iUYRES D E J. J. ROUSSEAU. 7 0 M E SEIZ1EME.   S V P P LEM ENT A U X (E U V R E S D E JEAN-JAQUES ROUSSEAU, CONTENANT LES PIECES MANUSCllITES , PUBLIÉES APRÈS SA MOUT. T O M E Cl N Q U 1 E M E. A AMSTERDAM, Chez D. J. CHANGUION et BART H ELEMY VLAM. MDCCLXXXIV,   AVERTISSEMENT. Quand j'eus le malheur de vouloir parler au public, jeJèntis le befoin d'apprendre d écrire £f j'ofai m'effayer fur Tacite. Dans cette vue, entendant médiocrement le latin , & Jouvent n'entendant point mon auteur , j'ai dü faire tien des contre -fens particuliers fur fes penfées; maïs fi je n'en ai point fait un général fur fon efprit, j'ai rempli mon bat; car je ne cherchois pas d rendre les phrafes de Tacite, mais fon Jtyle, ni de dire ce qu'il a dit en la.' tin, mais ce qu'il eüt dit en frangois. Ce n'ejt donc ici qu'un travail d'écolier, j'en conviens, & je ne le donne quepour telice n'ejt de plus qu'un fimple fragment, un effai, j'en conviens encore; un fi rude joüteur m'a bientót laffé. Mais ici les effais peuvent être admis en attendani mieux , £f avant que d'avoir une bonne traduEtion complette , il faut fupporter encore bien des thèmes. C'efi une grande entrefrife qti'une pareille traduStion: quiconque en Jent affez la difficulté pour pouvoir la vaincre, perfévérera difficilement. Tout homme en état de fuivre Tacite ejt bientót tenté d'alkr f 'eul. Supplêm. Tom. V. A  C. CORNELII T A C I T I HISTORIARUM L I B E R L Initium mini operis Ser. Galba iterum , T. Vinius confules erunt. Nam poft conditam urfoem dcCi & x x. prioris a>vi annos multi aueitores retulerunt; dum res populi Romani memo•rabantur, pari eloquentia ac libertate, Poftquam bellatum apud A&ium, atque omnem poteftatem ad unum conferri pacis interfuit; magna illa iragenia ceflfere. Simul veritas pluribus modis infra&a ; primüm infcitia Reipublica; ut aliena:, mox libidine aflentandi, aut rurfus odio adverfus dominantes. Ita neutris cura pofteritatis, inter infenfos vel obnoxios. Sed ambitionem j'criptoris facile adverferis: obtreftatio & livor pronis auribus accipiuntur ,• quippe adulationi fcedum crimen fervitatis, malignitati falfa fpecies iibertatis inert. Mihi Galba, Otho, Vitellius, nee beneflcio nee injuria. cogniti. Dignitatem fioftram a Vefpafiano inchoatam, a Tito auctam, è Pomiciano longiüs proveclam non abnuerim; fed'incorruptam fidem profeflis, nee amore quifquam, & fine odio dicendus eft. Quöd fi vita fugpeditet, principatum divi Nerv» , & impe-  TRADUCTION DU PREMIER LIVRE DE L'HISTOIRE DE TACITE. J e commencerai eet ouvrage par Ie fecond confulat de Galba & 1'unique de Vinius. Les 720 premières années de Rome ont été décrites par divers auteurs avec 1'éloquence & la liberté dont elles étoient dignes. Mais après la bataille dAftium, qu'il fallut fe donner un maltre pouravoir la paix, ces grands génies difparurent. L'ignorance des affaires d'une république devenue étrangere a fes citoyens, le goüt effréné de la flatterie, Ia haine contre les chefs, altérerent la vérité de mille manieres ; .tont fut loué ou blamé par paffion fans égard pour Ia poftérité : mais en démèlant les vues de ces écrivains, elle fe prêtera plus volontiers aux traits de 1'envie & de la fatyre qui flatte la malignité par un faux air d'indépendance, qu'a Ia baffe adulation qui marqué la fervitude & rebute par fa lacheté. Quant a moi, Galba, Vitellius, ■Othon ne m'ont fait ni bien ni mal: Vefpafien commenca ma fortune, Tite 1'augmenta, Domitien 1'acheva, j'en conviens; mais un hiflorien qui fe confacre a la vérité, doit parler fans amour & fans haine. Que s'il me refte affez de vie, je réferve A z  4 Traduction du I. rium Tïajani, uberiorem fecurioremque materiam feneótuti fepofui : rara temporum felicitate, ubï fentire qus velis, & qua; fentias dicere licet. Opus aggredior opimum cafibus, atrox prosüis, difcors feditionibus, ipfa etiam pace fajvuin. Quatuor principes ferro interempti. Tria bella civilia, p'ura externa, ac plerumqus permixta profperas, in Oriente ; adverfa;, in Occidente res. Turbatum Illyricum, Gallis nutantes, perdomita Britannia, & ftatim amiffa,- coorts Sarmatarum ac Suevorum gentes, nobilitatus cladibus mutuis Dacus. Mota etiam propè Parthorum arma falfi Neronis ludibrio. Jam veró Italia novis cladibus , vel poft longam fuculorum feriem repetitis, afflifla. Haufta; aut obrutas urbes fecundifïïmaa Campania; ora. Urbs incendiis vaftata , confumptis aiitiquiffimis delubris, ipfo Capitolio civium manibus incenfo. Polluta; cerimonias; magna adulteria ; plenum exfiliis mare ; infefti casdibus fcopuli; atrocius in urbe fajvitum. Nobilitas, opes, omiffi geftique honores pro crimine, & ob virtutes certiffimum exitium. Nee minus praemia delatorum invifa quam fcelera: cum alii facerdotia & confulatus ut fpolia adepti, procurationes alii & interiorem potentiam, age* rent, verterent cunfta odio & terrore. Corrupti in dominos fervi, in patronos liberti: & quibus deerat inimicus, per amicos oppreffi,  L iv & e de TaciTé. 5 pour ma vieillefle Ia 'riche & paifible matiere des legnes de Nerva & de Trajan; rares & heureux tems oü 1'on peut penfer librement & dire ce que 1'on penfe ! J'entreprends une biftoire pleine de cataftrophes, de combats, de féditions, terrible mörr.ef durant la paix. Quatre empereurs égorgés, trois guerres civiles, plufieurs étrangeres & Ia plupart mixtes. Des fuccès en Oriënt, des revers en Occident, des troubles en Illyrïe,- Ia Gaule ébranlée, 1'Angleterre conquifev& d'abord abandonnée; les Sarmates & les Sueves commencant a fe montrer; les Daces illuftrés par de mutuelles défaites,- les Parthes joués par un faux Néron , tont prêts k prendrc les armes; 1'Italie, après les malheurs de tantr de fiecles, en proie a de nouveaux défaftres dans celui-ci; de» villes écrafées ou confumécs dans les fertiles régions de la Campmie; Rome' dévaftée per Ie feu, les plus anciens tenrpfes hrtilés, le capitole mètne livré aux flammes par leg mains des citoyens, le culte profané ,des adulteres publics, les mers couvertes d'exilés ,les ifles pleines de meurtres; des cruautés plus atroces dans Ia capitale oü les biens, le rang, Ia vie privée oa publique, tout étoit également imputé a crime & oit le plus irrémiffible étoit la venu. Les délateurs, non moins odieux par Ieurs fortunes que par leurs forfaits; les uns faifoient trophée du facerdoce & du confulat, dépouilles de leurs viétimes; d'autres tout-puiffans tant au-dedans qu'au-dehors, portant A 3  TliDUCTIOK I; Non tarnen adeö virtutum fterile faiculum, ue non & bona exempla prodiderit. Comitata; profugos liberos matres , fecuta; maritos in exfilia conjuges, propinqui audentes, conflantes generi, contumax etiam adverfus tormenta fervorum lïdes. Suprema; clarorum virorum neceflïtates, ipfa neceffitas- foititer tolerata , & laudatis antiquorum mortibus pares exitus. Prater multiplices rerum humanarum cafus , cxlo terraque prodigia , & fulminum monitus, & futurorum prsfagia, lzta, triffia, ambigua, manifefta. Nee. enim unquam atrocioribus populi Romani cladibus, magifve juftis judiciis approbatum eft, non efle curas deis fecuritatem noftram, effe ultionem. Ceterum antequam deftinata componam, repetendum videtur, qualis flatus urbis, qua: mensExercituum.quis habitus provinciarum, quid in toto. terrarum orbe validum,quid asgrum fuerit:ut non modó cafus eventufque rerum , qui plerumque, fortuiti funt.fed ratio etiam cauffeque nofcantur. Finis Neronis, ut laetus primo gaudentium in> netu fuerat, ica varios motus animorum , non modó in uibe apuJ patres, aut populum, aut m>  L i v r e de Tacite'. '1 partout le trouble, Ia haine & 1'efFroi: les maitres trahis par leurs efclaves, les patrons par leurs af-franchis; & pour comble, enfin, ceux qui man-quoient d'ennemis, opprimés par leurs amis mêmes.Ce fiecle fi fertile en crimes ne fut pourtant pas fans vertus. On vit des meres accotnpagner leurs enfans dans leur fuite, des femmes fuivrc leurs maris en exil, des parens intrépides, des gendres inébranlables, des efclaves mêmes a 1'épreuve des tourmens. On vit de grands hommes fermes dans toutes les adverfités, porter & quitter la vie avec une conftance digne de nos peres. A ces multitudes d'événemens humains fe joignirenf les prodiges du ciel & de la terre, les fignes tirés' de la fouire, les préfages de toute efpece , obfcurs; ou manifeftes, finiftres ou favorables. Jamais les* p!us triftes calamités du peuple Romain, jamaisles plus juftes jugemens du ciel' ne ffiefltferesjF avec tant d'évidence que fi les Dieux fongent a nous, c'efi: moins pour nous conferver que pour nous punir. Mais avant que d'entrer en matiere, pour dé-velopper les caufes des événemens qui femblent fouvent 1'efFet du^ hazard, il convient d'expofer' 1'ctat de Rome, le génie des armées, les mceur? des pro vinces, & ce qu'il y avoit de fain & de» corrompu dans toutes les régions du monde; Après les premiers tranfports excités 'par la mort de Néron, il s'étoit élevé des mouvemens divers non - feulement au fénat, parmi le peuple & A- 4,  8 Traduction du L barjum militem , fed omnes Iegiones ducefque, conciverat. Evu'gato imperii arcano, pofle principem alibi quam Romaj fieri. Sed patres la;ti, ufurpata ftatim libertate , licentiüs ut erga principes novum & abfsntem ; primores equitum proximi gaudio patrum; pars populi integra, & magnis domibus annexi clientes libertique damnatorum & exulum , in fpem erefti. Plebs ibrdida & circo ac theatiis fueta, fimul deterrimi fervorum , aut qui adefls bonis, per dedecus Neronis alebantur, ma:fti & rumorum avidi. Miles urbanus longo Caefarum facramento imbutus, & ad deftituendum Ntronem arte magis & impulfu; quam fuo ingenio traduftus, pofïquam neque dari donaiivum fub nomine Galba; promiflüm , neque magnis meritis ac pramiis eundem in pace qui in bello locum, prasventamque gratiam iutelligit, apud principem è Iegionibus facium; pronus ad novas res, fcelere infuper Nymphidii Sabini Pra:fecti imperium fibi molientis agitator. Et Nymphidius quidem in ipfo conatu oppreffus. Sed quamvis capite defeftionis ablato; manebat plerifque militum confcientia ; nee deerant fermones, fenium atque avaritiam Galba; increpantium. Laudata olim Sc militari faml celebrata feveritas ejus , angebat les  L I' V, Kt D E ï 1 C I T £. fes bandes précoriennes, mais entre tous les chefs & dans toutes les légions. Le fecret de 1'enipire' étoit enfin-dévoilé & 1'on voyoit que le prince pouvoit s'élire ailleurs que dans la capitale.- Mais le fénat ivre de joie fe preffoit, fous un nouveau1, prince encore éloigné, d'abufer de Ia liberté' qu'iJ venoit d'ufurper. Les principaux de 1'ordre équet tre n'étoient gueres moins contens. La plus faine partie du peuple qui tenoit aux grandes maifons, les cliens, les afftanchis des profcrits & des exilés fe iivroient a 1'efpérance. La vile populace qui ne bougeoit du cirque & des théatres, les efclaves perfides, ou ceux qui a la honte de Néron vrvoient des dépouilles des gens de bien, s'affligeoient &. ne cherchoient que des troublesi La milice de Rome de tout tems attachée aux Céfars , & qui s'étoit laiffée porter a dépofér Néron plus a force d'art & de follicitations que' de fon bon gré , ne recevants point le donatif pro> mis au nom de Galba, jugeant, de plus, que' les fervices & tes récompenfes militaires auroien.tr moins lieu durant la paix, & fe voyant prévenuedans la faveur du prince par les légions qui IV voient élu, fe livroit a fon penchant pour les nouv veautés , excitée par la trahifon de fom pwfisï Nymphidius qui afpiroit a 1'empire. Nymphidius périt d'ans cette entreprife; mais après- avuisr perdu le chef de la féditionfes complices ff* 1'avoient pas oubliée & glofoient fur la v'ieiilefïV & 1'avarice de Galba. Le bruit de fa fé vérité? ffli> A 5  ïO T l A-D V C T 10 N D U' li coafpernantes veterem difciplinam , atque ita; xiiii. annis-a Nerone affuefactos, ut haud minus vitia principum amarent,. quam olim virtutes ve* rebantur. Accefllt Galba; vox pro Republica honefta, ipfi anceps legi a fe militem, non emi, Nee enim ad hanc formam cetera erant.. Invalidum fenem T. Vinius & Gomelius La; co, alter deterrimus mortalium , alter ignaviffirous, odio flagitiorum oneratum , contemptu inertia; deftruebant. Tardum Galba; iter & cruenrum, interfeétis Cingonio Varrone confule defignato, & Petronio Turpiliano confulari; ille ut Nympbidii focius,.hic ut dux Neronis, inauditi atque indefenfi, tamquam innocentes perielant. Introïtus in urbem , trucidatis tot milibus inermium militum , infauftus omine, atque ipfis etiam qui occiderant, formidolofus. Inducta Iegione Hifpana, remanente ea quam è clafie Nero conferipferat,. plena urbs exercitu infolito; multi adhoc numeri è Germania ac BritanniL & ILIy, rico, quos idem Nero eleftos prajmiflbfque ad cluuftra Cafpiarum , & bellum quod in Albanos ■ parabat* opprimendis Vindicis cceptis revocavejrat: ingens novis rebus materia, ut non in unum aliquera prono favore, ita audenti parata. .  L' l'V R E D E T A C I T E; i'l lltaire, autrefois fi louée, alarmoit ceux qui oe pouvoient fouffrir 1'ancienne difcipline, &quatorze' .ans de relachement'fous Néron leur faifoient autant aimer les vices de leurs princes, que jadis ils^ refpectoient leurs vertus. On répandoit aufli' ce: mot de Galba, qui eüt fait honneur a ün prince-' plus libéral, mais qu'on interprétoit par fon hu-' meur: ,, Je fais choifir mes foldats & non less „• acheter." Vinius & Lacon, 1'un le plus vil & 1'autre lè' plus méchant des hommes, le décrioient par leur conduite & la haine de leurs forfaits retomboit1 fur fon indolence. Cependant Galba venoit len'j tement & enfanglantoit fa route. II fit mourir' Varron, conful défigné , comme complice de Nymphidius, & Turpiiien confulaire, comme général' de Néron. Tous deux , exécutés fans avöir été-' entendus & fans forme de procés, pafierentDoi»-' innocens. A fon arrivée, il fit égorger par' milfiers; les foldats défarmés; préfage funefte pour: föft': regne & de mauvais augure même airx meurttiersfLa légion qu'il amenoit d'Efpagne, jointe a celle que Néron avoit levée, remplirent'la ville dénouvelles troupes, qu'augmcntoient encore lésnom-breux détachemens d'Allemagne, d'Angletêrre-&d'Illyrie , choifis & envoyés par Néron aux-portésGafpiennes ,'oü il préparoit la guerre d'Albarfiev & qu'il avoit rappellés pour réprimer lès-mtoi#emens de Vindex. Tous gens a beaucoup-entrèprendre, fans chef encore, mais pröts a fervir'le premier audacieux. A» 6  12 Traduction nu I. Forte congruerat, ut Clodii Macri & Fontei"! Capitonis casdes nuntiarentur. Macrum in Africa haud dubiè turbantem , Trebonius Garucianus procurator, juiïii Galbae; Capitonem in Germania, cüm fimilia cosptaret, Cornelius Aquinus & Fabius Valens legati legionum interfecerant, antequam juberentur. Fuere qui crederent, Capitonem, ut avaritia & Iibidine fcedum ac maculofum , ita cogitatione rerum novarum abftinuiffe : fed a legatis bellum fuadentibus, poftquam impellere nequiverint, crimen ac dolum compofitum ultró : & Galbam mobilitate ingenii , an ne altiüs fcrutaretur, quoquo modo a&a, quia mutari non poterant , comprobafle. Ceterüm utraque caedes finiftre accepta: & invifo femel principe, feu bene feu malè fatta premunt. Jam afferebant venalia cunéta prajpotentes liberti, Servorum manus fubitis avidas, & tamquam apud fenem felïinantes; eademque nova; aulaj mak-, sequè gravia , non a;que excufata. Ipfa aitas Galbae , & irrifui & faftidio erat, affuetis ju* venta; Neronis, & imperatores forma ac decore sorporis (ut eft mos vulgi) comparantibus.. Et hic quidem Roms , tamquam in tan tl multiiudine,. habitus animorum fuit. E provin» «iis>,; Hifpaniaj pr$erat Cluvius Rufus;, vir fa»  L i v ii e be Tacite. i$ Par hafard, on apprit dans ce même tems les., ineurtres de Macer & de Capiton. Galba fit meltre i mort le premier par 1'intendant Garucianus, fur 1'avis certain de fes mouvemens en Afrique, & 1'autre commengant auffi a remuer en Allemagne fut traité de même avant 1'ordre du Prince parAquinus &Valens, lieutenans-généraux. Plufieurs erurent que Capiton, quoique décrié pour fon avalice & pour fa débauche, étoit innocent des trames qu'on lui imputoit, mais que fes lieutenans s'étant vainement efForcés de 1'exciter a la guerre T avoient ainfi couvert leur crime, & que Galba r fok par légéreté, foit de peur d'en trop appren* dre, prit le parti d'approuver une conduite qu'il ne pouvoit plus réparer. Quoi qu'il en foit, ces aiTaffinats firent un mauvais effet; car, fous un prince une fois odieux, tout ce qu'il fait, bien ou mal, lui atrire le même blame. Les afFran^ chis, tout - puiflans a Ia cour, y vendoient tout ; les efclaves ardens a profiter d'une occafion pafla* gere, fe hatoient fous un vieillard d'aflbuvir leur avidité. On éprouvoit toutes les calamités du regne précédent fans les excufer de même: il n'y avoit pas jufqu'a 1'age de Galba qui n'excitat la rifée & le mépris du peuple, accoutumé a la jeuneffe de Néron & a ne juger des princes que fur la figure. Telle étoit a Rome la difpofition d'efprit la plus générale chez une fi grande multitude. Dans les provinces, Rufus, beau parleur & bon chef A 2  i!+ Tub üct'roï' d v II- cundus, &, pacis artibus, belli inexpertus. Gall lis, fuper memoriam Vindicis, obligata; recenti. dono Romans civitatis , & in pofterum tributi levamento. Proxima; tarnen Germanis exercitibus Galliarum civitates , non eodem honore ha* bits;, qusdam etiam finibus ademptis, pari dolore commoda aliena ac fuas injurias metiebantur. Germanici exercitus, quod periculofifïïmum in: tantis viribus, foliciti & irati fuperbia recentis viétoria;, & metu, tamquam alias partes fovisfent. Tardè a Nerone defciverant: nee ftatim pro Galba Verginius ; an imperare voluifiet dubium delatum ei a milite imperium conveniebat. Fonteium Capitonem occifum , etiam qui queri non poterant, tarnen in dign a-ban tur. Dux deerat, abdu&o Verginio per fimulationem amicitia; ; quem non remittï , atque etiam reum effe, tamquam fuuro. crimen accipiebant. Superior exercitus Iegatum Hordeonium Flaccum fpernebat, fenecta ac debilitate pedum inval idum , fine conftantia , fine aucloritate: ne quieto quidem milite, regimen; adeö furentesififirmitate retinentis ultrö etiam accendebantur. luferioris Germaniaj legiones diutiüs fine con-  II i v k'e de Tacite. en tems de paix, mais fans expérience militaire,, commandoit en Efpagne. Les Gaules confervoient le fouvenir de Vindex & des faveurs de Galba , qui venoit de leur accorder le droit de bourgeoifie Romaine, & de plus, la fuppreffion des impóts, Gn excepta pourtant de eet honneur les villes voifines des armées d'Allemagne, & 1'on en priva même plufieurs de leur territoire; ce qui leur fit: fupporter avec un doublé dépit leurs propres pertes & les graces faites a autrui. Mais oü le danger étoit grand a proportion des forces, c'étoit: dans les armées d'Allemagne, fieres de leur récente viétoire, & craignant le blame d'avoir favorifé d'autres partis ; car elles n'avoient. abandonné Néron qu'avec peine ; Verginius ne s'étoit pas d'abord déclaré pour Galba, & s'il étoit douteux qu'il etit afpiré a 1'empire, il étoit fur que 1'armée le lui avoit offert: ceux même qui ne prenoient aucun intérêt a Capiton, ne laiflöient pas de murmurer de fa mort. Enfin Verginius ayant été rappellé fous un faux - femblant d'amitié, les troupes^ privées de leur chef, Ie voyant retenu & accufé, s'en offenfoient comme d'une accufation tacite contre elles-mêmes. Dans la haute Allemagne, Flaccus, vieiïlard: infirme, qui pouvoit a peine fe foutenir, & qui n'avoit ni autorité, ni fermeté, étoit méprifé de 1'armée qu'il commandoit; & fes foldats, qu'il ne pouvoit contenir même en plein repos, animés par fa foiblefle, ne connoiffoient plus de frein,  i6 TjiDoCUeN du L fulari fuere : donec , rnifiu Galba; , Vitellius' aderat, cenforis Vitellii ac ter confulis films. Id fatis videbatur. In Britannico exercitu nihil irarum. Non fanè alias legiones per omnes eivilium bellorum motus, innocentiüs egerunt: feu quia proeul, & Oceano divifie ,• feu, crebris expeditionibus, docta; hoftem potiüs odiffe. Quies & Illyrico : quamquam excitae a Nerone legione9, dum in Italia cunctantur, Verginium legationibus adiffent. Sed longis fpatiis difcreti exercitus, quod faluberrimum eft ad continendam militarem fidem, nee vitiis nee viribus mifcefeantur. Oriens adhuc immotus. Syriam & quatuör legiones obtinebat Licinius Mucianus, vir fecundis adverfifque juxta famofus. Infignes amicitias juvenis ambitiofè coluerat; mox atteritis opibus>, lubrico ftatu , fufpefta etiam Claudii iracundia in fecretum Afia; repofitus, tam propè ab exfule fuit, quam poftea a principe. Luxuri^, induftria , comitate , arrogantia, malis bonifqvie artibus mixtus,- nimia; voluptates, cüm vacaret: quoties expedierat, rnagnas virtutes. Palam laudares , fecreta malè audiebant. Sed apud fubjectos, apud proximos , apud coliegas, variis iüecebris potens: & cui expedicius fuerit tradere  Livre de Tacite. 17 Les légions de la bafte Aliemagne refterent longtems fans chef confulaire; enfin Galba leur donna Vitellius, dont Ie pere avoit été cenfeur & trois fois conful; ce qui parut fufrifant. Le calme regnoit dans 1'armée d'Angleterre, & parmi tous ces mouvemens de guerres civiles, les légions qui la compofoient, furent celles qui fe comporterent le mieux , foit a caufe de leur éloignement & de la mer qui les enfermoit, foit que leurs fréquentes expéditions kur apprifient a ne haïr que 1'ennemi. L'Myrie n'étoit pas moins paifible, quoique fes légions appellées par Néron euffent, durant leur féjour en Italië, envoyé des députés a Verginius. Mais ces armées, trop féparées pour unir leurs forces & mêler leurs vices, furent, par ce falutaire moyen, maintenues dans leur devoir. Rien ne remuoit encore en Oriënt. Mucianus, homme également célebre dans les fuccès & dans les revers, tenoit la Syrië avec quatre légions. Ambitieux dés fa jcuneïïe , il s'étoit Hé aux grands; mais bientót voyar.t fa foriune difïïpée , fa perfonne en danger, & fufpeclant la colere du prince, il s'alla cacher en Afie, aufli prés de l'exil' qu'il fut enfuite du rang fuprême. Uniflant la mollefle a l'aftivité, la douceur & 1'arrogance les talens bons & mauvais, outrant la débauche dans 1'oifiveté , mais ferme & courageux dans 1'occafion; eftimable en public , bfamé dans fa vie privée; enfin fi féduifant, que fes inférieurs, fes  ï8 Traduct'ioit nu ï. imperium , quam obtinere. Bellum Judaicum' Flavius Vefpafianus (ducem eum Nero delegerat) tribus legionibus adminiflrabat. Nee Vefpafiano adverfus Galbam votum , aut animus. Quippe T. filium ad venerationem cultumque ejus miferat , ut fuo loco memorabimus. Occulta lege fati, & oftentis ac refponfis deftinatum Vefpafianoliberifque ejus imperium , poft fortunam credidimus. .ffigyptum copiafque quibus coërceretur , jamInde a divo Augufto , equites Romani obtinent loco regum. Ito vifüm expedire, provinciam aditu difficilem, annona: fecundam, ftperftitione, ac lafci.via difedrdem & mobilèffl, infeiam legum , ignaram magiftratuum , domi retinere; Regebat turn Tiberius Alexander ejufdem nationis. Africa, ac legiones in ea, interfecto Clo*dio Macro, contenta qualicumque principe, poft experimentum domini minoris. Dua; MauretaniaD, Rhcetia, Noricum, Thracia, & qua; alias' procuratoribus cohibentur , ut cuique exercitui vicina; , ita in favorem aut odium contaftu valentiorum agebantur. Inermes provincie , atque ipfa in primis Italia, cuicumque fervitio expofita;, in pretium belli ceffura: erant. Hic fuit rerum Romanorum flatus, cüm Ser. Galba iterum, Titus Vinius confules, inchoavere annumfibi oltimum, Reipublicx propè fupremum..  L r v r e n e Tacite. 15 proches ni fes égaux ne pouvoient lui réiifrer," il lui étoit plus aifé de donner 1'empire que de 1'ufurper. Vefpafien choifi par Néron faifoit la guerre en Judée avec trois légions, & fe montra fi peu contraire a Galba, qu'il lui envoya Tite fon fils pour lui rendre hommage & cultiver fes bonnes graces, comme nous dirons ci-après. Mais leur deflin fe cachoit encore, & ce n'eft qu'après 1'événement qu'on a remarqué les fignes & les oracles qui promettoient 1'empire a Vefpafien cc a fes enfans. En Egypte, c'étoit aux chevaliers Eomains ,. au lieu des rois, qu'Augufte avoit confié le commandement de la province & des troupes; précaution qui parut néceiTaire dans un pays abon* dant en bied, d'un abord difficile , & dont Ie peuple changeant & fuperftitieux ne refpefle. ni magiftrats ni loix. Alexandre, Egyptien , gouvernoit alors ce royaume. L'Afrique & fes légions , après la mort de Macer , ayant fouiTert la domination particuliere, étoient prêtesa fe donner au premier venu. Les deux Mauritanies, la Rhétie, la Norique, la Thrace, & toutes les nations qui n'obéiflbient qu'a des intendans, fe tournoient pour ou contre felon Ie voifinage des armées & 1'impulfion des plus puiiTans. Les provinces fans défenfe, & furtout 1'Italie, n'avoientpas même Ie choix de leurs fers & n'étoient que le prix des vainqueurs. Tel étoit 1'état de 1'empire Romain, quand Galba, conful pour la deuxieme  20 TSADÜCTIOK DU I. Paucis poll Kalendas Januarias diebus, Pompeii Propinqui procuratoris, è Belgica littera; afferuntur, fuperioris Germania; legiones, rupta facramenti reverentia , imperatorem alium fiagitare, & Senatui ac Populo Romano arbitrium eligendi permittere, quo feditio mollius acciperetur. Maturavit ea res confilium Galba;, jam pridem de adoptione fecui» & cum proximis agitantis. Non fanè crebrior tota civitate fermo per illos menfes fuerat; primüm licentia ac libidine talia loquendi, dein feffa jam setate Galba;. Paucis judicium , aat Reipublica; amor ; multi occulta fpe; prout quis amicus vel cliens, hunc vel illum ambitiofïs rumoribus deftinabant, etiam in T. Vinii odium; qui in dies quanto poten tior, eodem a£tu invifior erat. Quippe hiantes in magna fortuna amicorum cupiditates, ipfa Galba; facilitas intendebat : cüm apud infirmum & credulum minore metu, & majore prasmio peccaretur. Potentia principatus divifa in T. Vinium confulem, & Cornelium Laconem prastorii prsfectum. Nee minor gratia Icelo Galba; liberto, quem annulis donatum equeftri nomine Martianum vocitabant. Hi difcordes, & rebus minoribus fibi quifque tendentes, circa confilium eli-  Livre de Tacite. 21 fois, & Vinius fon collegue, commencerent leur derniere année & prefque celle de Ia république. Au commencement de Janvier, on recut avis de Propinquus, intendant de la Belgique, que les légions de Ia Germanie fupérieure, fans refpeft pour leur ferment, demandoient un autre empereur,& que pour rendre leur révolte moins odieufe, elles confentoient qu'il fut élu par le fénat & le peuple Romain. Ces nouvelles accélérerent 1'adoption dont Galba délibéroit auparavant en Iuimême & avec fes amis, &dont le bruit étoit grand dtpuis quelque tems dans toute la ville , tart par Ia iicence des nouvelliftes, qu'a caufe de I'age avancé de Galba. La raifon, 1'amour de la patrie dictoient les vceux du petit nombre; mais la multitude paflionnée nommant tantót 1'un , tantót 1'autre, chacun fon protcfteur ou fon ami, confultoit uniquement fes defirs fecrets ou fa haine pour Vinius, qui, devenant de jour en jour plus puiffant, devenoit plus odieux en même mefure; car, comme fous un maitre infirme & crédule, les fraudes font plus profitables & moins dangereufes, Ia facilité de Galba augmentoit 1'avidité des parvenus, qui jnefuroient leur ambition fur leur fortune. Le pouvoir du prince étoit partagé entre le conful Vinius & Lacon, préfet du prétoire. Mais Icelus, affranchi de Galba, & qui ayant recu Pan» «eau, portoit, dans 1'ordre équeftre, le nom de Marcian , ne leur cédoit point en crédit. Ces favoris, toujours en difcorde, .& jufques dans les  ai Tradüction du I. gendi fucceflbris in duas faótiones fcindebantur. 'Vinius pro Othone, Laco atque Icelus confenfu non taai unum aliquem fovebant, quam alium. Neque erat Galbx ignota Othonis ac T. Vinii amicitia, ex rumoribus nihil filentio tranimittentium : qu:a Vinio vidua filia, cajlebs Otho, gener ac focer deftinabantur. Credo & Reipublica: curam fubiiTe, fruftra a Nerone tranflata;, fi apud Othonem relinqueretur; namque Otho pueritiam incuriofè, adolefcentiam petulanter egerat, gratus Neroni asmulatione luxus. Eoque jam Poppa>am Sabinam principale fcortum, ut apud confcium libidinum depofuerat , donec Oftaviam uxorem amoliretur. Mox fufpeclum in eadein Poppaja in provinciam Lufitaniam fpecie legationis fepofuit. Otho, comiter adminiftrata provincia, primus in partes tranfgreiTus, nee fegnis, & donec bellum fuit , inter prajfentes fplendidiffimus , fpem adoptionis ftatim conceptam , acrius in dies rapiebat: faventibus plerifque miIitum, prona in eum aula Neronis ut fimilem. Sed Galba, poft nuntios Germanica; feditionis, quamquam nihil a Ihuc de Vitellio certum, anxius quónam exercituum vis erumperet.  Livre de Tacite, *3 moindres chofes, ne confultant chacun que fon intérêt, formoient deux faftions pourle choix du fucceff.ur a 1'empire. Vinius étoit pour Othon. Icelus & Lacon s'unifïbient pour lerejetter, fane en préférer un autre. Le public, qui ne fait rien taire, ne laiffoit pas ignorer a Galba 1'amitié d'Othon & de Vinius, ni 1'alliance qu'ils projettoient entr'eux par le mariage de la fille de Vinius & d'Othon, 1'une veuve & 1'autre gSrcon; mais je crois qu'occupé du bien de 1'état, Galba jugeoit qu'autant eut valu laiffer a Néron 1'empire, que de le donner a Othon. En effet, Othon négligé dans fon enfance, emporté dans fa jeuneiTe, fe rendit fi agréable a Néron par 1'imitation de fon luxe, que ce fut a lui, comme affocié a fes débauches, qu'il confla Poppée, la principale de fes courtifannes, jufqu'a ce qu'il fe füt défaitde fa femme Oftavie; mais le foupconnant d'abufer de fon dépot, il le relégua en Lufitanie, fous Ie nom de gouverneur. Othon ayant adminiftré fa provinee avec douceur, pafla des premiers dans Ie parti contraire, y mon tra de I'adtivité; & tant que la gucrre dura, s'étant diftingué par fa magnificence , il concut tout d'un coup 1'efpoir de fe faire adopter; efpoir qui devenoit chaque jour plus ardent, tant par la faveur des gens de guerre, que par celle de la cour de Néron, qui comptoit le retrouver en lui. Mais fur les premières nouvelles de la fédition d'Allemagne, & avant que d'avoir rien d'aiTuré du cöté de Vitellius, 1'incertitudj de Galba fur  24 Teadüction du ï. ne urbano quidem militi confifus, quod remedium unicum rebatur, comitia imperii tranfigit. Adhibitoque fuper Vinium, ac Laconem , Mario Celfo confule defignato, ac Ducennio Gemino prsfefto urbis, pauca prafatus de fua fenecïute, Pifonem Licinianum accerfiri jubef feu propria dileftione, five, ut quidam tradiderunt, Lacone inftante; cui apud Rubellium Plautum exercita cum fone amicitia ; fed callidè ut ignotum fovebat, & profpera de Pifone fama confilio ejus fidem addiderat. Pifo M. CraiTo & Scribonia genitus, nobilis utrimque, vultu habituque moris antiqui, & asftimatione recta feverus, deterius interpretantibus triftior habetur. Ea pars morum ejus, quo fufpeftior folicitis, adoptanti placebat. Igitur Galba apprehenfa Pifonis manu , in hunc modum locutus fertur. Si te privatus, lege curiata apud Pontifices, ut moris ejl, adoptarem; £f mihi egregium erat tune, Pompeii {ff M. Craffi fobolem in penates meos adfeifcere; £f tibi injigne, Sulpida ac Lutatice decora, nobüitati tuce aljecifle. Nunc me deorum hominumque confenfu ad imperium vocatam, praclara indoles tua, amor patrice impulit, ut principdtum, de quo majores nqftri arm-'s certabant, bello adeptus, quiefcenti offeram; txemp'o divi Augujli, qui Jororis filium Marcellwn, dein geiierum Agrippam, mox nepotes fuos, pojlrmè Ti' les  Livre de Tacite. 25 fes lieux oü tomberoit 1'efFort des armées & la défiance dfes troupes mêmes qui étoieut a Rome, le déterminerent a fe donner un collegue a 1'empire, comme a 1'nnique parti qu'il crüt lui refter a prendre. Ayant fonc afilmblé avec Vinius & Lacon , Celfus , conful défigné, & Geminus. préfet de Rome, après quelques difcours fur fa vieillelTe, il fit appeller Pifon, foit de fon propre mouvement, foit felon quelques-uns, a 1'inftigation de Lacon , qui, par le moyen de Plautus, avoit lié amitié avec Pifon; & le portant aJroitement fans paroitre y prendre intérêt, étoit fecondé par la bonne opinion publique. Pifon, fils de Crafllis & de Scribonia, tous deux d'illuftres maifons, fuivoit les moEurs antiques; homme aufïere a le juger équitablement, trifte & dur felon ceux qui tournent tout en mal , & dont 1'adoption plaifoit a Galba, par le cóté même qui choquoit les autres. Prenant donc Pifon par Ia main , Galba \ai paria, dit - on , de cette maniere: „ Si, comme par^ „ ticulier je vous adoptois, felon 1'ufage, par d&„ vant les pontifes, il nous feroit honorable, a ,, moi, d'admettre dans ma familie un defcendant „ de Pompée & de CralTus; i vous, d'ajoucer a ,, votre nobleffe celle des maifons Lutatienne & „ Sulpicienne. Maintenant, appellé a 1'empire, „ du confentement des dieux & des hommes, Pa„ mour de la patrie & votre heureux naturel me „ portent a vous ofFrir au fein de la paix ce pou„ voir fuprême que Ia guerre m'a donné, & que Supplém. Tom. V.  £5 Traduction du I. krium Neroncr.i ptivignum, in p'roximo fibifajligio co'docavit. Sed Auguftus in domo fuccejforem quafivit; ego, in Republicd. Non quia propinquos aut Jocios belli non habeam : fed neque ipje imperium amlntione accepi ö5 judicii mei documentum fint, non mece tantum necefjttudines, quas tibi poft po/ui, fed £f twz. Eft tibi frater pari nobilitate, natu major, digr.us hacfortund, nifi tu potior ejfes. Ea cetas tua, qaee cupidkates adolfcentice jam effugerïl: ea vita , in qud nihil preteritum excuftindum habeas. Fortunam adhuc tantum adverfam tulifti. Secunda res acrioribus ftimulis animos explorant: quia miferia tolerantur felicitate corrumpimur.' Fidem , libertatem, amicitiam, pracipua humani animi bom, tu quidem eddem confiantid retinebis : fed alii per ohfequium imminuent. Irrumpet adulatio, blanditice prjfimum véri affeclus venenum , fua cuique utilitas. Etiam ego ac tu fimpHciffunè inter nos hodie loquimur; etteri, libentiiis cum fortund noftrd, quam nobtfeum. Nam fuadere principi quod oporteat, multi laboris ; affentatio erga principem quemcumque fine affeiïu pcragitur.  Livre de Tacite. 27 ,, nos ancêtres fe font difputés par les armes. „ C'eft ainfi que Ie grand Augufte mit au premier „ rang après lui, d'abord fon neveu Marcellus, „ enfuite Agrippa fon gendre, pms fes petits-fils, „ & enfin Tibere Sis de fa femme /mais Augufte „ choifit fon fucceffeur dans fa maifon; je choifis „ le mien dans Ia république; non que je manque „ de proches ou de compagnons d'armes; mais je „ n'ai point mo'f-même brigué 1'empire; Sc vous „ préférer a mes parens & aux vötres, c'eft mon,, trer aflez mes vrais fentimens. Vous avez un „ frere illuftre , ainfi que vous, votre alné & „ digne du rang oü vous montez, fi vous ne 1'é,. tiez encore plus. Vous avez paiTé fans reproche ,, 1'age de la jeunefle & des paflïons. Mais vous n'avez foutenu jufqu'ici que Ia mauvaife fortune; il vous refte une épreuve plus dangereufe i „ faire en réfiftant a la bonne : car 1'adverfité „ dcchire 1'ame; mais le bonheur la corrompt. „ Vous aurez beau cultiver toujours avec la même „ conftance 1'amitié, Ia foi, la Iiberté, qui font les „ premiers biens de 1'homme; un vain refpect les „ écartera malgré vous. Les flatteurs vous acca„ bleront de leurs faulTes carefles, poifon de la „ vraie amitié, & chacun ne fongera qu!a fon in„ ■ térêt. Vous & moi, nous parions aujourd'hui „ 1'un a 1'autre avec fimplicité; mais tous s'adres„ feront a notre fortune plutót qu'a nous; car on j, rifque beaucoup a montrer leur devoir aux „ princes, & rien a leur perfuader qu'ils le font.  2g Traduction du L Si immenjum imperii corpus ftare ac librari fine reïtore poffet, dignus erom, a quo refpublica mcu peret. Nunc eo necejjhatis jampridem ventum ejl, w nee mea fmeiïus conferre plus Populo Romano pojjit quam fuccejforem, nee tua plus juventa , quam bonum priacipem. Sub Tiberio , Caio, Ciaudlo, unius familice quafi hereditas fuimus: loco libenatis erk , quod eligi capimus. Et finka Juliorum Claudiorumque domo, optimum quemque adoptio inveniet. Nam generari & nafci d principibus, foitukum, nee ultra ceftimatur: adoptandi judicium integrum; £5? fi velis eligere, covfenju monfiratur. Sk ante oculos Nero , quem longd Gefarum ferie tumentem, non Vindex cum inermi provincid, aut ego turn und legione ; fed fua immanitas, fua luxuria cervkibus publicis depukre, Neque erat adhuc damnati principis exemplum. Nos bello, ab aefiimarttibus afeki, cum invidid quamvis, egregii erimus. Ne tarnen territus fueris, fi dua legiones in hoe covcuffi or'ois motu nondum qukfeunt. Ne ipfe quidem ad fecuras res accefji: £f auditd adoptïone, definam videti fenex, quod nunc mihi unum objicitur. Nero a pefiïmo quoque femper defiderabitur : mihi ac tibi providendum ejl, ne etiam a bonis defidetetur. Monere diutius, neque temporis hujus, fff impletum ejl omne rconfilium, fi te bene elegi. UtiUffimufque idem ac brtviffunus bonarum malirumque rerum deleüus ejl, cogitare quid aut volueris fub alio principe, aut nolueris. Neque enim Mc, ut in ceteris gentibus auce regmntur, certa  Livre de Tacite. 29 „ Si la maffe immenfe de eet empire eut pu », garder d'elle-même fon équilibre, j'é'ois di„ gne de rétablir la république; mais depuis Iong„ tems les chofes en font a tel point, que tont ,, ce qui refte a faire en faveur du peuple Ro„ main, c'eft, pour moi, d'employer mes der„ niers jours a lui choifir un bon maltre , & pour „ vous, d'être tel durant tout le cours des vó„ tres. Sous les empéreurs précédens 1'état n'étoit „ 1'héritage que d'une feule familie ,• par nous le „ choix de fes chefs lui tiendra lieu de liberté : „ après l'extinétion des Jules & des Claudes 1'a„ dopt on refte ou verte au plus digne. Le droit „ du fang & de la naiffance ne mérite aucune „ eftime & fait un prince au hazard : mais 1'a„ doption permet le choix & la voix publique „ 1'indique. Ayez toujours fous les yeux le fort „ de Néron, fier d'une longue fuite de Céfars; „ ce n'eft ni le pays défarmé de Vindex, ni Fu„ nique légion de Galba, mais fon luxe & fes „ cruautés qui nous ont délivrés de fon joug, „ quoiqu'un empereur profcrit fut alors un évé„ nement fans exemple. Pour nous que Ia guerre „ & 1'eftime publique ont élevés, fans mériter „ d'ennemis , n'efpérons pas n'en point avoir: „ mais après ces grands mouvemens de tout 1'uni„ vers , deux légions émues doivent peu vous „ effrayer. Ma propre élévation ne fut pas tran„ quille, & ma vieilleffe, Ia feule chofe qu'on „ me reproche, difparóitra devant celui qu'on a B 3  3« Traduction du I. dcminorum domus, & citeri fervi : fed imperaturus es hominibus, qui nee totam fervitutem pati pojfur.t, ree totam libertatem. Et Galba quidem, hajc ac talia , tamquam principem faceret , ceteri tamquam cum fafto loquebantur. Pifonem ferunt ftatim intuentibus, & mox conjeftis in eum omnium oculis, nullum turbati , aut exfultantis animi motum prodidiile. Sermo erga patrem imperatoremque reverens, de fe moderatus , nihil in vultu habituque mutatum : quail imperare poffet magis , quam vellet. Confultatum inde , pro roftris , an in fenatu , an in caftris adoptio nuncuparetur. Iri in caftra placuit : honorificum id militibus fore , quorum favorem ut largitione & ambitu malè acquiri, ita per bonas artes haud fpernendum. Circumfteterat interim palatium publica exfpectatio magni' fecreti impatiens , &  Livre de Tacite. 31 „ choifi pour la foutenir. Je fais que Néron fera „ toujours regretté des mcchans, c'eft a vous & „ a moi d'empêcher qu'il ne le foit auffi des gens „ de bien. II n'eft pas teins d'en dire ici davan. ,, tage, & cela feroit fuperflu fi j'ai fait en vous ,, un bon choix. La plus fimple & la meilleure „ regie a fuivre dans votre conduite, c'eft de „ chercher ce que vcus auriez approuvé ou blamé „ fous un autrè prince. Songez qu'il n'en efl: pas „ ici comme des monarchies, oü une feule familie „ commande & tout le refte obéit , & que vous „ allez gouverner un peuple qui ne peut fuppor,, ter ni une fervitude extréme, ni une entiere „ liberté". Ainfi parloit Galba en homme qui fait un fouverain, tandis que tous les autres prenoient d'avance le ton qu'on prend avec un fouverain déja fait. On dit que de toute 1'affemblée qui tourna les yeux fur Pifon , même de ceux qui 1'obfervoient a deiTein , nul ne put remarquer en lui la moindre émotion de plaifir ou de trouble. Sa réponfe fut refpeftueufe envers fon empereur & fon pere, nio. defte a 1'égard de lui-même; rien ne parut changé dans fon air & dans fes manieres, on y voyoit plutöt le pouvoir que la volonté de commander. On délibéra enfuite fi b cérémonie de 1'adoption fe feroit devant le peuple, au fénat', ou dans Ie camp. On préféra le camp pour faire honnetir aux troupes, comme ne voulant point acheter leur faveur par la flatterie ou a prix d'argent, ni déB 4  3* Traduction du i, malè coërcitam famam fupprimentes augebaat. Quartum Idus Januarias feedum imbribus diem, tonitrua & fulgura & ccelelïes mina; ultra folitum tuibaverant. Obfervatum id antiquiius comitiis dirimendis , non terruit Galbam quo minus in caftra pergeret: contemptorem talium ut fortuitorum, .feu qua; fato manent, quamvis fignificata, non vitantur. Apud frequentem militum concionem, imperatoria brevitate, adoptari a fe Pifonem, more divi Augufti, & exemplo militari , quo vir virum legeret, pronunciat : ac ne diflitnulata feditio in majus crederetur, ultrö alTeverat, quartam & duo vicefimam legiones, paucis feditionis aucloribus, non ultra verba ac voces erraiïe, & brevi in officio fore. Nee ullum orationi aut lenocinium addit, aut pretium. Tribuni tarnen centurionefque , & proximi militum , grata auditu refpondent; per ceteros ma;ftitia ac filentium , tamquam ufurpatam etiam in pace donativi neceflitatem, bello perdidiffent. Conftat potuiiTe conciliari aninjos quantulacumque parci fenis liberalitate. Nocuit antiquus rigor & nimia feveritas, cui jam pares non fum«5. daignet  L i v a e * e T a c i t e. 3s cfaigner de 1'acquérir par les moyens honnêtes. Cependant le peuple environnoit le palais, impatient d'apprendre Pimportante affaire qui s'y traiCöiï en fecref, & dont' le brüit s'augmentoi't encore par les vains efforts qu'on faifoit pour 1'étouffer. Le dix de Janvier le jour fut obfcurci par de grandes pluics accompagnées d'éclairs, de tonnerres & de fignes extraordinaires du courroux célefte. Ces préfages,qui jadis euffenfrompu les comices, ne détournerent point Galba d'aller au camp; foit qu'il les méprifat comme des chofes förtuites, foit que les prenant pour des fignes réels il en jugeat lVvénement inévitable. Les gens de guerre étant donc afTemblés en grand nombre, il leur dit dans un difcours grave & cöncis, qu'il adóptoit Pifon a 1'exemple d'Augufte, & fuivant 1'ufage militaire qui laiffe aux- généraux le choixde leurs lieutenans. Puis, de peur que fon filence au fujet de la fédition ne la fit croire plus dangereufe, il afïlira fort que n'ayant été Formée dans la quatrienle & la dix-huitieme légion que par1 un petit nombre de gens, elle s'étoit bornée a des murmures & des paroles , & que dans peu tout feroit pac-ifié. II ne mêla dans fon difcours ni'flatteries ni promefTes. Les tribuns, les centurions & quelques foldats votfins applaudirent, mais tout le refte gardoit un morne filence, fe voyant privés dans la guerre du donatif qu'ils avoient même exigé durant la paix. II paroit que la moindie libéralfté' arracb'ée a i'3uftere parcimonie de ce vieillard eüt pu lui cotiB 5  34 Traduction du I. Inde apud fenatum non comptior Galba;, 5:on longior quam apud militcs iermo : Pifonis comis oratio. Et patruin favor aderat, multi voluntate effufius, qui noluerant mediè, ac plurimi obvio obfequio privatas fpes agitantes, fine publica cura. Nee aliud fequenti quatriduo (quod medium inter adoptionem & caidem fuit) dittum. a Pifone in publico, factumve. Crebrioribus in dies Germanicae defectionis nuntiis, & facili civitate ad accipienda credendaque omnia nova, cum triftia funt; cenfuerant patres mittendos ad Germanicum exercitum legatos, agitatum fecreto , num & Pifo proficifcerttur, jnajore pratextu : illi au&oritatem fenatus, hic dignatiönem Cxfaris latmus. Placebat & Laconem prastorii prasfectum fimul mitti. Is confilio interceflit. Legati quoque (nam fenatus eleftionem Galba; permiferat) feeda inconfiantia nominati, excufati, fubftituti, ambitu remanendi aut eundi, ut quemque metus vel fpes impulerat. Proxima pecunia; cura. Et cunfta fcrutantibus juftiffimum vifum eft inde repeti, ubi ino-  Livre j>e Tacite. 35 cilier les efprits. Sa perte vint de cette antique loideur & de eet excès de févérité qui ne conTient plus a notre foiblefle. De-la s'étaut rendu au fénat, il n'y paria ni moins fimplement, ni plus longuement qu'aux foldats. La harangue de Pifon fut gracieufe & bien xeque; pluiieurs le félicitoient de bon cceur; ceux qui 1'aimoient le moins, avec plus d'affectatïon t & le plus grand nombre par intérot pour eux-mêmes, fans aucun fouci de celui de i'état. Durant les quatre jours fuivans qui furent 1'intervalle entre 1'adoption & la motc de Pifon, il ne fit ni nc dit plus rien en public. Cependant les fréquens avis du progrès de Ia défeftion en Allemagne, & la facilité avec la. quelle les mauvaifes nouvelles s'accréditoient a Rome , engagerent le fénat a envoyer une deputaties aux légions révoltées; & il fut mis fecrétement en délibération, fi Pifon ne s'y joindroicpoint lui - même pour lui donner plus de poids , en ajoutant la majefté impériale 2 1'autorité du fénat. On vouloit que Lacon, préfet du prétoire, fut aufïï du voyage; mais il s'en excufa. Quant • aux députés, le fénat en ayant laifFé le choix è Galba, on vit, par la plus honteufe inconftan.ee, des nominations, des refus, des fubftitutions . des briguss pour aller ou pour demeurer, felon I'efpoir ou la crainte dor.t chacun étoit agité. Enfuite il fallut chercher de 1'argent; &, tout bien pefc , il parut trés jufte que I'état eüt pecóurs, B 6  36 Tradtjctictn du L pis caulTa erat. Bis & vicies mille feftertiumo donationibus Nero efFuderat. Appellari fingulos;, juffit, decuma paite liberalitatis apud quemque eorum reli&a. At illis vix decuma; fuper portiones erant: iifdem erga aliena fumptibus, quibus fua prodegerant, cum rapaciffimo cuique ac perditifllmo, non agri , aut fcenus , fed fola, inftrumenta vitiorum manerent. Exa&ioni xxx.. equites Romani prapofiti, novum officii genus & ambitu ac numero onerofum : ubique hafta,. & fector , & inquieta urbs auctionibus. Attamen grande gaudium, quod tam pauperes forent quibus donaffet Nero , quam quibus abftuliiTet.. Exauctorati per eos dies. tribuni , è pra;torio Antonius Taurus, & Antonius Nafo: ex urbanis; cohortibus: iEmilius Pacenfis : è vigiliis , Julius Fionto. Nee remedium in ceteros fuit,. fcd metus initium : tamquam per artem & formidinem finguli pellerentur, omnibus fufpeótis.. Interea Othonem, cui compofitis rebus nulla • fpes, omne in turbino confilium, multa fimuL ex(limulabant>; luxuria etiam principi onerofa, inepia vix privato toleranda, in Galbam ira, in ■ Fifenem invidia; Fingebat & metum, quo magis concupifceret. Pmgravem fe Neroni fuiffe ; nee Lufitamam, rurfus aut alterius exjïüi lunorem. ex--  LlTBE D E TAGITE. Jjr a ceux qui I'avoient appauvri. Les dons verfés par Néron montoient a plus de lbixante millions. 11 fit donc citer tous les donataires, leur redemandant les neuf dixiemes de ce qu'ils avoient recu , & dont a peine leur reftoit-il 1'autre dixieme partie : car, également avides & diffipa* teurs, non moins prodigues du bien d'autrui que du leur, ils n'avoient confervé, au lieu de terres & de revenus, que les inftrumens ou les vices qui avoient acquis & confumé tout cela. Trente chevaliers Romains furent prépofés au recouvrement ; nouvelle magiftrature , onéreufe par les brigues & par Ie nombre. On ne voyoit que ventes, huifliers; & le peuple, tourmenté pars ces vexations, ne laifibit pas de fe réjouir de voir ceux que Néron avoit enrichis, aufli pauvres, que ceux qu'il avoit dépouillés. En ce même tems, Taurus & Nafon, tribuns prétoriens, Paccnfis tribun des milices bourgeoifes & Fronto tribun du guet ayant été caiTés, eet exemple fervit moins a contenir les officiers qu'a les. effrayer., & leur fit craindre qu'étant tous fufpefts on ne voulüt les chaffer 1'un après 1'autre.. Cependant Othon, qui n'attendoit rien d'un gouvernement tranquille , ne cherchoit que de nouveaux troubles. Son indigence, qui eüt été a charge même a des particuliers, fon luxe qui Teut été même a des princes, fon reffentimer.t contre Galba, fa haine pour Pifon, tout Pexcitoit a. remuer. Il fe forgeoit même des craintes B 7.  33 Traduction dü 1. feilandum; fufpeSum femper invifumqie domrmttbus , qui proximus dejlinaretur. Nocuijfe id Jibi apud fenem principem: magis nociturum apud juvenem, ingenio trucem, cif longo exfilio efferatum. Occidi Othonem pojfe ; proin agendum audendumque, dum Galba auBoritas fluxa , Pifonis nondum coaluijfet. Opportimos magnis conatibus tranfitus rerum : nee cunilationis opus , ubi perniciofior fit quies, quam temeritas. Mortem omnibus ex r.;,~ turd mqualem, Mivione apud pofteros, vel glorid diffingui. Ac fi nocentem innocentemque idem exitus maneat, acrioris viri effe, msritö perire, ' Non erat Othonis mollis & corpori fiinilfs animus. Et intimi libertorum fervorumque corruptiüs, quam in privata domo habiti , aulam Neronis, & luxus, adulteria, matrimonia eeterafque regnorum libidines, avido talium, fi auderet, ut fua oftentantcs ; quiefcenti ut aliena cxprobrabant : urgentibus etiam mathematicis, dum novos motus, & clarum Othoni annum obfervatione fiderum affirmant , genus hominum potentibus infidam, fperantibus fallax, quod in  Livr'e de Tacite. 39 pour iiriter fes defirs. N'avoit-il pas été fufpeér. a Néron lui-même? Falloit-il attendre encore 1'hónneur d'un fecond exil en Luiitanie ou ailleurs ? Les fouverains ne voient-ils pas toujours avec défiance & de mauvais ceil ceux qui peuvenï leur fticcéder? Si cette idéé lui avoit nui prés d'un vieux prince, combien plus lui nuiroit - elle auprès d'un jeune homme naturellement cruel, aigri par un long exil! Que s'ils étoient tentés de fe défaire de lui, pourquoi ne les préviendroit-il pas, tandis que Galba chanceloit encore & avant que Pifon fut afièrmi ? Les tems de crife font ceux oü. conviennent les grands efforts, & c'eft une erreur de terrporifer quand les délais font plus dangereux que 1'audace. Tous les hommes meurent également, c'eft la Ioi de la nature; mais la poftérité les diftingue par la gloire ou 1'oubli. Que fi Ie même fort attend 1'innocent & Ie coupable, il eft plus digne d'un homme de Courage de ne pas périr fans fujet. .Othon avoit le cceur moins efféminé que le corps. Ses plus familiers efclaves & affranchis, accoutumés a une vie trop licencieufe pour une maifon privée, en rappellant la magnificence du palais de Néron, les adulteres, les fêtes nuptiales & toutes les débauches des princes, a un homme ardent après tout cela, le lui montroient en proie a d'autres par fon indolence, & a lui s'il ofoit s'en emparer. Les aftrologues 1'animoient encore en publiant que d'extraordinaires mou-  AO Traduction" d 0 f. civkate noiM & vetabitur femper, & retineftftur. Muitos fecreta Poppasas mathematicos-, peffimum principalis raatriuionii inftrumentum, habuerant : è quibus Ptolomaeus Othoni in Hifpania comes, cum fuperfuturum eum Neroni promififïet, poftquam ex eventu fides, conjectura jam & rumore, fenium Galba; , & juventam Othónis computantium, perfuaferat fore, ut imperium afcifceretur. Sed Otho tamquam perkte, & monitu fatorum pradifta accipiebat, cupidine ingenii humani libentius obfcura credi. Nee deerat Ptolomajus, jam & fceleris inftinftor, ad: quod facillimè ab ejufmodi voto tranfitur. Sed celeris cogitatio incertnm an repensy fiudia militum jam pridem fpe fucceflionis, aut; paratu facinoris afFeclaverat. In itinere , . in agmine , ia ftationibus, vetuftiflïmum quemque militum nomine vocans, ac memoiia Neroniani comitatus, contubernales appellando, alios agnofieere, quofdam requirere, & pecunia aut gratia juvare : inferendo fa;pius querelas, & ambiguos de Galba fermones quasque alia turbamenta vulgi. Labores itinerum inopia commeatuum,. duritia imperii , atrociüs accipiebantur : cè'm; Campania; lacus & Achaia; urbes claffibus adire.  LrVRE de Tacite. 41 bemens dans les cieux lui annoncoient une année glorieufe. Genre d'hommes fait pour leurrer les grands, abufer les fimples, qu'on cbafllra fans ceifo de notre ville & qui s'y maintiendra toujours.. Poppée en avoit fecrétement employé plufieurs, qui furent l'inftrumerjt funeile de fon mariage avec 1'empereur. Ptolomée, un d'entreeux, qui avoit accompagné Othon, lui avoit promis qu'il furvivroit a Néron , & 1'événement joint k la vieillefie de Galba, a la jeuneiTe d'Othon, aux conjectures & aux bruits publics, lui fit ajouter qu'il parviendroit a 1'empire. Othon, fuivant Ie penchant qu'a I'efprit humain de s'affectionner aux opinions par 'leur obfcurité même, prenoit tout celapour de la fcicnce &pour des avis du deftin, & Fto'oiiiée ne manqua pas, felon la coutume , d'ctre l'inftigateur du crime dont il avoit été le prophete. Soit qu'Othon eiit ou non formé ce projet, il eft certain qu'il cultivoit depuis longtems les gens de guerre, comme efpérant fuccéder a 1'empire ou 1'ufurper. En route, en bataille , au camp , nommant les vieux foldats par leur nom, & , comme ayant fervi avec eux fous Néron , les appellant cumarades, il reconnoifioit les uns, s'informoit des autres, & les aidoit tous de fa bourfe ou de fon crédit. II entremêloit tout cela de fréquentes plaintes , de difcours équivoques fur Galba, & de ce qu'il y a de plus propre a émouvoir le peuple. Les fatigues des marches, Ia  42 Traduction du I. foliti, Pyrensum & Alpes, & immenfa viarum fpatia, asgrè fub armis eniterentur. Flagrantibus iam militum animis, velut faces addiderat Mevius Pudens, è. proximis Tigellini; is mobiliflimum quemque ingenio, aut pecunia; indigum , & in novas cupiditates piscipitem alliciendo , eö paulatim progreiTus eiT, ut per fpeciem convivii, quoties Galba apud Othonem epularetur, cohorti excübias agenti, viritim centenos nummos divideret ; quam velut publicam largitionem, Otho, fecretioribus apud fingulos pramiis , intendebat ; adeö animofus corrupter, ut Cocceio Proculo fpeculatori de parte finkim cum vicino ambigenti , univerfum vicini igi i fua pecunia emptum dono dederit: perM diam prajfeóti , quem nota pariter cc fallebant. Sed tum è libertis Onomaftum futuro fceleri prasfecit, a quo Barbium Proculum TtlTerarium fpeculatorum , & Veturium Optionem eorumdem perdu&os, poftquam varïo fermone callidos , audacesque cognovit , pretio & proiniflls onerat , data pecunia ad pertentandos plurium animos. Sufcepere duo manipulares imperium Populi Romani transferendum, & tranfMerunt,  Livre de Tacite. 43 rareté des vivres, la dureté du commandement, il envénimoit tout, comparant les anciennes & agréables navigations de la Campanie & des villes Grecques avec les longs & rudes trajets des Pyrénées & des Alpe», oü 1'on pouvoit a peine foutenir le poids de fes armes. Pudens , un des confidens de Tigellinus, féduifant diverfement les plus remuans, les plus crédules , achevoit d'allumer les efprits déja échauffés des foldats. II en vint au point que chacue fois que Galba mangeoit chez Otbon, 1'on diftribuoit cent feflerces par tête a la cohorte qui étoit de garde, comme pour fa part du feftin; .diftribution que, fous 1'air d'une largeffe publique, Othon foutenoit encore par d'autres dons particuliers. II étoit même fi ardent a les corrompre, & la ftupidité du préfet qu'on trompoit jufques fous fes yeux, fut fi grande, que fur une difpute de Proculus, lancier de la garde, avec un voifin pour quelque borne commune , Othon acheta tout Ie champ du voifin & Ie donna k Proculus. Enfuite il choifit pour chef de 1'entreprife qu'il méditoit, Onomaftus, un de fes aftranchis , qui lui ayant amené Barbius & Veturius, tous deux bas ■ officiers des gardes, après les avoir trouvés a Pexamen rufés & courageux, il les chargea dc dons, de promefles, d'argent pour en gagner d'autres , & 1'on vit ainfi deux manipulaircs entreprendre & venir a bout de difpofer de rem-  4+ Traduction du i. In confcientiam facinoris pauci afciti , fufpenfos ceterorum animos , diverfis artibus ftimülanr; primores militum , per beneficia Nymphidii at fufpeftos: vulgus & ceteros, ira & defperatione dilati toties donativi; erant quos memoria Neronis , ac defiderium prioris licentie accenderet; in commune omnes metu mutanda; militia; exterrebantur. Infecit ea tabes legionum quoque & auxiliorum motas Jam mentes, poftquam vulgatum erat Iabare Germanici exercitus fidem. Adeoque parata apud malos feditio, etiam apud integros diffimulatio fuit, ut poftero Iduum die, redeuntem a ccena Othonem rapturi fuerint , nifi incerta nofb's, & tota urbe fparfa militum cafira, nee factlem inter temulentos confenfum timuisfent: non reipublicae cura, quam fcedare principis fui fanguine fobrii parabant, fed ne per tenebras , ut quifque Pannonici vel Germanici exercitus militibus oblatus effet , ignorantibus plerifque pro Othone deftinaretur. Multa erumpentis feditionis indicia per confeios opprefla; quasdam apud Galba; aures prajfeftus Laco elufit , ignarus militarium animorum , confiliique quamvis egregii, quod non ipfe afferret, inimicus, & adverfus peritos pervicax.  Livre de Tacite. 45 pire Romain. lis mirent peu de gens dans le fecret, & tenant les autres en fufpens, ils les excitoient par divers moyens; les chefs comme fufpects par les bienfaits de Nymphidius, les foldats par le dépit de fe voir fruftrés du donatif fi longtems attendurrappellant a quelques-uns le fouvenir de Néron, ils rallumoient en eux le defir de 1'ancienne licence : enfin ils les effrayoient tous par la peur d'un changement dans la milice. Sitót qu'on fut la défection de 1'armée d'Allemagne, le venin gagna les efprits déja émus des légions & des auxiliaires. Bientót les mal-intentionnés fe trouverent fi difpofés a la fédition, & les bons fi tiedes a la réprimer, que le quatorze de Janvier, Othon revenant de fouper eüt été enlevé, fi 1'on n'eüt craint les erreurs de Ia nuit, les troupes cantonnées par toute la ville, & Ie peu d'accord qui regne dans Ia chaleur du vin. Ce ne fut pas 1'intérêt de I'état qui retint ceux qui méditoient a jeün de fouiller leurs mains dans le fang de leur prince, mais Ie danger qu'un autre ne fut pris dans 1'obfcurité pour Othon par les foldats des armées de Hongrie & d'Allemagne qui ne le connoifïbient pas. Les conjurés étoufferent plufieurs indices de la fédition naiffante; & ce qu'il en parvint aux oreilles de Galba, fut élucjé par Lacon, homme incapable de lire dans 1'efprit des foldats, ennemi de tout bon confeil qu'il n'avoit pas donné, & toujours réfifhut a 1'avis des fages.  45 Traductiok du I. xviii. Kalend. Febr. facrificanti pro ajde Appolllnis Galba;, haruipex Umbricius tridia exta, & inftantes infidias , ac domefticum hoftem pra;dicit: audiente Othone (nam proximus aftiterat) idque ut lastum è contrario, & fuis cogitationibus profperum interpretante. Nee multo poft libertus Onomaftus nuntiat , exfpectari eum ab architeéto & redemptoribus ; qua; fignificatio coeuntium jam ' militum, & parata; conjurationis convenerat. Otho , cauiTam digreiïlis requirentibus; ciirn emi fibi pra;dia vetuftate fufpefta, eoque priüs exploranda finxiiïet, innixus liberto, per Tiberianam domum in Velabrum , inde ad Miliarum aureum , fub se.lem Saturni pergit. Ibi tres & viginti fpeculatores confalutatum imperatoren) , ac paucitate falutantium trepidum, & fella^feftinanter impofitum, ftrictis mucronibus rapiunt. Totidem fermè milites in itinere aggregantur, alii confeientia, plerique miraculo : pars clamore & gladiis, pars filentio, animum ex eventu fumpuiri. Stationem in caftrïs agebat Julius Maitialis tribunus. Is magnitudine fubiti fceieris, ac corrupta latiiis caftra, ac fi contra tenderet, exitium metuens , prcebuit plerifque fufpicionem confeientia:. Antepjfuere ceteri quocue iribuni  Livre de Tacite. 47 Le quinze de Janvier, comme Galba facrifioit au temple d'Apollon, 1'arufpice Umbricius, fur le trifte afpecl des entrailles, lui dénonca d'aétuelles embuches & un ennemi domeftique , tandis qu'Othon, qui étoit préfent, fe réjouiiToit de ces mauvais augures & les interprètoit favorablement pour fes dciTeins. Un moment après , Ocomaftus vint lui dire que I'architecte & les experts 1'attendoient; mot convenu pour lui annoncer 1'aiTembIée des foldats & les apprèts de la conjuration. Othon fit croire a ceux qui demandoient oü il alloit, que, pret d'acheter une vieille maifon de campagne, il vouloit auparavant Ia faire eximiner; puis, fuivant 1'affranchi a travers Ie palais de Tibere au Vélabre, & de-la vers Ia colonne dorée fous le temple de Saturne, il fut fa'.ué Empereur par vingt-trois foldats, qui le placerent aufütót fur une chaire curule, tout confterné de leur pstit nombre, & 1'environnerent 1'épée a la main. Chemin faifant, ils furent joints pn.r un nombre a peu prés égal de leurs camarades. Les uns inftruits du complot, 1'accompagnoient a grands cris avec leurs armesj d'autres frappés du fpoftacle fe difpofoient en filence i prendre confeil de 1'événement. Le tribun Martialis qui étoit de garde au camp, effrayé d'une fi prompte & fi grande entreprife, ou craignant que la fédition n'eüt gagné fes foldats & qu'il ne fut tué en s'y oppofant, fut  43 Traduction du I. oenturionefque prafentia dubiis & honeftis. Ifque habitus animbrura fuit, ut peffimum facinus auderent pauci, plures vellent, omnes paterentur. Ignarus interim Galba & facris intentus, fatigabat alieni jam imperii deos : cum affertur rumor rapi in caftra, incertum quem fenatorem, mox Othonem effe qui raperetur. Simul ex tota urbe, ut quifque obvius fuerat, alii formidinem augentes, quidam minora vero, ne tum quidem obliti adulationis. Igitur confultantibus placuit perten tari animum cohortis, qua: in palatio ftationem agebat, nee per ipfum Galbam, cujus integra auftoritas majoribus remediis fervabatur : Pifo pro gradibus domus vocatos, in hunc modum allocutus eft. Sextits dies agitur, commilitones, ex quo ignarus futuri, & Jive optandum koe nomen Jive timenium erat , Cafar afcitus Juni : quo domus nojlrce aut -reipublicce foto, in veftrd mam pojitum ejl • non quia , meo nomine trijliorsm' cafum paveam , ut qui aiverfa expertus cum maxime , ducam ne Jecunda quidem minus difcrimi ds habere : patris £f fenatus fcf ipfius imperii vicem doleo , fi nobis aut perire hodie necejje ejl; aut, quod cequè apud bonos mijerum efi, occidere. Solatium proximi motus habebarnus , incruentan wbem £f res fine dijcordid tranfltfas. foup-  Livre de Tacite. 49 foupconné par plufieürs d'en être complice. Tous les autres tribuns & centurions préférerent auffi le parti le plus fur au plus honnéte. Enfin, tel fut I'état des efprits, qu'un petit nombre ayant entrepris un forfait déteftable, plufieürs 1'approuverent & tous le fouffrirent. Cependant Galba , tranquillement occupé de fon facrifice, importunoit les dieux pour un empire qui n'étoit plus a lui, quand tout a coup un bruits'éleva que lts troupes enlevoient un fénateur qu'on ne nommoit pas, mais qu'on fut enfuite être Othon. Auflitót on vit accourir des gens de tous les quartiers, & a mefure qu'on les rencontroit, plufieürs augmentoient le mal & d'autres 1'exténuoient, ne pouvant en eet inftant même renoncer a la fiatterie. On tint confeil, & il fut réfolu que Pifon fonderoit Ia difpofition de Ia cohorte qui étoit de garde au palais, réfervant 1'autorité encore entiere de Galba pour de plus preffans befoins. Ayant donc aiTemblé les foldars devant les degrés du palais, Pifon leur paria ainfi: ,, Compagnons , il y a fix jours que je fus nommé „ Céfar, fans prévoir 1'avenir & fans favoir fi ce „ choix me feroit utile ou funefte. C'eft a vous „ d'en fixer le fort pour la république & pour „ nous; ce n'eft pas que je craigne pour moi„ même, trop inftruit par mes malheurs a ne „ point compter fur la profpérité. Mais je plains' „ mon pere , ]e fénat & 1'empire, en nous „ voyant reduits a recevoir la mort ou a la don- Supplém. Tom. V, C  50 Traductiok nu 3. Provifum adeptione videbatur , ut ne poji Galbam guülem bello heus ejjet. fflihil arrogabo mihi nobilitatis aut modejliei ■neque enim relatu virtutum, in comparatione Othoniss opus ejl. Vitia, quibus folis gloriatur, everxlre imperium, etiam cum amicum imperatoris agextt. Habitune &f incejju ; an Ulo muliebri ornatu, mereretur imperium? Falluntur., quibus luxuria fpecie liberalitatis imponit. Perdere ijle fciet, donare nefciet. Stupra nunc., comejjationes, & feminarum catus , voluit animo ; hcec principatus wazmia putat , quorum libido ac voluptas , penes ipfum fit; rubcr ac dedecus, penes omnes. Nemo enim unquam imperium fiagitio quafitum bonis artibus exercuit. Galbam confenfus generis humani,; me Galba, confentientibus vobis, Cajarem dixit. Si refpublica., fenatus , populus , vana nomina Cunt: vejlrd , commilitones, intereft., ne imperatoren} pejfiitü faciant. ■Legknum fedhio adverfum duces fuos audtta ejl sliquandu i vejlra fides famape illceja ad hunc  Li v re de Tacite. 