TABLEAU D E PARIS,, Faifant Suite aux Editionspréeédentes* Hélas! la vcrité fi fouvcnt eft cruelle ! tl ■ Vol. Quicoaquc ne voit guère , n'a gucre a dire aufli» La Fon tax. T O M E XII. A' AMSTERDAM. i 7 8 8.   TABLEAU DE PARIS. Paris, ou la Thêbaïde* T X e l l e éfl ma devife : paris en la patrlé dun Homme de Lettres , fa feule patrie. F°urquoi, dira-t-on i c'eit d'abord paree qu ü fe trouve au centre de tous jes genres dinltrudion, Bibliothèqu», Cours, Geus eclaires; a chaque pas il peut s'inftruire &s amüfer, 1'un yaut 1W Le tumuhe  C 2 5 l'environne , Sc c'eft au miüeu de ce tumult: , qu'il peut clioifir 1'afyle le plus doux, le plus paiiible de Punivers. La haute NoblefTe, 1'énorme opulence, la pedanterie de toute efpcce , pafTent a cöté de lui , & il ne leur devra rien. Toutes ces petites grandeurs des Provinces viennent fe fondre & mourir a Paris. Le ccrémonial , 1'étiquette ne PaiTujemflent point j car il aura plus de fociétés ai mables qu'il n'en pourra cultiver , & plus de connoifïances agréables qu'il n'en voudra.faire; point d'entraves, point de gêne , point de ces refpeéfc , de ces bienfcances provinciales , qui fatiguent tant 1'homme 'd'efprit; il defcendra de fon quatrième étage pour aller faire , non de ces viiïtes ferviles 8c politiques , auxquelles on eft affïijetti ailleurs , mais de ces vifites intére(Tan:es qui flattent Ie défir de s'inftruire. Dans les petites Villes , les caquets , les médifances , les prétentions des citadins en place le pourfuivroient, & il auroit a foufïïir du fot orgueil 8c des dédains  (5) arfogans du Richc. A Paris il eft J'égal de tout le monde ; il jouit de fa célébrité, s'il en a une ; il ne rencontre pas fes adverfaires, & il fera encore mieux Ioué Sc mieux apprécié que dans la Provihce. Enfin il efl loin de la morgue de ccux qui ont un babit bleu ou un habit rouge; cette morgue , la plus flupide de toutes, vient fe perdre Sc s'ancamir dans la grande Cité. Mais il perdra auffi de fa force , & cela devient inévitable. A la Chine, les Jardiniers ont le fecret de rendre nains les arbres de toutes efpèccs. Le ccdre n'a plus que deux pieds de ham , Sc le tronc, les branches, les feuilles , font très-bien proportionnés. Les plaifirs de la Capitale font les Jardiniers de la Chine. lis ont Ie fecret de rendre nains les hommes forts & vigoureux , pas tous cependant, mais une grande panie. Tel Philofophe peut aimer la folitude de la campagne , mais après elle , il préférera Paris a tout le refle. Son hevtreufe A 2  '( 4 5 fttuation appelle toutes les commodités de la vie. Michel Montaigne chérifioit cette Ville, & convenoit qu'elle avoit fur toutes les autres quelque chofe de philofophique. Ici il eft permis d'être foi '3 une fortune médiocre n'eft point fujette a une obfervation malicieufe , ni au dédain de 1'opulence , paree que les minces fortunes appaniennent au plus grand nombre. Les hommes de tous les pays accourent avec leur argent Sc viennent demander a Paris les jouiflances qu'ils ne trouveroient pas ailleurs. Singulière Ville , oü tandis que 1'un écrit un Livre philofophique, 1'autre fait imprimer un Mandement qui'vous permet gravement de manger des ceufs! Ville unique , oü un fimple mur mitoyen voit d'an cöté un chceur pieux de dévotes 8c auftères Carmélites , 8c de 1'autre les fcènes folatres & libertines d'un joyeux ferrail ; oü dans la même maifon 1'un rêve a placer un million, 8c 1'autre a emprunter un écu!  ( s 5 La 1'Obfervateur n'a pas befoin de campagne fituée au fond des bois , ou fur le bord de la mer; a toute heure il eft en fon pouvoir de rentrer dans fon cabinet comme dans un afyle ijnpénétrable. Nulle part il netrouvera de retraite plus tranquille & plus libre. La folitude parfaite peut exifter au milieu de Paris. On eft feul quand on veut 1'être , & rien de plus déleöable que le changement d'état; d'être aujourd'hui dans une fociété nombreufe , & le lendemain a fes occupations. C'eft ce contrafte qui plait, qui attaché. La manierede vivrela plus agrcable & en même temps la plus utile, eft celle qui fe partage également entre la folitude 8c la fociété. Quand 1'ennui nous domine, on fe jette dans le tourbillon. En a-t-on alfez , on xevient dans la folitude. Dans le commerce'du monde on acquiert des idéés; on voit une foule de caradères'. Dans la folitude , on met fes idéés en ordre , ou les claffe , on les range, on en tire tout le prolit qu'on en peut lirer. A 3  ( 6 ) Mam is douces. Les Peuples civilifcs, qui ont les moeurs douces , doivent avoir des légiflations humaines; il eft donc inutile d'appefantir 1'autorité fur les habitans de la Capitale ; & outre qu'ils font paifibles , défarmés , tpus occupés de leur? affaires ou de leurs plaifirs, ils ont une tendance a 1'ordre , a la paix, au repos , paree que la foule dei Citoyens inftruits contient ceux qui ne le font pas, & que les clalfes fupcrieures , ljvrées aux jouilfances épicuriennes & aux raifonnemens qui en réfultent , feront toujours le frein le plus puiflant contre une populace égarée. Cette populace conf.iltera toujours le vifage des elalfes bourgeoifesi & tam que celles-ci ne ferom que fourire, le Peuple fera dans 1'impoffibilité de s'émouvoir plus de 'quinze jours. Qa ne fauroit trop louer la figcfle &  ( 7 ) Ia mod'ération de la Police & du Gouververnement , qui dans diffcrentes petites émeutes, ont pris le plus grand foin de ne pas irriter le Peuple , en laiffant a fa fougue palfagère un effor qui dégenéroit en divertïffement & en plaifanteries. II faut au caraclère des Parifiens des émotions de toutes efpcces. Plus elles font vives moins elles durent. Les réfréner par la force ou par laviolence , feroit une faute dangereufe qu'on a fagement évitée. Dans tous ces tumultes qui ont environné Je Palais en 1787 , il n'y avoit pas un feul homme agé de trente ans , qui fe mêlat a ces dcbauches papulaires. Conuue Ie Peuple en général manque de diveniffemens publics , il s'en donne Poceafipn a certaines epoques > mais on peut pródire que ces petites mutineries. tomberont d'elles - mêmes , car elles reffemblent a ©elles des Ecoliers. Aucun homme fenfé ne fe trouve dans la foule, & les honnêt'es Bourgeois font hmplement fpedateurs, & jamais aóteurs , dans ces effërvefcènees A %  ( 8 ) qili fïniiTent par un ton de gaité, bu qu| s'évanouiflent au bout du mois. Le vrai fecret , pour faire tomber un? fermentation populaire , c'eft de ne point. 3a nourrir par une rigueur déplacée. Un feul homme bleffé & fanglant, poürroit échauffer une multitude ardente , Sc i\ faut que le? Adminiflrateurs des Etats aient de la prudence & de la raifpn pour ceux qu\ n'en ont pas , afin d'éviter le malheur Sc la honte qu'il y auroit a verfer le fang des Citoyens, quand ils yont bientót fe calmer d'eux-mêmes, Tolérance^ L'adminïstration civile admet tous fes, relachemens qui peuyent s'accorder avec 1'exiHence tranquÜle de la fociété; elle irappercoit rien de pernicieux dans les. befoins infpirés par le goiit du luxe , Sc ne voit rien que de licite dans. les mpeurs , tam qu'elle ne troublent point l'ha'-moni©  I 9 ) tje Ia fociété. La machine politique ne s'embarraffe point de ces irrégularités 3 qui font pour elle fans conféquence j elle ne veut point commander a 1'homme le facrifïce de fes goiïts & de fes paffions ; inais elle veut commander a tous les hommes le repos & la fubordination. II y a cn effet une autre morale , qui établit les regies de la perfedion , & qui porte les vues de 1'homme vers les récompenfes éternelles; elle le foumet a la voix de fa confcience , & lui impofe des facrifices particuljers 5 mais la politique , qui ne veut qu'effeéhier la fureté commune , embralfe la fortune publique, 8c penfe que la profpérité d'nn Royaume tient a des poids purement phyfiques, la confervation d'un Empire ne tenant point è des incanvéniens palfagers ou inévitables.  ( io ) Affiches des Speclacles. Auxjeux deftinés a 1'honneur de Flore, le Peuple, par refpeét pour Caton, n'ofa demander que les Danfeufes fe dépouilJaJTent pour danfer nues. II n'y avoit point d'affiches dans ce tems-la, car le grave Caton n'y feroit pas venu. Mais on fait aujourd'hui, quand on jouera Amphitryon ou Polieufle; Amphitryon , la pièce la plus immorale parmi tant de Comédies licentieufes. Lorfqu'on accolle ces deux pièces , nos Catons affifteront-ils a Polieufle pour fortir a la feconde pièce ? Un homme d'Etat va chez wil Peintre : il entre. On y deffme d'après nature une de nos Magdeleines qui viennent s'y mettre fdr un piédeftal a tant par heure : renverfera - t - il la toile en fuyant? Les affiches de Speétacle ne manquent point d'être appüquées aux murailles dès  (II ) Ie matin ; elles obfervent entre elles un certain rang : ceile de 1'Opera dorhine les au tres; les Spefiacles forains fe rangent de cöté comrae par refped pour les grands Théatres. Les places pour le placage font aiuTi bien obfervées que dans un eerde des Gens du monde. L'Afficheur eft un maïtre de cérémonies, qui fait ranger le long des murs ces annonces parlantes qui fe reproduifent encore dans le Journal de Paris , & qui forment fi frudueufement & fi commodément un cinquième du texte. Ces affiches mondaines & coloriées regardent de loin les affiches pieufes 8c fans couleur qui s'éloignent pour ainfi dire, amant qu'elles le peuvent, de 1'affemblée profane; mais quelquefois il n'y a que dix pieds entre 1'affiche qui aanonce Mahomet 8c celle qui met en vente la Science du Crucifix : c'eft un livre que j'ai lu. On n'annonce plus les pièces. Les Comédiens fe font dcrobés a cette fervitude journalière : eet ufage les entretenoit cependant dans un certain refped envers le  112) public, carils venoient courbant le dos 5c baiflant la tête recevoir un petit jugement particulier prop re a les rendre meilleurs. Ils voudroient bien auffi fe difpenfer des complimens de clóture & d'ouverture, mais ils ne 1'ofent pas encore. S'ils y parvenoient, ils feroient tout a fait licenties. On ne mettoit autrefois fur 1'affiche des Spedacles que les noms des Maïtres de la Scène ; c'étoit une diftindion. Aujourd'hui on y lit le nom de M. Pjyere , & de M. Colin. II feroit plus a propos d'y placer les noms des Adeurs , ainfi que cela fe pratique en Angleterre: on ne feroit pas attrapé par des doublés qui excittent Ia mauvaife humeur, 8c qui font regreter la perte de tems 8c d'argent. Mais le grand art des Comédiens confifte a efcamoter des chambrées , en voilant derrière le rideau la figure de ceux qui doiventrepréfenterj il y a des tours de gibecière pour un public entier , & les nobles Diredeurs de nos Théatres ne trouvent pas cela mauvais. Si vous aime^ la via x ne perde^ pas  I 13 5 Je tetns, car c'efl Vétoffe dont elle ejl faitt^ dit le Doéteur Francklin. Qu'il düt être fcandalifé de cette foule de petits divertiflemens , qui follicitent le Peuple & qui lui font perdre les heures du travail I Encore fi ces divertifTemens n'étoient pas infipides ; mais ce font des chiens, des finges , des Bateleurs , des Marionnettes, des Cafés , des Billards , des jeux de boule, des cabarets, qui invitent de toutes parts a 1'oifiveté : les portes de ces lieux font ouvertes a toute heure , & 1'ouvrier , qui y entre , n'en fort plus; on ne fauroit croire cembien les efprits du Peuple s'énervent dans ces diftraöions journalières. II faut au Peuple des fêtes, mais qu'elles foient placées a certains intervales ; il eft honteux de voir le Peuple fe confumer dans des tripots , quand il a tant a faire pour foi & pour fa familie.  Poudre de Roi. Inscription toute nouvelle mife a la porte de ceux qui débitent la poudre a canon : c'eft en effet cette poudre terrible qui fait les Rois & qui les défait. Poudre de Roi ! Elle dort dans les baffinets des fufils • elle attend la mèche dans Ia lumière des canons; une étincelle pourroit faire partir , par trois fecondes , cent mille fufillades , dix mille canonades, fans compter les bombes , les grenades, &c. Mais le Parifien n'a point peur de la poudre de Roi- il fait que ce tonnerre eft dans la main du Monarque uniquement contre Pennemi, & jamais contre fes Sujets. II n'appercoit donc la poudre de Roi que comme fervant aux environs de la Ville a tuer des lièvres & des perdrix. II ne Ia craint point, dis-je, & rien n'honore plus le dépofitaire de cette poudre. On pourroit encore appeler Poudre de  (IJ-) Roi cette poudre piquante qui fait eternuer & qui rapporte 30 millions; on la vend pulvérifée a chaque coin de rue avec cette in.fcription , de par le Roi ; les détailleurs la falfifient , & pour la rendre plus ftimulante y o*nt mis queLquefois du verre pillé. II eft inconcevable que 1'habitude , la pareffe faffent recourir a ces dangereux détailleurs , au lieu d'aller au bureau de la Ferme du tabac > qui du moins le donne bon & fans mélange ; mais qui le croiroit f la moitié de la Ville n'y a point recours par le défaut d'avances ; la livre de tabac en poudre paroit moins chère prife par once ou par demie-once ; & puis tous ces preneurs de tabac n'ont pas chez eux une rape ! Les détailleurs de par le Roi pourront donc tromper tous les nés , tant qu'ils voudront, vu 1'incuïie habituelle du Parifien.  &ï fii fi AuJourd'hüi les filles publiques , dti haut de leurs fenêtres ou balcons , fifflent comme des couleuvres : c'eft 1'appeL Elles font bien de prendre 1'acéent jufte, puifqu'elles récèlent lé venin de la vipère* On avoit donné a une fille le nont d'Harpagine: cette courtifanne ignorant que ce mot étoit fynonyme au mal véné~ rien, le portoir avec candeur. Un Academicien qui favoit le grec la détrompa , en lui rendant vifite : elle devint furieufe, & depuis ce jour-la elle ne veut plus porter que le nom d'une vierge* II n'y a plus qu'un moyen pour fe débarraifer de ces nymphes noéturnes qui vous affiégent de toutes parts, c'eft deleur dire énergiquement, je iiai plus dargent. Quelquefois le foir on rencontre dans les rues ie guet a pied, qui , tenant le fufil  '( i7 5 fufil fous fon bras, conduit galammeilt de 1'autre une jeune füie > tandis que fon camarade tient une vieille matrone ; c'eft un enlèvement, foit qu'il y ait eu tapage , foit que le jour de la punition foit arrivé. lAme qui eft novice fe défefpère & fe lamente ; celle-ci, plus effrontée, tient tête au foldat qui la mène. Le plus fouvent elles font en déshabillé & dans le plus grand défordre; on ne leur a pas donné le tems de s'habiller; elles tiennent leurs juppes qui tomberoient fi elles n'y por-< toient pas la mam. On les traïne d'un pas précipité & a travers les boues chez le Commilfaire qui a fait Penlèvement. La canaille s'aftemble & rit; 1'une eft échevelée , 1'autre chante & brave 1'orage : elles font introduites dans 1'étude du Commiftaire devanf le jeune Clerc qui les reconnoit, mais qui ne peut adoucir le proces verbal. Elles déclinent leur nom ou celui qu'elles veulent prendre avant que d'être conduites a la prifon de péni-i tence : toutes les charges font déduit6$ Tome XII. Bi  ( i8 ) avec des expreffions non voüées ; le Commilfaire & fon Clerc font accoutumés a. 1'idiome des mauvais lieux , comme des Académiciens le font au beau langage. Au refte , les mots profcrits de la langue font pofitivement dans toutes les bouches, depuis les Princes jufqu'aux Croclieteurs. Les femmes aujourd'hui fe les perme(tent, & jurent comme les hommes, fur-tout a la Cour; on diroit d'une particule explétive. Tandis qu'on verbalife, ces fille's avertilfent leurs amoureux de ce revers inattendu : ils arrivent avec leurs phyfionomies de ribotteurs ; mais les champions n'ofent délivrer leurs dulcinées. Elles fortent, & Pon voit couler les larmes d'un enfant de treize a quatorze ans, tout auprès de Pimmobilité flupide d'une vieille dévergondée. Ces vidimes de 1'incontinence publique font toujours forcées de mentir : le libertinage eft puni , car il s'éloigne de la volupté j il en devient Pantipode. Telle  I n) Mé au milieu de la proftitutfori a vecü trois années dans une maifon de libertinagé fans avoir connu un homme naturellement ; il y a des proftituées qui font pucelles , & elles font lom de pouvoir. s'appeller vierges. Tirons le rideau. On appelle des impures toutes celles qui vaguent dans les rues, & cette dénomination s'étend jufqu'a celles qui fe promènent au Palais royal. Mais la débauche dans cette grande Ville refTemble a ces taches noires dansun morceau de marbre blanc. L'innocence intacte eft tout a cöté du libertinagé effronté, & nefe mêle point avec lui. Le fecond ordre de la bourgeoifie a des mceurs & des mceurs plus pures peut-être que dans tout autre lieu du monde ; cependant la débauche, ou du moins fon image , cercle de toutes parts ces maifons honnêtes , Sc celles-ci font inacceffibles a la Corruption ; elles femblent même ignorer les défordres Sc les turpitudes qui font a vingt pas d'elle?. Les loix humaines ont leurs bornes; elles B a  ( 20 ) ne peuvent violenter trop durement 5 elles ne fauroient fouiller trop avant; réfornaairices de ce qui porte le fcandale, elles augmenteroient le défordre en voulant 1'anéantir. Les femmes font les idoles de la foiblelfe humaine. L'opulence les couvre des bijoux les plus précieux, des étoffes les plus riches. Le vice eft embelli, pour ainfi dire, dans la perfonne d'une courtifanne; il ne reprend fes traits honteux & fa couleur rebutante que dans les dernières viöimes de 1'incontinence. L'air libre & immodefte va a telle femme, commentla Police féparera-t-elle deux défordres égaux ? comment fera-t-elle indub gente pour le libertinagé paré roulant dans un char , Sc févèie pour le libertinagé de détrelfe marchant dans les rues fangeufes ? II y a de la différence fans dotue dans les noms , lorfque celle - ci s'appel'e Ia Rïbotte; 1'autre Belair; 1'autre Caraconoir 5 la quatrième Ventre-bleu; Sc la dernière, comme le poite - enfeigne de la profelfion , Tire-a-toi -3 tandis qu'a 1'Opéra  ( 21 j les noms les plusharmonieux desSaintes dn Calendiier, font élégamment choifis pour diftinguer les fuperbes courtifannes; mais Ie métier n'eft-il pas le même ? Toutes ne recoivent - elles pas également les offrandes volontaires du libertinagé ? On a vu Papologie du publicifme des femmes dans le Journal de Paris : cette apologie étoit-la bien déplacée. II n'étoit pas befoin de renforcer cette pente , & il eft des tolérances publiques qu'il ne faut point .du moins avouer publiquement ; Sixte Quint fit une guerre violente au publicifme des femmes. C'étoit un grand politique. Je penfe que le Gouvernement fera forcé, avant peu , de donner une attention férieufe, moins au défordrequ'au fcandale ; il pourroit mettre a profit plufieürs idéés faines répandues dans Ie Pornographe , ouvrage de M. Rétif de la Bretonne , qui a enfeigné Part d'óter au vice ce qu'il a de plus redoutable, fon effronterie. Dès qu'il fera voilé , il n'offenfera plus Pordre public. Dans les  mains d'un habile Légiflateur , le bien fort du mal ; & voila le grand fecret de la politique. La Police ne permet pas a ces créatures d'ajouter 1'adrefle a 1'impudence, & de fe payer par leurs mains fur les effets, & bijoux , qu'elles peuvent furprendre a 1'ivrefle de la débauche, ou a la négligence de leurs dupes; les montres , les tabatières , les portes-feuilles ne leur appartiennent pas plus qu'aux fiacres, lorfqu'on les oublie dans leurs voitures. II faut qu'elles refUtuent ces effets, car c'eft alfez de manquer a la pudeur fans offenfer encore la probité : elles font pourfuivies lorfqu'elles volent ou qu'elles efcamottent, 8c font forcées de lacher fur le champ leur Jeur proie. On n'afhche point qu'on a été volé de fa montre ou de fa tabatière dans un mauvais |ieu ; on affiche décemment qu'on 1'a perdue , & 1'on promet une récompenfe honnête ; 8c quoi de plus honnête que de rappprter uri bijou du centre d'un mauvais  '( 23 ) lieu ! ainfi il y a combat d'honnêteté, & ce qui eft honnête devient utile, comme 1'a tant dit Cicéron; car on paye la fille pour la montre volée. Alors elle eft a 1'abri de toutes pourfuites : on fuppofe que le propriétaire 1'a laiflee tomber dans un moment inattentif, & la fille n'eft point cenfée une efcroque , terme qui devient une injure même pour une proftituée. La vigilance des Orfèvres fert trèsi bien la Police a cei égard ; ils ont le coup - d'ceil exercé a reconnoitre les bijoux volés , les prix qu'y met le vendeur , fa tournure , fon maintien, tout les éclaire; & comme ils tiennent regiftres de tout ce qu'ils achetent , il efl facile par eux de remonter jufqu'a la fource du délit , & de reconnoitre la première main, qui a ufé d'une fubtile adrefle. J'ai 1'honneur deconnoitreleConfefTeur des galériens, des filles de la Salpêtrière, & des marmotes des boulevards. Je vous réponds que la confcience de telle Marquife 1'embarrafleroit plus que toutes ces conf- B 4  ( 24 ) ciences-la. Ces pécheurs groflïers ne déguifent point ce qu'ils ont fait; on n'a pas befoin de les interroger pour tirer la vérité du fond de leur ame coupable & franche. Ils ont obéi a leurs paffions brutales, & leur confefïïon roule d'elle-même; ils fe repentent autant qu'ils peuvent fe repentir; ils veulent avoir 1'abfolution, paree qu'ils ne fe confefferit que pour cela. Le Confeffeur des galériens & des marmotes, ne fubdivife donc point un cas de confcience, comme s'il avoit a fes genoux une jeune Carmélite. II gronde & il abfout. II retrouve le même pêché au bout de iix mois j il gronde encore , mais il abfout toujours j s'il refufoit 1'abfolution, il verrok tous ces pécheurs défordonnésallet chercher un autre Pénitencier, qui auroit appris que les galériens , les iilles de la Salpêtrière & les marmotes des boulevards marchent fur un pente infurmontable : il leur faut décidément 1'abfolution , paree qu'ils mettent tout dans 1'aveu qu'ils font au confeflional, pénitence, repemir, répara*ion3 changement de vie,  i 2; 5 O légers Moralifies ! vousne connoifTez pas les hommes. Vous n'avez point confeifé les galériens & les filles de la Salpétrière j ils fe confelfent fans détours, & avec la même aifance qu'ils ont commis le pêché. Ils font plus criminels que vicieux. Eft-ce qu'il en couteroit moins de révéler un crime qu'un vice ? Les geus vicieux fe confelfent mal , Sc ceux qui ont tous les défauts ne fe confelfent point du tout. Voila pourquoi ils ridiculifent encore la confefllon. Le Trou du Souffleur. Les étrangers qui , en affiftant a nos Tragédies , viennent pour y jouir du plaifir de répandre des larmes , commencent par beaucoup rire, en voyant ce Trou du Souffleur. L'ouverture quarrce de ce fouterrain bordé de lampions, ell creufé , tantót fous le palais des Sultans, comme dans Zaïre ; tantót fous le temple des Juifs, comme dans Athalie j tantót fous  '( 26 ) en camp , comme dans Iphigénie en Aulidt; tantöt fous un maufolée , comme dans Sémiramis j tantót fous ie Capitole, comme dans Brutus, &c. II détruit abfolument 1'iJlufion fans laquelle le charme des Spedateurs n'exifte point. L'ouverture de ce fouterrain ne change jamais de place , quoique dans la même pièce, les différens édifices, qui pofent fur fa furface, varient fouvent d'ade en ade; femblable a 1'étoile polaire , qui de fon pofte immobile voit tout fe mouvoir autour d'elle. Onvoit fans cefte les mouvemens de la tête du Souffleur, qui , de tous les Spedateurs, eftle mieux placé, pour regarder fous les jupons des Adrices , quand elles fe livrent aux mouvemens défordonnés de la paffion tragique. II y a quelquefois deux têtes dans ce trou. C'eft une perruque en bourfe qui fouffle 1'Empereur Augufte couronné d'nn laurier , ou Mahomet le front ceint d'un turban. Comme cette tête eft au niveau du cothurne, quelquefois 1'Adeur impatienté, eft fur le point de lui  I 27 5 frapper le vifage, & le mouvement brutal de eet Aéteur qui a oublie fon röle, paffe, aux yeux des connodfeurs dont le parterre eft plein , pour une perfeclion qu'il y ajoute. Le Souffleur tourne le dos au Public comme un joueur d'orgues. On apperepit quelquefois a fes cötés une femme dont le bonnet devient le point le plus mobile & le plus apparent de 1'affemblée. Ses rubans font a dix pouces de 1'arc de GengisKan , ou du cimeterre de Pharafmane , ou de la lance de Tancrède. II contrafte avec la couronne de Cléopatre, le bandeau royal de Mérope, & la co'ëffure de Cornélie en pleurs. Une chofe a remarquer fur ce trou....: car comment 1'appeller autrement ? C'eft lorfqu'un des héros de la Scène manque de mémoire , ou que fon confident fe méprend dans la fienne, alors chacun regaidc file Souffleur eft ou ivre , ou abfent, ou endormi : mais celui-ci , toulfant & agitant la tête, prouve qu'il n'eft rien de  ( 28 ) tout cela. La femme, fa voifine, le fe-* conde de fon mieux. Un vers de Racine fe coupe , tout haut . moitié par 1'Acteur 8c moitié par le Souffleur. C'eft bien pis quand eet homme fouffle une pièce qu'il n'a pas même lue , & que par fon ignorance il apprête a rire a toute 1'affemblée. Je me fouviens d'en avoir vu un exemple. Dans la quatrième fcène du cinquième acte de Rhadamifte, l'Acteur qui jouoit Ie róle d'Hidafpe, ayant dit , par diftraction. . . . UArnbaJfadeur de Rome 6* celui d'Ifménie... (au lieu de dire d'Arménic ) de ce palais , Seigneur , enlèvent. . . , ne fe rappella point le dernier mot du vers; le Souffleur lui ciïa : 1'Arménie , au lieu de dire Ifménie , de forte qu'Hidafpe, parlant a Pharafmane, lui dit : I/Ambaffadeur de Rome & celui d'Ifménie, De ce Palais , Seigneur , enlèvent 1'Arménie. Quand le Souffleur ferme fa trappe , cela veut dire que la pièce eft finie. La foldatefque , le fufil fur le bras, les coulifles garnies de femmes de chambre qui  () rnontrent leur tablier a cóté du manteaiï d'Athalie , & ce trou ridicule, font tellement évanouir toute Filluiion, que plu-* fieurs hommes de goüt aiment mieux entendie que voir. Comment 1'habitude aa - t - elle pu nous familiarifer avec ces difparates ? En Angleterre , le Souffleur fe tient caché a 1'entrce de la première coulifle. Chez les anciens , quelque part qu'il fe tint , les Adeurs, fur leurs vaftes Théatres , ne 1'auroient point entendu. Un autre inconvénient, attaché au röle fubalterne de celui qui joue dans fon trou obfcur , a la lueur d'une bougie qu'il promène de ligne en ligne, en fermant un ceil , c'eft qu'il eft des momens oü 1'Adeur fur les planches , fe livrant a toute fon émotion, fufpend fon débit & ne parle plus que par fon attitude touchante & des geftes éloquens j Ie Souffleur , qui eft de fang - froid , & qui croit que Zamore , Orefte , ou Rhadamifte , manquent de mémoire , fe hate de fouffler tout haut Ie ïefte du vers t 8c eet Adeur} qui inyo-»  '( 30 ) quoit les Dieux, envoye le Souffleur i tous les diables; il fe trouble, joue mal le refte de la fcène , & le Parterre parifien rit de 1'un & de l'autre. Nous n'avons parlé du Souffleur que relativement aux Tragédies. Nous aurions pu 1'examiner quand il préfide aux Comé* dies : (nous nous fervons du mot prefi der, paree qu'en France, point de Souffleurs , point de Speöades. ) On voit dans les Comédies le Souffleur riant de tout fon cceur fur une équivoque, laifler tomber le livre ou le manufcrit, & rire le premier } comme fi le Speöacle étoit fpécialement pour lui, paree qu'il en eft le plus proche. Le Chateau : —r - J" ■'■ ■-■ '- "^22:-:' '>'.H^TT^™^** Fr er es de la Charité. Ils prodignent les ubcours fpirituels & temporels que la pauvreté & la maladie ne réclament jamais en vain. Ils ont plufieurs hofpices bien tenus ; un entr'autre pour les militaires & les eccléfiaftiques qui fympathifent vers la tin de leur carrière. Deux cent cinquante lits font deftincs aux malades couchés féparément. Ils recoivent encore les infenfcs , les épileptiques , tant qu'un lit eft vacant; le premier qui fe préfente y eft admis. On doit des éloges a 1'adminiftration des Freres de la Charité, a leur vigilance, a leur foins : ils ne font pas prêtres; plufieurs d'entr'eux font comptés parmi les plus habiles chirurgiens. Pour fonder un lit, on donne douze mille livres j alors le fondateur & fes héritiers peuvent nommer a perpétuité pour 1'emploi de ce lit. Ces religieux font C 2  ( 3* ) utiles & doivent être diftingués de beau-*. coup d'autres. Mais on regarde comme une extenfion condamnable de leurs ftatuts -1'ufage de recevoir par lettres de cachet. On eft faché de voir les Freres de la Charité métamorphofés en geoliers , 8c les hofpices tranffortnés en petites baftilfes. Ils n'ont pu fe refufer , difent-ils , a ce vceu du miniftere ; mais on fera toujours furpris de voir de ces maifons de force entre les mains de ceux qui panfent les plaies du blefle, 8c qui , pleins des maximes de 1'évangile , y verfent le baume du Samaritain. Les hofpices féparés Sc volontairement fondés feront toujours les meilleurs ; laiffez faire la charité , mes amis , elle eft agiftante, elle eft plus que favante. C'eft le patriotifme national le plus gènéreux , le plus vigilant qui préfide a 1'adminiftration des hópitaux de Londres. Ce ne font point des évêques , ni des gens d'cglife , ni des geus du haut , qui en font les adminiftrateurs. L'homme aime  ( 31 3 a faire de bonnes ceuvres, paree que totltê bonne oeuvre produit 1'effet d'un cordial , d'un reftaurant, d'une panacee , d'un morbifuge, d'un fpccifïque univerfel. La maifon de Charenton qu'occupe les Freres dt la Charité, eft agréablement fituée ; elle n'eft point de fa nature une prifon d'etat , mais elle 1'eft devenue, puifqu'on y enferme par lettres de cachet. II eft un jour dans 1'année oü les Magiftrats vilitent les maifons de force ; c'efl au mois de feptembre , paree que les Magiftrats du Parlement font alors en vacation. Tous les ans ! Voila une vifite bien rare I Qu'une nuitparoit longue ala douleur qui veille ! a dit' un poète; & 1'emprifonnement de on^e mois & vingt-neuf jours parott un Jiècle a 1'imagination eflrayce! Tel fouffre plus dans un jour que 1'autre dans un mois; mais enfin cette vifite charitable fuffiroit fi tous les placets étoient admis 8c répondus , ce qui n'arrive point: quelle plus noble fonclion pour Ia jufticel C 3.  e 3*) II fut un tems oü tous ceux qui avoient ene autorité fupérieure K foit dans la capitale , foit dans les provinces , appelloient Ja lettre de cachet le remede extraordinaire ; il étoit raême abandonné aux fermiers généraux pour arrêter les contrebandiers. Louis XIV , dont la renommée faclice fe décompofe de jour cn jour, a multiplié les lettres de cachet a un point effrayant: ces emprifonaerriens arbitraires ctoient devenus fi communs , qu'on porte \ quaire-vingt mille le nombre des prifonniers d'ctat dans les affaires du Janfénifme. Les ccrivains' géncreux ne font pas Fr er es de la Charité, mais ils la portent dans le cceur j ils diront, ils répéteront fans ceffe que ces idees de punition arbitraire nuifent confidérablement a la dignité du Gouvernement francois, & a 1'eftime qu'il devroit infpirer. Ils ajouteront qu'il eft important de défabufer 1'étranger fur les images exagérées des prifons d'état, paree qu'elles aviliffent une nation, qui aiine trop fes Rois pour les craindre> ou  ( VJ ) peut .être fujet d'un Monarque & libre fous la tóajefté des loix. II eft certain* maux poïitiques que le tems feul peut corriger ou efïacer; mais potter des ftigmates d'oppreffion & de fervitude , c'eft ce qui n'eft point , c'eft ce qui ne fera jamais. Sous le regne aduel, 1'emploi des. lettres de cachet eft devenu rhfiniment. plus rare que fous les deux regnes préccdens. On a fenti que la difpofuion de nos perfonnes ctoit le droit le plus facré;. & toutes les idees fe tournant en France vers la perfectibilité de la lcgiflation, h remede extraordinaire n'agira plus bientót que dans les cas vraiment extraordinafres» Les prifonniers de Cbarenton font des fous , des imbcciles s des libertms , desdcbauchcs, desprodigues : 1'amour &l'am— bition , voila les deux maladies qui dcforganifent la têtehumaine. J'ai vu dernieremènt a Charenton un jeune homme qui vouloit être a toute force précepteur du Dauphin,. & qui fatigua tellement 1c miniflere a ce fujet, qu'il fallut 1'enfer/mer pour guérir fon- cerveau» Ce genre de folie pouyoit C %  ( 4° ) Hen ne pas appartenir a un homme ordinaire , mais quel oubli prodigieux des chofes exiftantes ï Enclos dis Chartreux. J_jA mélancolh cfl friande, a dit Montaigne; je me fms rappeilé ce trait en me promenant dans eet enclos qui fe trouve enclavé anjourd'hui dans la ville, oui, ce contrafte du repos a cöté de 1'agitaiion fait rêver. On diroit que les Hots d'un monde orageux font venus expirer a cette porte. Le lilence eft dans cette enceintej quel cal me ! Et la Comédie francoife , flanquce dc fes bruyans équipages , eft a quatre pas ; on peut fe promener dans ce jardin foütaire avaju que d'afnlter aux yumeurs théatraler, Le jardin des Chartreux a Ie caraétere du célert; la terredes alices n'y eft poinï rernuée j l'.