81 1 ,26 72S° UB AMSTERDAM  T A B L E A U D E P A R I s , Falfant Suite aux Editions vrécddaues - Ce monde. cliè"-e A-rnAc „a » ere rtgnes , eiï une etra,:ige chofe ! Mol. T O M e x. A AMSTERDAM. 1788.   TABLEAU DE PARIS. CHAPITRE DCCLXVI. Erreur reclifiée, Quand on s'eft trompé, il faut fe ïéformer. Non, Paris n'eft point une tets trop groffe, & difproportionnée pour !e royaume. Cette figure de rhétorique, que j'avois adbptée , eft fans jufteffe; car, fans une grande capitale , il ne faut efpérer chez un peuple, ni politefle , ni reffources, ni inftrucïion. Les grandes villes ne de'vorent point les campagnes j eiles ne les rendent  C 2 ) que plus fioriflantes par les moyens de reproductions & de confommation. L'agriculture n'eft jamais plus brillante qu'alentour des villes populeufes. Les habitans aifés ont des terres qu'ils furveillent. Ainfi, laiffbns la capitale avec fa grande population. J'ofe dire même que cette ville eft néceffaire pour maintenir la liberté nationale ; elle impofe au fouverain des foins & des ménagemens particuliers; elle donne le fignal a toutes les autres villes, pour tous les fecours publics, foit en argent, foit en vaifleaux; elle eft le foyer des lumières ; c'eft de fon fein que partent les cris de joie ou de mécontentement. Paris n'éprouve aucune impreffion que le refte du royaume ne la reiïente auffi-tót trèsvivement; c'eft le centre commun de 1'aót.ivité nationale, de fon intelligence, de fes vues & de fes grandes reffources. II ne faut pas détruire cette métropole, par cela feul qu'elle eft la capitale de la France, fous peine de voir renverfer tout 1'érat. ,Si Ton a vu des républiques compofées  ( 3 ) d une feule ville fans terre & fans domaine3 qui n'ont pas laiffé de jouir d'une profpérité durable, laiffons cette grande ville dominer le refte du corps politique. La réaclion d'ailleurs eft établie, & il feroit dangereux de 1'interrompre. Le tiers-état a fur-tout fon fiége a Paris, La bourgeoifie y eft nombreufe , & fa bonté eft manifefte. Ce tiers-état réprime Ie bas peuple, & ufe envers lui de la plus grande douceur; il 1'invite au travail; & 1'indigent a la certitude de fa fubfiftance, quand il ne s'abandonne point a Textrême pareffe. Le bourgeois a Paris, toujours pret k accueiilir le pauvre, lui offre de 1'emploi, & traite les manouvriers avec une bonté vraiment paternelle. La charité y eft inépuifable. J'ofe dire que le fouverain doit la tranquillité de fa capitale au tiers-état, qui retient inceflamment le bas peuple dans Ia modération, en le fauvant de fes écarts par une inftruélion journalière, & en lui donnant Texeraple de 1'indulgence 5 ce qui A a  C 4 5 le préferve de ces acces de fureur & d des graces aux dépens des peuples; il verroit une multitude de gens oifeux, uniquement occupés des moyens de tuer 1'ennui, ftipendiant une foule de bras inutiles; il verroit le vice toujours pret a entrer en aétion , paree que la misère aframée fe prête a tout pour avoir du pain, ou fe procurer de Tor; ïl verroit lés provinces dépeuplées d'hommes & d'animaux pour les nourrir. Le nombre des bceufs eft diminué, dit-on, confidérablement & diminuera de jour en jour; nos forêts nefourniront bièntöt plus alTez de bois, nos campagnes aiTez de chevaux pour fubvenir a la dépenfe de la luxueufe capitale. C'eft Suze , c'eft Perfépolis , c'eft Babylone, c'eft Ecbatane, qui livrèrent la Perfe a Alexandre ; ces malheureufes cités renfermoient une multitude d'hommes corrompus, richement armés, mais fans vigueur & fans difcipline. Athènes, cette ville de Minerve, oü 1'on cultivoit tous les arts, fuccomba longtemps avant Sparte, paree qu'elle étoit bien plus peuplée. Elle étoit pourtant auffi  (*;) favante dans 1'art de la guerre que 1'autre étoit agrefte. Conftantinople a dévoré 1'empire d'orient. II faut avoir vu les bourgades & les villages, pour voir ce que les mceurs ont perdu ou gagné a entafTer les hommes les uns fur les autres, ou a les tenir un peu féparés. J'ai dit Ie pour & le contre. Pefez, lecteurs, mais fongez qu'un grand bien en politique n'eft jamais qu'une moindre imperLction. CHAPITRE DCCLXIX. Projet, Il s'agit d'un projet grand & utile; ce feroit 1'excavation d'un canal rovfil, vraiment digne du monarque , de la nation & de la capitale, canal qui communiqueroit de la mer de Diepp*, en paffaut par les  '(* «) terres, a notre fauxbourg Saint- Germaltt Ce canal favoriferoit la navigation marehande, & Paris verroit dans un balTin creufé a fes portes, une foule de navires, qui feroient fes correfpondans avec tous les peuples de la terre. Cet ouvrage, digne d'un peuple verfé dans les connoiffances de la geometrie & de la fcience hydraulique , alimenteroit 1'induftrie inépuifable de la capitale. Elle jouiroit des avantages d'un commerce maritime; & cet avantage deviendroit incalculable. Les efprits accaparés par le brigandage appellé finance , & par Vagiotage, plus vil encore, & qui en eft la fuite néceflaire, abjureroit un manége aufli infame. Des légions de jeunes gens, accoquinés a des profeffions déshonorantes, friponnant dans les académies, ou immolant leurs plus brillantes années dans des lieux de débauche, & finifTant par arborer la pareffeufe 8£ libertine cocarde , renonceroient k la fièvré eftueufe des paftions, pour monter fur des vahTeaux qui leur promettroient des richelfes iégitimemeat  t 5?} iégïtïmement acquifes. Paris, rïvat, & riva! bientöt fupérieur k 1'enfumée Albion, de^ .Viendröit 1'entrepöt du monde. Mais quoi! en vain cette capitale a pris pour armes un vaifleau avec toutes fes Voiles & fes agrêts', en vain ce vaifleau* Sphinx appelle le commerce & ces grandes fpéculations du haut des toits de 1'hótelde-ville; les (Êdipes franpais font encora a naitre, & ce canal roya!, dont la pofïïbilité eft démontrée, cette cornè d'abon^ dance, qui doit faire le bonheur du royaume j attend encore le premier coup de pioches &l'attendra probablement long-temps, cac nous favons alTez tout commencer, mais nous ne finilTons rieri. Nous voyons, nous aimons le bien, nous nous y portons avec feu, mais ce feu seteint en un moment* II faudroit, pour nos têtes le'gères, que le bien s'exécutat auffi rapidement que le mal. La bataille de la Hogue nous avoit appris combien étoit néceflaire un porC fur les cötes de Normandie. II nous a fallu un fiècle, la perte de nos immenfef {Tomé  pofTefllons du nord de 1'Amérique, les pirateries anglaifes & leur orgueil, pour nous en donner un. Le Louvre ne firït point; !e mufée paroit une toüe de Pénélope; le fameux canal de Picardie eft interrompu. Hélas! nous autres bons citoyens , nous faifons des Utopies dans des fiècles de pourriture. CHAPITRE DCCLXX. Commis-Scribes, Si Vaucanfon, au lieu d'un flüteur automate , avoit entrepris de faire un commis~ fcribe, comme il auroit rendu fervice a, ces régies de toutes efpèces & de toutes couleurs, qui drefTent de toutes parts des bureaux ! Bon Dieu! quelle foule innombrable de commis ! il y en a tout autant que de laquais; les uns tiennent la plume comme les autres tienneat Ia ferviette. Pour  I tp ) ie moïndre paquet qu'on retire oü qu'om envoie, on vous offre ün perk moreeau de papier griffonné. Quinze hommes a la file le fignent & le contre-fTgnent. Vous ne fakes point partir un cabriolet difloqué fans un commis-fcribe, qui vous préfente un pajfe-port figne' & contre-figne'. Toute ï'impatience du public, a qui le temps eft cher, échoue contre la ftupidité immobile d'un commis. Par-tout cette engeance maudite accompagne cette foule de compagnies abufives, qui ont tout acheté en France, jufqu'au droit de vous voiturer. On eft humilié d'avoir perpétuellement a faire & de telles gens ; car on eft dans le cas de les redreffer fouvent, quand on voit leut nonchalance, leur inexactitude, & leur bêtife pleine de fuffifance. Ces automates-la coütent huit cents francs pièces par an. Ils font aux fermes, aux poftes, aux douanes, aux meHageries, &c.; c'eft une autre valetaille que celle des antichambres, qui vous molefte, vous impatiente, & dont la befogne inutile n'eft B a  X 20 5 'qu\ine charge pour 1'Etat. Oh! fi VauA canfon avoit fait tout de fuite un commisfcribe, ce commis feroit du moins exact envers le public, aux heures indiquées, poli, muet, & n'expédieroit pas fi lentement ce qu'on peut faire d'un trait de plume ; il ne voleroit pas les ouvrages périodiques des auteurs pour en gratifier fes voifines; il ne fouleveroit pas les caehets, &c.; mais il pourroit être poudré, frifé, avoir des manchettes , une épée, & un nceud a la couleur de fa dame ; & ces mannequins, au poignet mécanique & agiffant, garniroient tout auili bien les bureaux de la finance, de la maltöte & des poftes, «jue ceux qui les rempliflent. On avoit héfité a recevoir Vaucanfon de 3'académie des fciences, paree qu'il ne poffédoit pas la géométrie. Eh bien! mejjieursf 'dit-il, je vous ferai un géomètre. II lui auroit été plus aifé encore de faire ua eommis-fcribe. Or, il y en auroit aujourid'hui une manufacture, & les fermiersgénéraux les aeketeroient par douzaiaes.  ( 21 5 Galculez combien coüte 1 'écrivaillerie jour-f nalière das bureaux femés par toute la ville3 & vous verrez qu'il feroit a propos de propofer bientöt un prix pour .'automate de nouvelle invention, commls-fcribe , ayant fon papier bien devant foi, réglant fes regiftres, trempant la plume dans 1'encrier, écrivant & calculant même un peu. II n'en auroit pas moins Pair, s'il étoit bien fculpté, d'enfanter une penfée cicéronienne, tout en tracant, devant une femme-de-chambre, 1'expédition de fon paquet. Eh ! qui paffe la, dites-moi ? qui marche ainfi a la cour & i grands pas ? oü va donc cet homme en épée, très-bien mis? une affaire importante & preffée précipite fans doute fa marche. II franchit les fentinelles a bandoulières, entre dans une cuifine, met bas fon habit & fon épée, trempe fon doigt dans une fauce, la remue, la goüte, y jette du poivre ou du fel, la remue encore , fait un figne de tête d'approbation % remet fon habit, reprend fon épée , & pare sornme un trait, toujours marchant têtf BS  < 22 ) levée. Cet homme eft.... un cuifinïer de fa cour, lequel, dans un clin-d'ceil, a donné la perfection a un mets apprété pour une bouche royale. Son travail eft dès-lors finï pour toute la journée : il fort triomphant. Vaucanfon ne pouvoit pas faire celui-la, je 1'avoue; c'eft un ariifte rare, qui a un goüt prompt, & plus de goüt cent fois dans les cuifines, que n'en a le plus fin académicien au lycee du palais-royal. Jamais il ne fe trompe; il reétifie tout avec des riens; toutes les fineffes de Part font au bout de fa langue; il fait des miracles avec le bout de fon doigt. Mais fi le génie des Vaucanfon ne fauroit atteindre jufqu'a faire un pareil cuifinier, il pourroit du moins créer, je Pimagine, celui qui chaufTe ou déchauffe un prince, celui qui met un plat fur une table , & qui s'appelle gentilhomme-fervant x celui qui préfente une canne & un chapeau, celui qui tire un fauteuil; enfin, quelques autres excellens officiers fulvant la cour, &c»  c 23) CHAPITRE DCCLXXI. Ce qu'on appelle Philofophe. Les folliculaires & les partifans du defpotifmeont tant crié contre la philofophie & contre les philofophes, que ce dernier terme roule aujourd'hui parmi le peuple, qui 1'a défiguré a fa manière , & en le mettant a toutes fauces. Or, dans chaque maifon il y a toujours quelqu'un qu'on appelle philofophe. Si un garcon marchand, ou un clerc de procureur,, font quelques commentaires qui fortent du cercle ordinaire des idéés, c'eft un philofophe. Les dévotes appeüent philofophes tous ceux qui ne fuivent point les offices de la paroilTe, & qui n'obfervent pas les quatre-temps auffi exactement qu'elles. L'abbé Aubert, & fes pareils, appellent philofophes ceux qui B 4  M|5 p'écrïvent pas dans cet efprit de fervilke qui, felon eux, eft le cachet des bons écrivains. Ce terme eft une injure mfrigée dans la bouehe des délateurs, de vos ennemis fecrets, de ceux enfin qui veulent vous ïiuire. On appelle encore philofophes beaucoup de gens qui ne le font guère. Enfin, on a tranfporté ce mot jufque dans les faöions littéraires, pour défigmer ceux quï afpiroient aux places de racadémie. Le fantóme tint lieu de la réalité. On a cru qu'il y avoit de la ph'dofophie & des philofophes & 1'académie francaife. Elle y eft en fi petite dofe, & ils y font en fi petit nombre, qu'on fe trompe fur cette dénomination vraiment ridicule, quand on la rapproche de la conduite & de l'amour-propie de plufieurs 'mdU vidus. Le terme eft donc tombé, mais la, jfhpfe ne 1'eft pas,  e CHAPITRE DCCLXXIfc Marais.; Pourquoi avoïr donné a ces belles, & utiles plantations Ie nom de marais, cö qui réveille 1'idée fale d'une eau croupiffante, & d'une terre limonneufe, defiechée fous les chaleurs de l'e'té; tandis que ce font des jardins bien cultivés, & remplis de plantes potagères ? L'ordre, la propreté, la fymétrie, diftinguent la main de ces jardiniers. L'arpent rapporte jufqua cent écus, C'eft une verdure éternelle dans ces marais, oü les falades de toutes les faifons mootren* fucceffivement leurs tiges. ^ Dans les temps de fécherefie, ces jardi-. niers puifent 1 eau fans relache. La terre eft altérée autour de ces plantes; & celles-cï fraïches & brillantes font toujours humec%&s d'une falutaire rofée ; méme avaax  ( 26* ) qu'elles foient cueillies, elles rafraichilïent le fang par Porgane de la vue. Les jardiniers qui font valoir ces marais, s'appellent marakkers. Ils ont befoin d'un travail aflidu; ils promènent 1'arrofoir a chaque inftant; & rien n'eft plus agréable a 1'ceil que cette gerbe cryftallifée, inondant ces jeunes plantes, tréfors de végétations, Sc faine nourriture de Phomme dans toutes les faifons. Ces plantes, dreffees en pyramides fur des hottes, s'en vont avant le point du jour, & fous la rofée du matin , étaler leur verdure dans nos marchés ; ce qui a fait dire qu'il n'y avoit pas de plus beau jardin dans le monde que les halles a Paris. L'alentour de la capitale eft peuple de ces marais, & de maifons agréables, différemment fituées. On y trouve des hotels, & même quelques palais,qui ne font féparés que par cette brillante végétation : & pour varier-le coup-d'ceil, on a marié a ces jardins utiles ces jardins de 1'opulence dont dB admire la pompe, mais qui font rapporter  ( a7 ) Ia vue fur la iïmple laitue & la fraifc odorante. L'odeur du fumier ne dcplait point, lorfqu'il appartient a cette riche reproduétion. On fort, quand on veut, de ces marais, oü le melon eft enfermé fous fa cloche, & fe transforme de loin en topaze, pour fe promener aux champs-élyfées ; lefquels fe marient aux hauteurs de PafTy,au bois de Boulogne : c'eft une continuité de jardins publics ; & vous retrouvez les mêmes jouilTances du cöté de Vincennes. Meudon, avec fa fituation pittorefque, vous appelle; Saint-Cloud vous invite. Vous fuivez les détours de la Seine, & par-tout des endroits enchantés : Londres n'a pas un de ces avantages. Toutes ces vaftes & riantes promenades font ouvertes incelTamment a tous les promencurs, foit apied, foit a cheval; & elles font folitaires les jours ouvrables, tandis que les dimanches& fêtes elles offrent les joües filles de la capitale, les payfannes fveltes des hameaux, qui fe regardent étonnées de fe trouver enfemble, & qui après  I 2$ 5 üné ittucfté c'enfure de leurs habillemeïis Jg de leurs charmes, danfent fur le mém© plateau, & troquent d'amans au milieu de leurs danfes; ce qui éveille la jaloufie, & ajoute a 1'amour pour toute la femaine. Au troifième dimanche il en réfulte un joli manage, qui donnera a 1'Etat un fujet qui fera vivre, par Ie produit de fes rnains, une multitude d'êtres. Mais en me promenant je rencontre Tiniipide peuplier, quï remplace, aux environs de la ville, le noyet arrondi, le chêne robufte, le platane phiïofophique, 1'orme vigoureux. Le premier coup-d'ceil en eft agréable ; mais cet arbre fe refTemble, & la monotonie fe fait fentir. 3e ne voudrois plus voir le peuplier ni Torgueilleufe charmille. Je préférerois le fycomore ou le platane, & des allées un peu ouvertes a ces petites routes tournantes, oü vous êtes emprifonné dans des murailles de verdure. Je ne fais pourquoi il eft fi difficile de faire un jardin. II y en a qui m'excèdent avec leurs fleurs & leur treillage. Celui di$  ? 2p J tearécfeal de Biron eft de ce nombre, trlfte jardin, bien francais. II n'eft pas hors de propos de remarquet que le peuplier & le marronnier d'Inde, autre efpèce dont le bois & le fruit ne font bons a rien, ont pris faveur en France. ^ Je ne connois rien de plus beau aux environs de la capitale, que Chantïlly. Je"ne lui ai encore rien trouvé de comparable. Trente voyages dans ce lieu enchante' n'ont pas encore e'puife' mon admiration. C'eft le plus beau manage qu'aient jamais fait 1'art & la nature. Ils font parfaitement d'accordy & cette heureufe intelligence ajoute aux. plaifirs de 1'obfervateur. Jamais Ie propriétaire n'en aura joui comme moi, car il n'a point eu la furprife; il étoit prévenu par les comptes & par Ia dépenfe, & moi je n'ai rien vu de cela, & j'ai ufé long-temps de toutes les beautés de ce liéu. Oh ! qu'iï y a une manière de jouir du luxe des princes!, .Voila le fecret du philofophe. La manie des jardins anglois a punï ces financiers gonflés de nos nsksfös, en ea  ( 3ö > ruïnant plufieurs de fond en comble. GrJ n'a pu ni les plaindre ni les juftifier; & les tréfors coupables ont fui de leurs mains, & n'ont point pafTé a leurs defcendans. Oh! s'ils n'avoient eu que des marais, des plantes potagères, des arbres fruitiers, leurs noms ne feroient point avilis , & ils auroient joui des dons de ï& nature, fans la tourmenter par des travaux extraordinaïres, qui h'ont abouti qu'a teur ruine, & qu'a priver la terre de fa ffcondité; car on a pulvérifé mes chers marais, pour élever fur leurs tiges les édifices fcandaleux de 1'orgueil & du libertihage.  ( 3* ) CHAPITRE DCCLXXIII. Comment fe fait un mariage, Le père entre dans la chambre de fa fil!e, qui eft a fa toilette, & qui a appris de fa femme-de-chambre qu'on alloit la marier. Le père s'avance : Mademoifel e , ui dit- il, je vois, a vos yeux, que vous n'avez point dormi. Non, mon père. Tant pis, ma fille; il faut étre belle quand on fe marie, & on eft laide quand on ne dort pas. Je ne le fuis pas affez, reprend- elle avec un foupir. ■ Vous n'étes pas aflez laide, dites-vous ? c'eft donc pour 1'être davantage , que vous prenez fair trifte & mauffade que je vous vois : allons, ne faites pas 1'enfant, je vous prie;ilfaui de la modeftie le jour du contrat, mais la modeftie n'eft pas fhumeur, & c'eft de 1'humeur que votre vifage annonce.  ?g*5 Dïi! mon vifage a bien raifon. li S> grand tort, & vous auflï; je vous ordonne d'être riante. Vous m'ordonnez 1'im- poffible. —■— L'impofïlble ? & pourquoi s s'il vous plaït ? quel mal vous fait-on de vous marier avec un homme bien né, très- aimable, & fur-tout fort riche? Je crois tout cela, puifque vous le dites; mais ïl eft toujours bien cruel d'être livrée a un homme que 1'on ne connoit pas. Bon! eft-ce qu'on connoit jamais celui ou celle qu'on époufe ? ton fütur ne te connoit pas davantage. Crois-moi, machère enfant; je ne vois dans le monde de mauvais mariages, que les mariages d'inclination ; le hafard eft encore moins aveugle que Pamour. Penferois-tu mieux connoïtre ton futur après 1'avoir vu dix ans; rien n'eft fi diffimulé que les hommes, fi ce n'eft peut-être les femmes. Celui qui defire, & celui qui pof«ède, font deux; on ne fait jamais ce qu'un amant fera le lendemain de la noce ; & comment le fauroit-on ? il ne le fait pas lui-même j c'eft un hafard qu'il faut courir.  ( 33 ) Ta tnère & moi, par exemple, nous nou»' étions beaucoup vus avant de nous maner. Eh bien ! elle m'a dit cent fois que je 1'avois trompée ; je lui ai dit cent fois qu'elle m'avoit furpris. Toutscela s'eft arrangé; car il faut bien que cela s'arrange. En vérité, mon père, voila d etranges maximes ! . Ce font les maximes du monde , & le monde n'eft pas un fot. Les petites gens ont befoin de s'aimer pour être heureux dans leur me'nage; mais pourvu que les gens riches vivent de'cemment enfemble, leur aifance les met d'accord. Allons, ma fille, de Ia re'folution, du courage, de la gaieté, tout ira bien ! Le père fort après avoir prononcé ces mots. La fille, qui cache dans fon fein une amoureufe foiblefTe, écrit a fon amant qu'on la marie malgré elle, mais que 1'hymen lui rendra ce que 1'ufage lui ravit. Elle %ne le contrat; la noce n'eft pas différée, & fix femaines après elle a Tart d'inftaller fon amant dans fa fociété. Celui qui s'en doute le moins, c'eft le mari. S'il vouloit en parler.  X 54 3 on auroit une harangue toute préte pour lui démontrer qu'il n'eft qu'un viflonnaire. Joailliers , bijoutiets , marchapds d'é~ toffes, marchandes de modes, concourent a un mariage; mais il y entre aujourd'hui un artifte qu'on ne foupconnoit pas, un artiïre précieux, qui contribue plus que tous les moraliftes a mcttre la paix dans les ménages. Quand une demoifelle a quelque fouvenir inquiétant, qu'elle touche au premier jour de fes' noïes , & qu'elle veut cacher le grand fecret , elle ne croit pas tout-a-fait a la maxime de Salomon, quoiqu'il fut un grand clerc. La virginité a fes lignes ; elle le fait mieux que Bufton. II s'agit d'être bien avec fon marl, & d'accrpitre fa tendrefle. Elle a entendu dire qu'il y avoit une réfurreciion. II ne faut, dans ce monde, que croire pour être heureux; un ferment n'a pas un efFet rétroactif; il s'agit de promettre pour 1'avenir, 8c de tenir, G 1'on peut. Les demoifelles honnêtes & timorées s'adreiTent au Geur Maille, lorfque le jour tombe. II vend le vinaigre qui  C 35 ) rend la confiance a 1'époufée la joie aux époux, qui établit la concorde & la paix des families. Ce monde eft compofe' d'apparences; elles tiennent lieu des réalités. Le fieur Maille n'a pas bcfoin de lire le calendrier pour être inftruit des temns oü 1'églife permet ou défend les mariagcs'. Des que le caréme & 1'avent prennent fin, il voit arriver les fragiles beaute's, qui veulent pofleder le cceur d'un époux, & le tromper un peu fur le paffé feulcment pour le rendre plus foituné. Eücs ne font qu'avancer la main, prendre le vinaigre réparateur, faluer & difparoïtre. L'artifte ne les regarde pas ; leurs grandes coëffes voilent leur demirougeur, fi elles rougifienf. Un petit imprimé, vertueufement inftruftif, accornpagne la liqueur fubtilement aftringente, & difpenfe l'artifte de parler. Les attentat* du violateur , ou les yietoires de 1'amant chéri , difparoiffent égalej-ient; c'eft une vierge enlin qui, liuit jours après, marche fous le chapeau virginal a l autel de 1'Hyme'née. C 2  C 30* ) L'époux n'en doutera point. Tout eft régénération devant les loix de lachymie; la félicité des époux eft encore liée a cette fcience fublime que j'idolatre ; elle fait la gloire, le bonheur & le repos des demoifelles parifiennes. Mais celles des provinces font loin de cet ineftimable avantage; elles n'ont pas a leur porte un artifte auffi recomBiandable que le fieur Maille. Je les plains. Que de paroles artificieules, que de menfonges frauduleux , pour remp'acer une petite fiole qu'on peut cacher dans la main ! Demoifelles de tous les pays, qui tremblez de 1'expérience d'un époux, & qui defirez affujettir fon ccour en y verfant 1'eftime profonde, quand vous verrez fuc un pot de moutarde du fieur Maille, Tunion paifible des armes des trois premières puiffances de 1'Europe, fongez que cet artifte unit de méme la femme & le mari , prévi'ent leur difiention, leur rupture; & leur ótant les facheux foupgons, les craintes importunes , les reproches défefpérans ,  ( 37 ) CönfoÜde leur bonheur dans la pleine coniïance des carefles mutuelles. Ailleurs une petite voix contrefaite eft néceflaire ; elle devient tout a la fois honnête & trompeufe. Ici le mari s'enivre de fa conquête , & vante fon propre triomphe. L'e'poufe n'a pas befoin d'une voix fallacieufe pour qu'il fe félicite lui-même de fa victoire. On difoit a Ia cour, il y a quarante ans : thonneur y recrott conïme les cheveux. Oh ! il y recroit bien autre chofe, ainfi que dans la capitale ! Une demoifelle bien majeure propofa tout naturellement a un galant homme de ïui faire un enfant, mais fans exiger qu'elle fe mariat. Dès qu'elle fut grofTe, elle congédia Ie galant. Elle eut un fits qu'elle aïlaita. Le père plaida pour époufer la mère, quï' ïui tint rigueur, & lui demanda combiert il vouloit pour la peine qu'il avoit prife de la féconder. II perdit fon procés, dépensr compenfés.  ( 33 ) CHAPITRE DCCLXXIV. Les deux Créblllons, J'avois dix-neuf ans, & dans ce temps la renommee de Crébillon, poète tragique, étoit au plus haut degré. On 1'oppofoit a Voltaire; car le public cherche ün rival a tout homine illuftrc, & les balancant 1'un par 1'autrc, il fe dégage ainfi d'un poids d'eftime trop confidérable. Je Pai vu ce temps, ou la nation en général étoit li peu avancée , qu'on ne parloit & qu'on ne favoit parler que de Racine & de Corneille , de Crébillon & de Voltaire. II eft inconcevable qu'on fe foit agité fi long-temps fur des queftions aulii futües. J'étois jeune ; je n'avois recu qu'a moitié 1'imprelïïon univerfclie ; j'admirois moins que les autrrs ces tragédies fi vantées. J'y trouvois une unifofmite , une contrainte ,  C 39 ) une gêne, une forme monotone, un faux, qui ne plaifoient pits beaucoup k mon efprit, amour-euxdcs beautés va Mes & irrégulières. Je lifois les romans de 1'abbé Pré volt ,qui me faifoiënt plus de plaifir que toutes les tragédies modernes. Sur fa renommee j'allai voir néanmoins le vieux Crébillon. I! demeuroit au Marais, rue des Douze-portes. Je frappai : aufli-tot les aboiemens de qui'hxe a vingt chiens fe firent entendre ; ils menvifonhèreht gueule béante, & m'accömpagnèrent jufqu'a la chambre du pocte. L'efcaÜer étoit rempli des ordures de ces animaux. J'entrai, annoncé & efcorté par eux. Je vis une chambre dont les muraflje's étoient nues ; un grabat, deux taboarets, fëpt k huit fauteuils décliirés & délabrés compofoicnt tout Ameublement. J'appercus, en cntrant, une figure féminine, haute de quatre pieds, & large de trois, qui s'enfoncok dans un cabinet voitin. Les chiens s'étoient emparés de tous les fauteuils, & grognoient de concert. Le vieilbrd, les jambes & ia tête nues, Ia C4  I 4° 3 poltrlne découverte, fumoit une pïpe. Iï avoit deux grands yeux bleus, des cheveux blancs & rares, une phyfionomie pleine d'expreflion. II fit taire les chiens, non fans peine, & me fit concéder, le fouet a la main, un des fauteuils. II öta fa pipe de la bouche, comme pour me faluer, la remit, & continua a fumer avec une déleétation qui fe peignoit fur fa phyfionomie fortement caraétérifée. Sa diftraftion fut aflez longue, fon ceil bleu étoit fixe & tourné vers le plancher. II me paria brièvement. Les chiens grondoient fourdement en me montrant les dents. Le poète pofa enfin fa pipe. Je lui demandai quand il finiroit Cromwdl. Iln'ejipas commencé, me répondit-il. Je le priai de me réciter quelques vers. II me dit qu'il me fatisferoit après une fecohde pipe. La femme, de quatre pieds de haut, entra fur fes jambes torfes, Elle avoit bien le ne2 le plus long, & les yeux les plus malignement ardens que f aie vus de ma vie. C'étoit la maitrefle du poète. Les chiens, par refpect, lui cédèrent un fauteuil. Elle s'afiït en face df  c 41 5 mol. Le poète pofa fa feconde pipe, & mé récita alors des vers fort obfcurs, de je ne fais quelle tragédie romanefque, qu'il avoit compofée de mémoire, & qu'il récitoit de même. Je ne compris rien au fujet ni au plan de fa tragédie. II y avoit dans fes vers force imprécations contre les dieux, & furtout contre les rois qu'il n'aimoit pas. Le poète me parut fort bon homme, très-diftrait, aimant arêver,& parlant peu. Sa maitrefle avoit dacs 1'expreflion toute la malice qui étoit dans fes yeux. Le poète ayant récité fes vers ne fit que fumer. Je m'entretins avec fa maitrefle. Je cherchois de l'eeil oü pouvoient être fes jambes, tandis que celles du poète figuroient nues, comme les jambes d'un athlète qui fe repofe après avoir lutté dans 1'arène. Je me levai, & les'chiens fe levèrent aufli, aboyèrent de nouveau, & m'accompagnèrent jufqu'a la porte de Ia rue. Le poète ne les réprimandoit qu'avec douceur; la tendrefle percoit a travers le commandement. Lui feul pouvoit vivre au milieu de cette malpropreté canine. Je ne  C 42 ) manquai pas de lui dire quEuripiae avoit aufli aimé les chiens, & qu'il obtiendroit a coup sur les années de Sophocle : il avoit alors quatre-vingt-fix ans. Content de ce que je lui avois dit, i! m'avoit gratifié d'une petite caxte, oü étoit fon nom écrit en cara.Cières trés-fins. Cette carte étoit un gafle-pqrt pour voir une de fes tragédies; mais corrtme Voltaire avoit foin qu'on ne les donnat que tres- rarement, je fus neuf mois a attendre cette repréfentation. Le viei'lard, m'avoit pré ven u du long délai, & 1'attribuoit fans ménage-ment k fon rival, qu'i1 appellpist un trés méchdnt homme, 8c cela avec le ton d'une benhominie toute particuliere. A deux ou trois années de la je fis la connoiffance de Crébillon fils. II étoit taillé comme un peuplier, haut, long, menu ; il contrailoit avec la taille forte & le poitrail de Crébillon Ie tragédifte. Jamais la nature ne fit deux êtres plus voiilns & plus difiemblables. Crébillon fils étoit la politefle, l'&nvénité & la grace fondues enfemble. Une  / e 43) légere teinte de caufticité percöit dans fes difcours, mais elle ne frappoit que les pédans littéraires & les ennemis du bien public. Nos caraótères allèrent fort bien enfemble. II avoit vu le monde; il avoit connu les femmes autant qu'il eft polfible de les connoitre; il les aimoit un peu plus qu'il ne les eftimoit. Sa converfation étoit piquante; il regrettoit le temps de la régence, comme 1'époque des bonnes mceurs en comparaifon des mceurs régnantes. Nos principes littéraires s'accordoient encore. Un jour il me dit en confidence qu'il n'avoit pas encore achevé la lefbare des tragédies de fon père, mais que cela viendroit. II regardoit la tragédie francaife , comme la farce la plus compléte qu'ait pu inventer 1'efprit humain. II rioit aux larmes de certaines produöions théatrales, & du public qui ne voyoit dans tous les rois dc la tragédie francaife que Ie roi de Verfjilles. Le röle du capitaine dc-s gardes , tantót traitre, tantót fidéle, fclori ia fantaifie du p ète, le faifoit fur-tout pumor dc joic. II s'informoit  * 44 5 exaclement de celui qui le jouolt. C'étoifr fon acteur favori pour Ie plaifir facétieux qu'il lui caufoit. Aujourd'hui janilTaire, le lendemain dépofant Tarquin Ie fuperbe , cheville ouvrière de tous les dénouemens, il avoit renverfé plus de trónes au bout de 1'année , qu'il n'avoit de gardes a fa fuite; il tuoit les tyrans trois fois la fernaine avec une précifion admirable. Crébillon aimoit tout en lui, fa démarche, fon attitude, fa fierté obéilfante; tantöt royalifte, tantöt républicain , il fuivoit tous les ordres avec une indifférence philofophique, qui n'ótoit rien au tranchant de fon fabre. Crébillon fils étoit cenfeur royal & cenfeur de la police. II approuvoit tous les ponts-neufs & tous les vers imprimés fur des feuilles volantes. On en faifoit alors une quantité effroyable; les héroïdes pleuvoient. II approuvoit tout cela avec un fang-froid & une politefTe charmante. Jamais Crébillon fils ne fit attendre un auteur, füt-il chanfonnier du pont-neuf, II étoit  ( 45" > toujours prévenant, affable & facile; il me diffuada d'écrire en vers Comme il ouvroit journellement fa porte è une multitude de verfificateurs & d'auteurs débutans, il me dit un jour : Refter avec moi juf qua. midi trois quarts ; voici Vhéure que lespoètes arrivent pour mapporier leurs manufcrits : reflezj. Je m'aflleds. Un coup de fonnette part; Crébillon ouvre : un auteur paroït ; il eft vif & fémillant ; il fe préfente avec aftez de grace, parle de méme ; rf prend une chaife, tire un manufcrit de fa poche. La converfation s'engage, & notre auteur dit des chofes fpirituelles. De quel pays êtes-vous? lui demanda Crébillon, qui approuvoit par an quarante a cinquante mille vers. Des environs de Touloufe, reprit 1'auteur. Bon , laüez-moi votre manufcrit; envoyez ou repaftez après-demain, & 1'approbation fera en règle. Quand 1'auteur fut forti, Crébillon tenant le manufcrit en main, me dit : Je ne fais ce qui eft la-dedans; vous avez entenda  ( 4Ö ) ce jeune homme; il parle avec facilité; il z de 1'efprit. Voulez-vous gager avec moi que fon ouvrage n'a ni rime ni raifon ? Eh pourquoi ce jugement précipité? Vous le faurez; lifons, mon ami. En effet, la pièce prcfentée a la cenfure n'avoit pas le fens commun. Part un fecond coup de fonnette ; c'eft un nouvel auteur: Crébillon ouvre. L'auteur s'arréte a la porte; il ne fait ni entrer, ni parler, ni s'affeoir; il eft gauche, & tout d'une pièce ; il manque de renverfer une petite table oü étoit le déjeuner de fon ccnfeur. C'eft un opéra que de le faire ailcoir ; il recule a chaque inftance; enfin il eft affis ; il veut parler, & il bégaie; il répond mal a ce qu'on dit. Après avoir regardé pendant fix minutes fa poche gonftée de fon manufcrit, il le tire gauchement, laifte tombcr fa canne &z fon chapeau en le préfcntant, cherche de 1'ceil fon parafol, comme fi on le lui avoit volé, blelTe ma jambe du bout de fon épée en remuant mal-a-propos, & parvient enfin a dire : Je  < 47 ) Vous prie , Monfeur, de m'exvédier , ca'r on m\i die que vous ét ie* fort okligeaut. Crébillon prend le papier avec fon aménite ordinaire , le met a fon aife autant qui! eft poiIible,& lui fait la même interrogation. ' De ^ue[ Pays êtes-vous, Aionfieur? Des envirens de Rouen. C'eft bon, Monfieur; dans trois jours j'aurai approuvé votre manufcrit. II le reconduit, 1'aide a retrouver fon parafol. La porte ne femble pas étre affez largo pour 'la fortie du poète, car il donne a guuche, fait un faux pas fur le palier , & tombe a la pre,mière marche. Il avoit repouffé quatre ou -cinq fois fon cenfeur avec la main, & le tout par civiïité normande. La porte enfin fe referme. Quel lourdaud! m'écriai-je; & cela écrit! 