51 „ ner ; extrêmité non moins cruelle pour des ■ „ gens de bien , tandis qu'après les derniers mou,, vemens on fe félicitoit que Rome eut été „ exempte de violence & de meurtres, & qu'on u efpéroit avoir .pourvu par 1'adoption a prévenir toute caufe de guerre après la mort de Galba. ,, Je ne vous parlerai ni de mon nom ni de j, mes moeurs; on a peu befoin de vertus pour fe „ comparer a Othon. Ses vices, dont il fait „ toute fa gloire, ont ruiné I'état quand il étoit „ ami du prince. EiT-ce par fon air, par fa dé- marche, par fa parure efféminée qu'il fe croit „ digne de 1'empire? On fe trompe beaucoup, fi „ 1'on prend fon luxe pour de Ia libéralité. Plus „ il faura perdre, & moins il faura donner. Dé„ bauches , feftins , attroupemens de femmes, voila les projets qu'il médite, &, felon lui, les drotts de 1'empire, dont la volupté fera pour „ lui feul, la honte & le déshonneur pour tous; „ car jamais fouverain pouvoir acquis par le ,, crime ne fut vertueufement exercé. Galba fut .,, nommé Céfar par le genre humain, & je 1'ai „ été par Galba de votre confentement: compa„ gnons, j'ignore s'il vous eft indifférent que Ia „ république, le fénat & le peuple ne foient que „ de vains noms, mais je fais au moins qu'il „ vous importe que des fcélérats ne vous don„ nent pas un chef. „ On a vu quelquefois des légions fe révolter „ contre leurs tribuns. Jufqu'ici votre gloire & C z  52 TltADÜCTION DU I. diem manfit; è? Nero quoqiie vos dejlituit, non vis Neronem Minus XXX. transfuga defertores, quos centurionem aut tribunum fibi eligentes nmo ferret imperium ajjignabunt? Admittitis exemplum ? Êf quiefcendo commune crimen facitis! Tranfcendet hcec licentia in provincias ? £f ad nos fceIsrum exitus , bellorum ad vos pertinebunt. Nee ejl plus quod pro cade principis , quam quod innocentibus datur ; fed proinde a nobis donativum ob fidem, quam ab aliis pro facinore accipietis. Dilapfis fpeculatoribus , cetera cohors non afpernata concionantem, ut turbidis rebus evenit, forte magis , & nonnullo adhuc confilio, parat figna, quod. poftea creditum eft, infidiis & fimulatione. Miffus & Celfus Marius ad eledtos IIlyrici exercitus. Vipfanii in porticu tendentes. PrMceptnm Amulio Sereno & Domitio Sabino primipilaribus, ut Germanicos milites è Libertatis atrio accerferent. Legioni claffica; diffidebat infefta; ob cccdem commilitonum , quos primo ftatim introitu trucidaverat Galba. Pergunt etiam in caftra pratorianorum tribuni Cerius Sevcrus, Subrius Dexter, Pompeius Longinus, fi incipiens adhuc & nondum adulta fedïtio melioribus confiiiis flecteretur. Tribunorum Subrium  Livre de Tacite. 53 votre fidélité n'ont recu nulle atteinte, & ,, Néron lui-même vous abandonna, plutót qu'il „ ne fut abandonné de vous. Quoi! verrons-nous une trentaine au plus de déferteurs & de trans-fuges.a qui 1'on ne permtttroit pas de fe choi„ fir feulement un officier, faire un empereur? „ Si vous fouffrez un tel exemple, fi vous parta„ gez le crime en le laiiTant commettre, cette li„ cence paffera dans les provinces; nous périrons „ par les meurtres & vous par les combats, fans „ que la folde en foit plus grande pour avoir „ égorgé fon prince , que pour avoir fait fon de> „ voir: mais Ie donatif n'en vaudra pas moins, „ recu de nous pour le prix de la fidélité, que „ d'un autre pour le prix de la trahifon Les lanciers de la garde ayant difparu, le refte de la cohorte, fans paroitre méprifer le difcours de Pifon, fe mit en devoir de préparer fes enfeignes, plutcV par hazard, & , comme il arrivé en ces moinens de trouble, fans trop favoir ce qu'on faifoit, que par une feinte infidieufe, comme on 1'a cru dans la fuite. Celfus fut envoyé au détachcment de 1'armée d'Illyrie vers le portique de Vipfanius. On ordonna aux primipüaires Sererus & Sabinus d'amener les foldats Germains du temple de la liberté. On fe défioit de la légion marine, aigrie par le meurtre de fes foldats que Galba avoit fait tuer a fon arrivée. Les tribuns Cerius,. Subrinus & Longinus allerent au camp prétorien pour tacher d'étoufTcr Ia fédition nailfante, avant C 3  54 Tbaduction du i. & Cerium milites adorti minis, Longinum manibus coercent, exarmantque : quia non ordine militia:, fed c Galba; amicis, fidus principi fuo„ & defcifcentibus fufpeftior erat. Legio claffica nihil cunctata pratorianis adjungitur. Ulyrici exercitus electi, Celfum infeftis pitfs proturbant. Germanica vexilla diu nutavere, invalidis adhuc corporibus, & placatis animis, quod eos a Nerone Alexandriam psemiflö», atque inde rurfus longa navigatione asgros, impenliore cura Galba refovebac. Univerfa jam plebs palatium implebat, mixtis fervitiis , & diffono clamore, casdem Othonis & conjuratorum exfilium pofcentium, ut fi in circo ac theatro ludicrum aliquod poftularent. Neque iilis judicium aut veritas: quippe eodem die diverfa pari certamine poflulaturis : fed tradito more , quemcumque principem adulandi, licentia. acclamationum , & ftudiis ina.. nibus, Interim Galbam duaj fententia; dillinebant. Titus Vinius manendum intra domum , opponenda fervitia, firmandos aditus, non eumdem ad iratos ctnfebat: daret malorum pceniteritice, daret bonorum confenfui fpathtm ; fcelera impetu , bom confüia moré valefcere. Denique eundi ultro fi ratio fit,, tandem mo.v facultatem; regreffus , fi p ïuptus.  L i v re de Ta c i t'e, haine rendoit crédules. A peine Pifon fut parti, tain, qu'Othon avoit été tué dans Ie camp. Puis , trouva bientót des témoins oculaires du fait, quiperfuaderent aifément tous ceux qui s'en réjouis-foient ou qui s'en foucioient peu. Mais plufieürs crurent que ce bruit étoit répandu & fomenté par les amis d'Othon , pour attirer Galba par le leuixè d'une bonne nouvelle* Ce fut alors que les applaudiffemens & Pemprefiëment outré gagnant plus haut qu'une populace imprudente, la plupart des chevaliers & des fénateurs, raiTurés & fans précautions, forcerent les portes du palais & courant au devant 'de Galba, fe plaignoient que 1'honneur de le venger leur tut été ravi. Les plus laches &, comme I'efFet Ie prouva,les moins capables d'alTronter le danger, téméraires en paroles & braves de la langue, affirmoient tellement ce qu'ils favoient le moins que, faute d'avis certains & vaincu par ces clameurs, Galbs" prit une cuirafie, & n'étant ni d'age, ni de force a foutenir le choc de la foule, fe fit porter dans ff chaife. 11 rencontra fortant du palais un gendarme nommé Julius Atticus, qui montrant fon glaive tout l fanglant, s'écria qu'il avoit tué Othon : Cainarade, ■ lui dit Galba, qui vous l'a commandé? Vigueur fingu-: liere d'un homme attentif a réprimer'la licencs militaire, & qui ne fe laiflbit pas plus amorcc ■ par les flatteries, qu'efFrayer par les menaces! C u I. Haud dubice jam in caftris omnium mentes,. tantufque ardor, ut non contenti agmine & corporibus, in fuggeftu, in quo paulo antè aurea Galba; ftatua fuerat, medium inter iigna Othonem vexillis circumdarent. Nee triounis aut centurionibus adeundi locus : gregarius miles caveri infuper praspofitos jubebat. Strepere cunéta clamoribus, & tumultu, éi exhortatione mutua, ndn. tamquam in populo ac plebe, variis fegni adulatione vocibus, fed ut quemque affluentium militum afpexerant, prehenfare manibus. complsdH armis, collocare juxta, prasire facramentum, modó. imperatorem militibus , modó imperatori militea commendare. Nee deerat Otho protendens mabus, adorare vulgum, jacere ofcula, & omnia. Jferviüter pro. dominatione. Poftquam univerfa clailiariorum legio facramentum ejus accepit, fidens viribus, & quos ad^ feuc fingulos exftimulaverat , accendendos in commune ratus, pro vallo caftrorum ita ccepit. Quis ad vot procejfirim , commilitmes- , dicere. %m pojjum : quia nee privatum me yocdre fufti* nev, princeps a vobis nominatus ; nee principem, tdio imperante. Vefirum quoque nomen in incertomtt donec dubitabitur imperatorem populi Romani  Livre dé Tacite» 61 Dans le camp les fentimens n'étoient plus douteux ni partagés, & le zele des foldats étoit tel que , non content d'environner Othon de leurs corps &'de leurs bataillons, ils le placerent au milieu des enfeignes & des drapeaux, dans 1'enceinte oü étoit peu auparavant Ia ftatue d'or ce Galba. Ni tribuns, ni centurions, ne pouvoiei t approcher & les fimples foldats crioient qu'on prit garde aux officiers. On n'entendoit que clameurs % tumulte, exhortations mutuelles. Ce n'étoient pas les tiedes & les difcordantes acclamations d'une populace qui natte fon maltre; mais tous les foldats qu'on voyoit accourir en foule étoient pris par Ia main, embraffés tout armés, amenés devant lui & après leur avoir difté Ie ferment, ils recommandoient 1'empereur aux troupes & les troupes a 1'empereur. Othon de fon cöté, tendant les bras, faluant la multitude, envoyant des baifers, n'omettoit rien de fervile pour commandcr. Enfin, après que toute la légion de mer lui tut prêté le ferment, fe confiant en fes forces, & voulant animer en commun tous ceu" qu'il avoit excités en particulier, il nionta fur le rempart du camp & leur tint ce difcours: „ Compagnons,j'ai peine a dire fous quel titre „ je me préfente en ce lieu: car élevé par vous a 1'empire, je ne puis me regarder comme gar„ ticulier, ni comme empereur, tandis qu'un au„ tre commande, & 1'on ne peut favoir quel nom a vous convient a vous-mêmes, qu'en décidant Ir C 7  64 T R ADUCTION D Cf I.'- in caftris , an itoftem ■ habeatis. Auiitifne , ut prena mea &? fuppliciüm veftrum jïmul pofttilentur ? adeb manifeftum cft, neque perire nos, neque falvos effe , nifi una , pojje. Et' cu. jus levitatis eft Galba , tam fortajje promifit: • ut qui nullo expofcente ■, Ut millia innocen ■ tijjimorum militum trucidaverit. Horror animumJubit , quoties recorder feralem introitum , ÊfV h&nc folam Galba viüoriam , cum in oculis urbis decumari deditos juberet , quos deprecan- ■ tes in fidem acceperat. His aufpiciis urbem1 ing'ejjus , quam gloriam ad principatilm atiülit', nifi occifi Obukronii Sabini , Cor* ■ nelii Marcellt in Hifpanid , Bervicbilonis in Gallid , Fontei Capitonis in Germanid , Clodii' Macri in Afried , Cingonii in vid , Turpiliani ■ in urbe , Nympbidii in caftris ? Qua ufque pfovincia , qua caftra funt, nifi cruenta cif maculata ? aut, ut ipfe pradicat , emendata £f .' iorretla ? Nam qua alii fcelera , Mc remedia ■ vqtat : dum falfis nominibus , feveritatem pro ■ fievitid , parfimoniam pro avaritid , fupplicia contumelias veftras, difciplinam appellat. Sep. tem ii Neronis fine menfes funt , £? jam plus' rapuit Icelus, quam quod Polycleti , £?' Vatinii; fc? Elii , paraverunt. Minore avaritid ac lpcentid grajjatus ejjet T. Vinius , fi ipfe ■ imperajfet; nunc fubjeEtos nos habuit tamquam- ' fuos , £?- viles ut alienos. Una illa domus-  L i v k e de Ta ci ii. 6<$; », • celui que vous protégez eft le chef, ou I'ennemi du peuple Romain. Vous entendez que nul „ ne demande ma punition, qui ne demande auffi „ Ia vótre, tant il eft certain que nous ne pouvons s> nous fauver ou périr qu'enfemble, & vous„ devez juger de la facilité avec laquelle le clé» ment Galba a peut-être déji-promis votre mort, sr par Ie meurtre de tant de milliers de foldats ,, innocens, que perfonne ne lui demandoit. Je „ frérnis en me rappellant 1'horreur de fon entrée ,„ & de fon unique viftoire, lorfqu'aux yeux de „ toute la ville. il fit décimer les prifonniers „ .fupplians qu'il avoir recus engrace. Entré dans „ Rome fous de tels aufpices, quelle gloire a t-il }y acquife dans le gouvernement, fi ce n'eft d'a-. voir fait mourir Sabinus & Marcellus. en Ef-< „ pagne, Chilon dans les Gaules, Capiton en„. Allemagne, Macer en Afrique, Cingonius en route, Turpilien dans Rome, & Nymphidius „ au camp? Quelle année ou quelle province fi reculée, fa cruauté n'a-t-elle point fouillée „ & déshonorée, ou felon lui, lavée & purifiée ,r avec du fang ? Car traitant les crimes de reme„ des & donnant de faux noms aux chofes, il „ appelle la barbarie févérité, 1'avarice éconc» „. mie, & difcipline tous les maux qu'il vous fait ,, fouffrir. II n'y a pas fept mois que Néron eft „. mort, & Icelus a déja plus volé que n'ont fait ,» Elius, Polyclete & Vatinius. Si Vinius lui9fc même eüt été empereur, il eüt gouverné avec  64 Traductton du I, Jvffidt donativo , quod vobis numquam datur, £f quotidie exprobratur. Ac ne qua faltem in fuccejjore Galbce fpes ejfet, accerftt ab exfilio , quem trift.tid £f avaritid fui fimillimum juiicabat. Fidijlis, commilitones , notabili tempé/late, etiam deos infaufiam adoptionem averfantes. Idem fenatus, idem populi Romani animus ejl. Veftra vhtus expeüntur , apud quod omne honejlis conjüiis robur , Êf fine quibus , quamvis egregia invalida funt. Non ad btllum vos , nee ad periculum voco : omnium militum arma nobifcum funt. Nee una cobors togata defendit nunc Galbam , fed detinet. Cum vos afpexerit , cum Jïgnum mtu.n acceperit , hoe folum erit certamen , quis mild plurimum impuiet. Nullus cunBationi locus ejl in eo confilio , quod ntn poteft laudari nifi pera&um. Aperiri deinde armamentarium jufllt,, rapta' ftatim arma , fine more & ordine militia; , ut praitorianus , aut legionarius infignibus fuis ciftingueretur. Mifcentur auxiliaribus, galeis fcutiique. Nullo. uibunormn centuri.onum.ve. adbortf.n»  L i v r e de Tacite. 65 „ moins d'avarice*& do ltcence; mais il nous „ commandc comme a fes fujets & nous dédaigne „ comme ceux d'un autre. Ses richeffes feules „ furfifent pour ce donatif qu'on vous vante fans „ ceiTe & qu'on ne vous donne jamais. Afin de ne pas même laifler d'efpoir a fon „ fuccefleur, Galba a rappellé d'exil un homme „ qu'il jugeoitavare & dur comme lui. Les dieux „ vous ont avertis par les fignes les jgus évidens, „ qu'ils défapprouvoient cette éledtion : le fénat „ & le peuple Romain ne lui font pas plus „ favorables; mais leur confiance eft toute en „ votre courage, car vous avez la force en main „ pour exécuter les chofes honnêtes, & fans vous „ les meilleurs deffeins ne peuvent avoir d'efFet, „ Ne croyez pas qu'il foit ici queftion de guerres ni de périls, puifque toutes les troupes font pour nous, que Galba n'a qu'une cohorte en „ toge, dont il n'eft pas le chef, mais le prifbn„ nier, & dont le feul combat a vo:re afpeft & a mon premier figne, va être a qui m'aura Ie „ plutót reconnu. Enfin ce n'eft pas le cas de „ temporifer dans une entreprife qu'on ne peut louer qu'après Pexécutlon." Auffitót ayant fait ouvrir 1'arfenal, tous coururent aux armes fans ordre , fans regie , fans diflinction des enfeignes prétorier.nes & des légionnaires, de 1'écu des auxiliaires & du bouclier Romain. Et fans que ni tribun ni centurion «.'ea mêlat , chaque foldat devenu fon propre  66 Tsidüctio» du I. te, fibi qu.ifq.ue dux & infligator: & pracipuurrr peflimorum incitameritum , quod boni nwebant. Jam exterritus Pifo fremitu crebrefcentis feditionis; & vocibus in urbem ufque refonantibus , egreiTum interim Galbam & foro appropinquantem affecutus erat ; jam Marius Celfushaud laita retulerat : cüm alii in palatium redire , alii capitolium petere , plerique roflra: occupanda lenferent , plures tantum fententiis aliorum contradicerent ; utque evenit in confi3iis infelicibus , optima viderentur, quorum tempus efFugerat. AgitafFe Laco, ignaro Galba, de occidendo" T. Vinio dicitur, five ut pcena ejus animos militum mukeret , feu confcium Othonis credebat , ad poftremum vel odio. Hajfitationem attulit tempus ac locus, quia initio 1 ctedis orto, difficilis modus : & turbavere con'filium trepidi nuntii , ac proximorum difFugia,. languentibus omnium fludiis, qui primo alacres ridem atque animum oftentaverant. Agebatur huc ilTüc Galba, variö turba; fluctuantis impulfu , completis undique bafilicis ac templis, lugubri profpectu, neque populi aut piebis u!Ia vox , fed attoniti vultus , & converfa; ad omnia aures ,• non tumultus, non quies, quale magni metus, & magna; ira; filentium eft Gtboni. tarnen armari plebem nur.tktbatur. Ire  L :vs e n e Tacite. 67 officier s'animoit & s'excitoit lui - même a mal faire, par le plaifir d'affliger les gens de bien. Déja Pifon , effrayé du frémifiement de lafédition croifFante & du bruit des- clameurs qui retentiffoit jufques dans la ville, s'étoit mis a la fuite de Galba qui s'acheminoit vers la place: déja, fur les mauvaifes nouvelles rapportées par Celfus, les uns parloient de retourner au palaïs, d'autres d'aller au capitole, Ie plus grand nombre d'occuper les roftres. Plufieürs fe contentoientde contredire 1'avis des autres, & comme il arrivé dans les mauvais fuccès , le parti qu'il n'étoi: plus tems de prendre fembloit alors le meilleur, On dit que Lacon méditoit a 1'infeu de Galba de faire tuer Vinius; foit qu'il efpérat adoucir les foldats paree chatiment, foit qu'il le crüt complice d'Othon, foit enfin par un mouvement de haine. Mais le tems & Ie lieu 1'ayant fait balancer.par la crainte de ne pouvoir plus arrêter le fang après avoir commencé d'en répandre, 1'eiFrol des furvenans, la difperfion du cortege, & le trouble de ceux qui s'étoient d'abord montrés fi pleins de zele & d'ardeur, acheverent de 1'en détourner. Cependant entrainé ga & la, Galba cédoit a. 1'impulfion des fiots de la multitude qui , remplisfant de toutes parts les temples & les bafiliques, n'ofTroit qu'un afpeft lugubre. Le peuple & les citoyens, 1'air morne & 1'oreille attentive, nepouffoient point de cris: il ne regnoit ni tranqiiillité. ni tumulte, mais un filence qui. marquoi-ii  CS Traduction du I. prrecipites , & occupare pericula jubet. Igittrr milites Romani, quafi Vologefen , aut Pacorum, avito Arfacidarum folio dcpulfuri , ac non imperatorem fuuai inermem & fenem trucidare pergerent , disjeaa plebe, proculcato fenatu, truces armis , rapidis equis forum irrumpunt. Nee illos capitolii afpeftus , & imminentiuro templorum religio , & priores & futuri principes terruere , quo minus facerent fcelus, cujus ultor eft quifquis fuxceflit. Vifo cominus armatorum agmine, vexillarius comitantis Galbam cohortis (Atilium Vergilionem fuiffe tradunt) dereptam Galba; imaginem folo afflixit. Eo figno manifefla in Othonem omnium militum ftudia , defertum fuga populi forum , diftritfta adverfus dubitantes tela. Juxta Curtium Jacum, trepidatione ferentium Galba projeótus è fella, ac provolutus eft. Extremam ejus vocem , ut cuique odium aut admiratio fuit , variè prodidere. Alii fuppliciter interrogaffs , quid mali meruiffet, paucos dies exfolvendo donativo deprecatum. Plures obtuliffe ultró percufforibus jugulum , agerent ac ferirent , fi ita è republica videretur; non interfuit occidentium quid diceret. De percusfore non fatis conftat: quidam Terentium evocaturn, alii Lecanium, crebrior fama tradidit  L i v r e de Tacite. 6y a la fois la frayeur & 1'indignation. On' dit pourtant a Othon que le peuple prenoit les armes; fur quoi il ordonna de forcer les paflages & d'occuper lts poftes importans. Alors, comme s'il eüt été queftion, non de maflacrer dans leur Prince un vieillard défarmé, mais de renverfer Pacore ou Vologefe du tróne des Arfacides, on vit les foldats Romains, écrafant le peuple, foulant aux pieds les fénateurs, pénétrer dans la place a la courfe de leurs chevaux & a Ia pointe de leurs armes, fans refpe&er le capitole ni les temples des dieux, fans craindre les princes préfens & a venir, vengeurs de ceux qui les ont précédés. A peine apperait-on les troupes d'Othon, que 1'enfeigne de 1'efcorte de Galba appellé, dit-on, Vergilio , arracha 1'image de 1'empereur & Ia jetta par terre. A 1'inftant tous les foldats fe déclarent, Ie peuple fuit, quiconque béfite voit ie fer pret a Ie percer. Prés du lac de Curtius, Galba toraba de fa chaife par Peffroi de ceux qui Ie portoient & fut d'abord enveloppé. On a rapporté diverfement fes dernieres paroles, felon la haine ou Padmiration qu'on avoit pour lui. Quelques-uns difent qu'il demanda d'un ton fuppliant quel mal il avoit fait, priant qu'on lui laiflat quelques jours pour payer Ie donatif: mais plufieürs alTurent que, préfentant hardiment Ia gorge aux foldats, il leur dit defrapper s'ils croyoient fa mort utilea I'état. Les meurtriers écouterent peu ce qu'il pouvoit dire. On n'.a pas bien fu qui 1'avoit tué:  70 Traductioii du L ■Camurium xv. Iegionis militem, impreflb gladio, jugulum ejus haufiffe. Ceteri crura bracbiaque (nam peftus tegebatur) fcedè Ianiavere; pleraque vulnera , feritate & ftevitia trunco jam •.corpori adjefla. Titum inde Vinium invafere ; de quo & ipfo ambigitur, confumpferit ne vocem ejus in■ flans metus , an proclamaverit, non ene ab Othone mandatum ut occideretur. Quod feu finxit formidine , feu confeientia conjurationis confeffus eft: huc potius ejus vita famaque inclinat, ut confeius fceleris fuerit, cujus caufTa erat; ante aïdem divi Julii jacuit, primo iétu in popiitem , mox ab Julio Caro Iegionario milite in utrumque latus tranfverberatus. Infignem illa die virum Sempronium Denfuir. »tas noftra vidit. Centurio is praitoria; cohortis a Galba cuflodia: Pifonis additus , ftricto pugione occurrens armatis , & fcelus exprobrans, ac modó manu, modó voce, vertendo in fe percuffores , quamquam vulnerato Pifoni effiigium dedit. Pifo in ajdem Veilaj pervafit, exeeptufque mifericordia publici fervi, & contubernio ejus abditus , non religione , nee cxnmoniis , fed latebra imminens exitium differe'bat ; cüm advenere , miffu Othonis, nominatim in csedem ejus ardentes , Sulpicius Florus è Britannicis cohortibus; nuper a Galba civitate  Llï H E DE T A C I T E. 71 ïes uns nommant Terentius, d'autres Lecanius; mais le bruit eommun elt que Camurius, foldat de la quinzieme légion , lui coupa la gorge. Les autrcs lui déchiqueterent cruellement les bras & ies jambes, car la cuirafle couvroit la poitrine, & leur barbare férocité chargeoit encore de bleffures un corps déja mutilé. On vint enfuite a Vinius, dont il eft pareillement douteux iï le fubit effroi lui coupa la voix, ou s'il s'écria qu'Othon n'avoit point ordonné fa mort: paroles qui pouvoient étre 1'effet de fa crainte, ou plutót 1'aveu de fa trahifon, fa vie .& .fa réputation portant a le croire complice d'un crime dont il étoit caufe. On vit ce jour-la dans Sempronius Denfus un exemple mémorable pour notre tems. C'étoit un centurion de la cohorte prétorienne , chargé par Galba de la garde de Pifon. II fe jetta le poignard a la main au devant des foldats, en leur reprochant leur crime, & du gefte & de la voix attirant les coups fur lui feul, il donna le tems a Pifon de s'échapper, quoique bleffé. Pifon fe fauva dans le temple de Vefta, oü il recut afyLe par la piété d'un efclave qui le cacha dans fa chambre; précaution plus propre a différer fa mort, que Ia religion ni le refpeft des autels. Mais Florus, foldat des cohortes Britanniques, qui  72 Traduction du I. donatus, & Stacius Murcus fpecuiatór'; a quibus protractus Pifo , in foribus templi truoidatur. Nullam ca;dem Otho majore Istitia excepi (Te , nullum caput tam infatiabilibus oculis perluffiraiTe dicitur : feu tum primüm Ievata omni folicitudine mens , vacare gaudio cceperat, feu recoi'dacio majeftatis in Galba, amicïtias in T. Vinio , quamvis immitem animum imagine trifli confuderat. Pifonis , ut inimici & aanuli , casie laetari , jus fafque credebat. Prafixa contis capita geflabantur , inter figna cohortium juxta aquilam legionis, certstim oftentantibus cruentas rhanus qui occiderant, qui interfuerant, qui verè, qui falfö, ut pulchrum & memorabile facinus jaétabant. Plures quam cxx. libellos pramia expofcentium, ob aliquam notabilem illa die operam, Vitellius poftea invehrVj onnefque conquiri & interne! julïït, non honore Galbae, fed tradito principibus more, munimentun ad prafens; in pofterum, ultionem. Al'inm crederes fenatum, alium populum. Ruere cuofti in caftra, anteire proximos, certare cum prscurrentibus, increpare Galbam, la'udare mili- dtpuis  L i v i i de Tacite. 73 depuis longtems avoit été fait citoyen par Galba, & Statius Murcus lancier de la garde, tous deux particuliérement altérés du fang de Pifon , vinrent de la part d'Othon le tirer de fon afyle & le tuerent a la porte du temple. Cette mort fut celle qui fit le plus de plaifir ?. Othon , & 1'on dit que fes regards avides ne pouvoient fe laffer de confidérer cette tête: foit que, délivré de toute inquiétude, il commengat alors a fe livrer a la joie, foit que fon ancien refpeft pour Galba & fon amitié pour Vinius , mêlant a fa cruauté quelque image de trifteiTe, il fe crüt plus permis de prendre plaifir i la mort d'un concurrent & d'un ennemi. Les têtes furent mifes chacune au bout d'une piqué & portées parmi les enfeignes des cohortes & autour de Paigle de la légion. C'étoit a qui feroit parade de fes mains fanglantes, a qui, fauffement ou non , fe vanteroit d'avoir commis ou vu ces affik finats, comme d'exploits glorieux & mémorabks. Vitellius trouva dans la fuite plus de cent vingt placets de gens qui demandoient récompenfe pour quelque fait notable de ce jour - la. II les fit tous chercher & mettre a mort, non pour honorer Galba, mais felon la maxime des princes de pourvoir a leur fureté préfente par la crainte des chatimens futurs. Vous euffiez cru voir un autre fénat & un autre peuple. Tout accouroit au camp,* chacun s'empreflbit a dévancer les autres, i maudire Galba, Supplém. Tom. V. D  Tkaduction nu I. tum judicium, exofculari Othonis manum: quantoque magis falfa erant qua; fiebant, tanto plura facere. , Nee afpernabatur fingulos Otho, avi-, dum & minacem militum animum , voce vultu-"^ que temperans. Marium Celfum confulem defignatum , & Galba; ufque in extremas res amicum fidumque, ad iupplicium expoftulabant, induftria; ejus innocentifcque quafi malis artibus infenil. Caxlis & prasdarum initium & optimo cuique perniciem quasri apparebat , fed Othoni nondum auftoritas inerat ad prohibendum fcelus, jubere jam poterat. Ita fimulatione iraj, vinciri juffum , & majores pcenas daturum afrirmans, prafenti exitio fubtraxit. Omnia deinde arbitrio militum aéta. Picctorii praefectos fibi ipfi legere : Plotium Firmum è manipularibus quondam, turn vigilibus pra;pofitum, & incolumi adhuc Galba panes Othonis fecutum. Adjungitur Licinius Proculus, intima familiaritate Othonis , fufpectus confilia ejus fovilTe. Ubi Flavium Sabinum prajfecere, judicium Neronis fecuti, fub quo eamdem curam obtinuerat, plerifque Vefpafianum fratrem in eo refpicientibus. Flagitatum,-ut vacationes praftari centurionibus folitas remitterentur. Namque gregarius miles , ut tributum annuum pendebat. Pars manipislis , pars per commeatus , aut in ipfis caftds vaga, dum meicedem centurioni exfolve-  Livre de Tacite. 75 a vanter le bon choix des troupes, a baifer les mains d'Othon: moins le zele étoit fincere, plus on affectoit d'en montrer. Othon , de fon cóté , ne rebutoit perfonne, mais des yeux & de la voix tachoit d'adoucir 1'avide férocité des foldats. Ils ne ceiToient de demander Ie fupplice de Celfus, conful défigné, & jufqu'a 1'extrêmité fidele ami de Galba. Son innocence & fes fervices étoient des crimes qui les irritoient. On voyoit qu'ils ne cherchoient qu'a faire périr tout homme de bien, & commencer les meurtres & Ie pillage. Mais Othon qui pouvoit commander des aiTaffinats, n'avoit pas encore affez d'autorité pour les défendre. II fit donc lier Celfus, affectant une grande colere, & le fauva d'une mort préfente en feignant de le réferver a des tourmens plus cruels. 'Alors tout fe fit au gré des foldats. Les prétoriens fe choifirent eux-mêmes leurs préfets. A Firmus, jadis manipulaire, puis commandant du guet, cc qui du vivant même de Galba s'était attaché a Othon, ils joignirent Licinius Proculus, que fon étroite familiarité avec Othon fit foupconner d'avoir favorifé fes deffeins. En donnant a Sabinus la préfecture de Rome, ils fuivirent le fentiment de Néron, fous lequel il avoit eu le même emploi ; mais le plus grand nombre ne voyoit en lui que Vefpafien fon frere. Ils folliciterent raffranchifïement des tributs annuels que, fous le nom de congés a tems, les fimples foldats payoient aux centurions. Le quart des manipuD 2  76 Traduction du I. ret, neque modum oneris quifquam , neque genus quajftus penfi habebat. Per latrocinia cc raptus , aut fervilibus minifteriis, militare otium redimebant. Tum locupletiflimus quifque miles, labore ac favittt fatigari , donec vacationem emeret. Ubi fumptibus exhauftus, focordia infuper elanguerat, inops pro locuplete, & iners pro ftrenuo , in manipulum redibat; ac rurfus aiius atque alius, eadem egefhte ac licentia corrupti, ad feditionem & difcordias, & ad extremum bella eivilia ruebanf. Sed Otho , ne vulgi iargitione, centurionum animos averteret, ex fifco fuo vacationes annuas exfoluturum promifit; rem haud dubiè utilem, & a bonis poftea principibus, perpetuitate difciplinae, firmatam. Laco prxfectus , tamquam in infulam feponeretur , ab evocato , quem ad casdem ejus Otho prasmiferat, confoffus. In Martianum Icelum , ut in libertum, palam animadverfum. Exaflo per fcelera die, novifllmum malorum fuit lastitia. Vocat fenatum prastor urbanus ; certant adulationibus ceteri magiftratus, Accurrunt patres , decernitur Othoni tribunicia poteftas, & nomen Augufti, & omnes principum honores , annitenlibus cunftis abolere convicia  LlVRB de Taciti. 77 laires étoit aux vivres ou difperfés dans le camp, & pourvu que le droit du centurion ne fut pas oublié, il n'y avoit forte de vexation dont ils s'abftinfTent , ni forte de métier dont ils rougiffent. Du profit de leurs voleries & des plus ferviles emplois , ils payoient 1'exemption du fervice militaire, & quand ils s'étoient enricbis, les officiers les aceablant de travaux & de peine les forcoient d'acbeter de nouveaux congés. Enfin , épuifés de dépenfe & perdus de mollede ils revenoient au manipule pauvres & fainéans, de laborieux qu'ils en étoient partis & de riches qu'ils y devoient retourner. Voila comment, également corrompus tour-a-tour par la licence & paria mifere, ils ne cherchoient que mutineries, révoltes & guerres civiles. De peur d'irriter les centurions en gratifiant les foldats a leurs dépens , Othon promit de payer du fifc les congés annuels; établiffement utile, & depuis confirmé par tous les bons princes pour le maintien de la difcipline. Le préfet Lacon , qu'on feignit de reléguer dans une ifle, fut tué par un garde envojé pour cela par Othon. Icelus fut puni publiquement en qualité d'affrancbL Le comble des maux dans un jour fi rempli de crimes, fut 1'alégrefle qui le termina. Le préteur de Rome_ convoqua le fénat, & tandis que les autres magiftrats outroient a 1'envi 1'adulation, les fénateurs accourent, décernent a Othon la puisfance tribunicienne, Ie nom d'Augufte, & tous D 3  78 Tbaduction nu I. ac probra, qua5 promifcuè jacïa ham anim© ejus nemo fenfit. Omififlet offenfas, an diftuliffet, brevitate imperii in incerto fuit. Ofno , cruento adhuc foro , per flrages jacentium, in capitolium atque inde in palatium veftus , concedi corpora fepultura , cremarique permifit. Pifonem Verania uxor ac frater Seribonianus, T. Vinium Crifpina filia compofuere, quasfitis redemptifque capitibus, qua: venalia interfectores fervaverant. Pifo unum & tricefimum anatis annum explebat, fama meliore quam fortuna. Fratres ejus Magnum Claudius, Craflum Nero intsrfecerant. Ipfe diü exful, quatriduo Casfar properata adoptione, ad hoe tantum majori fratri prajlatus eft, ut prior occideretur. T. Vinius xLvn. annos variis moribus egit. Pater illi è prstoria familia, maternus avus è profcriptis. Prima militia infamis, legatum Calvifium Sabinum habuerat: cujus uxor , mala cupidine vifendi fitum caftrorum , per noctem militari habitu ingreiTa, cum vigilias & cetera miiitis munia eadem lafcivia tentaffet, in ipfis principiis ftuprum aufa, & crirninis hujus reus T. Vinius arguebatur. Igi. tur juffu C. Ca;faris oneratus catenis; mox mutatione temporum dimiffus , curfu honorum in-  Livre de Tacite. 79 les honneurs des erapereurs précédens, tachant d'effacer ainfi les injures dont ils venoient de le charger & auxquelles il ne parut point fenfible. Que ce fut clémence ou délai de fa part, c'eft ce que le peu de tems qu'il a regné n'a pas permis de favoir. S'étant fait conduire au capitole, puis au palais, il trouva la place enfanglantée des morts qui y étoient encore étendus & permit qu'ils fuffent brülés & enterrés. Verania, femme de Pifon, Scribonianus fon frere, & Crifpine fille de Vinius , recueillirent leurs corps & ayant cherché les têtes, les racheterent des meurtriers, qui les avoient' gardées pour les vendre. Pifon finit ainfi la trente ■ unieme année d'une vie , paffée avec moins de bonheur que d'honneur. Deux de fes freres avoient été mis a mort , Magnus par Claude & Craffus par Néron. Luimême après un long exil , fut fix jours Céfar, & par une adoption précipLtée fembla n'avoir été préféré a fon ainé, que pour être mis a mort avant lui. Vinius vécut quarante-fept ans, avec des moeurs inconftantes. Son pere étoit de-famille prétorienne; fon ayeul maternel fut au nombre des profcrits. II fit avec irïfamie fes premières armes fous Calvifius S'abinus lieutenant-général, dont la femme, indécemment curieufe de voir 1'ordre du camp, y entra de nuit en habit d'homme, & avec la même impudence parcourut les gardes & tous les poftes, après avoir commencé par fouüler D 4  8° Tkjïdctiok du i. effenfo , legioni poft praturam prapofitus, probatufque ; fervili deineeps profaro reiperws eft tamquam fcyphum aureum in convivio Claudii furatus. Et Claudius poftera die foli omnium Vjbio fiarïibus miniftrari jufllt. Sed Vinius proconfulatu, Galliam Narbonenfem feverè int* grèque rexit. Mox Galbae amicitia in abruptum tracïus, audax, callidus, promptus, & prout animum intendiffet , pravus aut induftrius, eadem w. Teftamentum T. V/nii magnitudine opurn irntum : Pifonis fupremam voluntatem paupertas firmavit. Galba; corpus diü negleOum , & licentia te* nebrarum plurimis ludibriis vexatum , difpenfator Argius, è prioribus fcrvis, humili fepultura in privatis ejus hortis contexit. Caput per lixas calonefque fuffixum , laceratumque ante Patrobii tumulum (libertus is Neronis punitus a Galba fuerat) poftera demum die repertum, & cremato jam corpori admixtum eft. Hunc exitum habuit Ser. Galba tribus & feptuaginta annis; qmnque principes profpera fortuna emenfus, & alieno imperio felicior, quam Oio. Vetus in le  t I V 8 B DE TiCITt Cl le lit conjugal; crime dont on taxa Vinius d'ètre complice. II fut donc chargé de chalnes par ordre de Caligula :■ mais bientót les révolutions des tems 1'ayant fait délivrer, il monta fans reproche de grade en grade. Après fa préture il obtint avec applaudiiTement le commandement d'une légion; mais fe déshonorant deréchef par la plus fervile baiTeffe, il vola une coupe d'or dans un feftin de Glaude, qui ordonna le lendemain que de tous les convives on fervit le feul Vinius en vaiiTelle de terre. II ne- laiffa pas de gouverner enfuite la Gaule Narbonnoife, en qualité de proconful, avec la plus févere intégrité. Enfin, devenu tout-acoup ami de Galba, il fe montra prompt, hardi-, rufé , méchant, habile felon fes deffeins, & toujours avec la même vigueur. On n'eut point d'égard a fon teftament, a caufe de fes grandesricbeiTes; mais la pauvreté de Eifon St refpefter fes dernieres voloi.tés. Le corps de Galba, négligé longtems & chargé de mille outrages dans la licence des ténebres-, recut une humble fépulture dans fes jardins particuliers, par les foins d'Argius fon intendant & 1'un de fes plus anciens domeftiques.- Sa tête plantée au bout d'une lance & défigurée par les valets & goujats, fut trouvée le jour fuivant, devant le tombeau de Patrobe , aftranchi* de Néron qu'il avoit fait punir, & mife avec fon corps déja brülé. Telle fut la fin. de- Sergius öalba, après foixante & treize ans de vie'& de D S  82 Tkaductiow du I. familia nobiütas , magns opes; ipfi medium ingemum, magis extra vitia quam' cum virtutibus Fam* nee incuriofus, nee venditator. Pecunia?' ahens non appetens, fuaj pascBg . bIicaj gva_ rus Amicorum libertorumque, ubi in bonos incidiiTet, fine reprebenfione patiens : fi mali torent, ufque ad culpam ignarus. Sed darit2s m_ talmm , & metus temporum obtentui , ut quod fegnitia «at, fapientia vocaretur. Dum vigebat aetas, militari laude apud Germanias floruit • proconful Africam moderatè : jam fenior, citenorem Hifpaniam pari juftitia continuit, major pnvato vifus , dum' privatus fuit, • & omnium confenfu capax imperii, nifi imperaflet. Trepidam urbem , ac fimul atroeïtatem recentis fceleris, fimul veteres Othonis mores paventem, novus infuper de Vitellio nuntius exterruit. ante casdem Galba, fuppreffus, ut tantum iuperioris Germania; exercitum defcivifië crederetur. Tum duos omnium mortalium impudicitia, ignavia, luxuria deterrimos, velut ad perdendum imperium fataliter eleftos, non fenatus modo & equee , quls aliqua pars & cura reipubhcjc, fed vulgus quoque palam merere. Nee jam recentia fajve pacis exempla, fed repetita  Livre de Tacite. g3 profpérité fous cinq princes, & plus heureux fujet que fouverain. Sa nobleffe étoit ancienne & fa fortune iromenfe: il avoit un génie médiocre , point devices & peu de venus. Il ne fuyoit ni ne cherchoit la réputation: fans convoiter les ricb.esfes d'autrui, il étoit ménager 'des fiennes, avare de celles de I'état. Subjugué par fes amis & fes affranchis, & jufte ou méchant par leur caraftere, il laiüoit faire également le bien & le mal, approuvant 1'un & ignorant 1'autre: mais un grand nom & le malheur des tems lui faifoient imputer a vertu ce qui n'étoit qu'indolence. II avoit fervi dans fa jeuneffe en Germanie avec honneur, & s'étoit bien comporté dans Ie proconfulat d'Afrique: devenu vieux, il gouverna 1'Efpagne citérieure avec la même équité. El un mot, tant qu'il fut homme privé, il parut au-defTu, de fon état,.& tout le monde 1'eüt jugé dignc de 1'Empire, s'il n'y fut jamais parvenu. A la confternation que jetta dans Rome 1'atrocité de ces récentes exécutions, & la crainte qu'y caufoient les anciennes mceurs d'Othon, fe joignit un nouvel effroi par la défeftion de Vitellius, qu'on avoit cachée du vivantde Galba, en laiffant croire qu'il n'y avoit de révolte que dans 1'armée de la haute Allemagne. C'eft alors qu'avec le fénat & 1'ordre équeftre, qui prcnoient quelque part aux affaires publiques, le peuple même déploroit ouvertement la fatalité du fort qui fembloit avoir fufcité pour la perte de 1'empire deux homD 6  8+ Tkidüctios nu £ bellorum civilium memoria , captam toties füis exercitibus urbem, vaftitatem Italia, direptiones provinciarum, Pharfaliam , Philippos & Perufiam ac Mutinam, nota publicarurn cladium nomina , loquebantur. Propè everfum orbem, etiam' citrn de principatu inter bonos certaretur, fed manfijfe C. Julio , manf%ffe Ccefare Augufio viUore, imperium; manfuram fuifje, fub Pompeio Brutoque rempüblicam. Nunc pro Othonean pro Vitellio y in templa ituros? ütrafque impias preces, utraquedeteftanda vota , inter duos , quorum bello folum id fcires, deteriorem fore qui vicijjet. Erant quiVefpafianum & arma Orientis augurarentur; &r ut potior utroque Vefpafianus, ita bellüm al'iud* atque alias clades horrebant. Et ambigua de VeC pafiano fama : fólufque omnium ante fe princi,pum, in aselius mutatus eft. Mme initia cauffafqae motus- Vitellïani expe«Saro.. Carfb eum omnibus copiis Julio Vindice,. ferca: Drajdai glcriaqua- exercitus , ut cui fine  Livre de Tacite. 8'f mes, les- plus corrompus des mortel» par la mèll leffe, la débauche, 1'impudieité. On ne voyoiï: pas feulement renaitre les cruautés commife* durant la paix, mais 1'horreur des guerres civiles ,oü Rome avoit été fi fouvent prife par fes propres troupes, 1'Italie dévaftée, les provinces ruinées. Pharfale , Philippes, Peroufe & Modene, ces noms célebres par la défolation publique, reve. noient fans cefië a la bouche. Le monde avoit été prefque bouleverfé, quand des hommes dignes da fouverain pouvoir fe le difputerent. Jules & Augufte vainqueurs, avoient foutenu 1'empire ,• Pompée & Brutus euffent relevé la république; mais étoit-ce pour Vitellius ou pour Othon qu'il fallois invoquer les dieux, & quelque parti qu'on prit entre de tels compétiteurs, comment éviter de faire des vceux impies & des prieres facrileges-,. quand 1'événement de la guerre ne pouvoit dans le vainqueur montrer que le plus méchant ? 11 y en avoit qui fongeoient a Vefpafien & a 1'armée d'Orient; mais quoiqu'ils préféralTent Vefpafien aux deux autres, ils- ne laifibient pas de craindre cette nouvelle gueire, comme une fource de nouveaux malheurs; outre que la réputation da Vefpafien étoit encore équivoque, car il eft le feul parmi tant de princes que le rang fuprême ait changé en mieux. Ii faut maintenant expofer 1'origine & les caufesdes mouvemens de Vitel'ius. Après la défaite & la-, mort de Vindex, 1'armée, qu'une vicloire fasisD T,  85 T ü A O B C T ! O M 0U I. labore ac periculo, dkiffimi belli viftoria eveniflet , expeditionem & aciem , prajmia quhn ftipendia malebat: diüque infructuofam & afperam militiam toleraverat, ingenio loei ccelique, & feveritate difciplina;, quam "in pace inexorabilem difcordia; civium refolvunt: paratis utrimque corruptoribus, & perfidia impunita. Vin', arma , equi , ad ufum & ad decus fupererant, Sed ante bellum , centurias tantum faas turmafque noverant : exercitus finibus provinciarum difcernebantur. Tuin adverfus Vindicem contraclas legiones, feque & Gallias experts;, qua> rere rurfus arma, novafque difcordias : nee todos ut olim, fed holtes & viftos vocabant. Nee deerat pars Galliarum qua; Rhenum accolit, eafdem partes fecuta , ac turn acerrima inftigatrix adverfus Galbianos; hoe enim nomen faftidito Vindice indiderant. Igitur Sequanis JE.duifque , ac deinde prout opulentia civUatibus erat, infenfi, expugnationes urbium , populationes agrorum , raptus penatium hauferunt animo, fuper avaritiam & arrogantiam prascipua validio. rum vitia , contumacia Gallorum irrirati , qui remifTam flbi a Galba quartam tributorum partem , & publicè donatos in ignominiara exercitus jactabant.  Livre de Tacite. s: danger & fans peine venoit d'enrichir, fiere de fa gloire & de fon hutin, & préférant le pillage a la paye ne cherchoit que guerres & que combats. Longtems le fervice avoit été infruftueux & dur, foit par la rigueur duclimat & des faifons, foit pnr la févérité de la difcipline, toujours inflexible durant la paix, mais que les flatteries des fédufteurs & 1'impunité des traltres énervent dans les guerres civiles. Hommes, armes, chevaux, tout s'ofFroit a qui fauroit s'en fervir & s'en illuftrer, &, au lieu qu'avant Ia guerre les armées étant éparfes fur les frontieres, chacun ne connoifibit que fa compagnie & fon bataillon, alors les légions raffemblées contre Vindex ayant comparé leur force a celles des Gaules, n'attendoient qu'un nouveau prétexte pour chercher querelle a des peuples qu'elles ne traitoient plus d'amis & de compagnons, mais de rebelles & de vaincus. Elles comptoient fur la partie des Gaules qui confine au Rhin, & dont les habitans, ayant pris le même parti , les excitoient alors puiffamment contre les Galbitns; nom que par mépris pour Vindex ils avoient donné a fes partifans. Le foldat, animé contre les Eduens & les Séquanois, & mefurant fa colere fur leur opulence, dévoroit déja dans fon cceur le pillage des villes & dés champs & les dépouilles des citoyens; fon arrogance & fon avidité, vices communs a qui fe fent Ie p'us fort, s'initoient encore par les bravades des Gaulois, qui pour faire dépit aux troupes, fe  fS- T jl A' D u C T r O N DJ T, Aceefllt callidè vulgatum,. temerè creditum,. decumari legiones , & promptiffimum quemque centurionutn dimitti ,• undique atroces nuntii, finiftra ex urbe fama,, infenfa Lugduneniis colonia, & pertinaci pro Nerone fide fecunda rumoribus. Sed plurima ad fingendum credendumque materies in ipfis caftris, odio, meur,, ubi vires was refpexerant, fecuritate.. Sub ipfas fuperioris anni Ka!. Decemb. Aulia Vitellius inferiorem Germaniam ingreflus ,. hiberna legionum cum cura adierat : redditi pler-ifque ordines , remiiTa ignominia , allevats nota; : plura ambitione , quasdam judicio : in quibus fordem & avaritiam Fonteii Capiton isadimendis aflignandifve miliiia; ordinibus , integrè. mutaverat. Ncc confularis legati menfura-, fed in majus omnia accipiebantur. Et Vitellius apud feveros humilis. Ita comitatem bonitatemque faventes vocabant , quod fine modo-, fine judicio , donaret fua , Iargiretur aliena.. Simul aviditate imperandi , ipfa vitia pro vir» tutibus interpretabantur. Multi in utroque exercitu ficut modefti quietique, ita mali & ftrenui.Sed, profufa cupidine ,. & infigni temeritate,,.  Litii de Tacite. &9 vantoient de la remife du quart des tributs & du droit qu'ils avoient recu de Galba. A tout cela fe joignoit un bruit adroitement répandu & inconfidérement adopté, que les légions feroient décimées & les plus braves centurions cafles. De toutes parts venoient des nouvelles facheufes: rien de Rome que de finiftre; la mauvaife volonté de la colonie Lyonnoife & fon op'niatre attachement pour Néron, étoit la fource de mille faux bruits. Mais la haine & la crainte particuliere, jointe a Ia fécurité générale qu'infpiroient tant de forces réunies, fournilToient dans le camp une affez ample matiere au menfonge & a la crédulité. Au commencement de Décembre, Vitellius arrivé dans la Germanie inférieure vifita foigneufement les quartiers, oü. quelquefois avec prudence & plus fouvent par ambition il effagoit 1'ignominie , adouciiToit les chadmens, & rétablisfoit chacun dans fon rang ou dans fon honneur. II répara furtout avec beaucoup d'équité les injuftices que 1'avarice & la corruption avoient fait commettre a Capiton , en avangant ou déplagant les gens de guerre. On lui obéiffoit plutót comme è, un fouverain que comme a un proconful, mais il étoit fouple avec les hommes fermes. Libéral de fon bien, prodigue de celui d'autrui, il étoit d'une profufion fans mefure, que fes amis, changeant par 1'ardeur de commander fes vertus en vices, appelloient douceur & bonté. Plufieürs  po Traduction nu I. legati legionum , Alienus Cascina , & Fabiiis Valens : è quibus Valens infenfus Galba?, tamquam detectam a fe Verginii cunclationem, oppreiTa Capitonis confilia ingratè tuliiTet, inftigare Vitellium , ardorem militum oftentans. Ipfum cekbri ubique famd : nullam in Flacco Hordeonio moram , affore Britanniam , fecutura Germanorum auxilia , maiè fidas provincias , precarium feni imperium , brevi tranfiturum : panderet modo finum , venienti fortunce occurreret. Meritö dubitajje Verginium equeftri familie, ignoto patre: imparem fi recepijjet imperium , mum fi recufaffet. Vitellio tres patris confiüatus, cenfuram, collegium Cafaris , £f imponere jampridem imperator is dignationem, £f auferre privati fecuritatem. Quatiebatur hit fegne ingenium, ut concupifceret magis, quam- ut fperaret. At in fuperiore Germania , Caxina decoii juventa, corpore ingens, animi immodicus, cito fermone, erefto inceiTu, ftudia militum inlexerat. Hunc juvenem Galba , quasftorem in Ba;tica , impigrè in partes fuas tranfgreffiim, le-  L i v r e de Tacite. 9i dans le camp cachoient fous un air modefte & tranquille beaucoup de vigueur a mal faire : mais Valens & Cecina, lieutenans - généraux, fe diftinguoient par une avidité fans bornes,qui n'en laisfoit point a leuraudace. Valens furtout, après avoir étouffé les projets de Capiton & prévenu i'incertitude de Verginius, outré de 1'ingratitude de Galba , ne ceffoit d'exciter Vitellius, en lui vantant le zele des troupes. II lui difoit que fur fa réputation, Hordéonius ne balanceroit pas un moment, que 1'Angleterre feroit pour lui, qu'il auroit des fecours de 1'Allemagne, que toutes les provinces flottoient fous le gouvernement précaire & paiTager d'un vieillard ; qu'il n'avoit qu'a tendre les bras a la fortune & courir au-devant d'elle; que les doutes convenoient a Verginius, fimple chevalier Romain, fils d'un perc inconnu , & qui, trop au-deffous du rang fuprême, pouvoit Ie refufer fans rifque. Mais quant a lui, dont le " pere-avoit eu trois confulats, la cenfure & Céfar pour collegue, que plus il avoit de titres pour afpirer a 1'empire, plus il lui étoit dangereux de vivre en homme privé. Ces difcours agitant Vitellius, portoient dans fon efprit indolent plus de defirs que d'efpoir. Cependant Cecina, grand, jeune, d'une belle figure, d'une démarche impofante, ambitieux, parlant bien , flattoit & gagnoit les foldats de 1'Allemagne fupérieure. Quefteur en Bétique, il avoit pris des premiers le parti de Galba, qui lui  ffi Traduction dcj j gioni prapofuit. Mox compertum peblica» pecuniam avertiflè, ut peculatorem flagitari juffie. Cfficina asgrè paffus , mifcere cunéte, & privata vulnera, reipublicaj malis operire ftatuit. Nee deerant in exercltu femina difcordia; , quod & bello adverfus yindicem univetfus aftuerat, nee nifi occifo Nerone tranflatus in Galbam, atque in eo ipfo facramento vexillis inferioris Germanias prasventus erat» Et Treveri ac Lingones , quafque alias civitates atrocibus ediétis, aut damno finium, Galba perculerat, hibemis iegionum propius mifcentur. Unde feditiofa colloquia , & inter paganos corruptior miles . & in Verginium favor cuicumque alii profututus. Miferat civitas Lingonum , vetere infti, tuta, dona Iegionibus , dextras hofpitii infigne. Legati eorum in fqualorem masftiuamque corn.' pofiti , per principia , per contubernia r modè fuas injurias, modó civitatum vicinarum prasmia, & ubi pronis militum auribus accipiebantur, ipfius exercitus pericula & contumelias, conquirentes, accendebant animos. ^ Nee procul feditione aberanr, cüm Hordeosüus. ïlaccus. abiie legatos r utqye oceultior dj~  L iv » i de Tacite. P3 donna le commandement d'une légion; mais ayant reconnu qu'il détournoit les deniers publics, il le fit accufer de .péculat; ce que Cecina fupportant impatiemment, il s'effor.ca de tout brouiller & d'enfevelir fes fautes fous les ruines de la république. II y avoit déja dans 1'armée .afièz de penchant a la révolte; car elle avoit de concert pris parti contre Vindex, éi ce.ne fut qu'après Ia mort de Néron qu'elle fe déclara pour Galba, en quoi même elle fe laifia prévenir par les cohortes de la Germanie inférieure. De plus, les peuples de Treves, de Langres & de toutes les villes, dont Galba avoit diminué le territoire & qu'il avoit inaltraitées par de rigoureux édits4 mêlés dans les quartiers des légions, les exc'toient par des difcours féditieux; & les foldats corrompus par les habitans , n'attendoient qu'un homme qui voulut profiter de 1'ofFre qu'ils avoient faite a Verginius. La cité de Langres avoit, felon 1'ancien ufage, envoyé aux légions le préfent des mains enlacées, en figne d'hofpitalité. Les députés, affeftant une contenance affligée, commencerent a raconter de chambrée en chambrée les injures qu'ils recevoient & les graces qu'on faifoit aux cités voifines; puis fe voyant écoutés, ils échauffoient les efprits par 1'énumération des mécontentemens donnés a 1'armée .& de ceux qu'elle a.yoit encore a craindre. Enfin , tout fe préparant a la fédition, Hordéonius renvoya les dépués & les fit fortir de  94 Traductión du li grefTus effet, nocte caftris excedere jubet. Inds atrox rumor, afErmantibus plerifque interfeétos, ac ni fibi confulerent , fore ut acerrimi militum & praofentia conquefti , per tenebras & infcitiam ceterorum occiderentur. Obftringuntur inter fe tacito fcedere legiones. Afcifcitur auxiliorum miles , primo fufpeftus , tamquam circumdatis cohortibus alifque, impetus in legiones pararetur ; mox eadem acriüs volens, faciliore inter malos confenftj ad bellum, quam in page ad concordiam. Inferioris tarnen Germania; legiones folemni Kalend. Januariarum facramento pro Galba adaéb; , multa cun&atione , & raris primorum ordinum vocibus: ceteri filentio, proximi cujufque audaciam exfpeftantes, infita mortalibus natura propere fequi, qua; piget inchoare. Sed ipfis Icgionibus inerat diverfitas animorum : primani quintanique turbidi, adeö ut quidam faxa in Galba; imngmes jecerint: quinta deeima ac fexta decima legionts , nihil ultra fremitum & minas aufa; , initiuin erumpendi circ,umfpectabant. At in fuperiori exercitu, quarta ac duodevicefima legiones iifdem hibernis tendentes, ipfo Kalend. Januariarum die dirumpunt imagines Galba; : quarta legio pre mptius, duodevicefima cunccanter, mjx confe.ifu. Ac ne reverentiam  Livre de Tacite. 95 nuit pour cacher leur départ. Mais cette précaution réuflit mal, plufieürs aflurant qu'ils avoient été maffacrés ,• & que, fi 1'on ne prenoit garde a foi, les plus braves foldats qui avoient ofé murmurer de ce qui fe paflbit, feroient ainfi tués de nuit a 1'infcu des autres. La - defllis les légions s'étant liguées par un engagement fecret, on fit venir les auxiliaires, qui d'abord donnerent de 1'inquiétude aux cohortes & a la cavalerie qu'ils environnoient, & qui craignirent d'en être attaqués. Mais bientót tous avec la même ardeur prirent le même parti; mutins plus d'accord dans la révolte qu'ils ne furent dans leur devoir. Cependant, le premier Janvier, les légions de la Germanie inférieure prêterent folemnellement Ie ferment de fidélité a Galba , mais a contre-ceeur & feulement par la voix de quelques-uns dans les premiers rangs; tous les autres gardoient le filence , chacun n'attendant que 1'exemple de fon voifin , felon la difpofition naturelle aux hommes de fcconder avec courage les entreprifes qu'ils n'ofent commencer. Mais l'émotion n'étoit pas la même dans toutes les légions. II regnoit un fi grand trouble dans la première & dans la cinquieme, que quelques-uns jetterent des pierres aux images de Galba. La quinzieme & la feizieme, fans aller au-dela du murmure & des menaces, cherchoient le moment de commencer la révolte. Dans l'armée fupérieure, la quatrieme & la vingt-deuxieme légion allant occuper les  gS THADUCTIOS DH I. imperii exuere viderentur , in S. P. Q. R. ©blittetata jam nomina, facramenta advocabant; mülo legatorum tribunorumve pro Galba nitente, quibufdam , ut in tumultu , notabiliüs turbantibus. Non tarnen quifquam in modum concionis, aut fuggeftu locutus:- neque enim erat adhuc cui imputaretur. Spectator flagitii Hordeonius Flaccus confularis legatus aderat, non compefcere ruentes, non retinere dubios, non cohortari bonos aufus, fed fegnis, pavidus, & focordia innocens. Quatuor centuriones duodevicefima; legionis, Nonius Receptus , Donatius Valens, Romilius Marcellus , Calpurnius Repentinus , cum protegerent Galba; imagines, impetu militum abrepti, vinctique. Nee cuiquam ultra fides , aut memoria prioris facramenti ; fed , quod in féditionibus accidit, unde plures erant, omnes fuere. Nofte qua: Kalendas Januarias fecuta eft, in coloniam Agrippinenfem aquilifer quarta; legionis epulanti Vitellio nuntiat , quartam & duodevicefimam Itegiones, projeftis Galba; imaginibus, in Senaus & Populi Romani verba juraife. Id facramentum inane vifum ; occupari nutantem fortu- mêmes  Li vie r>e Tacite. mêmes quartiers, briferent les images de Galba: ce même premier de Janvier, la quatrieme fans balar.cer; la vingt - deuxieme ayant d'abord héfité, fe détermina de même: mais pour ne pas paroitre avilir la majefté de 1'empire, elles jurerent au nom du Sénat & du Peuple Romain, mots furannés depuis longtems. On ne vit ni Généraux, ni Officiers faire le moindre mouvement en faveur de Galba ; plufieürs même , dans le tumulte, cherchoient a 1'augmenter , quoique jamais de defius le tribunal , ni pjr de publiques harangues; de forte que jufques - la on n'auroit fu a qui s'en prendre. Le Proconful Hordéonius, fimple fpeétateur de 1» révolte, n'ofa faire le moindre eflört pour réprimer les féditieux, contenir ceux qui flottoient, ou ranimer les fideles: négligent & craintif, il fut clément par lacheté. Nonius Receptus, Donatius Valens, Romilius Marcellus, Calpurnius Repentinus, tous quatre centurions de la vingtdeuxiems Iégion, ayant voulu défendre les images de Galba, les foldats fe jetterent fur eux & les lierent. Après cela, il ne fut plus queftion de la foi promife , ni du ferment prêté ; & comme il arrivé dans les féditions, tout fut bientót du cóté du plus grand nombre. La même nuit, Vitellius étant a table a Cologne, 1'enfeigne de la quatrieme légion le vint avertir que les deux légions , après avoir renverfé les images de Galba, avoient juré fidélité au Sénat & au Peuple Supplêm. Tom. V. E  9ï Traduction du I. nam, & offerri principem placuit. Mifll a Vitellio ad Iegiones legatofque , qui defcivifie a Galba fuperiorem exercitum nuntiarent: proinde aut bellandum adverfus defcifcentes, aut fi concordia & pax placeat, faciendum imperatorem; & minore difcrimine fumi ..principem, quam quasri. Proxima legionis prima; hiberna erant , & promptifïïmus è legatis Fabius Valens. Is die poftero coloniam Agrippinenfem cum equitibus legionis , auxiliorumque ingrelTus , Imperatorem Vitellium confalutavit. Secuta; ingenti certamine ejufdem provincia; legiones: & fuperior exercitus, fpeciofis fenatus populique Romani nominibus reliftis , in. Non. Januarias Vitellio acceffit , fcires illum priore biduo non penes rempublicam fuiiTe. Ardorem exercituum Agrippinenfes, Treveri, Lingones axmabant, auxilia, equos , arma , pecunias offerentes , ut quifque corpore, opibus, ingenio valibus. Nee principes modó coloniarum aut caftrorum; quibus pra;fentia ex affluenti , & parta Victoria magna; fpes: fed manipuli quoque & gregarius miles, viatica, & balteos, phalerafque, infignia armorum, argento decora, loco pecunia; tradebant: inftinctu, & impetu & avaritia. ïgltur laudata militum alacritate , Vitellius»  Liuï de Tacite. 99 Romain, ferment qui fut trouvé ridicule. Vitellius, voyant 1'occafion favorable, & réfolu de s'ofFrir pour chef, envoya des députés annoncer aux légions que 1'armée fupérieure s'étoit révoltée contre Galba, qu'il falloit fe préparer a faire la guerre aux rebelles; ou, fi 1'on aimoit mieux la paix, a reconnoitre un autre Empereur, & qu'ils couroicnt moins de rifque a 1'élire qu'aj.l'attendre. Les quartiers de la première légion étoient les plus voifins. Fabius Valens, Lieutenant-général, fut plus diligent, & vint le lendemain a la tête de la cavalerie de la légion & des auxiliaires fatoor Vitellius Empereur. Auflitót ce fut parmi les légions de la province a qui préviendroit les autres; & 1'armée fupérieure Iaiffant ces mots fpécieux de Sénat & de Peuple Romain, reconnut aufli Vitellius le trois de Janvier, après s'être jouée durant deux jours du nom de la République. Ceux de ïreves, de Langres & de Cologne, non moins ardens que les gens de guerre, offroient a 1'envi, felon leurs moyens, troupes, chevaux, armes, argent. Ce zele ne fe bornoit pas aux chefs des colonies & des quartiers, animés par le concours préfent & par les avantages que leur promettoit la viftoire; mais les manipules & même les fimples foldats tranfportés par inftinct, & prodigues par avarice, venoient, faute d'autres biens, offrir leur paye, leur équipage, & jufqu'aux ornemens d'argent dont leurs armes étoient garnies. Vitellius, ayant remercié les troupes de leur E z  i<30 Tradüction du L minifteria principatus per libertos agi folita, in equites Romanos difponit. Vacationes centurionibus ex fifco numerat. Samtiam militum plerofque ad pcenam expofcentium fspiüs approbat , partim fimulatione vinculorum fruftratur. Pompeius Propinquus procurator Belgica? ftatitn interfecïus. Julium Burdonem Germanica; clasfis prajfeftum aftu fubtraxit. Exarferat in eum i/acundia exercitus , tamquam crimen , ac mox infidias, Fonteio Capitoni ftruxifiët, grata erat memoria Capitonis, & apud fievientes occidere palam , ignofcere non nifi fallendo dicebat. Ita in cuftodia habitus ; & poft victoriam demum , ftratis jam militum odiis, demiffus eft. Interim ut piaculum objicitur centurio Crifpinus , qui fe fanguine Capitonis cruentaverat : eoque & poftulantibus manifeftior , & punienti vilior fuit. Julius deinde Civilis periculo exemptus, prapotens inter Batavos, ne fupplicio ejus ferox gens alienaretur. Et erant in civitate Lingonum vin. Batavorum cohortes, quartaj decima? legionis auxilia , tum difcordia temporum a legione digrefib : prout inclinasfent , grande momentum , focia; aut adverfs. Nomium , Donatium , Romilium , Calpurnium , centuriones , de quibus fupra retulimus , occidi juffit , damnatos fidei crimine , gravifiïmo inter defsjfcentes. Acceflere partibus Valerius Maficus , Belgicaj provinciaa legatus, quem mox Vitslüus generum afcivit : & Junius Blapfus  1 I V R E Dl f AC1TÉ, 101 zele , commit aux chevaliers romains le fervice auprès du prince que les affrancbis faifoient aup.iTavant. II acquitta du fifc les droits dus aux centurions par les manipulaires. II abandonna beaucoup de gens a la fureur des foldats, & en fauva quelques-uns en feignant de les envoyer en prifon. Propinquus, intendant de la Belgique , fut tué fur le champ: mais Vitellius fut adroitement fouftraire aux troupes irritées Julius Burdo, commandant de l'anryée navale, taxé d'avoir intenté des accufations & enfuite tendu des pieges a ïonteius Capiton. Capiton étoit regretté, & parmi ces furieux on pouvoit tuer impunément, mais non pas épargner fans rufe. Burdo fut donc mis en prifon & relaché bientót après la victoire, quand les foldats furent appaifés. Quant au centurion Crifpinus qui s'étoit fiswillé du fang de Capiton , & dont la crime n'étoit pas équivoque a leurs yeux , fïi la perfonne regrettable a ceux de Vitellius, il fut livré pour vicïime a leur vengeance. Julius Civil'is, puiflant chez les Bataves, échappa au péril par la crainte qu'on eut que fon fupplice n'aliénat un peuple fi féroce; d'airtant plus qu'il y avoit dans Langres hult cohortes Bataves auxiliaires de Ia quatorzieir.e légion, lefquclles s'en étoient féparées par 1'efprit de difcorde qui regnoit en ce tems - la & qui pouvoient produire un grand effet en fe déclarant pour ou contre. Les centurionsNonius,Donatius, Romilius, Calpurnius,dont nous avons parlé, fi> rent tués par 1'ordre de Vitellius comme coupabks E 3  ïo2 Tradüction du I. Lugdunenfis Gallias rector, cum Italica legione, & ala Taurina, Lugduni tendentibus. Nee in Rhanicis copiis mora , quo minus fiatim adjungerentur. Ne in Britannia quidem dubitatum. Przeerat Trebellius Maximus , per avaritiam ac /ordes contemptus exercitui invifufque. Accendebat odium ejus Rofcius Caslius Iegatus vicefima; legionis olim difcors, fed occafione civilium armorum atrociüs proruperant. Trebellius feditionem & confufum ordinem difciplina: Cajlio : fpoliatas & inopes legiones Csslius Trebellio objectabat, cum interim fcedis legatorum certaminibus ; modeftia exercitus corrupta , eoque difcordia? ventum , ut auxiliarium quoque militum convitiis proturbatus , & aggregantibus fe Caïlio cohortibus alifque , defertus Trebellius ad Vitellium perfugerit; quies provincia;, quamquam remoto confulari , manfit. Rexere legati legionum , pares Jure , Cajlius audendo potentior. Adjuncto Britannico exercitu, ingens viribus epibufque Vitellius > duos duces , duo itinera  Livke de Tacite. 103 de fidélité, crime irrémiffible chez des rebelles, Valerius Afiaticus, commandant de la Belgique éi dont peu après Vitellius époufa la fille, fe joignit a lui. Julius Blacfus, gouverneur du Lyonnois, en fit de même avec les troupes qui venoient a Lyon, favoir, la légion d'Italië & 1'efcadron de Turin ; celles de la Rhétique ne tarderent point a fuivre eet exemple. II n'y eut pas plus d'incertitude en Angleterre. Trebellius Maximus qui y commandoit , s'étoit fait haïr & méprifer de 1'armée par fes vices & fon avaricé; haine que fomentoit Rofcius Caïlius commandant de la vingtieme légion, brouillé depuis longtems avec lui, mais a 1'occafion des guerres eiviles devenu fon ennemi déclaré. Trebellius traitoit Ciilius de féditieux, de perturbateur de la difcipline; Caslius 1'accufoit u fon tour de piller & ruiner les légions. Tandis que les généraux fe déshonoroient par ces opprobres mutuels , les troupes perdant tout refpeft , en vinrent a tel excès de licence que les cohortes & la cavalerie fe joignirent a Cajlius; & que Trebellius, abandonné de tous & chargé d'injures, fut contraint de fe réfugier auprès de Vitellius. Cependant, fans chef confulaire, la province ne laiffa pas de refter tranquille, gouvernée par les commandans des légions, que le droit rendoit tous égaux, mais que.l'audace de Caïlius tenoit en refpeft, Après 1'accelïïon de 1'armée Britannique, Vitellius, bien pouryu d'armes éi d'argent,réfolut de E +  104 Traduction D a j, beJIo deftinavit. Fabius Valens allicere , «1 fi abnuerint, vafïare Gallias, & Ootianis Alpïbus Itaham irrumpe»; Cscina propiore tranfitu Fenims jugis degredi juffus. Valenti inferioris e-xevotus elefti cum aquila quinto? legionis, & cohortibus aiifque ad XL. millia armatorum data. xxx imlha Caxina è fuperiore Germania ducebat, quorum robur legio una, prima & viceftma fint; addita utrique Germanorum auxilia, è quibus. Vitellius fuas quoque copias fupplevit, tota mole belli fecuturus. Mira inter exercitum imperatoremque diverfitas Inftare iniles, arma pofcere , dum Gallis trepident, dum Hifpasi* cunétentur ; non obfiare hiemem, neque ignava? pacis moras tinvadendam Italiam, oco.pandam urbem- nihil m difcordiis civilibus feftinatione tutius', ubi fafto magis quam confulto opus efiet. Torpebat Vitellius, & fortunam Principatus inerti luxu ac prodigis epulis prafumebat, medio diei t^mulentus, & fagina gravis; cum tarnen ardor & vis militum ultro ducis munia implebat ut ü adeffet imperator, & firenui6 vej ignavis f metmnque adderet. faire  Li 7 SE DE T A C I T 105 faire marcher fes troupes par deux chemins & fous deux généraux. Il chargea Fabius Valens d'attirer a fon parti les Gaules, ou fur leur refus, de les ravager & de déboucher en Italië par les Alpe» Cottiennes: il ordonna a Cecina de gagner la orête des Pennines par le plus court chemirf. Valens-eut 1'élite de 1'armée inférieure avec 1'aigle de la cinquieme légion, & aiïez de" cobortes- & de cavalerie pour lui faire une armée de quarante mille hommes. Cecina en conduifit trente mille de 1'armée fupérieure , dont la vingt-unieme légion faifoit la principale force. On joignit a 1'une & a 1'autre armée des- Germains auxüiaires-, dont Vitellius recruta aufïï la fienne, avec laquelle il- fe préparoit a fuivre le fort de la guerre. 