-.erbe y cit épaifFe i les arbres n'y pertesupoint 1'empreintede la fauciHe, ÜS füi.t humbles & courbés comme-les  ( 4t 5 religienx qui vous faluent fansvous regarder : c'eft ici le noviciat de Péternité j on fe croit a cent lieues de la nouvelle Eabylone. II n'eft pas befoin d'un tombeau faclice pour réveiller en eet endroit des idees religicufes ; on voit fimage d'un autre monde & d'un monde paifible , foit dans cc filence habituel , foit dans ces ombres blanches qui paffent , foit enfin dans ce chant long & lugubre qui retentit au pied des autels • j'ai appercu dans 1'enclösun homme qui prioit a genoux au pied d'un arbre en fieurs, comme s'il eüt été dans un templc. Cela m'a frappé. Les tableaux de le Sueur ne font plus dans le cloïtre ; c'eft Je paiais des Rois, qui les poffede. Ces tableaux pleins d'une expreffion fublime étoient bien p'acés oü ils étoient; que feront-ils hors du cloïtre religieOx , a cótë de Jupiter , de Mars & de Vénus, qui offrent des corps nuds & des dieuxarmés de la foudre ? pourquoi les a - t - on tranfplantés , ces immortels tableaux? pourquoi leur avoir óté leur prinfipal effet ?  ( 42 ) J'aimerois mieux être toujours feul que d'être obligé de vivre inceflamment en préfence d'autrui. Un Chartreux , s'il avoit du génie , pourroit reculer les bornes de 1'efprit humain. C'eft-la qu'en creufant la méditation, 1'atne adive & patiënte acquerroit la faculté de s'élever trés - haut. Le métaphyficien devroit entrer aux Chartreux plutöt que dans tout autre convent. iVingt pages écrites par un Chartreux yaudroient mieux que tous les écrits des Bénédidins. Les jours font de foixante-douze heures pour ces religieux ; voila bien les jours qu'il me faudroit, mais je ne prendrai pas pour cela 1'habit de faint Bruno. La fabie, que c'étoit un Chartreux qui avoit fait les tragedies de Crébillon, eft dénuée de fondement. Les Chartreux oilt parmi les au tres moines Pair de grands Seigneurs. Leur orgueil eft poli, tandis que 1'orgueil d'un Bénédidin efl prononcé. Un Cordelier , un lïïinime , un Jacobin pour le gefte , Je ton & les manieres ne peuvent fouffni la comparaifon a cóté d'un Chartreux.  ( 43 ) Comme 1'ordre fait toujours maigre , il eft en polfeffion d'enlever a la halle les plus beaux poiflbns de l'óeéan , & bon auroit llx tables fervies en gras pour ce que coüte cette table pénitente. Les Chartreux donnent un diner fpleudide tous les ans dans la femaine de la Paffion ; les poiflbns de la mer y font prodigués. Les célebres gourmands s'y rcndent de toutes parts. Tel fait 1'hypocrite pour y être admis. La préfence du lieu commando la tempérar.ce ; cependant les vins l'ont quelquefois emporté fur la fageffe des convives. Ces repas , qui fe font tous les ans , font attendus par les dévots , qui en général ne haïffent pas les bonnes tables. Des fycophantes font leur cour aces religieuxj c'eft qu'ils aiment le poiflbn que ceux^ ci fervent abondamment a leurs convives : comme il eft toujours frais & bien choifi , la friandife , plutöt que 1'efprit de religion , conduit quelques tanuffes dans ces faintes retraites oü Ia cuifine elk dé]ectablc.  C 44 5 Marie Leczinska , femme de Louis XVj qui par efprit de dévotion aimoit a fréquenter les couvents & qui prenoit plaifir a converfer avec des religieux & reJigieufes , étant pres d'une chartreufe , voulut la vifiter. Les Reines de France ont le droit d'entrer dans 1'intérieur de tous les couvens : elle fe fit accompagner de deux dames de fon palais , lefquelles ctoient vieilles & laides. Arrivées a Ja porte du monaflere , elle y fut recue par le prieur , qui la conduifit d'abord dans 1'églife, oü elle fit fa priere , 8c de-la dans les jardins & dortoirs de la maifon ? qu'elle parcourut dans le plus grand détail , par une fuite de Ia pieufe curiofité qui 1'animoit; elle marqua fa tres-grande fatisfaction a toute la communauté. Huit jours après le prieur du même couvent follicita une audience de la Reine qui n'étoit qu'a quatre lieues du monaflere. — Madame , dit-il , je remercie trèshumblement Votre Majeflé de 1'honneur qu'elle a fait a toute la communauté , en la gratifiant de fa préfence ; mais.je  '( 45- ) !a fupplie inftamment de n'y plus remettrc Ie pied , & voici pourquoi: Depuis 1'apparition de Vocre Majefté , & des deux dames de fa fuite , je ne fuis plus le maitre de mes religieux. Toutes les têtes font tournees , Sc 1'impreffion que Votre Majefté a faite fur le cceur de mes folitaires , eft telle que, portant leurs penfées dans le monde, je ne puis plus les contenir dans Ia regie. La Reine étonnée, —Moi, mon pere, mais j'ai cinquante ans, Sc les deux dames qui m'accompagnoien* font moins jeunes encore. ■— Madame, le défordre eft général; on ne parle plus que de la Reine, on ne voit qu'elle j Sc ce qu'il y a de plus allarmant, c'eft que Votre Majefté eft venue précifément trois jours avant le tems des minutïons. —Qu'eftce que ces minutïons, mon pere ? —J'aurai 1'honneur'de dire a Votre Majefté qu'on appelle minutions dans 1'ordre de faint Bruno un tems de retraite, oü 1'on faigne Sc oü 1'on purge chaque religieux dans une celluie particuliere pour éteindre en lui les feux de la convoitife.  i 46) La Reine fiirprife , interdite , mais point fachée, a ce qu'on put voir fur fon vifage , fe retira en promettant au prieur de ne plus retourner a fon couvent. Lettres épifiolaires. Les femmes les écrivent trés - bien , infiniment mieux que les hommes les plus fpirituels. Mais c'eft-la auffi qu'elles mettent toute leur perfidie. Les lettres miffives font pour les écrivains de profeffion les fufëes du génie , mais en général les auteurs font toujours auteurs dans le commerce épiflolaire ; ils ne peuvent fe féparer d'eux-mêmes pour defcendre dans 1'ame de ceux a qui ils écrivent ; il faut fe métamorphofer en autrui pour faire des lettres qui confolent. Les lettres font 1'entretien de deux perfonnes éloignées 1'une de 1'autre ; comme on fe parle alors feul a feul , la penfée devroit s'exprimer de la maniere la plus fimple & la plus naïve : mais le  ( 47 ) fimulé de nos mceurs , & Ia manie de mettre par-tout de 1'efprit ont altéré ce langage comme tout autre : il eft difficile aujourd'hui de bien difcerner le caraclere d'un homme d'après fes lettres , paree qu'on y emploie Part & le deguifement. II eft du bel ufage de donner a un fujet commun une tournure neuve & fuperflue. Tel qui afpire aux honneurs de Pimpreffion , s'imagine voir la poftérité devant lui , lorfqu'il écrit a fon ancien compagnon d'études. L'hommc de lettres fait des madrigaux a la femme dont il eft amoureux : celle-ci épuife tous les termes de la fenlibilité en écrivant a fa divine , fa délicieufe amie. On veut mettre une touche fine & délicate jufques dans un billet pour offrir ou demander une loge au fpedacle: tout cela eft charmant fans doute , mais ce n'eft point ce qu'on nomme lettres éplflolaires. Deux amis li és depuis long-tems par le rapport des goüts , une eftime réciproque &la convenance du caraclere, tantöt réuïis} tantöt feparés, accoutumés a fe com-  148) niüiïiquer toutes leurs penfées, cónnnuërit avec la plume le dialogue que 1'abfence de 1'un d'eux interrompt. C'eft untêtea tête , c'eft 1'épanchement du cceur ; on eft feul avec fon ami, on fe livre a tout ce qu'on épróuve , chagrins , affaires , cramtes , ennuis , efpérances , gaité, tout trouve fa place, & les fujets de converfation fe multiplient fous la plume. On écrit fans fonger qu'on vouloit écrire & comme par inftinct , ou plutót c'eft un befoin qu'on fatisfait j on ne voit que 1'ami a qui 1'on parle. Voila les lettres êpiftolaires qui méri-» tent d'être confervées, d'être relues au bout de dix ans, & qui contiennent plus d'idées que les livres des moralifeurs. Madame de Sévigné ne foupconnoit pas que fes lettres feroient recueillies & imprimées; elle s'abandonne a fon fentiment maternel & a fa gaité naturelle; en les lifant on eft, pour ainfi dire , fïatté d'être de fa confidcnce , quoique les perfonnes & les événemens dont elle parle n'intéreffent plus. En  ( 49 5 ,En Irlande, deux époux d'un état & d'un mérite au-deffus du commun , difgraciés de la fortune , & obligés de tenir fecrète leur union , ont correfpondu pendant vingt années ; & leurs lettres , dans un moment d'infortune , ont été publiées par un ami ( i). Ce recueil , qui forme lix volumes , fut lu avec le plus vif intérêt. II n'y a ni a'mour, ni galanterie, ni paffion : c'eft un fentiment vrai » une ami* tié conftante , dont on ne parle jamais, 8c qui fe montre dans tout ce qu'ils fe difent. Ces lettres n'offrent d'ailleurs aucun récit fuivi , aucune anecdote intéreffante. Or jamais un auteur n'imagineroit un livre pareil; & s'il étoit imaginé, ce feroit le livre le plus infipide. Cependant on lit fans ennui cette correfpondance , paree qu'elle eft 1'entretien de deux perfonnes d'efprit, qu'un fentiment bien rare & bien tendre attaché 1'une a 1'autre. ( i ) A ferie of genuine Letters beuveen Henry and Frances. Dublin, 1746, Tome Zit D  Ü n'efl donc de lettres épiftolaires quö celles que le cceur diöe pour 1'objet qui feul fait les entendre. Quand on compare le ftyle fimple, familier , tranquille , égal , modefte , qui cara&érife les lettres de Cicéron , & celles de fes amis a 1'étiquette , aux formalités , au cérémonial, au néant du commerce épiftolaire de nos jours , on regrette cette franchife & cette liberté qui nous frappen! dans 1'orateur romain , quoiqu'il écrivït dans la crife la plus violente de la république; on voit que Cicéron ne craignoit pas VamoliJJeur des cachets : aujourd'hui ïeflyle eft compaffé, paree que quiconque confie une lettre aux poftes ou aux couriers, n'eft pas sur qu'elle ne fera poinE lue. Une lettre qu'on a commencée trop haut, qu'on n'a point terminée alfez bas , dont les deux extrémités font marquées au coin d'une foumiflion trop fuperficielle, tout cela fe remarque encore aujourd'hui par certaines gens qui ne font ni des Cicérons ni des Plines 5 mais qui calculent ces  I Si ) inisères au poids de leur orguell , cc qui ne les difpenfe pas d'une yanité puérile. Les Grands Comédiens contre les Petits* ï L faut bien que le charme des fociété* particulières ne foit plus le même, puifque le Parifien de toutes les clalfes s'engouffre chaque jour dans des falies dé fpeftacles , qui font au nombre de neuf. Toutes font pleines, quelles que foient les pièces & les acteurs. Bien plus , c'eft que fouvent la foule eft plus grande au Roi de Cocagne qu'au Tartuffe , a Muflapha qu'a Athalie. Les claffes inférieures troüveht des charmes dans les repjéfentatiöns oü les gens d'un goüt délicat ne trouvent qué 1'ennui. Ce font les comparaifons qui tuent toutes les jouiffances 8c même le bonheur» Quelle jouiffance , au premier coupd'ceil , paroït devoir être plus libre , que les plaifirs du théütre ï Quand le génie 3 D a  "( ƒ2 ) «ompofé un ouyrage dramatique , ne l'a-> t-il pas donné a tous les hommes nés pour 1'entendre ? Le foleil eft fait pour tout Le monde , dit le proverbe populaire > il en eft de même du génie. Eh bien , des priviléges exclufifs dignes des fiècles les plus barbares, ont rendu des ouvrages appartenans a la nation, des propriétés particulières qui partagent les comédiens en des efpèces de communautés, toutes armées auffi ridiculement les unes contre les autres , que 1'étoient autrefois les marchands de vin contre les traiteurs , & les cordonniers contre les favetiers. On a affermé le fel , Ie tabac; on a affërmé de même les notes de mufique, les vers alexandrins & Ia profe dramatique. En vain Ie génie a-t-il créé , pour Ia jouiffance commune , ces beaux-arts , que les Rois peuvent récompenfer , mais ne pouvoient pas faire naitre. Voici que 1'Opéra défend aux autres fpectacles de chanter. Voici que le Théatre francois empêche qu'on ne déclame ailleurs les ;vers de Corneille & de Racine , dont  < $3 ) ceiix - ci avoient fait préfent a tous les hommes faits pour les rendre. L'art de chanter n'eft pas plus libre que l'art de déclamer. L'avarice fordide déploie un parchemin , & ce parchemin a la force d'un arrêt prohibitif. Des dire&eurs , mus tantót par des motifs cupides., tantót par d'autres plus vils encore, font fervir 1'autorité fouveraine a dc-fendre un troupeau de comédiens devenus leurs efclaves ou leurs protégés , contre un autre troupeau qui leur enleveroit leur pature. L'Académie royale de mufique taxe tous les chanteurs ; les comédiens du Roi s'emparent de toute déclamation dans la capitale, & voudroient accaparer celle de tout le royaume , jufqu'a Baïonne. Fut-il jamais une tyrannie plus abfurde? Elle trouve cependant des protefteurs qui font les véritables ennemis des plaifirs du public. Si l'art étoit libre , fi un ouvrage dramatique , quand il a recu la fanöion du Gouvernement , c'efl-a-dire , quand il n'offenfe ni les loix, ni les perfonnes> D 3  i T4 )" pouvoit fe placer oü il voudroit, le pets-* ple , au lieu de ces pièces informes qui déshonorenc a & ceux qui les compofent, & ceux qui les repréfcntent, nourriroit fon efprit d'alimens plus fains Sc plus agréables. Mais quoi! celui qui fait l'art eft efclave l on enchaine la plume de 1'homme de génie ! II écrit pour tous les hommes , Sc il rencontre un comédien qui lui dit : « Je fuis privilégié ». Pauvre auteur dramatique , te voila fubordonné \ ;Tu écris pour faire couler des larmes univerfelles , Sc voila qu'on te refferre dans un enclos. Tu ne feras pas le maitre de chpifir tes inftrumens, On taillera ta fliite; on charpentera ton clavecin; tu voulois éledrifer un peuple éntier, il faus ,que tu n'exifles cpie fous le bon vouloic d'une poignée de comédiens , afin que perfonne ne rapporte a i'auteur le plaifir que chacun a fenti: le comédien du Roi revendique dans les pedts fpeéhcles telle pièce qu'il veut s'approprier j & il fut un ïems , oü Prévilk nmtiloit a plaifir la pro-s flu&ion defdnée au peuple } & empêchoit  ( ss 5 qu'un peu de morale & un peu d'efprit ne s'y gliiTafrent. Pourquoi ne fuis-je pas le maïtre de dreffer un théatre comme d'ouvrir une table d'höte ? La meilleure cuifine ou la meilleure pièce aura la préférence. Ce ridicule Opéra , ce grand monftre dramatique interciit tout chant, & a des Franoois ! On ne chante point fans 1'avoir payé. Le ridicule a été pouffé plus loin : quand 1'Académie royale de mufique , ne voulant pas même d'argent , contre fa coutume , défendoit aux adeurs forains de clianter de leur gofier , ceux-ci avoient imaginé d'orfrir aux fpedateurs des rouleaux dg papier oü les couplets étoient gravés ; Ie parterre les chantoit ; & ceux qni, craignant les comédiens du Pvoi , ne pouvoient parler , offroient au public de grands écritaux. Or , dites - nous , les Vifigots ont-ils jamais rien imaginé de pareil f D'après le goüt général du public , pour ces amufemens , on pourroit les lui rendre utiles , en laiffant a l'art drama- D 4.  ^ l s* 5 tique fes modifïcations, & en ne Ie gênanr que dans ce qui pourroit intéreffèf la décence & la police f Mais les petits & fnifërables intéréts préoccupent tellement les gens en place, ils ont fi peu d'amour pour les pures 6c innocentes jouilfances du peuple , qu'ils permettront aux comédiens privilégiés de tripier le prix des places , & de donner des.comédies empoifonnées, telle que le manage de Figaro , tandis qu'ils interdiront aux petits fpectacles des pièces riantes & morales , fous prétexte qu'on ne doit entendre & payer que les comédiens du Roi: ce que fouhaite M. Besförges, pour plus d'une raifpn , inutile a dire. Le Séminalre des Trente - Trois, J É s u s - C h r 1 s t a paffe trente - trois années fur la terre; on a fondé en leur bbnnour trente - trois bourfes. Voila co qui compofe le féminaire des Trente-.'  ( 5-7 ) La mere de Louis XIV, fidelle au nombre facré, voulut qu'on leur délivrat trentetrois livres de pain. Le duc d'Orléans, fils du Regent, determina ces pauvres écoliers a prendre des lecons d'hébreu. Depuis ce tems la langue hébraïque eft en honneur dans le féminaire des Trente-Trois, mais pour cela perfonne ne la poffede. Le goüt de fondations pieufes a fait inftituer le Sacré Cccur de Jéj'us , le Prédeux Sang, VAdoration perpétuelle du Saint Sacrement, & plufieurs autres monafteres dont les noms frappent beaucoup les étrangers. Toutes les religieufes pfalmodient éternellement dans une langue qu'elle necomprennent pas; ce qui doit rendre leur ennui parfait & méritoire. L'Archevêqueentendant les vêpres dans un couvent de füles du faubourg SaintJacques , entendit ces mots : Fratres , fobri eftote & vigilate , quia adverfarius vefltr CHRISTUS . . . , au lieu de Diabolus. Ces bonnes filles , quoiqu'elles ignoraflent le latin , comprenoieat  ( J8 ) bien que ce mot ügnifioh Diable. Un mot auffi impur ne devant pas fortir d'une bouche facrée, eiles crurent convenable de fuMituer Chrïflus. Elles furent cenfurées. L^Engaveur fubfejle encore, Cela n'eft que trop vrai ! Mais Ie Parifien dit que le feu purifie tout ; foit,. Je fuis caufe cependant qu'on a profcrit les pigeons de plulieurs tables d'hótes» paree qu'ils venoient du quai de la Vallée, Cette image a fait friffonner les imaginations délicates , mais elle appartenoit a mon tableau. Ajouterai-je que la levre de eet engaveur, piquée par les coups de bec multipliés des pigeons , devient can-f céreufe ; il faut la lui couper ; j'ai 1'attcf-. talion du ehirurgien, qui prouve que ce métier, ( encore public au moment oü j'écris) eft non moins dangereux que dégoutant. Ecrire contre les abus n'eft donc pas toujours les réformer j on a démontré la  ( S9 5 prodigïeufe ïnégalité du j eu perfide nommc Loterie royale de France , 1'énorme dif-r propertion qu'il y a entre les rifques & les bénéfices des aöionnaires , & 1'injufticedu gain que font les agens1 a ce jeu frauduleux; on a peint les effets défaftreux qu'il doit produire en gémiffant fur ceux qu'il a déja produits. Qu'a -1 - on gagné ? 1'impitoyable égoïfme trouve réponfe a tout; on dit que plufieurs Souverains ayant établi de pareilles loteries dans leurs États, on s'efl appercu que les Francois y euvoyoient & y perdoient leur argent, &; qu'il étoit de la politique de chercher un remede a un mal qui peu a peu auroit ruiné le Royaume , enrichi fes voifins Sc ies rivaux. Comme fi un homme du peuple pouvoit jouer aux loteries établies hors du Royaume, avec le même acharnement qu'il joue a la loterie royale j il lui faudroit pour cela écrire deux fois par mois a un correfpondant. Peu d'hommes de cette claffe favent écrire; il lui faudroit recourir le plus fouvent a une main étran^ere. Outre cette difficultéj qui ne man-  ( '6o ) queroit pas de le dégouter de ce jeu , lis fomme qu'il met a chaque tirage efl ordinairement trop modique ( quoiqu'eüe devienne fort confidérable a force d'être multipliée ) pour merker la peine & les frais d'une correfpondance hors du royaume. Dira-t-on qu'il y aurok des agens fecrets pour recevoir &payerf mais il n'eft pas poflible qu'ils ne fuflent bientöt découverts , fur-tout fi leur bureau attirok amant de monde que ceux que le Gouvernement autorife : moyennant quelques punitions exemplaires, on feroit parvenu a öter a tous mauvais citoyens 1'envie de fe charger de pareilles commiflions. D'aillèvrs puifqu'on a craint, avec raifon, queles loteries étrangeres ne ruinaflent un peu le Royaume , doit-on voir d'un ceil indifférent des particuliers fe ruiner a la loterie royale de France ? qu'on commence par inftruire le peuple de la fraude de ce jeu j bientöt honteux d'avoir été dupe, on le verra renoncer a la fureur d'yperdre fon argent : mais pourquoi n'oferai-je pas ici dire nettement la vérité f on n'a voulu  (tl) Vöir dans 1'établiffement de ce jeu fcandav leux, que le gain immenfe qu'il produit, fans fe foucier s'il eft loyal, & s'il entraïne avec lui des fuites funeftes. Comment un homme du peuple peutil fournir a eet extraordinaire ? Comment I par des vols domeüiques , des efcroqueries , des filouteries j ou bien , s'il eft manouvrier, en retranchant fur la nourriture de fa femme & de fes enfans, fur fes propres befoins ; le crime eft la reffource de ceux qui fe ruinent a la loterie, C'eft la claffe des plus pauvres des citoyens qui rn'intérefte ; c'eft elle qu'il faut plaindre; c'eft fa ruine qu'il faut prévenir, s'il eft poffible ; en 1'inftruifant , en lui faifant, pour ainfi dire toucher, au doigt les fubtilités , les friponneries de ce jeuinique , qui abforbe toutes fes facultés. Les ames fenfibles & honnêtes peuventelles voir fans gémir les petits bourgeois , les pauvres artifans , les domeüiques des deux fexes , des payfans même venir en foule jeter dans ce gouffre 1'argent que leur produit 1'induftrie , le trayail ck la  ( 62 ) 'feivitude, Sc qu'ils dérobent a leur né-i ceffité laplus urgente ? Et s'il falloit defcendre a toutes les fraudes des receveurs 8c des employés de cette loterie , répandus dans tout le Royaume, fraudes de toute efpece, qu'on ne foupconne peut-être pas encore , il en faudroit cóncïurre que le vceu du Gouvernement n'eft pas même rempli; qUe le profit qu'il retire de eet établiffement, quoiqu'immenfe, n'a aucune proportion avec les fommes qu'on efcroque a un nombre incroyable d'hommes déja pauvres , & que bien loin d'améliorer leur fort moral , on multiplie fous leurs pas les piéges déja tendus par 1'amour des richeffes , Sc leur pente naturelle a 1'oi* fiveté. Si on réplique que la loterie efl uil mal néceffaire : eh bien ! qu'on en formé une autre fur un plan plus équitable, qui rapproche plus lesiots des chances; alors bien loin d'avoir a craindre que les Francois ne perdent leur argent aux loteries étrangeres, la loterie royale offrant de  I h 5 plus grands avantages , on ver ra les nations voifines y rifquer le leur de préférence L'Homme de 113 ans. Jt eft mort le n juin 1786. Je lui rendois quelquefois vifite , & lui avois encore parlé trois jours avant fa mort; j'avois mis ma main dans fa main deflechée , en me difant qu'il falloit douze ou quinze millions d'individus pour en rencontrer un de eet age. C'étoit un Savoyard , qui toute fa vie avoit exercé les plus rudes travaux, & qui, quarante ans auparavant avoit fait une chüte de cinquante - deux pieds de hauteur. Lorfque je le vis pour la derniére fois , il me fembloit devoir aller encore quelque temps; une feconde chute de fix pouces, fur Un efcalier, occafionna fa mort. La Société philantropique , en allant a la recherche des odogénaires pour les  ( |raïfqu'un premier Miniirre a fait une pa~ jreille lettre. Samuel Bernard étoit né plaïfant , Sc il a confervé ce caradere jufqu'a la mort: comme il étoit expirant , feu Languet > le curé de Saint Sulpice, vint pour 1'exhorter, & comme il ne perdoit jamais de vue la conftrudion de fon temple, il follicitoit le moribond pour qu'il contribuat aux travaux de fon églife: car (difoit-il) queue mérite - t-ott pas , lorfqu'on peut participer a Védification du temple du Seigneur. Samuel Bernard tournant a peiue la tête du cóté du Curé } lui dit : Cache^ vos cartes, Monfieur , je yois tout votre. jeu. Ce même Curé mit une confiance in* croyabledans le batiment de cette églife, il en pourfuivit 1'exécution avec une forte d'opiniatreté; il faifoit dönc argent de tout Sc prenoit a toutes mains. Allant rendre fes devoirs a 1'Archevêque de Paris % lorfqu'il prit poifeffion de fon archevêché, il fut étonné qu'on 1'avoit accufé de faire commerce, ce que le Prélat lui reproE 3:  ( 70 ) ehoit en termes trés - vifs. Le Curé s'en défendoit. Mais ne vendez-vous pas de la glacé , lui dit 1'Archevêque f Eh ! Monfeigneur , tous les ouvriers que j'emploie au batiment de mon églife n'y peuvent travailler dans les temps de gelée ; pour les faire vivre , je les emploie a caffer , a ferrer de la glacé que je vends a la vérité pour les faire fubfiiter dans des temps rudes. — Oh ! dit le Prélat , je n'entendois pas cela ainfi ; & la vendez - vous beaucoup ? —Pas tam que je ferois, Monfeigneur, G les Janféniftes n'avoient pas fait courir le bruit que ma glacé étoit chaude. Tems froid , Cornet e. Le temps le plus froid de 1'année, k Paris , eft du 15- décembre au j février, & la plus grande chaleur eft en général du 13 juillet au 7 aoüt. Les automnes font incomparablement plus beaux que les printemps, qui ne font plus que des hivers prolongés.  ( 7i 5 L'hiver de 1784 avoit changé la face de Paris, en transformant les nies ea lacs. La multitude des neiges & des glacés & leur fonte, formoient des flaques d'eau oü 1'on ne pouvoit plus marcher. Le cheval qui toniboit fe noyoit 5 il falloit efcalader des monticules neigeux & gliffans le long des boutiques ; ce rude hiver avoit donné une phyfionomie nouvelle a Ia ville. Les équipages nepouvoient plus avancer,. & la police n'avoit pas alfez de travaillenrs; mille malédidions étoient données a fon chef, comme s'il eut été en fon pouvoir de changer les faifons, & de déblayex une ville entiere. Des mendians nouveaux folliciterent la pitié ; le coenr de 1'avare fut ému. Jamais, la charité ne fut plus aétive; elle nait des grandes calamités. Au coin de la me du Coq St. Honoré^ on éleva une pyramide de neige en 1'honneur de Louis XVI , qui pendant les rigueurs de eet hiver avoit diftribué des fecours au peuple. On y attacha plufieurs inferiptions, qui n'avoient point la touche E 4  C 7-2 ) aeadëmlque : c'eüt été les gater que de les purger de leurs fautes. Le peuple a donc une voix pour manifefter fa reconnoiflance, aïnfi qu'il en a une pour exprimer fes pertes & fes chagrins; mais celle-ci efl malheureufement étouffée , ou plutót mal traddite a la Cour. La pyramide de neige attefte la fenfi-f bilité du Parifien, & que rien dece qu'on fait vraiment pour lui n'efl perdu dans fa mémoire. Cet obélifque unique dans Phiflolre étoit chargé de vers, de profe francoife & de profe latine : il parloit éloquemment. Que ne fubfifle - t - il un obélifque oü il foit permis au peuple d'attacher fa penfée? les idéés faines y tueroient bien yite les idees fauffes; on y liroit d'admirables vé* rités ; 1'opinion publique fe fondroit dans une feule expreffion , le patriotifme auroit fon accent dans un hémiftiche, car il nefaut qu'un mot dit a propos pour éclai. m tout a Ia fois les peuples & les Rois, O ! fainte vérité, nes-tu pas 1'oppofé du m.enfonge btu es, & rien ne peut t'anéantir \  ( 73 5 Les frayeurs de 1'approche d'une co-' metefe font renouvellées en 1788. Onne parloit rien moins , dans quelques fociétés , que de la deftruöion totale de ce monde. Alors ceux qui font les érudits auprès des femmes & a fi bon marché , foutenoient que les cometes , en fuivant certain es routes ou en faifant certain mouvement, pouvoient dérangernotre fyftême planétaire. Ils rappelloient 1'hypothèfe de Whifton fur la comete de 1680 , qu'il prétendoit avoir caufé le déluge , 25)26* ans avant 1'ère vulgaire, & être la même qui parut du tems de Typhon , & dont Pline fait mention ; alors 1'effroi fe répandoit fur les beaux vifages , & 1'on finiffoit par les convaincre que fi la terre devost être incendiée & vitrifiée , il falloit jouir du moment préfent & boire d'un trait les délices de la vie. Comment peut-on concilier les difparates qu'offre une même ville ? Ici la raifon male , la la peur crédule ; ne doiton pas être étonné de ces fortesde terreurs qui fe renouYellent f Ces pronoftiques ridi-  ( 74 ) eules n'en frappent pas moins les efprits. Avons-nous droit de nous moqucr de nos ancêtres ? nos defcendans ne riront-ils pas de nous , lorfqu'ils apprendront qu'une brochure de M. de la Lande a mis le défordre dans toutes les têtes , & qu'un peuple entier a cité le nom d'un altronome fans avoir une idéé nette de Paftronomie; car c'étoit le même qui avoit profcrit ces terreurs infenfées, en démontrant qu'il faut tant de circonftances concourantes Sc reünies enfemble pour qu'une comete foit a portée d'opérer tout le mal qui peut réfulter de ces approches , que c'eft une contingence fort éloignée & purement hypothétique , qui ne peut entrer dans Pof» dre moral de Pefpérance Sc des craintes. On attend pour 1700 une des deux cometes qui parurenten iC32&en 1661. Les cometes font des planètes affervies a des loix tixes, ce qu'on ne favoit pas il y a cent cinquante ans. Le petit peuple lit VAlmanach de Liége* II vous foutient que fes prédidions le plus fouvent s'accompliffent.  ( IS ) Dialogue entre un Duc & un Comte. L e Duc. IN" o us ne fommes pas élevés au-defïïis des autres pour rien; il faut bien leur faire fentir qu'ils font au-deffous de nous. L e Comte. A quoi nous ferviroit notre élévation , fi elle ne nous aidoit a humilier un peu ceux qui nous regardent ? L e Duc. Si la fortune nous a fait grands , c'efl fans doute paree qu'elle a jugé que nous avions une atne faue pour notre rang. L e Comte. Ceux qui font au-deffous de nous ne font reduits a leur lituation , que paree que la fortune ne les a pas jugés dignes d'être élevés.  ( 7* ) L k Duc. M-ee qtie ce prétendu mérite perfbnnel a quelque valeur ? II ne peut rien par Im-même ; il rampe fi on ne lui tend la mam. Se faire craindre & refpecler 3 voila ce qu'il faut • & rien de plus. L & Comte. Voyez tous ces beaux raifonneurs , fi audacieux d'un cóté, fi foumis de 1'autre > i s lollicitent un regard ; heureux quand ils 1'obtiennent. L e Duc. Si vous les écoutez, ils n'ont que du mépris pour nos titres , & en même tems ils nous refpecTent. L e Comte. Cefi un hommage forcé , mais qu'importe ; ils ont de la vénération pour Ia grandeur d'opulence : & pourquoi trouvent - ils mauyais que nous en tirions parti i  < 77 J L e Duc. Ils font chagrins de ne la pas polïcdeï iux-niêmes. L e Comte. Ils veulent fe dédommager de leur atn négation en faifant fonner quelques mots hautains , quelques raifonnemens philofophiques ; mais en proférant de telles paroles , c'eft le moven de demeurer tou« jours bien bas. L e Duc. Perfonne , je crois , ne les écoute 3 leurs difcours ne font qu'un objet d'amufement. L ë Comte. " Tout au plus. Pauvres gens ! Qu'ils connoilTent peu le monde ! Tout s'y pefe d'aprcs des poids réels. Toutes ces idees de cabinet moment comme la fumée & s'exhalent de même.  ( 7§ ) L e Duc. II fuffit d'être grand . Seigneur ; ce titre renferme tout , jufqu'a la qualité d'honnête homme. Du moins 1'éclat éblouiffant que la grandeur porte avec elle fait qu'on n'examinepas fcrupuleufement nos adions, comme on fait celles du vulgaire. L e Comte. II y a toujours de la probité dans la grandeur : il fuffit d'en montrer des parcelles pour que le vulgaire foit plus que content. L e Duc. Qu'importe le prononcé du public h eet égard ; qu'il dife ce qu'il voudra. Oü fa voix retentit - elle f dans ces demeures obfeures que nous n'appercevons feulement pas. L £ Comte. Nous avons un autre horifon, laiiTons ce peuple fublunaire.  ( 19 ) L e Duc. Öui, nous avons la force en main , & tous ces parleurs nous craindrons toujours plus que nous ne les craignons. L e Comte. II faut que cela foit toujours ainfi pous le bon ordre. Maquïgnon. 