01 2128 7262 UB AMSTERDAM



SUPPLÉMENTS
A
L'HI ST O I RE
PHILOSOPHIQUE.
TOME TROISIEME.






SUPPLEMENTS
A
L'HISTOIRE
PHILOSOPHIQUE
E T
P O L I T I Q U E
Des Ètabliffements & du Commerce des Europécns dans les deux Indes.
TOMÉ TROISIEME
A LA H A TE.
M. DCC. LXXXI.






V
T ABLE
DES
INDICATIONS,
LIVRE DOUZIEME.
D Efinition de ïa Draie gloire, Page i Idéé qu'il faut fe former de Vijle de la Tri* nitê, 4 De Cubagua & de fes psrles, 5 Notions fur la Marguerite, 9 Conquête de Porto-Rico par les Efpagnols*
10
Etat a&uel de Porto-Rico, 11
Moyens qui rendroient Porto-Rico florijjimt,
14
Conquête de Vijle de Cuba par les Efpagwls,
• 23
Suppl. Terne HL »



vj T A B L E
Import'ance, gouvernement, population, cultures & autres travaux de Cuba, 24 En quoi confiflent les fortifications de Cuba. Quelles font les autres défenfes de cette ifle, 41 Les nations qui ent des colonies en Amérique fouffriroient-elles que les ijles Efpagnoles devinjfent floriffantes ? 45 Defcription de Vijle Hollandoife de Saint-Euftache, 49 Defcription de Vijle, part ie Hollandoife & partie Francoife. de Saint-Mardn, ibid. Avantages que la Hollande retire de fes ijlespour fon commerce, 53 Conjidérations phyjïques fur la Guyane, 57 jEtabliffements formé par les Hollandois dans la Guyane, fur le Surinam. Faits remarquables arrivés dans la colonie, 61 Ouels ont été les principes des profpérités de la colonie de Surinam? 65 Et at a&uel de la colonie de Surinam & Vé« tendue de fes dettes, , 69 Fondatien de la colonie de Berbiche. Ses mal-



DES INDICATIONS. vij
heurs pajfés. Sa mifere aiïuelle, 73 Ancietmeté de la colonie dEfequebo. Comment
elk a pu profpérer après avoir langui trés*
long temps, Défordres qui regnent dans les colonies Hol-
landoifes, 7p Les pertes que font les Hollandois, doivem ren-
dre la Répubttque très-attentive fur fes pof-
fejjions dAmérique, ' 86
Etat malheureux des ifles Danoifes. Ce qu'U
conviendroit au Gouvernement de fairepour
adoucir leur fort, p„ Coup doeil rapide fur la puifance Danoifs,
98
LIVRE TREIZIEME.
Confidérations générales fur rétablifemem des colonies, IO,,
Idéé qu'U faut fè former des c&es & du fol de la Guyane, # „4
Quels bras pourra-t-on defiiner aux cultures
a a



vi'ij T A B L E
dont la Guyane efl fufceptible ? 120
Avant de jetter des capitaux dans la Guyane, il convient d"examiner fi la colonie eft Men organifée ; il en fautrêgler les limit es, 125
Et at aBuel de la Guyane Frangoife, 128
Quelle opinion faut-il avoir de Sainte-Lucie ?
*34
Et at atluel de la colonie de Sainte-Lucie^
ibid.
Obftacles qui fe font oppofés aux progrès de Sainte-Lucie, 136
Moyens que la Cour de Verfailles fe propofe pour mettre Sainte-Lucie è Vabri de Vinvafion, 13g
Etat atluel de la Martinique, 143
Variations du Minifiere de France dans le gouvernement de la Guadeloupe, 147
Quelles font les dépendances de la Guadeloupe-, x5i
Situation a&uelle de la Guadeloupe &des petites i/les qui lui'fènt foumifes, 15-3
Etabliffements formês dans la portie du Sud de Saint-Domingue, 1



DES INDICATIONS. ix
Moyens qui pourroient amêliorer les cultures dans le Sud de la colonie, 177
Etablijjements formés dans l'Oue/l de SaintDomingue, 178
Réfiexions fur le peu dintêrêt que les métropoles & les colonies prennent les unes aux autres, 185
Grande importance de la ville du Cap Francois, fituée fur leNord de Saint-Domingue,
190
Nature & quantitè des produblions que la France recoit annuellemem de fa colonie de Saint-Domingue, 195
Liaifons de Saint-Domingue avec les nations étrangeres y 201
Les liaifons de la France avec Saint-Domingue deviennent dangereufespendant la guerre. Pourquoi? 203
La partie de Saint-Domingue occupée par les Frangois , peut être attaquée par les Efpagnols qui en poffedent Vautre partie,
204
Les limites entre VEfpagne <S? la France ont-
a 3



x T ABLE
elles été judicieufement fixées a Saint-Domingue? 20£
Moyens qu"a la partie Frangoife de Saint-Domingue pour fe garantir dune invafion étrangere, 208
Le partage des héritages eft-il utilement réglé dans les ijles Frangoifes ? ai%
A-t on pourvu fagement au payement des dettes contra&ées par les ijles Frangoifes? 214
Changements qu'il conviendroit de faire dans Vadminiftration des ijles Frangoifes, 230
La France peut-elle avoir une marine militaire ? Lui convient-il de Vavoir? Me fur es qu'elle doitprendre pour l''avoir, 258
LIVRE QUATORZIEME.
Les Anglois s'établijfent a la Barbade.
Grande profpér ité de eet te ijle, 263 Etat atluel de la Barbade, i 54
La Barbade ejl-elle fufceptil-le dune grande
défenfe, 2£7



DES I N D I C A T I O N S. xj
Evénements arrivés dans Antigoa. Produ&ions & charges de cette ijle. Importance dont elle eft pour la Grande-Bretagne, 268
A quoi fe réduit Vétabliffement formépar les Anglois a Montferrat, 271
Déplorables cataflrophes arrivées d St. Chriftophe, 274
Particularités fur la Bar boude, zyó
La colonie dAnguille ejt très-miférable , & fon fort ne peut pas changer, 278
Tortola efl la feule des ifles Vier ges que les Anglois ayent cultïvées. Reproche au Gouvernement , 279
Cultures établies a la Jamaïque, 284
Et at a&uel de la Jamaïque , conjidérée fous tous fes rapports, 288
Moyens qu'a la Jamaïque pour fe garantir de Vinvafion, 294
Révolutions arrivées dans les Lucayes. Etat de ces ijles, 300
T:mvreté des Bermudes. CaraSere de leurs habitants, m 302
La Grenade fut dabord occüpée par les Fran-> a 4



$ T A B L E
gois. Ce qu"y firent les premiers colons,
SP4
Evénements arrivés dans la Grenade depuis qdelle efl tombée fous la domination Britannique, gpg Cultures de la Grenade & des Grenadins, 309 Vijle de Tabago, qui occajionna de grands combats entre les Mollandois & les Francais, devient une pojfejjion Britannique,
3"
Malheurs arrivés aux Anglois dTabago, pour s'être écartés des maximes que nous venons de tracer, ibid-.
Saint-Fincent tombe au pouvoir des Anglois^ Sort de Vijle jous ceite domination, 313
Difcorde entre les Anglois de la Dominique & les Frangois des ijles voijines y 319
En quoi conftjle Vimportance de la Dominique, 322
Loix particulier es d la Dominique, 324
Plan congu par le Minijlere Britannique, pour rendre florijjantes les trois ijles autre* fois ncutres, 327



DES INDICATIONS. xiij Objlacles qitife font oppofés d la profpéritê des ijles neutres, ■ 331
Et at actuel des ijles Angloifes, 333 Réfumé des richejfes qui fortent de tout l'archipel Américain, 340
LIVRE SEIZIEME.
D Ecouverte du MiJJijJipi par les Frangois,
353
Les Frangois s^ètabliffent dans le pays arroj'ê par le MiJJijJipi) & Vappellent Louyji'ane, 357
Etendue, fol <S? climat de la Louy/ïane, 364
EtabliJJements formés par les Frangois d la Louyjiane, 373
La France pouvoit retirer des grands avantages de la Louyjiane. Fautes qui ont empêché ce fuccès, 381
Le Miniflere de France cede la Louyjiane d fEJpagne. En avoit-il le droit? 393
Conduite des Ejpagnols d la Louypane, 394
Mceurs des Frangois Canadiens | 404



xiv T A B L E
Frife de Québecpar les Anglois. La conquête de la capitale entralne, avec le temps, la foumiffion de la colonie entier e, 410
Vacquifition du Canada a-t-elle été un Men ou un mal pour VAngleterre? 412
LIVRE DIX-SEPTIE ME.
Ya. t-il, dans la baie dHudfon, un paffage quiconduife aux lndes Oriënt'ales? 417
Le paffage de la baie dHudfon aux lndes Orientales a-t-il été cherché convenablement, 418
Et at du Canada depuis qu'il a paffe" fous la domination Britannique, 422
Ce que les ifles de Saint-Jean, de la Magdelaine & du cap Breton font devenues depuis qu'elles ont fubi le joug Anglois, 429
A quelles époques & de quelle manier e les Anglois & les Frangois s'établirent-ils d TerreNeuve, 432.
La eolonie efl abandonnêe au Duc dTorek.



DESINDICATIONS. xi> Principes fur lefquels il fonde fon adminiftration, 4?6
Le Roi Guillaume donne un gouvernement d la colonie. Evénements popérieurs d ce nouvel ordre de chofes, 4*rp
Sol, population, commerce de la colonie, 483
Mceurs anciennes & mceurs nouvelles de la Nouvelle-Torck, 486
Révolutions arrivées dans la Nouvelle-Jerfey
Ce qu'e/l a&uellement la Nouvelle-Jerfey, & ce qu'elle peut devenir, 48g
Fin de la Table du Tome troilieme.



HISTOIRE






ET AT des fonus jmts par la Co^agme Hollandoife des lndes Occidentale* établie en l62l & renouvellée en JS74. Xowbre des Aclions leur «alr,r n- - r7^rTTr^=====
jufqiCen 1774. Totaldes Rêpartitions fait es jufqu'en 1771 Produits d, «,< n>* ♦ ' \T Dtvuhndes dijinbues depuis 1679 * / J»./g»g« 1774. /rorf«i» de ces Rêpartitions, armee commune. Révolutions des ASiom depuis 1723 jufqu'en 1774.
VILLES & PRO- S O M M E ~~~D I VI DENDES T^TTT^ Uv O L U T I O K S 77777^
CAPITAL. VINCES fout laci"clle cha'lue Viile & P">vince Nombre L__ ^ *ftnb"es ^™ ^9 j"^"'e" '774- (ie de cïs dcpuis I?23 jufq„.en ^
, ' , qm oj!t feit leS fonds (___^____m#_ _____ Vale"r" ft fa Q"°*e ^n E" jufqj-'a te, dvonxÉ P b. i x n e s A c t i o s s, "
en fiorins. en livrei tonrnois. <te cc capita!. 77777 ™ n,, . • , AnNEES" l'0,,r 1neI,e cette e>- année com- AnnÉes. ■ -
cnflonns. en hvres tournes, cent. ,«lew. mif. valeur. e> p0Ur cent 7TZ t v
- . . ,, _ — ■ . ■ , e" K°rins. en hVres tournois.
,k l'autre 6. ü. ' ï ~ fl*
part„ I72' depzagó de 9520 a 5160 de 12144 a 11352
'«79 2 argent. i728 3 argent. \TZ\ f»'* ?49° "286 12073
1680 i729 b I7"' 9°t 8iT 9445 4975 "979 10725
i<58( i75o .„""";;;"" J7* 89f 4635 535.5 «197 n78l
»«82 8 Wem. 17J1 4 ^77 Z;7 74? 4980 447o 109,-6 98,4
1683 1732 l 1 X 8Ci 436? 48?o 9603 IOÓ2Ö
1684 6 idem. 1733 77.7"lil l6* 69r 4<5°' 4I40 ioiji 9io8
'«85 1734 ' i;ll0r 69 92| 4140 5 5 5o 9108 12210
l68ó ! 'zï'idèm' llll 88 74' 44" 11088 98oi
1687 10 récépiff. i7;ó 1 ' til, 79 79i 4?°° 47i° 99oo 10362
!688 1-37 jIl* 49 7^ 294o 4500 64Ó8 9900
i«89 1733 '1754 43_ 5°, 258o 3000 5676 6600
l69o i7?9 jUil 4'f 47* 249o 2865 5478 6303
5 . idem. 1740 .ij, 45* 58 2Ó2* 228o 6775 . 5016
IÖ92 3 argent. 1741 "'!llll 57 44 1860 2640 4092 58o8
I 5 idem. 1742 7Z o JIï 42. 1890 2^2° 4I^8 5544
1Ö94 ,411 1740 28 36, 1680 2160 3996 47s2
'% 4 ;;-t; I744J 4 2fA™- '8t 295 25 Io I740 Hl \\\\
fl- f- & i«>- f- a. 1696 f. r S ;l2 <¥ 9I I90? 2I45 4191 4719
Amfterdam ö>03 3,°3° 8 8 13,272,666 19 f _*97 -5 récépiff. 1747 3 17I4 «I 2oÖ0 I9Ö? 4752 4?2'
Iö98 I74g /47 ï°| 1893 2175 4158 4785
LaZéelande. . .1,069,92511 2,353,836 4 2! / ' !-'9 5 ar^t- '749 { idem" i59Ponr| i|i pour | jZtjj |23 2f 1920 l6o5 4224 335I
fl. £ d. l!v. f. d. H45 6ooo.fl. Js récépiff. 1750 '% fff ?S I?4^' 2100 339$ 4620
Wwi h™'*-^*" • • • ««^»». oh,«,. , tggSf .SU ;?£ -l,-™ ."s |? ^ V& Zl tlZ .
LequartierduNord. 387,865 13 8 853,30410 * de 1135 hvres 1 /°3 i75} _ ' m" J749 ?{8 4°* 1807 102415 3976 10 5313
fl. 8. l- tourno. 1/H 5 argent. 1754 '75° 3 5_ 53 2100 3180 4620 6096
Groningen. . » . 291,820 16 g 642,019 g ... 8- a. 011 1705 4 Zv/COT, I7?- 1751 47* J2| 2835 iqó? 6257
2497 j. J7°« 1756 26ï 2°25 1590 44 ? ?i9i
, '9 f. 1 I7o? X757 ' j ^ 2^ 1785 1530 3927 3366
8,071,135 8 8 17,756,497 19 f toVaois 1708 * récépiff. 1758 3 „fcm. ' 4 *J| *|, Wo 3399 3036
"' l 1710 1760 3 idem. II ; 'f| **ƒ 1080 J365 2376 3005
17" L 1761 1 7 7 ;°j z*j "30 1470 2706 25;
1712 -'762 5 idem. 98 1°1 \6., Uil ^° ^ 34 2
1713 1763 'g9 4 3 3? 1470 2025 3234
1714 l 4 argent. 1764 4"'^'." \l6°i ll{ % lf° 1740 4^6 ?828
«715 1765 ll6l 2! I2* IÓ^° I9^° 3630 4290
.716 6 idem. ,76ó 2 idm'. 7 2 35 *9 210a ,740 4öso
1717 4 1767 'y. 21: » l63 5 1980 3597 4?.ó
^718 . 687 ^ 66 ^ 2^0 I920 4753 ilu
1719 1769 , \IA l,i ^ zi6° 3075 4752 8o85
'720 17v^ 77" 6'i 2 3675 1920 gos5 422;
: 1721 4 idem. 1771 ... !7^7 \l* 1* ^95° 2370 429o *
idem s\idem. 1?72 '7 IdèZ 69 « ^ JSS' *\)° ^ ^
'722 «773 ,;7o o ?. Ó° 4092 4752
1723 4 idem. 1774 '< 34= 2280 2070 5016:. 4m
I 1724 4 i-on ' ?3f 59f 2010 2355 4422: cigi
I } >725 i 159 lil'. *?f I1*! 238? 187? 5247 4125
5 ]726 4 j idem \ *l\ 35= 1890 2130 4ï;8 46g6
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E T A T
DE LA CIRE EXPORTÊE DE L'ISLE DE CUBA DEPUIS LE i JANVIER 1770 JUSQU'AU n DÉCEMBRE 1777;
avec Tlndication^ des lieux oü elle a été vendue.
Années, Cadix. Barcetone. Corogne. Canaries. Veracruz. Guazacalo. JFampico. Campêche. Guatimala. Luifiane. Porto-Rico. St0-Domingo. Guayra. Maracaybo. Carthagene. Porto-Bello. Totai. ; v ; ( I
1. ï t "F 1 |i| ïff II lil. I I | 1. r 1. r- 1. Ivf r 1. ?• 1. r 1 f 1 Fl f
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1770» • I 2f •• , ... .... . I af
1-771... 2 10 .... .... .... „... x 1Q
1772... L. ........ ........ 295- 12 .... .... 1 j-o 3 _8' 299 7f
1773- •••• — - *>6l> 7ï •-• ; —' J 3 4 1 7S v 6} 7f • 1,684 z$
1774... 1 fo 2,249 18 j-o-, .... 78 af 11 7? 33 75- . 8f fo 37 •••• 70 24 fo 2,610 ....
i77f... 10 .... 3 fo.. 11 60 2,41 f ƒo f .... 9° 221 29 25- 57 af; af -■ 347 af 5,136 fo
1776... 8f6 9f i47 af f .... 130* fo 3,836 fo .... .... a 7f' n aa . 4f af .... af fo 7f ! 209 fo 'f,296 7f
1777- 93f -.177 f034 —22a af 4,921 .... 4f .... 74 3* 7* f6 8f 75-40 af 103 6 46 7f 40 af 63 fc|afi 63 47 af I 7,1 f7 fo
Tota).. 1803 453^8 ayj^ .... 564 35- 1 f,53.6 47 fo .... 9f . f7 : 83 68 430 3^40 f0 308 3f ga af '183 .... 124 fc 94f 41 71 7f ac,iS8 f






TABLEAU
2 es §>r*éttCtoons , ^-C9 /CV (3^ ^c9 Sjirpt envoyls ciayuej) annlzjï , ^fuls' J748 iufcttn J753 , fo.r*> £d'dt3 ^cP (Btdo* 2b I8foafna> ; /e^ vahar* ^lans £<J> iUa ^oe leur* ori^lncD ; c<w* /«, £M>ltropo£ej> ;
ZF*reus 6^ Q)rot,ts acquhttls ; leur' cprué) courant eiv £aropeJ>.
liv. XII. N*\ 3 bis.
» ____-----____-M-_-Ma-____-,-M_aBa-
Valeür Produit j Icomp Vat
QUANTITÉS defdi£es PR0DÜIT des Droits Produit **owt Pkodoii P«odoit Cout Retours, et especes _. Fret tflndub du Droit *>j>t« du ^ du Lroit de ^ defdites J
de Productions. > ^ d, ^ ^ ^ * <*« Tc.Ï'
Urgent. en £Urope.
— _ i ___
Pour Ie ") 1uiat™*' liv. liv. üv. üv. I. liv. liv. liv. lir. Hv.
Roi. j l8'7ï° Tabac... 862,380 344>95* 80,848 92,570 1,293 1,382,052 1,293,570
ƒ173,800 Sucre... 3,997,393 t,99*>*9* 59,9*1 14,990 7,994- ^079,0.347,994,786
Pour le
| Co^eJ l l,*>69 Cuïrs'" ^,272 37,018 8.675 I3>°6'5 4*3 115 138 ^05,740 138,817
I Or &\
\ ArgentJ1'209'752 21'*21 ?8>l82 n,o28 7,258 1,210 6,048 1,064,505 1,064,505
6>ll5>797 2,402,187 187,705 105,644 71,452 22,363 10,635 6,0488,631,33710,491,678






Liv. XIL N°. 3.
TABLEAU
Des Marchandifes & Denrées parties chaqm année, depuis 1748 jufqu'm j7V > de ^jpagne pour Visie de Cuba; Droits qu'elks ont acquittés, leur valeur courante dans cette Colonie; Frats qu'elles ont fupportés; leur produit net pour la Métropole.
DROITS DROITS pboduit j
. , rr pourletranfportal'entrec net defdites
qmsacquittent en Efpagne. Vau» & au debit aCuba. marchandi.
„ , , Valeur V a l e ij b , ,1 arbitrée ,
Quant.- QUANTITÉS primitive primitivV %7lT% Dro1ts deWltes derdiles Pilo- Peoduix le*' l™*
té8de et especes des mar- des mar- a 1'entrée de iortie .c*""01""* marchan- pboduit duit de la com- deduits de
ton. ET especes _ a Cadix, Deoits Avabies djfesj marchan du frft de du droit miffion de rarbitrage
r.eaux DEMarOHANDISES. ch.nd.les cn.ndii tantfur les de fortie aux Pro- d.fes a ^„trée vente & du com.
neaUX' Efpagnoks. etrangeres. ^ marchdn- ,,ourl'A- pnetairs Cuba. wo« & d._lca_ des re.
djfes diies EC- mirauté. des Vaif 1 Amen- _ala a t0Uff d_ metce
étransre- PaS,no,es *eaux. que. Cuba. Cuba. d'Europe. ° qu'etranres.
geres. . •
~ "7roileries..A ^ ^ Uv. Vw. ' «<, Mi. ^ Q * ,
/palmos »Draperies..l " ,. 2, 76o 1,270 11,827 647,999 1,080,000 46,465 97,2°° 85,26? 853,072
,0 8,ooo< ,. - • /• 011,142
*a ^cubiques.poienes....ï
UercerieJ 1 ^ l2g,9?0 ,42,75, 2o7,45^ 2,,,g,,„
120 i9,98o^ Wem. 1,4*9,-4 97, 40)g24 J4^| „8>I1,|
200 6,000 quintaux. Fer n6,o68 •>» "," 64)8oo ^670 s>8,2 4,8g4| 43,414;
20 600 irfem Acier *t*W »S« * "' ^20 ?)888 ,I>757
4? 800 pieoes.... Écrues >S« ^ • " Ii29,jW9 4,050,000 1,620,000 564,500 256,632.1,808,8681
2>IOO 56,000 barils Farine 1,2",188 *' ' ! 972,000 j24,000! 87>48o 64,083 496,4371
332 6^ idem Eau-de-vie 33M76j 2> ' ll8>goo 26,750 18,819
120 2,020 iiem Vin 100,700; S.M "^ Q 7i290 4jg21 2g,,89
,2 750 quintaux. Huile 29,82? 2'4?° I4'*'*
* ' J / Paffes &V ,0,974 i.jco 75 3M99 64,800 2,160 S,8»2 S.<»9 S»,789
"*""'ylmandes../__
|2,432,47S ,,460,792 loo,2I2| ai7,a,6| xo,849 4^65 W»,^'^ 88M" 682^77[S-9°7'647






Liv. XII. N°. 2.
É T A T DE U I S L E DE CUBA
jttc cf>re,mie-r' ({Janvier* Jll5.
1 I „ Ecclésias- HOMMES MULATRES NOIRS MULATEÏS NOIRS | TOT AL FE M MES
m t ' i sermes,
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i JÜRISDICTIONS. ;'e'a Mai- ÉS.i-Cou- Cu- Hópi-i Col- Sucr, Trou- de Ilaras res ou ^ ^ ^ ^—^ L s ^ — Total. des
1 Hava- Tons. fes. vens, res. taux. leges, ries. ueaux Xau. Cam- ^ " t l I I ^—— ~ ^
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| Pr,ncipe2,959 9252 50 121 64 13 258 152 36 58 1,662 1,764 541 196 182 39 153 133 144 120 135 12 314 1,240 382) 2,445 3,52o 1,146 4,293 Si7 74° 299 1,372 7,221 14,332
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TJv. XIT. N'. i\
ETAT DE LTSLE DE PORTO-RICO. I
AU PREMIER JANVIER 1778.
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ZT^S BLAXCS. MULATRES LIBRES. NOIRS LIBRES. AGREGÉS.i ESCLAVES. RESUMÉ G^E N É R A L. CULTURES. TETES DE BETAIL. ^_ ^ , ^BETAIL^ j
s-^ i ^wibiimii s/ in-iM'|»» v -*' Conles Cotdes |
TOTAL Ter- de de
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DISTANCES D'UNE PAROISSE A L'AUTRE, EN SUlVANT LA CARTE DU NORD AU SUD. II
DeP0erto.RicoaBuynabo....Licues 4 De la Wga k Manatty...: LienesS De las Vegas a la Mooa Un. 4 D„ Anifco a Mayaguès Lieues 4. Be Pon.e i Cöamo.. Liet.cs 10 Ce Itório I LoyC. ,........LieU=s 7 II
DeBuynaboaBayamon 'J De Manatty a l'Ar»ibo 6 De la Moca i la Aguadilla I De Mayaguès a Cabo-Rojo 1 De Comao a Guayama , Ue Lo)la:^La uas V T O T a . des LieTO. •• 49»
De Bayamon i Foa-Alta , De 1'Areaibo a ütuado „ De laAguaddlaalaAguada O De CaboJJ-ojo a San German 6 De Guayama al Caye. 9 gSgffi^SS^1 1 11
De Foa-Alta a Foa-Beya i De 1'Utuado J la Funa 7 De la Aguada a Riueon 4 De Sau Getuvan a Yaueo 7 Del Caye, a Fumacao. 9 S „S i PueTO-Rieo Ij, -1»
De Foa-Baia i la Vega , De la Fuua a las Vegas De Riueon a Anafco J De Yaueo a Ponae 8 De Fumaeao a Faxardo D' Gaugre.os ■ .



HISTOIRE
PHILOSOPHIQUE
E T
POLÏTIQÜE
Des Étahlijfements & du Commerce des Européens darts les deux lndes ^
SUPPLÉMENT. Si
ADDITIONS AU LIVRE XII.
pAge 271, lifez : J'allois dirê que FEfpagnè a Ia gloire davoir décöuverc le grand archipel de 1'Amérique, & d'y avoir formé les premiers écabliflêments, lorfquej'ai étéarrëtépar lapenfée que ia découverte n'eh pouvöïc êcre glorieufe aux Efpagnols, fi elle n'avoic pas été avanta, geufe aux Antilles;
La gloire elï un fentimehc qui rious éleve h nos propres yèux, & qui accroit nótre confidération aux yeux des hommes éclairés. Son idéé tft indivifiblernenr. Iiée avec celles d'une grande difficulté vaincüe , d'une grande utilicé fübféquente au fuccès, & d'une égale augmentacion
Suppl. Tome Hl. k
ï.
Définitioït de la vraie gloire;



a: SUPPLÉMENTS
de bonheur pour 1'univers ou pour la patrie. Quelque génie que je reconnoilTe dans 1'invention d'une arme meurtriere , j'exciterois une jufte indignacion fi je difois que tel homme ou telle nation euc la gloire de 1'avoir inventée. La gloire , du möins felon les idéés que je m'en fuis formées, n'eft pas la récompenfe du plus grand fuccès dans les fciences. Inventez un nouveau calcul; compofez un poëme fublime; ayez furpaflë Cicéron ou Démollhene en éloquence, Thucidide ou Tacite dans 1'hiftoire \ je vous j accorderai la célébrité, mais non la gloire. On ne 1'obtienc pas davantage de 1'excellence du talent dans les arts. Je fuppofe que vous avez tiré d'un bloc de marbre, ou le Gladiateur , ou 1'Apollon de Belvedère, que la transfiguration foit fortie de votre pinceau, ou que vos chants fimples , expreffifs & mélodieux vous ayent placé fur la ligne de Pergolefe; vous jouirez d'une grande réputation, mais non de^ la gloire. Je dis plus. Egalez Vauban dans 1'art de fortifier les places; Turenne ou Condé dans 1'art de commander les armées. Gagnez des batailles , conquérez des Provinces. Toutes ces aftions feront belles fans doute, & votre nom panera a la poiïéricé la plus reculée : mais c'efl: a d'autres qualités que la gloire eft réfervée. On n'a pas la gloire pour avoir ajouté a celle de fa nation. On eft 1'honneur de fon corps, fans êtf«



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. s
Ja gloire de Ion pays. Un particulier peut fouvent afpirer a la réputation, a la renommee, a 1'immortalité. II n'y a que des circonftances rafes, une heureufe étoilequi puiflènt le conduire a la gloire.
• La gloire appartient a Dieu dans le Ciel, Sur la terre, c'eft le lot de la vertu, & non du génie; delavertuutile, grande, bienfaifante, éclatante , héroïque. C'eft le lot d'un Monarque qui s'eft occupé pendant un regne orageux du bonheur de fes fujets, & qui s'en eft occupé avec fuccès. C'eft le lot d'un fujet qui auroit facnfié fa vie au falut de fes concitoyens. C'eft le lot d'un peuple qui aura mieux aimé mourir libre que de vivre efclave. C'eft le lot, non d'un Céfar ou d'un Pompée, mais celui d'un Régulus ou d'un Caton. C'eft le lot d'un Henri IV.
Graces a 1'efprit d'humanité que Ia philofophie a infpiré a tous les peuples fenfés, lesconquérants, tant anciens que modernes, font tombés dans la claflè des hommes les plus abhorrés; & je ne doute pas que 1'avenir qui jugera avec ïmpartialité des découvertes quenous avons faiïesdans le Nouveau - Monde , ne rabaiOè nös barbares navigateursencoreau-deiTous d'eux. En effec, eft-ce 1'amour du genre-humain ou la cupidité qui les a conduits? Et une entreprife, fuc-elle bonne en elie-même, pourroit-elle étre louable, lorfque le motifen eft vicieux.
A 2



I!.
Idéé qu'il faut fe former de 1'ifls de la Trinité.
4 SUPPLEMENTS
L'ifle que les Efpagnols trouvenc d'abord, en arrivanc en Amérique, fe nomme la Trinité. Colomb y aborda, lorfqu'en 1498, il reconnut 1'Orenoque : mais d'autres intéréts firent perdre de vue, & l'ifle, & les bords du continent voifin» Ce ne fut qu'en 1535, que la Cour de Madrid fit occuper la Trinité, placée vis-a-vis 1'embouchure de 1'Orenoque, comme pour rallentir la rapidité du fleuve. On lui donne trois cents dix-huit lieues quarrées; elle n'a jamais efluyé d'ouragan, & fon climat eft fain. Les pluies y font abondantes depuis le milieu de Mai jufqu'a la fin d'Oétobre; & la féchereflè du refle de Fannée eft fans inconvénient, paree que le pays, quoique privé de rivieres navigables, eft trèsbienarrofé. Les tremblements de terre font plus fréquents que dangereux. Dans .'intérieur de l'ifle, font quatre grouppes de montagnes qui, avec quelques autres formées par la nature lur les rives de 1'Océan, occupent le tiers du fol. Le refte eft prefque généralement fufceptible des plus riches cultures.
La forme de l'ifle eft quarrée. Au Nord, eft une cöte de vingt-deux lieues, trop élevée & trophachée, pour pouvoir jamais être bien utile. Celle de 1'Eft n'a que dix-neuf lieues, mais toutes telles qu'on pourroic les defirer. La cöte du Sud offre vingt - cinq lieues un peu exhaufiees, oü le café & le cacao devroient profpérer. La



A LUKT. PHILOSOPHIQUE.
bande de 1'Oueft eft féparée du refte de la c< ionie, au Sud par le canal du Soldat, au Noi par la bouche du Dragon, & forme au moye d'un enfoncement une rade de vingt lieues c large, de trente de profondeur. C'eft, dans toi tes les faifons, un abri für pour les navigateui qui, durantune grande partie del'année, moui leroient difficilement ailleurs, excepté a la G< liote.
Dans cette partie, font les établiiTements Ei pagnols. lis fe réduifent au port d'Efpagne qui foixante-dix-huic cabanes couvertes de chaume , &Èi Saint-Jofeph, placé trois lieues plus lof dans les terres, oü 1'on compte quatre-vingt huic families encore plus miférables.
Le cacao fut autrefois cultivé prés des deu: bourgades. Saperfe&ion le faifoit préférer a celu de Caraque même. Pour s'en afTurer, les négo ciants le payoient d'avance. Les arbres qui 1< portoient périrent tous, en 1727, & n'ont pa; été renouvellés depuis. Les Moines attribuereni ce défaftre au refas que faifoient les colons de payer la dixme. Ceux que la fuperftition ou 1'intérêt n'aveugloient pas en accuferent les vents du Nord, qui trop fouvent ont porté ailleurs le même genre de calamité. Depuis la Trinité ne fut guere plus fréquentée que Cubagua.
Cette petite ifle, éloignée de quatre lieues feulement du continent, fut découverte & mépriA3
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De Cubagua & de fes per» les. *



6 SUPPLÉMENTS
fee, en 1498, par Colomb. Avertis, dans Ia fuite, que fes rivages renfermoient de grands tréfors, les Efpagnols s'y porcerent en foule en 1509, & lui donnerent le nom d'Ifle aux perles.
La perle eft un corps dur, luifant, plus ou moins blanc, d'une forme communément arrondie, & que 1'on trouve dans quelques coquillages, mais plus ordinairemenc dans celui qui eft connu fous le nom de nacre de perles. Cette riche produftion de la nature eft le plus fouvenc attachée aux parois internes de la coquille, mais elle eft plus parfaite dans l'animal même qui 1'habite.
Les anciens s'égarerent fur Porigine de la perle , ainfi que fur beaucoup d'autres phénomenes, que nous avons mieux obfervés, mieux connus & plus heureufement expliqués. Ne les en méprifons pas davantage, & n'en foyons pas plus vains, Leurs erreurs montrerent quelquefois de la fagacité, & ne nous ont pas été touta-fait inutiles. Elles ont été les premiers pas de la fcience, qu'il étoit réfervé au temps, aux efforts des hommes de génie, & a des hafards heureux de perfeétionner. On a tenté de déchirer le voile de la nature avant que de le lever.
LesGrecs & les Romains difoient que le coquillage s'élevolt tous les matins fur la furface des eaux, & recevoit la rofée qui s'y changeoit



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 7
en perle. Cette idéé agréable a eu le fort de tamd'autres fables, lorfque 1'efpric d'obfervation a fait connoitre que le coquillage reftoit toujours au fond de la mer, ou attaché aux rochers oü il s'étoit formé; & que la faine phyfique a démontré qu'il étok impoffible que ce fut autrement.
On a imaginé depuis que les perles devoient être les oeufs ou le frai des animaux renfermés dans la coquille. Cette opinion eft tombée, lorfqu'on a été pleinement inftruit que les perles fe trouvoient dans toutes les parties de 1'animal; lorfqu'après les recherches les plus fuivies, 1'anatomie n'a pu découvrir des organes propres a la réproduétion dans eet animal, qui femble augmenter d'un individu la clafle des hermaphrodites.
Enfin , après bien des fyftêmes légéremenr, concus & fucceflivement abandonnés, on a foupconné que les perles étoient la fuite d'un défordre dans 1'animal; qu'elles étoient formées par une liqueur extravafée de quelques vaifieaux, & retenue entre les membranes ou écoulées le long de 1'écaille. Cette conjeclure a acquis plus de force aux yeux des bons obfervaceurs, a mefure qu'on s'eft afluré que toutes les perles ne renfermoient pas cette richefie , que celles qui la pofiedoient avoient un plus mauvais goüc que les autres, & que les cötes oü fe faifoit cette A 4



8 SUPPLÉMENTS
riche pêche étoient généralement mal - falnes, On méprife par-tout les perles noires, celle qui tireht fur le noir, ou qui ont la couleur de plomb. En Arabie & dans quelques autres contrées de 1'Orient, on fait cas des jaunes, Mais les blanches font préférées par.FEurope, & par la plus grande partie du globe. On regrette feukment qu'elles eommencent a jaunir après un demi-fiecle,
Quoiqu'on eüt découvert des perles dans les mers des lndes Orientales & dans celles de 1'Amérique , leur prix fe foutint alTez, pour qu'on cherchat a les contrefaire. L'imitation fut d'abord grofliere. C'étoit du verre, couvert de mercure. Les eflais fe font multipliés; & avec le temps on eft parvenu a copier aflèz bien la nature , pour qu'il flitfacile de s'y méprendre. Les perles artificielles, faites aujourd'hui avec de la cire & de la colle de poifTon, ont fur les autres quelques avantages. Elles font a bon marché; & on leur donne le volume, la forme qui conviennent le mieux aux femmes qui veulent les faire fervir a leur parure.
Cette invention étoit ignorée, lorfque les Efpagnols s'établirent a Cubagua. Ils arriverenï avec quelques fauvages des Lucayes qui ne s'étoient pas trouvés propres a.u travail des mines * mais qui avoient une grande facilité h demeurer long-temps fous Feau. Ce talent valut a leurs



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 9
oppreflèurs une grande quantité de perles. On »e les gata pas, comme avoient fait jufqu'alors les Américains, qui ne connoiflbienc que le moyen du feu, pour ouvrir la coquille qui les renfermoit. Elles furent confervées dans toute leur beauté, & trouverent un débit avantageux. Mais ce fut le fuccès d'un moment. Le banc de perles fut bientót épuifé, & la colonie fut transférée, en 1524, a la Marguerite, oü fe trouvoienc les richeflès qu'on regrettoit, & d'oü elles difparurent prefque auffi vite.
Cependant on n'abandonna pas ce derneir établiiTement. II a quinze lieues de long fur cinq de large. Des brouillards épais le couvrent prefque continuellement, quoique la nature lui ait refufé les eaux courantes. On n'y voit de bourgade que Mon-Padre, défendue par un petic forr. Son fol feroit fertile, s'il étoit cultivé.
On croyoit aiTez généralement qu'en conlervanc Ia Marguerite & la Trinité, la Cour de Madrid fe propofoit moihs d'en tirer quelque avantage, que d'éloigner les nations rivales de fon continent. II faut penfer aujourd'hui d'une autre maniere. Convaincuque 1'archipel Américain étoit remplid'habitantsaccablés de dettes, ouqui n'avoient que peu & de mauvais terrein, IeConieil de Charles III a fait offrir de grandes conceffions, dans ces deux ifles, a ceux d'entre eux qui ferpient de fa communion. On leur alTuA5
iv.
Notions fut a Margue» ■ite.



io SUPPLÉMENTS
v.
Conquête «le PortoRico par lej Efpagnols.
roit la liberté du commerce avec tous les navi§ateurs Efpagnols. Seulement ils devoient être obligés de livrer le cacao, a la compagnie de Caraque; mais a vingt-fept fols la livre; mais avec Fobligation a ce corps de leur faire des avances. Ces ouvertures n'ont été accueillies qu'a la Grenade,d'oüquelques Francois fe font échappés avec un pedt nombre d'efclaves, ou pour fe fouftraire aux pourfuites de leurs créanciers, ou en haine de la domination Angloife. Par-tout ailleurs, elles n'ont rien produit, foit par éloignement pour un gouvernement opprelTeur, foic que toutes les efpérances foient aétuellement tournées vers le nord du Nouveau-Monde.
La Trinité & la Marguerite ne font encore habitées que par un petit nombre d'Efpagnols qui y ont formé avec des femmes origintrires du pays une généradon d'hommes, qui réuniflant .'inertie des peuples fauvages aux vices des peuples policés, font pareflèux,ftippons&fuperftideux.
Ils vivent d'un peu de maïs, de leur pêche, & de banane, &c. page 281.
Page 28a, au-lieu de Taflau, tifez TaiTajo.
Ibid. après ces mots, mêmes inclinations , lifez : Quoique cette ifle eüt été découverte & reconnue en 1493 ,&c.
Page 285, après ces mots, eft le mancenillier, lifez: Cet arbre eft aflez élevé, & croït communément fur le bord des eaux. II a le port



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. i
& les feuilles du poirier. Son tronc d'un boi ferré, pefanc, veiné, propre aux ouvrages d menuiferie, eft recouvert d'une écorce lifie c tendre. II porte deux efpeces defleurs. Les une font males, difpofées en chatons aux excrémité des rameaux. Elles n'ont, dans chaque calice qu'un filet furmonté de deux antheres. Les fe melles font folitaires. Leur piftil devient un frui charnu, droit, en forme de figue ou de poire qui condent un noyau très-dur, renfermant cinc ou fix femences dans autant de loges. On trou ve , dans toutes les parties de 1'arbre, & principalement entre le tronc & 1'écorce un fuc laïteux, regardé comme un poifon très-fubtil qui rend 1'exploitation & même 1'approche de eet arbre très-dangereufes. On ne repofe point impunément fous fon ombrage, & 1'eau qui dégouttede fes feuilles, après la pluie, occafionne fur la peau des ampoules, & y excite une vive démangeaifon.
Le fuc du mancenillier eft recu dans des coquilles, &c. Page 287, au-lieu de Broyo, lifez Broyoan. Page 288, après ces mots, travaux de 1'efclavage, lifez ; Porto-Rico a trente-fix lieues de long, dix-huit de largeur & cent de circonférence. Nous pouvons afTurer que c'eft une des meilleures ifles, & peut-être, dans la propordon de fon étendue, la meilleure ifje du Nouveau-
1
s
eci 3
VI.
Etat aöuei ie Porto-
lieo.



li SUPPLÉMENTS
Monde. L'air y eft fain & aflèz tempéré. Un grand nombre de petites rivieres 1'arrofent de leurs eaux pures. Ses montagnes fonr couvertes de bois utiles ou précieux, & fes vallées d'une fertilité qu'on retrouve rarement ailleurs. Toutes les productions propres a 1'Amérique profperent fur ce fol profond. Un port fur, des rades commodes, des cötes faciles fe joignent a tant d'avantages.
Sur cette terre, privée de fes fauvages habitants par des férocités que trois fiecles n'ont pas fait oublier, fe forma fuccefïïvement une population de quarante-quatre mille huit cents quatrevingt-trois hommes, ou blancs, ou de races mêlées. La plupart étoient nuds. Leurs • maifons étoient des cabanes. La nature feule ou prefque feule fournilToit l\ leur fubfiftance. C'étoit avec du tabac, avec des beftiaux, avec ce que le Gouvernement envoyoit d'argent pour 1'entretien d'un Etat civil, religieux & militaire, que la colonie payoit les toiles & quelques autres objets de peu de valeur que les hles voifines ékétrangeres lui fourniflbient clandeftinement. Ellene voyoit annuellement arriver de fa métropole qu'un petit Mtiment dont la cargaifon ne paflbit pas dix mille écus, & qui reprenoit la route de 1'Europe chargé de cuir?»
Tel étoit Porto-Rico, lorfqu'en 1765, la Cour de Madrid porta fon attention fur Saint-Jean, port excellent même pour les flottesroyales, &



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. t$
auquel on ne defireroit que plus d'étendue< On entoura de fortifications la ville qui le domine. Les ouvrages furenc fur-touc multïpliés vers une langue étroite & marécageufe, le feul endroic par oü la place puifTe être attaquée du cöté de terre. D.eux bataillons & une compagnie de canonniers paflerent la mer pour les aller défendre.A cette époque, une poflèlïion qui n'avoit annuellement regu du fifc que 378,000 liv., lui en coüta 2,634,433 qui arriverentréguliéremenc du Mexique. Ce numéraire excita a quelques travaux. Dans le même temps, l'ifle, qui avoic été jufqu'alors dans les liens du monopole, puc recevoir tous les navigateurs Efpagnols. Les deux m^oyens réunis donnerent un commencement de vie a un établiiTementdontlenéantétonnoit toutes les nations. Sa dixme, qui, avant 1765, ne rendoit que 81,000 livres, s'eft élevée a 230,418 livres.
Au premier Janvier 1778, Porto-Rico comptoit quatre-vingc mille fix cents foixante habitants, dont fix mille cinq cents trente feulement étoient efclaves. II comptoit foixante-dix-fept mille trois cents quatre-vingt-quatre bêtes a corne ; vingt-trois mille cent quatre-vingt-quinze chevaux; quinze cents quinze muiets; quarante-neuf mille cinquante-huit têtes de menu bétail. ^ Sur les plantations qui étoient au nombre de cinq mille fix cents quatre-vingc-un, on récoltoic



VII.
Moyens qui rendroient Porto-Rico flonUant.
14 SUPPLEMENTS
deux mille fept cents trente - fept quintaux de fucre; onze cents quatorze quintaux de coton; onze-mille cent foixante-trois quintaux de café; dix-neuf mille cinq cents cinquante-fix quintaux de riz; quinze mille deux cents feize quintaux de maïs; fept mille quatre cents cinquante-huit quintaux de tabac; neuf mille huit cents foi* xante quintaux de melaflè.
Dans les paturages, dont on comptoit deux cents trente-quatre, la réproduftion annuelle étoit de onze mille trois cents foixante-quatre boeufs; de quatre mille trois cents trente-quatre chevaux; de neuf cents cinquante-deux muiets; de trenteun mille deux cents cinquante-quatre têtes de menu bétail.
Tout cela eft bien peu de chofe: mais on efpere beaucoup d'un arrangement qui vient d'être fait. Aucun citoyen de Porto-Rico n'étoit véritablement le maitre du fol qu'il occupoit. Les Coffimandants, qui s'étoient fuccédés, n'en avoienc jamais uccordé que 1'ufufruit. Ce défordre in* concevable a ceflë enfin. Une loi du 14 Janvier 1778, aflure aux pofiefieurs la propriété de ce qui fe trouvera dans leurs mains, fous la condition d'une redevance annuelle d'un réal & un quart, ou feize fols fix deniers & demi pour chaqueportion de terre de vingt-cinq mille fept cents huit toifes qu'on mettra en culture, & de trois quarts de réal, ou dix fols un denier & demi pour



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 15
celle qui reftera en pature. Ce léger tribut doit fervir a 1'habillement des railices, compofées de dix-neuf cents hommes d'infanterie & de deux cents cinquante chevaux. Sous ies mêmes claufes, le refte de l'ifle fera diflribué a ceux qui ont peuou qui même n'ont rien. Ces derniers, défignés par le nom d'agrégés, font au nombre de fept mille huit cents trente - cinq.
Ce plan n'opérera pas Ia révolution que Ie Confeil d'Efpagne en attend, quoique contrela difpofition formelle des loix , tout colon qui voudra établir des fucreries foit autorifé a appelier les étrangers qui pourront le former a cette culture. II faudroit autoriferces colons h vendre librement auxFrancois, auxHolIandois, aux Anglois , aux Danois les beftiaux qui ne leur ont été livrés jufqu'ici qu'en fraude.
L'homme ne foufFreque paree qu'il ignore les moyens de faire cefler fa peine. S'il languit dans le mal aife, c'eft par imbécillité. L'imaginer dans eet état brut, comme on Ie voit dans 1'état policé, s'agitant, obfervant fans cefTe, & fe portam a toutes fortes d'efTais, ce feroit une erreur groffiere. L'expérience prouve qu'il lui faut des fiecles pourfortirde fa torpeur naturelle ;& que fon induftrieune fois captive, fous une routine étroite & circonferite par le pent nombre de fes befoins, ne s'éveillera jamais d'elle-même. Quel eft donc le raoyeu d'abrégerla durée de fon oi-



tfj SÜPPLËMÈNTS
fiveté, de fa ftupidité, de fa mifere ? C'eft de lui montrer des êtres adlifs; c'eft de le mettre en communicatie»! fuivie avee des peuples laborieux. Bientót il ouvrira des yeux étonnés. II fentira qu'il a des bras auiïi. II aura peine a concevoir comment il ne s'eft pas avifé plutöc d'en faire ufage. Le fpe&acle des jouilTances qu'on obtienc du travail luiinfpirera le defir de lespartager, 6e il travaillera. L'invention eft le propre du génie. L'imitation eft le propre de 1'homme. C'eft par l'imitation que toutes les chofes rares font devenues & deviendront communes. C'eft ce penchant que la Cour de Madrid devroit employer, imon par humanité, du moins pan 1'efpoir des avantages politiques qu'elle pourroit s'eti promettrei
On pourroit, ori devroit peut-êrre aller plus loin. Que 1'Efpagne déclare Porto-Rico une ifle neutre, & que cette neutralité foit reconnue par toutes les PuilTances qui ont des poiTèilions en Amérique : que les terreins qui ne font pas encore en valeur y foient accordés aux hommes entreprenants de toutes les nations qui auront des fonds fuffifants pour établir des cultures: que pendant cinquante ans ou plus, les perfonnes, les produftions foient exemptes de toute impofition i que les rades foient indifFéremment ouvertes h tous les navigateurs, fans douanes, fans gênes, fans formalités: qu'il n'y ait que les troupes néceflai-
rss



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. i?
res pour la police, & que ces troupes. foient étran. geres i qu'on tracé un code de loix très-fimples, convenables a un Etat agricole ou commercant' que ce foient les citoyens eux mêraes qui foient Magiftrats ou qui les choififlènt: que la propriété, cette première & grande bafe de toute fociété politique, foit établie fur des fondements inébranlables. Avant un demi-fiecle, Porto-Rico fera très-certainement une des plus norifïantes colonies du Nouveau-Monde. Alors eile pourra redevenir, fansinconvénient, une poflèflion vraiment nationale. Ses abondantes produétions, qui n'auront coüté ni foins, ni dépenfe, ni inquiétude, ni guerre a 1'Efpagne, groffiront la maflè de fes richefies nationales & le revenu public.
Mais ce plan d'adminiftration feroit une infpiration de la fagefTe même ; 1'intérêt le mieux entendu Pauroit diaé; le fuccès en feroit géométriquement démontré qu'il ne s'exécuteroit pas: & pourquoi cela? C'eft qu*il n'eft pas venu dans la tête d'un indigene, & qu'il fuppofe le concours des étrangers. Par une vanité déteftable» par une ridicule puérilité, on ne peut rien, & Ion voudroit tout faire par foi-même; on elï aveugle, & l'on repoufle la lumiere exotique. Dansles Etats monarchiques, un moyen d'exclure un habile homme d'une place importante, moyen que la haine ou la jaloufie ne manque guere d'employer, c'eft d'anticiper fur la nomiSuppl. Tome JIL g



ï8 suppléments
nation de la Cour par le choix populaire. Le même moyen réuffiroit aufli fürement entre les Cours. Pour détourner un Miniftre d'une bonne opéradon, un autre Miniftre n'auroit qu'a s'emparer de la gloire de s'en être avifé le premier, en la divulgant, pour empêcher qu'elle ne fe fit. Rien de plus rare entre les Miniftres d'une même Cour que d'en voir un aflez grand, aflez honnête, aflez bon citoyen pour fuivre un projet commencé par fon prédéceflèur. C'eft ainfi que les abus s'éternifent chez la même nation. C'eft ainfi que tout s'entame, & que rien ne s'acheve par un fol orgueil, dont Pinfluence fatale fe répand fur toutes les branches de 1'adminiftration, qui fufpend les progrès de la civilifation, & qui auroit fixé les peuples dans 1'état barbare, fi leurs chefs en avoient été conftamment, «Sc dans tous les temps également entêtés.
Cependant, fi la combinaifon qu'on ofe propofer a la Cour de Madrid lui paroiflbic fufceptible d'inconvénients qui nous auroient échappé, elle pourroit tirer de fon propre fein une partie des avantages qu'il nous feroit doux de lui voir obtenir. La navigation aux lndes Efpagnoles eft interdite aux Bifcayens. Comme leurs rades font débarraflees, ii 1'entrée & a la forde, des droits dont toutes les autres douanes font furchargées, le Gouvernement a craint qu'ils n'euiïent une trop grande fupérioricé fur les fujets de la Mo-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. tg ftarchie qui ne jouiflènt pas des mêmes prérogaïives. Qu'on ouvre a ces hommes atfifs PortoRico , oü leur concurrence ne fauroic nuire a des rivaux qui ne s'en font jamais occupés; & bientót cette ifle deviendra de quelque importance. Le même ordre dechofes pourroit s'éten«dre k Saint-Domingue.
Cette ifle, célebre dans 1'hiftoire, &c> Paëe a95> après ces mots, pour le Gouvernement, lifez : La compagnie exclufive formée en 1756 a Barcelone pour ranimer les cendres de Saint-Domingue, n'a rienopéré. Depuis que cette ifle a été ou verte en i766 a tous les navigateurs Efpagnols, fon état eft encorerefté 1* même. Ce qu'on peut y avoir planté de canïies, de cafiers & de pieds de tabac ne fuffit pas h fa confommation, loin de pouvoir contribuer a celle de la métropole. La colonie ne fournic annuellement au commerce national que «inq ou fix mille cuirs, & quelques denréeü de fi peu de valeur, qu'elles mérkent a peine d'être comptées.
Tout dans l'ifle fe reuent de ce défaut de cultures. Sant-Yago, la Vega, Seibo, d'au* tres lieux de 1'intérieur des terres, autrefois fi renommés pour leurs richeflès, ne font plus que desvils hameaux oü rien ne rappelle leuf fplendeur première. Les cötes n'offrent pas un tableau plus ani* Ba



fio SUPPLÊMENTS
mé. Au fud de Ia colonie, eft la baie écroite 6c profonde d'Ocoa, qu'on pourroit appelier un port. C'eft dans eet endroit oü les Efpagnols n'ont point d'établiflèment, quoiqu'une faline qui fuffit a leurs belbins en foit fort proche, qu'eft déchargé 1'argent envoyé du Mexique pour les dépenfes du Gouvernement, 6c d'oü il eft porté fur des chevaux a San-Domingo, qui n'en eft éloigné que de quinze lieues.
Cette célebre capicale de l'ifle recut longtemps dire&ement ces fecours étrangers : mais alors le Lozama qui baigne fes murs admettoit des baciments de fix cents tonneaux. Depuis que 1'embouchure de cette riviere a été prefque comblée par les fables 6c par les pierres que cette riviere entraïne des montagnes, la villen'eft pas dans un meilleur état que le port, 6c de magnifiques ruines font tout ce qui en refte. Les campagnes qui 1'environnent n'offrent que des ronces & quelques troupeaux.
Quatorze lieues au-deffus de cette place, coule la riviere de Macouflis, oü abordent le petit nombre de navires Américains qui viennent trafiquer dans l'ifle. Ils débarquent leurs foibles cargaifons a la faveur de quelques iflocs qui forjment un aflez bon abri.
i Plus loin, toujours fur la même cote, la Rumana parcourt les plus fuperbes plaines qu'il foit ' poffible d'imaginer. Cependanc on ne voit fur



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. m
un Col fi vafte & fi fécond qu'une bourgade qui paroitroit miférable dans les contrées même que la nature auroic les plus malcraïtées.
Le nord de Ia colonie eft digne du fud. Portode-Plata, dont il feroit difficile d'exagérer la beauté, la bonté, ne voit dans fes nombreufes anfes, ne voit fur fon riche territoire que quelques cabanes.
L'Ifabellique quia une belle riviere, des plaines immenfes, des foréts remplies de bois précieux, ne préfente pas un afpeét plus florifianr.
Avec autantou plus de moyensdeprofpérité, Monté-Chrifto n'eft qu'un entrepót oü des interlopes Anglois viennent habituellement chargerles denréesde quelques plantations Francoifes établies h fon voifinage. Les hoftilités entre les Cours de Londres & de Verfailles, rendent les liaifons frauduleufes infiniment plus confidérables, & ce marché acquiert alors une grande importance. Mais ce mouvement de vie cefiè auffi-tóc que le Miniftere de Madrid croit convenable a fes intéréts de fe mêler dans les querelles des deux nations rivales.
Les Efpagnols n'ont aucune pofièflion a 1'oueft' de l'ifle, entiérement occupé par les Frangois; & ce n'eft qu'après la derniere paix qu'ils onc jugé convenable de former des établiflèments a reft qu'on avoit depuis long-temps perdu de vue. Le projet d'établir des cultures, pouvoits'exéB 3



as SUPPLÉMENTS
cuter dans la plaine de Vega-Réal, fituée dans 1'intérieur des terres, &qui a quatre-vingts lieues de long, fur dix dans fa plus grande largeur. On trouveroit difficilement dans le Nouveau-Monde un terrein plus uni, plus fécond, plus arrofé. Toutes les produ&ions de rAmérique y réuffiroient admirablement: mais 1'extraftion en feroit impoffible; a moins qu'on ne pratiquat des chernins, dont Fentreprife efFrayeroit même des peuples plus entreprenants que la nation Efpagnole. Ces difficultésdevoientnaturellement faire jetter les yeux fur des cötes excellentes, déja un peu habitées, & oü Fon auroit tronvé quelques fubfiftances. On craignit fans doute que les nouveaux colons ne priflent les moeurs des anciens , & Fon fe détermina pour Samana.
C'eft une péninfule large de cinq lieues, longue de feize, & dont le fol, quoiqu'un peuinégal, eft très-pfopre aux plus riches productions du Nouveau-Monde. Elle a de plus 1'avantage d'offrir aux batiments qui arrivent d'Europe un atterrage facile, & un mouillage fur.
Ces confidérations déterminerent, &c. page 298.
Page 298, après ces mots, devenoit vacante, lifez : Ce n'eft que de nos jours que la Cour de Madrid y a fait pafler quelques Canariens. L'Etat s'eft chargé de la dépenfe de leur voyage, des fraix de leur établiiTement, de leur fubfif-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 23
«nee pendant plufieurs années. Ces mefures, quoique fages, n'ont produit aucun bien. Le vice du climat, des défiïchements commencés fans précaution, 1'infidélité fur-tout des adminiftrateurs qui fe font approprié les fonds qui leur étoient confiés : toutes ces. caufes & peut-être quelques autres, ont précipités dans le tombeau la plupart des nouveaux colons; & ce qui a échappé a tant de calamités, languit dans Patiënte d'une mort prochaine. Voyons fi les efforts pour rendre Cuba floriflanc auront été plus heureux.
L'ifle de Cuba, féparée de celle de Saint-Domingue par un canal étroit, pourroit feule va-, JoirunRoyaume. Elle a deux cents trente lieues< de long, & depuis quatorze jufqu'a vingt-quatre ] de large. Aucune de fes rivieres n'eft navigable. Dans trois ou quatre feulement, des bateaux remontent deux, quatre & fix lieues, durant la plus grande partie de Pannée. Au Nord, la Havane, Bahiahonda, Maciel, Matanza, peuvent recevoir des vaifieaux de guerre; mais les rades du Sud, Caba, Xaguas, Port-au-Prince, Bayamo, Bacacoa, Nipe, Batabano, Trinité, n'admettent que des batiments marchands.
Quoique Cuba eüt éte découverte en 1492, &c . ,PaSe 3°i» après ces mots, plas d'ennemis, lifez : Tout plia fans réfiftance; & la nation ne furvécut cependant que peu a Ia perte de fa hV B 4
x.
Conquête Ie l'ifle de -ubapar les tfpagnols.



24 SUPPLÉMENTS
XL
ïmportance, gouvernement ,population,cultures Sc autK-s tra» vaux de Cuba.
bené. Dans ces temps de férocité, oü conquérir n'éroit que détruire, plufieurs habitancs de Cuba furent mailacrés. Un plus grand nombre terminerent leur carrière dans des mines d'or, quoiqu'elles ne fe trouvaffènc pas aflez abondances pour ëtre long-tempsexploitées. Enfin,lapetite-vérole, ce poifon que Panden monde a donné au nouveau , en échange d'un .plus cruel encore, acheva ce que les autres fléaux avoient fi fort avancé. L'ifle entiere ne fut bientöt qu'un défert.
Elle dut farenaiflanceau pilote Alaminos, qui le premier pafla, en 1519, le canal de Bahama, en allant porter a Charles • Quint les premières nouvelles des fuccès de Cortès. On ne tarda pas a comprendre que ce feroit Ia feule route convenable pour les vaiflèaux qui voudroient fe rendre du Mexique en Europe; & la Havane fut Mcie pour les recevoir. L'utilité de ce port fameux s'écendit depuis aux batiments expédiés de Porto-Belo & de Carthagene. Tous y rél&choient & s'y atcendoient réciproquemenc pour anïver enfemble avec plus d'appareil ou de füreté dans la mécropole. Les dépenfes prodigieufes que faifoient, durant leur léjour, des navigateurs chargés des plus riches tréfors de Punivers, jetterent un argent immenfe dans cette ville, qui elle-même étoit forcée d'en verfer une partie dans les campagnes plus ou moins éloignées qui la



A L'HIS'F. PHILOSOPHIQUE. «s
nourrifloient. De cette maniere, Cuba eut quelques principes de vie, tandis que les autres ifles löumifes a la même domination, reftoient dans le néanc oü Ia conquêce les avolt plongées.
Pour accélérer les progrès trop lents de eet établiflèment,on forma, en 1735, une aflöciation particuliere. Les fonds de la nouvelle fociété étoient d'un million de piaflxes fortes, ou de 5,400,000 liv. II fut partagé en deux mille actions, dont cent appartenoient k la Couronne. Son privilege étoit exclufif. Elle eut des fafteurs a Cadix : mais c'étoit Cuba même qui étoit le fiege du monopole.
' ^ Les direcleurs, éloignés de la métropole, ne s'occuperent que de leur fortune particuliere. Ils commirent des malverfations fans nombre; & Ie corps dont ils conduifoient les intéréts fe trouva fi complétement ruiné, après vingt-cinq ans, qu'il ne lui fut plus poflible de continuer fes opérations. Alors le Gouvernement autorifa quelques négociants a faire ce commerce; & en 1765, on ouvric a tous les Efpagnols une pofieffion qui n'auroit jamais dü leur être fermée.
Un Gouverneur, qui a le titre de Capitaine général, préfide maintenanr. h la colonie. II décide de tout ce qui appardent au civil & au militaire : mais un Intendant régit les finances. Des Magiftrats dont les fentences peuvent être inffrraées par 1'Audience de Saint-Domingue, renB 5



•6 SUPPLÉMENTS
dcnt la juftice dans les dix-huit jurifdiclions qui partagent l'ifle.
C'eft la ville de Cuba qui eft le fiege de 1'Evêque & de fon Chapitre. Ni eux, ni les autres membres du Clergé ne pergoivent la dixme. Comme dans le refte du Nouveau-Monde, elle appartienc a laConronne : mais, ainfiqu'ailleurs, fans être une reflburce pour le fifc. La colonie compte vingt-trois couvents d'hommes & trois de femmes, dont, felon 1'évaluation la plus modérée, les biens font eftimés 14,589,590 livres. Dans ce calcul ne font pas compris les fonds de 1'ordre de Saint -Jean-d&~Dieu, deftinés h des objets d'utilité publique.
Les enfants trouvent une éducation bonne ou mauvaifedansla plupart des cloitres. II ya même, depuis 1728, a la Havane, une univerfité qui a 37,800 livres de revenu, & moins de deux cents éleves.
Dix-neuf höpitaux font répandus dans l'ifle, & la, comme ailleurs, on n'eft d'accord ni fur 1'utilité, ni fur la meilleure forme de cesétabliffements. Hélas! en fait d'adminiftration, tout eft donc encore problématique; & les queftionsqui touchent au bonheur de 1'efpece humaine , font peut-être celles qui ont été le moins réfolues.
Les pays prétendus policés du globe font couverts d'hommes pareflèux, qui trouvent plus doux de tendre la main dans les rues, que de



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 27
fe fervir de leurs bras dans les atteliers. Certes, | notre deflein n'eft pas d'endurcir les cceurs: mais
nous prononcerons, fans balancer, que ces rrrii férables font autant de voleurs du véritable paui vre, & que celui qui leur donne des fecours fe ( rend leur complice. La connoiflance de leur
hypocrifie , de leurs vices, de leurs débau| ches, de leurs nocturnes faturnales , affoiblk 1 la commiféracion qui eft due a 1'indigence réelI Je. On fouffre, fans doute, a priver un citoyen jj de fa liberté , la feule chofe qu'il poflède, & i d'ajouterlaprifon a la mifere. Cependant, celui 'j qui préfece la condition abjecte de mendianc a u un afyle oü il trouverok le vêcemenc& la nourj| ricure a cöcé du travail, eft un vicieux qu'il fauc
y conduire par la force. Ii y a beaucoup de pays
oü, par un feminiene de compafllon mal raifon-
né, on n'enferme pas les mendiants de profefS ilon. L'adminiftration de ces pays montre en cela
plus d'humanicé que de lumieres.
Mais indépendamment de la mendicité qu'en-
I traïne Pefpric de pareiïe, il fauc qu'ii y aic des pauvres fans nombre par-rouc oü il y a fans nom-
J bre des hommes qui n'ont que leurs bras a oppofer a la mifere. Pour tous ces malheureux, un ; jour de maladie eft un jour d'indigence. Touc
II vieiliard eft un pauvre. Touc eftropié par acci-«. I denc ou maléficié par nacure, jeune ou vieux
eft un pauvre. Touc ouvrier, tout foldac, cout ma-



28 SUPPLÉMENTS
telot, hors de fervice ou hors d'état de fervir, eft un pauvre. La pauvreté engendre la pauvreté; ne füt-ce que par l'impoilibilité oü fe trouve le pauvre, de donneraucune forte d'éducation ou d'induftrie a fes enfants. Un grand incendie, une inondation, une grêle, un long & rigoureux hyver, une épidémie, une difette, uneguerre,de grandes & fubites réductions de rentes, desfaillites, demauvaifes, quelquefois même de bonnes opérations definance, 1'invention d'une nouvelle machine : toutes les caufes qui privent les citoyens de leur état & fufpendent ou diminuent brufquement les travaux journaliers, font éclore en un inftant une foule incroyable de pauvres.
Cependant, qui font tant d'infortunés réduits innocemment & peut-être par 1'injultice de nos loix conftitutivesh uneindigence inévitable?Des hommes utiles qui ont cultivé les terres, taillé la pierre, conftruit nos édifïces, nourri nos enfants, fouillé nos mines & nos carrières, défendu la patrie, fecondé Ie génie, fervi 1'induftrie dans toutes fes branches.
Pour fecourir ces êtres intéreffants, on a imaginé les hópitaux. Mais ces établiffements remplifient-ils le but de leur inftitution? Prefque partout, ils ont une foule de vices moraux & phyfiques, qui, dans leur état attuel, font mettre en doute leur utilité.
Des fecours particuliers & momentanés, fa-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 29
gement difpenfés par le Gouvernement dans Ie temps de grandes calamités populaires, vaudroient peut-êcre mieux que des hópkaux entretenus è perpétuicé. Ils préviendroient la mendi* cité, & leshópkaux ne font que la fomenter. Ces afyles du malheur font prefque par - tout dotés en biens-fonds. Cette nature de propriété eftfajettea trop d'embarras & d'infidélité dansfageftion, a trop de viciffitudes dans fes produits. Les adminiftrateurs en font permanents. De-la le zele fe rallentk; 1'efprit de fraude & de rapine, ou tout au moins celui d'infouciance, prend fa place. Ces dépots facrés finifientpardevenirPufufruit de ceux qui les gerent. L'adminiftration de ces établiflements eft prefque toujours un myftere pour le Gouvernement & pour le public, tandis que rien ne feroit plus honnête & plus né ceflaire que de 1'expofer au grand jour: elle eft arbitraire, & il faudroit que tous les détails en fuflent fournis h Pinfpeétion la plus aflldue & la plus rigoureufe. On parle de Ia déprédation qui exifte dans Ia maifon des Rois. La, du moins, la magnificence, Pabondance, les étiquettes qui compofent la fauflè grandeur du tróne, juftifient en quelque forte la diflipation, & Pon fait qu'oü il y a des Rois, il faut qu'il y ait des abus. Mais les hópkaux renferment plus de malverfadons encore. Et ce font les maifons des pauvres! c'eft le bien des pauvres! tout devrot y rappeller les



30 SUPPLÉMENTS
idéés d'ordre& d'économie; tout devroit y ren* dre ces devoirs facrés. Adminiftrateurs de cesafy* les, quand vous êtes coupablesdenégligence,il faut que vos ames foient de glacé! Quand vous vous permettez des concuffions, quelsnomsvous donner! Je voudrois qu'on vous trempdt dans le fang & dans la boue.
Les vices phyfiques de nos höpitaux font encore plus déplorables que leurs vices moraux. L'air y eft corrompu par mille caufes dont le détail révolteroit nos fens. Qu'on en juge par une feule expérience inconteftabje. Trois mille hommes, renfermés dans 1'étendue d'un arpent, forment par leur tranfpiration feule, une athmof,phere de foixante pouces de hauteur, qui devient contagieufe fi 1'agitation ne la renouvelle. Toutes les perfonnes, habituellement occupées du ftrvicedes malades, font pales & prefque généralement attaquées, même dans 1'état de fanté, d'une fievre lente, qui a fon caraétere particulier. Quelle ne doit pas être 1'influence de la même caufe fur celui qui fe porte mal? L'on fort de 1'höpital guéri d'une infirmité; mais on en remporte une autre. Les convalefcences y font longues. Combien de fatales négiigences! combien de funeftes méprifes! Leur fréquence en étouffe le remords.
A 1'Hötel-Dieu de Paris & a Bicêtre, le cinquieme & le fixieme des malades périflènt; a



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 31
ij 1'höpital de Lyon, le huitierae & le neuvieme.
O coi quï, defcendant du premier tröne de I 1'Europe, as parcouru fes principales contrées i avec la foif de connoitre, & fans doute le delir : de travailler au biende ton pays, dis-nous quelle fut ton horreur, lorfque tu vis dans un de nos höpitaux fept ou huit malades entafles dans le même lit; toutes les maladies mêlées; tous les I principes & Jes degrés de vie & de mort conI fondus, un malheureux pouilant le cri aigu de ij la douleur a cóté de celui qui exhaloit le dernier ï foupir; le mourant a cóté du mort; tous s'ini feflant, tous fe maudiflant réciproquement. Dis| nous pourquoi tu n'allas pas offrir ce tableau St ■ 1'imagination de ta jeune & tendre foeur notre I Souveraine? Elle en eut ététouchée fans doute: 1 elle eütporté fon émotion auprès de fon époux; j & fes larmes euflènt intercédé pour les malheu| reux. Quel augufte ufage a faire de la beauté !
Ainfi, conferver les hommes, veillerfur leurs i jours, écarter d'eux les horreurs de la mifere, f eft une fcience fi peu approfondie par les Gouvernements, que même les établiflëments qu'ils i) femblent avoir fait pour remplir eet objet, produifent 1'efFet oppofé. Etonnante mal-adrefle que I ne devra pas oublier celui de nos Philofophes j qui écrira 1'immenfe traité de la barbarie des i peuples civilifés.
Des hommes de bronze ont dit que pourem-



Sa SUPPLÉMENTS
pêcher Ia multiplication, déja 'trop grande» des pareflèux, des infouciants & des vicieux, il falloit que les pauvres & les malades ne fuflènt pas bien traités dans les höpitaux. Certes , on ne peut nier que ce cruel moyen n'ait été mis en ufage dans toute fa violence. Cependant, quel effet a-t-il produit? On a tué beaucoup d'hommes fans en corriger aucun.
II fe peut que les höpitaux encouragent la parefle & la débauche. Mais 11 ce vice eiï efientiellement inhérent a ces établiflements, il faut le fupporter. S'il peut être réformé, il faut y travailler. Laiflbns fubfifter les höpitaux : mais occupons-nous a diminuer par 1'aifance générale, la multitude des malheureux qui font forcés de s'y réfugier. Qu'ils foient employés dans les maifons de charité a des travaux fédentaires; que la pareiTe y foit punie, que 1'aétivité y foitrécom' penfée.
A 1'égard des malades, qu'ils foient foignés comme des hommes doivent 1'être par des hommes. La patrie leur doit ce fecours par juftice ou par intérêt. S'ils font vieux, ils ont fervi 1'humanité, ils ont mis d'autres citoyensau monde ; s'ils font jeunes, ils peuvent la fervir encore, ils peuvent être Ia fouche d'une génération nouvelle. Enfin, une fois admis dans ces afyles de charité, que Ia fainte hofpitalité y foit exercée dans toute fon étendue. Plus de vile léfine, plus
de



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 33
«Ie calculs homicides. II fauc qu'ils y trouvenc les fecours qu'ils trouveroient dans leurs famii! les, fi leurs families éroient en écac de les recevoir.
Ce plan n'eft pas'impraticable; il ne fera pas même difpendieux, quand de meilleures loix, quand une adminiftration plus vigilante, plus éclairée & fur-tout plus humaine préfidera h ces établiflements. L'effai s'en fait aujourd'hui avec fuccès fous nos yeux par les foins de Madame I Necker. Tandis que fon mari travaille plus en I grand a diminuer le nombre des malheureux, I elle s'occupe des détails qui peuvent foulager I ceux qui exiftent. Elle vient de former dans Ie , fauxbourg Saint - Germain , un hofpice oü les I malades, couchés un a un, foignés comme ils :| le feroient chez une mere tendre, coütent ufi j tiers de moins que dans les höpitaux de Paris. ? Etrangers, devenus membres de la nation par 1; la plus mérkoire de toutes les naturalifations, par lebienque vous lui fakes, couple généreux, | j'ofe vous nommer, quoique vivants, quoique i environnés du crédit d'une grande place; & je k ne crains pas qu'on m'accufe d'adulation. Je I crois avoir aflèz prouvé que je ne favois ni crain1 dre ni flatter le vice puiflant; & j'ai acquis paria le droit de rendre hautemenc hommage a la I vertu.
Veuille le Ciel que 1'heureufe épreuve donc Suppl. Tome IIL C



34 SUPPLÉMENTS
nous venons de parler amene Ia réformation générale des höpitaux, fondés par la générofité de nos peres! veuille le Ciel qu'un fi bel établiflement ferve de raodeie a ceux qu'une pitié tendre, que le defir d'expier une grande opulence , qu'une philofophie bienfaifante pourroient un jour infpirer aux générations qui nous fuccéderont. Ce fouhait de mon cceur embrafiè tout [Is globe : car ma penfée n'a jamais de limites que celles du monde, quand elle eft occupée du bonheur de mes femblables. Citoyens de 1'univers, uniflèz-vous tous a moi. 11 s'agit de vous. Qui eft-ce qui vous a dit que quelqu'un de vos ancêtres n'eft pas mort dans des höpitaux? qui eft-ce qui vous a promis qu'un de vos defcendants n'ira pas mourir dans la retraite de Ia mifere? un malheur inattendu qui vous y conduiroit vous-même eft-il fans exemple? A mes voeux, uniffèz donc les vötres.
Pour rentrer dans notre fujet, felon Ie dénombrement de 1774, l'ifle de Cuba compte cent foixante & onze mille fix cents vingt-huit perfonnes, dont vingt-huit mille fept cents foixantefix feulement font efclaves. La population doit être même un peu plus confidérable, paree que la crainte bien fondée de quelque nouvel impöt, a dü empêcher 1'exaaitude dans les déclarations.
On ne trouve guere d'autres arts dans 1 ifle



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 35
que.ceux i!e néceflité première. Ils font entre les mains des mulatres ou des noirs libres & trèsimparfaics. La feule menuiferie y a été portée a un degré de perfe&ion remarquable. D 'autres mulatres, d'autres noirs font naitre i des fubfiftances. Ce font quelques fruits du Nou< veau-Monde & quelques légumes de 1'ancien : du maïs & du manioc, dont la confommation a diminué a mefure que la liberté de Ia naviga\ don a fait baiflèr le prix des farines apportées d'Efpagne ou du Mexique, & quelquefois aufli de 1'Amérique Septentrionale : du cacao alTez bon, mais en fi pedce quandté, qu'il en faut tirer tous les ans plus de deux mille quintaux de Caraque ou de Guayaquil: de nombreux troupeaux de boeufs, & fur-tout de cochons, dont la chair a été jufqu'ici préférée généralement, & le fera toujours, k moins que les moutons qu'on vient d'introduire dans l'ifle ne la faflent un jour négliger. Tous ces animaux errent dans des p&turages, dont chacun a quatre ou du moins deux lieues d'étendue. On y voit aufll païtre des muiets & des chevaux qu'il faudroit multiplier encore, puifque leur nombre actuel ne difpenfe pas d'en demander une grande quantité au continent.
Les denrées deftinées pour 1'exportadon occupent le plus grand nombre des efclaves. Depuis 1748 jufqu'en 1753, les travaux de ces
C 2



36 SUPPLÉMENTS
malheureux ne produifirenc chaque année pour la métropole que dix-huit mille fept cents cinquante quintaux de tabac qui valurent en Europe 1,293.570 livres. Cent foixante-treize mille huit cents quintaux de fucre qui valurent 7,994,786 livres. Quinze cents foixante-neuf cuirs qui valurent 138,817 livres; & 1,064,505 livres, en or & en argent. Sur cette fommede 10,491,678 liv., le tabac feul appartenoit au Gouvernement, tout le relte étoit pour le commerce.
Depuis cette époque, les travaux ont beaucoup augmenté. Cependant ils ne fe font pas encore tournés vers 1'indigo & vers le cocon, quoiqu'ils croiflênt naturellement dans l'ifle.
La culcure du café, adopcée depuis peu, n'a pas faic des progrès confidérables. On ne les verra pas s'accroïcre. L'Efpagne confomme peu de cecce produécion; & tous les marchés de 1'Europe en font, en feront long-temps furchargés. 11 faut mieux augurer de la cire.
Lorfqu'en 1763, la Floride fut cédée par Ia Cour de Madrid a celle de Londres, les cinq ou fix cents miférables qui végétoient dans cette région, fe réfugierent a Cuba, & y porterenc quelques abeilles. Cec infecte utile fe jetca dans les forêts, s'y établit dans le creux des vieux arbres, & fe mulciplia avec une célérité qui ne paroit pas croyable. Bientöc la colonie , qui achetoic beaucoup de cire pour fes folemnités religieu-



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 37
■| fes, en recueillic aflez pour ce pieux ufage, & | pour d'autres confommations. Elle eut un peu 1 de fuperflu en 1770; & fept ans après on en exi porta fept mille cent cinquante quintaux & demi : pour I'Europe ou pour 1'Amérique. Cette proi duétion augmentera néceflairement fous un ciel, ' fur un fol qui lui font également favorables; dans , une ifle oü les ruches donnent quatre récoltes I chaque année, & oüleselTaims fefuccedent fans fi interruption.
Le tabac eft une des plus importantes productions de Cuba. Chaque récolte en donne environ cinquante-cinq mille quintaux. Une partie eft confommée dans le pays ou fort en fraude. Le Gouvernement en fait acheter tous les ans, pour fes domaines de 1'ancien & du NouveauMonde oü il en fait également le monopole, quarante-fix mille fept cents cinquante quintaux, dont le prix varie avec la qualité; mais qui, 1'un dans 1'autre, lui revient a 48 livres 12 fols le cent. De forte que le Roi verfe annuellement dans l'ifle, pour cefeul objet, 2,272,050 livres.
Les progrès que faifoit la culture du tabac, ont été naguere arrêtés h Cuba. On a fait même 1 arracher cette plante dans quelques quartiers oü ! elle croiflbit moins heureufement. Le Miniftere ! n'a pas voulu que les récoltes fuflent portées aui dela des befoins de la monarchie. II a craint fans doute que les étrangers qui auroient acheté la C 3



38 SUPPLÉMENTS
produétion en feuilles ne l'introduififlent clandeftinement dans fes Provinces, après 1'avoir roanufaclurée. On a penfé que 1'induftrie des colons feroit plus utilement tournée vers le fucre.
Cette denrée étoit peu connue avant la découverte du Nouveau-Monde. Elle eft devenue graduellement 1'objet d'un commerce immenfe. Les Efpagnols étoient réduits k Facheter de leurs voifins, lorfqu'enfin ils s'aviferent de la demander a Cuba. La métropole en recoit annuelletnent depuis deux cents jufqu'a deux cents cinquante mille quintaux, moitié blanc & moitié brut. Ce n'eft pas tout ce que fes habitants en peuvent confommer: mais ils feront difpenfés de recourir aux marchés étrangers, lorfque cette culture fera aufll folidement établie dans le refte de l'ifle qu'elle 1'eft déja fur le terricoire de la Havane.
Avant 1765, Cuba ne recevoit annuellement que trois ou quatre grands navires partis de Cadix, & les batiments qui, après avoir fait leur vente fur les cötes du continent, venoient chercher un chargement qu'ils n'avoient pas trouvé a Vera-Crux, a Honduras & a Carthagene. L'ifle manquoit alors fouvent des chofes les plus néceflaires; & il falloit bien qu'elle les demandat a ceux de fes voifins avec qui elle avoit formé des liaifons interlopes. Lorfque les gênes ont été diminuées, le nombre des expéditions a



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 39
multiplié les produétions qui réciproquemenc ont écendu la navigation.
En 1774, ü arriva d'Efpagne dans la colonie cent & un navires qui y porterent des farines, des vins, des eaux-de-vie, tout ce qui eft néceflaire a un grand établiiïèment, & qui en era» porterent toutes les denrées qu'un meilleur ordre de chofes avoit fait naitre.
La même année, Cuba recut fur cent dixhuit petits Mciments; de la Louyfiane, du riz I & des bois pour fes caifles a fucre; du Mexique, i des farines, des légumes, du marroquin & du ï cuivre; des autres parties de ce grand continent, \ des boeufs, des muiets, du cacao; de Porto-Rico 1 deux milles efclaves qu'on y avoit entrepofés. Ces navires del'ancien&du Nouveau-Monde n'eurent pas le choix des ports oü il leur auroit ; convenu d'aborder. Ils furent obligés de dépofer I leurs cargaifons a la Havane, au Port-au-Prince, è Cuba, a la Trinité, les feuls endroits oü 1'on ait établi des douanes. II n'y a que les bateaux pêcheurs & les caboteurs auxquels il foit permis de fréquenter indifFéremment toutes les rades.
Un homme qui fait maintenant honneur a 1'Efpagne, & qui en feroit a quelque nation que ce put être, M. Campo Manès, dit que le produit des douanes, qui, avant 1765, n'avoit jamais pafTé 565,963 livres, s'éleve maintenant a 1,620,000 livres que la métropole recire de la colonie en C 4



4o SUPPLÉMENTS
métaux 8,100,000 livres au-lieu de 1,620,000 livres qui lui arrivoient autrefois. C'eft, en faveur de la libercé, un argument dont il eft a delirer qu'on fente toute la force.
Les impöts levés k Cuba, ou du moins ceux qui entrent dans les caiflès de 1'Etat, ne paflent pas 2,430,000 liv., & le Gouvernement verfe dans l'ifle 2,272,050 liv. pour le tabac; 1,350,000 liv. pour 1'entretien des fortifkations; 2,160,000 liv. pour les garnifons ordinaires, & 3,780,000 livres pour les befoins de la marine.
Des bois d'un cedre propre a la conftruclion couvroient la colonie, fans qu'on eut jamais fongé a les employer. Enfin, on y forma, en 1724, des atteliers, dont, jufqu'k ce jour, il eft forti cinquante-huit vaifièaux ou frégates. Cet établiffement fe foutient malgré la néceflké oü 1'on eft réduit de porter pour ces batiments du fer & des cordages que l'ifle ne fournit pas, malgré 1'habitude contraftée depuis 1750 de leur porter du Nord de 1'Europe des matures qu'on tiroit autrefois, mais d'une qualité inférieure, du golfe du Mexique.
La flotille deftinée a purger les cötes Efpagnoles de fraudeurs ou de pirates, & qui, hors de la faifon des croifieres, fe tenoit a la VeraCrux, fut fupprimée en 1748. Son acïion étoit devenue inutile, depuis que le Gouvernement avoit pris le parti de laiflèr habituellement a Cuba



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 41
des forces maritimes plus ou moins confidéra= bles. En temps de paix, ces vaiflêaux portent aux ifles, a Cumana, a la Louyfiane les fonds confacrés aux befoins annuels de ces divers établiflements ; ils en écartent le plus qu'ils peuvent la contrebande; ils font refpecter le nom de leur maitre. Durant la guerre, ils protegent les navigaceurs & le territoire de leur nation.
La Havane, oü on les conflruit, vient de recevoir par les foins de M. le Marquis de la Torre, des commodités & des embelliflèments qu'on y defiroit inutilement depuis long-temps. Ce Gouverneur actif lui a donné une falie de fpectacle fagement décorée, deux promenades délicieufes, des cazernes commodes, & a fon territoire cinq ponts très-bien encendus. Ces établiflements utiles
| ou agréables n'ont coüté a la ville que 482,066
i livres.
Le Gouvernement a confacré aux fortifications dont la place a été entourée depuis 1763 jufqu'en 1777, 22,413,989 livres. 18 f. 6 d. Ces ouvrages ont été élevés par quatre mille cent quatre-vingt-dix-huit noirs; par quinze cents malfaiteurs dont 1'Efpagne & le Mexique fe font purgés; par les hommes libres qui n'ont pas dédaigné ce travail.
Le port eft un des plus fürs de 1'univers. Les flottes du monde entier y pourroient mouiller en même-temps. A fon encrée font des rochers C 5
xir.
En quoi confiftent les fortifications de Cuba. Quelles font les autres défenfes de cette ifle.



42 SUPPLÉMENT S
oü fe briferoienc infailliblernenc les batiments qui oferoient s'éloigner du milieu de la pafle. Le fort Morro & le fort de la Pointe le défendent.
La première de ces deux citadelles, pag. 308.
Page 309, au-Ueu de Cavagne, lifez Cavana.
Page 314, après ces mots, on lui oppofera auffi, lifez : douze mille quatre cents foixante & douze hommes de milice, que, depuis la paix, on a accoutumés a manceuvrer d'une maniere furprenante, qui tiendront la campagne, & qui troubleront fes opérations.
Ces corps armés, habillés, &c.
Page 320, après ces mots, les en écartent, lifez : On pourroit foupconner que la Cour de Madrid a vu qu'il étoit poflible de lui faire ces reproches. En 1735 , fes Miniftres imaginerent une compagnie pour Cuba. Vingt ans après, ils eurent 1'idée d'un nouveau monopole pour SaintDomingue & pour Porto-Rico. La fociété qui devoit défricher cesdéferts, fut établie a Barcelone avec un fonds de 1,785,000 livres, divifé en adtions de cent piftoles chacune. Ce corps ne paya jamais d'intérêt a fes membres; il ne fit aucune répartition, il obtint 1'importante permiflion d'expédier plufieurs Mtiments pour Honduras. Cependant, le 30 Avril 1771, fes dettes, en y comprenant fon capital, s'élevoient a 3,121,692 livres, & il n'avoit que 3,775,54° livres< De forte qu'en quinze ans de temps, avec un pri-



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 43
vilege exclufif & des faveurs trés-fignalées, il n'avoit gagné que 653,848 livres. Le défordre s'eft mis depuis dans fes affaires. Aéluellement il eft fans aélivité. On travaille h une liquidation; & fes aétions ne trouvent pas des acheteurs a cinquante pour cent de perte.
Le Miniftere n'avoit pas attendu ces revers, pour juger qu'il s'étoit égaré dans les voies qu'il avoit choifies pour faire fruclifier les ifles. Dès 1765, les adminiftrateurs de ce grand Empire furenc forcé de voir que ces pofleffions n'avoient pas fait le moindre pas vers le bien, fous le joug dumonople. Ils comprirentqu'elles n'enferoient jamais aucun dans ces entraves deftruétives. Cette perfuafion les détermina a recourir a 1'unique principe des profpérités, la liberté : mais fans avoir le courage ou la fageflè de lever les obftacles qui devoient en empêcher les heureux effets.
L'an 1778 vit enfin ceflèr une partie des prohibitions, des gênes , des impofitions qui arrêtoienc les travaux: mais il refte toujours trop de ces fléaux oppreffèurs, pour pouvoir efpérer une grande aélivité. Euflènt-ils tous cefle, ce ne feroit encore qu'un préliminaire.
Toutes les cultures du Nouveau-Monde exigent quelques avances: mais il faut des fonds confidérables pourfe Iivrer, avec fuccès, a celle du fucre. Si 1'on en excepce Cuba, il n'y a pas



44 SUPPLÉMENTS
peut-être dans les autres ifles cinq ou fix habitancs aflez riches pour demander au fol cette produéh'on. Si le Miniftere Efpagnol ne prodigue pas les tréfors du Mexique & du Pérou a ces infulaires, jamais ils ne fortiront du long & profond fommeil oü ils font enfevelis. Cette générofité eft facile dans un Empire oü le revenu public s'éleve a 140,400,000 livres ; oü les dépenfes ne paflènt pas 129,600,000 livres; & oü il refle 10,800,000 livres qu'en peut employer en amélioration. Sans d'auflï puiflants fecours de leur gouvernement, d'autres peuples ont, il eft vrai, fondé des colonies floriflantes: mais outre qu'ils n'étoient pas abrutis par trois fiecles d'orgueil, de végétation & de pauvreté, ils fe trouvoientdans des circonflances différente» & plus favorables.
Heureux 1'homme qui naït après 1'extinétion de cette longue fuite d'erreurs, qui ont infeété fa nation ! heureufe la nation qui s'éleveroit au centre des nations éclairées, fi elle étoit aflez fage pour profiter & desfautes qu'elles auroientcommifes, & des lumieres qu'elles auroient acquifes! elle n'auroit qu'h jetter les yeux autour d'elle, pour y voir les matériaux épars de fon bonheur, & qu'a s'incliner pour les recueillir. Un des principaux avantages qu'elle devroit, foit a la nouveauté de fon origine, foit a fa lenteur a travailler ou a fa longue enfance, ce feroit a n'a-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 45
voir point a fe délivrer de ces vieux préjugés, que 1'inexpérience des premiers infticuteurs enfanta; qui furent confacrés par le temps, & qui fe maintinrent contre Ia raifon & les faits; foit par la pufillanimité qui craint toute innovation, foit par 1'orgueil qui craint de revenir fur fes pas, foit par un refpeél imbécille pour tout ce qui date de Ioin.
Que la Cour de Madrid fe Mee d'ouvrir fes tréfors, & les ifles foumifes a fon Empire fecouvriront de produftions. Placés fur un fol valle & vierge, fes fujets ne feront pas feulement difpenfés d'acheter a grands fraix ce qui fert a leur confommation; dans peu, ils fupplanceront dans tous lesmarchés leurs maitres dans cette carrière. Les nations les plus aclives, les plus induftrieufes, les plus éclairées, n'auront travaillé, pendant des fiecles, a perfeclionner leurs cultures, leurs méthodes & leurs atteliers,-que pour un rival plus favorifé qu'elles de la nature. Mais fouffriront-elles patiemment cette infortune? II eft difficile de 1'efpérer.
Depuis 1'origine des fociétés, il regne entre elles une funefte jaloufie, qui femble devoirêtre éternelle, a moins que, par quelque révolution inconcevable, de grands intervalles déferts ne les féparent. Jufqu'a ce jour, elles fe font montrées telles qu'un citoyendenos villes, qui, perfuadé que plus fes concitoyens feroient indigents &
xvr:
Les nations qui ont des colonies en Amérique fouffriroient-ellesque les ifles Efpagooles devinffent Horiffantes ?