11 y avoit entre 1'armée & 1'emper'éür uti'e op'pdfition bien étrange. Les foldats pleins d'ardeur, fans fe foucier de 1'hiver ni d'une paix prolorgée par indolence, ne demandoient- qu'a combattre, & perfuadés que la diligence eft furtout effentiélte dans les guerres' civi-les, oü il eft plus queftiön d'agir que de confulter, ils vouloient profiter de: 1'effroi des Gaules & des-lentèurs dè 1'Efpagrie' pour envahir 1'Italie & marcher a Rome.- Vitei-lius, engourdi & dès le milieu du jour furchargéd'indigeftion & de vin, confumoit'd'av«ancê les revenus de 1'empire dans un vain luxe &• dès feftins-immenfes; tandis que le zele & l'a&ivifé des troupes fuppléoient au devoir uu chef1, comme' fi, préfent lui - même, il eüt encouragé les: b'taves &menacé les laches. E s-  i©0 Tkaduction du L. Inftrufti intencique fïgnum profeclionis expofcunt:'nomine Germanici, Vitellio ftatim addito Cfcfarem fe appellari, etiam vicïor prohibuit' Lstum augurium Fabio Valenti exercituique , quem in bellum agebat, ipfo profedlionis die^ aquila leni meatu, prout agmen incederet, velut dux via; pravolavit: longumque per fpadum, is gaudentium militum clamor, ea quies interrits alitis fuit, ut haud dubium magns & jprofpers rei omen acciperetur. Et Treveros quidem ut focios fecuri adiere. Divoduri (Mediomatricorum id opidum eft) quamquam omni comitate exceptos, fubitus pavor exterruit, raptis repentè armis, ad caidem •innoxias civitatis, non ob pradam, aut fpoliandi cupidinem, fed furore & rabie, & caulfis incertis , eoque difficilioribus remediis , donec precibus ducis mitigati , ab excidio civitatis temperavere. Cafa tarnen ad quatuor millia bominum. Ifque terror Gallias invafit, ut «enienti mox agminï univerfa; civitates , cum magiftratibus & precibus , occurrerent , ftratis £>ex vias pueris; feminifque , quaque alia plaomenta hoftilis ira: , non quidem in bello, fed! po> pace tendebantur.. ïftmiaun* de csde Galba; & imperio Othonis,.  Livre be Tacite. 107 Tout étant prét pour le départ, elles en demanderent 1'ordre, & fur le champ donnerent i Vitellius le furnom de Germaniquc: mais même après la vi&oire, il défendit qu'on le nommaf Géfar. Valens & fon armée eurent un favorable augure pour la guerre qu'ils alloient faire: car le jour même du départ, un aigle planant doucement a la tête des bataillons, fembla leur fervir de guide; & durant un long efpace les foldats pousferent tant de cris de joie, & 1'aigle s'en effraya fi peu, qu'on ne douta pas fur ces préfages d'un grand & heureux fuccès. L'armée vint a Treves en toute fécurité, comme chez des alliés. Ma's, quoiqu'elle recut toutes fortes de bons traitemens a Divolure, viile de Ia province de Metz, une terreur panique fit prendre fans fujet les armes aux foldats pour la détruire. Ce n'étoit point 1'ardeur du pillage qui les animoit, mais une fureur, une rage d'autant plus difficile a calmer qu'on en ignoroit la caufe. Enfin après bien des prieres & le meurtre de quatre mille hommes, le général fauva le refte de la> ville. Cela répandit une telle terreur dans les* Gaules, que de toutes les provinces oü paflbitt Tarmée, on voyoit accourir le peuple & les magiftrats fupplians, les chemins fe couvrir de femmes; d'enfans, de tous les objets les plus propresa fléchir un ennemi même & qui, fans avoir de guerre, imploroient la paix. & Toul, Valens apprit la mort de Galb» & 1'éE 6  108 TiiDD c T ion nu £ Fabius Valens in civitate Leucorum accepit. Nee: militum animus in gaudium, aut formidinem' permotus, bellum volvebat. Gallis cunftatio exemta , & in Othonem ac Vitellium odium' par, ex Vitellio & metus. Proxima Lingonum' civitas erat , fida partibus ; benignè excepti, modeftiè certavere. Sed brevis tetitia fuit,. cohortium intemperie , quas a legione quartadecima , ut fupra memoravimus, digreflas exercitui fuo Fabius Valens adjunxerat. Jurgia primum , mox rixa inter Batavos & legionarios, Dum his aut illis ftudia militum adgregantur;, propè in pralium exarfere ; ni Valens animadTerfione paucorum , oblitos jam Batavos imperiiadmonuiffet. Fruftra adverfus -fëduos quarta' feelli cauffa. Juffi pecuniam atque arma deferre, gratuitos infuper commeatus prabuere ; quod jEdui formidine, Lugdunenfes gaudio fecere. Sed legio Italica & ala Taurina abducta;. Cohortem duodevicefimam Lugdini, folitis fibi hi-bernis , relinqui placuit. Manlius' Valens, legatus Italics legionis, quamquam bene de partibus meritus, nullo apud Vitellium honore fuit. Secretis eum criminationibus infamaverat Fabiusignarum , & quo ineauticr deciperetur, palam = iaudatum.. Veterem- inter Lugdunenfes Vienrrenfefque-  L I 7 E E DE T A C I T ï'. T09 leétlon d'Othon. Cette nouvelle, fans effrayer ni réjouir les troupes, ne changea rien a leurs deffeins; mais elle détermina les Gaulois, qui haïffant également Othon & Vitellius, craignoient de plus celui-ci. On vint enfuite a Langres, province voiiine & du parti de 1'armée; elle y fut bien recue & s'y comporta honnêtement. Mai9 cette tranquillité fut troublée par les excès des cohortes détachées de la quatorzieme légion , dont j'ai parlé ci-devant & que Valens avoit jointes a fon armée. Une querelle qui devint émeute, s'éleva entre les Bataves & les légionnaires; & les uns & les autres ayant ameuté leurs camarades, on étoit fur le point d'en venir aux mains, fi', par le chitiment de quelques Bataves , Valens n'eflt rappellé les autres a leus devoir. On s'en prit mal a propos aux Eduens du. fujet de la querelle. II leur fut ordonné de fournir de 1'argent, des armes & des vivres gra* tuitement. Ce que les Eduens firent par force les Lyonnois le firent volontiers: aufli furent-ils délivrés de la légion Italique & de 1'efcadron de Turin qu'on emmenoit, & on ne laiffa que la dix-huitieme cohorte a Lyon, fon quartier ordinaire. Quoique Manlius Valens, commandant de la légion Italique, eüt bien mérité de Vitellius >■ il n'en reent aucun honneur. Fabius 1'avoit des, fervi fecrétement; & pour mieux le tromper-,. il affecloit de le louer en public. II regnoit entre Vienne & Lyon d'anciennes E 7.  iio Traduction du I. difcordiam , proxiraum bellum accenderat; multas invicem elades, crebriüs infeftiüfque,' qua,n ut tantum propter Neronem Galbamque pugnaretur. Et Galba reditus Lugdunenfium, occafione iras, in fifcum verterat. Multus contra in Viennenfes honor. Unde a;muIatio , & invidia , & uno amne difcretis connexum odium.. Igitur Lugdunenfes extimilare fingulos militum, & in everfionem Vienneniïum impellere, ob' feffam ab illis coloniam fuam, adjutos Vindieis conatus, confcriptas nuper legiones in praafidium Galba; referendo. Et ubi'caufTas odiorum prstenderant , magnitudinem prajda; oftendebant. Nee jam fecreta exhortatio fed publica; pra;ces : Irent ultores , exfeinderent fedem Gallici belli;. amBa illk externa & hojlilia , fe coloniam Ro'. manam £f partem exercitus , fcf profperarum adverfarumque rerum focios ■ fi fortuna contrè, daret,. iratis ne relinquerentur. His & pluribus in eumdem modum, perpulerant, ut nee legati quidem ac duces partium reftingui poffe iracundiam exercitus arbitrarentur: cum ignari haud difcriminis-. M Viennenfes , velamenta & infulas praferentes, ubi agmen incelTerat, arma, genua, veftigia prehenfando, fiexere militum animos. Addidit Valens trecenos fingulis militibus feflertios. Tum vetuftas dignitafque colonia; valuit. Et verba Fabii falutem incolumitatemque Viennenffum commendantis, a;quis auribus accepta. Pubücè tarnen armis mulftati, privatis & gromif-  Livre de Tacite. nr difcordes que la derniere guerre avoit ranimées: il y avoit eu beaucoup de lang verfé de part & d'autre , & des combats plus fréquens & plus opiniatres, que s'il n'eut été queftion que des intéréts de Galba ou de Néron. Les revenus publics de la province de Lyon avoient été confifqués par Galba fous le nom d'amende. II fit, au contraire, toute forte d'honneurs aux Viennois, ajoutant ainfi 1'envie a la haine de ces deux peuples, féparés feulement par un fleuve qui n'arrêtoit pas leur animofité. Les Lyonnois animant donc le foldat, 1'excitoïent a détruire Vienne qu'ils accufoient de tenir leur colonie afiiégée, de s'être déclarée pour Vindex & d'avoir ci-devant fourni des troupes pour Le fertice de Galba. En< leur montrant enfuite la grandeur du butin, Ils animoient la colere par la convoitife, & non contens de les exciter en fecret: ,, Soyez," leur difoient-ils hautement, „ nos vengeurs & les vótres en détruifant la fource de toutes les „ guerres des Gaules. La, tout vous eft étranger „ ou ennemi, ici, vous voyez une colonie Ro„ maine & une portion de 1'armée toujours fidele „ d partager avec vous les bons & les mauvais „ fuccès: la fortune peut nous être contraire ; ne „ nous abandonnez pas a des ennemis irrités." Ear de femblables difcours, ils échaufferent tellement 1'efprit des foldats, que les officiers & les généraux défefpéroient de les contenir. Les fiennois, qui n'ignoroient pas le péril, vinrent  112 T ft A D U C T I O N j) U £ euis copiis juvere militem. Sed fama confiar?s fuit , ipfum Valentem magna pecunia emptum. Is diü fordidus , repentè dives , mutationem fortunae malè tegebat , accenfis egeftate longi cupidinibus,. imrooderatus, & inopi juventa, fe-aex, prodigus.- Eento deinde agmine, per fines Allobrogum & Vocontiorum duftus exercitus.- ipfa itioerua fpatia, & ftativorum mutationes venditante duce> fcedis pa&ionibus adverfus poffeffores agrorum& magiftratus civitatum , adeö minaciter , ut Luco (municipium id Vocontiorum eft) faces admoverit , donec pecunia mitigaretur; quoties pecunia: materia deeffet, ftupris & adulteriis exorabatur. Sic ad Alpes perventumf Plus pradaj ac fanguinis Cscina- haufit,- Ini-  Liïre be Tacite. 113 au-devant de 1'armée avec des voiles & des ban«lelettes , & fe proflernant devant les foldats, baifant leurs pas, embraffant leurs genoux & leurs armes, ils calmerent leur fureur. Alors Valens leur ayant fait diftribuer trois cents fefterces par tête, on eut égard a 1'ancienneté & a la dignité de la colonie, & ce qu'il dit pour le falut & la confervation des habitans , fut écouté favorablement. On défarma pourtant la province, & les particuliers furent obligés de fournir a difcrétion des vivres au foldat: mais on ne douta point qu'ils n'euffent a grand prix acheté le général. Enricbi tout a coup, après avoir longtems fordidement vécu, il cachoit mal le changement de fa fortune; & fe livrant fans mefure a tous fes defirs irrités par une longue abftinence, il devint un vieillard prodigue, d'un jeune homme indigent qu'il avoit été. En pourfuivant Ientement fa route, il conduifit 1'armée fur les confins des Allobroges & des Voconces; & par le plus infame commerce, il régloit les féjours & les matches fur 1'argent qu'on lui payoit pour s'en délivrer. II impofoit les propriétaires des terres & les magiftrats des villes avec une telle dureté, qu'il fut prêt a mettre le feu au Luc, ville des Voconces, qui 1'adoucirent avec de 1'argent. Ceux qui n'en avoient point, 1'appaifoient en lui livrant leurs femmes & leurs filles. C'eft ainfi qu'il marcha jufqu'aux A'pes. Cecina fut plus fanguinaire. & plus apre au  tS4 Traduction bu I. taverant turbidum ingenium Helvetii , Gallica gens, olim armis virifque mox memoria nominis clara , de casde Galba; ignari , & Vitellii imperium abnuentes. Initium bello fuit avaritia ac feftinatio una; & vicefima; Iegionis. Rapuerant pecuniam mifïam in ftipendium caftelli, quod olim Helvetii fuis militibus ac flipendiia tuebantur; asgrè id paflï Helvetii , interceptis epiilolis , qua; nomine Germanici exercitus ad Pannonicas legiones ferebantur, centurionem & quofdam militum in cuftodia retinebant. Ca:cina belli avidus , proximam quamque culpam antequam pcniteret, ultum ibat. Mota properè caftra. Vaftati agri. Direptus, longa pace in modum municipii exftru&us, Jocus, amceno falubrium aquarum ufu frequens. Miffi ad Rhstica auxilia nuntii, ut verfos in legionem Helvetios a tergo aggrederentur. IIÜ ante difcrimen feroces, in periculo pavidi, quamquam primo tumultu Claudium Severum ducem legerant, non arma nofcere, non ordines fequi, non in unum confulere, exitiofum adverfus veteranos pralium, intuta obfidio, dilapfis vetuilate meenibus; hinc Cscina cum valido exercitu, inde Rhajtica; alaa cohortefque & ipforum Rhcetorum juventus fueta armis, & more militis exercita ,• undique populatio & casdes. Ipfi in medio vagi abjectis armis , magna pars faucii aut palantes , in montem Vocetium perfugere. Ac flatim immifïa cohorte Tbracum depulfi, & confectanti-  Livre de Tacite. ns butin. Les Suiffes , nation Gauloife , illuftre autrefois par fes armes & fes foldats, & maintenant par fes ancêtres, ne fachant rien de la mort de Galba & refufant d'obéir a Vitellius, irriterent 1'efprit brouillon de fon général. La vingt-unieme légion ayant enlevé la paye deftinée a la garnifon d'un fort oü les Suiffes entretenoient depuis longtems des milices du pays, fut caufe par fa pétulance & fon avarice du commeneement de la guerre. Les Suiffes irrités , intercepterent des lettres que 1'armée d'Allemagne écrivoit a celle de Hongrte, & retinrent prifonniers un centurion & quelques foldats. Cecina, qui ne cherchoit que la guerre & prévenoit toujours la réparation par la vengeance, leve auffitót fon camp & dévafte le pays. 11 détruifit un lieu que fes eaux minérales faifoient fréquenter & qui durant une longue paix s'étoit embelli comme une ville. II envoya ordre aux auxiliaires de la Rhétique de charger ent queue les Suiffes, qui faifoient face a la légion. Ceux-ci, féroces loin du péril,e& laches devant 1'ennemi, élurent bien au premier tumulte Claude Sévere pour leur général ; mais ne fachant ni s'accorder dans leurs délibérations , ni garder leurs rangs, ni fe fervir de leurs armes, ils fe laiffoient défaire , tuer par nos vieux foldats, & forcer dans leurs places, dont tous les murs tomboient en ruines. Cecina d'un cöté avec une bonne armée; de 1'autre les efcadrons & les cohortes Rhétiques , compofées d'une jeunefife  ii 6 Traduction nu j. bus Germanis Rhastifque, per filvas atque fn ipfis latebris trucidati. Multa hominum millia caefa, multa fub corona venumdata. Cumque direptis omnibus, Aventicum gentis caput juft» agmine peteretur; miffi qu; dedureut civitatem, & deditio accepta. In Julium Aipinum è principibus , ut concitorem belli, Caxina animadvertit: ceteros veniae vel fasvitite Vitellii reliquit. Hand facile diéhj eft , legati Heivetioruar minus placabilem imperatorem, an militem invenerint. Civitatis excidium pofcunt , tela ac manus in ora iegatorum intentant. Ne Vitellius quidem minis ac verbis temperabat: cüm Claudius CoiTus, unus ex legatis , nota; facundiaj, fed dicendi artem apia trepidatione occultans, atque eo validior, militis animum mitigavit: ut eft mos vulgo, mutabili fubitis, & tam prono in mifcricordiam , quam immodicum fovitia fuerat; effufis lacrymis, & meliora conftantius poflulando , impunitatem falutemque civitati impetravere.  Liv re de Tacite, 117 exercée aux armes & bien difciplinée, mettoient tout a feu & a fang. Les Suiffes, difperfés entre deux, jettant leurs armes & la plupart épars ou bleffés, fe réfugierent fur les montagnes, d'oü chaffés par une cohorte Thrace, qu'on détacha après eux, & pourfuivis par 1'armée des Rhétiens, on les maffacroit dans les forcts & jufques dans leurs cavernes. On en tua par milüers & 1'on en vendit un grand nombre. Quand on eut fait le dégat, on marcha en bataille a Avanche, capitale du pays. Ils envoyerent des députés pour fe rendre & furent recus a difcrétion. Cecina fit punir Julius Alpinus, un de leurs chefs, comme auteur de Ia guerre, laiffant au jugement de Vitellius la grace ou le chatiment des autres. On auroit peine a dire qui, du foldat ou de 1'empereur , fe montra le plus implacable aux députés Helvétiens. Tous les menacant des armes & de Ia main , crioient qu'il falloit détruire leur ville, & Vitellius même ne pouvoit modérer fa fureur. Cependant Claudius Coffus, un des députés, connu par fon éloquence, fut 1'employer avec tant de force & la cacher avec tant d'adreffe fous un air d'effroi , qu'il adoucit 1'efprit des foldats , & felon 1'inconflance ordinaire au peuple , les rendit auffi portés a Ia clémence qu'ils 1'étoient d'abord a la cruauté. De forte qu'après beaucoup de pleurs , ayant imploré grace d'un ton plus raffis, ils obtinrent le falut & 1'impunité de leur ville.  n8 Traduction v> v l. Caxina paucos in Helvetiis moratus dies, dum fententia; Vitellii certior fieret , fimul tranfitum Alpium parans , laHum ex ltalia nuntium accipit , alam Syllanam circa Padum agentem , facramento Vitellii accefliiTe. Proconfulem Vitellium Syllani in Africa habuerant ; mox a Nerone , ut in .fllgyptum pra:mitterentur exciti , & ob bellum Vindicis remorati , ac turn in ltalia manentes , inftirictu decurionum qui Othonis ignari , Vitellio obftrifti , robur adventantium legionum & famam Germanici exercitus attollebant, tranfiere in partes : & ut donutn aliquod novo principi ; firmifïima Tranfpadana; regionis municipia , Mediolanum , ac Novariam , & Eporediam , ac Vercellas , adjunxere. ld Caccina; per ipfos compertum. Et quia praefidio alse unius latifllma pars ltalia; defendi nequibat , pra;miflis Gallorum , Lufitanorum , Britannorumque cohortibus , & Germanorutn vexillis, in alpe Graii ipfe paululum cunctatus , num Rha;ticis - jugis in Noricum flefteret , adverfus Petronium uibis procuratorem , qui concitis auxiliis, & interruptis fluminum pontibus , fidus Othoni putabatur. Sed metu ne amittertt pra:miflas jam cohortes alafque , fimul reputans plus gloria; retenta ltalia, & ubicumque certatum foret, Noricos in cetera Victoria; praemia cefiuros, Penino fubfignanum militem itinere, & grave  LivjtE de Tacite. 119 Cecina s'étant arrêté quelques jours en SuiiTe , pour attendre les ordres de Vitellius & fe préparer au palTage des Alpes, y recut 1'agréable nouvelle que la cavalerie Syllanienne, qui bordoit le Pó, s'étoit foumife & Vitellius. Elle avoit fervi fous lui dans fon proconfulat d'Afrique, puis Néron 1'ayant rappellée, pour 1'envoyer en Egypte, Ia retint pour Ia guerre de Vindex. Elle étoit ainfi demeurée en Italië , oü fes décurions , a qui Othon étoit inconnu & qui fe trouvoient liés i Vitellius, vantant la force des légions qui s'approchoient & ne parlant que des armées d'Allemagne, 1'attirerent dans fon parti. Pour ne point s'offrir les mains vuides, ces troupes déclarerent a Cecina qu'elles joignoient aux pofTeflions de leur nouveau Prince, les fortereffes d'au-dela du Pó, favoir, Milan , Novarre , Yvrée & Verceil; & comme une feule brigade de cavalerie ne fuffifoit pas pour garder une fi grande partie de 1'Italie, il y envoya les cohortes des Gaules, de Lufitanie & de Bretagne, auxquelles il joignit les. enfeignes Allemandes & 1'efcadron de Sicile. Quant a lui, il héfita quelque tems s'il ne traverferoit point les monts Rhétiens, pour marcher dans la Norique contre 1'intendant Petronius, qui, ayant raffemblé les auxiliaires & fait couper les ponts, fembloit vouloir être fidele a Othon. Mais craignant de perdre les troupes qu'il avoit envoyées devant lui, trouvant aufïï plus de gloire a conferver 1'Italie, & jugeant qu'en quelque lieu que  iao Traduction du I. legionum agmen , hibernis adhuc Alpibus traduxit. Otho interim , contra fpem omnium , non deliciis , neque defidia torpefcere ; dilatae voluptates , difllmulata luxuria , & cuntta ad decorem imperii compofita. Eoque plus formidinis afferebant falfas virtutes, & vitia redïtura. Marium Celfum confulem defignatum , per fpeciem vinculorum , fasvitia; militum fubtractum, acciri in capitolium mbet. dementia; titulus, è viro claro & partibus invifo, petebatur. Celfus conftanter fervata; erga Galbam fidei crimen confeffus, exemplum ultrö imputavit. Nee Otho quafi ignofeeret , fed ne hoftis metum reconciliationis adhiberet, ftatim intra intimos amicos habuit, & mox bello inter duces delegit. Manfitque Celfo velut fataliter etiam pro Othone fides , integra & infelix. Lasta primoribus civitatis , celebrata in vulgus Celfi falus, ne militibus quidem ingrata fuit , eamdem virtutem admirantibus cui irafcebantur. Par ir.de exfulia:io, difj arib.11 cauflls con- 1'on  Livsle de Tacite. 121 1'on combattit, la Norique ne pouvoit échapper au vainqueur, il fit paflèr les troupes des alliés, & même les pefans bataillons légionnaires par les Alpes Pennines, quoiqu'elles fuffent encore couvertes de neige. Cependant, au lieu de s'abandonner aux plaifirs & a la molleffe, Othon renvoyant a d'autres tems le luxe & la volupté , furprit tout le monde en s'appliquant a rétablir la gloire de 1'empire. Mais ces faufles vertus ne faifoient prévoir qu'avec plus d'effroi le moment oü fes vices reprendroient le deffus. II fit conduire au capitole Marius Celfus, conful défigné qu'il avoit feint de mettre aux fers pour le fauver de la fureur des foldats, & voulut fe donner une réputation de clémence en dérobant a la haine des fiens une tête illuflre. .Celfus, par 1'exemple de fa fidélité pour Galba, dont il faifoit gloire, montroit a fon fucceiTeur ce qu'il en pouvoit attendre a fon tour. Othon , ne jugeant pas qu'il eüt befoin de pardon & voulant óter toute déiïance a un ennemi réconcilié, 1'admit au nombre de fes plus intimes amis, & dans la guerre qui fuivit bientót en fit I'un de fes généraux. Celfus de fon cóté s'attacha fincérement a Othon, comme fi c'eüt été fon fort d'être toujours fidele au parti malheureux. Sa confervation fut agréable aux grands, louée du peuple, & ne déplut pas même aux foldats, forcés d'admirer une vertu qu'ils haïffoient. Le chatiment de •Tigellinus ne fut pas moins Supplém. Tom. V. F  122 TtABCCIION nu l. fecuta, impetrato Tigellini exitio. Sophontus Tigellinus obfcuris parentibus , fceda pueritia, impudica fenecta , prafecturarn vigilum & pra;torii , & alia pramia virtutum , quia velocius erat vitiis adeptus, crudelitatem mox , deinde avaritiam , & virilia fcelera exercuit: corrupto ad omne facinus Nerone , quasdam ignaro aufus, ac poftremö ejufdem defertor ac proditor. Unde non alium pertinaciüs ad pcenam flagitavere, diverfo affeftu, quibus odium Neronis inerat , & quibus defiderium. Apud Galbam T. Vinii potentia defenfus, pratexentis fervatam ab eo filiam ; & haud dubiè fervaverat, non dementia (quippe tot interfeftis) fed effugio in futurum ; quia peflimus quifque, diffidentia precfenttum mutationem pavens, adverfus publicum odium , privatam gratiam praparat : unde nulla innocentiae cura , fed vitas iropuniïatis. Eo infenfior populus , addita ad vetus Tigellini odium recenti T. Vinii invidia, concurrere è tota urbe in palatium ac fora, & i>bi plurima vulgi licentia, in circum ac theatra efFuiï, feditiofis vocibus obftrepere : donec Tigelünus , accepto apud Sinueflanas. aquas fuprejnaj necefïïtatis nuntio, inter ftupra concubinarum, & ofcula, & deformes moras, fectis novacula faucibus, infamem vitam fcedayit etiam exitu fcro & inhonefto. '  Livre de Tacite. 123 applaudi, par une caufe toute différente. Sophonius Tigellinus, né de parens obfcurs , fouillé dès fon enfance & débauché dans fa vieillefTe, avoit a force de vices obtenu les préfeétures de la police, du prétoire & d'autres emplois dus è la vertu , dans lefquels il montra d'abord fa cruauté , puis fon avarice & tous les crimes d'un méchant homme. Non content de corrompre Néron & de 1'exciter a mille forfaits, il ofoit même en commettre a fon infeu, & finit par 1'abandonner éi le trahir. Aufïï nulle punition ne futelle plus ardemment pourfuivie, mais par divers motifs, de ceux qui déteftoient Néron & de ceux qui le regrettoient. II avoit été protégé prés de Galba par Vinius, dont il avoit fauvé la fille, moins par pitié, lui qui commit tant d'autres meurtres, que pour s'étayer du pere au befoin. Car les fcélérats, toujours en crainte des révolutions, fe ménagent de loin des amis particuliers qui puiffent les garantir de la haine publique, & fans s'abftenir du crime, s'affurent ainfi de 1'impunité. Mais cette refiburce ne rendit Tigellinus que plus odieux, en ajoutant a 1'ancienne averfion qu'on avoit pour lui celle que Vinius venoit de s'attirer. On accouroit de tous les quartiers, dans la place & dans le palais: Ie cirque furtout •& les théatres, lieux oü la licence du peuple eft: plus grande, retentiffoient de clameurs féditieufes. Enfin Tigellinus ayant recu aux eaux de Sinueffe 1'ordre de mourir, après de honteux délais cherE z  i j 4- Traduction du I. Per idem tempus expoftulata ad fupplicium Galvia Crifpinilla , variis fruftrationibus, & adverfa diffurmlantis principis fama , periculo exempta eft: magiftra libidinum Neronis, tranfgreiïa in Africam ad inftigandum in arma Ciodium Macrum , famem populi Romani haud obfcurè molita, totius poftea civitatis gratiam obtinuit confulari matrimonio innixa, & apud Galbam, Othonem, Vitellium illajfa; mox potens pecunia, & orbitate, qua; bonis malifque temporibus juxta valent. Crebra; interim, & muliebribus blandimentis infecte, ab Othone ad Vitellium epiftola;, offerebant pecuniam & gratiam , & quemcumqus quietis locum prodigas vita; legiffet. Paria Vitellius oltendebat, primo molliüs, ftulta utrimque & indecora fimulatione : mox quafi rixantes (tupra & flagitia invicem objeétavere neuter falsó. Otho, revocatis quos Galba miferat legatis, rurfus ad utrumque Germanicum exercitum, & ad legionem Italicam, eafque quae Lugduni agebant copias, -fpecie fenatus mifit. Legati apui Vitellium remanfere, promptius quam ut retenti viderentur Prsetoriani , quos per fimulationem ofHcii legatis Otho adjunxerat , remifli, antequam legionibus mifcerentur. Addit  Livre de Tacite. 125 chés dans les bras des ferames, fe coupa la gorge avec un rafoir, terminant ainfi une vie infame par une mort tardive & déshonnête. Dans ce même tems, on foliicitoit Ia punition de Galvia Crifpinilla ; mais elle fe tira d'afFaire & force de défaites & par une connivence qui ne fit pas honneur au prince. Elle avoit eu Néron pour éleve de débauche: enfuite ayant paffé en Afrique pour exciter Macer a prendre les armes , elle tacha tout ouvertement d'affamer Rome. Rentrée en grace a la faveur d'un mariage confulaire, & échappée aux regnes de Galba, d'Othon & de Vitellius, elle refta fort riche & fans enfans; deux grands moyens de crédit dans tous les tems, bons & mauvais. Cependant Othon écrivoit a Vitellius lettres fur lettres, qu'il fouilloit de cajoleries de femmes, lui offrant argent, graces & tel afyle qu'il voudroit choifir pour y vivre danj les plaifir?. Vitellius lui répondoit fur le même ton; mais ces offres mutuelles, d'abord fobremert ménagées & couvertes des deux cótés d'une fotte & honteufe diffimulation , dégénererer t bientót en querclles, chacun reprochant a 1'autre avec la même vérité fes vices & fa débauche. Othon rappella les députés de Galba & en envoya d'autres au nom du fénat aux deux armées d'Allemagne, aux troupes qui étoient a Lyon & a la légion d'Italie. Les députés refterent auprè* de Vitellius, mais trop aifément pour qu'on crüt que c'étoit par forc?. F 3  126 TüDÜCTlOH DO I. epiftolas Fabius Valens , nomine Germanici exercitus, ad pratorias & urbanas cohortes,. de vinbus partium magnificas, & concordiam ofFerentes. Ir.crepabant ultro, quod tanto ante traditum Vitellio ünperium , ad Othonem vertifFent. Ita promiilis fimul, ac minis tentabantur : ut bello impares , in pace nihil amiilurL Neque ideo prEetorianor-um fides mutata. Sed infich'atores ab Othone in Germaniam, a 'Vitellio in urbem mifli. Utrifque fruftra fait: Vitellianis impunè , per tantam hominum multitudinem , mutua ignorantia fallentibus: Othoniani, novitate vultus, omnibus invicem gnaris, prodebantur. Vitellius Iitteras ad Titianum fratrem Othonis compofuit, exitium ipfi filioque ejus minitans, ni incolumes fibi mater ac liberi fervarentur. Et Itetit domus utraque, fub Othone , incertum an metu : Vitellius viótor, dementia; gloriam tulit. Primus Othoni fiduciam addidit ex Illyriconuntius, jurafle in eurn Dalmatia;, ac Pannonia;, & Mosfiie , legiones. Idem ex Hifpania alia.  Liui de Tacite. 127 Quant aux prétoriens qu'Othon avoit joints comme par honneur a ces députés, on fe Mta de les renvoyer avant qu'ils fe mêlaffent parmi les légions. Fabius Valens leur remit des lettres au nom des armées d'Allemagne pour les cohortes de la ville & du prétoire , par lefquelles, parlant pompeufement du parti de Vitellius , on les preflbit de s'y réunir. On leur reprochoit vivement d'avoir transféré k Othon 1'empire décerné longtems auparavant a Vitellius. Enfin ufant pour les gagner de promeffes & de menaces, on leur parloit comme a des gens a qui la paix n'ótoit rien & qui ne pouvoient foutenir la guerre : mais tout cela n'ébranla point la fidélité des prétoriens. Alors Othon & Vitellius prirent le parti d'en» voyer des afiaifins, 1'un en Allemagne & 1'autre a Rome ; tous deux- inutilement. Ceux de Vitellius, nrêlés dan» une fi grande multitude d'hommes inconnus 1'un a 1'autre, ne furent pas décou^verts ;■ mais ceux d'Othon furent bientót trahis par la nouveauté de leurs vifeges parmi des gens qui fe connoifiöient tous. Vitellius écrivit a Titien, frere d'Othon, que fa vie & celle de fon nis lui répondroient de fa mere & de fes enfans. L'une & 1'autre familie fut confervée. On doutadu motif de la clémence d'Othon; mais Vitellius vainqueur eut tout 1'honneur de la fienne. . La première nouvelle qui donna de la confiance a Othon lui vint d'Illyrie, d'oü il apprit que les légions de Dalmatie, de Pannonie c\ de F 4  iz8 Traduction du l. turn : laudatufque per edictum Cluvius Rufüs; & ftatim-cognitum eft, converfam ad Vitellium Hifpaniam. ' Nee Aquitania quidem , quamquam a Julio Cordo in verba Othonis obflricta, dm manfit. Nufquam fides aut amor, metu ac neceffitace huc illue mutabantur. Eadem formido provinciam Narbonenfem ad Vitellium vertit, facili tranfitu ad proximos & validiores. Longinqus provincia; , & quidquid armorum mari dirimitur, per es Othonem manebant, non partium ftudio , fed erat grande momentum in nomine urbis ac p;a;textu fenatus. Et occupaverat animos prior auditus. Judaicum exercitum Vefpafianus, Syria; legiones Mucianus facramento Othonis adegere. Simul JEgyptus , omnefque verfa: in Orientem provincia;, nomine ejus tenebantur. Idem Africa; obfequium , initio a Carthagine orto. Neque exfpeclata Vipfanii Aproniani proconfulis auctoritate , Crefcens Neronis libertus (nam & hi malis temporibus partem fe reipublicte faeiunt) epulum plebi , ob Isstitiam recentis imperii, obtuleras: & populus pleraque fine modo feftinavit. Carthaginem cetera; civitates fecutas. Sic diftractis exercitibus ac provinciis , Vitellio quidem ad capeflendam principatus fonunam bello opus erat.  L I V E E DE T A G I T s'. t%§ fa Mcefie avoient prêté ferment en fon nom. II recut d'Efpagne un femblable avis & donna par édit des louanges a Cluvius Rufus; mais on fut bientót après que 1'Efpagne s'étoit retournée du eóté de Vitellius. L'Aquitaine, que Julius Cordus avoit auffi fait déclarer pour Othon, ne lui refta pas plus fidele. Comme il n'étoit pas queftion de foi ni d'attachement, chacun fe laiflbit entrainer ca & la felon fa crainte ou fes efpérance?. L'efFroi fit déclarer de même la province Narbonnoife en faveur de Vitellius qui , le plus* proche & le plus puiffant, parut aifément le plus légitime. Les provinces les plus éloignées & celles que la mer féparoit des troupes refterent a Othon, moins pour 1'amour de lui, qu'a cauf?? du grand poids que donnoit a fon parti le nom de Rome & 1'autorité du fénat; outre qu'on pen* choit naturellement pour le premier reconnu (*).• L'armée de Judée, par les foins de Vefpafien, & les légions de Syrië par ceux de Mucianus ,■ ptêterent ferment a Othon. L'Egypte & toutes les provinces d'Orient reconnoifibient fon autorité. L'Afrique lui rendoit la même obéiffanee , a 1'exemple de Carffiage, oü, fans attendce les ordres du proconful Vipfanius Apronianius,, (*) L'ëliétion de Vitellius avoit précédd eelle d'Ortion : jnais a" - dda des mei's le brüit de cello - ci avoit préveim iè biuic tie 1'autre: a:nfi Othon étoit dans ces régions Ie premitr recmnu, V 5  130 X eaductios nu r,. Gtho ] ut in multa pace mimia imperii obibat: quadam ex dignitate reipublica; ; pleraque , contra decus, ex prafenti ufu properando. Conful cum Titiano fratre in Kalendas Martias ipfe , proximos menfes Verginio deftinat, ut aliquod exercitui Germanico delinimentum. Jungitur Verginio Poppseus Vopifcus , pratextu veteris amicitia; , plerique Viennenfiura honori datum interpretabantur. Ceteri confulatus ex. 'deftinatione Neronis, aut Galba;, manfere. Ca;.lio ac Plavio Sabinis, in Julias ;. Ario Antonino ét Mario Celfo, in Septembres < quorum: honori ne Vitellius quidem viétor interceffit. Sed Otho, pontificatus auguratufque honoratis jam fenibus cumuluin dignitatis addidit; & reeens ab exfilio reverfos nobiles adolefcentulos avitis ac paternis facerdotiis in folatium recoiuit. Redditus Cadio Rufo , Pedio Bla;fo, Se. vino Promptino fenatorius locus, qui repetundarum criminibus fub Claudio ac Nerone ceciderant. Piacuit ignofcentibus, verfo nomine:quod;  LiviiE de Tacite. 13 j Crefcens, afFranchi de Néron, fe mêlant, comme fes pareils, des affaires de la républiquTdans les tems de calamités , avoit en réjouiffance de Ia nouvelle éleétion donné des fêtes au peuple qui fe livroit étourdiment a tout. Les autres villes imiterent Carthage. Ainfi les armées & les provinces fe trouvoiert tellement partagées, que Vitellius avoit befoin des fuccès de la guerre pour fe mettre en poffeffion de 1'empire. Pour Othon, il faifoit comme en pleine paix les fonclions d'empereur; quelquefois foutenant la dignité de la république, mais plus fouvent' 1'avilifTant en fe hatant de regner. II défigna fon frere Titianus conful avec lui jufqu'au premier de' Mars; & cherchant a fe concilier 1'armée d'Allemagne, il deftina les deux mois fuivans a Verginius , auquel il donna Poppa;us Vopifcus pour' collegue, fous prétexte d'une ancienne amitié, mais plutót, felon plufieürs, pour faire honneur aux Viennois. Il n'y eut rien de changé pour les autres confulats aux nominations de Néron & de Galba. Deux Sabinus , Caïlius & Flave , refterent défignés pour Mai & Juin; Arius Antonius & Marius Celfus pour Juillet & Aoüt; honneur dont Vitellius même ne les priva pas après fa viétoire. Othon mit le comble aux dignités des plus illuftres vieillards, en y ajoutant celles d'augures & de pontifes, & confola Ia jeune rïoblefle récemment rappellée d'exil, en lui rendant Ie facerdoce dont avoient joui fes ancêtres. F 6  33* TraducTion r>u i. avaritia fuerat , videri majeftatem : cujus tuin odio, etilfc bona: leges peribant. Eadem largitione , civïtatum qiroque ac provïnciarum animos aggreflus, Hifpalienfibus & Emeritenfibus familiarum adjeftiones. Lingonibus univerfis civitatem Romanain , provincia;' Banica; Maurorum civitates dono dedit. Nova jura Cappadocia; , nova Africa;, oftentui magis quam manfura. Inter qua; neeeffitate praefentium rerum & inftantibus curis excufata, ne tum quidem immemor amorum, ftatuas Poppa;a; per fenatufconfultum repofuit. Creditus eil etiam de celebranda Neronis raemoria agitaviiïe , fpe vulgum alliciendi. Et fuere qui imagines Neronis proponerent; atque etiam Othoni , quibufdam diebus populus & miles , tamquam nobilitatem ac decus aftruerent , neroni - othoni acclama* vit Ipfe in fufpenfo tenuit., vetandi metu, vel agnofcendi pudore, Converfis ad civile-bellum animis-, externa Sne cura habebantur. Eo audentius Rhoxolani, Saimatiea gens, priore hieme casfis duabus coïiartibus» magna fpe ad Mcefiam irruperant, no~ wem aulliaL equitum. , ex ferocia & fucceffu,,  L i v e e de Tacite. 133 II rétablit dans Ie fénat Cadius Rufus, Pedius Bitefus & Sevinus Promptinus, qui en avoient été chaiTés fous Claude pour crime de concuiïion. L'on s'avifa, pour leur pardonner, de changer le mot de rapine en celui de lefe - majefié, rnot odieux. en ces tems-la, & dont 1'abus faifoit tort aux meilleures loix. II étendit aufïï fes graces fur les villes & les provinces. Il ajouta de nouvelles families aux colonies d'Hifpalis & d'Emerita: il donna le droit de bourgeoifie romaine a toute la province de Langres, a celle de la Bétique les villes de la Mauritanië, a celles d'Afrique & de Cappadoce de nouveaux droits trop brillans pour être durables. Tous ces foins & les befoins preffans qui les extgeoient, ne lui firent point oublier f^s amours, & il fit rétablir par décrct du fénat les ftatues de Poppée. Quelques-uns releverent aufii celles de Néron; l'on dit même qu'il délibéra s'il ne lui feroit point une oraifon funebre pour plaire a la populace. Enfin le peuple & les foldats croyant bien lui faire honneur, crierent durant quelques jours: vive Néron - Othonl Acclamations qu'il feignit d'ignorer, n'ofant les défendre & rougiffant de les permettre. Cependant uniquement occupés de leurs guerres civiles, les Romains abandonnoient les affaires de dehors. Cette négligence infpira tant d'audace aux Roxolans, peuple Sarmate, que dès 1'hiver précl-dent, après avoir défait deux cohortes, ils F 2  i3'4 Trad u c t i o m du li pradae magis quam pugna; intenta. Igitur vagos & incuriofos, tertia legio adjunétis auxiliis, rcpente invafit. Apud Romanos omnia proelio apta. Sarmatas difperfi , aut cupidine praxlas' graves onere farcinarum , & lubrico itinerum adempta equorum pernicitate, velut vinfti caidebantur. Namque mirum diétu ut fit omnis Sarmatarum virtus , velut- extra ipfos , nihil ad pedeftrem pugnam tam ignavum; ubi per turmas advenere , vix ulla acies obftiterit. Sed tum humido die , & foluto gelu, neque conti , neque gladii, quos praslongos utraque manu regunt , ufui , lapfantibus equis , & cataphraétarum pondere (id principibus & nobiliflimo cuique tegmen, ferreis laminis , aut prasduro corio confertum ; ut adverfus iftus impenetrabile, ita impetu hoftium provolutis inhabile ad refurgendum) fimul altitudine , & mollitia nivis, hauriebantur.- Romanus miles facili lorica, & miflili pilo, aut lanceis affultans, ubi res pofceret, levi gladio inermem Sarmatam , (neque enim defendi fcuto mos eft) comminus fodiebat; donec pauci , qui proelio fuperfuerant , paludibus abderentur. Ibi faivitia , hic miferia vulnerum abfumpti. Poftquam id Romascompertum , M. Aponius Mcefiam obtinens , triumphali ftatua, Fulvius Aurelius, & Julianus Titius , ac Numifius Lupus , legati legionum, oonfularibus ornamentis donantur: lasto Othone,& gloriam in fe trahen te , tamquam & ipfe-  L ivre de Tacite. 135; firent avec beaucoup de confiance une irrupt iondans la JMcefie au nombre de neuf mille chevaux. Le fuccès joint a leur avidité leur faifant plutót fonger a piller qu'a combattre, la troifieme légion jointe aux auxiliaires les furprit épars & fans difcipline. Attaqués par les Romains en bataille, les SarmatC9 difperfés au pillage ou déja chargés de butin, & ne pouvant dans des chemins gliffanss'aider de la vlteffe de leurs chevaux, fe laiffoient tuer fans réfiftance. Tel eft le caractere de ces étranges peuples, que leur valeur femble n'être pas en eux. S'ils donnent en efcadrons, a peine une armée peut-elle foutenir leur choc; s'ils combattenta pied,c'eft la lacheté même. Ledégel & 1'humidité qui faifoient alors gliffer & tomber leurs chevaux , leur ótoient 1'ufage de leurs piqués & de leurs longues épées a deux mains. Le poids des cataphraétes, forte d'armure faite de lames de fer ou d'un cuir très-dur qui rend les chefs & les officiers impénétrables aux coups, les empêchoit de fe relever quand le choc des ennemis les avoit renverfés, & ils étoient étouffés dans la neige qui étoit molle & haute. Les foldats Romains, couverts d'une cuirafTe légere, les renverfoient a coups de traits ou de lance felon 1'occafion, & les percoient d'autant plus aifément de leurs courtes épées ,. qu'ils n'ont point la défenfe du bouclier. Un petit nombre échapperent & fe fauverent dans les-marais, oü la rigueur de 1'hiver. & kurs bleffures les firent  135 Tkadüctio-tt db I. felix bello , & fuis ducibus fuifque exercitibus rempublicam auxiffet. Farvo interim inifio , nnde nihil timebatur,, orta feditio , propè urbi excidio fuit. Septimam decimam cobortem , è coIoni4 Hoftienfl, in urbem acciri Otho juiTerat, Armanda; ejus cura, Vario Crifpino tribuno è pmorianis, data. Is quo magis vacuus , quietis caftris,. juffa exfequeretur: vehicula cohortis, incipiente socte, onerari aparto armamentario jubet. Tempus , in fufpicionem ; cauffa, in crimen; affeotatio quietis , in tumultum evaluit. Et vifa inter temulentos arma , cupidinem fui movere. Fremit miles , & tribunos centurionefque proditionis arguit, tamquam famüiss fenatorum ad perniciem Othonis armarentur. Pars ignari & vino graves , peffimus quifque in occafionern prajdarum, vulgus , ut mos eft , cujufque motus novi cupidum; & obfequia meliorum nox abftulerat. Refiftentem feditioni tribunum, & feveriffimos centurionum obtruncant; rapta arma, nudati gladii, infidentes equis, urbem ac pala»tium petunt*  Livse de Tacite» 137 périr. Sur ces nouvelles, on donna a Rome une flatus triomphale a Marcus Apronianus qui commandoit en Mcefie & 'es ornemens confulaires k Fulvius Aurelius, Julianus Titius & Numifius, colonels des légions. Otbon fut charmé d'un fuccès dont il s'attribuoit 1'honneur, comme d'une guerre conduite fous fes aufpices & par fes officiers au profit de I'état. Tout-a-coup il s'éleva fur le plus leger fujet & du cóté dont on fe défioit le moins, une fédition qui mit Rome a deux doigts de fa ruine. Othon ayant ordonné qu'on fit venir dans la ville, la dix-feptieme cohorte qui étoit k Oftie, avoit chargé Varius Crifpinus, tribun prétorien, du foin de la faire armer. Crifpinus, pour prévenir 1'embarras, choifit le tems oü Ie camp étoit tranquille & le foldat retiré, & ayant fait ouvrir 1'arfenal, commer'ca dès I'entrée de la nuit a faire charger les fourgors de la cohorte. L'heure rendit le motif fufpeft, & ce qu'on avoit fait pour empêcher le défordre en produifit un très.grand. La vue des armes donna a des gens pris de vin Ia tentation de s'en fervir. Les foldats s'emportent, & traitant de traitres leurs officiers & tribuns, les accufent de vouloir armer Ie fénat contre Othon. Les uns déja ivres, ne favoient ce qu'ils faifoient; les plus méchar.s re cherchoient que 1'occafion de piller : ,1a foule fe laiffoit entrainer par fon gout ordinaire pour les nouveautés, & la nuit empêchoit qu'on ne pu/  13» Tradbcuos du I. Erat Othoni celebre convivium, primoribusfeminis virifque qui trepidi, fortuitufne militum furor , an dolus imperatoris , manere ac deprehendi an fugere & difpergi , periculofius foret : modó conftantiam fimulare , modó formidine detegi , fimul Othonis vultum intueri. Utque evenit inclinatis ad fufpicionem mentW bus , cüm timeret Otho-, timebatur. Sed haud' fecus difcrimine fenatus quam fuo territus, & prsfectos- practorii ad mitigardas militum irasftatimi miferat, & abire propaè omnes è convivio juffie. Tum vero paffim musdftratii?, projectis infignibus , vitata comitum & fervorum frequentia , fenes feminaaque per tenebras, diverfa urbis itinera<, rari domos, plurimi amicorum teéta, & ut cuique humillimus cliens, incertas latebras petivere. Militum impetus ne föribus quidem palatii cogreitus , quo minus convivium irrumperent, ©itendi. fibi Othonem expoftulantes : vulnerato  LlïKE DE ï A € 1 T E. 139 tïrer parti de 1'obéiflance des fages. Le tribun youlant réprimer la fédition fut tué, de même que les plus fév-eres centurions ; après quoi ,. s'étant faifis des armes, ces emportés monterent a cheval, &, 1'épée a la main, prirent le chemin de Ia ville & du palais. Othon donnoit un feftin ce jour-Ia, a ce qu'il y avoit de plus grand a Rome dans les deux fexes. Les convives redoutant également la fureur des foldats & la trahifon de i'empereur, ne favoient ce qu'ils deyoient craindre le plus, d'étre pris s'ils demeuroient, ou d'être pourfuivis dans leutr fuite , tantót affectant de la fermeté , tantót décelant leur effroi, tous obfervoient le vifage d'Othon & comme on étoit porté a la défianee , la crainte qu'il témoignoit, ;:ugmentoit eelle qu'on avoit delui, Non moins effrayé du péril du fénat, quedu fien propre, Othon chargea d'abord les préfets du prétoire d'aller apj-aifer les foldats & fe hata; de renvoyer tout le monde. Les magiflrats fuyoient ca & Ia, jettant les marqués de leurs dignités; les vieillards & les femmes difperfés par les rues dans les tenebres, fe déroboient aux gens de leur fuite. Peu rentrerent dans leurs maifons; prefque tous chercherent chez leurs amis & les plus pauvres de leurs cliens des retraites mal afTurées. Les foldats arriverent avec une telle impétuofité , qu'ayant forcé 1'entrée du palais, ilsöleüèrent le tribun Juüus Martialis & Vitellius  140 Traduction du 1. Julio Martiale tribuno, Vitellio Saturnino praefeóto legionis, dum ruentibus obfiftunt. Undique arma é. minae , modö in centuriones tribunofque, modó in fenatum univerfum: lymphatis cebco pavore animis, & quia neminem unum deftinare ira; poterant, licentiam in omnes pofcentibus ; donec Otho, contra decus imperii thoro infiftens, precibus & lacrymis asgrè cohibuit. Redieruntque in caftra inviti, neque innocentes. Poftera die, velut capta urbe, daufaj domus , rarus per vias populus , masfta plebs, dejecti in terram militum vultus, ac plus triftitiae quam pcenitentiae. Manipulatim allocuti funt Licinius Proculus, & Plotius Firmus, praefecti: ex fuo quifque ingenio , mitiüs aut horridiiis. Finis fermonis in eo, ur quina millia rummüm fingulis militibus numerarentur. Turn Otho ingredi caftra aufus. Atque ïlkun tribuni centurionefque circumfiftunt, abjeftis militiae infignibus , otium & fuluttm fiagitantes. Senfit irvidiam miles , & compofitus in obfequium, auftores feditionis ad fupplicium ultró poftulabat. Otho quamquam turbidis rebus , & diveriïs militum animis, ciun optimus quifque remedium prasfentis lieentias pofceret: vulgus & pluies, feditionibus & ambitiofo impcric Iaati, per turbas  Livre de Tacite. 141 Saturninus, qui tachoient de les retenir, & pénétrerent jufques dans la falie du feftin, demandant a voir Othon. Partout ils menacoient des armes & de la voix, tantót leurs tribuns & centurions, tantót le corps entier du fénat: furieux & troublés d'une aveugle terreur, faute de favoir a qui s'en prendre, ils en vouloient a tout Ie monde. II fallut qu'Othon, fans égard pour Ia majeflé de fon rang, montat fur un fopha, d'oü, a force de larmes & de prieres, les ayant contenus avec peine, il les renvoya au camp coupables & mal appaifés. Le lendemain les maifons étoient fer. méés, les rues défertes, le peuple conflerné comme dans une ville prife, & les foldats baisfoient les yeux , moins de repentir que de honte. Les deux préfets Proculus & Firmus, parlant avec douceur ou dureté, chacun felon fon génie, firent a chaque manipule des exhortations, qu'ils conclurent par annoncer une diftribution de cinq mille feflerces par tête, Alors Othon ayant hazardé d'entrer dans Ie camp, fut environné des tribuns & des centurions qui, jettant leurs ornemens militaires, lui demandoient congé & füreté. Les foldats fentirent le reproche, & rentrant dans leur devoir, crioient qu'on menat au fupplice les auteurs de la révolte. Au milieu de tous ces troubles & de ces mouvemens divers , Oihon voyoit bien que tout homme fage defiroit un frein a tant de licence ; il n'ignoroit pas non plus que les attroupemens & les  142 Traduction du ï. & raptus facilius ad civile bellum impellerentur-; fimul reputans non poiTe principatum fcelere quaefitutn, fubita modeftia, & prifca gravitate retineri , fed difcrimine urbis & periculo fenatus anxius, poftremö ita differuit. Neque ut affeUus veftros in amorent mei accenderem , commilitones ; neque ut animum ad virtutem cohortuter (utraque enim egregiê fuperfunt:) fed veni pofiulalurus a vobis temperamentum veftra fortituiinis , erga me modum caritatis. Tusnultus proximi initium , non cupiditate vel odio, (qua; muitos exercitus in difcordiam egere) ac ne detreQatione quidem aut formidine periculorum, nimia pietas veftra acriüs quam conjïderatiüs excitavit. Nam jape honeftas rerum caujfas, ni judicium adhibeas, perniciqfi exitus confequuntur. Imui ad bellum ; mm omnes nuntios palh/m audiri, omnia confilia cunüis prcefentibus tratlari , ratio rerum , aut occafiomim velocitas patitur ? Tam nefcire quadam miiites , quam fcire oportet. Ita fe ducum auüoritas, fic rigor difcipEna habet, ut multa etiam centuriones tribunofque tantiim juberi expediat. Si ubi jubeantur, qucerere fingulis liceat : pereunte obfequio , etiam imperium intercidit. An UHc noSte intempeftd rapientur arma? Unus alterve perdltus ac temulentus (neque enim plures conflematione proximd infanijje crediderim)  Livre de Tacite. 143 rapines menenc aiféraent a la guerre civile une multitude avide des féditions, qui forcent le gouvernement a Ia natter. Alarmé du danger oü il voyoit Rome & le fénat, mais jugeant impoflible d'exercer tout a coup avec Ia dignité convenable, un pouvoir acquis par Ie crime, il tint enfin le difcours fuivant: ,, Compagnons , je ne viens ici ni ranimer votre zele en ma faveur, ni réchauffer votre „ courage; je fais que 1'un & 1'autre ont toujours „ la même vigueur; je viens vous exhorter, au ,, contraire, a les contenir dans de juftes bornes. Ce n'eft ni 1'avarice ou la haine, caufes de 5) tant de troubles dans les armées, ni la ealomnie „ ou quelque vaine terreur, c'eft 1'excès feul de „ votre affeftion pour moi qui a produit avec plus ,, de chaleur que de raifon le tumulte de la nuit „ derniere : mais avec les motifs les plus hon„ nêtes, une conduite inconfidérée peut avoir „ les plus funeftes eflèts. Dans la guerre que „ nous allons commencer, eft-ce le tems de com„ muniquer a tous chaque avis qu'on recoit, cc „ faut-ii délibérer de chaque chofe devant tout le monde? L'ordre des affaires, ni larapidité de 1'occafion ne le permettroient pas, & comme „ il y a des chofes que le foldat doit favoir, il y „ en a d'autres qu'il doit ignorer. L'autorité des „ chefs & la rigueur de Ia difcipline, demandent „ qu'en plufieürs occafions les centurions & les tribuns eux-mêmes ne fachent qu'obéir. Si  144 Traduction du I. centurionis ac tribuni fanguine mmus imbuet? Imperatoris fui tentorium irrumpes. Vos quidem ijluc pro me , fed in difcurfu as tenebris , £? rerum omnium confufione, patefieri occafio etiam adverfus me potefi. Si Vitellio fatellitibus ejus eligendi facultas detur, quem nobis anisnum , quos mentes imprecentur ? quid aliud quam feditionem ö5 difcordiam optdbunt ? ne miles centurioni , ne centurio tribunn obfequatur : hinc confufi pedites equitefque in exitium ruamus. Parendo potiüs , commilitones , quim imperia ducum fufcitando res militares continentur. Et fortiffimus in ipfo difcrimine exercitus eft , qui ante difcrimen quietiffimus. Vobis arma animus fit; mihi confilium £p virtutis veftra reghnen relinquite. Paucorum culpa fuit , duorum pana erit. Ccteri abolete memoriam fcedifjima noUis. Nee illas adverfus fenatuin voces ullus unquam exercitus audiat. Caput imperii, decora omnium provinciarum , ad prenam vocare , non hercle Mi, quos cum maximè Vitellius in nos ciet , Germani audeant. Ulli ne ltalia alumni, £ƒ Romana verè „ chacun  Livre de Tacite. 145 „ chacun veut qu'on lui rende raifon des ordres ,, qu'il recoit, c'en eft fait de l'obéiiTance & par „ conféquent de 1'empire. Que fera - ce lorfqu'on ofera courir aux armes, dans le tems de la „ retraite & de la nuit ? Lorfqu'un ou deux „ hommes perdus & pris de vin, car je ne puis „ croire qu'une telle frénéfie en ait faifi davan„ tage, tremperont leurs mains dans le fang de „ leurs officiers, lorfqu'ils oferont forcer 1'ap- partement de leur empereur? „ Vous agiffiez pour moi, j'en conviens; mais „ combien 1'affluence dans les ténebres & la con„ fufion de toutes chofes , fourniiToient-elles „ une occafion facile de s'en prévaloir contre „ moi-même! S'il étoit au pouvoir de Vitellius „ & de fes fatellites de diriger nos inclinations „ & nos efprits , que voudroient - ils de plus, „ que de nous infpirer Ia difcorde & Ia fédition, ,, qu'exciter a la révolte le foldat contre Ie centu,, rion, le centurion contre le tribun, &, gens „ de cheval & de pied, nous entrainer ainfi tous ,, pêle-mêle a notre perte ? Compagnons, c'eft „ en exécutant les ordres des chefs & non en les „ contrólant qu'on fait heureufement la guerre; „ & les troupes les plus terribles dans Ia mêlée, „ font les plus tranquilles hors du combat. Les „ armes & Ia valeur font votre partage; laiflez,, moi le foin de les diriger. Que deux cou„ pables feulement expient le crime d'un petit „ nombre. Que les autres s'efforcent d'enfevelir Supplém. Tom. V. G  146 Tradüction nu i. juventus, ad fiinguinem ei? cadsm depofcerent ordinem , cujus fplendore cj? glorid , fordes £? obfcuritatem Vitellianarum partium perjïringimus ? Nationes aliquas occupavit Vitellius , imaginem quamdam exercitus habet : Senatus nobifcum ejl. Sic fit, ut hinc Refpublica inde hojles Reipublka confliterint. Quid ? vos pulcherritnam hanc urbem, domibus teüis , £? congejlu lapidum , fiare c-reditis ? Muta ifla £? inanima intercidere ac reparari promifcuè pofjunt : cetemitas rerum, £? pa* gentium , £P "ïea cum vefird falus , incolumitate fenatus firmatur. Hunc aufpicato h parente ti? conditore urbis nojlra; injlitutum , e? a regibus ufque ad principes continuüm fc? immortalem, Jicut n majoribus accepimus, Jïc pojleris tradamus. Nam ut ex vobis Jenatores, ita ex fenatoribus principes mfcuntur.  LivuE de Tacite. 147 „ dans un éternel oubli la honte de cette nuit „ & que de pareils difcours contre Ie fénat ne „ s'entendent jamais dans aucune armée. Non, „ les Germains mêmes, que Vitellius s'efforce ,, d'exciter contre nous, n'oferoient menacer ce „ corps refpeftable, le chef & 1'ornement de ,, 1'empire. Quels feroient donc les vrais enfans „ de Rome ou de 1'Italie, qui voudroient le fang „ & la mort des membres de eet ordre, dont la „ fplendeur & la gloire montrent & redoublent „ 1'opprobre & 1'obfcurité du parti de Vitellius ? „ S'il occupe quelques provinces, s'il traine après „ lui quelque fimulacre d'armée,le fénat eft avec „ nous; c'eft par lui que nous fommes la républi- „ que & que nos ennemis le font auflï de I'état. „ Penfez-vous que la majefté de cette ville confi- „ fte dans des amas de pierres & d2 maifons, „ monumens fans ame & fans voix, qu'on peut ,, détruire ou rétablir a fon gré ? L'éternité de „ 1'empire, la paix des nations, mon falut & le „ vötre, tout dépend de la confervation du fénat. „ Inftitué folemnellement par le premier pere & „ fondateur de cette ville, pour être immortel ,, comme elle, &-continué , fans interruption de- ,, puis les rois jufqu'aux empereurs, 1'intérêt com- ,, mun veut que nous le tranfmettions a nos def- „' cendans , tel que nous 1'avons re^u de nos „ ayeux; car c'eft du fénat que naiflent les fuc^ 5, cefleurs a 1'empire, comme de vous les léna- „ teurs". G a  i f8 Tkaduction du I. Et oratio ad perftringendos mulcendofque militum animos, & feveritatis modus (neque enim in plures quam in duos animadverti juflerat) gratè accepta, compofitique ad prajfens, qui coërceri non poterant. Non tarnen quies urbi redierat; ftrepitus telorum, & facies belli erat: militibus, ut nihil in commune turbantibus, ita fparfis per domos, occulto habitu , & malignü cura in omnes, quos nobilitas, aut opes, aut aliqua infignis claritudo rumoribus objecerat. Vitellianos quoque milites veniffe in urbem ad ftudia partiurn nofcenda, plerique credebant. Unde plena omnia fufpicionum , & vix fecreta domuum fine formidine ; fed plurimum trepidationis inpublico, ut quemque nuntium fama afulifiet , animum vultumque converfi , ne diffidere dubiis, ac parum gaudere profperis viderentur. Coacto verö in curiam fenatu , arduus rerum omnium modus, ne contumax filentium, ne fufpcfta libertas. Et privato Othoni nuper, atque eadem dicenti , nota adulatio- Igitur verfare fententias, & huc atque illuc torquere, hoftem & parricidam Vitellium vocan"tes. Providentiflimus quifque, vulgaribus conviciis : quidam , vcra probra jacere , in clamore tarnen, & ubi plurima: voces, aut tumultu verboram fibi ipfi obftrepentes.  Liviti de Tacite. 149 Ayant ainfi taché d'adoucir & contenir Ia fougue des foldats , Othon fe contenta d'en faire punir deux : févérité ttmpérée , qui n'öta rien au bon effet du difcours. C'eft ainfi qu'il appaifa pour le moment ceux qu'il ne pouvoit réprimer. Mais le calme n'étoit pas pour cela rétabli dans la ville. Le bruit des armes y retentiffoit encore, & l'on y voyoit 1'image de la guerre. Les foldats n'étoient pas attroupés en tumulte , mais déguifés & difperfés par les maifons, ils épioient avec une attention maligne tous ceux que leur rang, leur richelTe ou leur gloire expofoient aux difcours publiés. On crut même qu'il s'étoit gliffé dans Rome des foldats de Vitellius pour fonder les difpofitions des efprits. Ainfi la défiance étoit univerfelle , & l'on fe croyoit a peine en füreté renfermé chez foi: mais c'étoit encore pis en public, oü chacun craignant de paroitre incertain dans les nouvelles douteufes, ou peu joyeux dans les favorables, couroit avec une avidité marquée au devant de tous les bruits. Le fénat affemblé ne fayoit que faire, & trouvoit partout des difficultés: fe taire étoit d'un rebelle, parler étoit d'un fiatteur, & le manege de 1'adulation n'étoit pas ignoré d'Othon, qui s'en étoit fervi fi longtems. Ainfi flottant d'avis en avis, fans s'arrêter a aucun , l'on ne s'accordoit qu'a traiter Vitellius de parricide & d'ennemi de I'état: les plus prévoyans fe contentoient de 1'accabler d'injures fans conféquence, O 3  ^50 Txaduction nu t. Prodigia infuper terrebant , di verfis aucToribus vulgata. In veftibulo Capitolii omilTas habenas biga; , cui victoria infliterat ; erupifie cella Junonis, majorem humana fpeciem ; ftatuam divi Julü, in infula Tiberini amnis , fereno & immoto die, ab Occidente in Orientem converfam ; prolocutum in Etruria bovcm • infolitos animalium partus ; & plura alia , rudibus fieculis , etiam in pace obfervata, qua; nunc tantum in metu audiuntur. Sed praxiputis , & cum prsfenti exitio , etiam futuri pavor, fubita inundatione Tiberis: qui immenTo auftu, prorupto ponte SubÜcio , ac ftrage obftantis molis refufiis , non modó jacentia & plana urbis loca, fed fecuta hujufmodi cafuum implevit. Rapti è publico plerique , plures in tabernis & cubilibus intercepti. Fames in Vulgus, inopia quarftus , ■& penuria alimentorum ; comipta ftagnantibus aquis infularmn fundamenta , dein remeante flumine dilapfa. Utque primüm vacuus z periculo animus fuit, id ipfum, quod paranti expeditionem Othoni , campus Martius & via Flaminia iter beiii efiët obftruftum , a fortuitis vel naturalibus cauflïs , in prodigium & omen imminentium cladium vertebatur.  Livre Ti e Tacite. 151 tandis que d'autres n'épargnoient pas fes vérités, mais a grands cris, & dans une telle confufion de voix, que chacun proStoit du bruit pour 1'augmenter fans être entendu. Des prodiges atteflés par divers témoins augmentoient encore 1'épouvante. Dans le veftihule du capitole les rênes du char de la Vietoire difparurent. Un fpeélre de grandeur gigantefque fut vu dans la cbapelle de Junon. La ftatue de JulesCéfar dans 1'ifle du Tibre fe tourna par un tems calme & ferein d'occident en oriënt, Un bceuf paria dans 1'Etrurie ; plufieürs bêtes firent des monftres; enfin l'on remarqua mille autres pareils phénomenes qu'on obfervoit en pleine paix dans les fiecles groffiers, & qu'on ne voit plus aujourd'hui que quand on a peur. Mais ce qui joignit la défolation préfente a 1'effroi pour l'avenir.fut une fubite inondation du Tibre, qui crüt a tel point. qu'ayant rompu ie pont Sublicius, les débris dont fon lit fut rempli Ie firent refluer par toute la ville, même dans les lieux que leur hauteur ferrtbloit garantir d'un pareil danger. Plufieürs furent furpris dans les rues, d'autres dans les boutiques & dans les chambres. A ce défaftre fe joignit la famine chez le peuple, par la difette des vivres & le défaut d'argeht. Enfin le Tibre en reprenant fon cours, emporta des ifles dont le féjour des eaux avoit ruiné les fondemens. Mais a peine le péril pafle Iaifla-t-il fonger a d'autres chofes, qu'on remarqua que la Voie Flaminienne & Ie G 4  Traductioh du L Otho, luftrata urbe , & expenfis belli confilüs, quando Penina; Cottiaeque Alpes, & ceteri Galliarum aditus Vitellianis exercitibus claudebantur , Narbonenfem Galliam aggredi ftatuit, claffe valida & partibus fida ; quod reliquos casforum ad ponten: Milvium, & fa;vitia Galba; in cuftodiam habitos, in numeros legionis compofuerat; fafta & ceteris fpes honoratioris in pofterum miiitias. Addidit clafli urbanas cohortes , & plerofque è prastorianis, vires & robur exercitus , atque ipfis ducibus confilium & cuftodes. Summa cxpeditionis Antonio Novello, Suedio Clementi primipilaribus , üimilio Pacenfi , cui ademptum a Galba Tribunatum reddiderat, permifla. Curam navium Ofcus libertus retinebat , ad obfervandam honeftiorura fidem invitatus. Peditum equitumque copiis Suetonius Paullinus , Marius Celfus, Annius Gallus , rectores deiiinati. Sed plurima fides Licinio Proculo prastorii pra;fecto. Is urbana; militia; impiger , bellorum infolens , auftoritatem Paullini, vigorem Celfi, maturitatem Galli, ut cuique erat , criminando , quod facillimum faéïu eft, pravus & callidus, bonos & modeftos asteibat. champ  Liv.ee de Ta cl i üi 15.3 champ de Mars, par oü devoit paffer Othon, étoient comblés. Auflïtöt, fans fonger fi la caufe en étoit fortuite ou naturelle, ce fut un nouveau prodige qui préfageoit tous les malheurs dont on étoit menacé. Ayant purifié la ville, Othon fe livra aux foins de la guerre, & voyant que les Alpes Pennines, les Cottiennes & toutes les autres avenues des Gaules étoient bouchées par les troupes de Vitellius, il réfolut d'attaquer la Gaule Narbonnoife avec une bonne flotte dont il étoit fur: car ü avoit rétabli en légion ceux qui avoient échappé au maflacre du Pont Milvius & que Galba avoit fait emprifonner, & il promit aux autres légionnaires de les avancer dans la fuite. II joignit a la même flotte, avec les cohortes urbaines, plufieürs prétoriens , 1'élite des troupes , lefquels fervoient en même tems de confeil & de garde aux chefs. 11 donna le commandement de cette expédition aux primipilaires Antonius Novellus & Suedius Clemens , auxquels il joignit Emilius Pacenfis, en lui rendant le tribunat que Galba lui avoit óté. La flotte fut laitTée aux foins d'Ofcus affranchi, qu'Othon chargea d'avoir l'eeil fur la fidélité des généraux. A 1'égard des troupes de terre, il mit a leur tête Suetonius Paulinus, Marius Celfus & Annius Gallus. Mais il donna fa plus grande confiance a Licinius Proculus, préfet du prétoire. Cet homme, officier vigilant dans Rome, mais fans expérience a la guerre, blainanï © 5  154 T a a d u c t i o n du l Sepofitus per eos dies Cornelius Dolabells in coloniam Aquinatem , neque arcü cuftodia, neque obfcura : nullum ob crimcn, fed vetufto nomine, & propinquitate Galba; monlïratus. Muitos è magiftratibus , magnam confulaïimn partem , Otho , non participes aut minilTros bello , fed comitum fpecie, fecum expediri jubet. In quis & L. Vitellium , eodem quo ceteros cultu, nee ut imperatoris" fratrem, nee ut hoftis. Igitur mota; urbis cura:, nullus órdo metu aut periculo vacuus. < Primores fenafus state invalidi, & longa pace defides ; fegnis & oblita bellorum nobilitas; ignarus miüticc eques: quanto magis occultare ac abdere pavorem kt tehantur, manifeftiüs pavidi. Nee deerant è contrario, qui ambitione ftolida , confpicua arma', infignes equos, quidam luxuriofos appara.tus cónviviorum & irritamenta libidinum, ut inftrumenta belli mercarentur. Sapientibus quietis & Reipublica; cura : levifllmus quifque, & futuri improvidus , fpe vana tumens. Multis afflifta Mes in pace, ac türbatis rebus alsctes, & per snceita tutiffimi.  Livre we Tacite. isj- 1'jutorité de Paulin, la vigueur de Celfus, la maturité de Gallus, tournoit en mal tous les caraéteres, &, ce qui n'eft pas fort furprenant, 1'emportoit ainfi par fon adroite méchanceté fur des gens meilleurs & plus modeftes que lui. Environ ce tems-li, Corneiius Dolabella fut ïeléaué dans la ville d'Aquin & gardé moins rigoureufement que fürement , fans qu'on eüf autre chofe a lui reprocher qu'une illuftre naiffance & 1'amitié de Galba. Plufieürs magiftrats & la plupart des confulaires fuivirent Othon par fon ordre, plutót fous le prétexte de 1'accompagner que pour partager les foins de la guerre. De ce nombre étoit Lucius Vitellius, qui ne fut diftingué ni comme ennemi, ni comme frere d'un empèreur. C'eft alors que les foucis changeant d'objet, nul ordre ne fut exempt de péril ou de crainte. Les premiers du fénat, chargés d'années & amollis par une longue paix, une nobleffe énervée & qui avoit oublié 1'ufage des atmes , des chevaliers mal exercés, ne faifoient tous que: mieux déceler leur frayeur par leurs eftbrts pour Ia cacher., Plufieürs, cependant, guerriers a prix d'argent & braves de leurs richeffts , étaoient; par une imbécille vanité, des armes brili'antés> de fuperbes chevaux, de pompeux équipages ? & tous les apprêts du luxe & de la voiupté' póW eeux de la guerre. Tandis que les fages veilloiéfiï au repos de la république, mille étoui'dis- flanss prévoyance s'enorgueilliiToient d'un vain efymi , G 6  iS<5 Traduction du L Sed vulgus & magnitudine nimia communium curarum expers populus , fentire paulatim belli mala , conveifa in militum ufum omni pecuniê, intentis alimentorum pretiis • qua; motu Vindicis haud perinde plebem attriverant , fecura" tum urbe, & provinciali bello , quod inter legiones Galliafque velut externum fuit. Nam, ex quo divus Auguftus res Casfarum compofuit, procul & in unius folicitudinem aut decus , populus Romanus bcllaverat. Sub Tiberio & Caio, tantüm pacis adverfa pertimuere. Scriboniani contra Claudium incepta , fimul audita & coërcita. Nero nuntiis magis & rumoribus , quam armis depulfus. Tum legiones claiTefque, & quod raro alias, pratorianus urbanufque miles , in aciem deducti, Oriens Occidenfque & quidquid utrimque virium eft a tergo : fi ducibus aliis bellatum foret , longo bello materia. Fuere , qui proficifcenti Othoni moras religionemque nondum conditorum ancilium afferrent. Afpernatus omnem cunctationem , ut Neroni quoque . exitiofam: & Cïecina, jam Alpes tranfgreüus, exftimulabat.  