11/ étymologie dece mot reffemble paifaitement a celui de proxénète, paree que telles geus trompent pa • leur babil, & livrent une marchandife équivoque. Un maquignon eft toujours cauteleux. II faut être fur fes gardes & le croire d'autant moins qu'il parle davantage. Les jeunes gens ont la fureur des chevaux, & depuis quelque téms on quitte poureux les fdles d'Opéra. Cesjeunesgens vous parlcnt avec gravité des rares qualités de leurs juments , de 1'éducation qu'ils  t 8ö J leur donnent , de tous les caprices qu5ik ont remarqués en elles & qu'ils ont corrigês avec un mélange de févérité & de douceur le long des boulevards. Les courtifannes fe relTentent de eet abandon; les jeunes gens les promenent moins, Sc promenent davantage leurs clieVaux : tous ont le coftume d'écuyers, & le gardent jufqu'au foir; ils ont un air gauthe quand il faut qu'ils s'habillent. Nos promenades voient moins de courtifannes étaler leur conquête libidineufe , & fe parer d'un fafte luxurieux. Un jeune homme aimoit a la füreur les courtifannes Sc les chevaux; il dépet> foit également pour les fdles & pour les jumerits. Un jour, preffé de s'expliquer fur ce qu'il aimoit le mieux , cette finguliere naïveté lui échappa : j'dime mieux les filles } mais j'eflime plus les chevaux. On drefTe. les chevaux tellement pour la parade , qu'on les élevera bientöt pour le danfe. Les fybarites furent les premiers qui drefferent les chevaux a eet exercice» & avec tant de fuccèi , que Pline affure que  ( 81 ) que toute leur cavalerie avoit des chevausi; ainS drelfés. Athénée a rem'arqué , après Ariflote % que les Crotoniates, qui leur faifoient la guerre, s'en étant appercus , firent fecrettement apprendre a leurs trompettes les airs des ballets qu'on faifoit danfer a ces chevaux , & que les ayant fait fonner quand la cavalerie des Sybarites parut * leurs chevaux , au lieu de fuivre pour le combat les évolutions de la bataille , fe mirent tous a danfer } ce qui leur fit perdre la victoire. Les modes francoifes font les enfans des graces naturelies. Voyez un Suiffe monté a cheval; il eft jeune, il eft bien fait y eh bien ! il n'apportera jamais dans fon air la grace , le maintien , la facilité , qui diftinguent le Francois : toutes les modes qu'enfante la capitale font prefque toujours repréfentatives du gerat & de 1'élé* gance , paree qu'elles ne fe repréfénterit en public qu'après avoir recu une forte d'examen ; elles ne font fanétionnées t que d'après le fuffrage de plufieurs per- Tome XII, E  ( S2 ) fonnes de gout; mais quelquefois 1'agréable maintien de telle femme , fait pafler une mode qui, huit jours après, ne féduit déja plus fur le corps d'une autre. C'eft une étrangere. Donc la grace fait la mode , & voila ce que les provinciales, les Allemandes & les SuiiTeffes ne favent point reconnoitre ; elle ne favent point affortir 1'habit a la taille , & de-la la difcordance qui faiiit 1'ceil connoiileur. Depuis qu'on a vu dans les fpectacles pubiics le garcon tailleur montant a cheval Sc pourfub/i par le courfier généreux, indigné de Ca. gaucherie , on a mis plus dj foiii dans 1'habit que 1'on porte prêt a monter a cheval; 1'accoutrement eft analog ie a la viéloire que 1'homme remporte fur le cheval , point d'ornement, la plus grande fimplicité ; le harnachement du cheval fe relfent de cette heureufe méthamorphofe. Autrefois on treffoit fes ciins avec un ruban rouge ou bleu , 8c ce qui joignoit la barbarie au ridicule, on coupoit fa belle queue, Sc  ( 83 ) ce qui eft hideux a penfer, le bout dés creilles. Aujourd'hui plus de fontanges fur le col i la tête du courtier conferve fa fierté , quand il la balance ; on voit flotcr les longs crins vagabonds , qui font fon orgueil; rien n'empëche la queue longue & touffue de fdlonner la plaine ;• & ce bel animal peut marquer tous fes kntimens dansle mouvement de fes oreilIcs. Voila comme la mode a défêridü tout ce qui pouvoit diflbrmer le noble compagnon de 1'homme; il reffemble dans fa liberté au maitre qu'il porte : a Paris le cavalier domine 1c cheval & fans cette grace , gare fair d'ecuric. L'elégant de nos jours differe tellement du petit-maitre qui régncit il y a quarante ans , que s'ils pouvoient fe renconircr , ils fe croiroient tous deux d'un pays antipode. Notre elegant n'eft plus un Adonis pomponné, mufqué, efféminé 5 il paffe la matinee dans les rues, botté & fourré , tenant un fouet j roffant fon Jocquey pour n'avoir pas rempli ce qu'il n'avoit point ordonné , montant clans un cabriolet s ■ Fa  ( '84 ) jurant & pedant contre tout le monde & fans colere , paree qu'il eit du bon ton de fe fachcr fans fujet 3 écrafant tout ce qui fe rencontre fur fon patrage ; & le foir réformant la police , allant par-tout, n'entrant nulle part, apprenant tout 8c ne fachantrien; il eftala véritétoujours mauvais railleur comme tous fes devanciers , mais fon orgueil eft moins prononcé& plus fupportable; il y a même quelques inftans oü 1'on peut raifonner avec lui. Enfans abandonnés. S 1 x a fept mille enfans abandonnés annce commune, par leurs pareus, 8c jettés a VHSp'ual des Enfans trouvés , tandis que le refte de la population ne va pas a plus de quatorze ou quinze mille. Quelle image plus terrible 8c plus frappante de la mifere du peuple 8c de la dégradation de 1'efpece! Au bout de dix a douze années, que refle-t-il de ces fix a fept mille enfans l  I 8; ) frémiffez ! 180 tout au plus! on n'exagere point ici ; c'eft d'après des renfeignemens fins qu'on eft en état d'affirmer que la mort ( dirai-je pitoyable ou impitoyable) moiffonne ce nombre d'enfans abandonnés. C'efc le hafard qui leur donne telle mammelle pleine ou delféchée; & le plus fouvent deux s'y attachent. Six mille enfans trouvés auxquels le Gouvernement doit donner des nourrices; qvie eet afpeét eft affligeant , que ces chiffres muets & terribles difent de chofes 1 On délivre enfuite des prifonniers pour mois de nourrices : ce font des peres qui ne peuvent payer le lait qu'a fuccé leur enfant ; 1'enfant au maillot fait enfermer fon pere robufle ; un pere emprifonné pour le lait que fucce fon fds , Sc que fa mere lui a refufé ou n'a pu lui donner ! O Lycurgue ! ö Solon ! inftitutions modernes , êtes-vous des phantömes ou des réalités ? Et ce mot Gouvernement a-t-il véritablement un fens ? Cette claffe d'indigents eft inépuifable a Paris: en 1786", on en a délivré 7$$ F 3.  (n) des deniers de charité. On mene en pro- ceffion les prifonniers délïvrés pour mois de nourrices. Mais doit-on approuver ces proceffions oü 1'on fait montre des pauvres qu'on vient de 'délivrer ? Eft-il a propos de faire intervenir ainli Ja religion , pour humilier la pauvre humanité ? La main droite doit dérober a la gauche le bien qu'elie vient de faire ; pourquoi done trainer la mifers proceffionnellement, 8c expoler h tous les regards ces malheureux peres , qui n'ont pas eu le pouvoir de payer la nourriture de leurs enfans ? lis s'enveloppent la tête du morceau de drap qu'on leur a donné ; fans dóute on a imaginé ce bel expédient pour exciter les aumónes ; mais ne feroit-il pas bien plus humain , plus décent , plus religieux de fubfütuer de jeunes enfans au «ïême nombre que celui des prifonniers ? Je ne verreis plus Je front humilié de ces malheureux peres , qui , Je cierge a la main, femblerit faire amende honorable de ce qu il y a en eifet de plus revoltant parm.5, ppus , la pauvreté,  I s7 5 Cependantla valetaiile , converte de fa livrée dorce , armee de gros flambeanx que les riches ont entourés de leurs écuffons , offrant des vifages lourds & bien nourris, accompagne ces prifonniers: on ne les met pas en prifon pour mois de nourrices , eux '. Puis les hauts bonnets des grenadiers , avec leurs fuiils & leurs bayonnettes , font encore la , tandis que les encenfoirs d'argent fautent trois fois en Pair avec les feuilles de rofes. Quelques évêques en robe violette fuivent & contraftent avec le gros drap dont ces prifonniers font affublés:. C'eft une chofe agréable qu'une proceffion bien ordonnée, la joie en brille dans les yeux du curé. Mais pourquoi placer ces peres de families , pes hommes infortunés , ces habitans de la campagne , au milieu de ce cortége brillant ? Le Bureau des recommandareffes , pour les enfans en nourrice , eft a la lettre un rnarché de lait humain : la une multitude de femir.es viennent vendie leurs mammclles. Jamais le pouvoir & le befoin F ^  X 83 J 'd'argent n'étalent mieux leur fatal defpo-» tifme que dans ce local , oü 1'on voit accourir tant de femmes le fein gonflé de lait , cherchant des enfants qu'elles ne connoiffent pas. Qu'il efl trifte de voir le plus vil intérêt étquffer le fentiment le plus fort, le plus aclif, 1'amour maternel. Une femme rejeter fon propre fds pour y fubflituer un étranger , pleurer de pitié fur celui qu'elle éJoigne , vendre le fuc de fes mammelles, & acheter a un movndré prix le lait d'une inammeïle étrangere pour "'enfant qu'elle 3 porté neuf mois dans fes entrailles ! Ce trafic, avouc , recu , protégé, annonce un peuple Jivré a une prodigieufe mifere, foroé d'être inh'umain , pour fubfifler ou pour payer 1'impptj & qui ne peut écouter le cri de la tendrefle maternelle , paree que le cri du befoin retentit d'une maniere plus impérieufe. O fondemens ruincux de nos focictcs; pplitiqi.es ! Combien vous épouvantoz J'ccil qui vous fonde & vous mefure ! que' batir fur de tels faits f  ( Si) 5 Hotel de Kretonvilliers. O N ne fauroit paffer devant eet hótel fans un petit frilfonnement , car c'eft -'la que les fermiers généraux ont placé leur antre. La ils étudient l'art de donner au preffoir du fang du peuple une force plus comprimante. La tous les projets qui peuvent charger les peuples font bion accueillis. Un extendeur devient pour ces cyclopes un grand homme que 1'on cite & que 1'on récompenfe. La enfin font les bureaux des Aydespour les entrees de Paris & du plat-pays. C'eft auffi la fans doute que les fermiers généraux ont appronvé le plan de cette muraille, monument fcandaleux , car des palais érigés pour les commis du fifes , quel emploi pour 1'architecture! Jamais les Vifigots n'ont rien imaginé de plus monflrueux. L'impöt déja fi infolent, a bati avec orgueil des édifices plus infolens encore. Les foldats d'Attila ravageant le pays 3 pffrent une image moins  ( 50 ) revoltante que la plume de ces commïs , qui , retranchés derrière des colonnes corinthiennes , teudent des mains avilies pleines des contributions & des larmes du peuple. Cette muraille s'allonge , fe développe, & dans fa faftueufe inutilité , va ceindre outrageufement la ville entiere; &les quatre hópitaux, jugcs fi néceffaires, ne figuren! encore que fur le papier ! La charité bienfaifante avoit offert plus de deux millions, & on la refroidit en ne donnant pas au public la joie de voir quelques pierres s'élever fur le fol que le regard des anges auroit careffé du haut des cieux! J'ai remarqué dans ces bureaux d'oppreffion un tableau repréfentant la charité, non loin la continence de Scipion; efl-ce une ironie , ed-ce une infulte ? La charité au milieu du bureau des Aides ! Le directeur général des Aides 8c entrees de Paris ne mauque point de fortir fréquemment de la ville pour voir s'il fera fouillé exaé'.ement; il s'amufe a paffer de la contrebande , puis mande les commis s  ( pi ) leur prouve leur invigilance ou leur maladrefiê , & les calfe fans miféricord<\; or en créant dans fa Minerve des plans extendeurs , il imaginé en même tems 1'inverfe , c'eft-a-dire , toutes les rufes que peut inventer le délir ou le befoin de fraüi der les droïts;il voudroit que Je Pape mit au rang des péchés Capitaux la contrcbande, & qu'il indiquat a tous les confeffeurs le refus d'abfolution pour ce déht enorme. II va au-devant dés inventions ennemies de la ferme , afin qu'elles paroiffent ufées: il eut été le plus fubtil contrebandier, s'il n'avoit pas été diriéleur; c'eft lui qui a imaginé les tétons de fer blanc de la prctendue nourrice qu'on a emplis d'eau-de-vie , les jambes cilindriques du goüteux, recelant la contrebande; 1'arbre creufé ; la pierre de taille vuide. D'après ces imagiriatioris , on n'ofe plus les employer , Sc les commis taterit les jambes, les tetons , & ne s'arrêteut point a 1'écorce. Enfin , c'eft un chef de cette efpece qui a fait écrire ces petites brochures , oü 1'on prouve qu'il n'y a rien de fi  ( 9* 5 rdoux & de fi défintéreffé que la ferme générale , & que Frédéric ayant appellé dans fes Etats des commis dreflls a 1'école des fermes , c'étoit un hommage rendu a la beauté & a la grandeur de ce régime financier. On vient de faifir deux cents pieds de tuyaux de fer blanc , a 1'aide defquels un marchand de vin paffoit invifiblement la liqueur vermeille fous les barrières & jufques dans fes tonneaux. Quel triomphe pour la ferme! Elle 1'a rendu public par trois mille affiches qui annoncpient la confifcation des tuyaux de fer blanc , 8c 1'amende de fix mille livres ; les commis réjouiifent leurs regards en la lifant & en la commentant; ils femblent 1'indiquer du doigt & de 1'oeil a tous les paflans. Eh on en efl venu aujourd'hui jufqu'a abfoudre les traitans ; on les plaint; on les juflifie. Les pauvres gens ( dit-on ) , ils ne gagnent que la moitié de ce qu'ils gagnoient. Mais ce qui efl de plus étonnant que ce difcours , c'eft qu'ils font parvenu's, je ne fais comment, a répandre ces. idees parmi le peuple.  ( 93 ) Darigran. O'est le nom d'un avocat que j'at connu , chéri & refpeöé. II avoit été commis aux fermes ; il connoifloit tous les moyens occultes dont les fermiers fe fervent pour extorquer 1'argent du pauvre peuple, ainfi que leursfourdesoppreffions, leurs iniquités, & les juges pervers qu'ils foudoyent; il pourfuivoit dans les ténebres leurs manoeuvres odieufes & voilées , il faifoit triompher 1'indigent du crédit da fifc : c'étoit enfin 1'épouvante du tapisverd. La mort a délivré la ferme de ce vertueux ennemi, toujours incorruptible, toujours ardent a défendre la caufe des opprimés , & qui avoit le fecret d'attaquer avec fuccès une Corporation avide 6c funefle. Non , il n'eft plus permis d'être commis aux douanes, ni cenfeur royal. On imprime tant de chofes; ne devroitgn pas avoir aux portes unepancarte, qui  ( 54 ) irjéterminat le prik fixe des entrees , il devient arbitraire ; les fermiers généraux mandent les receveurs & leur difent : Telle barrière ne rend pas , ferre^. C'eft Je mot facramentel * alors les receveurs ferrent. O Darigran,! quand reparoïtrastu ? Jvüis tu revis dans Forjonel ; il a ton courage & tes vernis j qu'il enfiamme tous fes confrères du feu patriotique qui 1'anime ! La petke Féte-Dieu. C * e s t Podave du jour folemnel; c'eft une feconde proceffion toute auffi magnifique que la première. Quelquefois il a plu le jour folemnel; la proceffion n'a pas pu fortir , ou elle a été mouillée; quel revers pour la parodie ! Mais 1'accident n'eft pas irréparable ; la proceffion prend fa revanche buit jours après , & la chance eft plus heureufe. Tous les pretres font radieux ; Pencens, les fleurs , Ja mufique les accompagnent. Le peuple admire la  ( 9$ 5 belle ordonnance fous un ciel fans pluiej & fe profterne fur un pavé fee. Ce jour a une doublé phyfionomie; Ie matin , c'eft une fête j les maifons font tapiflees, la ville eft ornée; mais dès que la proceffion eft paffee , les echelles fe dreflent , les tapifferies tombent, les repofoirs fe décompofent, les boutiques s'ouvrent; la foule travaillante fe meur. ; les pyramides de favon del'épicier, 1'étau du fourbifteur, la forge du ferrurier , 1'efcabelle du cordonnier , le mortier & les viperes du pharmacien fe montrent a travers un refte de décoration : dans une demi-heure la ville a totalement changé de face. On appergoit encore de loin le dais, & les boutiquiers ont repris leurs fonclions. C'eft un jour hermaphrodite , car on ne fait s'il appartient a la pompe du culte ou a 1'avidité du commerce; c'eft un mélange du facré, du profane. On emporte précipitamment les tableaux & les ftatues des faints pour faire place aux pompons du luxe. L'air mondain chaffe les Yeftiges  ( 9t ) facrés 5 le tumulte du négoce ficcede a 1'ordrepaifible & religieux, Sans les HeurS dont le pavé eft parfemé encore , & qui atteftent lepaffiage du Saint des Saints , ori ne foupcpnneroit pas que les prêtres , une demi - heure auparavant promenoient le Dieu invifible & préfent au'milieu d'un peuple agenouillé. Le dimanehe fuivant, c'efl encóre ünë proceffion dans le faubourg faint-Laurent: on 1'appelle le grand pardon. Elle efï vraiment remarquable, en ce qu'elle efl plus combreufe que toute autre , & plus longue que le long faubourg qu'elle paficourt. La parodie Saint-Laurent a emprunté* ce jour-la les encenfoirs de toutes les autres paroifles , & des chafubles de toute couleur. Deux cents jardiniers en cheveux ronds font transformés en prêtres , & portent 1'habit facerdotal. Deux repofoirs qui rivalifent repréfentent 1'un un chapitre de Panden teftament , & 1'autre du nouveau. Tmues les couronnes de Flore font fufpendues dans les airs. Des enfans nnds, gras  I $7 5 gras & dodus , font amant de petits faints Jean , & 1'agneau vivant les fuit mené avec un ruban couleur de rofe.oubleu. Dans eet état d'innocence & de nudité, quelquefois ces enfans ont donné aux petites fdles du quartier la première information fur la différence des fexes. Des Magdelaines de huit a dix ans pleurent les péchés qu'elles commettront un jour, & de groffes fervantes vraiment péchereffes les tiennent par la main : ce feroit bien a celles-ci de pleurer. Unemultitudedevierges agées de quatre a cinq ans allongent la proceffion. Les filles du Sacré Cceur de Jéjus marchent pofément, mettant leur gloire a ne point regarder a coté d'elles les curieux prefies qui les regardent avidement. . Les bannieres de différentes confrériesoffrent leur faint , martyr ou confeffeur ; les uns , relevés en bofles d'or, & les autres en argent. Celui qui porte la banniere marche fur une ligne droite ; ilpeut s'arrêter, mais il ne rétrogade point. Cent cinquante thuriféraires font jaillir 1'encenfoir qui monte Sc retombe en ca?? Tomé XII. Q  ( p8 ) deuce. Le groupe fe deffine fous toutes les fortnes, & le jet varie dans les airs les figures argentées & fumantes , les rofes pleuvant. Une mufique bruyante & militaire annonce 1'approche dn dais , fous lequel 1'hoftie eft placée , Sc que les notables environnent refpedueufement, heureux de tenir le cordon qui touche aufanctuaire ambulant. La foule preffëe & en extafe fe courbe ne pouvant s'agenouiller. Quarante fuiffes robuftes croifant leur hallebarde ont peiue a retenir le ffot du peuple , qui fe précipite pour être plus prés du foleil orné de riches pierreries : ces fuiffes ne marchent pas , ils font pouffés par le peuple , Sc ils n'ont plus qu'a lever la jambe pour avancer ; c'eft un rempart vivant Sc tout en fueur qui contient 1'enthoufiafme religieux. Cependantle corps diplomatique, rangé fur les balcons de l'AmbafTadeur de Venife , vóit défiler la proceffion. Les repréfentans des Souverains proteftans s'inclinent ou fléchifTent le genou, a 1'exemple de l'AmbafTadeur du Roi très-catholique.  ( 99 ) Quel triomphe pour le catholicifme ! c'eft 1'Europe eiuiere quife prolterne devant le bon Dieu de Saint-Laurent. Tom le Corps diplomatique raffemblé fur ce balcon , & témoin refpeétueux d'une proceffion, elf une chofe que j'ai vue & que je n'ai pas dü paffer fous fdence. Et qu'on dife que la religion n'eft pas triomphante, tandis que deux eens niilie hommes accoürent a ce pieux fpectacle , 8c que les politiques de toutes les Cours fouveraines s'inclinent devant le paffage du dais. Non ! la religion n'a pas fouifert de toutes les attaques qui lui ont été portées par les incrédules. Entrez dans les églifes , elles font pleines ! Vifitez les confeffionnaux, ils font remplis '. Trois mille metfes fe difent par jour ! pas un repofoir n'a perdu une fleur depuis quaranteans! Aucun coup d'encenfoir ne s'efl abbaiffé d'une ligne ! Tous les cris des incrédules ne font que des murmures impuiflans & perdus,! L'ceil fixé fur le balcon de 1'Ambaffadeur de Venife , je me difois: les voila t G a  I 100 ) les pölitiqnes de 1'Europe ! Ils ont vu paffer la proceffion , & ils ne douteront point de fa réaiité. Remarquons en paffant que le Corps diplomatique, quoique d'ailleurs très-inlfrait & très-refpeétable, jargonne le francois , & que chacun lui dohhe 1'accent de fon pays, Ne pouvant pas vifiter tous les Souverains de 1'Europe, j'ai du moins vu leurs repréfentans. Ce balcon n'étoit point la tour de Babel; la confulion des langues n'y régnoit pas; mais on pouvoit néanmoins entendre toutes les modulations c-trangeres que les agens de la politique européenne impriment a Ia langue frangpife. De la petite Bourgeoifie. J e veux parler ici de la derniere qlaffe qui touche a ce qu'on appelle le petit peuple, lequelfe fond enfuite dans la populace. Le petit bourgeois de cette claffe garde encore dans fon armoire le caffis qu'il appelle un remede univerfel; on a  O 101 ) beau lui dire que cette boiiïbn efl dangereufe, il en ufe paree que fon grandpere en a ufé; quand il a la fievre, il prend du bouillon deviande très-fort, & il s'obfline a croire que ce régime eft falutaire, tandis qu'il etl nuifible. II fait apprendre a fes enfans , la verge a la main, Pévangile du jour. II ne défireroit rien tant au monde que de devenir le marguillier de fa paroiffe; mais , c'eft au bourgeois marchands de draps qu'appartient tant d'honneur. Les filles du petit bourgeois vivent moins que les autres fous le regard de leur mere : elles ont des prétextes perpétuels pour mettre leur mantelet & fonir de la maifon 5 elies font réputées fages tant qu'elles ne font point enceimes; mais qivand leur groffelfe fe déclare, elles quittent la maifon paternelle, êc les voila fix mois apres filles du monde. Leur fiere s'engage un beau matin , il déferte au bout de dix-huit mois , 8c 1'on n'en entend plus parler. II n'y a plus que cette petite bourgeoifie qui fourniffe des foldats volouG 5  ( 102 ) taires 3 autrefois les fijs de bons bourgeois fe faifoient un point d'honneur de fervir ' quelque tems ; aujourd'hui ce fervice n'a plus rien d'attrayant, & n'eft plus regardé que comme la reffource du libertinagé , & une vente honteufe de fa perfonne. Tous les hommes méchans ont peutêtre commencé par être des enfans miférables. L'indigence de cette claffene permet pas aux parens de faire du bien a leurs enfans : ceux-ci font donc plus mauvais fujets que dans la claffe du petit peuple, paree qu'ils n'ont pas pour reffource les métiers , qui donnent un pain joiu> nalier. On diflingue une fdle de la derniere bourgeoifie a fes rentraitures : c'eft un rao* commodage de linge qui fubflitue a un trou un treillage qui reflemble aux toiles des arraignces. Ces pauvres filles ont donc leur fichu plein de rentraitures. Le petit bourgeois^ moins fenfible que l'bomme du peuple , careffe a peine fes enfans, Quand ils font un peu grands, il ks oublie, fonge a amaffer un petit pc»  ( 103 ) eule 5 il croit avoir tout fait pour les fiens, quand il leur a fait faire leur première communion , c'eft pour eux 1'éducation complette. La première communion des enfans fera long-tems pour le petit bourgeois le couronnement 8c le nee plus ultra de 1'inftrudion. Les filles déja nubiles vont au catéchifme, 6c comme ce jour folemnel fera pour elles une occafion de parure , qu'elles* fe montreront publiquementaveG tous leurs avantages naiffans , elles s'en inquiet^tent plus que les garepns. Les prêtres conduifent ces phalanges de jeunes beautés , qui bientöt vont leur échapper; elles portent encore fur leur front les traits de 1'innocence , mais un monde corrupteur va les réclamer ; 1'exemple, la fédudion , la pauvreté , tout multipliera les dangers autour d'elles , 8c 1'année de la première communion n'eft que trop fou/ent , hélas ! le terme de leur fageffe; il efl intéreffant de les voir encore dans eet état de pureté , lorfqu'elles aceompliffent les ades de la religion 6c ceux G 4.  ( 104. ) de la charité , foit en recevant a genoux 1'hoftie fainte , foit en déJivrant des prifonniers , foit en renouvellant aux fonts de baptême des promeffes qu'elles croient fmcérement pouvoir tenir. II y a plus de péril pour elles que pour les filles d'une claffe plus relevée 5 déja des fédudeurs opulens & libertins viennent les reconnoitre a 1'églife, oü elles implorent les fecours de la grace contre les attentats du vice j 1'ceil du vice les convoite , Jorfqu'elles baiffent modeftement les yeux. Le fouffle empoifonné du vice ne cherche qu'a ternir leur pure haleine; le débauche fourit en comptant d'une main Por qui doit féduire la jeune quêteufe , tandis que de 1'autre il met une piece d'argent dans la bourfe des pauvres qu'elle lui offre; il ne lui fait cette aum'óne que pour la contempler de plus prés. Ah ! du moins, que le fentiment de la charité qui brille fur fon vifage ne Pabandonne point, quand 1'opulence du féducleur lui aura eidevé une autre vertu ! Voila Je vceu qu'on eft réduit a former, en fongeant  ( ™S ) que ces innocentes & pauvres beautés vont tomber au milieu des piéges dont le libertinagé a -fait tout a la fois une étude , un art & un triomphe. Le bourgeois de la troifiemeclaffe, qui eft immédiatement au-deffiis de la petite bourgeoifie dont je parle , a- 1'exemple des grands , s'avife aujourd'hui d'avoir des jours marqués pour recevoir fa fociété. Les bafes & les remparts de ces fociétés , oü 1'on joue aux cartes , font de vieilles femmes & de vieilles fdles ; c'eft dans un cercle de cette efpece que la médifance donne fes plus chers rendez-vous. La 1'humeur domine , paree que 1'age a enlevé les agrémens de la figure. Les veuves corpulentes, les demoifelles furannées, les ménageres de la paroiffe, parient toutes enfemble. La regnent des idéés fi différentes de celles qui dominent ailleurs , qu'on croit avoir rétrogradé d'un demi-fiecle. Le raifonnement eft auffi vieux que 1'ameublement de la chambre , & les figures s'accordent a merveille avec les perfonnages des tapilTeries. On peut de-  ( io6 ) viner quel fera 1'entretien de telles affemblées a la forme des tables, des chaifes & des fauteuils, Dans les falons d'un goüt moderne , & nouvellement orné , les femmes font auffi legeres Sc fpirituelles qu'elles font pefantes d'ailleurs ; elles fe piquent aujourd'hui de faire les charmes & les délices de la fociété; plus fociables , plus éclairées qu'autrefois , Sc s'étant montées au ton des hommes , elles rivalifent avec leur génie. Fcte de Saïnte-Cécile. Est-ce elle qui a inventé 1'orgue ? Si c'eft elle , qu'elle foit bénie a jamais. Les muficiens célebrent fa fête en executant plufreurs morceaux de mufique , Sc le temple retentit du fon des inftrumens. II ne faut pas perdre ce jour-la; il faut aller entendre ces fymphonies, ces motets a grand-chceur. Un jeune homme fenfible qui pour la première fois entend ces fons,  ( i07 ) croit monter d'un plein vol a la fphere des anges. Peut-il y avoir un cceur qui réfifte aux charmes de la mufique ? s'il en eft, qu'il rampe comme le ferpent, qu'il grogne comme le pourceau , il n'aura point de part aux bienfaits des mufes. La mufique eft la clef qui nous ouvrë un monde intellectuel; heureux qui s'abandonne i cette langue divine! La peinture n'eft qu'un enfantillage, mais la mufique eft un art. Le cruel Louis XI n'étoit pas indifféïent a la mufique , puifqu'il fonda aux Saints - Innocens Jix places  ( ï|8 ) a quelqne chofe de factice & de bifarre qui bleffe mon fens moral & intime. Ce n'eft point ia Vordre dont j'ai 1'image en moi. Enfin rien ne trouble tant ma tête Sc ne bouleverfe plus mon inflinct, que 1 afpeét des crrriofités entaflees au Cabinet du Roi. Ces animaux , qui peuplent les quatre élémens , non, je n'aime point a les voir rapprochés & confondus. Les quadrupèdes , les reptiles Sc les poiflbns , ■je ne puis les confidérer cête a cóte dans la même falie j ainfi que je ne puis appren.dre tout-a-la-fois la Botanique , la Chimie , 1'Anatomie , 1'Hiflpire naturelle , que quatre profeffeurs y enfeignent, dans quatre cours annuels j la fcience m'écrafe. J'y vois trop ma foiblefle & mon impuiflance : fortons , car on me propofe encore de voir un amas de pierres précieufes ; Sc comme on fe difpute ces brillaas } Sc que 1'on commet des crimes pour les poffcder, je ne veux point porter la vue fur ces riches, coupables & inutiles tiroirs. Puifle le foleil leur retirer fes rayons. Sortons.  ( 139 ) La flame de feu M. de Buffon eftplacée fur 1'efcalier avec des vers latins , qu'il n'auroit pas ofé traduire. Ainfi I'orgueil ne difpenfe point encore l'homme des pièges de la vanité. Lê premier caractcre d'un. vrai Phyficien feroit la niodeftie , paree qu'il doit être pénétré le premier de 1'immenfité de la nature, & du refpect avec lequel on doit aborder les études de fes plans divers. La colleélion d'oifeaux confervés en plumes , dont les graces & les couleurs que la Nature s'eft plu a prodiguer fur leurs robes , ne font pas effacées , eft ce qui frappe le plus en entrant. C'eft-la que la pourpre, 1'azur , 1'iris, Sc tous les brillans du Potofe Sc de Golconde, fe trouvent réunis Sc nuancés par une main fuprême que l'art ne peut jamais imiter. M. de Réaumur eft le premier a qui 1'on doit 1'idée de conferver des oifeaux en plumes ; mais fa maniere ne pouvoit ni leur laifler de la fraicheur , ni de la grace ; M. de Mauduit, médecin , a employé depuis des moyens bien préférables;  ( 140 ï auffi fon cabinet, le plus complet qui foit dans Paris , par la maniere claffique dont fes oifeaux font diftribués , eft-il a 1'abri de tous les infedes dettrudeurs qui affligent tous les cabinets- mais ils n'a pas trouvé une préparation propre a les conferver, quand ils tomberont en d'autres mains que celles qui veillent a écarter 1'ennemi. Tous les oifeaux des cabinets en général, font perchés fur des batons dans de froides attitudes. Une dame ( l ) a fa tout-a-la-fois les conferver & les animer; elle a trouvé le fecret de les préferver a jamais de tout infecïe. Ces oifeaux font briller les belles couleurs , dont la Nature s'eft plu a parer fes enfans ailés. Son génie leur a imprimé enfuite la vie; elle a compote des idylles eharmantes en ce genre. Les colombes , quoiqu'inanimées , femblent encore refpirer le feu Sc la grace de 1'amour. On pourroit, en acquérant le fècreï ft) Madame de Montreuil.  ( 141 ) confervateur de cette dame , Sc fuivant fes idees riantes , former des tableaux antmés & diverfifiés de ces families d'oifeaux, On pourroit enfin rendre la vie a ce peuple aërien , qui reporte toujours a i'imagïnation des idees douces & des fouvenirs agréables. II femble que la vue des oifeaux , qui ont peuple les bofquets, devienne unefource féconde de fentimens délicats. C'eft ce qui frappe le plus dans un cabinet d'Hiftoire naturelle. L'ccil fe porte tout de fuite fur leurs ailes éployées , Sc 1'on ne peut entrer dans le féjour muet & inanimé de leur repos , fans croire entendre leur ramage. Si le regne végétal Sc le regne animal, fi les volatils , les papillons & les finges ont troublé ma tête , fi cette nomenclature effrayante m'étourdit Sc me ftupéiie , je defcends, je me promene avecdélectation, dans lejardin du Roi, le plus champêtre, leplus varié, Sc le plus pittorefque qui foit a Paris : j.'admire les belles vues du haut du monücule nommé lahyrïnthe; je falue le cedre du Liban > les vieux palmiers en  ( *42 ) êVentails , les deux cierges du Pérou , le» plantes exotiques. Je ne connois pas de promenade plus délicieufe ; trop de fee ia dépare fans doute , & ces grilles donnent une idee de clöture qui interrompt la magie du lieu. C'eft un goüt bien déplorable , que celui qui multiplie ces grilles fans néceffité; quand elles font a hauteur d'appui, on leur donne des pointes hériffées 6c cruellement offenfives. C'eft un artichaut de fer pointu , qui bleffe , déchire 1'enfant qui y porte fa main innocente; 6c celui qui fait un faux-pas , fe perce le flanc en tombant de cöté. Oh ! que de craintes on épargneroit aux tendres meres en fupprimant les dangers de ces grilles. Ces pointes menacantes regnent le long des boulevards , 6c environnent les plus petits gazons. C'eft 1'enfeigne neuve, 1'enfeigne repouffante & cruelle du vif 6c banbare égoïfme; on la trouve par-tout ; elle eft comme inféparable des portes 6c des jardins de 1'opulence. C'eft en fortant du jardin royal des  ( 14* ) plantes, qu'on trouve a droïte le beau boulevard du midi , qui commence en face de 1'Arfénal au levant de la ville, & qui fe termine au quinconce des Invalides au bord de la Seine Sc au couchant de la capitale. Si cette promenade elf moins fréquentée que celle du nord , elle n'en %-ft pas moins agréable. C'eft que la population de Paris 1'emporte de beaucoup du coté du nord , Sc que fon boulevard eft renfermé pour ainfi dire dans la ville» deux valles faubourgs étant encore audela. Un pont doit être jetté au bout du Jardin royal des plantes. Alors le faubourg St, Antoine fera uni a cette belle parde dela ville, qui doit ton agrandifTement & fes embelliffemens nouveaux, aux foins de M.deBufTon (i). (r) Voici lYpitaphe deM. de Buflcrij mort cette année 1788 : EnfFon , par fes écrits , régnoit fur fes rivaux; Le grand Peintre n'eft plus, aous voila to-as égaux.  ( 144 ) Le pont de Louis XVI, que 1'on batie acluellement, fur pilotis , joindra bientöt les deux boulevards • de forte que dans une promenade toujours ombragée d'arbres , on pourra faire le tour de 1'immenfe cité. Oü trouver une pareille maguificence ? Para - tonnerres. Comment ne fent-on pas un ridicule cache fous cette pompeufe expreffion ? comment les Phyficiens font-ils venus a bout de nous myftifier a un tel point f S'ils ne veulent que calmer notre imagination craintive , il faut leur pardonner : rua1S il paroit qu'ils ont voulu nous perfuader férieufement, qu'avecleurs aiguilles ils écarteroient le tonnerre; voila donc les Phyiiciens d'abord lies d'intéréts avec les ouvriers , macons , ferruriers, geus a marteaux , &c. ; car il en coüte affez cher pour placer fur les hótels ces para-tonnerresqui doivent foutirer laToudre : cette liaifon ,  ( Hf ) ïiaifon , póur qui connoit le fiéele Sc les hommes eft d'abord fufpecte; on a fait métier & abvts de ces barres électriques , & c'eft en les employant que les riches du fiecle ont refiéchi qu'il y avoit un dieu tonnant. Mais pourquoi laPhyfiquea-t-ellq oré aux pervers opulens une crainte falutaire ? Ne croyent-iis pas a préfent, que leur tête coupable eft a 1'abri des iraits de la foudre f Non, mauvais riches , non , elle ne 1'eft pas; ces barres éleétriques t qui furmontent les maifons , ne fervent a rien qu'a donner de 1'argent aux phyficiens Sc aux macons, Sc qu'a crever les balons aériens dont en revanche je ne ferois pas fiché qu'on put tirer quelque parti. Si ces para-tonnerres produifoient 1'effet a demi-furnaturel que vous avez la coraplaifante crédulité d'en attendre, faites-en donc placer auffi fur 1'impérialé de vos voitures Sc jufques fur vos chapeaux males Sc femelles, car enfin vous n'êtes pastoujourS remparés dans ces hotels refpectés par la foudre , & interdits a fes coups ; & elle Torne XII. K  ( 14* ) pourroit fouvent vous prendre au dépourvu. C'eft une puérilité de vouloir détourner lefeu dutonnerre avec ces aiguilles droites ou en croix ; c'eft comme ti 1'on vou'oit épuifer 1'Océan avec des tuyaux capillaire?, & je ne doute point qu'on ne range bientöt cette extravagance parmi les plus fortes de ce fiecle • mais les grands coupables des villes ne veulent pas être foudroyés ; ils penfent avoir fait un pafte avec le ciel vengeur pardevant le notaïre Bertholon & fon confrère. Phyfidens , vous n'êtes pas des moraliftes. Laiffez , laiffez tous ces méchans dans leurs hotels craindre la foudre Sc le tonnerre. Jamais' 1'ame innocente Sc pure n'ira s'armer contre les coups du ciel avec une barre éleftrique. La préfomption dans l'homme eft juftement ce qui révele fa foiblelfe Sc fa mifere ; anêter le tonnerre ! ah! fi nous étions plus avancés dans la connoiffance de la Phyfique, nous faurions auparavant ce que c'eft que la fievre , la pulmonie , le  ( Hl ) Vice cancéreux, & nous aurlons appri* a guérir du moins le quart de nos ma* ladies. Dieuxdeboue, qu'auend le cercueil dé plomb, mettez bas vos para-tonnerres, ck donnez-en 1'argent aux pauvres ; car c'eft la charité qui follicite la miféricorde di-* vine : les para-tonnerres audacieux dcce* lent votre peur , revelent les fecrets dê votre confcience ; Sc bientöt 1'on diroit, ici Von craint $ ici le crime habïte , & cette foudre} que vous voulez détourner, qu'en ferez-vous ? Sans doute Votre intention eft de la renvoyer charitablement fur la tête de votre voifin. O que de travaux futiles ! Quel mife» rable emploi de tant de bras humains , lorfque Féconomie rurale & domefcique en eft prefque dépotfédée ! Mettre mon potager en parterre , dit un homme ferifé a fa femme qui vouloit des fleurs, & que mettrai-je donc dans met foupe . . . « des tulipes ? Ainfi 1'honnête bourgeois n'imitera point a Paris le ridicule extravagant des riches ; & au lieu 1L a  ( H* ) d'un para-tonnerre fur fon toit, il mettra dans fa cave un tonneau de vin , bien autrement confolant , & bien plus habile pour bannir les allarmes & faire régner la gaité que cette chétive broche , tournée contre le ciel , avec laquelle on prétend maitrifer la foudre & tenir en arrêt le bras vengeur du Dieu qui tonne. O extravagance ! ó pufillanimité! Depuis quarante ans je n'ai pas vu un feul homme tué par la foudre dans une ville peuplée de huit cent mille ames ; accoutumé a contempler avec admiration ces grands phénomènes de la Nature, je les regarde, non comme 1'arrivée de 1'Ange cxterminateur , mais comme le précurfeur de 1'abondance qui vient fertilifer la terre au milieu de ce bruit majeftueux que l'oreille humaine ne devroitentendre qu'avec leconnoilfance.  X i4P ) Blanchijfeurs d'Eglifes. D E s Italiens font venus & ont blanchi nos Eglifes. Pourquoi blanchir, pourquoi fubftituer le blanc du platre a la place de la teinte des fiecles , de cette teinte vénérable qui nous annoncoit , qui dépofoit que nos ancêtres avoient prié la oü nous prions? Leurs foupirs religieux fembloient encore empreints fur toutes les pierres de taille de la voute • les marches de 1'autél étoient ufées fous les genoux fuppliants , & voici qu'une enluminure fatigante a détruit le fombre & 1'impofant de ces demeures obfcures & facrées. On n'eft plus dans un temple oü les ombres myftérieufes difpofent 1'ame a s'élever fur les ailes de la méditation , mais dans un féjour prefque profane oü tout eft éclairé. Comment 1 dans notre fiecle on n'a pas fenti qu'il ne falloit point blanchir un templequ'il ne falloit point trop 1'cclairer, & les pontifes, les prêtres , ont ap- K X  C 1 s° ) pellé ces malheureux Italiens , qui ont dégradé le folemnel majeftueux de nos Egiifes, & q-;i, d'upq antique & augufte religion qui fe marie aux fondemens de notre hiftoire , en om fait pour ainfi dire une jeune & pale mondaine, fous les traits de leurs broffes uniformes & groffieres j il n'y avoit donc plus perfonne pour feutir que cette colle blanchatre forne de leur feau, perché fur des éohafauds, alloit dés* honorer ces voütes reügieufo, qui avoient recu , pendant tant de fiecles , les vceux, les prieres , les gémiffemens & les canti* ques d'un peuple de fideles. Comment le mauvais goüt moderne a-t-il gagné jufqu'a 1'imagination de ces pon«fes , qui ont oublié que Ie temps étoit la frère de la religion chrétienne, & qu'il ne falloit jamais féparer cette liaifon dans l'efprit des hommes ? Non , jamais on ne priera dans un temple neuf avec au* tam de ferveur que dans un temple ancien, Je regarde donc ces barbouill.eurs Italiens co"-me les epremi- r!e la majefn? & éi la faimetc cje nos églifej,  C *3?' ) Depuis que 1'on a reblanchi avec la même colle 1'hótel royal des Invalides, le dóme paroit d'un jaune fale , & ce monument , le plus augufle de tous ceux qu'a fondés Louis XIV, ne femble plus appaitenir au fiecle qui 1'a vu naïtre ; c'eft une efpece de plagiat que de rajeunir ainfi les édifices anciens ; c'eft leur otor le caradere de leur naiiTance ; c'eft rendre incertain le nom de leur fondatcur ; c'eft tranfporter fa gloire a un autre 5 c'eft cgarer enfin la reconnoiflance publique. Revendeurs de Livres. O N lit certainement dix fois plus a Paris qu'on ne lifoit il y a cent ans ; fi 1'on confidcre- cette multitude de petits Libraires femés dans tous les h'eux , qui, retranchés dans des échoppes au coin des rues , & quelquefois en plein vent , revendent des livres vieux ou quelques brochures nouvelles qui fe fuccedent fans interrnption. R 4  ( Hl ) Si 1'on vonloit faire pafler un livre nouveau & harqi, il fuffiroit peut-être de lui impofer un fromifpice marqué d'un milléfnne ancien ; car on ne fait la guerre qu'aux milléfimes nouveaux. Remarquez, bien que tous ces livres , qui ont fait tant de bruit il y a vingt-quatre ou trente ans , Si qui fcandaüfoient les efprits ombrageux, fe vendent aujourd'hui publiqucment, Sc font tombés au plus vil rabais , preuve certaine de ce que deviendront les livres qui ont aujourd'hui le plus de vogue , uniquement paree qu'ils font défendus. Tous ces livres brulés (cpd fentent toujours un peu bon) reparoiffent avec le mandement qui les a profcrits , & le réquijitoire qui les a livrés aux flammes , hautes jérémiades de ceux qui jadis ont lancé leur foudre fur ces brochures, lef quelles devoient , felon eux , ébranler les trónes & renverfer les autels, On rit da réquifitoire Sc du mandement; il en fera de même du grand courroux qu'exchq aujourd'hui tel puurage fortant de chez rjmprimeur, Laiflez-le vieillir un peu ,  (lp ) il fe rétablira dans 1'innocente circulation des livres qui ne fervent qu'a former des bibliotheques, Sc a faire flcurir le commerce étendu du papier noirci. Ces détailleurs mettent a profït cette forte dc prefcription , qui naturaüfe enfin les livres dont les cendres ont fali les dégrés du palais de Thémis. Ils vendent merrie le livre nouvellement défendu ; mais ils fe gardent de 1'étaler j ils vous le préfentent derrière les ais dc leur échope : cette lingerie leur vaut quelques fols de de plus; ils gripent donc quelque monnoie ea & la fur toutes ,lcs nouveautés poffibles, le facré 8c le profane. Le diplomatique , la banque, ia quereile du déficit ,, la guerre des Turcs 8c des Impériaux , la vie des Papes , ou celle des hermites , tout leur eft bon; ils épelent la première page, défigurent le titre en voulant le prononcer , Sc vendent les ceuvres du génie comme on vend un morceau de ftomage. Si c'eft le Libraire qui leur confie ces brochures , ils le pavent dans 1'cfpérance.  ( 15*4 ) d'en avoir d'autres la femaine fuivante ; mais fi c'eft 1'auteur qui a fait les frais de la brochure & qui la débite , alors ils fe font une loi de le faire courir des années entières après fon payement, ou même de ne jamais le payer ; c'eft un vrai régal pour eux que de le voler & d'ajouter enfuite que fa brochure ne vaut rien. Ces détailleurs vont aux inventaires 3 achetent fans les connoïtre tous les livres qu'on ne lit plus , en fécouent la pouffiere & les étalent. L'acheteur qui paffe interrompt fa marche , & avant de fe décider, en lit quelques pages; tel autre entrainé parle goüt de la leclure , lit le livre debout, & le liroit jufqu'a la fin fi le vendeur ne le faifoit fortir de fon enchantement. Les romans,les voyages & quelques livres de dëvotion ; voila ceux qui font enlevés de préférence aux autres. Les poéfies font tombées , Sc la profe en tout genre fe vend mieux que les vers} qu'on ne lit plus. Parmi ces détailleurs , placés dans les paffages des promenades publiques , fe  C *SS ) trouvcnt quelques efpions qui fervent a deux fins ; a reconnoitre les gens fignalés, & a dénoncer ceux qui leur apporteroient a. vendre quelque brochure illicite , ou bien qui leur demanderoient avec un appétit trop vifible , un de ces libelles qui le plus fouvent ont des titres iniaginaires. Les boutiques oü fe vendent les nouveautés littérair es attirent de préfcrence les auteurs & les curieux amateurs de la littérature ; on en voit des groupes qui reflent comme aimantés autour du comptoir 3 ils incommodent le marchand qui, pour les faire tenir de bout , a öté tous les fiéges • mais ils n'en reflent pas moins des heures entières appuyés fur des livres, occupés a parcourir des brochures & a prononcer d'avance fur leur mérite & leur deftinée, après en avoir lu feulement quelques lignes. La fureur de juger eft fi précipitéeen eux, qu'ils rendent leurs arrêts fur des ouvrages qui ne paroiffent pas encore. Tournez eet aréopage, vous verrez qu'il prend fans cefle le dénigrement pour l'art  ( ry* ) 'de la critique. On tient académie chez le Libraire ennuyé de tant de paroles, & qui a force d'entendrc tant de jugemens oppofcs, eft devenu pyrrhonien en fait de littérature : c'eft le plus fage de la bande. Concert ambulant. XJ N étranger , le lendemain de fon arrivée, entend fous fes fenêtres quelques airs exécutés fur la baffe 6c le violon. La curiofité lui fait ouvrir fa croifée qui donne fur la cour: qu'elle eft fa furprife ? il ne voit qu'un homme qui accompagne fur un inftrument 1'air qu'il joue fur un autre; & voici comment un feul homme compofe Porcheftre adoffé contre la muraille. II tient en main fon violon, une baffe etl ctendue devant lui, 8c par le moyen d'un archet attaché a fon pied droit , il en tire une forte de ronflement continu , qui du moins fuit quelquefois la mefure de Pair qu'il joue avec les mains..  ( i;7 ) Cet ëtranger, en fortant de chez lui , entend de loin les fons aigres d'un hautbois ; ces fons s'élevent du milieu d'une foule de manouvriers & de fervantes , & font marqués par des coups de tambour frappés avec alfez de juftelfe d'après le mouvement de 1'air : en approchant il ne voit que l'homme qui tient fon hautbois a deux mains • mais fous fon manteau renflé par 1'extenfion de fes bras , il a un tambour attaché fur la hanche : c'eft un enfant de lix ans, qu'on n'apperc^oit pas, qui bat cet inftrumenta mefure que fon pere joue fur le fien. Plus loin paffe un autre muficien; mais il ne marche point fur fes pieds, car il n'en a plus. Le malheureux eft affis les jambes croifées , fur un petit cheval , qu'une jeune fille conduit par la bride , en avancant la main gauche pour recevoir la monnoie qu'on voudra lui jetter des croifées. Le contrarie de cet homme qui joue du violon & qui chante , après avoir perdu fes pieds, touche les cceu'rs ; & la piété filiale de la jeune fille détermine  ( i;s ) l'aumóne incertaine a tomber des fenêtres. Les gros fous de cuivre, tres - beaux & mieux frappés que les écus , pleuvent autour du petit cheval, qui femble deviner que fa courfe doit être lente. Toute cette mufique , que le peuple paye avec la plus vile monnoie. eft intolérable pour quiconque a de 1'oreille i mais le Parifien n'a point 1'oreille muil cale. Quand les Quinze-vingts étoient réunis en corps de communauté , il y avoit un jour de la femaine oü quelques-uns d'entr'cux s'acheminoient a tatons fous les portes cocheres , pour y chanter des cantiques pieux. Leur chant étoit fi lamentable que les laquais avoient ordre de fe hater de leur donner quelques Hards pour qu'ils allalfent plus loin promener leur pitoyable mufique. Elle étoit vraiment crucifiante. Lorfqu'il y a quelque mécontentement parmi le peuple , la Police fait doubler la mufique des rues , & elle fe prolonge deux heures plus tard que de coutume.  ( IS9 ) Quand la fermentation s'accroït , alors la mufique ambulante ne défempare pas des carrefours- le tambourin raifonne du matin au foir ; des fufils d'un cóté . des clarinettes de 1'autre, des foldats montant la garde autour du palais , des chanteurs faifant monter leurs voix jufqu'au fommet des maifons , voila comme on appaife les efprits , par les plus fmguliers contraftes • on rouvre les académies de jeux qui avoient été fermées ; onconcede un peu plus de licence aux filles ; on allonge les parades des boulevards , & le peuple qui chante , qui joue librement , qui voit de nouvelles proftituées , oublie les fufils , ne les appercoit plus , tout étourdine fonge qu'a la jouiffance du moment.  ( ito ) Croix de St. L,ouis. L E s Romains récompenfoicnt avec des feuillages de chêne ou des couronnes de gazon , & les Romains étoient alors en quelque forte autant de héros. Nos guerriers font récompenfés parunepetite croix d'émail attachée a un ruban. II eft injufle de s'emparer de ce figne d'honneur & d'ufurper ainfi laconfidération qu'il donne, mais la punidon eft rigoureufe. Quiconque porte la croix de Chevalier de St. Louis, fans en avoir le droit , fubit une prifon de vingt annces. La punition eft la même pour celui qui ne feroit que s'emparer du ruban. On ne fauroit trop remettre ces ordonnances féveres fous les yeux de plufieurs étourdis , qui , ne connoiffant pas affez les conféquences de cette folie ufurpation , obéiffent dans 1'ivrefie du plaifira un mouvement d'orgueil ou d'imprudence dont ils ont lieu de gémir long-tems : mais indépeudamment  (ttï ) Indépendammem de ceite punition effrayante \ l'homme qui fe refpecte doit-il mentir a la fociété , en prenant un titre qui ne lui appartient pas ? Les Comédiens francois , qui repréfentent tous les perfonnages de la terre > prennent bien le cordon bleu, 1'ordre de la jarretiere , mais la croix d'émail leur efl interdite; ils ne peuvent en orner leur boutonniere, malgré 1'exigence du röle* Ils ont la liberté de figurer un Monarque avec tous fes cordons , & non un Chevalier de St. Louis5 voila une nuance délicate que le Gouvernement francois a faifie , & il en a plufieurs de cette efpece. On a donné la croix a des Exempts de Police , ce qui a fait murmurer les Militaires ; mais fi un Exempt de Police a rendu des fervices importans a I'Adminiftration * pourquoi le difpenfateur des graces feroit-il empêché dans 1* diflribut.ion des récompenfes ? 'Purger 1'État de fes ennemis intetiins , n'efl-ce' pas le défendre fous une autre dénomination ? Enfuite le mérite perfonnel d«' Terne XIÏ* L  i 162 ) 1'Officier u'cft-il pas toujours lié a la dceoration ? s'il en eft inféparable , pourquoi oter au Gouvernement un moyen de plus pour fe concilier des hommes •utiles qui honoreront leurs fonöions , quand le ehemin des honneurs ne leur •fera pas abfolument fermé ? Eh ! plüt a Dieu que tout ce qui porte le noni d'Of•iicier de Police fut dans le cas de mériter cette croix , & de 1'honorer par fes versus ! A coup fur le public ne pourroit qu'y gagner. Jurifdicllon confulairz. E lie expédie plus de procés, que tous les autres tribunaux. Elle eft extrêmement .tumultueufe, paree qu'il y a toujours grande afïïuence de plaideurs , expliquant leur caufe a leurs procureurs , ou plaidant euxniêmes. Des conteftations qui, au parlement & au chatelet , féjourneroient plufieurs années, font jugées en peu d'heures •ilevant les Ju ge & Confuls. Leur juftice  I 1*3 5 eft prompte & loyale. La nuk nlnterrompt point leurs fonétions; ils font encore fur leur fiege , lorfque le lendemain com* mence. Leur zele eft infatigable, & leur patience reffemble a leur zèle. Sans cette juridiction toujours debout, toujours 1'oreille ouverte, le commerce feroit livré a 1'anarchie. Elle tient lieu des autres tribunaux quand ils font fermés, ou bien quand ils font fufpendus au milieu des rixes défaftreufes de la Magiftrature & de la Cour. Ce tribunal populaire , en foutenant le négoce , fauve les grands défordres. II a fur-tout dans fon reftbrt les lettret de change & les billets d ordre, fi multipliés de nos jours. Les Juge & Confuls ont un coup-d'oeil exercé pour reconnoi-< tre la mauvaife foi & les tortuofités des négocians infideles. Ils font au fait des dé' tours ufités dans certaines profeffions. Leurs regies fontinvariables , paree qu'elles font fondées fur 1'expérience journaliere. Au premier coup-d'ceil, ils voyent fi les regiftres & les écritures d'un commercanS, L %  ( i6-4 ) font dans 1'ordre convenable. Comme tous les détails du commerce leur font familiers , ils ont une logique plus füre que celle qui va confulter le droit romain pour terminer un diffërend entre deux épiciers-droguifles. Des mceurs nouvelles, des objets nouveaux , une vie contentieufe fondée fur un crédit qui a toujours befoin de fe renouveller , voila ce qui exige , non un code inflexible , mais un code ufuet qui foit a une égale diflance de la rigueur 8c de la foibleffe. Les Juge 8c Confuls décernent la prijs de corps pour les lettres de change, j'ans dijlinaion de perj'onne. Ils accordent des délais pour les billets d ordre. Ils' fe prétent aux atermoiemens ; ils n'appefamiffent point trop le glaive de la loi fur ceux qui font en faillite. Ils font enclins aux accommodemens qui reviviiient le crédit, & raniment Ie commerce > fi fujet aux orages. Le parlement caffe ordinairement tous ces arrangement de faillite , quand un créancier inflexible pourfuit fon débiteur.  ( i*; ) jufqu'a cette Cour luprêrhe , paree que Ie droit romain le ycut ainfi. Le peuple , Sc mirfté le pesit peuple , environne le tribunal des Juge & Confuls & plaide lui-même fa caufe fans le feconrs des avocats. On diroit des beaux jours de la juftice, lorfqu'elle étoit afiife fous un chêne, & non encore furchargée de tormes ténébreufes & de babillards ihutiles. Si la gravité du tribunal en fouffre quelquefois , le fond de 1'affaire n'eft jamais irnmolé aux acceffoires. A travers les bifarres expreffions & le burlefque de la défenfe , les Juges fuivent le fait, & démêlent les rufes de la friponlrerie. Le ton de candeur & de vérité , dans la bouche de Phypocrifie , ne leur en impofe pas plus , que ne les révolte le ton grofïier & jureur des hommes emportés ; car il faut fouyent avertir celui qui défend fa caufe, qu'on ne jure point en préfence des Juge & Confuls , du portrait du Roi & du crucifix. J'ai fouvent admiré la patience héroïque des Juge Sc Confuls, lorfqu'ils inter- L %  '( 166 ) rogent les parties. En'tourés des pafïïöns turbulentes du petit peuple & de fes criailleries , ils favent écouter , faire fortir Paveu , réprimander , cclaircir 8c mêler quelquefois un trait de gaieté analogue a 1'efprit du Parifien. Quand Pauditoire a ri, il efl plus difpofé a la confiance & au refpeét. Des procureurs, auxquels on donne les titres d'avocats , plaident jufqu'a foixantedouze caufes dans une foirée , a vingtquatre fols piece ; elles n'en font pas plus mal expofées pour cela. Quand 1'avocat fe trouve avoir en main Pexploit de la partie adverfe , il ne fait qu'étendre le bras & le pafler a fon confrère. Lamultiplicitc des affaires, & la confufion des noms » font que quelquefois ils fe trouvent chargés du pour Sc du contre ; le moment les éclaire , 8c le débat alors fe partage comme il convient. Les procureurs , harafles de fatigues , dorment quelquefois en inflruifant 1'affaire • mais elle n'en eft pas moins bien jugée a paree qu'il y a une triture & une routine  ( 1*7 ) qui' fórcent 1'équité. Des fmgnlarités pM^lantes & des cas vrahnentextraordinaires fe rencontrent dans les conllits de tant d'intérêts oppofés , & 1'attention des Juges & des auditeurs fe rankne au- récit de c-es. événemens étranges. Les gens de la campagne- ont leurs heures d'audience particulieres; autre débat, autre ton, autre ftyle. Les détails n'enr feroient pas entendus dans lés autres tribunaux ; quoique 1'objet le plus fouvent foit mince , 1'attention des Juges eft la même. .On pacitie ces culdvateurs , on leurabregeun tems précieux ; la propriété d'un rateau eft éclaircie & jngée commecelle d'une lettre de change. Ces gens de: ïk campagne femblent rougir plus que les; autres , quand ils font convaincus de mauyaife foi, en ce qu'ils femblent devoir être: plus étrangers- a la prévarieatioru. Sans cette jurifdiótion le petit peuple: feroit fans jnftice. La plus petite réclamation eft admife ; Gar c'eft le pauvre qui 'm le plus de befoin de conferver le peu; gu?Ü a.j & qui le défend avec le plus. L ^  ( 16% ) de chaleur. On 1'ëcoute; on fait plus , on le calme. Les délais & les frais des autres tribunaux n'iroient point a ces petites caufes , d'autant plus paffionnées que la plaie de la partie qui fouffre, eft recente. Les Juge & Confuls fufpendent Ia contraiate par corps , quand le parlement a cefle fes fonöions. Comme il y a toujours appel a ce tribunal fupérieur , ces Juges patriotes & indulgens ne veule.nt point être les incarcérateurs de leurs concitoyens, ff".'" "«"«■■■■■■■'■■■■«■■■■«««■■^ Séparation. D È s qu'un contrat de mariage eft figné' dans la coutume de Paris, les deux époux. ne peu vent plus s'avantager ni fe rien donner, ni même y rien changer, vécufferit-dls 100 ans. Le mariage eft indiffbl.uble; le divorce eft défendu par les loix divines & hurnaines: mais fi deux époux veulent fe féparcr } ils n'ont qu'a fe donner des clü-  ( !*73 ) femme , en a trente pour ennemies irréconciliables qui multiplient fon portrait , ainfi qu'un verre a facettes multiplie les objets. La voix de la communauté entre dans les canaux les plus imperceptibles , les enile, & voila un concert d'inveclives & d'accufations qui nemourra point. Qu'on fe fépare , qu'on fe réconcilie, il fera déclaré a St. Chaumont , & dans les fafles de la communauté, que la femme eft un ange & le mari un demon. eft-la le premier article de foi de la maifon. Jamais oreille de confelfeur n'a été plus aguerrie que celles des directrices de cette communauté. Elles favent d'avance tous les délits que peuvent commettre les maris jaloux ou brutaux ; aucun ne les ctonne. Mais jamais les torts ne font du cöté ds la femme; èc ce qui le prouve, c'eft qu'elle paye une bonne penfion , & qu'elle dépenfe fon argent dans la fainte communauté. Or pour effacer de fi grandes douleurs, pour adoucir cette horrible captivité, qui ferme les portes a onze heures du foir, on joue , on chante, on tient table} mais  ( i?4 5 tout-a-coup on trouve des pleurs Sc des fanglots , quand' c'eft. un parent du mari •qui fe préfente, ou pour achever un aecommodement, ou pour terminer une féparation- jamais actrice n'a offert fur la fcène des nuances plus vives Sc plus rapides : la fupérieure accompagne, par un filenceéloquent, le jeu phyfionomique de la dame éplorée. Quelquefois la chaife de pofte & 1'amant viennent terminer brufquement le procés. Trois mois après, les factums provinciaux arriveront de cent lieues; on les verra pleuvoir fur la tête du mari; on lui redemandera la moitié de fa fortune • on offrira de rentrer au couvent & de prouver fon innocence ; les avocats défenfeurs font tout prêts , & Ia fupérieure auffi , qui condamne indiftinctement tous les maris de 1'univers , Sc qui recevroit dans fon afyle les Africaines,& les Chinoifes, ainfi qu'elle recoit les Flamandes, les Proven9ales Sc les Franccomtoifes.  Bibliotheque univerfelle des Dames. L e s éditeurs de cetre bibliotheque nous promenent tout ce qu'une femme peut 8c doit favoir , dans des livres qui pourront être contenus en une caflette de dix-huit pouces quarrée. Voila les limites des connoifTances féminines. Je crois qu'on pourroit les rétrécir encore , & que nos femmes en feroient infiniment plus aimables • mais alors , ou en feroit la foufcription , & de quoi vivroient nos galants bibliothécaires? Laiffons les donc publier leurs favantes inftruftions, & donner a nos belles dames une légere encyclopédie entreprife pour elles , & ornée féparément de leur nom ; ce qui a Pair d'une dédicace pour chacune d'elles, puifqu'elïes voyent leur nom imprimé a la tête de chaque volume ; 8c comment ne payeroit-on pas cette jouiffance ? Je recommande fur-tout a nos inftitu-  ( -7* ) leurs de ne pas oublier de leur enfeigner Ja partie de géographie qui regarde la cöte de Malabar , oü la veuve chérie fe brüle fur le tombeau de fon mari ; Ja Chine , oü 1'on brifeles pieds des femmes pour les rendre mignons; la Georgië, la Circaffie , la Mingrelie, oü la nature déploye après elles toutes fes richeffes, & oü 1'on les mene au marclié ; la Turquie , oü elles font efclaves & ceffent d'avoir une ame; la Ruflie , oü les coups font les preuves les moins équivoques de Ia tendreffe qu'on a pour elles ; & je confeille a nos belles dames, après avoir orné leur cfprit de toutes ces brillantes connoiffances, de ne pas abandonner Paris pour courir le monde* car je les préviens en ami vrai, qu'elles ne gagne>-oient pas au change , fut - ce en Suiffe, fut-ce en Allemngne, fnt-ce même en Italië; voila pourquoi Paris fait le pairiotifme de Ia plupart des Francoifes. O bibliotheque de dix-huit pouces en quarré, tu manquoisau génie inve:iteur da notre liecle i mais il a trouvé enfin cette rare  ( 177 ) rare Sc neuve combinaifon dont s'applaudiffent les éditeurs & le libraire. Oh! que les femmes vont être favantes ! Je ne fais fi cette encyclopédie de dixhuit pouces conviendra a la fenfible Am gloife, a la nerveufe Allemande , a la briïlante Efpagnole • mais beaucoup de petites créatures, fans énergie, fans force, qui veulent tout apprendre en courant le monde , la logeront facilement dans leur tête. Mal gré cette bibliotheque univerfelle, il eft toujours permis aux femmes de ne point favoir Porihographe , mais a condition qu elles mettront de 1'efprit dans leur flyle ; très-peu y manquent. Plaintes d''Académiciens. Ils vous difent que le regne des lettres paffe de jour en jour, que la décadence eft totale, &- il en eft peud'entr'euxqui ne prennent ces réflexious chagrines pour des vérités inconteftables. L'académicien veut dire Tome XII. M  C 178 ) feulement qu'ou ne penfe pas aiTez a lui. De-la ces lamentations qui ne font que le cri de 1'amour - propre , mécontent ou humilié : c'eft toujours un gémiffement fur la jterte dugoüt. Eh! qui gémit ainfi ? Des hommes qui nefont rien de remarquable, ou desparefieux qui voudroient qu'on honorat encore leur oifive nullita. Ce qu'il y a de plaifant, c'eft que Ie folliculaire tancant 1'académicien, en dit tout autant de fon cóté > cela termine fon extrait ou fa page , & comme ces jérémiades iiuéraires prêtent a 1'amplification, aca-, démiciens & folliculaires nenégligent pas ces moyens qui les conduifent a fi peu de frais au bout d'un difcours ou d'un extrait. Le premier veiiu, qui prendrala plume dans le mercure ou dans un journal , appellera barbouilkur la majeure partie de ceux qui écrivent , & en tracant ce mot, il ne fera aucun retour fur lui-même. L'académicien 8c le folliculaire prennent donc abfolument le même ton. Je i'ai fouvent remarqué. Vous les diflinguerez a leurs gémiiTemeas éternels} fur cette  { ijs> ) prétendire décadenee du goüt; ils oppoferont éternellement les écrivains antéiieurs aux écrivains qui naiflent & qui n'ont point encore foürhS leur carrière. Vous voycz que les gens de lettres > malgré leur efprit, reflemblent aux autres hommes; ils fe plaignent amérement de leurs rivaux , pour faire entrevoir qu'ils ont un mérite particulier. Le ftyle néanmoins eft vifiblement perfeélionné de nos. jours. II s'éloigne enfin du ftyle académique , introduit par 'd'Alembert : ce fut lui qui gata plufieurs écrivains, notamment mon cher Thomas, qui perdit fon allure naturelle pour en prendre une forcée. Ce ftyle eft fans contredit ie plus maavais de tous. II eft adopté par ceux qui voulurent faire leur. cour au Secrétaire de VAcadémie. Or c'étoit une finguliere prétention que de ne vouloir fe faire lire qu'a force de fubiilités, de contourner les expreffions & d'habiller les penfées les plus communes d'une forme épigrammatique. Enfin le public fit juflicc un jour de ce mauvais ftyle, & iiffla le M 2  X iSo ) 'Secrétaire. L'efprit de l'art ne v.audra -jamais 1'efprit de la nature, qui eft fimple 8c uni. Le public fifïïeroit bien plus haut, s'il étoit témoin du prononcé que fe permettent tant d'hommes qui n'ont aucune Tenommée , pafte les bornes de leurs journaux , de leurs coteries , de leur falie académique ou de leur lycée. L'homme impartial Sc franc qui fe donne la peine de lire , & qui examine au lieu de fronder , eft perpétuellement révolté de ces fentences que diéte 1'égoïfme le plus yain Sc le plus ridicule. Dans une écurie il y a des chevaux de parade, des chevaux courans 8c des roffes , ïl en eft de même de 1'Académie francpife ; mais parmi les critiques de toute efpece , en eit-il un feul qui fe diftingue aflez émineminent pour faire adopter fes jugemens!  ( i8r J Rameau, ai connu dans ma jeunefTe le muficieir Rameau ; c'étoit un grand homme fee & maigre , qui n'avoit point de ventre , 6c qui , comme il étoit courbé , fe promenoit au Palais royal toujours les mains derrière le dos , pour faire fon a-plomb; il avoit un long nez , un menton aigu, des Hütes au lieu-de jambes, la voix rauque. II paroilfoit être de difficilë humeur. A 1'exemple des poëtes, il déraifonnoit fur fon art. On difoit nlors que toute Pharmonie muficale étoit dans fa tête 5 j'allois a l'opéra, 6c les opéra de Rameau ( éxeepté quelques fymphonies) m'ennuyoienr étrangement. Comme tout le monde difoit que e'étoit-la le nee plus ulcrd de la mufique je croyois être mort a cet art , 6c je m'en afHigeois intérieurement, lorfque Glucfc^ Piccini , Saccbini, font venus interroger. au fond de mon ame mes facultés en»M. i;  ( 18.2 ) gourdies ou non remuées. Je ne comprenois rien a la grande renommée de Rameau : il m'a femblé depuis que je n'avois pas alors un fi grand torr. J'avois connu fon neveu, moitié abbé moitié laïque , qui vivoit dans les cafés , & qui réduifoit a la maftication tous les prodiges de valeur , toutes les opérations du génie , tous les dévouemens de 1'héroïfme , enfin toüt ce que 1'on faifoit de grand dans le monde. Selon lui, tout cela n'avoit d'autre but ni d'autre réfultat que de placer quelque chofe fous la dent. II prêchoit cette doctrine avec un gefie expreffif & un mouvement de machoire très-pittorefque > & quand on parloit d'un beau pocme, d'une grande action , d'un édit, tout cela , difoit-il, depuis le maréchal de France jufqu'au favetier , 8c depuis Voltaire jufqu'a Chabanes ou Chabanon , fe fait indubitablement pour avoir de quoi mettre dans la bouche, & accomplir les loix de la mafiication. Un jour , dans la converfation, il me du , mon oncle muficien eft un grand  ( *s3 ) homme , mais mon pere violon étoit tin' plus grand homme que lui; vous en allez juger : c'étoit lui $ qui favoit mettre fous. fa dent! Je vivois dans la maifon paternelle avec beaucoup d'infouciance,'car j'ai toujours été fort peu curieux de fentineller 1'avenir; j'avois vingt-dcux ans révolus, lorfque mon pere entra dans ma chambre, & me dit:— Combien de tems veux - tu vivre encore ainfi , laehe 8c fainéant ? il y a deux années que jra(tends. de tes ceuvresj fais-tu qu'a 1'age de vingt ans j'étois pendu 8c que j'avois un état? —. Comme j'étois fort jovial , je répondis a. mon pere : — C'eft un état que d'être pendu ; mais comment fütes-vous pendu, 8c encore mon pere? — Ecoute, me dit— il, j'étois foldat & maraudeur ; le grand prévót me faifit & me fit accrocher a un arbre ; une petite pluie empêcha la corde deglilfer comme il faut,ou plutót commeil ne fajloit pas; le bourreau m'avoit laiffé ma chemife , paree qu'elle étoit trouée ; des houzards patferent , ne me prirent pas encore ma chemife, paree qu'elle ne M 4  ( 184 ) Valoit rien , mais d'un coup de fabre ils couperent ma corde, & je tombai fur la terre ; elle étoit humide : la fraïcheur réveilla mes efprits- je courus en chemife vers un bourg yoifin , j'entrai dans une taverne, & je dis a la femme: ne vous effrayez pas de me voir en chemife , j'ai mon bagage derrière moi : vous faurez.*. Je ne vous demande qu'une plume , de 1'encre , quatre feuilles de papier , un pain d'un fou & une chopine de vin. Ma chemife trouée difpofa fans doute la femme de la taverne a la commifération; j'écrivis fur les quatre feuilles de papier : Aujour* d'hui grand Jpeclacle donné par le fameux Italiën • les premières places d fix fous , & les fecondes d trois. Tout le monde entrera en payant. Je me retranchai derrière une tapifferie, j'empruntai un violon, je coupa: ma chemife en morceaux; j"en fis cinq marionnettes , que j'avois barbouillées avec de 1'encre & un peu de mon fang, & me voila tour-a-tour a faire pari er; mes marionnettes, a chanter & a jouerdu violon derrière ma tapifferie.  ( i8T ) J'avoïs préludé en donnant a mon violon un fon extraordinaire. Le fpectateur accourut , la falie fut pleine ; 1'odeur de la cuifine , qui n'étoit pas éloignée , me .donna de nouvelles forces ; la faim > qui jadis infpira Horace , fut infpirer ton pere. Pendant une femaïne entiere , je donnois deux repréfentations par jour, & fur Paffiche point de relache. Je fortis de la taverne avec une cafaque , trois chemifes, dés fouliers 8c des bas , & affez d'argent pour gagner la frontiere. Un petit enrouement, occafionné par la pendaifon , avoit difparu totalement , de forte que Pétranger admira ma voix fonore. Tn vois que j'étois illuftre a vingt ans . & que j'avois un état 5 tu en as vingt-deux, tu as une chemife neuve fur le corps; voila douze francs, fors de chez moi. Ainfi me congédia mon pere. Vous avouerez qu'il y avoit plus loin de fortir de-la. que de faire Dardanus ou Caflor & Pollux. Depuis ce tems-la je vois tous les hommes coupant leurs chemifes felon leur génie , 8c jouant des marionnettes en  ( 186- ) public, le tout pour rempiirleur bouche. La maftication , felon moi , eft le vrai réfultat des chofes les plus rares de ce monde. Le neveu de Rameau , plein de fa doctrine, fit des extravagances & écrivit au miniftre, pour avoir de quoi m'aftiquer, comme étant fïls 6c neveu de deux grands hommes. Le St.'Florentin qui, comme on fait, avoit un art tout particulier de fe débarraffer des gens , le fit enfermer d'un tour de main , comme un fou incommode, 6c depuis ce tems je n'en ai point entendu parler. Ce neveu de Rameau , le jour de fes noces , avoit loué toutes les vielleufes de Paris a un écu par tête , 6c il s'avanca ainfi au milieu d'elles , tenant fon époufée fous le bras: Vous étes la vertu , difoit-il , mais j'ai voulu qu'elle fut relevée encore par les ombres qui vous envïronnent. Rameau , rendant vifite a une belle dame, fe leve tout a coup de deffus fa chaife , prend un petit chien qu'elle avoit fur fes genoux, 6c le jette fubite-  1187) 111 ent par la fenêtre d'un troifieme étage» La dame épouvantée: — Eh que faitesvous , Monfieur ! — II aboye faux , dit Rameau en fe promenant avec 1'indignation d'un homme dont 1'oreille avoit été déciïirée. Rameau ne put jamais faire entendre a Voltaire une note de mufique , & celuici ne put jamais lui faire comprendre la beauté d'un de fes vers; de forte qu'en faifant un opéra enfemble , ils en vinrent prefqu'aux mains , tout en parlant d'harmonie. L'oreille la plus ingrate a toute mufique , fut celle de Voltaire ; il a ofé cependant en parler. La peinture n'exiftoit pas plus pour lui: confolez-vous, vulgaires mortels ! Chaife de pofte. Vo y o n s le monde , s'il eft poffible, avant d'en fortir ; la plus heureufe des inventions efl la chaife de pofte. Je n'ai jamais pu envier aux riches que ce feul avantage.  ( i88 5 Grace aux beaux chemins que 1'intelHgence du Miniftere a fait pratiquer dans toute 1'étendue du Royaume, coupé comme un damier , le faquin qui a de 1'or, incrufté dans fa chaife, eïcorté de fon Jocquet, s'en va légerement étaler les graces de fon individu jufques dans les pays ctrangers j il vifite le Hollandois & 1'Allemand au milieu de leur brandevin , de leur pipe & de leur tabac, machant lugubrement du cochon falé , de la choueroute , du beurre & du fromage : voila tout ce qu'il obferve , Sc il revient en s'écriant qu'il eft mort de faim dans ces pays, paree qu'il n'a pas taté de vingt mets , tous plus exquis les uns que les autres; il revient au milieu des plaifir3 qui fourmillent dans la capitale , bien réfolu a ne la pas quitter. Fourquoi la chaife de pofte appartientelle plutöt a un faquin qu'a un homme éclairé ? Voyager a pied , c'eft voyager comme Thalès & Rouffeau , mais de nos jours cela devient impratkable : la chaife de pofte s'arrête a volonté 8c franchit ra-  ( i«p 5 pidement ce qui ne mérite pas d'être vu; oh ! qu'il eft doux , ratatiné dans un enclos commode, de fe rendre obfervateur, tantöt d'une ville , tantöt d'un village. De tous les états de la vie, celui de voyageur eft le plus fécond en plaiiirs purs Sc novtveaux. — Je fuis heureux lorfque je voyage ; ma tête s'iüumine , & tous les livres alors me femblent froids & faffidieux. Le projet de faire voyager commodément & en pofte les commercans & les curieux , qui délireroieut fe porter d'un endroit du Royaume a un autre , étoit bon , mais ce projet a été gatc par la ftrucrure des turgotines, par la négligence Sc 1'avidité du régime. Voila ce qu'amène unprivilége exclufif. II ne faut point avoir recours, s'il eft poiïible , aux meffageries royales ; les plaintes les mieux fondées font toujours en pure pene. Le goüt a banni des voitures aétuelles 1'or Sc 1'argent; il a prononcé plus hautement qu'une loi fomptuaire. La peinture & les vernis les décorent feuls ; la main  ( ij>o ) ïnduftrieufe du menuifier leur a donné I'S» légance, le fellier n'a rien négligé dans les parties en cuir , & par 1'invention des reflbrts doux , pliants & folides, le ferrurier eft monté jufqu'aux rang des artiftes. On a donné au fiége des ornemens drapés , frangés j il eft ample , doux, varié en couleur. Le cocher peut dormir fur ce fiége, comme fur un lit, en attendant fon maitre. Leur commodité eft égale a leur magnificence : nous avons adopté les voitures angloifes , mais nous avons fu les recréer : les nötres font beaucoup plus légeres, & au lieu de ces grandes berlines lourdes & pefantes, qui fembloient faites pour rouler toute une penfion , nous avons des voitures agréablement coupées pour 1'ceil, & d'une folidité égale a leur légéreté. La caifle eft montée très-haut, & le fiége pour le cocher eft encore plris élevé. Le conducteur fe trouve au niveau de Pentrefol des maifons ; tant pis pour lui s'il n'a pas fait fon teftament ou fon apprentifllige fous un maïtre habile qui lui  ( Ipl ) sit enfeigné a fe tenir ferme fur ce haüt fiége. A la première apparition de ces voitures, nous tremblames pour le cocher, & nous craignions qu'au moindre choc il ne fut , par la loi de la force centrifuge, lancé par terrea vingt pieds de fa voiture; mais foit que 1'élévation faffe difparoitre le péril, foit que les cochers foient plus fermes & plus habiles , ils perdent moins la tête , quoique la leur approche vifiblement de la hauteur des lanternes publiques , dites réverberes. On a profcrit , autant qu'on 1'a pu , ces maudites voitures , tellement ferrées, qu'elles jettoient un foruit de ferraille tresmonotone & très-mauffade : c'étoit une bifarrerie révoltante ; 1'oreille étoit fatiguée par ces fons défagréables & importuns: aujourd'hui 1'on n'entend plus que le roulement inévitable. Si 1'on pouvoit profcrire abfolument toutes les glacés , dont les inconvéniens font fi dangereux, pour laiffer les portières tout en boïs, j'applaudirois a cette heureufe réforme: je donnerois auffi ma voix pom- que les  marche-pieds, qui fe replient & fe re^ ferment en - dedans , n'euflent plus lieu. L'impatience ne s'en accommode guère, & je voudrois que le génie fubftituat a la place quelqu'autre invention. II efl nombre de cas oü il eft plus qu'imprudent de fe trouver enfermé, & de dépendre de la preflefle d'un laquais. Sous le Roi Robert, c'étoit une grande entreprife d'aller a foixante lieues de chez foi. On faifoit fon teflament , & 1'on fe difpofoit a mourir. On s'attroupoit autour d'un homme qui revenoit de cent cinquante lieues , 8c cela paroiffoit aufli admirable que de notre tems les voyages du Capitaine Cook. Aujourd'hui 1'on déiivre des chevaux de pofte a toute heure. L'intempérie des faifons n'arrête point les poftillons aux Gulottes de peau étroites , & qui montrent la forme de leurs feffes a toutes les belles dames qui courent la pofte: leur bel ceil femble ne rien voir , & leur oreille ne point entendre les juremens qui conflituent 1'éloquence des grands chemins. Ou  C 193 5 Öri voyage fans néceffité, fans affaires* Tur le plus léger prétexte. Le royaume eft percé en tout fens , & ces belles routes t peut-être trop larges en beaucoup d'endroits , & trop peu ménagées, offrantuno niultitude de points de communication9 les correfpondances fe multiplient de ville a ville, de province a province. On peut , fans être riche, jouir a peu prés de tous les plaifirs qui appartiennent al'opulencejmais cette forte d'égalité cefle quand il faut Voyager. Une bonne berline angloife , chargée de toutes les chofes commodes, qüi s'arrête & qui part quand on veut , eft bien différente de ces voitures de meffageries s oü une malle vaut mieux qu'un homme pour les conducteurs, & femble bien plus précieufe. Quand on a mille louis d'or , la dépenfe la plus agréable , c'eft de voyager trois en pofte. On économife prés d'un tiers de cette facon : mais fe convenir trois parfaitement, ces fortes de rencontres font rares. Les chevaux de pofte font incefTammen* Tome XII. N  ( i riole a laquelle fe font condamnés nos nobles de trainer une épée dans une trifte garnifon , de jouer aux cartes , & de me-, ner des femmes au fpeétacle. Het: re?  '( ) Heures des repas. Les paveurs, les macons, les tailleurs de pierres , dinent toujours a neuf heures du matin.Louis XIV dmoita midi, comme on fait encore dans les colléges & dans les provinces. II y a trente ans on fe mettoit a table a une heure j aujourd'hui on ne dine qu'a trois heures & demie. Jadis on mangeoit deux par deux fur une même affieue, 8c les amans buyoient dans le même vsfe ; aujourd'hui chacun a fon affiette ; mais la politeffe du maïtre & de lamaïtreffe du logis coniifte a favoir prier leur monde de maniere que telle femme fe trouve avec fon amant. On foupe a onze heures & demie ; on fait des vifites a dix heures du foir 5 c'eft le tems de la fociété : les femmes veillent 8c fuyent les rayons du foleil. Le dormant du quinzieme fiecle eft remplacé par un plateau immobile , mais Tome XII. O  ( 2IO ) ce plateau efl favorable; il difpenfe de ces plats énormes qu'on appelloit pieces de réfiflance : des plats légers circulent autóur de la table; on voit donc la décoration du deflert a travers la fumée du potage. II y a fur nos tables , peur le delfert, décöration d'été & décoration d'hiver; au mois de janvier on voit les décorations givrées , mais ce givre efl artificiel , 8c il fe fond a la chaleur, ainfi que celui de la Nature. J'ai vu, fur une table de douze pieds , une rivière dégeler , les arbres verdir , les fleurs éclorre, 8c le printems naitre avec fa robe verte. Le fablé des defferts ! Pouvoit-on imaginer la puérilité d'un tel luxe? Ce fablé eft compofc de la poudre de marbre blanc : on teint ce marbre de toutes manieres. II faut qu'un officier foit fableur; s'd ne connóït pas les décorations de tables, il n'eft pas recu. La fociété ne fera bien perfeétionnce a Paris , que lorfque 1'heure des repas fera i fix heures du foir, & celle dés fpecta-  ( 2ii J eles a neuf. C'eft alors qu'on poilrra fe livrer a des occupations fuivies } & marier le travail & le plaifir. Parterres ajjls. 1 o u s les parterres font affis préfentement, excepté celui de 1'opéra. De même qu'il y a eu des difputes taéticiennes fur Yordre mince & Vordre profond , de même on a beauconp difputé fur le parterre debout ou affis. Les auteurs , les gens fenfés , les véritables amateurs de l'art , font pour Ie parterre affis ; mais fi les banquettes font étroites & incommodes , fi 1'efpace que tient un homme efl mefuré de maniere qu'il lui foit interdi: d'avoir les cuiffes un peu longnes , il vaudroit beaucoup mieux un parterre debout , pourvu qu'on y put flotter a fon aife. Lorfqu'on a fait fubitement paffer le prix des places, fur les deux théatres, de vingt fous a quarante-huit fous ( & perO a  ( 212 ) Ibnrine n'a réclamé pour Ie public ) , on auroit du. être plus attentif dans la conftru&ion efpacée des banquettes , mais le public a Paris n'a point de repréfentans. II faut de longs murmures pour faire tomber les plus petits abus. Nos parterres n'ont pas encore la commodité qu'ils devroient avoir. N'eft-ce donc pas affez de payer quarame-huit fous & d'appercevoir autoür de foi des bayonncttes ? Quand le comédien & le miniflere font fabsfaits , pourquoi le fpeclateur ne le feroit-il pas , en ayant la permiiïion de fe placer a fon aife , & d'étendre fes jambes fans éprouver de gênes douloureufes f Ces parterres nombreux de cinq a fix eens perfonnes font exaöement fous la clef: on n'entre Sc Pon ne fort qu'après Ie jeu de la ferrure ; il faut frapper pour pouvoir fonir. C'eft encore la une de ces fervitudes incroyables auxquelles le public fe foumet , & qui ont bien droit d'etonner Pétranger, car fi Ie feu prenoit, il faudroit encore quelques rninutes pour  ( 213 ) brifer les povtcs. Les. ouvrenfcs font lentes a obéirauftgnal qu'on leur donne; enfin, 1'idée d'être erifermé fous la clef & d'être environné de fuiils , détruit dans certaines ames tout 1'cffet de la cpmédie ; verrouiller fx eens hommes fous la main de 'trois femmes ! Que direz-vous , Anglois , Ruffes , Allemans , Polonois ? parquer ainfi , dans un efpacé étroit , des auditeurs payans! Le vrai n'eft pas toujours vraifemblable. II y auroit économie de temps a pfrYccrtous les fpeétacles dans un même endroit. Les acteurs y gagneroient , car les fpectateursfe reverferoient inceffamment d'une falie dans une autre. La plupart nc veulent ^ju'employer quelques heures de loifir , & le fpeclacle leur devient indifférent , pour vu que ce foit un fpectacle, Quand on arrivé a un thcarre, & qu'il eft plein, les diftances qu'il faut franchit-, pour fe rendre a un autre , .rebutent , St 1'on perd tout-a-la-fois fon tems cc le plaifir. En réuniffant dans un même endroit  "( ) tous les théatres , il n'y auroit qu'un quartier livré au tumnlte , les autres feroient paifibles ; les fantaflins ne tomberoient pas dans quatre ou cinq défdés de voitures; on ne manqueroit jamais fou coup, lorfqu'on voudroit s'amufer. Le voifinage des théatres enfin rendroit 1'émulation plus vive > mais pour pcrfeélionner ce noble amufement. il faudroit encore détruire les priviléges exclufifs des troupes , & laiiïer a l'art fa liberté, fauf la cenfure morafe des pieces , qui appartient de droit au gouvernement. Alors nous aurions des acteurs , & nous n'enteudrions plus parler des gentïlskommes ordinaires de la chambre , finguliers perfonnages qui fe trouvent mêlés , on ne fait ponrcnioi , a l'art des Corneille Sc des Molière. J'ai publié quelques mémoires a ce fujet lors de ma rixe avec les comédiens; j'ai mêlé a ce proces comique des obfervaticns pleir.es de juheffe, Sc qu'on n'a point écoi;tées. Depuis que les parterres font affis , ils  ( 2i; ) fbnt plus brayans , plus clamateurs que jamais ; ils exercent fur les comédiens une fouveraineté plaifante qui les fatigue ; la lutte opiniatre entre les adeurs & le parterre , devient un fpedacle nouveau Sc curieux qui remplace celui qu'on attendoit. Le tapage fe foutient pendant plufieurs heures , & paroit fatisfaire 1'affeinblée ; les gardes depuis peu font immobiles. C'eft ce même parterre qui acquitte la dette de la nation ; c'eft lui qui accueille les héros Sc qui les récompenfe ; c'eft lui qui a diftingué le prince Hertri ; c'eft lui qui paye enfin un tribut authentique a chaque efpece de talens. Le Roi de Suede arrivé a 1'opéra lorfqu'il étoit commencé ; le parterre fait baiffer la toile Sc redemande 1'ouverture. Aucune nation n'eft fufceptible de ces vives démonftrations qui honorent toura-tour les hommes célèbres dans tous les~ genres. La fenfibilité , 1'enthoufiafme, fe communiquent dans un inftant ; 1'hommage eft prompt, il n'eft; point médité ; O 4  ( 216- ) aucun peuple n'a fu récompenfer de cette maniere , ni fur-tout avec amant de vivacité & de gvace. Ii fait créer !es allufions les plus fines & les plus déljcates les tournures les plus ingenieufes fórtent tout a coup de ces hommes a Aerobics ; c'eft iVruption d'un volcan; les acclamatious ne forment qu'une leule voix. Si jamais peuple pouvoit le difputer au peuple Francois , ce feroit le peuple d'Athènes, Au portrait du jufte , tous les yeux fe fixent fur Ariftide. Quand Thémiftocle après la bataille de Salamines , paroit a 1'aftemblée des Amphyctions , tout le monde fe ieve devant lui. Alexandre , au milieu de fes conquêtes, $c au fake de la gloire, ambitionne le fuffrage des Athéniens.  ( 217 ) Fréceptorat. Précetteurs , que vous étes a plaindre, & que 1'on eft injufte envers vous ! Si votre élève ne pro lit e point de vos foins affidus , fes parens en rejetteront la faute fur vous 5 fi au contraire il fait des progrès , fes parens les attribueront aux heuieufes difpofitions de 1'enfant & point a votre merite , a vos travaux , a vos efforts. Vous fcrez payés d'ingratitude, & votre élève & leurs parens afpireront a fe féparer de vous comme d'une nourrice , dont le nourriffon eft fevré. Encore fi vous édez prêtre , les parens de votre difciple s'emploieroient a vous faire avoir quelque pauvre canonicat , ou une place ae chapelain , avec l'expe&ati ve d'une cure de village. Le préceptorat bannal (c'eft - a - dire celui qui va de maifon en maifon) n'a point les memes défagrémens , mais il en a d'autres. Ses plus beaux fuccès ne du-  ( 218 5 rent que cinq ou fix ans; après quoi oh eft effacé par des concurrens qui auront le même fort, & qui vont mourir a 1'hópital. Ces poftes-la ne menent a rien de mieux. Une place de précepteur efl donc un trifle emploi, fauf les exceptions; mais fans argent il eft moralement impoftible d'acquérir de 1'argent dans aucun lieu de la terre , oü 1'argent monnoyé eft connu. Ex nikïlo ral fit div'iriitus itnquam. II n'y a point de fermier de campagne qui n'ait d'avance dix mille francs tournois en uftenciles de labourage , en chevaux , en bêtes de fomme , en harnois , cochons, volailles , provifions de vins , de bied , de lard , de vafes de terre , de marmites , 8c un précepteur n'a que du latin en tête , 8c quelque peu de géographie pour toute avance. Pauvre avoir l Savans écoliers , fortis du collége & couronnés a 1'univerfité , il vous faut donc abjurer toute idéé de préceptorat bannal  ( 2ip ) cu privé. Un métier vaut mieux que rente, dit le proverbe : apprenez donc un métier , cela vaudra mieux pour votre bonheur, je vous le certilie. Un prince nauffragé , jetté par les vagues fur un rivage lointain , n'auroit, point de meilleure reffource que d'exercer une profeffion comme celle de peintre ou de mulicien , de maitre de danfe , d'efcrime, de foldat ou de charpentier. Le petit- fils de Tamerlan demande aujourd'hui 1'aumöne dans les pays oü fon grand pere régnoit 3 oui! dans le Mogol. Lud'u In human'is div'ina potentia rebus. Aujourd'hui cependantquelques écoliers regardent comme un moyen de fa'ut de paffer dans la Penfilvanie avec quelques lettres de recommandation , & d'entrer comme fous-maitres dans un collége : ces places-la font moins amovibles qu'un préceprorat privé , mais il faut , avant d'y aller , apprendre un peu d'anglois , & cette étude eft plus diflicile qu'on ne penfe.  ( 220 J Un homme de merite réduit a être précepteur ! De toutes les épreuves de Ia vie , c'eft une des plus triftes & des plus cruelies. Voici qu'un homme ( le » j décembre 1787 ) entre chez moi; une voiture élégante 1'attend a la porte. Monfieur, me dit-il en entrant , je vous prie de m'aider dans le choix d'un précepteur. — Volontiers , Monfieur. — Celui que je deftine a mon hls doit avoir fait de trés-bonnes études , car il doit lui enfeigner le latin & le grec ; fans Je grcc , Monfieur , 1'antiquité nous eft voiiée. 1— On aura un précepteur , Monfieur , qui faura le grec. — La connoiffance de 1'hiftoire & de la gcographie eft indifpenfable , ainfi qu'une teinture de phyfique ; mais j'infifte fur-tout pour qu'il fache fa langue & pour qu'il poffede 1'ufage du monde , ce qui comprend les jeux de la fociété ; il faut donc qu'il ait l'air d'être bien né , car il doit mangec a ma table. — Je ferai des recherches , Monfieur. — Les mathématiques ne doivent pas lui être étrangeres, ainfi que le  ( 221 ) deffin, ne fut-ce que pour fuivre !es lecons des maitres. Un certificat bien en regie de bonnes mceurs , eft de première néceffitc ; vous en conviendrez. — Oh! c'eft reffentiel. — Un caractere doux , honnête , fans humeur; un homme qui fache parler & fe taire , c'eft ce qui cónvient. Enfuite je ne ferai pas fiché , quand on donnera un concert chez moi, qu'il fache prendre un violon pour faire fa partie , d'autant plus qu'il pourra furveiller le maïtre de mufique.Vous entendez? — Oui, Monfieur. — Mon fils doit voyager : il eft donc de néceffité abfolue que ce précepteur puifle lui apprende au moins 1'anglois, 1'italien & 1'allemand. — Monfieur votre fils ira-donc a Londres , a Rome, a Vienne ? — Certainement , Monfieur ; voila pourquoi j'exige que le précepteur de mon fils fache monter a cheval en cas de befoin , faire des armes , & un peu defliner , afin de rapporter du voyage , dont je payerai les frais, quelques points de vues de Suiffe ou d'Italie , & les principaux monuinens des grandes villes. II  { 222 ) ne manquera point de lettres de recommandation ; & comme aujourd'hui on parle beaucoup politique , il faudra, pour fon intérêt, qu'il fe mette au fait des intéréts des diverfes puiffances : ce n'eft point que je veuille un poëte chez moi, Monfieur; mais quand il s'agira d'un petit divertifiement pour lafêtedemon époufe, femme adorable , comme il aura fait de bonnes études, je défirerois qu'il fut tourner un couplet palfablement. J'oubliois encore de vous dire, Monfieur , qu'ayant recounu que les précepteurs écrivoient fort mal, je demande que le précepteur de mon fils ait une belle main, afin de diriger la fienne de bonne heure. L'arithmétiqüej cela va fans dire, puifque nous fommes convenus qu'il fauroit 1'algebre. — Mais quel age voulez-vous qu'il ait pour toutes ces chofes-la? — Vingt-cinq ans, ni plus jeune ni plus vieux : mais pour reconnoitre, Monfieur , la confidération que j'aurai pour Un tel homme, que vous honorerez de votre choix , après 1'examen le plus reflechi, le cas extréme  ( 223 ) que j'en ferai , la reconnoiffance diflinguée que je lui témoignerai ; c'eft que jelui donnerai outre ma table (comme je vous 1'ai dit ) tix cents livres par année ; lefquels tix sents francs feront convertis en rente viagere , 1'éducation finie , & immédiatement après les voyages. A ces mots je me levai , en lui difant avec le plus grand fang - froid poflible : Je vous chercherai , Monfieur , un tel homme , & fi je le trouve , je ne manquerai point de vous Vadrejfer. Le Cardinal de Polignac. Il avoit été confïdent de toute 1'affaire du prince de Cellamare , & le dépofitaire du complot fait pour enlever le Régent, un foir qu'il reviendroit, comme a fon ordinaire, de la petite maifon de madame de Parabere a Anieres , accompagné feulement de quatre gardes, les trois quarts du tems ivres , cv pour enfuite le transférer a force de relais fur les cötes du  ( 224 ) Poitou , oü attendoient pour eela deux frégates efpagaoles. Le Roi d'Efpagne , qui fe trouvoit le long des Pyrénées , fous prétexre de vifner les frontieres, feroit venu a grandes journées a Paris, fe faire déclarer Régent, a 1'aide de tout le parti du duc du Maine , & de Pintrigue du Polignac. Tout s'élant découvert par une courtifanne ( 8c depuis ce tems-la les courtifannes ne font pas indifférentes a 1'adminiflrarion ) , le Régent avoit trouvé le moyen d'avoir en original le fameux ouvrage intitulé Filt^-Moris, écrit tont entier de la main de Malezieu, homme de confiance de la ducheffe du Mairte , avec de longues notes en marge de la main du Cardinal de Polignac. Le Cardinal n'en favoit rien , & le Régent ayant affecté de lui faire la meilleure mine du monde , même aprè^ 1'exil du duc & de la duchelfe du Maine , il croyoit n'être pas découvert, & payoit d'affurance. Enfin, fetrouvant unjour, lematin,au chocolat du Régent, le prince le tira a part dans  I 5 'dans une embrafure de fenétre, lui paria de 1'affaire de madame la ducheffe du Maine. J'avois toujours bien, prévu , Monfeigneur, lui répondit le Cardinal, que la grande vivacité de la ducheffe laperdroit; je le lui ait dit vingt fois: il faut malgré moi convenir de fozr étourderie. Ce fut alors que le Régent lui dit, d'unton goguenard : M. de Polignac , c'eft affez Iong-temps jouer la Comédie; croyez que je fais tout, & reconnoiffez votre écriture. Croyez - moi, partez pour Anchin, pour y faire des réflexions ; j'ai donné ordre a un gentilhomme ordinaire de vous y accompagner & d'y yivre avec vous. D'un autre cóté , le Cardinal n'eut pas même les regrets de madame du Maine; car le Régent eut foin de ne pas lui laiffer ignorer la facon dont il avoit parle d'elle. Quand on lit 1'anti-Lucrece de ce Cardinal , s'imagineroit-on qu'il eüt trempé dans des affaires tumultueufes & de cette efpece ? Son poème eft un des plus beaux, Tome XII. £  ( 226 ) que je connoifte: il porte une empreinte vraiment religieufe. Dès ma plus tendre jeunefle le nom de Polignac fonnoit li bien a mon oreille ! il réveilloit en moi 1'idée des vertus les plus rares , jointes a un beau talent poétique. Depuis que j'ai lu 1'hiftoire, pourquoi le poëme du Cardinal, qui eft toujours le même , me fait-il moins d'impreiïion ï pourquoi fon nom, que je chériffois , n'eft-il plus refpeété dans ma mémoire ? Quoi ! des fyllabes jadis fi pures ne font plus le même etfet fur moi j qu'il eft malheureux de favoir 1'hiftoire ! Mejfieurs Cupis , pere & fils. Jyi. Cu pis pere étoit un maitre a danfer ; il avoit mis au monde la Camargo , célebre danfeufe de fon tems. Lorfqu'il vint pour me donner la première lecon de menuet, il avoit foixante ans ; j'en avois dix , j'étois aufti haut que lui. II lira de fa poche un petit violon, dit po-  ( 227 ) shette , m'ctendit les bras, me fit plier le jarret; mais au lieu de m'apprendre a danfer , il m'apprh a rire : je ne pouvois regarder les pedts yeux de M. Cupis , fa perruque, fa veile , qui lui defcendoit jufqu'aux genoux , fon habit de velours cifelé , je ne pouvois entendre fes exhorïations burlefques, pour faire de moi un danfeur , accompagnées de fes foixante années de danfe magiftrale, fans une dilatation de rate. Jamais il ne vint a bout de me faire obéir a fon aigre violon; j'étois toujours tenté de lui fauter par-deffus la tête. Le foir je faifois a mes camarades, la defcription de M. Cupis de pied en cap ; fans lui je n'aurois pas été defcripteur : il développa en moi le germe qui depuis a fait le Tableau de Paris. II me fallut peindre fa phylionomie grotefque , fes bras courts, fa tête pointue ; & depuis ce tepis - la je me fuis amufé a décrire. Son fils fut auffi un violon affez diftingué, mais il fit mieux que de filer des fons. Agriculteur retiré a Bagnolet, i! P a  X 228 J •devint l'homme qui , depuis Ia crëatioa du monde j fut faire produire a fes ar bres les plus belles pêches : leur faveur , leur groffeur , leur velouté , ai'ont rien eu d'egal dans les climats les plus fortunés. Des expériences fuivies , une attention particuliere , des -vues fmes leur attribuerent une propriété unique. J'ai vu de fes pêchers taillés de fes mains , q-ui , en efpalier , avoient quarante-deux pieds d'envergeure. Ainfi la Nature toujours docile , toujours reconnoiffante, & jamais ingrate, obéit a 1'induftrie humaine, & récompenfe libéralement les foins patients de Ia. culture. Je voudrois que 1'on donnat a M. Cupis le furnom de pccher , & que quiconque auroit cultivé un arbre jufqu'a la perfection , en eüt le furnom. Celui de tous les peuples qui a le mieux entendu fes intéréts , les Romains paroilfent avoir été les feuls qui aient connu tout le parti avantageux qu'on pouvoit tirer de ces dénominations particulieres. La gloire qui  't 229 ) en rejaillifTok fur- les individu's. valoit bien eelle que 1'on tire parmi nous du nom d'un chétif & trifte village , ou d'un fief plus mefquin encore. Mais pour réufiir parfakement dans une ehofê , il ne faut point en fortir. Les autres arbres fruitiersdeM. Cupis , quoique foigueufement traités , n'avoient pas la beauté de fes pêchers, tant il faut la vie d'un homme, non-feulement pour un art , mais pour une portion de cet art même.- Ceux qui ont excellé en tout genre , n'ont guères pratiqué qu'un point fixe & précis. La Nature a départi a chacun de nous fes dons & fes largeffes avec une fage économie. Eüe a foin de n'en écrafeu aucun de nous. Mais quel revers pour ceux qui; cultivent ces beaux fruits, qui s'y complaifent, qui aiment ces travaux innocens & doux, lorfque la grêle vient les frapper; lorfque le ciel irrité, lance des pierres trarlehantes contre les tendres végétaux, & les fruks , qui déja fe coloroient ! Quel jour défaftreux que celui du 13 juiüet 1788 5 p 3  () il mérite d'être gravé en caraöeres d« deuil. Les beaux fruits de Montreuil, de St. Germain-en-Laye, & de trente villages fitués dans la même direction , tomberent avec les feuilles des arbres déchirés & mutilés. Ce fut une nuée de glacé , qui créva tout - a - coup , qui fe décompofa fous 1'action du vent, 8c qui, plus terrible qu'une faux aiguifée , offrit 1'imagc d'un défert a la place des tréfors. de la fécondité. Accourez , commis de la taille 8c du taillon , venez avec vos cotes & vos faifies j relerez ces arbres brifés; faites renaitre une nouvelle récolte. Mais non, fuyez j les géminemens de la campagne vous pourfuivent, vous n'obtiendrez rien; eh! qu'oferiez - vous demander encore a cette terre défolée ? Le Monarque s'eft trouvé lui - même ce jour-la au miKeu du défaftre 8c fous un ciel qui lapidoit la terre; il a vu de prés les fléaux inattendus dont la Nature greve encore les rudes travaux des campagnes. Ce ne font point ces malheurs-la  ( *3' ) nïmal de la gloire ; le befoin d'être applaudi étoit devenu en lui un prurit extravagant. Quel fpecbcle plus étrange que de voir un vieillard agé de quatre-vingt quatre ans agencant des hémiftickes , accouplant des rimes, paffant fes derniers momens a élaborer une mauvaife tragédie d'Irene , avortant enfin de cet embryon poétique , s'environnant de comédiens , déclamant, fe tranfportant comme un furieux , & palpitant de joie ou de colere , felon qu'on rendoit bien ou mal fon vers alexandrin. Quoi ! 