81 1126 7332 UB AMSTERDAM  TABLEAU . DE PARIS, Faïfant Suite aux Editions precédentes. Sachez dans vos écrirs , fi vous délïrezplaire, Pafler du grave au doux, du plaifant au févère. B O 1L. T O M E XI. A AMSTERDAM. i 7 § 8.  On a interrompu ici le numero des Chapitres pour favorifer lü célérité de 1'iinpreiTion & fcivir limpatience du jmblie.  TAB L E A U DE PARIS. II fait bon crier un peti. Il n'y a plus d'églife des Quinze-Vingts ; qui tomboit en ruines. ii n'y a plus de porte Saint- Antoine , inutile & gênante 5 el!e a été abattue, comme la porte Saint-Honoré , comme celle de la Conférence. II n'y a plus de petit Chatelet, qui interceptoit 1'air de 1'Hotel-Dieu , Scquifermoir défagréablement le paflage fréquente de la rue Saint-Jacques. La rivière de Seine n'eft plus cachée , tout an milieu de la ville, par les vilaines maifons que 1'on avoit baties fur des ponts; ces mai- Tom. XI. a  (1) fons font tombées &c tombent encore aa moment ou j'écris. Avec quel plaifir j'apperc.ois ces décombres, & les^accidens bizarres qu'offre leur démolition ! Si rien n'eft plus hideux a 1'ceil que ces bois pourris , ces platras , &c ce jaune mortier qui lioit ces nids a rats , ils fatisfonc du moins , en tombant , aux vceux des bons citoyens; aux miens, car j'ai jeté mon cri contre ces mafures & la plume enfin a dccidé le tvtarceau j il s'eft levé de routes patts contre les traces de la barbatie. Ehi n'étoit - il pas tempsde rendrea la ville , & fon coup-d'ceil, & la falubrité de Pair , en jetaat a bas ces miférables édifices qui menacoient d'eucombrer un jour le fleuve nourricier de la capirale? Acccurez, étraugers , venez jouir du coupd'oeil que nous vous avons préparé: la ville a a bien changé d'afpect depuis vingt-cinqans! nous avons tant fait la guerre aux vifigots , nous avons tant crié dans nos livres, que les barbares n'ont pu endurcir leurs oreilles aux fifflages aigus & prolongés de la dérifion; ils fe font réformés malgré eux. Je me promène  ( 3 ) triomphamment fur ces ponts dégagés,& je profcris du doigt toute la rue de la Pelleterie pour achever le coup-d'oeil. Nous allons les pourfuivre encore dans leurs derniers rerranchemens, ces vifigots , & nous vous promettons, dans un demifiècle,' une ville que 1'Europe admirera, & qui fera pafler nos premières clameurs pour les cris d'un mifanrrope farouche. Tant mieux. II fait donc bon crier un pcu. Je n'y ai jamais manqué pour ma part , & jen goüte aujourd'hui les fruits. ^ Ec la très-fainte loi habeas corpus, comme difenr les Anglais, fi par exemple nous pou- " vions 1'ameneren France, a force de crier, cette liberté du corps vaudroit bien celle de' Ia vue; cela vaudroit bien la démolition des mafures qui furchargeoient les ponts. Qu'en dites-vous, ledfceurs ?. . . Patience. Az  ( 4 ) Hauteur des maïfons. IL a fallu mettre un frein a la hauteur démefurée des maifons de Paris : car quelques particuliers avoient réellement bati une maifon fur une autre. La hauteur eft reftreinte a foixante-dix pieds, non compris Ie toit. Des malheureux bourgeois, dans certains quartiers, n'ont ni air, ni jour. Les uns foufFrent, pour être obligés d'efcalader journellement des efcaliers aufli longs que 1'échelle myftérieufe. Les pauvres , qui les habitent par économie, paient la monture du bois , de 1'eau plus cher; les autres allument de la chandelle en plein midi pour faire leur diné. Cette élévation prodigieufe contrafte fingulièrement avec 1'étranglement de nos rues. Nos grandes routes, oü il ne palfe des voitures que de temps a autre , font trop vaftes , 8c nos rues, oü il en pade des douzaines a la fois, font Ci étroites, qu'il y a des embarras cpntinuels.  ( 5 ) Le Monc - de - Piécé a feul le privilege de n erre point afïujetti , comme les maifons particulières , a une élévation déterminée. Lorfque les voifins fe fontplaints de fon exceflive hauteur, ils ont été déboutéspar arrêt. Comme c'efl: la le dépot des gages mobiliaires de tout le public , on a befoin dun emplacement illimité. On eftime qu'il y repofe en dépot de toute efpèce , ane valeur de quarante millions. Rien ne fait plus trembler que 1'idée dun incendie qui dévoreroit ces dernières refïburces de la portion pauvre Sc nombreufe de la ville. A vut d'oifeau, T) U haut des tours de Notre-Dame, on voit pêle-mêle les palais voluptueux & les höpitaux, les falies de fpedacle &c les maifons de force. J'y ai compté deux cent quarante clochers environ , & il y en a davantage : les recomptera après moi qui voudra. Que d'édifkes dans eet efpace étroit! Les A}  ( O cours, les enclos, les jardins, en occupent la moitié. Ou. font les gages de fubfiftance de tous ces hommes perchés les uns fur les autres ? Comment obligent- ils les habitans de ces vaftes campagnes a femer , a labourer poureux, a les nöurrir enfin? Tous les maux de la fociété font réunis dans cette ville , Sc un ordre apparent y règne cependant; c'eft abfolument Ie contraire de cette communauté de biens qui étoit en vigueur a Lacédémotie, communauté cimentée fur 1'efclavage des malheureux Ilotes. En voyant cette enceinte peuplée, je penfois aux fuites effroyables qu'auroit un tremblemenn de terre. Dieu ! préfervez Paris d'un pareil défaftre, deux minutes renverferoient les travaux de dix fiecles. Les palais Sc les maifons ébranlées , les temples renverfés, les voutes fe féparant, que deviendroit cette fociété errante , abandonnée a elle-même ? Et fi , dans Ie fein de la paix & de Ia tranquillité univerfelle j les magiftrats font accablés fous le poids des affaires j fi , pour arrêter quelques défordres , ils paiïent les jours & les  ( 7 ) rmir.s a imaginer les remèdes, que feroit-on de ce peuple fans afyle ? Comment pourvoir a fa fubfiftance, habiller des hommes prefque nuds, reflufciter une ville immenfe couchée dans un vafte tombeau entouré de ruines plus immenfes encore , que Pceil peut i peine mefurer ? Je nefonge point acette image que je ne me dife : Oh! fi le foyer étoit fous ces tours! &mon imagmation alarmée,fe rappelant Lima , MefEne , Lisbonne, voit ie juge enfeveli fous fon tribunal, le pontife fous 1'autel, le commercant fous fes ballots. Que deviendroit 1'ordre ? Oh! c'eft alors qu'on verroit combien la nature vis-a-vis d'elle-même , ouvre la porte a une licence effrénée ; car 1'homme eft capable, dans ces terribles calamités, d'oublier tous les principes. L'avarice., la cupidité s elancecoient au milieu des décombres & des feux, pour y chercher de 1'or, au hafard detre enfevelies fous les débrisj la clóture des vierges confacrées a Dieu feroit rompue. On a vu, dans ces heures tumultueufes , la pudeur &- la chafteté s'envoler avec le frein des iaftitutions; & c'eft, fans  ( 9 ) doute, une image trop vraie , que celle qui nous repréfente les peuples de Sodome Sc de Gomorrhe bruraux & criminels encore au milieu des dammes qui confumoient leurs villes. Dieu! écartez un tel fieau ! Que 1'homme ne fe montre pas fous cette forme hideufe. Ces fecoulïes imprévues font fortir tous les vices du cceur de 1'homme déchamé du cercle des loix : elles font donc bienfaifantes , ces loix que 1'infenfé outrage au fond de fon cceur. 11 efl: vrai que le financier feroit fans or, la duchefle fans équipage,le prélat fans mirre, 1'académirien fans fauteuil, Sc ces images je ne fais pourquoi ,font fourire au milieu de tant d'autres terribles & fanglantes. Ceux qui commandoient le jour d'auparavant ne trouveroient perfonne qui leur obéiroit; il n'y auroit plus ui maïtre ni fujet. C'eft un tlicton a Paris , que, fans les prières de quelques bonnes ames , la ville feroit abïmée. Quelques ames pieufes lecroient Sc le difent: il faut les laifler dire Sc crojre.  ( 9 ) Mals s'il reftoit des hommes, il y aurole une police; elle sëleveroir fur les ruines de Ia ville, elle deviendroit inexorable d'après la néceffité & les circonftances : & n'a-r-il pas fallu faire marcher le bourreau fur Lisbonne renverfée , Sc planeer des potences parad les décombres des maifons. Les loix, dans leur pourfuite & dans leur vengeance [ devinrenr tout-a-coup auffi convulfives qne I'avoienc étc les entrailles du g'obe. Un jour vierjdra que les pièces dëau de Verfailles fe changeronc en marais , • les berceaux s obftrueronc, routes les avenues fe fermeront: car quand 1'homme rerire fa main, la nature commence fon ouvrage. Les végétaux naturels feront la guerre aux végétaux étrangers j les chardons étoilés étoufFeront les gazons , les touffes d'orties sëmpareront des ftatues, Sc des moulTcs verdatresrongeront Ie fein & les joues de ces ftatues, de ces marbres dont on admire la beauté. La nature, qui s'étudie a effacer de toutes parts la main fymétriquede 1'homme, pouffe.a les rofeaux vers le chateau ; une multitude d'atbres 1'aA  ( ic ) ficgeront, & prenant racine dans ï-es fentes, écarreront les pierres 8c démoliront lëdifke; les planchers feront a jour , le vent fifflera , les armes feront effacées, & les ruines feront couronnées de ces végéraux qui rampent 8c qui selèvent; un cyprès croïtra au lieu oü repofe la majefté royale , 8c le tems aura fait monter la végétation fur routes les parties de ce chateau entr'ouvert , expofé de routes parts a l'aótion des élémens. Ainfi j'ai vu , en Allemagne , de ces chateaux que la guerre & le tems avoient démolis a moitié , couverts par des végéraux 8c des arbres de toutes efpèces, annoncer que la nature, maitrefle de fon ouvrage,reprend toujours fes droits & plante fes enfeignes im^ mortelles fur les édifices les plus orgueilleux qu'a batis la main de 1'homme. Les deux belles rues. Il n'y a rien de comparable, en Europe, a cette rue majeftueufe 8c charmante qui lie  ('<) la place de Louis XV a la place Royale : c'eft leplus brillantaüemblage de fomptueux édifices, de maifons riantes, de parterres a 1'anglaife , de pavillons a la grecque, de fpecracles de route efpèce. Cette rue , dont ia longueur eft d'une lieue, offre une promenade continue , 6c deux trottoirs naturels, larges & ornés d'arbres , y font foulés journellement par cent mille fantaffins, tandis que, dans le milieu , Ie pavé étincelle fous des équipages élégans, & que la variété des perfonnes a pied, a cheval, en cabriolet, en carrofle, donne 1'idée du mouvement perpétuel. Cette fuperbe rue eft encore fufceptible de nouveaux embelliOemens; tous les objets que 1'on chercheroit vainemenr ailleurs , y font raflemblés , 8c des fontaines d'arrofement garantiffent de la poullière les maifons 8c les pafians., tandis que les locataires, fans fortir de chez eux, y jouiflent d'un coupd'ceil unique. De 1'autre córé de la ville, on voit un Boulevard extérieur; & Pon fe promène  ('*) fous des arbres courbes en berceau. C'eft encore une rue magique, dont l'immenfe longueur, Ia brgeur & la variété font confefler a tour le mende qu'i! n'y a rien de tel en Europe ; & de cette rue, ornée des plus beaux arbres & des plus beaux édifices, on arrivé aux Invalides , a 1'EcoIe militaire, & au Champ-de-Mars. Mais, pour compléter ces rares beautés, quand verrai-je une ftatue équeftre remplacet la Baftille, & ce monument difparoïrre a jamais? Alors un nouveau pont couvrant la riviere , joindroit Ie Jardin royal des plantes , aux belles terraiTes qui j a 1'autre rive , couronnent la Seine. Lëntrée fuperbe de Paris par le pont de Neuilly, & la place de Louis XV, eft digne aflurément de la capitale de la France. La vue des quais, depuis Pafty jufqua 1'Arfenal, retrace a 1'imagination les quais de Babylone. Les mafures qui furchargeoient les ponts , ne font plus, & ne formeront plus obltacle a J'agrément de la vue 3 & a la falubrité d'urs vafte courant d'air.  ( n ) . Ce font des palais de fées qui couronflent les hauteurs de Palïy , tandis que l'ceü fe plonge fut ceux qui bordent la Seine de 1'autre cóté. Les Champs-Élifées & les Tuileries ne formentplus qu'unefeule& même promenade: toutes ces beautés frappent I'imagination la plus froide. Terrajfes. Je ne crois pas qu'il y ait fur la terre un efpace aufli peuplé que Paris & fes environs, a quatre lieues a la ronde. Montez fur la terraue de Bellevue , vous découvrez 1'étonnant baffin oü Paris fe développe a perte de vue , au milieu d'une multitude infinie de maifons de plaifance. Cette vue, comme dit le fuiflè du lieu , vaut au roi plus de cent mïllions de revenu : & le fiiilTe ne manqua point de répéter cette belle phrafe a lëmpereur Jofeph 11, ainfi qu'il fait k tout venant. Montez fur la terrafle de Saint-Germain;  ( 14 ) fur celle de Meudon Sc de faint-Cloud, fur" le donjon de Vincennes , fur la butte de Sanois , perfpeótive nouvelle Sc immenfe , ou figureut Chateaux , villages Sc bourgs , qui rous fourmillent d'habitans. La fertile Sc populeufe vallée de Montmorenci offre un afpect délicieux, & 1'on ne trouve fon pendant nulle part. Mais ce qui frappe dans Paris Sc dans fes environs , ce font ces édifices , tous formés de grandes pierres de taille, qui s'élèvent, fous des formes élégantes , a une prodigieule hauteur. Ce ne font pas la ces petits cubes de terre cuite qui fatiguent a Londres , par la monotonie de fes batimens de brique. Lévites. ONpeutprévoir lachute d'un empire ; mais qui peut deviner quel bonnet , quel ornement porteront les femmes 1'atinée prochaine ? Qui peut prédire les métamorphofcs de la mode ? Eh ! qui lëüt dit, que ces robes  ( 15 ) «ajeftueufes , don: les piis touchoient le pavé du temple de Jérufalem, & qui ap_ partenoiemfpécialeruent i la tribu confacrée a la garde de 1'arche, entrtroient dans les ajuftemens des femmes , & qUe les éïé_ gantes & les pecires - maurefles de Paris s'habilleroient d'après ce modèle anrique & refpedable ? Coiffures. LA femme de Marc-Aurèle , ce fage empereur , ne prenoit poiot fa pare de la philofophie : il paroïc quëlle écoit bien extravagante ; car en moins de dix-neuf années , efle fic parade de trois cents coiffures différente*. Mais il parok que les Grecs & les Romains, &même nos ancètres, ont manqué de ce gout créateur qui imprime aux coiffures de nos jours ce fraïs & ce moïlleux qu'accompagnent toujours la grice & la variété. Une femme difoit : J'ims * Rome v  ( 16 ) thtrcher la mode s s'il le falloit. Quelie eft cecte déeffe fantaftiqae qui commande fi impérieufement ? C'eft de fon trés expres commandement que toüt fe fait, que les plumes tomben: &c fe relèvent, que les chapeaux prennent tontes fortes de formes , que les robes a 1'anglaife , la robe en chemife, la robe a ia turque , le pierrot, le caraco, ont paru tour i tour fur la fcène; que le fichu très-ample fur le cou, nomméfichu menteur, donne l'idée d'tine gorge faillante. Les rebelles fe foumettent, ou plu tót il n'y en a point dans fon empire. La toque & le peigne a chignon, ainfique Ie cul de erin, ne peuvent fe derober a Ia mode ; elle érablit comme une gracë, ce qui étoit , il y a trois mois , un ridicule. Malgré la mode, une jolie femme a la liberté des ornemens accidentels , pourvu toutefois qr.s fa défobéiflance n'ait pas 1'air d'une rebellion décidée, encore moinsd'une confpiration formelle ; mais il n'y a point de femme aflezaudacieufe pour détróner toura - coup Ia mode ; c'eft par des dégradations favantes  ( '7 ) favantes & bien ménagées , qu'une femme aimable ou jolie parvienc a prendre a fon tour Ie fceptre de 1'empire ; les téméraires qui ont voulutuer Ia mode en un jour, en ont été punies par la verge du ridicule & par les brouhahas publics. Les dames ontadopté, depuis peu, d'aller en cabriolet fanscava'lier j elles y vont feules, elles y vont deux , mais fans hommes ; on diroit quëlles voudroient changer de fexe. Le vêtement des femmes doit avoir un fexe; & eet habilleirvent doit contrafter avec le nótrè. Une femme doit être femme des pieds a la tête ; plus une femme relfemblera a un homme, plus elle perdra a coup sur. Mais les femmes fe rapprochent Ie plus qu'ellespeuventde nos ufages. Elles portent adellement les habits d'hommes, une redingotte a trois collets, des che veux liés en catogan , une badine a la main, des fouliers a talons plats j deux montres , & un gilet coupé. Les femmes aiment enfuite Téquitation ; elles font preftes comme les hommes; puis elles cultivent la chymie , la phyfique, 8c Tom. XI, j}  { i8 ) même Ia botanique. Le règne des lettres eft paffe; les phyficiens remplacent les poëtes 8c les romanciers; la machine électrique tient lieu d'une pièce de théatre. Comme la phyfique entre par-tout, les femmes aiment a parler du feu univerfel répandu dans la nature , du véhicule de la flamme éthérée. La phyfionomie d'une jolie femme sënlumine aujourd'hui & sënfume auprès des fourneaux d'un chymifte. 11 y a trente ans que 1'on analyfoit le fentiment; aujourd'hui on ne parle plus que du coup électrique. La mufique elle-même 3 quoique eet art foit infiniment perfectionné, n'infpire pas aux femmes autant d'enthoufiafme que leur en donne la chymie. Cordonnier. Il entre , il fe met aux genoux d'une femme charmante : Vous ave% un pied fondant madame la marquife ( prenant le foulier fait par fon devancier) ; mais oh ave^-vous étè chauffée ? a Paris : ces gens-la ne raifonnent pas.  ( '9 ) Vous ave% dans le col du pied une grace particuliere • elle nefipoint faillante dans ce foulier viftgot. Quoi ! de la poujjière ? Eft-ce que vous mare hei j madame la mar qui fe ? En ce cas, vous ne devei repofer que fur un point. Je fuis glorieux d'habiller votre pied ; jen ai pris le deffin- j'en confierai l'exécution a mon premier der c, Heft expéditif- jamais fon talent ne s'eft prêté a la déformation. Je vous falue, madame la marquife. Ce cordonnier porre un habit noir, une perruque bien poudrée ; fa vefte eft de foie; il a 1'air d'un greffier. Ses confrères ont de la poix aux mains , des perruques rapées , du gros linge fale; mais ils travaillent pour le vulgaire ; ils ne chaufiem point les belles marquifes, Sc ils ne compofent que des fouliers vifigots. Quelle diftance entre la chaulfure d'une femme de qualité, & celle d'une maïtreiïe de penfion ? En 1758 j'ai payé trois livres quinze fous la même paire de fouliers que je paye aujourd'hui en 1788 fix livres dix fous. Le cuir  ( LO ) eft moins bon 3 mais la chauffiire a plus d'élégance. Apprentifs médecins, chirurgiens, jeunes junfconfulr.es , 'clercs de notaires, jeunes officiers, auteurs en herbe , apprentifs en finance & en géométrie 3 Sec. nous allions tous jadis a la comédie pour vingt fous ( Sc le fpeclacle entre néceffairement dans I'éducacion ) ; il en coüte aujourd'hui quarantehuit fous. 11 n'y a point eu de gradation ; tout eft doublé de prix. II faut obferver les variations , paree qu'elles influent fur la manière d'ètre, & qu'elles expliquent, pour certaines clafles d'hommes,la difficultéréelle de vivre; ce qu'un fage gouvernement doit voir, calculer & apprécier. II y a des frères cordonniers ; c'eft une communauté de frères unis 3 faifant des fouliers. lis vivent, comme les anciens apótres, du travail de leurs mains; ils chantent des pfeaumes , Sc battent le cuir , ce qui nëft pas incompatible: on peut prier & travailler en même temps; les religieux ont féparé le travail de la pricre. Les frères cordonniers  (») ont bien plus de reftemblance avec les difciples de Jéfus-Chrift , que tous ces moines oififs logés dans des palais. ■Les frères cordonniers ont la réputation de donner de bonne marchandife. Quand on eft vraiment chrétien , on eft néceffairement honnête-homme. Les frères cordonniers fe font plaints a moi de la nouvelle taxe impofée fur les cuirs, qu'ils jugent trop forte, & onéreufe au commerce ; mais leur plainre avoit un air de réfignation qui prouvoit combien ils, étoient fujets foumis aux ordonnances du prince. Sur cent perfonnes, il y en a quatre-vingtdix qui ne paient pas comptant ieurs cordonniers ; il fautque les pauvres ouvriers faffent crédit, fans quoi ils auroient moins de pratiques. Savetier, Pourquoi le favetier a-t-il 1'air plus content que le eordonnier ? La Fontaine 1'avoit déja remarqué avant moi; c'eft qu'il eft moins B 3  («) orgueilleux, & qu'il a toujours plus d'ouvrage qu'il nën peut faire: on lui apporte la befogne, tandis que le cordonnier eft obligé de 1'aller chercher. Réparateur heureux de la chaujfure humalnc } il vir en plein air , tient peu de place , ce qui eft le caractère du vrai fage ; il chante & travaille , travail le &c chante, & il a le droit de battre fa femme quand elle eft infolente , privilège que les grands feigneurs n'ont pas. Au coin d'un carrefour, il regarde tous les paflans; c'eft le premier témoin des événemens publics, & le premier jugedes rixes; rien ne gêne fa vue ni fon prononcé fur tout ce qui fe paffe autour de lui : s'il paroïr imprégné d'une infouciance philofophique , il en fort pour condamner ou abfoudre charretiers , fiacres , crocheteurs qui fe difputent fans fin; il élève la voix , parle au public, & fa fentence prévaut. Henri IV faifoit raccommoder fesbottes , & nën étoit pas moins un grand roi. II n'y a pas foixante ans que les premiers bourgeois de la ville faifoient reflemeler leurs fouliers.  (li C'étoit donc autrefois une communauté nombreufe ; mais comme il n'eft rien de ftable fur Ia terre , rien a. I'abri des outrages du temps, il n'y aplus de maïtrife; cependant, que le favetier fe garde bien de poulfer la réparation d'un foulier jufqua le rendre abfolument neuf, il paieroic une amende. Le favetier, vivant fous 1'ceil de tout fon quartier , ne connoit point cette fauffeté hypocrite qui fe cache dans les boutiques ; il prend*avec rudelTe la main de lafervante , Sc Ia barbouille d'un gros baifer , en ferrant amoureufement fa croupe ; il connoit les cabarets des Porcherons , des Boulevards , Ia différence, la qualité & Ie prix des vins , Sc il vit Ie dimanche avec les petits-maitres de la Courtille ; la , il a horreur de 1'eati Sc des buveurs dëau. II n'a jamais été alfez riche pour entrer dans des lieux de proftitution ; Sc quand il travaille pour celles qui les meublent, il les oblige de venir a fa boutique prendre le reffemelage ; fa fille n'ofe les regarder , encore moins les imiter ; elle eft reftée fage, ainil B4  ( H ) que fa mère, fous la loi du tire-pied , loi vivante & toujours agiffante; ainfi que l'a démontré Taconet dans une de ces pièces fructueufes qui ont enrichi Nicolet, & 1'ont fait feigneur dc paroilfe, tandis que le créateu'r de cette fortune eft mort a 1'hópiral. L'heureux favetier donne publiquement un exemple de corredlion maritale ; & les bourgeois, témoins de eet acte de vigueur ( qui replace 1'obéilfance oü elle doit être) , foupirent de ne pouvoir en faire amant. C'eft un citoyen paifible ; ca'r la feule chofe qu'il trouve a réformer dans le gouvernement, cëft la cherté du cuir devenu plus mauvais depuis qu'il eft plus cher. 11 eft ordinairement fidéle a fa boiflon , comme a fa femme , car il aime 1'unité en tont. Son domicile eftfixe; & s'il a commencé la journée par 1'eau-de-vie, il finit par 1'eau-de-vie; s'il a commencé par le vin ou par la bière, il achève par la même boiffon. Les favetiers font plus gagner les fermiers généraux, que ceux-ci ne font gagner les favetiers. lis fe marient encore comme les anciens  («) bourgeois de Paris; ils dépenfent le jour de leurs nöces le produit d'une année de leur travail : c'eft un mal qui tourne au profit de la ferme ; mais quoi! de temps immémorial ils aiment a boire ; le centre du bonheur pour un favetier, eft le cabaret. II a un coup-d'ceil de la plus grande juftelfe : eet élégant qui paffe , & qui fait le faraud, eh bien! fon foulier a été relfemelé; il a un bel habit, paree que le tailleur lui a fait crédit; mais il n'a pas trouvé un cordonnier. Le favetier diftingue tout cela ; il diftingue encore les filJes fages & économes de fon quartier; elles font relfemeler leurs fouliers , tandis que les au tres, gagnant de 1'argent avec une coupable facilité , dédaignent le reffemelage. C'eft lui qui met des bouts neufs aux fervantes j il reconnoit a la chauffure celle qui marche droit d'avec celle qui marche de travers. Il exerce un métier innocent, & pour peu qu'il foit abfent, onvoit qu'il manque ; il eft inhérent au carrefour 7 comme le carrefour 1'eft i la ville: i fa mort,  (^) c'eft un vuide , & les fervantes font fo» oraifon funèbre. Que 1'on dédaigne encore un favetier , lorfque le beau monde s'étouffe pour aller voir fa repréfentation fur la fcène. Taconet jouoit merveilleufementles favetiers, & avec une telle perfeótion qu'il foibliffoit dans le perlonnage de cordonnier ; c'eft ainfi que Le Kain ne pouvoit fortir de fes róles , fans paroitre au-defTous de lui-même. Je n'ai point connu d'acteur plus naturel que Taconet; je 1'ai toujours ptéféré a Préville. O Taconet! tu nës plus ; ta gloire eft déccdée , ainfi que celle du fameux comédien dont je n'ai jamais aimé le jeu en comparaifon du tien ; j'ai vu fouvent Préville grimacant, bredouillant, & toi, tes graces étoient vraiment originales. Taconet étant une fois en colère , dit a fon ennemi : Je te méprife comme un verre d'eau : quelle force d'expreflion ! II appeloit un rouleau de louisj un cervelas jaune. Et quand NicoJet , fe jetant défefpéré entre fes bras, venoit lui  ( *7 ) rëvéler Ia confpiration fourde des grands comédiens du roi contre fon théatre, Taconet fe deiïïnant difoit a lëntrepreneur: Portez chez les commis un jaune cervelas , Vous fortirez vainqueur de ces rudes combats. Quelle profonde connoifïance des bureaux! comme en jouant avec vérité , il faififfbit encore celle des caradtères! Le favetier, qu'on méprife trop, a beaucoup de relfetnblance avec un légiflateur moderne. Que faitcelui-ciPContinuellement occupé i réparer lëdifice des loix, il met inceffamment du neuf contre du vieux, n'ofe arracher 1'antique } ofe encore moins y fubftituer un neuf entier : cëfè un reffemelage perpétuel. Le neuf tient peu , lorfqu'il fort des mains du favetier. Les loix nouvelless'incorporent fi difficilement avec les loix anciennes ; d'un cóté le foulier grimace & blelfe le pied qui Ie remplit; de 1'autre, le code des loix offre des bizarreries incroyables ; elles fe repouffent, & ne peuvent fe fondre entrëlles. Hélas ! tous les modernes légillateurs ont travaillé en vrais favetiers.  ( >8 ) Au refte , je ne dois pas omettre, a la louange du favetier , qu'il eft doué d'une modeftie rare , & malheureufement peu connue de tous les autres états. Logé comme Diogène, il dédaigne tous les titres faftueux. On ne voit point infcrit fur le fronton de fon atelier 3 magajln de favates , ou favetier du roi j de la reine, de monfeigneur le prince un telencore moins de fuivant la cour. Pareilféjour pourroitdevenirfunefte a fa vertu, Sc elle lui eft trop chère, pour 1'expofer ainfi dans un pays d'ailleurs fi fujet aux orages. Une vie fédentaire & tranquille convient feule a fes talens, qui, de leur cóté j fuffifent a tous fes befoins : auffi ne le voit-on point, comme les cordonniers ou les maitres des autres profeffions , louer les bras d'autrui, & prendre un grand nombre de compagnons, fur lefquels ils font des profits ufuraires. II n'a befoin que de foi, ne compte que fur foi; & s'il lui arrivé de former quelques voeux , c'eft tout au plus de pouvoir obtenir une place de bedeau dans 1'églife de fa paroiffe. La robe 3c la baguette font pour  ( *9 ) lui le nee plus ultra de fon ambition. On fenc bien que les cloches entrent auffi dans fon département. Naturellemcnt muficien, on lui voit, la veille ou le jour des grandes fêtes, déployer fes talens, jouer les airs les plus brillans, & sën acquitter avec PapplaudifTement général de tout le quartier. Le plus habile en ce genre, & le plus intrépide carillonneur de Paris, étoit fans contredit, il y a.quelques années , celui de Saint-Leu : jën appelle a tous ceux qui, comme moi, ont eu le bonheur de lëntendre. Lorfque le cardinal de Rohan étoit a. ia Baftille , des curieux voulant voir le prifonnier, que 1'on promenoit a midi fur la plateforme , efcaladèrent le grenier d'un pauvre favetier, dont 1'étroite lucarne donnoir fur ce chateau terrible. II gagna un millier d'écus en prêtant fa lucarne. Oh ! qu'il eft curieux, le chapitre des caufes finales !  ( 3° ) Scrrurerie. La filouterie, fille du libertinage Sc de la parede , étant devenue très-ingénieufe, on sëft mis a conrrebalancer 1'induftrieufe friponnerie, & il a fallu avoir recours a des ferrures compliquées , qui fonr aujourd'hui des prodiges de méchanique. D'un feul coup de clef, on imprime le mouvement a une multirude de pênes, qui s'élancant tous en mème temps , Sc dans tous les fens , font tout a la fois douze ou quinze fermetures, & même davantage. L'auceur de la ferrure ne peut lui-même 1'ouvrir s'il n'a pas la clef; tous les crochets, mus par des mains adroites } n'y feroient rien. Cëd toujours Ia tentation qui détermine Ie délit; pour empêcher lesvols, ilfautfouftraire ,1'argentala vue; &de bonnes ferrures, alors, font le plus parfait fupplément de la police. Depuis qu'une fomme très-confidérable peut  ( 3i ) être enievée fous un mincc volumeil a fallu redoublerde précautions; elles fontdevenues multipliées, pour cacher ou pour défendre ces richefTes concentrées, qu'un tour de main pourroicfouflraire. Telleferrurepunitlamain cjui ofe la touchet : telle autre n'offre qu'un vide apparent, & trompe 1'ceil le plus fubtil: ici, il faut faire jouer un reffortimperceptible & indevinable. Les anciens ne faifoient ufage ni de ferrures nidecadenats: Ia Grèce, fi fameufe par Ia perfection de tous les arts, n'avoit que des ferrures de bois. Comme le naturalifte reconnoït un animal a l'infpe&ion d'une de fes dents , le politique pourroit juger des mceurs politiques Sc privées par la conformanon des ferrures : plus elles feront compliquées 5 plus la rufe & 1'artifice dominerontfur ces peuples. Les nations fimples ont des ferruresdebois; un loqueteft toute lafermeture de la moitié de la Suiffe Sc de la Savoye; ce même loquet eft 1'unique gardien des bounques de Conftantinople; point de verroux en dedansde la porte; la probité turque les rend  ( V- ) parfaitementinutiles. Lalicencieufe eftampe du verrou, muhipliée fur nos quais , tienc a des mceurs déja corrompues. Ainfi l'afpe£b d'un verrou éclaire un obferyatejur y>'ainfi. Ie plus vertueux des hommes 'fèroit celui qui habiteroit une maifon de verre. Les peuples fans verroü poffèdent les femmes les plus cbaftes. On fent bien qiie je ne parle pas des pays oü la polygamie foule aux pieds Ia première loi de la nature. Comme il ne peut point exifter d'union entre un defpote Sc fon efclave , il doit y avoir entre eux une réa&ion continuelle : 1'un doit mettre tout en oeuvre pour recouvrer fa liberté ; il doit limer continuellement fes fers, tandis que 1'autre eft occttpé fans cefle a. en forger de nouveaux. Les vetroux , les ferrures ne fufïïfent même pas alors ; la tyrannie eft obligée de recourir a des moyens atroces qui font frémir 1'humanité , Sc qui déshonorent la nature. Un ferrurier eft devenu parmi nous un artifte ; mais s'il eft le garant de la fureté publique , il ne lëft pas de fa félicité : fon ingéniofité  ( 33 ) ïngéniöfité prouveeelledu filou Sc du voleur. La ferriuerie eft encore un are de luxe; os dore , on poür ces ferrures favantes qu/on applique a un cofFre-fort Sc a un porte-feuilJe. Tel homme palit, s'il a oublié de fermer fon fecrétaire fous la clef induftrieufe qui ne le quitte jamais, L'amour, I'ambition, & la politique dépofent leurs fecrets fous des bandes d'acier , donr le jeu exige dëtre écudié; & I'artifte prévoyant tour a la fois l'a&ion du feu & celle de la violence, a déployé des connoilTances affez étendues pour garantir des papiers fragiles de cette doublé attaque. L'art enfuite a travaillé le fer pour 1'unir a l'architeclure; il sëtt développé dans de faperbes grilles , qui ont 1'ayantage d'oruer le pon^-de vue, fans le détruire. Le fer eft devenu auffi fouple que le bois : on le tourne a volonté ; on lui imprime la forme des fèuillages légers & mobiles j on lui óre fa rudefle, pour lui donner une efpèce de vie. Ces ouvrages 3 qui abondent dans la capitale , joignent a la folidité , la richeffe des ornemens & de la décoration. Onadmire la rampe Tom. XI. , C  ( 34 > de la chaire de 1'églife de Saint-Rocli, la baluftrade du chceur de Saint-Germain-l'Auxerrois , Sc la grille du Palais. Les grilles des nouvelles barrèires font d'un maffif effrayant & d'un lourd gothiqus qui flétrir 1'imagination : on diroit qu'on a voulu 1'épouvanter d'avance , en lui offrant ce mótal dans tout fon brur. Les porres onr peine a tourner fur leurs gonds ; Sc c'eft déji un péril que de les mertre en mouvemenr. On a reprochéa M. de BufFon d'avoir trop prodigué le fer au jardin du roi; en effec, ces grilles mukipliées paroiffent rembrunir un peu la verdure, attrifterle jardin 3 Sc donner a une promenade l'afpedl: d'une nrifon, ou celui d'une menagerie. Les premières chaifes de pofte , inventées en i6'Ó4 , étoienr d'une forme peu agréabie , & d'ailLeurs Iourdes Sc incommodes ; la ferrurerie , par les refforts lians qu'elle a imaginés, eft parvenue a rendre ces voitures bien roulantes , Sc a leur donner "Hes mouveiuens doux.  ( 35 ) Höcei du Lieutenant - Civil. IL n'y a rien d'auffi tcifte an monde : on n'y voir que des vifages affligés, des orphelins , des veuves, des femmes mécourenres, des époux humiliés , des créanciers pourfuivanc leurs débiteurs, & demandant la faifie ds leurs meubles, ou celle de leurs perfonnes ; les procureurs , les clercs , les réferés; dans tous les coins, 1'accent, la plume, iëucre, le vifage de la chicane; le mari outragé , la femme maltraitée , iepère offenfé fe préfentent ; Li, complainres, pétitoires, féparations d'habication , affemblées de parens , criées, licirarionSj tutelles, érnancipations, feeüés! Oh ! quelle tête doit avoir un lieutenant-civü du Charelet de Paris , p^ifqu'elle réfifte a lënnui & au dégout de telles affaires! C'eft lui qui, au nom de la loi, donne le fignal aux griffes des huifliers. Avez-vous vu une meute affamée attendre le moment de la curée? Les chiens font prêts; ils reculent ou C i  (*) ils avancent; les portes ne peuvent senfoneer qu'd la voix du lieutenant-civil, & fa langue eft la clef de routes les ferrures. II a entendu plaider, le matin , il entend encore plaider , le foir; il eft perpétuellemene entre deux parties divifées; il nëntend que des voix qui, d'uncóté demandentde 1'argenr, êc qui, de 1'autre en refufent. II faut qu'il envoie en prifon ceux qui ont promis indifctètement d'apporter quelques livres de ce métal j & qui nën ont pas fur eux une once. Autrefois , pour arrêter un débiteur, on employoitdes recors, qui vous faififloient au milieu de la rue. On avoit le droit de fe défendré, & il en réfultoit un combat, qui donnoit lieu de part & d'autre a des violences cruel'es : une loi fage & récente a nommé des officiers qui ne font que vou3 fignifier la contrajnte par corps. Leur marche eft difcrèce & décente ; on ne leur fair point de réfiftance, paree qu'ils font les chofes fans fcandale : tout fe paffe a petit bruit. J'ai vu ün de ces officiers fignifier poliment fon ordre a un débiteur qui étoit a table ; il acheva  f 37 ) fon repas tranquillement , Sc il fortic au deffert, comme s'il étoit preffé pat une affaire urgente. Les recors ne font donc plus expofés a etre tués comme ci-devant : ainfi la loi, quand elle vient a propos, peut réformer les plus terribles abus, puifque celui-ci, trèsancien, eft tombé le jour même de la publication de la loi, On a remplacé, en 1771 les décrets volontaires par un bureau , confervateur des hypothèques. Cet édit fut auiïi un bienfait: car les décrets volontaires étoient longs, Sc prêtoient le flanc de tous cötés a 1'avide chicane. Le prévót de Paris , dont on parle dans toutes les fentences, eft un juge qui ne rend point ia juftice ; c'eft un fantóme : il n'y a que fon nom quidomine fes trois lieutenans. Le lieutenant-civil envoie en prifon pour dettes civiles; le Chatelet & la Conciergerie reftent deftinés aux criminels : 1'hötel de la Force ne renferme point de criminels. L'argent faifi va chez les commiffaires aux C3  ( 58 ) foifies réelles; ceux-ciont biea lespincesles plus fortes pour retenir les deniers ; iis reftenr dans un milieu inflexible enrre le pourfuivant & la partie faifie. Depuis lëtablifTement du Mont-de-Pieté, on a remarqué qu'il avoic diminué les faifïes , les contraintes & les uentes de meubles par autorité de juftice. Les confuls & le Chatelet voient moins de lettres-dechange proteftées. Le Mont-de-pieté devient donc de jour en jour plus néceflaire ; le prêt eft monté a dixhuit millions; les batimens de eet édifice font d'une hauteur exceill ve, & ont le privilege de sëlever a volonté. Rien nëft aufli plaifant que J'affemblage de toutce qui s'y trouve. Jean-le-Camus , après avoir été plus de quarante ans lieutenant-civil du Chatelet de Paris, crut qu'il fauroit'faire un teftament. Jean-le-Camus fe trompa: le fien fut cafTé pararrêrdu parlemenr, a raifon de plufieurs nullités qui s'y trouvoient. Or , qui connoit les profondeurs de la coutume de Paris, f! Jean-le-Camus ne la connut pas ?  ( 39 ) Les huit Clajfes. Il y a dans Paris huit clalfes d'habitans bien diftinétes; les princes 8c les grands feigneurs (cëftla moins nombreufe), les gens de robe, les financiers , les négocians ou marchands , les artiftes , les artifans , les manseuvriers 3 les laquais , & le bas peuple. llfaut diftinguer la robe en trois families; le barreau 3 1'églife, & la médecine : le barreau eft compofé d'une populeufe cohorte d'individus } qui femblent tous attaqués de la plus terrible boulimie. L'églife entretient une foule de petits collets y qui vont par bandes noires aux écoles de théologie. La médecine a encore. fes branches dans les guérifleurs de toute efpèce, qui courent de maifon en maifon, la lancetteou la médecine a la main , foit pour raffurer les gens qui fe portent bien } foit pour traiter les malades 3 hypocratiquement , galéniquement ou paracelfétiquement. C  ( 40 ) Les financiers fe fubdivifentdepuis le fermier général jufqu'au prêceur a la peritct femaine. Lei agens de change , ces nouveaux crocodiles, occupent le milieu de ce corps dé*voi-anr. , méptilable , & bientóc méprifé : car fes excès vont en crcdflant. Lëfprit du négoce Sc du commerce eft abatardi a Paris, Sc n'a point ce ton fier Sc haat des négocians provinciaux. Comme les grands n'acbètent rien, comptant, les marchan.is fontobligés d'aller s'humilier tous les jours devant eux ou devant leurs domeftiques. 11 eft fingulier que ne payanr pas, on les follicite encore d'acherer ; mais c'eft qu'ils pavent doublement; Sc comme ie marchand lui même n'exdïe que par le crédit, c'eft fur cette bafe réciproque qu'il fe fonde. Si on ne le paye pas, il offre fon bilan. Le rifque oü font ces marchands de tirer a crédit d'une main , pour hvrer la marchandife a terme, les rend défians, craintifs Sr bas. Ce caractère une fois imprimé, ils ne le perdent plus; ils le portent dans'leurs actions , dans leurs rnenières j Sc jufque dans leur luxe : c'eft  ( 4i ) en vaïn qu'ils veulen: fe donner des rons; leur air guindé & gauche les fait toujours prendre pour ce qu'ils font. Les artiftes leur font fupérieurs, quoique moins riches ; ils ontun air d'indépendance qui imprime toujours de la grace & de la facilité. Les artiftes, exercant davantage leur efprit, ont plus' de goüt dans ce qu'ils font: les peintres, les architectes & ftatuaires ne font jamais que des artiftes s tandis que le compofiteur en mufïque s'élève au-deflus de ce rang. C'eft par ignorance que Ia bourgeoifïe confond 1'arrifte & 1'horrime de lettres ; il y a entre eux une grande diftance. L'hommede lettres eft bien au-deffus de Partifte : qu'on eut coupé les bras a Corneille & a Molière, toujours euftent-ils été Molière & Corneille. Les gens de lettres forment une clalfe a part, nobüïtas litterata. Les artifans paroiffent les individus les plus heureux. Tiranr parti de leur induftrie & de leur dextérité , ils fe tiennent a leur place, ce quieftaufli fagequ'infinimenc rare.  ( 4* ) Sans arjibition comme fans vanité , ils ns travaillent que pour leur entrecien Sc leurs diverrifTemens ; ils font honnêtes Sc civils envers tout le monde, paree qu'ils ont befoin de tous les états. La vie des artiftes eft diffipée, Sc quelquefois licencieufe ; celle des artifans eft rangée : on diroit qu'étant voués a desoccupations plus utiles que celles des arts du luxe, ils en font récompenfés par le calme de la confeience , Sc la tranquillité de la vie. Un menuifier a un air de probité que n'a point Ie peintre en émail. Quand on confidère enfuite d'un ceil philofophique les oififs Sc les gens inutiles mêlés a ces différentes claffes, tant de nobles males Sc femelles qui ont des prétentions a. la nobleffe adamique; les nobles en fous-ordre, portant certificat des aólions héroïques de quelqu'un de leurs aïeux ; tant de greffiers , tant d'huiffiers, de fergens, tant de cleres, tant de miiliers d'eftaffiers qui, fous le nom de cammis, aggravent 1'impót; quand on ajoute a tous ces gens , dont la trifte occupation eft au moins un doublé mal pour la pa-  ( 43 ) trie , tant d'hommes a bandoulières , noblement occupés a garder les lièvres ou les lapins , tant de rentiers , qui n'ont d'autre ernploi que celui de végécer, puis les cochers, les poftillons , les palfreniers : fi vous joigne,z a toutcela les nombreufescolonies de moines, de chanoines , chapelains, tous perfonnages bien endentés 1'on jugera avec effroi combien il y a peu d'hommes occupés a tirer du fein de la terre les vrais biens , les fenls qu'on puiffe regarder comme des richeffës réelles. Ce font cependant les hommes de travail qui font la richeffe de 1'état, & fans eux , tout languit, rout dépérit , tout meurt. On a dit a Londres j la majefté du peuple anglais: on ne fait a Paris comment nommer le peuple.  ( 44 ) Des Etrangers. Tous ces étrangers a* qui 1'on avoit vanté la fociété de Paris, font rout étonnés de n'y point trouver de fociété : chacun vit ici avec fes habitudes particulières , & dans une affez grande infouciance fur tout le refte. II eft diflicile dëntrer dans certaines maifons , Sc perfonne ne recoit habituellement les étrangers. Ils font donc réduits a leur hotel gami j & fi' vous exceptez les jours de bal, quelques foupers rares , toutes les maifons font fermées ou défertes. Après les premières vifites , on ne fe gêne plus pour 1'étranger j qui erre de maifon en maifon, & puis retombeau Palaisroyal Sc a fes environs. Pendant un certain temps, il n'y a eu que le maréchal de Biron pour recevoir & accueillir les étrangers , & d'Alembert pour faire les frais de 1'efprit national ; il y fubftituoit de la meilleure foi du monde 1'efprit académique. Comme les étrangers abondent, Sc arri-  ( 45 ) vent des quatre coins de 1'Europe , ce feroit une gêne perpétuelle que de leur faire inceffamment les honneurs Le Parilien eft très-libre dans fa conduite privée ; rien nëft plus difficile que de le captiver. Il manque& il manquera toujours a cette grande ville un point de réunion pour les fociétés choiiies; elles font aufti mouvantes que difperfées. Voila pourquoi ce qu'on appelle la bonne compagnie a cinq ou fix tons différens, qui, fans défaccorder, ne font pas les mêmes. Certaines mceurs échapperont donc a celui qui voudra les étudier ; il n'aura qu'un accès paffager dans quelques maifons , ou tout fe paffera en politelle aifée , mais froide. Ne feroit-ce pas auffi 1'occupation d'une vie entière , que d'ouvrir fa porte a tous ceux qui tombent a Pimprovifte avec ces lettres , dont on apprécie la teneur? Qui pourroit y rélifter? D'ailleurs plufieurs étrangers viennent avec leurs femmes : autre embarras ; elles font a 1'ü i c des intrigues galantes; elles ne peuvent plus regarder ni parler fans coramettre une erreur.  ( 46 ) L'étranger prend fon parti; il s'éparpille* fe glilTe ptefque au hafardde cöcé & d'autre; c'eft a lui de courrifer le Parifien , qui ne courtife perfonne. La fociété de Paris reffemble prefque a celle des fauvages , qui fe rencontrent par hafard , & qui fe quittent fans cérémonie , le cour pour diffiper leur ennui. L'étranger conferve a Paris le caractère qui lui eft propre : le Ruffe s'écriera qu'il meurt de froid ; 1'Anglais qu'on ne boitpoinc de vin ;TEfpagnol qu'on eft familier; 1'It'alien qu'on détonne; le Suiffe qu'on fort.de tabie comme fi on la fuyoit; 1'Allemand , qu'il n'y a que des roturiers en France. Dans fon hotel , 1'Italien eft fobre , & ne vous invitera jamais k diner; il vous oifrira des glacés comme dans fon pays ; il voudra voir des tableaux pour sën'moquer , & entendie la mufique pour en rire. L'Anglais fuivra fon gout indépendant : au lieude tavernes, il ira chez les reftaurateurs , montera a cheval , & ne s'habillera point. Le cli mat de Londres eft tout a la fois ncbuleux fulfureux & fuligineux, de forte que ces in- i  ( 47 ) fulaires, piongés dans une telle armofphère , doivenc agir mélancoliquement dans tout ce qu'ils font. Les Anglais fe réjouiffent donc aux rayons de notre foleil -y ils goütent nos vins avec délice ; ils font toujours de grands carnivores, & dépenfent pour la table. L'Anglaife , avec fes beaux yeux bleus , fon teint toujours blancj nous paroit un peu pale, nonchalante , niuette & férieufe ; elle contrafte avec la vivacité & les graces des femmes francaifes. Les Portugais font faftueux ; ils font un gefte a certaine heure , comme s'ils entendoient fonner Vangelus • ils faluent les effigies de la Vierge & un moine. Le Polonois femble croire a la réfurrection de fa république ; mais il veut que le peuple foit toujours efdave ou feff, & il juflifie eet efclavage , en forcant les faits hiftoriques. Le Ruffe, a travers fa politefTe affectée , laiflera entrevoir la dureté de fon caraóbère.j il fera furpris de ne pas rencontrer des efclaves faconnés au joug ; il juftifiera toujours un peu ces paroles de Diderot, lorfqu'on lui parloit d'un RulFe poli : fende^-Iui la vejte s  ( 4* ) difoir-il énergiquement, vous fentirei le cutf velu. L'AUemand porte en tous lieux fon infbuciance & fa fierté tranquille. L'Efpagnol eft encore celui qui fait le plus de frais pour fe diftinguer: il veut qu'on 1'admire, &c qu'on refpeóte fon pays ; i! abandonnera enfuite ce qu'il ne peut plus défendre. Le Hollandois commencera par fe laver Iëftomarc avec trois ou quatre taffes de thé , après quoi viendra un gros jambon , dont il mangera a-peu-près une livre ; il fumera enfuite deux ou trois pipes , avalera trois taiTes de café au Iait; puis 1'on verra paroïtte une demi-douzaine de beurrées , &z le déjeuner finira avec une bouteille de Bordeaux. Le Suiffe , quelque affaire que vous lui propofiez, aura réponfe a rout ; il a des intelligences dans tous les pays ; il fera, pour de 1'argent, tout ce que vous voudrez ; mais il ne pariera jamais en fon nom. Le jeune Allemandeft le parodifte du bel air & du bon gout", il fera toujours plus rebelle qu'un autre a faifir les manicres du pays. Tous ajouteront foi a leur banquier, qui fera  ( 49 ) fera leur meator & leur guide pour leurs premières démarches. Tous voudront tater des courtifannes; mais ce fera encore 1'Anglais qui les payera le plus magnifiquement : le Suiffe les payera mal ou point du tour. Ce qui étonna le plus lëmpereur, ce fut la maifon de feu Beaujon : il ne pouvoit fe figurer qu'un particulier fut devenu ii riche dans le métier de la finance. Prenez-y garde 3 tous ces étrangers 3 fans èxception ., fous 1'air le plus modefte, fe rendront les infpeóteurs & les revifeurs de notre efprit , & ne dourez pas qu'ils n'amaffent les matériaux des petites fatires qu'ils feront contre les Francois: mais ils prouveront par-la même la fingulière liberté & indépendance dont jouiffent les Parifiens dans le cercle de leurs divertiffemens & de leurs plaifirs. Il eft vrai qu'on ne veut parler aux étrangers de leur pays, que pour leur faire fenrir très-poliment la fupériorité du nótre. Les interrogations font malignes pour Ia plupart , & les réponfes deviennent embarraffantes. Le Parifien , en général, veut parler de tout, Tom. XI. D ,  ( 5» ) au lieu de fe renfermer dans 1'art qu'il a ctudié. Rameau me dit un jour : Je fuis un ignorant ; ne me parle\ de rien, je ne fais rien ; parle^-moi de mufique , je ne fais rien autre chofe;jene fais parler que de mufique. Rameau fut 1'homme unique parmi fes concitoyens. Les Gouttières. Si j'étois aufE long qu'un extrait de M. Garat dans le Mercure de France, je ne finirois jamais un chapitre ; mais je fuis bien loin de 1'imiter : parions des gouttières &ne foyons pas prolixe. Lëau qui tombe du ciel fe divife d'ellemême ; les gouttières la raffemblent en torrens, & la verfent dans les rues fréquentées, battent 1'impériale des carrolfes , crèvent les parafols de taffetas , inondent les fantaffins , & déchauffent les pavés. Si les gouttières étoient tournées vers les cours des maifons, a la bonne heure ; mais elles s'élancent, fe jettent, fe précipitent a  ( 51 ) grands flots fur les palfans; le torrent eft une cataracte , & ces cataractes fe croifent. Lëau qui tombe entraine du haur des toits des fragmensde tuiles &de platre ; ce qui ne pèfe qu'une once au haut de la gourière, acquierr, dans la chüte, un poids décuple. Gare lts têtes ! elles affrontent le trépan. Ondiroit qu'on a voulu donner a Paris un fpectacle hydraulique , car voila vingt mille jets d'eati, de cinquame pieds de hauteur , mais qui trainent après eux toutes les immondieesdes fommités des maifons. Ces goutières de plomb fe courbent fous le paffaoe des eaux, & tombent quelquefois avec 1'orage; celles qui font de bois , pourries de vétufté , verfent lëau en nappe. Oü fe fauver? On eft écrafé par la pluie imprudemment concentrée. Si 1'on eft en voiture, cëft un bruit retentiffant, qui fait regarder file plancher eft folide. Pourquoi n'a-t-on pas appliqué les conduits aux murailles des maifons ? Lëau sëcouleroitfans danger : telle gouttière eft immenfement iarge & inévitable ; il faut qus D *  ( n ) cochers , chevaux & laquais paffen t fous le torrent, qui forme une rivière au milieu de la rue. Le peuple, retranché fous les auvens , s'amufe a voir les domeftiques baiffer la tête fous la colonne dëau, qu'un vent impécueux dérange & ramène fur eux, lorfqu'ils croient 1'avoir franchie. Les laquais font femblant de rire au milieu des rifées publiques; mais ils font trempés comme des foupes , & ce nëft point la le moment oü ils figurenr, Ia tête haute , avec infolence. Quand 1'orage eft paffe, les pavés n'ont plus de ciment; ils font luifans & glifTans comme la meule du gagne-petit. II faut que les paveurs accourent & réparent le dégat. Ces gouttières font aufli dangereufes dans leurs féchereifes, que lorfquëlles verfent lëau. Les habirans des manfardes & ceux des greniers sën fervent pour vuider, fans déplacement, leurs mal-propretcs. La gouttière , fous un ciel ferein, & dans un temps fee ne dit point gare , & vous êtes inondés au milieu des rayons d'un beau foleil: la mauvaife odeur décèle 1'impur liquide qui  ( 55 ) tombe fur vous , Sc vous n'avez point de plaintes a faire chez le commiffaire, dès que la liqueur immonde a paffe par la gouttière : on n'a rien jetté par la fenêtre, dira-t-on, il n'y a point d'amende. Oferoit-on ajouter a la lettre de la loi ? Ce feroit un crime , Sc il y auroit un plaidoyer. Quand les chats , dans leurs débats amoureuxj champions jaloux, s'avancent fur ces efpèces d'aiguilles prééminentes , le champ de bataille trop étroit fait cheoir un des combattans , Sc 1'animal , les griffes étendues, tombe Sc vous enveloppe la tête. Heureux alors qui porte un camail. On a fupprimé les enfeignes; pourquoi nën feroit-il pas de même de ces gouttières incommodes qui ruinent le pavé, multiplient les eaux fangeufes , & verfent plufieurs dangers avec elles? La rue Saint- Jacques, qui traverfe tout Paris, Sc la rue de la Harpe, qui eft auffi une des plus paffagères, font particulièrement douées du ttifte privilege de noyer les piétons. A la vétité , depuis un certain nombre d'annces, on a condamné ces gouc»  ( 54 ) ticres : il eft ordonné , dans toures les nouvelles reconftru&ions, de faire defcendre lëau dans des tuyaux adaptés aux murailles ; maïs ce bienfait de la loi paroit en pure perte pour certaines rues , & Ton diroit que le voyer a défendu aux-maifons de vieillir. Latrines. Les trois quarts des latrines font fales, horribles , dégoütantes : les Parifiens , a eet egard, ont lëeil & 1'odorat accoutumés aux faletés. Les architeéles , gênés par lëtroit emplacement des maifons , ont jeté leurs tuyaux au hafard , & rien ne doit plus étonner lëtranger, que de voir un amphithéatre de latrines perchées les unes fur les autres, contiguës aux efcaliers , a cóté des portes , tout prés des cuifines, & exhalant de toutes parts Lodeur la plus fétide Les tuyaux trop étroits sëngorgent facilement ; on ne les débouche pas; les matières fécales s'amoncellenr en colonne j s'appro-  ( 55 ) chent du fiège d'aifance ; le tuyau furchargé crève ; la maifon eft inondée ; Pinfeófcion fe répand , mais perfonne ne déferte : les nez parifiens font aguerris a ces revers empoifonnés. Que ceux qui ont foin de leur fanté , ne jettent jamais leurs excrémens chauds dans ces trous qu'on appelle latrines, & qu'ils n'aillent point offrir leur anus entr'ouvert a ces courans d'air peftilentiels ; mieux vaudroit y mettre la bouche , car Pacide de lëftomac les corrigeroit. Plufieurs maladies prennent leur origine fur ces fièges dangereux , d'oü sëxhalent des miafmes putrides qu'on fait entrer dans fon corps. Les enfans ont horreur de ces trous infe&és ; ils croient que c'eft la la route de 1'enfer : telle étoit mon opinion dans mon enfance. Heureux les payfans ! ils ne fe vident qu'au foleil; ils font frais & gaillards. Mes chers lecteurs, voulez-vous ne pas contracter de maladies gratuites l ne vous affeyez point fur ces trous abominables : fi vous avez un jardin, que vos déjections fe D4  ( 5* ) faiTent en plein midi, aux rayons du foleil, Le loleil , par fa chaleur bénigne, leur communiquera un phogiftique bienfaifant qui remontera dans vos entrailles; & vous, 8 ) Le méphytifme étoit un fléau endémique : il avoit occafionné une foule de ravages dans la capitale; & comme il n'avoit pas encore fixé 1'attention des naturaliftes, le gouvernement ne s'étoit pas encore occupé de ces événemens facheux. Les puits , les foffes , les latrines avoient coüté la vie a nombre d'infortunés : on les fermoit, on les combloit, & les malheureux tombés en afphyxie étoient réputés morts, & lënterrement fuivoit de prés la léthargie. Ce nëft que depuis quelque temps qu'on a appliqué la vertu du feu , de eet agent heureux, & Ie plus puiffant de tous, qui rend a l'air le reffort & l'aétivité. Ainfi les puits & les foffesj qui faifoient périr nombre de malheureufes viétimes, font purifiés aujourd'hui: la chymie a fu découvrir les caufes mortelles de 1'afphyxie , & les a combattues avec fuccès. Des principes certains ont opéré la déméphytifation. On doit aux chymiftes de la reconnoilfance , car ils ont fauvé la vie a plufieurs qui auroient péri fans leurs fecours.  ( 59 ) Le feu a la propriété de ramener tous les clémens a leur état de pureté & d'homogénéicé j c'eft par ce moyen , tout a la fois fi. efficace & fi firnple , qu'on eft patvenu a annihiler le méphytifme. Des Chevaux. Si Paris eft lënfer des chevaux, comme le dit le proverbe, ce font donc les Parifiens qui en font les diables. Un Anglais ne peut regarder qu'avec horreur de quelle manière le charrerier & le cocher maltraitent leurs chevaux. Voyez ces lourdes charrettes 3 tellement furchargées, que fix chevaux en fueur, Sc tous les mufcles tendus 3 s'écartent fur le pavé, gliffent 3 Sc tombent fans pouvoir cbranler la pefante maffe : les coups de fouet qui les relèvent inhumainement retentiffent dans les airs , tandis que les étincelles jailliflënt fous les pieds des chevaux toujours en efforts Sc toujours immobiles. Que fait ce fou atroce qui tient la verge ? II devieat  (*°) furieux , fait des juremens horribles, & redouble fes coups jufqu'a ce que le pauvre limonier fuccombe : alors lënragé prend fon fouetpar le manche , & bat 1'animal haletant & couché. Tout le monde accourt pour le dételer, le relever; deux cents mains font contrepoids au cul de la charrette , dont 1'extrémité pèfe fur les flancs du cheval. Ce malheureux animal fait un dernier effbrt, & sënfanglante la croupe, ou fe cafie la jambe; on le rattache s'il peut fe tenir debout, Sc les coups de fouet plus durs & plus précipités , le font tirer de nouveau, jufqu'a ce qu'il retombe au carrefour voifin, Ces traitemens cruels naiffent de la dureté que les charretiers éprouvent eux-mêmesde prefque tous ceux qui les commandent. L'ingratitude que les grands ont pour les chevaux qu'ils aimoient, mérite d'être obfervée: ils sën défont au moindre caprice, &c après des fervices longs, ils livrent leur vieilletTe au premier acheteur brutal , de forte que ces fuperbes courfiers ,dont s'énorgueillifloient les ptinces , vont appartenir a  (*I) des bourreaux abrutis , qui n'ont d'autre raifon que celle que leur laiffê une ivrefle prefque continuelle , & qui 3 pour route fcience , font aller le fouet, prelfent & opprelfent les pauvres animaux qui leur font foumis. Ces brutaux , après avoir épuifé les reftes de leur vie, les envoient froidement chez 1'écorcheur', qui, pourépargner une botte de foin , les fait jeüner avant que de leur enlever la peau. Un avare , voulant épargner fur le loyer de fes chevaux , sëntendoit avec un écorcheur de profeffion, & louoit a bon marché ces miférables animaux; puis il les faifoit travailler de routes leurs forces expirantes la veille même de leur mort. Que d'hommes au-delfous des chevaux !  (61) Jgioteurs. Ils fe multiplient, ils s'attroupenr, ils accourent des bords du lac Léman Sc de ceux du Rhöne ; ils vendent leur or en raifon du befoin.. Au fein de 1'incurie & de la pareife , quelqufois fans rien débourfer, ils sënrichilfent également des craintes & des efpérances ; enfin ils mettenr a. profic les calamirés publiques, & gagnent lachement Sc fans travail des fommes immenfes , paree qu'ils ont fu fairede tous cótés un vil accaparement d'efpèces monnoyées. La fureur du gain les tranfporte a la bourlè , dans 1'arêne du jeu, & la , quelquefois ils fe prennent a la gorge Sc fe frappent fans s'avilir. Ce fyftême ufuraire, publiquement adopté, a contribué plus que tout autre abus ala décadence des mceurs. Cette cupidité perfide qui, fous Ie nom de banque , mine les petites propriétés , a ceffé d'avoir une phyfionomie honteufe; & cette opinion baffe Sc défordonnce a entrainé d'autres défordres,  ( 63 ) Ces agioteurs n'ont aucune idéé patriotique : étrangers a la nation , ils ne favenc que cacher Pargent, Sc } par des manoeuvres fouples, faire naïtre des craintes isnaginaires. Plus d'argent pour de nobles opérations : on tourmente ces métaux ftériles pour le travail d'une ufure prefque journalière ; on calcule quel fera le befoin de 1'état Sc celui de chaque particulier ; les accapareurs raffemblent les malfes pour mieux épuifer les petites caiffes, afin qu'elles viennent implorer leur fecours. II n'y a plus d'argent pour les fciences , pour les arts , pour les entreprifes généreufes & utiles j 1'infatigable démon de 1'ufure dit a tout millionnaire d'emprunter encore , Sc de jouer avec l'argent d'autrui. Le crédit dont il jouit, il le tourne contre ceux qu'il achève d'épuifer. Si eet agiotage recevoit du moins fon véritable nom, 1'ami de 1'ordre Sc de 1'équité fe confoleroït en voyant la honte publique attachée a ces viles & dangereufes manipulations : mais non ; ces fortunes monflrueufes font légitimées au bout de quelque temps;  ( H) on oublie les fources fangeufes d'oü elles font émanées; on innocente ces mains avides qui ont defféché ce qui devoit vivifier les racines des arts Sc des métiers \ on porte envie a ces coupables opulens qui, fans rifque , fans péril, fans avances , fans travaux, ont accumulé des facs, paree qu'ils ont été marchands iïargent. Je ferois tenté de graver fur les voitures de ces parvenus ces mots de 1'écriture : qui fejlinat dïtari non erit innocens. Auffi toutes ces fortunes rapides difparoiffent-elles avec la même rapidité. Jadis on les voyoit parvenir jufqu'a la feconde , Sc même jufqu'a la troifième génération ; mais la Providence , qui veille fans cefle au bien de fes enfans, paroït avoir raccourci fon bras, Sc eft devenue moins tardive a fe venger. Nous voyons fondre la fortune de la plupart de ces agioteurs entre leurs propres mains: combien nën compteroit-on pas qui ont fini par couronner leur carrière par une banqueroute ! Ces gens a porte-feuille , qui ne rêvent qu'a la baijfe, qui ne parient que de prime, cette  ( *5 ) eétte race ennemie de la charrue Sc des propriétaires vendeur, a terme } au moyen de quoi ils tirenr un gros intérêt, fans etre fujets aux variantes. 11 y a des moyens vils de faire fortune 5 on pourroic mettre a la tête de ces moyens 1'agiotage , car les moyens desënrichir peuvenc admetcre un talent méprifable, quoique permis par les loix. Un prévót de falie , fi j'ai un cartel avec lui, me tue par une botte fecrète; le banquier , 1'agent de change foutirent ma fortune par une manipulation honteufe Sc adroite ; ils abufent tous deux lachement j 1'un de fon habitude a tirer , 1'autre de fon habileté a efcamoter lëfpèce monnoyée. Le banquier , 1'agent de change prennent des deux mains , & forment collufion. Quand ces manoeuvres feroient autorifées par le motif de fournir des reiïources a 1'Étatdans des temps difficiles , les agioteurs nën feroient pas moins méprifables 3 paree qu'ils multiplient les malheureux , pouraugmenter desrelfources palTagères \ paree qu'ils defsèchent les fonunes privées, ainfi que le Tom, XI. E  ( 66- ) commerce, en donnant au mouvement de 1'or un attrait perfide Sc dangereux. üinfortuné Lionnois. ON a mis dans le journal de Paris 1'accident arrivé au nommé Lionnois : on en a publié un fur mille. Je fuis perfuadé que u* la police, fe mettant au-deflus de petites confidérations, prenoit le parti de faire publier les accidens affreux & journaliers de cette efpèce, de nommer la voiture , le maitre 5c le cocher qui auroient paffé fur le corps d'un citoyen , cette fimple publication donneroic un frein a ces riches barbares, qui, au défaut de 1'humanité, feroient du moins fufceptibles d'une forte de pudeur, en voyant leur norn imprimé a. cöté du malheuerux écrafé fous leurs roues. J'imagine un autre moyen qui pourroit avoir encore un grand & lalutaire effet: ce fetoit une fentencede police qui ordonneroit que le cocher Sc. la voiture fufTent en deuil  ( 67 ) pendant fix mois, pour réparation de la mort d'un citoyen; permis au maitre de fe montrer en couleur de rofe au milieu de fa voiture en deuil : mais il ne 1'oferoit pas ; il fe mettroit a 1'uniffon. Comme cec exempie parleroi:! Ainfi , par des moyens imperceptibles 8c de la plus grande fimpücité, on peut mener les hommes „ lorfque 1'amour du bien public nous domine. La police mollit, il faut 1'avouer- elle a lafoibleffe d'obéir acertaines confidérarions, 8c lesaccidens occafionnés par les voitures trouvent, je ne fais quelsappuis, comme fi les riches étoient rout, & que les pauvres ne fufient rien. On nëft point alTez févère, je le répète , pour la punition de ces délits , les plus ctuels de tous, & qui ne font pas inévitables : chacun le dit, 8c faute d'un exempie éclatant, le pavé des rues eft teint 8c fouillé de fang. Les plus funeftes accidens arrivent a Ia fortie des fpeótacles , paree que les gens d equipages ordonnent alors a leurs cochers de courir précipitamment, afin que leur allure  ( 68 ) ne foit pas confondue avec celle des carroffes de place : les maitres menacent leurs cochers de les chalfer, s'ils n'obéiffent pas a eet ordre inhumain. Ceux-ci fouettent leurs chevaux , Sc bientöt ils nën fonr plus les maitres. Les environs du théatre italien font exceffivement dangereux , paree que les voitures défilent en fens contraire. Un foldar en fadion , agé de vingt-quatre ans, vient d'être écrafé au coin d'une rue , n'ayant pas eu le temps de sëfquiver derrière la borne. Les cochers, d'après 1'ordre des maitres, fe font un jeu de tourner avec la plus grande rapidité. Une telle barbarie déshonore une ville fuperbe , Sc les riches nëprouvent point de remords , a la vue de ces meurtres dont ils font les auteurs 1 Mon vceu feroit qu'il n'y eüt plus dans la capitale que des chaifes a porteur \ il ne paroitroit plus d'autres chevaux dans la ville que ceux qui ferviroient a l'approvifionnement & aux travaux publics: les chevaux du luxe feroient bannis. Cette nouvelle loi feroit vivre quarante mille hummes , & cette multitude de chevaux qui,  (69) par le fourrage qu'ils confomment, enlcvent déja a 1'homme les terres a bied, difparoitroit pour faire place a une circulation fans danger. Quoi ! 1'humanité s'élève contre le fupplice de la roue , & elle ne pourroit pas interdire aux riches 1'affreux pouvoir d'écrafer, fous les pieds de leurs chevaux , les membres de leurs concitoyensj avec lefquels ils viennent de partager les plaifirs du fpectacle ? Les barbares ! ils viennent de s'attendrir a un rrait de fentiment, ils ont applaudi une maxime humaine , & en fortant de 1'école de la morale , ils font jaillir fous les roues de leurs chars la cervelle de leurs frères. Ah ! nos pièces fentimentales ne font plus faites pour eux j qu'ils les abandonnent, qu'ils lailfefit libres les premières loges : les auteurs dramatiques feroient donc leurs complices! Non, ils déteftent cette affluence de voitures, & ceux qu'elles renferment, s'ils n'accourent affifter a nos chefs-d'ceuvres que pour tuer les palfans fur leur route ; qu'ils ceflent de nous écouter, les inhu- E 3  ( 70 ) mains ! 1'arr eft profane par leur préfence ; nous ne voulons point de leur appiaudiflement; ce font des homicides indignes de nous entendre ! ils patiënt de beaux arts , & ils font féroces ! Nous rejettons leur fuffrage tant qu'ils ne feront pas des hommés. On donne une médaille k ceux qui fauvent des noyés ; c'eft la ville qui Ja fait frapper, & Van ne décerne pas une peine in-fapnartte aontre le riche qui ordonne a fon cocher de paffer fur le corps de fesfemblables, afin d'airiver fix minutes plutótdans un falon oü il s'ennuiera dés qu'il y fera entré ! Des forfaits de cette nature, Sc trop fréquemment renuuvellés, jettent un jour odieux fur la police & la légiflation d'un peuple. Garcons Limonadiers. L e s Princes mangent en public; les Limonadiers dinent Sc foupent en public tout comme les princes; on en vaut mieux quand oneft regardé. Les limonadiers ne s'enivrent point a cette tabie publiquej ils mangent Ie  ( 7- ) roti & la falade, tandis que le pauvre ou Ie rigide économe boit fa limonade dans un coin. Non-feulement les Garcons Limonadiers dlnent corïïme les Princes; mais ils font couchés comme eux, car ils dreffent leur lit au milieu d'une multitude de glacés-, il ne tient qu'a eux de fe mirer foir & matin t & toute la nuit encore : leur lit prend la place du groupe' de nouvelliftes qu'ils font obligés de renvoyer; il ne tient qu'a eux de rêver adminiftration , finance , &c , car les voütes font imprégnées de tous ces grands mots ; mais les pauvres diables ronflent a 1'endroit tumultueux oü 1'on gouvernoit 1'Etat d'une voix haute & btuyante ; tous les polkiques ont déferté pour laiffer dormir enfin le GareonLimonadier : le filence fuccede aux argumens croifés des champions financiers & réformateurs. Le Clerc de Procureur couche au grenier: le Clerc de Notaire eft plus mal logé que la femme-de-chambre; mais le Garcon Limonadier a une belle boutique pour chambre a coucher. Son lit eft néceffairement fait tous E4  ( n ) les jours; c'eft pour le maitre une économie fur le loyer , & les apres Furets des Vingrièmes n'ont encore pu y mordre. II faut voir les Garcons Limonadiers éconduire le foir les parleurs, & les prier de fortir, afin qu'ils puifient étendre couchette & matelas. Tel homme demeure au café depuis huit heures du matin, jufqu'a onze heures du foir ; il n'auroit pas befoin de payer fon terme, ce qui 1'inquiète quelquefois, fi le Garcon Limonadier lui faifoit place ; il va trouver un gite qui eft tout 1'oppofé; car il ne s'y trouvera que le fragment d'un miroir d'un demi pied, jcallé en vingt morceaux. Le poëte la Louptiere vivoit au café & de café. Pauvre, mais honnête, il fecontentoit de prendre une taffe de café au lair par jour , dans laquelle il délayoit un morceau de pain; le Garcon Limonadier enfloit charitablement la dofe. Un jour , quelqu'un touché de fa détrefie lui propofa a diner; il répondit modeftement, car il étoit dbux Sc ingénu : MonJïeur, vous me fait es Mende thonneur , j'ai dfoe' kier.  ( 73 ) Les Garcons Limonadiers portent Ie café en ville, & quelquefois aflez loin. Les plus fages font donc obligés dëntrer dans des lieux fufpects, chez des femmes entretenues & pis encore ; leur vertu eft donc mife a 1'épreuve, & il faut qu'a lëxemple du chafte Jofeph , ils laiffent leur tablier blanc plutöt que de fuccomber. En général , ils fonr propres & toujours frifés ; ils ne portent point d'habit; leur vefte ferrée ne dérobe rien a leur taille. Toujours ceints d'un linge blanc, la cafetière d'argent a la main , ils refpirent les premiers la vapeur du Moka. Les liquears & le fucre font a leur difcrétion, & ils nën abufent point. Ils ne touchent pas plus aux bifcuits & aux macarons, qu'un apothicaire a fes drogues. II faut qu'ils aient 1'ceil fur ce'rtains efcrocs qui filoutent de petites cuillers d'argent. Le vol nëft bien manifefte que le foir, lorfque 1'on compte 1'argenterie. Ces filoux font bien mis , afin de mieux écarter le foupcon ; mais le Garcon Limonadier fait, tout auffi bien que le phiiofophe , que les  ( 74 ) vices font cachés fous les beaux habits. Un de ces filoux avoit enlevé fucceÜïvement dix cuillers ; on le guettoit ; le maïtre avoit donné des ordres qu'on lui laiffat enlever la onzième, s'il y revenoit: il n'y manqua pasj au moment qu'il fortoit, le maitre le fuivit, & lui préfentanc une cuiller pareille, ne lui dit que ces mots: 11 vcus faut la dou^aine. L'honnête filou fut humilié, demanda grace, & promit de rendre ce qu'il avoit pris. Ces Gargons Limonadiers font dix a douze lieues par jour en portant des glacés dans telle enceinte du Palais Royal, ou voiturant du Punch dans les cafés de la foire. II leur faut une doublé adreffe pour obéir a leur propre mouvement Sc pour deviner ceux des autres, qui pourroient renverfer le liquide renfermé dans des vafes fragiles ; leurs mains sures & flexibles gardent un d-plomb parfait. Si un verre fe caffe , ce n'eft pas de leur faute ; embarralfés d'une main , ils retiennent de 1'autre; 5: ils favent enchalfer a leur droite dix a douze verres a. patte, fans compter la jatte, les caraffes & les taffes qu'ils  (75 ) dreiïenr en pyramide ; avec Ie léger mouvement de Ia ferviette , ils fe font place i travers une foule tumultueufe ; ils prient, &c on ne les entend pas ; ils paffent, Sc on ne s'en apperooit point. Ils fervent tout auffi bien celui qui demande la gazette & un verre dëau , que celui qui prend vingt talles de glacés. Jamais ils ne vous demandent effrontément pour boire ; ils fe contentent aux étrennes de vous offrir un cornet de dragées & de diablotins, Sc vous récompenfez en un feul jour Ie travail d'une année. Je ne fais fi leur propreté habituelle influe fur leur caraétère moral; mais ils font plus honnêtes dans leurs manières & dans leur conduite que les garcons des autres états. L'habitude ou ils font dëntendre parler potitique Sc littérature , leur donne auffi quelques phrafes élégantes, Sc a force dëntendre de beaux-efprits, quelques-uns le font devenus ; ils n'ont pas 1'efprit des perruquiers qui parient toujours; mais ils ont plus de fens, & font fort fupérieurs a eux en tous points.  ( 7* ) Ce que cëft que dëcre frifé & poudré tous les jours! Pintérieur de la tête y gagne. Voyez un garcon marchand de vin a cóté d'un marchand Limonadier , 1'intervalle eft immenfe. Le premier eft fale & libertin; le fecond a l'air d'approcher la bonne compagnie. Tout eft donc compofé de nuances qui vont a 1'infini. Je voudrois le prouver aux autres, car perfonne nën eft plus convaincu que moi. Plus de complimens. Autrefois on complimentoit les femmes , on les accabloit de foins , de prévenances ; jamais le cavalier ne quittoit fa dame ; la galanterie étoit un culre perpétuel, Aujourd'hui , les complimenteurs s'adrefiënt aux hommes, & on ne loue les femmes quën les regardant curieufement, ce quëlles permettent. Aujourd'hui les jeunes gens fe féparent des femmes , & les laiffent feules dans une  ( 77 ) afTemblée, Sc même dans un bal. Le plus fouvent dépareillées, elles cheixhent en vain des yeux a qui parler , Sc ne trouvenr plus de danfeurs. Les jeunes gens forment des groupes éloignés , oü ils parient de ces mêmes femmes délaiifées , de manière a en être entendus. Le compliment que difoic très-bas 1'homme du peuple en préfence de la reine Elifabeth, fe dit très-haut par des hommes qui ne font rien moins que peuple. Le langage des plus balles clalfes eft monté aux dalles fupérieures. Le plus jeune homme dit tout haut qu'il ne fe gêne point pour les femmes ; il quitte la converfation & la dame pour aller jouer au billard ou a quelque jeu de hafard. L'arêne fréquentée eft un coin voifin de la falie oü fe morfondent folitairement les femmes avec tout 1'attirail de leur parure. A la Cour, jadis le centre de la politefie la plus noble Sc la plus attentive , & oü 1'on rendoit aux femmes des hommages réels & toujours renouvellés, a la Cour, on paffe, pour ainfi dire , deyant elles fans les faluer;  ( 73 ) on paroic détaché de leur empire ; I'ironie eft la figure favorke des difcours qu'on leur tient. Ce changement dans nos mceurs provient de caufes trop délicates pour que je les expofe ici. Les femmes, d'après cette efpece d'abandon , fe font fait hommes ; elles en ont pris 1'habit pour vaguer a leur fantaifie; elles ont leurs courfes, leurs affaires & leur cauferie ; par ce moyen , elles ont des relations fecrètes oü les hommes font devenus tout-a-fait étrangers , & oü elles confpirent contre tout ce qui exifte. Ainfi les manières annoncent les mceurs, & les mouvemensdu corps révèlentle mouvement des ames. Cette féparation des hommes & des femmes dit affea qu'ils ne fe cherchent plus , mais qu'ils £? trouvent.  (79 ) On porte fes cheveux. Les têtes a perruques ne manqueront jamais, difoit 1'Abbé deSaint-Pierre ; voila pourquoi il faifoit perruquiers les enfans qu'il avoic de fes chambrières ; il s'eft trompé , on ne porte plus de perruques; les médecinSj les chirurgiens a la Cour portent leurs cheveux en bourfe, ou du moins nne perruque qui imite le naturel. Cette amplitude de cheveux artificiels étoic bien la mode la plus bizarre qui eüt jamais exifté. Imaginez, je vous prie , quelque chofe de plus ridicule, que ces portraits que 1'on voit encore dans les anciens appartemens ; un homme en cuiraffe & en gantelet, avec une perruque immenfe qui flotte jufqu'a fon épée: une cuiraffe & une perruque! Le médecin &c le chirurgieu , qui ne paroiffoient a la Cour quën habit noir & en perruque, portent donc aujourd'hui leurs cheveux, &c font en habit de couleur : ainfi  ( So ) lont voulu les Princes. Je 1'annonce a 1'unïvers , la livrée des états auftères a difparu. Cëft a-peu-prés le même extérieur. N'eft-ce donc pas afiêz que d'être médecin ou chirurgien , fans être encore vêtu en noir ? C'eft Louis X I V. qui a accrédité 1'invention des faulfes chevelures ; il eft 1'auteur du ridicule excès de cette parure ; & c'eft en détruifant la coiffure nationale qu'il a détruit en même remps une partie de notre ancien caraétère. Les cheveux courts revenant a la mode, au défaut de la barbe, je voudrois voir les mouftaches. Selon moi, rien ne donne plus de jeu a la phyfionomie. La lèvre fupérieure a un mouvement imperceptible & fin , Sc la mouftache indiqueroit ces moindres mouvemens. La mode eft une girouette ; je ne blame point les modes , 1'ufage fait lai. D'abord la longue chevelure eut lieu ; enfuite on ptirta la tête rafée, excepté une couronneou cordon de cheveux courts , paree que c'étoit la tonfute de Saint Pierre. Cette mode régna dans  (fct) dans 1'Occident; mais les Orientaux avoient la tête ennèrement rafée , paree que c'étoic la tonfure de Sainr Paul. Ces modes ne régnèrent poinr fans mandement, fans concile, fans excommunication, furun !i grave objec; car les hommes fe font difputés fur la frifure , comme fur la grdce efficace , & 1'on attribua 1'art de boucler les cheveux a la malice du Diable , ainfi qu'un capucin vient de lui faire honneur des ballon* aéroftatiques. Aux cheveux courts & aux cheveux frifés, dont 1'ufage étoit établi fous Francois II & Henri lil, les longs cheveux fuccédèrent fous le règne de Louis XIII ; Ia mode en devint générale , & les perruques étoient fi longues, qu'une des boucles defcendantes fe mettoit dans la poche. Tandis qu'il y avoit de longues perruques , les chevaux confervoient leur queue large & flottante ; mais fitót qu'on fe fut avifé de renfermer la queue des chevaux dans un étui , les hommes prirent la bourfe. L'hiftoire des chapeaux eft encore plus Tom. XI. F  ( 8i ) vatiée que celle de la frifure, 8c lëruditio» fuccombe fous tant de variétés. 11 paroït que les cheveux courts veulent ufurper lëmpire : la propreté , la commodité, 1'épargne du temps , la fanté peut-être, tiennent a cette mode ; car il faut que Ia tète tranfpire , c'eft-a-dire, quëlle foit perpétuellement nette : d'ailleurs , des cheveux courts conviennent parfaitement aux têtes patifiennes, 8c le phyfique fera d'accordavec le moral. De routes les coutumes que la coiffure a enfantées , aucune nëft plus ridicule que celle qui fe pratique dans toute la Suilfe 8c en Allemagne. Un perruquier vous accommode les cheveux; vous avez une barbe longue, & vous lui dites rafe^-moi; le perruquier vous rit au nez, 5c vous dit dans fon baragouin • ca nefcpeut pas; il vous explique que des loix folemnelles dcfendent a un perruquier de manier le rafoir • cetre fonélion appartient exclufiveinent aux jeunes chirurgiens. Vous êtes poudré } 5c il faut  (9}) attendre que le jeune chirurgien arriye avee fon plat i barbe > il ne feroit pas une bouclc pour tout lor du monde. Ces loix font fi facrées dans la Suifïè , & j'ai enrendu des magifhats raiionner fi gravement fur cette folie, que la ftatue de Guiliaume Teil tornbera avant quëlle foit enfreinre. La meilleure raifonquedonnentles magiftrats fuiffes tk allemands , eft que cette coutume nourrit deux fainéans au lieu d'un. PuifTamment rai* fonner ] Filles publiques a 1'HopkaL L'oubli des loix de la pudeur n'a pas éteinl chez quelques Filles publiques des vernis qu'on aime a retrouver encore dans leur fexe. Plufieurs font pitoyables , charitables , &: donnent jufqu'a leurs jupes pour aider leurs compagnes. Plufieurs, dans eet état de dégradation, font fenfibies a la honte , & lorfqu on les condamne a 1'Hópital , elles frémiifent £ «■ene idée. F »  ( U ) On en a vu, au moment de la fentence, prendre un couteau , & dire : je me frapperai, fi j'y fuis condamnée , Sc au moment de la condamnation, fe frapper a coups prelfés. L'Hópital oü on les enferme,necontribue pas a épurer leurs mceurs ; elles en fortent plus dilfolues , paree qu'il n'y a, rien de plus fatal pour les femmes,que lëxemple, Sc de plus cooimunicatif que le grand libertinage. On met a 1'Hópital trop légèrement. Celle qui n'a effleuré Ie vice que du bout du pied , défapprend a rougir & ne craint plus d'enfoncer jufqu'a mi-jambe ; alors Ie calus fe forme , Sc il n'y a plus chez elle de retour a 1'honnêreté. On a vu, de Ia part d'une raccrocheufe, un trait de probité rare : un homme a portefeuille avoit laiffé le fien a cöté d'elle ; elle 1'ouvre , il contient des billets de la caiffe dëfcompte; ily en avoit pour foixante mille livres. En s'appropriant cette valeur, fa fortune étoit faite; mais non ! elle forr de fon trifte réduit, va trouver le Chef de la police , Sc lui remet le porte- feuille entier. Le  ( 85 ) Magiftrat s'étonne mais il fut bien plus furpris, lorfqu'il fut de la bouche de la fille , qu'elle connoiffoit ttès-bien la valeur de ces billets , Sc la facilité qu'elle auroit eue de les métamorphofer en argent fans qu'on put lui rien dire. Une telle déclaration de la pare d'une fille miférable étoit faite pour intéreffer , car beaucoup d'honnêtes gens a fa place auroient profité de la rrouvaille. L'homme au porte-feuille revenu de fa diftraction , courut bien vite a la police , & fut bien furpris, bien joyeux de ravoir tous fes eflets ; il lailfa dix mille francs a la pauvre fille , qui renoncant au métier, accepta le don légitime. II y a régulièrement cinq a fix cents filles enfermces a l'Hopital ; elles fe fuccèdent Sc fe remplacent l'une 1'autre , mais toujours plus effrontées, a mefure qu'elles comptent plus d'années d'Höpital. Ce lieu femble leur óter le dernier frein de la pudeur & même de 1'amour-propre La profondenr du vice furpaiïë la hauteur de la vertu, Sc je ne puis attribuer qu'a la communication de ces malheureufes femmes enfermées Sc prelfées dans F 5  ( SS ) un même endroir, ces derniers excès trop honreux pour que ma plume les indique , & qui prouvent que 1'homme a la malheureufe faculté de fe ravaler au-deflous de la brute. Quand ces Filles ont a fe plaindre de la nomriture , ou de quelques mauvais traitemens , alors elles forment entr'eiles une révolte ; la confpirarion vole de bouche en bouche ; or, favez-vousen quoi confifte cette révolte ? a poutTer toutes, en même temps & au même fignal, des cris & des hurlemens cpouvantables. Ces explofions de poitrine qui fe manifeftent par des accens aigus & prclongés , fe repetent a différens inrerva'les dans le jour , dans la nuit, & d'une manière inattendue. Quand on entend cette claineur pour la première fois, on eft véritablement faiiï : ces cris fe propagent a pres d'une lieue. Les menaces , les chatimens n'y font rien, ; cette revolte de gofier fc- foutient, jufqu'i ce que .le tort réel ou apparenf foit réparé. Voulez-vous diminuer les progrès de la proflitution ? reftituez aux femmes tous les  ( §7 ) metiers qui leur appartiennent • frappez de mépris les hommes qui fe dégradent en maniant 1'aiguille, en fe confacrant au fervice des femmes ; ces laches ufurpateurs de la propriété du fexe, privent les femmes de leur induftrie , cV font leurs plus grands * ennemis. Layetiers, J E me plais dans la boutique d'un Layetier ; elle eft propre, & tout ce que je vois autour de moi eft commode bc utile. Ce ne font point des armoires faftueufes, des meubles recherchés ; un coffre de bois léger convient a tout le monde ; il renferme quelquefois, fans être plein , la fortune d'un honnête homme , d'un homme de mérite ; c'eft le plus fouvent le tréfor de la fervante, du domeftique fidéle , de 1'indigent vertueux. Je me plais dans la boutique du Layetier ; j'y vois 1'emblême du grand &c du véritable fyftême de 1'univers, le fyjïême d'emboue- F4  ( 38 ) ment. Oui ; quand je confidère toutes ces holtes renfermées 1'une dans 1'autre, je me dis : c'eft ainfi que le chêne eft enfetmé dans le gland ; c'eft ainfi que nous avons rous écé enfermés dans le fein de nos mères. Voila la loi de la nature ; elle confond 1'imagination, & fatisfait pleinementla raifon. J'y recois encore une autre lecon plus importante : le Layetier fait une bière; qui 1'occupera ? moi, peut-être: voila le dernier marchand a qui 1'homme aura affaire; voila. le terme de tout ce bruit tumultueux qui remplit la ville Sc la vie humaine. Voulez-vous étudier les hommes Sc lire des impreffions différentes fur les vifages ? fuivez le Layetier qui porte une bière fur fon épaule, pour la livrer en la maifon du défunt ; fuivez-le vous dis-je _, Sc obfervez la phyfionomie que fera chaque paflant qui la rencontrera. Le coup-d'ceil furtif jeté fur cette robe derniere 3 univerfelle , vous révélera fon ame j vous y lirez fa confcience Sc fon degré de courage; 1'orgueilleux dans fon équipage détourne la tête; celui-ci gri-  ( s9 ) ttiace ; eet autre a de lëffroi. 11 me femble que ce prince eft fcandalifé de la rencontre: il fera en plomb , lui, & embaumé, mais il fera couché tout comme un autre; on mertra ici fon cceur, la fes entrailles ; il aura des épitaphes : en fera-t-il moins décédé ? Tel qui regarde cette bière fans rentrer en lui— même , y portera fon corps jeune & fon cceur endurci. Quel moralifte ambulant que ce Layetier promenant une bière vide i travers la foule dillipée, qui s'ouvre pour la lailfer palfer! Faites cette promenade a la fuite du Layetier j lecteurs , & vous verrez des vifages tels qu'aucun peintre nën a imaginé; vous aurez dans la mémoire une fucceflion inftruótive de figures que ma plume ne fauroit exprimer. Ainfi les plus petites chofes , pour qui fait les examiner, jettent une lueur vive & rapide dans 1'horizon vafte & ténébreux de 1'ame humaine; le rideau fe tire en un inftant indivifible ; cëft a lëeil dëtre tout auffi prompt pour faifir ce qui fe pafte a travers ce nuage ouvert Sz refermé.  ( 90 ) Filles a maner. L E nombre en eft fi grand a Paris , que dans toutes les maifons on rencontre quatre filles a marier pour une qui lëft. La claflè fupérjeure & inférieure fe dédommage facilement du célibat ; mais dans Ia bourgeoifie , les filles en meur ent; autant vaudroit pour plufieurs filles bourgeoifes nëtre pas nées. II y a dans eet ordre de citoyens un melange de fierté, de bêtife & d'ambition qui rendenc le mariage d'une papetiere aufli difnale que celui de Ia fille d'un roi. Madame la papetière croit que tout 1'univers regarde fa fille, Sc que des hiftoriographes fe relayent pour conftater s'il n'y auroit pas écart ou méfalliance. II n'y a donc plus que le peuple qui femarie, paree qu'il ne tient point encore cette balance rigide qui empêche la fille d'un procureur d'époufer un notaire, & qui met un intervalie immenfe entre un commis & un greffier. Je erois même qu'il y a  (M ) féparation éternelle enne 1'orfèvre & le ferrurier, lëpicier-graiffeux Sc le chandelier. Mais ce vices'étend fur route la France,& les provinces nën font pas plus exemptes, tant lefot orgueil divife les rangs qui fe touchenr. C'eft un grand vice moderne que de voir tant de filles condamnées au célibat, Sc le remède eft prefqu'impoffible a trouver , paree que notre légiflation n'a pas fuivi d'un pas égal Je changement des mceurs Sc des fortunes ; ce fera donc un Jivre curieux, fi je le donne, que mon livre intitulé des Demolfelles ; il mettra dans un jour evident les contradictions des loix & des ufages, Sc le tort que fait au bonheur 1'amalgame d'idées conrraires. Aux Ifles Maldives , les pères marient leurs filles fort jeunes , paree que cëft , difent-ils, un grand pêché que de leur laiffer endurer la néceffité d'hommes. Voyez cette fiile jeune Sc prefque nue, couchée fur un grabat , dans une chambre fans meuble; eüe tient une lettre a ia main: dira-t-elie Ie oui qui lui donnera 1'opulence  ( 9* ) Sc lui enlevera 1'honneur ? elle combat, mais elle cédera ; elle eft feule , il lui faudroic un appui, un foutien , un homme doué d'un cara&ère ferme & vertueux. Greufe , dans cette eftampe , a bien peint 1'indéciiion ; mais 1'étonnement s'y mêle ; 1'intention du peintre perce; on voit que la mifete ne tiendra pas contre la féduction. ,Si la femme n'apportoit point de dot, il y auroit un grand nombre de mariages; la femme feroit forcée de mettre dans la balance tous fes agtémens naturels, fa douceur, fa vertu , fon honnêteté , la fineffe de fon efprit, les foins continuels qu'elle donnera au ménage, Sc tout cela feroit encore trop léger j elle y mettroit fes enfans, & les nourriroit elle-même. Qui ne fe marieroit pas alors ? Les dots néceffitent 1'empire des femmes, & 1'empire des femmes amollit, énerve les amesles talens Sc les caractères.  ( 9? ) Bagues. O N porte a&uellement des bagues énormes, Sc Ia main d'un Turcaret nëft plus chofe rare; les hommes font la belle main. La main d'une femme eft un baguier, & fi ces pierres étoient antiques j elle offriroit un échantillon d'un cabinet de pierres gravées : auffi 1'anneau nuptial eft-il inappereu chez nos femmes; des bagues larges Sc profanes étouffent ce gage de leur fidélité. Quand on prend la main d'une jolie femme, on ne fent que des ahneaux 8c des pierres triangulaires; il faut déshabiller la main d'une jolie femme pour en appercevoir tous les contouts Sc les fineffes. Sénèque parle de la vanité des femmes qui portoient un ou deux patrimoines a leurs doigrs : ce luxe infolent eft revenu parmi nous; il faut avoir un gros diamant, un ttèsgros diamant au milieu d'une pieire de compofition, ovale, quarréee , enlofange, quarrée unie, grenée a huit pointes.  ( H } Amant j'aime les habilietnens frais & légers , & ces modes diverfifiées qui réunilïent le gom a la légèreté & a la grace , amant ces bagues me déplaifent; car tout ce qui tient aux diamans aux perles , aux pierres gravées, aux pierres dites précieufes , tout ce luxe, dis-je, me paroït un enfantillage , une recherche extravagante , car c'eft une magnificence vraiment deftr.uctive \ & tous ces joyaux ne font qu'alimenter Ia branche de commerce la plus inutilé", la plus trompeufe & la plus déplorable. Mais tout ce qui tient au luxe , k \x vanicé , a 1'orgueil , mérite feul les regards des riches, dont Ie cceur eft auffi d-ur que les pierres ou les diamans qui fervent a décorer leur nudité. 10 Mat ONcélèbre tous les ans, ce Jour-la, dans 1'églife de Sainr-Denis, une mefTe pour le repos de 1'ame de Louis XV , & , a cette occafion on ne manque pas de rappeller que M. de Senez prêchant le Jeudi-Saint der-  ( 95 ) vant- Je feu Roi , le texte de fon fermon étoit celui-ci : Adhuc quadraginta dies , & Ninive fubvertetur. La mort du Roi eft arrivée en effet quarante jours après , du 3 i Mars au 10 Mai; ce concours de eirconftances a fourni dans la fuite un morceau pathétique au même orareur , lorfqu'il fit 1'oraifon funèbre de Louis XV. Ces jeux du hafard frappeflt toujours le peuple , & lui dident des réflexions que ne lui infpirent point les autres événemens ; mais ceux qui font mêlés a la religion , & qui tiennent i une prédidion impofante , auront un effet univerfel & prefque indéracinable dans les efprits. On trouve , dUns la fuite des Confeflions de J. J. Rouffeau, ouvrage encore manufcrit, Ie paffage fuivant. LouisXV'&moipartagions la haine univ erf elle ; Louis XF eft mon , tu~ nlverfaüté eft retombée furmoifeid. Commenc ne plaindroit-on pas un homme qui a écrit une pareille phrafe ? & quelle fingulière conformation de cerveau que celle qui enfante de telles idéés f  ( 96 ) pfKmaé^Êmtwmmm— mi'.i,in i)ii»>immp———wM^^iMa^M^ Garnifon pour la Caphation. Quiconque a peu de chofes} peut vivre de peu de chofes; mais qui n'a rien du-tout!... Celui-la eft efclave-né de tous les hommes , dans tous les pays tk dans tous les gouvernemens. 11 paie de fes bras, car ils font & tous les travaux publics & particuliers pour un modique falaire j je n'exagérerai pas en certifiant qu'il y a a Paris deux cent mille individus qui n'ont pas en propriété abfolue la valeur intrinfèque de cinquante écus: Sc la cité fubfifte ! Le commis de la capitation envoie Garnifon chez celui qui ne paie pas fa taxe \ c'eft un homme bleu qui vient s'afleoir au feu, s'il y en a , & loge chez le non-payant, malgré lui ; alors il fait des menaces Sc épie s'il entre un écu faififfable. Pour fa peine , le malheureux lui paie fa journée, qui, comme on le fent bien, n'eft pas taxée a  (97) l bon marche. Souvent 1'homme bleu C& contente de mettre fon fuiïl en garnifon , & difparoït. II sën va ailleurs placer fans cloute d'aurres fuiïls, & fe créer de nouvelles journées ; mais comme ce-genre de filouterie feroit un peu lucratif, il eft graudement a préfumer que 1'homme bleu eft un feconi Petit-Jean , qui en rend quelque chofe d monfieur ou meftieurs. II étoit un ouvrier, appelé Öuatre-Mains\ le malheureux nën avoit que deux, mais il avoit quatre petirs enfans. II avoit arranaé une cheminée qui fervoit d'alcove , pour coucher lui & fa familie ; il étoit d un fixième. Un jour, j'ouvris fa porte, qui n'avoit qu'un loquet ; la chambre n'offroit que la muraille & un étau : eet homme , en fortant dedeftous fa cheminée, d moitié malade, me dit: Je croyois que c'étoit garnifon pour la cap'itatlon. II y a tant d'indigens de cette efpèce , quën tft obligé forcément de leur remettre chaque afinée leur taxe de capitation. Quelquefois on paie pour eux publiquement j Tem, XI. Q  ( 9§ ) afin qü'il ne foit pas dit tout-a-fait qu'ils n'ont pu payer. Table des Riches. Xj e s riches ont leurs vilenies \ ils épargnent fur le vin , ils vous le donnent mauvais au premier fervice ; leur deftert eft compofé de plateaux, décoration fempiterneüe. Les riches donnent tout ce qui eft fuffceptible d'être apprécié par la vue , les longs plats, les entremets fymétrifés; mais la bonté du vin , qui fe dérobe a 1'ceil , eft nulle; ils boivent de lëau , & font boire a leurs convives le vin de leurs laquais, mêlé avec le refte de leur vin. Le repas des riches eft dëftentation; chez le pauvre, tout eft al'uniflon, te pain, la viande , le vin ; vous n'avez rien de rare , rien dëxcellent; mais tout eft bon 3 8c tout eft d'accord. Y a-t-il enfuite une coutume' plus impertinente que celle de demander a boire X  ( 99 ) un laquais étranger, de boire de cóté, de ne pouvoir mefurer ni fon eau ni fon vin, & quand la fbif vous prend , d'atcendre un valet ? Comment a-r-on feparé le boire du manger ? Les riches ont imaginé eet incommode ufage, pour mieux écarter 1'importun Sc le parafite : foit; mais la gêne nën eft pas moins grande pour ceux qui ne vont diner chez eux, que quand ils en font formellement priés. Riches , mettez carafons Sc bouteilles fur la rable , ou fouffrez que jaille alfeoir mon appétit a, une table oü il eft permis de diner. II n'y a point de bon repas, fi le vin eft mauvais. Lange qui apporta la fainte Ampoule que Ton conférve depuis pres de deux cents ans dans Ia ville de Rheims, ne reparoit plus pour conftater le miracle; mais les vignes de Rheims font plus anciennes que la fainte Ampoule ; Sc comme les vins de Champagne infpirent beaucoup de gaieté , tant que jën boirai, je ne contredirai jamais les hiftoriens de la fainte Ampoule. 6 z  ( Iü3 ) Mais je voudrois qu'il y eüt une confpiration générale parmi les gens aimables de ne jamais diner chez ceux qui ne mettent pas carafons dëau & de vin fur la table. Les deflerts en porcelaine btillent fur Ia table des riches , & de vieilles fucreries tiennent la place des fruits fucculens. Les fablés de delTert , l?ur compartiment, leur deffin , combien cela eft petit, ridicule, fuperflu! quel miférable luxe ! Cherté de la Mare'e, IL m'a fallu aller fur les rochers de Barfleur pour manger du poiffon de mer ; 1'impot ne veut pas que Fon en mange a Paris. Tandis que la Providence prodigue a la Normandie les poiiFons les plus diverfifiés , que toutes les cores ofFrent la pêche la plus abondante , que les phalanges de harengs ont un cours intariffable, & que la Nature fe montre magnifique dans fa prodigalité , les offices, les privileges , les impofuions  ( ioi ) font naïtre la ftétitité , & condamnent le peuple de Paris a ne point manger de poiffons de mer; car il n'y en a que pour les Lucullus. Ainfi 1'efprit fifcal ote a la Nature fes largeffes , & ferme 1'Océan; on diroit que la mer eft a deux cents lieues de Paris, tant Ie poiffon eft rare ; un turbot forti delacótede Barfleur , arrivé en pofte, & que la putréfaótion va diffoudre, paie d'entrée aux portes de la Capitale onze fois fa valeur ; il a fallu des chevaux de pofte pour amener le poiffon qui va pourrir , & la ferme exigera de 1'argent pour qu'il paroiffe fur nos tables ; ainfi les trois mers qui lavent le royaume font prefqu'aufti étrangères a la Capitale , que les mers de la Chine & du Japon. Le nombre prodigieux dëfpèces que la mer fournit, leurs colonnes preffées dans 1'Océan, leurs voyages périodiques fur nos cores , rien n'adoucit la rigueur du fifc; Ia munificence de la Nature eft en pure perte. Ces flottes in* nombrables de poiffons qui pourroient fournir a la fubfiftance d'une ville dix fois peu- G3  ( ioz ) plee comme Paris ; pairent infru&ueufement fur nos cotes , paree que i'impitoyable tarif eft la 3 qui repouffe ces préfens nourriciers. Je ne fais point un pas fur le bord de la mer, fansfoulerun crabe , un poupart, & je ne fuis embarraffé que duchoix des poiffons. La vie animale a fon foyer dans les abimes maritimes ; les poiffons produifent de toutes parts , Sc voici que la ferme taxera une nourriture agréable & faine , qui demain fe décompofera , fi elle nëft mangée aujourd'ui; de forte que les barrières de la ville feroient empoifbnnées, fi on abandonnoitaux commis Sc aux fermiers les comeftibles qu'ils font monter a fi haut prix. La Providence eft juftifiée , les adminiftrateurs ne le font point. La Providence a mis par-tout la nourriture de 1'homme ; elle a attaché aux chofes les plus communes les faveurs les plus délicates ; les poiffons font prolifiques; la vie, dans les abimes de la mer, eft un terrent qui ne cherche qua s'épancher dans les villes , Sc une main  ( io3 ) cruelle affamera 1'homme qui ne pourra pas payer la cupidité financière! II feroit de la dignité du Gouvernement de fuppiimer tout impöt quelconque fur le poiffon de mer.'Quoi, je le répète, il meurt en fortant de lëau ; il va fe diffoudre ; fes parties nutricives appartiendront demain a la corruption la plus fétide , Sc il faudra payer le droit de manger ces poiffons dont 1'Océan furabonde. Le pauvre pêcheur sëfl embarqué dans une fragile nacelle pour le faifir, le courrier eft arrivé a route bride fur fes chevaux degouttans de fueur ; ils n'ont prefque rien pour leur peine 3 pour les périls qu'ils ont courus , & le lache financier fermera la bouche d'un peuple entier , & fera de nos cótes poiffonnières des cótes ftcriles ! cëft ici que 1'état agtefte Sc fauvage de 1'homme femble lëmportet fur nos loix de police ; car comment a t-on pu ravir a la fubfiftance générale une nourriture que 1'Océan prodigue d'une manière également conftante Sc libérale ? G4  ( J04 j Aclions des Eaux de Paris. Ce nëft pas le Nil qui coule au milieu de Paris, cefleuve fécondant, qui apporte fur fes rives la ferciliré la plus floriffante ; C'eft la Seine; les chitniftes nous garantiffent fa falubrité. 11 s'agifioit de diftribuer fon eau dans routes les maifons : la pompe d ïéx fut dreftée, mais tout aufli-töt Tagiotage sëmpara de ce projet. On vit paroure une compagnie J des banquiers, des agens de change, des courtiers „ &c. , qui.femblabies k des magiciens hauflerent le pri* des adtions. Cette pompe d feu fembloir bartre monnoie ; Chryfotogue-Figaro fut Ia trompette de cette compagnie 5 or 1'on pouvoir juger dès-lors de ce quëtoit fon patriotifme & fon défintérefiëment. Les gens ferifés ne comprirentpas d'abord comment on pouvoit faire fur la diftribution de lëau un marché énorme, un gain de plufieurs millions: les accapareurs vinrer»  ( I05 ) a la fuite; Tinne-cent public fut féduitj &C on lui offrit un capital immenfe & chimérique ; les plus audacieufes friponneries furent étayées par des phrafes captieufes. On paria dënrégimenter les porteurs dëau; on paria de forcer la vente de lëau, de fupprimer routes fontaines gratuites , de boucher la riviere; eet inconcevable délire entra dans Ia logique des avides calculateurs, & Chryfologue-Figaro tenoit la plume. Pendant ce tems, lëntreprife extermine tous les jours Ie pavé de Paris : dès qü'un tuyau fe crêve, il faut remuer dix toifes de pavés ; les rues les plus fréquentées font obftruées ; on diroit quën dépave inceffamment la ville , comme fi On alloit la bombarder; devant toutes les portes on voit des enfoncemens fangeux ; les dommages que les aftionnaires des eaux occafionnent aux pavés & i la circulation publique , font immenfes. Quand on voit dans un projet des banquiers , des courtiers , des tourmenreurs de fonds, mauvais préfage ; on n'appercevra  ( io6 ) plus bientöt qu'un vil troupeau de joueurs, qui, par leurs adroices manoeuvres, tromperonr d'abord le public , & affronteront enfuite fon mépris. C'eft ce qui eft arrivé, & toute lëau qui coule de la pompe a feu, ne fauroit laver le fcandale qu'a offert la compagnie des eaux : les capitaliftes font réduits a d'inutiles regrets fur leur crédulité envers un charlataniime hardi. Enfuite une pompe a feu offre le danger d'une explofïon foudaine qui peut caufer un défaftre égal a celui d'un magafin a poudre qui faure en l'air ; puls ce dépavenlent continuel gate les rues , les rend fangeufes 5c impraticables. Les Gondoliers Vénitiens fe croifent rapidement dans toutes les direcrions, & fans sëffleurer; leur grande adreffe fe manifefte a chaque inftant du jour : il nën eft pas de même des fiacres a Paris ; les rues dépavées dans toute leur longueur par la compagnie des eaux 3 ont vu naitre beaucoup d'accidens. Ainfi ce qu'on nous annoncpit pour un aéle pur de patriotifme  ( -07 ) eft dégénéré en brigandage : c'étoir bien Ia peine de faire écrire Chryfblogue-Figaro. L'éternelle nécefïité oü Ion eft a Paris de fpéculer fur de 1'argent & pour de . 1'argent 3 a fait regarder 1'argent commel'unique fin de routes les entreprifes ; ainfi c'eft a qui faura extorquer de Por; chacun metdonc a profitle délit ou 1'ignorance de fon voifin. Cette cupidité régnante fufliroit pour dépraver une génération fage; & quand le gouvernement donne Pexemple de la cupidité par 1'établiftement des loteries & les édits de rentes viagères, il faut que toutes les paflions avides & déréglées fe donnent la maiiij que Pon fubftitue 1'agiotage au commerce , & que Pon prenne la circulation financiere pour PacFivité produdive. La fource Ia plus féconde de toute efpèce de mifères vient de ce fourd ttavail de 1'argent, qui corrompt tout a la fois celui qui le vend & celui qui 1'achète , & qui apprend qu'on peut s'enrichir fans fonds & fans travail, uniquement par une perfévérance a Pagiorage.  ( ioS ) Mejfageries Royales. De tous cotés on demande des privileges exclufifs ; celui des Menageries Royales eft un véritable artentat a la'portion pauvre du public } car el!e s'arrangeoit avec une foule de perites voitures qui faifoient vivre maitres & chevaux. On a donc enlevé a nombre de proprié'aires la faculré de louer leurs propriétés utiles & d'un ufage journalier. Ces groiïes voitures font mal entretenues; leur marche-pied eft dangereux; le cocher a plus de foin des valifes & des paquets que des voyageurs. On a payé d'avance > & les entrepreneurs ne veulent que forcer les recettes; les places , déja étroites, font embarraflées par les petits ballots du commerce clandeftin que fait le cocher ; il ralentit ou précipite fa marche prefqu'a volonté. Ces voitures font défagréables, & empirent de jour en jour; le privilege exclufif défendant toute concurrence j le public eft mal fervi , fes  ( 109 ) plainres font perdues , & 1'établiflement mérire les plus grands reproches dans une infinité de détails ; car les entrepreneurs ont commis de ces négligences impardonnables , & fe font montrés durs 5c apres financiers, plutót que bons citoyens. On doic doncfouhaiter, pourl'intéj:êt public, 1'aboliffement de ce privilege exclufif, qui tyrannife les voyageurs 5c interdit encore les plus juftes réclamations. Je ferois un petit volume des abus qui déshonorent ces MelTageries Royales : Sc pourquoi avoir ravi aux citoyens le droit fi légitime de choifir fa voiture & fon voiturier? A quoi fervent de belles routes, fi je ne puis m'y faire porrer par qui bon me femble ? Cependant ces MeHageries , ear il faut avant tout être jufte, ces Meffageries ont un avantage ineftimable ; qu'il y ait des voyageurs ou non, elles partent; 5c fufiiezvous feul , elles font obligées de vous tranfporter a beaucoup meilleur marché que tout voiturier que vous pourriez choifir. II eft donc a défirer qu'on les conferve , mais  ( HO ) qu'on veille fuir Ia maniere dont le public eft fervi. Malheureufement le public eft pak fager , & les adminiftrateurs ont de 1'or, Sc font toujours prés de la porte de ceux qui difpofent du bien ou du mal public. EJl-ce un Sérail? Ij'idée d'un férail prend a tout étrangef qui voit pour la première fois une boutique meublée de Marchandes de modes ; il y a des minois charmans a cóté de laides ficures aflifes dans un comptoir a la file 1'une de 1'autre ; elles ornent ces pompons, ces colifichets que la mode varie ; on les lorgne en palfant. Ces filles, I'aiguille a la main, jettent inceflamment 1'eeil dans Ia rue. La place d'honneur eft la plus voifine du vitrage de la porte. Ces filles fe réjouiffent a confidérer les paffans , Sc s'imaginent voirautant d'amans. Elles ont quelques inflans pour fe dédommager de lëfclavage j leurs plaifirs font hatifs,  (»" ) car on doit reparoitre au comptoir; mais ce qui leur coute le plus , c'eft qu'il faut parer chaque jour le front des belles leurs rivales ; elles vont aux toilettes •, & la il faut qu'elles fafTenc taire la jaloufie de leur fexe , & que par état elles embelliflent celles qui les paient. Quelquefois celle qui fembloit la plus délailfée, voit fa beauté fleurir ; les amateurs font aux aguets , & la Belle aux dix-fepc ans ne fait qu'un faut du magafin au fond d'une berline aaglaife ; c'eft une efpèce de lot qui lui échoit ; elle étoit fille de boutique, elk revient trois moisaprès toute décralfée & ayant des manières; elle fe plaït a affurer de fa proteótion fon ancienne maïtrelfe , & a faire fécher de jaloufie fes compagnes , qui font tout bas fa fatire , & qui envient fon fort. Les moins jolies, ou les plus infortunées , . fe glifient furtivement dans des maifons qui ont l'air de la décence , mais ou cette vertu ne règne pas exactement. Elles ne mettent point fur le compte de leur tempérament ou de leur gout libertin les petits péchés  f ttt) quëlles y commetcenc} mais fur le befoïri qu'elles ont de robes, de chapeaux , & d'une chauffute qui les diftingue des viles couturières. C'eft une juftification complette, a laquelle il n'y a rien a répliquer. Les amateurs faveur qu'il y a dans ce fexe charmant un velouré, une fraïcheur qui n'accompagnent gttères qu'un printems de leur age • la Nature donne a leurs appas naiffans un charme divin qui ne dure qu'une faifon , & le rrait célefte fuit & difparoït, comme ces beaux rayons d'un foleil qui paflent en un clin d'ocil. Une gorge de dix-huit ans n'eft plus, hélas ! une gorge de feize ; mais il n'y a que le grand peintre & 1'homme fenfible a Ia beauté, l'étudiant, i'adorant, le rranfmettant fur la toile ou dans fes écrirs, qui diftinguent ces tréfors de vie, de fanté , de jeuneffe. Les miracles gracieux de la Nature muhipliant , fans les épuifer, des formes ravilfanres , föfit perdus pout 1'ceil pefant de la plupart des hommes. Scciété  ( t'3 ) Sociétc Philantropique. C' e s t peut-être la plus refpe&able de routes celles qui exiftent a Paris; c'eft la bienfaifanca éclairée, réduite en pratique journalière. Ce nëft plus une fimple & aride théorie , elle tient ce qu'elle a promis ; c'eft la mère de tous les pauvres,o8 1'a fort bien appellée: k baton du vieillard, l'ceil de Taveugle, le confolateur de la veuve, le père de l'orpheün, le foutien des families nombreufes, le pied du. boiteux & la main de l'eflropie'. Treize a quatorze cenrs individus recoivent des fecours relatifs a leurs befoins. La charité a produit, ce qui eft plus rare que la bienfaifance, 1'ordre & 1'économie févère. Le don nesegare point; il eft appjiqué a Ia fouffrance réelle. Les bienfaiis fe multiplient , & les fecours font réguliers; les confolations tendres ne font pas féparées des aumönes; enfin c'eft un établiffement chrétien dans toute la force du terme. II' a toute la chaleur qu'infpire Ia Tem. XI. H  ( "4 ) religion , Sc le difcernement que di&e la phüofophie ; ce nëft plus un homme qui donne a un autre , Sc donr le regard commande la reconnoiffance , c'eft une fociété qui fait defcendre fes bienfaits; elle pénetre les réduits ou fe releguent 1'infortune Sc la mifère ; elle s'étend par-tout; elle va audevant des befoins ; fes commiifaires ne femblent qu'appliquer les fecours. On ne fauroit trop donner d'éloges a cette Société qui honore l'humanité Sc fait bénir Ia main qui forma le cceur de l'homme. Elle eft compofée de Gx a fept cents membres tous jaloux du bien public. Hélas ! pourquoi faut-il que le nombre des bienfaiteurs du genre humain foit fi petit dans un fi beau royaume? Le Gouvernement doit beaucoup a ces généreux citoyens qui préviennent les crimes de la mifère Sc ceux du défefpoir. Voila ce qui entretient 1'ordre Sc le calme. Avant eux , on avoit oublié , dans Ia foule des pauvres,les octogénaires, les nonagénaires, les aveugles-nés, les femmes en coucheSj les veufs chargés ds familie , les pères Sc raères  ( "5 ) chargés de dix enfans, & les ouvriers eftropiés. Aujourd'hui rous les fecours font donnés a ceux qui fouffrent davantage. Les pauvres n'onc jamais eu d'amis plus tendres & plus vigilans que cette Société Philantropique, digne de tous nas hommages. C'eft la qu'on voit que I'art de faire du bien eft fufceptible'd'une forte de direétion, que 1'aumone doit être réfléchie. Puiflions-nous voir multiplier chaque jour les rejettons de cette fouche bienfaifante ! Puiffent fes heureufes branches couvrir un jour tout le royaume de leur ombre hofpitalière! TJu Rouge. On ne voit qu'a Paris de ces femmes fardéesj qui continuent de mettre encore du rouge par-dela foixante ans , & qui fuivenc toujours le train du monde. Ces femmes fempiternelles fe rencontrent avec leurs vifages féculaires & leurs figures de métempfycofe ; mais on n'eft vieux , felon le langage du H 2  ( Mff ) i-nonde, que lorfque Ton eft feptuagcnaire: on nëft pas réputé vieux a foixante - trois ans. Les épouvantables maïrrefies des garcons bouchers mettent du rouge affifes fur le coin des bomes ; il eft de couleur de fang : la légère courtifane du Palais- Royal met un rouge couleur de rofe. Choifir fon rouge eft une affaire capitale. Les acteurs ufent d'un rougequidoit fymparhifer avec les lampions ; de prés il eft affreux ; c'eft prefque le mafque des anciens. L'ceil y eft