1 £h bie» » me dit Crébillon , vous 1'avez vu, vous 1'avez entendu, ou ?!utöt •vous n'avez rien entendu. Voulez-töus gager avec moi que fon ceuvre n'eft pas fans mérite? Oh! oh! vous le connoilfez donc ? Pas plus que 1'autre; je ne fai  X 4S ) famaïs vu; lifons. Nous lifons. Il y avorÈ dans le manufcrit du lourd normand, des idees, du ftyle; & c'étoit un ouvrage trèseftimable. Comme je demeurois furpris de 1'efprit de divination qui avoit faifi notre cenfeur, il me dit : « Une expérience de plufieurs années m'a démontré que fur vingt auteurs qui arrivent du midi de la France, ïl y en a dix-neuf qui font déteftables; 8c que fur le même nombre qui arrivé du nord, il y en a la moitié au moins qui ont le germe du talent, & qui font fufceptibles de perfecYion. Les plus mauvais vers poffibles fe font depuis Bordeaux jufqu'a Nimes. Telle eft la latitude des plats verfificateurs. Tous ces écrivains-la en général n'ont que du vent dans la tête, tandis que ceux qui viennent des provinces feptentrionales ont du fens, & un talent inné qui ne demande que de la culture.» J'ai eu lieu plufieurs fois d'appliquer 1'obfervation de Crébillon cenfeur, & prefque toujours avec juftefle. Les têtes méridionales ( les exceptions a part ) ne me paroiftent  I \9 ) paroïflènt pas propres a écrire; elles maaquent de logique. Je ne pafTerai point fous filence un fait qui prouve tout a la fois fon courage & fon amitié pour les gens de lettres & pour moi. Jepubliai, au mois de janvier 1771, une pièce de théatre, intitule'e , Ollnde & Sophroniè ; on y trouva des allufions relativement a 1'opération du chancelier Maupeou, qui faifoit la guerre a la magiftrature (a). Le parlement de Paris fut exilé le vingt janvier, & ma pièce fut publie'e le vingtdeux. On donna a tous les traits de mon ouvrage une extenfion qui plaifoit au public, & qui lui fervoit de vengeance tacite. Le miniftère, qui alors n'étoit rien moins qü'indulgent, vouloit fe'vir contre moi. Crébillon 00 Le chancelier avoit commaP Jé cent-vinet bro* ch«res contre les magiflrats. Tous les écrivailfeurt affames alloient au bureau de * * * * ». La, on payoit a tant la feuille les plus plats déraifonncmens. Le burabfte gagna, fur ces pauvres barbouilleurs, la moitié dc la Comme deftinée a ces pamphlets. Tc me Xt jj .  C j-o ) fils, qui avoit approuvé la pièce, loin de mollir, repréfenta, défendit ma caufe , fe prétendit feul refponfable. Sa généreufe fermeté me fauva un défagrément facheux; c'eft qu'il aimoit fincèrement les hommes de lettres. II m'a répété fouvent que malgré les travers de leur amour-propre , c'étoit ceux dans leTqüeïs il avoit remarqué en général le plus de vertus. Ses ouvrages font une anatomie fine & déliée du cceur humain & du fentiment, fur-tout de-celui qui dirige les femmes, dont le premier attribut eft de ne connoïtre rien a leur propre cceur, tandis qu'elles pénètrent affèz bien le cceur ou du moins le caraclère des hommes. Crébillon fils les a bien connues ; c'eft un peintre : & fa touche, pour être délicate, n'en eft pas moins exacte, & quelquefois profonde,  c ;i) CHAPITRE DCCLXXV. Les Efpalïers de VOpéra. O N appelle ainfï les divinités des chccurs tant dans le chant que dans la danfe. Les chanteurs & chanteufes décompofent méthodiquement les morceaux des grands maïtres. Les danfeurs öc danfeufes fortent, pour la plupart, des féminaires d'Audinot & de Nicolet. Les gambadeurs donnent des lecons de danfe. Les danfeufes font plus riches que les chanteufes. Les gens ennuye's , de'goüte's & blafe's, vont de la danfeufe a la chanteufe , & de la chanteufe è la danfeufe. Tel amateur a une connoiffance exacte du climat, du p?ys, du tempérament général & particulier ces fruits & des pêches qui compofent ces efpaliers. C'eft-la qu'on peut dire que les vices d'autrefois font les mceurs d'aujourd'hui. , fais D 2  (p) te que tu voudras > c'eft la maxime nouvelle qui femble être généralement adoptée. Aflujetti a tant de loix civiles, politiques, moraks, religieufes, Phomme, dans Pihtérieur de fa maifon & dans fa vie privée, reprend fa liberté , & la porte jufqu'a la licence. Plus Phomme eft opprimé par une multitude de loix & de coutumej, plus il féagit. Quand Phomme eft foumis a une foule ó'entraves, a des impóts de toutes efpèces, alórs il fe venge fur les mceurs. II y a des vierges a Paris fans doute, & tout autant qu'ailleurs; mais l'ignoranceN virginalen'y exifte pas. Leslivres, les fpectacles, les difcours, les exemples donnent toujours aux jeunes filles quelque communication de la fcience amoureufe , & leur enlèvent cette ignorance naïve, le premier des attraits. Nos filles bien élevées ignorent aujourd'hui une mu'titude d'arts domeftiques, qui, dans tous lesfiècles, ont été les occupations des femmes, ou pour mieux dire, leur devoir; mais elles danfent, elles chantent»  C 53 ) Les danfeurs & les chanteurs de 1'opéra perfuadent a toute la ville qu'il faut avant tout chanter & danfer. La maifon paternelle n'eft donc plus que le rendez-vous du maitre a danfer, du maïtre de roufique. Si les femmes, une fois mariées , cherchent a plaire a tous les hommes, c'eft fans doute paree qu'étant filles, il ne leur étoit pas permis den aimer un feul. Nos danfeurs a Londres ont fufpendu' les féances du parlement britannique. Nous fommes jaloux de nos danfeurs. CHAPITRE DCCLXXVL, Conjlruciion,, La falie de 1'opéra fut conftruite en foixante-quinze jours; célérité bien digne d'éloge^fi elle eut éti appiicable a un bltiment plus néceflaire , ou plus utile aux Hiaux de 1'humanité, D 3  ( J4 ) Le pavillon de Bagatelle, appartenant a monfeigneur Comte d'Artois, a été conftruit dans Pefpace de fix femaines ; c'eft ce qu'on ne peut croire, quand on voit tous les détails de ce lieu enchanté, oü tous les arts ont réuni ce qu'ils ont de plus riche & de plus gracieux. Saint- Cloud a changé de face en peu de mois. L'or eft la baguette magique qui produit ces prompts miracles; mais en créant de fi jolies chofes, pourquoi ne fait-il pas fortir de terre les quatre hópitaux ? C'eft alors que 1'enchanteur obtiendroit tous nos hommages. Mais fouvent, quand le propriétaire vient pour jouir, les vernis lui font mal a»la tête; 1'odeur des peintures a 1'huile rend les appartemens inhabitables : il eft obligé de fuir pour un temps; la broffe des peintres Pa chaffé de 1'édifice neuf, dont il s'éloigne fans pouvoir y refter. Les champignons de la fortune*(comme le dit un écrivain) veulent batir tout-acoup, II leur faut un chateau, & i! faut  ( SS ) que ce chateau forte aufli promptement de terre qu'une afperge dans la belle faifon. II faut des plantations d'arbres en falie, étoiles , bofquets, allées a perte de vi:e , tous arbres aufli ftériles qu,e l'efprit de 1'opulent batifieur. Quand le chateau eft fini, il faut encore de 1'eau jailliflante, un bel étang & un pont. Que faut-il encore ? un jardin anglois, pour finger les princes! Jamais, peut-être, les flottes angloifes ne nous ont fait autant de mal, que le goüt fatal d'imiter en petit leurs fuperbes poffeflions. Eh ! combicn cela dure-t-il? 1'efpace d'un moment. On ne voit de toutes parts que maifons, que chateaux a vendre. Ces lieux oü Ia rapine enfouifloit fes tréfors, oü le luxe déployoit fes ruineufesfantaifics , ces palais de la volupté , font achetés k vH prix, & démolis par les mérnes ouvriers qui les ont conftruits, & qui revendent les matériaux a d'autres fous, également tourmentés de. la manie de la batifle. D 4  (ft) CHAPITRE DCCLXXVII. Hotel des Menus. L'HÖTELditvulgairementdes menusplaifirs du roi, eft le de'pót de toutes les machines, décorations & hahülemens qui fervent aux fètes, c'eft 1'image du chaos; on y entalTeles débris des catafalques avec ceux d'une falie de bal. Le méme chariot les voiture, & on lit : Menus plaifirs du roi , fur les fragmens d'un maufolée. Ces mate'riaux épars coütent autant a rajufter que sik étoient neufs. Toutes les filles d'opéra, pour peu qu'elles foient protégées, trouvent la du fatin & autres étoffes, dont elles n'ont jamais affez. Quand on deflert une table, les valets fe livrent au gafpillage , & les fuperfluite's fe manifeftent; quand on voit les débris des fêtes données a la cour, il ne faut que cette. vue pour afHiger un boa  c si) citoyen fur Pemploi du temps & de 1'argent. II y a li une e'cole de de'clamation, oü s'exercent les débutans, fous la diredion de quelques comédiens qui prennent le titre de profeffeurs. Le feu vient de prendre a ce magafin; mais quand il arrivé un incendie dans un magafin royal, le public ne s'y inte'refie pas vivement : il appelle cet accident uk compte rendu écrit avec un charlon. Puis il ajoute : il y aura toujours de Vargent pour réparer cela. Les pères capucins ont accouru i cet incendie avec leur zèle accoutumé, & pour' fauver les richelTes théatrales des trois fpedacles. On a vu 1 un s'affubler d'urj cafque, porter un cimeterre fous fon bras, & tenir a la main la baguette de Méde'e; 1'autre avoit entafle' fur fes e'paules les jupons de fatin des actrices , & le caducée de Mercure, ce qui contraftoit • avec fa barbe & fon capuchon. Celui-ci, les mains armées des rayons du char du foleil, croyoit  C j8 ) fauver de gros diamans, & s'étoit enveloppé du vêtement d'un druide. Ces mains facrées, qui touchoient pour Ia première fois a tant d'objets profanes , prouvoient cet ancien adage : que néccffué rt'a point de loi • mais au miüeu de I'embrafement, i! a fallu rire malgré foi, en voyant des capucins fe charger des immodeftes débris des décorations théatrales, embraffer en fuyant des buftes voluptueux, & prêter du fccours a tous les dicux & déeffes demi - nus du paganifme. Ce qui e(r non moins remarquable, c'efl: que dans rhiftoire des capucins, plufieurs, a. difrérentes époques, font morts viftimes étranges de I'embrafement d'une falie d'opéra. Queüe deftinée ! ctre brü'é vif^lans le même lieu qu'on a pourfuivi de fes anathêmes. II nous femble qu'il feroit décent de difpenfer le zèie & la charité de ces pauvres pères, des'étendre jufqu'a des objets qui contraftent avec leur état. Les récoüets vont auffi au feu, montrent le même zèle que les pères capucins, &  C 59 ) quand on oublie de leur faire partager i'honneur du courage & la gloire du fuccès, ils rédament, dans le journal de Paris, la publication de leurs faits charitables. Depuis 1'incendie de 1'opéra , chaque fpefiacle a fes re'fervoirs & fes pompiers. Les pompiers font au réfervoir, & il y a une fonnettepourdonnerlefignal dudanger. Un malin t'ira la fonnette tout au milieu d'une pièce tragique; a 1'infhnt le fpe&cle fut inondé, les acleurs rafrai'chis, les auditeurs trempés ; on murmura; mais on ne put fe plaindre de la ponclualité. Toutes les falies de fpedacles femblent devoir, tot ou tard, appartenir aux flammes. Point d'années qu'il n'en brüle deux ou trois en Europe : des dangers aufli fréquens ne ralentifTcnt pas 1'amour du thc'atre ; il eft porté a 1'excès dans toutes les conditions. La falie qui doit infpirer le plu: de terreur pour un embrafement fubit, c'eft celle des variétés, au palais - roya! ; & comme elle communiqué k des échoppesde bois doublement rangées fur deux files, il y a de quoi  C 60 ) être faifi d'effroi, fur le pe'ril que courent "ournellement les fpectateurs ; il eft vrai que les pompes & les pompiers oppofent a ce fle'au la plus exacfte vigilance; mais qui peut calculer les fuites d'une fatale étincelle jetée au milieu de ce biïcher formé d'alumettes, peint, dore' & verniffé ? Le feu pourroit bien prendre pour punir certaines immoralités d'une efpèce grave. Dans une pièce jouée a ces variétés, deux coquins veulent fe défaire d'un honnête homme; 1'un dit a i'autre : la rivière^ouls pour tout le monde, afin de lui faire entendre qu'on pourroit jeter 1'homme par-deflus les ponts. Ne vaudroit-il pas mieux avoir deux théatres francais , deux théatres émul.iteurs , a la pjace de ces tréteaux ou 1'on diftribue au peuple d'aulli étranges maximes.  C 61 j CHAPITRE DCCLXXVIIL J-^EViNF.Z, le8 ) te fieur Félice m'a traité comme il a fait de 1'Encyclopédie. Sans doute, tous nos niais amateurs d'images, ne manqueront pas de me métamorphofer en Iconoclafte. Des armées de deflinateurs, de graveurs, d'irnprimeurs en taille-douce , d'enlumineurs, de libraires, de colporteurs, & d'imagiftes de tout état & de tout rang, fonneront le tocfin après mon hétérodoxie. Il me femble déja voir la tourbe de nos écrivains papillons m'aflaillir chacun leur image en main, & déployer contre moi leur impuifïance; je n'en défendrai pas moins les droits de la raifon & du bon fens; je n'en foutiendrai pas moins que c'eft un vrai agiotage, de nous forcer de payer chèrement des livres enrichis d'inutiles figures en taille - douce , & qu'il y a plus que de la folie de prétendre amufer tout un grand peuple éclairé, avec !des images, comme des enfans.  r 99 5 CHAPITRE nCCLXXXVL Êcole gratuite de dejfin. Elle m'attriftë , "car elle ne fera qud multiplier ces inutiles artifans d'un luxe ruineux; elle formera de mauvais deflinateurs, des peintres plus mauvais encore, des graveurs de toute efpèce, & ces orphéVres, qui tranfportent fur nos tables des figures qu'on ne placoit jadis que pour accompagner les grands monumens. Les architectes inondent Ie public de leurs plans deftruéteurs, & femblent dire a 1'envt 1'un de 1'autre : Qui veut être ruiné ? Nous voila tout prêts. Que fignifie ce crayon dans la main des enfans ? eft-ce-la un gage de fubfiftance ?• On ne parle plus que d'édifices luxueles, de falies de fpeótacle , & voici un régiment de crayonneurs qu'on deftine a ces «smbelliffemens futiles,  C IO0 > C'eft un grand malheur public, que cette protection éclatante accordée k des talens frivoles ou dangereux : ces en fans qui paroiflent d'un tempérament robufte , on cn fait des deflinateurs. Eh ! pourquoi ne pas les reftitüer aux arts mécaniques qui les réclament ? pourquoi enlever ces bras naiffans a 1'agricülturë'moderne ? Des têtes de Raphaël qu'on fait copier aux premiers venus, quelle démence ! Veut-on faire une république de peintres ? Le plus grand défaut parmi 1'éducation du peuple , c'eft qu'on ne fait apprendre aux enians qu'une feule chofe. Les arts de pur agrëment font divifés en cinq ou fix articles entièrement féparés, & oü 1'on emploie différentes perfonnes ; 'chacune ne regoit que 1'apprentiflage d'une feule chofe, èc toute fa vie elle fera condamnée a. la faire. Un gazier ne faura fabriquer que de la gaze ; un boutonnier ne faura faire qu'un bouton : pour peu que la mode change, voila la fcience de plufieurs milliers d'ouvfiers en défaut..  C ioi ) Ces écoles gratuites n'enfeignent qu'une chofe; elles rétrécifïènt i'induPcrie au Heu de 1'étendre. Qu'on ouvre indiftinctement la porte a tous ceux qui fe préfentent, on leur öte la facilité d'apprendre un me'tier. D'ailleurs , qu'on examine un peu tous ces malheureux écoüers gratuits , combien y en aura-t-il en état de fuivre la carrière dans laquelle ils fe trouvent tranfplantés ? Aucun, fi quelque hafard heureux ne lui en préfente les moyens. Voila donc une multitude de jeunes gens facrifiés a la gloriole d'avoir formé un étabüfTement niais, tout au moins inutüe, & a la fortune de quelques profeffeurs, qui gagneroient bien mieux leurs appointemens en fe prorrienant du matin au foir , & fans rien faire abfolument. Quoi! descréatures raifonnables n'auront pour fubfifter que la miférable portion de tel métier, & hors de la elles ne fauront rien faire ! Un guillocheur ne fera pendant trente ans que tirer des lignes fur une boïte ou une montre d'or ; celui - ci ïiq  ? 102 5 faufa qu'applatir un bijou, celui-la Té dorer, & tout fera dit pour les bornes de leur intelligence ! Voila donc le produit de ces arts de luxe, auxquels on ouvre des e'coles gratuites, paree que les chefs font richement penfionnés, a proportion que leurs documens font plus inutiles. Rien de plus pauvre fur le globe que ces artifans fubalternes; & fans les fecours tirent des paroifTes , leurs travaux loujaaliers ne fuffiroient pas au foutien de, leur ménage : ces artifans trouvent fi peu de relfources dan: leur métier, qu'ils en éloignent leurs enfans. Nous nous éleverons donc toujours contre Yécoïe gratuite de dejjin, contre la prétendue utilité d'un établiflement de cette nature , & nous crayons qu'il n'y auroit pas de livre plus philofophique a faire aujourd'hui , que celui qui s'éieveroit avec force contre la peinture , la gravure , Varchiteaure , Yenlutninure , la fiulpture , ces arts tant préconifés & fi faux, fi dangereux , fi inutiles au. feo.rth.eur & aux vives jouhTances dq  1 los } 1'ame. Ils ont ufurpé les titres du génie; 3 eft temps de les en dépofféder, & de rendre aux arts rlans & utiles, aux arts du fentïment, les fommes immenfes que le pinceau & le cifeau ont détournées pour quelques impreflions molles, paflagères, & dangereufes fous plufieurs rapports. CHAPITRE DCCLXXXVIL La Barrière du Tróne». C/est un endroit nu, ou 1'on drefla jadis un trêne pour Louis XIV, lorfqu'il fit fon entree triomphante dans Paris. On devoit ériger en ce lieu un are de triomphe, qui eüt furpaffé en magnificence ceux des Romains. L'auteur de Ia colonnade du Louvre en avoit fait les deffins; il n'en refte plus quune gravure, & le philofophe eft charmé que ce monument faftueux & inulile n'ait pas été exécuté, car- il auroit, G 4  '( ïo4 > cofite des fommes immenfes, prifes fur Ce merne peuple déjè épuifé par les frais d'une guerre difpendieufe, dont tout Ie fruit eüt eté ce malheureux are de triomphe. Q'auroit eté un fcandale de plus qu'auroit donné larchiteöure, art fi funefte en ce qu'il ruïne les rois en fiattant & accroiffant leur orgueil. CHAPITRE DCCLXXXVIIL Eaux de la Seine, Qüelqu'ün difoit que la Providence avoit placé les belles rivières tout au milieu des grandes villes. Les premiers fondateurs de notre cité furent bien infpirés, en bitiffant de manière que la Seine coupe en deux Paris : & Hen de plus pre'cieux pour une grande ville, que fon enceinte foit coupée par une rivière 5 c'eft un ventilateur perpétuel.  ( ioj ) La falubrité conftante de 1'eau de la Seine eft une chofe démontrée, tant par les expériences chymiques, que par 1'expérience heureufe de plufieurs fiècles. L'eau de la Seine réunit toutes les qualités qu'on peut defirer : il faut feulement avoir 1'attention de puifer l'eau a quelques diftances des bords ; il fuffit enfuite, pour qui boit l'eau de la Seine, de la laiffer dépofer dans un long vafe de terre. II aura de meilleure eau par ce moyen fimple, que par tous les moyens vantés pour 1'épurer & la clarifier. C'eft une erreur répandue dans les provinces, que celle qui attribue aux eaux de la Seine une infalubrité qui procure la diarrhée. La chymie, qui eft faite pour réformer nos idees , nous dit que 1'état de l'eau de la Seine, quoique trouble & défagréable a Poeil, eft préférable a la tranfparence de certaines eaux , qui, pour Ia plupart, cachent fous cet extérieur des matières hétérogènes. Une tranfparence cryftalline récrée la vue; mais il faut favori  I 166 3 que plus les eaux font filtrées & claires 4-plus elles font dépouillées de cet air interpofé qui conftitue leur faveur & leur légereté. II ne faut que laifler repofer l'eau de la Seine pour la rendre falubre ; c'eft Ia plus excellente des boiffons. Elle eft encore préférable, comme eau courante, a toutes les eaux limpides qui fortent des rochers helvétiques. L'eau bien claire n'eft donc pas la plus falutaire, mais bien celle qui fe trouve imprégnée d'une plus grande quantité d'air, qui fait fa qualité bienfaifante. v Les eaux de Ia Seine ont été calomniégs; mais pour guérir 1'imagination qui, une fois bleffée , rejette le raifonnement, il feroit a defirer qu'on obügeat les blanchilfeufes d'établir leurs bateaux au-deffous de Paris. II faudroit que les immondices ne fe déchargeaffent point au centre de la capitale, qu'on ne vit point un ruiffeau Iarge & noir comme le Styx , épais & limonneux, couler en face du collége Mazarin. La vue des égouts qui tombent dans la.  ( ï07 )' frivière, difpofe a la critlque; & tout té monde ne fait pas que l'eau, 1'air & le mouvement, régénèrent toutes chofes, & que les eaux un peu troubles, je le répète, valent mieux que les eaux limpides. II ne faut jamais laiffer repofer l'eau ni dans le plomb ni dans le cuivre; ce qui occafionne des accidens que 1'on attribue a l'eau de la Seine, vraiment bonne. De gros tonneaux timbrés aux armes de la ville, armés de foupapes & de tuyaux de cuir, promènent cette eau dans les faux^ bourgs & dans les villages circonvoifins. l'eau agitée par ce mouvement eft plus falubre que celle qui paffe par des canaux de bois ou de métal. On la puife avec la voiture, les chevaux & le muid au miliem du fleuve , précaution indifpenfable. Malgré le fleuve large, quelques fontaines, deux pompes a feu, un grandnombre de porteurs d'eau, & de ces muids ambu^ bulans, on n'eft pas encore venu a bout d'abreuver la capitale. l'ancien projet d'a-< mener les eaux de 1'Yvette va fe réalifefj  ( io8 ) £c il paroït pféférable a ces pompes a feu* qui norit pas fatisfait pleinement les Parifiens. CHAPITRE DCCLXXXIX. Ironie. E l l e eft 1'ame de nos entretiens. C'e'toit autrefois une raillerie fine & délicate; Socrate Ia maniok avec adreiTe. II paroït que de nos jours 1'ironie a pris une tournure moins heureufe, & qui lui öte de fa phyfionomie: elle doit être légere & fine; alors elle remplace avantageufement la critique férieufe & raifonnée. II faut bien diftinguer 1'ironie de la critique & de la fatyre : il ne faut pas qu'elle foit poufiee trop loin, paree qu'elle devient une véritable infulte. Gacon difoit que M. de la Motte ne reffembloit a Homère , qu'il avoit voulu imiter , que  C iep ) par fon aveuglement, (paree que Pun & I'autre avoient perdu la vue ); c'étoit une groffiéreté. Tel journalifce, voulant manier 1'ironie, devient par fois brutal. II eft encore groffier de faire tomber' 1'ironie fur les notns propres ; & il y a quelque chofe de puérile & de bas , de railier quelqu'un fur fa profeffion ou fur fon rnétier. J'ai lu quelque part que Louis XIV étoit fort réfervé , &: qu'il n'employoit jamais 1'ironie. Cependant il lui échappa un jout de dire a un gentilhomme, dont la pointe de 1'épée qui fortoit du fourreau avoit piqué la jambe du roi : Votre épée na jamais fait de mal qua moi. Le gentilhomme, outré de cette raillerie, tira fon épée, & fe la piongeant dans le fein : Elle me fera , ftre, plus de mal qua vous. C'étoit prendré les chofes bien au tragique. Le maitred'hötel du prince de Condé, qui, paree que le poiiïcn n'arrivoit pas, fe tua k Chantilly , en s'écriant, je fuis un homme déshonoré, «'étoit pas plus fou.  1'ironie demande a ctre maniée avec H |>lus grande légérete'; des qu'elle devienfi fcne arme pefante, elle manque fon coup. tCHAPITRE DCCXC. Dindons. Savez-vous comment vlennent les dindons a Paris ? Non. Je Vais vous le dire. J'attends Cela eft turieux en vérite' ; ce que c'eft que de connoïtre les de'tails de 1'adminiftration publique ! ■ Les dindons y ont donc leur place? Vous allez voir; un feul liomme avec une longue verge en conduit des milliers le long des routes, & pas un ne s ecarté. Le troupeau ne va pas vïte ; ils ne font que deux lieues par jour, encore partent-ils de grand matin; ils gloulTent, mais ils avancent. Voila le principal. if-r Ph ! ils ont la permiffion de gloulfer,  r ui > tant qu'ils veulent, pourvu qu'ils ne s'écartent pas; enfin ils arrivent a leur deftina- tlon. Nous leur ferons, feigneur, en les croquant , beaucoup d'honneur. • Quoi ! vous n'admirez pas la marche grave de ces dindons , qui arrivent de cinquantecinq lieues en n'en faifant que deux par jour? Non, paree que j'en connois qui en font quatre le dimanche matin^ mais ils arrivent en pofte. CHAPITRE DCCXGI. De Diogène, D.oc ene ne feroit pas toléré aujour-^ d'hui : un cynique auroit beau avoir du génie, s'il trainoit de vieux haillons , s'il n'avoit pour meuble qu'une écuelle de bois, fi, la lanterne a la main, il cherchoit un homme en plein midi, s'il difoit a un grand avec fierté : retire-toi de devant mon foleil^  ( "2 ) la police, qui n'eft pas un Alexandre, crieroit havo fur fa fagefTe. II n'y a plus que les ravaudeufes qui aient le privilege d'habiter un tonneau; encore eft-il coupé. II eft triite de penfer qu'un philofophe n'auroit pas a Paris le développement de fon caractère, & qu'un exempt de police feroit taire Socrate & Démocrite. Ainfi perfonne aujourd'hui ne peut mettre le pied hors des routes battues, ou étendre le bras, que les mejjiers ne s'élancent auflltöt fur lui. Cela attrifte 1'homme qui aimeroit a rencöntrer des caractères originaux» Si d'un cöté la police veiüe au repos public, de 1'autre elle öte aux hommes ce piquant & cette fingularité qui mettroient beaucoup de diverfité dans les efprits. La mauvaife humeur craint de s'échapper. II n'y a rien de plus rare qu'un homme qui parle & qui s'exprime comme il penfe. Le babil des cafés ne roule que fur la gazette & le mercure. En fertant du fpeflacle hier tout échauffé, J'entrai par befoin au café ; 1.3,  ÏA, mon «il fp-ftateur rt vit la comédk» De mille gens oififs la f ,11e étoit templis. L'un d'eux en fredonnanc , d'un ton étudié , D'un duo d'upéra déionnoit fa partie; L'autre, en danfanr tout feul, attat|Uoit fans fïtiS La jambe d'un voifin mattyt de fa folie. Cepe d.int , dans- un coin , un jeune dameret, Las d'avoir étalé fa figi te amphibie , D'un air myftériéux pliuit quelque billet, D'un créancier peut-êire , en forine de pouiet; Tandis qu'un vieil efcroc , qui fonde fa marmite Sur les gaze'tes qu'il déhite , A chaque table récitoit Ses contes bleus; & d'un doigt parafire lüimiochon ou le fucre ou le pain qui reftoic Mais fans diffictilté quelqu'un encor plus fade, C'ctoit un bel el'prit, plutöt efprit raalacle , Un de ces etourncanx qui n'ont que le lïfflet, Qui nous tornooit la t(te a tous par fon caquec. Tuutefois orononcant cent jrrcts picuyables, II avoit attroupé trente de fes femblables; ClercS) conanij tu btéieurs , &-des abbés , (bon Dien J Si fort dcplacés en ce lieu !) Avcc.quelqi.es mafquis , dt ceux quf^ont fans ceflè Aan gens, bon gré , malgré , dét. ille'r leur noblelie; Et qui n'avant jamais ofé fervir le roi, Diro t dans tout Paiis : » Un homme comme.moi, o Tomé X, H  ( ii4 ) Je pétilloiï. Aufli fcndünt la prefTe, Sans avoir dit le moindre mot Je me dérobai du tripot. A peine un honnête homme y va perdre un quart d'heure. On laifie aux fats oififs d en faire leur demeure. CHAPITRE DCCXCII. Société Royale a"Agrïeulture. Si au lieu d'inftituer YAcadémie fratifaife 9 qui n'a fait pendant cent années que tuer les génies originaux & vigoureux, atténuer la langue, fomenter la jaloufie entre les gens de lettres, on eüt créé une fociété d'agriculture, nous ferions plus avancés dans le grand art qui ordonne a Ia terre de produire, & qui par des travaux féconds enfante tout a la fois 1'opulence des royaumes, les vraies jouiflances de Ia vie,. & le bonheuc de Thomme,  ( lij) Les préjugés & 1'ignorance ont déshonorê & appauvri le fol de la France. L'agriculture expérimentale étoit négiigée & abandonnés k la routine d'hommes grofïiers. Ij a fallu épuifer le luxe des paroles, avant que 1'on foit parvenu k trapper un but uti'e. En couronnant Apollon & fa lyre, en careffant fuccefllvement toutes les mufes, on avoit oublié la bonne Cérès & fes blonds épisj fon tour eft enfin venu. La réunion de plufieurs cultivateurs inftruits dc zélés, & 1'application heureufe de leur génie a 1'écOnomie rurale, ont produit des changemens heureux, qui ont donné lieu k de nouvelles produótions. Vingt-fix milliohs d'hommes k nourrir, k vêtir , cela eft plus intéreffant que de leur donner des tragédies & des opéra, des vers tc des chanfons. On a cependant commencé par les chanfons & par les vers. Le ballet héroïque en tonnelet j & tout fatiné, a eu le pas fur le criant animé & ruftique des laboureurs, & fur leurs danfes champétres, Mais le beau livre a étudier que le climat H 2  3e la France, qui dans fes diverfes provinces offre toutes les températures ! Par quelle erreur le premier des arts a-t-il été fï long-temps abandonné ? Une plante, dont on a étudié le caraótère, que 1'on foigne & que 1'on propage, n'eft pas moins vivace que 1'Iliade d'Homère, & peut aller plus loin encore. Une feule plante bien cultivée nourrit les beftiaux , écarté la difette, combat les fléaux de la nature. Les manufaétures orgueilleufes ne font que des branches des plus humbles végétaux. Les matières premières enfin font fur ce fol ou 1'on promène la herfe. On peut ranger parmi les plus belles conquêtes, la culture des gros navets, des jpommes de terre, du. maïs, du turneps, de la betteravèchampêtre,&c. Parmi la defirudion de certains préjugés nuifibles, on peut compter la fupprefSon des jachères, Dans un court efpace de temps, voila déja l'agriculture vivifiée. Les lecons de 1'expérience fe communiquent & fe propagent au loin; la fsience ne fe cache plus; c'eft a qui pro-  ( H7 ) dïguera fes découvertes; c'eft a qui fera: jouir fon voifin d'une expérience utile. Une nation danfante, chantante & verfifiante, eft enfin devenue agricoU. Dieu foit loué ; de bonnes racines valent bien Jean Racine. Cette fociété eft affife dans une falie de H"iótel-de-ville de Paris. C'eft de ce centr'e oü tout aboutit,qu'elle répand fes lumières, & qu'elle invite tous les agriculteurs a 1'échange mutuel des théories & des faits , qui doivent tourner au plus grand avantage de tous. Nous voila donc placés a la fource principale & intariffable de la félicité publique. Nous pouvons déraciner tous les vices qui infeftoient notre fol, en oreer un nouveau, le couvrir de nouvelles richeiTes, & offrir au ciel ces vertus paifibles & domeftiques qui accompagnent les travaux champétres:.