46 SUPPLÉMENTS
foibles, plus il feroit riche & puifTant; mieux il arrêceroit leurs entreprifes, s'oppoferoit k leur induflrie, mettroit des bornes a leur culture, & les réduiroit au néceiTaire abfolu pour leur fubfiftance.
Mais, dira-t-on, un citoyen jouit de fon opulence a 1'abri des loix. La profpérité de fes voifins peut s'accroitre fans inconvénient pour la fienne. II n'en eft pas ainfi des nations... Et pourquoi n'en eft-il pas ainfi des nations?... C'eft qu'il n'exifte aucun tribunal devant lequel on puifle les citer... Pourquoi ont-elles befoin de ce tribunal ?... C'eft qu'elles font injuftes & pufillanimes... Et que leur revient-il de leur injuftice , de leur pufillanimité?.. Des guerres interminables, une mifere qui ne ceflè de fe renouveller... Et vous croyez que 1'expérience ne les corrigera pas ?... J'en fuis très-perfuadé... Et pour quelle raifon?.. Paree qu'il ne faut qu'une tête folie pour déconcerter la fageflè de toutes les autres, & qu'il en reftera toujours fur les trönes plus d'une a la fois...
Cependant, on entendra de tous cötés les nations, & fur-tout les nations commercantes, crier la paix, la paix; & elles continueront h fe conduire les unes envers les autres, de maniere k n'en jouir jamais. Toutes voudront être heureufes, & chacune d'elles voudra 1'être feule. Toutes détefteront également la tyrannie, & tou-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 47
ces Pexerceronc fur leurs voifins. Toutes traiteront d'excravagance la monarchie univerfelle, & la plupart agiront comme fi elles y étoient parvenues, ou comme fi elles en étoient menacées.
Si je pouvois me promettre quelque fruit de mes difcours, je m'adreflèrois a la plus inquiete, alaplusambitieufe d'entre elles, & je lui dirois:
„ Je fuppofe que vous avez enfin acquis aflez „ de fupériorité fur toutes les nations réunies, „ pour les réduire au degré d'aviliflèment & „ de pauvreté qui vous convient. Qu'efpérez„ vous de ce defpotifme? combien de temps & „ a quel prix le conferverez - vous ? que vous „ produira-t-il ?... La fécuritéavec laquelle on „ eft toujours aflez riche; la fécurité fans laquelle „ on ne 1'eft jamais aflèz... & c'eft fincéremenc „ que vous ne vous croyez pas en füreté. Le „ temps des invafions eft paffe, & vous le fa„ vez mieux que moi. Vous couvrez d'un fantö„ me ridicule , une extravagante ambition. Vous „ préférez le vain éclat de fa fplendeur a la „ jouiflance d'une félicité réelle, que vous per„ dez pour en dépouiller les autres. De quel „ droic prefcrivez-vous des bornes a leur bon„ heur, vous qui prétendez étendre le vótre ,) fans h'mite ? Vous êtes un peuple injufte, „ lorfque vous vous attribuez le droit exclufif „ de profpérer. Vous êtes un peuple mauvais ,> calculateur, lorfque vous efpérezvous enrichir



48 SUPPLÉMENTS
„ en réduifant les autres h 1'indigence. Vous êtes „ encore un peuple aveugle, fi vous ne conce„ vez pas que la puiflance d'une nation qui s'é„ 1'eve fur les ruines de toutes celles qui 1'en„ vironnent, eft un coloiïë d'argille, qui étonne „ un moment & qui tombe en pouffïere ".
Je dirois enfuite au Miniftere Efpagnbl: „Tous „ les Etats de 1'Europe font intérefTés a la prof„ périté de votre continent dans le Nouveau„ Monde, paree que plus ces vaftes Etats fe„ ront floriflants, plus leurs marchandifes, leurs „ manufaéturesaurontdes débouchésavantageux:
mais il n'en eft pas ainfi des ifles. Les Puif-
fances qui fe font approprié la fertilité de „ quelques unes, fuffifent aux befoins actuels; „ & un nouveau concurrent exciteroit puiflam„ ment leur jaloufie. Elles 1'attaqueroient en„ femble ou féparément, & ne dépoferoienc 5, pas les armes fans 1'avoir forcé de renoncer „ a fes défrichements, peut-être même fans lui „ avoir fait éprouver de plus grands malheurs. „ C'eft a vous a juger fi ces vues font faufies, „ ou fi vos forces & votre courage vous per„ mettent de braver une pareille confpiration ". Jamais les colonies Hollandoifes n'auront rien de fembiable a craindre.
Jufqu'a la découverte des cötes, &c.
Page 325, après ces mots, Saint-Euftache* lifez, vaut encore moins.
Cette



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 40
Cette ifle, qui n'a que deux lieues de long, & une de large, eft forraée par deux montagnes qui laiflènt entre elles un vallon aflez reflerré. Celle qui eft a 1'Eft porte les traces évidentes d'un ancien völcan, & eft creufé prefque jufqu'au hiveau de la mer. Les bords de ce gouffre, qui a la fbrme d'un cóne renverfé, font forraés de roche calcinées parle feu qu'ils ont düéproüver. Quelqu'abondantes que foient les pluies, il ne fe fait jamais aücun dépot d eau dans eet entonnoir. Elle filtre, fans doute, par les iflues encorê öuvertes du volcan, & pourra peut-être un jour contribuer a le rallumer, fl fon foyer n'eft pas éteint ou trop éloigné.
Quelques Francois, chaffés, &c.
Page 326, après ces mots, qui lui appartenoit, lifez: Avant leur défaftre, ces républicains ne demandoient que du tabac h leur territoire. Après leur rétabliflèment, iis pianterent dans les lieux fufceptibies de culture queiques cannes qui he leur ont annuellement donné que huit ou neuf cents milliers de fucre brut.
La colonie envoya bientöc quelques-üns de fes habitants dans une ifle,- &c.
Page 328, après ces móts^ Saint-Martin, lifez : qui a dix-fept ou dix-huit lieues de circonférence, mais moins de terrein que cette dimenlion ne paroitroit Pindiquer, paree que fes baies font multipüées & profondes. En pouflant des
Suppl. Tomé ÏIL D
xviï.
Defcriptipïl de l'ifle Hollandoife de S. Euftïchco
XIX;
Defcription de l'ifle, partie Hollandoife & par-. tieFrancoife de S. Martin.,



So SUPPLÉMENTS
fablesd'un cap a Pautre, POcéan a formé fur leg cötes beaucoup d'étangs plus ou moins grands, la plupart très-poiffonneux. L'intérieur du pays éft rempli de hautes montagnes qui fe prolongent prefque par-tout jufqu'a la mer. Elles étoient couvertes de bois précieux, avant qu'on les eut dépouillées de eet ornement pour y établir des cultures auxquelles elles fe trouverent plus propres que les plaines & les vallées. Le fol eft généralement léger, pierreux, trop expofé a de i fréquentes fécherefles & peu fertile : mais le ciel eft pur, & le climat d'une falubrité remarquable. Dans ces parages, onnavigue fürement, facilement; & la multiplicité, 1'excellence des mouillages qu'on y trouve empêchent de fencir bien vivement la privation de pores.
Les Francois & les Hollandois aborderent, en 1638, a cette ifle déferte, les premiers au Nord, & les feconds au Sud. Ils y vivoient en paix, mais féparément, &c. page 329.
Page 329, après ces mots, poflible d'emporter, lifez: Ces dévaftations n'empêcherent pas les deux Puiflances qui avoient déja fait occuper Saint-Martin, d'y renvoyer quelques vagabonds, aufli-töt qu'on Ie fut évacué. Ces colons fe jurerent une foi mutuelle; & leurs defcendants ont été fideles k eet engagement, malgré les animolités qui ont fi fouvent divifé les deux mëtropoles. Seulement le partage, originairement trop



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 51
inégal du territoire, s eft peu-a-peu rapproché. De dix mille cent quatre-vingts quarrés de terre, chacun de deux mille cinq cents toifes quarrées que contient l'ifle, les Francois n*en poftèdent plus que cinq mille neuf cents quatre, & les Hollandois font parvenus h s'en approprier qua* tre mille cent foixante-feize.
La culture du tabac fut la première qu'entreprirent, k Saint-Martin, les fujets de la Cour de Vèrfailles. Ils 1'abandonnerenc pour 1'indigo, qui fut remplacé par le coton, auquel on a ajouté lé fucre, depuis qu'en 1769 il a été permis aux étrangers de s'établir dans cette partie de l'ifle. On y compte aéluellement dix-neuf plantations qui donnent tous les ans un million pefant de fucre brut, d'un beau blanc, mais de peu de confiltance, & un plus grand nombre d'habitations qui produifent deux cents milliers de coton. Les travaux font dirigés par quatre-vingts families, trente-deux Francoifes, les autres Angloifes, & dont Ia réunion forme une population blanche de trois cents cinquante-une perfonnes de tout age & de tout fexe. Elles n'ont que douze cents efclaves. C'eft trop peu pour 1'étendue des cultures : mais les colons de la partie Hollandoife, propriétaires des meilleurs terreins de la Francoife, font dans 1'ufage d'envoyer leurs noirs au Nord, lorfque les travaux font finis au Sud. Avant 1763, il n'y avoit point eu D 2



5s SUPPLÉMENTS
d'autorité réguliere dans ce foible & miférable écabliflèment. A cette époque, on lui donna us chef qui n'a encore attiré aucun navigateur de Ja métropole. C'eft toujours cbez leur voifin que les Frangois vont chercher ce qui leur eft néceflaire, c'eft a lui qu'ils livrent toujours leurs produétions.
La colonie Hollandoife eft habitée par fix cents trente-neuf blancs & trois mille cinq cents dixhuit noirs, occupés a exploiter trente-deux fucreries qui prcduifent ordinairement feize cents milliers de fucre, & a faire croitre cent trente milliers de coton. Ce revenu trop modique eft grofli par celui que donne un étang falé, dans les années qui ne font pas exceffivement pluvieufes. Dès 1'aurore, des efclaves s'embarquenr, fur des bateaux plats: ils ramaflënt pendant la journée le fel qui eft fur la fuperficie de 1'eau, & regagnent vers la nuit le rivage, pour y reprendre le lendemain une occupation qui ne peut être continuée que durant les mois de Juin, de Juillet & d'Aoüt. Les ifles voifines achetent quelques foibles parties de cette produftion, dont la valeur totale peut s'élever k cent mille écus : mais elle eft principalement livrée aux Provinces de 1'Amérique Septentrionale, qui enlevent aufli le rum & le fucre de la colonie, tandis que le coton eft livré aux navigateurs de la Grande - Bretagne. II ne refte rien ou prefque



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 53
rien pour les négociants fi acTtifs de la république; & il fauc en dire la raifon.
L'établiflèment de Saint - Martin , quoique Hollandois, n'eft pas habité par des Hollandois. A peine y voic-on cinq ou fix families de cette nation , qui ont même une efpece de honte d'en être. Tout le refte eft Anglois: les hommes, la langue, les ufages. Le préjugé a été poufle fi loin, que les femmes vont fouvent faire leurs souches a Anguille, ifle Britannique qui n'eft éloignée que de deux lieues, afin que leurs enfants ne foient pas privés d'une origine regardée, dans le pays, comme la feule illuftre.
Le domaine des Provinces - Unies, dans le grand archipel de 1'Amérique, ne préfente rien de curieux ni d'intéreflant, au premier coup-d ceil. Des poflèffions qui fourniflènt a peine la cargaifon de fix k fept petits batiments, ne paroiflènt dignes d'aucune attention. Auffi 1'oubli le plus profond feroic-il leur partage, fi quelques-unes de ces ifles qui ne font rien comme agricoles , n'étoient beaucoup comme commercanr.es. Nous voulons parler de Saint-Euftache & de Curacao.
Le defir de former des liaifons interlopes avec les Provinces Efpagnoles du Nouveau-Monde,. décida la conquête de Curacao. Bientöc on y vit arriver un grand nombre de navires. Hollandois. Forcs & bien armés, ils étoient montés D 3
xx,
Avantages que la Hollande retire de fes ifles pour fon comraerceq



54 SUPPLÉMENTS
par des hommes choifis dont la bravoure étoit foutenue d'un vif intérêt. Chacun d'eux avoit dans la cargaifon une part plus ou moins confidérable qu'il étoit déterminé k défendre au prix de fon fang contre les attaques des garde-cótes.
Les Efpagnols n'attendoient pas toujours les fraudeurs. Souvent ils venoient eux-mêmes échanger, dans un entrepot conlïamment bien approvifionné, leur or, leur argent, leur quinquina, leur cacao, leur tabac, leurs cuirs, leur» beftiaux, contre des negres, des toiles, des foieries, des étoffes des lndes, des épiceries, du vif-argent, des ouvrages de fir ou d'acier. C'étoit une réciprocité de fecours, de travaux & de courfes entre deux nations rivales & avides de richeffès.
L'établiflèment de Ia compagnie de Caraque & la fubftitution des vaifleaux de regiftre aux galions, ont beaucoup rallenti cette communication : mais les liaifons qu'on a formées avec le fud de la colonie Francoife de Saint-Domingue, ont un peu diminué le vuide. Tout fe ranime, lorfque les deux Couronnes font précipitées par leur ambition ou par 1'ambition de leurs rivaux dans les horreurs des guerres. En pleine paix même , la République recoit tous les ans de Curacao une douzaine de navires chargés d'un fucre, d'un café, d'un coton , d'un indigo, d'un tabac & de cuirs qu'un fol étranger a vu croitre.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 55
Touc ce qui entre a Curacao paye indifféremmenc un pour cent pour le droic du porc. Les marchandifes expédiées de Hollande ne font ja mais taxées davantage. Celles qui viennenc des aucres porcs de 1'Europe, payenc de plus neuf pour cenc. Le café étranger eft aflujecci au même droit en faveur de celui de Surinam. Les autres denrées d'Amérique ne doivent que trois pour cent, mais avec 1'obligation de ere portées directetnenc dans quelqu'une des rades de la République.
Saint-Euftache étoit aflujettl autrefois aux mêmes impofidons que Curacao; & cependant il Hela plus grande parde du commerce de la Guadeloupe & de la Martinique , tout le temps que ces établiflements Frangois furent aflèrvis au joug odieux du monopole. Cette aftion diminua a me. ! fure que le peuple propriétaire de ces ifles fe fori moit aux bons principes, qu'il étendoit fa naviI gation. Le porc franc de Saint-Thomas enlevoic ïi même aux Hollandois le peu qui leur écoic refté S d'affaires, lorfqu'on prit enfin, en 1756, le parci ! d'anéancir la plupart des droits écablis. Depuis i ce changement néceflaire, Saint-Euftache eft, I durant les divifions des Minifteres de Londres & j de Verfailles, 1'entrepöt de prefque toutes les I denrées des colonies Francoifes du Vent, le ma* <i gafin général de leur approvifionnement. Mais les | fujets des Provinces-Unies n'entretiennenc pas
D 4



56 SUPPLÉMENTS
feuls ce grand mouvement. L'AngloisSc le Franeois fe réuniflent dans la rade de cette ifle pour y conclure, h Pabri de fa neutralité, des marchés trés-importants. Un paflè-port qui coüce moins de trois cents liv., couvre ces liaifons. II eft accordé, fans qu'on s'informe quel pays a vu naitre celui qui le demande. De cette grande liberté naiflënt des opérations fans nombre & d'une combinaifon finguliere. C'eft ainfi que le commerce a trouvé Part d'endormir & de tromper la difcorde.
La fin des hoftilités ne fait pas rentrer dans le néant Saint-Euftache. II envoye encore tous les ans aux Provinces-Unies vingt-cinq ou trente batimens chargés des produétions des ifles Efpagnoles, Danoifes, & fur-tout Francoifes, qu'il paye avec les marehandifes des deux hémifpheres, ou en lettres de-change fur 1'Europe.
Tant d'opérations ont réuni h Saint-Euftache fix mille blancs de diverfes nations, cinq cents negres ou mulatres libres, & huit mille efclaves, Un Gouverneur, aidé d'un Confeil fans lequel rien d'importancne peut être décidé,'régit, fous 1'autorité de la compagnie des lndes Occidentales, ce fingulier établiiïèment, ainfi que ceux de Saba & de Saint-Martin. II fait fa réfidence auprès d'un mouillage très-dangereux, & Ie feul cependant de l'ifle oü les navires puiflènt débarquer, puiflènt recevoir leurs cargaifons. Cette mauvaife rade eft protégée par un petit fort &



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 57
par une garnifon de cinquante hommes. Si elle étoit défendue avec vigueur & intelligence, 1'ennemi le plus audacieux y tenteroit vraifemblament fans fuccès une defcente. Füt-elle opérée, Paflaillant auroit encore des difficultés prefque infurmontables a vaincre pour gravir de la ville baflè oü font les raagafins, k la ville haute oü fe réunic, durant la nuit, Ia population entiere.
Cependant les Hollandois, également inventif dans les moyens de faire tourner a fon avantage le bien & le mal d'autrui , n'eft pas uniquement réduit, dans le Nouveau-Monde, aux profits paffagers d'un commerce précaire. Larépublique poflède & cultive, dans le continent, un grand terrein dans le pays connu fous Ie nom de Guyane.
C'eft une vafte contrée, baignée k Peft par la mer, au fud par PAmazone, au nord par 1'Orenoque , & a 1'oueft par Rio-Negro qui joint ces deux fleuves les plus grands de 1'Amérique Méridionale.
Cette ifle finguliere offre trois particularités remarquables. Les différentes efpeces de terre n'y font pas rangées, comme ailleurs, par couches, mais mêlées au hafard, fans aucun ordre. Dans les collines cprrefpondantes, les angles ia.illants des unes ne répondent pas aux angles rentrants des autres. Les corps qu'on a pris généralement pour des cailloux ne font que des morD 5
xxr.
Coniïdé-> rationsphy» fiques fur la Guyane.



58 SUPPLÉMENTS
ceaux de lave qui commencent a fe décompofer.
II fuit de ces obfervations, qu'il eft arrivé des révolutions dans cette partie du globe, & qu'elles ont été Pouvrage des feux fouterreins, aujourd'hui éteints : quel'ambrafement a étégénéral; car on voit par-tout des mafTes remplies de fcories de fer, & 1'on ne trouve nulle part dei pierres calcaires qui vraifemblablement auront été toutes calcinées : que 1'explofion a dü être très-confidérable, & a produit un grand affaiflèment, puifqu'on ne rencontre ailleurs des volcans que fur les plus hauces montagnes, &que Ie feul dont on ait appercu 1'entonnoir dans ces régions, n'a guereque cent pied d'élévation audeflus du niveau de la mer.
A 1'époque de ces grands accidents de la nature , tout aura été bouleverfé. Les campagnes feront reftées entiérement découvertes, alternativement expofées a l'aélion des torrents de pluie, a 1'aétion d'une chaleurexceffive. Dans eet état d'altération, il fe fera écoulé bien des flecles , avant que le fol foit redevenu propre k nourrir des plantes & fucceffivement des arbres. On rifqueroit cependant de s'égarer, en éloignant exceffivement la révoludon. Le peu de terre végétale qu'on trouve dans la Guyane, quoique la décompofition des arbres y enforme continuellement, dépofoient d'une maniere viclorieufe contre une antiquité fort reculée.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 59
Dans Pintérieur du pays, le fol eft donc & fera long-temps ingrat. Les terres hautes, c'efta-dire celles qui ne font pas fubmergées ou marécageufes, ne font le plus fouvent qu'un mélange confus de glaife & de craie, oü ne peuvent croitre que le manioc, les ignames, les patates , quelques autres plantes qui ne pivotent pas: encore pourrifiènt-elles trop communément, dans la faifon des grandes pluies, paree que les eaux ne peuvent pas filtrer. Dans les terres même qu'oti eft réduit a regarder comme bonnes, les cafiers, les cacaotiers, les coconniers, tous les arbres utiles n'ont qu'une durée fort courte, & infuffifante pour récompenfer les travaux du cultivateur. Tel eft, prefque fans exception, Pintérieur de la Guyane.
Ses rives préfentent un autre fpeétacle. Les nombreufes rivieres qui, de ce vafte efpace, fe précipitent dans 1'Océan, dépofent fans ceflè fur leurs bords & fur leur cöte entiere une multitade prodigieufe de graines qui germent dans la vafe, & produifent en moins de dix ans des arbres de haute - futaie, connus fous le nom de paletuviers. Ces grands végétaux, que de profondes racines attachent a leur bafe, occupent touc 1'efpace oü le flux fe fait fentir. Ils y forment de vaftes forêts couvertes de quatre ou cinq pieds d'eau durant le flot, & après qu'il s'eft retiré, d'une vafe molle & inacceflible.



6o SUPPLÉMENTS
Sur la cöte, ce fpectacle unique, peut-être dans le globe, varie toutes les années. Dans les endroits oü les courants jettent & accumulent des fables, le paletuvierpérit très-rapidement, «Sc les forêts emportées par les ondes difparoifiènt. Ces révolutions font moins fréquentes aux bords des rivieres, oü les fables encrainés des montagnes durant les orages, font pouflës au large par la rapidité des eaux.
Les révolutions font les mêmes fur la cöte de quatre cents lieues qui s'étend depuis 1'Amazone jufqu'a 1'Orenoque. Par-tout fe préfente fur Ie rivage , un rideaude paletuviers, alcernativement détruit & renouvellé par la vafe & par le fable. Derrière ce rideau, a quatre ou cinq cents pas, font des favanes noyées par les eaux pluviales qui n'ont point d'écoulernent; & ces favanes fe prolongent toujours latérafement au rivage, dans une profondeur plus ou moins confidérable f felon Péloignement ou le rapprochement des montagnes.
Depuis 1'origine des chofes , ces immenfes marais n'étoient peuplés que de reptiles. Le génie de 1'homme, vainqueur d'une nature ingrate & rebelle, a changé leur deftinatjon primitive. C'eft au milieu de ces eaux croupiflanr.es, infec» tes & bourbeufes que la liberté a formé trois établiflements utiles, dont Surinam eft le principal.



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 61
Les bords incultes de ce grand fleuve regurent, en 1634, une foixantaine d'Anglois, qui, autant qu'on peut le conjeéturer, n'y refterent que le temps néceflaire pour recueillir le tabac qu'ils avoient femé & leur arrivée.
Six ans après fe montrerent dans ce lieu abandonné quelques-uns de ces Frangois que leur inquiétude pouiïbit alors dans tous les climats, & que leurlégéreté empêchoit de fe fixer dans la plupart. Ils maffacrerent les naturels du pays, commencerent la conftruction d'un fort, & difparurent.
Leur retraite ramena en 1650 la nation quï la première avoit porté fes regards fur cette partie fi long-temps négligée du nouvel hémifpheré. La colonie avoit formé quarante ou cinquante fucreries, lorfqu'en 1667 elle fut attaquée & prife par les Hollandois, qui furent maintenus dans leur conquête par le traité de Breda.
La Zélande prétendit exclufivetnent au do-< maine utile de cette acquifition, paree que c'é toient fes vaiftèaux & fes troupes qui Pavoieni faite. Les autres Provinces qui avoient partagé les fraix de 1'expédicion, vouloient que ce füt un bien conimun. Cette difcufïïon aigriflbit depuis trop long-temps les efprits, lorfqu'on arrêta enfinj en 1682, que Surinam feroit abandonné a la compagnie des lndes Occidentales; mais a condition qu'elle payeroit aux Zélandois 572,000
xxn.
Etabliffement formé par les Hollandois , dans la Guyane, fur le Surinam. Faits remarquables arrivés dans la colonie,



02 SUPPLÉMENTS
livres; que fon commerce fe borneroit k la vente des efclaves , & que le pays feroit ouvert a tous les fujets, a tous les navigateurs de la République.
Quoique ce grand corps eut encore 1'imagination remplie de fes anciennes profpérités, il ne tarda pas a comprendre que les dépenfes nécelfaires pour rnetcre une contrée immenfe en valeur, étoient au-deffus de fes forces énervées. II céda 1'année fuivante un tiers de fon droit a la ville d'Amfterdam , & un tiers a un riche citoyen nommé Van-AariTèn, a un prix proportionné a celui que lui-même il avoit payé. Cet arrangement bizarre dura jufqu'en 1772, époque h laquelle les defcendants de ce particulier vendirent pour 1,540,000 livres leur propriété aux deux autres membres de Pafïbciation.
La fociété trouva Surinam plongé dans tous les défordres que produit nécelTairement une longue anarchie. Son repréfentant voulut établir quelque police, quelque jufh'ce. II fut accufé de tyrannie auprès des Etats-Généraux, & maflacré en 1688 par les troupes.
L'année fuivante, la colonie fut attaquée par les Frangois que commandoit du Caflè. L'habileté du chef & les efforts des braves aventuriers qui le fuivoient,fe trouverent impuiffantscontre un établiflèment oü les troubles civils & militaires avoient mis en fermentation des efprics qu'un



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 63
I péril imminent venoit de réunir. Le Malouitt
I Canard fut plus heureux en 1711. II mit Suri-
I nam a contribution, & emporta 1,370,160 li-
I vres en fucre ou en lectres-de-change. Ce défaf-
I tre d'autant plus inattendu qu'il arrivoit dans uri
i temps oü les armes de la République étoient par-tout ailleurs triomphantes, accabla lesplan*
I teurs réduits a donner le dixieme de leurs capitaux.
On accufa la fociété d'avoir négligé le foiri S des fortifications, de n'avoir employé pour leur ! défenfe que peu de troupes, & des troupes mal difciplinées. Les plaintes s'étendirent bientöt k des objets plus graves. Chaque jour voyoit fe multiplier les raifons ou les prétextes de mécontentement. Les Etats-Généraux, fatigués de tou, tes ces conteftations, chargerent le Stadhouder ; de les terminer de la maniere qui lui paroïtroit : la plus convenable. Ce premier Magiflrat n'ai\ voit pas encore réuffi a rapprocher les cceurs, ( lorfqu'il fallut s'occuper du falut de la colonie.
Les Anglois s'étoient a peine fixés fur les riil ves de Surinam, que plufieurs de leurs efclavës : fe réfugierent dans Pintérieur des terres. La dé:.\ fertion augmenta encore fous la dominationHol? landoife, paree qu'on exigea des travaux plus fui-
ii vis, que la quantité des fubfiftances diminua, & ;: que des peines plus atroces furent infligées. Ces I fugitifs fe virent avec le temps en aflez grand



64 SUPPLÉMENT S
nombre pour former des peuplades. Ils fortoienÊ parbandes de leurs afyles, pour fe procurer des vivres,des armes, desinftruments d'agriculture, & amenoient avec eux les negres qui vouloient les fuivre. On fit quelques tentatives pour arrêter ces incurfions. Toutes furent inutiles, & devoient 1'être. Des foldats amollis, des Officiers fans talent & fans honneur, avoient une répugnance infurmontable pour une guerre oü U falloit paffer des marais profonds , d'épaiflès' forêts pour joindre un ennemi audacieux & implacable.
Le danger devint a la fin fi preflant, que la République crut devoir erivoyer en 1749, en 1772, & en 1774, quelques-uns de fes meilleurs bataillons au fecours de la colonie. Tout ce que ces braves gens arrivés d'Europe ont pit efleétuer, après des combats mukipliés & fanglants, a été de procurer quelque tranqüillité' a des cultivateurs qui fe voyoient tous les jours & la veille d etre ruinés ou égorgés. II a fallu reconnoïtre fucceffivenienc 1'indépendarice de plilfieurs hordes nombreufes, mais fans communication entre elles, & féparées par des intervalled confidérables. On leur doit des préfents annuels t & Pon s'eft engagé a les faire jöuir de tous les] avantages d'un commerce libre. CesnouvelleS nations ne fe font obligées de leur cóté qu'a fecourir leur allié, s'il en eft befoin , & a lui re-
mettre



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 65
I rhettre tout efclave qui viendroic fe réfugier fur 1 leur territoire. Pour donner la fanction a ces différents traités, les plénipotentiaires des pannes contractantes fe font fait faire une incifion au f bras. Le fang qui en a coulé a été recu dans des vafes reraplis d'eau & de terre. Cette mixtion 1 révoltante a été bue, des deux cötés, en figne defidélité. S'ils fe fuflènt refufés a eet excès d'humiliation, jamais des maïtres oppreffeurs n'au: roient obtenu la paix de leurs anciens efclaves. I Après tant d'événements facheux, la colonie ! s'efl: trouvée plus norilïante qu'on n'auroic pu ' 1'efpérer. Les eau fes de cette furprenante profI périté doivent être curieufes & intéreflantes. Les premiers Européens qui fe fixerent fur
I cette région barbare, établirent d'abord leurs culi tures fur des hauteurs qui fe trouverent générai lement ftériles. On ne tarda pas h foupconner
II que les fels en avoient été détachés par les tor: rents, & que c'étoit de ces couches fucceflives j d'un excellent limon qu'avoient été compofées
les terres balles. Quelques expériences heureufes confirmerent cette conjecture judicieufe, & 1'on réfolut de mettre a profit une fi grande découverte. La chofe n'étoit pas aifée; mais la paffion du fuccès furmonta tous les obftacles.
Ces valles plaines font inondées par les fleuves qui les arrofent, mais ne le font pas toute Fannée. Dans la faifon même des débordements,
Suppl. Tome III. E
xxnr;
Quels ont ;té les prin:ipes des profpérités ie la colonie le Surinam ?



€6 SUPPLÉMENTS
les eaux nes'y répandent que peu avant, que pee après Ia pleine mer. Pendant le reflux, les rivieres fe retirent infenfiblement, & fe trouvent fouvent au moment de la baflè mer plufieurs pieds au-deflbus du fol qu'elles couvroient fix heures auparavant.
C'eft lorfque les pluies ne font pas abondances, & que les rivieres font bafles, qu'il faut s'occuper des deflechements. Cette faifon commence enAoüt, &finitavec le mois deDécembre. Durant ce période, 1'efpace qui doit être misa 1'abri des inondations, eft enveloppé d'une digue fufBfante pour repoufler les eaux. II eft rare qu'on lui donne plus de trois pieds d elévation, paree qu'il n'eft pas ordinaire qu'on choififfe un terrein fubmergé de plus de deux pieds pour établir une plantation.
A un des coins de la digue, formée avec Ia terre du foffé qu'on creufe, eft une machine hydraulique entiéremenc ouverte d'un cóté, taillée de 1'autre en bec de flüte, & garnie d'une porte que 1'impulfion des eaux ouvre de bas en-haut, & qui retombe par fon propre poids. Lorfque le mouvement de 1'Océan fait enfler les ondes, les rivieres pefent fur cette porte, & la ferment de maniere que les eaux extérieures n'y fauroient entrer. Lorfqu'au contraire les rivieres font baflès, les eaux intérieures & pluviales, s'il y en a, la foulevent & s'écoulent facilement.



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 6>
Dans Pintérieur de la digue, font pratiquées de diftance en diftance, quelques foibles rigoles. Elles aboutifTerit toutes a un folie qui entoure la plantation, Cette précaütion fert aexhauffer le fol, & a lui öter la furabondance d'humidité qui pourroit lui refter.
Les travaux d'un ati doivent fuffire pour envelopper le terrein qu'on a choifi. II eft défriché if dans la feconde année, & pourroit être cultivé | au commencement de la troifieme, s'il n'étoic I abfolument néceffaire de le laiflèr aflèz long-temps I expofé h Pinfluence de Peau douce pour atté| nuer Paction des fels marins. Cette obligatiora | éloigne plus qu'on he voudroit les récoltes ï | mais 1'abondance dédommage du retard.
Le cafier généralement placé fur des cóteaux I dans les autres colonies, laifïè plutöt ou plus tard un vuide qui ne peut être renlpli, ni par un nouveau cafier, ni par aucune autre plance, paree que les orages ont fuccefiivement dépouillé ce fol de tout ce qui le rëndoit fertile. II n'en eft pas ainfi a Surinam. Cet arbre précieux n'y conferve, il eft vrai, fa vigueur qu'ënviron vingt ans : mais de jeunes plants mis dans Pintervallè des anciens, & deftinés a les remplacer, empêchent le cultivateur de fe reffentir de cette décadence prématurée. De-la vient qu'il n'y a jamais d'interruption dans les récoltés. Elles font même plus abondantes que dans les autres établiflements.
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68 SUPPLÉMENTS
La difpoficion d'une fucrerie dans ces fingu» liers marais, a cela de particulier, que le terrein eft coupé par plufieurs petits canaux deftinés au tranfport des cannes. Ils aboutiflènt tous au grand canal, qui, par une de fes iffues, regoit les eaux lorfqu'elles montent, & par 1'autre fair tourner un moulin lorfqu'elles baiflènt. Dans ces plantations, la première produétion n'eft pas de bonne qualité : mais le temps lui donne, ou peu s'en faut, ce qui lui manquoit de perfection. On peut attendre moins impatiemment ce fuccès dans une région oü les cannes a leur cinquieme, a leur fixieme rejetton donnent autant de fucre qu'on en obtient ailleurs des cannes nouvellement plantées. Un des principes de cette fécondité doit être la facilité qu'ont les colons d'entourer d'eau leurs habitations, durant la faifon feche. L'bumidité habituelle que cette méthode entretient dans les terres, paroit préférable aux arrofements qu'on pratique avec de grands fraix ailleurs, & que même on ne peut pas fe procurer par-tout.
Depuis que les Hollandois ont réuflï h dompter 1'Océan dans le Nouveau-Monde comme dans Tanden, leurs cultures ont profpéré. Ils les ont pouflees a vingt lieues de la mer, & donné k leurs plantations un agrémenc & des commodités qu'on n'appereoit pas dans les pofleffions Angloifes ou Francoifes les plus floriflantes. Ce



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 69
font par-tout des Mtiments fpacieux & bien difpofés, des terraflès parfaicemenc aliignées, des potagers d'une propreté exquife, des vergers délicieux, des allées plantées avec fymmécrie. On ne voit pas fans émotion tant de merveilles opérées en moins d'un fiecle dans des bourbiers originairement dégoutants & mal-fains. Mais une raifon févere vient tempérer 1'excès de 1'enchantement. Les capitaux occupés par ces fuper; fluités, feroient plus fagement employés a la | multiplication des productions vénales.
Un des moyens qui ont le plus encouragé f les travaux & 1'efpece de luxe qu'on s'eft perm mis, a été la facilité extréme que les colons ij ont trouvée a fe procurer des fonds. Ils ont obji tenu a cinq ou fix pour cent tout 1'argent qu'ils ! pouvoient employer: mais fous la condition formelle que leurs plantations refteroient hypothéquées h leur eréancier; & que jufqu'a ce qu'on 1'eut entiérement payé, ils feroient obligés de lui livrer la totalité de leurs productions au prix ; courant de la colonie.
Avec ces fecours, il s'eft formé fur les bords du Surinam, de Commawine, des rivieres de Cottica & de Perica quatre cents :rente plantations. En 1775, elles donnerent vingt-quatre millions trois cents vingt mille livres pefant de fucre brut, qui en Hollande furent vendues 8>333>4°° livres; quinze millions trois cents ES
XXIV. Etat aöuel de la colonie de Surinam & t'étendue de £es dettes.



7o SUPPLÉMENTS
quatre vingr-fept mille livres pefant de café, qui furent vendues 8,580,934 liv.; neuf cents foixante-dix mille livres pefant de coton, qui furent vendues 2,372,255 liv.; fept cents quatrevingt-dix mille huit cents cinquante-quatre livres pefant de cacao, qui furent vendues 616,370 livres; cent cinquante-deux mille huit cents quarante-quatre livres pefant de bois de couleur, qui furent vendues 14,788 liv. Ces produéïions qui réunies rendirent 19,917,747 livres, furent portées dans les rades de la Républiquepar foixantedix navires. Le nombre de ces batiments fe feroit accru, fi les cinq cents foixante mille gallons de fyrop, fi les cent foixante-fix mille gallons de rum livrés a PAmérique Septentrionale avoient pris la route de PEurope. II augmentera, fi le tabac, dont on a commencé h s'occuper, a le fuccès qu'on en efpere.
Les travaux réunis de eet établiflèment occupoient en 1775 foixante mille efclaves de tout 3ge & de tout fexe. Ils obéifloient a deux mille huit cents vingt-quatre maïtres, fanscompter les femmes & les enfants. Les blancs étoient de divers pays, de fedes diverfes. Tels font les progrès de 1'efprit de commerce, qu'il fait taire tous les préjugés de nation ou de religion, devant Pintérêt général qui doit lier les hommes. Qu'elt-ce que ces vaines dénominations de Juifs & de Chrétiens, de Frangois ou de Hollandois?



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 7i
Malheureux habitants d'une terre fi pénible h cukiver, n'êtes-vous pas freres? Pourquoi donc vous chafièr d'un monde oü vous n'avez qu'un jour a vivre ? Ec quelle vie encore que celle donc vous avez la folie cruauté de vous difputer la jouiflance! Tous les éléments, le ciel & la terre, n'oncüs pas aflez fait contre vous, fans ajoutera tous les fléaux dont la nature nous environne, l'abus du peu de force qu'elle vous laiflè pour I y réfifter.
Paramabiro, chef-lieu de la colonie, eft une | petite ville agréablement ficuée. Les maifons y ij font jolies & commodes, quoique conftruites feulement de bois fur des briques apportées d'Europe. Son port éloigné de cinq lieues de la mer, laiflè peu de chofe a defirer. II recoit tous les navires expédiés de la métropole pour 1'extraction des denrées.
La fociété a laquelle appartient ce grand établifTement, eft chargée des dépenfes publiques. Le Souverain Pa mife en état de remplir cette obligation , en lui permettant de lever quelques taxes qu'on ne peut augmenter fans le confentementde PEtat& des habitants. Une capitation de cent fols fur tout adulte libre ou efclave, & de foixante fur chaque enfant, étoit autrefois la plus forte de ces contributions. En 1776, elle a été conyertie en une autre moins aviliflante de fix pour cent fur les productions du pays, fur
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fi SUPPLÉMENTS
les bénéfices du commerce, fur les gages des différents emplois. Cependant on n'a pas difcontinué de payer deux & demi pour cent fur les denrées qui fortoient de la colonie, un & demi pour cent pour celles qui y entroient. Ces itnpóts réunis fuffifent a peine pour le grand objet auquel ils font deftinés; & rarement refte-t-il quelque bénéfice pour la fociété.
Indépendamment des taxes levéespour la compagnie, il en eft une aflez confidérable fur les productions de la colonie, que les citoyens font convenus d'établir eux-mêmes pour leurs différents befoins, & fpécialement pour la folde de trois cents negres affranchis, deftinés a garantir les cultures des incurfions des negres fugitifs.
Malgré tant d'impofitions, malgré 1'obligation depayerl'intérêtde 77,000,000 liv., la colonie étoit florifTante dans le temps oü fes productions avoient un débit fijr & avantageux. Mais lorfque le café a perdu dans le commerce la moitié de fon ancien prix, tout eft tombé dans un défordre extréme. Le débiteur devenu kifolvable, s'eft vu chaffèr de fa plantation. Le créancier, mé me le plus impitoyable, n'a pas retrouvé fes capitaux. L'un & 1'autre ont été ruinés. Les coeurs font encore aigris, les efprits font abattus; & il eft difficile de prévoir a quelle époque renaitront la concorde & 1'aélivité. V'oyons quel B été, dans cette fatale crjfe, le fort deBerbiche.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 73
Cec établiflement borné a 1'eft par la riviere de Corencin, & a 1'oueft par le territoire de Demerary, n'occupe que dix lieues de cöte. Dans Pintérieur du pays, rien ne 1'arrêteroit jufqu'a la partie des Cordelieres connue fous le nom de montagnes Bleues. Le grand fleuve qui lui a donné fon nom, embarraiTé h fon embouchure par un banc de boue & de fable,n'a d'abord que quatorze ou quinze pieds de profondeur: mais il en acquiert bientöt quarante; & Pon en trouve la navigation facile jufqu'a trence-fix lieues de la mer, terme des plantatioris les plus éloignées.
L'an 1616 vit jetter les premiers fondements de la colonie. Comme on la formoit fur une région comprife dans 1'oftroi de . la compagnie des lndes Occidentales, ce corps, alors puiflani & trés - protégé, fe réferva quelques droits & d'une maniere plus particuliere la vente exclu five des efclaves. La culture du fucre & du ro cou, dont on s'occupoit uniquement, n'avoii pas fait de grands progrès, lorfqu'en 1689 quel ques aventuriers Frangois ravagerent le pays, 6 n'en fortirent qu'après s'être fait promettre 44,00e liv. qui ne furent jamais payées. Des Francoi; firent encore, en 1712, une invafion dans la co lonie. Afin d'échapper au pillage & pour êtn débarraffés de ces étrangers, les habitants s'en gagerent a donner 660,000 liv. Les noirs, 1<
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XXV.
Fondatioti de la colonie deBerbiche. Ses malheurs paffes. Sa mifere actuelle.
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74 SUPPLÉMENTS
fucre, les provifions qu'on livra moncerent k 28,654 livres 4 fols. Le refte devoic être acquitté en Europe par les propriétaires des habitations, tous de la Province de Zélande. Soit impuiflance, foit raifon, ils fe refuferenta un engagement pris fans leur aveu. Trois riches particuliere d'Amfterdam remplirent cette obligation, & devinrent feuls maitres de Berbiche.
Leur conduite fut fage & mefurée. Ils rétablirent les anciennes plantations; ils introduifirent un meilleur efprit parmi ceux qui les exploitoient; ils ajouterent la culture du cacao a celles qui étoient déja connues: mais leurs capitaux ne fuffifoient pas pour élever Ia colonie au degré de profpérité dont elle paroifïbit fufceptible. 7,040,000 liv. furent jugées nécelïaires pour ce grand objec, & il fut créé feize cents aftions de 4,400 liv. chacune. On n'en put placer que neuf cents quarante & une, fur lefquelles même les acquéreurs ne fournirent que 42 pour cent. Ainfi le nouveau capital fe trouva réduit a J>573i352 livres, dont il fallut 1,320,000 liv. h 1'ancienne fociété qui cédoit toutes fes propriétés; de forte qu'il ne refta en argent que 273'352 Üvres.
C'étoit bien peu pour la fin qu'on s'étoit propofée. Les intérefles en étoient eux - mêmes li convaincus, qu'en 1730 ils demanderent que tout fujet de 1'Etat füt ,autorifé a naviguer & a s'éta-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 75
blir a Berbiche, a condition qu'il payeroic en Amérique 6 livres de capitation pour chaque blanc & pour chaque noir qu'il placeroit fur fon habitation; 55 livrespar plantation pour la contribution eceléfiaftique; deux & demi pour cent pour toutes les marchandifes qui entreroient dans la colonie, ou pour les denrées qui en fortiroient, & en Europe 3 liv. par tonneaux de tout ce qu'il tireroic des ports de la République, & 3 livres par tonneau de toutce qu'il yenverroit. Moyennant ces redevances , la fociété s'engageoit a faire toutes les dépénfes que le Gouvernement, la défenfe, la police & la juftice de eet érabliflèment exigeroient. Les Etats-Généraux jugerent ce plan utile, & ils lui donnerent la fanftion des loix par un décret du 6 Décembre 1732.
Une fermentation aflez vive futl'heureufe fuite de ce nouvel ordre de chofes. Tout profpéroit, lorfqu'en 1756, les blancs, & les blancs feulement, furent attaqués d'une épidémie qui dura fept ans, & en fit périr le plus grand nombre. L'état de foibleflè oü cette calamité avoit réduit Berbiche enhardit en 1763 les efclaves a fe révolter. A la première nouvelle du foulevement, vingt foldats & quelques colons, échappés a la contagion, fe refugient dans quatre navires qui étoient dans la riviere, & bientöt après dans une redoute, batie prés de 1'Océan. Les fecours qu'on leur envoye de tous cötés, les mettent enfin en



76 SUPPLÉMENTS état de retourner dans leurs plantations, & méme de réduire les negres : mais ils ne regnent plus que fur des décombres ou fur des cadavres.
La fociété ruinée, comme les habitants, eft réduite a demander huit pour cent h fes aclionnaires; ce qui lui donne 330,000 livres, & a emprunter 1,100,000 livres de la Province de Hollande a un intérêt de deux & demi pour cent. Ces fommes ne lui fuffifant pas encore pourremplir fes obligations, elle obcient, en 1774, de la République, que les impótspercus jufqu'a cette époque feront doublés dans la fiiite. Les nouvelles taxesjettent dans le défefpoir le colon déja trop découragé par la perte totale des fes cacaoyers, & par la bailTe énorme de fon café. Aufïï eet établiffement fur lequel on avoit fondé de fi grandes efpérances, ne fait-il que rétrograder.
La colonie ne compte que cent quatre plantations, la plupart peu confidérables, femées de loin en loin fur les bords de la riviere de Berbiche ou fur celle de Canje qui fe jette dans la première, a trois lieues de la mer. On y voit fept mille efclaves de tout age & de tout fexe, & deux cents cinquante blancs, fans compter les foldats qui devroient former le même nombre. Ce qui y eft annuellement recueilli de café, de fucre, de coton, eftportépar quatre ou cinq navires dans la métropole, oü il n'eft pas vendu au-deiïus



r A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 77
d'un million ou douze cents mille livres. Sur ce produit, il faudroit prendre un intérêt de fix pour cent que les colons fe font engagés a payer pour environ 1,760,000 livres qu'ils ont empruntées: mais c'eft une obligation qu'ils font dans 1'impuiflance de remplir. II faut que les prêteurs fe contentent de quatre, de trois, de deux. Plufieurs même ne recoivent rien.
Quoique, fuivant les calculs remis, en 177a, aux Etats-Généraux, les dépenfes annuelles de fouveraineté ne paflènt pas, en Europe & en Amé| rique 190,564 livres, Ia fociété n'en eft pas moins I dans une fituation défefpérée. Depuis 1720 jufqu'en 1763, les dividendes réunis ne fe font éle' vés qu'a 61 pour cent, ce qui ne fait année commune que i& Après cette époque, il'n'y aplus eu de répartition. Auffi les actions, qui ontcouté 2,200 livres chacune , n'ont-elles plus de cours. Onn'en trouveroit pas 110 livres. II faut fe former une autre idéé de la colonie d'Effèquebo.
Cette riviere, éloignée de vingt lieues decelle de Berbiche fixa la première les Hollandois, qui, comme d'autres Européens, remplifloient, vers la fin du feizieme fiecle, la Guyane de leurs brigandages, dans 1'efpérance d'y trouver de 1'or. On ignore préciféraent a quelle époque ils fe fixerent a EfTequebo: mais il eft prouvé que les Efpagnols les en chaftërent en 1595.
Ces républicain* étoient retournés a leur pofte,
XXVI.
Ancienneté de la coloma d'Effèquebo, Comment elle a pu profpérer, après avoit langui treslong-temp».



?8 SUPPLÉMENTS puifqu'en 1666, ils en furent expulfés de nouveau par les Anglois, quieux-mêmes ne purenc sy foutenir un an entier. Cet établiflèment, qui avoit toujours étépeu chofe, ne frtrien après la Kpnfe de poflèffion. En 1740, fes produclions ne formoient pas la cargaifon d'un feul navire ; Deux ou trois ans après, quelques colons d EfTequebo jetterent lesyeux fur la riviere trèsvoifine de Demerary. Les bordss'en trouverenc tres-fertiles; & cette découverte eut des frites favorables.
Depuis quelque temps , les défrichements étoient fufpendus a Surinam par la guerre fanglante & ruineüfe qu'il foutenoit contre les negres attroupés dans les bois. Berbiche, de fon cóté, étoit agicé paria révolte de fes efclaves. La compagnie des lndes Occidentales faifit ce moment propice, pour appeller afa conceffion des hommes entreprenants de toutes les nations. Ceux qui y arrivoient avec un commencement de fortune, recevoient gratuitement un terrein avec quelques encouragements. Ils étoient même aflurés, après leurs premiers travaux, d'obtenir en prêt & a des conditions modérées, la valeur des trois cinquiemesdes établifTements qu'ils auroient formés. Cet arrangement devint une fource féconde d'induflrie, d'aétivicé & d'économie. En 1769, on comptoit déja fur lesrivesdu Demerary cent trente habitations,ou le fucre, le café,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 79
te coton étoient cultivés avec fuccès. Le nombre des plantations s'eft accru depuis cette époque > & il doit beaucoup augmenter encore.
Tel eft 1'écat des trois colonies, que les Hollandois ont fucceflivement forméesdanslaGuya^ ne.Heft déplorable, &le fèra long-temps,peur être toujours, a moins que le Gouvernemenc ne trouve dans fafageflè, dans fa générofité ou dans fon courage , un expédient pour décharger les cultivateurs du poids accablant des dettes qu'ils ont contracties.
Ce font les Gouvernements qui, dans les temps modernes, ont donné 1'exemple des emprunts. La facilité d'en obtenir k un intérêc plus ou moins onéreux, les a prefque tous engagés ou foutenus dans des guerres que leurs facultés naturelles ne comportoient pas. Cette manie a gagné les villes, les Provinces, les différents corps. Les grandes compagnies de commerce ont encore beaucoup étendu cet ufage, & i! eft devenu enfuite trés - familier aux hommes audacieux que leur caractere poufïöit aux entreprifes extraordi* na i res.
Les Hollandois qui, dans Ia pröportion de leur territoire ou de leur populacion , avoient plus accumulé de métaux qu'aucun autre peuple, & qui n'en trouvoient pas 1'emploi dans leur induftrie, toute étendue qu'elle étoit, on( cherché a les placer utÜement dans les fonds pu»
XXVII.
Défordres qui regnent dans les colonies Hollandoife;,



Sc SUPPLÉMENTS
blies de toutes les nations, & même dans les fpéculations des particuliers. Leur argent a fur-tout fervi a défricher en Amérique quelques colonies étrangeres, & les leurs principalement. Mais Ia précaution qu'ils avoient eue de fe faire hypothéquer les plantations de leurs débiteurs n'a pas produit 1'efFet qu'ils en attendoient. On ne leur a plus rembourfé les capitaux, on ne leura même plus payé les intéréts, lorfque les denrées de ces établiflements ont perdu de leur ancien prix. Les contrats pafles avec des cultivateurs devenus indigents font tombés cinquante, foixante , quatre-vingts pour cent au-deflbus de leur valeur primitive.
C'eft un défordre tout-a-fait ruineux. Inutilement on examineroit s'il faut 1'attribuer a 1'avidité des négociants fixés a Amfterdam, ou k 1'inertie, aux folies dépenfes des colons tranfplantés au-dela des mers. Ces difcuflions ne diminueroient pas le mal. II faut laiflèr aux oififs les queftions oifeufes. Qu'ils écrivent, qu'ils difputent. Si cela n'eft pas fort utile, cela n'eft pas fort nuifible. Mais ce ne font pas des difcours , c'eft de 1'aétion qu'il faut dans un incendie. Tan* dis qu'on perdroit fon temps k examiner quelle aété lacaufe,que!sont été les ravages,&quels font les progrès du feu, 1'édifice feroit réduic en cendres. Un foin preflant doit occuper les EtatsGénéraux. Qu'ils drenc la vaftecontrée foumifè
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A L'HÏST. PHlLOSOPHÏQÜË. 8i
I h la Hollande, depuis la riviere de Poumaron jufqu'a celle de Marony, de 1'inquiécude qui f 1'engourdit, de la mifere qui 1'accable, & qu'ils !. levent enfuite les autres obftacles qui s'cppofent fi opiniatrément a fes progrès.
Celui qui vient du climac paroit le plus difficile a furmonter. Dans cette région, 1'année eft partagée entre des pluies continuelles & deschaleurs exceffives. II faut difputer fans incerruption? h des repdles dégoutants des récoltes achetées 'par les travaux les plus affidus. On eft expofé a périr dans les langueurs de Fhydropifie, ou dans des fievres de toute efpece. L'autorité n'a poinc de force contre ces fléaux de la nature. Le remede, s"iï y en a un, fera 1'ouvrage du temps, de la populacion, des défrichements.
Ce que les loix peuvent , ce qu'elles doivent, c'eft de réunir au corps de la Républiqua I des pofTeffions abandonnées comme au hafard a i des affociations particulieres qui s'occupent peu i ou mal de toutes les parties dé radminiftration dans les pays foumis a leur monopole. Les Empires fe font tous convaincus, ün peu plutót, un peu plus tard, de 1'inconvénient de laüTer les Provinces qu'ils ont envahies, dans 1'autre hémifphere , a des compagnies privilégiées, dont les intéréts s'accordoient rarement avec 1'intérêt public. Ils ont enfin compris que la diftance ne changeoit point la nature du pafte expres ou taSuppl. Tome llh F



8* SUPPLÉMENTS
cite entre le Miniftere & les fujets; que quand les fujets ont dit, nous obéirons, nous fervi* rons, nous contribuerons a ia formation & a 1'entretien de la force publique, & que le Miniftere a répondu, nous vous protégerons audedans par la police & par les loix, au-dehors par les négociacions & par les armes, ces conditions devoient également s'accompür de part & d'autre, de Ja rive d'un fleuve a la rive oppofée, du rivage d'une mer a 1'autre rivage; que la proteétion ftipulée venant a ceffer, 1'obéiffance & les fecours promis étoient fufpendus de droit; que fi les fecours étoient exigés, lorfque la proteélion cefloit , l'adminiftration dégénéroit en brigandage tyrannique; qu'on étoit difpeofé du ferment de fidélité envers elle, qu'on étoit libre de s'affranchir d'un mauvais maitre, & de s'en donner un autre; qu'on rentroit dans 1'état de liberté abfolue, & qu'on recouvroit la prérogative d'inftituer telle forte de gouvernemenc qu'on jugeroit le plus convenable. Don ils ont conclu que leurs fujets du Nouveau - Monde avoient autant de droit que ceux de 1'ancien a ne dépendre que du Gouvernement, & que leurs colonies feroient plus floriflames fous la protection immédiate de 1'Etat que fous une protection intermédiaire. Le fuccès a généralement démon tré la folidité de ces vues. On ne voit que les Provinces-Unies qui foient reftées fidelles a



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 83
leur premier plan. Cec aveuglement ne fauroic durer. Lorfqu'il fera diffipé, la révolucion fe fera fens fecoufïè , paree qu'aucun des corps qu'il fauc anéantir n'a incérêc k la traverfer : elle fe fera même fans embarras, paree qu'aucun de ces corps n'a un feul navire, ne fait le moindre commerce. Alors les poffeflïons Hollandoifes de la Guyane formeronc un cout capable de quelque réfiftance.
Dans 1'état aétuel des chofes , Berbiche & EfTequebo repoufleroient k peine un corfaire entreprenanc, & feroient obligés de capituler k 1'approche de la plus foible efcadre. La partie oriencale, que fon importance expofe davantage a 1'invafion , eft mieux défendue. L'encrée de 3a riviere de Surinam eft aflez difficile k caufe de fes bancs de fable. Cependant les batiments qui ne tirenc pas plus de vingc pieds d'eau, peuvenc y entrer lorfque la mer eft haute. A deux lieues de 1'embouchure, le Commawine fe jetce dans le Surinam. C'eft a cette jonftion que les Hollandois onc établi leur défenfe. Ils y ont placé une baccerie fur le Surinam, une aucre baccerie fur Ia rive droite du Commawine, & une citadelle appellée Amfterdam , a la rive gauche. Ces ouvrages formenc un criangle, donc les feux qui fe croifenc onc le doublé objec d'empêcher que les vaiflèaux n'aillenc plus avanc dans 1'une des deux rivieres, & ne puiflènt entrer dans 1'autre.
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g4 SUPPLÉMENTS
La forterefle, ficuée au milieu d'un petit marais, n'eft abordable que par une chauflèe étroite, oü 1'artillerie écarté toute approche. Elle n'a befoin que d'une garnifon de huit ou neuf cents hommes. Flanquée de quatre baftions, entourée d'un rempart de terre, d'un large folie plein d'eau, d'un bon chemin couvert, elle n'a d'ailleurs, ni poudriere, ni magafin voücé, ni aucune efpece de cafemates. Trois lieues plus hauc, on trouve fur le Surinam une batterie fermée, deftihée h couvrir le port & la ville de Paramabiro. On la nomme Zelandia. Une pareille batterie, qu'on appelle Sommefwelt, couvre la Commawine, a une diftance a-peu-près égale. La colonie a pour défenfeurs fes milices, douze cents hommes de troupes réglées, & deux compagnies d'arcillcrie.
Réuniflcz a cet établiffèment les deux autres; faites un enfemble de ces territoires divifés, & ils fe prêteront mutuellement quelque appui. LaRépublique elle-même, accoutumée a porter un ceil vigilant fur un domaine devenu plus fpécialemenE le fien, le couvrira de toute fa puiflance. Ses forces de terre & de mer feront employées a le garantir des'dangers qui pourroienc le menacer du cóté de 1'Europe, a le délivrer des inquiétudes qui, dans le continent même, 1'agitent fans cefTe.
Les Hollandois exercent dans la Guyane contre les noirs des cruautés inconnues dans les ifles.



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 85
La facilité de !a défertion fur un pays imraenfe a donné lieu vraifemblabiement a cet excès de barbarie. Sur le plus léger foupcon, un maitre faic mourir fon efclave en préfence de tous les autres , mais avec la précaution d ecarter les blancs, qui feuls pourroienc dépofer en juftice contre cette ufurpation de 1'autorité publique.
Ces atrocités ont poufTé fucceffivement dans les forêts une muldtude confidérable de ces déplorables vicïimes d'une avarice infame. On leur a fait une guerre vive & fanglante fans parvenir a les détruire. II a fallu enfin reconnoïtre leur indépendance, & depuis ces traités remarquables, ils ont formé plufieurs hameaux, oü ils cultivent affèz paifiblement les denrées de néceffké première fur les derrières de la colonie.
D'autres noirs ont quitté leurs atteliers. Ces fugitifs, toujours errants, tombent inopinémenc tantöc fur une frondere, & tantöt fur une autre, pourpille? des fubfiftances, pour ruiner les plantations de leurs anciens tyrans. En vain les troupes font dans une aclivité condnuelle pour contenir ou pour furprendre un ennemi fi dangereux. Des avis fecrets le mettent a 1'abri de tous les pieges, & dirigent fes incurfions vers les lieux fans défenfe.
II me femble voir ce peuple efclave de 1'Egypte, qui, réfugié dans lesdéferts de 1'Arabie, erra quarante ans, taca tous les peuples voifins,
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86 SUPPLÉMENTS
XXVIII.
Les pertes que font les Hollandois doivent rendre la Répu-
les harcela, les entama tour-a-tour; & par de légeres & fréquentes incurfions, prépara 1'invafion de la Paleftine. Si la nature forrne par hafard une grande ame dans un corps d'ébene, une tête forte fous la toifon d'un negre; fi quelque Européen afpire k la gloire d'être le vengeurdes nations foulées depuis deux fiecles, fi même un miffionnaire fait employer a propos 1'afcendant concinuel & progreifif de 1'opinion contre 1'empire variable & paffiiger de la force... faut-il que la barbarie de notre police Européenne infpire des vceux de fang & de ruine a 1'homme jufle & humain qui médite les moyens d'aflurer lapaix & le bonheur de tous les hommes?
La République préviendra la fubverfion de fes établiflements, en donnant un frein falutaire aux caprices & aux fureurs de fes fujets. Elle prendra auflï des mefures efficaces pour faire arriver dans fes radesle fruit de leurs travaux, qui, jufqu'a nos jours, en a été trop fouvent détourné.
Les plus grands propriétaires de la Guyane Hollandoife vivent en Europe. On ne voit guere dans la colonie, &c. page 345.
Page 34.6, après ces mots, par les Romains, lifez : Les Provinces-Unies n'ont pas donné a leurs poflèflions de 1'autre hémifphere 1'attention qu'elles méritoient, quoique les breches que recevoit coup fur coup leur fortune fuflënt bien



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 87
propres a leur ouvrir les yeux. Si le tourbillon de fa profpérité n'eüt aveuglé la République, elle auroic appercu dans la pene du Bréfil les premières fources de fa décadence. Dépouillé de cette vafle pofTtffion, qui, dans fes inains, &c. page 354.
Page 359, après ces mots, chofes d'ailleurs égales, Ujez : les ports oü les marchandifes ne payenc auqun droic d'entrée & de fortie.
La République a vu fortir, &c.
Page 361, après ces mots, étoient qu'ébauchés, lifez : L'exiftence de la République en Europe eft précaire par fa pofition locale, au milieu d'un élément capricieux & violent qui Penvironne, qui la ménace fans ceflè, & contre lequel elle eft obligée d'entretenir des forces auff difpendieufes qu'une nombreufe armée ; pai des voifins redoutables, les uns fur lesmers,lei autres fur le continent; par Pingratitude d'ur fol qui ne lui fournit rien de ce qu'exige le be foin abfolu de tous les jours. Sans richeflë qu lui foit propre, fes magafins, aujourd'hui plein de marchandifes étrangeres , demain feront vui des, ourefteront furchargés, lorfqu'il plairaau: nations, ou dé cefièr de leur en fournir, ou di ceffèr de leur en demander. Expofés k toutes for tes de difettes, fes habitants feront forcés de s'ex patrier ou de mourir de faim fur leurs coffres forts, fi 1'onne peut les fecourir, ou fil'on leu F 4
blique très-
atten'ive fur fes poffeflions <l'A.niérique.
I
c



SUPPLÉMENTS
refufe des fecours. S'il arrivé que les peuples s*è~ clairenc fur leurs intéréts, & fe réfolvent a porter eux-mêmes leurs produétions aux différentes contrées de la terre, & a en rapporter fur leurs vaifTeaux celles qu'ils en recevront en échange „ que deviendront des voitures inutiles ? Privée des matieres premières, dont les pofleftèurs font les maitres de prohiber 1'exportation ou de les porter a un prix exorbitant , que deviendront fes manufaétures? Soit que Ia deftinée d'une Puiflance dépende de la fageiïè des autres Püiffances, ou qu'elle dépende de leur folie, elle eft prefque également k plaindre. Sans la découverte du Nouveau-Monde , la Hollande ne feroit rien; 1'Angleterre feroit peu de chofe; 1'Efpagne & le Portugal feroient puiflants; la France feroit ce qu'elle eft & qu'elle reftera a jamais % fous quelque maitre, fous quelque gouvernement qu'elle pafte. Une longue fuite de calamités peut la plonger dans le malheur : mais ce malheur ne fera que momentané; la nature travaillant perpétuellement a réparer fes défaftres. Et voila 1'énorme difi'érence entre la condition d'un peuple indigent, ;& la condition d'un peuple riche par fon territoire. Ce dernier peut fe paffèr de toutes les nations qui ne peuvent guere fe paftèr de lui. II faut que fa population s'accroiftè fans ceiïè, fi une mauvaife adminiftration n'en rallentit pas les progrès. Plufieurs années



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 89
fucceffives d'une difette générale ne le jetceronc que dans un mal-aife pafïager, fi la prudenee du Souverain y pourvoit. II n'a prefque aucun befoin d'alliés. La policique combinée de routes les autres Puiflances lui laifféroit fes denrées, qu'il n'éprouveroit que 1'inconvénienc du fuperflu & la diminution de fon luxe; effet qui tourneroic au profic de fa force qu'il énerve, & de fes. mceurs qu'il a corrompues. La véritable richeffe, il 1'a; il n'a pas befoin de 1'aller chercher au loin. .Que peut pour ou contre fon bonheur la furabondance ou la rareté du mécal qui la repréfente? Rien.
Privée de ces avantages en Europe, la République doit les demanderal'Amérique. Ses colonies , quoique fort inférieures aux établifTemerus que la plupart des autres peuples y onc formés» luidonneront des produétions dont elle aura feule la propriété. Devenue une puiflance territoriale, elle entrera en concurrence dans tous les marchés avec les nations dont elle ne faifoit que voicurer les denrées. Les Provinces-Unies, élevées a la dignité d'Etat, cefïèront enfin de n'être qu'un grand magafin. Elles trouveront dans 1'autre bémifphere la confiflance que le nötre leur refufoit. Voyons fi le Danemarck aura les mêmes befoins & les mêmes refiburces.
Le Danemarck & la Norwege, &c. page 366. Page 368, après ces mots, de la-ConfédéraF 5



9o SUPPLÉMENTS
tion, lifez : Mais au-Iieu d'exterminer une race orgueilleufe, qui prétendoic jouir des avantsges de la fociété fans en partager le fardeau, ils fe réfoiurent a une fervkude illimitée, & allerenc eux-mêmes préfenter leurs mams a des chaines dont on n'auroit jamais ofé, dont on eut peutêrre inutilement tenté de les charger par la violence.
A cet étrange & humiliant fpeótacle , qui eft-ce qui ne fe demande pas : Qu'eft-ce donc qu'un homme? qu'eft-ce que ce fentiment originel & profond de dignité qu'on lui fuppofe? Eft-il né pour 1'indépendance ou pour 1'efclavage? Qu'eft-ce que cet imbécille troupeau, qu'on appelle une nation ? Et lorfqu'en parcourant le globe, le même phénomene & la même baffefie fe montrenc plus ou moins marqués de 1'un a 1'autre pole, eft-il poflible que la commifération ne s'éteigne pas, & que dans le mépris qui lui fuccede, on ne foit tenté de s'écrier : Peuples laches! peuples ftupides ! puifque la continuité de 1'oppreflion ne vous rend aucune énergie; puifque vous vous en tenez a d'inutiles gémiftèments, lorfque vous pourriez rugir; puifque vous êtes p3r millions, & que vous fouffrez qu'une douzaine d'enfants ,armésde petits batons, vousmenent a leur gré, obéiflèz. Marchez, fans nous importuner de vos plaintes; & fachez du moins être malheureux, fi vous ne favez pas être libres.



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 91
A peine les Danois furent devenus la propriété d'un chef unique, qu'ils tomberent dans une efpeee de léthargie.
Aux grandes agitations que caufent, &c.
Page 369, après ces mots, & demie de large, lifez : Ces progrès qui étoient alors fort rares dans 1'archipel Américain, eurent une caufe particuliere.
L'Eleéteur de Brandebourg avoit formé, en 1681, une compagnie pour 1'Afrique Occidentale. L'objet de cette affociation étoit d'acheter des efclaves : mais il falloit les vendre; & le débit ne pouvoit s'en faire que dans le NouveauMonde. On propofa a la Cour de Verfailles de les recevoir dans fes poflèffions, ou de céder Sainte-Croix. Les deux ouvertures ayant été également rejettées, Fréderic-Guillaume tourna fes vues vers Saint-Thomas. Le Danemarck confentit, en 1685, que les fujets de ce Prince entreprenant établiffènt un compcoir dans l'ifle, & qu'ils y fiflènt librement leur commerce, en payanc les droits établis, & en s'engageant k une redevance annuelle. Alors on efpéroit de fournir aux colonies Efpagnoles, mécontentes de 1'Angleterre & de la Hollande, les noirs dont ces Provinces avoient continuellement befoin. Le traité n'ayant pas eu lieu, & les vexations fe multipliant fans ceflè dans Saint-Thomas même, les opéradons des Brandebourgeois furent toujours



92 SUPPLÉMENTS
plus ou moins rhalheureufes. Leur contrat, qui n'avoit été d'abord que pour trente ans, fut cependant renouvellé. Quelques-uns même d'entre eux y étoient encore, en 1731, mais fans action & fans privilege.
Toutefois, ce ne fut ni a fes produétions, ni aux entreprifes des Brandebourgeois que SaintThomas duc 1'éclat qu'il jetta. La mer y a creufé un port excellent, qui peut mettreen füreté cinquante vailTeaux. Cet avantage le fit fréquenter par les Flibuftiers Anglois, Francois,Hollandois qui vouloient fouftraire le fruit de leurs rapines, aux droits qu'on exigeoit d'eux, dans leurs propres établiflements.
Les corfaires qui avoient fait des prifes, &c.
Page 374, après ces mots, h Saint-Domingue, lifez : Des particuliers obfcurs, des écrivains étrangers aux vues des gouvernements, S leurs négociationsfecretes, au caradere des Miniftres, aux intéréts des proteóteurs & des protégés; qui fe flattent de trouver la raifon d'un événement entre une multitude de caufes importantes ou frivoles qui peuvent toutes également 1'avoir amené; qui ne fe doutent pas qu'entre ces caufes, la plus naturelle eft fouvent la plus faufle; qui prononcent d'après Ia leéture réfléchie d'une gazette ou d'un journal, comme s'ils avoient été placés toute leur vie au timon de i'Etat, & qu'ils euflènt affifté au Confeil des Rois;



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 93
qui ne font jamais plus loin de la véricé que dans les circonftances oü ils montrent quelque péné* tration; auffi abfurdes dans le bien que dans le mal qu'ils difent des nations, dans Popinion favorable qu'ils ont des opérations miniftérielles que dans le jugement défavorable qu'ils en portent : ces efpeces de rêveurs qui fe prennent pour des perfonnages, paree qu'ils ont la manie de s'occuper de grandes chofes, perfuadés que les Cours fe décident toujours par les vuesfublimes d'une profonde politique, imaginerent que celle de Verfailles n'avoit méprifé Sainte-Croix que paree qu'elle vouloit, &c.
Page 374, après ces mots, jufqu'en 1733, lifez : A cette époque, la France en céda pour 738,000 liv. la propriété au Danemarck, qui ne tarda pas a y batir le bourg & la fortereffè de Chriffianftadt.
Ce fut alors que cette puiflance , &c.
Page 375, après ces mots, domination Danoife, lifez : Au premier Janvier 1773, oncomptoit a Saint-Jean foixante-neuf plantations, dont vingt-fept étoient confacrées a la culture du fucre, & quarante - deux a d'autres produérions moins importantes. Saint-Thomas en avoit exactement le mëme nombre & avec la même defïination, mais beaucoup plus confidérables. Sur trois cents quarante-cinq qu'on en voyoit h Sainte-Croix , cent cinquante étoient couvertes de
xxxr."
Etat malheureux des ifles Danoifes. Ce qu'il conviendroitauGouvernementde faire pour adoucir leur fort.



04 SUPPLÉMENT S
cannes. Dans les deux premières ifles, les propriétés acquierent 1'étendue que le colon eft en état de leur donner. Ce n'eft que dans la derniere que chaque habitation eft bornée a trois mille pieds Danois de longueur, fur deux mille de largeur.
Saint-Jean eft habité par cent dix blancs & deux mille trois cents vingt-quatre efclaves. SaintThomas, par trois cents trente-fix blancs & quatre mille deux cents quatre-vingt-feize efclaves. Sainte-Croix, par deux mille cent trente-fix blancs & vingt-deux mille deux cents quarantequatre efclaves. II n'y a point d'affranchis a SaintJean , & il n'y en a que cinquante-deux a SaintThomas , que cent cinquante-cinq a Sainte-Croix. Cependant, les formalités néceflaires pour accorder la liberté, fe réduifent a un fimple enregiftrement dans une Cour de juftice. Si une fi grande facilité n'a pas multiplié ces aétes de bienfaifance, c'eft qu'ils ont été interdits a ceux qui avoient contraété des dettes. On a craint que les débiteurs ne fuflènt tentés d'être généreux aux dépens de leurs créanciers.
Cette loi me paroic très-fage. Je penfe qu'en la mitigeant, elle auroit fon utilité, même dans nos contrées. J'approuverois fort que tout citoyen, revêtu de fondions honoriflques, a la Cour, dans les armées, dans 1'Eglife, dans la Magiftrature, en fut fufpendu au moment oü il



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 95
feroit légitimemenc pourfuivi par un créancier, & qu'il en fut irrémiffiblement dépouillé au moment oü les tribunaux 1'auroient déclaré infolvable. II me femble qu'on prêteroit avec plus de confiance , & qu'on emprunteroic avec plus de circonfpection. Un autre avantage d'un pareil réglement, c'eft que bientót les conditions fubalternes, imitatrices des ufages & des préjugés des hautes claflès de citoyïns, craindroient Ia même flétriflure, & que Ia fidélité dans les engagements deviendroit un des caraéteres des mceurs nationales.
Les produétions annuelles des ifles Danoifes, fe réduifent a un peu de café, & beaucoup de coton, k dix-fept ou dix-huit millions pefant de fucre brut, & a une quantité proportionnée de rum. Une partie de ces denrées eft livrée aux Anglois, propriétaires des meilleures plantations, & en pofleflion de fournir les efclaves. Des états très-audientiques que nous avons fous les yeux, prouvent que depuis 1756 jufqu'en 1773, cette nation a vendu dans les établiflements Danois du nouvel hémifphere, pour 2,307,686 liv. 11 fols, & enlevé pour 3,197,047 liv. 5 fols 6 deniers. L'Amérique Septentrionale recoic auffi quelques unes de ces produétions, en échange de fes beftiaux, de fes bois & de fes farines. Le refte eft porté dans la tnétropole fur une quarantaine de batimencs, du port de cent vingt jufqu'a qua-



pö SUPPLÉMEN T S
tre cents tonneaux. La plus grande partie s'y confomme, & il n'en eft guere vendu en Allemagne ou dans la Baltique que pour un million de livres.
Les terres fufceptibles de culture ne font pas toutes en valeur dans les ifles Danoifes; & celles qu'on y exploite pourroienc être améliorées. De 1'aveu des hommes les mieux inflruits, le produic de ces poflèffions feroit aifément augmenté d'un tiers & peut-être de la moitié.
Un grand obftacle a cette multiplication de richeflès., c'efl: la firuation extrêmement gênée des colons. Ils doivent 4,500,000 liv. au Gouvernement; ils doivent 1,200,000 liv. au commerce de la métropole; ils doivent 26,630,170 liv. aux Hollandois, que l'immenfité de leurs capitaux, & 1'impoflibilité de les faire tous valoir par eux-mêmes, rend forcément créanciers de toutes les nations.
L'avidité du fifc met de nouvelles entraves k ttnduftrie. Les denrées & les marchandifes qui ne font paspropres au Danemarck, ou qui n'y ont pas été portées fur des vaiflèaux Danois, doivent quatre pour cent a leur départ d'Europe. Les nationales & les étrangeres payent également fix pour cent a leur entrée aux ifles. On y exige 18 liv. pour chaque negre qui arrivé, & une capitation de 4 liv. 10 f.; des droits aflez forts fur le papier cimbré; un impöt de 9 livres
par



A LTÏÏST. PHILOSOPHIQUE. 9;
par mille pieds quarrés de terre; le dixieme du prix des habitations vendues. Les produétions font toutes altujetties a cinq pour cent h leur fortie des colonies, & a trois pour cent dans tous les ports de la métropole, fans compter ce que le rum donne dans les détails de la confommation. Ces tributs réunis, forment a la Couronne un revenu de huit a neuf cents mille livres.
II eft temps que la Cour de Copenhague fe détache de ces impóts fi multipliés & fi accablants. Un intérêc bien raifonné devroit, fans doute, infpirer cette conduite a toutes les Puiffances qui ont des poffefllons dans le NouveauMonde : mais le Danemarck eft plus particuliément obligé a cette générofité. Ses cultivateur» font grevés de fi énormes dettes, qu'ils n'en pourront jamais rembourfer les capitaux, qu'ils n'en payeront pas même les ürrérages, fans un défintéreflêment entier de la part du fifc.
Mais peuc-on attendre ce trait de fageflè, n! en Danemarck, ni ailleurs, tant que les dépenfes publiques excéderont le revenu public ; tant que les événements facheux, qui, dans Pordre ou plutót le défordre aétuel des chofes* fe renouvellent continuellement, forceront 1'adminiftration a doubler, a tripier le fardeau de malheureux fujets déja furchargés; tant que les ConfeilsdesSouverains travailleront fans vue eer* taine & fans plan refléchi \ tant que les Miniftres . Suppl. Tome III. G
m



o8 SUPPLÉMENTS
XXXII.
Coup-d'ceit rapide fur la puiflance Danoife.
fe conduironc comme 11 1'Empire ou leurs fonctiqns devoient finir le lendemain; tant que le tréfor national s epuifera par des déprédations inouies, & que fon indigence ne fe réparera que par des fpéculations extravagantes, dont les conféquences ruineufes ne feront point appercues ou feront négligées pour les petits avantages du moment ; & pour me fervir d'une métaphore énergique, mais vraie, effrayante, mais fymbolique, de ce qui fe pratique dans toutes les contrées; tant que la folie, 1'avarice, la diflipation, 1'abrutiflèmenc ou la tyrannie des maitres auront rendu le fifc affamé ou rapace, au point qu'on brülera les moijjons pour recueülir promptement le prix des cendres?
Si le fifc devenoit par hafard plus fage & plus généreux en Danemarck qu'il ne 1'a été & qu'il ne 1'eft en aucun lieu du globe, les ifles cc Saint-Thomas, de Saint-Jean, de Sainte*Cröu profpéreroient peucêcre; est leurs produétions pourroient fuppléer jufqu'h un certatn point, au peu de valeur qu'ont celles de la métropolc même.
Les Provinces qui forment aujourd'hui le domaine de cet Etat en Europe, furent autrefois indépendanres les unes des autres. Des révolutions la plupart fingulieres, les ont réunies fous les mêmes loix. Au centre de ce touc bizarrement compofé, font quelques ifles, dont la plus



A L'ÏIIST. PHILOSOPHIQUE. 99
connue fe nomme Sélande. On y trouve un port excellent, qui n'étant au onzieme fiecle qu'une habitation de pêcheurs, devinc une ville au treizieme, la capitale de 1'Empire au quinzieme& une belle cité après 1'incendie de 1728, qui confuma feize cents cinquante maifons. Au midi de ces ifles, eft cette péninfule longue & étroite, que les anciens appelloieht Cherfonefe Cimbrique. Ses parties les plus importantes, les plu# écendues, ont fucceflivement grofli la domination Danoife, fous le nom de Jutland, de Sleiwig & de Holftein. Elles ont été plus ou moins fioriflantes, üi proportion qu'elles fe font reflènties de l'inftabilké de 1'Océan, qui tantöt s'éloigne de leurs bords, & tantöt les engloutit. On voit dans ces contrées une lutte entre les hommes & la mer, ün combat perpétuel dont les fuccès ont toujours été balancés. Les habitants d'un tel pays feront libres dès qu'ils s'apperceVront qu'ils ne le font pas. Ce n'eft point k des marins, h des infuïaires, aux peuples des montagnes , que le defpotifme peut.en impofer long* temps.
La Norwege qui obéit au Danemarck, &c<. page 381.
Page 386, après ces mots, ifles de PAmérique, lifez : Avertiffons-la que plus fes poflèfflons font bornées dans le Nouveau-Monde, plus elle dok être attentive a ne laiflèr échapper ai> G %



ioo SUPPLÉMENTS
cun des avantages qu'elle en peut tirer; avertiffons-la, & toutes les autres adminiiTrations de la terre, que les maladies des Empires ne font pas du nombre de celles qui fe guériflènt d'ellesmêmes; qu'elles s'aggravent en vieilliffant, & qu'il eft rare que des circonftances heureufes en facilitent la cure; qu'il eft prefque toujours dangereux de renvoyer a des temps plus éloignés, & le bien qu'on peut fe promettre d'opérer, & le mal qu'on a quelque efpoir de déraciner dans le moment; que pour un exemple de fuccès obtenus en temporifant, 1'hiftoire en offre mille ou 1'on manque 1'occafion favorable, pour 1'avoir trop attendue; que la lutte d'un Souverain eft toujours celle d'un feul contre tous, a moins que plufieursd'entre eux n'ayent unintérêtcömmun; que les alliances ne font que des trahifons préparées; que la puiflance d'une nation foible ne s'accroit jamais que par des degrés imperceptibies, & que par des efforts toujours croifés par la jaloufie des autres nations, a moins qu'elle ne forte tout-a-coup de fa médiocrité, par 1'audace d'un génie impatient & redoutable, que ce génie peut fe faire attendre long-temps, & qu'alors il rifquele tout pour le tout, fa tentative pouvant amener également & 1'agrandiflèment & la ruine totale. Avertiflbns Ie Danemarck en particulier, qu'en attendantque ce génie paroiflè, le plus fur eft de fentir fa pofition, & le plus fage de fe coa-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 101
vaincre que fi les Puiflances du premier ordre commettent rarement des fautes impunies , Ia moindre négligence de Ia part des fouverainetés fubalternes, a qui de valles & riches territoires n'offrent aucune prompte & grande reflburce, ne peut avoir que des fuites funeftes. Ne lui difïimulons pas que tous lespetits Etats font deftinés a s'agrandir ou a difparoitre; & que le röle qui convient a 1'oifeau qui habite un climat ftérile, & qui vit entre des rochers arides, eft celui de 1'oifeau de proie.
Fin du Livre doiïzieme cjf du Tomé IV.
G 3



loa SUPPLÉMENTS
7.
Confidération> generales fur 1'étab.'iifementdes colonies,
: i
L I V R E XIII.
Tome V, page i, lifez : L'Hiftoire ne nous entretient que de conquérants qui fe font occupés, au mépris du lang & du bonheur de leurs iujets, a étendre leur domination : mais elle ne nous préfente Texemple d'aucun Souverain qui fe foit avifé de la rellreindre. L'un, cependant, n'auroit-il pas été auffi fage, que 1'autre a été funefte; & n'en feroit il pas del'étendue des Empires ainfi que de la population? Un grand Empire & une grande population peuvent être deux grands maux. Peu d'hommes, mais heureux; peu d'efpace, mais bien gouverné. Le fort des petits Etats eft de s'étendre; celui des Grands de fe dé' membrer.
L'accroifïèment de puiflance que la plupart des Gouvernernents de 1'Europe fe font promis ie leurs poffeffions dans le Nouveau-Monde, m'occupe depuis trop long-temps, pour que je ne me fois pas demandé fouvent a moi-même, pour ]ue je n'aye pas demandé quelquefoisa des homnes pluséclairés que moi, ce qu'on devoitpen'er d'établifTements formés h fi grands fraix & ivec tant de travaux dans un autre hémifphere.
Notre véritable bonheur exige-t-il la jouiflance 3eschofesque nousallons chercher fi loin ? Som-



j • - • — ~ —«- *»—- i«r -J*<- tVt^ "VwK" -^cf- m gS
\LTAT des Denrées porties, en i77^ > des Colonies Frangaifes de Mmérique dans les Ports de la Méiropole ; leur -valeur déterminée fur le Frix commun; Produit des Droit s qiC elles ont payé & leur fortie des Isles, & a leur entree en France ; Qitaniité de celles qui ont paffe È
d VEtranger , & de celles qui ont été confommées dans le Koyaume , avec les Droits de confommation qui ont été pergus; Argent venu des Isles; Valeur arbitrée des Produclions peu importanies, qui ne font pas détaülées dans le Tableau. ' ' " M
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N o M S deÏ vfiSBsEAEux Inature SAINT-DOMINGUE. LA MARTINIQUE. LA GUADELOUPE. CAYENNE. j j g - " TT^^T^ - |ï
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A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 103
mes-nous deftinés a conferver écernellement des goüts auffi faétices? L'homme eft ilné pourerrer continuellement entre leciel & les eaux? Eft-il un oifeau de paffage, oureiïèmble-t-il aux autres animaux, dont la plus grande excurfion eft trèslimitée? Ce qu'on retire de denrées peut-ilcompenferavecavantage la perte des citoyens qui s'éloignent de leur patrie pour être détruits, ou par les maladies qui les attaquent dans la traverfée, ou par le cliraat a leur arrivée ? A des diftances auffi grandes, quelle peut être 1'énergiedesloix de la métropole fur les fujets, & 1'obéiffance des fujets a ces loix ? L'éloignement des témoins & des juges de nos adtions, ne doit-il pas amener la corruption des mceurs, & avec le temps le déclin des inftitutions les plus fages, lorfque les vertus & la juftice, leurs bafes fondamentales, ne fubfiftent plus ? Par quel lien folide une poffèfllon, dont un intervalle immenfe nous fépare, nousfêra-t-elleattachée? L'individu, dont la vie fe pafte a voyager, a- t-il quelque efprit de patriotifme \ & de tant de contrées qu'il parcourt, en eft- il une qu'il continue a regarder comme la fienne ? Des colonies peuvent-elles s'intéreflèr a un certain point aux malheurs ou a la profpérité de la métropole, & Ia métropole fe réjouir ou s'affligerbien fincérement fur le fort des colonies? Les peuples ne fe fentent-ils pas un penchant violent a fe gouverner eux-mêmes, oua s'abandonG 4



io4 SUPPLÉMENTS
ner a la première Puiflance aflez forte pour s'en emparer? Les adminiftrateurs qu'on leur envoye pour les gouv.erner ne font-ils pas regardés comme des cyrans qu'on égorgeroit, fans le refpecl: pour laperfonne qu'ils repréfentent ? Cetagrandifièment n'eft-il pas contre nature, & tout ce qui eft contre nature ne doit-il pas finir?
Seroit-ce un infenfé que celui qui diroit aux nations, il faut ou que votre autorité ceflè dans 1'autre continent, ou que vous en fafliezle centre de votre Empire ? Choififlez. Reftez dans cette partie du monde; faites profpérer la teire fur laquelle vous marchez, vous vivez; ou fi 1'autre hémifphere vous offre plus de puiflance, de force, de füreté, de bonheur, allez vous y établir. Portez-y votre autorité; vos armes, vos mceurs, & vos loix y profpéreront. Y penfez - vous , lorfque vous voulez commander, être obéis oü vous n'êtes pas , tandis que 1'abfence du chef n'eft jamais fans facheufe conféquence dans 1'enceinte étroite de fa familie. On ne regne qu'oü 1'on eft; & encore n'eft-ce pas une chofe facile que d'y régner dignement. Pourquoi, ö Souverain! avez-vous raflemblé de nombreufcs armées au centre de votre Royaume? Pourquoi vos palais font-ils environnés de gardes? C'eft que la menace toujours inftante de vos voifins, la foumiflionde vospeuples,&la füreté de vos perfonnes facrées exigent ces précautions. Qui vous



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répondra de la fidélité de vos fujets au loin? Votre fceptre ne peut atteindre a des milliers de lieues, & vos vaiflèaux ne peuvent y fuppléer i qu'imparfaitement. Voici 1'arrêt que le deftin a prononcé fur vos colonies. Ou vous renoncerez a elles, ou elles renonceront a vous. Songez que votre puiflance ceflè d'elle - même fur la limite naturelle de vos Etats.
Ces idéés, qui commencent a germer dans 1 lesefprits, les auroient révoltés au commencej] ment du dix-feptieme fiecle. Tout étoit alors en I fermentation dans la plupart des contrées de PEuj rope. Les regards fe tournoient généralement j vers le Nouveau-Monde ; & les Frangois paroif! foient auffi impatients que les autres peuples d'y j jouer un röle.
Depuis la fin tragique du meilleur de fes Monarques, cette nation avoit été fans cefle bouI verfée,&c.
Page 3, après ees mots, plus bas prix, lifez: Découragés par ces revers mérités, les aflbciés tomberent dans une inaclion entiere, qui les pri; voit de laplus grande partie de leurs bénéfices, fans diminuer aucune de leurs charges. Dans leur défefpoir, ils abandonnerent, en 1631, leuroctroi a une nouvelle compagnie, qui elle-même I le céda a une autreen 1642. Inutilement, le Mi1 niftere facrifia a la derniere les droits qu'il s'éïoit réfervés. Cette faveur ne pouvoit pas chanG 5



io6 SUPPLÉMENTS
ger le mauvais efprit qui jufqu'alors avoit été, un principe conftant de calamités. Une nouvelle révolution devint bientöt néceflaire. Pour éviter fa ruine totale, pour ne pas fuccomber fous le poids de fes engagements, le corps épuifé mit fes pofieffions en vente.
Elles furent achetées la plupart par ceux, &c. page 4.
Page 10, après ces mots, produftion del'Amérique, lifez : Leur multiplication fut encore arrêtée par les impofitions dont on les furchargea.
Le tabac fut aflujettit a un droit de 20 fols par livre.
On profcrivit d'abord 1'indigo des teintures du Royaume, fous précexte qu'il les détérioroit, & qu'il nuiroit a une des cultures de la métropole. Mais lorfque des expériences répétées eurent convaincu les plus opiniatres que, mêlé avec le paftel, ou même employé feul, il rendoit les couleurs plus belles & plus folides, on fe contenta de 1'accabler de taxes. Elles furent telles qu'il ne fut pas poflible d'en exporten Ce ne fut qu'en; 169311ue ce'm 1u' ^oic deftiné pour 1'étranger fut délivré de ces vexations.
Le cacao ne fortit des mains du monopole que pour être aflujetti en 1693 a un droit de 15 fols la livre, quoiqu'elle n'en coutat que 5 dans les colonies. Son introduction dans le Royau-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 107
me ne fut d'abord permife que par Rouen & par Marfeille , & depuis fa liberté prétendue que par ce dernier port.
Le coton qui avoit d'abord échappé aux rigueurs du fifc, fut chargé en 1664 de 3 livres par cent pefant. Inutilement on réduifit de moitié cette impofuion en 1691. Cette modification ne fit pas revivre les arbuftes qu'on avoit extirpés.
La confommation de gingembre qui a une partie des propriétés du poivre, & qui peut aifément le remplacer, devoit être encouragée. Oh 1'arrêta au moyen d'un droit de 6 livres par quintal. II fut réduit dans la fuite a 15 fols: mais alors les dernieres claffes de citoyens avoient pris pour cette épicerie un mépris que rien ne put vaincre.
La caffe de 1'Amérique n'étoit achetée en France que le quart de ce que coutoit celle du Levant. Des analyfes bien faites auroient diffipé le préjugé d'oü naiffoit cette énorme différence dans le prix : mais le Gouvernement ne s'avifa jamais d'un expédient qui devoit augmenter les richefTes de fes pofièffions.
Le fucre étoit la plus riche produétion des ifles. Jufqu'en 1669, Pexportation direéte dans tous les ports de 1'Europe en avoit été permife , ainfi que celle de toutes les denrées des co. lonies. On voulut a cette époque qu'il ne put être difpofé que dans les rades du Royaume.Cet



io8 SUPPLÉMENTS
arrangement en augrnentoit néceflairement le prix, & les étrangers qui le trouvoient ailleurs a meilleur marché, contraéterent 1'habitude de 1'y aller chercher. Cependant le parti qu'on prit de décharger le fucre des 3 pour cent qu'il avoit payés a fon entrée, fut caufe qu'on conferva quelques acheteurs. Une nouvelle faute acheva de tout perdre. Les raffineurs demanderent, en 1682, &c. Page 12, après ces mots, ou fix en 1713, lifez : II n'étoit pas poffible que dans cet état dechofes, les colons puflènt multiplier leurs efclaves, quand même le Gouvernement n'y auroit pas mis des obftacles infurmontables par de fauflès vues. La traite des noirs fut toujours, &c.
Ibid. après ces mots, il faut attribuer, lifez : leur perfévérance a des reflburces indépendantes de l'adminiftration. Lorfqu'on opprimoit quelque produftion, le colon fe tournoit rapidement vers une autre que le fifc n'avoit pas encore appercue, ou qu'il craignoit d'étouflèr au berceau. Les cötes ne furent jamais aflez bien gardées, pour rompre toutes les liaifons formées avec les navigateurs étrangers. Les brigandages des Flibulhers fe convertiflbient quelquefo's en avances de culture. Enfin, la paffion tous les jours plus vive de Panden monde pour les denrées du nouveau, étoit un grand encouragement a leur multiplication. Cependant cesmoyensn'auroienc



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 109
■! jamais été fuffifants pour tirer les colonies Francoifes de leur état de langueur. Une grande révolution étoit néceflaire. Elle arriva en 1717. A cette époque, un réglement clair, &c. Page 19, après ces mots, crédulité humaine„ lifez : Un témoignage fi éclatant détermina ; quelques Frangois en 1604 a tourner leurs voil| les vers ces contrées, fous la direétion de la Ra1 vardiere. D'autres aventuriers de leur nation ne I tarclerent pas a fuivre leurs traces. Tous fe li1; vrerent a des fatigues incroyables. Enfin, quelques-uns plutöt rebutés de tant de travaux que j défabufés de leurs efpérances, fe fixerent a ! Cayenne.
Des négociants de Rouen, qui penfoient, &c. Page 20, après ces mots, débarqué dans l'ifle, \ lifez : II fe forma en 1663 une nouvelle fo1 ciété fous la dire&ion de la Barre, Maïtre des requêtes. Elle n'avoit que deux cents mille francs i de fonds : mais les fecours du Gouvernement | la mirent en état d'expulfer de fa conceffion les Hollandois qui s'y étoient établis fous la conduite de Spanger, lorfqu'ils 1'avoient vue évacuée par fes premiers poflèfleurs. Un an après, ! ce foible corps fit partie de la grande compagnie oü 1'on fondoit toutes celles que la nation avoit formées pour 1'Afrique & pour le NouveauMonde. En 1667, Cayenne fut infultée, pili lée, abandonnée par les Anglois; & les fugt-



iio SUPPLÉMENTS tifs en reprirent pofTeffion , pour fe la voir encore arracher en 1672 par les fujets des Pro vinces-Unies, quine la purent retenir que jufqu'en 1676. A cette époque, ils en furent chafTés par le Maréchal d'Etrées. Depuis la colonie na pas été attaquéé. Cet établiflèment, tant de fois, &c. Page 11, ligne 3, a Cayenne, ajoutez même. Ibid. après ces mots, par les eaux, ajoutez d'une riviere qui fe divife en deux branches, peut avoir quatorze a quinze lieues, &c.
Ibid. après ces mots, guere praticables, lifez : Dans une plaine de deux lieuès, qui pouvoitêtre aifétnent percée de canaux navigablesj & dont on n'a pas fu même égoutter les eaux, a été bin le feul bourg qui foit dans la colonie. C'eft un amas de barraques entaffées fans ordre ni commodité, & oü regnent durant 1'été d'aflez fréquentesfievres, quoiqu'on n'ait cefTé d'en vanter la falubrité.
II eft défendu par uti chemin couvert. &c. Ibid. après ces mots, la prife de la place, lifez : L'entrée du port n'a guere que treize pieds d'eau. Les navires pourroient toucher a quatorze 5 mais heureufement la vafe eft molle, & 1'on peut la labourer fans danger.
Les premières produétions de Cayenne furent le rocou, le coton & le fucre. Ce fut la pre* miere des colonies Francoifes qui culdva le café»