L i v li e de Tacite. 157 plufieürs qui s'étoient malconduits durant Ia paix, fe réjouilToient de tout ce défordre & tiroient du danger préfent leur füreté perfonnelle. Cependant le peuple, dont tant de foins pasfoient la portée, voyant augmenter le prix des denrées & tout 1'argent fervir a 1'entretien des troupes, commenca de fentir les maux qu'il n'avoit fait que craindre après la révolte de Vindex , tems oü la guerre allumée entre les Gaules & les légions, laiffant Rome & 1'ltalie en paix, pouvoit paiTer pour externe. Car depuis qu'Augufte eüt affuré 1'empire aux Céfars, le peuple Romain avoit toujours porté fes armes au loin & feultment pour la gloire & 1'intérêt d'un feul. Les regnes de Tibere & de Caligula n'avoient été que menacés de guerres civiles. Sous Claude, les premiers mouvemens de Scribonianus furtnt auflitöt réprimés que connus; & Néron même fut expulfé par des rumeurs & des bruits, plutót que par la force des armts. Mais ici l'on avoit fous les yeux des légions, des fiottes; & ce qui étoit plus rare encore, les milices de Rome & les prétoriens en armes. L'Orient & 1'Occident, avec toutes les forces qu'on laiffoit derrière foi, euflënt fourni 1'aliment d'une longue guerre a de meilleurs généraux. Plufieürs s'amufant aux préfagés, vouloient qu'Othon différat fon départ jufqu'a ce que les boucliers facrés fuiTent prêts. Mais excité par la diligence de Cecina qui avoit déja paffé les Alpes, il méprifa de vains délais dont Néron s'éto.t mal trouvé. G 7  153 TltiDOCTlOK DU I. . Pridie Idus Martii commendata patribus Re ■ publica , reliquias Neronianarum fectionum non dum in fifcum converfas , revocatis ab exfilio conceffit : jufliflimum donum, & in fpeciem magnificum, fed feftinata exa&ione, ufu fterüe, .Mox vocata concione, majeftatem urbis, & confenfum populi ac fehatus pro fe attoliens, adverfum Vitellianas partes modeftè differuit; infcitiam potiüs legionum, quam audaciam increpans , nulla "Vitellii mentione : five ipfius ca moderatio , feu fcriptor orationis fibi metuens, contumeliis in Vitellium abftinuit: quando, ut in confiüis militia; Suetoriio Paullino & Maria CAfo, ita in' rebus urbanis Galerii Trachali ingenio Othonem uti credebatur; & erant qui genus ipfum orandi nofcerent , crebro fori ufucelebre, & ad implendas popu'i aures , latum & fonans. Clamor vocefque vulgi , ex more adulandi, him'aj & falfa; • qua'fi di'étatorem Ca> farem , aut imperatorem Auguftum profequerentur, ita lTudiis votifque certabant'; nee metu aut amore , fed ex Iibidine fervitii, ut in familiis, privata cuique ftjmulatio , & vile jam decus publieum. Profeótus Otho, quiëtem urbis curafque imperii, Salvio Titiano fratri permifit.  L i v r e T) e Tacite. 159 Le quatorze de Mars, il chargea Ie fénat du foin de la république, & rendit aux profcrits rappellés tout ce qui n'avoit point encore été dénaturé de leurs biens confifqués par Néron. Don trèsjufte & trés magnifique en apparence, mais qui fe réduifoit prefque a rien par la promptitude qu'on avoit mife a tout vendre. Enfuite, dans une harangue publique , il fit valoir en fa faveur la majefté de Rome, le confentement du peuple & du fénat, & paria modeflement du parti contraire, accufant plutót les légions d'erreur que d'audace, fans faire aucune mention de Vitellius, foit ménagement de fa part, foit précaution de la part de 1'auteur du difcours: car comme Othon confultoit Suétone, Paulin & Marius Celfus furlagutrre, on crut qu'il fe fervoit de Galerius Trachalus dans les affaires civiles. Quelques-uns démêlerent même le genre de eet orateur, connu par fes fréquens plaidoyers & par fen ftyle empoulé , propre a remplir les oreilles du peuple. La harangue fut recue avec ces cris, ces applaudiffemens faux & outrés qui font 1'adulation de la muititude. Tous s'eflörcoient a 1'envi d'étaler un zele & des vceux dignes de la dictature de Céfar ou de 1'empire d'Augufte; ils ne fuivoient même en cela ni 1'amour , ni la crainte, mais un penchant bas & fervile; & comme il n'étoit plus queftion d'honnêteté publique, les citoyens n'étoient que de vils efclaves flattant leur maitre par intérêt. Othon en partant remit a Salvius Titianus fon frere, le gouvernement de Rome & le foin de 1'Empire.   TRADUCTION D E UAPOCOLOK1NTOS1S DE S ENEQUE, Sur la mort de VEmpereur Claude,  L. A. SENECiE CLAUDII CJESARIS APOKOLOKINTOS1S. v*£uid acïum fit in ccelo ante diern tertium eidus Oétobris, Afinio Marcello, Acilio Aviola Coff. anno novo, ipiiïo facifli felicifllmi, volo memorias tradere* Nihil offenfa; vel gratias dabitur. Hare ita vera fi cjuis quosfierit unde fciam : primum fi noluero , non refpondebo. Quis coafturus eft? Ego fcio me liberum factum , ex quo fuum diem obiit ille, qui verum proverbium fecerat, aut regem aut fatuum nafci oportere. Si libuerit refpondere, dicam quod mihi in  TRADUCTION DE L'APOCOLOKJNTOSIS DE SENEQUE, Sur la mort de T Empereur Claude. Je veux raconter. aux hommes ce qui s'eft paffe dans les cieux le treize Octobre fous le confulat d'Afinius Marceiius & d'Acilius Aviola, dans la nouvelle année qui commence eet heureux fiecle (*). Je ne ferai ni tort ni grace; mais fi l'on demande comment je fuis fi bien inffruit ? Premiérement je ne répondrai rien, s'il me plaït; car qui m'y pourra contraindre ? Ne fais-je pas que me voila devenu libre par la mort de ce galant-homme qui avoit trés - bien vériflé le pro verbe, qu'il faut naitre ou monarque ou fot ? Que fi je veux répondre, je dirai comme un (_*) Quoique les jeux féculaires eufient été célébréspar Augufle, Claude prétendant qu'il avoit mal ca'culé, les lit célébrer auffi: cequi donnoit a rire au peuple , quand le crieur public annonca dans la forme ordinaire, des jeux que nul homme vivant n'avoit vu ni ne reverroit: car non - feulement plufieürs perfonnes encore vivantes avoient vu ceux d'Augufte, mais même il y eut des histtions qui jouerent aux uns & aux autres , & Vitellius n'avoit pas home de dire a Claude, tnalgré la proclamaïion : f*ps fccir.s, .  1Ö4 Tradüction buccam venerit. Quis unquam ab hiftorico jurato res exegit? Tarnen fi neceffe fuerit auctorem producere , quajrite ab eo qui Drufillam euntem in ccelura vidit. Idem Claudium vidiiïe fe dieet iter facientem, non paiïibus asquis. Velit, nolit, neceffe eft, i'llf omnia videre, quoe in ccelo agantur. Appia; via; curator eft : qua fcis & Divum Auguftum, & Tiberium Caffarem, ad deos iiTe. Hunc fi interrogaveris, foli narrabit: coram pluribus nunquam verbum faciet. Nam ex quo in Senatu juravit fe Drufillam vidiiïe ccelum afcendentem, & illi pro tam bono nuntio nemo credidit quid viderit, verbis conceptis adfirmavit, fe non indicaturum etiamfi in medio foro hominem vidiflet occifum. Ab hoe ego quscumque audivi , certè c'.ara affero, ita ilium falvum & fclicem habeam. Jam Phcebus breviore vi.1 contraxerat ortuni Lucis, & obfeuri crefcebant tempora fomni. Jamque fuum viétrix augebat Cynthia regnuui: Et deformis hiems gratos carpebat honores Divitis autumni, vifoque fenefecre Baccho Carpebat raras ferus vindemitor uvas. Puto magis intelligi fi dixero ,r menfis erat Oftober, dies tertius eidus Odobris. Horam  DE L'Ap oc OL.OK ISTOS I S. iCS autre tout ce qui me viendra dans la tète. Demanda-t-on jamais caution a un hiftorien-juré ? Cependant, fi j'en voulois une , je n'ai qu'a citer celui qui a vu Drufille monter au ciel ; il vous dira qu'il a vu Claude y monter auffi tout clochant. Ne faut-il pas que eet homme voye , bongré malgré, tout ce qui fe fait la-haut? n'eft-il pas infpeéteur de la Voie Appitnne, par laquelle on fait qu'Augufte & Tibere font allés fe faire dieux? Mais ne 1'interrogez que tête-a-tête, il ne dira rien en public ; car après avoir juré dans Ie fénat qu'il avoit vu 1'afcenfion de Drufille, indigcé qu'au mépris d'une fi bonne nouvelle perfonne ne voulüt croire a ce qu'il avoit vu, il protefta en bonne forme qu'il verroit tuer un homme en pleine rue qu'il n'en diroit rien. Pour moi je peux jurer par le bien que je lui fouhaite qu'il m'a dit ce que je vais publier. Déja Par un plus court chemin 1'aftre qui nous éclaire, Dirigeoit a nos yeux fa courfe journaliere ; Le Dieu fancaf jue & brun qui préfide au repos , A de plus longues nuits prodiguoit fes pavots. La blafarde Cynthie aux dépens de fon frere, De fa trifte lueur éclairoit 1'héinifphere, Et le diftorme hiver obtenoit les honneurs Re Ia faifon des fruits & du dieu des büveurs. Le vendangeur tardif, d'une main engourdie, Otoir encor du cep quelque grappe flétrie. Mais peut - être parlerai - je auffi clairement en difant que c'étoit le trsizieme d'O&obre. A  166 T &ADUCTION non poffam tibi certam dicere : faciliüs inter philofophos quam inter horologia conveniet. Tarnen inter fextam & feptimam erat. ' Nimiüs rufticè acquiefcunt oneri poeta; , non contenti ortus & occafus defcribere, ut etiam medium diem inquietent. Tu fic tranfibis boram tam bonam ? Jam medium eurfu Phtebus dhiferat orbeui, Et propior nocti feflas quatiebat habenat, Oblico flexam deducens tramite lucem. Claudius animam agere ccepit , nee invenire exitum poterat. Tum Mercurius, qui femper ingenio ejus delectatus eiTet, unam de tribus Parcis educit, & ait : Quid fcemina crudeliflima hominem miferum torqueri pateris, nee unquam meritum, ut tamdiü cruciaretur? Annus fexagefimus & quartus eft, ex quo cum anima luftatur. Quid huic invides ? Patere mathematicos aliquando verum dicere , qui illum ex quo Princeps factus eft, omnibus menfibus efferunt. Et tarnen non eft mirum fi errant; horam ejus nemo novit. Nemo enim illum unquam natum putavit. Fac quod faciendum eft. Dede neci: melior vacua fine regnet in aula.  de l'A p u c o 10 k i nt c s i s. 167 1'égard de 1'heure, je ne puis vous la dire exactement, mais il eft a croire que la - deflüs les philofophes s'accorderont mieux que les horloges (*). Quoi qu'il en foit, fuppofors qu'il étoit entre fix &fept, & puifque non contens d'écrire le commencement & la fin du jour, les poëtes, plus aftifs que des manoeuvres, n'en peuvent laifler en paix le milieu, voici comment dans leur langue j'exprimerois cette heure fortunée : Déja du haut des cieux Ie Dieu de la lumiere Avoit en deux moitiés pnrtagé rhénüfphere Et preflant de la main fes courfieis déja las, Vers 1'hefpérique bord accéléroit leurs pas. Quand Mercure, que la folie de Claude avoit toujours amufé, voyant fon ame obftruée de toutes parts, chercher vainement une iffue, prit s part une des trois Parques & lui dit: comment une femme a-t-elle affez de cruauté pour voir un miférable dans des tourmens fi longs & fi peu mérités ? Voila bientót foixante - quatre ans qu'il eft en querelle avec fon ame. Qu'attends-tu donc encore ? Souffre que les aftrologues, qui depuis fon avénement annoncent tous les ans & tous les mois fon trépas, difent vrai du moins une fois. (*) La mort de Claude fut longtems cachée au peurle, jufqu'a ce qu'Agrippine eüt pris fes mefures pour óter 1'empire a Eritannicus & 1'aflu rer a Néron. Ce qui fit que Ie public n'en favoit exaétement ni le jour ni 1'heure.  168 Traductios Sed Clotho : Ego mehercule , inquit, pufillum temporis adjicere illi volebam , dum hos pauculos qui fuperfunt , civitate donaret. Conftituerat enim omnes Grecos, Gallos, Hifpanos , Britannos, togatos videre. Sed quoniam placet aliquos peregrinos in femen relinqui , & tu ita jubes fieri, fiat. Aperit tum capfulam, & tres fufos profert. Unus erat Augurini, alter Baba;, tertius Claudii. Hos2 inquit, tres uno anno exiguis temporum intervallis divifos, mori jubebo : nee illum incomitatum dimittam. Non oportet enim eum, qui modo fe tot millia hominum fequentia videbat, tot prajeedentia, tot circumfufa, fubitö folum deftitui. Contentus erit his interim convictoribus. Hxc ait, & turpi convolvens ftamina fufo Abrupit ftolid» regalia tempora vitie. At Lacbefis redimita comas, ornata capillos, Pieria crincm lauro frontemque coronans, Candida de niveo fubtemina vellere fumit, Felici moderanda tnami : qua; diiéla coIore;n AlTumpfere novum : mirantur penfa forores. Mutatur vilis pretiofo lana metallo : A'irea formjfo deftenilunt 1'sc.ila fio. Ce  d e l'A pocolokintosis. 169 Ce n'eft pas merveille , j'en conviens, s'ils fe trompent en cette occafion : car qui trouva jamais fon heure , & qui fait comment il peut rendre 1'efprit? Mais n'importe; fais toujours ta charge, qu'il meure & cede 1'empire au plus digne. Vraiment, répondit Clotho , je voulois lui laiffer quelques jours pour faire citoyens Romains ce peu de gens qui font encore a 1'être, puifque c'étoit fon plaifir de voir Grecs, Gaulois, Efpagnols, Bretons & tout le monde en toge. Cependant, comme il eft bon de laifTer quelques étrangers pour graine , foit fait felon votre volonté. Alors elle ouvre une boite & en tire trois fufeaux: 1'un pour Augurinus, 1'autre pour Babe, & le troifieme pour Claude; ce font, dit - elle, trois psrfonnages que j'expédierai dans 1'efpace d'un an a peu d'intervalle entr'eux, afin que celui-ci n'aille pas tout feul. Sortant de fe voir environné de tant de mflliers d'hommes, que deviendroit-il abandonné tout d'un coup a lui - même ? Mais ces deux camarades lui fufSront. Elle dit: & d'un tour fait fur un vil fufeauj Du flupide mortel abrégeant l'agonie, Elle tranche le cours de fa royale vie. A 1'inftant Lachéfis, une de fes deux foeurs,' Dans un habit paré de fefïons & de fleurs, Et Ie front couronné des lauriers du permeiTe, D'une toifon d'argent prend une blanche trelTe, Dont fon adroite main ferme un fil délicat. Le fil fur le fufeau pretid un nouvel éclat; Supplém. Tom. V. H  170 Traduction Nee modus eM: illis, felicïa vellera djcuit, Et gaudent implere manus, funt dulcia penfa Sponte fua feftinat opus , nulloque labore Mollia contorto defcendunt ftamina fufj. Vincunt Tithoni, vincunt & Neiloris annos. Phoebus adefl: cantuque juvat, gaudetque futuris: Et Uetus nunc plectra movet, nunc penfa minillrat. Detinet intentas cantu, fallitque laborem. Dumque nimis citbaram, fraternaque carmina Iaudant, Plus folito nevere manus: humanaque fata Laudatum tranfeendit opus. Ne demite Farca;, Phoebus ait: vincat mortalis tempora vita:, lile mihi fimilis vultu, fimilifque decore, Nee cantu, nee voce minor: feiicia laflïs Ssccula praftabit, legumque fileiuia rumpet. Qualis difcutiens fugiemia lucifer aftra; Aut qualis furgit redeuntibus hefperus aftris: Qualis cum primum tcnebris aurora folutis Induxit rubicunda diem, fol adfpicit orbem Lucidus, & primos è carcere concitat axes Talis Ca:far adeft, talem jam Roma Neroncm Adfpicit, flagrat nitidus fulgore remilTo Vpltus, & alTufo cervix formofa capillo. Hsec Apollo. At Lachefis, qua; & ipfa homini fortiffimo faveret, fecit, & plena orditur manu , & Neroni muitos annos de fuo donat. Claudium autem jubent omnes #«5/WT«?, èvCpyf*owT«5 tmêp7T£iv Sóf*w. Et iüe quidem animam ebulliit, & eo deflit vivere videri. Exfpira-  d e l'A pocolokintosis. 171 De fa rare beauté les fccurs font étonnées ; Et toutes a 1'envi de guirlandes ornées , Voyant briller leur laine & s'enrichir encor, Avec un fil doré filent le fiecle d'or: De la blanclie toifon la laine détachée Et de leurs doigts légers rapidement touchée, Coule a 1'inftant fans peine, & file & s'embellit^ De mille & mille tours le fufeau fe remplit. Qu'il paffe les longs jours & la trame fertile Du rival de Céphale & du vieux roi de Pyle. Plicebus, d'un chant de joie annoncant 1'avenir De fufeaux toujours neufs s'emprefie h les fervir, Et cherchant fur fa lyre un ton qui les 1'éduife, Les trompe lieureufement fur le tems qui s'épuife. PuifTe un fi doux travail, dit-il, être éternel! Les jours que vous filez ne font pas d'un mortel: II me fera femblable & d'air & de vifage, De la voix & des chants il aura 1'avantage. Des fiecles plus heureux renaitront k fa voix; Sa loi fera cefTer le filence des loix. Comme on voit du matin 1'étoile radieufe Annoncer le départ de la nuit ténébreufe; Ou tel que le foleil difiïpant les vapeurs, Rend la lumiere au monde & 1'alégrefie aux cceurs; Tel Céfar va paroltre, & la terre éblouie A fes premiers rayons eft déja réjouie. Ainfi dit Apollon, & la Parqtie honorant Ia grande ame de Néron, ajoute encore de fon chef plufieürs années a celles qu'elle lui file a pleines mains. Pour Claude, tous ayant opiné que fa trame pourrie fut coupée, auffitót il cracha fon ame & celïa de paroitre en vie. Au moment qu'il H 2  ijl Traduction vit autem dum comcedos aulit, ut fcias me non fine caufa illos timere. Ultima vox ejus ftitet homines audita eft, cum majorem fonitum enitfiffet 1114 parte, qua facilius loquebatur. Va; me, puto, concacavi me. Quid autem fecerit, nefcio: omnia certe concacavit. Qua; in terris poftea fint afta, fupervacuum eft referre. Scif's enim optime: nee periculum eft, ne excidant, qua; memorix publicum gaudium impreiTerunt. Nemo felicitatis fua; oblivifcitur. In ccelo qua; acla fint audite : fides penes auctorem erit. Nunciatur Jovi, venifiè quemdam bona; ftatura;, bene canum, nefcio quid illum minari: afllduè enim caput movexe , pedem dextrum trahere.; QuscfilTe fe, cujus nationis eiTet? refpondifle, nefcio quid perturbato fono, & voce confufa, non intelligere fe linguam ejus: nee Grascum eflè, nee Romanum, nee ullius gentis notsc. Tum Juplter Herculem, quia totum oibem terrarum pererraverat, & noffe videbatur omnes nationes, jubet ire & explorare, quorum hominum eiTet. Tum Hercules primo adfpeftu fane perturbatus eft , ut qui etiam non omnia monftra timuerit : ut vidit novi generis faciem , infolitum inceffum , vocem nullius terreftris animalis, fed (qualis efle marinis belluis folet) raucam & implicatam , putavit fibi tertium decimum laborem venifiè. Diligentius intuenti, yifus eft quafi homo. Acceflït itaque, & quod  BE L*A P0C0L0KINT0SIS. 173 expïra, il écoutoit des comédiens; par oü l'on voic que fi je les crains ce n'eft .pas fans caufe. Après un fon fort bruyant de 1'organe dont il parloit le plus aifément, fon dernier mot fut: foin! je me fais embrené. Je ne fais au vrai ce qu'il fit de lui, mais ainfi faifoft-il toutes chofes. 11 feroit fuperfïu de dire ce qui s'eft paffé depuis fur la terre. Vous le favez tous, & il n'eft pas è craindre que le public en perde la mémoire. Oublia-t-on jamais fon bonheur? Quant a ce qui s'eft prifTé au ciel, je vais vous le rapporter &vousdevez, sll vous plalt, m'en croire. D';> bord on annonca a Jupiter un quidam d'afTez bonne taille, blanc comme une chevre, bran'ant Fa tête & trainant le pied droit d'un air fort extravagant. Interrogé d'oü il étoit, il avoit murmuré entre fes dents je ne fais quoi, qu'on ne put entendre, & qui n'étoit ni grec ni latin, ni dans aucune langue connne. Alors Jupiter s'adrefTant a Hercule qui ayant couru toute la térre en devoit connoitre tous les peuples, Ie cbargea d'aller examiner de quel pays étoit eet homme. Hercuïe, aguerri contre tant de monftres, ne laiffa pas de fe troubler en abordant celui-ci: frappé de cette étrange face, de ce marcher inufité, de ce beuglement rauque & fourd, moins femblable a la voix d'un animal terreftre, qu'311 mugiffement d'un monftre marin : ah , dit-il, voici mon treizieme travail! Cependant en regardant mieux il crut démêler quelques traits d'un H 3  174 Traductioh facillimum fuit Graeculo , ait : Ubi hasc Claudius, gaudet elle iUïc philolo gos homines, fperat futurum aliquem hiiloriisfuis locum. Itaque & ipfe Homerico verfu Ca:farem fe effe fignificans, ait : Erat autem fequens verfus verior, a;que Homericus: Et impofuerat Herculi homini minimè vafro, nifi fuiiïet illic Febris, qua) fano fuo relicTo fola cum illo venerat: ceteros omnes deos Roma) reliquerat. Ifte , inquit, mera mendacia narrat. Ego tibi dico; qua; cum ipfo tot annos vixi, Lugduni natus eft : Marei municipem vides : quod tibi narro, ad fextum decimum lapidem a Vienna natus eft, Gallus Germanus. Itaque quod Gallum faceie oportebat, Romam ccepit. Hunc ego tibi recipio Lugduni natum, ubi Licinius muitos annos regnavit. Tu autem qui plura loca calcafti, quam ullus mulio perpetuarius, Lugdunenfes fcire debes, & multa millia inter Xantum & Rhodanum. intereüe. Excandefcit hoe loco Claudius , & quanto poteft murmure irafcitur. Quid diceret , nemo intelligebat. Ille autem Febrim duci jubebat, illo geftu foluta; manus, & ad hoe unum fatis firma;,  D E L'A POCOLOKINTOSIS. 175 homme. II 1'arrête & lui dit aifément en Gree bien tourné; D'oü viens - tu , quel es-tu, de quel pays es-tu? A ce mot, Claude voyant qu'il y avoit-lè des beaux-efprits, efpéra que 1'un d'eux écriroit fon hiftoire, & s'annoncant pour Céfar par un vers d'Homere, il dit : Les vjiits m'ont amené des rivages Tioyens. Mais le vers fuivant eüt été plus vrai: Dont j'ai détruit les murs, tué les citoyens. Cependant.il en auroit impofé a Hercule qui eft un atTez bon homme de Dieu, fans Ia Fievre qui, laiffant toutes les autres divinités a Rome, feule avoit quitté fon temple pour le fuivre. Apprenez, lui dit-elle, qu'il ne fait que mentir; je puis le favoir, moi qui ai demeuré tant d'années avec lui: c'eft un bourgeois de Lyon ; il eft né dans les Gaules a dix ■ fept milles de Vienne; il n'eft pas Romain, vous dis-je, c'eft un franc Gaulois & il a traité Rome a la Gauloife. C'eft un fait qu'il eft de Lyoir, oü Licinius a commandé fi longtems. Vous qui avez couru plus de pays qu'un vieux nmletier, devez favoir ce que c'eft que Lyon, & qu'il y a loin du Rhöne au Xante. Ici Claude enflammé de colere fe mit a grogner le plus haut qu'il put. Voyant qu'on ne 1'entendoit point, il fit figne qu'on arrêtat Ia Fievre, & du gefte dont il faifoit décoller les gens; (feuj H 4  jjo~ ÏRADUCTIO» «mo decollare homines folebat. Jufferat illi co!-' lum prtccidi. Putares omncs illius effe libertos, adeo illum nemo curabat. Tum Hercules : Audi me , inquit , tu , & define 'fatuari: venifli huc , ubi mures ferrum rodunt. Citiiis mihi verum, ne tibi alogias excutiam. Et quo terribilior effet : tragicus fit, & ait: Exprome propere, feite qua genitus duas-, Hoe r.e peremptus ftipite, ad tenam accidas. Hrec clava reges frepe maflavit feros , Quid nunc profatu vocis incerto fortos ? Qua; patria, qua; geus mobile eduxit caput, Ediffere : equidem regna tergemini petens Longinqua regis, unde aj> Hcrperio mari Inacbiam ad urbem nobüe advexi pecus. Vidi duobus imminens fluviis jugum Quod Theebus ortu femper obveifo videt: Ubi Rhodanus irgens amne prasrapido fluit; Ararqus dubitans quo iuos curfijs agat5 Tacitus quietis alluitl ripas vadis. Eft ne ilïa tellus /puitus altrix tui? JBOU-  n e l'A pocotouifiosis, 177 mouvement que fes deux mains fuiTent faire) ordonna qu'on lui coupat Ia tête. Mais il n'étoit non plus écouté que s'il eüt parlé encore a fee aifranchis (*). Oh! oh! l'ami,lui dit Hercule.ne va pas faire ici le fot. Te voici dans un féjour oü les rats rongent le fer; déclare promptement la vérité avant que je te 1'arrache; puis prenant un ton tragique pour lui en mieux impofer, il continua ainfi; Nomme a Finftant les lieux oü tu rer.us le Jour, Ou ta race avee toi va périr fans retour. De grar.ds rois ont fenti cette lourde maflue, Et ma main dans fes coups ne s'eft jamais décue ; Tremble de 1'éprouver encor h tes dépens. Quel murmure confus entends-je entre tes dents? Parle , & ne me tiens pas plus lorigtems en attente: Quels climats ont produit cette téte branlante? Jadis dans 1'Hefpérie au triple Géryon J'allai porter la gueire , & par occafion, De fes nobies troupeaux r.ivis dans fon étable Ramcnai dans Argos le trophée honorable. En route, aux pieds d'un mont doré par l'oiient, Je vis fe réanir dans un féjour riant, I.e rapide courant de Fimpétueux Rhóne, ft 1'e cours incertain de la paifible Saóne: Eft - ce-la Ie pays oü tu recus le jour? (*) On fait combicn eet irabéci'Ie avoit peu de conddération dans fa maifon : a peine le maltre du monde avoit-il un valet qui lui daigrat obéir. II eft dtounant q'.ie Séneque ait ofé dire tout cela,lui qui étoit li courïifan; cwis Agrippine avoit befoin de lui & il ie favoit bien» H 5  ij? Traduction Haec fatis animofè & fortiter. Nihilominns mentis fua; non- eft, & timet pufou ithvryfc. Claudius ut vidit virum valentem. oblitus nugaruiri , intellexit neminem parem fibi Roma; fuiffe t illic non habere fe idem gratiss: Gallum in fuo fterquilinio plurimum pofte. Itaque quantum intelligi potuit, ha;c vifus eft dicere. Ego te fortiflïme deorum Hercules, fperavï mihi affuturum apud alios! & fi quis a me notolem petïilTet: te fui norainaturus, qui me optime nofti. Nam fi memoria repetis, ego eram, qui tibi ante templum tuum jus dicebam totis diebus menfe Julio & Augufto. Tu fcis quantum illic miferiarum pertulerim, cum caufidicos audirem, & diem & noctem: in quos fi incidiffes, valde fortis licet, maluiffes cloacas Augia; purgare: multo plus ego ftercoris exhaufi. Sed quoniam ▼oio; non mirum, quod impetum In curiam fecifti: nihil tibi clufi eft. Mpdö die nobis , qualem deum iftum fieri velis: êTücovpSHii foo$ non poteft eiTe : oute coitó^ wpctMM 't%,h, outs uM.oi$ wetpê%u, Stoicus ? quomodo poteft rotundus effe (ut ait Varro) fine capite, fine pra:putio ? Eft aliquid in eo ftoici Dei: jam video, nee cor nee caput habet. Si mehercules a Saturno petiiffet hoe beneficium, cujus menfem toto anno celebravit faturnalia ejus, princeps non tulilTet. Illum Deum ab Jove,  r> e i/A pocoiOKisrosïs, x?g Hercule en parlant de Ia forte affeftoit plus d'intrépidité qu'il n'en-avoit dans 1'ame & ne laisfoit pas de craindre la main d'un fou. Mais Claude lui voyant 1'air d'un homme réfolu qui n'entendoit pas raiilerie, jugea qu'il n'étoit pas li comme a Rome, oü nul n'ofoit s'égaler a lui, & que partout le coq eft maitre fur fon fumier. Il' fffl remit donc a grogner, & autant qu'on put 1'entendre il fembla parler ainfi: J'efpérois, ó le plus fort de tous les Dieux! que vous me protégeriez auprès des autres , éc que fi j'avois eu a me renommer de quelqu'un, c'eüt été de vous qui me connoiffez fi bien. Cax fouvenez-vous-en, s'il vous plalt, quel autre que moi tenoit audience devant votre temple durant les mois de Juillet & d'Aoüt ? Vous favez ce que j'ai fouffert-la de miferes, jour & nuit a Ia merci des avocats. Soyez für, tout robufte que vous êtes, qu'il vous a mieux valu purger les éta. bles d'Augias que d'efTuyer leurs criailleries, vous avez avalé moins d'ordures.... (*) Or dites - nous quel Dieu nous ferons de eet homme-ci? En ferons-nous un Dieu d'Epicure, paree qu'il ne fe foucie de perfonne ni perfonne de lui ? Un Dieu Stoïcien, qui, dit Varron, ne penfe ni n'engendre'? N'ayant ni cceur ni téte, il femble affez propre a Ie devenir. Ehi Meffieurs, II y a ici très-évideminent une lacune, que je ne vois pourtaut rnarquée dans aucune édition. H 6  jgO Traductioh qusm quantum quidem in illo fuit , damnavit incefti. L. Syllanum enim generum fuum occidit. Oro per quod fororem fuam, feftiviflimam omnium puellarum, quam omnes Venerem vocarent, maluit Junonem vocare. Quare, inquit, quasro enim, fororem fuam ftulte ftudere; Athenis diEiidium lieet, Alexandriae totum ? Quia Romaj, inquit, mures molas lingunt, hic nobis curva corligit. Quid in cubiculo fuo faciat, nefcio: etiam cceli fcrutatur plagas, deus fieri vult. Parum eft quod templum in Britannia habet ; quod hune barbari colunt, & ut deum orant. AAwfov CjMéTO» Tandem Jovi venit in mentem, privatis intra. turiam morantibus fententiam dicere, nee difputare. Ego, inquit, P. C. interrogare vobis permiferam , vos mera mapalia feciftis. Volo fervetis difciplinam curia;. Hic qualifcumque eft, quid de nobis exiftimabit?  K E I.'A pOCOtOKINTOSIS. 18 I s"il tut demande eet honneur a Saturne même, dont, préfidaijt a fes jeux, il fit durer le mois toute 1'année, il ne 1'eüt pas obtenu. L'obtiendrat-il de Jupiter qu'il a eo'ndamné pour caufe d'inceite autant qu'il étoit en lui, en faifant mourir Silanus fon gendre , & Gela pourquoi ? Paree qu'ayant une fceur d'une humeur charmante & que tout le monde appelloit Vénus, il aima mieux 1'appeller Junon. Quel fi grand crime eft-ce donc, direz-vous, de fêter difcrétement fa fceur? La loi ne le permet-elle pas ademi dans Athe- nes, & dans 1'Egypte en plein (*) ? A Rome oh! a Rome, ignorez - vous que les rats mangent le fer? Notre fage bouleverfe tout. Quant a lui, j'ignore ce qu'il faifoit dans fa chamkre, mais le voila maintenant furetant le ciel pour fe faire Dieu, non content d'avoir en Angleterre un temple oü les barbares le fervent comme tel. A la fin, Jupiter s'avifa qu'il falloit arrêter leslongues difputes & faire opiner chacun a fon rang. Peres Confcripts, dit-il a fes collegues; au lieu des interrogations que je vous avois permifes, vous ne faites que battre la campagne; j'entends que Ia cour reprenne fes formes ordinaires: que penferoit de nous ce poftulant tel qu'il foit ? (*) On fait qu'il étoit permis en Egypte d'époufer fa feur de pere & de mere, & cela étoit autTi permis a Atlienes, mais pour la fceur de mere feulement. Le manage d'Elpinice & de Cimon en fournit un exemnle» H 7  j8ï Traductiom Ulo dimiflb , primus interrogatur fententiamJanus pater; is defignatus erat in Kal. Julias poftmeridianus Cof. homo quantumvis vafer, qui femper videt apct npviau xi tmUss». Is multa diferte, quod in foro vivat, dixit, qua; notarius perfequi non potuit: & ideo non refero: ne aliis Terbis ponam , qua; ab illo di£ta funt. Multa dixit de magnitudine deorum: non debere hunc vulgo dari honorern. Olim, inquit, magna res erat, Deum fieri : jam fama nimium fecifti, Itaque ne videar in perfonam, non in rem fententiam dicere, cenfeo ne quis poft hunc diem Deus fiat ex his qui ccfoupyi; xctpirw é$ovw r aut ex his, quos alit Qfèupoi af ovpet. Qui contra hoe S. C. deus fadhis, fiftus, piótufve erit, eum dedi larvis, & proximo munere inter novos aucïoratos, ferulis vapulare placet.  DE L'A P O C O L O E I K T O S I 3. rffj. L'ayant donc fait fortir, il al!a aux voix, en commencant par le pere Janus- Celui - ci conM d'une après-dinée, défigné le premier Juillet, na laiffoit pas d'être homme a deux envers, regardant a la fois devant & derrière : en vrai pilier de barreau il fe mit a débiter fort difertement beaueoup de belles chofes que le fcribe ne put fuivre, & que je ne répéterai pas de peur de prendre un mot pour 1'autre. II s'étendit fur la grandeur des Dieux, foutint qu'ils ne devoient pas s'alTocier des faquins. Autrefois, dic-il, c'étoit une grande affaire que d'être fait Dieu, aujourd'hui ce n'eft plus rien (*). Vous n'avez déja rendu eet hommeci que trop célebre. Mais de peur qu'on ne m'accufe d'opiner fur la perfonne & non fur la chofe, mon avis eft que déformais on ne déifie plus aucun de ceux qui broutent 1'herbe des champs, ou qui vivent des fruits de la terre. Que fi malgré ce fénatus-confuite quelqu'un d'eux s'ingere L 1'avenir de trancher du Dieu, foit de fait, foit en peinture, je le dévoue aux larves, & j'opine qu'a la première foire fa déité regoive les étrivieres & foit mife en vente avec les nouveaux efclaves. (*) Je ne faurois me perfuader qu'il n'y ait pas encore une lacune entre ces mots: Olim, inquit, magna res erat Deum fieri, & ceux-ci : jam fama nimium feclfli. Je n'y vois ni liaifon ui tranfuion, ni aucune efpece de fens Si les lire ainfi de fuite.  l£4 Traductioit Proximus interrogatur fententiam Diefpiter VIC33 Pota; filius, & ipfe defignatus Cof. nummulariolus. Hic quceftu fs fuftinebat, vendere civitatulas folebat. Ad huncce belle aceefllt Hercules, & auriculam ei tetigit. Itaque in ha:c verba cenfet : Cum Divus Claudius Divum Auguftum fanguine contingat , nee minss Divam Auguflam aviam fuam, quam ipfe Deam elTe jufïït, longeque omnes mortales fapientia antecellat, fitque è republica eiTe aliquem, qui cum Romulo pofllt: ..... E erventia rapa vorare : cenfeo, ut D. Claudius ex hac die Deus fiat, ita Uti ante eum quis optimo jure faflus fit: eamque rem ad jnjTa/aopCpwrij; Ovidii adjiciendam. Varia: erant fententia; & videbatur Claudius fententia vincere. Hercules enim, qui videret ferrum fuum in igue elTe, modo buc, modo illue curfabat, & aiebat. Noli mihi invidere, mea res agitur : deinde fi quid volueris, invicem faciam : Manus manum lavat. Tune Divus Auguftus furrexit fententia; fuss dicendas, & fumma facundia differuit P. C. vos telles habeo , ex quo deus faftus fum , nullum verbum me fecilï*:. Semper meum negotium ago. Sed non pofluin ampHus difTimuiare, & dolorem quem graviorem pudor facit , continere. In hoe terra mirique pscem pep»ri ? Ideö civilia faella compefcui ? ideo legibib urbem fundavi, operibus ornuvi? Et quid dicam P. C^ non inve-  E E h'A POCOLOKIWTOSIS. I '8? Après cela vint le tour du divin nis de VicaFota défigné conful grippe-fou, & qui gagnoit fa vie a grimeliner & vendre les petites villes. Hercule paffant donc a celui - ci lui toucha galamment 1'oreille & il opina dans ces termes;. attendu que le divin Claude eft du fang du divin Augufte & du fang de la divine Livie fon ayeule, è laquelle il a même confirmé fon brevet de déeffe ; qu'il eft d'ailleuis un prodige de fcience & que le bien public exige un adjoint a 1'écot de Romulus; j'opine qu'il foit des ce jour créé & proclamé Dieu en auffi bonne forme qu'il s'en foit jamais fait, & que eet événement foit ajouté aux méta. morphefes d'Ovide. • Quoiqu'il y eüt divers avis, il paroiflbit que Claude 1'empoiteroit, & Hercule qui fait battre Le fer tandis qu'il eft chaud, couroit de cöté Sc d'autre, criant: Meflïeurs, un peu. de faveur.; cette affaire - ci m'intérefle; dans une autre occaiion vous difpoferez auffi de ma voix: il faut bien qu'une main lave 1'autre. Alors le divin Augufte s'étant levé, pérora fort pompeufement Sc dit: Peres Confcripts, je vous prends a témoin que depuis que je fuis Dieu je n'ai pas dit un feul mot, car je ne me mêle que de mes affaires; mais comment me taire en cette occafion ? Comment diffimuler ma douleur que le dépit aigrit encore? C'eft donc pour la gloire de ce miférable, que j'ai rétabli la paix fijr mer & Air terre , que j'ai étouffé- les guerres  ïgö Tradugtiou nio : omnia infra indignationem verba mnt, Confugiendum eft itaque a me ad MeiTala; Corvini difertiffimi viri illam fententiam : Praxidit jus imperii. Hic P. C. qui nobis non pofte videtur mufcam excitare, tam facile homines occidebat, quam canis exta edit. Sed quid ego de tot acribus viris dicam?' Non vacat defiere publicas clades intuenti domtftica mala. Itaque illa omittam , ha;c referam. Etiamfi Phormca Grace nefcit ego fcio. ENTIKONTONÏKHNAIHS fenefcit. Ifte quem videtis, per tot annos lub meo nomine latens, banc mihi gratiam rctulit, ut duas Julias proneptes meas occideret, alteram ferra, alteram fame: unum abnepotem L. Syllanum. Videris Jupiter, an in cauffa mala certe in tua, fi hic inter nos futurus eft. Die mihi, Dive Claudi, quare quemquam ex his , quos, qujfque occidifti, antequam de cauffa cognofceres, antequam audires, damnafti ? Hoe fieri folet? in ccelo non fit. EcceJupiter , qui tot annos regnat , uni Vulcano crus fregit, quem & Iratus fuit uxori , & fufpendit illam: num quid occidit ? Tu Meflalinam, cujus Eeque avunculus major eram, quam tuus, occidifti. Nefcio, inquis ? Dii tibi malefaciant : adeo iftud turpius eft, quod nefcis, quam quod occidifti.  D E L'A P0C0L0K1NT0SIS. r-8? civiles, que Rome eft affermie par mes loix & ornée par mes ouvrages ? O Peres confcripts! je ne puis m'exprimer, ma vive indignation ne trouve point de termes; je ne puis que redire après 1'éloquent MeiTala, I'état eft perdu! Cet imbécille qui paroit ne pas favoir troubler 1'eau, tuoit les hommes comme des mouches. Mais que dire de tant d'illuftres viétimes ? Les défaftres de ma familie me Iaiflent-ils des larmes pour les malheurs publics ? Je n'ai que trop a parler des miens (*), Ce galant homme que vous voyez protégé par mon nom durant tant d'années, me marqua fa reconnoiffance en faifant mourir Lucius Silanus, un de mes arrieres - petits neveux & deux Julies, mes "arrieres - petites nieces, 1'une par le fer, 1'autre par la faim. Grand Jupiter, fi vous 1'admettez parmi nous, a tort ou non, ce fera fürcment a votre blame. Car dis-moi, je te prie, ó divin Claude, pourquoi tu fis tant tuer de gens fans les entendre, fans même t'informer de leurs crimes? C'étoit ma coutume. Ta coutume ? On ne la connoit pas ici. Jupiter qui regne depuis tant d'années , a-t-il jamais rien fait de femblable ? Quancl CO Je n'ai point traduit ces mots: Etiamfi Phormea Grace tiefcit, ego few ENTlKONTONTIiHNAIHS fenefcit, ou fe ticfeit, paree que je n'y entends rien du tout» Peut-êire aurois-je trouvé quelque liclairchTement dans lea adages d'Erafme, mais je ne fuis pas a portée de le» coufuiter.  jgS Traductio» Ifle C Ctefarem non deint mortüum proféqui. Occiderat ille foeerum« hic & generum. Caius Cajfar Craflï fijium vetuit Magnum vocari: hic nomen illi reddidit, crput tulif* Occidit in una domo Craflum Magnum, Seriboniam, Triftioniam , Ailarionem,, nobiles tarnen , Craffijm vero tam fatuum, ut etiam regnare pofftt. Cogitate P. C. quale potten tum in numerum deorum fe recipi cupiat. Hunc nunc deum facere vukisF Videte corpus ejus, diis, iratis natum. Ad fujnmam tria verba citö dicat, & fervum me ducat. Hunc deum quis colet? Quis credet? Denique dum tales deos facitis , nemo vos deos efle credet. Summa rei, P; C. fi honefie inter vos geffi , fi nulli durius refpondi, vindicate injurias meas. Ego pro fententia mea hoe cenfeo. Atque ita $x tabella recitavit.  T) e l'A pocolokintosis. i8# il effropia fon fiis, Ie tua- t-il? Quand il pendit fa femme, 1'éirangla-t-il ? Mais toi,n'as-tu pas mis a mort Meffaline, dont j'étois le grand-oncle, ainfi que le tien (*)? Je 1'ignore, distu? Miférable ! Ne fais-tu pas, qu'il tJeft plus honteux de 1'ignorer que de 1'avoir fait ? Enfin Caïus Caligula s'eft reffufcité dans fon fucceiïeur. L'un fait tuer fon beau-pere (f) , & 1'autre fon gendre (Cj). L'un défend qu'on donne au fiis de Craffus le furnom de grand, 1'autre le lui rend & lui fait couper la tête. Sans refpeft pour un fang illuftre, il fait périr dans une même maifon Scribonie, Triftonie, AtTarion, & même Craffus le grand, ce pauvre Craffus ft ■complétement fot qu'il eüt mérité de regner: fongez , Peres Confcripts, quel monftre ofe afpirer è fiéger parmi nous! Voyez, comment déifier une telle figure , vil ouvrage des Dieux irrités ! A quel culte, a quelle foi pourra-t-il prétendre? Qu'il réponde, & je me rends. Mesfieurs, Meflieurs, fi vous donnez Ia divinité a telles gens, qui diable reconnoltra la vótre ? En un mot, Peres confcripts, je vous demande pour prix de ma complaifance & de ma difcrétion de venger mes injures. Voila mes raifons & voici mon avis: (*) Par 1'adoption de Drufus , Augufte étoit l'ayeul de Claude, mais il étoit aulfi fon grand oncle par la jetuie Antonia , mere de Claude & niece d'Augufte, (■f) M. Syllanus. Pompeius Magnus»  190 Traduction Quando quidem divus Claudius occidit focerum fuum Appium Syllanum , generos duos, Pompeium Magnum & L. Syllanum , focerum filia; fua; CralTum, frugi hominem, tam fimilem ilbi , quam ovo ovum, Scriboniam focrum filia; fua;, Meflalinam uxorem fuam, & ceteros, quorum numerus iniri non potuit : placet mihi in eum feverè animadverti, nee illi rerum judicandarum vocationem dari , eumque quam primum exportari , & ccelo intra dies xxx excedere, olympo intra diem tertium. Pedibus in hanc fententiam itum eft. Nee mora , Cyllenius illum collo obtorto trahit ad inferos, llluc unde negant redire quernquam. Dum defcendunt per viam facram , interrogat Mercurius, quid fibi velit ille concurfus hominum, num Claudii funus effet? Et erat omnium formofiflimum , & impenfa cura plenum, ut fcires deum efferri, tibicinum, cornicinum, omnifque generis ameatorum tanta turba , tantus conventus, ut etiam Claudius audire poffet. Omnes heti, hilares. P. Rom. ambulabat tamquam liber. Agatho, & pauci caufidici plorabant, fed plane ex animo. Jurifconfulti è tenebris procedebant, pallidi , graciles , vix habentes animam , tamquam qui cum maxime revivifcerent. Et his unus cum vidiflfet capita conferentes , & fortunas fuas deplorantes caufidicos , accedit, &  d e l'A pocolokintosis. 191 ■Comme ainfi foit que le divin Claude a tué ion beau-pere Appius Silanus, fes deux gendres, Pompeius Magnus & Lucius Silanus , Craffus beau-pere de fa fille , eet homme fi fobre (*) & en tout fi femblable a lui, Scribonie bellemere de fa fille, Meffaline fa propre femme, & mille autres dont les noms ne finiroient point, j'opine qu'il foit févérement puni , qu'on ne lui permette plus de fiéger'en juftice, qu'enfin banni fans retard il ait k vuider 1'Olympe en trois jours & le ciel en un mois. Cet avis fut fuivi tout d'une voix. A 1'inflant le Cyllénien (f) lui tordant le col le tire au féjour, D'oü nul, dit-on, ne retourna jamais. En defcendant par Ia voie facrée, ils trouvent un grand concours dont Mercure demande Ia caufe. Parions, dit-il, que c'eft: fa pompe funebre; & en effet, la beauté du convoi, oü 1'argent n'avoit pas été épargné, annoncoit bien 1'enterrement d'un Dieu. Le bruit des trompettes, des (J*) Je n'ai gueres befoin , je crois , d'avertir que ce mot eft pris ironiquement. Suétone après avoir dit qu'en tout tems ,en tout Jieu Claude étoit toujours'prêt a manger & boire , ajoute qu'un jour ayant fenti de fon tribunal 1'odeur du diné des Saliens , ilplanta-la toute 1'audience, & courut fe mettre Ji table avec eux. £f) Mercure.  fot Traductios ait : Dkebam vobis': Non femper Saturnaiia cïunt. Claudius ut vidit funus fuum , inteTiexit fe mortuum eiTe. Ingenti enim (iiyahttyopfy nssvia eantabatur anapxftis. Fundite fletus Edite planflus, Fingite luftus, Rcfonet trifti Clamore forum; 'Cecidit pulclire Cordatus homo, Quo non alius Fuit in toto Fortior orbe. Ille citato Vincere curfu Poterat celeres ; Ille rebelles . Fundere Parthos , Levibusque fequi cors,  d e l'A pocoloxintosis. 193 cors, des inftrumens de toute efpece cc furtout de la foule, étoit fi grand, que Claude lui-même pouvoit 1'entendre. Tout le monde étoit dans 1'alégreffe ; le peuple Romain marchoit légérem nt comme ayant fecoué fes fers. Agathon & quelques chicaneurs pleuroient tout bas da is le fond du cceur. Les jurifconfultes maigres, ex. nués (*) commencpient a refpirer & f mbioien: fortir du tombeau. Un d'entr'eux voyant les avo:.ts la tête baffe déplorer leur perte, l.ur dit e 1 s'ipprochant: ne vous le difois-je pas, que les Siturnales ne curer ient pas toujours? Claude en voyant fes funérailles comprif enfin qu'il étoit mort. On lui beugloit a pleine tête ce chant funebre en jolis vers heptafyllabes : O cris, ó pene, ó dou'eurs ! De nos funebres clameurs Faifons retentir la place: Que chacun fe contrefatTe : Crions d'un commun accord Ciel! Ditis : ubi jacebat, ut ait Horatius , beilua een-  D E L'A POCOLOKtNTÖSÏS. 197 Rimeurs, qu'il daknoit entendre, A ou' lirez-veus vos vers? Et vous, qui comptiez d'avance Des cornets & de la chance Tirer un ample tréTor , Pleurez, brelandier célebre, Bientót un bucher funebre Va confumer tout votre or. Claude fe déleftoit a entendre fes louanges & auroit bien voulu s'arrêter plus longtems. Mais le héraut des Dieux lui mettant la main au collct & lui enveloppant la tête de peur qu'il ne fut reconnu, 1'emraina par le champ de Mars & le fit defcendre aux enfers entre le Tibre & la voie couverte. NarcilTe ayant coupé par un plus court chemin, vint frais fortant du bam au-devant de fon maitre & lui dit: comment! les Dieux chez les hpmmes? Allons, allons, dit Mercure, qu'on fe dépêche de nous annoncer. L'au're voulant s'amufer a ca;'oler fon maitre, il le hata d'aller a coups de caducée, & Narcifle partit fur le champ. La pente eft fi güiTante & l'on defcend fi facilement, que tout goutteux qu'il étoit, il arrivé en un moment a la porte des enfers. A fa vue, le monftre aux eert têtes dont parle Horace, s'agite , i érifte fts horribles crins, & Narcifle accotituffié I 3  198 Traduction ticeps , fefe movens , viilofque horrendos excutiens pufillum fuperturbatur , (albam canem ia deliciis habere conmerat) ut illum vidit canem nigrum vülofum fane, quem non velis tibi in tenebris occurrere. Et magna inquit voce : Claudius Caffar venit. Ecce extemplo cum plaufu procedunt cantantes : Hic erat C. Silius Cof. defig. Junius Prator.us, Sex. Trallus , M. Helvius Trogus , Cotta , Tedïus, Valens, Fabius, Equ. Rom. quos Narciffus duci jufferat. Medius erat in hac cantantium turba Mnefter Pantomimus , quem Claudius decoris cauffa minorem fecerat! Nee non ad Meffalinam citó rumor percrepuit, Claudium veniffe. Convolarunt primum omnium hberti, Polybius, Myron, Harpocras, Amphsui & PheronacTes, quos omnes necubi imperatus effet, praemiferat. Deinde prafefti duo , Juftus Catonius , & Ruffus Pompeii F. Deinde amici , Saturnius Lucius, & Pedo Pompeius, & Lupus, & Celer Afinius , confulares. Noyiffime fratris filia , fororis filia , gener, ibcer , focrus , omnes plane confanguinei. Et agmine faéïo Claudio occurrunt. Quos cum vidiffet Claudius, exclamat, Tiknet Qfaw rtilfH. Quomodo vos huc veniftis ? Tum Pedo Pompeius : Quid dicis hom®  D E L'A P O C O L O K I N T O S I S. 199 aux careffes de fa jol ie levrette Manche, éprouva quelque furprife a 1'afpeft d'un grand vilain chien noir a long poil, peu agréable a rencontrer dans 1'obfcurité. tl ne laiiTa pas pourtant de s'écrier a haute voix : voici Claude Céfar. Auffitöt une foule s'avance en pouffant des cris de joie & chantant, II vient, réjouiflbris-nous. Parmi eux étoient Caïus Silius conful défigné, Junius Fratorius, Sextius Trallus, Hcllius Trcgus, Cotta Tectus, Valens Fabius, chevaliers Romains que Narcifle avoit tous expédiés. Au milieu de la troupe chantante étoit le pantomime Mi etter, ;i qui fa beauté avoit coüté la vie. Bientót le bruit que Claude arrivoit parvint jufqu'a Meffaline , & l'on vit accourir des premiers audevant de lui fes affrancbis Fölybe , Myron , Harpocrate, Amphajus & Peronaéte, qu'il avoit envoyés devant pour préparer U maifon. Suivoient les deux préfets Juftus Catonius & Rufus fiis de Pompée; puis fes amis Saturhius Lucius, & PedoPompeius, & Lupus, & Celer Afinius, Conful ai res : Enfin la fitte de fon frere, la fille de fa fceur, fon gendre, fon beau-pere, fa bellemere & prefque tous fes parens. Toute cette troupe accourt au-devant de Claude, qui les voyant , s'écria ; bon, je trouve partout des amis: par quel hazard êtes - vous ici ? Comment , fcélérat , dit Pedo Pompcïus r I 4  20O TltADUCTION crudeliffime ? Quawis quomodo ? Quis enim nos alius huc rnifit quam tu, omnium amicorum interfeiSlor ? In jus eamus , ego tibi bic fellas oftendam. Ducit illum ad tribunal JEad ,• is lege Cornelia , qua: de ficariis lata eft , qua:rebat: poftulabat , nomen ejus recipi , edit fubfcriptionem: occifos Senatores XXX. Equites Rom. CCCXV. atque plures: ceteros CLXXI. «V« vJ/a/*«6ój t£ xhiq 7S. Exterritus Claudius oculos undecumque circumfert , veftigat aliquem patronum qui fe defenderet. Advocatum non invenit. Tandem procedit P. Petronius , vetus conviótor ejus , homo Claudiana lingua difertus, & poftulat advocationem. Non datur. Accufat Pedo Pompeius magnis clamonbus. Incipit Petronius veile refpondere. iEacus homo juftiffimus , vetat. Jllum tantum altera parte audita condemnat , & ait: hu TFxüoi ttxk ëce%s, èkiiT'ikla ■ysvom. ïngens filentium factum eft. Stupebant omnes, novitate rei attoniti : negabant hoe umquam factum , Claudio iniquum magis videbatur quam novum. De genere pcena: diu difputatum eft , quid illum pati oporteret. Erant qui dicerent, fi uni dii laturam feciffent, Tantalum fiti periturum, nifi illi fuccureretur : non umquam Syfiphum onere elevari: aliquando Ixionis miferi rotam fufiiaminandam. Non placuit illi par  ft £ L'A POCOLOKINtÓSIS. 50/ par quel hazard ? Et qui nous- y envoya que' toi-même, beurreau de tous tes amis ? Viens> viens devant le juge; ici je t'en montrerai le1 chemin. II le mene au tribunal d'Eaque, lequel précifcment fe faifoit rtndre coaipte de la loi Cornelia fur les meurtriers. Pedo faie infcrire fon homme & préfente une Me de trente fénaEeurs , trois cents quinze chevaliers Romains , deux cents vingt-un citoyens & d'autres en nombre infini, tous tués par fes ordres. Claude effrayé tournoit les yeux de tous cckétf pour chercher un défenfeuj, mais aucun ne fe préfentoit. Enfin, P. Petronius, fon ancien convive & beau parleur conime lui, requit vainement d'être admis a le défendre. Pedo 1'accufe a grands eris, Pétrone tiche de répondre; mais le jufte Eaque le fait taire & après avoir entendu feulemenc 1'une des parties, condamne 1'accufé, en difant.^ II eft traité comme il tr.iita ies autres. A ces mots il fe fit un grand filence : TbüC ie monde étonné de cette étrange forme la foutenoit fans exemple ; mais Claude la trouva plus inique que nouvelle. On difputa longtems fur la peine qui lui feroit impofée. Quelques-uns> difoient qu'il falloit faire un échange f que Tantale mourroit de foif s'il n'étoit fecouru ,, qu'lxion avoit befoin d'enrayer, & Syfiphe' de seprendre haleine; mais comme relachei urn I 5  20a Traducst-ioh ex veteranis miffionem dari, ne vel Claudius umquam fimile fperaret. Placuit novam pcenam exeogitari debere ", inftituendum illi laborem irritum , & alicujus cupiditatis fpecies fine fine & affeétu. Tum Aïacus jubet illum alea ludere pertufo frititto. Et jam ccepsrat fugientes femper tefferas quterere , & nihil proficere. Nam quoties miflurus erat refonante fritillo , Utraque fubduclo fugiebat teflera fuudo: Cumque recolleélos auderet miltere talos, Lufuro fimilis Temper, femperque petenti, Decepere fidem: refugit, digitofque per ipfos Fallax alliduo dilabitur alea furto : Sic cum jam fuuimi tanguntur culmina montis, lirita Syfipho volvuntur pondera collo. Apparuit' fubitó C. Cajfar, & petere illum in iervitutem ccepit.- producit telles, qui illum viderant ab illo flagris , ferulis , colaphis vapulantem. Adjudicatur C. Cajfari : illum Micus. donavit : Is Menandro liberto fuo tcadidit, ut a cognitionibus ei effet.  DE L' A J O C O L O ï I S T O S I S. 2G$ vétéran c'eüt été laiiTer a Claude 1'efpoir d'obtenir un jour la méme grace, on aima mieux imaginer quelque nouveau fupplice qui, 1'aiTujettiiTant a un vain travail, irritat inceffamment fa cupidité par' une efpérance illufoire. Eaque ordonna donc qu'il jouat aux dés avec un cornet percé, & d'abord on Ie vit fe tourmenter inutilement £ courir après fes dés.. Car ii peine agitam le mobile cornet Aux dés prêts a partir il demande fonnet, Que malgré tous fes foins entre fes doigts avides Du cornet défoncé, panier des Danaïdes, 11 fent couler les dés; ils tombent, & fouvenc Sur la table, entratué par fes geltes rapides,, Soiï bras avec elFort jette un cornet de vent. Cj Ainfi pour terrafier fon adroit adverfaira Sur l'arêne, un Athlete enfiammé de colere, Du celte qu'il éleve efpere le trapper; L'autre gauchir, efquive, a le tems d'écliapper, Et le coup frappant 1'air avec toute fa force, Au btas qui 1'a porté donne une rude entorfe. La-deffus Caligula paroiffant tout - a - coup ,, fe mit a le réclamer comme fon efclave.. II prodiuV foit des témoins qui 1'avoient vu le charger- d& foufflets & d'étrivieres. Auflitöt il lui fut adjugè par Eaque; & Caligula le donna a JVlénandrefoni afFranchi, pour en faire un de fes gens. (*) J'a' P"s la überté de fubftituer cette comparai»fon a celle de Syfiphe, etnployée par Séueque & trep1 rebattue depuis eet auteur. I 6   O L I N D E E T SOPHRONIE, Tl RÉ D U TASSE.  L A GERUSALEMME LI B ER A T A9 CANTO SECONDO. Entre il tiranno s'apparecchia all'armi, Soletto Ifmeno un di gli s'appivfenta Ifmen , che trar di fotto ai chiufi marmi Puó corpo eftinto, e far che fpiri e fenta.limen che al fuon de' mormor'anti carmi Fin nella reggia fua Pluto fpaventa, E i fuoi demon negli empj uiicj impiega Pur come fervi, e gli difcioglie, e Iega.. Quefti or Macone adora, e fu Cnftiano,. Wa i primi riti anco lafciar non puote; Anzi fovente in ufo empio e profano Confonde le due leggi a fè mal note. Ed or dalle fpelonche, ove, lontano Dal volgo, efercitar fuol 1'arti ignote Vien nel pubblico rifchio al fuo Signore;. A Re malvagio configlier peggiore. Signor, dieea, fenza tardar fen viene II vincitor efercito temuto;  TR ADÜCTION DU COMMENCEMENT DU SECOND CHANT DE LA JERUSALEM DELIVRÉE, Contenant VHiftoire d'Oïinde & de Sophronie. 'X'andis que le tyran fe prépare a la guerre, lfmene un jour fe préfente a lui ; Ifmene qui de dtffous la tombe peut faire fortir un corps mort * lui rendre le fentiment & la parole; lfmene qui peut, au fon des paroles magiques , cffrayer Pluton jufqu'eri fon palais; qui commande aux démons en maitre, les empioie a fes eeuvres impies & les enchaine ou délie a fon gré- Chrétien jadis, aujourd'hui Mahométan, il n'a pu quitter tout-a-fait fes anciens rites, & les profanant a de criminels ufages, mêle & confond ainfi les deux loix qu'il connoit mal. JMaintenant du fond des antres oü il exerce fes arts ténébreux, il vient a fon Seigneur dans le danger public, a mauvais Roi, pire confeiller. Sire, dit-il, la formidable & vi&orieufe armée arrivé. Mais nous , rempliflbns nos  2P8 O l i w d e Ma faeciam noi dó che a noi far conviene a Dara il ciel, dara il rnondo ai forti ajuto. * Ben tu di Re, di duce hai tutte piene Le parti, e lunge hai vifto e provvedutcr, S'empie in tal guifa ogn'altro i proprj uficj; Tomba fia queila terra a'tuoi nemici. Io quanto a me ne vengo; e del periglio, E dell' opre compagno ad aitarte. Ció che puö dar di vecchia eta configlio, Tutto prometto, e ció che magica arte. Gli angeli che dal cielo ebbero eilglio Conftringerö delle fatiche a parte. Ma dond'io voglia incominciar gl'incanti E con quai modi, or narrerotti avantü Nel tempio de' Criftiani occulto giace Un fotterraneo altare; e quivi è il volto Di colei, che fua diva, e madre face Quel volgo, del fuo Dio nato e fepolto. Dinanzi al fimulacro acctfa face Continua fplende: egli è in un velo avvoltoj Pendono intorno in lungo ordine i voti Che vi portaro i creduli devoti. Or queöa effigie lor, di la rapita. Voglioche tu di propria man trafporte, E la riponga entro la tua mefchita : Io pofcia incanto adoprerö sl forte, Ch' ognor, mentre elja qui fia cuftodita».  ET S O P II R O N"l E. 200 devoirs , le ciel & la terre feconderor.t notre courage. Doué de toutes les qualités d'un Capitaine & d'un Roi , vous avez de loin tout pré vu, vous avez pour vu a tout, & fi chacun s'acquitte air.fi de fa charge, cette terre fera le tombeau de vos ennemis. Quant a moi, je viens de mon cóté partager vos périls & vos travaux. J'y mettrai pour ma part les confeils de la vieillefle & les forces de ('art magique. Je contraindrai les anges bannis du ciel a concourir a mes foins. Je veux commencer mes enchantemens par une opération dont il faut vous rendre compte. Dans le temple des Chrétiens, fur un autel fouterrain eft une image de celle qu'ils adorent, & que leur peuple ignorant fait la mere de leur Dieu, né, mort & enfèveli. Le fimiüacre devant lequel une lampe brille fans ceffe, efl enveloppé d'un voile & entouré d'un grand nombre de vceux fufpendus en ordre & que les crédules dévots y portent de toutes parts. II s'agit d'enlever de-Ia cette effigie & de la tranfporter de vos propres mains dans votre mofquée ; Ia j'y attacherai un charme fi fort, qu'elle fera tant qu'on 1'y gardera, la fauvegarde de vos portes, & par 1'efiët d'un rm-  210 O L I K D E Sara fatal cuftodia a quïfte porte; Tra mura inefpugnabili il tuo irupero Sicuro fia, per novo alto millero. Si diffe, el perfuafe : e impaziente II Re fen corfe alla magion di Dio, E sfor^ö i facerdoti, e irreverente II cafto fimulacro indi rapio; E portollo a qu-'l teinpio, ove fovente S'irrita il ciel col folie culto e rio. Nel profan loco, e fa fa facra imago. Sufurrö poi le fue beiTemmie il mago. Ma come apparfe in ciel Palba novella, Quel, cui 1'immondo tempio in guardia è dato, Non rivide 1'immagine ,• dov' ella Fu pofia, e invan cerconne in altro lato. Toflo n'awifa il Re, ch'aiïa novella Di lui fi moftra fieramente irato : Ed immagina ben ch' alcun fedele Abbia fatto quel furto, e che fe '1 cele. O fu di man fedele opra funiva, O pur il ciel qui fua potenza adopra: Che di colei, ch' è fua Regina e diva, Sdegna che loco vil 1'immagin copra : Ch' incerta fama'è ancor, fe ciö s'afcriva Ad arte urnana, od a mirabil' opra. Ben è picta , che Ia piet.ide e '1 zelo Uraan cedendo , autor fen creda il ciel».  etSophronie. 211 veau' myftere , vous conferverez dans vos murs un empire inexpugnable. A ces mots le Roi perfuadé, court impatient a Ia maifon de Dieu, force les Prêtres, enleve fans refpeft le chafte fimulacre & le porte a ce temple impie oü un culte infenfé ne fait qu'irriter le Ciel. C'eft-la, c'eft dans ce lieu profane & fur cette fainte image, que le magicien murmure f;s blafphêmes. Mais le matin du jourfuivant, le gardien du temple immot.de ne vit plus 1'image oü elle étoit la veille, & 1'ayant cherchée en vain de tous cótés , courut avertir le Roi , qui , ne doutant pas que les Chréttens ne reuflent enlevée, en fut tranfporté de colere. Soit qu'en eiTet ce fut un coup d'adreftë d'une main pieufe, ou un prodige du ciel indigné que 1'image de fa Souveraine foit proftituée en un lieu fouillé, il eft édifiant, il eft jufte de faire céder le zele & Ia piété des hommes & de croire que le coup eft venu d'en - haut.  212 O L I N D E II Re ne fa con importuna inchiefta Ricercare o ni chiefa, ogni magione.: Ed a chi gli nafconde, o manifefta II furto o il reo, gran pene, e premj impone. E I mago di fpiarne anco non refta Con tutte V ard il ver; ma non s'appone ; Chè '1 cielo (opra fua fofle, o foffe altrui) Celolla, ad onta degl' incanti, a lui. Ma poichê '1 Re crudel vide occultarfe Que! che peccato de' fedeli ei penfa; Tutto in lor d' odio infelloniflï, ed arfe D' ira , e di rabbia immoderata immenfa. Ogni rifpetto obblia; vuol vendicarfe (Segua che puote) e sfogar l' alma accenfa; Morra, dicea, non and a 1' ira a voto, Nella ftrage comune il ladro ignoto. Purchè '1 reo non fi falvi, il giufïo pera, E 1' innocente. Ma qual giufto io dico ? E' colpevol ciafcun, nè in loro fchiera Uom fu giammai del noflro nome amices. , S' anima v' è nel novo error fincera, Bafti a novella pena un falio antico. Su, fu, fedeli miei, fu via prendete Le fiamme, e '1 ferro, ardete, ed uccidete. Cosi paria alte turbe, e fe n' intefe  ET SOFHBOSIE. S 3 3 Lc Roi fit faire dans chaque églife & dans chaque maifon, la plus importune recherche , & décerna de grands prix '& de grandes peines a qui revéleroit ou'récélerok ie vol. Le magicien de fon cöté, déploya fans fuccès toutes les forces de Ton art pour en découvrir 1'auteur. Le ciel, au mépris de fes enchantemens & de lui, tint 1'auvre fecrette, de quelque part qu'elle put venir. Mais le tyran, furieux de fe voir cacher le délit qu'il attribue toujours aux fidelles, fe livre contre eux a la plus ardente rage. Oubliant toute prudence, tout refpeél humain, il veut a quelque prix que cs foit afibuvir fa vengeance. „ Non, „ non, s'écrioit-il, la menace nefera pas vaine: „ le coupable a beau fe cacher , il faut qu'il „ meure; ils mourront tous & lui avec eux." „ Pourvu qu'il n'échappe pas, que Ie jufle, „ que 1'innocent périffe , qu'importe ? Mais „ qu'ai-je dit, 1'innocer.t ? Nul ne 1'eft , & dans cette odieufe race. en eft - il un feul qui „ ne foit notre ennemi ? Oui, s'il en eft d'excmpts de ce délit, qu'ils portent Ia peine due a tous , pour leur haine; que tous périffent, l'un comme „ voleur & les autres comme Chrétiens. Venez, mes loyaux , apportez la flamme & le fer. „ Tuez & htülez fans miféricorde," C'eft ainfi qu'il parle a fon peuple. Le bruit  2I4 O L I N V) E La fama tra' fedeli immantinente, Ch 'attoniti reftar, si gli forprefe II timor della morte omai prefente. E non è chi la fuga o Ie difefe, Lo fcufare o '1 pregare ardifca, o tente; Ma le timide genti e irrefolute, Donde meno fperaro ebber falute. Vergine era fra lor di gia matura Verginita , d' aki penfieri e regj: D' alta belta, ma fua belta non cura, O tanto fol quant' onefta fen fregi. E' il fuo pregio maggior, che tra le mura D' angufta cafa afconde i fuoi gran pregj: E da' vagheggiatori ella s' invola Alle lodi, agli fguardi, inculta e fola. Pur guardia effer non puö, che 'n tutto celi Belta degna, ch' appaja, e che s' ammiri: Nè tu il confenti, Amor; ma la riveli D' un giovinetto ai cupidi defiri. Amor, ch'or cieco, or Argo, ora ne veli Di benda gli occhj, ora ce gli apri e giri; Tu per mille cuftodie entro ai piü caiTi Verginei alberghi il guardo altrui portafti. Colei Sofronia, Olinde egli s' appella, D' una cittade entrambi, e d' una fede. Ei che modefto è si, com' effa è bella,  et S o P II R o h i e. 21.5 de ce danger parvient bientót aux Cbrétiens. Saifis, glacés d'effroi par 1'afpeét de la mort prochaine, nul ne fonge a fuir ni a fe défendre, nul n'ofe tentcr les excufes ni les prieres. Timides, irréfolus, ils attenJoient leur deftinée, quand ils virent arriver leur falut, d'oü ils 1'efpéroient le moins. Parmi étoit une vierge, déja nubile , d'une ame fublime . d'une beauté d'ange, qu'elle négligé ou dont elle ne prend que les foins dont 1'lionnêteté fe pare, & ce qui ajoute au prix de fes charmes , dans les murs d'une étroite enceinte elle les fouftrait aux yeux & aux vceux des amans. Mais eft - il des murs que ne perce quelque rayon d'une beauté digne de briller ;;ux yeux & d'enflammer les cceurs? Arr.our! le fouffnrois - tu ? Non , tu 1'as révélée aux jeunes defirs d'un adolefcent. Amour! qui, tantót Argus & tantót aveugle, éclaires les yeux de ton fiambeau, ou les voiles de ton bandeau, malgré tous les gardiens, toutes les clótures, jufques dans les plus chaftes afyles, tu fcus porter un regard étranger. Elle s'appelle Sophronie, Olinde eft le nom du jeune hoiiime, ious deux ont la même patr e & la même foi. Comme il eft modefte autant  216 O L I K D E Brama affai, poco fpera, e nulla c'iiedc; Nè fa feoprirfi, o non ardifce: ed ella O lo fprezza, o nol vede, o non s' avvede. Cosi finora il mifero ha fervito O non vifto, o mal noto, o mal gradito. S'ode 1' annunzio intanto, e che s' apprefta Miferabile (trage al popol loro. A lei che generofa è quanto onefta , Viene in penfier come falvar coftoro. Move fortezüa il gran penfier ; I' arrefta Poi Ia vergogna, e '1 virginal decoro. Vince fortezza, anzi s' accorda, e face Sè vergognofa, e la vergogna audace. La vergine tra '1 vulgo ufcl foletta, Non copri fue bellezze , e non 1' efpofe; Raccolfe gü occhj, andö nel vel riftretta, Con iichive maniere, e generofe. Non fai ben dir, s' adorna,. o fe negletta, Se cafo, od arte il bel volto compofe; Di Natura, d'Amor, de' Cieli amici Le negligenze fue fono artificj. Mirata da ciafcun paffa, e non mïra L'altera donna, e innanzi al Re fen viene; Nè perc'iè irato il veggia, il p è ritira, Ma il fero afpetto intrepida foitiene. Vengo , Signor (glidifH) e'n tanto 1' ira Prego fofpenüa, e '1 tuo popolu aifrene: qu'elle  ET SoPKRONlE. 217 qu'elle eft belle, il defire beaucoup, efpsre peu, Be demande rien & ne fait ou n'ofe fe découvrir. Elle, de fon cóté, ne le voit pas, ou n'y penfe pas, ou le dédaigne, & le malheureux perd ainfi fes foins ignorés, mal connus, ou mal recus. Cependant on entend I'horrible proclaimtion & le moment du maffacre approche. Sophroniê auffi généreufe qu'honnête, forme le projet d« fauver fon peuple. Si fa modeftie 1'arrête, fon courage l'anim: & triomp'ie , ou plutót ces deux vertus s'accjrdent & sMluftrent nutuellemcnt. .'pi La jeune vierge fort feule au milieu du peuple; fans expofer ni cacher fes charmes, en marchant elle recueille fes yeux,' reflerre fon voile & en impofe par la réferve de fon maintien. Soit art ou hazard, foit négligence ou parure, tout concourt a rendre fa beauté touchante: le Ciel, la Nature & 1'Amour qui la favorifent, donnent i fes négligences 1'eSet de 1'art. Sans daigner voir les regards qu'elle attire i fon paffage & fans détourner Jes fiens, elle fe préfente devant le Roi, ne tremble point en voyant fa colere & foutient avec fermeté fon féroce afpect. Seigneur, lui dit-elle, daignez fufpendre votre vengeance & contenir votre peuple. ]• Supplém. Tom. V. . K  213 Olindk Vengo a fcoprirti, e vengo a darti prefo Quel reo che cerchi, onde fei tanto offefaJ AH' onefta baldanza, all' improvvifo Folgorar di bellezze altere e fante, Quafi confufo il Re, quafi conquifo, ïrenö Io fdegno, e placö il fier fembiante? S' egli era d' alma, o fe coftei divifo Severa manco, ei diveniane amante; Ma ritrofa belta ritrofo core ÏNTon prende: e fono i vezzi efca d'Amore^ Fu ftupor, fu vaghezza, e fu diletto, S' amor non fu, che moffe il eor villano. Narra (ei le dice) il tutto: ecco io commetto Che non s' offenda il popol tuo Criftiano. Ed ella: il reo fi trova al tuo cofpetto: Opra è il furto, Signor, di quefta mano: Io 1'immagine tolfi; io fon colei, Che tu ricerchi, e me punir tu dei. Cosl al pubblico fato il capo altero OiTerfcu, e' 1 volle in fe fola raccorre. Magnanima menzogna! or quando è il ver» Si.bello, che fi poiTa a te preporre? Riman fofpefo, e non si tofto il fero Tiranno all' ira, come fuol, trafcorre. Toi la richiede: Io vuo' che tu mi fcopra,1 -Chi dié configlio, e chi fu iniieme all' opra.  