moment la fécuricé des riches malverfateurs. Ils font convaincus qu'enveloppés de ce vêtement redoutable au démon , cet être vengeur du crime n'ofera defcendre dans leurs tombeaux & s'emparer de leurs ames. Si leurs cendres repofent prés de 1'autel, ils efperent participer aux facrifices des Pontifes beaucoup plus que les pauvres & les efclaves. D'après d'aufii funefies erreurs, que ne fe permet-on pas pour acquérir des richefïès qui afïurent le bonheur dans 1'un & 1'autre monde ? La vanité d'éternifer fon nom & la promeffe d'une vie immortelle, tranfmettent ades cénobites une fortune dont on ne fauroit plus jouir; & les families font fruflrées d'un héritage bien ou mal acquis, par des legs qui vont enrichir ces hommes qui ont trouvé le fecret d'échapper a la pauvreté en s'y dévouanr. Ainfi, 1'ordre des fentiments, des idéés & des chofes eft renverfé; & les enfants des peres opulents font condamnés a une mifere forcée par la pieufe rapacité d'une foule de mendiants volontaires. L'Anglois, le Hollandois, le Francois perdent de leurs préjugés nationaux en voyageant. L'Efpagnol traine avec lui les fiens dans tout 1'univers; & telle eft la manie de léguer a 1'Eglife, qu'au Pérou tous les biens fonds appartiennent au facerdoce, ou lui doivent des redevances. Le monachifme y a fait ce que la loi du Vacuf fera tot ou tard a Conflan-  fA L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 15 i \inople. Ici, l'on attaché fa fortune a un minaret , pour 1'affurer a fon héritier; la, on en dépouille un héritier en 1'attachant a un monaftere, par la crainte d'être damné. Les tnotifs font un peu divers: mais, a la longue, 1'effet eft le même. Dans 1'une & i'autre contrée, 1'Eglife eft le gouffre oü toute la richeflè va fe précipiter ; & ces Caftillans, autrefois firedoutés, font aufli petits devant la fuperftition , que des efclaves Afiatique en préfence de leur defpote. Ces extravagances pourroient faire foupconner un abrutifïèment entier. Ce feroit une injuftice. Depuis le commencement du fiecle, les bons livres font afTez communs a Lima, on n'y manque pas abfolument de lumieres; & il peut; nous être permis de dire que les navigateurs Francois y femerent, durant la guerre pour la fucceffion, quelques bons principes. Cependant, les anciennes habitudes n'ont que peu perdu de leur force. L'Efpagnol créole paffe toujours fa vie chez des courtifannes, ou s'amufe dans fa maifon a boire 1'herbe du Paraguay. II craindroit d'öter des plaifirs a 1'amour, en lui donnant des nceuds légitimes. Son goüt le porte k. fe marier derrière 1'Eglife, expreffion qui, dans le pays, fignifie vivre dans le concubinage. En vain les Evêques anathématifenc tous les ans, a P&ques, les perfonnes engagées dans ces liens illicites. Que peuvent ces vains foudres contre K 4  15* SUPPLÉMENTS 1'amour, contre 1'ufage, fur-tout contre le climat, qui lutte fans cefie, & 1'emporte a la fin fur toutes les loix civiles & religieufes contraires a fon influence? Les femmes du Pérou ont plus, &c. page 239. Vage 239, après ces mots, & bien prife, lifez : un pied mieux fait & plus petit que celui des Efpagnoles même; descheveux épais & noirs qui flottent, comme au hafard & fans ornement, fur des épaules & un fein d'albdtre. Tant de graces naturelles font relevées par tout ce que 1'art a pu y ajouter. C'efl: la plus grande fomptuofité dans les vêtements; c'eft une profufion fans bornes de perles & de diamants dans'toutes les efpeces de parure oü il eft poffible de les faire entrer. On met même une forte de grandeur & de dignité a laifier égarer, a laiffer détruire ces objets précieux. Rarement une femme, même fans titre & fans noblefie, fe montre-t-elle en public fans étoffes d'or & fans pierredes. Jamais elle ne fort que fuivie de trois ou quatre efclaves, la plupart mulatreflès en livrée comme les laquais, en dentelles comme leurs maitrefies. Les odeurs font d'un ufage général a Lima. Les femmes n'y font jamais fans ambre. Elles en répandent dans leur linge, &c. Page 241, après ces mots, comme des bergères, lifez : Le goüc de lamufique, répandu  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 153 dans tout Ie Pérou, fe change en palfion dans la capitale. Ses murs ne retentifTent que de chanfons, que de concerts de voix & d'inftruments. Les bals font fréquents. On y danfe avec une légéreté furprenante : mais on négligé trop les graces des bras, pour s'attacher a 1'agilité des pieds, fur-tout aux inflexions du corps, images des vrais mouvemen ts de la volupté. Tels font les plaifirs que les femmes, toutes vêtues d'une maniere plus élégante que modefte, goütent & répandent dans Lima. Mais c'eft particuliérement dans les délicieux fallons oü elles recoivent compagnie qu'on les trouve féduifantes. La, nonchalamment couchées fur une ftrade 'qui a un demi-pied d'élévation & cinq ou fix de large, & fur des tapis & des carreaux fuperbes, elles coulent des jours tranquilles dans un délicieux repos. Les hommes qui font admis a leur converfation s'afièyent a quelque diftance, a moins qu'une grande familiarité, &c. Page 243, après ces mots, les en prie, lifez: Les citoyens les plus diftingués trouvent, dans les majorats ou fubftitutions perpétuelles que leur ont tranfrais les premiers conquérants leurs ancêtres, de quoi fournir a ces profufions : mais les biens fonds n'ont pas fuffi a un grand nombre de families, même très-ahciennes. La plupart ontcherché desreflburces dans le commerce. Une occupation fi digne de I'homme, dont K 5  154 SUPPLÉMENTS il étend a la fois l'aétivicé , les lumieres & la puifiance, ne leur a jamais paru déroger a leur nobleflè; & les loix les ont confirmés dans une maniere de penfer fi utile & fi raifonnable. Leurs fonds, joints aux remifes qu'on fait fans cefiè de 1'intérieur de l'Empire, ont rendu Lima le centre de toutes les affaires que les Provinces du Pérou font entre elles; des affaires qu'elles font avec le Mexique & le Chily; des affaires plus importantes qu'elles font avec la métropole. Le détroit de Magellan paroiffbit, &c. Page 245, après ces mots, fa première place, lifez : & a trois lieues du port de Perico, formé par un grand nombre d'ifles & afièz vafte pour contenir les plus nombreufes flottes. Elle donne des loix aux Provinces de Panama, de Veraguas & de Darien, régions fans habitants, fans culture , fans richeflès, & qu'on décora du grand nom de Royaume de Terrre-ferme a une époque oü l'on efpéroit beaucoup de leurs mines. De fon propre fonds, Panama n'a jamais offert au commerce que des perles. La pêche s'en fait dans quarante-trois ifles de fon golfe. La plupart des habitants y employent, &c. Page 247, après ces mots, par leur figure, lifez : L'Europe en achetoit autrefois une partie : mais depuis que 1'art eft parvenu a les imiter, & que la paflion pour les diamants en a  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 155 fait comber ou diminuer 1'ufage, c'eft le Pérou qui les prend toutes. Cette branche de commerce, &c. Page 248, après ces mots: d'une füreté entiere, lifez : L'intempérie de Porto-Belo eft li connue, qu'on 1'a furnommé le tombeau des Efpagnols. Ce fut plus d'une fois une néceffité d'y abandonner des navires dont les équipages avoient tous péri. Les habitants eux-mêmes n'y vivent, &c. Page 249 , après ces mots, une mort certaine, lifez: Les plantes tranfplantées dans cette région funefte, oü la chaleur, 1'humidité, les vapeurs font exceffives & continuelles, n'ont jamais profpéré. II eft établi que les animaux domeftiques de 1'Europe, qui fe font prodigieufement multipliés dans toutes les partiesdu Nouveau-Monde, perdent leur fécondité en arrivant a Porto-Belo; & a juger par le peu qu'il y en a, malgré 1'abondance des paturages, on feroit porté a croire que cette opinion n'eft pas mal fondée. Les défordres du climat n'empêcherent pas que Porto-Belo, &c. Page 254, après ces mots, avec 1'étranger, lifez : La pacifkation d'Utrecht ne finit pas le délbrdre. Le malheur des circonftances voulut que la Cour de Madrid ne put pas fe difpenfer de donner exclufivemenc a une compagnie An-  XXXUI. Les Efpanols ont fubftitué Ia route du détroit de Mageüao. & du 156 SUPPLÉMENTS gloife le privilege de pourvoir le Pérou d'efclaves. Elle fe vit même forcée d'accorder a ce corps avide le droit d'envoyer a chaque foire un vaifieau chargé des différentes marchandifes que le pays pouvoit confommer. Cebatiment, qui n'auroit dü être que de cinq cents tonneaux, en portoit toujours plus de mille. On ne lui donnoic ni eau, ni vivres. Quatre ou cinq navires qui le fuivoient, fourniflbient a fes befoins, & fubftituoient des effets nouveaux aux effets déja vendus. Les galions, écrafés par cette concurrence , 1'étoient encore par les verfements frauduleux dans tous les ports oü l'on conduifoic les negres. Enfin, il fut impofllble, après 1'expédition de 1737, de foutenir plus long-temps ce commerce ,• & l'on vit finir ces fameufes foires fi enviées des nations, quoiqu'elles duflenc être regardées comme le tréfor commun de tous les peuples. Depuis cette époque, Panama & Porto-Belo font infiniment déchus. Ces deux villes ne fervent plus qu'a quelques branches peu importantes d'un commerce languiffant. Les affaires plus confidérables ont pris une autre direétion. On fait que Magellan découvrit, en 1520, k Pextrémité méridionale de 1'Amérique, le fameux détroit qui porte fon nom. II y vit & l'on y a vu fouvent depuis, des hommes qui avoient environ un pied de plus que les Européens. D'au-  A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 157 sres navigateurs n'onc rencontré fur les mêmes 1 plages que des hommes d'une taille ordinaire.' Pendant deux fiecles, on s'eft mutuellement accufé d'ignorance, de prévention, d'impofture. Enfin, il eft arrivé des voyageurs auxquels un heureux hafard a préfenté des hordes d'une hauteur commune, des hordes d'une ftature élevée, & qui ont conclu d'un événement auffi décifif que leurs précurfeurs avoient eu raifon dans ce qu'ils affirmoient, & tort dans ce qu'ils avoient nié. Alors feulement on a fait attention qu'il n'y avoit point d'habitants fédentaires dans ces lieux incultes; qu'ils y arrivoient de différentes r%:~«a plus ou moins éloignées- * écoit vraifemblable que les Auvages d'une contrée étoient plus jjronds que ceux d'une autre. La phyfique a appuyé cette conjeéture. Jamais, en effet, on ne pourra raifonnablement penfer que la nature s'éloigne plus de fes voies en engendrant ce qu'il nous a plu de nommer géants, qu'en donnantle jour a ce que nous appellons nains. II y a des géants & des nains dans toutes les contrées. II y a des géants, des nains & des hommes d'une taille commune, nés d'un même pere & d'une même mere. II ya des géants, des nains dans toutes les efpeces d'animaux, d'arbre-s, de fruits, de plantes; & quel que foit le fyftême qu'on préfere fur la génération, on ne doit non plus s'étonner de la diverficé de la taille entre :ap de Hom i celle de Panama.  158 SUPPLÉMENTS les hommes dans la même familie ou dans des families différentes, que de voir des fruits différents en volume a un arbre voifin ou fur le même arbre. Celui qui expliquera un de ces phénomenes les aura tous expliqués. Le détroit de Magellan a cent quatorze lieues de long, & en quelques endroits moins d'une lieue de large. II fépare la terre des Patagons de celle de Feu, qu'on préfume n'avoir formé autrefois qu'un même continent- La conformité de leurs ftériles cótes, de leur apre climat, de leurs monftrueux rochers, de leurs montagnes jiiatv.*.«:mes ^ ,je ieurs neiges éternelles, de leurs fauvages habitants . dok faire penfer que ce grand canal de navigation «.a l'ouvrage de quelqu'une de ces révolutions phyfiqute % qUj changent fi fouvent la face du globe. Quoique ce füt long-temps le feul pafiage connu pour arriver a la mer du Sud, les dangers qu'on y trouvoit le firent prefque oublier. Lahardiefie du célebre Drake, qui porta, par cette voie, le ravage fur les cótes du Pérou, infpira aux Efpagnols la réfolution d'y former un grand établiflêment, deftiné a préferver de toute invafion cette riche partie du Nouveau. Monde. Pedro Sarmiento, chargé de cette entreprife importante, partie d'Europe, en 1581 , avec vingt-trois navires & trois mille cinq cents hom-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 159 mes. L'expédition fut contrariée par des calamités fi multipliées, que 1'Amiral n'arriva 1'année fuivante au détroit qu'avec quatre cents hommes, trente femmes & des vivres pour fept ou huit mois. Les reftes déplorables d'une fi belle peu« plade furent établis a Philippeville, dans une baye füre, commode, fpacieufe. Mais 1'infortune qui avoit fi cruellement aflailli les Efpagnols dans leur traverfée, les pourfuivit obftinément au tenue Uc leur voyage. On ne leur envoya aucun fecours; le pays ne fourniflbit point de fubfiftances, & ils périrent de mifere. De vingt-quatre malheureux qui avoient échappé a ce fléau terrible, vingt-trois, dont la deftinée eft toujours reftée inconnue, s'embarquerent pour la riviere de Ia Plata. Fernando Gomez, le feul qui reftoit, fut recueilli, en 1587, par le corfaire Anglois Cawendish, qui donna au lieu óü il 1'avoit trouvé le nom de port Famine. Cependant, la deftruétion de la colonie euc de moindres fuites qu'on ne le craignoit. Le détroit de Magellan cefia bientöt d'être la route des pirates que leur avidité conduifoit dans ces régions éloignées. En 1616, des navigateurs Hollandois ayant doublé le cap de Hom, ce fut dans la fuite Ie chemin que fuivirent les ennemis de 1'Efpagne qui vouloient pafier dans la mer du Sud. II fut encore plus fréquenté par les vaiffeaux Francois durant la guerre qui bouleverfa  r iöo SUPPLÉMENTS PEurope au commencement du fiqcle. L'impoffibilicé ou fe trouvoic Philippe V, d'approvifionner lui-même fes colonies, enhardit les fujets de fon aïeul a aller au Pérou. Le befoin ou l'on y étoit de toutes chofes fit recevoir ces alliés avec joie, & ils gagnerent dans les premiers temps jufqu'k huit cents pour cent. Les négociants de Saint-Malo qui s'étoieat emparés de ce commerce , n'acquirent pas des richefies pour eux feuls. En 1709, ils les livrerent a leur patrie, accablée par 1'inclémence desfaifons, par des défaites réitérées, par une adminifiration ignorante, arbitraire & fifcale. Une navigation qui permettoit de fi nobles facrifices, excita bientöt une émulation trop univerfelle. La concurrence devint fi confidérable, les marchandifes tomberent dans j un tel aviliffement, qu'il fut impoflible de les vendre, & que plufieurs armateurs les brülerent, pourn'être pas réduits a les remporter. L'équilibre ne tarda pas a fe rétablir. Et ces étrangers faifoient des bénéfices affez confidérables, lorf- ( que la Cour de Madrid prit, en 1718, des mefures efficaces pour les éloigner de ces parages qu'on trouvoit qu'ils fréquentoient depuis trop long-temps. Cependant, ce ne fut qu'en 1740 que les Efpagnols commencerent a doubler eux-mêmes Ie 1 cap de Horn. Ils employerent des bariments & ' des pilotes Malouins dans leurs premiers voya- ' ges:  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 161 ges: mais une aflez cource expérience les mit en état de fe pafier de fecours érrangers; & ces mer? orageufes furent bientöt plus familieres a leurs navigateurs qu'elles ne 1'avoient jamais été a leurs maitres dans cette carrière. Jufqu'alors la haute opinion qu'on avoit toujours eue, & long-temps avec raifon, des richeffes du Pérou s'étoit maintenue. La Cour d'Efpagne accufoit le commerce interlope d'en avoir détourné la plus grande partie; & elle fe fiattoit que le nouveau fyftême les rameneroit dans fes ports en aufli grande abondance qu'aux époques les plus reculées. Une évidence, a laquelle il fuc impoflible de fe refufer, réduifit les plus incrédules a voir que les mines de cette partie du Nouveau-Monde n'étoient plus ce qu'elles avoient été; & que ce qu'elles avoient laifTé de vuide n'avoit pas été rempli par d'autres objets. Depuis 1748 jufqu'en 1753, Lima ne recut d'Efpagne pour tout le Pérou que dix navires qui remporterent chaque année 30,764,617 liv. Cette fomme étoit formée par 4,594,192 livres en or; par 20,673,657 livres en argent; par 5,496,768 livres en produétions diverfes. Ces produélions furent trente & un mille quintaux de cacao, qui furent vendus en Europe 3,240,000 livres. Six cents quintaux de quinquina, qui furent vendus 207,360 liv. Quatre cents foixant-. -dix quintaux de laine de vigogne, qui Suppl. Tome IL L XXXIV. Le Pérou eft - il auffi riche qu'il 1'étoit autrsfois.  i6i SUPPLÉMENTS furent vendus 324,000 liv. Dix mille huit cents cinquante quintaux de cuivre, qui furent vendus 810,108 liv. Dix mille fix cents quintaux d'étain, qui furent vendus 915,300 livres. Dans 1'or &l'argent, 1,620,000 livres appartenoient au Gouvernement, 19,422,671 liv. au commerce; 4,225,178 liv. au Clergé ou aux Officiers civils & militaires. Dans les marchandifes, il y avoit 1,381,569 livres pour la Couronne, & 4,115,199 livres pour les négociants. Le temps a un peu changé 1'état des chofes: mais 1'amélioration n'eft pas confidérable. Fin du Livre feptkme*  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 163 LIVRE VIII. Pdge 289, lifez : La raifon & 1'équité permettent les colonies : mais elles tracent les principes dont il ne devroit pas être permis de s'écarter dans leur fondation. Un nombre d'hommes, quel qu'il foit, qui defcend dans une terre étrangere & inconnue, doic être confidéré comme un feul homme. La force s'accroït par la multitude, mais le droit refte le même. Si cent, fi deux cents hommes peuvent dire, ce pays nous appartient, un feu! homme peut le dire auffi. Ou la contrée eft déferte, ou elle eft en partie déferte & en partie habitée, ou elle eft toute peuplée. Si elle eft toute peuplée, je ne puis légitimemenc prétendre qu'a Phofpitalité & aux fecours que I'homme doit a I'homme. Si l'on m'expofe a mourir de froid ou de faim fur un rivage, je tirerai mon arme, je prendrai de force ce dont j'aurai befoin, & je tuerai celui qui s'y oppofera. Mais lorfqu'on m'aura accordé 1'afyle, le feu & 1'eau, le pain & le fel, on aura rempli fes obligations envers moi. Si j'exige au-dela, je deviens voleur & afiaffin. On m'a fouflèrt. J'ai pris connoifTance des loix & des mceurs. Elles L 2 1. Les Européens ontils été en droit de fonder des colonies dans le NouveauMonde ?  164 SUPPLÉMENTS me conviennent. Je defire de me fixer dans fe pays. Si l'on y confent, c'eft une grace qu'on me fait, & dont le refus ne fauroit m'offenfer. Les Chinois font peut-être mauvais politiques, lorfqu'ils nous ferment la porte de leur Empire : mais ils ne font pas injuftes. Leur contrée efl affez peuplée, & nous fommes des höces trop dangereux. Si la contrée eft en partie déferte, en partie occupée, Ia partie déferte eft a moi. J'en puis prendre pofTeflion par mon travail. L'ancien habitant feroit barbare, s'il venoit fubitement renverfer ma cabane, détruire mes plantations, & pi lier mes champs. Je pourrois repoufïer fon irruption par la force. Je puis étendre mon domaine jufque fur les confins du fien. Les forêts, les rivieres & les rivages de la mer nous font communs, a moins que leur ufageexclufifnefoit nécefTaire a fa fubfiflance. Tout ce qu'il peut encore exiger de moi , c'eft que je fois un voifin paifible, & que mon établiflèment n'ak rien de menacant pour lui. Tout peuple eft autorifé a pourvoir a fa füreté préfente, a fa füreté a venir. Si je forme une enceinte redoutable, fi j'amafTe des armes, (i j'éleve des fortifkations, fes députés feront fages s'ils viennent me dire : es-tu notre ami? es-tu notre ennemi? ami : & quoi bon tous ces préparatifs de guerre ? ennemi : tu trouveras bon que nous les détruiüons;  A-L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 165 & Ia nation fera prudente, fi a 1'inftant elle fe délivre d'une terreur bien fondée. A plus fone raifon pourra-t-elle, fans blefièr les loix de 1'humanité & de la jufiice,m'expulfer&m'exterminer, fi je m'empare de fes femmes, de fes enfants, de fes propriétés; fi j'attente a fa liberté civile;fi je la gêne dans fesopinions religieufes; fi je prétends lui donner des loix; fi j'en veux faire mon efclave. Alors je ne fuis dans fon voifinage qu'une béte féroce deplus; & elle neme doit pas plus de pitié qu'a un tigre. Si j'ai des denrées qui lui manquent, & fi elle en a qui me foient utiles, je puis propofer des échanges. Nous fommes maitres elle & moi de mettre a notre chofe tel prix qu'il nous conviendra. Une aiguille a plus de valeur réelle pour un peuple réduit a coudre avec 1'arête d'un poiflbn les peaux de béte dont il fe couvre, que fon argent n'en peut avoir pour moi. Un fabre, une coignée feront d'une valeur infinie pour celui quifuppléeacesinfirumentspardes cailloux tranchants, enchaiïes dans un morceau de bois durci au feu. D'ailleurs, j'ai traverfé les mers pour rapporter ces objets utiles, & je les traverferai dérechef pour rapporter dans ma patrie les chofes que j'aurai prifes en échange. Les fraix du voyage, les avaries & les périls doivent entrer en calcul. Si je ris en moi-raême de 1'imbécillité de celui qui me donne fon or pour èa fer, le prétendu imbécille fe rit aufli de moi L 3  i66 SUPPLÉMENTS qui lui cede mort fer dont il connoit toute Tutilité, pour fon or qui ne lui fert a rien. Nous noustrompons tous les deux, ou plutötnousne nous trompons ni 1'un, ni 1'autre. Les échanges doivent être parfaitement libres. Si je veux arracher par la force ce qu'on me refufe, ou faire accepter violemment ce qu'on dédaigne d'acquérir, on peut légitimement ou m'enchainer, ou me chaflèr. Si je me jette fur la denrée étrangere, fans en offrir le prix, ou fi je 1'enleve furtivement, je fuis un voleur qu'on peuc tuer fans remords. Une contrée déferte & inhabitée, eft la feule qu'on puifle s'approprier. La première découverte bien conftatée fut une prife de poffeffion légitime. D'après ces principes, qui me paroiflènt d'éternelle vérité, que les nations Européennes fe jugent & fe donnent a elles • mêmes le nom qu'elles méritent. Leurs navigateurs arrivent-ils dans une région du Nouveau-Monde qui n'eft occupée par aucun peuple de Tanden, aulïi-tóc ils enfeuifïènt une petite lame de métal, fur laquelle ils ont gravé ces mots : Cette contrée nous appartient. Et pourquoi vous appartient-elle ? N'êtes-vous pas auffi injuftes, aufli infenfés que des fauvages portés par hafard fur vos cótes, s'ils écrivoient fur le fable de votre rivage ou fur l'écorce de vos arbres s  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 167 Ce pays est a nous. Vous n'avez aucun droit furies produftions infenfibles & brutesde la terre oü vous abordez, & vous vous en arrogez un fur i'homme votre femblable. Au-lieu de reconnoïtre dans cet homme un frere, vous n'y voyez qu'un efclave , une béte defomme.Omes concitoyens! vouspenfez ainfi, vous en ufezde cette maniere; & vous avez desnotions dejuftice, une morale, une Religion fainte, une mere commune avec ceux que vous traitez fi tyranniquement. Ce reproche doit s'adrefler plus particuliérement aux Efpagnols; & il va être malheureufement juftifié encore par leurs forfaits dans le Chily. Cette région, telle qu'elle eft pofiedée par 1'Efpagne, a une largeur commune de trente lieues; entre la mer & les Cordelieres, & neuf cents« lieues de cöte depuis le grand défert d'Acaca- j rnas qui la fépare du Pérou, jufqu'aux ifles de Chiloé qui la féparent du pays des Patagons. Les Incas foumirent a leurs fages loix une partie de cette vafte contrée; & ils fe propofoient d'aflujettir le refte : mais ils trouverent des difficultés qu'ils ne purent vaincre. Ce grand projet fut repris par les Efpagnols, aufli-töt qu'ils eurent fait la conquête des principales Provinces du Pérou. Almagro, parti de Cufco au commencemenc de 1535, avec cinq cents foixante-dix Européens & quinze mille Pé- L 4 n. Premières rruptiom les Efpa;nols dans e Chili.  i68 SUPPLEMENTS ruviens, parcourut d'abord le pays de Charcas, auquel les mines du Potofi donnerent depuis un fi grand éclat. Pour fe porter de cette contrée au Chily, on ne connoiflbic que deux chemins, & ils étoient regardés 1'un & 1'autre comme prefque impraticables. Le premier n'offroit fur les bords de la mer que des fables brülants, fans eau & fans fubfiftances. Pour fuivre le fecond, il falloic traverfer des montagnes très-efcarpées» d'une hauteur prodigieufe, & couvertes de neiges aufli anciennes que le monde. Ces difficulcés ne rebuterent pas le Général; & il fe décida pour le dernier paflage, par la feule railbn qu'il étoit le moins long. Son ambition coüta la vie a cent cinquante Efpagnols & a dix milles Indiens: mais enfin, il atteignit le terme qu'il s'étoit propofé, & y fut recu avec une foumifiion entiere par les peuples anciennement dépendants du tröne qu'on venoit de renverfer. La terreur de fes armcs lui auroit fait obtenir vraifemblablement de plus grands avantages, fi des intéréts particuliers ne lui euflent fait defirer de fe retrouver au centre de 1'Empire. Sa petite armée refufa de repaffer les Cordelieres. II fallut la ramener par la voie qui avoit été d'aboid négligée; & les hafards furent fi heureux, qu'elle Ibuffrit beaucoup moins qu'on ne 1'avoit craint. Ce bonheur étendit les vues d'Almagro, & le précipita peut-être dans les entreptïfes oü il trouva une fin tragtque.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 169 Les Efpagnols reparurent au Chily, &c. Page 291, après ces mots, mis les vaincus, lifez: en étac de défendre les poftes qui leur reftoient, & de recouvrer ceux qu'on leur avoic enlevés. Ces hoftilités meurtrieres fe font renouvellées, a mefure que les ufurpateurs ont voulu étendre leur Empire, fouvent même lorfqu'ils n'avoient pas cette ambition. Les combats ont été fanglants, & n'ont guere été interrompus que par des treves plus ou moins courtes. Cependant depuis 1771, la tranquillité n'a pas été troublée. Les Araucos font dans ces contrées les enne-! mis les plus ordinaires, les plus intrépides, les plus irréconciliables de 1'Efpagne. Souvent ils font joints par les habitants de Tucapel & de la riviere Biobio, par ceux qui s'étendent vers les Cordelieres. Comme ces peuples font plus rapprochés par leurs habitudes des fauvages de 1'Amérique Septentrionale que des Péruviens leurs voifins, les confédérations qu'ils forment font toujours a craindre. Ils ne portent a la guerre que leur corps, &c. Page 292, après ces mots, couvertes de fruits, lifez : Ce font les feuls peuples du NouveauMonde qui ayent ofé fe mefurer avec les Européens en rafe campagne, & qui ayent imaginé i'ufage de la fronde pour lancer de loin la mort L 5 ra. Les Efpagnols ont été réduits a combatrre continuellement dans le Chily. Maniere Jont leurs snnemis "ont la ;uerre.  IV. Etabliffements formés dans le Chily par les Efpagnols. 170 SUPPLÈMENTS a leurs ennemis. Leur audace s'éleve jufqu'a atraquer les poftes les mieux fortifiés. Ces emportements leur réuffilTent, &c. Page 293, après ces mots, de cent Indiens, lifez: Quelquefois les hoftilicés font prévues de loin & concertées avec prudence. Le plus fouvent un ivrogne crie, &c. ci-dejfus pzg- 293 > 2- Page 293, après ces mots, blanc & blonds, lifez: Comme ces Américains font la guerre fans fraix & fans embarras, &c. pag. 294. Page 294,après ce mot, l'accommodemenr, lifez : La frontiere étoit autrefois le théatre de ces afTemblées. Les deux dernieres ont été tenues dans la capitale de la colonie. On a même obtenu des fauvages, qu'ils y auroient habituellement quelques députés, chargés de maintenir l'harmonie entre les deux peuples. Malgré la chaleur & 1'opiniatreté de tant de combats, fe font formés au Chily plufieurs affez bons établiflèments, principalement fur les bords de 1'Océan. Coquimbo ou la Serena, ville élevée , en 1544, a cinq ou fix cents toifes de la mer, pour contenir les Indiens & pour afiiirer la communication du Chily avec le Pérou, ne fut jamais confidérable. On la vit diminuer encore après que des pirates 1'eurent faccagée & brülée. Malgré Ja fertilité de fes campagnes, quoiqu'on aic ouvert  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. t?i d'abondantes mines du meilleur cuivre a fon voifinage, elle ne s'eft jamais bien relevée de cette infortune. Valparaifo ne fut d'abord qu'un amas de cabanes deftinées a recevoir les marchandifes qui venoient du Pérou, les denrées qu'on vouloit y envoyer. Peu-a-peu, les agents de ce commerce , qui appartenoit en entier aux négociants de la capitale, réufïïrent a fe Tapproprier. Alors, ce vil hameau, quoique placé dans une fituation très-défagréable, devint une ville floriflante. Son port s'enfonce une lieue dans les terres. Le fond en eft d'une vafe gluante & ferme. A mille toifes du rivage, il a trente-fix ou quarante braflès d'eau, & quinze ou feize tout prés de la plage. Dans les mois d'Avril & de Mai, les vents du Nord feroient courir quelques dangers aux navires, fi on négligeoit de les amarrer fortement. L'avantage qu'a cette rade d'être la plus voifine des meilleures cultures de Sant-Yago, doit la rafiurer contre la crainte de voir diminuer fes profpérités. Ce fut en 1550 que fut batie la Conception, dans un terrein inégal, fablonneux, un peu élevé, fur les bords d'une baie, dont le développement embrafiè prés de quatre lieues, & qui a trois ports, dont un feul eft fur. La ville fe vit d'abord le chef-lieu de la colonie : mais les Indiens voifins s'en rendirent fi fouvent les maï-  i7a SUPPLÉMENTS tres , qu'en 1574 , il fut jugé convenable de la dépouiller de cette utile & honorable. prérogative. En 1603 , elle fut de nouveau détruite par un ennemi implacable. Depuis cette epoque, plufieurs tremblements de terre lui ont caufé des dommages trés - confidérables. Telle efl: cependant l'excellence de fon territoire, qu'il lui refte encore quelque éclat. A foixante-quinze lieues de la Conception, toujours fur les bords de 1'Océan Pacifique, eft j Valdivia , ville plus importante que peuplée. Son port & fa forterefle, regardés comme la clef de la mer du Sud, furent long-temps fout ] 1'infpeétion immédiate des Vice-Rois du Pérou. On compric a la fin que c'étoit une furveillance trop éloignée; & la place fut incorporée au gouvernement de la Province. Per'bnne ne penfoit aux ifles de Chiloé. Le j bonheur qu'avoient eu les Jéfuites de réunir & 1 de civilifer un grand nombre de fauvages dans ] la principale, qui a cinquante lieues de long & | fept ou huit de large, fit naitre le defir de 1'oc- I ( cuper. Au centre font les Indiens convertis. Sur j la cóte oriëntale a été conftruite une fortification nommée Chacao, oü l'on entretient la gar- , nifon néceiïaire pour fa défenfe. , Dans 1'intérieur des terres eft Sant-Yago, bati j précipitamment en 1541, détruit en 1730 par ij un tremblement de terre , & rétabli aufli - tót .  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. ï7S avec un agrément & des commodicés qu'on ne trouve que très-rarement dans le Nouveau-Monde. Les maifons y font, a la vérité, fort balTès, & conftruites avec des briques durcies au foleil : mais elles font toutes blanchies au-dehors, toutes peintes en-dedans, toutes accompagnées de jardins fpacieux , toutes rafraichies par des eaux courantes. On compte quarante mille habitants dans cette cité, & le nombre ert feroit plus grand, fans neuf couvents de Moines & fept de ReÜgieufes que la fuperftition y a érigés. Entre les conjonétures malheureufes, fous lefquelles fe fit la découverte du Nouveau-Monde , il ne faut pas oublier 1'importance que donnoit aux Moines 1'efprit général de la fuperftition; importance qui s'eft depuis très-affbiblie dans quelques contrées; qui paroït lutter avec force contre le progrès des lumieres dans quelques autres; qui domine impérieufement dans les pofieflions lointaines de 1'Efpagne , & qui laiflera des traces auffi durables que funefies, quand elles feroient dès cet inftant contrariées par toute 1'autorité du Miniftere. Sant-Yago eft la capitale de 1'Etat & le fiege de l'Empire. Celui qui y commande eft fubordonné au Vice-Roi du Pérou pour tous les objets relatifs au gouvernement, aux finances & a laguerre : mais il eft indépendant comme Chef de la juftice & Préfident de 1'audience Royale.  I ] 1 I t ( < 1 I ] V. Fertilité du Chily, & fon état achiel. 74 SUPPLÉMENTS Dnze Corrégidors répandus dans la Province, ont chargés, fous fes ordres, des détails de 1'adniniftration. II s'eft fucceflivement formé dans cette conrée une population de quatre a cinq cents mille imes. On n'y voit que peu de ces infortunés ifclaves que fournit 1'Afrique; & la plupart font :onfacrés au fervice domeftique. Les defcendants les premiers fauvages, que de féroces aventuiers affervirent avec tant de peine, ou fe font éfugiés dans des montagnes inacceffibles, ou e font perdus dans le fang de leurs conquérants. ITous les colons font regardés & traités comme Sfpagnols. La noblefle de cette origine ne leur i pas infpiré cet éloignement invincible pour les Dccupations utiles, qui eft fi général dans leur lation. La plupart de ces hommes fains, agiles Scrobuftes vivent fur des plancations éparfes, & :ultivent de leurs propres mains un terrein plus ju moins vafte. Ils font encouragés a ces louables travaux par un ciel toujours pur & toujours ferein, par le climat le plus agréablement tempéré des deux hémifpheres; fur-tout par un fol dont la fertilité étonne tous les voyageurs. Sur cette heureufe terre, les récoltes de vin, de bied, d'huile, quoiqueafièz négligemmentpréparées, fontquadruples de celles que nous obtenons avec toute notre aclivité & toutes nos lumieres. Aucun des  A L'HIST. PHILQSOPHIQUE. l?s fruits de PEurope n'a dégénéré. Plufieurs de nos animaux fe font perfeétionnés, & les chevaux, en particulier, ont acquis une vitefle & une fierté que n'ont jamais eues les andalous dont ils defcendent. La nature a pouffé plus loin fes faveurs encore. Elle a prod'rué a cette région un excellent cuivre qui eft utilement employé dans Panden & le Nouveau-Monde. Elle lui a donné de Por. Avant 1750, le fifc n'avoit reeu aucune année, pour fon vingtieme de ce précieux métal, au-dela de 50,220 liv. A cette époque fut érigé dans la colonie un hotel des monnoies. L'innovation eut des fuites favorables. En 1771, le droit royal s'éleva a 200,032 1. 4 fols; & il doit avoir beaucoup augmenté. L'alcavala & les douanes ne rendoient que 324,000 livres, &ils en rendent 1,080,000 1. Ces diverfes branches de revenu font groflies, depuis 1753, par la vente exclufive du tabac. Aufli le Chily n'a-t-il plus befoin de puifer dans les caiflès du Pérou pour fes dépenfes publiques. La plus confidérable efl: Pentretien des troupes. Elle monte a 490,125 1. 12 f. pour la folde des mille fantaflins, des deux cents quarante cavaliers, des deux compagnies d'Indiens afteétionnés, qui depuis 1754, forment 1'état militaire du pays. Indépendamment de ces forces difperfées dans les ifles de Juan Fernandez  VI. Commerce 4u Chily avec les fauvages, aved le Pérou ör. avec le Paraguay. 176 SUPPLÉMENTS & de Chiloé, dans les ports de la Conception & de Valpnnyfo, furies frontieres des Andes, il y a dans Valdivia une garnifon particuliere de fept cents quarante-fix foldats qui cofite 655,473 1. 12 f. Ces moyens de défenfe feroient appuyés, s'il le falloit, par des muices très-nombreufes. Peut-être la partie qui combattroit a pied ne feroit-elle que peu de réfiftance, malgré les peines qu'on s'eft depuis peu données pour 1'exer«er; mais il feroit raifonnable d'attendre quelque vigueur des meilleurs hommes de cheval qui foient peut-être fur le globe. Le Chily a toujours eu des liaifons de commerce avec les Indiens voifins de fa fronciere, avec le Pérou & le Paraguay. Les fauvages lui fourniiïènt principalement le poncho. C'eft une étoffe de laine, quelquefois blanche & ordinairement bleue, d'environ trois aunes de long fur deux de large. On y paflè la tête par un trou pratiqué au milieu, & elle fe déploye fur toutes les parties du corps. Hors quelques cérémonies infiniment rares, les hommes, les femmes, les gens du commun, ceux d'une condition plus relevée ne connoifient pas d'autre vêtement. II coute depuis trente jufqu'a mille livres, felon la fineflè plus ou moins grande de fon tiffu, & principalement felon les bordures plus ou moins élégantes, plus ou moins riches qu'on y ajoute. Ces peuples recoivent en échange  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 177 échange de petits miroirs, des quincailleries, quelques autres objets de peu de valeur. Quelle que foit leur pafflon pour ces bagatelles, lorfqu'on les expofe a leurs yeux avides, jamais ils ne fortiroient de leurs forêts & de leurs campagnes pour les aller chercher. Il faut les leur p oreer. Le marchand, qui veut erttreprendre ce petic négoce, s'adrefïè d'abord, &c. page 297, ltgne 11. Page 297, après ces mms, re£us en parement , lifez : Ce n'eft pas au fond des forêts; c'eft au centre des fociétés policées qu'on apprend a méprifer I'homme & a s'en méfler. SI un de nos marchands, dans une de nos foires, diftribuoit indiftinétement fes effets, fans garantie , fans füreté a tous ceux qui tendroient leurs mains pour les recevoir; croyez-vous qu'il en reparüt un feul avec le prix de Ia chofe qu'il auroit achetée? Ce que des hommes, fous 1'empire dê 1'honneur & des loix religieufes & civiles, ne rougiroient pas de faire, un fauvage, affranchi de toute efpece de contrainte, ne le fera pas. O honte de notre religion, de notre police & de nos moeurs ! Jufqu'en 1724, on vendoit a ces fauvages, &c. Page 19% , après ces mots, leur voifinage, lifez : II eft bien rare que le corrupteur ne foit dictié lui-même par celui qu'il a corrompu. On en a Suppl. Tome IL M  i78 SUPPLÉMENTS fréquemment Pexemple dans les enfants envers les peres qui ont négligé leur éducation; dans les femmes envers leurs maris, lorfqu'ils ont de mauvaifes moeurs; dans les efclaves envers leurs maitres; dans les fujets envers les Souverains négligents; dans les' peuples aflujettis envers les ufurpateurs. Nous avons porté nous-mêmes le chatiment des vices que nous avons femés dans 1'autre hémifphere. Nous 1'avons porté chez nous & chez les peuples du Nouveau-Monde que nous avons fubjugués : chez nous, par la multitude de befoins factices que nous nous fommes faits : chez eux, en cent manieres diverfes, entre lefquelles on peut compter 1'ufage des liqueurs fortes que nous leur avons appris aconnohre, & qui fouvent leur a infpiré une fureur arcificielle qu'ils ont tournée contre nous. De quelque maniere qu'on s'y prenne, foit par la fuperflition, foit par le patriotifme même, foit par les breuvages fpiritueux, on n'öte point a I'homme fa raifon, fans de facheufes conféquences. Si vous 1'enivrez, quelle que foit fon ivreffe, ou elle ceffera promptement, ou vous vous en trouverez mal. L'ivrognerie, ou 1'excès habituel des liqueurs fortes, eft un vice groffier & brutal qui óte la vigueur a 1'efprit, & au corps une partie de fes forces. C'eft june breche fake a la loi naturelle qui défend a I'homme d'aliéner fa raifon, le feul  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE, ggg avantage qui le diftingue des autres animaux qui broutent avec lui autour du globe. ^ Ce défordre, quoique toujours blamable, ne 1'eft pas également par-tout; paree qu'il n'entraïne pas les mêmes inconvénients dans toutes les régions. Généralement parlant, il rend furieux dans les pays chauds, & ftupide feulement dans les pays froids. II a donc fallu le réprimer avec plus de févérité fous un climat que fous un autre. U eft arrivé de-la, que par-tout ou s'eft établi un gouvernement régulier, ce vice eft devenuplus rare fous 1'équateur que vers le pole. II n'en eft pas aïnfi parmi les nations fauvages. Celles du Midi n'étanc pas plus contenues que celles du Nord par le Magiftrat ou le préjugé» elles fe font toutes livrées, avec une égale fureur, a leur paffion pour les liqueurs fortes. Il eft entré dans la polkique des Européens de leur en fournir, foit pour les dépouiller, foit pour les affervir, fok même pour les engager a quelques travaux utiles. Ces boiftbns n'ont été guere moins deftruclives de ces peuples que nos armes; & l'on ne peut s'empêcher de les placer au nombre des calamités, dont nous avons inondé cec autre hémifphere. II faut louer 1'Efpagne d'avoir enfin renonce a vendre aux fauvages du Chily des vins & des eaux-de-vie. Ce trait de fageflè a vifiblement accru les liaifons qu'on entretenok avêc eux i M 3  i8o SUPPLÉMENT^ mais il n'eft pas poffible qu'elles deviennent de long-temps auffi confidérables que celles qu'on a avec le Pérou. Le Chily fournit au Pérou chaque année, &c. Page 298 , après ces mots, expédiés de Callao, lifez : pour cette communication réciproquement utile. Durant prés d'un fiecle, aucun navigateur de ces mers paifibles n'ofa perdre les terres de vue; & alors ces voyages duroient une année entiere. Unpilote de Tanden monde, qui avoit enfin obfervé les vents, n'y employa qu'un mois. Iï pafia pour forcier. L'Inquifition, qui eft ridicule , &c. Page 299, après ces mots, fut adopté généralement, lifez : Le Chily envoye au Paraguay des vins, des eaux-de-vie, des huiles, & fur-touc de Tor. On lui donne en payement des muiets, de la cire, du coton, Therbe du Paraguay, des negres, & on lui donnoit beaucoup de marchandifes de notre hémifphere avant que les négociants de Lima eufient obtenu, par leur argent ou par leur crédit, que cette derniere branche de commerce feroit interdite. La communication des deux colonies ne fe fait point par TOcéan. On a jugé plus court, plus fur & même moins difpendieux, de fe fervir de la voie de terre, quoiqu'il y ait trois cents foixantequatre lieues de Sant-Yago a Buenos-Aires > &  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 181 qu'il en faille faire plus de quarante dans les neiges & les précipices des Cordelieres. Si les rapports des deux écablilTeraents viennent a fe multiplier ou a s'étendre, ce fera par le détroit de Magellan ou par le cap de Horn, qu'il faudra les entretenir. On a douté jufqu'ici laquelle des deux voies étoit la meilleure. Le problême paroït réfolu par les obfervations des derniers navigateurs. lis fe déciarent allèz généralement pour le détroit oü l'on trouve de 1'eau, du bois,du poiflbn, des coquillages, milleplantes fouveraines contre Jé fcorbut. Mais cette préférence ne dok avoir lieu que depuis Septembre jufqu'en Mars, c'eft-a-dire, dans les mois d'été. Durant les courts jours de 1'hyver, il faudroit borner fa marche k quelques heures, ou braver dans un canal le plus fouvent étroit, la violence des vents, la rapidité des courants, 1'impétuofité des vagues avec urie certitude morale de naufrage. Dans cette faifon, il convient de préférer la mer ouverte, & par conféquent de doubler le cap de Horn. Des combinaifons d'une abfurdité palpable priverent conftamment le Chily de toute liaifon directe avec i'Efpagne. Le peu qu'il pouvoit confommer de marchandifes de notre hémifphere lui venoient du Pérou, qui lui-même les recevok difficilement & a grands fraix par la voie de Panama. Son fort ne changea pas même, lorfM 3  r VII. Les Efpagnols découvrent le Paraguay. Extravagance de leur conduite pendant un fiede. 182 SUPPLEMENTS que la navigation du cap de Horn fut fubfiituée h celle de 1'ifthme de Darien; & ce ne fut que très-tard qu'il fut permis aux navires qui rangeoient fes cótes pour arriver a Lima, d'y verfer quelques foibles parties de leurs cargaifons. Un foleil plus favorable vient enfin de fe lever fur cette belle contrée. Depuis le mois de Février 1778, il eft permis a tous les pons de la métropole d'y faire a leur gré des expéditions. De grandes profpérités doivent fuivre cet heureux retour aux bons principes. Cette innovation aura la même influence fur le Paraguay. C'efl: une vafte région, bornée au Nord, par le Pérou & le Bréfil; au Midi, par les terres Magellaniques; au Levant, par le Bréfil; au Couchant, par le Chily & le Pérou. Le Paraguay doit fon nom a un grand fleuve que tous les Géographes croyoient fe former dans le lac des Xarayès. Les Commiflaires Efpagnols & Portugais, chargés en 1751 de régler les limites des deux Empires, furent bien étonnés de fe rencontrer a la fource de cette riviere, fans avoir appercu cet amas d'eau qu'on difoic immenfe. Ils vérifierent que ce qu'on avoit pris jufqu'alors pour un lac prodigieux, n'étoic qu'un terrein fort bas, couvert depuis le feizieme jufqu'au dix-neuvieme degré de latitude, dans la faifon des pluies, par les inondations du fleuve. On fait depuis cette époque que  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 183 le Paraguay prend fa fource dans le plateaü nommé Campo des Paracis, au treizieme degré de latitude méridionale; & que vers le dix-huitieme, il communiqué par quelques canaux trèsétroits avec deux grands lacs du pays des Chiquites. Avanc 1'arrivée des Efpagnols, cette région immenfe contenoit un grand nombre de nations, la plupart formées par un petit nombre de families. Leurs mceurs devoient être les mêmes; & quand il eüt exillé quelque différence dans leur caraétere, les nuances n'en auroient pas été faifies par les ftupides aventuriers, qui, les premiers , enfanglanterent cette partie du NouveauMonde. La chafie, la pêche, les fruits, Szc.page 301. Page 303, ligne 4, au-Ueu de Moluques-, lifez , des Indes Orientales. Ibid. après ces mots, il s'y arrêta, lifez : II remonta même le fleuve; lui donna le nom de la Plata, paree que dans les dépouilles d'un peric nombre d'Indiens, mis inhumainemenc a mort, fe trouverent quelques parures d'or ou d'argent, & batit uneefpece de fort a Rio-Tercero qui fort des montagnes du Tucuman. La réfiftance qu'oppofoient les naturels du pays lui fit juger que, pour s'établir folidement, il falloic d'autres moyens que ceux qu'il avoit; &, en 1530 , il prit la route de 1'Efpagne pour les aller folliciM*4  i84 SUPPLEMENTS ter. Ceux de fes compagnons qu'il avoit laifles dans la colonie furent malTacrés la plupart ;&le peu qui avoit échappé a des fleches ennemies, ne tarda pas a le fuivre. Des forces plus confidérables, conduites par Mendoza, parurent fur le fleuve en 1535, & jetterent les fondements de Buenos-Aires. Bientot on s'y vit réduit a mourir de faim, dans des palifiades, ou a fe vouer a une mort certaine, fi l'on hafardoic d'en fortir pour fe procurer quelques fubfiftances. Le retour en Europeparoiflbit la feule voie pour fortir d'une fituation fi défefpérée : mais les Efpagnols s'étoient perfuadés que 1'intérieur des terres regorgeoit de mines; & ce préjugé foutint leur conftance. Ils abandonneren! un lieu oüils nepouvoient plus refter,& allerenc fonder en 1536 rAflbmption , a trois cents lieues de la mer, toujours fur les bordsdu fleuve. C'étoit s'éloigner vifiblement des fecours de la métropole : mais, dans leurs idees, c'étoit s'approcher des richeflès; & leur avidité étoit encore plus grande que leur prévoyance. Cependant il falloic fe réfoudre a périr, ou réuffir a diminuer 1'extrême averfion des fauvages. Le mariage des Efpagnols avec les Indiennes, parut propre a opérer ce grand changement, & l'on s'y détermina. De 1'union des deux peuples, fi étrangers 1'un a 1'autre, fortit la race demétis, qui,avec le temps, devint fi commune  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 185 dans 1'Amérique méridionale. Ainfi le fort des" Efpagnols, dans tous les pays du monde, efl d'être un fang mêlé. Celui des Maures coule encore, &c. page 316. Page 316, après ces mots, la foif de Tor, lifez rC'eR cette paffion honteufequi continuoic a rendre 1'Efpagnol cruel,mêrae après les liens qu'il avoit formés. II fembloit punir les Indiens de fa propre obflination a chercher des métaux oü il n'y en avoit pas. Le naufrage de plufieurs navires, &c. Page 317, après ces mots, depuis quarante ans, lifez * Quelques -unes des petites nations qui étoient dans le voifinage de la place, fubirent le joug. Celles qui tenoient davantage aleurliberté, s'éloignerent, pour s'éloigner encore a mefure que les établiffemems de leurs opprefleurs acquéreroient de 1'accroifiemènt. La plupart finirent par fe réfugier au Chaco. Ce pays, qui a deux cents cinquante lieues de long & cent cinquante de large, paffe pour un ] des meilleurs de 1'Amérique, & on le croitpeu-, plé de cent mille fauvages. Ils farment, comme 1 dans les autres parties du Nouveau-Monde, un grand nombre de nations, dont quarante-fix ou quarante-fept font très-imparfaitement connues. Plufieurs rivieres traverfent cette contrée. La Pilcomayo, plus confidérable que toutes les autres, fort de la Province de Charcas, &fe divife M 5 VIII. Ceux des ndiens qui ie veulent las fubir le oug de 1'Ef>agne fe ré:ugient au -haco.  m SUPPLÉMENTS en deux branches, foixante-dix lieues avant de fe perdre dans Rio de la Plata. Son cours paroiflbit la voie la plus convenable pour établir des liaifons fuivies entre le Paraguay & le Pérou. Ce ne fut cependant qu'en 170a, qu'on tenta de la remonter. Les peuples, qui en occupoient les rives, comprirent fort bien que tót ou tard ils feroient affervis, fi 1'expédition étoit heureufe; & ils prévinrent ce malheur en mafiacrant tous les Efpagnols qui en étoient chargés. Dix-neuf ans après, les Jéfuites reprirent ce grand projet : mais après avoir avancé trois cents cinquante lieues, ils furent forcés de rétrograder, paree que 1'eau leur manqua pour continuer leur navigation. On les blama d'avoir fait le voyage dans les mois de Septembre, d'Oétobre & de Novembre, qui font dans ces régions le temps de la féchereflè ; & perfonne ne parut douter que cette entreprife n'eut eu une ifiue favorable dans les autres faifons de 1'année. II faut que cette route de communication ait paru moins avantageufe, ou ait offert de plus grandes difficultés qu'on ne 1'avoit cru d'abord, puifqn'on n'a fait depuis aucun nouveleffbrt pour 1'ouvrir. Cependant le Gouvernement n'a pas tout-a-fait perdu de vue le plan anciennemenc formé de dompter ces peuples. Après des fatigues incroyables & long-temps inutiles, quelques miffionnaires font enfin parvenus a fixer trois mille  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 187 de ces vagabonds dans quatorze bourgades, donc fept font placées fur les frontieres du Tucuman, quatre du cöté de Sainte-Croix de la Siërra, deux vers Taixa , & une feulement au voifinage de rAflbmption. Malgré les incurfions fréquentes des habitants du Chaco, & la rage de quelques autres peuplades moins nombreufes, 1 Efpagne eft parvenue a former dans cette région trois grandes Provinces. Celle qu'on nomme Tucuman eft unie, arrofée & faine. On y cultive avec le plus grand fuccès le cocon &le bied que le pays peuc confommer; & quelques expériences onc démoncré que 1'indigo, que les autres produétions particulieres au Nouveau-Monde, y réuffiroient aufli heureufement que dans aucun des écablifferaents qu'elles enrichiflênc depuis fi long-cemps. Ses forêts font toutes remplies de miel. II n'y a peutêtre pas fur le globe de meilleurs paturages. La plupart de fes bois font d'une qualité fupérieure. II eft en particulier un arbre défigné par le nom de quebracho, qu'on prétend approcher de la durecé, de la pefanteur, de la durée du meilleur marbre, & qui, a caufe de la diffïculté des tranfports, eft vendu, au Potofi, jufqu'a dix mille livres. La partie des Andes qui eft de ce département, eft abondante en ot & en cuivre; on y a déja ouvert quelques mines. IX. Les Efpagnols parviennent a fonder trois grandes Provinces. Ce qui eft propre a chacune d'elles.  i88 - SUPPLÉMENTS Mais combien il faudroit de bras pour demander a ce vafte territoire les richeflès qu'il renferme. Cependant ceux qui lui accordent le plus de popularion ne la font pas monter a plus de cent mille habitants, Efpagnols, Indiens & negres. lis font réunis dans fept bourgades dont Saint-Yago del Eftero eft la principale, ou diftribués fur des domaines épars donc quelquesuns ont plus de douze lieues d'étendue, & comptent jufqu'a quarante mille bêtes h corne, jufqu'a fix mille chevaux, fans compter d'aucres troupeaux moins remarquables. La Province, appellée fpécialement Paraguay, eft beaucoup trop humide, a caufe des forêts, des lacs, des rivieres qui lacouvrent. Aufli, abftraction faite des fameufes miflions du même nom qui font de fon reflbrt, n'ycompte-t-onque cinquante-fix mille habitants. Quatre cents feulement font a 1'Aflbmption, fa capitale. Deux autres bourgades, qui portent aufli le nom de ville, en ont moins encore. Quatorze peuplades, conduites fur le même plan que celles des Guaranis conciennent fix mille Indiens. Tout le refte vit dans les campagnes, & y cultive du tabac, du coton, du fucre qui font envoyés avec 1'herbe du Paraguay a Buenos - Aires, d'oü on tire en cchange quelques marchandifes arrivées d'Europe. Cette contrée fut toujours expofée aux is«  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 189 curfions des Portugais du cöté de 1'Eft, & a celles des fauvages au Nord & a 1'Ouefl. II falloic trouver le moyen de repouflêr des ennemis le plus fouvent implacables. On conftruific des forts; des terres furent deftinées pour leur entretien; & chaque citoyen s'obligea a les défendre huic jours chaque mois. Ces arrangements faits anciennement fubfiftenc encore. Cependant, s'il fe trouve quelqu'un a qui ce fervice ne plaife pas, ou auquel fes occupations ne permettent pas de le faire, ii peut s'en difpenfer en payant depuis foixante jufqu'a cent francs felon fa fortune. Ce qui conftitue aujourd'hui la Province de Buenos-Aires, faifoit originairement partie de celle du Paraguay. Cene futqu'en 1621 qu'elle en fut détachée. La plus grande obfcuricé fut long-temps fon partage. Un commerce interlope , qu'après la pacification d'Utrecht, ouvric avec elle rétabliffemencPorcugais du Saint-Sacrement, & qui la mie a portée de former des liahons fuivies avec le Chily & le Pérou, lui communiqua quelque mouvement. Les malheurs arrivés a 1'efcadre de Pizarre, chargée, en 1740, de défendre la mer du Sud contre les'forces Britanniques, augmenterent fa population & fon activité. L'une & 1'autre re§urent un nouvel accroiffemenc des hommes entreprenants qui fe fixerent dans cette contrée, lorfque les Cours de Madrid & de Lisbonne entreprirenc de fixer les li-  lyo , S U P P L É M £ N T S x. De la capitale du Paraguay & des difficultés que doivent furmonter les navigateurs pour y arriver. mites trop long-temps incertaines de leur terHtolre. Enfin, la guerre qu'en 1776 fe firent les deux Puiflances avec des tronpes envoyées d'Europe, acheverenc de donner une grande confiftance a la colonie. Maintenant les deux rives du fleuve, depuis 1'Océan jufqu'a Buenos-Aires, & depuis BuenosAires jufqu'a Santa-Fé, font, ou couvertes de nombreux troupeaux, ou .afTèz bien cultivées. Le bied, le maïs, les fruits, les légumes, touc ce qci compofe les befoins ordinaires de la vie, excepté le vin & le bois, y croit dans une grande abondance. Buenos-Aires, chef-lieu de la Province, réunit plufieurs avantages. La fituation en efl: faine & agréable. On y refpire un air tempéré. Elle efl: réguliérement batie. Ses rues' font larges & formées par des maifons extrêmement balles, mais toutes embellies par un jardin plus ou moins étendu. Les édifices publics & particuliers qui étoient tous de terre, il y a cinquante ans,ont acquis de la folidité, des comtnodités même, depuis qu'on fait cuire de la brique & faire de la chaux. Le nombre des habitants s'éleve a trente mille. Une forterefie, gardée par une garnifon de fix a fept cents hommes, défend un cóté de la ville, & les eaux du fleuve environnent le refte de fon enceinte. Deux mille neuf cents quarante - trois miliciens, Efpagnols, In-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. i9i diens, negres & mulatres Iibres, font toujours en état de fe joindre aux troupes régulieres. La place eft a foixante lieues de Ia mer. Les vaiffeaux y arrivent par un fleuve qui manque de profondeur, &c. page 319. Faëe 3l9-> après ces mots, qu'ils doivent fuivre, lifez: Après avoir furmonté ces difficultés, il faut qu'ils s'arrêtent a trois lieues de la ville, qu'ils y débarquenc leurs marchandifes dans des batiments légers, qu'ils aillent fe radouber & attendre leur cargaifon a 1'Incenada de Barragan, fitué fept ou huit lieues plus bas. C'eft une efpece de village, formé par quelques cabanes, cönftruites avec du jonc, couvertes de cuirs & difperfées fans ordre. On n'y trouve ni magafins, ni fubfiftances; & il n'eft habité que par un petit nombre d'hommes indolents, dont on ne peut fe promettre prefque aucun fervice. L'embouchure d'une riviere, large de cinq a fix mille toifes, lui fert de port. II n'y a que les navires qui ne tirent pas plus de douze pieds d'eau qui puiftènt y entrer. Ceux qui ont befoin de plus de profondeur font réduits h fe réfugier derrière une pointe voifine, oü le mouillage eft heureufement plus incommode que dangereux. L'infuffifance de cet afyie, fit bdtir, en 1726 quarante lieues au-deflbus de Buenos-Aires, la* ville de Montevideo fur une baie qui a deux  i92 SUPPLÉMENT S lieues de profondeur. Une citadelle bien entendue la défend du cöté de terre, & des batteries, judicieufement placées, la protegent du cöté du fleuve. Malheureufement on ne trouve que quatre ou cinq brafles d'eau, & on eft réduit a s'échouer. Cette néceffité n'entraine pas de grands inconvénients pour les navires marchands: mais les vaiiïèaux de guerre dépériffent vke fur cette vafe, & s'y arquent très-faciletnent. Des navigateurs expérimentés, auxquels la nature a donné 1'efprit d'obfervation , ont remarqué , qu'avec peu de travail & de dépenfe, on auroit pu faire au voifinage un des plus beauxports du monde, dans la riviere de Sainte-Lucie. Pour y réuffir, il ne falloit que creufer le banc de fable qui en rcnd 1'emrée difficile. II faudra bien que la Cour de Madrid s'arrête un peu plutót, un peu plus tard a ce parti; puifque Maldonado, qui faifoit tout fon efpoir, eft maintenant reconnu pour un des plus mauvais havres qu'il y ait au monde. La plus riche production qui forte des trois Provinces, c'eft 1'herbe du Paraguay, &c. Page 321, après ces mots, de grandeur moyenne , lifez : qui n'a été décrit ni obfervé par aucun botanifte. Son goüt approche, &c. Page 322, après ces 7nots,de fon opulence, lifez : A ce premier entrepot fuccéda celui de Villa-Rica, qui s'étoit approché trente-fix lieues da Ia produétion. II fe réduïlïr peu-a-peu a rien, par  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 193* par la même raifon qui avoit fair? tombei' eelui dont il avoit pris Ia place. Enfin, au commèncement dü fiecle, fut bad Cunuguati, a cent lieues de 1'Aflbmption & au pied des montagnes de Maracayu. C'efl; aujourd'hui ie grand marché de 1'herbe du Paraguay | mais il lui eft furvenu un concurrent qu'on ne devoit pas craindre; Les Guaranis, qui në cueilloient d'abord de cette herbe que ce qu'il en falloic pour leur éonforrimatïon; en ramaflererit avec lé temps pour en vendre. Cette occupation & la lóngueur du voyage les tenoient éloignés de leurs peuplades üne grande partie de 1'arinéé; Pendant ce temps, ils manquoient, &c Page 323, après ces mots, confomment an« huellement, lifez i Vingt-cinq mille quintaux 4 qui leur courent pres de deux millions de livres; Cette herbe, dans laquelle , &c. Page 323, après ces mots, indifférente a 1'Euirópe, 'lifez': qm n'en confomme point; & nous ne prenóhs pas plus d'intérêt au commerce quö fait cette région de fes excellentes mules dans les autres contrées du Nouveau-Monde. Cet animal utile eft très-mültiplié fur le rerritoire de Buenós-Aires. Les habitants du Tucuman y portent des bois de cönftruétion & de k cire, qu'ils échahgent chaqüe année contre foixanté mille muiets dé deux ans, qui chacun ne eoütoit Suppl. Tome IL N  104 SUPPLÉMENTS pas autrefofe trois livres, mais qu'il faut payer huit ou dix aujourd'hui. On les tient quatorze mois dans les paturages de Cordoue, huit dans ceux de Salta; & par des routes de lïx cents, de fept cents, de neuf cents lieues,ils font conduirs en troupeaux de quinze cents ou de deux mille dans le Pérou, oü on les vend prés d'Oruro, de Cufco, de Guanca-Velica, depuis foixantedix jufqu'a cent livres, fuivant le plus ou le moins d'éloignement. Le Tucuman livre d'ailleurs au Potofi feize ou dix-huit mille bceufs & quatre ou cinq mille chevaux, nés & élevés fur fon propre territoire. Ce fol fourniroit vingt fois davantage des uns & des autres, s'il étoit poffible de leur trouver quelque débouché. Une connoiflance qui fera peut-être moins indifférente pour nos négociants, c'eft la route que prennent les cargaifons qu'ils envoyentdans cette partie de 1'autre hémifphere. II y a rarement quelque communication entre les bourgades femées de loin en loin fur cette région. Outre qu'on ne Pentretiendroit pas fans de grandes fatigues, fans de grands dangers, elle feroit de peu d'utilité h des hommes qui n'ont rien ou prefque rien a s'ofTrir, rien ou prefque rien a fe demander. Buenos-Aires feule avoit un grand intérêt a trouver des débouchés pour les marchandifes d'Europe qui lui arrivoient, tan-  A LUIST. PHlLÖSOPlilQÜË. i9§ tót ouverrement, tantóc én fraude; & elle pafvinc a ouvrir un commerce allèz régulier avec Ie Chily & avec le Pérou. Originairement, les caravanes qui formoienc ces liaifons, employoienc le fecours de la boufTole pour fe conduire dans les valles déferts qu'il leur falloic traverfer: mais avec Ie cemps, on eft parvenu a fe paffèr de cec inftrument fi néceflaire pour d'autres ufages bien plus importants. Des charriots partent maintenant de BuenosAires pour leur deftination refpeétive. Plufieurs fe joignent pour être en état de réfifter aux nations fauvages qui les attaquent fouvent dans leur marche. Tous font trainés par quatre boeufs* portent cinquante quintaux ,& font fept lieues par jour. Ceux qui prennent la route du Pérou s'arrêcent a Juguy, après avoir parcouru quatre cents foixante-fept lieues; & ceux qui fonc deftinés pour le Chily n'en ont que deux cents foixante-quacre a faire pour gagner Mendoza. Les premiers recoivent quatre piaftres ou 21 I* 8 fols par quintal, & les feconds un prix pro* portionné a 1'efpace qu'ils oht parcouru. Un troupeau de bêtes a poil & a corne fuic tou» jours ceS voicures. Les chevaux font raontés par ceux des voyageurs que le charriot ennuie ou fatigue; les bceufsdoivent fervir pourlanoufture & pour Ie renouvellement des attelages. L'an 1764, fut 1'époque heureufe d'une aü* N ft  iq6 SUPPLÉMENTS tre inftitution utile. Le Miniftere avoit pris enffo le parti d'expédier tous les deux mois de la Corogne un paquebot pour Buenos-Aires. C'étoit un entrepot d'oü il s'agiflbit de faire arriver les lettres & les paflagers dans toutes les poffeffions Efpagnoles de la mer du Sud. Le trajet étoit de neuf cents quarante-fix lieues jufqu'a Lima, de trois cents foixante-quatre jufqu'a Sant-Yago; & des déferts immenfes occupoient une grande partie de ce vafte efpace. Un homme aétif & intelligent vint cependant a bout d'établir une pofte réguliere de la capitale du Paraguay aux capitales du Pérou & du Chily, au grand avantage des trois colonies & par conféquent de la métropole. Le Paraguay envoye a 1'Efpagne plufieurs objets plus ou moins importants: mais ils y ont été tousapportés des contrées limitrophes. De fes propres domaines, le pays ne fournit que des cuirs. Lorfqu'en 1539 les Efpagnols abandonneren! Buenos-Aires pour remonter le fleuve, ils laiflèrent dans les campagnes voifines quelques bêtes a corne qu'ils avoient amenées de leur patrie. Elles fe multiplierent tellement, que perfonne nedaigna fe les approprier, lorfqu'on rétablit la ville. Dans la fuite, il parut utile de les affbmmerpour en vendre la peau a 1'Europe. La maniere dont on s'y prend eft remarquable, &c.  