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. in
On y a toujours cru, & peut-être on y croit eni core, que ce furent quelques déferteurs, qui, en 1721, racheterent leur grace, en 1'apportant de Surinam oü ils s'étoient réfugiés. Un hifiotorien exact a écrit depuis peu, vraifemblable» ment fur de bons mémoires, quece futunbienj fait de la Motte-Aigron, qui, en 1722 , eut 1'art : d'emporter de cet établiffement Hollandois des "' femences fraiches de café, malgré la défenfe , rigoureufe d'en laiflèr fortir en cofies.
Dix ou douze ans après, on planta du ca» | cao, page 24.
Page 25, après ces mots , tant de défaftres, i lifez : Ce n'étoit pas 1'opinion des citoyens qui 1 paroiffoient les mieux inftruits de la fituation des chofes. Un établiffement formé depuis un 1] fiecle & demi a une époque oü les efprits étoient ; violemment pouffés aux grandes entreprifes : un li établiffement dont les difcordes civiles ni les guerres étrangeres n'avoient pas ruiné les travaux : un établiffement que des adminifirateurs fages avoient régi avec défintérefiement & application : 1 un établiffement auquel les bienfaits du Gouver1: nement & les fecours du commerce n'avoient jas mais manqué : un établiffement oü le débouché ■! des produétions avoit été toujours affuré : cette colonie n'étoit rien. On n'y avoit jamais vu de « plantation floriffante. Aucune fortune ne s'y i étoit élevée. La mifere & 1'obfcuricé avoient été



ii2 SUPPLEMENTS
opiniatrément fon partage aux mêmes époque» oü les autres poffèffions Francoifes de 1'Amcrique étonnoient Tanden & le Nouveau-Monde par leur éclat & par leurs richeffes. Loin que le tmps & les progrès des lumieres euflènt amé* lioré fon fort, fa fituation étoit devenüe de jour ea jour plus fêcheufe. Comment efpérer qu'elle rempliroit les hautes deftinées qu'on lui préparoit? Ces confidérations n'arrêterent pas le Miniftere. Voyons ce qu'on a dit pour juftifier fes vues.
L'Amérique offroit, dans Porigine, a 1'invafionde 1'Europe, deux régions entiérement dif* férentes, la Zone Torride, &c.
Page 33, après ces mots, les fondements, lifez : Des hommes tranfportés dans des régions incultes n'y trouvent que des befoins; & les travaux les mieux ordonnés, les plusfuivis, ne fauroient empêcher que ceux qui pafleront dans ces déferts pour défricher les terres, ne reftent dé* nués de tout jufqu'a 1'époque plus ou moins éloignée, des récoltes. Auffi la Cour de Verfailles, a qui une vérité fi frappante ne pouvoir. échapper, s'engagea-t-elle a nourrir indiftinétemenc, durant deux années, tous les Allemands, tous les Frangois qu'elle deftinoit a la population de la Guyane. Mais cet acte de juftice n'étoit pas une aétion de prudence. II falloit prévoir que les vivres feroient mal choifis par les
agenfi



A L'HISf. PHILOSOPHIQUE. 113
agehts du Gouvernement. II falloit prévoirquei I quand même les approvifionnements auroient été
faits avec zele, avec prudence, avec défintérefi fement, c'étoit une néceflité que la plupart fe ; gataflent, foit dans le trajet j foit au terme. II 1 falloit prévoir que les viandes faléés, bien ou
mal corifervées, né feroient jamais une nourriI ture convenable pour de malheureux réfugiés
qui quittoient un climat faiti & tempéré pour | occuper les fables brulants de la Zone Tprride, }\ pour refpirer l'air humide & pluvieux des tro-
piqués..
Une politiqüe judicieüfe fe feroit öccupéé de la multiplication des troupeaux, avant de fonger k 1'établiilèment des hommes^ Cette précaution ' n'auroit pas feulement affüré une fubfiltance fainè aux premiers colons, elle leur auroit encore fourni des inftrüments commodes póur les entreprifes qu'exige la formation d'une peuplade nou■ Veile. Avec ce fecours, ils auroient bravé deS li fatigues que le Miniftere fe feroit chargé de f payer libéralement, & auroient préparé des lo\ gements & des denrées h ceux qui devoient les ; fuivre. Par cette combinaifon, qui n'exigeoit pas 1 des méditations bien proföndes ^ Pétabliflèment i qu'il s'agifloit de fortnef, auroit acquis, en peü &e temps, la cönfiftance dont il étoit fufceptible* On ne fit pas ces réflexions, &C; liaëe 35» après ces mots., on dépofa, lifezl Suppl. Tomé III. H



ii4 SUPPLÉMENTS
IX.
Idéé qu'il faut fe former des cótes Se du fol de la Guyatie.
dans les ifles du Salut ou-fur les bords du Kourou, fous la toile & dans de mauvais angars, douze mille malheureux. C'eft-la que, condamnés a l'inaétion, a 1'ennui, a la privation des premiers befoins, aux maladies contagieufes qu'enfanrenc toujours des fubfiftances corrompues, a tous les défordres que produit 1'oifiveté dans une populace tranfportée de loin fous un nouveau ciel, ils finirent leur trifte deftinée, &c. ^ Page 36, après ces mots, rien au défafixe, lifez : & que les 25,000,000 employés au fuccès dun fyftême abfurde fuflènt entiéremenr perdus, 1'homme ch.rgé de mettrefin a tant de calarrfés, crut devoir ramener en Europe deux mille hommes, dont la conftitution robufle avoit réfifté a rintempérie du climat, a plus de miferes qu'on ne fauroit dire.
L'Etat s'eft trouvé heureufementaflèzpuiflant» pour pouvoir (outenir de fi grandes pertes. Mais qu'il eft doulpureux pour la patrie,&c.
Page 37, après ces mots, de fes caufes, lifez : FLureufement les obfervations de quelques hommes éclairés nous mettent en état de débrouiller le cahos.
Cette vafte contrée, qu'on décora du magnifique nom de France équinoxiale, n'appartient pas toute entiere a la Cour de Verfailles, comme elle en eut autrefois la prétention. Les Hollandois , en s'établiflant au Nord, & les Portugais



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 115
au Midi, ont refferré les Frangois entre la riviere de Marony & ceile de Vincent Pingon ou d'Oyapock; ce qui forme encore un efpace de plus de cent lieues.
Les mers qui baignent cette longue cöte, font faciles, ouvertes, débarraftees de tous les obftacles qui pourroient gêner la navigation. On n'y voit que les deux ifles du Salut, a trois lieues de la terre-ferme. Comme elles ne font féparées que par un canal de quatre-vingts toifes, il feroit aifé de les joindre ; & après leur union, elles formeroient un abri fuffifant pour les plus grands vaiffeaux. La nature a tellement difpofé les chofes, qu'il n'en coüteroit que peu pour rendre ce porte imprenable avec les matériaux qui fe trouvent fur les lieux mêmes. De ce port, couvert de tortues une partie de 1'année, & placé au vent de 1'archipel Américain , une efcadre pourroit, durant laguerre, voler en fept ou huit jours au fecours des poffeffions nationales, ou aller attaquer celles des PuifTances ennemies .de la France.
Nul danger n'eft h craindre dans ces parages. Les vents font généralement favorables pourapprocher, autant & fi peu qu'on veut, des cötes. Si, ce qui eft infinimentrare, leur ordreeft interverti, ou qu'il furvienne quelque calme, on a la reflburce de mouiller par-tout fur un fond excellent.
H a



n6 SUPPLÉMENTS
Ces avantages font malheureufement accompagnés de quelques inconvénients. Des courants rapides s'oppofent a 1'arrivée des navigateurs. Que fi, pour les éviter, on approche trop prés de la terre, 1'eau manque prefque par-tout. On n en trouve pas même a 1'embouchure des rivieres qui ne peuvent recevoir que de très-petits Mtiments. Celle d'Aprouague eft la feule qui en ait douze pieds. La, échoués fur une vafe molle, les navires peuvent fe livrer fans h> qöiétude a toutes les réparations dont ils onc befoin. Cependant, il leur convient de s'expédierfort vïte; paree que les vers, les eaux bourbeufes , les pluies & les chaleurs y détruifent, en fort peu de temps, les vaiffeaux les mieux conftruits, les mieux équipés.
Dans cette région, quoique voifine de 1'équateur, Ie climat eft très-fupportable. Cette température peut être attribuée a la longueur des nuits, a 1'abondance des brouillards & des rofées. Dans aucun temps, on n'éprouve a la Guyane ces chaleurs étouffantes, fi ordinaires dans tant d'autres contrées de 1'Amérique.
Malheureufement, pendant les fix premiers moisdel'année, &quelquefois pluslong-temps, cette colonie eft abymée par des déluges d'eau. Ces pluies furabondanres dégradent les lieux éleves, inondent les plaines, pourrilTent les plantes, & fufpendent fouvent les travaux les plus



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. n?
preffés. La végécation eft alors fi forte, qu'il feroit impoffible de la retenir dans de juftes bornes, quelque nombre de bras qu'on employat pour la combattre.A cette calamitéen fuccede uneautre. C'eft une longue féchereflè qui ouvre la terre & qui la calcine.
Les opinions fur le fol de Ia Guyane fe contrarierent très-long-temps. It eft aujourd'hui connu que c'eft le plus fouvent un tuf pierreux, recouvert de fables & du débris de quelques végétaux. Ces terres font d'une exploitation facile : mais leur produit eft toujours très-foible, & il eeflè même après cinq ou fix ans. Le cultivateur eft alors réduit a faire de nouveaux défrichements, qui ont toujours Ie fort des premiers. Ceux même qui font exécutés dans quelques veines d'un fol plus profond qu'on trouve par intervalle, n'ont pas une longue durée, paree que les pluies répétées qui tombent en torrents dans cette région , ont bientöt entrainé les fucs qui pouvoient les fertilifer.
Ce fut fur ces maigres campagnes que s'établirent les premiers Frangois qu'une fatale deftinée poufla dans la Guyane. Les générations qui les remplacerent chereberent par-tout des terreins plus féconds, fans en jamais trouver. Inutilement le fifc fit fucceffivement de grands facrifices pour améliorer cette colonie. Ces dépenfes furent inutiles, paree qu'elles ne pouvoient
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n8 SUPPLÉMENT S
pas changer Ia nature des chofes. L'exemple des Hollandois, qui, après avoir auffi langui dans le voifinage fur les terres hautes, avoient enfin profpéré fur des plantations formées dans des marais deflècbés avec des travaux immenfes, cet exemple ne failbit aucune impreffion. Enfin, M. Mallouet, chargé de 1'adminiftration de ce malheureux établiffement, a lui-même exécuté ce qu'il avoit vu pratiquer a Surinam; & 1'efpace qu'il avoit arraché a 1'Océan s'eft auffi-röt couvert de denrées. Ce fpeclacle a donné aux colons une émulation dont on ne les croyoit pas fufceptibles; & ils n'attendent que les bienfaits du Gouvernement pour enrichir la métropole de leurs produétions.
Ce fera fur des plages formées par la dégradation des montagnes & par la mer que feront déformais établies les plantations. II faudra deffécher des marais, creufer des canaux, élever des digues: mais pourquoi les Frangois craindroient-ils d'entreprendre ce qu'ils voyent fi heureufement exécuté fur leurs frontieres ? Pourquoi la Cour de Verfailles fe refuferoit elle a encourager par des avances & des gratifications des défrichements vraiment utiles ? Des défrichements! Voila des conquêtes fur le cahos a 1'avantage de tous les hommes, & non pas des Provinces qu'on dépeuple & qu'on dévafte pour s'en emparer'; qui coötent Ie fang de deux nations pour n'en enrichir



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 119
aucune; qu'il faut garder a grands fraix & couvrir de troupes pendant des fiecles, avant de s'enpromettre la paifible pofTeffion.
Tout invite le Miniftere de France au parti qu'on ofe lui propofer. Dans la G. yane, les feux fouterreins, fi communs dans le refte de 1'Amérique, font aauellement éteints. On n'y éprouve jamais de tremblement de terre. Les ouragans n'exercent pas leurs ravages fur fes cötes. Son accès eft rempli de tant de difficultés, qu'on peut prédire qu'elle ne fera pas conquife. Les iflesFrancoifes, au contraire, déjaprifès une fois, attirent'les regards, & follicitent la cupidité d'une nation vivement aigrie de leur reftitution. Son chagrin fait préfumer qu'elle fera toujours difpofée a réparer par la force des armes, le vice de fes négociations. La confiance bien fondée qu'elle a dans fa marine, ne tardera pas peut-être a la précipiter dans une nouvelle guerre, pour reprendre ce qu'elle a rendu, pour étendre plus loin fes ufurpations. Si la fortune fecondoit encore fes efforts; fi un peuple encouragé par des viétoires, dont les citoyens recueillent feuls tout 1'avantage, 1'emportoit toujours fur une nation qui ne combat que pour fes Rois: ce feroit du moins une grande reflburce que la Guyane, oü 1'on cultiveroit toutes les produétions dont 1'habitude'a donné le befoin, & pour lefquelles il faudroit payer un énorme H 4



X.
Quels bra pourra-t-on deftiner auj cultures dont la Guyane eft fufceptible ?
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m SüïPLÉMENTS tribuc h 1'étranger, fi les colonies nationale* r_ pouvoienc Jes fourn ir.
Le deffëchement des cótes de la Guyane exigeroit des travaux Jongs & difficiles. Oü pr_n.
On crut en 1763 que les Européens y fe' reent tres.propres. Douze milJe furem j/^ «me de cette opinion. La mort n'épargna qu'une f-xantame de families Allemandes ou Acldië" nes. Elles s etablirent fur le Sinamary qui leur offroit des bords qui ne font jamais inondés par Ja mer, quelques prairies naturelles , & une grande abondance de tortues. Cette foible peuplade augmente & vit heureufe le Jong de ce fleave. La pêche, la chaflè, 1'éducation des trou3eaux la culture d'un peu de riz & de maïs S elles font fes refiources, Quelques fpécularifs )nt voulu conclure de cet exemple que les blancs >ourroient cultiver la Guyane: mais ils n'ontpas ïit réflex.on qu'on ne fondoit des colonies que our obtenir des produétions vénales, & que es produétions exigent des foins plus fuivis & lus latiganrs que ceux auxquels on fe livre fur ts nves du Sinamary.
Les naturels du pays pourroient, dit-on, opérlans inconvénient ce qui eft deftruéteur pour >us Ces fauvages étoient aflez multipliés fur
cóte, lorfqu'elle fi,t découverte. La férocité



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. r.i
! Enropéenne en a fi fort diminué le nombre, ; qu'il n'y en refte pas actuellement plus de qtial tre ou cinq cents en état de porter les armes. I Mais quelques aventuriers qui ont pénétré de: puis peu dans Pintérieur des terres, y ont découi vert beaucoup de petites nations, toutes plus 1 barbares les unes que les autres. Par-tout ils om i appercu Poppreffion des femmes, des fuperlü: dons qui empêchent la multiplication des homli mes, des haines qui ne s'éteignent que par ia I deftruction des families & des peuplades, Pabanj don révoltant des vieillards & des malades, Pufage habituel des poifons les plus variés & les plus fubtils; cent autres défordres dont la nature brute offre trop généralement le hideux tableau. Cependant le voyageur eft accueilli avec refpect, fecouru avec la généroficé la plus illimitée & la plus touchante fimplicité. II entre dans la cabane i du fauvage; il s'affied a cóté de fa femme & de fes filles nues; il partage leurs repas. La nuit, il prend fon repos fur un même lit. Au jour, on le charge de provifions, on 1'accompagne aflez loin fur fa route, 1'on s'en fépare avec les 1 démonftrations de Pamitié. Mais cette fcene d'hofpitalité peut devenir fanglante en un moment. Ce fauvage eft jaloux h Pextrême; & au moindre figne de familiarité qui 1'allarmeroit, on feroit égorgé. II faudroit commencer par aflèmbler ces peeH 5



J22 SUPPLÉMENTS
pies toujours errancs. Quelques préfems de leur goüt, diftribués a propos, rendroienc cette première opération facile. On éviteroit, avec la plus fcrupuleufe attention, de réunir dans le même lieu celles de ces nations qui ont les unes pour les autres une averfion infurmontable.
Ces peuplades ne feront pas formées au hafard. II conviendra de les diftribuer de maniere _ fe procurer des facilités pour pénétrer dans 1'intérieur du pays. A mefure que ces établiflements acquerront des forces, ils fourniront desfacilités pour établir des habitations nouvelles.
Jufqu'ici, aucune confidération n'a pu fixer ces Indiens. La plus lüre voie pour y réuflir, feroit de leur diftribuer des vaches qu'ils ne pourroient nourrir qu'en abattant des;bois &en formant des prairies. Les légumes, les arbres fruitiers dont on enrichiroit leur demeure, feroient un moyen de plus pour prévenir leur inconftance. II eft vraifemblable que ces reflburces qu'ils n'ont jamais connues, les dégoüteroient avec le temps de la chaflè & de Ia pêche, qui font actuellement les feuls foutiens de leur miférable & précaire exiftence.
Un préjugé bien plus funefte refteroit a vaincre. II eft généralement établichez ces peuples, que les occupations fédentaires ne conviennent qu'a des femmes. Cet orgueil infenfé avrlit tous les travaux aux yeux des hommes. Un miflion-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 123
j naire intelligent ne perdroitpas fon temps a combattre cetaveuglement. II cnnobliroit la culture, en travaillant lui-même avec les enfants; & il réuffiroit paree noble & heureux ftratagême, a donner aux jeunes gens des mceurs nouvelles. Peut-être parviendroit-on a vaincre 1'indolence des peres même, li 1'on favoit leur donner des befoins. II n'eft pas fans vraifemblance qu'ils demanderoient a la terre des produétions pour les échanger contre des marchandifes dont 1'u| fage leur feroit devenu néceffaire.
Ce but falutaire s'éloigneroit infiniment, fi { 1'on aflujettiflbit les fauvages réunis a une capitation & a des corvées, comme fe le font permis les Portugais & les Efpagnols fur les bords de 1'Amazone, de Rio-N^gro & de 1'Orenoque. II faut que ces peuples ayent joui pendant des fiecles , des bienfaits de la civilifation , avanc d'en porter les charges.
Cependant, ap>ès cette révolution heureufe, la Guayane ne rempliroit encore que très-imparfaicement les vues étendues que peut avoir la Cour de Verfailles. Jamais les foibles mains des Indiens ne feront croitre que des denrées de valeur. médiocre. Pour obtenir de riches produétions, il faudra recourir néceffairement aux bras nerveux des negres.
On craint la facilité qu'auront ces efclaves pour déferter de: leurs atteliers. Ils fe réfugié-



124 SUPPLÉMENTS
ronc, ils s'attrouperont, ils fe retrancheront, diton, dans de vaftes forêts, oül'abondance du gibier & du poiflbn rendra leur fubfiftance aifée ; oü la chaleur du climat leur permettra de fe paffer de vete ment; oü les bois propres a faire des arcs & des fleches ne leur manqueront jamais. Cent d'entr'eux avoient pris ce parti, il y a environ trente ans. Les troupes envoyées pour les remettre fous la chaine, furent repouffées. CeC échec faifoit craindre une défertion générale. La colonie entiere étoit confternée. On ne favoit a quoi fe réfoudre , lorfqu'un miffionnaire part, fuivi d'un ;feul noir, arrivé a 1'endroit oü s'étoic livré le combat, dreffe un autel, appelle les déferteurs par.le moyen d'une clochette, leur dit la mefTe, les harangue, & les ramene tous, tous fans exception, h leurs anciens maitres. Mais les Jéfuites qui avoient mérité & obtenu la confiance de ces malheureux, ne font plus dans la colonie ; & leurs fucceflèurs n'ont montré ni la même aétivité, ni une connoiflance égale du cceur de 1'homme. Cependant, il ne feroit peut-être pas impoffible de prévenir 1'évafion de ces infortunées viétimes de notre cupidité, en rendant leur condition fupportable. La loi de la nécellité, qui commande même aux tyrans, prefcrira, dans cette région, une modération que 1'humanité feule devroit infpirer par-tout. Ce nouvel ordre de chofes engagera Ie Gou-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 115
vernement dans des dépenfes confidérables. Avant de s'y livrer, il examinera fi la colonie aeu jufqu'a notre 3ge, 1'organifation qui devoit la faire , profpérer, & fi Cayenne eft le lieu le plus con, venable pour être le chef-lieu d'un grand éta: bliffement. C'eft notre opinion : mais d'habiles ! gens penfent le contraire; & leurs raifons doivent être difcutées.
Ces vues peuvent être excellentes, fans que les ayantages en ayent été plutöt appercus; & il ■! ne faut pas s'en étonner. Les chöfes font quelquefois d'une difficulté qui ne peut être furmontée 1 que par Texpérience ou par le génie. Maisl'expérience qui marche h pas lents, demandé du temps; & le génie qui, femblable aux courfiers des Dieux, franchit un intervalle immenfe d'urï faut, fe fait attendre pendant des fiecles. A-t-il paru? il eft repouffé ou perfécuté. S'il parle, on ne 1'entendpas. Si, parhafard, il eft entendu,la jaloufie traduit fes projets comme des rêves fublimes, & les fait échouer. L'intérêt général de ïa multitude fuppléeroit peut-être a la pénétration du génie, fi on le laiffoit agir en liberté: mais il eft fans ceffe contrarié par 1'autorité dont les dépofitaires ne s'entendent a rien, & prétendent ordonner de tout. Quel eft celui qu'ils honoreront de leur confiance & de leur intimité ? c'eft le flatteur impudent, qui, fans en rien croire. kur répétera continuellement qu'ils font des être:
XI, Avant de letter descapitaux dans la Guyane , il convient d'examinerfi la colonie eft bien organifée ; il en faut régler les limites.



i_6 SUPPLÉMENTS
merveilleux. Le mal fe fait par leur fottife, & fe perpétue par une mauvaife honte qui les era* pêche de revenir fur leurs pas. Les fauffes combinaifons s'épuifent avant quvils ayent rencontré les vraies, ou qu'ils puiflènt fe réfoudre a les approuver, après les avoir rejettées. C'eft ainfi que le défordre regne par Penfance des Souverains, 1'incapacité ou 1'orgueil des Miniflres, & la patience des viétimes. On fe confoleroit des maux pafles & des maux préfents, fi 1'avenir devoit changer cette deftinée : mais c'eft une efpérance dont il eft impoflible de fe bercer. Et fi 1'on demandoit au Philofophe a quoi fervent les confeils qu'il s'opiniatre d'adreflèr aux nations & a ceux qui lesgouvernent, & qu'il répondit avec fincérité, il diroit qu'il fatisfait un penchant invincible _ dire la vérité, au hafard d'exciter 1'indignation , & même de boire dans la coupe de Socrate.
Avant de prendre fur la Guyane une réfolution finale, il conviendra de fixer les bornes encore incertaines de cette colonie. Au Nord, les Hollandois voudroient bien étendre les frontieres de Surinam jufqu'aux bords de Sinamary : mais le pofte militaire que la Cour de Verfailles a fait établir depuis long-temps fur la rive droite du Maroni, paroit avoir anéanti fans retour cette prétention ancienne. Du cóté du Midi, les difficultés font moins applanies. L'Amazone fut autrefois



■
A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 127
inconteftablement la borne des poffeffions Francoifes, puifque, par une convention du 4 Mars 1700, les Portugais s'obligerent a démolir les forts qu'ils avoient élevés fur la rive gauche de cette riviere. A lapaix d'Utrecht, la France qui recevoir la loi, fut forcée de céder la navigation de ce fleuve avec les terres qui s'étendent jufqu'a. la riviere de Vincent Pincon, ou de 1'Oyapock. Lorfque le temps fut venu d'exécuter le traité, il j fe trouva que ces deux noms employés comme | fynonymes , défignoient dans le pays, ainfi |: que fur les anciennes cartes, deux rivieres éloiI gnées 1'une de 1'autre de trente lieues. Chacune 1 des deux Cours voulut tourner cette erreur a fon ] avantage ; celle de Lisbonne s'étendre jufqu'a ; 1'Oyapock, & celle de Verlailles jufqu'a Vincent Pincon. On ne put convenir de rien; & les terres conteftées font reftées défertes depuis cette époque aflèz reculée.
On n'aura pas la préfomption de s'ériger en ! juge de ce grand procés. L'unique obfervation qu'on fe permettra de faire, c'eft que le but de la ceffion exigée par le Portugal, a été de lui affurer la 'navigation exclufive del' Amazone. Or les fujets de cette Couronne jouiront paifiblement de cet avantage, en éloignant les limites des poftèffions Francoifes de vingt lieues feulement& jufqu'a la riviere de Vincent Pincon, fans qu'il foit néceffaire de les reculer de cinquante jufqu'a 1'Oyapock.



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Ëtat a£hiel de la Guyane Fransoife.
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Ï28 SUPPLÉMENT,
Tout eft a faire dans la Guyane. Onnecompté a Cayenne même que trente plantations prefque toutes miférables. Le continent eft dans un plu. grand défordre encore que l'ifle. Les habitations y changentfouventde place. Des défertsimmenfes lesféparent. Placéesa une grande diftance du marchégénéral, elles n'ont aucune facilité pour leurs échanges. On n'y jöuit d'aucune des commodités que fe procurent mutuellement des hommes réunis. Les loix, la police, les bienféances 4 l'émuladon, 1'influence .du Miniftere : tous ces avantages y font inconnus. Pour 1'exploitation de cent lieues de cótes, on ne comptoiten 1775 }ue treize cents perfonnes libres, & huit mille efclaves. Les produétions de la colonie étoient neme au-deflbus de ces foibles moyens, paree }u'il n'y avoit dans les atteliers que des blancs ans intelligence, que des noirs fans fubordinaion. Les denrées qu'emporterent les batiments 'enus de 1'Amérique Septentrionale, ou de la Guadeloupe & de la Martinique , ne s'éleveent pasa 100,000 livres, & la France nerecut ar" fix navires que quarante quintaux de fucre, [ui furent vendus en Europe 2,156 livres; fi_ ents cinquante-huit quintaux quatre-vingt-huic ivres de café, qui furent vendus 31,296 liv. 16 i>ls; trois quintaux trente-quatre livres d'indigo , ui furent vendus 2,839 livres; cent cinquante* eux quintaux quarante-une livres de cacao, qui
furens



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 129
furent vendus 10,668 livres 16 fols; trois mille trois quintaux cinquante-cinq livres de rocou, qui furent vendus 187,706 liv. 7 fols 6 deniers; neuf cents foixante-douze quintaux foixante livres de coton ,qui furent vendus 243,150 livres; trois cents cinquante-trois cuirs, qui furent vendus 3,177 livres; quatorze cents vingt-deux quintaux huit livres de bois, qui furent vendus 7,604 livres 3 fols 9 deniers. En tout 488,598 livres 3 fols 3 deniers. Les 600,000 liv. que la Cour dépenfa cette année comme les autres pour cet ancien établiffement, fervirent a payer ce qu'il avoit recu au-dela de fes exportations. A cette époque, Cayenne devoit 2,000,000 de livres au, Gouvernement ou aux négociants de la métropole.
II faut attendre quelque chofe des lumieres que JVL Mallouet a répandues dans la colonie; des encouragements que cet habile adminiftrateur a fait accorder en 1777 a ceux des colons qui fe livreroient a la coupe des bois de conftruétion, h la culture des fubfiftances, a la falaifon du poiffon, a quelques autres produétions de peu de valeur, dont il a afRiré le débouché. II faut attendre encore plus des arbres a épiceries. Le giroflier a déja donné des clous qui ne ont que trés-peu inférieurs a ceux qui nous viennent des Moluques; & tout annonce que Ie mufcadier ne réuflira pas moins heureufcment. Mais rien de
Suppl. Tomé III. I



130 SUPPLÉMENTS
grand ne pourra fe temer fans capitaux, & fans capitaux confidérables.
Ils font au pouvoir d'une riche compagnie qui s'eft formée, mais fans privilege exclufif pour cette partie du Nouveau-Monde. Ce corps dont le fonds primitif eft de 2,400,000 livres, a obtenu du Gouvernement le vafte efpace qui s'étend depuis PApprouague jufqu'a POyapock; & toutes les facilités qu'on lui pouvoit raifonnablement accorder pour mettre en valeur ce fol, regardé comme le meilleur de la Guyane. En attendant que ces fuccès lui permettent de s'occuper du deflechement des marais & des grandes cultures, cette affociation puiffante a tourné fes vues' vers la coupe du bois, vers la multiplication de troupeaux, vers le coton & le cacao; mais principalement vers le tabac.
Des efclaves cultivent depuis long-temps ,pour leur ufage, autour de leurs cafés, cette derniere plante. On lui trouve les mêmes vertus qu'au tabac de Bréfil, qui s'eft ouvert un débit afTez avantageux dans plufieurs marchés de 1'Europe, & qui eft d'une néceffité prefque abfolue pour 1'achat des noirs fur une grande partie des cötes d'Afrique. Si cette entreprife réuffit, la France verra diminuer fes befoins, & fes navigateurs feront difpenfés d'aller chercher a Lisbonne cette portion de leur cargaifon. Les efpérances que peut donner Sainte-Lucie ont une autre bafe.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 131 Les Anglois occuperent fans, &c. page 44. _ Page45 ■> après ces mots, dernieres hoftilités, lifez : Quoi, la nature de la propriété n'eft pas Ia même par-tout, par-tout fondée fur la prife depofTeflion par le travail, & fur une longue & pailible jouiffance! Européens, pouvez-vous nous apprendre a quelle diftance de votre féjour ce titre facré s'anéantit? Eft-ce a vingt pas? eft-ce a une lieue ? eft-ce a dix lieues ? Non, dites-vous. Hé bien, ce ne feroit donc pas a dix mille lieues. Et ne voyez-vous pas que ce droit imaginaire que vous vous arrogez fur un peuple éloigné, vous le conférez a ce peuple éloigné fur vous? Cependant que diriez-vous, s'il pouvoit arriverque le fauvage entrêt dans votre contrée, & que, raifonnant a votre maniere, il dit: Cette terre n'eft point habitée par les nötres, donc elle nous appartient? Vous avez I'Hobbifme en horreur dans votre voifinage; & ce funefte fyftême, qui fait de la force la fuprême loi, vous le pratiquez au loin. Allez! après avoir été des voleurs & des affaffins, il ne vous reftoit plus que dëtre d'exécrables fophiftes; & vous 1'êtes devenus.
D'après ces principes, que les efprits juftes & lescceurs droits réprouveront toujours, SainteLucie devoit, &c.
Page 47, après ces mots, 1'eau & du bois, lifez: Cet arrangement n'empêcha pas les Francois d'y établir de nouveau en 1744, un Com»
I 2



132 SUPPLÉMENTS
mandant, une garnifon, des bacteries. Ou la Cour de Londres ne fut pas avertie de cette infidélité, ou elle feignit de ne la pas voir, paree que fes navigateurs fe fervoient utilement dececanal, pour entretenir avec des colonies plus riches, des liaifons interlopes que les fujets des deux Gouvernements croyoient leur être également avantageufes. Elles durerent avec plus ou moins de vivacité, jufqu'au traité de 1763, qui affüra a la France la propriété fi long-temps & fi opintécrément difputée de Sainte-Lucie.
Un entrepot fut le premier, &c.
Vage 48, après ces mots, ne tarda pas a, lifez : démontrer que c'étoit un plan chimérique.
Pour que cet arrangement put avoir fon éxécution, il faudroit que les Américains dépofafiènt leurs cargaifons, qu'ils les gardalïènt, &c.
Ibid. après ces mots, également impoffibles, lifez : Jamais les navigateurs ne fe détermineront, a mettre a terre leur bétail, dont la garde, Ia nourriture , les accidents les ruineroient infailliblement, ni a dépofer dans des magafins des bois d'un trop mince prix, d'un tnop gros volume, pour foutenir les fraix d'un loyer. Jamais ils n'attendront fur leur bord des acheteurs éloignés qui pourroient ne pas arriver. Jamais ils ne trouveronr des acheteurs intermédiaires, dont le Minifrere feroit néceflairement fi cher, qu'on ne pourroit pas 1'employer.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 133
Le propriétaire des fyrops a les mêmes raifons d'éloignement pour ce marché. Les vokures, le coulage & la commiffion réduiroient a rien fa denrée. Si l'Anglois fe déterminoit a acheter les fyrops plus cher qu'il ne les payoic, il fe verrok forcé d'augmenter dans la proportion fes marchandifes, dont le confommateur ne voudroit plus après ce furhauflèment.
Détaché de la première idéé qu'il avoit eue, fans y renoncer formellement, le Miniftere de France, s'occupa, dès 1763, du foin de former des cultures a Sainte-Lucie. Le projet étoit fage, mais 1'exécution fut folie. Si le Gouverneur & 1'Intendant de la Martinique dont cette ifle n'eft éloignée que de fept lieues, avoient été chargés de Popération, les colons qu'on y auroit fait paffer, auroient obtenu les fecours que peut aifément fournir un établiffèment qui remonte a plus d'un fiecle. La précipitation, la pairion des nouveautés , le defir de placer des parents ou des protégés, d'autres motifspeut-être encore plus blamables , firent préférer 1'envoi d'une adminiftration indépendante qui ne devoit avoir des liaifons qu'avec la métropole. Cette mauvaife combinaifön coftta 7,000,0001. au fifc, &hl'Etat 800 hommes, dont la fatale deftinée infpire plus de pitié, &c.
Page 51, après ces mots, confler a 1'agriculture, lifez : On leur a diftribué a tous gratuitement des terres.
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ï_4 SUPPLÉMENTS
xv.
Queile opinion faut-il avoir de Sainte - Lucie?
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C'eüc étéun préfent funefte, file préjugéétabli contre Sainte-Lucie, avoit eu quelque fondement. La nature , difoit-on, lui avoit, &c.
Page 52 , après ces mots, univerfellement recues,/i/« ; Dans la vérité, le fol de SainteLucie n'eft point mauvais, &c.
Ibid. ligne 9, au-lieu de étangs, lifez , excavations, &c.
^ Ibid. après ces mots, de petites, oü lifez: Ie ucre peut être heureufement cultivé. La forne, &c.
P*ge 54 i après ces mots, établi leurs cultu•es, lifez : Plufieurs ont été punis de leur aveurle avidité. D'autres le feront un jour, a moins lu'ils ne conftruifent des digues, qu'ils ne creufent les canaux pour procurer aux eaux de 1'écoulenent. Le Gouvernement en a déja donné 1'exem>le dans le port principal de l'ifle; quelques eigens 1'ont fuivi, & il eft _ croire qu'avec le
imps, une pratique fi utile deviendra généile. ö
Déja fe font formées, dans Ia colonie, onze aroiflès, prefque toutes fous le vent. Cette prérence donnée a une partie de l'ifle fur 1'autre, svientpas de Ia fupériorité du fol: mais du plus 1 du moins de facilité a recevoir, a expédier :s navires. Avec Ie temps, 1'efpace qu'on a abord négligé, fera occupé a fon tour; paree i'on découvre tous les jours des ances oü il



A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. 135
fera poffiblè d'embarquer fur des canots toutes fortes de produftions.
Un chemin qui fait le tour de l'ifle, & deux chemins qui la traverfent de 1'eft a 1'oueft, donnent les facilités qu'on pouvoit defirer pourporter les denrées des plantations aux embarcadaires. Avec du temps & des richeflès, ces routes
• parviendront _ un degré de folidité qu'on ne pouvoit leur donner d'abord, fans des dépenfes trop confidérables pour un établiflèment naiffant. Les corvees dont ces chemins font 1'ouvrage,
: ont retardé les cultures & excité bien des murmures : mais les colons commencent a bénir la main fage & ferme, qui a ordonné, qui a conduit cette opération pour leur utilité. Leur fardeau a été un peu allégé, dans les derniers temps, par 1'attention qu'ont eue les adminiftrateurs d'appliquer k ces travaux les taxes exigées pour les affranchiffements.
Au premier Janvier 1777, la population blanche de Sainte-Lucie s'élevoit a deux mille trois cents perfonnes de tout age & de tout fexe. II y avoit mille cinquante noirs ou mui-tres libres, & feize mille efclaves. La colonie comptoit parmi fes troupeaux onze cents trente muiets ou chevaux, deux mille cinquante-trois bêtesacornes, trois mille fept cents dix-neuf moutons ou ehevres.
Cinquante - trois fucreries qui occupoient I 4



i&6 SUPPLÉMENTS
XVII.
Obftacles qui fe font oppofés aux progrès de Sainte - Lucie.
quinze cents quarante-un quarrés de terre; cinq millions quarante mille neuf cents foixante-deux pieds de café; un million neuf cents quarantecinq mille fept cents douze pieds de cacao; cinq cents quatre-vingt-dix-fept quarrés de coton formoient fes cultures.
Ces produits réunis étoient vendus dans l'ifle même un peu plus de 3,000,000 livres. Les deux tiers étoient livrés aux Américains, aux Anglois & aux Hollandois, en poflèffion de fournir librement aux befoins de la colonie. Le refie étoit porté a la Martinique, dont on dépendoit, & d'oü on droit quelques marchandifes, quelques boiffons arrivées de la métropole.
Appuyés fur le caraétere & les lumieres du Comte d'Ennery, fondateur de cet établiffement, nousavions afïuré que lorfque Sainte-Lucie, qui a quarante lieues de circuit, feroit parvenue a toute fa culture, elle pourroit occuper cinquante a foixante mille efclaves, & donner pour neuf ou dix millions de denrées. D'autres adminiftrateurs ont- depuis confirmé ce grand témoignage. Par quelle fatalité cet établiffement a-t-if donc fait fi peu de progrès, malgré tous les encouragements qu'il a recus?
C'eft que, dès Porigine, on donna précipitamment des propriétés a des vagabonds qui n'avoient , ni 1'habitude du travail, ni aucun moyen d'exploitation : c'eft qu'on accorda un fol im-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 137
menfe a des fpéculateurs avides qui n'écoienc en écac de mettre en valeur que quelques arpents : c'eft que les terres intérieures furent diftribuées, avant que les bords euffènt été défrichés: c'eft que les fourmis qui défoloient il cruellement la IVIartinique , ont porté le même ravage dans les fucreries naiffantes de Sainte-Lucie: c'eft que le café y a éprouvé la même diminution que partout ailleurs ": c'eft enfin que 1'adminiftration n'y a été ni aflez réguliere, ni aflez fuivie, ni aflez éclairée. Quels remedes employer contre tant d'erreurs, contre tant de calamités?
II faudra établir un gouvernement plus ferme, une police plus exaéte. II faudra dépouiller de leur territoire, ceux qui n'auront pas au moins rempli en partie 1'engagement qu'ils avoient contraclé de le rendre utile. II faudra, par des réunions fagement reglées, rapprocher, le plus qu'on pourra, des plantations féparées par des diftances qui leur ötent la volonté & la facilité de s'entr'aider. II faudra contraindre légalement tous les débiteurs a refpeéler des créances dont ils fe font habituellement joués. II faudra afliirer pour une longue fuite d'années & par des aéles authentiques aux navigateurs de toutes les nations la liberté de leurs liaifons avec cette ifle. On devroit aller plus loin.
Les Francois de Ia métropole ne veulent pas &ceux des ifles ne peuvent pas mettre en valeur
I 5



XVIII.
Moyens que la Cour de Verfailles fe propofe pour mettre Sainte-Lucie a 1'abri «ie 1'inva-
138 SUPPLÉMENT S Sainte-Lucie. Beaucoup d'étrangers, au contraire, ont offert d'y porter leur induflrie & leurs capitaux, fi on vouloit fupprimer le barbare droit d'aubaine : droit qui s'oppofe au commerce réciproque des nations; qui repouflè le vivant &dépouille le mort; qui déshérite 1'enfant de létranger; qui condamne celui -ci a laifTer fon opulence dans fa patrie, & qui lui interdit ailleurs toute acquifition, foit mobiliaire, foitfonciere : droit qu'un peuple qui aura les premières notions de bonne politique , abolira chez lui, & dont il fe gardera bien de folliciter 1'extinction dans les autres contrées. II faut efpérer que la Cour de Verfailles ne s'opintètrera pas longtemps a rejetter le feul moyen de tirer une colonie intéreffante de 1'état de langueur oü des fléaux qu'il n'étoit pas poffible de détourner & les vices d'une mauvaife adminiftration 1'ont plongée.
Lorfqu'on aura pris les mefures convenables pour rendre Sainte-Lucie floriffante, le Miniftere de France pourra fe livrer au fyftême qu'il paroit avoir adopté, de défendre fes colonies par des fortëreflès. Pour garder cette ifle, il fuffira de garantir de toute infulte le port du Carenage.
Ce port, Iemeilleur des Antilies, réunit pluReurs avantages. On y trouve par-tout beaucoup a'eau; la qualité de fon fonds eft excellente;I«



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 139
nature y a formé trois carenages parfaits, Pun pour les plus grands batiments, les deux autres pour des frégates. Trente vaiffeaux de ligne y feroient a 1'abri des ouragans les plus terribles. Les vers ne 1'infeftent pas encore. Les
} vents font toujours bons pour fortir, &c.
Page 59, après ces mots, gens de 1'art, lifez: Certes, ce n'eft pas une orgueilleufe prétention qui nous a engagés dans une matiere, qui
; eft fi contraire a notre profeffion, & qui fuppofe tant d'études qui nous font étrangeres, &
f- une fi longue expérience dans ceux qui 1'exer-
i cent. Mais le zele, mais 1'amour du bien, mais le patriotifme répandent fur tout les regards de 1'homme & du citoyen. Son cceur s'échauffe. II réfléchit. S'eft-il perfuadé qu'il entrevoyoit le bien ? II faut qu'il parle. II fe reprocheroit fon filence. „ Si mes idéés font juftes, fe dit-il a „ lui-même, peut-être qu'on en profitera; fi „ elles fontfauffes, le pis qu'il puiffe arriver, „ c'eft qu'on en fourie, en m'accordant le nom „ de bon-homme, dont le vénérable Abbé de „ de Saint-Pierre fe glorifioit. J'aime mieux rif„ quer d'être ridicule que de manquer 1'occafion „ d'être utile ". Ce devoir, bien ou mal rem» pli, fixons 1'attention du Leéteur fur la Martinique, &c.
Page 66, après ces mots, & Septentrionale, lifez: Comme agricole, elle occupoit, en 1736,



'14° SUPPLÉMENTS
foixante-douze mille efclaves, fur un fol noü> vellemcnt défriché en grande partie, èkquidonnoitparconféquent des récoltes très-abondantes.
Ses rapports avec les autres ifles lui valoienc Ia commifüon & les fraix de tranfport, paree qu'elle feule avoit les voitures. Le gain qu'elle faifoit pouvoit s'élever au dixieme de leurs produétions, qui devenoient de jour en jour plus confidérables. Ce fonds de dette rarement percu, leur étoit IaifTé pour 1'accroifTement de leurs cultures.
II étoit augmenté par des avances, &c.
Page 73, ligne i, au-lieu de 1748 maifons, lifez 1800.
Page 79 , après ces mots, rien efpérer, lifez' La colonie réduite aelle-même, ne devoit donc compter que fur fes cultures. Malheureufement, \ 1'épnque oü fes habitants pouvoient commencer a s'en occuper utilement, parut dans fon fein une efpece de fourmi inconnue en Amérique, avant qu'elle eut ravagé Ia Barbade au point d'y faire délibérer s'il ne convenoitpas d'abandonner une colonie autrefois fi floriffante. On ignore fi ce fut du continent ou de cette ifle que 1'infeéte pafla a la Martinique. Ce qui eft fur, c'eft qu'il caufa des ravages inexprimables dans toutes les plantations de fucre oü il fe montra. Cette calamité, trop mollement combattue, duroit depuis onze ans, lorfque les colons affemblés arrêterent,



A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. 141
Ie 9 Mars 1775, une récompenfe de 666,000 liv. pour celui qui trouveroit un remede contre un fléau fi deftruéteur.
Ce fecret important avoit déja été imaginé & mis en pratique par un Officier nommé Delvouves, fur un des terreins le plus infeftés de fourmis. Cet excellent cultivateur avoit obtenu d'abondantes récoltes, en multipliant les labours, les engrais & les farclages; en brixhmt les pailks oü cet infecle fe réfugié; en replantant les cannes a chaque récolte, & en les difpofant de maniere k faciliter la circulation de Fair. Cet exemple a été enfin fuivi par les colons riches. Les autres Fimiteront, felon leurs moyens, & on peut efpérer qu'avec le temps, il ne reftera que le fouvenir de ce grand défaltre.
Cette calamité étoit dans fa plus grande force, lorfque Fouragan de 1766, le plus furieux de ceux qui ont ravagé la Martinique, vint y détruire les vivres, moifibnner les récoltes, déraciner les arbres, renverfer même les MtimentsLa deftruétion fut fi générale, qu'a peine refiat-il quelques habitants en état de confoler tant de malheureux, de foulager tant de miferes.
Le haut prix oü, depuis quelque temps, étoit monté le café, aidoita fupporter tant d'infortunes. Cette production, trop multipliée, tomba dans Faviliffement; & il ne refta a fes cultivateurs que le regrec d'avoir confacré leurs terres a une



142 SUPPLEMENTS
denree donc la valeur ne fuffifoic plus a Ieurfubfiftance.
Pour comble de malheur, la métropole laiffoit manquer fa colonie des bras néceffaires a fon ; exploitation; depuis 1764 jufqu'en 1774 , le commerce de France n'introduifit a la Martini. que que trois cents quarante-einq efclaves année commune. Les habitants étoient réduits a repeupler leurs atteliers du rebut des cargaifons Angloifes introduit en fraude.
Un Miniftere éclairé, & dont les foins vigilants fe feroient étendus fur toutes les parties de 1'Empire, auroit adouci le fort d'un grand établiffement , fi cruellement affligé. II n'en fut pas ainfi. De nouvelles charges prirent dans la colonie la place des fecours qu'elle avoit droit d'attendre.
Dans les établiflements Frangois du NouveauMonde , & dans ceux des autres nations fans doute, les Africains fe corrompoient beaucoup : c'eft qu'ils étoient aflurés de 1'impunité. Leurs maitres, féduits par un inrérêt aveugle, ne déféroient jamais les criminels a la juftice. Pour faire ceflèr un fi grand défordre, le code noir régla que le prix de tout efclave qui feroit condamné a mort, après avoir été dénoncé au Magiftrat par le propriétaire, feroit payé par la colonie.
Des caiflès furent aufli-tót formées pour eet



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 143
objet ucile : mais on ne tarda pas a y puifer pour des dépenfes étrangeres a leur inftitution. Celle de la Martinique étoit encore plus grevée que les autres de ces injuftices, lorfqu'en 1771, elle fe vit chargée des fraix que faifoit la chambre d'agriculture de la colonie, des honoraires d'un député que fon Confeil entretient inutilement dans la métropole.
L'oppreffion fut pouffée plus loin. Les droits que le Gouvernement faifoit percevoir a lajMartinique, étoient originairement très-légers, & fe payoient en denrées. Elles furent converties en métaux, lorfque ces agents univerfels du commerce fe furent multipliés dans l'ifle. Cependant 1'impofition futmodérée jufqu'en 1763. Elle fut alors portée a 800,000 livres. Trois ans après, il fallut la réduire : mais cette diminution, arrachée par le malheur des circonftances, finit en 1772. Le tribut fut de nouveau baiffé en 1778 a la fomme de 666,000 livres, formant un million des ifles. II eft payé avec une capitation fur les blancs & fur les noirs, avec un droit de cinq pour cent fur le prix du loyer des maifons, avec le droit d'un pour cent fur toutes les marchandifes de poids qui entrent dans la colonie, & un droit égal fur toutes les denrées qui en fortent, a 1'exception du café qui doit trois pour cent.
Au premier Janvier 1778, La Martinique comptoit douze mille blancs de tout 3ge ik de ,
1
XXIV. Etat aéluel e ia Martiique.



144 SUPPLEMENTS
tout fexe; trois mille noirs ou mulatres libres, plus de quatre-vingt mille efclaves, quoique fes dénombrements ne montaffent qu'a foixante-douze mille.
Elle avoit pour fes troupeaux huit mille deux cents muiets ou chevaux, neuf mille fept cents bêtes acorne, treize mille cent porcs, moutons ou chevres.
Sesfucreries étoient au nombre de deux cents cinquante-fept qui occupoient dix mille trois cents quatre-vingt-dix-fept quarrés de terre. Elle cultivoit feize millions fix cents deux mille huit cents foixante-dix pieds de café; un million quatre cents trente mille vingt pieds de cacao; un million fix cents quarante-huit mille cinq cents cinquante pieds de coton.
En 1775,les navigateurs Frangois chargerent iur cent vingt-deux Mtiments, a la Martinique, deux cents quarante-quatre mille quatre cents trente-huit quintaux cinquante-huit livres de fucre terré ou brut, qui furent vendus dans la métropole 9,97i>i55 1'vres 3 fols 7 deniers; quatre-vingt-feize mille huit cents quatre-vingt-neuf quintaux foixante-huit livres de café, qui furent vendus 4,577,259 livres 16 fols; onze cents quarante-fept quintaux huit livres d'indigo, qui furent vendus 975,018 livres; huit mille fix cents cinquante-fix quintaux foixante-trois livres de cacao, qui furent vendus 605,964 livres 12 fols;
onze



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 145
bnze mille douze quintaux de coton, qui furent vendus 2,753,100 livres; neuf cents dix-neuf cuirs, qui furent vendus 8,271 livres; vingt-neuf quintaux dix livres de carret, qui furent vendus 29,100 livres; dix-neuf cénts foixante-fix quintaux trente-cinq livres de canefice, qui furent vendus 52,980 livres 10 fols; cent vingt-cinq quintaux de bois, qui furentvendus3,i25 livres. Cé Fut en tout 18,975,974 livres 1 fol 10 deniers. Mais la fomme entiere n'appartenoit pas a la colonie. II en devoit revenir uh peu plüs du quarc a Sainte-Lucie & a la Guadeloupe qui y avoienè verfé une partie dë leurs produétions.
Tous ceux qui, par inftinét, &c.
Page 82, après ces mots, d'une nature ingrate, lifez : des terreins efcarpés, que les tofrents & les pluies ont dégradés; des terreins rharécageux, qu'il eft difficile & peut-être impolïïble de deffécher; des terreins pierreux, qui fe refufent a tous les travaux. Cependant les öbfervateurs qui cohnoiffent le mieux la colonie s'accordént tous a dire que fes cultures font fufceptibles d'augmentation, & que 1'augmentation pourroit être de prés d'un tiers. On arriveroit même, fans nouveaux défrichements, & cette amélioration, par une culture meilleure & plus fuivie. Mais pour atteindre ce but, il faudroit un plus grand nombre d'efclaves. C'eft beaucoup que les habitants ayent pu jufqu'a nos
Suppl. Tome UI. K



146 SUPPLÉMENTS
jours maintenir leurs atteüers dans 1'état oü ils les avoient recus de leurs peres. Nous ne croyons pas qu'il foit en leur pouvoir de les augmenter.
A la 'Martinique , les propriétaires de terres, &c. page 84.
Page 84, ligne 8, après ces mots, du coton, ajoutez, du cacao.
Ibid. ligne 8, au-lieu de douze mille, lifez» vingt mille noirs.
Ibid. ligne 11, après ces mots, pour la pêche , êtez ou ; & après le mot navigation, ajoutez eft dans 1'enfance ou dans un état de décrépitude.
Page 90 , après ces mots, d'une dépenfe, lifez ; de dix millions.
Page 92, après ces mots, par la nature, lifez : Son fol n'eft pas auffi fertile, ni fon climat auffi fain & auffi agréable. Elle eft a la vérité moins hachée & plus unie : mais les rivieres lui manquent généralement. On n'y voit pas même des fontaines. Des aqueducs, qui n'entraineroient pas de grandes dépenfes, la feront jouir, fans doute, avec le temps, de cet avantage de 1'autre partie de la colonie.
Aucune nation Européenne n'avoit, &c.
Page 96, après ces mots, ans de travaux, lifez : La colonie ne fit des progrès remarquables qu'après la pacification d'Utrecht. On y comptoit neuf mille fix cents quarante-trois



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 147
blancs, quarante-un mille cent quarante efclaves, & les belïiaux, les vivres proportionnés a cette population, lorfqu'au mois d'Avril 1759, elle fut conquife par les armes de la GrandeBretagne.
La France s'affligea de cette perce, &c.
Page 98, après ces mots, fes engagements, lifez; La nation viétorieufe y porta dix-huit mille 1 fept cents vingt-un efclaves, avec 1'efpoir de re)| tirer un jour de grands avantages de leurs traI vaux.
Mais fon ambition fut trompée, &c. Page 99, après ces mots, Juillet 1763, lifez: L'état floriflanc oü la Guadeloupe avoit été élevée par les Anglois, frappa tout le monde, lorf-
I qu'ils la rendirent. On concut pour elle ce fentiment de conlidération qu'infpire aujourd'hui Populence. La métropole la vit avec une förte
i de refpeét. Jufqu'alors elle avoit été fubordonnée a la Martinique, comme toutes les ifles Fran-
! coifes du Vent. On la délivra de ces liens, qu'elle trouvoit honteux, en lui donnant une adminiftration indépendante. Cet ordre de chofes dura jufqu'en 1768. A cette époque, elle fut remife
i fous 1'ancien joug. On 1'en retira, en 1772,
j pour 1'y faire rentrer fix mois après. En 1775, on lui accorda de nouveau des chefs particuliere;
i & il faut efpérer qu'après tant de variations, la Cour de Verfailles fe fixera a cet arrangement, K 2
XXlï. Variations du minifiera de France dans le Gou=> vernement de la Gua» deloupe,



148 SUPPLÉMENTS
le feul conforme aux principes d'une politique éclairée. Si le MinilTere s'écartoic jamais de cet heureux plan, il verroit encore les Gouverneurs & les Intendants prodiguer leurs foins, leur crédit, leurs affeétionsa l'ifle métropolitaine, immédiatement foumife a leur infpeétion; tandis que l'ifle affervie feroit abandonnée a des fubalternes, fans force, fans confidérations, & par conféquent, fans aucun pouvoir, fans aucune volonté d'opérer le bien.
Les gens de guerre qui ont opiné pour la réunion des deux colonies fous les mêmes chefs, fe fondoient fur 1'avantage qu'il y auroit a pouvoir réunir les forces des deux ifles pour leur défenfe mutuelle. Mais ont - ils penfé qu'entre la Martinique & la Guadeloupe, fe trouvoit k une diftance égale,la Dominique, établiflèmenc Anglois, qu'on ne peut éviter, & qui infpeéte également le doublé canal, qui le fépare des poflèflions Francoifes. Si vous êtes inférieur en forces maritimes, la communication eft impraticable, paree que les fecours refpeétifs ne fauroient manquer d'être interceptés; fi vous êtes fupérieur, la communication eft inutiie, paree qu'il n'y a point d'invafion a craindre. Dansles deux cas, le fyflême qu'on veut établir n'eft qu'une chimère.
II en feroit tout autrement, s'il s'agiflbit d'exécuterdes projets offenfifs. La réunion desmoyerjs



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 149
propres a chaque ifle, pourroit devenir utile, néceflaire même dans ces circonflances. Alors, on confieroit le commandement militaire a Pun des Gouverneurs, & fa prééminence cefferoit après 1'entreprife projettée.
Mais convient-il de laiflèr libre le verfement des produétions territoriales d'une colonie dans Pautre? Jufqu'a la conquête de la Guadeloupe par les Anglois, fes liaifons direétes avec les ports de France s'étoient bornées a fix ou fept navires chaque année. Ses denrées, par des motifs plus ou moins réfléchis, prenoient la plupart la route de la Martinique. Lorfqu'a 1'époque de la reftitution, l'adminiftration des deux ifles fut féparée, on fépara auffi leur commerce. Les Communications ont été r'ouvertes depuis, & font encore permifes au temps oü nous écrivons.
Cet ordre de chofes trouve des cenfeurs en France. II faut, difent-ils avec amertume, que les colonies rempliflènt leur deftination, qui eft de confommer beaucoup de marchandifes de la métropole, & de lui renvoyer une grande abondance de produétions. Or, avec les plus grands moyens pour remplir cette doublé obligation, la Guadeloupe ne fera ni Pun ni Pautre, touc le temps qu'il lui fera permis de porter fes denrées a la Martinique. Cette liaifön fera toujours la caufe ou 1'occafion d'un verfement immenfe K 3



150 SUPPLÉMENTS
dans les marchés étrangers, principalement a la Dominique. Ce n'eft qu'en coupant le pont de communication , qu'on arrêtera ce commerce frauduleux, & qu'on déracinera 1'habitude de la contrebande.
Ces arguments puifés dans 1'intérêt particulier, n'empêchent pas que la Guadeloupe & la Martinique ne doivent être confirmées dans les liaifons qu'elles ont formées. La liberté elt le vceu de tous les hommes; & le droit naturel de tout propriétaire eft de vendre a qui il veut & le plus qu'il peut les produétions de fon fol. On s'eft écarté, en faveur de la métropole, de ce principe fondamental de toute fociété bien ordonnée; & peut-être le falloit-il dans Pétat aétuel des chofes. Mais vouloir étendre plus loin les prohibitions qu'éprouve le colon : vouloir le priver des commodités & des avantages qu'il peut trouver dans une communication fuivie ou paffagere avec fes propres concitoyens; c'eft un aéte de tyrannie que le commerce de France rougira un jour d'avoir follicité, & qui ne fera jamais accordé que par un Miniftere ignorant, corrompu ou Mche. Si, comme on le prétend, Ja navigation aétuellement permife entre les deux ifles, donne une porcion de leurs denrées a des rivaux rufés & avides, Ie Gouvernement trouvera des moyens honnêtes pour faire couler dans le fein du Royaume les richeffes territoriales de la



A L/HIST. PHILOSOPHIQUE. 151
Guadeloupe & des petites ifles qui en dépendent.
La Defirade, éloignée de quatre ou cinq lieues de la Guadeloupe, eft une de ces ifles. Son terrein , exceffivement aride & de dix lieues de circonférence, ne compte que peu d'habitants, tous occupés de la culture de quelques pieds de café, de quelques pieds de coton. On ignore en quel temps précifément a commencé cet établiflèment, mais il eft moderne.
Les Saintes, éloignées de trois, &c
Page 100, après ces mots, faire des citernes, lifez: Ils y retournerent en 1652, & y établirent des cultures durables, qui produifenc aujourd'hui cinquante milliers de café & cent milliers de coton.
A fix lieues de la Guadeloupe eft Made-Galante , qui a quinze lieues de circuit. Les nombreux fauvages qui 1'occupoient en furent chaffés, en 1648, par les Frangois, qui eurent des attaques vives & fréquentes a repouflèr pour fe maintenir dans leur ufurpation. C'eft un fol excellent oü s'eft fucceffivement formée une population de fept ou huit cents blancs & de fix ou fept mille noirs, la plupart occupés de la culture du fucre.
Saint - Martin & Saint - Bartheleml font auffi dans la dépendance de Ia Guadeloupe, quoiqu'il; en foient éloignés de quarante-cinq & cinquante
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XXX.
Quelles font les dépendancesde la Guadeloupe.



152 SUPPLÉMENTS
lieues. On a parlé de Ia première de ces ifles dans 1'hiftoire des établiflements Hollandois. IJ refte a dire quelque chofe de la feconde.
On lui donne dix a onze lieues de tour. Ses montagnes ne font que des rochers, & fes vallées que des fables, jamais arrofées par des fources ou par des rivieres, & beaucoup trop rarement par les eaux du ciel. Elle eft même privée des commodités d'un bon porc, quoique tous le? Géographes 1'ayenc félicité de cet avantage. En 1646, cinquante Francois y furent envoyés de Saint-Chriftophe. Maffacrés par les Caraïbes en 1656, ils'ne furent remplacés que trois ans après. L'aridité du fol les fit recourir au bois de gayac qui couvroit leur nouvelle patrie, & don,c ils firent de petits ouvrages qu'on recberchoic aflèz généralement. Cette reflburce eut un terme, & lé foin de quelques beftiaux qui alloienc alimenter les ifles voifines, la remplaca. La culture du coton ne tarda pas a fuivre, & la récolte s'en éleve a cinquante ou foixante milliers, jorfque, ce qui arrivé le plus fouvent, des féchereffès opiniatres ne s'y oppofent pas. Jufqu'a ces derniers temps, les travaux ont tous été faitspar les blancs; & c'eft encore la feule des colonies Européennes établies dans Ie Nouveau-Monde , oü les hommes libres daignent partager avec leurs efclaves les travaux de Pagricultqre. Le nombre des uns ne paffe pas quatre cents



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 153
yingt-fept, ni celui des autres trois cents quarante - cinq. L'ifle , dans fon plus grand rapport, en nourriroit difficilement beaucoup davantage.
La mifere de fes habitants eft fi généralement connue, que les corfaires ennemis qu'on y a vu fouvent relacher, ont toujours fidélement payé le peu de rafraichiflèments qui leur ont été four? nis, quoique les forces manquaflent pour les y contraindre. II y a donc encore de la pitié, même entre des ennemis & dans 1'ame des corfaires. Ce n'eft donc que la crainte &Tintérêc qui rendent 1'homme méchant. II n'eft jamais crue! gratuitement, Le pirate armé, qui pille un vaiffeau richement chargé, n'eft pas fans équité ni fans entrailles pour des infulaires que la nature a laifles fans reflburce & fans défenfe.
Au premier Janvier 1777, la Guadeloupe, en y comprenant les ifles plus ou moins fertiles foumifes a fon gouvernement, comptoit douze mille fept cents Blancs de tout age & de tout fexe, treize cents cinquante noirs ou mulatres libres, & cent mille efclaves, quoique leur dénombrement ne mondt qu'a quatre - vinges- quatre mille cent,
Ses troupeaux comprenoient neuf mille deux cents vingt chevaux ou muiets, quinze mille fept cents quarante bêtesa corne, & vingt-cinq mille quatre cents moutons, pores ou chevres.
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xxxr.
Situation aftuelle de. la Guadeloupe & des petices ifles qui lui fonr foumifes.



-54 SUPPLÉMENTS
Elle avoit pour fes cultures quatre cents quarante-neuf mille fix c^nts vingt-deux pieds de cacao; onze millions nW cents foixante-quatorze mille quarante-fix pieds de coton ; dix-huit millions fept cents quatre-vingts-dix-neuf mille fix cents quatre-vingts pieds de café; trois cents quatre-vingt-huit fucreries qui occupoient vingt-fix mille quatre-vingt-huit quarrés de terre.
Son gouvernement, fon tribut & fes in> pofitions étoient les mêmes qu'a la Martinique.
Si ces fupputations fréquentes fatiguent un leéteur oifif, on efpere qu'elles ennuyeront moins des calculateurs politiques, qui, trouvant dans la population & la produélion des terres la jufte mefure des forces d'un Etat, en fauront mieux comparer les reflburces naturelles des différentes nations. Ce n'eft que par unregiftre bien ordonné de cette efpece qu'on peut juger avec quelque exaditude de Pétat aétuel desPuiflances maritimes & commercantes qui ont des établiflements dans le Nouveau-Monde. Ici, 1'exaétitude fait le mérite de 1'ouvrage; & Pon doit peut-être tenir compte a 1'autetir des agréments qui lui manquent, en faveur de 1'utilité qui les remplace. Aflez de tableaux éloquents, aflèz de peintures ingénieufes amufent & trompent la multitude fur les pays éloignés. II eft temps d'apprécier



A LTÏÏST. PHILOSOPHIQUE. 155
kvérité, le réfultac de leurhiftoire, &de favoir moins ce qu'ils onc été que ce qu'ils font: car 1'hiftoire du paffe, fur-tout par la maniere dont elle a été écrite, n'appartient guere plus au fiecle oü nous vivons que celle de 1'avenir. Encore une fois, qu'on ne s'étonne plus de voir répéter fi fouvent un dénombrement de negres & d'animaux, de terres & de produétions; en un mot, des détails qui, malgré la féchereflè qu'ils offrent a 1'efprit, font pourtant les fondements phyfiques de la fociété.
La Guadeloupe doit obtenir de fes cultures une malle de produétions très-confidérable, & même plus confidérable que la Martinique. Elle a beaucoup plus d'efclaves; elle en employé moins a fa navigation & h fon commerce; elle en a placé un grand nombre fur un fol inférieur k celui de fa rivale; mais qui, étant en grande partie nouvellement défriché, donne des récoltes plus abondantes que des terres fatiguées par une longue exploitacion. Auffi eft-il prouvé que fes plantations, qui ne font pas dévorées par les fourmis, lui forment un revenu fort fupérieur a celui qu'obtient la Martinique. Cependant quatre-vingts & un batiments de la métropole n'enleverent, en 1775, de cette ifle que cent quatrevingt-huit mille trois cents quatre -vingt- fix quintaux fix livres de fucre brut outerré, quirendirent enEurope 7,137,930 liv. 16 f.; foixante-



156 SUPPLÉMENTS
trois mille vingt-neuf quintaux deux livres de café,quirendirent2,903,860liv. i9f.;quatorze cents trente-huit quintaux vingt-fept livres d'indigo, qui rendirent 1,222,529 liv. iq f.; mille vingt-trois quintaux cinquante-neuf livres de cacao, qui rendirent 71,651 liv. 6f.; cinq mille cent quatre-vingt-treize quintaux foixante-quinze livres de coton, qui rendirent 1,298,437 liv. 10 f.; fept cents vingt-fept cuirs , qui rendirent 6,973 liv.; feize quintaux cinquante-fix liv. de carret, qui rendirent 16,560 livres; douze quintaux' foixante-deux liv. de canefice, qui rendirent 336 liv. 15 f. io d.; cent vingt-cinq quintaux de bois, qui rendirent 3,125 liv. Ces fommes réunies ne fe moment qu'a 12,751,404 liv. 16 f. jo den.
Quelques produétions de la colonie pafïoient h la Martinique. Elle livroit fes fyrops & quelques autres denrées aux Américains, de qui elle recevoit du bois, des beftiaux, des farines & de la morue; fes cotons a la Dominique qui lui fournilToit des efclaves ; fes fucres a Saint-Euftache qui payoit en argent ou en lettres-dechange & en marchandifes des lndes Orientales.
La vigilance des derniers adminiftrateurs a mis quelques bornes a ces liaifons interlopes. Auffi-töt fe font multipliés les navires Frangois deftinés a 1'extraétion des denrées. L'habicude en



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 15?
a conduic beaucoup dans la Guadeloupe proprerrient dite, a Saint-Charles de la BafTe-terre, oü fe faifoienc autrefois tous les chargements, quoique ce ne foit qu'une rade foraine, dont Paccès eft difficile, & oü le féjour eft dangereux : mais un plus grand nombre fe font portés a la Pointea-Pitre.
C'eft un port profond & affèz fur, placé a 1'une des extrémités de la Grande-Terre. II fut décou* vert par les Anglois dans le temps qu'ils refterent les maïtres de la colonie; & ils s'occupoient du foin de lui donner de la falubrité, lorfque la paix leur arracha leur proie. La Cour de Verfailles fuivit cette idéé d*un vainqueur éclairé, & fit tracer, fans délai, le plan d*une ville qui s'eft accrue très-rapidement. La nature, les vents, Ie giffèment des cötes : tout veüt que le commerce prefque entier d'une fi belle poffeffion fe concentre dans cet entrepot. II ne doit refter a SaintCharles que la réunion des beaux fucres des TroisRivieres, & des cafés qui fe récoltent dans les quartiers du Baillif, de Deshays, de Bouillante & de la Pointe-Noire. Cependant cette ville continuera a être le fiege du gouvernement, puifque c'eft-la qu'eft la force, que font les fortifications.
Si Pon en croyoit quelques obfervateurs, Ia colonie devroit s'attendre a décheoir. Sa partie, connue fous le nom de Guadeloupe, & culti-



158 SUPPLÉMENTS vée depuis très-long-temps, n'eft pas, difentils , fufceptible d'une grande amélioration. Ils afïurenc, d'un autre cóté, que Ia Grande-Terre ne fe foutiendra pas dans 1'état florifTant oü un heureux hafard 1'a porcée. Ce vafte efpace, couvert prefque uniquement de ronces, il y a dixfept ou dix huit ans, & qui fournit aujourd'hui les trois cinquiemes des richeflës territoriales n'a pas un bon fol. Les fucres y font d'une qualité tres-inférieure. Privé de forêts, de rofées & de rivieres, il eft expofé h de fréquentes féchereffes qui détruifent fes beftiaux & fes produétions. Le temps ne fera qu'accroitre ces calamités.
Nous fommes bien éloignés d'adopter ces inquiétudes; & 1'on jugera des raifons de notre fecunté. Les fléaux d'une guerre malheureufe avoient comme anéanti la Guadeloupe. Mais a peine eut-elle fubi un joug étranger en 1750, que fes cultivateurs fe Mcerent de relever les' ruines de leurs manufaétures pour profiter du haut prix que le conquérant mettoit a leurs produétions. Les trois années qui fuivirent la reftitution furent employées a réédifier des batiments conftruits avec précipitation. Dans les années 1767 & 1768, les chemins de la colonie furent tous refaits, & 1'on ouvrit une communication facile entre Ia Guadeloupe & la Grande-Terre, par le moyen de deux levées de trois mille toifes chacune, qu'il fallut pratiquer



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 159
dans des marais. Antérieurement & poftérieurement a cette époque, furent érigées des fortifications confidérables & plus de cent batteries fur les cötes. Ces travaux ont long-temps privé les terres d'une partie des bras deflinés a les féconder. Aétuellement que les efclaves font tous rendus a leurs atteliers, n'eft-ce pas une heureufe néceffité que les denrées fe multiplient?
La colonie a d'autres raifons encore pour efpérer des accroiffements rapides. II lui refte des terreins en friche, & ceux qui font déja cultivés font fufceptibles d'amélioration. Ses dettes font peu confidérables. Avec moins de befoins que les établiflèments oü la richeffe a depuis long-temps multiplié les goüts & les defirs, elle peut accorder davantage au progrès de fes cultures. Les ifles Angloifes continueront a lui fournir des efclaves, fi les navigateurs Frangois fe bornent toujours è lui en porter annuellement cinq ou fix cents comme ils Pont fait. La réunion de ces circonftances fait préfumer que la Guadeloupe arrivera bientot d'elle-rnême au fake de fa profpérité, fans Ie fecours & malgré les entraves du Gouvernement.
Mais* la France peut-elle s'afiurer de jouir, &c. page 110.
Page 114, après ces mots, chainede montagnes, lifez : d'oü 1'on tiroic de Por, avant que



160 SUPPLÉMENTS
le continent de PAmérique eut offert des mines infiniment plus riches. Le navigateur qui appröche de la partie Efs pagnole n'appergoit qu'un amas informe de terres entafTées, couvertes d'arbres, & découpées vers la mer par des baies ou des promontoires : mais il eft dédómmagé de cette vue peu riante par le parfum des fleurs d'acacia, d'orangei ou de citronnier que les vents de terre lui portent foir & matin du fond des bois.
La cöte Francoife, quoique cultivée, n'offre pasunafpeét beaucoup plus riant. C'eft toujours un horifon femblable; ce font par-tout les mêmes accidents, les mêmes cultures, les mêmes couleürs, lés mêmes Mtiments. L'ceil fatigué ne peut fe repofer en aucün endroit, fans retrouver ce qu'il quitte $ fans recevoir ce qu'il a vu. II n'y a que la partie du Nord, rémplie de riches plantations, depuis 1'Océan jufqu'a la cime des collines, qui ofFre une perfpeétive digne de quelque attention. Ce payfage eft unique dans l'ifle, fans être comparable a ceux de 1'Europe öü la nature & 1'art font bien plus féconds en beautés touchantes.
Les chaleurs font toujours vives dans la plaine. Quoique la température des vallons dépende, en partie, de leur ouverture a 1'Eft ou a 1'Oueft, on peut dire en général que Pair, humide & frais avant & après le coucher du foleil, y eft
embrafé



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 161
embrafé dans la journée. La difTérence du climac n'eft véritablement fenfible que fur les montagnes. Le thermometre y eft a dix-fept degrés k • Pombre, lorfqu'a la même expofition, il eft h vingt-cïnq dans la plaine.
L'Efpagne occupoit, fans fruft, &c»
Page n8, après ces mots, aux Frangois, lifez : qui 1'évacuerent lorfqu'ils fe virent folidement établis a Saint-Domingue, mais lans renoncer a fa propriété* Le Gouvernement a toujours tiré les bois néceffaires k fes conftructions, au fervice de fon artillerie, aux befoins de fes troupes, jufqu'a ce qu'un Miniftre avide Fait arrachée au fifc , pour en augmenter Fhéritage de fa familie. Cependant les progrès, &c*
Page 119, après ces mots, II s^gifToic» lifez i d'élever Fordre focial fur les ruines d'une féroce anarchie; de réduire le brigandage indépendant, fous Fautorité fainte & févere des loix; de reproduire le fentiment de 1'hutnanité dans des ames endurcies par Fhabitude du crime; de fubftituer les inftrumenrs innocents de Fagriculture aux armes defiruétives du meurtre; de ré» foudre k une vie laborieufe des barbares accou» tumés k Foifiveté, compagne des rapines; d'infc pirer la patience k des hommes violents; la pré» férence des fruits lents d'un travail opinrêcre, k des jouiffances rapides, obtenues d'un coup de main; le goüt de la paix a la foif du fang; la crain*
Suppl. Tome UI. L



i6a SÜPPLÉMENTS
te du péril a celui qui fe plaifoit a le chercher; 1'eftime de la vie a celui qui la méprifoit; enfin , le refpeét pour le privilege d'une compagnie exclufive formée en 1664 pour tous les établiflements Frangois, h celui qui n'avoit jamais rien refpeété, & qui étoit en poflèflion de traiter librement avec toutes les nations.
Après avoir obtenu tous ces facrifices, &c.
Page 120 après ces mots, amenent la population , lifez : Cette idéé étoit naturelle. Mais quelles devoient être les femmes donc on pouvoic fe promettre des effets auffi doux! Des femmes nées de parents honnêtes & bien élevées, des femmes fages & laborieufes; des femmes qui devinffènt un jour dignes époufes & tendres meres. La difette abfolue d'un fexe, dans le nouvel établiffement, condamnoit l'autre au célibat. Dogeron fongea a remédier k cette efpece d'indigence qui eft la plus cruelle a fupporter, & qui précipite 1'homme dans la mélancolie & dans le dégout d'une vie qui manque pour lui de 1'attrait le plus puiflant. La métropole lui fit paflèr cinquante jeunes perfonnes qu'on n'obtint qu'au plus hauc prix. Bientöt après il en regut un pareil nombre qui furent obtenues a des encheres encore plus fortes. Elles furent vendues comme des efclaves, & achetées comme une marchandife ordinaire. Ce fut 1'argent & non le choix de leur coeur qui décida de leur deftinée. Qu'at-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 163
fcendre d'unions ainfi contracties? Cependant c'é<toit la feule voie de fatisfaire Ia paffion la plus impétueufe fans entraïner des querelles, & de propager le fang des hommes fans le verfer. Tous les habitants s'attendoient a voir arriver de leur patrie des compagnes qui viendroient adoucir & partager leur fort. Ils furent trompés dans leur efpérance. On ne leur envoya plus que des fil* les de joie, de viles & méprifables créatures qui s'embarquerent avec tous les vices de 1'ame & du corps attachés a une abjecte condition dont elles étoient bien éloignées de rougir, puifqu'el* les ne montrerent aucune répugnance a s'engager pour trois ans au fervice des hommes.
Cette maniere de purger la métropole en in» Feétant, &c.
Page 123, après ces mots, pour toute füreté, lifez : II fit voir par cette conduite que Ie cceur humain lui étoit bien connu. Celui que vous avez avili a fes propres yeux par de la méfiance, n'ayant rien a perdre dans votre efprit, ne fe fera aucun fcrupule de fe montrer dans 1'oc* cafion, fourbe, lkhe, traitre, impofteur tel qu'il eft, ou même peut-être tel qu'il n'eft pas, mais tel qu'il fait que vous 1'avez jugé; tandis que celui auquel vous avez témoigné de 1'eftime, ne fe dégradera point s'il le méritoit, ou fe piquera d'honneur s'il ne le méritoit pas. Suppofer aux feommes des vertus ou des vices > c'eft fouvent un L s



i64 SUPPLÉMENT S
moyen de leur en donner. La more furprit ea 1675 Dogeron au milieu de ces foins pacernels.
Miniftres & dépofitaires de 1'autorité royale. Au-lieu de ces longues & inutiles inftruétions dreffëes par des commis auffi ignorants qu'avides, & remifes a ceux que vous prépofez a 1'adminiftration des colonies, qui ne les ouvrent que pour les méprifer; faites écrire pour leur ufage la vie de Dogeron, & qu'elle finiffë par ces mots j Ayez les vertos de cet homme, et conformez votre conduite a la
5 i e n n e.
O Dogeron! ta cendre inhonorée repofe dans quelque endroit peut-être inconnu de Saint-Domingue ou de la Tortue. Mais fi ta mémoire s'eft éteinte dans ces contrées; fi ton nom tranfmis des peres aux enfants ne s'y prononce pas avec attendriffèment: les neveux des colons que tu rendis heureux par tes talents, ton défintéreffèment, ton courage, ta patience & tes travaux, font des irgrats qui ne méritent pas d'autres Gouverneurs que la plupart de ceux qu'on leur envoye.
Dogeron laiffa pour tout héritage des exemples patriotiques a fuivre, des vertus humaines
6 fociale? a cultiver. Pouancey lui fuccéda: mais avec les qualités de fon oncle, il ne fut pas auffi grand, paree qu'il, &c.
Page 124, au-lieu de 1702, lifez 1701.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 165
Page 125, après ces mots, ouverture fi raifonnable, lifez : Dans ces circonfiances, je fuis toujours étonné de la patience des opprimés. Je me demandé pourquoi ils ne fe raffémblent pas tous; & fe tranfportant chez Phomme du Miniftere qui les; gouverne, ils ne lui difent pas: „ Nous fommes las d'une autorité qui nous vexe. „ Sortez de notre contrée, & allez dire a celui „ que vous repréfentez ici que nous ne fommes „ pas des rebelles, paree que c'eft contre un „ bon Roi qu'on fe révolte, & qu'il n'eft qu'un „ tyran contre lequel nous avons le droit de nous „ foulever. Ajoutez que s'il eft jaloux de pofle„ der une contrée déferte, il fera bientót fatif„ fait : ear nous fommes tous réfolus a périr, „ plutöt que de vivre plus long-temps malheu„ reux fous une adminiftration injufte". Le coIon ne prit pas le parti du défefpoir : mais dans fon dépit, il tourna heureufement, &c.
Page 126, après ces mots, rien au Sud, lifez : Cette partie ne comptoit pas cent habitants tous logés fous des huttes, & tous miférables. Le Gouvernement n'imagina pas de meilleur moyen pour tirer quelque avantage d'un fi grand terrein, que d'en accorder en 1698 pour un demi-fiecle, la propriété a une compagnie qui prit le nom de Saint-Louis.
ÈUe s'engagea, fous peine de voir fon oétroi annullé, a formerune caiffè de douze cents mille
L 3



\66 SUPPLÉMENTS
ivres ;a tranfporter, dans les cinq premières an» nées, fur 1'étendue de fa conceffion, quinze cencs blancs & deux mille cinq cents noirs; cenc des premiers, deux cents des feconds, chacune des années fuivantes. On Ja chargeok de diftribuer des terres a tous ceux qui en demanderoienr» Chacun felon fes befoins & fes talents, devoit obtenir des efclaves payables en trois ans, les hommes a ra»:fon de fix cents francs, les femmes pour quatre cents cinquante livres. Le même crédit étoit accordé pour les marchandifes.
A ces conditions, Ie privilege afluroit a la nouvelle fociété le droit d'acheter & de vendre exclufivement dans tout le territoire qui lui avoit été abandonné; mais feulement aux prix établis dans les autres quartiers de l'ifle. Encore cette dépendance, onéreufe, &c. Page 129, ligne 12, au-lieu de folliciter, lifez demander.
Ibid. après ces mots, age avancé, lifez : de 1'occupation aux mêmes gens qui, &c.
Ibid après ces mots, rendoit refponfable, lifez , de fes calamités. Cette averfion, &c.
Ibid. après ces mots, compaflion feule, lifez : ne tarda pas a fe changer en une haine profonde; & ce ne fut pas fans de grands motifs.
D epuis leur établiflement, les colonies Francoifes recevoienc leurs efclaves des mains du monopole, & en recevoient par conféquent fort



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. i6>
peu & h un prix exorbitant. Réduit, en 1713, Ü» 1'impoffibilité de continuer fes opérations languiflantes, le privilege aflbcia lui-même a fon commerce les négociants particuliers, fous la condition qu'ils lui payeroient quinze livres pour chaque noir qu'ils porteroient auxiflesdu Vent, & trente pour ceux qu'ils introduiroient a SaintDomingue. Cette nouvelle combinaifon fut fuivie d'une telle aétivité, que le Gouvernement commenca enfin a fe détacher de 1'exclufif; en conférant, en 1716, la traite de Guinee aux ports de Rouen, de Bordeaux, de Nantes & de la Roebelle. II devoit leur en coüter deux piftoles pour chaque efclave qui arriveroit en Amérique : mais les denrées qui proviendroient de la vente de ces malheureux étoient déchargées de la moitié des droits auxquelles les autres produétions étoient aflèrvies.
On commencoit h fentir le bien qu'alloit produire cette liberté, toute imparfaite qu'elle étoit, puifqu'elle fe bornoit a quatre rades; lorfque Saint-Domingue fut encore condamné a reeevoir fes cultivateurs de la compagnie des lndes, qui n'étoit même obligée de lui en fournirque deux mille chaque année. En vérité, on ne fait ce qui doit le plus étonner dans h cours desévénements relatifs au Nouveau-Monde, ou de la race des premiers conquérants qui le dévaflerent, ou de la ftupidité des Gouvernements qui, par une L4



i6l? SUPPLÉMENTS
\
XXXVIII.
Établiflements formés dans la partie du Sud de St. Dorningue.
fuite de réglements infenfés, femblents'êcre preparé, ou d'en perpétuer la mifere, ou de 1'y replonger lorfqu'il fe promettoic d'en fortir.
Ce fut en 1722 qu'arriverentdans la colonie les agents d'un corps odieux. Les édifices qui fervoienc a leurs opérations, &c.
Page 130, après ces mots, de céder, lifez: Pour cette fois, les peuples ne furent point cMtiés du délire de celui qui les gouvernoit; & !e Duc d'Orléans montra bien, dans cette circonftance, qu'il n'étoit point un homme ordinaire, en s'avouant lui-mêmecoupable d'une rébellion qu'il avoit excitée par une inftitution vicieufe, & qui auroit été févérement punie fous ün adminiftrateur moins éclairé ou moins modéré. Après deux ans de troubles & de confufion, les inconvénients qu'entraïne 1'anarchie, &c.
Page 131 après ces mots, les mains des Francois, lifez: La partie du Sud, occupée par cette nation, s'étend aétuellement depuis la Pointe-h-Pitre jufqu'au cap Tiburon. A 1'époque de leurs conquêtes dans le Nouveau-Monde, les Efpagnols avoient b&u fur cette cóte deuxgrandes bourgades qu'ils abandonnerent dans des jours moins brillants.
Li place qu'on faiffoit vuide, &c.
Page 132, après ces mo.ts, longue & difficile, lifez : Le quartier qui eft a 1'Eft de tous les autres établiffèments, fe nomme Jacmel, II eft



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 169
formé par trois Paroiffes qui occupent trente-fix liéues de cóte, fur une profondeur médiocre & très-inégale. Ce vafte efpace eft rempli par cent foixante caféyeres, foixante-deux indigoteries, & foixante cotonneries. La plupart de leurs cultivateurs font pauvres, & ne peuvent jamais devenirriches. Un terrein généralement montueux, pierreux, expofé aux féchereffes, leur défend d'afpirer a 1'opulence. Cette ambition n'eft permife qu'a ceux qui partagent la plaine de Jacmei. II y a vingt habitations très-vaftes, dont dix feulement fontarrofées, quoique toutes foient fufceptibles de cet avantage : c'eft-la que, dans un fol ufé, on fait de 1'indigo qui demanderoit des terres vierges.. Lorfque les bras & les aürres moyens d'une grande exploitation ne manqueront plus, on lui fubftituera le fucre, qui réuffit, auffi-bien qu'on puiffè le defirer, dans la feule plantation oü on ait commencé a le cultiver.
Aquin a quinze lieues fur le rivage de la mer, & trois, quatre, quelquefois fix lieues dansl'intérieur des terres. Cet établiffement compte quarante plantations en indigo, vingt en café, & neuf en coton. Ses montagnes , moins élevées que celles qui lesjoignent, ne jouiffentpar cette raifon que de peu de fources, que de peu de pluies, & ne promettent qu'une grande abondance de coton qu'on leur demandera quelque jour fans doute. Pour ce qui concerne fes plai-
L 5



i/o SUPPLÉMENTS
nes, elles furent autrefois afTez floriflantesrmais les féchereffes, qui ont graduellement augmenté a mefure que le pays s'eft découvert, ont de plus en plus diminué la quantité & la qualité de 1'indigo qui faifoit toute leur richefiè. Cette plante , qui laiffe la terre prefqu'habituellement expofée aux ardeurs d'un foleil brülant, doit être remplacée par le fucre qui la tiendra couverte dix-huit mois de fuite, & y confervera longtemps les moindres fraicheurs. Déja quatre habitants des plus aifés ont fait ce changement dans leurs plantations. La nature du fol permet & vingt-cinq colons de fuivre cet exemple; & ils s'y détermineront fans doute, lorfqu'ils en auront acquis les moyens, lorfque les eaux de la riviere Serpente auront été fageroent diltribuées. Dans 1'état aétuel des chofes, toutes lex produétions du quartier fe réuniffent dans un feul bourg très-enfoncé dans les terres. L'impoffibilité de les tranfporter fur la cóte dans Ia faifon des pluies, les fraix indifpenfables pour les y voiturer dans les temps même les plus favorables, avoient fait imaginer de former cet entrepot fur les bords d'une baie profonde oü 1'on embarque les denrées. Mais cette polition n'offre pas un arpent de terre qu'on puilïè cultiver ; mais on n'y trouve point d'eau potable; mais les eaux ftagnantes de la mer y corrompent 1'air. Ces raifons ont fait perdre de vue un pro-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 171
jet, dont les inconvénients furpaflbient les avantages.
Saint-Louis eft une efpece de bourgade qui, quoique batie au commencement du fiecle, n'a
I qu'une cinquantaine de maifons. Un tres-bon port, même pour les„vaiflèaux de ligne, décida cet établiffement. Sur un iflet fitué a Pentrée de:
] la rade, on éleva des fortifications confidérables, qui, en 1748 , furent détruites par les Anglois, & qui depuis n'ont pas été rétablies. Le terri-
I toire de ce quartier s'étend cinq a fix lieues fur
i la cöte. Ses montagnes, encore couvertes de bois d'acajou, font la plupart fufceptibles de cul-
' ture, fa plaine inégale offre quelquefois un fol fertile , & fes nombreux marais peuvent être deffëchés. On n'y compte que vingt caféyeres»
1 quinze indigoteries, fix cotonneries & deux fu-
1 creries. Cette derniere produétion réuffiroit dans dix ou douze plantations, fur-tout fi elles étoient arrofées par les eaux de la riviere Saint-Louis, comme on le croit très-praticable.
Cavaillon n'occupe que trois lieues fur les bords de 1'Océan. C'eft une grande gorge qui s'étend huit ou neuf lieues dans les terres. Elle eft partagée par une affèz grande riviere, qui, malheureufement dans les grandes pluies, fe répand au loin, & caufe fouvent de grands malheurs. A deux lieues de fon embouchure eft un petitbourg oü arriventles navires, &oüilschargentles den-



172 SUPPLÉMENTS
rées que fourniffent vingc plantations de café, dix d'indigo, fix de coton, &dix-fept de fucre. Le nombre des dernieres pourroit être aifément doublé dans une plaine qui a cinq ou fix mille quarreaux d'étendue : mais les trois les plus floriflantes de celles qui exiftent ont a peine atteint la moitié de leur culture; & les autres ne donnent qu'un foible produit & de mauvaife qualité. Les montagnes, quoique couvertes d'une terre excellente, ne rempliffent pas le vuide. Les conceffions que le Gouvernement y a faites refterontincultes, jufqu'a ce qu'on ait pratiqué des chemins pour Fextraétion des denrées. Cette entreprife, qui eft au-deffus des moyens des habitants , devroit être exécutée par les troupes. L'oifiveté & des marais infeéts ont engourdi jufqu'ici les foldats, les ont fait périr fur les rivages de la mer : la fraicheur des lieux élevés, 1'air pur qu'on y refpire, un travail modéré, Faifance dont il feroit jufte de les faire jouir: toutes ces caufes réunies ne les maintiendroient-elles pas dans leurs forces naturelles, n'affureroient - elles pas leur confervation?
Les plaines du fonds de 1'Ifle-h-Vache contient vingt-cinq mille quarreaux d'un fol excellent par-tout, a 1'exception de quelques parties que les torren ts ont couvertes de gravier, & d'unpetit nombre de marais , dont le defféchement ne feroit pas difficile. Ils s'y eft fucceffivemenc for-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 17.5
mé quatre-vingt-trois fucreries, & Pon peut y en établir encore environ cinquante. Celles qui exiftent n'ont guere qu'un tiers de leur domaine en valeur; & cependant elles donnent une immenfe quantité de fucre brut. Qu'on juge de ce que le territoire entier en fourniroit, s'il étoit convenablement exploité. On pourroit compter fur un produit d'autant plus régulier, que les pluies manquent moins fouvent dans ce quarder que dans les autres, & que trois rivieres qui y coulent, s'offrent pour ainfi dire delles-mêraes, pour 1'arrofement de toutes les plantations.
Le fucre & 1'indigo qui croiffent dans la plaine; le café & le coton qui defcendent des montagnes : tout eft porté a la ville des Cayes, fofméepar prés de quatre cents maifons, toutesenfoncées dans un terrein marécageux, & la plupart environnées d'une eau croupiffante. L'air qu'on refpire dans ce féjour manque également de reffort & de falubrité.
Cet entrepót a été comme jetté fans réflexion dans 1'enfoncement, &c.
Page 135, après ces mots, efeadre inférieure, lifez : La mauvaife température de la ville, le vice de fa rade ont fait defirera la Cour de Verfailles que les affaires qui s'y traitent, fe portaffent a Saint-Louis. Ses efforts ont été inutiles, & ils devoient 1'être, paree qu'il eft tout firn-' ple que les échanges s'établiffent dans 1'endrok



174 SUPPLÉMENT S
qui produit & confomme davantage. S'obftinerk contrarier encore cet ordre de chofes prefcrit par la nature, ce feroit retarder en pure pene les progrès d'un bon établiffement. Les caprices même de 1'induftrie méritent 1'indulgence du Gouvernement. La moindre inquiétude du négociant le conduit a la défiance. Les raifonnements poHtiques & miliraires ne peuvent rien contre ceux de Pintérêt. Le commerce ne profpere que dans un terrein qu'il a choifi lui-même. Tout genre de contrainte reffraye.
Ce que le Miniftere de France peut raifonnablement fe propofer, c'eft de retirer les tribunaux de Saint-Louis, qui n'eft & nefera jamais rien, pour les donner aux Cayes, oü Ia population & les produétions, déja confidérables, doivent beaucoup augmenter; c'eft de former un lit a une ravine dont les débordements furieux caufént fouvent des ravages inexprimables; c'eft de purifier & de fortifier un peu la ville.
On feroit 1'un & 1'autre, en creufant, &c. _ Page138, après ces mots, pour les vaiffeaux, lifez : L'Abacou eft une péninfule que 1'abondance & la qualité de fon indigo rendirent autrefois floriffante. Depuis que cette plante vorace a détruit tout principe de végé;ation fur les petites collines très-multipliées de cequartier, on ne cultive avec quelques fuccès que les bords de la mer, enrichis de la dépouille des terres



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 175
fupérieures. Cette dégradation a décerminé un aflez grand nombre de colons a porter ailleurs leur aétivité. Ceux qui, par habitude ou par raifon, ont perfévéré dans leurs plantations , fe font agrandis de tout ce qui étoit a leur bienféance. Ils fe foutiennent encore en laiffant repofer une partie de leur héritage, pendant que Pautre eft mife en valeur: mais cette reflburce n'eft pas ce qu'elle feroit en Europe. C'eft Popinion des habitants eux-mêmes, qui dirigent leur induftrie vers le fucre, autant que leur fortune & leur crédit le leur permettent.
C'eft fur les hauteurs défrichées, épuifées de ce quartier ,'qu'il conviendroit de multiplier les troupeaux. Le Gouvernement s'eft mépris, lorfqu'il a concédé des montagnes, fous la condition qu'on les couvriroit de bêtes a corne. Ouwe qu'il n'étoit pas raifonnable d'employer en paturages des terres vierges, qu'on pouvoit rendre plus produétives pour 1'Etat; il étoit impoffrble d'efpérer que des hommes entreprenants fe feroient paileurs, lorfqu'ils pouvoient tirer un meilleur parti de leur attelier, a quelque culture qu'ils Pemployaflent. On peut même aflurer que les beftiaux feront toujours infiniment rares a Saint-Domingue, même dans les lieux qui ne peuvent pas avoir une autre deflination, tout le temps que le monopole des boucheries fubfiftera dans la colonie.