*-: II faut; déformais écrire le traité du bonheur politique des nations avec la herfe, Ia charme & le rateau ; alors on ne verra plus les fouverains lutter contre leurs fujets ; on fera avec gaieté la part du monarque; le H 3  ( u8 ) travail des campagnes établira fur tous les points de la France une table frugale , oü 1'on pourra goüter un beurre plus fuave, un lait plus nourriffant, tandis que les beftiaux offriront de belles laines nationales. Des plaines riantes, des cöteaux brillans de leur utile parure, des fables orgueilleux de prodüire, d'abondantes provifions enfin entretiendront la paix entre le fujet & Ie fouvcrain ; car ce font les contrées vivifiées par l'agriculture qui font tomber tous les vices politiques. L'éconemie rurale éclairera les feigneurs barbares fur leurs vrais intéréts , & effacera peu a peu tous ces reftes honteux de féodalitéqui ruinent le propriétaire. Tels font les bienfaits de la focïété royale d'agriculture. Ses nobles travaux font naitre les denrées fur des champs fertiles; & ce ne font que les champs grandement fertilifés qui font faire-les orages honteux des divifions inteftines. Le repos des campagnes décide le repos des Etats. M. Brouflbnet, jeune encore, eft le fecré«aire de cette refpectable fociété. On aïme  C 119 ) a voir la fimplicité de fes mceurs & la clarté de fon ftyle, fans fafte & fans prétention répondre parfaitement aux préceptes de 1'économle rurale; & cette aimable concordance de 1'écrivain avec le génie naïf des cultivateurs plait, intéreffe, & prête un nouveau charme a la fcience agricole. CHAPITRE DCCXCIII. Fonts Tétes, J'e n connois deux vraiment remarquables: 1'une eft une fervante d'auberge-, rue des Boucheries, a vingt-fix fous Ie repas. Elle" doit donner a chacun le potage , le bouilli, 1'entrée, le roti, 1'entremets, ledelTert, & fans fe tromper , reconnoïtre celui qui voudroit efcamoter un plat : elle doit avoir une idéé .nette de Yextra, c'eft-a-dire, de la roquille que tel ajoute a fa chopine, & ne rien oublier de ceux. qui changent H 4  £ 120 ) rentree ou 1'entrtmets en roti, ce qui fait un excident. Eh bitn ! cette merveilleufe créature fe fóuvient de tout ce qu'on a pris, de tout ce qu'on lui a demandé ; toutes les alliettes fe gravent dans. fa mémoire; el'e fait encore que tel a pris demi - bouteille ou demifetier. La voix hypocrite ne 1'égarera point ; eMe n'tft po nt ciftraite par les louanges qu'on lui adreffe ; vous aurez votre compte rendu mieux que ne le fait un contiókur dei finances. Elle fert cent-cix perfonnes ; eMe a donné fix cents aüietus, cinq cents plats, autant N de pain , de cuillers, de fout e hettes . de bouteilles & de ferviettes; elle ne s'eft point trompée, Eh! n'eft-ce point la une téte newtonienne ? Elle eft par-tout ; non - feulement elle fert les plats, mais elle les appelle encore, & les applique jufte a la perfonne qui les a demandés. Elle ne vous regarde point ; elle a diftingué le fon de votre voix ; elle fait enfuite que tel mache vite & tel autre  ( 121 ) lentement : c'eft un phénomène curieux! pour la juftefie de la mémoire, pour 1'agilité des jimbes, pour le fang-froid & la rapidité du fervice : elle eft éncore trèsadroite ; comme elle n'a point le temps de pofer les plats, elle les laiffe tomber perpendiculairement , mais fi bien , que riet» ne fe répand. L'enfemble du couvert fort de fes poches ; une bouteille de vin faute par-^deffus votre tête , & vient fe placer dans un étroit efpace, car on n'a point la fes franches coudées : la bouteille fonne fortement fur la table; jamais elle ne la caffe, tant 1'è plomb a de jufleffe. Elle reconnoït celui qui eft venu diner il y a fix mois, & la place oü il étoit, & 1'fiabit qu'il portoit : elle fait enlever le couvert au moment précis , & bien hardi feroit celui qui voudroit le filouter ; elle auroit lu fon intention dans fes yeux; elie devine , a la tournure, que tel va mettre dans fa poche la pomme du deffert, aulieu de la manger ou de Ia laiffer. Après avoir aftifté au fervice, elle afiifte  ( 122 ) au païement : c'eft- la qu'elle eft en état de jvous dire : vous avez_ pris cela de plus s & il n'y a rien a repliquer ; la tricherie feroit promptementdémafquée : elle réclame fes deux fous; fi vous ne les lui donnez. pas , votre phyfionomie avare demeurera gravée dans fon cerveau. Elle rentre bientót dans la falie comme un éclair; fes jambes font en aétion pendant cinq heures. Quoique un peu graffe, elle eft ïégère. EHe ne fouffre point publiquement d'autre appétit que celuidela table.L'homme qui s'émanciperoit, tandis qu'elle a les mains embarrafTées , feroit puni fur le champ ; elle tient la vengeance au-deifus de la tête, elle verferoit fur le téméraire la fauce du plat- Arithméticiens-géomètres, je vous défie de faire pendant fix heures d'horloge, ce que cette fervante fait pendant toute 1'année. L'autre forte tête, & qui fait le pendant de ma Ne\ctonienne, eft un procureur aux eonfuls. II eft véritablement enfeveli dans un tas de paperaffes , car il faut fe lever fur la pointe du pied pour 1'appercevoir:  ( 123 ) il a trols cents affignations a donner , & deux cents plaidoyers a faire ; il ne confond rien; fentence, fentence par défaut, appel, réaMignation, tout eft diftinét dans fa tête. Vous lui dites un mot, il fourre votre papier dans un coin, & il le retrouvera au bout d'un an. II plaide pour ou contre, attaque, défend , rep'ique , êc jamais il ne prendra un nom 1'un pour 1'autre. Vos qualités, vos demandes, la quotité de la fomme, tout cela forme autant d'afFaires différentes dans fa mémoire; il fourit ou fronce le fourcil. Le plaidoyer fait, il va plaider depuis cinq heures jufqu'a deux heures du matin fans fe déferrer; il a tracé fur votre affignation un trait indéchiffrable, mais tous vos moyens font la; vous n'aurez plus qu'a repafTer; il ne vous laifTera pas ouvrir la boüche ; la fentence eft prononcée; il latire leftement d'un pied cube de papier griiToimé, & puis il vous dit: la voila, J'ai plaidé une pareille cnufe ■il y a fept ans , & V adverfaire fe nommoit comme vous; voyez, H étend le bras, & fur un papier jauni, vousüfezce qu'il vous a dit.  ( > Au milieu de toutes fes affaires, il vous entretient de la gazette, mé e la guerre des Turcs avec la vótre, tend la main, recoit trente fous pour fon plaidoyer, & gagne onze mille francs par an a ce métier. II devine, quand vous entrez , fi vous étes pourfu.vant ou pourfuivi, mais.il paroït impaflïble, car il recoit également bien 1 'honnête bomme & le fripon, !e créancier & le banqueroutier ; cela ne paroït pas Lire une trop grande différence dans fa téte philofophique. Quelquefois il égaie 1'auditoire, & le plaidoyer gaillard n'en eft pas plus cher; tandis que MM. les avocats font bien payer leur efprit mordant, lui, i! donne le fien comme par furérogation, & il fe plaït a citer au tribunal des jugemens équitables & facétieux, rendus il y a plufieurs années, avec la date. Vous voyez que fa mémoire prodigieufe eft égale a celle de la fervante, mais il ne trotte pas comme elle : il eft toujours affis ou debout; aufli fa tête eft-elle grolTe & ronde; elle paroït setre enflée fous le  nombre ïncroyable d'affaires qui y ont paffe; fes yeux en font comme appefantis ; mais un trait de la gazette réjouit cetts phyfionomie férieufe, & fi. vous êtes un peu nouvellifte , votre affaire en fera plutöt expédiée. Quel dommage pour lui , que les potentats ne plaident point a la jurifdiétion confulaire ! II regarde ce dernier tribunal comme plus important que tous les autres enfemble ; & s'il fe fermoit , la France feroit bouleverfée. II feroit très-curieux de Pentendre fur tous les bilans qui ont été préfentés depuis qu'il eft aux confuls : les profefiions les plus difparates fe brifent au méme écueil; aucunétat n'eft exempt de faillites, & leur progreffion accélérative ne reffemble que trop a la chüte des corps graves. Je puis dire n'avoir guère vu de perfonnage plus curieux, & je laiffe a d'autres le foin d'achever ce portrait, qui d'ailleurs fera toujours celui d'un homme utile SC vraiment eftimable. On a fait tant de fois le parallèle de Corneillef  ( 125 > & de Racine; qui fera celui du procureur & de la fervante? CMAPITRE DCCXCIV, Poulailter. Les admirateurs du fiècle de Louis XIV *& de ce fouverain fameux, grand acteur de la majefté royale, foutiennent que de nos jours tout eft dégénéré, même 1'efprit des grands voleurs. II n'y a plus de Nivet ni de Cartouche, difent-ils, ainfi qu'il n'y a plus de Racine ni de Corneille : les fiers bandits ont difparu avec les grands écriVains ; des voleurs médiocres, des fripons fouples & adroits, des éfcrocs fubalternes, voila ce qu'on voit paroitre au lieu de ces chefs de bandes, qui intimidoient la police & bravoient fon activité. La renommée promenoit le nom d'un Cartouche ; c'étoit 1'effroi de la capitale* Eh ! peut - on lui  C Ï27 ) «omparer ur, Poulazller; quel cliétif voleur! A-t-il fu proloiiger, comme Cartouche, une exiftence difficüe; a-t-il profsffé le vol hautement pendant des années entières , tantót dans des villes, tantót dans les forêts, en échappant fans cefle aux Argus qui 1'environnoient? Non , il a été arrêté dès les premiers pas de fa carrière; c'eft 1'infidélité des récits populaires , ce font les exagérations de la peur, qui lui ont prêté quelque gloire, II étoit loin de ces brigands du fiècle de Louis XIV, qui, nés avec un penchant décidé pour le crime, participoient a 1'énergie du temps, & favoient combattre police & maréchamTée. Tout dégénéré donc vifiblement, & les voleurs de notre temps n'ont pas plus de génie que les auteurs. Si ceci n'eft pas écrit en ftyle de journalijle , de folliculaire & d'acadérnicien , je ne m'y connois pas : il eft fur que 'Cartouche fut un autre brigand que Poulailler; mais celui-ci du moins, au défaut des hauts faits, fema Pépouvante dans les  I ia8 5 environs de Paris; il fit fortir fon nom dé la foule vulgaire des voleurs ; il eut une renommee paffagère, il eft vrai, mais enfin il fit parler de lui. II avoit commis quelques vols; ori lui attribua tous les vols qui furent commis pendant plufieurs mois ; bientöt on le chargea de tous les crimes, de tous les affafiinats ; '& ce fimple voleur , qui n'avoit qu'un degré au deflus d'un filou , fut calomnié par la voix publique , qui fe le figura les mains teintes de fang, tandis qu'il n'avoit jamais attente a la vie de fes fëmblables. II fallut que Poulailler montat a 1'échel'e de la potence pour être abfous du titre de meurtrier. La corde prouva invincib'ement qu'il n'avoit point mérité la barre; fon procés fit reculer l'éch.faud & la roue dont on le gratifioit; il ne fut que p,ndu% Eh ! quelle diftance n'y a-t-i-! pas entre un voleur & un alfaffin ? La terreur qui accom-. pagnoit fon nom s'évanouit, quand on (üc que ce n'étoit qu'un voleur, qu'il marchoit feul & fans complices, & que s'il étoit parvenu  C 120 ) parvenu a s'efcamoter de fa prifon, il nè devoit ce fuccès qu'a la mal-adrefTe du guichetier. Tour-a-tour domeftique cordonnier ^ marchand de chevaux, il ne tenoit pas a fon nom; il en changeoit fuivant le befoin : fon nom ne peut donc pas foutenir le parallèle avec celui de Cartouche, qui dominoit puiffamment, & rallioit la bande des malfaiteurs. On enfla Pinduftrie & les exploits de Poulailler, ainfi que fon courage entreprenant ; on lui fit don d'une intelligence privilégiée ; mais il n'avoit rien qui fut propre a le diftinguer de ces voleurs que 1'approche de 1'hiver fait éclorre aux environs de la capitale, &qui, mettant a profit les longues & fombres nuits d'hiveri ne dédaignent pas les nuits plus claires du printemps & de 1'automnei Celles-ci furent préjudiciables a Poulailler; fon me'tier le trompa, & comme il n'avoit pas fu s'arréter a temps, lorfqu'on le tint, on vit qu'il ne méritoit pas d'avoir alarmé la première ville du royaume. Tome Xi |  C 13° ) • fr'ivet avoit un plus grand cara&ère que Cartouche , & merrie une loute autre énergie. Qu'on en juge par le trait fuivant: Ce voleur-aifafiin fut condamné a la roue ; il avoit des complices nombreux.; comme le chef & le p'us ccupable, i! fut condamné (felort l'ufage) a être exécuté Ie dernier; montant fur i'échafayd , il vit fon camarade ployc fur Ia roue, qui pouiToit des cris horribles : Nïvet s'arrête, & lui dit: Taistoi , eh ! ne favoLs-tu pas que neus étions jujets a une maladïe de plus que les autres hommes? Ce mot profond fait frémir, & je me gardera! bien dj 1'analyfer. Poulailler avoit deux ou trois complices; ce netoiept que des rece'eurs, & rien de plus. Maas on a vu , & on fe fouvient encore du voleur Jol'tahe : il a confervé de nos jours une juf è renommee ; je-ne fais, mais on ne peut lui refufer une eertaine efiime, du moir.s pour fa prudente confommée. Le voleur jolitaire ne corrompoit le cceur de perfonne, n'expoloit perfonne au revers qui ft:jt les expéditions nocturnes; il marchoit  C *|l ) feul dans les ténèbres avec fon génie ; & comme il ne confioit qu'a fa main les ëffraétions néceffaires, & a fa penfée les plans de conquêtes , il jouilfoit feul du butin. On le vit en plein midi fur un toit, lever les ardoifes d'une cbapelle de SaintSulpice. Les marguilliers en paifant diloient : ceci fe fait par fordre du curé; le curé de fon cóté difoif: cefl par ordre des marguilliers. Quelle pénétrante audace ! La nuit il fit fon coup en pleine füreté, ne craignant ni traïtres ni dclateurs. Turenne fut arrête la -nuit aux environs de Paris par des voleurs , qui lui prirent fon argent, fa montre & fes bijou" ; il réclama une b%gue , non a caufe de fa Valeur intrinscque , mais paree qu'il la tenoit d'une femme qu'il aimoit , & 1'on fait combien il fut foible pour une femme. II offrit cent louis aux voleurs pour conferver cette bague chérie ; ils acceptcrent la propofitiojj, & tw d'eux le lendemain fe tranfporte chez le vicomte , au milieu d'une nombreufe compagnie, & 1c fomme I 2  (en 'ui parlarjt bas a 1'oreiüe) d'accomplk fa protoeffe. Turenne le prie de le luivre, lui ccmpte la /ornme , & le reconduit pohment. Ce yolfur avoit une idee jufte du caractère de Turenne. J'ofe croire qu'on doit garder ure parole.de cette nature. Pourquoi ? paree qu'elle peut réveiller des idees de juliice & de fidéffcé dans 1'efprit des malfaiteurs ; paree qu'elJe peut fauver la vïe dans pareille circonftance k un homme généreux; paree qu'il faut tenir toute promefle qui n'offenfe pas les loix. Le Prétendant, après Ia bataille.de Culloden, en 174c, s'étoit.réfugié' chez deux voleurs de profdhon : i!s refusèrent de fcdgner trente male livres, prix des dénonciations; & quelques années après, 1'un fut pendu pour un vol de trente-iix franes» O fouverains, connoiüez les hommes !  ( m) CHAPITRE DCCXCV. Marfy. Louis XIV & Ie foleili eétok tout un il y a cent ans , ccTnme chacun fait, II s eft donc env*ronné de douze pavillons, qui faifo)Vnt ailufion aux douze fignes du zodia<4Ue> H 116 faut Pas décrire ce lieu, -« faut Ie vifiter. La feue reine a fait jeter une chemife de msrbre fur la Vénus aux belles felfes; elle voulut aL'fö que les dieux & les héros cachaflent décemiiTjÖt, fous des feuilles de ftuc, les marqués de virilité; plufieurs mcme furent impitoyablcment mutilés , & ont perdu depuis , fous lts injures de l'air, les voiles qui les couvroient; de forte qu'i's n offrent plus aujourd'hui qu'une honteufe dégradation, pire que le premier fcandale. La pudeur & la fculpture ont bien de. ï S  ( I.34 )" la peine a fe marier enfemble. Comment offrir la beauté des formes fans 1'imitatiori de la nature ? Mais, comment !e libertinage des païens s'eft-il natuxalifé chez le fils aïné de 1'égÜfe, qui trembla plus d'une fois a la voix d'un prëtrè ? La chapelle de Verfailles eft de la même date que les bofquets de Marly. Lorfqu'il faifoit batir ce palais enchanté, ilaimoit a 6;} détailier les beautés naillantes : il faifoit admire,:" ces travaux a un de fes courtifans , qui avoii un habit neuf & fuperbe,;. une pluie furvint : Vous alle^ vous gaper , lui dit le roi; reraroiis. Non, fire, répondit lecourtifan; la pluk de Marly ne miuillè point, I' eft. 'un lieu charmant, a 1'extrémité de '?z rorêt de Marly, nommé le défert , oü 1'on trouve des points de vue pittorefques , dans le genre des jardins anglois. C'eft un curieux morceau délicieufement fitué : Ie chateau a la chinoife eft dans un genre neuf, dans un coftume unique , & parfaitement conforme, a la vérité, au rapport de divers voyageurs qui ont éts fur les Heux,  ( i3J ) En entrant dans ce lieu, on croit voir une porte que des géafts.. des Encelades, ont batie; & de loin , un vieux fort a moitié ru:né & démoli.'Les ameublcmens modernes les plus frais , ornent 1'intéricur ; & des jours, favamment ménagés, s'accordent avec la ftruclure gothique de 1'édifics , qui, de loin, n'oftre ni portes ni fenétres , mais des crevaffes, ouvrage du Temps; c'eft par ces crevaffes que ce batiment finguüer, & faifant illufïon, eft parfaitcment écliiré. GHAPITRE DCCXCVI. Fontaititbleaiu Plusieurs de nos ro>s ont aimé ce féjour. Une vafte forct offre des fites fauvages. Les voyages que la cour y faifoit font interrompus depuis quelque temps ; ce qui fiche extrémernent les bourgeois du lieu, paree qu'ils étoieut dans 1'habi- 1 4  ( 136" ) tude de ne rien dépenfer pour leur logement : ils louoient leur maifon , leurs chanw bres & appartemens, pendant le féjour du roi, & le loyer pour fix femaines étoit un peu plus cher que pour i'année entière. Ce bourg, qui fe defsèche quand la cour ne le vifite pas, eft tantöt dans une agitation bruyante, inconcevable, & tantöt dans un calme abfolu. La chaflè royale a tourmenté les échos de la forêt , elle redevient filencieufe quand le monarque eft parti. C'eft a Fontainebleau ,' dans la galerie des cerfs, que Chriftine, reine de Suède, jaloufë & furieufe amante , fit affafliner fon éeuyer, après lui avoir accordé ua confeffeur. Nos ancêtres fe plaifoient dans les peintures & fculptures licencieufes ,, ainfi qu'il paroit par plufieurs tableaux & ftatues, qu'il a fallu voiter ou cacher tout-a-fait. Les voyages de Fontainebleau ont été plufieurs fois 1'époque des révolutions miniftéiielles. Fonten.elle, prefque centénaïre,  ( 137 ) difoit : Si je puis attraper le temps des jraij'es , je vivmi encore un an, — Un miniftre , qui avoit paffe le mois de novembre fans encombre , pouvoit fe ftatter de régnerencore une année; lafièvre dangereufe Sc périodique n'arrivoit pour lui qu a Ja fin de 1'automne, Ce qu'il y a de plus heureux dans une monarchie, c'eft Ia facilité avec laquelle elle déco afe & rccompofe tous fes mouvemensj ce font ces changeraens politiques qui ne permettent pas a certaines opérations d'acquérir un danger imminent , ou une pefanteur oppreflive. Le miniftre qui a mal fait fa befogne tombe, & 1'Etat eft foulagé; quand 1'opération s'eft faite fans rumeur, Ie filence attefte fon fuccès & fa bonté ; 1'aifance avee laquelle le rrionarque change les rouages , varie les combinaifons, Sc fait qu'un nouveau jeu qui furprend , ramène tout-a~ coup les efprits, concilie les extrêmes, & rend 1'efpérance a chacun. La fine politique n'eft au fond que la fcience de la minute; il n'y a rien qui , par fa nature, doive étre  C i& ) plus changeant , car elle eft ce remède journalier, applicable a tous les maux & a toutes les plaintes de la grande fociété civile. La nation donne toujours revanche a fon roi, qui, ne perdant jamais de fon autorité , peut I exercer d'une infinité de manières , jufqu'a ce qu'il frappe enfin le but jufie & defirable. L'extrêrhe compli.catioh des objets, leur mobiiité , autcïife le remaniement poütique; & j'ofe dire que Ie monarque n'eft fort & püiffant que par 1'heureufe & précietafe fa i'ité qu'il a de recompofer inceflammerit fon propre ouvrage, paree que ce n'eft qu'ainfi qu'il peut en voirles défauts, 1'élaborer en grand &le perfectionner, pour 1'intérét d'une nation fenfible, délicate & généreufe. Le cara&ère des Francais étant tout feu , toute impétuofité, toate franchife, le fouverain fuit merveilleufement le caraótère national en diverfifiant fes plans & fes projets. C'eft ce qui a fauvé des défaftres , c'eft ce qui a entretenu la confiance, paree que le peuple efpere toujours le remède qu'il fait prompt, facile,  X *39 ) & fans cefTe dans la main du- roi. Ainfi Ie balancier moteur d'une favante horloge eft toujours dans Ie même efpace , & jamais dans le même point; ainfi la décompofition & la recompofition de l'eau font 1'ouvrage momentané de Ia Nature ; ainfi par- donnez, lecieur; je ne puis m'exprimer ici que par dés images. Compiègne eft aufli abandonné malgré fon agréable fïtuation, fes nouveaux batimens, fon nouveau jardin, & 1'étendue de la forêt. Rambouïl'.et 1'emporte comme un lieu très-favorable a la chafle, a caufe de la belle forêt qui 1'environne. Les nouvelles conftructions vont donner au chateau une face nouvelle, & 1'on ne pourra bien le décrire que quand Ie nouveau plan fera entièrement développé.  ( 14° ) CHAPITRE DCCX.CVII. Saint- Gerntain- en-Laje. Xja fe retira Jacques II, roi d'Angleterre, détróné & forcé de quitter fon royaume, vivant des bienfaits de Louis XIV, & d'une penfion de 70,000 livres, que lui faifoit fa fille Marie, reine d'Angleterre, qui lui avoit enlevé fa couronne; & la fe retirent, mais fans en être chafle'sjes bourgeois de Paris, quand ils quittent leur commerce. Ils vont vége'ter dans cette ville, oü ils ne feront plus rien autre chofe que boire, manger, fe promener, jauer k la boule, & nouveliifer. m Comme il y a dans la capitale uae multitude de charges bizarres & de rentes fïnancières, elles font fubfifter dans 1'oifiveté une foule de petits bourgeois, qui ne trouvent rien de plus déliqieux que de n'a.voir  c m ) ancune óccupation. Alors ils fe concentrent a Saint-Germairi, paree que c'eft encore la une ville, & qu'ils ne veulent point habiter les campagnes. Et d'ou vient leur répugnance ? c'eft qu'ils rencontreroient ailleurs une petite noblefle arrogante qui les humilieroit, & puis des prépofés incivils qui leur feroient payer la taille, & qui obügeroient leurs enfans a tirer a la milice. Le bourgeois de Paris , au lieu d'acheter un bien de campagne ou une petite terre, a donc horreur de la taille, & fe contente d'un jardin légumier & d'un appartement. II revient a li ville vers le temps de Paques, afin qu'il ne foit pas dit quil n'efl plus citadin. II eft très-loin de vouloir prendre le titre de campagnard, car il appelle a fon fecours toutes les exeroptions qui peuvent 1'éloigner de la clalTe des cultivateurs; voulant cohferver par-deffus tout fa figure bourgeoife, il ne fonge nullement a fe familiarifer avec la charrue ni avec le rateau; il craint rafierviflement des charges qui pèfeut fur l'agriculture, Voila pourquoi les  C i*2 ) grands propriétaires ont C beau jeu pour acheter & envahir les petites propriétés : les bourgeois enrichis les dédaignent. Ceux qui ne le font pas , aimeront encore mieux refter toute leur vie petits bourgeois , que riches payfans. Les petites propriétés rurales fe fondent donc infenfibletnent dans les grandes qui les dévorent. De-la les parcs & les grands domaines qui fe forment de toutes parts, & qui ruineront bientót la France. La fituation de Saint-Germain-en-Laye eft une des plus belles par fon éténdue. Louis XIV y auroit bati, fans le clocher de Saint-Denis qu'on y appercoit. Mais le monarque ne vouloit pas envifager le terme inévitable de fes grandeurs; avec une telle foibleffe il portoit encore le nom de grand. Si 1'on veut vöir des êtres bien vides d'idées, bien ennuyés, lourdement mauffades, & pour qui le femps alonge fon cours , il faut vifiter les bourgeois de SaintGermain. Ces rentiers aux jambes cylindriques n'appercoivent, ne rêvent qu'aux  c 143) portes ouvertes ou fermées de 1'hötel-deville. Paie-t on? tout va bien; le refte de 1'univers peut fe difloudre. Heureux celui qui fe nomme Aar011, Abraham, Antoinef il eft payé le premier; on envie fon fort. Le mot qui porte le plus d'épouvante aux oreilles de ces bourgeois, efi: le nom de Vabbé Terra/; ils tremblent toujours qu'il ne revienne un tondeur de cette effroyable efpèce : & quand vous voudrez intérelfer les bourgeois de Saint-Gerrriaïn , dites-leur que, fous Philippe-le-Bel, Paris vit étrangler un controleur des finances ; & que, fous le fucceiTeur de ce même roi, Enguerrand de Marigny éprouva ie même fort. Aioutez, pour les faire faiirer de joie, qu'on a vu VabbéTerray , cet homme dur, qui excellóit dans J'art de fouler le-peuple, & dimt le re gard feul annonco'it un Impot, qu'on 1'a vu, dis-je, prés d'être lapidé ou noyé par la multitude. L'hiftoire de France, en effet, ofFre des exefnples mémorables des revers oü fe font  c 144) feXpdfés ces exaóteurs prodigues; maïs l'ava-* rice eft de tous les penchans le plus immuable, & la foif inextinguible de 1'or les tourmente au point de leur faire tout braven Je connois un homme qui a compté trentetrois têtes de bachas a la porte du ferrail de Conftantinople, & trente-trois bachas nouveaux avoient acheté auffi-töt, a grands frais, le droit d'être un jour décapite's comme eux. Les bourgeois de Saint-Germain, quand ils font un mauvais rêve , voient en fonge une liafle üacquits au comptant, ou voient fermer les portes de 1'hötel-de-ville ; alors ils fe réveillent ttempe's d'une fueur froide. Une comète embrafée, avoifinant la terre * les effraieroit moins que ce rêve dur & pénible. Curieux en botailique, allez, allez voir fur la terraiTe, ou a 1'entrée de la forêt, ces plantes humaines qui font aujourd'hui ce qu'elles ont fait hier! Elles marchent, en vérité; elles digèrent; elles tiennent une sanne} elles font entendre quelques fons; elles  c *4; J (elles manient des cartes. La végétatïari v2 fon train , & 1 'hiver les concentre dans des ferres chaudes, jufqu'a la renailfancz du printemps. Ces plantes ont des bas, des culottes, une vefte & un habit. Botaniftes modernes, claffezmoi ces végétaux ambulans , dont le (omniet eft couronné d'urje perruque ronde, demi-poudrée. CHAPITRE DCCXCVIII, Huitres. C^uand, dans la fuite des fiècles, Paris fera renverfé, détruit de fond en comble, les naturaliftes futurs , rencontrant fur un petit point étroit une immenfe quantité de coquilles d'huïtres , foutiendront que la mer a paffe fur notre terrain : il y aura la de quoi écrire ; ainfi que M. Bailly écrit de nos jours fes rêveufes dilfertationg chargées d'enluminures. Tome X. &  ' "Quand Voltaire difoit que les coquilles d'huitres, qu'on trouve fur les hauteurs des Alpes , avoient été jetées la par les pélerins de Saint - Jacques , méritoit - il qu'on lui répondït ? . ' On nous apporte des huïtres de différentes cötes de la Normandie. Les uns les aiment palfionnément, les autres ne peuvent les fouffrir: il eft trés dangereux d'en manger a Paris avant les premières gelees. On ranconne le goüt des amateurs. L'accaparement fait loi, les renchérit, Sc devient un monopole : monopo'er fur des huïtres ! Elles font renfermées dans des cloyères. Les porteurs de cloyères d'huitres, 'fur vingt-quatre douzaines, en efcamotent ordinairement une ou deux , calculant un peu fur la fenfualité, qui ne calcule guère. C'eft au moment qu'on les ouvre, que 1'écail'ère apporte dans fon tab'ier une quarantaine de coquilles fraichts & vides, & les mélant avec les autres, elle vous les compte, puis elle vous foutient que vous les avez avale'es.  ? *47 ) L'êcaillèrè a un petit couteaü Court 8è fort. Rien negale Ia prcfkffe & !e jeu adroit de fon poignet : on diroit que ces coquilles o'huïtres ne font que légèrement coüées; eile femble les détacher en les touchant. Sous prétexte d'avaler les fuf. ptdcs , elle mange eftrontéinent fous vos yeux ks p'us graffes & les p'us appétifïantes; & fi elle avoit a'ors un bandeau fur les yeux, cetre grofle poiifonniere animeroit Yemb'éme connu de Ia juffice ; mais elle emporte les écailles, & les dépofe dans un tas qui devient énorme. Jen ai mefuré cinq ou. fix qui avoient dou2e pieds de hauteur, en forme pyramidale. J'en reviens a vous, naturalifits futurs^ quand la ville P? ^ra P'us, fuppoferez-vous de tels gourmands c nuitrts ? Non, vous ferej plutöt un fyfteme. Crébillon fi's en mangeoit, en ma pre* fence, cent douzaines fans crever; il buvoft du lait chaud f tandis que j'avalois le champagne ; il m'offroit fon lait, & je lui ©ffrois ma bouteille. Nous difputions chau* & a  dement fur le digeftif : c'étoit a peindrei ïl avoit raifon , j'avois tort; le lait eft le jvéritable diffolvant des huïtres. Les coquilles forment un excellent engrais , & par - la elles deviennent plus précieufes que ce qu'elles enferment; il faut donc voiturer a Paris les bancs de la mer , tant pour les gourmands , que pour les arbres & végétaux de nos plaines: xela deviendroit aifé , fi 1'on n'étoit pas tres-prompt & très-habile a nous faire payer, au-dela de leur valeur, une foule de petites jouiffances, que 1'ufage & les mceurs régnantes ont établies. Lorfqu'un goüt a prévalu, on devroit le refpeder, & ne pas aaxer trop haut nos délices. Huit jeunes gens , ayant calculé ce qu'il 3eur en coüteroit pour manger tout leur faoul des huïtres choifies , imaginèrent protégés ; mais le temps des huitres étsnf venu , il n'a plus eu la force de fe plaindr» contre ceux qui les vendoient chèrement. Si une borme huitre eft délectable, pour peu qu'elle ne foit plus fraiche , elle devient un poifon, & on ne devroit pas en recevoir a Paris avant le mois de novembre; car, quand on crie dans les rues y alabarque, au mois d'octobre, on pourroit crier, d Ia barque a Caron ; mais, paflé ce temps , on pourroit en apporter dans des vaiffeaux chargés , paree que c'eft une nourriture faine & corroborante. Tandis que le pariften mange les huitres, on fe difpute fur les cötes de Normandie pour leparquage. II en réfulte des querelles, des procés; c'eft a qui envahira un plus large terrain , & chaffera fon competiteur. 11 y a des gens qui (comme dit le proverbe)': voudroient avuler la mer & les poiffons. II faut envoyer des commiffaires fur les lieux pour régler les limites du champ falé. L'induftrieufe orfévrerie vient d'imaginer des fourchettes particulières pour mangeE  I IfO ) 'des huttres. Le petit couteau arrondi, propre k les détacher du frein , les aceompagne, Ces joujous d'argent font extafier les jolies femmes, qui depuis ce temps aiment les huïtres a la folie, afin d'avoir en préfenC Je petit couteau & les jolies fourchettes. Le luxe frivo'e appartient elfentiellement aux femmes, & vient des femmes. Les Romains favoient Ia manière de conferver les huïtres ; mais Apicius , qui en fut 1'invenrtur, Ia garda pour lui. Il fit * paryenir des huïtres trés-frakhes a Trajan, au pays des Parthes,  ( IJX ) CHAPITR E DCCXCIX, La Chaii.e d.s Galérhtis. Elle part deux fois par an, le 2y mal & le 10, feptembre. Les galériens font détenus au chateau de la Tournelle, jufqu'a leur de'part pour Toulon, Breft & Marfeitje. Les voila pris & enchaïnés, ces êtres féroces & violens qui ont troublé la fociété. Voyez-les; le chatiment n'a pas encore abattu leur audace; ils ont proftitué au crime 1 energie de leur ame; ils e'toient ne's robuftes, & leur force s'eft tournee contre leurs concitoyens. Approchez, phyfionomiftes , & voyez s'ils ne portoient pas fur. leurs fronts le préfage du crime ! Ces vifages ne font-ils pas durs ? Oui; mais c'eft 1'oubli des vertus qui les a faits tels, car c'eft 1© ^rime qui défigure les traits de 1'homme. K4  c i;2 5 Le jour du départ on les place dans de longues voitures. Une même chaïne les lie & les rive tous au chariot ambulant. Huït hommes de la maréchauffée conduifent ainfi cent-vingt malfaiteurs. Ils partent, implorant le fecours de leurs femblables envers qui ils furent violens & injuftes. Ils partent; & la confcience, ce juge indeftructible , crie a plufieurs que leur fupplice eft doux, & qu'ils ont échappé a la mort qu'ils avoient méritée. Je ne fais fi je fuis habile a lire fur les vifages ; mais il me femble voir un rayon de joie fur la plupart des fronts endurcis. Leur dernière fentence eft une grace; car ils chantent prefque tous, & la fortie des prifons devient pour eux du moins une faveur. Plufieurs font comme étonnés d'avoir confervé leur exiftence après avoir paffe par les tribunaux; & ils la doivent fur toute chofe k des magiftrats humains; fans eux ils auroient monté fur 1'échafaud» Les cris qu'ils portent a mon oreille, reffeniblent encore, fi je ne me trompe, aux  ( i;3 5 Crls de la reconnoiiTance. Douce phllofb-J phie ! c'eft toi qui depuis long-temps as recornmandé aux magiftrats d'épargner leur. lang. Mais quel frémiflement vous faifit au milieu de ces malheureux pour qui les loix ne furent point facrées ? Leurs bras font chargés de feró, & ces bras vous auroient attaqué & frappé dans la profondeur des forêts. Les fléaux de diverfes provinces, les voila réunis fous vos yeux, ainfi qu'on voit dans une ménagerie des loups, des tigres, des léopards ; ils font hors d'état de vous nuire, & ils vous fupplient. Qu'eft-ce que la nature de l'homme ? La vie morale renaïtra-t-elle en eux? Le malheur briferat-il ces cceurs coupables ? feront-ils régénérés par le repentir ? Oh ! comme je voudrois pouvoir lire au fond de leur ame quel eft le plus criminel ou le plus innocent ! Je voudrois devinec pourquoi, comment, & par quel degré ils ont méprifé la vertu. Y a-t-il dans ces individus, comme chez tant d'autres, un  i m > balaneement égal de vertus & de vlees ? Les loix humaines font fi groffières! & puis la perfecYion morale de la fociété eft-elle poffible , & jufqu'a quel point ? Mais quelle douleur, quand parmi ces malfaiteurs je rencontre une tête a cheveux blancs ! Hélas ! il n'avoit plus que quelques jours a vivre. Eft ce un fcélérat endurci, qui a échappé toute la vie a la juftice des hommes ? Eft-ce un infortuné qui s'eft oublié fur la fin de fa carrière, & qui, reprenant fage des paflïons, a trop vécu dun jour? Celui dont la phyfionomie eft intéreffante, eft ce un malheureux précipité dans 1'abyme pour une perdrix, une carott» de tabac, ou quelques livres de fel; car parmi nous trés-chrétiens, la loi de la fifcalité eft la plus facrée de toutes ; & on fait qu'une perdrix ou un lapin vaient infiniment plus qu'un homme, fut il père d'une nombreufe familie ! Voila ce qui me déchire le cceur; mais le chariot va les emporter, & avec eux leur juftihcation & la tracé de leur procés.  < ï;x ) Je ne fais donc qui je dols plaindre ou de'tefter parmi eux ; je les plains tous. Mais comment égarer fon afïection fur des homicides ou fur des empoifonneurs, qui ont cötoyé la roue & le bücher ? Qui m'aidera è lire le cceur humain è travers fes enveloppes? J'interprète tous leurs geftes ; je vais au-devant de leurs regards & du mouvement impereeptible de leurs lèvres. Loix humaines, avez vous été trop févè^es ou trop douces? tantót je me reproche ma pitié, tantót je m'abandonne trop a fes mouvemens. II faut fuir; leurs clameurs fuppüantes me pourfuiveru; je ne les verrai plus qu'au jugement dernier devant le juge des juges. Je fatisferai ici mon cceur, en re'pétant que fur cent malfaiteurs conduits aux galères, trente au moins doivent la vie & 1'exemption de leur fupplicea des magiftrats humains. I!s datent de nos jours, ces magiflrats ; fans crainte de prévariquer, ils favent óter a la loi ce qu'elle a de crue!. £p argner au coupable une mort violente,  I i; du Dieu qui en eft Pobjet ; c'eft le cuïté de 1'efprit & du cceur; 1'honime y apprend fa noble origine , fa deftination & fa fin. Son premier commandement, c'eft Yamour de Dieu; fon fecond, femblable au premier, c'eft la charité. Ces préceptes , étant fdndés fur la nature de lnomme , font faciles a concevoir & a pratiquer : Jéfus ne nous demande ni dures auftérités , ni pactes fuperftitieux & révoltans, ni extafes ridi— culesi Le chriftianifme , en portant nos regards fur une autre vie, ne nous ordonne rien qui ne tende a notre bonheur dans celle-ci ; & fi une morale pure eft le germe de bonnes conftitutions , quelle morale fera plus propre que celle de Jéfus a reclifier 1'égarement des princes, & a faciliter 1'obéiffance des peuples ? La morale de Jéfus ! Sa vie fut extraordinaire : tout eft paifible , tout eft aifé , tout eft doux , tout eft focial dans fon caractère ; tout eft grand , fage & intéreffant dans fes difcours. II eft Paugufte fondateur de 1'efprit conciliant & pacifique  ie Ja religion; il a toujours dit a la vïcM ïence : Non, tu ne feras point ce que fait ' la douceur. La vertu la plus pure eft marquée dans fes ceuvres ; le fens le plus exquis fe trouve dans fes paroles. Rappellons-nous quelquesuns des traits de fon caractère. Cnarité pleine de compaifion , & de compalfiort agiffante : Jé Juis imu de compajfion enven cette multitude. Si je les renvoie a jeun, ils tomberont en défaillance par les chemins. Chsrité prévenante : Veux-tu être guéri ?, dit-il au paralitique; & au moment même il fut guéri. II dit a 1'autre : Mon fils, cye^ bon courage, I! répand des larmes fuc le tombeau de Lazare , honorant ainfi & 1'ami qui en eft 1'objet, & 1'humanité qui les verfe ; il pardonne a la femme adultère , & prie poür fes propres.ennemis. ^ La morale chrétie&>e feroit donc la bafe d'une excellente conftitution politiquejon y trouveroit ce calme & cette fagefie qui attendent tout de la convi&ion intime. II n'y a aucun aóre de précipitation ou de M z  ( i8o. ) dureté dans Ja vie de Jéfus ; il femble dirs aux maïtres de. la terre : Soye% doux avecles hommes , fi vous voulez_ quils vous obéiffent. Un monarque chrétien fera toujours le meilleur des monarques; & les vertus de faint Louis ne font-elles pas encore révérées ? S'il s'égara dans fon zèle, fes loix ne refpirèrent-elles pas la bonté de la fource dont elles étoient émanées ? Etre chrétien, c'eft de refpecter le fang, Ia vie & la liberté des hommes; c'eft de favoir fouffrir leurs outrages, de ne point fe venger, & d'approcher ainfi de la perfeótion humaine. Malgré les attaques de 1'incrédulité & des palfioris perverfes, la religion de Jéfus domine. Ils font.pleins & nombreux, les temples oü 1'on prie en fon nom. Les adverlaires de la morale chrétienne ne font que des rftéchans. Voltaire en vouloit perfonnellementa Jéfus: 1'infei^l c'eft que 1'orgueil le domina toute fa vie; c'eft qu'il croyoit c[ue ce nom ,.qui rempliffoit 1'univers, étoit un cbfiacle ou un vol fait a fa réputation. D'aüleurs, comme il n'avoit pas rougi de  ( i8i )' mettre a contribution le vice & la vertu dans fes écrits, afin de s'emparer de tous les lecteurs, la morale fublime de Jéfus ne poüvoit que 1'inquiéter ; mais fon nom périra, tandis que le nom augufte, adoré dans les quatre parties du monde, fera toujours le fignal de la charité , de fa bonté, de 1'humilité, de ces vertus humaincs, qui nous élaborent & nous perfeétionnent pour 1'immortalité. Le chriftianifme, qui réunit a la fois les plus beaux préceptes & les plus beaux exémples que rhomme puifie offrir dans fa dignité régénérée , règne par la bonté divine dans une ville vifiblement protégée par une providence particulière; & c'eft la morale de Jéfus, qui, toujours vivante dans une foule de cceurs éiancés vers Ie ciel, rétablit une forte d'égalité en faifant vïvre les pauvres, & en exercant en leur faveur les ades renaifTaHS d'une charité fhépüifable : c'eft la morale de Jéfus, enfin, quïfoutient ce coloffe politique , & qui s'oppofe a fa corruption totale & a fa difiolütion. M 3  t 182 3 CHAPITRE DCCCVI. Aumónes abondantcs. Jamais fiècle n'a vu la bienfaifance & la charité, répandre plus libéralement leurs largefTes, avec plus de conftance & d'attendriffemenr. LaifTons le terme de bienfaifance accompagner celui de charité; plus heureux, cependant, celui qui donne fous 1'ceil de Dieu, & qui foulage fon prochain comme fon frère. Le fens du mot charité, a une profondeur plus fublime que celui de bienfaifance; c'eft 1'amour de la créature comme ouvrage du créateur : il y entre de 1'adoration, du refpecl:, du fentiment; après le nom de Dieu, le mot charité eft celui qui doit occuper le premier rang dans toutes les langues humaines. C'eft charité que de répandre certaines .vertus cache'es, car on doit 1'exem.ple au  C 183 > prochain. La malice de la nature humaine , dit la Rochefoucault, retient prifonnières des actions que 1'exemple mét en liberté j c'eft donc charité, dans le journaldc Paris, que d'annoncer tout ce que 1'on donrte journellement pour les pauvres. Ce n'eft pas tout que de faire le bien, il faut apprendre qu'on le fait, afin de faire rougir ceux qtsi ne le font pas. La vraie grandeur de 1'homme eft dans le cceur; il n'eft jamais fi grand que lorfqu'il eft charitable. Non, la charité n'a jamais été plus adive que dans ces derniers temps; des malheureux de toutes efpèces ont été foulagés dans leur obfcur afyle, & y ont vu entrer des figures humaines qu'ils n'attendoient pas : c'étoient de jeunes femmes, des femmes charmantes, qui venoient donner a leur fenfibilité tout fon eflor,& qui ne furent jamaisplus heureufes & plus fatisfaites qu'au milieu de ces infortunés. Les ealamités publiques ont rencontré des fecours égaux aux défaftres. Ce n'eft point 1'efprit ergoteur qui a enfanté ces M 4  C 184 ) vertus agiffantes, c'eft 1'efprit de charité; c'eft auffi la philofophie, qui eft une charité imparfaite, non encore épurée, mais dans le chemin du ciel, & qui peut,dèsJors, fe rendre digne du regard de la divinité , en agiffant pour lui plaire & pour obferver fes commandemens. On fait le bien aujourd'hui amplement & de tous cötés , par un fentiment vif & rapide, qui fe communiqué de proche en proche. Nos ancêtres ne connoifloient pas cette charité prompte, aétive, qui combat les 'maux de la nature, & qui s'oppofe a la calamité, au moment même oü le courroux du ciel a frappé. Le parifien , fenfible & compatifTant, eft fans cefle aumónier, & dans toute la force du terme; il m'eft bien doux de lui rendre cet hommage, & de préconifer en lui cette vertu. O charité ! c'-eft toi qui foutiens cette fuperbe & incompréhenfible ville , & pour tout dire en un feul mot, ceji toi qui remédiés a tout ! Tous les théatres ont porte ? ï 1'envi 1'un  ( i8j ) de 1'autre, la recette du fpectacle dans lö fein des cultivateurs malheureux, opprimés par 1'effroyable gréle du 13 juiUet 1788 : c'eft un bienfait qui s'étoit renouvellé dans plufieurs autres circonftances. Les quêtes particulières ont étonné ceux qui étoient le plus difpofe's a bien penfer de 1'homme, & a le croire bon ; untronc, a Saint-Roch, a offert 17000 1. en or; que ne feroit-on pas d'un pareil peuple, fi on favoit le conduire par fes propres vertus ? quelle force n'auroit pas 1'adminiftration politique, en interrogeant purement & fimplement la bonté de cceur du parifien & du francais ? Morale de Jéfus, préfidez au gouvernement d'unempire chrétien ! ' Voici deux vers mauvais & pernicieux, qu'on a applaudis mal-a-propos dans une Comédie nouvelle : On ne fait ce qr.e c'eft que de payer fes dettes , Et de fa liieufaifiincc ün emplit les gazettes. L'aunsöne eft la première dette, & ne difpenfe point des autres, Vouloir jeter  if i86- 5 du ridicule fur la publicité de quelques actes de bienfaifance, c'eft ne connokre nï Ia morale, ni les hommes, ni Ia force de 1'exemple ; c'eft, pour un trait comique, offenfer étourdiment la bienfaifance, & ert détourner le cours. Les poètes qui ne font que comiques, font vraiment dangereux. CHAPITRE DCCCVII. TLnfeigtiement con.tradiiT.oire. Comment apprend-on aux enfans, tout il la fois, la mythologie & le catéchifme de Paris ? Le régent dit que Jupiter eft u» dieu , & le prêtre, que c'eft un démon. On dit k un écolier, foyez le premier au collége ; 1'évangile lui dit, foyez^ humble. II y a dans ce mot, foyez^ le premier, le germe de plufieurs vices : en voulant exciter 1'émulation dans le cceur des enfans , ©n ne fait qu'irriter leur amour- propre;  '( i87 J on développe leur orgueil, on le carefïe, on 1'autorife, on donne a un enfant le titre d'empereur, & 1'empereur eft fouetté. Les re'gens qui ufent de ces formes puériles, ne font-ils pas dignes de pitié ? Comment frappe-t-on les enfans, quand la morale chrétienne s'y oppofe formellement ? Montaigne fut inftruit fans chatiment corporel dans la maifon paternelle : les fouets , les fe'rules , commencent a être profcrits des colle'ges , paree qu'on s'eft élevé contre cette indecente barbarie; mais les colléges font encore fréquentés, paree que 1'éducation y eft gratuite; on n'y perd que fon temps. II eft de la plus grande importance de ne point maltraiter Ia jeuneffe. J'imagine que tout fcélérat a été malheureux dans fon enfance. Quand j'entre dans une maifon , & que je veux juger le cara&ère d'un homme & d'une femme, je regarde leurs enfans; s'ils ont un air contraint, timide, gêné, je me dis, les parens font méchans .& vicieux t fi les enfans portent' fur leur  ( i88 5 yïfage un air de paix, d'hilarité, je me iïs-i le père & la mère font bons : je préfère a la joie bruyante , ce calme répandu fur toutes leurs aöions; j'aime mieux les voir bons que fpirituels. Les colléges, qu'on devroit fermer, ne fervent aujourd'hui qu'a former des poétereaux. Ces jeunes gens, pales, méditatifs, jaloux , qui afpirent a un prix de Vuniverfué y s'accoutument a regarder les fuccès de leurs infortunées compofitions comme' importans; & de-la ils deviennent, dans le monde, envieux, pédans, & concentrant' toutes chofes dans 1'arrangement de quelques fyllabes. La jaloufie les tourmente fous le nom d'émulation; ils connoiffent tous les tourmens d'une- rage envieufe; ce font déja de petits académiciens. (i) (i) II faut par des fuccès ^offligêr fes'cmis. C'eft un vers de M. 1'académicien Champfec. Comme il fort de 1'ame ! comme il eft profondéajent fenti 1  t rt9 j On devrolt fermer, dis-je, les colléges/ paree qu'il y a alfez de livres & d'inftituteurs pour la propagation des langues latine & grecque, & de leur grammaire; & que la foule des vices, qui fouillent & défigurent cette inftitution publique, 1'emporte infiniment fur quelques frêles avantages. Quant aux . académies francaife & de belles-lettres , elles tombent déja & tomberont bientöt d'elles-mêmes; leur goüt futile & mefquin , leurs petites rivalités, leur pédantifme, leur inutilité, leur ayant' déja conciiié le dédain & le mépris des' tetes fenfées, la république des lettres fubliftera indépendante de ces petits corps ridicules, & elle en aura plus de grandeur, de force & de majefté. Les livres & les hommes ! voila tout ce qu'il faut aujourd'hui; mais les académies < & les académiciens , tel eft le fléau de tout ce qu'on fait & de tout ce qu'on pouvoit faire de grand & de beau. Le monarque le plus ami du génie & des lettres, feroit donc celui qui diroit k tous les académiciens  beaux efprïts du royaume : Travaille^ tha* cun chez, vous, vous en fere^ plus forts & plus vertueux ; reprenea^ votre phyfionomie ; je vous rends votre ame & votrepenjée. Vous fütes de quelque utilité dans votre 'origine ; cefi le contraire aujourd'hui : vous nuifez^ aux compofitions vafies , fortes ou originales ; vous ndurez^ plus de- jetons , mais vous obtiendrez^ plus de gloire. Obfervons que les acade'mies des fciences, les fociétés d'agriculture, les affemblées de naturaliftes, de médecins, &c. font autant a conferver que les autres font a détruire, paree qu'il faut réunion de talens, d'expériences& deperfonnes, pourvaincre le filencede la nature, & 1'interroger fous toutes fes faces & fous tous fes rapports; mais pour les ouvrages d'imagination il faut être feul, comme Homère, le TafTe, Milton, Shakefpéar, Richardfon, J. J. Roufleau, &c. qui ne furent, je crois , d'aucune académie bavarde.  e ipi > CHAPITRE DCCCVIII. Diverjïtés. Le chapeau a trois cornes, retapé a fa fuifle , eft demeuré vainqueur. II a chafle tous les chapeaux ronds, en ce qu'il donne a celui qui le porte, un air bien plus franc, bien plus fier & bien plus décidé. On recommence a aimer les vieux livres, mais non pas les vieilles femmes. Le zèbre du cabinet du roi, eft devenu Ie modèle de la mode actuelle; toutes les étoffes font raye'es ; les habits, les gilets, reflèmblent a la peau du bel onagre. Les hommes, jeunes & vieux, font en rayures des pieds k Ia tête : les bas font auffi rayés. Tel qui a deux montres , & qui coud des manchettes è dentelles fur fa chemife, n'en pofsède pas une demi-douzaine comme par le pafle.  'f 102 J A quel age doit-on appelier un homme vieiilard ? ce n'eft plus , je crois , qu'a foixante-dix ans ,• car a foixante ans un homme court encore le mon de. Le terme conféquent eft généralement employé dans la fociété ; le peuple caufant le fait dériver mal encore de conféquence ; il dit une affaire conféquente , un tableau conféquent, pour dire, une affaire importante , un tableau de prix. Mais 1'ufage eft toujours le maïtre abfolu des mots, s'il ne 1'eft point des régies de la fyntaxe. Le mot jufte n'eft-il pas employé dans notre langue fous une foule de rapports différens ? Les grammairiens & les journaliftes profcriront le terme conféquent. Prefque tout le monde s'en fervira, & il faudra bien qu'il foit accepté , du moins dans la converlation. La mode eft toujours une, c'eft-a-dire, qu'elle eft la même pour tous les ages. Les femmes de dix-huit & de vingt, de quarante & de quarante-cinq ans fönt fur la même ligne. Les femmes l Paris gagnent toujours huit a dix années fur celles de province. Les  c m 1 Les cheveux pendans des femmes gitent les voitures & les fauteuils, mais on aime a voir cet ornement de leur tête flotter & careffer leur ceinture ; point de belles femmes fans longs cheveux. Le plaifir eft la chofe publique; les événemens nationaux ne font pour Paris que des fujets d'entretien qui circulent comme nouvelles du moment. La chute des miniftres n'occupe les efprits que trois ou quatre jours ; paffe ce temps, les hiftrions reprennent leur prépónd'érance. Comment fait es-vous Vamour ? difoit Louis XIV a un de fes courtifans. Sire, répondit-il, je Vachète tout fait. C'eft la méthode a peu prés générale ; & 1'on prétend que c'eft encore la la plus économique. L'agiotage triomphe;'on n'y met aucune pudeur; une certaine impudence y eft admife, & le fuccès juftifie tout. Tel y gagne quatre cents mille livres de rente, & veut pafler encore pour un Ariftide. Un homme fans argent, dans un pays Tome X.  (m) öü tout eft vénal, quelle figure peut-11 faire? II faut qu'il foit ridicule; il faut bientöt qu'il époufe les paffions d'autrui, & qu'il vive aux dépens de quelques vertus. Un fils ne dit pas pofitivement a fon père: vous m'avez fait pour votre plaifir, il eft temps que je vive pour le mien; mais il agit conformément a cette idee. Un roué met en chanfon le mépris de 1'autorité paternelle, & le couplet odieux eft répété par la jeunefTe. Je frémis en penfant, difoit une femme de beaucoup d'efprit, que tout ce qui fe fait aujourd'hui > fera un jour 1'hiftoire. Toute 1'attention fe raffemble fur les portes de X'hotel-de-vïlle & fur la caiffe d'efcompte. L'argent fort-il a la lettre, n'y a-t-il point de retard? tout va bien. Le paiement de 1'hot el- de- ville eft pour la bourgeoifie ce que le pain de Goneffe eft pour la populace. Un fauxbourg ne commence a grouiller que lorfque le pain augmente; on ne parle généralement mal de la cour, que lorfque les paiemens ne vont pas de fuite Sc rondement.  C ipj ) II y a toujours dix-huit a vingt genres de focie'tés qui n'ont aucune connexion entr'elles. Les individus ainfi morcelés ne fe touchent que par quelques mots conventionnels. Les intéréts de celui-ci font tout différens de ceux de fon voifin. II ne peut donc y avoir ni accord , ni harmonie , ni enfemble dans les idéés. C eft véntablemenc en politique la tour de Babel; Sc les mots les plus familiers font traduits dans tous les efprits d'une manière fi différente, qu'il y a fans ceffe oppofition. Un patiflïer & un papetier prirent ur» jour querelle, en ma préfence , fur 1'excelIence de leur profeflion. Le premier dit: L'hoftie que je pétris devient un dieu ; fans moi, il n'y auroit point de proceflïon le jour de la Féte-Dieu , le peuple n'auroit rien a adorer. Le papetier reprit: Tout beau, je 1'emporte peut-étre fur vous : un mot change votre rond en divinité; & moi, Un coup de plume change un carré de papier en argent comptant, qui circule dans toute 1'Europe. N 2  ( ic6 ) Les auditeurs ébahis ne furent a qui accorder la prée'minence ; ils difputèrent long-temps; on les mena boire au cabaret, & le long du chemin, les auditeurs qui ne laiflbie'nt pas que d'avoir une forte tête , répétoient: a tout üfaut de la foi. . Le parifien a de la foi pour les emprunts, pour le papier, pour les loteries, &x. & ne croit pas qu'on veuille ni qu'on puiffe fe jouer de lui; il attend fans crainte la fin des éve'nemens qui paroiffent les plus férieux; il pre'tend qu'il fera ce qu'il a toujours fait: plaifanter, rlre. La poudre a canon a tout change'. II ne s'agit plus de lire 1'hiftoire des Grecs , ni celle des Romains , ni la notre même , dans fon origine. L'artillerie nous ordonne une nouvelle combinaifon d'ide'es ; il faut_ regagner par 1'efprit, par 1'épigramme , par 1'éloquence , par la' gaieté, par la force de la patience, ce que nous avons perdu. Le parifien fait qu'on veille pour lui; ïl ne craint- point la grande difette dans aucun genre; il fent qu'on eft intéreffé  v ïP7 ) a la fplendeur de la ville, & comme il eft perfuadé que 1'ordre & la police veillent ii fa füreté perfonnelle, il eftime que la confervation de la grande cité, & le refpect qu'on a pour elle, en écarteront tout défaftre, & q'ue rien n'empêchera, dans tous les temps, la levée du rideau de 1'opéra a 1'heure fixe. J'ai vu dans d'autres villes, les plus vives inquiétudes fur la fourniture des chofes néceffaires a la vie ; c'eft qu'il n'y avoit point d'opéra. II faut donner encore a la capitale de nouveaux attraits, paree qu'il n'y a plus aujourd'hui que le luxe qui puiffe guérir les maux du luxe. Laiffons donc a la capitale les reflources qui doivent vivifier un peuple immenfe, qu'il eft abfolument impoffible de faire refluer dans les hameaux & dans les villages * a petite culture : ils feroient inutiles a la terre ; autant vaut qu'ils vivent pour les arts, & par les arts du luxe , puifqu une partie de 1'Europe eft devenue a cet égard notre cöntributaire, N3  ( xp8 ) CHAPITRE DCCCIX. La Fcte de Saint Martin. J"'aime faint Martin; il ne put détourner fon vifage d'un pauvre ; il n'avoit qu'un manteau, il le partagea; il habilla un inconnu qui avoit froid. Comment ce faint eft - il devenu le patron des ivrognes ? comment le vin coule-t-il a longs flots dansles banquets ? comment oublie-t-on que le faint que 1'on féte fut rharitable & fobre ? Le favetier acfiète une oie ; le moins riche orne encore fon banquet : tout eft feftin dans la ville ; le coq d'Inde, préfent utile que nous ont fait les jéfuites, paroït ^ur toutes les tables. Le peuple , fidéle aux ufages qui le conduifent a boire, remplit les fauxbourgs, & dépenfe fon dernier fou pour avaler le mauvais vin des cabarets.  