ET S O f H R O W I E. ïlf viens vous découvrir & vous livrer Ie coupable que vous cherchez & qui vous a fi fort offenfé- A I'honnéte affurance de eet abord, a 1'éclat fubit de ceschaftes & fieres graces, le Roi confus & fubjugué calrne fa colere & adoucit fon vifage irrité. Avec moins de févérité , lui dans 1'ame, elle fur le vifage, il en devenoit amoureux. Mais une beauté revêche ne prend point urt cceur farouche, & les douces manieres font les amorces de 1'Amour. Soit furprife, attrait ou volupté, plutAt qu'actendrifiement, le barbare fe fentit ému. Déclaremoi tout, lui dit-il; voila que j'ordonne qu'on épargne ton peuple. Le coupable, reprit-elle, eft devant vos yeux; voila la main dont ce vol eft 1'ceuvre. Ne cherchez perfonne autre; c'eft moi qui ai ravi 1'image, & je luis celle que vous devez punir. C'eft ainfi que fe dévouant pour le falut de fon peuple, elle détourne courageufement le malheur public fur elle feule. Le tyran quelque tems irréfolu, ne fe livre pas fitót a fa furie accoutumée; il 1'interroge : il faut, dit - il, que tu me déclares qui t'a donné ce confeil & qui t'a aidé a 1'exécuter. K e  S2© O L I N D S Non volli far della mia gloria altrui Nè pur minima parte, ella gli dice; Sol di me fteffa io confapevol fui, Sol conügliera, e fola efecutrice. Dunque in te fola, ripiglió colui, Cadera 1' ira mia vendieatrice. DiiTe ella: è giufto; elTer a me conviene, Se fui fola all' onor, fola alle pene. Qui comincla il Tiranno a rifdegnaril; Poi le dimanda; Ov' hai 1'immago afcofa? Non la nafcofi, a lui rifponde , io l'arfij E I' arderla ftimai laudabil cofa. Cosi almen non potra piü violarft Per man de' mifcredenti ingiuriofa. Signore, o chiedi il furto, o '1 ladro chiedij Quel non vedrai in eterno, e quefto il vedi. Benchè nè furto è il mio, nè ladra io fono, Giufto è ritor ciö ch' a gran torto è tolto. Or quefto udendo, in minaccevol fuono Freme il tiranno; e'1 fren dell' ira è fciolta. Non fperi piü di ritrovar perdono Cor pudico, alta mente, o nobil vo'to: E indarno Amor, contra lo fdegno crüdof Di fua vaga bellezza a lei fa fcudo. Prefa « la bella donna, e incrudelito JA Ee la danna enuo un incendis a mortel  ÏT SOPHRONII. Jaloufe de ma gloire, je n'ai voulu, répondelle, en faire part a perfonne. Le projet, 1'exécution, tout vient de moi feule, & feule j'ai fa mon fecret. C'eft donc fur toi feule lui dit le Roi, que doit tomber ma vengeance. Cela eft jufte, reprend- elle; je dois fubir toute la peins, comme j'ai remporté tout 1'honneur. Ici Ie courroux du tyran commence a fe rallrmer. II lui demande oü elle a caché 1'image ? Ellerépond; jene 1'ai point cachée, jeI'ai brüléu & j'ai cru faire une ceuvre louable de la g rantir ainfi des outrages des mécréans. Seigneu , cft-ce lë voleur que vous cherchez? il eft en votre préfence. Elt-ce le vol? vous ne la reverrez jamais. * Quoiqu'au refte ces noms de voleur & de v< 1 ne conviennent ni a moi ni a ce que j'ai fait , rien n'eft plus jufte que de reprendre ce qui lut pris injuftement. A ces mots, Ie tyran politic un cri menacant : fa colere n'a plus de frein. Vertu, beauté, courage, n'efpérez plus trouver grace devant lui. C'eft en vain que pour la défcndre d'un barbare dépit, 1'amour lui fait un bottelier de fes charmes. On Ia faifit; rendu a toute fa cruauté Ie Roi la condamne a périr fur un bucher. Son voile, K 3  2Ï2 O L I N D E Gia '1 velo, e'1 cafto manto è a lei rapito; Stringon le moüi braccia afpre ritorte. Ella fi tace; e in lei non sbigottitó, 3Ma pur commofib alquanto è il petto forte j. 3S finarrifce il bel volto in un colore, Che non è pallidezza, ma candore.. i Divulgofll il gran cafo, e quivi tratto Gia '1 popols'era; Olindo anco v'accorfei Dubbia era la perfona, e certo il fatto, Venia, che fofle la fua donna in forfe. Come Ia bella prigioniera in atto Kon pur di rea, ma di dannata ei fcorfe; Come i miniflri al duro uficio intenti LVide, precipitofo urtö le genti. Al Re gridó: Non è, noh è gia rea Coftei del furto, e per follia fen vanta. SMonpensö, non ardi, nè far potea JDonna fola e inefperta opra cotanta. Come ingannö i cuftodi ? e della Dea Con qual' arte involö 1'immagin fanta ? Se '1 fece, il narri. Io 1' ho, Signor, furata." Ahi tanto amö la non ainante amata ' Soggiunfe pofcia: io Ia, donde ricev». L'alta voftra mefchita e 1' aura e'1 die; Di Botte afcefi, e trapaflai per breve  etSofhronie. 223 fa chafte mante lui font arrachés; fes bras délicats font meurtris de rudes chaines. Elle fe tait; fon ame forte, fans être abattue , n'eft pas fans émotion, & les rofes éteintes fur fon vifage y laiflent la candeur de 1'innocence, plutót que la paleur de la mort. Cet acte héroïque auffitót fe divulgue. Dé''a le peuple accourt en foule. Olinde accourt auffi tout alarmé. Le fait étoit fur, la perfonne encore douteufe , ce pouvoit être la maitrefle de fon cceur. Mais fitöt qu'il appercoit la belle prifonniere en cet état, fitót qu'il voit les miniftres de fa mort occupés* a leur dur office, il s'élance, il heurte la foule. Et crieauRoi: non, non, cé vol n'eft'point de fon fait; c'eft par folie qu'elle s'en ofe vanter. Comment une jeune fille. fans expérience pourroitelle exécuter, tenter, concevoir même une pareille entreprife? Comment a-t-elle trompé les gardes? Comment.s'y eft-elle prife pour enlever la fainte image? Si elle 1'a fait, qu'elle s'explique. C'eft moi, Sire, qui ai fait le coup. Tel fut, tel fut 1'amour dont même fans retour il brüla pour elle.- II reprend enfuite. Je fuis monté de nuit jufqu'a 1'ouverture par oü 1'air & le jour entrent dans votre mofquée, & tentant des routes prefque K 4  224 O L I N B E Foro , tentando inaccelïibil vie. A me 1' onor, la morte a me fi devt; Non ufurpi coftei le pene mie. Mie fon quelle catene, e per me quefta ïiamma s'accende, e 1 rogo a me s'appreffa. Alza Sofronia il vifö , e umanamente Con occhj di pietade in lui rimira. A chè ne vieni, o mifero innocente ? Qual configlio o furor, ti guida o tiraf Non fon' io dunque fenza te poflente A fofiener ciö che d'un uom puö 1'ira ? Ho petto anch' io ch' ad una morte cred» D. bafiar folo, e compagnia non ahiede;. Paria cosl all' amante , e nol difpone Si, ch' egli fi difdica, o penfier mute; O fpettacolo grande, ove a tenzone Sono amore e magnanima virtute ! Ove Ia morte al vincitor fi pone In premio; e '1 mal del vinto è la falute! Ma piü s' irrita il Re, quant' ella, ed eik/ E piir coiTante in incolpar fe fteiTo. Pargli che vilipefo egli ne refti; E che 'n difprezzo fuo fprezzin le pene. Credafi, dice, ad ambo, e quella e quefti Vicca, e la palma fia qual li conviene. dans-  ii soïhkosie. 22 5 inacceflïblt's , j'y fins entré par un paffage étroit. Que cello-ci cefle d'ufurper la peine qui m'eil due. J'ai feul mérité Thonr.eur de la mort: c'eft a moi qu'appartiennent ces chaines, ce bucher, ces {lammes; tout cela n'eft dtftiné que pour moi. Sophronie leve fur lui les yeux; Ia douceur, la pitié font peintes dans fes regards. Innocent infortuné , lui dit-elle, que viens-tu faire ci ? Quel confeil t'y conduit ? Quelle fureur t'y traine ? Crains-tu que fans toi mon amj ne puifte fupporter la colere d'un homme irrité? Non, pous une ftule mort, je me fuffis a moi feule, & je n'ai pas befoin d'exemple pour apprendre. a la fouffrir. Ce diicours qu'elle tient a fon amant ne Ie fait point rétrafter ni renoncer a fon deffein. Digne & grand fpeétacle! oü 1'amour entre en lice avec la vertu magnanime, oü la mort eft Ij prix du vainqueur, & la vie la peine du vaincu! Mais loin d'être touché de ce combat de conftanc© & de générofité, ie Roi s'en irrite i Et s'en croit infulté, comme fi ce mépris dui fapplice retomboit fur lui. Croyons-en, dit-ii, a tous deux, qu'ils triomphent l'un & 1'autre & partagent la palme qui leur eft due. Fuis il fait K 5  425 O L I N D 1 Indi accenna ai fergenti, i quai fon prefli A legar il garzon di lor ca'ene. Sono ambo ftretti al palo fteflb, e volto E il tergo al tergo, e '1 volto afcofo al volto, Compofto è lor d'intorno il rogo omai „ E gia le fiamme il mantice v' incita: Quando il fanciullo in dolorofi lai Proruppe, e diiTe a lei, ch' è feco unita ■ Quefto dtinque è quel laccio, ond'io fperai Teco accopiarmi in compagnia di vita ? Quefto è quel foco, ch' io credea chei cori 3$e doveffe infiammar d' eguali ardori ? Altre fiamme, altri nodi amor promife:: Altri ce n'apparecchia iniqua forte. Troppo, ahi ben troppo, ella gia noi divife ! 2vïa duramente or ne congiunge in morte. Fiacemi almen, poichè in si ftrane guife üvlorir pur dei, del rogo effer conforte, Se del letto non fui: duolmi il tuo fato,. il mio non gia, poich' io ti moro a lato. Ed oh mia morte avventurofa appieno! O fortunati miei dolci martirj ! S'impetreró che giunto feno a feno^ L'anima mia nella tua bocca io fpiri; E veneado tu njeco a un tempo meno,  IT SOPHRONIE. -227 fi'gne aux fergens ,. & dans Finftant Olinde eft dans les fers. Tous deux liés & adoftës au même pieu ne peuvent fe voir en face, ■ On arrange autour d'eux le bueher,. & dëja l'on excite la fiamme, quand le jeune homme éclatant en gémiffemens , dit a celle avec laquelle il eft attaché: C'eft donc la le lien duquel j'efpérois m'unir a toi pour la vie! C'eft donc \A ce feu dont nos coems devoienê bruler enfemble- !- O flammes, ó nosuds qu'ufi fort cruel nous deftine ! hélas, vous n'étes pas ceux que 1'amour' m'avoit promis ! Sort cruel qui nous fépara durant ■ la vie & nous joint plus durement encore a Ia1 mort! ah! puifque tu dois la fubir auffi funefte je me confole en la partageant avec toi, de t'étre > «ni fur ce bucher, n'ayant pu 1'être a la couchc' nuptiale. Je pleure, mais fur ta trifte deftinée , & non fur la mienne, puifque je meurs a tes' Cótés. ■ O que la mort me fera doucè, que les tónr-mens me feront délieieux, fi j'obtiens qu'au dernier moment, tombant l'un fur 1'autre, nos bouehes fe joignent pour exhaler & recevoir au même iüftant nQS derniers foupirs ' H, patle^ & fes K 6  ïz8 ö L I N C E In me ftitfr mandi gli ultimi fofpiri. Cosi dice piangendo; ella ripiglia Soavemente, e in tai detti il configlia: Amïco, altri penfieri, altri lamenti Per piü alta cagione il tempo chiede. Chè non penfi a tue colpe? e non rammend Qual Dio prometta ai buoni ampia mercede? Soffri in fuo nome, e nan dolci i tormenti, E lieto afpira alla füperna fede. Mira il ciel com' è bello, e mira il (bis, Ch'a fè par che n'inviti, e ne confole. Qui il volgo de' Pagani il pianto eftolle, Piange il fëdel, ma in voet affai piü bafle.,. Un non fo che d' inufitato e molle Par che nel duro petto al Re trapafie. Ei prefentillo, e fi sdegnö: nè volle Piegarfi , e gli occhj torfe, e fi ritrafle. Tu fola il duol comun non accompagni, Sofronia, e pianta da ciafcun non piagni.. Mentre fono in tal rifchio, ecco un guerrierö» (Chè tal parea) d'alta fembianza, e degna ; E moftra d'arme , e d'abito ftranïero, Che di lontan , pêregrinando, vegna. La tigre che full' elmo ha per cimiero, Tutti gli occhj a fe trae; famofa infegna,, Infegna ufata da Clorinda in guerra, OnÖe'la creflon 'Iel, n'ó "i créÜer sm.  ET* SOPHRONIE. 2frf pleurs étoufFent fes paroles. Elle Ie tance avec douceur & le remc-ntre en ces tenues: Ami, Ie moment oü nous fommes- exige d'autres foins & d'autresregrets. Ah! penfe, penfe a tes fautes & au digne prix que Dieu promet aux fideles. Souffte en fon nom, les tourmens te feront doux: afpire avec joie au féjour célefte. Vois le ciel comme il eft beau; vois le foleil dont il femble que 1'afpecc riant nous appelle & nous confole. A ces mots tout Ie peuple Payen éclate en fanglots, tandis que le fidele ofe a peine gémir a plus baffe voix. Le Roi même, Ie Roi fent au fond de fon ame dure je ne fais quelle émotion prête a 1'attendrir. Mais en la preflentant , il s'indigne, s'y refufe, détourne les yeux & pare fans vouloir fe laifler fléchir. Toi feule, ó Sophronie , n'accompagne point le deuil général, & quand tout pleure fur toi, toi feule ne pleures pas! En ce péril preffant furvient un guerrier cu paroifiant tel, d'une haute & belle apparence , dont 1'armure & 1'habillement étranger annon^oient qu'il renoit deloin. Le Tigre, fameufe enfeigne qui couvre fon cafque, attira tous les yeux & fit juger avec raifon que c'étoit Clorinde». K 7  B3Ö O L I N D I Coftei gl' ingegni femminili, egli ufil Tutti fprezzö fin dall' eta piü acerba: • Ai lavori d'Aracne: all' ago , ai fufi Inchinar non degnö la man fuperba.-: Fuggi gli abiti molli; e i lochi chiufi;; Chè ne'. campi oneftate anco.fi ferba : Anno d' orgoglio il volto, e fi compiacqiae-' Higido farlo, e p.ur rigido piacquc.• Tenera ancór, con pargoletca deftra Strinfe , e lento d'un corridore il morfö:' Trattö 1' afia e la fpada, ed in paleftra Indurö i membri, ed allenogli al corfo: Pofcia o per via montana, o per fil veftra,. L' orme fegui di fier leone e d'orfo: Segui le guerre, e in efie. e fra le felve Fera agli uomini parve, uomo alle belve. ■ Viene or coftei dalle contrade Perfe,Perchè ai Chriftiani a fuo poter refilla; Bench' altre volte ha di lor membra afperfe' Le piagge, e 1' onda di lor fangue ha mifla, Or quivi in arrivando a lei s' offerfe L'apparato di morte a prima vifta. Di mirar vaga, e di faper qual fallo Condanna i rei, fofp.inge oltre il cavallor'-  ït Sop rr r o n x i, $%t Dès 1'age le plus tendre, elle méprifa' les mignardifes de fon fexe. Jamais fes coürageufes mains ne daignerent toucher le fufeau^ raiguille & les travaux d'Arachné. Elle ne voulut ni s'amollir par des vêtemens délicats, ni s'environner timidement de clöture. Dans les camps même , la vraie honnéteté fe fait refpeéter, & partóut fa force & fa vertu fut fa fauve-garde. EUe arma de fierté fon vifage & fe plut a Ie rendre fé'vere," mais il charme, tout févere qu'il eft, - D'une main encore enfantine eïle apprit a gouverner le mors d'un courfier, a manier Ia piqué & 1'épée; elle endurcit fon corps fur 1'arêne, fe rendit légere a la courfe, fur les rochers , a travérs les bois , fuivit a la pifte les bêtes féroces, fe fit guerriere enfin, & après avoir fait la guerre en homme aux lions dans les forêfs, combattit en lion dans les camps parmi les hommes. Elle venoit des contrées Perfanes pour réfifter de toute fa force aux Chrétiens. Ce n'étoit pas la première fois qu'ils éprouvoient fon courage. Souvent elle avoit difperfé leurs membres fur Ia pouffiere & rougi les eaux de leur fang. L'appareil de mort qu'elle appercoit en arrivant Ia frappe; elle pouffe fon cheval & veut favoir quel crime attire un tel#ch&im.ent,  232 O L I » B E Cedon Ie turbe, e i duo legati infierne Ella fi ferma a riguardar dapprefib. Mira che 1' una tace, e V altro geme, E piü vigor moftra il men forte fcflb. Piangerlui vede in guifa d'uom, cui preme Piëta, non doglia, o duol non di fe fteffö: E tacer lei con gli occhj al ciel si fïfa, Ch' anzi '1 morir par di quaggiü divifa. Clorinda inteneriffï, e fi condolfe D' ambeduo loro', e lacriinonne alquanto. Pur maggior fente ü duol per chi non duolffr, Piü la move il filenzio, e meno il pianto. Senza troppo indugiare ella fi volfe Ad un uom che canuto avea daccanto. Deh dimmi, chi fon quefti? ed al martora Qual gli eonduce, o forte, o colpa loro ? Cosi pregollo: e da colui rifpofto Breve, ma pieno alle dimande fue. Stupiffi udendo, e immaginö ben toffo' Ch' egualmente innocenti eran que' due, Gia di vietar lor morte ha in fe propefto». Quanto potranno i preghi, o Parmi fue. Pronta accorre alla fiamma, e fa ritrarla, Che gia s' apprefla : ed ai miniftri paria. Alcun non- fia di voi, che 'n quefto duro. Uficio oltra feguire abbia baldanza, Finch* io non parli al Re: ben v'afficur©»  ÏT SOPHROMIE. 233 La foule s'écarte & Clorinde en confidérant de pres les deux victimes attachées enfemble, remarque le filence de 1'une & les gémiffemens de 1'autre. Le fexe le plus foible montre en cette occafion plus de fermeté, & tandis qu'Olinde pleure de pitié plutót que de crainte, Sophronie fe tait, & les yeux fixés vers le ciel femble avoir déja quitté le féjour terreftre. Clorinde encore plus toucbée du tranqnille filence de 1'une que des douloureufes plaintes de 1'autre, s'attendrit fur leur fort jufqu'aux larmes; puis fe tournant vers un vieillard qu'elle appercut auprès d'elle; dites-moi, je vous prie, lui demanda-j-elle, qui font ces jeunes gens , & pour quel crime ou par quel malheur ils fouffrent un pareil fupplice ? Le vieillard en peu de .mots ayant pleinement fatisfait a fa demande, elle fut frappée d'étonnement, & jugeant bien que tous deux étoient inïiocens. elle réfolut, autant que le pourroit fa priere ou fes armes, de les garantir de la mort. Elle s'approche , en faifant retirer la fiamme prête a les atteindre; elle parle ainfi a ceux qui 1'attifoient: Qu'aucun de vous n'ait I'audace de pourfuivre cette cruelle ceuvre jufqu'i ce que j'aie parlé au Rei, je vous promets qu'il ne vous faura pas  $3+ 0 L I S D I - Ch' ei non v' accufera della tardanza. übbidiro i fergenti, e moffi furo Da quella grande fua regal fembianza. Poi verfo il.Re fi mofle, e lui tra via Ella trovo, che'ncontra lei venia. Io fon Clorinda, dilTé; hai forfe intefa Talor nomarmi, e qui,. Signor, ne vegno, Per ritrovarmi teco alla difefa Della fede comune, e-del'tuo regno. Son pronta (irnponi pure) ad ogni imprefa; L'alte non temo, e 1' umili non fdegno. Voglimi in campo aperto, o pur tra:'i.chiufo Delle mura impiegar, riulla ricufo. Tacque, e rifpofe il Re: Qüal si difgiunta' Terra è dall' Afia, o dal cammin del fole, Vergine gloriofa, ove non giunta Sia la tua fama , e 1'oror tuo non vole? Or che s' è la tua fpada a me congiunta, D' ogni timor m' affidï, e mi confole. Non , s' efercito grande unjto infieme . Folie in mio fcampo, avrei piü certa fpeme, Gia gia mi par ch' a ginnger qui Goffredo' Oltra il dover indugi. Or tu dimandi, Ch' impieghi io te: fol di te degne credo L' imprefe malagevoli , e le grandi. Sovra i noftri guerrieri ■ a te concedo Lo fcettro, e legge üa quel che comandi. •  IT SoPHIOBIt. 235 mauvais gré de ce retard. Frappés de Con air grand & noble, les fergens obéirent; alors elle s'achemina vers le Roi Sc le rencontra qui venois: au-devant d'elle.. Seigneur, lui dit-elle, je fuïs Clorinde; vous m'avez peut-être ouï nommer quelquefois. Je viens m'offrir pour défendre avec vous la foi commune & votre tróne. Ordonnez, foit en pleine campagne, ou dans 1'enceinte des murs , quelqu'emploi qu'il vous pfaife m'aflïgner, je 1'accepte fans craindre les plus périlleux ni déV daigner les plus humbles. Quel pays, lui répond le Roi, eit fi Ioin da' 1'Afie & de la route du foleil, oü l'illuftre nom de Clorinde ne vole pas fur les alles de Ia gloire! Non, .vaillante guerriere, avec vous je n'ai plus ni doute ni crainte, & j'aurois moins de confiance en une armée entiere venue a mon fecours qu'ea>votre feule afllitance.. Oh, que Godefroy n'arrïve-t-il a Tinffait même! II vient trop Ientement a mon gré.- Vous me demandez un emploi? Les entreprifes difficiles Sc grandes font les feules dignes de vous. Comawndez a nos guerricrs :■ je vous nomme leur  2gtf O L I N D E Cosl parlava": ella rendea cortefe Grazie per lodi: indi il parlar riprefe. Nova cofa parer dovra per certo , Che preceda ai fervigj il guiderdone; Ma tua bonta m' affida: io vuo' che' n mert© Del futuro fervir que' rei mi done. In don gli chieggio, e pur fe '1 fallo è incerto, Gli danna inclementiffima ragione. Ma taccio quefto, e taccio i fegni efprefli, Ond' argomento 1' innocenza in elft. E dirö fol, ch' è qui comun fentenza, Che i Criftiani toglieffero t* imago; Ma difcord' io da voi; nè perö fenza Alta ragion del mio parer m'appago, Fu delle noftre leggi irreverenza Quell' opra far che perfuafe il magoj Chè non convien ne' noftri ternpj a nui Gl' idoli avere, e men gi' idoli aluui. Dunque fufo a Macon recar mi giova> II miracol dell' opra, ed ei lo fece Per dimoftrar che i temp' fuoi con nova Religion contaminar non lece, Faccia Ifmeno, incantando or.ni fua prova, Egü , a cui le malie fon d' arme in vece: Trattiamo il ferro pur noi cavalieri; Queft' arte è QQfaa, e' n quefta. fol fi fperi.  et Se?ita»Nis. £37 jénéral. La modefte -Clorinde lui rend grace & reprend en fuite: C'eft une chofe bien nouvelle, fans doute, que le falaire précede les fervices; mais ma confiance en vos bontés me fait-demander pour prix de ceux que j'afpire i vous rendre , la grace de ces deux condamnés. Je les demande en pur don, fans examiner fi le crime eft bien avéré, fi le chatiment n'eft point trop févere, & fans m'arréter aux fignes fur.lefquels jepréjnge.leur innocence. Je dirai feulement que, quoiqu'on accufe ici les Chrétiens d'avoir enlevé 1'image, j'ai quelque raifon de penfer autrement. Cette ceuvre du magi«ien fut une profanation de notre loi qui n'admet point d'idoles dans nos temples, & moins encore «elles des Dietix étrangers. C'eft donc i Mahomet que j'aime a rapporter le miracle , & fans doute il 1'a fait pour nous apprendre a ne pas fouiller fes temples par d'autres cultes. Qu'Ifmene faiTe a fon gré fe« enchantemens, lui dont les exploits font des maléfices. Pour nous guerriers, manions le glaive; «'eft - Ia notre défenfe & nou* ne devons efpérer qu'en lui.  238 'O L I H D I Tacque, ciö detto: e' 1 Re, bench' a .pietads L' irato cor difficilmente picghi, Pur compiacer la volle : e' 1 perfuade Ragione, e' 1 move autorita di preghi. Abbian vita, rifpofe, e libertade, E nulla a tanto interceiTor fi neghi. Siafi quefta o giuiïizia, ovver perdono, Innocenti gli affolvo, e rei gli dono. Cosi furon difciolti. Avventurofo Ben veramente fu d'Olindp il fato; Ch' atto potè moftrar, che' n generofo Petto alfine ha d' amore deftato, Va dal rogo alle nozze, ed è gia fpofo Fatto di reo, non pur d' amante amato. Volle con lei morire: ella non fchiva, Poichè feco non ffluor, che feco viva.  •E T S O t E 1 O S Ui -25» Elle fe tak; &, quoique 1'ame colere du Roi ;ne s'appaife pas fans peine, il voulut néanmoins lui complaire, plutót flschi par fa priere.& par la raifon d'état que par Ia pitié. Qu'ils aient,, dit - il, la vie & la liberté : un tel intercefleur peut - il éprouver des refus ? Soit pardon, foit juftice, innocens je les abfous, coupables je leur fais grace. Ils furent ainfi délivrés, & Ia fut couronné Ie fort vraiment aventureux de ['amant de Sopbronie. Eh! comment refuferoit - elle de vivre avec celui qui voulut mourir pour elle? Du bucher ils vont a la noce; d'amant dédaigné, de patiënt même, il devient heureux époux & montre ainfi dans un mémorable exemple, que les preuves d'un amour véritable ne laiflent point infenfible .un cceur généreux.  f RAG-  FRAGMENS POUR U N DIC T IONNA1RE DES TERMES D'USAGE EN BOTANIf^UE. SuppUm. Tom. V. L  AVIS DES EDITEURS. Il paroit par ces Fragmens, que le projet de M. Roujjeau étoit de faciliter l'intelligence des termes t/jïtés chez les Botaniftes : il ejl fdcheux qu'il n'ait laijjé fur ce'fujet intéreffant que des brouillons , peutêtre aujfi incmnplets par les articles qu'il a ébauchés, que par ceux qu'il n'a poir.t traités. Mais nous evons penfé que, malgré -leur imperfe&ion, ces Fragmens méritoient de voir le jour, £f, quelque défeStueux qu'ils puijjent être, nous n'avons voulu ejfayer, ni de fuppléer aux articles qui manquent, ni de corriger tufinir ceux qui font faits; tout au plus avons-nous efé nous permettre de faire difparoitre quelques obfcurités , ou quelques défauts dejlyle qui avoient échappé a la première compofition.  INTRODUCTION. I-/s premier malheur de Ia Botanique eft d'avoit été regardée dès fa naiffance, comme une partie de la Médecine. Cela fit qu'on ne s'attacha qu'a trouver ou fuppofer des vertus aux plantes, & qu'on négligea la connoiffance des plantes mêmes ; car comment fe livrer aux courfes immenfes & continuelles qu'exige cette recherche , & en même tems aux travaux fédentaires du laborstoire & aux traitemens des malades, par lefquels on parvient a s'affürer de la nature des fubftances végétales & de leurs effets dans le corps humain. Cette faufie maniere d'envifager la botanique en a longtems rétréci 1'étude au point de la bomer prefque aux plantes ufuelles, & de réduire Ia chaine végétale a un petit nombre de chalnons interrompus. Encore ces chainons mêmes ont-ils été trés-mal étudiés, paree qu'on y regardoit feulement la matiere & non pas 1'organifation. Comment fe feroit-on beaucoup occupé de Ia ftrufture organique d'une fubftance, ou plutöt d'une maffe ramifiée qu'on ne fongeoit qu'a piler dans un mortier? On ne cherchoit des plantes que pour trouver des remedes; on ne cherchoit pas des plantes, mais des fimples C'étoit fort bien fait, dira-t-on; foit. Mais il n'en a pas moins réfulté que fi l'on connoifföit fort bien les remedes , on ne laiiToit pas de connoitre fort mal les plantes; & c'eft tout ce que j'avance ici. L 2  24+ Introductiok. La botanique n'étoit rien, il n'y avoit point d'étude de la botanique , & ceux qui fe piquoient le plus de connoitre les plantes n'avoient aucune idee, ni de leur ftruclure, ni de 1'économie végétale. Chacun connoiiToit de vue cinq ou fix plantes de fon canton, auxquelles il donnoit des noms au bafard, enrichis de vertus merveilleufes qu'il lui plaifoit de leur fuppofer, & chacune de ces plantes changée en panacée univerfelle, fuffifoit feule pour immortalifer tout le genre-bumain. Ces plantes transformées en baume & emplatres difparoiflbient promptement & faifoient bientót place a d'autres, auxquelles de nouveaux - venus, pour fe diftinguer, attribuoient les mêmes effets. Tantót c'étoit une plante nouvelle qu'on décoroit d'anciennes vertus, & tantót d'anciennes plantes propofées fous de nouveaux noms fuffifoient pour enricbir de nouveaux charlatans. Ces plantes avoient des noms vulgaires difFérens dans chaque canton, & ceux qui les indiquoient pour leurs drogues, ne leur donnoient que des noms connus tout au plus dans Ie lieu qu'ils habitoient; & quand leurs récipés couroient dans d'autres pays, on ne favoit plus de quelle plante il y étoit parlé; chacun en fubftituoit une a fa fantaifie, fans autre foin que de lui donner le même nom. Voila tout Part que les Myrepfus, les Hildegardes, les Suardus, les Villanova & les autres Dofteurs de ces tems-la mettoient a 1'étude des plantes dont ils ont parlé dans leurs livres, & il feroit difficile peut - être au peuple  Introduction. a ï 5 d'en reconnoitre une feule fur leurs noms ou fur leurs defcriptions. A la renaiflance des Lettres , tout difparut pour faire place aux anciens livres; il n'y eut plus rien de bon & de vrai que ce qui étoit dans Ariftote & dans Galien. Au lieu d'étudier les plantes fur la terre, on ne les étudioit plus que dans Pline & Diofcoride, & il n'y a rien de fi fréquent dans les auteurs de ces tems-la, que d'y voir nier 1'exiftence d'une plante par 1'unique raifon que Diofcoride n'en a pas parlé. Mais ces doftes plantes, il falloit pourtant les trouver en nature pour les employer felon les préceptes du maitre. Alors on s'évertua, l'on fe mit a cbercher, a obferver, a conjeéturer & chacun ne manqua pas de faire tous fes efForts pour trouver dans la plante qu'il avoit choifie, les carafteres décrits dans fon auteur; & comme les traduéteurs, les commentateurs, les praticiens s'accordoient rarement fur le choix, on donnoit vingt noms a la même plante, & a vingt plantes le même nom, chacun foutenant que la fienne étoit la véritable & que toutes les autres n'étant pas celle dont Diofcoride avoit parlé, devoient être profcrites de deflus la terre. De ce confiit réfulterent enfin des recherches , a la vérité, plus attentives & quelques bonnes obfervations qui mériterent d'être confervées, mais en même tems un tel cahos de nomenclature que les médecins & les herbori'ftes avoient abfolument ceffé de s'entendre entr'eux : il ne L 3  24Ö lNTRODUCTION. pouvoit plus y avoir communication de Iumieres, il n'y avoit plus que des difputes de mots •& de noms, & même toutes les recherches & defcriptions utiles étoient perdues faute de pouvoir décider de quelle plante chaque auteur avoit parlé. II commenca pourtant a fe former de vrais botaniftes, tels que Clufius, Cordus, Cefalpin, Gefsner, & a fe faire de bons livres & inftructifs fur cette matiere, dans lefquels même ontrouve déja quelques traces de méthode. Et c'étoit certainement une perte que ces pieces deviniTent inutiles & inintelligibles par la feule difcordance des noms. Mais de cela même que les auteurs commencoient a réunir les efpeces & a féparer les genres, chacun felon fa maniere d'obferver le port & Ia ftruéhire apparente, il réfulta de nouveaux inconvéniens & une nouvelle obfcurité , paree que chaque auteur réglant fa nomenclature fur fa méthode créoit de nouveaux genres, ou féparoit les anciens felon que Ie requéroit le caracTere des fiens. De forte qu'efpeces & genres, tout étoit tellement mêlé, qu'il n'y avoit prefque pas de plante qui n'eut autant de noms difFérens, qu'il y avoit d'auteurs qui 1'avoient décrite; ce qui rendoit 1'étude de la concordance aufli longue & fouvent plus difficile que celle des plantes même. Enfin parurent ces deux illuflres freres, qui ont plus fait eux feuls pour le progrès de la botanique, que tous les autres enfemble qui les ont précédés & même fuivis jufqu'a Tournefort; hommes rares,  Inthoduction. 247 (lont le favoir immenfe & les folides travaux confacrés a la botanique, les rendent dignes de 1'immortalité qu'ils leur ont acquife; car tant que cette fcience naturelle ne tombera pas dans 1'oubli, les noms de Jean & de Gafpard Bauhin vivront avec elle dans la mémoire des hommes. Ces deux hommes entreprirent, chacun de fon cóté, une hitloire univerfelle des plantes, & ce qui fe rapporte plus immédiatement a cet article, ils entreprirent l'un & 1'autre d'y joindre unefynonymie, c'eft - a - dire, une lifie exatte des noms que chacune d'elles portoit dans tous les auteurs qui les avoient précédés. Ce travail devenoit abfolument néceffaire pour qu'on püt profiter des obfervations de chacun d'eux; car fans cela il devenoit prefque impoffible de fuivre & déméler chaque plante a travers tant de noms differens. L'alné a exécuté a peu prés cette entreprife dans les trois volumes in folio qu'on a imprimés après fa mort, & il y a joint une critique fi jufte, qu'il s'eft rarement trompé dans fes fynonymies. Le plan de fon frere étoit encore plus vafle, comme il parolt par le premier volume qu'il en a donné & qui peut faire juger de 1'immenfité de tout 1'ouvrage, s'il eüt eu le tems de 1'exécuter; mais au volume prés dont je viens de parler, nous n'avons que les titres du refte dans fon Pinax, & ce Pinax, fruit de quarante ans de travail eft encore aujourd'hui le guide de tous ceux qui veulent L 4 ■■  248 Introbuctios. travailler fur cette matiere & confulter les anciens auteurs. Comme la nomenclature des Bauhins n'étoit formée que des titres de leurs chapitres, & que ces titres comprenoient ordinairement plufieürs mots, de-la vient 1'babitude de n'employer pour noms de plantes que des pbrafes louches afiez longues, ce qui rendoit cette nomenclature non - feulement trainante & embarraffante , mais pédantefque & ridicule. II y auroit a cela, je 1'avoue, quelque avantage , fi ces phrafes avoient été mitux faites; mais compofées indifFéremment des noms des lieux d'oii venoient ces plantes, des noms des gens qui les avoient envoyées, & même des noms d'autres plantes avec lefquelles on leur trouvoit quelque fimilitude, ces phrafes étoier.t des fources de nouveaux embarras & de nouveaux doutes, puifque la connoiiTance d'une feule plante exigeoit celle de plufieürs autres, auxquelles fa phrafe renvoyoit & dont les noms n'étoient pas plus déterminés que le fien. Cependant les voyages de long cours enrichiffoient incefiamment Ia botanique de nouveaux tréfors, & tandis que les anciens noms accabloient déja Ia mémoire, il en falloit inventer de nouveaux fans ceflë pour les plantes nouvelles qu'on découvroit. Perdus dans ce labyrinthe immenfe, les botaniftes forcés de chercher un fil pour s'en tirer, s'attacherent enfin férieufement a la méthode; Herman, Rivin, Ray, propoferent chacun la  I K T li O D ü C T I O S, 245 Ia fienne; mais 1'imrrortel Tournefort 1'emporta fur eux tous; il rangea le premier fyftématiquement tout le regne végétal; & réformant en partie la nomenclature, la combina par fes nouveaux genres avec celle de Gafpard Bauhin. Mais loin de Ja débarralTer de fes Iongues phrafes, ou il en ajouta de nouvelles, ou il chargea les anciennes des additions que fa méthode Ie forcoit d'y faire. Alors s'introduifit 1'ufage barbare de lier les nouveaux noms aux anciens par un qui qua quod contradictoire, qui d'une même plante faifoit deux genres tout différens. Dens Leonis qui pilofella folio minus villofo: Doria qua Jacobaja orientalis limonii folio: Titanokeratophyton quod Litophyton marinum albicans. Ainfi la nomenclature fe chargeoit. Les noms des plantes devenoient non-feulement des phrafes, mais des périodes. Je n'en citerai qu'un feul de Plukenet, qui prouvera que je n'exagere paj, Gramen myloïcophorum carolinianum feu gra,, men altiiïimum , panicula maxima fpsciofa, è ,, fpicis majoribus compreiliufculis utrinque pinna„ tis blattam molendariam quodam modo referen„ tibus, compofita,'foliis convolutus mucronatis „ pungentibus." Almag. 137. C'en étoit fait de la botanique fi ces pratiqnes euffent été fuivies; devenue abfolument infupportable, la nomenclature ne pouvoit plus fubfiiLr dans cet état, & il falloit de toute néceilité qu'il L 5  25© INTRODUCTION. s'y fit une réforme , ou que ia plus riche, la plu? aimable, la plus facile des trois paities de lfHif« toire Naturelle fut abandonnée. Enfin M. Linnams plein de fon fyftême fexuel & des vaftes idéés qu'il lui avoit fuggérées, forma le projet d'une refonte générale dont tout le monde fentoit le befoin, mais dont nul n'ofoit tenter 1'entreprife. 11 fit plus, il 1'exécuta , & après avoir preparé dans fon Critica Botanica les regies fur lefquelles ce travail devoit être conduit, il détermina dans fon Genera plantarum ces genres des plantes; enfuite les efpeces dans fon Species; de forte que gardant tous les anciens noms qui pouvoient s'accorder avec ces nouvelles regies & refondant tous les autres, il établit enfin une nomenclature éciairée, fondée fur les vrais principes de 1'art qu'il avoit lui-même expofés. 11 conferva tous ceux des anciens genres qui étoient vraiment naturels, il corrigea, fimplifia, réunit ou divifa les autres felon que le requéroient les vrais caracteres. Et dans la confeclion des noms , il fuivoit quelquefois même un peu trop févérement fes propres regies. A 1'égard des efpeces, il falloit bien pour les déterminer des defcriptions & des différences ; ainfi les phrafes reftoient toujours indifpenfables, mais s'y bornant a un petit nombre de mots techniques bien choifis & bien adaptés, il s'attacha a. faire de bonnes & breves définitions tirées de* vrais caracteres de la plante, bannüTant rigouren-  I N T K o r> ü C T r © Sr. 25J fement tout ce qui lui étoit étranger. II faIIUc ■ pour cela créer , pour ainfi dire, a Ia botanique une nouvelle langue qui épargnat ce long circuit de paroles qu'on voit dans les anciennesdefcriptions. On s'eft plaint que les mots de cette langue n'étoient pas tous dans Cicéron. Cette plainte auroit un fens raifonnable, fi Cicéron eüt fait un traité complet de botanique. Ces mots cependant font tous grecs ou latins , • expreflifs', courts, fonores, & forment même des conftructions élégantes par leur extréme précifion. C'eft dans la pratique journaliere de Part, qu'on'fent tout Pavantage de cette nouvelle langue , aufii commode & néceffaire aux botaniftes, qu'eft celle de 1'algebre aux géometres. Jufques-la M. Linnams avoit déterminé Ie plus grand nombre des plantes connues, mais il ne les avoit pas nommées: car ce n'eft pas nommer une chofe que de la définir; une phrafe ne fera jamais un vrai mot & n'en fauroit avoir Pu> fage. Il pourvut a ce défaut par Pinvention des noms triviaux, qu'il joignit a ceux des genres pour diftinguer les efpeces. De cette maniere le nom de chaque plante n'eft jamais compofé que de deux mots , & ces deux mots feuls choifis avec difcernement & appliqués avec jufteffe, font fouvent mieux connoitre la plante que ne faifoient les longues phrafes de Micheli & de Plukenet. Pour Ia connoitre mieux encore & plus réguliérement, on a Ia phrafe qu'il faut favoir fans doute, L 6  85* Introduction. mais qu'on n'a plus befoin de répéter i tout propos, lorfqu'il ne faut que nommer 1'objet. Rien n'étoit plus mauffade & plus ridicule , lorfqu'une femme ou quelquun de ces hommes qui leur reffemblent, vous demandoient Ie nom d'une herbe ou d'une fleur dans un jardin, que la néceffité de cracher en réponfe une longue enfilade de mots latins qui reffembloient a des évocations magiques; inconvénient fuffifant pour rebuter ces perfonnes frivoles d'une étude charmante, offerte avec un appareil auffi pédantefque. Quelque néceffaire, quelque avantageufe que füt cette réforme, il ne falloit pas moins que le profond favoir de ]YT. Linnanis pour la faire avec fuccès, & que la célébrité de ce grand naturalifte pour la faire univerfellement adopter. Elle a d'abord éprouvé de la réfiftance, elle en éprouve encore. Cela ne fauroit être autrement; fes rivaux dans la même carrière regardent cette adoption comme un aveu d'infériorité qu'ils n'ont garde de faire; fa nomenclature paroit tenir tellement a fon fyftême qu'on ne s'avife gueres de 1'en fépaler. Et les Botaniftes du premier ordre, qui fa croient obligés par hauteur de n'adopter le fyftême de perfonne & d'avoir chacun le fien , n'iront pas facrifier leurs prétentions aux progrès d'un are dont 1'amour dans ceux qui le profeffent eft raretnent défintéreflé. Les jaloufies nationales s'oppofent encore a l'admiffion d'un fyftême étranger. On fe croit  ÏNTRODUCTION. 25$ obl'gé de foutenir les illuftres de fon pnys, furtout lorfqu'ils ont ceffé de vivre; car même 1'amour-propre qui faifoit fouffrir avec peine leur fupériorité durant leur vie , s'honore de leur gloire après leur mort. Malgré tout cela, la grande commodité decette nouvelle nomenclature & fon utilité que Pufage a fait connoitre, 1'ont fait adopter prefqueuniverfellement dans toute 1'Europe plutót ou plus tard, a la vérité, mais enfin a peu prés partout, & même a Paris M. de Jufïïeu vient de 1'établir au jardin du Roi, préférant ainfi 1'utilité. publique a la gloire d'une nouvelle refonte que femblois demander la méthode des families naturelles dont fon illuftre oncle eft Fauteur. Ce n'eft pas que cette nomenclature Linnéenne n'ait encore fes défauts & ne laiffe de grandes piifes a la critique; mais en attendant qu'on en trouve une plus parfaite a qui rien ne manque, il vaut cent fois mieux adopter celle-la que de n'en avoir aucune, ou de retomber dans les phrafes de Tournefort & de Gafpard Bauhin. J'ai même peine a croire qu'une meilleure nomenclature put avoir déformais affez de fuccès pour profcrire celle-ci, a laquïlle les botaniftes de PEurope font déja tout accoutumés, & c'eft par Ia doublé chaine de 1'habitude & de la commodité qu'ils y renonceroient avec plus de peine encore qu'ils n'en eurent a 1'adopter. II faudroit, pour opérer ce changement, un auteur dont Ie crédit effacat celui de M. Linnsus, & i L 7  S!5+- iNTRODOCTIOff. 1'autorité duquel 1'Europe entiere voulut fe fou> mettre une feconde fois, ce qui me paroit difficile a efpérer. Car fi un fyftême , quelque excellent qu'il puiffe être, n'eft adopté que par une feule nation, il jettera la botanique dans un nouveau, labyrinthe & nuira plus qu'il ne fervira. Le travail même de M. Linnsus, bien qu'immenfe, refte encore imparfait, tant qu'il ne comprend pas toutes les plantes connues, & tant qu'il n'eft pas adopté par tous les botaniftes fans exception : car les livres de ceux qui ne s'y foumettent pas, exigent de Ia part des lecteurs, le même travail pour la cancordance auquel ils étoient for. cés pour les livres qui ont précédé. On a obligation a M. Crantz, malgré fa paffion contre M. Linnaius , d'avoir, en rejettant fon fyftême y adopté fa nomenclature. Mais M. Haller, dans fon grand & excellent traité des plantes alpines, rejette a la fois l'un & 1'autre, & M. Adanfon fait encore plus, il prend une nomenclature toute nouvelle & ne fournit aucun renfeignement pour y rapporter celle de M. Linmsus. M. Haller eite toujours les genres & quelquefois les phrafes des efpeces de M. Linnaius, mais M. Adanfon n'en cite jamais ni genre ni phrafes. M. Haller s'attache a une fynonymie exacte, par laquellc,. quand il n'y joint pas la phrafe de M. Linna:us, on peut du moins Ia trouver indireétement par le rapport des fynonymies. Mais M. Linnasus & fes livres font tout - a - fait nuls pour M. Adanfon &  IjfTROnT'CTIOK. 25J pour fes lecteurs, il ne laiflë aucun renfeignement par lequel on s'y puiiTe reconnoitre. Ainfi il faut opter entre M. Linnteus & M. Adanfon qui Pexclud fans miféricorde, & jetter tous les livres de l'un ou de 1'autre au feu. Ou bien il faut entreprendre un nouveau travail , qui ne fera ni court ni facile pour faire accorder deux nomenclatures qui n'offrent aucun point de réuniom De plus, M. Linnseus n'a point donné une fynonymie complette. II s'eft contenté pour les plantes anciennement connues de citer les Bauhins & Clufius , & une figure de chaque plante. Pour les plantes exotiques découvertes récernment, il a cité un ou deux auteurs modernes & les figures de Rhéedi, de Rumphius & quelques autres, & s'en eft tènü-la. Son entreprife n'exigeoit pas de lui une compilation plus étendue, & c'étoit affez qu'il donnat un feul renfeignement fur pour chaque plante dont il parloit. Tel eft I'état actuel des chofes. Or fur cet expofé jc demande a tout lecteur fenfé comment il eft poffible de s'attacher a 1'étude des plantes, en rejettant celle de ia nomenclature ? C'eft comme fi l'on vou'oit fe rendre fayant dans une langue fans vouloir en apprendrc les mots. II eft vrai que les noms font arbitraires, que la conEoiftance des plantes ne tient point nécefiairement a celle de la nomenclature, & qu'il eft aifé de fuppofer qu'un homme intelligent pourroit être un excellent botanifte, quoiqu'il ne connüt pas une  ÏJ6 iNTRODUCTIOir. feule plante par fon nom. Mais qu'un homme, feul, fans livres & fans aucun fecours des lumicres communiquées, parvienne a devenir de luimême un trés-médiocre botanifte , c'eft une aftertion ridicule a faire & une entreprife impoftible a exécuter. II s'agit de favoir fi trois cents ans d'études & d'obfervations doivent être perdus pour Ia botanique, fi trois cents volumes de figures & de defcriptions doivent être jettés au feu , fi les connoiflances acquifes par tous les favans, qui ont confacré leur bourfe, leur vie & leurs veilles a des voyages immenfes, coüteux, pénibles & périlleux doivent être inutiles a leurs fuceefiëurs, & fi chacun partant toujours de zéro pour fon premier point, pourra parvenir de luimêaie aux mêmes connoiflances qu'une longue fuite de recherches & d'études a répandues dans la maffe du genre - humain. Si cela n'eft pas & que la troifieme & plus aimable partie de 1'hifioire naturelle mérite 1'attention des curieux, qu'on me dife comment on s'y prendra pour faire ufage des connoiflances ci-devant acquifes, fi l'on ne commence par apprendre la langue des auteurs & par favoir a quels objets fe rapportent les noms employés par chacun d'eux. Admettre 1'étuJe de la botanique & rejetter celle de la nomenclaturen c'eft donc tomber dans la plus abfurde contradiction.  FR AG ME NS DIC T10NNAIRE DES TERMES D'USAGE EN BOTANIQUE, A brupte. On donne 1'épithete cV Abrupte aux feuillcs pinnées, au fommet defquelles manque la foliole impaire terminale qu'elles ont ordinairement. Abruvoirs, ou gouttieres. Trous qui fe forment dans le bois pourri des chicots, & qui retenant 1'eau des pluies, pourriüent enfin le refte du tronc. Acaulis , fans tige. Aigrette. Touffe de filarnens fimples ou plumeux qui couronnent les femences dans plufieürs genres de compofées & d'autres fleurs. L'aigrette eft ou feflile, c'eft-a-dire, immédiatement attachée autour de 1'embrion qui les porte; ou pédiculée, c'eft-a-dire, portee par un pied appellé en latin Stipes, qui la tient élevée au-deflus de l'eiix- P O U R U N  brion. L'aïgrette fert d'abord de calice au fTeuron, enfuite elle Te pouffe & le cbaffe a mefure qu'il fe fane, pour qu'il ne refte pas fous la femence & ne 1'cmpêche pas de mürir; ellegarantit cette même femenee nue de Peau de Ia pluie qui pourrolt la pourrir; & lorfque la femenee eft müre, elle lui fert d'aile pour être portee & difJeminee au loin par les vents. Ailée. Une feuille compofée de deux folioles oppofées fur le même pétiole , s'appelle feuille ailée. Aisselle. Angle aigu ou droit, formé par une branche fur une autre branche, ou fur la tige, oupar une feuille fur une branche. Amande. Semence enfermée dans un noyau. Abdrogyne- Qui porte des fleurs males & des fleurs femelles fur Ie même pied. Ces motsAndrogyne & Monoïque fignifïent abfolument Ia même chofe. Excepté que dans Ie premier on fait plus d'attention au différent fexe des fleurs, & dans le fecond a leur affemblage fur le même individu. Angiosperme, a femences enveloppées. Ce terme d'Angiofperme convient également aux fruits a capfule & aux fruits a baye. Anthere. Capfule ou bolte portée par le filet de 1'étamine, & qui s'ouvrant au moment de la fécondation, répand la pouffiere prolifique. Anthologie. Difcours fur les fleurs. C'eft le titre d'un livre de Pontedera, dans lequel il combat de toute fa force le fyftême fexuel qu'il eüt  A p H *59 fans doute adopté lui-même, fi les écrits de Vaillant & de Linna-us avoient précédé le fien. Aphrodites. M. Adanfon donne ce nom a des animaux dont chaque individu reproduit fon femblable par la génération, mais fans aucun acte extérieur de copulation ou de fécondation , tels que quelques pucerons, les conques, la plupart des vers fans fexe, les infeftes qui fe reproduifent fans génération, mais par la fedion d'une partie de leur corps. En ce fens les plantes qui fe multiplient par boutures & par caïeux peuvent être appellées auffi Aphrodites. Cette irrégularité fi contraire a Ia marche ordinaire de la nature, ofFre bien des difficultés a la définition de 1'efpecer eft-ce qu'a proprement parler il n'exifteroit point d'efpeces dans la nature, mais feulement des in» dividus? Mais on peut doüter, je crois, s'il eft des plantes abfolument Aphrodites , c'eft-a-dire , qui n'ont réellement point de fexe & ne peuvent fe multiplier par copulation. Au refte, il y a cette différence entre ces deux mots Aphtodite & Afexe, que Ie premier s'applique aux plantes qui n'ayant point de fexe ne laiiTentpas de multiplier; au lieu que 1'autre ne convient qu'a celles qui font neutres ou ftériles & incapables de reproduire leur femblable. Aphylle. On pourroit dire effeuillé, mais effeuillé fignifie dont on a öté les feuilles, & Aphylle, qui n'en a point. Arbre. Plante d'une grandeur confidérable,  16*0 A r b" n'a qu'un feul & principal tronc divifé" en maU treflcs branches. Arbrisseau. Plante ligneufe de moindre taille que 1'arbre, laquelle fe divife ordinairement dès la racine en plufieürs tigèï. Les arbres & les arbrrffeaux poufTent en automne des boutons dans les aiffelles des feuilles, qui fe développent dans le pnntems & s'épanouifient en fleurs & en fruits; différence qui les diftingue des fous-arbrifleaux. Abticulé. Tige, racines. feuilles, fil ique ; fe dit lorfque quelqu'une de ces parties de la plante fe trouve coupée par des nceuds diftribués de diftance en diftance. Axillatre. Qui fort d'une aiflelle. Bale. Calice dans les graminées. Baye. Fruit charnu ou fucculent a une ou plufieürs loges. Botjlon. Groupe de fleurettes amaflees en tête; Bouf.geon. Germe des feuilles & des branches. Bouton. Germe des fleurs. Bouture. Eft une jeune branche que l'on coupe a certains arbres moëlleux , tels que le Figuitr, le Saule, le Coignaffier, laquelle reprend en terre fans racine. La réuffite des bouture s dépend plutót de leur faciüté a produire des racines , que de 1'abondance de la moëlle des branches; car 1'oranger, Ie buis , 1'if & Ja fabine qui ont peu de moëlle, reprennent facilement de bouture. Branches. Bras plians & élaftiques du corps  B r a 26"! de 1'arbre; ce font elles qui lui donnent la figure ; elles font ou alternes, ou oppofées, ou verticillées. Le bourgeon s'étend peu a peu en branches pofées collatéralement & compofées des mêces parties de la tige, & l'on prétend que 1'agitation des branches caufée par le vent eft aux arbres ce qu'eft aux animaux 1'impulilon du cceur. On diftingue, i°. Les maitreffes branches, qui tiennent im. médiatement au tronc & d'oü partent toutes les autres. 2°. Les branches a bois, qui étant les plus groffes & pleines de boutons plats, donnent la forme a un arbre fruitier & doivent le conferver en partie. 3°. Les branches a fruits font plus foibles & ont des boutons ronds. 4°. Les chiffonnes font courtes & menues. 5°. Les gourmandes font groffes, droites & longues. <5°. Les Veules font longues & ne promettent aucune fécondité. 7°. La branche aoütée eft celle qui, après Ie inois d'Aout, a pris naiffance, s'endurcit & devient noiratre. 8o. Enfin, la branche de faux-bois eft groffe a 1'endroit oü elle devroit être menue , & ne donne aucune marqué de fécondité. Buusb. Eft une racine orbiculaire compofée de plufieürs peaux ou tuniques emboitées les  *62 Cal unes dans les autres. Les bulbes font plutót des boutons fous terre que des racines; ils en ont eux-mêmes de véritables, généralement prefque cylindriques & rameufes. Calice. Enveloppe extérieure ou foutien des autres parties de la fleur, &c. Comme il y a des plantes qui n'ont point de calice, il y en a auffi dont le calice fe métamorphofe peu a peu en feuilles de la plante, & réciproquement il y en dont les feuilles de la plante fe changent en calice: c'eft ce qui fe voit dans la familie de quelques Renoncules , comme 1'Anémone , la Pulfatille, &c. CAMrANiFORME, ouCampanulée. VoyezCloche. Capillaires. On appelle feuilles capillaires dans la familie des MouiTes, celles qui font déliées comme des cheveux. C'eft ce qu'on trouve fouvent exprimé dans le Synopfis de Ray, & dans 1'Hiftoire des Mouftes de Dillen , par le mot grec de Trichodes. On donne auffi le nom de Capillaires a une branche de la familie des Fougeres , qui porte comme elle fa fructifkation fur le dos des feuilles & ne s'en diftingue que par la ftature des plantes qui la compofent, beaucoup plus petite dans les Capillaires que dans les Fougeres. Caprification. Fécondation des fleurs femelles d'une forte de Figuier dioïque par la pouffiere des étamines de 1'individu male appellé Caprifiguier. Au moyen de cette opératioo de  C a f agj la nature, aidée en cela de 1'induftrie humaine, les figues ainfi fécondées groflïflent, muriflent & donnent une récolte meilleure & plus abondante qu'on ne 1'obtiendroit fans cela. La merveille de cette opération confifte en ce que, dans le genre duFiguier, les fleurs étant enclofes dans le fruit, il n'y a que celles qui font hermaphrodites ou androgynes qui femblent pouvoir être fécondées ,• car quand les fexes font tout-a-fait féparés, on ne voit pas comment la pouflïere des fleurs males pourroit pénétrer fa propre enveloppe & celle du fruit femelle jufqu'aux piftils qu'elle doit féconder; c'eft un infeéte qui fe charge de ce tranfport. Une forte de moucheron particuliere au caprifiguier y pond, y éclot, s'y couvre de la pouflïere des étamines, la porte par 1'ceil de la figue a travers les écailles qui en garniflentl'entrée, jufques dans 1'intérieur du fruit, & la, cette pouflïere ne trouvant plus d'obftacle , fe dépofe fur 1'organe deftiné a la recevoir. L'hiftoire de cette opération a été détaillée en premier lieu par Théophrafte, le premier, le plus, favantou, pour mieux dire, 1'unique & vrai botanifte de 1'antiquité, & après lui par Pline, chez les anciens. Chez les modernes par Jean Bauhin» puis par Tournefort fur les lieux mêmes, après, lui par Pontedera éi par tous les compilateurs de botanique & d'hiftoire naturelle, qui n'ont fait que tranfciire la relation de Tournefort.  fi54 C a P Capsulaire. Les plantes capfiiïaires font celles dont le fruit eft a capfules. Ray a fait de cette divifion fa dix-neuvieme claiTe : Herba vafculifera. Capsule. Péricarpe fee d'un fruit fee; car on ne donne point, par exemple , le nom de capfule k 1'écorce de la Grenade, quoiqu'aufli feche & dure que beaucoup d'autres capfules , paree qu'elle enveloppe un fruit mou. Capuchon, Calyptba. Coëffe pointue qui couvre ordinairement 1'urne des MoufTes. Le capuchon eft d'abord adherent a 1'urne, mais enfuite il fe détache & tombe quand elle approche de la maturité. Caryophyllée. Fleur caryophyllée ou en ceillet. Cayeux. Bulbes par lefquelles plufieürs liliacées & autres plantes fe reproduifent. Chaton. Affemblage de fleurs males ou femelles fpiralement attachées k un axe ou receptacle commun, autour duquel ces fleurs prennent la figure d'une queue de chat. Il y a plus d'arbres a chatons males qu'il n'y en a qui aient auffi des chatons femelles. Chaume. (Culmus). Nom particulier dont on diftingue la tige des graminées de celles des autres plantes, & k qui l'on donne pour caractere propre d'être géniculée & fiftuleufe , quoique beaucoup d'autres plantes aient ce même caractere, & que les Léches & divers gramens des Indes ne 1'aient  C l O 2Ï5 1'aient pa6. On ajötfté que Ie chaume n'eft jamais rameux, ce qui néanmoins fouffre encore exception dans VArunda calamagrojïis & dans d'autres. Cloche. Fleurs en cloches ou campaniformes. Colosé. Les calices, les bales, les écailles, les enveloppes, les parties cxtérieures des plantes qui font vertes ou grifes, communément font dites colorées lorfqu'elles ont une couleur plus éclatante & plus vive que leurs femblables tels font les calices de la Circée, de Ia Moutarde, de la Carline, les enveloppes de 1'Aftrantia ; la corolle des Ornitbogales blancs & jaunes eft verte en-deffbus & colorée en-defiiis; les écailles du Xerantnême font fi colorées qu'on les prendroit pour des pétales, & le calice du Polygala, d'abord trés - coloré, perd fa couleur peu a peu & prend enfin celle d'un calice ordinaire. Cordon ombilical dans les capillaires & fougeres. Cornet. Sortede neftaire infundibuliforme. Corymbe. Difpofition de fleur qui tient Ie milieu entre 1'ombelle & lapanicule; ]es pédicules font gradués le long de la tige comme dans la panicule, & arrivent tous a la même hauteur formant a leur fommet une furface plane. Le corymbe differe de 1'ombelle, en ce que les pédicules qui le ferment au lieu de partir du même ccntre, partent a différentes hauteurs, de divers points fur le même axe. Corymbiferes. Ce mot fembleroit devoir dé- Supplém. Tom. V. M  168 Cos figner les plantes a fleurs en corymbe, comme celui tVombellifercs défigne les plantes a fleurs en parafol. Mais 1'ufage n'a pas autorifé cette analogie ; 1'acception dont je vais pafier n'efl pas même fort üfïtée, mais comme elle a été employée par Ray & par d'autres Botaniftes, il Ia faut connoitre pour les entendre. Les plantes corytnbiferes font donc dans Ia dafje des compofées, & dans la feftion des difcoïdes celles qui portent leurs femences nues, c'efl a-dire, fans aigrettes ni filets qui les couronnent; tels font les Bidens, les Armoifes, laTanaifie, &c. On obfervera que les demi-fleuronnées a femences nues comme Ia Lampfane, 1'Hyoferis, la Catanance, &c ne s'appellent pas cependant corymbi* feres, paree qu'ellcs ne font pas du nombre des difcoïdes. Cosse. Péricarpe des fruits légumineux. La coflë eft compofée ordinairement de deux valvules & quelquefois n'en a qu'une feule. Cosson. Nouveau farment qui croit fur la vigne après qu'elle eft taillée. Cotyledon, Foliole ou partie de 1'embrion dans laquelle s'élaborent & fe-préparent les fucs nutritifs de la nouvelle plante. Les Cotyledons, autrement appelles feuilles féminales, font les premières parties de la plante qui paroiflint hors de terre lorfqu'elle commence a végéter. Ces premières feuilles font très-fouvent d'une autre forme que celles qui les fuivent & qui  Cru ï57 font les véritables feuilles de la plante. Car pour 1'ordinaire les cotyledons ne tardent pas a fe fictrir & a tomber peu après que la plante eft levée & qu'elle reeoit par d'autres parties une nourrittire plus abondante que célle qu'elle tiroit par eux de la fubftance même de la femenee. II y a des plantes qui n'&nt qu'un cotyledon & qui pour cela s'appellert monocotyledones , tels font les palmicrs, les liliacées, les graminées & d'autres plantes ,• Ie plus grand nombre en ont deux & s'appellent dicotyledones; fi d'autres en ont davantage, elles s'appelleront polycotyledones. Les acotyledones fonf celles qui n'ont point de cotyledons, telles que les Fougeres, les MoulTes, les Champignons & toutes les cryptogames. Ces diiterences de la germination ont fourni i Ray, a d'autres Botaniftes & en dernier lieu a Meffieurs de Juffieu & Haller la première ou plus grande divifion naturelle du regne végétal. Mais pour clafler#les plantes fuivant cette méthode , il faut les examiner fortant de terre, dans leur première germination, & jufques dans la femenee même; ce qui eft fouvent fort difficile, furtout pour les plantes marines & aquatiques, & pour les arbres & plantes étrangeres ou alpines qui refufent de germer & naitre dans nos jardins. Crucifere ou Crucifoume, difpofé en forme de croix. On donne fpécialement le nom de erncifere a une familie de plantes dont Ie caractere eft d'avoii' des fleurs compofées de quatre pétales M t,  £68 Cup difpofés en croix, fur un calice compofé d'autant ■de folioles, & autour dupiftil fix étamines, dont deux, égales entr'elles, font plus courtes que les quatre autres & les divifent également. Cupules. Sortes de petites calottes ou coupes qui nailTent le plus fouvent fur plufieürs Lichens & Algues, & dans le creux defquelles on voit les femences naitre & fe former, furtout dans le genie appellé jadis hépatiquedes fontaines, & aujourd'hui marchantia. Cyme, ou Cfmier. Sorte d'ombelle qui n'a ïien de régulier, quoique tous fes rayons partent du même centre; tels font les fleurs de 1'Obier , du Chevrefeuille, &c. Demi - Fleuron. C'eft le nom donné par Tournefort, dans les fleurs compofées, aux neurons échancrés qui garniflènt le difque des laétucées & a ceux qui ferment le contour des radiées. Quoique ces .deux fortes de#demi - fleurons foient exactement de même figure & pour cela confondués fous le même nom par les Botaniftes, ils different pourtant eflentiellement en ce que les premiers ont toujours des étamines & que les autres n'en ont jamais. Les demi - fleurons, de même que les fleurons, font toujours fuperes & portés par la femenee, qui eft portée a fon tour par le difque ou réceptacle de la fleur. Le demifleuron eft formé de deux parties , 1'inférieure qui eft un tube ou cylindre très-court, & Ia fupérieure qui eft plane, taillée en languette, & a  Die %6a qui l'on en donne le nom. Voyez Fleuren, Fleur. Diecie ou Diopcie, habitation féparée. On donne le nom de Diécie a une clafle de plantes eompofées de toutes celles qui portent leurs fleurs miles fur un pied, & leurs fleurs femelles fur un autre pied. Digitê. Une fleur eft digitée, lorfque les folioles partent toutes du fommet de fon pétiole comme d'un centre commun. Telle eft, par exemple, la feuille du Marronier d'Inde. Dioiques. Toutes les plantes de la Diécie font dioïques. Disque. Corps intermédiaire qui tient Ia fleur ou quelqucs-unes de fes parties élevées au-deflüs du vrai réceptacle: Quelquefois on appelle difque le réceptacle; mè.ue comme dans les eompofées;. alors on diftingue la furface du réceptacle, ou le difque, du contour qui le borde & qu'on nomme rayon, Difque eft auffi un corps charnu qui fe trouve; da' s quelques genres de plantes, au fond du calice, deflbus 1'embrion; quelquefois les étamines fonc attachées autbur de ce difque, Draceons. Branches enracinées qui tiennent au pied d'un arbre, ou au tronc, dont onnepeut les arracher fans 1'éclater. Écailles ou Paillettes. Petites langueucs paléacées qui , dans plufieürs genres de 'fleurs eompofées, implantées fur le réceptacle, diftinguent & féparent les fleurons; quand les paillettaa M 3  270 E c o font de fimples filets, on les appelle des poilsj mais quand elles ont quelque largcur, elles prenr.ent le nom d'écailles. II eft fingulier dans Ie Xeranthême a fleur doublé, que les-écailles autour du difque s'alongent, fe colorent & prennent 1'apparence de vrais demi - fleurons , au point de tromper a 1'afpeét, quiconque n'y regarderoit pas de bien prés. On donne très-fouvent le nom d'écailles aux calices des chatons & des eönes: on le donne auffi aux folioles des calices imbriqués des fleurs en tête, tels que les Chardons, les Jacées, & a celles des calices de fubftance feche & fcarieufe du Xeranthême & de la Catananche. La tige des plantes dans quelques efpeces, eft auffi chargée d'écailles r ce font des rudimcns coriaces de feuilles qui quelquefois cn tiennentlieu, comme dans 1'Orabanche & le Tuftilage. Enfin on appelle encore écailles les enveloppes imbriquées des bales de plufieürs liliacées ét. les bales ou calices applatis des Schcenus & d'autres Graminacées. Ecorce. Vêtement ou partie enveloppante du tronc & des branches d'un arbre. L'écorce eft mayenne entre 1'épiderme a 1'extérieur , & le liber i 1'intérieur ; ces trois enveloppes fe réuniflènt fouvent dans 1'ufage vulgaire fous le nom commun d'écorce. Edule, Eduus, bon a manger. Ce mot eft du nombre de ceux qu'il eft a deiirer qu'on fafli  Ent ï;r paffer du latin dans la langue univerfelle de la Botanique. Entre-noeuds. Ce font dans les chaumes des graminées les intervalles qui féparent les nceuds d'oü naiflent les feuilles. II y a quelques gramens, mais en bien petit nombre, dont le chaume nud d'un bout i 1'autre eft fans nceuds, & par conféquent fans entre-nceuds, tel, par exemple, que X Aira carulea. Eperon. Protubérancc en forme de cóne droic ou recourbé, faite dans plufieürs fortes de. fleurs, par Ie' prolongement du nectaire. Tels font les éperons des Orchis, des Linaires, des Ancolies, des Pieds-d'alouettes, de plufieürs Geranium cc de beaucoup d'autres plantes.- Epi. Forme de bouquet dans laquelle les fleurs; font attachées autour d'un axe ou réceptacle commun formé par 1'extrêmité du chau.ue ou de la: tige unique. Quand les fleurs font pédiculées pourvu que tous les pédicules foient fimples êt attachés immédiatement a 1'axe , le bouquet s'appelle toujours épi; mais dans 1'épi r-igoureufemenK pris, les fleurs font fefliles-, EriDERME (I'). Eft la peau fine extérieure qui enveloppe les couches corticales; c'eft une mumbrane très-fine, tranfparente, ordinairement fans. couleur, élaftique & un peu poreufe.. EtrEcs. Réunion de plufieürs variétés, ou ir> dividus, fous un caractere commun qui les diftinjue de toutes les autres plantes dy, même genre.. M 4  2/2 Sta Étamines. Agens rnafculins de Ia fécondation; leur forme eft ordinairement celle d'un filet qui fupporte une tête appcllée anthere ou fommet. Cette anthere eft une efpece de capfule qui contient la pouftiere prolifique. Cette pouflïere s'échappe, foit par explofion , foit par dilatation , & va s'introduire dans le ftigmate, pour être portée. jufqu'aux ovaires qu'elle féconde. Les étamines. varient par la forme & par le nombre. Etendaut. Pétalö fupérieur des fleurs légumineufes. Enveloppe. Efpece de calice qui contient plufieürs fleurs , comme dans Ie Pied-de-veau , Ie Figuier, les fleurs a fleurons. Les fleurs garnies d'une enveloppe ne font pas pour cela dépourvues de calice. Fane. La fane d'une plante, eft l'afiemblaga des feuilles d'en bas. Fécondation. Opération- naturelle, par laquelle les étamines portent au moyen du piftil jufqu'a 1'ovaire, le principe de, vie néceflaire a la. maturifation. des femences & a leur germination. Feuilles. Sont des organes néceflaires aux plantes pour pomper 1'humidité de 1'air pendant la nuit & faciliter Ia tKinfpiration durant le. jour; elles fuppléent encore dans les végétaux au mouvement progreftif & fpontané des animaux, Sc en donnant prife au vent pour agiter les plantes & les rendre plus robuftes. Les plantes alpines fans ceflb battues du vent & des ouragans, font tOUr  f i i 2,73, (föutes fortes & vigoureufes; au contraire, celles: qu'on éleve dans un jardin ont un air trop cahne5. y profperent moins & fouvent Ianguifiént &- dégénerent. Filet. Pédicule qui foutient i'ctamihe. On donne auffi le nom de filets aux poils qu'on voir. fiir la furface des tiges, des feuilles &. même de* fleurs de plufieürs plantes. Fleur. Si jelivrois mon imaginat.'on aux-dbuces fenfations que ce mot femble appelier',, je pourrois faire un article agréable peut-êtrs aux bergers, mais fort mauvais pour les "botaniftes,. Ecartons donc un moment les vives couleurs, les odeurs fuaves, les formes élégantes, pour chercher premiérement a bien connoitre 1'étre organifé. qui les raffemble. Rien ne parolt d'abord plus facile; qui eft-cc qui croit avoir befoin qu'on kit apprenne ce que c'eft qu'une fleur? Quand on ne me demande pas ce que c'eft que le tems, difoit Saint Auguftin, je le fais fort bien; je ne le fais plus quand on me le demande. On en pourroit dire amant de Ia fleur & peut-être de Ia beauté même, qui, comme elle , eft Ia rapide proie du tems. En eftet, tous les botaniftes qui ont mouIb donner jufqu'ici des définitions de la fleur ont. échoué dans cette entreprife, & les plus illuftres ,. tels que Meflïeurs Linnams , Haller, Adanfon >, qui fentoient mieux la diffkulté que les autres, n'o!.-:; pas même tenté de la furmonter & ont laiffc la geur a définir. Le premier a bien donné dar.