1/6
SUPPLÉMENTS
Les Cöteaux occupent environ dix lieues de rivage, fur une profondeur de deux jufqu'a cinq lieues. Par-tout on trouve de petites anfes oü le débarquement eft facile, fans qu'aucune offre un abri fur contre les mauvais temps. Le quartier contient vingt-quatre caféyeres, trois cotonneries, foixante-öx indigoteries. Cette derniere production y. a moins diminué en quantité, y a moins dégénéré en qualitéqu'ailleurs, avantages qu'il faut attribuer a la nature & a la difpofition du terrein. Cependant le temps ne parolt pas éloigné oü les bords de la mer verront s'élever quatorze ou quinze fucreries, fur les débris de la culture ancienne. L'habitude & la facilité d'obtenir des efclaves par des liaifons interlopes, rendront la révoludon facile.
Tiburon, qui a douze lieues d'étendue fur les bords de la mer, & deux, trois, quatre dans Pintérieur des terres, termine la cöte. La rade de ce cap n'dffre pas un abri fuffifant contre les 1 tempêces: mais des batteries bien placées en peuvent faire un lieu de retraite & de proteétion pour les b&timents Francois, pourfuivis en temps de guerre dans ces parages. Cet étabiilïèment a quatre habitations en coton, trente en indigo & trente-fept en café. Depuis la paix, il s'y eft formé quatre fucreries, dontle nombre peut s'élever k feize.
Les établiflements qu'on vienc de parcourir,
languiilènt



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 177
languiflent tous dans une mifere plus ou moins grande. Auffi les ventes & les achats ne s'y fontils pas avec des métaux, comme au Nord & k i'Oueft de la colonie. Au Sud, on échange les marchandifes d'Europe contre les produétions de 1'Amérique. II réfulte de cette fauvage pratique des difcuffions éternelles, des fraudes innombrables, des retards ruineux, qui éloignent les navigateurs, ceux prineipalement qui s'occupent du commerce des efclaves.
C'eft une vérité trop bien prouvée que la perte annuelle des noirs s'éleve naturellement au vingtieme, & que les accidents la font monter au quinzieme. II fuit de cette expérience que la contrée qui nous occupe & qui réunit plus de quarante mille efclaves, en a vu mourir vingtcinq mille en dix ans de temps. Huit mille cent trente-quatre Africains, que les armateurs Francais ont introduits depuis 1763 jufqu'en 1773, n'ont pas aflurément rempli ce grand vuide. Quel auroit donc été le fort de ces établiflements, fi les interlopes n'avoient pourvu au remplacement? Ce n'eft pas tout.
La partie du Sud de Saint-Domingue a un grand défavantage. Les montagnes qui la dominent la privent, ainfi que la cöte de 1'Oueft, durant environ fix mois, des pluies du Nord, du Nord-Eft, qui fécondent les campagnes feptentrionales. Elle fera donc en friche ou mal culti-
Suppl. Tsme IIL M
xxxix.
Moyens qui pourroient améliorer lés cultures dans le Sud de la colonie.



XL.
Etabliflements forsnés dans 1'oueft deSt Domingue.
178 SUPPLEMENT?
vée jufqu'a ce que les eaux du ciel y ayent été remplacées par celles des rivieres. Cette opéraration, qui tripleroit les produétions, exige de gros capitaux & beaucoup d'efclaves. Le commerce de France , foit impoffibilité , foit défiance, ne les fournit point.
Quel parti doit prendre le Gouvernement'? Celui d'ouvrir pendant dix ou quinze ans cette portion de fa colonie a tous les étrangers. Les Anglois y porteront des noirs; les Hollandois feront des avances a un intérêt que peuvent trèsbien fupporter les cultures du Nouveau-Monde. Le fuccès eft infaillible, fi 1'on fait des loix qui donnent une folidité convenable aux créances des deux nations.
Les ports de la métropole s'éleveront d'abord avec vïolence, contre cette innovation. Mais lorfque le monopole leur fera rendu ; lorfqu'ils jouiront exclufivement de raccroiffement immenfeque la navigation, les ventes, les achats auront recu, ils béniront la main courageufe qui aura préparé leur profpérité.
L'Oueft de la colonie eft bien différent du Sud. Le premier établiffement digne de quelque attentiort qui s'y préfente, c'eft Jérémie ou la Grande-Anfe. II occupe vingt lieues de cöte, depuis Tiburon jufqu'au Petit-Trou, & quatre ou fix lieues dans les terres. Comme c'eii un quartier naiffant, il n'y a guere que les bords



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 179
de Ia mer qui foienc habités, & encore le fontils fort peu. Cependant toutes les denrées qui enrichiflènt le refte de l'ifle y font cultivées. Une produélion qui lui eft particuliere & dont il recueille annuellement cent cinquante milliers, c'eft le cacao, qui ne réuffiroit pas dans des cantons plus découverts. Le point de réunion eft un bourg joliment bati & fitué fur une hauteur oü 1'air eft très-falubre. Le temps doit rendre ce marché confidérable. Malheureufement fa rade eft mauvaife. Auffi-töt que le vent du Nord fouffle avec quelque violence, les navires font obügés de fe réfugier au cap Dame-Marie, oü 1'on n'a pris aucune mefure pour leur affurer une proteéb'on, ou d'aller chercher l'ifle des Caymites expofée aux entreprifes des corfaires.
Le petit Goave eut autrefois un grand éclat, & il en fut redevable a un port oü les vaiffèaux de toute grandeur trouvoient un mouillage excellent , des facilités pour s'abattre, un abri contre tous les vents. C'étoit 1'afyle leplus convenable pour des aventuriers, qui ne fongoient qu'a s'approprier les dépouilles des navigateurs Efpagnols. Depuis que les cultures ont remplacé la piraterie, ce lieu a beaucoup perdu de fa célébrité. Ce qui lui refte de confidération, il Ie doit a fes richeffes territoriales, bornées a quinze plantations en fucre, vingt en café, & douze en indigo ou en coton ; il le doit encore davantage M a



180 SUPPLÉMENTS
au produit de vingt-quatre fucreries, de cinquante indigoteries, de foixante-fept caféyeres, de trente - quatre cotonneries, que les Paroiffes du Petit-Trou, de Lance-a-Veaux, de SaintMichel & du grand-Goave, verfent dans fon entrepot. 11 eft mal-fain, & le fera jufqu'a ce qu'on ait réuffi a donner de la pente & la riviere Abaret, dont les eaux croupiffantes forment des marais infeéts.
Les dépendances de Léogane ont de 1'étendue. On y compte vingt habitations confacrées a 1'indigo, quarante au café, dix au coton, cinquantedeux au fucre. Avant le tremblement de terre de 1770, qui détruifit tout, la ville avoit quinze rues bien alignées & quatre cents maifons de pierre, qui ne font plus qu'en bois. Sa pofition dans une plaine étroite, féconde, arrofée, ne laifferoit pas beaucoup a defirer, fi un canal de navigation lui ouvroit une communication facile avec fa rade qui n'eft éloignée que d'un mille.
S'il étoit raifonnable de faire une place de guerre fur la cöte de 1'Oueft, Léogane mériteroit la préférence. Elle eft aiïife fur un terrein uni; rien ne la domine, & les vaiffeaux ne peuvent pas 1'infulter. Mais du moins auroit-il fallu la mettre a 1'abri d'un coup de main, en 1'enveloppant d'un rempart de terre avec un foffé profond , qu'il eut été facile de remplir d'eau fans les moindres fraix. Ces travaux auroient infini-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 181
ment moins coücé que ceux qui onc été entrepris au Porc-au Prince.
La première partie de l'ifle que les Frangois cultiverent, fut celle de 1'Oueft, comme laplus éloignée des forces Efpagnoles qu'on avoit alors a craindre. Située au milieu des cótes qu'ils occupoient, ils y établirent le fiege du gouvernement. On le plaga d'abord au petit Goave; il fut depuis transféré a Léogane; & c'eft, en 1750, au Port-au-Prince, qu'on Pa fixé.
Le territoire de ce quartier contient quarante fucreries, douze indigoteries, cinquante caféyeres, quinze cotonneries. Ce produit eft grofll par d'autres beaucoup plus confidérables, qui lui viennent des riches plaines du Cul-de-Sac, de PArcahaye & des montagnes du Mirbalais. Sous ce point de vue, le Port-au-Prince eft un entrepot important auquel il falloit ménager une proteétion fuffifante pour prévenir une furprife & pour aflurer la retraite des citoyens. Mais convenoit-il d'y concentrer 1'autorité civile & militaire , les tribunaux, les troupes, les munitions, les vivres, 1'arfenal; touc ce qui fait le foutien d'une grande colonie? On en jugera.
Une ouverture d'environ quatorze cents, &c.
Page 144, après ces mots, qu'a la couvrir, lifez: Tel eft Pemplacement que des intéréts particuliers ont fait malheureufement choifir pour y édifier la cipitale de Saint-Domingue. Un tremM 3



ïoa SUPPLÉMENT S
blement de terre, arrivé en 1770,1'a détruite de fond en comble. C'étoit le moment du repentir. On avoit d'autant plus raifon de 1'efpérer, que tout porte a croire que la nouvelle cité eft affife fur la voute du volcan. Vain efpoir! Les maifons particulieres, les édifices publics, tout a éré rétabli.
Infenfé Domingois, dors donc, puifque tu en as 1'intrépidité, dors fur la couche fragile & mince qui te fépare de 1'abyme de feu qui bouillonne fous ton chevet. Ignore le péril qui te menace, puifque tesallarmesempoifonneroienttous les inftants de ta vie, & ne te garantiroient de rien. Ignore combien ton exiftence eft précaire. Ignore qu'elle tient h la chüte fortuite d'un ruiffeau, b 1'infiltratioD peut-être avancée d'une petite quantité des eaux qui t'environnent, dans la chaudiere fouterreine a laquelle on a voulu que ton domicile fervit de couvercle. Si tu fortois un moment de ta ftupidité, que deviendrois-tu ? Tu verrois la mort circuler fous tes pieds. Le bruit fourd des torrents du foufre mis en expanfion , obféderoit ton oreille. Tu fentirois ofciller la croüte qui te fourient. Tu Pentendrois s'entr'ouvrir avec fracas. Tu t'élancerois de ta maifon. Tu eourrois éperdu dans tes rues. Tu croirois que les murs de ton habitation, que tes édifices s'ébranlent, & que tu vas defcendre au milieu de leurs ruines, dans le gouffre creufé, finon pour



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 183
I toi, du moins pour tes infortunés defcendants. I La confommation du défalïre qui les attend, fera I plus courte que mon récit. Mais s'il exifle une I juftice vengereflè des grands forfaits; s'il eft des i enfers : c'eft-la, je 1'efpere , qu'iront gémir dans i des flammes qui ne s'éteindront point, les fcélél rats qui, aveuglés par des vues d'intérêt, en onc ij impofé au tröne, & dont les funeftes confeils l| ont élevé le monument d'ignorance & de Huil pidité que tu habites, &qui n'a peut-être qu'un moment a durer.
Saint-Marc, qui n'a que deux cents maifons, mais agréablement baties, fe préfente au fond d'une baie couronnée d'un croiffant de collines, remplies de pierre de taille. Deux ruiffeaux traverfent la ville, & Pair qu'on y refpire eft pur. On ne compte fur fon territoire que dix fucreries , trente-deux indigoteries, cent caféyeres, jbixante-douze cotonneries. Cependant fa rade, quoique mauvaife, attire un grand nombre de navigateurs ; & c'eft aux richefles de 1'Artibonite qu'elle doit cet avantage.
C'eft une excellente plaine de quinze lieues de long , fur une largeur inégtöi de quatre a neuf lieues. Elle eft coupée en deux parties par la riviere qui lui a donné fon nom, & qui coule rapidement fur fa crête, après avoir parcouru i quelques poflèffions Ëfpagnoles & le Mirbalais. ' L'élévation de ces eaux a fait naitre 1'idée de les
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184 SUPPLÉMENTS
fubdivifer. Des opérations géométriques en onc démontré la pofllbilité : tant les nations favantes ont d'empire fur la nature. Mais un projet, appuyé fur la bafe des connoiffances mathémattques exige des précautions excrêmes dans Fexécution.
Dans Fétat aétuel des chofes, les plantations formées fur la rive droite, font expofées a de fréquentes fécherefTes, qui ruinent fouvenc les efpérances les mieux fondées. Celles de la rive gauche, fenfiblement plus baffes, font bien arrofées & parvenues par cet avantage, au dernier période de leur culture. Les propriétaires des premières preffent la dilïribution des eaux; les autres la repouflènt, dans la crainte de voir leurs terres fubmergées.
Si, comme le bruit en eft généralement répandu, on a des moyens iurs pour rendre une partie fertile, fans condamner 1'autre a la ftérilité : pourquoi retarder une opération qui doit donner une augmentation de dix ou douze millions pefant de fucre ? Cet accroifièment deviendroit encore plus confidérable, s'il étoit poffible de deffécher entiQment cette partie de la cöte, qui eft noyée dans les eaux de 1'Artibonite. C'eft ainfi qu'en changeant le cours des fleuves, Phomme policé foumet la terre a fon ufage. La fertilité qu'il y répand peut feule légitimer fes conquêtes: li toutefois 1'art & le travail, les loix &



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 185
Ses vertus, réparentavec le temps 1'injuftice d'une invafion.
Le territoire des Gonaïves eft plat, aflez urn & fort fee. II a deux plantations en fucre, dix en café, fix en indigo, & trente en coton. Cette derniere produétion pourroit être aifément multipliée fur une grande étendue de fable qui ne paroit aétuellement propre qu'k cette culture. Mais fi les eaux de 1'Artibonite font jamais diftribuées avec intelligence, une partie confidérable de ce grand quartier fe couvrira fürement de cannes. Alors on verra peut-être que c'étoic dans fon port excellent & facile a fortifier qu'il eut fallu placer le fiege du gouvernement. Un autre avantage doit rendre cette contrée intéreffante. II s'y trouve des eaux minérales. On les négligea long-temps dans une colonie toujours remplie de convalefcents & de malades. Enfin, en 1772, on y bStit des bains, des fontaines, quelques logéments commodes, un höpital pour les foldats & les matelots.
Les colonies nous offrent quelques phénomenes contradiétoires qu'il eft impoflible de nier» & qui femblent difficiles è concilier.
Eftimons-nous beaucoup les produétions des colonies? Je crois qu'on n'en fauroit domen Pourquoi donc prenons-nous fi peu d'intérêt a leur profpérité & a la confervation des colons ? Que la fureur d'un ouragan ait enfeveli des milM 5
XLT. Réflexions fur le peu d'intérêt que les métropoles & les colonies prennent les unes aux autres.



m SUPPLÉMENTS
liers de ces malheureux fous la ruine de leurs habitations, & le dégat de leurs poffeffions, nous nous en occupons moins que d'un duel ou d'un aflaffinat commis h notre porte. Qu'une vafte contrée de ce continent éloigné continue d'être dévaftée par quelque épidémie, on s'en entretient iciplus froidementque du retour incertain d'une petite-vérole inoculée. Que les horreurs de la difette réduifent les habitants de Saint-Domingue ou de Ia Martinique a chercher leur nourriture dans la campagne, ou a fe dévorer les uns les autres, nous y prendrons moins de part qu'aufléau d'une grêle qui auroit haché les moiffons de quelques-uns de nos villages. II eft aflez naturel de penfer que cette indifférence eft un effet de 1'éloignement, & que les colons ne font pas plus fenfibles a nos malheurs que nous aux leurs.
Mais, replique-t-on, nos villes font contiguës a nos campagnes. Nous avons fans cefTe fous les yeux la mifere de leurs habitants. Nous n'en defirons pas moins d'abondantes récoltes en tout genre, & 1'on ne peut guere pouffer plus loin le mépris pour 1'encouragement, la multiplication & la confervation du cultivateur. D'oü naït cette étonnante contradiéh'on ? De ce que nous fommes foux dans la maniere dont nous en ufons avec nos colons, & inhumains & foux dans notre conduite avec nos payfans, puifque nous voulons la chofe de prés & de loin , & que ni



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. .187
de prés ni de loin, nous n'en voulons les moyens.
Mais comment arrive-t-il que cette inconféquence des peuples foit auffi le vice des gouvernements? C'eft qu'il y a, felon toute apparence, plus de jaloufie que de véritable intérêt, foit dans Pacquifition, foit dans la confervation de cette efpece de propriété lointaine ; c'eft que les Souverains ne comptent guere les colons au nombre de leurs fujets. Le dirai je ? oui je le dirai, puifque je le penfe; c'eft qu'une invafion de la mer qui engloutirok cette portion de leur domaine, les affeéterok moins que la perte qu'ils en feroient par 1'invafion d'une Puiflance rivale. II leur importe peu que ces hommes meurent ou vivent, pourvu qu'ils n'appartiennent pas a un autre.
Je m'adreflerai donc d'abord aux Souverains, & je leur dirai: ou abandonnez ces hommes a leur fort, ou fecourez les; enfuite aux colons, & je leur dirai : implorez 1'afliftance de la métropole a laquelle vous êtes foumis; & fi vous en éprouvez un refus, rompez avec elle. C'eft trop que d'avoir h fupporter h la fois la mifere, Pindifférence & Pefclavage.
Mais pourquoi les colonies font-elles & plus mal adminiftrées, & plus' malheureufes encore fous les Puiflances, a la force & a la fplendeur defquelles elles font le plus néceffaires ? C'eft que ces Puiflances font encore plus folies que



188 SUPPLÉMENTS
nous. C'eft que plus commercantes, 1'efprit de 1'adminiftration eft encore plus cruel. C'eft que femblables au fermier qui n'eft pas fur de jouir d'un nouveau bail, elles épuifenc une terre qui peut d'une année a une autre, paftèr entre les mams d'un nouveau poffeffeur. Lorfque les Provinces d'un Etat fonccontiguës, les plus voifines de la frontiere font les plus ménagées. C'eft tout le contraire pour les colonies. On les vexe par la feule crainte que dans une circonftance périlleufe, le ménagement qu'on auroit eu pour elle ne fut en pure perte.
. L'Oueft de Saint-Domingue eft féparé du Nord par lemole Saint-Nicolas, Sic. page 147.
Page 148, après ces mots, leur cupidité, lifez : L'ufage que firent les Anglois de cette pofition durant la guerre de 1756, la tira du néant oü elle étoit reftée. Le Miniftere de France , éclairé par fes ennemis même, y établit en 1767 un entrepot oü les navigateurs étrangers pourroient librement échanger les bois & les beftiaux qui manquoient h la colonie contre fes fyrops & fes eaux-de-vie de fucre que la métropole rejettoit. Cette communication qu'une tolérance raifonnable & une fraude induftrieufe étendirent encore a d'autres objets, donna naiffance a une ville aéluellement compofée d'environ trois cents maifons de bois , apportées toutes faites de Ia Nouvelle-Angleterre.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 189
A quelque diftance du port, mais toujours dans le diftriét du mole , eft la bourgade de Bombardopolis. Les Acadiens & les Allemands qu'on y avoit tranfportés en 1763 , y périrent d'abord.avec une effrayante rapidité. C'eft le fort inévitable des nouveaux établiflements fondés entre les tropiques. Le peu de ces infortunés qui avoient échappé aux atteintes funeftes du climat, du chagrin & de la mifere, ne fongeoient qu'a s'éloigner d'un fol peu fertile, lorfque les combinaifons faites a leur voifinage, releverent un peu leurs efpérances. Ils cultivenc des vivres, des fruits, des légumes qu'ils vendent aux navires ou aux habitants du port, & même un peu de café, un peu de coton pour 1'Europe.
Après le mole Saint-Nicolas, &c. Page 149, après ces mots, du refte de la colonie, lifez : Le petit Saint-Louis, le Borgne, ie port Margot, Limbé, Lacul, font auffi fans communication entre eux. Ces quartiers font féparés par des rivieres qui inondent & ravagent leurs meilleures terres. Auffi font-elles généralemént trop froides, pour que les cannes y puiffenc profpérer. On devroit contenir les eaux de ces torrents dans des lits larges & profonds. Après ces travaux, il feroit facile d'établir des ponts qui rapprocheroient les habitants, les mettroient a porcée de fe faire part de leurs lumie-



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XLIIT.
Grande importance de la ville du Cap Fran§ois, fituée iur la cöte du Nord de Saint-Domingue.
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190 SUPPLÉMENTS res, & les feroient jouir des avantages d'une Co* ciété mieux ordonnée. Alors les plantations d'indigo s'amélioreroient, & celles de fucre fe multiplieroient, fans que le café fut abandonné. On le regarde comme le meilleur de la colonie. Limbé en récolte feul deux millions pefant, comparable a celui de la Martinique.
C'eft peu, fi c'eft même quelque chofe, en comparaifon des produétions de la plaine du Cap, qui a vingt lieues de long, fur environ quatre de large, II y a peu de pays plus arrofés : mais il ne s'y trouve pas une riviere oü une chaloupe puiffe remonter plus de trois milles. Tout ce grand efpace eft coupé par des chemins de quarante pieds de large tirés au cordeau; bordés de haies 3e citronniers, & qui ne laiffèroient rien a deIrer, s'ils étoient ornés de futayes propres a >rocurer un ombrage délicieux aux voyageurs, sc k prévenir la difette de bois qui commence fe faire trop fentir. C'eft le pays de 1'Amérilue qui produit le plus de fucre, & de meil;ure qualité. La plaine eft couronnée par une haine de montagne, dont la profondeur eft deuis quatre jufqu'a huit lieues. La plupart n'ont ue peu d'élévation. Plufieurs peuvent être culvées jufqu'a leur fommet. Toutes font féparées ir des vallées remplies d'un nombre prodigieux ï cafiers & de très-belles indigoteries. Quoique les Frangois euffenc reconnu de bon-



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 191
ne heure le prix d'un terrein, dont la fërdliié fin-paffe tout ce qu'on en peut dire, ils ne commencerent a le cultiver qu'en 1770, époque k laquelle ils cefïèrenc de craindre 1'Efpagnol, qui jufqu'alors s'étoit tenu en force dans le voifinage. Ce fut un de ces hommes que 1'intolérance religieufe commencoit a profcrire dans leur patrie, le Calvinifte Gobin, qui alla planter la première habitation au Cap. Les maifons s'y multiplierent, a mefure que les campagnes limitrophes étoient défrichées; & vingt ans après, c'étoit une ville floriffante pour exciter la jalou* fie. En 1695, elle fut attaquée, prife, pillée, & réduite en cendres par les forces réunies de la Caftille & de 1'Angleterre.
On pouvoit tirer de ce défaftre, &c.
Page 152, après ces mots, en deux centsl lifez : vingt-cinq iflets de maifons riantes, qui montent au nombre de neuf cents. Mais, &c.
Page 152, après ces mots , 1'écoulement des' eaux, lifez : L'ancienneplace de Notre-Dame& le temple bad avec des pierres apportées d'Europe qui la termine; la nouvelle place de Clugny, oü 1'on a établi le marché; les fontaines qui décorent Pun & Pautre de ces monumencs; le gouvernement, les cafernes, la falie de la comédie : aucun de ces édifices publics ne fixeroit 1'attention d'un voyageur curieux qui auroit quelques bons principes d'architeéture, & peut être



i92 SÜPPLÉMENTS
détoumeroit-il fes regards de la plupart. Mais fi la nature Pavoic fait fenfible, fon cceur fe dilateroit au feul nom des maifons de la Providence.
La plupart des aventuriers qui arrivent dans la colonie, n'onc ni reflöurces, ni talents. Avant qu'ils ayent acquis aflez d'induflxie pour fubfifter, ils font expofés a des maladies trop fouvent mortelles. Un citoyen humain & généreux fonda au Cap, pour ces malheureux fans fortune, deux hofpices oü les hommes & les femmes devoient trouver féparément les fecours que leur fituation pouvoit exiger. Cette belle inftitution, unique dans le Nouveau-Monde, & qui ne pouvoit jamais être aflèz protégée par 1'autorité, affez enrichie par les dons des citoyens, a vu peuè-peu réduits a rien fes revenus, par 1'infidélité de ceux qui les régiflbient, & par 1'indifférence du Gouvernement.
Rien de bien ne peut donc fubfifter parmi les hommes! Et le riche atcaquera 1'indigent, même jufques dans fon afyle, fi la préfence du gibet ne le contient. Malheureux! vous ne con» noiflèz- pas toute 1'atrocité de votre conduite. Si 1'on traduifoit devant vous un de vos femblables, convaincu d'avoir faifi pendant la nuit un paflant a la gorge, & de lui avoir appuyé le piftolet fur la poitrine pour avoir fa bourfe, a quel fupplice le condamneriez-vous ? Quel qu'il foit, vous en méritez un plus grand. Vous joï-
gnez



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 193
gnez la lacheté, 1'inhumanité , la prévaricatipn au vol; & aquelle efpece de vol encore? Vous arrachez k celui qui meurt de faim , le pain qu'on vous a confié pour lui. Vous dépouillez la mifere, abandonnée k votre follicicude. Vous la dépouillez clandefHnement & fans péril. L'imprécation que je vais lancer contre vous, je 1'étends k tous les adminiftrateurs infideles des hópitaux de quelque contrée qu'ils foient, fuffent-ils de Ia mienne; je 1'étends a tous les Minifiresnégligents, auxquels ils déroberont leurs forfaits, ouquilesfouffriront. Puiffè 1'ignominie, puiffent les chatiments réfervés aux derniers des malfaiteurs , tomber fur la tête profcrite des fcélérats capables d'un crime auffi énorme contre 1'humanité, d'un attentat auffi contraire a la faine poiitique; & s'il arrivé qu'ils échappent k la flétrifiure & k Ia punition, puiffè le Miniftere qui aura ignoré ou toléré cet excès de corruption, être un objet d'exécration pour toutes les nations & pour tous les fiecles !
Malgré le défordre oü font tombées les maifons de la Providence, très-favorables a la confervation de Pefpece humaine, il meurt, proportion gardée, moins de monde au Cap, que dans aucune autre des villes maritimes de la colonie. II faut attribuer cet avantage au défrichement entier du territoire , au comblemenc des cloaques voifins, k Ia diffipation, aux com-
Suppl. Tome HL N



ï94 SUPPLÉMENTS
modités, a 1'aétivitê, aux fecours de toute efpece qu'on trouve réunis dans une fociécé nombreufe & agiffante. L'air aura toute la falubrité que la nature deschofes permet, lorfqu'on aura defféché les marais de la petite Anfe, qui, dans les grandes féchereffes, répandent une odeur infeéte.
Le port eft digne de la ville. II eft admirablement placé pour recevoir les vaiffeaux qui arrivent d'Europe. Ceux de toute grandeur y font commodément & en füreté. Ouvert feulement au vent du Nord-Eft, il n'en peut recevoir aucun dommage, fon entrée étant femée de récifs, qui rompent 1'impétuofité des vagues.
C'eft dans ce fameux entrepot que font verfées plus de la moitié des denrées de la colonie entiere. Elles y arrivent des montagnes; elles y arrivent des vallées ; elles y arrivent principalement de la plaine. Les Paroiflès qui fourniffènt les plus importantes, font connues fous les noms de Plaine;du-Nord , de la petite Anfe, de la grande Riviere, de Morin, de Limonade, du Trou, du Terrier-Rouge, du fort Dauphin & d'Ouanaminthe, qui fe termine Ji la riviere du Maffacre. Le quartier Morin & l'ifle de Limonade, font fort au-deffus des autres établiffements, pour Pabondance & la qualité de leur fucre.
Toutes les produétions de Saint-Domingue fe réduifoient, en 1720, a vingt un million pe-



A L'HIST. PHÏLOSOPHIQUÉ. m
fant de fucre brut; a un million quatre cents mille livres de fucre terré; a un million deux cents mille livres d'mdigo. Ces denrées fe font rapidement & prodigieufemeot accrues^ On y a ajoutéle coton & le café vers 1737. La culture même du cacao a été reprife , mais un peu plus tard.
En 1775, Ia France recut de cette colonie fur trois cents cinquante-trois navires, un million deux cents trente mille fix cents foixantetreize quintaux foixante-dix liv. de fucre, qui valurent 44,738,139 liv. 2 fols 2 den.; quatre cents cinquante - neuf mille trois cents trenteneuf quintaux quarante-une liv. de café , qui valurent 21,818,621 liv. 19 fols 6 den.; dixhuit mille quatre-vingt-fix quintaux vihgt-neuf livres d'indigo, qui valurent 15,373,346 liv. iö fols; cinq mille fept cents quatre - vingt - fepc quintaux foixante-quatre livres de cacao, qui valurent 405,134 liv. 16 fols ; cinq cents dixhuit quintaux foixante-une livres de rocöu, qui Valurent 32,663 liv. 2 fols 6 den. ; vingt-fix mille huit cents quatre-vingt-douze quintaux quatré-vingt-deux livres de coton, qui valurent 6,723,205 liv.; quatorze mille cent vingt-quatre cuirs, qui valurent 164,657 liv.; quarantëtrois quintaux quararite-fix livres de carret, qui valurent 43,460 liv.; quatre-vingt-dix quintaux dix neuf liv. de canefice, qui valurent 2,435 liv, o f. u é.; quatre-vingt-douze mille fept cents quaN 3
XLïV.
Nature & quantité des produ&ions que la France recoit annuellementde fa colonie de S. Do< mingue.



io6 SUPPLÉMENTS
ranre fix quintaux quatre vingt-douze livres de bois, qui valurent 908 ,368 livres 3 fols 8 deniers; en menues produétions, dont quelques-unes appartenoient aux autres colonies, 1.352,148 livres ; & enfin en argent, 2.600,000 liv. Réuniffez toutes ces fommes, & vous trouverez un revenu de 94,162,178 livres 16 fols 9 deniers.
Si, aux 94,162,178 livres 16 fols 9 deniers produits par Saint - Domingue , on ajoute les 488,598 liv. 3 fols 3 den. produits par Cayenne; fi 1'on y ajoute les 18,975,974 1. 1 f. 10 d. produits par la Martinique; fi 1'on y ajoute les 12.751,404 1. 16 f. 10 den. produits par la Guadeloupe, 1'on verra qu'en 1775 , la France regut de fes pofleffions du nouvel hémifphere fur cinq cents foixante-deux navires, 126,378,155 liv. 18 f. 8 deniers.
Le Royaume ne confomma de ces produétions que pour 52,793,763 1. 5 f. 8 deniers. II en vendic donc a 1'étranger pour 73,584,392 1. 13 fols.
Cette grande exportation fut formée par un million quarante mille neuf cents quatre-vingtdix-huit quintaux foixante-fix livres de fucre, qui rendirent 38,703,463 liv.; par cinq cents mille cinq cents quatre-vingt-deux quintaux quarantefix livres de café, qui rendirent 23.727,608 liv. 13 fols; par onze mille trois cents fix quintaux rrentehuitlivres d'indigo, qui rendirent 9,610,423 liv.;



A LUIST. PHILOSOPHIQUE.. 197
par fept, mille neuf cents vingt-deux quintaux foixante-quinze livres de cacao, qui rendirent 554,592 liv. 10 fols; par quinze cents trenteun quintaux foixante-dix-huic livres de rocou, qui rendirent 95,838 livres; par mille vingt quintaux onze livres de coton, qui rendirent 255,027 livres 10 fols; par douze cents fept quintaux cinquante-neuf livres de canefice , qui rendirent 32,605 liv.; par quarante-un mille huit cents huit quintaux vingt livres de bois, qui rendirent 598.723 liv.; par cinq cents foixantehuit cuirs, qui rendirent 5,112 liv.; par cent livres de carret, qui rendit 1000 livres.
Pour revenir a Saint-Domingue, fes éton» nantes richeffes étoient produites par trois cents quatre-vingt-cinq fucreries en brut, & deux cents foixante-trois en terré; par deux mille cinq cents quatre vingt-fept indigoteries; parquatorze millions dix-huit mille trois cents trente-fix cotonniers; par quatre-vingt-douze millions huit eents quatre-vingt-treize mille quatre cents cinq cafiers; par fept cents cinquante - fept mille fix, cents quatre-vingt-onze cacaoyers.
A la même époque, la colonie avoit pour fes troupeaux foixante-quinze mille neuf cents cinquante-huit chevaux ou muiets, & foixante-dix« fept mille neuf cents quatre bêtes a corne. Elle avoit pour fes vivres fept millions fept cents cinquante-fix mille deux cents vingt-cinq bananiers;
N 3



ip8 SUPPLÉMENTS
un million cent foixante-dix-huit mille deux cents vingt-neuf foffès de manioc; douze mille fept cents trente-quatre quarreaux de maïs; dix-huit mille fept cents trente-huit de patates; onze mille huit cents vingt-cinq d'ignames, & fept mille quarante-fix de petit mil.
Les travaux occupoient trente-deux mille fix cents cinquante blancs de tout age & de tout iexe; fix mille trente-fix negres ou mulatres libres, & environ trois cents mille efclaves. Le dénombrement de 1'année ne portoit, ileftvrai, qu'a deux cents quarante mille quatre-vingt-quinze le nombre de ces malheureux captifs : mais il eft connu qu'alors chaque cultivateur en déroboitle plus qu'il pouvoit aux recherches du fifc, pour fe fouftraire a la rigueur des impofitions.
Ces cultures, ces habitants font répartis fur quarante-fix Paroifïès. II y en a dont Ja circonférencé eft de virgt-lieues Les limites d'un grand nombre ne font pas fixées. La plupart n'ont que des cabanes ou des ruines pourEglife. Dans prefque aucune, le fervice public ne fe fait avec la décence convenable. Celles du Sud & de rOueit font dirigées par des Dominicains; & celles du Nord, par' des Capucins qui ont fuccédé aux Jéfuites. Toutes ont un bourg ou une ville.
Les bourgs font förmés par les boutiques de quelques marchands, par les atteliers de quelques artifans, les uns & les autres conftruits autour



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 199
dn presbytere. II s'y écablic les jours de fête une efpece de marché oü les efclaves viennenc troquer les fruits, les volailles, les autres petites denrées qui leur font propres, contre des meubles, des vêtements, des parures, qui, quoique de peu de valeur, leur procurent quelques commodités, & les diftinguent de ceux de leurs femblables qui n'ont pas les mêmes jouifiances. On ne fauroit aflez s'indigner que la tyrannie les pourfuive au milieu de ces foibles échanges; & que les vils fatellites de la juftice, chargés de la poliee de ces affemblées, faflènt fentir k ces infortunés la dureté de leur condition, jufques dans les courts inftants de relache qui leur font accordés par leurs maïtres.
II y a Ik deux perfonnages bien odieux, 1'archer qui tourmente Fefclave, & 1'adminiftrateur qui ne févit pas contre 1'archer. Mais celuiIk efl un homme fans pitié, que fes fonétions journalieres ont peut-être endurci au point de s'ennuyer, lorfque 1'exercice en eft fufpendu, & qu'il manque d'occafions de faire iouffrir; aulieu que celui-ci eft un Magiftrat qui ne porte'pas dans fon ame la même férocité, dont le röle habituel eft de montrer de la dignité, & en qui la compaffion doit régner k cóté de la juftice. Pourquoi deux êtres auffi différents femblent-ils concourir enfemble au malheur des efclaves? feroitee p3r un cruel mépris pour ces malheureux qu'on N 4



aoo SUPPLÉMENTS
* prefque rayésdu rang des hommes? les auroitontellement dévoués h Ja douleur &a Ia peine, que leurs cris & leurs larmes ne feroient plus aucune impreffion?
Les villes de la colonie, & en général toutes celles des ifles d'Amérique, préfentent un fpectacle bien différent des villes de 1'Europe. En Europe, nos cités font peuplées d'hommes de toutes les clafTes, de toutes les profeffions, de tous les 3ges; les uns riches & oififs, les autres pauvres & occupés, tous pourfuivant dans le tumulte & dans la foule 1'objet qu'ils ont en vue, ceux-ci le plaifir, ceux-la lafortune, d'autres la réputation ou le bruit du moment qu'on prend fouventpour elle; d'autres enfin leur fubfiftance. Dans ces grands tourbillons, le choc & la variété des paffions, des intéréts, des befoins produifent néceffairement de grands mouvemenrs, des con trines inattendus, quelques vertus & beaucoup de vices oude crimes. Ce font des tableaux mouvants vplus ou moins animés h raifon du nombre des aéteurs, & par conféquent des fcenes qui s'y jouent. A Saint-Domingue & dans le refte de ï'archipel Américain, Ie fpeétacle des villes eft uniforme & monotone. II n'y a ni nobles, ni bourgeois, ni rentiers. Elles n'offrenc que des atteliers propres aux denrées que le fol produit, & aux différents travaux qu'elles exigent. On n'y voit que des commiffionnaires, des aubergines &



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 201
des aventuriers, s'agitant pour trouver un pofte qui les nourriftè, & acceptant le premier qui fe préfente. Chacun fe Mte de s'enrichir, pour s'éloigner d'un féjour oü 1'on vit fans diftinétions, fans honneurs, fans plaifirs, & fans autre aiguillon que celui de 1'intérêt. Perfonne ne s'arrête la avec le deffein d'y vivre & d'y mourir. Les regards font attachés fur 1'Europe; & la principale jouiffance qu'y procure 1'accroiftèment des richeffès confifte dans 1'efpoir plus ou moins éloigné de les rapporter parrai les fiens dans notre hémifphere.
Indépendamment des immenfes produétions que la colonie envoye a fa métropole, & qui peuvent au moins augmenter d'un tiers, elle en livre quelques foibles portions h fon indolent voifin. C'eft avec du fucre, du taffia, & fur-tout avec les boiffons & les manufaétures de 1'Europe, qu'elle paye ce que la partie Efpagnole de Saint-Domingue lui fournit de porc & de bceuf fumés , de bois, de cuirs, de chevaux & de bêtes a corne pour fes atteliers ou fes boucheries; qu'elle s'approprie tout 1'argent envoyé des mines du Mexique dans cet ancien établiflèment. La Cour de Madrid a cherché a diminuer la vivacité de cette liaifön, en profcrivant les marchandifes étrangeres dans fa poffeffion, & en chargeant de droits exceffifs les beftiaux qui en fortoient. Ce réglement vicieux n'a eu d'autre effet que de N 5
XLV.
Liaifons de Saint-Domingue avec les nations étrangeres.



202 SUPPLÉMENTS
mettre de la gêne dans ces échanges, qui, pour J'intérêt des deux peuples, auroientdü continuer avec liberté. C'eft fur-touc dans cette partie du Nouveau-Monde que le befoin 1'emportefur 1'antipathie de caraétere, & que 1'uniformicé du climat étouffe ce germe de divifion.
Les Hollandois de Curacao envahiffènt une grande partie du commerce de Ia colonie Francoife, durant les guerres oü ils ne font pas engagés: mais ils y enlevent auffi quelques denrées durant Ja paix. C'eft avec des produétions des lndes Orientales, c'eft avec des lettres-de-change, qu'ils entretiennent ces foibles liaifons.
Celles des Jamaïcains avec Saint-Domingue font beaucoup plus confidérables. Les douze ou treize mille efclaves que portent annuellement k la colonie Jes navigateurs Frangois, ne 1'empêchent pas d'en recevoir quatre ou cinq mille des Anglois. Les derniers lui coütent un fixteme de moins que les autres, & font payés avec da coton, fur-tout avec de 1'indigo, accepté a plus haut prix que par le commerce national. Ces interlopes 1'introduifent dans leur patrie comme une produétion des ifles Britanniques, & recoivent une gratification de douze fols par livre.
Cependant, c'eft avec 1'Amérique Septentrionale que Saint-Domingue entretient une communication plus fuivie & plus néceffaire. Dans des calamités preXTantes, les navires de cette vafte



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 203
contrée du Nouveau-Monde font admis dans toutes les rades, & feulement au mole Saint-Nicolas, dans les temps ordinaires. Des bois de conftruétion, des légumes, des beftiaux, des farines, du poiffon falé, forment leurs cargaifons. Ils enlevent publiquement vingt-cinq ou trente mille barriques de ïyrop, & en fraude toutes les denrées qu'on peut ou qu'on veut leur livrer.
Tel eft, durant la paix, le partage qui fe fait des richeffes territoriales de Saint-Domingue. La guerre ouvre une autre fcene. Auffi-töt que le fignal des hoftilités a été donné, 1'Anglois s'empare de tous les parages de la colonie. II en gêne les exportations, il en gêne les importations. Ce qui veut entrer, ce qui veut fortir tombe dans fes mains; & le peu qui auroit échappé dans le nouvel hémifphere eft intercepté fur les cötes de Panden, oü il eft également en force. Alors, le négociant de la métropole interrompt fes expéditions; 1'habitant de l'ifle négligé fes travaux. A des Communications importantes & rapides, fuccedent une langueur & un défefpoir, qui durent auffi long-temps que les divifions des Puiflances belligérantes.
II en auroit été autrement, fi les premiers Frangois qui parurent a Saint-Domingue avoient fongéaétablir des cultures. Ils auroient occupé, comme ils le pouvoient, la partie de l'ifle qui eft fïtuée a 1'Eft.
XLvr.
Les liaifonï de la France avec St.Domingue deviennentdangereufes pendant la guerre. Pourquoi ?



XLVII.
La partie de Sr. Domingue occupée par les Fran?ois peut être attaquée par les Efpagnols qui en pofiedent 1'autre partje.
204 SUPPLÉMENTS
Eüe a des plaines valles & fertiles, bc.page 160.
Page 161, après ces mots, bloquer & croifer, lifez : La Cour de Verfailles ne parviendra jamais a maintenir, pendant la guerre, des liaifons füivies avec fa colonie, que par le moyen de quelques vaiflèaux de ligne au Sud & a 1'Ouefr, & d'une bonne efcadre au Nord. La nature y a créé, au fort Dauphin, un port vafte, commode , fur, & d'une défenfe ailée. De cette rade, fituée au vent de tous les autres établiflements, il fera facile d'en portéger les différents parages. Mais il faut réparer & augmenter les ouvrages de la place; il y faut fur-tout former un arfenal convenable de marine. Alors, affurés d'un afyle & de tous les fecours néceffaires, après un combat heureux ou malheureux, les Amiraux Francois ne craindront plus de fe mefurer avec les ennemis de leur patrie.
Les mefures qu'il conviendroit de prendre pour prévenir les ravages qu'il feroit poflibleaux Efpagnols de commettre dans 1'intérieur de SaintDomingue , méritent auffi quelque attention.
La Caftille, qui occupe encore les deux tiers de cette ifle, la poffédoit toute entiere, lorfqu'un peu avant le milieu du dernier fiecle, quelques Francois hardis & entreprenants allerent y chercher un refuge contre les loix ou contre la mifere. On voulut les repoufier; & quoique fans aucre appui que leur courage, ils ne craignirenc



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 205
pas de foutenir Ia guerre contre un peuple ar mé, &c. page 163»
Page 166, ligne 15, après ces mots, s'erjfoncerent, ajoutez dic-on.
Ibid. après ces mots, pour cette ifle, lifez . II auroit dü même, dit-on fouvent, folliciterla ceffion abfolue d'un territoire inutile ouonéreus k fon pofleffèur. Nous ignorons fi la Cour d< Verfailles a jamais manifefté cette ambition. Man combien il falloit fuppofer Ie Miniftere Efpagnol éloigné de cette complaifance, quand il fe montroit fi difficile fur la fixation des limites confufe; & incertaines des deux nations! Ce traité, vivementdefiré, long-temps projetté, entamémême Jiplufieurs reprifes, a été enfin concluen 1776,
Quelle devoit être la bafe d'une négociatior jufte & raifonnable? 1'état des pofieffions en 1700. A cette époque, les deux peuples,devenus amis, refterent de droit les maitres de tous les terreins qu'ils occupoient. Les ufurpations que peuvent avoir faites depuis les fujets d'une des Couronnes, font des entreprifes de particulier a particulier. Pour avoir été tolérées, elles n'oni pas été légitimées. Aucune convention direéle 01 indirecte ne leur a imprimé le fceau de 1'approbation publique.
Or, des faits inconteftables prouvent qu'aii commencement du fiecle, & mêmeplufieursannées auparavant, les poffèffions Francoifes, au-
XL VIII.
Les limites entre 1'Efpagne & Ia France ont» elles été judicieufement fixées a S. Dorain-' gue?



üoö SÜPPLÉMËNÏS
jourd'hut bornées au Nord par une des branches de la riviere du MalTacre, s'étendoienc jufqu'a celle de Reboue; qu'au Sud ces limites, aétuellementarrêtées a 1'Anfe-a-Pirre, fe prolongeoienc jufqu'a la riviere de Neybe. Cette furprenante révolution s'opéra par une fuite naturelle du fyftême économique des deux peuples voifins. L'un devenu de plus en plus agricole, fe rapprocha des ports oü fes denrées devoient trouver un débit fur & avantageux. L'autre, reité toujours pafteur, occupa les plages abandonnées t pour élever de plus nombreux troupeaux. Par la nature des chofes, les paturages fe font étendus; & les champs fe font retrécis, du moins rapprochés.
Une négociation, convenablement dirigée > auroit rétabli la France dans la fituation oü elle étoit, lorfqu'elle donna un Roi aux Efpagnols Cétoit le vceu de la juftice; c'étoit le vceu de la raifon qui ne vouloit pas que des colons aétifs & qui rendent utile la terre qu'ils fécondent, fufjent immo'és a un petit nombre de vagabonds» qui confomment fans reproduire, Cependant * par une politique dont les refforts nous font in^ connus, la Cour de Verfailles a renoncé a ce qu'elle avoit poffédé anciennement, pour fe ré* duire a ce qu'elle pofTédoit aux bords de la mer» a 1'époque de la convention. Mais cette Puiffance a-t-elle du moins regagné dans Pintérieur des terres ce qu'elle facrifioit fur la cöte ? S'ü



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 207
fauc le dire; le moindre dédommagemenc ne lui a pas été accordé.
Avant le traité, la colonie Francoife formoit ; une efpece de croiflant, dont la convexité proli duifoit autour des montagnes un développement de deux cents cinquante lieues de cöte, au Nord, a 1'Oueft, au Sud de Pifle. C'eft le même ordre de chofes, depuis que les limites ont été réglées. i On reviendra un peu plutöt, un peu plus tard fur cet arrangement, par une raifon qui doit faire ; taire toutes les autres confidérations.
Les établiffements Frangois de 1'Oueft & da Sud font féparés de ceux du Nord par le territoire Efpagnol. L'impoffibilité oü ils font de fe fecourir, les expofe féparément a 1'invafion d'une Puiflance également ennemie des deux nations. Un intérêt commun déterminera la Cour de Madrid a fixer les bornes, de maniere que fon alliée 1 y trouve les commodités dont elle a befoin pour I fa défenfe. Or, cela ne fera jamais, a moins 1 qu'une ligne de démarcation, tirée des deux pointsarrêcés fur les rives de 1'Océan, ne détermine les propriétés des deux peuples. Inutilement, 1'Efpagne accorderoit pour toujours a fon voifin la liberté de traverfer fes Etats, comme elle le lui permit paflagéremenc en 1748. Cette complaifance ne ferviroit de rien. Cet efpace de quinze & de vingt lieues, eft coupé par dés montagnes ü efcarpées, par desforêcs fi épaiffes,par



X11X.
Moyens qu'a la partie Francoife de S. Dominguepour fe ga» rantir d'une ïnvafion étrangere.
208 SUPPLEMENT S
des ravins fi profonds, par des rivieres fi capricieufes , qu'il eft militairement impracicable dans fa fituation aétuelle. Pour le rendre utile, il faudroic de grands travaux; & ces travaux ne feront jamais ordonnés que par une Couronne qui opérera fur fon domaine. La Cour de Madrid fe déterminera d'autant plus aifément a céder cette communication, fi néceffaire a une nation qui fait caufe commune avec elle, que ce terrein intermédiaire n'a que peu de valeur. II eft inégal, peu fertile & fort éloigné de la mer. On n'y voit que quelques troupeaux épars. Cependant lespropriétairesde ce fol inculte feront dédommagés par la France avec une générofité quiétouffera tous les regrets.
Quand la colonie aura toutes fes poffèffions liées & foutenues au-dedans par une communication fuivie & non interrompue, on aura plus de facilité pour repouffer 1'ennemi. Si 1'Anglois veut entamer Saint-Domingue par 1'Oueft ou le Sud, il raffemblera fes forces k la Jamaïque. Si c'eft par le Nord, il fera fes préparatifs aux ifles du Vent, & plus probablement a Antigoa, oü eft 1'entrepöt de fes munitions navales.
L'Oueft & le Sud ne faurofent être, &c.^. 171.
Page 172, après ces mots, avec avantage, lifez plus bas, page 173 : De ces retraites inexpugnables, on harcelera, &c.
Page 173, après ces mots, mille furprifes,
lifez:



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 209
lifez : & réduic un peu plutöt, un peu plus tard è fe rembarquer.
La cóte du Nord, plus riche, plus.peuplée & moins étendue que les deux autres, eft fuf: ceptible d'une guerre de campagne, & d'une ; défenfe fuivie & réguliere.
Le bord de la mer plus ou moins, &c. Page 183, après ces mots, leurs garnifons, I lifez : Malgré les avantages qu'on croyoit entre) voir dans la conftruétion de cette place intérieuj re, le projet en fut abandonné pour s'occuper I d'un fyftême, &c.
j Page 185 , après ces mots, pofleffions a I ceux qui, lifez : en demandoient. Dans le pre; mier age de fes colonies, un vagabond s'enfonj coit dans les forêts, y marquoit 1'efpace plus ou ; moins étendu qu'il lui plaifoic d'occuper, & en i fixoit les limites en abattant tout autour des ar! bres. Ce défordre ne pouvoit durer. Cependant I 1'autorité ne fe permit pas de dépouiller ceux 1 qui s'étoient fait a eux-mêmes un droit: elle réI gla feulement que dans la fuite, il n'y auroit de J propriété légitime que celle qui feroit accordée j par les adminiftrateurs. Sans aucun égard aux j talents & aux facultés, la proteétion devint alors I la mefure unique des diftributions,
On ftipuloit a la vérité, qu'ils, ókc.
Page 188, après ces mots, ombre, lif. d'équité.
Qui croiroic que fous le fiecle le plus éclai-
Suppl. Tomé III. O



aio SUPPLÉMENTS
ré de cette nation; au temps oü les droits de 1'homme avoient été le plus févérement difcutés; lorfque les principes de la morale naturelle n'avoient plus de contradiéteurs, fous le regne d'un Roi bienfaifant; fous des Miniftres humains; fous des Magiflrats integres, on ait prétendu qu'il étoit dans 1'ordre de la juftice, & felon la forme conftitutive de 1'Ecac, que des malheureux qui n'ont rien, Mént arrachés de leurs chaumieres, diftraits de leur repos ou de leurs travaux, eux, leurs femmes, leurs enfants & leurs animaux, pour aller, après de longues fatigues, s'épuifer enfatiguesnouvelles, a conftruire des routes encore plus faftueufes qu'utiles, k 1'ufage de ceux qui poffëdent tout, & cela fans lolde & fans nourriture.
Ames de bronze, faites un pas de plus, & bientöt vous vous perfuaderez qu'il vous eft permis. .. je m'arrête. L'indignation me poufferoit trop loin. Mais il convient d'avertir le Gouvernement que 1'affreux fyftême des corvées eft encore plus funefte k fes colonies.
La culture des terres, par la raifon, &c.
Page sol, ligne 28, au-lieu de pour cinq fols par jour, lifez, pour une folde infuffifante a leur fubfiftance.
Page 202, après ces mots, Cour de Verfailles, lifez : ne tarderent pash changer fes difpofitions. Elle fe pénétra de la néceffué de rétablk



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. <m
les milices, mais fans vouloir renoncer aux taxes confenties pour 1'entretien des troupes régulieres. La difficulté étoit d'amener les peuples a cet arrangement. Onnégocia, on corrompit, onmenaca. La Guadeloupe & la Martinique, quoique révoltées des abus d'une autorité inconftante & précipitée , fe foumirent enfin aux volontés du Miniftere en 1767 : mais cet exemple ne fit pas fur Saint-Domingue rimpreffion defirée, efpérée peut-être. L'année fuivante, il fallut faire la guerre a cette riche colonie, & ce ne fut qu'après avoir mis aux fers les Magiftxats de 1'oueft & du fuc! de l'ifle, qu'après avoir jonché la terre de ca» davres, qu'il fut poffible de réduire a la foumif* fion des cultivateurs, aigris par les vexations d'un Gouvernement avide.
Depuis cette époque, malheureufement gravée en lettres de fang, tous les habitants despoffeffions Frangoifes dans 1'autre hémifphere, font de nouveau enrégimentés. Les obligations que cette efpece d'enrölement impofe, ont fouvent varié, & ne font pas encore clairement énoncées. Cette obfcurité, toujours dangereufe dans les mains des chefs, fans ceffe occupés du foin d'étendre leur jurifdiction, tient le citoyen dans des allarmes continuelles pour fa liberté, donc on eft plus jaloux en Amérique qu'en Europe; elle Fexpofe chaque jour a des vexations. De-lk fuit pour ce genre de fervitude, une horreur qui O 2



LI1Ï.
Le partage des héritages eft - il utilement réglé dans les ifles Francoifes ?
ii2 SUPPLÉMENTS
ie peut étonner que des tyrans ou des efclaires. On doit, s'il fe peut, effacer les impreffions du paffé, on doit diffiper les défiances pour l'avenir. La légifiacion y réuffira, en faifant dans laforme des milices, tous les changements, ckc.
Page 205, après ces mots, aux Miniftres, lifez : On doit mettre au rang des chofes qu'il faut réformer 1'ufage établi dans les poffeffions Frangoifes du Nouveau-Monde, de partager également , entre des enfants, 1'héritage de leur pere; entre des cohéritiers, la fucceffion de leur parent.
Nous abhorrons avec tous les hommes raifonnables, que 1'orgueil ou le préjugé n'ont point corrompus, nous abhorrons le droit abfurde de primogéniture, qui transfere le patrimoine* entier d'une maifon a un ainé qu'il corrompt, & qui précïpite dans 1'indigence fes freres & fes fceurs, punis comme d'un crime, du hafard qui les a fait naitre quelques années trop tard. En font-ils moins légitimes? celui qui leur a donné Fexiftence eft-il moins refponfable de leur bonheur ? Un chef de familie n'eft que dépofitaire; & fut-il jamais permis a un dépofitaire de divifer inégalement le dépot entre des intéreffés qui ont un droit égal? Si un fauvage laifToit en mourant deux arcs & deux enfants, & qu'on lui demandat ce qu'il faut faire de ces deux arcs, ne répondroit-il pas qu'il e»



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 213
faut donner un a chacun ; & s'il les léguoit tous deux au même , ne laiffëroic-il pas entendre que le profcrit eft un fruit des mauvaifes mceurs de fa femme ? Dans les contrées oü cette monftrueufe exhérédation eft autorifée, le pere eft moins refpecté de tous; de 1'ainé auquel il ne peut rien öter, des cadets auxquels il ne peut rien donner. A la tendreffë filiale qui s'éteint, fuccede un fentiment de baiïèflè , qui accoutume prefque dès le berceau trois ou quatre enfants a ramper aux pieds d'un feul, qui en concoit une importance perfonnelle , qui ne manque guere de le rendre infolent. Des peres & des meres honnêtes craignent de multiplier autour d'eux des indigents condamnés au célibat. Tout 1'héritage eft placé dans les mains d'un fou , dont on n'arrête les diffipations, que par la fubftitution , qui eft un autre mal. De fi grandes calamités doivent faire préfumer que le drok de primogéniture, que la fuperftition ne confacra pas ;a fon origine, & que Ie defpotifme n'a aucun intérêt a perpétuer, fera tót ou tard aboli. C'eft un refte de barbarie féodale dont nos defcendants rougironc un jour.
Cependant, la loi de Pégalité', qui femble diftée par la nature même; qui fe préfente la première au cceur de 1'homme jufte & bon ; qui ne laiffe d'abord aucun doute a 1'efprit fur fa reétitude & fon utilité : cette loi peut être O 3



LIV.
A-t,on pourvu fagement au payement des dettes cor-traöées par les ifles Fransoifes ?
S14 SUPPLÉMENTS
quelquefois contraire au maintien de nos fociétés. On en a Pexemple dans les ifles Francoifes qu'elle écarté de leur deftination, & dont elle prépare de loin la ruine.
Le partage fut néceflaire dans la, &c.
Page 209, après, ces mots, font obérées, lifez : Une partie de ces dettes tire fon origine des droits qu'une loi peu réfléchie donnoit aux differents cohéritiers. Cet état de détreflè a augmenté, a mefurequeles colonies devenoient plus riches. Parvenus au point d'avoir plus d'habitants que de plantationsafaire,la population furabondante eft reftée dans 1'oifiveté, créanciere des terres qu'elle n'occupoit pas, & dès-lors inutile, onéreufe même a la culture.
II eft d'autres créances qui proviennent de Ia vente que les colons fe font faite mutuellement de leurs habitations. Rarement va-t-on en Amérique , fans le projet de revenir jouir en Europe des richeflès qu'un travail opiniatre ou des hafards heureux donnent ordinairemem. Ceux qui ne s'écartent point de leurs vues , vivent avec plus ou moins d'économie, & font paflèr dans leur patrie ce qu'ils ont pu épargner de leurs revenus. Auffi-töc qu'ils ont atteint le degré de fortune oü ils afpiroient, ils cherchent a fe débarraflèr de leurs plantations. Dans une région oü le numéraire manque, il faut les vendre a crédit ou les garder; & la plupart des



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. «15
propriétaires aiment encore mieux livrer leur héritage a des acquéreurs qui manquenc quelquefois a leurs engagements, que de les confier a des régiffeurs rarement fideles.
Enfin, les avances faites aux colons ont été 1'occafion de beaucoup de créances. Les terres des ifles Francoifes, comme des autres ifles de 1'Amérique , n'offroient originairement aucune produétion qu'on put exporter. Pour leur donner de la valeur, il falloit des fonds; & les premiers Européens qui les occuperent ne pofledoient rien. Le commerce vint a leur fecours. II leur fournit les uftenfiles, les vivres, les efclaves néceflaires pour créer des denrées. Cette aflbciation des capitaux avec Pinduftrie donna naiflance k une grande quantité de ^dettes , qui fe font multipliées h mefure que les défrichements fe font étendus.
Les débiteurs n'ont que trop fouvent manqué aux obligations qu'ils avoient contracties. Un luxe effréné , que rien ne peut excufer dans des hommes nés dans la mifere, en a réduit plufieurs k ce manquement de foi. D'autres y onc été entrainés par une indolence inconcevable dans des efprits ardents qui avoient été chercher au-dela des mers un terme a leur indigence. Les moyens les plus abondants ont péri dans les mains de quelques-uns qui manquoient de Pineelligence néceflaire pour les faire fruétifier. II O 4



ai6 SUPPLÉMENTS
s'eft auffi trouvé des colons fans pudeur & fans principes, qui, en état de fe libérer avec leurs créanciers, fe font audacieufement permis de re» tenir un bien étranger. D'autres caufes ont encore concouru h diminuer la force des engagements.
Des ouragans, dont on retraceroit difficilement la violence , ont bouleverfé les campagnes & détruit les récoltes. Les batiments les plus difpendieux, les plus néceflaires ont été engloutis par des tremblements de terre. Des infeétes indeflruétibles ont dévoré pendant une longue fuite d'années tout ce qu'on pouvoit fe promettre d'un fol fertile & bien cultivé. Quelques denrées, dont Ia reproduétion a furpaffé la confommation, ont perdu leur valeur, & font tombées dans le dernier aviliflêment. Des guerres longues & cruelles, en oppofant des obftacles infurmontables a la fortie des produétions, ont rendu inutiles les travaux les mieux fuivis, les plus opiniatres.
Ces calamités, qu'on a vu quelquefois réunies, & qui fe font au moins trop rapidement fuccédées, ont donné naifiance k une jurifprudence favorable aux débiteurs. Le légiflateur a embarraffé de tant de formalités la faifie des terres & des efclaves, qu'il paroït avoir eu le projet de la rendre impraticable. L'opinion a flétri le petit nombre de créanciers qui entreprenoient



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 217
de vaincre ces difficultés; & les tribunaux euxmêmes ne fe prêtoienc qu'avec une extréme répugnance aux rigueurs qu'on vouloit exercer.
Ce fyftême, qui a paru long-temps le meilleur qu'on püc fuivre, trouve encore quelques partifans. Qu'importe a 1'Etat, difent ces calculateurs politiques, que les richeffes foient entre les mains du débiteur ou du créancier, pourvu que la profpérité publique foit augmentée? Mais la profpérité publique peut-elle augmenter, lorfqu'on foule aux pieds la juftice; lorfque le Miniftere encourage la mauvaife foi en lui offrant un afyle fous la proteétion de la loi; car fi la loi ne pourfuit pas, elle protégé ; lorfqu'on fomente entre les citoyens le germe d'une méfiance qui doit , en fe développant, en faire autant de frippons ennemis les uns des autres; lorfque des emprunts, fans aucune forte de garantie, feront devenus impoffibles ou ruineux; lorfque le brigandage de 1'ufure s'exercera fans aucun frein qui le retienne; lorfqu'il n'y aura plus de crédit, ni au-dehors, ni au-dedans de 1'Etat, & que la nation entiere paffëra pour un afTemblage d'hommes fans mceurs & fans principes? Non, la félicité générale ne peut avoir de bafe folide, fans la validité des engagement* qui en font la fource. Le fifc lui-même doit fe libérer par les voies & les regies de la juftice. La banqueroute du Gouvernement eft un O 5



2i8 SUPPLÉMENTS
fcandale, une atteinte plus funefte encore a la morale de la fociété qu'a la fortune des cicoyens. Un temps viendra que toutes les iniquités feront citées au tribunal des nations, & que la Puiflance qui les commet, fera elle-même jugée par fes viétimes.
D'autres fpéculateurs, moins relachés dans leurs principes , ont avancé qu'une légiflation éclairée annulleroic les dettes antérieures a une époque qu'il faudroit fixer. On n'examinera pas fi cette pratique de quelques Républiques anciennes a jamais pu être falutaire: mais nous affirmerons, fans crainte de nous égarer, qu'une pareille violation de la foi publique, fi elle étoit commune, replongeroic 1'Europe, devenue commergante, dans la barbarie, dans 1'inaétion & dans la mifere oü elle étoit il y a trois ou quatre fiecles. Heureufement, cette révolution deftructive n'eft pas a craindre. Le refpect pour la propriété s'étend de jour en jour jufque chez les nations les moins éclairées. Avec le temps, il s'établira dans les ifles Francoifes, comme ailleurs , fi le Gouvernement réduit enfin les colons a donner quelque fatisfaétion a leurs créanciers. On ne s'accorde pas fur les voies les plus propres a amener cet acte de juftice.
Les uns fouhaiteroient des loix fomptuaires, qui, en bornant les dépenfes de 1'habitant, le mettroient en état de remplir fes engageraents. Com-



A LTÏÏST. PHILOSOPHIQUE. 219
ment a-t il pu tomber dans Pefprit d'ériger en maxime les privations dans les colonies ? Leurs produétions tirent tout leur prix 'des échanges. Anéantir ces échanges, ne feroit-ce pas forcer les Américains a faire peu de denrées, ou a les donner pour rien ? Que fi la métropole vouloit remplacer par des métaux la vente de fes marchandifes , tout Por qu'on tire d'une partie du Nouveau-Monde, ne reflueroit-il pas dans Pautre ? Après quinze ou vingt ans d'un pareil commerce , les Puiffances ennemies de la France n'auroient-elles pas un motif de plus pour attaquer des poffeffions dont la fertilité leur caufe tant d'étonnement & de jaloufie?
D'autres ont ïmaginé que tout crédit devroit être déformais prohibé. Mais les cultures actuellement établies, ne fouffriroient-elles donc rien de ce fyftême abfurde? Mais le défrichement des terres vierges, qui font généralement les plus produétives, ne feroit-il pas arrêté ? Mais les opérations des négociants de la métropole ne deviendroient-elles pas de jour en jour plus languiffantes? On connoit le chagrin qu'ils ont de voir le colon riche s'accoutumer a envoyer luimême fes produits en Europe, a tirer d'Europe fes confommations, & a réduire fes correfpondants a n'être que fes commiffionnaires. Si la dépendance , qui eft une fuite néceffaire des dettes, venoit a ceffer, ce ne feroit plus un petit nom-



220 SUPPLÉMENTS
bre de culcivateurs, ce feroir la colonie entiere qui feroit fes achats & fes ventes. Elle deviendroit commergante, & Ie feroit bientöt fans concurrents, paree qu'elle feule connoitroit le terme de fes befoins.
Plufieurs voudroient qu'il fut permis de faifir & de vendre les efclaves d'un débiceur. Ceux qui ceffèroient d'arrofer de leurs fueurs une plantation, iroient, dit-on, en cultiver une autre;& la colonie ne perdroit rien. Quelle erreur! Non, jamais les noirs ne pafféront impunément d'un attelier a 1'autre. Ces hommes, déja trop malheureux , ne prendroient pas les nouvelles habitudes qu'exigeroit un changement de local, de maitre, de méthode & d'occupation. Ils ne fauroient fe paffer dé leurs maitreffës & de leurs enfants qui font leur plus chere confolation, le feul bien qui les attaché a la vie. Loin de cet unique bien des ames tendres & fouffrantes, ils languiflènt, ils tombent malades, fouvent ils défertent, ou du moins ils ne travaillent qu'a r'egret & fans ardeur. D'ailleurs, en affurant le payement d'un créancier, on en ruineroit infail. liblement plufieurs. Le cultivateur le plus intelligent & le plus aétif, privé d'une partie des bras néceflaires aux travaux de fa plantation , deviendroit en peu de temps & pour toujours infolvable.
L'honneur a paru a quelques perfonnes une



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 2*1
refTource plus efficace que toutes les autres. Notez, ont - elles dit, notez d'infamie le débiteur qui manque a fes engagements, déclarez-le incapable de jamais exercer aucune fonétion publique; & ne craignez pas qu'il fe joue de ce préjugé. Les hommes les plus avides ne facri» fient une partie de leur vie a des travaux pénibles, que dans 1'efpoir de jouir de leur fortune. Or, il n'eft point de jouiffance dans 1'opprobre. Voyez avec quelle exaétitude les dettes du jeu font payées. Ce n'eft pas un excès de délicateffe, ce n'eft pas 1'amour de la juftice qui ramenent dans les vingt-quatre heures un joueur ruiné aux pieds d'un créancier quelquefois fufpeét. C'eft Phonneur; c'elt la crainte d'être exclu de la fociété.
Mais dans quel fiecle, en quel temps, &c. page 219.
Page 220, après ces mots, en Amérique, lifez : La Cour de Verfailles, perpétuellement égarée par les adminiftrateurs de fes colonies, a toujours paru vouloir que 1'acquittement des dettes y dépendit de leurs volontés arbitraires. Jamais on n'a pu lui faire entendre que c'étoit établir un plan de tyrannie dans le Nouveau-Monde. Des chefs ignorants , capricieux, intéreffés ou vindicatifs, peu vent choifir, a leur gré, ceux des debiteurs qu'il leur convient de ruiner. II leur eft également facile d'être injuftes envers les créan-



222 SUPPLÉMENTS
ciers. Ce ne fera ni Ie plus ancien, ni le pïui honnête qu'ils feront payer: mais le pluspuiffant, Ie plus protégé, le plus aétif ou le plus violent, En quelque lieu du monde ou par quelque motif que ce puiffè être, 1'autorité ne doit point s'affeoir a la place de la juftice, ni la probité ou la vertu, a la place de la loi; paree qu'il n'y a point d'autorité qu'on ne puiffè corrompre; par* ce qu'il n'y a ni probité, ni vertu qu'on ne puiffè ébranlen
Deux ilecles perdus dans des effens, des expériences, des combinaifons doivent avoir convaincu Ie Miniffere de France que la calamité qu'on déplore ici ne trouvera fon terme que dans les réglements clairs* fimples, d'une exécudon facile. Lorfque les créanciers pourront faire faifir fans délai, fansfraix, fans formalités gênantes, toutes les propriétés de leur débiteur, alors feulemenc 1'ordre s'établira. Cette jurifprudence févere n'aura pas un effet rétroaétif. L'humanité & Ia poIitique indiqueront les tempéraments qu'il conviendra de prendre pour la liquidation des dettes anciennes. Mais pour les engagements nouveaux, rien ne pourra les fouftraire a la rigueur de Ia loi qu'on aura portée.
Des réclamations ameres & très-ameres fe feront d'abord entendre. Quel fera dira-t-on, le culdvateur affèz téméraire pour former quelque entreprife un peu confidérable, quand il



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 223
verra fa ruine certaine, fi la fortune & les éléments ne fecondent pas fes travaux au jour marqué par fes engagements? La crainte de Ia mifere & de 1'opprobre s'emparera de tous les efprits. Dès-Iors plus d'emprunts, plus d'affaires, plus de circulation. L'aétivité tombera dans 1'inertie, le crédit fera détruit par le fyftême même imaginé pour le rétablir.
Nous n'en doutons point, ce fera le premier langage des colons. Mais a la fin, & bientóc, cet ordre de chofes fera chéri par ceux même qu'il aura d'abord le plus révoltés. Eclairés par les lumieres publiques & par Pexpérience, ils fentiront que la facilité de ne pas payer leur étoit onéreufe, & qu'ils ne trouvoient du crédit qu'en 1'achetant a un prix qui balangat le rifque de leur prêter.
Les tempéraments qui pouvoient convenir au premier age des colonies, feroient de nos jours une foibleflè impardonnable. Jamais ces établiffementsne profpérerontconvenablement que les moyens d'exploitation ne fe multipliem, & ils ne fe multiplieront que lorfque Ie créancier pourra prendre une confiance entiere en fon débiteur. Renverfez le fyftême favorable a 1'impéritie, a la témérité, a la mauvaife foi rbientöt toutchangera de face. Le négociant de 1'Europe qui ne fait aujourd'hui qu'en tremblant de foibles avances au cultivaceur de 1'Amérique, ne verra pas



224 SUPPLÉME NT S
un meilleur emploi de fes capitaux. Avec de plus grands fecours, il fe formera d'autres plantations. Les anciennes acquerront une valeur nouvelle. Les ifles Francoifes atteindront enfin au degré de fortune oü Ia richeffe de leur fol les appelle vainement depuis fi long-temps. Si, malgré les progrès des connoiffances, la Cour de Verfailles n'imaginoit pas une Iégiflation plus favante & plus parfaite que celle qui eft établie dans les poffeflions Angloifes & Hollandoifës, il ne faudroic pas balancer a 1'adopter. Déja les trois Puiflances ont d'autres traits de conformité dans leurs principes. Elles ont également concentré les liaifons, ékc.
Page 222, après ces mots, h 1'égard de 1'Amérique, lifez: La France comme les autres nations , voulut toujours que fes établiflements du Nouveau - Monde lui envoyaflènt tous les produits de leur culture, reguflènt d'elle tous leurs approvifionnements. Mais dans 1'état aétuel des chofes, cet arrangement eft-il praticable ?
Ses ifles ont befoin de farines, de vins, d'huiles, de toiles, d'étoffes, de meubles, de tout ce qui peut contribuer a rendre la vie agréable. Elles doivent recevoir tous cesobjets de la métropole, qui, même dans le fyftême d'une liberté infinie, les vendroit exclufivement, a 1'exception des farines que 1'Amérique Septentrionalepourroit donner a meilleur marché.
Mais



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 225
Mais il fauc auffi a ces poffeflions des noirs pour leurs travaux. La métropole n'a fourni juf» qu'ici que très-imparfaitemenc k ce grand befoin» On doit donc fe réfoudre a recourir aux Anglois, feuls en état de remplir le vuide. L'unique précaution qu'il conviendroit de prendre, ce ferok d'établirpeut-être fur les fecours qu'on recevroic de ces rivaux, un impöc qui les privat de 1'avantage que des circonftances parciculieres leur donnent fur les négociants Francois.
Enfin, dans 1'état oü font ces colonies, les bef. daux, le poiffon falé, les bois étrangers font devenus pour elles d'une néceffité abfolue. On dok regarder comme impoffible de les leur porter d'Europe. Ce n'eft que de la nouvelle-Angleterre qu'elles peuvent obtenir ces moyena effendels a 1'exploitation de leurs plantations.
La contrebande plus ou moins tolérée,a été 1 jufqu'ici la reflburce des colons. Cette voie eft 1 trop chere, malhonnête & infuffifante. II eft temps Ij que les loix prohibitives plient fous I'impérieufe loi de la néceffité. Que le Gouvernement indique les ports 011 feront recues les produétions ) étrangeres; qu'il regie les denrées qu'on pourra I livrer en échange; que des inftitudons fages dor.'* hent de la confiftance a cet arrangement: & 1'on verra fordr de ce nou vel ordre de chofes d ss ;| avantages qui ne feront fuivis d'aucun inconvé; nienti II fuc fait un effai de ce fyftême en 1765. Suppl. Tomé UI. P



&%6 SÜPPLÉMENTS
Si 1'on abandonna un fi heureux plan, ce fut par une fuite de cette fatale inftabilité, qui, depuis li long-temps, décrie les opérations maritimes de la France. On le reprendra donc, & 1'on affurera en même-temps aux colonies le débouché de toutes leurs produétions.
Ces établiflements offrent chaque année a la métropole, leur confommation prélevée, cent mille barriques, &c.
Page 227, après ces mots, d'être combattu, lifez : Mais les queftions d'économie politique veulent être long-temps agitées avant d'être éclaircies. J'avancerai fans crainte d'être contredit, que la géométrie tranfcendante n'a ni la profondeur, ni la fubtilité de cette efpece d'arithmétique. II n'y a rien de poflible en mathé» matique, dont le génie de Newton ou de quelques-uns de fes fucceflèurs n'ait pu fe prometfre de venira bout. Je n'en dirai.pas autant d'eux dans les matieresqui nous occupent. On croit, au premier coup d'ceil, n'avoir qu'une difficultéa ïéfoudre : mais bientóc cette difficulté en entraine une autre , celle-ci une troifieme, & ainfi de fuite jufqu'a ttnfini; & 1'on s'appercoit qu'il faut ou renoncer au travail, ou embraflèr k la fois le fyftême immenfe de 1'ordre focial, fous peine de n'obrenir qu'un réfultat incomplet & défeétueux. Les données & le calcul varient felon la nature du local, fes produétions, fon nu-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 22/
rnérairCi, fes reffources, fes liaifons, fes loix* fes ufages, fon goüt, fon commerce & fes mceurs. Quel eft 1'homme aflez inftruit pour faifir tous ceséléménts? Quel eft Pefprit aflezjufte pour ne les apprécier que ce qu'ils valent ? Toutes les connoiffances des différentes branches de la fociété ne font que les branches de 1'arbre qui conftitue la fcienee de 1'homme public. II eft Eccléfiaftique; il eft militaire ; il eft magiftrat; il eft financier J il eft commercant; il eft agriculteur; II a pefé les avantages & les obftacles auxqüels il doit s'attendre 'des paffions, des irivalités, des intéréts particuliers. Avec toutes leslümieresqu'on peut acqüérir fans génie; avec töut le génie qu'on peut avoir recu fans lümieres, il ne fait que des fautes. Après cela eft-il ëtonnanc que tant d'erreurs fe foient accréditées parmi le peuple qui nerépete jamais que ce qu'il a entendu; parmi les fpéculateurs qui fe laiflènc fentraïner par Pefprit fyftématique, & qui nebalancenc pas a conclure une vérité générale dé quelques fuccès particuliers; parmi les hommes d'affaires, fous plus ou moins affervis a la routine de leurs prédéceflèurs j & plus öu moins retenus par les fuites ruineufes d'une tentative hors d'ufage; parmi les hommes d'Etat que la üahTance ou la proteélion conduifent aux places importantes, oü ils ne portent qu'üne profonde ignorartcequiles abandonne a la difcrétion de fu*
P ft



as8 SUPPLÉMENTS
balcernes corrompus qui les trompent ou qui leT égarent. Dans toute fociété bien ordonnée, il ne doit y avoir aucune matiere fur laquelle on ne puifTe librement s'exercer. Plus elle eft grave & diffieile, plus il eft important qu'elle foitdifcutée. Or en eft - il de plus importantes ou de plus compliquées que celles de gouvernement? Qu'auroic donc de mieux a faire une Cour qui aimeroit la vérité , que d'encourager tous les efprits a s'en occuper? Et quel jugement feroit-on autorifé a porter de celle qui en interdiroit 1'étude, fi ce n'eft ou la méfiance de fes opérations, ou la certitude qu'elles font mauvai•fes ? Le vrai réfumé d'un édit prohibitif fur ce grandobjet, ne feroit-il pas : Le S ouverain
défend QU'ON lui démontre que son MlNISTRE est UN IMBECILLE OU UN frippon; CARTELLE est SA VOLONTÉ
qu'il soit l'un ou l'autre,s ans qu'on yfasse aucune attention. Le Confeil de Verfailles, long-temps aveuglé par les ténebres, &c.
Vage 233, après ces mots, ruineux, ramenera, lifez : la Cour de Verfailles aux bons principes , que nous-mêmes nous avons fi fouvent ramenés fous fes yeux. Si quelqu'un s'en eft offenfé, inrerrogez-Ie, & vous trouverez que c'eft un vil flarteur des grands, ou quelque perfonnage fubakerne, attaché par état ou parinté-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 229
rêt a 1'adminiftration dont il eft le panégyrifte. Prononcez qu'il ignore le devoir de toutcitoyen envers la patrie. Quoi, je ferois le complice d'un fcélérat, fi je ne criois pas lorfque je lui verrois jetter une torche allumée dans la maifon d'un concitoyen ; & mon filence feroit innocent, lorfque fous mes yeux on menaceroit d'incendier 1'Empire! Le fujet fidele, ce n'eft pas celui qui aveugle le Souverain fur les périls de fa fituation: c'eft celui qui Pen inftruit avec franchife, au rifque de s'attirer fon indignation. Mais au-lieu de vous adreffèr au public, que ne vous adreflezvous, dit-on, a 1'oreille de ceux qui gouvernent ? Eft-ce qu'on en approche ? eft-ce qu'on en eft écouté? eft-ce qu'ils croienc ignorer quelque chofe? eft-ce qu'ils jugentpareux mêmes ? eft ce que les fpéculations les plus importantes ne feroient pas renvoyées dans des bureaux & foumifes a la décifion d'un commis, qui ne manqueroit pas de les improuver, ou par ignorance, ou par vanité , ou par quelque autre motif moins fecret & plus vil ? Quand ma voix feroit appuyée de cent mille autres voix, il eft incertain qu'elle fe fit entendre. Laiffez-moi donc parler. Laiflèzmoi dire a ma nation ce qui peut élever fes établiflements du Nouveau-Monde au degré de profpérité , au degré de bonheur dont ils font fufceptibles.
„On ne trouvera que peu de changeraents a P 3



a3o SUPPLÉMENTS
LV1I.
Changements qu'il conviendroit de faire dans 1'adminiftrationdes ifles Francoifes.
faire dans ce qui conceme le culte public. II a été fubordonné, autant qu'il étoit poflïble, a 1'autorité civile. Ses Miniftres font des Moines, dont 1'extérieur compofé, 1'habillementbizarre, font plus d'impreflion fur des negres bornés & fuperftitieux, qu'on ne pourroit 1'attendre de la fublime morale de la Religion. L'attrait de Ia nouveauté, fi puiffant en France, avoit infpiré, il n'y a que peu d'années, le projet de fubftituer a ces Pafteurs commodes des Evêques & un Clergé nombreux. En vain tous les efprits s'étoient réunis pour repouflèr un corps redoutable par fon ambition, par fon avarice & fes prétentions. Sans la chüce du Miniftre inquiet & mal habile qui avoit formé ce plan deftruéteur, les ifles Francoifes alloient être tourmentées par unecalamité plus facheufe encore,que celle qu'elles éprouvent depuis fi long-temps du cóté de la juftice.
Un hafard, heureux ou malheureux, fonda ces grands établiflements, un peu avant le milieu du dernier fiecle. On n'avoit alors aucune idéé arrêtée fur les contrées du Nouveau-Monde. II arriva de - la qu'on choifit pour les conduire la coutume de Paris & les loix criminelles du Royaume. Les gens fages ont bien compris depuis, qu'une pareille jurifprudence ne pouvoit pas convenir a un pays d'efclavage, & a un climat, a des tnteurs, a des cultures, a des poflèffions, qui



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 231
n'ont aucune reffemblance avec les nörres: mais ces réflexions de quelques particuliers n'ont eu aucune influence fur 1'aédon du Gouvernement. Loin de corriger ce que ces premières inftitudons avoient de vicieux, il a ajouté a 1'abfurdité des principes, Pembarras, la confufion, la mulciplicité des formes. Auffi la juftice n'a-t-elle pas été rendue.
II en fera ainfi, jufqu'k ce qu'une légiflation particuliere aux ifles, rende poffibles,faciles même les décifions: mais cet ouvrage important ne iauroit être fait en France. Laiffèz aux colons aflèmblés le foin de vous éclairer fur leurs befoins. Qu'ils forment eux-mêmes le code qu'ils penferont convenir k leur fituation. Lorfque ce grand travail aura été exécuté avec la maturité convenable , il fera livré aux difcuffions les plus profondes & les plus féveres. La fanédon du Gouvernement ne lui fera accordée que lorfque 1'on n'aura pas le moindre doute fur fon utilité, fur fa perfeétion. Ne craignez pas alors de manquer de bons Magiftrats. Les loix feront fi précifes, fi claires, fi bien adaptées aux affaires, que les tribunaux ne pourront plus être accufés d'ignorance, d'inapplication , ou de mauvaife foi.
Decenouvel ordre dechofes, fordra unepolice exaéle. Ce moyen de contenir les citoyens dans la regie eft facile en Europe. Le pere fait la fonétion de cenfeur dans fa familie: il furveiïle
P 4



23a SUPPLÉMENTS
fa femme, fes enfants, fes domeftiques. Le propriétaire ou le principal locataire exerce la même magiftrature dans fa maifon; le manufaéturier ou 1'artifan, dans fa boucique ou fon attelier. Le voifin eft une efpece d'infpeéteur de fon voifin. Les corps, jaloux de leurhonneur, ont fans ceflè les yeux ouverts fur la conduite & les aétions des membres qui les compofent; on n'y recoic point un homme malfamé; on en chaflê celui qui fe déshonore. L'homme dangereux eft bientöt connu, & trouve les portes fermées. L'honneur a fon tribunal, & la médifance a le fien. Les mceurs exercent une efpece de juftice que perfonne ne peut décliner. Qui eft-ce qui n'eft pas plus ou moins retenu par le jugement public ? Toutes ces fortes d'autorités abregent les fonétions du Gouvernement. L'Amérique, remplie d'individus ifolés, fans patrie, fans parents, qui fe déplacent continuellement, qui fe renouvellent fans ceflè, & que la foif des richeffes poufle toujours aux entreprifes les plus hardies : 1'Amérique exige une furveillance plus aétive, plus fuivie & plus détaillée.
Cependant un Officier, qui, fous lenom de Lieutenant du Roi, réfidoit dans un port ou dans une bourgade, fut feul chargé pendant longtemps, dans les ifles Francoifes, de ce foin important. C'étoit un petit tyran, qui vexoit les cultivateurs, qui ranconnoit le commerce, &



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 233
qui aimoic mieux vendre un pardon, que préve| nir des fautes. Depuis quelques années, les Comi' mandancs des milices de chaque quartier font ; chargés, fous 1'infpeétion du chef de la colonie, : du maintien de la tranquillité publique. Ce nouI vel arrangement eft moins vicieux que Pancien ;
mais il eft encore trop arbitraire. II eft doux d'ef; pérer que le même code, qui mettra la fortune ■ des particuliers fous la proteétion des loix, y met1 tra auffi leur liberté.
; A cette époque, Ie commerce fera mieux réj glé qu'il ne Pa été. Les négociants de France ij ne vont pas eux-mêmes aux ifles. Ils y envoyent 'i des cargaifons plus ou moins riches. Celles qui n'ont que peu de valeur, font ordinairement ! diftribuées au comptant par les Capitaines des navires. Les plus importantes, telles que celles \ des efclaves, font généralement livrées a crédit; I & ce font des commiffionnaires fixés dans ces éta| bliflements, qui font chargés des recouvrements. Lepayementfe fait rarement aux échéances con» venues; & ce manquement de foi a toujours divifé les colonies & la métropole. Le Miniftere j cherche depuis long-temps un terme a ces dif| cordes éternelles. Ne pourroit-on pas établir dans i chaque jurifdiétion un regiftre ou toutes les dettes feroient infcrites, dans Pordre oü elles auroient été contraétées? Lorfqu'au jugement des experts, le fonds de 1'habitation fe trouveroic gre-
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234 SUPPLÉMENTS
vée de plus de la moitié de fa valeur, chaque créancier auroit le droit de la faire vendre.
Cet arrangement, quoique fage, quoique néceffaire, déplairoit fürement aux colons : mais ils fe confoleroient de ce qu'ils auroient d'abord regardé comme une infortune, fi cette rigueur étoit tempérée par une meilleure adminiftration des finances. Le Gouvernement eut la dureté de demander, dès 1'origine, des tributs a des malheureux qui avoient été chercher leur fubfiftance dans un Nouveau-Monde. On exigea d'eux de plus fortes contributions, k mefure que leurs travaux fe multiplioient. Cependant 1'énorme fardeau, dont leurs denrées, leurs confommations, leurs efclaves font furchargés, excitent 3» peine quelques foibles réclamations. Les plaintes portent généralement fur la maniere tyrannique dont le revenu public eft pergu, fur les ufages pernicieux auxquels il eft deftiné. Le fifc fe dit ou fe croit accablé par les dépenfes qu'exige la confervation des ifles. Elles offrent de fournir abondamment a tous ces fraix, pourvu que ce foient les aflèmblées nationales qui ordonnent les impöts, pourvu qu'elles en ayent la difpofition. Alors les troupes feront plus réguliérement payées, & les fortifications mieux entretenues, fous 1'infpeétion du Gouvernement lui-même. Débarraffées de cette foule d'Officiers, qui, fous le nom d'Etats-majors, les épuifent,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 235
de ces légions de traitants avides qui les preffurent fans fin & fans mefure, les colonies s'occuperont de leur amélioration. II s'ouvrira desvoies commodes de tous les cotés. Les marais feront defTéchés.«On creufera un lit aux torrents; celui des rivieres fera redreffé; & Pon conftruira des ponts qui aflureront les Communications. Les jeunes créoles recevront fur leur propre fol une inftruétion' convenable, qu'ils ne trouvoient pas même en paffant les mers. Enfin, il y aura un corps autorifé apourfuivrejufqu'au pieddü tröne cette rage defpotifque qui faifit le plus fouvenc les hommes vains ou corrompus, choifisparl'intrigue ou par 1'ignorance pour conduire ces régions lointaines.
Rien ne paroit plus conforme aux vues d'une politique judicieufe, que d'accorder a ces infulaires le droit de fe gouverner eux-mêmes, mais d'une maniere fubordonnée a 1'impulfion de la métropole, a-peu-prés comme une chaloupe obéit k toutes les direétions du vaiffeau qui la remorque. Peut-être dira-t-on que le peuple fe renouvellant fans ceffe dans ces ifles éloignées, par 1'inftabilité que le commerce y donne aux richeffes, cette fermentation y jette beaucoup d'écume ; & qu'on n'y verra que bien tard aflèz de mceurs & de lumieres pour y faire naitre cet efprit de patrie & ce ton de gravité qui foutiennent dignement le poids des affaires &



236 SUPPLÉMENTS
les intéréts d'une nation. Cette objeétion fembleroit fondée , fi 1'on ne confultoit que le caractere des Européens, pouffës en Amérique par leurs befoins ou par leurs vices; devenus par ces tranfplantations volontaires ou forcées, étrangers par - tout; ordinairement corrompus par le défaut de loix que rernplace mal une police arbitraire, par ce goüt dépravé de domination qui réfulte de Pabus de 1'efclavage, par 1'éclat d'une grande fortune qui leur fait oublier leur première obfcurité. Mais cette claflè d'hommes expatriés ne devroit point avoir d'influence dans une adminiftration qu'on laifferoit aux pro- » priétaires, nés la plupart dans les colonies: puifque la juftice fuit naturellemenc la propriété , & que perfonne n'a plus d'intérêt & de droic au bon gouvernement d'un pays que ceux h qui la naiflance y donne de plus grandes poffeffions. Ces créoles qui naturellement ont de la pénétration, de la franchife, de 1'élévation, un certain amour de la juftice qui naic de ces belles qualités, touchés des marqués d'eftime & de confiance que leur donneroit la métropole , en les chargeant du föin de régler Pintérieur de leur patrie, s'attacheroient a ce fol fertile, fe feroient une gloire, un bonheur de 1'embellir* & d'y créer toutes les douceurs d'une fociété civilifée. Au-lieu de cet éloignement pour la France, dont le reproche eft une accufation



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 237
de dureté contre fes Miniftres, on verroit naitre dans les colonies cet attachement que la confiance paternelle infpire toujours a des en-
! fants. Au-lieu de cet empreffèment fecret qui les fait courir durant la guerre au-devant d'un joug étranger, on les verroit multiplier leurs efforts pour prévenir ou pour repouflèr une invafion. Si la crainte retient les hommes fous les yeux d'un maitre puiffant & ternble, il n'y a que Pamour qui puiffè leur commander au loin. C'eft. le feul refTort peut-être qui agiffe dans les Provinces frontieres d'un grand Etat, quand la molleffè & la cupidité fe taifent dans la capitale
; devant 1'autorité qui menace. L'amour eft un fentimem qu'on ne fauroit trop ménager, trop étendre. Mais fi le Prince ne fait ni Ie mériter, ni le rendré, on ne le lui prodiguera pas long-
1 temps. Alors plus de joie dans les fêtes publiques, plus de tranfports dans les réjouiffances, plus de ces cris involontaires qui échappent a la vue de Pidole adorée. La curiofité mene & prefle la foule a tout ce qui fait fpeclacle : mais le contentement n'y brille plus dans les regards. Une inquiétude morne s'emparedes efprits. Elle fe communiqué d'une Province h Pautre, & de la métropole dans les colonies. Toutes les fortunes frappées ou menacées a la fois, font dans l'allarme&le mouvement. Des coups dVutorité multipliés par la précipitation qui les hafarde ,



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LV1II. La France peut-elle avoir une marine militaire ? Lui con-vient - il de 1'avoir ? Mefures qu'elle doit prendre p.ourl'avoir.
>38 SüPPLÊMËNTS
>leffent tous les cceurs, & tombent fucceffivenent fur tous les corps. Du fond même de FAnérique, font traduits en criminels dans lespribns de FEurope, les vengeurs du crime & les Jéfenfeurs du droit des colons. Les armes qui èmbloient émouflees devant Fennemi, s'aiguient contre ces fujets précieux a FEtat. On va üpouvanter dans la paix ceux même qu'on n'a :>as fu défendre durant la guerre. Non, jamais e Miniftere de France n'a donné k fes poffeflions du Nouveau-Monde Fappui néceffaire pour les préferver des ravages ou de 1'invafion , & jamais il ne remplira cette obligation, a moins ïu'il ne multiplie dans Fancien fes arfenaux, fes uteliers & fes efclaves. Philofophes de tous les pays, amis des hommes, pardonnez a un écriy-ain Francois d'exciter fa patrie a élever une marine formidable. C'eft pour le repos de la terre qu'il fait des vceux, en fouhaitant de voir stablir fur toutes les mers Féquilibre qui fait aujourd'hui la füreté du continent.
Douteroit-on que la France put afpirer a ce genre de puifFance ? Voyez fa pofition. A(TeZ vafte pour n'être dépendante d'aucune des Puiffances qui 1'environnent; aflez heureufement limitée pour n'être pas affoiblie par fa grandeur, cette monarchie eft fituée au centre de FEurope entre FOcéan & la Méditerranée. Elle peut tranfporter toutes fes produétions d'une mer a Fau-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 239
tre, fans paffèr fous le canon menacant de Gibraltar, fous le pavillon infultant des Barbarefques. Ses Provinces font la plupart arrofées par des rivieres ou coupées par des canaux qui aflurent la communication de fes terres centrales avec fes ports, de fes ports avec fes terres centrales. Un heureux hafard lui a donné des voifins qui ne favent pas fournir a leur fubfiltance, ou qui n'ont qu'un commerce purement paffif. La température de fon climat lui procure 1'avantage ineftimable d'expédier & de recevoir fes navires dans toutes les faifons. Elle doit a la profondeur de fes rades de donner a fes vaifïèaux la forme la plus propre a la célérité, a la füreté.
La France manqueroit-elle d'objets & de matieres a exporter. Tous les peuples fe difputent fes produétions de Panden & du Nouveau-Monde : mais c'eft encore plus par fes manufaétures & par fes modes qu'elle a fubjugué FEurope & quelques parties de Pautre hémifphere. Les nations font fafcinées, & n'en reviendront point. Les effbrts qu'on a faits par-tout pour s'affranchir d'un tribut ruineux, en copiant cette induftrie étrangere, n'ont eu nulle part le fuccès qu'on en attendoit. La fécondité de 1'invention dévancera toujours la promptitude de l'imitation; & la légéreté d'un peuple qui rajeunit tout dans fes mains, qui vieillit tout chez fes voifins, trompera la jaloufie & Pavidicé de ceux qui voudront