A L'HIST. PH1L0S0PHIQUE. 197 Page 324, après ces mots, & abandonnent le refte, lifez, a des chiens fauvages ou a des vautours. Les cuirs étoienc originairement a fi bon marché, qu'ils ne coütoient que deux livres , quoique les acheteurs rebutaflènt ceux qui avoient la plus légere imperfeétion, paree qu'ils devoient le même impöt que ceux qui étoient le mieux conditionnés. Avec le temps, le nombre en diminua tellement, qu'il fallut donner43Üv. 4 fols pour les grands, 37 liv. 16 f. pour les médiocres, & 32 liv. 8 fols pour les petits. Le Gouvernement, qui voyoitavec regret fe réduire peua-peu a rien cette branche de commerce, défendifrde tuerlesjeunestaureaux. Quelques citoyens aótifs réunirent un grand nombre de géniftès dans des pares immenfes; & depuis ces innovations, les cuirs qui font tous en poil & qui pefent depuis vingt jufqu'a cinquante livres, ont baiffé d'environ un tiers. Tous doivent au fifc onze liv. Depuis 1748 jufqu'en 1753,1'Efpagnerecutparan , de cette colonie 8,752,065 livres. L'or entra dans cette fomme pour 1,524,705 liv.; 1'argent pour 3,780,000 liv.; & les produétions pour 3,447,360 livres. Le dernier article fut formé par trois cents quintaux de laine de vigogne, qui produifirent 207,360 livres, & par cenr, cinquante mille cuirs qui rendirent 3,240,000 livres. Tout étoit pour le commerce, rien n'appartenoic au Gouvernemenc. N 3  »o8 SUPPLÉMENTS Jcm. Innovation heureufe qui rloit améliorer le fort du Paraguay. La métropole ne doit pas tardera voir couler de cecte région, dans fon fein , des valeursnouvelles; & paree que la colonie du Saint-Sacrement, par oü s'écouloient les richefies, eft forcie des mains des Portugais; & paree que le Paraguay a recu une exiftence plus confidérable que celle dont il jouiflbit. L'Empire immenfe quelaCaftille avoit fondé dans 1'Amérique Méridionale fut long-temps fubordonné aunchef unique. Les parcies éloignées du centre de 1'autorité étoient alors néceffairement abandonnées aux caprices, a 1'inexpérience, a la rapacité d'une foule de tyrans fubalternes. Aucun Efpagnol, aucun Indien n'avoit la folie de faire des milliers de lieues pour aller réclamer une juftice qu'il étoit prefque fur de ne pas obtenir. La force de 1'habitude, qui étoufie fi fouvent le cri de la raifon, & qui gouverne encore plus abfolument les Etats que les individus, empêchoit qu'on n'ouvric les yeux fur le principe certain de tant de calamités. La confufion devint, a la fin , fi générale, que ce qu'on appelle le nouveau Royaume de Grenade fut détaché, en 17185de cette gigantefquedomination. Elle reftoit encore beaucoup trop étendue; & le Miniftere 1'a de nouveau reftreinte, en 1776, en formant d'une partie du diocefe de Cufco, de tout celui de la Paz, del'ArchevêchédelaPlata, des Provinces de Santa-Crux de la Siërra, de  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 199 Cuyo, du Tucuman, du Paraguay une autre vice-Royauté, dont le fiege eft a Buenos Aires. Le Gouvernement ne tardera pas, fans doute, h régler le fort de ces fingulieres miffions, que les louanges de fes panégyriftes , que les fatyres de fes détraéteurs rendirent également célebres. On dévaftoit 1'Amérique depuis un fiecle, lorfque les Jéfuites y porterent cette infatigable activité, qui les avoit fait fi finguliérement remarquer dés leur origine. Ces hommes entreprenants ne pouvoient pas rappeller du tombeau les trop nombreufes viétimes qu'une aveugle férocité y avoit malheureufement plongées; ils ne pouvoient pas arracher aux entrailles de la terre les timides Indiens que 1'avarice des conquérants y faifoit tous les jours defcendre. Leur tendre follicitude fe tourna vers les fauvages, que leur vie errante avoit jufqu'alors fouftraits au glaive, a la tyrannie. Le plan étoit de les tirer de leurs forêts, & de les raflèmbler en corps de nation, mais loin des lieux habités par les opprefieurs du nouvel hémifphere. Un fuccès, plus ou moins grand, couronna ces vues dans la Californie, chez les Moxos, parmi les Chiquites, fur 1'Amazone & dans quelques autres contrées. Cependant, aucune de ces inftitutions ne jetta un aufli grand éclat que celle qui fut formée dans le Paraguay; paree qu'on lui donna pour bafe les maximes qu« N 4 XIV. Principes fur lefquels les Jéfuites fonderent leurs miffions du Paraguay.  soo SUPPLÉMENT S faivoient les Incas dans le gouvernement de leui Empire & dans leurs conquêres» Les defcendants de Manco-Capac fe rendoiene fur leurs frontieres avec desarmées qui favoient du moins obéir, combattre enfemble, feretrancher, & qui, avec des armes offenfives, meik leures que celles des fauvages, avoient des bou-r cliers & des armes défenfives que leurs ennemis n'avoient pas. Ils propofoient a la nation qu'ils vouloient ajouter a leur domaine, d'adopter leur? Religion, leurs loix & leurs mceurs. Ces invitat tions étoient ordinairement rejettées. De nouveaux députés, plus preflants que les premiers, étoient envoyés. Quelquefois on les mauacroit, & on fondoit inopinéraent fur ceux qu'ils repréfentoient. Les troupes provoquées avoient affez généralement la fupériorité: mais elles s'arrêtoienc au moment de la viéloire, & traitoient leurs prifonniers avec tant de douceur, qu'ils alloient; faire aimer de leurs compagnons un vainqueur humain. II n'arriva guere qu'une armée Péruvienne attaquat la première ; & il arriva fouvent qu'après avoir vu fes foldats maffacrés, qu'après avoir éprouvé la perfidie des barbares, flncan© permettoit pas encore les hoftilités. Les Jéfuites, qui n'avoient point d'armée, &c. page 327. Page 328 , ligne 29, au-Heu de fe retrouve , lifez fe retrouva. Mettez de même au pajfé ou.  A L'HIST. PHïLOSOPHIQUE. 201 4 Vimparfait tout ce qui eji au préfent, jnfqu'aux mots la fociécé. Page 330 , après ces mots, remords fondés, lifez : II n'en étoit pas tout-a-fait ainfi au Paraguay. Les miffionnaires Efpagnols y avoient beaucoup trop porté leurs idéés, leurs ufages monaftiques. Cependant, peut-être ne lït-on jamais autant de bien aux hommes, avec fi peu de mal, II y eut plus d'arts & de commodités, &c. Ibid. I. 24, au-lieu des mots, il y a, lifez, il y euc, 6? ainfi au paffé tout ce qui eft au préfent. Page 331 , après ces mots, culte public, lifez : Les temples du foleil étoient aufïi-bien conftruits , auffi-bien ornés que le permettoit 1'imperfection des arts & des matériaux. Les Egli-» fes du Paraguay font réellement fort belle?. Une mufique qui alloit au coeur, des cantiques tou» ehants, des peintures qui parloient aux yeux, la majefté des cérémonies : tout attiroit les Indiens dans ces lieux facrés, oü le plaifir fe confondoit pour eux avec la piété. II femble que les hommes, &c. Page 232 , ligne 1, au-lieu de devroient, lifez , auroient dü, & ainfi de fuite au paffé. Page 333, après ces mots, quatre-vingt-onze têtes, lifez : Aucun monument d'une foi eertaine ne porta jamais le nombre des bourgades audelTus de crence-deux, ni celui de leurs habitants N 5  202 SUPPLÉMEJN T S au-deflus de cent vingt-un mille cent foixante-huif. On foupconna long-temps les Religieux, &c. Page 334 ? h 131 au-lieu de trouvé des mines, lifez, avoient découverx de pareils tréfors. Page 337, après ces mots, de grands progrès, lifez : Un Ecrivain mercénaire ou aveuglé par fahaine, n'a pascraint de publier depuis peu a la face de 1'univers, que le terrein occupé par les Guaranis ne pouvoit nourrir que le nombre d1hommes qui y exifloit, & que plutöt que de les rapprocher des Efpagnols, leurs miffionnaires avoient eux-mêmes arrêté la population. Ils perfuadoient, nous dit-on, a leurs céophites, de laiflèr périr leurs enfants qui feroient autant de prédeftinés & de protecteurs. Homme ou démon, qui que tu fois, as-tu réfléchi fur l'atrocité, fur l'extravagance de ton accufation ? As-tu compris 1'infulte que tu faifois a tes maitres, a tes concitoyens, en comptant obtenir leur faveur ou leur eflime par ces noirceurs? Combien il faudroit que ta nation füt déchue de la nobleflè, de la générofité de fon caraétere, fi elle ne partageoit ici mon kidignation! Aux chimères qui viennent d'étre combattues, tachons de fubftituer des caufes vraies ou vraifemblables. D'abord, les Portugais de Saint-Paul détruifirent en 1631 les douze ou treize peuplades, for-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 203 méés dans la Province de Guayra, limitrophe du Bréfil. Ces brigands qui n'étoient qu'au nombre de deux cents foixante-quinze, ne purent, il eft vrai, amener que neuf cents des vingt-deux mille Guaranis qui compofoient cet établiflèment naiffant: mais le glaive & la mifere en détruifirenc beaucoup. Plufieurs reprirent la vie fauvage. A peine en arriva-t-il douze mille fur les bords du Parana & de 1'Uruguay oü l'on avoit réfolu de les fixer. La paflion qu'avoient les dévaftateurs de faire des efclaves, ne fut pas étouffée par cette émigration. Ils pourfuivirent leur timide proie dans fon nouvel afyle, & devoient, avec le temps, tout difperfer, tout mettre aux fers, ou tout égorger, a moins qu'on ne donnat aux Indiens des armes pareilles a celles de leurs aggrefieurs. C'étoit une propofition délicate a faire. L'Éfpagne avoit pour maxime de ne pas introduire 1'ufage des armes a feu parmi les anciens habitants de cet autre hémifphere, dans la crainte qu'ils ne fe ferviffènt un jour de ces foudres pour recouvrer leurs premiers droits. Les jéfuites applaudifibient a cette défiance nécefiaire avec des nations dont la foumiffion étoit forcée : mais ils la jugeoient inutile avec des peuples librement attachés aux Rois Catholiquespardes liens fi doux, qu'ils ne pouvoient être jamais tentés de les dénouer. Les raifons ou les inftances de ces mif-  2o4 SUPPLÉMENTS fionnaires triompherent des oppofïtions & des préjugés. En 1639, on accorda des fufils aux Guaranis, & cette faveur les délivra pour toujours du plus grand des dangers qu'ils pouvoient courir. D'autres caufes plus obfcures de deftruétion remplacerent celle-la. L'ufage s'érablit d'envoyer annuellement a deux, a trois cents lieues de leurs frontieres une partie des bourgades cueillir 1'herbe du Paraguay, pour laquelle on leur connoiffbit une paflion infurmontable. Dans ces longues & pénibles courfes, plufieurs périfibient de faim & de fatigue. Quelquefois durant leur abfence, des fauvages errants dévaftoient des plantations privées de la plupart de leurs défenfeurs. Ces vices étoient a peine corrigés, qu'une nouvelle calamité affligea les miflions. Un malheureux hafard y porta la petite-vérole, dont les poifons furent encore plus meurtriers dans cette contrée que dans le refte du Nouveau-Monde. Cette contagion ne diminua point, & continua a entaffer viétime fur victime fans interruption. Les Jéfuites ignorerentils les falutaires effets de 1'inoculation fur les bords de'l'Amazone, ou fe refuferent - ils par fuperftition a une pratique dont les avantages font fi bien prouvés? Après tout, ce fut le climat qui arrêta fur-tous la population des Guaranis. Le pays qu'ils oc-  A LUIST. PHILOSOPHIQÜE. aoj eupoient, principalement fur le Parana, étoit chaud, humide, fans cefTe couvert de brouillards épais & immobiles. Ces vapeurs y verfoienc dans chaque faifon des maladies contagieufes. Les inclinations des habitants aggravoient ces fléaux. Héritiers de la voracité que leurs peres avoient apportée du fond des forêts, ils fe nourriflbientde fruits verds, ils mangeoiertt les viandes prefque crues, fans que ni la raifon, ni 1'aurorité, ni 1'expérience puiïènt déraciner ces habitudes invétérées. De cette maniere, la maflè du fang, altérée par 1'air & les aliments, ne pouvoit pas former des families nombreufes, ni des générations de quelque durée* Pour alTurer la félicité des Guaranis, en quel nombre qu'ils fuffent ou qu'ils puiïènt être , leurs inftituteurs avoient originairement réglé avec la Cour de Madrid, que ces peuples ne feroient jamais employés aux travaux des mines, ni aflèrvis a aucune corvée. Bientöt cette première ftipulation leur parut infuffifante au repos des nouvelles républiques. Ils flrent déciderque tous les Efpagnols en feroient exclus, fous quelque dénomination qu'ils fe préfentaiïènt. On prévoyoit que s'ils y étoient admis comme négociants, ou même comme voyageurs, ils rempliroient de troubles ces lieux paifibles, & y porteroiènt le germe de toutes les corruptions. Ces mefures bleflèrent d'aucant plus profondément des eon* xvi. Examen des reproches faits aux Jéfuites. touchantles miffionsa  2o6 SUPPLÉMENTS quérants avides & deftruéteurs, qu'elles avoient 1'approbation des fages. Leur reffentiinenc éclata par des imputations qui avoient un fondement apparent & peut-être réel. Les Miffionnaires faifoient le commerce pouf la nation. Ils envoyoient h Buenos-Aires de la cire, du tabac, des cuirs, des cotons en nature & filés, principalement 1'herbe du Paraguay. On recevoit en échange des vafes & des ornements pour les temples; du fer, des armes, des quincailleries; quelques marchandifes d'Europe que la colonie ne fabriquoit pas; des métaux deftinés au payement du tribut que devoient les Indiens males depuis vingt jufqu'a cinquante ans. Autant qu'il eft poffible d'en juger a travers les épais nuages qui ont continuellement enveloppé ces objets, les befoins de 1'Etat n'abforboient pas Ie produit entier de fes ventes. Ce qui refloit étoit détourné au profit des Jéfuites. Auffi furent - ils traduits au tribunal des quatre parties du monde comme une fociété de marchands, qui, fous le voile de la Religion, n'étoient occupés que d'un intérêt fordide. Ce reproche ne pouvoit pas tomber fur les premiers fondateurs du Paraguay. Les déferts qu'ils parcouroientne produifoient ni or, ni den» rées. Ils n'y trouverent que des forêts, des ferpents, des marais; quelquefois la mort ou de3 tourments horribles, & toujours des fatiguesex-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. ao? eefllves. Ce qu'il leur en coücoit de foins, de travaux, de patience pour faire pafiër les fauvages d'une vie errante a 1'état focial, ne fe peut comprendre. Jamais ils ne fongerent a s'approprierle produit d'une terre, qui cependant, fan» eux, n'auroit été habitée que par des bêces féroces. Vraifemblablement, lëurs fuccefTeurs eurent des vues moins nobles & moins pures. Vraifemblablement , ils chercherent un accroilfement de fortune & de puifiance, oü ils ne devoient voir que la gloire du Chrifiïanifme, que le bien de 1'humanité. Ce fut, fans doute, un grand crime devoler les peuples en Amériquepouracheter du crédit en Europe, & pour augmenter fur tout le globe une influence déja trop dangereufè. Si quelque chofe pouvoit diminuer 1'horreur d'un fi grand forfait, c'efl que Ia félicité des Indiens n'en fut pas altérée. Jamais ils ne parurent defirer au-dela des commodités dont on les faifoit jouir généralement. Ceux qui n'accuferent pas les Jéfuites d'avarice, cenfurerent les établifièments du Paraguay comme 1'ouvrage d'une fuperflition aveugle. Si nous avons une idéé jufie de la fuperflition, elle retarde les progrès de la population, elleconfacre a des pratiques inutiles le temps defliné aux travaux de la fociété; elle dépouille I'homme laborieux, pour enrichirle folitaire oifif & dangereux; elle arme les citoyens les uns contre les  so8 SUPPLÉMENTS autres pour des fujets frivoles; elle donne au noni du Ciel le fignal de la révolte; elle fouftrait fes Miniftres aux loix, aux devoirs de la fociété: en un mot, elle rend les peuples malheüreux, & donne des armes au méchant contre le jufte. Vison chez les Guaranis aucune de ces calamités? S'ils durent leurs heureulës inftitutions a la fuperftition, ce fera la première fois qu'elle aura fait du bien aux hommes. La politique, toujours inquiete, toujours foup» ijonneufe, paroifToit craindre que les républiques fondées par les jéfuites, ne fe détachallènt un peu plutöt, un peu plus tard de 1'Empire, a 1'ombre duquel elles s'étoient élevées. Leurs habitants étoient, a fes yeux, les foldats les plus exercés du nouvel hémifphere. Elle les voyoiE obéiffant par principe de religion avec 1'énergié des mceurs nouvelles, & combattant avec le fahatifrhe qui conduifit tant de martyrs fur 1'échafaud, qui brifa tant de coüronnes par les mains des difciples d'Odin & de Mahomet. Mais c'étoit fur-tout leur gouvernement qui caufoit fes allarmes. Dans les inftitutions anciennes, Fautorité civile & fautorité religieufe, qui partent de la même fource, & qui doivent tendre au même but, étoienc réunies dans les mêmes mains, ou 1'une tellement fubordonnée b 1'autre, que le peuple n'ofoit 1'en féparer dans fes idéés & dans fes crain- tesi  A L'HISf. PHILOSOPHIQUE. 209 tes. Le chriftianifme introduifit en Europe un autre efprit, & forma, dès fon origine, une rivalité fecrete entre les deux pouvoirs, celui des armes, & celui de 1'opinion. Cette difpofuion éclata, lorfque les barbares du Nord fondirent fur la domination Romaine. Les Chrétiens, perfécutés par les Empereurs payens, s'empreflerent d'implorer ce fecouts étranger contre 1'oppreflïon. Ils prêcherent h ces vainqueurs ignorants un culte nouveau qui leur impofoit 1'obligation de détruire Tanden, & demanderent les décombres des temples pour élever fur ces magnifiques ruines leurs propres fancluaires. Les fauvages donnerent fans peine ce qui ne leur appartenoic pas, flrenc tomber aux pieds du chriftianifme leurs ennemis & les fiens, prirenc des terres & des hommes, & en céderent a 1'Eglife. Ilsexigerent des tributs, & en exempterent le Clergé qui préconifoit leurs ufurpadons. Des Seigneurs fe firenc Prêtres, des Prêtres devinrent Seigneurs. Les Grands attacherent les prérogatives de leur naiflance au facerdoce qu'ils embraffoient. Les Evêques imprimerenc le fceau de la religion aux domaines qu'ils poffédoient. De ce mélange, de cette confufion du fang avec le rang, des titres avec les biens, des perfonnes avec les chofes, il fe forma un pouvoir monflxueux qui fe diftingua d'abord du véritable pouvoir qui "efl: celui du gouvernement, qui Suppl. Tome II. O  aio SUPPLËMÊNTS XVII. les peuples étoient-ils heureux dans ces miflions , & ont - ils regretté leurs légiflateurs? prétendit enfuite 1'emporrer fdr lui, & qui de* puis fe fentant le plus foible, fe contenta de s'en féparer & de dominer en fecret fur ceux qui en vouloient bien dépendre. Ces deux pouvoirs furent toujours tellement difcordants, qu'ils troublerent fans cefie 1'harmonie de tous les Etats. Les Jéfuites du Paraguay, qui connoiffoient cette fource de divifion, profiterent du mal que leur fociété avoit fait fouvent en Europe, pour établir un bien folide en Amérique. lis réunirent les deux pouvoirs en un feul, ce qui leur donna la difpolition abfolue des penfées, des affections, des forces de leurs néophites. Un pareil fyllême rendoit-il redoutables ces légiflateurs ? Quelques perfonnes le penfoient dans le Nouveau-Monde; & cette croyance étoit beaucoup plus répandue dans Tanden : mais par-tout on manquoit des lumieres nécefiaires pour affeoir un jugement. La facilité, peut-être Inattendue, avec laquelle les miflionnaires ont évacué ce qu'on appelloit leur Empire, a paru démontrer qu'ils étoient hors d'état de s'y foutenir. Ils y ont été même moins regrettés qu'on ne croyoit qu'ils le feroient. Ce n'eft pas que les peuples eufient a fe plaindre de la négligence ou de la dureté de leurs conducteurs. Une indifférence fi extraordinaire venoit, fans doute, de Tennui que ces Américains, en apparence fi heureux , devoienc éprouver durant le cours  A l'hist. philosophique, 21 ï d'une vie trop uniforme pour n'être pas languiffante, & fous un régime qui, confidéré dans fon vrai point de vue, refTembloit plutöt a une communauté religieufe qua une inftitution poiitique. Comment un peuple entier vivoit-il fans répugnance fous la contrainte d'une loi auftere, qui n'aflujtitrit pas un petic nombre d'hommes qui 1'ont embraflëe par 1'enthoufiafme & par les motifs les plus fublimes, fans leur infpirer de la mélancolie, & fans aigrir leur humeur ? Les Guaranis étoient des efpeces de Moines, & il n'y a pas peut-être un Moine qui n'ait quelquefois détefté fon habit. Les devoirs étoient tyranniques. Aucune faute n'échappoit au chatiment. L'ordre commandoit au milieu des plaifirs. Le Guaranis, infpeété jufque dans fes amufements, ne pouvoit fe livrer a aucune forte d'excès. Le tumulte & la licence étoient bannis de fes triftes fêtes. Ses moeurs étoient trop aufteres. L'égalité a laquelle ils étoient réduics, & dont il leur étoit impoflible de fe tirer, éloignoit entre eux toute forte d'émulation. Un Guaranis n'avoit aucun motif de furpalfer un Guaranis. IL avoit fait aflèz bien, fi l'on ne pouvoit ni 1'ac* cufer, ni le punir d'avoir mal fait. La privation de toute propriété n'influoit-elle pas fur fes liaifons les plus douces? Ce n'eft pas afiez pour le bonheur de I'homme d'avoir ce qu'il lui fuffit; o 2  sia SUPPLÉMENTS xvni. Mefures préliminaires prifes par la Coui d'Efpagne il lui faut encore de quoi donner. Un Guaranis ne pouvoit être le bienfaiteur, ni de fa femme, ni de fes enfants, ni de fes parents, ni de fes amis, ni de fes compatriotes; & aucun de ceuxci ne pouvoit être le Hen. Son coeur ne fentoit aucun befoin. S'il étoit fans vice, il étoit auffi fans vertu. II n'aimoit point, il n'étoit point aimé. Un Guaranis paffionné auroit été 1'être le plus malheureux; & I'homme fanspaffion n'exifte, ni dans le fond d'un bois, ni dans la fociété, ni dans une celluie. Je ne connois que 1'amour, qui s'irrite & s'accroit par la gêne, qui püc y gagner. Mais croira-t-on qu'il ne reflat rien aux Guaranis du fentiment de leur liberté fauvage ? Mais négligez tout ce qui précede, & ne pefez que le peu de lignes que je vais ajouter. Le Guaranis n'eut jamais que des idéés très-confufes de ce qu'il devoit aux foins de fes légiflateurs, & il en avoit vivement, continuellement fenti Ie defpotifme. II fe perfuada fans peine au moment de leur expulfion, qu'il fèroic affranchi, & qu'il n'en feroit pas moins heureux. Toute autorité eft plus ou moins odieufe; & c'eft la raifon pour laquelle tous les maïtres, fans exception, ne font que des ingrats. Lorfqu'en 1768 les miffions du Paraguay fortirent des mains des Jéfuites, elles étoient arrivées a un point de civilifation , le plus grand peuc-êcre ou on puiflè conduire les nations nou-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 213 velles, & certainement fort fupérieur a tout ce qui exiftoit dans le refte du nouvel hémifphere. ' On y obfervoit les loix. II y régnoit une police 1 exacte. Les mceurs y étoienc pures. Une heureufe fraternité y uniflbit les cceurs. Tous les arts de néceffité y étoient perfectionnés, & on y en connoiflbit quelques - uns d'agréabies. L'abondance y étoic univerfelle, & rien ne manquoit dans les dépots publics. Le nombre des bêtes a corne s'y élevoit a fept cents löixanteneuf mille trois cents cinquante-trois; celui des muiets ou des chevaux, a quatre-vingt-quatorze mille neuf cents quatre-vingt-trois; celui des moutons, a deux cents vingt-un mille cinq cents trentefept; fans compter quelques autres animaux domeftiques. Les pouvoirs, concentrés jufqu'alors dans les mêmes mains, furent partagés. Un chef, auquel on donna trois Lieutenants, fut chargé de gouverner la contrée. On confia ce qui étoit du reffort de la Religion a des Moines de St. Dominique , de St. Francois & de la Merci. C'eft le feul changement qui ait été fait jufqu'ici aux difpofitions anciennes. La Cour de Madrid a voulu examiner, fans doute, fi 1'ordre établi devoit être maintenu ou réformé. On cherche a lui perfuader de retirer les Guaranis d'une région peu falubre & trop peu fertile, pour en peuplerles bords inhabicés du Rio-Plata, de- O s )ourle gouvernementie ces mifions.  2i4 SUPPLÉMENTS XIX. Peuples qui habitent 1'Amérique Efpagnole , & premiérejnent les Chapetons. puis Buenos-Aires jufqu'a rAfTomption. Si ce plan eft adopté, & que les peuples refufenc de quitcer les tombeaux de leurs peres, ils feront réduits a fe difperfer, s'ils fe prêtent aux vues de 1'Efpagne, ils cefièront de former une nation. Quoi qu'il arrivé, le plus bel édifiee qui ait été élevé dans le Nouveau-Monde fera renverfé. Mais voilh aflez, & peut-être trop de détails, fur les révolutions plus ou moins imporcantes qui ont agité 1'Amérique Efpagnole pendant trois fiecles. II eft temps de remonter aux principes qui dirigerent la fondation de ce grand Empire; & de tracer, fans malignité comme fans flatterie, les fuites d'un fyftême dont 1'antiquité n'avoit ni laifie, ni pu laifier de modele. Nous commencerons par faire connoitre les differentes efpeces d'hommes quife trouvent aujourd'hui réunis dans cette immenfe région. On ne rangera point parmi les habitants du nouvel hémifphere les Commandants chargés de lui donner des loix, les troupes deftinées a le contenir ou a le défendre, les négociants employés pour fon approvifionnement. Ces difFérentes claffès d'hommes ne fe fixent point en Amérique, & reviennent toutes en Europe après un féjour plus ou moins borné. Parmi les perfonnes envoyées par fautorité publique, il n'y a guere que quelques Magiftrats, quelques admi-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 215 niftrateurs fubalcernes qui s'incorporenc a ces régions éloignées. La loi défendatout citoyen d'y aller fans 1'aveu du Gouvernement: mais les gens connus en obtiennent aflez aifément la permiffion, & ceux qui font obfcurs y paflent très-fréquemment en fraude. On efl: vivement poufle a cette émigration par 1'efpoir d'une fortune confidérable, &quelquefois aufli par la certitude de trouver une confidération donc on n'auroit pas joui dans le lieu de fon origine. II fuffit d'être né en Efpagne pour obtenir des égards marqués: mais cet avantage ne fe tranfmet pas. Les enfants qui ont recu le jour dans cet autre monde ne portent plus le nom de chapetons qui honoroit leurs peres: ils deviennent fimplement créoles. C'eft ainfi qu'on appelle ceux qui font iflus du fang Efpagnol dans le nouvel hémifphere. Plufieurs defcendent des premiers conquérants ou de ceux qui les fuivirent; d'autres ont eu d'illuftres ancêtres. La plupart ont acheté ou obtenu des titres diftingués: mais peu d'entre eux ont manié les grands refibrts du gouvernement. Soit que la Cour les crüt incapables d'application, foit qu'elle craignic qu'ils ne préféraflènt les intéréts de leur pays a ceux de la métropole, elles les éloigna de bonne heure des places de confiance, & s'écarta rarement de ce fyftême bien ou mal concu. Ce mépris ou cette défiance les découragerent. Ils acheverent de per- O 4 xx. Les Créo* es.  t\6 SUPPLÉMENTS XXI. Lss Métis dre dans les vices qui naiffent de 1'oifiveté, de la chaleur du climat, de 1'abondance de toutes chofes , cette élévation dont il leur avoit été laifle de fi grands exemples. Un luxe barbare, des plaifirs honteux, une fuperftition ftupide, des inrrigues romanefques, acheverent la dégradation de leur caraétere. Une porte reftoit ouverte a 1'ambition de ces colons profcrits, en quelque forte, fur leur terre natale. La Cour, les armées, les tribunaux, 1'Eglife, font enEfpagne des carrières plus ou moins brillantes qu'il leur eft libre de parcourir. II n'y en eft cependant entré qu'un très-petit nombre, ou paree que leur ame eft entiérement flétrie, ou paree que les diftances en rendent 1'accès trop difficile. Quelques-uns, d'une naillance moins diftinguée, ont tourné, dans 1'Amérique même, leur activité, leur intelligence vers les grandes opérations du commerce; & ceux-la ont été les plus fages & les plus utiles. La fupériorité que les chapetons affeétent fur 'les créoles, ceuxci la prennent fur les métis. C'eft la race provenant d'un Européen avec une Indienne. Les Efpagnols qui, dans les premières époques de la découverte, aborderent au Nouveau-Monde , n'avoient point de femmes avec eux. Quelques-uns des plus confidérables attendirent qu'il en vint d'Europe. La plupart donnerent leur fpi aux filles du pays les plus diftin-  A L'HIST: PHILOSOPHIQUE. 217 guées ou les plus agréables. Souvent même, fans les époufer, on les rendit meres. La loi fit jouir ces enfants, légitimes ou illégitimes , des prérogatives de leur pere ; mais le préjugé les placa plus bas. Ce n'eft guere qu'après trois générations, c'eft-a dire lorfque leur couleur ne differe en rien de celle des blancs, tous très-bafanés, que dans le cours ordinaire de la vie civile, ils font traités comme les autres créoles. Avant d'arriver a une égalité fi flatteufe, ces métis, par-tout très-nombreux, & dont 1'efpece fe renouvelle fans interruption, s'occupoient la plupart des arts méchaniques & des moindres détails du commerce. Après avoir acquis plus de dignité, ils font encore réduits a continuer les mêmes travaux jufqu'a ce qu'une alliance heureufe ou quelque circonftance particuliere les mette en état de couler des jours inutiles dans les plaifirs & dans la mollefle. A peine le Nouveau-Monde eut été découvert, qu'en 1503, on y porta quelques noirs. Huit ans après, il.y en fut introduit un plus grand nombre, paree que 1'expérience avoit prouvé qu'ils étoient infiniment plus propres a tous les travaux que les naturels du pays. Bientöt fautorité les profcrivit, dans la crainte qu'ils ne corrompifiènt les Américains, & qu'ils ne les pouffafient a la révolte. Las-Cafas, auquel il manquoit des notions juftes fur les droits de I'homme, mais O 5 XXIT. Les Negres,  2i8 SUPPLÉMENTS qui s'occupoit fans ceffe du foulagement de lés chers 'Indiens , obcint la révocation d'une loi qu'il croyoic nuifible a leur confervation. Charles-Quint permic en 1517 que quatre mille de ces efclaves fulTent conduits dans les colonies Efpagnoles; & le courtifan Flamand, qui avoir, obtenu cette faveur, vendit aux Génois 1'exercice de fon privilege. A 1'expiration de 1'ocTxoi, ce vil commerce celTa prefque entiérement; mais les Portugais, devenus fujets de la Cour de Madrid, le ranimerent. II retomba encore après que ce peuple euc fecoué le joug qu'il portoit fi impatiemment, & ne reprit quelque vigueur que lorfque les deux nations fe furent rapprochées. Enfin, les fujets de la Cour de Lisbonne s'engagerent, en 1696, h fournir dans cinq ans vingt-cinq mille noirs a leurs anciens tyrans, & ils remplirent cette obligation avec le fccours de leur Souverain , qui avanca les deux tiers des fonds qu'exigeoit une entreprife alors fi confidérable. Les Francois, qui venoient de donner un Roi a 1'Efpagne, fe mirent trop légérement a Ia place des Portugais en 1702. Manquant d'écabliffements a la cöte d'Afrique, encore peu inftruits dans les opérations maritimes , malheureux durant le cours d'une longue guerre, ils ne firent rien de ce qu'ils avoient promis fi hardimenr.  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 219 La paix d'Ucrechc fit pafièr ce contrat a 1'Angleterre. La compagnie du Sud, a laquelle le Miniftere Britannique 1'abandonna, fe chargea de livrer, chacune des trente années que devoic durer fon privilege, quatre mille huit cents Africains aux établifiements Efpagnols. On la borna a ce nombre pour les cinq derniers ans de fon oétroi: mais, tout le refte du temps, ïl lui étoit permis d'en introduire autant qu'elle en pourroit vendre. Elle s'obligea a payer trente-trois piaftres & un tiers, ou 180 livres pour chacun des quatre mille premiers noirs. Les huit cents fuivants furent déchargés de ce tribut onéreux en dédommagement d'un pret de 1,080,000 liv. avancées a la Cour de Madrid , & qui ne devoient être rembourfées que dans 1'efpace de dix ans. Ce tribut étoit réduit a la moitié pour tous les efclaves que le contrat n'exigeoic point. Philippe V fe dédommagea de ce facrifice en fe réfervant la quatrieme partie des bénéfices que feroit la fociété. L'exécution du traité ne fut interrompue que par les hoftilités qui, en 1739, diviferent les deux couronnes. La pacification de 1748 rétablit celle d'Angleterre dans tous fes droits : mais la compagnie qui la repréfentoit fut déterminée, par un dédommagement qu'on lui offrit, a céder les courts reftes d'un octroi dont elle prévoyoit qu'on ne la laiflèroit pas jouir fans de grandes gênes.  420 SUPPLÉMENTS Robert Mayne, négocianc de Londres, fuccéda, fous un nom Efpagnol, a 1'aflbciation du Sud. L'infidélité ou la négligence des agents qu'il avoic établis a Buenos-Aires, devenu 1'entrepöt de ce commerce, furent telles, qu'en 1752 il fe trouva ruiné, qu'il fe vit forcé d'abandonner une entreprife qui, plus fagement dirigée ou mieux furveillée, devoit donner des profits trèsconfidérables. On prit alors Ie parti de recevoir h Porto-Rtco des efclaves qui devoient au fifc 216 liv. par tête, & qui, après avoir payé cette taxe rigoureufe, étoient introduits librement fur le continent & dans les ifles. Les Anglois qui avoient traité avec le Gouverneur de Cuba rempliflbient fidélement leurs engagements, lorfque la Cour de Madrid jugea convenable a fes intéréts de changer de fyftême. II fut formé en 1765 une fociété de quelques maifons de commerce Efpagnoles, Frangoifes & Génoifes établies a Cadix. Cette compagnie, mal fervie par fes facteurs, & très-obérée, alloit fe diflbudre, lorfqu'en 1773 le Miniftere jugea qu'il étoit de fa fagefie & de fa juftice d'accorder des adoucifiements aux conditions qu'il avoit d'abord impofées. On prolongea le privilege, ondiminua les charges; & depuis cette époque, 1'importation des efclaves a pris une nouvelle sctivité. Ils font achetés indifféremment dans tous  A L'HIST. PHILOSOPHIQTJE. 211 !es lieux oü l'on peut s'en procurer avec le plus d'avantage. Féroces Européens , d'abord vous doutates fi les habitants des contrées que vous veniez de découvrir n'étoient pas des animaux qu'on pouvoit égorger fans remords, paree qu'ils étoienc noirs, & que vous étiez blancs. Peu s'en fallut que vous ne leur enviaffiez la connoifTance de Dieu votre pere commun, chofe horrible a penfer! Mais quand vous leur eütes permis de lever aufli leurs regards & leurs mains vers le Ciel; quand vous les eütes initiés aux cérémonies & aux myfteres; aflbciés aux prieres, aux offrandes & aux efpérances a venir d'une Religion commune; quand vous les eütes avoués pour freres, 1'horreur ne redoubla-t-elle pas, lorfqu'on vous vit fouler aux pieds le lien de cette confanguinité facrée? Vous les avez rapprochés de vous; & vous allez au loin les acheter! & vous les vendez! & vous les revendez comme un vil troupeau de bêtes J pour repeupler une partie du globe que vous avez dévaftée, vous en corrompez & dépeuplez une autre. Si la mort eft préférable a la fervitude, n'êtes-vous pas encore plus inhumains fur les cótes d'Afrique que vous ne 1'avez été dans les régions de 1'Amérique ? Anglois, Francois, Efpagnols , Hollandois, Portugais, je fuppofe que je m'entretienne avec un d'entre vous d'un traité conclu entre deux nations chï-  222 SUPPLÉMENT S lifées, & que je lui demande quelle efl: la forte de compenfation qu'elles ont ftipulée dans 1'échange qu'elles ont fait? Qu'imaginera-t-il ? De Por, desdenrées, des privileges, une ville, une Province; & c'eft un nombre plus ou moins grand * de leurs femblables que l'on abandonne a 1'autre pour en difpofer a fon gré? Mais celle eftl'infamie de ce pafte dénaturé, qu'il ne fe préfente pas même a la penfée de ceux qui Font contraété. Tout annonce que la Cour d'Efpagne va fortir de la dépendance oü elle étoit des nations étrangeres pour des efclaves. C'efl: 1'unique but qu'elle a pu fe propofer en exigeant, en 1778 , du Portugal la ceffion de deux de fes ifles fur les cótes d'Afrique. Des cultures difficiles, quelques mines d'un genre particulier, ont occupé une partie des efclaves introduits dans le continent Efpagnol du Nouveau - Monde. Le fervice domeftique des gens riches a été la deftination du plus grand nombre. Ils n'ont pas tardé a devenir les confldents des plaifirs de leurs maitres; &cehonceux miniftere les a conduits a la liberté. Leurs defcendants fe font alliés, tantóc avec les Européens, tantöt avec les Mexicains, & ont formé la race nombreufe & vigoureufe des muiacres, qui, comme celle des métis, mais deux ou trois générations plus tard, parvient a la couleur &a Ia con-  A L'HIST. PHÏLOSOPHIQUE. 223 fidération des blancs. Ceux même d'entre eux qui font encore dans les fers ont pris un empire décidé fur le malheureux indigene. Ils ont du cette fupériorité a la faveur déplacée que leur accordoit le Gouvernement. Par cette raifon, les Africains, qui, dans les établiffements des autres nations, font les ennemis des blancs, en font devenus les défenfeurs dans les Indes Efpagnoles. Mais pourquoi la faveur du Gouvernement tomba-t-elle fur 1'efclave acheté de préférence a 1'efclave conquis? C'efl; que 1'injure faite a celui-ci étoit plus ancienne& plus grande que 1'injure faite au premier, que celui-la étoit accoutumé au joug; qu'il falloit y accoutumer celui-ci, & que 1'efclave d'un maitre dont la politique 1'a rendu maïtre d'un efclave, efl: entrainé par cette diftinction h faire caufe avec le tyran commun. Si 1'Africain, le défenfeur des blancs dans les Indes Efpagnoles, fut par-tout ailleurs leur ennemi, c'efl: que par-tout ailleurs il obéiffoit toujours, & qu'il ne commandoit jamais, c'efl: qu'il n'étoit point confolé de fon röle parle fpectacle d'un röle plus malheureux que lefien. Aux Indes Efpagnoles, 1'Africain eft alternativement efclave & maitre : dans les écabliüements des autres nations, il efl: efclave du matin au foir. Les Indiens forment la derniere claflè des habitants dans une région qui appanenoit toute en- xxn 1. Ancienne ror.cütion  des Indiens, & leur état atlucl. 224 SUPPLEMENTS tiere a leurs ancêtres. L'infortune de ces peuples commenga a 1'époque même de la découverte, Colomb diftribua d'abord des terres a ceux qui 1'accompagnoient, & y attacha des naturels du pays en 1499. Cette difpofition ne fut pas approuvée par la Cour, qui, trois ans après, envoya Ovando a Saint-Domingue, avec ordrede rendre ces malheureux a la liberté. Ce nouveau Commandant, tout barbare qu'il étoit, fe conforma a Ia volonté de fes Souverains: mais Pindolence des Américains & les murmures des Efpagnols le déterminerent bientöt a faire rentref dans les fers ceux qui en étoient fords, & a y en mettre un beaucoup plus grand nombre. Seulement, il décida que ces efclaves tireroient quelque fruit de leur travail, foit qu'ils fulTent employés a la culture des terres, foit qu'ils le fuflent a 1'exploitation des mines. Ferdinand & Ifabelle eonfirmerent, en 1504 , cet arrangement, avec la claufe que le falaire feroit réglé par le Gouvernement. Les Dominicains, qui venoient de palier dans la colonie, s'indignerent d'un ordre de chofes qui renverfoit tous les principes. Ils refuferent, dans letribunal de la pénitence, 1'abfolutionaux particuliers qui follicitoient ou même acceptoient ces dons qu'on appelloit indifféremment répartitions ou commanderies ; ils accabloient d'anathêmes, dans la chaire, les miniftres ou les pro- moteurs  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 225 moteurs de ces injuftices. Les cris de ces Moi> nes, alors très-révérés, retentirent jufqu'en Europe, oü 1'ufage, qu'ils attaquoient avec tant d'amercume, futexaminéde nouveau, en 1510, & de nouveau confirmé. Les Indiens trouverent, en 151^, dans LasCafas un défenfeur plus vif, plus incrépide, & plus aclif que ceux qui 1'avoient précédé. Ses follicitations déterminerenc Ximenès, qui conduifoit alors la monarchie avec tant d eclat, a faire palieren Amérique trois Religieux Hiéronimites pour juger une caufe deux fois jugée. Les arrêts qu'ils prononcerent ne furent pas ceux que leur profeffion faifoit préfumer. Ils fe déciderent pour les répartitions : mais ils en déclarerent déchus tous ceux des courtifans & des favoris qui ne fe réfidoient pas dans le NouveauMonde. Las-Cafas, que le Miniftere lui-même avoit déclaréprotecleurdes Indiens, & qui, revêrude ce titre honorable, avoit accompagné les Sur-Intendants, revola en Efpagne, pour y vouer a 1'indignation publique des hommes d'un état pieux qu'il accufoit d'avoir facrifié 1'humanité a la politique. II parvint a les faire rappeller , & on leur fubftitua Figueroa. Ce Magiftrat prit le parti de réunir dans deux gros villages un affez grand nom* bre d'Indiens qu'il laifla feuls arbitres de leurs aélions. L'expérience ne leur fut pas favorable» Suppl. Tome IL P  SUPPLÉMENTS Le Gouvernement conclut de leur ftupidité, et* leur indolence, que les Américains étoient des enfants incapables de fe conduire eux-mêmes, & leur condition ne fut pas changée. Cependant, il s'élevoit de toutes parts des voix refpeótables contre ces difpofitions. Les Etats de Caftille eux-mêmes demanderent, en 1523, qu'on les annullat. Charles-Quint fe rendit a tant de voeux. II défendit a Cortès, qui venoit de conquérir le Mexique, de donner des commanderies, & lui enjoignit de les révoquer s'il y en avoit déja d'accordées. Lorfque ces or* dres arriverent dans la Nouvelle-Efpagne, les répartitions y étoient déja établies comme dans les autres colonies, & les volontés du Monarque ne furent pas exécutées. De cette région, de toutes les régions fou» mifes a la Caftille, on marquoit fans cefie que jamais il ne s'opéreroit de vrais travaux, des travaux utiles dans le Nouveau-Monde, files peu» pies affujettis cefibient d'être un moment a la difpofition de leurs vainqueurs. La crainte d'avoir découvert fans fruit un fi riche hémifphere faifoit une grande impreflion fur le Miniftere: mais auffi n'avoir envahi une moitiédu globe que pour en jetter les nations dans la fervitude, étoit un autre point de vue qui ne laiflbit pas d'allarmer quelquefois le Gouvernement. Dans cette incertitude, on permettoic, on défendoit au ha-  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. as? fard les commanderies. En 1536, 1'autorité prk enfin un parci mitoyen, qui fut de les aucorifer pour deux généradons. Quoique accordées feuleraent pour deux ans, jufqu'a cette époque, elles étoient réellement perpétuelles, paree qu'il étoit fans exemple que ces conceflions n'euflènt pas été renouvellées, Le Roi condnua h fe réferver tous les Indiens établis dans les ports, 011 Sxés dans les villes principalesi Le proteéteur de ces malheureux s'indigne de ces ordonnances. II parle, il agit, II cite fa nation au tribunal de 1'univers entier, il fait frémir d'horreür les deu^ hémifpheres. O Las-Cafas! tu fus plus grand par ton humanité que tous tes compatriotes enfemble par leurs conquêtes. S'il arrivöit, dans les fiecles a venir, que les infortunées contrées qu'ils ont envahies fe repeuplaflênt, & qu'il y eüt des loix, des mceurs, dë la juftice, de la liberté, la première ftatue qu'on y éleveroit feroit la tienne. On te verrok t'interpofer entre 1'Américain & 1'Efpagnol, & préfenter, pour fauver 1'un, ta poitrine au poignard de 1'autre. Onliroit fur le pied dece monument: Dans un siècle de férocité, LasCasas, que tu vois, fut un homme bienfaisant. En attendant, ton nom reft-ra gravé dans toutes les ames fenfibl( s; & lörfqüë tes compatriotes rougiront de la barbarie de leurs précendus héros, ils fe glorifieront de tes ver- P 2  aa8 SUPPLÉMENTS tus. Puiflent ces temps heureux n'être pas auffi éloiiinés que je 1'appréhende! Charles-Quint, éclairé par fes propres réflexions, ou entrainé par 1'éloquencc impétueufe de Las-Cafas, ordonne en 1542, que toutes les commanderies qui viendront a vaquer foient indiftinétement réunies a la Couronne. Ce ftatut eft fans force au Mexique & dans le Pérou, il allume une guerre fanglante & opiniatre. On eft réduit a l'annuller trois ans après : mais fautorité fe trouve aflez folidement établie en 1549, pour ofer braver les murmures , pour n'être plus arrêtée par la crainte des foulevements. A cette époque, la loi décharge les Indiens de tout fervice perfonnel, & regie le tribut qu'ils feront obligés de payer a leurs Commandeurs. Elle défend a ces maitres, juiqu'alors fi oppreffeurs, de rélider dans Pétendue de leur jurifdiction, & d'y coucher plus d'une nuit. Elle leur défend d'y avoir une habitation, & d'y laiffer leur familie. Elle leur défend d'y poffeder des terres, d'y faire élever des troupeaux, d'y former des atteliers. Elle leur défend de fe mêler des mariages de leurs vaffaux, & d'en prendre aucun è leur fervice. L'homme chargé de percevoir leurs droits doit avoir 1'attache du Magiftrar, & donner caution pour les vexations qu'il fe pourroit permettre. La taxe impofëe aux naturels du pays pour  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 229 faire fubfifter les conquérants avec quelque dignité, n'eft pas même une faveur purement gratuite. Ces maiires orgueilleux font obligés de réunir leurs fujets dans une bourgade, de leur batir une Eglife, de payer le Miniftre chargé de leur inftruction. Ils font obligés d'établir leur domicüe dans la ville principale de la Province oü eft fituée leur répartition. & d'avoir toujours des chevaux & des armes en état de repouffèr 1'ennemi, foit étranger, foit domcftique. P ne leur eft permis de s'abfenter qu'après s'être fait remplacerpar un foldatagréé du Gouvernement. Ces réglements n'éprouverent aucune altération remarquable jufqu'en 1568. Alors on décida que les commanderies, qui, depuis trente-deux ans, étoient concédées pour deux vies, continueroient a être données de la même maniere; mais que celles dont le revenu excéderoit 10,800 livres feroient grévées de penfions. Toutes devoient, a Pavenir, être affichées lorfqu'elles deviendroient vacantes, &, a mérite égal, être diftribuées de préférence aux héritiers des conqüé* rants, & enfuite aux defcendants des premiers colons. La Cour s'appercevant que la faveur décidoit plus fouvent de fes récompenfes que les talents ou l'ancienneté , voulut, en 1608 , qu'elles fulTent nulles, fi elle ne confirmoit dans fix ans pour le Pérou, & dans cinq ans pour Ie refte de 1'Amérique, les graces accordées par les P 3  «3o SUPPLÉMENTS Vices-Rois. Cependant le Commandeur entroie en jouiflance aulfi-tót qu'il étoit nommé. On exigeoit feulement qu'il afliirat la reftitution des fom-j mes qu'il auroit touchées; fi le choix qu'on avois fait de lui n'étoit pas ratifié dans le temps prefcrit par les ordonnances. Au commencement du dernier fiecle, le Gouvernement s'appropria le tiers du revenu des commanderies, Peu après, il le prit entier dans la première année, & ne tarda pas a défendre a fes délégués de remplir celles qui deviendroienc vacantes. Elles furent enfin toutes fupprimées,en 1720, a 1'exception de celles qu'on avoit données a perpétuité a Cortès & a quelques höpitaux ou communautés religieufes. A cette époque, fi remarquable dans les annales du NouveauMonde , les Indiens ne furent plus dépendants que de la Couronne. Cette adminiftration fut-elle la meilleure qu'il füt poflible d'adopter pour 1'intérêt de 1'Efpagne & le bonheur de 1'autre hémifphere ? Qui le fait? Dans lafolution d'un problêmeoüfe compliquent les droits de la jufiice, le fentiment de 1'humanité; les vues particulieres des Minifires; 1'empire de la circonfiance; 1'ambition des Grands; la rapacité des favoris, les fpéculations des hommes a projets; fautorité du Sacerdoce; 1'impulfion des mceurs & des préjugés ; le caraétere des fujets éloignés; la nature du climat, du fol  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 231 & des travaux; la diftance des lieux ; la lenteur & le mépris des ordres fouverains; la tyrannie des Gouverneurs, 1'impunité des forfaits, 1'incertitude & des relations & des délations, & de tant d'autres éléments divers : doit-on être furpris de la longue perplexité de la Cour de Madrid; lorfqu'au centre des nations Européennes, aux pieds des trönes, fous les yeux des adminiftrateurs de 1'Etat, les abus fubfiftent & s'accroiffent fouvent par des opérations abfurdes? Alors on prit I'homme , dont on étoit entouré, pour le modele de I'homme lointain, & l'on imagina que la légiflation qui convenoit a 1'un convenoit également a Pautre. Dans des temps antérieurs, & peut-être même encore aujourd'hui, confondons-nous deux êtres féparés par des différences immenfes, I'homme fauvage & I'homme policé; I'homme né dans les bras de la liberté, & I'homme né dans les langes de 1'efclavage. L'averfion de I'homme fauvage pour. nos rités nait de la mal-adreffe avec laquelle nous fommes entrés dans la forêt. Maintenant, les Indiens qu'on n'a pas fixés dans les villes, font tous réunis dans des bourgades qu'il ne leur eft pas permis de quitter, & oü ils forment des affèmblées municipales, préfidées par leur Cacique. A chacun de ces villages eft attaché un territoire plus ou moins étendu , felon la nature du fol & le nombre des P 4  032 SUPPLEMENTS habitants. Une partie efl: cultivée en commun pour les befoins publics, & le refte diftribué aux families pour leurs néceffités particulieres. La loi a voulu que ce domaine fut inaliénable. Elle permet cependant de temps en temps d'en détacher quelques portions en faveur des Efpagnols, mais toujours avec 1'obligation d'une redevance annuelle dirigée au pront des vendeurs fous 1'infpection du Gouvernement. Aucune inftitution n'empêche les Indiens d'avoir des champs en propre : mais rarement ont-ils le pouvoir ou la volonté de faire des acquifitions. Comme 1'opprobre brife tous les reflbrts de 1'ame, un des principes de cette pauvreté, de ce découragement, doit être 1'obligation impofée a ces malheureux, de faire feuls par corvee les travaux publics. Sont-ils payés de ce travail humiliant? La loi 1'ordonne. De quelle diftance peut-on les tirer? combien de temps peut-on les retenir? cela dépend du gouvernemtn. local. U' autre devoir des Indiens, c'eft d'être k la düpofition de tous les citoyens; mais uniquement pour les atteliers & les cultures de néceflité première : mais a tour de röle : mais pour dix-huit jours de (uite feulement : mais pour un falaire prefcrit par les ordonnances. Une obligation plus onéreufe encore , c'eft  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 233 ceHe d'exploicer les mines. Les adminiftrateurs en étoient orignairement les feuls arbitres. Des ftatuts qui varierent fouvent, la réglerent dans la fuite. Au temps oü nous écrivons, on n'appelle aux mines, a 1'exception de celles de GuancaVelica & de Potofi qui ont des privileges particuliers, que les Indiens qui ne font pas éloignés de plus de trente milles; on leur donne quatre réaux ou cinquanre-quatre fols par jour; on ne les retient que fix mois, & l'on n'y occupe que la feptieme partie d'une peuplade au Pérou, & la vingt-cinquieme au Mexique. Souvent même, il y en a un moindre nombre, paree que le libertinage , la cupidité , 1'efpoir du vol, d'autres motifs peut-être , y atcirent librement un grand nombre de métis, de muiacres & d'indigenes. Un tribut que les Indiens males, depuis dixhuit jufqu'a cinquante ans, doivent au Gouvernement , met le comble a tant de calamités. Cette taxe, qui s'acquittoit originairement en denrées, n'eft point par-tout Ia même. Elle eft de 8, de 15, de 20, de 30, même de 40 livres, felon les époque-s oü, a la demande des contribuables, elle fut convertie en métaux. L'ufage oü étoit le fifc d'exiger toujours en argent la valeur des produétions, dont le prix varioit avec les lieux & avec les temps, introduifit ces difproportions plus grandes, &parconféquent plus deftructives dans P 5  234 SUPPLÉMENTS PAmérique Méridionale que dans la Septentrionale, oü la capitation eft aflez généralement de 9 réaux, ou de 6 livres i fol 6 deniers. Le quarc de cette impofition eft diftribué au Pafteur, au Cacique, a 1'Efpagnol chargé dans chaque Province d'empêcher 1'oppreflion des Indiens, ou mis en réferve pour fecourir la communauté dans fes revers. Telle eft la condition légale des Indiens : mais qui pourroit dire ce que les injuftices particulieres doivenc ajouter de poids a un fardeau déja trop pefant? Celle de ces vexations qui a le plus fixé 1'attention du Gouvernement, eft venue de ce qu'on appelle Alcade au Mexique & Corrégidor au Pérou. C'eft un Magiftrat chargé, fous 1'infpection du Vice-Roi ou des tribunaux, de la juftice, de la finance, de la guerre, de la police, de tout ce qui peut intéreffer Pordre public, dans un efpace de trente, de quarante, de cinquante lieues. Quoique la loi lui défendit, comme aux autres dépofitaires de fautorité, d'entreprendre aucun commerce, il s'empara, dès les premiers temps, de tout celui qu'il étoit poflible de faire avec les Indiens foumis h fa jurifdiction. Comme fa commiflion ne devoit durer que cinq ans , il livroit prefqu'en arrivant les marchandifes qu'il avoit a vendre, & employoit aux recouvrements le refte de fon exercice. L'oppreflion devint générale. Les malheureux indigenes furent tou-  A L/HIST. PHILOSOPHIQUE. 