accoutumé; la timide Agnès ne joue point fans rouge. Les femmes i la Cour , qui jouent gros jeu , paient le petit pot un louis \ les femmes de qualité, fïx francs; les courtifanes, douze francs; & les bourgeoifes, qui lë mettent d'une manière imperceptible , ne le marchandent pas. Le plus grand fujet de querelle & le plus ordinaire entre la maitreiTe & la femme-dechambre, eft dans le choix du rouge; cetre querelle journalière furpaiïe celle de la coiffure , c'eft tout dire ; fouveat le pot de  ( -'7 ) rouge eft prccipité a terre , paree qu'on a donrré un coup-d'ceil au miroir. On voadroic trouver le printems des premières aunées au fond de ce petit pot, qui n'a point une vertu magique, car elle ne réfide que dans 1'eeil abufé de 1'homme amoureux. Petite Taille. En général, les petits hommes m'ont para plus méchans que les autres ; ils font plus colères , plus taquins , plus miférablement pafllonnés que les hommes qui ont une tadle avantageufe. Les fcélérats que j'ai vu pafter pour aller au fupplice, les aifaflïns perfides , les empoifonneurs, éroient tous de petite taille; j'ai remarqué la même chofe ailleurs qu'en France : les ames cruelles Iogent dans les corps exigus. Les petites femmes font auffi plus méchantes que les grandes ; elles font plus enclines aux pafïïons vicJentes & farouches. Rarement un homme d'une taille H3  ( --8 ) élancée fe trouve être un affaflin; les hommes courts & ramaffés font les moins bons. J'ai vu cent fois un miniftre qui vous ouvroic un cachot, comme on ouvre a table un paté. Sa maitrefle tenoit bureau ouvert de kttres-de-cachet. On payoit comptant , & 1'ordre fatal étoit délivré ; il donnoit les mains a tout le mal qu'on vouloit qu'il fit; il a fait emprifbnner, fans haine & fans colère , des milliers d'honnêtes gens. Eh bien ! ce miniftre , obéiftant avec lacheté a 1'avarice d'autrui, un des plus méprifables &c des plus déteftés, étoit de petite taille. Defrues étoit d'une conftitution petite & grêle. Lorfque le Régent fit rouer le Comte d'tfbrn, fon parent, coupable d'un aflaffinat atroce , on fit une croix de Saint-André expres , paree qu'il étoit de petite taille ; mais le peuple de Paris étoit dans la ferme perfuafion qu'on ne pouvoit pas rouer un grand Seigneur, de forte qu'une harengère difoit a fa camarade : Tu crois que c'eft la. le Comte d'Horn j eh! non, non } c'eft un foldat aux Gardes qui fe fait petit, & qu'on apayé  ( ) pour cela. Voila le bas peuple. Gje traic ma été raconcé dans ma jeunelïe par un témoia auriculaire. Le Viatlque, Jf E rencontre le Viacique: deux pauvres gens du peuple le fuivenc, deux autres portent le baldaquin jadis rouge ; le prêtre hace fa marche ; un bedeau & un porte-fonnette précédent & fautent les ruiffeaux. Je fuis; on s'arrête a la porte d'une allée fale &c ténébreufe; le prêtre enfile un efcalier noir & tortueux, monte dans une efpècede grenier ou font routes les horreurs de 1'indigence. C'eft une vieille femme, rebut de tout ce qui 1'environne , qui eft étendue fur une paillafte a demi pourrie. Dans ce grand abandon, le prêtre foulève fa tète expirante, & lui dit : « Femme, tout le monde vous 3> oublie , & moi je viens vous trouver. ■» Je vous apporte le Souverainde 1'univers , n volte Dieu j il vient vous vifiter: une H4  ( 110 ) » tneilleure vie Vous eft deftinée ; fouffrcz » pour Dieu qui vous éprouve, & qui vous » atcend dans le fein de fa miféricorde ». Cette femme abandonnée ouvre les yeux , pleure de joie., entend autour dëlle des paroles qui la confolent & qui la fortifient: la mifère la détachoit de la vie, la religion achève fans peinede facrifice , elle eft toute a lëfpérance. Le prêtre la bénit, 1'abfout, & lui lailfe quelques fecours temporels après avoir plongé fon ame dans des idéés religieufes. On voit la reconnoiftance, 1'amour, la piété fe peindre dans les yeux mourans de cette femme que les grands ne feroient pas venus vifiter, & que les prêtres environnent d'un doublé fecours. Certes je fus touché je pleurai d'attendriiTement, je refpedai ces fonótions auguftes &c charitables. L'impofant de la religion rempliifoit eet étroit grenier. Je defcendis a la fuite du prêtre par 1'efcalier tortueux oü il continuoit les prières; il tenoit d'une main le Saint des Saints , & de 1'autie une vieille corde qui pouvoit fe rompre ;  (lil) il confervoit la même dignité & le même zèle qu'il auroit pu apporter dans un palais oü toute une valetaille auroit porté torches & flambeaux. Eh! qui ne fentira pas avec moi que le pauvre abandonné regarde comme une faveur précieufe ces vilites de la religion , & qu'elles font utiles & néceftaires a la portion infortunée du peuple, autant qu'elles font facrées par leur but? Le Roi a Paris. Ï->E Louvre eft vide, ne fera jamais achevé, & le Souverain, jë crois , n'y eft jamais demeuré vingt-quatre heures. Quand le Roi vient a Paris, c'eft une commotion générale, un grand concours de peuple ; on fe précipite pour voir fon vifage, comme fi c'étoit le Roi de la Chine. On voit le Roi a Verfailles tant qu'on veut. Eh bien! je foutiens qu'il y a plus de la moitié des Parifiens qui n'ont pas vu le  (I") Roi a Verfailles. Je connois deux vieilles fiiles qui depuis trente - cinq ans médirent de faire le voyage de Verfailles , & qui en font encore au projet , quoiquëlles foient cependanr trés a leur aife; quand je les vois , je leur fais la defcription de Verfailles , comme s'il s'agiffoit de Rome. De combien de grandes vérités un Monarque pourroit s'enrichir en parcourant fes Etats , & en troquant les plaifirs de la grandeur , dont il doit être plus que raftafié, contre cêux de 1'humanité! Eh bien , il y a tant de difficultés dans le dépiacemeut du Monarque (vu qu'il eft le point central) que ce plaifir rare lui eft prefque interdit, fa grandeur 1'attache , lënchaine prefqu'a. fon palais ; iJ lui eft impoflible de voir Sc d'entendre ce que nous entendons, ce que nous voyons tous les jours. Les Invalides , ces foldats mutilés au fervice du Monarque , n'ont été vifités que dernièrement par le Chef des armées Sc Ie bienfaiteur de leur vieillefle. C'eft une jouilfance, fans doute, de voir  ( «3 ), Ie peuple accourir en foule fur les chemins, les remparts des villes s'enflammer & retentir du tonnerre de 1'artillerie, & les efcadres couvrir la mer de pavillons & de feux. Oen eft une plus grande encore de voir la fociété des hommes dans tous fes rapports , de monter tous les gradins & de vifiter tems les échelons de cette curieufe échelle. Certaines connoiiTances pratiques ufuelles , certains détails font donc incroyables & perdus pour les Iumières naturelles , quand le fort ne nous a pas placés dans le cercle inftruétif des infiniment petits. Henri IV eft en quelque forre Ie dernier de nos Rois qui ait habité la Capitale ; depuis lui, nos Monarques sën font éloignés, & ce font les feuls Souverains de 1'Europe qui fe tiennent ainfi a I'écart de leurs fujets ; mais des confidérations politiques d'un trés-grand poids I'exigent ainfi. On oppofera toujours dans fon itnagination la marche du Roi a Paris, a la marcbe du Roi a Londres. Le Roi de France fort de fon  ( »4 ) palais de Verfailles ; une foule de courrifans lëntourent; de la cavalerie environne fon carroffe ; une compagnie de Gardes Suiffes Sc une compagnie de Gardes Francoifes riennent 1'avenue; depufs 1'entrée de cette grande ville, jufqu'au lieu oü va fe rendre Sa Majeftc ., font des gardes en haie, ferrés de chaque cöté , Sc qui preffent derrière eux, tant qu'ils peuvent, le peuple, pour faire une plus grande & plus belle place. On a ordonné cle fermer les boutiques, rous travaux ceifent; la marche s'avancej & les gardes, d la voix de leurs officiers qui accourent a cheval , sëftorcent de prelfer encore ; on étouffe. Le Souverain , dont la voiture marche au milieu du pavé , a 1'aife & bien dégagée , entend les cris de vive le Roi, quand le peuple eft content; des poignées de pieces d'argent tombent fur ces têtes accumnlées, Sc les plus forts fe font jour pour les ramalfer : malheur a ceux qui n'ont pas la force de réfifter i ce rude choc , a ce combat inattendu ; il y a la des dióles qui  ( i*5 ) ©nc des gantelets avec des chaïnettes , Sc qui, frappant, jurant Sc criant vive le Roi, s'arrachent, en vertes déchirées & boueufes , une piece de vingt-quatre fois. Le Roi d'Angleterre paffe dans une chaife a porteur, du palais de la reine au palais SaintJames, ayant trois hommes avec de vieilles piqués, qui le précédent ou le devancent. Perfonne ne s'arrête, perfonne ne le regarde; c'eft le même Roi qui fait fortir, quand il' le veut, cent cinquante vaifleaux de ligne des porrs de la Grande - Bretagne , & qui couvre de Ia puiiïance de fes fujets les Indes Orientales, Sec. Chambre des Communes. Elle efta Tanden café de Procope, vis-a-vis Tancienne Comédie Francoife; on Tappelle ainfi par dérifion , paree que c'eft le lieu oü Ton fronde le plus les opérations de la Cour ; ainfi on parodie le fanéhiaire de la liberté angloife» A Ia Chambre des Communes appartient  ( M< ) fsule le droic de mettre des taxes. Son pouvoir a eet égard eft unique & abfolu ; chaque membre eft libre de potter la parole ainfi qu'il lui plak ; il s'oppofe en face aux miniftres ; li enfin il y a des orateurs dignes des beaux jours du Séiiat Romain. La flamme pure de la liberté y brille, & ne s'éteint point; cinq cents députés élus dans chaqne ville de province par tous les citoyens de chaque endroit , a la pluralité des voix, forment la moitié du Parlement d'Antdeterre; 1'autre moitié eft la Chambre Haute, dans laquelle fiègent les Lords Pairs da royaume. Tout fe décide dans ces deux Chambres a la pluralité des voix , & le Roi n'a aucune autorité pour faire exécuter ce qu'elles rejettent. Notre Chambre des Communes a nous eft au Café de Procope , & la falie voifine s'appelle Ia Chambre Haute. Nous plaifantons fur ces dénominations fi refpedées chez nos voifins , ainfi que nous aviliffons & calomnions fur norre théatre le Prophete de la Mecque , revéré d'une moitié du monde.  ( «7 ) En Angleterre le Roi ne peut pas mal faire'. The King can do no wrong ; c'eft une maxime recue dans la conftitution du gouvernement, anglois: en France, le peuple accufe trop légèrement le Souverain de ce qui sëft fait a fon infcu par fes miniftres , 8c plus d'un Monarque Francois n'auroit-il pas pu dire a fon confident , en parlant de tel miniftre, les deux admirables vers de Corneille: Te le dirai-je , Arafpe? il m'a trop bien fervij Augmentanr mon pouvoir, il me 1'a tout ravi. Langue Angloife. Elle nous étoit fi peu familière, il y a quarante ans, que 1'on ne put trouver perfonne pour donner a. 1'inftant même , dans le cabinet du Roi, 1'explication d'un papier anglois. On demanda dans 1'ceil de bceuf s'il y avoit quelqu'un qui fut 1'anglois: on vit régner un profond filence ; enfin un Moufqwetaire fe préfenta \ il étoit de Calais, 8c  ( ,i8 ) il favoit la langue angloife , a caufe de Ia commodité du voifinage ; il donna la tradu&ion du papier étranger , & le Roi lui fit préfent d'une compagnie de Dragons ; il ©btint en outre une gratification de plus de mille louis d'or. Aujourd'hui, dès qu'il paroït un roman , vingt traducteurs affamés fe jettent fur ce morceau , & cëft a qui le dévorera le premier. Le plus prompt eft toujours le plus habile. II y a des manufacturés en ce genre ; les élèves vetfionnent pour les maitres; cëft, ainfi qu'un tailleur ordonne a fes garcons de retourner rel habit. Quand deux traducteurs ayant en pcche la même verfion , fe rencontrent nez a nez chez le libraire, jugez de leur fuprife ; ils paiiffent dëffroi : 1'adoption de 1'une eft 1'anéantiffement de 1'autre. La lecture des papiers anglois eft donc auffi commune a Paris, qu'elle étoit rare il y a quarante-cinq ans. Ceci doit avoir influé fur les idees nationales ; auffi la litrcrarure, quoique circonferire par le geut étroit & timide  (»*?) ftiide des Académiciens ], a -1-elle ptis une teinte angloife. Plufieurs ouvrages politiques qui onr paffe en notre langue, nous onc éclairés fur le droic naturel, civil & politique , prefqu'oublié chez les écrivains du fiècle de Louis XIV , qui rous, fans exception , igno roient Ia langue angloife. Enfin cette langue répubiicaine nëft pas étrangère au Souverain qui nous gouverne , & tant mieux pour nous, chers concitoyens! Defcends du haut des oieux , augufte vérité , Répands fur nos écrits ta force & ta clarté; Que l'oreille de» Rois s'accoutume a t'emendre. II y a auffi des rradudteurs allemands, mais qui, fachant mal la langue qu'ils traduifent, font peu verfés dans la langue francoife ; on les appelle manoeuvres. Un M. Bonneville avoue qu'il a été manceurre, mais il en gémit, comme d'un outrage du fort. Pourquoi cela ? il faut bien être manoeuvre , quand on nëft pas né architefte. Ür, pour un traducleur noble, précis, énergique,élégant, comme Le Tourneur, comme Tom. XI. I  ( 150 ) Rlccoboni, il y a vingt Bonneviile dénaturam les plus beaux modèles a tant la feuille. Les auteuts allemands fe ptaignent d'être défigurés par ces écrivailleurs qui joignent a un pauvre ftyle le ridicule de vouloir encore les juger. Ces auteurs difent qu'il vaudroit mieux pour eux ëtre abfolument inconnus en France , que de palfer fous les mains pefantes & fans rad de ces manoeuvres. Je donne a leurs plaintes légitimes la publieke qu'elles méritent, afin que 1'écorcheur s'éloigne avec fon couteau de ces courfiers fouples & fiers , pleins de graces, de majefté & de vie. Une jolie femme, quand elle a appris l'anglois , fait une tradudionnette : cela ne lui impofe pas le titre d'auteur ; cëft un atour de plus qu'elle promène avec grace , & par la elle échappe aux rigueurs de la critique qui frappe les femmes d'un efprit völumineux. Cëft la belle & énergique rraducdion de Shakefpéar, par M. Le Tourneur, qui a fait pafier fur notre fcène plufieurs pièces du théatre anglois. Les auteurs qui ont oublié  de prononcer fon nom , en mettant a profit fatraduction', doivenr, je crois, a fa mémoire une pleine reconnoiifance; Indifpofition d'une Actrice. C'est le feeree de la Comédie ; cëft 1'arc de fufpendre une pièce dont 1'aureur déplaït ; cëft le palliatif d'un manquement envers Ie Public; cëft la petire vengeance contre une rivale ; cëft lëxcufe de Ia négligence , de Ia parelfe , de 1'atnour - propre ; enfin, que fais-je? cëft la réponfe d tour. Une actrice indifpofée ! Corneille ne peut plus écrire j les Princes Ruffes & Allemands sën iront fans avoir vu jouer telle pièce qu'ils attendent en vain. Une actrice indifpofée ! dans tous les foupets on en pariera. Eh ! ne la voyez-vous pas d'ici sëntendant avec deux médecins dont les voitures vifitent fa porte régulièrement deux fois par jour, répandant dans tout Ie quartier le fumier, fangeux- matelas des pavés ? Et elle ne feroit I i  ( '31 ) pas malade ? O incréduies ! La médifance ofera dire que Pactrice échappée par une porte fecretce , eft a la campagne , oü elle fe divertit ; mais il feroit bien étonnanc que celle qui joue la Comédie, n'imagmat point une petite Comédie pour tromper ou pour appaifer le pubüc irrité. Teut le monde entend 1'idiöme de Paffiche •, car pourroit-on y mettre en groflès lettres : Mademoifelle *** a le vifage égratïgné , la joue enflée d'un coup-de-poïng arnoureux & jaloux. Mademoifelle *** a recu un coup de-pied de Vénus 3 bc? Mais , lorfque l'adrice eft jolie , ou qu'elle a du talent y le public feint de croire a cette indifpofition , 8c demande de fes nourelles a grands cris , ce qui devient facétieux. Les gravés médecins entrent dans ce ftratagême , paree qu'ils font payês, 8c pour le coup ils guériifenr a-coup-sur. Cetre farce dure fix femaines, deux mois ; alors Paélrice reparoït; elle fe ferr d'un fard particulier , qui imite la paleur maladive & la première teinte de la convaiefesnee.  (P JJ ) Ce même Public qui avoit envoyé l'aétrice a la Salpétrière \ qui lui auroit crié , a ge* noux, le lendemain de fon crime de lèzemajefté parterrienne , 1'accueille avec tranfport , & la reconnoifTant doublement comédienne , lui pardonne fes impertinences en faveur de fa rufe öc de fes révérences fimulées. Les auteurs fufpendus ont beau crier qu'on a outragé 1'art &c eux-mêmes , ils ne font plus écoutésj 1'aófcrice lëmporte, & tous les élèves en médecine répètent : Nous avons vu les voitures des médecins a fa porte \ puis tous les Efculapes fubalternes triomphent de la guérifon imaginaire. Mais 1'indifpofition de Pactrice devient forcée, lorfqu'il lui faut payer le tribut des plaifirs que la Nature vend a fon fexe , certes avec ufure ; car lënfant arrondit les flancs deMelpomène & de Thalie, comme ceux des fervantesj & point d'actrice alors quiofat fe montrer décidémentgrolfe , même en /ouant les róles d'Idamé & d'Eugénie. L'indifpofition de 1'actrice devient encore forcée, I 3  C '34 ) gaand Ia déeiïe a rencontré dans le monde un Diomède : celui-ci frappa Vénus; fi Vénus eai été actrice , elle auroit fait mettre fur 1'aiBche qu'elle étoit indifpofée. Eh ! comment révéler la brutalité d'un Diomède ? il faut cacher eet attentat cpouvantable; 1'imagination ne doit pas même Ie foupepnner. Commenr montrer au public un vifage que 1'ongle a filioimé ? un bras calfé révolteroit moins : de pareils forfaits ne fe révèlent pas; on les cache, dis-je, & la Faculté elle-même ne croit point déroger en voilant un pareil fcandale. Pièce retardée par Vindifpqfition d'une actrice eft donc une annonce qui fignifie mille chofes , caprice , relfentiment, orgueil, & tantes les bleifures de 1'Amour furieux ou malin. Si 1'altière Clairon, au lieu de refufer de jouer avecle camarade Dubois, paree qu'il n'avoit pas payé fon chirurgien , eiit feint un cvanouifiement fubit, une indifpofuion, elle feroit reftée au théatre; elle n'auroit pas perdu fon talent, qui plus qu'a moitié fadice,  ( '35 ) devoic s'évanouir, comme s'évanouit le talent de la danfe par le non-exercice ; le Journal de Paris ne feroit pas venu , vingt années après 1'irrévérence de la Tragédienne, nous transformer cette retraite en facrifice héroïqtre , Sc comparer, pour ainfi dire , cette abdication théatrale a celle de Chrift'ine Sc de Charles-Quint. Tel autre comédien trouve que cenëfl: pas aflez de palper trente-quat»e mille francs par an , au rifque d'êrre fifflé quand il joue mal y il veut être toujours applaudi ; il abdique , mais il promenera fa déclamation en province, Sc il aura l'air d'un grand homme perfécuté ; il gagnera le doublé, Sc il paroïtra fier de n'avoir pas voulu pour juges les gens de gout de la Capitale. u  ( U'S ) L'Auteur! I'Auteur! L Anglais eft toujours éconné, & avec raifon, de voir nos falies de fpectacles environnées au dehors Sc au dedans de foldats armés. On rencontre des fufils dans le même lieu oü Molière nous fait rire, oü Corneille élève notre ame, & les fentinelies enchainent la voix Sc captivent tous les mouvemens de 1'auditeur ; mais quand le parterre crie après 1'Auteur de la pièce , on le lailfe remplir la falie de fes cris inarticulés & fauvages. Le parterre , au lieu de n'être que févère, eft devenu rrès-incivil a lëgarddes Auteurs. Un Auteur ne lui donne que fon otivrage a juger, fans lui donner le droit de remonter jufqu'a fa perfonne. Souvent a la fin de la pièce , comme pour ajouter une nouvelle fcène a celle qu'il vient de voir repréfenter, il demande a grands cris tAuteur, Sc avec lopiniarreré la plus frénétique ; les cris qu'il  ( «37 ) élève portent lëmpieinte d'un cara&ère brutal, malhonnêtej qui exige indécemment ce qu'on a droit de lui refufer ; il redouble fes clameurs jufqu'a ce qu'on lui amène la victime fur le bord dn thcatre, & fes applaudiffemens ne font plus alors que des outrages. Je ne fais comment il y a des Auteurs qui fe refpectent afTez peu eux-mêmes pour obéir aux clameurs impératives d'un parterre en délire. Comment le Public ne fent-il pas lui-même que tout Auteur a le droit de fe refufer a. fa folie turbulence , paree qu'il ne peut exifter aucun rapport entre fon ouvrage & fa perfonne ? Ce font fes vers ou fa profe qu'il faut juger , & non fa phyfionomie , fon habillement & fon maintien. On a fini par demander le Sieur Monvel, qui a paru : oh ! cëft lui qui doit clorre eet ufage, après que 1'ouverture en a été faite par 1'Auteur de Mérope. Que ce même parterre, après avoir expulfé un acteur nommé La Rive , faffe un calembourg en applaudilfant avec un tranfport fa-  ( i3« ) cétieux a eet hémiftiche du récit d'Iphigénie en Aulide : La rive au loin gémit ..••(*) On fent que le parterre a befoin de s'aHiufer pour regagner au théatre une voix fans contrainte qu'il a perdue ailleurs. Mais s'il veut exercerune pareille licence envers les Auteurs j ceux-ci feront bien de ne plus produire aucun ouvrage fur la fcène francoife. ( * ) Ou plutót mugit ; car c'eft 1'Atteur qui a Jonné a la fcène francoife les plus épouvantables raugilTemens.  ( 139 ) Café de la rue des Boucherïes. J E vous en avertis, mes chers Le&eurs; fi vous aimez le fpe&acle , gardez-vous bien , avant qu'il commencé 3 d'aller voir ce qui fe paffe derrière la toile du théatre. Cëft une efpèce de caverne fombre, ou des fpectres de toutes couleurs &c de routes figures errent pële-mêle dans une confufion qui laifië a peine le temps dè les obferver. Cëft la qu'on voit une foule bigarrée d'aóteurs & d'adrices de tout age , dont les uns , a moitié habillés, endoffent a la bate les vètemens les plus fuperbes, offrant encore aux yeux une chauffure délabrée que le cothurne héroïque va remplacer; & d'autres, en grimacant, sëfforcent de fe rappeller, i la lumière d'un bout de chandelle attaché a une couliffe , les paroles d'un röle que leur mémoire rebelle a d'autant plus de peine a retenir , qu'ils en comprennent moins le fens. Ceuxci, leftes & bruyans, exercent en cadence,  ( 14° ) devant un refte de miroir, leurs pas , leurs geftes , & tous les mouvemens d'un corps qui faute , tombe , fe relèye , s'élance & voltige. A cöté , la reine de Carthage eft affife dans un fauteuil déchiré , & n'a pour la fervir , qu'un petit mularre a demi bafané, qui la regarde & rit. Augufte remet fon rouge , & brille fa couronne de laurier faótice a la mêche puante d'un lampion. Orofmane, en p!a$ant a fa ceinture le fer qui doit poignarder la belle & vertueufe Zaïre , s'égaie avec elle , & répète comiquement la cataftrophe. Le tutoiement le plus familier & les apoftrophes les moins décentes précédent 1'idiome divin des Corneille & des Racine. Mais rien n'égale au monde ce qui fe paffe a Paris, pendant la quinzaine de Paques, dans un petit Café fïtué rue des Boucheries. Figurez-vous tous les directeurs des théatres de province accourant a une efpèce de marché public , pour compofer leurs troupes, & tous ceux quifoulentlefapin d'un pas majeftueux, accourant auffi de leur córé par troupeaux, pour fe vendre & s'engager. On marchande  { ) la reine étique , 1'amoureufe minaudière, Ie père noble , qui fe croit tel paree qu'il a Ie front dégami, la voix caffée & les mains tremblantes ; le valee impudent, qui a 1a phyfionomie de fes röles ; 1'humble confident prefque toujours auffi mauvais qu'inutile a la pièce ; le petit-maïtre} qui vieillit croyant bien toujours poffeder le feu & les graces du premier age. Cëft un mélange confus d'adteurs Sc d'actrices qui fe reconnoiffent, qui rivalifenten luxure , qui fe croient tous fupérieurs les uns aux autres , & qui le font en effet dans leur déteftable jeu. Mais la médiocrité prend le ton important, sënfle , fe pavane , étale 1'orgueil & la bêtife du paon au milieu d'une baffe-cour , & raconte a tous les oiforcs qui lëntourent les applaudiffemens qu'on lui a prodigués a lëxrrémité du royaume , ou la langue francoife eft a peine connue. On enróle une impératrice a cent quarante livres par mois, &c le confident foupiie de nën avoirque foixante-quinze, &c dëcrefan fouffleur par deffus le marché.  ( 14* ) Enfin , Ia font rafiemblés en ras tous ceux qui doivent eftropier , fur les trétaux du royaume , la langue, les pièces, le bon tont Ie bon feus , & nën être pas moins applaudis avec fureur. Les reconnoiffances des amis qui s'embrafient avec un tranfport auffi faux que celui qu'ils ont coutume d'avoir fur les planches ; le courroux des ennemis auffi réel que leur jaloufie fecrère ; les beaux garcons tout fiers de leur figure, & que lorgnent les vieilles adrices defféchées; les fourdes imprécations contre les diredeurs qui paient mal , & contre le Public qui les paie comptant en huées t tout cela forme un fpedacle plus neuf . plus varié & plus réjouifiant que celui qu'ils pourroient donner. L'un, qui arrivé du nordpar la meflageriej, va partk peur le midi par le coche; & celui qui arrivé de Marfeille , va romber k Strafbourg. Le hafard les place 8c les déplace ; ils ne favent s'ils hurieront en Gafcogne ou en Normandie ; ils forment des engagemens qu'ils eaftent deux heures après par caprice  ( *43 ) ou par néceffitc; ils fe furfonr ; ils fe rabailfenc, comme une volaille qu'on vend au marché j ils jurent, fe louent & s'injurienc tour-a-tour. Le Café déborde de ces nobles inftrumens de 1'art dramatique. Ils font preffés en groupe jufque dans les ruiffeaux de la rue. L'un a uu refte d'habit théatral qui contrafte avec fa chauffure reffemelée ; fa vefte eft magninque & fa culotte rapetalfée. Si on leur demandoitou ils vont j ils pourroient répondre comme Efope : Je n'en fais rien. Les directeurs fe promenent marchandant les acteurs au milieu de cette fingulière foiro, auffi curieufe que celles ou 1'on voit des animaux de toiue efpèce. Les directeurs flattent celui qu'ils veulent avoir a bas prix ; ils parient fur-tout de faire des avances. La mauvaife actrice paffe avec 1'adteur engagé , paree que celui-ci eft fon amant; elle dévifageroit le directeur, s'il parloit de féparation. Voila donc ces comédiens qui , la tète meublée de quinze ou vingt róles, font trés-  ( *44 ) perfuadés n'avoir plus rien a apprendre fur 1'arc, & en parient avec une audace qui feroit croire qu'iis en connoiiïent les principes les plus fimples. Quand les premières troupeS pour la province font formées, il en refte la lie : hé bien ! mes amis j cette lie va fe répandre fur des treteaux ambulans, deftinés a amufet la canaille, comme M. Dejlin Sc mademoifelle La Caveme, que Scaron, dans le feul de fes ouvrages qui ne fait pas déreftable, a fi bien célébrés. II n'y a point de pafiions qui ne fe montrent & ne fe cachent tour-a-tour fur les vifages de ce peuple comédien - qui connoit toute* les villes de 1'Europe, & qui en rapporte quelquefois tous les vices. Les voila donc examinés , marchandés Sc choifis j ces hommes qui, fur les théatres de province, doivent peindre nos palfions , pour nous en corriger par les douces émorions de Ia pitié , ou par les traits pénétrans du ridicule. Si, parmi cette tourbe il fe glifle par hafard , ou par curiofité , un des grands acteurs de la CapitaJe , il fourit avec le dédai» 4k  ( '45 ) dédain le plus froid. Le ticre de comédien du Roi faic qu'il fe regarde d'une efpèce différente. Un Evêque ne regarde pas avec plus de hauteur un malheureux Sacriftain de paroifTe. Quant aux chanteufes, obfervez qu'elles deviennent plus fières en raifon de leur rareté; elles font hors de prix. L'arietteufe lëmporte fur Melpomènc & Thalie. Communement elle eft plus jeune, mieux parée & moins übertine ., malgré le grand nombre de fes adorateurs. Une liberté effrénée confole le comédien de tous les défagrémens & même de tous les affionts attachés a fon métier. Cëft de qui le lend infenfible aux fifflets ; il fe venge par 1'indifcipline & par 1'audace, de lëmpire defpotique que le public a le droit dëxercer fur lui. Voila cependant les organes des auteurs dont la nation fe glorifie ; voila les interprètes refpeétables du génie; voila les hommes chargés par état de propager la gloire des maitres de la fcène. Tous ces hiftrions vont Tom. XI. K  ( M« ) forcir de ce Café pour aller repréfenter dans toutes les villes ces chefs-d'ceuvres immoreels qu'ils regardent comme leur appartenanr en propre , puifqu'ils en font leur nourriture journalière ; mais ce font d'ingrats nourriffons: les avides directeurs mutilent les pièces nouvelles pour les ployer a leur mauvais gout, Sc n'onc aucune reconnoiffance pour leurs nourriciers. Des femmes font directrices de fpectacles: comment un pareil métier leur va-t-il ? Je nën fais rien. La demoifelle Monranfier a un département comique qui voyage par le royaume ; elle a des adjudans ; elle règne k Caen, a Rouen ; Sc cëft un privilége , car tout en France, jufqu'a nos plailirs, eftfoumis a des privileges. La province fera enr.uyée , paree que telle directrice fera avare: il faut que le public de province fouffre de fes caprices lointains; Cmgulier trafic que de gagner fa vie fur les mines, contorfions & gefticulations d'autrui! Toute pièce eft bonne pour un directeur de fpectacle, quand elle ne lui coüte rien ; elle  ( 147 ) commencé a devenir mauvaife , lorfqu'ü s'agit d'une convention pécuniaire, füt-eüe extrèmemenc modique. Louis d'or. e s louis d'or fonc rares a certaines époques : les joueurs en ont befoin , les voyageurs les recherchent, les théfaurifeurs les convoitent; on paie pour le change jufqu'a cinq fois, & quelquefois davanrage. Qui faic ce métier ? Le péager du Pcviic rouge, qui ne recoic que des liards. A forcc de recevoir de ces liards, fa recette eft compofée de louis; il les achète a tout venanc deux fois , & les revend cinq. Nëft-il pas plaifanr de trouver, chez un manieur éternel de liards, cinq cent ou mille louis d'or, quand on eu a befoin ? Les louis d'or neufs ds 1786, ne fonr pas aufïi eftimés que les anciens. Les nouveaux louis d'or expriment mal la phyfionomie de Louis XVI. Si les portraits ne doivent pas défigurer v.n fimple K 2  (' '48 ) perfomiage , encore moins doivent-ils manquer le Souverain d'une grande & puiflante Nation ; cette négligence nëft pas pardonnable. La phyfionomie du Roi eft calomniée tant fur les louis d'or que fur les écus de fix livres, ce qui a droit d'étonner ceux qui penfent que cela nëft pas indifférent. Les biilets de caifTe dëfcompte ont rendu moins néceffaires les louis d'or ; mais la frénéfie du jeu sëft accrue par la faciliré qu'offte le papier : il dcguife la fureur inCenfée des joueurs; ils fe livrent a de plus grands excès, quand , au lieu du métal jaune qui frappe la vue Sc 1'imagina'tion, ils n'appercpirent plus cue des biilets noirs. Que peuvent les loix contre Ie délire de la cupidité? 11 eft des déiits qui fe puniffent dëux-mêmes. Le jeu eft maudit par fes premiers adorateurs , Sc les loix les plus fages deviennent impuiffantes , quand il s'agit d'attaquer 1'homme dans la citadelle obfcure cu il fe retranche pour opérer fa ruinc avec des formalités particulières & refpeclées : ce lont des loix nouvelles Sc fasrées qu'il oppofe  ( 149 ) a des loix antiques qui n'ont plus de prifc fur lui. Induftrie particuliere. Quels que foient des mortels l'eiïènce ou 1'origine, Si-tót que midi fonne il faat que chacun dlne. Se nourrir fans rien débourfer , & avoir encore un penfionnaire payanr, voila un trait d'induftrie rare & dont, je crois, on n'avoit pas encore ouï parler. ii faut , pour accomplir ce chef-d'ceuvre d'écohomie & d'adrelfe , fe loger au fauxbourg Saint-Germain ou au fauxbourg Saint-Honoré, a cöté de ces grands hotels ou il y a toujours des repas chaque jour de la femaine. On achète d'abord une boite de fer blanc qui puilfe contenir quatre plats ; on fe munit d'un cominiffionnaire. Quand cela eft fait, ons'attacha au cuifinier d'une grande maifon; on fait prix avec lui pour avoir la defferte: ordinairement cela coüte viugt-fept francs par mois. Un de ces hpmmes induftrieux ayant acK 5  ( 1,5° ) compli routes ces conditions, prit chez lui un penfionnaire qui lui donnoir trente-fix livres par mois. A quatre heures & demi, il envoyoit la boite de fer-blanc & le commiflionnaire j óc les marmitons dépofoient dans fa boïte de fer-blanc les reftes de l'opulente table, la pluparr encore intacts ou légèrement attaqués. Gardant bien fon feCt'èc, il émerveilloit fon hóte par 1'abonrluiuce des mets , car il y a des jours ou elle règne, fur-tout dans 1'été, que les viandes fe gatent plus facilement , & qu'on sën débarrafie avec plus de largefiè. Allez de Pekin jufqu'a Rome, trouverezvous fur aucun point de la rerre une penfion de cette efpèce? J'ai cependantconnu 1'homme qui avoit pour vingt-fept francs par mois la cuifine de madame la comtefle de Brionne a fa difpofition. II nourrilfoit Ie provincial reconnoiffant ; il ne lui en coütoit rien, &: il gagnoit encore fur le ventre qu'il nourrilloit, après avoir rempli le fien. Voulez-vous une autre induftrie ppur être touj,outs bien traité dans les auberges ? La  ( »f' ) voici. Les dïneurs errans s'informent de tous les nouveaux aubergiftes qui ont appendu une enfeigne neuve; ia , pendant un mois , on eft trés bien fervi , le linge eft propre , les domeftiques font attentifs j 1'hóce eft poli , & les mets font bien apprêtés; mais le zèlc & la vigilance n'ont qu'un terme ; au bout d'un mois tout change, 1'ordre tombe, la malpropreté & la négligence remplacent les foins & les égards ; nos dïneurs, les quatre femaines révolues, vonr chercher un nouvel établifTement, & ils entrent chez tout aubergifte dont ia porte e(t récemment peinte en bleu avec des patés, des poulardes, des lapereaux lardés & des fruits en camaïeu. La peinture de cette porte , plus vive & plus éclatante, les avettit qu'il s'agit d'un débutant. Munis du vrai fecrer pour être bien rraités , ils alTiftent a tous les débuts d'auberse ; la table fe foutient trente ou quarante jours, après quoi elle décline & tombe infenliblement dans le pire. Vous voila. bienavertis, mes chers Lecteurs , & il ne tient qu'a vous, en circulant K4  ('5'-} comme font nos dïneurs qui ne foupentpoinr, dëtrebien traités pendant unmoisdans chaque nouvelle auberge; or vous en aarezsürement a choifir plus de douze dans 1'année. Les auberges de-la rue des Boucheries fc fouttennent toujours a un prix modique ; on efta-peu-près lefté pour trente - fix- fois; d'ailleurs 1'atmofphère de ces falies d'auberges eft tellement chargée de corpufcules alimentaires , que gober l'air de ces Iieux eft un plat de furérogation. Vous avez enfuite 1'avantage deconnoïtre en deux on trois jours Paccent des différenres provinces de laFrance, gafcons , provencaux , limóufins , francs-corntois , normands , picards, Sec. , vous pouvez cbnnoïtre les inflexions de leur idiome; cëft enfin la perfection du charivari, que le tumulte confus de ces langues , mêlé aux cris des marmitons Si aux glapiffemens des fervantes. Les fortnnes médiocres , les célibataires } les vieux garcons, les étrangers , ont recours a ces auberges, paree qu'il eft rrèsdifpendieux d'avoir un ordinaire chez foi ,  f '55 ) d moins qu'on ne fe borne éternellement a la föupe & au bouilli, ce qui ne donne pas a lëftomac des fucs nombreux & fuflifans: la halle eft dégarnie dès Ie matin , Sc le Parifien a un fléau journaliera combattredans le redoutable corps des maitres-d'hotel; eëft une véritable tyrannie exercée par les riches. Le mairre-d'hórel fait fa ronde , met la main fur les denrées , repafle Sc jette dans une hotte profonde les plus beabx morceaux ; ils font encore étalés, mais ils font vendus; vous nën aurez pas un fragment; il n'y a plus rien pour le commun des hommes, pour les petits ménages: vos yeux verront I'abondance , & votre eftomac foüffrira de la difette. II en coüte peu aux riches d'affamer ainfi la multitude : les maitres-d'hótel prennent en gros & fe reverfent enfuite entre eux ; cëft un accaparement joutnalier. Les maitres-d'hórel font ainfi la loi aux autres acheteurs, aux cuiliniers en fous-ordre ; ils les forcent a payer plus cher , paree que peu leur importe a eux le prix des denrées : les maitres trompés n'y regardent pas de fi prés , Sc Ie pauvre  ( M4 ) qui n'a que le fretin, paie encore le dinc du riche. Aulfi n'y a-t-il pas de pays ou Ia nourrirure foir plus mauvaife pour le petit peuple. Dans les penfions , dans les féminaires , les jeunes gens crient la faim toute 1'année ; une économie fcvère appauvrit la table de l'adolefcence & de la jeunefle dans 1 age oü le befoin de manger eftun befoin impérieux, paree que les denrées font d'un prix exceflif j & que le traiteur gradué des écoliers &C des féminanftes sëmbarraiïe peu que leur tempérament sëxténue, pourvu que fa bourfe fe remplilfe : il voudroit, a la lettre, les nourrir de thêmes, thefes, verfions & exereices militaires. Ainfi les rigueurs du fifc ont leurs dangers , &z portent leurs coups terribles & delféchans jufques dans les tendres racines de 1'arbre vivant de la fociété humaine. Voulez-vous diner chez un reftaurateur ? la chertc vous en dégoütera bientót : les fortunes médiocres ne fauroient atteindre a ces tables, qui d'ailleurs ne reflaurent point,  ( M5 ) malgré leurs magnifiques promeffes. On a comparé les tables des reftaurateurs au rcfedoire des Capucins ; il n'y a point de uapes ; on n'y parle pas ; on en fort avec appétif, quand on a dépenfé fix livres, on n'a point encore fatisfait fa faim , tant les plats y font exigus. Vous avez beau étudier la lifte des mets , ce ne font que des échantillons qu'on vous apporte : on diroit qu'il fuffit d'entrer chez le reftaurateur pour être pleinement reftauré , & que l'air qu'on y refpire , la fumée des mets & la ledure de Ia pancarte doivent fatisfaire les eftomacs. Si 1'on n'étudioit pas attentivement cette pancarte en calculant tout bas , & que l'on appellat étourdiment les plats qu'elle offre , il fe trouveroit qu'on auroit pu dépenfec vingt-quatre livres fans avoir trop mangc; il faut donc calculer avant que de porter a fa bouche , &c refréner fon apppétit, li l'on n'a point de 1'or en poche. Comment, après tant de bons livres fur 1'agriculture öc fur les reprodudions de laterre, encoüte-t il,pourvivre,  (1*6) trois fois plus crier qu'il nën coütoit il y a quarante ans? Ingratitude publiqut. C E peuple qui , dans la nuit , a travers routes les intempéries des faifons , parmi le froid, le verglas, 1'obfcurité, apporte a Paris les denrées nécefTaires , qui arrivé, dis-je , de fept a huit lieues pour verfer a la halle fes préfens nourriciers , comment eft-il accueilli ? Pas une banne , pas une rente pour le recevoir , pas un auvent pour le protéger ; il ne rencontre dans la ville qu'il vient alimenter, que lëau des gouttières , 1'humide du pavé , & le ciel pour toit; quelquefois fes denrées font emportées dans les ruiiïeaux fangeux. Nos fages aïeux avoient reflreint les halles dans un feul quartier , & la raifon adopte ce projet. On les a féparées a de trop grandes diftances. Lepourvcyeur , après avoir acheté des légumes, ira-t-il coutir au  ( 157 ) loin pour avoir ici du poiflon , &" ü du beurre ? Les halles doivent être raftemblées pour la commodicé publique : eh bien ! ce fera un quartier livré au bruit Sc au tumulte; les autres en feront exempts : d'ailleurs étant placées au ceutre de la ville , aucun quartier n'a droit de fe plaindre. 