1'expérience de plus de quatrevingt années aboutilfoit a la compofition d'une tragédie foible, & il difputok ce vain laurier, tandis qu'il auroit pu prodiguer les fruits d'une raifon profonde & exercée ! Les applaudiffemens du théatre, il n'en étoit pas encore raflafié j il n'avoit plus que quelques jours a vivre, & il veilloit les nuits pour raccommoder un vers , au ton déclamateur d'un tragé-  ( *3* ) 'dien. Au milieu de ce Paris, oü tout étoit changé pour lui, & qui lui offroit une ville nouvelle , il ne refpiroit, il n'exiftoit que pour fa tragédie. O 1'animal de la gloire! Je fus fi frappé de cette expreffion, lifant St. Auguftin , que je Pappliquai au moment même au vieillard qui écartoit le fommeil pour rimer b quatre-vingt-quatre ans. O Démocrite ï Un payfan qui fait lire , Sc un peu raifonner , étoit moins loin de ce Voltaire fi renommé , que celui-ci ne Pétoit aux théories de Neuton & de Bacon. Qu'eft-ce que l'art le plus rafiné a pu ajouteraux conceptions de Voltaire ? Tel payfan a autant d'efprit que lui , mais moins de travail & moins de pratique de mots. Une primauté fi mince fuffit-elle pour enorgueillir un poëte ? Voltaire,Colardeau, Barthe & Dorat, font morts ; Apollon eft en langueur. Le regne de la poéfie paffe : dans cette difette prochaine dont nous fommes menacés , n'eft-il point une reffource ? le parnalfe francois n'eft-il pas plus que celui  3cs mufes grecques, réellement compofé" d'un doublé mont, d'une doublé colline , & fi 1'on s'éleve a 1'un de ces fommets fur Ia doublé échaffe des rimes , n'arrivet-on pas a 1'autre avec la marche fiere & hardie d'une profe nombreufe & cadencée f Notre poéfie ne vit que de penfées Sc d'images , Sc la fubftance qu'elle tire des mots , & des expreffions affectées a fon langage , eft au fond peu de chofe. Nous n'avons point , comme les Grecs Sc les Latins , Sc même les Italiens , de langage poétique , Sc la lifte ne feroit pas longue des mots , des tours, & des libertés particulieres a la poéfie francoife. Cette pauvreté de la langue poétique n'empêche pas les poëtes d'être en foule parmi nous ; mais fi nous en avons en vers, nous en avons auffi en profe ; fürement Boffuet, Fénélon, Buffon, J. J. Rouffeau , étoient poëtes en profe. Les traduöions poétiques de ie Tourneur partagent le charme Sc 1'harmonie des vers. La font peut-être nos richofiès poctiques réelles.  ( 240 5 L'abbé de Lille fait des vers comme on fait des bas au métier. A force de tordre les mots, il amene des idéés qu'il n'a pas concues, & des images qui ne font point a lui : il ne fait pas fes vers dans le tems; c'eft le tems qui fait fes vers. Panification. J'ai entendu le four d'un boulanger crépiter ; je fuis entré chez lui: il travaille la nuit ; la réverbération éclaire la boutique & la rue ; il veille pour moi, faluons-le. La boulangerie eftun art, 8c les trois quarts 8c demi des animaux a pain ne s'en doutent pas. On ne fait nulle part de meilleur pain qu'a Paris. En général il eft mal fait en Suiffe, mal fait a Geneve , mal fait en Savoye, & très-mal fait dans le Palatinat. Quand ce font les fervantes qui le font , le pain eft déteftable. J'aime le bon pain , je le connois , je le devine a la vue ; le bon pain n'eft qu'a Paris , 8c en France dans  '( ) dans les villes qui ont imité la bonne boulangerie. La bonté du pain dépend d'une manipulation aifee; mais ce qui prouve laforce de l'habitude, c'eft que hors de Ia France on mange un aflez mauvais pain avec de bons bleds , tandis qu'a Paris il eft bon & mieux fait que dans tout le reite de 1'Europe. L'entêtement & 1'iguorance empêchent les meilleurs procédés de fe répandre. L'ineptie des fervantes devient héréditaire. Les prifonniers de Paris mangent un pain beaucoup meilleur que celui qu'on mange dans les cantons Helvétiques. La boulangerie n'a été perfeclionnée qu'a Paris , & les ouvriers fupérieurs fe foi.t formés a fon école. Je le répétèrai mille fois jufqu'a ce que les étrangers fe corrigent , ne pas vouloir manger de bon pain ! O entêtement étrange ! Les boulangers , après leurs travaux , font fur le pas de leurs portes , a-peuprès nuds comme des modeles d'académie; ils font blatards , enfarinés , & n'ont . Tome XII. Q  ( ) pas le vifage rouge des bouchers ; leur métier eft plus mal fain: il faut les récompenfer par quelqu'eftime de ce qu'ils perdent en fanté dans des travaux affujettiffans, Sc plus rudes qu'on ne le penfe. Après avoir fait le pain, ils le portent dans les maifons, avec des tailles en main , qui font des petits morceaux de bois ou ils gravent la quantité de pains qu'ils délivrent : cet ufage prefque univerfel eft dela plus haute antiquité, & précede peut-être 1'écriture; ce font les Qulpos de notre hémifphere. Les petits pains enlèvent malheureufemeht la meilleure farine , qui bien tamifée , eft perdue pour le pain ordinaire : on les fait aufti avec plus de foin. Je voudrois bien qu'il n'y eüt qu'une feule panification. Le pain mollet, paree qu'on le paye un peu plus cher avec fa croüte ferme Sc dorée , femble infuker a la miche du Limoufïö. Quoi ! encore des livrées deftruétives parmi les pains nourriciers ! le beau pain mollet a 1'air d'un noble parmi desroturiers ; il va defcendre dans des eftomachs de qualité : la prélideuie 3 la duchefle Sc la marquife ne  ( H3 ) Veulent tater que de celui-la; elles regar«< dent le pain de pate ferme comme fi c'étoit du foin. Les expériences & obfervations fur le poids du pain , au fortir du four, ont été faites avec toute 1'exactitude poflible; & la police , tenant la balance, s'eft rendue aux repréfentations des boulangers. Les détails dans lefquels on eft entré , prouvent a cet égard la vigilance de Padminittration. Suivez cet homme ; il eft onze heures du foir ; il achete une livre de pain : la vendeufe a le coup d'ceil fi jutte Sc la main fi exercée, qu'elle fépare avec le cizeau du comptoir , d'un pain de quatre livres, la livre jufte que réclame cet indigent ; avant de fortir , il en a déja mangé un morceau. Nobles efpions de charité , êtres compatilfans , placez-vous le foir aux portes des boulangers! la vous verrez combien d'hommes le malheur frappe de fa verge inexorable : quelquefois une enfant de huit ans ne fait qu'entrer Sc préfenter fa petite monnoye; hélas ! c'eft une demi-liyre de pain qu'elle em- 9 %  ( ^44 ) porte pour fon pere qui eft perclus. Ah! vous ne favez donc pas voir ïes fêenes les plus attendriffantes de la vie humaine , vous qui croyez avoir tout approfondi! Nos boulangers ne vendent point a faux poids. Comme on leur a affuré un gain légitime , ils fervent le pauvre avec unefcrupuleufe équité & une louableexactitude : leur boutique eit ouverte a toute heure , & ils font exception a la loi des dimanches & fêtes. Quand le bois eft rare dans les chantiers, ils ont le privilege d'être fervis avant tous les autres; car il faut que le four chauffe avant toute raarmite. Dans des tems facheux & difficiles , Sc certains momens de crife, le gouvernement vient tacitement au fecours des boulangers , les indemnife , leur paye pendant un tems 1'excédent du prix des farines , afin d'éviter les brufques & dangereufes mutations , Sc de maintenir le pain a un taux oü le pauvre puiife atteindre fans murmure. On leur en joint fur-tout de ne jamais rebuter Sc encore moins effrayer la fenfibilité de la mifere : c'eft une vigüance  ( ) paternelle , un facrifice fage , une polilique humaine, ün bienfait inappréciable, ear la crainte & 1'effroi de manquer de la principale nourriture, s'exagéreroient &fe propageroient parmi une multitude immerje , a un point qtrf briferoit le frein de la police; une grande population commande donc un régime tout particulier. Res facra mifer ; toutes les loix font faites pour la protéger; les difcoureurs contraires ne méritent que le mépris. Lapolitique , loin des regies invariables, doic fe ployer 8c fe reployer dans tous les fens , varier s'il le faut , avec 1'aiguille des minutes , car elle doit marcher avec la férie des événemens , 8c obéir au courant de la volonté ou du befoin général; telle efl fa force & telle fera encore fa gloire. C'eft dans les villes réglées par de bonnes loix , que 1'on entend ordinairement le plus de plaintes. La raifon en eftfimple; c'eft que les plus petits maux,. qui font inféparables des grands biens que produifent les loix , fautent aux yens Q 3  ( H6 ) P&r le contrarie , & font grand bruit. Ls police des grains pour Paris s'approch© de la perfectionj le pain s'y maintient depuis plufieurs années a un prix raifonnable, Dans plufieurs petits États que j'ai parcourus , la fubftance de l'homme eft fubordonnée au caprice du magiftrat, & Ie pain y eft plus cher qu'il ne devroit 1'être. Le monopole , par exemple , fe voile en Suifle Sc dans plufieurs villes d'Allemagne , fous 1'apparence des intentions les plus pures 8c les plus patriotiques. La fubftance farineufe eft la bafe de la yie humaine ; Homere appelle la terre fom-bhd. Perfonne n'a plus tourmenté la fubftance farineufe que M. Parmentier ♦ il 1'a foumife a fon examen dans le maïs, dans. les pommes de terre, qu'il a cultivées fous tous les rapports , en appellant dans fon ehamp celles d'Amérique pour les joindre a celles d'Europe. Son zele 8c fur-tout fa perfévérance font dignes des plus grands éloges. On a fait dans la plaine des fablons diffcrens effais fur les pommes de terre , qwi ont par/aitemeiu réuffi, PuilTent-elles  ( 247 ) y profpérer, & leur culture fe répandre d'après les nouvelles expériences ! on les dédaignoii tellement autrefois, qu'on n'en trouva point a Paris en 1767 , pour en planter un chmnp. L'ignorance & 1'erreur faifoient dédaigner une nourriture faine & peu coüieufe. Tel, pardestravaux foutenus, a bien mérité des pauvres en leur offrant cette reflource , en tant que la culture d'un végétal ignoré ou dédaigné eft une feconde création. M. Broulfonnet a couvert nos champs de turneps ou gros navets , qui nourriffent les hommes & les befliaux. M. l'Abbé de Pomerel nous a appris a multiplier les bette-raves champêtres; voila de refpeftables bienfaiteurs. L'homme ne vit pas feulement de pain , & il faut avoir le courage de le dire : le bied coüte infiniment a 1'efpece humaine 5 & les plaines couvertes de froment dévorent les travaux des hommes. On a dit qu'il n'arrive point de barril de fucre qui ne foit teint du fang des negres : on peut dire que le pain que nous mangeons efl abreuyé de la fueur 9 4  ( 248 f d'une foule d'êtres malheureux , exténués de travail & de iiiifere , fon vent dans un age peu avance, & youés a la mort ou a la mendicité, fans afyle & fans relfource, pour s'être livrés a 1'agriculture. Voyez les travaux des moiffonneurs , des batteurs en grange. Voyez fons les chaleurs brülantes du mois d'aoüt ces hommes , ces femmes , ces enfans , courbés fur une terre qu'ils arrofent d'une fueur de fang. Quand ils reviennent dans leurs chaumieres, las, épuifés de faiigue, ils n'ont point de. vin pour réparer leurs forces ; ils font attaqués de fièvres int( rmittentes : ceux qui nous nourriffent , vivent dans la difette. Voyez enfuite les travaux du meunier , du boulanger , 8c calculez tout ,ce que le pain coüte a 1'homme, lorfq.u'il arrivé fur nos tables. Que ne devons nous pas a ceux qui nous offrent des moyens de nourrirure moins difpendieux , moins fatigans pour 1'efpece humaine ! Qu'on n'aille pas croire que je veuille difputera Gércs 6V è Triptolème les autels qu'ils ont fi juftement mérités de la part  I 240 ) des humains , en leur enfeignant a fe nourrir de pain , & a le preférer au gland des forcts. La reconnoiJfance , pour un pareil bienfait , doit égaler la durée du monde. Je ne dirai pas comme un écrivain, eüimable d'ailleurs a une multitude d'égards , que le pain eft une inauvaife nourriture , que tant de peuples qui en ont fait ufage dans tous les tems, que Ia plus grande parde des habitans de la terre, cjui fuivent leur exemple & qui s'en trouVent bien, ont tort de ne pas abandonner un régime obfervé par eux 8c leurs peres depuis des milJiers d'années , pour vivre deriz oude poiffon , a 1'inftar de pluiieurs autres peuples : peu importe comment l'homme fe débarraffe de la faim , pourvu que la Nature foit fatisfaite. Qu'il ait diné a 1'angloife, a la SuifTe , a la franeoife , a 1'indiennc, a la maniere des Limoufins ou des Arabes , qu'il ait dévoré le rosbif, le poiffon , fa chataigne, le riz, la viande cuite fous la felle des chevaux, ou qu'il ait bu le fang de ce fuperbe animal; dès-Iors que Ia nature ne patit pas, je ne vois pas que 1'on ait lieu de fe  I 2P 5 plaindre. Nous devons donc une jufte reconnoilfance a tous ceux qui nous ouvrent de nouveaux débouchés pour fatisfaire notre appétit. Curieux de tout voir a ce fujet , on m'annonca un jour un homme extraordinaire & qui difoit me connoïtre par mes écrits. II voulut me counoitre perfonnellement , & j'allai chez lui. Voici fes parol es : Une page de vos écrits m'a donné envie de vous connoïtre. Je fais peu de cas du refte. Accotuumé a ces fortes de complimens , je lui demandai qu'elle page heureufe de mes écrits me méritoit cet honneur. J'ai la poudre nutritive, continua-t-il. Affez vif, quand je ne fuis pas froid, je 1'interrompis, en lui difant: fi vous 1'avez, cela vaut mieux que la poudre de Roi, que la poudre de projection. — Vous 1'avez bien dit ; quand les enfans du Nord font venus fondrefur le midi de 1'Europe , ils s'avanooient , détruifant tout, 8c cependant leurs hordes immenfes fe nourriffoient. Voici la poudre nutritive , bafe de leurs feflins. II me montra  I *f*) une poudre qui reüembloit a celle des marons. Elle étoit jaune ; je la delayai dans le creux de ma main avec un peu d'eau & j'en goütai ; elle étoit douce , onctueufe , légérement aromatique. Le Caraïbe fait une chaffe de deux cents lieues en délayant cette poudre , c'elt toujours mon homme qui parle. Si cette poudre étoit connue , les Rois ne trouveroient pas des foldats , obéiiïans a tout , pour fept fous par jour. L'efpece huinaine ne feroit pas écrafée fous le poids d'un travail dont la jouiffance eit pour les riches; chacun feroit libre, car quand on ne foudre plus de la faim , on a 1'efprit content , on eit 1'égal des plus puiffans , & 1'on n'a plus qu'a fe réjouir aux rayons du foleil. Je copie fes paroles. II me dit que cette poudre étoit fous les mains de l'homme , cachée dans des racines qu'il fouloit journellement fous fes pieds. Son caradere d'indépendance fe manifeftoit dans fon ton, fon attitude & fes difcours : il me pratefta qu'il vivoit libre & heureux,  ( 2p 5 fans inquiétude fur 1'avenir, mettant aa rang du premier des plaifirs, celui de fe promener tous les jours, & pendant cinq a fix heures. Je le vis , le "n décembre 1785* : comme en ce tems-la des idéés chagrines me dominoient, & que j'étois convalefcent d'une maladie qui avoit confidérablement affoibli mes organes , je ne fis pas aflez d'attention a cet homme, & je m'en répens aujourd'hui , car il m'avoit dit des chofes fenfées. Si je le retrouve , je m'attacherai a fes pas, & je verrai s'il eft tout - a - fait fou , ou tout - a - fait fage. De deux Livres reflitués d leur Auteur. O N s'écrioit en 17JO , heureux qui peut avoir un cocher, & un cuifinier, infh'uits par le duc de Nivernois ! Le bruit général attribuoit a ce feigneur un petit in-12 intitulé le parfait Cocher. II y démontre  ( 2S3 ) «rue rien ne mine plus un cheval que de le faire poner & tirer une voiture a deux roues , foit charrette , foit cabriolet. Ce livre fut imprimé a Paris, avec privilege du Roi. En confcquence je vis réformer plufieurs cabriolets , auxquels on ajouta deux petites roues de devant ; mais par une mauvaife economie , cette réforme bienfaifante eut peu d'obfervateurs. On pourroit anéanrir le danger des cabriolets en déferidant toute voiture qui n'auroit pas quatre roues. Oh! pourquoi ne pas accorder cela a la pauvre humanité? Riches ! quatre roues , & je me réconcilie avec vous. II me femble avoir lu dans Ie parfait Cocher, qu'on ne doit point évider Ja corne du fol avec le boutoir, paree que cette facon de ferrer rend les chevaux plus fujets a fe bleifer a la fourchette, par des cloux de rue, par des fragmens de bouteille de verre, par des teffons de faïence, ou de poterie , ou par de petits caiiloux qui font broncher trés - fouvent. II y a déja long-tems que les Anglois, gens  ( 2J4 5 réfiechis , ont corrigé cet abus , & que toute la cavalerie royale eft ferrée fan* parer Pintérieur des pieds. Ils ont compris que la fubflance de la corne retranchée appauvriffoit la corne du pourtour fur laquelle s'attachent les fers avec des cloux, au préjudice du cheval. L'auteur anonyme défend encore de mettre des crampons aux fers & cheval , & recommandé au contraire d'amincir les deux extréjpisés. ouvertes des mêmes fers , pour en ailéger le poids , trés - nuifible a la marche rapide de Panimal. II ne veut point qu'on coupe la queue des chevaux, trcs-utile , fur-tout en été, puifqu'elle les défend en bonne partie contre les mouches. La cavalerie angloife ne fit plus couper la queue des chevaux , & la laiffa flotter a leur gré , malgré les palefreniers & les foldats cavaliers qui en avoient plus de peine a la nétoyer chaque jour. Les chevaux de carroffe, principalement dans les grandes capitales, font fujets a avoir aux pieds & aux jambes des eaux féreufes. Cette maladie vient de ce qu'ils  ( *ss) Font faction trois ou quatre heures a Ia porte d'un fpectacle, qu'ils y fouffrent le froid le plus humide, foit par les boues, foit par les neiges plus ou moins fondues. II ne veut point qu'on leur lave les pieds avec de l'eau de puits , mais qu'on mene ces chevaux a Ja riviere , ou qu'on fe ferve d'eau de riviere. II donne d'autres prcceptes très-fages pour conduire & pour conferver tout équipage. Le duc de Nivernois donna encore au public , fous Je nom de fon chef de cuifine , un ouvrage nouveau pour travailler avec plus d'élégahce & plus de goüt tous les mets. II a pour titre les petits foupers de la Cour(i). II y recommande la limpidité des fauces, des jus , des coulis blancs , (i) Quelqu'un de ma connoiffance allant demander ce livre dans une bibliotheque publique, le bibliothécaire fe facha beaucoup , difant qu'on ne venoit point demander un livre fatirique. — Etl Monfieur, lui dit 1'autre, calracz-vous, c'eft un livre de cuifine.  • ( artf ) des eoulis roux , des blancs-de-veaux , des eftences de jambons. II permet rarement L'emploi de la farine grillée & nongri'dée , qui abforbe le parfum des épices , & des autres ingrédiens aromauques. II me paroit que le degré de cuiiïbn eft un point effendel , le plus difficile a faiiir , & qui exige une longue pratique, une grande attention & une bonne tête. Combien d'oeufs frais , cujts a la coque, ne manque- t-on pas, avant d'y réuffir conüamment ? ïl en eft de mime des autres denrées, bar - tout pour que les légumes fentent leur goüt de fruit. La difficulté eft moins grande pour les afperges , les pois verds , les feves , les haricots verds, les choux-fleurs , les artichaux , les morilles , les champignons , les mouflerons, depuis que nous avons la marmitte américaïne , qui ne tardera pas a devenir d'un ufage général, vu que 1'cau laplus dure, la plus féléniteufe devient égale a la meilleure eau pour cuire les légumes. Elle accélere&abrégebeaucoup tous  ( 2J7 ) tous les prcparatifs , & les rend plus falubres , moins coüteux & de bien meilleur goi'it. Tout ce qui concerne la table a piqué ma curiofité. J'ai vu que des cafferoles , des marmites, & autres uftenfiles faits a 1'inftar de la machine de Papin, leroient d'un ufage admirable , fans le danger imminent de 1'explofion de ces mêmes uftenfdes , dont on ne furveilleroit pas exactement le dégré de chaleur convenable. Que de bois de chauffage , que de charbons n'épargneroit-on pas tous les ans ! Les os de bceuf , de mouton, de cochon, d'oye , de dindon , peuvent fe liquéfiera très-petit feu, & prodiguer une fubftance plus riche , que des livres de chair des mêmes animaux. Leurs os rongés, ou broyés & digérés par nos animaux domeüiques, les nourriffent, les engraiffent a vue d'ceil. Les pauvres , les höpipitaux s'en trouveroient mieux , Sc les artifans auffi. Pour fuppléer a ces ufienfiles papiniques trop dangereux , que ne 'fe fert- Tomé XII, R  ( 2;8 ) on d'une efpèce de poëles de tóle, fabriqués a Paris , & annoncés depuis dix ans ! Ces poëles de tóle confomment peu de bois , & diftribuënt, comme on veut , la chaleur a divers compartimens faits pour une ou deux marmites , pour plulieurs cafferoles , pour un coquemar plein d'eau commune, pour une ou deux broches mouvantes, pour un four a patiflerie , &c. II faudroit , dans chaque hópital des enfans trouvés , en choifir un nombre convenable , pour qu'ils devinflent cuifiniers , cuifinieres ; ils apprendroient dés leur enfance 1'ufage de ces poëles économiques & des uflenfiles papiniques. II y a des villages en Allemagne , fur-tout en Saxe , oü les enfans de payfan? apprennent tous a lire , écrire, chiffrer , & la mufique inftrumentale , avec un fuccès étonnant & prefqu'égal. L'art alimentaire donneroit plus fürement de quoi vivre a ces jeunes orphelins , dépourvus de préjugés , de mauvaifes routines ; chaque particulier s'adreiferoit a 1'höpital pour avoir un domeftique ali-  ( 2$9 ) mentaire. Les aubergiftes, les traiteurs feroient obiigcs de s'en pourvoir a un bureau de chaque höpital, & ce bureau régleroit leurs gages refpectifs , felon le nambre de bouchcs a nourrir dans chaque maifon publique ou particuliere. Je voudrois fur-tout qu'il fut ordonne par une fentence de police, qu'on eüt a fe fervir dans les colléges, dans les féminaïres , dans les penfions Sc autres maifons publïques , de la marmite américaine , en ce qu'elle conferve les fucs nouriciers, & qu'elle tend a la confervation de la vie des hommes : des végétaux nourriffans qui n'ont rien perdu a la cuifTon , deviennent précieux dans toutes ces maifons , oü la jeuneffe efl douée d'un vif appétit, Sc n'a fouvent, pour le fatisfaire, que des alimens fans fucs , Sc dénaturés par une mauvaife codion. Les légumes d'ailleurs conviennent a 1'adolefcence; Sc fi la table des colléges Sc des féminaires efl peu abondante, elle devroit du moins racheter fon extréme frugalité , par la bonté des mets. Je confeille aux parens R 2  ( 2(5o ) je faurai la combattre dans mes inteftins fans qu'il y paroiffe: celui qui ne crevera point, fera le vainqueur de 1'autre. Voila bien égalité de talens , égalité de force j un écrivain pourroit dire, je me bats avec ma plume , réponds-moi avec la plume; fi tu ne fais pas la manier , paye un écrivain , il y en a tant ! ainfi chacun combattroit avec fes armes. Quant aux journaliftes , qui ont raifon une fois par .femaines ou même trente fois par mois, ils devroient être affujettis ainférer dans leurs inventaires les réponfesde leurs adverfaires, afin que ceux-ci combattiffenl a ayantage égal.  1283} Quand un roaitre en fait d'armes , era même un prévot de falie ont une rixe a ils font obliges d'avertir leurs adverfaires du titre qu'ils portent : mais il y a des hommes qui fe battant fans regie & fans mefure, & avec une violente intrépidité, déconcertent le jeu favant du maïtre en fait d'armes; il eft occis par fa propre fcience. Quand il y a réception de maïtre, il y a affaut public ; les aflaillans s'efcriment; le lendemain on les appelle dans Je journal de Paris des gens d talens.Le Procureur du Roi , en robe, prend les fleurets & donne des "tftouronnes aux vainqueurs. Je ne connois rien de plus indecent que cette coutume. Tout eft donc contradidion dans nos mceurs.  1284) Mufeum. \ L doit être place dans la panie fupé-< rieure des galeries du Louvre. Certes, c© fera un beau monument, quand les arts y auront mis la derniere main. On y dépo-' fera tous les tableaux appartenans au Roi, mais en attendant ils font cachés a tous les regards; conformément au géide national, 1'exécution fera lente, & les plans changeront dix fois. Le public ne jouira que trés- tard , fi jamais il parvient a jouir. II eft des hommes qui voient tout au premier coup-d'ceil , & qui parient peu. Il en eft d'autres qui parient beaucoup , en très-beaux termes , Sc qui ne voient rien. Je donnerai toujours la palme a celui qui qui exécutera un plan , ne 1'eüt - il pas concu , Sc fut - il inhabile a le concevoir. Cette conftruélion fi lente Sc fi embarraffée forme une éclipfe pour les beaux arts. L'aftre eft encrouté. Autant vaudroit  pour un étranger être a Alger qu'a Paris, relativement aux tableaux , ftatues , cc autres curiofités qui font invifibles , 8c qui Ie ferout encore long-tems , paree qu'on a tres-differtement parle, ce qui m'a toujours femblé de fort mauvais augure. On vole facilement les idees & les expreflions , mais le talent d'exécuter ne fe dérobe pas. Les artiües font toujours logés fous cette grande galerie ; on donne fur-tout des emplacemens aux peintres , c'efl-adire , aux hommes les plus inutiles au monde j & qui font payer cherement un art qui n'intérelfe en rien le bonheur, le repos , ni même les jouiffances de Ia fociété civile ; art froid , menteur , giont tout vrai philofophe fentira Pinamté,  ( 286 ) La Fille cVAchmet III. S o N hiftoire n'eft point un roman. Véritablement Princefle Ottomane, née a Conftantinople , confiée a une efclaye chrétienne , enlevée par elle , baptifée a Gênes , elle apprit. dans fa feizieme année le myftere de fa naiflance: admife a 1'audience du pape Clément XIII, ïnvitée par plufieurs fouverains , elle fe iixa en France , qui feinble être 1'afyle de tous les Princes infortunés, de la terre. Quand le Sultan ion pere fut détróné par les Janiffaires, elle alla le trouver dans fon exil pour le confoler ; de retour en France , elle habite Paris depuis quarante ans ; elle préfere cette ville a toutes les autres. J'ai eu 1'honneur de la faluer êc d'entendre de fa bouche 1'éloge conftant qu'elle fait des mceurs & des habitans de la capitale. Ona donc vu la fccur du Sultan aéluel loger avec 1'indigence, dans un petit ca-  ( 2*7 5 foinet au collége de Bayeux , logement qui lui coütoit vingt écus par an; fon efcalier étoit une échelle. Eh ! qui fe plaindra de fon fort , après ce terrible exemple des jeux de la fortune ! Epoque. I *k manie des nobles a créé ce termeï Eft-'ü époque, fe demandent -ils ? Cejl un fourcin , dit-on encore pour exprimer une fource terreufe , c'eft-a-dire , roturiere. Cependant les grandes cfcroqueries , qui font nouvellement a la mode, fortent de la minerve de certains nobles. C'elt bien d'être époqué , mais il ne faut pas qu'un homme de cour foit pédant. II en eft néanmoins : homme de cour pédant ! oui , ils parient a tout le monde comme s'ils parloieut aux troupes qui font fous leur commandement; ce font prefque des airs de fouveraineté : ce pédantifme eft le plus infupportable de tous; j'airnerois raieux encore celui de la robe.  ( 288 ) Les deux Noblefj'es. Les miférables & faufles idees, qui tiennent au préjugé de la nobleffe, reprennent par acces : au lieu d'avoir la noble ambition de fe rendre fils de fes vertus , on afpire a s'ennoblir , Sc la roture eft' pour certaines oreilles un mot déshonorant , ou du moins dcchirant. Le moindre noble veut en impofer , Sc fe prêie une illuftre origine. Les moyens de s'ennoblir font tellement multipliés, qu'un rotluier , portam un nom, commence adevenir un être rare. Les douze pariemens du Royaume donnent a tous leurs membres Ia nobleffe au premier dcgré; les chambres des comptes Sc cours des aides , le grand confeil , & la cour des monnoie*, donnent auffi Ia nobleffe; les glacés de maitres des requêtes Ia donnent pareillement; les charges de grand-baillis, fénéchaux , gouverneurs &lieutenants-généraux d'épées, aunombre de  ( sSp ) «3c cïnquante , donnent auffi la nobleffe; les places de fecrétaires du Roi, au nombre de neuf cents , donnent encore Ia nobleffe, pourvu qu'on en meure faift ou qu'on exerce pendant vingt ans ; enfin, les places dans les bureaux des finances , qui font au nombre de fept cent quarante , donnent la nobleffe au fecond dégré. Que de nobles ! bon Dieu! on n'a point parlé des échevins, capitouls, &c., &c. Le commerce, depuis certain nombre d'années , donne auffi la nobleffe a quelques-uns de fes membres. Par-tout l'on rencontre la maniere Ia plus commode de gaguer la nobleffe; on Pachette avec cent mille francs , & l'on retire a-peu-près 1'intérêt de la finance. Le fils d'un fecrétaire du Roi, Ie petit-fils d'un tréforier de France , s'intitulent Meffire & Chevalier; & s'ils font riches & puiffans, ils fe font Comtes ou Marquis , a leurs choix. Un édit de 14.82 enjoignoit aux fecrétaires du Roi de porter leurs écritoires honnêtement. Ils ge portent plus d'écri-, Tomé XIL X  I 200 ) toire aujourd'hui , mais ils jouifTent du privilege d'être décapités. L'ancienne nobleffe , qui monte dans les carroffes du Roi, & qui va a la chaffe avec Sa Majefté ( ce que la gazette annonce a 1'univers & aux races futures ) frappe de fon dédain toute cette nobleffe nouvelle & mélangée; elle parle de la préfentation a la Cour , comme du point effentiel : c'eft-la qu'il faut prouver fancbleffe de génération en génération par titres originaux , jufques & compris 1'an 1400. II faut auffi que ces preuves fuppofent une nobleffe plus ancienne , & fur-tout ne laiffent appercevoir aucune tracé d'annobliffement. C'eft bien une autre chofe pour être de 1'ordre du St. Efprit, & de 1'ordre de St. Lazare : on examine Meffiewrs les morts avec une fcrupule rigidité , & leurs os vermoulus font quelquefois dépouillés de toute nobleffe , malgré les armes qui décorent leur tombe; & le def«endant, quelle mine il fait alors! il voudroit être fils du plus grand fcélérat, pouryu qu'il eüt eu Ia tête txarichée i  ( 29 i ) ü apponeroit en preuve Ie crime de fort ayeul. Poiir être un page de Ia petite écurie , un écuyer de la grande, un page de la chambre du Roi,il faut prouver deux eens ans de nobleffe; eh! qui lecroiroit ?il faut cgalement deux eens ans de nobleffe pour fervir dans les maifons d'Orléans & da Condé , & chez M. le duc de Penthievre. Qu'on eft heureux d'être né roturier ! on eltdifpenfé d'être valet de prince • cela me paroit une diflindion très-honorable: mais les nobles ne ponent prefque plus que des noms de feigneurie ; ils oublient leurs noms de familie. Au milieu de ces deux nobleffes, on trouve encore les commenfaux de la maifon. du Roi, qui forment en France une autre forte de nobleffe, & qui ont même des privileges fupérieurs. Dans peu , je le prédis, on verra les commis , & autres employés des fermes du Roi, former en France une efpece de nobleffe : c'eft déja une claffe privilégiéej T 2  ( 2^2 ) ïa plupart fe qualiiïent tacitementd'écuyers & on ne leur dit rien ; ils ont droit de jjort d'armes; ils font fous la fauve-garde de toutes autorités civiles & militaires , ■qui font tenus de leur prêter snain-forte ■a la première réquifition; ils ne peuvent •être impofés ou augmentés a la taille pour 3 ) pérons qu'il viendra un jour oü Pon fefera honneur d'être roturier ou utile a f% patrie , ce qui eft a-peu-près fynonyme». Aveugles*. O N peut refufcr un pauvre , maïs quecene foit jamais un aveugle ; 1'aveugle n'a pas Porgane qui fupplie , qui terraffe j il a Pair importun. On ne le fuppofe pas fouffrant, car la fouffrance ne fe peint bien que dans 1'ceil : donnez a 1'aveugle plutot qu'au fourd , plutót qu^au muet, plutót qu'a 1'eftropié ; ceux - ci fe font entendre , commandent la pitié , mais Paveugle, vous ne föupconnez pas les ténèbres nï la folitude affreufe qui Penvironnent. Donnez a Paveugle, vous dis-je, afin de voir un jour 1'éternelle clarté. Des libelliftès voulant répandre d'odieufes fatyres óc échapper aux recherches , remirent leurs imprimés entre les mains de pauvres aveugfes quêteurs , leur «iifant que c'étoit la vi& d'un faint & J'aa,  \ ) (antique , ajoutant enfuite que 1'argent feroit ponr eux. Ces avcngles croyant débiter une produdion pieufe , crioient a pleine gorge. la fatyre , & vendoient innocemment 1'ouvrage hardi & licencieux, M. Hauy, doué d'un zele infatigable, 3 inventé une imprimerie nouvelle a leur ufage. Ses procédés font courts Sc faciles ; le tad les dirige fürement ; d'autres font muficiens, claveciniftes Sc organilles. Cette claffe d'infortunés doit beaucoup aux foins journaliers dc cet inftituteur habile & bienfaifant. Rien de plus touchant que de le voir au milieu de fes éleves , auxquels il a femblé redonner le fens qui leur manque , en perfedionnant les autres. Un aveugle , qui vivoit d'aumónes, avph une fdle de dix-fept ans, fort belle; il obligeoit cette fille a 1'embrafler toutes les fois qu'elle rentroit; il 1'avoit accoutülnée a ce devoir des fon enfance; un jour Paveugle fe mit a battre fa fille auffitót qu'elle Peut embraffé. Les voifins ac« coururent; le pere furieux chatiant fa fille , sV'crioit: elle a forfait a fon konneur'j la f}ll.g en pleurs avoua fa fatitc.  