235 jours écrafés par Pénormité des prix, & fouvent par Pobligation de prendre des effets qui leur étoient inutiles, mais que le tyran avoit été luimême quelquefois réduit a recevoir des négociants qui lui accordoient un crédit long & dangereux. On refufoit tout ou prefque tout aux pauvres , & Pon furchargeoit ceux qui jouiffoient de quelque ailance. Aux échéances, les payements étoient exigés avec une févérité barbare par un créancier, a la fois juge & partie; & les peines les plus graves décernées contre les débiteurs qui manquoient aux engagements libres ou forcés qu'ils avoient pris. Ces atrocités, plus criantes & plus communes dans 1'Amérique Méridionale que dans la Septentrionale , affligeoient vivement les chefs humains & jufles. Ils croyoient pourtant devoir les tolérer, dans la perfuafion oü l'on étoit généralement , que fi la chaine qui exiftoit étoit une fois rompue, des peuples indolents & fans prévoyance manqueroient de vêcements, d'inftruments d'agriculture, de beftiaux néceflaires pour tous les travaux, & tomberoient, fans délai, dans une inaétion & une mifere extrêmes. Quelques hommes fages travaillerent a rapprocher des intéréts fi oppofés. Aucune de leurs idéés ne fut jugée praticable. Un moyen Tür de diminuer le défordre auroit été d'accorder un meilleur traitement aux Magiftrats qui alloient cher-  236 SUPPLÈMENTS XXIV. Gouverne ment civil ctabli par 1'Efpagne dans le KouveauMonde, cher dans 1'autre hémifphere une fortune que leur pays natal leur refufoit: mais le Miniftere fe refufa toujours a cette augmentation de dépenfe. Depuis 1751, le« Alcades& les Corrégidors font ohligés d'afficher dans le lieu de leur réfidence, les marchandifes qu'ils ont a vendre, & le prix qu'ils y veulent metcre. S'ils s'écartentde ce tarif, approuvé par leurs fupérieurs, ils doivent perdre leur place , & reftituer le quadruple de ce qu'ils ontvolé. Ce réglement, qui s'obferve aflez exactement, a un peu diminué les déprédations. II falloic un gouvernement aux différents peuples dont nous venons de parler. La Cour de Madrid donna la préférence au plus abfolu. Les Monarques Efpagnols concentrerent dans leurs mains tous les droits, tous les pouvoirs, & en confierent 1'exercice a deux délégués, qui, fous Ie nom de Vice-Rois, devoient jouir, tout le temps de leur commifïion, des prérogatives de la fouveraineté. On les entoura même dans leurs fonctions publiques, & jufque dans leur vie privée, d'une repréfentation qui parut propre a augmenter le refpect & la terreur que le commandement devoit infpirer. Le nombre de ces places éminentes fut doublé depuis, fans qu'il arrivat jamais la moindre altération dans leur dignité. Cependant leur conduite, comme celle de tous les agents inférieurs, fut foumife a la  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. s37 cenfure du Confeil des Indes, tribunal érigé en Europe, pour régir, fous 1'infpection du Monarque, les Provinces conquifes dans le NouveauMonde. Dans ces contrées éloignées furent fucceffivement écablies dix Cours de juftice, chargées d'affurer la tranquillité des citoyens, & de terminer les différends qui s'éleveroient entre eux. Ces tribunaux, connus fous le nom d'audiences, prononcerent définitivement fur les matieres criminelles : mais les procés purement civils qui s'élevoient au-defTus de 10,156 piaftres, ou de 54,843 liv., pouvoient être portés , par appel, au Confeil des Indes. La prérogative accordée a ces grands corps de faire des remontrances aux dépofitaires de Fautorité royale, & la prérogative plus confidérable encore attribuée a ceux des capitales, de remplir les fonclions des ViceRoyautéslorfqu'elles étoient vacantes: ces droits les éleverent tous a un degré d'importance qu'ils ïi'auroient pas obtenu comme magiltrats. Le régime eccléfiallique paroiffoit plus difficile a régler. A 1'époque oü le Nouveau-Monde fut découvert, un voile, tiffu ou épaifli par les préjugés que la Cour de Rome n'avoit jamais ceffé de femer, tantöc ouvertement, & tantöt avec adrefle, couvroit de ténebres 1'Europe entiere. Ces fuperllitions étoient plus profondes & plus générales en Efpagne, oü, depuis ü long-temps, xxv. Quel efl e régime :ccléfi=ftijue fuivi ;n Améri»  *38 SUPPLÉMENT S On haïffbic, on combattoit les infideles. Les Sou2verains de cette nation devoient naturellement établir au-dela des mers les mauvais principes des Pondfes qui leur donnoient un autre hémifphere. II n'en fut pas ainfi. Ces Princes, plus éclairés, ce femble, que leur fiecle ne le comportoit, arracherent au Chef de la Chrétienté la collation de tous les bénéfices, les dixmes même que les Prêtres avoient par-tout envahies. Malheureufement, la fagefiè qui avoit dicté leur fyftême ne pafla pas a leurs fuccefièurs. Ils fonderent ou permirent qu'on fondat trop d'Evêchés. Des temples fans nombre s'éleverent. Les couvents des deux fexes fe multiplierent au-dela de tous les excès. Le célibat devint la paflion dominante dans un pays défert. Des métaux qui devoient féconder la terre fe perdirent dans les Eglifes. Malgré fa corruption & fon ignorance, le Clergé fe fit rendre la plus grande partie de ces tyranniques dixmes qui avoient été arrachées a fon avarice. L'Amérique paroifibit n'avoir été conquife que pour lui. Cependant les Pafteurs fubalternes, ces Curés, ailleurs fi tendres & fi refpectables, ne fe trouvoient pas afièz opulents* L'Indien, qu'ils étoient chargés d'inftruire & de confoler, n'ofoit fe préfenter a eux fans quelque préfent. Ils lui laifibient celles de fes anciennes fuperftitions qui lui étoient utiles, comme la coutume de porter beaucoup de vivres fur k  A L'HIST. PHILOSÖPHIQÜË. 239 tombeau des morts. Ils mettoient un prix exhofbicant a leurs fonétions, & avoient toujours des inventions pieufes qui leur donnoient occafion d'exercer de nouveaux droits. Une pareille conduite avoit rendu leurs dogmes généralement odieux. Ces peuples alloient a la meflè comme k la corvée, déteftant les barbares étrangers qui entaltoient fur leur corps & fur leurs ames des fardeaux également pefants. Le fcandale étoit public & prefque générah Le Clergé féculier & régulier, qui, 1'un & 1'au* tre, rempliiïbient le même miniftere, s'accufoiene mutuellement de ces vexations. Les premiers peignoient leurs rivaux comme des vagabonds qui s'étoient dérobés a la furveillance de leurs fupérieurs, pour être impunément libertins. Les feconds vouloient que les autres manquafient de lumieres ou d'aétivité , & ne fuffent occupés que de 1'élévation de leur familie. Nous avouerons avec répugnance, mais nous avouerons $ que des deux cótés les reproches étoient fondés. La Cour fut long-temps agitée par les intrigues fans ceffe renaifiantes des deux cabales* Enfin, elle arrêta, en 1757, que les moines mourroient dans les bénéfices qu'ils occupoient; mais qu'ils ne feroient pas remplacés par des hommes de leur état. Cette décifion qui fait rentrer les chofes dans leur ordre naturel, aufs vraifemblablement des fuites favorables*  S4o SUPPLÉMENTS XXVI. ï'artage fait au temps de la coriquête des terres du Nouveau Monde. Comment on les acquiert maintenant. C'étoit beaucoup d'avoir monté, dès les premiers temps, tous les grands refiorts de la nouvelle domination. II nftoic a régler le fort de ceux qui devoient y vivre. Le Souverain, quife croyoit mairre légitime de routes les terres de 1'Amérique, & par droit de conquête & par la conceflion des Papes, en fit d'abord diftribuer a ceux de fes foldats qui avoient combattu dans ce Nouveau-Monde. Le fantaflin recur cent pieds de long & cinquante de large pour fes baciments, mille huit cents quatre-vingt-cinq toifes pour fon jardin; fept mille cinq cents quarante-trois pour fon verger; quacre-vingt-quatorze mille deux cents quatre-vingt-huit pour la culture des grains d'Europe, & neuf mille quatre cents vingt-huit pour celle du bied d'inde; toute l'étendue qu'il falloic pourélever dix porcs, vingt chevres, centmoutons, vingt bêces a corne & cinq chevaux. La loi donnoit au cavalier un doublé efpace pour fes batimencs, & le quintuple pour toutle refte. Bientót on conftruifit des villes. Ces établiffements ne furent pas abandonnés au caprice de :eux qui vouloient les peupler. Les ordonnances exigeoient un fite agréable, un air falubre, un fol fertile, des eaux abondances. Elles régloient la pofition des temples, la direction des rues, l'étendue des places publiques. C'étoit ordinairement un particulier riche & actif qui fe chargeoit  A L'HIST; PHILOSOPHiQUË. a4t fehargeoit de ces entrepf ifes, après qu'elles avoient obtenu la fanction du Gouvernement. Si tout n'étoit pas fini au temps convenu, il perdoit fes avances, & devoit encore au fifc 5,400 liv. Ses autres devoirs étoient de trouver un pafleur pour fon Eglife, & de lui fournir ce qu'exigeoit la décence d'un culte régulier; de réunir au moins trente habitants Efpagnols, dont chacun auroit dix vaches, quatre bceufs, une jument, une truie, vingt brebis, un coq & fix poules; Lorfque ces conditions étoient remplies, on lui aceordoit la jurifdiétion civile & criminelle en première inftance pour deux générations, la nomination des Officiers municipaux, & quatre lieues quarrées de terrein. L'emplacement de la cité, les communes, 1'entrepreneur, abforboient une portion de ce vafte efpaee. Le refte étoit partagé en portions égales qu'on droit au fort, & dont aucune ne pouvoit être aliénée qu'après cinq ans d'exploitation, Chaque citoyen devoit avoir autant de lots qu'il auroit de maifons: mais fa propriété ne pouvoit jamais excéder ce que Ferdinand avoit originai» rement accordé dans Saint-Domingue pour trois eavaliers. Par la loi, ceux qui avoient des poffeffions dans les villes déja fondées, étoient exclus des nouveaux établiflèments : mais cette rigueur ne s'étendoit pas jufqu'a leurs enfants. II étoit per= Suppl. Tom IL Q  24ü suppléments mis a tous les Indiens qui n'étoient pas retenus ailleurs par des liens indifTolubles, de s'y fixer comme domeftiques, comme arcifans, ou comme laboureurs. Indépendamment des terres que des conventions arrêtées avec la Cour afluroient aux troupes & aux fondateurs des villes, les chefs des diverfes colonies étoienc autorités a en diftribuer aux Efpagnols qui voudroient fe fixer dans le nouvel hémifphere* Cecte grande prérogative leur fut ötée en 1591. Philippe II, que fon ambition engageoit dans des guerres continuelles, & que fon opiniatreté rendoic incerminables, ne pouvoit fuffire a tant de dépenfes. La vente des champs d'Amérique, qui avoienc été donnés jufqu'a cette époque, fut une des reflburces qu'il imagina. Sa loi eut même un effet en quelque forte rétroactif, puifqu'elle ordonnoit la confifcation de tout ce qui feroit poiïëdé fans titre légitime , a moins que les ufurpateurs ne confentiffent a fe racheter. Une difpoficion fi utile, réellement ou en apparence, au fifc, ne fouffrit de modification dans aucune période, & n'en éprouve pas encore. Mais il écoic plus aifé d'accorder gracuitement ou de céder a vil prix des terreins a quelquesaventuriers, que de les engager a en follicicer la fercilité. Ce genre de travail fut méprifé par les premiers Efpagnols que leur avidité conduifït aux  A L*HIST. PHILOSOPHIQUË. 243 Indes. La voie lente, pénible & difpendieufe de la culture ne pouvoit guere tenter des hommes h qui 1'efpoir d'une fbrtune facile, brillante & ; rapide faifoit braver les vagues d'un Océan in* I connu, les dangers de tous les genres qui les I attendoient fut des cótes mal-faines & barbares» I ïls étoient prelTés de jouir, & le plus court moyen, d'y parvenir étoit de fe jetter fur les métaux. Un ] Gouvernement éclairé auroit travaillé a reétifier 1 les idéés de fes fujets, & a donner, autant qu'il I eüt été poffible, une autre pente a leur ambition. | Ce fut tout le contraire qui arriva. L'erreur des I particuliers devint la politique du Miniftere. II | fut aflez aveugle pour préférer des tréfors de pure i convention, dont la quantité ne pouvoit pas man| quer de diminuer, & qui chaque jour devoient { perdre de leur prix imaginaire, a des richeflès fans ceflè renaiflanr.es, & dont la valeur devoit augI mentergraduellement dans tous les temps. Cette [ illufion des conquérants & des Monarques jetta 1'état hors des routes de fa profpérité, & forma les mceurs en Amérique. On n'y fit cas que de I Tor, que de 1'argentaccumuléspar larapine, par 1 1'oppreflion & par 1'exploitation des mines. Dans les premiers temps de la conquête, il I fut décidé que les mines appartiendroienta celui I qui les découvriroit, pourvu qu'il les fit enrej giftrer au tribunal le plus voifin. Le Gouverne- j i ment eut d'abord 1'imprudence de faire fouiller 1 Q » XXVII. ïtéglements 'aits a direrfes épo[ues, pour 'exploita* ion des nines.  *44 SUPPLÉMENTS pour fon compte la portion de ce riche terrein qu'il s'étoit réfervé : mais il ne tarda pas a revenir d'une erreur fi ruineufe, & il contraéh Phabitude de la céder au maïtre du refte pour une fomme infiniment modique. Si, ce qui n'arriva prefque jamais, ces tréfors fetrouvoient dans des campagnes cultivées, 1'entrepreneur devoit ache* ter 1'efpace dont il avoit befoin ou donner le centieme des métaux. Sur d'arides montagnes, le propriétarre étoit plus que fuffifamment dédommagé du très-petit tort qu'on lui faifoit, par la valeur qu'une activité nouvelle donnoit aux produclions récoltées dans Ie voifinage. De toute antiquité, les mines, de quelque nature qu'elles fuflènt, livroient au fifc , en Efpagne, le cinquieme de leur produit. Cet ufagefus porté au Nouveau-Monde : mais avec le temps, le Gouvernement fut obligé de fe réduire au dixieme pour 1'or, &même en 1735 pour 1'argent au Pérou. II lui fallut aufli baifler généralement le prix du mercure. Jufqu'en 1761, cet agent nécefiaire avoit été vendu 432 livres le quintal. A cette époque, il ne couta plus que 324 livres ou même 216 livres pour les mines peis abondantes ou d'une exploitation trop difpendieufe. Tout porte a penfer que la Cour d'Efpagne fera obligée, un peu plutót, un peu plus tard, a de nouveaux facrifices. A mefure que les mé-  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 245 taux fe multiplient dans le commerce, ils ont moins de valeur, ils repréfentenc moins de marchandifes. Cet aviliffement doit faire un jour négliger les meilleures mines comme ila faitabandonner fuccelïïvement les médiocres, a moins qu'on n'allege encore le fardeau de ceux qui les exploitent. Le temps n'eft peut-être pas éloigné oü il faudra que le Miniftere Efpagnol fe contente des deux réaux ou 1 1. 7 f. qu'il percoit par mare pour la marqué ou pour la fabrication. Ce qui pourroit donner un grand poids a ces conjectures, c'eft qu'il n'y a plus guere que des hommes dont les affaires font douteufes ou délabrées qui entrent dans la carrière des mines. S'il arrivé quelquefois qu'une avidité fans bornes y poufle un riche négociant, c'eft toujours fous le voile d'un myftere impénétrable. Ce hardi fpéculateur peut bien confentir a expofer fa fortune, mais jamais fon nom. II n'ignore pas que fi fes engagements étoient connus, fa réputation & fon crédit feroient perdus fans relfource. Ce n'eft que lorfque le fuccès le plus éclatant a couronné fa téméricé , qu'il ofe avouer les rifques qu'il avoit courus. Lorfque le Gouvernement fera forcé de re- noncer a ce qu'il percoit encore de droits fur les ( métaux, il lui reftera de grandes reflburces pour' Q 3 xxvm. Impöts é' ablis dans 'Amérique ifpagnole.  246" SUPPLÉMENTS fes dépenfes de fouverainecé. La principale auroit dü être la dixme que Ferdinand s'étoit fait céder par la Cour de Rome: mais Charles-Quint, par des motifs qu'il n'eft pas aifé de deviner, s'en dépouilla pour les Evêques, pour lesChapitres, pour les Curés , pour les Höpitaux, pour la corftruction des temples, pour des hommes & des établilfements déja trop riches ou qui ne tarderent pas a le devenir. A peine ce Prince en trani'mit-il la neuvieme partie a fes fucceflèurs. II fallut qu'un tribut arraché aux Indiens remplit un vuide fait fi inconfidérément au tréfor public. Les clafies fupérieures de la fociété ne furent pas plus ménagées. Tout le Nouveau-Monde fut affujetti a 1'alcavala. C'eft un droit levé feulement fur tout ce qui fe vend en gros, & qui ne s'étend pas aux confommations journalieres. II vient originairement des Maures. Les Efpagnols Padopterent en 1341, & Pétablirenta raifon de cinq pour cent. II fut porté dans la fuite a dix, & pouffé même a quatorze : mais en 1750, il fut fait des arrangements qui le ramenerent a ce qu'il avoit été dans les premiers temps. Philippe II, après le défaftre de cette Hotte fi connue fous le titre faftueux d'Invincible, fut déterminé, en 1591, par fes befoins, a exigerce fecours de toutes fes poflêflions d'Amérique. II ne fut d'abord que de  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 247 deux ■ pour cent. En 1627, il monta a quatre. Le papier timbré, ce moyen fagement imaginé pour afiurer la fortune des citoyens, & qui eft devenu par • tout un des principes de leur ruine dans les mains du fifc, le papier timbré fut introduit en 1641 dans toutes les Provinces Efpagnoles du Nouveau-Monde. Le monopole du tabac commenca a affliger le Pérou en 1752,1e Mexique en 1754, & dans 1'intervalle de ces deux époques toutes les parries de 1'autre hémifphere dépendantes de la Caftille. Dans des temps divers, la couronne s'appropria, dans le Nouveau-Monde comme dans Panden, le monopole de la poudre, du plomb & des cartes. Cependant le plus étrange des impöts eft la croifade. II prit naiffance dans les fiecles de folie & de fanatifme oü des millions d'Européens alloient fe faire aflömmer dans POrient pour le recouvrement de la Paleftine. La Cour de Rome le reflufcita en faveur de Ferdinand, qui, en 1509, vouloit faire la guerre aux Maures d'Afrique. II exifte encore en Efpagne, oü il n'eft jamais au-deffous de 12 fols 6 deniers, ni audeflus de 4 livres. On le paye plus chérement dans le Nouveau-Monde, oü il n'eft percu que tous les deux ans, & oü il s'éleve depuis 35 fols jufqu'a 13 livres, felon le rang &la fortune des Q 4  s48 SUPPLÉMENTS citoyens. Pour cet argenc, les peuples obtiennent la liberté de fe faire abfoudre par leurs confeffeurs des crimes réfervés au Pape & aux Evêques; le droic d'ufer dans les jours d'abftinence de quelques nourritures prohibées ; une foule d'indulgence pour des péchés déja commis, ou pour ceux qu'on pourroic commectre, Le Gouvernement n'oblige pas ftriétement fes fujets a prendre cette bulle: mais les Prêtres refuferoient les confolations de la Religion a ceux qui la négligeroient ou la dédaigneroient; & il n'y a pas peut être dans toute 1'Amérique Efpagnole un homme aflez hardi ou aflez éclairé pour braver cette cenfure eccléfiaftique. Je ne m'adreflèrai donc pas a des peuples imbécilles qu'on exhorteroit inutilement a fecouer le doublé joug fous lequel ils fe tiennent courbés ; & je ne leur dirai point : Quoi! vous ne concevez pas que la Providence qui veille a votre confervation, en vous préfentant desaliments qui vous font propres, & en perpétuant fans interruption le befoin que vous en avez, vous en permet un libre ufage : que fi le Ciel fe courroucoit lorfque vous en mangez dans un temps prohibé, il n'y a fur la terre aucune autorité qui put vous difpenfer de lui obéir : qu'on abufe de votreftupide crédulité, & que par un trafic infame, un être qui n'eft pas plus que vous, une créature qui n'eft rien aux yeux de fon maitre & du  A' L'HIST. PHILOSOPHIQUE. z& vêtre, s'arroge le droit de vous commander en : fon nom , ou de vous affranchir de fes ordres : pour une piece d'argent. Cette piece d'argent, la prend-il pour lui, ou la donne-t-il a fon Dieu ? ! Son Dieu eft-il indigent? Vit-il de reffources? ! Théfaurife-t-il? Que s'il eft dans une autre vie un juge rémunérateur des vertus & vengeur des crimes, ni 1'or que vous avez donné ,.ni lespardons que vous avez acquis avec cet or ne feront pas incliner fa balance. Que fi fa juftice vénale fe laiffoit corrompre, il feroit aufli vil, aufli méprifable que ceux qui fiegent dans vos tribunaux. Que fi fon repréfentant avoit pour luimême le pouvoir qu'il vous a perfuadé qu'il avoit pour vous, il feroit impunément le plus méchant des hommes, puifqu'il n'y auroit aucun forfait dont ilne pofledat 1'abfolution. Je ne m'adreflèrai pas non plus aux Miniftres fubaiternes de ce chef orgueilleux, paree qu'ils ont un intérêtcommun avec lui, & qu'au-lieu de me répondre, ils allumeroient un bücher fous mes pieds. Mais je m'adreflèrai a ce chef & a tout le Corps qu'il préfide, & je lui dirai : Renoncez, il en eft temps, renoncez a cet indigne monopole qui vous dégrade & qui déshonore & le Dieu que vous prêchez, & le culte que vous profeffez. Simplifiez votre doctrine. Purgez-la d'abfurdités. Abandonnez de bonne grace tous ces poftes oü vous ferez forcés. Le monde Q 5  250 SUPPLÉMENTS eft trop éclairé pour fe repaïtre plus long-temps d'incompréhenfibilités qui répugnent a la raifon, pour donner dans des menfonges merveilleux, qui, communs a toutes les Religions, ne prouvent pour aucune. Revenez k une morale praticable & fociale. Paflèz de la réforme de votre théologie a celle de vos mceurs. Puifque vous jouiflez des prérogatives de la fociété, partagezen le fardeau. N'objeétez plus vos immunités aux tentatives d'un miniftere équitable qui fe propoferoicde vous ramenera la condition générale des citoyens. Votre intolérance & les voies odieufes par lefquelles vous avez acquis & vous entalfez encore richefle fur richefle, ont fait plus de mal a vos opinions que tous les raifonnements de Pincrédulité. Si vous euffiez été les pacificateurs des troubles publics & domeftiques, les avocats du pauvre, les appuis du perfécuté, les médiateurs entre 1'époux & 1'époufe, entre les peres & les enfants, entre les citoyens, les organes de la loi, les amis du tröne, les coopérateurs du Magiftrat: quelque abfurdes qu'eufïènt été vos dogmes, on fe feroit tu. Perfonne n'eüt ofé attaquer une claffè d'hommes fi utiles & fi refpeétables. Vous avez divifé 1'Europe pour des futilités. Toutes les contrées ont fumé de fang, & pourquoi? On rougit a préfent d'y penfer. Voulez-vous reftituer a votre Miniftere fa dignité ? Soyez humbles, foyez indulgents, foyez mê-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 251 me pauvres, s'il le faut, Votre fondateur le fut. Ses apötres, fes difciples, les difciplesde ceuxci qui convertirent tout le monde connu, le furent aufli. Ne foyez, ni charlatans, ni hypocrites, ni fimoniaques ou marchands de chofes que vous donnez pour faintes. Tüchez de redevenir Prêtres, c'eft-a-dire les eovoyés du Trés-Ha ut, pour prêcher aux hommes les vertus, & pour leur en montrerdes exemples. Et vous, Pontife de Rome, ne vous appellez plus le ferviteur des ferviteurs de Dieu, ou foyez-le. Songez que le fiecle de vos bulles, de vos indulgences, de vos pardons, de vos difpenfes efl: paffé. C'eft inutilement que vous voudriez vendre le Saint-Efprit, fi l'on ne veut plus 1'acheter. Votre revenu fpirituel va toujours en diminuant; il faut qu'un peu plutöt, un peu plus tard il fe réduife a rien. Quels que foient les fubfides, les nations qui les payent tendent naturellement a s'en délivrer. Le prétexte le plus léger leur fuffit. Puifque de pêcheur, vous vous êtes fait Prince temporel, devenez comme tous les bons Souverains, le promoteur de 1'agriculture, des arts, des manufactures, du commerce, de la population. Alors, vous n'aurez plus befoin d'un trafic qui fcandalife. Vous reftituerez aux travaux de I'homme les jours précieux que vous leur dérobez, & vous recouvrerez notre vénération que vous avez perdue. Les finances du continent Efpagnol de 1'au-  25a SUPPLÉMENT S' tre hémifphere furent long-temps & très-longtemps une énigme pour le Miniftere même. Ce cahos fut un peu débrouillé par M. de la Enfenada. Chacune des douze années de fon heureufe adminiftration, la couronne retira de ces régions, ou des droits qu'elle percevoit au départ & au retour des flottes, 17,719,448 livres 12 fols. Depuis, cette refiource du Gouvernement s'eft beaucoup accrue, & par 1'imporcance des nouvelles taxes, & par la févérité qui a été employée dans la perception des anciennes. Aujourd'hui le revenu public du Mexique s'éleve 054,000,000 1.; celui de Pérou 327,000,000; celui du Guatimala, du nouveau Royaume, du Chily & du Paraguay, a 9,100,000 liv. C'eft en tout 90,100,000 liv. Les dépenfes locales abforbent 56,700,000 livres. II refte donc pour le fifc 34,500,000 liv. Ajoutez a cette fomme 20,584,450 liv. qu'il percoit en Europe même fur tous les objets envoyés aux colonies ou qui en arrivent; & vous trouverez que la Cour de Madrid tire annuellement 55,084,450 liv. de fes Provinces du Nouveau-Monde. Cependant toutes ces richeflès n'entrent pas dans les caiflès royales de la mérropole. Une partie eft employée dans les ifles Efpagnoles de 1'Amérique, pour des dépenfes de fouveraineté, & pour la conftruction des vaifleaux, ou pour 1'achat du tabac. A peine 1'Efpagne avoit découvert cet autre  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 253 hémifphere, qu'elle eut Pidée d'un fyftême inconnu aux peuples de Fantiquité, & que les nations modernes ont depuis adopté, celui de s'affurer de toutes les produétions de fes colonies & de leur approvifionnement entier. Dans cette vue, on ne fe contenta pas d'interdire a ces nouveaux établiflèments, fous des peines capicales, toute liaifon étrangere, le Gouvernement pouffa la rigueur jufqu'a rendre toute communication entre eux impraticable, jufqu'a leur défendre d'envoyer aucun de leurs navires dans le lieu de leur origine. Cet efprit de jaloufie fe manifefta dans la métropole même. II y fut d'abord permis, a la vérité, de partir de différents ports : mais les retours devoient tous fe faire a Séville. Les richeflès que cette préférence accumula dans le fein de cette ville, la mirent bientóc en état d'obtenir que les bacimencs feroient expédiés de fa rade, comme ils devoient y revenir. La riviere qui baigne fes murs ne fe trouvant pas fuffifante dans la fuite pour recevoir des vaifleaux qui, peu-a-peu, avoient acquis de la grandeur, ce fut la prefqu'ifle de Cadix qui devint 1'entrepóc général. Ilfutdéfendu a tous les négociants étrangers, fixés dans ce port devenu célebre, de prendre part directement a un commerce fi lucratif. En vain ils repréfenterent que, confommant les denrées du Royaume, payant les impoficians, en- xxix. Principes deftru&eurs fur lefquels 1'Efpagne fonda d'abord fes lialfons avec Ie NouveauMonde*  &54 SUPPLÉMENTS courageant 1'agriculture, Tinduftrie, Ja navigation, ils devoient être regardés comme citoyens. Ces raifons ne furent jamais fenties dans une Cour ou la coutume étoit la loi fuprême. II fallu t toujours que ces hommes riches, aftifs, éclairés, qui foutinrent feuls pendant long-temps les liaifons de Tanden & du Nouveau-Monde, couvriflènt , avec plus de dégoücs & d'embarras qu'on ne le croiroit, leurs moindres opérations d'un nom Efpagnol. La liberté de faire des expéditions pour les grands établiflèments qui fe formoient de toutes parts dans 1'autre hémifphere , fut très-limitée pour les naturels du pays eux-mêmes. Le Gouvernement prit le parti de régler tous les ans le nombre des batiments qu'il convenoit d'envoyer, & le temps de leur départ. II entra dans fa policique de rendre ces voyages rares, & la permiffion d'équiper un navire devint une faveur très-fignalée. Pour 1'arracher, on rempliffoit d'intrigues la capitale de 1'Empire, & on entretenoit la corruption dans tous les bureaux. Sous prétexte de prévenir les fraudes, d'établir un ordre invariable, de procurer une füreté entiere a des vaiflèaux richement chargés, on multiplia tellement les lenteurs, les vifites , les inquifitions, les équipages, les formalités de tous les genres en Europe & en Amérique, que les faux-fraix doubleren: la valeur de quelques  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 255 marchandifes, & augmenterenc beaucoup la valeur de toutes. L'oppreflion des douanes acheva de tout perdre. Les objets exportés pour 1'autre hémifphere furent alTujettis a des droits tels qu'il n'en avoit jamais exifté dans aucun fiecle, ni fur aucune partie du globe. Le prix même qu'on en avoit retiré fut impofé. L'or en retour devoic quatre pour cents, & 1'argent en devoit neuf. Mais comment la Cour de Madrid avoit-elle pu fe tromper fi grofiiérement fur fes intéréts? Comment, fur-tout, pouvoit-elle perfévérer dans fon erreur? Eflayons, s'il fe peut, de démêler les caufes de cet aveuglement étrange. L'Empire des Efpagnols fur le NouveauMonde s'établic dans un fiecle d'ignorance & de barbarie. Tous les principes de gouvernement étoient alors oubliés; & Pon ne s'étonnera pas, fansdoute,que, dans 1'ivreflè de leurs triomphes, des conquérants fuperbes n'ayent pas ramené la lumiere, bannie depuis dix ou douze fiecles de PEurope entiere. A cette époque d'un aveuglement univerfel, la Cour de Madrid ne devina pas que les établifiements qu'elle formoit fous uri autre hémifphere , ne feroient utiles qu'autant qu'ils deviendroient un encouragement pour fon agriculture, fon indufixie & fa navigation. Loin de fubordonner les cplonies a la métropole, ce fut, xxx. Comment la Cour de Madrid per"évera-t-ellelans fon mauvais fyftême ?  a56 SUPPLÉMENT^ en quelque forte, la métropole qui fut fubordonnée aux colonies. Toute économie politique fut ou négligée ou dédaignée; & l'on ne vit la grandeur de la Monarchie que dans 1'or & dans 1'argent de 1'Amérique. Les peuples avoient la même ambition. Ils abandonnoient en foule leur pays natal pour courir après des métaux. Ces émigrations immenfes & continuelles lailfoient dans la population de la patrie principale un vuide qui n'étoit pas rempli par les étrangers' que 1'orgueil & 1'intolérance ne ceffoient de repoulfer. L'Efpagne fut affermie, par des fuccès aflez long-temps foutenus, dans les fauffes routes qu'elle s'étoit d'abord tracées. Un afcendant qu'elle devoit uniquement aux circonftances, lui parut une conféquence néceflaire de fon adminiftration & de fes maximes. Les calamités qui, dans la fuite, 1'alfaillarenE de toutes parts, pouvoient 1'éclairer. Une chaine rarement interrompue de guerres plus funeftesles unes que les autres, la priva de la tranquillité qu'il lui auroit fallu pour approfondir les viees d'un fyltême fuivi avec la plus grande fécurité fans interruption. Les lumieres acquifes ou répandues fuccelïïvement par les autres peuples étoient bien propres a combattre, a difliper les erreurs de 1'Efpagne. Soit orgueil, foit jaloufie, cette nation repoufis  A L'HIST, PHILOSOPHIQUE. 257 ïepouffa opiniarrément les connoiflances qui lui venoient de fes rivaux ou de fes voifins. Au défauc de fecours étrangers, 1'EfpagnoI, né avec 1'efprit de méditarion, avêc une fagacité ardente, pouvoit découvrir des vérkés importantes a fa profpéricé. Ce génie propre a tout fe porta, fe fixa ma'heureufement fur des contemplations qui ne pouvoient que 1'égarer davantage» Pour comble de malheur, la Cour de Madrid s'étoit fait de bonne heure une loi de foutenir les partis qu'elle avoit pris, pour qu\>n ne put pas la foupgonner de s'être légérement déterminée. Les événements, tout fikheux qu'ils 'étoient, ne la dégoüterent pas de cette polidque dans fes rapports avec 1'Amériquc; & elle y fut affermie par les fuffrages combinés oü fépa-. rés d'une multitude d'agents féduits ou infideïes, qui affuroient leur fortune particuliere par ïa concinuité d'un défordre univerfel. Cependant le mal ne fe fit pas fentir dans les premiers temps-, quoique des écrivains célebres ; I'ayent avancé avec confiance. Dans leur opi* ' ïiion, f Èfpagne fe voyant la maïtreflê de 1'Amé- \ rique, renonga d'elle-même aux mahufaétures, .1 a 1'agriculture. Cette idéé extravagante n'entra \ jamais dans le fyftême d'aucun peuple. A 1'épo-1 que oü 1'autre hémifphere fut découvert, Séville étoit célebre par fes fabriques de foie; les draps de Ségovie paflbient pour les plus beaux dg ■Suppl. Tome IL R, XXXI. Suites que es funeftes :ombiriaions du Miliftere Efagnol euent dans Ia léfröjiölg iêm«a  a58 SUPPLÉMENTS 1'Europe, &les étoffes deCatalogne trouvoient un débic avantageux dans 1'Italie & dans le Levant. De nouveaux déboucbés donnerent une aétivité nouvelle a cette induftrie & a 1'exploitation des terres qui en eft inféparable. S'il en ent été autrement, comment cette Monarchie auroit-elle pu envahir tant de Provinces; foutenir tant de guerres longues & fanglantes; foudoyer tant d'armées étrangeres & nationales; équiper des flottes fi nombreufes & fi redoutables; entretenir la divifion dans les Etats voifins, &yacheter des traicres; bouleverfer les nations par fes intrigues; donner le branie a tous les événements politiques? Comment auroit-elle pu être la première & prefque la feule Puiflance de 1'univers? Mais tous ces efförts occafionnerent une confommation immenfe d'hommes: mais il en paffa beaucoup dans le Nouveau - Monde : mais cet autre hémifphere, plus riche & plus peuplé, demanda plus de marchandifes : mais les bras manquerent pour tous les travaux. Alors, ce furent les nations étrangeres, oü le numéraire étoit encore rare, & par conféquent la main-d'oeuvre h un prix modique, qui fournirent des fubfiftances a 1'Efpagne, qui fournirent le vêtement * fes colonies. En vain des réglements féveres les excluoientdece trafic. Amies ou ennemies, elles le firent fans interruption & avec fuccès fous le  A L'HIST. PHILÖSOPHIQÜE. 259 nom des Efpagnols êux-mêmes, dont la bonné foi mérita toujours les plus grands éloges. Le Gouvernement crut remédier a ce qu'il croyoit un défordre & qui n'étoit qu'une fuite naturelle de 1'état des chofes, en renouvellant 1'ancienne défenfe de toute exportation d'or, de toute exportatiön d'argent. A Sévillé & enfuite a Cadix, des braves appëïlés Metedores, portoient au rempart des lingots qu'ils jettoient a d'autres Metedores chargés de les délivrer a des chaloupes qui s'étoient approchées pour les reeevoir. Jamais ce verfèment clandeftin ne fut troublé par des commis ou par des gardes qui étoient tous payés pour ne rien vöir. Plus de févérité n'auroit fait que haufier le prix des marchandifes par une plus grande difficulté d'en retirer la valeur. Si, conformément a Ia rigueur des ordonnances, on eöc faifi, jugé & condamné a mort quelque cöntrevertant, & qu'on eüt confifqué fes biens : cette atrocité $ loin d'empêcher la fortie des métaux i I'auroit augmentée, paree que ceux qui s'étöient eontentés jufqu'alors d'urte gratification médiocre, exigeant un falaire proportionné au danger qu'ils devoient courir, euflèht multiplié leurs rifques, & fait fortir beaucoup d'argent, pour en avoir eux-mêmes davantage. Tel étoit 1'état de 1'Efpagne., Iorfqu'elle-même agrava volontairement fes calamités par 1'expulfion des Maures^ Pv 2  &6o SUPPLÉMENTS Cette nation avoit long-temps régné fur la péninfule prefque entiere. De pofte en pofte, elle fe vit fuccelïïvement pouffée jufqu'a Grenade , oü, après dix ans de fanglants combats, on la réduifit encore, en 149a, a fubir le joug. Par fa capitulation, il lui étoit permis de profeflèr fon culte : mais bientót, fous divers prétextes, le vainqueur voulut la dépouiller de ce droit facré; & elle prit les armes pour le maintenir. La fortune fe déclara contre ces infortunés Mufulmans. Un grand nombre périrent par le glaive. On vendit a quelques-uns le droit de fe réfugier en Afrique. Le refte fut condamné a paroïtre chrétien. Cette démonftration, dont Ferdinand & Charles avoient voulu fe contenter, blelTa Philippell. Ce Prince inquifiteur voulut que les infideles fuftènt réellement de fa religion. Dans 1'efpérance de les y amener plus fürement & en moins de temps, il ordonna, en 1568, que ces peuples renoncalTenr a leur idiöme, a leurs noms, a leurs vêcements, a leurs bains, a leurs ufages, a tout ce qui pouvoit les diftinguer de fes autres fujets. Le defpotifme fut poulTé au point de leur défendre de changer de domicile fans 1'aveu du Magiftrat, de fe marier fans la permiflion de 1'Evêque, de porter ou même de pofféder des armes fous aucun prétexte. Une réfiftance vive devoic être la fuice de cette aveugle tyran-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 161 nie. Malheureufement des hommes qui manquoienc de chefs, de difcipline, de moyens de guerre, ne purent faire que des efforts impuiflants contre des armées nombreufes, accoutumées au carnage, & commandées par des Généraux expérimentés. Les habitants des villes & des campagnes, qui étoient en trés dans la rebellion, furent prefque généralement exterminés. La fervitude devint le partage de tous les prifonniers des deux fexes. Ceux même des Maures, qui étoient reftés paifiblement dans leurs foyers, furent tranfportés dans les Provinces intérieures du Royaume, oü ils ne trouverent que des infultes & de 1'opprobre. Cette difperfion, cette humiliation ne produifirent pas Peffet qu'on en attendoit. Les cruautés, qu'un tribunal de fang renouvelloit fans ceffe, ne furent pas plus efficaces. II parut au Clergé qu'il ne reftoit de parti a prendre que celui de chaflêr de la monarchie tous ces ennemis opiniatres de fa doftrine; & fon vceu fut exaucé, en 1610, malgré 1'oppofidon de quelques hommes d'Etat, malgré la réclamation plus vive encore des Grands, qui comptoient dans leurs palais ou fur leur domaine beaucoup d'efclaves de la nation que pourfuivoit la fuperflition. On trouve par-tout que cette profcription coüta a PEfpagne un million de fes habitants. Des pieces authentiques, recueillies par Bleda, R 3  a6a SUPPLÉMENTS Auteur fage & contemporain, démontrenr qu'il faut réduire ce nombre a quatre cents vingt-neuf mille trois cents quatorze. Ce n'étoit pas tout ce qui avoit échappé de Maures a 1'animofité des guerres, au fanatifmedes vainqueurs, a des émigrations quelquefois tolérées & plus fouvent furtives. Le Gouvernement retint les femmes mariées a d'anciens Chrétiens, ceux dont la foi n'é* toit pas fufpecte aux Evêques, & tous les enfants au-deflous de fept ans, Cependant PEtat perdoit la vingtieme partie de fa population, & la partie la plus laborieufe, comme.Tont toujours été, comme le feront toujours les fecles profcrites ou perfécutées. Quelles que fuflent les occupations de ce peuple; que fes bras nerveux s'exereafient dans les champs, dans les atteliers, ou dans les plus vils offices de la fociété, il fe fit un grand vuide dans les travaux ; il s'en fit un grand dans les tributs. Le fardeau qu'avoient porté les infideles, fut principalement jetté fur les tiflèrands, Cette furcharge en fit pafier beaucoup en Flandres, beaucoup en Italië; & les autres, fans fortir d'Efpagne, renoncerent a leur profeffion. Les foies de Valence, les belles laines, &cv page 371, Page 374, après ces mots, progrès du judaïfme, Ufez, f & de 1'alcoran, avoit dénaturé le caraétere des peuples, II les avoit formés a la  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 263 réferve, a la défiance, a Ia jaloufie.Et comment en fuc-il arrivé autrement? Lorfqu'un fils put accufer fon pere, une mere fon fils & fon époux, un ami fon ami, un citoyen fon concicoyen ; lorfque toutes les paflions devinrent également délatrices, également écoutées;lorfqu'au milieu de vos enfants, la nuit, le jour, les mains des fatellites vous faifirent & vous jetterent dans 1'obfcurité des cachots, lorfqu'on vous cela le crime dont vous étiez accufé; lorfqu'on vous contraignit a vous défendre vous-même, & qu'empriionné pour une faute que vous n'aviez pas commife, vous futesdérenu & jugé fur une faute fecrete que vous aviez avouée; lorfque l'inltruétion de votre procés fe commenca, fe pourfuivit, s'acheva fans aucune confrontation avec les témoins; lorfqu'on entendit la lecture de fa fentence fans avoir eu la liberté de fe défendre ? Alors les yeux fe familiariferent avec le fang, par les fpeftacles les plus atroces. Alors les ames fe remplirent de ce fanatifme qui fe déploya fi cruellement dans les deux hémifpheres. L'Efpagne ne fut, il eft vrai, &c. page 374. Page 375, ligne 8, au-lieu de cette aclivité, lifez, d'une énergie nécefiaire, &c. Page 376, après ces mots, en les employant, lifez : a la plupart des travaux utiles. II fe portoit nonchalamment a ceux même qui étoient le plus en honneur, & fe repofoit pour tous les R 4  sÖ4 SUPPLÊMENTS. autres fur des étrangersqui rapportoient dans leur patrie un argent qui la fertilifoit ou 1'enriehiflbir. Les hommes nés fans propriété, &c. Page 379 , après ces mots, folies largeflês, lifez : Pendant que la métropole, (kc.page 383. Page 383, ligne 23, au-lieu de CharlesQuint, lifez, 1'Efpagne. Ibid. après ces mots, du commerce, lifez : ces railöns, & plufieurs autres , empêcherenc d'établir dans le Nouveau-Monde une adminiftration fondée fur de bons principes. La dépopulation de 1'Amérique, &c. Page 385, après ces mots, ou mal fondées, lifez : Semblables aux Vifigots, &c. Page 387, après ces mots , grains d'or, lifez: Comme toutes les nations de 1'univers étoienc révoltées de ces barbaries, les Ecrivains Efpagnols efiayerent de prouver que le travail des mines n'avoit rien de dangereux : mais on en croyoit aux démonftrations phyfiques. On n'ignoroit point que l'on n'habite pas les entrailles obfcures de la terre , fans inconvénient pour les yeux; qu'on ne refpire pas des vapeurs mercurielles, fulfureufes, arfenicales, toutes pefiïlentielles, fans inconvénient pour la poitrine; qu'on ne recoit pas par les pores de la peau, qu'on n'avale pas par la bouche des eaux mal-faines, fans inconvénient pour l'eftomac & pour les hu-  A L'HIST. PH1L0S0PHIQUE. *6$ meurs du corps. On voyoic fortir de nos mines Ia mort fous toutes les formes, avec Ia roux cruelle, avec 1'hideufe atropine, avec le noir marafme, avec les convulfions, le raccourciflement, les diftorfions des membres. On voyoit aux mineurs les rides, la foibleflê, le tremblement, la caducité, a 1'Élge de la fanté vigoureufe; & loin d'accorder quelque créance au récic des Efpagnols, on s'indignoit de leur mauvaife foi, lorfqu'on ne fe moquoit pas de leur ignorance. Pour fe dérober a ces tombeaux & aux autres actes de la tyrannie Européenne, beaucoup d'Américainsfe réfagierent dans des forêts, dans des montagnes inaccelïibles. Dans ces climats apres & fauvages, ils contractoient un caraftere féroce qui coür.a fouvent des larmes & du fang a leurs impitoyables oppreflèurs. Dans quelques cantons, le défefpoir fut porté fi loin, que, pour ne pas lailfer deshéritiersde leur infortune , les hommes réfolurent unanimement de n'avoir aucun commerce avec les femmes. Cette trifle conjuration contre Ia nature, &c. Page 390, après ces mots, avec 1'injuftice, lifez : L'Europe étoit alors peu éclairée. La lumiere qui commencoit a s'y répandre, étoit repoufiëe par 1'Efpagne. Cependant un voile plus épais encore couvroit 1'Amérique. Les no- R 5  s66 SUPPLÉMENTS XXXUI. L'Efpagne commence a fortir de fa lethargie. tions les plus fimples fur les objets les plus importants , y étoient entiérement effacées. Comme 1'aveuglemenc eft toujours, &c. Page 391, après ces mots, ce qu'ils avoient, lifez : La haine qui fe mit, &c. page 392. Page 392, après ces mots, Ce levain, lifez: étoit fomenté par le Clergé créole & le Clergé Européen, qui avoient auffi contraclé la contagion de ces difcordes. II nous eft doux de pouvoir penfer, de pouvoir écrire que la condition de 1'Efpagne devient tous les jours meilleure. La nobleflè n'affecte plus ces airs d'indépendance qui embarraffoient quelquefois le gouvernement. On a vu arriver des hommes nouveaux , mais habiles, au maniement des affaires publiques qui furent trop long-temps 1'apanage de la naiffance feule. Les campagnes, mieux peuplées & mieux cultivées, offrent moins de ronces & plus de récoltes. II fort des atteliers de Grenade, de Malaga, de Séville, de Priego, de Tolede, de Talavera, & fur-tout de Valence, des foieries qui ont de la réputation & qui la méritent. Ceux de Saint-Ildephonfe donnent de très-belles glacés ; ceux de Guadalaxara & d'Efcaray des draps fins & des écarlates; ceux de Madrid des chapeaux, des rubans, des tapifferies,de la porcelaine. La Catalogne entiere eft couverte de manufaétures d'armes & de quincaillerie, de bas, & de mou-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 267 choirs de Ibie, de toiles peinces de cocon, de lainages communs, de galons & de dencelles. Des communicacions de la capitale avec les Provinces commencenc a s'ouvrir, & ces magnifiques voies fonc plantées d'arbres uciles ou agréables. On creufe des canaux d'arrofemenc ou de navigation, donc le projec, congu par des écrangers, avoit fi long-temps révolcé 1'orgueil du Miniftere & celui des peuples. D'excellences fabriques de papier; des imprimeriesde crès-bon goüc; des fociécés confacrées aux beaux-arts, aux ans uciles & aux fciences, écoufferont tót ou tard les préjugés & 1'ignorance. Ces fages établiflements feront fecondés par les jeunes gens que le Miniftere fait inftruire dans les contrées dont les connoiflances ont étendu la gloire ou les profpérités. Le vice des tributs, fi difficile a corriger, a déja fubi des réformes très-avantageufes. Le revenu national, anciennement fi borné, s'eft élevé, dit-on, a 140,400,000 livres. Si le cadaftre, donc la confection occupe la Cour de Madrid depuis 1749, efl: fait fur de bons principes , & qu'il foit exécuté, le fifc verra encore croitre fes reflburces, & les contribuables feront foulagés. A la mort de Charles-Quint, le tréfor public étoit fi obéré, qu'on mit en délibération s'il ne convenoit pas d'annuller tant d'engagements funefies. Ils furent porcés a un milliard, ou peut-  «68 SUPPLÉMENTS être plus, fous le regne inquiet & orageux de fon fils Philippe. L'intérêt des avances fakes au Gouvernement abforboit, en 1688, tout le produit des impofitions; & ce fut alors une néceffité de faire une banqueroute entiere. Les événements qui fuivirent cette grande crife furent tous fi malheureux, que les finances retomberent fubitement dans le cahos, d'ou une réfolution extreme, mais néceflaire, les avoit tirées. Une adminiftration plus éclairée mit au commencement du fiecle un ordre dans les recouvrements, une regie dans les dépenfes qui auroient libéré 1'Etat, fans les révolutions qui s'y fuccéderent avec une rapidité qu'on a peine a fuivre. Cependant la Couronne ne devoit, en 1759, que 160,000,000 de livres que Ferdinand laifibit dans fes coffres. Son fuccefièur employa la moitié de cette fomme a la liquidation de quelques dettes. Le refte fut confommé par la guerre de Portugal, par 1'augmentation de la marine, par mille dépenfes néceflaires pour tirer la monarchie de la langueur oü deux fiecles d'ignorance & d'inertie 1'avoient plongée. La vigilance du nouveau Gouvernement ne s'eft pas bornée a réprimer une partie des défordres qui ruinoient fes pofièflions d'Europe. II a été porté un ceil attentif fur quelques-uns des abus qui arrêtoient la profpérité de fes colonies. Leurs chefs ont été choifis avec plus de  A LTÏÏST. PHILOSOPHIQUE. 26*9 foin & mieux furveillés. On a réformé quelquesuns des vices qui s'écoienc glifles dans les tribunaux. Toutes les branches d'adminiftration ont été améliorées. Le fort même des Indiens efl; devenu moins malheureux. Ces premiers pas vers le bien, &c. Page 396, après ces mots, rétablir 1'équr libre , lifez : L'Efpagne , qui, par le récenfemenc très-exact de 1768 , n'a que neuf millions trois cents fept mille huit cents quatre habitants de tout age & de tout fexe, & qui ne compte pas dans -fes colonies la dixieme partie des bras qu'exigeroient leur exploitation, ne peut ni fe peupler, ni les peupler fans des efforts extraordinaires & nouveaux. II faut, pour augmenter les claflès laborieufes du peuple, qu'elle diminue fon Clergé qui énerve & dévore également PEtat. II faut qu'elle renvoye aux arts les deux tiers de fes foldats, que 1'amitié de la France & la foiblefle du Portugal lui rendent inutiles. II faut qu'elle s'occupe du foulagement, &c Page 297 5 après ce mot, 1'i.nquifition, lifez a la ligne, La fuperflition, &c. Page 402, après ces mots, pays natal, lifez : L'Efpagne verroit bientöc arriver fa population au point oü elle doit la defirer, fi elle n'ouvroit pas feulement fon fein aux peuples de fa communion, mais indiftinctement a toutes  2-o SUPPLÉMÈNTS les feétes. Elle le pourroic fans bleflèr les principes de la religion, fans s'écarter des maximes de la politique. Les bons Gouvernements ne font pas troublés par la diverfité des opinions* & un Chriftianifme bien entendu ne profcrit pas la liberté de confcience. Ces véricés ont été portées a un tel degré d'évidence, qu'elles ne doivent pas tarder de fervir de regie a toutes les nations un peu éclairées. Lorfque 1'Efpagne aura acquis, &c. Page 404, après ces mots^ une iffue funelte, lifez : Nous irons plus loin, &c. Page 406, après ces mots, en foude, lifez 1 en fruits, pour plus de 80,000,000 de livres. Page 407 , après ces motSi par fes denrées, lifez : On n'a que des notions vagues fur Ia quantité de métaux, fur Ia quantité de denrées que Tanden monde recevoit du nouveau , dans les premiers temps qui fuivirent la conquête. Les lumieres augmentent, a mefure qu'on approche de notre Sge. Acluellement 1'Ëfpagne tire tous les ans du continent de 1'Amérique 89 095,053 livres en or ou en argent, & 34,653,902 liv. en produttions. En tout 123,748,954 livres. En prenant ce calcul pour regie, il fe trouveroit que la métropole a regu de fes colonies, dans 1'efpace de deux cents qüatre-vingtfept années, 35,515,949,798 livres. Oa ne peut diffimuler qu'autrefois il arrivoit  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 27! moins de productions qu'il n'en vienc aujourd'hui : mais alors les mines étoient plus abondantes. Voulez-vous vous en tenir a la multiplication des métaux feulement? 1'Efpagne n'aura recu que 25,570,279,924 livres. Nous compterons pour rien les 9,945,669,874 livres de productions. II feroit pofllble d'augmenter Ia mafte des métaux & des denrées. Pour atteindre Ie premier but, il fuffiroit que le Gouvernement fit pafter des gens plus habiles dans la métallurgie, & qu'il fe relachat fur les conditions auxquelles on permet d'ouvrir des mines. Mais ce fuccès ne feroit jamais, Stc.pag. 409. Page 409, après ces mots, travail des terres , lifez : Tel efl: le but important auquel Ia Cour de Madrid doit tendre. Si, placant les métaux dans 1'ordre inférieur qui leur convient, elle fe détermine a fonder fpécialement la félicité publique,fur les productions d'un folfécond & vafte , Ie nouvel hémifphere fortira du néant oü on 1'a trouvé, oü on 1'a laifle. Le foleil qui n'a luit jufqu'ici que fur des déferts en friches, y fécondera tout par fon influence. Au nombre des denrées que fes rayons, fecon» dés par le travail & 1'intelligence de I'homme, y feront éclore, l'on comptera les denrées qui enrichiflent aétuellement les ifles du Nouveau-Mon* de, dont la confommation augmente de jour en  ü?a SUPPLÊMENTS jour, & qui, après avoir été long-temps des of> jets de luxe, commencent a être placées parmi les objets d'une néceffité indifpenfable. II eft poffible qu'on falie profpérer les aromates, les épiceries de 1'Afie, qui font annuellemenc fortir dix ou douze millions de la monarchie. Cet efpoir eft plus particuliérement fondé pour la cannelle. Elle croit naturellement dans quelquesunes des vallées des Cordelieres. En la cultivant, on lui donneroit peut-être quelques-unes des qualités qui lui manquent. Plufieurs Provinces du Mexique récoltoient autrefois d'exceilentes foies que les manufactures d'Efpagne employoient avec fuccès. Cette ri^ chefle s'eft perdue par les contrariétés fans nombre qu'elle a efiuyées. Rien n'eft plus aifé que de Ia refiufciter & de 1'étendre. La laine de vigogne eft recherchée par toutes les nations. Ce qu'on leur en fournit n'eft rien en comparaifon de ce qu'elles en demandent. Le plus fur moyen de multiplier ces toifons précieufes ne feroit-il pas de laifier vivre 1'animal qui les don* né, après 1'en avoir dépouillé ? Qui pourroit nommer les productions que des régions fi valles, des climats fi variés, des terreins fi différents pourroient voir éclore ? Dans tant d'efpeces de culture ne s'en trouveroit-il pas quelqu'une du goftc des Indiens ? Quelqu'une ne fixeroit-elle pas de petites nations toujours erran- tes?  A LTIIST. PHÏLOSOPHIQUE. 273 tes? Difbïbuées avec intelligence, ces peuplades iie ferviroient-elles pas a établir des Communications entre des colonies, maintenant féparées par des efpaces immenfes & inhabités? Les loix, qui font toujours fans force parmi des hommes trop éloignés les uns des autres & du Magiftrat, ne feroient-ellespas obfervées? Le commerce, continuellement interrompu par 1'impoflibilité de faire arriver les marchandifes a leur deftination, ne feroit-il pas plus animé? En cas de guerre, ne feroit-on pas averti a temps du danger, & ne fe donneroit-on pas des fecours prompts & efficaces ? II faut reconnoitre que le nouveau fyftême ne s'établira pas fans difficulté. L'habitude de Poifiveté, le climat, les préjugés contrarieront ces vues falutaires : mais des lumieres fagement répandues, des encouragements bien ménagés, des marqués de confidération placées a propos, furmonteront, avec le temps, tous les obftacles. On accéléreroit beaucoup le progrès des cultures, en fupprimant la pratique devenue générale des majorats ou fuccefllons perpétuelles, qui engourdit tant de bras dans la métropolé, & qui fait encore plus de mal dans les colonies. Les premiers conquérants & ceux qui marchoient fur leurs traces, ufurperent ou fe firent donner de vaftes contrées. Ils en formerent un héritage indivifible pour Païné de leurs enfants; & les caSuppl. Tomé IL S  «74 SUPPLÉMENTS dets fe virent, en quelque forte, voués an célibat, au cloitre ou au facerdoce. Ces énormes poflèflions font reftées en friche, & y refteronc jufqu'a ce qu'une main vigoureufe & fage en permette ou en ordonne la divifion. Alors le nombre des propriétaires, aujourd'hui fi borné, malgré l'étendue des terres, fe multipliera, & les produétions fe multiplieront avec les propriétés. Les travaux avanceroient plus rapidement s'il étoit permis aux étrangers d'y prendre part. Le chemin des Indes Efpagnoles leur fut indiftinctement ferméa tous, a 1'époque même de la découverte. Les loix prefciivoient formellemenc de renvoyer en Europe ceux qui y auroient pénétré de quelque maniere que ce put être. Preffé par fes befoins, Philippe II autorifa, en 1596, fes délégués a naturalifer le peu qui s'y étoient glifiès, pourvu qu'ils payaflènt cette adoption au prix qu'on leur fixeroit. Cette efpece de marché a été renouvellé a plufieurs reprifes, mais plutot pour des artifles néceffairement utiles au pays, que pour des marchands qu'on fuppofoit devoir un jourfe retirer avec les richefiès qu'ils auroient acquifes. Cependant le nombre des uns & des autres a toujours été exceflivement borné, paree qu'il efl: défendu d'en embarquer aucun dans la métropole,& que les colonieselles-mêmes,foit défiance, foit jaloufie, les repoulfent. Le progrès des lumieres autorife a penfer que cette in-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 2f§ fcciabilité aura un terme. Le Gouvernement comprendra enfin ceque c'efl; qu'un homme de vingt* cinq & trente ans, fain, vigoureux; quel dommage il caufe au pays dont il s'expatrie, & quel préfent il fait a la nation étrangere chez laquelle il porte fes bras & fon induflrie, 1'étrange ftupidité qu'il y auroit h faire payer le droit de 1'hofpitalité a celui qui viendroit multiplier par fes travaux utiles, ou les produflions du fol, ou les ouvrages des manufaétures; la profondeur de la politique d'un peuple qui inviteroit, foit a fe fixer dans fes villes, dans fes campagnes , foit a traverfer fes Provinces,.les habitants des contrées adjacentes; quel tribut il impoferoit fur les nations qui lui fourniroient, & des ouvriers, & des cultivateurs, & des confommateurs; combien 1'intolérance qui exile eft funefte; quel fonds de richefle on appelle chez foi par la tolérance; & combien il eft indifférent a la valeur des denrées qu'elles doivent leur naiffance a des mains orthodoxes ou a des mains hérétiques, a des mains Efpagnoles ou h des mains Hollandoifes. Mais les plus grands encouragements au travail des terres, mais toutes les faveurs qu'il feroit pof-1 fible d'y ajouter ne produiroient rien, fans Faffurance d'un débouché facile & avantageux pour leurs produclions. M. de la Ënfenada comprit ld premier que 1'extraétion en feroit impraticable * ïouc le temps que le commerce du Nouveau- S 2  276 SUPPLÉMENTS Monde feroit conduit comme il 1'avoit été. Auflï, malgré les obftacles qu'on lui oppofa, malgré les préjugés qu'il Falloic vaincre, fubftitua-t-il, en 1740, des vaifTeaux détachés, a 1'appareil fi antique & fi révéré des galions & des flottes. II méduoit des changements plus avantageux encore , lorfqu'une difgrace imprévue 1'arrêta au milieu de fa brillante carrière. La moitié du bien qu'avoit fait ce Miniftre hardi & habile fut annullé, en 1756, par le rétabliflement des flottes : mais le mal fut en partie réparé huit ans après par 1'établiflement des paquebots, qui, de la Corogne, devoient porter tous les mois a la Havane les lettres deftinées pour les colonies feptentrionales, & tous les deux mois a Buenos-Aires pour les colonies méridionales. On autorifa ces batiments, aflez confidé' rables, a fe charger a leur départ de marchandifes d'Europe, & a leur retour de denrées d'Amérique. La fortie des métaux étoit prohibée fous des peines capitales. On fe jouoit de cette défenfe abfurde, paree qu'il falloit bien que le commerce étranger retirat la valeur des marchandifes qu'il avoit fóurnies. Les Gouvernements anciens, qui avoient pour les loix le refpeét qu'elles méritent, n'auroient pas manqué d'en abroger une dont 1'obfervation auroit été démontrée chimérique. Dans nos temps modernes, oü les Empi-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 277 res font plutöt conduits par les caprices des adminiflrateurs que par des principes raifonnés, PEfpagne fe contenta, en 1748, de permettre l'exrraftion de 1'or & de 1'argent, poufvu qu'on payac au fifc un droit de trois pour cent. Cette redevance fut portée vingt ans après a quatre, quoique des fraudes continuelles avertifTent fans cefie le Gouvernement qu'il étoit de fon intérêt de la diminuer. L'an 1774 fut Pépoque d'une autre innovation heureufe. Jufqu'alors toute liaifon entre les différentes parties du continent Américain avoit été févérement profcrite. Le Mexique , Guatimala, le Pérou, le nouveau Royaume : ces régions étoient forcément étrangeres 1'une a 1'autre. Cette aélion, cette réaclion qui les auroient toutes fait jouir des avantages que la nature leur avoit partagésétoient placéesau rang des crimes, & trés - févérement punies. Mais pourquoi n'avoit-on pas étendu la profcription d'une ville a une autre ville; d'une habitation a Phabitation voifine, dans le même canton , d'une familie a une autre familie, dans la même cité? Le doigt de la nature a-t-il tracé fur Ie fol qu'habitent les hommes, quelque ligne de démarcation ? Comment fous la même domination un lieu placé a égale diftance entre deux autres lieux peut-il exercer librement a 1'Orient un privilege qui lui eft interdic a 1'Occident ? Un pareil S 3  «78 SUPPLÉMENTS édit, bien interprété, ne fignifie-t-il pas : défendons a chaque contrée de cultiver au-dela de fa propre confommation, a chacun de leurs habitants d'avoir befoin d'autre chofe que des productions de fon fol. Une communication libre fut enfin ouverte a ces Provinces; & on leur permit de fe croire concitoyens, de fe traiter en freres. Une loi du mois de Février 1778 autorife tous les ports d'Efpagne a faire des expéditions pour Buenos-Aires, a en faire pour la mer du Sud. Au mois d'Oaobre de la même année, cette liberté aété accordée pour le refte du continent, excepté pour le Mexique, qui ne doit pas tarder a jouir du même avantage. Ce fera un grand pas de fait : mais il ne fera pas fuffifant, comme on s'en flatte , pour interrompre le commerce interlope, 1'objet de tant de déclamations. Tous les peuples, que leurs poftèftïons mettoient a ponée des établifièments Efpagnols, chercherent toujours a s'en approprier frauduleufement les tréfors & les denrées. Les Portugais tournerent leurs vues vers la riviere de la Plata. Les Francois, les Danois, les Hollandois fur la cöte de Caraque, de Carthagene & de PortoBelo. Les Anglois, qui connoiftoient & qui pratiquoient ces voies , trouverent dans les cefllons qui furent faites a leur nation par les traités, des routes nouvelles pour fe procurer une part plus  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 279 confidérable a cette riche dépouille. Le uns & les autres atteignirent leur but en trompant ou en corrompant les garde-cótes, & quelquefois aufli en les combattant. Loin de remédier au défordre, les chefs Pencourageoient le plus qu'il étoit poffible. Plufieurs avoient acheté leur pofte. La plupart étoient preffés d'élever leur fortune, & vouloient être payés des dangers qu'ils avoient courus en changeant de climat. II n'y avoit pas un moment a perdre, paree qu'il étoit rare qu'on fut continué au-dela de trois ou de cinq ans dans les places. Entre les moyens de s'enrichir, le moins dangereux étoit de favorifer lacontrebande, ou de la faire foi - même. Perfonne, en Amérique , ne réclamoit contre une conduite favorable a tous. Si les cris de quelques négociants Européens arrivoient jufqu'a la Cour, ils étoient aifément étouffés par des largeftes verfées a propos fur les maitreflês, fur les confeflèurs ou les favoris. Le coupable ne fe mettoit pas feulement h 1'abri de lapunition, il étoit encore récompenfé. Rien n'étoit fi bien établi, fi généralement connu que cet ufage. Un Efpagnol qui revenoit du Nouveau-Monde oü il avoit rempli un emploi important, feplaignoit a quelqu'un des bruits qu'il trouvoit femés contre l'honnêteté de fon adminiftration. „ Si l'on vous calomnie, lui dit fon „ ami, vous êtes perdu fans reflburce : mais ff S 4  s8o SUPPLÉMENTS „ l'on n'exagere pas vos brigandages, vous en „ ferez quicte pour en facrifier une partie; vous „ jouirez paifiblement & même glorieufemenc „ du refte. Le commerce frauduleux continuera jufqu'a ce qu'on Fait mis dans Fimpoflibilité de foutenir les fraix qu'il exige , de braver les dangers auxquelsilexpofe; & jamais on yparviendra que par ladiminution des droics, dont on a fucceflivement furchargé celui qui fe fait par les rades Efpagno-es. Depuis même les facrifices faits par le Gouvernement, dans les arrangements de 1778, le navigateur interlope a foixante-quatre pour cent d'avantage fur les liaifons autorifées. La révolution, qu'une politique judicieufe ordonne, formera un vuide & un grand vuide dans le tréfor public : mais 1'embarras qui en réfultera ne fera que momentané. Combien de richefiès couleront un jour, de cet ordre de chofes fi long-temps attendu! Dans le nouveau fyftême , 1'Efpagne, qui n'a fourni jufqu'ici annuellement que mille fept cents quarante-un tonneaux de vin ou d'eau-devie , dont le cultivateur n'a pas retiré 1,000,000 de livres, y en enverroit dix ou dbuze fois davantage, Cette exportation fertiliferoit un terrein en friche, & dégoüteroit le Mexique, ainfi cue quelques autres Provinces du NouveauMonde , des mauvaifes boiflbns que Ia chercé  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 281 de celles qui ont pafle les mers leur fait confommer. Les manufaérures, que Fimpoflibilité de payer celles qui venoient de Pancien hémifphere a fait établir, ne fe foutiendroient pas. C'eüt été le comble de la tyrannie de les détruire par autorité , comme quelques miniftres inconfidérés, corrompus ou defpotes n'ont pas craint de le propofer; mais rien ne feroit plus raifonnable que d'en dégoüter ceux qui s'en habillent, en leur offrant a un prix proportionné a leurs facultés des toiles & des étoffes qui flatteroient leur goüt ou leur vanité. Alors la confommation des marchandifes d'Europe, qui ne paffe pas tous les ans fix mille fix cents douze tonneaux, s'éleveroit au doublé, &, avec le temps, beaucoup davantage. Les bras, que les métiers occupent, feporteroient a 1'agriculture. Elle eft actuellement trèsbornée. Cependant les ports de toutes les nations font librement ouverts a fes denrées. Peut-être plufieurs peuples s'oppoferoient-ils a ce que 1'Efpagne mit fes ifles en valeur, paree qu'une femblable amélioration porteroit néceflairement un préjudice notable a leurs colonies: mais tous defirent qu'elle multiplie dans le commerce les produélions de fon continent, qui, la plupart, font nécefiaires, & ne peuvent pas être remplacées» S 5  282 SUPPLÉMENTS Ce nouvel arrangement feroit également favorable aux mines. On r'ouvriroitcelles qui, ne pouvant pas foucenir le prix du mercure & des autres marchandifes, ont été abandonnées. Celles dont 1'exploitation n'a pas été interrompue feroient fuivies avec de plus grands moyens & plus de vivacité. L'abondance des métaux ouvriroit a ï'induftrie des débouchés que les plus habiles ne foupgonnent pas. Les Américains, plus riches & plus heureux, fe défieroient moins du Gouvernement. Ils confentiroient fans peine a payer des impofitions, dopt Ia nature & Ia perception ne peuvent être fagement réglées que fur les lieux mêmes, & après une étude réfléchie du caraélere, des ufages des peuples. Ces tributs, quelque foibles qu'on les fuppofe, feroient plus que remplir le vuide qu'auroit opéré dans les caifTes publiques la modération des douanes. La couronne, jouiflant d'un revenu plus confidérable, n'abandonneroit plus fes Provinces a la rapacité de fes agents. Elle en diminueroit le nombre, payeroit convenablement ceux qu'elle auroit confervés, & les forceroit a refpefter les dróits des peuples, les intéréts du Gouvernement. C'efl: mal connoitre les reflburces d'une autorité bien dirigée, que de croire impoflible de faire régner cet efprit de juftice. Campillo y réuffit pendant fon auftere miniftere, qqoiquV  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 283 lors les adminiftraceurs de 1'Amérique eufTenc contraété 1'habitude du brigandage, & qu'ils n'euffenc pas des appointements fuffifantsa la repréfentacion que paroifToit exiger leur rang. II ne faut pas diflimulerque la liberté du commerce de toute 1'Efpagne avec 1'Amérique a pafle pour une chimère. Les ports de cette péninfule font, a-t-on dit, fi pauvres, que, quoi qu'on fadé, celui de Cadix reftera feul en poffeflion de ce monopole. Sans doute, qu'il en arriveroit ainfi, fi Pon ne s'écartoit qu'en ce poinn de Pancien fyftême : mais qu'on dirige le nouveau plan fur les principes déja établis, déja pratiqués chez les nations commergantes; & il fe trouvera, dans la plupart des rades du Royaume, des fonds fuffifants pour faire des expéditions. Bientöt même les armements fe multiplieront, paree que la modicité du fret & des droits permettra d'envoyer des marchandifes communes, de recevoir en retour des denrées peu précieufes. Avec le temps, la navigation de la métropole avec fes colonies du continent qui n'occupe maintenant que trente a trente-deux navires chaque année, prendra des accroifiements donc les fpéculateurs les plus hardis n'oferoient fixer le terme. On a prétendu , avec plus de fondement, qu'aufli-töt que 1'Amérique feroic ouverce a cous les ports de la monarchie, & qu'il n'exifteroic  a84 SUPPLÉMENTS plus aucun genre d'oppreflion dans les douanes, le commerce, débarrafTé de fes entraves, exciteroit une émulation fans bornes. L'avidité, 1'imprudence des nógociants doivent préparer a ce défordre. Peut-être fera-ce un bien. Les colons, encouragés par le bon marché a des jouifTances qulls n'avoient jamais été a portée de fe procurer, fe feront de nouveaux befoins, &fe livrerontpar conféquent a de nouveaux travaux. Quand même 1'excès de la concurrence pourroit être un mal, il ne feroit jamais que momentané. Chercher a détourner cet orage par des loix deftructives de tout bien, c'efl: vouloir prévenir une révolution heureufe par une oppreffion continuelle. Enfin, 1'objeétion qui a le plus occupé la Cour de Madrid, a été, a ce qu'il paroic, que toutes les nations de 1'Europe verroient augmenter, par ces arrangements, leur aótivité. C'eft une vérité inconteftable. Mais 1'induftrie Efpagnole neferoitelle pas également encouragée, puifque débarraflee de 1'impöt que les marchandifes étrangeres continueroient de payer a 1'entrée du Royaume, elle conferveroit tous fes avantages ? Mais le Gouvernement ne percevroit-il pas toujours les droits qu'il auroit cru devoir laiflèr fubfifter fur ces produclions ? mais fes navigateurs ne gagneroient-ils pas toujours leur fret ? mais fes négociants ne feroient-ils pas les agents de ce com-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 285 merce? mais fes fujetsdu Nouveau-Monde n'obtiendroient - ils pas a meilleur marché tout ce qu'on leur pore? II eft peut-être heureux pour cette PuifTance d'être obligée de partager avec lés autres peuples Papprovifionnement de fes poflèflions d'Amérique. S'il en étoit autrement, les Puiiïances maritimes feroient les plus grands efforts pour Pen dépouiller. Y réuffiroit-on? C'eft ce qui refte a examiner. LesHollandois furent les premiers quioferent tourner leurs armes contre le Pérou. Ils y envoyerent, en 1643, une foible efcadre qui s'empara fans peine de Valdivia, le feul port fortifié du Chily & la clef de ces mers paifibles. Leurs navigateurs dévoroient dans leur coeur les tréfors de ces riches contrées, lorfque la difette & les maladies ébranlerent leur efpoir. La mort d'un chef accrédité augmenta leurs inquiétudes, & les forces qu'on envoya de Callao contre eux acheverent de les déconcerter. Leur courage mollit dans cet éloignement de leur patrie, & la crainte de tomber dans les fers d'une nation dont ils avoient fi fouvent éprouvé la haine, les détermina a fe rembarquer. Avec plus de conftance, ils fe feroient maintenus vraifemblablement dans leurs conquétes jufqu'a 1'arrivée des fecours qui feroient partis de Zuiderzée, lorfqu'on y auroit appris leurs premiers fuccès. Ainfi le penfoient ceux des Francois qui, en xxxv. La domination Efpagnole at-elle une bafe folide dans le Nouveau-Monde ?  