24ö SUPPLÉMENTS
la furprendre en la contrefaifant. Quelle póurroit être la navigation d'un Empire qui fournit aux autres Etats les aliments de leur vanité, de leur luxe, de leur volupté?
La population de la France feroit-elle jugée infuffifante pour des armements nombreux? Qui peut ignorer aujourd'hui que cette Puiflance compte vingt-deux millions d'habitants? Le reproche qu'on lui fait d'avoir fur chaque navire plus de matelots que fes rivaux, ne prouve-t-il pas lui feul que, dans cet Etat, ce ne font pas les hommes qui manquenta Part, mais que c'eft Part qui manque aux hommes. Cependant, quel peuple a recu de la nature plus de cette vivacité de génie qui doit perfeétionner la conftruélion des vaiffeaux, plus de cette dextérité de corps qui peut économifer le temps & les fraix de Ja manoeuvre par la fimplicité, par la célérité des moyens?
La France feroit-elle réduite a Pimpuiffancë d'avoir une marine, paree qu'elle ne trouveroit pas dans fon fein toutes les munitions navales? Mais fes rivaux ne font-ils pas obligés comme elle, & plus qu'elle, a demander des fecours au Nord de FEurope? Leur climat, leur induftrie & leurs colonies leur donnent-ils les mêmes facilités pour confommer leurs échanges avec la mer Baltique?
La France a donc tous les moyens conve-
nables



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 241
nables pour être une Puiflance vraiment maritime. Mais lui convient-il d'avoir cette ambition ?
On ne connut long-temps que des armées nombreufes & aguerries pour arriver a la fortune & a la gloire. Les deux lndes furent découvertes; & cet événement imprévu fit une révolution étonnante dans tous les efprits. Peut-être une ambition raifonnable fe feroit-elle bornée a obtenir par des échanges les richeffes & les produétions de ces deux grandes parties du globe. L'amour de la domination , trop ordinaire aux nations, fit préférer généralement le fyftême ruineux & deftruéteur des conquêtes. Ces immenfes contrées furent la plupart aflèrvies. On alla plus loin. Les hommes qui habitoient ces nouveaux climats étoient ou trop foibles, ou trop indolents, pour fervir d'inftruments a ia cupidité d'un raviflèur injufte. En plufieurs endroits, ils furent exterminés ou chaffés des campagnes qui les avoient vu naïtre, & remplacés par des Européens, par des efclaves Africains, qui multiplierent les denrées dont ils avoient trouvé le germe, qui établirent d'autres cultures auxquelles fe prêtoit aifément un fol neuf, fécond & varié.
II falloit donner de la ftabilité a ces établiflements. On pouvoit craindre, & 1'inquiétude des nations qui étoient entrées en partage de ces régions intaétes, & la jaloufie des nations qui n'avoient pas eu cet avantage : des forces nava-
Suppl. Tome III. Q



st4% SUPPLÉMENTS
les pouvoient feules donner de la confiftance aux colonies naiffantes, aux colonies même qui avoient fait le plus progrès. Pour les préferver de 1'invafion, on conftruifit, on arma des flottes. A cette époque remarquable, la politique changea tout-a-fait de face. La terre fe vit, en quelque maniere, foumife & la mer; & les grands coups d'Etat furent frappés fur 1'Océan.
La France , moins accoutumée a fervir de guide qu'a furpaffer fes maitres, la France vit lans émulation s'élever un nouveau genre de puiffance. La marine n'entra même pour rien dans les trop valles projets de 1'ambitieux Richelieu. II étoit réfervé au Monarque dont il avoit préparé la grandeur de faire refpeéler fon pavillon dans les deux hémifpheres : mais cette gloire n'eut que peu de durée. Louis XIV fouleva par fes entreprifes tout le continent de 1'Europe; & pour réfifter aux ligues qui s'y formerent, il lui fallut foudoyer des armées innombrables. Bientöt fon Royaume ne fut plus qu'un camp; fes frontieres ne furent plus qu'une haie de places fortes. Sous ce regne brillant, les reflbrts de 1'Etat furent toujours trop tendus. On ne fortoit d'une crife qae pour entrer dans une autre. A la fin, le défördre fe mit dans les finances; & dans 1'impoffibilité de fiiflïre a toutes les dépenfes, le facrifice des forces navales fut jugé, mal-apropos peut-êcre, indifpenfable.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 24.§
Depuis la fin d'un fiecle, oü la nation foutenoit du moins fes difgraces par le fouvenir de fes fuccès, en impofoit encore a 1'Eurooe par quarante ans de gloire, chériffoit un gouvernement qui Pavoit honorée, & bravoit des rivaux qu'elle avoit humiliés : depuis cette époque, la France a perdu beaucoup de fa fierté, malgré les acquifitions dont fon territoire s'eft agrandi. De longues paix ne 1'auroient pas énervée, fi Pon eut tourné vers la navigation des forces trop long-temps prodiguées a la guerre : mais fa marine militaire n'a pris aucune confiftance. L'avarice d'un Miniftere i les prodigalités d'un autre, Pindolence de plufieurs; de fauffes vues, de petits intéréts; les intrigues d'une Cour qui menent le Gouvernement; une chaine de vices & de fautes; une foule de caufes obfcures & méprifables: tout a empêché la nation de devenir fur mer ce qu'elle avoit été dans le continent , d'y monter du moins a 1'équilibre du pouvoir, fi ce n'étoit pas a ,1a prépondérance. Les pertes même qu'elle fit, dans toutes les parties du globe, durant les hoftilicés commencées en 1756, les humiliations qu'il lui fallut dévorer st la paix de 1763, ne rendirent pas 1'efpric de fagefle au Confeil qui la gouvernoit, ne ramenerent pas fes projets & fes efforts au fyftême d'une marine redoutable. Mais par quelles voies la France parviendroitQ a



244 SUPPLÉMENT S
elle acréer, a maintenir des forces navales?
Une première opéracion, fans laquelle les autres feroient inutiles ou funeftes, fera 1'encouragement de la navigation marchande. Seule, elle peut formerdes hommes endurcis aux injuresdes climats , aux fatigues du travail, aux dangers des tempêtes. Cette vérité, bien fentie, fera fupprimer les innombrables entraves qui jufqu'ici ont exclufivement affuré aux Mtiments étrangers Pexportation des denrées du Royaume, qui même leur livrent trop fouvent fon propre cabotage. On n'affirmera pas qu'un aéte de navigation pareu^ celui qui a produit la grandeur de 1'Angle-terre convint k la France : mais du moins cette Couronne devroit-elle faire de tels réglements que fes fujets puflent entrer en partage desbénéüces que les Suédois, les Danois & les Hollandois viennent leur enlever jufque dans fes rades ?
Ce nouvel ordre de chofes ne s'établira jamais, fi la marine marchande ne fort de 1'humiliation oü jufqu'ici elle a été malheureufement plongée. La loi veut que nul navigateur ne puiffe commander un batiment de commerce, fans avoir fait trois campagnes fur un vaiffeau de Roi; elle veut qu'après cette épreuve, on puiffe leforcer Ji y fervir encore durant la guerre. L'état d'abjeétion oü on le tientdans ce fervice, écarté néceffairement de la mer les hommes qui ont recu de 1'éducation, qui jouhTent de quelque fortu-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 245
ne, ouquife trouvent de 1'élévation. II faut brifer ces honteufes chaines, ou renoncer a 1'efpoir de voir POcéan fe couvrir de nombreux, de riches armements.
L'oppreffion fous laquelle on tient les matelots, eft un autre obftacle a la multiplication ; des expéditions. Ces hommes qui contribuent 1 fi effentiellcment a 1'opulence & k la force du I Royaume, font tous infcrits fur des regiftres, avec I 1'obligation de s'embarquer dans les vaiflèauxde guerre, au premier ordre du Miniftere, pourle temps qu'il veut, & au prix qu'il juge apropos d'y mettre, fans que les talents ni 1'age puiflènt rien changer a la dureté de ces conditions. Lors même que le fervice public ne les occupe pas, ils ne peuvent dilpofer de leurs bras & de leur loifir que de 1'aveu d'un agent du Gouvernement. Cec efclavage détourne d'une profeffion fi nécefiaire la plupart de ceux que leur inclination y porteroit, fi elle n'étoit pas deftruclive de toute libercé. Qu'on fupprime les claffes, qu'on en tempere du moins la rigueur, & 1'on verra les ports, les cöces de la France fe couvrir de i. navigateurs.
Mais qui les conduira aux combats, a la dé; fenfe de la patrie? Seignelay décida que ce fe; roit Ia noblefle, & 1'on a penfé depuis comme i Seignelay. La nature a-t-elle donc exclufivement accordé au Gentilhomme une conftitution phyQ 3



24ó SUPPLÉMENTS
fique que les climats, la faim, les fatiguesne faaroient altérer? Lui a-t-elle excluiïvement donné Paudace qui fait braver les périls, le fang-froid qui les fait furmonter ? Lui a-t-elle exclufivement départi le génie qui décide & fixe la vicïoire ? L'opinion, le préjugé donnent, dit-on, aux hommes de cet ordre, uneardeur pour la gloire, une indifférence pour les richeflèsqui ne fe trouvent pas dans les autres conditions. Quoi! ce feroit au fein d'une Cour corrompue, dans les décombres d'un ch^teau ruiné qu'il faudroit aller chercher de préférence des principes d'élévation ou de défintéreffement? Ah! croyezque lefilsd'un armateur, dont la fortune a couronné les heureux travaux, & qui ne peut avoir d'ambition que celle d'illuftrer fonnom, n'eft pas moins appellé aux aclions mémorables, aux grands facrifices, que ce jeune noble qui s'environne fans ceffe des lauriers de fes aïeux. Depuis quand le titre qu'on a eft-il un aiguillon plus puiffant que le titre auquel on afpire? Le premier qui mérita la nobleflè, qu'étoit-il avant que de 1'avoir obtenuë ? Mettez h fa place un de fes illuftrfis defcendants, & il auroit laiftë roturiers fes enfants & fes neveux. La véritable nobleflè étoit dans le fang & dans la deftinée avant que d'exifter fur un parchemin. II faut du bonheur & du mérite; du bonheur qui nous préfènte aux grandes occafions; du mérite qui nous y faflè répondre.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 247
Tous ceux qui dansles fiecles paffes fe font ennoblis; tous ceux qui s'ennoblironc dans les fiecles è venir, ont prouvé & prouveront que le Ciel ouvre ces deux grandes voies a un petit nombre d'hommes, & qu'il eft aufli facile d'avoir 1'ame haute fous un vêtemenc bourgeois, que 1'ame baffe fous un cordon. Le courage, Ia vertu & Ie génie font de toutes les conditions. Mais voulezvous favoir de bonne foi ce qui en eft ? Ouvrez indiftinétement la carrière a tous ceux qui auront recu une éducation honnête. Qu'ils foient erabarqués fur des vaiffeaux de guerre; qu'ils faffent quelques campagnes fous des chefs expérimentés; qu'ils foient afiujettis a tous les travaux, è toutes les privations qu'exige une profeffion fi difficile. Après ces épreuves, vous admettrez dans la marine royale les éleves qui auront montré le plus de vigueur, d'intelligence, de courage & d'émulation.
La beauté d'un art qui fait quelquefois maitrifer les éléments; les avantages d'un métier oü les occafions font plus fréquentes, & dans lequel la gloire eft individuelle dès qu'on eft appellé au commandement du plus petit barïmenc: ces raifons les pouflèront a étudier, a réfléchir, fur-tout h defirerde pratiquer fans ceflè :car c'eft dans ce métier que la théorie la plus favante a befoin d'être accompagnée de lapratiquelaplus continuelle. Soit dans les combats, foit dans la Q 4



248 SUPPLÉMENTS
fïmple navigation, les réfolutions doivent être 11 promptes, qu'elles paroiflènt plutöt 1'efFet du fentiment que celui de la réflexion. L'hommede mer a fur-tout befoin de ces penfées décifives, de ces illuminations foudaines, comme les avoit fi bien définies un Orateur fublime dans 1'éloge d'un grand Capitaine; & ces coups d'inftinét & de talent, pour parler un langage moins élevé, doivent plus fouvent être le partage de la pratique, que celui de la théorie.
Une pratique continuelle! que ce mot eft étranger a la marine de France. Des armements découfus. Des campagnes d'un jour, ou 1'on voit en fortant du port le jour qu'on doit y rentrer. Des cötes que 1'on parcourt avec auffi peu d'attention que les pays oü 1'on voyage en pofte. Des colonies d'oü 1'on part auffi étranger qu'on y eft arrivé. Des miflions oü 1'on ne porte que des idéés d'un prompt retour, & oü 1'on a les yeux & le cceur conftamment tournés vers fes habitudes. Des vaiflèaux que 1'on envifage comme desprifons, &que 1'on quitte avec tranfport fans en connoitre ni les défauts, ni les qualités. O Frangois! ö mes concitoyens! voila dans la plus exaéte vérité, voila quel a été jufqu'ici le déplorable emploi des forces navales de votre patrie.
A ces armements fucceffifs de quelques frégates ifolées, dont la miffion pafiagere n'eft d'au-



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 249
cune utilité réelle, fubftituez des efcadres permanentes durant trois ans ou plus dans tous les parages de l'ancien & du Nouveau-Monde, oü vous avez des établiflements, oü vous faites un grand commerce. Que ces croifieres inftruétives occupent conftamment la moitié de vos batiments inférieurs, & quelques vaiflèaux de ligne. Alors les Officiers, qui ne tiennent a leur état que par la facilité de n'en pas remplir les devoirs, prendront le parti de fe retirer. Alors ceux qui perfévéreront dans ce métier périlleux & honorable, acquerront des lumieres, de 1'expérience, 1'amour d'un élément oü ils doivent trouver leur gloire & leur fortune. Alors des inférieurs jaloux de plaire a des chefs deftinés h. leur commander long-temps, connoitront la fubordination. Alors les équipages formés avec foin au fervice & a la manoeuvre par des Capitaines qui devront recueillir le fruic de tant de peines, fe battront avec plus de réfolution & plus de capacité. L'Europe a paru éconnée que Ls Frangois, dignes émules des Anglois au commencement des dernieres guerres, ayent perdu avecle temps, cette honorableégalité. Plufieurs caufes ont influé dans la révolution. La principale qui n'a pas été appergue, c'eft que les premiers ont eu de nouveaux matelots a chaque campagne , & que leurs rivaux ont confervés les mêmes matelots jufqu'a Ia fin des hoftilités.
Q 5



s5o SUPPLÉMENTS
L'étabüflèment des ftations fera fuivi d'autres innovations non moins importantes. Le corps ■de la marine, acluellement trop nombreux, actuellement furchargé de membres inutiles & oififs, fera proportionné au nombre des vaiflèaux & des armements. On abolira ces funeftes départements qui excitent des jaloufies fans émuJation, & qui, par des haines héréditaires, font fouvent avorter les projets les mieux combinés. L'ordre du tableau, qui, par-tout & dans tous les fiecles, a étoufFé le génie & les talents, ceffera de préfider aux promotions & aux récompenfes. Dans le trop grand nombre de grades qu'il faut parcourir, plufieurs feront fupprimés, afin qu'il foit poffible d'arriver au commandement avant \ 1'age prefcrit par la nature pour le quitter. Si 1'on croit devoir conferver les claffes, la direction en fera changée & mieux ordonnée. Les Amiraux, dont 1'age, les travaux, les bleflures auront diminué les forces, le courage ou l'aétivité, compoferont un tribunal qui préfidera au choix des munitions navales a leur confervation & a leur emploi. C'eft lui qui admettra dans le corps, qui décidera des promotions, qui donnera les commandements, qui réglera les croifieres, qui dirigera, autant qu'il fe peut, les opérations. Tel fera déformais le confeil d'un Miniftre, qui, étranger a fes fonclions, placé a cent lieues de la mer, livré par goüc ou par



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 251
néceffité aux intrigues d'une Cour orageufe, n'a ceffé d'être jufqu'a nos jours le jouet de quelques aventuriers obfcurs, ignorants & intéreffés.
A mefure que les plans de réformation qu'on vient de tracer, s'exécuteront, les vaiflèaux qui pourriflbient dans 1'inaétion, feront réparés, il en fera conftruit d'autres. La France fe verra dans peu de nombreufes flottes. 'Mais oü trouver des reflburces pour les mettre en aétivité 1
Démoliflèz des édifices trop magnifiques ou inutiles, dont 1'entretien devient ruineux. Mettez fin aux infidéütés trop ordinaires dans 1'achat des munitions navales, a la négligence qu'on a porté jufqu'ici a leur confervation. Renvoyez ces manoeuvres défceuvrés que la proteclion a multipliés fans mefure dans vos arfenaux. Simplifiez la marche de votre adminiftration en mettant de la juftice & de 1'exaélitude dans vos payements. Diminuez les équipages trop nombreux de vos armements, de 1'aveu de tous les gens défintérefles. Réduifez a la demi-folde tous ceux de vos Officiers que le fervice de 1'Etat n'occupera pas a la mer. Banniflèz tous les genres de luxe, de délicateflè, de volupté qui énervent vos défenfeurs & ruinent vos efcadres. Rendez les radoubs, les réparations de vos vaiflèaux plus rares. Après ces changements, les fonds aétuellement alfignés pour la marine , fe trouveront fuffifants pour élever a un degré refpeétable cette branche fi eflèntielle de vo-



252 SUPPLÉMENTS
tre puiflance. II eft même un moyen très-fimple de la porcer plus haut fans de nouvelles dépenfes; & le voici.
La France a formé dans le Nouveau-Monde des colonies qui lui envoyent chaque année pour cent trente millions de denrées. Un produit fi confidérable ne pourroic lui échapper, fans laiffer un vuide immenfe dans fon numéraire, dans fa population , dans fon induftrie, dans fon revenu public. L'importance de conferver ces riches établiflements a été fentie; & pour y parvenir, on a eu recours a des bataillons, k des fortereflès. L'expérience a prouvé la foiblefle de cette défenfe. Elle appartient a la marine, & ne peut appartenir qu'a elle. Qu'on mette donc les ifles fous fes voiles, & qu'on verfe dans fes caiflès ce que coütoit la proreétion infuffifante qu'on leur accordoit: alors les fonds ordinaires de la marine de France fe trouveront fuffifants pour donner a fes opérations de la dignité & des avantages.
Telle eft 1'efpérance de TEurope. Elle ne croira pas fa liberté aflurée jufqu'a ce qu'elle voye voguer fur 1'Océan un pavillon qui ne tremble point devant celui de la Grande-Bretagne. Le vceu des nations eft maintenant pour la Puiflance qui faura les défendre contre la prétention d'un feul peuple k la monarchie univerfelle des mers; &U n'y a en ce moment que la France qui puifiê



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 453
ks délivrer de cette inquiétude. Le fyftême de de 1'équilibre ordonne donc que la Cour de Verfailles augmente fes forces navales; d'autant plus qu'elle ne le peut fans diminuer fes forces de terre: alors fon influence partagée entre les deux éléments, ne fera plus redoutable fur aucun qu'i ceux qui voudroient en troubler 1'harmonie.
Et puiffe avant que je meure, cette grande révolution déja commencée, s'achever a la fuite de quelques-unes des réformes que j'ai indiquées. Alors j'aurai obtenu Ia véritable récompenfe de més veilles. Alors je m'écrierai : Ce n'eft donc pas en vain que j'ai obfervé, réfléchï, travaillé. Alors je m'adreflerai au Ciel, & je lui dirai : „ A préfent tu peux difpofer de moi- car mes „ yeux ont vu la fplendeur de mon pays, & la ,, libercé des mers reftituée a toutes les nations.
Fin du Livre treizieme.



254 SUPPLÉMENTS
LIVRE XIV.
PAge 238, lifez: Un nouvel ordre de chochofes va fepréfentera nos regards. L'Angleterre eft, dans Phifloire moderne, la contrée des grands phénomenes politiques. C'eft-la qu'on a vu la liberté le plus violemment aux prifes avec le defpotifme, tantöt foulée fous fes pieds, & tantöt Pécrafant a fon tour. C'eft-la qu'elle a fini par triompher, &que, jufqu'au fanatifme de Religion, tout a concouru a fon triomphe. C'eft-la qu'un Roi, tralné juridiquement fur 1'échafaud, & qu'un autre, dépofé avec toute fa race par un arrêt de h nation, ont donné une grande leeon h la terre. C'eft-la qu'au milieu des convulfions civiles, & dans lesintervallesd'un calme momentané, on a vu les fciences exaétes & profondes portées le plus loin; les efprits s'accoutumer a raifonner , a réfléchir, h s'occuper fur-tout du Gouvernement. C'eft-la enfin qu'après de longues & violentes fecoufies, s'eft formée cette conftitution, finon parfaite, finon exempte d'inconvénients, du moins Ia plus heureufement affortie h la fituation du pays; la plus favorable a fon commerce; la plus propre a développer le génie, I'éloquence, toutes les facultés de Pefprit humain; Ia feule, peut-être, ou, depuis que 1'homme vit en focié-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 255
té, les loix lui ayent afluré fa dignité, fa liberté perfonnelle, fa liberté de penfer; oü elles Payent fait, en un mot, citoyen , c'eft-a-dire, partie conftituante & intégrante de 1'Etat & de la nation.
L'Angleterre n'avoit'pas encore donné au monde ce grand fpeétacle, lorfqu'elle commenca fe* établiflements dans 1'archipel, &c.
Page 246, après ces mots, léthargie univerfelle, lifez : Mais expofons les degrés fucceffifs de cette mifere, & que les peuples connoiffent le profond anéantifïèment dans lequel ils croupiffènt ou dont ils font menacés.
Au moment oü s'eft élevé, au centre d'une nation, le grand fantóme fur lequel on ne porte fes regards qu'en tremblant, les fujets fe partagent en deux claflès. Les uns s'éloignent par crainte; les autres s'approchent par ambition; & ceux-ci fe promettent la fécurité dans la confcience de leur bafiefle. Ils forment entre le defpote & le refte de la nation, un ordre de tyrans fubalternes, non moins ombrageux & pluscruels que leur maitre. Ils n'ont a la bouche que ces mots : Le Roi; le Roi Pa dit; le Roi le veut; j'ai vu le Roi; j'ai foupé avec le Roi; c'eft Fintention du Roi. Ces mots font toujours écoutés avec étonnement, & finifïènt par être pris pour des ordres fouverains. S'il refte quelque énergie, c'eft dans le militaire qui fent toute fon



s56 SUPPLÉMENTS
importance, & qni n'en devient que plus info lent. Et lePrêtre, quel röle joue-t-il? Favorifé, il acheve d'abrutir les peuples par fon exeraple & par fes difcours. Négligé , il prend de 1'humeur; il devient faétieux, & cherche un fanatique qui fe dévoue. Par-tout oü il n'y a ni loix fixes, ni juftice, ni formes conftanr.es, ni propriétés réelles, le Magiftrac eft peu de chofe, ou n'eft rien; il attend un figne pour être ce qu'on voudra. Le grand Seigneur rampe devant le Prince, & les peuples rampent devant le grand Seigneur. La dignité naturelle de 1'homme s'eft éclipfée. II n'a pas Ia moindre idéé de fes droits. Autour du defpote, de fes fuppöts, de fes favoris, les fujets font foulés aux pieds, avec la même inadvertance que nous écrafons les infeétes qui fourmillent dans la pouffiere de nos campagnes. La morale eft corrompue. II vient un moment oü les vexations les plus criantes, les attentats les plus inouis ont perdu leur caraétere d'atrocité, & ceflènt de révolter. Celui qui prononceroit les noms de vertu, de patriotifme, d'équité, ne feroit qu'une tête exaltée, expreflion qui décele toujours une indulgence abjeéte pour des défordres dont on pronte. La maffe de la nation devient diffolue & fuperftitieufe : car le defpotifme ne peut ni s'établir fans 1'entremife, ni fe foutenir fans 1'étai de la fuperfticion : car la fervitude conduit a la dé-
bauche,



A L-HIST. PHILOSOPHIQUE. 257
bauche, qui confole & qui n'eft jamais réprimée. Les hommes inftruits, quand il en refte, onc des vues, font la cour aux grands ,& profeffent la Religion policique. La cyrannie menanc ïi fa fuite Pefpionnage & la délacion, il y a des délateurs & des efpions, dans tous les états, fans en excepter les plus diftingués. La moindre indifcrétion prenant la teinte du crime de Jefe-majefté, les ennemis font très-dangereux, & les amis deviennent fufpeéts. On penfe peu; on ne parle point, & 1'on craint de raifonner. On s'effraye de fes propres idéés. Le philofophe retient fa penfée, comme le richocache fa fortune. La vie la plus fage, eft la vie la plus ignorée. La méfiance & Ia terreur forment la ' bafe des mceurs générales. Les citoyens s'ifolent; & toute une nation devient mélancölique, pufillanime, ftupide & muette. Voila les chaïnes, lesfymptömesfuneftes, oul'échelle de mifere fur laquelle chaque peuple connoitra le degré de la fiennei
Si vous revenez fur les phénomenes qui précédent, &que vous en imaginiez de contraires, ils vous indiqueront le mouvement des légiflations qui tendent a la liberté. II eft troubléj il eft rapide; il eft violent. C'eft une fievre plus ou moins forte, mais toujours convulfive. Tout annonce de la fédirion, des meurcres. Teut fait trembler pour une difTolution générale; & fi "Suppl. Tome HL R



258 SUPPLÉMENTS
le peuple n'eft pas deftiné au dernier malheur, c'eft dans Ie fang que fa félicité renaic.
L'Angleterre 1'éprouva dans les premiers, &c.
Page 250, après ces mots, pas été prévues, lifez : Ce n'eft, il eft vrai, qu'avec le Confeil & a la pluralité des voix : mais comme les membres de ce corps lui doivent ordinairement leur rang, il eft rare qu'ils traverfent fes vues.
Pour concilier fes intéréts avec la liberté de fes colonies, la métropole a voulu qu'on n'y put faire aucune loi qui contrariat les fiennes; elle a voulu que fes délégués jurafl'ent qu'ils ne permettnfient jamais que dans les lieux foumis a leur autorité, on s'écartat, pour quelque caufe que ce put être, des réglemencs imaginés pour Ia profpérité de fon commerce. Cette religion du ferment a été imaginée, paree que les ifles réglant & payant elles-mêmes la majeure partie des gages de leurs chefs, il étoit a craindre que quelques-uns de ces Commandants ne cherchaffent a exciter la libéralité par leurs complaifances. Un autre frein a été mis a la corruption. II faut que la rétribution accordée au Gouverneur s'étende a toute la durée de fon adminiftration, & qu'elle foit Pobjet du premier bill qui fe pafle h fon arrivée. Ces précautions parurent cependant infufiïfantes a quelques defpotes. Auffi opinerent-ils a profcrire un ufage qui faifoit dépen» dre en quelque maniere ceux qui ordonnoient



A L'HlSf. PHILOSOPHIQUE. 259
des hommes qui leur étoient fubordonnés. Le Parlement fe refufa toujours a ce changement. Craignant avec raifon Porgueil & Pavarice qui font paflèr les mers, il a toujours maintenu une pratique qu'il croyoit propre a arrêter la cupidité & la tyrannie. C'eft dans le même efpric qu'il a décerné contre les Gouverneurs qui violeroienc les ftatuts des colonies, les peines infligées eti Angleterre aux infraéteurs des conftitutions nationales.
Ce corps a auffi autorïfé les ifles a entretenir dans Ia métropole des députés chargés de leurs intéréts. Leur fonétion principale eft d'obtenir la confirmation des ftatuts panes dans les colonies. Ces aétes font provifoirement exécutés s mais ils n'ont force de loi que lorfqu'ils ont été; approuvés par le Monarque. Cette fanélion une fois obtenue, ils ne peuvent être révoqués que par Pafferablée de la colonie el!e-même, ou par le Parlement qui exerce Ia fuprême autorité dans tout 1'Empire. Les agents des ifles font a Londres ce que les députés du peuple font dans le Sénat Britannique. Malheur a 1'Etat, s'il devenoit fourd au cri des repréfentants, quels qu'ils foient. Les Comtés fe fouleveroient en Angleterre; les colonies fe détacheroient en Amérique; les tréfors des deux mondes feroient per„dus pour l'ifle métropolitaine. L'Empire entier tomberoit dans la confufion.
Ra



26o SUPPLÉMENTS
Les fources de la félicité publique n'ont pas été jufqu'ici corrompues par ce mauvais efprit. Les établiflements formés dans les lndes Occidentales, ont toujours tenu a leur patrie par les liens du fang, par les nceuds du befoin. Leurs cultivateurs ont eu fans ceffe les yeux attachés fur une mere qui veilloit a leur füreré, qui s'occupoic de leur amélioration. Semblable a 1'aigle qui ne perd jamais de vue le nid de fes aiglons, Londres voit du fommet de fa tour, fes colonies croitre & profpérer fous fes regards attentifs. Ses innombrables vaiflèaux couvrant de leurs voiles orgueilleufes un efpace de deux mille lieues, lui forment comme un pont fur 1'Océan, pour communiquer fans relache d'un monde a 1'autre. Avec de bonnes loix qui maintiennent ce qu'elles ont établi, elle n'a pas befoin pour garder fes pofftflions éloignées de troupes réglées, qui font toujours un fardeau pefant & ruineux. Deux corps très-foibles, fixés a Antigoa & a la Jamaïque, fuffifent a une nation qui penfe avec raifon que des forces navales bien entretenues, continuellement exercées, toujours dirigées vers Putilité publique , font les vraies fortifications de ces utiles établiflements.
Par ces foins bienfaifants, qu'une, ótc.
Page 255, après ces mots, quelques bran* ches, lifez : Toutefois on ne pourfuivit pas a la rigueur 1'obfervation de cette loi gênante. Peut-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 26*1
être les navires marchands de Ia métropole n'étoient-ils pas aflez multipliés pour enlever toutes les produétions des ifles ? Peut-être craigniton d'aigrir ces colonies en privant fubitement leurs rades d'une concurrence qui augmentoit le prix des denrées? Peut-être les plantations avoient-elles encore befoin de quelque tolérance pour porter leurs cultures au point oü on les defiroit? Ce qui eft fur, c'eft que 1'aéte de navigation ne fut févéremenc exécuté qu'en 1660 A cette époque, les fucres Anglois avoient remplacé le fucre Portugais dans tout le nord de FEurope. On peut croire qu'ils 1'auroient également fupplanté au midi, fi Fobligation impofée aux navigateurs d'aborder dans les ports Britanniques, avant de pafier le clétroit de Gibraltar, n'avoit mis des obftacles infurmontables a ce commerce. II eft vrai que pour acquérir cette fupériorité fur la feule nation qui fut en poffeflion de cette denrée, les Anglois avoient été obligés de baiflèr confidérablement les prix : mais 1'abondance des récoltes les dédommageoit avantageufement de ce facrifice. Si le fpeétacle de cette fortune encourageoit d'autres peuples a cultiver du moins, pour leur confommation, 1'Angleterre s'ouvroit de nouveaux débouchés qui rempliffoient le vuide des anciens. Le plus grand malheur qu'elle éprouva, &c. Page 256, après ces mots, toujours cefler,
R 3



s6s SUPPLÉMENTS
lifez : les travaux s'accrurent de plus en plus dans les ifles Angloifes. Toutes les produétions propres a rAmérique y obtinrent de nouveaux foins : mais les richeiïès propriétaires s'attacherent plus particuliérement au fucre, dont le débit augmentoit chaque jour dans 1'Europe entiere. Cette profpérité duroit depuis un demiliecle, lorfque les efprits attentifs s'appercurent que les exportations fe ralentiffoient. On crus alors aflez généralement que les colonies étoient ufées. LeSénatde la nation adopta lui-même ce préjugé, fans confidérer que fi le fol n'avoit plus cette fécondité particuliere aux campagnes nouvellement défrichées, il lui reftoit toujours le degré de fertilité que la terre perd rarement, li moins que des fléaux & des écarts de Ia nature ne changent fa fubftance. La vérité ne tarda pas h. fe faire jour. II fallut reconnoitre que les raarchés étrangers fe fermoient peu-a-peu pour la Grande-Bretagne, & ne s'ouvriroienc bientöt que pour la France.
Cet Empire, qui, par fes avantages naturels & le génie aétif de fes habitants, devroit être le premier h tout entreprendre, s'eft long-temps trouvé , par les entraves de fon gouvernement, un des derniers h s'inftruire de fes intéréts. II regut d'abord fon fucre des Anglois. Enfuite il en cultiva pour fes ufages; puis pour vendre, jufqu'a ce que les gênes de tous les genres l'euf«






Liv. XIV.
É T A T
S)ea ZProductions qiwj) lca> (jrandt - ShrUa^niS> recolt annaeMtmtnt^Q
DENRÉES. QÜANTITÉS. PRIX. MONTANT.
liv. fols. liv.
^ucre 1,600,000 quintaux a 40 le quintal....... 64,000,000
Rum de première force 1,200,000 galons a 3 le galon 3,600,000
Rum plus foible 6,300,000 galons a 1 10 le galon 9,450,000
73,000 quintauï a 50 le quintal 2,250,000
^acao 5,000 quintaux a 50 le quintal 250,000
C°ton • 85,000 quintaux a 150 Ie quintal 12,750,000
Piment • 10,500 quintaux k 42 le quintal 441,000
Gingembre 3,700 quintaux a 70 le quintal....... 259,000
Indigo 40 milliers a 8 Ia livre 320,000
Bois de teinture & de marqueterie 500,000
1 ,
Total..... 93,820,000



Liv. XIV.
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TABLEAU
DU COMMERCE DE LA GRAND EB R ET AG NE
AVEC SES ISLES OCCJDENTALES DE L'AMÉRIQUE,
Depuis I697 jufqu'en I77J, fuhant les comples rendus au Parlement, recueillis par le Chevalier CHARLES WHITWORTH.
liv. XIV.
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1747 388,7461710 941,118 6 I 772,37110 3B 8,746,80216 5 21,177,161 l6 loi 12,428,579.- 71 ^ £S : o*« ^ "S*^ h tv.sc os on - o r>T
1748 44!,93i 6 7 1,616,44214 7 i,i74»fn 7 IOI 9,943,4f4 18 i| 36,369,961 4 4i 26,426,706 6 3! 0 o| M
1749 773,779 18 ïi 1,481,226 3 1 927,466 4 2112,479,79817 7i 33,327,788 9 45 20,867,98913 91 a, ^ ^ - - ^ °3 ^ £7 E ^2 ^ J £^
1770 746,74816 I 1,718,904 6 6 972,37710 7 ÏI2,297,348 I IC| 34,177,347 6 3 21,877,999 4 4f! ^ Sc Cnv2 ^ Sii* «rlNffv^UThr. n m I cn
1771 632,08819..- 1,448,367 311 816,278 411114,222,001 7 6 32,788,26118 Is 18,366,26010 7|! ^ _ «jONrt ^-5"R.?ï-ov§ ^^nOt? o
1772 705,920 7 7 1,453,00612 4 729,086 6 9117,858,206 7 71 32,242,64817 6 16,404,44211 io|j fs * <3 ^ ^^^o SM 2 ±^ «-r 4:^00 o"
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1774 687,83917 2 1,467,770 8 lï 781,75011 9 I7,43i,?96l6 5 33,020,337.... 75 17,788,938 4 <|. 'eo 2_ J^__ o
1777 694,667 13 3 1,870,7^ 7 10 1,176,064 14 7 17,630,022 8 ii 42,091,478 16 3 26,461,476 8 li; ^ P^^^^t^KKiCKK^rr^
1776 753,47816 3 1,689,262 3 9 977,8oj 7 6 16,702,823 7 7| 38,008,399 4 42 ai,fof,f7f 18 9 5 ^^^^^^^^^ É^S.
I7f7 777,a8f 10 4 1,909,695 13 2 1,132,408 2 10 17,488,924 2 6 42,968,107 6 3 27,479,183 3 9 J , 1 j f ; : : : : . M " " M M.
1778 878,319 1 8 1,862,628 14 6 984,309 12 10 19,762,179 7 6 41,909,146 6 3 22,146,966 18 9 ^ £ g ' g. | M I MM [ M I : I I I I7f9 978.079 10 4 1,907,738 3 7 929>4f8 ij 1 22,006,789 2 6 42,919,608 16 io| 20,912,819 H 4ï h af% .2. M M ! M I MM. M M I
1760 1,374,09719 j 2,287,840 8 7 9i3,74a 9 a 50,917,204 6 ic| 71,476,409 13 i| 20,779,207 63^ Wfcfcr^S P«2.^^.tC«J 4.-JL,i':
1761 1,079,767 8 V. 2,438,797" 2 1.379,050 2 9 24,294,76619 4I 74,87a,94f » 3 30,778,178 * I0I ? £M &&&&^tt&&&¥X.ll'? 1 ^
1762 1,281,101 13 1 2,766,9701810 1,^87,869 f 9 28,824,787 4 4I 77,776,846 3 9 28,932,07819 4i 5 * « m- " • " " " " " " ~ " =
1763 1,158,771 12 8 5,017,140 7 .... 1,878,368 14 4 27,622,361 if .... 67,887,677 17 6 42,263,296 26 ^ f I ! ï I f I : I ! ! M : : : :
1764 914,665 8 6 2,452,878 18 10 1,718,217 10 4 20,779,927 1 5 74,739,776 3 9 34,179,849 26 « M M M M M M M M
1767 1,027,216 7 U 2,277,076 17 7 1,249,840 9 8 25,112,568 18 i| 71^33,779 17 7I 28,121^.10 17 6 fel ^—-r-f i M M M M M 4-MM_____.
1766 1,049,631 7 9 2,812,194 9 8 1,762,763 3 11 23,616,703 19 4f 63,274,577 17 6 39,677,671 18 15 Q M M wM M M -: M M : I
1767 1,063,198 .... 3 2,696,176 4 7 1,632,978 4 4 23,92i,97f f 7|:, 60,663,717 j il 36,741,779 17 6 w w ■ l i f » ; j [.« j I ! I j I M
1768 1,180,968 6 2 2,946,076 17 1 i,76f,io8 10 11 26,771,786 18 9- 66,286,729 4 4| 39,714,942 7 7l o 3 ■/ l : |S M M M i M M I
1769 1,267,477 19 9 2,696,900 4 1 1,429,422 4 4 28,718,274 14 4| 60,680,274 11 io| ^,161,999 17 6 % £ | M : ^ j | lo
1770 1,273,479 y 11 3,ii6,4oj t 3 !,84a,943 11 4 28,672,843 3 Jf 70,119,073 8 i| 41,466,230 f .... ^ w \ \ * \« I : « p " ^ I * 0 h |f o»
1771 1,101,377 3 9 2,717,867 6,.., 1,616,710 a 3 24,780,73614 45 61,172,014 f-. 36,371,47710 71$ " _? M I 5 « ! 5j 5 ö •: " 2 5
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A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 263
fent réduir. a fes feuls befoins. Ce ne fut qu'en 1716 que fes ifles recommencerent a approvifionner les autres nations. La qualité fupérieure de leur fol ; 1'avantage d'exploker des terres neuves; réconomie forcée de leurs cultivateurs encore pauvres : tout fe réunilïbit pour les mettre en état d'offrir leur production a un prix plus bas que les colonies rivales. D'ailleurs, elle étoit meilleure. Auffi a mefure qu'elle fe multiplioit, celle qu'autrefois on recherchoit fi fort, étoit-elle repouflèe dans tous les marchés. Vers 1'an 1740, le fucre des plantations Francoifes fe trouva fuffïfanc pour 1'approvifionnement général; & a cette époque , les Anglois fe virent réduits a ne cukiver que pour leurs befoins. Ils étoient encore très-bornés au commencement du fiecle : mais 1'ufage du thé & d'autres nouveaux goüts en ont prodigieufement augmenté la confommation.
La Barbade étoit une des poflèffions Britanniques qui fourniflbient le plus de cette denrée. Cette ifle , fituée au vent de toutes les autres, ne paroifibit pas avoir été habitée, même par des fauvages, lorfqu'en 1627 quelques families Angloifes s'y tranfporterent, mais fans aucune influence de 1'autorité publique% Ce ne fut que deux ans après qu'il s'y forma une colonie réguliere aux dépens & par les foins du Comte de Carlifle, qui, a la mort tragique de Charles I, perdit une propriété que ce foible Prince lui R 4
I
VIL
Les Anglois i'établiffent i laBarbarlej Srande profjérité de cet:e ifle.



ÏXÏ Ztata£tuel «e la Barbare.
26*4 SUPPLÉMENTS
avoit imprudemment accordée. On la trouva couverte d'arbres fi gros & fi durs, &c.
Page 262, après ces mois, dans la foumiffion, lifez Elle ne s'eft pas démentie depuis; & cependant la colonie a prodigieufementdéchu de fon ancienne profpérité. Ce n'eft pas qu'on n'y compte encore dix mille blancs & cinquante mille noirs: mais les récoltes ne répondent pas a Ia population. Elles ne s'élevent pas dans les meilleures années au-deflus de vingt millions pefant de fucre, & reftent très-fouvent audeflbus de dix millions. Encore, pour obtenir ce foible produit, faut-il faire desdépenfes beaucoup plus confidérables que n'en exigeoit un revenu doublé dans les premiers temps,
Le fol de la colonie, qui n'eft qu'un rocher de pierre calcaire recouvert de fort peu de terre, eft entiérement ufé. Tous les ans il faut 1'ouvrir a une aflèz grande profondeur, & remplir de fumier les trous qu'on a faics. Le plus ordinaire de ces engrais eft le varec, que le flux jette pé« riodiquement a la cöte. C'eft dans cette herbe marine que les cannes font plantées. La terre n'y fert guere plus a la produclion que les caiflès dans lefquelles font mis les orangers en Europe,
Le fucre qui fort de fes cultures, a généralement fi peu de confiftance, qu'on ne peut 1'ex* pédier brut, & qu'il a fallu le terrer : méthode qu'on ne fuic pas dans les autres établiflements



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 263*
Anglois, quoiqu'elle n'y foit pas prohibée, comme plufieurs Ecrivains 1'ont avancé. Ce qui prouve encore mieux fa mauvaife qualité , c'eft qu'il fe réduit en rnelaflè beaucoup plus que par-" tout ailleurs. Les féchereffes qui fe répetent fouvent a la Barbade, depuis qu'elle eft entiérement découverte, mettent le comble aux malheurs des habitants de cette ifle , autrefois fi floriffante.
Auffi, quoique les taxes arinuelles ne paflènt pas 136,291 livres, payées parune foiblecaprtation fur les noirs & quelques autres impofitions, les colons font-ils réduits a une. médiocrité qui y approche de 1'indigence, Cette fituation les ernIj pêche d'abandonner le foin de leurs plantations f a des fubalternes, pour aller habiter des climats f plus doux. Elle les rendmême inhumainsenvers 1 leurs efclaves, qu'ils traitent avec une cruauté in» I connue dans les autres colonies.
Aux ifles du Vent, la Barbade étoit naguere | la feule poflèffion Britannique qui fut commer| cante. Les navires qui venoient d'Afrique , y i abordoient généralement. Ils livroient leur cargaifon entiere a un feul acheteur & a un prix commun, fans diftinguer dans lemarché ni lage," ni le fexe, Ces negres, que les négociants avoient i achetés en gros , ils les vendoient en détail dans l'ifle même , ou dans les autres établiflements Anglois; & le rebut étoic introduit clandeftineR 5



266 SUPPLÉMENTS
ment ou a découverc dans les colonies des autres peuples. Ce grand mouvement a beaucoup diminué depuis que les autres ifles Britanniques ont la plupart voulu recevoir leurs efclaves direftement de Guinée, & fe font foumifes a 1'ufage établi de les payeren lettres-de-change a quatrevingts-dix jours de vue.'On a depuis étendu aun an ce crédit troplimité, & très-fouvent ilafallu le proroger encore.
Antérieurement a cette révolution, ilcirculoit un aflez gros numéraire a la Barbade. Le peu d'argent qu'on y voit encore aujourd'hui eft tout Efpagnol, regardé comme marchandife, & ne fe prend qu'au poids. La marine, qui appartient en propre a cet établiflèment, confifte en quelques bateaux néceflaires pour fes diverfes correfpondances, & en une quarantaine de chaloupcs employées a la pêche du poiflbn volant.
La Barbade eft aflez généralement unie, &, 3 1'exception d'un très-petit nombre de ravins, par-tout fufceptible de culture. Ce n'eft qu'au centre que Ie terrein s'éleve infenfiblement, & forme une efpece de montagne couverte jufqu'a fon fommet de plantations commodes & agréables; paree que, comme les autres, elles furent toutes formées dans des temps d'une grande opuIence. L'ifle n'eft point arrofée: mais les fourees d'eau potable y font aflez communes; de trèsbeaux chemins la coupent d'une extrêmicé h 1'au-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 26;
tre. I!s aboutiflènt a Bridgetown, ville mal fituée mais bien batie, oü font embarquées les denrées qu'on doit exporter, quoique ce ne foit qu'une rade ouverte a plufieurs vents.
La colonie, partagée en onze Paroiflès, n'offre pas une poficion oü 1'on put arrêter un ennemi qui feroit débarqué; & le débarquement, impofiible dans plufieurs pointsdescötes, efttrèspraticable en d'autres, malgré les redoutes & les batteries placées pour 1'empêcher. Les gens de 1'art penfent que le plus fur moyen de faire réuflir une attaque feroit de la former entre la capieale 6? le bourg de Holetown.
Cette entreprife exigeroit des forces plus confidérables qu'on ne feroit porté a le penfer, en confidérant que la Barbade n'a point de troupes •régulieres. Elle eftremplie de petits cultivateurs braves, aétifs, accoutumés aux exercices militaires, & qui vraifemblablement ne feroient guere moins de réfiflance qu'une milice mercenaire. Cel! de 1'Europe que devroit partir 1'armement deftiné a faire cette conquête. Si on le formoic a la Martinique ou a quelque autre établiflèment ficué fous le vent, les efcadres Angloifes qui feroient dans ces parages, pourroient bloquer Ie port dans lequel fe prépareroit 1'expédition, ou bien arriver a temps a la Barbade, pourtroubler les opérations de l'aflaillanr. Cette ifle eft au vent de toutes les autres; &
x.
La Barbade eft-elle fufceptible d'une grande défenfe.



«68 SUPPLÉMENTS
]
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XI.
Evénements arrivés dans Antigoa. Produflions & charges de cette ifle. Importance dont elle eft pour la GrandeBretagne.
:ependant on ne fauroic tirer de grands avantages Je fa pofition confidérée militairement. Elle n'a jue des rades foraines; &, quoique moins exjofée aux tempêtes & aux ouragans que les pa■ages voifins, elle n'orTre dans aucun temps un ifyle für aux vailTeaux de guerre, & moins encore lans les fix derniers mois de 1'année oü la mer ;ft plus orageufe. Aufli la métropole n'y a-t-elle formé aucun établifTement de marine. Les efca3res nationales n'y font jamais en ftation. S'il y >n paroit quelquefois, ce n'eft que pour peu de temps. C'eft ainfi qu'en 1761 & en 1762 , on y raflèmbla au mois de Janvier & de Février, lans la belle faifon, lesflottes deftinéesa s'empa■er de la Martinique & de la Havane.
Antigoa qui a une forme circulaire & environ ringt millesde long, fut trouvée tout'h-fait déferte par le petit nombre de Francois qui s'y réfugierent, lorfqu'en 1628 ils furent chalTés de Saint-Chriftophe, &c.
Page 266, après ces mots , lui manquoit» Ufez: de prix & de perfeclion. L'ambition de tous fut alors de la multiplier. Ce foin occupoit trois mille cinq cents trente-huit blancs & vingt-fept uille quatre cents dix-huit noirs en 1741. Deauis cette époque, le nombre des hommes libres 1 beaucoup diminué, & celui des efclaves s'eft iccru confidérablement. Leurs travaux réunis font naitre dix-huit ou vingt milüons pefant de



A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. aty
fucre brut & une quantité de rum proportioni]ée. Ce revenu diminue confidérablement dans les années trdp fouvent répétées, oü la féchereflè afflige la colonie, qui, par cette raifon, eft forc endettée.
C'eft a Saint-Jean, fitué a 1'Oueft de l'ifle, que font tous les cribunaux. C'eft auffi dans ce bourg que s'eft concentrée la plus grande partie du commerce. Malheureufement fon port eft fermé par une barre fur laquelle il ne refte que douze pieds d'eau. Si elle diminue encore, les naviga» teurs prendront leur chargement au Nord de la colonie, dans la rade de Parham, beaucoup meilleure que celle qu'ils fréquentent, mais infiniment moins commode pour la réunion des denrées.
. Un grand intérêt doit excker 1'Angleterre a prévenir par tous les moyens poffibles, la décadence d'un fi précieux établiflement. C'eft 1'unique boulevard des nombreufes & petites ifles qu'elle occupe dans ces parages. Tout ont les yeux fixés fur Antigoa & fur le Havre Anglois, port excellent oü mouillent les forces navales chargées de leur füreté, & oü les efcadres trouvenc réunis dans des arfenaux & des magafins très-bien entendus, les objets néceflaires pour aflurer leurs opérations. L'entretien des médiocres fortifications qui entourent les deux principales rades; une partie de la folde des fix cents



270 SUPPLÉMENTS
hommes chargés de Ieurdéfenfe; les fraix qu'en4 traine 1'anillerie : ces dépenfes font a la charge de la colonie, & abforbent les deux tiers des 272,582 liv. qu'elle eft obligée de demander annuellement a fes habitants.
C'eft un trop grand fardeau. Pour en diminuer le poids, 1'afiemblée de l'ifle imagina de mettre une taxe^fur tous ceux de fes propriétaires qui réfideroient en Europe : mais la métropole annulla un réglèment qui bleffoit ouvertement la liberté individuelle. Alors la colonie ordonna que les cultivateurs auroient a 1'avenir fur leurs plantations unblanc ou deux blanches pour chaque trentaine de noirs. Cette loi qui futadoptée par plufieurs autres ifles n'eft guere obfervée, paree qu'il en coüte moins cher pour la violer que pour entretenir des êtres libres dont les foins ne font pas indifpenfables. Auffi des amendes réglées pour én punir la tranfgreflïon, Font-elles devenues une des plus grandes reffour* ces du tréfor public de cet établiflèment.
Son corps légiflatif a quelquefois montré un courage remarquable. Les ifles Angloifes n'onc point de monnoies qui leur foient propres. Celles qu'on y voic circuler font toutes étrangeres. La métropole crut en devoir régler la valeur au commencement du fiecle. Cet arrangement fuc. jugé contraire a 1'intérêt de la colonie qui les établit elle-même fur un piecl plus haut. II étoic



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 27;
raifonnable de penfer que Ie Parlement annul Jeroit un acte fi contraire h fon autorité. Le Avocats s'engagerenc, fi cec événement arri voit, de ne jamais prêter leur miniftere a aucui de ceux qui auroient refufé de prendre les ef pece au prix fixé par raffèmblée.
Une autre occafion développa encore rnieu? Pefprit qui régnoka Antigoa. Son Gouverneur, le Colonel Pach , &c.
Page 2,67, après ces mots, & de' la terre, li fez:Le Confeild'Antigoa n'étendpas fajurifdic tion fur les ifles voifines qui ont toutes leun affemblées particulieres-: mais fon chef 1'eft auffi des autres, excepté de la Barbade, qui, acaufs de fa pofition & de fon importance, a mérité d'eïre diftinguée. Ce Commandant-général doit faire tous les ans l'infpecUon des lieux foumis h fon autorité; & c'eft. par Moncferrat qu'il commence ordinairement fa tournée.
Cette ifle, recorinue en 1493 Par Colomb, êc occupée en 1632 par les Anglois , n'a que huit ou neuf lieues de circonférence. Les fauvages qui y vivoient paifiblement en furent, fe. Ion 1'ufage, chafTés par les ufurpateurs. Cette injuftice n'eut pas d'abord des fuites fort heureufes. La marche du nouvel établiiïcment fut long-temps fi lente, que cinquante-fix ans après fa fondation, on y comptok a peine fept cents habitants. Ce ne fut que vers ia fin du fiecle
>
xn.
A quoi fe rédiiit 1'établifferaentformé par Ees Anglois a Montferrat.



272 SUPPLÉMENT §
que la population en blancs & en noirs deyiht ce qu'elle pouvoit être dans une pofleffion fi reflèrrée. Des cannes furent alors fubftituées aux denrées de peu de valeur qui avoient faic languir leurs cultivateurs dans la mifere. La guerre & les éléments renverferent, a plufieurs reprifes, les efpérances les mieux fondées, & forcerent les colons a contrscler des dettes qui ne font pas encore acquittées. A 1'époque ou nous écrivons, la vigilance de mille perfonnes libres,' & le travail de huit mille efclaves font naitre cinq a fix millions pefant de fucre brut fur de petites plaines ou dans des vallons que fertilifent les eaux tombées des montagnes. Un des défavantagesde cette ifle, oü ladépenfe publique ne pafle pas annuellement 49,887livres.» c'eft qu'elle n'a pas une feule rade ou les chargements, oü les déchargements foient faciles. Les navires mêmes feroient en danger, &c.
Page 269, au-lieu de Nevis, lifez, Nieves. Pane 270, après ces mots, un peu relevée, lifez i On y voit fix cents hommes libres & cinq mille efclaves, dont les impofitions ne paflenc pas 45,000 livres, & qui envoyent a 1'Angleterre trois ou quatre millions pefant de fucre brut, que les navigateurs chargent en totalité fous les murs de la jolie ville de Charles-Town. *
Peut-être ceux qui s'affligent, &c.
Ibid. après ces mots, de ces prodiges, lifezi
Saint*



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 273
Saint-Chriftophe fuc le berceau de toutes les colonie Angloifes, &c*
Page 271, ap. ces mots, deuxhémifpheres, lifez : Malheureufement, par une convention peu réfléchie, on avoit laifTé en communla chaffe, h pêche, les bois, les rades, les falines. Cet arrangement mêloit trop des hommes qui ne pouvoient s'aimer; & la jaloufie divifa bientöt ceux qu'un intérêt momentané avoit unis. Cette funefte paffion enfantoit tous les jours des querelles, des combats j dés dévaftations; mais c'étoienc des animoficésparticulieres, donc les Gouvernemenc refpeclifs ne s'occupoient pas. Des caufes plus graves ayant, en 1660", allumé entre les métropoles des guerres' qui remplirenc prefque fans interruption le refte du fiecle, leurs fujets de Saint-Chriftophe fe battirent avec un acharnement qu'on ne retrouvoit pas ailleurs. Tantót vainqueurs, tantöt vaincus, ils fe chaffoient tour-a-tour de leurs plantations. Cecce afternative, fi long-temps, &c.
Page 272, après ces mots, efpoir de retour, lifez : Ce facrifice devoit peu coüter a ufi peuple qui ne s'étoit jamais férieufement occupé du foin de faire naïcre des produétions fur fon domaine. La population s'y réduifoir, &c.
Page 273, ap. ces mots, comme les anciennes, lifez: L'ifle, qui eft généralement, mais très-inégalement étroite, peut avoir une furface de trente-
Suppl. Tome lil. S



274 SUPPLÉMENTS
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XVI.
Déplorables , cataftrophes arrivées a Sr. Chriftophe.
x lieues quarrées. Des monts entafles, ftériles, uoique couverts de verdure, & qui occupenc ; tiers du terrein, la coupent dans prefque toute i longueur. Du pied de ces montagnes fortenc ne infinité defources, qui, la plupart, tariflènc lalheureufement dans la faifon feche.
On voit éparfes dans la plaine, &c.
Page 273, après ces mots, querelles du jeu, 'fez : Au-lieu de ce fimulacre d'union, qui n'eft u'un germe de divifion, les repréfemants des ropriétaires, prefque tous fixés en Europe, vient au nombre de dix-huit cents fur les planitions, dont, par les bras de vingt-quatre a vingtinq mille efclaves, il arrachent dix-huit millions lefant d'un fucre brut, le plus beau du Noueau-Monde. Ce produit met la colonie en étac le fournir aifément aux dépenfes publiques, qui ie paflent pas annuellement 68,145 livres 10 bis.
C'eft a Saint-Chriftophe que fe pafla, en 1756, ane fcene digne d'être racontée.
Un negre fut affocié des 1'enfance aux jeux le fon jeune maitre. Cette familiarité, commulément fi dangereufe, étendit les idéés de 1'ef:lave, fans altérer fon caraélere. Quazy mérita bientöt d'être chofi pour direéteur des travaux de la plantation; &il montra, dansce pofte important , une intelligence rare & un zele infatigable. Sa conduite & fes calents augmenterent encore



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 275 fa faveur. Elle paroiflbit hors de toute atteinte * lorfque ce chef des atteliers, jufqu'alors fi chéri & fi diftingué, fut foupconné d'avoir rnanqüé a lapolice établie, & publiquement menacé d'une punition hurailiante.
Un efclave, qui a long-temps échappé aux chatiments, infligés trop facilement, & tropfouvent a fes pareils, eft infiniment jaloux de cette diftincïion. Quazy, qui craignoit 1'opprobre plus que le tombeau, & qui ne fe flattoit pas de faire révoquer par fes fupplications 1'arrêt prononcé contre lui, fortit, a 1'entrée de la nuit, pour aller invoquer une médiation puiflante. Son maitre 1'appercut malheureufement, & voulut Parrêten Onfeprend corps a corps. Les deuxchampions, adroits & vigoureux, lutcent quelques moments avec des fuccès variés. L'efclave terraflê a la fin fon inflexible ennemi, le met hors d'état de fortir de cette fituation fikheufe, Sc lui portaric un poignard fur le fein, lui tient ce difcours:
„ Maïtre, j'ai été élevé avec vous. Vos plai?, firs ont été les miens. Jamais mon cceur ne „ connut d'autres intéréts que les vötres. Je fuis „ innocent de la petite faute dont on m'accufe; „ & quand j'en aurois été coupable, vous auriez dü me la pardonner. Tous mes fens s'in„ dignent au fouvenir de 1'afFront que vous me „ prépariez; & voici par quels moyens je veux „ 1'éviter ". Eu difant ces mots, il fe coupe Ia
S 2



i
XVII.
Varticularhés fur la Barboude,
,76 SUPPLÉMENTS
jorge, & tombe mort fans maudire un tyran qu'il jaigne de fon fang, &c.
Dans la même ifle, 1'amour & 1'amitiéfe font Ignalés, &c.
Page 27a, après ces mots, il ne ferapleuré, lifez :La Barboude, quiapparcient couceentiere !l la familie de Codringcon, & donc la drconférence eft de fix a fept lieues, a des cöces dangereufes. C'eft peut-être, de toutes les ifles de 1'Amérique, laplus unie. Les arbres qui lacouvreHt font foibles & peu élevés, paree qu'il ne s'y trouve jamais plus de fix ou fept pouces de terre, fur une couche de pierre a chaux. La nature y a placé une grande abondance de tortues; un caprice y a fait envoyer des bêtes fauvages & plufieurs efpeces de gibier; le halardy a rempli les bois de pintades & d'autres volailles, échappées des navires dans quelques naufrages. Sur ce fol, fonc nourris des bceufs, des chevaux, des muiets, pour les travaux des établiflements voifins. On n'y connoit d'autre culture que celle de 1'herbe de Guinée, néceffaire pour la nourriture de ces nombreux troupeaux, dans les faifons oü les pacurages manquent. Sa population fe réduit a trois cents cinquante efclaves, & au petit nombre d'hommes libres, chargés de les eonduire. Cette propriété particuliere nepaye aucun tribut a la nation, quoiqu'elle foit foumite aux tribunaux d'Antigoa. L'air y eft très-pur & crès-fain.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 277
Autrefois, les infirmes des autres ifles Angloifës 1'alioient refpirer, pour arrêter le progrès de leurs maux, ou pour rétablir leurs forces. Cet ufage a ceflè, depuis que quelques-uns d'entre eux fe font permis des chafles deftruétives.
Quoi, pour nourrir des animaux, on laiflera périr des hommes! Comment fouffre-t-on que cet ufage atroce qui attire les imprécations de prefque toute 1'Europe fur les Souverains, fur les Seigneurs de nos contrées, s'établiflè au-dela des mers! Je l'ai demandé, & 1'on m'a répondu que l'ifle appartenoit aux Codringtons, & qu'ils avoient le droit de difpofer de leur propriété k leur fantaifie. Je demandé a préfent fi Ie droit, facré fans doute, de la propriété n'a point de limites? fi ce droit n'eft pas dans mille circonftances, facrifié au bien public ? fi celui qui poffede une foncaine peut refufer de 1'eau a celui qui fe meurt de foif? fi un Codrington mangeroic d'une de ces précieafes pintades, qui auroit coüté la vie a fon compacriote, a fon femblable? fi celui qui feroit convaincu d'avoir laiflè mourir un malade a fa porte, feroit fuffifammenc puni par 1'exécration générale, & s'il ne mériteroic pas d'être trainé au tribunal des loix comme affaffin ? Poffefteur, de la Barboude, vous 1'êtes de tous ceux a qui vous avez enlevé la falubrité de Pair, qui les auroit confervés; & fi vous n'en êtes pas défefpéré en mourant, c'eft que
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S78 SÜPPLÉMENTS
xvm.
La colonie «3'Anguille eft très-miférable, & fon fort ne peut pas changer.
vous braverez au fond du coeur la juftice divine, Hatez-vous de rappeller cet impudique repréfentant, qui, allarmé pour un ferrail demulatrefies, qui fait, dit-on fes délices, pourfuic a Ia rigueur 1'exécution de votre barbare défenfe.
L'Anguille a fept ou huit lieues de long, fur une largeur très-inégale, mais qui n'excede jamais deux lieues. On n'y voit ni montagnes, ni bois, ni rivieres. Son fol n'eft que de la craie.
Quelques vagabonds Anglois s'établirent fur ce rocher poreux & friable, vers 1'an 1650. Après un travail opiniatre, ils arracherent enfin a cette efpece de tuf un peu de coton, un peu de millet & quelques patates. Six veines de terre végétale, qu'on découvrit avec le temps, recurent des cannes qui, dans les meilleures récoltes, ne donnent que cinquante milliers de fucre, & n'en produifent quelquefois que cinq ou fix milliers. Ce qui fort de plus de la colonie y a été porté clandeftinement de Sainte-Croix, ou les habitants d'Anguille ont formé plufieurs plantations.
Dans les années de féchereflê, qui fe répetent trop fouvent, l'ifle ne trouve des reflburces que dans un étang dont on livre le fel aux nouveaux Anglois, & dans la vente des moutons & des chevres, qui réuflillènt mieux fous ce climat fee, fur ces plaines arides, que dans le refte de 1'Amérique,



A L'IIIST. PHILOSOPHIQUE. 279
Anguille ne compte que deux cents perfonnes libres & cinq cents efclaves. Elle a cependant une afïèmblée & même un chef, toujours choifi par les habitants, & confirmé par le Gouverneur d'Antigoa. Un étranger, envoyé pour conduire ce foible écabliflêmenc, feroit infailliblement repouflë par des hommes qui ont confervé quelque chofe du caraclere indépendant & des mceurs un peu fauvages de leurs peres.
Les cötes de l'ifle n'oflrenc que deux rades; & encore n'y a-t-il que de très-petits bateaux qui puiflènt y mouiller. L'une & 1'autre font protégées par quatre canons, qui, depuis un demi-fiecle, font hors de tout fervice.
Les Vierges font un grouppe d'une foixantaine de petites ifles, la plupart montueufes, feches & arides, oü les Efpagnols de Portoric pê. cherent long-temps feuls, des torcues qui y étoient très-abondantes. Les Hollandois venoient d'y commencer un petit établiflement a Torcola , une des meilleures & celle qui a Ie port le plus fur, lorfqu'en 1666 ils en furent chaffés par les Anglois. Ceux-ci ne tarderent pas a fe répandre fur les iflots & les rochers voifins. La, ils vécurent, pendant prés d'un fiecle, comme des fauvages, uniquement occupés de Ia culture du coton. Ce ne fut qn'après la paix de 1748, que leur aclivicé fe tourna vers le fucre, dont depuis ils out envoyé aflez réguliérement tous les ans
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XIX.
Tortola eft la feule des .fles Vierges que les Anglois ayent cultivée. Reproche au gouvernement.



s8o SUPPLÉMENTS
quatre ou cinq millions pefant a leur métropole.
Avant cette époque, il n'y avoit eu ni gouvernement régulier, ni culte public a Tortola. L'un & 1'autre ont été établis très-récemment; & ce qui étoit peut-être plus difficile, on a fait confentir fes habitants a payer au fifc quatre & demi pour cent, a la fortie de leurs produétions. Une adminiftration prévoyante auroit follicité un bill, pour affermir les propriétés. Toutes ou la plupart ont été tranfmifes d'une maniere aflez irréguliere; & fi elles étoient juridiquement atta. I quées, il y a peu de colons qui ne puflènt être i légalement ruinés.
Voila donc a Tortola le Gouvernement trés- , j ardent a tirer de 1'argenc des colons, & trés- : | peu foucieux d'afliirer leur bonheur, quoiqu'il ne lui en eut coüté qu'un peu de bienveillance, fans aucun facrifice. Peut-on dire a des hommes d'une j maniere plus impudente : „ Vous ne nous êtes | „ rien. Payez, payez encore; & lorfque vous „ ne ferez plus en état de payer, foyez malheu- j „ reux, périffez, mourez; peu nous importe. ( „ L'intérêc que nous prenons, a votre fort, eft „ en raifon des fommes que vous nous four- . „ niflèz ". On ne tient nulle pare ce propos inhu- c main : mais on a par-tout la même facon de pen- t fer, la même facon d'agir. Par-tout on traite les f fujets, comme des mines qu'on ceflè d'exploiter, ^ quand elles ne rendent plus rien. Par-tout on



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 28)
oublie qu'avec un peu de juftice & de protection , on les rendroic inépuifables. Par - tout les Empires fe croienc éternels , & ceux qui les gouvernent fe conduifent comme s'ils n'avoient pas un jour a durer. Le danger de Tortola n'eft pas celui de la Jamaïque. Cette ifle qui eft fous le vent, &c. Page 277, après ces mots, & mal-fain, lifez : Le climat eft plus dangereux encore. De toutes les ifles de 1'Amérique, c'eft la Jamaïque qui eft la plus meurtriere. On y périt très-rapidement; &, après deux fiecles de défrichements, il fe trouve des diftriéts très-fertiles, même prés de la capicale , oü un homme libre ne pafieroit pas la nuit fans une extréme néceflité. Colomb découvrit en 1494, &c. Page 278, ligne 5, au-lieu des mots, Le peu, lifez : Ses connoifTances aftronomiques 1'inftruifoient, &c.
Page 282, après ces mots, de la métropole, lifez : Cependant, ce ne fut qu'en 1682, que fe forma, &c.
Page 282, après ces mots, leéleurs policiques, lifez : Le buc du premier eft d'exciter les citoyens a la défenfe de la patrie, fans que la crainte de commettre leur fortune particuliere pulflè les détourner du fervice public. II ordonne que tout dommage, &c. Page 283, après ces mots, par des vertus, S 5



28a SUPPLÉMENTS
lifez : Le temps a amené d'autres réglements. On s'appercuc que les Juifs, établis en grand nombre a la Jamaïque, fe faifoient un jeu de tromper les tribunaux de juftice. Un Magiftrat imagina que ce défordre pouvoit venir de ce que la Bible qui leur étoit préfentée étoit en Anglois. II fut arrêté que ce feroit fur le texte Hébreu qu'ils jureroient dans la fuite; & après cette précaution, les faux ferments devinrent infiniment plus rares.
i En 1761, il fut décidé que tout homme qui ne feroit pas blanc ne pourroit hériter que de 13,629 liv. 3 fols 4 den. Ce ftatut déplut a plufieurs membres de l'afTemblée, qui s'indignerent qu'on voulüt ravir a des peres tendres la fatisfaction de laiflèr une fortune achetée par de longs travaux a une poftérité chérie, paree qu'elle ne feroit pas de leur couleur. On fe divifa, & le Parlement d'Angleterre fe faific de la conteftation. Un des plus célebres orateurs de la Chambre des communes fe déclara hautement contre les negres. Son opinion fut que c'étoient des êtres vils, d'une efpece différente de la notre. Le témoignage de Montefquieu fut le plus fort de fes arguments, & il lut avec confiance le chapitre iro. nique de 1'Efprit des Loix fur 1'efclavage. Aucun des auditeurs ne foupconna les véritables vues d'un Ecrivain fi judicieux, 65c fon nom fubjugua tout le Sénac Bricannique.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 283
Tout le Sénat Britannique .' tout un corps affemblé pour difcuterles intéréts de Ia nation, & prononcer gravement fur une mocion, dont 1'injuftice & la déraifon ne méritoient que des huées! Et pourquoi ne pas opiner que ces noirs fuffènt enciérement déshérités? Si leur couleur autorifoit a les priver d'une portion du bien de leurs peres, pourquoi pas de tous? C'eft par le ridicule , & non par des arguments qu'il falloit combattre des opinions d'une auffi paIpable abfurdité. En quand, contre toute vraifemblance, c'eüt été le fentiment de Montefquieu, qu'importoit fon autorité ? Du moins falloit-il d'ailleurs s'aflïirer du fentiment de cet Auteur.
Le bill alloic s'étendre aux Indiens, lorfqu'un homme, moins aveuglé que les autres, obferva que ce feroit une injuftice horrible de confondre les anciens propriétaires de l'ifle avec les Africains, & qu'il n'en reftoic d'ailleurs que cinq ou fix families.
Avant qu'aucune de ces loix eut été portée, la colonie avoit acquis une aflèz grande célébrité. Quelques aventuriers , autant par haine ou jaloulie, &c.
Page 286, après ces mots, commerce interlope, lifez : & fes vues fe trouverent juftes. Le commerce prohibé, &c.
Page 287, après ces mots, de guerre Anglois, lifez ; qui recevoient cinq pour cent



284 SUPPLÉMENTS
XXIII.
Cultures établies a la Jamaïque.
fur tous les objets dont ils favorifoient l'introducïion frauduleufe.
Cependant, a cette violation éclatante, &c.
Page 287, ligne 19, au-lieu de en a fuccé3é, lifez, fuccéda , & continuez a Cimpar' fait ce qui eft au préfent.
Page 289, après ces mots, manufactures Angloifes, lifez : Cet empreilèment avoit cela de commode, que le gain dontil étoit la fource, étoit fans danger, & ne pouvoit être 1'occafioq d'aucune brouillerie : mais il falloit s'attendre que la Cour de Madrid ne tarderoit pas a rompre une communication fi nuifible a fes intéréts. La Grande-Bretagne le penfa ainfi ; èkpourcontinuer a faire couler dans fon fein les richeflès du continent voifin, elle jetta fur la cóte des Mofquites les fondements d'une colonie.
Quel que foit un jour le fort de ce nouvel étabSiffement, il eft certain que la Jamaïque s'occupa long-temps beaucoup trop d'un commerce frauduleux, & trop peu de fes cultures. La pre-, miere a laquelle les Anglois, &c.
Page 291, après ces mots, lorfque Ie Parlemenc, lifez : la chargea d'un droit qu'elle ne pouvoit porter, & qui en fit tomber la culture & la Jamaïque, comme dans les autres ifles Angloifes. Cette imprudente taxe fut depuis fupprimée; on lui fubftitua même des gratifications: mais cette générofité tardive n'enfanta que des



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 285
abus. Pour jouir du bienfait, les Jamaïcains contraéterent 1'habitude qu'ils onc confervée de cirer cette précieufe teinture de Saint-Domingue, & de 1'incroduire dans la Grande-Bretagne comme une richefTe de leur propre fol.
On ne fauroic regarder comme entiéremenc perdue &c.
Page 292, ligne 12, au-lieu du mot Prince, lifez, Magiftrat.
Page 29a, après ces mots, faufTes déclarations, lifez : Ce font les mceurs des deux hémifpheres.
Dans le nouveau, il exiftoit encore quelques plantations d'indigo a la Jamaïque , lorfqu'on commenca a s'y occuper du cocon. Cecte produétion euc un fuccès rapide & coujours fuivi, paree qu'elle crouva fans interruption un débouché avancageux en Angleterre, oü on la metcoit en oeuvre avec une adrelTe qui a écé plutöc imitée qu'égalóe par les nations rivales.
Le gingembre a été moins utile a la colonie. Les fauvages, que les Européens trouverenc dans les ifles d'Amérique, en faifoient affez généralement ufage : mais leur confommacion en ce genre, comme dans les autres, étoit fi bornée, que la nature brute leur en fourniflbit fuffifammenc. Les ufurpaceurs prirenc une efpece de paffion pour cette épicerie. Ils en mangeoient le macin, pour aiguifer leur appetit. On leuren



*86 SUPPLÉMENTS
fervoit a table, confit de plufieurs fagons. Ils en ufoient après le repas, pour faciliter la digeftion. C'étoit, dans la navigation, leur antidote contre le fcorbnt. L'ancien monde adopta le goüt du nouveau, 6c ce goüt dura jufqu'a ce j que le poivre, qui avoit eu long-temps une valeur extraordinaire, fut baiffé de prix. Alors le gingembre tomba dans une efpece de mépris; & la culture en fut a-peu-près abandonnée partouc, excepté h la Jamaïque.
Cette ifle produit & vend une autre épicerie, j connue fous le nom impropre de poivre de la j Jamaïque. L'arbre qui le produit eft une efpece de myrte, qui croit ordinairement fur les montagnes, &c. page 208. i
Page 298, après ces mots, unie & luifance, lifez: Ses feuilles, qui ont ont une bonne odeur, 1 refoemblent pour la forme & pour la difpofition 1 a celles du laurier, & les branches font termi- 1 nées par de corymbes de fleurs en tout fembla- 1 bles a celles du myrte ordinaire. Les fruits qui ! leur fuccedent font de petites baies un peu plus I groffès que celles de genievre. On les cueille I vertes, & on les met fécher au foleil. Elles bru- 1 niflènt, & prennent une odeur d'épicerie, qui, 1 en Angleterre, a fait appelier ce piment allfpice. 1 L'ufage en eft excellent pour fortifier les efto- [ macs froids : mais qu'eft-ce que cet avantage en t comparaifon de tous ceux que procure le fucre ? «



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 287
L'art de le culciver ne fut connu a la Jamaïque qu'en 1668, &c.
Page 300 , après ces mots, habitations naifTantes, lifez: Avec le temps, il fortit de cette poflèfiïonune grande abondance de fucre, inférieur, a Ia vérité, a celui qu'on fabriquoit dans Ia pluparc des autres colonies, mais dont le rum avoit une fupériorité marquée.
Le cafier profpéroit dans lés écablifiements Hollandois & Frangois du Nouveau-Monde, avant que les Anglois eufiènt fongé k fe 1'approprier. La Jamaïque fut même la feule des ifles Britanniques qui crut devoir 1'adopter; mais elle n'en poufTa jamais la culture auffi loin que les nations rivales.
C'étoit, en 1756, une opinion généralemenc regue, que la Jamaïque étoit dans le plus grand état de profpérité oh elle püt atteindre. Une ifle occupée depuis un fiecle par un peuple aftif & éclairé. Une ifle oü Ia piraterie& un commerce frauduleux avoient verfé fans incerruption les tréfors du Mexique & du Pérou. Une ifle a laquelle aucun moyen d'exploitation n'avoit jamais manqué. Une ifle donc les parages fürs & les rades excellentes n'avoient ceffe d'appeller les navigateurs. Une ifle qui avoit toujours vu fes produétions recherchées par 1'Europe entiere : un tel établiflêment devoit paroïtre, même aux efprits les plus réfléchis, avoir fait tous les pro-



a88 SUPPLÉMENTS
XXIV. Etat actuel de la Jamaïque , confi(téréo fous tous fes rapports.
grès dont la nature 1'avoit rendu fufceptible, La guerre, qui rendra eette époque h jamais célebre, diffipa une illufion fi raifonnable. Un fléau, qui quelquefois bouleverfe les Etats, & toujours les épuife, fut une fource de fortune pour la Jamaïque. Les négociants Anglois, enrichis des dépouilles d'un ennemi, par-tout vaincu, par-tout fugitif, fe trouverent en état de faire de grofiès avances & de longs crédits aux cultivateurs. Les colons eux-mêmes, animés par le découragement des colons Frangois, dont les travaux avoient jufqu'alors été fi heureux, proficerent avec chaleur des facilités que des événements inattendus mettoient dans leurs mains. La paix n'arrêta pas 1'impulfion recue. Ce mouvement rapide a continué; & les produétions de la colonie font de prés d'un tiers plus confidérables qu'elles ne 1'étoient il y a trente ans.
L'ifle entiere peut contenir trois millions huit cents mille acres de terre. Les montagnes, les rochers, les lacs, lés marais, les rivieres, d'autres lieux néceffairement perdus pour les travaux utiles en occupent un million fept cents vingthuit mille quatre cents trente-un, felon les lumieres d'un homme judicieux & appliqué qui a long-temps conduit la colonie. Le Gouvernement en a fucceflivemenc accordé un million fix cents foixante-onze mille cinq cents foixanteneuf qui font défrichés, ou qui peuvent 1'être.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 289
ïl en refte encore a concéder quatre cents mille qui attendenc des bras & des moyens d'exploitation.
En 1658, la Jamaïque comptoit quatre mille cinq cents blancs & quatorze cencs efclaves; en 1670 , fept mille cinq cents blancs & huit mille efclaves; en 1734, fept mille fix cents quarantequatre blancs & quatre-vingc-fix mille cinq cents quarante-fix efclaves; en 1746, dix mille blancs Ö^-cent douze mille quatre cents vingt-huit efclaves; en 1768, dix-fept mille neuf cents quarante-fept blancs & cent foixanre-fix mille neuf cents quatorze efclaves; en 1775, dix-hük milie cinq cents blancs, trois mille fept cents noirs ou mulatres libres, & cent quatre-vingt-dix milla neuf cents quatorze efclaves. Cent dix mille de ces malheureux font placés fur fix cents quatre* vingts fucreries. Le refte eft employé a des cultures moins précieufes dans quatorze cents foixante habitations, a la navigation, au fervice domeftique, & a d'autres travaux de néceffité première.
Les dépenfes publiques de Ia colonie s'élevent annuellement a 817,750 livres* C'eft avec des impoficions fur les maifons, fur les boiflbns étrangeres, fur la tête des noirs; & dans les cas extraordinaires, avec un doublemenc de capitation, qu'on pourvoit a ces befoins. Les comptables chargés, dans les dix-neuffParoiftès , de lever les contributions ordonnées par 1'auemblée
Suppl, Tme III. T



20o SUPPLÉMENTS
générale, ont obtenu pour prix de leurs foins, deux & demi pour cent, & le Receveur-général en retient cinq.
Les monnoies qui circulent habituellemenc dans l'ifle, ne paflènt pas 954,041 liv. Ce numéraire eft plus que fuffiTant, paree qu'il ne fert qu'aux plus petits détails de commerce. Les efclaves apportés d'Afrique; les marchandifes que 1'Europe envoyé : tout ce qui a une grande valeur eft payé en lettres-de-change fur Londres & fur quelqu'un des autres ports Britanniques oü les colons envoyent leurs denrées pour leur propre compte.
Le prix de ces produétions n'eft pas uniquement deftiné aux befoins fans ceflè renaiflants de la Jamaïque. Une grande partie doit fervir a 1'acquittement des dettes qu'un luxe immodéré & des malheurs trop répétés lui ont fait fucceffivement contracler. Ses engagements, autant qu'on en peut juger, s'élevent aux deux tiers de fes richeflès apparentes. Le plus grand nombre de ^es créanciers eft fixé en Angleterre. Les autres font des négociants paflagérement établis dans l'ifle, parmi lefquels on compte beaucoup de Juifs. Puiflè ce peuple, d'abord efclave, puis conquérant, & enfuite avili pendant vingt fiecles , pofleder un jour légitimement la Jamaïque , ou quelque aucre ifle riche du NouveauMonde 1 Puiffè-t-il y raflèmbler tous fes en-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 291 fants, & les élever en paix dans la culture & le commerce, a 1'abri du fanatifme qui le rendic odieux a la terre, & de la perfécution qui 1'a trop rigoureufement puni de fes erreurs! Que les Juifs vivent enfin libres, tranquilles & heureux dans un coin de l'univers;puifqu'ils font nos freres par les Hens de 1'humanité, & nos peres par les dogmes de la religion!
La colonie envoyé actuellement, chaque année, a fa métropole huit cents mille quintaux de fucre , qui, a 40 livres le quintal , produifent 32,000,000 livres. Quatre millions galons de rum, qui, a 1 livre 10 fols le galon, produifent 6,000,000 livres. Trois cents mille galons de melaiTe, qui, a 10 fols le galon, produifent 150,000 liv. Six mille quintaux de coton, qui, a 150 livres le quintal, produifent 900,000 livres. Six mille quintaux de piment, qui, h 42 livres le quintal > produifent 252,000 liv. Dix-huit mille quintaux de café, qui, a 50 livres Ie quintal, produifent 900,000 livres. Trois mille quintaux de gingembre, qui, a 70 liv. le quintal, produifent 210,000 liv. Pour 400,000 livres en bois de teinture ou de marqueterie. Tous ces objecs réunis portent les produits de la Jamaïque a 40,812,000 livres.
Les navires deftinés a leur extraétion font trèsmultipliés; mais du port de cent cinquante a deux cents tonneaux feulement.
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2o» SUPPLÉMENTS
Un petit nombre prennent leur chargemene au port Morant, qu'il faudroit regarder comme bon fi i'entrée en étoit moins difficile. Cette rade, fituée dans la partie méridionale de l'ifle, n'eft défendue que par une batterie mal conftruite & mal placée. Douze hommes, commandés par un fergenc, y font continuellement la garde. Non loin de-la eft une baie du même nom, plus commode & plas fréquentée par les navigateurs.
La cöte n'offre plus de mouillage que pour de très-petits bateaux jufqu'au Port-Royal, oü eft embarquée la moitié des produétions de la colonie deftinées pour FEurope.
Plus loin eft le vieux havre, communément aflez fréquenté. Les planteurs voifins ont fouyent réfolu d'élever quelques ouvrages pour protéger contre les petits corfaires les batiments qui y formeroient leur cargaifon. Ce projec difpendieux paroit tout-a-faic abandonné. On a compris enfin que 1'embarras de I'entrée feroit toujours la meilleure des défenfes.
•La baie de la riviere Noire exigeroic une bonne batterie. On 1'établiroit fans beaucoup de fraix, & elle feroit la füreté du grand nombre de petics navires qui la fréquentent.
Savane-la-Marr n'a jamais que'peu d'eau , & fon entrée eft par-tout embarraflëe de récifs & de rochers fubmergé?. C'eft le plus mauvais port



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 293
de la colonie. II eft pourtanc devenu 1'entrepót d'un aflez grand commerce, depuis que le territoire voifin a été défriché. Ses habitants voulurent autrefois s'entourer de fortifications. L'ouvrage fuc abandonné après qu'on y eut dépenfé plus de cent mille écus. II ne refte plus de ces tra-: vaux qu'un amas de ruines.
L'ifle n'a fur fa cöte occidentale très-reflèrrée qu'un feul port, & c'eft celui d'Orange. Sepc ou huit badments y prennent annueilemenc leur charge.
Le premier havre au Nord , c'eft celui de Sainte-Lucie. II eft fpacieux; il eft fik; il eft défendu par un fort, capable de faire quelque réfiP tance, s'il étoit réparé, fi fon artillerie étoit mife en état de fervir. On y entretient toujours une foible garnifon.
Huit ou neuf lieues plus loin, eft 1'excellente baie de Montego. La cinquieme partie des produétions de Ia colonie eft embarquée dans fa petite ville de Barnet-Town, défenduepar une batterie de dix canons.
Des bas-fonds rendent difficile I'entrée du porc Sainc-Anne. A peine recoit-il tous les ans quinze ou feize navires.
Le port Antonio eft un des plus fürs, mais non des plus fréquentés de l'ifle. Son fort eft gardé par un détachemenc que coromande un Officier.
*3



XXV.
Moyens qu'a la Jamaïque pour fe garantir de 1'inva* Son,
594 SUPPLÉMENTS
La cöte oriëntale n'offre que le havre de Manchineel. Le mouillage y eft bon ; mais dans les parages voifins, la mer eft toujours violemment agitée par les vents d'Eft. C'eft le quartier le plus expofé a 1'invafion; & la batterie de dix canons qu'on y a conftruite, ne le mettroit pas a 1'abri du danger , fi fes richeflès étoient plus confidérables. Toute la défenfe de la colonie réfide proprement dans le Port-Royal.
Les Anglois ne fe furent pas plu tót rendus maitres de la Jamaïque, que le foin de rendre cette conquête utile & de s'en affurer la poffeffion, les occupa. Les défrichements, entrepris par les Efpagnols, & les avantages d'une rade immenfe, fure, commode, arrêterent fagemenc leurs regards fur Port-Royal. La ville qu'ils y batirent, quoique placée dans des fables fur une langue de terre très-étroice, quoique privée par la nature d'eau potabje & de tous les autres foutiens de la vie, devint en moins de trence ans, une cité célebre, &c. page 304.
Page 304, après ces mots, & de corruption, lifez : Un moment détruic, le 7 Juin 169a, ce brillant fpeétacle. Le ciel, d'un azur clair & ferein, devient fombre & rougeatre dans toute 1'étendue de la Jamaïque. Un bruit fourd fe répand fous terre, des montagnes dans la plaine. Les rochers fe fendent. Des cöteaux fe rapprochent. A Ia place des monts engloutis s'élevenc des ma-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 295
rais infeéts. De vaftes forêts font tranfportées a plufieurs milles de leur fituation première. Les édifices difparoifiènt dans des gouffres,ou tombenc renverfés fur leurs fondements. Treize mille hommes trouvent la mort dans ce tombeau de l'ifle entiere; trois mille périflènt de la contagion, qui fuit ce fiéau deftru&eur. A cette époque, la nature perd, dit-on, de fa beauté, Pair de fa pureté, le fol de fa fertilité. Les Européens apprennent de ce phénomene épouvantable, ou ils ne 1'apprendront jamais, a ne pas fe repofer fur la pofTeflion d'un monde qui chancele fous leurs pieds , qui femble fe dérober a leurs avides mains.
Dans ce défordre général, Port-Royal voit enfevelis dans les flots irrités, ou jetcés au loin fur des plages défolées, les nombreux vaiflèaux, dont les orgueilleux pavillons le rendoient fi fier. La ville elle-même eft détruite & fubmergée. Vainement on la tire de fes débris. Téméraires travaux ! un nouvel ouragan renverfe fes murs renaiflants. Port-Royal, comme Jérufalem, ne peut être réédifié. La terre ne fe laiflè creufer, que pour 1'engloutir encore. Par une fingularité, qui confond tous les efforts & lesraifonnements de 1'homme, les feules maifons qui échappene au nouveau bouleverfemenc, reftenc batie8 h 1'extrêmité d'une pointe infiniment étroite, qui s'avance plufieurs milles dans la mer: comme fi T 4



soö SUPPLÉMENTS
1'inconftance de 1'Océan eüc offert une bafe folide a des édifices que la terre - ferme fembloic rejetter.
Les habitants de Port-Royal, découragéspar ces calamités répétées, fe réfugient a Kingftown, fitué fur la même baie. Bientöc leur activité & leur induftrie, font de cebourg, jufqu'alors obfcur, une ville agréable & fioriffante. Les affaires même y font peu -a-peu devenues plus vive9 qu'elles ne le furent a aucune époque dans les marchés qu'elle a remplacés; paree que la colonie a plus gagné par 1'augmentation de fes cultures, qu'elle n'aperdu par la diminuciondefon commerce interlope,
Cependant Port-Royal n'avoit Jamais été, & Kingftown ne devenoit pas la capitale de l'ifle, Sant-Yago de la Vega, que les Anglois ont appellé Spanish-Town, continuoit a jouirde cette utile prérogative. Cette ville, batie par les Efpagnols a quelques milles de la mer, fur la riviere de Cobre , la plus confidérable du pays, fans être navigable, étoit toujours le fiegedu corps légiflatif, du Gouverneur-général, des tribunaux de juftice, & par conféquent leféjour des colons les plus riches.
L'Amiral Knowles jugea cet arrangement contraire au bien public; en 1756, il fit décider par 1'affèmblée générale, que tous les refforts, rous les pouvoirs de 1'adminiftration, fe-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 207
roientréunis a Kingftown. Des haines perfonnelles contre Pauteur du projet; la durété des mefuresqu'ilemployoit a1'éxécution; 1'attachement qu'on prend pour les lieux comme pour les chofes même; une foule d'intérêts particuliers, que la révoludon devoit néceflairement bleflér: toutes ces caufes infpirerent a beaucoup de colons un éloignement invincible pour une innovation qui pouvoit bien avoir quelques inconvénients : mais qui étoit appuyée fur des raifons décifives, & qui préfentoit de grands avantages. Les entraves, dont les oppofants embarrafïèrérït le nouveau fyftême, n'arrêterent pas 1'autorité. Ce fut même le temps qu'elle choifit pour réparer le fort Charles, qui fert de cicadelle a Port-Royal, & pouraugmenter de 1'autre cóté de la baie les fortifications trés - bien entendues de Mofquito-Point, qui dominent Ie canal oü doivent paflèr les batiments deftinés pour Kingftown. Si au-lieu d'entrer dans la baie, 1'ennemi vouloic débarquer au nord de la nouvelle capitale, il fe trouveroit arrêté dans fa marche par Zoek, fort conftruit avec intelligence, & entretenu avec foin dans un défilé très-ferré, a une lieue de la ville. Dans ces différents ouvrages, & dans quelques autres poftes moins importants, font habituellement répara's deuxrégiments. Ils recoivent une folde de Ia métropole: mais la colonie y ajoute une gratification journaT5



ft98 SUPPLEMENTS
liere de douze fols pour chaque foldat, & une gratificacion doublé pour tout Officier. Ces troupes , fuflènt-elles auffi bonnes qu'elles font mauvaifes, ne préferveroient pas l'ifle de 1'invafion , & feroient bientöt réduites a capituler devanc des forces navales, fupérieures a celles qu'on auroit deftinées pour les appuyer.
Quand même la Jamaïque pourroit fe garantir des malheurs d'une invafion étrangere, elle n'en refteroit pas moins expofée a des dangers domeftiques, plus a craindre encore.
Lorfque les Efpagnols furent obligés, &e. Page 313, après ces mots, donc recours, lifez, aux voies de conciliation. On leur offrit, &c.
Page 313, après ces mots, mais 1'indépendance, lifez : Ces ouvertures furent accueillies favorablement. Le traité conclu avec eux en 17 39, portaque le chef qu'ils choifiroient eux-mêmes, recevroit fa commiffion du Gouvernement Anglois; qu'il fe rendroit tous les ans dans la capitale de la colonie, s'il en étoit requis; que deux blancs réfideroient habituellemenc auprès de lui, pour maintenir une harmonie utile aux deux nations, & qu'il prendroit les armes avec tous les flens, fi la colonie étoit jamais attaquée.
Tandis que Trelaunay faifoit cet accommodement au nom de la Couronne,l'alTemblée généle de la colonie propofa fon arrangement particulier. Dansce fecond accord, le nouveau peu-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 299
ple s'engagea a ne plus donner de retraite aux efclaves fugitifs; & on luiaffura unefomme fixe pour chaque déferteur qu'il dénonceroit, une récompenfe plus confidérable pour ceux qu'il rameneroic dans leurs plantations. Depuis ce paéte honteux, la petite république rétrograda toujours. Elle ne compte plus dans fon fein que treize cents individus, hommes, femmes, enfants, répartis dans cinq ou fix villages.
Soit que ce qui venoit de fe pafier eut infpiré de 1'audace, ou que la dureté du joug Anglois eut foulevée la haine, &c.
Page 320 après ces mots, du fecours, lifez : Mais, Efpagnol, race incompréhenfible, .dis-moi donc , puifque tu fais fencir & parler ainfi a un ennemi que les vents te livroient, pourquoi n'as-tu pas fu refpeéter le fauvage innocenc qui fe profternoit a tes pieds, & qui t'adoroit? Ah! je le congois, le navire d'Edward n'étoit pas chargé de la pouffiere jaune dont Ia vue te change en béte féroce. Peut-être te calomnié-je: mais je t'ai vu tant de fois au-deffous de ton efpece, que tu as bien mérité que je doutaflè de tes vertus, fur-tout lorfque tu j.me les montres avec le caraétere d'un héI roïfme qui m'attendrit & qui m'étonne. J'opj-pofe des foupgons,peut-êtreinjuftes, amonadvi.miration & a mes larmes prêtes a couler. La feconde route n'offre, &c.