* M 5  274 F L E fa philofophie botanique !es définitionsde Jungius-, de Ray, de Tournefort, de Pontedera, de Ludv/ig , mais fans en adopter aucune & fans en propofer de fon chef. Avant lui Pontedera avoit bien fenti & bien expofé cette difficuké; mais il ne put réfifter a la. tentation de la vaincre. Le lefteur pourra bientóe juger du fuccès. Difons maintenant en quoi cette difficulté confifte , fans néaninoins compter fi je tente a mon tour de lutter contr'elle , de réuflir mieux qu'on n'a fait jufqu'ici.. On me préfente une rofe & 1'ön me dit : voila une fleur. C'eft me la montrer, je 1'avoue, mais ce n'eft pas Ia définir, & cette infpeftion nc me fuffira pas pour décider fur toute autre plante, fi ce que je vois eft ou n'eft pas la fleur; car il y a une multitude de végétaux qui n'ont dans aucune de leurs parties la couleur apparente que Ray, Tournefort, Jungius font entrer dans la définition de la fleur & qui pourtant portent des fleurs non moins réelles que celles du Rofier, quoique bien moins apparentes. On prend généralement pour la fleur la partie colorée de la fleur qui eft la corolle, mais on s'y trompe aifément; il y a des bra&ées & d'autres organes autant & plus-colorés que la fleur même & qui n'en font point partie, comme on le voit dans 1'Ormïn , dans le Bled-de-vache, dans plufieürs Amaranthes & Chenopodium; il y a des multitudes de fleurs qui n'ont point du tout de ca-  i L E' 275, Jölle , d'autres qui 1'ont fans couleur, fi' pèti'te& fi peu apparente, qu'il n'y a qu'une recherche' bien foigneufe qui puilfe 1'y faire trouver,. Lorfque les bleds font en fleur, y voit-on des■ pétalescolorés, en voiton dans les mouffes, dans les graminées?.En voit-on dans les chatons duNoyer,," du- Hètre & du; Chêne , dans- 1'Auoev dans le; Noifetier, dans le Pin & dans ces multitudesd'arbres & d'herbes qui n'ont que des fleurs a étamines ? Ces fleurs néanmoins n'en portent pas moins le nom de fleurs; 1'eflence de la fleur n'eft. donc pas dans la corolle.. Elle n'eft pas non plus féparémenï'dans aucune des autres parties conftituantes de la fleur, puirqu'il n'y a aucune de ces parties qui ne ffiarique a quelques efpeces de fleurs. Le calice rnanque, par exemple, a.prefque toute la familie des Liliacées, & l'on ne dira pas qu'une' Tulipe ou un Lis nefoit pas une fleur. S'il y a quelques parties pte> eflentielles que d'autres a une fleur, ce font ccrtainement le'piftil & les étamines. Or.dans toute la familie des cucurbitacées & même dans toute lin clafle des monoïques, la moitié des fleurs forit fans piftil, 1'autre moitié fans étamines, & cette; privation n'empêche pas qu'on ne les nom me ié: qu'elles ne foient les unes & les autres de vérita. bles fleurs. L'effence de Ia fleur ne confifte donc ni féparément dans quelques-unes de fes parties dites conftituantes , ni même dans 1'aflemblage de toutes ces parties. En quoi donc confifte propt M 0  z~t6 1 F l a ment cette eflènce ? Voila la queftion. Voila Ia difficulté , & voici la folution par laquelle Pontedera a taché de s'en tirer. La fleur, dit-il, eft une partie dans Ia plante. différente des autres par fa nature & p:ir fa forme,. toujours adherente & utile a l'embrion, fi la fleur, a un piftil, & .fi le piftil manque, ne tenant, a. nul embrion. Cette définition pêche, ce me fembie , en ce. qu'elle embraflè trop. Car lorfque Ie piftil manque, la fleur n'ayant plus d'autres carafteres que de différer des autres parties de la plante par fa nature & par fa forme, on pourra donner ce nom aux Braclées, aux Stipules, au Nectarium, aux Epines & a tout ce qui n'eft ni feuilles ni branches. Et quand la corolle eft tombée & que le fruit approche de fa maturité, on pourroit encore donner le nom de fleur au calice & au réceptacle, quoique réellement il n'y ait alors plus de fleur» Si donc cette définition convient mimi, elle ne convient' pas fili, & manque par-la d'une des deux principales conditions requifes. Elle laiffe d'ailleurs un vuide. dans l'efprit, qui eft Ie plus grand défaut qu'une définition puiftè avoir. Car après avoir afligné 1'ufage de Ia fleur au profit de l'embrion quand elle y adhere, elle fait fuppofer totalement inutile celle qui n'y adhere pas. Et cela remplit mal 1'idée que Ie Botanifte doit avoir du concours des parties & de leur emploi dans Ie jeu de la machine organique.  F L E 277 Je crois que le de faut général vient ici d'avqir trop confidéré la fleur comme une fubftance abfolue , tandis qu'elle n'eft, ce me femble, qu'un. être collectif &. relatif, & d'avoir trop rafiné. fur les idéés, tandis qu'il falloit fe bomer a celle qui fe préfentoit. naturellement. Selon cette idéé, la fleur ne me paroit être que I'état paiïager des. parties- de la fruftifleation durant la fécondation du germc ; de-la fuic que quand toutes. les parties.. de la friictitication feront réunies , il n'y aura. qu'une fleur. Quand elles feront féparées, il y en aura autant qu'il y a de parties effentielles a la. fécondation; & comme ces parties eflentiellcs ne font qu'au nombre de deux, favoir, le giftil &. les étamines, il n'y aura par conféquent. que deux fieurs, 1'une male & 1'autre femelle,qui foient néceiTaircs a la fruftification. On en peut cependantu fuppofer une troifieme qui réuniroit les fexes féparés dans les deux autres. Mais alors fi toutes ces fleurs étoient également fertilea, la troifieme ren^droit les deux autres fuperflues, Sc. pourroit feule fuffire a 1'ceuvre, ou bien il y auroit rcellement deux fécondations , & nous n'examinons icL la fleur que dans une. La fleur n'eft donc que le foyer & 1'inftrument de Ia fécondation. Une feule fuflit quand elle eft hermaphrodite. Quand elle n'eft que male ou femelle , il en faut deux, favoir, une de chaque fexe;& fi l'on fait entrer d'autres parties, comme ie. calice. & la corolle dans la compofition de. la. M 7.  E78 F l a fleur, ce ne'peut être comme effentielles, rftiig feulement comme nutritives & confervatrices de celles qui le font. II y a des Fleurs fans calice , il y en a fans corolle. 11 y en a même fans l'un cc fans 1'autre; mais il n'y en a point & il n'y en> fauroit avoir qui foient en même tems fans piftil: & fans étamines. La Fleur eft une partie locale & paffagere de •■ la plante qui précede la fécondation du genre, & dans laquelle ou par laquelle elle s'opere. Je ne m'étendrai pas a juftifier ici tous 'les termes de cette définition qui peut-être n'en vaut pas i la peine; je dirai feulement que le mot précede m'y parolt effentiel, paree que Ie plus fouvent la corolle s'ouvre & s'épanouit avant que les antheres s'ouvrent a leur tour & dans ce cas il eft iriconteftable que la Fleur préexifte a 1'ceuvre de la fécondation, J'ajoute ■ que cette fécondation s'opere dans elle ou par elle, paree que dans les. Fleurs males des plantes androgynes & dioïques, il ne s'opere aucune fructification i& qu'elles n'en font pas moins des Fleurs pour cela. Voila, ce me femblc, la notion la plus jufte qu'on puifle fe faire de la Fleur, & la feule qui ne laine aucune prife aux objettions qui renverfent toutes les autres définitions qu'on a tenté d'en donner jufqu'ici. II faut feulement ne pas prendre' trop ftriftement le mot durant que j'ai employé' dans la mienne. Car même avant que la fécondation du. germe foit commencée, on peut dire. que;  F L E 275 lip Fleur exifte auffitót* que les organes fexuels font en évidence, c'eft-a-dire, auffitót que la corolle eft épanouïe, & d'ordinaire les antheres ne s'ouvrent pas a la pouflïere féminale dès 1'inflant que la corolle s'ouvre aux antheres; eependant la fécondation ne peut commencer avant que les antheres foient ouvertss. De mêmeyl'ceime do la fécondation s'acheve fouvent avant que la corolle fe flétriffe & tombe: or jufqua cette chüte on peut dire que la Fleur exifte encore. Il faut donc donner néceflairement un peu d'extenfion au mot duravt, pour pouvoir dire que la Fleur & 1'ceuvre de la fécondation commencent & finifiènt enfemble.. Comme généralement la Fleur fe fait remarquer par fa corolle, partie bien plus apparénte que les autres par la vivacité de fes couleurs , c'eft dans cette corolle auffi qu'on fait machinalement confifter 1'eiTence de la Fleur, & les botaniftes eux-mêmes ne font pas toujours exempts de-' cette petite illufion; car fouvent ils emploient le mot de Fleur pour celui de corolle, mais cespetites impropriétés d'inadvertance importent peu, quand elles ne changent. rien aux idéés qu'on a des chofes quand on y penfe. De-la ces mots de Fleurs monopétales, polypétales, de fleurs labiées, perfonnées , de fleurs régulieres, irrégulieres, &c. qu'on trouve fréquemment dans les livres même d'inftitutions. Cette petite impropriété étoit at»-feulement pardonnable, mais prefque forcée  28o a Tournefort & a fes contemporains , qui- n'i* voient pas encore le mot de corolle & 1'ufage s'en eft confervé depuis eux par 1'habitude fans grand inconvénient. Mais il ne feroit pas permis a moi qui remarque cette incorrectionde 1'imiter ici ; ainfi je renvoie au mot Corolle a parler de. fesformes diverfes & de-fes- divifions («). Mais je dois pirler ici des Fleurs eompofées & fimples, paree que c'eft._la Fleur même & non la corolle qui fe compofe, comme on le va voir après 1'expofition des parties de la Fleur firnple. On divife cette Fleur en complete & incomplete. La Fleur, complete eft celle qui contient toutes les parties effentielles ou concourantes a la fru&ification, & ces parties font au nombre de quitre; deux seffentielles,. favoir le piftil & Péca.mine, ou les étamines ; & deux acceffoires ou concourantes, favoir, la corolle & le calice; a quoi Pon doitajouter le difque ou réceptacle qui porte Ie tout. La Fleur eft complete, quand elle eftcompofée de toutes ces parties ; quand il lui en manque quelqu'une, elle eft incomplete. Or la Fleur incomplete peut manquer non - feulement de corolle & de calice , mais même de piftil ou d'étamines; & dans ce dernier cas, il y a toujours une autre - Fleur, foit fur le même individu,,foit fur un diffd- («) Cet article C'irolle , auquel Pauteur renvoie ici,jiss.?eft point trouvé fait.-  Elk ftl; rent , qui porte 1'autre partie eflentielle qui- manque a celle-ci; de-la la divifion en Eleurs hermaphrodites, qui peuvent être compktes ou ne 1'être pas, & en Fleurs_purement males ou femelles, qui font toujours incompletes. La Fleur hermaphrodite incomplete n 'en eft pas moins parfaite pour cela, puifqu'elle fe fufïit a. elle-même pour opérer la fécondation; mais elle ne peut être appellée complete, puifqu'elle. manque de quelqu'une des parties de celles qu'on appelle ainfi. UneRofe, un Oeillet font, par exemple , des Fleurs parfaites & completcs , paree qu'elles font pourvues de toutes ces parties. Mais une ïulipe, un Lis, ne font point des Fleurs completes, quoique parfaites, paree qu'elles n'ont point de calice; de même la jolie petite Fleur appellée Par.onychia eft parfaite comme hermaphrodite, mais elle tft incomplete, paree que, malgré fa riante couleur, il lui manque une corolle. Je pourrois, fans fortir encore de la feótion des Fleurs fimples, parler ici. des Fleurs régulieres, & des Fleurs appellées irrégulieres. Mais comme ceci fe rappoite principalement a la coroile, il vaut mieux fur cet article renvoyer Ie lecteur a ce mot (/>). Refte donc a parler des oppofitions que peut fouffrir ce nom de Fleur fimple. - (b~) Voyez la Notre précédente.  2ttr F l a Toute Fleur d'oii réfulte une feule frufttricatioa' eft une Fleur fimple. Mais fi d'une feule Fleur ré fui tent plufieürs fruits, cette Fleur s'appellera compofée & cette pluralité n'a jamais lieu dans les Fleurs qui n'ont qu'une corolle. Ainfi toute Fleur compofée a néceffairement, non - feulement' plufieürs pétales, mais p'ufieurs corolles; & pour que la Fleur foit réellement compofée, & non' pas une feule agrégation de plufieürs Fleurs firnpies , il faut que quelqu'une des parties de la fructification foit commune a tous les fleuronscompofans, & manque a chacun d'eux en particulier.. Je prends, par exemple , une Fleur de Laiteron , la voyant remplie de plufieürs petitesfleurettes', & je me demande fi c'eft une Fleur compofée:. Pour favoir cela, j'examine toutes les parties de la fructification 1'une aptès 1'autre, & je trouve que chaque fleurette a des étamines, un piftil, une corolle, mais qu'il n'y a qu'un feul réceptacle en forme de difque qui- les recoit toutes& qu'il n'y a qu'un feul grand calice qui les environne; d'oivje conclus que la Fleur eft compofée, puifque deux parties de Ia fructification, favoir, le calice &le réceptacle, font communes a toutes & manquent a chacun en particulier. Je prends enfuite une Fleur de Scabienfe, oü je diftingue auffi plufieürs fleurettes; je 1'examine de même , & je-trouve que cbac-urie -d'elles eft pourvue en fon particulier de toutes les parties  t L E 283 tic la frucTification , fans en excepter lë calice & même le réceptacle, puifqu'on psutregarder comme tel le fecond calicë qui fert de bafe a la femenee. Je conclus donc que la Scabieufe n'eft point une Fleur compofée, quoiqu'elle raffemble comme elles plufieürs fleurettes fur un même difque & dans un même calice.. Comme ceci pouitant eft fujet a difpute, furtout a caufe du réceptacle, on tire des fleurettesmême un caraftere plus fur, qui convient a toutescelles qui conftituent proprement une Fleur compofée & qui ne convient qu'a elles; c'eft d'avoir cinq étamines réunies en tube ou cylindre par leurs antheres autour du ftyle & divifées par leurscinq filets au bas de la corolle; toute Fleur dont les fkurettes ont leurs antheres ainfi difpofées, eft donc une Fleur compofée, & toute Fleur 011 Ponne voit aucune fleurette de cette efpece n'eft point une Fleur compofée & ne porte même au fingulier qu'improprement le nom de Fleur, puifqu'elle eft réellement une agrégation de plufieürs Fleurs. Ces fleurettes parti elles qui ont' ainfi leursantheres réunies , & dont Pafiemblage forme une Fleur véritablement compofée, font de deux efpeces ; les unes qui font régulieres & tubulées, s'appellent proprement fleurons ; les autres qui font échancrées & ne préfentent par le haut qu'une langugtte plane & Ie plus fouvent dentelée , s'appellent demi-neurons; & des combinaifons de ces deux efpeces dans la Fleur totale, réfultent trois  284. F L ff. fortes- principales de Fleurs eompofées , favoir; celles qui ne font girnies que de fleurons, celles qui ne font gainies que de demi-fleurons, & celles qui font mêlées des uns & des autres. Les Fleurs a fleurons ou Fleurs fleuronnées fe divifent encore en deux efpeces, relativement a leur forme extérieure ; celles qui préfentent une figure arrondie en maniere de tête, & dont le calice approche de la forme hémifphérique, s'ap ■ pellent Fleurs en tête, Capitati. Tels font, par exemple.les Cfiardons, les Ardchauts, la Chauffs-trape. Celles, dont le réceptacle eft plus applad, en forte que leurs fleurons forment avec le calica une figure a peu prés cylindrique, s'appellent Fleurs en difque, Difcoïdei. La Santoiine , par exernple-, & VEupatoire,, offrent des Fleurs en difque ou. difcoïdes.. Les Fleurs a. demi-fleuroris s'appellent demifleuronnées & leur figure extérieure ne varie p«s affez réguliérement pour offrir une diviiion femblable a la précédente. Le Salfifis, la Sco'fonere le Pijfenlit,, la Chicorée ont des Fleurs deinifleuronnées. A 1'égard des Fleurs mixtes, les demi-fleurons ne s'y mêlent pas parmi les fleurons en confufion,. 'lans ordre ,• mais les fleurons occupent le centre. du difque, les demi-fleurons en garmiflént la circonfértnee & forment une couronne a la Fleur,. & ces Fleurs ainfi couronnées portent, le nom de.  F L e 2g5 Fleurs radiées. Les Reines ■ Murguerites & tous les sifters, le Souci, les Soleils, la Poire- de - terre •portent tous des Fleurs radiées. Toutes ces feétions forment encore dans les Fleurs eompofées, & relativement au fexe des fleurons, d'autres divifions dont il fera parlé dans Partiele Fleuren. Les Fleurs fimples ont une autre forte d'oppofition dans celles qu'on appelle Fleurs doublés gu pleines. La Fleur doublé eft celle dont quelqu'une des parties eft multipliée,. au - dela de fon nombre naturel, mais fans que cette multiplication nuife a la fécondation du germe. Les Fleurs fe doublent rarement par le calice, prefque jamais par les étamines. Leur multiplication la plus commune fe fait par la corolle. Les exemples les plus fréquens en font dans les Fleurs polypétales, comme Oeillets , Ar.émones, Renoncules; les Fleurs monopétales doublent moins communément. Cependant on voit affez fouvent des Campanules, des Frimeveres, des Aurieules, & furtout des Jacinthes a Fleur doublé. Ce mot de Fleur doublé ne marqué pas dans le nombre des pétales une fimple duplicarion , mais une multiplication quelconque. Soit que Ie nombre des pétales devienne doublé , triple , quadruple, &c. tant qu'ils ne multiplient pas au point d'étouffer la fructification, la Fleur garde toujours le com de Fleur doublé; mais lorfque  gj« F l * les pétales trop multipltés font difparoitr» los étamines & avorter le germe ; alors la Fleur perd le nom de Fleur doublé & prend celui de Fleur pleine. On voit par - la que la Fleur doublé eft encore dans 1'ordre de la nature; mais que la Fleur pleine n'y eft plus & n'eft qu'un véritable monftre. Quoique la plus commune plénitude* des Fleurs fe faffe par les pétales, il y en a néanmoins qui fe rempliflènt par le calice, & nous en avons .un exemple bien remarquable dans 1'lmmortelle appellée Xeranthême. Cette Fleur qui paroit radiée LX qui réellement eft difcoïde, porte ainfi que la Carline un calice imbrlqué, dont le rang intérieur a fes folioles longues & colorées, & cette Fleur, quoique compofée, doublé & multiplie tellement par fes brillantes folioles qu'on les prendroit, garntflant la plus grande partie du difque, pour .autant de demi-fleurons. Ces faufles apparences abufent fouvent les yeux de ceux qui ne font pas botaniftes: mais quiconque eft initié dans l'intime ftrudure des Fleurs, ne peut s'y tromper un moment. Une Fleur demifleurormée reffemble extérieurement a une Fleur parfaite qui a fon embrion, fon piftil & fes étamines; au lieu que dans la Fleur pleine chaque pétale multiplié n'eft toujours qu'un pétale qui ne porte aucune des parties eflennelles a la fruaification. Prenez l'un après 1'autre les pétales d'une Renoncule fimple, ou doublé , ou pleine , voue  F l £ 237 me trouverez dans aucun nulle autre chofe que Ie pétale même,- mais dans Ie Pifienlit chaque demifleuron garni d'un ftyle entouré d'étamines, n'eft pas un fimple pétale, mais une véritable Fleur. On me préfente une Fleur de Nymphéa jaune & l'on me demande fi c'eft une compofée ou une Fleur doublé? Je réponds que ce n'eft ni 1'une ni 1'autre. Ce n'eft pas une compofée, puifque les folioles qui 1'entourent ne font 'pas des demifieurons & ce n'eft pas une Fleur doublé, paree que la duplication n'eft I'état naturel d'aucune Fleur, & que I'état naturel de ia Fleur de Nymphéa jaune eft d'avoir plufieürs enceintes de pétales autour de fon embrion. Ainfi cette multiplicité n'empêche pas le Nymphéa jaune d'être une Fleur fimple. La corjftitution commune au plus grand nombre des Fleurs , eft d'être hermaphroditxs; & cette conftitution paroit en tffet la plus convenable au regne végéul, oü les individus dépourvus de tout mouvement progreflif & fpontané ne peuvent s'allcr chercher l'un 1'autre quand les fexes font féparés. Dans les arbres & les plantes oü ils le font, la nature, qui fait varier fes moyens, a pourvu a cet obftacle; mais il n'en eft pas moi; s vrai généralement que des êtres immobiles doivent, pour perpétuer leur efpece, avoir en eu::mêmes tous les inftrumens propres a cette fin. Fleuk juutilée. Eft celle qui, pour 1'ordiuaire par défaut de chaleur, perd ou ne produit  288 F L E point la corolle qu'elle devroit naturellement avoir. Quoique cette mutilation ne doivc poimt faire efpece, les plantes oü elle a lieu fe diftinguent néanmoins dans la nomenclature de celles de même efpece qui font completes, comme on peut le yölr dans plufieürs efpeces de Quamortit, de Cucuballei, de Tuffikges, de Campanula % &c. Fleurette. Petite Fleur complete qui entre dans la fhucture d'une Fleur agrégée. Fleuron. Petite Fleur incomplete qui entre dans la ftïufture d'une Fleur compofée. Voyez Fleur. Voici quelle eft la ftructure naturelle des neurons compofans. t. Corolle monopétable tubulée a cinq dents, fupcre. 2. Piftil alongé, terminé par deux ftigmates téfléebis. ' 3. Cinq étamines dont les filets font fépares par'le bas, mais formant par 1'adhérence de leurs antheres un tube autour du piftil. 4 Semence nue alongée ayant pour bafe le réceptacle commun , & fervant elle-même, par fon fommet, de réceptacle a la corolle. 5. Aigrette de poils ou d'écailles couronnant la femenee & figurant un calice a la bafe de Ia corolle. Cette aigrette pouffe de bas en haut ia coroile, la détache & la fait tomber lorfqu'elle eft flétrie & que la femenee accrue approche de fa maturitó. Cette  F R U 23? iCette'ftrudlure commune & générale des fleurons fouffre des exceptions dans plufieürs genres .de eompofées, & ces ëifférences conftituent même des feftions qui forment autant de branches dans cette nombreufe familie. Celles de ces difTérences qui tiennent a la ftruclure même des fleurons, ont été ci-devant expliquées au mot Fleur, J'ai maintenant a parler ■de celles qui ont rapport a la fécondation. L'ordre commun des fleurons dont je viens de parler efl d'être herinaphrodites, & ils fe fécondent par eux-mêmes. Mais il y en a d'autres qui ayant des étamines & n'ayant point de germe, portent le nom de males ; d'autres qui ont un germe & n'ont point d'étamines, s'appellent fleurons femelles,; d'autres qui n'ont ni germe ni étamine, ou dont le germe imparfait avorte toujours , portent le nom de neutres. Ces diverfes efpeces de fleurons ne font pas indifféremment entremêlés dans les Fleurs eompofées , mais leurs combinaifons méthodiques & régulieres font toujours relatives ou a la plus fure fécondation, ou a la plus abondante fructification, ou a la plus pleine maturification des graines. Fructification. Ce mot fe prend toujours dans un fens colleétif, & comprend non-feulement 1'ceuvre de la fécondation du germe & de la maturification du fruit, mais 1'alTemblage de tous les initrumens naturels deftinés a cette opération. Fruit. Dernier produit de la végétation dans Sufplém. Tom. V. N  20» Fr» Tindividu, contenant les femences qui doivent la renouveller par d'autres individus. La femenee n'eft ce dernier produit que quand elle eft feule & nue. Quand elle ne 1'eft pas, elle n'eft que partie du fruit. Fruit. Ce mot a dans la Botanique un fens beaucoup plus étendu que dans 1'ufage ordinaire. Dans les arbres & même dans d'autres plantes, toutes les femences ou leurs enveloppes bonnes a manger, portent en général le nom de fruit. Mais en Botanique ce même nom s'applique plus généralement encore a tout ce qui réfulte, après la fleur, de la fécondation du germe. Ainfi le fruit n'eft proprement autre chofe que 1'ovaire féconrlé, & cela, foit qu'il fe mange ou ne fe mange pas, foit que la femenee foit déja mure ou qu'elle ne le foit pas encore. Genre. Réunion de plufieürs efpeces fous un caractere commun qui les diftingue de toutes les autres plantes. Germe , embrion, ovaire , fruit. Ces termes font fi prés d'être fynonymes, qu'avant d'en parler féparément dans leurs articles, je crois devoir les unir ici. Le germe eft le premier rudiment de la nouvelle plante, il devient embrion ou ovaire au moment de la fécondation, & ce même embrion devient fruit en müriflant; voila les différences exaftes. Mais on n'y fait pas toujours attention dans 1'ufage, & l'on prend fouvent ces mots l'un pour 1'autre indiffércmiasnt.  G E E 291 II y a deux fortes de germes bien diflinéts, l'un contenu dans Ia femenee, lequel en fe développant devient plante, & 1'autre contenu dans la fleur, lequel par Ia fécondation devient fruit. On voït par quelle alternative peipétuelle chacun de ces deux germes fe produit & en eft produit. On peut encore donner le nom de germe aux rudimens des feuilles enfermées dans les bourgeons, & a ceux des fleurs enfermées dans les boutons. Germination. Premier développement des parties de la plante, contenue en petit dans le •germe. Glandes. Organes qui fervent i Ia fecrétion des fucs de Ia plante. Gousse. Fruit d'une plante légumineufe. La gouffe qui s'appelle auffi légume, eft ordinairement compofée de deux panneaux nommés cofles, applatis ou convexes, collés l'un fur 1'autre par deux futures longitudinales, & qui renferment des femences attachées alternativement par la futtire aux deux coffes, lefquelles fe féparent par la maturité. Grappe , racemus. Sorte d'épi dans lequel les Fleurs ne font ni feffiles ni toutes attachées a Ia rape, mais a des pédicules partiels, dans lefquels les pédicules principaux fe divifent. La grappe n'eft autre chofe qu'une panicule dont les rameaux font plus ferrés, plus courts & fouvent plus gros que dans la panicule proprement dite. N a  45* <5 x e Lorfque 1'axe d'une panicule ou d'un épi pend en bas au lieu de s'élever vers le ciel, on lui donne alors 1e nom de grappe; tel eft 1'épi du grofeiller, telle eft Ia grappe de la vigne. Greffe. Opération par laquelle on force le« fucs d'un arbre a paffer par les couloirs d'un autre arbre; d'oü il réfulte que les couloirs de ces deux plantes n'étant pas de même figure & dimenfion, ai placés exaétement les uns vis-a-vis des autres, les fucs forcés de fe fubtilifer en fe divifant, don. nent enfuite des fruits meilleurs & plus favoureux. Greffer. Eft engager I'ceil ou le bourgeon d'une faine branche d'arbre dans 1'écorce d'un autre arbre, avec les précautions néceffaires & dans la faifon favorable, en forte que ce bourgeon recoive le fuc du fecond arbre & s'en nourrifie comme il auroit fait de celui dont il a été détaché. On donne Ie nom de Greffe a laportion quis'unit, & de Sujet a 1'arbre auquel il s'unit. 11 y a diverfes manieres cie greffer. La greffe parapproche, en fente, en couronne, en ilüte, en écuffon. Gymnosperme a femences nues. Hampe. Tige fans feuilles , deftinée uniquement a tenir la fruétification élevée au deffus de la racine. Infere , Supere. Quoique ces mots foient purement latins, on eft obligé de les employer en francois dans Ie langage de Ia Botanique, fous peine d'être diffus, lache & louche , pour  Leo 20j vouloir parler purement. La même néceffité doit être fuppofée, & "la même excufe répétée dans tous les mots latins que je ferai forcé de francifcr. Car c'eft ce que je ne ferai jamais que pour dire ce que je ne pourrois auffi-bien faire entendre dans un franqois plus correct. 11 y a dans les fleurs deux difpofitions différentes du calice 6c de la corolle, par rapport au germe dont 1'expreffion revient fi fouvent, qu'il faut abfolument créer un mot pour elle. Quand le calice & la corolle portent fur le germe, la fleur eft dite fupere. Quand le germe porte fur le calice & la corolle, la fleur eft dite infere. Quand de la corolle on tranfporte le mot au germe, il faut prendre toujours 1'oppofé. Si la.corolle eft infere, le germe ',eft fupere ; fi la corolle eft fupere, le. germe eft infere; ainfi l'on a le choix de ces deux manieres d'exprimer la même chofe, Comme il y a beaucoup plus de plantes oü Is fleur eft infere ,. que de celles oü elle eft fupere , quand cette difpofition n'eft point exprimée, on doit toujours fous-entendre le premier cas, parco qu'il eft le plus ordinaire; & fi la defcription ner parle point de la difpofition relative de la corolle & du germe, il faut fuppofer la corolle infere: car fi elle étoit fupere,. 1'auteur de la defcriptionPauroit exprefiement dit. Légume. Sorte de péricarpe compofé de deux. panneaux, dont les bords font réunis par deux fututes lougitudinales. Les femences font attachées alN 3  294 L Y B ternativement a ces deux valves par Ia future fupérieure; 1'inférieure eft nue. L'on appelle de ce Hem en général le fruit des plantes légumineufes. Lécumineuses. Voyez Fleurs, Plantes. Liber (le). Eft compofé de pellicules qui repréfentent les feuillets d'un livre; elles touchent immédiatement au bois. Le Liber fe détacbe tous les ans des deux autres parties de I'écorce, & s'uniffant avec 1'aubier, il produit fur la circonférence de 1'arbre une nouvelle couche qui en 'augmente le diametre. Ligneux. Qui a la confiftance de bois. Liliacées. Fleurs qui portent le caraéteitt du Lis. Limbe. Quand une corolle monopétale réguliere s'évafe & s'élargit parle haut, ia partie qui forme cet évafement s'appelle Ie Limbe, & fe découpe ordinairement en quatre, cinq ou plufieürs fegmens. Diverfes Campanules, Primevercr Lijerons & autres fleurs monopétales offrent des. exemples de ce Limbe, qui eft a 1'égard de la corolle a peu prés ce qu'eft a 1'égard d'une cloche la partie qu'on nomme le pavillon. Le différent, degré de 1'angle que forme le Limbe avec le u.be, eft ce qui fait donner a la corolle le nom. d'infundibuliforme, de campaniforme, ou d'byrxcrateniforme. Lob 2s des femences , font deux corps réur'; , applatis d'uncóté, convexes de 1'autre. Ute font diitinéts dans les femences Iégumineufes.  M A 1 295 Lobes des feuilles. Loge. Cavité intérieure du fruit; il eft a plu ■ fieurs loges, quand il eft partagé par descloifons. Maillet. Branche de 1'année, a laquelle on laiffe pour la replanter deux chicots du vieux bois faillant des deux cótés. Cette forte de bouture fa pratique feulement fur la vigne & même affez rarement. Masqué. Fleur en mafque eft une Fleur mo* nopétale irréguliere, Monecie ou Monoecie. Habitation commune aux deux fexes. On donne le nom de Moncecie a une claffe de plantes compofée de toutes cellesqui portent des Fleurs males &. des Fleurs femelles fur le même pied, Monoique. Toutes les plantes de la Moncecie' font monoïques. On appelle Plantes monoïquescelles dont les Fleurs ne font pas hermaphrodites, mais féparcment males & femelles fur le même-' individu. Ce mot, formé de celui de moncecie r vient du grec & fignifie ici que les deux fexesoccupent bien le même logis, mais fans habiter la même chambre. Le Coucombre, le Melon &. toutes les cucurbitacées fohtdes plantes monoïques». Mufle (Fleur en) Voyez Mafque. Noeuds. Sont les articulations des tiges & desracines.. Nomenclature. Art de joindre aux noms-' qu'on impofe aux plantes 1'idée de leur ftrufture & de leur claflilication, N 4  2c6 Nu» Notau. Semence oiïeufe qui renferme un* amande. Nud. Dépourvu des vêtemens ordinaires a fes femblables. On appelle graines nues celles qui n'ont point de péricarpe, ombelles nues celles qui n'ont point d'involucre, tiges nues celles qui ne font point garnies de feuilles, &c. Nuits-de-Fer. Noties ferna. Ce font, en Suede, celles dont la froide température arrêtant' la végétation de plufieürs plantes, produit leur dépériflement infenfible, leur pourriture & enfin leur mort. Leurs premières atteintes avertilTcnt derentrer dans les ferres les plantes étrangeres, qui périroient par ces fortes de froids. (C'eft aux premiers gels aflëz communs au mois d'Aoüt dans les pays froids qu'on donne ce' nom, qui, dans des climats tempérés, ne peutpas être employé pour les mêmes jours. H.) Oeil. Voyez Ombilic. Petite cavité qui fe trouve en certains fruits a 1'extrêmité oppofée aupédicule; dans les fruits inferes ce font les di vinons du calice qui forment 1'ombilic, comme le Coin, la Poire, la Pomme, &c. dans ceux qui font fuperes, 1'ombilic eft la cicatrice laiftee par 1'infertion du piftil. Oeilletons. Bourgeons qui font a cóté desracines des Artichauts & d'autres plantes, & qu'on détache afin de multiplier ces plantes. Ombelle, Aftemblage de rayons qui partanf d'un  O M 1 *9r d'un même centre, divergent comme ceux d'uan parafol. L'ombelie univerfelle porte fur la tige' ou fur une branche, 1'ombelle partielle fort d'üni rayon de 1'ombelle univerfelle, Omeilic. C'eft, dans les bayes & autres fruits mous inferes Y le réceptacle de la fleur dont , après qu'ellè eft tombée, la cicatrice refte fur Ie fruit, comme on peut le voir dans les Alrelles. Souvent le calice refte & couronne 1'ombilic quï, s'appelle alors vulgairement ml. Ainfi 1'ceil. des Poires & des Fommes n'eft autre chofe que 1'ombilic , autour. duquel le calice perfiftant s'eftdefféché. Ongle. Sorte de tache fur les pétales ou fur les feuilles, qui a fouvent la figure d'un ongifc' & d'autres figures différentes, comme on peut levoir aux fleurs des Pavots, des Anémones, desCiftes, & aux feuilles des Rcnoncules, des Perficaires, &c. Onglet. Efpece de pointe crocliue , par laquelle le pétale de quelques corolles eft fixé lur le calice. ou fur le réceptacle: Tonglet des- Oei!-lets eft plus long que celui des Rofes. Gpposées. Les feuilles oppofées font jufqu'au nombre de deux, placées 1'une vis a vis de l'-autte: des deux cót-és de la tige ou des branches, feuilles oppofées peuvent être pédiculées ou fefli;les; s'il y avoit plus de deux feuilles attachées &a la.même hauteur autour de la tige, alors ceefcj  ï$8 o v a pkiralité de'natureroit 1'oppofition & cette difpofition des feuilles prendroit un nom différent.. Voyez Verticillées. Ovaire. C'eft Ie nom qu'on donne k l'embrion du fruit, ou c'eft le fruit même avant Ia fécondation. Après la fécondation I'ovaire perd ce nom . & s'appelle fimplement fruit ou en particulier péricarpe, fi la plante eft angiofperme; femenee ou i graine, fi la plante eft gymnofperme. Palmée. Une feuille eft palmée,. lorfqu'au lieu i d'être compofée de plufieürs folioles, comme Ia feuille digitée, elle eft feulement. découpée en plufieürs lobes dirigés en rayon vers le fommet du . pétiole, mais fe réuniffant avant que d'y arriver. Panjcule. Epi rameux & pyramidal. Cette figure lui vient de ce que les rameaux du bas étant les plus krges, forment entr'eux un plus large efpace, qui fe rétrécit en montant, a mefure que ces rameaux deviennent plus courts, moins nom- breux ,• en forte qu'une panicule parfaitement réguliere fe termineroit enfin par une fleur feffile. Parasites. Plantes qui naiffent ou croiflént fur d'autres plantes & fe nourriffent de leur fubftance. La Cufcute, Ie Gui, plufieürs Mouffes &. Lichens, font des plante's parafites. Parenchime. Subftance pulpeufe ou tiflii cellulaire , qui forme le corps de la feuille ou du pétale : il eft couvert dans 1'une & dans 1'autred'un épidemie.  ■VI Par Fartielle. Voyez Ombelle.. Parties de la fructification. Voyez Étamines, Piftil.- Pavillon', fynonyme d'étendard. Pédicule. Bafe alongée qui porte le fruit. Ofe' dit pedunculus en latin, mais je crois qu'il faut dire pédicule en francois. C'eft l'ancien ufage, & il n'y a' aucune bonne' raifon pour le changer.Pedunculus fonne mieux en latin & il évite 1'équivoque du nom pediculus. Mais le mot pédicule eft net & plus doux en francois, & dans le choixdes mots il convient de confulter 1'oreille & d'a-voir égard a 1'accent de la langue. Uadjectifpédicule me paroit néceffaire par oppofition a 1'autre adjeftif fejjile. La Botanique eft fi embarraiTée de termes, qu'on ne fauroit trops'attacher a rendre clairs & courts ceux qui lui font fpécialement' confacrés. Le pédicule eft le Hen qui attaché la fleur ou le fruit a la branche ou a la tige. Sa fubftance eft d'ordinaire plus.folide que celle du fruit qu'il' porte par un de fss-bouts, & moins que celle du. bois auquel il eft'attaché par 1'autre. Pour 1'ordinaire, quand le fruit eft mür , il fe détache &tombe avec fon pédicule. Mais quelquefois, cV furtout dans les plantes herbacées, le fruit tombe ■ & le pédicule refte, comme on peut le voL dans le genre des Rumex. On y peut remarquer enco?e' une autre particularité. C'eft que les pédicule:,; qui tous font verticillés autour de la tige, fojK' N tp  $bé P er' auffi tous articulés vers leur milieu. II fembie qu'en ce cas Ie fruit devroit fe détacher è 1'articulation , tomber avec une moitié du pédicule cc' laiffer 1'autre moitié feulement attacbée a Ia plante. Voila néanmoins ce qui n'arrive pas. Le fruit fe détache & tombe feul. Le pédicule tout entier refte, & il faut une aftion expreffe pour ie divifer en deux au point de 1'articulation. Perfoliées. La feuille perfoliée eft celle que la branche enfile & qui entoure celie-ci de tous . cótés. Perianthe. Sörte de calice qui touche immédiatement la fleur ou Ie fruit. Perruque. Nbm donné par Vaillant aux rad. nes garnies d'un chevelu touffu de fibrilles entrelacées comme des cheveux emmêlés. Pétale. On donne le nom de pétale a chaque piece entiere de la corolle. Quand Ia corolle n'eft que d'une feule piece , il n'y a auffi qu'un pétale; le pétale & Ia corolle ne font alors qu'une feule & même chofe, & cette forte de corolle fe' défigne par 1'épithete de monopétale. Quand 1* corolle eft de plufieürs pieces , ces pieces font autant de pétales, & la corolle qu'elles compo-' feht fe défigne par leur nombre tiré du grec, paree que le mot de pétale en vient auffi, & qu'il convient, quand on veut compofér un mot, de tirer les deux racines de Ia même langue. Ainir les mots de monopétale , de dipétaie, de tripé-' talc-, de pentapétale , & enfin do -polypétare,  P é t 3CI ihdiquent une corolló d'une feule piece, ou de: deux, de trois-, de quatre, de cinq , &c. enfin d'une multitude indéterminée de pieces.- Pétato'ide. Qui a des pétales. Ainfi la Fleur pétatoïde eft 1'oppofé de la Fleur apétale. ■ Quelquefois ce mot entte comme feconde ra-cine dans la coiBpofition d'un autre mot, dont la première racine eft un nom de nombre. Alors il fignilie' une' corolle monopétale profondémen'; divifée en amant-de feftions qu'en indique H première racine. Ainfi la corolle tripéta;o'ïde eft divifée en trois fegmens ou demi - pétales, la pentapétatoïde en cinq, &cv Pétiole. Bafe allongée qui porte la- feuille, ■ Le mot pétiole eft oppofé a fejjile a 1'égard des feuilles, comme le mot pédicule 1'eft a 1'égard des fleurs & des fruits. Voyez Pédicule, SeJJlle. Pinnée. Une feuille ariée a plufieürs rangs s'appelle feuille pinnée. Pistil. Organe femelle de la fleur qui fur. monte le germe , & par lequel celui - ci recoit I'intromiffion fécondante de la pouflïere des ar> theres ■: le piftil fe prolonge ordinairement pa? un ou plufieürs ftyles , quelquefois auffi. il eft couronné immédiatement par un ou plufieürs ftigmates', fans aucun ftyle intermédiaire. Le ftigmate recoit la -pouflïere prolifique dufornmei des étamines, & la tranfmet par. Ie piftil dans 1'intérieur du germe pour féconder 1'ovaire. Sui> vantle fyftême fexuel, la fécondation des plantes N 7.  F l A ne peut s'opérer que par Ie concours des deux. fexes, & Pafte de la fruftification n'eft plus que celui de Ia génération. Les filets des étamines; font les-'vaiffeaux fpermatiques, les antheres font. les tefticules , la pouffiere qu'elles répandent eft la liqueur féminale, le ftigmate devient la vulve ,. le ftyle eft la trompe ou le vagin, & le germe fait: Pofike d'uterus ou de matrice. • Placenta: Réceptacle des femences. C'eft le' corps*auquel elles font immédiatement attachées. M. Linnasus n'admet point ce nom de Placenta, & emploie toujours celui de réceptacle. Ces mots rendent pourtant des idéés fort différentes. Le réceptacle eft la partie par oü le fruit tient a la plante.. Le placenta eft la partie par oü les femences tiennent au péricarpe. II eft vrai que quand les femences font nues, il n'y a point d'autre placenta que le réceptacle ; mais toutes les fois que le fruit eft angiofperme, le réceptacle & le placenta font différens.- Les cloifons (dijfepimenta) de toutes les capfules a plufieürs loges font de véritables placentas, & dans des capfules uniloges ; il ne laifië pas d'y avoir fouvent des placentas autres que Ie péricarpe. Plante.' Produftion végétale compofée de' deux parties principales-, favoir la racine, par laquHle elle eft attachée a la terre ou a un autre corps dont elle tire fa nourriture, & 1'herbe par laqyelle elle infp.ire & refpjre Pélément dans I*.  P L A 303; quel elle vit. De tous les végétaux connus, Ia 1 Truffe eft prefque Ie feul qu'on puifle dire n'êtrepas plante. Plantes. Végétaux diueminés für la fürface de Ia terre pour Ia vêtir & la parer. ■ II n'y " point d'afpecl: aufti trifte que celui de la terre nue j; il n'y en a point d'auffï riant que celui des montagnes couronnées d'arbres , des rivieres bordées de bocages, des plaines tapiffées de verdure &. des vallons émaillés de Fleurs.. On ne peut difconvenir que les plantes ne' foient des corps organifés & vivans, qui fe nourriffent & croiffent par intuffufception , & dont r chaque partie poffede en elle-même une vitalité ■ ifolée & indépendante des autres puifqu'elles ont la faculté de fe reproduire (*). • Poils ou Soye. Filets plus ou moins folides ; S fermes qui naiffent fur certaines parties desplantes; ils font quarrés ou cylindriques, droits* ou couchés, fourchés ou fimples, fubulés ou en • rjamecons; & ces diverfes figures font des caracteres affez conftans pour pouvoir fervir a clafierces plantes. Voyez 1'ouvrage de M. Guettard,, intitulé Obfcrvations fur les plantes. Polysamie, pluralité d'habitation. Une claffe (*) Cet article ne paroltpas achevé non plus que beau»' coup d'autres, quoiqu'on ait raflembié , dans les trois psrajrapbes ci-deflus qui cotnpofent celui - ci, trois mor» «esux de 1'auteuï tous fur autant de chiffons» -  3»4- Pol de plantes porte le nom -de Polygamie , & ren,: ferme toutes celles qui ont des Fleurs hermapbrodites fur un pied & des Fleurs d'un feul fexe mi. les ou femelles fur un autre pied. ■ Ce mot de Polygamie s'applique encore ii plufieürs ordres de la claffe des Fleurs eompofées "& alors on y attaché une idéé un peu différente,. Les Fleurs eompofées peuvent toutes être regardées comme. Polygames , puifqu'elles renferuient toutes plufieürs fleurons qui fructifient fép.a-rément , ce. qui par conféquent. ont chacun fa propre habitation, &, pour ainfi dire, fa propre lignée. Toutes ces habitations féparées fe conjoignent de différentes manieres, & p.ar-la forment plufieürs fortes de combinaifons. Quand toüs les. fleurons d'une Fleur compofée font hermaphrodites, l'ordre qu'ils forment porte le nom de Polygamie égale. Quand tous ces fleurons compofans ne font pas i hermaphrodites, ils forment entr'eux, pour ainfi dire, une Polygamie-batarde ét cela de plufieürs facons. i°. Polygamie Juperflue , lorfque les fleuronsdu difque étant tous hermaphrodites fruétifient-,, & que les fleurons du. contour étant femelles fruc-tifient auffi. 2°. Polygamie inutile , quand les fleurons. dn' difque étant hermaphrodites fruftifient , & que' ceux du contour font aeutres & ne fru£tinenÊ>ppins.  305. 30. Polygamie nècejjaire, quand les fleurons du. difque étant males & ceux du contour étant femelles , ils ont befoin les- uns des autres pour. fru&ifier. 4°. Polygamie féparée , lorfque les" fleurons eompofans font divifés entr'eux , foit un a un, foit plufieürs enfemble , par autant de calices. paitiels renfermés dans celui de toute la fleur. On pourroit imaginer encore de nouvelles combinaifons , en fuppofant , par exemple, des fleurons males au contour, & des fleurons hermaphrodites ou femelles au difque; mais cela. n'arrive point. Poüssiere prolieique. C'eft une multitude de petits corps fphériques enfermés dans chaquesnthere & qui , lorfque celle-ci s'ouvre & les verfe dans le ftigmate , s'ouvrent a leur tour,, imbibent ce même ftigmate d'une humeur qui,. pénétranf a travers le piftil,. va féconder l'embrion du fruit, PtoviN. Branche de vigne couchée & coudée en terre. Elle poufle des chevelus par les nceuds qui fe trouvent enterrés. On coupe enfuite le bois qui tient au cep, & le bout oppofé qui fort de terre devient un nouveau cep. Polpe. Subftance molle & charnue de plufieürs1 fruits & iacines. Racine. Partie de la plante par laquelle elle tient a la terre ou au corps qui la nourrit. Les plantes ainfi attachées par la racine a leur matrice.  B. A D ne peuvent avoir de mouvement Iocal; Ie fentïment leur feroit irutile, puifqu'elles ne peuvent chercher cequi leur convient, ni fuir ce qui leur nuit: or la nature ne fait rien en vain. Radicales. Se dit des feuilles qui font les plus prés de la racine: ce mot s'étend auffi aux tiges dans le même fens. Radicule. Racine naiiTante. Radiée. Voyez Fleur. Réceptacle. Celle des parties de la fleur & du fruit qui fert de fiege a toutes les autres & par oü leur font tranfinis de'la plante les fucs nutritifs qu'elles en doivent tirer. II fe dïvife le plus généralement en réceptacle propre , qui ne foutient qu'une feule fleur & un feul fruit, & qui, par conféquent, n'appartient qu'aux plus fimples; & en réceptacle commun, qui porte & recoit plufieürs fleurs. Quand la fleur eft infere , c'eft le même réceptacle qui porte toute la fruélifkation. Mais quand la fleur eft fupere, le réceptacle propre eft doublé , & ceiui qui porte la fleur n'eft pas le même que celui qui porte le fruit. Ceci s'entend de la conflruétion la plus commune; mais on peut propofer a ce fujet le problême fuivant, dansla folution duquel la nature a mis une de fes plus ingénieufes inventions. Quand la fleur eft fur le fruit, comment fe peut-il faire que Ia fleur & le fruit n'aient cependant qu'un feul & même réceptacle?  K. e compte que vous n'oublierez pas de me donneravis de 1'effet de ce voyage & des eaux qu'elle va prendre. Comme tante Julie a dü partir avec elle , j-'ai chargé M. G. qui retourne au Val-de-Travers „ du petit herbier qui lui eft deftiné , & je 1'ai mis a votre adreffe, afin qu'en fon abfence vous puiffiez le recevoir & vous en fervir; fi tant eft que parmi ces échantillons informes il fe trouvequelque chofe a votre ufage. Au refte , je n/accorde pas que vous ayez des droits fur ce chiffon.: Vous en avez fur celui qui 1'a fait, les plus forts & les plus chers que je connoifiè ; mais pour 1'herbier, il fut promis a votre fceur, lorfqu'elle berborifoit avec moi dans nos promenades a Ia croix de Vague, & que vous ne fongiez a rien moins dans celles ou mon ceeur & mes pieds vous fuivoient avec grand-Maman en Vaife. Je rougis de lui avoir tenu parole fi tard & fi mal; mais enfin elle avoit fur vous a cet égard ma parole,  330 Lettres élém ëntaires & 1'antériorité. Pour vous, chere Coufine, fi je ne vous promets pas un herbier de ma main, c'eft pour vous en procurer un plus précieux de la main de votre fille , fi vous continusz a fuivre avec elle cette douce & charmante étude qui remplit d'intéreffantes obfervations fur la nature, ces vuides du tems que les autres confacrent i Poifiveté ou a pis. Quant a préfent, reprenons le£1 interrompu de nos families végétales* Mon intention eft de vous décrire d'abord fix de ces families , pour vous familiarifer avec Ia ftrufture générale des parties caraftériftiques des plantes. Vous en avez déja deux ; refte i quatre qu'il faut encore avoir la patience de fuivre , après quoi laiflant pour un tems les autres branches de cette nombreufe lignée , & pafiant a 1'examen des parties difterentes de la fructification , nous ferons en forte que fans, peut-être, connoitre beaucoup de plantes, vous ne ferez du moins jamais en terre étrangere parmi les produétions du regne végétal. Mais je vous préviens que fi vous voulez prendre des livres & fuivre la nomenclature ordinaire avec beaucoup de noms , vous aurez pen d'idées; celles que vous aurez fe brouilleront & vous ne fuivrez bien ni ma marche ni celle des autres , & n'aurez tout au. plus qu'une connoiffance de mots. Chere Coufine, je fuis jaloux d'être votre feul guide dans cette partie. Quand il en fera tems, je vous indiquerai les livres que  sur la Botanique. S3i tous pourrez confulter. En attendant, ayez Ia patience de ne lire que dans celui de la nature & de vous en tenir a mes lettres. Les Pois font h préfent en pleine fructification. Saififfons ce moment pour obferver leurs caraderes. II eft un des plus curieux que puiflc offrir la Botanique. Toutes les fleurs fe divifent généralement en régulieres & irrégulieres. Les premières font celles dont toutes les parties s'écartent uniformément du centre de la fleur , & aboutiroient ainfi par leurs extrémités extérieure» a Ia circonférence d'un cercle. Cette uniformité fait qu'en préfentant a 1'osil les fleurs de cette efpece , il n'y diftingue ni defius ni deflbus, ni droite ni gauche; telles font les deux families cidevant examinées. Mais au premier coup - d'ceil tous verrez qu'une fleur de Pois eft irréguliere, Cfi'on y diftingue aifément dans la corojle la partie plus longue qui doit être en haut, de la plus courte qui doit être en bas, & qu'on connolt fort bien , en préfentant la fleur vis - a - vis de 1'ceil, fi on la renverfe. Ainfi toutes les fois qu'examinant une fleur irréguliere, on parle du Kaut & du bas , c'eft en la plagant dans fa fituation naturelle. Comme les fleurs de cette familie font d'une conftruftion fort particuliere , non - feulement il faut avoir plufieürs fleurs de Pois & les difféquer fucceflivement, pour obferver toutes leurs parties 1'une après 1'autre; il faut même fuivre le progrès  332' Lettres élémentaire* de la fru&ifkation depuis la première floraifoa jufqu'a la maturité du fruit. Vous trouverez d'abord un calice monophylIer c'éft-a-dire, d'une feule piece terrainée en cinq pointes bien diftinftes , dont deux un peu plus larges font en haut, & les trois plus étroites en bas. Ce calice eft recourbé vers le bas , de même que Ie pédicule qui Ie foutient, lequel pédicule eft très-délié, trés-mobile, en forte que Ia fleur fuit aifément le courant de 1'air & préfent© ©rdinairement fon dos au vent & a Ia pluie. Le calice examiné, on 1'öte, en le déchirant délicatement de maniere que le refte de Ia fleur demeure entier , & alors vous voyez clairemenfc que la corolle eft polypétale. • Sa première piece eft un grand & large pétal© qui couvre les autres & occupe la partie fupérieure de la corolle, a caufe de quoi ce grand pétale a. pris le nom de Pavillon. On 1'appelle auffi YEundard. II faudroit fe boucher les yeux & 1'efprit pour ne pas voir que ce pétale eft - la comme un parapluie, pour garantir ceux qu'il couvre des principales injures de 1'air.. En enlevant/le pavillon , comme vous avez fait le calice, vous remarquerez qu'il eft emboité de chaque cöté par une petite oreillette dans les pieces latérales, de maniere que fa fituation ne puifie être dérangée par le vent. Le pavillon 6té laifie a découvert ces deux :pieces latérales, auxquelles il étoit adherent par  sur la Botanique. 355 fes oreillettes; ces pieces s'appellent les Alles» Vous trouverez en les détachant , qu'emboitées encore plus fortement avec celle qui refte , elles n'en peuvent être féparées fans quelque effort. Auffi les alles ne font gueres moins utiles pour garantir les cötés de la .fleur que le pavillon pour la couvrir. Les alles ótèes vous laiflënt voir la .derniere' piece de la corolle; piece qui couvre & défend le centre de la fleur, & 1'enveloppe, furtout pardeflbus, auffi foigneufement que les trois autres pétales enveloppent le deflus & les cótés. Cette derniere piece qu'a caufe de fa forme on appelle la Nacelle , eft comme le coffre-fort dans lequel la nature a mis fon tréfor a L'abri des atteintes de 1'air & de 1'eau. Après avoir bien examiné ce pétale, tirez - le doueement par-deffous en le pincant légérement par la quille , c'eft-a-dire , par Ia prife mince qu'il vous préfente, de peur d'enlever avec lui ce qu'il enveloppe. Je fuis fur qu'au moment oit ce dernier pétale fera forcé de lacher prife & de déceler le myftere qu'il cache , vous ne pourrez en 1'appercevant vous abftenir de faire un cri de ftirprife & d'admiration. Le jeune fruit qu'enveloppoit la nacelle eft eonftruit de cette maniere. Une membrane cylindrique terminée par dix filets bien diftincts entoure 1'ovaire, c'eft-a-dire, l'embrion de la goufle. Ces dix filets font autant d!étamines qui fe réu-  334 Lettres élémentaires nilTent par le bas autour du germe & fe terminent s par le haut en autant d'antheres jaunes, dont Ia poufliere va féconder Ie ftigmate qui termine le piftil, & qui, quoique jaune auffi par la poufliere fécondante qui s'y attaché, fe diftingue aifément des étamines par fa figure & par fa grofleur. Ainfi ces dix étamines forment encore autour de 1'ovaire une derniere cuiraflë pour le préferver des injures du dehors. Si vous y regardez de bien prés , vous trouverez que ces dix étamines ne font par leur bafe un feul corps qu'en apparence. Car dans la partie fupérieure de ce cylindre il y a une piece ou étamine qui d'abord paroit adhérente aux autres, mais qui a mefure que la fleur fe fane & que Ie fruit groffit, fe détache & laifle une ouverture en - deflus par laquelle ce fruit groffiffant, peut s'étendre en entr'ouvrant & écartant de plus en plus le cylindre, qui fans cela Ie comprimant & 1'étranglant tout autour, 1'empécheroit de groffir & de profiter. Si la fleur n'eft pas affez avancée, vous ne verrez pas cette étamine détachée du cylindre; mais paflez un camion dans deux petits trous que vous trouverez prés du réceptacle, a Ia bafe de cette étamine , & bientót vous verrez 1'étamine avec fon anthere fuivre 1'épingle, & fe détacher des neuf autres qui continueront toujours' de faire enfemble un feul corps, jufqu'a ce qu'elles fe flétriflent & deflechent, quand le germe fécondé devient goufle & qu'il n'a plus befoin d'elles.  SUR LA B OTANIQUE. 335 Cette CouJJe, dans laquelle 1'ovaire fe change *n müriflant, fe diftingue de Ia Silique des Cruciferes , en ce que dans la Silique les graines font .attachées alternativement aux deux futures , au lieu que dans la CouJJe elles ne font attachées que d'un cóté, c'eft-a-dire, a une feulement des deux futures , tenant alternativement a la vérité aux deux valves qui la compofent , mais toujours du même cóté. Vous faifirez parfaitement cette différence, fi vous ouvrez en même tems la Goujje d'un Pois & la Silique d'une Giroflée, ayant attention de ne les prendre ni 1'une ni 1'autre en parfaite maturité , afin qu'après 1'ouverture du fruit les graines reftent attachées par leurs ligamens a leurs futures & a leurs valvules. Si je me fuis bien fait entendre, vous comprendrez , chere Coufine, quelles étonnantes précautions ont été cumulées par la nature pour amener l'embrion du Pois a maturité, & le garantir furtout, au milieu des plus grandes pluies, de 1'humidité qui lui eft funefte, fans cependant 1'enfermer dans une coque dure qui en eüt fait une autre forte de fruit. Le fuprême Ouvrier » attentif a la confervation de tous les êtres, a mis de grands foins a garantir la fruaification des plantes des atteintes qui lui peuvent nuire; mais il paroit avoir redoublé d'attention pour celles qui fervent a la nourriture de 1'homme & des animaux, comme la plupart des légumineufes. L'appareil de la fructification du Pois eft, en diverfes  S;5 Lettres é lé m e kt ai r es proportions , ie même dans toute cette familie. Les fleurs y portent le nom de Papillonacées, pnrce qu'on a cru y voir quelque chofe de femblable a la figure d'un papilion: elles ont généralement un Pavillon, deux Alles, une Nacelle; ce qui fait communément quatre pétales irréguliers. Mais il y a des genres oii la nacelle fe divife dans 'fa longueur en deux pieces prefque adhérentes par la quille , & ces fleurs-la ont réellement cinq pétales; d'autres, comme Ie Treffle des prés, ont toutes leurs parties attachées en une feule piece, & quoique papillonacées ne laiflent pas d'être monopétales. Les papillonacées ou légumineufes font une des families, des plantes les plus nombreufes & les plus utiles. On y trouve les Feves, les Genets, les Luzernes, «Sainfoins, Lentilles, Vefces, Gefies, les Haricots, dont le caractere eft d'avoir la nacelle contournée en fpirale, ce qu'on prendroit d'abord pour un accident. Il y a des arbres, entr'autres celui qu'on appelle vulgairement Acacia, &qui n'eft pas le véritable Acacia; Mndigo , la Réglifle en font aufli : mais nous parierons de tout cela plus en détail drns Ia fuite. Bon jour, Coufine. J'embrafTe tout ce que vous aimez. Let-  SUR LA BOTANIQUE. 337 L E T T R E IV. Du 19 Juin 177».' "Vous m'avez tiré de peine , chere Coufine," mais il me refte encore de 1'inquiétude fur ces maux d'eftomac appellés maux de cceur, dont votre maman fent les retours dans Pattitude d'écrire. Si c'eft feulement Peffet d'une plénitude de bile, le voyage & les eaux fuffiront pour Pévacuer; mais je crains bien qu'il n'y ait a ces accidens quelque caufe locale qui ne fera pas fi faeile i détruire , & qui demandera toujours d'elle un grand ménagement, même après fon rétabliffement. J'attends de vous des nouvelles de ce voyage, auffitót que vous en aurez; mais j'exige que la, maman ne fonge a m'écrire que pour m'apprendre fon entiere guérifon. Je ne puis comprendre pourquoi vous n'avez pas recu 1'herbier. Dans la perfuafion que tante Julie étoit déja partie, j'avois remis le paquet i M. G. pour vous Pexpédier en paffant a Dijon. Je n'apprends d'aucun cóté qu'il foit parvenu ni dans vos mains ni dans celles de votre fceur, & je n'imagine plus ce qu'il peut être devenu. Parions de plantes, tandis que la faifon de les obferver nous y invite. Votre folution de la queftion qua je vous avois faite fur les étamines des cruciferes eft parfaitement jufte & me prouve SH&Un. Tom. V» £  338 Lettres élémentaire* bien que vous m'avez entendu ou plutót que votie m'avez écouté ; car vous n'avez befoin que d'écouter pour entendre. Vous m'avez bien rendu raifon de la gibbofité de deux folioles du calice & de Ia briéveté relative de deux étamines , dans la Giroflée, par la courbure de ces deux étamines. Cependant un pas de plus vous eüt mené jufqu'a la caufe première de cette ftructure : car fi vous recherchez encore pourquoi ces deux étamines font ainfi recourbées & par conféquent raccourcies, vous trouverez une petite glande implantée fur le réceptacle entre 1'étamine & le germe, & c'eft cette glande qui, éloignant 1'étamine & la forgant a prendre Ie contour, la raccourcit néceffairement. II y a encore fur Ie même réceptacle deux autres glandes , une au pied de chaque paire des grandes étamines; mais ne leur faifant point faire de contour, elles ne les raccourcifiènt pas, paree que ces glandes ne font pas, comme les deux premières, en dedans, c'eft-a-dire, entre 1'étamine & le germe, mais en dehors, c'eft-a-dire, entre la paire d'étamines & le calice. Ainfi ces quatre étamines foutenues & dirigées verticalement en droite ligne, débordent celles qui font recourbées, & femblent plus longues paree qu'elles font plus droites. Ces quatre glandes fe troiivent, ou du moins leurs veftiges, plus ou moins vifiblement dans prefque toutes les fleurs cruciferes, & dans quelques - unes bien plus di&in.aes que dans la Giroflée. Si vous demandez  sur la Botanique. 33# encore pourquoi ces glandes ? Je vous répondrai qu'elles font un des inftrumens deftinés par la nature a unir le regne végétal au regne animal, & les faire circuler l'un dans 1'autre: mais laiffant ces recherches un peu trop anticipées, revenons, quant a préfent, a nos families. Les fleurs que je vous ai décrites jufqu'a préfent font toutes polypétales. J'aurois dü commencer peut - être par les monopétales régulieres dont la ftrufturè eft beaucoup plus fimple: cette grande fimplicité même eft ce qui m'en a empêché. Les monopétales régulieres conftituent moins une familie qu'une grande nation , dans laquelle on compte plufieürs families bien diftinftes; en forte » que pour les comprendre toutes fous une indication •commune, il faut employer des caraéteres fi généraux & fi vagues, que c'eft paroitre dire quelque chofe, en ne difant en effet prefque rien du tout. II vaut mieux fe renfermer dans des bornes plus étroites, mais qu'on puiiïe alfigner avec plus de précifion. Parmi les monopétales irrégulieres, il y a une familie dont la phyfionomie eft fi marquée, qu'on en diftingue aifément les membres a leur air. C'eft celle a laquelle on donne le nom de fleurs en gueule, paree que ces fleurs font fendues en deux levres dont 1'ouverture, foit naturelle, foit produite par une légere compreflïon des doigts, leur donne 1'air d'une gueule béante. Cette familie fe fubdivife en deux fe&ions ou ügnées. I »  340 Lettres élémentaire» L'une des fleurs en levres ou labiées-, 1'autre dei fleurs en mafque ou perfonnées: car Ie mot latin perfina fignifie un mafque, nom trés - convenable afiurément a Ia plupart des gens qui portent parmi nous celui de perfonnes. Le caractere commun a toute la familie eft non-feulement d'avoir la corolle monopétale, &, comme je i'ai dit, fendue en deux levres ou babines, l'une fupérieure appellée cajqiie , 1'autie inférieure appellée barbe , mais d'avoir quatre étamines prefque fur un même rang diftinguées en deux paires, l'une plus longue & 1'autre plus courte. L'infpection de 1'objet vous expliquera mieux ces caracteres que ne peut^faire le difcours. Prenons d'abord les labiées. Je vous en donnerois volontiers pour exemple la Sauge, qu'on trouve dans prefque tous les jardins. Mais la conftruction particuliere & bizarre de fes étamines, qui 1'a fait retrancher par quelques Botaniftes du nombre des labiées , quoique la nature ait femblé 1'y inferire, me porte a chercher un autre exemple dans les Orties mortes, & particuliérement dans 1'efpece appellée vulgairement Ortie blanche, mais que les Botaniftes appellent plutöt Lamier blanc, paree qu'elle n'a nul rapport i 1'Ortie par fa fructification , quoiqu'elle en ait beaucoup par fon feuillage. L'Ortie blanche, fi commune partout, durant trés - longtems en fleur, ne doit pas vous être diflicile a trouver. Sans m'arrêter ici a 1'élégante 'fituation des fleurs, je me borne a leur  sur la Botanique. 341 ftrufture. L'Ortie blanche porte une fleur monopétale labiée, dont le cafque eft concave & recourbé en forme de voute , pour recouvrir Ie refte de Ia fleur & particuliérement fes étamines qui fe tiennent toutes quatre afiëz ferrées fous 1'abri de fon toit. Vous difcernerez aifément la paire plus longue & la paire plus courte, & au milieu des quatre le ftyle de la même couleur, mais qui s'en diftingue en ce qu'il eft fimplemer.t fourchu par fon extrémité, au lieu d'y porter une anthere comme font les étamines. La barbe, c'eft-a-dire la levre inférieure fe replie & pend en en - bas , & par, cette fituation laiffe voir prefque jufqu'au fond le dedans de Ia corolle. Dans les Lamiers cette barbe eft refendue en longueur dans fon milieu, mais cela n'arrive pas de même aux autres labiées. Si vous arrachez la corolle , vous arracherez avec elle les étamines qui y tiennent par leurs filets, & non pas au réceptacle oü Ie ftyle reftera feul attaché. En examinant comment les étamines tiennent a d'autres fleurs, on les trouve généralement attachées ir Ia corolle", quand elle eft monopétale, & au réceptacle ou au calice, quand la corolle eft polypétale : en forte qu'on peut, en ce dernier cas, arracher* les pétales , fans arracher les étamines. Dc cette obfervation l'on tire une regie belle, facile & même aflez ftire pour favoir fi une corolle eft d'une feule piece ou de plufieürs, P 3  342 Lettres élémentaires lorfqu'il eft difficile, comme il 1'eft quelquefois «Ie s'en aiTurer immédiatement. La corolle arrachée refte percée a fon fond, paree qu'elle étoit attachée au réceptacle, laiffant une ouverture circulaire, par laquelle le piftil & ce qui I'entoure, pénétroit au-dedans du tube & de la corolle. Ce qui entoure ce piftil dans Ie lamier & dans toutes les labiées , ce font quatre embrions qui deviennent quatre graines nues, c'eft • a - dire, fans aucune enveloppe; en forte que ces graines , quand elles font müres , fe détachent & tombent a terre féparément. Voila Ie caractere des labiées. L'autre lignée ou feéh'on, qui eft celle des prfonnées , fe diftingue des labiées, premiérement par fa corolle, dont les deux levres ne font pas erdinairement ouvertes & béantes, mais fermées & jointes, comme vous Ie pourrez voir dans la fleur de jardin appellée Mvffiaude ou Muffle de veau, ou bien a fon défaut dans la Linaire, cette fleur jaune a éperon, fi commune en cette faifon dans la campagne. Mais un cara&ere plus précis & plus fur eft qu'au lieu d'avoir quatre graines nues au fond du calice comme les labiées, les perfonnées y ont toutes une capfule qui renferme les graines & ne s'ouvre qu'a leur maturité pour les répandre. J'ajoute a ces caracteres qu'un nombre de labiées font ou des plantes odorantes & aromatiques, telles que 1'Origan, la Marjolaine, le Thym, le Serpolet, le Bafilic, la  SUR LA BOTA-NIQUE- 343 Menthe, 1'Hyfope, la Lavande; &c. ou des plantes odorantes & puantes, telles que diverfes efpeces d'O-rties mortes, Staquis, Crapaudines r Marrube; quelques - unes feulement, telles que le Bugle, la Brunelle, la Toque,n'ont pas d'odeurj au lieu que les perfonnées font pour la plupart des plantes fans odeur , comme la Mufflaude , li Linaire, 1'Euphraife, la Pédiculaire, la Crêtedecoq, 1'Orobanche, la Cimbalaire, la Velvote, la Digitale ,• je ne connois gueres d'odorantesdans cette branche que la Scrophulaire qui fente & qui poe, fans être aromatique. Je ne puis gueres vous citer ici que des plantes qui vraifemblablement ne vous font pas connues; mais que peu a peu vous apprendrez a connoitre-, & è&mr au. moins a leur rencontre vous pourrez par vousmême déterminer la familie. Je voudrois même que vous tachafliez d'en déterminer la lignée ou» fection par la pbyfionomie , & que vous vou* exercaffiez a juger au fimple coup-d'ffiil , fi la. fleur en gueule que vous voyez eft une labiée ou une perfonnée. La figure extérieure de la corolle peut fuifire pour vous guider dans- ce choix, que vous pourrez vérifier enfuite en ©tant la corolle & regardant au fond du calice; car fi vous avez bien jugé , la fleur que vous aurez nommée labiée vöus montrera quatre graines nues r & celle que vous aurez nommée perfonnée vousmontrera un péricarpe r le contraire vous prouveïoit que vous vous êtes trompée, & par un fccond V 4  544- Lettres élément a ires examen de la même plante vous préviendrez ub« erreur femblable pour une autre fois. Voila, chere Coufine, de 1'occupation pour quelques promenades. Je ne tarderai pas a vous en préparer pour celles qui fuivront. L e t t r e V. Du 16 Juillet 1772. Je vous remercie, chere Coufine, des bonnes nouvelles que vous m'avez données de la maman. J'avois efpéré Ie ton effet du changement d'air, & je n'en attends pas moins des eaux & furtout .du régime auftere prefcrit durant leur ufage. Je fuis touché du fouvenir de cette bonne amie, & je vous prie de Pen remercier pour moi. Mais je ne veux pas abfolument qu'elle m'éerive durant fon féjour en Suifle, & fi elle veut me donner direétement de fes nouvelles, elle a prés d'elle un bon fecrétaire (*) qui s'en acquittera fort bien. Je fuis plus charmé que furpris qu'elle réuififle en Suifle ; indépendamment des graces de fon age & de la gaité vive & careiTante, elle a dans le caraftere un fond de douceur & d'égalité, dont je Pai vu donner quelquefois a la grand'maman 1'exemple (*) La Treur de Madame D^L***, quel'auteur appclloh tante Julie.  