a8f5 SUPPLÉMÈNTS 1595, unirenc leurs fortunes & leur audace pou? aller piller les cöces du Pérou, & pour former, a ce qu'on croit, un établifièment dans la partie du Chily, négligée par les Efpagnols. Ce plart eut 1'approbation de Louis XIV, qui, pour en faciliter 1'exécution, accorda fix vaiffeaux de guerre. L'efcadre vogua très-heureufement, fous les ordres du brave de Genes, jufques vers le milieu du détroit de Magellan. On croyoit toucher au fuccès; lorfque les navigateurs, opiniatrément repoufles par les vents contraires, & aflaillis de toutes les calamités poflibles, fe virent réduits a reprendre Ia route de 1'Europe. Ces aventuriers, toujours avides de périls & de richefles, s'occupoient h former une nouvelle afibciation : mais les événements donnerent aux deux couronnes les mêmes intéréts. L'Angleterre avoit, avant les autres peuples, jetté des regards avides fur cette région. Ses mines la tenterent dès 1264 : mais !a foiblefle du Prince, qui tenoit alors les rênes de 1'Empire, fit diflbudre une afibciation puifiante qu'un fi grand intérêc avoit formée. Charles II reprit cette idéé brillante. II fit partir Norboroug pour obferver ces parages peu connus, & pour eflayer d'ouvrir quelque communication avec les fauvages du Chily. CeMonarque étoit fi impatient d'apprendre le fuccès de cette expédition, qu'averti que fon confident étoic de retour aux Dunes, il fe  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 287 jetta dans fa berge, & alla au-devanc de lui jufqu'a Gravefend. Quoique cette tentadve n'eüt rien produit d'udle, le Miniftere Bntanique ne fe découragea point. L'élévation du Duc d'Anjou au tröne d'Efpagne alluraa un incendie univerfeL L'Angleterre, qui s'étoit mife a la têce de la confédération formée pour dépouiller ce Prince, vit par-tout profpérer fes armes, mais cette gloire lui fut chérement vendue. La nation gémiffoit fous le poids des taxes, & cependant le fifc avoit contraété des engagements immenfes. II paroiifoit difficile de les remplir & de continuer la guerre, lorfqu'on eut 1'idée d'une affociadon qui auroit exclufivement la liberté de naviguer vers la mer du Sud, & d'y former des établilfements; mais a condition qu'elle fe chargeroit de liquiderla dettepublique. Telle étoit 1'opinion qu'on avoit alors des richeftès du Pérou, & des grandes fortunes qu'il feroit aifé d'y faire, que les regoicoles & les étrangers verferent avec enthoufiafme leurs capitaux dans cette entreprife. L'adminiftration en fut confiée au grand Tréforier Oxford, auteur du projet , & il employa aux dépenfes de 1'Etat des fonds deftinés pour tout autre ufage. Alors, les aélions de la nouvelle fociété tomberent dans le plus grand aviliffement: mais elles ne tarderent pas a fe relever. A la paix, la Cour de Londres obtint de celle de Madrid que la com-  288 SUPPLÉMENT S pagnie du Sud pourroic enfin remplir fa deftination. Le commerce du Pérou lui fut folemnellement livré. Elle s'enrichifToit tranquillement, lorfqu'une guerre fanglante changea la fituation des chofes. Une efcadre commandée par Anfon, remplaca ces négociants avides. II eft vraifemblable qu'elle auroit exécutéles terribles opérations dont elle étoit chargée, fans les malheurs qu'elle éprouva pour avoir été forcée par des arrangements vicieux a doubler le cap de Horn dans une laifon oü il n'efl pas praticable. Depuis la derniere paix, les Francois ont entrepris, en 1764, & les Anglois en 1766, de former un établifTement, non loin de la cöte des Patagons, oua cinquante &un degrés trente minutes de latitude auflrale, dans trois ifles que les uns ont appellées Malouines, & les autres Falkland. L'Efpagne, allarmée de voir des nations étrangeres dans ces parages, a obtenu aifément de la Cour de Verfailles le facrifice de fa foible colonie : mais les plus vives inflances n'ont rien produit a celle de Londres, qui n'avoit pas les mêmes motifs de ménagement & de complaifance.Les efprits fe font aigris. Le port d'Egmont, nouvellement occupé, a été inopinément attaqué & pris fans réfiftance. On alloit encore voir les deux hémifpheres inondés de fang, fl 1'agreffeur ne fe fut enfin déterminé a reflituer un pofte dont il n'auroit pas dü s'emparer dans un temps  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 289 temps oü l'on avoit ouvert des négociations pour 1'éclairciflement des droits réciproques. L'Angleterre s'eft depuis engag'ée, par une convention verbale du 22 Janvier 1771, a laiflèr tomber peu-a-peu ce foible, inutile & difpendieux établiflèment. II n'y reftoit plus, en effet, que vingtcinq hommes, lorfqu'on 1'évacua, au mois de Mai 1774, en y laiflant une infcription qui atteftit aux fiecles a venir que ces ifles avoient appartenu & n'avoient pas cefie d'appartenir a la Grande - Bretagne. En s'éloignant, ces navigateurs, occupés de la dignité de leur nation, infultent a la puiflance rivale. C'eft par condefcendance & non par crainte qu'ils veulent bien fe défifter de leurs droits. Lorfqu'ils promettent a leur empire une durée éternelle, ils oublient que leur grandeur peut s'évanouir aufli rapidement qu'elle s'eft élevée. De toutes les nations modemes , qu'eft-ce qui reftera dans les annales du monde? Les noms de quelques illuftres perfonnages, les noms d'un Chriftophe Colomb, d'un Defcartes," d'un Newton. Combien de petits Etats, avec la prérention ridicule aux grandes deftinées de Rome! Sans le fecours de cet entrepot ni d'aucun autre, Anfon croyoit voir des moyens pour attaquer avec avantage 1'Empire Efpagnol dans PO» céan Pacifique. Dans le plan de ce fameux navigateur, douze vaiflêauxde guerre partis d'Eu- Suppl. Tomé IL T  *oo SUPPLÉMENTS rope avec quatre ou cinq mille hommes de dé* barquement, tourneroient leurs voiles vers la mer du Sud. Ils trouveroient des rafralchifièments aBahia, a Rio Janeiro, fl Sainte-Catherine, dans tout le Bréfil qui defire avec paflion 1'abaifièment des Efpagnols. Les réparacions, qui pourroient devenir néceflaires dans la fuite , fe feroient avec füreté fur la cöte inhabitée & inhabitable des Patagons, dans le port Defiré, ou dans celui de Saint-Julien. L'efcadre doubleroit le cap de Horn ou le détroit de Magellan, fuivant les faifons. En cas de féparation, on fe réuniroit a 1'ifle déferte de Socoro, & Ton fe porteroit en force fur Valdivia. Cette fortification, la feule qui couvre le Chily, emportée par une attaque brufque & impétueufe, que pourroient, pour la défenfe du pays , des bourgeois amollis & inexpérimentés contre des hommes vieillis dans les exercices de la guerre & de la difcipline? Que pourroient-ils contre les Arauques & les autres fauvages, toujours difpofés a renouveller leurs cruautés & leurs ravages ? Les cótes du Pérou feroient encore moins de réfiftance. Elles ne font protégées que par Callao, oü une mauvaife garnifonde fix cents hommes ne tarderoit pas a capituler. La prife de ce port célebre ouvriroit le chemin de Lima, qui n'en eft éloigné que de deux lieues, & qui efl;  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 291 abfolument fans défenfe. Les foibles fecoars qui pourroient venir aux deux villes de Pintérieur des terres, oü il n'y a pas un foldat, ne les fauveroit pas; & Pefcadre intercepteroit aifément tous ceux que Panama pourroit leur envoyer par men Panama lui-même, qui n'a qu'un mur fans folTé & fans ouvrages extérieurs, feroit obligé de fe rendre. Sa garnifon, continuellement affoiblie par les détachements qu'elle envoye a Chagre, a Porto-Belo, a d'autres poftes, feroit hors d'état de repouflèr le moindre affaillant» Anfon ne penfoit pas que les cötes, une fois foumifes, le refte de 1'Empire püt balancer a fe foumettre. ïl fondoit fon opinion fur Ia molleflè 4 fur la Mcheté, fur 1'ignorance des peuples dans le maniement des armes. Selon fes lumieres^ un ennemi audacieux ne devoit avoir guere moins d'avantage fur les Efpagnols qu'ils en eureht euxmêmes fur les Américains, a 1'époque de la découverte. Telles étoient, il y a trente ans, les idéés d'un des plus grands hommes de mer qu'ait eu PAngleterre. Tiendroit-il aujourd'hui Ie même langage? Nous ne le penfons point. La Cour de Madrid, réveillée par les humiliations & les malheurs de la derniere guerre, a fait palier au Pérou des troupes aguerries. Elle y a confié fes places a des Commandants expérimentés. L'efT 2  soa SUPPLÉMENTS prit des milices efl enciérement changé dans cette partie du Nouveau-Monde. Ce qui peut-être é'oit poffiblene 1'eft plus. Une invalion deviendroit fur-tout cbimérique, fi dans cette région | élounée , les forces de terre étoient appi.yées par dus forces maritimes proportionnées. On ne [ craindra pas même d'aflurer que la réunion de I ces deux moyens en écarteroit infailliblement le pavillon de toutes les nations. Les opérations de l'efcadre ne devroient pas fe borner a combattre ou a éloigner 1'ennemi. Les vaifleaux qui la compoferoient , feroient utilement employés a faire naitre ou h recueillir fur ces cóces des denrées qui n'y croiflenr pas, ou qui s'y perdent par la difficulté des exportations. Ces facilués tireroient vraifemblablement les colons d'une léthargie qui dure depuis trois fiecles. Afturés que k* produit de leurs cultures arriveroit fans fraix a Panama, & y feroit embarqué fur le Chagre pour pafler en Europe avec des fraix médiocres, ils aimeroient des travaux dont la récompenfe ne feroit plus doureufe. LVétivité augmenteroit, fi la Cour de Madrid fe dérerminoit a creufer un cana! de ckq lieues, qui acheveroit la communicacion des deux roers, déja li avancée par un fleuve navigable. Le bien général des narions, 1'utilité du commerce exigenr que l'ifthme de Panama, que 1'ifthme de Suez, ouverts a la navigacion, rapprochent les  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 293 limftes du monde. Depuis trop long-temps, le defpotifme oriental, l'indolence Efpagnole privent le globe d'un fi grand avantage. Si de la mer du Sud nous paflbns dans ce'Ie du Nord, nous trouverons que 1'Empire Efpagnol s'y prolonge depuis le Mifliffipi.jufqu'a i'Orenoque. On voit dans cet efpace immenfe beaucoup de plages inaccefiibles, & un plus grand nombre encore oü un débarquemenc ne ferviroic de rien. Tous les poftes regardés comme importants: Vera-Crux,Chagre„ Porto-Belo, Carthagene, Puerto-Cabello fontfortiflés,&quelquesuns le font dans les bons principes. L'expérience a cependant prouvé qu'aucune de ces placesn'étoit inexpugnable. Elles pourroient donc être forcées de nouveau : mais qu'opéreroient ces fuccès? Les vainqueurs, auxquels il feroit impoflible de pénétrer dans 1'intérieur des terres, fe vei roient confinés dans des forrereflès, oü un air dangereux dans toutes les faifons, & mortel duranc fix mois de 1'année pour des hommes accoutumés a un ciel tempéré, creulëroit plus ou moins rapidement leur tombeau. Quand même, contre toute probabilité, la conquête feroit achevée, peut-on penfer que les Efpagnols Américains, idolatres par goüt, par pareflè, par ignorance, par habitude, par orgueil, de leur religion & de leurs loix, ne romproienc pas, un peu plu tót., un peu plus T 3  294 SUPPLÉMENTS tard, les fers dont on les auroit chargés? Que fi, pour prévenir la révolution, on fe déterminoit a les exterminer, ce cruel expédient ne feroit pas moins infenfé en politique qu'horrible en morale? Le peuple qui fe lèroit porté a cet excès de barbarie ne pourroit tirer parti de fes nouvelles poffeflions qu'en leur facrifiant fa population, fon aótivité, fon induftrie, & avec le temps toute fa puifiance. Tant d'obftacles a l'envahiflèment de 1'Amérique Efpagnole avoient, dit-on, fait naitre en Angleterre durant les dernieres hoftilités, unfyftême étonnant pour le vulgaire. Le projet de cette puifiance, alors maitrefie de toutes les merss étoit de s'emparer de la Vera-Crux, & de s'y fortifier d'une maniere redoutable. On n'auroic pas propofé au Mexique un joug étranger, pour lequel on lui connoiflbit trop d'éloignement. Le plan étoit de le détacher de fa métropole, de le rendre arbitre,. de fon fort, & de le laifier le maitre de fe choifir un Souverain, ou de fe former en république. Comme il n'y avoit point de troupes dans le pays, la révolution étoit affurée,&elle fe feroit également faite dans toutes les Provinces de ce vafte continent qui avoient les mêmes motifs de la defirer, les mêmes faciliiés pour 1'exécuter. Les efibrts de la Cour de Madrid pour recouvrer fes droits devoient être impuiflants; paree que la Grande-Bretagne  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. aoS fe chargeoit de les repoufier, a condidon que les nouveaux Etats lui accorderoient un commerce exclufif, mais infiniment moins défavo« rable que celui fous lequel ils avoient fi longtemps gémi. S'il étoit vrai que de pareilles idees euflênt jamais occupé férieufement le cabinet de Londres, il doit avoir renoncé a ces vues ambideufes depuis que la Cour de Madrid a pris le parti d'entretenir des troupes régulieres & Européennes dans fes pofieffions du Nouveau-Monde, Ces forces contiendront les peuples, elles repoufllront 1'ennemi, appuyées comme elles le font maintenant par une marine refpeclable» Les Efpagnols eurent a peine découvert un autre hémifphere, qu'ils fongerent a s'en approprier toutes les parties. Pour donner de 1'éclat a leur adminiftration, les chefs des grands établifiements déja formés, tentoient tous les jours de nouvelles entreprifes; & les particuliers, paffionnés pour la même renommée, fuivoient généralement, ces traces brillantes. Les calamités inféparables d'une carrière fi peu connue n'avoient pas encore altéré ce courage aélif & infadgable; lorfque des navigateurs hardis & entreprenants oferent tourner leurs voiles vers des régions interdites a toute autre nation qu'a celle qui les avoit conquifes. Les fuccès qui couronnerent cette audace firent juger a Philippe 11 T 4  296 SUPPLÉMENTS qu'il étoit temps de mettre des bornesafon ambition; & il renonga a des acquifitions qui pouvoient expofer fes armes ou fes efcadres a des infultes. Cette politique timide ou feulement prudente eut des fuites plus confidérables qu'on ne 1'avoit prévu. L'enthoufiafme s'éteignit; 1'inaftion lui fuccéda. II fe forma dans les Indes une nouvelle race d'hommes. Les peuples fe plongerent dans une mollede fuperbe, & ceux qui les gouvernoient ne s'occuperent plus qu'a accumuler des tréfors dont on acheta les diftinctions autrefois réfervées aux talents, au zele, aux fervices. A cette époque s'arrêta la navigation en Amérique; a cette époque, elle s'arrêta en Europe. II ne fortit plus des ports de la métropola que peu de vaifleaux mal conftruits, mal armés, mal commandés. Les coups terribles que lui portoient fes ennemis, les vexations ruineufes qu'elle éprouvoit de la part de fes alliés: rien ne tiroit 1'Efpagne de fa léthargie. Enfin, après deux fiecles d'un fommeil profond , les chantiers fe font ranimés. La marine Eipagnole a acquis une vraie force. Soixante-huit vaifleaux, depuis cent quatorze jufqu'a foixante canons, dont cinq font en conftruéb'on; quatrevingt-huit batiments, depuis cinquante-fix jufqu'a douze canons, la forment au temps oü nous écrivons. Elle compte fur fes regiftres cinquante  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 297 mille matelots. Un grand nombre d'entre eux fepvent dans les armements que le Gouvernement ordonne. La navigation marchande de la Bifcaye, deMajorque, de la Catalogne en occupent beaucoup auffi. II en faut pour une centaine de petits navires deflinés réguliérement pour les ifles d'Amérique qui en voyoient fi peu autrefois. Ils fe multiplieront encore, lorfque les expéditions au continent de Pautre hémifphere fe feront avec toute Ia liberté qu'annoncent de premiers arrangements. Les mers, qui féparent les deux mondes, fe couvriront d'hommes robuftes^, aétifs, intelligents , qui deviendront les défenfeurs des droits de leur patrie, & rendront fes flottes redoutables. Monarques Efpagnols, vous êtes chargés des félicités des plus brillantes parties des deux hémifpheres. Montrez-vous dignes d'une fi haute deftinée. En rempliffant ce devoir augufte & facré, vous réparerez le crime de vos prédéceffeurs & de leurs fujets. Ils ont dépeuplé un monde qu'ils avoient découvert; ils ont donné la mort a des millions d'hommes; ils ont fait pis» ils les ont enchainés; ils ont fait pis encore, ils ont abruti ceux que leur glaive avoit épargnés. Ceux qu'ils ont tués n'ont fouffert qu'un moment ; les malheureux qu'ils ont laiffé vivre ont dü cent fois envier le fort de ceux qu'on avoit égorgés. L'avenir ne vous pardonnera que quand T 5  298 SUPPLÉMËNTS les moiflbns germeronc de tant de fang innocent dont vous avez arrofé les campagnes, & qu'il verra les efpaces immenfes que vous avez dévaftés couverts d'habitants heureux & libres. Voulez-vous favoir 1'époque a laquelle vous ferez peut-être abfous de tous vos forfaits? C'eft lorfque reflufcitant par la penfée quelqu'un des anciens Monarques du Mexique & du Pérou, & le replacant au centre de fes poflèflions, vous pourrez lui dire : Vois l'état actuel de ton pays et de tes sujets; interrog e-les, et juge-nous. Fin du Livre huitieme*   Liv. JA". T A' B L E A U !)e, t&fptct; de la Qaantitl ÓC de, la Valeur des Olj>Us que le, tfhrlfU enroie annatllcmtnt atc' £Portucj,al f calcalls) d'afrïa un te-rtne commun dc cinq, ans, depuis J770 iulya' en J775. PRIX ESPECES DE PRODUCTIONS. Q.UANTITES. couranten VALEUR. Portugal. ) liv. liv. Diamans ; 60000 karats ,2 3-20,000 Autres P.errenes I?0i000 Or monnoye, & en lingots i6g| quintaux 150,000 25,112 500 Sucre blanc 276000 50 11>8oo.ooo lu"c brut 167000 j0 s,oio;ooo Jabac S8500 40 2,340,000 R0.tonf-p";x;:: 4?oo 25o ,,i2s,ooo Bois de Brefil pour la teinture 20000 So 1 000 000 ^-••••■;V:19000 20 'j8o,'ooo Bois de Marquetene 6000 10 6o 00Q Bois de Conftru&ion ,_„',„„ ^ate Moo 84 ,26,000 £acrao :„■ 8°00 70 560,000 ^aireParellle no ja, I0.,250 Canne le-gnofle... 5,0 go 40,Soo Cannelle fine giroBee 252 2^0 6? 000 Ind,'g° 4ï 1,152 l i84 Canons de Baleine 2090 i?o jn'500 Huile de Baleine 3530 pipes 175 6l' 0 Huile de Cupauba 235 barils 100 2 O0 Cuirs en poils fecs 10180 pieces 14 142*520 ^u!rsfalés- 8?9io 15 i,2;8',650 ^,rstannes »no 104 578, ,,6 Gingembre 22000 Menus articles do'000 Toiles groflieres de coton , ió'ooo 56,657,290 Diamans introduits en fraude, arbitres k , ,., 312,000 Total des Exportations duBRÉsiL pour le Portugal 56,949,390 Cette Colonie envoie encore annuellement de fes deniers, Sa v oir, liv. Aux AqoRES, pour „ 790,000^ A Madere, pour 470,000 ( Au Continent d'/iFRiQUE, pour 886,000 i2,271,000 Aux Indes Oriëntales, pour 125,000/ Total des Productions exportées du Brésil 59,220,290  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 299, LIVRE IX. P Age 422, lifez : L'efprit national eft le réfulcat d'un grand nombre de caufes, dont les unes font conftantes, & les autres variables. Cette par- i tie de 1'hiftoire d'un peuple eft peut-être la plus intéreiïante & la moins difficile a fuivre.. Les caufes conftantes font fixées fur la partie du globe qu'il habite. Les caufes variables font confignées dans fes annales, & manifeftées par les effets qu'elles ont produits. Tant que ces caufes agiffenc contradiótoirement, la nation eft infenfée. Elle ne commence a prendre 1'efprit qui lui convient, qu'au moment oü fes principes fpéculatifs confpirent avec fa pofition phyfique. C'eft alors qu'elle s'avance a grands pas vers la fplendeur , 1'opulence & le bonheur qu'elle peue fe promettre du libre ufage de fes reffources locales. Mais cet efprit, qui doit préfider au confeil des peuples, & qui n'y préfide pas toujours, ne regie prefque jamais les aétions des particuliere. Ils ont des intéréts qui les dominent, des paffions qui les tourmentent ou les aveuglent; & il n'en eft prefque aucun qui n'élevat fa profpérité fur la ruine publique. Les métropoles des Empires font les foyers de 1'efprit national, c'eft-a-dire, I, Les Euro)éens ontls bien conïu 1'art de donder des :olonies i  3oo SUPPLÉMENTS les endroits oü il fe montre avec le plus d'énergie dans le difcours, & oü il efl; le plus parfaitement dédaigné dans les attions. Je n'en excepte que quelques circonftances rares, oü il s'agit du falut général. A niefure que la diftance de la capitale s'accroit, ce tnafque fe détache. II tombe fur la frontiere. D'un hémifphere a 1'aucre que devient-il ? rien. Paffe 1'équateur, I'homme n'eft ni Anglois, ni Hollandois, ni Francois, ni Efpagnol,ni Portugais. II ne conferve de fa patrie que les principes & les préjugés qui autorifent ou excufenc fa conduite. Rampanc quand il eft foible, violent quand il eft fort; preflé d'acquérir, prefle de jouir; & capabie de tous les forfaits qui le conduiront le plus rapidement a fes fins. C'eft un tigre domeftique qui rt ntre dans la forêt. La foif du fang le rrprend. Tels fe font montrés tous les Européens, tous indiftinclement, dans les concrées du Nouveau-Monde, oü ils ont porté une fureur commune, la foif de 1'or. N'auroit-il pas été plus humain, plus utile & moins difpendieux, de faire paffer dans chacune de ces régions lointaines quelques centaines de jeures hommes, quelques centaines de jeunes femmes? Les hommes auroient époufé les femmes , les femmes auroient époufé les hommes de la contrée. La confanguinité, le plus prompt & leplus fort des liens, auroit bientöt fait, des  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 301 étrangers & des naturels du pays, une feule & même familie. Dans cette liaifon intime, Fhabiranr fauvage n'auroit pas tardé a comprendre que les ans & les connoiflances qu'on lui portoit étoient trèsfavorables a 1'amélioration de fon fort. Iï eüt prisla plus haute opinion des inftitineurs fuppliants & modérés que les flots lui auroient amenés, & il feroit livré k eux fans réferve. De cette heureufe confiance feroit fortie la paix, qui auroit été impraticable, fi les nouveaux venus fufiènt arrivés avec le ton impérietix & le ton impofant de maitres & d'ufurpateurs. Le commerce s'établit fans trouble entre des hommes qui ont des befoins réciproques, & bientöt ils s'accoutument a regarder comme des amis, comme des freres, ceux que 1'intérêt ou d'autres motifs conduifent dans leur conrrée. Les Indiens auroient adopté le culte de FEurope, par la raifon qu'une religion devient commune a tous les citoyens d'un Empire, lorfque le Gouvernement Pabandonne a elle-même, & que 1'intolérance & la folie des Prêtres n'en font pas un inftrument de difcorde. Pareillement la civilifation fuit du penchant qui entraine tout homme a rendre fa condition meilleure, pourvu qu'on ne veuille pas 1'y contraindre par la force, & que cesavantages ne lui foient pas préfemés par des étrangers fufpeclis.  3o2 SUPPLÉMENTS IL Par qui & comment fut décotlvert le Bréfil;, Tels feroient les heureux effets que produiroit, dans une colonie naiftante, 1'attrait du plus impérieux des fens. Pöint d'armes, point de foldats : mais beaucoup de jeunes femmes pour les hommes, beaucoup de jeunes hommes pour les femmes. Voyons ce qu'en fe livrant a des moyens contraires, les Portugais ont opéré dans le Bréfil. C'efl; un continent immenfe, borné au Nord paria riviere des Amazones; au Sud, par la riviere de la Plata; a FEU par la mer; au Couchant par une multitude de marais, de lacs, de torrents, de rivieres & de montagnes qui le féparent des poflèflions Efpagnoles. Si Colomb, après être arrivé, &c. Page 423, après ces mots, au Nord-Oueft, lifez : pour ne fe pas trop éloigner de Saint-Domingue, le feul établifiement qu'eüflent alors les Efpagnols dans le Nouveau-Monde. Un heureux hafard procura, 1'année fuivante, 1'honneur de cette découverte a Pierre Alvarez Cabral. Pourquoi en eft-il ainfi de prefque toutes les découvertes? Comment le hafard y a-t-il toujours plus de part que 1'efprit? C'eft que le hafard .travaille fans cefie, tandis que 1'efpric s'arrête par parefie, change d'objets par inconftance, fe repofe par laflitude ou par ennui, & eft jetté dans l'inaftion par une infinité de caufes morales & phyfiques, domeftiques ou na^  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 303 Stonales. C'eft donc au hafard ou a cette fourmilliere innombrable d'hommes qui s'agitent en tout fens, & qui répanderit leurs regards fur tous les objets qui les environnent ou les frappent, fouvent fans deffein de s'inftruire, fans projets de découvrir, & par la feule raifon qu'ils ont des yeux, c'eft a eux que l'on doit la plupart des découvertes. Pour éviter les calmes de la cöte d'Afrique, Cabral prit tellement, &c. Page 424, après ces mots, faifoit pas partie, lifez: On lui donna le même nom, comme les Elpagnols avoient cru pouvoir 1'attribuer aux pays qu'ils avoient antérieurement découverts*. Les uns & les autres diftinguerent feulement ces régions par le furnom d'Indes Occidentales* Cette dénomination s'étendit depuis, &c. Page 429, après ces mots, Indes Occidentales, lifez .-Antérieurement ït ces dernieres époques, lesjuifs, que 1'Inquifuion pourfuivoit fans rel&che, étoient exilés en grand nombre dans le Brélil. Quoique dépouillés de leur fortune par ces fang-fues infatiables, ils réuflirent a établir quelques cultures. Ce commeneement de bien fit fentir a la Cour de Lisbonne qu'une colonie pouvoit devenir utile a fa métropole autrement que par des métaux. Dès 1525, on la vit jetter des regards moins dédaigneux fur une pofieflion immenfe que le hafard lui avoit don-  IV. La Cour de Lisbonne partage le Bréfil entre plufieurs grands Seigneurs. So4 SUPPLEMENTS née, & qu'elle étoit accoutumée k regarder comme un cloaque oü aboutiflbient toutes les immondices de la monarchie. L'opinion du Miniftere devint celte de la nation. Avant tous les autres, les grands Seigneurs s'animerent de ce nouvel efprit. Le Gouvernement accorda fucceffivement a ceux d'entre eux qui le demandoient, la liberté de conquérir un efpace de quarante ou cinquante lieues lur les cótes, avec une extenfion illimitée dans Pintérieur des terres. Leur charte les autorifoit a traiter le peuple aftujetti de la maniere qui leur conviendroit. Ils pouvoient difpofer du fol envahi, en faveur des Portugais qui te voudroient mettre en valeur; ce qu'ils firent la plupart, mais pour trois vies feulement, & moyennant quelques redevances. Ces grands propriétaires devoient jouir de tous les droits régaliens. On n'en excepta que la peine de mort, que la fabrication des monnoies, que la dixme des productions : prérogatives que la Couronne fe réferva. Pour perdre des fiefs fi utiles & fi honorables, il falloic négliger de les cultiver, les laiffèr fans déferife, n'avoir point d'enfant male, ou fe rendre coupable de quelque crime capital. Ceux qui avoient follicité & obtenu ces Provinces s'attendoient bien a s'en mettre en poffeflion,fans beaucoup de dépenfe pour eux, fans de grands dangers pour leurs Lieutenants. Ils  A L'HIST. PH1L0S0PHIQUE. 305 lis fondoient principalement leur efpérance fur Pinertie des petites nations qu'il falloic dompter. L'homme, fansdoute, eft fait pour la fociété. Sa foibleflè & fes befoins le démontrent. Mais des fociétés de vingt a trente millions d'hommes ; des cités de quatre a cinq cents mille ames: ce font des monftres dans la nature. Ce n'eft point elle qui les forme. C'eft elle au contraire qui tend fans ceftè a les détruire. Elles ne fe foutiennent que par une prévoyance continue & par des efforts inouis. Elles ne tarderoient pas a fe diffiper, fi une portion confldérable de cette multitude ne veilloit a leur confervation. L'air en eft infeété; les eaux en font corrompues; la terre épuifée a de grandes diftances; la durée de la vie s'y abrege; les douceurs de 1'abondance y font peu fenties; les horreurs de la difette y font extrêmes. C'eft le lieu de la naiflance des maladies épidémiques; c'eft la demeure du crime, du vice, des mceurs diflblues. Ces énormes & funeftes entaftements d'hommes font encore un des fléaux de la fouveraineté, autour de laquelle la cupidité appelle & groflic fans interruption la foule des efclaves, fous une infinité de fonétions, de dénominations. Ces amas furnaturels de populations font fujets a fermentation & a corruption pendant la paix. La guerre vient-elle a leur imprimer un mouvement plus vif, le choc en eft épouvantable. Suppl Tome IL V v. Caradlere's & ufages des peuples qn'on vouloit affujettir a la dominationPortugaife,  3o6 SUPPLÉMENTS Les fociétés naturelles font peu nombreufes. Elles fubfiflent (Telles- mêmes. On n'y attend point la furabondance incommode de la population pour la divifer. Chaque divifion va fe placer a des difiances convenables. Tel fut par-tout 1'état primitif des contrées anciennes} tel celui du nouveau continent. On y trouva le Bréfil diftribué en petites nations, les unes cachées dans les forêts, les autres établies dans les plaines ou fur les bords des rivieres; quelques-unes fédentaires; un plus grand nombre nomades; la plupart fans aucune communication entre elles. Celles qui n'étoient pas continuellement en armes les unes contre les autres, étoient divifées.par des haines ou des jaloufies héréditaires. Ici, l'on tiroit fa fubfiftance de la chafle & de la pêche; la, de la culture des champs. Tant de différences dans la maniere d'être & de vivre ne pouvoient manquer d'introduire de la variété dans les moeurs & dans les coutumes. Les Bréfiliens étoient en général de la taille des Européens; mais ils étoient moins robuftes. Ils avoient auffi moins de maladies, & vivoient long-temps. Ilsne connoiflbient aucun vêtement. Les femmes avoient les cheveux extrêmement longs, & les hommes les tenoienc courts; les femmes portoient en brafïèlets des os d'une blancheur éclatante, que les hommes portoient en  A L'HISTi PHILOSOPHIQUE. 307 Collier; les femmes peignoient leur vifage, aulieu que les hommes peignoient leur corps. Chaque peuplade de ce vafte continent avoit fon idiöme particulier, aucun n'avoit des termes pour exprimerdes idéés abftraites & univerfelles. Cette pénurie de langage, commune a tous les peuples de 1'Amérique, étoit la preuve du peu de progrès qu'y avoit fait 1'efprit humain. La reffemblance des mots d'une langue avec les autres prouvoit que les tranfmigrations réciproques de ces fauvages avoient été fréquentes. La nourriture des Bréfiliens étoit peu variée. Dans une région privée d'animaux domeftiques, on vivoit de coquillages fur les bords de la mer, de pêche pres des rivieres, & dans les forêts de chaflè. Le vuide que laifToient trop fouvent des reffources fi fort incertaines, étoit rempli par le manioc & par quelques autres racines. Ces peuples aimoient fort la danfe. Leurs chanfons n'étoient qu'une longue tenuê, fans aucune variété de tons; Elles rouloient ordinairement fur leurs amours oufur leurs exploitsguerriers. La danfe & le chant font deux arts dans 1'état policé. Au fond des forêts, ce font prefque des fignes naturels de la concorde, de Pamitié, de latendreffe& du plaifir. Nousapprenonsfous des maitres a déployer notre voix, a mouvóir nos membres en cadence. Le fauvage n'a d'autre maitre que fa paflion, fon coeur & la nature. Ce V %  3o8 SUPPLÉMENTS qu'il fent, nous le fimulons. Aufli le fauvage qui chance ou qui danfe eft - il toujours heureux. La tranquillité perfonnelle des Bréfïliens n'étoit jamais troublée par les terreurs d'une vie future dont ils n'avoient point d'idée : mais celle de leurs petites fociétés 1'étoit quelquefois par des devins qui avoient furpris leur crédulité. De temps en temps, on maflkroit ces importeurs, te qui arrêtoit un peu 1'efprit de menfonge. Les notions de dépendance & de foumiflion, qui dérivent fpécialement parmi nous de la connohTance d'un Être créateur, n'étoient pas arrivées jufqu'a ces peuples. Cet aveuglement & 1'ignorance oü ils vivoient de ce qui devoit conftituer une fociécé raifonnablement ordonnée , avoient écarté de leurs déferts tout principe de gouvernement. Jamais ils n'avoient concu qu'un homme, quel qu'il füt, püt acquérirle droit ou former la prétention de commander a d'autres hommes. De même que la plupart des peuples fauvages , les Bréfïliens ne marquoient aucun attachément pour les lieux qui les avoient vus naitre. L'amour de la pacrie, qui eft une affection, &c. Page 434, ligne derniere, au-lieu de n'ait, lifez, n'eüt, & ainfi au pajfé tout ce qui eji au préfent.  A L'HÏST. PHÏLOSOPHIQUE. 309 Page 435, après ces mots, aucun danger, Ufez : En général, les fuites des couches font moins facheufes pour les femmes fauvages que pour les femmes civilifées; paree que les premières nourrilTènt toutes leurs enfants, & que la parefie des hommes les condamne a une vie tres« laborieufe qui rend en elles 1'écoulement périodique d'autant moins abondant, & les canaux excrétoires de ce fang fuperflu d'autant plus étroits. Un long repos, après 1'enfantement, loin de leur être néceflaire, leur deviendroit auffi funefte qu'il le feroit parmi nous aux femmes du peuple. Cette circonftance n'eft pas la feule oü l'on voit les avantages des conditions diverfes fe compenfer. Nous fentons le befoin de 1'exercice. Nous allons chercher la fanté a la campagne. Nos femmes commencenta mériterle nom demeres, en allaitant elles-mêmes leurs enfants. Ces enfants viennent d'être affranchis des entraves du maillot. Que fignifient ces utiles & fages innovations ? Si ce n'eft que I'homme ne peut s'écarter indifcrétement des loix de la nature , fans nuire a fon bonheur. Dans tous les fiecles a venir, I'homme fauvage s'avancera pas a pas vers 1'état civilifé. L'homme civilifé reviendra vers fon état primitif; d'oü le Philofophe conclura qu'il exilte dans Pintervalle qui les fépare un point oü réfide la félicité de 1'efpece. Mais qui eft-ce qui ftxera ce point? Et s'il étoit fixé, quelle feroit V 3  310 SUPPLÉMENTS Fautorité capable d'y diriger, d'y arrêter I'homme? Les voyageurs étoient regus au Bréill, &c. Page 436, après ces mots, pour la lóciabi» lité, lifez : Née de la commifération naturelle, Fhofpitalité fut générale dans les premiers temps, Ce fut prefque 1'unique Hen des nations; ce fut le germe des amitiés les plus anciennes, les plus révérées & les plus durables entre des families féparées par des régions immenfes, Un homme perfécuté par fes concitoyens, ou coupable de quelque délit, alloit chercher au loin ou le re» pos ou 1'impunité. II fe préfentoit a la porte d'une ville ou d'une bourgade, & il difoit: „ Je „ fuis un tel, fils d'un tel, petit-fils d'un tel; „ je viens pour telle ou telle raifon "; & il arrangeoit fon hifioire ou fon menfonge de la maniere la plus merveilleufe, la plus pathétique , la plus propre a lui donner de Pimportance. On Fécoutoit avec avidité, & il ajoutoit ; „ Rece* „ vez-moi : car fi vous, ou vos enfants, ou les „ enfants de vos enfants font jamais conduits „ par le malheur dans mpn pays, ils me nom„ meront, & les miens les recevront ". On s'emparoit de fa perfonne. Celui auquel il donnoit la préférence s'en tenoit honoré. II s'établiflbit dans les foyers de fon hóte; il en étoit traité comme un des membres de la familie; il devenoit quelquefois Pépoux, le raviflèur ou le féduéteur de la fille de la maifon.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 31* C'eft de ces aventuriers, peut-être, les premiers voyageurs, que font ifïïis les demi-dieux du paganifme, fruit du libertinage & de 1'hofpitalité. La plupart durent leur naiffance a des pafTagers a qui l'on avoit accordé le coucher, & qu'on ne revit plus. Qu'il foit permis de le dire , il n'y a point d'état plus immoral que celui de voyageur. Le voyageur par état refïemble au poflèfTeur d'une habitation immenfe, qui, au-lieu de s'affeoir k cöté de fa femme, au milieu de fes enfants, employeroit toute fa vie a vifiter fes appartements. La tyrannie, le crime, 1'ambition, la mifere, la curiofité, je ne fais quelle inquiétude d'efprit, le defir de connoitre & de voir, 1'ennui, le dégoüt d'un bonheur ufé, ont expatrié & expatrieront les hommes dans tous les temps. Mais dans les fiecles antérieurs a la civilifation, au commerce, a 1'invention des fignes repréfentatifs de la richefiè, lorfque 1'intérêt n'avoit point encore préparé d'afyle au voyageur, 1'hofpitalké y fuppléa. L'accueil fait a 1'étranger fut une dette facrée que les defcendants de I'homme accueilli acquittoient fouvent après le laps de plufieurs fiecles. De retour dans fon pays, il fe plaifoit a raconter les marqués de bienveillance qu'il avoit recues, & la mémoire s'en perpétuoit dans la familie. Ces mceurs touchantes fe font affoiblies, k V 4  3i2 SUPPLÉMENTS mefure que Ia communication des peuples s'eft facilicée. Des hommes induftrieux, rapaces & vils, ont formé de tous cötés des établiffements, oü l'on defcend, oü l'on ordonne, oü l'on difpofe des commodités de la vie, comme chez foi. Le maitre de la maifon ou 1'hóte n'eft ni votre bienfaiteur, ni votre frere, ni votre ami. C'eft votre premier domeftique. L'or que vous lui préfentez vous autorife a le traiter comme il vous plak. C'eft de votre argent & non de vos égards qu'il fe foucie. Lorfque vous êtes forti, il nefe fouvient plus de vous; & vous ne vous fouvenez de lui qu'autant que vous en avez été mécontent ou fatisfait. La fainte hofpitalké, éteinte par-tout oü la police & les inftkutions fociales ont fait des progrès, ne fe retrouve plus que chez les nations fauvages, & d'une maniere plus marquée au Bréfil que par-tout ailleurs. Bien éloignés de cette indifférence, &c. Page 436, ligne 21, au-lieu de ces fauvages regardent, lifez, les Bréfïliens regardoient, & ainfi au paffé ce qui efl au préfent. Page 438, après ces mots, guerres précédentes, lifez : Les premières attaques ne fe faifoient jamais a découvert. Chaque armée cherchoit a fe ménager les avantages d'une furprife. Rarement combattoit-on de pied ferme. L'ambition fe réduifoit a faire des prifonniers. Ils étoient égorgés & mangés avec appareil. Du-  A L'HIST. PHILOSOPHIQÜE. 313 rant le feftin, les anciens exhortoient les jeunes gens a devenir guerriers intrépides, pour fe régaler fouvent d'un méts fi honorable. Cet attrait pour la chair humaine ne faifoit jamais dévorer ceux des ennemis qui avoient péri dans 1'aétion. Les Bréfiliens fe bornoient a ceux qui étoient tombés vifs dans leurs mains. Le fort des prifonniers de guerre, &c. Page 439, après ces mots, droit des gens, lifez : Cette antropophagie a long-temps paffé pour une chimère dans 1'efprit de quelques fceptiques. Ils ne pouvoient fe perfuader que le befoin eüt réduit 3ucune nation a la cruelle néceffité de fe repaitre des entrailles de I'homme; & ilscroyoient encore moins qu'on fe füt porté a cette atrocité fans y être forcé par une privation abfolue de tous les foutiens de la vie. Depuis que des faits plus multipliés, des témoignages plus impofants, des relations plus authentiques ont diflipé les doutes des plus incrédules, on a vu des Philofophes qui cherchoient a juftifier cette pratique de plufieurs peuples fauvages. Ils ont contribué a s'élever avec force contre la barbade des Souverains, qui, parun caprice, envoyoient leurs malheureux fujets aux boucheries de la guerre : mais ils ont penfé qu'il étoit indifférent qu'un cadavre füt dévoré par un homme ou par un vautour. Peut-être, en efiêt, cet ufage n'a-t-il en luiVS  3H SUPPLEMENTS VI Afcendant des miffion«aires fur les naturels du Bréfil, & {ut les Portugais, dans les premiers temps de la colonie. même rien de criminel, rien qui répugne a la morale: mais combien les conféquences n'en feroient-elles pas pernicieufes? Quand vous aurez autorifé I'homme a manger lachairde I'homme, (i fon palais y trouve de la faveur, il ne vous reftera plus qu'a rendre la vapeur du fang agréable a 1'odorat des tyrans. Imaginez alors ces deux phénomenes coramuns fur la furface du globe ; & arrêtez vos regards fur 1'efpece humaine, fi vous pouvez en fupporter le fpeétacle. Au Bréfil, les têtes des ennemis, mafiacrés dans le combat, ou immolés après l'aélion, étoient confervées très-précieufement. On les montroit avec oftentation, comme des monuments de valeur & de victoire. Les héros de ces nations féroces portoient leurs exploits gravés fur leurs membres par des incifions qui les honoroienr. Plus ils étoient défigurés, & plus leur gloire étoit grande. Ces moeurs n'avoient pas difpofé les Bréfiliens a recevoir patiemment les fers dont on vouloit les charger : mais que pouvoienc des fauvages contre les armes & la difcipline de 1'Europe? Un aflez grand nombre avoit fubi le joug, lorfqu'en 1549, la Cour de Lisbonne jugea convenable d'envoyer un chef pour régler un établiffement abandonné jufqu'alors aux fureurs & aux caprices de quelques brigands. En batiflant SanSalvador, Thomas de Souza donna un centre a  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 315 Ja colonie: mais la gloire de la faire jouir de quelque calme étoit réfervée aux Jéfuites qui 1'accompagnoient. Ces hommes intrépides, aqui, fkc.pag. 442. Page 445, après ces mots, événements politiques, lifez : S'ils n'avoient révolté, par leur intolérance, tous les gens modérés , & tous les tribunaux par leur paflion pour le defpotifme ; fi un zele outré pour la Religion ne les eüt rendus les ennemis fecrets du progrès des connoiffances & les perfécuteurs de la philofophie; s'ils avoient employé autant d'art a fe faire aimer qu'a fe faire craindre; s'ils avoient été aufli jaloux d'accroitre la (plendeur de leur fociété que d'en augmenter la puifiance; fi leurs chefs n'avoient pas abufé, &e. Ihid. après ces mots, fon anéantiflèment, lifez : L'univers continueroit a être arrofé de leurs fueurs, & fécondé par leurs entreprifes. Les Bréfïliens avoient eu trop fujet, &c. Page 447, après ces mots, fut mis a profit, lifez: Depuis quelques années des cannes a fucre avoient été portées de Madere au Bréfil dont le fol & le climat s'étoient trouvés favorables a cette riche plante. La culture en fut d'abord trèsfoible : mais on n'eut pas plutot fubflitué, vers Pan 1570, les bras nerveux du negreaux travaux languilfants des Indiens, qu'elle prit des accroiffements. Ils devenoient de jour en jour plus con»  pi SUPPLÉMËNTS fidérables, paree que cette produclion, bornée jufqa'alors aux ufages de la médecine, devenoic de plus en plus un objet de volupté. Cette profpérité, donc tous les marchés, &c. Page 451, après ces mots, Indes Orientales, lifez: Les opérations de la nouvelle fociété commencerent par 1'attaque du Bréfil. On avoit les lumieres néceflaires pour fe bien conduire. Quelques navigateurs Hollandois avoient hafardé d'y aller, fans être arrêtés par la loi qui en interdilbit 1'entrée a tous les étrangers. Comme, fuivant Pufage de leur nation, ils offroient leurs marchandifes a beaucoup meilleur marché que celles qui venoient de la métropole, ils furent accueillis favorablement. Ces interlopes dirent a leur retour, &c. Page 452,après ces mots, plus de réfifiance, lifez : C'étoit un terrible revers : mais il n'affligea point le Confeil d'Efpagne. Depuis que cette couronne avoit fubjugué Ie Portugal, elle n'en trouvoit pas les peuples aufli foumis qu'elle Peut voulu. Un défafire qui pouvoit les rendre plus dépendants lui parut un grand avantage; & fes Miniftres fe féliciterent d'avoir enfin trouvé 1'occafion d'agraver le joug de leur defpotifme. Sans avoir des idéés plus juftes, ni des fentiments plus nobles, Philippe penfa que la majefté, &c. Page 455, après ces mots, Iaifiees en partant,  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 315? lifez : fubjuguerent dans les annéesi633, 1634 & 1635 les contrées limitrophes. C'étoit la partie la plus cultivée du Bréfil, celle qui par conféquent offroit le plus de denrées. Ces richeües, qui avoient quitté, &c Page 455, ligne 21, au-lieu de enflammerent, lifez, enflamment, & ainfi au préfent ce qui eft au pajfé. Page 456, après ces mots, furent inutiles, lifez: Les Hollandois achevent de fe rendre maitres de toutes les cótes qui s'étendent depuis San-Salvador jufqu'a 1'Amazone. Ce fut dans ces circonftances qu'un Jéfuite éloquent, Antoine Vieira, prononca, dans un des temples de Bahia , le difcours le plus véhément & le plus extraordinaire qu'on ait peut être jamais entendu dans aucune chaire Chrétienne. La fingularité de ce fermon fera peutêtre excufer la longue analyfe que nous en allons donner. Vieira prit pour texte Ia fin du Pfeaume 43, ou le Prophete s'adrefiant a Dieu, lui dit : „ Réveille-toi, Seigneur; pourquoi t'es-tu en„ dormi? pourquoi as - tu détourné ta face de „ nous? pourquoi as-tu oublié notre mifere & „ nos tribulations? Réveille-toi; viens a notre „ fecours. Songe a la gloire de ton nom, & „ fauve-nous ". „ C'eft par ces parples, remplies d'une pieufe IX. Plaintes d'un prédicateur Portugais a Dieu , fur les fuccès d'une nation hérétique.  Si8 SUPPLÉMENTS fermeté, d'une religieufe audace ; c'eft ainfi } 3, dit 1'Orateur, qu'en proteftant plutöt qu'en ,j priant, le Prophete Roi parle a Dieu. Le „ temps & les circonftances font les mêmes; & „ j'oferai dire aufli : réveille-toi. Pourquoi t'es„ tu endormi ". Vieira reprend fon texte; & après avoir démontré la conformité des malheurs d'Ifraël & des Portugais, il ajoute : „ Ce ne font donc point ,j les peuples que je prêcherai aujourd'hui. Ma „ voix & mes paroles s'éleveront plus haut. J'af„ pire dans ce moment a pénétrer jufque dans ?, le fein de la Divinité. C'eft le dernier jour de „ la quinzaine que, dans toutes lesEglifes de Ia „ métropole, on a deftinéa des prieres devant ,y les facrés autels; & puifque ce jour eft le s, dernier, il convient de recourir au dernier „ remede. Les Orateurs évangeliques ont tram vaillé vainement a vous amener a réfipifcence. „ Puifque vous avez été fourds, puifqu'i s ne „ vous ont pas converti, c'eft toi, Seigneur, 3, que je convertirai; & quoique nous foyons „ les pécheurs, c'eft toi qui te repentiras. „ Lorfque les enfants d'Ifraël eurent commis „ le crime dans le défert, en adorant le veau „ d'or, tu révélas leur faute a Moife, & tu ajoui, tas, dans ton cóurroux, que tu voulois anéan„ tir ces ingrats. Moïfe te dit: Et pourquoi ton „ indignation contre ton peuple ? Avant que de  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 310 févir, confidere ce qu'il efl: a propos que tu faflès. Veux-tu que 1'Egypcien c'accufe de ne nous avoir malicieufement tirés de 1'efclavage que pour nous exterminer dans les montagnes ? Songe a Ia gloire de ton nom. „ Telle fut la Iogique de Moïfe, & telle fera la mienne. Tu te repentis du projet que tu avois formé. Tues le même. Mesraifons font plus fortes que celles du Légiflateur des Hébreux. Elles auront le même eflèt fur toi; & fi tu as formé le projet de nous perdre, tu t'en repentiras. Ignores-tu que Fhérkique, enne des fuccès que tu lui accordes, a déja dit que c'efl: a Ia fauflèté de notre culte qu'il doit ta protection & fes viétoires? Et que veux-tu qu'en penfent les Gentils qui nous envirónnent, lè Talapoin qui ne te connoit pas encore, 1'inconftant Indien, 1'ignorant & ftupide Egyptien a peine mouillé des eaux du baptême? Les peuples font-ils capables de fonder & d'adorer la profondeur de tesjugements. Réveilletoi donc; & fi tu prends quelque foin de ta gloire» ne fouffre pas qu'on puife dans nos défaites des arguments contre notre cfoyance. Réveille-toi; que les tempêtes qui ont diffipé nos flottes, difllpent celle de notre ennemi commun : que la pefte, les maladies qui ont fondu nos armées, fondent les fiennes; & puifque les confeils des hommes fe corrompent  32o SUfPLÉMENTS „ quand il te plaït, reraplis les fiens de téne„ bres & de confufion. „ Jofué étoit plus faint & plus patiënt que „ nous. Cependant fon langage ne fut pas au„ tre que le mien, & la circonftance étoit bien „ moins importante. II traverfe le Jourdain; il „ attaque la ville de Hai; fes troupes font dif„ perfées. Sa perte fut médiocre; & le voila „ qui déchire fes vêtements, qui fe roule a „ terre, qui fe répand en plaintes ameres, qui „ s'écrie: Et pourquoi nous fairepajfer le Jour„ dain ? Dis, Seigneur, étoit-ce pour nous li„ vrer a VAmmorrhéen ? Et moi, lorfqu'il s'a„ git d'un peuple immenfe, dans une vafte con„ trée , je ne m'écrierai pas: Ne nous as-tu donné „ ces contrées que pour nous les öter? Si tu „ les deftinois au Hollandois, que ne 1'appel„ lois-tu lorfqu'elles étoient incultes? L'héréti„ que t'a-t-il rendu de fi grands fervices, &fom„ mes-nous fi vils a tes yeux que tu nous ayes „ tirés de notre contrée pour être ici fon défri„ cheur, pour lui Mtir des villes, pour 1'en„ richir par nos travaux ? Voila donc le dédom„ magement que tu avois attaché dans ton coeur „ a tant d'hommes égorgés fur la terre, & per„ dus fur les eaux? Cela fera pourtant, fi tu J'as ,, réfolu. Mais je te préviens que ceux que tu „ rejettes, que tu accables aujourd'hui, demain „ tu les rechercheras fans les trouver. „ Job,  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 321 „ Job, écrafé des malheurs, contefte avec toi. I „ Tu ne veux pas, fans doute, que nousfoyons t „ plus infenfibles que lui. II te dit: Puifque tu „ asdécidé ma per te, confomme-la; tues-moi* „ anéantis-moi; quejefoisinhumé&réduit en » pouffiere; j'y confens : mais demain, tu me „ chercheras & tu ne me trouveras plus. Tu „ auras des Sabéens, des Chaldéens, des blaf„ phémateurs de ton nom ; mais Job, mais „ leferviteur fidele qui fadore, tu ne Vauras „ plus. „ Eh bien, Seigneur, je te dis avecjobrem„ brafe, détruis, confume-nous tous: mais un „ jour, mais demain tu chercheras des Portu„ gais, & tu en chercheras vainement. A ton j, avis, la Hollande te fournira ces conquérants „ apoftoliques, qui porteront, au péril de leur vie, par toute la terre, 1'étendard de la croix? „ La Hollande te formera un féminaire de Pré„ dicateurs apoftoliques qui courront arrofer de „ leur fang des contrées barbares pour les inté„ rêts de ta foi? La Hollande t'élevera des tem„ pies qui te plaifent, te conftruira des autels „ fur lefquels tu defcendes, te confacrera de „ vrais Miniftres, t'offrira le grand facrifice, & „ te rendra le culte digne de toi ? Oui, oui? Le „ culte que tu en recevras, ce fera celui qu'elle „ pratique journellement a Amfterdam, a Mid„ delbourg , a Fleffingue , & dans les ati- Suppl. Tome II X  S2ft SUPPLÉMENTS „ tres cantoris de cet enfer humide & froid. „ Je fais bien, Seigneur, que la propagation „ de ta foi & les intéréts de ta gloire ne dépen„ dent pas de nous; & que quand il n'y auroit „ point d'hommes, ta puifiance animant les pier„ res en fufciteroit des enfants d'Abraham. Mais „ je fais auffi que depuis Adam, tu n'as point „ créé d'hommes d'une efpece nouvelle; que tu te fers de ceux qui font, & que tu n'ad„ mets a tes deflèins les moins bons qu'au dé„ faut de meilleurs. Témoin la parabole du ban» quet : Faites entrer les aveugles & les bol„ teux. Voila la marche de ta providence. La changes-tu aujourd'hui? Nous avons été les „ conviés; nous n'avonspas refuféde nous ren„ dre au feftin, & tu nous préferes des aveu- gles, des boiteux : des Luthériens, desCalvi„ nifles, aveugles dans la foi, boiteux dans les „ ceuvres! „ Si nous fommes afiez malheureux pour que 9, le Hollandois fe rende maitre du Bréfil, ce ,, que je te repréfente avec humilité, mais très„ férieufement, c'eft d'y bien regarder avant „ 1'exécution de ton arrêt. Pefe fcrupuleufe- ment ce qui pourra t'en arriver. Confulte-toi „ pendant qu'il en eft encore temps. Si tu as „ a te repentir, il vaut mieux quece foit h pré„ fent que quand le mal fera fans remede. Tu w vois ou j'en veux venir, & les raifons priles  A L'HIST. PHlLOSQPHïQUE. 