11 y aura les marchés particuliers , d'accord ; mais éloigner 1'une de 1'autre les halles pourvues des, différens comeftibles qui doivent fe réunir fur la table , divifer. leur fraternité , cëft impofer fur le temps du peuple, cëft occafionner une plus grande confufion dans les rues adjacentes qu'il faudra que les pourvoyeurs parcourent avec des hottes & de petites charrettes , qui, fans fe déplacer, fe feroient remplies avec une plus grande économie de peines Sc de temps. Les poiffardes en favoient donc plus que les gens en places , quand elles crièreat a tue-tête qu'il falloit réunir les halles dans un feul & même endroit, Sc que tout autre projet étoit extravagant On ne les a pas  ( M3 ) écoutéesj, paree que c'étoient des poidardes qui parloienr. Mais il faut confulter chacun fur fon pallier •, 1'affernblée des harengères Sc les notables dëntre elles auroient repréfenté que le bon fens de nos aïeux ne devsit pas être mis en oubli fi légèrement, & que^ comme il faut avoir tout fous fa main pour faire une bonne cuifine , de même , pour faire un bon repas , il ne faut pas perdre trois heines a aller chercher en fix endroits ce qu'on peut rencontrer en un feul. Coffre-fort vivant. Tel pendu en effigie en 1749 pour monopole du bied , ayant accaparé les fucres dans la guerre de 1756 } trente fois milUonnaire j batit une chapelle , fait quelques ceuvres pies , Sc l'on oublie , Sc l'on pardonne a fes exactions paffces, tant 1'or eft abfoluteur ! 11 étoit fi riche, qu'on s'intérefioit publiquement a fa conferva auquel ils croient fucceder : non-feulement il nëft point prophéte dans fon pays, mais il eft moins ac-  (tê9) cueilli qu'un provencal., qu'un Ianguedocien; paree que ceux-ci ont toujours un peu de ce babil &c de cette loquacité qui reflemble a de 1'éloquence. Le bourgeois parifien s'amufe du fpectacle ; mais Iorfqu'il a payé , il croit être quitte envers tout Je monde. J'attefte que jën ai entendu un, qu'en ftyle populaire on appelle un bon bourgeois, qui louoit i outre - meiure les comédiens du théatre francpis, en ce qu'il s'imaginoit que ces acteurs produifoient de leur fond tout ce qu'ils déclamoient en public. Ce fut moi qui lui appris qu'il y avoit des auteurs donts ils répétoientdemémoire les phrafes & les idéés. II avoit cru bonnement que Moléimaginoir fon róie, & que Préville étoit un Molière. Que de livres ! que de bibliothèques, dira t-on : Eh bien ! les trois quarts de la ville ne lifgnt jamais, ne lifent rien. Le petit peuple répète de tous cötés que celui qui obtiendra le quine k la loterie royale, mangera'a la rable du Roi, & obtiendra le titre de Marquis du Quine, En  ( 17° ) effet, cette chance feroit encore plus rare que d'être Roi de France. Parmi vingt-cinq millions d'individus, il y a néceflairement un Rot, & il n'y a qu'un quine fur prés de quarante-quatre millions de chances. Donc il eft plus extraordinaire d'avoir un quine y que dëtre Roi de France. Cette chance rendroit a Paris un homme beaucoup plus célèbre que tous les Gens de Lettres a la fois; on environneroit fa maifon ; on s'arrêteroit dans les rues pour le voir paffer ; on le fuivroir dans les promenades ; la Halle en corps lui décerneroit des honneurs. Un homme, dans le faubourg S. Jacques, avoit cent treize ans; on vous auroit enfeigné fa demeure de tous les coins de Paris: vainement auriez-vous demandé celle de J. J. RoufTeau. Ce qu'on appelle réputation n'exifte donc point réellement a Paris, puifqu'il y en a de tant de fortes, & que celle d'un quartier eft véritablement 1'oppofé d'un autre. ^ L'Homme - de - Lettres de province rencontre a. Paris i'égaUlé qui n'exifte point parmi  ( '7* ) les hommes de fa petite ville : on oublie ici fon origine; il fera rils d'un cabaietier , il fe dira comte ; on ne lui conteftera rien. S'il eft modefte , il n'aura lieu que de s'applaudir du ton général ; devenu honncre , 1'accent de fa province lui eft pardonné avec les fredaines de fa jeuneffe ; il entre dans un monde oü le commerce de la fociété eft facile ; on nëft plus cérémonieux, & l'on nën eft pas moins poli. On met encore en province une grande importance a la manière dont on marche , dont on s'affied, dont on fe mouche ; on a banni de la fociété patifienne tous ces ufages ridicules , on fe défentrave chaque jour de cette étiquette gênante ; & cëft aux grands efprirs de la Capitale que l'on doit 1'arfranchifTement de ces puérilités ; la politeffe de 1'ame eft préférée a celle des manières. On rolère enfin dans 1'Homme-de-Lettres de province le ton du terroir: fi l'on en rit, cëft touc bas ; on cherche a fiiire valoir fon peu d'originalité, & s'il donne quelque ouvrage j comme tous les gens de fon pays fe croient  ( 17* ) obügés en confience de s'écrier que cëft une merveille , on répétera que eëft une merveille , par pure civitité. L'auteur parinën eft feul, en comparaifon; il nëft pas efcorté des clameurs de tous les habitans d'une province. La Diane d'Allegrain. O N la voit a Lucienne; cëft le chef-d'ceuvre de Ia fculprure moderne. Le fculpteur, pour achever cette ftatue pleine de vie , a fait romber les vêtemens de fept a huit cents femmes toutes plus belles les unes que les autres. II nën étoit pas moins dévot, ni peut-être moins chafte , mais il n'auroit pu travailler fa ftatue qua Paris , car ou trouver ailleurs huit cents beautés afftz complaifantes pour dévoiler leurs plus fectets appas pour fïx livres par féance ? Etrange privilege des peintres & des fculpteurs,qui modèlent les chaftes attraits des yierges, ornemens de nos temples ■ fur les  ( 173 ) impudiques appas des filles publiques! Quelquefois le peintre irréligieux & malin a confeivé a la faince quelques traits de reffemblance avec la chanteufe de 1'Opéra : les libertins cicenc les vierges des couliftes , que le pinceau profane a fanclifiées. De jeunes filles , quelquefois chaftes Sc modeftes , fervent de modèle : alles font amenées par leur mère dans 1'atelier du peintre; elles découvrent des charmes innocens que le vice n'a jamais profanés. L'indigence les foumet a dévoiler , fous 1'oeil maremel, ce qui ne fera vu que du peintre, car la chafteré couvre de fon voile la fille demi-nue; elle rougit , mais elle nëft pas humiliée : fon innocence fera refpectée; fi. fa pudeur fouffre , l'orgueil la dédommage du facrifice : fes attraits, qui palfent fur la toile , & qui vont être immortalifés , obtiendront des éloges qui commencent déja dan* la bouche de 1'artifte ', elle fent, par inftincl3 que fes compagnes n'auront rien a lui oppofer. Confufe & fatisfaite , elle fe rejette dans les bras de fa mere , comme  ( V4 ) pour fe dérober a un péril qu'il ne fera pas toujours en elle d'éviter , quand 1'amanc remplacera le peintre. La vrale poliiejfe. Xj A vraie polireffe établit 1'aifance : la politeffe qui nëft que bourgeoife établit la gêne. Tout fe compofe dans la fociété morale d'infiniment petits. La politelfe eft 1'art infenlible dënchainer l'amour-propre fous toutes fes faces , Sc dëmbaumer, s'il eft permis de sëxprimer ainfi , la défagréable tranfpiration de ce vice inhérent a 1'homme, L'impoliteffe, proprement dite , naït encore plus de 1'orgueil que de la groflièreté. Que de gens feroient infupportables , fi 1'ufage du monde n'avoit réglé la vie fociale! Ces régies préfidenta la converfation, au jeu, a la table; fans elles, le terrible amour-propre darderoit perpétuellement fes flèches;quoiquëlles foient émoufTées, voyez eet amour-propre contraint comme il s'é-  ( ^75 ) chappe encore ; on l'appergoit, mais paree qu'il eft calme, Sc qu'il ne bleffè pas, 1'amour-propre voifin sën accommode. 11 y a des gens dont 1'amour-propre eft li violent, qu'au premier coup-d'oeil on leur oppofe le bouclier de la politefle ; ce fonc des tigres qui vous déchireroient fans cette égide. Pourquoi paiïe-t-on une groflièreté a un homme qui nëft pas au fait des ufages , ou dont le caraótère eft eftentiellement bon ? cëft que vous fentez qu'il n'a pas voulu vous blefter. Pourquoi la politefte de rel homme eft-elle encore un outrage ? Cëft que vous fentez la vanité, 1'orgueil , le dédain, 1'infolence , tranfpirer fous ce vernis factice. On a donc imaginé les égards , pour repouffer les imperceptibles attaques de la méchanceté & de 1'orgueil. Un homme donc la phyfionomie eft douce, dont le regard eft bon, dont la parole eft fentimentale , peut vous dire des chofes dures fans vous déplaire , Sc vous fouffrirez quelquefois du compliment apprêté de tel homme réputé poli.  ( i7* ) Beaux-Parkurs. Madame du Deffend., aveugle , entrant dans une fociété , écoutoit un de ces BeauxParleurs que l'on cite , &c qui vont répétant dans vingt maifons abfolument Ie mém© thême : Quel eft ce mauvais livre , dit-elle, qu'on lit lei ? C'étoit un M. Rivarol qui parloit. Tel, comme lui, apprend le matin fes converfations du foir, tel sëntend avec une efpèce de compère qui fait venir un fujet dont le bon mot eft tout préparé dans la bouche de 1'autre , tel enfin entendant un trait heureux, fort vite., prend un fiacre , & va le colporter, comme de fon cru, a 1'extrémité de la ville. Le parlage eft en grand honneur chez les hommes médiocres, mais le plus habile eft toujours celui qui a lu les bulletins & qui en a fait un extrait; & vous voyez au bout de trois jours qu'il a de la mémofre , & rien de plus. Les  ( m ) Les hommes qui ont le fentiment profond , n'ont pas le loilir de parler beaucoup; ils fe rccueillenr, ils écoutent , mais peu de gens favent écouter : il y en a un plus grand nombre qui ne favent que précipitec la converfation ; ils ne feront jamais que de très-mauvais contemplatifs. II ne faut point ranger parmi les Beauxparleurs ces hommes doués d'une imagination puiffante, qui s'abandonnenta des récits pleins d'intérêt enfantés fur-le-champ , & qui sëxercent de cette manière a des compolïtions valles & touehantes.Tel étoit 1'Abbé Prévoft; il tenoit fes auditeurs jufqu'a quatre heures du matin fufpendus entre 1'attention & la crainte de 1'interrompre. Ses confrères Bénédiélins oublioient la régie & pleuroient autour de lui.. Tel étoit encore Diderot; Diderot parloit comme les belles pages de 1'Emile ou de 1'Héloïfe , &cependantil ne les a pas faites ; mais je fuis très-certain que quand Roulfeau écrivoit, il avoit toujours préfent a lëfprit 1'homme éloquent & rapide fi éminemment Tom. XI.  ( '78 ) doué da talent d'infpiration, & dont il ccoic impoilible de ne pas tetenir Paccent & de ne pas ptendre un peu la phyfionomie , lorfqu'on s'étoit trouvé a la fource de ce beau hëuve, prefque toujours égal en pureté , en force , en grace & en majefté. Jamais le trait fatyrique ou méchant ne fe mêloit a. cette éloquence qui tiroit toute fa force d'elle-même. Cëtoir Diderot qu'il auroit fallu entendre au Lycée! J'ai fouvent entendu Diderot Sc Rouelle. Qui n'a pas entendu Diderot Sc Rouelle , ne connoit pas 1'empire de 1'élocution ni la force entrainante de lënthoufiafme; il ne fait pas ce qu'un homme obtient fur un autre. De tous les hommes que j'ai entendus dans ma vie , les plus éloquens furent Rouelle Sc Diderot. J'ai écouré Diderot des heures entières , & il parloit pour moi feul. Quand Rouelle parloit, il infpiroir , il foudroyoit; il me fit aimer un art dont je n'avois pas la moindre idéé ; Rouelle m'éclaira , me fubjugua ; cëft lui qui m'a rendu  ( 179 ) partifan de cette fcience qui doit régénérer tous les arts Pun après Pautre, & depuis ce temps la Chimie m'infpire de la vénératión j fans Rouelle , je n'aurois pas feu voir audela du mortier de Papothicaire. Les cent Hommes de-Lettres de V'Encyclopédie. Quel qu'un a dit que les livres étoient autant de monnoies, dont cent nën valoient fouvent pas une , dont une en valoit cent. Cëft bien dit : un génie obfervateur rue le fcientifique de fes contemporains. Ou fe Vend 1'efprit ? dit un fot. Oh! le beau tableau ! dit un autre ; & le peintre répond: Les couleurs fe vendent che^ le marchand 3 ainfi que la palette & les pinceaux. Lourds bibliopoles } vous croyez que cent bibliothèques (uffifent pour faire un livre. Quand je vois vos catalogues j je me rappelle LeCorrège tué fous le fardeau d'une fomme en cuivre qu'il portoit fur fes épaules: le livre du génie eft dans Ia nature , il ne furcharge point les planches. M z  ( is° ) Gommandons des tablettes folides a nos menuifiers, car voici Ie Sieur Pankouke, entrepreneur de 1'Encyclopédie Méthodique , qui nous parle , dans un profpe&us du 14 mai 1787, de fes cent Hommes-de-Lettres qui travaillent pour lui & pour mener a bien la plus grande entreprife , dit-il , qu'on ah jamais exécutéedans lalibrairïedeVEurope; il vante fes Gens-de-Lettres travailleurs , du même ton qu'un manufacturier vante Ia main-d'ceuvre de fes ouvriers. Voila donc les arts & toutes les fciences qui doivent obéir a la voix de l'Entrepreneur, Sc révéler leur profondeur par ordre alphabétique. Comment , après les travaux & les méditations de ces cent Hommes-de-Lettres, de ce Régiment de Penfeurs , échapperoit-il une idee féconde qui ne fut pas dans Ie Vocabulaire univerfel ? Térnéraire qui le croiroit; & cependant telle page de Tacite, de Bacon ou de Montefquieu , creufe plus avant dans Ia fcience , que les foixante volumes de rEncyclopédie , qui nous parle gravement de la partie morale militaire.  ( i«i ) Oh que la partie morale militaire m'a fait rire ! Quand on n'auroit fait foixame volumes que pour accoler ces deux mots vers la fin du dix-huitième fiècle, le Regiment penfeur n'auroit pas perdu fon temps; car , voyez-vous, leéteurs, il y a un volume entre ces deux mots , & qu'on fait malgré foi; puis on lit un article de médecine par M. Vicq-d'Azyr , & Partiele madrigal par M. Marmontel : comment n'être pas , après cela , poffefiêur de la Ccience ? ne Pa-t-on pas payée au libraire ? Le Régiment penfeur doit néceffairement fermer 1'édifice des connoiflances humaines , &c il n'y a plus de livres a imprimer apiès la plus grande entreprife qu'on alt jamais exécutée dans la librairie de l'Europe. O Corrège! tu fuccombas fous la monnoie de cuivre ; tu aurois pu emporter la fomme en petites pièces d'or, & tu ne ferois pas mort a la fleur de ton age. O terrible Vocabulaire univerfel ! tu vas tuer plus d'un Corrège. Mais la bonne comédie a faire, que les M 3  ( 'Si ) cent Hommes-de-Lettres pour 1'EncycIopédie Méchodique ! le colonel ***, le fous-brigadier 1'aide - de - camp ***, & Ie Sieur Pankouke a la tête commandant l'exercice : voyez médecins , jurifconfultes j chimiftes , lictérateurs & grammairiens, faifant les évolutions, &c. O Ariftophane ! je te relirai pour parler dignemenc des cent Auteurs (foudoyés par Pankouke) & de la plus grande entreprife qu'on dit jamais exécutée dans la librairie de l'Europe, comme le dit le bibliopofe. Cëft le procureur qui emploie 1'avocat, 1'apothicaire Ie médecin , le maitre macon l'architecte, le marchand 1'artifte ; cëft le libraire Pankouke qui paie tous les fabricateurs de lëdifice encyclopédique. Celui qui a lor auroit donc du génie a fon commandement: ah ! 1'or peut faire naitre \'En-cyclopédie , mais non quatre pages de La Bruyère ou de Tacite.  { i8j ) Poèces gourmands. Tout Poète eft gourmand, foit que le travail de tête épuife les efprits de 1'eftomac , foit que les poèces jeünent lorfqu'ils compofent. Les profateurs ne dévorent pas comme les poèces , & plus un poète eft délicat dans fes vers , plus il eft grand mangeur a table : comment patlent-ils encore fans s'étrangler ? Un poète que j'ai connu , lorgnette en main ( car il avoit la vue courte ), appelloit tous les plats des deux póles de la table, fans oublier le centre. Quelquefois les affietres lui arrivoient en même temps & fe croifoient fur fa tête ; avant le dellert il fe recueilloit, reprenoit fa lorgnette, &c exploroit le (ervice ; puis il difoit a voix baffe , a 1'oreille de fon domeftique penché : Dis ; ai je m^ngé de tout ? — Oui, monfeur , je vous l'ajjure , répnndoit le fidéle ferviteur. — En cecas, vue i'ajjiette de dejferc. M4  ( is4 ) II eft venu manger fur mes affiettes, c'eft Ie langage d'un demi-financier ou d'un bourgeois en colère contre un homme avec lequel il s'eft brouille ; les bourgeois font les feuls qui appellent parajltes ceux a qui ils ont donné a manger. Dans le monde , les repas qu'on a pris ne comptent point & n'obligent a tien. II y a plus de tables délicatement fervies qu'd n'y a d'hommes vraiment aimables ; ainfi cëft la table qui doit remercier le convive agréable. Quand un homme eft un peu répandu, il ne laifte pas que dëprouver un certain embarras pour concilier les différentes invitations qui lui font faites. Point de repréfentation dans le monde , fi l'on n'y joint la table.  ( i8S ) Du Blanc. ■Aujouud'hui les femmes emploient fréquemment la couleur blanche ; cëft la plus favorable de routes. La couleur blanche augmente lëffet des rayons du foleil , la confonnance des couleurs ; voila Fharmonie: une femme en blanc eft toujours bien mife; nos femmes ont fhabillement des Vëftales de Pantiquité. Mais le blanchhTage , s'il .nëft pas pur, n'ayant plus le même éclat, dépare la femme , au lieu de lëmbellir ; fans ce frais brillanc que 1'oeil diftingue, il vaudroit mieux qu'elle füc en noir ; la plus petite tache fait ombre, êc la Vëftale alors prend l'air d'une falope. Démofthène, interrogé fur ce qui conftituoic i'orateur, répondit: l'clocution , l'e'locution , Vélocution. Un autre, fur ce qui faifoit tomber les remparts des villes, dir: ïaroent , 1'argent, 1'argent. Celui a qui on demandoit ce qui faifoit la vraie parure des femmes, repartic: laproprete' j la propreté, la proprete'.  t ( ) Ton Nécejfaire. L'Hommi qui vit en fociété & dans une fociété oü les langs font inégaux , oü les fonftions fe croifent, a fenti bien vite qu'il falloit un fupplément aux loix ; cëft la politeffe ; elle ramène une forte d'égalitéj elle annonce un fond de bienfaifance. Peut-être , ce qu'il y a de plus fin dans toute la philofophie, cëft de favoir s'abftenir de ce qui peut choquer •, cëft d'avoir le tact affez délicat & aft'ez prompt pour favoir dire ou faire ce qui peut intérefier 1'amour-propre des autres. 11 n'y a d'homme véritablement poli que le philofophe; il peut être gauche ou embarraflé , mais il fentira vivement toutes les fortes de convenances. On dit que lëxpérience & 1'ufage du monde enfeignent la politefle : oui, celle qui eft en fuperficie 3 Sc dont 1'écorce eft fi légere, que le hideux du cceur humain fe fait jour a travers. Le monde eft plein de gens qui font  ( i»7) bien les révérences , mais qui ont l'air de rapporter tout a eux-mêmes. II eüt été impoflïble a Fénélon, a J. J. Rouflèau , a 1'Abbé de Saint-Pierre, detre impolis ; la bontéde leur caractère percoit a travers leur maintien ; ils pouvoient être diftraits ou fïlencieux fans bleffer qui que ce foit: on nëft point philofophe fans avoir appris a 1'être, On n'a point, dans fes manières, dans fon maintien, dans fa phyfionomie , dans fon ton., dans fes propos, de quoi intéreffer les autres , fi le cceur nërdonne pas rous les mouvemens qui conftituent la politefte. Tel homme ne manque a la civilité que paree qu'il a un cceur dur & un efprit méchant. Les aéb.ons empefées ou pefantes, le babil jmmodéréou frivole,les mouvemens inquiets ou étoutdis, les mal-a-propos,les prononcés orgueilleux & déplacés viennent du fond du caraétère. Quand il eft noble , doux ou généreux , il analyfe promptement les convenances civiles , & on ne fauroit être profelfeur de morale, fans être poli; cëft  ( 188 ) toujours 1'orgueil qui fait manquer aux bieuféances. Les hommes du monde difentbien a leurs élèves qu'il faut être poli, & non pascommenr on 1'eft. Les nuances de politerfe font fi variées, que, fans une fenfibilité exquife, on croira être poli, & l'on choquera ou l'on défobligera. II y a tant de différens érats dans la fociété , que , fans une longue expérience de toute efpèce , on ne faifira pas parfaitement en quoi confiftent les formalités d'ufage. Voyez un homme en place, il fait comment il doit recevoir quelqu'un chez foi, étant feul ou en compagnie, eu égard au motif qui 1'y fait venir ; il fait le moment précis oü il peut le congédier ou le renvoyer content. Rien n'étant plus impoli que dënnuyer, cëft a la Cour fur-tout qu'on vous fait fentir adroitement ce genre d'impoliteffe , &c la lecon qu'on vous donne a eet égard eft fort courte. Les vernis civiles bien analyfées reviennent a celles de la plus pure raifon. Au  ( ) fond* de 1'ame de rous les hommes eft écrite une ftipulation fecrète qui les oblige a la méditer. On a befoin foi-même del'accueil & des bonnes manières d'autrui. Ne fenrezvous pas une forte d'amertume , un ferrement de cccut, lorfqu'on vous en refufe le tribut? 11 étoit donc néceftake a. votre bonheur. La dette de civilité envers chaque homme eft donc évidente. Un auteur de nos jours ayant manqué long-temps a ce tribut, s'étoit concilié 1'inimitié univerfelle , &c les traits durs de fa critique lui firent plus de tortj que les beaux rraits de fes ouvrages ne lui firent d'honneur. II faut fe gêner un peu dans fes prononeés , pour ne pas gêner les autres. Enfin, rien n'annonce mieux une politeffe fine ou 1'élégance des mceurs , que lënjouement avec lequel des hommes graves fe vengent des injures faites a leur place. Une fine épigramme fait plus que les verroux des geoliers. Les loix n'ont prefque plus rien a faire, quand les mceurs font prefque tour.  ( '9° ) La politeflë fert a écarter les incommodités de la vie , & cëft la un grand pas dans la route du bonheur; ainfi fon eft fort avancé en politefte , lorfqu'on nëft point impoli; avec la douceur des mceurs & un fond de bienfaifance , on eft poli comme par inftincF. Jujiice Prévótale de Montargis. En vertu d'un arrêt du Gonfeil, du 31 Mars 1782 , elie a inftruit le procés du nommé Hulin , Sc de plus de deux cents de fes complices , qui, depuis dix ans, par des entreprifes combinées, défoloient une partie du royaume. II faut favoir qu'il exifte dans Ie beau royaume de France, une armée ennemie de plus de dix mille brigands ou vagabonds , qui . chaque année fe recrutent & commettentdes délits de toute efpèce. La Maréchauffée, compofée de trois mille fept cent cinquante-lix hommes, fait perpétuellement  ( '91 ) la guerre a ces individus malfaifans s qui battent les grandes routes. Le mal que le corps de la Maréchauffée empêche de faire, furpafte encore le bien qu'il fait ; il intimide les malfaiceurs , il diffipe les attroupemens : cëft a la vigilance de ce corps quëft due la tranquillicé des citoyens j qui , avec quelque prudence, peuvent, prefque fans danger j parcourir les plus grandes diftances du royaume dans routes les faifons , &c a toutes les heures du jour & de la nuit. Cette guerre inteftine coüte a 1'Etat plufieurs millions par an , en y comprenant les frai* qu'occafionnent les dépots de mendicité ; cëft la que l'on verfe les vagabonds, les gens fans domicile., les mendians de race , les courtifanes des grands chemins , enfin rout ce ramas dëtres viciés , pefte pubhque qu'on refierre autant qu'on peut & qui devient une des opérations les plus utiles du Gouvernement. J'ai conftamment remarqué dans eet écrit & ailleurs, que les petits hommes étoienc  ( -9~ ) les plus dangereux de tous. II fe crouve , par les obfervations, que le mendiant valide eft conftamment renfermé dans cette efpèce d'hommes dont la taille nëxcède point cinq pieds. Le vagabond eft rarement de grande taille 3 ainfi que le brigand ; prefque tous fe montrent fous une forme rebutante. Trifte réflexion ! il faudra des verroux & des chaïnes tant qu'il y aura des propriétés; d'un cöté la pareffe , de I'autre une énergie dangereufe qui veut /ouir fans travail, attaque ceux qui poffedent , &c fans les courfes de la Maréchauffée fur tous les points oü on 1'appelle , les délits feroient plus nombteux. Ce qu'il y a de remarquable , cëft qu'on vole plus aux environs de Paris que dans Paris même. Le citadin a des ferrures, des gardiens , des gardes , une police ; les fiabitans de la campagne offrant une plus large furface dans leur propriété rurale , font expofés a plus de vols. La plupart font commis pendant 1'office divin ; les maifons des villageois font prefque toujours ouvertes; ils vivent  ( '93 ) yiyentdans 1'infouciance fur ce qui a rapport a la süreté perfonnelle & a la confervation de leurs effets. ^ Les ferruriers & les cavaliers de la Maréchauffée répriment donc les vols, en éloignant la tentation & en montrant le danger. Les Anglais feronr obligés, bon-gré malgré , dën venir a un corps de Marcchauflëe. On vole aux habitans de la campagne chevaux , beftiaux , uftenfiles de Jabour , volailles, poiffons. Le brigandage sëft potte fur les églifes ; les voleurs on: enlevé les vafes facrés, lampes '. ciboires , foleils d'argent, burettes; or, pour commettre ces vols, il faut une complicité d'agens & de moyens , car, pour profiter des fruits du crime , i! faut cacher ces effets, les brifer, les fondre ,, les vendre a des orfévres.' . Ces faerüéges font devenus communs; on sëcriera : fimpiété du fiècle en eft Ia caufe. Non ; & vous qui étudiez Ie eceur humain , écoutez ceci : La plupart de ces vdleiirs facriléges, au milieu du crime & du iilence de Ia nuk, ont refpe&é les hofties en les Tom. XI. ]y  ( '94 ) dcpofant avec refpect fur Ie corporal. L'objet facré de la vénération publique arrêta leur main , & la rendit timide & refpectueufe. Ce n'étoient donc pas des Juifs; ce n'étoient donc pas des Proteftans, qui nient la préfence réeüe ; c'étoient des voleur.s croyans, qui vouloient emporter le métal , & non profaner 1'autel ; qui brifoient le tabernacle & refpectoient leculte., tout-a-lafois brigands & religieux, peut-être ployant Ie genou touc en levant la main , tant 1'homme concilie les extrêmes ! Après ces facrilèges , les délits qui font le plus de peine, cëft de voir dans les .campagnes le pauvre attaquet le pauvre. Depuis quelques années, les campagnes ont le plus fouffert de ces vols quënfantent Poilïveté., 1'ivrognerie, le défaut d'ouvrage ; ajoutons que les gardes-chafte, les gardes - bois contribuent a la siireté publique. Les dépots de mendicité font tout-a-la-fois un afilé & un chatiment. Le corps de la Maréchauftee rejëtte encore de la Capitale une mafte d'individus qui  ( '95 ) feroient inutiles ou dangereux, & qu'on facritie tour-i-la-fois a la sureté de la Capitale & a Ia délicatefTe repouffante des riches. Ils font plus malhetireux que coupables; ce font des mendians incommodes , des femmes délaiffées, des enfans de mendians & de mendiantes de race. La Maréchauflëe repoufte de cette étrangè combinaifon d'hommes Sc de femmes, environ quinze cents individus qui fe jetteroient dans la Capitale, & en renvoie rrois cent cinquante chez eux. Les profeffions qui donnent le plus de vagabonds ■ font, les tailleurs , les cordonniers les perruquiers & les cuifiniers. Le plus incorrigib'e des vagabonds eft Ie mendiant de race. Tel renfermé huit a dix fois , recommence le même métier : pourquoi ne pas recourir a lëxporration , moyen familier au Gouvernement anglois? 11 nëft pas de mon fujët de faire entrer mon ledeur dans les dépots de mendicité ; je nën parle que paree que Paris en fournir un plus grand nombre. Je dirai feulement qu'il eft ridicule dëmN i  ( IJ* ) ployer le mendiant valide a filer de la laine, a tourner un rouet, a des manceuvres indolentes qui achevent de détériorer fon organifittion. On devroit faire des bras k tous ces vagabonds, leur faire piler du filex, en faire des macons, des paveurs , des terrafhërs, quand ils font encote jeunes ; leur apprendre qu'ils ont des mufcles , & leur en faire connoitre tout le jeu Sc Pélafticité. On dit qu'il sëft rrouvé , dans les dépots de Saint-Denis, des hommes dont 1'état Sc le nom étoient faits pour caufer la plus vive furprife , Sc qui étoient tombés dans une dégradation vraiment inconcevable pout qui ne fonge pas que la mifère tue Pame, Sc ne laiffe pas même aux malheureux qu'elle flétrit le defir de la mort. Ces mêmes dépots ont donné lieu k une obfervation très-importante, cëft qu'il eft de fait que toute moralité s'éteint plus facilement chez la femme que chez 1'homme ; elle va plus loin dans le fentiet de la crapule Sc de la débauche : la femme , dans les dépots de mendicité , fe moncre plus  ( '97 ) indifciplinable& pluscomplettement vicieufe que le vagabond le plus déterminé. Tandis que les hommes fupportent leur deftinée &c obéiflent, les femmes s'accablent réciproquement d'injures & de reproches , & ne peuvent être fubordonnées par aucun frein. 11 eft un point enfin oü elles deviennent infenfibles k toute efpèce de honte; alors le calus eft formé, le rayon divin eft dans la fange : il faut tirer le voile fur des turpitudes auffi étranges qu'infames & dégoütantes. Le publicifme de ces malheureufes femmes devient effrayant, ence qu'il eft commun fur les grandes routes , défordre abfolument. nouveau , & qui échappe , pour ainfi dire , par la large furface qu'il occupe } k toutes les ordonnances dë Police; elle peut refréner ce défordre dans une enceinte donnée ; mais comment fuivre une débauche ambulante, qui, en fe mafquant fous les vêtemens de 1'indigence & du travail des campagnes , a fes repaires obfcurs & nombreux ? Elle environne les auberges des grands chemins , marche avec la pofte , & répand les mau« N3  ( i!>8 ) vénériens des villes de province jufques dans les bourgs & hameaux. Cette débatiche contribuéij plus que celle des villes, a la dégénération de lëfpèce, paree que les remèdes font rout-a-la-fois moins surs & plus éloignés. Ces malheureufes font donc plus de ravage dans les campagnes que les courtifanes nën peuvent faire dans lënceinte des villes , oü 1'art combat du moins le fléau , & s'oppofe a fes grand s progrès. Lieux publics. -Les lieux publics font les pièges oü les voleurs & les filoux viennent fe prendre., dans 1'infouciance du vice ck dans 1'abandon de 1'ivreffe. ; car les filoux & les brigands ne volent que pour paifer le rcfte'des nuits enrre les filles , les pots de vin & les carrés. Ainfi que l'on traïne une charogne dans la campagne.pour attirer les loups, de même la Police ouvre certaius endroits pour que lesL;mauvais garnemens y tombent en y ve-  ( 1 99 ) naat d'eux-mèmes; elle s'épargne Ia peine de les relancer ailleurs. Les filles publiques fervent encore aux recruteurs. Le héros embaucheur tenant fes afïifes dans un cabaret, cède fa majtrefla a celui qu'il veut enróler ; il paie Ie via qu'il lui fait boire , & après quelques jours de débauche , le jeune libertin qui n'a pas dequoi s'acquitter , eft obligé de fe vendre ; 1'ouvrier transformé en foldat, va faire 1'exercice fous Ie baton , en attendant qu'il meute dans Un höpital des fuites des plaifirs goutcs le jour de fon enrólement. \ Lënroleur dir a ceux qu'il veut engager, en les régalant dans un cabaret : Mes amis ? la foupe , 1'entrée, le roti , voila 1'ordinaire du régiment y mais, je ne vous trompe pas j le paté & le vin d'Arbois , voila 1'extraordinaire ; je ne vous trompe pas , vous n'aurez ni vin d'Arbois , ni paré , mais 1'ordinaire , la foupe , 1'entrée , le roti , la falade que j'oubliois. Trente ouvriers agés de vingt-un ans , s'enrólent a ce difcours. IL y a dans ce je ne vous trompe pas, vous N4  ( lOÖ ) n'aure^ ni paté, ni vin d'Arbois, une éloquence fine , qui prouve qurl y a par-tout des orareurs. Compilateurs. c , v-omme on ecnt bien plus aifémeut de Ia main que de la tête, tel compilateur aborde un hbraire , & lui dit : Je vous batirai tant de volumes a tant Ja ÖYé. Plus Ia compdation eft forte , plus Ie libraire fe réjouir; le lendemain , foufcription ouvette. Lecompilateur met tout fon talent & fon génie dans le profpeclus, «Sc , dés qu'il eft achevé fa befogne eft finie , Car il n'a plus qu'a* déclnqueter des livres , & mVttrè en inquarto ce qui étoit en in-oótavo. Quelquefois le compilateur n'a befoin que de trouver un fitte neuf ou fingulier : Bibliothèque des Romans , le Voyageur Francois , Abrégé des Voyages 3 &c. Après ce coup de génie , le libraire n'a plus qu'a ' P^er} il paie & sënnchit, car un compi-  ( ) Iateur raffemblant des morceaux épars , rourhit force aümens t nos réflexions , fans avoir médicé, & nous procure Ia faculré de penfer., fans avoir penfé lui-même; ainfi il donne a aucrui ce qu'il n'a pas, & détruit ainfi 1'axiome connu , ncmo dat quod non. habet. L'Abbé de Ia Porte a gagné- infinimenc plus d'argent avec fes compilations , que hx bons auteurs avec leurs chefs-d ceuvres. Mais les plus habiles inanipulateurs en ce genre, & les plus célèbres par leurs tours d'adrefle & leuraudace, difparoiffent devant un Monteur des Elfarts, qui, fur toutes les couverrures rouges, jaunes & grifes de tous les jonrnaux poflibies , annonce fes énormes & éternelles compofirions manuelles. II a fuccédé d 1'Abbé de Ia Porre; mais fes plans font encore plus matériels! II ne rêve que les plus épais; il faic entrer 1'hiftoire dans des plaidoyers , & Ja jurifprudence dans 1'hiftoire ; il accole & mélange les chofes les plus oppofées; il reverfe inceflammenr un livre dans un autre; il réien-  ( 181 ) prime dix fois la même chofe fous ditférens titres j & , quel rriomphe pour Moutard ! il en va naïrre un Dictionnaire de police qui fe déroulera fous une forme majeftueufement encyclopédique. L'Encyclopédie a eu befoin de cent coopérateurs ; ici ü nën faudra qu'un : eh ! qui ne verfera pas alors des larmes de joie & d'admiration en lifant ce ïouchant ouvrage ? Perfonne, ou il ne donneta pas bonne opinion de fon cceur. Cëft ce que nous dit M. des Elfarts ; il nous affure qu'étant obligé de paffer quelques jours dans une province, il entra chez un libraire; en promenanc fes regards fur les livres qui étoient dans fon magafin - il appercut, dans Iëmbrafure d'une fenêtre, un vieillard qui pleuroit en lifant un livre in-quarto. C'étoit fut le Dictionnaire univerfel de police par M. des Eftarts. Le compilateur sëcrie: Malgré la corruptiondu fècle} ilexifle donc encore de belles ames ! (Voyez le Dictionnaire univerfel de police , torn. II., fuite de la notice, pag. .2.)  ( >°3 ) Les quatre Frères. Quatre frères,doués d'un efprit different, Sc qui eurent le bon fens de le reconnoitre, fe lièrent de bonne-heure pour le grand intérêt de la fortune, car point de grande fortune fans liaifon réciproque : dans leur première affemblée, 1'un prit laparole., Sc dit a 1'aïhé: toi, tu as du génie Sc de 1'invention 3 mais pas le fens commun, tu imagineras des plans a tout hafard ; moi , a qui le ciel a accordé de la logique & point de génie , je les rectifierai , je les corrigerai en les faifant rentrer dans 1'ordre de.poflibilité ; Sc toi, notre cadet, qui n'as pas une idéé , mais une langue dorée, tu habiteras 1'antichambre des miniftres , tu leur détailleras nos plans, car les miniftres fe lailfent prendre aux beaux - parleurs ; Sc roi , dit - il au dernier, tu feras le coffre-fort, le gardiert mflexible ; tu n'as point de paftïons , nous en avons de rrès-vives , ru feras le caiflier  ( 204 ) inexorable de 1'argent que nous dépenferions : mes frères, notre chat appuyé fur ces quatre roues , ira très-bien. Les quatre frères, ainfi fubordonnés 1'un a 1'autre, ne s'écarterent point de cette fage convention : le caiifier ne fut que caiflier, le beau-difeur que parleur aux audiences , 1'homme de génie laiffant 1'homme qui avoit du bon fens couper les branches extravagantes pour mieux conferver la sève du tronc , ils profpérerent tous quatre; c'étoient les Montmartel, qui jouifloient il y a quarante ans d'une fortune immenfe. Faujfaires. D e s fauffaires ont adultéré des effets & répandu 1'alarme chez tous les banquiers. L'art de perfecripnner ces criminelles imitations a émpoifonné la confiance publique : 1'un , par Ie mécanifme hardi & non moins adroit de la main , métamorphofoit cent en mille \ 1'autre , pat un talent plus redou-  ( io5 ) •able encore que celui qui fe borne a contrefaire les fignatures , enlevoit 1'écriture d'une quittance , pour y fubftituer une obligation ; un autre avoit le fecret d'une encre qui, noire d'abord , perdoit de jour en jour fa couleur , finifToit par difparoirre rout-afait, & laifToit le papier ras & blanc. Ces diftérentes manipulations éroient portées l un point de perfectum pour échapper au premier coup-d'ceil: un autre enfin, abufant de quelques lettres fignées , méramorphofoit la fignature pol ie & d'ufage en celle d'une lettre-de-change. Qu'on juge de Pétonnement de ceux a qui l'on offre de pareils biilets! Mais s'il y a un art perfide pour la contrefagon , le même art donne.la preflve phyfique & matérielle du délit; les experts chimiltes & les experts écrivains reconnoifient, tant par les expériences que par 1'examen fcrupuleux , Je? altérations de 1'encre Sc les falfifications de 1'écriture. Cëft a tort que 1'Encyclopédie infirme Part de reconnoitre une coupable imitation ;  les fauflaires ne eonnóiiïènt ni lëffet des drogues , ni leur fuite , ni leur empreinte fur le papier; & pour peu que fa tranfparence foit attaqués, le déJit fe manifefte. Les chimiftes reconnoilfent enfuite lëxiftence d'une encre antérieure; ils voient fi le papier a été dcgommé par une opération fufpecle: il eft impoffible que le falfiticateur ait pris toutes fes mefures , que fa main , toujours intrépide & toujours adroite , ne fe foit pas trouvée gênée dans quelque partie de fon opération ; alors les indices fe changent bientöt en preuve. Les faulfaires & fabricateurs de faux biilets s'enveloppent donc inutilement dans leurs prérendues découvertes ; leurs fecrets occultes arrivent au grand jour , & font dcvoilés a 1'ceil des tribunaux. Depuis que la profonde malice du ceeur humain eft reconnue, les juges ont feu la contrebalancer par une perquifition opiniatre & non moins exacre. les quittances pour 1'Hotel - de - ville étoient en parchemin; elles font aujourd'hui  f 107 ) en papier, Sc voici pourquoi. Ces quittances font ordinairemenc fignées de deux noraires: audécèsd'un particulier, on trouva unefoule de ces quittances en parchemin entièremenc Sc habilement grattées 3 a la réferve des fignatures norariales; le mort étoit certifié vivant par les notaires fouflignés , & Ie fauflaire rouchoit la rente; il voloit le Roi en héritaiu pour lui. On a banni le parchemin ; le papier ne pouvant pas fouffrir impunément la même altération , a caule de fa gomme. Les Fous. S'il eft un fpectacle qui nous fatfe appercevoir la profondeur de la misère humaine , cëft de voir norre femblable , avec qui nous converfïons dix jours auparavanr, tetraffé par la maladie ou par Ie chagrin , tout-a-coup enfermé dans une loge , couché fur un lit fcellé dans Ie rnur, ne reconnoiftant ni fes proches ni fes amis,  ( 208 ) Sc, dans It délire de la frénéfïe , proférant routes les paroles d'une tête dérangée & furieufe. Le fou tranquille & imbécille , qui fourit niaifement, Sc qui femble avoir perdu jufqu a Tinrtincftde lënfance , me frappe encore davantage ; car le fou qui mord fes chaines me fait moins horreur que celui qui rit avec ftupidité , en les montrant Sc jouant avec elles, Figurez - vous Nev/ron ou Montefquieu tombés dans eet état humiliant; il n'y a plus de langues pour exprimer ce que l'on fent. Cëft a 1'Hórel-Dieu de Paris que le trairement des infenfés a obtenu les fuccès les moitis équivoques ; la , on attaque tous les genres & toutes les efpèces de folies; les cures fe foutiennent. Les infenfés ont tout a attendre Sc même a exiger de Ia pirié publique: les Orientaux regardent les fous comme des êtres favorifés du ciel, Sc chacun sëmpreflë de les attirer chez foi. Les SuiïFes du Valais rraitent avec les plus grands égards les Cretins. Les fous chez  ( *°S> ) chez ces peuples , ne portent pas jufqua 1'excès 1'oubli de leur raifon , Sc l'on n'a point a craindre de leur violence. Parmi nous , nous réunilfons Sc nous confondons routes les efpèces de fous dans un même lieu : le furibond eft a cóté du fou tranquille , Sc par-la la maladie ne fait que s'accroitre au lieu de diminuer; bientót le maniaque donne le fpectacle déchirant des plaies hideufes qu'il porte fur fa figure Sc fur fon corps. w La maladie , qui tue la raifon Sc qui laiffe la vie , a échappé jufqu'ici a routes les obfervations ; 1'anatomie n'offre aucun changement notable dans le cerveau des infenfés. Le plus grand malheur de 1'homme attaqué de la folie, cëft de fe rrouver a cóté d'un autre fou ; car ce qu'il y a dëffroyable a penfer, cëft que la folie eft une contagion nerveufe, Sc que cette contagion fe propage par les exemples que l'on a fous les yeux, Sc gagne même les têtes les plus faines. Les fous violens fonr enfermés a Bicêtre & a la Salpétrièrej mais la plupart des gens Tom. XI, o  ( 2 10 ) qui gardent les fous, ont, au bout d'un cettain temps, la phyfionomie dérangée; Sc le pouvoir de 1'imitation en ce genre eft li funefte, fi prompt & fi terrible , que plufieurs dëntre eux font devenus inaniaques, obfervation douloureufe qui attire les larmes de la pitié du cceur le plus endurci , car le facrifice de la vie nëft rien auprès du facrifice de la raifon; & quand on fonge que les foins de la charité font quelquefois fuivis d'un défaftre fi facheux, on eft faifi de terreur ; la charité paroit alors.... Je n'ofe achever : oh ! paroit , mortel courageux , Dieu te regarde. Puifle le cri de 1'humanité fe faire entendre de toutes parts, & ouvrir plufieurs afiles a ces infortunés qui.méritent tous les fentimens de la pitié charitable ! car cëft aux êtres les plus foibles & aux maux qui ne font pas la fuite des vices, que la fociété doit la protection la plus marquée. Hélas! les maladies qui peuvenr attaquer les facultés intellectuelles de 1'homme , font fi multipliées; 1'imaginationqui sënflamnie,  ( ) les grandes douleurs, un chagrin dévorant & profond , que de caufes connues & inconnues! Cependant 1'ambition mal raifonnée Sc la religion mal entendue font prefque tous les fous : les uns fe croient Rois , Papes , Souverains ; les autres veulent remplacer les miniftres , ou élever les enfans des Rois ; la plupart font des demi-infenfés; ceux que j'ai vus avoient 1'intelligence de leur captivité & le fentiment des douceurs qu'on leur procuroit. Lëxpérience prouve que, lorfque Ia maladie commencé , elle eft fufceptible de guérifon j & cëft ici que les avantages de Ia richeffe fe manifeftent. Un riche attaqué de folie , nëft point logé avec un autre infènfé, & il n'a point a redouter ce qu'il y a de plus dangereux , Ia communication:: le riche peut guérir , mais le pauvre, ifolé parmi d'autres maniaques , empire. Les mauvais traitemens, les furprifes effrayantes, les menaces aggravent fon état, Sc les intervalles lucides ne font que redoubler fon Ox  ( m ) délire; il tombe dans les accès d'une plus grande violence, & bientöt il n'infpire plus que 1'horreur. Le meilleur traitement de la frénéfie eft a PHótel-Dieu de Patis ; il peut encore être perfeótionnc : 1'ellébore noir , les bains & les douches font un bon effet; les applications fortes fur la tête font excellentes; les bains de mer ne valent rien j l'opium eft très-bon , mais il faut favoir le manier. La contagion de 1'imitation eft ce qu'il faut le plus éviter. Quand la manie a eu une fource morale , elle eft très-difficile a détruire ; une trop grande fenfibiiité fair que l'on attaché a un objet quelconque un prix trop grand ; des chagrins profonds dévorés dans un long filence , produifent dans les humeurs une dépravation qui agit fur Ia bile , la bile ne coule plus ; il faut 'donc rejetter la préoccupation habituelle fur un objet, car de-la les idees les plus fauffes 8c les plus ridicules. Les clafles des imbécilles ne donnent or.dinairement aucun efpoir de guérifon.  ( Hf ) Je puis attefter , a la fuite d'un grand nombre d'obfervations , que , fur vingc hommes bien portans & répandus dans la fociécé, il y en a toujours un en qui 1'aliénation dëfprit me paroit vifible , & qui porte déja fur fon vifage tous les fymptömes d'une folie commencée. Je regardois attenrivement un homme placé devant moi, je dis a mon voifin : ces yeux-la font fous ou vont le devenir ; le voiün me répondit tranquillement : C'eft fait, monfieur. Quel fpeótacle \ 1'homme avec qui je mëntretenoisj frappé de cette horrible maladie, au lieu d'idéés faines, n'a plus que des idéés dépravées; fes defirs n'ont aucun but raifonnable ; fa voix eft changée fes paroles font btufques & téméraires ; fon regard devient féroce, a peine me reconnoit-il. Qu'il me foit permis de parler d'un poé'te que j'ai connu , & qui paffa fubitement de 1'extafe a la manie. Le malheureux Gilberc fembloit devoir relfufciter parmi nous Boileau; il avoit beaucoup de famanière; il polfédoit fa rare exaótitude j mais il y joi-  ( "4 ) gnoit peut-être plus de verve; c'eft de lui que font ces deux vers que tout le monde fait par cceur, Sc qu'il avoit oppofés aux critiques pédantefques de M. de la Harpe, qui, Tour brifé des faux pas de fa mufe tragique, Tomba de chute en chute au tróne acadcmique. II en fit d'autres non moins plaifans contre plufieurs académiciens, Sc contre moi j qui en riois avec lui ( i ). II fut attaqué de folie a la fuite d'une chute de cheval, & conduit a 1'Hotel-Dieu; la, craignant pour je ne fais quels papiers ,& dans 1'inquiétude qu'on nelesluienlevar.il prit la clefde fa chambre qu'il avoit cachée , clef qui avoit fix pouces de longueur; il 1'avala : le maniaque croyoit, par eet acte , pouvoir dérober fa chambre a ( i) Mal accueilli des philofophes, il s'e'toit tourné du cóté des prêtres , & Chriftophe de Beaumont lui donnoitquelque argent 5 un jour, il vint chez moi avec une vefte biodée en or , qu'il étaloit en me raillanc fur ma neutrale: Moncker ami, lui dis-je en prenaat fa vefte, neferoit-cepoin( ï# un devant 4'autel $  ( **5 ) 1'infpecVion , Sc ill a fourni aux faftes de la chirurgie un fair extraordinaire & prefque inconcevable; car il vécut trois ou quatre jours ayant cette clef dans 1'cefophage - fans que perfonne sën doutat. Ce ne fut qu'a 1'ouverture du cadavre que Ton comprit le fens de fes paroles qu'on attribuoit a la folie, lorfqu'il difoit, en montrant fon gofier : J'ai Ia une clef. Ain^périt eet excellent verfificateur, qui 3 après avoir elfuyé tous les aiïauts de la misère , fe trouvoit dans 1'aifance propre a développer tout fon talenr. 11 m'a dit plufieurs fois qu'il avoit été forcé , en arrivant a Paris , de coucher plufieurs nuits fur le Pont-Neuf, après avoir frappé inutilementa la porte de quelques riches : de^ pareilles nuits donnent de la verve a un poëte , Sc Dieu fait les vers qu'il auroit faits contre i'infenfibilité opulente ! O 4  (M pouillés : paix, paix 3 cejl pour votre bien,, DIALOGUE ENTRE TRÖIS POETES. SCÈNE PREMIÈRE. M. CAILLOU, M. BINB1N, M. FADON. M. C a i l L o u. Que pénfez-vous, Meffieurs, du poëme que je viens de vous lire? j'ai vu combien vous en étiez charmés j mais dites-moi en amis votre fentiment ? Q5  ( li*) M. fi i n b i n, C'eft admirable, M. F a d o n. Cëft de 1'antique tout pur. M. C a i t l o u. Je crois que j'ai dugout? M. B i n b i n. 11 y a du génie , du ... . génie; mais Ie goüt le goüt, cëft autre chofe. M. C a i l t o u. Comment, monfieur, vous me refuferiez du gout ? vous favez ce que je vous accorde , ainfi .... M. B i n b i n. Vous pouvez , fur ma parole 3 publier ce poëme 3 il fera une fen fation étonnante. M. C a 11 t o v, Je le lis déja par-tout: cëft un applaudiftement univerfel; les hommes font émus, & les femmes ftupéfaïtes. M. Fado n. Je ne favois pas que les femmes fe cpnnuftfnt en poéfie,  ( M7 ) M. C a i l l o u." Pardonnez-moi : tenez (tirant une lijle de fa poche) , voila trois ducheffes , fix marquifes , huit comteftes qui veulenc m'entendre. Tous les endroits forts frappent fingulièrement les femmes. M. F a d o n. Imprimez, imprimezM. Caillou , les portes de 1'académie vous font ouvertes. M. C a i l l o u. C'eft bien ce qu'on m'a promis ; les académiciens eux-mêmes font terraflés par plufieurs morceaux. M. B i n b i n. A 1'impreflion , ,vous les étonnerez encore davantage j car cëft la qu'on voit fi le goüt.... M. C a i i. l o u. Je ne fais, j'aime mieux les lectures; cëft une chofe raviftante qu'une aflemblée qui vous a promis d'avance de vous louer , & qui vous tient fidèlement parole. Q4  ( H8 ) .lyi. B i n bin. Vous avez mis un peu d contribution tous les poètes. M. C a i l l o u. D'accord ; les grands maitres en ont fait autant; d'ailleurs le fondu M. F a d o n. Vous pouvez vóus en palfer ;• quand on peint la nature , il faut être grand & irrégulier comme elle. M. B i N b i n. Un peu d'ordre ne nuiroit pas. Que n'avez-vous tout-de-fuite traduit Thompfon ? M. Cailiou, Ah! il auroit fallu mettre traduclion a la tête de mon poëme, au lieu quën prenant de cóté & d'autre , ainfi qu'ont fait les grands maitres .... M. BlNBIN. Allons, le premier fauteuil vacant vous eft deftiné; je vous promets ma voix.  ( *49 ) M. F a d o n. Ou la poéfie eft décédée , ou tous les fuffiages vous font alfurés : votre poëme brife les portes. M. C a i l l o u. Cëft ce que tout le monde me dit; mais il faudroit en vérité la poitrine dën tragédiën pour répondre a toutes les invitations : jë me cache; on me relance , on me déterre. M. B i n b i n. Imprimez, imprimez S'il ne réuflït pas, je ferai une terrible querelle au Public ; je lui apprendrai a fentir. M. F a d o n. Souvenez-vous , je vous prie, après 1'impreffion , lorfque vous ferez environné de gloire , de nous faire quelque petite part de celle que vous aurez acquife , puifque cëft nous qui avons reconnu les premiers votre prodigieux mérite , & qui 1'avons annoncé aux académiciens, aux duchelles, aux poétereaux*  ( 25° ) M. BlNBIH, Allez chez 1'imprimeur : les applaudiifemens d'un falon font très-bornés; un homme comme vous nëft point fait pour cette renommee étroite ; élargilfez les murailles , & que la France entière aftifte a votre ledure. M. F a r> o n. Votre renommee égalera celle de Ronfard, mais elle fera plus jufte & plus durable. M. C a i l l o u. Vous m'avez fait cependant entrevoir , mellieurs . que je n'avois que peu de goüt & point dërdre. M. B i n b r n. La grande poéfie doit s'élancer d'un pas hardi & vagabond. M. F a d o n. L'ordre eft fait pour les efprits communs; vous peignez les objets a vue d'oifeau , & comme aflis fur un rocher élevé. M- C a i l l o u. Vous avez la une bonne idéé , M. Fadon;  ( M1 ) oui, en commencant mon poé'me, je m'affeyerai fur un roe, Sc cela j uftifiera le défordre. M. Binbin, Un fouilli en peinture n'efb-il pas une plus belle chofe qu'un pare fymétrifé ? puis vous avez les notes qui expliquenc tout. M. C a i l l o u. Oh ! je les ai copiées de tous les livres; la vile profe ne me regarde pas. M. Binbin, Allez chez 1'imprimeur : qui n'admireroit pas ces deux vers, par exempie ? Et du jus des raifins>tous les Suifles trempés , S'en vont danfant gaieraent fur leurs roes efcarpés. M. F a d o n. L'Helvétie les répétera .... Publiez , publiez 5 le moindre retard eft un vol fait a votre gloire. M. C a i l l o u. Eh bien! mes chers admirateurs , vous ferez fatisfaits , ainfi que le Public ; je vais me faire imptimer.  (z$l) SCÈNE II. M. BIN BIN , M. F AD ON. M. B i n b i n. X, E pélerin ! il en tient: tu verras Ia belle figure que fera fon poëme en fortant de chez rimprimeur. M. F a d o n. On dormira dans Ie fouilli ; il a donné par ma foi dans le panneau. M. B i n b i n. Cëft la oü jë 1'artendois. Ce poëme divin ; après-demain ne vaudra pas Ie diable } Sc juflice fe fera. Comment, pendant toutes ces belles leótures , onnedaignoit pas s'appercevoir que jë fuis poète auffi , poète antérieur , poète fage! M. Fadon. Oh.' Ie goüt vous tient lieu de tout Ie refte.... M. B i n b i n. II nën a pas fombre, ce petit compa-  ( MJ ) gnon ; il donne inceffamment du nez en terre : je ferois bien du génie fi je voulois, mais j'ai trop de goüt pour cela. M. F a d o n. Vous , vous auriez toujouts dü réuffir. M. B i n b i n. Oh ! la foule d'envieux! croiriez-vous que je me fuis vu fix fois de fuite tout un parterre dënnemis ? M. F a d o n. Cëft beaucoup II ne s'atrend pas, notre fecond du Bartas , d la chute épouvantable du roe fur lequel il sëft aftis. M. B i n b i n. Jën ris de tout mon cceur .... Je vois bien préfentement que cëft a moi qu'il appartient de reftiifciter la poéfie francoife: on dit que mes vers font ternes; mais cëft qu'on n'a pas aftez fcrupuleufement examiné que le vrai goüt les fait ainfi:cëft ce que je démontrerai la première fois que je parlerai fans contradifreur.  ( M4 ) Quartiers de NobleJJe, Le mot quartier vient de ce qu'autrefois on mettoit fur les quatre angles d'un maufolée, ou tombeau, les écufions du père, de la mère , de 1'aiëul & de 1'aïëule du • défunr. Tout tombe avec le temps ; 1'ordre de 1'Etoile inftitué par Ie roi Jean, qui avoit une fi belle devife : Monftrant regïbus a/tra viam, eft abandonné aux chevaliers du guet. Les chevaliers & commandeurs profès de 1'ordre de Saint-Iazare , portent journellement une croix verte a huit pointes, coufue fur leur habit, & . dans les cérémonies , fiirSléur manreau. Cette croix verte eft la marqué diftinótive de 1'ordre dont Monsieur, Frère du Roi,ëft le GrandMaïtre. Les vulgaires Parifiens 3 qui ne font pas accoutumés a ce ruban verd de nouvelle date , demandent toujours ce que cëft que eer ordre , paree qu'ils ont 1'oeil faconné i la couleur bleue, & non a la verte.  ( 1557) Les chevaliers de Saint-Louis ont une croix avec un ruban couleur de feu. Le Roi eft le Grand-Maïtre de eet ordre , &c voila pourquoi 1'héritier préfomptif de la couronne en eft revêtu au moment de fa nailfance. Un large cordon bleu en baudrier , qu'on porte fur la hanche , tel eft 1'attribut de 1'ordre du Saint-Efprir. Porter la ctoix a la hanche, au lieu de l'avoir au cou ou fur la poitrine , cëft une fingularité nouvelle. Aucun orfévre ne peut acheter le collier de lërdre du Saint-Efprit , paree qu'il appartient k lërdre , & qu'il lui revient après la mort de celui qui le portoit.. Vient enfuite lërdre de Saint - Michel , inftitué par Louis XI ; Ie ruban eft noir. Louis XIV nomma Hardouin Manfard & André Le Nötre chevaliers de Saint-Michel. Cet ordre eft accordé a. des gens-de- * lettres , k des échevins & k des financiers ; comme ils font roturiers on leur envoie des lettres de nobleffe la veille de leur réception. L'Auteur de Ven-ven , palfable-  ( i5* ) ment hypocrite, follicita le ruban noir, & lëbtint. Un bourgeois, quand il veut rire de la chevalerie , dit , en fe metcanc a table , qu'il eft de ïordre de la Table ronde; il dïne mieux que les anciens chevaliers, car autrefois ils porroient avec eux toute leur cuifine, du fel &c quelques épices ; ils vivoient de leur chaffe . & quand ils avoient tué un chevreuil, ils le placoient fur une table de pierre, le recouvroient d'autres pierres & en exprimoient le fang. Nos chevaliers font meilleure chère ; mais ils font encore la quête en mémoire de leurs aïeux. Les fouverains font bien heureux que les hommes fe paient en croix d email & en ruban? plutot quën argent ou autre récompenfe fubftantielle ; cëft une monnoie légère qui acquitte des fervices confidérables : on verfe fon fang pour ces marqués extérieures. II y avoit autrefois lërdre du cordon jaune ; il fut aboli par Henri IV. M. Chérin, généalogifte, ou fon fucceffeur, examine fi l'on a les génerations fuf~ fifantcs  ( *57 } fifantes pour entrer dans les'différens ordres. Ce rapporteur eft un vrai juge; on trembla devant fon infpecf-ion : on fe plainr, on murmure , on trouve les formes ruineufes &c difflciles. Tantöt il y a trop de robe, tantor il n'y a point aftez cVilluflration. Ce généalogifte rigide "nëft pas pénétré de ce vers philofophique qui ditque parmi les hommes, L'un a dételé le matin } l'autre Vaprès-dinée. Voila au fond toute la diftérence ; mais la tête humaine va au devant de toutes les illufions des Cours. L'épée veut fans celfe huinilier la magiftrature. Accourez , Gafcons , Provencaux , Flamands , Bretons , accourez avec vos pancartes , M- Chérin 3 ou fon fuccefteur , va vous rabrouerd'importance : combien avez-vous de quartiers ? Voyons; en comptez-vous deux cent cinquante-fix ? O chétive exiftence des hommes! O quelle importance on veut lui donner ! Mais il s'agit des honneuts de la Cour, cëfta dire , préfentation pour les femmes } ckaffe & carrojje pour les hommes , ce qui entraine pour 1'avenir la fufceptibilicé d'être invité Tom. XL R \  ( *;5* ) au repas avec Leurs Majeftés. Dans une loge de Francs-Macons , les frères fe bariolenc de cordons bleus , verds, rouges , de croix & de dignités de toure efpèce ; on eft la chamarré comme des princes. TJn frère diftrait fortic un jour de la loge & fe promena dans la rue : alors toute la -canaille de le regarder, de le faluer; il fortit de fa diftraclion a force d'être monfeigneurifé ; Sc comme il avoit quatre ou cinq cordons , on avoit redoublé les révérences. Nouvelles de Perruquiers. On appelle ainfi tous ces bruits faux qui viennent on ne fait d'oü, qui circulent on ne fait comment , qui font plus abfurdes que le menfonge même , paree qu'ils outragent tout-a-la-fois la véricéj la coutuma Sc 1'ordre des chofes. 11 y a quelquefois dans ces nouvelles un cóté apparent qui commande J'atrencion ; on écoute , mais bientöt la fottife fe trahit  ( *5J> ) dëlle même. Les nouvelles les plus ridicules voyagent donc de maifon en maifon , jufqu'a ce qu'elles tombent par leur pro.ne inepcie. Ces plats nouveiliftes ignorent abfolument Ia férie des chofes, mais ils ren contrent quelques mots par hafard , &c 1'homme inftruir qui fait par 1'hiftoire qu'il ne faut qu'un homme & qu'une femaine pour chauger la face d'un empire , prête 1'oreille a tout , paree qu'il fait juger de ce qui fort de 1'ordre des poflibles. Quelques bulletins qui circulent chez 1'étranger, font remplis de ces miférables nouvelles : il eft bien plus dangereux de défigurer les faits , que de les nier ou de les pafier fous filence. Les bulletins accommodent les faits au goüt des pays oü on les envoie ; les éloges y font encore plus faux que ne le font lés fatires. Ce font des nouvelles de perruquiers que l'on gobe dans les pays étrangers , & la direction des bulletins en rit fous cape-, elle fait qu'il n'y a rien de trop abfurde pour certains lecfeurs. II fut un temps oü les Ruffes ayant pris pour infti- R i  ( i6o ) tuteurs des garcons perruquiers , croyoient a leur fcience Sc a leurs vues politiques : il circule encore en Allemagne de ces fiiftoires itnpertinenres dont les élémens ne font pas même reconnoiffables, tant la nature des chofes y eft bleffée. Savez-vous , Lectuur, ce qu'il y a de plus rare au monde , ce qui eft plus rare qu'un diamant gros comme le poing ? c'eft: une tête faine Sc bien organifée. Les hommes en général ont une mauvaife logique; ils afpitent avidement la fottife , le menfonge, Terreur. Tout ce qui les difpenfe de l'eftjme, de 1'admiration , eft toujours bien accueilli par eux ; ils fe précipitent dans 1'enthoufiafme , mais ils retombenc naturellement dans tout ce qui conftïfue la malice, la méchanceté , la fatire ; Sc lorfque l'on fonge a tous ces bruits hafardés qui flétriftent les réputations, fans choix & fans mefure , on fe renferme dans un cercle parricuüer oü l'on s'abfout; Sc fi l'on craint toujours 1'improbation publique , on devient en même temps moins fenfible aux applaudiffemens  { ) des hommes \ car il eft encore plus trifte de les connoïtre, que dangereux d'èrre neuf a leur égard. ■dpprouvé par VAcadémie des Sciences. Xj E moindre artifan fe munit aujourd'hui d'une approbation de eet illuftre Corps, qui defcend, ce me femble , a des objets quelquefois indignes de lui. Par exempie , les fouliers d'homme font d'un noir très-luifant , foit qu'on s'habille ou qu'on foit en déshabillé. On vend un vernis élaftique qui donne ce luifant ; 1'auteur 1'appelle Cue coquette : voila ce vernis qui eft approuvé par 1'Académie des Sciences. Mais , confulté par le Gouvernement, ce Corps illuftre a donnc fur YHotel-Dieu. un mémoire précieux dans toutes fes parties; cëft pour la première fois que 1'arithmétique a fait pleurer. UHotelDieu , placé au centre de Ia Capitale , refferré , anguftié 5 ou les malades étoient ferrés plufieurs dans un lit pieds contre têtes, va  (ïifc) fe partager en quatre Hopitaux fur des emplacemens falutaires. Un Corps aulfi éclairé que celui de 1'Académie des Sciences , pourroit devenir Ia lentille oü fe viendroienr réunir les divers objets de reftauiation que 1'ceil du Gouvetnement doit faifir & embraffer. J'aime a croire qu'un Corps ainfi cempofé , qu'un Corps dans lequel non agïtur de yerblbus , fed de reis, qui s'occupe des chofes Sc non oe billevefées grammaticales , j'aime a croire , dis-je , que ce Corps feroit,merveilles, fi jamais on le confultoit fur les différenres parties de 1'adminiftrarion. Qui doute qu'ils ne sën tiraffent beaucoup mieux que les chétifs commis d'un chétif bureau prefque toujours préfidé par un chef qui croit favoir ce qu'il a mal étudié a travers le prifme des préjugés , &c ?  () Tableau des Avocats. Les Avocats font les peintrès de leur tableau : les peintres ne veulent pas , dans leurs compofitions, de ces figures lumineufes qui laiffent toutes les autres dans une forte d'obfcurité ; les Avocats effacent donc tout nom qui dans 1'ordre eft environné d'un dangereux éclat; & tout nom qui paroit trop briller au tableau, fera rayé infailliblement ; l'on dira qu'on a manqué a fes privileges, pour avoir bien écrit, en outre - paffant les bornes de la médiocrité confraternelle ; fi 1'Avocat rayé fe plaint , on lui reprochera publiquement de ne pas aimer le Droit liomain, &c cette ridicule inculpation fera répétée de tous les confrères. Les Avocats ne reprendront leut dignité perfonnelle & leur indépendance abfolue , quën déchirant le tableau qui les affimile exaétemenr a une communauté de procureurs; ce qu'ils ont encore le malheur de ne pas appercevoir. R4  ( ^4 ) Hotel de Clugny. Le palais ordinaire des Rois de la première race 3 eft habité aujourd'hui par le fteur Moutard , libraire ; il dine oü foupoit 1'Empereur Julien, & fy- fervanres habitent les chambres oü Charlemagne fi: enfermer fes deux filles qui avoienr un peu trop hérité du tempérament de leur père. Ce fut pour les yeux de Charlemagne un étrange fpectacle, lorfque eet Empereur , levé de trop grand matin , fe promenant dans fa chambre, jSc jettant les yeux fur une petite cour de' fon palais , appercut i travers les fenèrres , 4 Ia lueur du crépufcule , la princefte 3 fa feconde fille , les pieds dans la neige , portant fur fon dos Ie premier miniftre.' Prête i fuccomber fous ce fardeau 3 elle le tranfportoit courageufement jufqu'a 1'autre bout de la cour; ainfi l'on n'auroit pu décou/rir fur la neige des pas d'homme , & le fecret de leurs amours reftoir en süreté.  ■ ( ^5 3 Charlemagne pric d'abord pour une vifion ce qu'il voyoit; mais l'amour franchit les diftances , ainfi qu'il affronte tous les périls. Le fage Empereur jugea que la févérité feroic éclater la honte de fa fille ; il pardonna , ëc content des longs & fidèles fervices d'Eginhard , il ordonna le mariage des deux amans : il fut depuis que c'étoit Ia princeffe elle-même qui avoit imaginé eet expediënt, & qui avoit forcé Eginhard d'y confentir. Eh bien , cette plaifante fcène s'eft peutêtre paffee dans les cours du fieur Moucard, qui ne fonge point a lire 1'hiftoire, mais bien i la faire imprimer. Dans une rue voifine 5c étroite, un jeune homme, pour voir fa maitreffe , pofoit une planche longue de feize pieds, dont le bout portoit fur le bord de la fenêtre fituée en face de la fienne. Sur ce pont pliant & dangereux , il franchilfoit 1'efpace d'une rue a trente pieds de hauteur. II racontoit 1'événement dans un age plus mür : Avie^-vous peur (lui dit quelqu'un) ? Oui (dit il), en revenant.  C ) Bains du Sieur Alben. Ils font de proprerc & de ümté ; cëft le plus bel établiftement & le plus commode qui exifte en ce genie. Les bains de vapeurj Sc de fumigation y font en ufage; les douches y fonc afcendantes, defcendantes ou latérales, fowant la partie affeftée & 1'inrention du médecin; enfin on peut fe baignei' la dans un léfeivoir de marbre qui contienc un volume de trente muids dëau, en tout temps claire öc limpide. On peut nager dans cette vafte baignoire, fans que lëau foit échauffée par la chaleur du corps \ Sc profiter ainfi, fans nfque, des avantages d'un bain froid & de rivière. La fe trouve une douche curieufe, unique en Europe , une douche afcendante , au moyen de laquelle on peut fe paffer d'une feringue , car un jet dëau en tient lieu , Sc par fa force rapide & afcenfionnelle , forme Un clyftère perpétuel. On peut donc fe laver les entrailles i fouhait, Sc l'on n'a befoin  ( 1*7 ) pour cela ni de pifton ni de canule. Les lavemcns dëau pure compofanc, je erois, la moirié de la médecine , cette douche afoendante fait en deux heures de temps ce que douze garcons apothicaires nëpéreroient pas en quinze jours; il ne faut que s'affeoir fur le fiége percé , & le jet-dëau irréfiftible monte, s'infinue a quatre pouces de 1'anus,& vous arrofe les inteftins doucement, sürement, long-temps & abondamment. Mais 1'art de maffer, fi perfeétionné dans les Indes orientales eft encore malheureufement dans fon enfance en Europe; l'on ne fauroit comparer notre pratique avec celle qui eft en ufagedans les climats chauds; nous n'aurons donc jamais parmi nous la délicateffe du toucher , ni 1'adrefle fouple & ingénieufe qui diftingue les majfeurs de 1'Inde. II y a fur la rivière des bains chauds a vingc-quatre fois , mais fans linge. Voila de quoi décraffer la gent parifienne : eh bien! il y a moitié de Ia ville qui ne fe lave jamais , & qui nënttera dans aucun bain pendant tout le cours de fa vie.  ( a ) de Code noir. L'avarice & la cupidké ayant brouille routes les idéés dans des cêtes chrériennes , la philofophie a tenté de plaider les droits imprefcriptibles de la nature & de 1'humanité, & une fociété phitantropique, modelée fur celle de, Londres5sëfforce aujourd'hui d'arracher a lëfclavage & aux calamités qui 1'accompagnent _, cette efpèce d'hommes que nous avons facrifiés ( tout en lifant 1'Evangile) au plaifir de boire du café & de manger du fucre. Cette fociété prouve que les efprits s'améliorent , & que la morale univerfelle eft faite pour triompher de la morale des Etats , c'eft-a-dire , du crime réduic en principes \ tant il eft vrai quën dépit de la verge de fer du defpotifme , de 1'intérêt particulier & de toutes fes menées fourdes &c tortueufes, la juftice vient töujours a bout de rentrer dans fes droits ! Les titres de 1'homrne, ce roi de 1'univers , font gravés par-ront, & les prariques fallacieufes de fes tyrans ne peuvent foutenir long-remps les regards du foleil.  ( z7° ) Etudes des Gens de Pratique. Quel eft ce récepracle de papier timbré tout griffbnné ? quel prodigieux amas de liaffès entaflees ! je crois entendre fortir du centre de ces papiers enfumés & poudreux , les gémiffemens des pauvres plaideurs ; ils ont payé le papier timbré, 1'huifTïer , 1'avocat, le procureur j le greffier , & voila ce qui refte de ces coüreufes querelles , un doflier , un grimoire dont la vue épouvante l'ceil. Mais que fait ce praticien? il ouvre ce doffier poudreux , il y cherche un petit bout de papier qui doit un jour troubler des families & caufer la ruine des frères ; il fourit en appercevant cette fource d'éternelles divifions. Ces papiers tout roux font plus agréables a l'ceil d'un praticien , que Racme ne lëft X la fenfibilité d'un jeune homme. Voyez ces clercs courbés , ils font trimet ta plume fur le papier timbré. Bon, le pro-  ( *y| ) duit de Ia Ferme augmentera de la durée des difcordes domeftiques, des divifions de 1'orgueil , des coups ténébreux de la méchanceté ; cëft la chicane qui répand le plus dëncre dans le monde ; elle en répand plus que le commerceplus que la lirrérarure. Ses écricures font maflïves, & des millions ne les acquittent point ; la chicane enrichit le tróne , & le timbre forme un des fiëurons de la couronne du Monarque: ó chicane ! ó timbre ! o majefté des Rois! ö Etudes des Gens de Pratique ! U ■ " -ü£_ ^"^I Molière. Molière eft pofé fur la cheminée en glacé du grand fallon de la Comédie francoife , & domine ü les autres auteurs dramatiques. I! eft dans fa maifon (t ) , & U a l'air ( i ) L'Auteur a fait la Maifon d: Molière , Comédie ; & l'on a propofé J'appeHcr ainfi U Thédtre Trancois.  ( 17* ) du maitre du logis; il eft feul, & cette folitude eft un emblême de fon génie unique. Et pourquoi avoir répété deux fois lëffigie de Voltaire ? il eft fous le veftibule, il eft encore au fallon ? Ce doublé emploi a. l'air de vouloir peindre fa vanité infatiable & 1'envie démefurée qu'il avoit de fe reproduire. Pourquoi Regnard , Piron , Dufrefni , Thomas Corneille , dans le fanétuaire da génie ? 