XXVIII.
Révolutions arrivées dans les Lucayes. Etat de ces ifles.
3oa SUPPLÉMENTS
Page 320, après ces mots, partis des Lucayes , ajoutez ifles.
Ibid. apres ces mots, mêmes difficultés, lifez: On en compte environ deux cents, toutes fituées au nord de Cuba. La plupart ne font que des rochers a fleur d'eau. Colomb qui les découvrit en arrivant dans le Nouveau-Monde, & qui donna le nom de San-Salvador a celle oü il aborda., n'y fit point d'établiflèment. Les Caftillans ne s'y fixerenc pas non plus dans la fuite: mais en 1507 ils en enleverent tous les habitants qui périrent bientót dans les travaux des mines, ou par la pêche dés perles. Ce petit archipel étoit entiérement défert, lorfqu'en 1672 quelques Anglois s'aviferent d'aller occuper l'ifle de la Providence. Chaflés fept ou huit ans après par les ordres de la Cour de Madrid, ils y recournerent en 1690, pour en être expulfés de nouveau en 1703 par les Efpagnols & les Francois réunis. Un événement particulier la repeupla.
En 1714, des vaiflèaux richement chargés furent engloutis, par la tempête fur les cötes de la Floride. Les tréfors qu'ils portoiént appartenoient a 1'Efpagne qui les fit pêcher. Une fi riche proie tenta quelques habitants de la Jamaïque. On refufa de les admettre au partage ; & Jennings, le plus hardi d'entre eux, eut recours aux arroes, pour foutenir ce qu'il appellolt un droit naturel & imprefdiptible. La crainte



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 301
d'être févéremenc puni pour avoir troublé une paix après laquelle 1'Europe avoic long-remps foupiré, & donc on ne commengoic qu'a jouir, le fic pirate. Ses compagnons furent bientöt en afTez grande nombre, pour qu'il fallut multiplier les armements. Les Lucayes devinrent leur repaire. C'eft de-la que ces brigands s'élancoienc pour atcaquer tous les navigateurs indiftinclement, les Anglois ainfi que les autres. Les nations craignoient de voir fe renouveller dans le Nouveau-Monde les fcenes d'horreurqu'y avoienc données les anciens Flibuftiers; lorfque George I"., réveillé par les cris de fon peuple & par Ie vceu de fon Parlement, fit partir en 1710 des. forces fuffifantes pour réduire ces forbans. Les plusdéterminés refuferenc 1'amniftie qui leur étoit oiFerte, &allerent infefter 1'Afie & 1'Afrique de leurs brigandages. Les autres groffirent la colonie que Vooder Rogers amenoit d'Europe,
Elle peut être aujourd'hui compofée de trois ou quatre milles ames. La moitié eft écablie a la Providence, oü 1'on a conftruic Ie fort Naffau, & qui a un port fuffifanc pour de petits Mtiments : Ie refte eft réparti dans les autres ifles. Ils envoyent annuellement a l'Angleterre pour quarante ou cinquante mille écus en coton, en bois de ceinture, en cortues vivantes; & avec leur fel, ils payent les vivres que leur fournit 1'Amérique Septentrionale.



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XXIX. Pauvreté des Bermudes. Caraflere de leurs habitants.
jö2 SUPPLÉMENTS
Quoique le fol des Lucayes ne puiffe pas être :omparé a celui de plufieurs colonies, il feroit 'uffifant pour faire vivre dans une aflèz grande ibondance par le travail, une population beau:oup plus confidérable que celle qui s'y trouve tétuellement en hommes libres ou en efclaves. si la culture y eft fi négligée, c'eft aux premières mceurs, c'eft aux inclinations actuelles qu'il faut i'attribuer. Ces ifles féparées d'un cóté de la Floride par Ie canal de Bahama, &c.
Page 322, après ces mots, de St. Domingue, lifez : Une pofition fi favorable a la piraterie, a tourné les vues des habitants vers la courfe. Sans ceflè ils foupirent après des hoftilités qui puiflènt faire tomberdans leurs mains les produétionsEfpagnoles ou Frangoifes. Les Bermudes offrènt' un tableau plüs calrrie.
Ce petit archipel éloigné d'envirbn trois cents lieues de celui des Antilles, fut découvert en I527 parl'Efpagnol Jean Bermudes, qui lui donna fon nom, mais fans y aborder. Ferdinand Camelo, Portugais, en obtint 1'an 1572 de Philippe II, une conceflion qui n'eut point de fuite. Le navigateur Frangois Barbotiere y fit naufrage en 1593, & n'y penfa plus après en être forti. Le vaifleau de George Sommers s'y brifa en 1609. Avec les débris de ce navire, on conftruific un petit batimenc qui eut le bonheur de regagner l'Angleterre.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 303
Trois ans après fuc formée a Londres une compagnie pour peupler les Bermudes entiéremenc déferces. On y envoya foixante hommes que beaucoup d'autres ne tarderent pas a fuivre. Ils occuperent d'abord Saint-George, celle de ces ifles qui avoic le meilleur port, & avec le temps toutes celles qui étoient fufcepcibles de culture. Les terres furent exaétemenc mefurées & diftribuées aux habitants, felon que leurs families écoienc plus ou moins nombreufes.
Ce qu'on publioit de la falubrité, de Ia douceur de ce climat y accira des colons de toutes les parcies de I'Empire Bricannique. On s'y rendoit des Antilies pour, &c. ; Page 324, après ces mots, d'être ignorés', lifez : Leurs liaifons avec l'Angleterre ne paffent pas annuellement cent vingt mille livres, & celles qu'ils onc formées dans le continent de 1'Amérique ne fonc guere plus étendues.
Pour augmenter 1'aifance de cecce foible colonie, il a été fucceflivemenc propofé d'y cultiverla foie, Ia vigne, Ia cochenille. Aucun de ces projets n'a eu fon exécution. L'induflrie s'y eft bornée a la fabrique des toiles a voile : occupation qui s'allioit fi nacurellementavec la conftruétion de ces petits batiments de cedre ou d'acajou qui n'onc jamais eu d'égaux fur le globe ni pour la marche, ni pour la durée. * Les principaux habitants des ifles, &c.



3o4 SUPPLÉMENTS
xxx.
La Grenade fat d'abord occupée par 3es Francois. Ce qu'y firent les premiers colons.
Page 326, ap. ces mots, n'apprendras rien..■■»., lifez: Telles étoient lespoflèflionsBritanniques» dans 1'archipel Américain, lorfque les fuccès de la guerre, terminée en 1763, y donnerent au domaine de cette Puiflance une extenfion confidérable, dont la Grenade fut la partie la plus riche.
Cette ifle a vingt-une lieues de circonféren^ ce, fix dans fon plus grand diamecre qui eft du Nord au Sud, & quatre de 1'Eft a 1'Oueft. Son terrein, quoique fort haché, eft prefque généralement fertile, & fufceptible de quelque cuU ture fuivant fa qualité & fon expofition qu'on n'étudie pas aflez. Cependant Ie fol eft d'autant moins produclif qu'il eft plus éloigné des cötes i ce qui peut venir de ce que les pluies trop fréquentes au pied des montagnes, lors même que le refte de l'ifle eft affligé par la féchereflè, entretiennent dans les terres prefque toutes ar* gilleufes qui lesavoifinent, unefraicheur & une humidité contraires a leur ameubliffement, & pat conféquent ü leur fécondité.
Dix rivieres arrofent la partie de 1'Oueft; trois la partie du Nord; huit la panie de 1'Eft, & cinq celle du Sud. Outre ces fources, toutes aflez confidérables pour faire rouler des moulins a fucre, on en voit plufieurs de moins abondantes très-utiles aux caféyeres.
Le continent voifin préferve Ia Grenade de
ces



A L'HIST, PHILOSOPHIQUE. 305
ces funeftcs ouragans qui portent la défolacion dans tant d'autres ifles, & la nature y a muleiplié les anfes, les baies, les rades qui favórifent 1'exportation des denrées. Son port priocipa! fe nommeBaflè-Terre ou Saint-George. 11 fourniroit un abri für a foixante vaiflèaux de guerre. Quoique les Francois, &c. pag. 337. Page 338, après ces mots, conferve encore, lifez 1 Commenc ce peuple frivole perdroitil dans des contrées éloignées le ton de plaifanterie qu'il garde dans fon pays, au milieu des plus grandes calamités ! II n'eft point crue! , mais une gaieté indigene qui le fuit fous des tentes, au milieu des camps, fur un champ de bataiüë, fur un matelas d'böpital oü on 1'a dépofé couvert de blefliires dont il expirera dans un moment, lui fuggere un mot bizarre qui fait fourire fes camarades auffi maltraités que lui; & Ia difparace du caraétere avec les circonftances fe manifeftera de la même maniere dans tous les Francois, & dans quelques originaux chez tous les peuples de Ia terre. Un Gouverneur avide, violent, &c. Page 339, après ces mots, ifles arrêta, lifez i les progrès de la plus importante culture du Nouveau-Monde. Alors furent plantés des cotonniers, des cacaoyers, fur-tout des cafiers qui acquirent durant les hoftilités raccroiflèment né« cefTaire pour donner des fruits abondants. La Suppl. Tome IIL V



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XXXI. Evénements arrivés dans la Grenade depuis qu'elle eft
06 SUPPLÉMENTS
aix de 1748 ne fit pas abandonner ces arbres tiles: mais les cannes furent de nouveau pouf:es avec une ardeur proporcionnée a leur imortance. Des malheurs trop mérités priverent ientöc la métropole des grands avantages qu'elle ; promettoit de fa colonie.
La rage de jouir avant le temps & fans meure; cette maladie qui a gagné le Gouvernetient d'une nation, digne pourtant d'être aimée Ie fes maitres; cette prodigalité qui moiffonne mand il faudroit femer; qui détruit d'une main e paflë, de Pautre 1'avenir; qui feche öcdévore e fond des Tichelles par Panticipation des rerenus; ce défordre qui réfulte des befoins oü e défaut de principes & d'expérience ne man1Ue jamais de réduire un iEtat qui n'a que des brces fans vues & des moyens fans conduite; 'anarchie qui regneau timondes affaires; la pré:ipitation , la brigue fubalterne, le vice ou le nanque de projets; d'un cóté , la hardieflè de tout faire impunément, & de Pautre, la crainte de parlermême pour lebien public :ce concours de maux qui s'entrainent de loin, fit pafTer la Grenade au pouvoir de la Grande-Bretagne, [qui fut maintenue dans faconquête par le traitéde 1763.
Les Anglois n'y débuterenc pas heureufement. Un grand nombre d'entre eux voulurent avoir des plantations dans une ifle dont on s etoit fait d'avance la plus haute idéé; & dans



A VUIST. PHILOSOPHIQUE. 307 ïeur enthoufiafme, ils les acheterent beaucoup , au-defiusdeleurvaleurréelle.Cette fureurquiex- : pulfa d'anciens colons habitués au climat, fitfor-! tir de la métropole trente-cinq ou crente-fix millions de livres. A cette imprudence fuccéda une autre imprudence. Les nouveaux propriétaires , aveuglés fans doute parl'orgueil national, fubfticuerenc de nouvelles méthodes a celles de leurs prédéceflèurs. Ils voulurent changer Ia maniere de vivre des efclaves. Par leur ignorance même attachés plus fortementh leurs habitudes que le commun des hommes, les negres fe révolcerent. II fallut faire marcherdes troupes, & verfer du fang. Toute la colonie fe remplit de foupgons. Des maïtres, qui s'étoient jettés dans la néceffité de Ia violence,craignirent d'être brulés ou aflaffinés dans leurs habitations. Les travaux languirent, furent | même interrompus. Le calme fe rétablit enfin, 1 mais un nouvel orage le fuivit de prés.
Sur toute 1'étendue de 1'Empire Britannique, I les feclateurs du culte Romain font rigoureufeI ment privés de la moindre influence dans les ré| folutions publiques. En établifTant le gouverneI ment Anglois, a la Grenade, le Miniftere crue I devoir s'écarcer des principes généralement rejcus; Sc ilvoulut que les anciens habitants, quelle ! que fut leur religion, puffènt donner leur voix I dans 1'afiembléecoloniale. Cette innovationéproui va ia réfiftance la plus opiniatre : mais enfin, le
V a
ombée font a dominaion Britan-



go8 SUPPLÉMENTS
Parlement qui avoit perdu quelque chofe de fes préjugés, fe déclara pour l'adminiftration; & les Catholiques furent aucorifés a s'occuper de 1'intérêt commun comme les autres.
La prédileéto'on que George III avoit montrée pour les Francois devenus fes fujets, lui fit penfer que fes volontés ne trouveroient aucune oppofition dans un établiffement oü ils formoienc encore le plus grand nombre. Dans cette confiance, il ordonna qu'on y percüc, a la fortie des produétions, les quatre & demi pour cent que toutes les ifles Britanniques, excepté la Jamaïque , avoient très-anciennement accordés dans un accès de zele. On lui contefta ce pouvoir. La caufe fut plaidée folemnellement, & la décifion ne fut pas favorable au Monarque.
Cette victoire enfla le cceur des colons. Pour accélérer les cultures, ils avoient fait de gros emprunts aux capitaliftes de la métropole. Ces dettes qui s'élevoient a cinquante millions de livres , ne furent pas acquittées a leur échéance. Les prêteurs s'armerent du glaive de la loi qui les autorifoit a faifir les plantations hypothéquées, a les faire vendre publiquemenc, & a en exiger après huit mois la valeur enticre. Cette févérité répandit la conftemation. Dans fon défefpoir, le corps légiflatif de l'ifle porta le 6 Juin 1774 un bill qui partageoit en cinq payements le prix de 1'acquifition, & qui reculoit



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 309
jufqu'a trente-deux mois le dernier terme. Le motif feeree de cet acte lïngulier étoit fans doute de mettre les débiteurs a portée de fe rendre adjudicataires de leurs propres biens, & de leur procurer par ce moyen des délais qu'ils auroient vainement attendus de la commifération de leurs créanciers.
Une entreprife fi hardie fouleva l'Angleterre entiere. On y fut généralement bleffé qu'une très-foible partie de 1'Empire fe crüt en droit d'anéantir des engagements contraétés fous la difpofition d'une loi univerfelle dans la bonne foi du commerce. Cette indignation fut partagée par les ifles même de 1'Amérique, qui comprirent bien qu'il n'y auroit plus de crédit a efpérer,fi la confiance n'avoit plus de bafe. Les Bretons de Panden & du Nouveau-Monde unirenc leurs voix pour preflèr la puiflance fuprême de repouflèr fans délai cette grande breche faite au i| droit important & imprefcriptible de Ia propriété.
Le Parlement, quelle que düt être la détreffe d'une fi précieufe acquificion, penfa comme les peuples. En 1771 & en 1775, Saint-George ! fut réduit en cendres par des incendies effroyables. La colonie éprouva d'autres calamités, & cependant fes produétions ont triplé depuis qu'elle eft fortie des mains des Frangois. Elle eft devenue fous Pautre hémifphere, Ja (èconde des
V 3
xxxn.
Cultures de la Grenade & des Grenadinsi



3io SUPPLÉMENTS
ifles Angloifes. Sa nouvelle métropole en recoit annuellement dix-huit millions pefant de fucre, qui a 40 livres le quintal, produifent en Europe 7,200,000 livres; un million cent mille galons de rum, qui a 1 liv. 10 fols le galon, produifent 1,650,000 livres; trente mille quintaux de café, qui a 50 livres le quintal, produifent 1,500,000 livres; trois mille quintaux de cacao, qui a 50 livres le quintal, produifent 150,000 livres; trois cents quintaux d'indigo, qui a 800 livres le quintal, produifent 240,000 livres; treize mille quintaux de coton, qui a 150 livres le quintal, produifent 1,950,000 livres, c'eft en tout 12,690,000 liv.; mais dans ce revenu eft compris celui que donnent les Grenadins.
Ce font une douzaine de petites ifles depuis trois jufqu'a huit lieues de circonférence. On n'y voit point couler de riviere, & le climat en eft cependant très-fain. La terre feulement couverte de halliers clairs, n'a pas été défendue des rayons du foleil pendant des fiecles; & 1'on peut la travailler fans qu'elle exhale dans aucun temps ces vapeurs mortelles qui attaquent ailleurs généralement les jours des cultivateurs.
Cariacou, Ia feule de ces ifles que les Francois euflènc occupée, fut d'abord fréquentée par des pêcheurs de tortue, qui, dans les intervalles de loifir que leur laiflbit cette occupation, eflayerent quelques cultures. Leur petit nombre fut



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 311
bientót augmencé par plufieurs habitants de la Guadeloupe que des infeétes mal-faifants avoient chaffés de leurs plantations. Ces bonnes gens aidés de huit ou neuf cents efclaves, s'occuperent aflez utilement du coton. Cet arbufte fut porté par les Anglois dans les autres Grenadins, & ils formerent même une fucrerie a Bequia, & deux a Cariacou.
Tabago acquis a la Grande-Bretagne a la même époque & par le même traité, n'eft féparé de l'ifle Efpagnole de la Trinité que par un canal de neuf lieues. Cette poflèflion a dix lieues de long fur quatre dans fa plus grande largeur. A fa cöte feptentrionale eft une rade qui a vingtcinqa trente pieds d'eau, & a fa cöte feptentrionale il en eft une autre oü 1'on n'en trouve que vingt ou vingt-cinq. Toutes deux font a 1'abri de la plupart des vents, avantages dont ne jouit pas celle du Sud. Parmi les monticules qui occupent le centre de l'ifle, il en eft un plus élevé, dont la couleur noire ou rougeStre paroic indiquer les débris d'un ancien volcan. Elle n'eft pas expofée a ces terribles ouragans qui caufent ailleurs de fi grands ravages. Le voifinage du continent peut lui procurer ce bonheur.
Auffi Tabago fut-il autrefois, Sic. page 327.
PaSe 334 ï après ces mots, ces mefures, lifez : Pour n'avoir pas fuivi la route dont nous venons de tracer, les Anglois & leurs efclaves périrent.
V4
XXXIH.
L'ifle da Tabago, qui occafionna de grands combats entre les Hollandois cc les Francois, devient une poflèflion Britannique,
XXXV. Malheurs rrivés aux



Anglois k Tabago , pour s'être écartés des maximes que nous veuons de sracer,
312 SUPPLEMENTS
en foule a Tabago, quoique venus la plupart enfemble des colonies voifines, Eclairés par ce dé* faftre, ils fe placerent au-deflus du vent, & la mort ceffa fes ravages, L'ufage oü eft le Gouvernement Britannique, de vendre le fol de fes ifles, & les formalités inféparables d'un pareil fyftême, retarderent la formation d'un écabliflèment qu'avec des maximes moins fages peut-être, on auroit commencé immédiatement après la paix. Ce ne fut qu'en 1766 que furent adjugés quatorze mille acres de terre, divifés en pordons de cinq cents acres chacune. De nouvelles adjudications furent faites dans la fuite : mais il ne fut jamais permis a aucun cultivateur d'acquérir plus d'un lot.
L'ifle, dont les terres fe font trouvées trop fablonneufes, n'eft encore habitée que par quatre cents blancs & huit mille noirs. Ils ont été arrêtés au commencement de leur carrière par les fourmis, qui ont dévoré la plus grande partie des cannes déja plantées. Les quarante mille quintaux de fucre que rendoienc trente habitations, ont été réduits a la moitié. Le vuide a été rempli par le coton, dont on récolte huit cents mille livres pefant, & par l*indigo dont on obtient douze mille livres. Saint-Vincent n'a pas éprouvé la même calamité. Lorfque les Anglois & les Francois, &c.p. 343, Page 346, ligne 16, au-lieu de ces mots, de propriété, lifez , d'ufurpation,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 313
rage 349 après ces mots, trois mille noirs, lifez : Saint-Vincent étoit dans cette fituation , quand il tomba fous Ia domination Angloife, &z \ y fuc attaché par le traité de 1763. ; . Cette ifle, qui peut avoir quarante lieues de i circuit, eft montueufe, maiscoupée pard'excel-' lems vallons, & arrofée par quelques rivieres. C'eft dans fa partie occidentale que les Fraccois avoient commencé Ia culture du cacao & du coton, & poulTé aflez loin celle du café. Les conquérants y formerent quelques-fucreries. L'impoffibilicé de les multiplier fur un terrein inégal ccrempli de ravins, leur fit defirer d'occuper les plaines de 1'Eft. Les fauvages qui s'y étoient réfugiés, refufoienc de les abandonner, &l'on euc recours aux armes pour les y contraindre. La réfiftance qu'ils oppoferenc aux foudres de la tyrannie Européenne, ne fut pas, & ne pouvoit être que très-difficilement opiniatre.
Un Officier arpentoic Ie fol qui venoit d'être envahi, lorfque le détachemenc qui 1'efcortoic fuc inopinément attaqué, & prefque totalement détruic le 25 Mars i775.Perfonne ne douta que les malheureux qu'on venoic de dépouiller ne faflent les auteurs de cette violerrce, & les troupes fe mirent en mouvement pour les détruire, Heureufement, il fut conftacé a temps que les Caraïbes étoient innocents; qu'ils avoient pris ou maflacré plufieurs efclaves fugitifs coupables V 5
XXXVIII.
it. Vincent ombe au )ouvoir des Lnglois. iort de l'ifle 'ons cette lonjination.



3i4 SUPPLÉMENTS
de ces cruautés, & qu'ils avoient juré de ne s'ar? mer que lorfqu'ils auroient purgé l'ifle de ces vagabonds dont les atrocités leur étoient fouvent impucées. Pour affermir les fauvages dans cette réfolution par 1'attrait des récompenfes, le corps légiflatif pafla un bill pour affurer une gratification de cinq moïdes, ou cent vingt livres, h quiconque apporteroit la tête d'un negre déferteur depuis trois mois.
La Grande-Bretagne n'a pas recueilli jufqu'ici un grand fruit de ces barbaries. Saint-Vincent ne compte encore que cinq cents blancs &feptou huit mille noirs. Leurs travaux ne donnenc que douze cents quintaux de coton, fix millions pefant de très-beau fucre, & trois cents foixante mille galons de rum. Ces produétions croiflènt fur une terre très-légere, & que pour cette raifon on croit devoir être bientöt ufée. C'ell une opinion généralement établie en Amérique. II feroit utile d'examiner fi elle eft bien fondée.
Sans doute des pluies qui tombent en torrents fur un pays haché doivent encrainer plus facilement une terre fablonneufe qu'une terre argilleufe, & dont les grains feroient plus adhérents entre eux. Mais comprend-on commenc un fol pourroit s'épuifer? Seroit-ce par la perte de ces parties terreufes dans lefquelles les plantes qu'il produic fe réduifent enfin, & dont il femble qu'on le dépouille, lorfque les plantes ne périffènt pas



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 315
fur le lieu oü elles ont été cultivées? Mais il eft prouvé par 1'expérience de Vanhelmont, que les plantes n'enlevent aucun poids fenfible a la terre : c'eft 1'eau feule dont elle eft arrofée qui fait tous les fraix de la végétation. Seroit-ce par la perce des fels qu'elle fournit pour les développements fucceffifs de Ia plante ? Mais il eft également prouvé par les nombreufes expériences de M. Tillet, & de plufieurs autres phyficiens, que la terre n'eft autre chofe qu'une matrice dans laquelle les germes des plantes recoivent leur développement qu'elles ne paroiflènc devoir qu'a la chaleur & a 1'humidité. Toutes ces expériences rapprochées paroiflènt auffi prouver que l'eau feule des arrofements ou naturels ou artificiels contient tous les fels, tous les principes qui doivent concourir a ce développemenr.
Bornons-nous donc a dire que telle efpece de terre eft plus ou moins facilement mife en état de recevoir & de conferver la quantité d'eau nécelTaire a une végétation complete. Le moindre travail fouleve la terre légere; la moindre pluie la pénetre alors : mais une pluie forte 1'affaiflè, & le foleil en pompant très-aifément 1'humidité dont elle n'avoit pu, dans cet état d'affaiflement, s'abreuver qu'a une très-petite profondeur, lui enleve 1'unique efpece de nourriture qu'elle fourniflbit a la plante, & fans laquelle la plante ne pouvoit fubfifter. Cependant on n'accufe point



3i6 SUPPLEMENTS
la faifon, encore moins 1'ignorance de celui qui n'en laic point modérer les effets. Le préjugé déclare la terre ufée, ruinée. On ne la travaille plus qu'a regrec, & mal par conféquent. On 1'abandonne. Elle n'atcendoit qu'une culture convenable pour enrichir le propriétaire qui la négligé.
Quelques degrés de friabilité de moins donnent ce qu'on appelle une terre forte qui exige une plus grande quantité de labours, & des labours plus pénibles : mais une fois préparée, ameublie, humeétée, la terre forte conferve beaucoup plus long-temps fon humidité, véhicule néceflaire des fels, foit qu'ils y foient concinuellement portés & fucceffivement remplacés par 1'eau des pluies ou des arrofements.
A quoi fert donc le fumier, dira t-on? a foulever plus aifémenc, plus généralement la terre par la fermentation qu'il y excite, & a la tenir plus long-temps foulevée, ameublie, foit par fes parties aétives qui ne peuvent fe développer que par degrés dans les terres compaétes, comme celles de la feconde efpece qu'on divife en 1'échauffant; foit par fes parties onétueufes qui, en engraiflant la terre de la première efpece, y retiennent plus long-temps 1'humidité que fa trop grande porofiré & 1'incohérence de fes grains laiflèroit bientöt échapper.
Ainfi, le fumier, employé a propos & fuivant



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 31?
fa qualité, fupplée en partie aux labours. Les labours peuvent-ils fuppléer au fumier? Je ne le crois pas pour les terres légeres. Heureufement, il leur en fauc peu. Je le crois pour les terres fortes, & il leur en faudroit beaucoup. Mais rien ne peut fuppléer a la pluie qui, en Amérique, lorfqu'elle eft abondante, rend toutes les terres a-peu-près égales. Quelques fruits hatés par Ia faifon pourriflène dans Tes excellences : mais prefque cous acquierent leur perfeélion dans les terres les plus communes. En Amérique, point d'année pluvieufe qui ne foit fercile. Dans une année feche, le revenu diminue quelquefois de la moitié.
L'unique objet qui mérite Pattention des habitants de Saint-Vincent, comme de tout poflèffeur d'une terre légere, dans quelque zone qu'elle puiffè être fituée, doic donc être de 1'arrêter fur leurs mornes, d'y préférer la culture des plantes qui la couvrenc le plutót & qui la laiffènc le moins expofée au choc immédiat des fortes pluies qui 1'affaiffènc de plus en plus quand elle n'eft pas labourée, &rentraïnent quand elle eft ameublie; de chercher fur-couc le fyftême de culture qui, fans trop contrarier la plante, lui donne le degré d'accroiflèmenc nécefTaire pour garantir le fol au moment du plus grand befoin, dans cette faifon oü les averfes plus fréquenres ne manqueroient pas a la longue de le dépouiller jufqu'au tuf, Pen-



3i8 SUPPLÉMENTS
dam qu'il fera couvert d'une terre quelconque, ne redoutons point fa ftérilité. Le fol qui fuffit une fois a la nourriture d'une plante, remis par les foins du cultivateur a fon premier état, y luffira jufqu'a la confommation des fiecles.
La Dominique étoit habicée par fes propres enfants. En 1732, on y trouvaneuf cents trentehuit Caraïbes, &c.
Page 353, après ces mots, de tout choifir, lifez: Sur cette ifle fe font fucceflivement établies neuf Paroiflès, oü , au premier Janvier 1778 , on comptoit quinze cents foixante-quatorze blancs de tout age & de tout fexe; cinq cents foixante-quatorze mulatres ou noirs libres; quatorze mille trois cents huit efclaves.
Ses troupeaux ne s'élevoient pas au-deflus de deux cents quatre-vingt huit chevaux, de fept cents fept muiets, de trente-quatre anes, de dixhuit cents trente bêtes a corne, de neuf cents quatre-vingc-dix-neufcochons, & de deux mille deux cents vingt-neuf moutons ou chevres.
Pour fes cultures , elle avoit foixante-cinq fucreries, qui occupoient cinq mille deux cents cinquante-fept acres de terre. Trois mille trois cents foixante - neuf acres plantés en café, a raifon de mille pieds par acre. Deux cents foixante-dix-fept acres plantés en cacao, a raifon de cinq cents pieds par acre. Quatre-vingt-neuf acres plantés en coton, a raifon de mille pieds par acres.



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 319
Soixante-neuf acres d'indigo, & foixante arbres de canefice.
Ses vivres confiftoient en douze cents deux acres de bananiers, feize cents quarante-fept acres d'ignames ou de patates, & deux mille fept cents vingt-neuf foflès de manioc.
Dix-neuf mille quatre cents foixante-dix-huic acres étoient occupés par les bois; quatre mille deux cents quatre-vingt-feize par des prairies ou favanes; trois mille fix cents cinquante-cinq étoient réfervés pour la Couronne, & trois mille quatre cents trente-quatre entiérement ffériles.
C'étoit tout ce que quinze ans de travaux avoient pu opérer fur un fol extrêmement montueux & très peu fertüe.
Cet établiffement efluya, dès fes premierspas, une infidélité des plus criminelles. Plufieurs de fes cultivateurs avoient obtenu du commerce des; avances très-confidérables. Pour ne pas payer leurs dettes, ils fe réfugierent avec leurs efcla-' ves dans les ifles Francoifes, oü une proteétion marquée leur fuc accordée. Inutilement on les réclama; inutilement on demanda qu'ils fuffènc tenus de fatisfaire a leurs créances : les follicitations furent inutiles. Alors le corps légiflatif fit une loi.qui affuroic a tous les émigrants Francois Pavantage de jouir avec fécurité de toutes les richeffès qu'ils porteroient a la Dominique.
Examinons, fans parcialité, la conduite des
XL.
Dlfcorde;ntre les Anglois de Ia Dominique k les Fran:ois des ifles .'oifines.



320 SUPPLÉMENTS
deux nations, & nous la trouverons mauvaife de part & d'autre.
Francois! répondez-moi. Ces transfuges n'étoient-ïls pas des voleurs? Pourquoi donc leur accordez-vous un afyle. Lorfqu'on les réclama* pourquoi en refufates-vous la reftitution ? On vous 1'aura demandée impérieufement. Je Tignore : mais je le fuppofe. Ce n'étoit pas le ton qu'il s'agiffoit d'examiner , mais la juftiee de la demandé. Ce n'eft pas le moment de répondre a la morgue par de la morgue. Une action follicitée par la juftice ne peut jamais humilier. Metrez-Vous pour un moment a la place des créanciers, & dices-moi fi vous n'auriez pas fait entendre a la Cour de Londres les mêmes repréfentations & les mêmes plaintes; fi fon iilence ou fon refus ne vous auroient pas également indignés? Eft-ce qu'il y a deux juftices?
Et vous, Anglois , lorfque par repréfailles „ vous offrites un afyle aux émigrants Francois, ne doublates-vous pas le même délit? N'invitates-vous pas au vol & a la défertion les débiteurs infideles qui étoient tentés d'échapper a la pourfuite légitime de leurs créanciers? Si les nations qui fe font partagées le Nouveau-Monde avoient, a votre exemple , pris le même parti £ qui eut faic a fes colons les avances dont ils auroient eu befoin ? Que feroit devenue 1'Amérique, fi ce mauvais efprit s'étoit manifefté a I'o-
rigine



A L'HÏST. PHILOSOPHIQUE. 321
rigine des conquêtes ? Que deviendroit-elle, s'il j s'écendok? Réfléchiffez-y un moment, & vous vous convaincrez qu'une fufpenfion générale de Ia juftice deviendroic un des plus redoutables fléaux, dont 1'efpece humaine püc être affligée. Vous fentirez qu'un accord fi funefte des nations rameneroitl'univers a un état de brigandage & de barbarie, dont nous n'avons pas même 1'idée. Quel avantage trouverez-vous a nous remplir de vos fcélérats, & a vous infeéterdés nötres? Quel intérêt, quelle confiance peut-ori prendre a des hommes fans foi envers leurs concicoyens ? Vous prometcez-vous plus de probité des nötres? Si vous les accueillez , pourquoi une troifieme nation les repoufferoic-elle? Votre 'projet eft-il que la perfidie puiflè impunément errer de contrée en contrée, & fe promener avec impunité fur toute la furface du globe ? J'exagere les fuices de votre procédé : mais fi 1'on veut juger fainement d'une aéh'on, il faut en porter les eflëts a l'extrême. C'eft un moyen fur d'en faire fentir avec force le réfultat.
Mais, me repliquez-vous,■ que falloit-il fai. te? Ce qu'il falloit faire? D'abord ce que vous avez fait. Enfuite defcendre, amain armée,dans lies afyles de vos déferteurs, & les ra vager. Et c'eft aainfi que vous vous feriez montrés des hommes Ibraves & juftes. Le fang répandu ne vous au'kok pas été imputé; ck vous auriez été applauSuppl. Tome III. X



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XLI. En quoi C011fifte 1'importance de la Dominique.
;*4 SUPPLÉMËNTS
lis par tous les peuples de l'Europe intérefles lans la même caufe.
Au rede, dois-je être furpris que vous don» liez réciproquement retraite a vos malfaiteursj orfque je vois tous les jours que vous vous arogez le droit de vous les envoyer, en pronon:ant contre eux le bannifTement s loi auffi conraire au droit commun que le feroit au droic particulier celle qui autoriferoit un citoyen, dont e chien devient enragé, a le lacher dans la maU bn de fon voifin? Mais un homme qui a deux bras eft toujours
m bon effet Donc il ne faut pas reeeier
Et il n'eft pas fans efpoir , comme il n'eft pas fans exemple, qu'un méchant s'amende.... Oui, m contre cent.... Refte a favoirfi pour un fcélérat qui fe corrigera , vous voulez acquérir éent fcélérats incorrigibles,
Cependant un autre objet que des établiflements de culture entroit de loin dans les vues étendues de l'Angleterre. Elle vouloit attirer a la Dominique les produétions des colonies Francoifes, pour en faire elle-même le commerce. C'eft pour Pexécution de ce grand projet qu'en 1766 furent rendues libres toutes les rades de cette ifle. Auffi-tót accoururent d'Europe & del'Amérique Septentrionale, une foule d'hommes aétifs & entreprenants. Des dépots immenfes de farines, de poiffon falé, d'efclaves,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 323
furent formés au Rofeau. Cette bourgade fournic aux befoins de la Martinique, de la Guadeloupe , de Sainte-Lucie , & en recuc en payement des denrées plus ou moins précieufes. Les échanges auroienc été même plus confidérables, fi, par une avidicé .fifcale mal entendue, la Grande-Bretagne n'avoit elle-même refièrré les bornes de ces liaifons frauduleufes.
Les événements qui ont détaché de I'Améririque, & les effbrrs que font les Frangois pour étendre leurs liaifons en Afrique, doivent bientöc réduire a rien ou a peu de chofe, 1'entrepóc de la Dominique : mais rien ne peut lui óterl'a» vantage de fa pofiuon. Située entre la Guadeloupe & la Martinique, a fept lieues feulement de 1'uue & de Pautre, elle les menace également. A fee deux extrémicés, nord & fud , font deux excellentes rades d'ou les corfaires & les efcadres intercepterontla navigation de la métropole avec fes colonies, la communication même des deux établifièments entre eux. Que feroic-ce fi, comme il eft facile, la rade du nord, connue fous le nom dePrince Rupert, étoit convertieen port* & entourée de fortifieations. Le projet en a été, dit-on, arrêté dans le Confeil de George IIL Tout porte a croire qu'il ne fera jamais excutéi La nation met trop de confiance en fes forces navales, pour fe prêter jamais a cette dé* penfe*
• X 3



XLII.
Loix particulieres a la Dominique.
324 SUPPLÉMENTS".
La Dominique a fixé dans les derniers temps 1'attention de 1'Amérique entiere par un événement dont les caufes remontent, ou peu s'en faut, a la découverte du Nouveau-Monde.
Les Européens avoient a peine imprimé leurs pas fanglants fur cet autre hémifphere, qu'il fallut demander a 1'Afrique des efclaves pour dé^ fricher. Dans cette efpece dégradée fe trouvoient des femmes que le befoin rendit ngréables aux premiers colons. De cette alliance que la nature fembloicréprouver,fortit unegénération mixce, dont la tendrefle paternelle rompit très-fouvenc les fers. Une bonté innéedans l'homme, fit comber en quelques occafions d'autres chaines, & 1'argent rendit encore un plus grand nombre de captifs a la liberté. En vain une polkique foupconneufe & prévoyante voulut s'élever avecforce contre cet ufage applaudi par 1'humanité : les affranchiffements ne difcontinuerent pas. On en vit même angmenter le nombre.
Cependant les affranchis ne furent pas égalés en tout a leurs anciens maïires. Les loix imprimerent généralement a cerce clafTe un caraétere d'infériorité. Le préjugé 1'abaifTa encore davantage dans les fréquentes concurrences de la vie civile. Sa pofition ne fut jamais qu'un état intermédiaire entre l'efclavage & Ia liberté originaire.
Des diftinétions fi humiliantes remplirent de rage ces affranchis. L'efclave eftcommmunément



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 325
fi abruti, qu'il n'ofe braver fon tyran; il ne peut que le haïr: mais le cosur de 1'homme qui a vu tomber fes fers a plus d energie. II hait & brave les blancs.
II falloit prévemr les dangereux efFers de ces difpoficions finiftres. Dans les fociécés de FEurope , oü cous les membres font égaux, oü 1'intérêc de chaque individu eft Fintérêc de tous, il n'eft pas permis de fuppofer a un citoyen 1'intention de nuire au bien général fans de bonnes preuves. Mais en Amérique, oü un corps monfirueux, bizarre, divifé de fentiments, eft compofé de trois claiFes différentes, on fe croit en droit de facrifier les deux dernieres a la füreté de la première. L'efclave eft retenu dans une oppreffion perpétuelle, & 1'affranchi eft emprifonné au moindre foupcon. Son averfion pour les blancs eft regardée comme un délit fort grave, & juftifie aux yeux de 1'autorité les précautions qu'on prend contre lui. C'eft a cette étrange févérité que la plupart des nations onc voulu attribuer 1'efpece de tranquillité dont elles ont joui dans leurs établiffements du NouveauMonde.
Dans les feules colonies Angloifes , le noir libre eft aflimilé au blanc. La préfompcion la plus force ne fuffic pas pour attenter plucöc a la liberté de Fun que de Fautre. II arrivé de-la que la loi qui crainc de fe méprendre fur le choix du cri-
X 3



Sa6 SUPPLÉMENTS
minel, refte quelquefois dans 1'inaction plus long-temps que 1'avantage public ne le voudroit. Les affranchis ont quelquefois abufé de ces ménagements dans les ifles Britanniques. Leurs mouvements féditieux ont déterminé la Dominique a changer de fyftême.
Par un bill du mois de Septembre 1774, il ne fera plus permis a aucun colon de donner la liberté a fon efclave, avant d'avoir verfé cent piftoles dans le tréfor public. Mais fi cet affranchi prouvoit dans la fuite que fon travail ne fuffit pas a fa fubfiftance, il recevroit 80 livres tous les fix mois, jufqu'a ce que des circonftances plus heureufes lui permiffent de fe paffer de ce fecours.
Tout affranchi convaincu devant deux juges de paix par la dépofuion de deux témoins libreg ou efclaves de quelque délic qui ne fera pas capital, fera puni par le fouet, par une amende, ou par la prifon, felon que les Magiftrats 1'eftimeronc convenable. On lui impofera les mêmes peines pour avoir troublé 1'ordre public, pour avoir infulté, menacé ou battu un blanc.
Un affranchi qui aura favorifé la défertion d'un efclave, qui lui aura donné afyle ou accepté fes fervices, fera comdamné a une amende de deux mille livres applicable aux befoins publics. Si le coupable étoit hors d'état de payer cette fomme, on lui feroit fubir une prifon de trois mois,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 3*7
eu on lui infligeroit Ie fouet, felon que les juges de paix 1'ordonneroient.
Aucun negre, muiacre ou métis Iibre nepourra voter a 1'élection du repréfencant de fa Paroiflè dans Paflèmblée générale de la colonie. La faveur ni Ia fortune ne pourronc jamais effacer ce fceau de réprobation.
Après avoir parlé féparément de chacune des trois ifles neutres acquifes a l'Angleterre par le traité de 1763, il convienc d'expofer les moyens que cette Puiflance a cru devoir emp&yer pour tirer des avantages folides de fes profpérités,
D'abord le Gouvernement jugea qu'il lui convenoic de vendre les differentes portions du fol écendu que les fuccès de la guerre lui avoient donné. Si elles avoient été gratuitement accordées, la faveur & 1'intrigue les euflènt obtenues; & de long-temps elles n'euflènt été utiles. Mais la nation étoic bien aflurée que couc citoyen qui auroit employé une partie de fes capitaux a 1'acquifition d'un fonds, feroit les dépenfes néceflaires pour mettre en valeur fa propriété.
Cependant, les nouveiles plantations demandent tanc de dépenfes en baciments, en befliaux, en efclaves, qu'il pouvoit être funefte d'exiger tout-a-coup le prix des terres concédées. Cette confidération fit régler que 1'acheteur ne feroic tenu de donner que vingt pour cenc dans le premier moment; dix pour cenc chacune des deux X 4
XLiir.
Plan concu parle Miniltere Britannique, pour rendrefloriffantes les 'toisiflesau:refois neu:res.



p# SUPPLÉMENTS
années fuivantes; & enfin vingt pour cent les autres années, jufqu'a la fin de fon payement. II devoit être déchu de tous fes droits, fi, aux époques fixées, il ne remplifiöit pas fes obligations.
Pour adoucir ce que cette loi pouvoit avoir de trop rigoureux, on laifla au cultivateur la liberté de convertir fa dette en une rente perpé* tuelie. Ce eens même ne devoit commencer que douze mois après le défrichement,
Comme dans les ifles depuis long-temps pofle* dées par l'Angleterre, la tropvafte étendue des héritages avoit vifiblement diminué la maflè des produétions, on crut devoirprendre desmefures pour éloigner ce défordre des acquifitions nou* velles. II fut ftatué que perfonne ne pourroit acquérir plus d'une plantation, & que la plus grande n'excéderoit pas cinq cents acres. On la borna même a trois cents pour la Dominique, dont la pofuion & la deftination exigeoient un plus grand nombre d'Européens. L'autorlté arrêta encore que fur chaque centaines d'acres, il en feroit dé-> friché cinq tous les ans, jufqu'a ce quelamoicié de 1'habitation eut été mife en valeur; & que ceux qui n'auroient pas rempli cette obligation, devroient une amende de cent douze livres dix Ibis toutes les années, pour chaque acre de terre qui n'auroit pas été cultivé dans le temps prefcrir, Chaque colon fut de plus aflervia mettre fur fon territoire un blanc ou deux blanches pour



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 329
chaque centaine d'acres, fous peine de payer tous les ans au fifc neuf cents francs pour chaque homme, & la moitié de cette fomme pour chaque femme qui manqueroit au nombre qu'il devoit avoir,
Cette derniere précaution devoit donner quelque confiftance aux nouveaux établiflements s mais onjugea qu'un jour ils auroient befoin de plus grandes forces, Pour les leur procurer de bónne heure, des conceflions gratuites, depuis dix jufqu'a trente acres , furent ordonnées en faveur des pauvres qui voudroient fe fixer dans les ifles. C'étoit aflez de terrein posr les faire vivre par le cravail dans une aifance qu'ils n'auroient jamais connue dans Panden hémifphere. La crainte qu'ils ne prêtaflènt leur nom a quelque homme avide, ou ne lui vendiflènt enfuite leur propriété, fit ftatuer qu'ils feroient tenus de prendre eux-mêmes poflèffion du fol trois mois après qu'il leur auroit été donné, d'y habiter douze mois de fuite , & de le garder fept ans entiers. Leur petit lot devoit être exempc de tout droit pendant quatre années. Après ce terme, ilsdevoient un eens de douze fols pour chacun des acres qui feroient en valeur, & deux livres cinq fols pour ceux qui refleroient incultes.
Les ifles Angloifes fe plaignoient depuis longtemps de manquer de pluie, paree que toutes les forêts y avoient été abattues. Afin de préveX 5



33o SUPPLÉMENTS
nir cetinconvénient dans les nouvelles poffeffions, les Comnfiffaires eurenc ordre de réferver a la Couronne les bois néceflaires pour attirer des nuages, ck pour entretenir 1'humidité, dont toutes les plantes propres a 1'Amérique ont plus ou moins befoin.
Enfin, aucune des fommes que la vente des terres pourroit rendre, ne devoit tourner au profit du fifc. Elles devoient être toutes confacrées a des chemins, a des forcifications, a des objets utiles a ces ifles.
II reftoit a regler le fort des Francois établis en grand nombre a la Dominique & a Saint-Vincent. Ces cultivateurs n'avoient aucune inquiétude fur leur propriété. Ils 1'avoient obtenue ou achetée des Indiens, & y avoient été confirmés par le Gouvernement de la Martinique, qui, en reconnoifiance, exigeoit d'eux un léger tribuc. Le premier de ces titres ne pouvoit être d'aucun poids aux yeux de la Puiflance conquérante; & le fecond étoic manifeftement contraire aux con ventions des Cours de Londres & de Verfailles, qui s'étoient engagées a ne pas permettre que leurs fujets refpeftifs s'établiflènt dans ces ifles neutres.
Auffi 1'attente des hommes aftifs qui devoient accélérer les progrès de deux colonies qu'ils avoient fu fonder,Vut-elle entiéremenc trompée. Soit que le Miniftere Bricannique craignitde dé/-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 331
gouter les Anglpis, en leur faifant payer un terrein que leurs anciens rivaux auroienc continué a poflèder gratuitemenc; foit qu'on defirac de fe débarraffèr de ceux de ces étrangers que leur religion & leurs habitudes pouvoient attacher trop fortement a leur première patrie, il fut réglé que les Francois ne jouiroient al'avenir de leurs plantations qu'a bail perpétuel.
Cette dureté fi contraire aux maximes d'une faine politique, lesdifperfa. L'émigration ne futpas pourtant univerfelle. Après la première humeur du mécontentement, les plus fages comprirent qu'ils gagneroïent encore plus a racheter les terres dont ils jouiffoient, qu'a s'aller établir fur un nouveau fol dont le fonds ne leur coütejoit rien.
La Grande-Bretagne fe promettoit beaucoup des mefures qu'elle avoit prifes pour la profpérité de fes conquêtes. Le fuccès n'a pasrépondu a fon attente, & les caufes de cet étrange mécompte font connues.
A peine les traités eurent affuré les trois ifles neutres a l'Angleterre, que la fureur d'y avoir des établiflements devint univerfelle. Cette manie épidémique donna un prix extravagant aux terres que le Gouvernement faifoit vendre. Comme la plupart des acquéreurs n'avoient que leur hardieflè pour toute fortune, le crédit devint leur .reffburce unique. Ils en trouverent a Londres&
XLTV.
Ofaftaclet qui fe font oppofés a Ia profpérité des ifles neutres.



332 SUPPLÉMENTS
dans quelques autres places de commerce, dont les négociants égarés par la même illufion, puifoient dans les banques des fommes confidérables a un intérêt modique , pour les confier a un intérêc plus fort a ces fpéculateurs entreprenants.
Les nouveaux propriétaires, qui, la plupart, s'étoient fait adjuger un fol, fans prendre la peine de le reconnokre, porterent la même légéreté dans la formation de leurs plantations. Lescöces & Pintérieur des ifles acquifes fe trouverenc touta-coup couverts de maitres & d'efclaves, également inexpérimentés dans Part difficile & pénible des défrichements. Ce furent des fautes fur des fautes , des malheurs fur des malheurs. Le défordre étoic extréme. II ne tarda pas a éclater.
Le colon avoit fait fes emprunts a huit pour cent, en 1766 ou vers cette époque. II devoit rembourfer cinq ans après. L'impoflibilité oü il fe trouva de remplir fes engagements allarma fes créanciers d'Europe. Fruftrés des remifes auxquelles ils s'étoient attendus, ces prêteurs avides ouvrirent enfin les yeux. Plus leur confiance avoit été crédule, plus leur inquiétude devint aétive. Armés du glaive de la loi, ils expulferent des plantations les infortunés qu'un efpoir téméraire avoit malheureufement féduits. Ainfi fe termina le beau rêve des nouvelles colonies Angloifes.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 33;
Mais cette grande agitation doit avoir des fui tes favorables. Les défrichements, entrepris pa; des hommes fortis du néant, & qui y font ren trés, feront pour la nation le réfulrat avantageiu d'une fermentation irréguliere & défordonnée Un fol, qui languiflbit dans les mains des premiers poflêflèurs, fera cultivé avec de plus grands moyens, avec plus d'intelligence & d economie, En actendant ce nouvel effort d'induftrie & d'activité, réfumons les poheflions Angloifes dans 1'archipel Américain. Pour une Puiflance maritime & commercante, évaluer fes colonies, c'eft apprécier fes forces.
Aux lndes Occidentales, les ifles Britanniques font en général plus étendues que fertiles. Des montagnes, qu'on ne fauroit cultiver, occupent beaucoup d'efpace dans quelques-unes, & d'autres font formées en tout ou en partie, d'une craie très-peu produ&ive. Les meilleures font défrichées depuis long-temps, & ont befoin du fecours des engrais imparfaics & rares dans cette partie du Nouveau-Monde. Prefque toutes onc été dépouillées des forêts qui les couvroient originairement, & fe trouvent expofées a des fécherefles qui ruinent fouvent les travaux entrepris avec le plus d'attention & de dépenfe.
Auffi 1'augmentation des denrées n'a-t-elle pas proportionnellemenc fuivi la multiplication des bras employés pour les obtenir. II y a de nos
I
XLV.
Etat acluel des ifles Angloifes.



S34 SUPPLÊMENTS
jours, dans ces colonies, prés de quatre cêmi mille efclaves dont les fueurs forment a peine les deux tiers du revenu qu'avec les mêmes moyens on obtient fur un fol plus riche*
Le nombre des blancs a diminué aflez généralemenc, a mefure que celui des noirs augmentoit. Ce n'eft pas qu'il n'y eut, pour remplacer ceux qui périffoient ou qui difparoiflbient avec la fortune qu'ils avoient acquife* autant d'hommes indigentsou défceuvrés, en Angleterre, que dans les premiers temps de 1'émigration : mais cet efprit d'aventure, que la nouveauté des objets & le concours des circonftances avoienc fait éclore, a été arrêté ou étouffé. D'un cóté, 1'efpace qu'occupoient les petites cultures a été fondu fucceflivement dans les fucreries qui exigent un terrein fort vafte; de 1'autre, les pro-» priétaires de ces grandes plantations ont réduit, le plus qu'il étoit poflible, des agents dont les falaires étoient devenus un fardeau pefant.
Depuis cette révolution , les ifles Britanniques ont plus que jamais a craindre des rava-1 ges ou une invafion. Leurs colons , tous enrégimentés, furent autrefois en force fufiifantë pour repouffer du moins un ennemi foible & mal armé. Si la marine de la métropole ceffoit aujourd'hui un moment de les protéger, elles pourroient être, la plupart, emportées par un coup de main, C'eft beaucoup que, dans



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 335
Pécat ou elles font, les milices puiflènt contenir les noirs, plus malheureux fous la domination Angloife que fous . aucune autre : car U femble que 1'efclavage foit d'autant plus clur chez les nations libres qu'il y eft plus injufle & plus étranger. Telle efl: donc la marche de 1'homme vers 1'indépendance , qu'après avoir fecoué le joug , il veut 1'impofer; & que le cceur le plus impatienc de la fervitude devient le plus amoureux de la domination !
Jamais les lndes Occidentales ne furent affujetties a aucun impót par la Grande-Bretagne. Seulement en 1663, la Barbade & les autres ifles, excepté la Jamaïque, s'engagerent librement a lui payer a perpétuité quatre & demi pour cent pour toutes celles de leurs produétions qui feroit exportées. Une li grande généïofité parut depuis onéreufe, & le poids en fut allégé autant qu'il étoit poflible. Comme cette obligation eft acquittéeavec des denrées, on na livre guere au Gouvernement que celles qui onc quelque imperfeétion; & Pon n'eft pas plus fcrupuleux fur le poids que fur la qualité. De cette maniere le fifc ne recoit que les deux tiers du don qui lui fuc anciennement accordé.
C'eft encore erop pour des établiflements chargés de fournir eux-mêmes a leurs dépenfes intérieures. Elles furent très-confidérables, lorfque ces colonies régloienc leur organifacion, ou éle-



336 S Ü P PLÉMEN T S
voient des foruficadons jugées néceflaires h leur füreté. Les taxes étoient muldpliées a cette époque ; & chaque événement facheux en amenoit de nouvelles, paree qu'on trouvoit plus fage de demander des contribucions au citoyen, que d'avoir recours a des engagements publics. Le temps a diminué les befoins. II a fallu mêmepourvoir, avec plus d'économie , a ceux qui reftoient, paree que les reflburces des cultivateurs ne font plus les mêmes. Les tributs font aéhiellement peu de chofe, & on pourroit les réduire encore, fi, par une contradiétion manifefte avec 1'efprit républicain, qui eft un efprit de défintéreffement, ceux qui remplifient les places d'adminiftration n'exigeoient de trop gros falaires.
Mais c'eft un inconvénienc, &c. page 359.
Page 360, après ces mots, qu'ils ont perdu, UfeZ : Cependant tout refpire 1'opulence dans les établiflements Anglois des lndes Occidencales : c'eft que les aétes d'une autorité arbitraire qui défolent tant d'autres contrées n'y font pas eonnus : c'eft que ces vils inftruments du fifc qui ruinent le fonds pour établir la forme ne s'y trouvent pas : c'eft que la culture du fucre y a été fubftituéeaux produétions de peu de valeur: c'eft que les plantations appartiennent généralement a des hommes riches ou a des aflbeiations puiflantes qui ne les laifTenc jamais manquer des moyens néceflaires pour la meilleure exploitation:
c'eft



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 33; c'eft que fi des hafards malheureux réduifenc un colon a faire des emprunts, il les obcienc faciJemenc & a bon marché, paree que fes poffèffions reftent hypothéquées a fon créancier, & que Ie payement eft afluré aux époques convenues : c'eft que ces ifles moins expofées au dégat & h 1'invafion que les poflèffions des Puiflances riches en produétions & foibles en vaiflèaux : c'eft que les événements des guerres les plus opiniatres & les plus meurtrieres n'empêchenc jamais &ne retardentque rarement 1'exportation de leurs denrées,: c'eft que les ports Britanniniques ouvrenc toujours a leurs principales récoltes un débouché plus avantageux que leurs rivaux n'en peuvent efpérer ailleurs. Auffi les terres fe vendent - elles conftammenr a un tréshaut prix dans les ifles Angloifes. On voit un égal empreflèment parmi les Européens, parmi les Américains, pour en acheter.
Ce fol auroit été plus recherché encore, fi les lndes Occidencales euflènc été moins févérement fermées aux navigateurs étrangers, fi elles avoient eu la liberté de choifir elles-mêmes leurs acheteurs fur tout le globe; mais des loix, dont il n'a jamais été poflible d'éluder les difpofitions, ont concentré leurs liaifons dans les limites de 1'Empire Britannique, avec les Provinces nationales de Pun & l'autre hémifphere. Ces colonies ne voyent croïtre fur leur terriSuppl. Tome HL Y



338 SUPPLÉMENTS
toire, ni vivres pour leur fubliftance, ni bêces de fomme pour leurs travaux, ni bois pour leurs édifices. Ces objets de néceffité première leur étoient fournis par 1'Amérique Septentrionale qui recevoit en payement du rum & d'autres produétions pour trois ou quatre millions chaque année. Les troubles qui ont divifé la vieille & la nouvelle Angleterre ont interrompu cette communication , au grand détriment des ifles. Jufqu'a ce que des befoins impérieux la faflènt r'ouvrir, ou qu'il fe forme des combinaifons qui la remplacent, les lndes Occidentales n'auronc de débouché que celui que leur fournira la GrandeBretagne.
A Pépoque oü nous écrivons , l'Angleterre recoit tous les ans des ifles qu'elle occupe dans les lndes Occidentales , pour environ quatrevingt-treize millions de denrées, en y comprenanc feize ou dix-fept millions qu'elles payent au fifc, & le rum que 1'Irlande recoit direéte» ment en payement des falaifons qu'elle fournit a ces colonies.
Prefque tout le fucre qui forme les trois quarts du produit des ifles, fe confomme dans le Royaume même , ou eft porcé en Irlande. Ce n'eft que rarement qu'on en envoyé a Hambourg ou dans d'autres marchés.
Les exportations que fait la Grande-Bretagne des produétions de fes ifles, ne s'élevent pas an-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 339
nuellement au-deflus de fept ou huit millions de livres. Ajoutez a cette fomme ce qu'elle doit gagner fur les cotons, qu'elle manufaéture avec tanc de fuccès, & qui fe répandent dans une grande partie du globe, & vous aurez une idéé aflez jufte des avantages que cet Empire recire des lndes Occidentales.
Les ifles recoivent en payement leurs meubles & leur vêtement, les uftenfiles néceflaires a leurs fabriques, beaucoup de quincaillerie & les efclaves qui doivent exploiter leurs terres. Mais combien il s'en faut que ce qu'on leur envoyé approche de ce qu'on obcient d'elles ! II faut prélever les fraix de navigation, les aflurances, la commiflion, ou le bénéfïce du marchand. II faut prélever Pintérêc de feize millions fterlings ou de trois cents foixante millions tournois, que ces colonies doivent a la métropole. II faut prélever ce que les propriétaires des plus riches plantations dépenfent en Angleterre, oü ils réfident habituellement. Si 1'on excepte les poflèflions acquifes ou aflurées par les traités de 1763, dont les plantations naifTantes ont encore befoin d'avances, les autres poflèflions des lndes Occidentales voyent a peine arriver dans leurs rades la quatrieme partie des valeurs qui en font forties.
C'étoit la capitale de 1'Empire qui faifoit autrefois prefque tous les envois: c'étoit elle qui Y a



XL VI.
Réfumé des richeffes qui fortent de tout 1'archipc! Américain.
34o SUPPLÉMENTS
recevoit prefque tous les retours. Un pareil défordre bleffoit juftement les gens éclairés. Mais du moins Londres efl: le plus, &c. page %6j.
Page 368 , après ces mots, riche & peuplé, lifez: Cependant cet entrepot immenfe a perdu, ivec le temps quelque chofe de 1'efpece de raonopole qu'il exercoit fur les colonies & fur les Provinces. Briftcl, Liverpool, Lancafter, Glafcou, ont pris une part aflèz confidérable a ce grand mouvement. II fe feroit même établi une concurrence, plus univerfelle, fi des mceurs nouvelles, le dégout d'une vie retirée, le defir d'approcher du tróne, une molleflè & une corrupcion qui ont paffe toutes les bornes, n'euflènc réuni a Londres ou fur fon territoire, le tiers de la population du Royaume, & principalement les grands confommateurs.
L'hiftoire du grand archipel de 1'Amérique ne fauroit être, ce femble, mieux terminée que par une récapiculation des avantages qu'il procure aux Puiflances qui 1'ont fucceffivement envahi. C'eft uniquement par 1'impulfion que fes immenfes produétions ont donnée au commerce, qu'il doit tenir une place éternelle dans les faftes des nations; puifqu'enfin les richeflès font le mobile des révolutions rapides qui tourmentenc le globeCe furent les colonies de 1'Afie, &c. Page 368, après ces mots, ou de richeflès, lifez : Les ifles de 1'autre hémifphere donnenc



A LTIIST. PHILOSOPHIQUE. 34I annuelleroem quinze millions a I'Efpagne; huit au Danemarck; trente a la Hollande; quatrevmgt-deux a l'Angleterre; cent vingt-fix a la trance. C'eft doncenviron deux cents foixanteun millions, que font vendues dans notre continent les produétions recueillies dans deschamps qui étoient entiérement incultesil n'y a pas trois fiecles.
Ce n'eft pas un don &c. page 371.
Page 372, après ces mots, fa richeflè réelle, itfez : Tout le globe fe reflènt de cette impulfion. r
Les travaux des colons, &c.
Page 276, après ces mots, de leurs tyrans, Itjez: Dans de telles mains, les meilleures armes doivent être impuifiantes. On pourroit même craindre qu'ils ne les tournafiènt contre leurs impitoyables opprefièurs.
Les blancs paroiffènt de meilleurs défenfeurs pour les colonies. Outre le courage qu'infpire nacurellemenc Ia liberté, ils doivent être encore animés de celui qui appartient exclufivement aux grands propriétaires. Ce ne font pas des hommes avilis par des travaux groffiers, par des oecupations obfcures., ou par 1'indigence. L'Empire abfolu qu'ils exercent dans leurs plantations, • du leur infpirer de la fierté & agrandir leurame. Mais difperfés dans de vaftes héricages, que peuvent-ils, cxc.
Y <■> 1 o



342 SUPPLÉMENTS
Page 379, après ces mots, touc fe proraettre, lifez : Ses ifles écoienc en füreté, & celles de fes rivaux expofées a fon invafion. Les fentimencs qu'elle avoic concus de fa valeur; la terreur que fes armes avoienc infpirée; le fruit d'une heureufe expérience acquife par fes Amiraux; la mulcitude & Ja bonté de fes efcadres: ces différents moyens d'agrandiflèmenc devoient s'anéantir dans le calme d'une longue paix. L'orgueil de fes fuccès; 1'inquiétude inféparable de fes profpérités; Ie fardeau même des conquêtes, qui femble êcre le chatiment de la viétoire: tout la ramenoit donc a la guerre. Les projets de fon aftive ambition ont été anéantis par la révolucion qui a décaché de fon Empire 1'Amérique Septentrionale : mais la poflèflion des ifles, devenues très-riches, que la nature a placées au voifinage de ce grand continent, encore pauvre, eft-elle maintenant plus aflurée aux nations qui les onc défrichées? C'eft dans la pofition, c'eft dans les intéréts, c'eft dans 1'efprit des nouvelles j Républiques, que nous allons écudier le fecret : de nos deftinées.
Fin du Livre quatorzieme & du Tome V,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 343
LIVRE XV.
TOme VI, page 1, lifez: Jufqu'a préfent, nous avons recu fur nos têtes les rayons perpendiculairs du foleil. Bientóc nous ne les recevrons qu'obliques. Ce n'eft plus de 1'or que nos avides & cruels Européens iront chercher loin de leur patrie. Moins infenfés, s'ils franchifiènt encore les mers, ce fera pour fe fouftraire aux calamitésde leurs pröpres conrrées; ce fera'pour trouver le repos & la liberté; pour défricher des terres incultes; pour couvrir de filets des rives poifibnneufes; pour chercher fur le haut des montagnes, dans le fond des forêts, des animaux a dépouiller de leurs précieufes fourrures.
Les fauvages poflèfièurs des contrées oü nous allons faire nos premiers pas ne feront point une race d'hommes abatardie, fans force de corps & fans élévation d'ame:mais des chaflèurs, des guerriers endurcis aux travaux , braves , éloquents, jaloux de leur indépendance, & préléntant alternativemenc des exemples de la férocité la plus inouie, de la plus héroïque magnanimité, & de la plus abfurde fuperftition.
La fuperftition, cette plante funefte eft donc de tous les climats; elle croit donc également dans les plaines & fur les rochers; fous les feux Y4



344 SUPPLÉMENTS
de la ligne, fous les frimats du pole, & dans Pintervalle tempéré qui les fépare. La généralité de ce phénomene défigneroit-elle par-tout un élan de 1'homme ignorant & peureux vers PAuteur de 1'exiflence & le difpenfaceur des biens & des maux, 1'inquiétude d'un enfant qui cherche fon pere dans les ténebres?
L'Efpagne étoit maitreffe, &c.
Page 4, après ces mots, une chimère, lifez: II eut le fort de 1'alchymilte, qui cherche de 1'or qu'il ne trouve pas, & qui trouve une chofe précieufe qu'il ne cherchoit pas.
Prefque tout ce que l'efprit, &c.
Page 28, après ces mots, généreux fauvages, lifez : Européens, fi fiers de vos gouvernement^ , de vos loix, de vos inftitutions, de vos monuments, de tout ce que vous appellez votre fageflè, permettez que je vous arrête un moment. Je viens de vous expofer avec fimpli» cité & fans art le tableau de la vie & des mceurs du fauvage. Je ne vous ai ni difllmulé fes vices , ni exagéré fes vertus. La fenfadon que mon récit vous a fait éprouver, je vous demande de la conferver jufqu'a ce que le plus beau génie, 1'homme le plus éloquent d'entre vous ait apprêté fes crayons, & vous ait peint avec toute la force, avec toute la magie de fon coioris, les biens & les maux de vos contrées lï policées. Son tableau vous tranfportera d'admi-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 345
ration , je n'en doute point : mais croyez-vous qu'il laiflè dans vos ames 1'émotion délicieufe que vous refTentez encore? L'eftime, 1'amour, la vénération que vous venez d'accorder a des fauvages, vous 1'infpirera-t-il pour vos compatriotes? Vous ne feriez que de miférables fauvages dans les forêts; le dernier des fauvages feroit un homme refpeétable dans vos cités. Une feule félicité manquoit, &c. Paëe 33 ■> après ces mots, de fes mamelles, lifez: Des liens plus durables encore chez les fauvages, ce font ceux de 1'amitié. L'amitié n'eft pas précifément un devoir, puifqu'on ne peut pas la commander : mais c'eft une union plus agréable, plus tendre & même plus forte que celles qui font formées par la nature ou par les inftitutions fociales. Tous ceux que ce fentiment délicieux a rapprochés s'accordent réciproquement des confeils dans les conjonélures difficiles, des confolations dans les malheurs, de 1'appui dans les démarches, des fecours dans 1'infortune. Loin de chercher adiminuer les obligations de cette vertu, 1'imagination feplait a les exagérer. On veut qu'elle ne puiffe pas exifter, fans un parfait abandon de foi-même, fans une entiere renonciation a fes intéréts perfonnels en faveur de la perfonne véritablement chérie.
II n'eft pas donné a tous les hommes de jouir des douceurs de l'amitié. Plufieurs, a raifon de Y 5



346 SÜPPLÉMENTS
la froideur & de la fécherefle de leur caraérere, ne peuvent nil'éprouver, ni la faire naitre. Com ment encreroit-elle dans Ie cceur d'un riche? II n'eft touché que de fon opulence aétuelle, du defir de 1'augmenter, de la crainte de la perdre. II ne faut au puiflant que des adulateurs donc 1'ceil timide n'ofe s'élever jufqu'a lui, des ames avilies qui implorent baflèment fa proteétion. Quel appas pourroit-il trouver dans une communication intime que la derniere claflè des citoyens pourroit goüter auffi bien ou mieux que lui ? L'homme diffipé eft égalemenc incapable d'affeélions profondes & durables : le fafte, la variété des plaifirs ; c'eft tout ce qui 1'occupe. Ses jouifiances font excérieures; fon ame n'entre pour rien dans fes attachements.
Chez les fauvages, l'amitié n'eft jamais altérée par cette foule d'intérêcs, &c.
Ibid. après ces mots, 1'un de 1'autre, lifez : Alors même ils onc la douce perfuafion que leurféparation ne fera que momencanée, & qu'ils fe rejoindronc dans un autre monde, pour ne fe plus quicter, & fe rendre a jamais les plus grands fervices. Un Iroquois Chrétien, mais qui ne fe conduifoic pas felon les maximes de 1'Evangile, étoit menacé des peines éternelles. II demanda fi fon amienterré depuis peu de jours étoit en enfer. J'ai de fortes raifons pour croire qu'il n'y apas écé précipicé, répondic le miffionnaire.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 347
S'il en efl; ainfi, je ne veux pas y aller, reprit le fauvage. II s'engagea, fur le champ, k changer de mceurs, & fa vie fuc toujours depuis très-édifiante.
Les fauvages ont une pénétration, &c.
Page 42, après ces mots, choifir un chef, lifez : Lorfqu'un certain nombre d'hommes fe réuniflènt pour exécuter une entreprife d'un intérêt commun, il faut que quelqu'un d'entre eux foit chargé de diriger les mouvements de la multitude doncil faut qu'il foit 1'ame commune, 1'ame qui commande auffi impérieufement a tous, qu'aux membres du corps qu'elle habite, & qu'elle en foit auffi promptement, auffi fidélement fervie. Au moment oü cette identité ceflè, le défordre s'introduit. Ce n'eft plus une armée qui tend au même but : ce font des Officiers ifolés, des foldats féparés qui s'abandonnent a des deflèins particuliers. Cette fubordination qui lie cent mille têtes, deux cents mille bras a un même Général, eft la qualicé principale qui diftingue nos guerriers modernes des guerriers anciens. Chez ces derniers, chacun fe défignoit fon ennemi, ötalloit le défier au milieu delamêlée. Uncombat n'étoit qu'un grand nombre de duels exécutés en même-temps fur un champ de bataille. II n'en eft pas ainfi de nos jours. Ce font deprofondes, larges & denfes maflès d'hommes alignés & prefles, fe mouvant en tout fens comme un



343 SUPPLÉMENTS
fenl. Autrefois, c'eft un duel d'homme a homme; a préfent, c'eft un duel de maffe a mafte. Le moindre défaut de fubordination ameneroit la confufion, & la confufion un horrible maffacre & une défaite humiliante.
L'éloignement qu'ont les fauvages du Canada pour tout ce qui peutgêner leur indépendance, ne les a pas empêchés d'appercevoir la néceffité d'un chef militaire. Des Capitaines les ont toujours menés au combat; & dans la préférence qu'ils leur accordoient, la phylionomie étoit con- 1 fultée.
Ce moyen de juger des hommes, &c.
Page 51, après ces mots, le héros, lifez: chante d'une maniere barbare, mais héroïque, la gloire de fes anciennes viétoires; il chante le plailir qu'il eut autrefois d'immoler fes ennemis. Sa voix expirante fe ranime pour exprimer 1'efpoir qu'il a d'être vengé, pour reprocher a fes perfécuteurs de ne favoir pas venger leurs peres qu'il a mafTacrés. II choifit pour braver fes bourreaux le moment oü leur rage eft un peu rallen- 1 tie; il cherche a la rallumer pour que 1'excès de i fes fouffrances déploye 1'excès de fon courage. 1
C'eft un combat de la viélime, &c. 1
Page 65, après ces mots, avoir naturel lemen t, 1 lifez: Les Frangois avoient mal formé leurs éta- ' bliflèments. Pour paroïtre régner fur d'immenfes 1 contrées, pour fe rapprocher des pelleteries, ils 1



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 349 avoient placés leurs habitationsa une celle dif• tance les unes des autres, qu'elles n'avoient prefque point de communication, qu'elles étoient hors d'état de fe fécourir. Les malheurs dont cette imprudence avoit étéfuiviene les avoient pasfaic changer de conduite. L'intérêt du moment leur avoit toujours fait perdre le fouvenir du pafTé, leur avoit öté la prévoyance de 1'avenir. Ils n'étoient pas proprement dans un état focial, puifque le Magriflratne pouvoit pas furveiller a leurs mceurs, nile Gouvernement pourvoirala füreté de leurs perfonnes, a celle de leurs propriétés.
L'audacieux & ardenc Iroquois ne tarda pas a démêler le vice de Cette conflïtution, & fe mit en mouvement pour en profiter. Auffi-töt lesfoibles hordes de fauvages qu'on avoit dérobées a fes fureurs, privées de 1'appui qui faifoit leur füreté, s'enfuirent devant lui. Ce premier fuccès lui fit efpérer qu'il réduiroit leurs proteéteurs a repafier les mers, & que même il enleveroit a ces étrangers leurs enfants pour remplacer les guerriers que les guerres précédentes lui avoient fait perdre. Pour éviter ces calamités, ces humiliations, les Francois fe virent réduits a éleverdans chacun desdiftriéts qu'ils occupoient, une efpece de fort oü ils fe réfugioient, oü ils redroienc leurs vivres & leurs troupeaux a 1'approche de cet ennemi irréconciliable. Ces paliflades communément foutenuesde quelquesmauvais canons, ne



■
350 SUPPLÉMENTS
furent jamais forcées, ni peut-être même bloquées : mais tout ce qui étoit hors des retranchements, étoit détruit ouemporté par ces barbares.
Telle étoit la mifere & la dégradation, &c.
Fin du Livre quinzieme.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 351
LIVRE XVI.
Pjfge 118 , après ces mots, de left, lifez; Toute 1'aétivité de la colonie, &c.
Page 121, après ces mots, fans refiöurce, lifez : Telleed a chaqueinftant lapofition relative de 1'indigent, qui follicite des fecours, & du citoyen opulent, qui ne les accorde qu'a des conditions fi dures, qu'elles deviennent en peu de temps fatales a 1'emprunteur & au créancier; a 1'emprunteur, a qui 1'emploi du fecours ne peut aucant rendre qu'il lui a coüté; au créancier, qui finit par n'être plus payé d'un débiteur, que fon ufure ne tarda pas a rendre infolvable. U efl; difficile de trouver un remede a cet inconvénient: car enfin, il faut que le prêceur ait fes füretés, & que 1'incérêc de la fomme prêtée foit d'autant plus grand que les füretés font moindres.
II y a de part & d'autre un vice de calcul, qu'un peu de juftice & de bienfaifance de Ia part du prêceur pourroit réparer. ILfaudroic quecelui-ci fe dit a lui-même: Ce malheureux qui s'adrefiè a moi eft intelligent, iaborieux , économe. Je veux lui tendrela main pour letirerde la mifere. Voyons ce que fon induftrie la plus avantageufe lui rendra, & ne lui prêtons point; ou fi nous nous décerminons a luiprêter, que 1'intérêtque



352 SUPPLÉMENTS
nousexigeronsde Ia fomme prêcée, foitau-defiouS du produic de fon travail. S'il y avoit égalité en» tre 1'intérêt & le produit, mon débiteur refteroit conftamment dans la mifere, & Ie moindre accident inattendu emmeneroit fa faillite & la perte de mon capital. Au contraire, fi le produit excede 1'intérêt, la fortune de mon débiteur s'accroit d'année en année, & avec elle la füreté du fonds que je lui aufai eonfié. Mais malheureufement 1'avidité ne raifonne pas comme la prudence & 1'humanité. II n'y a prefque point de paétes & de baux entre le riche & le pauvre, auxquels ces principes ne foient applicables. Voulez-vous être payéde vorre fermier, dansles bonnes & les mauvaifes années, n'en exigez pas a la rigueur tout ce que votre terre peut rendre; fans quoi, fi le feu prend a vos granges, c'eft a vos dépens qu'elles feront incendiées. Si vous voulez profpérer feul, la profpérité vous échappera fouvent. II eft rare que votre bien puiffe fe féparer abfolument du bien d'un autre. Vous ferez la dupe de celui qui s'engage a plus qu'il ne peut, s'il le fait; il fera la vócre, s'il 1'ignore 5 & 1'homme qui réunit la prudence a 1'honnêtecé, ne veut ni duper ni être dupe.
Toutes les parties de la Nouvelle-France n'étoient, &c.
Page i2zt, après ces mots, Louyfiane formoit, lifez : la portion la plus intéreffante.
Cette



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 353
Cette grande & belle contrée, que les Efpagnols comprenoienc autrefois dans la Floride, fefta long-temps. inconnue aux habitants du Canada. Ce nefut qu'en 1660 qu'ils en foupeonnerenc 1'exiftence. Avertis, a cette époque Jpar les fauvages, qu'il y avoica 1'Occident de la colphieun grand fleuve, qui ne couloit ni h lEu% ni au Nord, ils en conclurent qu'il devoit fe rendre au golfe du Mexique, s'il couloit au Sud, oü dans 1'Océan Pacifique , s'il fë déchargeoic a 1'Oueft. Le foin d'éclaircir ces faits importants* fuc confié, en 1673, a Joliet, habitanc de Quebec, homme très-intelligent, & au Jéfuite Marquecte, dont les mceurs döuces & compatifiantes étoient généralement chéries.
Aufli-cöc, ces deux hommes, également dé~ ÜntérelTés, égalemenc aétifs, également paffionhés pour leur pacrie, parcenc enfetnble du lac Michigan, entrenc dans la riviere des Renards „ qui s'y décharge, & la remontent jufques vers fa fource, malgré les courants qui en rendent Ia navigation difficile. Après quelques jours demar^ che, ils fe rembarquent furie Ouifconfing, & havigant toujours a 1'Öuèft, ils fe trouvent fur Ie Miffiffipi, qu'ils defcendent jufqu'aux Akanfas» versies trente-troisdegrés de latitude. Leurzele lès poüflbic plus loin i mais ils manquoient de fubfiftances; mais ils fe trouvoient dans des régions inconnues; mais ils n'avoient que trois oh Suppl Tome III. z
in.
Découverté du Miffiffipi par les Fririfois.



354 SUPPLÉMENTS
quatre hommes avec eux; mais 1'objet de leur voyage étoit rempli, puifqu'ils avoient découvert le fleuve qu'on cherchok, & qu'ils étoient aflurés de fa direétion. Ces confidérations les déterminerent a reprendre la route du Canada a travers le pays des Illinois, peuple aflez nombreux & très-difpofé a s'allier avec leur nation. Sans rien cacher, fans rien exagérer, &c. Pa<*e 126, après ces mots, & entreprenant, lifez r voit enfin dans la découverte qui vienc d'être fake, une vafte carrière ouverte a fon ambition & a fon génie. De concert avec Frontenac, Gouverneur du Canada, ils'embarque pour 1'Europe, &c.
Pa<re 127, après ces mots, heureufement commencé, lifez: C'étoit un beau projet. Pour en rendre 1'exécution utile & folide, il falloit, par des forts placés de diftance en diftance, s'affurer des contrées qui féparoient le Miffiflipi des établiflTements Francois; il falloit gagner 1'arTection des peuplades errantes ou fédentaires dans ce vafte efpace. Ces opérations, lentes de leur nature, furent encore retardées par des accidents inattendus, par la malveillance des Iroquois,par les émeutes répétées des foldats, que le defpotlfme 6c 1'inquiétude de leur chef aigriflbient continuellement. Auffi Lafale, qui avoit commencé fes préparatifs au mois de Septembre 1678, ne put-il naviguer quele 2 Février 1682



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 355 'fur le grand fleuve, qui fixoic fes vteux & fes efpérances. Le 9 Avril , il en reconnuc 1'embouchure, qui, comme on 1'avoit prévu , fe trouva dans le golfe du Mexique; & il étoit de retour a Qucbec au printemps de 1'année fiyvance.
U parut auffi-tóc pour aller propofer en France Ia découvene du Miffilïipi par mer, & 1'établiffement d'une grande Colonie fur les fèrtiles rives qu'arrofe ce fleuve. La Cour fe rend a fon éloquence ou a fes raifons. On lui donne quatre petits batiments avec lefquels il vogue vers le golfe du Mexique» Pour avoir trop pris a 1'Oueft, la petite flotte manque fon terme, & fe trouveau mois de Février 1685 dans la baie Saint-Bernard, a cent lieues de 1'embouchure oü 1'on se» tok propofé d'entrer. La haine irréconciliable qui s'eft formée entre le chef de 1'entreprife & Beau jeu, commandant des vaiflèaux, rend cette erreur infiniment plusfunefte qu'elle devoit 1'être. Impatients de fe féparer, ces deux hommes altiers fé décident a tout débarquer fur la cóte même oü le hafard les a conduits. Après cette opération défefpérée, les navires s'éloignenc; & ilne refta fur ces plages inconnues que cent foixante - dix hommes, la plupart crès-corrompüs, & tous mécontents avec raifon de leur fituation. Ils n'ont que peu d'oucils, peu de vivres, peu de rtmnisions. Le refte de ce qui devoit fervir a la fonZ s



356 SUPPLÉMENTS
dation du nouvel Etat, a été englouti dans les flots par la perfidie ou la mal-adreflè des Officiers de mer, chargés de le mettre a terre.
Cependant 1'ame fiere & inébranlable de Lafale n'eft pas abattue par ces revers. Soupconnant que les rivieres qui fe déchargent dans la baie oü 1'on eft entré peuvent être des branches du Miffilïipi , il employé plufieurs mois a éclaircir fes «toutes. Défabufé de ces efpérances, il perd fa miffion de vue. Au-lieu de chercher parmi les fauvages des guides qui le conduiroient a fa deftination, il veut pénétrer dans 1'intérieur des terres, & prendre connoilTance des fabuleufes mines de Sainte-Barbe. Cette idéé folie 1'occupoit uniquemenc, lorfqu'au commencement de 1687 il eft maflacré par quelques - uns de fes compagnons, irrités de fes hauteurs & de fes violences.
La mort du chef difperfe la troupe. Les fcélérats qui font afiaffiné périfiènt par les mains les uns des autres. Plufieurs s'incorporent aux tribus Indiennes. La faim & les fatigues en confument un aflèz grand nombre. Les Efpagnols voifins chargent de fers quelques-uns de cesavanturiers qui finiflènt leurs jours dans les mines. Les fauvages furprennent Ie fort qu'on avoiE conftruit, & immolent a leur rage ce qui s'y trouve. II n'échappe a tant de défaftres que fept hommes, qui, ayant erré jufqu'au Miffiffipi, fe rendenc au



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 35; Canada par les Illinois. Ces malheurs font oublier en France une région encore peu connue. D'Iberville , gentilhomme Canadien , &c.
• Page 129, après ces mots, moins heureux, lifez : réveille en 1697,1'attention du Miniftere. Oa Ie fait partir de Rochefort avec deux vaiffeaux. II découvre le Miffiffipi, en 1699, le remonte jufqu'aux Natchez, & après s'être affuré par lui-même de touc ce qu'on avoit publié d'avantageux, il conftruit a fon embouchure un petit fort qui ne fubfifte que quatre ou cinq ansCependant il va établir ailleurs fa colonie.
Entre le fleuve & Penfacole que les Efpagnols venoienc d'élever dans la Floride, eft une cöte d'environ quarance lieues d'étendue, oü aucun Mcimenc ne peut aborder. Le fol en eft fablonneux, & le climat brülant. On n'y voic que quelques cedres, quelques pinsépars. Dans ce grand efpace eft un canton nommé Biloxi.
Cette poficion, Ia plus trifte, la plus ftérile, &c.
Page 130, après ces mots, grandes efpérances, lifez : Deux ans après arrivé une nouvelle peuplade. On retire la première des fables arides oü elle avoit été jettée, & toutes deux font réunies fur les bords de la Maubile. Cette riviere n'eft navigable que pour des pirogues; les terres qu'elle arrofe nefont pas fertiles. C'étoienc des motifs fuffifancs pour abandonner 1'idée d'un pareil écabliffèment. II n'en fuc pas ainfi. On dé-
Z 3
*
iv:
Les Fran»" fois s'établiflent dans le pays arrofé par le Miffiffipi, 8c 1'appellent Louyüan«,



3S8 SUPPLÉMENTS
cida que cesdéfavantages feroient compenfés par la facilité des Communications avec les fauvages voifins, avec les Efpagnols, avec les ifles Francoifes & avec 1'Europe. Le port qui devoic former ces liaifons, ne tenoit pas au continent. Un hafard heureux ou malheureux 1'avoit placé a quelques lieues de la cóte, dans une ifle déferie,ingrate & fauvage, qu'on décoradu grand nom d'ifle Dauphine.
Une colonie, fondée fur de fi mauvaifes bafes , ne pouvoit profpérer. La mort d'Iberville, qui, en 1706, termina fa carrière devant la Havane, en fervant glorieufement fa patrie dans la marine, acheva d'éteindre le peu d'efpoir qui refloit aux plus crédules. On voyoit la France trop occupée d'une guerre défaftreufe, pour en pouvoir attendre des fecours. Les habitants fe croyoient a la veille d'un abandon total; & ceux qui fe flattoient de pouvoir trouver ailleurs un afyle, s'empreflbient de 1'aller chercher. II ne reftoit que vingt-huit families, plus miférables les unes que les autres, lorfqu'on vit avec furprife Crozat demander en 1712 & obtenirpour quinze ans le commerce exclufif de la Louyfianne.
C'étoit un négociant célebre, qui, par de vaftes entreprifes fagement combinées, avoit élevé 1'édifice d'une fortune immenfe. II n'avoit pas renoncé a augmenter fes richeflès; mais il vou-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 359
loic que fes nouveaux projets concribuaflènt a Ia profpérité de la monarchie. Une ambition fi noble tourna fes regards vers le Mifliffipi. Le foirt den défricher le fol fertile ne 1'occupa pas. Son but étoit d'ouvrir par terre, &c.
page l33> après ces mots, fes regards, li» fez : Ils s'arrê terent fur des ruines. Un Empire qui, durant quarante ans, avoit caufé tant de jaloufie, tant d'inquiétude a tous fes voifins, ne montroit plus nivigueur, ni vie. La nation étoit écrafée par les befoins du fifc, & le fifc par Pénormité de fes engagements. En vain on avoit réduit la dette publique dans 1'efpoir de redonner du prix aux créances refpectées. Cette banqueroute du Gouvernement n'avoit produit que très-imparfaitement 1'efpece de bien qu'on en attendoit. Les papiers royaux étoient encore infiniment au-deflbus de leur valeur originaire.
II falloit ouvrir un débouché aux effets pour prévenir leur difcrédit total. La voie du rembourfemenc étoit impraticable, puifque les intéréts pour les fommes dues abforboient prefque entiérement les revenus du Gouvernement. Law imaginaun autre expédient. Au mois d'Aoüc 1717, il fit créer, fous le nom de compagnie d'Occident, une aflbciation dont les fonds devoient être faits avec des billets d'Etat. Ce papier étoit recu pour fa valeur entiere, quoiqu'il perdic cinquante pour cenc dans le commerce. Auflï le capital >
Z 4



36b SUPPLÉMENTS
qui n'étoit que de cent millions, fut-il remplï dans peu de jours. II eft vrai qu'avec ces finguliers moyens on ne pouvoit pas fonder une puiffante colonie dans la Louyfiane, comme le privilege exclufif fembloic 1'exiger : mais un efpoir d'un autre genre foutenoit 1'auteur de ces nouveautés.
Ponce de Léon n'eut pas plutöt abordé a Ia Floride, en 1512, qu'il fe répandit dans 1'Ancien & le Nouveau-Monde, que cette région étoit remplie de métaux. Ils ne furent découverts, ni par Francois de Cordoue, ni par Velafquez de Ayllon, ni par Philippe de Narvaez, ni par Ferdinand de Soto, quoique ces hommes entrepreoantsles eufTenc cherchés pendant trente ans avec des fatigues incroyables. L'Efpagne avoit enfin renoncé a fes efpérances; elle n'avoit même laiflè aucun monument de fes entreprifes; & cependant il étoit refte vaguement dans Popinion des peuples que ces contrées renfermoienc des tréfors immenfe?. Perfonne ne défignoit le lieu précis oü ces richeflès pouvoienc être 2 mais cette ignorance même fervoit d'encouragemenc a 1'exa^ gération. Si 1'enthoufiafme fe refroidiflbit par intervalles, ce n'étoit que pour occuper plus vivement les efprits quelque temps après. Cette, difpofition générale a une crédulité avide, pouvoic devenir un merveilleux inftrument dans des pains habileso



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 3ór
Dans les temps malheureux, il en efl des ek pérances du peuple comme de fes terreurs, comme de fes fureurs. Dans fes fureurs, en un ch'n d'ceil, les places font remplies d'une mukitude qui s'agite, qui menace & qui hurle. Le cicoyert fe barricade dans fa maifon. Le lVIagiftrac tremb!e dans fon hötel. Le Souverain s'inquiete dans fon palais. La nuit vient; le tumulte ceflè, & la tranquillké renait. Dans fes terreurs, en un clin d'ceil, la confternation fe répand d'une ville dans une autre ville, & plonge dans 1'abattement toute une nation. Dans fes efpérances, le fancöme du bonheur , non moins rapide, fe préfente par-tout. Par-tout il releve les efprits;' & les bruyants tranfports de 1'allégreflè fuccedenc au morne filence de Pinforcune. La veille, tout étoit perdu; le jour fuivant, tout eft fauvé.
De toutes les paffions qui s'allument dans le cceur de 1'homme, il n'y en a point dont Fivrefle foit auffi violente que celle de Por. On connoit le pays des belles femmes, & Pon n'eft point tenté d'y voyager. L'ambkion fédentaire s'agite dans une enceinte aflez étroke. La fureur des conquêtes eft la maladie d'un feul homme qui en entraïne une mukitude d'autres a fa fuite. Mais fuppofez tous les peuples de la terre également policés; & Pavidité de Por déplacera les habitants de Pun & Pautre hémifphere. Parcis des deux excrémkés du diametre de l'équateura Z 5



362 SUPPLÉMENTS
ils fe croiferont fur la route d'un pole h 1'autre.
Law, auquel ce grand refforc étoit bien connu, perfuada aifément aux Francois, la plupart ruinés, que les mines de la Louyfiane, dont on avoit li long-temps parlé, étoient enfin trouvées, &c.
Page 134, après ces mots, efl: inexprimable, lifez : Chacun s'agitoit pour acquérir le droit de puifer dans cette fource regardée comme inépuifable. Le JVJiffifllpi devint un centre oü tous les vceux, toutes les efpérances, toutes les combinaifons fe réuniflbient. Bientöt des hommes riches , puiflants , & qui la plupart paflbient pour éclairés, ne fe contenterent pas de paniciper au gain général du monopole, ils voulurent avoir des propriétés particulieres dans une région qui paflbit pour le meilleur pays du monde. Pour 1'exploitation de ces domaines, il falloit des bras. La France , la Suifle & 1'Allemagne fournirent avec abondance des cultivateurs qui, après avoir travaillé trois ans gratuitement pour celui qui auroit fait les fraix de leur tranfplantation, devoient devenir citoyens, pofféder eux-mêmes des terres, & les défricher.
Durant les accès de cette fievre ardente, ou dans les années 1718 & 1710, on entaflbit fans foin & fans choix dans des navires, tous ces malheureux. Ils n'étoient pas dépofés a l'ifle Dauphine, dont des monceaux de fable venoient de combler la rade. Ils n'étoient pas jectés a la



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 363
Maubile, a laquelle il ne reftoir. plus rien depuis qu'elle avoit perdu fon port. C'étoit le Biloxi, cet affreux Biloxi qui recevoit tous les nacionaux, tous les étrangers qu'on avoit féduits. Ils y pétiflbient par milliers, de faim, d'ennui& de chagrin. Pour les conferver, il n'auroit fallu que les faire entrer dans le Miffiffipi, que les placer fur les terreins qu'ils devoient mettre en valeur. Mais telle étoit l'impéritie ou !a négligence de ceux qui dirigeoient 1'entreprife, qu'ils ne firent jamais confixuire les bateaux néceflaires pour une opération fi fimple. Après même qu'on fe fut afiuré que les navires qui arrivoient d'Europe, pouvoient la plupart remonter le fleuve, le Biloxi continua a être le tombeau des trifles victimes d'une impofture polirique. On ne transféra le quartier général de la Colonie a la nouvelle-Orléans, &c.
Page 138 , après ces mots, objet de finance, lifez : Tout le temps que le privilege exclufip avoit tenu la Louyfiane dans les fers, il avoit exigé felon les diftances, cinquante, foixante, quatre-vingts, cent pour cenc de bénéfice fur les marchandifes qu'il y faifoit paflèr; il avoic réglé par un carif plus oppreflèur encore le prix des denrées que la colonie lui livroic. Comment un établifièment naiflant auroic-il pu faire des progrès fous le joug d'une cyrannie fi acroce ? Auffi le découragement écoicil univerfel. Pour re-