323 „ dansta proprê conduite de la remontrance que „ je te fais. Avant le déluge, tu étois auffi trèscourroucé contre le genre humaim Noé eut beau te priêr pendant un fiecle. Tu perfiftas „ dans ta colere. Les cataraftes du ciel fe rom„ pent enfin. Les eaux ont furmonté les fom„ mets des montagnes. La terre entiere efl: inon„ dée; & ta juftice eft fatisfaite, Mais trois jours „ après, lorfque les corps furnagerent; lorfque ,-, tes yeux s'arrêterent fur la multitude des ca■«,, davres livides; lorfque la furface des mers t'ofs, frit le fpeétacie le plus trifte, le plusaftreux •„ fpeclacle qui eüt jamais affligé les regards des fe> anges: que devins-tu ? Frappé de ce tableau, -„ comme fi tü ne 1'avois pas prévu, tes entrail» les s'émurent de douleur. Tu te repentis d'a„ voir fait le monde. Tu eus des regrets fur lé i,, paflë. Tu pris des réfolutions pour 1'avenm ,, Voila comme tu es; & puifque c'eft-la toti ,, caraéiere, pourquoi ne pas te ménager toimême en nous épargnant ? Pourquoi faire a ,, préfent lefuribond , fi ton cceur en doit mur« •„ murer; fi 1'exécution des arrêts de ta jufticè ,, doit affliger ta bonté? Songes-y avant de com« „ meneer, & confidereles fuites du nouveau dé„ luge que tu as projetté. Je vais te les peindrei ,, La Bahia & le refte du Bréfil font devenus t» la proie des Hollandois; je le fuppolè. Vois- X 2  324 SUPPLÉMENTS „ les. Ils entrent dans cette ville avec la fureur „ des conquérants, avec la rage d'hérétiques. „ Vois que ni 1'ége, ni le fexe ne font épar„ gnés. Vois le fang qui coule. Vois les coupa„ bles, les innocents, les femmes, les enfants „ pafTés au fil de 1'épée, égorgés les uns fur „ les autres. Vois les larmes des vierges qui pleu- rent 1'injure qu'elles ont foufferte. Vois les . „ vieillards trainés par les cheveux. Entends les „ cris confus des Religieux, des Prêtres qui em„ braflènt leurs autels, & qui élevent leurs bras „ vers toi. Toi-même, Seigneur, tu n'échap„ peras pas a leurs violences. Oui! tu en auras „ ta part. L'hérétique forcera les portes de tes „ temples. Les hollies, ton propre corps fera „ foulé aux pieds. Les vafes que ton fang a rem„ plis ferviront a la débauche. Tes autels feront „ renverfés. Tes images feront lacérées. Des „ mains facrileges fe porteront fur ta mere. „ Que ces affronts te fuflènt adreftës & que „ tu les fouffriflès, je n'en ferois pas étonné, „ puifque tu en fouffris de plus fanglants autre„ ibis: mais ta mere! oü eft la piété filiale ? Quoi! „ tu ótas la vie a Ofée, pour avoir touché 1'ar„ che. La main que Jéroboam avoit levée fur „ un Prophete, tu la defiechas; & il refte a „ l'hérétique des milliers de bras pour des for„ faits plus atroces? Tu détrönas, tu fis mourir s, Balthazar, pour avoir bu dans des vafes oü  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 325 I „ ton fang n'avoit pas été confacré; & tu épari!„ gnes l'hérétique; & il n'y a pas deux doigts ii „ & un pouce pour tracer fon arrêt de mort? „ Enfin, Seigneur, lorfque tes temples fei! „ ront dépouillés, tes autels détruits, ta religion ,1,, éteinte au Bréfil, & ton culte interrompu; ,i„ lorfque 1'herbe croïtra fur le parvis de tes „ Eglifes, le jour de Noël viendra fans que per„ fonne fe fouvienne du jour de ta naifiance. Le t, carême, la femaine-fainte viendront, fans que j „ les myfteres de ta paflion foient célébrés. Les i„ pierres de nos rues gémiront, comme elles 1 „ gémirent dans les rues folitaires de Jérufalem. IL Plus dePrêtres, plus de facrifices, plus de I »> Sacrements. L'héréfie s'emparera de la chaire J „ de vérité. La fauffè doctrine infeftera les en„ fants des Portugais. Un jour on demandera „ aux enfants de ceux qui m'entourent: Petits „ garfons, de quelle Religion êtes-vous? & „ ils répondront: nous fommes Calvinifles. Et „ vous, petites filles? & elles répondront: nous „ fommes Luthériennes. Alors tu t'attendriras, „ tu te repentiras: mais puifque le regret t'at„ tend, que ne le préviens-tu? „ Mais, dis.-moi, quelle gloire trouveras-tu „ a détruire une nation & a la faire fupplanter „ par une autre? C'eft un pouvoir que tu conL fias autrefois a un petit habitant d'Anatho. En „ nous punifiant, tu triomphes du foible; en X 3  32t> SUPPLÉMENTS „ nous pardonnanc, tu triomphes de toi. Soia „ miféricordieux pour ta propre gloire, pour „ 1'honneur de ton nom. Que ta colere ne foit „ ni de tous les jours, ni même d'un jour. Tu „ ne veux pas que le foleil fe couche fur notre „ refièntiment; & combien ne s'eft-il pas levé, „ combien ne s'eft - il pas couché fur le tien ? , Exiges-tu de nous une modération que tu n'as pas? Ne fais-tu que donner le précepte & non „ 1'exemple? „ Pardonne donc, Seigneur; fais cefTer nos „ malheurs. Vierge fainte, intercede pour nous» " Supplie ton fils; ordonne - lui. S'il eft cour„ roucé par nos offenfes, dis-lui qu'il nous les „ remette , ainfi qu'il nous eft enjoint par fa „ loi de les remettre a ceux qui nous ont of„ fenfés ". Je ne fais fi le Seigneur fut fenfible a 1'apoftrophe de 1'orateur Vieira : mais très-peu de temps après, les Hollandois virent interrompre leurs conquêtes par une révolution que toutes les nations defiroient, fans qu'aucune Feut prévue. Depuis que les Portugais avoient fubi, &c. Page 458, après ces mots, vif & avantageux, lifez : Un grand obftacle s'oppofoit a ces efpérances. Les terres appartenoient aux Portugais qui étoient reftés fous la domination de la république. Les uns n'avoient jamais eu des moyens fuffifants pour former de riches plantations, &  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. y-7 la fortune des autres avoit été détruite par les calamitésinféparables de la guerre. Cette impuiffancene fut pas plutöt connue en Europe, que les capitaliftes des Provinces - Unies s'empreflèrent de fournir les fonds néceflaires pour tous les travaux qu'il étoit poflible d'entreprendre. Aufli-tot, tout change de face, tout prend une nouvelle vie : mais des batiments trop fuperbes font élevés: mais une maladie contagieufe fait périr un nombre infini d'efclaves : mais on fe livre généralement a tous les excès du luxe. Ces fautes & ces revers mettent les débiteurs hors d'état de remplir leurs engagements. Afin de ne pas perdre tout crédit, ils fe permettent d'emprunter a trois, a quatre pour cent par mpisUne conduite fi folie les rend de plus en plus infolvables; & les prifons fe rempliflent de coupables ou de malheureux. Pour préferver d'une ruine totale ce bel établiflement, la compagnie eft réduite a fe charger des dettes: mais elle exige que les culdvateurs lui livreront le prix entief de leurs produélions, jufqu'a ce que toutes les créances foient acquittées. Avant cet arrangement, les agents du monopole avoient laifie écrouler les fortifications, ils avoient vendu les armes & les munitions de guerre , ils avoient permis le retour dans Ia métropole a tous les foldats qui le defiroient. Cette conduite avoic anéanti la force publique, & fait en- X4  328 SUMLÉ-MENTS trevoir aux Portugais qu'ils pourroient brifer un joug étranger. La ftipulation, qui les privoit de toutes les douceurs de la vie auxquelles ils étoient accoutumés, les détermina a précipiter la révolution. Les plus hardis s'unirent en 1645, &c. Page 461, après ces mots, 28 Janvier 1654, lifez: Combien les efprits font changés ! Tous ces événements ne font & ne nous paroiffent que les fuites de quelques caufes politiques, morales ou phyfiques; & 1'orateur Vieira n'eft a nos yeux qu'un enthoufiafte éloquent. Mais tranfportonsnous au temps des Hébreux, lorfqu'ils avoient des féminaires d'infpirés; des Grecs, lorfqu'on fe rendoit de tous les cótés a Delphes; des Romains, lorfqu'on n'ofoit tenter aucune grande entreprife, fans avoir confulté les entrailles des viétimes & les poulets facrés; de nos ancêtres, au temps des croifades. Voyons, a la place de Vieira, un prophete, une pithoniflè, un augure, un Bernard; & la révolution du Bréfil prendra tout-a-coup une couleur furnaturelle. Ce fera Dieu qui, touché de la fainte hardiefie d'un perfonnage extraordinaire, aura fufcité un vengeur a la nation opprimée. La paix que les Provinces-Unies, &c. Page 462, après ces mots, du gouvernement, lifez : Les Portugais ne fe virent pas plutót délivrés, par une convention folide, d'un ennemi  a; l'Hist. philosophique. 329 qui les avoit fi fouvent vaincus, fi fouvent humiliés, qu'ils s'occuperent du foin de donner de la ftabilité a leur poflèflion, & d'y multiplier les richeflès. Quelques-uns des arrangements qu'on fit pour avancer, pour aflurer Ia profpérité publique, portoient malheureufement 1'empreinte de 1'ignorance & du préjugé : mais ils étoient très-fupérieurs a tout ce qui s'étoit pratiqué jufqu'a cette époque mémorable. Tandis que la Cour de Lisbonne, &c. page 465- Page 467, après ces mots, depuis confervé, lifez : On pourroit être étonné que 1'Amérique n'ait enfanté aucun prodige dans la tête des Efpagnols , de ces peuples qui n'eurent jamais, a la vérité, ni la délicateffe du goüt, ni la fenfibilité, ni Ia grace, qui furent le partage des Grecs: mais que la nature dédommagea de ces dons par une fierté de caraétere, une élévation d'ame, une imagination aufli féconde & plus ardente qu'elle ne 1'avoit accordée a aucune autre nation. Les Grecs ne firent point un pas au-dedans, au-dehors de leur étroite contrée, fans rencontrer le merveilleux. Ils virent fur le Pinde Apollon entouré des neuf mufes. Ils entendirent les antres de Lemnos retentir des marteaux des Cyclopes. Ils attacherent Prométhée fur le Caucafe. Ils écraferent les géants fous le poids des montagnes. Si 1'Etna mugit & vomit des torrents de X5  SS© SUPPLÉMENTS flamme, c'eft Typhée qui fouleve fa poitrine. Leurs campagnes & leurs forêts furent peuplées de fatyres & de faunes; il n'y eut aucun de leurs poëtes qui n'eüt aflifté a leurs dan fes; & une nature toute nouvelle refte muette fous les regards de 1'Efpagnol. II n'eft frappé, ni de la fingularité des li tes, ni de la variété des plantes & des animaux, ni des mceurs fi pitorefques d'une race d'hommes inconnue jufqu'a lui. A quoi penfe-t-il donc? A tuer, a maflacrer, a piller. La recherche de 1'or, qui le tient courbé vers le pied des montagnes, réduit a la pofture & a la ftupidité de la brute. Dès Ie temps d'Hercule & de Théfée, le Grec avoit donné 1'exiftence aux Amazones. II embellit de cette fable 1'hiftoire de fes héros, fans en excepter celle d'Alexandre; & les Efpagnols infatués de ce rêve de 1'antiquité, le tranfporterent dans le Nouveau-Monde. On ne peut guere trouver d'origine plus vraifemblable a 1'opinion qu'ils établirent en Europe, &c. Page 469, après ces mots, par une feule femme, lifez : Que l'on confidere la foibleflè organique du fexe, fon état prefque toujours vaIétudinaire; fa pufillanimité naturelle; la dureté des travaux de 1'état focial, pendant la paix & pendant la guerre; 1'horreur du fang; Ia crainte des périls; & que l'on tache de concilier tous  A L'HIST. PHILOSOPHÏQUE. 331 ces obftacles avec la poflibilité d'une république de femmes. Si quelques préjugés bizarres ont pu, &c. Page 474, après ces mots, de 1'établiflèment, lifez: II eft impolïïble qu'un Leéteur qui réfléchit ne fe demande pas a lui-même, par quelle étrange manie, un individu qui jouit dans fa patrie de toutes les commodités de la vie, peut fe réfoudre a la fonclion pénible & malheureufe de miffionnaire; s'éloigner de fes concitoyens, de fes amis, de fes proches; traverfer les mers pour aller s'enfoncer dans les forêts; s'expofer aux horreurs de la plus extréme mifere; courir a chaque pas, le péril d'être dévoré des bêtes fé« roces, a chaque inftant celui d'être maftacré par des hommes barbares; s'établir au milieu d'eux; fe prêter a leurs mceurs; partager leur indigence & leurs fatigues; refter a la merci de leurs paffions ou de leurs caprices, auffi long-temps au moins qu'il le faut pour apprendre leur langue & s'en faire entendre ? Si c'eft par enthoufiafme de religion, quel plus terrible reflbrt peut-on imaginer que celuila? Si c'eft par refpeét pour un vceu d'obéifïance a des fupérieurs qui vous difent v a , & auxquels on ne fauroit fans parjure & fans apoftafie demander raifon de leurs ordres : que ne peuvent point, foit pour fervir, foit pour nuire, des mat» tres hypocrites ou ambitieux qui commaudent  332 SUPPLÉMENTS fi. defpociquement, & qui font fi aveuglémenc obéis? Si c'eft par un fentimenc profond de commifération pour une portion de ï'efpece humaine que l'on s'eft propofé d'arracher a 1'ignorance, a la ftupidité & a la mifere : je ne connois pas une verru plus héroïque. Quant a la conftance avec laquelle ces hommes rares perféverent dans une carrière aufli rebutante, j'aurois penfé qu'a force de vivre avec des fauvages, ils le devenoient eux-mêmes, & je me ferois trompé dans ma conjeéïure. C'eft de toutes les vanités humaines la plus louable qui les foutient. „ Mon ami, me difoit un vieux miffionnaire „ qui avoit vécu trente ans au milieu des fo„ rêts, qui étoit tombé dans un profond ennui „ depuis qu'il étoit rentré dans fon pays, &qui „ foupiroit fans cefie après fes chers fauvages : „ mon ami, vous ne favez pas ce que c'eft que d'être le Roi, prefque le Dieu d'une multi„ tude d'hommes qui vous doivent le peu de „ bonheur dont ils jouifient, & dont 1'occupa„ tion affidue eft de vous témoigner leur recon„ noifiance. Ils ont parcouru des forêts immen„ fes, ils reviennent tombant de laffitude & d'i„ nanition; ils n'ont tué qu'une piece de gi„ bier, & pour qui croyez-vous qu'ils fayent „ réfervée ? C'eft pour le Pere : car c'eft ainfi „ qu'ils nous appellent; & en eftet ce font nos „ enfants. Notre préfence fufpend leurs que-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 333 „ relles. Un Souverain ne dorc pas plus fftre„ ment au milieu de fes gardes que nous au milieu de nos fauvages. C'eft k cócé d'eux „ que je veux aller finir mes jours. „ Avec cet efprit, les Jéfuites avoient furmonté fur 1'Amazone des obftacles qui paroifioient invincibles. Leur miffion commencée en 1637, &c. Page 474, après ces mots, fur 1'Amazone, lifez: Elles étoient éloignées les unes des autres de deux, de cinq, de dix, de quinze, quelquefois de vingt journées. La plupart comptoient des individus d'un grand nombre de nations, tous opiniatrément attachés a leur idiöme , a leurs moeurs, a leurs coutumes, & qu'on n'accoutumoit jamais a fe regarder comme membres d'une même fociété. Les efforts qu'on faifoit pour donner de 1'extenfion a cet établifiement n'étoient point heureux, & ne pouvoient pas 1'être. Les femmes de cette partie, &c. Page 477, après ces mots, des fix bourgades, lifez : formées, a des diftances immenfes, par les Portugais fur le fleuve principal & fur les rivieres qui s'y jettent. Si les Maynas avoient la liberté, &c. Page 478, après pes mots, qu'il s'eft forgés, lifez : II faut défefpérer plus que jamais d'établir, dans ces contrées, quelque confiance entre les deux nations Européennes qui les parta-  534 SUPPLÉMENTS xii. Les Portugais veulent s'établir fur la riviere de la Plata. Leurs démêlés avec 1'Efpagne. Accomodement entre les deux Puiffances. gent. Depüis long-temps, on foupconnoit que 1'Amazone & 1'Orenoque communiquoient enfemble par la riviere Noire, oü la Cour de Lifbonne a plufieurs établifièments. La démonftration de ce phénomene fi contefté.fut acquife, en 1744, par quelques bateaux Portugais, qui, partis d'un fleuve, fe trouverent fur 1'autre. Voith une nouvelle fource de jaloufie que les deux minifteres auroient bien dü tarir, lorfqu'ils fe font occupés a terminer les différends qui avoient trop fouvent enfanglanté la riviere de la Plata;, Les Portugais, qui s'étoient montrés peü de temps après les Efpagnols fur ce grand fleuve, ne tarderent pas k 1'oublier. Cene fut qu'en 1553 qu'ils y reparurent, qu'ils remonterent jufqu'a la hauceur de Buenos-Aires, & qu'ils prirent poffeflion de fa rive feptentriohale. Cet aéte n'avoit eu aucune fuite, lorfque la Cour de Lisbonne ordonna, en 1680, la formation de la colonie du Saint -Sacrement, précifément a 1'extrémité du territoire qu'elle croyoit lui appartenir. La prétention parut mal fondée aux Efpagnols, qui détruifirent, fans beaucoup d'efiorts, ces murs tout-a-fait naifiants. De vives conteftations s'élevent aufli-tót entrë les deux Puiflances. L'Efpagne prouve que la nouvelle peuplade eft placée dans l'étendue que lui aflure la ligne de démarcation tracée par les Papes. Le Portugal ne nie pas cette vérité  A L'HIST. PHILOSOPHIQÜE. 335 aftronomique : mais il foutienc que eet ordre de chofes a été annullé par des arrangements poftérieurs, & d'une maniere plus particuliere par celui de 1668, qui a terminé les hoftilités & réglé le fort des deux nations. Après bien des débats, on arrête, en 1681, que les Porïugais feront remis en poffeffion du pofte qu*ils ont occupé : mais que fhabitant de Buenos-Aires jouira comme eux de tout le domaine en litige. La guerre qui divifa les deux couronnes au commencement du fiecle, rompit cette convention provifionnelle; & les Portugais furent encore chafTés, en 1705, du Saint-Sacrement, mais pour y être rétablis par la pacification d'Utrecht. Ce traité leur accorda même plus qu'ils n'avoient eu; puifqu'il leur afiura exclufivement le terri*toire de la colonie. Alors commenca, entre 1'établifiement Portu» gais du Saint-Sacrement & 1'établiflèment Efpagnol de Buenos-Aires, ün commerce interlope très-confidérable, auquel toutes les parties du Bréfil, toutes les parties du Pérou, quelques négociants même des deux métropeles prenoient plus ou moins de part. ' La Cour de Madrid ne tarda pas a s'apperce▼oir que fes tréfors du Nouveau-Monde étoient détournés. Pour les faire rentrer dans leurcanal, elle n'imagina pas de plus fur moyen que de ref-  336 SUPPLÉMENTS ferrer, le plus qu'il feroit poflible, 1'entrepot de tant de liaifons frauduleufes. Ses Miniftres foutinrent que les dépendances de la place Portugaife ne devoient pas s'étendre plus loin que la portie du canon ; & ils firent occuper par des troupeaux & des bergeries, par les bourgades de Maldonado & de Monte-video, par tous les moyens connus, la cóte feptentrionale de la Plata, depuis 1'embouchure de ce grand fleuve jufqu'a 1'établiflement qui leur caufoit de fi vives inquiétudes. Ces entreprifes imprévues ranimerent d'éternelles animofités, que les liaifons de commerce avoient un peu fufpendues. Ces peuples limitrophes fe firent une guerre fourde. On fe croyoit alaveille d'une rupture ouverte, lorfqu'une convention , de 1750, parut devoir terminer les différends des deux Monarchies. Le Portugal yéchangeoit la colonie du Saint-Sacrement & fon territoire, contre fept des miflions, anciennement formées fur le bord oriental de 1'Uruguay. Ils'agiflbitde procurer 1'exécution dece traité en Amérique , & la chofe n'étoit pas aifée. Les Jéfuites,qui, dès leur naiflance, s'étoient ouvert une route fecrete a la domination, pouvoient contrarier ledémembrement d'un Empire, fondé par leurs travaux. Indépendamment de ce grand intérêt, ils devoient fe croire chargés de la félicité d'un peuple docile, qui, en fe jettant dans leur  A L'HlST. PHILOSOPHIQUE. 337 leur fein, s'étoit repofé fur eux du foin de fa deftinée. D'ailleurs^ les Guaranis n'avoient pas été fubjugués. En fe foumettant a 1'Efpagne, avoient-ils donné a* cette couronne le droit de les aliéner? Sans avoir médité fur les droits imprefcriptibles des nations, ils pouvoient penfer que c'étoit a eux feuls de décider de ce qui convenoit a leur bonheur. L'horreur qu'on leur confioiflbit pour le joug Portugais étoit également capable d'égareröc d'éclairerleur fimplicité. Une fituation fi critique exigeoit les plus grandes pré* cautions. On les prit. Les forces que les deux Puifiances avoient fait partir d'Europe, & celles qu'on put raflemblerdans le Nouveau-Monde, fe réunirent pour prévenir ou pour furmonter les obftacles qu'on envifageoit. Cet appareil n'en impofa pas a ceux qu'il menacoit. Quoique les fept peuplades cédées ne fufient pas fecourues par les autres peuplades , ou ne le fufient pas ouvertement; quoiqu'eües ne viflènt plus a leurtête lesguides qui jufqu'alors les avoient menés au combat, ils ne craignirent pas de prendre les armes pour la défenfe de leur liberté. Mais leur conduite militaire ne fut pas ce qu'elle devoit être. Au-lieu de fe bomer a fatiguer 1'ennemi & a lui couper les fubfiftances qu'il étoit obligé de tirer de deux cents lieues, les Guaranis oferent 1'attendre en rafe campagne. Ils perdirent une bataille qui leur Suppl. Tome II. Y  338 SUPPLÉMENTS coüta deux mille hommes. Ce grand échec déconcerta leurs mefures. Leur courage paruc mollir, & ils abahdonnerent leur territoire au vainqueur, fans faire les efforcs qu'annoncoient leurs premières réfolutions, & que peut-être comportoient leurs forces. Après cet événement, les Efpagnols voulurent entrer en poffeflion de la colonie du SaintSacrement. On refufa de la leur remettre, par la raifon que les habitants de 1'Uruguay n'étoient que difperfés, & que jufqu'a ce que le Miniftere de Madrid les eüt fixés dans quelqu'un de fes domaines , ils feroient toujours difpofés a recouvrer un territoire qu'ils avoient quitté a regret. Ces difficultés, bonnes ou mauvaifes, empêcherentque 1'accordne füt terminé. Les deux Cours 1'anéantirent même en 1761, & tout reromba dans la première confufion. Depuis, ces déferts ont été enfanglantés prefque fans interruption, tantöt par des hoftilités fimplement tolérées, & tantöt par des guerres publiques. Privé du fecours de 1'Angleterre, le Portugal s'eft vu enfin forcé de recevoir la loi. Les traités du premier Oftobre 1777 & du 11 Mars 1778, font dépouillé fans retour, de la colonie du Saint-Sacrement: mais ils luiontreftitué le territoire de la riviere de Saint-Pierre, qui lui avoit été enlevé, fous le prétexte, ü fouvent allégué, de la ligne de démarc?.tion.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 339 Pendant que des hommes inquiets & entreprenants défoloient la Plata & 1'Amazone, des citoyens paifibles & laborieux multiplioient, fur les cótes du Bréfil, des produélions importantes, qu'ils livroient a leur métropole , qui, de fon cóté, fournifibit a tous leurs befoins. Ces échanges fe faifoient par la voie d'une flotte qui partoit tous les ans de Lisbonne & de Porto, dans le mois de Mars. Les batiments qui laformoienc, feféparoiencaunecertainehauteur, pour aller a leur deftination refpeétive : mais ils fe réunifibient tousa Bahia, pour regagner les radesde Portugal, dans les mois de Septembre ou d'Oétobre de 1'année fuivante, fous 1'efcorte des vaifleaux de guerre qui les avoient convoyés a leur déparr. Un ordre de chofes, fi oppofé aux maximes généralement recues, bleflbit les bons fpéculateurs. Ils auroient voulu qu'on eüt laifle aux négociants la liberté de faire partir, de faire revenir leurs navires, dans la faifon qu'ils auroient jugé la plus convenable a leurs intéréts. Ce fyftême auroit fait baiffer le prix du fret, multiplié les expéditions, accru les forces maritimes, encouragé toutes les cultures. Les liaifons, entre la métropole & la colonie, devenues plus vives, auroient répandu des lumieres, & donnéau Gouvernement plus de facilité pour diriger 1'irtfluence de fa proceétion & de fon autorité. Y s XÏIt. Le Portugal avoit fondé fes liaifons avec le Bréfil fur une raauvaife bafe. On luï fubftitua le monopole „ plusdeftruc teur encore.  340 SUPPLÉMENTS La Cour de Lisbonne montra plus d'une fois du penchant k céder k ces confidéracions. Elle fut retenue par la crainte de voir tomber dans les mains de 1'ennemi des vaifleaux qui auroient navigué féparément; par 1'habicude, qui prend plus d'empire encore fur les Gouvernemenrs que furies citoyens; par les infinuations de quelques hommespuiflants, dont la révolution auroitcontrarié les intéréts; 'par cent préjugés, tous hors d'état de foutenir la difcuffion la moins févere. C'efl: fur cette mauvaife bafe que portoient les rapports des poffèflions Portugaifes de Panden & du Nouveau-Monde, lorfque la découverte des mines d'or & de diamants fixa fur le Bréfil, dès le commencement du fiecle, lesyeux de toutes les nations. On penfa généralement que ces richefies , ajoutées k celles d'un autre genre que donnoit la colonie, en feroient un des plus beaux établiflements du globe. L'Europe n'étoit pas encore entiérement détrompée, lorfqu'elle apprit avec furprife que la plus importante partie de cette région venoit d'être mife fous le joug du monopole. Le Portugal avoit fait, fans le fecours d'aucune compagnie, des découvertes immenfes en Afrique & dans les deux Indes. Ce fut Pouvrage de quelques aflbciations que formoient paflagérement entre eux les Rois, les nobles, lesnégociants, & qui expédioient des flottes plus ou  A-L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 341 moins confidérables pour ces trois parties du monde. On ne fe feroit pas attendu qu'un peuple qui, dans des temps de barbarie, avoit faifi les avantages ineftimablesde la concurrence, finiroit par adopter, dans un fiecle de lumiere, un fyftême deftruéteur, qui, rafiembljtnt dans une petite partie du corps politique tous les princi-. pes du mouvement & de la vie, ne flaifle dans tout le refte que 1'inertie & la morr! Ce plan fut concu au milieu des ruines de Lisbonne, quand la cerre repouflant, pour ainfi dire, fes habitants d'un fein déchiré, ne leur Iaiflbit d'afyle & de falut que fur la mer ou dans ie Nouveau-Monde. Les terribles fecouflès qui avoient renverfé cette fuperbe capitale, fe renouvelloient encore; les feux qui 1'avoient réduite en cendres étoient a peine éteints, lorfqu'on vit établir une compagnie exclufive pour vendre a 1'étranger, au Bréfil, & même en détail, dans une circonférence de trois lieues, les vins fi connus fous lenom de Porto, quiforment laboifion de beaucoup de colonies d'une partie duNord, & fur-tout de 1'Angleterre. Cette fociété a un fonds de 3,000,000 liv. divifé en deux cents actions de 2,500 liv. chacune. ËUe prête aux propriétaires des vignes jufqu'a la moitié du prix de la vendange qu'ils font autorifés a faire, & qu'ils ne peuvent jamais excéder,' quelque favorable que foit 1'année. On leur paye le meilleur vin Y 3  S42 SUPPLÉMENT S a raifon de 156 livres 5 fols le tonneau; mais ils ne regoivent que 125 liv. pour ceux d'une qualité inférieure. Quelque grande que fok la difette, quelque confidérable que foit le débic, le cultivateur ne peut efpérer qu'une augmentation de 31 livres $ fols par tonneau; & le tonneau eft de deux cents vingts pots. Porto, devenue par fa population, par fes richefïès & par fon aétivité, la première ville du Royaume, depuis que Lisbonne avoit comme difparu, Porto crut, avec raifon, fon commerce anéanti par cette funefte aliénation des droits de la nation entiere en faveur d'une alfociation. La Province entre Duro & Minho, la plus fertile de 1'Etat, ne fonda plus d'efpérance fur fa culture. Le défelpoir porta les peuples a la fédition, & la fédition rendit cruel le Gouvernement. Douze cents citoyens furent livrés au bourreau, condamnés aux travaux publics, relégués dans lesfortsd'Afrique, ou réduits a la mendicité par des confifcations odieufes. Le 6 Juin 1755 fut formée, pour le grand Para & pour le Maragnan, une compagnie exclufivequi eut un capital de 3,000,000 liv., di- > vifé en douze cents aftions. Quatre ans après, la Province de Fernambuc fut mife fous un joug pareil, avec cette différence, que cet autre mofi nopole eutun fonds de 3,500,000 livres, qu'on partagea en trois mille quatre cents parties. Les  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 343 deux fociétés furent autorifées h gagner fur les comeftibles quinze pour cent, tous fraix faits, & a vendre leurs marchandifes quarance-cinq pour cent de plus qu'elles n'auroient coüxé a Lisbonne même. On leur lahïoic la liberté de payer auffi peu qu'elles le voudroient les denrées des régions foumifes a leur tyrannie* Des fiveurs fi extraordinaires devoient durer vingt ais, & pouvoient être renouvellées, au grand detriment de la colonie. Le r>éfil efl; acluellement divifé en neuf Provinces, toutes conduites par un Commandant pirticulier. Quoique ces différents chefs foient teius de fe conformer aux réglements généraux qie le Vice-Roi juge a propos de faire, ils font comme indépendants de fon autorité, paree qu'ils rejoivent dircétementleurs ordres de Lisbonne, & qu'eux-mêmes y rendent compte des affaires de leur département. On ne les nomme que pour trois ans: mais leur miffion a communément plus de durée. La loi leur défend de fe marier dans la contrée foumife a leur jurifdicu'on, de s'intéreflèr dans aucune branche de commerce, d'accepter le moindre préfent, de recevoir des émoluments pour les fonétions de leur charge; & cette loi eft afièz rigoureufement obfervée depuis quelques années. Auffi rien n'eft-il plus rare aujourd'hui. qu'une fortune faite ou même commencée dans ces poftes du Nouveau-Monde* Y4 XIV. Gouvernement civil , militaire & religieux ïtabli dans le Bréfil.  S44 SUPPLÉMENTS Celui qui les quitte volontairement doit, comme celui qui eft révoqué, compte de fa conduite a des CommifTaires choifis par la métropole; & les citoyens de tous les ordres font indiftinétement admis a former des accufations contre lui. S'il meurt dans fa place, 1'Evêque, 1'Officier militaire le plus avancé, & le prémier Magiftrat prennent conjointement les rênes du gouvernement jufqu'a 1'arrivée de fon fucceflèur. La jurifprudence du Bréfil eft abfolument la même que celle de Portugal, Chaque diltriét a fon juge, dont on peut appeller aux tribunaox fupérieurs de Bahia & de Rio-Janeiro, a ceux même de Lisbonne, s'il s'agit de grands intérês. U n'y a que le grand Para & le Maragnan qui ne foient foumis a aucune des deux jurifdiétions, & dont les procés foient portés en feconde inftance a la métropole, Une route un peu différente eft fuivie dans les caufes criminelles. Le juge de chaque canton punit fans appel les fautes légeres. Les forfaits relTortiffent du Gouverneur , aidé de quelques aflelfeurs que la loi lui nomme, Un tribunal particulier doit, dans chaque Province, recueilür les fucceffions qui tombent a des héritiers fixés au-dela des mers, II retienc cinq pour cent pour fes honoraires, & fait paffer le refte en Portugal dans un dépot formé ppur le recevoir, Le vice de cette inftitution,  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 345 d'ailleurs judicieufe, c'eft que les créanciers du Bréfil ne peuvent être payés qu'en Europe, Le Commandant & quatre Magiftrats admitiftrent les finances de chaque Province. Le réfultat de leurs opérations pafte tous les ans au tréfor-royal de la métropole, & y eft difcuté trèsfévérement. II n'y a point de ville, ni même de bourg un peu confidérable qui n'ait une afièmblée municipale. Elle doit veiller aux petits intéréts qui lui font confiés, & régler, fous 1'infpeétion du Commandant, les légeres taxes dont elle a befoin. On lui a accordé plufieurs privileges, celui en particulier de pouvoir atraquer au pied du tröne le chef de la colonie. Le militaire eft réglé au Bréfil fur le même pied qu'en Portugal & dans le refte de 1'Europe. Les troupes font a la difpofition de chaque Gouverneur, qui nomme a toutes les places vacantes, jufqu'a celle de Capitaine exclufivement. II a la même autorité fur les milices, compofées de tous les citoyens qui ne font pas fidalgos, c'eft-a-dire de la haute noblefle, ou qui n'exercent pas des fonctions publiques. Hors les cas d'un befoin extréme, ces corps, qui doivent tous avoir un uniforme & le payer eux-mêmes, ne font pas aflèmblés dans 1'intérieur des terres: mais a Fernambuc , a Bahia , a Rio-Janeiro, on les exerce un mois chaque année, & c'eft alors  346 SUPPLÉMENTS le fifc qui les nourrit. Les negres & les mufêtres ont des drapeaux parciculiers, & les Indiens combattent avec les blancs. Au temps oü nous écrivons, la colonie compte quinze mille huit cents quatre-vingt-dix-neuf hommes de troupes réglées, & vingt-un mille huit cents cinquante hommes de milice. Quoique le Roi, comme Grand-Maïtre de 1'Ordre de Chrift, jouifle feul au Bréfil des dixmes eccléfiaftiques; quoique le produit de la croifade foit tout entier verfé dans fes coffres, on a vu fe former fucceffivement, dans cette vafte partie du Nouveau Monde, fix Evêchés qui reconnoiflènt pour leur métropole 1'Archévêché deBahia, fondé en 1552. Les heureux Prélats, prefque tous Européens, qui remplifient ces fieges honorables, vivent très-commodément avec les émoluments attachés aux fonftions de leur miniftere, & avec une penfion, depuis douze mille cinq cents jufqu'a trente mille livres que le fifc leur donne. Parmi les Pafteurs fubalternes, il n'y a que les Miflionnaires fixés dans les bourgades Indiennes qui foient payés par le Gouvernement: mais les autres trouvent des refiburces fuffifantes dans les peuples fuperftitieux qu'ils font chargés d'inf' truire & de confoler. Outre un tribut annuel que chaque familie doita fon Curé, il lui faut quarante fols pour chaque naiflance, pour chaque  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 347 mariage, pour chaque enterrement. La loi, qui réduit cette contributionalamoitiépour lespauVres & a rien pour les indigents, eft raremenc refpeétée. L'avidité des Prêcres s'eft même portee jufqu'a doubler ce honteux falaire dans la région des mines. On tolere quelques afyles pour des vieilles filles a Bahia & a Rio-Janeiro : mais jamais il ne fut permis, dans le Bréfil, de fonder aucun couvent pour des religieufes. Les Moines ont trouvé plus de facilités. Ilexifte vingt-deux maifons de différents ordres, dont les deux plus riches font occupées par des Bénédiclins, aufli libertins qu'oififs. Aucun de ces funeftes établiflèments n'eft placé dans le pays de Por. Les Jéfuites avoient profité de 1'influence qu'ils avoient dans le Gouvernement, pour fe fouftraire a Ia loi qui en interdifoit le féjour a tous les réguliers. Depuis leur expulfion, aucun inftitut ne s'eft trouvé aflèz puifiant pour arracher une faveur fi fignalée. Sans avoir propremenc Pinquifition, le Bréfil n'eft pas a Pabri des attentats de cette invention féroce. Les Eccléfiaftiqucs de la colonie que ce tribunal choifit pour fes agents, fe nourriflènt tous de fes maximes fanguinaires. Leur fanatifme s'eft quelquefois porté a des excès incroyables. L'accufation de judaïfme eft celle qui provoque le plus fouvent leur impitoyable févérité.  348 SUPPLÉMENTS Les fureurs en ce genre furent pouflëes fi loin, depuis 1702 jufqu'en 1718, que tous les efprits fe remplirenc de terreur, que la plupart des cultures reflerent négligées. Dans le Bréfil, il n'y a point d'ordonnance particuliere pour les efclaves, & ils devroient être jugés par la loi commune. Comme leur maitre eft obligé de les nourrir, & que 1'ufage s'eft aftèz généralement établi de leur abandonner un petit terrein qu'ils peuvent cultiver, a leur profit, les fêtes & les dimanches , ceux d'entre eux qui font fages & laborieux', fe trouvent en état, un peu plutöt, un peu plus tard, d'acheter leur liberté. Rarement leur eft-elle refufée. Ils peuvent même 1'exiger, au prix fixé par les réglements, lorfqu'on les opprime. C'eft vraifemblablement pour cette raifon, que, malgré de grandes facilités pour 1'évafion, il n'y a guere de negres fugitifsdans ce vafte continent. Le peu qu'on en voit, dans le pays des mines feulement, s'occupent au loin & paifiblement du foin de faire naitre les produ&ions néceflaires a leur fubfiftance. Ceux des noirs qui ont brifé leurs chaines, jouiflènt du droit de cité comme les mutèrres : mais les uns & les autres font exclus du facerdoce & des charges municipales. Au fervice même , ils ne peuvent être Officiers que dans leurs propres bataillons. Rarement, les blancs donnent-  A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 349 ils leur nom aux femmes de cette couleur. La plupart fe contentent de former avec elles des liaifons illégales. Ce commerce, que les moeurs autorifent, ne differe guere du mariage dans une région oü tout homme difpofe de fa fortune au gré de fes caprices & de fes paflions. L'état des Indiens n'a pas été toujours le même. Dans 1'origine, on fe faififToit d'eux; on les vendoit dans les marchés, on les faifoit travailler comme efclaves dans les plantations. Sébaftien défendit, en 1570, de mettre dans les fers d'autres Bréfiliens que ceux qui auroient été faits prifonniers dans une guerre jufte : mais cette loi n'eut aucune fuite, paree que les Portugais auroient cru s'avilir en remuant les terres, & qu'on n'avoit encore demandé que très-peu de cultivateurs a 1'Afrique. L'édit de Philippe II, qui, en 1595, confirma les difpofitions de Sébaftien, qui même réduifoit a dix ans la fervitude de ceux que ce Prince avoit permis de retenir toujours dans les chaines, ne fut pas mieux exécuté. Deux réglements de 1605 & de 1609 déclarerent de nouveau les Indiens, tous les Indiens fans exception, parfaitement libres. Philippe III, inftruit qu'on fe jouoit de fes ordres, porta, en 1611, une troifieme loi qui décernoit des peines graves contre les infraéteurs. Mais, Èt cette époque, la colonie étoit encore fous un gou- xv. Quel a été quel eft au Bréfil le fort des Indiens foumis au Portugal.  35o SUPPLÉMENTS vernement municipal, la plupart de fes adrainif- ( trateurs étoient nés en Amérique même; de forte < que les nouvelles difpoficions ne furent guere plus refpeclées que ne 1'avoient été les anciennes, j i Cependant les miffionnaires s'élevoient tous : i les jours avec plus de force contre la tyrannie qui opprimoit leurs néophites. La nouvelle Cour < de Lisbonne céda, en 1647,a leurs preflantes. ! follicitations, & renouvella très-formellement la défenfe de retenir aucun Bréfilien dans la fervi- i tude. L'efpric d'indépendance qui fe manifefta i d'une extrémité de la colonie a 1'autre, fit fen- ■ 1 tir a une domination mal affermie qu'il ne lui I étoit pas permis de vouloir tout ce qui étoit jufte ; i & elle modifia fes ordres huit ans après, en permettant Pefclavage des individus nés d'une mere s négrefle & d'un pere Indien. Alors, les Hollandois venoient d'être chafiës de cette partie du Nouveau-Monde. Les liaifons avec les cótes d'Afrique, qui avoient été interrompues par les guerres fanglantes qu'il avoit fallu foutenir contre ces républicains, reprirent leur cours. Les negres fe multiplierent dans le Bréfil. Leur fervice dégoüta des naturels du pays, plus foibles & moins laborieux. On ne remplaga pas ceux qui périflbient, & ce genre de fervitude tomba peu-a-peu par-tout, excepté a SaintPaul, au Maragnan & fur 1'Amazone, oü l'on n'avoit pas encore établi de riches cultures, 6c  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 351 oü les Portugais n'étoient pas en état d'acheter des efclaves. Les loix portées en 1680, 1713 & 1741, pour extirper ce refte de barbarie, furent impuiftantes. Ce ne fut qu'en 1755 que tous les Bréfiliens furent réellement libres. Le Gouvernement les déclara citoyens, a cette époque. Ils durent jouir de ce titre de la même maniere que les conquérants. La même carrière fut ouverte a leurs talents, & ils purent afpirer aux mêmes honneurs. Un événement fi propre a attendrir les coeurs fenfibles fut a peine remarqué. Ön s'occupe de plaifir, de fortune, de guerre, de politique. Une révolution favorable & Phumanité échappe prefque généralement, même au milieu du dix-huitieme fiecle, de ce fiecle de lumieres , de philofophie. On parle du bonheur des nations. On ne le voit pas, on ne le fent pas. On fronde avec amertume les faufïès opérations du Gouvernement; & iorfqu'il lui arrivé, par hafard, d'en faire une bonne, on garde le filence. Peuples, dites-moi, eft-ce donc- la la reconnoifiance que vous devez a ceux qui s'occupent de votre bonheur? Cette efpece d'ingratitude eft-elle bien propre a les attacher a leurs pénibles devoirs? Eft-ce ainfi que vous les engagerez a les rempür avec diftinétion ? Si vous vou'ez qu'ils foient attentifs au murmure de vosre mécontentemenc lorfqu'ils vous vexent; que  352 SUPPLÉiMENTS les cris de votre joie frappent leurs oreilles avec* éclatT lorfque vous en êtes foulagés. A-t-on allégé le fardeau de Pimpót, illuminez vos maifons , fortez en tumulte; rempliffez vos temples & vos rues; allumez des bfichers; chantez Se danfez a fentour ; prononcez avec allégrelTe, béniffez le nom de vot-re bienfaiteur. Quel efl: celui d'entre les adminiftrateurs de 1'Empire qui ne foit flatté de cet hommage? Quel eft celui qui fe réfoudra, foit a fortir de place, foit a mourir, fans 1'avoirrecu? Quel eft celui qui ne defirera pas d'augmenter le nombre de ces efpeces de triomphes? Quel eft celui dont les petits-fils n'entendront pas dire avec un noble orgueil : Son aïeul fit allumer quatre fois, cinq fois les feux pendant la durée de fon adminiftration? Quel eft celui qui n'ambicionnera pas de laiflèr a fes defcendants cette forte d'illuftration? Quel eft celui fur le marbre funéraire du= quel on oferoit annoncer le pofte qu'il occupa pendant fa vie, fans faire mention des fêtes publiques que vous célébrates en fon honneur? Cette réticence transformeroit 1'infcription en une fatyre. Peuples, vous êtes également vils, & dans la mifere, & dans la félicité : vous ne favez ni vous plaindre, ni vous réjouir. Quelques efprits plus attentifs aux fcenes intéreflantes qu'offre de loin en loin le globe, augurerent bien du nouveau fyftêrae. Ils fe flatterent que les  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 353 les Indiens s'attacheroienc a la culture', & en multiplieroient les productions : que leur travail les mettroit en état de fe procurer des commodités fans nombre donc ils n'avoient pas joui : que le fpeétacle de leur bonheur dégoüteroic les fauvages de leurs forêts, & les fixeroit h un genre de vie plus paifible : qu'une confiance entiere s'établiroit infenfiblement entre les Américains, les Européens; & qu'avec le temps ils ne formeroient qu'un peuple : que la Cour de Lisbonne auroit la fageflè de ne pas troubler par des partialités une harmonie fi intéreflanre , & qu'elle 1 chercheroic, par tous les moyens pofiibles, a faire oublier les maux qu'elle avoit faits au nouvel hé- ! mifphere. Mais combien les réalités fonc éloignées de ces douces efpérances ! Dans les Provinces de Fernambuc, de Bahia, de Rio-Janeiro , de MinasGeraes, les Bréfïliens fonc reftés mêlés avec les Portugais, avec les negres, & n'ont pas changé de caraétere, paree qu'on n'a pas travaillé a les éclairer ; paree qu'on n'a rien tenté pour vaincre leur parefiè naturelle, paree qu'on ne leur a pas diftribué des terres, paree qu'on ne leur a pas fait les avances qui auroient pu exciter leur émulation. A Para , a Maragnan, a Matto - Grofib , a Goyas & a Sainc-Paul, les Indiens ont été réunis dans cent dix-fept bourgades. Chacune efl: Suppl. Tome II. Z  I XVI. Etat du Gouvernement de Para. 554 SUPPLEMENTS préfidée par un blanc. C'eft lui qui regie les accupations, qui dirige les cultures, qui vend & ichete pour la communauté, qui punk & qui récompenfe. C'eft lui qui livre aux agents du fifc le dixieme des produétions territoriales. C'eft lui qui nomme ceux d'entre eux qui doivent aller remplir les corvées dont on les accable. Un chef revêtu d'une grande autorité furveille les opérations des prépofés fubalternes répandus dans les diflerentes peuplades. Ces combinaifons ont partagé les efprits. Un écrivain, qui n'eft jamais forti de 1'Europe, feroit regardé comme bien hardi, s'il ofoit prononcer entre deux partis, qu'une expérience de trois fiecles n'a pu réunir : mais qu'il me foit permis au moins de dire qu'un des hommes les plus éclairés qui ayent jamais vécu dans le Bréfil, m'a répété cent fois que les Indiens qu'on laifle maitres de leurs aclions dans la colonie Portugaife, font fort fupérieurs en intelligence & en induftrie a ceux qui font tenus dans une tutelle perpétuelle. Le gouvernement de Para eft le plus feptentrional de tous. II comprend la partie de la Guiane qui appartient au Portugal; le cours de 1'Amazone, depuis le confluent de la Madeire & du Mamoré; & a 1'Eft tout 1'efpace qui s'étend jufqu'a la riviere des Tocantins. C'eft la contrée la plus ftérile & la moins faine de ces régions.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 355 Dans la Guiane, on ne peut demander des produétions qu'a la riviere Noire, donc les bords élevés feroient très-propres a coutes les denrées qui enrichifTent lesmeilleures colonies de 1'Amérique. Mais le pays n'eft habité que par des Indiens que la pêche de la tortue occupe prefqu'uniquement, & qu'on n'a pu encore déterminer qu'a la coupe de quelques bois de marquecerie, Cetce riviere regoit celle de Cayari, oü l'on découvric, en 1749, une mine d'argent que des raifons de politique ont, fans doute, empêché d'exploiter. Du cöcé du Nord, les rives de 1'Amazone fonc prefque généralemenc noyées. Le peu de terrein fee qu'on y renconcre, eft continuellement dévoré par des infeétes de toutes les efpeces. Quoique Ie Sud de 1'Amazone foit marécageux par intervalles, Ie fol y eft communémenc plus folide & moins infefté de reptiles. Les grandes & nombreufes rivieres qui s'y jettent, ofFrent de meilleures reffources encore pour les cultures, fans qu'il s'y en foit établi aucune. Les navigateurs Portugais n'étoient pas entrés dans 1'Amazone avant 1535. Ayres d'Acunha & ceux qui le fuivirent y firent prefque tous naufrage. Ce ne fut qu'en 1615 que Francois Caldeira jetta fur fes rives les fondements d'une ville, qui regut le nom de Belem. Le Gouverntmens Z 2  356 SUPPLÉMËNTS donna, en 1663, a Bento Maciel Parente le territoire de Macapa, & plus tard, Pifle de Joannes a Macedo : mais ces deux conceftions furent depuis réunies a la Couronne, la première parl'extinétionde la familie qui 1'avoic obtenue, & la feconde par des échanges. Pendant long-temps, les Portugais fe bornerent a faire des courfes plus ou moins prodigieufes, pour enlever quelques Bréfïliens. C'étoient des fauvages inquiets & hardis qui cherchoient k alTervir d'autres fauvages moins forts & moins courageux. Ces fatigues meurtrieres, ces cruautés inutiles duroient depuis un fiecle, lorfque des miflionnaires entreprirent de civilifer les Indiens errants. Ils en ont réuni un afièz grand nombre dans foixante-dix-huit bourgades, mais fans pouvoir les fixer entiérement. Après quatre ou cinq mois d'une vie oifive & fédentaire, ces hommes, entrainés par leurs anciennes habitudes, quittent leurdemeure & leur familie,pour aller cueillir dans les forêts des produ&ions d'une nature brute, qu'avec très-peu de travail ils pourroient obtenir prés de leurs foyers, ou remplacer par des produétions meilleures. Ce que ces courfes deftruétives & renouvellées chaque année donnent de cacao fauvage, de vanille, d'écaille de tortue, de crab, de falfe-pareille, d'huile de coupau, de laine végétale, eft porté a Belem, chef-lieu du gouvernement.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 357 Cette ville, Mtie a vingt lieues de POcéan, & fur un terrein qui s eleve treize pieds au-deflus du niveau de la mer, ne fut long-temps que 1'entrepöt des fauvages richeffes qu'on y portoit de 1'intérieur des terres. Des noirs qu'elle s'eft enfin procurés ont fait croitre a fon voifinage un peu de coton qui eft fabriqué dans le pays même, quelques cannes a fucre dont le mauvais produit eft converti en eau-de- vie : ils ont cultivé pour 1'exportation, du café, du riz & du cacao. La vente des troupeaux qui paiflbient dans 1'ifle de Marajo fut long-temps une de fes reflburces. A peine y refte-t-il maintenanc aflez de boeufs pour fa propre confommation. Avant 1755, cet établiflèment voyoit arriver tous les ans de la métropole treize a quatorze navires. Depuis qu'un miniftere trompé ou corrompu 1'a affervi au monopole, il ne recoit plus que quatre ou cinq batiments. La valeur de ce qu'ils exportent s'éleve rarement au-deflus de 600,000 livres. Ce foible produit n'eft que peu grofli par les bois de conftruétion que le Gouvernement fait acheter & emporter par fes vaiffeaux. La population de la colonie eft de quatre mille cent vingt-huit blancs, de neuf mille neuf cents dix-neuf noirs efclaves ou mulatres libres , & de trente-quatre mille huit cents quarante-quatre Indiens. Z 3  XVII. Etat du gou vernement de iWaragnan. 358 SUPPLÉMENTS Cette contrée, qui, en 1778, a été débarraffée des entraves inféparables d'un privilege exclufif, mettra, fans doute, a profit fa libertó. Le port de Belem, appellé Para, nom qu'on donne auffi quelquefois a la ville, n'oppofe pas au fuccès d'aufli grands obftacles qu'on le croit communément. L'approche en efl, a la vérité, difficile. Des courants, en fens contraires, occafionnés par une multitude de petites ifles, rendenr, la marche des batiments incertaine & lente: mais arrivés a la rade, ils mouillent dans un fond de vafe, fur quatre, cinq & fix brafles d'eau. Cependant le canal qui y conduit diminue tous les jours de profondeur. Dans peu, il ne fera plus praticable, fi, comme il faut le croire, les eaux continuenc a y dépofer autant de terre qu'ils y en ont entrainée depuis un fiecle. Le Maragnan efl féparé au Nord, du Para, ' par la riviere des Tocantins; au Sud, du Goyaz, par la Cordeliere appellée Guacuragua; au Levant , du Fernambuc par les montagnes Ypiapaba. Cette Province vit pour la première fois les Portugais en 1535, & ce fut une tempête qui les y jetta : mais il ne s'y établirent qu'en 1596» Les Francois s'en emparerent en 1612 , pour en être chafiës trois ans après. Elle refia fous le joug Hollandois depuis 1641 jufqu'en 1644. A cette époque, les premiers ufurpateurs rentrerent dans leur poflèffion pour ne la plui perdre,  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 359 Le foin de ramafler fur les cótes de 1'ambre gris, qui amufoit les fauvages, occupa les premiers Européens. Cette foible refiburce ne tarda pasamanquer; & elle ne fut pas remplacée comme elle devoit 1 etre. L'établifTement a langui long-temps; & l'on ne s'eft appercu que tard que le coton qui croiflbit fur ce territoire étoit le meilleur du Nouveau-Monde. Cette culture fait tous les jours des progrès; & depuis quelques années, on lui aaüocié celle du riz, quoiqu'il foit inférieur au riz du Levant, a celui même de 1'Amérique Septentrionale. Le climat s'eft abfolument refufé aux tentatives qu'on a faites pour y naturalifer la foie : mais le projet d'enrichir fon territoire de 1'indigo paroït devoir être heureux. Déja l'on y recueille le plus beau rocou du Bréfil. Le lieu le plus anciennement peuplé de fa colonie eft 1'ifle de Saint-Louis, longue de fept lieues, large de quatre, & féparée de la terreferme par une très-petite riviere feulemenr. On y voit une ville du même nom oü fe font toutes les opérations du commerce , quoique la rade en foit mauvaife. II y a quelques cultures; mais les plus confidérables font dans Ie continent, fur les rivieres d'Ytapicorié, de Mony, d'Iquara, de Pindaré & de Meary. Sur les derrières de la Province & dans le même Gouvernement, eft le pays de Pauchy, oü Z 4  36o SUPPLÉMËNTS les Pauliftes pénétrerent les premiers en 1571. Ce ne fut pas fans de grandes difficultés qu'il fut fubjugué, & il ne 1'eft pas encore entiérement du cöté de 1'Eft. C'eft un terrein inégal & fablonneux, quoiqu'exceflivement élevé. Des peuples pafteurs 1'habitent. Sur ce fol, couvert de falpêtre, ils élevent un grand nombre de chevaux & de bêtes a cornes qui trouvent un débic aflez avantageux dans les contrées limitrophes: mais le mouton y dégénéré, comme dans Ie refte du Bréfil, excepté dans le Coritibe. Malheureufement des fécherefies trop ordinaires & des chaleurs excefiives font fouvent périr les troupeaux entiers, lorfqu'on n'a pas 1'attention de les coriduire a temps dans des paturages éloignés. Les mines de foufre, d'alun, de couperofe, de fer, de plomb, d'antimoine, font communes & peu profondes dans ces montagnes; & cependant on n'en a jamais ouvert aucune. II fut, a la vérité, permis en 1752, d'exploiter celle d'argent, qui avoit étédécouverte trois ou quatre ans auparavant : mais la Cour revint fur fes pas peu de temps après, pour des raifons qui ne nous font pas connues. Ce Gouvernement contient huit mille neuf cents quatre-vingt-treize blancs, dix-fept mille huit cents quarante-quatre noirs ou mutètrés libres & efclaves, trente-huit mille neuf cents trente-fept Indiens épars ou réunis dans dix bour-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 361 gades. Les exportations n'ont pas répondu jufqu'ici a cette population. Leur valeur n'étoit guere que de fix a fept cents mille francs : mais forties des liens du monopole, elles ne doiventpas tarder a devenir confidérables. La Province qui fuit celle de Maragnan & qui porte le nom de Fernambuc, a été formée de quatre propriétés particulieres. Le Fernambuc propre, donné, en 1527,81 Edouard Coelho, fut réuni, comme conquête, a la couronne, après qu'en 1654 on en eut chafle les Hollandois. L'Hiftorien de Barros obtint de Jean III le diflricl: de Paraïba; mais il négligea de le peupler. Des gens fans aveu s'y tranfporterent, en 1560, & furent aflêrvis, en 1597 , par les Frangois, qui furent bientöt réduits a Pévacuer. Philippe III fit élever fur ce domaine royal une ville qui porte aujourd'hui le nom de Notre-Dame-de-Neves. Emanuel Jordan fe fit céder, en 1654, la propriété de R.io-Grande, canton entiérement négligé jufqu'a cette époque. Le naufrage de cet homme aélif, a 1'entrée du port, fit rentrer dans les mains du Gouvernement des terres que quelques particuliers ne tarderent pas a exploiter. On ignore a qui & en quel temps Tamaraca avoit été accordé : mais il redevint une pofieffion nationale peu après Pélévation de la Maifon de Bragance au tröne. Z 5 XVIIL Etat du SouvernenentdeFerlambuc.  36a SUPPLÉMENTS Ce beau Gouvernement efl: actuellement enveloppé par la riviere Saint-Francois, & par divers rameaux des Cordelieres. Ses cótes offrent un peu de coton. Aucune contrée de ces régions n'offrent autant & d'aufli bon fucre que fes plaines bien arrofées. Ses montagnes font remplies de bêtes h corne qui lui fournifient une grande quantité de cuirs. II fournit feul le bois du Bréfil. L'arbre qui le donne n'eft pas bien connu des botaniftes. On croit cependant qu'il a quelque analogie avec le bréfillet des Antilles, avec le tara du Pérou. Ceux qui Pont décrit aflurent qu'il eft élevé, très-branchu, & couvert d'une écorce brune, chargée d'épines. Ses feuilles font compofées d'une cóte commune, qui fupporte quatre ou fix cótes particulieres, garnies de deux rangs de folioles vertes, luifantes & femblables aux feuilles de bouis. Les feuilles, difpofées en épis, vers les extrémités des rameaux, font petites, & plus odorantes que celles du muguet: elles ont un calice a cinq divifions, dix étamines & cinq pétales, dont quatre font jaunes, la cinquieme eft d'un beau rouge. Leur piftil devient une goufie oblongue, applatie, hérifiee de pointes, & remplie de quelques femences rouges. L'aubier de cet arbre eft fi épais, que le bois fe trouve réduit h peu de chofe, lorfqu'on Pen a dépouillé. Ce bois eft très-propre aux ouvrages de tour, & prend bien le poli: mais fon prin-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 363 cïpal ufage eft dans la teinture rouge, oü il tient lieu d'une doublé quantité de bois de Campêche. Les terreins les plus arides, les rochers les plus efcarpés font les lieux oü il fe plait davantage. Le commerce de ce bois eft en monopole; & c'eft pour la maifon de la Reine. Les premiers entrepreneurs s'étoient obligés d'en recevoir annuellement dans les magafins du Gouvernement oü il eft dépofé, k fon arrivée du Bréfil, trente mille quintaux, a 30 livres le quintal. Des expériences fuivies ayant démontré que la confommation de 1'Europe ne s'élevoit pas ï cette quantité, il fallut la réduire a vingt mille quintaux; mais on en fit payer le quintal 40 livres. Tel eft le contrat aétuel, qui eft dans les mains de deux négociants Anglois établis en Portugal. Ils donnent 800,000 liv. pour Ie bois qu'on leur fournit; le vendentdans Lisbonne même 1,000,0000 livres, font des fraix pour 128,000 livres, &gagnent par conféquent 72,000 livres. On comte dans Ie Fernambuc dix-neuf mille fix cents foixante-cinq blancs; trente-neuf mille cent trente-deux negres ou mutètres, & trentetrois mille fept cents vingt-huit Indiens. II y a quatre rades fuffifantes pour les petits batiments. Celle du récif, qui fert de port a Olinde, en peut recevoir de plus confidérables : mais ils n'y font ni commodément, ni en füreté. t. A foixante lieues de fes cótes, mais dans fa  XIX. Etat dugou vernement de Bahia. 