SUR LA BOTANIO.UE. 345 Pexemple charmant qu'elle a recu de vous. Si votre fceur s'établit en SuüTe, vous perdrez l'une & 1'autre une grande douceur dans la vie, & elle ftirtout des avantages difficiles-a remplacer. Maisvotre pauvre maman qui, porte a porte, fentoit pourtant fi cruellement fa féparation d'avec vous*, comment fupportera ■ t - elle la fienne i une fi grande diftance ? C'eft de vous encore qu'elle tiendra fes dédommagemens & fes reflources'. Vous lui en ménagez une bien précieufe en asfoupliffant dans vos douces mains la bonne & forte étoffe de votre favorite, qui, je n'en doute poinf, deviendra par vos foins auffi pleine de grandes qualités que de charmes. Ah! Coufine, 1'heu reufe mere que la vötref Savez - vous que je commence a être en peine du petit herbier ? Je n'en ai d'aucune part aucune nouvelle, quoique j'en aie eu de M. G. depuis fon retour, par fa femme qui ne me dit pas de fa part un feul mot fur cet herbier. Je lui en ai demande des nouvelles; j'attends fa réponfe. J'ai grand'peur que ne pafiant pas a Lyon, ii n'ait confié le paquet a quelque quidam, qui fachant que c'étoient des herbes feches, aura pris tout cela pour du foin. Cependant, fi comme je 1'efpere encore, il parvient enfin a votre fcetrr Julie ou a vous, vous trouverez qae je n'ai pas laiffé d'y prendre quelque foin. C'eft une perte qui, quoique petite, ne me feroit pas facile a ténarer promptetnent , furtouf a- caufe- du- ata-  346 Lettres élémentaires logue accompagné de divers petits éclairciffemens icrits fur le champ & dont je n'ai gardé aucun doublé. Confblèz-vous , bonne Coufine, de n'avoir pas vu les glandes des Cruciferes. De grands Botaniftes trés - bien oculés ne les ont pas mieux vues. Tournefort lui-même n'en fait aucune mention. Elles font bien claires dans peu de genres, cjuoiqu'on en trouve des veftiges prefque dans tous, & c'eft a force d'analyfer des fleurs en croix & d'y voir toujours des inégalités au réceptacle, qu'en les examinant en particulier, on a trouvé que ces glandes appartenoient au plus grand nombre des genres, & qu'on les fuppofe par analogie dans ceux - mêmes oü on ne les diftingue pas. Je comprends qu'on eft faché de prtnrde tant de peine fans apprendre les noms des plantes qu'on examine. Mais je vous avoue de bonne-foi qu'il n'eft pas entré dans mon plan de vous épargner ce petit chagrin. On prétend que la Botanique n'eft qu'une fcience de mots qui n'exerce. que la mémoire & n'apprend qu'a nommer des plantes. Pour moi, je ne connois point d'étude raifonnable qui ne foit qu'une fcience de mots; & auquel des deux, je vous prie, accorderai-je 3e nom de Botanifte , de celui qui fait cracher un nom ou une phrafe a Pafpeft d'une plante, fans rien connoitre a fa ftruéture, ou de celui qui connoiffant trés - bien cette ftruéture, ignore péamnoins le nom txès-arbitraire qu'on donne a  SUR LA BaTANIQCt'. S4- 7 oette parite en tel ou en tel pays ? Si nous ne donnons a vos enfans qu'une occupaüon amufante,, nous manquons la meilleure moitié de notre but qui eft, en les- amufant, d'exercer leur intelligencer & 'de les accoutumer a 1'attention. Avant dgleur apprendre a nommer ce qu'ils voient, commencons par leur apprendre a le voir. Cettefcience oubliée dans toutes les éducations-, doir faire la plus importante partie de la leur. Je ne le redirai jamais aflèz; apprenez-leur a ne jamaisfe payer de mets-, & a croire ne rien favoir de.: ce qui n'eft entré que dans leur mémoire. Au refte, pour ne pas trop faire le méchar.r,. je vous nomme pourtant des plantes fur lefquelles, en vous les faifant montrer, vous pouvez: aifément vérifier mes defcriptions. Vous n'aviez-: pas, je le fuppofe, fous vos yeux, une Ortie/ blanche , en lifant 1'analyfs des labiées; maisvous n'aviez qu'a envoyer chez 1'herborifte du> coin chercher. de 1'Ortie blanche fraiehemenis cueillie , vous appliquiez a fa fleur ma defcrip' tion , & enfuite examinant les autres parties des' la plante de la maniere donf nous traiterons cïaprès , vous connoiftiez 1'Ortie blanche infiniment mieux , que 1'herborifte qui la fournit ne la connoitra de fes jours; encore trouverons-ncuss dans peu le moyen de nous-paffer d'herborifte mais il faut premiéremenr achever 1'examea ds? nos families; ainfi je viens a la cinqraeme qui.,, daasde- moment, eft en pleine-fiu£tificati©a».  MP 348 Lettres élémentaire! Repréfentez-vous une longue tige affez droite; garnie alternativement de feuilles pour 1'ordinaire découpées affez menu, lefquelles embraiTent par leur bafe des branches qui fortent de leurs aifïelles. De 1'extrêmité fupérieure de cette tige partent comme d'un centre plufieürs pédicules ou rayons, qui s'écartant circulairement Sc'réguliérement comme les cötes d'un parafol, couronnent cette tige en forme d'un vafe plus ou moins ouvert. Quelquefois ces rayons laiffent un efpace vuide dans leur milieu & repréfentent alors plus exaétement Ie creux du vafe; quelquefois aufli ce milieu eil fourni d'autres rayons plus courts, qui montant moins obliquement garnifient le vafe & forment conjointement avec les premiers, la figure a peu prés d'un demi-globe, dont la partie convexe eft tournée en-deffus. Chacun de ces rayons ou pédicules eil terminé st fon extrêmité, non pas encore par une fleur, mais parun autre ordre de rayons plus petits qui couronnent chacun des premiers, précifément comme ces premiers couronnent la tige. Ainfi voila deux ordres pareils & fucceflifsr l'un de grands rayons qui terminent la tige; 1'autre de petits rayons femblables, qui terminent chacuir des grands. Les rayons des petits parafols ne fe fubdivifenf plus, mais chacun d'eux eft le pédicule d'une petite fleur dont nous parierons tout a 1'heure. Si vous pouvez vous former 1'idée de la figaro  sur la Botanique. 34.9 que je viens de vous décrire, vous aurez celle de la difpofition des fleurs dans la familie des ombelliferes ou porte-parafols r car le mot latin umbelk fignifie un parafol. Quoique cette difpofition réguliere de la fructification foit frappante & affez conftante dans toutes les ombelliferes, ce n'eft pourtant pas- elle qui conftitue le caraftere de la familie. Ce ca^ raftere fe tire de la ftruéture même de la fleur, qu'il faut maintenant vous décrire. Mais il convient pour plus de clarté, de vous donner ici une diftinction générale fur la difpofition relative de la fleur & du fruit dans toutea les plantes j diftinftion qui facilite extrêmement leur arrangement méthodique , quelque fyftêma qu'on veuille choifir pour cela. II y a des plantes, & c'eft le plus grand nombre, par exemple 1'Oeillet, dont 1'ovaire eft évidemmentenfermé dans la corolle. Nous donnerons a celles-la le nom de fleurs ïnferes , paree que les pétales embraiTant 1'ovaire prennent leur rraiflance au-deflbus de lui. Dans d'autres plantes en affez grand nombre, 1'ovaire fe trouve placé , non dans lts pétales, mais au-deflbus d'eux; ce que vous pouvez- vois dans la R'ofe; car le Grate-cu qui ea eft le fruit, eft ce corps verd & renflé que vous voyez audeflbus du calice, par conféquent auffi au-defftfus de la corolle, qui de cette maniere couronne cet ovaire & ne 1'enveloppe pas. J'appeüeiai celles-ci P 7  33er Lettres éi. ün n t .vi k es- jïstfj fuperes, paree que Ia corolle eft au-deflus du fruit. On pourroit faire des mots plus fran-cifés: mais il me paroit avantageux de vous tenir toujours le plus prés qu'il fe pourra des termes admis dans la Botanique, afin que fans avoir befoin d'apprendre ni latin ni grec, vous pniffiez néanmoins entendre paflablement le vocabulaire de cette fcience , pédantefquement' tiré de cesdeux langues, comme fi pour connoitre les plantes , il falloit commencer. par être un favant grammairien. Tournefort exprimoit la même diftinétion en d'autres termes: dans le cas de Ia fleur infere, ildifoit que Ie piftil devenoit fruit: dans le cas de la fleur fupere, il difoit que le calice devenoit fruit. Cette maniere de s'exprimer pouvoit être auffi claire, mais elle n'étoit certainement pasauffi jufte. Quoi qu'il en foit, voici une occafion d'exercer, quand il en fera tems, vos jeunes éleves a favoir démêler les mêmes- idéés, rendues par des termes tout différens. Je vous dirai maintenant que les plantes ombelliferes ont la fleur fupere,.om pofée fur le fruit. La corolle de cette fleur eft a cinq pétales appellés réguliers, quoique fouvent les deux pétalesqui font tournés en-dehors dans les fleurs qui bordent 1'ombelle, foient plus grands que les troisautres. La figure de ces pétales varie felon les genses, mais le plus communément elle eft en cceur j.  S U R L A B O TA N I Q UE'-- Tonglet qui porte fur 1'ovaire eft'fort mihce; lalame va en s'élargiffant , fon bord eft émarginé (légérement écbancré) , ou bien il fe termine en une pointe qui, fe repliant en-deflus, donne ■ encore au pétale 1'air d'être émarginé-, quoiqu'on i le vit pointu s'il étoit déplié. Entre chaque pétale eft une étamine dont 1'anthere débordant ordinairement la corolle, rend les cinq étamines plus vifibles que les cinq pétales. Je ne fais pas ici mention du calice, paree que les ombelliferes n'en ont aucun bien diftinft. Du centre de la fleur partent-deux ftyles garnis ehacun de leur ftigmate , & affez apparens auffi, lefquels après la chüte des pétales & des étamines , reftent pour couronner le fruit. La figure la plus commune de ce fruit eft un > ovale un peu alongé, qui dans fa maturité s'ouvre par la moitié, & fe partage en deux femences nues attachées au pédicule, lequel par un art admirable fe divife en deux, ainfi que le fruit, & tient les graines féparément fufpendues, jufqu'a. leur chüte. Toutes ces proportions varient felon les genres, mais en voila 1'ordre le plus commun. U faut, je 1'avoue, avoir l'ceil trés - att-entif pour bien diftinguer fans loupe de fi petits objets ; mais ils font fi dignes d'attention, qu'on n'a pas legret a fa peine. Volei, donc le caraétere propre de la familie -  Lettres élémentaire? des ombelliferes. Corolle fuperbe a cinq péts-i les , cinq étamines , deux ftyles portés fur un. fruit nud difperme, c'eft-a-dire, compofé de deux graines accolées: Toutes les fois que vous trouverez ces caracteres réunis dans une ftucVification, comptez que ]a plante eft une ombellifere, quand même elle' n'auroit d'ailleurs dans fon arrangement rien dè 1'ordre ci-devant marqué. Et quand vous troaveriez tout cet ordre de psrafols , conforme k ma defcription, comptez qu'il vous trompe, s'ii eft" démenti par 1'examen de Ia fleur. S'il arrivoit, par exemple, qu'en fortant de lire ma Lettre, vous trouvafïïez en vous promenant un Sure'au encore en fleurs, je fuis prefque afluré qu'au premier afpect vous diriez , voila une ombellifere. En y regardant, vous trouveriez grar.de ombeüe, petite ombelle , petites fleurs blanches, corolle fupere, cinq étamines:: c'eft une ombellifere aflurément'; mais voyons encore: je prends une fleur: D'abord, au lieu de cinq pétales, je trouve une corolle a cinq divifions , il eft vrai} maisnéanmoins d'une féule piece. Or , les fleurs des ombelliferes ne font pas monopétales. Voila bien cinq étamines, mais je ne vois point de ftyles, & je vois plus fouvent trois ftrgmates que deux. Or les ombelliferes n'ont jamais ni plus ni- moins de deux graines pour chaque fleur. En-  sur la Botanique-. 353 Un Ie fruit du Sureau eft une baye molle, & celui des ombelliferes eft fee & nud. Le Sureau n'eft donc pas une ombellifere. Si vous revenez- maintenant fur vos pas, en regardant de plus prés a la difpofition des fleurs, vous verrez que cette difpofition n'eft qu'en apparence celle des ombelliferes. Les grands rayons , au lieu de partir exaftement du même centre, prennent leur naiflance les uns plus haut, les autres plus bas; les petits naiffent encoze moins réguliérement: tout cela n'a point l'ordre invariable des ombelliferes. L'arrangement des fleurs du Sureau eft en Corymbe, ou bouquet , plutót qu'en ombelle. Voila comment en nous trompant quelquefois, nous finiflbns par apprendre a mieux voir. Le Chardon-roland, au contraire, n'a gueres le port d'une ombellifere, & néanmoins c'en eft une , puifqu'il en a tous les caracteres dans ft fructification. Oü trouver, me direz-vous, le Cbardon - roland ? Par toute Ia campagne. Tous les grands chemins en font tapiffés a droite &• a gauche: le premier payfan peut vous le montrer, & vous le reconnoitriez prefque vous-même a la couleur bleuatre ou verd-de-mer de fes feuilles, a leurs durs piquans & a leur confiftance lice & coriace comme du parchemin. Mais on peut laifler une plante aufli intraitable; elle n'a pas affez de beauté pour dédommager des bleffures qu'on fe fait en 1'examinant; & fat-elle cent fois plus jfilie,  354- Lettres élément aires ma petite Coufine avec fes petits doigts fenfiblej, feroit bientót rebutée de carefler une plante de fi mauvaife humeur. La familie des ombelliferes eft nombreufe & fi naturelle que fes genres font 'trés - difficiles a diftinguer: ce font des freres que la grande resfemblance fait fouvent prendre l'un pour 1'autre. Pour aider a s'y reconnoltre, on a imaginé des diftinctions principales qui font quelquefois utiles, mais fur lefquelles il ne faut pas non plus trop compter.. Le foyer d'oü partent les rayons, tant de la grande que de la petite ombelle, n'eft pas toujours nud; il eft quelquefois entouré de folioles, comme d'une manchette. On donne a ces folioles le nom d'iawluciv (enveloppe). Quand Ia grande ombelle a une manchette , on donne a. cette manchette Ie nom de grand involucre: on appelle petits involucres, ceux qui entourent quelquefois les petites ombelles'. Cela donne lieu i trois feftions des ombelliferes i°. Celles qui ont grand involucre & petits involucres. 2°. Celles- qui n'ont que les petits involucresfeulement. 3°. Celles qui n'ont ni grands ni petits involucres. Il fembleroit manquer une quatrieme divifion de celles qui ont un grand involucre & point de petits; mais on ne connoit aucun genre qui foit aonftamment dans ce cas»  sur la Botanique. 355 Vos étonnans progrès, chere Coufine, & votre patience m'ont tellement enhardi que, comptant pour rien votre peine, j'ai ofé vous décrire la familie des ombelliferes fans fixer vos yeux fur aucun modele; ce qui a rendu néceflairement votre attention beaucoup plus fatigante. Cependant, j'ofe douter, lifant comme vous favez faire, qu'après une ou deux leftures de ma Lettre, une ombellifere en fleurs échappe a votre efprit en frappant vos yeux, & dans cette faifon vous ne pouvez manquer d'en trouver plufieürs- dans lesjardins & dans la campagne. Elles ont la plupart les fleurs blanches. Telles font la Carotte , le Cerfeuil, le Perfil , la Ciguë , 1'Angélique, la Berce, la Berle , la Boucage, le Chervis ou Girole, la Perce-pierre, &c. Quelques-unes, comme le. Fenouil, 1'Anet, le Panais, font a fleurs jaunes ; il y en a peu a fleurs rougeatres & point d'aucune autre couleur. Voila, me direz-vous, uné belle notion générale des ombelliferes : mais comment tout ce vague favoir me garantira -1 - il de confondre la Ciguë avec le Cerfeuil & le Perfil , que vousvenez de nommer avec elle ? La moindre cuifiniere en faura la-deflus plus que nous avec-toute notre doctrine. Vous avez raifon. Mais cependant fi nous commencons par les obfervations de: détail, bientót accablés par le nombre , la mémoire nous abandonnera, & nous nous perdronsdè& les premiers pas dans ce regne immenfe; au:  355 Lettres élémentaire» lieu que fi nous commencons par bien reconnoitre les grandes routes, nous nous égarerons rarement dans les fentiers, & nous nous retrouverons partout fans beaucoup de peine. Donnons cependant quelque exception a 1'utilité de 1'objet & ne nous expofons pas , tout en analyfant le regne végétal , a manger par ignorance une omelette a la Ciguë. La petite Ciguë des jardins eft une ombellifere, ainfi que le Perfil & le Cerfeuil. Elle a la fleur blanche comme l'un & 1'autre (*) , elle eft avec le dernier dans Ia fection qui a la petite enveloppe & qui n'a pas la grande; elle leur reflëmble affez par fon feuillage, pour qu'il ne foit pas aifé de vous en marquer par écrit les- différences. Mais voici des caracteres fuffifans pour ne vous y pas tromper» 1-1 faut commencer par voir en fleurs ces diverfes plantes; car c'eft en cet état que la Ciguë a fon caractere propre. C'eft d'avoir fous chaquepetite ombelle un petit involucre compofé de trois petites folioles pointues, affez longues, & toutes trois tournées en dehors; au lieu que les folioles des petites ombelles du Cerfeuil 1'enveloppent tout autour, & font tournées également ("O La fleur du Perfil c-fi: un peu jaunatre. Mais plufieürs fleurs d'Ombelliferes paroiffént jaunes a caufe de 1'ovaire Si (fes antheres et ue laiflent pas d'avoir les> jjésales blancs»  sur ü Botanique. 357 4e tous les cótés. A 1'égard du Perfil, I peine a-t-Il quelques courtes folioles, fines comme des cheveux, & diftribuées indifFéremment, tant dans la grande ombelle que dans les petites , qui toutes font claires & maigres. Quand vous vous ferez bien aflurée de Ia Ciguë en fleurs, vous vous confirmerez dans votre jugement en froiffant légérement & flairant fon feuillage; car fon odeur puante & vireufe ne vous Ia laiflera pas confondre avec le Perfil ni avec le Cerfeuil, qui tous deux ont des odeurs agréables. Bien füre enfin de ne pas faire de quiproquo, vous examinerez enfemble & féparément ces trois plantes dans tous leurs états par toutes leurs parties , furtout par le feuillage qui les accompagne plus conilamment que la fleur, & par cet examen comparé & repété , jufqu'a ce que vous ayez acquis la certitude du coup-d'ceil, vous parviendrez a diftinguer & connoitre imperturbablement la Ciguë. L'étude vous mene ainfi jufqu'a la pcrte de la pratique, après quoi celle-ci fait Ia faciiité du favoir. Prenez haleine, chere Coufine, car voila une Lettre excédente; je n'ofe même vous -promettre plus de difcrétion dans celle qui doit la fuivre; mais après cela nous n'aurons devant nous qu'un chemin bordé de fleurs. Vous en méritez une couronne pour la douceur & la conftance avec laquelle vous daignez me fuivre i travers ces brouiïailles, fans vous rebuter de leurs épines.  358 Lettres élèmektaires Lettre VI. Du 2 Mai 1773. C^uotqu'ïl vous refte , chere Coufine , bien des chofes a defirer dans les notions de nos cinq premières families, & que je n'aye pas toujours fu mettre mes defcriptions a la portee de notre petite Botanophile, (amatrice de la Botanique) je crois néanmoins vous en avoir donné une idee fuffifante pour pouvoir , après quelques moïs d'herborifation, vous familiarifer avec 1'idée générale du port de chaque familie: en forte qu'a 1'afpecl d'une plante , vous puilïïez conjecturcr a peu prés fi elle appsrtient a quelqu'une des cinq families & a laquelle,- fauf a vérifier enfuite par Tanalyfe de la fructification fi vous vous êtes trompée ou non dans votre conieéture. Les ombelliferes , par exemple , vous ont jettée dans quelque embarras, mais dont vous pouvez fortir quand il vous plaira, au moyen des indications que j'ai jointes aux defcriptions: car enfin les Carottes, les Panais, font chofes fi communes, que rien n'eft plus aifé dans le milieu de 1'été que de fe faire montrcr l'une ou 1'autre en fleurs dans un potager. Or, au fimple afpect de Tombelle & de la plante qui la porie , 011 doit prendre une idéé fi nette des ombelliferes, qu'a la rencontre d'une plante de cette familie on s'y trompera rarement au premier coup - d'ceil. Voila tout  sur x.a Botanique. 359 ce que j'ai prétendu jufqu'ici; car il ne fera pas queftion fitót des genres & des efpeces; & encore une fois ce n'eft pas une nomenclature de perroquet qu'il s'agit d'acquérir. mais une fcience réelle, & l'une des fciences les plus aimables qu'il foit poffible de cultiver. Je paffe donc a notre fixieme familie, avant de prendre une route plus métbodique. Elle pourra vous embarraffer d'abord autant & plus que les ombelliferes. Mais mon but n'eft, quant a préfent, que de vous en donner une notion générale, d'autant plus que nous avons bien du tems encore avant celui de la pleine floraifon , & que ce tems bien employé pourra vous applanir des difficultés contre iefquelles il ne faut pas lutter encore. Prenez une de ces petites fleurs qui,dans cette faifon, tapiflent les paturages & qu'on appelle ici Paqwrettes, petite; Marguerites , ou Marguerites tout court. Regardez - la bien; car a fon afpect, je fuis für de vous furpreudre en vous difnnt que cette fleur fi petite & fi mignone eft réellement compofée de deux ou trois cents autres fleurs toutes parfaites, c'eft-a-dire, ayant chacune fa corolle, fon germe, fon piftil, fes étamines, fa graine, en un mot auffi parfaite en fon efpece qu'une fleur de Jacinthe ou de Lis. Chacune de ces folioles blanches en-deflus, rofe en-deflbus, qui forment comme une couronne autour de la Marguerite, & qui ne vous paroiffent tout au plus qu'autant de petits pétales, font réellement  3/5o Lettres élémentaires autant de véritables -fleurs; & chacun de ces petits brins jannes que vous voyez dans le centre & que d'abord vous n'avez peut- être pris que pour des étamines , font encore autant de véritables fleurs. Si vous aviez déja les doigts exercés aux diflections botaniques, que vous vous armaffiez d'une bonne loupe & beaucoup de patience, je pourrois vous convaincre de cette vérité par vos propres yeux; mais pour le préfent il faut commencer, s'il vous plait. -par m'en croire fur ma parole, de peur de fatiguer votre attention fur des atomes. Cependant, pour vous mettre au moins fur la voie, arrachez une des folioles blanches de la couronne; vous croirez d'abord cette foliole plate d'un bout a 1'autre; mais regardez-la bien par le bout qui étoit attaché a la fleur, vous verrez que ce bout n'eft pas plat, mais rond & creux en forme de tube, & que de ce tube fort un petit filet è deux comes; ce filet eft le ftyle fourchu de cette fleur, qui, comme vous voyez, n'eft plate que par le haut. Regardez maintenant les brins jaunes qui font au milieu de la fleur & que je vous ai dit être autant de fleurs eux - mêmes; fi Ia fleur eft aflez avancée, vous en verrez plufieürs tout autour, lefquels font ouverts dans le milieu & même découpés en plufieürs parties. Ce font des corolles monopétales qui s'épanouiflent, & dans lefquelles la loupe vous feroit aifément diftinguer le piftil & même les antheres dont il eft entouré. Ordi-  sdr la Botanique^ 361 uaireinent les fleurons jaunes qu'on voit au centre font encore arrondis & non percés. Ce font des fleurs comme les autres, mats qui ne font par encore épanouïes; car^elles ne s'épanouiffen.t que fucceflivement en avangant des bords vers le centre. En voila affez pour vous montrer i 1'ceil la poflïbilité que tous ces brins, tant blancs que jaunes, foient réellement autant de fleurs parfaites , & c'eft un fait trés - conftant. Vous voyez néanmoins que toutes ces petites fleurs font preffées 6c renfermées dans un calice qui leur eft commun & qui eft celui de Ia Marguerite. En confidérant toute la Marguerite comme une feülë fleur, ce fera donc lui donner un nom trés - convenable, que de 1'appeller une fleur compofée. Or , il y a un grand nombre d'efpeces & de genres de fleurs formées comme la Marguerite d'un affemblage d'autres fleurs plus petites, contenues dans un calice commun. Voila ce qui conftitue la fixieme familie dont j'avois a vous parler, favoir, celle des flsurs eompofées. Commencons par óter ici I'équivoque du mot de fleur, en reftreignant ce nom dans Ia préfente familie a la fleur compofée, & donnant celui de fleurons aux petites fleurs qui Ia compofent; mais n'oublions pas que dans-la précifion du mot, ces fleurons eux-mêmes font autant de véritables fleurs. Vous avez vu dans la Marguerite deux fortes de fleurons, favoir, ceux de couleur jaune qui Supplém. Tom. V. " Q  3ó"a Lettres é lém en tai tt es rempliüent le milieu de la fleur, & les petites languettes blanches qui les entourent. Les premiers font dans leur petiteffe affez femblables de figure aux fleurs du Muguet ou de la Jacinthe, & .les feconds ont quelque'rapport aux fleurs de Chevre - feuille. Nous laifferous aux premiers Ie nom- de fleurons, & pour diftinguer les autres, nous les appellerons demi-fleurons: car en effet ils ont affez 1'air de fleurs monopétales qu'on auroit ïognées par un cóté, en n'y laiffunt qu'une languette qui feroit a peine la moitié de la corolle. Ces deux foites de fleurons fe combinent dans les fleurs eompofées, de maniere a divifer toute la familie en trois feétiöns bien diftinftes. La première feftion eft formée de celles qui ne font eompofées que de langueues ou demifleurons, tant au milieu qua Ia circonférence; on les appelle fleurs demi - fleuronnées , & la fleur entiere dans cette feclton eft toujours d'une feule couleur, le plus fouvent jaune. Telle eft la fleur appellée Dent-de-lion ou Piffenlit; telles font les fleurs de Laitues, de Chicorée (celle-ci eft bleue), de Scorfonere, de Salfifis, &c. La feconde feftion comprend les fleurs fleuronnées, c'eft-a-dire, qui ne font eompofées que de fleurons, tous pour 1'ordinaire auffi d'une feule couleur. Telles font les fleurs d'immortelles, de Bardane, d'Abfynthe, d'Armoife, de Chardon, d'Artichaut, qui eft un chardon lui-même dont on mange le calice & le réceptacle encore en bouton,  sur la Botanique. 363 avant que la fleur foit éclofe & méme formée. Cette bourre qu'on öte du milieu de 1'Artichaut, n'eft autre chofe que 1'aflemblage des fleurons qui commencent a fe former & qui font féparés les uns des autres par de longs poils implantés fur le réceptacle. La troifieme feêtion eft celle des fleurs qui raffemblent les deux fortes de fleurons, Cela fe fait toujours de maniere que les fleurons entiers occupent le centre de la fleur, & les demi-fleurons forment le contour ou la circonférence, comme vous avez vu dans la Paquerctte. Les'fleurs de cette fection s'appellent radiées , les Botaniftes ayant donné le nom de rayon au contour d'une? fkur compofée, quand il eft formé de languettes ou demi - fleurons. A 1'égard de 1'aire ou du centre de la fleur occupé par les fleurons, on Tappelle le difquè , & on donne auffi quelquefois ce même nom de difque a Ia furface du réceptacle oü font plantés tous les fleurons & demi-fleurons. Dans les fleurs radiées , le difque eft fouvent d'une couleur & le rayon d'une autre ; cependant il y a auffi des genres & des efpeces oü tous les . deux font de la même couleur. .Tachons a préfent de bien déterminer dans votre efprit 1'idée d'une fleur compofée. Le Treflla ordinaire fieurit en cette faifon ; fa fleur eft pourpre: s'il vous en tomboit une fous la main, vous pourriez en voyant tant de petites fleurs raffemblées, être tentée de prendre le tout pour Q ?  364 Lettres élémentairec une fleur compofée. Vous vous tromperiez ; en quoi ? en ce que, pour conftitner une fleur compofée, il ne fuffit pas d'une agrégation de plufieürs petites fleurs, mais qu'il faut de plus qu'une ou deux des parties de la fructification leur foient communes , de maniere que toutes aient part a la même, & qu'aucune n'ai.t la fiennè féparément. Ces deux p.uties communes font le calice & le réceptacle. II eft vrai que la fieur de Treffle ou plutöt le groupe de fleurs qui n'en femblent qu'une, paroit d'abord portée fur une efpece de calice; mais écartez ud peu ce prétendu calice, & vous verrez qu'il ne tient point a la fleur , mais qu'il eft attaché au-deflbus d'elle au pédicule qui la porte. Ainfi ce calice apparent n'en eft point un; il appartient au feuillage, ■&. non pas a la fleur; & cette prétendue fieur n'eft en effet qu'un affemblage de fleurs légun.ineufes fort petites, dont chacune a fon calice particulier, &: qui n'ont abfolument rien de commun entre elles que leur attaché au même pédicule. L'ufage eft pourtant de prendre tout cela pour une feule fleur; mais c'eft une fauffe idéc , ou fi l'on veut abfolument regarder comme une fleur, un bouquet de cette efpece, il ne faut pas du moins Tappellcr une fleur compofée , mais une fleur agrégee ou une tête (fles aggregatus, flos capitatus, capitulum.) Et ces dénominations font en effet quelquefois employées en ce fens par les Botaniiles. Voila, chere Coufine, la notion la plus fimple  sur la Botanique. 36J & la plus naturelle que je puiffe vous donner de la familie, ou plutot de la nombreufe claffe des" eompofées, & des trois feftions ou families dans' leiquelles elles fe fubdivifent. II faut maintenar.C' vous parler de la ftruéture des fructifications partiailieres h cette claffe, & cela nous menera peutêtre a en déterminer le caractere avec plus de précifion. La partie Ia plus effentielle d'une fleur coTTTpoffie eft le réceptacle fur lequel font plantes-, d'abord les fleurons & demi - fleurons. & enfuite les' gfainesqui leur fuccedent. Ce réceptacle qui fbrme* un difque d'une certaine étendue fait le centre ou' calice, comme vous pouvez voir dans le Piflénlfc" que nous prendrons ici pour exemple. Le caï'ieedans toute cette familie eft ordinairement découpc jnfqu'a la bafe en plufieürs pieces , afin qu'ili puiffe fe fermer , fe rouvrir & fe renverfer,. comme il arrivé dans ie progrès de la ffuétifica-1 tion , fans y caufer de déchirure. Le calice du: Piffenlit eft formé de deux rangs de foliolesinférés l'un dans 1'autre, & les folioles du' rang; extérieur qui foutient 1'autre, fe recourbent & replient en-bas vers le pédicule, tandrs qus ies folioles du rang intérieur reftent droites pour' entourer & contenir les demi - fleurons qui compofent la fleur, Une forme encore des plus communes' airs calices de cette claffe, eft d'être imbriqués, c'eftst-dire, formés de plufieürs rangs de folioles en" Q 3  266 Lettres élémektaires recouvrement, les unes fur les joints des au*tres, comme les tuiles d'un toit. L'Artichaut , le Bluet, la Jacée, Ia Scorfonere vous offrent des exemples de calices imbriqués* Les fleurons & demi • fleurons renfermés dans le calice font plantés fort dru fur firn difque ou réceptacle en quinconce ou comme les cafés d'un damicr. Quelquefois ils s'entretouchent a nud fans rien d'intermédiaire , quelquefois iis font féparés par des cloifons de polls ou de petites écailles qui refient attachées au réceptacle quand les graines font tombées. Vous voila fur la voie d'obferver les diflerences de calices & co récep-tacles; parions a préfent de Ia ftructurc des fiettrons & demi-fleurons en commencant par les premiers. Un fleuron eft une fleur monopétale, réguliere pour 1'ordinaire, dont Ia corolle fe fend dans Ie haut en quatre ou cinq parties- Dans ccttc corolle; font attachés a fon tube les filets des étamines au nombre de cinq: ces cinq filets fe réuniflent par le haut en un petit tube rond qui entoure Ie piftil, & ce tube n'eft autre chofe que les cinq antheres ou étamines réunies circulairement en un feul corps. Cette réunion des étamines forme aux. yeux des Botaniftes le caractere eflentiel des fleurscompofées , & n'appartiei.t qu'a leurs fleurons. exclufivement a toutes fortes de fleurs. Ainfi vous aurez beau trouver plufieürs fleurs portées fur un ".néme difoue, comme dans les Scabieufcs & la-  SDK LA BoTANI qU E. 3<57 Chardon - a-foulon; fi les antheres n/j fó réunifiert pas en un tube autour du piftil,,- & fi la coiolie ne porte pas fur une feule graine nue, ces fleurs ne font pas des fleurons & ne forment pas ine fleur compofée. Au contraire, quand vous trouveriez dans une fleur unique les antheres ainft réunies en un feul corps, & la corolle fupere pofée fur une feule graine, cette fleur, quoique feule, feroit un vrai fleuron, & appartiendroit a la familie des eompofées, dont il vaut mieux tirer ainfi le caraeceré d'une .ftrufture précife,. que d'une appirence trompeufe- Le piftil porte uri ftyle plus long d'oïdinairc que le fleuron au-deffüs duquel on le voit s'éiever a travers le tube formé pnr les antheres. 11 fe termine le plus fouvent dans le haut par un ftigmate fourchu, dont on .voit aifément les. deux. petites cornes. Par fon pied le piftil ne porte pas immédiatement fur le réceptacle, non plus que lefleuron , mais l'un & 1'autre y tiennent par le germe qui leur fert de bafe, lequel croit & s'alonge a mefure que le fleuron fe-defieche,. & devient enfin une graine longuette qui refte atta> ehée au réceptacle, jufqu'a ce qu'elle foit irmre: Alors elle tombe fi elle eft nue, ou bien le-venf 1'emporte au loin fi elle eft couronnée d'une.' aigrette de plumes, & le réceptacle refte a décoifvert tout nud dans des genres, ou garni d'écailles®u de poils dans d'autres. La ftruéture des demi-fleurons eft femblable a.  363 Lettres éxémentaires celle des fleurons; les étamines, le piftil, & la graine y font arrangés i peu prés de même:. feulement dans les fleurs radiées il y a plufieürs genres oü les demi - fleurons du contour font fujets a avorter, foit paree qu'ils manquent d'étamines,. foit paree que celles qu'ils ont, font ftériles & n'ont pas Ia force de féconder Ie germe; alors la fleur ne graine que par les fleurons du milieu. Dans toute Ia clafle des eompofées, la graine eft toujours fejjile , c'eft - a - dire, qu'elle porte immédiatement fur Ie réceptacle, fans aucun pédicule intermédiaire. Mais il y a des graines c'ont Ie. fommet eft couronné par une aigrette quelquefois feflile, & quelquefois attachée a la graine par unpédicule. Vous comprenez que 1'ufage de cette aigrette eft d'éparpiller au loin des femences en donnant plus de prife è 1'air pour les empoiter & fe.mer a diftance. A ces defcriptions informes & tronquées, je dois ajouter que les calices ont pour l ordinaire la propriété de s'ouvrir quand la fleur s'épanouit,. de fe refermer quand les fleurons fe fement & tornbent, afin de contenir la jeune graine & 1'emp.êcher de fe répandre avant fa maturité, enfin de ferouvrir & de fe renverfer tout-a-fait, pour ofirir dans leur centre une aire p'us large aux graines qui groffiflent en müriflant. Vous avez dü fouver.t. voir le Piflenlit dans cet état, quand les enfans Ie. cueillent pour fouffler dans fes aigrettes qui ferment un globe autour du. calice renverfé. Pour.  sü'A' la Botanique: 3V59) Pour bien connoitre cette claffe, il faut en fuivre les fleurs dès avant leur épanouiffement jufqu'a la pleine maturité du fruit, & c'eft dans cetts: fucceffion qu'on voit des métamorphofés & un enchainement de merveilles qui tient tout efprit feirfi qui les obferve, dans une continuelle admiration,Une fleur commode pour ces obfervations, eft.celle; des Soleils qu'on rencontre fréquemment dans les^ vignes & dans les jardins. Le Soleil, comme vous; voyez, eft une radiée. La Reine Marguerite,.qui dans 1'automne fait Pornement des parterres,, en; eft une auffi. Les Chardons (*) font des fleuron-nées; j'ai déja dit que la Scorfonere & le Piffenlit font des demi - fleuronnées; Toutes ces 'fleurs font affez groffes pour pouvoir être difféquées & étudiées- a 1'ceil nud fans le fatiguer beaucoup; Je ne vous- en dirai pas davantage aujourd'lui fur la familie ou claffe des eompofées. Je tremble déja. d'avoir trop abufé de votre patience par des détails que j'aurois rendus plus clairs, fi j'avois fules rendre plus courts-; mais il m'eft impoffible defauver la difficulté qui nait de la petiteffe des objets. Bon jour, cbere Coufine.- (*) 11 faut prendre garde de n'y pas mêler le Ghardcmfcfoulon ou des Bonr.etiers, qui n'eft pas un vrai Chardon,.  370 lettres élemektaire3 Lettre VII. Sur les Arbres Fruitiers. J'attendois de vos nouvelles, chere Coufine lans impatïence, paree que M. T. que j'avois vu; depuis la réception de votre précédente Lettre, m'avoit dit avoir laifle votre maman & toute votre familie en bonne fanté. Je me réjouis d'en1 avoir la confirmation par vous-même, ainfi que des bonnes & fralches nouvelles que vous me donnez de ma tante Gonceru. Son fouvenir & fa bdnédiftion ont épanoui de joie un cceur a qui depuis löngtems on ne fait plus gueres éprouver de ces. ibrtes de mouvemens. C'eft par elle que je tiens. encore a quelque chofe de bien piécieux fur laterre, & tant que je la conferverai, je continuerai, quoiqu'on fafie, a aimer la vie. Voici le tems de proiiter de vos- bontés ordinaires pour.elle & pour moi; il me femble que ma petite offrande prend nn prix réel en paftant par vos- mains. Si votre cher époux vient bientót a Paris, comme vous me le faites efpérer., je le prierai de vouloir bien feoharger de mon tribut annuel;. mais s'il tarde ucgsu, je vot'.s prie de me marquer a qui je dois le xemettre, afin qu'il n'y ait point de retard & que vous n'en faifiez pas 1'avance comme 1'année derniere, ce que je fais que vousfaites avec plaifir,. mais a quoi je ne dois pas confentir fans néceifité». -Voici,chere Coufine, les noms des plantes que  SUR LA 13 O TA KI QUE. Jgfifl vous m'avez envojfées en dernier lieu. J'ai ajouté un point d'interrogation a ceux dont je fuis en doute, paree que vous n'avez pas eu foin d'y mettre des feuilles avec ia fleur, & que le feuillage eft fouvent néceflaire pour déterminer 1'efpece i< un auffi mince Botanifte que moi. En arrivant a, Eourriere, vous trouverez la plupart des arbres fruitiers en fleurs , & je me fouviens que vous aviez defiré quelques directions fur cet article.. Je: ne puis en ce moment vous tracer la-deflus que quelques mots trés a la hate, étant très-preflé, & afin que vous ne perdiez pas encore une faifou. pour cet examen. Il ne faut pas, chere amie, donner a la Botanique une importance qu'elle n'a pas; c'eft une étude de pure curiofité & qui n'a d'autre utilité réelle que celle que peut tirer un être penfant & fenfible de 1'obfervation de la nature & des merveilles de 1'univers. L'.homme a dénaturé beaucoup de chofes pour les mieux convertir è fon ufage; en cela il n'eft point a blamer; mais il n'en eft pas moins vrai qu'il les a fouvent défigurées, & que, quand dans les ceuvres de fes mains il croit étudier vraiment ia nature, il fe trompe. Gette erreur a lieu furtout dans la fociété civile, elle a lieu de même dans les jardins. Ces fleur.' doublés qu'on admire dans les parterres , font des monftres dépourvus de la faculté de produire leur femblable, dont la nature a doué tous les êtres organifés. Les arbres fruitiers font a peu*près  ♦ 72 Lettres élément air es- dans te même cas par la grefFe; vous aurez bearr planter des pepins de Poires & de Pommes des meilleures efpeces, if n'en naltra jamais que des fauvageons. Ainfi pour connoitre la Poire & la Pomme de la nature, il faut les chereher non dans les potagers, mais dans les forêts. La chair n'en eft pas fi grofte & fi fucculente, mais les fémences en müriflent mieux, en multiplient davantage, & les arbres en font infiniment plus grands & plusvigoureux. Mais j'entame ici un article qui memeneroit trop loin: revenons a nos potagers. Nos arbres fruitiers, quoique greffés, gardent dans leur fructification tous lés caraéberes botaniques qui les dlftlnguent, & c'eft par 1'étude attentive de ces caracteres, auffi-bien que par les transformations de la greffe, qu'on s'aflure qu'il n'y a, par exemple, qu'une feule efpece de Poire fous mille noms divers, par lefquels la forme & lafaveur de leurs fruits les a- fait diftinguer en autant de prétendues efpeces, qui. ne font au fond' que- des variétés. Bien plus , la Poire & laPomme ne font que deux efpeces du même genre,. &. leur unique: différence bien caraétériftique, effc que. le pédicule de la Pomme entre dans un enföncement du fruit, & celui de la Poire tient a. un prolongement du- fruit un peu alongé. Demême, toutes les fortes de Gerifes , Guignes, Griottes , Bigarreaux, ne font cue des variétés d'une^ même efpece ; toutes les Prunes ne fonf qu'une- eigece- de Prunes; ie genre de. la Pruner  SUR LA BoTA-NIQÜE. eontient trois efpeces principales, favoir la Prune; proprement dite, la Cerife, & 1'Abricöt qui n'eft. aufli qu'une efpece de Prune. Ainfi, quand le favant Linnaeus, divifant le genre dans fes efpeces». a dénommé la Prune Prune, la Prune Cerife , & la Prune Abricot, les ignorans fe font moqués delui ; mais les obfervateurs ont admiré la juftefle de fes réduftions, &c. II faut courir, je me hatc Les arbres fruitiers entrent prefque tous dansune familie nombfeufe, dont le caractere eft factie a fatfir, en ce que les étamines, en grand: nombre , au lieu d'être attachées au réceptaclefont attachées au calice , par les intervalles que laiflent les pétales entre eux,- toutes leurs fleurs font polypétales & a cinq communément. Voici les prindpatix caracteres génériques. Le genre de la Poire, qui comprend auffi fa» Pomme & le Coin. Caliee monophylle a cinq; pointes. Corolle k cinq pétales attachés au calice une vingtaine d'étamines toutes attachées au ca. lice. Germe ou ovaire infere , c'eft-a-dire audeflbus de la corolle, cinq ftyles- Fruits charnusa' cinq lbgettes, contenant des graines, &c. Le genre de la Prune , qui comprend 1'Abricot , la Cerife, & Ie Laurier - cerife. Calice,, corolle & antheres i peu prés comme la Poire.. Mais le germe eft fupere, c'eft-a-dire , dans lai corolle, & il n'y a qu'un ftyle. Fruit plus aqueux. que charnu, contenant un noyau, &c. Le genre de 1'Amande , qui comprend aufli Ia q 7.  Lettres é'i émektahes Pêche, prefque comme la Prune-, fi ce n'eft que? le germe eft velu, & que le fruit, mou dans la Pêche , fee dans 1'Amande , contient un noyau; dur, raboteux, parfemé de cavités, &c. Tout ceci n'eft que bien groffiérement ébauché, mais den eft affez pour vous amufer cette. année. Bon jour, chere Coufine. Lettre' VIII. Du ii Avril 1/73.Sur les Herbiees. Cj races au ciel , chere Coufine , vous voi;si rétablie. Mais ce n'eft pas fans que votre filence & celui de M. G. que j'a-vois inftamment prié de m'écrire un mot a fon arrivée , ne m'ait cauféi bien des alarmes; Dans des inquiétudes de cette. efpece rien n'eft plus cruel que le filence , paree qu'il fait tout porter au pis. Mais tout cela eft . déja oublié & 'je ne fens plus que le plaifir devotre rétabliffement. Le retour de la belle faifon,. la vie moins fédentaire de ï'ourriere, & le plaifirde remplir%vec fuccès la p'us douce, ainfi que la plus refpeétable des fonétions, acheveront bientót de 1'affermir , & vous en fentirez moins triftement 1'abfence paflagere de votre mari, au milieu» .des chers gages de fon attachement & des foin* continuels qu'ils vous demandent. La terre commence a verdir , les- arbres i  SUB LA' BOTA NI QUE. 3 7 7 bourgeonner , les- fleurs Ë s'épanouir; il y en » déja de pafiées ; un moment de retard pour la Botanique nous reculeroit d'une année entiere :: ainfi j'y paffe fans autre préambule. Je crains que nous ne 1'ayons traitée jufqu'ict d'une maniere trop abftraite , en n'appliquant: point nos idéés fur des objets déterminés : c'eft le défaut dans lequel je fuis tombé, principalementa 1'égard des ombelliferes. Si j'avois' corrmencé par vous en mettre une fous les yeux, je vous aurois épargné une application très-fatiguantefur un objet imaginaire-, & a moi des defcriptions difficiles , auxquelles un fimple coup-d'reil auroit fuppléé. Malbeurenfement, a la diftance oü la loi de la néceffité me tient de vous, je ne fuis pas a portée de vous montrer du doigt les objets ; mais fi chacun de notre cóté nous en gouvonsh avoir fous les yeux de femblables , nous nous^ entendrons trés-bien l'un 1'autre en parlant de ce que nous voyons.. Toute la difficulté eft qu'il faut que 1'indication vienne de. vous ; car vous envoyer d'ici dés plantes fecb.es, feroit ne rien faire.. Tour bien reconnoitre une plante, il faiircommencer par la voir'fur pied. Les Herbiers fervent de mémoratifs pour celles qu'on a déja connues; mais ils font mal connoitre celles qu'on n'a pasvues auparavant. C'eft donc a vous de m'en-oyer des plantes que vous voudrez connoitre & que vous aurez cueillies fur pied; & c'eft a moi de wus les nommer, de les claffer, de les décrirey-  jyiE Lettres é "l em 2 n t a i r e f jufqu'a ce que par des idéés coffiparatives, devenues familieres a vos yeux & a votre efprit, vous-. parveniez a claffer , ranger & nommer vous-même. celles que vous verrez pour la première fois fcience qui feule diftingue le vrai Botanifte de 1'Herborifte ou Nomenclateur. II s'agit donc icL d'apprendre a préparer ,- deffécher & conferver les plantes ou échantillons de plantes, de maniere a les rendre faciles a reconnoitre & a déterminer,. C'eft, en un mot, un Herbier que je vous propofe de commencer. Voici une grande occupation qui de loln fe prépare pour notre petite Amatrice :. quant a préfent & pour quelque tems encore, il faudra que 1'adreffe de vos doigts fupplée a la foibleffe des fiens.- 11 y a d'abord une provifion a faire ; favoir, cinq ou fix mains de papier gris , & a peu prèsr autant de papier blanc, de même grandeur, affez: fort & bien collé, fans quoi les plantes fe pourriroient dans Ie papier gris , ou du moins les.fleurs y perdroient leur couleur, ce qui eft une. des parties qui les rendent reconnoiffables & par lefquelles un Herbier eft agréable a voin II feroit" encore a deiirer que vous euffiez une preffe de lagrandeur de votre papier , ou du moins deux bouts de planches bien unies, de maniere qu'en p'acant vos feuilles entre deux , vous les y puif-fiez tenir preffées par les pierres ou, autres corps pefans dont vous chargerez la planche fupérieure.ges préparatifs- &its, voici ce qu'il faut obferver  S UR LA BoTANIQrXE.' 377 pont préparer vos plantes de maniere a les conferver & les' reconnoitre. Le moment a choifir pour cela eft celui oü la plante eft en pleine fleur, & oü même quelques fleurs commencent a tomber pour faire place au fruit qui commence a paroitre. C'eft dans ce point oü toutes les parties de la fruftiflcation font fenfibles , qu'il faut tacher de prendre la plante pour la deftecher dans cet état. Les petites plantes fe prennent toutes entieres avec leurs racines qu'on a foin de bien nettoyer avec une broffe, afin qu'il u'y refte point de terre.. Si la terre eft mouiüée on la laiffe fécher pour ia broifer, ou bien on lave la racine; mais il faut avoir alors la plus grande attention de la bien effuyer & deiSkher avant de la mettre entre les papiers, fans quoi elle s'y pourriroit infailliblement & communiqueroit fa pourriture aux autres plantes voifines. Il ne faut cependnnt s'obftiner a conferver les racines qu'autant qu'elles ont quelques fingularités re'.'-iarqusi.les ; car dans le plus.grand nombre, les racines ramifiées & fibreufes ont des formes fi femblables, que ce n'eft pas Ia peine de les conferver. La nature qui a tant fait. pour 1'éléganee & l'ornement dans la figure & la couleur des plantes en ce qui frappe les yeux, a. deftiné les racines uniquement aux fonftions utiks , puifqu'étant cachées dans la terre , leur donner une ftruéture agréable, eüt été cacher la lumiere fous le boifteau..  2j8 Lettres élém ent a i res Les aubres ct toutes les grandes plantes ne fe; prennent que par échantillon. Mais il faut que' cet échantillon foit fi bien ehoifi , qu'il contienne toutes les parties conftitutives du genre & de Tefpece, .afin qu'il puiffe fuffire pour reconnoitre & déterminer la plante qui Ta fourni. II ne fuffit pas. que toutes les parties de la fructification y foient fenfibles , ce qui ne ferviroit qu'a diftinguer le genie; il faut qu'on y voye bien le caraétere dela foliation & de Ia ramification ; c'eft-a-dire , la naiflance & Ia forme des feuilles & des branches, & même autant qu'il fe peut, quelque portion deI-a tige; car, comme vous verrez dans la fuiter tout cela fert a diftinguer les efpeces différentes' des mêmes genres qui font parfaitement femblables par la fleur & le fruit. Si les branches fout tropépaiflës, on les amincit avecun couteau ou canif,, en diminuant adroitement par-defiöus de leur épaifleur, autant que cela fe peut, fans couper &. mutilër les feuilles. 11 y a des Botaniftes qui ont la patience de fenüre Técorce de la branche &. d'en tirer adroitement le bois , de facon que Técorce rejointe paroit vous montrer encore la branche entiere , quoique le bois n'y foit plus. Au moyen de quoi l'on n'a point entre les papiersdes épaifleurs & bolles trop confidérables , qui gatent. défigurent THerbier, & font prendre une mauvaife forme aux plantes. Dansles plantes oü les fleurs & les feuilles-ne viennent pas en même tems , ou naiffent trop loin les unes des autres „  sur la Botanique. 379 ©n prend une petite branche a fleurs & une petite branche a feuilles; & les placant enfcmble dans le mêmepapier, on offre ainfi a 1'ceil lés diverfes parties de la même plante, fuffifantes pour la faire reconnoitre. Quant aux plantes oü l'on ne trouve que des feuilles, & dont la fleur n'eft pas encore venue ou eft déja pafTée, il les faut laiffer, & attendre, pour les reconnoitre , qu'ellesmontrent leur vifage. Une plante n'eft pas- plus fürement rcconnoiflable a fon feuillage , qu'un homme a fon habit. Tel eft le choix qu'il fuit mettre dans ce qu'on cueille : il en faut mettre auffi dans- le moment qu'on prend pour cela. Les plantes cueillies le matin a la rofée, ou le foir a 1'humidité, ou te jour durant la pluie, ne fe confervent point. Il faut abfolument choifir un tems fee , & même. dans ce tems-la, le moment le plus fee & le plus chaud de la jonrnée , qui eft en été entre onzeheitrés du matin & cinq ou fix heures du foiï.. Encore alors, fi Ton y trouve la moindre humidité, faut-il ks laiTer; car infailliblement elle* ne fe conferveiont pas. Quand vous avez cueüli vos échantillons, vous les apportez au logis toujours bien au fee, pour les placer & arranger dans vos papiers. Pour cela vous faites votre premier lit de deux. feuilles au moins de papier gris, fur lefquelksvous placez une feuille de papier blanc, & fur sctte feuille vous arrangez votre plante, prenant.  3'So' Lettres é l é m ent a ir es grand foin que toutes fes parties , furtout les-' feuilles & les fleurs, foient bien ouvertes & bien' étendues dans leur fituation naturelle. La plante' un peu flétrie , mais fans 1'êtrc trop, fe prête mieux pour 1'ordinaire, a Tarrangement qu'on lui donne fur le papier avec le pouce & les doigts. Mais il y en a de rebelles qui fe grippent d'un cóté , pendant qu'on les arrange de 1'autre. Pour' prévenir cet ïnconvénient , j'ai des plombs, de gros fous , des Hards , avec lefquels j'aflujettis les parties q.ue_Je viens d'arranger , tandis que j'arrange les autres de facon que quand j'ai fini, ma plante fe trouve prefque toute couverte de ces pieces, qui la tiennent en état. Après cela on pofe une feconde feuille blanche fur la première, & on la prefle avec la main , afin de tenir ia plante aflujettie dans la fituation qu'on lui a donnée, avancant ainfi la main gauche qui prefle a inefure qu'on retire avec la droite les plombs & fes gros fous qui font entre les papiers; on met enfuite deux autres feuilles de papier gris fur la ficonde feuille blanche, fans ctflër un feul moment de tenir la plante aflujettie, de peur qu'ellene perde la fituation qu'on lui a donnée; fur ce papier gris on met une autre feuille blanche; fur' cette feuille une plante qu'on arrange & recouvre' conime ci-devant , jufqu'a ce qu'on ait placé toute la moifibn qu'on a apportée, & qui ne doit pas être nombreufe pour chaque fois; tant pour éviter la- longueur du travail, que de peur que durant la;  sur la Botanique. 3S1 ieffication des plantes, le papier ne contracte quelque humidké par leur grand nombre; ce qui gateroit infailliblement vos plantes , fi vous ne vous hatiez de les changer de pspier avec les mêmes attentions ; & c'eft même ce qu'il faut faire de tems en tems , jufqu'a ce qu'elles aient bien pris leur pli & qu'elles foient toutes affez feches. Votre pile de plantes & de pppiers ainfi arraugée , doit être mife en prefle, fans quoi les plantes fe gripperoient; il y en a qui veulent être plus prelfées, d'autres moins; 1'espéri.ence vous apprendra cela, ainfi qu'a les changer de papier a propos, & aufli fouvent qu'il faut, fans vous donner un travail inutile. Enfin quand vos plantes feront bien feches , vous les mettrez bien proprement chacune dans une feuille de papier, les unes fur les autres , fans avoir befoin de p»piers jntermédiaires , & vous aurez ainfi un Herbier eommencé , qui s'augmentera fans ceffe avec vos connoiflances , & contiendra enfin 1'hiftoire de toute Ia végétation du pnys : au refte , il faut toujours tenir un Herbier bien ferré, & un peu en prefle; fans quoi les plantes, queiqtie feches qu'elles fufiënt, attireroient 1'humidité de 1'air & fe gripperoient encore. Voici maintenant 1'ufage de tout ce travail pour parvenir a la connoiffance particuliere des plantes , & a nous bien entendre loifque nous en parions.  a32 Lettres élé m ent a i r es ll faut cueillir deux échantillons de chaque plante; l'un plus grand pour le garder, 1'autre plus petit pour me 1'envoyer. Vous les numéroterez avec foin, de fa con que le grand & le petit échan■tillons de chaque efpece aient toujours le même numéro. Quand vous aurez une douzaine ou deux d'efpeces ainfi defiechées, vous me les enverrez dans un petit cahier par quelque occafion. Je vous enverrai le nom & la defcripcion des mêmes plantes ; par le moyen des nuniérös, vous les reconnoitrez dans votre Herbier, & de'-la fur la terre, oir je fuppofe que vous aurez commencé de les bien examiner. Voila un moyen fur de faire des progrès auffi fürs & auffi rap'.des qu'il eft poffible loin de votre guide. N. B. J'ai oublié de vous dire que les mêmes papiers peuvent fervir plufieürs fois, pourvu qu'on ait' foin de les bien aérer & déifécher auparavant. Je dois ajouter ouffi que 1'Herbier doit être tem dans le lieu le plus fee de la maifon, & pïutót au premier qu'au raz - de - chaufiee. DEUX LETTRES A M. D E M*** Première Lettre. Sur lefomat des Herbiers fur la Synonymie. Si j'ai tardé fi longtems, Moiifieur, a répondrc  sur la Botanique. 3S3 ten détail a la Lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire le 3 Janvier, c'a été d'abord dans 1'idée du voyage dont vous 111'aviez prévenu, & auquel je n'ai appris que dans la fuite que vous aviez renoncé; & enfuite par mon travail journalier qui m'efb venu tout d'un coup en fi grande abondance, que pour ne rebuter perfonne, j'ai éi£ forcé de m'y livrer tout entier, ce qui a fait a la Botanique une diverfion de plufieürs mois. Mais enfin •voila la faifon revenue, & je me prépare a recommenccr mes courfes champêtres, devenues par une longue habitude, néceffaires a mon humeur & a ma fanté. En. parcourant ce qui me reftoit en plantes feches, je n'ai gueres trouvé , hors de mon Herbier, auquel je ne veux pas toucher, que quelques doublés de ce que vous avez déja recu, & cela ne valant pas la peine d'être raflemblé pour un premier envoi, je trouverois convenablo de me faire durant cet été de bonnes fournitures, de 'les préparer, coüer & ranger durant 1'hiver, après quoi je pourrai continuer de même d'année en année, jufqu'a ce que j'eufTe épuifé tout ce que je pourrois fournir. Si cet arrangement vous convient, Morifieur, je m'y conformerai avec exaétitude, & dès a préfetjt je commencerai mes collections. 'Je defirerois feulement favoir quelle forme vous préférez. Mon idéé feroit de faire le fond de chaque Herbier fur du papier a lettre, tel que ceiui-ci; c'eft ainfi que j'en ai commencé un  3^4 Lettres élémentaires pour rnon ufage, & je fens chaque jour mieux que la commodité de ce format compsnfe amplement I'avantage qu'ont de plus les grands Herbiers. Le papier fur lequel font les plantes que je vous ai ■envoyées vaudroit encore mieux, mais je ne puis retrouver du même, & 1'impót fur les papiers a tellement dénatu;é leur fabrication, que je n'en puis trouver, pour noter, qui ne perce pas. J'ai le projfct auffi d'jne forme de petits Herbiers a mettre dans la poche pour les plantes en miniature, qui ne font pas les moins curieufes, & je n'y ferois entrer néanmoins que des plantes qui pourroier.t y tenir entieres, racines & tout; entre autres, la plupart des Mouffes, les Glaux , Peplis, Mortia, Sagina, Paffe-pierre, &c. II me femble que ces Herbiers mignons pourroient devenir charmans & précieux en même tems. Enfin il y a des plantes d'une certaine grandeur qui ne peuvent conferver leur port dans un petit efpace, & des échantillons fi parfaits que ce feroit dommage de les mutiler. Je deftine k ces belles plantes du papier grand & fort, & j'en ai déja quelques - unes qui font un fort bel'effet dans cette forme. U y a longtems que j'éprouve les difficultés de la nomenclature, & j'ai fouvent été tenté d'abandonncr tout-a-fait cette partie. Mais il faudroit en même tems renoncer aux livres & a profiter des obfervations d'autrui, & il me femble qu'un des plus grands charmes de Ia Bptanique eft, après  sur la Botanique. §8S après celui de voir par foi-même , celui de vérifier ce qu'ont vu les autres • donner fur le témoignage de mes propres yeux mon affentiment aux obfervations fines & juftes d'un auteur, me paroit une véritable jouiffance; au lieu que quand je ne trouve pas ce qu'il dit, je fuis toujours en inqutétude fi ce n'eft point moi qui vois mal. D'ailleurs, ne pouvant voir par moi-même que fi peu de chofe, il faut bien fur le refte me fier a ce que d'autres ont vu, & leurs différentes nomenclatures me forcent poür cela de percer de mon mieux le cahos de la fynonymie. II a fallü, pour ne pas m'y perdre , tout rapporter a une nomenclature particuliere, & j'ai choifi Celle de Linnajus, tant par la préférence que j'ai donnée a fon fyftême, que paree que fes noms compofés feulement de deux mots, me délivrent des longues phrafes des autres. Pour y rapporter fans peine celles de Tournefort, il me faut trés - fouvent recourir a 1'auteur commun que tous deux citent affez conftamment, favoir Gafpard Bauhin. C'eft dans fon Pinax que je cherche leur concordance. Car Linnams me paroit faire une chofe convenable & jufte, quand Tournefort n'a fait que prendre la phrafe de Bauhin, de citer 1'auteur original & non pas celui qui i'a tranferit , comme on fait trés - injuftement en France. De forte que, quoique prefque toute Ia nomenclature de Tournefort foit tirée mot amot du Pinax, on croiroit, a lire les Botaniftes Francois, qu'il n'a jamais SuppUm. Tom. V. R  385 Lettres éléme ktauss exifté ni Bauhin ni Pinax au monde, & pour comble ils font encore un crime a Linnams de n'avoir pas imité leur partialité. A 1'égard des plantes dont Tournefort n'a pas tiré les noms du Pinax, on en trouve aifément la concordance dans les auteurs Francois Linnaiftes, tels que Sauvage, Gouan, Gérard, Guettard & d'Alibard, qui 1'a prefque toujours fuivi. J'ai fait cet hiver une feule herborifation dans le bois de Boulogne, & j'en ai rapporti quelques Mouffes. Mais il ne faut pas s'attendre qu'on puiffe compléter tous les genres, même pas une efpece unique. II y ena de bien difficiles a mettre dans un Heibier, & il y en a de fi rares qu'ils n'ont jamais paffe & vraifemblablement ne pafferont jamais fous mes yeux. Je crois que dans cette familie & dans celle -des Algues, il faut fe tenir aux genres dont on rencontre affez fouvent des efpeces, pour avoir le plaifir de s'y reconnoitre, & négliger ceux dont la vue ne nous reprochera jamais notre ignorance, ou dont la figure extraordinaire nous fera faire effort pour la vaincre. J'ai la vue fort courte, mes yeux deviennent mauvais, & je ne puis plus efpérer de recueillir que ce qui fe préfentera fortuitement dans les lieux a peu prés oü je faurai qu'elt ce que je cherche. A 1'égard de la maniere de chercher, j'ai fuivi M. de Juffieu dans fa derniere herborifation, & je la trouvai fi tumultueufe & fi peu utile pour moi , que quand il en auroic encore fait, j'aurois renonce*  SUR LA BOTAHIQHÏ, 387 a 1'y fuivre. J'ai accompagné fon neveu 1'année derniere, moi vingtieme, a Montmorenci, ci j'en ai rapporté quelques jolies plantes , entr'autres la Lyiimachia Tenella , que je crois vous avoir envoyée. Mais j'ai trouvé dans cette herborifation que les indications de Tournefort & de Vaillant font très-fautives, ou que depuis eux bien des plantes ont changé de fol. J'ai cherché entr'autres & j'ai engagé tout le monde a chercher avec foin le Plantago Monanthos a la queue de 1'Etang da Montmorenci & dans tous les endroits oii Tournefort & Vaillant 1'indiquent, & nous n'en avons pu trouver un f-ul pied; en revanche j'ai trouvé plufieürs plantes de remarque & même tout prés de Paris, dans des lieux oü elles ne font point indiquées. En général,j'ai toujours été malheureux en cherchant d'après les autres. Je trouve encore mieux mon compte a chercher de mon chef. J'oubliois, Monfieur, de vous parler de vos livres. Je n'ai fait encore qu'y jetter les yeux, & comme ils ne font pas de taille a porter dans la poche, & que je ne lis gueres 1'été dans Ia chambre, je tarderai peut-être jufqu'a la fin de 1'hiver prochain a vous rendre ceux dont vous n'aurez pas a faire avant ce tems-la. J'ai com. mencé de lire VAnthologie de Pontedera; Sc j'y trouve, contre le fyftême fexuel, des objeélions qui me paroiflent bien fortes Sc dont je ne fais pas comment Linnajus s'eft tiré. Je fuis fouvent tenté d'écrire dans cet auteur & dans les autres, ft 2  m 388 Lettres élémentaire* les noms de Linnssus a cóté des leursjjour me reconnoitre. J'ai déja même cédé k cette tentation pour quelques - unes, n'imaginant a cela rien que d'avantageux pour I'exemplaire. Je fens pourtant que c'eft une liberté que je n'aurois pas pü prendre fans votre agrément, & je 1'attendrai pour continuer. ' Je vous dois des remerclmens , Monfieur , pour 1'emplacement que vous avez la bonté de m'offrir pour la deflication des plantes: mais quoique ce foit un avantage dont je fens bien Ia privation, la néceflité de les vifiter fouvent, & 1'éloignement des lieux qui me feroit confumer beaucoup de tems en courfes, m'empêchent de me prévaloir de cette offre. La fantaifie m'a pris de faire une colleftion de fruits & de graines de toute efpece, qui devroient avec un Herbier faire Ia troifieme partie d'un cabinet d'Hiftoire Naturelle. Quoique j'aie encore acquis trés-peu de chofe, & que je ne puiffe efpérer de rien acqtiérir que trés - lentement & par hazard , je fens déja pour cet objet le défaut de place, mais le plaifir de parcourir & vifiter inceffamment ma petite colleftion peut feul mepayer la peine de ia faire, & fi je la tenois loin de mes yeux, jé cefferois d'en jouir. Si par hazard vos gardes & jardiniers trouvoient quelquefois fous leurs pas des faines de Hêtres, des fruits d'Aunes, d'Erables, de Bouleau, & généralement de tous les fraits fecs des arbres des forêts ou d'au-  5 ü r la BoTAKiqUE. 339 tres, qu'ils en ramalTafient en paffant quelques-uns dans leurs poches , & que vous vouluffiez bien m'en faire parvenir quelques échantillons par occafion, j'aurois un doublé plaifir d'en orner ma colleftion naiffante, Excepté 1'hiftoire des Mouffes par Dilleniusy j'ai a moi les autres livres de Botanique dont vous m'envoyez la note. Mais quand je n'en aurois aucun , je me garderois affürement de confentir a vous priver, pour mon agrément, du moindre des amufemens qui font a votre portée. Je vous prie, Monfieur, d'agréer mon refpeft. Seconde Lettre. Sur les MouJJeSr A Paris, le 19 Décembre 1771. "Voici , Monfieur , quelques échantillons de Mouffes que j'ai raffemblées a la hê.te, pour vous mettre a portée au moins de diftinguer les principaux genres avant que la faifon de les obferver foit paffée. C'eft une étude a laquelle j'employaii délicieufement 1'hiver que j'ai pafte a Wooton oü je me trouvois environné de montagnes, de' bois & de rochers tapiffés de Capillaires & de Mouffes des plus curieufes, Mais depuis lors j'at fi bien perdu cette familie de vue, que ma mëmoire éteinte ne me fournit prefque plus rien de ce que j'avois acquis en ce genre; & n'ayant pointK 3  390 Lettres élémemtaires Pouvrage de Dillenius, guide indifpenfable dans ces recherches, je ne fuis parvenu qu'avec beaucoup d'efFort & fouvent avec doute a déterminer les efpeces que je vous envoie. Plus je m'opiniatre a vaincre les difficultés par moi -même & fans le fecours de perfonne, plus je me confirme dans 1'opinion que la Botanique, tellequ'on Ia cultive, eft une fcience qui ne s'acquiert que'par tradition; on montre la plante, on la nomme; fa figure & fon nom fe gravent enfemble dans la mémolre. II y a peu de peine a retenir ainfi la nomenclature d'un grand nombre de plantes; mais quand on fe croit pour cela Botanifte, on fe trompe, on n'eft qu'Herborifte, & quand il s'agit de déterminer par foi-même & fans guide les plantes qu'on n'a jamais vues, c'eft alors qu'on fe trouve arrêté tout court & qu'on eft au bout de fa doctrine. Je fuis refté plus ignorant encore en prenant la route contraire. Toujours feul & fans autre maitre quela nature, j'ai mis des efforts incroyables a de irès-foibles progrès. Je fuis parvenu a pouvoir en bien travaillant déterminer a peu prés les genres; mais pour les efpeces, dont les différences font fouvent trés - peu marquées par Ia nature, & plus mal énoncées par les auteurs, je n'ai pu parvenir a en diftinguer avec certitude qu'un trèspetit nombre, furtout dans la familie des Mouffes, & furtout dans les genres difficiles, tels que les Hypnum, les Jungtrmannia, les Lichens. Je crois pourtant être fur de celles que je vous  sur la Botanique. $91 cnvoie, une ou deux prèaque j'ai défignées par un point interrogeant, afin que vous puifiiez vérifier dans Vaillant & dans DiUenius, fi je me fuis trompé ou non. Quoi qu'il en foit, je crois qu'il faut commencer a connoitre empyriquement un certain nombre d'efpeces pour parvenir a déterminer les autres, & je crois que celles que je vous envoie peuvent fuffire, en les étudiant bien, a vous familiarifer avec la familie, & a diftinguer au moins les genres au premier coup - d'ceil par le facies propre a chacun d'eux. Mais il y a une autre difficulté; c'eft que les Mouffes ainft difpofées par brins n'ont point fur le papier le même coup - d'ceil qu'elles ont fur la terre raffemblées par touffes ou gazons ferrés. Ainfi l'on herborife inutilement dans un Herbier & furtout dans un Mouffier, fi l'on n'a commencé par herborifer fur la terre. Ces fortes de recueils doivent fervir feulement de mémoratifs-, mais non pas d'inftruc tion première. Je doute cependant, Monfieur, que vous trouviez aifément le tems & la patience do vous appefantir a 1'examende chaque touffe d'herbe? ou de moutte que vous trouverez en votre chemin.. Mais voici le moyen qu'il me femble que vous pourriez prendre pour analyfer avec fuccès toute» les productior-s végétales de vos environs, fan» vous ennuyer a des détails minutieux r inftrppor tables pour les efprits accoutumés a généralife? les idéés & a regarder toujours les objets en grand. 