C iop ) Et comme la ferme gagne a cette confomrnation, qui énerve le peuple, il n'y a point de loix contre 1'ivrognerie. Saint Martin, qui étoit, lors de la première race, le plus grand faint qui fut en France, a donné fon nom a un quartier très-peuplé , mais Ie plus fale peut-être de Paris, & du moins le plus lugubre du cöté de la rue Greneta. II y a aux environs de Saint-Martin-des-Champs deux ou trois marchés trés - incommodes , qui entretiennent fur le pavé 1'humidité & Pinfection : une boue noire & fétide ne fèche jamais la, même pendant 1'été. Ce pafTage attrifte la vue & bleffe 1'odorat fubtil; des flaques d'eau corrompue n'y ont point d'écoulement. La porte Saint-Martin repréfente Louis XIV, fous la figure.d'Hercule, repouffant un aigle : cet aigle qui fuit eft 1'emblême de la défaite des Allemands. II faudroit abattre cet inutile are de triomphe, & defTécher ce quartier marécageux : il faut cependant traverfer ces triftes rues pouv N 4  C 200 ) aller joulr du boulevard le plus fréquente & le plus animé, & oü roulent, en fomptueux équipages, ces courtifanes qui traverfent rapidement le vilain quartier fans déshonorer leur chauffure , tandis que 1'honnête femme & la fille vertueufe, qui marchent a pied, redoutent pour leurs robes ce malheureux paffage, au point de renoncer le dimanche a la promenade du beau boulevard. CHAPITRE DCCCX. Afpajie. Elle ne pouvoit s'attacher qu'a des hommes célèbres; les lauriers de la gloire devoient ombrager chez elle les myrthes de 1'amour. Elle confoloit les autres en leur procurant des beautés faites pour des hommes du fecond rang. Périclès méritoit Afpaiie; & celle-ci dut au guerrier qu'elle  ( 201 J a'tmoil, le bonheur d'échapper aux fureurs fuperftïtieufes des prêtres & des juges de fon temps. Afpafie eut un grand empire fur Péric'ès, mais fans éteindre fon génie, fans avilir fon ame; il fut toujours grand & utile a fa patrie. Nous n'avons point parmi nous & Afpafie, quoique les petits poètes aient prodigué ce nom dans leurs vers importeurs; le triomphe du nerveux danfeur fur Apolion eft connu; le caractère de Nuion ne s'eft pas même repréfenté dans ce fiècle. Nos courtifanes n'ont rien des courtifanes de la Grèce; elles fe vendent, puis fe vendent, & encore fe vendent. A la mort de telle fille d'opéra , on découvre que ni elle, ni fa mère, ni fa grand'mère , n'ont été mariées. Sa fille jouira des droits de la batardife, qui confiftent, après avoir livré le premier prix de fes charmes a fa mère, k difpofer enfuite d'elle-même, & a procréer a volonté une fille qui lui rendra ce qu'elle a donné : facrilice filial qui fe perpétue d'age en age, &  C 202 ) qu'accomplitquetquefois, en fille d'honneurj; la belle fille même de la courtifane. C'eft pour n'être point confondu aves les courtifanes de toute efpèce , & fur-tout avec leurs fociétés, que les femmes ont créé les termes nouveaux de fociété du grand genre , du meilleur ton, & de la trés-excellente compagnie. Ces mots prononcés férieufement par les gens comme il faut, par les roués, par les agréables t furent inventés pour établir une féparation totale , un efpace incommenfurable entre des fociétés ou le plus grand crime qu'on put commettre dans le monde, feroit d'ofer dire, qu elles pourroient, a tout prendre 9 itre égales en agrémens , propofition épouvantable, qu'on ne fauroit offrir a 1'imagination d'une femme adorable. II vaudroit mieux nier tout ce qu'il y a de plus évident au monde; le charme de \'ironie , la beauté des caricatures & le fublime du perfifflage. Quoi 1 laiffer foupconner que la maifon voifine pourroit valoir celle oü 1'on fe trouve ? quel blafphême ! la maifon voifine  f 203 ) n'admet que des efpèces , des ennuyeux , & le fuprême bon ton réfide dans la maifon qui vous ouvre fes portes. Cela eft inconteftable, & 1'on ne nie point ces éternelles vérités. CHAPITRE DCCCXI. Jokeis. Cette mode des Jokeis nous vient d'Angleterre; mais les femmes n'en ont point dans cette ïle, car aucun homme n'entre jamais dans la chambre a coucher d'une fille ou d'une femme. Nos Jokeis entrent par-tout , & a toute Jaeure. Ils fervent un peu avant 1'age de puberté; & 1'on remarque que dès-lors ils «e croifTent plus, qu'ils reftent petits, deviennent rabougris ou tortus. Pourquoi ces enfans de treize a quatorze ans n'ont-iU plus des joues fraiches 3c  '( 204 j colorées? pourquoi, au lieu de la tlmidité intéreflante de cet age, de fa honte involontaire, montrent-ils la hardieffe de 1'age mür ? Tout annonce fur leur front un libertinage précoce ; 1'innocence du premier age , la fainte^ pudeur de 1'enfance , ont difparu, & 1'altération du phyfique prouve que 1'incendie des paflions eft entré dans des org'anes qui n'étoient pas encore difpofés pour les recevoir. Le Jokei ne rougit plus ; fa contenance n'eft point gênée prés des femmes; dans un corps déja ruiné fon ceil refte téméraire: 1'abus meurtrier de 1'enfance a rendu fon fialeine impure , & la débauche a tué. un homme avant même qu'il le fut. L'on trouve a peine un Jokei bien portant. La corruption des mceurs a gagné 1'adolefcence; une mode funefte a propagé la débauche, & a haté le dépériffement des hommes, & leur aviliffement. Chacun peut fuppléer a cette peinture que j'abrège ; 8t en la terminant, jamais peut-être elle n'égalera la vérité.  t 20J ) Que nous nous fommes éloigriés de cet efprit de" galanterie , qui régnoit encora il y a foixante ans ! La révolution eft incroyable : tout devient matériel; il n'y a plus qu'un fexe. . Les Jokeis courent les petits fpectacles, repaire de jeunes proftituées, qui, de leur cöté, ont été la proie du vice. C'eft la qu'on voit avec furprife 1'adolefcence, déja flétrie , offrir le libertinage a cöté de la foibléfie, & ladébauche précéder la puberté: la,'fur des treteaux (dont on a baifléle prix) fe débitent les pièces cc^rohves, qui plaifent tant a des ctres fans génie , fans pudeur, avides de corrompre ; ils ajoutent par leurs difcours aux indécences qu'ils entendent, quand elles font imparfaites. Difons qu'on n'y voit heureufement que les meines perfonnages; que ce ne font point la les plaifirs de la nation ; que le fexe, qui s'y montre fréquemment, eft un fexe avili. C'eft dans les petits fpeftacles que les femmes ont ofé, pour la première fois, changer leur habillement, & prendre  eelul des hommes. Lacreté* des palfions a cette même e'poque a pris la place de leur douce énergie. Le vétement des femmes doit avoir un fexe. Cet habillement doit contrafter avec le nötre. Une femme doit être femme des pieds a la tête. Plus une femme relTemble a un homme, plus elle perd. Or, le changement notable dans rhabillement des femmes date de la mode des Jokeis & de la fureur des petits fpectacles. N'eft-il plus de remède, & tout ira-t-il de pire en pire juf/qua un entier bouleverfement? Quelle correfpondance n'y a-t-il pas entre les mceurs des femmes & le gouvernement? Les Jokeis, les chapeaux, les redingottes & les petits théatres ont changé 1'efprit national & le goüt. Les financiers font venus, ont mis 1'or a la place de tout, & finfamie s'eft décorée de 1'éclat & du pouvoir de ce métal. C'eft depuis les manoeuvres de 1'agiotage qu'on a vu fe répandre de tous cótés cet effaim de petites créatures fans énergie, fans force, & qui n'ont que  ( 207 J ée la tête. Enfin, pour mettre le comble 5 leurs déréglemens, les femmes ont pris des Jokeis. II me faudroit avoir les tófs pinceaux de Salomon pour décrire les ravages qu'ont occafionné & les Jokeis, & les modernes habillemens, & 1'agiotage, & les petits fpectacles. L'artifte qui batit de petits chiffons pour le libertinage, eft un homme dïvin. C'eft enfin depuis 1'époque des Jokeis & du jeu infernal de la bourfe que les femmes ont voulu métamorphofer tous les hommes en vils efclaves mécaniques de leur luxe effronté. CHAPITRE DCCCXII. Primeurs. Les légumes & les fruits, dans leur première faifon , font hors de prix. Les grands ne manquent point den décorer leur table,  'C 208 j plütöt par air que par goüt, car 'le plus ibuvent ces fruits ne valent rien ; mais le maitre-d'hotel croiroit manquer a (on pofle, s'il n'ofFroit paS ces fruits acerbes, qui font plutöt faits pour 1'ceil que pour le palais. II eft de la dignité fur-tout d'avoir des petits pois dans le temps que la Nature s'obftine a les refufer. Un porteur d'eau entre dans la cuifïne d'un prince du fang, & voit une petite quantité de pois dans une cafferole d'argent. II s'imagina que c'étoit un refte; il avala les pois, & encore fans les macher. C'étoit un plat de primeur, qui coütoit fix cents livres. Le cuifinier, qui vit en rentrant fa cafferole vide, fe lam'entoit en défefpéré ; & le porteur d'eau, qui auroit mieux aimé manger un jambon entier, pleuroit comme un enfant. II fallut conter la chofe au prince, qui en rit, quoiqu'il aimat les petits pois; & le porteur d'eau crioit: je n ai pas eu de plaifir a manger cela ƒ Ce porteur d'eau croyoit, comme bien d'autres, qu'il falioit avoir du plaifir pour pécher, Oü en eft la morale,  t ±0$ ) . fcorale, dans la cuifine des princes ? Ök \ ce qu'elle- eft a peu prés ailleurs. L'avaleur de petits p0is fe repentoit de n'avoir pas fenti du moins, au pafTage de fon large gofier, une fenfation agréable pour ce qui avoit coüté, lui difoit-on, foixante piftoles. C'étoit-la fur-tout ce qui caufoit föh violent chagrin; il ferhbloit dire en d'autres termes: avaler fik cents livres en petits pois ou en ducats, certes, j'aurois mieux aimé les avaler fous cette dernière forme; j'en aurois rendu le tiers ou la totalité. En vérité, lecteur, il y auroit de quöi faire quatre chapitres rnoraux fur la cafferole des petits pois j paffons. Un avare faftueux étoit d'une certainé corporation qui 1'obligedit a dohner un repas , & ce repas annuel dépendoït d'une fête mobile. Or, comme il étöit d'ufage de donner des petits pois aux illuftres confrères j le nouveau venu ne pouvoit s'en difpenfer; mais le litron vaioit alors cent ecus, & il falbit deux plats fur la table* ' L'avare faftueux voulant épargner trois Tomé X Q  ( 2IO ) cents livres, pour les remettre en póche4" recommanda .au maitre-d'hötel de faire un plat imitatif en pointes d'afpergés; & lorfqu'il feroit fur le point de le pofer fur Ia table, de fimuler un faux pas, & de mettre les pointes d'afpergés fur le parquet. Le maitre-d'hötel, quoique bien averti, fut trompé lui-même par les apparences , & laiffa tomber le plat de cent écus au lieu du plat imitatif. Lorfqu'on voulut fervir, 1'avarice du nouveau confrère fut mife dans tout fon jour; mais fon ingéniofité fit qu'on en paria, & qu'on en rit long - temps : & moi, j'aime mieux voir 1'argent des riches aller ainfi a un jardinier, cultivant des primeurs, qu'a un pelntre , a un Jlatuaire , a un dévorant architecle, aces malheureux artifans d'une coupable idolatrie, &c. &c«  ( 21 ï ) CHAPITRE DCCCXIII. Mijjions étrangéres. Ce fut une terrible nouvelle pour cè féminaire, quand oh y apprit la perfécution excitée en Chine contre la religion chrétienne. Cent chinois pourtoient venir a Paris, & y vivre a leur manière; mais fi 1'on én croit les relations des miffions örientales, 1'empereur de la Chine perfésute cruellement la religion du roi de France, qui ne perfe'cute perfonne pour fait de religion. Quoique Louis XIV ait rendu le chriftianifme intolérant, 1'efprit du chriftianifme ne 1'eft pas. Le fujet du prix de poéfie propofé par l'académie francaife, pour le 2j aoüt 1785), fera Yédit de no~ vembre 1787, en faveur des fton catholiques. L'eüt-on ofé imaginer il y a cent ans? Accourez, chère année 24.40 ! Dans ces régions éloignées, un prêtre férru-^ q 2  ? 212 5 tiarifte pïend le titre d'évêque; & quand ïl # fuccombéauxrigueursdelaprifon, on 1'appelle en Europe un martyr. C'eft au milieu des fupplices que la foi devient plus vive. Les beaux jours de la religion chrétienne étoient ceux qu'éclairoient les büchers. L'efprit du chriftianifme fe conferve donc dans toute fa vigueur chez les prêtres des Miffions étrangéres, paree qu'ils ont perpétuellejnent fous les ,yeux les tourmens que leurs frères éprouvent aux Indes ; & le courage ,de 1'homme a toujours une réaction pofitivement égale a l'efprit perfécuteur. C'eft ce qui prouve la force & la dignité de notre Être. Un jéfuite, employé vingt ans dans les miffions du Canada, avoit affronté cent fois le martyre pour amener les Sauvages a une religion qu'il ne croyoir pas intérieurement. Un philofophe lui objectant cette inconféquence : Ah ! répondit-il, vous nave^ pas /idéé du plaifir qu'on goüte a fe faire écouter de' vingt mille hom-mes, & d leur perfuadcr ce qu'on ne croit pas foi-méme.  '( 2 i 3 5 CHAPITRE DCC CXI V. Willes de ÜAdoration psrpétu&lle du Saint" Sacrement. S'il eft des incrédules qui nient la préfence réelle,. s'il eft das hérétiques qui rejettent cet incornpréhenfïble myftère, if eft aufii de faintes & pieufes filles qui, en réparation publique des erreurs du calvinifme & des irrévérences commifes contre Y'Eucharifiie, veillent jour & nuit devant le Saint-Sacrement. Dans les autres temples, il eft feul Ia nuit; enfermé fous la «clef, dans un tabernacie, refferré dans un ciboire, a_ peine ilne lampe foible & paliffante, oü 1'on a verfé de 1'huile d'une main'avare, brüledevant lui; mais dans Péglife de la rueCajfette , expofé au. milieu d'un foleil ds O.. 3.  C 214 ) diamans, environné de fiambeaux qui fe. renóuv'elïent, honoré a coups d'encenfotr, il voit a fes pieds, pendant toutes les heures, & dans tpu-tes les faifons , même les plus rudes, des religieufes dont le cceur fe fond ü'amourdans uneadoration perpétuelle &non interrömpue, depuisle 12mars ió-yi^ Elles appellent cette adoïation une amende honorable? Rome. n'avoit qu'onze vierges confacrées aux autels; quelle indigence ! nous en poffédons plufieurs mille, & qui fe relève'nt la nuit pour chanter. CHAPITRE PC CC XV. TPout peuple civilifé furveillera 1'admi,jjiflration de la juftice; c'eft ce qui efb arrivé de nos jours. Le peup'e eft attentif a 1'inftruciion de certains .procés ; il fe  ( 2IJ ) porte en foule au barreau; il lit les mémoires (i) des avocats; & pour quiconque fait voir, il y a un grand rapport entre la liberté du barreau & la füreté publique. Quoi de plus digne, en effet, d'occupet utilement le loifir des citoyens, que la difcuffion développe'e d'un procés ? -C'eft une fo urce féconde d'inftrucliions fur le labyrinthe du cceur humain. Les juges exerceront dignement leurs fonctions dès que la foule dü peuple affiftera aux audiences; & fi l'ordre des avocats ne s'étoit pas öté gauchement la libertc a foi-méme, par les formes étroites de fon tableau, 1'appareil du barreau feroit devenu le fpecftacle Ie plus cber h Ia nation, & le plus ïntérèffant de tous, Mais le corps des avocats, avec. fon ridicule tableau, qui favc+rife 1'igno- (i) Ceux de M. Bergjjfi, qui n'eft point, avocat ciu tableau , ont fait depuis peu une fenfation étennante ; on diroit de 1'ange flagellateiir qui cbafie devant lui les pécheurs honteux, mis, démafqués , ii non contrits, hélas-L  I zit 5 rance & qui aflervit le génie, qui auroll tué Démofthène & Cicéron , peut être regardé a jufte titre aujourd'hui comme le eorps de janifTaires de la fottife. Comment ce bel Ordre s'eft-il .laiffé ainfi avilir? H s'eft mal confeillé lui-même; il n'a pas fenti que, fans une indépendance- abfolue, il alloit faire un métier de 1'exercice continu du courage, de la penfée & de la vertu; erreur impardonnable. Tous les. régiemens. de ce corps font maigres, piètres, .infi•gnifians, , C HAPITRE DCCCXVT, D'un Poète comique. "CJ"n père de province avoit voulu que fon _:fils füt avocat a Paris. Le fils avoit obéi a fon père; mais il n'aimoit point cet étatj quand il étoit au barreau, il rêvoit au plan, cornédjie, Le père lui envoyoit des,  ( 217 5 ClIens, Sc 1'avocat de répondre a toutes fes partles : aecommode^-vous; tel étoit fon .refrein, lorfqu'il donnoit fes audiences ; c'étoit-la un avocat d'une nouvelle efpèce, iTohs les cliens revenoient en difant au père : il nous a dit de nous accommoder. En effet, quiconque avoit affaire k lui recevoit ce confeil, accommodez_~ vous; &j il menoit tous les plaideurs faire une tranJaction chez le notaire du coin. Le père vint k Paris, Sc court chez fon fils: il étoit abfent; il voit un cabinet oü figuroient tous les gros livres de }urifprudence j prais fur le bureau étoit un Molière. Oü eft mon fils, dit-il au laquais ? ■ II eft a*fa comédie , monfieur. Comment, k ta comédie; il eft onze heures du matin ? - Oh ! il va k la comédie le matin, lui, & le foir encore. Paffe pour le foir, dit le père, mais k cette heure ? II fait répé- tition, monfieur. Le père, ftupéfait, apprend que le foir même on repréfente une pièce de fon fils; il y va, fe cache dans k foule ; la pièce eft fort applaudie j $  '{ s i 3 ) monte au foyer, voit que tout le monde embraffe un jeune homme, c'eft fon fils, il 1'embrafTe lui-même; & pardonnant en faveur du fuccès , lui dit : Eh ! voila donc pourquoi tu accornmodois tous les procés ? CHAPITRE DCCCXVII. Les petites Affiches. On y parle des jumens a vendre, & on y juge les pièces nouvelles ; on y fignale Iës domeftiques qui veulent entrer en condition , & on y outrage M. Necker , & quelques autres ccrivains célèbres, qui ne s'en appergoivent pas. L'abbé Trublet demandoit a tout cénfeut une efpèce de refpeét pour 1'auteur, qui étoit 1'objetde fa critique, puifqu'on devoit reconnoïtre en lui, difoit-i!, des qualités bien au-deffus de celles qui nous donneat droit de le juger.  ( 2ïp ) Laiffez faire un journalifte, tel que le 'iédaóteur incivil des _petites affiches; il voudra apprendre a chanter a David , enfeigner la marine aux Angiois, & la röinéralogie aux Allemands , & a faire des fables a la Fontaine; il fe fera encore intendant de la politique du royaume, ainfi qu'appré*ciateur des vers, & juge des hiftrions. Et que perd-il a tout ce la? rien; paree qu'il eft connu d'avance. Tel journalifte vous dit que vous avez mal fait; il pèfe fur cette maligne obfervation, & il s'efforce d'attacher a votre ouvrage la honte ou le ridicule. Le critique honnête diroit, en remontant a la caufe: vous auriez_ du faire cela ; donne^ telle beauté, palliez^ tel défaut, dirige^ votre fenfibilité vers telle partie. Gelui qui n'a guère étudié la nature, & fon immenfe variété, peut croire que toutes les combinaifons font faites, & puis citer le fiècle d'Augufte, & le fiècle de Louis XIV: c'eft le refrein ennuyeux & éternel de tous ces folliculaires qui injurient par métier, & qui écrivent fans avoir réfiéchi.  I 220 5 CHAPITRE DCCCXVIII. Ce qui frappe VÊlranger. OjE qui le frappe d'abord, c'eft cette douceur univerfelle, cette aménité ouverte, qui règne dans toutes les fociétés. On trouve dans tout ce qui n'eft pas peuple, une foule d'idées raifonnables & de fentimens juftes des chofes; ailleurs , ces idees font dans les livres, & ne font pas dans les têtes. La morale qui convient a la fociété, & a une grande fociété, a été plus cultivée dans la capitale que par-tout ailleurs. C'eft a Paris qu'on fent ce que 1'homme, vivant avec fes femblables, doit a fes femblables ; c'eft par Ie ton que 1'ufage univerfel enfeigne, qu'on voit naitre cette compatibilité d'humeur qui maintient 1'harmonie des caractères, & empêche 1'efTor toujours prompt de 1'orgueil & de la méchanceté. Le goüt, des lettres &  X zit 5 la culture des fciences, qui tendent a rapprocher & k unir les hommes, femblenC ne former qu'un e'tat de tous les états différens» Plus je vis 1'étranger , plus faimai ma patrie : a dit du Belloy : Ia ve'rite' de ce vers fe ixalife pour Ie parifien qui voyage. CHAPITRE DCCCXIX. Palais - Royal. Point unique fur Ie globe. Vifitefi Londres , Amfterdam , Madrid , Vienne , vous ne verrez rien de pareil : un prifonnier pourroit y vivre fans ennui, & ne fonger a la liberté qu'au bout de plufieurs années» C'eft juftement Pendroit que Platon vouloit qu'on affignat k un captif, afin de le rctenir fans geolier & fans violence, par des chainejt tlouces & volontaires.  ( 222 J ©n 1'appelle la capitale de Paris. Tóut s'y trouve; mais mettez laun jeune homme ayant vingt ans, & cinquante mille livres de rente, il ne voudra plus, il ne pourra plus fortir de ce lieu de féerie; il deviendra un Renaud dans ce palais d'Armide; & h ce héros y perdit fon temps &,prefque fa gloire , notre jeune homme y perdra le fien, & peut-être fa fortune : ce n'efl plus qüe la déformais qu'il pourra jouir; partout ailleurs il s'ennuiera. Ce féjour enchanté eft une petite ville luxueufe, renfermée dans une grande ; c'eft le temple de la volupté, d'ou les vices brillans ont banni jufqu'au fantöme de la pudeur : il n'y a pas de guinguette dans le monde plus gracieufement dépravée ; on y rit, & c'eft de 1'innoccnce qui rougit encore. Quant au batiment, quel dommage qtie Vericeinte n'ait point permis un plus vafte développemeht, une forme oblongue au lieu de ce carré, qui tient trop de la conftruótion d'un cloïtre 1 avec quelle rapidité magique pous 1'avons vu s'élever ! II excita cepen-.-  C 23? ) üaot des murmures très-vifs dans Ie public: c'eft a cette oecafion que, lorfqu'on repréfenta a 1'augufte propriétaire que fon batiment alloit lui coüter une de'penfe énorme, il répondit gaiement : point du tout*, car tout le monde me jette la pierre, Quelque chofe que vous puiffiez delirer, vousêtes fur de 1'y trouver; vousy aurez jufqua des cours de pbyfique, de poéfie é dechymie, d'anatomie, de langues, d'hiftoire naturelle , &c. &c. &c. La , les femmes qui ont renoncé a la gravité pédantefque de celles de landen hötel de Rambouillet , badinenc avec les fciences, qui ne font plus pour elles qu'un joujou, qui les amufe autant que leur caniche ou leur perruche. Ce font prefque par-tout des clubs, oü la mufique & quelquefois l'inftru£Hon pré-, fident. Ce mot me rappelle quelques idéés qu'il me prend envie de placer iei, au rifque de faire une digreffion. Ledeurs , nous retournerons enfuite au palais-royal. Le goüt des cereles , inconuu a nos  I 224 5 pères, & copié des Anglols, a comménee a fe naturalifer a Paris (1). Dans ces fortes d'afleniiblées , on s'inftruit en s'amufant; 1'hiftoire, la phyfique, la poéfie, s'y donnent la main : c'efi: une efpèce d'académie compofée de perfonnes de tout état oü le gofit de toutes les fciences & de tous les arts y fait uh heureux mélange, qui doit contribuer a leurs progrès. O 1'heüreux temps, & je me le rappellë avec tranfportj oü les mufes faifoient nos üniques délices, & oü, dans des eritretiens variés , nous communiquions toutes nos idéés a cinq ou fix amis ! Nous cherchions la vérité avec le plus vif defir de la conöoitre, ce qui eft plus rate qu'on ne penfe. Jamais 1'émulation ne dégénéra , parmi (l) Le génie francais n'aura jamais dans fes amufemens la libertê anglicane. Si le francais eft atteint de folie, c'eft quand il eft prefque ifolé. Dès qu'il eft fréuni en cercle, il eft grave &; férieux. Quelques roués n'ayantpu être admis dans les dubt du palais-royal, on leur propofa, par une lettre ano-, «r/me, de compofer le club des roudst ÖOUS^  C '&f ) 1'óüs, 'en jaloufie, paffion vilë, qüi tótl?4 mente fans éclairer; nous traitions un fujetj fans cette pre'eipitation qui étouffe les idéés ou les empêche de naïtre. La liberté de penfer dönnoit fouvent è nos expref-* frons une tournure neuve & fingulière, qui* dans nos innoeens débats, faifoit e'clorre lë frire dans toute fa naïveté. C'eft-la que j'ai commencé a rhe montrer: hérétique en littératufe, & que je difois avec franchife : j'ai voulu lire plufieurs dé ces écrivains fi vantés , ils m'ont déplu $ la, je faifois 1'aveu de mes paradoxes litté-* jraires : on vouloit me convertir, & le pré-» eheur étoit quelquefois converti Iui-mêroe. Je ne connois point de plus grande Volupté , que celle de caufer libremenc avec des hommes qui vous entendent è demi-mot, qui vous devinent, & aveclef^ quels on peut parcourir une multitude d'objets. Souvent t lorfque 1'on croyoit uhé queftion épuifée, on étoit aufli furpris quö charmé, de découvrir de nouvelles preuvesi d'une vérité qui femblojf n/ayoir d'abor4 Torris Xi w  ( 226" ) qu'un folble degré de vraifemblance : on ne fauroit croire combien un tel exercice donne de pénétration k l'efprit ; le flux & reflux des idees qu'on difcute ou qu'on combat, en fait naïtre qu'on n'avoit pas même foupconnées ; ce choc d'une converfation animée , fait jaillir une foule de brillantes étincelles. Non, quand on a joui du plaifir de caufer de cette manière , il n'eft plus poflible de caufer dans le cercle monotone des hommes vulgaires; n'entendant point , ou dédaignant la langue fotte qu'on y parle, cn y devient muet, & 1'on s'en fauve le plus qu'on peut. Je n'ai point la déplorable injuftice de croire qu'on ne caufe bien que dans la capitale; que le foleil des arts ne fe leve que pour Paris, & que les villes de province ne jouiflent que de la foible lueur de quelques étoiles errantes : qu'un académicien du Louvre dife une pareille fottife , fans y croire, k la bonne heure; mais il n'en eft pas moins vrai de dire que l'efprit humain, prefle de tous cótés dans la capitale par  C 227 ) mille objets , y rend plus qu'ailleurs. La , les idees font plus vives & plus fe'condes paree qu'elles y font éveillées, appréciées ou combattues par la foule des évènemens journaliers, & par fimmenfe multitude de caractères, qui tous différent entr'eux d'une manière plus forte , & quelquefois plus bizarre que dans les provinces, oü règne une forte d'égalite' uniforme, qui reffemble au cours paifible d'un fleuve. La capitale eft une mer bouleverfée, chaque jour, .par tous les vents qui y foufflent en fens contraires. Les académiciens du Louvre ont la modeftie de fe réferver, pour eux feuls , le droit immortel de briller dans ce palais, oü ils fe yantent d'avoir élevé le tröne de la üttérature francaife ; cependant on fait que ces defpotes ont une foule immenfe de fujets rebelles , qui méconnoiffent ou rient de leur fouveraineté prétendue. L'amour des arts a élevé plufieurs petites fociétés littéraires, qui contribuent infiniment plus que la grande a exercer l'efprit, P 2  X 228 ) & l perfe&ionner la raifon. Les jeuttes gens s'y font maintenant un plaifir d'apprendre a réfléchir & a raifonner, d'après d'excellentes lectures, dont le goüt fe répand partout. J'ai de fantipathie, je 1'avoue-, pour les corps académiques k lettres-patentes & a jetons : au contraire, je me fens un penetrant bien décidé pour ces conférences littéraires , oü 1'on peut être admis fans les cérémonies ridicules de graves enfans, & par une autre voie que celle du Jcrutin , d'oü enfin 1'on n'eft pas exüé, pour penfer ou pour écrire comme 1'abbé de SaintPierre. Converfons de littérature, mes amis; formons des conférences littéraires, & ne 'foyons jamais d'aucune académie : notre franchife aimable deviendroit du jargon ; notre émulation de la jaloufie, & tout notre caradère fe fondroit bientöt en orgueilleufe petiteffe. J'ai beaucoup ri en voyant deux ou trois têtes , que je croyois au-deflus de ces misères, tourner au vent du ridicule ?  I 220 J & croire a Ia préfence réelle du génie au4 tour du tapis verd. CHAPITRÊ DCCCXX. Suite du, Palais-RoyaU La, on peut tout voir, tout entendre, tout connoftre; il y a de quoi faire d'un jeune homme un petit favant en détail; mais c'eft-Ia aufli que 1'empire du libertinaga agit fur une jeunefle effrénée, qui, répandue enfuite dans les fociétés, y promène un ton inconnu, par-tout ailleurs, 1'indécence fans paffion. Le libertinage y eft' (i) Tandis que j'écrivois ceci, le roi a fait fermer tous les clubs; il ne refle plus que ceux qui font coneentrés dans I'intérieur des maifoos des particuliere, & qui n'ayant aucune fonne de corps, font comme invifibles,.  ( 2^0 ) éternel; a chaque heure du jour & de la nuit, fon temple eft ouvert, & a toutes fortes de prix. Les Athéniens élevoient des temples k leurs Phrynés ; les nötres trouvent le leur dans cette enceinte , dont on a voulu, dans un moment de rigorifme, fans doute, les chafler dernièrement ; mais cette légère difgrace n'a fait que renforcer le triomphe de celles qui compofent 1'ordre Ie plus éclatant. Les agioteurs , faifant le pendant des jolies proftituées, vont trois fois par jour au palais-royal, & toutes ces bouches n'y parlent que d'argent & de proftitution po*litique. Tel joueur k la hauffe & k la baïffe, peut dire, en parlant de la bourfe: Rome n'eft plus dans Rome, elle eft toute oü je fuis. La banque fe tient dans les cafés : c'eftla qu'il faut voir & étudier les vifages fubitement décompofés par la perte ou par le gain; celui-ci fe défole, celui-la triomphe. Ce lieu eft donc une j^olie boïte de Pandore; elle eft cifelée , travaillée; mais tout  (' 231 ; Ie monde fait ce que renfermoit Ia boïte de cette ftatue anime'e par Vulcain. L'art des ragouts eft a cóté des hautes fciences. Les brillans chiffons du libertinage pendent auprès des inftrumens de chirurgie qui lui deviendroient néceffaires. Tous les colifkhets de la mode, qui durent un jour, font dans Ia même boutique, avec les bijoux aftronomiques les plus précieux qui durent des fiècles. Un homme paffe, & dit, en voyant cet éblouiffant e'talage : Ah! Jlje pouvois jouir de tout cela ! & il gémit; un autre homme paiïè & dit : Que de chofes dont je fats jon bien me pa ff er ! & il rit. Tous les Sardanapales , tous les petits Lucullus, lógent au palais-royal, dms des appartemens que le roi d'Afiyrie & le conful romain euffent enviés. On n'y entend jamais Ie bruit du marteau, ou de la grofle lime ; jamais on n'y refpire que la fume'e des cuifines , ou 1'odeur du cafe': il y a la de quoi tuer le genie de dix Cromwell , de vingt Guife , de trente Mazanielle. P4  ? 