C *9S ) Punch. Cette boiffon , nous 1'avons adoptée a i'avant derniere paix avec l'Angleterre: elle eft naturalifée parmi nous; on la fert dansles caifcs publics. D'abord les femmes Pont rejettée a caufe de Phaleine forte que laiffe Peau-de-vie ,. & Pon y employoit du vin de champagne ; mais depuis un an , les femmes qui ont pris nos redingotes , nos catcjgans , nos baguettes , nos fouliers, boivent Peau-de-vie; elle fera toujours plus faine que ces liqueurs diftillées. L'ufage de boire beaucoup de vin régnoit autrefois parmi les dames de la première qualité & les mieux élevées; aujourd'hui elles aiment les liqueurs fortes. Le meilleur puuch que je connoiffe fe diftribue chez le fleur Regny , limonadier, paviilon Mazarin. II eft fupérieurement fait. T 4  ( %ft ) —m—iimi i i ui———mm* Glacés. C e tte congellation artificielle efl: un tonique , un rafrakhiffement délicieux : un glacier efl un véritable artifte qui n'exifle encore que dans les grandes villes. Sortez de Paris , il vous faudra faire cent lieues pour rencontrer des glacés aux fruits d'été & d'automne , au beure, au Jkirh-wafer, au bolonia, au lait d'amande : les vrais progrès en ce genre fon$ dus a la capitale. Le fleur Dubuiffon, fuccefleur de Procope , eft le premier qui fe foit avifé de faire des glacés & d'en vcndre toute 1'année indiftinctement. Dans les ardentes chaleurs de la canicule , tel jour au palais royal, il fe vend pour trois eens louis d'or de glacés a douze fous la tafle. Ce tut Procope qui corrigea les grands feigneurs & les poëtes , les élégants de Ja cour & les écrivains du fiecle de Louis XIV , qui s'enivroient loyalement  ( W ) au cabaret : en leur verlam du café , il leur donna un autre point de réunion, & l'on vit difparoitre le goüt honteux de Pivrognerie. Les limonadiers font au nombre de dix-huit eens, ce qui prouve qu'on a déferté les cabarets. Cahndriers , Almanachs pour Janvier. C'est une manufaéture telle qu'il n'y en a point dans le refte du monde; on en cnvoye des ballots dans les provinces & chez 1'étranger ; étrennes mignones , almanachs chantans , &c. , il faudroit un catalogue pour les nommer tous. Cette marchandife, qui forme des murailles de papier noirci , eft prête a ia fin d'oétobre; puis viennent les couvertures brillantes , ouvrage des relieurs. Ceux - ci eouronnent le mont St. Hilaire , & font harcelés par les libraires, qui dans ce tems-la ne s'occupent que d'almanach , plus précieux pour eux mille fois que les «euvres de Montefquieu, .  (• 2* 8 ) Tel compofe un almanach pour 24 livres ; tel autre , comme M. Sautreau , éditeur célebre de 1'almanach des Mufes , a trouvé le fecret de fe faire dix-huit eens livres de rente , en ne faifant que raffembler quelques vers d'autrui. Ainfi les jeux dc Paveugle fortune fe manifefient jufques dans les almanachs. On épuife les titres bizarres , & bientöt il n'y en aura plus. Un po'éte intitula le fien Almanach des Eonnctes Gens : c'étoit une efpece de calendrier , oü il délogeoit tous les faints du paradis, & la vierge Marie, pour y placer des noms de philofophes, d'athées , & puis Brutus.On. le mit a St.Lazare, tandis que d'un autre cóté M. Séguier arma tous les foudres de 1'éloquence contre ce calendrier bizarre, le faifant brüler par la mais du bourreau , au pied du grand efcalier; il ne fallut pas un bucber pour incendier 1'ouvrage , une bougie fit 1'affaire. Un autre dans le même tems (M. Rivarol) fit un almanach oü il diftribnoit des épigrammes peu variées cSc peu pi-  ( 299 ) quantes a quatre cents faifeurs de vers , Sc tout cela pour un peu d'argent : ces quatre eens faifeurs de vers ne le lacheront qu'au jugement dernier. Ce font autant de lévriers qui font & fcront a fa pourfuite ; mais comment irrite - t - on quatre eens rimeurs ? n'eft-ce pas ailïonter fans mafque & fans gand une ruche de guêpes ? Quelques-unes lui ont déja fait fentir 1'aiguillon. Tous ces almanachs patiënt dc main en main , Sc puis meurent dès le mois de fcvrier : on ne concern pas ce que devient cette efpece de marchandife qui s'éparpille dans les innombrables poches des grifettes, car toute fïiie a un almanach chantant qu'elle recpit au nouvel an. On doit peut-être a cette foule d'almanachs 1'incommode race des fredoneurs qui vous bourdonnent aux oreilles des notes de mufique dëfigtiréés , Sc qui chantonnent, quand vous leur parlez. Les revenus de l'acaddnde de Berlin font fondés fur la vente exclufive des al* nianachs, Le feu Roi de Prufie avoit  ( 3©o ) penfé que comme il ne faut pas beaucoup de génie pour faire un almanach , on pouvoit appliquerle produit de ces fortes d'ouvrages a 1'entretien d'une académie de favans : il paya donc fes académiciens, en affermant les prédiöions de 1'année , les chanfons & les chanfonnettes. L'académie, maitreffe du privilége , crüt qu'il étoit de fa dignité de fupprimer de ces almanachs munis de fon approbation , les vieilles Sc incertaines prédictions du beau tems, de la pluïe , de la gelée, des orages , des tempétes Sc des météores , Sec. , ainlï que les recommandations de couper les cheveux, les ongles , de prendre médecïne 8c de faigner dans tel ou tel tems, •Sec. Qu'arriva-t-il ? On ne vendit plus d'almanach fans prédictions. L'académie alloit être fans marmite 8c réduite a un jeune rigovireux ; elle ne man qua point de rctablir le femeftre fuivant les prédictions de 1'année, fans quoi les tables des académiciens ( tant ailronomes que grecs Sc latins , antiqüaires , érudits & grammairiens ) étoient fans foupe. Or, il  ( 5^1 ) faut manger la foupc avant de rendre compte de 1'état du ciel & de la rotation des aftres & planettes. II me femble qu'on pourroit imiter 1'ordonnance du Roi de Prulfe, affermer en Frahce le produit des almanachs, pour 1'appliquer aux gens de lettres. N'eft-ce point le fumier , les débris des végétaux, qui alimentent nos arbres fruitiers ? Pourquoi donnons-nous notre argent pour 1'almanach de Mathieu Laensberg ? Ne pourfiohs - nous pas compofer chez nous un pareil chef-d'ceuvre ? il fe tire a foixante mille exemplaires. Que ne dirions-nous pas de 1'almanach royal, qui rapporïe 2f a 30 mille livres de rente a un libraire? Pourquoi un privilege éternel pour une telle production, tandis qu'on n'accorde des privileges que de fixou jieuf ans pour des ouvrages de génie, & «qu'on en dépouille les families f  ( 502. ) Singulier Magafin. C'est celui des jurés-crieurs: ils ont des corbillards, des catafalques , des mauzolées emmagafiués, des tentures mortuaires; ils n'ont plus qu'a ratfembler les parties un peu disjointes; on refait les écuffons , c'eft un mauzolée tout neufj ces meubles funebres ont fervi a d'autres, mais ils n'en font pas moins bons. L'impót du timbre , que l'on vöuloit établir & qui n'a pas eu lieu, alfujetdffoit a la marqué , les bidets d'enterrement & les bidets de mariage, rapprochementpeu obligeant, qui a fcandalifé les bons parifiens. Les jurés-crieurs s'étoient promis d'alier annoncer eux-mêmes les déccs, & de les figuifier de leur propre écriture ; ils auroient joué ce tour-la a l'impót du timbre. TimJbrer un billet d'enterrement! quelle bonne fource d'épigrammes pous les parifiens ! elles ont éloigné l'impót , ainfi  ( 3°3 ) qu'elles ea éloigneront plufieurs autres , car il faut avoir de 1'efprit avec un peuple qui en a. La Société du Mercredi. C e font des gens qui dinent enfemble le mercredi, & voila tout. Epicuriens & gourmets , ils ont donné dix mille francs pour les quatre höpitaux qui ne s'élevent point. On m'a fomfné de faire leur chapitre , 8c le voila fait. II y a une idéé fuperftitieufe & toujours regnante fur les treize convives qui fe trouvent a une même table. Dun deux , dit-on,doit mourir dansVannée. En Suiffe , pour faire tomber cette trifte fuperftition , treize particuliers fe raffemblerent une fois la femaine, vécurent en fanté 8c mangerent de bon appétit pendant prés de dix-neuf années. II eft bon d'offrir cet artiele aux femmelettes des deux fexes.  ( 3°4 ) UEducation campagnarde. C e qu'il y a dc plus piquant pour un homme délicat , qui aime a joindre a fes jouiffances celles d'autrui , c'eft de conduiredans la capitale une jeune fille étrangere , qui ne manque point d'efprit , Sc qui ait le goüt inné de ce nouveau fpectacle. Elle ouvre de grands yeux étonnés ; on y lit la comparaifon fecrette qu'elle fait inceffamment de fon village Sc de fa chaumiere , avec 1'opulence qui 1'environne : on la conduit aux comédies , aux opéra, aux bals mafqués & autres divertilfemens publics ; on a l'air d'un enchanteur , qui d'un coup de baguette a créé tous ces miracles ; fon ame eft dans l'ivreffe; elle vous remercie , comme fi tous ces objets magnifiques avoient été enfantés Sc difpofés pour elle feule. Vous jouiflez des mouvemens naturels de fa furprife , d* fa joic Sc de fon admiration; or 1'admi- ration  (3o; ) radon donne au fentiment de 1'amour quelque chofe de plus penetrant, & doublé fes délices; 1'agrément du fpeöacle eft tout autre quand on eft aftis auprès d'une beauté neuve , qui regarde avidement au fond du théatre , refpire a peine, vous ferre la main en lilence comme pour vous rendre grace des heures les plus délicieufes de fa vie : vous femblez remplir tout ce que fon eceur pouvoit défirer j fon amour devient cxceffif, car il fe fond avec Pattrait, que toutes les ames fenfibles ont pour les beaux arts. C'eft en la promenant dans un monde enchanté que vous en paroiflez être le fouverain, ainfi que 1'a'rbitre de toutes les fêtes qui le décorent. Point de volupté égale a celle de faire naïtre dans un cceur des furprifes auffi vives ; & les riches, qui dapenfent tant d'argent pour des femmes blafées, ne connoiftent pas le charme qu'infpire le fourire étonné d'une jeune maitreffe, lorfque jettant fes regards fur tant de nouveautés, elle les reporte fur vous , refte comme fufpendue a chaque mot qui fort de votre Toms XII, V  ( 306- ) bouche , trouvé tout bien, &au milieu de tant d'hommes qui font imprcffion fur elle, vous donne les care (fes qu'elle ra/Temble fur vousfeul: fon cceur devient tout amour, paree qu'il eft content, remplij fon ame a joui, fon efprit s'eft ecisöré ; vous avez développéen eileun fentiment caché, mais aótif; il fe déploye a la vue d'une grande ené. Eh ! commentta.it cfdbjets variés manquéróTént'jfs d'éveiller une fenfation profonde dans une fille dc la campagne, neuve aux déüces de la ville? Son accent , fa timidité qui s'enhardit par dégrés , je ne fais qa'ene rufticité touchante , tout lui prête des aruaits d'autant plus intcreffans, qu'ils font eloignes du menfonge. Hcureufément pour nous que les riches n'ont point ce didir ; que tout entiers a leur vab'itë orgueb'eufe , ils nous laiffeut les jóüiflances qui font a notre portee, & dont ils fécoieht jaionx s'ils les connoiftoient. Mais' pour prömeuer ainfi la vertu r'uftique & épjer ce qu'elle peut femir, il ne faut point ctre un fuppót de Piutus; il faut être un phifofophe, & un phjlpfophe entre deux ages.  ( 307 ) Les Perroquets. A p R È s les cors de diafle que font réfonner les appreritifs fymphonilles, il n'y a rien de; plus infupportable que le perroquet qui vous crie & va répétant aux oreilles toujours la même chofe. Ce goüt pour les ftupides répétitions pourroit fe fadsfaire dans le monde fans reconrir aux perroquets; que d'animaux parlans 8c redifant bien ce qu'ils ont entendu aux écolcs de Droit, de Médecine , de Théologie & au Lycée ! Enfin une dévote n'avoit-elle pas appris h fon perroquet a répéter bien diüinctement , voila le Ion Dien qui paffe , fi-tót qu'on entendon de la ruc le fon de la clochette. Elle porta j'oifeau vérd chez fon voiftn; 1'animal bavardparfaitement inftruit 8c éprouvé fut placé a la porte. Le Viatique paffe, & le perroquet de dire , voila le bon Dieu qui paffe ! Tout le monde s'extafie, admire , ïefte a genoux , & eft prêt a crier miracle. On oublioit que V 2  i 308) «'étoit auffi aifé a faire dire a un perroquet qu'a un enfant. Une femme careflöit un perroquet chéri d'un miniftre dur. Ce perroquet étoit féroce : elle le favoit ; mais elle avoit fes vues, elle fe fit mordre au bras. Le miniftre voyant le fang couler, s'émeut. Je voulois me faire faigner , ily a quelques jours , dit-elle ; votre perroquet a pris ce foin : elle obtint ce qu'elle Voulut. Un homme de ma connoiffance indidigné de la courtereffe ridicule de la queue des chevaux , avoit flylé fon perroquet a dire a tout venant : Laifl'e^ la. queue aux chevaux ? Je fouffre comme lui , quand je vois un cheval maquignonné.  ( 309 f Singulier efcroc. J'Ar ouï parler d'un efcroc qui , ]» penfe, n'a point eu fon égal : bien regix & bien traité dans une maifon demi-opulente , il y avoit fon logement & fa* table ; ils'avifa d'y introduire un étranger^, & de fe faire payer une penfion; cela étoit fort; comment s'y prit-il i Le voici; en lui faifant accroire qu'il entroitpour moitié dans la dépenfe. Après ce début, iï préfente Fétranger Sc le recoit chez autrui comme dans fa propre maifon. Les bonnes manieres que le maïtre avoit pourv celui qu'il hébergeoit amicalement Sc gratuitement, rejailliffent fur le nouveau venu; celui-ci paye fidellement fon quartier , Sc 1'autre le comble de politeffe comme 1'ami de fon ami. Le payant prend peu- a peu les petites libertés qu'un payement aflidu autorife % il donne fon avis fur les plats , blame ou loue Ie cuifinier ; le maïtre de la V %  ( 3io ) maifon , qui le trouvoit d'ailleurs fort aimable , lui fit un jour quelque repréfentation , mais fous le voile de la politeffe : qu'on juge quel fut fon étonnement , lorfqu'il apprit que le nouveau yenu payoit tous les trois mois, & d'avance , une table que 1'hébergé tenoit de fa complaifance. K.emettez votre argent dans votre poche , lui dit-il , vous.êtes chez moi; vous n'avez ni a me payer, ni a blamer mon cuifmier , mais il fera de fon mieux , pour que vous foyez content. QueHe préfence d'efprit ne fallut-il pas a cet efcroc, que je ne veux pas nommer, pourfe maintcnir pendant prés d'une année entre deux hommes , qui ne devoient pas s'entendre , 8c pour faire payer a 1'un le diner quil recevoit de 1'hóte gratis \  ( 3" ) Cuifine. L A cuifine moderne eft préfèrable a 1'ancienne pour la fanté comme pour le goüt : un bon cuifinier nous fait vivre plus long-tems , car il donne de 1'onclion aux mets , & il cmpêche qu'ils ne deviennènt corrofifs. La nature nous pré-, fente les alimens tout brutes; le cuifinier les corrige Sc les perfeflioime. La cuifine n'eft donc plus un art meurtrier, quand elle eft maniée par un bon artifie ; on ne fe creufe point le tombeau avec les dents , comme le dit le groffier Regnard ; quand on eft doué d'une fenfualité délicate , alors on n'eft point gourmand ; la fobriété accompagne toujours les iinetres du goüt Oui , quand j'aurai toute la théorie de MeffMier ( i ) , je veux la mettre en vers ( i ) Fameux cuifinier. V 4  ( 3U ) techniques; il y en aura cent tout au plus, Tout éleve les apprendra par cceur. Excellent , fucculent catéchifme! Non omnis morïar. L'appétit ne doit pas être irrité, mais fatisfait. Qui voudroit être un Pandarée , célebre mangeur , a qui Cérès accorda le don de dévorer impunément fans avoir jamais d'indigellion l Une étude affidue du goüt de fon maïtre , dont le palais do;t devenir le fien , voila ce qui honore un cuifinier. La délicateffe des mets ne peut que leur préparer une coétion louable; les parties groflieres féparées par 1'elixation , ne fatiguent plus 1'efiomach, & il doit s'en former un meilleur chile. Le vulgaire broüte pour le befoin , mais il ne mange pas pour le plaifir; cet art s'eft perfeétionné avec le génie des peuples. La cuifine de Louis XIV étoit mauvaife; il a rafiemblé autour lui beaucoup de grands hommes ; il n'a point eu de fins cuifiniers. II y a un rapport entre le goüt corporel é< le goüt fpirituel. La  ( 3H ) /ïneffe de ces deux fortes de gouts dépend d'un certain exercice , & l'on ne fauroit prononcer fur la cuifine, fi l'on n'a pas fait confiamment bonne chere. Si l'on eft hérétique en Suiffe, c'eft fur-tout en cuifine ; vous avez beau donner des lecpns admirables a un cuifinier & a une cuifiniere , vous ne pouvez lui faire abjurerfes héréfies, fa routine fchifmatique, fes théories erronnées. On a fait des livres fur l'art de la cuifine ; eh bien ! ils reffemblent a nos poétiques; ils ne font pas faire un meilleur plat. Les progrès de la cuifine font plus marqués chez ceux qui fuivent leur inflinét; & les cuifiniers, qui excellent, ne diflertent pas , mais goütant la fauce du bout du doigt , approuvent ou condamnent. Ce font les bonnes tables de Paris qui honorent la profeffion de parafite , paree qu'il ne s'agit pas de manger, mais de jouir, 8c fur-tout de louer a propos. La fenfualité fe combine très-bien avec Pé«onomie; la bonne cuifine dépend du  ( 3i4 ) foin, de 1'attention : un mauvais cuifinier ruine tout le fruit d'un long travail; un bon fait jaillir tous les fucs & tous les fels de 1'aliment : il vous les offre dans leur intégrité pure. II y a des peuples qui ne fauront jamais matiger, qui gaiént a plaifir leur viande & leur poiffon , & qui n'ruront jamais le'feniiment d'un palais délicat; ils fon: faits pour brouter J eh ! qui le croiroit ? plufieurs Allemands font encore plus pervers que les Suiffes a cet egard. L'intérêt de la fanté commande une table délicate , paree que 1'eftomach s'en trouve mieux & qu'on digere mal ce qui eft malaccommodé. 11 n'y a point de mérite a dénaturer les dons de la nature, & a charger les mets de fel, de poivre , de gérotie , de mufcades & autres épices , ingrédiens plus précieux que 1'or , quand on les combine habilement, quand on les dofe a propos , mais vrai poifon , quand on les prodigue. La table de Lucullus ne 1'empêchoit pas d'être le plus honnête homme & le  ( 3'J ) plus accompli qu'ily eütaRome, li l'on en èxce'pte Brutüs. Non pas que j'approuve les exces auxquels fe livrerent les Romains; ils étoient aufli blamables par leur prodigalité que les Spaniates avec leur fauce noire ; mais j'approuve les ragouts d'Apicius ; ils furent longtems a la mode, & il s'étoit fortrié une fecle de cuifiniers Apicieas, qui fubfiftoit encore a Rome du tems de Tertultien. Je ne veux point une efpece d'école de gourmandife, mais une tradition heureufe qui n'enleve point aux mets leur faveur particuliere. Je profcris donc toute notre artillerie de gueule , qui , grace au bons fens , tombe de jour en jour. L'art de Ia cuifine & la bonne chere ont confifté Ionstems en France dans une profufion malentendue; mais on y retranche aujour'd^hui pour ajouterala délicatefle. L'intérêt^ de la fanté n'eft plus féparé du bon goüt, qui aprofcrit ces jus ardens & tous ces ragouts cauiliques de l'ancienne cuif nes : celle qui regne a préfent avec un travail plus fin, mais au fond plus fimple,  ( 3** ) refpecte ces fels volatils dont chaque fubftance efl douée Nous fommes fans doute fupérieurs aux Romains qui eurent des goüts bizarres. La chair d'anon & celle de chien furent fucceflivement a la mode; ils engraiflbient les efcargots ; ils mangeoient des paons : j'ai beau lire Pétrone, la table des anciens ne me tente pas. Les cuifmiers de nos princes en favent plus que ceux des •Grecs & des Romains. II y a cependant des particuliers qui 1'emportent encore fur eux , paree qu'ils ont un goüt finement exercé & fufceptible de faifir toutes les nuances des papilles nerveufes. Un de ces gourmets voyant fon cuifinier malade ( il étoit, hélas ! a la campagne ) fit vingt - cinq lieues en pofte , alla trouver Bouvard ,1'emmena',8c quand fon cuifinier fut guéri, il embrafla le médecin en ma préfence , 8c le paya largement. Les plaifirs de Ia table adouciffent les mceurs , 8c comme Céfar, je ne craindrois pas les figures jouflues 8c rebondies,  (3*7) mais bien celles qui font haves & maigres. Néanmoins ce n'eft pas une raifon pour fe j etter dans Ie luxe , faire la dépenfe de deux ou trois mille carpes pour en avoir les langues , compofer un grand potage fait avec cette efpece de lilt que donnent les ceufs frais cuits dans leur coque , & un plat formé feulement de noix d'épaules de veau. Des friands de ce caradere font auffi condamnables que ceux qui gatent les dons de la nature, en les empatant de leur mauvais goüt. Et 1'omelette royale , qui ne fe faifoit que chez le prince Soubife pour Ie feu Roi, coütoit plus de cinquante écus. Elle étoit de crêtes de coq , &c. Quelqu'un de ma connoiffiance en a la compofuion donnée par un témoin , & fuivant lequel celle qu'il vit faire , & a laquelle il mit la-main, eoüta i 77 liv. 10 fous. Les mets d'aujourd'hui ont donc une légéreté, une fmeflè, un baume particulier: on a trouvé le fecret demanger plus, de manger mieux , & de digérer plus rapidement. Le cuifinier eft un chimifte qui  ( 3*3 ) opere des métamorphofcs ; il change, il corrige Ja Nature , il adoucit les chofes les plus piquantes , & rend piquanies les plus douces; il rend mangeable des chofes dont on ne s'étoit jamais avifé ; tout prend une fj&eur différente entre fes mains ; il développe en l'homme une foule de fenfations nouvelles. II interrogera toutes les houpes nerveufes, & toutes les merveilles cachées d'un goüt profond paroitront par 1'adrefTe des cuifiniers. La nouvelle cuifine eft avantageufe pour la fanté , pour la duree de la vie, pour 1'égalité de 1'humeur , fuite de 1'égalité du tempérament. II eft certain que nous fommes mieux portans & mieux nourris , que ne 1'étoient nos peres. La table de Mefdames , tantes du Roi, paffe pour la plus délicate de celles de la cour, relativement a l'art fupefTïn de la cuifine. Palais novice , que je te plains! Si tu favois combien il faut perfeclionner un certain goüt délicat que la nature ne donne qu'a fes favoris : un goüt qu'on ne fauroit  ( 3ip ) fe créer , tu faurois que les meilleures chofes ne font rien avant que d'avoir paffe paria maïn d'un habile cuifinier! Non,tu n'as pas encore mangé , fi tu ne connois pas les miracles de la cuifine moderne , ainli qu'un homme qui n'auroit entendu que de la mufique Francpife , ne connoitroit point & ne pourroit connoitre ce que c'eft que mélodie. Le Bénédicité I l y a long-tems qu'il n'eft plus en ufage que dans les couvens, monafteres & penfions ; ailleurs on n'y fonge plus ; les graces conféquemment font omifes. C'étoit une pratique courte & fainte que celle qui, a 1'afpecf d'unetable fervie, faifoit remercier la providence des biens qu'elle nous a difpenfés. II étoit fage de reconnoitre la bonté libérale duCréateur; il étoit jufte de lui marquer fa reconoiffance. Cette coutume eft entiérement abolie. La table du Roi eft encore bénie par  ( 320 5 faumónier. On pourroit dire aux riches ! faites bonne chère, mais fongez que d'autres ont a peine du pain: ufez de toutes les jouiflances qui vous font accordées , mais fouvenez - vous que les autres ont auffi befoin de quelques jouilfances. Mangez avec appétit, mais c'eft fur-tout en Vous nourriffant des fruits accumulés autour de vous , que vous devez élever votre ame vers Dieu, & fonger a la difette qui tourmente une partie de vos freres. Ne vous dérobez aucun des plaifirs légitimes , mais ne gafpillez pas les mets nourriciers , & que lefuperfiu appartienne aux pauvres. Faites affeoir a vos cótés' la tempérance & la charité, 8c votre ame & yotre corps s'en trouveront mieux. Ce repas fera exquis lorfque vous pourrez vous dire a vous-même : qu'une portion aura foutenu la vie défaillante d'un voifm pauvre 8c laborieux. Je lis dans les fermons du pere Bourdaloue le palfage fuivant : « II eft furpre» nant, dit-il, que ce foit a ces tables » oü tout abonde , oü il y a tant d'affai» fonnement}  ( 3" 5 fonnement, une fi grande variété de » viandes , qu'on refufe impunément au » fouverain Seigneur , de qui feul on » tient tout cela , a qui feul on en eft » redevable , les juftes hommages qui lui »» font dus ». Trophees. Les architeöes font des colonnades fans palais cSc couronnent les hötels de nos princes de trophées fanguinaires & d'enfeignes romaines : on remarque a Uhótel Bourbon le S. P. Q. R. Rien de plus déplacé. Les fculpteurs mettent des vafes de marbres dans nos jardins , & ces vafes font toujours vuides.Dans les appartemens on voit des urnes & des amphores qui ne contiennent aucune liqueur. L'édifice immenfément coüteux, & ridiculement étroit, élevé a Ste. Geneviéve, humble fille qai gardoit les trcupeaux , n'offre nulle part la patronne qui fut bergère : on en a fait une dceffe ; on a oublié de reprcfenter Tome XII. X  C 322 ) celle qui habitoit les champs avec fa pa» netiere & fa houlette ; eh ! qui n'auroic pas voulu voir le coftume de fon fiecle s ï'image de fa vie innocente qui précéda fa - vie célefte ! ce contrade eüt été tout-a-lafois touchant & religieux. Ste. Geneviéve ne fe doutoit pas qu'o» lui éleveróit un jour un temple dans le plus beau centre de 1'Europe , & dont le prix excédera 2.6 millions. Que le culte catholique eft cher! Cette nouvelle églife , pour ce qu'elle coütera , m'a paru fans grandeur, fans majcité, d'une ttruéture mefquine & pleine de minutieux ornemens; elle n'a point répondu a 1'idée que je m'en étois formée: fon architecte fut fans génie , malgré tous les éloges qui lui ont éte prodigués. Quarante années de travaux, & tant de millions pour élever une chapelle ! oh! quel trifte emploi de tems & d'argent! non , je ne verrai jamais ce monument fans foupirer.  ( 3*3 ) Infubordination. Elle eft vifible dans le peuple depuis quelques annees & fur-tout dans les métiers. Les apprentifs 8c les garcons vet*lent fe montrer indépendam ; ils manquent de refpeét au maïtre , ils font des corporadons : ce mépris des régies anciennes eft contre 1'ordre Pourquoi un vailfeau cingle-t-il a pleines voiles? c'eft qu'il y a une chaine non interrompue d'obéiflance & de commandement. Les métiers , qui ont befoin du concours de plufieurs mains, doivent fe rapprocher de la fubordination qui regne dans un vaiffeau, 8c l'on peut réprimer Pinfolence toute neuve des travailleurs fubalternes, fans offenfer leur liberté individuellc. Jadis , lorfque j'entrois dans une imprimerie , les garcons ótoient leur chapeau. Aujourd'hui ils fe contentent de vous regarder , ricanent ; & a peine êtesvous fur le feuil, que vous les entende* X 3.  ( 3^4 5 parler de vous d'une maniere plus lefle que fi vous étiez leur camarade. Tous les imprimeurs vous diront que les ouvriers leur font la loi , qu'ils s'invitent 1'un 1'autre a rompre tout frein d'obéifTance : les ouvriers transforuient 1'imprimerie en une vraie tabagie; ils reculent a leur gré 1'apparition d'un ouvrage fait pour telle circonflance. Dans les métiers , vous n'entendez que les plaintes des maitres , qui fe trou vent abandonnés de leurs garcons , ligués pour faire une efpece de loi a ceux qui les pavent. Propos infolens , lettres injurieufes , ils fe permettent tout. Des idéés mal entendues ont défuni les anneaux néceffaires aux travaux & a la profpérité du commerce; de-la naït 1'imperfeétion des ouvrages , paree que les ouvriers fe hatent d'achever , & ne travaillent que pour finir Ia femaine. Au nouvel an , tous les garcons per•ruquiers plantent - la leurs maitres , & changent de boutique. II en eit de même dans plufieurs communautés ; quand les  étrennes font recues , le garcon sfeh va » il eft indifférent a telle ou telle maifon; il fe dit égal a fon maitre, & il ne £e trouve Jié que par les gages. Et voila comme en humiliant trop la bourgeoifie , en lui enlevant fucceffivement fes priviléges , en méprifant trop cet ordre de citoyens qui vivifient la capitale, le peuple fecondaire a tout cnvahi, fait de mauvaife befogne dans tous les genres, 6c n'en exige pas moins un haut prix. La main-d'ceuvre devient de jour en, jour plus groffiere; tout fe fait a la lufte & fe fait mal. II y a plufieurs jours oü les garcons ne travaillent pas; plufieurs communauté* ont des apprentifs vraiment indifcipli'nables. Eh! ne voit-on pas aujourd'hui les garcons perruquiers faire les beaux efprits en accommodant les pratiques ? Comme ils attrapent quelques mots a la volée , les voila qu'ils les repetent fans en connoitre le fens &l'étendue; ils deviennent les dangereux précepteurs des apprentifs : quand ceux-ci font coiffés, ils fe ctoient au niveau X 3  I 3*6 ) des bourgeois; il en réfulte une revolte fecreue contre leur maïtre, dont ils de* viennent les cenfeurs , les ennemis. De nos jours le petit peuple eft forti de la fubordination , a un point que je puis prédire qu'avant peu on verra> les plus mauvais effets de cet oubli de toute difcipline. On n'a point voulu voir que dans 1'ordre politique & focial tout étoit d. pendant, & que tout devoit s'engrener. La facilité trop grande d'avoir les maitrifes pour de 1'argent a trop confondu le maitre avec les garcons. Trouvaille. J e cherchois depuis long-tems un fot parfait, accompli , car je favois par experience que nous nagions tous dans des milieux. L'homme de génie étant extrêmement rare , 8c ne 1'étant d'ailleurs que dans le genre qu'il cultive , je cherchois fon oppofé , 8c je 1'ai trouvé. Je puis aifurer qu'il eft fot a un point étonnant 8c  I 3*1 > finguliérement intéreflant pour un obfervatcur , car on eft ftupéfait d'entendre ce qui fort de fa bouche; il parle beaucoup , & il ne manque jamais un trait de bêtife ou de ftupidité. Enfin c'eft un être curieux qui décompofe a chaque phrafe le bons fens 8c la raifon. II eft bien au-deffous de 1'ignorance tranquille & de la fatuité indifciete. II eft fot comme 1'écarlatte eft rouge. Qu'eft-ce que 1'efprit ? c'eji voir ju/Ie, vite & loin. Cette définiüon eft d'une femme. On n'eft point fot quand on fait ccouter. Les fots , dans la capitale , ne font pas fi communs qu'ailleurs , a caufe du grand mouvement des efprits & de la direétion fubite que leur donne une fcene variée 8c changeante. A Paris le fot s'érige en fat : voila fon triomphe ; & dèslors une femme s'en empare , le promene , le préfente par-tout; j'ofe le dire, c'eft pour une femme une trouvaille qu'un fot, lorfqu'el le en peut faire toutefois uhfat; alors elle eft enchantée 5 elle le tourne Sc raffouplit. Non , il n'y a rien au monde V A  I 328 5 qu'aime tant une femme qu'un fot a manieres & a jargon; on fait de cela ce qu'on veut ; on le cache , on le naene; il admire ; on eft de niveau avec luk II répete tout ce qu'on lui a infpiré. Jamais il ne s'égarera dans fes penfées, jamais il ne devinerariende ce qui fe paflera autour de lui; les fots ont de la fanté, 8c ils ne s'en targuent pas. Quelle félicité pour une femme , que de bien commander a un fot , lorfqu'il eft un peu préfentable, & qu'ayant la figure humaine , il parle a vuide fans s'en douter ! Un fot n'aime pas a être feul, paree qu'il s'ennuie bientót de lui-même ; il ne peut donc fupporter la folitude ; voila pourquoi il fe jette dans la fociété, & qu'il y eft prefque toujours a fon aife 8c fatisfait de lui-même. Comme il n'a pas Iesfenfatiehsfinës qui diftinguent l'homme d'efprit , il n'a point d'embarras, iVpour lui tout eft plaifir j il ne cherche qu'a être hors de lui. L'homme d'efprit treft jamais bien placé dans une fociété un peu nombreufe; il a aflez d'étofte pour fe fuffire  ( 3*9 ) a lui-même. Vous voyez qu'une femme a Paris , comme ailleurs , doit préférer un fot; Velt ce qu'elle fait, & ., faut-il le dire , elle n'a pas tort. f.Adulation. Louis XI V ne favoit pas un mot de latin, & cependant la fiatterie eifaya de perfuader a ce Monarquc qu'il étoit bon humanille. On a vu long-tems dans le collége des jéfnites de Lyon le premier livre des Commentaires de Ccfar , traduit par Louis le Grand, in-folio, avec figures. Ce livre n'étoit-il pas curieux l On a vu au Louvre deux beaux globes que le jéfuite Coronelii fit pour Louis XIV: ils font d'une grandeur extraordinaire. Sur le globe terrettre ou lit ce diflique incroyable : lnclita Gallorum proh tjjtanta potenda. Reds l En dic'uo ccd'i volvh & orbls opus. Quelle fiatterie plus ridicule que d'at-  ( 33° ) tribuer au bout du doigt de Sa Majefté ce que le dernier dès marmitons de la cuifine pouvoit faire tout auffi bien que le Roi ! Enfin , on a vu a Verfailles un cadran horifontal fur une grande table d'ardoife, parallele royal des conquêtes de Louis le Grand. Vous ne devinez pas , leéteur , quel rapport pouvoit exifier entre un cadran folaire & des viétoires; c'eft qu'on lui faifoit annoncer les conquêtes du Roi : dans une bordure qui environnoit le cadran , on avoit gravé au bout de chaque ligne horaire la prife de chaque ville. Sur VIII heures , par exemple , on lifoit , la prife de Dole, ,tel jour & telle année ; fur les autres heures, on voyoit de même la prife de quelques villes ou citadelles; ainfi l'on ne pouvoit regarder Pombre mobile fans fe rappeler un exploit. Les théologiens pouflerent Ja fiatterie jufqu'a faire imprimer des thefes dont chaque pofition commencoit par Ludovieus Magnus. Quoique le Roi ne süt pas  1331) Ie latin , il comprenoit fort bien ce que lignilioient ces deux mots. II afliiioit enfuite aux prologues des opéras de Qairaault , & l'on chantoit a fes oreiiles : II eft digne de nos autels; Son tonnerre infphe feffioi Pan? le tems même qu'il repofe. L'académie ayant propofé pour fujet du prix annuel cette queflion : laquelle des vertus de Sa Majefté mérite Le plus notre admiration. Pour Ie coup cela parut trop fort , & le Roi voulut que l'on choirit un autre fujet. Mais lorfqu'il eüt pris Strafbourg , voici de quelle maniefe un académicien s'exprima dans fon difcours de réception: Louis a dit que Strasbourg fe foumettz, & Strasbourg s'eft foumis. Puijfance plus qu'humaine , & qui ne peut être comparée qu'a celle qui en créant le monde a dit : que la lumiere foit faite , & la lumiere fut faite. Je ne vous en impofe pas , lecleur. Voyez le Recueil des haraugues aux ré-  ( 33* 5 ccptions a 1'académie; le harangueur que je cite , M. d'Aucourt, y fut reéu le ip novembre 1683. L'adulation eft aujourd'hui plus fine, j'en conviens , mais Ja louange eft 1'accent éterneJ de J'académie ; elle fe loue ellemême a toute outrance, en ferepliant fous toutes fes faces, quand fa politique n'a rien a louer au-dehors. Eh bien ! quand il fe glifïeroit enfin dans 1'académie quelque franc difeur de bonnes vérités , quelqu'anti - adulateur , y auroit - il grand mal a cela ? Bois flotté. C om bien cette capitale a déja engloüti de forêts immenfes ! Ce qui 1'avoifine ne peut plus fournir a fa confommation. Sans le bois flotté , il n'y auroit de bois que pour les groffes maifons , qui le détruifent avec une difiipation effrayante. Mais ce bois flotté , on vous le livre  ( 333 5 boueux & humide ; il donne beaucoup de fumée , & prefque point de feu. Le bois eft fouvent mal propre'dans la cheminée, incommode a porter& a arranger. L'économie , chez les bourgeois , porte fur Je bois ; quand vous paffez dans la falie a manger, on éteint le feu de 1'appartement, puis on Je rallume, quand on fort de table. Très-peu de maifons , oü l'on foit chauffé largement. On a multiplié les feux , mais ils font exigus, fi vous en exceptez les cuifines, oü les marmitons le prodiguent pour défoler un peu leur maïtre. C'eft un travail déchirant a voir , que celui qui fait fortir des rives bourbeufes de laSeine tout ce bois, qu'on arrache, qu'on fépare & qu'on porte k dos d'hommes dans les chantïers. Les travailleurs font nuds , piongés a demi-corps dans la riviere, leur front eft trempé de fueür. La paleur de leur vifage annoncequ'ils heréfifleront pas long-tems a ce labeur pénible. Leur corps eit tout défiguré par la vafe fangeufe qui fouille leurs membres & femble affoiblir  ( 334 5 leursnerfs. Que de fortes deviesmiférables a cöté de la nonchalance orgueilleufe l II faut prtfentementj année commune , fept a kuit cent mille voies de bois, pour la. confommation de la ville. Les travaux fe font 1'étéj & les travailleurs font brülés des rayons du foleil pour préparerle chauffauge de la rude faifon. Ils forment ces pyramides quarrées qui s'élevent en haute... au niveau des maifons , & qui raffurent le citoyen fur la crainte d'une difette. L'hiver de 1776 furpaffa en rigueur les hivers les plus froids ; un grand nombre de corneilles accoururent des campagnes & plancrent fur les toits. Le courrier dc Paris , pour la Picardie, fut gelé en route & le cheval 1'apporta a Paubergé , mort dans fa carriole. Le gibier fortit des tois, tourmenté par la famine & fuivit les garc'es , comme s'il eüt été apprivoife. Pendant ces tems de gelee , la Reine & les Princes de la Maifon royale fout des courfes en uaineau daas les rues & fur ies  ( 33S ) boulevards. Le cortége paffe il rapidement, qu'on ne peut faifir tout au plus que la filhouette des auguftes perfonnages. Le tems d'ouvrir la fenêtre les emporte au loin & les fait perdre de vue. Ils font, pour ainfi dire, en même tems a Paris Sc a Verfailles. II eft d'ufage dans cette faifon rigoureufe de dreffer des buchers dans plufieurs endroits de la ville. Les pauvres , les mains tendues , font cercle. La ils fe chauffent, puis ils emportent de la braife , & quelques buches allumées. Mais c'eft un foible fecours tant pour la multitude des indigens que paree qu'il faut defcendre en plein air , pour jouir quelques minutes de ces feux qn'on n'alimente qu'une fois. La braife emportée devient functie dans 1'étroit Sc obfeur réduit oü Pindigent la concentre Sc la couvre, comme pour en éternifer la chaleur; la vapeur qui n'a point d'ilfue Pafphixie; c'eft en vain qu'il eft averti ; la douloureufe fenfation du froid lui fait embraffer un foulagement mortel. Point d'hiver qui n'offre plufieurs malheureux étouffes dans leur grenier.  ( 33^ 5 Vers le milieu d'oöobre, c'eft un tracaf nouveau dans tous les quartiers de la ville. Ce font des milliers de charrettes aux roues divergentes chargées de voies de bois , qui embarraflent les rues, & qui pendant qu'on jette le bois, qu'on le fcie , qu'on le tranfporte , tiennent tous les paffans en danger d'être écrafés , culbutés , ou d'avoir les jambes caiTces. Les débardeurs affaires jettent brufquement Sc précipir tamment les büches du haut de Ia charrette. Le pavé en retentit; ils font fourds & aveugles, & ne cherchent qu'a décharger promptement leur bois , aux rifques des têtes paffantes. Le fcicur vient enfuite , s'établit au milieu de la rue , fait jouer la fcie avec rapidité & jette Ie bois autour de lui , fans regarder pcrfonne. II femble agir au_ milieu d'ê:res invulnérables. Précédez celui qui monte ce bois dans les efcaliers , car fi vous le fuivez , vous rifquez de voir les büches rouler fur vous , Sc vous arrêter blefte fur le palier. Pourquoi ne pas faire fcier ce bois fur  I 337 ) fur les chantiers f Pourquoi donner lieu a un embarras perpétuel dans des rues déja fi étroites & fi incommodes ! c'eft un miracle fi votre tête ou vos jambes ne rencontrent pas une büehe qui faute & rebondit , ou une autre qui roule tranfverfalement. Les palfages font obftrués, & le pied , en voulant éviter la buche ronde & gliflante , tombe fur le mordant de la fcie. Oh ! n'eft-il pas tems pour le parifien d'avoir recours au charbon épuré , tant pour 1'économie du chauffage que pour ne pas épuifer les forêts du Royaume? C'eft un beau préfent, qu'une compagnie vient d'oftnr a la capitale , Sc jamais entreprife utile n'eft venue plus a propos. L'épurement du charbon entretient la falubrité de Pair. Le foyer eft élevé fur une efpece de grille de fer, a barreaux a jour, qui forme un fourneau, & le feu la-deffus a l'air d'être fur un autel. II dure trèslong-tems fans aucun embarras ; il donne dans la chambre une bonne chaleur Sc Tome XII. Y  K 338 ) point de fumée; il efl impoffible a. u» enfant de tomber dedaus. Oh S c'efl un peuple barbare que celui qui préferc Fufage des poëles aux cheminées : les poëles font mal-fains , trifles, lugubres, & ils couvrent 1'Allemagne & la Suifle. II faut être flupide pour ie chauffer ailleurs qu'a une cheminée. Si je ne vois pas la Kamr.ie , j'aime mieux geler que de me trouver auprès d'un poële : c'efl. ce qui m'a le plus révolté hors de la France, que cette coutume défagrcable & mélaucolique. Le luxe des chenets fi ufité a Paris , efl un luxe béte, irréftéchi, indigne d'un être peafant 5 car mettre de la dorure 8c des fiuures fculptées auprès des tifons ,• c'efl ui.cdillracuoü enfantine, unedépenfe ciiminelle, un attentat envers ceux qui n'ont pai de quoi fe chauffer. Je détefletoisJfe' dëffin puéril de certains artifles , quand üs'n'auroient fait que de fe prêter a cettö extravagance des riches : c'efl le meuble qui me fait le plus de peine a  ( 339 ) rencontrer chez eux , & je détourne la tête avec douleur de ces cheminées faftueufes. Le chenet doré eft 1'emblême des entrailles du maïtre; il ne mérite plus d'être récréé par un élément bienfaiteur , qui dans fa beauté pure , efface & rejette les frivoles & fomptueux ornemens. Vouloir parer la lamme ! 6 riche ftapide ! II y a très-peu de différence pour le prixentre le mauvais bois &le bon, entre le bois flotté qui a perdu fes fels dans le long féjour des eaux , & celui qui eft neuf & propre a donner unechaleur vive: ce feroit donc une économie que de n'acheter que du bois neuf; or les trois quarts de la ville , hébêtés par un calcul roulinier , ne comprennent point cela. La voie de bois flotté, qui avec le roulage Sc le fciage revient a 24, liv., n'offre qu'une petite quantité de combuftibles; n'eft au fond que la moitié de ce qti'on appelle par-tout ailleurs corde , ainfi que la bouteille, n'eft que le partage , en deux parts prefqu'égales, de ce qu'on appelle piats. La voie de beis , après avoir pafte Y 2 è  i 34ö ) par tous les droits & par toutes les charges (qui , femblables aux taches qui font fur les fruits, ne font que s'étendre ) difparoit en peu de tems dans une theminëe , fi Ton ne met une certaine induftrie dans le pofement & dans l'édigcé de; büches. A cet eiiet on vient d'en imaginer d'artificiedes „ qui font creufes Sc de térrës cuites; elles en impofent a r,ceil , tant elles imitent le bois avec fon ccorce; on les mêle a celles qui tombent en cendres , & vous avez un foyer coffu, oü la moitié eft imnofture; mais la repréfentation, chez le paruien , depuis 1'atre jufqu'a la taaie , fait ia moitié de fon exi iience. Des büches artifieieiles, & qu'on nomme écononnques , vous en niez*, ëtrangersl mais ?. tort; ces büches une fois bien échauffées jettent de la chaleur.  I f4? )■ Embaumemens. L E s Rois & les Princes du fang fe fon» embaumer après. leur mort; ils veulenr. être de longs. débiteurs de la Nature, & lui rendre le plus tard poffible , les élé—• mens qu'elle leur a prêtés pour compofer leur corps. Mais quoiqu'ils falfent £ ils ne feront jamais embaumés auffi joliment que le fcarabée que l'on voit dans. le fuccin, tel qu'il étoit jadis. Ah ! fi 1'om avoit pu enfermer notre Henri IV dans une réfine jadis fliüde 1 on Ie verroken^ core. Des infectes n'ont rien perdu depuis, des fieeles de leurs principes conftitutifs s ils nous offrent leur trompe , Sc leurs. aïles brillantes , Sc n»s Rois n'ont pas, même la figure des momies d'Egypte -3 ihr font enfermés dans le plomb oü ils fe dé— compofent, tandis que leur mémoire ap— partient toute entiere au burin inexorabl© & véridique de 1'hiftoire. Que i'aime a voir ces petits animaux;^ Y 3..  I 342 } «mprifonnés dans 1'ambrc Sc confervant leurs graces naturelles ! ils ont été furpris peut-être dans le tems qu'ils travailloient a la reproduélion de leur efpece; ils ont encore de la vie dans leur criftallin j & monfeigneur le prince eft déja partagé en trois ; le fcalpel 1'a tailladé. II a donné fes entrailles a je ne fais quelles religieufes, & fon cceur aux grands Jéfuites. Mon fcarabée , bien confervé, m'offre 1'embaumement fous une image riante, Sc me fait plus de plaifir a confidérer , que les tombeaux de Saint-Denis. On n'a point embaumé Louis XV , felon 1'ufage confacré : la nature de la maladie, dont il mourut , s'y oppofa ; les officiers de fa cour déferterent. On dit qu'on a perfeétionné les embaumemens , Sc que la chimie peut conferver les cadavres, tout comme chez les Egyptiens. Mais comme cet art ne regarde point la roturé s c'eft aux princes Sc aux grands k fe féliciter de cette découverte ; car c'eft encore quelque chofe fans doute de pouvoir montrer un efpece de yifage dans quinze a dix-  ( 343 ) tuit cents années. Un prince pent le figurer des a pre feut la mine Sc les difcours de ceux qui le regarderout alors , Sc la joie qu'il aura , lui , de voir une poitérhc ü cloignée. Nul ne peut retenir (quclle que foit fa puifflmce) la foible ponion do?,matiere qui le conftitue. II aura., beau la défendre avec des aromates , il faut qu'il la rende j)our le dévcloppeirsentdenouveaux corps» Un (avetier en Egypte étoit embaumc avec amant de fc*n que 1'ell aujourd'hui. un Monarque. Cette derniere depenfe de la fouveraineté n'clt pas modique , & les obfeques , ces funérailles pompeufes, ne font quelquefois acquitées qu'un dsemifiecle après le décès du prince. On ëmpruntera, a la lettre , pour L'enterrement de tel Souverain: le credit aiïiftcra a fon fuperbe maufolée, ainfi qu'il a préfidé pendant favic a fa table magnifique , a fes noces aux fêtes qu'il a données. Voltaire mort ayant pris la pofte , pons aller fe faire enterrer oü il pourroit , on Favoit embaumc a la hatc, mais fort mal3,  '( 344 J quoiqu'il fut le prince des poëtes : on avoit extrait fa cervelle ; elle fe voit aujourd'hui dans un bocal d'efprit de vin , chez un apothicaire. Malgré la grande renommee de cette cervelle, il faudroit écrire au bas du bocal : cervelle de Voltaire ; car fi elle alloit fe confondre , elle reffembleroit parfaitement a celle du premier imbécille. Salie de la Sorbonne. O n Ia montra au fameux Cafaubon} oa lui dit qu'on y avoit difputé pendant plufieurs fiecles. Qu'y a-t-on conclu, demandat-il ? L'infcience & 1'incuriofité qui fe promenent au milieu de cette falie , comme cela eft fort Sc plaifant ! Qui peut calculer tout ce que les thefes de Sorbonne ont occafionné dans les têtes humaines! II eft difficile de concilier notre chronologie avec. celle des Egyptiens , des. Chinois} des Parfis. La Sorbonne ar range tout cela -} elle a réponfe a tout.  t 34* ) Buflbn amadoua Ja Sorbonne par un* adroite rétractation ; il eut peur de fes foudres, qui auroient pu lui enlever fa place & fa fortune. Les Janfénifles auroient fort embarraffé la Sorbonne , le Clergé & la Cour, fi au lieu de vouloir a toutes forces pafiêr pour très-orthodoxes , ils avoient confenti de bonne grace , a fe dire réformateurs. C'eft dans cette falie que l'on taxe d'hétérodoxie des milliers d'hommes qui n'en favent rien & qu'on appelle héréfiarques ; des génies révérés a deux cents lieues deda. Tous ceux qui fe deftinent a la prêtrife font obligés de pafler par cette falie, afin de ne point tomber , même involontairement, dans 1'héréticité. L'orthodoxie y a fón tróne , 8c des jouvenceaux en rabat s'imbibent de la faine doéhïne au milieu des argumens. Ils entrent par bandes noires 8c fortent de même : une grande place en eft eouverte , 8c quelques-uns , plus zélés que les autres pour la théologie, continuent dans la rue leur argumcntabor.  ( 34<* ) Ce qu'on ne croiroit pas, & ce qui eft vrai cependant , c'eft qu'il y a beaucoup d'efprit, un efprit fin & fubtil , & des reffources incroyables d'imagination dans telle thefe inconnue, paffe la falie d'efcrime. Louis XIV confulta des théologicns au fujet de l'impót. Ils lui dirent que toutes les propriétés lui appartenoient ; cela tranche toute difficulté. Les théologiens s'emparoient de 1'ame, de la volonté humaine , & laiffbient les corps a la difcrétion du Monarque : c'étoit un partage. Les difputes théologiques ont donné lieu cn France a un grand nombre de lettres de cachet; les évêques en avoient en blanc pour pourfuivre le janféniftne* On dit qu'un cvêque étant a Paris 8c difant fon bréviaire dans un jardin, le vent emporta une de ces lettres de cachet qui lui fervoit de marqué. Le papier tomba chez un voifin qui n'étoit pas trop aimé de fa femme : celle-ci ramaffa Pordre , y mit le nom de fon mari, alla trouver un exempt de police, qui conduifit cn prifon  ( 347 ) le pauvre homme ; il y refia long-tems fans avoir pu deviner que c'ét'oit un coup de vent qui 1'avoit mis k la baftille. Sages. "Voltaire a déja remarqué avant moi qu'il y avoit a Paris une couche de philofophes obfcurs , qui , vivant entre eux pour le plaifir de la libre communication des idéés , jugeoient en filence les événemens &les hommes , Sc les jugeoient ainfi que la pofléritéles verra. Ils doivenr ce coup-d'ceil jufte a 1'habitude de computer, a un taél fin , a l'art de démêlcr un ambitieux d'un homme d'état, a une parfaite impartialité. Ils ne s'arrêtent point aux mots, qui trompent,, fur-tout dans les matieres politiques : le mot lïberté ne leur en impofe même pas. II n'y a point de fociété fans devoirs réciproques entre les membres qui la compofent; point de devoirs fans loix ; point de loix fans dépot 5 point de dépot  ( 34§ i fans dépofitaires; point de dépöfitaires fans dcfenfeurs de ia liberté publique; point de défenfeurs fans 1'inviolabilité de lenrs perfonnes. Eh! oü fera la voix du peuple? qui arrêtera la force aveugle & brutale ? qui contrebalancera les corps, qui faits pour protéger 1'état, peuvent détruire 1'état ? Ces fages favent qu'en politique les contre-forces font nécelfaires , indifpenfables* Ils aiment la patrie , & s'intércffent a fa gloire ; mais ils n'écrivent point, paree qu'ils veulent recüfier leurs propres idees, & qu'ils favent qu'on fait tourner le meilleur plan contre la partie foible qu'ils voudroient défendre. Ils fuivent les préceptes de Pjthagore, qui difoit a fes difciples : Ne prene%_ point des feves , c'eft— a-dire , abjlene^-vous des affaires publiques. Ils s'envelopperoient dans une indifférence abfolue , fi leurs eoncitoyens ne leur étoient chers ; mais leurs fages connoilfances font perdues pour les hommes en place , qui ont la fievre de leurs fuuations, Sc pour le peuple , qui ne les.  ( 349 ) entendroient pas : ils auroient contre eux tous les partis. Ils ont héarirrroïns la confolation d'entendre au bout de quelques années, lorfque les paffions font refroidies , que le Temps a prononcé comme eux. Jngeant des hommes par des regies fines 8c particulieres , le caraétere des Souverains ne leur échappe pas : ils s'amufent a deffmer les figures royallS qui doivent entrer dans le tableau de 1'Europe; 8c le portrait en eft fi frappant, qu'elles pourroient elles-mêmes s'y reconnoitre. Ces fages aiment beaucoüp a facrifier a la plaifanterie , qui efl toujours la fuprême raifon , lorfqu'elle eft jutte , fine 8c légere. Au milieu de tant d'erreurs morales que la corruption du cceur a diétées , ils aiment a ramener les efprits vers les idéés religieufes qui font vraies , paree qu'elles fontgrandes; indeftructibles, paree qu'elles ont appartenu a notre entendement augufle , paree que le contraire eft folie;  ( 3S° ) ils mëprifent 1'athée , paree qu'il eft méprifable. Un monde fans Dieu , un uniVers fans créateur, une vafte machine admirablement organifée fans confervateur, des plaifirs renaiftans fans bienfaiteur, des être fenfibles & penfans fans loix ; enfin une unité vifible dans un plan général, fans un être fuprême , voila ce que 1'extravagance profere en d'autres termes. Eh! >que répondra-t-on a celui qui ne fent pas , qu'il a fallu une impulfion initiale pour ébranler les fpheres céleftes ? que ce grand coup part d'une intelligence illimitée , & que c'eft par ce premier reffort que les phénomenes moraux fe développeront a la fuite des phénomenes phyfiques? II eft donc encore des fages qui ne troublent point la fcene du monde, & ils fe trouvent au milieu d'une Babylone : la ils confervent le feu facré de la raifon, qui doit cmbrafer tót ou tard quelques ames patriotiques, tandis que le vertige j le délire , emportent les petits ambideux vers des graadeurs fugitives ,  ( 3S* ) qui font déja & qui feront leur fupplice ; car la honte s'y joindra. Qu'eft-ce que tous ces mots qu'ils proferent & qu'on ne peut ni expliquer ni traduire dans la langue des hommes ? Arcanes. Ij'Ho mme eft un être doué de curiohté , paree qu'il lui importe de favoir , & qu'il a befoin d'apprendre. II doit fe développer vers 1'infmi; il a donc la plus grande propenfion au merveiüeux , & comme il porte en lui-même le plus vif atirak pour toute découverte, il va audevant d'elles; il aime mieux être trompé que de rejeterce qui lui annonce quelque chofe dc neuf. Prefque tous les faits de la Nature .tourmentent ou défolent la curiofité humaine. C'eft la curiofité qui fait recourir l'homme aux arcanes ; il creit trouver la clef myflérieufe de tous les prodiges qui 1'environnent : 6c comme le cours ordinaire de la Nature eit rnuet 6c  ( 3f- ) filencieux , l'homme fuppofe que la phyfique occulte lui révélera plus de chofes que la phyfique naturelle. Voila ce qui a donné tant de cours au magnétifme: il fembloit interroger de plus pres la partie iritime de notre être ; 8c comme l'homme porte en lui-même 1'efpérance fondée d'une exiflence immortelle, un fyftême qui faifoit tout dépendre des impreflions de 1'ame, devoit plus flatter la multitude que ne le penfe le groffier matérialifme des phyliciens ordinaires. Ce que j'ai vu , ce que j'ai entendu ne me permet pas de douter de la préfence du magnétifme animal : il exifte;- mais combien 1'imagination n'a-t-elle pas exagéré fes effets f Toutes les paffions particulieres , tous les vices de 1'amour propre & de 1'orgueil font venus fe fondre pour dénaturer une fcience neuve , mais encore li foible, qu'elle ne devoit être étudiee que dans le filence , avec la marche la plus circonfpeöe 8c la défiance la plus falutaire. L'audace, la témérité , le charlatanifme , 1'extravagance , ont parlé  ( 3S3 ) parlé haut, tandis que la découverte n'au-* roit pas du fortir d'un cercle choifi de quelques hommes privilégiés. Spiritualljles. Pourquoi la Théologie, la Philofophie & 1'Hilloire font-elle mention de plufieurs apparitions d'efprits , de génies ou de démons? La créance d'une partie de 1'antiquité étoit que chaque homme avoit deux génies, 1'un bon, qui Pinvitoit a la vertu, 1'autre mauvais , qui le follicitoit au mal. Une fefle nouvelle ajoute foi aux retours des efprits en ce monde. J'ai entendu plufieurs perfonnes qui étoient réellement perfuadées qu'il exiftoit des moyens pour les évoquer. Nous fommes environnés d'un monde que nous n'appercevons pas : autour de nous font des êtres dont nous n'avons point 1'idée ; doués d'une nature intelleéluelle & fupérieure , ils nous Voient : point de vuide dans 1'univers ; Tornt XII. Z  ( 3H- ) voila ce qu'atfurent les adept es de cette fcience nouvelle. Ainfi le retour des ames des morts, cru de tou'e antiquitc , & dont notre phi~ lofophiefe moquoit, eftadoptéaujoHrd'hui par des hommes qui ne font ni ignorans i;ifuperJlitieux. Tous ces efpritsd'ailleurs, appelles dans l'ccritüre les princes de fair, font toujours fous le bon plaifir du maïtre de Ia Nature. Ariftote dit que les efprits apparoiffent fouyent aux hommes pour les nécelfités des uns & des autres. Je ne fais que rapporter ici ce que les partifans de 1'exiftence des génies nous difent, Si l'on croit a 1'immortalité de 1'ame, il faut admettre que cette multitude d'efprits peu vent fe manifefter après la mort. Parmi cette foule de prodiges, dont tous les pays de la terre font remplis , fi un feul avoit eu lieu , fincrédulité a tort. Je crois donc qu'il n'y auroit pas moins de témérité a nier qu'a foutenir la vérité des appari-  C its ) dons. Nous fommes dans un mor.de inconnu. Une des premières idees des hommes a toujours été de placer des êtres intermédiairès entre Ja Divinité & nous , paree .que'ce pcids de grandeur & d'intelligence nous opprime, & nous avons peut-être befoin de 'la croyanrc des anges pour remonter plusfacüemciu a i'idee d'un Diou unique , feul motcur & confervateur de lunirers. Les Hébreux n'ont atmiis des ange; que pour les operations furnaturtl:-es , extraordinaire^ de la Divinité. Ce fyfiême confirme donc un culte fuprêrne rendu a un feiïl Dien, car les Juifs n'ont jamais rc'gardé les anges que comme de ptfri s creatures , comme les cnvoyés du fouverain Seigneur de tou;es choTes, qu'ils ont adoré feul. Les noms mêmes qu'ils ont donnés aux anges 'e fétnoignent hautement: Gabrkl , foret de Dku ; Raphaël, gaétifon de Dien. _ Ces fdéës antiques n'ont rien de dérailbnnable; & tandis que I'irrc ligion &l'im~ Z 2.  I 3^\ piété obfcureiuent les efprits emiérement voués aux erreurs & aux futilitcs, d'autres s'éciairent, en appercevant la gradation des êtres créés, qui conduifent notre foible intelligence jufqu'au premier être , & fon nom eft dans 1'écriture : il eft fublime; ego fum , qui fum. Madame le Gros. Pemme rare, a qui 1'Académie francoife adjugea le prix de vertu pour avoir délivré un criminel d'État renfermé depuis trente-fept années. Elle rencontre au coin d'une borne un paquet de papier déja froiffé & couvert de boue ; elle le ramaffe , fe rend chez elle , le lit & voit qu'il étoit figné d'un prifonnier a Bicêtre , dans un cachot a huit pieds fous terre , & au pain & a Peau. • Que ne fait pas une volonté forte? Saus rang , fans confidération, Madame  ( ^7 ) le Gros entreprend fa liberté. Rien ne 1'intimide , rien ne la rebute; elle elfde des refus , elle perfdte, elle prie , follicite, elle joint la peifévérance a la pitié la plus aclive; elle furmonte les moqueries , brave les dangers qui pouvoient réfulter de fes importunités, & a la gloire de voir , au bout de trois années, fa fenfibilité dc fon courage enfin récompenfés par la délivrance du prifonnier. II efl devenu célebre par fa longue détention. II eüt le courage &c 1'adreffc de fe fauver une fois de la baflille, & deux fois da donjon de Vincennes , ce qui fort des regies ordinaires de la probabilité. Ce prifonnier, nomme la Tude , étoit coupable; il avoit tenté d'allarmer madame de Pompadour fur un feint empoifonnement , croyant par - la fe rendre recommandable Scavanccr dans fa faveur: c'éioit un bien mauvais calcul ; mais il étoit jeune, & 1'envie de s'avancer 1'avoit aveugié d'une étrange maniere. z $  ( 3S*') Faire uneéchelle de foixante pieds avec fes chemifes , fluiter cent foixante pieds , tout cela paroit impraticable. O ainour de ia liberté, toi que tout hot.nme apporte en naiflant , & dont^rien iié peut ie dépouiller , de queis miracles ii'es-tu pas capabie ! M. dela Tudefut-il plus patiënt, plus courageux que le baron de Trenck ? La caofe rede indccife , & nous n'entreprendrohs pas nous -même de la décider. 'Portraic. \J r anik , ou la corhteffe de * * * , efl dans la fleur de la beauté: cinq luflres accomplis ont donné a fes charmes toutes leurs pcrfeflions. Si la fortune ne luia rien Hlfflè a defirer, la Nature n'a pas été moins prodigue : elle efl belle , ré'guliérenient belle ; beaux chcveux, beaux traits, belles formes : ce feroit pour 1'artifle Ie modele de Piane fortant du bain. Auffi perfojme  ( 359 ) ne fait amant de cas dc fa beauté qu'elle même; & nul objet n'eft plus agréable a fes yeux que fa figure , répétée fans cefle dans les glacés dont fon appartement eft rempli. Ce beau corps renferme une ame fiere, froide, abfolue, & dont toutes les aiieclions fe raflemblent fur ellem :111e. Elle a 1'efprit jufte & cultivé , des taiens , un goüt exquis pour tous les arts , maïs iJ ne fe trouve en elle ni douceur, ni aménité, ni befoin d'aimer ; elle ne connoït point la fatisfaétion d'être chérie de ceux que l'on aime. En vivant en fociété avec fes égauX , on s'habitue a la complaifance , on cherche a paroïtre aimable. La comteffe paflant ft vie dans une retraite abfolue , eft difpenfée de tout fofii : elle eft environnée de fes inférieur! ; c'eft k eux de chercher a lui plaire. L'ambidon feroit fa paffion dominante, fi elle pouvoit la fadsfaire : être ia maitrefte d'un Prince, gouverner en fon nom, ' ' Z4  ( 3to ) voir tout un royaume a fes pieds , feroit pour elle le paradis avec tous fes délices. Elle rêve donc inceflamment grandeur , élévation j c'eft fa chimère : elle voudroit la faire adopter aux autres. L'intrigue & la politiqiie ne 1'embarrafferoient point ; elle polfede le talent de démêler d'un coup-ri'ceil les gens qui 1'approchent, & de ne dire que ce qu'elle veut. Enfin elle fer ou tout-ada fois homme d'Êtat& jolie femme, Le pouvoir, fuivant elle , devroit être le partage de la beauté. La fienne 1'occupe conftamment, 8c fa parure eft une étude particuliere. Sa mife eft trcs-re.cherchée : au fpeétacie , elle attire tous les regirds, quoiqu'elle fe cache avec un peu trop d'aftëctation; & dans le grand nombre de femmes , il n'en eft pas une dont 1'enfemb'e foit femblable au fien. Eit-elle heureufe , demandera- t - on d'aprcs ce portrait f Non 5 ce vui 'e du coeur et incompadble avec la félicité, L'ennui s'eft glitfc dans 1'ame de la co«>  ( ) teffe; il altere fon humeur; il efface les graces de fon vifage & 1'éelat de fon teint; il dcnature les objets rians qui 1'environrrent. Ce qui lui plaifoit hier lui eft infipide aujourd'hui. Sa volonté commande ; on obéit , & c'eft pour contenter un caprice qui eft bientót remplacé par d'autres. Ne pouvant jouir de ce qu'elle convoite , elle en adopte le timulacre ; elle veut qu'on la croie dans la plus haute faveur j & méme dans les intrigues de la Cour. Son genre de vie eft donc de fuir tous les regards & de paroitre fe confacrer uniquement pour un feul objet; elle n'eft pas fachée qu'on le nomme, quoique fon orgueil dut en fouffrir, & voila le fon'ge bizarre dont elle amufe conftamment fon imagination ambitieufe & froide, Vainement lit-elle 1'hiftoire d'Agnès Sorel, de la Valiere , Fontange, la marqviifede Prie, la marquifede Pompadour, elle ne fera point ce qu'elle voudroit ét re.  C 36> ) C'efl par la parefle , dit Ia Bruyere , qne I'ennui eft entré dans le monde; Sc voila pourquoi tant de belles dames, a eommencer par la miemie, malgré les fpeclacles , le jeu , la table, les vifltes Sc la converfatiön , fe meurent d'cnnui. Elles ne font rien & ne favent rien faire; elles / n'ont aucun travail ni de corps ni d'ef• prit. Elles yetflent rafiner leurs plaifjrS ; elles n'ont plus que des gbuts blafés , Sc Ie retour monotone des mêmes diverdffemer.s eft un eerde oü elles ne peuvën't refter , Sc d'oü elles ne peuvent fortir Quand madame de Maintenon s'ccrioit: je ne peux plus terrir a la vie que je^ mene-, je voudrois ctre morte ; comme Ie néant des grandeurs humaines paroit dans tout fon jour I & comme il efl conftant que fans une occupation chere Sc fuivie, les jours font toujours longs , & les plaifirs toujours vains ! Je n'ai prefque pas connu I'ennui depuis que jé me fuis mis a compofer des  ( 3*3 ) livres. Si j'en ai canfé a mes Lecreurs, qu'ils me le pardonnent , car moi je me fuis fort amufé. L'hórhme n'exifte que par la penfée , & la bonne providence m'a accordé cette arme victorieufe contre le plus ctuel ennemi de 1'efpece humaine. Fin du Tome dou^ieme..  TABLE DES ARTICLES CONTEBUS DANS CE VoiDME. Pa ris ou la Thébaïde. Page I b/laurs douces. 6 Tolérance. 8 Affiches des Speclacles. 10 Poudre de Roi. 14. Se, ff, ff. 16 Le Trou du Souffleur. 2.5 Le Chateau d'Eau. 30 Vaiffelie. 3 3 Freres de la Charité. 35* Enclos des Chartreux. 4,0 Lettres épiftolaires. 4.6 Les grands Comédiens contre les petits. f I Le Séminaire des Trente-Trois. f6 L'Engaveur Julfifte encore. c8  ( 3 VHomme de 11 3 tf/jj. Confidérations de Vor. 6f Tems frolds , Corne te, 7 O Dialogue entre un Duc & un Comte. 75" Maquignon. 79 Enfans Abandonnés. 84 ffo^e/ 23 Trouvaille. 326 Adulation. 3-2