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Etendue , fol & climat de la Louyfiane.
;f54 SUPPLÉMENTS
lonner du reflbrt & de 1'énergie aux efprits; e Gouvernement voulut qu'une poflèflion de'enue vraiment nationale éprouvat de plus heueufes influences. Dans cette vue, il régla que out ce que le commerce de France porteroit lans cette contrée, que tout ce qu'il en rapïorceroit feroit exempt pendant dix ans de tous :es droits d'entrée & de fortie. Voyons a quel fegré de profpérité une difpofition fi fage éleva cette région célebre.
La Louyfiane efl: une vafte contrée, bornée au midi par la mer, au levant par la Fioride & la Caroline, au couchant par le nouveau Mexique, au nord par Ie Canada & par des terres inconnues qui doivent s'étendre jufqu'a la baie d'Hudfon. II n'eft pas poffible de fixer fa longueur avec précifion : mais fa largeur commune eft de deux cents lieues.
Le climat varie beaucoup dans un fi grand efpace. A la bafie-Louyfiane , "les brouillards font trop communs au printemps & durant 1'auEomme; 1'hyver eft pluvieux , & accompagné de loin en loin de foibles gelées; la plupart des jours d'été font gatés par de violents orages. Sur ce vafte efpace, les chaleurs ne font nulle pare telles qu'on devroit les attendre de fa latitude. Les épaiflTes forêts qui empêchent, &c.
Page 139, après ces mots, pour le vulgaire, lifez : Quoique les maladies ne foient pas com-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. %$§
ïnunes dans la haute-Louyfiane, elles font peutêtre plus rares dans la bafie. Ce n'eft coutefois qu'une langue de terre de deux ou trois lieues de largeur, remplie d'infecles, d'eaux ftagnantes, de matieres végétales qui croupifTent dans une a tbmofphere humide & chaude, principe confïant de la diflbludon des corps. Sous ce ciel, oü tous les êcres morts fubiiïènc généralement une putréfaélion rapide , 1'homme jouit d'une fanté plus affermie que dans les régions que tout porteroit a croire plus falubres. A 1'exception du tetanos qui emporte avant le douzieme jour la moitié des enfants noirs, & un grand nombre d'enfants blancs, oh ne connoit guere d'autres inflrmités dans cette contrée que des affections vaporeufes, & des obftruclions qu'on pourfoic même regarder comme une fuite du genre de vie qu'on y mene. D'oü peuc venir cette falubrité dans 1'air ? peut-être des fréquents tonnerres qui fe font entendre fur ce fol étroic? peut-être des vents qui y regnent prefque continuellement ? peuc-être des feux qu'il y faut allumer fans celïè pour réduire en cendres les nombreux rofeaux qui s'oppofenc a la culture?
Antérieurement a tousles efiais, on devoit croire cette région fufceptible d'une grande fécondité. Elle étoit remplie de fruits fauvages. Une multitude prodigieufe d'oifeaux & de bêtes fauves y trouvoient une fubfiftance abondante. Ses prai-



366 'SUPPLEMENTS
ries formées par Ia nature feule étoient couvertes de chevreuils & de bifons. Les arbres étoient remarquables par leur groflèur, par leur élévavation; & U n'y manquoit que les bois de teinture , qui ne eminent qu'entre les tropiques. D'heureufes expériences ont depuis confirméces augures favorables.
On n'a pas encore découvert, &c.
Page 141, après ces mots, parties latérales, lifez : qui forment des deux cótés un plan incliné. II arrivé de-la que les eaux une fois forcies de leur cours naturel n'y rentrent jamais, & qu'elles font réduites a s'écouler vers 1'Océan, ou a former de petits lacs.
Quand on ne confidere que, &c.
Page 143, après ces mots, la Louyfiane, lifez : Les Anglois fixés a 1'eft ont toujours été fi occupés de leurs cultures, qu'ils n'ont jamais fongé qu'a les étendre, qu'a les perfeétionner. L'efprit de conquête ou de ravage ne les a pas détournés de leurs travaux. Euflènt-ils eu du penchanc a la jaloufie, les Francois ne fe conduifoient pas de maniere'a la provoquer.
Les Efpagnols , pour leur malheur, &c.
Page 144, après ces mots, qu'on vouloir, lifez : armer contre leurs éternels ennemis, les Miffburis, dont on avoit réfolu d'occuper la place. Les Efpagnols s'égarerent. Ils arriverent précifément chez la nation, &c.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 367
Page 145 > après ces mots, naturels du pays, lifez : Quoique plus nombreux alors que de nos jours, ils n'étoient pas fort redoutables.
Ces fauvages fe trouvoient, &c.
Page 146, après ces mots, étoient obéis, lifez: C'étoit une obÜgation de leur apporter touc ce que la chaflè, la pêche, la culture offroient de meilleur. Lorfqu'il mouroit, lui ou ia femme, cxc.
, PaSe Hó, après ces mots, toute Ia nation, lifez : II fut embrafé un jour par le feu qu'on y entretenoit perpétuellement, du moins habituellemenc; & la corifternation fuc générale, &c.
Ibid. après ces mots, Ia liberté, lifez t La plupart des relations afiurenc, fur la foi douteufe de quelques traditions, que les Natchez occuperenc long-temps Ia rive oriëntale du Miffiffipi, depuis Ia riviere d'Iberville jufqu'a 1'Ohio, c'efUdire un efpace de quatre cents lieues. Alors ils devoient former la nation Ia plus floriffinte de 1'Amérique Sepcentrionale. On peuc foupconner que Ie joug fous lequel un gouvernement'oppreflèur & arbitraire les faifoit gémir, les dégoüta de leur patrie. Ils durent fedifperfer; & quelques traces de leur culte, qu'on trouve de loin en loin dans ces régions, paroiiiènt donner du poids a ces conjecïures. Ce qui efl: für, c'eft que lorfque les Francois parurenc a la Louyfiane, ce peuple ne



§6!} SÜPPLÉMËNTS
comptoit que deux mille guerriers, & ne formoit que quelques bourgades , placées h une' grande diftance les unes des autres, mais toutes rapprochées du Miffiffipi.
Ce défaut de population n'empêchoit pas que le pays des Nacchez ne füt excellent. Le climat en eft fain & tempéré; le fol fe prête a des cultures riches & variées; le terrein eft aflez élevé pour n'avoir rien a craindre des inondations du fleuve. Cette contrée eft généralement ouverte,^ étendue,arrofée, couverce de joliscóteaux, d'agréablesprairies, de bois délicieux jufqu'aux Apalaches. Auffi les premiers Frangois qui la reconnurent jugerent-ils que, malgré 1'éloignement oü elle étoit de la mer, ce feroit, avec le temps, le centre de la colonie. Cette opinion les y at= tira en foule, Ils furent accueillis favorablement & foulagés par les fauvages dans Fétabliflèment des plantations qu'ils vouloient former. Des échanges réciproquement utiles commencerent entre les deux nations une amitié qui paroiflbit fincere» Elle feroit devenue folide, fi les liens n'en avoient été chaque ']our affoiblis par 1'avidité des Européens. Ces étrangers n'avoient d'abord demandé' les produétions du pays qu'en négociancs honnêtes. Ils dicterent depuis impérieufement les conditions du commerce. A la fin, ils ravirent ee qu'ils étoient las de payer, même a vil prix. Leur audace s'accmt, au point de chafler le
culdvateur"



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 369
eultivateur indigene des champs qu'il avoit défrichés.
Cette tyrannie étoit atroce. Pour en arrêter le cours, les Natchez employerent, mais fans fucces, les plus humiliantes fupplications. Dans leur défefpoir, ils tenterent d'aflbcier a leur reffentiment les peuples de 1'Eft, dont les difpofitions leur étoient connues; & ils réaffirent a former fur la fin de 1729, une ligue prefque univerfelle , dont le but étoit d'exterminer en un feul jour la race entiere de leurs opprefTeurs. La négociation fut fi heureufemenc conduite que le fecret n'en fut pénétré ni par les fauvages amis des Francois, ni par les Francpis eux-mêmes. Le complot ne pouvoit être déconcerté que par un hafard heureux. II arriva.
Selon les relations du temps, les Natchez envoyerent aux nations conjurées, qui ne connoiffoient pas mieux qu'eux 1'art de 1'écriture, des paquets compofés d'un égal nombre de buchectes. Pour ne pas fe méprendre fur 1'époque ou la haine commune devoit éclater, on convinc d'en brüler une tous les jours dans chaque bourgade,& que la derniere donneroit par-tout le fignal de la fanglante tragédie qu'on vouloic jouer. II arriva que la femme ou la mere du grand chef, fut inftruite de la confpiration, par un fils qu'elle avoit eu d'un Francois. Elle en averdr, a plufieurs reprifes, 1'Officier de cette nation, SuppL Tome III Aa



370 SUPPLÉMENTS
qui commandoic a ion voifmage. L'indifFérence ou le mépris qu'on momra pour fes avis, n'étoufFa pas dans fon cceur 1'affeétion qu'elle avoit pour ces étrangers. Sa dignité 1'autorifoit a entrer dansle temple du foleil, aux heures qui lui convenoient. Cette prérogative la mettoic a portée d'enlever fucceflivement les buchettes qu'on y avoit dépofées; & elle s'y détermina pour déranger les calculs de la ligue; au rifque d'avancer, puifqu'il le falloit, la pene des Francois qu'elle aimoit, pour affurer le falut de ceux qui lui étoient inconnus. Ce qu'elle avoit prévu, fe vérifia. Au fignai convenu, les Natchez fondirent inopinément fur leur ennemi, perfuadés que la même fcene fe répétoit chez leurs alliés: mais comme il n'y avoit paseu ailleurs de perfidie, tout fut tranquille & devoit 1'être.
Ces détails paroiffënt bien fabuleux. Mais il eft très-vrai que 1'époque convenue entre tous les membres de la confédération pour délivrer la Louyfiane d'un joug étranger, fut prévenue par les Natchez. Peut-être ne purent-ils pas contenir plus long-temps leur haine? peut-être furentüs entrainés par des facilités inattendues? peutêtre craignirent-ils, bien ou mal-a-propos, qu'on ne commencat a foupconner leurs intentions? Ce qui eft für, c'eft que fur deux cents vingt Francois qui étoient alors dans cet établiflèment, il y en eut deux cents de mafiacrés; que



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 37* Ses femmes enceintes ou qui avoient des enfants en bas age, n'eurent pas une deftinée plus heureufe; & que Ies autres, rertées prifonnieres, furent expofées a Ia brutalité des afiaflins de leurs nis & de leurs époux.
Au bruic de cet événement, la colonie entiere fe crut perdue. Elle ne pouvoit oppofer a Ia foule d ennemis qui la menacoient de toutes pares, que quelques palifTades'a demi-pourhes, qu'un petit nombre de vagabonds, mal armés & fans difcipline. Perrier, en qui réfidoit autorité, n'avoit pas une meilleure opinion de h fituation des chofes. Cependant il montra de lafTurance, & cette audace lui tint Iieu de forces. Les fauvages ne ie crurent pas feulement en état de fe défendre, mais encore de les attaquer. Pour écarter les foupcons qu'on pouvoit avoir concu contre eux, ou dans 1'efpoir d'obcenir leur grace , plufieurs de ces nations joignirent leurs guerriers aux fiens, pour aflurer fa vengeance.
U eut fallu, pour réuflir, d'autres troupes que des alliés mal intentionnés, & des foldats qui fervoient par force. Cette milice marcha vers Ie pays des Natchez, avec une lenteur qui n'étoit pas d'un bon augure; elle attaqua leurs forts avec une molleflè qui ne promettoit aucun fuccès. Heureufement les affiégés offrirent de refêcher tous les prifonniers qu'ils avoient en leur puifAa 2



372 SUPPLÉMENT S
fance, li 1'on confencoit a fe retirer; & cette propofition fut acceptée avec une extréme joie.
Mais Perrier ayant recu quelques fecours d'Europe, recommenga les hoftilités, dans les premiers jours de 1731. A la vue de ce nouveau péril, la divifion fe mie parmi les Natchez, & cette méfintelligence entraïna la ruine de la narion entiere. Quelques foibles corps de ces fauvages furent paffés au fil de 1'épée; un grand nombre furent envoyés efclaves a Saint-Domingue. Ce qui avoit échappé a la fervitude & a la mort, fe réfugia chez les Chicachas.
C'étoit le peuple le plus intrépide de ces contrées. On connoifTbit fes liaifons intimes avec les Anglois. Sa vertu chérie étoit 1'hofpitalité. Pour toutes ces raifons, on craignit de lui propofer d'abord de livrer ceux des Natchez auxquels il avoic accordé afyle. Mais le fucceilèur de Perrier, Bienville, fe crut autorifé a demander cette lacheté. La réponfe des Chicachas fut celle de 1'indignation & du courage. Des deux cötés, on courut aux armes en 1736. Les Francois furent battus en rafe campagne, & repoulTés avec perte fous les paliflades de leur ennemi. Encouragés quatre ans après par les fecours qu'ils avoient recus du Canada, ils voulurent tenter de nouveau la fortune. Ils fuccomboient encore, lorfque des circonftances favorables les réconciiierent avec ces fauvages.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 37c
Depuis cette époque, Sic. page 150. ; Page l5°> après ces mots, élevé la colonie, lifez : Ses cötes, toutes fituées fur le golfe du Mexique, font généralement balles & couvertes d'un fable aride. Elles font inhabitées & inhabitables. On n'a jamais fongé a y élever aucune fortification.
Quoique les Frangois dufTent fouhaiter de s'approcherdu Mexique, ils n'ont formé aucun établilTement fur la cöte qui eft a 1'oueft du Miffiffipi. On aura craint, fans doute, d'ofFenfer 1'Efpagne, qui n'auroit pas foufFert patiemment ce voifinage.
A 1'eft du fleuve, on voit Ie fort la Maubile, &c.
Page 151, après ces mots, des chaloupes, lifez : Celle de 1'eft, la feule aujourd'hui fréquentée par des navires, eft très-tortueufe, n'offre qu'une voie infiniment étroite, & n'a que onze ou douze pieds d'eau dans les plus hautes marées. Le petit fort, nommé Ia Balife, qui défendoit autrefois 1'embouchure de Ia riviere, a perdu toute fon utilité, depuis que fon canal s'eft comblé, & que les batiments navigüent hors de la portée de fon canon.
La Nouvelle-Orléans , fituée a trente lieues de 1'Océan, eft le premier établiflèment qui fe préfente. Cette ville, deftinée a être 1'entrepöt de toutes les liaifons que la métropole & la coAa 3
vin.
Etabliffements formés par les Francois a la Louyfiane.



374 SUPPLÉMENT S
Jonie forrneroient entre elles, fuc batie fur le bord oriental du fleuve, aucour d'un croiflancacceflible a tous les navires, & oü ils jouiflènc d'une füreté entiere. On en jetta les fondemencs en 1717: mais ce ne fut qu'en 1722 qu'elle pric quelque confiftance, qu'elle devint la capitale de la Louyfiane. Jamais elle n'a compté plus de feize cents habitants, partie libres, & partie efclaves. Les cabanes qui la couvroienc originairemenc, onc été fucceffivemenc remplacées par des maifons commodes, mais baties de bois fur brique; paree que le fol n'avoic pas aflèz de folidicé pour foutenir des édifices plus pefants.
La ville s'éleve dans une ifle qui a foixante lieues de long, fur une largeur médiocre. Cette ifle, dont la plus grande partie n'eft pas fufceptible de culture, efl formée par 1'Océan, par le Miffiffipi , par le lac Pontchartrain, & par le Manchac, ou la riviere d'Iberville, canal que le Miffiffipi s'eft creufé pour y verfer le fuperflu de fes eaux, dans la faifon de fa trop grande abondance. II peut y avoir fur ce terricoire une centaine de poflèflions, oü 1'on trouve quatre a cinq cents blancs & quatre mille noirs, que des indigoteries occupent principalement. Quelques propriétaires entreprenants onc tenté d'y nacuralilèr le fucre : mais de petites gelées, deflructives de cecte riche production, onc rendu ces effais infruétueux. Les plantations font rareroeni



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 375
contiguës. Des eaux ftagnanr.es & marécageufes les féparentle plus fouvent, fur-tout dans la partie inférieure de l'ifle.
Vis-a-vis l'ifle de la Nouvelle-Orléans, & fur la rive occidentale du Miffiffipi, furent établis, en 1722, trois cents Allemands, reftes infortu* nés de plufieurs mille qu'on avoic arrachés a leur patrie. Leur nombre a triplé depuis cette époque peu éloignée; paree qu'ils ont toujours été les hommes les plus laborieux de la colonie. Aidés par environ deux mille efclaves,ils cultivent du maïs pour leur nourricure, du riz & de 1'indigo pour 1'exportation. Ils s'occupoient autrefois du coton : mais ils Pont abandonné, depuis que 1'Europe pa trouvé trop court pour fes fabriques.
Un peu plus haut, fur Ia même cóte, furent placés huit cents Acadiens, arrivés a la Louyfiane, immédiacement après la derniere paix. Leurs travaux fe font bornés jufqu'ici a Péducation des beftiaux, a la culture des denrées les plus néceflaires. Si leurs facultés augmentent, ils demanderont a leur fol des produftions vénales.
Toutes celles qui enrichiflènt le bas de la colonie , fe terminent a Pétabliflèment de Ia Pointe coupée, formé a quarante-cinq lieues de la Nouvelle-Orléans. II fournit de plus la majeure partie du tabac qui fe confomme dans le pays, & beaucoup de bois pour Ie commerce extérieur.
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376 S-UPPLÉMENTS
Ces travaux occupent cinq ou fix cents blancs & douze cents noirs.
Sur toute la longueur des terres cultivées dans ces divers établiflements, qui appartiennent a la baflè-Louyfiane, regne une chauflee deftinée a les garantir des inondations du fleuve. Des larges & pröfonds foffés, dont chaque champ eft entouré, aflurent une iflue aux fluïdes qui auroient percé ou furmonté la digue. Ce fol efl: entiérement vafeux. Lorfqu'il doit être mis en valeur, on coupe par le pied les grofles cannes donc il efl: couvert. Dès qu'elles font feches, on y met le feu. Alors, pour peu qu'on fouille la terre, elle ouvre un fein fécond a toutes les produétions qui demandent un terrein humide. Le bied n'y profpere pas, & il ne pouflè que des épis fans grain. La plupart des arbres fruitiers ne réufliflènt pas davantage. Ils croiflènt fort vite; ils fleuriflent deux fois chaque année: mais le fruit, piqué des vers, feche & tombe généralement , avant d'avoir acteint fa maturité. II n'y 3 que le pêcher, 1'oranger & le figuier, donc on ne peut aflêz vanter la fertilité.
On crouve une nature différente dans la hauteLüuyfiane. A 1'eft du Miffiffipi, cette région commence un peu au-defius de la riviere d'Iberville. Son terrein, anciennement formé, afiez élevé pour être a 1'abri des inondations, & qui n'a que le degré dliumidicé convenable, exige moins de



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 3?7 foins, & promet une plus grande variété de produétions. Ainfi Ie penferent les premiers Francois qui parurent dans ces contrées. Ils s'établirenc aux Natchez, y effayerent plufieurs cultures qui réuffirent toutes, & fe fixerent enfin a celle du tabac, qui ne tarda pas a avoir dans la métropole la réputation dont il étoit digne. Le Gouvernement s attendoit h voir arriver bientöt de cet étabhflèmentl'approvifionnemententier de la monarchie , lorfque la tyrannie de fes agents en caufa Ja ruïne. Depuis cette funefte époque, ce fol inépuifable eft refté en friche , jufqu'a ce que la Grande-Bretagne en ayant acquis la propriété par les traités, y ait fait paffer une population lunirante pour le féconder. . Un peu plus haut, mais fur Ia rive occideni «ale , ie décharge dans Ie Miffiffipi la riviere \ Kouge. C'eft a trente lieues de fon embouchure > & fur les terres des Nacchitoches, que lesFran: cois, a leur arrivée dans la Louyfiane, éleverent 3 quelques palifTades. Ce pofte avoit pour objec i de tirer du nouveau Mexique des bêces a poil 1 & a corne , dont une colonie naiftante a tou- jours befoin, & celui d'ouvrir un commerce ini terlope avec Ie fort Efpagnol des Adayes, qui ; nen eft éloigné que de fept lieues. II y a longi temps que Ja multiplication des troupeaux, dans fes campagnes oü il falloit les naturalifer, a fait cefièr la première liaifon; on avoit encore pluAa 5



378 SUPPLÉMENTS
tót compris que la feconde avec un des plus pat> vres établiflements du monde n'auroit jamais d'utilité réelle. Auffi les Natchitoches ne tarderentils pas a être abandonnés par ceux que 1'efpoir d'une grande fortune y avoit attirés. On n'y voit plus que les defcendants de quelques foldats qui s'y font fixés a la fin de leur engagement. Leur nombre ne paflê pas deux cents. Ils vivent du maïs ou des légumes qu'ils cultivent, & vendent le fuperflu de ces produétions a leur indolent voifin. L'argent qu'ils recoivent de cette foible garnifon leur fert a payer les boiflbns & les vêtements qu'ils font obligés de tirer d'ailleurs.
L'établiffèment formé aux Akanfaseft plusmiférable encore. Infailliblement il feroit devenu très-floriflant, fi les troupes, les armes, les engagés, les vivres & les marchandifes que Law y faifoit paflèrpour fon compte particulier, n'euffent été confifqués après la difgrace de cet homme entreprenant. II ne s'eft depuis fixé dans cet excellent pays que quelques Canadiens qui ont pris pour compagnes des femmes indigenes. De ces liaifons eft bientöt fortie une race prefque fauvage. Les families en font trés-peu nombreufes: elles vivent difperfées, & ne s'occupent guere que de la chafle.
Pour arriver des Akanfas aux Illinois, il faut faire trois cents lieues: car les peuples ne fetou-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 379
dient pas en Amérique comme en Europe, & n'en font que plus indépendants. Ils n'ont point des chefs liés entre eux pour fe les arracher, fe les facrifier tour-a-tour, & les rendre fi malheureux qu'ils n'ayenc rien a gagner ou a perdre, en changeant de patrie & de maitre. Les Illinois] placés dans Ia partie la plus feptentrionale de la Louyfiane, étoient continuellement batcus, & toujours a la veille d'être détruits par les Iroquois ou par d'autres nations belliqueufes. II leur falloit un défenfeur, & le Francois le devint en occupant une partie de leur territoire a 1'embouchure de leur riviere & furies rives plusriantes, plus fécondes du Miffiffipi. Raflèmblés autour de lui, ils onc évité la deftinée de la plupart des petiplades de ce Nouveau Monde, dont il refte a peine quelque fouvenir. Cependant leur nombre a diminué a mefure que celui de leurs protec| teurs s'eft accru. Ces étrangers ont formé peua-peu une population de deux mille trois cents I quatre-vingts perfonnes libres & de huit cents efclaves, diftribués dans fix bourgades, dont cinq !i font fituées fur le bord oriental du fleuve.
Malheureufement, Ia plupart d'entre eux onc 1 eu la paffion de courir les bois pour y acheter j des pelleceries, ou d'attendre dans leurs magafins que les fauvages leur apportaflênc le produic de leurs chaflês. Ils auroienc travaillé plus utilement pour eux , pour la colonie & pour la France,



380 SUPPLÉMENTS
s'ils eufTenc fouillé le fol excellent oü la fortune les avoit placés, s'ils lui avoient demandé les grains de Tanden monde que Ia Louyfiane a toujours été obligée de tirer de 1'Europe ou de 1'Amérique Septentrionale. Mais combien 1'établiflèment formé par les Francois au pays des Illinois, combien leurs autres établiflements font reftés loin de cette profpérité!
Jamais, dans fon plus grand éclat, Ia colonie n'eut plus de fept mille blancs, fans y comprendre les troupes qui varierent depuis trois cents jufqu'a deux mille hommes. Cette foible population, &c. page 159.
Page 160, au-lieu de fix mille, lifez, huit mille efclaves.
Cette peuplade envoyoit a Ia France quatrevingts milliers d'indigo, quelques cuirs & beaucoup de pelleteries. Elle envoyoit aux ifles da fuif, des viandes fumées, des légumes, du riz , du maïs, du brai, du goudron, du merrein & des bois de charpente. Tant d'objets réunis pouvoient valoir 2,000,000 livres. Cette fomme lui étoit payée en marchandifes d'Europe & en produétions des lndes Occidentales. La colonie recevoitmême beaucoup plus qu'elle nedonnoit; & c'étoienc les fraix de fouveraineté qui lui procuroient ce fingulier avantage.
Les dépenfes publiques furent toujours trop confidérables a la Louyfiane. Elles furpaflerenc



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 381
fouvent, même en pleine paix, le produit entier de cet établifièment. Peut-être les agents du Gouvernement auroient-ils été plus circonfpeéts, fi les opérations euiïènt été faites avec des métaux. La malheureufe facilité de tout payer avec du papier, qui ne devoit être acquitté que dans la métropole, les rendit généralement prodigues. Plufieurs même furent infideles. Pour leur intérêc particulier, ils ordonnerent la conftruétion de forts qui n'étoient d'aucune utilité, & qui coütoient vingt fois plus qu'il ne falloit. Ils multiplierent , fans motif comme fans mefure, les préfents annuels que la Cour de Verfailles étoit dans 1'habicude de faire aux tribus fauvages.
Les exportations & les importations de la Louyfiane ne fe fai foient pas fur des navires qui lui fuffent propres. Jamais elle ne- s'avifa d'en avoir un feul. II lui arrivoit quelquefois de foiblesembarcations des ports de France. Quelquefois les ifles a fucre lui envcyoient de gros bateaux. Mais le plus fouvent des vaiflèaux partis de Ia métropole pour Saint-Domingue dépofoient dans ce riche établiflèment une partie de leur ca'rgaifon, alloient vendre le refte au Miffiflipi, & s'y chargeoient en retour' de ce qui pouvoit convenir a Saint-Domingue, de ce qui pouvoit convenir a la métrbpole.
La Louyfiane, que la nature fembloic appelIer a une grande profpérité, y feroit fans doute
IX. ï-a Fraijce louvtit re-



382 SUPPLÉMENTS
tirer de grands avantages de la Louyfiane. Fautes qui ont empêché ce fuc-
C€S.
arrivée, fi Pon eüt eu la fageffè d'écouter les vceux des Proteftants Francois réfugiés dans les colonies établies par les Anglois au Nord du Nouveau-Monde.
Sous le regne le plus brillant & fous Pépoque la plus heureufe de ce regne, trois cents mille families Calvinifies jouifibient paifiblement en France des droits de 1'homme & du citoyen, droits confirmés par 1'édit fameux qui avoit affoupi tant de troubles & terminé tant de malheurs, Pédit de Nantes. L'effroi de fes voifins & Pidole de fes fujets, Louis XIV n'avoit a redouter ni des ennemis au-dehors, ni des rebelles au-dedans de fes Provinces. Les Proteftants, tranquilles par devoir & par intérêt, ne fongeoient qu'a fervir 1'Etat, & qu'a contribuer a fa puiffance & a fa gloire. On les voyoit a la tête de beaucoup de nouvelles manufaétures; & répandus dans les contrées maritimes, une marine formidable a fa naifiance trouvoit fa force principale dans leurs bras. Oü regne une aifance honnête, fruit du travail & de 1'induftrie, la font ordinairement les bonnes mceurs. Elles diftinguoient les Proteftants, paree qu'ils étoient les plus foibles, les plus Iaborieux, & qu'ils avoient encore a juftifier leur croyance par leurs vertus.
Je le répete. Tout étoit tranquille dans Pintérieur du Royaume : mais 1'orgueil facerdotal,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 383
mais i'ambition Pharifienne ne Pétoienc pas. Le Clergé de France, Rome & les Jéfuices obfédoienc le cróne de leurs calomnieufes remontran* ces. Des Frangois qui ne s'humilioient pas au pied d'un confeflèur; qui ne voyoienc que du pain dans la fainte Hoftie; qui fe paflbient de Meflès ; qui n'apportoienc aucune offrande a 1'aucel; qui époufoient leurs coufines fans acheter des difpenfes: ces Frangois ne pouvoienc aimer ni la patrie, ni le Souverain. Ce n'étoient, au fond du cceur, que des traïtres hypocrites, qui, pour fecouer le joug de 1'obéiflance, n'attendoient qu'une circonftance favorable, que, tót ou tard, ils fauroieut bien faire naïtre.
Lorfque 1'impofture allarmera Ie Souverain fur la fidélité de fes fujets, il efl: difficile qu'elle ne foit pas attentivement écoutée. Cependant nous oferons demander fi Louis XIV fut excufable, lorfqu'il parut ignorer combien fes fujets Proteftants lui étoient utiles; s'il pouvoit croire férieufement qu'ils Ie feroient davantage en devenant Cacholiques; & fi la tolérance d'un maïtre aufli puiflant, aufli abfolu pouvoit jamais amener aucune de ces facheufes conféquences donc on ne ceffbic de le menacer. Les Proteftants avoient été féditieux, il eft vrai: mais perfécutés, mais alternativement avec les Catholiques le jouet de I'ambition turbulente des Grands. Tant de fang verfé fous les regnes précédents,



S&4 SUPPLÉMENTS
ne devoit-il pas lui faire craindre d'en verfer encore? Les evénements pafles lui apprendre qu'un Roi ne peut rien fur les opinions religieufes ; que les confciences ne fe forcent point; que la fortune, la vie, les dignités ne fe comparent point avec les peines éternelles; & que s'il efl: bon de fermer I'entrée d'un pays oü 1'on n'obferve qu'un feul culte, a toute fuperftition étrangcre, la force n'en exclura jamais celle qui y elt établie. Louis XIV 1'éprouva. Vous qui êtes chargés du foin de conduire les hommes , Souverains, apprenez h les connoïtre. Etudiez leurs paflions, pour les régir par leurs paflions. Sachez qu'un Prince qui dita fes fujets, votre religion medéplaït; vous 1'abjurerez, je le veux, peut faire dreflèr des potences & des roues i que fes bourreaux fe tiennenc prêts. ' Louis XIV chargea de 1'exécution de fba projet impie en religion , abfurde en politique, deux Miniftres impérieux comme lui ; deux hommes qui haïffoient les Proteftants, paree que Colbert s'en étoit fervi; unLetellier, homme dur & fanatique ; un Louvois, homme cruel & fanguinaire : c'eft celui-ci qui opinoic a fubmerger la Hollande , & qui depuis fit réduire le Palatinat en cendres. Sur le moindre prétexte, on ferme au Calvinifte fon temple; on 1'exclut des fermes du Roi; il ne peut être admis dans aucune Corporation; on inferit
fes



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 385
fes Miniflres fur Ie röle de Ia taille; on privé fes Maires de la nobleflè; on applique aux höpitaux les legs faits a fes confiftoires; les Officiers de la maifori du Prince, les Secretaires du Roi, les Notaires, les Avocats, les Procureurs ont ordre de quitter leurs fonétions ou leur croyance. L'abfurdité fuccede a la violence. Une déclaration du Confeil de 1681 autorifé les enfants a lage de fept ans de renoncer a. leurfoi. Des enfants de fept ans qui ont une foi! qui ont une volonté civile! qui en font des aftes publics! Ainfi donc le Souverain & le Prêcre peuvent également & des enfants en faire des hommes, & des hommes en faire des enfants!
Mais il falloit fouflraire les enfants a 1'autorité de leurs parents. La force y pourvoit. Des foldats les enlevent de la maifon paternelle & s'inftalienc h leur place. Le cri de la défolation retentit d'un bout du Royaume a Pautre. On fonge a s'éloigner de Poppreflèur. Des families entieres défertent leurs foyers transformés en corps-de-garde. Les Puiflances rivales de la France leur offrent des afyles. Amfterdam s'agrandic de mille maifons qui les attendent. Les Provinces fe dépeuplent. Le Gouvernement voit ces tmigrations, & il en efl: troublé. Les galeres fcnt décernées contre 1'artifan & le matelot fuf itifs. On ferme les paflages. On n'oublie rien .le ce qui pouvoit accroïtre le mérite du facrifiSuppl. Tomé HL B b



g86* SUPPLÉMENTS
ce; & plus de cinq cents mille citoyens utiles s'éehappent, au hafard de recevoir en chemin la couronne du martyre.
C'eft en 1685, au milieu de ces horreurs, que paroic la fatale révocation de 1'édit de Nantes. II eft. ordonné aux Miniftres opiniatres de fortir du Royaume dans 1'intervalle de quinze jours, fous peine de mort. Les enfants font arrachés d'entre les bras de leurs peres & de leurs meres. Ec ce font des hommes réfléchis ; une alTemblée de graves perfonnages; une Cour fuprême qui légitime de pareilles horreurs! ils étoient peres, & ils ne frémirent pas en ordonnant 1'infraétton des loix les plus facrées de la nature!
Cependant les efprits s'échauffent. Les Proteftants s'alTëmblent. On les attaque. Ils fe défendenr. On envoyé contre eux des dragons. Et voila les hameaux, les villages, les champs, les grands chemins, les entrées des villes hériftes d'échafauds & trempés de fang. Les Intendants des Provinces fedifputentde barbarie. Quelques Miniftres ofent prêcher, ofent écrire. Ils font faifis & mis a mort. Bientót le nombre des cachots ne fuffit plus au nombre des perfécutés; & c'eft la volonté d'un feul qui peut faire tant de malheureux! II parle, & les liens civils & moraux fe brifent! II parle , & mille citoyens révérés par leurs vertus , leurs dignicés, leurs talents, font dévoués a la mort & a 1'infamie.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 3S?
Ó peuples ! ö troupeau d'imbécilles & de loches !
. Ec toi» Tyan aveugle! paree que tes Prêtres fi'ont pas 1'art perfuafif qui feroit triompher leurs raifons; paree qu'ils ne peuvent eiFacer de Pefprit de ces innocents les traces profondes que Péducation y a gravées; paree que ceux-ci ne veulent être ni des Mches, ni des hypocrites, ni des infames; paree qu'ils aiment mieux obéir a leur Dieu qua toi, il faut que tu les fpolies, que tu les enchaines, que tu les brüles, que tu les pendes; que tu traines leurs cadavres fur une claie! Lorfque tu retires d'eux ta proteétion, paree qu'ils ne penfent pas' comme toi; pourquoi ne redrent-ils pas de toi leur obéifTance, paree que tu ne penfes pas comme eux ? C'eft toi qui romps le pafte.
Les temples des Proteftants font détruits. Leurs Miniftres ont été mis a mort ou fe font enfuis. La défertion des perfécutés s'eft-elle arrêtée? Mon. Quel parti prendra-t-on ? On imaginera que la fuite fera moins fréquente, lorfque la fortie fera libre. L'on fe trompera ; & après avoir ouvert les paflages, on les refermera une feconde fois avec auffi peu dé fuccès que la première.
L'horrible plaie que le fanatifme fit alors a Ia nation, a faigné jufqu'a nos jours, & faignera long-temps encore. Des armées détruites fe refont. Des Provinces envahiesfe reprennent. Mais Bb s



388 SÜPPLÉMENTS
rémigration d'hommes utiles qui en portant dhsÊ des nations étrangeres leur induftrie & leurs talents, les élevent tout-a-coup au niveau de la nsrion qu'ils ont abandonnée, eft un mal qui ne ferépare point. Le cofmopolite, dont 1'ame vafte embraflè les intéréts de 1'efpece humaine, s'en con* folera peut-être. Pour le patriote, il ne cefiera jamais de s'en affliger.
Ce patriote, c'eft lui qui dit aux Rois dans ce moment: Maitres de Ia terre, loriqu'un homme , fous le nom de Prêtre, aura fu lier fes intéréts aux prétendus intéréts d'un Dieu; quand fa haine ombrageufe pourra faire fervir le nom de ce Dieu qu'il ne manquera pas de peindre jaloux & cruel, pour allumer la perfécution contre celui qui ne penfera pas comme lui, ou, pour parler plus exaétement, qui ne penfera pas comme il veut que 1'on penfe; malheur a vous & a vos fujets, fi vous 1'écoutez.
Cependant les Proteftants Francois difperfés dans les différentes parties du globe, tournoient par-tout de triftes regards vers leur ancienne patrie. Ceux qui avoient trouvé un afyle au Nord de 1'Amérique, défefpérant de revoir jamais leurs premiers foyers, vouloient du moins êtreréunis a la nation aimable dont la tyrannre les avoit féparés. Ils oftroientde porter leur induftrie & leurs capitaux a la Louyfiane, pourvu qu'il leur fut permis d'y profefièr leur culce. Le malheur de



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 389 1'Etat voulut que la fuperftition de Louis XIV, que la foibleiïè du Régent fiflènc rejetter ces propofitions.
Cpendant quel rapport y a-t-il entre les dog. mes de la Religion & les fpéculations du Miniftere? pas plus, ce me femble, qu'entre 1'ordonnance du Médecin & les dogmes qu'il profeflè. Le malade s'eft-il jamais avifé de demander a Dumoulin s'il alloit au fermon ou au prêche, s'il croyoiten Dieu ou s'il n'y croyoit pas? Maïtresde la terre, celui qui faitluireindiftinétement fon foleil fur les comrées orthodoxes & fur les contrées hérétiques; celui qui laifïe également tomberla rofée féconde fur leurs champs, ne vous dit-il pas avec aflez d'évidence & de force, combien il doit vous être indifférent par quels hommes elles foient peuplées, par quels bras elles foient cultivées ? c'eft a vous de les protéger tous; c'eft a vous a animer leurs travaux ; c'eft a vous a encourager leur induftrie & leurs vertus. C'eft a lui a lire au fond de leurs cceurs & a les juger. Rend-il les meres des Calviniftes ftériles, ou étoufFe-t-il 1'enfant dans le fein des meres Luthériennes, lorfqu'elles font fécondes? Comment ofez-vous donc condamner a 1'exil, a la mort, a la mifere pire qu'elle, celui a oui le Souverain des Souverains, votre pere & le leur, permet de vivre & de profpérer? Paree qu'on n'auroit pas célébré la meflè &. chanté vêpres k Bb 3



39o SUPPLÉMENTS
la Louyfiane, les produétions du fol en auroientelles été moins abondantes, moins précieufes & moins utiles ? Si cette contrée eut été peuplée d'orchodoxes, & que quelque raifon d'Etat vous en eut fait tenter la conquête, vous les eufliez tous égorgés fans fcrupule ; & vous en avez a confier fa culture a 1'hérécique? De quelle étrange manie êtes-vous donc tourmentés? La conformité du culte n'arrête point votre férocité; Ia diverfité 1'excite. Eft-il de Ia dignité du chef d'un Etat, de régler fa conduite fur Pefprit fanatique & les vues étroites d'un Directeur de Séminaire? Eft-il de fa fagefiè de n'admettre au nombre de fes fujets que les efclaves de fes Prêtres ? Qu'après avoir déterminé un vieux Monarque pufillanime & humilié par une longue fuite de calamités a y mettre le comble en révoquant un édit falutaire, les fuperftitieux & les hypocrites qui 1'environnoient 1'ayent amené de conféquencë en conféquence a rejetter les propofitions avantageufes des reiigionnaires du Nouveau-Monde , je n'en ferai point étonné : mais que des confidérations, qu'on peut appeller monacales, ayenc eu la même autorité fur le Prince éclairé qui tenoic les rênes de 1'Empire après le vieux Monarque, & qui certes ne fut jamais foupconné de bigoterie, c'eft ce que je ne faurois expliquer.
Indépendamment de ce fatal fyftême , peut-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 39ï
être la Louyfiane n'auroit-elle pas langui fi longtemps, fans la faute qu'on fit dès l'origine, d'accorder des terres au hafard & felon le caprice de ceux qui les demandoient. Des déferts immenfes n'auroient pas féparé les colons les uns des autres. Rapprochés d'un centre commun, ils fe feroient prêtés des fecours mutuels, & auroient heureufement joui de tous les avantages d'une fociété réguliere & bien ordonnée, &c.
Page 161, après ces mots, la France même, lifez : Ce Royaume qui achete chaque année dix-huit a vingt millions pefant de tabac, auroit pu le faire cultiver dans la Louyfiane, & cirer de cette.poflèfllon touc ce qu'il lui en falloit pour fa confommation. Ainfi le penfoic& 1'efpéroitle Gouvernement, quand ilfit arracher cette plante en France. Convaincu que les terres, &c.
Page 163, après ces mots, plus acceflible, lifez : Peut-être y eüt-on réufli, en bouchant les petites paffès avec les arbres flottants que les eaux encrainent, & en réuniflant toute la force du courant dans un fenl canal. Si la mollede du terrein, fi la rapidité du fleuve, fi le refoulement de la mer euffent oppofé a ce projet des obftacles infurmontables, le génie eut trouvé des reffburces. Tous les arts, tous les biens, &c Page 164, après ce mot, vigonreufe, lifez: Cette perfpeélive qu'on n'avoit jamais entrevue que dans le lointain, fembloit fe rapprocher a Bb 4



392 SUPPLÉMENTS
la paix derniere. Les habitants auxquels Ie fifc devoit fept millions, acquis la plupart par des manoeuvres criminelles, défefpérant d'être jamais payés de cette dette impnre, ou ne pouvanc fe flatter que de 1'être tard & imparfaitement, tournoient heureufement leurs travaux vers des cultures importantes. Ils voyoient grofilr leur commerce , d'une partie des pelleteries qu'attiroit aucrefois le canada. Les ifles Francoifes, dont les befoins augmentoient continuellement & les reflburces venoient de diminuer, leur demandoient plus de bois & de fubfiftances. Les liaifons frauduleufes avec le Mexique interrompues par la guerre, reprenoient leur cours. Les navigateurs de la métropole, exclus d'une partie des marchés qu'ils avoient fréquentés, tournoient leurs voiles vers le Miffiffipi, dont les bords, trop long-temps déferts, alloient enfin être ha-? bicés. Déja deux cents families Acadiennes s'y étoient fixées'; & les refles infortunés de cette nation, difperfés dans les établiflements Anglois, faifoient leurs arrangements pour les fuivre. Les mêmes difpofitions fe remarquoient dans plufieurs colons de Saint-Vincent & de Ia Grenade, mécontents de leurs nouveaux maïtres. Douze ou quinze cents Canadiens s'étoient mis en marche pour Ia Louyfiane, & ils devoient être fuivis par beaucoup d'autres. On a même de fortes raifons pour croire qu'un aflèz grand mon-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 393
bre de Cathoüques alloienc paflêr des poflèffions Britanniques, dans cette vafte & belle contrée.
Tel étoit 1'état des chofes, lorfque la Cour de Verfailles annonca, le 21 Avril 1764, aux habitants de la Louyfiane, que par une convention fecrete du 3 Novembre 1762, on avoit abandonné a celle de Madrid, la propriété de leur territoire. La Iangueur de cette colonie; les obftacles qui s'oppofoient a fon amélioration; 1'impoflibilité de la mettre en état de réfifter a la maffe des forces ennemies, réunies fur fa frontiere : ces confidérations dürent aifément déterminer Ie Miniftere de France a cette celiion, en apparence fi confidérable. Mais quel fut le motif qui porta 1'Efpagne a 1'accepter? Ne var loit-il pas mieux qu'elle facrifiat gratuitement Ia Floride au rétabliflèment de la tranquillité publique , que de recevoir en échange une poffefllon, dont la défenfe lui étoit impoffible? Si c'étoit une barrière contre les entreprifes qu'une nation ambitieufe, aétive & puifiante pouvoit projetter contre le Mexique, n'étoit-il pas de fon intérêt qu'un allié fidele eut a foutenir un premier choc, qui 1'avertiroit de 1'orage, & lui donneroit peut-être le temps de le conjêéturer?
Mais de quelque maniere que la politique veuille envifager cet événement, ce fera toujours au tribunal de la morale un crime d'avoir vendu Bb 5
x.
Le Miniftere de France ce» de la Louyfiane a 1'Efpagne. En avoit - il le droit i



394 SUPPLÉMENTS
XL Conduite «ies Lfpagnols a la Louyfiane.
du donné des citoyens a une Puiflance étran» ^ere.
De quel droit, en eftet, &c.
Page 170, après ces mots, a tes ennemis, lirez: Cette averfion des habitants de la Louyfiane pour la domination Efpagnole, ne fit rien changer aux arrangements des Cours de Madrid & de Verfailles. Le 28 Février 1766, M. Ulloa arriva dans la colonie avec quatre-vingts hommes de fa nation. La prife de poflèflion devoit, dans les regies ordinaires , fuivre fon débarquement. II n'en fut pas ainfi. Les ordres continuerent a être donnés au nom du Roi de France; la juftice fut rendue par fes Magiftrats; & les troupes ne ceflèrent point de faire le fervice fous fes enfeignes. C'étoit le repréfentant de Louis XV, qui avoit toujours le commandement. Toutes. ces raifons perfuaderent aux habitants que Charles III faifoit étudier le pays, Sc qu'il fe détermineroit a 1'accepter ou a le rejetter, felon qu'il le croiroic utile ou nuifible \\ fa puiflance. Cet examen étoit fait par un igent, qui paroiflbit prendre une idéé peu favorable de la région qu'il étoit venu reconnoïtre; & il étoit raifonnable d'efpérer qu'il en dégoüteroit fon maïtre.
On étoit aflèz généralement dans cette iilufion, lorfqu'une loi arrivée d'Efpagne, défendit ii la Louyfiane toute liaifon de commerce avec



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 305
les marchés qui avoient fervi jufqu'alors au débouché de fes produétions. Ce funefte décrec fut fuivi, felon tous les témoignages, d'une hauteur intolérable , d'odieux monopoles, d'aéles répétés d'une autorité arbitraire : maux d'autanc plus fiteheux qu'ils paroüToient 1'ouvrage du Commandant Francois qu'UIloa avoit fubjugué au point de Ie rendre le fervile inftrument de tous fes caprices. Peut-être les accufations étoient-elies exagérées: mais il ne falloit pas dédaigner toutes les mefures qui auroient pu détromper les efprits prévenus, qui auroienc pu ramener des cceurs aigris.
Ce mépris qui fut regardé comme. le plus grand des outrages, comme le comble de la tyrannie , poufTa les peuples au défefpoir. Un moyen infaillible d'arriver au bonheur & au repos, fe préfentoit a eux. Ils n'avoient que le fleuve a traverfer pour le trouver. Le Gouvernement Anglois les preffoit d'accepter un excellent territoire, des encouragements a la culture, toutes les prérogatives de la liberté : mais un Iien cher & facré les attachoit a leur patrie. Ils aimerent mieux demander au Confeil, qu'UIloa fut obligé de fe retirer, & que la prife de poflèflion qu'il avoit différée jufqu'alors ne lui fut pas permiré, avant que la Cour de Verfailles eüt écouté les repréfentations de Ja colonie. Le tribunal prononcale 28 Oclobre 1768,1'ar-



5.5X* SÜPPLEMENTS
rêc qu'on lui demandoit; & les Efpagnols s'env barquerent paifiblemenc fur la frégate qui les avoit amenés. Durant trois jours que dura cette grande crife, il n'y eut pas Ie plus léger tumulte, il n'y eut pas la moindre indécence a Ia Nouvelle-Orléans. Lorfqu'elle futfinie, les habitants de la ville & ceux de la baffè-Louyfiane, qui avoient uni leurs relTentiments, pour opérer la révolution, reprirent leurs travaux avec 1'efpoir confolant que la conduite qu'ils avoient tenue feroit approuvée par la Cour de France.
Le fuccès ne répondic pas a leur attente. Les députés de la colonie n'arriverent en Europe que fix femaines après Ulloa;. & ils trouverenc ie Miniftere de Verfailles très-mécontenc de ce qui s'étoit pafle, ou affeétant de 1'être. Ces difpofitions furent haatemenc blamées par la nation, qui ne voyoit dans les colons de la Louyfiane que des hommes généreux, dont touc le crime étoit d'avoir eu un attachement fans bornes pour leur métropole. II s'éleva en leur faveur un cri fi unanime & fi éclatant, que le Gouvernement ne put fe difpenfer avec bienféance de montrer quelque intérêc pour ces malheureux. Cette compaflion tardive ne produifit rien. La: Cour de Madrid, qui 1'avoic prévue, avoii fait pnrtir rapidemenc Monfieur Orelly pour l'ifle de Cuba. La, ce Général avoit pris trois mille hommes.



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 39;
«e troupes réglées ou de milices qu'il embarqua fur vingt-cinq bakiments de tranfport; & le 25 Juillet 1769, il fit voir fon pavillon a 1'embouchure du Miffiffipi.
A cette nouvelle, tous les ccei;rs fe livrent a une rage inexprimable, contre une patrie qui facrifie librement une colonie affeclionnée, contre une Puiflance qui prétend régner fur un peuple qui repouflè fon joug inhumain. On fe difpofea empêcher le débarquement des troupes, & a brüler les navires qui les portent. Rien n'étoit plus facile, s'il en faut croire ceux qui ont bien connu la difpofition des lieux. Les fuites de cette réfolution hardie n'étoient pas aufli dangereufes qu'elles le pourroient paroicre au premier coup d'ceil. Les habitants de la Louyfiane pouvoient efpérer de former une république indépendante. Si 1'Efpagne & la France les attaquoient avec de trop grandes forces, ils fe mectoient fous la prote&ion de l'Angleterre; & fi enfin la Grande-Bretagne fe trouvoit dans une pofition qui ne leur permïc pas de leur accorder fon appui, il leur reftoit pour derniere reffource de paflèr fur la rive oriëntale du fleuve * avec leurs efclaves, leurs troupeaux & leur mobilier.
On étoit dans Pattente d'événements terribles * lorfque les promeflès du Général Efpagno!, les fupplications d'Aubry, ce foible Commandant,



SoS SUPPLÉMENT'S
Frangois, dont 1'imbécillité avoit tout perdu, les difcours pieins de véhémence d'un Magiftrat éloquent, calmerent la fermencation. Perfonne ne s'oppofa h la marche de la petite flotte, qui arriva devant la Nouvelle-Orléans le 17 Aoüt. Le lendemain, tous les citoyens furenc déchargés de 1'obéiflance qu'ils devoient a leur première patrie. On prit poflèflion de la colonie au nom de fon nouveau maitre; & les jours fuivants, eeux des habitants qui confentoient a porter le joug de la Caftille, prêterent leur ferment.
Tout étoit confommé, tout, excepté les vengeances. On vouloit des viétimes. II en fut choifi douze dans ce que le militaire, la magiftrature & le commerce avoient de plus diftingué. Six de ces hommes généreux payerent de leur tête la confidération dont ils jouiflbient. Les autres, plus infortunés peut-être, allerent languir dans les cachots de la Havane; & le Miniftere Efpagnol avoit ordonné cette horrible tragédie ! & le Miniftere Francois n'en concut aucune indignation!
Maitres inhumains, maities cruels, qui fera tenté de vous appartenir ? qui fera tenté de s'appeller votre fujet? qui voudra vous fervir? contre le droit de la nature, contre le droit des gens, vous difpofez de vos colons comme d'un troupeau de bêtes, vous les cédez fans leur confentement! Et s'ils étoient accourus, la torche dans une main, & le poignard dans 1'autre; s'ils



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 599
avoient brülé les vaifTeaux Efpagnols; s'ils avoient affafllné le porteur des ordres de la Cour de Madrid, quelle eft la bouche aflez vile pour ofer les btëmer? Le Gouvernement Francois auroitil pu s'oftenfer d'un foulevement dont'la violence n'auroit été que la mefure de 1'attachement qu'on avoit pour lui? Le Gouvernement Efpagnol n'auroit-il pas recu lechatiment qu'il méri. toit ? mais ils font demeurés tranquilles: mais ils fe font préfentés avec réfignation au nouveau joug qu'on leur impofoic : mais ils ont étouffé Je murmure de leur cceur pour prêter le ferment qu'on leur demandok. Barbares, fanguinaires , perfides Efpagnols, ils juroient de vous être fïdeles; & c'eft dans ce moment que vos yeux défignoient dans la foule les premières victimes^de votre autorité. Colons ftupides, colons loches, ou êtes-vous? que faites-vous? On entraïne a 1'échafaud, on va précipker dans des foflès obfcures , vos amis , vos parencs , vos chefs, vos défenfeurs, les objets de votre tendrefTe, de votre vénération; & vous êtes immomobiles f quand & pourquoi vous expoferezvous donc a mourir? Venez du moins apprendre a connoitre la Puiflance fous laquelle vous avez a vivre. Vile canaille, venez vous inftruire du fort qui vous attend, par celui de vos citoyens qui valent mieux que vous.
Effrayés de ces atrocités, ceux des habitants



4oo SUPPLEMENTS
que les intéréts de leur négoce avoient appellé3 dans la colonie, porterent ailleurs leur aétivité. Le défefpoir fit abandonner plufieurs riches plantations par leurs propriétaires. Le refte vécut fous 1'oppreffion & dans la mifere. Sans quelques liaifons furtives avec 1'Anglois qui navigue fur le Miffiffipi * dont il poflède & enrichit une des deux rives, ces malheureux habitants n'auroienc connu aucun débouché pour leurs produétions; ils n'auroient eu aucune voie pour fe procurer les premiers befoins. Leur deftinée doit, avec le temps, devenir un peu moins facheufe , & paree que les Communications de 1'Efpagne avec fes colonies ont été débarrafiees de beaucoup d'entraves, & paree qu'il a été accordé aux ifles Francoifes la liberté de tirer de cette grande Province, fur leurs propres navires , des bois & des fubfiftances. Cependant la Cour de Madrid a dans Ie nouvel hémifphere tant d'autres intéréts plus grands, qu'on peut prédire qu'elle ne s'occupera jamais bien férieufement des profpérités de la Louyfiane.
Mais peut-on plaindre bien vivement Ia trifte fituation de ces colons qui ont laiflè égorger leurs compatriotes ? Leur mifere n'eft-elle pas le vrai chatiment qu'ils ont mérité? La confeiencej ce juge févere de tous les devoirs, ne leur ciiet-elle pas , fans interruption : „ Tu avois des „, Magiftrats honnêtes & vertueux qui veilloient
s, le



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. m », !e jour a ton bonheur, Ia nuk a ta fécurké, » pendant touc Ie cours de I'anhée a tes inté» rêts; tu avois * ^s cötés des conckoyens ,, qui t'aimoient & te fecouroient: ils t'étoienc », Ia plupart attachés par les Iiens les plus fa„ crés. C'étoient ton pere, ton frere, ton en», fint; & cu les as vus tranquillement conduire n a 1'échafaud ou charger de chaines ! & m » marches froidemenc fur la pierre qu'ils onc ,, teinte de leur fang! & tu t'inclines devanc „ leurs bourreaax! & tu obéis a leurs ordres i „ Lache, il faut que tu fubifTes le fort du W „ che, & que tu le fubifTes jufqu'a ce qu'un noble *» «flèntimem c'abfolve a tes yeux & aux nó*., tres "
Voyons quel a été Ie fort du Canada, qui a aufli changé de métropole. Cette vafte contrée fe trouvoit, &c. Page 175, après ces mots, pas d'admirer, hjez : Ce fpeétacle touchanc ne s'étendoic pas loin de Ia riviere; & voici pourquoi. " Lörfc-Ue le Miniftere de France entrepric de former unécabliflèmenc dansle Canada, il donna un terrein aflèz étendu aux hommes aétifs ou malheureux qui voulurent s'y fixer. Mais comme on introduifit, a la même époque, dans cette région, la coucume de Paris, qui ordonne que tous les defcendants d'un chef de familie ayenc une part égale l fa fucceffion, ce domaine fut Suppl. Tome III. Ce



4oï SUPPLÉMENTS
réduit a rien ou prefque rien, par des parages multipliés , dans une longue fuite de générations.
Si,comme le bien public 1'auroic exigé, les loix euflènt affuré 1'indivifibilité de la poiTeflion au fils ainé, laProvince auroit pris une autre face. Le pere, pouffé a 1'économie & au travail par le defir de préparer un fort heureux a fes autres enfants , auroit demandé de nouvelles terres ; & il les eut couvertes de baciments, de troupeaux, de moiflbns, & y auroit placé fa nombreufe portérité. Les nouveaux propriétaires auroient fuivi, aleur tour, cet exemple d'une tendreiTe très-bien entendue; & avec le temps , la colonie enciere auroit été peuplée & cultivée.
Les avantages de cette politique, qui avoient échappéala Cour de Verfailles, la frapperenc enfin en 1745. Elle défendit ladivifion ultérieure de toute plantation qui n'auroit pas un arpent & demi de front, fur trente ou quarante de profondeur. Ce réglementne guériflbit pas les plaies de deux fiecles d'ignorance : mais il arrêtoit un défordre qui auroit fini par tout anéantir.
Ce plan d'inégalité, dans la répartition des héritages, fera regardé par le vulgaire comme un fyftême inhumain & oppofé aux loix de la nature : mais ce reproche fera-t-il fondé? Un homme, qui a terminé fa carrière, peut-il avoir des droits? En celTant d'exifter, n'a-t-ilpas perdu



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 403
toutes fes capacités? Le grand Être, en Ie privanc de la lumiere, nelui a-c-ilpas öté touc ce qui en étoit une dépendance? Ses voloncés dernieres peuvenc-elles avoir quelque influence fur Iesgénéracions qui le fuivronc ? Non. Tout Ie cemps qu'il a vécu5 il ajoui & dü jouir des cerres qu'il cultivoic. A fa more, elles appartiennenc au premier qui s'en faifira &qui voudra les enfemencer. Voila Ia nature. S'il s'eft établi fur le globe prefque entier un aucre ordre de chofes, c'eft une fuite néceflaire des inftitutions fociales. Leurs loix ont dérogé aux loix de la nature, pour aflürer la tranquillité, pour encourager 1'induftrie, pourafferrnir la liberté. Ce que les Gouvernements ont fait, ils feront en droit de le faire encore, lorfqu'ils le jugeront convenable a leurs intéréts, au bonheur commun des membres qui les compofent,& par conféquentd'une maniere plusou moins favorable a tel ou tel individu. Entre les différentes inftitutions poilibles furl'héritage des citoyens après leur décès, il en eft une qui trouveroit peut-être des approbareurs. C'eft que les biens des morts rencrallènc dans Ia mafte des biens publics, pour êcre employés d'abord afoulager 1'indigence, après 1'indigence, a récablirperpécuellementune égalicé approchée entre les fortunes des particuliers; & ces deux points imporcancs remplis,a récompenfer les vercus, a encourager les talents.
Cc 2



4o4 SUPPLÉMENT S
XIV.
Mceurs des Francois Ca na dien s.
Pour revenir au Canada, la nature ellé-même dirigeoic les travaux du cultivaceur. Elle lui avoit appris h dédaigner les terres aquatiques, fablonneufes; celles oü le pin, le fapin, le cedre cherchoient un afyle ifolé. Mais quand il voyoit un fol couvert d'érables, de chênes, de bêtres, de charmes & de meriners, il pouvoit lui demander d'abondantes récoltes de froment, de feigle, de maïs, d'orge , de lin , de chanvre, de tabac, de léguments & d'herbes potageres de toutes le» efpeces.
La plupart des habitants, &c.
Page 178, après ces mots, pays d'en-haut, lifez : Peu de colons avoient les mceurs qu'on leur auroit dellrées. Ceux que les travaux champêtres fixoient a la campagne, ne donnoient durant 1'hyver que des moments au foin de leurs troupeaux, & a quelques autres occupations indifpenfables. Le refte du temps étoit confumé dans 1'inaétion, au cabaret, ou a courir fur Is neige avec des traineaux, comme les citoyens les plus diftingués. Quand le printemps les appelloit, &c.
Page 178, après ces mots, vaftes guérêts,, lifez : D'oü venoit cet excès , &c.
Page 182, après ces mots, redevance perpétuelle, lifez : Chacun de ces vafiaux recevoit ordinairement quatre-vingt-dix arpents de terre, & s'engngeoit a donner annuellement a fon Sei-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 405 gneur un ou deux fols par arpent, & un demimmot de bied pour Ia conceffion entiere: il s'engageoit a moudre a fon moulin, & a lui céder pour droit de mouture la quatorzieme partie de la farine; il s'engageoit a lui payer un douzieme pour les Jods & ventes, & reftoit fourais au droit de retrait.
II s'eft trouvé des Ecrivains qui ont applaudi avec enthoufiafme a un fyftême qui leur paroiffoit propre a afTurer 1'ordre & la fubordination; maïs n'étoit-ce pas intrbduire en Amérique 1'image du gouvernement féodal qui fut fi long-temps la ruïne de i'Europe ? mais n'étoit-ce pas faire fubfifter un grand nombre de gens oififs aux dépens de la feule claflè de citoyens dont il falloit peupler un Etat naiflant? Ces colons utiles virent encore augmenter le fardeau d'une nobleflè rentiere par la furcharge desexadions du Clergé. Ce corps avide obtint en 1663 du Miniftere, quil lui feroit donné le treizieme de teut ce que la terre produiroit par le travail des hommes , de tout ce que la terre produiroit delkmême. Cette vexation incolérable dans un pays mal écabli, duroic depuis quatre ans, lorfque le Confeil fupérieur de Quebec prit fur lui en \66? de réduire les dixmes au vingt-fixieme, & un édit de 1760 confirma cette difpofition, encore trop favorable aux Prêtres.
Tant d'entraves jettées tTavance, &c.
Cc 3



4of> SUPPLÉMENTS
Vage 1S4, après ces mots, dans Yem? lifez: On ne pêche cet amphibie qu'a Labrador. Les Canadiens fe rendent a cette glaciale & prefqu'inhabitable cóte vers le milieu d'Oétobre, & y féjournent jufqu'au commencement de Juin. C'eft entre le continent & quelques petites ifles peu éloignées, qu'ils tendent leurs filets. Les ioups - marins , qui viennenc ordinairemenc de 1'Eft, & en grandes bandes, veulent pafTer ces efpeces de détroits, & s'y trouvent pris. Portés a terre, ils y reftent gelés jufqu'au mois de Mai. Alors on les jette dans une chaudiere ardente, d'oü leur graiffe coule dans un autre vafe oü elle fe refroidit. Sept ou huic de ces animaux donnent une barrique d'huile. La peau des loups-marins, &c. Vage 189, après ces mots, dette impure, li* fez : Les malverfations furent effrayantes. Quelques-uns de ceux qui étoient devenus prévaricateurs, par Pabus du pouvoir illimité quele Gouvernement leur avoit accordé, furent flétris, bannis, dépouillés d'une partie de leurs brigandages. D'autres, non moins coupables, répandirent Por a pleines mains, échapperent a la reftitution, a Pinfamie, & jouirent infolemment d'une fortune fi criminellement acquife. Les lettres-dechanges furent réduites a la moitié, & les ordonnances au quart de leur valeur. Les unes & les autres furent payéesen contrats a quatre pour



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 407
cent, qui tomberent dans le plus grand aviliflèmenr.
Dans la dette de quatre-vingts millions, les Canadiens étoient porteurs de trente-quatre millions d'ordonnances, & de fept millions de lettresde-change. Leur papier fubic la loi commune: mais la Grande-Bretagne, dont ils étoient detenus les fujets, obtint pour eux un dédommagement de trois millions en contrats, & de fix cents mille livres en argent; de forte qu'ils recurent cinquante-cinq pour cent de leurs Iettresde-change, & trente-quatre pour cent de leurs ordonnances.
Le Canada méritoit-il le facrifice, &c.
Page 190, après ces mots, donnoit des loix, lifez : La nature avoit difpofé cette région pour la produclion de tous les grains. Ils y font d'une qualité fupérieure & expofés a peu d'accidents, puifque fémés en LVlai, ils font cueillis avant la fin d'Aout. Les befoins des ifles de 1'Amérique & d'une partie de 1'Europe, en affuroient le débit a un prix avantageux. Cependant il ne fuc jamais cultivé de bied que ce qu'il en falloit pour les colons, qui même furent quelquefois réduits a tirer leur fubfiftance des marchés étrangers.
Si la culture s'étoit étendue, &c.
Page 191, après ces mots, de la métropole, lifez : On n'auroit pas retiré les mêmes avantages des bêtes a laine, quand même la rigueur Cc 4



4o8 SUPPLÉMENTS
du climat ne fe feroit pas invinciblement oppofée a leur multiplication. Leur toifon deftinée a être toujours grofliere, ne pourra jamais être utilement employée que dans la colonie même a des étofies plus ou moins communes.
On ne doit pas dire la même chofe du ginfeng. Cette plante que les Chinois, &c.
Page 193, après ces mots, dans ces contrées, lifez ; M. Dancic a travaillé long-temps a découvrir un moyen par lequel on put fürement clafler tous les fers connus. Après un grand nombre d'expériences, dont les détails feroient ici déplacés, il a trouvé que le fer de Styrie efl: le meilleur. Viennenc enfuite les fers de 1'Amérique Sepcentrionale, de Danemara en Suede, d'Efpagne, de Bayonne, de Rouffillon, duPaysdeFoix, du Berry, de la Thiérache,de Suede, deuxieme marqué, les communsde France, & enfin ceux de Sibérie, S'il en efl: ainfi, quel parti la Cour de Verfailles auroit pu tirer de la mine découverte aux Trois-Rivieres, a la fuperficie de la terre & de la plus grande abondance! On n'y fit d'abord que des travaux foibles & mal ( dirigés. Un maitre de forge, arrivé d'Europe j en *739i -es augmenta, les perfeéh'onna. La colonie ne connut plus d'autres fers; on en exporca même quelques efiais, mais on s'arrêta la. [ Cette négligence étoit d'autant plus blamable, i, qu'a cecte époque on avoit pris la réfolution,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 409 après bien des incercitudes , de former, &c.
Page 196, après ces mots, abandonné ïa pêche, lifez t II étoit aifé de Ia reprendre dans Ie golfe Saint-Laurent, & même a I'embouchure du Saguenay, touc prés de 1'excellent porc de Tadouflac. On veuc même qu'elle y aic été efTayée hl'arrivée des Francois dans le Canada, & qu'elle n'ait été interrompue que paree que les fourrures offroienc des profits plus faciles & plus rapides. Ce qui eft für, c'eft que les pêcheurs auroient couru moms de rifque, auroienc écé obligés a moins de dépenfe que ceux qui fe rendenr annuellemenc au détroic de Davis, ou dans les mers du Groenland. Le deftin de cecte colonie a coujours voulu que les meilleurs projets n'y euflènc point de confiftance; &le Gouvernement n'a rien faken particulier pour encourager la pêche de la baleine, qui pouvoit former un eflaim de navigateurs, & donner a la France une nouvelle branche de commerce.
Cette indifférence s'eft étendue plus loin La morue fe plak fur le fleuve Sainc-Laurenc jufqu'a quacre-vingts lieues de la mer. On peuc la prendre paffagéremenc fur ce vafte efpace. Cependanc il feroic avantageux d'écablir une pêche fédentaire au havre deMontlouis, placé a I'embouchure d'une jolie riviere qui recoic des batiments de cent tonneaux, & qui les met z I'abri de tous dangers. Le noiflbn y abonde plus qu'aiiGc5



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XXII.
Prife de Quebec par les Anglois. La conquête rielacapitale cntraine , a■vecletemps,lafoumiffion de la colonie entiere.
io SUPPLEMENTS
urs; le rivage offre pour le faire fécher toutes s facilités qu'on peut defirer; & les terres voines font très-propres au paturage & a la cultu-
Tout porte a croire qu'une peuplade y proféreroit. On le penfa ainfi en 1697. Par les >ins de Riverin, homme acnT & intelligent, K formée a cette époque une aflbciation pour ommencer cette entreprife. Des contrariétés ms nombre la firent échouer. Ce projec fut reris depuis, mais très-mollement exécuté. Ce at un grand malheur pour le Canada, dont un uccès marqué en ce genre auroit beaucoup :tendu les liaifons avec PEurope & avec les ndes Occidentales.
Tout concouroit donc a la profpérité, &c.
Page 198 , après ces mots, pendant le jour, lifez : Depuis Quebec jufqu'a Montréal, la riviere n'eft praticable que pour les batiments de trois cents tonneaux; & encore font-ils trop fouvent contrariés par des vents terribles, qui les retiennent quinze jours ou trois femaines dans ce court trajet. De Montréal au lac Ontario, &c.
Page 216, après ces mots, de leurs ennemis, lifez : Telle étoit la fituation des chofes, lorfqu'une flotte Angloife, oü Pon comptoit trois cents voiles, & qui étoit commandée par PAmiral Saunders, fe fit voir fur le. fleuve SaintLaurent, a la fin de Juin 1759. Par une noit obfcure & un vent très-favorable, huit brülots



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 4u
furent lancés poar la réduire en cendres. Tout eüt péri infailliblement, hommes & vaiflèaux, fi 1'opération avoit été conduite avec 1'inteiligence, le fang-froid 6c le courage qu'elle exigeoit. Mais ceux qui s'en écoient chargés n'avoient peut-être aucune de ces qualités, ou du moins ne les réuniflbient pas toutes. Impatients d'aflurer leur retour a terre, ils mirent beaucoup trop tót le feu aux bacimencs dont ils avoient la direétion. Aufli 1'affaillant, averti a temps du danger qui le menagoic, vint-il a bouc de s'en garantir par fon aétivité & par fon audace. II ne lui en coüta que deux foibles navires.
Tandis que les forces navales échappoient fi heureufement a leur deftruétion, 1'armée, qui étoit de dix mille hommes, attaquoit la pointe de Levy, en chaflbit les troupes Frangoifes qui y étoient retranchées, y établiflbit fes batteries, & bombardoit, avec le plus grand fuccès, la ville de Quebec, qui, quoiquefituée fur la riveoppofée du fleuve, n'étoit éloignée que de fix cents toifes.
Mais ces avantages ne conduifoient pas au buc qu'on s'étoit propofé. II s'agiflbit de fe rendre maitre de la capitale de la colonie; & la cóce qui y conduifoic étoit fi bien défendue par des redoutes, par des batteries & par des troupes , qu'elle paroiflbit inacceflible. Les aflaillants furent de plus en plus confirmés dans cette opinion, après qu'ils eurent tóté le fauc de Mont-



xxin.
facquifi'
4ii SUPPLÉMENTS
morency, oü ils perdirent quinze cents hommes , & oü ils auroient pu aifément perdre tout ce qui y avoit été imprudemment débarqué.
Cependant la faifon avancoit Le Général Amherft , qui devoit faire une diverfion du cöcé des lacs , ne paroiflbit point. On avoit perdu tout efpoir de forcer 1'ennemi dans fes poftes. Le découragement commeneoit a fe manifefter, lorfque M. Murray propofa de monter avec 1'armée & une partie de la flotte deux milles au-dcflus de la place, & de s'emparer des hauteurs d'Abraham, que les Francois avoient négligé de garder, paree qu'ils lescroyoient fuffifamment défendues par les rochers très-efcarpés qui les entouroient. Cetce idéé heureufe & brillante eft recue avec tranfport. Le 13 Décembre , cinq mille Anglois débarquent avec le jour, & fans être appercus, au pied des hauteurs. Ils y grimpent, fans perdre un moment, & s'y trouvent en ordre de bataille , lorfqu'a neuf heures ils font attaqués par deux mille foldats, cinq mille Canadiens & cinq cents fauvages. Le combat s'engage & fe décide en faveur de 1'Anglois, qui, dès le commencement de 1'aétion, avoit perdu 1'intrépide Wolf, &c.
Vage ai8, après ces mots, le 17, lifez, avec trop de précipitation.
Vage 173, après ces mots, de l'Amérique, lifez : Combien les vues de la politique font



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 4r3
bornées! Les Anglois regardoient cette acquifition comme Ie dernier terme de leur grandeur.; Le Miniftere Francois n'étoit pas plus éclairé '< que Ie Confeil Britannique. D'un cóté , 1'on 1 croyoit avoir tout gagné par cette conquête;' de Pautre, on croyoit avoir tout perdu par un facrifice qui devoit entrainer Ia ruine d'un ennemi irréconciliable. Tel eft Penchainement nécefTaire des événements qui changent fans cefie les intéréts des Empires, qu'il eft fouvent arrivé, & qu'il arrivera fouvent que les fpéculations les plus profondes, que les combinaifons les plus fages en apparence, ont été trompées & le feront encore. On ne faifit que Pavantage du moment dans la chofe ou rien n'eft fi commun que de voir le bien naïrre du mal, & le mal naïtre du bien. S'il eft vrai des particuliers qu'ils ont long-temps foupiré après leur malheur, cela 1'eft plus encore des Souverains. On ne fait jamais entrer en calcul les caprices du fort fi fujet a fe jouer de Ja pradence des hommes; & l on a raifon toutes les fois qu'un facheux hafard fe cache dans un avenir éloigné & obfcur; qu'il eft prefque fans vraifemblönce, & qu'en le fuppofant arrivé, il ne s'enfuivra pas une ruïne totale. Mais un peuple fera gouverné par un Miniftere infenfé, Iorfqu'onfermera lesyeux fur la tranquillité, fur la füreté de 1'Etat pour ne les tenir ouverts que fur fon agrandifTement;
:ion du Cïïada a-t-elle :té un bien »u un mal >our 1'An;leterre ?



4H SUPPLÉMENTS
lorfque, fans confidérer fi une miférable petïtö ifle n'occafionnera pas des foins & des dépenfes qui ne feront compenfés par aucun fruit , on fe laiffera éblouir de la gloire frivole de IV voir ajoutée a la domination nationale; lorfqu'en fe refufant a des reftitutions ftipulées, on cimentera entre la Puiflance ufurpatrice & la Puiflance lézée des haines qui feront tóe ou tard fuivies d'effufion de fang fur les mers & fur le continent ; lorfque pour la confervation de quelques places, on fera forcé d'y emprifonner des foldats qui s'abatardiront dans une longue oifiveté; lorfqu'on fufcitera des jaloufies durables ou des prétentions toujours prêtes a fe renouveller & a mettre deux peuples en armes, lorfqu'on oubliera qu'une nation établie entre une Empire & un autre Empire efl quelquefois la meilleure barrière qu'ils puiflènt avoir, & qu'il eftimprudent & dangereux de fe donner, par 1'extinétion de la nation interpofée , un voifin ambitieux, turbulent, guerrier & puiffant; que tout domaine féparé d'un Etat par une grande diftance eft précaire, difpendieux, mal-défendu &;tnaladminiftré, que ce feroit fans contredit, un vrai malheur pour deux nations qu'une poflèflion en-deca ou au-dela du fleuve qui leur fert de limite; que renoncer h une contrée, que diverfes Puiflances revendiquent, c'eft communément s'épargner des dépenfes fuperflues, des al-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 415 larmes & des guerres, & que la céder a Pun de ƒ eux qui 1'envient, c'eft lui faire préfent des mêmes calamicés; en un mot, qu'un Souverain qui auroit vraiment du génie le montreroit peut-être moins encore a faifir les avantages réels de fon pays, qu'a abandonner a des nations rivales des avantages trompeurs dont elles ne fentiroient qu'avec Ie temps les conféquences funeftes. C'eft une efpece de piege fur lequel Ia fureur de s'étendre les aveuglera toujours.
Fin du Livre feizieme.



416* SUPPLÉMENT S
LIVRE XVII.
~S?Age 226, lifez: La paffion de lire dans 1'avenir a été la fureur de tous les ages. Les entrailles des animaux, le fang des viélimes parurent a quelques peuples un moyen infaillible pour découvrir la dellinée des Empires. D'autres place» rent la fcience de la divination dans des fonges, qu'ils fe plaifoient a regarder comme les plusfürs interpretes des volontés céleftes. Des nations entieres prétendirent, par le vol des oifeaux, par d'autres préfages aufli frivoles, forcer le fort a fe déceler. Mais ce furent principalement les aftres qu'on fe plaifoit a confulter. On croyoit y voir tracées en caracleres ineificables les révolutions plus ou moins importantes qui devoient agiter le globe. Ces rêveries n'avoient pas fubjugué feulement le vulgaire. Elles prirent un égal afcendant fur les plus beaux génies.
Depuis que la faine philofophie a détruit ces chimères, on a donné dans un nouvel écueil. Une préfomption trop commune a faic penfer que rien n'étoit plus aifé que de déterminer pas des combinaifons aflèz faciles, ce qui devoit arriver en politique. Sans doute, il efl: poffible a des efprits attentifs & réfléchis de prévoir quelques événements : mais pour une conjeéture heureufe, combien d'erreurt
Les



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. m
Les ifles Britanniques font plongées dans de flots de fang. Des faétions, des feétes fans nom bre s'y détruifenc avec un acharnement dont Ie déplorablesannales du monde onc rarement donn le funefte exemple. Qui pouvoit conjeéturer qu< les profpérités du nord de 1'Amérique fortiroien du fein de tant de calamités?
L'Angleterre n'étoit connue, &c. , Paëe 275, après ces mots, fort avantageux. Ufez : Mais ce n'eft ni 1'extraétion de ces fauvages richeflès, ni 1'accroiffèment que ce commerce pourroit recevoir s'il devenoit libre, qui ont feuls fixé 1'attention de l'Angleterre, &c.
Page 280, après ces mots, a 1'aband'onner, lifez : II eft de ï'intérét comme de la dignité de la Grande-Bretagne, de pourfuivre fes centatives jufqu'a ce qu'elle ait réufli, ou que 1'impoffibilité du fuccès lui foit démontrée. La réfolution qu'elle a prife, en 1745, de promettre une récompenfe confidérable aux navigateurs qui réuffiroient dans ce grand projet, montre fa fagefle jufques dans fa générofité; mais ne fuffic pas pour atteindre au but qu'elle fe propofe. Le Miniftere Anglois nepeutignorer que les efforts de I'Etac ou des particuliers n'y parviendront pas, jufqu'a. ce que Ie commerce de la baie d'Hudfon fok entiérement libre. II doit 1'être pour toutes forces de raifon, & en particulier paree que le terme de l'oclroi accordé par Charles II, eft expiré deSuppl. Tomé III. Dd
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VIL Y a-t-il; dahs ia baia d'Hüdfon , un paflage qui condui^' fe aux lndes Orieritales h



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Le paffage de la baie d'Hudfon aux lndes Orientales a-1 - il été cherche convenable» rasnr.
ft* SUPPLÉMENTS
>uis long-temps, & n'a jamais été légalemenr jrolongé. La compagnie qui 1'exerce depuis f670, non contente de négliger 1'objet de fon nftitution, en ne faifant aucune démarche pour lécouvrir le paflage du Nord-Oueft, a contra;ié de toutes fes forces ceux que 1'amour de la gloire ou d'autres motifs pouffoient a cette entreprife. Rien ne peut changer cet efprit d'iniguité qui tient a 1'effence même du monopole.
Cependant, ce ne feroit peut-être pas aux mers feptentrionales qu'il faudroic s'attacher principalement pour découvrir le paffage fi defiré. Un bruic fourd fe répandit, il y a deux fiecles, qu'il enexifloitun ailleurs, qu'on défignoit quelquefois fous le nom d'Anian. Les Efpagnols, qui ne connoifibient pas encore la voie du cap de Hom pour entrer dans la mer du Sud, & qui n'y arrivoient que par le décroit de Magellan „ décrié par des fréquents naufrages, faifirent avec chaleur cette opinion populaire. Ils firent cinq expéditions auffi difpendieufes qu'inutiles, & finirent enfin par défabufer 1'Europe d'une fable qu'on les acctifoit d'avoir inventée, pour détourner les antres nations du deffein de chercher un canal vers le Septentrion.
Ce repos ne fut pas, dit-on, de durée. La Cour de Madrid, avertie que la Nouvelle-Angleterre prépare, en 1636, un nouvel armemenc pour découvrir le paffage par la mer Glaciale,



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 4i|
brdonnede fon cöcé, au Pérou,un autre armement, pour aller a Ia rencontre de ces navigateurs. L'Amiral de Fuente, chargé de cette expédition, part, vers Ie milieu de 1640, de Callao, avec quatre baciments. II fe débarrafTe tresrapidement de tous les obftacles que la nature oppofe a fes opérations^ & arrivé lui-mêine k la baie d'Hudfon, tandis que fes Lieutenants pénetrënt dans Ie détroit de Davis & dans Ia mer de Tartarie, a la pointe de 1'Afie. Après la découverte de ces trois pafTages, Ia petite flotte regagne très-heureufement Ja mer du Sud, d'ou elle étoit fortie. On a prétendü que Ie Confeil des lndes avoit myftérieufement dérobé aux nations la connoiflance de cet événement, & qu'il avoit fupprimé avec Ie plus grand foin, toutes les pieces qui en pourroient, un jour, rappeller le fouvenir. A leur tour,> les Efpagnols afTurentque 1'expédition de Fuente, la décoüverte „• tout eft également chimérique; & 1'on ne fauroic douter qu'ils n'ayent entiérement raifon.
II eft très-pofïible que les écrits, récemment publiés a cette occafion, ayent excité une curiofitélouable. Le Gouvernement du Mexique, ani° mé du même feu qui commence a échaulïer fa métropole, fit partir, le 13 Juin 1773 ,• une frégate, dont la mifïïon étoit de reconnokre V&f mérique h la plus haute latitude qu'il feroit poffible. Ceux qui la montoient appercurent la cote" Dd a



4ao SUPPLÉMENTS
a 40, h 49, & même a 55 degrés 43 minutes, précifémenc a 1'endroit que le Capitaine Tichivikow 1'avoit décoüverte, a fa première expédition du Kamtfchatka. Le vailTeau enrra dans le port de San-Blas pour y prendre de nouveaux vivres & recommencer fes courfes. On ne peut guere douter que le defir d'éciaircir ce qui regarde le palTage du nord-oueft, ne foit le but principal de tous ces travaux.
Après tant d'agitations infruétueufes, qu'il paroiflè un navigateur, dont 1'ame forte ne connoine point de périls qui ne foient au-delfous d'elle; que la grandeur & la variété des fatigues n'efFraye point fon ame; que leur durée ne puiflè laffer fa patience; qu'il foit animé du fentiment de la gloire, le feul Telfort qui ferme les yeux fur le prix;.de la vie, &qui poulfe aux grandes entreprifes; qu'il foit inftruic pour bien voir; qu'il foit véridique pour ne dire que ce qu'il aura vu; & fes recherches auront peut-être un meilleur fuccès.
Cet homme extraordinaire s'eft montré. C'eft Cook; Cook qui laiflè fi loin de lui tous fes émules, eft parti pour Othaïti. De-la il doit fe porter au nord de la Californie, & y chercher le paffage du nord-oueft. II aura,pour Ie trouver beaucoup d'avantages refufés a ceux qui ont pris la route de la baie d'Hpdfon ou des contrées limitrophes. Si ce fameux canal fe dérobe encore a



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 4ai
fon audace & a fes lumieres, il en faudra conclure qu'il n'exifte pas, ou qu'il n'eft pas donné aux mortels de le découvrir.
O incroyable vieiflitude des chofes humaines! ó puiflance éternelle du fort, qui croife ou favorife, retarde ou accélere , arrêce ou fufpend nos entreprifes! Cook, que la nature avoit doué du génie & de 1'intrépidité qu'exigent les chofes extraordinaires; Cook qu'une nation généreufe & éclairée avoit pourvu de tous les moyens qui peuvent aflurer un fuccès; Cook, dont un jeune Roi, convaincu fans doute que la vertu fuit le progrès des lumieres, avoit ordonné que duranc leshoftilités, onrefpeétat, on fecourüt le navire comme en pleine paix; Cook, qui avoit parcouru desefpacesimmenfes, & touchoit a la fin de fes travaux : Cook trouve le terme de fa vie fous la main d'un fauvage. L'homme, dont la cendre devoit repofer a cóté de celles des Rois, eft inhumé au pied d'un arbre dans une ifle prefque ignorée.
Si fon Lieutenant Clerke, qui fuit fes projets, découvre enfin le pafiage fi opiniatrément cherché, & que ce pafiage foit d'un accès facile, les liaifons de 1'Europe avec leslndes Orientales& Occidentales deviendront plus vives, plus fbivies , plus confidérables. Le dëtroit de Magellan, le cap de Horn feront entiérement abandonnés, & le cap de Bonne-Efpérance beaucoup moins fréquente.
Dd s



44ia SUPPLEMENT S
IX.
Etat du Canada , depuis qu'il a paffe «fous la domination Britannique.
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!
;
Ces révolutions, qui peuvent influer d'une maniere fi marquée fur la baie d'Hudfon, ne changeront jamais la deftinée du Canada, conquis fur la France en 1760.
Pendant quatre années, cette colonie fut divifée en trois gouvernements militaires. C'écoienc les Officiers des troupes qui jugeoient les caufes civiles & criminelles, a Quebec & aux TroisRivieres, tandis qu'a Montréal, ces fonétions auguftes & délicates étoienc confiées a des citoyens. Les uns & les autres ignoroient également les loix. Le Commandant de chaque dif» triét auquel on pouvoit appelier de leurs fentences, ne les connoiffbit pas davantage.
L'année 1764 vit éclore un nouveau fyftême. On démembra du Canada la cóte de Labrador, qui fut jointe a Terre-Neuve; le lac Champlain & touc 1'efpace au Sud du qüarante-cinquieme degré de latitude, dont la Nouvelle-Yorck fut accrue; l'immenfe territoire a 1'Oueft du forc de la Golette & du lac Niffiping qui fuc laifie fans goufernemenc. Le refte, fous le nom de Province 3e Quebec, fuc foumis a un chef unique.
A la même époque, on donna a la colonie es loix de 1'amirauté Angloife : mais a peine :ette innovation fuc-elle appercue, paree qu'elle ï'intéreflbit guere que les conquérants en poffeffion de tout le commerce maritime.
On fic plus d'accention a 1'écablÜTement des



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 423
loix criminelles d'Angleterre. C'étoit un des plus heureux préfents que put recevoir le Canada.
Auparavant, un coupable, vrai ou préfumé , étoit faifi, jetté dans une prifon, interrogé, fans connoïtre ni fon délit, ni fon accufateur, fans pouvoir appelier auprès de lui, ou fes parents, ou fes amis, ou des confeils. On lui faifoit jurer de dire la vérité, c'eft-adire, de s'accufer luimême, &pour combled'abfurdité, fansattacher aucune valeur a fon témoignage. On s'étudioic enfuite a 1'embarraflèr de queftions captieufes, dont il étoit plus facile au crime impudent qu'si 1'innocence troublée de fe démêler. On eut dit quelafonétion d'un juge n'étoit que 1'art fubtil de trouver des coupables. On ne le confrontoit avec ceux qui avoient dépofé contre lui qu'un inftanc avant Ie jugement qui prononeoit, ou 1'abfolution, ou le plus ample informé, ou la torture & le fupplice. Dans le cas d'abfolution , 1'innocencn'obtenoit aucune indemnité. Au contraire, la fentence capitale étoit toujours fuivie de confifcation: car telle eft en abrégé la procédure criminelle Francoife. Le Canadien concut facilement & fentic vivement le prix d'une légiflation qui ne laiffoit fubfifter aucun de ces défordres.
Le code civil de la Grande Bretagne ne caufa pas la même fatisfaétion. Ces ftatuts font compliqués, obfcurs & multipliés ; ils font écrits dans une langue, qui alors n'étoit pas familiere Dd 4



4^4 SUPPLÉMENT S
au peuple conquis. Indépendamment de ces confidératïons, les Canadiens avoient vécu cent cinquante ans fous un autre régime. Ils y tenoient par la naiflance, par 1 'éducation, par Fhabitude, & peut-être auffi par un certain orgueil national. Pouvoientils n'a voir pas un chagrin extréme de voir changer la regie de leurs devoirs, la bafe de leur fortune ? Si le mécontentement ne fut pas porté jufqu'a troubler i'ordre public, c'eft que les habitants de cetce région n'avoient pas encore perdu cet efprit d'obéiffance aveugle qui avoit fi long-temps dirigé toutes leurs aclions: c'eft que les adminiftrateurs & les Magiftrats qu'on leur avoit donnés, s'écarterent conftam-^ ment de leurs inftruétions, pour fe rapprocher, autant qu'il étoit poffible, des coutumes & des maximes qu'ils trouvoient établies.
Cet ordre de chofes ne pouvoit pas dürer. Le Parlement le fentit. Pi régla qu'au premier Mai 1775, le Canada recouvreroit fes premières limites : qu'il feroit régi par fon ancienne jurifprudence & par les loix criminelles & maritimes de l'Angleterre : qu'il auroit 1'exercice libre de la Religion Romaine, fans que ce culte püt jamais être un obftacle a aucuns des droits du citoyen: que la dixme eccléfiaftique, que les obligations féodales, fi heureufement tombées en défuétude depuis la conquête , recouvreroient leur pre-, miere force. UnConfeil, formé parle Roi, pou-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 425
voit annuller ces arrangemenrs, exercer tous les pouvoirs, excepté celui d'impofer des taxes. II devoit être compofé de vingt-trois perfonnes, choifies indifféremment dans les deux nations, & afTujetties feulement a un ferment de fidélité, Cette ariftocrarie, très-variable &d'un genre tout-a-fait nouveau, déplut généralement. Les anciens fujets de la Grande-Bretagne, établis depuis peu dans cette nouvelle pofteflion, furent fort mécontents de fe voir ravir une partie de leurs premiers droits. Les Canadiens, qui eommencoient a connoïtre le prix de la liberté, & auxquels on avoit promis ou fait efpérer le gouvernement Anglois, fe virent, avec douleur, déchus de leurs efpérances. II eft vraifemblable que la Cour de Londres elle-même ne penfoic pas plus favorablement de fon opération, C'eft Ie mécontentement, déja connu , de la plupart de fes Provinces du Nouveau-Monde, qui lui infpira cet arrangement, On doit croire qu'elle reviendra fur fes pas, lorfque la politique & les circonftances le lui permettront.
Mais enfin, qu'eft devenu le Canada durant le cours de ces révolutions trop rapidemenc arrivées dans le gouvernement ?
La population que les combats y avoient fenfiblemenr diminué , s'eft élevée a cenc trente mille ames dans 1'efpace de feize ans. La Province n'a pas du cet accroiflèment a de no«Dd 5



4=6 SUPPLÉMENT S
veaux colons. A peine y eft-il arrivé aflez c"Anglois pour remplacer mille ou douze cents Francois qui en étoient fortis après la conquête. C'eft la paix, c'eft 1'aifance, c'eft la multiplicacion des travaux utiles, qui feuls ont produit cet événement heureux.
Les premières années de tranquillicé ont fervi a tirer la colonie de 1'efpece de cahos oü une guerre malheureufe & deftruflive 1'avoit plongée. Les améliorations n'ont pas tardé a fuivre.
Depuis long-temps, on faifoit au Canada des bas, des dentelles, de groffès toiles, desétoftes communes. Ces manufaétures fe font étendues, mais on ne les a point perfeétionnées. Les deux dernieres doivent refter dans cet état de dégradation jufqu'a ce qu'elles fortent des mains des femmes qui feules les fabriquent, ainfi que d'autres plus convenables a leur fexe.
Le commerce du caftor & des pelleteries n'a pasdiminué, comme on le craignoit. II a même un peuaugmenté, paree que les Canadiens, plus aftifs que leurs voifins, plus habiles a traiter avec les fauvages, font parvenusa reflèrrer les liaifons de la baie d'Hudfon & de la Nouvelle-Yorck. Les fourrures ont d'ailleurs doublé de valeur en Earope , tandis que les objets qu'on donne en échange n'ont que peu augmenté de prix.
Quoique les mers voifines du Canada foient très-poiflbnneufes, les Canadiens ne les ont guere



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 427
fréquentées. Les obftacles phyfiques quileséloignenc de la navigation , les dégoücent encore de la pêche. Cependant, celle de la morue, anciennement elTayée a Gafpé & aMontlouis; celle du faumon & du ioup-marin aflez bien établie a Ia cöte de Labrador, ont faic quelques progrès depuis Ia conquête. On a même tenté celle de la baleine, mais fans un fuccèsfuffifantpourla continuer. On ia reprendra fans doute, lorfque Ie nombre des matelots , les lumieres & peutêtre les gracifications auront applani les difficultés.
Les troupeaux fe font multipliés. Cependant, il n'a été fait encore des falaifons que pour la confommation intérieure, que pour la navigation extérieure de la colonie. Bientóc on en enverra aux lndes Occidentales, comme on y porte déja des chevaux, qui, quoique petits, font infatigables.
La culture du ïin, dü chsinvfe, du tabac a recu des accroiffèments ferifibles. Celle du bied a fur-tout attiré 1'attention de Ia colonie. En 1770, elle a commencé de fournir des farines aux lndes Occidentales; des grains a 1'Italie, au Portugal, h 1'Efpagne, a l'Angleterre même; & cette exportation augmente continuelfement.
En 1769 , les produétions vendues a 1'étranger s'éleverent a 4,077,602 liv. 7 f. 8 d. Elles furent emportées par environ foixante-dix



428 SUPPLÉMENTS
navires de la Vieille ou de la Nouvelle-Angle* terre, dont plufieurs arriverent fur leur lelt. Les autres porterent a la colonie des lndes Occidentales, du rum, des melaflès, du café, du fucre; de 1'Efpagne, de 1'Italie & du Portugal, des fels, des huiles, du vin& des eaux-de-vie; de la métropole , des étofiës, des toiles & des meubles. Le Canada ne poflède en propre que les bateaux néceflaires aux confommations intérieures; une douzaine de petits batiments employés a la pêche du loup - marin, & cinq ou fix qu'on expédie pour les Antilles. Loin que Ia conftruétion des vaiflèaux ait augmenté, elle a diminué depuis la conquête; & c'eft a la cherté de la main-d'ceuvre, devenue plus confidérable, qu'il faut attribuer un changement auquel il n'étoit pas naturel de s'actendre.
Cet inconvénient n'a pas empêché que la colonie ne foit devenue plus riche qu'elle ne le fut fous une autre domination. Depuis 1772, fes dettes font entiérement payées, & elle n'a point de papier-monnoie. Son numéraire augmente tous les jours, & par la multiplication de fes denrées, & par les dépenfes du Gouvernement. Indépendamment de ce que la Grande-Bretagne a dépenfé pour fes troupes, fon adminiftration civile lui coüre annuellement 625,000 liv.; tandis qu'elle ne retire que 225,000 liv. des impoficions, dont en 1765, 1772 & 1773, elle a



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 4:
chargé les vins, leseaux-de-vie, Ie rum, les m laflès, les verres & les couleurs.
L'étendue du Canada, la fertilité de fon fo la falubricé de fon climat fembleroienc l'appellf adegrandesprofpérités : mais de puiffints obfti cles s'y oppofent. Cette région n'a qu'un fleuv pour fes exportations, pour fes importations, er core les glacés en interdifent - elles 1'approch pendant fix mois; encore des brumes épaiflès e rendent-elles la route lente & difficile le refte d 1'année. II arrivera de-Ia que les autres colonie feptentrionales qui ont les mêmes produétion que cette Province, & qui n'ont pas de pareil obftacles a furmonter, auront toujours un avan tage décidé fur elle, pour les grandespêcherie: des mers voifines, pour la navigation aux Inde; Occidentales & en Europe. En ce point, l'ifle de Saint-Jean eft plus heureufe.
Lorfque les Anglois s'emparerent de Saincjean, fitué dans le golfe Saint-Laurent, ils eurent la mauvaife politique d'en chaflèr plus de trois mille Francois, qui, depuis peu, y avoient formé des établiflements. La propriété de l'ifle n'eut pas été plutót aflurée au vainqueur par les traités, que Ie Comte d'Egmont defira de s'en voir Ie maïtre. II s'engageoit a fournir, a fes fraix, douze cents hommes armés pour la défenfe de Ia colonie; pourvu qu'il lui fut permis de céder aux mêmes conditions & en ar-
9
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Ce que les ifles de Sr„ Jean, de ia Magdelaine & du cap Breton font devenues, depuis qu'elles ont fubi ie joug A.nglois.