2ï32 5 Les cafés regorgent d'hommes dont U feule occupation, toute la journée, eft d& débiter ou d'entendre des nouvelles, quet fon ne reconnoït plus par la couleur quê chacun leur donne d'après fon état. Quoique tout augmente, triple & qua'druple de prix dans ce lieu, il femble y ïégner une attraótion qui attire Pargent de toutes les poches, fur-tout de celles des étrangers, qui raffolent de cet afTernblage de jouilfances variées, & qui font fous leur snain: c'eft que 1'endroit privilégié eft un point de réunion pour trouver dans le moment tout ce que votre fituation exige dans tous les genres; il defsèche auffi les autres quartiers de la ville, qui déja figurent comme des provinces triftes & inhabitées. La cherté des locations, que fait monter favide concurrence, ruine les marchandj» Les banqueroutes y font fréquentes; on les compte par douzaines. C'eft-la que l'effronterie de ces boutiquiers eft fans exemple dans le refte de la France j ils vous ,YS«4ent intrépidement du cuivre pour  '( '233 5 ïor , du firas pour du diamant, les étoffès ne font que des imitations brillantes d'autres étoffes vraiment folides : il femble que le loyer excefiif de leurs arcades , les autorife a friponner fans le plus léger remords. Les yeux font fafclnéspar toutes ces décorations extérieures, qui trompent le curieux féduit , & qui ne s'appercoit de la tromperie qu'on lui a faite, que lorfqu'il n'eft plus temps d'y remédïer. II eft trifte, en marchant, de voir un tas de jeunes débauchés, au teint paie, a Ia mine fuffifante, au maintien impertinent, & qui s'annoncent par le bruit des bre-< loques de leurs deux montres , circuler dans ce labyrinthe de rubans, de gazes, de pompons , de fleurs , de robes, de mafques, de boites de rouge, de paquets d'épingles longues de plus d'un demi-pied : ils battent le camp des Tartares dans cette oifiveté profonde, qui nourrit tous les vices; & 1'arrogance qu'ils affedent ne peut diffimuler leur profonde nullité. .On appelle camp des Tartares, les deuK  ( 234 ) galeries adoflees qui font encore en bols, & qui attendent un plan magnifique de coIonnes; fuperbe décoration qui achevera Ia beauté de 1'édifice. C'eft-la que tous les foirs les femmes viennent deux a deux affronter le regard des hommes, chargées de toutes ces modes, quelquefois fi fantafques , qu'elies imaginent pour quelques jours, & qu'elies renverfent quelques jours après. Les noms des modes qu'elies donnent a chaque partie de leur habillement, formeroient un dief ionnaire en plufieurs volumes 'in-folio. Cet ouvrage manque a la nation; mais Panckoucke y travaiüe , dit-on , avec la plus grande activité. Les plus laides font prefque toujours celles qui'fe parent le plus richement, & cela doit être. Une mère de familie n'oferoit, le foir, traverfer la bruyante promenade avec fes deux jeunes filles; la vertueufe époufe, la citoyenne honnête , n'oferoient paroïtre a cöté de ces courtifanes hardies,; leur parure, leur tenue, leurs airs, & fou-  C 233- ) vent même leurs paro'.es , tout les force a. fuir, en gémiffant fur la corruption générale des deux fexes. C'eft fous ces planches, que le feu dévorera peut-être en une nuit, qu'on voit le précoce libertinage ; il eft a 1'encan pour l'homme qui s'éteint. On y remarque une foule de jeunes gens qui, en fredonnant, fe précipitent dans les petits fpccticles, plus fréquentés que les grands, car ils font immoraux. Ces jeunes gens ont des phyhonomics toutes particu'ières, oü fe peignent des ames blafées, des cceurs froids, des paffions fans plaifir & fans v'gueur ; le trafic des fens, le dépériflement des races, la facrilége familiarité des enfans, qui ne rggardent plus leurs parens que comme d'avares économes, dont ils defirent confufément la mort, fans ofer trop défavouer cet horrible defir , voila les vices qui marchent tête levée : on n'eft plus que le vil & fot fabricateur de fon fils, que Ia gouvernante imbécüle & furannée de fa fille ; & les mceurs fucrées font abolies & même  ridiculïfées dans les entretiens de ces dépló-i ïables adolefcens, déja formés pour les fauffes idees d'une génération corrompue, & pire que celle qui Pa précédée. C'eft-la que vous entendrez réciter tout haut les vers les plus infames de 1'infame Pucelle, ainfi que les principes les plus ïrréligieux de cet homme qui féduifit la France, mais qui ne féduifit qu'elle, paree qu'il ne travailloit que pour elle; de cet homme qui eut plus d'art pour ufurper une grande réputation , que de génie pour la merker; de cet homme qui a plus infiué fur Jes cceurs qu'il a corrompus, que fut les efprits qu'il fe vantoit d'éclairer ; de cet homme enfin qui, d'après Je portrait que nous venons den efquiffer , devoit toyt naturellement devenir 1'ennemi de JeanJacques Rouffeau, & fe couvrir d'opprobre, par fon lache acharnement a perfécuter le plus vertueux des hommes, qui le pleura a fa mort. II ne manque plus au lieu, que d'élever la ftatue de Voltaire au centre du jardin, & d'écrire fur le piédeftal, au Chantr* pris - bourdon.  I 237 5 ÏTélas ! en vain vous y chercherez U timide retenue, le doux embarras, Ia rougeur de 1'innocence, la paleur qui la couvre quand on ofe 1'attaquer, les aimables couleurs de 1'adolefcence , le charme attendriftant de 1'aurore d'une beauté jeune & fage; partout vous y lirez que depuis dix ans il y a la plus déplorable différence dans le feul phyfique des parifiens. A peine une fille eft-elle fortie des jeux innocens qui amufoient fon enfance, qu'elle fe plaït a étudier des danfes voluptueufes, & tous les arts, & tous les myftères de 1'amour. A peine une femme eft-elle affife a la table de fon mari, que d'un regard furtif elle y cherche un amant. Bientöt elle ne choifit plus ; elle croit que dans 1'obfcurité tous les plaifirs deviennent légitimes. N'eft-ce point fa la peinture de nos mceurs dans le quartier du palais-royal ? Eh bien I c'eft Horace qui 1'a tracée ; mais il n'avoit pas deviné les retraites commodes que la débauche furtive ou intéreffée foudoie, non par heure, mais par minutes. Ce calcul  ( 238 ) 1'auroit furpris , & il eut alors paffe fes pinceaux a un Juvénal. Eh! d'après un fi brülant foyer de voluptés faci'es, de jouiffances' vénales, faut-il s'étonner fi 1'on fuit la plus refpeótable & la plus charmante des unions, Punique lien fur la terre qui joint les plaifirs enflammés de 1'amour aux douces émotions, au bonheur pur de I'amitié? Cependant, toutes les heures ne font pas également livrées a cette débauche ouverte. II en eft d'autres oü 1'on fe promène au moins avec une apparence de décence. Le refpecf pour le public fcmble y régner. C'eft a peu prés vers les cinq heures, dans Ie printemps & dans 1'été, & fur tout le matin, vers onze heures, qu'une femme honnête & belle peut fe trouver au jardin du palais-royal fans avoir a fe plaindre d'un regard. Une belle femme, qui eft le plus beau fpeclacle de la nature, pourra étaler la puiffance de fes attraits. On 1'admirera; & elle joutra paifiblement du plaifir de la promenade, dans une enceinte qui, a certains égards, femble batie par les fées.  ( ) Le cirque eft le monument d'archite&ure Ie plus beau, le plus gracieux, le plus original, fi on ofe le dire, qui exifte a Paris. On fourit, i! eft vrai, quand on fe rappelle celui de fancienne Rome; mais il eft jufte de convenir que la deftination de 1'un & de 1'autre n'ont aucune reflemblance. On peut dire fans exagération, qu'en petit c'eft un temple, c'eft une falie, c'eft un édifice qui réunit le mérite de pouvoir y donner des fêtes, & d'y raflembler le peuple; c'eft une création fouterraine formée d'un coup de baguette magique. Le prince doit é'ever, dit-on, fon palais fur cent quarante colonnes, & ce fera alors le plus charmant & le p'us majeftueux palais de la capitale ; & la capitale , dans cent ans, pour peu que cela continue, deviendra la plus magnifi jue de 1'Europe. Au refte, ce quartier exige une tutelle perpétuelle, & une vigilatice plus étendue & plus détaillée qu'aüleurs. II occupe donc la police avec fes dépendances, prefque autant que le refte de la ville.  CHAPITRE DGCCXXL Suite du Palais - Royal. A la Chine, dans la capitale de 1'empirej il y a une foire comique i elle confifte a rspréfenter les villes en petit dans une étendue d'un quart de lieue. Tous les métiers, tout le fracas, toutes les allées, les venues, §e même .les friponneries, font imités par une foule d'acteurs; 1'un eft marchand, 1'autre artifan ; celui-ci foldat, celui-la officier i les boutiques s'ouvrent, les marchandifes font étalées ; on figure des acheteurs ; on y voit un quartier pour la foie, un autre pour la toile, une rue pour les porcelaines3 une pour les vernis: vous trouvez des habits, des meubles, des ornemens de femme; plus loin, des livres pour les curieux & les favans, II y a des cabarets, des auberges; on voit .entrer, fortir des colporteurs, Des fripiers you?.  X H1 > Vous tirent par la manche, & vous harcèlent pour vous faire prendre leur marchandife. On s'y querelle, on s'y bat; les archers arrctent les querelleurs; ils font cönduits devant Ie juge , & ce juge les condamné a Ia baftonnade : quand on exécute ce plaifant arrét, on touche facteur d'une manière infenfible , & ce faux coupable imite les cris d'un patiënt, de manière a réjouir les fpeótateurs. Le röle de filou n'eft pas oublié; il eft permis de voler adroitement; enfin, tout le mouvement de la ville eft imité. L'empereur eft confondu parmi fes fujets. L'idée de cette foire pittorefque me femble riante; je voudrois qu'on 1'exécutat a Péterfbourg, pour la bonne ville de Paris. On pourroit donner a une grande fouveraine & a un peuple, pour qui ces objets feroient nouveaux, 1'image fidelle d'une nation éloignée : juge2 des éclats de rire qu'occafionneroit a Madrid, a Vienne & a Mofcou, le coftume desParifiens, & la falie du prix fixe, oü 1'on fe déshabille pour fe revêtir Tornt X, O  C 242 ) d'un habit tout fait, oü 1'on a deviné votre taille. Si 1'on vouloit exécuter une pareille fête, j'ofe dire que mon livre ne feroit pas touta-fait inutile ; je crois même que fi on la donnoit en France , les Parifiens riroient beaucoup de leur propre reffemblance. Combien d'objets qui, vus au miroir, acquièrent • du piquant, & découvrent toute leur fingularité ! La confufion des états, Ia bigarrure, la foule , tout donneroit lieu a un bal unique, qu'un nouveau Lucien pourroit embeüir; mais chut. 11 y a des objets qui ont de la gravité, & dont 1'imitation découvriroit Ie néant. Le pittorefque de cette fête attireroit tous les états; & fi 1'on parvenoit a imiter 1'embarras des rues, ce qui nous plait tant dans Ia defcription , ne nous plairoit pas moins dans la repréfentation. Enfin, la fête pourroit finir par une efpèce de coup de théatre : on fait que Paris eft fous un ciel pluvieux; lorfque tout le monde feroit dehors, on imiteroit une pluie, oa  ( Hl > verrolt fuir chacun, on repréfenteroit les débats avec les fiacres, qu'on n'appelle plus que des fapins ; le cocher a mouftache figureroit avec le cocher en fouquenille ; voitures, carrolTes , cabriolets , charrettes, fourgons , tombereaux , qui empêcheroit que tout cela ne fut peint au naturel ? II y auroit un art d'iraiter tous ces objets dans une proportion plus petite. On imagine tant de fortes de divertiffemens qui ne fignifient rien; je crois que celui -ci auroit quelque chofe de neuf & de piquant. On n'oubüeroit point les halles; & quel fpe&acle plus amufant & plus varié, que ce mélange des conditions, que ces flots continus d'hommes de tout état, de toute figure, de toute couleur; que ces longues files d'équipages, que ce mouvement rapide & perpétuel des chars & des piétons qui dominent ? Imaginez Volanges faifant le üeutenant de police, & Dugazon le pnévêt des marchands : d'autres comédiens feroient les échevins, 1'exempt, 1'infpecleur, le commiffaire , le mouchard ; tout cela rcvêt» Q ^  < 244 J , d'un peu de charge?, ( car II en faudroit alors) ne pourroit manquer d'égayer tous les efprits. Les cris augmenteroient les plaifirs de la fête. Les Romains avoient leurs Saturnales (i); je crois qu'une pareille fête amuferoit beaucoup le parifien, remettroit tous les citoyens de niveau pour ce jour-la, les feroit rire, & ferviroit a corriger nombre de ridicules. Une autre année Londres auroit fon tour : 1'Italien, le Batave, 1'Efpagnol, le Polonois, le Rufie, 1'Allemand, viendroient figurer fucceflivement. Le pa.la.is -royal, plus que tout autre édifice de la ville, pourroit fervir , je crois, a donner au peuple une fétepiquante, & du genre de celle que j'indique ici. Le vainqueur de Tigrane & de Mithridate , le conquérant du Pont & de 1'Arménie , 1'imitateur de Sardanapale , Ie (i) Tous les peuples de la terre ont eu leurs Saturnales. Elles ne font point d'inftitution a Paris ; ce qui fait que la populace s'en forge de temps en temps»  C 24; ; fe&ateur d'Épi'cure , Lucullus enfin, Iorfqu'avec un luxe afiatique il donnoit des fêtes dans le fallon d'Apollon, en 1'honneur de Cioéron & de Pompée, ne pouvoit procurer a fes illuftres hótes, quoiqu'il eüt mis a contribution la terre & les mers, ne pouvoit, dis-je, procurer a ceux qu'il traitoit, les jouiffances que goüte de nos jours un jeune prodigue, qui, retranché au palais-royal, re'unit a fa table fplendide plus de fenfations qu'on n'en avoit dans les plus beaux jours de la grandeur romaine. CHAPITRE DCGCXXII. Triperles. Elles font k 1'extre'mite' des fauxbourgs. Les bouchers nomment menus, ces débris de 1'animal qu'on ne vend point aux boucheries: ces menus font mis avec une certaine quantité d'eau, dans une grande chaudièra  ( 246") fur le feu; a mefure que toutes ces fubftances euifent, il fe ramafle a leur furface une écume, qui jadis n'étoit d'aucun ufage : cette écume eft une véritable huile, dont on garnit les réverbères qui éclairent Paris. Ainfi, après avoir mangé 1'animal, fagraifle alimente les mèches qui nous donnent de la clarté. Touts'enchaïne, grain, paille,&c. Tous ces réverbères ne doivent brüler que jufqu'au retour du crépufcule ; & 1'on voit pardegrés leurs feux changer, défaillir & difparoitre. Le temps eft calculé, image de la vie des habitans; un peu plutöt, un peu plus tard, tous doivent s'éteindre. On a bien perfeéfionné 1'ufage des lampes; c'eft un nouveau jour, c'eft une belle flamme blanchatre, abfolument privée de fumée, de mauvais goüt & d'odeur défagréable ; & tout cela dépendoit de 1'arrangement de la mèche, c'eft-a-dire, d'établir un fort courant d'air qui fe mélat a la flamme. Un tuyau, autour duquel on range les fils de la mèche, donne iffue a l'air qui charie & eraporte le principe huileux,& fétide. Lesdif-  X 247 3 férentes huiles deviennent donc indifferente?, puifque la flamme ne donne plus de fume'e. On ne voit plus auiourd'hui dans nos appartemensque des meches arrange'es felon la nouvelle manière, & elles jettent une lumière douce , pure & vive. Les pauvres gens achètent ces menus après jeur cuiflon, & les coins des rues les offrent dans des paniers reftaurateurs, demi-cuits avec le foie, le cceur de bceuf, &c. objets peu agréablesa la vue; mais la faim en haillons n'eft point délicate. . CHAPITRE DCCCXXIII. Arrêt de furféance. Une actrice tenant un prince chez elle, mettoit des aflignitions de papier timbre fur fa cheminée : Voye^ , monfelgneur, je fuis perdue! Le prince emporta les papiers, & lui envoya le lendemain un arrct de furféance. Bon chat, bon rat. Q 4  C 248 ) Les perfonnes en faveur, qui ne vouloient pas payer leurs dettes, obtenoient du chef de la juftice, des arrêts de furféance ; ce qui défoloit les créanciers en annullant leurs pourfuites. Les abus multipüés de cet oótroi 1'ont rendu infiniment plus rare, & 1'on obtient très-difficilement aujourd'hui de ces arrêts qui ne foulageoient que les plus mauvais & les plus gros débiteurs, e'eft-a-dire, quelques nobles privilégiés, ou les protégés, complices de ce qu'ils appellent affaires. m*u IWM,wr:M^HriBB|njjg|jm^ --l'-xt.-r.s ..-„inin ■■win CHAPITRE DCCCXXIV. Million. O N parle aujourd'hui d'un million comme on parloit, il y a cent ans, de mille louis d'or. On oompte par millions; on n'entend parler que de millions pour toutes les entreprifes. Les millions danfent fous vos regards,  ( H9 ) lorfqu'il s'agit d'ua édifice, d'uii voyage, d'un camp. Ces millions appauvriffent tout le monde en idéé; & 1'on n'ofe plus parler d'une fortune de quarante mille livres de rente. La convalefcence de Louis XV, a fora retour de Metz, excita les tranfports de la joie la plus vive, & qui tenoit de 1'ivreffe. S'il eüt alors payé le tritrnt a Metz, fa mémoire feroit aujourd'hui a cöté de celle de Henri IV, & 1'effaceroit peut-être. Louis XV fe promenant au milieu de 1'alégrefle publique , & de fa ville illurniaée, appercut un tranfparent oü étoient écrits ces mots : Vive le roi ; j'ai un million a fon fervice. Le roi fit arrêter, pour favoir quel étoit ce bon & généreux citoyen. Le bourgeois, fur le feuil de fa porte , dit : Je m appelle Million , & mon fils , qui fe nomme comme moi, eft dans votre régiment deChampagne. Le roi fit continuer.  CHAPITRE DCCCXXV. Calherine Vajfent. 13b Püis quelque temps les chymiftes nous avoient familiarifés avec les matières ftercorales. En nous apprenant 1'art de combattre les moffettes , ils nous avoient fait regarder au fond des vannes; ils nous avoient envoyé les acides pour forcer a la neutralité I'alcalefcence; ils avoient combattu les monftres méphitiques qui s'exhalent de la lie fécale; ils nous avoient aguerris contre les miafmes , lorfqu'une fervante de Noyon, fans avoir rien lu fur la chymie, fe jeta dans ces congeftions bourbcufes, pour fauver la vie k quatre hommes, Le même jour, Pacadémie frangaife couronna Phéroïque fervante pour fon dévouemcnt, & M, Necker pour fon livre des Opïnions religieufes. Ainfi la vertu & le  talent, quoique placés a des points oppofés, fraternifent dans le fein de la renommee ; ainfi redeviennent égaux les enfans de leurs ceuvres; & tels ils feront un jour dans cette autre vie, dans cette vie inévitable que le méchant feul voudroit écarter, & oü, la vertu fera plus brillante encore que le génie. L'éloge de Louis XII, le prix donné a. une fervante & a un homme célèbre, appuï & ancre falutaire d'un vafte royaume, ancre jetée en ce moment même; la préfence des ambaiTadeurs de Tipoo-Saïb; ce rapprochement rare étoit d'autant plus remarquable fous mes regards , que Cath&rineVaffent fcrtoit pure & brillante d'une lie fétide, tandis qu'un autre grand perfonnage tomboit dans Ia folTe du mépris public. Si les phyficiens n'avoient pas annobli les moffettes, les académiciens n'auroient peut-être pas ofé couronner la généreufe fervante; mais la boue fécale au phyfique n'eft rien ; en s'afpergeant d'eau rofe ou d'eau de Iavande, on peut, après s'être  X 5 flancê des gouffres infects, paroftre avetf gloire dans une falie académique. II n'en eft pas ainfi de ces taches inefïacables, que des politiques infenfés eraportent pour leur honte dans Pavenir. L'auditoire couvrit d'applaudiffemens Sc la mémoire de Louis XII , paree qu'il fut bon, Sc qu'il aima fon peuple, Sc Catherint Vafent, fortie a Noyon d'une foffe d'aifance. La gadoue ne flétrit point, & les honneurs ne fauvent point de 1'opprobre. CHAPITRE DCCCXXVL Docleur-Régent. C o m m e n t cet homme eft inepte, diretvous ? vous foutiendrez qu'il n'eft pas médecin ? Je dis qu'il 1'eft, puifqu'il a pris des degrés, foutenu des thèfes, & qu'il eft docteur- régent. Jadis, • Rome, étoit médecin qui vouloit.  (y A Rome, fous les empereurs, le médecin roturier qui faifoit mourir un malade par ignorance, étoit puni de mort, & de la déportation feulement s'il étoit noble. On voit que les Romains penfoient qu'il étoit beaucoup plus confolant de mourir de la fottife d'un noble, que de celle d'un Émple plébéien. On n'eft pas toujours médecin, pour être docteur-régent; il y a un grand intervalle entre ces deux noms-la , mais le peuple croira toujours qu'un docteur-régent eft un médecin , & le docteur-régent le croira luimême. II y a plus de docteurs-régens qu'il n'y a de médecins. Cependant il y a des médecins parmi les do&eurs-régens; je Ie confeffe. Ne pas" guérir autrui, eft un malheur; mais ne vouloir pas que d'autres guériflent leurs femblables, paree qu'ils ne font pas dofteurs-régens , eft une abfurdité. C'eft le premier médecin qui donne a tous les charlatans & empyriques 1'attache pour la diftribution de leurs remèdes. N'ont-ils  C ) point 1'attache, ils font pourfuivis, car c'eft alors que le remède devient pernicieux; & comment cela pourroit-il être autrement? ils n'ont pas payé. On voit que 1'application du remède eft indifférente', & que le docteur-régent n'a jugé que fa compofition : il interdit cependant les poifons , qui tueroient dans une minute; c'eft toujours cela. II me femble què le docteur - régent pourroit approuver tous les remèdes indiftinöement, mais que le médecin ne devroit en approuver aucun, fans en avoir vu la dofe & 1'application. Tel docteur-régent, ayant vu qu'on gagnoit moins d'argent a courir après les malades , en montant les efcaliers, & en traverfant des antichambres , a bien jugé qu'il valoit mieux faire ie médecin. Chez lui, a chaque parole qu'il profère, on crache au baffin. Son pouce & fon index battent monnoie ; & il eft fi content du ba'ancier, qu'il plaifante les malades, les agonifans, & qu'il leur prodigue de l'efprit en place de guérifon.  ( 2j7 ) CHAPITRE DCCCXXVIL Complaintes. Un parricide, un empoifonneur, un aflaffin, le iendemain, que dis-je, dès le jour même de leur fupplice, enfantent des complaintes qui font chantées dans tous les carrefours, & compofées par les chanteurs, du pont-neuf. Ces couplets lugubres font de'bités par des voix plus lamentables encore. Les grands voleurs obtiennent aufli cette efpèce d'oraifon funèbre. La canaille écoute ces Jérérnies ambulans : les moralités fur les dangers du vice & du libertinage font renfermés dans les derniers couplets; ces chanteurs fe diftinguent des chantres profanes, & pour marquer leur métier religieux, ils portent une croix & un fcapulaire; on fent bien qu'ils n'ont point la trogne rouge  eomme les diftributaurs des chanfons diffolues : jamais ils ne montent fur un treteau; ils marchent a pied d'un pas lent, & leur extérieur annonce la compoaction. Les faits extraordinaires, & qui tienneat par quelque cóté au crime & au repentir, forment aufli Ie fujet de ces complaintes. Quelques hommes de lettres, dans des momens de détrefle , en ont compofé a neuf francs la pièce, quand la verve des poètes du pont-neuf étoit a fee, ou bien quand la matière exigeoit une voix plus renforcée. On a célébré ainfi Defrues, & fa complainte reparoït de temps en temps, comme on remet au théatre une pièce ancienne & mémorable. Tout finit donc par des chanfons, comme dit le proverbe de la comédie; & les événemens les plus triff.es finiflent encore paria, tant le caraétcre de Ia nation la porte a mettre tout en vaudeville. J'ai lu, en vers burlefques, les guerres civiles de la ligue & de la fronde, & même 1'hiftoire de France. Quand le Francais ne rit pas, il faut  (m) faut toujours qu'il chante; quand il ne chan» tera plus, ce fera une époque effrayante. CHAPITRE DCCCXXVIII. Satyres, L'empïre de Ia fatyre, dans tous le* temps, s'eft répandu, comme le dit Juvénal, depuïs le tróne juf qua la taverne. II y a eu des vices & des ridicules a réprimer dans tous les états; la vengeance, la haine, la fureur, ont accumulé leurs portraits néceftairement chargés de faufles couleurs ; quelquefois parmi nous c'eft une ame chagrine qui, fans haine & fans fiel, exerce un talent dangereux : celui-ci ne veut d'abord que rire, plaifanter, & tombe dans les traits les plus forts; d'autres font infpirés par le befoin, & font des fatyres, paree qu'elies fe vendent mieux que des éloges. Tel enfin prend la méchanceté dure pour de l'efprit. Tome X, R  I 2;S 5 On écrlvoit des libelles contre le cardinal Mazarin : Mazarin fit faifir les libelles faits contre lui; il les fit vendre fous le manteau, & en tira dix mille écus , ce dont il rit beaucoup enfuite. On peut certifier que de toutes les fatyres anonymes qui ont été diftribuées depuis dix ans , ainfi que de tous les libelles contre les perfonnes de la cour, aucun n'a été compofé par un homme de lettres, jouiffant de la moindre réputation. La cenfure des abus, qui s'oppofent a la profpérité publiques eft pour certains hommes un befoin moral ; mais ces mêmes hommes font en même temps les plus diamétralement oppofés a la fatyre. Les libelles & les fatyres partent de fources obfcures, & des antres nus de 1'ignorance affamée. Quiconque a un nom eft plus attentif qu'un autre a ne point le dégrader : & comment s'expoferoit - il a perdre en un inftant cette eftime publique qu'il a été des années a conquérir i II faudroit le fuppofer en démence.  ( %Ï9 5 ♦ L'imbécille voix du ftupide vulgaire, charge quelquefois d'un e'crit mal-honnête un auteur qui ne daigne pas le lire quand on Ie lui préfente : c'efUla un des plus triftes inconvéniens attache's a la culture des lettres; mais, en ge'néral, le miniftère & le public inftruit, ont des donne'es affez exaótes fur tous les e'crivains, aux moyens defquelles on les voit rarement s'égaret dans des jugemens faux & pre'cipite's: c'eft ce qui tranquillife 1 ecrivain honnête, quand il eft calomnié. La loi qui obligeroit, quiconque écrit, a figner tout imprime', pour en re'pondre perfonnellement , feroit chère a tous les hommes de bien , & tueroit le miférable talent des libelliftes & des fatyriques. Mais perdre des hommes pour des brochures futiles, qui tomberoient d'ellesmémes, cela me paroït bien rigoureux. La première loi eft de vivre de fon petit commerce. La confcience ne reprochexa jamais a un malheureux colporteur ou libraire, de vendre un imprimé que tout R 2  le monde demande, veut lire, Sc dont les grands ne chomment pas. Au milieu de cet empreiïement univerfel, le vendeur peut-il s'imaginer que ce foit un crime d'état que de faire courir la brochure tant defirée ? n'obéit-il pas a 1'ordre du public qui la lui demande? Si le vendeur eft fi coupable, pourquoi 1'acheteur ne 1'eft-il pas? On n'a pas encore imaginé de punir le lecteur curieux. Eh ! quedoit-on penfer, lorfqu'après tout ce vacarme, Pimprimé, fix mois après, eft expofé publiquement, & fe vend avec beaucoup plus de peine, n'étant plus prohibé? Que devient cette terreur panique qui a mis en mouvement les intéreffës ?  v 2 6*1 } CHAPITRE DCCCXXIX. Tailleurs. L'homme eft le feul des animaux quï foit obligé de fe vêtir : de-la les tailleurs. Ce fameux cynique de 1'antiquité, n'ofant tout-a-fait fe fouftraire a 1'ufage de fe eouvrir, fe voiloit en partie de quelques haiblons; mais tout-a-coup infultant k cette bienfe'ance, il ofoit afficher l'ivrefTe d'une jouiffance que 1'éle'phant, cet animal prefque raifonnable, enfevelit conftamment dans Ie plus profond myftère. L'homme doit être vêtu; tout femble le prouver; mais combien fallut-il de temps pour découvrir 1'art de tiffer, c'eft:-a-dire, de fabriquer des e'toffes ? Combien de fiècles fe font écoule's entre la peau d'animal dont l'homme fe couvroit, & le drap compofé par la navette ? C'eft elle qui a rendu  ( 20*2 ) des fils de coton, ou de laine , tout a la fois fouples & réfiftans. Quand on eut découvert le drap, il paroït qu'on ne fut pas le couper. Les anciennes ftatues confervées d'age en age, & renouvellées par les artiftes de tous les fiècles , retracent ces antiques draperies qui couvroient lnomme de la tête aux pieds. Ainfi font encore vêtus les Orientaux : ils tiennent toujours a la manière primitive ; mais dans cette fimplicité il y a encore un art dans la forme de leurs vêtemens, perdu pour 1'ceil inhabile, mais dont la coupe n'échappe point a 1'examen. La robe fans couture eft un prodige miraculeux. Un francais voyageant en Afie, a fon retour apporta a Paris, en 1785", une efpèce de houppelande, nommée dans les contrées oü 1'ufage en eft fréquent, arabefque. Ce vêtement fingulier & étonnant par fa contexture, a fortement furpris & embarrafie nombre de tailleurs européens, très-habües dans leur art, & qui ne pouvoient fe laffer d'en admirer la forme; corfage bien contourné, taille prife amerveille, jupe longue  X 26-3 % & ample, manches bien deffinées & parfaitement adaptées, épaules dégagées, col délié, terminant par un capuchon, commode en bien des circonftances, couvrant la tête a gré, & la découvrant de même, enfin imaginé avec un génie inconcevable & toutes les recherches poffibles. Une multitude innombrable d'êtres attachent la plus grande importance a leur habit. Quelle encyclopédie n'auroit-on point k faire fur la folie, la fottife & la fantaifie des modes ? Que penfer des autres hommes, quand Buffon dit en propres termes, que 1'habillement eft une partie de nous-mêmes? Depuis le plus mince artifan jufqu'a ceux qui tiennent les réfervoirs de 1'argent, tous préfèrent le paroitre k Yêtre. L'extérfeur eft tout, & ''intérieur rien. Aujourd'hui point de repos pour le tailleur, pour peu que 1'habit manque a la moindre formule de la mode; un évaporé du bel air dit k un autre étourdi : Comme te voila horrible ! mais tufaispeur; tu as Vair d'un homme du XV * fiècle, tout frais arrivé R 4  ( 264 ) des Cévènes. - Quai - je donc , rêpond Vautre ? Tu es d faire mal au cceur; tu nes point du tout a la mode. ■ Cela eft impojjible, mon cher ; car cet habit neft fait que d'avant-hier, & par un tailleur habile. Cela peut être , mon très-eher; mais ignores-tu que la mode eft changée d'hier au foir pour le fouper ? De courts gillets indécens, des culottes impudiqu.es, fans poches, & qui ne peuvent recéler ni un écu ni une montre, voila 1'habillement étranglé du jour. L'évaporé du bon ton, ganté dans fon vêtement, ne pourra ployer le genou, ni s'affeoir. Que fait-il? il s'affied en fautant, & fe relève de méme. Sans ce manége, 1'étoffe creveroit. Adam, avec fa feuille de figuier, étoit plus décemment vêtu que fes derniers étourdis d'enfans, fe promenant au palais-royal en culottes étroites, queue de ferin. Le tailleur pour ce canton, oh ! quel homme admirable ! il convertit le prélat en Adonis, le magiftrat ea petit-maïtre, le commis en marquis, le marquis en duc, le duc en potentat.  ( 26*r ) Mais c'eft une de'penfe qu'une garderobe ! Déja Henri IV difoit a Sully : Moquons-nous , mon ami, de ceux qui portent leurs bois a hautes futaies , & leur moulin fur leurs épaules. C'eft bien pis aujourd'hui; c'eft a qui pourra tromper Ie tailleur, 1'amorcer par des promeffes, & manquer au paiement d'un habit de fantaifie. Elle change néanmoins du matin au foir; elle ordonne la pofition d'un collet debout ou renverfé. On a vu, il y a quelques années, une gravure repréfentant les différens coftumes des nations de 1'Europe; tout y étoit on ne peut plus ftrictement obfervé. Le Francais feul étoit nu ; il tenoit un paquet roulé & ficelé fous fon bras, & on lui avoit mis cette infcription : « Comme celui-ci *> change de goüt & de mode a chaque » inftant, nous lui avons donné fon étoffe « pour 1'employer a fa guife, & s'habiller 33 comme il voudra. » Mais après avoir confidéré la folie mouvante des ajuftemens, comptons cette foule de bras qui tirent ïaiguille, Le corps des  12665 tailleurs eft compofé de deux mille kuit cents maitres, & de cinq mille ouvriers qu'ils occupent. Joignez a ce nombre les chamberlans, les réfugiés dans des endroits privilégiés, comme les abbayes de SaintGermain , de Saint-Martin, le vafte enclos du Temple } celui de Saint- Jean-de-Latran, le fauxbourg Saint-Antoine } qui feul formeroit une ville du fecond ordre : vous trouverez au moins douze mille individus, coupant, ajuftant & coufant; occupation dz femmes, comme le dit J. J. RoulTeau. iVoüa donc vingt-quatre mille bras mafculins convertis en féminins; & du travail aflidu de tant d'hommes, il negermera pas une plante propre a la fubfiftance d'un oifeau ! Mais qui a le plus de tort de ces étres efFéminant leurs bras, & énervant leurs forces, ou de ceux qui leur infpirent ce goüt, & le foudoient? Le goüt dominant eft la parure; l'homme ne paroit eftimable aux yeux de prefque toutes les femmes, que par le goüt & la décoration de fon  C 2 67 ) habit. L'habit enfin confond, dans les lieux publics,tous les rangs& tous les états. On ne peut voir cependant fans chagrïn & fans douleur, Ia même légéreté & la même folie dans le militaire. Eh ! quel être fenfé peut confidérer nos guerriers, les défenfeurs de la patrie, ne s'entretenant plus que de pompons & de modes , & mille fois plus occupés de la décoration de leurs habits que de 1'étude de Ia taSique? Un guerrier s'habille aujourd'hui comme un danfeur; un uniforme reffemble prefque a un habit de bal; rien n'eft plus bizarre , plus efféminé, plus contraftant avec le métier de la guerre: qu'on en juge par la defcription fuivante; elle eft fidelle : Habit de drap verd , paremens & revers rofes ; trois petits boutons aux paremens , fept au revers, également efpacés, collet verd , liferé de drap blanc autour, ainfi quaux revers & paremens; pattes en travers , nommées d la bourgeoife , ( liferé autour) appliquées & fixées par trois gros boutons ; la doublure d'habit rofe ; une fleur  ( 258 ) 'de lys au retroufféde devant, en drap verd, & liferé de blanc ; le retrouffê de devant croifant fur celui de derrière d'environ un. pouce; trois gros boutons au-deffbus dit, revers a droite , & trois boutonnières audeffous de celui d gauche; un bouton fur la tête de chaque pli, & un d chaque bas, tous armoiriés & numérotés. Si nous ajoutions a cette defcription celle du cafque, fa forme, fes pompons, fes aigrettes, fes plumes , que nous puffions décrire 1'éclat d'une dragonne,les beautés,' les richelTes des épaulettes, ornées a triples rangs de filets d'or , nommées graines d'épinards, de doublés torfannes éblouiffantes; & que les phalanges de Pantiquité, ces redoutables légions égyptiennes, macédoniennes & romaines pufTent fortir un inftant de leurs tombeaux, que diroient-elles? Que c'eft une pompe convenable a un Veflris, qu'un pareil individu, ainfi rofé, liferé, va s'élancer fur un théatre , pour figurer dans un ballet & non dans les champs de Mars; & quand ces légions apprendroient que tels  font les guerriers de nos jours, ne fiaufferoient-elles pas alors les épaules aufli haut que les nues, en rentfant dans leurs tombeaux, oü elles dorment avec leurs lances, leurs cuirafles & leurs épées? Ce n'eft pas qu'un habit ne doive avoir de la grace; & pour cela il faut qu'il divife la taille en deux parties égales. Quand 1'habit eft coupé avec cette élégance, i'on fait difparoïtre tous les vêtemens difformes , fi chers aux étrangers, & qu'ils n'abandonnent point, tandis que nos tailleurs donnent la grace aux vêtemens, & parviennent a cachet jufqu'aux défauts du corps. ; Ceft bien atort qu'on fe plaint del'infidélité des tailleurs, pu ifqu'on a en main Ie moyen le plus fimple pour n'être point trompé. Allez chez le marchand ; achetez vous-même votre étoffe, Ie drap, la doublure, les boutons , le fil; pefez le t out dans une balance j & quand le tailleur vous apportera votre habit, pefez tout ce qu'il vous rapporte, & donnez-lui une once de déchet. Mais quand on ne veut payer fon habillement  C 270 ) qu'au bout de trois ou quatre années, ainfi que c'eft 1'ufage dans les grandes maifons, il faut bien que le long crédit trouve un ample dédommagement. Le manufacturier fait crédit au marchand de drap, le marchand de drap au tailleur, & le tailleur au freluquet. Les tribunaux inférieurs favent combien il y a de freluquets couverts, & très-bien couverts, qui doivent leurs enveloppes. Le crédit que font les tailleurs, foutient & maintient par-tout la décence publique, qui feroit bleffée fans leur grande facilité. Mais ne feroit-il pas jufte auffi de dépouiller le débiteur opiniatre en pleine audience, & de le renvoyer nu fous une cafaque bannale, dont la communauté des tailleurs auroit les premiers frais ? Cette cafaque feroit 1'efFet d'une loi; on diroit: ce merveilleux, cet auteur, ce marquis a paffe fous la cafaque. Il s'arrangeroit alors avec un autre tailleur, un tailleur débonnaire qui vêtiroit fa nudité; mais qui ne manqueroit pas de lui dire ; prenez^ gardet monfieur 3 d la cafaque%  ( 271 ) On voit, au prix fixe, qu'on peut être vêtu k bien rneilleur marche que chez les tailleurs; mais il faut payer comptant, & c'eft ce qui embarraffe, ou dégoüte les jeunes gens. On aime k Paris les jouiffances qu'on paie avec ufure, mais dans un temps éloigné; & les Parifiens, a cet égard, ont tous la philofophie des femmes. On s'accoutume k voir dans la ville 1'extrême politeffe & 1'extrême groffièreté, 1'extrême richeffe & 1'extrême misère cöte k cöte, pour ainfi dire, ainfi qu'on eft habitué a voir dans les rues, des hommes déguenillés & fales , en fróler Q autres couverts de foie , & n'ayant pas une tache fur leurs corps des pieds k la tête. Les déguenillés jettent leurs hardes d'un trait, lorfqu'ils fe couchent ; les foyeux & les furdorés fe jettent, a minuit, dans un fallon illuminé ; car minuit eft 1'heure du beau monde. Dire la que pour fe bien porter il faut fe coucher a neuf heures, on ne vous entendra point. Plufieurs femmes, qu'on furnomnie des lampes , paree qu'elies  c m) Veil!ent toute la nuit, pourroient dire comme Satan dans Milton : Soleil! que je hais tes rayons ! On eft habillé encore a trois heures & demie du matin , & la toilette a commencé a neuf heures du foir, Parmi les enfans d'Adam, qui alloit tout nu, M. Leroux, phyficien, eft le premier, je crois, qui ait imagine un vetement d une étoffe impénétrable, incombuftible ; & fous cette enveloppe il lit, écrit, travaille dans une fournaife ardente, au milieu des flammes. Ainfi, tandis que 1'un marche, ou veut marcher fur les eaux de la Seine, 1'autre taille fa plume fur un brafier. On voit que 1'on tourmente la phyfique fous tous les rapports poffiblés, pour lui arracher d'utiles découvertes. M. Leroux fe flatte d'arrêter le cours des incendies, fous le plaftron qu'il a inventé. II a une provifion d'air caché fous fon habit; il met fes yeux & fes oreilles a 1'abri de la voracité des Hammes; & par ce moyen, dit-on, on pourra fe fauver, foi, fa familie & fa fortune , du fein d'une maifon embrafée. Yoila  1273) Voilé un habit, s'il tient parole, qu'il Faut abfolument avoir dans fa garde-robe* II n'aura pas I'élégance de ceux qui couvrent nos militaires ; mais il rnéritera de' préférence 1'occupation de nos tailleurs. CHAPITRE DCCCXXX, Anciens Raccoleurs. C'etoient des foldats traveftis, qui, apres avoir employé la rufe pour enróler des jeunes gens fans expérience , avoient recours a des violences de toute efpèce. Des lieutenans de foitune, ou de bas-' officiers, envoyés de leurs régimens pouc faire recrue a Paris, récompenfoient gêné* reuftment ceux qui leur amenoient de beaux hommes : un louis par chaque pouce, audeflus de cinq pieds, étoit le prix courant. Un pareil encouragement devoit groffir la troupe des raccoleurs; aufli touj les foldafö Uome Xi q  c m > des gardes-fran$ai fes, (avant la reftauratïoK tëe ce régiment, & la belle difciplinc inftituée par le maréchal de Biron) pour qui tirer 1'épée & tuer fon homme n'étoit qu'un jeu, étoient recus dans cette troupe; mais als n'en étoient jugés dignes, qu'après avoir ettefté leur idonéité par plufieurs meurtres commis felon tous les principes de Vhonneur* Cette bravoure farouche étoit commune parmi eux, pour écarter de leurs manéges tous les foldats des autres régimens, qui auroient prétendu partager leurs profits. Un grand nombre , traveftis en brillans domeftiques, gardoient toutes les avenues de la capitale, & aüoient au-devant des xuftres inexpérimentés , qui , fuyant les ïngrats travaux de la campagne, furchargée d'impofitions de toute efpèce, venoient chercher un maitre opulent. A Papproche d'un de ces malheureux : Oü allez-vous, 1'ami, lui crioit, dès la porte d'une auberge , le cocher-foldat ? . . .. Et le ruftre, appuyant Ie coude fur fon baton JslaKc, lui apprenoit, d'un air niais, le fujeê  t 271 3 Se fon voyage... Je puïs vous fêfleffif fervice; venez vous rafraichir.. . La, bon villageois regarde cette rencontre* comme un coup de la Providence. Plein; de confiance, il mange beaucoup , boie davantage, encourage' par des propos leftes & gaillards. Mon maïtre, lui dit 1'autre, a befoirt! d'un laquais : vous êtes d'une riche taille; & je ne doute point qu'il ne vous prennes a fon fervice, pourvu que vous foyez docilo, a fes ordres. Tout étarit bieü difpofs, 1'on s'acheminrf ■gaiement a la ville 5 on entre dans un hötel, oü un foldat, fous la robe de chambre duit feigneur fuzerain , accueille Ie profélyte d'un air dédaigneux & prefque mehagantr il s'adoucit enfuite; & lorfque les humbles propofitions dü ruftre tremblant font acceptées, il lui fait figner un enrólement militaire , au lieus d'un engagement domeftique. Le gouvernement a détruit ce brigan-* |age. Quelques raccoleurs ont été puru^  f 276*) 'Êa carcan ; mais quelques autres , qm «'étoient diftingués par leur habileté dans le métier, ont été élevés au grade d'officier dans différens régimens qu'ils n'ont jamais vus , quoiqu'ils en portent Yuniforme. Le quai de la Ferraille eft encore le champ de Mars oü les fuccelfeurs de ces habiles fe promènent, avec de hautes plumes fur la tête; mais toute violence leur eft interdite, ainfi que les rufes trop prononcées. Et c'étoit arhfi qu'on recrutoit les armées du roi de France, il y a trente ans. Le raccoleur, ancien & moderne,a 1'exemple du bas peuple, appelle crachat, la plaque du Saint-Efprit que portent les chevaliers de 1'ordre. Le bas peuple ne fait pas cependant que Ie roi de Maroc crache fur fes favoris, & que c'eft a qui attrapera cette faveur.  ï 277 ? CHAPITRE DCCCXXXI. Tondeur de chiens. Le poftillon, dans les grandes maifbns, fe> léve de bon matin pour de'croter le laquais , qui rend le même fervice au valei-dechambre; celui-ci habille fon maïtre, fouvent a la hite, afin qu'il aille faire fa cour a un marquis, qui fe dépêche pour être a la toilette d'un prince, qui court en pofte au lever du roi, qui le renvoie au miniftre. Voila 1'échelle de la dépendance bien vifiblement tracée. Chez les grands, les valets & les femmes-de-chambre ont eux-mêmes des valets- de-chambre & des laquais. On, a toujours un inférieur; tous les hommes fe tiennent enfemble par un chamon. Le bourreau fe fait fervir; le plus vil des hommes trpuve un décroteur fur le pont-neuf, &un comédien fur le boulevard pour le divertir a 's 3  ? 27S ) ïcs chiens ont leur perruquief ic leus; tondeur , déployant enfeigne publique en face de la Samaritaine , ce petit vilain batirnent qui dépare la majefté du bafïïn , & qu'il faudroit jeter a bas, Or, le décroteur, fur le pont-neuf, qui a écrit fur ion enfeigne : Thomas tond les. chiens & fa femme; vat en ville, a un jnarmiton qui lui apporte fa foupe, & je vois qu'il le gronde pour avoir retardé la fatisfaction de fon appétit matinal & en plein air. Ce décroteur plein de boue, fous fon enfeigne , mange fa foupe , fait lire fon nom & fon état a tout le monde, II voit dénier tous les équipages, il fourit aux paffans, les regarde de bas en haut, prononce fur les jambes bien faites, & peut même infpect-er toutes celles des jeunes filles, car il eft bien placé pour cela; tandis que le paffage éternel des figures & des jolies jambes ramufea te que les fouliers paient tribut a fa broffe» 1'inquiétude , la crainte , les alarmes d$ J'irnagination font dans les voitures aux-i ^UvJles. ii tourne philofophiqueraentle dos*  C 279 5 Je me fais toujours décroter par Thomas^ quand je paffe; mais je me garde bien da reclifierlaponétuation rifiblede fon enfeigne; earcedéfaut-la ne 1'empêche pas de tondre les chiens proprement; il nefait que cela, il ne fo mêlepoint d'autres chofes. Lechien tondu&ft. paifible fous le cifeau de Thomas ; vrai-* ment il eft fort adroit, il s'entend bien h mettre une mufelière ; on peut lui confier un animal chéri, il ne le fera pas crier. Je lui ai confié mon pauvre chïen, que j'ai eu la malheur de perdre fous le fufil d'un gardechaffe , être bien au-deffbus de Thomas ; mais je ne lui avois confié mon chien, que bien certain qu'il ne le feroit pas fouffrir 5 ü Diogène avoit jeté un cri, un feul cri, j'aurois arrêté foudain la main de Thomas, m'eüt - il attefté qu'il étoit le plus habils tondeur du monde, & que Diogène, trop fenfible, trop délicat, avoit tort de crier. Je parlerai peu de la femme de Thomas $ elle eft noire, mais bonne; fi elle eft adultère, elle n'en porte point la phyfionomie. Elle vat en ville : compatiffante pour tou4 £ 4  ( 28o ) les chiens, les plus rogneux ne la rebutent p«s; elle entend leur langage , leur prodigue les careffes, en prend quatre dans fon tablier, les médecine avec fuccès, & les met d'accord en les baifant tour- a-tour; ils font fous fes jupes , oü ils japent de ïeconnoiffance. L'argent qui lui vient de ces cures, lui paroït le même que celui qui lui vient d'un épagneul au poil brillant, qu'elle a peigné , pommade' & poudre'. Les chiens de diftindion ne font pas tondus publiquement fur le parapet, cela eft bon pour les chiens ordinaires ; mais la femme de Thomas ne renvoie perfonne, ni les chaffieux, ni les galeux, qu'il faut Cmmufeler & tondre avec plus de foin. EHe a, a cet égard, le même efprit que' lempereur Vefpafien qui, recevant de l'argent d'un impöt fur les urines , le mit fous le nez de fon fils, en lui difant: Tu vois au^U ne fent point mauvais.  CHAPITRE DCCCXXXIL Parlement aires. Voici la définition qu'en donne le dlo tionnaire de Richelet : Cdui qui tient U parti du parlement contre Ia cour. Cette définition n'eft pas exacte ; on peut voter pour le parlement fans être contre la cour, ou plutöt, paree qu'on eft pour la cour z car jamais le monarque ne rencontrera plus d'obéiffance, ni d'amour, qu'en agiffant de concert avec fes pariemens. On peut dire, qu'en général, tout Paris eft parlementaire. II voit. les bienfaits journaiiers de la magiftrature; la juftice rendue» les criminels punis, le defpotifme facerdotal réprirné, les plaintes portées aux pieds du tröne , la grande police adminiftrée , une citéimmenfe, enfin, n'a point d'autres  I 282 3 «rganes; eh! comment fe Ia repréfenrer fan? magiftrats ou avec des magiftrats entière-* ment & abfolument paffifs ? ne feroit-elle pas alors la dernière en dignité fur la furface entière du globe ? Le peuple voit donc, dans le parlement, 1'affemblée des magiftrats préts a parler pour lui, & a le défendre. Ainfi que facteur eft plus cher au public que le poète, paree que le public recoit immédiatement de facteur fon plaifir, ainfi le peuple chéritd'autant plus le parlement, qu'il agit fous fes regards, & que la puiffance du tröne eft invifible, pour ainfi dire,, ou ne fe manifefte, le plus fouvent, que par des ordres rigoureux ; voila pourquoi, dès que le parlement efl: malade, frappé des coups de l'autorité, le peuple s'aflemble en foule dans les falies du palais , pour voir de plus prés le danger plus ou moins grand de la maladie ; 1'heure du repos. Be fufpend point fa follicitude inquiète 1 alors la coür, qui voit cette afiection, fait coucher quin^e cents Parijiens & PariJïenrtes auprès de 1'objet de leur tendreffe»  ? **3 7 Jtes bancs des grefners & des procureur^ deviennent des Iits, oü les amis de la magiftrature & de la cour des pairs veillent jufqu'a la renaiffance du jour. Ils ont le temps, fur la rude couchette, & enfermés fous les grilles gardées par des foldats bleus & rouges , de s'imboire des principes de la conftitution frangaife. II faut a une nation des juges & des magiftrats. Comment la concevoir autrement ? Les juges & les magiftrats par-toub ont précédé les rois : paree que le fénat de la nation a change de nom ou de local, eft-il de création nouvelle ? n'eft-il pas une partie intégrante d'une conftitution raifonnable ? ne dérive-t-il pas manifeftement de la légiflation primitive des Francais ? 'les miniftres & les gardiens des loix font-ils des perfonnages imaginairesqu'un fouffle décompofe ? Le parlement eft refté feul défenfeur de Ia liberté publique; c'eft a fa vigilance & a fon courage, que nous devons la jouifTance 4§s droits qui ne nous ont pas encore étq  r ■* »nlevé*s ; dans les provinces, ils ont réprïm* fautorité que prenoient k tlche de s'exa-? gérer a eux-mémes intendans & commandans, toujours un peu enclins k pafler le but. Les actes nombreux d'un courage vraiment patriotique ont illuftré, dans tous les temps, les membres de ces refpectables compagnies. Les foüverains ont été liés par de certaines formes qu'il leur a fallu refpeóter; & 1'expérience n'a-1-elle pas prouvé (lorfque le pouvoir légiflatif dormoit dans un hlence profond) Putilité de ces corps permanens & intermédiaires , qui ne font point un alTcmblage de greffiers, mais de magiftrats fpécialement chargés, par le confentement général, du maintien de J'harmonie conftitutionnelle ? La volonté nationale s'explique, d'une manière indubitable, par le refpecr. & la confiance des citoyens, pour 1'augufte cour des pairs, qui eft, en mem© temps, 1'ornement & 1'appui du tröne. Le grand feigneur , de quelque nom faftueux qu'il fe décore, de fültan, d'empereur, ne fera jamais que le premier efclave.  *8e 1'empire; car, comme il n'y a point de corps intermédiaire entre lui & le peuple, au moindre mécontentement, le peuple faifit le pied du tróne, & le renverfe fur le diftributeur de cordons. C'eft 1'oppofrtion de cette cour qui a toujours empêché Ie defpotifme de prendre une afliette fixe; & quand la force publique eft entre les mains d'un feul, n'eft-il pas bon, d'ailleurs, qu'il y ait une force légale pour faire contre-poids, afin que les loix & la liberté ne tombent pas du moins, en un feul jour , par une erreur quelquefois involontaire, ou par une décifion trop précipitée ? voyez fi les rois eux-mêmes ne les ont pas fouvent remerciés des utiles obftacles qu'ils leur ont oppofés pour leur plus grande gloire. Cette contre-force eft Ie plus fouvent Utile au fouverain, en ce qu'elle 1'empéche. de détruire aveuglément fa propre autorité, La raifon & 1'expérience démontrent 1'excellence de cet équilibre, qui, après divers balanceinens, xaatèw les ditf&entes partie»  Se fétat a un centre commun; êê qüaridf les pariemens ne feroient pas un refte d* 1'ancienne conftitution, une image de liberté, un gaged'harmonie, ils appartiendroient encore au vceu conftant des affemblées nationales. Ainfi, les grandes infültes faites k la majefté de ces corps, font faites k la patrie, en ce que les membres, perfonnellement inamovibles, ne peuvent être déplacés que par la loi 5 car, comment exercer des fonótions utiles & intéreffantes pour tous, & n'avoir point de fécurité pour foi > Les monarques francais font sürs de Pobéiffance dans les importantes opératiohs de la paix & de la guerre; dans la diftribution des places, des graces & des honneurs j dans tout ce qui concerne 1'ordre politique^ & la confervation du royaume contre 1'ennemi; qui les gêne a cet égard ? Les hommages & le refpect environnent leur tröne; pourquoi ne confentiroient-ils pas k voir leur autorité fagement balancée, quand elle pèfe enfuite trop violemment, & fouvent a leur i«fu, fur nos perfonnes & fur nos biensi}  I 2*7 5 Elle perd alors & de fa dignitë", & de &» force réelle. La magiftrature n'eft-elle pas Taite, en ces momens, pour rapprocher le peuple du tröne ? car les fujets, ne voyant plus rien entre eux & fes coups redoutables, s'alarmeroient, a jufte titre, de ce vide jeffrayant. L'organifation d'un vafte empire dépend de plufieurs rouages qui s'engrainent. Quand !a machine va, admirez & tremblez d'y trop toucher; vous ne pouvez enlever.ou déran* ger une partie, que d'autres n'en fouffrent fubitement. Si la France a figuré honorablement, depuis tant de fiècles, avec fes pariemens, ce régime ne dit-il pas qu'une monarchie, telle que la notre, ne fauroit 'être dénuée de ces corps antiques & inébranlables ? car 1'anarchie fuivroit infailliélement la diffolution de la rnagiftrature; du moins c'eft au pouvoir légiflatif, inféparable des états-généraux, a décider cette grande queftion, & le roi des Frangais ne "fera jamais fi grand qu'après les avoir en^ fendjis f ü fera jnvinciblement potte fur les.  f 2$g } -bafes facrêes de la loi, qui né nous dofirwg un monarque, que pour que nous fuffions, tout a la fois, plus grands & plus heureux. ( Ce n'eft donc point fans connoifTance der caufe, ni fans avoir étudié la matière, que, l'homme né au fein de la capitale a été* eft, & fera parlementaire ; car les pariemens font les états-généraux au petit pied, felor» 1'expreffion heureufe & mémorable, laquelle eft devenue populaire. ^ Dès que le parlement, relevant de maladie, entre en convalefcence, le peuple tiret fufées & pétards, fignale fa joie;&Iesdémonftrations populaires ( que les autres claffes de citoyens ne défavouent pas) ne, font point équivoques; elles font gaies & vives. Quand les magiftrats font exilés ou écartés du temple de la juftice a main armée, on les appelle les revenans, tant on eftr eonvaincu de leur prochain retour; ces idéés font méme au mi'itaire, &un foldat, ?n faclion aux portes du palais, vide des gardiens  ï 28p ) gardiens des loix, difoit en fe promenant: Je garde le fépulcre, en attendant la réfurrecllon. CHAPITRE DCCCXXXIII. Hotel de Louvols. Il occupe un terrain confidérable. Comme 1'hotel eft en vente acfuellement, on projette de percer une rue fur fon emplacement; débouché commode pour la rue SainteAnne. La demeuroit 1'inexorable & dur miniftre, qui a mis toute 1'Europe en foldats & en arme'es. On lui doit la fatale inftitution de ces grands corps redoutables qui ruinent les fouverains, & qui rendront la conquête de la liberté de notre continent plus incertaine, plus difficile, mais plus héroïque, fans doute, que celle du nouveau : 1'Angleterre feule a fu e'chapper a ce fleau de'vorateur, qui, foit en repos, foit Tome X,  ( 20© ) en ?ction, range parmi les réves,\es plans les plus fenfés & les plus généreux de la haute & humaine politique. Louvois a armé, a peu de chofe prés, un huitième des Européens contre les autres portions d'habitans. Quel nom terrible a 1'oreille d'un philantrope! Sans lui on n'auroit pas vu exifter ces marchands de chair humaine, domicilies en Allemagne, petits princes bouchers, alimentant de tous cötés la guerre, pour avoir chez eux , ballet, académie & opéra-comique. Le dégout de Louis XIV pour Louvois avoit commencé par les ravages dans le Palatinat , qui s'étoient faits a fon infu, & dont on lui avoit caché toute 1'énormité; tandis que Louvois fembloit remercier ceux qui y avoient contribué, au point qu'il avoit un jour demandé en riant, a M. a"Huxelles : Eh vous ! combien vous vaut votre campagne ? M. d'Huxelles, fimple lieutenantgénéral, avoit eu huit cents mille livres pour fa part, & fi, dit-on, avoit-il été un des. mode/les.  ( 201 ) Le roi vint au point de contre-pointer Louvois en tout dans le travail, de donner prefque toujours raifon k M. de Seignelai, fon antagonifte décidé. Louvois mit de 1'humeur de fon cöté, au point qu'un jour de travail, oü il n'y avoit que le roi, madame- de Maintenon & lui , il jeta la le porte feuille avec des paroles fi peu refpectueufes, que le roi outré fauta fur les pincettes , & vint pour lui en donner ; ce qu'il eÜt fait malgré fa gravité & fa dévotion, fans madame d<2 Miintenon , qui fe jeta entre deux. La chofe en refta la, & le roi fortit après avoir dit quelques mots bas k madame de Maintenon. Sur ce que Louvois, refté feul avec elle, recommenca a lui dire qu'il ne vouloit plus travailler avec le roi, qu'il n'y avoit plus moyen, qu'il n'y avoit qu'a lui donner Ia liberté de fe retirer en pays étranger, madame de Maintenon lui répondit qu'il fe trompoit, s'il crovoit fe retirer ainfi avec les fecrets de 1'Etat; qu'elle avoit ordre de lui dire de chpifir, ou de continuer k J 3,  ( 2p2 )' travallier fous les jours, mais avec plus de refpedt, ou de fe préparer a aller k Vincennes le lendemain; que le roi lui laifToit vingt-quatre heures pour opter. II choifït de refter en place. On a été jufqu'a ofer dire; dans des anecdotes particulières, que le roi dépêcha k Rome, pour confulter s'il n'étoit pas bien permis a un roi dc fe défaire, par voie fecrète , d'un miniftre dont des raifons d'Etat ne permettoient pas de fe défaire fur un échafaud, £>c qu'il étoit encore plus dangereux, après quelques chofes qui s'étoient paffées , de laiffer dans le monde avec tout le feeree du royaume. On ajoute que Louvois ne vécut plus long-temps ; ce qui feroit croire que Rome fe prêta aux fcrupules du monarque. Mais, outre que Louis XIV favoit trop bien 1'art d'être obéi & de punir, pour recourir k un moyen aufli vil, aufli bas, & qui n'eft jamais employé que par le foible, ajoutons que Seignelai étoit mort alors depuis fept a huit mbis; que Louis donna la place de Louvois au marquis de JBarbéfieux  (*n J fon fils, ce qu'il n'eüt probablement pas fait s'il en fut venu jufqu'a fe venger du père d'une manière aufli balfe. Mais ce qui paroït ne laiffer aucun doute a cet égard, c'eft que la France avoit été très-mal avec Rome jufqu'a cette époque; que le nouveau pape étoit un pontife vraiment chrétien, & que Louis eut toutes les peines du monde a obtenir de lui la condamnation du livre des Maximes des Saints. Nous n'avons rapporté cette anecdote, que pour apprendre aux miniftres qu'ils ne peuvent pas trop compter fur une faveur conftante, & que Louvois, 1'impérieux Louvois, s'étoit tellement laiffé gater par fa place, qu'il mourut de défefpoir de fe voir contrarié par celui même k qui il étoit redevable de fa faufTe puiffance. Sur le terrain de cet hotel on avoit établi une curieufe manufaéture, qui métamorphofoit en canons nos bibliothèques & tous nos fots livres. Avec ce canon dur & folide on faifoit des voitures roulantes. La Philofophie de la nature, de Delille, compofoit T 3  ? 294 5 tt« brancard de cabriolet; YHiflolre êcfttè par M. Deformeaux, faifoit le pendant. II ne falloit pas moins qu'un Des EJfarts bien complet, pour former un timon. On s'enfermoit dans la caiffe , fous les ceuvres pilées & arrondies de la Harpe. Alors tous ces auteurs fi pefans voloient avec légèreté. Pauvre papier ! voila les beaux jours de ta gloire ! on te rendoit ta blancheur primitive ; on erfagoit les fottifes qui te 1'avoïent fait perdre. Pauvre papier ! dont on fait une fi effroyable confommaticn dans Lutc-ce, tant pour le Mercure de France, que pour 1'Almanach des Mufes, dis-moi , n'es-tu pas plus beau quand tu redeviens blanc Sc compacte, que quand tu es barbouillé par Moreau? II y a un village a la Chine oü 1'on a le fecret d'enlever les caraftères de deffus le papier, foit écrit, foit imprimé, Sc de le renJre parfaitement blanc. On a annoncé ce fecret il y a quelque temps a Paris; mais j'ignore fi on a réuffi. Oh ! qu'il nous arrivé ie fecret d'enlever 1'encre du papier, fans  en refte aucune tracé ! nous fnétamofphoferons les trois quarts cie nos ouvrages en beau papier blanc. Heureufe conquéte ! doublé triomphe ! CHAPITR.E DCCCXXXIV. Brochures pol'uiques» On nous en donne par centaines, & da toute grofleur; il y a une foule de tétes qui travaillent nuit Sc jour pour aider a 1'adminiftration, pour endoctriner lts fouvcrains & les miniftres, qui ont la cruauté de ne pas lire les ouvrages qu'on a faits pour. eux. Les académies offrent des prix pour des fujets poli.tiques, ainfi qu'elies en offroient pour une elégie ou pour une ode : jamais les amis du corps focial n'ont été plus chauds ni plus nombreux. Louis XIV, qui  ( 206" ) ne pouvoit pas fouffrir qu'on parlat politique, feroit fort étonné de voir que chacun en parle aujourd'hui; mais le bon ou le mauvais gouvernement ne fauroit être indifférent aux fages efprits : Sc csla, après tout, intérefTe tout le monde, car nous fommes tous balotés dans le même navire. II réfulte de 1'examen de ces matières, Sc des vifs débats qu'elies enfantent, que la fcience politique eft extrêmement compliquée, & qu'il faut apporter le grand doute, Ie doute de Defcartes, dans les légiflations civile Sc commerciale; la médecine, enfin, n'offre pas de plus grandes difficultés, que la fcience du gouvernement. Plufieurs auteurs en politique & en finance, relfemblent a cet homme qui, ne fachant ni lire, ni écrire, & mourant de faim, s'avifa de faire un almanach , comme chofe d'un prompt & fur débit. II fe fit lire 1'almanach nouveau, & di&a a un copifte tout le contraire de ce qu'il entendoit : a la place du froid, il mettoit tempéré, Sc beau iemps au mot pluie, Le hafard confirmant  I *91 > quelques-unes de fes prédictions, 11 attrapa la vérité fans la chercher & fans la connoïtre, On a Invité dernièrement les hommes «clairés a défendre la caufe publique. Tout dit d'efpérer ; tout préfage une refonte falutaire; on verra dans la prochaine aflemblée des états-généraux (i), ceque produiront ces maffes de lumières , qui tendent k éclairer toutes les parties de Ia légiflation, & cet efprit de patriotifme , qui fe manifefte dans tous les ordres de la fociété. (i) Les derniers états-genéraux datent de 1614, & fe tinrent a Paris. Voici ce qu'on lit dans 1'Encyclopédie in-4°, toine 13% page 1C1 : Les états-généraux, qui étoient divifés fur plufieurs cbjets, fe réunlrent tous pour un, qui fut de demander l'ctablijfemcnt d'une chambre pour la recherche des malverfations commifes dans les finances, mais on éluda cette propofition. On ne fait encore oü fe tiendront les états-généraux, annoncés pour 1789 : plufieurs raifons militent pour qu'ils foient aflemblés dans la capitale, de préférence a tout autre lieu; c'eft un centre oü tout aboutit naturellement, & il y a dans cette ville de quoi parer a tous les cas imprévus..  