364 SUPPLÉMENTS dépendance , eft 1'ifle Fernando de Noronha. Les Portugais qui s'y étoient d'abord établis ne tarderent pas a 1'abandonner. La Cour dè Lifbonne foupconnant, dans la fuite, que la compagnie Francoife des Indes Orientales avoit le projet de 1'occuper, y fit Mtir, en 1738, fept forts très-bien entendus. Ils font munis d'une artillerie redoutable, & défenduspar une garnifon de troupes réglées, qui eft changée tous les fix mois. II n'y a d'habitants que quelques bannis, un petit nombre de métis très-pauvres, & les Indiens employés aux travaux publics. Quoique la terre foit bonne & profonde , aucune culture n'y a profpéré, paree que les pluies fe font attendre trois & quatre ans. Depuis le mois. de Décembre jufqu'a celui d'Avril, tout vit de tortues : elles difparoiflènt enfuite, & l'on n'a de refiburces que les fubfiftances envoyées du continent. L'ifle a deux rades foraines, oü les vaiffeaux de tous les rangs font en füreté, lorfque les vents de Nord & ceux d'Oueft ne foufflent pas. Le Gouvernement de Bahia eft terminé au Nord par la riviere Saint-Frangois; au Sud, par la riviere Doce; a 1'Eft, par la riviere Preto, une des branches de la riviere Verte. II eft compofé de la capitainerie de Segerippe, dont les révolutions nous font inconnues; de la capitainerie de Itheos, qui ceffa d'appartenir a George de Figueredo, après que les Indiens Aimorès  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 365 Peurent décruice; de la capitainerie de PorcoSeguro, qui retomba a la Couronne après Pextinétion de la familie des Tourinho; & du pays de Bahia, qui ne fut jamais une propriécé particuliere. San-Salvador, chef-lieu de cet établiflèment, le fut long-temps du Bréfil entier. On y arrivé par la baye de tous, &c. page 496. Page 497, après ces mots, une pente rapide, lifez : Cette cité renferme deux mille maifons, la plupart, &c. Page 499, après ces mots, vertueux, peuvent, lifez : finon épurer & réformer une nation dégénérée, du moins rendre le crime plus rare, jetter un vernis d'élégance fur la corruption, y introduire une hypocrite urbanité, & le mépris du vice groflier. Quoique San-Salvador ait ceffé d'être la capitale du Bréfil, fa Province efl: encore la plus peuplée de la colonie. On y compte trente-neuf mille fept cents quatre-vingt-quatre blancs; quarante-neuf mille fix cents quatre-vingt-treize Indiens ; foixante-huit mille vingt-quatre negres. Elle partage avec les autres la culture du fucre, du coton , de quelques autres produftions, & a fur elles i'avantage de la baleine & du tabac. La pêche de la baleine eft très-anciennement étabüe au Bréfil. Tous les Portugais de 1'ancien & du Nouveau-Monde jouiflbient originairemenc  %66 SUPPLÉMÊNTS du droit naturel de s'y livrer: mais depuis longtemps, elle eft fous un privilege exclufif acheté par une fociété formée a Lisbonne, & qui fait fes armements a Bahia. Son produit annuel eft aétuellement de trois mille cinq cents trente pipes d'huile, qui, au prix de 175 liv. la pipe, rendent 617,750 liv.; & de deux mille quatrevingt-dix quintaux de fanons de baleine, qui, a 350 liv. le quintal, font 313,500 liv. Ces deux fommes réunies forment donc un total de 931,259 liv. Les monopoleurs donnent 300,000 liv. au Gouvernement. Leurs dépenfes n'excedent pas 268,750 liv., & leurs bénéfices s'élevent a 562,500 liv. On doit fe réfoudre a perdre entiérement cette branche d'induttrie, ou lui donner fans délai une direction nouvelle. II n'y aura jamais que la liberté la plus entiere qui puiffe foutenir la concurrence des navigateurs Américains, dont 1'activité s'eft déja étendue jufqu'a ces mers éloignées & plus loin encore. La Cour de Lisbonne devroit même encourager, par tous les moyens connus, la pêche de la baleine dans fes ifles du Cap-Verd, & dans les autres ifles qu'elle occupe fi inutilement prés des rivages brülants de 1'Afrique. Quoique la plupart des contrées du Bréfil fourniflènt un peu de tabac, on peut dire qu'il n'eft devenu un objet important qu'a Bahia. II  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 367 y réuflk dans un efpace de quatre - vingt - dix lieues, & plus heureufement qu'ailleurs dans le diitriét de Cachoeira. Cette produdtion enrichiffoit depuis long-temps la Province, lorfque les taxes dont on Paccabla, a fa fortie de Portugal, en firent tellement hauflêr le prix, que les confommateurs s'éloignerent. Les marchés étrangers en demandoient fi peu, qu'en 1773 les envois fe réduifoient a vingt-huit mille quintaux. L'année fuivante, on fupprima les droits qui s'élevoient a 27 liv. 12 f. par cent pefant, & cette culture reprit fur le champ fon aétivicé. Le coIon recut alors pour fa denrée 22 liv. 16 f. du quintal, au-lieu de 12 liv. 10 f. qui lui revenoient auparavanc. II paffe annuellement du Bréfil aux cótes d'Afrique dix mille quintaux de tabac inférieur, qui, achetés dans la colonie même \ 8 liv. le cent pefant , lui donnent 180,000 liv. II en paflè cinquante-huit mille cinq cents quintaux en Portugal, qui, ü leur entrée, font vendus 40 1. le cent pefant, ce qui produit 2,340,000 liv : les deux fommes réunies font un total de 2,520,000 liv. Le tabac qui arrivé dans la métropole peut être acheté par tous les fpéculateurs: mais il doit être mis dans un dépot public, oü il paye au fifc un droit de magafinage de 2 f. 6 d. par quintal. C'eft de - la qu'on tire celui dont le Royaume peut fepaflèr pour lelivrer aux nations  363 SÜPPLÉMENTS étrangeres. Genes emporte celui de première qualité. L'Efpagne n'employe, comme le Portugal , que celui de Ia feconde. Hambourg fe contente du moins eftimé. C'efl; ce dernier que prennent auffi les Francois & les autres navigateurs qui en ont befoin pour la traite des efclaves. L'acheteur s'adreilè librement aux négociants qui ont fa confiance : mais la Cour de Madrid, qui ne fait jamais acheter des tabacs que pour filmer, eft dans 1'ufage d'avoir un feul agent auquel il les paye neuf fols la livre. Le Portugal, Madere & les Acores, oü la Couronne exerce également le monopole du tabac, n'en confomment annuellement, pour fumer, que fept cents quatre mille pefant, qui, a raifon de 5 liv., doivent rendre 3,520,000 liv. Ils n'en confomment, enpoudre,que cinq cents vingt-huit mille livres, qui, k raifon de 7 liv. 10 f. la livre, doivent rendre 3,960,000 liv. En tout 7,480,000 1. Cependant le Gouvernement ne retire que 5,481,250 liv. L'achat des matieres, les fraix de fabrication, les bénéfices du fermier emportent le refte. Le tabac en poudre, qui fe confomme en Afrique & aux grandes Indes, eft auffi dans les liens du monopole; mais au profit de la Reine. Elle retire 450,000 liv. des cent cinquante quintaux qu'on en expédie, chaque année, pour ces régions  A L'HIST. FHÏLOSOPHIQUE. 360 régions éloignées; fans compter le bénéfice que doivenc rendre les poivres que Goa lui renvoye en échange. Le Gouvernement de Rio-Janeiro occupe prefque en totalité Ia longue cóte qui commence a la riviere Doce, ókfinita celle de Rio-Grande de Saint-Pierre, & n'eft borné dans Pintérieur des terres que par 1'énorme chaïne de montagnes qui s'étend depuis Una jufqu'a Minas-Geraes. II a abforbé les capitaineries du Saint - Efprit, de Cabofrio & de Paraïba du Sud, accordées par Ie Gouvernement a des époques difféfentes, & rentrées de plufieurs manieres au domaine de la couronne. Les cultures languirenc long-temps dans cette vafte & belle Province. Elles acquierent tous les jours de Pimportance. Le tabac n'y eft pas, a la vérité, plus abondant ni meilleur qu'il n'étoit: mais depuis dix ans, les cannes h fucre s'y multiplient, principalement dans les plaines de Guatacazès. Douze plantations modernes d'excellent indigo en annoncent un plus grand nombre. Les derniers vaifleaux ont porté une aflèz grande abondance de café. Les diftriéts du Sud de Ia colonie jufqu'a Rio - Grande fourniflênc beaucoup de cuirs, quelques farines & de bonnes viandes falées. II exifte quatorze a quinze efpeces de bois de teinture qui ne tarderont pas a ê re coupées, & quacre ou cinq efpeces de Suppl. Torna IL A a xx. Et.it dti gouvernement de RioJanel» ro. 4  370 SUPPLÉMENTS gomme qui feront enfin recueillies. II y a envïron vingt ans qu'on découvrit a Bahia deuxplantes connues fous le nom de curuata & de tocun, qui pouvoient fervir a faire des voiles & descordages. Un heureux hafard vient de préfenterfur le territoire de Rio-Janeiro un arbufte infiniment plus propre a ces ufages, & qui eft très-commun. Quelquefois il eft blanc, quelquefois jaune, & quelquefois violet. La première de ces couleurs eft la meilleure. Les bras ne manquent pas pour les travaux. La Province compte quarante-fix mille deux cents foixante - onze blancs; trente-deux mille cent vingt-fix Indiens; cinquante-quatre mille quatre-vingt-onze negres. Les richeflès, que ces hommes libres ou efclaves font naitre, font portées h Rio-Janeiro, autrefois chef-lieu de la Province feulement, mais aujourd'hui la capitale de tout le Bréfil & le féjour du Vice-Roi. C'eft un des plus beaux havres que l'on connoifiè. Etroit a fon embouchure, il s'élargit infenfiblement. Les vaifleaux de toute grandeur y entrent facilement, depuis dix heures ou midi jufqu'au foir, pouftés par un vent de mer régulier & modéré. 11 eft vafte, für & commode. II a un fond excellent de vafe, & par-tout cinq ou fi braflès d'eau. Ce /ut Dias de Solis qui le découvrk, ea  A L'IIIST. PHILOSOPHIQÜE. §?ï 1525. DesProteftants Francois, perfécucés dans1 leurpatrie, & conduits par Villegagnon, y fbrmerent, en 1555, dans une petice ifle, un foible établiflèment. C'étoienc quinze ou vingt cabanes, conftruites de branches d'arbre, & couvertes d'herbe, a Ia maniere des fauvages du pays. Quelques foibles boulevards qu'on y avoit élevés pour placer du canon, lui firent donner Ié hom de fort de Coligny. II fut détruic trois ans après par Ëmanuel de Sa, qui jetta fur le continent, dans un fol fertile, fous un beau ciel, au pied de plufieurs montagnes difpofées en amphithéÉcre, les fondements d'une cité qui eft devenue celebré depuis que des mines confidérables ont été découvertes a fon voifinage. C'eft le grand entrepot des richefles qui coulent du Bréfil en Portugal; & le port oü abordent les plus belles flottes deftinées a Papprovifionnement de cette partié du Nouveau-Monde; Indépendamment dés tréfors que doit y verfer cette circulatión contiftuelle, il y refte tous les ans 3,000,000 1. pour les dépenfes du gouvernement, & beaucoup davantage, iorfque le Miniftere de Lisbonne juge convenable a fapolitique d'y faire conftruire des vaifleaux de guerre. Une ville, oü les affaires font fi confidérables & fi fuivies; a dü s'agrandir, fe peupler fucceflivement. La plupart des citoyens occupenr des maifons a deux étages, bScies de pierre de taille Aa 2  37a SUFPLEMENTS ou de brique, couvertes d'une aflez belle tuile, & ornées d'un balcon entouré d'une jaloufie. Ceft-la que tous les foirs, les femmes ou feules, ou entourées de leurs efclaves, fe laiffent entrevoir; c'eft de-la qu'elles jettent des fleurs fur les hommes qu'il leur plah de diftinguer, fur ceux qu'elles veulent inviter a la liaifon la plus intime entre les deux fexes. Les rues font larges, la plupart tirées au cordeau, & terminées par un oratoire, oü le peuple chante tous le» foirs des cantiques, devant un Saint magnifiquement vênr & enfoncé dans une niche dorée bien éclairée & couverte d'une glacé des plus tranfparentes. A 1'exception d'un grand aqueduc qui conduit 1'eau des hauteurs voifines & de 1'hötel des monnoies, il n'y a aucun édifice public digne d'attention. Les temples font tousobfcurs, écrafés & furchargés d'ornements du plus mauvais goüt. Les moeurs font a Rio-Janeiro ce qu'elles fone a Bahia, & dans tous les pays a mines. Ce font les mêmes vols, les mêmes trahifons, les mêmes vengeances, les mêmes excès de tous les genres; & toujours la même impunité. On a bien dit que 1'or repréfenroit routes les richefTes: mais on pouvoitajouter, le bonheur, le malheur, prefque tous les vices, prefque toutes les vertus : car quelle eft la bonne ou la raauvaife aft-ion qu'oa ne puiflè pas commettre-  A L'HIST. PHÏLOSOPHIQUE. 373 avec de 1'or? Eft-il donc étonnant qu'il n'eft ïien qu'on ne fafle pour obtenir un objet de cette importance; qu'il nedevienne, après qu'on Pa obtenu , la fource des plus funefies abus, & que ces abus ne fe multiplient a proportion du voifinage & de 1'abondance de ce précieux & funefte métal. La pofition de la place, au nie. degré, 20 m. de lat. auftrale, 1'éloignoir, &c. page 511. Page 512, après ces mots, 1'or & les diamants, lifez : Dans le gouvernement de RioJaneiro eft Sainte-Catherine, ifle de neuf lieues de long & de deux de large, qui n'eft féparée de la terre ferme que par un canal étroit. Quoiqu'elle ne foit pas baftè, le navigateur ne 1'appercoit pas de loin , paree que les montagnes du continent voifin la couvrent de leur ombre. Le printemps y eft continuel, & le climat trèspur par-tout, excepté dans le port oü des hauteurs interceptent la circulation de 1'air, & entretiennent une humidité nuifible. Vers 1'an 1654, la Cour de Lisbonne donna Sainte-Catherine a Francois Dias Velho, de la même maniere qu'elle avoit concédé les autres contrées du Bréfil. Ce Capitaine fut mafiacré par un corfaire Anglois ; & fon ifle ne fuc plus que le refuge de quelques vagabonds. Ces aventuriers reconnoifibient vaguement Fautorité du Portugal \ mais fans adopter fes idéés exAa 3  XXI. Etat du gou vernement de Saint- 374 SUPPLÉMENTS clufives. Ils recevoient indifféremment les vaiffeaöx, &c. Page 514, après ces mots, 1'ifle Sainte-Ca-* therine, lifez .- 'Ils vivoient librement & paifiblement dans leur ifle, lorfque, vers 1'an 1738, on jugea convenable de leur donner une adminiftration, de leur envoyer des troupes, d'entourer de fortifications leur rade, une des meilleures de 1'Amérique. Ces moyens de défenfe onc attiré fur eux, en 1778 , les armes de 1'Efpagne, & ne les ont pas préfervés de 1'invafion. Depuis que la réconciliation des deux Couronnes les a rendug a leur ancien maitre, ils ont acquis la cochenille, dont ils efperent tirer un jour de grands avantages. La Province de Saint-Paul eft bornée au Nord, par la rivierede Sapucachy & par des montagnes ; au Sud, par la riviere de Parnagua & par d'autres montagnes qui vont chercher les fources de 1'Ygaftu; a 1'Oueft, par le Parana, par RioGrande, & par la riviere des Morts; a 1'Eft par la mer. C'eft a treize lieues de 1'Océan qu'eft la ville de Saint-Paul, fous un climat délicieux & au milieu d'une campagne également favorableauxproduflions des deux hémifpheres. Elle fut batie vers 1570 par les malfaiteurs dont le Portugal avoit jnfefté les cótes du Nouveau-Monde. Dès que ces fcélérats s'appercurent qu'on vouloit les fou-  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 375 mettre a quelque police , ils abandonnerent les rives ou le hafard les avoit jettés, & fe refugierent dans un lieu écarté, oü les loix ne pouvoient pas atteindre. Une fituation qu'un petic nombre d'hommes pouvoit défendre contre plus de troupes qu'on n'en pouvoit employer contre eux, leur donna la hardiefie de ne vouloir d'autres maitres qu'eux-mêmes, & le fuccès couronna leur ambition. D'autres bandits, & les générations qui fortoient de leur liaifon avec les femmes du pays, les recrutoient & les multiplioienr. L'entrée étoit, dit-on, févérementfermée a tout voyageur dans la nouvelle république. Pour y être regu, il falloit fe préfenter avec le projet de s'établir. Les candidats étoient affujettis a de rudes épreuves. Ceux qui ne foutenoient pas cette efpece de noviciat, ou qui pouvoient être foupconnés de perfidie, étoienc * maffacrés fans miféricorde. C'étoit auffi le fort de ceux qui paroiffoient avoir du penchant a fe retirer. Tout invitoit les Pauliftes a vivre dans Poifiveté, dans le repos & dans la mollelfe. Une certaine inquiétude , naturelle a des brigands; courageux; 1'envie de dominer, qui fuit de prés Pindépendance; les progrès de la libercé, qui menent au defir d'un nom : peut-être tous ces motifs réunis leur donnerent d'autres inclinations. On les vit parcourir i'intérieur du Bréfil d'une Aa 4  £6 SUPPLÉMENTS extrémité a Pautre. Ceux des Indiens qui leur réfiftoient étoient mis a mort , les fers devenoient le partage des laches; & beaucoup fe cachoient dans les antres & dans les forêts pour éviter le tombeau ou la fervitude. Qui pourroit compter les devaftations, les cruautés, les forfaits , dont fe rendirent coupables ces hommes atroces? Cependant, au milieu de tant d'hor«reurs, fe formoient fous un gouvernement municipal, quelques peuplades qu'il faut regarder comme le berceau de tous les établuTements qu'a maintenant le Portugal dans les terres. Ces petites républiques décachées, en quelque forte, de la grande, céderent peu-a-peu aux infinuations qu'on employa pour les alTujettir a une autorité qu'ils n'avoient jamais entiérement méconnue; & avec le temps, tous les Pauliftes furent foumis a la Couronne de la même maniere que fes autres fujets, Alors cette contrée devint un Gouvernement. On y ajouta les capitaineries de Saint-Vincent & de Saint-Amaro, qui, en 1553, avoient été données aux deux freres Alphonfe & Pierre Lopès de Souza, & dont les deux villes avoient depuis été dé'truites par des pirares. Cet ordre de chofes coupe en deux Ia Province de RioJaneiro. II n'eft pas aifé de démêler les caufes d'un pareil arrangement. Le pays de Saint-Paul ne compte aujour-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 377 d'hui que onze mille quare-vingt-treize blancs, trente-deux mille cenc vingc-fix Indiens, & huk mille neuf cents quatre - vingc - fept negres ou mulatres. II n'envoye a 1'Europe qu'un peu de coton; & fon commerce intérieur fe réduit a fournir des farines & des falaifons a Rio-Janeiro. Quelques expériences prouvent que le lin & le chanvre y réufliroient très-bien; & perfonne ne doute qu'il ne fut facile & important d'y naturalifer la foie. On y pourroit aulfi exploiter avec beaucoup d'utilité les abondances mines de fer & d'étain qui fe trouvent entre les rivieres Theclé & Mogyaiïu, dans la Cordeliere de Paranan-Piacaba, a quatre lieues de Sorocoba. Les fix Provinces, dont on vient de parler, regnent le long des cores. II en eft trois qui s'étendent de 1'Oueft a 1'Eft depuis le 319* degré de latitude occidentale jufqu'au 334% & qui occupent, dans lecentre du Bréfil, le grand plateau d'oü fortent toutes les rivieres qui vont fe jetter dans le Paraguay, dans 1'Amazone & dans POcéan. C'eft le terrein le plus élevé de 1'Amérique Portugaife. Des montagnes, dont la direction eft très-variée, le rempliflent. On y trouve prefque par-tout de 1'or; & de-la vient qu'il eft appellé le pays des mines. Le plus important de ces riches Gouvernements eft connu fous le nom de Minas-Geraes. II compte trence-ciuq mille cent vingt-huk blancs; Aa 5 XXÏT. Etat des trois gouvernementsde 1'intérieur ou font les mines.  XXIII. Hiftoire des mines d'or trouvées dans le Bréfil. Maniere de les exploiter. 378 SUPPLÉMENTS vingc-fix mille foixante & quinze Indiens, & cent huit mille quatre cents fix efclaves. C'efl: VillaRica qui eft fa capitale. Goyas, dont ie chef-lieu eftVilla-Boa, a huit mille neuf cents trente-un blancs; vingt-neuf mille fix cents vingt-deux Indiens, & trente-quatre mille cent quatre negres. Matto-Groffe, qui n'a de bourgade que VillaBella, n'a pas encore porté fa population audeflus de deux mille trente-cinq blanc; de quatre mille trois cents trente-cinq Indiens; de fept mille trois cents cinquante-un efclaves. C'eft la partie la plus occidentale de la domination Portugaife. Elle eft bornée par les Chiquites & par les Moxos, peuples afiujettis a 1'Efpagne, par les travaux des Jéfuites. La connoiflance des mines d'or, dans cette partie du Nouveau-Monde, remonte a des temps plus éloignés qu'on ne le croit généralement. Dès 1577, les Pauliftes en découvrirent prés de la montagne de Jaguara: mais la mort défaftreufe du Roi Sébaftien fit bientöt oublier une fource de richeflès, dont PEtat ni les citoyens n'avoient jufqu'alors tiré aucun avantage. Les hauteurs de Jacobina, dans le diftriét de Rio-das-Velhas, offrirent encore inutilement, en 1588, de nou velles mines. Philippe II, déterminé a contenir par la mifere des peuples qui fupportoient trop impatiemment le joug Efpa-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 379 gnol, n'en voulut pas permettre Pexploitation, S'il parut y confentir en 1603, ce fut avec la réfolutionde 1'empêcher, & fes l&ches fuccefTeurs adopterent fa tyrannique politique. L heureufe révolution, qui, en 1640, déchargea le Portugal des fers qu'il portoit, futfuivie de guerres longues & opinistres. Durant cette violente crife , la nation ne s'occupa que de la défenfe de fa liberté, & le Miniftere que du foin de trouver des reflburces qui luimanquoienc continuellement. On commencoit a fonder les plaies de la Monarchie , a penfer a fon amélioration, lorfque le hafard offrit, en 1699, a. quelques hommes entreprenants de grands tréfors dans la Provinee de Minas-Geraes. Ces dons, d'une nature libérale, ne furent plus rejettés; & trois ans après, la Cour de Lisbonne forma les établiffements néceffaires pour les mettre ü profit. Sabara, Rio. das-Mortes, Cochoeira, Paracatu, Do-Carmo, Rio-das-Velhas, Rio-Doce, Ouro-Preco, fonc les lieux de ce gouvernement oü l'on a fucceffivement trouvé de Por, & oü l'on en ramaffè er.* core aujourd'hui. Les mines de Goyas ne furent découverces qu'en 1726. San-Felix, Meia-Ponta, O Fariado, Mocambo, Nacividade fonc les diftricls oü elles fonc ficuées. L'an 1735 en offrit de nouvelles dans la Pro^  3'Jo SUPPLÉMENTS vince de Matto-Groflo, a Saint-Vincent, h Chapada, a Sainte-Anne, a Cuiaba, a Araès. Hors de ces trois contrées, appel léés parexcellence la région des mines, on exploite dans le Gouvernement de Bahia celles de Jicobina & de Rio-das-Contas; & dans le Gouvernement de Saint - Paul, celles de Parnagua & de Tibogy. Ni les unes ni les autres ne font abondances'. Dans cette partie du'Nouveau-Monde, Pextraélion de Por n'eft ni dangereufe ni fort pénible. Quelquefois, il fe trouve a la fuperficiedu fol, & c'eft le plus pur. Souvent on creufe jufqu'a rrois ou quatre braffes, & rarement au-dela. Une couche de terre fablonneufe, connue dans le pays fous le nom de Saibro, avertit alors communément les mineurs qu'il feroit inutile de fouiller a une plus grande profondeur. Quoiqu'en général les veines fuivies & qui ont une direction conftante foient les plus riches, on aoblervé que c'étoient les efpaces dont la furface étoit la plus parfemée de cryftaux qui donnoient une plus grande abondance d'or. II exifte en plus grofies parties fur les montagnes & les collines itériles ou pierreufes que dans les vallées ou fur les bords des rivieres. Mais dans quelque endroit qu'on Fait ramaffé , il eft au fortir de la mine de vingt-trois karats & demi, a moins qu'il ne foit mêlé de foufre, d'argent, de fer ou  A L'HIST. PHILOSOPHÏQUE. 381 de mercure; ce qui n'eft commun qu'a Goyas & a Araès. Tout homme qui découvre une mine doit avertir le Gouvernement. La veine eft-elle jugée de peu d'importance par les gens de 1'art chargés de 1'examiner, on 1'abandonne toujours au public. Si elle eft déclarée riche, le fifc s'en réferve une partie. Le Commandant en a une autre. La troifieme eft pour 1'Intendant; & l'on en allure deux a 1'auteur de la découverte. Le refte eft partagé a tous les mineurs du diftriét, felon l'étendue de leurs facultés, arbitrées par le nombre de leurs efclaves. Les conteftations que cette efpece de propriété peut faire nakre , font du reftbrt de 1'Intendant : mais il eft permis d'appelIer de fes arrêts a la Cour fuprême v établie a Lisbonne, fous lenom de Confeil d'Outre-mer. Les obligations des mineurs fe réduifent a livrer au Roi le cinquieme de 1'or , que des opérations plus ou moins heureufes lui rendenc. Ce quint fut autrefois confidérable, & il paiTa 9,000,000 liv. chaque année, depuis 1728 jufqu'en 1734. On 1'a vu diminuer pardegrés. Actuellement le produit annuel de Minas - Geraea n'eft que de 18,750,000 livres; de Goyas, que de 4,687,500 livres; de Matto-GrofTb, que de ï ,312,500 livres; de Bahia & de Saint-Paul réunis que de 1,562,500 liv. C'eft en tout 25,312,500 livres dont il revient au Gouvernement 5,062,500  S8i SUPPLÉMËNTS livres. Son droit pour la fabrication de 1'os en efpeces lui donne 1,647,500 livres, & a raifon de deux pour cent, il retire 393,000 livres pouf le tranfport que font fes vaifleaux de tout 1'or qui appartient au commerce ; de forte que fut 25,312,500 livres que rendent les mines, le Miniftere en prend 7,103,000 livres. II obtiendroit même quelque chofe de plus , s'il ne fortoit tous les ans en fraude environ 600,000 livres qui ne payent pas les deux dernieres impofitions. Ön ne fait pas monter a plus de 20,000,000 de livres les métaux qui circulent babituellement dans le Bréfil. Lés premiers Ecrivains politiques, &c. page 503. Page 505, après ces mots, dans la fociété * lifez : Nos femmes en font quelquefois éblouiffantes. On diroit qu'elles font plus jaloufes de fe montrer riches que belles. Ignoreroient-elles donc qu'un cou , que des bras d'une forme élégante, ont mille fois plus d'attraits nüds, qu'entourés de pierres précieufes; que le poids de leürs girandoles déforme leurs oreilles; que 1'éclat du diamant ne fait qu'affoiblir 1'éclat de leurs yeux; que cette difpendieufe parure faic mieux la fatyre de leurs époux ou de leurs amants que 1'éloge de leurs charmes; que la Vénus de Médicis n'a qu'un fimple bracelet, & que celui qui ne voit dans une belle femme que Is  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 383 richefle de fon éerin efl: un homme fans goür. On trouve des diamancs de toutes les couleurs, &c. Page 505, après ces mots, vivacité des reflets , lifez : Le diamant efl: une pierre cryftallifée, dont la forme efl: un oéhedre, plus ou moins bien figuré. Ses faces forment une pyramide, ou allongée ou applatie : mais jamais fes angles folides ne font auffl nettement, aufli réguliérement terminés qu'ils le paroiflenc dans les autres pierres cryltallifées, & fur-tout dans le cryftal de roche. Mais Ia cryflallifation n'en efl: pas moins réguliere dans 1'intérieur. Cette pierre efl: compofée de petits feuillets extrêmement minces, fi étroitement joints enfemble, qu'elle préfente une face unie & brillante dans 1'endroit même de Ia caffure. Malgré cette union fi intime des éléments de la cryflallifation du diamant, on ne peut le polir qu'en faififiant la difpofition des lames dans le fens du recouvrement formé par 1'extrémité de 1'une fur 1'autre. Sans cette précaution, les lapidaires ne réuffiroient pas, & le diamant s'échaufferoit fans prendre aucun poli, comme il arrivé toujours a ceux qu'ils appellent diamants de nature , oü ces recouvrements ne font pas uniformes & dans le même fens. Les diamantaires comparent Ia compoficion de ceuxci a 1'arrangemenc des fibres du bois dans  384 SUPPLÉMENTS les nceuds, oü elles fe croifent en tout fens.Le diamant eft au - deftbs de toutes les autres pierres pour fon éclat, ion feu & fa dureté. II joint a ces avantages d'être plus éleétrique, de recevoir une plus grande quantité de lumiere lorfqu'on le chauffe doucement au feu, ou qu'on 1'expofe quelque temps aux rayons du foleil, & de Ia conferver aufli plus long-temps que les autres corps, lorfqu'il eft enfuite porté dans les ténebres. C'eft d'après ces propriétés, & peut-être auffi d'après quelques qualités imaginaires, que les phyficiens ont préfumé que le diamant étoit formé d'une matiere plus pure que les autres pierres. Plufieurs même ont penfé qu'il contenoit cette terre adamique primitive, longtemps Fobjet de tant de recherches pénibles & de fpéculations extravagantes. La dureté du diamant faifoit croire qu'il étoit indeftrutfible, même au feu le plus violent; & rien ne fembloit mieux fondé que cette opinion, Cependant, jamais Panalogie tirée des autres pier • res, & fur-tout des pierres quarrzeufes qui ne fouffrent point d'altération dans le feu, ne fut plus en défaut que dans cette occafion. On n'a pas 1'idée que le diamant ait été foumis a 1'aéïion du feu avant 1604 & 1695 après ces mots, avertir a leur retour, lifez : Céfar trouva dans les Gaules Ie rneme ufage qui porte le doublé caraélere , & dun état primitifoü tout étoit a tous, & d'une condmon poftérieure, oü Ia nociondutien &du mien étoit connue & refpeftée. Suppl. Tome IL D les vivres propres au climat, les connoifiances pour fe bien conduirfe: tout rrtanqüoit également. L'exécution fut digne du plan, &c. Page 46, après ces mots, fans proVifions» lifez : Cette rufe remplit les Anglois de rage» Ils envoyerent, &c. Page 48, après ces mots, plus oü moins grande j lifez ; c'étoit-la toute leur force navale* A peine pouvoit-on s'y coucher; & rien n'y mettoit a 1'abri des ardeurs d'un climat brölant, Dd %  42o SUPPLÉMENTS des pluies qui tombent en torrents dans ces parages. Souvent on y manquoit des premiers foutiens de la vie. Mais a Ia vue d'un navire, tant de calamités étoient oubliées. De quelque grandeur qu'il füt, les Flibuftiers alloient fans délibérer a 1'abordage. Dès que le grapin étoit une fois jetté, c'étoit un vaifïèau enlevé. Dans un befoin extréme, &c. Page 51, après ces mots, dans un canot, lifez : Au détroit de Magellan, la rage dene rienemporter d'un Océan fi riche les faifit, & ils reprennent la route du Pérou. On les avertit qu'au port d'Yauca eft un vaiflèau de force, chargé de plufieurs millions. Ils 1'attaquent, s'en rendent les maitres, & s'y embarquent. Le Bafque , Jonqué & Laurent le GrafF, croifent devant Carthagene avec trois petits & mauvais navires. On fait fortir du port deux vaifleaux de guerre pour combattre ces forbans, & les amener vifs ou morts. L'efpoir des Efpagnols eft fi bien trompé , qu'ils font faits prifonniers euxmêmes. Le vainqueur retient les batiments : mais il en renvoye les équipages avec une dérifion qui ajoute beaucoup d'amertume a une défaite en elle-même fi humiliante. Michel & Brouage, inftruits qu'on vient d'embarquer a Carthagene, fous pavillon étranger, des richeflès confidérables, pour les fouftrairea leurs rapines, attaquent les deux navires chargés  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 421 de ces tréfors, & les en dépouillenc. BlefTés de fe voir ainfi vaincus par des b&timents fi inférieurs aux leurs , les Capicaines Hoilandois ofenr riir<»  422 SUPPLÉMENTS cice paifible de Ia tyrannie, abrutis comme leurs efclaves, les Efpagnols n'attendoient pas 1'ennemi, fans être vingt contre un, & encore étoientils battus. Rien en eux ne portoit 1'empreinte de la fierté, de la noblefTe de leur origine. Leur abrutiiTement étoit tel, que 1'art de la guerre leur étoit étranger, qu'ils connoifibient a peine les armes a feu. On ne les trouvoit que peu fupérieurs aux Américains dont ils fouloient la cendre. Cette étrange dégradation étoit augmentée par 1'idée qu'ils s'étoient formée des hommes féroces qui les attaquoient. Leurs moines leur avoient peint ces brigands avec les traits hideux qu'on donne aux monftres de 1'enfer, & euxmêmes ils avoient chargé le tableau. Ce portraic d'une imagination effaronchée, imprimoit dans toutes les ames la haine avec la terreur. Malgré 1'excès de fon reflentiment, PEfpagnol ne favoit fe venger que d'un ennemi qui n'étoit plus a craindre. AuflI-tót que les Flibuftiers étoient partis d'un endroic, &c. Page 75, après ces mots, tout les dégoütoit, lifez .-Quelques particuliers entreprenants avoient équipé en 1697, dans les ports de France, fous la proteftion du Gouvernement, fept vaifleaux de ligne & un nombre proportionné de bdtiments d'un ordre inférieur. La flotte commandée par le Chef d'efcadre Pointis, portoit des troupes- de débarquement. Cet armemenc  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 423 étoit deftiné contre Carthagene, une des villes les plus riches du Nouveau-Monde & la mieux fortifiée. On prévoyoit de grandes difficultés dans cette entreprife : mais on efpéra qu'elles feroient furmontées, fi les Flibuftiers vouloient la feconder; & ils s'y engagerent pour plaire a Ducafiè, Gouverneur de Saint-Domingue, qui étoit leur idole & qui méritoit de 1'être. Ces hommes, dont rien n'arrêtoic 1'audace, firent encore plus qu'on n'attendoit d'eux. Ils ne virent pas plutöt un commencement de breche aux fortifications de la ville baiTe, qu'ils monterent a 1'afiaut & planterent leurs drapeaux fur la muraille. Dautres ouvrages furent emportés avec la même intrépidité. La place fe rendit, & fa foumiffion fut Pouvrage des Flibuftiers. Des forfaits de tous les genres fuivirent cet événement. Le Général, homme injufte, avare & cruel , viola la capitulation dans tous les points. Quoique la crainte d'une armée qui fe formoit dans 1'intérieur des terres 1'eüt fait confentir a laiflèr aux habitants la moitié de leurs richefies mobiliaires, tout futabandonné au plus horrible brigandage. Les Officiers furent les premiers voleurs. Ce ne fut qu'après qu'ils fe furent gorgés de pillage, qu'il fut permis aux foldats de fouillerles maifons. Pour les Flibuftiers, on les occupoit hors de la ville, pendant qu'on s'emparoit de 1'or. Dd 4  4^4 SUPPLÉMENTS Poinds prétendit que le budn ne paflbit pas fept ou huit millions de livres. Ducaflè le portoit a trente, & d'autres a quarante. Quel qu'il fut, les Flibulh'ers, felon leurs convendons, en devoient avoir le quart. Cependant il leur fut figniflé que leur pront fe réduifoit a quarante mille écus. On avoit mis a la voile, lorfque cette propolidon fut faite aux hommes intrépides qui avoient décidé la viftoire. Indignés d'un traitement qui bleflbit fi vifiblement leurs droits & leurs efpérances, ils réfolurent d'aborder fur le champ le Sceptre que montoic Poinds, trop éloigné dans ce moment des autres vaifleaux, pour être fecouru h temps. Cet infitme Commandant alloit être maffacré, quand un des mécontents s'écria: Fr er es, pourquoi nous en prendre a ce chien? il n'emporte rien a nous. II a laijfé notre part è Carthagene, c'eft-let qu'il la faut aller chercher. Cette propofition efl: recue avec acclamation. Une joie féroce fuccede tout-a-coup au noir chagrin qui dévoroit ces brigands; & fans délibérer davantage, tous leurs badments cinglent vers la ville. Regus dans la place fans oppofition, les Flibuftiers enferment tous les hommes dans le temple principal, & leur tiennent ce langage : „ Nous n'ignorons pas que nous ne fommes „ a vos yeux que des gens fans religion, fans  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 425 „ foi, des êtres infernaux plutöc que des hom„ mes. L'horreur que vous nous portez s'eft „ manifeftée dans les termes injurieux par lefquels , vous affeétez de nous défigner, & votre dé, flance par le refus que vous avez fait de trai„ ter avec nous de votre capitulation. Vous , nous voyez les armes a la main & maitres de , nous venger. La paleur qui s'eft répandue fur , vos vifages décele a quels fupplices vous vous , attendez; & votre confcience vous dit fans , doute que vous les méritez. Soyez enfin défa, bufés; & reconnoifièz, dans ce moment, que , c'eft a Pinfême Général fous lequel nous vous , avons combattus, & non pas a nous que doi, vent être donnés les titres odieux dont vous , nous flétriflèz. Le perfide a qui nous avons , ouvert les portesde votre ville, dans laquelle il ne fut jamais entré fans nous, s'eft emparé du prix de notre péril & de notre courage; & c'eft fon injuftice qui nous ramene ici, malgré nous. C'eft a notre modération a juftifier notre fincérité. Hatez-vous de nous délivrer 5,000,000livres, nousn'exigeronspas davantage; & nous jurons, fur notre honneur, de nous éloigner fur le champ. Mais fi vous vous refufez a une fi modique contribution, regardez nos fabres. Nous jurons fur eux de n'é- ' pargner perfonne; 6k lorlj|ue les malheurs qui vous menacent feront tombés fur vos têDd 5  4a6 SUPPLÉMENTS „ tes, fur celles de vos femmes & de vos en„ fan cs, n'en accufez que vous; n'en accufez „ que 1'indigne Pointis que nous abandonnons „ d'avance a votre malédiécion ". Après cedifcours, un orateur facré monte en chaire, & employé 1'éloquence de fes moeurs, de fon autorité, de la parole, pour convaincre fes auditeurs de la néceffité de livrer fans réferve tout ce qui pouvoit leur refter d'or, d'argent & de bijoux. La quête qui fuit le fermon n'ayant pas produit 1'effet qu'on en attendoit, le pillage eft ordonné. II s'étend, fans de grands fuccès, des maifons aux Eglifes&aux tombeaux. Enfin, les infiruments de la torture s'apprêtent. On faifit deux citoyens des plus diftingués, & deux encore, pour leur arracher oü font cachées les richefies du fifc, oü font cachées les richeffes des particuliers. Tous répondent féparément avec tant de franchife & de fermeté, qu'ils 1'ignorent, que 1'avarice même en eft défarmée. Cependant quelques coups de fufil font tirés pour faire croire que ces malheureux ont eu la tête caffée. Chacun crainc cette deftinée; & dès le foirmême 1,000,000 livres eft porté aux pieds des Flibuftiers. Les jours fuivants leur rendenc auffi quelque chofe. Défefpérant enfin de rien ajouter a ce qu'ils ont recu, ils fe rembarquenr. Un malheureux Hafard les conduit au milieu d'une flotte Angloife & Hollandoife, alliée de  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 457 1'Efpagne. Plufieurs de leurs petits baciments font pris ou coulés a fond. Le refte fe fauve a Saint-Domingue. Tel fut le dernier événement, &c. Page 83, après ces mots, chercher des héros? lifez: Non, 1'hiftoire des temps paiTés n'offre poinc, & celle des temps a venir n'offrira pas 1'exemple d'une pareille afibciation, aufli merveilleulè prefque que la déeouverte du Nouveau-Monde. II n'y avoit que ce grand événement qui put y donner lieu, en appellant dans ces régions lointaines tout ce que nos Empires avoient produit d'ames énergiques & violentes. Ces hommes, d'une trempe peu commune, n'avoient en Europe pour toute fortune que leur épée & leur audace, dont ils firent - un fi terrible ufage en Amérique. La , ennemis de tous, redoutés de tous, fans ceflè expofés aux périls extrêmes , ils devoient regarder chaque jour comme le dernier de leur vie, & difliper la richeflê comme ils 1'avoient acquife; s'abandonner a tous les excès de la débauche & de la profufion ; au retour d'un combat porter dans leurs feftins 1'ivreflë de la viétoire; enlacer de leurs bras fanglants leurs maitreflès; s'aflbupir un moment dans le fein de la volupté, & ne fe réveiller que pour aller a de nouveaux maflacres. Indifférents oü ils laiflèroient leurs cadavres, fur la terre ou dans le fein des eaux, ils devoient re~  4a8 SUPPLÉMENTS garder d'un ceil également froid Ia vie & le trépas. Avec un cceur féroce & une confcience égarée, fans liaifons, fans parents, fans amis, fans concitoyens, fans patrie, fans afyle, fans aucun des motifs qui temperent la bravoure par le prix qu'ils attachent a 1'exiftence, ils devoient fe livrer en aveugles aux tentatives les plus défefpérées. Incapables de fupporter 1'indigence & le repos; trop fiers pour s'occuper de travaux communs, s'ils n'avoient pas été les fléaux du Nouveau-Monde , ils 1'auroient été de,celui-ci. S'ils n'étoientpas allé ravager les contrées éloignées, ils auroient ravagé nos Provinces, & kille un nom fameux dans la lifte des grands fcélérats. L'Amérique refpiroit a peine, &c. Page 91, après ces mots, avec rapidité, lifez : Par-tout oü le Souverain ne fouffre pas qu'on s'explique librement fur les matieres économiques & politiques, il donne 1'atteftation la plus authentique de fon penchant a la tyrannie 6c du vice de fes opérations. C'eft précifément comme s'il difoit au peuple. „ Je fais tout aufll-bien que vous „ que ce que j'ai réfolu eft contraire a votre li„ berté, a vos prérogatives, a vos intéréts, a „ votre tranquillité, a votre bonheur: mais il „ me déplaic que vous en murmuriez. Je ne „ fouffrirai jamais qu'on vous éclaire; paree qu'il „ me convient que vous foyez aflez ftupides „ pour nepas diftinguermes caprices, mon or-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 429 „ gueil, mes folies difïïpations, mon fade, les „ déprédacions de mes courcifans & de mes fa„ voris, mes ruineuxamufements, mes paffions „ plus ruineufes encore „ qui ne fut, qui n'eft, „ autanc qu'il dépendra „ ceüeurs, qu'un honni „ queje fais eft bien fair. 1 „ pas: mais taifez-vous. „ de toutes les maniere: „ les plus atroces, que j „ que je ne regne ni pa  43o SUPPLEMENT S res.; on ne les railentic qu'a fon défavantage. La défehfe ne faic qu'irriter & donner aux ames un fentimenc de révolce, & aux ouvrages le ton du libelle; & l'on fait trop d'honneur a d'innocents fujets, lorfqu'on a fous fes ordres deux cents mille aflaffins, & que Ton redoute quelques pages d'écriture. L'Angleterre voit éclore tous les jours, Sic. Page 92, après Ces mots, de cet avantage, lifez a la ligne : Mais dira-r-on pour un homme fage, &c. Ibid. après ces mots i il s'y voit forcé, Itfez t Laliberté de lapreflè produit, fans doute, ces inconvénients : mais ils font fi frivoles, fi paffagers, en comparaifon des avantages, que je ne daignerai pas m'y arrêter. La queftion fe réduit % ces deux mots : Vaut-il mieux qu'un peuple foit étemellement abruti que d'être quelquefois 'turbulent? Souverains, voulez-vous être mé* chants? Laifiez écrire; il fe trouvera des hommes pervers qui vous ferviront felon votre mauvais génie, & qui vous perfeftionneront dans 1'art des Tiberes. Voulez-vous être bons? Laifiez encore écrire; il fe trouvera des hommes honnêtes qui vous perfeétionneront dans 1'art desTrajans. Combien il vous refte de chofes a favoir pour être grands, foit en bien, foit eh mal! Lapopulace deLondres, &c. Page 100, après ces mots, de grandes in-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 43i juftices , lifez : & les met dans la cruelle néceffité de continuer a faire de grandes chofes & de grandes injuftices. Les nations ne fe laflèrontelles jamais de cette efpece de tyrannie qui les brave & les avilit? refteront-elles éternellement dans cet état de foiblefle qui les contraint a fupporter un defpotifme qu'elles ne demanderoient pas mieux qued'anéantir? Si jamais il fe formoit une alliance entre elles, comment une feule nation pourroit-elle réfifier, a moins d'une faveur conftante du deftin fur laquelle il feroit imprudent de compter ? qui efl: - ce qui a promis aux Anglois une profpérité continue? quand elle leur feroit afliirée, ne feroit-elle pas trop payée, par la perte d'une tranquillité dont ils ne jouiroient jamais, & trop punie par les allarmes d'une jaloufie qui tiendroit les yeux inquiets perpétuelle» ment ouverts fur les mouvements les plus légers des autres Puifiances ? Eft-ilbien glorieux, eft-il bien doux, eft-il bien avantageux & bien für a un peuple de régnerau milieu des autres peuples, comme un Sultan au milieu de fes efclaves? Un accroiflement dangereux de la haine au-dehors, eft-il fuffifamment compenfé par le corrupteur accroiflement de 1'opulence au-dedans? Anglois, 1'avidité n'a point de terme, & la patience a le fien, prefque toujours funefte a celui qui Ia pouflè a bout. Mais la paffion du commerce eft fi forte en vous, qu'elle afubjugué jufqu'a vos Philofophes.  432 SU, PPLÉMENTS Le célebre Boyle difoit qu'il étoit bon, &c. Page 102, après ces mots, peuples civilifés, lifez : Ce peuple, réputé fi fier, fi humain, fi fage, réfléchit-il a ce qu'il faifoic ? II réduifoit les conventions les plus facrées des nations entre elles aux leurres d'une perfidie politique ; il les affranchit du lieu commun, en foulant aux pieds la chimère du droit des gens. Vit-il qu'il n'y avoit plus qu'un état, celui de la guerre ; que la paix n'étoit qu'un temps d'allarmes; qu'il ne régnoit plus fur le globe qu'une faufiè & trompeufe fécurité; que les Souverains devenoient autant de loups, prêts a s'entre-dévorer; que 1'empire de la difcorde s'établiflbit fans limites; que les plus cruelles & les plus juftes repréfailles étoient autorifées, & qu'il n'étoit plus permis de dépofer les armes? alors il y eut un femi-Thémiftocle dans le Miniftere; mais il n'y eut pas un Ariftide dans toute la Grande - Bretagne , puifque loin' de s'écrier a 1'exemple de ces Athéniens qui n'étoient pas les hommes les plus fcrupuleux d'entre les Grecs: La chofe eft utile, mais elle n'eft pas honnête, qu'on ne nous en parle pas, les Anglois fe féliciterent d'une infamie contre laquelle toutes les voix de 1'Europe s'éleverent avec indignation. L'hoftilité, fans déclaration de guerre, lors même qu'il n'y a point de traités de paix, eft un procédé de barbares. L'hoftilité contre la foi des traités, mais précédée d'une déclaration  A L'HIST. PHILOSOPHIQÜE. 433 claration de guerre, de quelque précexte qu'elle ait été palliée, feroit d'une injuftice révoltante, fi 1'ufage n'en avoit été fréquent, & fi prefque  434 SUPPLEMENTS il n'en eft pas moins lache. Combien 1'ufage da peuple Romain eft plus noble! Combien il a d'autres avancage! Ouvrons, comme lui , les portes de nos temples: qu'un AmbalTadeur fe tranfporte fur la frontiere ennemie, & qu'il y fecoue la guerre du pan de fa robe, au fon de la trompette du héraut qui 1'accompagnera. N'égorgeons point un ennemi qui dort. Si nous plongeons notre main dans le fang de celui qui fe croit notre ami, latache ne s'en effacera jamais. Macbeth du poëte fera fon image. Quand même la déclaration de guerre, &c. Page 10B, après ces mots, de patrie a foi, lifez: Et en effet, pourquoi s'occuperoit-on de la gloire d'une nation, lorfqu'on nepeut fepromettre de fes facrifices qu'un accroilTement de mifere? lorfque les viftoires & les défaitesfont également funeftes; les viftoires par des impöcs qui le< préparent, les défaitespar desimpöts qui les réparent. Sans un refte d'honneur qui fubfifteau fond des ames, malgré tous les efforts qu'on employé pour 1'étouffer, & qui montre que, fous les vexations de toute efpece „le peuple ne perd pas toute fenfibilité a 1'aviliflement national, il s'affligeroit également des fuccès & des revers. Que le Souverain foit viétorieux ou vaincu; qu'il acquiere ou qu'il perde une Province; que le commerce tombe ou profpere, en fera-t-il traité avec moins de dureté?  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 43S ! L'ardeur des Anglois efl: fur tout rernarquable, &c. ^ Page iiö\ après ces mots, intrigues politiques, lifez : II (e brife au cemps qu'elles fe nouent. On n'en reaieiHeroic que des débris ifo^ lés, qu'on ne rapprocheroic que par des conjeétures hafardées qui s eloigneroient peut-êrre d'autant plus de la vérité, qu'on y montreroit plus de pénétration. On s'expoferoit fouvent a remplir par quelque grande vue, par une fpéculation profonde, un vuide qui fubfiile par 1'ignorance d'un mot piaifant, d'un caprice frivole, d'un petit reiPentiment, d'un mouvement puérile de la jaloufie : car voila les merveilleux leviers avec lefquels on a fi fouvent remué la terre, & avec lefquels on la remuera fi fouvent encore. S'il efl: fage alors de fe taire fur les caufes obfcures des événements, c'efl: le temps de parler fur le caraftere des afteurs. On fait ce qu'ils étoienc dansl'enfance, dans ia jeuneflè, dans 1'age mur* dans la familie & dans la fociété; dans la vie privée & dans les affaires,; quelles ont été leurs talents acquis, leurs paflions dominantes, leurs vertus; leurs goüts & leurs averfions; leurs liaifons ; leurs haines & leurs amitiés; leurs intéréts, les intéréts des leurs; ce qu'ils ontéprouvé de la faveur & de la difgrace; les moyens qu'ils ont employés pour arriver aux grandes places, & pour s'y maintenir; la conduite qu'ils Ee 2  436 SUPPLÉMENTS- ont tenue avec leurs protecleurs & leurs protégés; les projets qu'ils ont con?us, la maniere donc ils les ont conduits; le choix des hommes qu'ils ont appellés; les obftacles qui lesontcroifés; comment ils les ont furmontés: en un mot, les fuccès qu'ils ont eus; la récompenfe qu'ils ont obtenue, lorfqu'ils onrréuffi; le chatiment, quand ils ont échoué •, 1'éloge ou le blame de la nation; comment ils ont achevé leur carrière, & la réputation qu'ils ont laiflee après leur morr. C'efl: dans 1'ame d'un des plus importants, &c. Page 117, après ces mots, de leurs colonies, lifez : Et de les réduire a la condition ou FaffranchifTement plus ou moins prompt du Nouveau-Monde ramenera toutes les nations qui y ont formé des établifTements. Les moyens pour finir une entreprife, &c. Page 131, après ces mots, 1'Amérique Septentrionale, lifez : Qu'on fe peigne la ficuation d'un homme éclairé, qui fent tous les avantages d'un projet auquel les idéés fauffes d'une multitude aveugle le forcent de renoncer, pour fe livrer de préférence a des vues infenfées qui croifent le bien général, qui le déshonoreronc s'il s'y prête, ou qui 1'expofent s'il s'y refufe; a cöté d'un Souverain qui 1'éloignera, fi fes fujets révoltés s'obftinent a le vouloir, & qui ne garantira pas fa cête, s'ils portent la fureur jufqu'a Ia demander; entre 1'orgueil mal-entendu qui Fat-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 437 tache a fa place, & une fiercé digne d'éloge qui 1'attache a fa réputation; feul, retiré dans fon cabinet, délibérant fur le parti qu'il doit prendre, au milieu des cris & du tumulte d'une populace dont fa maifon ell entourée, & qui menace de 1'incendier. Telle eft Palternative oü fe font trouvés, & oü fe trouveront encore ceux qui conduifent les affaires dans les Etats libres. II n'y a prefque pas une feule circonftance dans ce monde oü le bien ne fe trouve entre deux inconvénients. Le courage confifte a s'y conformer , au hafard de ce qui peut en arriver: mais ce courage eft-il bien commun? Les Miniftres, qui, en Angleterre, &c. Fin du Livre dixieme.  438 SUPPLÉMENTS mmanmlÊfm—amiMnaM |||||ll|l|| «III «II ■■■ lll'TI Euro-HB éta- H 1'A-H I cher-HB cui-IJ  A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. 439 montagnes, qui fuivent fi-peu-près la même direction , ne lui laiflènc que fix ou fept lieues de large jufqu'au Caire. Depuis cette capitale jufqu'a la mer, le pays décrit un triangle dont la bafe efl: de cent lieues. Ce triangle en embrafle un autre, célebre fous le nom de Delta, & formé par deux bras du Nil, qui vont fe jetter dans la Méditerranée, 1'un a une lieue de Rozecte, & 1'autre a deux de Damiette. Quoique cette région foit embrafée, le climat en eft généralement falubre. La feule infirmité qui foit particuliere a 1'Egypte, c'eft la perte trop ordinaire de la vue. C'eft un fable fubtil, élevé par les vents de midi, en Mai & en Juin, qui fait, dit-on, tant d'aveugles. Ne feroit-il pas plus raifonnable d'attribuer cette calamité a i'ufage oü font les peuples, de coucher a 1'air neuf mois de 1'année ? II eft difficile de ne pas embraflèr cette opinion , quand on voit que ceux qui pafient la nuit dans leur maifon ou fous des tentes éprouvent rarement un fi grand malheur. II eft peu de contrées fur le globe auffi fertiles que 1'Egypte. Le fol y donne annuellement trois récoltes, dont chacune ne coüte tyu'un labour. A celle des grains fuccede celle des légumes, qui eft fuivie de celle des plantes pota* gerès. C'eft au Nil qu'eft due une fi heureufe fécondité. Ee 4  440 SUPPLEMENT Ce fleuve, qui prend fa fource dans 1'Echiopie, doit fon accroiflement a des nuages, qui, retombanc en pluie, occafïonnenc fa crue périodique. EHe commence avec le mois de Juin, & augmente jufqu'a la fin de Septembre , pour baiflèr enfuite graduellemenc. Après avoir parcouru de valles efpaces fans fedivifer, ces eaux fe féparent, cinq lieues au-deflbus du Caire, en deux branches qui ne fe rejoignent plus. Cependant un pays, oü rien n'eft fi rare qu'une fource, oü rien n'eft plus extraordinaire que la pluie, ne pouvoit être fécondé que par le Nil. Aufli creufa-tton, dans les temps les plus reculés, h 1'entrée du Royaume, quatre-vingts canaux confidérables, &un plus grand nombre de petits, qui diftribuerent fes eaux dans toute 1'Egypte, Tous, a 1'exception de cinq ou fix des plus profonds, fe trouvent a fee au commencement ou au milieu de 1'hyver : mais alors le fol n'a plus befoin d'arrofement. S'il arrivé que le fleuve ne s'éleve pas a quatre cents pouces, il n'y a d'arrofées que les terres bafies. Les autres, auxquelles leurs puits a bafcule & leurs puits a roue deviennent inutiles, font réputées ftériles pour 1'année, & déchargées de toute impofition, Les terres font divifées en trois claflès. On regarde comme la première, celle qui forme les Vakoups ou le domaine des mofquées & das  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 441 autres établiffèments religieux. C'efl: Ia plus mal cultivée, & celle qui, dans les impofitions, eft la plus ménagée par un gouvernement ignorant & fuperftitieux. Les principaux Officiers civils & militaires de 1'Etat poflèdent en ufufruit la feconde. Ils laiffent peu de chofe aux ferfs qui 1'arrofent de leurs fueurs, & rendent rarement au fifc les redevances qu'ils lui doivent. La troifieme efl: partagée entre un grand nombre de fimples citoyens, qui font exploiter leurs pofleffions, plus ou moins étendues, par des fermiers acTiifs & intelligents. Ces champs font la richefle de 1'Egypte, & deviennent la reflburce du tréfor public. Quoique le tiers des terres foit en friche, Ie pays n'eft pas dépeuplé. On y compte cinq ou iïx millions d'habitants. Les plus nombreux fonc les Coptes, qui tirent leur origine des anciens Egypciens, auxquels ils reflèmblent aflez bien. Les uns ont fubi le joug de 1'Alcoran; les autres font reftés foumis a PEvangile. Ils occupenc prefque feuls la haute Egypte, & font très-répandus dans la baflè. Plufieurs font cultivateurs; beaucoup plus exercent les arts. Les plus intelligents d'entre eux conduifent les affaires des families riches, ou fervent de fecretaires aux gens en place. Dans ces poftes, regardés comme honorables, ils ne tardent pas a prendre 1'empire Ee 5  442 SUPPLÉMENTS le plus abfolu fur des maitres énervés par le climat ou les voluptés. Cette efpece d'abandon les fait bientöt parvenir a une opulence qu'ils confomment ordinairemeut dans de vils excès. Si 1'avarice les a tenus éloignés des plaifirs, ils font, avant la fin d'une vie agitée, dépouillés de leurs tréfors par les tyrans qu'ils ont trompés. Rien n'eft fi rare que de voir des enfants héritiers de la fortune de leur pere. Après les Coptes, la race Ia plus multipliée eft celle des Arabes. Ces defcendants d'un peuple autrefois conquérant vivent tous dans le plus grand opprobre. Dans cet étac d'abjeétion, ils font tous fans courage; & jamais on ne leur a vu prendre la moindre part a aucune des révolutions qui agitent fi fouvent cette contrée. Aux yeux de leurs maitres, ce ne font que des animaux nécefiaires a la culture. On difpofe arbitrairement de leurs biens & de leur vie, fans que ces artes d'injuftice ou de cruauté ayent jamais provoqué la vengeance du Gouvernement. Ces r-J I llr il 14 I M i. f i f t m 4 M M lip eft le miférable & tributaire Royaume de Fezen, dont les habitants font noirs. Le peu de communication que les deux contrées ont entre elles ne peut s'entretenir qu'a travers des fables mouvants & arides, oü l'on ne trouve que très-rarement de Peau. La RépubPque peut avoir un revenu de 2,000,000 livres, fondé fur les palmiers, fur les puits de la campagne, fur les douanes & fur la monnoie. Les caravanes de Gadême & de Tombut portoient autrefois beaucoup d'or a Tripoli : depuis quelque temps, elles font moins riches & moins régulieres. Celle de Maroc continue a s'y rendre en allant a la Mecque, & en revenant de celieu rêvéré par les Mufulmans : mais comme le nombre des pélerins a fenfiblement diminué, ce pafTage n'eft plus fi utile. Par toutes ces raifons, le commerce qu'on faifoit par terre eft réduit a rien ou a peu de chofe. Celui de mer eft un peu plus confidérable. Les navigateurs Levantins vont prendre quelquefois leur chargement dans quelques-unes desmauvaifes rades répandues fur cette cóce immenfe: mais  A L'HIST. PHILOSOPHIQUË. 455 la plupart font leurs ventes & leurs achats dans le port de la capitale, beaucoup rneilleur que tous les autres, & oü fe trouvent réunies les marchandifes du pays & les marchandifes étrangeres. Quoique ces opérations ne foient pas trèsimportantes, les liaifons de la République avec 1'Europe font encore moindres. II n'y a que les Tofcans & les Vénitiens qui ayent des relations fuivies avec Tripoli. Cependant les marchandifes des uns nefont pasannuellement vendue au-dela de 140,000 livres, & celles des autres, n'arrivent pas a 200,000 livres. Les premiers font reftés affujectis a toutes les formalités des douanes; les fecondes s'en font affranchis en donnant tous les ans 55,500 livres au fifc. Ce marché a été dédaigné par les Francois, quoique leur maitre n'ait pas difcontinué d'y entretenir un agent. De tous les Etats Barbarefques, Tripoli fut long-temps celui dont les batiments corfaires étoient les plus nombreux & les mieux armés. Ils partoient de la capitale qui porte le méme nom que le Royaume. Cette ville , que de magnifiques ruines & un bel aqueduc trés-bien confervé ont fait foupgonner être 1'antique Orca, & qui doit être au moins une colonie Grecque ou Romaine, efl: fituée fur le bord de la mer, dans une plaine qui ne produit que des datces, & oü l'on ne trouve Ff 4  VI Situation aftuelle de Tunis, 456 SUPPLÉMENTS ni fources, ni rivieres. Ce fut un des premiers poftes qu'occuperent les Arabes encrés par 1'Egypte dans la Lybie. Les Efpagnols le prirent en 1510 ; & dix-huit ans après, Charles-Quint le donna aux Chevaliers de Malthe, qui ne le conferverent que jufqu'en 1551. II a depuis été bombardé deux fois par les Francois, fans que ces chatiments ayent rien fait perdre aux pirates de leur audace. Les troubles civils qui bouleverferent fans cefie cette malheureufe contrée ont fait feuls décliner d'abord, & tomber enfuite fes forces de mer. Tunis a également négligé fa marine militaire , depuis que la Régence a conclu de traités avec les Puiffances du Nord, & que la Corfe eft tombée fous la domination de la France. On a compris que la valeur des prifes couvriroit a peine les fraix des armements; & il n'a été guere confervé que les batiments nécefTaires pour garandr les cótes des defcentes des Malthois. Les forces de terres n'ont éprouvé aucune diminution. Cinq ou fix mille Turcs ou Chrétiens opoftats font toujours les plus folides appuis de la République. Leurs enfants fous le nom de Couloris, forment une feconde troupe. Au moment de leur naiflance, ils font foudoyés La première paye qu'ils recoivent eft de deux afpres ou d'un fol. Elle augmente avec Page, avec les grades, juf-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 457 qu'a 29 afpres ou 14 fols 6 deniers. On la réduit a la moitié, lorfque les infirmités ou bieffures obligenc ces foldats h fe retirer. Sepc mille Maures compofenc la cavalerie de 1'Etat. Leur folde eft très^foible, & ils la re?oivent le plus fouvent en denrées. Leur occupation la plus ordinaire efl: de lever le tribut im» pofé aux Arabes. Ces troupes ont toutes un fuiil, fans baïonnette , & deux piftolets a leur ceinture. Les Turcs font encore armés d'un poignard, & les Maures d'un ftilet. Le courage & 1'impétuofité doivent tenir lieu aux uns & aux autres de taétique & de difcipline. Aucune contrée de 1'Afrique Septentrionale n'a un revenu public aufli confidérable que Tunis. II efl: de 18,000,000 livres. Cette profpérité tout-a-fait moderne, a été la fuite d'une révolution heureufedans le gouvernement. LeDey, qui gouvernoit avec fes Turcs, a été dépouillé de la plus grande partie de fon autorité , & reraplacé par un Prince Maure, qui, fous le nom de Bey, conduit acluellement les affaires, affifté d'un confeil plus fage& plus modéré. Les vexations fe font un peu affoiblies; on a moins mal cultivé les terres, & les manufaflures ont pris quelque accroiflement. II n'étoit guere pofïïble que les liaifons avec 1'intérieur de 1'Afrique augmentafïènt. Elles fe réduiront toujours a l'écharïFf 5  458 SUPPLÉMENTS ge d'un pctit nombre d'objets contre la poudre d'or apportée a travers des fables & des déferts imnienfes. Mais les relations maritimes fe font étendues. Le Levanta recu plus de productions, & le commerce avec 1'Europe a fait aufli quelques progrès. Quoique 1'Angleterre, la Hollande, le Danemarck, la Suede, Venife, Ragufe, & quelquefois laTofcane entretiennent des Confuls a Tunis, les ventes & les achats de ces nations s'y réduifent h très-peu de chofe. Les Anglois même n'y en font point. Ils n'y ont un agent que pour aflurer davantage la tranquillité de leur pavillon, dans la Méditerranée, & pourprocurer un déboucbé de plus aux infulaires de Minorque. Les Francois feuls Pemporcent fur tous leurs rivaux réunis; & cependant ils n'introduifentannuellement dans lespofleflions de la République que pour 2,000,000 livres de marchandifes. Au profitque ce peuple tire de fesenvois, au profic qu'il tire de fes retours, toujours plus importants, il faut ajouter le bénéfice que font fes navigateurs en voiturant dans toutes les échelles du Levant les denrées de la République, en lui portam ce que ces contrées fourniflent pour fon approvifionnement. Chacun des nombreux batiments occupés ace cabot3ge, paye 31 livres 10 fols pour fon encrage, & une fomme égale lorfqu'il met fa cargaifon a terre.