11 ne falloit laiffer dans le fallon que les grands Manres de la fcène francoife , & porter les autres dans un fallon voifïn ; cette rare affociation bornée a quatre têtes fupérieures } en auroit plus dit que toutes les infcriptions. Le phiiofophe aura fans doure plus d'un reproche a faire a Molière , en examinant le but & la moralicé de chacune de fes pièces , &c quelle influence utüe ou dangereufe elles ont p« avoir tour-a-tour fur fon fiècle. On appelloit publiquement Molière , de fon vivant : Maüre d'ècole en fjic de vüainies. Mais dès qu'il ne fut plus , on lui prèta les vues de la plus haute fageffe & la march3 approfondie  ( 173 ) approfondie de la plus décente philofophie. Ainfi rien ne coüte aux détraóteurs ni aux panégyriftes. L'envie , qui perfécute les grands hommes , fe métamorphofe a leur mort en une adiniration ftupide. Molière mérite notre hommage pour avoir corrigé fon fiècle de plufieurs ridicules qui impurtunoient fans doute Ia fociété, encore plus que certains vices , puifqu'elle lui en a fu tant de gré; mais on ne peut fe difiïmuler en même temps que , dans plufieurs endroits de fes ouvrages, il n'ahsrme la décence êc les mceurs ; toutes fes pièces ne font pas cgalement irréprochables. L'art dramatique raffemblant tout un peuple, eft une efpèce d'inftru&ion publique , qui eft de la plus grande conféquence dans fes effets. La familie de Molière ne lui pardonna point de s'être fait comédien. Vainement donna-t-il les entrees libres aux Poquelins, aucun nën voulut profiter ; il fut rayé de 1'arbre généalogique qu'un de fes parens fit dreffer. Cette opinion étoit donc bien enraeinée dans les efprits , puifque le grand Tem. XI. S  ( *74 ) poete , avec toute fa gloire , ne put abfoudre le comédien. Cëft peu : il étoit valet de chambre du Roi. Vëulant un jour ufer de fa qualité, Sc en conféquence faire le lit du Roi, un autre valet de chambre ne voulut point parrager le fervice avec lui , prétendant qu'il nëtoit point fait pour aller de pair avec un comédien. Le Roi le fut Sc en fut trèsfaché y mais il garda le filence. Autre exempie plus fort : les fecrétaires du Roi apprenant que le fameux Lully, pour concourir aux délaflemens de Louis XIV, s'étoit chargé (quoique fous le mafque), du role de Muphti dans le Bourgeois-Gentilhomme, retarderent long-temps fa réceprion, Sc firent naïtre les plus grandes difficultés: il nëtoit néanmoins que pantomime j -il n'avoit pas le vifage découvert; il ne repréfentoit qu'a la Cour, que devant le Roi, Sc pour lui plaire; Sc 1'opinion dominante lui fit un crime de cette complaifance. En 1661 , Paris avoit cinq théatres ; c'étoit le moyen de donner a 1'art tout fou dé-  ( *75 ) velcppement} auflï. ce furent les beauxjoufs de la fcène francoife. Les circonftances rie créent point Ie génie , mais elles aident a fon effor. Molière avoit un théatre a fes ordres; il pouvoit effayer fes ouvrages, en voir préalablement les effets j & les cotriger a plufieurs reprifes: il avoit la proteétion du Monarque j dont le coup-d'ceil étoit fait pour lënflammer ; il avoit des amis illuftres qui chériffoient fon aft; il étoit encouragé paf ces applaudiffemens journaliers qui fou- Mais , quand on lit plufieurs pièces de ce poctecomique,nediroit-onpas qu'il écrivoit dans un pays Sc dans un fiècle oü les femmes étoient efclaves ? Cëft qu'il imitoit Bocace encore plus que les mceurs nationales , Sc que j d'après ce conteur licencieux, il repréfentoit les maris & les tuteurs comme des perfonnages mauffades & tyranniques , Sc les amans féducteurs comme des êtres ingénieux & charmans. II plaide donc dans fes ouvrages la caufe des femmes diflipées £c galantes ; il a öté a la bourgeoifie fes mceurs févères , gage de 1'innocence Sc du repos des families ; fes comédies fourmillent de traits fcandaleux Sc propres i renforcer  ( *77 ) dans notre fiècle 1'inconduite des femmes Sc leur pente a la galanterie ; on diroit qu'il a. mis tout fon art a rendre ridicules les plus faints devoirs du mariage. Ainfi , chez ce grand poëte, le poifon des bonnes-mceurs eft tout i coté du fléau du ridicule. La voix publique demande un fecond Théatre Francais, a la place des treteaux qui déshonorent 1'art, Sc elle ne 1'obrient pas. Indécence dans les églifes. Il arrivé aux bons payfans ou au plus bas peuple de chanter la meffe ou les vêpres; fans l'avoir jamrtis appris autrement que de 1'eutendre perpécuellement de la bouche des ptêtres; mais comme ces mots latins n'ont point de fignification pour les chanteurs, ils crient a tue-têce , Sc cëft ainfi qu'ils fe dédommagent de lënnui de n'y rien comprendre. On ne rencontre pas dans nos temples cette décence qui caraótérife les églifes ré- S3  ( VS ) formées, foit que la trop grande frcquence des actes religieux affoibliffe infaillibiement le refpeét qui leur eft dü, foit qu'il en coüte aux Parifiens de conferver un maintien tranquille 8c refpectueux, de forte que le corps n'ait que les mouvemens indifpenfables, 8c que 1'efprit paroitfe détaché des penfées du monde. Une pareille ficuation devient un état violent pour les. Parifiens , & il eft néceffaire qu'elle ne foit pas de longue durée. Les caractères dominans de la jeuneiïe parifienne font la yivacité & 1'impatience ; l'ceil eft diftrait, on regarde les allans 8c les venans ; les loueurs de chaifes tournientent les fidèles, tendant la main, remuant de la monnoie. . On traverfe les églifes comme fi cëtoient des places publiques ; il n'y a point d'irrévérence propreinent dite, mais on marche tête levée; le maintien n'a pas le refpeét qu'on doit au temple oii la créature adore le Créateur. On vient faifir quelques phrafes d'un fermpn, puis fon quitte en fecouant Ia tête 4  ( m ) comme s'il s'agiflbit d'un paradeur qu'on ccoute un moment & qu'on abandonne. Les fermons , il eft vrai, ne devroient pas durer plus d'une demi-heure. Si l'on y prend garde, 1'attention ne peut guere allet au-dela de ce terme. Un fermon court 8c bien plein fur le devoir de chaque état, auroit plus de force que ces longs difcours ; la vraie mefure d'un fermon ne doit guere pafter 1'étendue de vingt a ving-cinq minutes , ou trente au plus. Le grand calme trop continu des objets, la monotonie de la voix qui fe fait entendre , 1'attention qui fufpend la fondion des fens , les longueurs du recueillement, caufent ces accidens foporeux, communs aux marguilliers aflis dans 1'ceuvre , 8c fi contraires a, 1'édification publique. Si 1'orateur facré étoit aflez prudent pour. n'aftembler fes auditeurs qu'a des heures fort éloignées des repas, il ne verroit pas quelquefois les perfonnes même les plus pieufes fuccomber fous le travail 8c les effets de la digeftion; il ne les entendroic S4  ( *8o ) pas répondre aux phrafes tonnanres de l'orateur par un ronflement propre a fcandalifer, quelque involontaire qu'il foir. Quelques abbés prêtent a 1'indécence publique en affichant une de leurs compofitions, comme fi c'étoitune pièce de théacre. Ledure préliminaire, académiciens&gens-de-lettres avertis , prévenus en bien ; billers, gardes , difficulté dëntrer , affluence d'équipages ; cëft une première répréfentation ; on fe mouche, on crache 3 on remue les chaifes, pour dire qu'on eft fatisfait du ftyle , & I'orareur , Ie bonnet carré en main , faIuant prefque 1'audiroire favorable , pétille de joie, comme un comédien. Dans la chapelle de 1'académie , avant que lërateur facré commencé, un fuiffe a hallebarde crie : Ucjjieurs , k Roi défend d'applaudir. On a été obligé d'avertir les Parifiens, par des affiches imprimées, que telle églife nëtoit pas une falie de fpectacle ; la. chaire évangélique , fans cette précaution, alloit devenir un théatre a monologues.  ( i8i ) On appelle publiquement ces prédicateurs, des Théiftes. Des talens médiocres figurent dans la chaire , paree que rien nëft devenu plus aifé qu'une compofincn de ce genre; tel orareur voulanr fe diftinguer, y introduit des rours de force , prend le langage politique, comme on prenoit, il y a trenre ans, le langage encyclopédique; cëft une facérie férieufe. Le próne d'un bon curé fera toujours plus de bien que les difcours bizarres que fe permettent des abbés a fiyle vékément ? lequel difcorde au lieu, au tempsj au fujet, 6c avec 1'habit de celui qui parle. Les prédicateurs fubalrernes n'ufent point de ce charlatanifme ; ils ont tout bonnement quinze ou vingt fermons en tête ; ils les arrangent comme ils peuvent. Ce fera le jour de Saint Jofeph , par exempie ; ils diront: Saint Jofeph étoit menuifier , il faifoit des confeffwnnaux : nous allons donc, mes frères -. parler dé'la confejjion ;ou ce fera 1'équivalent de cette fine tranfition. Dans plus d'un fermon de nos jours , compofé pat cos abbés , qui font prêtres  ( *8* ) chez celui qui tient la feuille des bénéfices, êc philofophes dcclamateurs chez 1'académicien , il n'y a de chrétien que le jïgne de la. croix, & le texte pris de lëvangile. Les grandes paroiffes , oü fe difent taut de meffes a la fois, offrent le comble du défordre. Le peuple fe piqué dëntendre une baffe meffe le dimanche, puis il sënfuit, en difant du prêtre : 11 a été fort habile; un autre dit : Me voila. débarraffé, j'ai entendu la meffe. Cëft une confufïon dans le remple, qui lëmpêche de reffembler a un lieu de prières & de recueillement. Tandis qu'on dit des baffes meffes , une grande fe dit au cheeur ; & comme on la chante tout haut , elle abforbe la voix des prêtres qui offrent le faint facnhëe dans des chapelles féparées. Les chantres, rètranchés dans le cheeur, enceinte grillée, afïis dans des ftalles de bois, un camail fur la tête, enflent de leurs voix un ferpent , bourdon ronflant qui affourdic les oreilles ; les cloches fonnent, cëft une cacophonie perpétuelle ; mais le peuple 3  ( **3 ) charmé de 1'affemblage de toutes les cérémonies , admire fur - tout 1'argenterie qui couvre 1'autel, & les ornemens & vêtemens couverts de broderie & d'or. Adminiflrateur d'Hópital. Je méditois fur les importantes fon&ions d'Adminiflrateur d'Hópital, fur le bien facré des pauvres , fur I'intégrité févère de la conduite d'un tel dépofitaire , & fur cette fenfibiiité renaiffante qui doit cara&érifer encore toutes fes aflionsj lorfque je tombaï dans un état qui approchoit beaucoup du fommeil, & jëus le fonge - ou plutot la vijïcrn fuivante : II me fembla que je me promenois au, coin d'un bois fombre &' foliraire. La lune étoit voilée pat de hautes montagnes; 1'aftre nocturne monta dans les airs au - delfus d'elles, & jëntendis fous mes pieds comme un bruit fourd qui me pénétra foudain de terreur; les arbres de la forêt trembierent  ( **4 ) fans qu'il y eut de vent. Je regardai la lune ; elle fe fendoir lentement en deux , & voici que chaque partie féparée tomba tout-a-coup dans l'immenfité , au milieu des étoiles qui fuyoienr & paliffoieht; puis touta-coup toutes les cloches de la ville voifine fonnèrentdëlles-mêmes, & firent retenrirce fon lugubre & prolongé dans les airs : La fin du monde ! la fin du monde l Chacun , dans lëffroi & la confiërnation, portoit fes pas égarés ca & Ia, Sc la parole des humains nëtoit plus que des lamencations confufes. Les uns levoient les bras au ciel, les autres fe cachoient le vifage , & bientót la terre, comme emportée fous les pas de 1'homme, fe déroboit rapidement fous fes pieds, & il fentoit avec terreur qu'il tomboit avec le globe dans un efpace profond, obfcur & incommenfurable. Les villes fondirent fut le globe, comme la cire fe fond devant un brafiër ardent; les bois , les forêts, tous les végétaux qui parem Ia nature 3, s'écoulèrent auffi, de forte que le genre humain fe frouva pauvre , trifte Sc nud fur le noyau aride de  ( **5 ) k terre , noyau plus dur que le fer, & dont la vue affligeante faifoit regretter u tous la douce verdure d'un buiffon , 8c la végétation beureufe d'un arbriffeau. Tous les hommes , comme emportés malgré eux vers un même lieu , fe trouvoient ralfemblés dans une plaine quënvironnoient trente volcans allumés. A cette lueur affreufe , chacun fe trouvoit dépouillé de fes vêtemens , de fes titres 8c de fa gloire ou grandeur palfée ; les enfans des hommes étoient égaux dans leur trifte nudité ; 8c voici qu'une voix tonnante fit retentir ces mots: Le grandjugement de l'univers! Chacun recut fon arrêt en filence,les uns profternés, les autres prefque anéantis a la lueut terrible 8c au feu rougeatre des éclairs ; car la voix redoutable avoit parlé a tous dans un feul 8c même inftant, 8c avoit interrogé le profond des confciences. La race humaine , immobile, nëxiftoit plus que par 1'ouiëj Jorfque une feconde voix non moins majefiueufe , mais plus douce, cria : L'Eternel eft miféricordieux j il veut al>J"oudje les enfans des  ( *8« ) hommer , & les rappeller a lui * grace a tous les pécheurs , un feul eft excepté. Toute la race humaine tremblante répéta en frémiffant: Un feul eft excepté. Qui ? qui ? Les parricides 5 les empoifonneurs , les homicides, les calomniateurs fe' frappoient la poitrine en cfifant : Nous fommes réprouvés. II fe fit ün filence de confternation, êc 1'attente troubloit tous les efprits. La même voix fe fit entendre avec un fon qui fit trelfaillir Tunivers : Un feul eft excepté. ... c'eft.... un Adminifirateur d'Hópital. Alors les portes de leternité mallieureufe s'ouvrirent, dévorèrent le coupable., & fe fermèrent fur lui.  ( **7 ) Ze Lord Clive. J E 1'ai vu a Paris eet homme chez qui 1'implacable confeience élevoit fa voix terrible. Au milieu de fes richelfes, il écoutoit le cri de fes remords , qui, femblables aux chiens de Scylkj ne celfoient de hurler autour de lui. Il avoit joué un grand róle dans l'In~ doftan ; il avoit difpofé du tröne du Mogol: c'étoit le plus riche particulier de 1'univers, & il ne pouvoit vivre avec lui - même ; 1'obfcurité le glaeoit dëftroi, les fantómes des Indiens qu'il avoit affamés de riz lui apparoilfoient, & il poufloit alors des cris involontaires. Les Anglais lui doivent le Bengale & la plupart de leurs poffeftions. Mais quoi donc ! ne peut-on être guerrier & homme d'Etat, fans être avide & cruel ? Le lord Clive le fut \ Ia foif de 1'or le dévora ; il avoit. profane fon courage & fon génie par des  ( 288 ) atrocicés envers les Indiens, prefque femblables a celles que les Efpagnols avoient commifes jadis envers les JVlexicains; il trainoit après lui une fortune monftrueufe de eent trenre millions tournois 3 indépendamment d'une penfion de feize cent mille livres qui lui fut coRlirmée Sc alfurée par la Compagnie des Indes; mais il ne jouiffoit de rien, car , amftoir-ila une tragédie? foudainil étoit frappé du reproche que 1'opprimé adreffoit a 1'opprefTeur ; entendoit - il parler d'une injuftice tk d'une cruauté ? il fe difoit, j'ai été injufte Sc cruel : au milieu des feftins, une voix inférieure lui crioit: Ces mees font le prix du fang. II ne pouvoit dormir feul dans une chambre, ni être feul dans une voiture j il voyoit inceffamment les images pales Sc fanglantes des Indiens immolés a fon ambition. Ne pouvant plus fupporter fes remords ni la vie , il fe coupa le cou avec uu rafoir , & laiffa au genre hUmain un exempie bien propre a. défabufer les hommes de la foif des richefJes. Et  ( i3? ) Ec antécédemment , un grand homme , un vrai patriote modefts & modéré , qui avoit noblement fervi fa patrie dans les inêmes climats , grand homme de mer, grand général, habilè adminiftrateur , La Bourdonnais enfin , n'avoit repafféen Europ® que pour être fous les verroux de la Baftille , pour y gémir pendant plus de deux années, que pour en fortir, pour mourir quelque temps après de douleur (i). Telle fut fa récompenfe ; mais fon deftin fur plus doux que celui du lord Clive ^ il n'avoit aucun des remords qui pourfuivirent 1'adminiftra- (i) La Bourdonnais étoit aux Piples, maifon qui avoit appanenu au Maréchal dc Saxe. Un jour qu'il eft allé a Paris pour affaires , fa femme vient chez lui, & enlève fes deux garcous. La Eourdonn?is , a fon retour , apprend ce que fa femme vient de faire; il remonte dans'fa chaife de pofte, court après elle & ramène fes enfans. Pour calmer fagitation de fes fens, il demande un remède , qui lui fut adminiflic par Damiens. Ce malheureuxJe lui donne al'eau forte, & le fait expirer au milieu des douleurs les plus aiguës & les plus cruelles. Tom. XI. T  ( 1?0) tcur Anglois , & le Gouvernement Francois ne tarda pas i reconnoïtre 1'injufüce dont il avoit ufé envers un citoyen généreux, Sc un de ces hommes extraordinaires qui ne reparoiftent qu'a de longs intervalles. Je ne paffe jamais devant la Baftille, fans me dire : la fut enfermé le vertueux La Bourdonnais; ces noms de Baftille & de La Bourdonnais font inféparables dans ma mémoire , & cëft ce rapprochement qui fait Sc fera toujours le plus éloquent commentaire fur cette prifon d'Etat. Dupleix fut malttaité , difgracié. J'ai vu tombet la tête de Thomas-Arthur de Lally , revenant de Pondichéry ; le procés de Haftingsfe pourfuit devant leSénatBrirannique; les rempêtes del'lndoftan roulent leurs vagues furieufes jufqu'aux tribunaux Europcens , & viennent agiter, parmi nous, ceux qui ont joué un grand r61e dans cette partie du mende.  ( *9- ) Magnétifme. L e s fcientifiqiies partifans de 1'antiquité difputent a notie fiècle la découverte du Magnétifme animal; ils difent qu'Apollonius de Thyane rendoit la fanté aux malades en dirigeant fes doigts vers eux dans des direótions combinées ; ils veulent même ravjr aux modernes 1'aéroftation. lis foutiennent qu'Empédocle fut enlevé dans les airs par la fumée de 1'Etna, & que lors il étoit enfermé dans fon manteau , qui lui fervoit de ballon. Prefque tous les faits de la nature tourmentent ou défolent la curiofiré humaine ; cëft la curiofiré qui a fait courir chez les magnétifeurs. Nous fommes dans un monde que nous ne connoiffons pas ; environnés de prodiges , marchant fur des miracles , nous avons la plus grande propenfion au merveilleux, paree que nous portons en nousmème le plus vif attrait pour toute découverte nouvelle. L'homme aime donc mieux être trompé que de rejëtter ce qui lui promet uue Tz  () clarté neuve; cëft que 1'homme a lëfpérancó formielle d'une exiftence développée vers un ham des^réde connoillances. Notre ignorance docile a écouté le Mefmérifme &c le Somnambulifme; mais celui-ci eft le fuperfin , la crème du Magnétifme. Mefmer lui-même ne sëtoit pas douté de cette latitude dans fon fyftême ; or cela eft fi myftérieux , fi profond , fi incroyable , qu'il faut rire ou tomber a genoux : je n'ai fait ni 1'un ni 1'autre j jëbferve & j'attends. Si ce quën dit du Somnambuüfms eft vrai , quel être eft donc 1'homme ? quel compofé myftérieux , incompréhenfible , Sc quelle découverte fublime, que celle qui nous ouvriroit la porte de notre ame , de eet être enfin qnelconque, dont les opérations peuvent être &: paroiftent eftectivement indépendantes du corps ! quel arrangement de chofes & d'un ordre bien inconnu a nous autres foibles êtres , mais qui, fans nous & malgré nons , rentre dans celui de la grande chaine dont lënlacement nous échappe ! Periculojum eft credere & non credere.  ( *93 ) Comme une nouvelle découverte , die Fonterrelle , a bouleverfé de fois Ia carte de notre imagination ! Mefmer a commencé par tirer beaucoup d'argent de fa découverte quialloit luiéchapper _, & puis il a laiflfé fes difciples métaphyfiquer , & fe plonger tout i leur aife dans le monde inrellecïuel. Les crifes, les contorfions , & fur-tout les écrits de Bergaffe & de quelques autres magnétifeurs , prèteroient amplement au pinceau du ridicule; mais comme il y a un agent quelconque, un indicateur des maladies , qui, quoique foible & incertain pour la cure , exifte indubitablement, il ne faut pas abandonner au mépris ni a FindifFérence ce qui peut devenir , avec le temps, un moyen de plus pour pénétrer dans les incompréhenflbles abimes de la nature. II faut excufer lënthoufiafme des têtes ardentes ; car fi elles ont voulu nous trom per , nous le faürohs bientöt; & 1'apotre Bergafl'e qui s'eft tant exalté , fera mis alors a fa place ; car tout y vient. T3  ( *5>4 ) EJfteux roulans Des millions de charretiers ont conduit des charrettes en furchargeant eux Sc leurs chevaux du doublé de la pefanteur des fardeaux; aucun dëux n'a voit imagi né les effieux roulans; ils y étoient néanmoins intéreffes plus que les autres , mais ils n'auroient pas même voulu écouter le premier auteur des effieux roulans. Voila 1'hiftoire de tous les arts ; d'un póle a 1'autre , la routine mène les hommes. Les jantes de toutes les voitures roulant fardeaux font trois fois plus larges qu'elles ne 1'étoient ci-devant; & ce large bandage que nous avons irniré enfin des Anglois , au lieu de filfonner Sc de détruire les chemins , les cohfolide & les affermit; mais il a fallu , pour parvenir a eet heureux changement, Ie bras impératif de 1'adminiffration : jamais les voituriers n'y' feroient venus dëtixmêmes.  ( *95 ) Cenfure des livres. Il y a deux forres de cenfures; l'une émane du Chancelier ou? du Garde des Sceaux, 1'autre émane du Miniftre ou du Magiftrat de la Police. La première donne un privilege en parchemin au livre Ie plus fot; Ia feconde permet a la raifon & au génie de fe glifter furtivement clans la capitale, fans nom de lieu ni de libraire, & fans le cachet de cire jaune. Voila pourquoi un livre défendu , brülé , cenfuré, anathématifé , fe vend , non fur 1'étalage des libraires , mais derrière les ais de leur boutique. Le nombre des exemplaires eft ordinairement limité, & le libraire choift pour ces diftributions clandeftines , n'a rien a redouter dès qu'il sëft fait connoitre , & qu'il a rendu compte de tout 211 Magiftrat. Ce nëft point la une contradiciion ni ie conflit de deux autorités , mais une tolérance raifonnée & fage, accordée a des ou- t4  ( *s>£ ) vrages hardis fans témérité , & piquans fans licence. Le hbellifte infolent fe cache 3 paree qu'il a une confeience. L'écrivain courageux fe moncre , paree que le premier caractère d'un honnête homme eft d'avouer ce qu'il a écrir. On ek perfuadé fd'ailleurs que les meilleurs livres s'imprimeroienc chez lëtrangcr , Sc que 1'auteur qui a choifi le terrible emploi de dire la vériré , peut, tout en fe trompanr, apporter au Gouvernement des clartés nouvelles. Tout nëft pas erreur dans un livre; une feule inftruction , & qui vient a propos , peut racheter mille pages de déraifonnement; enfuite ce qui eft faux tombe inévitablemenr. Nous touchons peut-être au moment oü radminiftration plus éclairée, & dominant toutes les fectes & tous les partis , ne fera plus la guerre aux auteurs qui ne feront ni féditieux ni impudemment fatiriques. La fïtuation actuelle de 1'Europe exige même que l'on écoute les efprits males & vigoureux qui, femblables a certains pilotes exercés, voient dans un point obfeur du ciel le  ( *?7 ) germe des tempêres, Sc crient au vaiffeau de replier les cordages & de changer la manoeuvre. D'ailleurs il n'y a point d'ouvrage qu'on ne puiffe combattre avec fuccès,ouridiculifer quand il a pafle certaines bornes ; & jamais le Gouvernement n'aura une phylionomie plus majeftuenfe, ni une attitude plus ferme, que lorlqu'il paroïtra ne plus craindre la plume des écrivains. Et puifque chacun s'évertue a imaginer, de nos jours, un impót au profit du Roi, ce qui caradérife un bon citoyen, en y rêvantbeaucoup , j'ai concu un impót qui rapporteroit beaucoup d'argent , Sc j'ofe alfurer qu'on verroit du premier bond une augmentation marquante dans le revenu de Sa Majefté. Nos journaux , nos papiers publics font peu intérelfans; on n'y lit rien de ce qu'on voudroit y lire : de la profe fade, des vers plus fades encore , Sc les ennuyeufes difputes des gens-de-lettres, voila ce qui y tient le premier rang. Les rédadeurs , tournant dans le même cercle, changent en vain tous  ( 29S ) les jours le plan de leurs ouvrages ; les trois quarts ne font pas lus, &, ce qui eft plus trifte encore pour eux , ils voient de jour en^ jour décliner leurs foufcripteurs : les manufaclures de papier sën reffentent les garcons imprimeurs défertent; or voici le remède, qui fe change en un fpéciflque merveilleux. Que l'on fupprime tous les privilèges des journaux, gazettes & papiers publics ; qu'on aflujettifte chaque feuille a une taxe ( a condition que la preffe fera libre) & vous verrez éclore des feuilles fans nombre qui réjouiront la nation & enrichiront le tréfor royal. Chaque particulier ayant le droit de traiter, dans le ftyle qu'il adoptera & comme il lui plaira j les matières politiques & lit— réraires , cette branche de commerce deviendra très-importanre; la gaieté naturelle du Francais , fon ton léger , fon talent pour la plaifanterie , qui fait qu'il fe moque & fe confole de tout en un inflant, tout favorifera le débit des papiers publics ; & la difcuffion vive des affaires du moment; le com-  ( irj ) merce jla politique, la finance, les intrigues de la Cour , les jaloufies des Miniftres , leurs fauxcalculs, enfanteront journellemenc des feuilles piquantes qui feront lues par la ducheffe &c par la femme-de-chambre, par le maréchal de France & par 1'épicier-droguifte. Chaque éclat de rire produira au Roi tant, produit net. Quand on rit, on paie gaiement; on rira ; on paiera; les Francais , trop difiipés pour repofer long - temps fur une même affiette, toujours foumis a 1'inconftance du caraólère national & au caprice de la mode, changeront d'objets tous les huit jouts. Comme le ridicale en France ne manque point, ni dans les perfonnages, ni dans les affaires , la taxe fe foutiendra \ la bonne humeur &c 1'argent circuleront 3 & la bile des tempéramens les plus atrabilaires coulera dans fes étroits canaux , ce qui préfervera la nation de l'air trifte & boudeur qu'elle voudroit contracler. Ceci feroit d'une grande conféquence , car ü nous ne fommes plus Francois , nous deviendrons pires que nos voifins.  ( 3oo ) II fauc de 1'argent au Roi, & a nous de la gaiete'] j'ai concilie parfaitement ces deux goüts , ou plutot ces deux befoins : enrichir Ie Monarque j & rire d'autant plus pour 1'accroilfement de fes finances , quel projet plus profond! il eft cependant de moi. Bureau de lég'ijlatïon dramatlque. Quelques auteurs mécontens des procédés des comédiens, s'étant aftemblés chez M. de Beaumarchais pour faire un nouveau code comique & tragique 3 &c tacher fur-tout de furveiller la recette , on donna a cette fingulière affemblée le titre pompeux &c burlefque de Bureau de légijlation dramatique. Ala quatrième féance , tout fut difcordant; Ie tragédifte ne vouloit plus communiquer avec le comédifte ; tous les rivaux fe toifoient de roeil arrogamment, de forte que Chryfologue-Figaro refta feul, ce qu'il vouloit, & puis il fit fa paix particuliere avec les comédiens j il joua les paavres auteurs  ( 30i ) avec une facilité incroyable., ou plutöc trèscroyable. Depuis quelque temps, une part de comédien au théatre Francois paffe trente mille livres ; la part au théatre Italien rend tout autant; il eft confolant d'être excommunié a ce prix. Mademoifelle Clairon , qui a fait tout ce qu'elle a pu pour la levée de cette excommunication qu'elle croyoit philofophiquement anéantir (& elle sëft trompée), n'avoit que douze a treize mille livres. Les comédiens , toujours privilégiés , toujours approvifionnés de-jolis minois, Sc garnis de la recette , font toujours la loi aux auteurs , car la recette Sc les jolis minois attendriffent : eh ! comment leur rcfifter ? Tandis que les comédiens du théatre Franoois font excommuniés, les acteurs du théatre Italien font conftamment, je crois,de la confrérie du Saint-Sacrement en la paroiffe de Saint-Sauveur. On a vu , il y a quelques années, a la proceffion, Arlequin, Scapin , Pantalon & Scaramouche , tenir les cordons du dais ; mais ils n'avoient pas leur  ( }01 ) habit de théatre. II feroit affez curieux , fans doute, de connoitre les raifons fur lefquelles eft fondée cette excommunication des comédiens Francois j & d'oü leur peut venir un pareil privilége, dont ils font a-peu-près les feuls en poffeflion. Le curé de SaintSulpice a refufé dernièrement pour parrains a un,baptême , deux comédiens du Roi; il ne les enterre même que difficilement. Misère des Auteurs. L A plus déplorable des conditions, c'eft de cultiver les letttes fans fortune, & voila le partage du plus grand nombre des littérateurs, ils font prefque tous aux prifes avec 1'infortune ; il en réfulre un débat éternel entre Ia hauteur , la nobleffe des idéés j Sc les befoins impérieux Sc aviliffans ; cëft un fupplice journalier , un tourment infupportable ; il faut bientot qu'il tue 1'homme ou fon génie. Que celui qui ne fe trouvé pas au-delfus  ( 3°J ) du befoin, fe garde bien de vouloir fonder fa fubfiftance fur fa plume ; il lui faudroic une doublé vertu pour échapper i cous les dangers que lui fufcireronc d lënvi les hommes , les événemens Sc fes propres ralens. II rifqueroit , aigri par le malheur Sc par le féroce orgueil de fes femblables, de devenir méchanr : ah ! s'il échappoir a rous les piéges , en confervant la dignité que 1'homme-de-letcres fe doit a lui-oième, il pourroit dire alors hardimenr a fes compatriotes : J'ai eu le courage que donne l'amour de la vertu. Tel fut de nos jours J. J. Roufleau. Quelle différence de culriver les lettres, comme M. de Voltairej avec cent mille livres de rente (ce qui ne laifle pas que de faire des partifans ), ou d'avoir k combattre les plus prelfans befoins, Sc de retomber inceffamment fur fes propres infortunes, iorfqu'on devroit jouir d'un efprit libre , dégagé de toute inquiétude , pour mieux s'abandonner,& tout entier, d la méditaion de fon art!  ( 304 ) Voltaire 3 au lieu de fe moquer amcrement, dans le pauvre Dïable , des auteurs indigens , auroit mieux fait de les foulager d'une partie de fa fortune. Etoit-ce a lui de tirer vanité a lëxemple des fots , de ces préfens du hafard ? Ce ne fonr point les académiciens quipatillent, ni les hiJIoriograph.es, ni M. Moreau, ni M. Déformeaux qui a e'crit Vhijioirs de la maifon de Bourbon , qu'il aime fi tendrement; mais une foule de gens de mérite , modeftes , ftudieux j & qui, trompés dans leur jeuneffe pat les décevantes douceurs des belleslettres , paient cher I'attrait fatal qui les a conduits a leur culture. S'ils livrent au Public le fruit de leurs travaux , le lache contrefatteur en abforbe le profit ; fi cëft une pièce de théatre , les comédiens de province sën empareront comme d'une propriété , & feront bouillir leur marmite, tandis que 1'auteur , entièrement ptivé de la moindre partie de la recette , languira dans un coin. Eh! n'ai-je pas vu mourir dans les horreurs de 1'indigence quelques gens lettrés, timides  ( i'H ) timides & honnêtes ; ie fecours eft arrivé Ie lendemain de leur convoi. Plus 1'auteur avance en age , moins on fan pour lui: s'il eft jeune 4 on s'intéreffe a ion avancement, paree qu'on aimea créer; les femmes le protégeront, dironr qu'il a du genie , & en feront un académicien; mais perfonne ne fe foucie de fe charger de Ia reconnoiffance publique envers un auteur deja agé ou connu. Goldoni forme une exception; il a trouvé en France, pour laquelle il n'avoit pas écrit, une fortune que fon pays, jouiftant de fes ceuvres 5 lui avoit refufée. Je ne connois point de clafle plus malheureufe en général que celle qui cultive les lettres ou avec peu de fuccès , ou avec un mauvais choix dëtude , ou avec cette forte d'incurie fur 1'avenir qui accompaoné 1'épicuréifme de 1'efprir. La vieillelle furprend ces écrivains avant qu'ils y aient fongé. Tous n'ont pas la même fo.rce ou la même fouplefte dans le caraótère : ii en réfulte qu'il n'y a rien de fi commun que de ren* contrer un homme inftruit, fachant.l'hiffoirg ' Tom, XI, y  ( )o6 ) & les langues , verfé dans plufieurs connoiffances politiques Sc morales , & d'apprendre qu'il a befoin de travailler a la feuille. Ah! loin de cette carrière, vous qui ne voulez pas connoïtre 1'infortune & 1'humiliation, ou arrangez vous pour ne pas vieillir, Sc mcurez de bonne heure. Roffignol. Pour un louis d'or vous avez un Roflign^l qui chante toute 1'année chantante, c'eft-a-dire, pendant fix a fept mois, car ce héiaut du printemps voit expirer fon chanc vers la fiu de cette brillante faifon , Sc il eft muet pendant les ardeurs de 1'été. Quand le chantre eft malade & ne chante pas, le loueurvous enfubftitue un autre qui fe porte bien & qni chante. II eft encore le médecin de 1'oifeau muficien; car Ia liberté & la fan té fe fuivent ; le Roffignol en cage eft plus fujet aux maladies que lorfqu'il eft libre comme l'air. Je n'aurai point a me reprocher d'avoir emprifonné un oifeau, & j'avertis les per-  ( 3°7 ) fonnes que , quand je rencontre dans hs maifons un oifeau prifonnier , je lui ouvre furtivement fa cage. La maureffe fe défole, mais 1'oifeau jouit de fes ailes. Je nëpargne que les oifeaux paffagers, quand leur familie eftreparriepourd'autresc!imacs5puifqu'alors ce feroit les livrer a une mort certaine. D'après les mêmes principes, je ne touche point aux Canaries , efpèce de nègres blancs voués a lëfclavage. La fupetbe loi qui rend la hberté a tout efclave qui touche les terres de France . deviendroit barbare pour eux, Les perroquets font dans Ie même cas ; il femble que la liberté nëft pas fdte pour rous ces habitans des pays chauds. Quoi de plus efclave encore que les dindons ? un enfant en conduit des troupeaux, tandis qu'il ne pourroit pas parvenir a conduire une feule poule aborigène. Nos naturaliftes ne nous apprennent point ce que deviennent le Roffignol, la Fauvette & autres oifeaux de paffage , lorfque Ie défaut de nourriture convenable les force d'aller ailleurs pour sën procurer.  ( 3°8 ) Lieutcnanc Criminel. Une femme demandoit a un ancien Lieutenanc Criminel: Que vous rapporre votre charge ? — Si vous étiez en danger d'être pendue, que donneriez-vous pour vous fauver? — Toute ma fortune. — Jugez de la mienne. La Lefcombat fit aftafliner fon mari par fon amant. M. de Sartines , fon Juge, comme Lieutenant Criminel, étoit jeune , dans 1'age des paffions; il fe défendit de fes charmes pour prononcer d'après la loi: cela lui fit honneur & contribua a fon avancement. Comme tout sëngrene ici bas ! Qu'il feroit habile celui-la qui marqueroitde quelle manière sënfile la généalogie des hommes en place! Cette généalogie ne feroit pas moins curieufe a. favoir , que fi la nature foulevant tout-a-coup fon grand rideau, nous montroit les généalogies réelles des humains, a la place de ces généalogies apparentes qui.... Mais la nuit fur ce globe eft tout auffi néceffaire que le jour.  ( 3°9 ) Crlminalifles. On appelloic de ce nom les Magiftrats qui fe faifoient une fcience d'interroger les criminels , & de déterminer enfuite leur arrêt de mort, en interprécant a la rigueur le code dé/a peu doux. Les vieux criminaliftes ont difparu ; il ne faut que voir les portraits de ces anciens & cruels Magiftrats, pour deviner qu'ils étoient fans pitié , fans miféricorde. Nos Magiftrats s'étudient a foulager 1'humanité foible &c coupable, au lieu de 1'opprimer durement. Les larcins font plus fréquens que les vols avec effraétion; autrefois cè\.»h Je contraire. Si l'on s'avifoitde punir de mort Ie larcin, les vols faits avec violence deviendroien: plus communs. La rigueur des peines ne fert de rien pour diminuer le nombre des délits. Le fameux Raoul, premier duc de Normandie j vint i bout dëxtirper tous les wok V3  ( ?ïö ) de fon pays , en n'abattant point une potence qu'il tenoit toujours élevée ; mais le remède étoit pire que le mal. L'homme s'accoutume 1 tout, même aux horreurs des fupplices : fa liberté alors , fentiment orgueilleux & indeftructible, femble lutter d'une force égale avec la loi terrible. 11 nëft pas bon d'irriter les cerveaux humains par 1'afpecl: des tortures; ils réagiflent, paree qu'il eft dans la nature de l'homme de braver la lo:, quand elle eft menacante ou trop def. potique ; après le premier moment de furpnfe Sc dëffroi, l'homme s'apprivoife avec la gravité des punitions. L'homme eft capable de tout quand on bleffe trop vivement fon orgueil. ^ Lö ücre de criminalifte, jadisen honneur, eft donc deverm odieux , & tout Magiftrat Ie prendroit pour unB injure ; 1'bn fe moque aujourd'hui de ces Jurifcönfaltes du Digefte qui veut (Ie tout pour prévenir les adul-. ;ères ) quën permette a un marf de tuer 1'amant de fa femme , après lui avoir fait trois fomnwtions de ceder fes vilites.  ( SU ) On devroit faire une différence entre quelque argent volé par befoin ou par faim , ou la même fomme dérobée par avarice ou par libertinage : ces régies nous manquent. Un domeftique, au mois de Juillet 1785, vole fon maitre j en prenantde 1'argent dans fon fecrétaire , & a 1'effct de cacher ledit vol , il tente de mettte le feu a la chambre., Sc de faire fauter la maifon, en mettant au pied du fecrétaire fraóluré, un fac d'environ quinze livres de poudre qu'il s'étoit procurée la veiüe, 8c auprès dudit fac de poudre, un morceau d'amadou qu'il avoit allumé en fe retiranr. La poudre heureufement ne prit point feu, ce qui fauva la vie a peut-être fix cents perfonnes. Mais qui ne voit dans ce délit toutes les combinaifons réunies pour échapper a Ia conviction du vol domeftique Sc k la potence ? envifageant une peine moins grave, le voleur n'eüt pas acheté fans doute quinze livres de poudie a tirer. Un autre domeftique vient d'embarrafter fes Juges par un cas tout nouveau. II vole V 4  ( 3ia ) a fon maïcre , qu'il fervoit depuis quinze années , Ia fomme de vingt mille francs en biilets de caiffe; mais il dépofe dans le fecrétaire , a la place du papier , une recon-r noiffance qui atteff e que la fomme de vingt mille livres lui a été prêtée amiablement pour reconnoiffance de fes bons & loyaux fervices, & qu'il sëngage d la rendre en dix années par portions égales. Accufé & interrogé, il indique le tiroir; & la quittance fe trouve en effet fous la clef du maïtre ; il protefte aujourd'hui qu'il paiera fidèlement a chaque échéance. Voila une combinaifon profonde & rufée; qui prouve jufqu'a quel point l'homme fait réagir, quand les loix font trop févères. Le crime fe raffine toujours a mefure que les, bourreaux fe multiplienr.  Faux Archers. On a vu , dit-on , des fïloux prendre 1'habit, la bandoulière Sc le fufil du Guer, Sc , fous cette apparence, détrouffer les paffans , ce qui en effet étoit fort commode. II paroit qu'on a étouffé cette affaire ; du moins Je nën fais pas aifez pour rien dire de poli tif. II 7 a un art d'étouffer les chofes fcandaleufes. Les délits honteux ne fortent des ténèbres que pour y rentrer. Des profanations furent commifes dans les carrières de Montmartre, paree que la cupidité qui eft crédule , avoit eu recours a la fuperftition pour trouver dans ces fouterrains une prétendue ftatue d'or de la Déeffe Ifis : les acnons facrilèges de quelques infenfés foliement amoureux de richeffes imaginaires, ne furent point connues du peuple. Quand le pérfonnagè eft grave ou rient 1 certaine clahë, on fauve le redoutable effet du mauvais  ( 3*4 ) exempie , on enleve au mal ce qu'il a de plus dangereux , fa publieke. 