43© SUPPLÉMENTS
riere-fiefs, des portions confidérables de fon territoire. Ces offres étoient agréables a la Cour de Londres: mais une loi portée a 1'époque mémorable du rétablifiement de Charles II, avoit défendu la ceffion du domaine de la Couronne, fous la redevance d'un fervice militaire ou d'un hommage féodal. Les Jurifconfultes prononcerent que ce ftatut regardoic le Nouveau-Monde comme 1'ancien; & cette décifion fit naitre d'autres idéés au Gouvernement.
La longue & cruelle tempête qui avoit agité, ]e globe, étoit appaifée. La plupart des Officiers , dont le fang avoit fcellé les triomphes de l'Angleterre , étoient fans occu pation & fans fubfiftance. On imagina de leur partager le fol de Saint-Jean, fous la condition qu'après dix ans* d'une jouiflance gratuite, ils payeroient chaque année au fifc, comme dans la plupart des Provinces du continent Américain$ 2 liv. 1 o fols 7 den.& demi pour chaque centaine d'acres qu'ils pcfféderoient. Très-peu de ces nouveaux propriétaires avoient la volonté de fe fixer dans ces régions lointaines; très-peu étoient en état de faire les avances qu'exigeoienc des défrichements un peu étendus. Prefque tous céderent, pour plus ou moins de temps, pour une rente plus ou moins modique, leurs droits a des Irlandois f fur-tout a des montagnards Ecofïbis. Le nombre des colons ne s'éleve pas encore au-deffus



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 4p
de douze cents. La pêche de la morue & diverfes cultures les occupent. Ils n'onc aucune liaifon d'affaires avec 1'Europe. C'eft avec Quebec, c'eft avec Hallifax feulemenc qu'ils commercent.
Jufqu'en 1772, Saint-Jean fuc une dépendance de la Nouvelle-EcofTe. A cette époque, il forma un état particulier. On lui donna un Gouverneur, un Confeil, une aflèmblée, une douane, une amirauté. C'eft le port Ia Joie, maintenant appellé Charlocte-Town, qui eft le chef-lieu de la colonie.
Une ifle fl peu étendue ne paroiflbic guere fufcepcible de Ia dignité ou elle étoit appellée par une faveur dont nousignorons Ia caufe.Pour donner une forte de réalité a cec établiflèment, on yatcachales ifles de la Magdelaine, habicées par un petit nombre de pêcheurs de morue & de vaches(marines; on y attacha l'Ifle-Royale , autrefois fameufe, mais qui a perdu fon importance en changeant de domination. Louisbourg. la terreur de 1'Amérique Angloife, il n'y a pas' vingt ans, n'eft qu'un amas de ruines. Les quatre mille Frangois, qu'une défiance injufte & peu raifonnée difperfa après la conquête, n'onc été remplacés que par cinq ou fix cents hommes, moins occupés de pêche que de contrabande. On a même cefle de penfer aux mine* de charbon de terre,



XI.
A quelles époques & dequeüemaniere les Anglois & les Francois s'établirent-ilsa TerreNeuve.
432 SUPPLEMENTS
Ces mines font très-abondantes a 1'Ifle-Royale, d'une exploitation facile, &, en quelque maniere, inépuifables. II y régnoit, fous les anciens poflèflèurs, un défordre que le nouveau Gouvernement a voulu prévem'r, en s'en réfervant la propriété, pour ne Tabandonner qu'a ceux qui auroient des moyens fuffifants pour la rendre utile. Ceux qui formeront cette entreprife avec les fonds néceflaires, trouveront un débouché avantageux dans toutes les ifles occidentales de l'Amérique. Ils en trouveront même fur les cötes & dans les ports du continent feptentrional, oü 1'on éprouve déja la cherté du bois, & oü elle fe fera toujours fentir davantage. Ce genre d'induftrie formera a la colonie une navigation qui s'accroitra fans ceflè, qui accroitra même fes pêcheries : mais non jufqu'au point de jamais égaler celles de Terre-Neuve.
Située entre les quarante-lix, (kc.page 282.
Page 283, après ces mots, brouillard perpétuel, lifez : La décoüverte de Terre-Neuve fut faite, en 1497 , Par 'e Vénitien Jean Cabot. Cet événement n'eut aucune fuite. Au retour de ce grand navigateur, l'Angleterre étoit trop occupée de fes démêlés avec 1'Ecoflè, pour penfer férieufement a des intéréts fi éloignés.
Tfente ans après, Henri VIII envoya deux vaiflèaux pour étudier l'ifle qu'on n'avoit fait d'abord qu'appercevoir. L'un des batiments périt
fur



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 433
fur ces cötes fauvages, & Pautre regagna FEurope fans avoir acquis de lumieres.
Un nouveau voyage, entrepris en 1536, fuc plus utile. Les aventuriers qui Pavoient tenté avec ie fecours du Gouvernement, apprirent i leur patrie qu'on pourroit pêcher a Terre-Neuve une grande abondance de morue. Cette infcruétion ne fut pas tout-a-fait perdue. Bientöc après, de petits batiments partis d'Angleterre au printemps , y revenoienc dans 1'automne avec des cargaifons enrieres de poilFon féché ou falé.
Dans les premiers temps, le terrein nécefTaire* pour préparer la morue, appartenoit au premier qui s'en emparoit. Cet ufage étoit une femence de difcordes. Le Chevalier Hampshrée, qu'EIilabeth envoya, en 1582, dans ces parages avec cinq navires, fut autorifé a afTurer a perpétuité a chaque pêcheur la partie de ia cöte qu'il auroit choifie.
Ce nouvel ordre de chofes multipJia tellemenc les expéditions pour Terre-Neuve, qu'on y vit, en 1615, deux cents cinquante navires Anglois, dont la réunion pouvoit former quinze mille tonneaux. Tous ces Mtiments étoient partis d'Europe. Cene fut que quelques années après qu'il s'y éleva des habitations fixes. Peu-k-peu elles occuperent, fur la- cöte oriëntale, 1'efpace qui s'étend depuis Ia baie de Ia Conception, jufqu'au cap de Raze. Lespêcheurs, placésa quelque, &c Suppl. Tome III. Ee



434 SUPPLÉMENTS
Page 284, après ces mots, deux montagnes, lifez : très-rapprochées, ils trouvoient des armateurs venus de la métropole, qui, en échange des produits de la pêche, fourniflbient a tousleurs befoins.
Les Francoi's n'avoient pas, &c. Ibid. après ces mots, vers Terre-Neuve, lifez : Ils prétendent même avoir fréquenté les cötes de cette ifle dès le commencement du feizieme fiecle. Cette époque peut être trop reculée : mais il eft certain qu'elle eft antérieure a 1'année 1634, temps auquel ils obtinrent, felon leurs rivaux, de Charles I, la liberté de pêcher dans ces parages, en lui payant un droit de cinq pour cent, & bientöt après 1'exemption de ce tribut, également onéreux & humiliant.
Quoi qu'il en foit de cette particularité, donc aucun monument n'a conftaté la certicude, il eft démontré que vers le milieu du dix-feptieme fiecle, Terre-Neuve recevoit annuellement les Francois. Ils ne s'occupoient pas, a la vérité, de la'cöte occidentale de l'ifle, quoique formant en partie le golfe Saint-Laurent, elle fut cenfée leur appartenir : mais ils fréquentoient en aflez grand nombre la fepcencrionale, qu'ils avoient appellée le petit Nord. Quelques-uns s'étoient même fixés fur la méridionale, oü ils avoient formé une efpece de bourgade dans la baie de Plaifance, &c.



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 45S
■ PageaSt, après ces mois, pêche heureufe, Itjez : Encre tous les établiflements donc les Européens ont couvert le Nouveau-Monde, il ne s en trouve point de la nature de celui de TerreNeuve. Les autres ont généralement fervi de tombeau aux premiers colons qu'ils ont recus& fi un grand nombre de ceux qui les ont fbivis s lui feul n'a pas dévoré un feul homme; il a même rendu des forces a plufieurs de ceux que des chmats moins fains avoient épuifés. Les autres ont été un thédtre a jamais odieux d'injuftices d'opreflion, de carnage : lui feul n'a point offenfé 1'humanité, n'a blefle les droics d'aucun peuple. Les autres n'ont donné des produétions qu'en recevant en échange des valeurs égales : lui feul a tiré du fein des eaux une richeffè forl mée par Ia nature feule, & qui fert d'aliment k diverfes contrées de 1'un & 1'autre hémifphere.
Combien il fe pafla de temps avanc qu'on fïc ce parallele ! Qu'étoic-ce aux yeux des peuples que du poiflbn en comparaifon de 1'argent qu'ort alloit chercher dans le Nouveau-Monde? Ce n'eft que tard qu'on a compris, fi même on le comprend bien encore, que Ia repréfentation de la chofe ne vaut pas mieux que Ia chofe même; & qu'un navire rempli de morue & un galion font des batiments également chargés d'or, II y a même cetce différence remarquable, que les mines s'épuifenc & que les pêcheries ne s'éEe 2



436 SUPPLÉMENT S
puifent pas. L'or ne fe reproduit pas, & Panimal ne ceffe de fe reproduire.
La richefiè des pêcheries de Terre-Neuve avoit fi peu frappé la Cour de Verfailles en particulier, qu'elle n'avoit pas fongé a ces parages avant 1660, & qu'elle ne voulut s'en occuper alors que pour y détruire ce que fes fujets y avoient fait de bien, fans fon influence. Elle abandonna la propriété de la baie de Plaifance a un particulier nommé Gargot: mais cet homme avide fut repoufle par les pêcheurs qu on lui avoit permis de dépouiller. L'autorité ne s'opiniatra point a foutenir 1'injuftice dont elle s'étoit rendue coupable; & cependant la colonie n'en fut pas moins opprimée. Tirés de 1'heureux oubli oü ils écoient reftés, les hommes laboneux, que le befoin avoit réunis fur cette terre ftérile & fauvage, furent vexés, fans relache, par les Commandants qui fe fuccéderent dans un fort qu'on avoit conftruic. Cette tyrannie, qui ne
permic, &c.
Pa«e 286, après ces mots, qui 1 incommode, Ufez : Si 1'eitomac de ce poiffon n'avoit pu fe retourner, il auroit été moins vorace. C eft fon organifation qui le rend inadvertant fur les fubfiftances dont il fe nourrit. La conformation des organes eft le principe des appetits dans toutes les fubftances vivantes des trois regnes de la nature.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 437
La morue fe montre dans les mers du Nord de I'Europe, &c.
Page 288 , après ces mots, toute 1'année, lifez a la ligne: Avant de la commencer, on fait une galerie, &c.
Page 289, après ces 'mots, avarier la morue, lifez: Mais un phénomene bien conftaté, c'eft qu'a peine la pêche de ce poiftbn eft commencée, que la mer s'engraiflè, s'adoucit, & que les barques regnent fur la furface des eaux comme fur une glacé polie. Lorfqu'on dépece la baleine, la grailTe qui en découle produit le même effet. Un vaiffeau nouvellement goudronné, appaife la mer fous lui, & autour des batiments qui 1'avoifinent. En 1756, le Docleur Franklin allant si Louisbourg avec une grande Hotte, remarquaque la lague de deux vaifteaux étoit finguliérement unie, tandis que celle des autres étoit agitée. II en demanda la raifon au Capitaine, qui lui expliqua cette différence par la lavure des uftenfiles de cuifine, raifon qui ne fatisfitpasle phyficien; mais dont il reconnut Ia vérité par une fuite d'expériences oü il vit quelques goutr.es d'huile, dont Ia quantité réunie auroit a peine rempli une cuillere, tempérer les' vagues a plus de cent toifes, avec une célérité d'expanfion auffi merveilleufe que fa divifion. II paroit que 1'huile végétale a plüs d'efficacité que I'huile animale. On eftime Ia duréeducalmequi Ee 3



438 SUPPLÉMENTS
en réfulte a deux heures, en pleine mer, pücet effet exige l'eftufion d'un volume d'huile confidérable. Le facrifice de quelqües barils de ce liquide a fauvé de grands batiments d'un naufrage, dont ils étoient menacés paria plus effroyable tempé te.
Malgré une infinité de faits authentiques, jufqu'a préfent il eft douteux que 1'huile, ou en général tous les corps gras, ou fluides, ou divifés, ayent la vertu d'abaiffer la hauteur des flots. Ils parohTent n'avoir d'aétion que contre les brifants.
On dit que la mer brife, lorfqu'elle s'éleve très-haut en bouillonnant & en formant comme des colonnes d'eaux, qui retombent avec violence. Lorfque la mer eft groffe, les vagues montent, mais fe fuivent réguliérement, & les navires obéiflent, fans péril,ace mouvement,qui femble les porter auxnues, ou les defcendreaux enfers. Mais lorfque les vagues font agitées violemment par des vents qui foufflent en fens contraires, ou par quelque autre caufe, il n'en eft pas ainfi. Deux vaiflèaux, aflèz voifins pour fe parler, cefiènt touc-a-coup de s'appercevoir. II s'éleve entre eux une montagne d'eau, qui, venant a éclater & a fondre fur eux, fuffit pour les abymer. Cet état de mer n'eft pas fréquent. On peut voyager long-temps fans y être expofé. Mais 1'emploi de 1'huile n'en garantït-elle qu'ua



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 439
feul Mtiment, fur la multicude de ceux qui couvrenc 1'Océan, dans un grand nombre d'années, l'importance de ce facile fecours feroit encore très-grande.
Les pêcheurs de Lisbonne & ceux des Bermudes rendenta 1'eaulecalme &la tranfparence avec un peu d'huile, qui arrêce tout-acoup 1'irrégularité des réfrach'ons des rayons de la lumiere, & leur permec d'appercevoir le poiffon. Les plongeurs modernes, qui vont chercher la perle au fond de la mer, ont coutume, a 1'exemple des plongeurs anciens, defe remplir Ia bouche d'huile, qu'ils Mchent goutte a goucte, a mefure que 1'obfcurité leur dérobe leur proie. II y en a qui préfument Ia préfence du requin & 1'abondance du hareng, dans les lieuxoü la mer leur offre un calme qui n'exifte pas fur le refte du parage. Les uns diront que c'eft 1'effet de fhuile qui s'échappe du corps du hareng; d'autres qu'elle en fort fous la dent du requin qui le dévore. Ils ufent du même moyen , tantöt pour difcerner les pointes de rocher couvertes dans 1'agitation des flots, tantöt pour arrivera terre avec moins de péril. Pour cet effet, les uns fufpendent au derrière de leurs barques un paquet d'inteftins, remplis de la graiffe du fumal ou pêtrel, oifeau qui vomit toute pure l'huile des poiffons dont il fe nourrit. D'autres remplacent ces inïeftinsparunecruche renverfée, dont l'huile difEe 4



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tille, a difcrétion, par une ouverture faite au bouchon.
Le terrible élement qui a féparé les continents; qui iubmerge les contrées; quichaflè devant lui les animaux, les hommes, & qui envahira tóe ou tard leurs demeures, s'appaifera dans fa fureur, fi vous pafiez &repaflèz, a fa furface, une plume imbibée d'huile. Qui fait quelles peuvent être les fuites de cette décoüverte; fi 1'on peut appelier de ce nom une connoiflance qui ne peut être difputée a Arifioce & ft Plinef Si une plume trempée dans l'huile applanitlesflots» que ne produiront point de Iongues ailes, fans ceflè humeétées du même fluide, & artiftement adaptées a nos vaiflèaux?
Cette idéé n'échappera pas au ridicule de nos efprits fuperficiels : mais eft-ce pour eux qu'on écrit? Nous méprifons trop les opinions populaires. Nous prononcons avec trop de précipitation fur la poflibilité ou 1'impoflibilité des chofes. Nous avons pafte d'un extrémité a l'autre dans notre jugement de Pline le naturalifte. Nos ancêtres ont trop accordé a Ariftote; nous lui avons, nous, plus refufé peut-être qu'il ne convenoit a des hommes, dont le plus inftruit n'en favoit pas aflez, foit pour approuver, foit pour contredire fon Livre des animaux. Ce dédain, je le pardonnerois peut-être a un Buflon, a un Daubenton, a un Linné : mais il m'indigne toujours



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dans celui qui forcant de fa véritable fphere, fuyant la gloire qui vient a lui pour courir après celle qui le fuit, fe hafardera de prononcer fur le mérite de ces hommes de génie, avec une intrépidité qui révolteroit, quand même elle feroit appuyée fur les titres les plus éclatants & les moins contefiés.
Dans le droit naturel, Ia pêche, &c. Page 289, après ces mots, ces parages, lifez : En 1773, la France y envoya cent vingtcinq navires1, qui fbrmoient neuf mille trois cents foixante-quinze tonneaux, & qui étoient montés par feize cents quatre-vingt-quatre hommes. On pric deux millions cent quarante-un milliers de morues, qui rendirent cent vingt-deux barriques d'huile. Le produit fut vendu 1,421,615 livres.
La nation rivale fit une pêche beaucoup plus confidérable. Peu de ceux qui y étoient employés étoient partis d'Europe. La plupart arrivoient de la Nouvelle-Angleterre, de la Nouvelle-Ecoffè, de l'ifle même de Terre-Neuve. Leurs batiments étoient petits, faciles a manier, peu élevés fur 1'eau, & ne donnoient guere de prife aux vents & a 1'agitation des vagues: C'étoient des matelots plus endurcis a la fatigue, plus accoutumés au froid , plus faits i. une difcipline auftere qui les montoient. Ils portoienc avec eux un appat fort fupérieur a celui qu'on trouvoic fur les lieux. Auffi leur pêEe 5



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che fut-elle infiniment fupérieure a celle du Francois. Mais comme ils avoient moins de débouchés que lui ?pour la morue verte, la plus grande partie dupoiffon qu'ils prirent fut porté furies cötes voifines, oü on le convertiiToiten morue feche.
Cette autre morue s'obtient de deux manieres. Celle qu'on nomme pêche errante, appartient aux navires, &c. page 293.
Page 296, après ces mots, grande concurrence , lifez: Des ports de France partirent pour cette pêche, en 1773, cent quatre batiments qui compofoient quinze mille fix cents vingt-.un tonneaux, & qui avoient fept mille deux cents foixante-trois matelots. Cent quatre-vingt-dix mille cent foixante quintaux , & deux mille huit cent vingt-cinq barriques d'huile furent Ia récompenfe de leurs travaux. Ces deux objets réunis rendirent 3,816,580 livres.
Mais commenc eft-il arrivé qu'un Empire dont la population eft immenfe, dont les cötes font très-étendues; qu'un Gouvernement qui a de fi grands befoins, & pour fes Provinces d'Europe, & pour fes colonies du NouveauMonde : commenc eft-il arrivé que la plus importante de fes pêcheries ait été réduite a fi peu de chofes ? Des caufes intérieures, des caufes extérieures ont amené cet événement.
La morue fut long-temps furchargée de droits a I'entrée du Royaume. Sa confommation devoit



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de nouvelles taxes. On efpéroit, en 1764, que ces vexations alloient finir. Le Confeil fe divifa malheureufement. Quelques-unsde fes membres s'oppoferenc a la franchife du poifTon falé, paree que d'autres membres s'étoient déclarés contre 1'exportation des eaux-de-vie de cidre & de poiré. La raifon fe fit entendre. Le fifc confentic, en 1773, au facrifice de la moitié des impofitions arrachées jufqu'alors a cette branche d'indufirie, & deux ans après a 1'abandon entier de cette reflburce peu confidérable.
Le fel eft un article principal & très-principal dans Ia pêche de la morue. Cette production de la mer & du foleil étoit montée a un prix exceffif en France. En 1768, en 1770, on accorda pour un an feulement, & en 1774 pour un temps illimité, aux pêcheurs la liberté de s'en pourvoir chez 1'étranger. Cette facilité leur a été depuis refufée, mais elle leur fera rendue. Le Miniftere comprendra que, fans une extréme néceffité, fes navigateurs n'employoient jamais les fels d'Efpagne & de Portugal de préférence aux fels fort fupérieurs du Poitou & de Bretagne.
Lorfque la morue verte arrivé du nord de 1'Amérique, il refte entre fes différentes couches une quantité confidérable de fel non fondu. Les Fermiers de la Couronne abuferent long-temps de 1'afcendant qu'ils avoient pris dans les réfolu-



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tions publiques pour le faire profcrire comme ïnutile ou même comme dangereux. Ce n'eft qu'après un fiecle de follicitations, de démonftrations, qu'il a été permis de 1'employer, avec beaucoup d'avantages, dans les pêcheries de morue feche.
Les voila donc détruites Ia plupart de ces barrières qu'une Puiflance, peu éclairée fur fes intéréts, oppofoit elle-même a fes profpérités. Voyons ce qu'il faut penfer de celles qu'une odieufe rivalité a élevées.
Terre-Neuve eut autrefois deux maitres. La pacification d'Ucrecht afliira la propriété de cette ifle a la Grande - Bretagne ; & les fujets de la Cour de Verfailles ne conferverent que le droit d'y pêcher depuis le cap Bonavifte, en tournant au Nord , jufqu'a la Pointe-Riche. Mais cette derniere ligne de démarcation ne fe trouvoit dans aucune des cartes qui avoient précédé le traité. Le géographe Anglois Herman Moll fuc le premier qui en paria en 1715, & il la placa au cap Raye.
On étoit aflèz généralement perfuadé qu'il en devoit être ainfi, Jorfqu'en 1764, le Miniftere Bricannique, fur la foi d'une lectre de Prior qui avoit manié 1'affaire des limites, & d'une requête préfentée au Parlement en 1716, par les pêcheurs Anglois, prétendit que c'étoit par les cinquante degrés trente minutes de latitude qu'il fal-



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loic établir Ia Pointe-Riche. Le Confeil de Louis XVdéféra fur-Ie-champ a des autorités qu'il auroit pu concefter: mais ayant découvert Iui-même dans fesarchives une carce manufcrice qui avoit fervi a la négociation, 6c qui plagoic la PointeRiche par les quarante-neuf degrés de latitude, fur Ie bord 6c au nord de la baie desTrois-Ifles, il demanda pour fes titres la même déférence qu'il avojt eue pour ceux qu'on lui avoit préfentés. C'étoit lecri de la raifon 6c de la juftice. Cependant les Francois qui oferenc aller dans 1'efpace contefté efluyerent la honce 6c le dommage de voir leurs bateaux confifqués. Tel étoit 1'état des chofes, lorfque les hoftilités ont recommencé entre les deux nations. II faut efpérer qu'a la paix prochaine, Ik Cour de Verfailles obtiendra le redreffement de ce premier grief.
Elle s'occupera, fans doute, d'un autre bien plus important encore. Ses fujets , par les traités d'Utrecht 6c de Paris, devoient jouir de i'efpace qui s'étend entre les caps Bonavifte 6c SaintJean. Trois mille Anglois y onc formé, a diverfes époques, des établiflements fixes, 6c en ont ainfi néceffairement écarté des navigateurs qui arrivoient tous les ans d'Europe. La France a réclamé contre ces ufurpations, & a obtenu que le Miniftere Britannique prefcriroit a fes pêcheurs d'aller occuper ailleurs leur aétivité. L'ordre n'a pas été exécucé 6c ne pouvoit pas 1 ecre.



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Alors la Cour de Verfailles a demandé, pour équivalent, la liberté de la pêche, depuis la Pointe-Riche jufques vers les ifles Sainc-Pierre & Miquelon. La conciliation paroiflbit devoir réufllr: mais les troubles ont tout dérangé; & c'eft encore un arrangement a atcendre de la paix prochaine.
Elle aflurera aufli aux navigateurs Frangois la pêche exclufive fur la partie de Terre-Neuve qu'ils font autorifés a fréquenter. Ce droit ne leur avoit pas été contefté avant 1763. Jufqu'alors les Anglois s'étoient bornés a y aller pêcher le loup-marin durant 1'hyver : ils avoient toujours fini leurs opérations & quitté la contrée avant le printemps. A cette époque, ils commencerent a fréquenter les mêmes havres que leurs concurrents occupoient feuls auparavant. II falloit que la Cour de Verfailles eut été réduite a 1'humiliation de facrifier les cötes poiflbnneufes de Labrador, de Gafpé, de Saint-Jean , de CapBreton, pour qu'une nation trop fiere de fes triomphes ofac former cette nouvelle prétention. Ses Amiraux porterent même 1'infolence de la victoire jufqu'a défendre aux pêcheurs Francois de fuivre la morue !e dimanche, fous prétexte que les pêcheurs Anglois s'abftenoient d'en prendre ce jour-la. Nous fommes autorifés a penfer que le Confeil de Saint-James n'approuvoic par des entrcprifes fi vifiblement contraires a 1'efprit des



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traités. II fentoit que Ia réferve mife par la France. si la ceflion de la propriété de Terre-Neuve devenoit illufoire, fi fes pêcheurs pouvoient trouver les lieux abondants en poifon occupés par des rivaux , qui, fixés fur les cötes voifines, arriveroienc toujours les premiers. Cependant il fe déterminaa foutenir qu'en toute rigueur, lajouiflance devoit être commune aux deux peuples. II lui auroit fallu plus de force & plus de courage qu'il n'en avoit pour braver les cris de 1'oppofition & des murmures que fa juftice auroit ex» cités. On comptoit aufli fur la foiblefle de Louis XV, & 1'on ne fe trompoit pas. Les circonftances & le caraétere de fon fucceflèur ne font • pas les mêmes. Ce tort fera redrefle avec beaucoup d'autres. II n'eft pas même impoflible que les pêcheries fédentaires de cette Couronne recoivent quelque accroiflbment.
II faut entendre par pêche fédentaire, &c. ; PaSe z99> après ces mots, Les Francois, lifez : jouiflbient de ces avantages avant que les. fautes de leur gouvernement leur euflènt fait perdre les vaftes cerritoires qu'ils avoient dans cette région. La paix de 1763 réduifit leurs établiflements fixes a l'ifle de Saint-Pierre & aux deux ifles de Miquelon, qu'il ne leur fut pas permis de fortifier.
II eft fimple & naturel qu'un conquérant s'ap- * proprie aucant qu'il peut fes conquêces, qu'il



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affbibliflè fon ennemi en s'agrandiflant: mais il ne doit jamais laiflèr des fujets permanents d'humiliation qui ne lui fervent de rien, & qui mettent la rage dans le cceur de ceux dont il a triomphé. Le regret d'une perte s'affbiblit & fe paflè avec le temps. Le fentiment de la honte s'irrite de jour en jour, & ne ceflè point. Le moment de fe développer eft-il arrivé? il fe manifefte avec d'autant plus de fureur, qu'il a duré plus long-temps. Puiflances de la terre, foyez donc modeftes dans les conditions que vous impoferez au vaincu, & dans les monuments par lefquels vous vous propoferez d'éternifer la mémoiré de vos fuccès. II eft impoffible de foufcrire avec fincérité a un paéle déshonorant. On ne trouve déja que trop de faux prétextes, de motifs injuftes pour enfreindre les traités, fans y en ajouter un aufli légitime & auffi preflanc que celui de fe fouftraire a 1'ignominie. N'exigez, dans la profpérité, que les facrifices aux"quels vous vous réfoudriez, fans rougir, dans le malheur. Un monument qui infulte, & fur lequel un ennemi qui traverfe votre capitale ne peut tourner les yeux fans éprouver un mouvement profond d'indignation , eft une perpétuelle exhortation a la vengeance. S'il étoit jamais pofCble qu'une des nations outragées a la place des * Viétoires, oü on les voit indignement enchainées par la plus vile & la plus impudente des
flatteries,



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. U9 fiatteries, entrat viftorieufe dans Paris, je n'eu doute point i la ftatue du Monarque orgueilleux qui agréa cec indifcrec hommage, feroit en un clin d'ceil mife en pieces; peut-être même un reflèntiment, long-temps étoufFé, réduiroit-il en eendres la fuperbe cité qui Ia renferme. Qu'on vous montre couronné de la viéïoire, mais ne fouffrez pas qu'on pofe votre pied fur la tête de votre ennemi. Si vous avez été heureux, fongez que vous pouvez ceffer de 1'être; & qu'il y a plus de honte a détruire foi-même un monument que de gloire a 1'avoir éle vé. Les Anglois auroient peut-être redré leur infpecleur d'un des ports de France, s'ils avoient pu favoir avecquelle impatience il y étoit regardé, & combien de fois les Frangois ont dit au fond de leurs ames, avons-nous encore long-temps a fouffrir cet aviliflèment ?
Saint-Pierre a vingt-cinq lieues de circonférence; un port oü trente petits batiments trouvent un afyle fur; une rade qui peut contenir une quarantaine de vaiflèaux de quelque grandeur qu'ils foient; des cötes propres a fecher beaucoup de morue. En 1773, » y avoit fix cents quatre domiciliés; & un nombre a-peuprès égal de matelots y paflèrent 1'intervalle d'une pêche a l'autre.
Les deux Miquelons, moins importantes fous tous les points de vue, ne comptoient que fix cents quarante-neuf habitants ; & cent vingt-fept SuppU Tome HL Ff



45o SUPPLÉMENTS
pêcheurs étrangers feulement y demeurerent pendant 1'hyvér.
Les travaux de ces infulaires, joints a ceux de quatre cents cinquante hommes arrivés d'Europe fur trente-cinq navires, ne produifirenc que trente-fix mille fix cents foixante & dix quintaux de morue & deux cents cinquante-trois barriques d'huile, qui furent vendus 805,490 livres.
Cette valeur ajoutée a celle de 1,421,615 liv. que rendit la morue verte prife au grand banc; j\ 3,816,580 liv. qu'on tira de la morue féchée fur l'ifle même de Terre-Neuve, éleva, en 1773» la pêche Francoife a la fomme de 6,033,685 livres.
De ces trois produits, il n'y eut que celui de Saint-Pierre & de Miquelon qui recurent les années fuivantes quelque augmentation.
Ces ifles ne font éloignées que de trois lieues de la partie méridionale de Terre-Neuve. Par les traités, la poflèflion des cötes emporte cetce étendue. L'efpace devoit donc être en commun ou partagé entre les pêcheurs Frangois & les pêcheurs Anglois, dont le droit étoit Ie même. La force qui prend rarement confeil de la juftice, s'appropria tout. La raifon ou la politique lui infpirerent a la fin des fentiments plus modérés; & en 1776, elle confentit a une diftribution égale du canal. Ce changement mit Saint-Pierre & les Miquelons en état de pêcher 1'année lui-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 45I vanrt foixante & dix mille cent quatre quintaux de morue feche, & foixante & fèize mille fepc cents quatre-vingt-quatorze morues vertes.
Mais cet accroillèment ne mit pas la France en état d'alimenter les marchés étrangers, comme elle le faifoit vingt ans auparavant. A peine fa pêche fuffifoic - elle a la confommation du Royaume. II ne refioit rien ou prefque rien pouc fes colonies, dont les befoins étoient li étendus Cet important commerce étoit paffé tout entier a fes rivaux, depuis que la vicloire luiavoic donné le nord de 1'Amérique. Ils fournifToienc la morue au midi de 1'Europe & aux lndes Occidentales; ils la fournifTbient même aux ifles Francoifes, malgré 1'impötde quatre francs par quintal dont on 1'avoit chargéepour Ia repouflèr; malgré une gratification de trente-cinq fols par cent pefant, accordée a la pêche nationale. La Grande-Bretagne voyoitavec une douce fatisfaction, qu'indépendamment des confommations faites dans fes divers établiffements, cette branche d'induftrie donnoit, chaque année, h fes fujets de Panden & du nouvel hémifphere, une maffe confidérable de métaux, une grande abondance de denrées. Cet objet dexporcation feroit devenu, &c.
Page 308 , après ces mots, Frangois neutres, lifez : Quelle puiffante exhortation que cet exemple d'attachement & mille autres qui Pont Ff s



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précédé, qui 1'ont fuivi, au Monarque de la France, de travailler fans cefle au bonheur d'une nation fi douce , fi fiere & fi généreufe. Un forfait fut quelquefois le crime d'un individu ou d'une fociété particuliere, mais jamais il ne fut celui des fujets. Ce font les Frangois qui favent fouffrir avec une patience infinie les plus longues, les plus cruelles vexations, & mon-trentles plus finceres, les plus éclatants tranfports de la reconnoifiance , au moindre figne de la clémence de leur Souvérain. Ils 1'aiment, ils le chérifient; il ne tient qu'a lui d'en être adoré. Le Souvérain qu'ils mépriferoient feroit le plus méprifable des hommes; le Souvérain qu'ils haïroient feroit le plus méchant des Souverains. Malgré tous les effbrts que 1'on a faits, pendant des fiecles, pour éteindre dans nosames le fentiment patriotique , il n'exifte peut-être chez aucune nation plus vif & plus énergique. Jen attefte notre allégrefie dans les événertients glorieux qui ne foulageront point notre mifere. Que ne ferions-nous point, fi la félicité publique devoit fuccéder a la gloire de nos .armes?
II y avoit douze a treize cents Acadiens dans la capitale; les autres étoient, &c.
Ibid. après ces mots, tout-a-fait étranger, lifez : La chafle qui avoit fait anciennement les délices de la colonie, & qui pouvoit encore la nourrir, ne touchoit plus un peuple fimple , &c,



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Page 311 , après ces mots, dix-huit mille ames, lifez : Qui eft-ce qui ne fera pas tou. ché de 1'innocence des mceurs & de la tranquillité de cette heureufe peuplade ? Qui eft-ce qui ne fera pas des vceux pour la durée de fon bonheur? Qui eft-ce qui n'éleve pas, par Ia penfée, une muraille inexpugnable qui fépare ces colons de leurs injuftes 6c turbulents voifins? On ne voit point de terme au mal-être des peuple ; le terme de leur bien-être eft au contraire toujours prochain. II faut une longue fuite d'événements favorables pour les tirer de Ja mifere ; il ne faut qu'un inftant pour les y précipiter. Puiflènt les Acadiens être exceptés de cette malédiéh'on générale! Hélas, je crains bien qu'il n'en foit rien!
Les Anglois fentirent, en 1749, de quel profit, &c.
Page 3X5» après ces mots, Ia NouvelleEcoflè, lifez : ne fit que languir. L'envie , qui avoit dépeuplé cette terre, fembla 1'avoir flétrie. Du moins la peine de 1'injuftice retomboitelle fur les auteurs de 1'injuftice. Les calamités fi multipliées en Europe, y pouflèrent a la fin quelques malheureux. On en comptoit vingt-fix mille en 1769. La plupart étoient difperfés. On ne les voyoit réunis en quelque nombre, qu'k Hallifax, a Annapolis & a Lunebourg. Cette derniere peuplade, formée par des Allemands, Ff 3



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étoient la plus floriflante. Elle devoit fes progrès a cet amour du travail, a cette économie bien ordonnée, caraéleres diftinctifs d'une nation fage & belliqueufe, qui, contente de défendre fon pays, n'en fort guere que pour aller cultiver des contrées qu'elle n'eft point jaloufe de conquérir.
Cette année, la colonie expédia quatorze navires & cent quarante-huit bateaux , qui for-moient lept mille trois cents vingt-quatre tonneaux. Elle recuc vingt-deux navires & cent vingt bateaux , qui formoient fept mille fix tonneaux. Elle conftruifit trois chaloupes, qui ne paflbient pas cent dix tonneaux.
Ses exportations pour la Grande-Bretagne & pour les autres parties du globe, ne pafierent pas 729,850 liv. 12 fols 9 den.
Malgré les encouragements que la métropole n'avoit cefie de prodiguer a cet établiflement, pour accélérer fes cultures, il avoit luimême emprunté 450,000 liv., dont il payoit nn intérêt de fix pour cent. II n'avoit pas alors de papier-monnoie, & n'en a pas depuis imaginé.
Les troubles qui bouleverfent maintenant 1'Amérique Septentrionale, ne font pas arrivés jufqu'a la Nouvelle-Ecoflè. Elle en a même tiré quelques avantages. Sa population a été portée s* quarante mille ames, par 1'arrivée des citoyens



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circonfpefts ou pufillanimes, qui fuyoienc Ia guerre. La néceffité de pouvoir aux befoins des armées & des flottes Britanniques, a fait multiplier les fubfiftances. Un numéraire immenfe jetté dans la circulation par les troupes, a tout animé, communiqué aux hommes & aux chofes un mouvement rapide.
Si les autres colonies fe détachent enfin de leur métropole, & que la Nouvelle-Ecoflè lui foitconfervée, cette Province, qui n'étoit rien, deviendra trés-importante. Aucun moyen de profpérité ne lui manque. Ses paturages font propres a 1'éducation des troupeaux , & fes champsala mulciplication des grains, fur-tout aj la culture du lin 6c du chanvre. On connoic peu de cötes auffi favorables que les fiennes aux grandes pêcheries; 6c fes bateaux peuvent faire aifément fept voyages au grand banc de Terre-Neuve , lorfque ceux de la NouvelleAngleterre n'en font que cinq avec beaucoup de difficulté. Les ifles Angloifes lui fournironc des débouchés fürs, faciles 6c prefque exclufifs.
La craince d'une invafion ne tiendra pas les efprits dans 1'inquiétude. Hallifax, qui n'étoit autrefois défendu que par quelques batteries , bien ou mal difpofées, eft maintenant entouré de bonnes fortificatipns, qu'on peut augmenter encore.
La Nouvelle-Angleterre, 6cc.
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Page 319 , après ces mots, leurs vertus, lifez : Le 6 Septembre 1621, ils s'embarquerent 9 Plimouth, au nombre de cent vingt perfonnes, fous les drapeaux de Penthoufiafme, &c.
Page 320, après ces mots, en Amérique,//'fez : L'année fuivante, il en arriva un fi grand nombre, que ce fut une nécelfité de les difperfer. Les peuplades qu'ils établirent formerent la Province de Mafiachufer. Bientöt fortirent de fonfein les colonies du nouvel Hampshire, de Connedticut & de Rode-Ifland, qui furent autant d'Etats féparés, & qui obtinrent chacune une charte particuliere de la Cour de Londres.
Le fang des martyrs fut, dans tous les lieux & dans tous les temps, une femence de profélytifme. On n'avoit vu d'abord paftèr en Amérique , que quelques Eccléfiaftiques, privés de leurs bénéfices pour leurs opinions; que des fectaires obfcurs, que les dogmes nouveaux s'attachent en foule parmi le peuple. Les émigradons devinrent peu-a-peu communes dans d'autres clafiès de citoyens. Avec le temps même, les plus grands Seigneurs que I'ambition, 1'humeur ou la confcience avoient entrainés dans le puritanifme, imaginerent de fe ménager d'avance un afyle dans ces climats éloignés. Ils y firenc batir des maifons, &c.
Page 321, après ces mots, leur tranquillité, lifez : Ce ne fut qu'en 1630 qu'ils fentirent la



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néceffité de donner une forme a leur colonie.
On convint, a cette époque, d'avoir tous les ans une alTemblée dont les députés feroient nommés par Ie peuple, oü ne pourroit fiégerque les membres de 1'Eglife établie, & qui lèroit préfidée par un chef, fans autorité particuliere. II fut fait en même-temps deux réglements remarquables. Le premier nxoit le prix du bied. Par le fecond, les fauvages devoient être dépouillés de toutes les terres qu'ils ne cultiveroienc pas; & i! étoit défendua tous les Européens, fous peine d'une forte amende, de leur vendre des liqueurs fortes ou des munitions de guerre.
Le Confei! national étoit chargé de régler les affaires publiques. C'étoit encore une de fes obligations dejugertous les procés : mais avec les feules lumieres de Ia raifon, & fans le fecours ou 1'embarras d'aucun code.
On n'imagina pas non plus des loix criminelles : mais celles des Juifs furent adoptées. Le fortilege, le blafphême, Paduitere, le faux témoignage furent punis de mort. Les enfants affez dénaturés pour frapper ou pour maudire les auteurs de leurs jours, attiroient fur eux le même chatiment. Ceux qui feroient furpris en menfonge, dans 1'ivreffe ou a la danfe, devoient être fouettés publiquement, & le plaiflr étoit interdit comme Ie vice ou le crime. Le jurement & la violation du Dimanche étoient expiés par
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une forte amende. C'étoit encore une douceur d'expier avec de 1'argent une omülion de priere ou un ferment indifcret.
Cette conduite annonce un peuple livré a la plus vile fuperftition. Elle fut pouflee fi loin, qu'on changea le nom des jours & des mois, comme ayant une origine payenne. Le nom de Saint fut également öté aux Apötres, k leurs fuccefleurs, a tous les lieux connus fous cette dénomination, afin de n'avoir pas cette apparence de communauté avec 1'Eglife de Rome» D'autres innovations aufli bizarres font encore atteftées par les monumencs les plus autbentiques.
II eft également prouvé que le Gouvernement défèndit, fous peine de mort, aux puricains, le culte des images, comme autrefois Moïfe avoit défendu aux Hébreux le culte des Dieux étrangers ; que la même punition étoit décernée contre lesPrêtres Catholiques qui reviendroiencdans la colonie après en avoir été bannis.
Toute 1'Europe fut étonnée, &c.
Page 323, après ces mots, des dévots, lifez: Tel eft 1'indélébile & funefte caraélere des malheurs engendrés par la fuperftition , qu'ils ne ceffent jamais que pour fe renouveller. Tous les cultes partent d'un tronc commun , qui fubfifte & qui fubfiftera a jamais, fans qu'on ofe 1'attaquer, fans qu'on puiflè prévoir la nature des branches qu'il repouflèra, fans qu'il foit permis d'ef-



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pérer d'en arracher une feule qu'avec effufion de fang. II y auroit peut-être un remede, ce feroit une fi parfaite indifférence des gouvernements, que, fans aucun égard a Ia diverfitédescultes,les talen ts & la vertu conduififlènt feuls aux places de 1'Etat & aux faveurs du Souvérain. Alors, peut-être, les diiférentes Eglifes fe réduiroient a des différences infignifiantes d'école. Le Catholique & Ie Proteftant vivroient auffi paifiblement 1'un a cóté de l'autre, que Ie Cartéfien & le Newtonien. Nous difons peut-être, paree qu'il n'en eft pas des matieres de religion, ainfi que des matieres de philofophie. Le défenfeur du plein ou du vuide ne croit ni offbnfer, ni honorer Dieu par fon fyftême. Le plus zélé ne compromettroit pour fa défenfe ou fa propagation, ni fon repos, ni fon honneur, ni fa fortune, ni fa vie. Qu'il perfifte dans fon opinion ou qu'il 1'abandonne, on ne 1'appellera point apoftat. Ses lecons ne feront point traitées d'impiétés & de blafphêmes; comme il arrivé dans les difputes de Religion, oü 1'on croit la gloire de Dieu intéreffée; oü 1'on tremble pour fon falut a venir, & pour la damnation éternelle des fiens; oüces confidérations fanétifient les forfaits, & réfignent a tous les facrifices.
Que faire donc? Faut-il, a 1'exemple d'un peuple innocent & fimple, qui voyoit I'embrafement religieux pret a gagner fa paifible con-



46o SUPPLÊMENTS
trée, défendre de parler de Dieu, foit en bien, foiten mal ? Non, certes. La loi d'un filence qu'on fe feroit un crime d'obferver, ne feroit que de l'huile jettée fur le feu. Faut-il laifièr difputer fans s'en mêler? Ce feroit le mieux fans doute: mais ce mieux-la ne fera point fans inconvénient, tant que les premières années de nos enfants feront confiées a des hommes qui leur feront fucer avec le Iait le poifon du fanatifme dont ils font enivrés. Et quand les peres deviendroient les feuls inftituteurs religieux de leurs enfants, n'y auroitil plus de défordre a craindre? J'en doute. Encore une fois, que faire donc ? Sans cefTe parler de 1'amour de nos femblables. On lit de l'ifle de Temate, que les Prêtres y étoient muets. II y avoit un temple; au milieu du temple une pyramide, & fur cette pyramide :Adore Dieu,
observe les loix, ai me ton pro-
chain. Le temple s'ouvroit un jour de la Cemaine. Les infulaires s'y rendoient. Tous fe profternoient devant la pyramide; le Prêtre, debout I cóté, en filence, montroit de 1'extrémité de fa baguette 1'infcription. Les peuples fe relevoient, fe retiroient, & les portes du temple fe refermoient pour huit jours. J'aflurerois bien qu'il n'eft mention dansles annales de cette ifle, ni de difputes, ni de guerres de Religion. Mais oü verrat-on jamais un Miniftere indifférent, un catéchifme aufli court, & un Prêtre muet? Tachons



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 461
donc de nous réfigner a toures les calamités d'un Miniftere intolérant, d'uncatéchifme compliqué, & d'un Prêtre qui parle.
Ces malheurs fondirent fur les infortunés habitants de la Nouvelle-Angleterre, qui, moins furieux que leurs freres, &c.
Page 324, après ces mots, chercher un autre, ajoutez, expofé a moins d'orage. Cette maladie de Religion, &c. Page 326,après ces mots, avoit été portee, lifez : Un peuple mélancolique par caraétere, étoit devenu fombre & farouche. Le fangde fon Monarque couloit encore a fes yeux. Les uns pleuroient en fecret ce grand aftaffinat; les autres en auroient volontiers fait un jour de fête. La nation étoit divifée en deux partis violents. Ici, 1'on préparoit la vengeance; la , on s'occupoit a la prévénir par des délations toujours fuivies d'exils, d'emprifonnements & de fupplices. La méliance féparoit les peres des enfants, les amis des amis. Le tyran ombrageux étoit entouré de courtifans ombrageux qui entretenoient fes allarmes, foit pour s'élever aux grandes places de 1'Etat, foit pour en faire tomber leurs ennemis ou leurs rivaux. La hache étoit fufpendue fur toutes les têtes. La fréquence des révoltes occafionnoit Ia fréquence des exécutions; & les exécutions fréquentes de perfonnages illuftres & de citoyens obfcurs, perpétuoient la terreur populaire. Cromwel difparut enfin. L'enthoufiafme,



46a SUPPLÉMENTS
Phypocrifie, le fanatifme concentrés dans fon fein comme dans leur foyer; les faétions, les révoltes , les profcriptions : tous ces monftres defcendirent avec lui dans la tombe. Un jour plus ferein commenca a luire fur l'Angleterre. Charles II, en recouvrant 1'Empire, introduific parmi fes fujets l'efprit de fociété, &c.
Page 326, après ces mots, fur 1'échafaud, /z« fez :l\eui pour apötres de fes principes une multitudede femmes galantes, defavorisdébauchés, de beaux-efprits libertins. En peu de temps il changea les mceurs générales; & il ne falloit pas moins qu'une femblable, &c.
Page 330, après ces mots, cette colonie, lifez : conferverent encore de trop fortes teintes du fanatifme & de la férocité qui avoient fignalé les triftes jours de fa naifiance.
La pecite-vérole, qui efl: moins ordinaire, mais plus meurtriere en Amérique qu'en Europe, caufoit, en 1721, des ravages inexprimable a Maffachufet. Cette calamité fait penfer a 1'inocularjon. Pour prouver 1'efficacité de cet heureux préfervatif, un Médecin habile & courageux inocule fa femme, fes enfants & fes domeftiques; il s'inocule lui-même. On 1'infulte; on le regarde comme un monftre vomi par 1'enfer; on le menace de 1'aflafliner. Ces fureurs n'ayant pas empêché un jeune homme très-intéreffant de recourir a cette pratique falutaire, un fcélérat fuperftitieux monce a fa fenêtre durant la nuk, & jetce dans



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 463
Ia chambre une grenade remplie de matieres combuftibles.
Les citoyens les plus raifonnables ne font pas révoltés de tant d'atrocité; & leur indignation fe porte fur les efprits hardis qui aiment mieux recourir au favoir des hommes que de s'en rapporter aux vues de la Providence. Le peuple eft affermi par ces difcours infenfés dans la réfolution de ne pas fouffrir une nouveauté qui doit attirer fur 1'Etat entier les infaillibles & terribles effers du courroux célefte. Le Magiftrat qui craint une fédition, ordonne aux Médecins de s'aflèmbler. Par conviétion, par foibleffe ou par politique, ils déclarent 1'inoculation dangereufe. Un bill la défend; & ce billeft recu avec un applaudifTement dont il n'y avoit point d'exemple.
Vous fentez vos cheveux s'agiter fur votre front. Vous frémiflèz d'horreur; & vous avez oublié les obftacles que cette pratique falutaire a trouvés parmi vous; & vous ne penfez pas que vous auriez commis les mêmes atrocités il y a deux cents ans. Avouez donc enfin les fervices importants que vous a rendus le progrès des lumieres. Ayez pour leurs promoteurs le refpecl & la reconnoiftance que vous devez a des hommes utiles qui vous ont garantis de tant de crimes que vous eufliez commis par ignorance & par fuperftition.



46*4 SUPPLÉMË.NTS
Peu d'années après, s'ouvre «ne nouvelle feene encore plus atroce. Depuis long-temps, on accordoit dans ces Provinces une odieufe prime ü ceux des colons qui donnoient la mort a quelque Indien. Cette récompenfe fut portée en 1724 a 2,250 liv. John Lovewel, encouragé par un prix fi confidérable, forme une compagnie d'hommes féroces comme pui pour aller h la chalfe des fauvages. Un jour il en découvrit dix, paifiblemenc endormis autour d'un grand feu. II les malTacra , porta leur chevelure a Bolton, & recut la récompenfe promife. Anglo-Américains , ofez a préfent adrefTer quelques reproches aux Efpagnols? Qu'ont-ils fait? qu'auroient-ils pu faire de plus inhumain ?.... Et vous étiez des4iommes? & vous étiez des hommes civilifés? & vous étiez des Chrétiens ? Non. Vous étiez des monfïres a exterminer; vous étiez des monllres contre lefquels une ligue formée eüc été moins criminelle que celle que Lovewel forma contre les fauvages. Si Ie lecteur me demandé la date de cette fcéléracefle ; fi elle eft de la fondation de la colonie ou d'un temps moderne, j'efpere qu'il me difpenfera de lui répondre.
Des loix trop féveres fubfiftent toujours dans ces contrées. On jugera de ce rigorifme par Ie difcours que tint, &c.
Page 335, après ces mots, fe multiplier, li'
fez:



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 465
fez; Ce difcours, qu'on entendroit fouvent dans nos contrées & par-touc oü 1'on a attaché des idéés morales a des afbons phyfiques qui n'en component point, fi les femmes y avoient 1'intrépidité de Polli Baker, c'étoit Ie nom de 1'accufée; ce difcours produific dans Ja NouvelleAngleterre une révolution étonnante dans tous les efprits. Le tribunal la difpenfa de Tarnende ou du chatiment, &c.
t Paëe 338 , après ces mots, a fa volonté, lifez .-Leur indépendance de la métropole n'étoit guere moins entiere. En confentant a ces établilïèmentson avoit réglé que leur code ne contrarieroit en rien la légiflarion de la mere patrie; que le jugement de tous les grands crimes, commis fur leur territoire, lui feroit réfervé; que leur commerce viendroit tout entier aboutir a fes rades. Aucun de ces devoirs ne fut rempli. D'autres obligations moins importantes étoient également négligées. L'efprit républicain avoit déja fait de trop grands progrès, pour qu'on fe tint lié par ces arrangements. La foumiffion des colons fe bornoit h reconnoitre vaguement Ie Roi d'Angleterre pour leur Souvérain.
MalTachufet, Ia plus florifTante des quatre Provinces, fe permettoit encore plus de chofes que les autres, & fe, les permettoit plus ouvertement. Une conduite fi fiere attira fur elle Je
Suppl. Tome III. Gg



466 SUPPLÉMENTS
reffendment de Charles IL Ce Prince annulla, en 1684, la charte que fon pere avoit accordée; il établit une adminiftration prefque arbitraire , & ne craignit pas de faire lever des irapots pour fon propre ufage. Le defpotifme ne diminua pas fous fon fuccelTeur. Aufli, a la première nouvelle de fa deftitudon , fon Lieutenant fut-il arrêté, mis au fers, & renvoyé en Europe.
Guillaume III , quoique très-fatisfait de ce zelè ardent, ne rétablitpas Maflachufet dans fes anciennes prérogatives, comme elle Ie dellroit, comme elle 1'avoit efpéré peut-être. II lui rendit, a la vérité, un titre, mais un titre qui n'avoit prefque rien de commun avec le premier.
Par la nouvelle charte, le Gouverneur nommé par la Cour devoit avoir le droit exclufif de convoquer, de proroger, de diflbudre 1'aflTembIée nationale. Seul, il pouvoit donner la fanébon aux loix portées, aux impöts décidés par ce corps. Lanomination de tous les emplois militaires appartenoit a ce Commandant. Avec le Confeil, il avoit le choix des magiftrats. Les deux chambres n'avoient la difpolidon des autres places moins importantes que de fon aveu. Le trélbr public ne s'ouvroit que par fon ordre, appuyé du fuffrage de fon Confeil. Son autorité portoit encore fur quelques points, qui gênoient beaucoup la liberté. Conneéticut & Rhode-Ifland,



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 467
qui avoient a propos conjuré 1'orage par leur foumiflion, reftoient en poflèflion de leur contrac primitif. Pour le Nouvel-Hampshire, il avoit toujours été conduit fur des principes aflez femblables a ceux qu on adoptoit pour Maflachufet. Un même chef régiffoit les quarre Provinces ; mais avec les maximes qui convenoienc a la conftitution de chaque colonie.
Suivant un tableau publié par le congrès général du continent de 1'Amérique Angloife, il fe trouve quatre cents mille habitants a Maflkhufet; cent quatre-vingt-douze mille a Conneéticüt; cent cinquante mille aHampshire; cinqaante-neuf mille fix cents foixante-dix-huit a Rhode-Ifland: ce qui forme dans ce feul établiflèment une population de quatre-vingt-un mille fix cents foixante-dix-huit ames.
Une fi grande multiplication d'hommes fem.N bleroit annoncer un fol excellent. II n'en efl: pas ainfi. A 1'exception de quelques cantons du Conneéticut, les autres terres étoient originairemenc couvertes de pins, & par conféquent ftériles touta-fait ou très-peu fertiles. Aucun des grains d'Europe n'y profpere; & jamais leur produic n'a pu fuffire a la nourriture de fes habitants. On les a toujours vu réduits a vivre de maïs, ou a tirer d'ajlleurs une portion de leur fubfiftance. Auffij, quoique Ie pays foit aflèz généralement propre aux fruits, aux légumes, aux troupeaux, leg Gg 2



468 SÜPPLÉMENTS
campagnes ne font-elles pas la partie la plus intérefiante de ces contrées. C'eft fur des cötes hérüTées de rochers, mais favorables a la pêche, que s'eft portée la population, que l'activné s'eft accrue, que 1'aifance eft devenue commune.
L'infuffifance des récoltes dut exciter plutöt & plus vivement 1'induftrie dans la NouvelleAngleterre, que fur le refte de ce continent. On y conftruific même, pour les navigateurs étrangers . beaucoup de navires, dont les matériaux, aujourd'hui chers & rares, furent long-temps communs & a bon marché. La facilité de fe procurer du poil de caftor, donna naiffance a une fabrique de chapeaux fort confidérable. Des toiles de lin & de chanvre fortirent des atteliers. Avec la toifon de fes moutons, la colonie fabriqua des étoffes d'un tiiïu groilier, mais ferré.
A ces manufacmres, qu'on pourroit appelier nationales, s'en joignit une autre alimentée par des matieres étrangeres. Le fucre donne un réfidu, connu fous le nom de fyrop ou de melalTe. Les nouveaux Anglois 1'allerent chercher aux lndes Occidentales, & le firent d'abord fervir, en nature, a divers ufages. L'idée leur vint de le diftiller. Ils vendirent une quantité prodigieufe de cette eau-de-vie aux fauvages voifins, aux pêcheurs de morue, a toutes les Provinces fepr itrionales; ils la porterent même aux cötes d Afrique, oü ils la livrerent avec un avantage



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 469
marqué aux Anglois, occupés de J'achac des efclaves.
Cette branche de commerce & d'autres circonftances mirent les nouveaux Anglois a portée de s'approprier une partie des denrées de 1'Amérique, foit Méridionale, foit Sepcentrionale. Les échanges de ces deux régions, fi néceflaires 1'une k Pautre, pafTerent par leurs mains. Ils devinrent comme les courtiers, comme les Hollandois du Nouveau-Monde.
Cependant, la plus grande refiburce de ces Provinces, ce fut toujours la pêche. Sur leurs cötes même, elle eft très-confidérable. II n'y a point de riviere, de baie, de port oü 1'on ne voie un nombre prodigieux de bateaux occupés k prendre le faunion, 1'efturgeon, la morue, d'autres poiflbns, qui trouvent tous un débouché avantageux.
La pêche du maquereau, feite principalemenc a 1 embouchure du Pentagoet, qui fe perd dans a baie de Fundi ou Francoife, a 1'extrémité de la colonie, occupe durant le printemps & durant 1'automne, quatorze ou quinze cents bateaux & deux mille cinq cents hommes.
La pêche de la morue eft encore plus utile k ia Nouvelle-Angleterre. De fes ports nombreux fortent tous les ans pour différents parages plus ou moins voifins, cinq eens batiments de cinquante tonneaux avec quatre mille hommes d'éGg 3



470 SUPPLE M tN'TS
quipage. Ils pêchent au moins deux cents cinquante mille quintaux de morue.
La baleine occupe aufli ces colonies. Avant 1763, la Nouvelle-Angleterre faifoit cette pêche en Mars, Avril & Mai, dans le golfe de la Floride; & en Juin, Juillet, Aoüt, a 1'eft du grand banc de Terre-Neuve. On n'y envoyoit alors que cent vingt chaloupes, de foixante dix tonneaux chacune , & montées par feize cents hommes. En i;70-^ cette pêche occupa 7,290 matelots. I! faut dire les raifons d'une augmentation fi confidérable.
Le defir de partager la pêche de la baleine avec les Hollandois agita long-temps la GrandeBretagne. Pour y réuflir, on déchargea vers la fin du regne de Charles II, de tous les droits de douane, le produit que les habitants du Royaume obtiendroient a cette pêche dans les mers du Nord : mais cette faveur ne s'étendit pas aux colonies, dont l'huile & les fanons de baleine devoient un droit de 56 liv. 5 fols par tonneau h leur entrée dans la métropole; droic qui n'étoit réduit a la moitié que lorfqu'ils y étoient importés par fes propres navires.
A cet impöt, déja trop onéreux, on en ajouta un autre, en 1699, de 5 fols 7 den. par livre pefant de fanons, qui portoit également fur 1'Amérique & fur 1'Europe. Cette nouvelle taxe eut des fuites fi funeftes, qu'il fallut la fuppri-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 471
mer en 1723 : mais elle ne fut éteinte que pour les baleines prifes en Groenland, aü détroit de Davis ou dans les mers voifines. La pêche du continent feptentrional refta toujours affervie au droit nouveau comme au droit ancien.
Le Miniftere s'appercevant que 1'exemption d'impöt n'étoit pas fuffifante pour réveiller 1'émulation Angloife, eut recours aux encouragements. On accorda, en 1732, une gratification de 22 liv. 10 fols, & feize ans après une de 45 livres pour chaque tonneau des vaiflèaux employés a une pêche fi intéreffante. Cette générofité du Gouvernement produifit une partie du bien qu'on en attendoit. Cependant, loin de pouvoir entrer en concurrence dans les marchés étrangers avec fes rivaux, la Grande-Bretagne fe vit encore obligée d'acheter d'eux tous les ans, pour trois a quatre cents mille livres d'huile ou de fanons de baleine.
Tel écoit 1'état des chofes, lorfque les mers Francoifes de 1'Amérique Septentrionale devinrent, a la paix derniere , une poflèflion Bri- tannique. Aufli-töt les nouveaux Anglois y naviguerent en foule pour prendre la baleine qui y eft très-commune. Le Parlement les déchargea des tributs fous lefquels ils avoient gémi; & leur aélivité redoubla encore. Elle doit fe eommuniquer naturellement aux colonies voifines. Et il eft vraifemblable que les ProvincesGg4



472 SUPPLÉMENTS
Unies perdront, avec le temps, cette importante branche de-leur commerce.
La pêche de la baleine fe fait dans Ie golfe Saint-Laurent & dans les parages qui le joignent fur des mers moins orageufes , moins embarralTées de glacés que le Groenland. Dès-lors, elle commence plucöc & finit plus tard. On y éprouve moins d'accidents facheux. Les navires qui y font employés font moins grands, moins chargés d'équipages. Ces raifons doivent donner au continent Américain des avantages que 1'économie Hollandoife ne parviendra jamais a balancer. Les Anglois d'Europe eux mêmes fe flattoienc de panager avec leurs colons cette fupériorité; paree qu'ils comptoient joindre au bénéfice de la pêche celui qu'üs devoient faire fur la vente de leurs cargaifons; reffource refufée aux navigateurs qui fréquentent le détroit de Davis ou les mers du Groenland.
Les produétions vénales de la Nouvelle-Angleterre font la morue, l'huile de poifTon , la baleine, le fuif, le cidre, les viandes falées, le maïs , les pores & les bceufs , la potafTe, les légumes, les matures pour les navires marchands, pour les vaiflèaux de guerre, & des bois de toutes les efpeces. Les Acores, Madere,les Canaries, le Portugal, 1'Efpagne, PItalie , la Grande - Bretagne, & principalement les lndes Occidentales, ont confommé jufqu'ici ces denrées.



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 473
1 En 1769, les exportations des quatre Provinces réunies s eieverenc a 13,844,430 liv. 19 fols 5 den. Mais cette colonie recut habituellement plus qu'elle ne donna, puifqu'elle dut conflammenc a fa métropole vingc-quatre ou vingt-cinq millions de livres.
II part quelques batiments de toutes les rades extrêmement multipliées fur ces cötes. Cependant les principales expéditions de Conneéticut fe font a Naw-Hawen; celles de Rhode-Mand, a New - Porth; celles de Hampshire, a Portfmouth ; & celles de Maflachufet a Bofton.
Cette derniere cité qu'on peut regarder comme la capitale de la Nouvelle-Angleterre, eftfituée dans une péninfule, &c. page 346.
Page 348, après ces mots, autour du port, lifez : Elle comptoic, avant les troubles, trentecinq ou quarante mille habitants de diverfes fe&es. Le logement, les meubles, &c.
Ibid. après ces mots, dans les terres, lifez : Cette contrée fut décoüverte vers le commencement du dix-feptieme fiecle, par Henri Hudfon, fameux navigateur Anglois, qui étoit alors aufervice de la Hollande. Ilentra dans un fleuve confidérable auquel il donna fon nom , en reconnut légérement les rives, & remit a la voile pour Amfterdam, d'oü il étoit parti. Un fecond voyage de 1'aventiirier donna de cette fauvage région quelques nocions moins fuperficielles.
Gg 5



474 SUPPLÉMENTS
Dans le fyftême des Européens, &c. Vage 349, après ces mots. La république, lifez : qui ne vit dans la propriété qu'on ne lui difputoit plus, qu'un établiflèment de commerce pour le caftor & pour d'autres pelleteries, la céda a la compagnie des lndes Occidentales. Ce corps dirigea toute fon aétion vers ces fauvages richeflès; & pour s'en approcher le plus qu'il étoit poflible, fit élever fur les bords de la riviere d'Hudfon, a cent cinquante milles de la mer, le fort d'Orange, qu'on a depuis nommé Albani. C'étoit-la qu'on apportoit a fes agents des fourrures, & qu'ils donnoient en échange aux Iroquois des armes a feu & des munitions de guerre, pour combattre les Francois arrivés depuis peu dans le Canada.
Alors, laNouvelle-Belge n'étoit qu'un comptoir. La ville d'Amfterdam comprit qu'une colonie feroit judicieufemenc placée dans cette partie du Nouveau-Monde; & en obtint aflèz aifément la ceflïon en donnanc fept cents mille francs a fes propriétaires.
Des vues plus étendues exigeoient d'autres arrangements. On laifla fubfifter le pofte placé au voifinage des cinq nations: mais il parut nécelTaire d'en établir un plus confidérable a 1'embouchure de la riviere, dans l'ifle de Manahatan; & 1'on y bkil la Nouvelle-Amfterdam. La ville, fon territoire, le refte de la Province ne



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 475
furent jamais croublés par les fauvages voifins, les uns trop foibles, & les autres toujours en guerre avec les Francois. Aufli cette poflèflion faifoit-elle des progrès aflèz rapides, lorfqu'un orage inattendu vinc crever fur elle.
L'Angleterre, qui n'avoit point, &c.
Page 350, après ces mots, de guerre, lifez: L'hoftüké, ainfi commife, eft une lache perfidie. C'eft 1'aclion d'une horde de fauvages & non d'un peuple civilifé , d'un aflaflin de nuit & non d'un Prince guerrier. Celui qui aura quelque confiance dans fes forces & quelque élévation dans 1'ame ne furprendra point fon adverfaire endormi. S'il vous eft permis d'abufer de ma fécurité, je puis aufli abufer de la vötre. Vous me contraignez, & je vous force d'être fans ceflè en armes; 1'état de guerre eft permanent, & la paix n'eft qu'un mot vuide de fens. Ou vous avez quelque jufte motif de m'attaquer, ou vous n'en avez aucun. Si vous n'en avez aucun , vous êtes un brigand dangereux contre lequel tous devroient fe réunir & qu'ils font en droit d'exterminer. Si vous en avez un, notifiez-le. C'eft le refus de réparer une injure ou de reftituer une chofe ufurpée qui vous autorifera a vous jetter fur mes poflèflions. Avant que d'être agreflèur, convainquez - moi d'injuftice. Ayez 1'approbation de 1'univers. Tout ce que je puis vous permettre, c'eft de préparer fe-



476* SUPPLÉMËNTS
XXV. La colonie eft abandonnée au Duc d'Yorck. Principes fur lefquels
crétemenc votre vengeance; c'eft de dilïïmuJer vos projets, fi 1'on s'en allarme, & de ne laiffer aucun intervalle entre le déni de juftice & 1'hoftilicé. Si vous êtes le plus foible, fuppliez & foufFrez. Paree qu'on eft un ufurpateur, faut-il que vous foyez un traïtre ? Méprifez la maxime commune; & ne fuppléez ni a la force qui vous manque, ni au courage qui vous compromettroit, par la fourberie. Ayez fans ceffe préfent le jugement de votre fiecle & celui de la poftérité.
Au mois d'Aoüt 1664, une efcadre Angloife mouilla fur les cötes de la Nouvelle-Belge, dont Ia capitale fe rendit a la première fommation. Le refte de la colonie ne fit pas plus de réfiftance. Cette conquête fut aflurée au vainqueur par la paix de Breda. Mais il en fut dépouillé par la République, en 1673, quand les intrigues de la France eurent brouillé ces Puiflances maritimes, qui, pour leurs intéréts, n'auroient jamais dü 1'être. Un fecond traité rendit encore, 1'année fuivante, les Anglois maïtres d'une Province, qui depuis refta attachée a leur domination , mais fous Ia propriété du frere du Roi qui lui donna fon nom.
La Nouvelle - Yorck fut adminiftrée par les Lieutenants du Prince avec aflèz d'adreflè pour écarter de leur perfonne 1'indignation des colons. La haine publique s'arrêtoit fur leur mai-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 477
tre qui avoit concentré dans fes mains tous les pouvoirs. Cet efclavage politique déplaifoit également, & aux Hollandois qui avoient préféré leurs plantations a leur patrie, & aux Anglois qui étoient venus les joindre. Accoutumés a la liberté, les peuples fe montroient impatients du joug. On paroiflbït généralement difpofé h un foulevement ou a une émigration. La fennentation ne s'arrêta que lorfqu'en 1683 , la colonie fut invitée a choifir des repréfentants pour régler, dans des affemblées , ce qui conviendroit a fes intéréts.
Le Colonel Dongan, chargé de cet arrangement, étoit un homme d'efprit hardi, étendu. II ne fe borna pas, comme ceux qui jufqu'alors avoient gouverné la Province, a concéder des terres a quiconque fe préfentoit pour les défricher. Ses foins s etendirent aux cinq nations , trop négligées par fes prédécefTeurs. Les Francois travailloient fans relache a divifer ces fauvages, dans I'efpérance de les aflèrvir; & ils avoient avancé ce grand ouvrage^ par le moyen des néophites que faifoient leurs milïïonnaires. II convenoit a 1'Anglecerre de traverfer ce plan : mais le Duc d'Yorck, qui avoit d'autres intéréts que ceux de fon pays, vouloit que fon Lieutenant en favorifac 1'exécution. Dongan, quoique catholique,s'écarta conlrammenc de la direétion qui lui étoit tracée; & il traverfa de toutes fes
il fonrle fon jdminift radon.



47» SUPPLÉMENTS
forces un fyftême qui lui paroiflbit moins reügieux que politique. II nuifit même de toutes les manieres a la nation rivale de Ia fienne; & tous les mémoires du temps atteftenc qu'il en retarda beaucoup les progrès.
La conduite de cet habile chef étoit différente dans 1'intérieur de la colonie. Par goüc & par ordre, il favorifa 1'établiftèment des families de fa communion & de la communion du Prince. Une forte de myftere accompagnóic cette prote&ion. Mais aufii-töt que Jacques II fut monté fur le tröne, le colleéteur des revenus publics, les principaux Officiers, un grand nombre de citoyens fe déclarerenc partifans de Rome.
Cec Etat occafionna une grande fermentation dans les efprits. On s'allarma pour la caufe Proteftante. Les gens fagescraignoient une fédition. Dongan réuffic a contenir les mécontents: mais la révolution lui fit quitter librement fa place. En bon Anglois, il fe foumitau nouveau Gouvernement ; & par une fierté de caraétere particuliere a fa nation, il fit paffer au Roi détröné tout ce qu'il avoit acquis de richeflès dans une longue & glorieufe adminiftration.
Cet homme fingulier avoit a peine quitté 1'Amérique, que la Nouvelle-Angleterre cbaffa fon Gouverneur Edmont Androff,undesinftruments les plus aétifs des vues arbitraires du Roi Jac-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. m
ques. Quelques milices de la Nouvelle-Yorck , féduites par cet exemple, voulurenc faire le même traitement a Nicholfon, pafTagéremeni chargé du gouvernement. II vint a bout de former un parti en fa faveur, & la colonie fut en proie a deux faftions armées jufqu'a 1'arrivée du Colonel Sloughter.
Ce chef, envoyé par le Roi Guillaume , convoqua les membres de 1'Etat le 9 Avril 1691. Cette affemblée annulla tout ce qui avoit été flatué jufqu'alors de contraire a la conftitution Britannique. Elle arrêta des loix qui n'ont pas cefTé de fervir de regie. Depuis cette époque, le pouvoir exécutif appartinr au Gouverneur nommé par la Couronne. Elle lui donna douze Confeillers , fans le confentemenc defquels il ne pouvoit figner aucun afte. Trente députés choifis-par les habitants repréfentoient les Communes. Tous les pouvoirs étoient concentrés dans l'aflèmblée compofée de ces différents membres. Au commencement, fa durée fut illimitée. On la fixa depuis a trois ans. Elle s'étendit depuis a fept, comme celle du Parlement d'Angleterre, dont elle fuivoit les révolutions.
II étoit temps qu'un ordre invariable s'établit dans la colonie. Elle avoit a foutenir contre les Francois du Canada une guerre vive & opintëtre, que le détrönement de Jacques II avoit al-
xxvr.
LeRoiGuil. laume <!onne un gouvernementa la colonie. Evénements poftérieurs a ce nouvel ordre de :hofes.



48o SUPPLÉMENTS
lumée. Ces hoftilités, terminées a Rifwick , recommencerent pour la fuccefllon d'Efpagne. Les Provinces voifines de la Nouvelle-Yorck prirent quelque part a ces divifions : mais ce fuc elle qui recuc ou porca les plus grands coups, qui foudoya les croupes, qui fuc encrainée dans des dépenfes plus confidérables.
Malheureufemenc les contribudons des citoyens , ordonnées par 1'afTemblée générale , étoient verfées dans une caiffe dont la difpofition abfolue appartenoit au Gouverneur. II arrivoit fouvent que des chefs avides ou diffipateurs détournoient pour leur ufage les fonds deftinés au fervice public. C'étoit une fource perpécuelle de diffention. La Reine Anne régla, en 1705, que la même autorité qui auroit déterminé les impofitions en prefcriroic 1'ufage, & pourroit fe faire rendre compte de 1'emploi qui en auroit été fait.
Les malverfations furenc arrêcées par eer arrangement; & cependant les tributs que payoit la Province ne fuffifoienc pas aux dépenfes qu'exigeoic la continuation de la guerre. L'embarras oü 1'on fe trouvoit fit imaginer pour la première fois, en 1709, de créer des billets de crédic, qui furenc beaucoup plus mulcipliés dans la fuite que ne 1'exigeoient les befoins, que ne le permettoient les intéréts de la colonie.
Chargé, en 1720, de laconduire, Burnet,
fils



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 48i
fils du fameux Evêque de ce nom j qui avoit fi fort contribué a placer Ie Prince d'Orange fur le tröne, Bürnec ne réuflit pas a faire ceflèr ce défordre : mais il forma un autre plan pour la profpérité de fon gouvernement. Les Francois du Canada avoient befoin, pour leurs échanges avec les fauvages 4 de plufieurs marchandifes que leur métropole ne leur fourniflbit pas. Ils les tiroient de la Nouvelle-Yorck. L'aflèmblée générale de cette Province profcrivir, par les confeils de fon chef, cette communication. Mais comme ce n'étoit pas afièz d'avoir mis de 1'embarras dans les opérations d'un rival aélif, on réfolut de fe mettre a fa place.
Une grande partie des fourrures qui étoienc portées a Montréal paflbient fur les rives occidentales du lac Ontario. Burnetobtint, en 1722 * des Iroquois , la permiffion d'y Mtir le forc d'Ofwego, oü ces fauvages richeflès pouvoient être aifément interceptées. Dès que cet établiffement fut formé, les marchands d'Albani envoyerent leurs marchandifes k Cheneétady, oü elles étoient embarquées fur la Mohawts, qui les éonduifoit a Ofwego. La navigation de cette riviere eft très-difficile ; & cependant les Anglois eurent des fuccès qui furpaflèrent leurs efpérances. Ces échanges devoient même augmenter, s'ils n'avoient été sraverfés de toutes les manieres.
Suppl. Tome III. Hh



484 SUPPL ÊMENTS
Les Francois conttruifirent, en 1726 , a Niagara, un fort oü s'arrêcoient les fourrures qui, fans cet établifiement, auroient été portées a Ofwego. Les marchandifes Angloifes qu'il* ne pouvoient plus recevoir ouvertement, leut furent livrées en fraude jufqu'a 1'année 17.19, époque remarquable oü despntérêts particuliers firent révoquer la loi qui interdifoit ce commerce. Enfin, l'Angleterre chargea les pelleteries de plus forts droits qu'elles n'en payoient en France.
Pendant que ces entraves multipliées diminuoient les liaifons qu'on avoit efpéré d'entretenir avec les fauvages, les cultures étoient pouffées avec beaucoup de vivacité & de fuccès dans toute 1'étendue de la Province. Elles avoient, il eft vrai, langui quelque temps dans les Comtés oü Jacques II avoit accordé des terreins immenfes a quelques hommes trop favorifés : mais , a la fin, ces Comtés s'étoient peuplés comme les autres. Malheureufement la plupart des habitants n'occupoient, comme en Ecofie, que des terres amovibles a la volonté du Seigneur; & plus malheureufement encore cette dépendance donnoit aux grands 'propriétaires une influence dangereufe dans les réfolutions publique?.
Ce vice dans le gouvernement fe fit finguliéreraent fentir dans les deux guerres defbruétives



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 483
qu'on euc a foutenir en 1744 & en 1756 contre les Francois. La colonie éprouva , duranc ces cruelles animofités, des maux dont elle auroit au moins évité une partie , fi les effbrrs pour repouflêr ces hommes entreprenants & leurs féroces alliés euflènt été concertés a temps & mieux combinés. II falloit que le Canada devint, a la paix de 1763, une poflelfion Britannique, pour que la Nouvelle-Yorck fe livrac fans intervalle, fans embarras & fans inquiétude a 1'extenfion de fon commerce avec les fauvages, au défrichement de fes plantations.
Cette Province , dont les limites n'ont été réglées qu'après les difcuflions les plus longues, les plus vives , les plus opiriatres avec la Nouvelle-Angleterre ,*la Nouvelle-Jerfey & la Penfylvanie, forme aujourd'hui dix Comtés. Elle n'a que peu d'écendue au bord de la mer; mais en profondeur fon territoire s'étend jufqu'au lac George ou Saint-Sacrement, & jufqu'au lacOntario. Des montagnes fituées entre ces deuxlacs, fort la riviere d'Hudfon, qui ne recoit que de foibles canots durant foixante-cinq milles; encore cette navigation' eft-elle interrompue par. deux cafcades qui obligent a deux portages d'environ deux cents toifes chacun. Mais d'Albani ti 1'Océan, c'eft-a-dire dans 1'efpace de cent cinquante milles, on voit voguer fur ce magnifique canal, avec la marée, jour & nujt, durant Hh 2
xxvn.
Sol , population , :ommerce ie la eoUt.i' li»,



484 SUPPLÉMENTS
toutes les faifons , fans crainte d'aucun aceident , des bittiments de quarante a cinquante tonneaux qui entretiennent une circulation continuelle & rapide dans la colonie.
La partie de ce grand établiflement que les navigateurs trouvent d'abord, c'eft l'ifle Lon* gue, féparée du continent par un canal étroit. Elle a cent vingt milles de long, fur douze de large, divifés en trois Comtés. Les fauvages, qui occupoient ce grand efpace , s'éloignerent ou périrent fucceflivement. Leurs oppreffeurs dürent leur première aifance a la pêche de la baleine & du loup-marin. A mefure que ces races qui cherchent les cötes défertes difparurent, on s'occupa de la multiplication destroupeaux, fur-tout des chevaux. Quelques cultures fe font depuis établies fur ce fol trop fablonneux.
Le terrein eft plus inégal dans le continent mais il devient plus uni & plus produétif a mefure qu'on approche des lacs & du Canada. Si jamais les marais qui couvrent encore cette extrémité de la colonie font deflëchés; li les rivieres qui 1'arrofent font un jour reflèrrées dans leur lit, cette contrée fera la plus fertile de la colonie.
Suivant les derniers calculs, la Province compte deux cents cinquante mille habitants de diverfes nations, de fectes diverfes. Les riches pelleteries qu'ils tirent des fauvages, & celles de leurs produétions qu'ils ne confomment pas, font



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 485
conduites au marché général. C'eft une ville importante , aujourd'hui défignée, comme la colonie entiere, fous le titre de Nouvelle-Yorck. Elle fut autrefois Mcie par les Hollandois dans l'ifle de Manahatan, longue de quatorze milles, & d'un mille dans fa plus grande largeur.
Le commerce y a raflemblé, fous un climat très-fain, dix-huit ou vingt mille habitants, dans un efpace, partie bas & partie élevé. Les rues font fort irrégulieres, mais trés - propres. Les. maifons bacies de briques & couvertes de tuile , offrent plus de commodités que d'élégance. Les vivres font abondants, d'excellente quaÜcé & a bon marché. L'aifance eft univerfelle. La derniere claflè du peuple a une reflburce affurée dans les huitres, dont la pêche feule occupe deux cents bateaux.
La ville, placée a deux milles de 1'embouchure de la riviere d'Hudfon, n'a proprement ni port, ni baflin: mais elle n'en a pas befoin. Sa rade, ouverte dans toutes les faifons, accefftble aux plus grands vaiflèaux, h 1'abri de tous les orages, doit lui fuffire. De-la fortent les nombreux, navires qu'on expédie pour différents parages» Les denrées ou marchandifes qui furent expédiées en 1769, monterent a 4,352,446 liv. 17 fols 9 den. Depuis cette époque, les produétions de la colonie ont augmenté fenfiblement; & elles doivent encore beaucoup croicre, puifHh 3



xxvm.
Mceurs anciennes & mceurs nouvelles de la NouvelleYorck.
48f5 SUPPLÉMENTS
que la moitié des terres n'eft pas en valeur, & que celles qu'on a défrichées ne font pas auffi bien cultivées qu'elle le feront, lorfque la population fera devenue plus confidérable.
Les Hollandois, premiers fondateurs de la colonie, y établirent cet efprit d'ordre & d'économie qui diftingue par-tout leur nation. Comme ils formerent toujours le plus grand nombre des habirants, même après le changement de domination , 1'exemple de leurs mceurs fic Pefprit général des peuples, que la conquête leur alfocia. Les Allemands, poulTésen Amérique par la perfécution relisneufe qui les chaffoit du Palatinat ou des autres Provinces de 1'Empire, fe trouverent difpofés par la nature a ce ton modefte; & les Anglois , les Francois, que 1'habitude n'avoit pas accoutumés a tant de frugalité, fe conformerent par fageffe ou par émulation, a cette maniere de vivre, moins coüteufe & plus aifée que les modes & les airs du fafte. II arriva de-la que les colons ne contraéterent pas des dettes envers la métropole; qu'ils conferverent une liberté entiere dans leurs ventes & dans leurs achats; & qu'ils donnerent toujours a leurs affaires la direétion qui leur étoit la plus avantageufe.
Tel fut, jufqu'en 1763,1'état de la colonie. A cette époque, New-Yorck devint le féjour du Général, des principaux Officiers, & d'une partie des troupes que la Grande-Bretagne crue de-



A LUIST. PHILOSOPHIQUE. 48?
voir entretenir dans 1'Amérique Septentrionale. pour la contenir ou pour la défendre. Cette mul titude de célibataires défoeuvrés, fans ceffe occupés a tromper leur oifiveté & a lutter contre I'ennui, fe répandirent parmi les citoyens auxquels ils infpirerent le goüt de la table & la fureur du jeu. Affis a cóté des femmes, ils les -entraïnerenc par leurs affiduités, par leurs difcours & par leurs manieres dans ces frivolités, dans ces galanteries, dans ces amufements qui ont xant d'attraits pour elles. Bientöt la vie des deux fexes fut Ia même. On fe leva avec les mêmes projets; on fe coucha fur les mêmes fottifes. Ce mauvais efprit fe communiqua de proche enproche. II dure encore, a moins que les fcenes terribles qui ont depuis enfanglanté ces contrées, n'ayent fait dans les mceurs une révolution heureufe.
Au voifinage de la Nouvelle-Yorck eft la Nouvelle-Jerfey, qui porta d'abord lenom de la Nou-1 velle-Suede. Elle fut ainfi défignéepar desaventu- * jiers de cette nation, qui aborderent a cesplages j fauvages versl'an 1638. Ils yformerenttrois petits établiftements, Chriftiana, Elzimbourg & Goctembourg. Cette colonie n'étoit rien, Jorfqu'elle futattaquée & conquife, en 1655, par les Hollandois. Ceux des habitants qui tenoient plus a leur première patrie qu'a leurs plantations, repafieren t en Europe. Les autres fe foumirent Hh 4
XXIX. Révoluions arriées dansla; fouvelleerfey.



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3 j C f t t
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XXX.
Ce qu'eft actuellementla NouvelleJerfey, & ce qu'elle peut devenir,
8S SUPPLEMENTS
ux loix de leur vainqueur; & leur territoire fut icorporé au fien. Lorfque le Duc d'Yorck rent Finveftiture de laProvince h laquelle il donna Dn nom, il en détacha ce qui y avoit été ajouê, & le partagea a deux de fes favoris, fous le itre de Nouvelle-Jerfey. Carteret & Berkeley, &c. page 359. Page 359, après ces mots, un Confeil, liet : & les députés des Communes. Avant la derniere révolution, &c. Pa<?e 360, après ces mots, Nouveau-Monde, lifez : préféroient la Penfilvanie ou la Caroline, jUi avoient plus de célébrité. A la fin cependant, la Nouvelle-Jerfey s'eft peuplée. On y compte cenc trente mille'habitants.
La colonie eft couverte de troupeaux 6c abondance en grains. Le chanvrey a fait plus de progrès que dans aucune des contrées voifines. On y a ouvert avec fuccès, une mine d'excellent cuivre. Ses cötes font acceflibles, & leportd'Amboi, fa capitale, eft aflez bon. Aucun des moyens de Drofpérité, propres k cette partie du globe , ne lui manque. Cependant elle eft toujours reftée dans une obfeurité profonde. Son nom eft prefque ignoré dans Panden monde , & n eft guere plus connu dans le nouveau. En feroit-elle plus malheureufe? Je ne le crois pas.
Qu'on parcoure Phiftoire des nations anciennes & modernes, 6c Pon n'en verra prefque au-



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 489 cune, donc la fplendeur ne fe fok accrue aux dépens de fa félicicé. Des peuples, donc il ne feroic faic aucune mention dans les criftes annales du monde, n'auroient été ni agreffeurs, ni atcaqués. Ils n'auroienc pas croublé la paix des autres. Des ennemiséloignésouvoifins,n'auroient pas croublé la leur. Ils n'auroienc point eu de héros qui fuffenc rentrés dans leur patrie, chargés de dépouilles de 1'ennemi. Ils n'auroient poinc eu d'hiftorien qui raconrét ou leurs miferes ou leurs crimes. On n'y auroit point frémi d age en age, a 1'afpeét de ces monuments, qui retracent par-couc 1'efFufion du fang, des fers porcés au loin ou brifés chez foi. Des faécions po'itiques ne les auroienc poinc déchirés. Des opirionsab* furdes ne les auroienc point enivrés. L'oppreffion de Ia tyrannie n'y auroit poinc faic couler des larmes , ni fufcité des révoltes. On ne s'y feroic point délivré d'un defpote par le poignard; on n'y eüt point exterminé fes fatellites: car tels font les événements qui, de tout temps, onc donné de la célébricé aux nations. Au milieu d'une longue & profonde cranquillicé, on y auroic cultivé les campagnes, chanté quelques bymnes traditionnelsk Dieu; & répété, pendanc des fiecles, les mêmes chanfons k 1'amour. Pourquoi faut-il que ia peincure féduifance de ce bonheur foicchiraérique? II n'a point exjfté. II exüïeroic, qu'au



49o S U P P L É M E N T S milieu de nations turbulentes & ambitieufes , il feroit impoffible qu'il durdt. Quelles que puiflènt être les caufes de 1'obfcurité de la Nouvelle-Jerfey, nous lui devons donc nos confeils fur fon état' aétuel & fur fon état a venir.
Sa pauvreté ne lui permettant pas, dans les commencetnents, d'avoir un commerce direét nvec les marchés étrangers ou éloignes elle ëtöit réduice a vendre fes denrées a Philadelpme, &Plus ordinairement a New-Yorck. Ces deux villes lui donnoient en échange quelques marchandifes de la métropole, quelques denrées des ifles. Leurs plus riches négociants lui firent meme des avances, qui la mirent de plus en plus dans h dépendance. Malgré 1'accroiflèmenc de fes cultures & de fes produétions, elle n'eft pas encore fortie de cette efpece de fervitude. Des états d une vérité inconteftable que nous avons fous les yeux, démontrentqu'en 1769, la Nouvelle-Jerfey n'expédia aucun batiment pour 1'Europe, CX qu'elle n'envoya aux lndes Occidentales que vingt-quatre bateaux, dont la charge ne valoit que 56.965 üv- 19 fols 9 «. Tout le refte de fes richeflès territoriales fut livré aux colonies voifines, qui en firent elles-mêmes le com-
m Cme fituation eft ruineufe & aviliflante. La ■Nouvelle-Jerfey doit conftruire elle-même des



A L'HIST. PHILOSOPHIQUE. 4q>
navires, dont Ia nature lui a donné tous les matériaux. Elle doit les lancer dans des mers diverfes, puifque les hommes ne lui manquent plus. Elle doit porter fes produétions aux peuples , qui ne les ont encore recues que par des agents intermédiaires. Elle doit tirer de la première main 1'induftrie étrangere, que des circuits inutiles lui ont fait payer jufqu'ici trop cher. Alors elle pourra former des projets valles, fe livrer a de grandes entreprifes, s'élever au rang on fes avantages femblent rappeller , & approcher des Provinces qui 1'ont trop long-temps étouffée de leur ombre, ou offufquée par leur éclat.
PuilTent les vues que je préfente & les exhortadons que j'adreflè a la Nouvelle-Jerfey, fe réalifer! PuifTé-je vivre afTez long-temps pour en être le témoin & m'en réjouir! Le bonheur de mes femblables , a quelque diftance qu'ils exiftaflènt de moi, ne m'a jamais été indifférent: mais je me fuis fend remué d'un vif intérêt, en faveur de ceux que la fuperftition ou la tyrannie ont chalTé de leur pays natal. Je compatis h leurs peines. Lorfqu'ils fe font embarqués, j'ai élevé mes yeux vers le Ciel. Ma voix s'eft mêlée au bruit des vents & des flots, qui les portoient au-dela des mers; & je me fuis écrié, a plufieurs reprifes, qu'ils profperent! qu'ils profpe-



492 SUPPLÉM ENTS, &c.
rent! qu'ils trouvent dans les régions défertes & fauvages qu'ils vont habiter, une félicicé égale ou même fupérieure a la nócre; & s'ils y fondent un Empire,qu'ils fongent a fe garantir eux-mêmes & leur poftérité, des fieaux dont ils ont fenti les coups*
Fin du Livre dix-feptieme & du Tome III.