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 459 Ce qui entre dans 1'Etat ne doit que trois pour cent, s'il vientdireétement du pays qui lefournit. Mais les prodiiétions du Nord ou d'ailleurs qui ont été dépofées h Livourne, payent huit pour cent comme celles qui font propres a ce port célebre, onze même fi elles font adrefiees aux juifs. Le Gouvernement s'étoit autrefois ré1'er.vé le commerce exclufif des huiles qu'une partie de PEurope demande pour fes fabriques de favon, & 1'Egypte, Alger,Tripolipourd'autres ufages. II a renoncé a ce monopole : mais il en fait acheter le facrifice par des droits trèsconfidérables. Quoique Tunis ait concentré dans fes murs une grande partie du commerce, les autres rades de la République , répandues fur une cöte de quatre-vingts lieues, ne laiflènt pas de recevoir quelques batiments. La plus voifine de Tripoli efl: connue fous le nom de Sfax. Son fond eft d'argille. Elle a fi peu d'eau que les moindres navires font obligés de mouiller au loin, & d'excéder leurs équipages, ou de fe ruiner en fraix de bateaux. Le territoire n'offre point de denrées pour 1'exportation: mais il s'eft établi dans la ville, principalement hafeitée par les Arabes, des fabriques aflez importantes. La rade deSufa, défenduepar trois chateaux, dont le plus moderne même tombe en ruine,  460 SUPPLÉMENTS quoiqu'il ne foit pas encore achevé, eft très-dangereufe. Les vents d'Eft & de Nord-Oueft, qui Ja traverfent, inquietenc fans cefie les vailTeaux, & font quelquefois périr ceux qui n'ont pas eu le temps de fe réfugier dans la baie de Monofter. IVlalgré cet inconvénient, c'eft la feconde place de la République. C'eft a 1'abondance de fes huiles & de fes laines qu'elle doit fon aétivité. Tunis eft fituée dans des marais infeéts, au pied ou fur le penchant d'une colline. Quoique 1'air n'y foit pas pur; quoique les eaux y foient fi mauvaifes qu'il en faille aller chercher de potables a deux ou trois milles, il s'eft réuni dans fes murs cent cinquante mille habitants les moins barbares de 1'Afrique. Cette ville communiqué avec la mer par un lac qui ne peut recevoir que des bateaux trés - plats nommés [andals. A Ia fuite de ce lac, eft un canal étroit qui conduit a la Goulette qu'on doit regarder comme la rade de la capitale. Elle eft immenfe, füre, d'une égalité peu commune dans fon fond & dans fes eaux, ouverte feulement au vent du Nord-Eft, & fermée par deux chaines de montagnes que le cap Bon & le cap Zebib terminent au Nord. Bizerte étoit fort célebre, lorfque 1'Etat entretenoit un grand nombre de galeres. C'étoit de ce port qu'on les expédioit; c'étoit dans ce port qu'elles rapportoient le fruit de leurs pirateries fans ceflè répétées. Peu-a-peu, le canal qui  a L'HIST. PHïLOSOPHIQUE. 46ï conduifoit de la rade a la ville, s'eft rempli de Vale, & il n'eft maintenant acceffible que pour des fandals. Les bidments, même marchands* n'y peuvent plus entrer, & ils font réduits a jetter Pancré dans un mouillage afTez dange* reux. Port-Farine fitué fur les ruines ou dans le voifinage de 1'ancienne Ucique, étoit autrefois & feroit encore fous un autre gouvernement que celui des Maures, un des ports les plus vaftes, les plus furs, les plus commodes de la Mé* diterranée. II efl défendu par quatre forts, & fer* mé par une paflè étroite, a peine ouverte dans ce moment aux plus petits navires, & qui, fi l'on continue a la négliger, fera dans peu tout* a-fait comblée par les fables que la mer y jetta continuellement. C'eft pourtanc Parfenal & le feul afyle de la marine militaire, aujourd'hui réduite a trois demi-galeres & a cinq chebecks. A quelques milles de cette ville eft la place qu'occupa Carthage. Les débris d'un grand aqueduc & quelqtaes citernes aflez bien confervées: c'eft tout ce qui refte d'une cité fi renommée. Son port même eft fi bien anéand, que Ia mer en eft éloignée d'une lieüe. Prefqu'a 1'embouchure de laZaine, qui fépare PEtat de Tunis de celui d'AIger, eft 1'ifle Galite, couverte de troupeaux, & fur-tout de mules recherchées dans tout le Levant, Ses nom--  46a SUPPLÉMENTS VII. Situation aftuelle d'Alger. breux habitants font tons tidèrands en laine, ou pêcheurs d'éponges. Non loin de cette ifle eft celle de Tabarque, que la familie de Lomellini pofledoit depuis deux fiecles, lorfqu'elle en fut dépouillée en 1741. Les Génois droient de ce roe aride une grande quantité de très-beau corail. Al'oueft de Tunis eft la République d'Alger, dont les terres intérieures, terminées par le défert de Sahara, comme toutes celles de la Barbarie, ont plus de largeur, de population & de culture qu'on ne le croit communément. On y voit peu de villes. La plupart font fur les cöces dont l'étendue eft de cent vingt lieues. Le revenu public n'eft pas proportionné au nombre des hommes & a la maffe des productions. Les tributs fe perdent généralement dans les mains infidelles, chargées de les percevoir. Les trois Beys ou Gouverneurs du Levant, du IVIidi & du Couchant, ne remettent au fifc que 1,250,000 liv., & n'en donnent que 117,000 aux troupes. Ce que les dépenfes de 1'Etat exigent de plus eft fourni par les douanes, par le domaine, par les redevances en denrées ou en troupeaux, par la reflburce plus cafuelle des prifes faites a la mer & de la vente des efclaves. Des Turcs, & des Turcs uniquement, forment la première milice du pays. Ils devroient être douze mille; mais leur nombre n'eft jamais complet. C'eft dans ce corps puiffant qu'eft choifi  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 463 le Dey, que font pris fes Lieutenants & les membres du Divan. On nomme Couloris les defcendants de ces hommes fi privilégiés. Ils font au nombre de foixante mille, tous au fervice de laRégence, ik payés de la même maniere qu'a Tunis. La cavalerie, qui efl: d'environ vingc mille hommes , n'eft compofée que de Maures. lis ont une foible folde, foit qu'ils faflènt la guerre aux Arabes, foit qu'ils foient employés a la défenfe des Provances, foit qu'ils foient chargés du recouvrement des impofitions. Indépendamment d'une fi grande armée, toujours entretenue , le Gouvernement peut difpo. fer, s'il en eft befoin, des Maures de la plaine & de ceux des montagnes. Les uns & les autres fe rendent fans répugnance fous les drapeaux, & fondent fur 1'ennemi avec beaucoup d'audace. Les forces de mer n'approchent pas des forces de terre. Au temps ou nous écrivons, elles fe réduifent a dix-fept baciments : un vaiflèau de cinquante canons, deux frégates de quarante-deux & de trente-quatre, cinq groflès barques, deux chebecks, quatre demi-galeres & trois galiotes. Plufieurs de ces batiments, tous deftinés a la piraterie, appartiennenta 1'Etat; d'autres aux Officiers de la Régence; quelques-uns même a de fimples citoyens. Chaque propriétaire fait les fraix de fon armement, 5c en partage les bénéfices  464 SÜPPLÉMENTS avec le file & Péquipage. Ordinairement le Dey fe fait livrer les prifes qui confiftent en bois de conftruétion & en munitions de guerre. II devroit en payer la valeur: mais jamais le dédommagement n'eft proportionné au facrifice. Les navigateurs auxquels le pays d'Alger eft ouvert, peuvent aborder en fept ou huit en- droits. ■ Le port de la Calle, peu éloigné des frontieres de Tunis, eft aflez bon : mais il ne peut contenir que cinq óu fix navires. Geux qui y entrent font tous Francois. Quelques particuliere de cette nation obtinrent, dès 1560, du Prince Maure, qui gouvernoit alors ce eanton, la liberté d'y former un établiflèment pour la pêche du corail. Chalfés, huit ans après, par le Turc, jls furent rétablis en 1597, mais pour être expulfés encore. On les rappella de nouveau en 1637, & il leur fut permis de relever une petite fortification, anciennement élevée fous le hom de baftion deFrance. Bientót dégoütés d'un lieu fi peu commode, les intérefles transférerent leur loge a Calle, que 1'Anglois avoit été forcé d'abandonner. Eux-mêmes ne tarderent pas a être bannis, & on ne leur permit de rentrer dans leur pofte , qu'après les bombardements d'Alger exécutés en 1682 & en 1684 par les ordres de Louis XIV. En 1694, une afibciation plus puiflante que celles  A L'HÏST. PHILÖSOPHÏQÜÊ. 4% celles qui 1'avoient précédée , obcinc le commerce exclufif fur une aflez vafte étendue de cöte, par un traité qui a été renouvellé plufieurs fois , & qui vraifemblablemenc fera maintenu, paree que les conditions en font favorables a la milice, a qui appartient le tribut qui en fait la bafe. Plufieurs compagnies ont fucceffivement exercé ce monopole avec plus ou moins d'avantage. Depuis 1741, il eft dans les mains d'un cörps qui a formé a Marfeille uri fonds de i,200,000 liv. partagé en douze cents aétions* donc trois cents appartiennent h la chambre de commerce de cette cité célebre; Les premières opérations de la fociété furené inalheureufes. Les déprédations des corfaires & des naturels du pays, la concurrence des interlopes , une adminiftration corrompue avoient, en 1766, réduit fon eapital a 570,000 livres; Ses affaires ont fi bien profpéré, après cette époque , qu'au dernier Décembre 1773, elle avoic 4>5I2>445 ,iv- 3 fols 4 deniers, indépendaminent descréancesdouteufes, de la Valeur de fes édifices, & de quelques marchandifes qui reftoient invendues dans fes magafins.- Ses exportations fe réduifenc a peu de chofe & c'eft principalement avec de 1'argenc qu'elle faic fes achats de cörail, dé cire, de laine ,. de fuif, de cuirs, & fur-cout de grairis. Ën 1773, elle fit entrer dans le Royaume quatre - vingtSuppl. Tome IL Gs  466 SUPPLÉMENTS quatre mille trois cents trente-fix charges de froment , & ieize mille cent foixante - treize charges d'orge, de feves & de millet. Cent ou cent vingt navires, dont le fret coüte environ cent mille écus, font annuellement occupés a ces tranfports. Quoiqu'elle ait desagents a Bone & a Calle, c'eft a Calle qu'eft le fiege de fes opérations. II lui eft même permis d'avoir quelques batteries & quelques foldats dans ce comptoir forcifié, pour fe garantir du pillage des forbans & des infultes des Maures voifins. La Cour de Verfailles a été fouvent blamée d'avoir concentré ces liaifons dans les liens d'un privilege. On n'a pas vu qu'il falloit aflurer la fubfiftancede la Provence, & qu'il n'y avoit que ce moyen, paree que dans, les Etats Barbarefques, la fortie du bied n'eft que rarement permife. , Bone paroit être 1'ancienne Hippone. On y démêle quelques belles ruines, a travers les hardieflès du goüt Maure. II feroit aifé de donner un port commode a cette ville, qui a déja une rade excellente. Ce noiivel afyle feroit fuffifammeDt protégé par des ouvrages qui exiftent depuis longtemps , fous le nom de fort Génois. Bugie eft un aflez grand entrepot d'huile & de . cire qui croiflènt dans les plaines voifines, & furtout de fer qui eft apporté de montagnes plus • éloignées abondances en mines. Quoique fa rade  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 467 foit trop expofée aux vents du Nord, les efcadres de la république s'y tenoient avant qu'elles y euffent été décruices par les Anglois dans le dernier fiecle. Les andquités que renferme Tedelis prouvent que ce fut autrefois une place confidérable. On appercoit même fur fes rivages les veftiges d'un grand mole qui vraifemblablement s'avancoitdans la mer & lui formoit un_port. Ce n'eft acmellement qu'une très-mauvaife rade, oü périflènt trop fouvent plufieurs des navires qui vont y prendre leur chargemenr. La capitale de I'Erat, Alger, s'éleve en amphithéStre fur Ie penchant d'une colline qui eft couronnée par la citadelle. Son territoire, trèsbien cultivé par des efclaves, eft couvert de bied, de riz, de chanvre, de fruits, de Iégumes, de vignes même plantées par les Maures chaffés de Grenade. L'entrée & la fortie de ce port fönt très-difficiles. II eft extrêmement ferré, & n'a pas aflèz d'eau pour les vaifleaux de guerre. Les navires marchands n'y font pas même en füreté dans les gros temps. Ils fe heurtenc fouvent, & quelquefois fe brifent, lorfque les vents de Nord & de Nord-Eft foufflent avec violence. La rade forme un demi-cercle. Le fond en eft bon : mais comme elle eft expofée aux mêmes vents que le port, les batiments y font également tourmentés dans la failön des orages. Gg 2  463 SUPPLÉMENTS A cinq ou fix lieues d'Alger eft Serfelles. Cette ville a une anfe ou petite baie oü mouillent beaucoup de bateaux. La terre y eft très-baflè, la plage fort belle; & c'eft le lieu de la cöte le plus favorable pour une defcente. Arfew, dont les dehors font charmants, doit être 1'Arfenaria des anciens. On y trouve d'aflez beaux reftes de plufieurs monuments. Sa rade eft füre, commode & aflez fréquentée. II s'y formeroic a peu de fraix un port qui recevroit les plus rgrands vaifleaux. C'eft la place Maure la plusvoifine d'Oran, dont les Efpagnols s'emparerent en 1509, qui leur fut enlevée en 1708, & qu'ils reprirent en i 732.pour ne la plus perdre. Le nombre des batiments Européens qui abordent annuellement aux Etats d'Alger, varie felon les circonftances. II n'eft jamais confidérable. Les récoltes les plus abondances n'y en amenenr pas au-delk de cent. Un navire Francois, grand ou petit, chargé ou vuide, paye pour fon Jncrage 143 liv. 8 fols, & cecce taxe eft encore plus forte pour les autres nations. Toutes mdiftinftement devroient trois pour cent pour toutes les marchandifes qu'elles portenc: mais ce droit eft réduit a deux par les arrangements qu'on fait avec les fermiers des douanes. A leur fortie les denrées du pays ne font aflujetties a aucun impöt, paree que le Gouvernement en eft le feul marchand.  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 469 Quoique les Anglois, les Danois, les Holïandois, lesSuédois & les Vénitiens n'éprouvenc aucune gêne dans les rades d'Alger, ces nations n'y font que très-peu d'affaires. Les trois quarts du commerce font tombés dans les mains des Francois , dont cependant les ventes' annuelles ne s'élevent pas au-deflus de 200,000 livres, ni les achats au-deflus de 600,000 liv. Deux mille ' fix cents cinquante quintaux de laine; cinq mille mefures d'huile, & feize mille de bied; trente mille cuirs; c'eft a ces objets que fe réduifenc leurs exportations. Dans ces calculs n'emrent pas les opérations de la compagnie royale d'Afrique. Maroc a été auffi fouvent, aufli cruellement bouleverfé que le refte de PAfrique Septentrionale : mais il n'a pas fubi le joug des Turcs. Celles même de fes Provinces qui en avoient été démembrées, fous le nom de Royaumes de Fez, de Sus&deTafilet, ont été fucceflivement réunies au tronc de PEmpire. Un feul defpote gouverne aujourd'hui cette immenfe contrée felon fes caprices, & des caprices prefque toujours extravagants ou fanguinaires. L'autorité deftructive qu'on lui a laine ufurper fe perpétue fans d'autres troupes régulieres qu'une foible garde de timides negres. C'eft avec ceux de fes efclaves qu'il lui plait d'appeller , dans Poccafion , fous le drapeau, qu'il fait uniquement la guerre» Gg 3 yiir; Situation i&uelle de Ylaroe,  47o SUPPLÉMENTS Ses forces maririmes ne font guere plus impofantes. Elles fe réduifent a trois frégates, deux demi-galeres, trois chebecks & quinze galiotes. La piraterie a été jufqu'ici leur occupation unique. On croiroit que ce brigandage va finir, s'il étoit raifonnable de compter fur la foi d'un tyran, ou d'efpérer que fes fucceflèurs prendront enfin quelques fentiments humains. Dans une région, ruinée fans cefie par des vexations ou des mafTacres, le revenu public doit être peu de chofe. Cependant les dépenfes font encore moindres. Ce qu'on peut épargner va grofiir un tréfor immenfe, très-anciennement formé des dépouilles de 1'Efpagne, & toujours accru par une longue fuite de Souverains, plus ou moins cruels, qui comptoient 1'or pour tout, & pour rien le bonheur des peuples. Cette ardente foif des richefles eft defcendue du tröne aux conditions privées. II part tous les ans de la ville de Maroc, capitale de 1'Etat, avant que fes Souverains lui euflènt préféré Mekinez, une caravane, qui va chercher de 1'or dans la haute-Guinée. Avant d'y arriver, elle doit avoir parcouru un efpace de cinq cents lieues : deux cents dans 1'Empire même, deux cents dans le défert de Sahara, & cent après en être fortie. Au milieu de ce défert, oü il n'y a que des fables ftériles & accumulés, oü l'on ne peut faire route que la nuit, oü la marche eft nécefiaire-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 47! ment trés-lente, oü il faut fe conduire par Ia bouflble & par le cours des aftres comme fur POcéan, la nature a placé un canton moins fauvage , abondant en fources & en mines de fel. On charge les chameaux de ce foflile fi néceffaire, & il eft. porté a Tombut, oü l'on regoit de Por en échange. Ce précieux métal, arrivé a Maroc, n'y circule que très-rarement. II y eft enterré, comme dans tous les gouvernements oü les fortunes ne font pas aflurées. C'eft encore la deftinée de 1'argent que les Européens introduifent dans 1'Empire par les neuf rades qui leur font ouvertes. La plus voifine de 1'Etat d'Alger eft Tetuan. Elle eft füre , a moins que les vents d'Eft ne foufflent avec violence, ce qui arrivé rarement. La riviere de Bousfega, qui s'y jette, fert d'afyle, durant 1'hyver, a quelques corfaires. La garnifon de Gibraltar y faifoit autrefois acheter les beftiaux, les fruits & les légumes nécefiaires pour fa confommation : mais cette liaifon eft tombée, depuis que le Souverain du pays a voulu que le Conful de la Grande - Bretagne allat réfider a Tanger. Cette ville, conquife en 1471, par le Portugal, fut donnée, en 1662 , aux Anglois, qui Pabandonnerent après vingt - deux ans de pofièffton. En fe retirant, ils firent fauter un mole Gg 4  473 SUPPLÉMENTS qu'ils avoient conftruit, & qui mettoit en füreté les plus grands vaifleaux. Les ruines de ce bel ouvrage onc rendu Papproche de la baie trèsdifficile. Auffi ne feroit-elle d'aucune importance, fi 1'embouchure d'une riviere qu'on y voie au fond ne fervoit de refuge a la plupart des galiotes de 1'Empire, Tanger a rèmplacé Tetuan pour 1'approvifionnement de Gibraltar. La comfhunication de ces deux villes Maures eft interceptée par la forterefle Ceuta, qui n'eft féparée de 1'Efpagne, a qui elle appartient, que par un détroit de cinq lieues. L'Arracbe eft le débouché naturel d'Afgar, une des plus grandes & des plus fertiles Provinces de 1'Empire. Cetavantage, une pofition heureufe & la bonté de fon port, doivent lui donner un peu plutöt, un peu plus tard, quelque aélivité, Aétuellement, elle n'eft habitéeque par des foldats. Depuis 1'expédition qu'y tenterent les Francois en 1765, on a rétabli les fortifications élevéespar les Efpagnols, lorfqu'ils étoient les maitres de la place. Salé étoit, il n'y a pas long-temps, une république prefque indépendante, fous un chef qu'elle fe donnoit. Sa fituation, au milieu des pays foumis a Maroc, la mettoit a portée de raflèmbler beaucoup de denrées. Ses habitants étoient a Ia fois marchands & corfaires. Ils ont 8-peu-près cefie d'exercer 1'une & 1'autre de ce*  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 473 profeflïons, après avoir été fubjugués & dépouillés de leurs richeflès par le Monarque aétuel, dans le temps que fon pere occupoit le tröne. Un banc de fable, qui paroic augmenter continuellement, ne permet 1'entrée de la riviere qu'aux batiments qui ne tirent pas au-dela de fix ou fepc pieds d'eau : mais la rade efl: füre, depuis -la fin d'Avril jufqu'a la fin de Septembre. Muley-Muhammet vouloit élever une ville de commerce dans la prefqu'ifle de Fedale, & la plupart des édifices étoient commencés. Une rade qui eft füre dans toutes les 'faifons, quoique Ia mer y foit conftamment agitée, lui avoit donné 1'idée de cette création. II y a renoncé, lorfqu'on lui a fait comprendre que ce feroit une dépenfe perdue fur une cöte prefque par-tout acceffible. En 1769, les Portugais abandonnerent Mazagan, après en avoir ruiné tous les ouvrages. La place eft prefque déferte depuis cette époque. Sa rade eft commode, en été, pour les petits batiments : mais les vaifleaux de guerre, même dans cette faifon, font obligés de fe tenir au large. Safy a une rade vafte & très-füre une partie de 1'année: mais, en byver, trop expofée a Ia violence des vents du Sud, Sud-Oueft. Sa pofition, au milieu d'une Province abondante, riche & peuplée, avoit rendu cette grande ville, Ie marché prefque général des productions de 1'Empire. Elle Gg5  474 SUPPLÉMENTS s'eft vue naguere dépouillée de cet avantage par Mogodor, Mei a la pointe la plus occidentale de 1 Afrique. Le port de ce nouvel entrepot n'eft qu'un canal formé par une ifle , éloignée de la terre de cinq cents toifes. On y entre, on en fort par tous les vents: mais il n'eft pas aflez profond pour recevoir de gros navires, & I'ancrage n'y eft pas fur dans les mauvais temps. Les courants font fi rapides, qu'il eft impoflible aux vaifleaux de guerre de mouiller fur la cöte. Quoique le territoire qui environne cette place, foit peu fufceptible de culture, le caprice du defpote, qui gouverne encore le pays, en a fait le marché le plus important de fes Etats, plus confidérable même que tous les autres enfemble. Sainte-Croix, fituée dans le Royaume de Sus, au trentieme degré de latitude, eft la derniere place maritime de 1'Empire. Sa rade eft commode & ttès-fure, même pour les vaifleaux de ligne, mais durant 1'été feulement. Ce fut autrefois un aflez grand marché, oü les navigateurs trouvoient réunies les produótions d'une vafte contrée affez cultivée, & oü tout 1'or que Tarudant tire de Tombut, étoit apporté. La ville fortit des mains des Portugais, pour repafïèr fous la domination des Maures, fans perdre entiérement fon importance. Un tremblement de terre, qui en détruific une partie en 1731, lui fut plus funefte que  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 475 cette révolution. Elle fe feroit peut-être relevée de cette calamité, fi, dans un accès de colere, donton ignore le principe, Muley-Muhammet n'en eüt chaffé, quelques années après, les habitants, pour leur fubftituer une colonie de negres. Maroc ne recoit que peu de batiments Européens. Ses ports font fermés a plufieurs nations; & PAngleterre, la Hollande, Ia Tofcane, qui ont des traités avec cette Puifiance, n'en profitent guere. Pour donner quelque vigueur a ce commerce, trop négligé peut-être, il fut formé, en *755 > a Copenhague, un fonds de 1,323,958 livres 6 fols 8 deniers divifé en cinq cents actions de 2647 livres 18 fols 4 deniers chacune. Cette afibciation devoit continuer quarante ans; mais qu'elle qu'en foit la raifon, elle n'a pas rempli la moité de fa carrière. Quoique les liaifons de la France avec cet Empire ne remontent pas au-dela de 1767, les opérations de cette* couronne font de beaucoup les plus importantes; & cependant fes ventes annuelles ne palfent pas quatre cents mille francs, ni fes achats douze cents mille. Tout ce qui entre dans les Etats de Maroc, tout ce qui en fort paye dix pour cent. Chaque navire doitlivrer encore cinq cents livres de poudre & dix boulets de calibre de dix a douze, ou 577 livres 10 fols en argenc.Les monnoies d'Ef-  4-6 SUPPLÉMENTS IX. Origine d< la piraterif fur Ia cöte feptentrionale de 1'A frique. JWoyens ds Ia réprimer, pagne font celles dont 1'ufage eft le plus général : mais toutes les autres font recues fuivant leur poids & leur titre. Le tableau qu'on vient de tracer des contrées Barbarefques, n'a pu que paroitre affreux. L'état de défolation oü on les a vues plpngées a été la fuite néceflaire du penchant de ces peuples pour la piraterie. Ce goüt fort ancien dans ces régions, augmenta beaucoup, après qu'elles eurent fecoué un joug étranger. II devint une paflion a 1'occafion d'un événement qui donna un prompt accroiffement h leurs forces maritimes. L'Efpagne , affervie aux difciples de 1'Alcoran, pendant plufieurs fiecles, étoit enfin parvenue a brifer fes fers, & avoit fubjugué a fon tour les Mahométans. Elle voulut qu'ils fufient Chrétiens. Une réfiftance invincible aigrit fon zele. Son aveuglement alla jufqu'a dépeupler 1'Etat pour le purger de fujets fufpecls, & d'une religion ennemie. La plupart de ces exilés chercherent un refuge chez les Barbarefques. Leur nouvelle patrie étoit trop étrangere au commerce & a 1'induftrie, pour qu'ils pufient y faire valoir leurs talents, & profiter leurs richeffes. La vengeance les rendit corfaires. D'abord ils fe contentoient de ravager les plaines vaftes & fécondes de leurs oppreflèurs. Ils furprenoient dans leur lit les habitants pareftèux des riches campagnes de Valence, de Grenade, d'An-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 477 daloufie, &. les réduifoient a Pefclavage. Dédaignanc dans la fuite le butin qu'ils faifoient fur des terres que leurs bras nerveux avoient autrefois cultivées, ils conitruifirent de gros vaiffeaux, infulterentle pavillon des autres nations, & réduifirent les plus grandes Puiflances de 1'Europe a la honte de leur faire des préfents annuels, qui, fous quelque nom qu'on les déguife, font un vrai tribut. On a quelquefois puni, quelquefois hurnilié ces pirates : mais on n'a jamais arrêté leurs brigandages. Rien ne feroit pourtant plus facile. Les Arabes errants dans les déferts; les anciens habitants du pays qui cultivent les campagnes ; les Maures fords d'Efpagne, la plupart fixés furies cótes; lesJuifsqu'on méprife,qu'on opprime & qu'on outrage : tous les peuples de ce continent déteftent le joug qui les accable, & ne feroient pas le moindre efforc pour en maintenir la condnuité. Nul fecours étranger ne retarderoit, &c. Page 149, après ces w20W,d'intéreflèr I'homme , lifez : Hommes, vous êtes tous freres. Jufques a quand diïférerez-vous a vous reconnoitre? Jufques a quand ne verrez-vous pas que la nature, votre mere commune, préfente également la nourriture a tous fes enfants? Pourquoi faut-il que vous vous entre-déchiriez, & que les mamelles de votre nourrice foient condnuelle-  X. Couleur des habitants de la cöte occidentale de 1'Afrique , connue fous le nom de Guinée. Quelle peut être lacaufe de ce phénomene ? 47$ SUPPLÉMENTS ment teintes de votre fang? Ce qui vous révolteroit dans les animaux, vous le faites prefque depuis que vous exiftez. Craindriez-vous de devenir trop nombreux ? Hé! repofez-vous fur les maladies peftilentielles, fur 1'inclémence des éléments, fur vos travaux, fur vos paflions, fur vos vices, fur vos préjugés, fur la foiblefle de vos organes, fur la briéveté de votre durée,du foin de vous exterminer. La fageftè de 1'être a qui vous devez 1'exiftence, a prefcrit a votre population & a celle de toutes les efpeces vivantes, des limites qui ne feront jamais franchies. N'avez-vous pas dans vos befoins, fans cefïè renaiffants, aiTez d'ennemis conjurés contre vous, fans faire une ligue avec eux? L'homme fe glorifie de fon excellence fur tous les êtres de la nature; & par une férocité qu'on ne remarque pas même dans la race des tigres, I'homme eft le plus terrible fléau de I'homme. Si fon voeu fecret étoit exaucé, bientöc il n'en refteroit qu'un feul fur toute Ia furface du globe. Cet être fi cruel & fi fenfible, fi haïlTable & fi intérefiant, malheureux dans la partie feptentrionale de 1'Afrique, éprouve un fort beaucoup plus affreux dans la partie occidentale de cette vafte région. Sur cette cöte, qui s'étend depuis Ie détroit de Gibraltar jufqu'au cap de Bonne-Efpérance, les habitants ont tous, après le Niger, la tête  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 470 oblongue; le'nez large, écrafé, épaté, de groffes levres; une chevelure crépue comme la laine de nos moutons. Ils naifient blancs, & n'ont d'abord de brun que le tour des ongles, que le cercle des yeux, avec une petite tache formée aux extrémités des parties naturelles. Vers le huitieme jour après leur naiffance, les enfants commencent a changer de couleur; leur peau brunit; enfin, elle devient noire , mais d'un noir fale, terne, prefque livide, qui, avec le temps, devient vif & luifant. Cependant lachair, les os, lesvifceres, toutes les parties intérieures ont la même couleur chez les noirs que chez les blancs. La lymphe efl: également blanche & limpide, lelait des noürices eft par-tout le même. La différence la plus marquée entre les uns & les autres, c'eft que les noirs ont la peau plus échauffée, & comme huileufe, le fang noiracre, la bile très-foncée, le pouls plus vif, une fueur qui répand une odeur forte & défagréable, une tranfpiration qui noircit fouvent les corps qui la recoivent. Un des inconvénients de cette couleur noire, image de la nuit qui confond tous les objets, c'eft qu'elle a, en quelque forte, obligé ces peuples a fe cizeler le vifage & la poitrine, a marqueter leur peau de diverfes couleurs, pour fe reconnoïtre de loin. II y a des tributs oü cette pratique eft univerfelle. Elle parok chez  48o SÜPPLÉMENTS d'autres une diftincflïon réfervée aux clafïès fu* périeures. Cependant, comme on la voit établie chez les peuples de la Tartarie, du Canada, & chez d'autres nations fauvages, on peut douter fi elle n'appartient pas plutöt a leur genre de vie vagabond, qu'a la couleur de leur teint. Ce coloris vient d'une fubftance muqueufe, qui forme une efpece de rézeau entre 1'épiderme & la peau. Cette fubftance qui eft blanche dans les Européens, brune chez les peuples oli* vatres, parfemée de taches rougedtres chez les peuples blonds ou roux, eft noiratre chez les negres. Le defir de découvrir les caufes de cette cou* leur a fait éclore bien des fyftêmes. La théologie, qui s'eft emparée de 1'efprit, &C* Page 153, après ces mots, ne 1'entend pas, lifez : La raifon a tenté d'expliquer la couleur des noirs par des indudlions tirées des phénome* nes de la chymie. C'eft, felon quelques naturaliftes, une humeur vitriolique contenue dans la lymphe des negres, & trop grofliere pour 's'é* chapper a travers les pores de la peau, qui fer* mente & s'nnit avec le corps muqueux qu'elle colore. On dit alors pourquoi les cheveux font crépus, pourquoi les yeux & les dents des noirs ont tant de blancheur; & l'on ne fait pas steen* tion qu'un fel vitriolique qui auroit cette aélivité & cette énergie détruiroit a la fin toute organi* fation.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 481 fatïon. Cependant cette organifation eft auffi parfaite dans les negres que dans 1'efpece d'hommes la plus blanche. L'anatomie a cru trouver 1'origine de la couleur des noirs dans les germes de la génération. II n'en faudroic pas peut-être davantage pour prouver que les negres font une efpece particuliere d'hommes : car fi quelque chofe dinerende les efpeces ou les claiïès dans chaque efpece, c'eft affurémenc la différence des fpermes. Mais avec plus d'attention on areconnu Terreur; & cette explication de la couleur des negres a été abandonnée. Les conféquences qu'on prétendoit tirer de leur figure & de celle des autres peuples, n'a pas paru plus convaincante. Quelques-unes de ces formes font dues au climat; Ie plus grand nombre a d'anciens ufages. On a compris que ces barbares avoient pu fe former des idéés extravagantes de la beauté; qu'ils avoient cherché a donner ces agréments h leurs enfants; qu'avec le temps cette coutume avoit tourné en nature, & qu'il ne falloic plus que rrès-rarement recourir a 1'artifice pour obtenir ces formes bizarres. Ii exifte d'autres caufes plus fatisfaifantes de Ia couleur des noirs. Cette couleur réfide, comme on 1'a vu, dans un rézeau placé fous 1'épiderme. La fubftance de ce rézeau, d'abord muqueufe, fe change dans la fuite en un tiffti de Suppl, Tome IL Hh  $b SUPPLÉMENT "S vailTeaux dont le diametre eft alfez confidérablé pouradmettre, foit une portion de.la partie colorante du fang, foit la bile qu'on prétend avoir une tendance particuliere vers la peau. De-la vient chez les blancs cette couleur plus vive fur les joues dont le rézeau efl plus lache. De-la auffi cette teinte jaune ou cuivrée qui caractérife des peuples entiers, pendant que, fous un autre climat, elle n'eft qu'individuelle & produite par la maladie. La préfence de 1'une ou 1'autre de ces humeurs fuffit pour colorer les noirs, fi Pon ajoute d'ailleurs qu'ils ont 1'épiderme & le rézeau plus épais, le fang noiratre & la bile plus foncée, que leur fueur plus abondante & moins fluide doit s'épaiffir fous 1'épiderme, & augmenter 1'intenfité de la couleur. La phyfique vient encore a 1'appui. Elle obferve que les parties du corps expofées au foleil font plus colorées; que les voyageurs, les habitants des campagnes, les peuples errants, tous ceux enfin qui vivent continuellement a l'air libre & fous un ciel plus brülant ont le teint plus bafané. Elle croit, d'après ces obfervations, pouvoir attribuer la caufe primitive de la couleur des noirs au climat, a 1'ardeur du foleil. II n'exifte, dit-on, des negres que dans les pays chauds. Leur couleur devient plus foncée, h mefure qu'ils approchent de 1'équateur. Elle s'adoucit ou s'éclaircit aux excrémités de la Zone Torri-  A L'HIST. PHtLOSOPHIQUE. 483 de. Toute Fefpëce humaine, en général i, blanchit a la neige, &fe hale au foleil. On voic les nuances du blanc au noir & celles du noir au blanc marquées, pour ainfi dire, par les degrés paralleles qui coupent la terre dè Péquateur aux poies. Si les Zones, imaginéés par les inventeurs de la fphere étoient repréfentées avec de vraies ceintures, onverroitle noir d'ébene fê dégrader infenfiblement a droite & a gauche jufqu'au* tropiques \ de-la le brun palir & s'éclaircir jufqu'aux cercles polaires par des nuances de blan» eheur, toujours plus éclatantesi Cependant, comme le noir efl: plus foncé fur les cótes occidentales de 1'Afrique que dans d'autres régions, peut-être auffi embrafées, il fauc que les ardeurs dü foleil y foient fecondées paf d'autres caufes qui influeront également fur Porganifation. Ceux des Européens qui ont vécu le plus long-temps dans ces contrées * attribuenc cette plus grande noircèur aux corpufcules ni* treuxj fulphureux ou métalliques qui s'exalent continuellement de la fuperficie ou des entrailles de la terre > a 1'habitude de la nudité, a la proximité des fables brulants, a d'autres circonftances qui ne fe trouvent pas ailleurs ati même degrés Ce qui paroït confirmer que le coloris des negres eft 1'effet du climat, de Pair, de Peau, des jjjj» mencs de la Guinee, c'eft qu'il change lorfqu'on Hh 2  484 SUPPLÉMENTS les conduit dans d'autres nations. Les enfants qu'ils procréent en Amérique font moins noirs que ceux dont ils ont recu le jour. Après chaque lignée, la différence eft plus fenfible. II fe pourroit, qu'après de nombreufes générations, on ne diftinguat pas les hommes fortis d'Afrique, de ceux des pays oü ils auroient'été tranfplantés. Quoique 1'opinion qui attribue au climat la caufe première de la couleur des habitants de la Guinée, foit aflez communément adoptée, on n'a pas encore réfolu toutes les difficultés qui peuvent s'élever contre ce fyftême. C'eft une preuve ajoutée a mille autres de 1'incertitude de nos connoilTances. Et comment nos connoiflances ne feroient-elles pas incertaines & bornées? Nosorganes font fi foibles, nos moyens fi courts, nos études fi diftraites, notre vie fi troublée; & 1'objet de nos recherches fi vafte! Travaillez fans relache, Naturaliftes, Phyficiens, Chymiftes, Phlilofophes obfervateurs de tous les genres: & après des fiecles d'efforts réunis & continus, les fecrets que vous aurez arrachés a la nature, comparés a fon immenfe richefle, ne feront que la goutte d'eau enlevée au vafle océan. L'homme riche dort; Ie favant veille, mais il eft pauvre. Ses découvertes font trop indifférentes aux Gouvernements pour qu'il puifle folliciter des fecours ou efpérer des récompenfes. On trouveroit parmi nous plus d'un  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 485 Ariftote; mais oü efl: Ie Monarque qui lui dira : Ma puifiance eft a tes ordres; puife dans mes tréfors, & travaille ? Apprends-nous, célebre Buffon, a quel point de perfeétion tu aurois porté ton immortel ouvrage, fi tu avois vécu fous un Alexandre. L'homme contemplatif eft fédentaire, & Ie voyageur eft ignorant ou menteur. Celui qui a recu le génie en partage, dédaigne les détails minucieux de 1'expérience ; & le faifeur d'expériences eft prefque toujours fans génie. Entre la multitude des agents que la nature employé, nous n'en connoifibns que quelques-uns, & encore ne les connoifibns-nous qu'imparfaitement. Qui fait fi les autres ne font pas de nature a échapperpour jamais a nos fens, a nos inftruments, a nos obfervations & a nos eflais ? La nature des deux êtres qui compofent le monde, 1'efprit & Ia matiere, fera toujours un myftere. Entre les qualités phyfiques des corps, il n'y en a pas une feule qui ne laiffe une infinitéd'expériences a faire. Ces expériences même fontelies toutes poffibles? Combien de temps en ferons - nous réduits a des conjeétures qu'un jour verra éclore, & que le lendemain verra détruites? Qui donnera un freina ce penchant prefque invineible a 1'analogie, maniere de juger fi féduifante , fi commode & fi trompeufe? A peine ayons-nous quelques faics, que nous batiffbns un Hh 3  486 SÜPPLÉMENTS fyftême qui entraine la multitude, & fufpendla recherche de la vérité. Le temps employé a former une hypothefe, & le temps employé a la détruire, font prefque également perdus. Les fciences de calcul, fatisfaifantes pour 1'amourpropre, qui fe plak a vaincre les difficultés, & pour 1'efprit jutte qui aime les réfultats rigoureux, dureront; mais avec peu d'utilité pour les ufages de la vie. La Religion, qui jette du dédain fur les travaux d'un être en chryfalide, & qui redoute fecretement les progrès de la raifon, multipliera lesoififs, &retardera Thomme laborieux par la 'crainte ou par le fcrupule. A mefure qu'une fcience s'avance, les pas deviennentplus difflciles; la généralité fe dégoüte, & elle n'eft plus cultivée que par quelques hommes opiniatres , qui s'en occupent, foit par habitude , foit par 1'efpérance bien ou mal fondée de fe faire un nom, jufqu'au moment oü le ridicule s'en mêle, & oü l'on montre au doigt, ou comme un fou, ou comme un fot celui qui fe promec de vaincre une difficulté contre laquelle quelques hommes célebres ont échoué. C'eft ainfi qu'on mafque la crainte qu'il ne réuffifle. On a vu dans tous les fiecles & chez toutes les nations, les études naitre, tomber & fe fuccéder dans un certain ordre réglé. Cette inconftance, cette lafiitude ne font pas d'un homme feulement. C'eft un vice des fociétés les plus  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 487 nombreufes & les plus éclairées. II fémblequeles fciences & les arts ayent un temps de mode. Nous avons commencé par avoir des érudits. Après les érudits, des poëces & des orateurs. Après les orateurs & les poëtes, des métaphyficiens qui ont fait place aux géometres, qui ont fait place aux phyficiens, qui ont fait place aux naturalifies & aux chymiftes. Le goüt de lTIif* toire naturelle eft fur fon déclin. Nous fommes tout entiers aux queftions du Gouvernement,de légiflation, de morale, de politique & de commerce. S'il m'étoit permis de hafarder une prédiétion, j'annoncerois qu'inceflamment lesefprits fe tourneronc du cöté de 1'hiftoire , carrière immenfe oü la philofophie n'a pas encore mis le pied. En eftet, fi de cette multitude infinie de volumes , on en arrachoit les pages accordées aux grands aflaffins qu'on appelle conquérants, ou qu'on les réduifit au petic nombre de pages qu'ils méritent a peine, qu'en refteroit-il? Qui eft-ce qui nous aparlé du climat, du fol, des productions, des quadrupedes, des oifeaux, des poiffons, des plantes, des fruits, des minéraux, des moeurs, des ufages, des fuperftitions, despréjugés, des fciences, des arts, du commerce, du gouvernement & des loix? Que connoilTons-nous de tant de nations anciennes qui puifle être de quelque utilité pour les nations modernes ? Et Hh 4  488 SUPPLÉMENTS leur fagefle & leur folie ne font-elles pas également perdues pour nous'? Leurs annales ne nous inftruifent jamais furies objetsqu'il nous importe e plus de connoitre, fur la vraie gloire d'un Souverain, fur la bafe de la force des nations, fur la félicité des peuples, fur la durée des Empires. Que ces beaux difcours d'un Général a fes foldats, au moment d'une action, fervent de modeles d'éloquence a un rhéteur, j'y confens; mais quand je les faurai par cceur, je n'en deviendrai ni plus équitable , ni plus ferme, ni plus inflxuit, ni meilleur. Le moment approche oü la raifon, la juftice & la vérité vont arracher des mains de 1'ignorance &dela flatterie une plume qu'elles n'ont tenue que trop long-temps. Tremblez, vous qui repaiffez les hommes de menfonge, ou qui les fakes gémir fous 1'oppreffion. Vous allez être jugés. Dans la Guinée, on ne connoit que deux faifons. La plus faine & la plus agréable commence en Avril, & finit en Octobre. Alors il ne pleut jan-ais : mais des vapeurs épaiiTes qui couvrent 1'horizon interceptent les rayons du foleil, & en moderent les ardeurs : mais il tombe toutes les nuits des rofées aflez abondantes pour entretenir la végétation des plantes. Durant le refte de 1'année, les chaleurs font vives, & feroient peut-être infupportables,/ans les pluies qui fe fuccedent trés - rapidement. Malheureufement,  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 480 Ia nature a rarement bien difpofé le terrein poui Pécoulement de ces eaux trop abondances, & Part n'eft jamais venu au fecours de la nature De-la Porigine de tant de marais dans cette partie du globe. Ils font Ie plus ordinairemeni meurtriers pour les étrangers que Pavidité com duit a leur voifinage. En allumant chaque nuii des feux prés de leurs habitations, les naturel' du pays purifient un air corrompu, auquel il« font d'ailleurs accoutumés dès 1'enfance. Les petites variétés que peuvent offrirle nord & le fud de la ligne, n'infirment pas l'exactkude de ces obfervations. Depuis les frontieres de 1'Empire de Maroc jufqu'au Sénégal, la terre eft touc-a-fait ftérile. Une longue bande des déferts de Sahara, qui s'étendent depuis Pocéan atlantique jufqu'a 1'Egypte, au midi de tous les Etats Barbarefques, occupe ce grand efpace. Au milieu de ces fables brülants, vivent quelques families Maures, dans un petit nombre d'endroits oü fe font trouvées des fources peu abondantes, & oü il a été poffible de planter des palmiers & de recueillir des dattes. Leur principale occupation eft de ramaffer les gommes qui ont fixé 1'attendon de PEurope fur cette contrée. Elles portent dans la haute Guinée, principalement a Bambouk , une grande quantité de fel qui leur eft payée avec de Por, & quelquefois avec des efclaves. Hh 5 XI. De queüe nature eft Ie fol de li Guinée. Quellesfont fes cótes.  49° SUPPLÉMENTS xn. Idéé des di vers Gouvernementétablis en Guinée. Les bords du Niger, de la Garabie, de Sïerra-Leona; les bords des rivieres moins confidérables qui coulent dans 1'intervalle de ces grands fleuves, feroient très-fertiles, fi on vouloic les cultiver. L'éducation des troupeaux fait prefque, &c. Page 159, après ces mots, fable fertile, lifez : Au-dela du Coanza, & des établifiements Portugais, commence un pays ftérile, &c. Page 160, après ces mots, repoufie le navigateur, lifez: La mer y eft calme, & 1'ancrage fur. Sans ces avantages, on ne pourroit que difficilement la pratiquer, paree qu'elle a très-peu de ports, & que des bancs de fable prefque contigus obligent le plus fouvent de mouiller au large. Les vents & les courants ont a-peu-près, &c. Page 160, après ces mots, ils vont au Sud, lifez : Les révolutions qui ont du arriver dans ' 1'Afrique occidentale, comme dans le refte du ; globe, font entiérement ignorées; & il étoit impoflible qu'il en füt autrement dans une région oü 1'écriture a toujours été inconnue. On n'y a même confervé aucune tradition qui puifle fervir de bafe a des conjectures bien ou mal fondées. Quand on demande aux peuples de ces contrées pourquoi ils ont laiflë perdre le fouvenir de ce qu'ont fait leurs peres, ils répondent qu'il importe peu de favoir comment ont vécu les- morts, que 1'efienciel eft que les vivants ayent de la  A LTIIST. PHILOSOPHIQUE.- 491 vertu. Le paffé les touche fi peu , qu'ils ne comptent pas même le nombre de leurs années. Ce feroit, difent-ils, fe charger la mémoire d'un calcul inutile, puifqu'il n'empêcheroit pas de mourir, & qu'il ne donneroit aucune lumiere fur le terme de la vie. En parlant de cette partie du monde, on efl: donc réduit aux époques qui ont vu arriver les Européens fur fes rivages. II faut même fe borner aux cótes, puifqu'aucun étranger digne de créance n'a pénétré dans 1'intérieur des terres, & que nos navigateurs n'ont guere étendu leurs recherches au-dela des rades oü ils formoient leurs cargaifons. Toutes leurs relations atteftent que les parties connues de cette région font gouvernées ar» bitrairement. Que le defpote foit appellé au tröne, &c. Page 167, après ces mots, & plus paifible, lifez : Le pays eft généralement mal peuplé. II XV. eft rare d'y trouver des habitacions ailleurs qu'au-j^*^'^" près des rivieres, des lacs & des fontaines. Dans occupatkms ces contrées, ce font mo ques qui rapprochent les du fang qui les empêche diftingue-t-on dans la m dans le même village, de autant de families préfidéi Rien, dans ces établifl preinte d'une civilifatior  492 SUPPLÉMENTS maifons font conftruites avec des branches d'arbre ou avec des joncs attachés a des pieux, affezenfoncés pour qu'ils puffènt réfifter aux vents. On y voit rarement des fenêtres. La couverture n'eft qu'un amas de feuilles, & s'il fe peut, de feuilles de palmier, plus propres que les autres a réfifter aux injures des faifons. Les cafés de la capitale, les cafés même qu'occupe le defpote, he font guere diftinguées des autres, que par leur étendue. Ce n'eft pas que 1'abondance du plus beau & du meilleur bois; ce n'eft pas qu'une terre propre a faire de la brique, qui remplaceroit la pierre infiniment rare dans ces contrées, nefollicitentces peuples a d'autres conftruétions: mais il ne leur eft jamais tombé dans 1'efprit qu'il fallüt fe donner tant de peine pour fe loger. L'ameublement eft digne de 1'habitation. Dans les villes comme dans les campagnes, chez Ie Prince comme chez les derniers citoyens, il fe réduit a quelques paniers, a quelques pots de terre, a quelques uftenfiles de calebaflè. Si le pauvre ne couchoit fur une natte faite dans le pays, & le riche fur un tapis arrivé d'Europe, tout feroit femblable. La nourriture eft auffi la même. Du riz, du manioc, du maïs, des ignames ou des patates, felon la qualité du terrein; des fruits fauvages, du vin de palmier, du gibier & du poiflbn que  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. m chacun fe procure a fa volonté : tels font les vivres qui, fans en excepter les efclaves, font communs a tous. Une ceinture, placée au-deflus des reins & que nous appellons pagne, tient lieu de tout vêtement aux deux fexes. Des grains de verre qu'on Ieurapporte & qu'on leur vend fort cher, forment la parure de la plupart des femmes & du petit nombre d'hommes qui cherchent a fe faire remarquer. Les arts font peu de chofe dans ces régions. On n'y connoit que ceux qui fe trouvent dans les fociétés naifiantes, & encore font-ils dans Penfance. Le talent du charpentier fe réduit a élever des cabanes. Le forgeron n'a qu'un très-petit marteau &des enclumes de bois, pour mettre en oeuvre le peu de fer qui lui vient d'Europe. Sans le fecours du tour, le potier fait quelques vafes grolïïers d'argille & des pipes a fumer. Une herbe, qui vient fans rulture & qui n'a befoin d'aucun apprêc, ferc feule k faire des pagnes. Sa longueur eft la largeur de la toile. Le tiflèrand la travaille fur fes genoux, fans métier, fans navette , & en paffant avec fes doigts la trame entre chacun des fils de la chaine , de la même maniere que nos vaniers font leurs claies. Les lieux les plus éloignés recoivent leur fel des habitants des cótes, qui, par le moyen d'un grand feu, Ie féparenc de Peau de la mer. Ces travaux  494 SUPPLÊMENTS fédentaires font le partage des efclaves & d'ün petit nombre d'hommes libres. Les autres vivent dans une oifiveté habituelle. Si un caprice ou Pennui les font fortir de cette inertie, sfeft pour aller h la chalPe ou a la pêche. Jamais ils ne s'abaifTent jufqu'a folliciter la fertilité des terres. L'agrieulture, regardée comme la plus vile des occupations, eft le partage des femmes. On ne leur accorde d'autre douceur que la liberté de fe repofer un jour, après trois jours de fati* gues exceffives. Les peuples de Guinée ont dans leurs moeurs beaucoup de traits de reffèmblance. Dans toutes les parties de cette vafte région, la polygamie eft autorifée. Elle y doit être cependant fort rare, puifque tous les hommes libres & la plupart des efclaves, trouvent des compagnes. Les garens ne confultent que leur goüt pour fe ma* rier; leurs fceurs ont befoin de 1'aveu de leur mere. Ce Hen eft généralement refpefté. II n'y a que 1'adultere qui le puilfe rompre, & rien n'eft plus rare que ce défordre. Seulement a la cöte d'Angole, les filles des chefs de 1'Etat ont lè droit de choifir 1'époux qui leur convient, fut-il engagé; de Pempêcher d'avoir d'autres femmes,; de le répudier lorfqu'il leur déplait, & même de lui faire trancher la tête, s'il eft infidele.Ces Princeffes,fi on peut leur donner ce nom, jouiffent de leurs privileges, avec une fierté dédai»  A L'HÏST. PHILOSOPHIQÜE. 495 gneufe & une grande févérité, comme pour fa venger fur le malheureux qui leur eft foumis* de 1'efpece de fervitude a laquelle eft condamné leur fexe. Son fort eft déplorable. Chargées des travaux de la compagne, les femmes le font encore des foins domeftiques. Seules, elles doiventpourvoir a la fubliftance, & h tous les befoins de leur familie. Jamais elles ne paroiffent devant leur mari que dans une pofture humiliante. Elles le fervent toujours a table, & vont vivre enfuite de ce qu'il n'a pas pu ou voulu manger. Cet état de peine & d'abjedtion ne s'arrête pas au peuple. C'eft la condition des femmes de la ville * des femmes des gens riches, des femmes des grands, des femmes des Souverains. L'opulence & le rang de leurs époux, ne les font jouir d'aucune douceur, d'aucune prérogative. Tandis qu'elles épuifent au fervice de leurs tyrans le peu que la nature leur a donné de force , ces barbares coulent des jours inutiles dans une inaftion entiere. Raffemblés fous d'épais feuillages, ils fument, ils boivent, ilschantentou ils danfent. Ces amufements de la veille font ceux du lendemain. Des conteftations ne troublent jamais ces plaifirs. II y régne une bienféance qu'on ne devroit pas raifonnablement attendre d'un peuple fi peu éclairé. On n'eft pas moins furpris qu'il foit définté-  496 SUPPLÉMENTS refle. A 1'exception des cótes oü nos brigandages ont formé des brigands, il regne par-tout une grande indifférence pour les richeflès. Rarement les plus fages même fongent-ils au jour qui doit fuivre; auffi 1'hofpitalité eft-elle la vertu de tous. Celui qui ne partageroit pas avec fes voifins, fes parents & fes amis ce qu'il rapporteroit de la chalTe ou de la pêche, s'attireroit le mépris public. Le reproche d'avarice eft au-deflus de tous les reproches. On les fait aux Européens qui ne donnent rien, en les appellant des mains fermées. Tel eft le caractere général des peuples de la Guinée. II refte a parler des habitudes qui diftinguent les peuples d'une contrée de ceux d'une autre contrée. Sur les bords du Niger, les femmes, &c. Page 174, après ces mots, doivent fe reflèmbler, lifez : C'eft une ligne droite dont il y a cent moyens de s'écarter. Les confeils de la nature font courts & aflez uniformes: mais les fuggeftions du goüt, de la fantaifie, du caprice , de 1'intérêt perfonnel , des circonftances , des paffions, des accidents de la fanté, de la maladie, des rêves même, font fi nombreux & fi divers, qu'ils ne font pas & qu'ils ne peuvent jamais être épuifés. II ne faut qu'une tête folie pour en déranger mille autres, par condefcendance, par flatterie ou par imitation. Une femme  A L'HIST. PHILOSOPHÏQÜË. 497 me d'un rang diflïngué, a quelque défaut du corps a cacher. Elle irnagine un moyen qu'adopteront celles qui 1'entourenc, quoiqu'elles n'en ayent pas la même raifon; & c*eft ainfi que de cercles excentriques en cercles excentriques, une mode s'étend, & devient nationale. Cet exemple fuffit pour expliquer une infinitë de bizarre* ries dont notre pénétration fe fatigueroit a chercher le motif dans les befoins, dans la peine otl dans les plaifirs. La diverfité des inftitutions ciViles & morales, qui fouvent ne font ni plus raifonnées, ni moins fortuites, jettent auffi néceffairement, dans le caraétere moral & dans les habitudes phyfiques, des nuances qui fonc in* connues dans les fociétés moins compliquées. D'ailleurs, la nature plus impérieufe, &c. Page 17Ö, après ces mots, 1'ivoire, aux gommes, lifez :aux bois de teinture, qui avoienceu jufqu'alors aitez peu de prix. On livroic aufli en échange a leurs navigaceurs quelques foibles par* ties d'or, que des caravanes parcies desEtatsBarbarefques enlevoienc auparavanc. II venoic de 1'incérieur des terres, & principalement de Bambouk, ariftocratie fituée fous le douzieme& treiszieme degrés de latitude feptentrionale , & oü chaque village eft gouverné par un chef nommé Farim. Ce riche métal eft fi commun dans la contrée, qu'on en peut ramafler prefqueindifféremment par - tout, en raelant feulement la fu* Suppl. Tome ÏL ii  4q3 SUPPLÉMENTS perfide d'une terre argilleufe, légere & mêlée de fable. Lorfque la mine efl: très-riche, elle efl: fouillée a quelques pieds de profondeur, & jamais plus loin, quoiqu'on ait remarqué qu'elle devenoit plus abondante, a mefure qu'on creufoit davantage. Les peuples font trop pareflèux pour fuivre un travail qui deviendroit toujours plus fatigant, & trop ignorants pour remédier aux inconvénients que cette méthode entraiheroit. Leur négligence & leur ineptie, &c. Page 178, après ces mots, par portionségales, lifez : Les citoyens qui defireroient ces richefles dans un autre temps que celui de la fouille générale, les iroient chercher dans le lit des torrents oü elles font communes. Plufieurs Européens chercherent !t pénétrer dans une région qui contient tant de tréfors. Deux ou trois d'entre eux qui avoient réufli a s'en apprccher, furent impitoyafrement repoufles. M- David, chef des Francois dans le Sénégal, imagina en 1740 de faire ravager par un Prince Foule les bords du Felemé, d'oü Bambouk tiroit tous fes vivres. Ce malheureux pays alloit périr, au milieu de fes monceaux d'or, lorfque 1'auteur de leurs calamités leur fit propofer de leur envoyer des fubfiftances du fort Galam, qui n'en eft éloigné que de quarante lieues, s'ils confentoienc h le recevoir & a permettre aux fiens  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 49 d'exploiter leurs mines. Ces conditions furer accepcées, & 1'obfervatiön en fut de nouvea jurée a 1'auteurdu projec lui-même, qui,quatr ans après, fe tranfporta dans ces Provinces. Mai le traité n'eut aucune fuite. Seulement, le fou venir desmaux qu'on avoit foufferts, &deceu: qu'on avoit craints, détermina les peuples a de mander des productions a un fol qui n'avoit ét< fécond qu'en métaux. II paroit qu'on a perdu Po de vue, pour s'occuper uniquement du commera des efclaves. La propriété que quelques hommes, &c. Page 184, après ces mots, la plus méprifée, lifez : En lifant cet horrible détail, lecteur, votre ame ne fe remplit-elie pas de la même inügnation que j'éprouve en 1'écrivant? Ne vous élancez-vous pas avec fureur fur ces infames conducteurs? Ne brifez-vous pas ces fourches qui enchainent cette foule de malheureux, & ne les reffituez-vous pas èj la liberté ? Les efclaves arrivent toujours, &c. Page 184, après ces mots, fur la cöte, lifez: La traite des Européens fe fait au Nord & au Sud de la Ligne. La première cöte comtnence au cap Blanc. Tout prés font Arguin & Portendic. Les Portugais les découvrirent en 1444, & s'y établirent 1'année fuivante. Ils en furent dépouillés én 1638 par les Hollandois, qui, a leur tour, les cederent aux Anglois en 1666, mais pour y renIi 2 9 it 1 i c XVII!. Quelks font les cótes oü les riavigateurs étrangers abordent pour trouver des ef» claves.  5oo SUPPLÉMENTS trer quelques mois après. Au commencementde 1678, Louis XIV les en chafta encore, & fe contenta d'en faire démolir les ouvrages. A cette époque, Fréderic-Gtiillaume, ce grand Electeur de Brandebourg, méditoit de donner de l'aétivité a fes Etats, jufqu'alors opiniatrément ruinés par des guerres rarement interrompues. Quelques négociants des Provinces-Unies, mécontents du monopole qui les excluoit de 1'Afrique Occidentale, lui perfuaderent de batir des forts dans cette vafte contrée, & d'y faire acheter des efclaves qui feroient avantageufement vendus dans le Nouveau-Monde. On jugea cette vue utile; & la compagnie formée pour la fuivre fe procura en 1682 trois établiifements a la cöte d'Or, & un dans 1'ifle d'Arguin trois ans après. Le nouveau corps fut fucceftivement ruiné, par les traverfes des nations rivales, par 1'infidélité ou 1'inexpérience de fes agents , par les déprédations des corfaires. Comme il n'en reftoit plus que le nom, le Roi de Prulfe vendit en 1717 a la compagnie de Hollande des propriétés devenues depuis long - temps inutiles. Ces républicains n'avoient pas pris polTeffion d'Arguin, lorfqu'en 1721, il fut de nouveau attaqué, de nouveau pris par les ordres de la Cour de Verfailles, que le traité de Nimegue avoit maintenue dans cette conquête. Ils y planterent bientöt leur pavillon, mais pour le voir encore abattre en 1724.