11 nëft pas bon de révéler les turpitudes qui dégradent 1'homme , ou je:tent nn jour trop facheux fur ceaaines profeflions; &c ce fut avec une furprife mêlée d'horreur que l'on trouva dernièrement , a 1'inventaire d'un hommeNpubhc , un regiftre doublé affez épais , qui contenor tous les noms des pédéraftes. Si le Gouvernement doit tout favoir, Ia jeunefte doit tout ignorer , puifque même le récit feul devient un mal. Un naturalifte ayant obfervé qu'une cage perfide avoit induit des tourrerelles a un atfreux libertinage , en conclut que la contrainte & la privation font plus propres a troubler la nature & la mettre en défordre, qu'a 1'étouffer & 1'éteindre. Mais le publicifme des femmes ne purge point entièrement la ville de quelques defordres honteux; néanmoins le vice lévoltant eft obligé de marcherdans 1'ombre. On le réprime comme ces ptftes qu'on ne fauroit éteindre & qu'on entoure d'une barrière; on empêche la pro-  (m ) pagation du crime , fi l'on ne peut lëxtirper jufquesdans fes racines. Jamais une affiche monftrueufe ne fcandalifera les yeux de la vertu, & elle pourra.ignorer le vice qui l'afdigeroit, Un bulletin, que couvre Ie fecret le plus profond 3 va tous les Jeudis inftruire le Monarque de ce qu'il y a de plus caché. La curiofiré la plus active n'atteint point jufques la; cela n'apparrient qu'a l'ceil qui doit tou: voir & a 1'oreille qui doit tout entendre. Le feul moyen pour 1'hornme vicieux de cacher fon vice , c'eft d'y renoncer ; alors 1'inquifition utile fe trouvera en défaur. Les bizarreries de 1'efprit humain font fans nombre . & quand on a fuivi long-temps une multitude de faits, on calcule bientót que tout eft poffible; voila pourquoi rien n'étonne en ce genre ceux qui font placés a la tête de 1'adminiftration: la marche de I'extravagauce leur paroit toujours beaucoup plus naturelle que celle de la fageffe.  ( 3«0 Vtrs de Boileaa. Boileau a fait imprimer ce vers avec approbation Sc privilege du Roi. Abïme tout plutöt, c'eft 1'efprit de 1'Eglife. II n'y a point de Cenfeur Royal qui ne I'effacat aujourd'hui : le pocte n'a point été accufé d'irréligion; on dit qu'il avoit pour cenfeur unique le Fils Aïné de 1'Eglife , Louis XIV. Ce prince qui, en Ie voyant la première fois , l'avoit jugé honnête homme, avoit accordé fur-le-champ a fa plume le privilege de dire tout ce qu'elle voudroir. Comment n'être pas heureux Sc grand poè're après cela? On ne fent plus le Cenfeur o-agifte qui vous pèfe fur le poing lorfque vous écrivez. Boileau cependant ne profita de cette liberté que pour loger dans fes hémifiiches les écrivains de fon temps, felon qu'il fe brouilloit ou fe raccommodoit avec eux ,  ( 317 ) Voila pourquoi il déplaifoit au duc de Montaufier , dont la probité rigide s'alarmoit de cette injure perpétuelle envers d'honnêtes gens qui n'avoient jamais ofFenfé le fatirique. Eoileau n'a pas, dans toutes fes ceuvres, deux vers comparables a ceux-ci , lefquels font de Chapelain : Loin desmurs flamboyans qui renferment Ie monde, Dans le centre caclié d'une clarté profonde, Dieu repofe en lui - même .... Les Palilfot, les la Harpe , les Clément , les Rivarolsj &c. fe crurent des Boileau, dés qu'ils fe furent mis a maltraiter leurs confrères, a juger tout a tort & a travere 3 a pédantifer dans des journaux } des almanachs ou des chaires. , Ce qu'il y a de plus ridicule au monde , c'eft de vouloir a toute force donner au Public la mefure de tel écrivain ; nul ne fair ce qui repofe dans une tête humaine , ni quel développement aura tel efprir. A dix - huit ans Crébillon fils montra a fon père une fatire ; fon père lui dit: elk  ( 3'S ) eft bien , mais jugez de Ia facilité de ee genre méprifable , puifque vous y exceliez ü jeune, tandis qua cinquante ans, moi, j'ai befoin de toutes les forces de la méditation pour marcher de loin fur les traces des maitres de la fcène. Mettrede 1'amour-propre a être méchant, vouloir fe diftinguer par des épigrammes accumulées, cëft dégrader le talent qu'on a reen de la nature , cëft !e perdre entiérement, cëft renoncer a lëftime publique 3 pour la plus fan (Te & la plus dangereufe de routes les célébrités ; elle ne peut tenter que ces têtes foibles qui ne fentent pas qu'il vaut mieux être zéro que de briller par une renommée coupable , laquelle punit tót ou tatd celui qui la poffède; & puis, quel bien ont donc jamais produit les épigrammes? Gotin a-t-il jamais cefté dëcrire ? malgré tous les farcafmes , toutes les plaifanteries , ■nalgré tous les coups de maffue des Boileau, des Molière & autres Hercules littéraires du iècle de Louis XIV, il eft refté tel qu'il noir.  X i*9 ) Titres de Noblejfe. Fanatisme nouveau qui a fuccédé a tant dëutres moins ridicules fans doute. On vous demande gravement : Etes - vous du quatoriième Heelt ? Les mots du Dlafon figurent dans les entretiens ; on étale fes armoiries , & avant peu on les verra en montre fur les habits; on fouille les vieux papiers. Selon le difcours de certains nobles , le Roi récompenfe le mérite vivant p*r la nobleffe; mais cela nëft rien . ne fignifie rien , & les mêmes gens vont demander Ia récompenfe d'une confidcration paifée, tandis que , d'après leurs propos , Ia confidération préfente nëft rien ; peur-on voir une contradiótion plus manifefte? Mais au lieu d'une diftinction légitime & raifonnable , ces nobles veulenr des prérogatives & même des hommages. Que ces families nobles veuillent bientot  ) ( ) imiter la Familie Royale, rifum amict! On fenfque dans une monarchie, cëft affez de conferver tout fon refpect pour ia familie régnante , & qu'a moins dëtre en grand fonds de fervitude , on ne peut plus trouver, en dépit de fa bonne volonté , ces refpecfs que revendiquent des noms & des titres qui sëffacent fi complettement devant le moindre rejetton de la Familie Royale. Cëft bien affez, je crois, de conferver les honneurs a cette race illuftre, puifque la monarchie eft héréditaire. Ne feroir-ce pas être foumis a u„e autocratie hautaine , que d'avoir encore 4 baifier la tête devant cette nobleffe dont il faut deviner les noms & les fervices? Le gouvernement féodal nëxiftant plus, nous ne devons reconnoitre qu'un Roi & quelques Grands qui ont I'honneur de lui appartenir par les nceuds du fang. Nous n'avons élevé fi haut les Princes du fang royal que pour nous débarraffer de cette noblefië de chateanx, de cette clafle orgueilleufe qui, depuis le vifir Richelieu , eft  ( 9V ) eft venue sëntaffer a Paris, loin des manöirs de fes aïeux : leurs prétentions choquent nos mceurs & fur-tout nos lumières : bon dieu ! quels raifonnemens gothiques } on eft Yégal du fouverain , lorfqu'on eft nobU; on n'exifte point fans naiftance ; ia naiifance doit teS lieu de talens & de toutes les qualités publiques & fociales; ainfi ces nobles hautains outragent une nation fiére qui ne les connoit pas, & qui n'a pas befoin d'eux. Ces nobles font bien les plus grands ennemis de nos mceurs nationales ; ils s'obftinent a ne vouloir payer quën GÉr-iÉALOGiEs; cëft aux ligues fecrettes des adverfaires de tout mérite , que fóttt dues cerraines délibcrations intérieures qui tendetu a fermer le plus de portes qu'il eft poftibleaux talens perfonnels ; cëft dans de pareiis conciliabules que, ramenant les idéés des jours gothiques , ils offenfentlapuiftance royale, en enlevant a fon ferviee des efprirs énergiques, faits pour aller au grand, tandis que la médiocrité des nobles déshonore plufieurs emplois, & qu'ils infeftent les fociétés pat leurs déréglemens, Tom. XI. y  ( ) Une grande jufteffe dëfprit eft iucompatible avec un préjugé ridicule : quand on veuc être honoré perfonne.llement pour les belles aftions d'un autre; quand on veut vivre dans Topinion , fans avoir rien fait pour la patrie, cette ufurpation étouffe toutes les vertus , & faute de la véritable force de 1'ame qui fe crce un nom , on fe jette dans 1'intrigue \ mais les ames livrées a la vanité ont beau fe liguer a la Cour , & fermer tous les pafTages dont ils fe font rendus maitres, la nation ne retiendra aucun de ces noms qui, quoique anciens, forrent toujours du néant, car il n'y a pour les Francais que les noms hiftoriques: pour ceux-la , ils méritent la confidération perfonnelle t mais il eft également difficile d^ les porter &c de propager leur luftre ; d'aiileurs, a lëxception d'une maifon qui a chargé de fon nom prefque routes les pages de notre hiftoire, qu'eft-ce que roures les autres? Vous appercevez dans le lointain un aigle qui n'a enfanté que de foibles colombes. On fait que fi le cochon anoblit Ia truie, la pauvre truie , moins noble & moins püif-  ( Mi ) fante , ne peut nobiliter Ie cochon : il eft vrai qu'elle en eft amplemcnt dédommagée quand elle a cecu Ia foi & 1'anneau d'un nbbje-, fes enrrailles fécondes , devenues dèslors le fanctuaire de la nobleffe , ne prodtnfent plus que des êtres privilégiés, quand bien même ils auroienc pour père un palefrenier. Vous ne voyez fortir de cette gentilhommière que des comtes, des marquis3 des ducs , tandis que leurs haurs & puifFans feigneurs de maris, malgré tous leurs nobles efforts , ne pourront créer qu'un fimpje Sc chétif roturier , quand Ja mère feroir fille d'un comte , d'un marquis ou d'un duc , car le droit de gentilhommer appaaient exclufivement aux Princes de Ja nation ; eux feuls anobülfent ou enroturent a lear gré les enfans qui leur .viennent du cóté gauche, cëft-a-dire, du cóté oppofé a Ia dextre , qui tient lepée; car Ia divine épée influe sürement beaucoup fur tout cela. Le peuple Anglois, qui a auffi fes nobles, lords , 'comres , marquis , ducs , &c qui peuvent aller de pair avec ceux des autres X i  ( 3*4 ) nations, me paroit avoir ■ a 1'égard de Ia nobleffe, les idees les plus faines. Chez eux » il eft permis a un cadet gentilhomme de manier une aune dans une boutique , de fpéculer . commercer , Sc faire gagner la vie a des milliers de malheureux, fans déroger a la nobleffe de fon extraftion. Cela vaut bien , ce me femble , le trifte mérire de piquer le coffre ou de careffer lëfcabelle dans 1'antichambre d'un miniftre , ou le privilege plus trifte encore de courtifer un commis dans les bureaux. Si cependant quelqu'un trouvoit que les Anglois eulfent laiffé trop perdre deterrain X leur nobleffe, je le prie de confidérer qu'ils le luiont amplementreftituéd'unautrecóté, en la faifant participer aux races de leurs dogues, de leurs moutons Sc de leurs chevaux. Ce genre de nobleffe, loin d'être a charge X leur pays , Sc de 1'appauvrir, comme partout ailleurs , le féconde & lënrichh, Sc en vérité cela mérite quelque confidération.  ( JM ) Maftic. ' L E maftic impénétrable a lëau a été trouvé par Ie Chevalier d'Eftienne , mort depuis peu. II en a tiré le parti le plus heureux, formant fur le comble de fon hotel un jardin aérien Sc charmant; fi cette idéé riante étoit adoptée univerlëllement, Paris oifriroit le coup-dëeil le plus agréable , & les toits de nos maifons 3 fi triftes ÖC fi inutileSj feroient'métamorphofés en terrafies qui contribueroient a la fanré ; on auroit des fruits Sc des fiëurs a fa difpofition. Cëft donc une découverte heureufe que le Maftic de M. d'Efticnne , en ce qu'il contient lëau Sc empêche fa filtration. Mais, pour jouir avec fécurité de ces terrafies riantes Sc merveilleufes , & n'avoir a craindre aucsn danger , il fallon: conftruire un plancher capable de foutenir des caiftes de terre; il falloit rencontrer une folidité a lëpreuve de tout. On a fu placer  ( }16 ) des poutres, & les croifer de manière qu'elies foutiennent un poids énorme pendant un grand nombre d'années. Ces poutres font infrangibles; & armées de quelques barres de fer , elles bravent tous les efforts des maff s les plus pefanres. On a fait la tnfte épreuve de la pourriture des bois a l'Ecole Militaire & au GardeMeubles, &c. Je me fouviens que, dans ma jeuneffe , un architecte lubile en avoit fait Ia prédiótion. Mais on a trouvé le fecret de manier Ie bois a volonté : en armant les poutres de barres de fer , on leur donne la longueur que Ion veut, & de plus on les rend infrangibles • ma-s pour trouver Ie point abfolu de perfeétion , il fallóit rendre ces poutres incorrupribles, car ces poutres peuvenr être attaquées de vers , de 1'humidité , & tomber peu-a-peu en pourrirure : le vernis de M. dEJlienne eft merveillt-ufement propre a la confervation du bois; & pour le fer, il eft un vernis tout nouvellement inveuté, qui le garantit de la rouille.  Ainfi toutes les découvertes prennent un caractère d'utilité ; on vient de trouver un enduit métallique applicable fur Ie bois , reconnu fi bon par diverfes expériences, qu'on va lëmployer dans la Marine du Roi, Sc le fubftituer au cuivre pour le doub'age des vaifteaux La Chimie ne ceffe d'offrir a la génération aótueüe des préfens utiles : que ne fera-t-elle pas par la fuite ? II eft donc de notre devoir d'honorer cette fcience Sc ceux qui la cultivent. On pourra remarquer dans nos écrits que nous n'y avons jamais manqué. Le Mufée de Paris. Compagnie littéraire qui fait le pendant de 1'Académie Francoife, Sc qui rivalife depuis peu avec elle ; on y fait des leétures qui obtiennent des applaudiffêmens, tout comme a 1'Académie. Le Mufée ouvte fes portes, tout comme 1'Académie Frangoife; femmes invitées, Sc le petit compliment pour elles. X4  (Ji«) Le Mufée a fur 1'Académie 1'avantage d avoir de très-vaftes falies pour les féances publiques ; mais il eft de la politique de 1'Académie d'avoir un endroit crès-refferré : fi elle parloit au large , il n'y auroit plus de prépondérance. Piron difoit , un jour qu'il vouloit percer la foule pour y aflifter, qu'il étoit plus difficile d'y entrer , que d'y être re$u. Encore un peu de temps peut-être , Sc 1'Académie cédera le pas a la Société rivale. Les efprirs vraiment impartiaux font déja indécis fur la valeur intrinsèque des ouvrages qu'on lit des deux cótés. Comme j'ai i'honneur dëtre du Mufée, je ne veux pas m'enfler ici d'orgueil , ni donner la préférence au corps dont je fuis membre; je dis que 1'attente eft de toute équité j car un Muféen a une tête _, comme un Académicien; Sc , foit en vers , foit en profe , nous pouvons, Je crois, combattre. Que 1'Académie ne fe juge pas elle-même, mais qu'elle foit jugée. Eft-il une demande plus raifonnable ? Mais , hélas! il en naitra  ( 3*5> ) bientèt Ia guerre , je Ie prévois : Bella, horrida bella. Quarante Muféens d'un coté , quarante Académiciens de 1'autre; Albe & Rome ; les Horaces Sc les Curiaces; Dieux ! pour qui penchera la balance? Ce payfan qui difoit au fermon de la Paffion: Je ne pleure pas ici, paree que ce nëft pas ma paroiffe , reffemblo a tel académicien jaloux 3 qui n'admire que ce qui fe dit fous fon clocher. Tout étranger peut lire fes produ&ions au Mufée de Paris, tandis que 1'Académie Francoife ne permet qu a fes membres de parler, comme il elle étoit jaloufe des applaudiffemens qu'on donneroit a l'homme de génie qui fraterniferoit un inftant avec elle.  ( 350 ) Cercle. Oü plutót,demi-eerde. Je me fuis trouvé dans un cercle compofé de dix-huit perfonnages; je vais m'amufer a les peindre. Le premier : il eft friand & vermeil , prend foin de fon teint; il dit que Racine eft fupérieur a Corneille , & après avoit prononcé cette belle phrafe , il fe croit en état de juger la littérature entière , tk de dire que tout dépérir; il pourroit prendre 1'inverfe, il ne fauroit pas mieux ce qu'il diroit. Le deuxieme : c'eft une femme de vingtlix ans qui parle de 1'aifance qu'on doit avoir dans le monde, & qui eft maniérée ; elle dit avoir des vapeurs paree que fouvent elle rougit fans le vouloir. Le troilième : prieur qui prêche quelquefois ; il eft tout étonné qu'on ne connoilfe pas fes fermons, &j pour sën venger, il affeóre de méconnoitre tout ce qui fe fait de nouveau.  ( 33- ) Le quatrième : demoifelle agée de vingtfept ans , de fon aveu; elle trouve que le iiècle eft horriblement dépravé ; qu'il n'y a plus d'homme au monde fair pour êrre fon époux; elle condamne le céhbar, & n'approuve point le mariage; il paroit qu'elle cherche un régime qui tienne lieu de 1'un & de I autre. Le cinquième: militaire qui fe tient droit, qui vous regarde fixement, qui ne vous dit mot; il femble vouloir vous faire eutendre qu'un militaire eft difpenfé de tout quand il daigne avoir pour fes voifins un peu d'cgard & de politeffe. Le fixième : baronne agée de trentequatre ans, de fon aveu; elle parle de fon chateau, de fa terre , de fes vaffaux , & fi elle ne va jamais a 1'Opéra , cëft qu'elle eft a-peu-près fourde; elle a cela de raifonnable , qu'elle ne parle point de mufique , quoiquëlle fache par cceur tous les mots néceffaiies pour en mal parler. Le feptième : cëft un comte qui fait le mifantrope 3 il a ceffé d'aller a la Cour,  ( »>■ ) paree que 1'efpiir militaire n'y règne plus comme autrefois. II preconife le ficcle de Louis XIV, &c il blame très-haut la criminelle témérité d'examiner & de juger les opérations miniftérielles : il ne refuferoit pas Ia place de gouverneur de la Baftille. Le huitième : financier qui éloigne routes les réflexions qui pourroient toucher a fon état j il sëft enrichi par fes gens d'affaires, & non pas par lui-même; il eft borné, mais il aime les femmes, & pour leur plaire y il leur offre des loges ; comme il a été anciennement commis , il les a pris en horreur, & il s'informe toujours li celui qui entre nën feroit pas un. Le neuvième : eëft mademoifelle***", qui croit avoir de lëfprit, paree quëlle a de 1'imagination; elle donne dans tous les rêves modernes, croit tout ce qui eft extraordinaire , aime Ie fingulier ; elle fe diftingue au point quëlle défend le Janfénifme des quëlle en trouve 1'occafion ; a lëntendre, on diroit quëlle croit aux intelligences céleftes.  ( 33? ) Le dixième : prélat qui aftecte d'être étranger aux affaires de ce monde , mais qui regarde le bas-Oergé a peu prés comme un colonel regarde de nouveaux enrólés a lëxercice. 11 veut qu'on lailTe dire les hérériques & les philofophes, paree qu'il juge 1'édifice de la religion inébranlable, tant que le Clergé fera riche.' Le onzième : c'eft un académicien ; il voudroit qu'on ne fit plus de livres , yu qu'il nën Ut aucuu. II crie a la décadence abfolue des arts , & il fe plaint de la multitude d'écrivains qui empêchent qu'un poëme exact & froid , fruit unique de fes veilles , ne foit encore préconifé. Le douzième : cëft la veuve d'un .préfident ; elle eft attaquée de la manie du bon ton ; elle trouve que perfonne ne fait s'affeoir , marcher , faluer ; elle met un tel apprêt dans fes difcours , quën réfléchit pour favoir ce quëlle a voulu dire. Comme elle trouve le ron du jour infupportable t elle sën eft compofé un qu'il eft impolhble d'apprécier , tant il eft variable &c bizarre.  ( 334 ) Le treizième : homme de cinquance ans, qui a fucceffivemeat les maladies dont il lit les defcriptions; il croit a la médecine, & quoiqu'il porte fur fou front les fymptêmes d'une antique décadence , il prétend que les hommes qui guériffent leurs femblables fans avoir endolfé fa fourrure, doivent Être chafTés du royaume ; il veut mourir méthodiquemenr. Le quatorzième : perfonnage de trèsmauvaife humeur; il eft jeune & envieux, fon ceil ardent & dur décèle une ambition inquiette ; il craint tellement qu'on ne loue telle chofe , qu'a la première parole il s'élance & dénigre 1'objet; c'efi un auteur honteux qui sëft fait imprimer d fes frais, & qui n'a diftribué fon oeuvre qu'i un petic nombre. Parmi quatre cents epigrammes , il nën a pas fair une feule qui foir bonne; cëft un acharnement aveugle , un befoin de déprécier qu'il ne peur vaincre ; la colère dont il femble être animé ne lui donne pas 1'efprit quëlle infpire quelquefois a des auteurs médiocres. Au milieu de cette lon"ue  ( 335 ) diatribe , il loue avec outrance un feul homme, il le préconife, & il ne manque pas de dire qu'il eft très-lié avec lui. Le quinzième : jeune femme qui a l'ceil tendre ; elle a l'air d'ètre étonnée de Ia dureté que les hemmes mettent dans leurs propos. Son filence femble dire : // n'y a d'hommes méchansque les infideles; elle craint de faire tomher la converfation fur 1'amour, mais rout ce qui tient h cette paffion la furprend très-attentive. Excédée des opinions qui circulent, elle préféreroit un petit comité , ou le tête a tête. Elle me dit a foreille: Ah , qu'on eft méchant dans le mondei paree quëlle a remarqué que j'avois froncé le fourcil , lorfque 1'auteur honteux fatiguoit fon auditoire de fes impitoyables arrêrs. Le feizième : gros abbé qui s'impatiente quën ne joue pas aux cartes ; il dit fa meffe tous les matins depuis trenteans ,&préconife lafubordination ; cëft le plus refpedueux des hommes devant un évêque. 11 ne lit jamais la gazette, de peur d'y rencontrer la deftrudlion de quelques ordres monaftiques.  ( 33* ) II croit la bafe d'un convent tout auffi facrée que celle d'un tróne ; il lui en coüteroit cependantde difputer la-deftus, Sc fon front s'épanouit de joie quand il voit les cartes, cëft-a-dire, le moment oü beaucoup de thèfes qu'il n'entend pas vont prendre fin. Le dix-feptième : précepteur en épée , qui décore fon emploi du titre d'inftituteur; il fait entendre que c'eft par amitié pour le père qu'il s'eft chargé de 1'éducation de deux de fes enfans ; par amitié auffi, il recoit cinquante louis, Ia table, le logement Sc quelques cadeaux. II a le cachet de pedanterie prefque inféparable de cette profeflïon j il régente, il décide; plein de prévention pour fon favoir collégial, il annonce le génie futur de fes élèves, pur don de fes préceptes Sc de fa méthode. Tous ceux qu'il a vus dans le monde lui doivent quelques renfeignemens particuliers ; tous ont admiré fes facultés prodigieufes. II n'a pas voulu être hommede-lettres, paree qu'il eft fait pour vivre avec des princes étrangers qui font au défefpoir que 1'amitié l'ait attaché a un riche roturier;  ( 337 ) róturier; mais que pouvoit-il refufer a un père fuppliant, qui 1'a conjuré de former Ie c il n'y a que le Démon qui puiffe vous montrer en fonge 1'affemblage inoui de tous ces mets réfervés pour les bouches fiiandes; & cëft ainli qu'un cordelier combattant lemalin, e!t tranfporré quelquefois en rêve au milieu du férail du Grand-Seigneur. Mais parmi tant dëbjets d'intempérance , propres i exciter une faim infatiable, & i  ( 3 5° ). Ia méraraorphofer en gloutonnerie, objets tentateurs qui auroienc pu faire fuccomber Cornaro, le plus grand antipode connu de tous les goinfres fameux , il fe trouve uu aliment fimple & falubre, admirable pour la fanré , aliment acidulé & fortifiant, qui ne ruinera point votre bourfe 3 & très- agréable au' goüt, cëft le choucroute de Strasbourg. L'homme , ce carnivore , eet omnivore 3 ronge 1'univers par rous les bours , ik en dévorant tous les cadavres demi-pourris des efpèces emplumcës , il met dans fon fang des fucs putrides : ici, il n'a rien a craindrej cëft nn végétal qui a fubi une fermentation heureufe & particulière; égaiernenr fain , rafraïchiffant & favoureux , il forme la principale nourriture des Allemands, qui sën rrouvent bienj & je crois que fi l'on en faifoit ufage a Paris , il ranimeroit des conftitutions foibles & valétudinaires. J'ai vu des fantés languifiantes parfaitement rérablies par le choucroute : tandis que les patés aux truffis & les terrines de cailles rendent le fang acre 3 adufte , ar-  ( 35' ) dent, cocnneux , le choucroute eft rafraichiffant, combat le fcorbut, & le chyleépuré fait un fang tempéré & vermeil. Cëft a Vhotel d'Aligre, rus Saint-Honoré, que lën voit que l'homme sëft affujetti le globe entier , & qu'il fait venir fous fa dent toutes les chairs qui volent , rampent & nagent. II avale enfuite les huiles de noyau , de cannelle , de géroftë ; cëft le feul eftomac qui décompofe des matières aufli hétérogènes. Que ce feroit un objet d'éronnement pour un Indien , innocent mangeur, de fagou & de riz , qu'une table de nos cpicuriens modernes J &: ce fut pour moimcme un véritable objet de furprife que cette boutique de fenfualité gourmande, que cette encyclopédie indigefte ( véritable emblême de 1'autre), quand je la vis pour la première fois ! Mais en dernière analyfe , il n'y a de vraiment bon dans ce raffafiant magafin que le choucroute , les macaronis &C la gelée de pomme de Rouen. On fent bien que cette marchandife fe renouvelle fréquemment , car les bécaffes  ( 35^ ) & les ortolans pourriroient tout-a-fait dans leurs rombeaux épicés, & percefoient de leur raauvaife odeur les parois de lard, fi les mangeurs n'arrivoient en foule: ils arriveru , Sc la perdrix blanche des Alpes, au lieu d'être dévorée par un vautour , eft mangée fur nos tables par un financier ventra. Jadis arrivoir en pofte ( Sc conduite par un courrier ad hoe ) la traite du lac de Genève , toute préparée pour la table de Louis XV avec la fauce encore toute chaude, car c'eft la fauce fur-tout qui en fait le prix: le Roi J'atrendoit, & ne dïnoit pas qu'elle ne fut arrivée. Depuis Panéantitïèmenr de Ia république , les cuifiniers ont perdu Ie bon gout avec la liberté , Sc je crois que la ville de Genève n'envoie plus rien au Roi de France , qu'on pourroir cependant dédommager pour le marche inégal qu'il a fait avec les trente têtes féminines de I'anti-Rome.  ( m ) Le Chevalier Tapc-cul. Ain s i tout Paris le nomme. Cëft un maniaque libidineux ; il fe plait, quand il pafte prés d'une femme , a lui donner un léger coup de main fur la croupe. Sa main eft fouple, Sc ne manque jamais fon coup ; il ne regarde pas ceiie qu'il a touchée, il 1'a devance Sc pourfuit fon chemin. Celle qiu vient a fa rencontre recoit le coup dés quëlle dépaffe. La belle croit que cëft uu être in* vifible qui a frappé le bas de fon dos. Le chevalier touche de deux rhai&s, a droite, a gauche, la fille Sc la mère : car toute chute de reins a pour lui un artrait inexptimable. Jamais fon regard , jan ais fon difcours n'ajoute a cette (ingulière li ence ; le coup eft fi rapide & fi mefuré , qu'il ne paroit pas une infulte; on diroit même d'un hommage quand il renconrré les. belles formes de la fvelre jeunefte. Mais il ne dédaigne point ies maflifs attraits des robuftes fervantes j il Tom. XI, g  { 3?4 ) ks affimile aux charmes mignards de ia jeune fille a la taille déliée. Quand trois femmes marchent de front, il frappe adroitement celle du milieu , Sc avec tant de fubtilité , que celle-ci accufe 1'une de fes toifines. Ce chevalier arpente les rues d'un pas infatigable; fa courfe femble étemelle : affublé d'un ample habit gris j on le reconnoit a fes cheveux blancs, a fon bras gauche rourné fur la hanche , Sc toujours pret a renouveller le pafle - temps qui fait fa conftante manie. II y a peu de femmes marchant a pied qui ne fe fouviennent d'avoir été légèrement frappées; & quand elles voient enfuite pafler un homme a groffes jambes , qui femble toujours rêver , & qui ne dérourne jamais la tète , elles ne peuvent s'imaginer qu'on ne regarde pas du moins celle que l'on touche ainfi. Mais le coup que frappe ce perfonnage décoré ne dégénéré point en attentat; comme fon front n'a rien d'audacieux, on ne peut  ( 35 5 ) fe perfuader que fa main aic été téméraire. Celles qui prennent cette marqué d'attention pour une injure , fongenc que le délic a été fi prompt, que ce nëft pas la peine de vouloir sën facher. Le Chevalier Tape-cul promène donc fa bizarre fantaifie dans tous les quartiers, & frappe également le long des rues & des quais les croupes maigres & les croupes rebondies. II n'a point de prédilection marquée, & l'on ne fauroit 1'accufer d'une préférence injurieufe, ce qui fait que les femmes de quarante - cinq ans lui pardonnent & prennent même fon parti. Sa conduite envers elles a tout fair d'un fouvenir galant. Sans doute la Vénus aux belles feffes, dans les jardins de Verfailles, n'échapperoit point a fa main, (i eile.pouvoit y atteindre.  f 3J* )' Livres Jinguliers, On a imprimé a Paris, en 1764 , Ie croiroit-on ? un livre intitulé : Préfence corporelle de l'homme en plufieurs lieux , prouyée pojfible par les principes de la bonne philofophie. Perfonne n'a lu cette bizarre production , perfonne n'y a répondu ; la bonne philofophie n'a point livré la guerre a cette ridicule hypothèfe •- on a lailTé le livre du transfubftantiateur s'enfoncer doucement dans le goufre de l'oubli. Dans un autre temps, 1'abbé de Lignac, auteur de ce curieux phénomène , auroit eu des panifans & des contradicreurs \ on ne lui a rien dit, on 1'a taillé a fou délire. Qiiëft-il arrivé ? Le livre sëft décompofé de lui-même avec cette foule de livres que la graphomanie enfante continuellement. Eh! ne vient-on poinr d'imprimer, en 1788 , chez Briand , libraire , un volume de cinq cents pages , intitulé : De l'éterniu  ( 357 ) malheureufe , ou les Supplices èternels des re'prouve's, par Drexe'lius, Jéfuite Allemand? Cëft une tradu&ion, & Ie tradudteur n'étant pas 1'auteur original , furprend encore davantage. Quel incroyable traducteur du terrible Jéfuite ! Cet Allemand nous fait defcendre en efprir aux enfers, & il a la bonté de réduire a neuf fupplices tous les tourmens des damnés. Quand le Gouvernement permet la diftribution d'un pareil ouvragc ou pendant cinq cents pages on ou trage la raifon , & oü l'on ne voit que peintures effrayantes propres a bleffer les imaginations fenfibles , il affiche fon dédain pour desopinions de cette nature. Perfonne ne combattra le Jéfuite Allemand. Les Mefmériens ont produit au jour leurs brochures; ils ont dit tout ce qu'ils ont voulu dire; ils ont dü être très-contens, car perfonne n'a encore gêné leur liberté a cet égard.  ( 35» ) Prife d'habit. C E triomphe fur les vanités du monde eft revenu d'une pompe mondaine ; on pare la jeune fille de tour ce qu'on peut trouver de plus riche , de plus fomptueux ; elle eft coifïée comme une actrice; on veut quëlle paroifië avec tous fes attraits: elle fe montre a la chapelle grillée , & cëft un fpectacle pour tous les afliftans. Le fermon de la vêture eft prononcé par un orateur chsifi ; il y fait danfer toutes les figures de fa réthorique. La poftulante a un parrain qui tient un gros cierge afltfmé a la main , & une marraine armée auffi d'un cierge. Les cheveux de la vidtime tombent bientot fous lecifeau;les vêtemens brillans difparoiflènt; on couche la profeffe, & tout de fon longj fous un drap mortuaire ; la religieufe perd Jufqu'a fon nom. Je fais que dans Iënnui du cloitre il faut fe diftraire quelquefois; je ue doute pas que  ( 359 ) toutes ces cérémonies n'amufent fort les reclufes. II eft un fens myftique pour le voile , pour les cierges allumés. J'ai vu deux poftulantes prononcer leurs vceux, 1'une a feize ans, & 1'autre a dix-fept : c'eft lage qu'a marqué le concile de Trente , & ce décret du concile a prévalu long-temps. Les Papes, afin que ces corps qui leur font entièrement dévoués ne manquaflent pas de fujets, fe font oppofés a plufieurs évêques , qui proposèrent lage de dix-huit ans , & même a ceux de France qui vouloient qu'on reculat jufqu'a vingt-cinq. Diverfes ordonnances n'ont pas eu le courage d'atteindre ce point fixe & précis. J'obfervai la contenance des jeunes victimes ; elles fe lièrent par un ferment indiflbluble , ne foup§onnant pas dans un age fi tendre les paffions qui devoient s'éveiller dans leur fein quelques années après. Quand je vis ces beaux yeux cachés fous un voile , cette belle gorge fous une guimpe, ces beaux cheveux a terre, qui n'orneroient plus une tête fi douce & fi noble ; quand j'entendis Z4  ( 36*o ) les mots qui tuoient fa liberté, ce don fi prccieux immolé dans un inftant , je me dis : Ah! pourquoi la nature a-t-elle enrichi de tant d'appas ck de graces un corps fouple & jeune, pour qu'il entre ainli tout vivant dans Ie tombeau ? Saint Paul dit qu'il eft malhonnête a Ia femme d'êtce lafée , & l'on coupe les cheveux a la vierge qui entre dans le monattère. II faudroit un volume pour expofer les différentes cérémonies que les habitantes des monaftères ont imaginées, foit par fuperftition , foit par ennui. Le vceu d'obéiffance eft joint au ferment de clèrure ; ces rel igieufes chanteront le fervice en langue inconnue. Jamais rien de plus bizarre n'a exiité chez aucun peuple, que d'obliger des religieufes a ne point entendre Toffice de 1'églife qu'elles f » it obligc'es de réciter; mus un archevêque de Bourges dans un c r-chifine imprimé en 1694, donne des ra ! vis qu'on n'imagineroir pas , & que je vais tranfcrire : « Les religieufes ( dit  ( 3*1 ) » l'archevêque de Bourges) doivent fe » réunir aux créatures muetres qui louent » Dieu par un langage qu'elles n'enrendent » pas. Elles doivent être bien-aifes, par un » efprit de pénitence., d'ignorer les chofes j> dont elles devroient être le plus inftruites ; » cëft alfez que leurs lèvres louent Dieu. jj Eües doivent fe foumettre avec humilité i» a 1'ignorance des langues, dont la confu» fion eft le jufte chatiment de 1'orgueil m de ceux qui avoient entrepris la tour de » Babel. Une religieufe doit s'imaginer n quëlle eft un inftrument de mufique, & m que les paroles que le Saint-Efptit lui « met dans la bouche , font comme le fouffle « qui anime les orgues dont on fe fert a »> 1'églife... . ». Que ne trouve-t-on pas dans les livres Sc dans le raifonuement ?  ( 3*0 Faux Témoins. Nous en avons un exempie horrible Sc récent , prefque unique dans les annales de la Jurifprudence criminelle. Un Procureur au Parlement voulantperdre un homme (qu'il avoit appellé fon ami), 1'accufa d'avoir voulu 1'ajfafliner , & fuppofa quatre faux témoins. Dieu ! comment pervertir ainfi quatre hommes ? quëlle infernale éloquence d'un cóté ! Sc de 1'autre , quelle incroyable foiblefte ! On s'y perd. Une mince fomme d'argent a-t-elle donc pu fuffire pour dépraver a ce point la confcience de quatre hommes ? L'accufé ne pouvoir revenir de fon douloureux étonnement en voyant ces quatre perfonnages qui s'accordoient a le charger unanimement d'un crime qu'il n'avoit pas commis. Se recueillant en lui-même lors de la dernicre interrogation , il envifageaun des témoins d'une manière fi exprelfive Sc fi tou-  i ( 3^3 ) chante, Sc en lui difant d'une voix émue : Quel mal t'ai - je donc fait, que tu veuilles m'e'tendre fur la roue, & me faire expirer dans le plus horrible des fupplices ? .... que le fasx témoin palit Sc avoua bientót fon crime. Le caupable aecüfateur fut arrêté Sc puni du fupplice qu'il avoit voulu fake infliger a 1'innocent ; deux faux téaioins moururent pendant l'inftruction , Sc les deux autres furent pendus. Communautés. Xj e s métiers claffés trop fervilement ont fait long - temps le malheur de lëfpèce parifienne : les métiers aujourd'hui ont une plus grande latitude , cela vaut mieux; mais les métiers n'ont plus ces petits pouvoirs qui les flattoient. Ils nën font pas moins toujours inceffamment jaloux ; cëft a qui anéantira 1'induftrie de fon voifin ; Sc fi vous écoutez les réclamations de chacun , 1'Etat eft intérelfé fpécialement a fa confervation & a la deftruéfion de fon adverfaire.  ( 3*4 ) Voila la logique de toute corporation; elle a fur-tout pour but les faijïes. II eft sur qu'on peut connoitre les hommes fans fortir de certaines bornes étroitesj.la plus chétive corporation eft mue par les mêmes reftbrts que le plus augufte fénat. La conduite d'une Communauté eft a-peuprès celle d'un grand peuple \ 1'adreffe eft la même , toute la différence confifte dans la dignité des acteurs. Un corps eft toujours égoïfte , rarement généreux ; il dévore autour de lui. Vous trouverez de la fagefte 8c de 1'honnêteté dans plufieurs individus : un corps a une politique moins fouple, & il ne s'attendrit jamais. On payoit autrefois i une Communauté pour être de la Communauté; le prix de toutes les maitrifes fe verfe aujourd'hui au tréfor royal; cela doit faire un produit aftez confidérable. Les Communautés n'ont plus de fonds a elles , ou n'ont que des fonds médiocres. Tout fe concentre a la longue dans une maia unique ; ce fera bientót le grand Pan , le tout univerfel.  ( 3*5 CesCommunautés ne fervent donc plus que de canaux au tréfor royal, Sc leurs petites confréries ont été annullées. Les petits bourgeois fe complaifoient dans ces repréfentations hebdomadaires qui ne font plus , & qu'on leur a enlevées avec une facilité qui fembloit devoir les leur conferver. Depuis ce temps, les individus ifolés de ces Communautésfans patronfont tout au rabaisj les uns par befoin , les autres pour avoir la vogue. L'ouvrier fait de mauvaife marchandife qui n'a que 1'apparence Sc le fouffle; il ne s'applique point a perfeclionner fon ouvrage ; au contraire , cëft a qui établira a meilleur marché. De fon coté , Ie marchand diminue les prix en conféquence , & il y en a qui, par jaloufie , donnent même au prix courant a 1'acheteur , ou a fi petit bénéfice , qu'ils ne peuvent retirer leurs dépens. Qu'arrivet-il ? l'ouvrier meurt de faim y paree que celui qui achète , au lieu de vouloir du bon Sc de le bien payer fans tant marchander, fe contente des apparences. Cëft tout le contraire a Londres : les  ( }6