11 faudroit ir.fpirer a quelqu'un de voï R 4  392 Lettres élémentair es laquais, garde ou garcon jardinier, un peu dégout pour I'étude des plantes, & le mener a votre fuite dans vos promenades, lui faire cueillir lesplantes que vous ne connoitriez pas, particuliérement les mouffes & les graminées, deux familiesdifficiles & nombreufes. II faudroit qu'il tachat de les prendre dans I'état de floraifon, oü leurs; caracteres déterminans font les plus marqués. En • prenant deux exemplaires de chacun, il en mettroit^ un a part pour me 1'envoyer, fous le même numéro que le femblable qui vous refteioit, & fur lequel vous feriez mettre enfuite le nom de ia plante , quand je vous 1'aurois envoyée. Vous vous éviteriez ainii Ie travail de cette détcimination, & ce travail ne feroit qu'un plaifir pour moi «jui en ai 1'habitude & qui m'y livre avec paffion. II me femble, Monfieur, que. de cette maniere vous auriez fait en peu de tems le relevé des produclions végétales de vos terres & des environs, & que vous livrant fans fatigue au plaifir d'obferver, vous pourriez encore, au moyen d'une nomenclature affurée, avoir celui de comparer vos obfervations avec celles des auteurs. Je ne me fais pourtant pas fort de tout déterminer. Mais la longue habitude de fureter des campagnes m'a rendu famiiieres Ia plupart des plantes indigenes. 11 n'y a qtie les jardins & produftions exotiques oü je me trouve en pays perdu. Enfin ce que je n'aurai pu déterminer fera peur vous, Monfieur, un objet de. recherche. & de curiofité, qui rendra vqs  s u.r l-a B 0 t a v 1 q-w e. 393" tos amüfemens plus piquans. Si cet arrangement vous plait, je fuis- a vos ordres, & vous pouvc?être fur de me procurer un amufement trés-intéi reffant pour moi. J'attends la Note que vous m'avez. promifév pour travailler a la remplir autant qu'il dépendra' de moi. L'occupation de travailler a des Herbiers remplira trés - agréablement mes beaux jours; d'été. Cependant je ne prévois pas d'être jamais; bien riche en plantes étrangeres, &, felon moi, le plus grand agrément de la Botanique eft dè pouvoir étudier & connoitre la nature autour de foi, plutót qu'aux Indes. J.'ai été pourtant afféz heureux pour pouvoir inférer dans le petit.recueil que j'ai eu 1'honneur de vous envoyer-, quelquesplantes curieufés, & entr'autres le vrai papier , qui jufqu'ici n'étoit point connu en France, pa's même de M. de Juffieu. 11 eft vrai que je n'ai pu vous envoyer'qu'un brin bien miférable, ma'sc'en eft affez pour diftinguer ce rare & précleux: fóuchet. Voila bien du bavardage ; mais la Botanique m'entraine, & j'ai le plaifir d'en parler avec vous: accordez - moi, Monfieur , un peu i d'indulgence. Je ne vous en-voie que de vieiiles Mouffes; j'en ai vainement cherché dè nouvelles dans Iacampagne. II n'y en aura gueres qu'au mois deFévrïer, paree que. 1'automne a été trop lec. Encore faudra-t-il les chercher au loin'. On n'en trouve gueres autour de Paris que les mêmes répétées? R i  R É P O N S- E a une Lettre anonyme , dom le contenu ƒ# trouve en caraftere italique dans cette Réponfe* Je fuis fènfibl'e aux attentions dont m'honorent ces Meflieurs que je ne connois point; mais fa faut que je réponde a ma manierecar je n'en ai qu'une. Des Gens de hi qui eftiment ,. &c. M. Rouffeau, ont été furpris £? affiigés de fon opinion dans, fa Lettre a- M. d'' Alembert fur le Tribunal des Marêchaux de France. J'ai cru dire des vérités utiles. II eft trifte que de telles vérités furprenntnt, plus trifte qu'elles affligent & bien plus trifte encore qu'elles affligent des gens de loi- Un Citoyen auffi éclairé que M. Ruuffeau. Je ne fuis point un citoyen éclairé, mais feulement un citoyen zélé; N'igr.are pas qu'on ne peut jufiement dévoiler auxyeux de la Nation les fautes de la Légiflution. Je 1'ignorois : je 1'apprends , mais qu'on me permette a mon tour une petite queftion. Bodin, Loifel , Fénelon , Boulainvilliers, 1'Abbé de St.~ Pierre , le Préfident de Montefquieu.,. le Marquis de Mirabeau, 1'Abbé de Mably, tous bons Francois LX gens éclairés, ont-ilsignoré qu'on ne peut juftement dévoiler aux yeux. de la Nation les fautes de la Légiflation ? On a tort d'exiger qu'un Étranger foit plus favant.  RÉPONUE | UNE L-LTTEE ANONYME» qu'eux fur ce qui eft jufte ou injufte dans leur pays. On ne peiit juflemsnt dévoiler aux yeux de la Nation les fautes de la Légijlation. Cette maxime peut avoir une application par-, ticuliere & circonfcrite , felon les lieux & les perfonnes. Voici Ia première fois, peut-êtrer qua, la juftice eft oppofée a la vérité. On ne peut jujlement dévoiler aux yetiX' de let Nation les fautes de la Légijlation. Si quelqu'un de nos Citoyens m'ofoit tenir nr> pareil difcours a Geneve, je le pourfuivrois criminellement, comme traitre a la patrie. On ne peut jujlement dévoiler aux yeux de la Nation les fautes de la Légijlation. II y a dans 1'application de cette maxime quelque chofe que je n'entends point. J. J. Rouffeau, Citoyen de Geneve, imprime un livre en Hollande , & voila qu'on lui dit en France qu'on nc peut juftement dévoiler aux yeux de la Nation les défauts de la Légiflation !. Ceci me paroit bizarre. Mefliëurs , je n'ai point 1'honneur d'être votre Compatriote; ce n'eft point pour vous que j'écris; je n'imprime point dans- votre pays ; je ne me foucie point que mon livre y vienne; fi vous me lifez, ce n'eft pas ma faute. On ne peut jujlement dévoiler aux yeux de la fflation les fautes de ia Légijlation. Quoi donc! fitót qu'on aura fait une mauvaife inüitution dans quelque coin du moade, a i'in R § i  395 r é r o n s a ftant il faudra que tout I'univers ia refpecte en filence ? II ne fera plus permis è perfonne dedire aux' autres- peuples qu'ils, feroient mal de 1'imiter? Voila des prétentions affez nouvelles& un fort fingulier droit des gens. Les PMlofopkes font faits pur éclairer le Miniflere, le détromper de fes erreurs £f refpetier fes fautes, Je ne fais pourquoi font faits les Philofophes, fli ne me foucie de le favoir. Pour éclairer le Miniftere. J'ignore fi l'on peut éclairer le Miniftere. Le-détromper de fes erreurs. ' J'ignore fi l'on peut détromper Je Miniftere, de fes erreurs. Et refpetler fes fautes. J'ignore fi l'on peut refpefter les fautes du Miniftere. Je ne fais-rien de ce qui regarde le-Miniftere; paree que ce mot n'eft pas connu dans mon pays& qu'il peut avoir des fens que je n'entends pas. De plus, M< Roujfeau ne nous par ou pas raifon-tier en pditique. Ce mot fonne trop haut pour moi. Jé tache de raifonner en bon Citoyen de Geneve". Voila. tout. LorfqWil admet dans un Etat me autorité fupê~ rieure è 1'autoritéfouveraine. J'en admets trois feulement. Premiérement, 1'autorité de Dieu , & puis celle de la loi natu, lelie qui déiive de la conftitution de 1'hoffimej  X une Lettre anonymi. 357^ & puis celle de I'honneur, plus forte fur. un cqsutjhonnête que tous les rois de la terre.. Ou du moins indépendante a'elle. Non pas. feulement indépendantes, mais fupérieures. Si jamais I'Autorité Souveraine (*) pou-. voit étre en conflit avec une des trois précédëntes , il faudroit que la première cédat en cela.. 'Le. blafphémateur Hobbes eft en horreur pour avoir foutenu le contraire. li ne fe rappelhit pas dans ce moment le fentiment de Grotius. Je ne faurois me rappeller ce que je n'ai jamais fu , & probablement je ne faurai jamais ce. que je ne me foucie point d'ap.prendre.. Adopté par les Encyclopédiftes. Le fentiment d'aucun des Encyclopédiftes n'eft une regie pour fes collegues. L'autoritd.communeeft celle de la raifon. Je n'en reconnois point d'autre. Les Encyclopédiftes, fes confrères.. Les amis de la vérité font tous mes confrères. • Le tems nous empêckê-. d'expofer plufieürs autres tbjeïïions. Le devoir m'empêcheroit peut-être de les réfoudre. Je fais 1'obéiffance & le refpecc que je (*) Nous pourriors bien ne pas r.cus entendie. les uns les autres fur le fens que nous donnons a ce mot, & comme il n'eft pas bon que nous nous entendions mieux s ncy* ferons bien de n'en pas difputer. B. 7.  3;q8 Képcnse te une Lettre anonymev dois dans- mes aélions & dans mes difcours aux loix & aux maximes du pays dans lequel j'ai le bonheur de vivre. Mais il ne s'enfuit pas de-la que je ne doive écrire aux Genevois que ce qui convient aux Pariiiens, Qui exigeroient une converfation. Je n'en dirai pas plus en converfation que par écrit, il n'y a que Dieu & le Confeil de Geneve a qui je doive compte de mes maximes. Qui priveroie M. Roujfeau d'un tems précieux pur lui £f peur le public,. 'Mon tems ed inutile au public & n'eft plus d'ün grand prix pour moi - même ,• mais j'en ai befoin pour gagner mon pain, c'eft pour cela queja cherche la folitude. A Motitmorency, le 15 Ociebre 1758»  JUGEMENT SUR LA paix perpétuelle; Le Frojet de la Paix perpétuelle étant par fonobjet le plus digne d'occuper un homme de bien,. fut auffi de tous ceux de 1'Abbé de St. Pierre celui qu'il médita le plus longtems & qu'il fuivit avecle plus d'opintatreté: car on a peine a nommer autrement ee zele de miffionnaire qui ne 1'abandonna jamais fur ce point, malgré 1'évidente impoffibilité du fuccès , Ie ridicule qu'il fe donnoit de jour en jour, & les dégoü's qu'il eut fans oeffe a effuyer. Il femble que cette ame faine, uniquement attentive au.bien public, mefuroit lesfoins qu'elle donnoit aux chofes, uniquement furie degré de leur utilité , fans jamais fe laiffer rebuter par les obftacles ni fonger a 1'intérêt perfonnel. Si jamais vérité morale fut démontrée, il mefemble que c'eft 1'utilité générale & particuliere de ce projet. Les avantages qui réfulteroient de fon exécution & pour chaque Prince & pour chaque Peuple & pour toute TEurope, font immenfes, clairs , inconteftables-,- on ne peut rien de plus folide & de plus exact que les raifonnemens par lefquels 1'auteur les établit: réalifez fa République Européenne durant un feul jour, c'en eft: «fjezpour la faire durer éternellement, tant cha-  400: ]' V C E M E IJ T S ü K cun trouveroit par 1'èxpérience fon profit partiralier dans le bien-commun. Cependant ces mêmes ■ Princes qui la défendroient de toutes leurs forces; li elle exiftbit , s'oppoferoient maintensnt' de même a fon exécution & 1'empêcheront infailliblement de s'établir comme ils ■ 1'empécberoient . de s'éteindre. Ainfi 1'ouvrage de 1'Abbé de St. Pierre fur la paix perpétuelle paroit d'abord inutile pour la produire & fuperflu pour la conferver ; c'eft donc une vaine fpéculation ,. dira quelque lecteur impatient; non, c'eft un-livre folide &fenfé, éi il eft.trés-important qu'il exifte. Commencons par examiner les diftkultés deceux qui ne jugent pas des raifons par. Ia raifon ,. mais feulement par 1'événement, & qui n'ont rien a objeéter contre ce Erojet, finon qu'il n'a pas.^ été exécuté. En effet, dtront-ils fans doute, fi fes avantages font il réels , pourquoi donc les Souverains de. 1'Eun-pe ne 1'ont-ils pas adopté?' Pourquoi négligent-ils leur propre intérêt, fi cet' intéïêt leur eft fi bien démontré ? Voit-on qu'iis rejettent d'ailleurs les moyens d'augmenter leu« revenus & leur puiiïance ? Si celui-ei étoit auflibon pour cela qu'on le prétend ,. eft - il croyable qu'ils en fuflentmoirs empreffés que de tous ceux. qui les égarent depuis fi Iongtems , & qu'ils; prcféraffent mille reflburces trompeules a un profit-évident?. Sans doute, cela eft croyablé ; a moins qu'on> ne fupppfe que leur fageffe eft égale a. leur ambi-  u Paix Perpkt uellE' 401 tion, & qu'ils voient d'autant mieux leurs avantages qu'ils les defirent plus fortement; au lieu que c'eft la grande punition des excès de 1'amourpropre de recourir toujours a des moyens qui 1'abufent ,. & que Tardeur même des paffions eft prefque toujours ce qui les détouine de leur buu Diftinguons donc en politique ainfi qu'en morale1'intérêt réel de 1'intérêt apparer-t; le premier fc trouveroit dans la paix perpétuelle, cela eft démontré dans le projet;. le fecond fe trouve dans I'état d'indépendance abfolue qui fouftrait les Souvtrains a 1'empire de la lei pour les foumettre è celui de la fortune. Semblables a un pilote infcnfé , qui, pour faire montre d'un vain favoir. & commander a fes matelots , aimeroit mieux flotter entre des rochers durant la tempête qua d'aftujettir fon vaifleau, par des ancres. Toute i'occupation des Rois, ou de ceux qu'ilschargent de leurs fonétions , fe rapporte a deux, ftuls objets, étendie. leur domination au-dehors & la rendre plus abfolue au-dedans ; toute autre. vue , ou fe rapporte a 1'une de ces deux, ou ne leur fert que de prétexte ; telles font celles du, bien public, du bonhew desfujeH, de la gloire de la nation, mots a jamais profcrits du cabinet & filourdement employés dans les édits publics, qu'ils, n'annoncent jamais que des ordres funeftes , &. que le peuple gémit d'avance quand fes maitres lui parient de leurs foins paternels. Qu'on juge. fur. ces deux maximes fondamenta.  402 J U G E M E N T SUR les, comment les Princes peuvent recevoir une propoiition qui choque directement l'une & qui n'eft gueres plus favorable a 1'autre; car on fent bien que par la Diete Européenne le gouvernement de chaque Etat n'eft pas moins fixé que par fes Iimites, qu'on ne peut garantir les Princes de la révolte des fuj'ets, fans garantir en même tems les fujetsde la tyrannie des Princes, & qu'autrement 1'inftitution ne fauroit fubfifter. Or, je demande 's'il y a dans le monde un feul Souverain qui, borné ainfi pour jamais dans fes projets les plus chéris, fupportat fans indignation la feule idéé de fe voir forcé d'être jufte, non-feulement avee les étrangers, mais même avec fes propres fujets. II eft facile encore de comprendre que d'un cóté la guerre & les conquêtes, & de 1'autre les progrès du defpotifme s'entr'aident mutuellement; qu'on prend a difcrétion dans un p;tiple d'efclaves, de 1'argent & des hommes pour en fubju' guer d'autres; que réciproquement la guerre fournit un prétexte aux exaftions pécunhires, & un autre non moins fpécieux d'avoir toujours degrandes armées pour tenir le peuple en refp^cr. Enfin chacun voit affez que les Princes conquérans font pour le moins autant la guerre a leurs ftijets qu'a leurs ennemis, & que Ia condition des vainqueurs n'eft p-s meilleure que celle des vaineus : y'ai battu les Romains, écrivoit Annibal aux Garthaginois , envoyez-moi des troupes : j'ai mis l'Itaüe & contrilutlon , envoyez-moi de 1'argeiJ,.  la Paix Perpétuelle. 4°3 Voila ce que fignifient les Te Deum, les feux de joie & TallégreiTe du peuple aux triomphes de fes maitres. Quant aux différends entre Prince & Prince t peut-on efpérer de foumettre a un Tribunal fupérieur des hommes qui s'ofent vanter de ne tenir leur pouvoir que de leur épée, & qui ne font mention de Dieu même qne paree qu'il eft au Ciel? Les Souverains fe fouinetrjcnt-i!s dans leursquerelles a des voies j'uridiques que toute la rigueur des loix n'a jamais pu forcer les particuliersd'admettre dans les leurs ? Un fimple gentilhomme offenfé, déda'gne de porter fes plaintes au Tribunal des Maréchaux de France , & vous voulez qu'un Roi porte les iiennei a la Diete Européenne? Encore y a-t-il cette différence.que l'un pêchecontre les loix & expofe doublement fa vie; au lieu que 1'autre n'expofe gueres que fes fujets; qu'il ufe, en prenant les armes, d'un droit avoué de tout le genre humain, & dont il prétend n'être eomptable qu'a Dieu feul. Un Prince qui met fa caufe au hafird de la guerre, n'ignore pas qu'il court des rifques; mais il en eft moins frappé que des avantages qu'il fe promet, paree qu'il craint bien moins Ia fortune qu'il n'efpere de fa propre fagefte : s'il eft puiifant, il compte fur fes forces; s'il eft foible, il comptefur fes alliances; quelquefois il lui eft utile audedans de purger de mauvaifes humeurs, d'affoiblir des fujets indociles, d'effuycr même des revers, &  4-04- JüGEMENT- SUK- le politique habile fait tirer avantage de fes pro* pres défaites. J'efpere qu'on fe fouviendra que ce n'eft pas moi qui raifonne ainfi, mais ie Sophiffe de Cour qui préfere un grand territoire & peu de fujets pauvres & foumis, a 1'empire inébranlable que donnent au Prince Ia juftice & les loix fur un peuple heureux & floriffant. C'eft encore par le même principe qu'il réfute en lui-même 1'argument tiré de la fufpenfion du commerce , de Ia dépopulation , du dérangement des finances & des pertes réelles que caufe une vaine conquête. C'eft un calcul trés - fautif que d'évaiuer toujours en argent les gains ou les pertes des Souverains; le degré de puiffance qu'ils ont en vue ne fe compte point par les millions qu'on poffede. Le Prince fait toujours circuler fes projets ; il veut commander pour s'enrichir & s'enrichir pour commander ; il facrifiera tour a tour l'un & 1'autre pour acquérir celui des deux qui lui manque, mais ce n'eft qu'afin de parvenir a les pofféder enfin tous les deux enfèmble qu'il les pourfuit féparément; car pour être Ie maitre deshommes & des chofes, il faut qu'il ait a Ia fois 1'empire & 1'argent. Ajoutons, enfin, fur les grands avantages qui doivent réfulter pour Ie commerce d'une paix générale & perpétuelle, qu'ils font bien en eux» mêmes certains & inconteftables , mais qu'étant eommuns a tous ils ne feront réels pour perfonne „ attendu que de tels avantag.es ne fe fentent que ga»-   454 polysynodie- de dédaigne d'entrer en concurrence avec eux dar* la même carrière, & le gouvernement de 1'Etat eft toujours pret a devenir la proie du rebut de fes citoyens. Aufli n'eft-ce point fous Ie Vifirat, mais fous la feule Polyfynodie, qu'on peut efpérer d'établir dans 1'adminiflration civile des grades honnêtes, qui ne fuppoft-nt pas la bafllfle, maisle mérite, & qui puiffent rapprocher la nobleflb des affaires dont on afleéte de 1'éloigner & qu'elle afiècle de méprifer a fon tour. De rétabliflèment des grades s'enfuit la nécesCté de faire circuler les départemens entre le» membres de chaque Confeil & même d'un Confeil a 1'autre , afin que chaque membre éclairé fucceffivement fur toutes les parties du gouvernement, devienne un jour capable d'opiner dans. le Confeil général & de participer a la grande admin iftration. Cette vue de faire circuler les départemens eft due au Régent qui 1'établit dans le Confeil des finances, & fi 1'autorité d'un homme qui connoisfoit fi bien les'reflbrts du gouvernement ne fuffit pas pour la faire adopter, on ne peut difconvenir au moins des avantages fenfibles qui naitroient de cette méthode. Sans doute, il peut y avoir des Chapitre VI. Circalation des Départemens.  l'Abbé de £>t. PiERitE. 425 •as oü cette circulatiou paroitroit peu utile ou difficile .a établir dans Ia .Polyfynodie ; mais elle n'y eft jamais impoftible , & jamais praticable dans le Vifirat, ni dans le demi - Vifirat: or il eft important, par beaucoup de très-fortcs raifons, d'établir une forme d'adminiftration oü cette circulation puiffe avoir lieu. i°. Premiérement, pour prévenir les malverfations des Conr.nis qui, changeant de bureaux avec leurs maitres, n'auront pas le tems de s'arranger pour leurs friponneries auffi commodément qu'ils le font aujourd'hui: ajoutez qu'étant, pour ainfi dire, a la difcrétion de leurs fucceffeurs, ils feront plus réfervés, en changeant de département, a laiffer les affaires de celui qu'ils quittent dans un état qui pourroit les perdre, fi par hafard leur fucceffeur fe trouvoit honnête homme ou leur ennemi. 20. Eo fecond lieu, pour obligcr les Confeillers mêmes i mieux veiller fur leur conduite ou fur celle de leurs Commis ; de peur d'être taxés de négligence & de pis encore, qqand leur geftion changera d'objet fans ceffe & chaque fois fera connus de leur fucceffeur. 3°. Pour exciter entre les membres d'un même corps une émulation louable a qui paflëra fon prédéceffeur dans le même travail. 40. Pour corriger par ces fréquens changemens les abus que les erreurs , les préjugés & les paffions de chaque fujet auront introduits dans fon adminiftration: car parmi tant de caracteres différens qni régiront  Al6 P O L 7 3 ï tl O O I E DE fuccefïïvement la même partie , leurs fautes fè-' corrigeront mutueliement, & tout ira plus conftjmment a 1'objet commun. j'\ Pour donner a chaque membre d'un Confeil des connoiffances plus nettes & p'us étendues des affaires & de leurs divers rapports; en forte qu'ayant manié les autres parties, il voye diftin&sment ce que la Cenne eft au tout, qu'il ne fe croye pas toujours le plus important perfonnage de 1'Etat, & ne nuife pas au bien général pour mieux faire celui de fon département. 6°. Pour que tous les avis foient mieux portés en connoiffance de caufe, que chacun entende toutes les matieres fur lefquelles il doitopiner, & qu'une plus grande uniformité de lumieres mette plus de concorde & de liaifon dans les délibérations communes. 7°. Pour exercer 1'efprit & les talens des Miniftres: car, portés a fe repofer & s'appéfantir fur un même travail, ils ne s'en font enfin qu'une routine qui reffeire & circonfcrit, pour ainfi dire,le génie par 1'habitude. Or, Pattention eft a 1'efprit ce que 1'exercice eft au corps; c'eft elle qui lui donne de la vigueur, de l'adreffe , & qui le rend propre a fupporter Ie travail: ainfi l'on peut dire que chaque Confeiller d'Etat , en revenant après quelques annécs de circulation a 1 exercice de fon premier département, s'en trouvera réellement plus capable que s'il n'en eüt point du tout changé. Je ne nie pas que s'il füt demeuré dans le même , il n'eüt aequis plus de facilité a expédier les affaires qui  l'Abbé de St. Piekste. 427 en dépendent; mais je dis qu'elles euffent été moins bien faites , paree qu'il eut eu des vues plus bornées, & qu'il n'eut pas acquis une connoiffance aufli exacte des rapports qu'ont ces affaires avec celles des autres départemens: de forte qu'il ne perd d'un cóté dans la circulation que pour gagner d'un autre beaucoup davantage.8°. Enfin, pour ménager plus d'égalité dans le pouvoir , plus d'indépendance entre les Confeillers d'Etat, & par conféquent plus de liberté dans les fuffrages. Autrement dans un Confeil nombreux en apparence , on n'auroit réellement que deux ou trois opinans auxquels tous les autres feroient aflujettis, a peu prés comme ceux qu'on appelloit autrefois i Rome Senatores pedarii, qui pour 1'ordinaire regardoient moins a 1'avis qu'a 1'auteur : inconvénient d'autant plus dangereux, que ce n'eft jamais en faveur du meilleur parti qu'on a befoin de gêner Jes voix. On pourroit poufler encore plus loin cette ctrculation des départemens, en 1'étendant jufqu'a la Préfidence même; car s'il étoit de 1'avantage de la République Romaine , que les Confuls redevinffent au bout de 1'an fimples Sénateurs en attendant un nouveau Confulat, pourquoi ne feroit-il pas de 1'avantage du Royaume, que les Préfidens redevinflent après deux ou trois ans fimples Confeillers , en attendant une nouvelle Préfidence ? Ne feroit - ce pas , pour ainfi dire , propofer un prix tous les trois ans a ceux de Ia Compagnie-  428 PiïLYSYNOHIJE de qui durant cet intervalle fe diftingueroient dans leur Corps? Ne feroit-ce-pas un nouveau reflbrt très-propre a entretenir dans une continuelle aétivité le mouvement de la machine publique; & le vrai fecret d'animer le travail commun n'eft-il pas d'y proportionner toujours le falaire? Chapitre VII. Autres avantages de cette circulation. Je n'entrerai point dans le détail des avantages de la circulation portée a ce dernier degré. Chacun doit voir que les déplacemens devenus néceffaires par la décrépitude ou raffoibliiTemsnt des Préfidens, fe feront ainfi fans dureté & fans effort; que les Ex-préfidens des Confeils particuliers auront encore un objet d'élévation , & les membres de ce Confeil celui d'y pouvoir prgfider a leur tour; que cette alternative de fubordination & d'autorité rendra 1'une & 1'autre en même tems plus parfaite & plus douce ; que cette circulation de la Préfidence eft le plus fur moyen d'empêcher la Polyfynodie de pouvoir dégénérer en Vifirat; & qu'en général la circulation répartiflant avec plus d'égalité les lumieres & le pouvoir du Miniftere entre plufieürs membres , 1'autorité royale domine plus aifément fur chacun d'eux: tout cela doit fouter aux yeux d'un lecteur intelligent; & s'il failoit tout dire, il ne faudroit rien abréger.  l'Abbé de St. Pierre. 4.20 Chapitre VIII. Oue la Polyfynodie ejl Vadminijlration en fous ordre la plus naturelle. Je m'arrête ici par la même raifori fur Ia forme de la Polyfynodie , après avoir établi les principes généraux fur lefquels on la doit ordonner pour la rendre utile & dürabïe. S'il s'y préfente d'abord quelque embarras , c'eft qu'il eft toujours difficile de maintenir longtems enfemble deux G uvernemens aufli différers dans leurs maximes que le monarchique & le républicain , quoiqu'au fond cette union produisit peut-être un tout parfait & le chef - d'cëuvre de la politique. Il faut dofte bien diftinguer la forme apparente qui regne partout, de la forme réelle dont il eft ici queftion : car on peut dire en un fens que la Polyfynodie eft la première & la plus naturelle de toutes les adminiftrations en fous-ordre, même dans la Monarchie. En effet, comme les premières loix nationales furent faites par la nation afl'emblée en corps, de même les premières déiibérations du Pünce furent faites avec les principaux de la nation aiïemblés en Confeil. Le Prince a des Confeillers avant que d'avoir des Vifirs; il trouve les uns & fait les , autres. L'orJre le plus élevé de 1'Etat en forme nature'Iement le fynode 011 confeil général. Quand Ie ï.Iouarque eft élo, il n'a qu'a préfider  430 POLrSYNODIE T) Z & tout eft fait: mais quand il faut choifir un Miniftre ou des Favoris , on commence a introduireune furme arbitraire, oüia brigue& 1'inclination naturelle ont bien plus de part que Ia raifon ni la voix du peuple. II n'eft pas moins fimple que dans autant d'affaires de différentes natures qu'en offre le Gouvernement, le Parlement national fe divife en divers comités toujours fous la préfidence du Roi, qui leur afïïgne a chacun les matieres fur lefquelles ils doivent délibérer; & voila les Confeils particuliers nés du Confeil général dont ils font les membres naturels, & Ja Synodie changée en Polyfynodie ;■ forme que je ne dis pas être, encetétat, la meilleure, mais bien la première & la plus naturelle. Chatitrb IX. Et la plus utile. v Considêrons maintenant la droite fin du Gouvernement & les obftacles qui Ten éloignent. Cette fin eft fans contredit le plus grand intérêt de 1'Etat & du Roi; ces obftacles font, outre Ie défaut de lumieres, I'intérét particulier des adminiftrateurs; d'oii il fuit que , plus ces intéréts particuliers trouvent de gêne & d'oppofition, moins ils balancent I'intérét public; de forte que s'ils pouvoient fe heurter & fe détruire mutueliement , quelque vifs qu'on les fuppofat, ils deviendroient nuls dans la délibération, & Pintere*  l'Abeé de St. Pierre. 43* public feroit feul écouté. Quel moyen plus fut sent-00 donc avoir d'anéantir tous ces intéréts particuliers que de les oppofer entr'eux par la multiplication des opinans. Ce qui fait les intéréts ' particuliers c'eft qu'ils ne s'accordent point, car s'ils s'aceordoient ce ne feroit plus un intérêt particulier, mais commun. Or, en détruifant tous ces intéréts l'un par 1'autre, refte I'intérét public qui doit gagner dans la délibération tout ce que perdent les intéréts paiticuliers. Quand *un Vifir opine fans témoins devant fon maitre, qu'eft-ce qui gêne alors fon intérêt perfonnel? A-t-il befoin de beaucoup d'adrefTe pour en impof r a un homme aufti borné que doivent 1'être ordinairement les Fvcis, circonfcrits par tout ce qui les environne d; ns un fi petit eerde de lumieres? fur des expofés faififiés, fur des prétextes fpécieux, fur des raifonnemens fophistiques, qui 1'empêche de déterminer le Prince avec ces grands mots d'honntur de la Counnne de bien di l'Etat aux entrepflfes les plus funeftes, quand elles lui font perfcnnellement avantageufes ? Certes, c'tft grand hafard fi deux intéréts particuliers aufli affifs que celui du Vifir & celui du Prince, laiffent quelque influence a 1'intérêt public dans .les délibérations du cabinet. Je' fais bien que les Confeillers de l'Etat feront des hommes comme les Vifirs, je ne doute pas qu'ils n'aient fouvent, ainfi qu'eux, des intéréts particuliers oppofés a ceux de la natio i &  432 PoLYSYNODIE D E qu'ils ne préféraflent volontiers les premiers aux autres en opinant. Mais dans une aflemblée dont tous les membres font ciairvoyans & n'ont pas les mêmes intéréts, chacun entreprendroit vainement d'amener les autres a co qui lui 'Convient excluiïvement : fans perfuader perfonne , il ne feroit que fe rendre fufpeci de corruption & d'infidélité. Il aura beau vouloir manquer a fon devoir, il n'ofera Ie tenter, ou le tentera vainement au milieu de tant d'obfervateurs. II fera donc dé néceflité vertu, en facrifiant publiquement 'fon intérêt ptrticuliei- au bien de la p-uiie, & foit réalité, foit hypocrifie, l'effèt fera le même en cette occafion pour le bien de la fociété. C'eft qu'a'.ors un intérêt particulier trés-fort, qui eft celui de fa réputation, concourt avec I'intérét public. Au lieu qu'un Vifir qui fait, a la faveur des ténebres du cabinet, dérober i tous les yeux le fecrt t de 1 E'at, fe flatte toujours qu'on ne pourra diftinguer ce qu'il fait en apparcnce pour I'intérét public de ce ou'il fait réellement pour le fien, & comme , apiès tout, ce Vifir ne déptnd que de fon maitre qu'il trompe aifément , il s'embarraife fort peu des murmures de tout le refte. D e ce premier avantage on en vtit découlerune foule d'autres qui ne peuvent avoir lieu fans lui. Pre- Chapitre X. Autres avantages.  il'Abbé de St. Pierre. 43? Premiérement, les réfolutions de l'Etat feront moins fouvent fondées fur des erreurs de fait, paree qu'il ne fera pas auffi aifé a ceux qui fero k le rapport des faits de les déguifer devant une .aiTemblée éclairée, oü fe trouveront prefque toujours d'autres témoins de 1'afFaire, que devant un Prince qui n'a rien vu que par les yeux de fon Vifir. Or, il eft certain que la plupart des réfolutions d'Etat dépendent de la connoiffance des faits, & l'on peut dire même en général qu'on ne prend gueres d'opinions faufles qu'en fuppof nt vrais des faits qui font faux, ou faux des faits qui font vrais. En fecond lieu , les impöts feront portés a un excès moins infupportable, lorfque le Prince pourra être éclairé fur la véritable fituation de fes Peuples & fur fes véritables befoins: mais ces lumieres, ne les trouvera-t-il pas plus aifément dans un Confeil dont plufieürs membres n'auront aucun maniement de finances, ni aucun ménagement a garder, que dans un Vifir qui veut fomenter les paffions de fon maitre, ménager les fripons en faveur, enrichir fes créatures & faire fa main pour lui - même. On voit encore que les femmes auront moins de pouvoir, & que par conféquent l'Etat en ira mieux. Car il eft plus aifé a une femme intrigante de placer un Vifir que cinquante Confeillers , & de féduire un homme que tout un college. On voit que les affaires ne feront plus fufpendues ou bouleverfées par le déplacement d'un Vifir; qu'elles feront plus exaétement Supplém. Tom. V. T  434 Pglysstkodijj d s cxpédiées quand, Hées par une commune délibé ration , I'exécution fera , cependant, pavtatóe entre-plufieürs ConfeUIerg, qui auront chacun leur departement , que lorfqu'il faut que tout forte d'un même Bureau; que ]es fyftêmes politiqueg feront mieux fuivis & les régiemens beaucoup mieux obfervés quand il n'y aura pius-de révolution dans le Miniftere , & que chaque Vifir ne fe fera plus un point d'honneur de détruire tous les etabliftemens utile. de celui qui Paura précédéde forte qu'on ferafür qu'un projet une fois formé ne fera plus abandonné , que lorfque 1'exécution en aura été reconnue impofiïble ou mauvaife, A toutes ces conféquences , ajoutez - en'deux non moins certaines, mais plus importantes encore, qui n'en font que Ie dernier réfultat & doivent leur donner un prix que rien ne balance aux yeux du vraicttoyen. La première, que dans un travail commun, le mérite, les talent, 1'intégrité fe feront plu's aifément connoitre & récompenfer • foit dans lus menbres des Confeils qui feront fans' ceffe fous les yeux les uns des autres & de tout l'Etat, foit dans Ie Royaume entier'oü nulles acctoDs reniarnuables, nuls hommes dignes d'être diftingués, ne peuvent fe dérober longtems aux regards d'unö" affemblée qui veut & peut tout voir & oü la jaloufie & 1'émulation des membres les porteront fouvent a fe faire des créatures qui effacent en mérite ceiies de leurs rivaux; la-feconde & derniere conféquence eft que les honneurs &  l'Abbé be St. Pierre. 435 les emplois diftribués avec plus d'équité & de raifon , I'intérét de l'Etat & du Prince mieux écouté dans les délibérations, les affaires mLiux expédiées & le mérite plus honoré doive.it néceffairement réveiller dans le cceur du Peuple cet amour de la Patrie qui eft le plus puiffmt reffort d'un fage gouvernement & qui ne s'éteint jamais chez les Citoyens que par la faute des Chefs (*). Tels font les effets néceffaires d'une forme de gouvernement qui force I'intérét particulier a céder a I'intérét général. La Polyfynodie offre encore d'autres avantages qui donnent un nouveau prix a ceux-la. Dss affemblées nombreufes & éclairées fourniront plus de lumieres fur les expédiens, & 1'expérience confirme que les délibérations d'un Sénat font en général plus fages & mieux digérées que celles d'un Vifir. Les Rois feront plus inftruits de leurs affaires ; ils ne fauroient aflïfter aux Confeils fans s'en inftruire, car c'eft-la qu'on ofe dire la vérité , & les membres de chaque Confeil auront le plus grand intérêt que Ie Prince y aiïïfte affidument pour en foutenir le pouvoir ou pour en autorifer les réfolutions. II y aura moins de vexations & d'injuftices de la part des plus forts, car un Confeil fera plus acceflible que le tróne aux opprimés; ils courront moins de rifque a y porter leurs plaintes, & ils y trouveront tou- (*) U y a plus de rufe & de fecret dans le Vifirat, mais il y a plus de lu.nieres & de droiture dans Ia Synodie. T 2  430" POLYSYNODIE DE jours dans quelques membres plus de protecïeurs contre les violences des autres, que fous le Vifirat contre un feul homme qui peut tout, ou contre un demi-Vifir d'accord avec fes collegues pour faire renvoyer è chacun d'eux Ie jugement des plaintes qu'on fait contre lui. L'Etat fouffrira moins de la minorité , de la foibleffe ou de Ia caducité du Prince. II n'y aura jamais de Miniftre affez puiffant pour fe rendre, s'il eft de grande naiffance , redoutable a fon maitre même , ou pour écarter & mécontenter les Grands s'il eft né de bas lieu; par conféquent, il y aura d'un cóté moins de Ievains de guerres civiles, & de 1'autre plus de füreté pour Ia confervation des droits de la Maifon Royale. II y aura moins auffi de guerres étrangeres, paree qu'il y aura moins de gens intéreffés a les fufciter & qu'ils auront moins de pouvoir pour en venïr a bout. Enfin le tróne en fera mieux affermi de toutes manieres; la volonté du Prince qui n'eft ou ne doit être que Ia volonté publique , mieux exécutée, & par conféquent Ia nation plus heureufe. Au refte , mon auteur convient lui-méme que 1'exécution de fon plan ne feroit pas également avantagcufe en tous tems, & qu'il y a des momens de crife & de trouble oü il faut fubftituer aux Confeils permanens des Commifllons extraor-. dinaires, & que quand les finances, par exemple, font dans un certain défordre, il faut néceffairement les donner a débrouiller a un feul  1'Abei£ de St. Pierre. 437 homme, comme Henri IV fit a Rofni & Louis XIV a Colbert. Ce qui fignifieroit que les Confeils ne font bons pour faire aller les affaires que quand elles vont toutes feules; en effet, pour ne rien dire de la Polyfynodie même du Régent , l'on fait les rifées qu'excita dans des circonftances épineufes ce ridicule Confeil de Raifon étourdiment demandé par les Notables de 1'affemblée de Rouen, & adroitement accordé par Henri IV. Mais, comine les iinances des Républiques font en général mieux aJminiftrées que celles des Monarchies; il eft a croirs qu'elles le feront mieux, ou du moins plus fidelement par un Confeil que par un Miniftre; & que fi, peut-être , un Confeil eft d'abord moins capable de I'activité nécesfaire pour les tirer d'un état de défordre, il eft auffi moins ftret a la négligence ou a 1'infidélité qui les y font tomber: ce qui ne doit pas s'entendre d'une affemblée paffigere & fubordonnée, mais d'une véritable Polyfynodie, oü les Confeils aient réellement le pouvoir qu'ils paroiffent avoir, oü 1'adminiftration des affaires nc leur foit pas enlevée par des demi-Vifirs, & oü fous les noms fpécieux ds Confeil- d'Etat ou de Confeil des Finances , ces Corps ne foient pas feulement des tribimaux de 'juftice ou des chambres des comptes. T 3  438 poltsthodie de Quoique les avantages de la Polyfynodie ne foient pas fans inconvéniens, & que les inconvéniens des autres formes d'adminiftration ne foient pas fans avantages, du moins apparens, quiconque fera fans partialité le parallele des uns & des autres, trouvera que la polyfynodie n'a point d'in«onvéniens effentiels qu'un bon Gouvernement ne puiffe aifément fupporter; au lieu que tous ceux du Vifirat & du demi-Vtfirat attaquent les fondemens mêmes de la conftitution, qu'une administration non interrompue peut fe perfecrionner fan9 ceffe, progrès impoifibles dans les intervalles & révolutions du Vifirat; que la marche égale & unie d'une Polyfynodie comparée avec quelques momens brillans du Vifirat, eft un fophifme grosfier qui n'en fauroit impofer au vrai politique, paree que ce font deux chofes fort différente» que 1'adminiftration rare & paffagere d'un bon Vifir, & la forme générale du Vifirat oü l'on a toujburs des fiecles de défordre fur quelques années de bonne conduite; que la diligence & le fecret, les feuls vrais avantages du Vifirat, beaucoup plus néceffaires dans les mauvais Gouvernemens que dans les bons, font de foibles fupplémens au bon ordre, a la juftice & a la prévoyan- Chapitre XI. Conclufion.  l'Abbé dë St. Pierre. 43$> fe, qui préviennent les maux au lieu de les réparer; qu'on peut encore fe procurer ces fupplémens au befoin dans la Polyfynodie par des commiflions extraordinaires , fans que le Vifirat ait jamais pareille reffource pour les avantages dont il fft privé ; que même 1'exemple de Tanden Sénat de Rome & de celui de Venife, prouve que dss commiffions ne font pas toujours néeeffaires dans un Confeil pour expédier les plus importantes affaires promptement & fecrétement; que lo Vifirat & le demi-Vifirat avilifiant, corrompant, dégradant les ordres inférieurs,'èxlgeroient pourtant des hommes parfaits dans ce premier rang; qu'on n'y peut gueres monter ou s'y maintenir qu'a force de crimes, ni s'y bien comporter qu'a force de vertus; qu'ainfi toujours en obftacle a lui-même, le Gouvernement engendre continuellement les vices qui le dépravent, & con uimant l'Etat pour fe renforcer, périt enfin comme un éditice qu'on voudioit élever fans celle avec des matériaux tirés de fes fondemens. C'efl ici la confidération la plus importante aux yeux de 1'homme d'Etat, & celle a laquelle je vais m'arrêter. La meilleure forme de Gouvernement ou du moins la plus durable, eft celle qui fait les hommes tels qu'elle a befoin qu'ils foient. Laisfons les lecteurs réfléchir fur cet axiome, ils en feront aifément 1'application. T 4  JUGEMENT SUR LA POLYSYNODIE. -EX tous les ouvrages de 1'Abbé de St. Pierre e Difcours fur la Polyfynodie eft, a mon avis' « plus approfondi, le mieux raifonné, celui oii Ion trouve le moins de répétitions & même le mieux écrit; éloge dont le fage auteur fe feroii ort peu foucié, -mais qui n'eft pas indifférent aux ieéteurs fuperfieiels. Auffi cet écrit n'étoit-il quune ébauche qu'il prétendoit n'avoir pas eu le tems d'abréger, mais qu'en effet il n'a voit pas en Ie tems de gater pour vouloir tout dire; & Dieu garde un Ieéteur impattent des abrégés de fa facon' II afu même éviterdans ce difcours Ie reproche fi commode aux ignorans qui-ne favent mefurer Ie poffible que fur 1'exiftant, ou aux méchans qui ne trouvent bon que ce qui fert a leur méchanceté lorfqu'on montre aux uns & aux autres que ce quï eftpourroit être mieux. Il a, dis-je, évité cettegrande prife que la fottife routinée a prefque toujours fur les nouvelles vues de la raifon, avec ces ™ts tranchans de [njets de Vair & de rêveries: car quand il écrivoit en faveur de la Polyfynodie, il a trouvoit établie dans fon pays. Toujours painole & fenfé, il fe plaifoit a montrer a fes compatnotes les avantages du gouvernement auquel ils étoient foumis; il en faifoit une comparaifon rai- fonnab le  j O S E M E N T S U R, &C 441 fonnable & difcrete avec celui dont ils venoient d'éprouver la rigueur. II louoit le fyftême du Prince régnant; il en déduifoit les avantages; il montroit ceux qu'on y pouvoit ajouter, & les additions même qu'il demandoit, confiftoient moins, felon lui, dans les changemens* faire, que dans 1'art de perfeftionner ce qui étoit fait. Une partie de ces vues lui étoient venucs fous le regne de Louis XIV; mais il avoit eu la fageftê de les taire jufqu'a ce que I'intérét de l'Etat, celui du Gouvernement & Ie fien , lui permiiTent de les publier. II faut convenir cependant que fous un même nom, il y avoit une extréme différence entre la Polyfynodie qui exiftoit, & celle que propofoit 1'Abbé de St. Pierre; & pour peu qu'on y réfléchiffe.on trouvera que 1'adminiftration qu'il citoit en exemple, lui fervoit bien plus de prétexte que de moJele pour celle qu'il avoit imaginée. II tournoit même avec affez d'adreffb en objeftions contre fon propre fyftême les défauts a relever dans celui du Régent , & fous le noui de réponfes a fes objeftions, il montroit fans danger & ces défauts & leurs remedes. II n'eft pas impoffible que le Récent, quoique fouvent loué dans cet écrit par des tours qui ne manquent pas d'adreffe, ait pénétré ft fineffe de cette critique, & qu'il ait abandonné 1'Abbé de St. Pierre, par piqué autant que par foibleffe, plus oftenfé peut - être des défauts qu'on trouvoit dans fon ouvrage, que flatté des avantages qu'on y faifoit remarquer. Peut-être auffi lui fut-il mauvais gré d'avoir en quelque maT 5  442 JUOBMENT SUR niere dévoilé fes vues fecretes, en montrant que fon établiffement n'étoit rien moins que ce qu'il devoit être pour devenir avantageux a l'Etat & prendre une affiette fixe & durable. En effet, on voit clairement que c'étoit la forme de Polyfynodie établie fous la Régence que 1'Abbé de St. Pierre accufoit de pouvoir trop aifément'dégénérer en demi-Vifirat & même en Vifirat; d'être fufceptible, aufli bien que l'un & 1'autre, de corruption dans fes membres & de concert entr'eux contre I'intérét public; de n'avoir jamais d'autre füreté pour fa durée que la volonté du Monarque regnant; enfin de n'être propre que pour ies Princes Iaborieux & d'être, par conféquent, plus fouvent contraire que favorable au bon ordre & a 1'expédition des affaires. C'étoit 1'efpoir de remédier a ces divers inconvéniens qui 1'engageoit a propofer une autre Polyfynodie entiérement différente de celle qu'il feignoit de ne vouloir que perfectionner. II ne faut donc pas que la conformité des noms fafle confondre fon projet avec cette ridicule Polyfynodie dont il vouloit autorifer la fienne, mais qu'on appelloit dès-lors par dérifion les foixante & dix Miniftres, & qui fut réfotmée au bout de quelques mois fans avoir rien fait qu'achever de tout gater; .'•ar la maniere dont cette adnnniftration avoit été établie fait afléz voir qu'on ne s'étoit pas beaucoup foucié qu'elle allat mieux, & qu'on avoit bien plus fongé a rendre ie Parlement méprifable au Peuple, qu'a donner réellement a fes membres 1'autorité qu'on feignoit de leur confiti»  LA P O L T S Y N O D I E. 443 C'étoit un piege aux pouvoirs intermédiaire*, femblable a celui que leur avoit déja tendu Henri IV a 1'affemblée de Rouen; piege dans lequel la vanité les fera toujours donner & qui les humiliera toujours. L'ordre politique & 1'oïdre civil ont dans les Monarchies des principes fi différens & des regies fi contraires, qu'il eft prefque impoflible d'allier les deux adminiiirations, & qu'en général les membres des Tribunaux font peu propres pour les Confeils; foit que 1'habitude des formalités nuife a 1'expédition des affa.res qui n'en veulent point, foit qu'il y ait une incompatibilité naturelle entre ce qu'on appelle Maximes d'Etat & la Juilicö & les Loix. Au refte, laiffant les faits a part, je croiroii , quant a moi, que le Prince & le Philofophe pouvoient avoir tous deux raifon fans s'accorder dans leur fyftême; car, autre chofe eft l^adminiftration pafiagere & fouvent orageufe d'une Régence, & autre chofe une forme de gouvernement durable & conftante qui doit faire partie de la conftitution de l'Etat. C'eft ici, ce me femble, qu'on retrouve le défaut ordinaire a 1'Abbé deSt. Pierre, qui eft de n'appliquer jamais affez bien fes vues, aux hommes , aux tems, aux circonftances & d'offrir toujours comme des facilités pour 1'exécution d'un projet, des avantages qui lui fervent fouvent d'obftacles. Dans le plan dont il s'agit, il vouloit modifier un gouvernement que fa longue durée a rendu déclinant, par des moyens tout-a-fait étrangersafa conftitution préfeute: il vouloit luirendte T 6  444 JUCEMENT SüK cette vigueur univerfelle qui met, pour ainfi dire toute la perfonne en action. C'étoit comme s'il eüt dit a un vieillard décrépit & goutteux: „ mar . „ chez, travaillez; fervez-vous de vos bras'& de „ vos jambes; car I'exercice eft bon a Ia fanté." En effet: ce n'eft rien moins qu'une révolution dont il eft queftionidans Ia Polyfynodie, & il ne faut pas croire paree qu'on voit aécuellement des Confeils dans les Cours des Princes & que ce font des Confeils qu'on propofe , qu'il y ait peu de différence d'un fyftême a 1'autre. La différence eft telle qu'il faudroit commencer par détruire tout ce qui exifte pour donner au gouvernement la forme imaginéepar 1'Abbé de St. Pierre; & nul n'ignore combien eft dangereux dans un grand Etat, le moment d'anarchie & de crife qui précede néceffairement un établiffement nouveau. La feule introduétion du fcrutin devoit faire un renverfement épouvantable , & donner plutót un mouvement convulfif & continuel a chaque partie qu'une nouvelle vigueur au corps. Qu'on juge du danger d'émouvoir une fois les maffes énormes qtii eompofent la Monarchie Francoife! qui pourra retenir 1'ébranlement donné, ou prévoir tous les effets qu'il peutproduire? Quand tous les avantages du, nouveau plan feroient inconteftables, quel homme de fens oferoit entreprendre d'abolir les vieillescoutumes, de changer les vieilles maximes & de donner une autre forme a l'Etat que celle oü Pa fucceffivement amené une durée de treize cents ans ? Que le gouvernement aétuel foit encore celui  LA FOLTSYNODIE. 445 d'autrefois, 011 que durant tant de fiecles il ait changé de nature infenfiblement, il eft également imprudent d'y toucher. Si c'eft le même, il faut le refpecter; s'il a dégénéré , c'eft par la force du tems & des chofes, & la fageffe humaine n'y peut rien. II nefuffit pas de confidérer les moyens qu'on vtut employer, fi l'on ne regarde encore les hommes dont on fe veut fcrvir ■ or , quand toute une nation ne fa't plus s'occuper que de niaiferies, quelle attention peut-elle donner aux grandes chofes, & dans un pays oü la mufique eft de venue une affaire d'Etat, que feront les affaires d'Etat finon des chanfons ? Quand on voit tout paris en fermentation pour une place de baladin ou de bel-efprit, & les affaires de 1'Académie ou de 1'Opéra faire oublicr 1'intérêt du Prince & la gloire de la Nation; que doit-on efpértr des affaires publiques rapprochées d'un tel Peuple. & tranfportées de la Cour a la Ville? Qu;l!e confiance peut-on avoir au fcrutin des Confeils, quand on voit celui d'une Académie au.pouvoir des femmes! feront - elles moins empreffées a placer des Miniftres que des Savans, ou fe connoltront-elles mieux en politique qu'en éloquence ? II eft bien & craindre que de tels éta'hliffemens dans un pays oü les moeurs font en dérifion, ne fe fiffent pas tranquillement, nefe maintinffent gueres fans troubles & ne donnaffent pas les meilleurs fujets. D'ailleurs, fans entrer dans cette vieille queftion de la vénalité des charges, qu'on ne peutagitei que chez des gens mieux pourvus d'argent que 'P 7  4$6 JVGZMENT SDU de mérite, imagine-t-on quelque moyen praticable d'abolir en France cette vénalité ? ou penferoit-on qu'elle püt fubfifter dans une partie du Gouvernement & le fcrutin dans 1'autre ; l'une dans lesTribunaux, 1'autre dans- les Confeils, & que les feules places qui reftent a la faveur feroient abandonnées aux élections ? Il faudroit avoir des vues bien courtes & bien faufles pour vouloir allier des chofes fi diiTemblables, & fonder un même fyftême fur des principes fi différens. Mais laiffons ces applications & confidérons la chofe en elle-même. Quelles font les cireonftances- dans lèfquelles une Monarchie héréditaire peut fans révolutions être tempérée par des formes qui la rapprochent de PAriftocratie ? Les Corps intermédiaires entre le Prince & le Peuple, peuvent-ils, doivent-ils avoir une jurifdiction indépendante l'un de 1'autre; ou s'ils font précaires & dépendans du Prince,. peuvent-ils jamais entrer comme parties intégrantes dans la conftitution de l'Etat, & même avoir une influence réelle dans les affaires i Queftions préliminaires qu'il falloit difcuter & qui ne femblent pas faciles a réfoudre : car s'il eft: vrai que li pente naturelle eft toujours vers la corruption . & par conféquent vers le defporifme, il eft difficile de voir par quelles reflburces de politique le Prince , même quand il le veudroit , pourroit donner a cette pente une direétion contraire qui ne püt être changée par fes fuccefiëurs ni par leurs Miniilres. L'Abbé de St. Pierre ne prétendoit pas,  LA POLYSrNO'BIE. 447 x la vérité, que fa nouvelle forme ótat rien a 1'autorité royale : car il donne aux Confeils la délibération des matieres & laifie au Roi feul la décifionr ces différens Confeils, dit-il, fans empêcher le Roi de faire tout ce qu'il voudra, le préferveront fouvent de vouloir des chofes nuifibles a fa gloire & a fon bonheur; ils porteront devant lui le flambeau de la vérité pour lui raontrer le meilleur chemin & le garantir des pieges* Mais cet homme éclairé pouvoit - il fe payer luimême de fi. mauvaifes raifons ? efpéroit-il que les yeux des Rois puffent voir les objets a travers les lunettes des fages ? Ne fentoit - il pas qu'il falloit nécefiairement que la délibération des Confeils devint bientót un vain formulaire ou que 1'autorité royale en fut altérée, & n'avouoit-il pas lui-mèrne que c'étoit introduire un Gouvernement mixte, oü' la forme Républicaine s'allioit a la Monarchique'? En effet, des Corps nombreux dont le choix ne dépendroit pas entiérement du Prince , & qui n'auroient par eux-mêmes aucun pouvoir, deviendroient bientót un fardeau' inutile a l'Etat; fans mieux faire aller les affaires, ils ne feroient qu'en retarder 1'expédition par de longues formalités, &, pour me fervir de fes propres termes, ne feroient que des Confeils de parade. Les favoris du Prince , qui le font rarement du public, éi qui, par conféquent , auroient peu d'influence dans des Confeils formés au fcrutin , décideroient feuls toutes les affaires ,- le Prince n'aflifteroit jamais aux Confeils fans avoir déja pris fon parti fur tout  4-1% JüCEMENT SOK, ce qu'on y devroit agiter, ou n'en fortiroit jamais fans confulter de nouveau dans fon cabinet, avec fes favoris, fur les réfolutions qu'on y auroit prifes ; enfin , il faudroit néceflairement que les Confeils devinffent méprifables, ridicules & touta-fait inutiles, ou que les Rois perdiffent de leur pouvoir: alternative a laquelle ceux-ci ne s'expoferont certainement pas, quand même il en devroit réfulter le plus grand bien de l'Etat & Ie leur. Voila, ce me femble , a peu prés les cótés par lefquels 1'Abbé de St. Pierre eüt dB confidérer le fond de fon fyftême pour en bien établir les principes; mais il s'amufe, au lieu de cela, a réfoudre cinquante mauvaifes objections qui ne valoient pas la peine d'être examinécs, ou, qui pis eft, a faire lui-même de mauvaifes réponfes quand les» bonnes fe préfentent naturellement , commo s'il cherchoit a prendre plutót le tour d'efprit de fes oppofans pour les ramener a Ia raifon , que la langage de la raifon pour convaincre les fages. Par exemple, après s'être.objeété que dans la Polyfynodie chacun dès Confeillers a fon plan général ; que eette diverfité produit néceflairement des décifions qui fe contredifent & des embarras dans le mouvement total; il répond a cela qu'il ne peut y avoir d'autre plan général que de chercher k perfeclionner les régiemens qui roulent fur toutes les parties du Gouvernement. Le meilleur plan général n'eft-ce pas, dit-il, celui qui va Ie plus droit au plus grand bien de l'Etat dans chaque affaire particuliere ? D'oü il tire cette conclufioji  LA POLTSYNOBIE. 449 très-fauffe que les divers plans généraux, ni par conféquent les régiemens & les affaires qui s'y rapportent, ne peuvent jamais fe croifer ou fe nuire mutuellement. En effet j le plus grand bien de l'Etat n'eft pas toujours une chofe fi claire, ni qui dépende autaut qu'on le croiroit du plus grand bien de chaque partie ; comme fi les mêmes affaires ne pouvoient pas avoir entr'elles une infinité d'ordres divers'& de liaifons plus óu moins fortes qui forment autant de différences dans les plans généraux. Ces plans bien digérés font toujours doublés & renferment dans un fyftême comparé Ia forme aclueüe de l'Etat & fa forme perfeftionnée felon les vues de 1'auteur. Or, cette perfeétion dans un tout auflï éompofé que le corps politique , ne dépend pas feulement de celle de chaque partie, comme pour ordonner un palais H ne fuffit pas d'en bien difpofer chaque piece^mais il faut de plus confidérer les rapports du töüt, les liaifons les plus couvenables, 1'ordre Ie plus commode, la plus facile commuaication , le plus parfait enfemble , & la fymétrie la plus réguliere. Ces objets généraux font fi importans , que Phabile architeéte flicrifie au mieux du tout mille avantages particuliers qu'il auroit pu conferver dans une crdonnance moins parfaite & moins fimple. De même, le politique ne regarde en particulier ni les finanees, ni la guerre, ni le commerce; mais il rapporte toutes ces part'es a un objet commun; & des proportions cui leur conviennent Ie mieux, réfultent les plans  45o JnotffÊKT s p a généraux dont les dimenfions peuvent- varier c!e mille maöieres , felon les idéés & les vues de ceux qui les ont formés, foit en cherchant la plus grande perfeftion du tout, foit en cherchant la plus facile exécution, fans qu'il foit aifé quelquefois de démêler celui de ces plans qui mérite la préférence. Or, c'eft de ces plans qu'on peut dire que fi chaque Confeil & chaque Confeiller a le fien, il n'y aura que contradictions dans les affaires & qu'embarras dans le mouvement commun: mais le plan général, au lieu d'être celui d'un homme ou d'un autre, ne doit être & n'eft en effet dans la Polyfynodie que celui du Gouvernement, & c'eft & ce grand modele que fe rapportent néceflairement les délibérations communes de chaque Confeil & le travail particulier de chaque membre. II eft certain même qu'un pareil plan fe médite & fe conferve mieux dans le dépot d'un Confeil que dans Ia tête d'un Miniftre & même d'un Prince; car chaque Vifir a fon plan qui n'eft jamais celui de fon dévancier, & chaque demi-Vifir aufli Ie fien qui n'eft ni celui de foh dévancier, ni celui de fon coüegue : aufiï voit-on généralement les Républiques changer moins de fyftêmes que les Monarchies. D'oiije conclus avec 1'Abbé de St. Pierre , mais par d'autres raifons, que la Polyfynodie eft plus favorable que Ie Vifirat & le demi-Vifirat a 1'unité du plan général. A 1'égard de la forme particuliere de fa Polyfynodie & des détails dans Iefqueis il entro poui  LA PoLYSYNOOiE. 4$I Ia déterminer, tout cela èii trés - bien vu & fort bon féparément pour prévenir les inconvéniena auxquels chaque chofe doit remédier: mais quand on en viendroit a 1'exécution, je ne fais s'il regneroit affez d'harmonie dans le tout enfemblej car il paroit que 1'établiffement des grades s'accorde mal avec celui de la circulation, & le fcrutin plus mal encore ayec l'un & 1'autre; d'ailleurs, fi 1'établiffement eft dangereux a faire, il eft craindre que-, même après 1'établiffement fait, ces différens refforts ne caufent mille embarras & mille dérangemens dans le jeu de la machine , quand il s'agira de la faire marcher. La circulation de la Préfidence en particulier, feroit un excellent moyen pour empêcher la Polyfynodie de dégénerer bientót en Vifirat, fi cette circulation pouvoit durer, & qu'elle ne füt pas arrêtée par la volonté du Prince, en faveur du premier des Préfidens qui aura 1'art toujours recherché de lui plaire : C'eft-a-dire que la Polyfynodie durbra jufqu'a ce que le Roi trouve un Vifir a fon gré; mais fous le Vifirat même on n'a pas un Vifir plutót que cela. Foible remede, que celui dont la vertu s'éteint a 1'approche du mal qu'il devroit guérir! N'eft - ce pas encore un mauvais expédient de nous donner la nécefllté d'obtenir les fuffrages une feconde fois comme un frein pour empêcher les Préfidens d'abufer de leur crédit la première? Ne fera-t-il pas plus court & plus für d'en abufer au point de n'avoir plus que faire de fuffrages, &  452" J v e E M E IT T f V Ê notre auteur lui-même n'accorde-1- il pas an Prince le dfoit de prolonger au befoin les Préfidens a fa volonté, c'eft-a-dire, d'en faire de véritables Vifirs? Comment n'a-1-il pas appercu mille fois dans le cours de fa vie & de fes écrits, combien c'eft une vaine occupation de recbercher des formes durables pour un état de chofes qui dépend toujours de la volonté d'un feul homme? Ces difficultés n'ont pas écbappé a 1'Abbé de St. Pierre, mais peut-être lui convenoit-il mieux de les diflïmuler que de les réfoudre. Quand il parle de ces contradiclions & qu'il feint de les concilier, c'eft par des moyens fi abfurdes & des raifons fi peu raifonnables qu'on voit bien qu'il eft embarrafie, ou qu'il ne procédé pas de bonne foi. Seroit-il croyable qu'il eut mis en avant fi hors de propos & compté parmi ces moyens 1'amour de la patrie, le bien public, le defir de la vraie gloire & d'autres chimères évanouïes depuis longtems, ou dont il ne refte plus de traces que dans quelques petites Républiques? Penferoit-il férieufement que rien de tout cela püt réellement influer dans la forme d'un gouvernement monarchique ; & après avoir cité les Grecs, les Romains & méme quïlques Modernes qui avoient des ames anciennes, n'avoue-t-il pas lui-même qu'il 'feroit ridicule de fonder la conftitution de l'Etat fur des maximes éteintes? Que fait-il donc pour fuppléer a ces moyens étrangers dont il reconnoit 1'infuffiftnce? II leve une difficulté par une autre, étabüt un fyftême fur un fyftême,, & fonde la Polyfynodia  LA PoLYSYNODIE. 453 fur faRépublique Européenne. Cette République, dit-il, étant garante de I'exécution des Capitulations impériales pour 1'AlIemagne; des Capitulations parlementaires pour 1'Angleterre; des Paiïa Conventa pour la Pologne; ne pourroit-elle pas 1'être auffi des Capitulations royales fignées au fr.cre des Rois pourla forme du Gouvernement, lorfque cette forme feroit paffée en loi fondamentale ? & après tout, garantir les Rois de tomber.dans la tyrannie des Nérons, n'eft-ce pas les garantir eux & leur poftérité de leur ruine totale f On peut, dit-il encore, faire paiTer Ie régiement de la Polyfynodie en forme de loi fondamentale dans les Etats Généraux du B-oyaume, la faire jurer au facre des Rois , & lui donner ainfi Ia même autorité qu'a la loi falique. La plume tombe des mains, quand on voit un homme fenfé propofer férieufement de femblables expédiens. Ne qu'ttons point cette matiere fans jetter un coup d'ceil général fur les trois formes de miniftere comparées dans cet ouvrage. Le Vifirat eft la derniere reflburce d'un Etat défaiilant; c'eft un palliatif quelquefois néceffaire, qui peut lui rendre pour un tems une certaine vigueur apparente: mais il y dans cette forme d'adminiitration une multiplication de forces tout-a-fait fuperflue dans un Gouvernement'fain. Le Monarqae & le Vifir font deux machines exactement femblables, daöt l'une devient inutile fitót que 1'autre eft en mouvement: car en efiet, felon le  454 JUCEMENT SUR mot de Grotius, qui reget, rex ejl. Ainfi l'Etat fupporte un doublé poi'ds qui ne produit qu'un effet fimple. Ajoutez a cela qu'une grande partie de la force du Vifirat étant employée a rendre le Vifir néceffaire & a le maintenir en place, eft inutile ou nuifible a l'Etat. Aufli 1'Abbé de St. Pierre appelle-t-il avec raifon le Vifirat une forme de Gouvernement grofliere, barbare, pernicieufe aux Peuples, dangereufe pour les Rois, funefte aux Maifons royales, & Pon peut dire qu'il n'y a point de Gouvernement plus déplorable au monde , que celui oü le Peuple eft réduit A defirer un Vifir. Quant au demi-Vifirat, il eft avantageus fous un Roi qui fait gouverncr & réunit dans fes mains toutes les rênes de l'Etat; mais fous un Prince foible ou peu laborieux, cette adminiftraeion eft mauvaife , embarraffée, fans fyftême & fans vues, faute de liaifon entre les parties & d'accord entre les Miniftres, furtout fi quelqu'un d'entr'euxplusadroit ou plus méchant que les autres tend en fecret au Vifirat. Alors tout fe paffe en intrigues de Cour, l'Etat demeure en langueur, & pour trouver la raifon de tout ce qui fe fait fous un femblable Gouvernement, ilne faut pas demander a quoi cela fert, mais a quoi cela nuit. Pour la Polyfynodie de 1'Abbé de St. Pierre, je ne faurois voir qu'elle puiffe être utile ni praticable dans aucune véritable Monarchie , mais feulement dans une forte de Gouvernement mixte, oü le chef ne foit que le préfident des confeils, n'ait que la puiffance exécutive & ce puiffe rien  LA POLÏSYNODÏE. 455 par lui-même: encore ne faurois-je croire qu'une pareille adminiftration püt durer longtems fans abus; car les intéréts des fo.ciétés partielles ne font pas moins féparés df. ceux de l'Etat, ni moins pernicieux i la République que ceux des particuliers, & ils ont même cet inconvénient de plus, qu'on fe fait gloire de foutenir, a quelque prix que ce foit, les droits ou les prétentions du corps dont on eft membre, & que ce qu'il y a de malhonnête a fe préférer aux autres, s'évanouiflant a la faveur d'une fociété nombreufe dont on fait partie, a force d'être bon fénafeur on devient enfin mauvais citoyen. C'eft ce qui rend l'Ariftocraiie la pire des fouverainetés (*); c'eft ce qitl rencroit peut-être la Polyfynodie le pire de tous leg Uïnifteres, (*) Ji parieroisque mille gens trouveront encore ici une contradiélion avec le Contrnt Social. Cela prouve qu'il y a encore p a de lecteurs qui dsvroient apprendre h lire, quo 4'aiiteur> qui devroient apprendre a être confdquens, F I N.  T A B L E DES DIFÏEÜENTES PIECEJ Contenues dans ce Volume. Tra lu&ion du premier Livre de l'Hiftoire de Tacite, avec le Latin. . . . 2 Tradutlion de VApocolókintofis de Séneque, avec le Latin. . . . .161 Olinde Sophronic, avec Vit allen. . . 205 Fragment peur un DiQiennaire des termes d'ufage en Botanique. . . . 241 Lettres élémentairet fur la Botanique, h Madame de L***. . . . 3r5 Réponfe h une Lettre anonyme. . . 394 Jugement fur la Paix perpétuelle , par 1'Abbé de St. Pierre. . . . 390 Polyfynodie de 1'Abbé de St. Pierre. . . 414 Jugement fur la Polyfynodie. . . . 440 Fin de la Table.