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 501 Depuis cette époque, la France ne fut pas troublée dans ces polfeffions jufqu'en 1763. Le Miniftere Britannique, qui avoit exigé le facrifice du Niger, voulut alors qu'elles en fufient une dépendance. Cette prétention ne nous paroit pas fondée. II n'y a qu'a voir les oétrois accordés aux fociétés qui ont fucceflivementexercé le monopole dans le Sénégal, pour fe convaincre qu'Arguin & Portendic n'ont jamais été compris dans leur privilege. Cependant 1'Angleterre ne permet pas que les Francois ni d'autres navigateurs approchent de ces parages. Ses fujets même n'y vont plus, depuis que les précieufes gommes qui leur donnoient quelque importance ont pris la route du Niger. Ce fleuve , qu'on appelle aujourd'hui plus communément Sénégal, eft trés - confidérable. Quelques Géographes lui donnent un cours de plus de huit cents lieues. Ce qui eft prouvé, c'eft que, depuis Juin jufqu'en Novembre, il eft navigable dans un cours de trois cents vingt lieues. La barre qui couvre 1'embouchure de la riviere, n'en permet 1'entrée qu'aux navires qui ne tirent pas plus de huit ou neuf pieds d'eau. Les autres font réduits a mouiller tout auprès, fur un fond excellent. C'eft du fort Saint-Louis, bad dans une petite ifle peu éloignée de la mer, que leur font apportées, fur des Mtiments légers , leurs cargaifons. Elles fe bornentaux gomIi 3  5o2 SUPPLÉMENTS mes recueillies dans 1'année, & a douze ou quinze cents efclaves. Les gommes arrivent de la rive gauche, & les efclaves de la droite, la feule qu'on puifie dire peuplée, depuis que les cyrans de Maroc onc étendu leur férocicé jufqu'a ces contrées. Depuis que la pacification de 1763 a affiiré a la Grande-Bretagne la polTeflion du Sénégal, que fa marine avoit conquis durant la guerre, las Francois font réduits a la cöte qui commence au cap Blanc, & fe termine a la riviere de Gambie. Quoiqu'ils n'ayent pas été troublés dans la prétention qu'ils ont de pouvoir commercer exclufivement fur ce grand efpace, leurs comptoirs de Joal , de Portudal & d'Albreda leur ont a peine fourni annuellement trois ou quatre cents efclaves. Gorée , éloignée du continent d'une lieue feulement, & qui n'a que quatre cents toifes de longueur fur cent de largeur, efl le cheflieu de ces miférables établiflèments. Durant les hoftilités commencées en 1756 , cette ifle qui a une bonne rade, & dont la défenfe eft facile, avoit fubi le joug Anglois : mais les traités la rendirent a fon premier poiïèfTèur. Jufqu'en 1772, cette contrée avoit été ouverte h tous les navigateurs de la nation. A cette époque , un homme inquiet & ardent perfuada a quelques citoyens crédules que rien ne feroit plus aifé que d'arriver, par des routes jufqu'alors  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 503 inconnues, a Bambouk & a d'autres mines non moins riches. Un miniftere ignorant feconda 1'iilufion par un privilege exclufif, & on dépenfa des fommes confidérables a la pourfuite de cette chimère. La direction du monopole pafla, deux ans après, dans des mains plus fages; & l'on s'eft borné depuis a 1'achat des noirs qui doivent être portés a Cayenne, oü la fociété a obcenu un territoire immenfe. La riviere de Gambie feroit navigable durant un cours de deux cents lieues pour d'aftèz grands batiments : mais ils s'arrêtent tous a huit ou dix lieues de fon embouchure, au fort James. Cet établiflèment, qui a été conquis, ranconné, pillé fept ou huit fois dans un fiecle, eft fitué dans une ifle qui n'a pas un mille de circonférence. Les Anglois y traitent annuellement trois mille efclaves, arrivés la plupart, comme au Sénégal, des terres intérieures & très-éloignées. Non loin de ces rivages furent découvertes, vers Pan 1449, par les Portugais, les dix ifles du cap Verd, dont Sant-Yago eft la principale. Ce petit archipel, qui, quoique haché, montueux & peu arrofé, pourroit donner toutes les productions du Nouveau-Monde, nourric a peine & nourrit fort mal le peu de noirs, la pluparc libres, échappés a quatre fiecles de tyrannie. La pefanteurdes fers qui les écrafoient, s'accrut encore lorfqu'on les livra a une afibciation qui feule li 4  504 SUPPLÉMENTS avoit le droit de pourvoir a leurs befoins, qui feule avoit le droic d'acheter ce qu'ils avoient a vendre. Auffi les exportations de ce fol aflez étendu fe réduifoient-elles, pour 1'Europe, a une herbe connue fous Ie nom d'orfeille, & qui eft employée dans les teintures en écarlate; pour 1'Amérique, a quelques bceufs, h quelques muiets ; & pour Ia partie de 1'Afrique foumife h la Cour de Lisbonne, k un peu de fucre, a beaucoup de pagnes de coton. Le fort de cet infortuné pays ne devoit pas changer. Qui pouvoit réclamer en fa faveur, puifque depuis le Général jufqu'au foldat, depuis 1'Evêque jufqu'au Curé, tout étoit a la folde de la compagnie ? Elle eft enfin abolie. Les bords des rivieres de Cazamance & de Cacheo, & la plus grande des Biffao, virent bientöt arriver plufieurs des Portugais qui étoient paffés aux ifles du cap Verd. Leurs defcendants dégénérerent, avec Ie temps, de maniere a ne guere différer des aborigenes. Ils ont toujours cependant confervé 1'ambition de fe regarder comme fouverains d'un pays oü ils avoient bati trois villages & deux petits forts. Les nations rivales ont peu refpeété cette prétention; & elles n'ont jamais difcontinué de traiter en concurrence avec les batiments arrivés des ifles du cap Verd, du Bréfil & de Lisbonne. Serre-Lione n'eft pas fous la domination Bri-  A L'HIST. PHIL0S0PH1QUE. 505 tannique , quoique fes fujets en ayent concentré prefque toutes les affaires dans deux loges particulieres, très-anciennement établies. Indépendamment de la cire , de 1'ivoire, de 1'or qu'on y trouve, ils tirent annuellement de cette riviere ou des rivieres voifines quatre ou cinq mille efclaves. Après ce marché, viennent les cótes des Graines , des Dents & des Quaquas , qui occupent deux cents cinquante lieues. On y achete du riz, de 1'ivoire & des efclaves. Les navigateurs forment pafTagérement des comptoirs fur quelquesunes de ces plages. Le plus fouvent ils attendent a 1'ancre que les noirs viennent eux-mêmes fur leurs pirogues propofer les objets d'échange. Cet ufage s'eft, dit-on, établi depuis que des actes répétés de férocité ont fait fentir le danger des débarquements. Les Anglois ont formé depuis peu un établiffement au cap Apollonie, oü la traite des efclaves eft confidérable : mais ils n'y ont pas encore obtenu un commerce exclufif, comme ils le defiroient, comme ils 1'efpéroient peut-être. Après le cap Apollonie, commence la cóte d'Or, qui finit a la riviere de Volte. Son étendue eft de cent trente lieues. Comme le pays eft divifé en un grand nombre de petits Etats, & que leurs habitants font les hommes les plus robuftes de la Guinée, les comptoirs des nations ü 5  5o6 SUPPLÉMENTS commercantes de PEurope y ont été exceflivement multipliés. Cinq font aux Danois: douze ou treize, dont Saint-George de la Mina eft le principal, appartiennent aux Hollandois; & les Anglois en ont conquis ou formé neuf ou dix qui reconnoiftènt pour chef le cap Corfe. Les Francois, qui fe voyoient a regret exclus d'une région fi abondante en efclaves, voulurent, en 1749, s'approprier Anamabou. Ils s'y fortifioient, de Paveu des naturels du pays, lorfque leurs travailleurs furent chafles a coup de canon par les vaifleaux de la Grande - Bretagne. Un négociateur habile qui fe trouvoit a Londres, a la nouvelle de cette violence, témoigna fon étonnement d'une conduite fi peu mefurée. Monjieur, lui dit un Miniftre fort accrédité chez cette nation éclairée, fi nous voulions être juftes envers les Francois, nous n'aurions pas pour trente ans d'exiftence. A cette époque, les Anglois s'établirent folidement a Anamabou, & depuis ils n'ont plus fouflèrt de concurrent dans ce marché important. A huit lieues de la riviere de Volte, eft Kela > très-abondant en fubfiftances. C'eft-lhqueferendent les navigateurs pour fe pourvoir de vivres. De-la ils expédient leurs canots ou des pirogues, pour s'informer des lieux oü il leur conviendra d'établir leur traite. Le petit Popo les attire fouvent. Les Anglois  A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. 507 & les Francois fréquentent cette échelle : mais les Portugais y font en bien plus grand nombre; & voici pourquoi. Cette nation, qui dominoit originairement fur PAfrique, y fut avec le temps réduite a un tel état de foiblefiè, que, pour conferver la liberté de négocier a la cöte d'Or, elle s'engagea a payer aux Hollandois le dixieme de fes cargaifons. Ce honteux tribut, qu'on a toujours réguliérement payé, donnoit a fes armateurs de Bahia & de Fernambuc, les feuls qui fréquentent cette cöte , un fi grand défavantage, qu'ils convinrent entre eux qu'il n'y auroit jamais dans aucun port plus d'un batiment de chacune de ces deux Provinces. Les autres fe tiennent au petit Popo, oü ils attendent que leur tour, pour traiter, foit arrivé. Juda, éloigné de quatorze lieues du petit Popo , eft fort renommé pour le nombre & pour la quah'cé des efclaves qui en fortent. II n'eft ouvert qu'aux Anglois, aux Francois & aux Portugais. Chacune de ces nations y a un fort placé dans Pifle de Gregoi, a deux milles du rivage. Les chefs de ces comptoirs font tous les ans un voyage de trente lieues, pourporter au Souverain du pays des préfens, qu'il regoit & qu'il exige comme un hommage. A huit lieues de Juda, eft Epée. Quelquefois il y a beaucoup d'efclaves; plus ordinairement  508 SUPPLÉMENTS il n'y en a point. Auffi fa rade eft-elle fouvent fans navires. Un peu plus loin eft Portonove. Le commerce , établi ailleurs fur les rivages de la mer, s'y fait a fept lieues dans les terres. Cet inconvénient le fit languir long-temps: mais aétuellement il eft fort confidérable. La paffion pour le tabac du Bréfil, qui eft encore plus vive dans cet endroit que fur le refte de la cóte, donne aux Portugais une grande fupériorité. C'eft du rebut de fes cargaifons que 1'Anglois & le Francois font réduits a former les leurs. Badagry n'eft qu'a trois lieues de Portonove. On y mene beaucoup d'efclaves. Dans le temps que toutes les nations y étoient recues, les navigateurs ne faifoient leurs ventes & leurs achats que 1'une après 1'autre. Depuis que les Anglois & les Hollandois en font éloignés, il eft permis aux Francois & aux Portugais de traiter en concurrence, paree que leurs marchandifes font trèsdifférentes. C'eft le lieu de la cóte le plus fréquenté par les armateurs Frangois. Ahoni, féparé de Badagry par un efpace de quatorze a quinze lieues , eft fitué dans les ifles de Curamo, fur une radedifficile, marécageufe & mal-faine. Ce marché eft principalement , prefque exclufivement fréquente par les Anglois, qui y arrivent fur de grofiès chaloupes, & font leur traite entre les ifles & le continent voifin.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 509 Depuis la riviere de Volte jufqu'a cet archipel, la cóte n'eft pas acceffible. Un banc de fable, contre lequel les vagues de 1'Océan viennent fe brifer avec violence, oblige les navigateurs attirés dans ces parages par Pefpoir du gain, a fe fervir des pirogues & des naturels du pays, pour envoyer leurs cargaifons a terre, & pourretirer de terre ce qu'ils recoivent en échange. Leurs navires mouillent fans danger fur un fond excellent, a trois ou quatre milles de la cóte. La riviere de Benin qui abonde en ivoire 65c en efclaves, recoit des vaifleaux. Son commerce eft prefque entiérement tombé dans les mains des Anglois. Les Francois & les Hollandois ont été rebutés par le caraclere des naturels du pays, moins barbares que ceux des contrées voifines, mais fi légers dans leurs goüts qu'on ne fait jamais quelles marchandifes ils voudronc accepter en échange. Après le cap Formofe, font le nouveau & le vieux Calbari. La cöte eft baflè, inondée fix mois de 1'année, & très-a^ÉjiM^MBBMaiM corrompueH fréquents, & des équipaM la vi&ime des intfl pu écaH gereux les navigateurs dB achetent tous les anl noirs. fl  5io SUPPLÉMENTS trefois n'abordoient que rarement a ces marchés; commencent a s'y porter en plus grand nombre. Les navires qui tirent plus de douze pieds d'eau font réduits a jetter 1'ancre prés de 1'ifle de Panis , oü le chef de ces barbares contrées fait fon féjour, & oü il a attiré un alftz grand commerce. Les affaires font beaucoup plus vives au Gabon. C'efl un grand fleuve qui arrofe une plaine immenfe, & qui, avec beaucoup d'autres rivieres moins confidérables, forme une foule d'ifles, plus ou moins étendues, dont chacune a un Souverain particulier. II n'y a guere de pays plus abondant, plusnoyé & plus mal-fain. Les Francois, plus légers qu'entreprenants, y vont peu, malgré leurs befoins. Les Portugais des ifles du Prince & de Saint-Thomas n'y envoyent que quelques chaloupes. Les Hollandois en tirent de 1'ivoire , de la cire & des bois de teinture. Les Anglois y achetent prefque tous les efclaves que font les unes fur les autres ces petites nations, perpétuellementacharnées a leur deftruétion mutuelle. II n'y a point de grand entrepot, oü fe fafïènt les échanges. Les Européens font forcés de s'enfonceravec leurs bateaux jufqu'a cinquante & foixante lieues dans ces marais infects. Cette pratique entraine des longueurs exceffives, coüte la vie a une infinité de matelots, & occafionne quelques meurtres. On verroit ceflèr ces calami-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 511 tés, s'il s'établilPoit un marché général h Pifle aux Perroquets, fuuée a dix lieues de 1'embouchure du Gabon, & oü peuvent aborder d'aflèz grands navires. La Grande-Bretagne le tenta, fans doute avec le projet de s'y fortifier, & 1'efpoir d'arriver a un commerce exclufif. Son agent fut maffacré en 1769, & les chofes font reftées comme elles étoient. On obfervera que les efclaves qui fortent du Benin, du Calbari & du Gabon font très-inférieur a ceux qu'on achete ailleurs. Auffi font-ils livrés, le plus qu'il efl: poffible, aux colonies étrangeres par les Anglois qui fréquentent plus que les autres nations ces mauvais marchés. Tel eft le nord de la Ligne. Au Sud, les marchés font beaucoup moins multipliés, mais généralement plus confidérables. Le premier qui fe préfente après le cap de Lope, c'efl: Mayumba. Jufqu'a cette rade, la mer efl: trop difficile pour qu'on puiflè approcher de terre. Une baie, qui a deux lieues d'ouverture & une lieue de profondeur, offre un afyle fur aux vaifleaux qui font contrariés par les calmes & par les courants, trop ordinaires dans ces parages. Le débarquement y eft facile auprès d'une riviere. On peut croire que le vice d'un climat trop marécageux aura feul écarté les Européens, & par conlëquent les Africains. Si de temps en temps on y vend quelques captifs,  Sin. SUPP LÊMENTS ils font achetés par les Anglois & les HoIIan* dois, qui vont aflez réguliérement s'y chargef d'un bois rouge qu'on employé dans les teintures. Au cap Segundo eft une autre baie très-falubre, plus vafte & plus commode que celle de IVIayumba même. On y peut faire fürement & facilement de 1'eau & du bois. Tant d'avantages y auroient vraifemblablement attiré un grand commerce, fi le temps & les dépenfes nécefTaires pour arriver a 1'extrémité d'une longue langue de terre n'en euflènt dégouté les marchands d'efclaves. Ils ontpréféré Loango, oü Ton mouillehhuk ou neuf cents toifes du rivage, par trois ou quatre braflès d'eau , fur un fond de vafe. L'agitation de la mer eft telle, qu'on ne peut aborder la cöte qu'avec des pirogues. Les comptoirs Européens occupent a une lieue de la ville une hauteur regardée comme très-mal-faine. De-la vient que, quoique les noirs y foient a meilleur marché qu'ailleurs, que, quoiqu'on y foit moins difikile fur la qualité des marchandifes, les navigateurs n'abordent guere a Loango que lorfque la concurrence eft trop grande dans les autres ports. A Molembo, il faut que les vaifïèaux s'arrêtent a une lieue du rivage, & que pour aborder , les bateaux franchifienc une barre aflèz dan- gereufe-.  A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 513 gereufe. Les affaires fe traitent fur une montagne fort agréable, mais d'un accès difficile. Les efclaves y font en plus grand nombre & de mei!» leure qualité que fur le refte de Ia cote. La baie de Gabinde eft füre & commode. La mer y eft aflèz tranquille, pour qu'on püc, dans les cas de néceffité, donner aux batiments les radoubs dont ils auroient befoin. On mouille au pied des maifons, & la traite fe fait a cent cinquante pas du rivage. On a dit il y a long-temps, & Pon ne ceffe de répéter que le climat eft meurtrier, trèsmeurtrier dans ces trois ports, fur-tout a Loango. Tachons de démêler les caufes de cette ca* lamité, & voyons fi elle eft fans remede. L'herbe qui croit fur la cöte, eft aflez gé» néralement de quatre ou cinq pieds. Elle regoit, durant la nuit, des rofées abondantes. Ceux des Européens qui traverfent ces prairies dans la matinée, éprouvent des coliques violentes & fouvent mortelles, a moins qu'on pe rétabliflè fans délai, par de Peau-de-vie, la chaleur naturelle aux inteftins , refroidie vraifemblablement par Pimpreffion de cette rofée, Ne fe mettroit-on pas a 1'abri de ce danger, en s'éloignant de ces plantes jufqu'a ce que le foleil eüt diffipé Pefpece de venin tombé fur leurs tiges ? Dans ces parages, la mer eft mal-faine. Ses Suppl. Tome IL Kk  514 SUPPLÉMENT S ondes, tirant fur le jaune & couvertes d'huile de baleine , doivent boucher les pores de la peau, & arrêter la tranfpiration de ceux qui s'y piongent. C'efl: probablement Porigine de ces fievres ardentes qui enlevent un fi grand nombre de matelots. Pour écarter ces maladies deftruétives , il fuffiroit peut-être de charger les naturels du pays de tous les fervices qu'on ne peut remplir fans entrer dans Peau. Les jours , dans cette contrée , font d'une chaleur exceflive; les nuits humides & fraiches: Palternative efl: facheufe. On en écarteroit les inconvénients, enallumant du feu dans la chambre a coucher. Cette précaution rapprocheroit les deux extrêmes, & donneroit la température convenable a I'homme endormi, qui ne peut fe couvrir h mefure que la fraicheur de la nuk augmente. L'inadion & 1'ennui tuent les équipages fur des navires arrêtés ordinairement quatre ou cinq mois fur la cöte. On les déchargeroit de ce doublé & "pénible fardeau, fi un tiers étoit toujours & alternativement a terre. Le travail peu pénible , qu'on fait faire mal-a propos par le negre, les occuperoit fans les fatiguer. On trouvera peut-être que nous revenons fans cefie fur la confervation de I'homme. Mais quel efl: 1'objet qui doive occuper plus férieufement t Eft-ce 1'or & Pargent? eft-ce la pierre précieu-  A LUIST. PHILOSÖPHIQUË. 5i5 fe? Quelque ame accroce Je penferoic peut-être. Si elle avoit 1'audace de 1'avouer en ma préfen«e, je lui dirois i je ne fais qui tu es; mais Ia nature t'avoit formé pour être defpote, conquérant ou bourreau : car elle c'a dépouillé de touce bienveillance pour tes femblables. S'il nous arrivé de nous tromper fur les moyens de confervation que nous propoferons, on nous combattra; on imaginera quelque chofe de mieux, &nousnous en réjouirons. Cependant notre confiance eft d'autant plus grande dans les confeils que nous vehons de donner, qu'ils fonc fondés fur des expériences faites par un des navigateurs les plus intelligents que nous ayons jamais connus. Cet habile homme, dans un an de féjour a Loango même, ne perdic qu'un matelot, & encore ce matelot s'éfoic-il écarté de 1'ordre établi. On trouve généralement dans le pays d'Angole un ufage bien fingulier, mais dont les peuples ignorent également Ie but & 1'origine. Les Rois de ces Provinces ne peuvent ni pofréder* ni toucher rien de ce qui vient d'Europe, a I'ex' cepcion des métaux, des armes, des ouvrages en bois & en ivoire. II eft vraifemblable que quelques-uns de leurs prédécefTeurs fe feront condamnés a cette privation, afin de diminuer Ia paffion effrénée de leurs fujets pour les marchandifes étrangeres. Si tel a écé le motif de cetce Kk 2  5i6 SUPPLÉMENTS inftitution, le fuccès n'a pas répondu h 1'attente. Les dernieres claflès de citoyens s'enivrent de nos liqueurs, lorfqu'ils ont des moyens pour s'en procurer; & les riches, les Grands, les Miniftres même s'habillent généralement de nos toiles & de nos étoffes. Seulement, ils ont Fattention de quitter ces parures, lorfqu'ils vont a la Cour, oü il n'eft pas permis d'étaler unluxe interditaux feuls defpotes. Depuis le dernier port dont nous avons parlé, il ne fe trouve plus de plage abordable jufqu'au Zaire. Non loin de ce fleuve, eft la riviere Ambriz, qui regoit quelques petits batiments expédiés d'Europe même. Des navires plus confidérables arrivés a Loango, a Molembo & a Cabinde y envoyent aufli quelquefois des bateaux pour traiter des noirs, & abréger leur féjour a la cöte : mais les navigateurs qui y font établis ne fouffrent pas toujours cette concurrence. Ces difficultés ne font pas a craindre a Moffua, impraticable pour des navires. Les Anglois, les Hollandois , les Francois qui font leur traité dans les ports importants, y envoyent librement leurs chaloupes; & rarement en fortent-elles, fans amener quelques efclaves obtenus & un prix plus modéré que dans les grands marchés. Après Moflüla commencent les poflèflions Portugaifes qui s'étendent fur la cöte depuis le huitieme jufqu'au dix-kuicieme degré de latitude  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 517 auftrale, & qui, dans 1'intérieur des terres, onc quelquefois jufqu'a centlieues. On divife ce grand efpace en plufieurs Provinces, dont les différents cantons font régis par des chefs tous tributaires de Lisbonne. Sept ou huit foibles corps de dix ou douze foldats chacun fuffifent pour contenir tant de peuples dans la foumiffion. Ces negres font réputés libres; mais les moindres fautes les précipitent dans la fervitude. Au milieu de leurs forêts, dans un lieu qu'on nomma la NouvelleOeiras, furent découvertes, il n'y a que peu d'années, d'abondantes mines d'un fer fupérieur a celui de toutes les autres parties du globe. Le Comte de Souza, alors Gouverneur de la contrée , & maintenant Ambafiadeur k la Cour d'Efpagne, les fit exploiter : mais elles ont étéabandonnées, depuis que la métropole a repaffé du joug de la tyrannie fous celui de la fuperflition. Ce Commandant aétif recula auffi les frontieres de 1'Empire foumis a fes ordres. Son ambitiort étoit d'arriver jufqu'aux riches mines du Monomotapa , & de préparer h fes fucceffeurs les moyens de pouflèr les conquêtes jufqu'au territoire que fa nation occupe au Mozambique. D'autres jugeront de la poffibilité ou du chimérique, de 1'inutilité ou de 1'importance de cette communication. Nous nous bornerons a obferver que le premier établiflèment Portugais prés de 1'Océan eft Bamba, dont la fonéVon principale Kk 3  5i8 SUPPLÉMENTS fe réduit a fournir les bois dont peut avoir befoin Saint-Paul de Loanda. Cette capitale de 1'Afrique Portugaife a un, aflez bon port. II efl: formé par une ifle de fable, protégé a fon entrée, très-refferrée par des forcificatïons régulieres, & défendue par une garnifon qui feroit fuffifante, fi elle n'étoit compofée d'Officiers & de foldats , la plupart flétris par les loix ou du moins exilés. On compte dans la ville fepta huit cents blancs, &environ trois mille noirs ou mutètres libres. Saint-Philippe de Benguela, qui appartient h. la même nation, n'a qu'une rade oü la mer eft fouvent fort grofle. La ville, beaucoup moins confidérable que Saint-Paul, eft couverte par un mauvais fort, que le canon des vaifleaux réduiroit aifément en cendres. On n'éprouveroit pas, une réfiftance bien opiniatre de deux ou trois cents Africains qui la gardent, & qui même, comme a Saint-Paul, font en grande partie répartis, dans des poftes aflez éloignés. A dix lieues plus loin que Saint-Philippe eft encore une loge Portugaife oü font élevés de nombreux troupeaux, & oü eft ramafle le fel, nécefiaire pour les peuples foumis a cette couronne. Les établiflèments & le commerce des Européens ne s'étendent pas loin fur la cöte occidentale de 1'Afrique. Les navires Portugais, qui fréquentent ces.  A L'HIST. PHIL'OSOPHIQUE. 519 parages, fe rendent tous a Saint-Paul ou a SaintPhilippe. Ces batiments traitent un plus grand nombre d efclaves dans le premier de ces marchés , & dans 1'autre de.s efclaves plus robufies. Ce n'eft pas de la métropole qu'ils font la plupart expédiés, mais du Bréfil, & prefque uniquemenc de Rio-Janeiro. Comme leur nation exerce un privilege exclufif, ils payent ces malheureux noirs moins cher qu'on ne les vend ailleurs. C'efl: avec du tabac & des cauris qu'ils fe procurent fur les lieux même avec du tabac, qu'ils foldent a la cöte d'Or: fur celle d'Angole, c'efl: du tabac, des eaux-de-vie de fucre, & quelques toiles groffieres qu'ils donnenc en échange. Dans les premiers temps qui fuivirent la découverte de 1'Afrique Occidentale, cette grande partie du globe ne vit pas diminuer d'une maniere fenfible fa population. On n'avoit alors aucune occupation a donner a fes habitants. Mais a mefure que les conquêtes & les cultures fe multiplierent en Amérique, il fallut plus d'efclaves. Ce befoin aaugmenté graduellement; & depuis la pacification de 1763, on a arraché chaque année a la Guinée quatre-vingt mille de fes malheureux enfants. Tous ces infortunés ne font pas arrivés dans le Nouveau-Monde. Dans le cours ordinaire des chofes, il doit en avoir péri un huitieme dans la traverfée. Les deux Kk 4 XIX. En quel nombre , a quel prix , & avec quelles marchandifes les efclaves fontils achstcs?  520 SUPPLÉMENTS tiers de ces déplorables viétimes de notre avance font fords du Nord, & le refte du Sud de la Ligne. Originairement on les obtenoit par-tout a fort bon marché. Leur valeur a fucceftivement augmenté, & d'une maniere plus marquée depuis quinze ans. En 1777, un négociant Francois en a fait acheter a Molembo 530, qui, fans compter les fraix de l'armement, lui ont coüté, 1'un dans 1'autre, 583 livres 18 fols 10 deniers. A la même époque, il en a fait prendre a Portonove 521, qu'il a obtenus pour 460 livres 10 deniers. Cette différence dans le prix, qu'on peut regarder comme habituelle, ne vient pas de 1'infériorité des efclaves du Nord. Ils font au contraire plus forts, plus laborieux , plus intelligents que ceux du Sud. Mais la cöte oü on les prend eft moins commode & plus dangereufe : mais on n'y en trouve pas réguliérement, & Parmateur eft expofé a perdre fon voyage r mais pour leur fournir des eaux falutaires, il faut relacher aux ifles du Prince & de SaintThomas : mais il en périt beaucoup dans une traverfée contrariée par les vents, par les calmes & par les courants: mais leur caraéiere les porte au défefpoir ou a la révolte. Par toutes ces raifons, on doit les payer moins cher, en Afrique, quoiqu'ils foient vendus un peu plus dans le Nouveau-Monde.  A L'HIST.« PHILOSOPHIQUE. 521 En fuppofant qu'il a été acheté quatre-vingc mille noirs en 1777, & qu'ils ont été tousachetés au prix dont nous avons parlé, ce fera 41,759,333 livres 6 fols 8 deniers, que les bords Africains auront obtenus pour le plus horrible des facrifices. Le marchand d'efclaves ne recoit pas cette fomme entiere. Les impöts établis par les Souverains des ports oü fe fait la traite , en abforbent une partie.. Un agent du Gouvernement, chargé de maintenir 1'ordre, a aufli fes droits. II eft, entre le vendeur & Pacheteur, des intermédiaires dont le Miniftere eft devenu pluscher, a mefure que la concurrence des navigateurs Européens a augmenté, & que le nombre des noirs eft diminué. Ces dépenfes, étrangeres au commerce , ne font pas exactement les mêmes dans tous les marchés : mais elles n'éprouvent pas des variations importantes, & font par-tout trop confidérables. Ce n'eft pas avec des métaux qu'on paye, mais avec nos productions & nos marchandifes. A 1'exception des Portugais, toutes les nations donnent a-peu-près les mêmes valeurs, Ce font des fabres, des fufils, de la poudre k canon, du fer, de 1'eau-de-vie , des quincailleries, des tapis, de la verroterie, des étoffes de laine, furtout des toiles des Indes Orientales, ou celles que 1'Europe fabrique & peint fur leur modele Les peuples du nord de la Ligne ontadopté pour Kk 5  $22 SUPP LÉMENTS XX. Quels font les peuples quiichetent les efclaves. monnoie un petit coquillage blanc que nous leur ipportons des Maldives. Au fud de la Ligne, le commerce des Européens a de moins cet objet d'échange. On y fabrique pour ligne de valeur une petite piece d'écoffe de paille de dixhuit pouces de long fur douze de large, qui repréfente cinq de nos fols. Les nations Européennes ont cru qu'il étoit dans 1'utilité de leur commerce d'avoir des établiflements dans 1'Afrique Occidentale. Les Por:ugais, qui, felon 1'opinion commune, y étoient irrivésles premiers, firent long-temps fans con:urrence le commerce des efclaves, paree que feuls ils avoient formé des cultures en Amérique. Des circonftances malheureufes les fournirent a 1'Efpagne, & ils furent attaqués dans toutes les parties du monde par le Hollandois qui avoit brifé les fers fous lefquels il gémifToit. Les nouveaux républicains triompherent fans de grands sifons d'un peuple aflèrvi, & plus facilement qu'ailleurs en Guinée, oü l'on n'avoit préparé iucun moyen de défenfe. Mais aufli-töt que Lifbonne eut recouvré fon indépendance , elle voulut reconquérir les pofièflions dont on 1'avoit dépouillée durant fon efclavage. Les fuccès qu'elle eut dans le Bréfil enhardirent fes navigateurs a tourner leurs voiles vers 1'Afrique. S'ils ne réufSrent pas a rendre h leur patrie tous fes anciens droits» du moins firent-ils rentrer en 1648 fous  A L'HIST. PHIL0S0PH1QUË. 523 fon empire Ia grande contrée du pays d'Angole, oü elle n'a ceffé depuis de donner des loix. Le Portugal occupe encore dans ces valles mers quelques ifles plus ou moins confidérables. Tels font les débris qui font reftés a la Cour de Lisbonne de la domination qu'elle avoit établie, & quis'étendoit depuis Ceuta jufqu'a la mer Rouge. La jouiffance de ce que les Hollandois -arra-. cherent d'une fi riche dépouille, fut abandonnée par Ia République a la compagnie des Indes Occidentales qui s'en étoit emparée. Le monopole conftruifit des forts; il leva des tributs; il s'attribua la connoiflance de tous les difTérends; il ofa punir de mort tout ce qu'il jugeoit contraire h fes intéréts; il fe permit même de traiter en ennemis tous les navigateurs Européens qu'il trouvoit dans les parages dont il s'attribuoit exclufivement le commerce. Cette conduite ruina fi entiérement le corps privilégié, qu'en 1730 il fe vit réduit a renoncer aux expéditions qu'il avoit faites fans concurrent jufqu'a cette époque. Seulement il fe réferva la propriété des forts dont la défenfe & 1'entretien lui coütent réguliere, mént 280,000 florins, ou, 616,000 livres. Pour leur approvifionnement, il expédie tous les ans un vaiffèau, a moins que les navires marchands qui fréquentent ces parages ne veuillent fe charger de voiturer les'munitions pour un fret modique. Quelquefois mêrne il ufe du droit qu'il  524 SUPPLÉMENTS s'eft réfervé d'envoyer douze foldats fur tout bitiment, en payant 79 livres 4 fols pour le paffage & la nourriture de chacun d'eux. Les directeurs des différents comptoirs peuvent acheter des efclaves, en donnant 44 livres par tête a la fociécé dont ils dépendent : mais ils font obligés de les vendre en Afrique même, & la loi leur défend de les envoyer pour leur compte dans le Nouveau-Monde. Ces régions font aétuellement ouvertes a tous les fujets de la république. Leurs obligations envers la compagnie fe réduifent a lui payer 46 livres 14 fols, pour chacun des tonneaux que contiennent leurs navires, & trois pour cent de toutes les denrées qu'ils rapportent d'Amérique en Europe. Dans les premiers temps de Ia liberté, le commerce de Por, de 1'ivoire, de la cire, du bois rouge, de Pefpece de poivre connue fous le nom de Malaguette, occupoit plufieurs batiments. On n'en expédie plus aucun pour ces objets, dont quelques parties font chargées fur les navires envoyés pour acheter des noirs. Le nombre de ces navires, la plupart de deux cents tonneaux, & depuis vingt-huit jufqu'a trente- fix hommes d'équipage, s'élevoit autrefois chaque année a vingt-cinq ou trente, qui traitoient fix ou fept mille efclaves. II eft fort diminué, depuis que la baifïè du café a mis les colonies hors  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 525 d'etat de payer ces cargaifons. La Province de Hollande prend quelque part a ce honteux tralie : mais c'efl: la Zélande qui le fait principale* ment. Les déplorables viétimes de cette avidité cruelle font difperfées dans les divers établiflèments que les Provinces-Unies ont formé aux ifles ou dans le continent de 1'Amérique. On devroit les y expofer publiquement & les débiter en détail s mais ce réglement n'eft pas toujours obfervé. II arrivé même aflez fouvent qu'un armateur, en faifant fa vente, convient du prix auquel il livrera les efclaves au voyage fuivant. Ce fut en 1552 que le pavillon Anglois parut pour la première fois fur les cótes occidentales de 1'Afrique. Les négociants qui y trafiquoient, formerent, trente-huic ans après, une afibciation que, fuivant un ufage alors général, on gratifia d'un privilege exclufif. Cette fociété & celles qui la fuivirent, virent leurs vaifleaux fouvent confifqués par les Portugais, & enfuite par les Hollandois qui fe prétendoient fouverains de ces contrées : mais a la fin, la paix de Breda mit pour toujours un terme a ces tyranniques perfécutions. Les ifles Angloifes du Nouveau-Monde com> mengoient alors a demander un grand nombre d'efclaves pour 1'exploitation de leurs terres. C'étoit un moyen infaillible de profpérité pour les  $16 SUPPLÉMÉNtS corps chargés de fournir ces cultivateurs. Cependant ces compagnies qui fe fuccédoient avec une extréme rapidité, fe ruinoient toutes, & re* tardoient, par leur indolence ou par leurs infidélités, le progrès des colonies dont la nation s'étoit promis de fi grands avantages. L'indignatioh publique contre un pareil défordre fe manifefta en 1697, d'une maniere fi violente, que le Gouvernement Te vit forcé d'autorifer les particuliers a fréquenter 1'Afrique Occidentale ; mais fous la condition qu'ils donneroienc dix poür cent au monopole pour 1'entretien des forts élevés dans cette région. Le privilege lui - même fut anéanti dans la fuite. Depuis 1749, ce commerce eft ouvert fans fraix a tous les navigateurs Anglois; & c'eft le fifc qui s'eft chargé lui - même des dépenfes de fouveraineté. Après la paix de 1763, la Grande-Bretagne a envoyé aflez réguliérement tous les ans aux cótes de Guinée 195 navires, formant enfemble vingt-trois mille tonneaux, & montés de feptoü huit mille hommes. Liverpol en a expédié un peu plus de la moitié; Ie refte eft parti de Londres, de Briftol & de Lancaftre. Ils ont traité quarante mille efclaves. La plus grande partie a été vendue aux ifles Angloifes des Indes Occidentales & dans 1'Amérique Septentrionale. Ce qui n'a pas trouvé un débouché dans ces map  A L'HIST. PHILOSOPHIQÜE. 527 chés, a été introduiten fraude ou publiquemenc dans les colonies des autres nations. Ce grand commerce n'a pas été conduit fur des principes uniformes. La partie de la cöte qui commence au cap Blanc, &finit au cap Rouge, futmife en 1765 fous l'infpeftion immédiate du Miniftere. Depuis cette époque jufqu'en 1778, les dépenfes civiles & militaires de cet établiflement ont monté a 4,050,000 livres : fomme que la nation a jugée trop forte pour les avantages qu'elle a retirés. C'eft un comité choifi par les négociants euxmêmes , & formé par neuf députés, trois de Liverpol, trois de Londres & trois de Briftol, quidoit prendre foin des loges répandues depuis le cap Rouge jufqu'a la Ligne. Quoique le Parlement ait annuellement accordé quatre ou cinq cents mille livres pour 1'entretien de ces petits forts, ils font la plupart en ruine : mais ils font défendus par la difficulté du débarquement. Iln'ya point de comptoirAnglois furie refte de 1'Afrique Occidentale. Chaque armateur s'y conduit de la maniere qu'il juge la plus convenable a fes intéréts, fans gêne & fans proteclion parti. culiere. Comme la concürrence eft plus grande dans ces ports que dans les autres, les navigateurs de la nation s'en font éloignés peu-a-peu; & a peine traitent-ils annuellement deux mille efclaves dans des marchés oü autrefois ils eu achetoienc douze ou quinze mille.  528 SUPPLÉMENT? On ne peut guere doucer que les Francois n'ayent paru avant leurs rivaux fur ces plages fauvages : mais ils les perdirent entiérement de vue. Ce ne fut qu'en 1621 qu'ils recommencerent a y faire voir leur pavillon. L'établifièment qu'ils formerent, a cette époque, dans le Sénégal, dut en 1678 quelque accroiffement a la terreur qu'imprimoient alors les armes victorieufes de Louis XIV. Ce commencement de puiffance devint ia proie d'un ennemi redoutable fous le regne de fon Succeiïèur. D'autres comptoirs, élevés fucceflivement'& devenus inutiles dans les mains du monopole, avoient déja été abandonnés. Auffi, faute de loges, la traite de cette nation a-t-elle toujours été infuffifante pour fes riches colonies. Elle ne leur a fourni, dans fa plus grande aétivité, que treize a quatorze mille efclaves chaque année. Les Danois s'établirent dans ces contrées, il y a plus d'un fiecle. Une compagnie exclufive y exercoit fes droits avec cette barbarie dont les Européens les plus policés ont tant de fois donné 1'exemple dans ces malheureux climats. Un feul de fes agents eut le courage de renoncer a des atrocités que 1'habitude faifoit regarder comme légitimes. Telle étoit la réputation de fa bonté , la confiance en fa probité, que les noirs venoient de cent lieues pour le voir. Un Souverain d'une contrée éloignée lui envoya fa fille avec de  A L'HÏST. PHÏLOSOPHIQUE. 529 de 1'or & des efclaves, pour obtenir un pecicüls de Schilderop. C'étoit Ie nom de cet Européen, révéré fur toutes les cótes de la Nigririe. O vertu ! tu refpires encore dans 1'ame de ces miférables, condamnés a habiter parmi les tigres, ou a gémir fous la tyrannie des hommes! Ils peuvent donc avoir un cceur pour fentir les doux attraics de 1'humanité bienfaifante! Jufte & magnanime Danois! quel Monarque recut jamais un hommage auffi pur, auffi glorieux que celui donc ta nation t*a vu jouir! Ec dans quels lieux encore? Sur une mer, fur une terre que crois (ie* cles ont a jamais fouillée d'un infiime trafic de crimes & de malheurs, d'hommes échangés pour des armes, d'enfants vendus par leurs peres. Ori n'a pas aftèz de larmes pour déplorer de pareilles horreurs; & ces larmes font inutiles! En 1754» le commerce de Guinée fut ouvert a tous les citoyens, a condition qu'ils payeroient ï 2 livres au fifc, pour chaque negre qu'ils inrroduiroient dansles ifles Danoifes du NouveauIvlonde» Cette liberté fe réduifit, année commu ne, a 1'achat dé cinq cencs efclaves. Üne pareute inaclion décermina le Gouvernement a écouter, en 17Ö5, les ouvertures d'un étranger, qui offroit de donner a ce vil commerce 1'extenfion convenable, & on le déchargea de 1'impóc donc il avoic écé grévé. La nouvelle expérience fut touc-a-faic malheureufe, paree que fauteur du Stippl. Tome II, LI  530 SUPPLÉMENTS projet ne püt jamais réunir au-dela de 170,00® écus pourl'exécution de fes entreprifes. En 1776, il fallut revenir au fyftême abandonné onze ans auparavant. Chrifliansbourg & Frederisbourg font les feuls comptoirs un peu fortifiés; les autres ne font que de fimples loges. Pour la fomme de 53,160 livres, la couronne entretient dans les cinq établilTements foixante-deux hommes, dont quelques-uns font noirs. Si les magafins étoient convenablement approvifionnés, il feroit facile de traiter tous les ans deux mille efclaves. Dans 1'Etat aftuel des chofes, on n'en achete que douze cents, livrés la plupart aux nations étrangeres, paree qu'il ne fe préfente pas des navigateurs Danois pour les enlever. II n'eft pas aifé de prévoir quelles maximes fuivra 1'Efpagne dans les liaifons qu'elle va former avec 1'Afrique. Cette couronne recut fucceflivement, tantöt ouvertement & tantöt en fraude, fes efclaves des Génois, des Portugais, des Francois & des Anglois. Pour fortir de cette dépendance, elle s'eft fait céder, dans les traités de 1777 & de 1778 , par la Cour de Lisbonne, les ifles d'Anobon & de Fernando del Po, toutes deux fituées très-près de la Ligne, 1'une au Sud, & 1'autre au Nord. La première n'a qu'un port très-dangereux, trop peu d'eau pour les navires, fix lieues de circonférence. Deux hau-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 531 êes montagnes occupenc la plus grande partie de cet efpace. Les épais nuages qui les couvrent, prefque fans interruption, entretiennent dans les Vallées une fraicheur qui les rendroit fufceptibles de culture. On y voit quelques centaines de noirs dont le travail fait fubfifter un petit nombre de blancs dans une grande abondance de porcs, de chevres & de volaille. La vente d'un peu de coton fournitaux autres befoins renfermés dans des bornes fort étroites. La feconde acquifition a moins de valeur intrinfeque, puifqu'on n'y trouvé de rade d'aucune efpece, & que fes habitants font très-féroces: mais fa proximité du Kalbari & du Gabon la rendra plus propre a 1'objet qu'on «eft propofé. Cependant, que le Miniftere Efpagnol ne croye pas qu'il fuffife d'avoir quelques poifeffions en Guinée pour fe procurer des efclaves. C'étoit, il eft vrai, 1'état originaire de ce trafic infame. Chaque nation Européenne n'avoit alors qu'a fortifier fes comptoirs, pour en écarter les marchandsétrangérs,pour alfujettir les naturels du pays a ne vendre qu'a fes propres navigateurs : mais lorfque ces petits diftricts n'ont eu plus rien a livrer, la traite a langui, paree que les peuples de 1'intérieur ont préféré les ports libres öü ils pouvoient choifir les acheteurs. L'utilité de tant d'établiflements, (kc.pag. 192. Page 201, après ces mots, dernier fupplice? LI 2  53a SUPPLEMENTS lifez : Des aétes d'une nature fi fublime doivent être rares. Voici une a&ion moins héroïque, mais fort eftimable. Un colon de Saint-Domingue avoit une efclave de confiance, qu'il flattoit toujours d'une liberté prochaine, & auquel il ne 1'accordoit jamais. Plus cette efpece de favori faifoit d'efforts pour fe rendre utile, & plus fes chaines fe refferroient, paree qu'il devenoit de plus en plus nécelfaire. Cependant 1'efpérance ne 1'abandonna pas, mais il réfolut d'arriver au but defiré par une autre voie. Dans quelques quartiers de 1'ifle, les negres font chargés eux-mêmes de leur habillemenc , de leur nourriture. Pour qu'ils puiflènt pourvoir a ces befoins, on leur accorde un terrein borné , & deux heures par jour pour le cultiver. Ceux d'entre eux qui ont de 1'adtivité, de 1'intelligence, ne fe bornent pas a tirer leur fubfiftance de leurs petites plantations, ils en obtiennent un fuperflu qui leur aflure une fortune plus ou moins confidérable. Louis Defrouleaux, que fes projets rendoient très-économe & très-laborieux, eut bientötamalTé des fonds plus que fuffifants pour fe racheter. II les offrit avec tranfport pour prix d'une indépendance tant de fois promife. J'ai trop trafiqué dit fang de mes femblables, lui dit fon maitre, d'un ton humilié : fois libre , tu me  A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 533 rends a moi-même. Tout de fuite cet homme, dont le cceur avoit été plutöt' égaré que corrompu, vend fes habitations, & s'embarque pour la France. Pour fe rendre dans fa Province , il falloic traverfer Paris. II ne vouloit s'y arrêterque peu: mais les plaifirs variés que lui offroit cette fuperbe & délicieufe capitale, le retinrent jufqu'at ce qu'il eüt follement diffipé les richeflès acquifes par de longs & heureux travaux. Dans fon défefpoir, il jugea moins humiliant d'aller folliciter en Amérique les fervices de ceux qui lui devoient leur avancemenc, que de mendier en Europe les fecours de ceux qui 1'avoient ruiné. Son arrivée au cap Fran§ois caufa une furprife univerfelle. Sa fituation n'y fut pas plutöc connue, qu'on s'éloigna généralement de lui. Toutes les maifons lui furent fermées, aucun cceur ne s'ouvroit a la compaffion. II étoit réduit a couler a 1'écart des jours obfcurs, dans Popprobre qui fuit 1'indigence, &„ fur-tout Pindigence méritée, lorfqu'il vit Louis Momber a fes pieds. Daignez, lui dit ce vertueux aifranchi, daignez accepter la maifon de votre efclave, on vous y fervira, on vous y obéira, on vous y aimera. S'appercevant bientöt que le refpeft qu'on doit aux infortunés,que les égards qu'on doit aux bienfaiteurs, ne rendoient pas heureux fon ancien maitre, il le prèfla d'aller LI 3  534 SUPPLÉMENTS vivre en France. Ma reconnoifiance vous y fuivra, lui dit-il en embralfant fes genoux. Voila un contrat de 1500 livres de rente que je vous conjure d'accepter. Cette nouvelle marqué de votre bonté , remplira mes jours de confolation. La penfion a toujours été payée d'avance depuis cette époque. Quelques préfents de fentiment 1'ont conftamment fuivie de Saint-Domingue en France. Celui qui la donnoit & celui qui la recevoit, vivoient encore en 1774. Puiflènt-ils 1'un & ï'autre fervir long-temps de modele a ce fiecle orgueilleux, ingrat & dénaturé ! Plufieurs traits femblables a celui de Louis Defrouleaux, ont touché le cceur de quelques colons. Plufieurs diroient volontiers comme, &c Page 202, après ces mots, miniftere de bourreau, lifez: Un autre avoit été mis légérement a la torture pour une faute de peu d'importance, dont même il n'étoit pas coupable. Son reftèntiment le décide a fe faifir de la familie entiere de fon opprefieur & a la porter fur les toics. Le tyran veut rentrer dans 1'babitation, & eft lancé è fes pieds le plus jeune de fes enfants. II leve la tête, & c'eft pour voir tomber le fecond. A genoux &défefpéré, il demande, en tremblant, la vie du troifieme. La chüte de ce dernier rejetton de fon fang accompagnée de celle du na-  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 535 gres lui apprend qu'il n'eft plus pere ni digne de Pêtre. Cependant rien n'eft plus affreux, &c. Page 203,après ces mots, conducteur féroce» lifez :L'Europe retentie depuis un fiecle des plus faines, des plus fublimes maximes de la morale. La fracernité de tous les hommes eft établie de la maniere la plus touchante dans d'immortels écrits. On s'indigne des cruautés civiles ou religieufes de nos féroces ancêtres, & l'on détourne les regards de ces fiecles d'horreur & de lang. Ceux de nos voifins que les Barbarefques ont chargé de chaïnes, obtiennent nos fecours & notre pitié. Des malheurs même imaginaires, nous arrachent des larmes dans le filence du cabinet, & fur-tout au théatre. II n'y a que la fatale deftinée des malheureux negres qui ne nous intérefie pas. On les tyrannife, on les mutile, on les brüle, on les poignarde; & nous 1'entendons dire froidement & fans émotion. Les tourments d'un peuple a qui nous devons nos délices ne vont jamais jufqu'a notre cceur. L'état de ces efclaves, &c. Page 206, après ces móts, ni bons, ni fuffifants, lifez: Celui qui leur eft fpécialement deftiné, le manioc, eft en lui-même très-dangereux. II tue trés - rapidement les animaux qui en mangent, quoique, par une contradidion trop ordinaire dans la nature, ils en foient avides. Si cette raLl 4  536 SUPPLÉMENTS cine ne produic pas un fi funefte effet fur les hommes, c'efl qu'ils n'en fonc ufage qu'après des préparations qui lui onc óté couc fon venin. Maïs combien ces procédés doivent être accompagnés de négligence, lorfqu'ils n'ont pour objec que des efclaves! L'arc s'öccupe depuis long-temps de trouver des reraedes contre cette maladie de l'eflomac. Après bien des expériences, on a jugé que rien n'étoit plus falutaire que de donner aux noirs qui en font atteints, trois onces de fuc de calebaffier rampant, avec une dofe a-peu-près pctreille d'une efpece d'atriplex, connu dans les ifles fous le nom de jargon. Ce breuvage eft précédé par un purgatif, fait avec un demi-gros de gommegutte, délayé dans du lait ou dans 1'eau de miel. Le pian, qui eft la feeonde maladie particuliere aux negres, & qui les fuit d'Afriqueen Amérique, fegagne par naifiance, & fe contraétepar communication. II eft commun aux deux fexes. On en eft atteint a tout age : mais particuliéremenc dans 1'enfance & dans la jeunefiè. Les vieillards onc rarement des forces fuffifantes pour réfifter aux longs & violencs craitements qu'il exige. On compce quacre forces de pian. Le bouconné, grand & petit comme la petite-vérole; celui qui reflèmble a la lentille; & enfin le rouge, le plus dangereux de tous.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 537 Le pian attaque toutes les parties du corps, le vifage principalement. II fe manifefte par des taches rouches & grainelées comme la framboife. Ces taches dégénerent en ulceres fordides, & le mal finit par gagner les os. En général, il y apeu de fenfibilité. La fievre attaque rarement ceux qui ont le pian. Ils boivent & mangent a leur ordinaire : mais ils ont un éloignement prefque invincible pour tout mouvement, fans lequel cependant on ne peut efpérer de guérifon. L'éruption dure a-peu-près trois mois. Pendant ce long efpace de temps, on nourrit le malade de giromon, de riz cuit fans graifle ni beurre, & on lui donne, pour boifion unique, de Peau ou Pon a fait bouillir 1'un & Pautre de ces végétaux. II doit être d'ailleurs tenu très-chaudement, & livré a tous les exercices qui favorifent le plus fortement la tranfpiration. Elle arrivé enfin Pépoque oü il faut purger le malade, le baigner, & lui donner du mercure intérieurement & en friction, de maniere a n'établir qu'une douce falivation. On feconde 1'effet de ce remede, le feul fpécifique, par des tifanes faites avec des plantes ou des bois fudorifiques. II faut même les continuer long-temps, après que la cure eft regardée comme finie. L'ulcere, qui a fervi d'égout pendant le traitement, n'eft pas toujours fermé au terme mêLI 5  538 SUPPLÊMENTS me de la maladie. On le guérit alors avec le précipité rouge & un digeftif. Les negres onc une méthode particuliere pour faire fécher leurs puftules. Ils y appliquent du noir de chaudiere, détrempé dans du fuc de limon ou de citron. Tous les negres venus de Guinée, ou nés aux ifles, hommes & femmes, ont le pian une fois en leur vie. C'eft une gourme qu'ils fonc obligés de jetter: mais il eft fans exemple qu'aucun d'eux en ait été attaqué de nouveau lorfqu'il avoit été guéri radicalement. Les Européens ne prennent jamais, ou prefque jamais cette maladie, malgré le commerce fréquent, on peut dire journalier, qu'ils ont avec les negreffes. Celle - ci nourriflènt les enfants blancs, & ne leur donnent point le pian. Comment concilierces faits qui fonc inconceftables, aveclefyftême que la médecine paroit avoir adopté fur la nacure du pian? Pourquoi ne veuc-on pas que le germe, je fang & la peau des negres, foient fufceptibles d'un venin particulier a leur efpece? La caufe de ce mal eft peut-être dans celle de leur couleur: une différence en amene d'autres. II n'y a point d'être ni de qualité qui foient ifoIés dans la nature. Mais, quel que foit ce mal, il eft prouvé que quatorze ou quinze cents mille noirs, aujourd'hui épars dans les colonies Européennes  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 539 du Nouveau-Monde, font les reftes inforcunés de huit ou neuf millions d'efclaves qu'elles onc recus. Cette deftruction horrible ne peut pas, &c. Page 217, après ces mots, de leur puifiance, lifez : L'efclavage eft 1'étac d'un homme qui, par la force ou des conventions, a perdu la pro priété de fa perfonne, & dont un maitre peut difpofer comme de fa chofe. Cet odieux état fut inconnu dans les premiers Sges. Les hommes étoient tous égaux : mais cette égalité naturelle ne dura pas long-temps. Comme il n'y avoit pas encore de gouvernement régulier établi pourmaintenir 1'ordre focial; comme il n'exiftoit alors aucune des profeftions lucratives que Ie progrès de la civilifation a introduites parmi les nations, les plus forts ou les plus adroits s'emparerent bientót des meilleurs terreins, & les plus foibles ou les plus bornés furent réduits a fe foumettre a ceux qui pouvoient les nourrir ou les défendre. Cette dépendance étoit tolérable. Dans la fimplicité des anciennes mceurs, il y avoit peu de diftinérion entre un 1 maitre & fes ferviteurs. Leur habillement, leur nourriture, leur logement n'étoient guere différents. Si quelquefois lefupérieurimpétueux & violent, comme le font généralement les fauvages, s'abandonnoit a la férocité de fon caractere, c'étoit un afte paffager, qui ne changeoit pas 1'état habituel des chofes. Mais cet ordre ne tarda  540 SUPPLÉMENTS pas as'altérer. Ceux qui commandoient s'accoutumerenc aifémenc a fe croire d'une nature fupérieure a ceux qui leur obéiflbient. Ils les éloignerent d'eux & les avilirent. Ce mépris eut des fuites funeftes. On s'accoutuma a regarder ces malheureux comme des efclaves, & ils le devinrent. Chacun en difpofa de la maniere la plus favorable a fes intéréts ou a fes paffions. Un maitre qui n'avoit plus befoin de leur travail, les vendoit ou les échangeoit. Celui qui en vouloit augmenter le nombre , les encourageoit a fe multiplier. Lorfque les fociétés, devenues plus fortes & plus nombreufes, connurent les arts & le commerce , le foible trouva un appui dans le magiftrat, & le pauvre des reflburces dans les différentes branches d'induftrie. L'un & 1'autre fortirent, par degrés, de 1'efpece de néceffité oü ils s'étoient trouvés de prendre des fers pour obtenir des fubfiftances. L'ufage de fe mettre au pouvoir d'un autre, devint de jour en jour plus rare; & la liberté fut enfin regardée comme un bien précieux & inaliénable. Cependant les loix, encore imparfaites & féroces, continuerent quelque temps a impofer la peine de la fervitude. Comme, dans les temps d'une ignorance profonde, la fatisfaction de 1'offenfé eft 1'unique fin qu'une autorité mal congue fe propofe, on livroit a 1'accufateur ceux  A L'HIST. PHILOSOPI-IIQUE. 541 qui avoient bleflé a fon égard les principes de la juftice. Les tribunaux fe déciderent dans la fuite par des vues d'une utilité plus étendue. Tout crime leur parut, avec raifon, un attentac contre la fociété; & le malfaiteur devint 1'efclave de 1'Etat, qui en difpofoic de la maniere la plus avantageufe au bien public. Alors il n'y eut plus de captifs que ceux que donnoit la guerre. Avant qu'il y eüt une puifiance établie pour aflurer 1'ordre, les querelles entre les individus étoient fréquentes, & le vainqueurne manquoit guere de réduire le vaincuen fervitude. Cette coutume continua long-temps dans les démêlés de nation a nation, paree que chaque combattant fe mettant en campagnea fes propresfraix, il reftoit le maitre des prifonniers qu'il avoit faits lui-même, ou de ceux qui, dans le partage du butin, lui étoient donnés pour prix de fes aclions. Mais lorfque les armées furent devenues mercénaires, les Gouvernements, qui faifoient toutes les dépenfes de Ia guerre, & qui couroient tous les hafards des événements, s'approprierent les dépouilles de 1'ennemi, dont les prifonniers furent toujours la portion la plus importante. II fallut alors acheter les efclaves a 1'Etat ou aux nations voifines & fauvages. Telle fut la pratique des Grecs, des Romains, de tous les peuples qui voulurent multiplier leurs jouiflances par cet inhumain & barbare ufage.  542 SUPPLÉMENTS L'Europe retomba dans le cahos des premiers ages, lorfque les peuples du Nord renverferent le coIolTe qu'une république guerriere & politique avoit élevé avec tant de gloire. Ces barbares, qui avoient eu des efclaves dans leurs forêts, les multiplierent prodigieufement dans les Provinces qu'ils envahirent. On ne réduifoit pas feulement en fervitude ceux qui étoient pris les armes k la main : cet état humiliant fut le partage de beaucoup de citoyens qui cultivoient dans leurs tranquilles foyers les arts de la paix. Cependant le nombre des hommes libres fut le plus confidérable dans les contrées aflujetties, tout le temps que les conquérants furent fideles au gouvernement qu'ils avoient cru devoir établir, pour contenir leurs nouveaux fujets, &pour les garantir des invafions étrangeres. Mais aufll-töt que cette inftitution finguliere, qui, d'une nation ordinairement difperfée, ne faifoit qu'une armée toujours fur pied, eut perdu de fa force; dès que les heureux rapports, qui unuToient les moindres foldats de ce corps puiffant a leur Roi ou a leur Général, eurent celfé d'exifter : alors fe forma le fyftéme d'une oppreffion univerfelle. II n'y eut plus de différence bien marquée entre ceux qui avoient confervé leur indépendance, & ceux qui, depuis longtemps , gémilfoient dans Ia fervitude. Les hommes libres, foit qu'ils habitafiènt 1c*  A LTÏIST. PHILOSOPHIQUE. 543 villes, fok qu'ils vécuflènt a la campagne, fe trouvoienc placés dans le domaine du Pvoi ou fur les terres de quelque Baron. Tous les poffeflèurs de fiefs prétendirent, dans ces temps d'anarchie, qu'un roturier, quel qu'il füt, ne pouvoit avoir que des propriétés précaires, & qui venoient originairement de leur libéralité. Ce préjugé, le plus extravagant peut-être qui aic affligé 1'efpece humaine, fit croire a la nobleflê qu'elle ne pouvoit jamais être injufte, quelles que fuffent les obligaticns qu'elle impofoit a ces êtres vils. D'après ces principes, on vouloit qu'il ne leur füt pas permis de s'éloigner, fans congé, du fol qui les avoit vu naitre. Ils ne pouvoient difpofer de leurs biens, ni par teftament, ni par aucun acte paffé durant leur vie; & leur Seigneur étoic leur héritier nécefïaire, dès qu'ils ne laiffoient point depoftérité, ou que cette poftérité étoit domiciliée fur un autre territoire. La liberté de donner des tuteurs a leurs enfants leur étoit ötée; & celle de fe marier n'étoit accordée qu'a ceux qui en pouvoient acheter la permifïïon. On craignoit fi fort que les peuples s'éclairaffent fur leurs droits ou leurs intéréts, que la faveur d'apprendre a lire étoic une de celles qui s'accordoient plus difficilement. On les obligea aux corvées les plus humiliantes. Les taxes qu'on leur impofoit étoient arbitraires, injufles, oppreffives, ennemies de toute aétivité,  544 SUPPLÉMENTS de toute induflxie. Ils étoient obligés de défrayer leur tyran, lorfqu'il arrivoit : leurs vivres, leurs meubles, leurs troupeaux; tout étoit alors au pillage. Un procés étoit-il commencé, on ne pouvoit pas le terminer par les voies de la conciliation , paree que cet accommodement auroit privé le Seigneur des droits que devoit lui valoir fa fentence. Tout échange, entre particuliers, étoit défendu, a 1'époque oü le poflèflèur du lief vouloit vendre lui-même les denrées qu'ils avoient recueillies ou même achetées. T;lle étoit ï'oppreffion fous laquelle gémiflbit la claffè du peuple la moins maltraitée. Si quelques-unes des vexations, dont on vient de voir le détail, étoient inconnues dans certaïns lieux, elles étoient tou eft agitée avec beaucoup de force par un efclave ; & le vent que font ces plaques nettoye le café de toutes les pellicules qui s'y trouvoient mêlées. Enfuite il eft porté fur une table oü les negres en féparent tous les grains cafles, & les ordures qui pourroient y refter. Après ces opérations, le café peut fe vendre. Son prix fut d'abord médiocre. La paffion que prit 1'Europe entiere pour cette boiflbn délicieufe, en augmenta beaucoup la valeur. Cette raifon en fit trop vivementpouflerla culture, après la pacification de 1763. La produftion furpaiïa bientöt la confommation. Depuis quelques années, tous les planteurs font ruinés. Leur fort ne changera que lorfque 1'équilibre fera rétabli.  A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 573 Ü ne nous eft pas donné de fixer Fépoque de cette heureufe révolution. Le canne, qui donne le fucre, eft une efpece de rofeau, qui s'éleve a neuf pieds, 6c quelque- \ fois plus, felon la nature du fol. Son diametre le plus ordinaire eft d'un pouce. Elle eft couverte d'une écorce peu dure, qui renferrae une moëlle plus ou moins compacte, remplie d'un fuc doux & vifqueux. Des nceuds la coupent par intervalles, & donnent naiffance aux feuilles qui font longues, étroites, coupantes fur les bords, 6c engrainées a leur bafe. Celles du bas tombent, a mefure que la tige s'éleve. Elle eft terminée par une pannicule foyeufe aflez confidérable, dont chaque fleur a trois étamines 6c une feule graine, recouverte d'un calice a deuxfeuillets, entouré de poils. Cette plante eft cultivée de toute, 6cc. Page 265, après ces mots, 6c le Prêtre, lifez : Les fymptömes de cette terrible maladie femblent indiquer la néceffité des faignées. Auffi les a-t-on multipliées long - temps fans mefure. Des expériences répétées ont enfin démontré que c'étoit un moyen meurtrier. On préfere aujourd'hui les remedes qui peuvent tempérer cette grande raréfaction du fang, qui en entraïne la diffolution : les bains, les lavements, 1'oxycrat, les vefficatoires même, lorfqu'il y a du délire. Xxx. )e la cultue du fucre.  574 SUPPLÉMENTS, &c. Nous avons vu un homme de Part & d'un fens profond qui penfoit que la caufe prochaine de cette maladie étoit un coup de foleil, & qui affuroit que ceux qui ne s'y expofoient pas , échappoient généralement a cette calamité. La plupart de ceux qui réfüïent, &c. Fin du Livre onzieme & du Tome fecond*