X 208 5 Les Francais ont porté, du moins fur lé£ plus graves objets, une raifon plus activa & plus épurée que ci-devant. L'Europe entière eft attentive a ce que fera une nation, objet éternel de fa cenfure & de fa jaloufie. Point de milieu, il faut, pour cette fois, que le nom francais foit en^ironné de gloire ou de honte : la nation fera jugée par fon propre ouvrage, & elle apprendra d'elle-même ce qu'elle vaut. Le petit bourgeois, qui parle en proverbe, dit déja : Comme on fait fon Ut on fe couche* Oh, que de fens dans ce peu de mots ! CHAPITRE DCCCXXXV. Cave au de la Sorbonne, Le maréchal de Richelieu, qui avoit vu trois règnes, tous plus extraorcinaires 1'un que 1'autre, vient d'y defcendre : le duc d'Aiguillon, fon neveu , 1'y a fuivi trois femaines après; ils font allés rejoindre le  I 2pO ) «inmftre fameux, qu'üs ont voalu quelquefois fitiger. Cc caveau de h Sorbonne feroit curieux k confulter, fi la voi* des mom, qui, dit-on, ne mentent plus , faifoit retentir si notre oreille les acccns de la vérité hiftorique. Nous devons la forme de notre gouvernement actuel au cardinal Richeiieu, qui brifa violemment {'ancien : nous devons nos mceurs modemes au duc, & la nouvelle fermentation politique k l'ancien commandant de la Bretagne. Sans le duc de Richelieu, mon tableau auroit eu certainement d'autres couleurs; c'eft lui qui a de'terminé la pente de notre can&ère acfuel, qui n'eft peut-étre pas le meilleur, & qui tranche net avec le fiècle pafte; c'eft lui qui a donné un nouveau ton k la cour de France ; enfin, c'eft lui qui a grandement de'terminé la conduite de Louis XV ; il lui avoit fauvé la vie, lorfqu'il étoit jeune encore, en le préfervant des flammes. De-li 1'attachement du roi pour le duc, J'ai vu paifer aufti dans ie tombeau AL de  ( 3°° ) Choïfeul le duc - miniftre, qui occupera une place alTez large dans 1'hiftoire ; il manque au caveau de la Sorbonne , pour compléter le dialogue que je voudrois établir avec ce fouterrain. Feu M. de Choifeul eft caufe que 1'on rencontre des Corfes a Paris, car c'eft lui qui a ordonné la conquête de leur patrie: cette capitale , qui étoit bien éloignée d'eux, eft devenue le centre de leurs efpérances. Des Corfes a Paris ! rien ne doit plus étonner. C'eft une chole intéreffante que leur converfation ; leur caraétère national femble indélébile jufqu'ici : de tous les étrangers, les Corfes font ceux qui tranchent le plus avec toutes nos idéés. J'ai vu, il y a vingt ans, le maréchal de Richeiieu a Bordeaux, dans fon gouvernement, oü il faifoit, avec alfez de fafte, de hauteur, & quelquefois de dureté, le lieutenant de roi. Je favois, dès ce temps-la, qu'il ignoroit 1'orthographe, & qu'il n'avoit que de l'efprit. Je n'ai jamais abordé le duc d'Aiguillon, mais j'ai connu fon adverfaire,  , ( 3®i ) qui a intérefie par fes malheurs & par fa fermeté bretonne. D'après la fable de la mort de Céfar, oü Voltaire fait Brutus hls de Céfar, on a pris 1'inverfe, on a fait la Chalotais père du duc. J'eus occafion de converfer une fois avec M. de Choïfeul. J'avois concu a vingtcïnq ans le projet d'aller en Ruffie ; je demandai un pafTe-port qui me fut refufé; il fallut aller au miniftre lui-même : je vis qu'il avoit en tête les principes les plus defpotiques, & qu'il ne goütoit pas fur-tout la liberté d'écrire, lui qui fe réfervoit la liberté de tout faire. Il lut mon grand étonnement fur mon vifage, & mes re'ponfes ne lui plurent point: je n'infiftaï pas fur le palTe-port, & je me retirai, renongant a mon deflèin, avec la feule fatisfa&ion d'avoir pu le juger de prés. M. de Choifeul refTembloït beaucoup au poète Barthe, auteur d'un poëme fur Vare d'aimer , non encore imprimé , d'un finï pre'cieux & charmant par la diction. Son efprit e'toit dans fes yeux; le refte de fa  X 302 3 figure étoit cotomun, Lorfque j'appris fa mort, je le regrettai: c'étoit fans contredit un miniftre trés - éclairé, & fait pour les gr_ndes opérations de la haute politique. Son adminiftration avoit quelque chofe d analogue au genie des Francais, & il poffédoit le fecret de donner a ceux qu'il employoit tout le développement de leurs qualités. Ses mémoires prouveront qu'il connoifloit parfaitement le jeu qu'il avoit eu 1'ambition de jouer ; éloge plus rare a donner qu'on ne penfe, Toutefois, on ne voit pas que ce miniftre ait rien fait de grand, rien de folide, pendant les longues années qu'il a été chargé de 1'adminiftration. Sa rer.ommée etoit beaucoup plus vafte que fon génie. Sainte & véridiquë hiftoire, quand je voudrai t'écr;'e , je me tranfporterai a la poite du caveau de la Sorbonne; & la j'interrpgerai de mon mieux les finguliers perfon: ges qu'elle renferme : & que fait-on fi, en faveur de mon amour pour la vérité. ieucs voix ne me répondront pas \  ( 303 J CHAPITRE DCCCXXXVI. Cheminées. Les maifons offrent a chaque étage des cheminées, en plsttre noirci, qui fe perdent au-deffus des toits, mais qui défigurent, a vue d'oifeau, 1'afpect de la fuperbe ville. Quelle diftance entre un poële & une cheminée ! La vue d'un poële éteint mon imaginatïon, m'attrifte & merend mélancolique : j'aime mieux le froid le plus vif que cette chaleur fade, tiède, invifible; j'aime a voir le feu, il avivc mon imagination. Je ne connois pas d'idée plus riante que celle de l'homme qui avoit placé fa table entre quatre cheminées, difpofées a égale diftance dans fon fallon carré. Les ameublemens grorTiers ne font rien quand une chambre a une cheminée. On doit être moins malheureux a la baftille 1'hiver,  < B°4 5 quel'été, puifque Ton y a,ditóri, uneche-' minée; car 1'on tifonne, & c'eft ainfi que j'ai fait prefque tous mes livres : mes penfées xiantes font au bout des pincettes, & je regarde comme un cachot toute chambre a poële. Les lits en SuifTe & en Allemagne ont de groffes couvertures, de pefans baldaquins, propres a enfoncer les cranes endormis & les plus durs , d'oü tombent des rïdeaux épais & rouges. La plume vous échauffe & vous perce en même temps les reins; les draps vous écorchent la peau. Ehbien ! quand je rencontrois, par hafard , une cheminée , Ie tombeau matelaiTé perdoit de fon horreur , & je me couchois au milieu de ces rideaux-murailles qu'il faut faire mouvoir a force de bras. Une cheminée eft pour moi un premier meuble de néeeflité, de commodité, & j'éteindrois le feu de Ia cuifine pour le tranfporter dans mon attelier. L'art du poëlier eft devenu ingénieux a Paris ; mais il ne difpenfe point des cheminées, Les tuyaux font  138; 5 font cachés, ils ferpentent dans les piartchersg & vont tröuver, dans un coin du fallon , uh vent de fud qui fouffle, tandis que la glacé 'couvre extérieurement les paneaux des Fenêtres. D'ailieurs, les póëles ont le d-éfaut de rendre frileux; ils he font a leur place que dans les antichambres , dans les endroits oü 1'on mange , & dans les cafés, oü les défceuvrés vont héberger leur oifiveté, & fe tapir contre les rigueurs du froid. II ya tel café a Paris oü ils fe cantonnent pat centaines, & oü ils paffent fidellement leur quartier d'hiver. Toutes ces plantes vivaces4 qui font la comme dans des ferres chaudes , ont de grandes obligations aux poëliers, qui, de leur cöté, n'en ont pas moins aux macons & aux architectes. C'eft 1'ignorance iricortcevable dé ces importans & ruineux perfonnages ; qui a donné la vogüe aux poëles; car, a quoi bon une cheminée dans laquelle il eft défendu de faire du feu, fous peine d'être glacé, enfumé, ou de perdre les yeux ? Cependant, c'eft un pur effet d»  ? 3öO "hafard , quand nos architectes réufljfTent I en faire une qui ne fume pas. Ils ont prétendn , en ma préfence , qu'il étoit audcffous d'eux de s'en occuper : ce font de vrais Chinois qui reflenr toujours au même point. I! a fallu faire venir, a Paris, des fumiftes d'Italie; & 1'on tire vanité, dans quelques maifons, d'une cheminée qui ne fume point : les fumiftes forment une efpèce de corps; mais je voudrois, qu'en punition de leur ignorance, nos architectes & nos macons fuilent condamnés a donner tous les ans , le jour de leur fête, un grand repas aux poeliers & aux fumiftes, & qu'ils fuiïent ob'igés de lts fervir juf (u'a ce qu'ils eufTnt appris a faire une cheminée qui ne fume point. Plus économcs ou plus aguerris contre la froidure , nos pères ne ie chauffbient prefque point. Trois fei x , en comptant celui de la cuifme , futfiloient dans une maifon qui renfermo't dix - huit ou vingt maifres, & quels maitres ! ceux qui occupoient alors les premières places de 1'état.  C 30? J Les jambes enfermées dans urie peau d'ours, iis bravoient e'galement & le froid le plus piquant, & 1'ignorance de Vacadémie royale, d'archite3ure. Qu'importe en effet ce luxe des ornement, & la fymmétrie & 1'enfilade des appartemens, fi nous fommes forcés d'y fouffler dans nos doigts, ou d'y vivre enfume's comme des renards ? Depuis que le luxe , introduit par Ia finance, a eu tout perverti parmi nous, il a allumé dans tous les coins de nos demeures des feux inextinguibles, & promene' la hache infatigable dans toutes nos foréts, devenueS bientöt infuffifantes. Après avoir dévoré les vieux enfans des fiècles & de la terre , nous en fommes réduits a tourmenter les entrailles de cette mère commune, pour en tirer la houille , la tourbe & le charbon qu'elle renferme. Le chauffage eft , pour 1'adminiftration, un point éternel de vigilance & d'alarmes. Pour contre^balancer, du moins de touC mon pouvoir, 1'ineptie de tous ces architectes enfumeurs, batiflant le decor extérieur, V 2  C 30S )" n'ordónnant pas les détails ufuels & nécef* faires, je préviens qu'un particulier, avec ün peu de géamétrie, eft parvenu a corriger leurs cheftiinéés tumeufes, & qu'il n'en manque pas une. J'indiquerai fon adrefle a qui me la demandera. On place volontiers fur nos cheminées, en petits buftes de bronze ou de platre coré, les tétes de Voltaire & üe /. /. RouJJeaii ; Mais Jeannot &. Préville (1) ont obtenu le racme honneur. La fantaiiie de nos ftu'ptturs célébrife telle ou ttl'e téte. Lts buftes des princes trouvent moins d'achcteurs qu'autrefois; on prélere 'es tetes penfantes. Le journal de Paris ie trouve fur toutes les cheminées ; il nous fait aümirer, le p'us qu'il peut, le haut efprit de M. Feydel. Mais {1) Afteur retiré, qiii jcuoit fup érienremem dans quatre ou cinq rêles, & qui brede uilloit 011 grimacoit dans teus les pv.rrts. J.'ai Ccpr.v c'cs ctrnédiens \ lus vrais S plus namrels cue lui; n a'sl'ergouernem a fes époques. Armand & Feuillie m'ont toujeurs fait plus de plaifir que Préville.  ( } «ette feuüle a un inconvénient, c'eft de s'ap» péfantir que'quefois & donner une trop grande renommee ou pubïicité a de trèspetites chofes; c'eft de fixer trop les yeux du public fur de pures misères & fur de petites révolutions théatrales, ou démêlés de mince aloi. Pafte encore quand elle annonce a YEunpe qu'on vient d'imaginer uneperruque extraordinaire, a la fuite de tant de millions de perruques ordinaires , fabriquées par des efprits routiniers comme des tragédijles franpais. Le fieur Dupuis, remportant le prix de fon art, nous offre une perruque qui ne fe défrife point, qui brave !a pluie & le vent, qu'on pjudre foi-même , & qu'on fecoue feulement pour öter la vieille poudre. iVoila un grand coup de porté a la race innombrable des perruquiers, de ces infignes larrons d'un temps précieux , qui étoient devenus nos tyrans journaliers. Les hommes, malgré toutes nos remontrances paflées , s'emparent toujours des cheminées, cachent le feu aux femmes qui grelatent5 & lèvent impo'irnent & indéeera»  C 310 ) ment les bafques de leurs habits pour fe mieux ch'aüfFer. Soje^ bénies, aimabïil petites complaifances dc la fociété, diioit Sterns. On les oublie un peu trop de nos jours, fous pre'texte d'aifance & de faeilité dans les manières. La chemine'e a glacé tranfparente, tourne'e vers la campagne, & ne de'robant rien a la vue quand on fe chauffe, eft ufitée dans plufieurs maifons royales & de princes. Ce n'eft plus un phe'nomène ; mais le premier coup-d'ceil frappe & piqué Ia curiofite', car on veut deviner, puis voir par foi-même comment & par oü s echappe la fumée. Quant aux cheminées de cuifines, ce font les bonnes; car elles rendent un homme célèbre & recommandable. On ne vilïte fa cheminée du fallon que pour fa haute cheminée da cuifine ; on n'en dit rien , il eft vrai, on n'en parle pas ; jamais on ne demande a la voir, mais fi elle n'exiftoit pas, le fallon a coup sür feroit dégarni toute Tannée. Du haut des tours 4e Notre-Dame vous  ( 3" ) pouvez diftinguer les cheminées financières, ducales ou pontificales , qui fument onctueufement, tandis que des filets clairs &r voifins n'annoncent que la maigre évaporation ci'un pot au feu. Oh ! la plaifante idéé du Dlable boiteux, qui enlève tous les toits d'une ville pour lire dans les chambres ! Nous, nous regardons k travers les tuyaux de cheminées la foupe du féminarifte , celle du bourgeois, celle du prince ; ce font trois foupes bien diftinótes, fans compter la foupe de devote. Enfin, j'en diffinguerois jufqu'a fept, d'un goüt, d'un apprêt différent, s'il ne falloit pas finir.  ? 3" 3 jCH APITRE DCCCXXXVII, Infcriptions k menfonge des épitaphes a difparu £ les infcriptions font plus fimples qu'elies ne 1'étoient. Que ne feroit-on pas avec des infcriptions fimples? Quel cours d'inftruction ? Par quelle impertinence niaife avoiton voulu que les infcriptions publiques fufient en latin ? N'étoit-ce pas outrager a la fois notre langue, nos écrivains & Ie génie curieux du peuple , qui ne demande qu'a lire ? Quelques lignes jetées fous les portraits des grands hommes, les peindroient au naturel, & formeroient un cours de morale vivante. Avec quelques diftiques. en pourroit rappeller des idéés faines. Je favois dans mon enfance les quatrains de Pibrac, & fur-tout celui-ci : Je kais ces mQtide puiffance abfolue 3 &c.3\ & j'ai regre§  ? 3*5 5 ifju'un de nos beaux génies , doué du talen! des vers, ne fe foit pas occupé a parer la morale de ce langage précis, qui fe grave dans Ia mémoire. L'inftinct, ou le fens moral, eft la plus précieufe facultc de notre être. On fait tout ce qui eft grand, tout ce qui eft beau, avec ce fens-la; on pourroit le perfeélionner chez le peuple, avec des quatrains bien faits, & attachés a tous les monumens publics, Nous avons depuis long-temps une académie des infcriptions. Comment un fi grand nombre d'hommes de mérite raffemblés n'ont-ils pas fenti la force d'une pareille vérité ? Ne diroit-on pas que Ia raifon n'a point de prife fur tout ce qui s'appelle corps en général, ou du moins ne prend fur eux que très-difhcilement ? En vain les individus qui compofent ces corps, changent, & fe renouveltent avec les générations ; 1'amour-propre , la gloriole, les intéréts les plus mefquins fe renouvellent aufli avec elles; & ce qu'on appelle efprip corps, 1'emporte toujours fur la raifon^  ( 3*4 5 & étoufFe Ie génie pendant des fiècles er*-tiers. Ce n'eft que de nos jours feulement qu'on commence a fe familiarifer un peu avec lts infcrip-ions frangaifes. II a fallu mutiler encore la langue latine pour l'hótel de Ia monnuie, nommé tel par Ie peuple, mais officina monetoc pour les fava'ns. Quelle pauvreté ! Un marchand d'eau chaude, fur le port Saint-Paul, ne s'eft pas moins diftingué pour orner fon café , qui a quatre portes fur la méme face. On lit fur la première, clibanus; fur la feconde, occus ludi; fur la troifïème, exedra harmonïaz , & fur la dernière, officina. II a, comme on voit, difputé de génie avec 1'académie des infcriptions , & parfaitement réuill a fe faire entendre des habitans du port Saint-Paul, de qui il attend fa fortune. J'aime mieux le couteüer qui a pris pour enfeigne, un gros bifcuit plongeant dans un. •verre de vin de Malaga, & qui a écrit au deffous : d la bonne trempe. L'érudit n'eft que le voiturier du philoibphe; il lui apporte des rnatériaux : que  (w) ïes érudits fe taifent, & nous Iaiffent faire des infcriptions. M. Vauvilliers, du collége royal, depuis vingt-cinq ans ne fort point de Pindare; il eft acculé la. Dans tous les journaux vous yerrez fon nom inféparable de Tanden Iyrique. Que nous dit, que nous veut dire fon éternel traductaur? M. Rochefort, fon confrère, a rimé Ylliade & YOdyffée, poëmes rebattus, traduits & retraduits fans qu'iis foient lus davantage. Voila du temps bien employé : or, tout cela ne vautpas un quatrain de Pibrac. CHAPITRE DCCCXXXVIII. Enfevelijfemens. Sur cent perfonnes qui meurent, foixante expirent fans laiffer un domeftique pour les enfevelir; mais il y a dans chaque rue une vieille fervante toute ridée qui rempüc cet office; & e'eft encore un objet de claarké  '( 3** 5 journalïère, que le drap qu'on livre pon» envelopper tel pauvre trépaffé. La vieille fervante 1'entortille, pour une bouteille de vin, dans le plus mauvais morceau de toile qui puifïe fe ttouver ; même les gens qui Iaiffent de la fortune ne font pas mieux traités. On choifit toujours le plus mauvais drap du logis, & par ordre des héritiers & de 1'époufe ; puis un valet d'égüfe (i) cloue le mort entre quatre planches brutes en fredonnant une chanfon. Des eccléfiaftiques en furplis emportent le cotps, en chantant le même De profundis qu'ils ont chanté la veiile , & qu'ils chanteront le lendemain : pour fe défennuyer, ils jafent (i) Le petit peuple le nomme cmcjut-mort, ainfi qu'il appelle les fcldats du guet, (qu'il n'ainie pas k caufe deleuraveugle brutalité) tri/lesa pattes; cefobriquetmet en fureur cette efpèce de milice, quisppcfantit alors les coups de bcurrade , & qui bkffe indiftinctement tous ceux qu'elle rencontre : le petit ptupfe eft toujours fur le pèint de 'ui faire la guerre, par^e qu'il n'en a jamais été ménagé. Le guet a chevat a pour fobriquet,lap'ms ferris.  X 317 5 fcü batllent le long des rues, ou regardenê ïes gnfettes. L'anglois eft toujours enveloppé dans un linceul de flanel'e, & il ne defcend point au tombeau que lavé & rafé; les cercueils font peints & garnis de clous a tête argentée. Les champs de la mort , a dit quelqu'un , font par toute la terre nourriclers du prctre. Mais les enterremens font hors de prix fur les grandes paroiffes de Paris: les éconorrtes en ce genre doivent fe loget fur les petites; il y a cent pour cent a y gagner. Les billets pour le convoi portent que le mort fera inhumé dans 1'égüfe, mais on ne fait plus que 1'y dépofer : tous les corps font tranfpoftés la nuit danS des cimetières. On n'accompagne le corps que jufqu'a 1'églife , & les parens & amis font difpenfés aujourd'hui de mettre le pied fur le bord de la foife humide; un petit caveau banal les recoit indiftinctement, & puis ces corps vont trouver la grand air des campagnes. Cette fage & nouvelle difpofuion a concilie  ( 31* ) le refpeóT: qu'on doit aux morts, avec la fatü* brité publique : les apparences font fauvées; on a l'air d'être enterré dans 1'églife, dans fa paroiffe enfin, & 1'on repofe véritablement en pleine campagne. C'eft le contraire de ce que le mort a fait de fon vivant; quelquefois pour fe débarraffer, a la ville, des importuns & des parafites, il a fait dire qu'il étoit a la campagne , tandis qu'il reftoit clos & enfermé chez lui. CHAPITRE DCCCXXXIX. D'un fot Livre. Il a juftifié dernièrement les lettres de cachet; il a prétendu qu'elies n'étoient deftinées qu'aux beaux - ejprits, qui calotnnioient les rois & les gouvernemens; que les lettres de cachet lont auffi douces & humaines quutiles & falutaires ; aiafi 1'opi-  ? ?T0 5 fiïon publique & raifonnable a fes contra* dicteurs. Toute punition arbitraire eflr un crime envers la fociété, quand menie cette punition feroit jufte. Point de doute que fi la loi n'a pas prévu tel délit, Ia volonté d'un homme ne peut fe mettre a la place de la décifion de Ia loi, qui doit garantir a l'homme fon premier droit, la liberté. Un ennemi puiffant vous porte des co-ips d'autant plus terribles qu'i's font cachés ; vous fentez le trait qui vous perce , vous ne voyez p is la main d'oü il part ; vous voila féparé de Tunivers entier; votre imprudence, ou votre erreur, ou votre |o'ie femme, font métamorphofées en ctimes; les paffions particulières , toujours plus exaltées que les autres, retiennent fous le poids des chünes un homme qui implore en vain la loi qui ne Temend pas. On multiplioit jadis les emprifonnemens; on a vu des miniftres , fans aucun motif d'intérêt perfonnel, uniquementpourne pas  C 320 5 'fefufer a la haine d'autrui, ou d'uri perfofi-^ tiage titré, une horrible fatisfaction, figher Yordre de renfermer tel ou tel homme, & 1'oublier enfuite comme s'il n'étoit plus. Dépofitaires de 1'autorité, tremblez d'exereer ce miniftère terrible ! du fond de vos palais , jetez un regard vers les demeures affreufes de la vengeance ; au milieu de vos feftins, entendez les profonds gémiifemens qui fortent de ces cachets ; rspréfentezVous enfin la loi qui, foit dans ce monde, foit dans Tautre , vous redemandera comptö de ces hommes vexés, tourmentés pour Ie> paflions d'autrui. CHAPIÏRE  ( 321 ) CHAPITRE DCCCXL. Secrétaires - Rapporteurs ons eu le foin üe voir mon Secrétaireï Allez lui demander fi je fais votre affaire. Voila les deux vers les plus plaifans de notre langue; c'ell un juge qui parle ainfi dans une comédie. Or, il eft tems , je crois , qu'on anéantiife 1'iinpöt imprudent & criminel , que les Secrétaires'-Rapportenrs exigent des plaideurs. Ils prerinent des deux mains. Comme i!s font dépofitaires de toutes les pieces ,n'eit-ce point mettre la probité a une trop rude épreuve! Eh ! ne voudra-t-on donc jamais voircombien 1'or en juftice etf une arme terrible 1 combien il y a peu d'ames d'une trempe affez forte pour n'ctre pas fauffées ou en-, dommagces de fes coups ! Comment fe permet-on de commettre ainfi la fortune «les citovens entre les mains d'une. bande Tome X. X  ( 322 ) de chétifs écrituriers , & d'autant plus dangereux qu'ils ne peuvenc fortir de leur obfciuité , & jowir de quelque efpèce de confidération que par 1'or qu'ils extorquent aux uns & aux autres, en pure perte pour les parties , puifque recevant des deux mains , il n'eft pas en leur pouvoir de faire gagnerla droite & lagauche en même tems f II eft jufte que tout le monde vive de fon métier , mais ii ne 1'eft pas qu'on en ait un pareil; qu'au fein de la juftice & fous le glaive même de Thémis, des égrefins rancpnnent ieurs concitoyensc\ que leurs rapines foient au point d'êire paffées ea lol depurs long-tems. Voici comme peignoir ces rapaces Meffieurs un pauvre plaideur qui venoit de pafferpar leurs mains, il y a quelque cent foixante-huit ans, & qui paroït les avoir bien connus. Lifez, chers leéteurs, & voyez s'il eftvrai que tout foitabatardi en France, & fi les Secrétaires de nos Rapporteurs ont dégénéré de la vertu de leurs devanciers !  ( 3*3 ) t'"adieu du plaideur d fon-ar gent. Adieu mon or & mes piftoles Adieu mes belles Efpagnoles, ■ Adieu mes é'cus au SoleiJ, Adieu mes amoureus teftons; Adieu mes larges ducatons, Adieu mes quarts d'écus de France : Les copi'ües & les commis Mé mont point laiffé de financc, Et ai ontpillé , mes bons amis. Piaidetfts qui avsz cles affaires., Que dites-vous des Secrétaires Et des Clercs de vos Rapporteurs : Que dites-vous de 1'avarice Et de 1'humeur de ces voleurs " Qui vendent ainfi Ia j'uftiee = Et penfant fa'ire vos affaires, Peut-être ferez-vous trabis Par des ccquins de Secrétaires. II faut être folliciteur : II faut gagner la bonne grace X 2  ( 32* ) Du Clerc dé votre Rapporteur, Ou bien il eft frojd comme glacé. Vous 1'irez voir cinq & fix fois, Mais fi vous ne parlez francois . Et ne jettez deftas la table Vos pleines mains de quarts d'écus, Vous le verrez inexorable , Et vous ne lui parlerez plus. Ne penfez pas qu'il fe contente De cet argent qu'on lui préfente ; Sachez que ce n'eft jamais fait. Si vous perdez cette coutume , II ne fera point fon extralt, Et n'auïa ni encre ni plume. II faut dépenfer votre bien Pour aclieter fon entretien Et avoir 1'oreille du maitrc ; Encore n'eft il pas content Si vous ne le favez repaitre De 1'efpérance d'un préfent. Eh bien , amis lefteurs , qu'en penfezvous ? Ne pouvons-nous pas répéter en 1788 ce quedifoit ce pauvre plaideur dés i Eit-ce donc la la juüice qui nous  ( 3*S ) revient de 1'ctude des loix, de tant d'édits, arrêts, déclarations ? Ne vaudrok-il pas mieux cent fois brüler ces compilations, & créer un code tout nouveau oü le bon fens & la raifon fe fiffent entendre , même des plus ignorans ? N'eft - il pas honteux qu'il faille ufer toute fa vie h s'inftrnire de -vos loix! Ne diroit-on pas qu'elies ont été rédigées par le même efprit qui a compofé 1'alphabetchinois? O 1 le fübKme effort de la raifon ! & 1'on fe fait gloire d'être avocat, d'être doéteur en droit, d'être légifle ! Pauvre humanité ! CHAPITRE DCCCXLI. Quïnola. C 'est le valet de cazur , comme Guzlerj eft le valet de trefle. O ! chantres dllion , d'Enée & de Gama , La Renommee en vain pröne a la terre entlere Que voasètes enfans du Dieu de la imnic-re, Vous êtes moins connus cent fois queQainoIa» Par M. P e r rot.  ( 326 ) Les cartes , fans 1'imprimerie, auroient rendu flupide ton te 1'Europe. L'influence de ces cartons colorés ■ eft telle , que tont raifonnement , tout efprit difparoit des qu'on a.les cartes en main. C'eft alors une véricable éclipfe de 1'intelligcnce humaine. Cette éclipfe eft journaliere dans une infinité demaifons oü 1'on ne fait que jouer; or tant que les jeux de cartes fubftfteront, il ne faut pas trop compter qu'un peuple puifle avoir 1'enfemble de la dignité , du patriotifme. Les plus grands changemens politiques font dus a des occupations oifcufes , & celles-ci changent infcnfiblement le caraflere des peuples. Les cartes ont diftrait tous les efprits; c'eft un opium qui véritablement endort 1'efpece humaine. II eft capable de la tuer pour toutes les opérations grandes, utiles, robles , généreufes ; il a enfin ravi a l'homme des villes la moiti'é de fa cervelle , ce qu'Homèrs difoit très-bien de la fervitude. • On joue beaucoup moins a Paris, proponion gardée , que dans une petite ville  ( 3*7 ) rie province; mais on y joue encore tr©p t fur-tout parmi la feconde bourgeoifie , êc fur-tout pour les travaux & pour les études qu'on eft obligé d'y fuivre ; ce font les femmes qui , ne connoiffant qu'un plaifir capable de lea défennuyer paifaitement, tnent ainfi le refte des heures, affujétiffent a un tapis verd tous les hommes qu'elies rencontrent , & les abatardiffent en les rendant fédentaires, frivoles, rrious & défceuvrés comme elles. O ! le fot trionv phe ! Tuer le tems eft un grand crime ! Vous. en répondrez , êfres intelligens qui ufez vps facultës intellecluelles fur le chien du valet de piqué & fur la pertuifane d'Heéior. Le profit des cartes tient lieu de gages a. plufieurs domeftiques : qui croiroit qu'il y a des maifons oü la valetail'è partage entre elle vingt - quatre mille francs par année ! Tin? x 4-  ( 3^8 ) CHAPITRE DCCCXLIL Olfervatoïre. J E vois une maifon royale , & il n'y a point de Roi. On me montre un trcfiir, & il n'y a point de richeffes. Voici un obfervatoire fans télefcope : je vois un arfénal fans armes. Je reinarquerai duhaut de mon obfervatoire que i'Europe eft aujourd'hui la feule partie de Punivers qui falie du bruit fur la terre , & que dans I'Europe Paris eft la ville qui occupe tous les regords. Je remarqugrai qu'on croit que les coméciiens fe connoiftent en pieces rle théatre , paree que les lapidaires fe connoiffent en diamans , attendu que re font eux qui les meitent en onicre ; Eh bien ! le plus éioigué de l'art , c'eft le comedien. L'obfervatoire tombe en ruines , & les obfei vatious aftronomiques fe font par-tout ailleurs qu'a 1'obfervatoire.  C 3*9 ) CHAPITRE DCCCXLIV. Toilette. Souvent dans un appartement fort petit , autour d'une toilette, un cercle contient toute la Pflonarchie. Les minijftres d'État, les ambaffadeurs des cours é rangcres , les cardinaux , les prélats, les généraux d'armee , les maréchaux de France, environnent une toilette, & tandis qu'on lui communiqué les affaires les plus importantes , Ia beauté fe place une motiche en fe regardant au miroir. Peintres ! voila de quoi caractérifer, a certaines époques , le Gouvernement monarchique, fous d'js couleurs tout-a-lafois riantes & véridiques • la toilette de madame de P. , celle de madame du B., que n'ont-elles pas entendu ? Graves Hiftoriens , vous vous creufez le cerveau , vous voulez remonter, jufqu'aux caufgs ! il ny a pas d'ejfets fans caufes , dites-  ( 33 ) yousf mais ee qui eft vrai en phyfique, ne 1'eft plus en politique : laiffez-la vos profondes recherches; les plus grands évé» nemens de ce monde n'ont point de caufes, ou du moins elles font fi légeres , les fils en font fi imperceptibles qu'il faudroit des yeux de lynx pour les appercevoir. Un feul tcmoin vaut mieux que cent gazettesj Dieux 1 faites parler les toilettes , Et nous faurons le fecret des Etats. Un Italien de retour a Rome, en 176*4-, difoit , en parlant du Gouvernement Francois ; je vais vous expliquer cela , fous les images qui m'ontfrappé; écoutez: d'abord j'ai vu le Roi de la guerre qui faifoit des Colonels de tout age, & promenoit les régimens a fon grc d'un bout du royaume a 1'aiure; j'ai vu enfuite Ie Roi de la marine qu'on faluoit a coups de canon dans les pons; j'ai vu le Roi des finances bien courtifé qui donnoit de 1'argent a fes bons amis ; j'ai vu enfuite le Roi des prè,tres qui enrichiffoit maints abbés' en leur donnant a volonté les plus gros bc-  (351) nèüces ; j'ai vu le Roi des affaires étrangéres qui tjravaillpit tout feul a la paix, tanciis que les autres faifoient la guerre; j'ai vu le Roi terrible de la baüilie , petit de taille,foibled'efprit,qu'on furnommoit/'